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Full text of "Bulletins et mémoires - Société d'anthropologie de Paris"

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B  U  L  L  E  ï  I  N  S 

DE    LA    SOCIÉTÉ 

D'ANTHROPOLOGIE 

DE    PARIS 


BEAUGEXCY.    —    IMP.    T.    LAFFEAY. 


BULLETINS    er 


DR  LA/ SOCIÉTÉ 


D'ANTHROPOLOGIE 


DE     PARIS 


TOME    SIXIÈME    (IVe    SÉRIE) 

ANNÉE    1895 


PARIS 

MASS.ON  &  Ci0,   ÉDITEURS 

Libraires    île    l'Académie   de    Médecine 

BOULEVARD   SAINT-GERMAIN.   12<> 

1893 


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SOCIETE  D'ANTHROPOLOGIE 

DE   PARIS 

(fondée  en  1859,  reconnue  d'utilité  publique  en  1864) 
15,  rue  de  l'École  de  médecine,  15 


STATUTS 


TITRE  PREMIER.  —  but  et  organisation  de  la  société. 

Article  leP.  —  La  Société  d'anthropologie  de  Paris  a  pour 
but  l'étude  scientifique  des  races  humaines. 

Art.  2.  —  Elle  se  compose,  en  nombre  illimité,  de  membres 
titulaires,  de  membres  honoraires,  de  membres  associés  étran- 
gers et  de  correspondants. 

Art.  3.  —  Tous  les  membres  et  correspondants  de  la  Société 
sont  nommés  par  voie  d'élection,  sur  la  proposition  de  trois 
membres,  sauf  l'exception  indiquée  à  l'article  11. 

Art.  4.  —  Un  Comité  central  de  trente  membres,  se  recrutant 
lui-même  par  voie  d'élection  parmi  les  membres  titulaires,  est 
chargé  de  veiller  aux  intérêts  matériels,  moraux  et  scientifiques 
delà  Société.  Les  membres  du  Comité  central  peuvent  seuls  voter 
sur  les  modifications  des  statuts  et  règlement.  Les  membres  du 
Bureau  et  de  la  Commission  de  publication  ne  peuvent  être  choisis 
que  parmi  les  membres  du  Comité  central. 

Art.  5  *.  —  Le  Bureau,  élu  par  la  Société  en  séance  publique 

i  Modifié  conformément  au  décret  du  2  octobre  1807. 


tl  STATUTS 

se  compose  d'un  président,  de  deux  vice-présidents,  d'un  secré- 
taire général,  d'un  secrétaire  général  adjoint,  de  deux  secré- 
taires annuels,  d'un  archiviste,  d'un  trésorier  et  d'un  conserva- 
teur des  collections.  La  Commission  de  publication  se  compose 
de  trois  membres.  Tous  ces  fonctionnaires  sont  élus  pour  un  an, 
à  l'exception  du  secrétaire  général,  dont  les  fonctions  sont 
triennales.  Tous  sont  inéligibles,  à  l'exception  du  président, 
qui  ne  peut  être  réélu  qu'après  une  année  d'intervalle. 
Art.  6.  —  La  Société  est  représentée  par  le  Bureau. 


TITRE   IL     —    CANDIDATURES    ET   NOMINATIONS. 


Art.  7.  —Les  titres  de  membre  titulaire  et  de  correspondant 
national  ne  peuvent  être  conférés  qu'aux  personnes  qui  ont  fait 
acte  de  candidature.  Les  membres  honoraires,  les  associés  et 
correspondants  étrangers  peuvent  être  nommés  directement  par 
la  Société. 

Art.  8.  —  Les  conditions  à  remplir  pour  devenir  membre 
titulaire  ou  pour  obtenir  le  titre  de  correspondant  national 
sont:  1°  d'être  présenté  par  trois  membres  qui  inscrivent  leur 
proposition  sur  le  grand  registre  et  y  apposent  leur  signature  ; 
2°  d'adresser  au  président  une  demande  écrite;  3°  d'obtenir  au 
scrutin  secret  la  majorité  des  suffrages  des  membres  présents. 
Ce  scrutin  a  lieu  dans  la  séance  qui  suit  l'inscription  de  la  can- 
didature. 

Art.  9.  —  Les  associés  étrangers  et  les  correspondants 
étrangers  sont  nommés  individuellement  et  au  scrutin  secret,  à 
la  demande  de  trois  membres  qui  inscrivent  leur  proposition 
sur  le  grand  registre  et  y  apposent  leur  signature.  Le  scrutin  a 
lieu  à  la  majorité  absolue  des  membres  présents,  dans  la  séance 
qui  suit  l'inscription  de  la  candidature. 

Art.  10.  —  Tout  membre  ayant  rempli  pendant  cinq  ans  au 
moins  les  fonctions  de  membre  du  Comité  central  (ou  de  membre 
titulaire  antérieurement  à  la  création  du  Comité  central),  et 
ayant  fait  partie  de  la  Société  pendant  dix  ans  au  moins  en 
qualité  de  membre  titulaire  (ou  de  membre  associé  national 
antérieurement  à  la  création  du  Comité  central),  pourra,  sur  sa 
demande,  être  élu  membre  honoraire  en  séance  publique,  à  la 
majorité  absolue  des  membres  présents.  11  cessera  dès  lors  d'être 
soumis  à  la  cotisation,  en  continuant  à  jouir  de  tous  les  droits 


STATUTS  ÎI1 

des  membres  titulaires  et  à  recevoir  gratuitement  toutes  les 
publications  de  la  Société. 

Art.  11.  —  La  société,  sur  la  proposition  de  cinq  membres, 
confère  directement  le  titre  de  membre  honoraire  à  des  savants 
pris  hors  de  son  sein,  et  ayant  rendu  des  services  éminentsà  la 
science. Les  présentateurs  inscrivent  leur  proposition  sur  le  grand 
registre  et  y  apposent  leur  signature.  L'élection  a  lieu  à  la  ma- 
jorité absolue  des  membres  présents,  dans  la  séance  qui  suit 
l'inscription  de  la  candidature. 


TITRE   III.    —   ADMINISTRATION. 


Art.  12.  —  Les  ressources  de  la  Société  se  composent  : 

1°  Du  revenu  des  biens  et  valeurs  de  toute  nature  appartenant 
à  la  Société; 

2°  Du  droit  d'admisison  pour  les  membres  titulaires  et  poul- 
ies correspondants  nationaux.  Ce  droit  est  fixé  à  20  fr.  ; 

3*  De  la  cotisation  payée  par  tous  les  membres  titulaires,  rési- 
dants au  non  résidants.  Le  montant  en  est  fixé  par  la  Société, 
suivant  ses  besoins  ; 

4°  Des  amendes  encourues,  suivant  qu'il  sera  statué  par  le 
reniement; 

5°  Du  produit  des  publications; 

0°  Des  dons  et  legs  que  la  Société  est  autorisée  à  recevoir  ; 

7°  Des  subventions  qui  peuvent  lui  être  accordées  par  l'État. 

Art.  13.  —  Les  fonds  libres  sont  placés  en  rentes  sur  l'État. 

Art.  14.  —  Les  délibérations  du  Comité  central  relatives  à 
des  aliénations,  acquisitions  ou  échanges  d'immeubles  et  à 
l'acceptation  de  dons  ou  legs,  sont  subordonnées  à  l'approbation 
du  gouvernement.  Elles  ne  peuvent  être  prises  qu'après  une 
convocation  spéciale,  et  à  la  majorité  des  deux  tiers  des  membres 
du  Comité  qui  assistent  à  la  séance. 

Art.  15.  —  Les  livres,  brochures,  cartes,  crânes,  plâtres, 
pièces  d'anatomie,  objets  d'art  et  d'industrie,  dessins,  photogra- 
phies, etc.,  qui  composent  les  collections  de  la  Société  ne  peuvent 
en  aucun  cas  être  vendus  ;  mais  la  Société  pourra  compléter  son 
musée  par  voie  d'échanges.  Ces  échanges  ne  pourront  porter  que 
sur  des  objets  possédés  à  plusieurs  exemplaires.  Ils  ne  pourront 
avoir  lieu  qu'entre  le  musée  de  la  Société  et  d'autres  musées 
d'une  importance  reconnue,  et  ils  devront  toujours  être  indiqués 
sur  le  catalogue. 


IV  STATUTS 


TITRE  IV.  —  dispositions  générales. 


Art.  16.  —  La  Société  s'interdit  toute  discussion  étrangère 
au  but  de  son  institution. 

Art.  17.  —  Un  règlement  particulier,  soumis  à  l'approbation 
du  ministre  de  l'instruction  publique,  détermine  les  conditions 
d'administration  intérieure,  et  en  général  toutes  les  dispositions 
de  détail  propres  à  assurer  l'exécution  des  statuts. 

Art.  18  —  Nul  changement  ne  peut  être  apporté  aux  statuts 
qu'avec  l'approbation  du  gouvernement. 

Art.  19.  —  En  cas  de  dissolution,  il  sera  statué  par  la  Société, 
convoquée  extraordinairement,  sur  l'emploi  des  biens,  fonds, 
livres,  etc.,  appartenant  à  la  Société;  toutes  les  pièces  du  musée 
deviendront  de  droit  la  propriété  du  Muséum  d'histoire  naturelle, 
à  moins  que  la  Société  n'en  dispose,  par  un  vote  régulier,  en 
faveur  d'un  autre  établissement  public  ou  d'une  société  reconnue 
par  l'État.  —  Dans  cette  circonstance,  la  Société  devra  toujours 
respecter  les  clauses  stipulées  par  les  donateurs  en  prévision  du 
cas  de  dissolution. 


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REGLEMENT 


DE 


LA   SOCIÉTÉ  D'ANTHROPOLOGIE 

REVISÉ    EN    1893 


TITRE  PREMIER.  —  des  séances  publiques. 


Article  1er.  _  Les  séances  publiques  ont  lieu  le  premier  et  le 
troisième  jeudi  de  chaque  mois,  de  trois  à  cinq  heures  de  l'après- 
midi.  Il  pourra  être  tenu  des  séances  extraordinaires  sur  la 
proposition  du  Bureau  et  par  décision  de  la  Société. 

Art.  2.  —  La  périodicité  des  séances  pourra  être  changée  par 
une  simple  décision  de  la  Société,  à  la  majorité  absolue  des 
membres  présents,  pourvu  que  la  Société  en  ait  été  prévenue  une 
séance  à  l'avance  par  son  président  et  que  tous  les  membres 
aient  en  outre  été  convoqués  à  domicile. 

Art.  3.  —  La  Société  prend  chaque  année  deux  mois  de  va- 
cances, en  août  et  septembre. 


TITRE  II.  —  fonctions  du  bureau. 

Art.  4.  —  Le  président  dirige  les  séances,  proclame  les  déci- 
sions de  la  Société  et  les  noms  des  membres  élus  et  nomme, 
après  avoir  pris  l'avis  du  Bureau,  les  commissions  chargées  des 
rapports  et  des  travaux  scientifiques. 

Art.  5.  —  En  l'absence  du  président  et  des  vices  présidents, 
le  plus  ancien  membre  préside  la  séance. 

Art.  6.  —  Le  secrétaire  général,  élu  pour  trois  ans  et  rééligi- 
ble,  reçoit,  dépouille  et  rédige  la  correspondance.  Il  prépare 
l'ordre  du  jour  des  séance  de  concert  avec  le  président-.  Il  a  la 
parole  immédiatement  après  l'adoption  du  procès-verbal,  pour 
communiquer  à  la  Société  les  pièces  de  la  correspondance.  Il 
est  chargé  de  la  publication  des  Bulletins  et  Mémoires  sous  la 
direction  du  Comité  de  publication,  avec  le  concours  des  secré- 
taires annuels.  Il  est  adjoint  de  droit  à  la  Commission  de  pu- 
blication et  tous  les  travaux  destinés  à  cette  Commission  sont 
d'abord  déposés  entre  ses  mains.  11  est  suppléé  dans  ces  diffé- 
rentes fonctions  par  le  secrétaire  général  adjoint. 


VI  REGLEMENT 

Art.  7.  — Les  secrétaires  sont  chargés  delà  rédaction  des  pro- 
oès-verbaux.  Pour  concourir  à  cette  rédaction  des  procès-ver- 
baux, la  Société  pourra  élire,  en  dehors  du  Comité  central,  deux 
secrétaires  adjoints  pris  parmi  les  membresqui,  étant  titulaires 
pendant  plus  d'une  année,  ont  fait  à  la  Société  une  communi- 
cation scientifique. 

Art.  8.  —  L'archiviste  est  chargé  de  la  conservation  des  ma- 
nuscrits, des  dessins,  des  livres  et  gravures,  des  paquets  cache- 
tés, des  lettres  adressées  à  la  Société.  11  date  et  parafe  toutes 
ces  pièces  le  jour  de  leur  réception.  Les  pièces  anatomiques,  les 
moules  et  tous  les  objets  offerts  à  la  Société  ou  acquis  par  elle 
sont  mis  sous  la  garde  du  conservateur  des  collections.  Tous 
deux  dressent  un  catalogue  et  un  inventaire  des  objets  de  tout 
genre  qui  leur  ont  été  confiés  et  en  rendent  compte  tous  les  ans 
à  une  commission  spéciale. 

Art.  9.  —  Le  trésorier  reçoit  le  montant  des  cotisations  et 
des  droits  d'admission,  tient  toutes  les  écritures  relatives  à  la 
comptabilité,  signe,  de  concert  avec  le  président,  les  baux  et  les 
bordereaux  de  dépenses,  solde  les  frais  de  publication,  touche 
chez  les  libraires  le  produit  de  la  vente  des  Bulletins  et  Mémoi- 
res et  rend  chaque  année  compte  de  sa  gestion  à  une  commis- 
sion spéciale. 


TITlîE  III.  —  DU  COMITÉ  CENTRAL. 


Art.  10.  —  Les  questions  administratives,  personnelles,  ré- 
glementaires et  en  général  toutes  les  questions  qui  ne  sont  pas 
purement  scientifiques,  exception  faite  de  celles  qui  sont  men- 
tionnées dans  les  articles  32,  33  et  73,  sont  examinées  et  réso- 
lues dans  les  séances  du  Comité  central. 

Art.  11.  —  Les  réunions  du  Comité  ne  sont  pas  publiques,  et 
n'ont  jamais  lieu  le  même  jour  que  les  séances  de  la  Société. 
Elles  sont  annoncées  huit  jours  à  l'avance  par  le  président,  en 
séance  publique.  Les  membres  du  Comité  sont  en  outre  avertis 
à  domicile.  Tous  les  membres  de  la  Société  ont  le  droit  d'assis- 
ter à  ces  réunions. 

Art.  12.  — Les  membres  du  Comité  central  qui,  sans  justi- 
fier de  leur  absence,  manqueront  à  quatre  séances  consécutives 
du  Comité  seront  considérés  comme  ne  faisant  plus  partie  du 
Comité.  Cette  disposition  ne  concerne  pas  les  anciens  présidents 
de  la  Société. 

Art.  13.  —  Dans  ces  réunions,  tous  les  membres  de  la  Société 
indistinctement  ont  toujours  voix  consultative.  Les  membres 
du  Comité  seuls  ont  voix  délibérative. 

A.RT.  14.  —  Le  bureau  du  Comité  est  le  même  que  celui  delà 
Société.  Toutefois  le  Comité  pourra,  à  la  demande  des  secré- 


RÈGLEMENT  VII 

taires,  charger  un  de  ses  membres  de  diriger  les  procès-ver- 
baux de  ses  séances. 

Aux.  15.  —  Les  procès-verbaux  des  séances  du  Comité,  n'é- 
tant pas  destinés  à  être  publiés,  sont  transcrits  par  les  soins  du 
secrétaire  sur  un  registre  spécial  qui  reste  toujours  déposé  dans 
les  archives. 

Art.  16.  —  Les  séances  du  Comité  ont  lieu  régulièrement  : 
1°  en  janvier,  dans  la  quinzaine  qui  suit  laséance  d'installation 
du  Bureau;  2°  dans  la  première  quinzaine  d'avril;  3«  dans  la 
première  quinzaine  de  juillet;  4°  dans  la  première  quinzaine  de 
novembre. 

Art.  17.  —  Le  Bureau  a  en  outre  le  droit  de  provoquer  une 
réunion  du  Comité  toutes  les  fois  qu'il  le  juge  nécessaire. 

Art.  18.  —  Lorsqu'une  ou  plusieurs  places  sont  vacantes  dans 
le  sein  du  Comité,  le  Comité  nomme  une  commission  de  cinq 
membres  chargée  de  lui  présenter  une  liste  de  candidats.  Les 
personnes  portées  sur  cette  liste  devront  appartenir  à  la 
Société  depuis  au  moins  un  an  en  qualité^de  membres  titulaires. 

Art.  19.  —  La  présentation  de  cette  liste  doit  être  motivée  par 
un  rapport  écrit  qui  est  lu  et  discuté  séance  tenante.  Le  vote 
suit  immédiatement  la  discussion,  et  l'élection  a  lieu  à  la  ma- 
jorité absolue  des  membres  qui  y  prennent  part.  Mais  elle 
n'est  valable  que  lorsque  le  candidat  élu  obtient  au  moins  douze 
voix. 

Art.  20.  —  Le  Comité  peut  élire  plusieurs  membres  dans  la 
même  séance  et  à  la  suite  du  même  rapport.  Ces  élections,  qui 
ont  lieu  par  scrutins  successifs  et  individuels  ne  peuvent  dépas- 
ser le  nombre  de  trois  dans  la  même  séance. 

Art.  21.  —  Le  Comité  central  nomme  chaque  année  unecom- 
mission  permanente  de  cinq  membres,  qui  est  chargée  d'exami- 
ner les  candidatures  au  titre  de  correspondant  étranger  ou  d'as- 
socié étranger.  Avant  d'inscrire  une  de  ces  candidatures  sur  le 
grand  registre,  les  présentateurs  doivent  soumettre  à  cette  com- 
mission les  titres  anthropologiques  ou  autres  de  leur  candidat. 
Le  jour  de  l'élection,  le  président  de  la  commission  annonce, 
avant  le  scrutin,  que  la  candidature  est  présentée  avec  ou  sans 
L'appui  de  la  commission  (avril  1880). 

Art.  22.  —  Celte  commission  est  chargée  en  outre  d'étudier 
la  liste  des  membres  étrangers  au  point  de  vue  des  changements 
d'adresse,  des  vacances  par  décès  ou  par  démission,  et  de  - 
lacunes  à  combler  suivant  les  besoins  de  la  Société  (avril  1880). 

Art.  23.  —  Les  résultats  des  séances  du  Comité  sont  annon- 
cés parle  président  dans  la  plus  prochaine  séance  de  la  Société 
soit  publiquement,  soit  en  comité  secret  et  sont  consignés,  s'il 
y  alieu,  dansles  Bulletins.  Cette communicat ion  ne  peut.doaner 
lieu  à  aucune  discussion. 


VIII  RÈGLEMENT 


TITRE  IV.  —  RECETTES  ET  DÉPENSES. 


Art.  24.  —  Le  droit  d'admission  est  fixé  à  20  francs  pour  les 
membres  titulaires  et  pour  les  correspondants  nationaux.  Les 
membres  honoraires,  les  associés  étrangers  etles correspondants 
étrangers  sont  admis  gratuitement. 

Art.  25.  -  Les  membres  titulaires  fournissent  chaque  année 
une  cotisation  de  30  francs,  qui  peut  être  rachetée  par  le 
versement  d'une  somme  de  3U0  francs  dont  le  payement  pourra 
être  effectué  en  trois  annuités  consécutives  de  100  francs.  Ils 
reçoivent  gratuitement  un  exemplaire  de  toutes'les  publications 
de  la  Société.  Les  membres  nouvellement  élus  ont  droit  aux 
fascicules  déjà  publiés  des  Bulletins  de  l'année  et  du  volume 
de  Mémoires  en  cours  de  publication. 

Art.  26.  —  Le  recouvrement  des  cotisations  des  membres  ti- 
tulaires qui  ne  résident  pas  dans  le  département  delà  Seine  s'ef- 
fectue à  domicile  aux  frais  de  la  Société.  Toutefois  les  membres 
qui  résident  hors  de  France  doivent  désigner  à  Paris  une  per- 
sonne chargée  de  verser  leur  cotisation. 

Art.  27.  —  Tout  membre  qui  aura  laissé  écouler  une  année 
sans  acquitter  le  montant  de  ses  cotisations,  sera  averti  une 
première  fois  parle  trésorier,  une  seconde  fois  par  le  président  ; 
si  ces  avertissements  sont  sans  effet,  il  sera  considéré  comme 
démissionnaire  et  perdra  ses  droits  à  la  propriété  des  objets 
appartenant  à  la  Société. 

Art.  28.  —  Les  membres  honoraires  élus  directement,  les 
membres  associés  étrangers  et  les  correspondants,  n'étant  sou- 
mis à  aucune  cotisation,  n'ont  aucun  droit  à  la  propriété  des 
objets  appartenant  à  la  Société. 

Art.  £9.  —  Les  recettes  provenant  de  la  vente  des  publica- 
tions de  la  Société  seront  encaissées  par  le  trésorier  aux  échéan- 
ces convenues  avec  les  libraires  chargés  de  la  vente. 

Art.  30.  —  Les  frais  de  locations,  de  bureau  et  d'administra- 
tion seront  réglés  par  le  Bureau  et  acquittés  par  le  trésorier,  sur 
le  visa  du  président. 

Art.  31.  —  Les  frais  de  publication  sont  réglés  par  la  com- 
mission de  publication;  ils  sont  acquittés  par  le  trésorier,  sur 
le  visa  du  président. 

Art.  32.  —  Le  trésorier  présente  ses  comptes  dans  la  première 
séance  de  février.  Une  commission,  composée  de  trois  membres 
tirés  au  sort,  fait  un  rapport  écrit  sur  ces  comptes  dans  l'une 
des  trois  séances  suivantes,  en  comité  secret.  La  Sociélé  vote  sur 
le  rapport  et  le  président,  s'il  y  a  lieu,  donne  ensuite  décharge 
au  trésorier. 

Art.  33.  —  Dans  la  première  séance  de  février,  une  commis- 


RÈGLEMENT  IX 


de  trois  membres  lires  au  sort  est  chargée  d'examiner  le  cata- 
logue de  tous  les  objets  dont  l'archiviste  et  le  conservateur  des 
collections  sont  dépositaires.  Cette  commission  fait  son  rapport 
dans  l'une  des  séances  suivantes. 


TITRE   V.  —  PUBLICATIONS. 


Art.  34.  —  La  Société  publie  des  Bulletins  et  Mémoires  ori- 


ginaux. 


Art.  35.  —  Tous  les  mémoires  manuscrits  lus  ou  communi- 
qués à  la  Société,  tous  les  rapports  scientifiques  et  généralement 
tous  les  travaux  qui  ne  figurent  pas  dans  lesprocès-verbaux  des 
séances  sont  remis  à  la  Commission  de  publication. 

Art  36.  —  Les  Bulletins  sont  publiés  par  le  secrétaire  gé- 
néral, sous  la  direction  du  Comité  de  publication,  avec  le  con- 
cours des  secrétaires  annuels,  et  se  composent  :  1°  des  procès- 
verbaux  des  séances;  2"  des  travaux  renvoyés  aux  Bulletins  par 
la  Commission  de  publication  pour  y  paraître  textuellement,  ou 
en  extraits,  ou  en  analyses. 

Art.  37.  —  La  Commission  de  publication  se  compose  de  trois 
membres  élus  chaoue  année  au  scrutin  de  liste  et  à  la  majorité 
absolue  des  votants.  Ils  sont  rééligibles  et  peuvent  faire  partie 
du  Bureau.  Le  secrétaire  général  est  adjoint  de  droit  à  cette  com- 
mission. 

Art.  40.  —  Cette  commission  dirige  la  publication  des  Bulle- 
tins et  des  Mémoires  de  la  Société.  Ses  droits  sont  absolus  et 
ses  décisions  sans  appel.  Elle  décide,  ajourne  ou  refuse  l'im- 
pression des  travaux  qui  lui  sont  renvoyés  et  détermine  l'ordre 
de  leur  publication  ;  elle  s'entend  avec  les  auteurs  pour  les 
modifications,  les  coupures  et  les  suppressions  qui  lui  paraissent 
opportunes,  ou  pour  la  rédaction  des  extraits  qu'elle  juge  utile 
de  publier  à  la  place  des  mémoires  primitifs. 

Art.  39.—  Les  frais  de  gravure  ou  de  lithograpbie  et  généra- 
lement tous  les  frais  de  composition  supplémentaire  qui  ne  se- 
ront pas  compris  dans  les  conventions  passées  avec  le  libraire 
sont  supportes  par  les  auteurs,  à  moins  que  la  Société,  sur  la 
proposition  de  la  Commission  de  publication  et  sur  l'avis  du 
trésorier,  ne  décide  qu'elle  prend  ces  faits  à  sa  charge. 

Art.  40.  —  Tous  les  travaux  inédits  lus  ou  adressés  à  la 
Société  deviennent  sa  propriété  et  ceux  qui  ne  sont  pas  publiés 
textuellement  sont  déposés  aux  archives  avec  les  formes  officiel- 
les destinées  à  en  déterminer  exactement  la  date  Ceux  qui 
émanent  de  personnes  étrangères  à  la  Société  ne  peuvent,  en 
aucun  cas,  être  repris  par  les  auteurs.  Ceux-ci,  toutefois,  ont  Le 
droit  d'en  faire  prendre  copie  aux  archives.  Les  planches,  des- 


X  REGLEMENT. 

siiis,  pièces  anatomiques  ou  moules  peuvent  toujours  être  repris 
par  ceux  qui  les  ont  présentés;  mais  la  Société  se  réserve  le 
droit  d'en  conserver  la  copie,  la  photographie  ou  la  reproduc- 
tion par  tout  autre  procédé,  à  la  condition  de  ne  point  les  dété- 
riorer. 

Art.  il.  —  Tout  manuscrit  émanant  d'un  membre  de  la  So- 
ciété, qui  ne  serait  pas  publié  dans  le  délai  d'un  an,  ou  dont  il 
n'aurait  été  publié  qu'un  extrait,  ou  qui  serait  déposé  aux  archi- 
ves, sera  remis  à  l'auteur  sur  sa  demande. 

Art.  42.  —  Les  auteurs  des  travaux  publiés  dans  les  Bulle- 
lins  et  Mémoires  reçoivent  gratuitement,  sur  leur  demande, 
vingt-cinq  exemplaires  d'un  tirage  à  part  sans  remaniement; 
ils  ont  le  droit  de  faire  faire  à  leurs  frais  un  tirage  à  part  supplé- 
mentaire. 


TITRE  VI.  —  COMMISSIONS  ET  rapports  SCIENTIFIQUES". 


Art.  4-3.  —  Tout  travail  inédit  présenté  par  une  personne 
étrangère  à  la  Société  est  renvoyé  à  une  commission  de  trois 
membres  désignés  par  le  président,  sur  l'avis  du  Bureau.  La 
commission  pourra,  suivant  l'importance  du  travail,  faire  un 
rapport  verbal  ou  écrit;  mais  toutes  les  fois  qu'elle  présentera 
des  conclusions  soumises  au  vote  de  la  Société,  il  faudra  que  le 
rapport  soit  écrit  et  signé  des  commissaires. 

Art.  44.  —  "Quoique  les  commissions  ordinaires  ne  se  com- 
posent que  de  trois  membres,  on  peut,  si  on  le  juge  utile,  ad- 
joindre un  ou  plusieurs  membres  de  plus  à  certaines  commis- 
sions. 

Art.  45.  —  Les  ouvrages  imprimés  adressés  à  la  Société  sont 
renvoyés  à  une  commission,  si  les  auteurs  en  font  la  demande; 
dans  le  cas  contraire,  le  renvoi  à  une  commission  est  facul- 
tatif, et  le  président  peut  ne  désigner  qu'un  seul  commissaire. 

Art.  4(3.  —  Dans  toute  commission  scientifique,  les  pièces 
sont  remises  au  commissaire  nommé  le  premier.  Il  en  accuse 
réception  sur  un  registre  spécial  dont  l'archiviste  est  déposi- 
taire et  c'est  lui  qui  est  chargé  de  convoquer  la  Commission.  Il 
garde  le  travail  pendant  huit  jours  pour  en  prendre  connaissance, 
après  quoi  il  transmet  à  ses  deux  collègues,  qui  ont  également 
huit  jours  chacun  pour  prendre  connaissance  du  travail.  Au 
bout  de  trois  semaines,  la  Commission  se  réunit  et  désigne  son 
rapporteur.  La  durée  des  préliminaires  ne  pourra  être  abrégée 
que  pour  les  rapports  d'urgence,  sur  l'invitation  du  président. 

Art.  47.  —  Les  commissaires  en  retard  seront  avertis  tous 
les  trois  mois,  parle  président. 


RÈGLEMENT  XI 

TITRE  VII.  —  DÉLÉGATIONS   SCIENTIFIQUES. 

(Comité  central  du  22 juillet  1880) 


Art.  48.  —  La  Société,  pour  facili'er  les  recherches  en  pays 
étrangers,  peut  confier  des  missions  temporaires  à  des  voya- 
geurs nationaux  ou  étrangers,  qui  reçoivent  à  cet  effet  des  délé- 
gations spéciales  sur  parchemin.  Ces  délégations,  essentielle- 
ment différentes  des  diplômes  de  correspondants,  indiquent  la 
date,  la  durée  et  la  nature  de  la  mission.  Elles  portent  la 
signature  du  président  et  du  secrétaire  général.  Leur  durée 
sera  déterminée  d'après  la  nature  de  la  mission. 

Elles  sont  renouvelables. 

Art.  'iO.  —  Nul  ne  peut  obtenir  une  nouvelle  délégation 
avant  d'avoir  communiqué  ou  transmis  à  la  Société  les  résul- 
tats scientiliques  de  la  délégation  précédente. 

Art.  50.  —  Toute  personne  qui  désire  obtenir  une  délégation 
doit  en  faire  la  demande  écrite  et  être  présentée  par  trois  mem- 
bres de  la  Société,  qui  inscrivent  la  proposition  sur  un  registre 
spécial. 

La  Société  peut  voter  séance  tenante  sur  cette  proposition. 

Art.  51.  —  En  cas  d'urgence  motivée  par  le  prompt  départ 
du  voyageur  et  par  l'éloignement  de  la  première  séance,  le 
Bureau  peut  donner  une  délégation  dont  la  durée  n'excédera 
pas  un  an. 

Aut.  52.  —  Le  Comité  central  pourra  décerne1"  des  médailles 
aux  personnes  qui  se  seront  acquittées  de  leur  mission  à  la  sa- 
tisfaction de  la  Société. 


TITRE  VIII.    -   ORDRE  DES  SÉANCES. 


A  ht.  53.  —  L'ordre  du  jour  est  réglé  par  le  président,  après 
avis  du  secrétaire  général.  Néanmoins,  sur  la  proposition  de 
trois  membres,  la  Société  peut  modifier  cet  ordre  du  jour. 

Art.  53  bis.  —  Toute  personne  étrangère  à  In  Société  peut 
s'inscrire  pour  une  lecture  ou  une  communication  orale. 

Art.  54.  —  Les  personnes  étrangères  à  la  Société,  ne  pou- 
vant obtenir  la  parole  sur  la  rédaction  du  procès-verbal,  seront 
toujours  invitées  à  résumer  elles-mêmes  par  écrit  leurs  commu- 
nications orales  et  à  remettre,  dans  un  délai  de  trois  jours, 


s 


XII  RÈGLEMENT 

leurs  notes  au  secrétaire.  Si  elles  ne  répondent  pas  à  cette  invi- 
tation, elles  ne  seront  admises  à  élever  aucune  réclamation  sur 
la  manière  dont  le  secrétaire  aura  rendu  dans  son  procès-verbal 
leurs  paroles  ou  leurs  opinions.  Le  secrétaire  aura  même  le 
droit  de  ne  faire  aucune  mention  de  leurs  communications. 

Art.  55.  -*-  Les  lectures  et  communications  émanant  des 
membres  de  la  Société  sont  discutées  immédiatement,  ainsi 
que  les  rapports.  Lorsqu'il  y  a  des  conclusions  à  voter,  le  rap- 
porteur a  le  droit  de  prendre  la  parole  le  dernier. 

Art.  56.  —  La  parole  est  accordée,  dans  le  cours  d'une  dis- 
cussion, à  tout  membre  qui  la  demande  pour  rétablir  la  ques- 
tion, pour  proposer  la  clôture  ou  l'ordre  du  jour  ou  pour  un  fait 
personnel. 

Art.  57.  —  Le  président  rappelle  à  l'ordre  quiconque  dépasse 
les  limites  des  discussisns  scientifiques  et  à  la  question  tout 
orateur  qui  s'éloigne  de  l'objet  de  la  discussion. 

Art.  58.  —  Le  président  ne  peut,  de  sa  propre  autorité,  inter- 
rompre ou  terminer  une  discussion,  proposer  la  clôture  ou  l'or- 
dre du  jour;  il  ne  peut  consulter  la  Société  à  cet  égard  que  si 
In  clôture  ou  l'ordre  du  jour,  proposé  par  un  membre,  est  ap- 
puyé par  deux  autres  membres  au  moins.  Toutefois,  dans  le 
cas  où  l'ordre  ne  pourrait  être  rétabli,  le  président,  après  avoir 
consulté  le  Bureau,  a  le  droit  de  lever  la  séance. 


TITRE  IX.  —  ÉLECTIONS  DU  BUREAU  ET  DES  COMMISSIONS. 


Art.  59.  —  La  Société  renouvelle  son  Bureau  dans  la  pre- 
mière séance  de  décembre,  par  voie  d'élection,  conformément  à 
l'article  5  des  statuts.  Le  nouveau  Bureau  entre  en  fonctions 
dans  la  première  séance  de  janvier. 

Art.  60  —  Les  élections  du  Bureau  et  de  la  Commission  de 
publication  ont  lieu  à  la  majorité  absolue  des  votants.  Tous  les 
membres  titulaires,  résidant  soit  à  Paris,  soit  en  province,  sont 
appelés  à  voter. 

Art.  61.  —  Les  membres  non  résidants  sont  seuls  autorisés 
à  voter  par  correspondance,  suivant  les  formes  indiquées  dans 
les  articles  64  et  65.  Les  membres  résidants  ne  peuvent  voter 
qu'en  déposant  eux-mêmes  leur  bulletin  dans  l'urne. 

Art.  6'2.  —  Le  Comité  central,  dans  sa  réunion  de  novembre, 
dresse  la  liste  des  candidats  qu'il  propose  pour  les  diverses 
fonctions. 

Art.  63.  —  Cette  liste,  avant  d'être  envoyée  à  tous  les  mem- 
bres titulaires,  est  communiquée  à  la  Société  par  le  président, 
dans  la  seconde  séance  de  novembre.  Toute  candidature  pro- 
posée par  cinq  membres  est  de  droit  ajoutée  à  la  liste,  pourvu 
qu'elle  soit  conforme  à  l'article  i  des  statuts  et  transmise  au 


REGLEMENT  XIII 

secrétaire  gênerai  dans  les  trois  jours  qui  suivent  cette  séance 
publique. 

Art.  64.  — Au  terme  de  ces  trois  jours,  le  secrétaire  général 
adresse  à  tous  les  membres  titulaires  non  résidants  une  circu- 
laire renfermant  :  1°  la  articles  du  règlement  relatifs  aux  élec- 
tions; 2°  la  liste  des  candidats  proposés  par  cinq  membres; 
3o  l'indication  du  jour  où  le  scrutin  sera  dépouillé;  4°  un  bulle- 
tin dévote  imprimé  et  numéroté  sur  lequel  les  diverses  fonctions 
vacantes  sont  énumérées;  5°  une  enveloppé  imprimée  dans 
laquelle  le  bulletin,  rempli  et  non  signé,  doit  être  renvoyé  au 
secrétariat. 

Art.  65.  —  Le  jour  du  scrutin,  le  président  tire  au  sort, 
parmi  les  membres  présents,  le  nom  d'un  commissaire  scruta- 
teur. Tous  les  bulletins  envoyés  par  correspondance  sont  cléca- 
cbetés  en  séance  par  ce  commissaire,  qui  dicte  aux  secrétaires 
les  numéros  d'ordre  des  bulletins.  Lorsque  rémunération  est 
terminée  et  qu'il  est  constaté  qu'aucun  membre  n'a  voté  plus 
d'une  fois,  le  scrutateur  dépose  un  à  un  les  bulletins  dans  l'urne 
en  déchirant  chaque  fois  le  numéro  d'ordre.  Le  secret  du  vote 
se  trouve  ainsi  assuré.  Les  membres  présents  déposent  ensuite 
directement  leur  vote  dans  l'urne.  Le  président  procède  alors 
au  dépouillement  du  scrutin  suivant  les  formes  ordinaires. 

Art.  66.  —  Les  candidats  qui  obtiennent  la  majorité  absolue 
des  suffrages  exprimés  sont  déclarés  élus.  Les  billets  blancs 
sont  annulés. 

Art.  67.  —  Lorsque,  pour  une  ou  plusieurs  fonctions,  il  n'y 
a  pas  eu  de  majorité  absolue,  un  scrutin  de  ballottage  a  lieu 
dans  la  seconde  séance  de  décembre.  Dans  l'intervalle  des 
deux  séances,  une  nouvelle  circulaire  est  adressée  à  tous  les 
membres  titulaires  non  résidants,  qui  sont  invités  à  opter,  pour 
chaque  fonction  vacante,  entre  les  deux  candidats  qui  ont 
réuni,  au  premier  tour,  le  plus  grand  nombre  de  suffrages.  Le 
nombre  de  voix  obtenu  par  chacun  des  deux  candidats  est  in- 
diqué sur  la  circulaire.  En  cas  de  partage,  l'ancienneté  de  titre 
d'abord,  ensuite  l'ancienneté  d'âge,  décident  entre  les  deux 
candidats. 


TITRE  X.  -  comités  secrets. 


Art.  68.  —  Sauf  le  cas  d'urgence  absolue,  le  Comité  secrel 
est  annoncé  une  séance  à  l'avance  par  le  président  et  annoncé 
de  nouveau  par  lui  immédiatement  après  la  lecture  du  procès- 
verbal  de  la  séance  du  jour. 

Art.  69.  —  Les  Comités  secrets  commencent  à  quatre  heures 
et  demie.  Les  décisions  y  sont  prises  à  la  majorité  absolue  des 
votants  et  sont  valables,  quel  que  soit  le  nombre  des  membres 


XIV  REGLEMENT 

qui  prennent  part  au  vote,  sauf  l'exception  indiquée  dans  l'ar- 
ticle 73. 

Art.  70.  —  Les  Comités  secrets  peuvent  être  provoqués  de 
deux  manières  :  1°  par  le  président  au  nom  du  Bureau;  2°  sur 
la  proposition  de  cinq  membres  de  la  Société  qui  en  font  au  pré- 
sident la  demande  écrite,  en  indiquant  l'objet  de  leur  proposi- 
tion. Le  président,  après  avoir  pris  l'avis  du  Bureau,  accorde 
ou  refuse  le  Comité  secret;  dans  ce  dernier  cas,  les  membres 
signataires  de  la  demande  peuvent  faire  appel  de  la  décision 
du  Bureau  de  la  Société. 

Art.  71.  —  S'il  arrive  qu'une  circonstance  grave  paraisse  de 
nature  à  motiver  l'examen  de  la  conduite  d'un  membre,  la 
Société  pourra  lui  demander  des  explications  et  prononcer  son 
exclusion.  Mais  cette  mesure  ne  pourra  être  prise  que  de  la 
manière  suivante  :  1°  une  demande  motivée  sera  déposée  sur 
le  bureau  et  réclamera  en  même  temps  un  comité  secret,  qui  ne 
peut  avoir  lieu  moins  de  huit  jours  après  et  qui  est  précédé 
d'une  convocation  spéciale;  2°  le  jour  du  Comité  secret,  le 
membre  visé  est  appelé  à  donner  les  explications  qui  lui  sont 
demandées  et  il  a  toujours  le  droit  de  parler  le  dernier.  11  se 
retire  ensuite,  et  la  Société  délibère.  Le  vote  n'est  valable  que 
s'il  réunit  les  deux  tiers  des  suffrages  exprimés. 


-TITRE  XL  —  révision  dit  rèolemrnt. 


Art.  72.  —  Toute  proposition  tendant  à  reviser  le  règlement 
devra  être  signée  par  cinq  membres  au  moins,  déposée  sur  le 
bureau  et  renvoyée  au  Comité  central  qui  la  fait  examiner  par 
Commission.  Cette  Commission  fait  son  rapport  et  la  proposi- 
tion est  discutée  immédiatement  après;  tous  les  membres  de  la 
Société  peuvent  prendre  part  à  cette  discussion;  mais  les  mem- 
bres du  Comité  seuls  sont  appelés  à  voter  sur  la  modification 
proposée,  ainsi  qu'il  est  dit  en  l'article  4  des  statuts.  Tous  les 
membres  du  Comité  doivent  être  convoqués  à  domicile. 

Art.  73.  —  Par  exception  aux  dispositions  précédentes,  la 
revision  des  articles  1  et  3  du  règlement  s'effectuera  suivant  les 
règles  indiquées  en  l'article  2. 


PRIX  DE  LA   SOCIÉTÉ  XV 

PRIX  DÉCERNÉS  PAR  LA  SOCIÉTÉ 

DISPOSITIONS  RÉGLEMENTAIRES  COMMUNES  A  TOUS  LES  PRIX 

Les  membres  qui  composent  le  Comité  central  de  la  Société 
d'anthropologie  sont  seuls  exclus  des  concours. 

Tout  travail  qui  aurait  été  couronné  par  une  autre  société, 
avant  son  dépôt  à  la  Société  d'anthropologie,  est  exclu  des 
concours. 

Le  jury  d'examen  comprendra  cinq  membres  élus  au  scrutin 
de  liste  par  les  membres  du  Comité  central,  choisis  dans  son 
sein  et  à  la  majorité  absolue  des  membres  qui  le  composent. 

Ce  jury  fait  son  rapport  et  soumet  son  jugement  à  la  ratifi- 
cation du  Comité  central. 

Le  jury  d'examen  sera  élu  quatre  mois  au  moins  avant  le 
jour  où  le  prix  doit  être  décerné. 

Tous  les  travaux  imprimés  ou  manuscrits,  adressés  à  la  So- 
ciété ou  publiés  après  le  jour  où  le  jury  d'examen  aura  été  nommé, 
ne  pourront  prendre  part  au  concours  que  pour  la  période  sui- 
vante. 

Dans  le  cas  où,  une  année,  le  prix  en  concours  ne  serait  pas 
décerné,  il  serait  ajouté  au  prix  qui  serait  donné  au  concours 
suivant. 


PRIX  GODARD 

FONDÉ  PAR  LE  DOCTEUR  ERNEST  GODARD  EN  186'3. 

Extrait  du  testament.  —  «  Ce  prix  sera  donné  au  meilleur 
mémoire  sur  un  sujet  se  rattachant  à  l'anthropologie;  aucun 
sujet  de  prix  ne  sera  proposé.  » 

RÈGLEMENT. 

Article  lftr.  —  Le  prix  Godard  sera  décerné,  tous  les  doux 
ans,  le  jour  de  la  séance  solennelle  de  la  Société. 


XVI  PRIX  DE  La  SOCIÉTÉ 

Art.  2.  —  Ce  prix  est  de  la  valeur  de  500  francs. 
A  ht  ■>.  —  Tous  les  travaux,  manuscrits  ou  imprimés,  adres- 
i  -  ou  non  à  la  Société,  peuvent  prendre  part  au  concours. 
Voir  les  dispositions  communes  à  tous  les  prix. 

Le  prochain  concours  aura  lieu  en  1895. 


PRIX  BROCA 

FOX  DÉ    PAR   Mme   BROCA   EX   1881. 

«  Ce  prix  est  destiné  à  récompenser  le  meilleur  mémoire  sur 
une  question  d'anatomie  humaine,  d'anatomie  comparée  ou  de 
physiologie  se  rattachant  à  l'anthropologie.   » 

RÈGLEMENT. 

Article  ler.  -  Le  prix  Broca  sera  décerné,  tous  les  deux  ans, 
le  jour  de  la  séance  solennelle  de  la  Société. 

Art.  2.  —  Ce  prix  est  de  valeur  de  1,500  francs. 

Art.  3.  —  Tous  les  mémoires,  manuscrits  ou  imprimés,  adres- 
sés à  la  Société  peuvent  prendre  part  au  concours;  toutefois  les 
auteurs  des  travaux  imprimés  ne  pourront  prendre  part  au 
concours  qu'autant  qu'ils  en  auront  formellement  exprimé  l'in- 
tention. 

Voir  les  dispositions  communes  à  tous  les  prix. 

Le  -prochain  concours  mira  lieu  en  1896. 


PRIX  BERTILLON 

FONDÉ  PAR  MM.  BERTILLON  FRÈRES,  EN  1885, 

CONFORMÉMENT  A  LA  VOLONTÉ  DE  LEUR  PÈRE,  ADOLPHE 

BERTILLON. 

«  Le  prix  Bertillon  sera  décerné  sans  distinction  de  sexe,  de 
nationalité  ni  de  profession,  au  meilleur  travail  envoyé  sur  une 
matière  concernant  l'anthropologie  et,  notamment,  la  démogra- 
phie. » 


ANCIENS   PRESIDENTS 


XVII 


REGLEMENT. 

Article  1er.  —  Le  prix  Bertillon  sera  décerné,  tous  les  trois 
ans,  le  jour  de  la  séance  solennelle  de  la  Société. 

Art.  2.  —  Ce  prix  sera  d'une  valeur  de  500  francs. 

Art.  3.  —  Tous  les  mémoires,  manuscrits  ou  imprimés,  adres- 
sés à  la  Société,  pourront  prendre  part  au  concours;  toutefois 
les  auteurs  des  travaux  imprimés  ne  pourront  prendre  part  au 
concours  qu'autant  qu'ils  en  auront  formellement  exprimé  l'in- 
tention. 

Voir  les  dispositions  communes  à  tous  les  prix. 

Le  prochain  concours  aura  lieu  en  1895. 


LISTE     GENERALE 

DES    PRÉSIDENTS    DE    LA    SOCIÉTÉ 


En  1850  MM. 

Martix-Magron. 

En  1877  MM. 

DE  RANSE. 

1860 

Isidore  Geoffroy 

1878 

MARiTN(Henri). 

Saint-Hilaire. 

1879 

Sanson. 

1861 

Béclard. 

1880 

Ploix. 

1862 

Boudin. 

1881 

Parrot. 

1863 

DE  QUATREFAGES. 

1882 

Thulié 

1864 

Gratiolet. 

1883 

Proust.    . 

1865 

Pruner-Bev. 

1884 

Hamy. 

1866 

Périer. 

1885 

Dureau. 

1867 

Gavarret. 

1886 

Letourneau. 

1868 

Bertrand. 

1887 

Magitot. 

1869 

Lartet. 

1888 

Pozzi. 

1870-71 

Gaussin. 

1889 

MàthiasDuval 

1872 

Lagneau  . 

1890 

Hovelacque. 

1873 

Bertillon. 

1891 

Laborde. 

1874 

Faidherbe. 

1892 

BORDIER. 

1875 

Dally. 

1893 

Ph.  Salmon. 

1876 

DE  MORTILI.ET. 

1894 

Dareste. 

SECRETAIRE   GENERAL   de  i859  a  m0. 

BROCA  (Paul),  fondateur. 


S  VIII 


FONCTIONNAIRES  ACTUELS 


BUREAU   DE  1895. 


Président MM. 

1er  Vice-Président 

2e  Vice-Président 

Secrétaire  général 

Sec  ré  ta  ire  généra  l  a  djo  int.     . 

Secrétaires  annuels   .... 
Conservateurs  des  collections. 


Archiviste.     .     .     . 
A  rchivisle  honoraire 
Trésorier 


C.  Issaurat. 
A.  Lefèvre. 
Ollivier  Beauregard. 
Letourneau. 
Manouvrier. 
I  Paul  Raymond. 
(  Viré. 

\  A.  de  Mortillet. 
|  G.  Hervé. 
Zaborowski. 

DuREAU. 

Daveluy. 


COMITÉ    CENTRAL. 


MM. 

AULT-DUMESNIL(d') 
AZOULAY. 

Capitan. 
G.  Gapus. 

Cherviw 
collineau. 
E.  Gollin. 

GUYER. 

Daveluy. 
Deniker. 


MM. 
Girard  de  Rialle. 
Hervé. 
G.  Issaurat. 
André  Lefèvre. 
Mahoudeau. 
Manouvrier. 
A.  de  Mortillet. 
Ollivier  Beauregard  Viré. 
Papillault.  Zaborowski 

Piètrement. 


MM. 
Raymond. 
Rondeau. 

Royer  (M"ie  Clémence) 
Sebillot. 
Topinard. 
Verneau. 

VlNSON. 


FONCTIONNAIRES  ACTUELS.  XIX 


Anciens  présidents  membres  du  Comité  ceutral. 


MM. 

MM. 

MM. 

BORDIER. 

Laborde. 

Proust. 

Dareste. 

L AGNEAU. 

Salmon. 

DUREAU. 

Letourneau. 

S  AN  SON. 

Duval  Π

fATHIAS) 

.  Magitot. 

Thulié. 

HAMY.  (i.   L>K  MORTILLET. 

HOVELACQUE.  POZZI. 


COMMISSION    DE    PUBLICATION 

MM.  Dareste.  —  Laborde.  — Salmon. 


COMITÉ    CONTENTIEUX 


MM.  Galin,  notaire,  35,  rue  de  Châteaudun. 

Auzoux,  avoué  près  le  Tribunal  de  première  instance,  1 18, 

rue  de  Rivoli. 
Laurent,  agent  de  change,  9,  rue  du  Quatre-Septeinbiv. 


-r~-~Œ*^ïi- — v- 


LISTE    DES    MEMBRES 
DE    LA 

SOCIÉTÉ  D'ANTHROPOLOGIE 

au  lor  janvier  1895. 


ABRÉVIATIONS  :  Hon.,  membre  honoraire.  —  Ae,  Associé 
étranger.  —  Ce,  correspondant  étranger.  —  Cn,  correspon- 
dant national.  —  T,  membre  titulaire.  —  *,  cotisation  rache- 
tée. 

Les  adresses  sans  indication  de  ville  sont  à  PARIS. 


Acy  (Ernest  d'),  archéologue,  'i0,  boni.  Malesherbes  1868  T. 

Alba  (Léon  y),  D.  M.,  à  Lima,  Pérou (1861).  Ce. 

Albert  Lr,  de  Monaco,  25,  rue  du  Faubg-St-Honoré  (1883).  T. 

Albf.spy,  I).  M  .  boulevard  Galy,  à  Rode/,  Aveyron,  (1877).  T. 

Alglave  (Em..),  professeur  à  la  Faculté  de  droit,  27,  avenue  de 
Paris,  Versailles  (1883).  T. 

Alezais  (H.),  D.  M.,  chef  des  travaux  anatomiques,  à  l'Ecole 
de  médecine,  47,  rue  de  Breteuil,  à  Marseille  (1886).  T. 

Alix,  D.  M.,  10,  rue  de  Rivoli  (1864).  T. 

Almeras  (.T. -.T.),  ex-chirurgien  en  chef  de  l'hôpital  d'Ktampes, 
à  Autretot,  par  Yvetot,  Seine-Inférieure  (1862).  T. 

Anoutghine(D.),  professeur  d'anthropologie  au  Musée  polytech- 
nique, Moscou  (1893).  Ae. 

Araxzadi  (Telesforo  de).  D.  M.,  professeur  à  l'université  de  <  liv- 
nade,  Espagne  (1893).  T. 

Arbo  D.  M.,  à  Drammen,  Norwège  (1880).  Ce. 

Argyriades  (P.),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  5,  rue  Théophile- 
Gauthier  (1891).  T. 

Aristoff,  D.  M.,  médecin  de  l'escadre  russe,  abord  du  Thëretz 
(1893).  Ae. 

Arnaud,  notaire,  à  Barcelonnette,  Basses-Alpes  (1888).  T. 

Asgoli  (David),  67,  rue  delà  Victoire  (1892). -T. 

Atgier,  médecin-major  au  135°  d'infanterie,  16,  rue  de  l'Asile- 
Saint-Honoré,  à  Angers  (1877).  T. 


PERSONNEL  XXI 

Aubert,  médecin-major  de  1"  classe.,  hôpital  du  Belvédère, 

Tunis  (1887).  Cn. 
Aubry  (P.).  D.  M.,  17,  rue  du  Port,  à  Saint-Brieuc  (1886).  T. 
Audain,  D.  M.,  à  Port-au-Prince,  Haïti  (1850).  Ce. 
Ault-Dumesnil  (d'),  administrateur  des  musées,   1,  rue  de 

l'Eauette,  à  Abbeville  (1881).  T. 

*  Aya,  D.  M.,  11,  cité  Trévise  (1885).  T. 
Azoulay  (L.)',  D.  M  ,  155,  rue  Blomet  (1890).  T. 

Baetgk  (Otto),  directeur  de  l'institution  des  enfants  arriérés, 

Eauhonne,  Seine-et-Oise  (1881).  T. 
Barber  (E.-A  ),  maître  ès-arts  de  l'Université  de  Philadelphie, 

'j007,  Ghesnut  street,  à  Philadelphie,  U.  S.  A.  (1886).  Ce. 
Barret  (P.).,  D.  M.,  108,  rue  du  Banelagh  (1880).  T. 
Barthélémy  (FA.  61,  rue  de  Rome  (1804).  T. 
Bassano  (marquis  de),  0,  rue  Dumont-d'Urville  (1888).  T. 

*  Baye  (Joseph  de),  58,  avenue  de  la  Grande-Armée  (1873).  T. 
Beaumais  (B.  Adam  de),  D.  M.,  7,  place  de  l'Ancienne-Mairie, 

à  Vannes,  Morbihan  (1803).  T. 
Beaunis  (H.-E.),  professeur  à  la  Faculté  de  médecine  de  Nancy, 

villa  Joséphine,  route  d'Antibes,  à  Cannes  (1863).  T. 
Beddoe  (John),  à  Clifton,  Bristol,  Angleterre  (1860).  Ae. 
Bellugcj  (Guiseppe),  professeur  à  l'Université,  Pérouse,  Italie 

(1803).  Ae. 
Bénédikt  (M.),  D.  M.,  professeur  à  l'Université,  5,  Franciskaner 

Platz,  Vienne  (1803).  Ae. 
Ber  (Théodore),  à  Lima,  Pérou  (1876).  Cn. 
Berenger-Feraud,   1).  M.,  directeur  du  service  de  santé  de  la 

marine,  40,  boulevard  de  Strasbourg,  à  Toulon  (1801).  T. 
Bernadet  (Charles),  à  Londres  (1865).  Cn. 
Bernard   (Edm  ),    12,    Boulevard  de  la  Foncière,    à  Cannes 

(1803).  T. 
Bertillon  (Alphonse),  chef  du  service  anthropométrique  à  la 

préfecture  de  police,  36,  quai  des  Orfèvres  (1880).  T. 
Bertillon  (Jacques),  D.  M.,  chef  du  service  de  la  statistique 

municipale,  2i,  rue  de  Penthièvre  (1878).  T.  • 

*  Bertrand  (G.),  docteur  en  droit,  8,  rue  d'Alger  (1883).  T. 
Bestion,  médecin  de  lre  classe  de  la  marine,  rue  Saint-Roch,  à 

Toulon  (1870).  Cn. 

Biïzançon  (P.),  D.  M.,  22,  rue  delà  Pépinière  (1802).  T. 
Biart  (Lucien),  à  Ori/aba,  Mexique  (1862).  Cn. 
Bidard,  D.  M.,  ex-interne  d<j«  hôpitaux,  !».  rue  d<j  Sm^sn^s 
(1878).  T. 


XXII  PERSONNEL 

Binet  (Ed.),  D.  M.,  33,  boulevard  Henri  IV  (1884).  T. 
Blake  (Carter),  membre  de  l'Institut  anthropologique,  Londres 
(1863)!  Ae. 

*  Blanchard  (R.),  D.  M.,  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine,  32, 
rue  du  Luxembourg  (1882).  T. 

Blignières  (Célestin  de),  capitaine  d'artillerie,  38,  rue  de  Long- 
champs,  à  Neuilly,  Seine  (1863).  T. 

Blogh  (Ad.),  D.  M.,  47,  rue  Blanche  (1878).  T. 

Boban-Duvergé  (E.-A.i,  antiquaire,  122,  avenue  d'Orléans. 
(1881).  T. 

Bogdanow  (le  professeur  Anatole),  Arbate,  Spass-Pesski,  Mos- 
cou (1874).  Ae. 

Boisjoslin  (J.  de),  82,  rue  de  la  Pompe  (1893).  T. 

*  Bonaparte  (le  prince  Roland),  22,  cours  la  Reine  (1884).  T. 

*  Bonnard  (P.),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  agrégé  de  philoso- 
phie, 15,  rue  de  la  Planche  (1883).  T. 

Bonnemère  (Lionel),  avocat,  26,  rue  Chaptal  (1880).  T. 
Bonnet,  géologue,  55.  boulevard  Saint-Michel  (1889).  T. 
Bordier,  1).  M.,  directeur  de  l'École  de  médecine  de  Grenoble, 

au  Bâchais,  par  Grenoble,  Isère  (1876).  T. 
Bosteaux-Paris,  maire  de  Cernay-les-Reims,  Manie  (1890).  T. 
Boudier  (Victor),   San   Pedro   del   Pinatar  (Mureie-Espagne), 

(1894).  T. 
Boutequoi,  D.  M.,  à  Clhitillon-sur-Seine,  Côte-d'Or  (1878).  T. 
Boyer.  D.  M.,  médecin  de  la  marine,  à  Brest  (1878).  Cn. 
Brabrook  (E.-W.)j  président  de  l'Institut  anthropologique,  à 

Londres  (1880).  Ce. 
Brinton  (D.),  D.  M.,  professeur  d'archéologie  et  linguistique  à 

l'Université  de  Pensylvanie,  Philadelphie,  U.  S.  Am.  (1893). Ae. 
*  Broga  (Auguste),  D.  M.,  chirurgien  des  hôpitaux,  5,  rue  de 

l'Université  (1880).  T. 
Br.ouARDEL  (P.),  doyen  de  la  Faculté  de  médecine,  membre  de 

l'Académie  de  médecine,  1,  place  Larrey  (1875).  T. 
Brunet  (Daniel),  directeur  médecin  en  chef  de  l'asile  d'aliénés, 

Évreux,  Eure  (1862).  T. 
Buisset  (A.),  architecte,  4  rue  Berthollet  (1880).  T. 
Buschan  (docteur),  à  Stettin,  Poméranie (1891).  Ce. 
Calonge  (Belisario),  D.  M.,  à  Truxillo,  Pérou  (1861).  Ce. 
Calori,  professeur  à  Bologne,  Italie  (1874),  Ae. 
Ca'pellini  (G  ,),   professeur  de  géologie  et  de  paléontologie,  à 

l'Université  de  Bologne,  Italie  (1874).  Ae. 
Capitan  (Louis),  D.  M.,  ancien  interne  des  hôpitaux,  5,  rue  des 

Ursulines  (1881)  T. 


PERSONNEL  XXIII 

Capus  tG.)j  docteur,  ès-science,  16,  rue  Cassini  (1888;.  T. 

Carr  (Lucien),  Peabody  muséum,  Harward's  University,  Cam- 
bridge, Mass.,  U.  S.  (1879).  Ce. 

Carrière  (Gab.),  président  de  la  Société  d'Études  des  Sciences 
naturelles,  2,  rue  des  Chapeliers,  Nîmes  (1894).  Cn. 

Carrow,  D.  M.,  à  Canton,  Chine  (1879).  Ce. 

Cartailhag  (E.),  5,  rue  de  la  Chaîne,  à  Toulouse,  et  17,  rue 
Lacépède,- à  Paris  (1869).  T. 

Castelfranco  (Pompeo),  professeur,  à  Milan  (188i).  Ce. 

Castillo  (Antonio  del),  directeur  de  l'École  des  Mines  du  Mexi- 
que, à  Mexico  (1895).  T. 

<  Iazalis,  pharmacien  de  la  marine,  à  Rochefort  (1871).  Cn. 
Ca/alis  de  Fondouce,  ingénieur,  licencié  es- sciences,  18,  rue 

des  Étuves.  à  Montpellier,  Hérault  (1865).  T. 
Celle  (Eugène),  D.  M.,  à  San-Francisco,  Californie  (1862).  Cn. 
Cernuschi  (Henri),  7,  avenue  Velasquez  (1875).  T. 
Chaix  (Paul),  à  Genève  (1860)  Ae. 

<  Ihakir-Bey,  ancien  attaché  militaire  à  l'ambassade  ottomane 

(1875).  Ce. 
Chanot,  D.  M.,  ex-chirurgien  de  la  marine,  à  l'île  de  la  Réu- 
nion (1860).  Cn. 
Chantre  (E.),  sous-directeur  du   Muséum,  37,  cours  Morand, 

Lyon  (1868).  T. 
Charencey  (de),  25,  rue  Barbet-de-Jouy  (1875)   T. 
Charnock  (Richard),  membre  de  l'Institut  anthropologique  de 

Londres  (1864).  Ae. 
Chassagne,  D.  M.,  ex-médecin-major  au  35°  rég.  d'artillerie,  à 

Vannes  (1880).  Cn. 
Chassin,  D.  M.,  à  la  Vera-Cruz  (1870).  Cn. 
Chatellier  (Paul  du),  château  de  Kernuz,   par  Pont-1'Abbé- 

Lambour,  Finistère  (1890).  T. 
ChauvetiG.),  notaire  à  Ruiïec,  Charente  (1875).  T. 
Chavassier,   D.  M.,    à    Saint-Sernin,  par   Duras,    Lot-et  Ga 

ronne  (1861).  T. 

*  Chehvin  (Arthur),  D.  M.,  directeur  de  l'institut  des  bègues, 
82,  avenue  Victor- Hugo  (1887).  T. 

Chil-y-Naranio,  D.  M.,  à  Palmas,  Grande-Canarie  (1878).  Ae. 

Chûquet,  D.  M  ,  13,  rue  de  Seine  (1882).  T. 

Choudens  (Joseph  de),  D.  M.,  à  Porto-Rico,  Antilles  1 1861  ).  Ce. 

*  Chudzjnski,  premier  préparateur  au  Laboratoire  d' Anthropo- 
logie^ 5.  rue  du  Faubourg-Saint-Jacques  (1880).  T. 

Claine,  explorateur,  89,  rue  du  Cherche  Midi  (1891).  Cn*. 


XXiv  PERSONNEL 

Glosmadeug  (de),  D.  M.,  président  de  la  Société  polymathique 

du  Morbihan,  à  Vannes  (1884).  T. 
Cocchi  (Igino),  professeur  à  l'Institut  des  études  supérieures  à 

Florence  (1872).  Ae. 
Coignard,  D.  M.,  10,  rue  de  Constantinople  (1879).  T. 
Collignon  (René),  D.  M.,  médecin-major  à  l'École  supérieure 

de  guerre,  9,  avenue  de  la  Bourdonnais  (1880).  T. 
Collix  (Emile),  poléoethnologue,  30,  rue  Saint-Marc  (1888).  T. 
Collingwood  (Frederick),  membre  de  l'Institut  anthropologi- 
que de  Londres  (1864).  Ae. 
Collineau,  D.  M.,  8,  avenue  de  la  République,  à  Gourbevoie, 

Seine  (1867).  T. 
Gonstantineî-cu  (Barbe),  docteur  en  philosophie,   professeur 

d'histoire  à  Bukharest  (1879).  Ce. 
Cora  (Guido,  directeur  du  Cosmos, 74,  corso  Vittorio  Emanuele, 

à  Turin  (1873).  Ae, 
Corne,  consul  au  Japon,  ex-officier  de  marine,  10,  rue  Saint- 

Séverin  (1879t.  Cn. 
Cornil,  sénateur,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine,  membre 
de  l'Académie  de  médecine,  19,  r.  Saint-Guillaume  (1867)  Hon. 
Corre(A.),  D.  M.,  12,  rue  de  la  Mairie,  à  Brest  (1881).  T. 
Gosta-Simôes  (A.  A.  da),  professeur  à  l'Université  de  Coïmbre, 

Portugal  (1866).  Ce. 
Gouriard  (Alfred), D.  M.,  Grande-Koniuchenui,  à  Saint-Péters- 
bourg (1875)  Ce. 
Guyer  (Edouard),  peintre,   professeur  suppléant   à  l'École  des 

beaux- arts,  13,  rue  de  Seine  (1886).  T. 
Dagincourt  (Emmanuel),  D.  M  ,  159,  rue  de  la  Pompe  (1883).  T. 
Daleau  (F.),  à  Bourg-sur-Gironde,  Gironde  (1875).  T. 
Dalieol  (Lucien  ),  directeur  de  la  Colonie  de  la  Loge,  par  Baugy, 

Cher  (1890).  T. 
Dallas  (Maurice),  avocat,  18,  cours  d'Aquitaine,  à  Bordeaux 

(1890).  T. 
Dally  (Aristide),  commandant  d'infanterie   en  retraite,   121, 

boulevard  Malesberbes .(1867).  Cn. 
Danielli  (Jacopo),  D.  M.,  Florence,  Italie  (1893).  Ae. 
Daninos, conservateur  au  musée  de  Boulacq,  au. Caire  (1860). Cn. 
Dan.iou  (G.),  D.  M.,  médecin-major  de  2"  classe,   à  Limqux, 

Aude  (1894  ).  T. 
Dareste,  D.  M.,  37,  rue  de  Fleurus  (Fondateur),  Hon. 
Darling  (W.),  professeur  d'anatomie  descriptive  aux  Universi- 
tés de  New-York  et  de.  Vermont,  à  New-York  (1877k  Ce. 
DARLOff;  15,  avenue  de  l'Observatoire  (1887).  T. 


PERSONNEL  XXV 

Daveluy  (Gh.),  administrateur  des  Contributions  directes  au 
ministère  des  finances,  107,  boulevard  Brune  (1889).  T. 

Delisle  (F.),  D.  M.,  préparateur  d'Anthropologie  au  Muséum, 
26,  rue  Vauquelin  (1883).  T. 

Delmas  (Louis-H.),  D.  M.,  à  la  Havane  (1878).  Ce. 

*  Deniker,  docteur  ès-sciences,  bibliothécaire  du  Muséum  d'his- 
toire naturelle,  2,  rue  de  Butïon  (1881).  T. 

D'Enjoy  (Paul),  procureur  de  la  République,  3,  rue  Lécluse 

(1894).  T. 
Derizans  (Benito),  D.  M.,  Larangeiras,  Brésil  (1876).  Ce. 
Desmazes,  commandant   du  génie  en  retraite,  à  Montpellier 

(1880).  Cn. 
Despréaux,  D.  M.,  Il,  rue  Littré  (1895).  T. 
Destruges,  (Alcide),  D.  M.,  à  Guayaquil,  Equateur  (1863).  Ce. 
Diamandy,  archéologue,  33,  rue  des  Écoles,  à  Paris  (1892).  Ce. 
Dodeuil  (Timoléon),  D.  M.,  à  Ham,  Somme  (1866).  T. 
Doin  (O.),  libraire  éditeur,  8,  place  de  l'Odéon  (1882).  T. 
Dorlhag  de  Borne,  receveur  des  postes  à  Libreville.  Galion 

(1890).  T. 

*  Doûglass  (.Andrew.  E),  de  New  York,  chez  Leroux,  28,  rue 
Bonaparte  (1887).  T. 

Duchesne  (E.-L.),   D.    M.,   licencié  en   droit,   15,  rue  Pigalle 

(1885).  T. 
Dufay,  D.  M.,  sénateur,  76,  rue  d'Assas  (1880).  T. 
Dufour,  D.  M.,  7,  rue  de  la  Fidélité  (1893).  T. 
Duhousset  (le  colonel),  6,  rue  Furstenberg  (1863).  Cn. 
IX mont  (A),  17,  rue  de  Bras,  à  Caen,  Calvados (1889).  T. 
Dunant,  D.  M.,  à  Genève  (1868).  Ce. 

Du  Pasquier  (Gh.),  D.  M  ,  \'i,  rue  des  Écuries  d'Artois  (1891). T. 
Duplay  (Simon),  professeur  à  la  Faculté  de  médecine,  membre 

<l>'  l'Académie  de  médecine,  10.  rue  Cambacérès  (1863).  T. 
Dupont  (Ed.),   directeur    du    musée    d'histoire    naturelle   de 

Bruxelles,  à  Boitsfort  (1872).  Ae. 
Duportal,  ingénieur,  villa  Montmorency  (1868).  T. 
Durkau  (A.),  D.  M.,  bibliothécaire  de  l'Académie  de  médecine, 

V.i,  rue  des  Saints-Pères  (1863).  Hon. 
Dutailly  (G.),  ancien  député,  181,  bd  St-Germain  (  1887).  T. 

*  Duval  (Mathias),  membre  de  l'Académie  de  médecine,  profes- 
seur  à  la  Faculté  de  médecine,  à  l'École  d'Anthropologie  et  à 
l'École  des  beaux-arts,  11,  cité  Malesherbe»,  rue  des  Mar- 
tyrs (1873).  T. 

Dybowski  (Jean),  16,  rue  de  Bottembourg  (1894).  Cn. 


XXVI  PERSONNEL- 

Echerag  (d'),  inspecteur  de  l'Assistance  publique,  6,  chemin 

des  Coutures,  à  Sèvres,  Seine  (1889).  T. 
Edwards-Pilliet  (M11"   Blanche),  D.  M.,  4,  rue    Richepanse, 

(1887).  T. 
Eighthal  (Louis  d'),  aux  Bézards,  par  Nogent-sur-Vernisson 

Loiret  (1881)  T. 
Eschenauer  (le  pasteur),  149,  boulevard  St-Germain  (1870).  T. 
Evans  (John),  président  de  la  Société  des  antiquaires  et  de  la 

Société  de  numismatique,  Nash   Mills,  Hemel  Hempstead, 

Angleterre  (1877).  Ae. 
Fallût,  D.  M.,  médecin  adjoint    des   hôpitaux,  professeur  à 

l'École  de  méd.,  167,  rue  de  Rome,  à  Marseille  (1879).  T. 
Falret  (Jules),   D.  M.,  médecin  de  Bicêtre,  %  rue  Falrel,  à 

Vanyes  (1865).  T. 
Fauvelle  (R  ),  11,  rue  de  Médicis  (1893).  T. 
Fenerly-Effendi,  professeur  à  l'École  impériale  de  médecine 

de  Constantinople  (1865).  Ae. 
Féré  (Charles),  D.  M.,  médecin  de  l'hospice  de  Bicêtre,  37,  bou- 
levard Saint-Michel  (1878).  T. 
Fernandès  (A. -F.),  D.  M.,  à  Rio-Janeiro,  Brésil  (1861).  Ce. 
Ferraz  de  Macedo  (F.),  D.  M.,  63,  rua  Nova  do  Almads,  Lis- 
bonne (1888).  T. 
Fiaux  (Louis),  D.M.,13,rue  de  Navarin  (1878).  T. 
*  Firmin  (D.),  avocat  à  Port-au-Prince,  Haïti  (1881).  T. 
Fischer  (Henri),  docteur  es  sciences,  9 bis,  rueLegoff  (1893). T. 
Floweh,  directeur  du  Musée  d'histoire  naturelle  de  Londres, 

Croniwell  Road,  London.  S.  \V.  (1877).  Ae. 
Fontan  (Alfred),  à  Mazamet,  Tarn  (1860).  Cn. 
Fourdrignier  (E.),  archéologue,   112,  Grande-Rue,  à  Sèvres, 

Seine  (1879).  T. 
Fournier  (A.),  D.  M.,  à  Rambervilliers,  Vosges  (1878)  T. 
Friis,  prof,  à  l'Université  de  Christiania,  Norwège  (1870)    Ce. 
Fryer  (le   major),  commissaire  du  gouvernement  anglais  en 

Birmanie,  à  Calcutta  (1877).  Ce. 
Fumouze(V.),  D.  M.,  78,  rue  du  Faubourg-Saint-Denis  1872.  T. 
Gaddi,  conservateur  du  musée  anatomique,  Modéne  (1886).  Ae. 
Gadeau  de  Kerville  (Henri),  homme  de  sciences,  7  bis,  rue 

Dupont,  à  Rouen  (1886).  T. 
Gaillard  (F.),  archéologue,  à  Plouharnel,  Morbihan  (1883).  T. 
Gaillard  (Georges),  D.  M.,  182,  rue  de  Rivoli  (1879).  T. 
Gaillardo,  D.  M.,  médecin  sanitaire  de  France,  à  Alexandrie, 

Egypte  (1874).  Cn. 
Galdo  (Manuel),  directeur  de  l'Institut  de  Madrid  (1865;.  Ce. 


PERSOKNEL  XXVII 

Gallard,  D.  M.,  24,  place  Vendôme  (1892).  T. 
Garson,  D.  M.,  conservateur  du  Musée  anthropologique  du  Col- 
lège des  chirurgiens  de  Londres  (1893).  Ae. 
Gaume  (F;),  D.  M.,  12L  avenue  de  Villiers  (1866).  T. 
Geoffroy,  D.  M.,  26,  boulevard  Sébastopol  (1879).  T. 
George  (Hector),  D.  M.,  licencié  es  sciences,  8,  rue  des  Écoles 

(1869).  T. 
Georges  (Maxiuiilien),  34,  rue  Bloinet  (1893).  T. 
Germain  (Henri),  ingénieur  civil  des  mines,  place  Beaulieu,  à 

Cognac  (1877).  T. 
Ghigv  (Jean  T.),  avenue  de  l'Observatoire  (1893).  T. 
GiagominIj  professeur  à  l'Université  de  Turin  (1878).  Ae. 
Giglioli  (E.),  professeur  de  zoologie  à  l'Institut  supérieur,  Viale 

dei  Golli,  Villa  Belvédère,  à  Florence  (1882).  Ae. 
Girard  de  Rialle,  chef  de  la  division  des  archives  au  minis- 
tère des  affaires  étrangères,  1,  place  Pereire  (1861).  T. 
Glaumont,    percepteur  à  Coron,  prés  Vézins  (Maine-et-Loire), 

(1889).  Cn. 
Godel,    administrateur   civil    à   Franceville,    Congo   français 

(1892).  Cn. 
Gosse  (Hippolyte),  professeur  à  l'Université  de  Genève,  7,  rue 

des  Chaudronniers  (1860).  Ae. 
GouiN  (Léon),  ingénieur  civil  des  mines,  à  Gagliari,  Sardaigne 

(1884).  Cn. 
Gross,  D.  M.,  à  Neuville,  canton  de  Berne,  Suisse  (1882).  Ce. 
Guérault  (Henri),  ex-chirurgien  de  la  marine,  chirurgien  de 

l'Hôtel-Dieu  de  Tours  (1860).  T. 
Guérin-Catelain,  13,  place  de  la  Bourse  (1893).  T. 
Guibert,  D.  M.,  à  Saint-Brieuc  (1888).  T. 
Guida  fSalvatore),  lieutenant-colonel  médecin,  Borne  (1894). 

Ae. 
Gujllabert,  avocat,  30,  rue  Lafayette,  à  Toulon,  Var(1888).  T. 
*  Guimet  (Emile),  1,  place  de  la  Miséricorde,  à  Lyon  et  (Musée 

Guimet)  avenue  d'Iéna,  Paris  (1877).  T. 
Guyot  (Yves),  ancien  ministre  des  Travaux  publics,  95,  rue  de 

Seine  (1871).  Hon. 
Guzman  Blanco  (le  général),  ancien  président  de  la  République 

du  Venezuela,  25,  rue  Lapérouse  (1888).  T. 
Hagen  (D''  A.),  2  bis,  place  Gambetta,  Toulon  (1894).  Cn. 
Hamon  (A.),  publiciste,  132,  avenue  de  Clichy  (1893).  T. 
Hamon  D.-M.,  à  Jérémie  (Haïti)  (1894).  T. 
Uamv  (Ernest),  D.  M.,  professeur  d'anthropologie  au  Muséum 

d'histoire  naturelle,  36,  rue  Geoffroy-Saint-Hilaire  (1867).  T, 


XX  \  III  PERSONNEL 

Hayden,  inspecter  gênerai  of  U.  S.  Ceological  Survey,  Was- 
hington. (1880).  Ae. 

Haynes  (Henry-W.),  professeur  à  l'Université  de  Boston,  230, 
Beacon  street,  Boston,  Mass.,  États-Unis  (1878).  Ce. 

Hazelius,  D.  M.,  directeur  du  musée  ethnographique  Scandi- 
nave, à  Stockholm  (18*4).  Ce. 

Heger,  D.  M.,  professeur  de  physiologie  à  l'Université,  7,  rue 
du  Chêne,  à  Bruxelles  (1884).  Ce. 

*  Hennuyer  (A.),  imprimeur-éditeur,  7,  rue  Darcet  (1881)   T. 
Henry  (R.\  colonel  du  génie  à  Oran,  (1877).  Cn. 

Hervé  (Georges),  D.  M.,  professeur  à  l'École  d'Anthropologie, 

8,  rue  de  Berlin  (1880).  T. 
Higgins  (Alfred),    membre   de    l'Institut   anthropologique   de 

Londres  ^1863).  Ae. 
Hildebrand  (Haiis),  D.  M.,  lep  conservateur  au  musée  royal 

d'archéologie,  à  Stockholm   (1874).  Ce. 
His  (Wilhelm),   professeur    à   l'Université  de   Leipsig,  Saxe, 

Konigstrasse,  22  (1864).  Ae. 
Hoelder  (de),  conseiller  supérieur  de  médecine,  Marienstrasse, 

à  Stuttgart  (1882).  Ae. 
Houzê  (E.),  D.  M.,  professeur  d'anthropologie  à  l'Université, 

89,  boulevard  de  Waterloo,  à  Bruxelles  (1803).  Ae. 

*  Hoyelacque  (Abel),  directeur  de  l'École  d'Anthropologie, 
député,  38,  rue  du  Luxembourg  (1807).  T. 

Hoyos-Sainz  (Luis  de),  docteur  es  sciences,  Barquillo,  86,  à 

Madrid  (1802).  T. 
Humphry,  professeur  d'anatomie   à  l'Université  de  Cambridge 

(1872).  Ae. 
Hureau  de  Villeneuve  (Abel),  D.  M.,  01,  rue  d'Amsterdam 

(1863).  T. 
Hurst   (Marie-Joseph),    médecin    principal   de   lre    classe   de 

réserve,  110,  avenue  MalakolT  (1863).  Cn. 
Huxley  (Thomas),  professeur  à  l'École  royale  des  Mines,   4, 

Malborough  Place,  Londres,  N.  W.  (1866).  Ae. 
Hvde  Glarke,  vice-président  de  l'Institut  anthropologique,  82, 

St-Georges  Square,  S.  W.,  Londres  (1865).  Ce. 
Ikoff  (Constantin),  D.  M.,  secrétaire  de  la  Section  anthropolo- 
gique de  la  Société  des  Amis  des  sciences  naturelles,  Moscou 

(1803).  Ae. 
Issaurat  (Albert),  D.  M.,  27,  rue  Drouot  (1874).  T. 
Issauraï  (C),  homme  de  lettres,  27,  rue  Drouot  (1874).  T. 
Italia-Nicastro,  D.  M.,  à  Palazzolo-Acreide,  Sicile  (1866).  Ce. 


PKRSÔNNEL  XXIX 

Iwanowski,  D.  Mr,  V.  Vyborskaïa  Slorma,  Finski  pereoulok, 
maison  Opotchinina,  à  Saint-Pétersbourg  (1879).  Ce. 

*  Jackson  (Henry- William),  67,  Upgate,   Louth,  Lincolnshire, 
England.  S.  E.  (1865).  T. 

Jacquemet,   professeur  agrégé  à  la  Faculté   de  médecine    de 

Montpellier  (1859).  Cn. 
Jacques,  D.  M.,  secrétaire  de  la  Société  d'anthropologie,  86,  rue 

de  Ruysbroeck,  Bruxelles  (1893).  Ae. 
Jalouzet,  vice-consul  de  France,  à  Belfast  (1883).  Cn. 
Jamin(P.),  artiste  peintre,  82,  boulev.  des  Batignolles  (1892'.  T. 
Janssens  (E.),   D.    M.,  80,   Marché   au   Charbon,  à   Bruxelles 

(1869).  Ce. 
Janvier  (L.),  D.  M  ,  chargé  d'affaires  d'Haïti,  5  Albany  Court 

Yard,  Piccadilly,  Londres  (1882).  T. 

*  Javal  (Emile), D.  M.,  directeur  du  laboratoire  d'ophtalmologie, 
membre  de  l'Académie  de  médecine,  52,  r.  de  Grenelle  (  1 872) .  T. 

Jennings  (Oscar),  membre  du  Collège  royal  «les  chirurgiens  de 

Londres,  88,  avenue  Kléber  (1879).  T. 
Jones  (A.),  ancien  avocat,  (38,  rue  Singer  (1895).  T. 

*  Jousseaume,  D.  M.,  29,  rue  de  Gergovie  (1866).  T. 
Jouvencel  (Paul  de),  ancien  député,  28,  rue  Singer  (1860),  T. 

*  Juglar  (Mme  j.)f  58,  rue  des  Mathurins  (1881).  T. 
Justin  (J.),  63,  rue  Claude-Bernard  (1898).  T. 
Kalindero,  D.  M.,  à  Bukharest  (1869).  Ce 

Fvanitz (Félix),  Eschenbach  Casse  à  Vienne,  Autriche  (1878).  Ae. 
Kaszwetow  (W\),  ancien  président  de  la  Société  des  Amis  de  la 

nature  de  Moscou  (1888).  Ce. 
K  oi.lmann,  professeur  de  zoologie  à  l'Université,  Bâle,  Suisse 

(1898).  Ce. 
Koyalewski   (Maxime),   villa  Balaya,   Beaulieu,  Alpes-Marit. 

(1894).  T. 
Krantz  (J.-B.),  sénateur,  inspecteur  général  honoraire  des  ponts 

et  chaussées,  47,  rue  La  Bruyère  (1877).  Hon. 
Kroutgwsky  (W.),  12,  rue  Geouroy-St-Hilaire  (1892).  T. 
Labadie-Lagrave,   D.  M.,   médecin  îles   hôpitaux,  8,  avenue 

Montaigne  (1869).  T. 
La  Bédoixière  (de),  contre-amiral,  20,  rue  de  Navarin  (1881).  T. 

*  Laborde,  D.  M.,  chef  des  travaux  pratiques  de  physiologie  à  la 
Faculté  de  médecine,  15, rue  de  l'École-de-Médecine  (1876).  T. 

La  Bruyère,  artiste  peintre  à  Alger  (1880).  Cn. 
LACASsaaxE,  professeur  de  médecine  légale  à  la  Faculté  de  mé- 
decine de  Lyon  (1869).  Cn. 
Lacombe  (P.),  5,  avenue  du  Marché,  à  Gharenton,  Seine  (I887).T. 


XXX  PERSONNEL 

Ladreit  de  Lacharrière,  médecin  on  chef  de  l'Institution 
nationale  des  sourds-muets,  3,  quai  Malaquais  (1864).  T. 

*  Lagneatj  (G.),  D.M.,  membre  de  l'Académie  de  médecine,  38, 
rue  de  la  Chaussée-d'Antin  (1850).  Hon. 

Lagrené  (de),  consul  de  France,  à  Moscou  (1879)  Cn. 
Lajard  (Joseph),  archéologue,  83,  rue  Joseph- Vernet,  à  Avi- 
gnon (1888).  T. 
Lalayantz  i  Ervand),  13,  rue  Monsieur-le-Prince  (1895).  Ce. 
Lamouroux,  D.  M.,  150,  rue  de  Rivoli  (1872).  T. 

*  Lamy  (Ernest),  113,  boulevard  Haussmann  (1878).  T. 
Landry,  professeur  à  l'Université  de  Québec,  Canada  (1861).  Ce 
Lannelongue,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine,  membre 

de  l'Académie  de  médecine,  3,  rue  François-Icr  (1877).  T. 
Lapicque,  D.  M.,  chef  du  Laboratoire  des  cliniques  à  l'Hôtel- 

Dieu,  59,  rue  Claude-Bernard  (1892).  T. 
Latteux,  D.  M.,  9,  rue  Marsollier  (1876)   T. 
Lautré,  médecin  missionnaire,  à  Thaba-Bossiou,  montagnes 

de  la  Nuit,  Afrique  australe  (1862).  Cn. 
Lavroff  (Pierre),  328,  rue  Saint-Jacques  (1870).  T. 
Lazarus,  professeur,  5  Kônigsplatz,  à  Berlin  (1866).  Ae. 
Le  Baron  (Jules),  D.  M.,  inspecteur  des  enfants  du  premier 

âge,  34,  rue  de  Lille  (1881).  T. 
Leboucq,  D.  M.,  professeur  à  l'Université  de  Gand,  (1884).  Ce. 
Le  Coin  (Albert),  D.  M.,  15,  rueGuénégaud  (1873).  T. 
Lecuyer,  I>.  M.,  à  Beaurieux,  Aisne  (1887).  Cn. 
Le  Double  (A.),  D.  M.,  professeur  à  l'École  de  médecine,  29, 

rue  Nicolas-Simon,  à  Tours  (1876).  T. 
Lefèyre  (André),  professeur  à  l'École  d'anthropologie,  21,  rue 

Hautefeuille  (1874).  T. 
Legratn  (G.),  élève  diplômé  de  l'École  du  Louvre,  membre  de 

l'Institut  français  d'archéologie  oriental.'  nu  Caire  (1890).  T. 
Le.iars,  D.  M.,  chirurgien  des  hôpitaux,  75,  rue.  de  Miroménil 

(1889).  T. 
Le  Marcis,  17,  rue  Chanaleilles  (1879).  T. 
Lesopef  (  Alex.-Aug.),  109,  boulevard  Beaumarchais  (1877).  T. 

*  Le  Sourd  (Ernest),  D.  M.,  ancien  chirurgien  de  la  marine, 
4,  rue  de  l'Odéo n  (1865).  T. 

Lesquizamon  (D.  Juan-Martin),  ministre  du  gouvernement  de 
la  province  de  Salta,  Bépublique  Argentine  (1877).  Ce. 

Letourneau  (Ch.)  D.  M.,  professeur  à  l'École  d'anthropologie, 
70,  boulevard  Saint-Michel  (1865).  T. 

Letûux  (Maxime),  D.  M.,  1,  rue  Porte-Prison,  à  Vannes 
(1893).  T. 


PERSONNEL  XXXÎ 

Levasseur  (E.),  membre  de  l'Institut,  professes!»  an  Collège  de 
Fiance,  26,  rue  Monsieur  le-Prince  (18S1).  T. 

Liétard,  D.  M.,  membre  de  la  Société  asiatique,  médecin  aux 
Eaux  de  Plombières,  Vosges  (1862).  T. 

Livi,  D.  AI  ,  attaché  à  l'inspection  de  santé  militaire  au  minis- 
tère de  la  guerre,  53,  via  Principe  Umberto,  Rome  (1894).  Ae. 

Lokgraire  (le  Royer  de),  ingénieur  civil,  23,  quai  Voltaire 
(1888).  T. 

Louet  (  A.-J.-E .).  25,  rue  de  Tournon  (1891).  T. 

Lubbocp:  (sir  John),  38,  Queen  Anne's  Gâte,  Westminster, 
Londres  (1867).  Ae. 

Lugol  (Edouard),  avocat,  11,  rue  de  Téhéran  (1866).  T. 

Eumholtz  (Cari),  consulat  général  de  Suède  et  Norwège,  à 
New-York  (1889).  Ce. 

Luschan  (Félix),  membre  de  la  Société  anthropologique  de 
Vienne,  Maassenstrasse,  25,  à  Rerlin  W.  (1878).  Ce. 

Ltttke  (comte  de),  amiral,  présidentde  l'Académie  des  sciences, 
à  Saint-Pétersbourg  (1874).  Ae. 

Luys  (.1.)  D.  M.,  membre  de  l'Académie  de  médecine,  20,  rue  de 
Grenelle  (1859).  T. 

Macedo-Pixto,  professeur  à  l'Université  de  Coïmbre,  Portugal 
(1866).  Ce. 

Magitot  (E.),  D.  M.,  9,  boulevard  Malesherbes  (1860).  T. 

Magnan  (V.),  D.  M  ,  médecin  de  l'asile  Saint-Anne,  1,  rue  Ca- 
banis (1876).  T. 

Mahotjdeau  (P. -G.),  professeur  à  l'École  d'anthropologie, 
188,  Avenue  du  Maine  (1887).  T. 

Maindron  (M.),  explorateur,  15,  rue  Linné  (1892).  T. 

Maltef,  professeur  cà  l'Université  de  Kasan  (1882).  Ae. 

*  Maxottvrïer  (L.),  D.  M.,  professeur  à  l'École  d'anthropologie, 
15,  rue  de  rÉcole-de-Médecîne  (1882).  T. 

Maxtegazza  (le  professeur),  directeur  du   Musée    national    à 

Florence  (1863).  Ae. 
Marcaxo,  D.  M.,  ancien  interne  des  hôpitaux,  89,  boulevard 

de  Courcelles  (1887).  T. 

*  Marche  (Alfred),  voyageur,  archiviste,  1,  rue  Lavalette,  à 
Tunis  (187!»).  T. 

Marmottax,  D.  M.,  député,  31,  rue  Deshordes-Valniore 1 1875).  T. 
Martel  (E.-A),  avocat,  8,  rue  Ménars  (1885).  T. 
Martin,  D.  M.,  conseiller  municipal  d'Alger  (187!»).  Cn. 
Martin  (André),  D.  M.,  membre  du  Comité  consultatif  d'hy- 
giène, 3,  rue  Gay-Lussac  (1881).  T. 
Masox    (Otis  T.),    conservateur    du    Mus.'.,   ethnologique   de 


XXXII  PERSONNEL 

Smithsonian  Institution,  Washington,  U.  S.  Ain.  (1893).  Ae. 

Masséna,  (duc  de  Rivoli),  8,  rue  Jean-Goujon  (1871).  T. 

Massignon,  93,  rue  Saint-Honoré  (1883).  T. 

Masson  (Georges),  éditeur,  120,  boulevard  Saint-Germain, 
(1861).  T. 

Mauduit  (Pierre-Isidore),  D.  M.,  39,  rue  de  Rivoli (1863).  T. 

Maurel,  D.  M  ,  professeur  à  l'École  de  médecine,  10,  rue  d'Al- 
sace-Lorraine, à  Toulouse  (1877).  T. 

Mauriget  (Alphonse),  D.  M.,  correspondant  de  l'Académie  de 
médecine,  6,  rue  Lehelec,  à  Vannes  (18<'.\>)  T. 

Mayer,  31,  rue  de  Naples  (18S7)  T. 

Menard  Saixt-Yves,  D.  M.,  directeur  de  l'Institut  de  vaccine 
animale,  8,  rue  Ballu  (1887).  T. 

Mercer  (Henry  G.),  attaché  au  Muséum  de  l'Université  de  Pen- 
sylvanie,  Duylestown,  BucksCounty  U.  S.  A.  (1893).  T. 

Mever  (A.  B.),  directeur  du  Musée  d'anthropologie  et  d'ethno- 
graphie de  Dresde,  Lindengasse,  24  (1890).  Ae. 

Michaut,  D.  M.,  boulevard  Paul-Bert,  à  Haïphong  (1890).  T. 

Mirande,  ancien  juge  au  tribunal  de;  Karikal, Indes  françaises, 
(1808).  Cn. 

Mjreur  (il.),  D.  M.,  1,  rue  de  la  République,  à  Marseille 
(1890).  T. 

Molixier,  pharmacien  de  la  Société  des  voyages  d'études,  à 
Bussiére,  Loire  (1878).  Cn. 

*  MoxcELON,.à  Ygrande,  Allier  (1886'.  T. 

Monod  (Charles)  D.  M.,  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine,  12, 
rue  Cambacérés  (1872)T.  . 

Montaxo,  D.  M.,  château  de  Gémil,  par  Mentastruc,  Haute- 
Garonne  (1879).  Cn. 

Moxtelius  (().),  D  M.,  2e  conservateur  au  musée  royal  d'ar- 
chéologie, à  Stockholm  (1874).  Ce. 

Moxtrouzier  (le  père),  missionnaire,  à  la  Nouvelle-Calédonie 
(1800).  Cn. 

Morai-  (H.),  D.  M.,  'Ci,  rue  Condorcet  (1892).  T. 

Morei.  (Léon),  receveur  des  finances,  en  retraite,  3,  rue  de 
Sedan,  à  Reims  (1880).  T. 

Morén'O  (Francisco),  Directeur  du  Musée,  I.a  Plata,  Rép.  Ar- 
gentine (1893).  Ae. 

Morexo  Maiz,  D.  M.,  à  Lima,  Pérou (1804).  Ce. 

Morris  (J.  P.),  à  Ulverston,  Angleterre  (1807).  Ce. 

Morselli,  professeur  à  l'Université  de  Gênes  (1874).  Ae. 

*  Mortillet  (Adrien  de),  professeur  à  l'École  d'anthropologie, 
3,  rue  de  Lorraine,  Saint-Germain-en-Laye  (1881).  T. 


PERSONNEL  XXXIII 

*  Mortillet  (Gabriel  de),  professeur  à  l'École  d'anthropologie, 
3,  rue  de  Lorraine,  Saint-Germain-en-Laye  (1865).  T. 

Mûtheau  (B.),  médecin  des  prisons  de  la  régence,  Tunis,  rue 
Es-Sadikia  (1890).  T. 

Moussaud  (D.  M.),  7,  Boulevard  de  Sébastopol  (1861).  T. 

Moutier,  D.  M.,  11,  rue  Miroménil  (1888).  T. 

Much,  secrétaire  général  de  la  Société  d'anthropologie,  0,  Josefs- 
gasse,  Vienne  VIII  (1878).  Ce. 

Muller  (Frédéric),  professeur  à  l'Université  Marxergasse  24% 
à  Vienne  III  (1874).  Ae. 

Musgrave-Claye  (R.  de),  D.  M.,  10,  rue  Gachet,  à  Pau,  Basses- 
Pyrénées  (1889).  T. 

Nadaillac  (le  marquis  de),  correspondant  de  l'Institut,  18,  rue 
Duphot  (1869).  T. 

Neis  (Paul),  D.  M.,  médecin  de  1^  classe  de  la  marine,  à 
Saigon  (1881).  Cn. 

NiGAisE(Ch.-L.-A.), archéologue,  à  Ghàlons-sur-Marne(1878).T. 

Nicas,  D.  M.,  80,  rue  Saint-Honoré,  à  Fontainebleau  (1867).  T. 

Nicolas  (U.),  9,  rue  Velouterie,  à  Avignon  (1888).  T. 

Nicole  (P.),  59,  rue  de  la  Bourre,  Le  Havre  (1878).  T. 

NrcoLUccr  (G.),  professeur  d'Anthropologie  à  l'Université  de 
Naples  (1864).  Ae. 

Niederlé (Lubor),  D.  M.,29  Jecnaul.  Prague,Bohême  (1893). Ae. 

Nott  (J.-G),  à  Mobile,  U.  S.  Ain.  (1859).  Ae. 

Novikoff,  6,  rue  de  la  Poste,  Odessa,  Russie  (1891).  T. 

Novaro,  D.  M.,  professeur  agrégé  à  la  Faculté  des  sciences  de 
Buenos-Ayres,  18,  rue  de  Constantine  (1878).  Ce. 

Obolonski  (N.),  D.  M.,  professeur  à  l'Université  de  Kiew 
(1889).  Ce. 

O'Donavan  (D.),  bibliothécaire  du  parlement  à  Brisbane,  Aus- 
tralie (1885).  Ae. 

Ollivier-Beauregard,  3,  rue  Jacob  (1879).  T. 

Ûrnstein  (B.),  médecin  en  chef  de  l'armée  grecque  à  Athènes 
(1882).  Ae. 

Ossowski  (G.),  membre  de  la  commission  archéologique  des 
sciences  de  Cracovie,  Oulica  Slawkowska,  228,  à  Cracovie 
(1879).  Ce. 

Padilla  (Don  Mariano),  à  Guatemala  (1861).  Ae. 

Pagliani,  prof,  d'hygiène  à  l'Université  de  Rome  (1877).  Ce. 

Papillault  (G.),  D.  M.,  5,  rue  de  Latran  (1893).  T. 

Paris  (Gustave),  D.  M.,  à  Luxeuil,  Haute-Saône  (1880).  T. 

Paul-Boncour  (G.),  interne  des  hôpitaux,  18,  rue  Vignon 
(1894).  T. 

3 


XXXIV  PERSONNEL 

Pechdû  (J.j,  D.  M.,  à  Villefranche,  Aveyron,  (1878).  T. 

Pengelly  (W.),  membre  de  la  Société  royale  de  Londres,  à 
Torquay,  Devonshire,  Angleterre  (1874).  Ce. 

Pennetier  (Georges  i,  professeur  à  l'École  de  médecine,  9.  im- 
passe de  la  Cordeiïe,  barrière  Saint- Maur,  à  Rouen  (,1868).  T. 
Pératé,  D.  M.,  3,  rue  Saint-Philippe-du-Roule  (1868).  T. 

Perera  (Andrews),  professeur  à  Slave-Island,  Colombo,  Ceylan 
(1882).  Ce. 

Perrier  du  Carne,  avocat,  à  Mantes,  Seine  et-Oise  (1893).  T. 

Petit  (Abel),  D.  M.,  65,  r.  de  la  Mairie,  à  Carcassonne  (1875).  T. 

Philimonoff,  conservateur  du  musée  des  armures  au  Kremlin, 
à  Moscou  (1879).  Ce. 

Pichardo  (Gabriel),  à  la  Havane  (1878).  Ce. 

Pétrim  (Michel),  D.  M.,  àGalatz,  Roumanie  (1874).  Ae. 

Pichon    D,  M.,  9,  rue  Chardin  (1872).  Cn. 

Pietkieyvicz  (Yalérius),  D.  M., 76,  boulev.  Haussmann  (1878).  T. 

Piètrement,  vétérinaire  militaire  en  retraite,  141,  boulevard 
Saint-Michel  (1874).  T. 

Piette  (E.),  juge  honoraire  à  Rumigny,  Ardennes  (1870).  T. 

Pigeon  (Mrao  Pauline),  directrice  des  écoles  de  la  Salpêtrière, 
70,  boulevard  Saint-Marcel  (1890).  T. 

Pigné,  D.  M. ,  à  San-Francisco,  Californie  (1863).  Cn. 

Pigorim  (Professeur  L.),  directeur  du  Musée   national  préhis- 
torique et  ethnographique,  collège  Romain,  Rome  (1881).  Ae. 

Pilard  (Georges),  professeur  de  géologie  à  l'Université  dAgran 
(Autriche-Hongrie)  (1874).  Ce. 

Pilliet  (A.-H.),  D,  M.,  4,  rue  Richepanse  (1889).  T. 

PiNCfr  (l'abbé),  missionnaire,  Fort  Good  Hope,  district  de  la 
rivière  Mac-Kenzie,  Canada  (1873).  Ce. 

Pitt-Rivers  (le  major  général),  président  de  l'Institut  anthro- 
pologique à  Londres  (1881).  Ae. 

Poirier,  D.  M.,  chef  des  travaux  anatomiques  de  la  Faculté, 
7,  rue  de  l'École-de-Médecine  (1890).  T. 

Pokrowski,  licencié   ès-sciences   naturelles,  5,    rue   Corneille 
(1894).  T. 

Pûmmerol  (Félix),  D.  M.,  conseiller  général  à  Gerzat,  Puy-de 
Dôme  (1866).  T. 

Ponsot  (A.),  21,  rue  du  Faubourg-Saint-Jacques  (1884).  T. 

Pornain,  8,  rue  Quétigny,  Epinay-sur-Seine,  Seine  (1888).  T. 

Posada  Arango,  D.  M.,  professeur  à  Médelline,  États-Unis  du 
Sud  (1870).  Ce. 

*  Poussié  (E.),  D.  M.  2,  rue  de  Valois  (1884).  T. 

Poux-Ffanklin,  16,  rueMontalivet  (1894).  T. 


PERSONNEL  XXXV 

Pozzi  (Samuel),  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine,  chirurgien  des 

hôpitaux,  10,  place  Vendôme  (1870).  T. 
Powell  (le  major  J.-W.),  directeur  du   bureau  d'ethnologie, 

Washington  (1882).  Ae. 
Prengruéber,    D.    M.,   médecin    de  colonisation,  à   Palestro 

(1881).  Cn. 
Prieur  (Albert),  D.  M.,  24,  boulevard  Voltaire  (1892).  T. 
Profillet  (le  R.  P.),  missionnaire,  à  Haïti  (1864).  Ce. 
Proust  (Adrien),  professeur  à  la  Faculté  de  médecine,  membre 

de  l'Académie  de  médecine,  9,  boulev.  Malesherbes (1861).  T. 
Pulsky  (François  de),  inspecteur  général  des  Musées  et  Biblio- 
thèques de  Hongrie,  Buda-Pesth  (1878).  Ae. 
Putnam  (F.-W.)>  conservateur  du  musée  Peabody,   Harvard 

university,  à  Cambridge,  Mass  (1882).  Ce. 
Raffegeau,  D.  M.,  9,  avenue  des  Pages,  Le  Vésinet,  S.-et-O. 

(1889).  T. 
Rahon(.I.),  D.  M.,  licencié  ès-sciences,  121,  avenue  Parmentier 

(1892).  T 
Ramadier,   D.    M.,   médecin    adjoint    à    l'asile    de    Villejuif 

(1891).  Cn. 
Rangabé  (Alexandre),    membre    de   la    Société   d'archéologie 

d'Athènes,  ministre  de  Grèce  (1865).  Ce. 
PiAnke,  professeur  de  zoologie  à  l'Université  de  Munich,  25, 

Brienner  Strasse  (1882).  Ae. 
Raymond  (P.),  D.  M.,  32,  avenue  Kléber  (1892).  T. 
Reboue  (.T.),  D.  M.,  l,rue  d'Uzès,  à  Nîmes,  Gard  (1893). T. 
Reclus  (Élie),  22,  rue  Vilain  XIV,  Bruxelles  (1881).  T. 
Reglus  (Elisée),  27,  rue  du  Lac,  Bruxelles  (1889).  T. 
Regalia  (Ettore),    secrétaire   de  la  Société  d'Anthropologie, 

3,  Via  Gino  Gaponi,  Florence  (1893).  Ae. 
Regnault  (F.),  D.  M.,  12,  rue  de  Longehamps  (1888).  T. 
Regny-Bey  (de),  chef  du  service  de  statistique  d'Egypte,  mem- 
bre de  l'Institut  égyptien,  à  Alexandrie  (1874).  Cn. 
RÉMusAT(Paul  de),  118,  r.  du  Faubourg-Saint-Honoré  (18G1).T. 
Renard  (Léon),  D.  M.,  97,  i*ue  Toupet-do-Bé veaux,  à  Chauinont, 

Haute-Marne  (1880)   T. 
Retzius  (Gustaf),  professeur  agrégé  ;'i  la  Faculté  de  Stockholm 

(1873).  Ce. 
Rey  (Aristide),  député  de  l'Isère,  1,  boulevard  Morland  (1880).  T. 
Rey  (Philippe),  I).  M.,  médecin  en  chef  de  l'asile  d'aliénés,  2, 

chemin  de  Saint-Pierre,  à  Marseille  (1883).  T. 
Reyxier  (J.-B.),  D.  M.,  à  Sisteron,  Basses-Alpes  (1886).  T. 


XXXVI  PERSONNEL 

Reynier  (Paul),  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine,  chirurgien 
des  hôpitaux,  12  bis,  place  Delaborde  (1883).  T. 

Ribemont  D.  M.,  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine.  10,  boule- 
vard Malesherbes  (1876).  T. 

Ribot  (Th.),  directeur  de  la  Revue  x>hilosophique,  professeur 
au  collège  de  France,  108,  boulevard  Saint-Germain  (1880). T. 

Riccardi  (Paul),  professeur  à  l'Université  de  Modène,  Italie 
(1888).  T. 

Riohet  (Charles),  D.  M.,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine, 
15,  rue  de  l'Université  (1877).  T. 

Ritti  (Antoine),  D.  M.,  Maison  nationale  de  Charenton-Saint- 
Maurice,  57,  Grand'Rue  (1875).  T. 

Rtvett  Carnac  (H.),  archéologue  attaché  au  gouvernement 
civil  du  Bengale,  à  Allahabad,  Indes  anglaises  (1883).  Ce. 

Rivière  (E.),  archéologue,  50,  rue  de  Lille  (18881  T. 

*  Robin  (Paul),  228,  rue  des  Pyrénées  (1881).  T. 

Rocher  (Emile),  employé  aux  douanes  chinoises,  à  Shang-Haï 

(1881).  Cn. 
Romer  (Floris),  proies,  à  l'Université  de  Pesth  (1807).  Ce. 
Rondeau  (P.),  D.  M..  14,  rue  Desbordes-Valmore  (1882).  T. 
Rothschild  (le  baron  Edm.  de),  41,  rue  du  Faubourg-Saint- 

Honoré  (1875).  T. 
Rothschild  (le  baron  Gustave  de),  23,  aven.  Marigny(1875).  T. 
Roussel  (Th.),  D.,  sénateur,  71,  faub.  St-Honoré  (1889).  T. 

*  Rousselet  (L.),  archéologue,  126,  Rd  St-Germain  (1872).  T. 
Rouvière  (le  lieutenant  colonel  de),  ancien  officier  d'ordonnance 

du  général  F aidherbe,  ministère  de  la  guerre  (1867).  Cn. 

Roux  (E.),  D.  M.,  à  Rioin,  Puy-de-Dôme  (1892).  T. 

Rowe  (Léo  Stanton),  membre  de  l'Académie  des  sciences  poli- 
tiques et  sociales  de  Philadelphie  (1891).  Ce. 

Royer  (M1110 Clémence),  maison  Galignani,  55,boulevarcl  Pineau, 
à  Neuilly,  Seine  (1870).  Hon. 

Rubbens  (Clément),  27,  quai  Saint-Michel  (1890).  T. 

Rudler  (F.-W.),  vice-président  de  l'Institut  anthropologique  de 
Grande  Bretagne  et  d'Irlande,  à  Londres  (1881).  Ce. 

Rutimeyer  (Ludwig),  prof,  à  l'Université  de  Bàle  (1864).  Ae. 

Sainte-Marie  (Pricot  de),  consul  de  France,  château  de  Hierce, 
par  Brantôme,  Dordogne  (1880).  Cn. 

Saintu  (O.),  D.  M.,  59Ms,  rue  Rochechouart  (1890).  T. 

Salmon  (Philippe),  vice-président  de  la  commission  des  monu- 
ments mégalithiques,  29,  rue  Le  Peletier  (1878).  T. 

Sanrey,  D.  M.,  médecin-major  au  bataillon  territorial  de 
zouaves  à  Sétif  (1878).  Cn. 


PERSONNEL  XXXVII 

Sanson  (André),  professeur  à  l'École  nationale  de  Grignon  et  à 
l'Institut  national  agronomique,  11,  r.  Boissonnade  (1862).  T. 

Saporta  (le  marquis  Gaston  de),  correspondant  de  l'Institut, 
21,  rue  Grande-Horloge,  à  Aix,  Bouches-du-Rhône  (1869).  T. 

Sghleigher,  libraire-éditeur,  15,  rue  des  Saints-Pères  (1891).  T. 

Schmidt  (Waldemar),  professeur  à  l'Université  fie.  Copenhague 
(1875).  Ae: 

Schmit  (E.),  pharmacien,  24,  rue  Saint-Jacques,  à  Ghâlons-sur- 
Marne  (1892).  T. 

Schmit  (Oscar),  palethnologue,  49,  rue  du  Rocher  (1895).  T. 

Schoett  (John),  inspecteur  général  de  la  vaccination  à  Madras, 
membre  de  la  Société  d'anthropologie  de  Londres,  à  Madr  i 
Indes  anglaises  (187.»).  Ce. 

Schrader  (F.),  géographe,  75,  rue  Madame  (1892).  T. 

Schulhof  (Joh.  Sieg.),  D.  M.,  médecin  de  l'armée  autrichienne 
à  Raguse  (1893).  T. 

Serillot  (Paul),  artiste  peintre,  membre  de  la  Commission  des 
monuments  mégalithiques,  80,  boulevard  St-Marcel(J878).  T. 

Sée  (Marc),  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine,  membre  de  l'Aca- 
démie de  médecine,  126,  boulevard  St-Germain  (1859).  Hcn. 

Seeland  (N.),  D.  M.,  médecin  en  chef  de  la  province  de  Semi- 
retscheok,  à  Verei,  Russie  (1886).  Ce. 

Séglas,  D.  M.,  membre  delà  Société  médico-psychologique,  96, 
rue  de  Rennes  (1884).  T. 

Segoxd,  D.  M.,  agrégé  à  la  Faculté  de  médecine,  11,  quai  d'Or- 
say (1872).  T. 

*  Selys-Longchamps  (Walter  de),  Halloy,  prés  Ciney,  Belgique 
(1877).  T. 

Semelaigne,  D.  M.,  château  Saint-James,  avenue  de  Madrid,  a 
Neuilly,  Seine  (1861).  T. 

Semelaigne  (René),  D.  M.,  château  Saint-James,  avenue  de 
Madrid,  à  Neuilly,  Seine  (180-3).  T. 

Sérieux  (P.),   D.   M.,   médecin   adjoint   â  l'asile  de  Villejuif 
(1891).  Cn. 

Serrano  (Matias-Meto),  secrétaire  de  la  B.  Académie  de  Méde- 
cine de  Madrid  (1865).  Ae. 

Serrurier  (L.),  docteur  en  droit,  directeur  du  Musée  national 
d'ethnographie  des  Pays-Bas,  â  Lcyde  (1886).  T. 

Sigerson,  D.  M.,  professeur  de  biologie  à  l'Université  de  Du- 
blin, 3  Clare  street  (1878).  Ce. 

Simoneau,  63,  rue  Manin  (1886).  T. 

Sinety  (de),  D.  M.,  14,  place  Vendôme  (1874).  T. 


XXXVIII  PERSONNEL 

Sommier  (Stephen),  secrétaire  de  la  Société  d'Anthropologie, 

3  via  Gino  Cappoui,  Florence  (1893).  Ae. 
Souchu-Servinière,    député     2,    rue   des    Fossés,    à   Laval, 

Mayenne  (1867).  T. 
Spalikowski  (Ed.),  étudiant  en  médecine, 2,  rue  Poitron,  Rouen 

(1894).  T. 
Stanley  (Davis-Ch. -Henry),  D.  M.,   à  Meridon,  Connecticut, 

Ktats-Unis  (1878).  Ce, 
Stapleton,  à  Dublin  (1859).  Ae. 
Steenstrup,  directeur  du  Muséum  de  zoologie,  à  Copenhague 

(1872),  10,  Norregate.  Ae. 

*  Stephexsox  (Franklin-Barche),  D.  M.,  Surgeon  United  States, 
Navy,  Bartlett  street  Roxbury,  Boston,  Mass.  (1878).  T. 

Stieda,  professeur  à  l'Université  de  Kcenigsberg,  (1879).  Ae. 

Stuer  (Alexandre),  directeur  du  Comptoir  géologique,  40,  rue 
des  Mathurins  (1894).  T. 

Simaxgala,  principal  du  collège  de  Yidyodaya,  Colombo, 
Ceylan  (1882).  Ce. 

Syamour  (MlllC),  statuaire,  6,  rue  du  Yal-de-Gràce  (1888).  T. 

ïarxowski  (Mmc),  D.  M.,  trésorière  de  la  Société  d'anthropolo- 
gie de  Saint-Pétersbourg,  104,  quai  de  la  Moïka,  (1890).  T. 

Tavaxo,  D.  M.,  à  Rio-.Tanerio  (1878).  Ce. 

Ten  Kate  (H. -F.),  D.  M.,  Scheveningen,  Hollande  (1879).  T. 

Terrier  (Félix),  D.  M.,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine, 
membre  de  l'Académie  de  médecine,  o,  rue  de  Copenhague 
(1871).  T. 

*  Testut,  D.  M  ,  professeur  d'anatomie  à  la  Faculté  de  méde- 
cine, 3,  avenue  de  l'Archevêché,  Lyon  (1883).  T. 

Thieullex  'Adrien),  31,  rue  de  Fleurus  (1887).  T. 

Thomas-Marancout  (Edm.),  villa  des  Grouettes,  à  Montigny 
sur-Loing,  Seine-et-Marne  (1893).  T. 

Thomson  (Arthur),  professeur  d'anatomie  humaine,  à  l'Uni- 
versité d'Oxford,  159,  Woodstock  road  (1895).  Ae. 

Thorel,  D.  M.,  1,  place  Victor-Hugo  (1876).  T. 

Thelié  (H.),  D.  M.,  37,  boulevard  Beauséjour  (1866).  T. 

Tikhomiroff  (A.),  secrétaire  de  la  Société  impériale  des  Amis 
des  sciences  naturelles,  d'anthropologie  et  d'ethnographie,  à 
Moscou  (1879).  Ce. 

Tirant,  1).  M.,  administrateur  des  affaires  indigènes,  à  Saigon, 
Cochinchine  (1874).  Cn. 

Todd  (Spencer),  secrétaire  général  du  gouvernement  de  la  colo- 
nie, au  Cap  de  Bonne-Espérance  (1879).  Ce. 


PERSONNEL  XXXIX 

Tommasini,  D.  M.,  36,  boulevard  Séguin,  à  Oran,  Algérie 
(1880).  T. 

*  Topinard,  D.  M.,  105,  rue  de  Rennes  (1860).  T. 

Tôrôk  (Aurèle  de),  D.  M.,  professeur  d'anthropologie  à  Buda- 
pest (1893).  Ae. 

Torres  (Melchior),  professeur  agrégé  à  l'École  de  médecine  de 
Buenos-Ayres  (1879).  Ce. 

Tourangin (G.),  D.  M.,  30  bis,  boulevard  Voltaire  (1879).  T. 

Tourtoulon  (DE),Valergues,  par  Lansargues,  Hérault  (1878). T. 

Tremlett  (F. -S),  contre-amiral,  Belle-Vue,  Tunbridge  Wells' 
Kent  and  Sussex,  Angleterre  (1891).  Ce. 

Trowtowsky,  secrétaire  général  de  la  Société  d'archéologie  de 
Moscou  (1888).  Ce. 

Trumet  de  Fontarce,  D.  M.,  10,  rue  du  Général-Foy  (1882). T. 

Turner  (William),  professeur  à  l'Université  d'Edimbourg 
(1878).  Ae. 

Tylor  (  E.  B.  ),  président  de  l'Institut  anthropologique  de 
Cirande-Bretagne  et  d'Irlande,  à  Londres  (1880)   Ae. 

Tvtler  (Robert),  gouverneur  du  Bengale,  à  Umballa  (1866).  Ae. 

*  Valenzuela  (Théodore),  docteur  en  droit,  ancien  ministre 
plénipotentiaire  de  Colombie,  à  Bogota  ii875).  T. 

Valut,  D.  M.,  32.  avenue  Aubert,  àVincennes  (1880).  T. 

Vandekkindère  (Léon),  professeur  à  l'Université  libre  de 
Bruxelles,  avenue  des  Fleurs  à  Uccle  (1884).  Ae. 

Van  Dubex,  professeur  et  directeur  du  Musée,  à  Stockholm 
(1878).  Ae. 

Vasgoxgellos-Abreu  (de),  à  Coïmbre  (1875).  Ce. 

Vaughez  (Emmanuel),  Les  Sables  d'Olonne,  Vendée  '1888).  T. 

Vauvjllé  (O.),  archéologue,  11,  boulevard  Barbés  (1890).  T. 

Verneau,  D.  M.,  148,  rue  Broca  (1875).  T. 

Verxet  (G.),  28,  rue  Boschot,  Fontenay-sous-Bois,  Seine 
(1894).  T. 

Verneuil  (Aristide),  professeur  honoraire  à  la  Faculté  de  mé- 
decine, membre  de  l'Académie  des  sciences  et  de  l'Académie 
de  médecine,  11,  boulevard  du  Palais  {Fondateur).  Hon. 

Vernial,  D.  M.,  45,  avenue  de  la  République,  à  Courbevoie 
(1880).  T. 

Véron  (veuve  Eug.),  78,  rue  Ney,  k  Lyon,  (1891 1.  T. 

Viaxna,  D.  M.,  à  Pernambuc,  Brésil  (1877).  Ce. 

Vielle,  juge  de  paix  à  Château-Thierry,  Aisne  (1888).  T. 

Vielle  (A.),  juge  de  paix  à  Ecouen  (1885).  T. 

Vinghon(M.),  avocat,  16,  rue  de  Bagneux  (1891).  T. 

*  Vinson  (Julien),  sous-inspecteur  des  forêts,  prof,  à  l'Ecole  na- 


XL  PEU SONNE L 

tionale  des  langues  orientales  vivantes,  52,  rue  de  Verneuil 

(1877).  T. 
Virchow,  D.  M.,  député,  professeur   à  l'Université  de  Berlin 

(1867).  Ae. 
Viré  (Armand),  naturaliste,  21,  rue  VauÇuelin  (1872).  T. 
Vogt  (Cari),  professeur  à  Genève  (1863).  Ae. 
Vogt  (Victor),  75,  boulevard  Saint-Michel  (1890).  T. 
Voisin  (A.),  D.  M.,  médecin  de  la  Salpêtrière,  16.  rue  Séguier 

(1865).  T. 
Walther  (Charles),  ex-médecin  inspecteur  de   la    marine  en 

retraite,  à  Seuilly,  Indre-et-Loire  ^1865).  Cn. 
Walther  de  la  Tour  (E.),  D.  M.,  ex-médecin  de  la  "marine  de 

l'État  (1874).  Cn. 
Wecker  (L.  de),  D.  M.,  31,  avenue  d'Antin  (1868).  T. 

*  Wehlin,  D.  M.,  29,  rue  de  Paris,  à  Clamart,  Seine  (1884).  T. 
Weisgerber  (Ed.),  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées, 

72,  rue  de  Monceau  '1888).  T. 
Weisgerber  (H.),  D.  M.,  62,  rue  de  Prony  (1880).  T. 
Wiener,  voyageur  au  Pérou  et  en  Bolivie,  10,  rue  Saint-Larare 

(1878).  Cn. 
Wilson  (Thomas),  Smithsonian  Institut,  à  Washington,  D.  G., 

(1884).  T. 

*  Wissendorff  (Henry),  19,  Nadexhcliuskaia,  à  Saint-Péters- 
bourg (1886).  T. 

Withall,  à  Genève  (1868).  Ce. 

Woldrich,  membre  de  la  Société  d'anthropologie,  à  Vienne, 
Autriche  (1878).  Ce. 

*  Worms  (René),  licencié  ès-sciences,  agrégé  de  philosophie, 
docteur  en  droit,  35,  rue  Quincampoix  (1893).  T. 

WRZESNiowsKr,  professeur  d'anatomie  à  l'Université  de  Var- 
sovie, 2,  rue  Alexandria,  (1880).  Ce. 

Zaborowski,  à  Thiais,  Seine  (1874\  T. 

Zellk  (.}.),  capitaine  en  retraite  de  l'armée  néerlandaise  à 
Luxembourg  (Grand  Duché)  (1891).  Ce. 

Zograff,  membre  du  comité  de  l'Exposition  anthropologique, 
à  Moscou  (1879).  Ce. 


SOCIETES   SAVANTES  &  RECUEILS  SCIENTIFIQUES 


AVEC    LESQUELS    LA    SOCIÉTÉ   ÉCHANGE    SES    PUBLICATIONS 


(Les  60tiétés  préeedéos  d'un  astérisque  recoin  ni  du  Ministère  de  l'Instruction  publique, 
Iîs  publications  de  la  Société  d'Anlhropologfo). 


PARIS 

Anthropologie  (1').  G.  Masson,  120,  boulevard  Saint-Germain. 

Archives  de  médecine  et  de  chirurgie  militaires,  au  ministère  de 
la  guerre. 

Archives  de  médecine  navale  et  coloniale.  Pr  Kerniogant,  pavil- 
lon de  Flore. 

Association  général  des  étudiants,  il,  rue  des  Écoles. 

Commission  des  monuments  mégalithiques,  8,  rue  de  Valois. 

Ecole  d'anthropologie  de  Paris,  15,  rue  de  l'École-de-Médecine. 

Laboratoire  d'anthropologie  de  l'École  des  hautes  études. 

Laboratoire  d'anthropologie  du  Muséum,  rue  de  BulTon. 

Mélusine  M.  Gaidoz,  directeur,  22,  rue  Servandoni. 

Musée  Guimet  avenue  d'Iéna. 

Progrès  médical,  14,  rue  des  Carmes. 

Revue  de  l'Hypnotisme,  14,  rue  Taitbout. 

Revue  sientifiques,  19,  rue  des  St-Pères. 

Revue  des  traditions  populaires.  M.  P.  Sébillot,  80,  BdSt-Marcel. 

Société  nationale  d'acclimatation  de  France,  41,  rue  de  Lille. 

Société  anatomique,  15,  rue  de  l'École-de-Médecine. 

Société  de  biologie,  15,  rue  de  l'École-de-Médecine. 

Société  d'ethnographie,  28,  rue  Mazarine. 

Société  géologique  de  France,  7,  rue  des  GranûVAugustins. 

Société  de  géographie  de  Paris,  184,  boulevard  Saint-Germain. 

Société  de  l'histoire  de  Paris  et  de  l'Ile  de  France,  8,  rue  des 
Petits-Champs. 

Société  médicale  des  hôpitaux  de  Paris,  3,  rue  de  l'Abbaye. 

Société  de  statistique,  28,  rue  Serpente. 

Société  zoologique  de  France,  7,  rue  des  Grands-Augustius. 


XLII  SOCIÉTÉS   SAVANTES 


DÉPARTEMENTS  &  COLONIES 


Abbeville *  Société  d'émulation. 

Angers *  Académie  des  sciences  et  belles  lettres. 

—       • . .  Société  d'études  scientifiques. 

Arras *  Académie  des  sciences,  lettres  et  arts. 

Autan *  Société  Eduenne. 

—     Société  d'histoire  naturelle. 

Auooerre Société  des  sciences  historiques  et  natu- 
relles de  l'Yonne. 

Beauvais *  Société  acad.  d'archéologie,  sciences  et  arts. 

Rpl fort Société  Belfortaine  d'émulation. 

Besançon *  Société  d'émulation  du  Doubs. 

Bone Académie  d'IIippone. 

Bordeaux *  Académiedessciences,belles-lettruset arts. 

—         Société  d'anthropologie  du  S.-O.  et  de  Bor- 

deaux. 

—         *  Société  archéologique  de  la  Gironde. 

—  .  •  • Société  de  médecine  et  chirurgie. 

— Société  des  sciences  physiques  et  naturelles. 

Boulogne-s-M *  Société  académique. 

Bourges Société  des  antiquaires  du  Centre. 

'  'tien «...  *  Société  des  antiquaires  de  Normandie. 

Vhambéry Société  savoisienne  d'histoire  et  d'archéo- 
logie. 

Châteaudun Société  dunoise  d'archéologie,  sciences  et 

arts. 

Cherbourg *  Société  des  sciences  naturelles. 

Constantine  Société  archéologique. 

Dijon *  Commission  des  antiquités  delà  Côte-d'Or. 

Dunkerque Société  dunkerquoise. 

Epinal Société  d'émulation  des  Vosges. 

Gannat Société  des  sciences  médicales. 

Grenoble *  Académie  delphinale. 

—  Société  dauphinoises  d'ethnologie  et  d'an- 
thropologie. 

Guéret Société  des  sciences  natur.  et  archéol.  de 

la  Creuse. 

Laon Société  académique. 

Le  Havre Société  havraise  d'études  diverses. 

Le  Mant *  Société  d'agriculture,  siences  et  arts  de  la 

Sarthe. 


SOCIÉTÉS  SAVANTES  XLIII 

Lyon *  Académie  des  science,  belles-lettres  et  art   . 

—      Société  d'anthropologie. 

—      , .  Archives  de  l'anthropologie  criminelle,  78, 

rue  de  l'Hôtel  de  ville. 

—      Muséum  d'histoire  naturelle. 

Mâcon. *  Académie  des  sciences,  arts  et  belles-lettres. 

Marseille *  Académie  des  sciences,  lettres  et  arts. 

Montbèliard Société  d'émulation. 

Montpellier *  Société  archéologique. 

—  *  Société  nationale  d'émulation. 

Moulins Société  d'émulation  et  des  beaux-arts  du 

Bourbonnais 

Nancy Académie  de  Stanislas. 

Nantes *  Société  académique  de  Nantes. 

—     Société  des  sciences  naturelles  de  l'Ouest 

de  la  France. 
Nîmes Académie  de  Nîmes. 

—      Société  d'études  des  sciences  naturelles,  6, 

quai  Lafontaine. 

Niort *  Société  de  statistique,  sciences  et  arts. 

Noyon *  <  lomité  historique  et  archéologique. 

Poitiers '. .    Société  des  antiquaires  de  l'Ouest. 

Reims *  Académie  nationale. 

Rouen *  Académie  des  sciences,  belles-lettres  et  arts. 

—     Société  des  amis  des  sciences  naturelles, 

VJ  bis,  vue  St-Lô. 
Si-Denis  (Réunion)..  Société  des  sciences,  lettres  et  arts. 

St-Omer .    .  *  Société  des  antiquaires  de  la  Morinie. 

si-Quentin Société  académique  des  sciences  et  arts. 

Soissons Société  archéologique,  historique  et  scien- 

titique. 

Senlis Comité  archéologique. 

Toulouse Société  d'histoire  naturelle. 

—       *  Société  des  sciences  physiques  et  naturelles 

Tours Société  de  géographie. 

Troyes Société  académique  de  l'Aube. 

Tunis Institut  de  Carthage. 

Vannes Société  polymatique  du  Morbihan. 

Yenrlnine Société  archéologie  et  scientitique  du  Ven- 

dùmois. 


XLIV  SOCIETES   SAVANTES 

Allemagne. 

Berlin ...  Anthropologische  Gesellschft  120,  Kœnig- 

gràtzerstrasse. 

Dresde Verein  fûrErdkunde,  Kl.  Brudergasse  11,  II 

Kœnigsberg Physikalisch-Œkonomische  Gesellschaft. 

Leipzig Verein  fur  Erdkunde,  Uoiversitàtsbiblio- 

tek,  4,  Beethovenstrasse. 

Munich. Deutsche  Gesellschaft  fur  Anthropologie. 

Bayerische  Akademieder  Wissenschaften. 

Alsace=Lorraine. 

Colmar Société  d'histoire  naturelle. 

Angleterre. 

Dublin Royal  Irish  acaclémy,  19,  Dawson  street. 

Edimbourg Collège  of  the  Physicians. 

—  Society  of  antiquaries  of  Scotland. 

—  Royal  Society. 

Londres Anthropological  Instituts  of  Great  Britain 

and  Ireland,  3,  Hanover  square. 

—      Journal  of  Anatoniy  and  Physiology,  Ch. 

Grilïin,  édit.,  Exeter  street  strand. 

—       Nature  Journal,  Macniillan,  édit.  29,  Bed- 

fort  street,  strand. 

Autriche. 

Cracovie . . . .     Académie  des  sciences. 

Prague Cesky  Lid,  29,  Jecna  ul. 

Sera  ïevo Bosnisch-Hercegovinische  Landesmuseum 

Trieste Museo  civico  di  stoiïa  naturale. 

Tienne Anthropologische  Gesellschaft,   7,  Burg- 

ring. 

Australie  et  Nouvelle  Zêlancle. 

sidney Royal  Society  of  New  South  Wales,  5, 

Elisabeth  street  north. 

Wellington Polynesian  society. 

Belgique. 

Bruxelles Académie  royale  des  sciences,  lettres  et  arts 

—         Société  d'anthropologie. 

—         Société  d'archéologie,  11,  rue  Raveinstein. 

—         Société  de  géographie. 

Brésil. 

Rio-de- Janeiro Muséum  d'histoire  naturelle. 


SOCIÉTÉS  SAVANTES  X.LV 


Canada. 


Toronto Canadian  Institute,  58,  Richmond  street 

cast. 

Cbili. 

Santiago  .... ...   Société  scientifique  du  Chili,  Casilla  12  D. 

Danemark. 

Copenhague Société  royale  des  antiquaires  du  Nord. 

Egypte 

Alexandrie . .    Institut  égyptien. 

États   Unis. 

Boston Boston  Society  of  Natural  History. 

Cambridge Muséum  Comparative  Zoology,atHarward 

Collège. 

—         Peabody  Muséum,  Harward's  University 

Chicago American  A ntiquarian,  17, Wabasli  Avenue 

Ph  iladelph  ie  .    .    . .  Academy  of  natural  Science,  Logan  square . 
American  Naturalist,  2102  Pine  Street. 

—  American  Pbilosophical  Society,  1045Fifth 

street. 

—  Numismatic  and  Antiquarian  Society. 

Saint-Louis Academy  of  Sciences. 

Salenl Essex  Institute. 

Washington Anthropological    Society,    1315,  Corcoran 

street. 

—  Bureau  of  Ethnology. 

—  Smithsonian  institution. 

-r~  U.  S.  geological  and  geographical  Survey. 

Finlande. 

Hehingfors Société  finno-ougrienne. 

Grèce. 

Athènes Société  historique  et  ethnographique. 

Hollande. 

Amsterdam Kon.  nederlandsch   aardrijkskundig   Gen- 

nootschap. 


XLVI  SOCIETES   SAVANTES 

La  Haye Bataviaasch  Genootschap  van   kusten   en 

wetensehappen. 

Indes  Anglaises 

Calcutta Asiastic  Society  ofBengal,  57,  Park  Street. 

Italie. 

Florence Società  italiana   di  alitropologia  ed  etno- 

logia,  3,  via  Gino  Capponi. 

Milan Società    italiana   di   scienze    naturali,    5, 

via  Principe  Humberto. 

Naples Società  reale. 

Home Bullettino  di   Paletnologia  italiana,  M.  le 

Corn.  L.  Pigorini,  Gollegio  Roinano. 

—      Società  roman  a  di   antropologia,  27,  via 

Gollegio  romano. 

—      Società  geografica  italiana. 

Turin Cosmos  di  Guido-Cora,  74,  corso  Vittorio 

Emanuele.. 

•lapon. 

Tohio. Asiatic  Society  of  Japan,  17,  Tsukijy. 

Mexique. 
Cordoba Museo  Nacional  de  ciencias. 

Portugal. 

Lisbonne  .......  Sociedade  de  geographia. 

Porto Revista  de  sciencias  naturaes,  e  sociaes  M. 

II.  Peixoto,  academia  polytechnica. 

République  Argentine. 

Cordoba Academia  nacional  de  ciencias. 

Roumanie. 

Jassy Société  des  médecins  et  des  naturalistes. 

—     Societatii  stiintifice  si  literare. 

Russie. 

Kiev: Université  impériale  de  Saint- Wladimir. 

Moscou Société  dos  amis  des  sciences  naturelles. 

Revue  d'Ethnographie,  musée  polytech- 
nique. 

—      Société  impériale  des  naturalistes. 

St-I'élersboury .  .  .  .  Société  impériale  de  géographie. 

Tchita Société  impériale  de  géographie  (Transbaï- 

kalie). 


SOCIÉTÉS  SAVANTES  XLVII 

Suède. 

Stockholm Kongl.  vitterhets  historié  oeh  antiquitets 

akadémiens. 

—         Svenska   sallskapet   for  antropologi  och 

geografi. 

Suisse. 

Bâle Naturforschende  Gesellschaft. 

Genève Société  de  géographie. 

Lausanne Société  vaudoise  des  sciences  naturelles. 

Neufchâtel Société  neufchateloise  de  géographie. 


613e  SÉANCE.  —  3  Janvier  1895. 
Présidence  de  M.  Issaurat. 

INSTALLATION   DU   BUREAU. 

M.  Dareste,  président  sortant,  lit  l'allocution  suivante  : 

Messieurs  et  chers  collègues, 

L'année  qui  vient  de  finir  a  été  aussi  fructueuse  pour  l'an- 
thropologie que  celles  qui  l'ont  précédée.  Sans  doute,  il  ne 
s'est  pas  produit  de  ces  grandes  discussions  qui  ont,  à  diver- 
ses reprises,  passionné  notre  Société  et  donné  à  tant  de  nos 
collègues  l'occasion  de  montrer  l'étendue  de  leurs  connais- 
sances et  de  faire  preuve  de  leurs  talents  oratoires.  Mais  la 
science  s'accroît  surtout  par  l'accumulation  de  tous  les  faits 
nouveaux  et  bien  étudiés  que  chaque  travailleur  apporte  à 
l'œuvre  commune.  Nous  avons  entendu  des  communications 
très  imposantes  se  rattachant  à  toutes  les  branches  de  l'an- 
thropologie :  anatomie,  ethnologie,  archéologie  et  statistique. 
Il  est  inutile  de  les  énumérer  aujourd'hui.  Je  vous  rappellerai 
seulement  le  fait  si  intéressant  des  trois  enfants  microcéphales 
que  notre  collègue  Laborde  vous  a  présentés,  et  qui  offrent 
un  si  curieux  exemple  d'une  des  plus  tristes  anomalies  qui 
puissent  affecter  l'organisation  humaine. 

Tous  les  services  administratifs  de  votre  Société,  grâce  à 
leur  excellente  organisation,  et  au  zèle  de  ceux  de  nos  col- 
lègues qui  en  ont  accepté  la  charge,  ont  fonctionné  à  la  satis- 
faction générale.  Je  n'ai  rien  de  plus  à  vous  en  dire.  Mais  je 
dois  vous  signaler  deux  faits  très  importants  pour  nous.  La 
donation  d'une  allée  couverte  par  Mm0  Blain  des  Cormiers, 
donation  faite  en  1892,  mais  qui,  par  suite  des  formalités 
légales,  n'a  pu  être  terminée  qu'en  1893,  a  reçu  l'année  der- 

T.    VI    (i°  SIÎKIE).  I 


2  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

nière  son  complément  nécessaire.  Au  mois  de  juin,  cette  allée 
couverte  a  été  classée  parmi  les  monuments  historiques. 
D'autre  part,  notre  collègue  Collin  a  découvert  dans  la  vallée 
de  l'Epte,  département  de  Seine-et-Oise,  une  autre  allée  l'ou- 
verte de  15  mètres  de  long,  et  dans  laquelle  un  a  commencé 
des  fouilles  intéressantes.  M.  Collin  s'en  est  rendu  acquéreur 
et  il  en  a  fait  don  à  l'Ecole  d'anthropologie.  Puissent  ces 
libéralités  trouver  dans  l'avenir  de  nombreux  imitateurs! 

Nous  avons  malheureusement,  tous  les  ans,  un  triste 
devoir  à  remplir,  celui  de  rappeler  à  votre  souvenir  ceux  de 
nos  collègues  qui  ont  disparu.  Or,  celte  année,  ce  devoir  est 
particulièrement  pénible  ;  car  nous  avons  quinze  noms  à  ins- 
crire sur  notre  liste  nécrologique,  quinze  noms  parmi  les- 
quels il  en  est  d'illustres,  mais  qui  tous  ont  également  droit  à 
nos  regrets. 

Parmi  les  membres  honoraires,  nous  avons  perdu  Brown 
Sequard  et  Victor  Duruy. 

Brown  Sequard,  qui  s'était  placé  au  premier  rang  des  phy- 
siologistes de  notre  époque,  était  un  des  fondateurs  de  la 
Société.  Il  avait  quitté  la  France  un  an  après  cette  fondation, 
avec  le  titre-d'associé  étranger.  Il  était  devenu  membre  hono- 
raire en  1889. 

Victor  Duruy,  dont  les  travaux  sur  l'histoire  grecque  et 
sur  l'histoire  romaine  sont,  depuis  longtemps,  devenus  clas- 
siques, est  l'un  des  hommes  qui  ont  le  plus  contribué  au  pro- 
grès de  la  Société.  C'est  lui  qui,  en  1864,  lorsqu'il  était  mi- 
nistre de  l'instruction  publique,  a  proposé  le  décret  qui  l'a 
reconnue  comme  établissement  d'utilité  publique. 

Les  membres  titulaires  que  nous  avons  perdus  sont  : 

Bataillard,  membre  du  Comité  central,  qui  consacrait  tous 
ses  loisirs  à  l'histoire  des  Bohémiens,  et  a  recueilli  sur  ce 
sujet  de  nombreux  documents. 

Berchon,  médecin  de  la  marine,  a  recueilli  dans  ses  voyages 
de  nombreux  documents  sur  l'histoire  physiologique  des  indi- 
gènes du  Sénégal  et  de  l'Océanie. 

Cotteau  correspondant  de  l'Académie  des  sciences  qui  s'était 


DARESTE.  —  INSTALLATION   DU  BUREAU  3 

acquis  une  grande  compétence  dans  l'histoire  naturelle  des 
Fchinides  vivants  et  fossiles,  tellement  grande  qu'il  avait  été 
appelé  à  déterminer  les  échantillons  des  animaux  de  cette 
classe  qui  sont  réunis  dans  tous  les  musées  d'histoire  natu- 
relle du  monde,  de  San  Francisco  à  Sidney. 

Dupont-White,  qui  n'a  fait  que  passer  parmi  nous. 

Faucon,  archéologue  éminent,  conservateur  du  Musée  Car- 
navalet à  Paris.  Il  est  mort  quelques  semaines  après  son  en- 
trée à  la  Société  ;  il  nous  donnait  de  grandes  espérances  qui 
ne  sont  aujourd'hui  que  des  regrets. 

Landowski,  docteur  en  médecine  ;  il  nous  a  fait  connaître 
un  cas  très  curieux  de  dualité  de  l'utérus  et  du  vagin. 

Ouinquaud,  médecin  de  l'hôpital  Saint-Louis  et  agrégé  de 
la  Faculté  de  médecine  ;  il  avait  commencé  d'importantes 
recherches  physiologiques  brusquement  interrompues  par 
une  mort  prématurée. 

Le  vicomte  René  de  Semallé  qui  avait  souvent  pris  part  à  nos 
discussions,  jusqu'au  jour  où  l'état  de  sa  santé  l'empêcha  de 
venir  siéger  parmi  nous.  Il  s'était  surtout  occupé  de  l'ethno- 
logie de  l'Amérique  du  Nord. 

Deux  anciens  membres  titulaires  nous  avaient  quitté  depuis 
longtemps. 

Piketty,  éminent  archéologue, 

et  Georges  Pouchet,  professeur  d'anatomie  comparée  au 
Muséum.  Il  avait  fait  de  nombreux  travaux.  La  Société  d'an- 
tbropologie  ne  peut  pas  oublier  qu'un  de  ses  premiers  ouvrages 
fut  un  livre  remarquable  s.ur  la  pluralité  des  races  humaines. 

Enfin,  trois  associés  étrangers  :  Betz,  professeur  d'anato- 
mie à  l'Université  de  Kiew  (Russie);  Sasse,  docteur  en 
médecine  à  Zaandâm  (Hollande)  ;  llannover,  membre  de 
l'Académie  des  sciences  de  Copenhague  et  correspondant  de 
l'Institut  de  France.  llannover  était  un  anatomiste  éminent; 
il  a  fait,  pendant  une  très  longue  vie  scientifique,  de  nom- 
breux travaux,  parmi  lesquels  nous  devons  mentionner  de 
belles   études    anatomiques  sur   les  monstres. 

Dix-neuf  membres  nouveaux  viennent  combler  les  vides 


4  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

qui  se  sont  produits  cette  année  ;  quatorze  membres  titulaires, 
trois  associés  nationaux  et  deux  associés  étrangers. 

Il  ne  me  reste  plus  maintenant  qu'à  vous  remercier  bien 
cordialement  de  la  bienveillance  que  vous  m'avez  témoignée 
pendant  le  cours  de  cette  année.  Elle  comptera  pour  moi 
parmi  les  meilleurs  souvenirs  de  ma  vie. 

Je  prie  M.  Issaurat  de  prendre  ma  place  au  fauteuil. 

M.  Issaurat,  président  pour  1893,  lit  le  discours  suivant  : 

Messieurs, 

M  un  premier  mut,  en  prenant  place  à  ce  fauteuil,  duit  être 
une  parole  de  remerciement  et  de  reconnaissance  pour  le 
grand  honneur  que  vous  me  faites.  J'en  suis  profondément 
touché,  d'autant  plus  touché  et  inquiet  en  même  temps,  que 
vous  me  faites  le  successeur  immédiat  de  l'un  des  deux  seuls 
survivants  des  fondateurs  de  outre  Société.  Yuus  cunnaissez 
tuus  les  travaux  du  docteur  Dareste  sur  la  tératogénie  expé- 
rimentale. Heureusement  pour  moi,  son  éloge  n'est  plus  à 
faire,  et  je  puis  me  borner  à  le  remercier,  au  nom  de  tous, 
d'avuir  bien-  voulu  nous  donner  une  année  de  son  temps, 
temps  consacré  tout  entier  aux  prublèmes  ardus  de  sa  science 
favorite. 

Messieurs,  naguère,  l'un  de  nos  distingués  présidents  vous 
disait  :  «  Notre  Société  en  est  à  cette  phase  de  République  idéale 
où  chaque  citoyen  exerce  à  sun  tour  la  fonction  de  gouverne- 
ment. »  -  -  Ici,  guuvernemeut  signifie  direction,  ordre  à  main- 
tenir. —  L'applicatiun  que  vous  faites  aujourd'hui  de  ce  prin- 
cipe essentiellement  démocratique  servira,  si  vous  le  voulez 
bien,  de  thème  aux  quelques  paroles  que  j'ai  à  vous  adresser 
et,  en  même  temps,  d'exemple  et  d'encouragement,  si  besoin 
est,  aux  timides,  aux  silencieux,  aux  travailleurs  discrets 
auxquels  vous  ne  demandez  que  du  dévouement  et  de  la 
bonne  volonté  pour  devenir  vos  élus. 

Messieurs,  lorsque,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  j'eus  la 
hardiesse,  moi,  inconnu,  dépourvu  de  tout  bagage  scienti- 


C.  ISSAURAT.    —   INSTALLATION  DU  BUREAU  5 

fique,  de  me  joindre  au  petit  groupe  de  libres  penseurs,  mes 
amis,  que  vous  reçûtes  le  même  jour  dans  votre  compagnie, 
je  ne  me  doutais  guère  que  vous  me  feriez  monter,  d'échelon 
en  échelon,  jusqu'aux  degrés  les  plus  élevés  de  votre  Société. 
Aujourd'hui  encore,  j'en  suis  à  me  demander  quels  sont  mes 
.  titres  à  vos -bienveillants  suffrages.  Oh!  je  sais  bien  qu'en  y 
regardant  de  près  je  pourrais  découvrir,  à  travers  les  nuages 
de  noire  poussière  que  j'ai  soulevés  dans  votre  bibliothèque 
pour  compléter  l'inventaire  de  vos  richesses  bibliographiques 
et  vous  en  faciliter  le  catalogue,  je  pourrais  découvrir,  dis-je, 
les  motifs  de  votre  choix  si  flatteur  pour  moi.  Mais  si  j'ai  de- 
viné juste,  et  je  le  crois,  laissez-moi  vous  dire  que  vous  récom- 
pensez bien  généreusement  les  petits  services  que  l'on  est  heu- 
reux de  vous  rendre. 

Messieurs,  je  suis  venu  chez  vous  comme  on  va  à  l'école, 
et  l'on  y  va  à  tout  âge,  disait  Voltaire.  Je  n'ai  qu'à  me  féli- 
citer d'avoir  suivi  cette  inspiration.  Ainsi,  un  fait  entre  mille 
à  citer  brièvement  :  où  ai-je  appris  que  le  nom  vrai,  juste,  à 
la  fois  scientifique  et  philosophique  de  la  lutte  pour  la  vie, 
souvent  si  mal  compris  et  si  mal  appliqué,  est  et  doit  être  la 
survivance  du  plus  apte?  Où  ai-je  appris  que,  dans  la  nature 
elle-même,  cette  loi  a  pour  contrepoids  et  comme  pour  cor- 
rectif cette  autre  bien  supérieure  :  l'union,  l'aide  pour  la  vie? 
et  tant  d'autres  choses  ayant  toutes  pour  objet  et  pour  but 
l'humanité  dans  toute  l'étendue  et  la  force  du  terme.  Mais 
c'est  chez  vous,  Messieurs,  que  j'ai  appris  tout  cela  ;  et  je  suis 
heureux  de  le  dire  bien  haut  pour  l'honneur  de  la  Société, 
organe  et  —  passez-moi  l'expression  —  représentante  auto- 
risée des  sciences  anthropologiques,  sciences  auxquelles  rien 
de  ce  qui  est  humain  n'est  étranger. 

Messieurs,  je  n'ai  pas  la  prétention  de  vous  faire  un  dis- 
cours. D'abord,  un  discours,  moi?... 

Des  méchants  vous  ont  dit  ces  nouvelles... 
Ce  n'est  pas  ma  profession... 

vous  dirait  La  Fontaine.  J'ai  bien  pu,  parfois,  feuilleter  quel- 


6  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

ques  pages  de  l'Art  de  penser,  mais  l'Art  de  parler,  l'Art  ora- 
toire m'est  toujours  resté  parfaitement  inconnu.  Je  ne  l'ai 
jamais  tant  regretté  qu'aujourd'hui. 

D'ailleurs,  lorsque  je  me  rappelle  à  quelle  hauteur  de  pen- 
sée et  de  style  mes  prédécesseurs  se  sont  élevés,  l'idée  ne  me 
vient  pas,  et  pour  cause,  d'essayer  de  les  suivre  sur  ces  som- 
mets, seulement  je  me  demande  quel  langage,  quelles  expres- 
sions suffisamment  modestes  je  pourrais  employer  pour  ne  pas 
être  taxé  d'orgueil  !  Ce  n'est  pas  de  la  modestie  qu'il  me  fau- 
drait faire,  c'est  de  l'humilité.  Humilité  I  ce  mot  sonne  mal  à 
mon    oreille,    certains  en   ayant  fait  un   synonyme  plus  ou 
moins  hypocrite  de  vanité.  Une  chose  pourtant  me  rassure, 
sous  ce  rapport,  c'est  que  vous  venez  de  me  donner  un  titre 
dont  je  suis  heureux  et  fier,  et  qui  ne  me  permet  pas,  ne 
fut-ce  que  par  respect  pour  vous  de  courber  mon  front  trop 
bas.  Et  puis,  faut-il  vous  l'avouer?  je  suis  un  peu  disciple  de 
Rabelais,    du   moins  j'ai    beaucoup   lu   son   livre,   le  Livre, 
comme  disait  le  cardinal  de  Bellay;  eh  bien,  Rabelais  échap- 
pait aux  humilités  équivoques,  ironiques,  en  prenant  la  fuite. 
,Je  vous  demande  la  permission  de  faire  moralement  comme 
lui,  en  niellant  un  lerme  à  ce  trop  long  bavardage,  en  rede- 
venant simple  auditeur,  simple  écolier,  comme  je  disais  tan- 
tôt, et  en  vous  donnant  la  parole  à  vous-mêmes,  bien  certain 
que  ce  que  vous  direz  vaudra  infiniment  mieux  que  tout  ce 
que  je  pourrais  dire  moi-même. 

.Mrs  chers  collègues,  une  prière,  en  terminant  :  si  vous  vou- 
lez que  les  fonctions  dont  vous  venez  de  m'investir  ne  soient 
pas  trop  lourdes  pour  mes  faibles  épaules,  mettez  le  comble 
a  votre  bienveillance  en  continuant  d'avoir  toujours,  les  uns 
pour  les  autres,  cette  courtoisie,  ce  respect  qui,  ici,  plus 
qu'ailleurs,  se  nomme  attention  et  silence. 

Avant  de  m'asseoir,  je  vous  propos»1  de  voter  des  remercie- 
ments aux  deux  secrétaires  sortants,  dont  nous  avons  tous  pu 
apprécier  le  zèle  et  le  dévouement. 


C.   ISSAURAT.    —  [INSTALLATION  DU  BUREAU  7 

Des  remerciements  sont  votés  aux  deux  secrétaires  sor- 
tants :  MM.  Capitan  et  Cuyer. 

M.  le  Président  annonce  que  le  Comité  central  tiendra  sa 
séance  réglementaire  le  jeudi  10  janvier,  à  4  heures. 

OUVRAGES    OFFERTS. 

Bernard  et  Féré.  —  De  l'aphasie  et  de  ses  diverses  formes, 
in-8°,  260  pages,  Paris,  4889. 

(  Iharencey  (Cte  <lej.  —  Les  déformations  crâniennes  et  le  concile 
de  Lima  (Ext.  de  la  Revue  des  Religions),  in-8°,  ÎS7  pages, 
Amiens  1894. 

Cazalis  de  Fondouce  (P.).  —  Une  fonderie  antique  de  bronze 
des  environs  de  Montpellier  (Ext.  des  Mém.  de  la  Soc.  arch.  de 
Montpellier),  in-4°,  4  pages,  Montpellier,  s.  d. 

IIirst  (Barton  C.  —  The  influence  of  the  habituai  inclination 
of  the  pelris  in  the  erect  posture  upon  the  sharpe  and  size  of  the 
pelric  canal.  in-8°,  5  pages,  1894. 

périodiques.  —  (Articles  à  signaler). 

Bulletino  di  paletnologia  italiana,  tome  X,  noS  7-9,  1894.  — 
Castelfranco  :  Villaggi  e  necropoli  lacustri. 

ELECTIONS. 

M.  le  Dr  Desfréaux,  présenté  par  MM.  Letourneau,  Hervé 
et  Collignon  est  élu  membre  titulaire. 

M.  Arthur  Thomson,  professeur  d'anatomie  humaine  à 
l'Université  d'Oxford,,  présenté  par  MM.  Manouvrier,  Letour- 
neau, G.  de  Mortillet,  Hervé  et  Papillault  est  élu  membre 
associé  étranger. 

M.  Ervand  Lalayantz,  présenté  par  MM.  Letourneau,  Ma- 
nouvrier, Dareste,  Cuyer  et  Sébillot  est  élu  membre  correspon- 
dant étranger. 


8  SÉANCE  DU  3  JANVIER   1895 


A  propos  du  procès-verbal. 
Habitations   sotiterraiu.es. 

M.  Bonnet.  —  Voici,  d'après  le  D1'  Bourgoin,  de  Selles-sur- 
Cher,  quelques  renseignements  sur  les  habitations  souter- 
raines de  l'époque  mérovingienne  des  départements  de  l'Indre  et 
de  Loir-et-Cher  dont  j'ai  entretenu  la  Société  dans  la  précé- 
dente réunion. 

Les  habitations  souterraines  du  canton  de  Saint-Christophe- 
en-Bazelle  et  celles  du  canton  de  Yalençay,  au  lieu  dit  Bar- 
zelle,  à  cause  du  peu  de  solidité  du  terrain,  étaient  revêtues 
intérieurement  de  pierre  en  moyen  appareil.  Dans  le  pays, 
ces  cryptes  sont  appelées  Bardelle.  Les  noms  de  Barzelle, 
Bazelle,  Barzeille,  Bardclin,  qui  sont  communs  dans  cette 
contrée,  ne  sont  probablement  qu'une  corruption  de  Bardelle. 
Un  petit  ruisseau  près  de  Bazelle,  canton  de  Valençay,  est 
appelé  Reau-Bardcllas,  Bardella,  diminutif  de  Barda,  appar- 
tient à  une  famille  de  mots  impliquant  l'idée  d'abri  ou  de  cou- 
verture. 

Sur  le  coteau  de  l'Indre,  à  Villedieu,  à  Mehun  et  à  Saint- 
Benoît-du-Sault,ces  demeures  souterraines  sont  creuséesdans 
le  roc. 

D'après  le  D1'  Bourgoin,  elles  se  multiplieraient  dans  les 
environs  de  Limoges  au  point  de  donner  le  nom  à  une  ville, 
La  Souterraine. 

Dans  le  département  de  Loir-et-Cher,  il  en  a  été  trouvé 
une  à  Belleroche,  près  Thésée,  avec  son  trésor  intact.  Le  D1 
Bourgoin  ne  désigne  pas  les  objets  composant  ce  trésor.  Deux 
ont  été  découvertes  à  Saint-Ambroin-sur-Arnon,  une  autre 
près  de  Villentrois  (Indre).  Ces  quatre  demeures  étaient  creu- 
sées dans  le  roc,  la  nature  du  sol  le  permettant. 

Au  Chàtelier,  près  Soings,il  a  été  trouvé  des  chambres  sou- 
terraines à  l'extrémité  d'un  long  corridor  auquel  on  descen- 


PRÉSENTATIONS  0 

dait  par  un  escalier  en  pierre.  Les  murs  étaient  doublés  d'une 
couche  d'argile  pour  arrêter  l'infiltration  des  eaux,  précau- 
tion nécessaire  dans  un  sol  aussi  humide  que  celui  de  la 
Sologne. 

Le  Dr  Bourgoin  fait  la  remarque  que  toutes  ces  habitations 
sont  dans  le, voisinage  des  voies  romaines  et,  ainsi  que  je  l'ai 
dit  dans  ma  précédente  communication,  les  fait  remonter  à 
l'invasion  des  Barbares,  tout  en  les  considérant  comme  de- 
meures temporaires,  comme  cachettes. 


PRESENTATIONS. 
A  propos  des  déformations  crâuienues  dans  l'art  autique. 

M.  Câpitan.  —  Dans  le  dernière  séance,  le  1)''  Regnault  a 
fait  une  communication  sur  diverses  figurines  grecques  et 
égyptiennes  du  Musée  du  Louvre  sur  lesquelles  il  a  constaté 
la  représentation  de  diverses  déformations  crâniennes  sem- 
blables à  celles  que  nous  observons  parfois  aujourd'hui 
encore. 

Je  voudrais  vous  montrer  deux  petites  tètes  grecques  origi- 
nales en  terre  cuite.  L'une  représente  un  individu  à  front 
fuyant  et  déprimé  presque  autant  que  celui  des  petites  têtes 
mexicaines  si  abondantes  dans  les  collections  à  crâne  allongé. 
La  face  a  une  expression  de  stupidité  très  bien  rendue.  L'au- 
tre tète  représente  un  sujet  à  crâne  plutôt  conique,  à  gran- 
des oreilles,  à  large  nez  épaté,  large  bouche  grimaçante  et 
menton  de  galoche. 

Sans  entrer  dans  des  dissertations  littéraires  sur  ces  deux 
tètes,  je  crois  qu'elles  peuvent  parfaitement  venir  à  l'appui 
de  la  proposition  suivante  :  les  anciens  (et  ici  nous  ne  parle- 
rons que  des  Grecs  n'ayant  devant  les  yeux  que  des  docu- 
ments grecs)  observaient  et  copiaient  l'homme  mais  ils  le 
faisaient  en  artistes  et  en  artistes  spirituels,  sachant  trouver 


10  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

dans  un  modèle  le  côté  ou  l'aspect  piquant  et  original,  puis 
exprimer,  par  une  exagération  voulue,  ce  côté  qui  les  intéres- 
sait dans  le  sujet  qu'ils  voulaient  exprimer.  Les  exemples  de 
ce  fait  sont  fort  nombreux. 

Pour  nous  en  tenir  à  nos  deux  figurines,  la  première  repré- 
sente probablement  un  sujet  a  crâne  déformé  et  à  aspect  peu 
intelligent,  mais  l'artiste  grec  a  exagéré  la  déformation 
crânienne,  poussé  à  l'extrême  le  rendu  de  la  physionomie  et 
a,  ainsi,  constitué  une  charge  véritable.  Pour  l'autre  tête,  la 
chose  est  encore  plus  nette;  c'est  bien  un  grotesque  qu'a 
voulu  représenter  le  modeleur  grec.  Peut-être  a-t-il  eu  comme 
modèle  sous  les  yeux  ou  dans  sa  mémoire  un  déformé  ou  un 
idiot  ou  bien  encore  un  pitre  expert  en  grimaces  comme  il  en 
est  de  nos  jours  encore  de  célèbres  au  Japon.  Toujours  est-il 
que  sur  ce  type  vu  l'artiste  antique  à  édifié  un  type  Imagina- 
tif rendant  mieux  sa  pensée  et  ne  présentant  que  très  modi- 
fiés ou  altérés  les  caratères  du  modèle. 

Nous  pensons  donc  que  cette  notion  ne  doit  pas  être  mise 
de  côté  quand  on  cherche  à  analyser  l'œuvre  des  modeleurs 
antiques.  Si  parfois  ils  ont  représenté  des  types  pathologi- 
ques ou  anormaux,  c'est  le  plus  souvent  en  leur  donnant  un 
caractère  qui  en  fait  une  reproduction  éloignée  et  non  fidèle 
de  la  nature.  Vouloir  baser  des  diagnostics  pathologiques  ou 
de  morphologie  scientifique  sur  des  figurines  anciennes  grec- 
ques me  parait  un  peu  hasardeux. 

Discussion. 

M.  Regnault.  —  Le  point  important  dans  cet  examen  des 
statuettes  antiques  est  de  savoir  si  l'artiste  a  eu  sous  les  yeux 
le  modèle  de  déformations  qu'il  a  représenté.  Qu'il  l'eut  repré- 
senté en  l'exagérant,  c'est  ce  que  font  presque  tous  les 
artistes  dans  leurs  œuvres  encore  de  nos  jours. 

Mais  il  est  bien  évident  pour  tous  que  l'artiste  n'a  pu 
inventer  les  déformations  dont  M.  Gapitan  nous  met  sous  les 
yeux  les  spécimens. 


G.    DE  MORTILLET. —  PHOTOGRAPHIES  ANTHROPOLOGIQUES         11 


Photographies  anthropologiques. 

M.  G.  de  Mortillet.  —  J'ai  l'honneur  de  présenter  a  la  Société 
des  photographies  qui,  avec  juste  raison,  peuvent  être  qua- 
lifiées de  Photographies  anthropologiques.  Ces  photographies  re- 
présentent des  types  humains,  tout  à  fait  à  l'état  de  nature, 
entièrement  nus,  debout,  les  jambes  rapprochées,  les  bras 
pendants  le  long  du  corps.  Ils  sont  pris  sous  trois  aspects 
différents  :  complètement  de  faee,  exactement  de  profil  et  en 
plein  dos.  On  peut  ainsi  étudier  les  individus  dans  tous  leurs 
détails  et  sous  tous  les  points  de  vue.  On  peut  aussi  les  compa- 
rer entre  eux  les  poses  étant  toujours  les  mêmes. 

Les  photographies  que  je  vous  présente  ont  été  prises  sur 
des  plaques  mesurant  18  centimètres  de  large,  sur  24  de  hau- 
teur. C'est  un  format  courant  qu'on  rencontre  partout  dans 
le  commerce.  J'ajouterai  que  c'est  le  meilleur  de  tous  les 
formats.  Plus  petit,  l'étude  est  moins  facile;  il  peut  échapper 
des  caractères.  Plus  grand,  c'est  une  augmentation  de  prix 
presque  sans  avantage.  En  outre  la  plaque  18-24  permet  de 
coller  les  trois  poses  à  côté  l'une  de  l'autre  dans  un  album 
d'étude  de  dimension  ordinaire,  ou  d'en  former  un  tableau 
sur  carton  de  dimension  commode.  C'est  d'autant  plus  facile 
que  l'individu  debout  est  loin  de  remplir  les  14  centimètres 
du  cliché  et  que  l'on  peut  réduire  la  largeur  des  épreuves. 
C'est  ce  qui  a  été  fait  pour  les  photographies  présentées.  Au 
nombre  de  neuf,  elles  sont  collées  trois  par  trois  sur  trois 
feuilles.  Il  y  a  donc  trois  types  différents  : 

1°  Un  Juif. 

2°  Une  Juive. 

3°  Un  jeune  Arabe,  tous  les  trois  de  Tunis. 

Le  jeune  Arabe  est  marabout,  titre  caractérisé  par  une 
coupe  toute  particulière  fie  la  chevelure.  11  a  ses  bras  bien 
pendants.  Le  Juif  et  la  Juive  les  ont  beaucoup  moins  tom- 
bants. Est-ce  un  caractère  ethnique?  Naturellement,  Juif  et 


12  SÉANCE  DU  3  JANVIER   1895 

Arabe  sont  circoncis.  Leurs  photographies  permettent  de  bien 
observer  cette  mutilation  religieuse. 

C'est  l'Ecole  d'Anthropologie,  toujours  désireuse  de  faire 
progresser  la  science  qui  a  pris  l'initiative  de  faire  exécuter  à 
Tunis  les  dites  photographies.  Elles  est  fort  désireuse  devoir 
suivre  son  exemple,  certaine  qu'il  en  résulterait  de  véritables 
avantages  pour  la  science. 


Discussion  du  «Pitliecanthropus  ère  c  tu  s  »  comme  précurseur 
présumé  de  l'homme. 

ParL.  Manouvrier. 

Sur  l'invitation  de  plusieurs  collègues,  je  viens  entretenir  la 
Société  d'une  découverte  récente  qui  mérite  la  plus  grande 
attention,  car  il  ne  s'agirait  de  rien  moins,  d'après  son  autour, 
que  de  l'origine  de  l'espèce  humaine. 

Il  faut  bien  se  dire,  ici,  que  jamais  cette  origine  ne  se  trou- 
vera écrite  explicitement  sur  des  pièces  anatomiques.  Il  faut 
interroger  minutieusement  les  pièces  même  incomplètes,  car 
on  attendra  peut-être  toujours  en  vain  des  pièces  parlantes 
sans  réticence  ni  ambiguïté.  On  aurait  tort  de  traiter  à  la 
légère  des  documents  sous  prétexte  qu'ils  ne  portent  pas  en 
eux  une  démonstration  péremptoire.  L'origine  de  notre  espèce 
par  voie  d'évolution,  est  un  de  ces  faits  que  l'on  ne  peut 
reconstituer  à  l'état  visible  et  tangible.  C'est  une  question  dans 
laquelle  on  sera  peut-être  toujours  obligé  de  faire  intervenir 
des  hypothèses  plus  ou  moins  plausibles.  Mais  ces  bvpothèses 
elles-mêmes  ne  sont  pas  à  dédaigner  si,  dès  aujourd'hui,  elles 
reposent  sur  des  faits  certains,  si  elles  sont  d'accord  avec  nus 
connaissances  actuelles  et  ne  sont  en  opposition  avec  aucune, 
si  enfin  elles  se  relient  avec  une  doctrine  générale  solidement 
basée  telle  que  la  doctrine  de  l'évolution  et  du  transformisme. 
Ces  conditions  suffisent  pour  que  tout  homme  impartial  et 


t..    MANOUVRIER.  —  DISCUSSION  DU  IMTHECANTUROPUS  ERECTUS      13 

indépendant  préfère  une  telle  hypothèse  à  toute  autre  ne  réa- 
lisant pas  les  mêmes  conditions,  quille  à  tenir  docilement 
compte  des  faits  contradictoires  et  des  indications  nouvelles 
qui  peuvent  survenir. 

Voici  la  découverte  dont  il  s'agit  : 

En  1891-92,  M.  le  D1'  Eug.  Dubois,  médecin  militaire  hol- 
landais, a  trouvé,  à  Java,  dans  un  terrain  qui  appartiendrait 
au  pliocène  supérieur  ou  au  quaternaire  le  plus  ancien  et  ren- 
fermant d'autres  fossiles,  quelques  restes  squeleltiques  d'un 
intérêt  tout  particulier.  Ces  restes  consistent  en  une  calotte 
crânienne,  une  dent  molaire  et  un  fémur  entier.  M.  Dubois  a 
étudié  ces  pièces  avec  le  plus  grand  soin  et  en  a  donné  une 
description  très  complète,  accompagnée  de  dessins  et  de  pho- 
togravures dans  un  bon  mémoire  qui  promet  de  faire  grand 
bruit  ''.  Il  attribue  ces  os  à  un  animal  intermédiaire  entre  les 
grands  singes  anthropoïdes  et  l'homme,  possédant  l'attitude 
verticale,  et  qu'il  nomme,  pour  cette  raison  a  Pithecanthropus 
erectus».  Il  pense  même  qu'il  s'agit  du  véritable  précurseur 
de  l'homme. 

Sans  doute  les  trois  pièces  squeleltiques  trouvées  par  M.  Du- 
bois sont  insuffisantes  pour  satisfaire  la  curiosité  des  anato- 
mistes.  Cependant,  je  puis  dire,  en  ce  qui  me  concerne,  que 
ces  trois  pièces  sont  presque  exactement  celles  que  j'aurais 
choisies  pour  m'éclairer  sur  la  question  s'il  m'eût  été  permis 
d'en  choisir  trois  seulement  sur  un  squelette  entier. 

En  effet,  nous  possédons  une  portion  de  la  boîte  crânienne 
suffisante  pour  nous  édifier  sur  le  volume  et  sur  la  forme 
générale  de  l'encéphale,  jusqu'à  un  certain  point  sur  la  taille 
de  l'animal,  et  même  pour  nous  faire  soupçonner  la  direction 
de  l'attitude.  En  second  lieu,  le  fémur  contribue  à  renforcer 
notre  opinion  sur  là  taille,  sur  l'attitude  du  corps,  sur  l'im- 
portance relative  de  l'appareil  locomoteur  par  rapport  au 


i  Pithecantliropus  erectus,  eine   mcnschenaehxliche  ueberflansform 
ans  Java.  (Batavia  Landesdruckerei,  1894). 


44  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

crâne,  sur  le  mode  de  locomotion  et  sur  le  genre  auquel  peut 
être  rattaché  l'animal  dans  l'ordre  des  primates.  Enfin  la 
dent,  qui  est  une  troisième  molaire,  nous  renseigne  sur  l'im- 
portance relative  des  maxillaires  par  rapportai!  crâne  et  par 
rapport  à  l'appareil  locomoteur.  Si  au  lieu  de  cette  dent  on  eût 
trouvé  seulement  la  moitié  d'une  mandibule  même  complè- 
tement édentée,  je  ne  puis  m'empêcher  de  remarquer  que 
j'aurais  eu  le  plaisir  d'examiner  précisément  les  trois  pièces 
de  squelette  que  j'ai  choisies  autrefois  pour  en  étudier  les 
relations  pondérales  comme  possédant  la  signification  phy- 
siologique la  plus  nette  au  point  de  vue  du  développement 
atteint  par  trois  grands  ordres  de  fonctions  *.  Mais,  en 
somme,  une  3e  molaire  régulièrement  développée  constitue 
déjà  une  pièce  capable  de  nous  donner  de  sérieux  renseigne- 
ments sur  le  développement  de  l'ensemble  des  mâchoires. 

Voilà  pourquoi  les  trois  pièces  trouvées  par  M.  Dubois  ont 
fortement  attiré  mon  attention  et  pourquoi  je  me  permets  de 
les  étudier  après  lui,  d'après  les  photographies  et  les  mesures 
qu'il  en  a  données.  Malheureusement,  la  dent  ayant  été  trou- 
vée à  un  1  mètre  et  le  fémur  à  15  mètres  du  crâne,  il  n'est 
pas  absolument  certain  que  ces  trois  pièces  proviennent  d'un 
même  individu.  M.  Dubois  a  beau  affirmer  énergiqueinent  sa 
conviction  à  cet  égard,  le  doute  s'impose.  Aussi,  après  avoir 
exposé  mon  opinion  sur  chacune  des  trois  pièces  considérées 
isolément,  j'envisagerai  successivement  trois  situations  : 

1°  Le  crâne,  la  dent  et  le  fémur  appartiennent  à  un  même 
squelette. 

2"  Le  crâne  et  la  déni  sont  seuls  en  cause. 

3°  Le  crâne  seul  est  en  cause. 

Le  fémur.  —  31.  Dubois  s'est  efforcé  de  trouver  sur  le  fémur 
des  caractères  de  différenciation  d'avec  le  fémur  humain,  mais 

1    L.   Manouvrier  :   Recherches    d'anatomie   comparative,  etc 

ier  Mémoire  :  sur  le  développement  quantitatif  comparé  de  l'encéphale 
et  de  diverses  parties  du  squelette  (Bull,  de  la  Société  Zoologique  de 
France,  T.  VII.  Paris  1882). 


L.  MANÛUVRIER.   —  DISCUSSION  DU  PITRECANÏHROPUS  ERECTUS      15 

les  traits  différentiels  qu'il  signale  me  paraissent  insuffisants. 
Ce  sont  des  traits  que  l'on  rencontre  très  fréquemment  sur  des 
fémurs  humains.  L'incurvation  de  la  ligne  rugueuse  qui  unit  le 
grand  trochanter  au  petit  trochanter,  par  exemple,  est  un 
caractère  régulier  dans  l'espèce  humaine.  Le  rapprochement 
des  deux  condyles  ne  présente  rien  de  plus  extraordinaire;  il 
est  en  rapport  avec  une  largeur  plutôt  faible  du  corps  de  l'os. 
Rien  de  particulier  non  plus  dans  le  volume  de  la  tète  fémo- 
rale, dans  l'angle  du  col,  dans  l'inclinaison  du  corps,  dans  la 
saillie  pilastrique. 

Cette  saillie  mérite  particulièrement  notre  attention,  car 
elle  possède  une  signification  physiologique  très  nette  sur 
laquelle  j'ai  insisté  ailleurs1.  Si  l'on  compare  les  anthropoïdes 
aux  quadrupèdes,  aux  singes  inférieurs,  à  l'homme  et  aux 
anthropoïdes,  c'est  chez  ces  derniers  que  l'indice  pilastrique 
ou  indice  de  section  de  la  portion  moyenne  du  corps  de  l'os 
est  le  plus  faible  et  chez  l'homme  (marcheur  bipède)  qu'il  est 
le  plus  élevé.  Ce  fait  a  élé  mis  en  évidence  par  Broca  et  j'en 
ai  montré  la  raison  dans  mon  mémoire  '.  D'après  mes  propres 
recherches,  l'indice  pilastrique  varie  de  71.7  chez  un  gorille 
à  93.0  chez  un  chimpanzé,  tandis  que,  chez  les  hommes  nor- 
maux, je  l'ai  vu  osciller  entre  80.7  et  131.9.  Or,  d'après  les 
mesures  de  M.  Dubois,  j'ai  obtenu,  pour  le  fémur  de  Java,  un 
indice  de  109.1  très  supérieur,  par  conséquent,  au  maximum 
des  anthropoïdes,  et  à  peu  près  égal  à  la  moyenne  des  hommes. 
L'indice  pilastrique  classerait  donc  le  fémur  de  Java  parmi 
les  fémurs  humains  et  le  différencie  nettement  des  fémurs 
d'anthropoïdes.  Il  atteste  un  développement  humain  du  muscle 
crural  et,  par  conséquent,  l'attitude  bipède. 

La  longueur  de  l'os,  mesurée  par  M.  Dubois,  est  de  453  milim. 
Elle  correspond,  d'après  mes  tableaux  de  reconstitution  de  la 
taille    pour   l'espèce   humaine  2,    à    une   taille   probable  de 

i  Etude  sur  les  variations  morphologiques  du  corps  du  fémur  dans 
l'espèce  humaine.  (Bull    de  la  Soc.  d'Anthr.  de  Paris  1893). 

2  Mémoire  sur  la  détermination  de  la  taille  d'après  les  grands  os  des 
membres  (Mémoires  de  la  Soc.  d'Anthr.  2°  série,  t.  IV.  1892. 


16  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

1  m.  657  pour  le  sexe  masculin,  ce  qui  est  à  peu  près  la  taille 
moyenne  des  Européens,  Une  telle  longueur  fémorale  comparée 
aux  autres  dimensions  du  fémur  contribue  encore  a  différencier 
le  fémur  de  Java  du  fémur  des  anthropoïdes  à  l'exception  du 
gibbon.  Or,  à  Java  existent  précisément  des  gibbons  (Hylobates) 
qui  diffèrent  beaucoup  des  autres  espèces  d'anthropoïdes  par 
leur  longueur  fémorale.  Mais  le  fémur  du  gibbon  est  très 
mince.  Il  faudrait  alors  supposer  que  le  fémur  en  question 
provient  d'une  espèce  de  gibbon  d'une  taille  exceptionnelle 
se  rapprochant  de  celle  del'homme,  et  dont  le  fémur  aurait  ac- 
quis, sous  l'influence  de  la  marche  bipède,  des  caractères  com- 
plètement humains. 

Je  ne  trouve  aucune  impossibilité  à  opposer  à  cette  hypo- 
thèse, mais  je  ne  trouve  rien,  non  plus,  qui  la  rende  néces- 
saire, puisqu'il  s'agit  d'un  fémur  isolé  qu'aucun  caractère  ne 
différencie  du  fémur  humain  et  qui,  considéré  à  part,  n'aurait 
jamais  été  soupçonné  d'appartenir  à  une  autre  espèce  que 
l'espèce  humaine. 

Il  ne  faut  pourtant  pas  méconnaître  que,  sans  être  néces- 
saire, l'hypothèse  en  question  est  motivée  par  le  voisinage 
d'une  dent  et  d'un  crâne  pithécoïdes,  par  l'existence  à  Java 
du  genre  Hylobates  dont  l'attitude  s'éloigne  relativement  peu 
de  celle  de  l'homme.  Il  n'est  pas  oiseux,  en  ce  cas,  de  remar- 
quer que  cette  hypothèse  ne  se  heurte  à  aucune  impossibilité 
anatomique  saisissable  pour  le  moment. 

Ce  qui  est  certain,  à  mon  avis,  c'est  que,  si  le  fémur  de 
«lava  ne  provient  pas  d'un  homme,  il  n'en  présente  pas  moins 
tous  les  caractères  du  fémur  humain  et  n'en  diffère  par  aucun 
caractère  suffisamment  tranché  pour  autoriser  à  dire  que  ce 
n'est  pas  un  fémur  humain. 

Il  présente  une  particularité  très  remarquable,  mais  d'ordre 
pathologique.  Cette  particularité  consiste  en  des  excroissances 
tout  à  fait  curieuses  situées  au  niveau  des  lignes  de  bifurca- 
tion de  la  ligne  âpre.  M.  Dubois  la  considère  comme  résultant 
d'un  anévrysme  traumalique,  mais  une  autre  explication  me 
semble  préférable.  Ces  excroissances  me  rappellent  assez  celles 


L.   MANOUVRIER.  —  DISCUSSION  DU  PITHECANÎHROPUS  ERECTUS      li 

qui  résultent  parfois  de  l'ossification  des  insertions  tendineuses 
ou  aponévrotiques.  Mais  elles  dépassent  énormément,  en 
étendue  et  en  volume,  tout  ce  que  jai  vu  dans  ce  genre,  bien 
que  j'aie  examiné  de  nombreuses  centaines  de  fémurs  et  plu- 
sieurs collections  d'os  pathologiques.  Je  n'ai  pu  me  rendre 
compte  avec-  certitude,  d'après  les  dessins  ou  photographies 
de  M.  Dubois,  de  la  situation  exacte  de  ces  excroissances  par 
rapport  aux  insertions  musculaires.  Les  insertions  intéressées 
pourraient  être  celles  du  moyen  adducteur  et  du  pectine, 
muscle  également  adducteur.  Mais  je  ne  puis  rien  affirmer, 
sinon  qu'il  s'agit  d'une  anomalie  extrêmement  rare,  au  point 
qu'elle  n'a  probablement  jamais  été  observée  à  ce  degré  dans 
l'espèce  humaine. 

Peut-on  voir  la  un  fait  propre  à  corroborer  dans  une  cer- 
taine mesure,  l'opinion  qu'il  ne  s'agit  pas  d'un  fémur  humain? 
Il  faut  avouer  que  cet  argument  tout  seul  serait  un  peu 
maigre.  Sans  doute,  il  est  singulier  que  l'on  soit  tombé 
par  hasard  sur  un  fémur  présentant  une  altération  si  extra- 
ordinaire, mais  le  hasard  produit  de  ces  singularités,  et  le 
hasard  peut  être  invoqué  ici  à  bon  droit,  parce  que  l'anoma- 
lie en  question  semble  être  rare  chez  les  anthropoïdes  aussi 
bien  que  chez  nous.  Jusqu'à  plus  ample  informé,  les  excrois- 
sances du  fémur  de  Java  doivent  donc  être  laissées  de  côté 
comme  indifférentes  dans  la  discussion. 

La  dent.  —  La  3e  molaire  supérieure  trouvée  par  M.  Dubois 
paraît  avoir  appartenu  à  un  grand  anthropoïde. 

L'aspect  de  sa  surface  triturante  seul  rappelle  plutôt 
l'espèce  humaine,  car  les  cuspides  sont  peu  saillantes  et 
arrondies  comme  chez  l'homme;  mais  par  son  volume,  la  di- 
rection antéro-postérieure  de  sa  couronne  et  l'écartement  con- 
sidérable de  ses  racines,  elle  s'éloigne  trop  des  molaires 
humaines  pour  qu'elle  puisse  être  attribuée  à  un  homme.  Elle 
diffère  assez,  d'autre  part,  des  dents  de  gorille,  de  chimpanzé 
et  d'orang  pour  qu'un  doute  s'élève  à  propos  de  ces  trois 
espèces  et  que  l'on  puisse  soulever  l'hypolbèse  d'une  espèce 

t.  vi  (4e  si-rie).  2 


18 


SÉANCE  DU  3  JANVIER  i895 


inconnue  telle  qu'un  gibbon  de  très  grande  taille.  Dans  l'hy- 
pothèse d'une  espèce  actuelle,  je  pencherais  pour  l'oraiig 
femelle. 

11  y  a  lieu,  pourtant,  de  se  demander  si  quelque  mâchoire 
humaine,  dans  les  races  nègres  ne  pourrait  pas  posséder  par 
exception  une  3e  molaire  aussi  développée. 

Ayant  examiné  dans  ce  but  les  collections  du  Musée  Broca, 
j'ai  d'abord  passé  en  revue  infructueusement  une  centaine  de 
crânes  de  nègres  d'Afrique  et  de  l'Oeéanie  sans  rencontrer 
une  dent  pareille,  mais  j'ai  fini  par  en  trouver  une  sur  un 
crâne  Néo-Calédonien.  Ce  crâne  (nn  33 )  provient  de  Kanala 


Fig.  1. 


CrAne  d'un  Néo-Calédonien  de  Kanala. 


S.  —  La  3e  molaire  inférieure  dont  la  couronne  présente  une 
direction  semblable  et  des  dimensions  égales  à  celles  de  la  dent  de 
Java. 

om.  —  Absence  de  renflement  pariéto- occipital. 

Diamètres  : 

Antéro-post.  maximum  —  188min.  Mélopique  =  183. 

Transverse  maximun  —  132.  Basiobregmatique  ~  13G. 

Frontal  minimum  ~  95.  Hizygomatique  =:  136. 


L.  MANOUVRIKR.   —  DISCUSSION  DU  IMTHRCANTHUOPUS   EtlECTUS       19 

et  fait  partie  d'une  série  donnée  à  la  Société  d'Anthropologie 
par  le  Dr  Bourgarel.  La  3e  molaire  droite  inférieure  présente 
la  même  direction  et  le  même  volume  que  celle  du  prétendu 
pitheçanthropus.  La  longueur  de  la  couronne,  dirigée  d'a- 
vant en  arrière,  mesure  15  millim.  et  la  largeur  12  rnilim. 
(l'est  une  dent  très  régulièrement  plantée  et  dont  le  volume 
n'est  pas  exagéré  par  rapport  à  celui  des  deux  autres  grosses 
molaires  qu'elle  accompagne.  Le  poids  de  la  mandibule  at- 
teint près  de  130  grammes.  La  3e  molaire  inférieure  gauche 
est  un  peu  moins  grosse,  ce  qui  n'a  rien  d'extraordidaire. 

Les  six  grosses  molaires  de  la  mandibule  en  question  pré- 
sentent un  volume  considérable  soit  absolument,  soit  relati- 
vement aux  petites  molaires  et  aux  incisives,  fait  assez 
fréquent,  mais  particulièrement  marqué  ici.  Du  côté  de  la 
troisième  molaire  dont  il  s'agit,  les  petites  molaires  sont  peu 
volumineuses  et  très  serrées  l'une  contre  l'autre.  En  outre, 
les  alvéoles  des  deux  incisives  sont  très  étroites.  L'alvéole  de 
la  canine  est  au  contraire  large  et  profonde. 

La  petitesse  des  fausses  molaires  et  des  incisives  est  un 
fait  commun  chez  les  Néo-Calédoniens.  Comme  il  est  très 
accentué  sur  la  mandibule  dont  il  s'agit,  il  est  peut-être  en 
corrélation  avec  la  grandeur  extraordinaire  de  la  troisième 
molaire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  dent  présentée  par  M.  Dubois  n'offre 
pas  un  volume  et  une  direction  sans  exemple  dans  l'espèce 
humaine. 

Je  n'ai  parlé,  il  est  vrai,  que  de  la  couronne  de  la  dent.  Il 
faut  aussi  parler  des  racines.  Or,  les  racines  de  la  dent 
exceptionnelle  que  j'ai  rencontrée  sont  très  rapprochées 
l'une  de  l'autre  et  beaucoup  moins  grosses  que  celles  de  la 
dent  de  Java. 

D'autre  part,  cette  dernière  est  une  troisième  molaire  supé- 
rieure, tandis  que  la  dent  dont  je  viens  de  parler  appartient 
à  la  mâchoire  inférieure. 

Or,  la  troisième  molaire  inférieure  est  très  généralement 
plus  grosse,  chez  l'homme,  que  la  supérieure  correspondante. 


20  SÉANCE  DU  3  JANVIER  4895 

C'est  ce  qui  a  lieu  chez  mon  Néo-Calédonien  dont  les  troisièmes 
molaires  supérieures  sont  loin  d'atteindre  le  volume  de  la 
dent  de  Java,  même  k  ne  considérer  que  la  couronne. 

En  somme,  je  n'ai  pu  trouver,  dans  l'espèce  humaine, 
qu'une  seule  troisième  molaire  atteignant  le  volume  et  pré- 
sentant la  direction  de  la  dent  de  Java.  Et  c'est  une  troisième 
molaire  inférieure.  Et  les  racines  en  sont  petites  et  peu  écar- 
tées, relativement  à  la  dent  de  Java.  Quant  ù  la  troisième 
molaire  supérieure,  je  n'ai  pu  en  trouver  aucune,  approchant 
de  la  dent  de  Java,  môme  dans  les  races  nègres. "Je  dois  donc 
considérer  cette  dent  comme  ayant  appartenu  soit  à  un 
anthropoïde,  soit  à  un  être  humain  d'une  race  disparue. 

Le  crâne.  —  Le  crâne  du  prétendu  Pithecanthropus  est 
surtout  remarquable  par  son  très  faible  volume,  si  c'est  un 
crâne  humain,  —  par  son  énorme  volume  si  c'est  un  crâne 
d'anthropoïde.  Ses  dimensions  dépassent,  en  effet,  de  beau- 
coup celles  des  plus  grands  crânes  d'anthropoïdes,  tout  en 
restant  très  inférieures  aux  dimensions  moyennes  des  races 
humaines  les  moins  bien  douées  sous  ce  rapport. 

A  ces  dimensions  correspondrait,  d'après  les  calculs  de 
M.  Dubois,  une  capacité  crânienne  voisine  de  1,000  cent, 
cubes,  tandis  que  la  capacité  du  crâne,  même  chez  les  plus 
grands  gorilles,  ne  dépasse  guère  600  cent,  cubes.  En  utili- 
sant le  procédé  de  l'indice  cubique,  après  avoir,  par  diverses 
comparaisons,  évalué  approximativement  le  diamètre  vertical 
non  mesurable,  j'ai  obtenu,  pour  le  «  Pithecanthropus,  »  de 
900  a  1,000,  en  faisant  varier  l'indice  delà  moyenne  océanienne 
au  maximum.  Or,  la  capacité  du  crâne  humain,  la  microcé- 
phalie  pathologique  étant  mise  à  part,  ne  descend  à  un  chiffre 
aussi  bas  que  chez  des  individus  extrêmement  rares,  même 
dans  les  races  les  plus  arriérées.  Et  ces  individus  sont  tou- 
jours, soit  de  très  petite  taille,  soit  des  faibles  d'esprit.  Avec 
une  taille  moyenne  et  une  capacité  crânienne  aussi  minime, 
un  homme  ne  pourrait  être  qu'un  imbécile  d'après  tout  ce  que 
nous  savons  sur  ce  sujet. 


L.  MANOUVRI&It.   DISCUSSION  DU  PITHECANTHROPUS  ERECTUS       21 

Or,  la  taille  du  sujet,  à  ne  considérer  que  les  grandes  varia- 
tions, se  traduit  par  certains  caractères  crâniens  en  dehors 
de  la  capacité  cubique.  Tels  sont  les  caractères  sexuels  en 
général. 

Les  races  humaines  de  très  petite  taille  (le  mot  taille  étant 
pris  dans  sa  large  acception)  tels  que  les  Bengalis,  les  Négri- 
tos,  les  Boschimans,  présentent  des  contours  crâniens  et  une 
forme  crânienne  générale  fort  différente  de  ceux  des  races  de 
forte  taille,  telles  que  les  Patagons,  les  Polynésiens,  les 
Ouolofs,  etc. 

L'un  des  caractères  les  plus  saillants,  à  cet  égard,  est  la 
saillie  sus-orbitaire  de  la  base  du  frontal,  c'est-à-dire  de  la 
glabelle  et  des  bosses  sourcilières.  Il  n'est  pas  nécessaire  de 
voir  le  fémur  ou  le  tibia  de  l'homme  du  Néanderthal  pour 
être  certain  que  cet  homme  présentait  une  masse  squelettique 
considérable. 

Il  n'est  pas  plus  nécessaire  de  posséder  un  fémur  du  sque- 
lette de  Java  pour  diagnostiquer  une  taille  très  forte  relati- 
vement au  volume  de  l'encéphale. 

Or,  c'est  le  contraire  qui  a  lieu  chez  les  individus  de  petite 
taille  et  d'intelligence  normale.  L'encéphale,  chez  eux,  est 
très  développé  relativement  à  la  masse  du  corps,  et  c'est  pré- 
cisément pour  cela  que  les  portions  accessoires  ou  du  moins 
plus  particulièrement  en  relation  avec  le  développement 
général  du  squelette,  sont  peu  développées  relativement  à  la 
boîte  crânienne. 

Plus  l'encéphale  est  volumineux  par  rapport  à  la  masse  du 
corps,  plus  la  partie  supérieure  du  front  tend  à  proéminer 
par  rapport  à  la  portion  inférieure,  ainsi  qu'on  le  voit  chez 
les  races  de  faible  stature  comparées  aux  races  de  forte 
stature,  chez  les  femmes  comparées  aux  hommes,  chez  les 
petits  hommes  comparés  aux  grands  dans  une  même  race, 
chez  les  enfants  comparés  aux  adultes.  Sans  méconnaître  la 
complexité  de  cette  question  que  j'ai  beaucoup  étudiée,  je 
crois  inutile  d'insister  davantage  pour  montrer  que  le  crâne 
de  Java  peut  être  considéré  comme  n'ayant  pas  appartenu  à 


22 


SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 


un  pygmée.  Or,  un  pygmée  seul  pourrait  avoir  une  intelli- 
gence moyenne  de  sauvage  avec  un  si  petit  encéphale.  Encore 
n'est-ce  pas  certain.  Les  pygmées  eux-mêmes  dont  on  a  pu 
mesurer  le  crâne,  ceux,  par  exemple,  qui  ont  été  étudiés 
récemment  par  Kollmann,  avaient  tous  une  capacité  crânienne 
très  supérieure  à  1,000  cent,  cubes. 

Le  crâne  de  Java  présente  à  un  degré  plus  prononcé  encore 
que  le  crâne  du  Néanderthal,  eu  égard  à  son  faible  volume, 
et  par  conséquent  à  un  degré  jusqu'alors  inconnu  dans 
l'espèce  humaine,  la  disposition  en  visière  de  la  portion  sus- 
orbitaire  du  frontal.  Ce  caractère,  à  lui  seul,  permettrait  de 
douter  que  le  crâne  en  question  appartienne  à  l'espèce 
humaine.  Il  indique,  en  outre,  une  taille  absolument  assez 
forte  et  relativement  très  forte  par  rapport  à  l'encéphale.  La 


Fig.  1  bis.  —  Voûle  crânienne  du  «  Pitliecanthropus  »  comparée  à 
celle  du  Néanderthal  avec  même  réduction.  Dessin  de  M.  A.  de 
Mortillet   (Extr.  de  la  Revue  de  l'École  d'Anthr.,  février  1895). 


Les  autres  figures  ont  été  dessinées  par  l'auteur  avec  lestéréogra- 
phe  de  Broca  et  réduites  au  1/3. 


L.   MANOUVRIER.  —  DISCUSSION  DU  PITHECANTHROPUS  ERECTUS      23 

capacité  crânienne  .est  enfin  extraordinàirement  faible  d'une 
façon  absolue  pour  une  race  humaine  même  sauvage,  fût-ce 
une  race  de  pygmées. 

La  forme  du  crâne  indiquant  d'autre  part  une  taille  nulle- 
ment pygméenne,  on  peut  conclure  que  si  l'individu  appelé 
Pithecanthropus  appartenait  à  l'espèce  humaine,  il  ne  possé- 
-  dait  qu'une  intelligence  inférieure  à  celle  des  peuples  sauvages 
les  plus  stupides  que  nous  connaissions;  c'était  un  sauvage 
imbécile  pour  le  moins,  sinon  un  idiot. 

Telle  est  l'indication  fournie  par  le  volume  du  crâne  et  par 
la  disposition  en  visière  du  frontal. 

Les  autres  caractères  du  crâne  ne  sont  point  en  contradic- 
tion avec  ceux-là.  Ils  confirmeraient  plutôt  la  conclusion  ci- 
dessus,  notamment  la  forte  inclinaison  du  front,  sa  très 
faible  largeur  absolue  et  relativement  à  la  largeur  pariétale. 
Sous  ces  rapports,  le  crâne  de  .lava  serait  inférieur  au  crâne 
du  Néanderthal.  Sous  d'autres  rapports,  moins  significatifs, 
le  crâne  en  question  n'est  pas  extraordinaire.  Sa  norma  ver- 
ticalis,  abstraction  faite  de  la  saillie  sus-nasale,  serait  faible- 
ment brachycéphale.  L'indice  vertical  est  faible,  autrement 
dit  le  crâne  est  bas,  mais  ce  caractère  est  assez  fréquemment 
observé  chez  des  Européens  suffisamment  intelligents. 

La  situation  plus  ou  moins  reculée  du  trou  occipital  serait 
un  caractère  fort  intéressant,  mais  la  portion  inférieure  de  l'os 
occipital  étant  absente,  c'est  tout  au  plus  si  l'on  peut  pré- 
sumer que  le  trou  occipital  était  situé  plus  en  arrière  qu'il 
ne  l'est  chez  la  moyenne  des  Australiens. 

La  direction  dé  ce  trou,  indiquée  par  l'angle  de  Daubenton, 
ou  par  l'angle  basilaire  de  Broca,  eût  été  aussi  intéressante, 
mais  elle  nous  esl  plus  inconnue  encore  que  sa  situation,  car 
elle  dépend  en  grandi'  partie  de  la  direction  et  de  la  longueur 
de  l'apophyse  basilaire  qui  manque  totalement.  On  ne  peut 
donc  rien  affirmer,  d'après  le  crAne,  au  sujet  de  l'altitude  et 
de  la  direction  de  la  colonne  vertébrale  (liez  le  fossile  de 
Java. 

Mais,  autant  que  l'on  en  peut  juger  d'après  la  photogra- 


24  SÉANCE  DU  3   JANVIER  1895 

phie  de  M.  Dubois,  le  crâne  de  Java  présente  un  autre  carac- 
tère très  important,  à  mon  avis,  qui  contribue  puissamment 
à  lui  donner  une  forme  pithécoïde. 

Ce  caractère  consiste  en  un  renflement  de  la  portion  infé- 
rieure et  postérieure  de  la  région  pariétale,  renflement  qui  se 
continue  en  arrière  avec  la  crête  occipitale  supérieure,  et  en 
avant  avec  la  crête  sus-mastoïdienne. 


Fig.  2.  —  Crâne  du  t  Pilhecanthropus  »  d'après  la  photographie  de 
M.  Dubois,  2/5  grandeur  naturelle. 

X.  —  Renflement  pariéto-occipital. 

B.  —  Position  supposée  du  basion,  d'après  laquelle  le  diamètre 
basio-bregmatique  = 


Je  ne  connais  pas  d'exemple,  dans  l'espèce  humaine  et 
même  dans  les  races  océaniennes,  d'une  telle  disposition  qui 
est,  au  contraire,  l'une  des  caractéristiques  du  type  crânien 
des  anthropoïdes  comparé  au  type  humain.  Je  n'ai  pu  la 
trouver,  et  encore  à  un  état  très  atténué,  que  dans  deux  cas 
de  microcéphalie  franche  sur  une  douzaine  decrânes  microcé- 
phales existants  au  musée  Broca. 

Cette  disposition  existe  à  son  plus  haut  degré  sur  les  crânes 
de  grands  gorilles  maies  dont  la  crête  occipitale  et  la  crête 
sus-mastoïdienne  forment  une  crête  unique  très  saillante  qui 


X.  MANOUVRIER.    —  DISCUSSION  DU  PITHECANTHROl'US  ERECTUS      25 


Fig.  3.  —  Crâne  d'un  microcéphale  adulte  présentant  par  excep- 
tion ce  même  renflement,  grandeur  =  1/3. 


se  continue  même  au-dessus  du  méat  auditif  avec  l'arcade 
zygomatique.  Elle  résulte  évidemment  du  développement 
énorme  des  muscles  de  la  nuque  sous  l'influence  duquel  la 
crête  occipitale  s'est  élevée  très  haut  sur  la  paroi  postérieure 
du  crâne,  absolument  de  la  même  manière  que  les  muscles 
temporaux  se  sont  élevés  jusqu'au-dessus  du  vertex.En  même 
temps  que  les  muscles  de  la  nuque  ont  envahi  une  portion 
importante  de  la  région  postérieure  du  crâne,  ils  ont  envahi 
également  toute  la  région  postérieure  et  inférieure  des  os 
temporaux.  C'est,  en  somme,  une  conséquence  d'un  faible 
développement  encéphalique  par  rapport  à  un  grand  déve- 
loppement musculaire. 

Cette  disposition  existe  à  un  degré  moindre  chez  le  gorille, 
femelle,  les  orangs  et  les  chimpanzés;  elle  est  plus  atténuée 
encore  chez  les  jeunes  gorilles,  orangs  et  chimpanzés  et 
n'existe  pas  encore  chez  les  très  jeunes  anthropoïdes  dont  le 
système  musculaire  est  en  retard  par  rapport  au  développe- 
ment encéphalique.  Quand  elle  commence  à  apparaître,  c'est 
sous  la  forme  d'un  simple  renflement  de  la  région  auriculo- 
iniaque.  La  saillie  des  crêtes  ne  se  produit  que  lorsque  les 
muscles  continuent  à  croître  après  que  le  cerveau  a  atteint  à 
peu  près  son  complet  développement.  Les  variations  de  celle 
saillie  suivant  l'âge,  le  sexe  et  la  taille  s'expliquent  donc  très 


26 


SÉANCE  DU  3  JANVIER   18U5 


Fw.  4.  —  Crâne  d'un  chimpanzé  non  adulte  présentant  le  renfle- 
ment pariéto-occipital  perceptible  sur  le  crâne  de  Java  (1/3). 


facilement.  La  figura  4  montre  approximativement  l'état  des 
choses  chez  un  chimpazé  jeune  dont  la  canine  et  la  troisième 
molaire  sont  encore  incomplètement  sorties. 

Dans  l'espèce  humaine  l'encéphale  atteint  presque  toujours 
un  volume  assez  grand,  soit  absolument,  soit  relativement  aux 
muscles  de  la  nuque  d'ailleurs  peu  développés  comparative- 
ment à  ceux  des  anthropoïdes,  pour  que  la  crête  occipitale  reste 
toujours  à  un  niveau  plus  bas  que  celui  de  la  crête  sus-mas- 
toïdienne, de  sorte  que  la  crête  occipitale  prolongée  resterait 
séparée  de  la  crête  mastoïdenne  par  un  intervalle  om  (fig.  1) 
de  1  à  2  centimètres. 

Chez  les  microcéphales,  cet  intervalle  subsiste  ordinaire- 
ment en  dépit  de  l'exiguïté  du  crâne  parce  que  le  volume  du 
crâne  atteint  encore  généralement  ou  dépasse  celui  des  an- 
thropoïdes, tandis  que  les  muscles  de  la  nuque  sont  presque 
toujours  peu  développés  comme  l'ensemble  du  système  mus- 
culaire. Si  j'ai  pu  trouver  deux  crânes  de  microcéphales  pré- 
sentant à  peu  près  la  disposition  simienne,  dont  il  s'agit,  c'est 
que  l'un  d'eux  appartenait  à  un  sujet  grand  et  vigoureux 
(Edern),  et  l'autre  à  un  sujet  dont  le  trou  occipital  est  telle- 
ment reculé  en  arrière  que  les  insertions  des  muscles  de  la 
nuque  n'ont  pu  trouver  place  qu'en  remontant  jusqu'à  un  ni- 


I.  MANOUVRIER.    —  DISCUSSION   DU  PITHECANTHltOPUS  ERECTUS       27 

veau  exceptionnellement  élevé  par  rapport  au  méat  auditif. 
C'est  ce  dernier  crâne  que  représente  la  figure  3. 

Il  est  donc  très  remarquable  de  voir,  sur  le  crâne  de  Java, 
la  crête  occipitale  supérieure  en  continuité  avec  un  ren- 
flement postérieur  et  inférieur  de  la  région  pariétale,  renfle- 
ment qui  semble  se  confondre  lui-même  avec  la  crête  sus- 
mastoïdienne.  Par  ce  caractère,  le  crâne  de  Java  ne  s'éloigne 
pas  du  type  humain  au  même  degré  que  les  crânes  d'anthro- 
poïdes adultes,  mais  il  s'en  éloigne  autant  que  les  crânes 
de  gibbons  jeunes  à  dentition  incomplète. 

J'ai  cherché  en  vain,  parmi  une  centaine  de  crânes  humains 
d'Océanie,  ce  renflement  pariéto-iniaque.  J'ai  trouvé  seule- 
ment quelques  crânes  Néo-Galédoniens  sur  lesquels  la  crête 
occipitale  supérieure  se  trouve  au  niveau  de  la  crête  sus-mas- 
toïdienne, mais  je  n'ai  pu  en  trouver  aucun  sur  lequel  le  ren- 
flement sus-mastoïdien  se  trouve,  comme  sur  le  crâne  de 
Java,  plus  bas  que  la  crête  occipitale. 

Il  est  vrai  qu'une  certaine  réserve  à  ce  sujet  m'est  imposée 
par  le  fait  que  le  caractère  en  question  pourrait  être  simulé 
sur  la  photographie  de  M.  Dubois,  par  quelque  jeu  d'ombres. 
C'est  pourquoi  je  prie  la  Société  d'Anthropologie  de  faire  offi- 
ciellement des  démarches  auprès  du  gouvernement  néerlan- 
dais pour  obtenir  l'envoi  de  moulages  dont  elle  supporterait 
au  besoin  les  frais  '.  Eu  attendant,  je  suis  obligé  de  tenir 
compte  de  l'apparence  d'un  fait  que  rien  ne  contredit  pour  le 
moment  et  qui  placerait,  à  mon  avis,  le  crâne  fossile  de  Java 
;i  un  rang  morpbologique  plus  bas  que  celui  des  crânes  hu- 
mains normaux  les  plus  inférieurs,  bien  que  supérieur  à  celui 
des  anthropoïdes  actuellement  connus. 

Un  dernier  caractère  du  crâne  de  Java  mérite  une  grande 
attention  bien  que,  cOmme  le  précédent,  il  ne  soit  pas  aussi 
parfaitement  étudiable  qu'on  pourrait  le  désirer  sur  les  pho- 
tographies.  Il  s'agit  de  la  crête  temporale,  dont  le.  rapproche 

1  Ces  démarches  ont  été  faites  et  accueillies  favorablement, 
mais  n'ont  pas  abouti  jusqu'à  présent  au  résultat  désiré. 


28 


SÉANCE  DU  3  JANVIER   1895 


ment  de  la  ligne  médiane  est  en  relation  bien  connue  avec  le 
développement  de  la  mandibule,  par  rapport  au  volume  et 
plus  particulièrement  à  la  hauteur  du  crâne. 

Sur  le  crâne  fossile  de  Java,  cette  crête  a  été  assez  forte- 
ment marquée,  surtout  si  l'on  tient  "compte  de  l'usure  mani- 
feste subie  par  la  surface  crânienne.  Mais  elle  ne  paraît  pas 
avoir  atteint,  sur  l'os  pariétal,  un  niveau  plus  élevé  que  sur 
de  nombreux  crânes  humains  même  dans  les  races  euro- 
péennes. 

Je  pourrais  même  citer  un  bon  nombre  de  crânes  euro- 
péens, asiatiques,  américains,  africains  et  surtout  océaniens 
sur  lesquels  les  lignes  courbes  temporales  se  rapprochent  plus 
de  la  ligne  médiane  que  sur  le  crâne  de  Java.  C'est  ce  qu'on 
peut'  observer,  par  exemple,  sur  le  crâne  néo-calédonien  re- 
présenté ici  (fig.  1),  et  auquel  appartient  la  troisième  molaire 


Fig.  5.    —  Crâne  masculin  de  l'île  Engineer,  remarquable  par  sa 

forme  bestiale. 


Capacité  =  1396  ce.         Diamètres  : 
Antéro-post.  maximum  =  188.  Métopique  =  185. 
Tranverse  max.  =  120.  Basio-bregmatique  =  136. 
FroDtal  minimum  =  78.  Bizygomatique  =  138. 


L.   MÀNOUVRIER.  —  DISCUSSION  DU  PITHECANTHItOPUS  EREGTLS      29 

exceptionnelle  dont  il  à  été  question  plus  haut.  Sur  un  crâne 
provenant  de  l'île  Engineèr,  pointe  S.-E.  de  la  Nouvelle-Gui- 
née (fig.  5),  et  qui  présente  la  forme  la  plus  bestiale  que 
j'aie  peut-être  jamais  rencontrée  dans  les  races  sauvages,  la 
crête  temporale  monte  plus  haut  encore,  jusqu'à  3  centimètres 
de  la  ligne  médiane,  un  peu  en  arriére  du  bregma.  Il  est  vrai 
que,  sur  ce  crâne  dont  la  mandibule  manque,  l'écartement 
très  considérable  des  arcades  zygomatiques  atteste  un  muscle 
temporal  énorme.  Mais,  pourtant,  d'après  la  grandeur  peu 
exagérée  de  la  mâchoire  supérieure,  il  est  très  probable  que 
la  mandibule  et  les  dents  inférieures  ne  dépassaient  pas  en 
volume  la  mâchoire  inférieure  du  Néo-Calédonien  dont  le 
poids  atteint  130  grammes.  Or,  le  crâne  néo-calédonien  et  celui 
de  l'île  Engineèr  ci-dessus  représentés,  sont  des  crânes  beau- 
coup plus  grands  et  beaucoup  plus  hauts  que  celui  de  Java. 
La  hauteur  basio-bregmatique  mesure  137  millimètres  sur  le 
premier,  et  136  millimètres  sur  le  second.  Sur  l'un  et  l'autre, 
le  diamètre  antéro-postérieur  maximum  est  de  188  milli- 
mètres. Ces  deux  crânes  présentaient  donc,  pour  l'insertion  du 
muscle  temporal,  une  surface  notablement  plus  longue  que 
celle  du  crâne  de  Java  et  beaucoup  plus  grande  dans  le  sens 
vertical. 

Pour  un  développement  maxillaire  égal,  le  crâne  de  Java, 
beaucoup  plus  petit,  beaucoup  moins  haut  surtout,  devrait 
donc  présenter  des  crêtes  temporales  plus  rapprochées  de  la 
suture  sagittale.  Mais  c'est  le  contraire  qui  a  lieu,  selon  toutes 
les  apparences.  Il  est  donc  plus  que  probable  que  le  muscle 
temporal  et  les  maxillaires  du  «  pithecanthropus  »  étaient 
moins  développés  que  chez  les  deux  individus  pris  comme 
termes  de  comparaison.  On  est  donc  en  droit  de  douter  forte- 
ment que  la  dent  trouvée  par  M.  Dubois  ait  appartenu  au 
crâne  trouvé  à  coté  de  cette  dent. 

La  raison  qui  m'empêche  de  nier  absolument  que  la  dent 
n'appartient  pas  au  crâne,  c'est  qu'avec  des  dents  plus  grosses 
encore  et  avec  un  crâne  plus  petit,  des  crânes  d'anthropoïdes 
femelles  présentent  des  crêtes  temporales  plus  ou  moins  dis- 


30  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

tantes  de  la  suture  sagittale.  Ce  fait  s'explique  par  la  profon- 
deur de  la  fosse  temporale  en  arrière  des  apophyses  orbitai- 
res,  le  muscle  temporal  trouvant  là  une  surface  d'insertion 
assez  considérable  pour  qu'il  n'ait  pas  besoin  de  prendre 
des  insertions  jusqu'au  sommet  du  crâne. 

Or,  la  portion  orbitaire  de  la  fosse  temporale  était  très 
profonde  sur  le  crâne  de  Java,  d'après  la  grandeur  et  la 
proéminence  en  dehors  de  l'apophyse  orbitaire  externe.  Ce 
fait  permet  d'admettre  la  possibilité  que  le  crâne  de  Java  eût 
été  pourvu  d'une  mandibule  et  de  dents  exceptionnellement 
volumineuses  pour  l'espèce  humaine  sans" avoir  des  crêtes 
temporales  aussi  rapprochées  de  la  ligne  sagittale  que  chez 
les  anthropoïdes  femelles  et  même  que  chez  certains  hommes 
à  fosse  temporale  moins  profonde. 

Il  ne  faut  pas  oublier,  en  outre,  la  réserve  imposée  relati- 
vement à  la  situation  des  lignes  courbes  temporales  et  notam- 
ment de  la  supérieure  par  l'insuffisance  de  la  reproduction 
photographique  que  nous  en  avons  et  par  l'usure  manifeste 
subie  par  les  os  pariétaux  du  crâne  de  Java. 

Contentons-nous  donc  de  formuler  un  doute  au  sujet  de 
l'identification  de  la  dent  trouvée  par  M.  Dubois  sans  aller 
jusqu'à  une  négation  formelle  qui  ne  serait  pas  moins  témé- 
raire qu'une  affirmation. 

Avant  de  formuler  des  conclusions,  nous  avons  à  envisager 
successivement  trois  hypothèses  nécessitées  par  l'incertitude 
existante  au  sujet  de  l'identité  des  trois  pièces  trouvées  par 
M.  Dubois.  Cet  investigateur  a  beau  affirmer  énergiquement 
que  les  trois  pièces  proviennent  d'un  même  individu,  sa 
conviction  ne  saurait  équivaloir  à  une  certitude  dans  les  con- 
ditions où  ont  été  trouvées  le  crâne,  le  fémur  et  la  dent. 

D'autre  part,  nous  n'avons  aucune  preuve  formelle  oppo- 
sable à  cette  conviction  basée  sur  l'examen  direct  des  lieux  et 
des  objets.  11  y  a  donc  lieu  d'envisager  d'abord  l'hypothèse 
d'après  laquelle  le  fémur,  la  dent  et  le  crâne  auraient  appar- 
tenu à  un  même  individu. 


L.  MANOUVRIER.  —   DISCUSSION    DU  PITHÉJANTHROPUS  ERECTUS      31 

Fémur,  dent  et  crâne.  —  J'ai  dit  que  le  fémur  ne  se  distingue 
en  rien  d'un  fémur  humain  normal  et  que  la  dent  semble  pro- 
venir d'un  anthropoïde  et  plutôt  d'un  orang  de  taille  médiocre  ; 
mais  comme  le  crâne  présente  des  caractères  pithécoïdes  au 
moins  exceptionnels  dans  l'espèce  humaine,  il  peut  avoir 
-  appartenu  soit  à  un  homme  exceptionnellement  inférieur 
pour  sa  race,  soit  à  un  individu  d'une  race  humaine  infé- 
rieure aux  races  actuelles  les  plus  inférieures,  soit  à  une 
espèce  ou  race  anthropoïde  ignorée.  Celle-ci  ne  se  rattache- 
rait ni  aux  gorilles  ni  aux  chimpanzés  inconnus  dans  la 
région  ;  elle  ne  se  rattacherait  pas  davantage  aux  orangs 
dont  le  type  crânien  est  trop  diffèrent;  mais  elle  pourrait  être 
rattachée,  comme  le  pense  M.  Dubois,  à  quelque  espèce  hypo- 
thétique du  genre  gibbon  (Hylobates).  Au  point  de  vue  mor- 
phologique, je  ne  vois  rien  qui  rende  cette  dernière  hypothèse 
inacceptable.  Un  gibbon  appartenant  à  une  espèce  de  très 
forte  taille  relativement  aux  plus  grandes  espèces  connues  et 
d'une  intelligence  quelque  peu  supérieure  aurait  eu,  autant 
que  je  puis  en  juger,  un  crâne  présentant  tous  les  caractères 
du  crâne  fossile  de  Java,  car,  le  type  de  celui-ci  ne  diffère 
du  type  gibbon  que  par  des  caractères  étroitement  en  rapport 
avec  la  masse  squelettique  et  le  développement  intellectuel 
qui  sont  des  éléments  évolutivement  transformables  au  plus 
haut  degré  dans  un  même  type  spécifique  ou  générique.  Du 
côté  du  crâne,  l'hypothèse  d'un  gibbon  de  très  forte  taille  me 
paraît  très  acceptable.  Du  côté  du  fémur,  la  forme  et  les  pro- 
portions de  cet  os  dans  le  genre  Hylobates  sont  assez  peu 
éloignées  de  celles  de  l'espèce  humaine  pour  qu'un  simple 
accroissement  de  taille  avec  les  modifications  de  détail  qui  s'y 
rattachent  puisse  rendre  un  fémur  de  gibbon  absolument 
semblable  a  un  fémur  humain.  Du  côté  de  la  dent  il  n'y  a  pas 
plus  de  difficulté,  car  le  volume  mis  à  part,  la  dent  fossile  de 
Java  ressemblerait  plus  à  une  dent  de  gibbon  qu'à  une  dent 
d 'orang. 

En  somme,  je  n'ai  rien  à  objecter  à  l'hypothèse  de  M.  Dubois 
qu'il  peut  s'agir  d'un  gibbon  d'énorme  taille  et  d'intelligence 


32  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

relativement  supérieure  par  l'apport  aux  singes.  En  admet- 
tant cette  hypothèse  il  n'y  aurait  aucun  effort  pénible  à  faire, 
du  moins  pour  un  partisan  de  la  théorie  transformiste,  à 
admettre  que  cette  espèce  de  gibbon  perfectionné  fût  deve- 
nue, grâce  à  une  continuation  de  son  perfectionnement,  com- 
plètement humaine. 

Je  ne  puis  m'empêcher  de  regretter  ici  que  M.  Dubois  n'ait 
pu  trouver  certaines  autres  pièces  du  squelette  de  son  Pithe- 
canthropus, telles  qu'un  humérus  dont  la  longueur  n'eût  pas 
manqué  de  nous  édifier,  un  os  iliaque  dont  l'aplatissement, 
si  absolu  chez  les  gibbons,  eût  probablement  conservé  quel- 
que trace  de  ce  caractère  simien.  Les  trois  pièces  que  l'on 
possède  et  qui  sont  en  assez  bon  état  n'étaient  pas  accompa- 
gnées du  inoindre  autre  fragment  squelettique  de  même  ordre 
dans  un  terrain  fouillé  sur  une  étendue  de  vingt  mètres  au 
moins  en  longueur.  C'est  la  un  fait  peu  propre  à  corroborer 
l'opinion  qu'il  s'agit  d'ossements  ayant  appartenu  à  un  même 
individu.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  est  obligé  de  prendre  les  choses 
telles  qu'elles  se  présentent,  et  les  regrets  ici  exprimés  sont 
superflus. 

Me  plaçant  toujours,  pour  le  moment,  au  point  de  vue  de 
l'homogénéité  des  trois  pièces,  j'ai  maintenant  à  examiner 
l'hypothèse  qu'elles  proviennent  d'un  représentant  non  pa- 
thologique d'une  espèce  ou  race  humaine  disparue.  En  ce  cas, 
cette  espèce  ou  race  se  serait  éteinte  ou  bien  se  serait  trans- 
formée en  une  race  actuelle  à  cerveau  moins  inférieur  et  à 
dents  moins  volumineuses. 

Cette  hypothèse  ne  me  paraît  pas  plus  en  contradiction 
que  la  précédente  avec  les  caractères  des  pièces  en  question. 
Elle  n'aurait  rien  de  plus  étonnant  d'ailleurs  que  l'hypothèse 
couramment  admise  et  largement  justifiée  d'une  évolution 
semblable  dans  les  races  européennes  depuis  les  temps  qua- 
ternaires, et  d'une  évolution  générale  de  l'espèce  humaine.  Il 
n'y  a  pas  plus  de  distance  entre  le  «  Pithecanthropus  »  et 
diverses  races  humaines  actuelles  de  l'Océanie  qu'entre  celles- 
ci  et  les  races  actuelles  de  l'Europe  occidentale.  Ces  dernières 


L.  MANOUVWER.  —  DISCUSSION  DU    PITHÊCANTHROPUS    ERECTUS      33 

ont  été  précédées  en  Europe  par  des  races  quaternaires  comme 
celle  duNéanderthal  ou  de  Spy,  qui  semblent  avoir  été  supé- 
rieures,  morphologiquement,  aux  Australiens  actuels,  mais 
qui  n'en  différaient  pas  moins  considérablement  des  Fran- 
çais. Belges  ou  Allemands  actuels.  Il  faut  remarquer  aussi 
que,  sans  être  pathologique  ni  même  exceptionnel,  le  crâne 
de  Java  pourrait  être  inférieur  à  la  moyenne  de  sa  race,  de 
sorte  que  cette  race  pourrait  avoir  été,  par  rapport  aux  Pa- 
pouas  actuels,  par  exemple,  ce  que  la  race  quaternaire  euro- 
péenne est  par  rapport  à  la  nôtre.  On  peut  encore  considérer 
que  le  crâne  de  Java  provient  d'un  dépôt  tertiaire  vraisem- 
blablement plus  ancien  que  nos  alluvions  quaternaires. 

J'ai  dit  plus  haut  que,  contrairement  à  l'opinion  de  M.  Du- 
bois,  le  fémur  de  Java  manque  de  caractères  propres  à  le 
différencier  d'un    fémur    absolument    humain.    L'évolution 
humaine  de  ce   fémur  aurait  donc  été  plus  rapide  et  plus 
complète  que  celle  du  crâne  et  des  maxillaires.  Or,  cela  n'infir- 
merait en  rien   les  deux  hypothèses  précédentes.  11  est  très 
vraisemblable,  en  effet,  que  si  une  race  d'anthropoïdes  grim- 
peurs a  pu  évoluer  vers  le  type  humain  sous  l'influence  de 
conditions  quelconques,   l'adaptation  de  ses  membres  infé- 
rieurs à  la  marche  a  dû  être  le  premier  stade  de  cette  trans- 
formation qui  aurait  rendu  libre  pour  des  fonctions  autres 
que  la  locomotion,  les  membres  supérieurs  et  déterminé  ainsi 
le  progrès  cérébral.  J'ai  déjà  insisté  ailleurs  sur  cette  remar- 
que '.  On  trouve,  d'ailleurs,  actuellement,  des  races  humaines, 
très  arriérées  sous  le  rapport  de  la  forme  du  crâne,  qui  ne  le 
cèdent  en  rien  aux  races  européennes  sous  le  rapport  du 
fémur.  Il  n'y  aurait  donc  pas  lieu  de  s'étonner  de  trouver  une 
race  humaine  tertiaire  ou  quaternaire  plus  avancée  sous  le 
rapport  de  l'évolution  fémorale  que  sous  le  rapport  de  l'évo- 
lution crânienne. 

1  Etude  sur  la  rétroversion  sur  la  tête  du  tibia  et  l'attitude  hu- 
maine à  l'époque  quaternaire.  (Mémoires  de  la  Soc.  d'Anthr.  de 
Paris,  2e  série,  t.  IV). 

T.   VI   (  i''  sùhie).  X 


34  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

Au  point  de  vue  de  la  théorie  transformiste,  les  deux  hypo- 
thèses qui  viennent  d'être  examinées  diffèrent  beaucoup  entre- 
elles  en  ceci  :  que,  dans  la  première,  il  s'agirait  de  la  trans- 
formation d'une  race  de  grimpeurs  en  une  race  adaptée  à  la 
locomotion  bipède,  tandis  que,  dans  la  seconde,  il  s'agirait 
simplement  de  la  transformation  d'une  race  déjà  bipède  et 
seulement  arriérée  quant  à  révolution  de  crâne.  Il  est  super- 
flu de  dire  que  la  seconde  hypothèse  est  de  heaucoup  la 
plus  vraisemblable,  puisque  l'on  est  obligé  de  faire  intervenir, 
dans  la  première,  la  transformation  complète  d'un  type  en  un 
autre  et  que  les  3  pièces  que  nous  possédons  de  l'individu 
fossile  de  Java  ne  nous  offrent,  en  somme,  que  des  carac- 
tères non  incompatibles  avec  le  type  humain. 

Il  n'en  est  pas  moins  certain  que  plusieurs  de  ces  caractères 
dénotent  une  infériorité  considérable,  même  par  rapport  aux 
races  humaines  actuelles  les  plus  arriérées.  Toujours  en  sup- 
posant que  le  crâne,  la  dent  et  le  fémur  de  Java  proviennent 
d'un  même  individu  et  que  celui-ci  était  un  représentant  nor- 
mal d'une  race  fossile,  cette  race  ne  pouvait  posséder,  avec 
un  encéphale  aussi  petit,  relativement  au  maxillaire  et  au 
fémur,  qu'une  intelligence  intermédiaire  entre  celle  des  grands 
anthropoïdes  connus  et  celle  des  races  humaines  les  plus  infé- 
rieures. 

Une  troisième  hypothèse  reste  à  examiner  :  c'est  celle 
d'après  laquelle  l'individu  fossile  de  Java  ne  serait  qu'un 
représentant  anormal,  pathologique,  de  sa  race.  Ce  serait 
alors  un  microcéphale  de  grande  taille  dont  le  crâne  seul 
aurait  subi  un  arrêt  de  développement.  Je  ne  vois  rien  qui, 
théoriquement,  soit  en  contradiction  formelle  avec  cette  hypo- 
thèse puisque  la  microcéphalie  n'est  pas  incompatible  avec 
une  taille  normale  et  une  grande  vigueur  musculaire.  On  en 
possède  au  moins  un  exemple  fourni  par  le  microcéphale 
Edern. 

Mais   la  microcéphalie   franche,   telle   que  je  l'ai   définie 
ailleurs  ',  c'est-à-dire  caractérisée  par  l'exiguïté  relative  et  non 

1  Article  Microcéphalie  du  Dictionn.  des  Sciences  anthr, 


L.  MANOUVRIER.   —  DISCUSSION  DU  PITUECANTIIROPUS  KRECTUS      35 

pas  seulement  absolue  de  l'encéphale,  est  déjà  une  anomalie 
très  rare  dans  toutes  les  races.  De  plus,  les  individus  de  taille 
normale  constituent  une  autre  rare  exception  parmi  les  mi- 
crocéphales. Or,  il  est  bien  peu  satisfaisant  d'admettre  que 
le  premier  et  seul  squelette  fossile  découvert  à  Java  soit  pré- 
cisément celui  d'un  individu  exceptionnel  clans  sa  race,  une 
de  ces  monstruosités  dont  la  fréquence  est  peut-être  inférieure 
à  1  sur  50,000.  Il  est  vrai  que  l'exostose  du  fémur  de  Java, 
au  degré  qu'elle  présente,  est  une  anomalie  plus  rare  encore; 
mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  supposer  que  le  crâne  était 
lui-même  une  exception.  C'est  possible,  théoriquement,  mais 
c'est  extrêmement  peu  probable,  de  sorte, que  l'hypothèse 
d'une  race  ainsi  constituée  doit  avoir  notre  préférence.  Il  y  a 
peut-être  plus  de  50,000  chances  contre  une  que  le  crâne 
fossile  de  Java  n'ait  pas  appartenu  a  un  microcéphale  et 
beaucoup  plus  de  chances  encore  qu'il  n'ait  pas  appartenu  à 
un  microcéphale  de  la  taille  indiquée  par  le  fémur. 

crâne  et  dent.  —  Supposons  maintenant  que  le  fémur  soit 
à  éliminer  comme  étranger  au  crâne;  il  restera  le  crâne  et  la 
dent.  Avec  ces  deuxpièces  seules,  il  reste  certain  que  le  sujet 
n'était  pas  un  pygmée,  comme  je  l'ai  fait  observer  précédem- 
ment, mais  on  peut  lui  attribuer  une  taille  assez  médiocre  pour 
que  la  petitesse  de  son  crâne  fût  compatible  avec  une  intelli- 
gence équivalente  à  celle  de  certains  sauvages  actuels  infé- 
rieurs sous  ce  rapport  à  la  moyenne  de  leur  race,  sans  être  des 
microcéphalesproprement  dits.  Avec  le  fémur,  on  peut  opter 
entre  quatre  hypothèses  :  1°  un  cas  de  microcéphalie  franche, 
pathologique,  c'est-à-dire  l'idiotie,  une  rare  exception  dans 
toutes  les  races;  2°  un  cas  de  simple  infériorité  par  rapport  au 
développement  intellectuel  moyen  d'une  race  très  inférieure 
elle  même,  c'est-à-dire  l'imbécilité  individuelle;  3°  un  cas 
représentant  l'état  moyen  d'une  race  à  type  intellectuel  inter- 
médiaire entre  le  type  humain  et  le  type  simien. 

Le  fémur  étant  mis  hors  de  cause,  rien  ne  prouve  plus  que 
le  sujet  fût  de  grande  taille;  par  conséquent  l'hypothèse  d'un 


30 


SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 


cas  isolé  de  microcéphalie  pathologique,  devient  encore  plus 
téméraire,  mais  elle  reste  théoriquement  possihle.  La  troi- 
sième des  hypothèses  ci-dessus,  perd  également  du  terrain 
parce  qu'il  devient  permis  de  supposer  que  la  taille  du  sujet, 
sans  être  celle  d'un  nain,  était  encore  assez  faible  pour  que 
l'exiguité  cérébrale  fût  compatible  avec  une  intelligence  infé- 
rieure par  rapport  à  la  moyenne  des  races  sauvages  actuelles, 
mais  conservant  encore  le  type  humain.  La  deuxième  hypo- 
thèse, d'après  laquelle  le  sujet  ne  représenterait  ni  un  cas 
isolé  de  microcéphalie  franche,  ni  l'état  moyen  d'une  race 
inférieure  aux  races  actuelles  les  plus  arriérées,  mais  repré- 
senterait un  cas  isolé  d'infériorité  intellectuelle  vulgaire  par 
rapport  à  la  moyenne  d'une  race  sauvage  analogue  aux  races 
actuelles,  cette  hypothèse  deviendrait  donc  la  plus  vraissem- 
blable.  Si  la  microcéphalie  franche  est  très  rare  dans  toutes 
les  races,  la  petitesse  du  crâne  correspondante  à  la  simple 


Fig.  G.  —  Crâne  féminin  de  l'île  Engineer  remarquable  par  sa  fai- 
ble capacité  (1060  c.  c.  Procédé  de  Broca). 

Diamètres  : 

Ant.-post.  max.  =  170.  Métop.  =  168.  Transv.  max.  =  116. 

Basio-bregm.  =  128.  Front,  min.  =  78.  Bizygom.  =  115? 


L.  MANOUVRIËR.   —  DISCUSSION  DU  PITHECANTHROPUS  ERECTU3      37 

imbécillité,  c'est-à-dire  à  ce  degré  inférieur  d'intelligence  qui 
permet  encore  chez  nous  à  un  individu  soigneusement  cultivé 
d'occuper  des  situations  enviables,  la  simple  imbécilité,  dis-je, 
est,  au  contraire,  très  commune  II  est  donc  permis,  sans 
invoquer  un  hasard  extraordinaire,  de  considérer  le  crâne  en 
question  comme  étant  celui  d'un  sauvage  inférieur  par  rapport 
à  la  moyenne  de  sa  race,  cette  race  pouvant  avoir  été  intel- 
lectuellement au  niveau  des  races  océaniennes  actuelles. 

Celte  solution  aurait  l'avantage  de  ne  pas  sortir  du  champ 
ethnographique  actuel.  Cela  lui  donne  un  aspect  plus  rigou- 
reusement positif  au  premier  abord.  Mais  si  l'on  considère 
qu'il  s'agit  d'un  crâne  fossile  et  non  d'un  crâne  moderne, 
cet  avantage  s'évanouit,  car  l'opinion  que  les  races  fossiles 
à  Java  ou  ailleurs,  étaient  équivalentes  morphologiquement 
et  intellectuellement  aux  races  actuelles  ne  saurait  être  regardée 
comme  jouissant  d'une  rigueur  scientifique  supérieure  à  celle 
de  l'opinion  contraire. 

Il  est  donc  très  difficile  de  faire  un  choix  entre  les  hypo- 
thèses que  nous  venons  d'examiner  puisqu'aucune  d'entre 
elles  ne  se  heurte  à  une  impossibilité  absolue.  Écartons  comme 
trop  hasardeuse  l'hypothèse  d'un  cas  isolé  de  microcéphalie 
franche,  nous  n'en  restons  pas  inoins  en  face  du  crâne  d'un 
imbécile.  Cela  est  prouvé  par  l'exiguïté  absolue  du  crâne 
accompagnée  de  caractères  morpbologiques  (énorme  saillie 
sus-orbitaire  et  forme  générale)  indiquant,  dans  toutes  les 
races,  un  développement  encépbalique  relativement  faible. 
J'ai  montré  ailleurs  que  l'abaissement  du  poids  relatif  de 
l'encéphale  par  rapport  à  la  masse  du  corps  est  un  caractère 
lié,  dans  une  même  espèce,  soit  à  une  supériorité  de  taille, 
soit  à  une  infériorité  intellectuelle  '.  Or,  si  l'homme  de  Java 
était  de  grande  taille,  il  avait  un  encéphale  absolument  trop 
petit  pour  ne  pas  être  un  imbécile;  et  s'il  était  de  petite  taille, 

i  Mém.  sur  l'interprétation  de  la  quantité  dans  V encéphale  (Mémoires 
de  la  Soc.  d'Anthr.  de  Paris,  2°  série,  t.  III). 


38  SÉANCE  DU  3  JANVIER  189-3 

son  infériorité  encéphalique  relative  démontrée  par  la  mor- 
phologie prouve  encore  que  c'était  un  imbécile. 

Dans  le  premier  cas,  dont  la  réalité  serait  établie  par  l'i- 
dentité du  fémur,  le  diagnostic  serait  aggravé,  voilà  la  diffé- 
rence. 

Dans  l'un   et  l'autre  cas,  il  ne  sagit  plus  que  de  savoir  si 
l'on  est  en  présence  d'un  cas  particulier  plus  ou  moins  éloi- 
gné d'une  moyenne  ethnique  —  ou  bien  d'une  race  ou  espèce 
inférieure  aux  plus  inférieures  des  races  actuelles. 
Telle  est  la  question  pendante,  à  mon  avis. 
Pour  la  résoudre,  de  nouvelles  découvertes  seraient  néces- 
saires. Si  l'on  pouvait  ajouter,  par  exemple,  aux  pièces  déjà 
trouvées,  un  crâne  complet  semblable  à  celui  du  Pithecan- 
thropus,  et  présentant  d'autres  caractères  pithecoïdes  impor- 
tants, ou  bien  un  os  iliaque,  un  bassin,  une  mandibule,  un 
pied  d'un  classement  aussi  difficile,  on  serait  obligé  de  con- 
clure à  l'existence  d'une  véritable  race  ou  espèce  possédant 
un  type  intermédiaire  entre  celui  des  singes  anthropoïdes  et 
le  type  humain. 

A  défaut  de  nouvelles  pièces  de  ce  genre,  l'affirmation  de 
l'existence  d'une  telle  race  est  prématurée. 

Mais  la  découverte  de  M.  Dubois  n'est  pas  inutile  pour 
cela. 

On  ne  peut  affirmer,  en  effet,  que  les  trois  pièces  trouvées 
n'appartenaient  pas  à  un  même  individu,  car  il  n'y  a  point  à 
cela  d'impossibilité  théorique  et  l'on  n'a  rencontré  dans  le 
terrain  fouillé  les  restes  d'aucun  autre  animal  auquel  on 
puisse  attribuer  l'une  ou  l'autre  de  ces  trois  pièces.  Il  est  seu- 
lement permis  d'avoir  des  doutes  a  cet  égard. 

le  chank  fût-il  seul  en  cause,  la  question  ne  changerait  pas 
beaucoup  pour  cela.  C'est  toujours  un  crâne  intermédiaire  par 
sa  forme  ^et  son  volume  entre  le  type  humain  et  le  t}7pe  si- 
mien..La  dent  contribuerait  seulement  à  beslialiser  ce  crâne 
un  peu  plus.  11  en  serait  de  même  du  fémur  à  cause  de  la 
taille  considérable  qu'il  indiquerait  et  de  la  péjoration  qui  en 
résulterait  dans  L'interprétation  de  la  capacité  crânienne. 


L.   MANOUVRIER.   —  DISCUSSION  DU  l'ITHEOANTHROPUS  EREGTUS       39 

Mais  si  l'hypothèse  de  M.  Dubois  ne  se  heurte  pas  à  des  im- 
possibilités absolues,  l'hypothèse  qu'il  s'agit  d'un  individu 
inférieur,  par  rapport  à  sa  race  elle-même  inférieure,  possède 
une  égale  vraisemblance.  Un  microcéphale  australien  de 
grande  taille,  un  Australien  suhmicrocéphale  de  taille  mé- 
diocre, pourraient  avoir  un  crâne  aussi  pithécoïde  que  celui 
de  Java.  Cette  hypothèse  a  contre  elle  l'obligation  d'invoquer 
un  hasard  plus  ou  moins  exceptionnel. 

Enfin,  l'hypothèse  que  le  fossile  de  Java  serait  un  repré- 
sentant normal  d'une  race  humaine  tertiaire,  intermédiaire 
entre  les  races  humaines  actuelles  les  plus  inférieures  et  les 
anthropoïdes  du  genre  gibbon,  n'est  ni  plus  ni  moins  vrai- 
semhlable  que  les  précédentes. 

Si  la  théorie  de  M.  Dubois  doit  être  ainsi  ramenée  à  l'état 
d'hypothèse,  on  ne  saurait  méconnaître  pour  cela  l'intérêt  de 
ces  faits  :  que  le  premier  et  seul  crâne  humain  découvert  à 
Java  dans  un  lorrain  tertiaire  est  morphologiquement  au  ni- 
veau des  crânes  australiens  les  plus  inférieurs,  et  qu'il  pré- 
sente des  caractères  assez  analogues  à  ceux  du  genre  gibbon, 
existant  à  Java,  au  point  que  l'on  pourrait  attribuer  sans  dif- 
ficulté un  crâne  semblable  à  une  espèce  de  gibbon  qui  possé- 
derait une  taille  humaine  et  un  développement  intellectuel 
quelque  peu  supérieur  à  celui  des  anthropoïdes  connus. 

Tout  en  réduisant  la  théorie  de  M.  Dubois  à  l'état  d'hypo- 
thèse, on  doit  donc  attribuer  une  certaine  valeur  à  sa  décou- 
verte. 

Comme  je  l'ai  dit  au  début  de  ce  travail,  on  ne  trouvera  pas 
l'origine  de  l'homme  décrite  sur  des  pièces  analomiques  aussi 
explicitement  que  dans  la  bible.  Il  faudra  toujours  recourir, 
en  pareille  matière,  a  l'induction  et  toujours,  peut-être,  com- 
pléter les  faits  acquis  par  des  hypothèses.  Mais  l'induction  et 
l'hypothèse  ont  assez  contribué  au  progrès  de  la  science  pour 
mériter  d'être  traitées,  ici  comme  ailleurs,  avec  considé- 
ration. 

11  doit  être  fort  intéressant  pour  tout  anatomisle  anthropo- 


40  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

logiste  que  l'on  ait  trouvé  un  crâne  fossile  dont  la  qualité  de 
crâne  humain  est  déjà  douteuse. 

Cela  corrobore  l'espoir  de  trouver,  à  Java  ou  ailleurs,  des 
restes  squelettiques  suffisants  pour  démontrer  l'existence,  à 
l'époque  pliocène,  d'une  race  dont  il  sera  impossible  de  dire  si 
c'était  une  race  humaine  ou  une  race  simienne. 

Les  partisans  de  la  doctrine  créationniste  pourront  se  con- 
tenter, alors,  de  rappeler  la  maxime  «  natura  non  facitsaltus  ». 
Cette  maxime  n'est  pas  pour  déplaire  aux  partisans  de  la 
doctrine  transformiste.  Ce  ne  serait  pas,  pour  ces  derniers, 
un  léger  motif  de  satisfaction  si  l'on  arrivait,  à  constater  que, 
même  en  ce  qui  concerne  l'espèce  humaine,  la  «  Nature  »  a 
procédé  comme  si  elle  eût  été  impuissante  à  passer  d'une 
espèce  à  une  autre  sans  produire  une  catégorie  intermédiaire. 


P.-S.  —  Un  retard  considérable  apporté  parle  changement 
d'imprimeur  dans  la  publication  de  ce  bulletin  m'a  permis  de 
prendre  connaissance  des  appréciations  émises  sur  la  décou- 
verte de  Java  par  plusieurs  éminents  anatomistes.  Bien  que 
chacune  de-  ces  appréciations,  considérée  isolément,  diffère 
plus  ou  moins  de  la  mienne,  leur  ensemble  me  paraît  ajouter 
beaucoup  de  poids  a  la  manière  de  voir  que  j'ai  communi- 
quée dès  le  mois  de  janvier  1895  devant  la  Société  d'Anthro- 
pologie de  Paris  et  que  je  viens  d'exposer.  En  effet,  tan- 
dis qu'en  Grande-Bretagne  les  professeurs  Cunningham  {  et 
W.  Turner  -  considèrent  le  crâne  fossile  de  Java  comme  un 
crùne  humain,  opinion  partagée  en  Suisse  par  M.  Rudolf 
Martin  :!,  de    Zurich,    des    anatomistes   allemands   tels  que 

i  Dv  Dubois  so-called  missing  link.  (Nature  1895). 

2  On  M.  Dubois  description  of  remains  recenthj  found  in  Java  wilh 
remarks  on  so  called  Iransitîonal  forms  between  Apes  and  Man.  (Jour- 
nal of  anat.  And  I'hysiol. ,  vol.  XXIV,  424. 

3  Krisliche  Bedenken  gegen  den  Pithecauthropus  erectus  Dubois. 
(Globus,  «and  LXVII,  Nr.  14). 


L.  MANOUVRIER.  —  DISCUSSION  DU  PITHECANTHROPUS  ERECTUS       41 

les  professeurs  Krailse  \  Virchovv,  Luschan  et  Waldeyer  ne 
seraient  pas  éloignés  de  considérer  plutôt  ce  crâne  comme 
ayant  appartenu  à  un  anthropoïde.  Krause  conclut  même 
nettement  dans  ce  sens. 

La  divergence  d'appréciations  si  autorisées  de  part  et  d'au- 
tre et  formulées  isolément  par  des  savants  de  la  plus  haute 
compétence  ayant  sous  les  yeux  ou  connaissant  toutes  les  col- 
lections les  plus  riches  de  l'Europe,  cette  divergence  vient  à 
l'appui  de  mon  opinion  plus  dubitative  et  formulée  la  pre- 
mière. M.  Eug.  Dubois  s'en  félicitera  sans  doute  plus  encore, 
bien  que  sa  propre  opinion  ait  été  généralement  considérée 
comme  trop  hardie,  car  il  n'a  eu  à  sa  disposition,  pour  s'é- 
clairer, qu'un  très  petit  nombre  de  pièces  propres  à  élucider 
la  question.  C'est  un  fait  dont  il  faut  tenir  compte  pour  appré- 
cier avec  justice  la  valeur  de  son  mémoire. 

Je  n'ai  pu  prendre  connaissance  que  des  conclusions  for- 
mulées par  les  auteurs  cités  plus  haut.  Je  me  borne  donc  a 
insister  ici  sur  l'opposition  très  remarquable  dont  je  viens  de 
parler.  Je  puis  cependant  présenter  quelques  remarques  au 
sujet  du  mémoire  lu  par  sir  W.  Turner  le  4  février  1895  à  la 
Société  royale  d'Edinburgh. 

En  ce  qui  concerne  les  exostoses  fémorales,  W.  Turner  est 
d'avis,  comme  moi,  qu'elles  résultent  de  l'ossification  d'inser- 
tions musculaires,  et  il  m'a  dit  en  avoir  vu  de  presque  aussi 
grandes  sur  un  fémur  humain.  Le  professeur  G.  Garson,  de 
Londres,  m'apprend,  d'autre  part,  qu'il  en  existe  d'aussi  gran- 
des dans  les  collections  d'anatomie  humaine  pathologique  du 
Royal  Collège  of  Surgeons.  Quant  à  l'identité  spécifique  du 
fémur  de  Java,  W.  Turner  ne  trouve  pas  plus  que  les  autres 
anatomistes,  dans  ce  fémur,  de  caractères  pouvant  indiquer 
que  ce  n'est  pas  un  fémur  humain. 

En  ce  qui  concerne  la  dent,  Turner  ne  conclut  pas  d'une  fa- 
çon décisive.  Il  n'a  pu  trouver,  dans  toute  sa  belle  collection  de 
crânes  australiens,  aucune  3e  molaire  supérieure  dont  la  cou- 


1  Zeitschrift  fur  Ethnologie,  1895.  Heft  I. 


42  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

ronne  atteigne  les  dimensions  de  celle  de  Java.  Celle  dont  j'ai 
parlé  s'en  rapprocherait  beaucoup  plus  et  présente  une  direc- 
tion semblable,  mais  c'est  une  3e  molaire  inférieure  et  ses  ra- 
cines sont  relativement  petites. 

En  ce  qui  concerne  le  crâne,  Turner  a  pu  citer  un  certain 
nombre  de  crânes  humains  très  rapprochés,  soit  par  la  forme 
de  leur  courbe  sagittale,  soit  par  leur  faible  hauteur,  soit  par 
leur  faible  capacité,  du  crâne  de  Java.  Il  a  obtenu  comme 
moyenne  pour  24  hommes  australiensl,286  cent,  cubes  et  pour 
12  femmes  1,106  cent,  cubes.  Un  crâne  masculin  a.présenté  le 
minimum  de  L044  cent,  cubes.  Sur  les  12  féminins,  o  ont  une 
capacité  inférieure  a  1,100  et  3  de  998  à  930  cent,  cubes. 

Ces  chiffres  sont,  en  vérité,  fort  intéressants.  Ils  montrent 
rpie,  dans  la  race  australienne,  la  capacité  crânienne  peut 
descendre  très  fréquemment  aussi  bas  que  celle  du  crâne  de- 
Java.  C'est  un  fait  propre  à  corroborer  puissamment  l'opinion 
que  ce  crâne  pourrait  être  simplement  celui  d'un  sauvage  plus 
ou  moins  inférieur  par  rapport  à  la  moyenne  de  sa  race:  et 
dont  l'infériorité  ne  serait  pas  tellement  exceptionnelle  qu'on 
ne  pût  en  rencontrer  une  semblable  sur  20  ou  30  individus. 

Aux  chiffres  cités  par  sir  W.  Turner  on  peut  ajouter,  avec 
M.  Rudolf  Martin,  que  Sir  W.  II.  Flower  a  trouvé  un  crâne 
Veddah  et  un  crâne  Andaman,  tous  les  deux  féminins,  avec  des 
capacités  de  960  cent,  cubes  et  de  1,040  cent,  cubes. 

Une  objection  se  présente  pourtant.  Il  ne  s'agit  pas  seule- 
ment de  trouver  les  différents  caractères  du  crâne  de  Java 
dans  l'espèce  humaine  ;  il  faudrait  encore  que  ces  caractères 
fussent  trouvés  réunis  sur  un  même  crâne  et  il  faudrait  exa- 
miner si  ce  crâne  peut  être  considéré  comme  normal  ou  comme 
pathologique,  afin  déjuger  si  l'on  doit  considérer  le  crâne  de 
Java  comme  un  représentant  à  peu  près  normal  de  sa  race  ou 
comme  un  cas  extraordinaire  trouvé  là  en  vertu  d'un  hasard 
non  moins  extraordinaire. 

Je  ne  doute  pas  de  la  possibilité  de  trouver  dans  l'espèce 
humaine,  même  en  dehors  des  cas  pathologiques,  une  capa- 
cité crânienne  aussi  faible,  une  visière  frontale  aussi  proémi- 


L.   MANOUVRIER.   —  DISCUSSION  DU  PITHEOANTHROPUS  EREGTUS       43 

nente,  une  inclinaison  frontale  aussi  forte,  une  hauteur  aussi 
faible  que  sur  le  crâne  de  Java,  d'autant  mieux  que  plusieurs 
de  ces  caractères  sont  fréquemment  associés  entre  eux.  Peut- 
être  cependant  aurait-on  beaucoup  de  peine  à  trouver  sur  un 
crâ  ne  non  pathologiquement  microcéphale  le  renflement  occipi- 
to-pariétal  sur  lequel  j'ai  insisté  et  qui  apparaît  admirablement 
sur  l'un  des  dessins  du  crâne  de  Java  reproduits  dans  le  mé- 
moire de  M.  Turner  (fig.  1,  p.  431), 

Il  me  paraît  surtout  important  de  savoir  si  les  capacités  crâ- 
niennesinférieures  à  1 ,050  cenl.  cubes  rencontrées  dans  la  race 
australienne  coïncidaient  avec  la  présence  d'une  visière  fron- 
tale aussi  énorme  que  celle  du  crâne  de  Java.  Il  est  vrai  que 
cette  visière  constitue  l'un  des  traits  ethniques  du  crâne  aus- 
tralien. Mais,  la  comme  ailleurs,  elle  est  en  relation  avec  la 
taille  de  l'individu;  c'est  pourquoi  elle  est  très  atténuée  sur  les 
crânes  féminins  et  aussi  chez  les  individus  de  très  petite  taille 
qui  sont  particulièrement  susceptibles  d'avoir,  sans  anomalie, 
une  très  faible  capacité  crânienne.  Il  importerait  donc,  à  mon 
avis,  de  savoir  si  les  quatre  crânes  féminins  et  le  crâne  mas- 
culin d'une  capacité  inférieure  à  1,050  cent,  cubes  du  musée 
d'Edinburgh  étaient  pourvus  d'une  visière  frontale  aussi  proé- 
minente que  celle  du  crâne  de  Java.  Il  me  parait  plus  proba- 
ble que  ces  très  petits  crânes  présenteraient  au  contraire,  sous 
ce  rapport,  une  atténuation,  même  relativement  à  la  moyenne 
de  leur  race. 

J'estime  aussi  qu'il  importerait  de  savoir  si  ces  mêmes  crânes, 
au  lieu  de  présenter  une  forme  semblable  à  celle  du  crâne  de 
Java,  ne  présenteraient  pas,  au  contraire  une  atténuation  de 
la  forme  bestiale  commune  parmi  les  crânes  australiens.  Ce  desi- 
deratum est  indiqué  par  le  fait  sur  lequel  j'ai  appelé  déjà 
l'attention,  que  lorsque  l'exiguité  du  crâne  est  simplement  en 
rapport  avec  une  très  petite  taille,  elle  s'accompagne  très  gé- 
néralement d'une  certaine  supériorité  morphologique  analogue 
à  celle  des  crânes  de  jeunes  anthropoïdes.  En  même  temps, 
le  faible  poids  du  crâne,  sa  minceur  et  la  féminisation  de  sa 
surface  extérieure  contribuent  à  dénoter  la  faible  taille  du  sujet, 


44  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

Ouand  l'exiguïté  du  crâne  n'est  pas  accompagnée  de  ces  ca- 
ractèresets'accompagne  au  contraire  d'une  infériorité  morpho- 
logique caractérisée  par  l'étroitesse  relative  du  front,  par  son 
inclinaison,  par  les  divers  signes  d'une  prédominance  relative 
du  développement  maxillaire,  alors  on  peut  conclure  que  l'en- 
céphale était  petit,  non  seulement  d'une  façon  absolue,  mais 
encore  relativement  à  la  masse  du  corps  et  que,  par  conséquent, 
il  s'agit  d'un  développement  encéphalique  insuffisant,  d'un 
rapprochement  vers  la  microcéphalie  vraie. 

Ce  sont  les  crânes  de  ce  dernier  genre  auxquels  convient  le 
nom  de  submicroeéphales.  Leur  forme  doit  être  appréciée, 
naturellement,  d'après  la  moyenne  de  leur  race.  On  ne  peut 
demander  à  un  pygmée  australien  la  compensation  crâ- 
nienne morphologique  exigible  chez  un  pygmée  européen. 

Si  l'on  attribue  au  crâne  de  Java  le  sexe  féminin  c'est  sa 
visière  frontalequi.  alors,  deviendra  étonnante.  J'ai  trouvé,  moi 
aussi,  quelques  crânes  européens  ou  exotiques  dont  la  capacité 
est  inférieure  à  lOOOcent.  cubes  etun  certain  nombre  qui  cubent 
de  1 ,000  à  1 ,  100  cent,  cubes.  Parmi  ces  crânes  quelques-uns  pré- 
sentent les  caractères  morphologiques  du  manisme  simple  in- 
diqués plus  haut.  Mais  la  plupart  semblent  avoir  appartenu  à 
des  individus  à  la  fois  petits  et  imbéciles,  à  des  submicrocé- 
phales. L'un  des  deux  plus  petits  crAnes  exotiques  du  Musée 
Broca  est  celui  d'un  Néo-Calédonien  qui  était  un  nain  difforme 
et  accompagnait  un  chef  en  qualité  de  sorcier.  Ce  crâne  n'est 
pas  plus  grand  que  celui  de  Java,  mais  il  présente  précisément 
des  caractères  en  rapport  avec  la  petite  taille  du  sujet;  il  est 
évident  que  c'est  un  crâne  pathologique.  L'autre  crâne  cube 
1,060  ce.  (Fig.  6).  Il  provient  de  l'île  Engineer  (S-E  de  la  Nou- 
velle Guinée)  et  fait  partie  d'une  série  de  14  crAnes  dont  le 
plus  petit  après  lui  cube  1,215  cent.  cube.  C'estun  crâne  fémi- 
nin qui,  par  ses  diamètres  transverse  maximum  (=  116)  et 
frontal  maximum  (=  79),  <>st  inférieur  au  crâne  de  Java  lui- 
même.  Mais  son  diamètre  basio-bregmatique  atteint  128  mil- 
limètres et  l'ensemble  de  ses  caractères  morphologiques  ne 
permet  pas  de  douter  qu'il  ait  appartenu  à  un  sujet  de  très 


L.  MÀNOUVRIER.  —  DISCUSSION  DU  PlTHECANTHROPUS  EKECTUS       45 

petite  taille.  Loin  de  présenter,  comme  le  crâne  de  Java,  une 
visière  frontale  énorme  même  pour  un  australien,  il  ne  pos- 
sède qu'une  très  minime  saillie  glabellaire  et  sus-orbitaire 
pour  sa  race.  S'il  en  était  ainsi  pour  les  petits  crânes  austra- 
liens cités  par  W.  Turner,  comme  permet  de  le  supposer  la  qua- 
lité de  féminins  attribuée  à  tous  sauf  un,  il  s'agirait  simple- 
ment là  d'une  exiguïté  encépbalique  en  rapport  avec  l'exiguïté 
de  la  taille  dans  une  race  dont  le  développement  cérébral 
moyen  est  déjà  faible  normalement. 

Pourlecrane  de  Java,  au  contraire,  sa  visière  frontale  énorme 
et  aussi  sa  forme  générale  ne  permettent  pas  de  l'attribuer  à 
une  femme  ou  à  un  homme  d'une  taille  exceptionnellement 
petite.  On  est  donc  conduit  à  l'attribuer  à  un  individu  d'une 
assez  forte  taille  et  d'une  intelligence  inférieure  même  pour  la 
race  australienne.  Il  s'agirait  donc  de  savoir,  comme  je  l'ai 
dit  plus  haut,  si  cet  individu  était  un  représentant  normal  ou 
anormal  de  sa  race.  Dans  le  cas  où  les  crânes  australiens  cités 
par  Turner  auraient  une  visière  frontale  aussi  développée  en 
même  temps  qu'une  forme  générale  aussi  inférieure  que  celle 
du  crâne  de  Java,  la  remarque  du  savant  professeur  d'Edin- 
burg  ajouterait  beaucoup  de  poids  à  l'hypothèse  que  le  crâne 
de  Java  n'a  rien  de  plus  étonnant  qu'un  assez  bon  nombre  de 
crânes  australiens  actuels.  La  race  fossile  à  laquelle  a  appar- 
tenu ce  crâne  pourrait  avoir  été  une  race  humaine  tout  aussi 
développée  que  la  race  australienne  actuelle. 

Dans  le  cas  contraire,  il  faudrait  admettre  ou  bien  que 
M.  Dubois  a  rencontré  par  un  hasard  extraordinaire  le  crâne 
d'un  microcéphale  plus  ou  moins  idiot,  sans  valeur  ethnique 
par  conséquent,  ou  bien  que  ce  crâne  représente  normalement 
une  race  inférieure,  crâniologiquement,  aux  races  humaines 
actuelles  les  plus  inférieures,  ce  qui  impliquerait  un  dévelop- 
pement intellectuel  vraiment  peu  éloigné  de  celui  des  anthro- 
poïdes. 

Pour  savoir  si  cette  race  appartenait  au  type  humain  de 
marcheur  bipède  ou  bien  si  c'était  une  race  appartenant  à  un 
type  grimpeur,  de  nouveaux  documents  seraient  nécessaires. 


46  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1893 

A  la  Société  d'Anthropologie  de  Berlin,  Krause  a  conclu  de 
son  examen  du  crâne  de  Java  qu'il  a  existé  une  espèce  de 
gibbon  de  grande  taille  avec  une  capacité  crânienne  plus 
grande  que  chez  les  gibbons  connus.  Mais,  considérant  le 
fémur  comme  absolument  humain,  il  a  conclu  que  ce  fémur 
atteste  l'existence  à  Java,  peut-être  dans  le  pliocène  supérieur, 
d'une  race  humaine  ayant  une  taille  et  un  fémur  exactement 
les  mêmes  que  dans  la  plupart  des  races  actuelles. 

Cette  double  conclusion  d'un  anatomiste  aussi  autorisé  ne 
paraîtra  pas  radicalement  opposée  à  l'opinion  de.  M.  Dubois 
si  on  la  rapproche  de  certaines  considérations  présentées  dans 
mon  travail,  à  savoir  :  1°  qu'il  existe  morphologiquement  des 
différences  assez  faibles  entre  le  fémur  de  gibbon  et  le  fémur 
humain  pour  qu'on  ne  trouve  aucune  difficulté  à  admettre 
qu'un  gibbon  de  grande  taille  ait  pu  avoir  un  fémur  sem- 
blable à  celui  de  Java;  2°  que,  dans  cette  hypothèse,  il  serait 
satisfaisant  de  trouver  chez  ce  gibbon  un  fémur  plus  humain 
que  le  crâne,  puisque  le  perfectionnement  crânien  devrait 
avoir  eu  pour  antécédent  le  perfectionnement  de  la  locomo- 
tion bipède  et  du  fémur,  et  puisque  nous  voyons  encore  aujour- 
d'hui des  races  humaines  sauvages  tout  aussi  bien  partagées 
que  les  races  européennes  sous  le  rapport  du  fémur  alors 
qu'elles  sont  notablement  arriérées  sous  le  rapport  du  crâne. 
On  peut  ajouter  que,  pour  atteindre  la  forme  humaine,  le 
fémur  d'un  grand  gibbon  aurait  beaucoup  moins  à  faire  que 
le  crâne,  ce  qui  expliquerait  le  retard  relatif  de  ce  dernier. 

Virchow  a  noté  que  le  fémur  de  Java  se  rapprocherait  de 
celui  du  gibbon  par  le  défaut  de  courbure  de  la  portion  infé- 
rieure de  sa  diaphyse.  Mais  j'avoue  mon  défaut  de  conviction 
sur  ce  fait  qui  serait  à  ajouter  aux  considérations  précédentes. 

Sans  abandonner  aucune  des  réserves  que  j'ai  faites  dans  le 
présent  travail,  je  puis  donc  dire,  en  terminant,  que  la  ques- 
tion soulevée  par  la  découverte  et  le  travail  de  M.  Dubois 
reste  une  question  ouverte  et  que  l'hypothèse  d'un  Pithecan- 
thropus,  sans  pouvoir  sortir  pour  le  moment  de  l'état  d'hypo- 
thèse, n'est  pas  en  contradiction  formelle  avec  les  faits  connus. 


LIONEL  BONNEMÈRE.   —   LE  DOLMEN  DE  l'ÉTHIAU  47 

Discussion. 

M.  Mathias  Duval  dit  que,  d'après  les  considérations  pré- 
sentées par  M.  Manon vrier,  la  découverte  de  Java  possède 
une  très  haute  importance.  Il  demande  que  ces  considérations 
soient  reproduites  dans  le  Bulletin  avec  tous  les  développe- 
ments qu'elles  comportent. 

M.  Sanson  dit  qu'il  approuve  pleinement  les  réserves  de 
M.  Manouvrier. 

M.  Manouvrier  fait  observer  que,  sur  certains  points,  son 
appréciation  aurait  pu  être  plus  catégorique  s'il  eût  pu  juger 
d'après  des  moulages  au  lieu  de  simples  photographies.  11 
pense  que  l'on  pourrait  s'adresser  au  gouvernement  néerlan- 
dais pour  obtenir  ces  moulages. 

M.  G.  de  Mobtillet  appuie  cette  proposition  et  M.  Fourdri- 
c.MER  offre  d'être  en  cela  l'intermédiaire  de  la  Société. 

M.  Mathias  Duval  demande  à  M.  Manouvrier  s'il  a  rencon- 
tré réunies  sur  un  même  fémur  humain  les  diverses  particula- 
rités considérées  par  M.  Dubois  comme  différenciant  le  fémur 
de  Java  d'un  fémur  humain. 

M.  Manouvrier  répond  que  ces  particularités  sont  trop 
ordinaires  dans  l'espèce  humaine  pour  n'être  pas  réunies  sur 
de  nombreux  fémurs  humains. 

communications. 

Le  Dolmen  de  l'Éthiau. 

par    M.     Lionel    Bonnemèke. 

Au  nom  de  M.  Pierre  Guittonncau  et  au  mien,  j'ai  l'hon- 
neur d'offrir  à  la  Société  d'anthropologie  un  moulage  du  prin- 
cipal groupe  de  signes  gravés  qui  se  trouve  à  l'intérieur  sur 
une  des  dalles  du  dolmen  d'Ethiau  dans  la  commune  de 
Couture  (en  Maine-et-Loire.) 


48  SÉANCE  DU  3  JANVIER  1895 

J'ai  déjà  eu  le  plaisir  d'entretenir  mes  collègues  de  ce 
monument  par  malheur  très  incomplet  et  j'en  ai  offert  une 
photographie  à  notre  compagnie. 

Je  ne  veux  par  revenir  sur  ce  que  j'ai  dit  au  sujet  de  ce 
dolmen  dont  j'ai  déjà  indiqué  les  dimensions. 

Je  veux  simplement,  aujourd'hui,  vous  signaler  quelques 
autres  signes  que  j'ai  remarqués  et  qui  se  trouvent  sur  la 
dalle  dont  j'ai  fait  mouler  la  partie  la  plus  intéressante.  Ils 
forment  deux  autres  petits  groupes  composés  l'un  de  quatre 
traits  et  l'autre  de  trois.  A  noter  encore,  près  de  l'entrée,  une 
sorte  de  Y  très  bien  tracé.  La  profondeur  des  deux  lignes  qui 
le  composent  est  de  25  centimètres. 

Malgré  l'opinion  si  compétente  de  plusieurs  de  nos  collè- 
gues, il  m'est  impossible  de  croire  que  tous  ces  dessins  soient 
dus  à  des  influences  athinosphériques  et  j'ai  la  très  ferme 
conviction  qu'ils  ont  été  exécutés  de  main  d'homme,  ce  qui 
les  rend  intéressants  pour  nous. 

M.  Bourez  a  bien  saisi  les  particularités  qui  distinguent  ce 
dolmen  quand  il  dit  que  pour  le  construire  on  a  utilisé  des 
blocs  natifs  que  l'on  a  recouverts  d'une  dalle  et  au  milieu 
desquels  on  a  déblayé  un  espace  suffisant  pour  le  but  de  ce 
monument,  en  se  contentant,  pour  le  compléter,  de  l'augmen- 
ter d'un  vestibule  au  moyen  de  dalles  rapportées  malheu- 
reusement renversées  ou  même  disparues,  du  moins  pour  la 
plupart. 

Je  le  repète,  il  n'est  pas  douteux  pour  moi  que  les  stries 
qui  couvrent  une  des  dalles  soient  dues  à  la  main  de  l'homme. 
Quels  sont  les  ouvriers  qui  les  ont  tracées?  Faut-il  y  voir 
l'œuvre  de  préhistoriques'?  Faut-il  leur  donner  pour  auteurs 
quelques-uns  des  carriers  qui  depuis  un  temps  immémorial 
exploitent  les  grès  si  communs  dans  les  environs?  Ou  si  l'on 
veut  encore,  doit-on  leur  donner  pour  auteurs  les  gens  qui 
ont  habité  ce  dolmen  transformé  en  petite  chambre?  Je  n'en 
sais  rien  et  je  laisse  la  chose  à  décider  à  plus  compétent  que 
moi. 

Mon  but  a  été  surtout  d'appeler  l'attention  de  mes  collé- 


OUVRAGES  OFFERTS  49 

gués  sur  un  monument  qui  présente  des  particularités  cer- 
tainement curieuses  et  dont  l'existence  a  été,  à  certain  moment 
surtout,  très  fortement  menacée. 

Des  dessins  accompagnant  cette  communication  ont  été 
déposés  aux  archives  de  la  Société. 

L'un  des  secrétaires  :  Dr  Paul  Raymond. 


6Ue  SÉANCE.  —  17  janvier  18fl:>. 
Présidence  de  M.  Issaurat. 

CORRESPONDANCE. 

M.  le  Président  communique  l'annonce  du  décès  de  M.  0.  Mac- 
Carthy,  conservateur  honuraire  de  la  Bibliothèque  et  Musée 
d'Alger,  membre  correspondant  national  depuis  1879.  Il 
exprime  les  regrets  de  la  Société. 

Lettre  de  remerciements  de  M.  le  Dr  Despréaux  pour  son 
élection. 

Lettre  de  M.  Emile  Schmit  qui  adresse  à  la  Société  trois 
eusses  renfermant  des  ossements  gaulois  et  quelques  osse- 
ments provenant  de  la  sépulture  néolithique  de  la  Groix-des- 
Cosaques. 

Lettre  de  M.  (iodel,  adjoint  colonial  à  Franceville  (Congo) 
annonçant  l'envoi  d'un  squelette  Batéké. 

ouvrages  offerts. 

Lausiès  (Drj.  —  Population  du  Havre.  Origine,  développement , 
démographie,  in-8°,  157  pages  et  diagramme,  Havre,  1894. 

Levier  (Emile).  -  -  A  travers  le  Caucase,  gr.  in-8°,  347  pages 
et  lig.,  Neufchateb  1894. 

t.  vi  (i«  série).  4 


50  SÉANCE  DU  19  JANVIER  1895 

Oloriz  (Dr  Federico).  —  Distribution  geografca  del  indice 
cefalico  en  Espagna  deducida  del  examen  de  8.368  varones  adul- 
tes >  in-8°,  286  pages  et  cartes,  Madrid,  1894. 

En  offrant  cet  ouvrage,  à  la  Société,  de  la  part  de  l'auteur, 
M.  Deniker  en  fait  ressortir  l'importance.  C'est  le  premier 
essai  d'ensemble  sur  l'indice  céphalique  en  Espagne  basé  sur 
les  mesures  de  plus  de  8,000  individus.  Ce  travail  conscien- 
cieux servirait  à  lui  seul  à  établir  l'autorité  de  M.  Oloriz  en  la 
matière.  Mais  le  savant  professeur  de  Madrid  ne  s'en  est  pas 
tenu  là.  Il  vient  de  nvinformer  par  une  lettre  .qu'il  est  en 
train  de  mettre  en  œuvre  les  chiffres  recueillis  par  lui,  sur  la 
taille  de  plusieurs  milliers  de  recrues  espagnoles.  Ainsi  donc, 
grâce  aux  travaux  de  M.  Oloriz  et  de  ses  élèves,  nous  serons 
bientôt  en  possession  des  éléments  importants  qui  nous  ont 
manqué  jusqu'à  ce  jour  sur  les  caractères  physiques  des 
habitants  de  la  péninsule  ibérique.  Les  travaux  que  je  vous 
signale  combleront  une  lacune  que  j'étais  un  des  premiers  à 
regretter  ici  même,  il  y  a  quelques  années. 

M.  le  D1'  Collignon.  Je  m'associe  pleinement  à  tout  ce  que  vient 
de  faire  remarquer  M.  Deniker.  Comme  lui,  je  suis  frappé  de 
l'homogénéité  que  présente  l'Espagne  au  point  de  vue  de  la 
forme  céphalique.  Je  tiens  toutefois  à  faire  observer  que  ce 
fait  n'implique  pas  identité  de  race.  Dans  le  reste  de  l'Europe 
et  notamment  en  France,  diverses  populations,  soit  dolicho- 
cépbales,  soit  brachycéphales,  se  sont  heurtées  sans  pouvoir 
s'absorber,  parce  quelles  formaient  des  groupes  sensiblement 
égaux  en  nombre.  En  Espagne,  au  contraire,  les  races  bra- 
chycéphales moins  favorisées  sous  ce  rapport,  se  sont  pres- 
que complètement  fondues  dans  les  masses  dolichocéphales 
soit  primitives,  soit  immigrées.  Celles-ci  possédant  des  indices 
céphaliques,  respectivement  très  voisins,  ne  sauraient  être  dif- 
férenciées par  cet  important  caractère.  C'est  ainsi  que  les  Cas- 
tillans, les  Aragonais,  les  Catalans  se  distinguent  à  première 
vue  des  Andalous  qui,  inversement,  me  semblent  inséparables 
des  populations  Berbères  d'Algérie  prises  en  bloc.  En  exa- 
minant, en  Espagne,  les  hommes  d'un  régiment  d'infanterie, 


OUVRAGES  OFFERTS  ;"1 

qu'on  avait  eu,  p'our  favoriser  mes  recherches,  l'obligeance 
de  grouper  suivant  leur  origine,  le  fait  sautait  aux  yeux. 
Or,  l'indice  céphalique  des  uns  et  des  autres  oscille  autour 

de  77. 

D'autre  part,  un  fait  capital  pour  l'ethnographie  de  la  pé- 
ninsule ressort  de  ce  que  la  seule  région  du  pays  qui  soit 
légèrement,  mais  réellement  brachycéphale1  est  celle  qui 
s'étend  sur  tout  le  littoral  nord  et  vient  se  terminer  dans  les 
provinces  basques. 

En  entretenant  l'année  dernière  la  Société  de  mes  recher- 
ches sur  le  peuple  Euskuarien,  j'avais  expliqué  la  moindre 
homogénéité  des  Basques  d'Espagne  par  rapport  à  leurs  con- 
génères français,  en  invoquant  les  croisements  prolongés  que 
les  premiers  ont  subi  avec  les  autres  races  hispaniennes  lors 
de  l'invasion  mulsulmane.  Les  Basques  de  France  y  avaient 
échappé,  protégés  par  la  montagne  elle-même  et  avaient 
conservé,  comme  déjà  l'observait  Broca,  sans  pouvoir  l'expli- 
quer, une  plus  grande  pureté  de  coutumes,  de  mœurs  et  de 
langue,  j'ajoutais  même  de  race. 

Il  me  semble  que  l'étude  des  cartes  de  M.  Oloriz  apporte  de 
sérieux  arguments  en  faveur  de  cette  opinion.  L'acculement 
de  brachycéphales  à  la  mer  dans  les  monts  des  Asturies,  peut 
être  considéré  comme  un  phénomène  connexe.  C'est  là  que  s'ar- 
rêta le  Ilot  des  invasions  musulmanes,  là  aussi  que  se  recons- 
titua sous  forme  de  petits  états  indépendants,  la  patrie  espa- 
gnole et  là,  par  conséquent,  postérieurement  à  la  marche  vers 
le  sud  des  populations  chrétiennes,  et  à  la  grande  uniformi- 
sation de  type  que  ce  gigantesque  brassage  d'hommes  devait 
produire  et  a  produit  en  effet,  là  que  devaient  nécessairement 
se  conserver  des  groupes  de  population  plus  différenciés  et 
plus  primitifs  au  sens  ethnographique  du  mot.  Les  popula- 

1  Le  littoral  de  la  province  de  Séville  est  aussi  relativement  bra- 
chycéphale, mais  sans  dépasser  79,  sauf  dans  trois  petites  circons- 
criptions. Influence  ligure,  dit  M.  Oloriz;  c'est  du  reste  ce  qui  sem- 
ble le  plus  problable. 


52  SÉANCE  DU  47  JANVIER  4893 

tiens  celtiques  de  la  Gallice  et  des  Asturies  ont  été  à  cette 
époque  profondément  modifiées  par  le  refoulement  dans  la 
montagne  d'un  nombre  considérable  de  fuyards  et  d'émi- 
grants  provenant  de  tous  les  autres  peuples  espagnols,  en 
majorité  dolichocéphales.  Le  type  résultant  du  mélange  s'est 
modifié  dans  le  sens  de  dolichocéphalie,  car  les  indices  de  80- 
81  ou  82,  observés  dans  cette  région  accusent  un  métissage 
énergique  (en  France  et  en  Italie,  des  départements  entiers 
atteignent  les  indices  énormes  de  87  et  88),  mais  il  n'y  a  pas 
eu  cependant  absorption  complète  des  premiers  occupants  par 
les  nouveaux  venus,  en  sorteque  l'état  actuel  de  la  population 
est  encore  un  pâle  reflet  du  passé. 

A  l'autre  extrémité  de  la  chaîne  cantabrique,  en  pays  bas- 
que, le  même  phénomène  s'est  produit,  mais  la  race  primi- 
tive y  était  différente.  Je  crois  avoir  démontré  qu'elle  était 
brachycéphale  bien  qu'à  un  moindre  degré  que  les  Celtes  de 
Gallice;  on  comprendra  donc  facilement  que  les  croisements 
aient  abaissé,  non  moins  énergiquement.  son  indice  céphali- 
que  qui,  de  83  environ,  est  tombé  à  78  et  79,  comme  chez 
ceux-ci,  il  était  descendu  d'un  chiffre  primitif  vraisemblable- 
ment voisin  de  88  au  chiffre  actuel  de  80-82. 

périodiques.  —  Articles  à  signaler. 

L'Anthropologie,  n°  6,  1894.  —  \\.  Ponlnau  et  E.  Gabié  : 
Un  cimetière  gaulois  à  Saint-Sulpice  (Tarn):  —  D1'  John 
Beddœ  :  Sur  l'histoire  de  l'indice  céphalique  dans  les  îles 
Britanniques  {fin);  —  Dr  Besson  :  Biles  funéraires  en  usage 
chez  les  Betsiléos. 

Bulletin  de  la  Société  dauphinoise  d'ethnologie  et  d'anthropologie, 
décembre  1894.  —  Dr  A.  Bordier  :  Crânes  de  Yeurey  et  Yen- 
tavon;  —  H.  Muller  :  Fouilles  aux  Balmes  de  la  Buisse,  près 
Voreppe;  —  Dr  A.  Bordier  :  L'état  social  en  Dauphiné  avant 
la  Révolution;  —  Dr  Essautier  :  Distribution  géographique 
de  la  carie  dentaire  en  France  depuis  environ  un  demi-siècle. 

Proc.  Royal  Irish  Academy,  décembre  1894.  —  Dr  J.  Cun- 


DUHOUSSET.  —  ÉCHELLE  TÉMOIN  POUR  LES  PHOTOGRAPHIES  53 

ningham  :  On  some  osseous  remains  found  atold  Connaught, 
Bray,  Co.  Dublin. 

The  american  antiqmrian,  déeeittber  1894.  —  James  Wickers- 
ham  :  Origin  of  the  Indians;  -  D.  G.  Brinton  :  On  certain 
morphologie  traits  of  american  languages. 

Cesktj  Lid,  n°  1,  1894.  —  L.  Niederle  :  Sur  les  principales 
questions  dans  l'archéologie  de  Bohème. 

ÉLECTIONS. 

M.  Oscar  Schimdt,  palethnologue,  présenté  par  MM.  Colliri, 

A.  de  Mortillet  et  G.  de  Mortillet,  est  élu  membre  titulaire. 


A  propos  du  procès-verbal. 
Echelle   témoin  pour  les  photographies  anthropologiques. 

M.  le  Colonel  Duhousset.  —  Les  anthropologistes  et  les 
ethnographes  doivent,  autant  que  possible,  rechercher  les 
sujets  d'étude  entièrement  nus  afin  de  les  mesurer  et  exami- 
ner de  face,  de  profil  et  de  dos;  on  ne  peut  qu'approuver  et 
s'intéresser  activement  à  la  communication  émise  par  M.  de 
Mortillet,  à  la  dernière  séance,  en  nous  présentant  quelques 
types,  répondant  aux  sérieuses  expériences  d'ensemble  que 
nous  souhaitons  voir  s'accomplir  avec  suite.  L'idée  d'u  ne  collec- 
tion de  ce  genre  eut  déjà  un  commencement  d'exécution;  il  y 
a  une  vingtaine  d'années,  la  Société  d'ethnographie  fit  exécu- 
ter un  certain  nombre  de  photographies  africaines  très  réus- 
sies sur  trois  aspects. 

M.  de  Mortillet  a  commencé,  il  y  a  deux  ans,  une  série  ana- 
logue à  Annecy,  figurant  aux  constatations  photographiques 
de  la  Savoie,  dans  un  format  et  une  disposition  parfaitement 
analysables,  posant  les  sujets  en  leur  faisant  à  peu  près  join- 
dre les  talons,  et  les  bras  pendants  naturellement  pour  accuser 


54 


SÉANCE  DU   17  JANVIER  1895 


une  attitude  faisant  bien  face  à  l'appareil.  Afin  de  reproduire 
un  groupe,  il  put  soin  de  chercher,  d'homme  à  femme,  des 
comparaisons  relatives  aux  tailles  réciproques  en  les  alignant 
au  plus  près,  par  le  coude  à  coude,  ce  qui  produit  l'ensemble 
photographique  le  moins  sujet  à  se  déformer  devant  l'ob- 
jectif. 

Enfin,  pour  amener  au  meilleur  résultat,  M.  de  Mortiljet 
avait  placé  intentionnellement  ses  modèles  sur  un  tapis  dont 
les  raies  devaient  servir  à  guider  des  poses  semblables. 

Je  demanderai,  pour  le  bien  de  la  cause,  qu'il  mé  soit  per- 
mis d'ajouter  encore  quelques  précautions  à  prendre,  comme 
indice  de  comparaison  signalétique  accompagnant  le  sujet,  en 
lui  adjoignant  un  témoin  se  photographiant  avec  chaque 
épreuve. 

Ce  témoin  est  un  demi-mètre,  peint  en  blanc  et  gradué  d'une 
façon  apparente  tous  les  cinq  centimètres;  il  se  fixe  à  fond 
sur  une  rondelle  solide  lui  permettant  de  se  tenir  verticale- 
ment sur  le  sol.  A  partir  de  zéro,  une  simple  ligne,  figurée  à 
la  craie  sur  le  parquet,  constitue  immédiatement  un  angle 
droit,  dont  l'ouverture  sera  aussi  rapprochée  du  sujet  qu'on 
le  jugera  convenable,   et  même   entre    deux  personnes.  — 


DLHOUSSET.   —  ÉCHELLE  TÉMOIN  POUR  LES  PHOTOGRAPHIES         55 

L'homme,  vu  de  face,  est  placé  en  travers  de  cette  ligne  blan- 
che, de  façon  que  la  tige  verticale,  fixée  de  côté,  coupe  le  profil 
du  pied  en  avant  de  la  malléole  externe,  vérification  s'appli- 
quant  également  au  sujet,  vu  par  derrière. 

Les  dernières  expériences  du  D'  Richer  (1894,  Revue  scien- 
.  tifique)  à  propos  de  la  station  humaine  ont  prouvé  que,  de 
profil,  la  verticale  s'élevant  du  milieu  du  pied  passait  sur  le 
trou  auditif,  mais  je  crois  que,  dans  le  cas  qui  nous  occupe, 
on  se  trouvera  le  plus  souvent  en  présence  d'un  sujet  s'ap- 
puyant  franchement  sur  les  talons,  car  un  homme  auquel  on 
recommande  de  se  tenir  bien  droit,  relève  la  tête  et  cambre 
immédiatement  les  reins. 

On  pourra  donc  se  contenter  d'assurer  la  verticalité  utile  du 
témoin  T  en  le  plaçant  tangentiellement  en  avant  de  la  mal- 
léole externe;  ayant  soin,  toutefois,  que  l'écartement  extrême 
dès  pieds  AB,  dont  les  talons  sont  réunis,  n'excède  pas  la  lon- 
gueur du  pied,  de  l'extrémité  A  d'un  gros  orteil  à  l'autre  \\. 

Sans  doute,  nous  n'aurons  pas  tout  à  fait  la  normale  de  la 
ligne  de  gravité  de  la  station  verticale  droite  et  symétrique, 
qui  devrait  longer  la  partie  interne  de  la  rotule,  en  avant  du 
tibia;  mais  notre  à  peu  près  CD  sera  préférable  à  l'ancienne 
position  du  soldat  sans  armes,  le  faisant  appuyer  sur  le  pre- 
mier tiers  antérieur  du  pied,  en  penchant  le  haut  du  corps  en 
avant,  probablement  en  prévision  de  l'habituer  au  poids  inso- 
lite du  sac. 

Cette  échelle  numérique,  quoique  restreinte,  afin  d'être  plus 
maniable,  en  voyage,  est  absolument  liée  avec  celle  de  l'é- 
preuve, elle  établit  tout  de  suite,  avec  n'importe  quelle  pho- 
tographie, faite  sous  les  latitudes  les  plus  diverses,  et  ayant 
eu  recours  à  ce  témoin,  une  comparaison  facile  à  vérifier  parce 
qu'en  supposant  ce  demi-mètre  prolongé,  il  offre,  approxima- 
tivement la  division  latérale  médiane  du  corps  contenant  le 
centre  de  gravité. 

Lorsqu'on  opérera  dans  une  chambre,  on  mobilisera  à  son 
aise,  sur  un  appui  maintenant  sa  verticalité,  une  tige  graduée 
même  de  plus  d*un  mètre,  pouvant  se  démonter  et  à  laquelle 


56  SÉANCE  DU  17  JANVIER  1895 

on  adjoindra,  à  l'occasion,  un  curseur  pour  indiquer  telle 
distance  qu'il  plaira  de  justifier. 

Pour  l'homme  vu  par  derrière,  on  utilisera  le  témoin  en  fai- 
sant dépasser  les  talons,  du  côté  de  l'objectif,  en  dehors  de 
la  trace  rectiligne  du  sol  MN,  cette  dernière  ligne,  prolongée 
en  M'N',  dans  la  pose  de  profil,  apparaîtra  a  hauteur  du  bas 
de  la  malléole  externe  G  et  séparera,  en  deux  parties  égales, 
l'angle  formé  par  les  pieds  A'B'. 

Nous  avons  cru  devoir  rappeler  cette  adjonction  métrique 
déjà  recommandée,  il  y  a  plus  de  trente  ans,  lorsque  je  me- 
surai, au  fortNapoléon,  en  1864,  une  série  de  Kabyles  avec  le 
Dr  Gillebert  d'IIercourt  (qui  obtint  le  prix  Godard  pour  le  tra- 
vail qu'il  fit  a  cette  époque  en  Algérie).  —  Plus  tard,  les  mé- 
moires de  la  Société  d'Anthropologie  publièrent  en  1875,  avec 
des  conseils  sur  l'application  de  la  photographie  a  l'étude 
scientifique  des  races  humaines,  ma  notice  sur  les  instruments 
anthropométriques,  devant  faire  partie  de  la  trousse  du  voya- 
geur, résultant  de  l'usage  le  plus  praticable  à  l'étranger.  Ce 
témoin,  m'ayant  servi  dans  diverses  circonstances,  non  seule- 
ment pour  des  mensurations  humaines,  mais  afin  d'apprécier 
les  hauteurs  comparatives  de  poteries  rares,  et  d'ustensiles 
impossibles  a  rapporter. 

Inutile  d'ajouter  que,  pour  conserver  à  ces  expériences  de 
mensurations  comparatives  restreintes  ou  totales  toute  leur 
rigueur,  il  importe  à  l'explorateur  de  noter,  une  fois  pour 
toutes,  la  longueur  focale  de  l'objectif  qui  lui  a  servi  à  pren- 
dre ses  sujets. 

Il  est  bien  entendu,  aussi,  que  nous  parlons  uniquement, 
aujourd'hui, des  épreuves  en  pied,  car,  pour  les  portraits,  l'éta- 
lon de  comparaison  serait  maintenu,  de  préférence,  dans  le 
plan  passant  par  l'angle  externe  de  l'œil,  ainsi  que  le  con- 
seille M.  Bertillon  (après  nombreux  résultats  satisfaisants) 
dans  ses  instructions  signalé  tiques. 


G.  DE  M0RT1LLET.  —  TERRASSE  DE  VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE         57 


COMMUNICATIONS. 

Terrasse  inférieure  de  Villefranche-sm>Saône. 
Iudnstrie  et  faune. 

PAR    M.    G.    DE    MORTILLET. 

M.  Gh.  Depéret,  professeur  à  la  Faculté  des  sciences  de- 
Lyon,  a  fait,  le  8  août  1892,  à  l'Académie  des  sciences,  une 
communication  Sur  la  découverte  de  silex  taillés  dans  les  allu- 
vions  quaternaires  à  Rhinocéros  Mercki  de  la  vallée  de  la  Saône  à 
V  ille  franche . 

Dans  la  séance  du  13  février  1894  de  la  Société  d'Anthro- 
pologie, M.  Ernest  d'Acy  a  rappelé  cette  communication  à 
propos  des  Silex  taillés  du  limon  des  plateaux  de  la  Picardie  et 
de  la  Normandie  (page  184  des  Bulletins  de  1894).  Dans  la 
discussion,  page  202,  j'ai  écarté  cette  citation  comme  portant 
sur  des  observations  que  ni  M.  d'Acy  ni  moi  n'avions  pu 
sérieusement  contrôler.  Depuis  j'ai  visité  la  localité  et  vu  a 
Lyon  les  ossements  et  silex  recueillis.  C'est  le  résultat  de  ces 
recherches  que  je  viens  vous  faire  connaître,  heureux  de 
constater  la  présence  de  notre  collègue  M.  d'Acy  parmi  nous. 

La  Société  géologique  de  France  devait,  en  1894,  visiter  le 
«  22  août...  Au  pont  de  Beauregard,  terrasse  fluvialile  post- 
glaciaire a  faune  de  Chelles,  Rhinocéros  Mercki.  Bison  priscus 
et  silex  taillés  du  type  moustérien.  »  Je  transcris  textuellement 
le  programme,  laissant  en  caractères  italiques  ce  qui  est  en 
italiques.  C'était  une  excellente  occasion  ;  d'autant  plus  excel- 
lente que  le  programme  avait  été  rédigé  par  M.  Depéret  et  qu'il 
devait  personnellement  diriger  l'excursion.  Je  résolus  d'en 
profiter.  Malheureusement  je  fus  forcé  de  partir  pour  la 
Bosnie  et  j'étais  au  Congrès  de  Sarajevo  pendant  que  mes 
collègues  de  la  Société  géologique  étaient  à  Lyon.  Mais  à  mon 
retour  j'exécutai  l'excursion  projetée.  Ne  voulant  pas  la  faire 
seul,  je  fus  fort  heureux  de  rencontrer  comme  compagnon 


58  SÉANCE  DU  17  JANVIER  1893 

d'exploration  M.  Georges  Hervé,  alors  a  Villefranche-sur- 
Saùne. 

Le  16  septembre,  conformément  a  l'énoncé  du  programme 
de  la  Société  géologique,  nous  nous  rendîmes  au  pont  de 
Beauregard,  sur  la  Saône,  et  nous  demandâmes  où  il  y  avait 
des  exploitations  de  sables  et  de  graviers.  On  nous  en  indiqua 
qui  dominaient  immédiatement  le  village  et  la  Saône,  mais 
elles  étaient  situées  à  un  niveau  assez  élevé  et  elles  étaient 
ouvertes  dans  des  assises  pliocènes,  connues  des  géologues 
sous  le  nom  de  sables  de  Trévoux.  Il  ne  pouvait  -se  rencon- 
trer là  ni  Rhinocéros  Merkii  ni  silex  taillés.  Il  y  avait  donc 
erreur.  Je  me  rendis  le  lendemain  à  Lyon  pour  mieux  me 
renseigner.  MM.  Chantre  et  Depéret  me  dirent  que  les  gise- 
ments en  question  n'étaient  pas  sur  la  rive  gauche  de  la  Saône 
où  se  trouvent  les  carrières  de  Beauregard  que  nous  avions  vi- 
sitées, mais  bien  sur  la  rive  droite,  commune  de  Villefranche, 
département  du  Rhône,  à  une  certaine  distance  de  la  rivière. 
Pourquoi  alors  désigner  ces  gisements  sous  le  nom  de  pont 
dp  Beauregard,  Beauregard,  village  attenant  au  pont,  étant 
du  département  de  l'Ain,  et  le  dit  pont  se  trouvant  plus  rap- 
proché des  exploitations  de  sable  et  de  gravier  pliocènes  que 
de  celles  qui  contiennent  une  faune  quaternaire  et  des  silex 
taillés,  situés  à  une  certaine  distance  de  la  Saune?  Ce  nom 
de  sabliaires  du  pont  de  Beauregard  n'est  donc  pas  exact  et 
peut  induire  en  erreur,  ce  qui  nous  est  arrivé  ;  il  faut  le  sup- 
primer et  le  remplacer  parle  nom  industriellement  et  géogra- 
phiquement  plus  exact  de  Sablières  de  YilIcfranche-suv-Saône, 
qui  est  du  reste  le  premier  qui  a  été  employé  par  M.  Depéret. 

A  Lyon,  je  vis  au  Muséum  de  la  ville,  les  fossiles  et  les 
silex  recueillis,  par  M.  Ernest  Chantre,  dans  les  sablières  de 
Villefranche.  .l'examinai  surtout  dans  les  belles  collections  de 
la  Faculté  des  sciences,  ceux  rassemblés  par  M.  Depéret,  qui 
voulut  bien  le  lendemain  venir  à  Villefranche  montrer  les 
véritables  gisements  à  M.  Hervé  et  a  moi. 

Ces  gisements  s'étendent  en  ligne  le  long  des  premiers 
escarpements  qui  bordent  la  plaine  de  la  Saône.  Ils  sont  lar- 


G.  DE  MORTILLET.  —  TERRASSE  DE  VILLEFRANCHE-SURSAÔNE        59 

gement  et  activement  exploités  pour  les  besoins  de  la  viticul- 
ture. Le  philoxéra  recherche  les  terres  fortes,  il  craint  le 
sable.  Aussi  les  vignerons  le  combattent  en  chaussant  le  pied 
des  ceps  de  vigne  avec  le  produit  des  sablières.  C'est  donc  la 
partie  la  plus  sableuse  des  carrières,  c'est-à-dire  la  plus  supé- 
rieure qui  est  surtout  exploitée.  Là,  comme  partout  dans  les 
gisements  analogues,  c'est  vers  la  base  que  se  groupent  les 
éléments  les  plus  considérables,  graviers  et  cailloux,  qui,  dans 
le  cas  actuel,  trouvent  peu  ou  pas  d'écoulement  commercial. 
C'est  pourquoi  les  ouvriers  rencontrent  comme  fossiles  plus 
d'os  que  de  silex. 

Pourtant  les  silex  portant  des  traces  incontestables  du  tra- 
vail humain  ne  sont  pas  rares.  J'en  ai  vu  un  certain  nombre 
au  Muséum  de  Lyon,  à  la  Faculté  des  sciences,  et  lors  de  notre 
visite  les  ouvriers  en  possédaient  encore  quelques-uns  malgré 
le  passage  de  la  Société  géologique  qui  avait  eu  lieu  21  jours 
auparavant.  Ce  passage  avait,  même  laissé  des  traces,  car  j'ai 
ramassé  moi-même  sur  le  sol  d'une  de  ces  exploitations  des 
silex  cassés  par  le  marteau  des  géologues,  entre  autres  un 
demi-nucléus  bien  quaternaire  sur  une  face,  qui  présentait 
une  cassure  toute  fraîche  sur  la  face  opposée.  Ces  silex 
anciens  sont  patines  et  surtout  lustrés,  preuve  de  plus  qu'ils 
appartiennent  à  une  formation  fluviatile.  Ils  sont  générale- 
ment de  petites  dimensions  et  ne  représentent  que  des  rebuts 
de  taille,  esquilles,  éclats  et  lames  grossières.  Pourtant  ils 
sont  suffisants  pour  qu'on  puisse  les  attribuer  sans  hésitation 
au  moustérien.  C'est  en  effet  la  détermination  qu'en  a  fait 
M.  Depéret  dès  l'origine  et  celle  qui  se  trouve  avec  raison 
dans  le  programme  de  l'excursion  de  la  Société  géologique. 
Il  n'y  a  qu'à  voir  un  échantillon  que  j'ai  rapporté  et  offert  à 
l'Ecole  d'Anthropologie  pour  s'assurer  de  l'exactitude  de  cette 
détermination. 


60 


SÉANCE  DU  17  JANVIER  1895 


Fig.  1.  Face. 


Fig.  2.  Revers. 


Silex  taillé  de  la  terrasse  inférieure  de  Villefranche  (Rhône). 
(Ext.  de  la  Remic  de  l'École  d'Anthropologie,  novembre  1894). 


Jusqu'à  présent  on  n'a  pas  encore  signalé  do  coup-de-poing 
chelléen  ou  même  acheuléen.  (l'est  une  industrie  tout  à  fait 
différente  de  celle  de  Chelles,  mais  plus  que  suffisante  pour 
bien  établir  l'existence  de  l'homme. 

Passons  à  la  faune.  Les  bovidés  abondent.  M.  Depéret  y 
désigne  surtout,  presque  exclusivement,  le  Bison priscus  ou 
aurochs.  Les  équidés  sont  aussi  en  grand  nombre.  Mais  ce 
n'est  pas  sur  ces  groupes  que  porlo  la  discussion.  Examinons 
avec  plus  de  soin  les  éléphants,  les  rhinocéros  et  les  cervidés. 

Je  n'ai  vu  qu'un  seul  fragment,  en  assez  mauvais  état,  de 
molaire  d'éléphant  provenant  des  sablières  de  Villefranche. 
Il  se  trouve  dans  les  collections  de  la  Faculté  des  sciences  de 
Lyon.  M.  Depéret  ne  le  détermine  pas.  Il  m'a  semblé  se  rap- 
procher très  sensiblement  de  VE.  primigenius  ou  mammouth. 
AChelles,  les  molaires  d'Elepkas  antiquus  abondent  et  sont  très 
bien  caractérisées. 

Les  collections  de  la  Faculté  contiennent  aussi  des  molaires 


G.  DE  MORTIU.ET.   —  TERRASSE   DE  VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNK        61 

de  rhinocéros  :  M.  Depéret  les  attribue  au  Rhinocéros  Merkii. 
Ces  dents,  dont  le  bourrelet  inférieur  est  presque  nul,  attei- 
gnent la  taille  de  celles  des  plus  grands  Rhinocéros  tichorhinus. 
Ne  se  rapporteraient-elles  pas  à  cette  espèce?  Je  n'ai  pas  eu 
assez  de  temps  pour  les  étudier  suffisamment.  Lors  de  notre 
visite  aux  exploitations,  je  me  suis  procuré  une  prémolaire 
inférieure  de  rhinocéros.  Ces  prémolaires  n'ont  rien  de  carac- 
téristique comme  détermination  spécifique,  mais  cette  dent, 
déposée  à  l'Ecole  d'Anthropologie,  atteint  aussi  les  dimensions 
des  dents  analogues  des  R.  tichorhinus.  A  Chelles,  où  les  dents 
de  rhinocéros  sont  très  abondantes,  elles  se  rapportent  géné- 
ralement à  la  petite  variété  du  li.  Merkii,  avec  fort  bourrelet 
à  la  base. 

Comme  aspect  général  la  faune  de  Villefranche,  au  point 
de  vue  des  éléphants  et  des  rhinocéros,  diffère  donc,  comme 
pour  l'industrie,  très  sensiblement  de  celle  de  Chelles.  C'est 
aller  un  peu  vite  de  les  synchroniser,  ainsi  que  le  fait  le 
professeur  de  Lyon.  11  prétend  que  la  faune  de  Villefranche  est 
«  de  climat  tempéré  ou  chaud,  tout  à  fait  identique  à  la  faune 
dite  chelléenne.  »  Ce  climat  chaud  ou  tempéré  devra  être 
terriblement  refroidi  si  certain  bois  de  cervidé  de  Villefranche, 
qui  existe  au  Muséum  de  Lyon,  est  rapporté  au  renne,  Ta- 
randus  rangifer. 

Comme  détermination  de  l'âge  du  gisement  de  Villefranche, 
le  professeur  de  Lyon  a  dit  à  l'Académie  des  Sciences  qu'il 
est  inter-glaciaire  en  soulignant  le  mot.  Dans  le  programme  de 
l'excursion  de  la  Société  géologique  il  est  devenu  post-gla- 
ciaire. Ouelle  est  la  bonne  détermination?  Si  toutefois  l'une 
des  deux  est  bonne?  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  et  M.  Depéret 
l'a  parfaitement  reconnu  dans  notre  excursion  avec  M.  Hervé, 
c'est  qu'il  n'existe  pas  trace  de  glaciaire  ni  dessus  ni  dessous 
le  gisement  et  qu'il  n'en  existe  pas  dans  les  environs.  Les 
déterminations  inter-glaciaire  ou  post-glaciaire  sont  donc  des 
déterminations  purement  théoriques,  sur  lesquelles  l'imagina- 
tion peut  avoir  une  certaine  influence.  Dès  lors,  n'est-il  pa<j 
permis  de  penser  que  le  désir  de  mettre  en  contradiction  les 


02  SÉANCE  DU   17  JANVIER  1895 

données  de  l'industrie  avec  celles  de  la  paléontologie  propre- 
ment dite  a  eu  quelque  action  sur  l'opinion  émise? 

11  y  a  plus.  Cette  détermination  d'époque  me  parait  en 
contradiction  avec  les  données  généralement  acceptées  de  la 
paléontologie.  On  a  reconnu  dans  le  quaternaire  deux  grou- 
pements d'espèces  d'animaux  :  l'un  avec  YElephas  antiquus  et 
le  Rhinocéros  Merkii  avait  besoin  d'une  certaine  température; 
l'autre  avec  YElephas  primigeniuSj  le  lihinoceros  tichorhinm  et  le 
Tarandus  rangifer  ne  craignait  pas  le  froid.  M.  Albert  Caudry 
a  désigné  ces  deux  faunes  sous  les  noms  de  «  faune  chaude 
et  de  faune  froide.  »  Il  a,  en  outre,  reconnu  que  la  faune 
chaude  est  la  plus  ancienne  et  la  faune  froide  la  plus  récente. 
Or,  M.  Depéret,  contrairement  à  l'avis  si  solidement  motivé 
du  Maître,  prétend  que  la  faune  de  Villefranche  appartient  à  la 
faune  chaude  et  pourtant  qu'elle  est  post-glaciaire  ou  tout  au 
plus  inter-glaciaire. 

Rien  n'est  donc  changé  dans  les  données  générales  de  la 
palethnologie.  Le  gisement  quaternaire  de  Villefranche  ne 
constitue  pas  une  sérieuse  exception.  Tout  tend  à  le  ramener 
le  plus  simplement  du  monde  dans  le  cadre  qui  renferme 
toutes  les  autres  observations. 

J'aurais  voulu  donner  et  au  besoin  discuter  l'opinion  des 
membres  de  la  Société  de  Géologie  qui  sont  allés  visiter  les 
exploitations  de  sable  de  Villefranche-sur-Saône,  mais  la 
Société  géologique  n'a  publié  qu'un  compte-rendu  sommaire, 
ne  contenant  aucune  appréciation. 

Discussion. 

M.  d'Acy  dit  qu'il  n'avait  indiqué  ce  gisement  que  d'après 
M.  Depéret  :  il  ne  connaît  pas  la  station  et  s'en  rapporte 
à  la  détermination  de  la  Société  géologique  qui  est  allée  la 
visiter. 

M.  d'Ault  du  Mesnil  fait  quelques  observations  sur  la  déter- 
mination des  Rhinocéros  et  attend  pour  se  prononcer  sur 
celui  qui  a  été  trouvé  à  Villefranche  d'examiner  des  pièces 
provenant  de  la  station. 


L.  BONNEMÈRE.   —  LES  PIERRES  Dïï  LA  NOUVELLE-C ALÉD3ME         63 

Les  pierres  gravées  de  la  Nouvelle-Calédonie. 

Par  M.  L.  Bonnemère. 

J'ai  l'honneur  d'offrir  à  la  Société,  au  nom  de  M.  Glaumont, 

percepteur  à  Coron,  une  suite  de  dessins  et  de  gravures  exé- 
cutés par  lui  et  représentant  quelques-uns  des  objets  si  remar- 
quables rapportés  par  lui  de  notre  colonie  '. 

Dans  aucun  pays  du  midi,  parait- il,  les  armes  et  les  oulils 
en  pierre  taillée,  et  même  polie,  n'abondent  autant  qu'en 
Nouvelle-Calédonie. 

Sans  doute  leur  intérêt  est  très  grand  et  ce  n'est  point 
cependant  sur  eux  que  je  vous  prierai  de  porter  votre  bien- 
veillante attention,  mais  sur  une  série  de  dessins  représentant 
des  signes  relevés  par  M.  Glaumont  sur  des  blocs  parfois 
énormes  qu'il  a  pu  examiner  en  place  pendant  le  séjour  de 
quelques  années  qu'il  a  fait  en  Océanie. 

C'est  ainsi  que  nous  étudierons  successivement  les  pierres 
de  Pa-oro,  de  Moïnevra,  de  Nézadiou  et  du  Diahot. 

Pa-Oro. 

Après  avoir  fait  une  abondante  récolte  d'armes  et  d'outils 
dans  les  plaines  qui  avoisinent  Bourail,  M.  Glaumont  voulut 
aussi  explorer  les  cavernes  si  nombreuses  en  Nouvelle-Calé- 
donie, et  c'est  non  loin  de  l'une  d'elles,  appelée  Pa-Oro  qu'il 
découvrit  une  énorme  pierre  plate  de  trois  mètres  de  hauteur 
sur  deux  mètres  de  largeur. 

Elle  était  recouverte  de  dessins  obtenus  au  moyen  d'enco- 
ches, et  ces  encoches  ont  été  faites  par  des  grattages  avec  un 
éclat  de  silex  comme  burin  ou  une  coquille  pointue  '. 

i  Tous  les  dessins  accompagnant  cette  communication  ont  été 
déposés  aux  Archives  delà  Société. 


04  SÉANCE  DU   17  JANVIER   1895 

La  pierre  de  Pa-Oro  est  donc  le  produit  d'un  art  tout  à  fait 
primitif. 

Ne  pouvant  pas  s'expliquer  la  signification  de  toutes  ces 
figures,  notre  compatriote  eut  l'excellente  idée  de  questionner 
à  leur  égard  un  chef  du  pays,  nommé  Massavero,  dont  à  plu- 
sieurs reprises  il  avait  remarqué  l'intelligence. 

M.  Glaumont  eut  la  satisfaction  de  voir  qu'il  donnait  un 
sens  très  plausible  à  la  presque  totalité  de  ces  gravures. 

Suivant  Massavero,  les  lignes  horizontales  I  et  II  représen- 
teraient des  sagaies  ordinaires  groupées  en  paquets  de  cinq. 

De  toutes  les  armes  des  Néo-Calédoniens,.la  sagaie  est  la 
plus  simple.  C'est  donc  celle  qui  a  dû  être  le  plus  ancienne- 
ment usitée. 

La  croix  entourée  ou  non  d'un  cercle  (lîg.  2,  4,  5,  7,  10, 
15,  10),  représenterait  deux  sortes  d'oursins  très  communs 
en  Nouvelle-Calédonie.  Celui  indiqué  par  une  croix  simple 
serait  le  Cydaris  clavigera.  En  langue  canaque,,  ces  deux 
espèces  sont  désignées  par  un  même  mot  qui  est  :  «  mien  ». 

L'interprétation  des  signes  0,  9,  13  est  moins  certaine. 

Le  chef  Massavero  dit  à  M.  Glaumont  que  c'était  là  «  ga-oua- 
oué  »,  et  il  lui  avoua  qu'il  ne  pouvait  pas  traduire  exactement 
cette  expression  en  français. 

Le  Canaque  pensait  que  la  figure  sur  laquelle  M.  Glaumont 
attirait  son  attention  devait  être  le  signe  du  tatouage.  Le 
tatouage,  en  langue  néo-calédonnienne,  s'appelle  «.ga-otia-oué». 
11  est  évident  que  les  naturels  de  cette  île  se  font  des  marques 
semblables  sur  la  poitrine  au  moment  des  pilous. 

Autant  Massavero  avait  été  affirmatif  pour  les  premiers 
signes,  autant  il  se  montrait  prudent  à  l'égard  de  ceux  que 
nous  étudions  en  ce  moment. 

Il  est  certain  que  les  signes  qui  nous  occupent  en  ce  mo- 
ment, peuvent  également  bien,  sinon  mieux,  représenter  des 
astéries. 

Les  figures  3,  8,  12,  sont  des  duru-ané,  ou  marteaux  à  lus- 
trer les  étoffes  faites  en  écorces  d'arbre.  Jadis  ces  marteaux 
se  fabriquaient  en  pierres  sillonnées  de  lignes  se  coupant  à 


L.   BONNEMÈRE.   —  LES  PIERRES  DE  LA  NOUVELLE-CALÉDONIE         65 

angle  droit.  Notre  compatriote  en  a  trouvé  un  tout  près  du 
bloc  dont  j'analyse  les  particularités. 

Les  sauvages  actuels  se  servent  maintenant  de  «  duru- 
ané  »  en  bois,  fabriqués  sur  le  môme  principe. 

La  ligure  14  est  un  corps  limité,  régulièremeut  ovale.  L'ar- 
tiste, toujours  d'après  Massavero,  a  eu  l'intention  de  repré- 
senter un  crabe  ou  «  boss  ».  Les  quatre  lignes  parallèles 
indiquent  les  huit  pattes  de  l'animal  au  repos.  C'est,  on  le 
voit,  l'enfance  de  l'art. 

Pour  corroborer  l'opinion  du  chef  sauvage,  il  convient 
d'ajouter  que  la  pierre  fétiche  du  crabe  est  semblable  à  la 
figure  que  je  viens  de  décrire. 

Les  Canaques,  disons-le  en  passant,  ont  des  fétiches  pour 
toutes  choses.  Les  uns  leur  assurent  de  bonnes  pèches  et  dif- 
fèrent suivant  les  espèces  de  poissons  qui  abondent  sur  les 
cotes  de  leur  île.  Grâce  à  d'autres,  ils  se  croient  certains 
d'avoir  toujours  d'abondantes  récoltes  d'ignames  et  de  tarots. 

Tous  ces  objets  amulettiques  sont  en  pierre. 

Enfin,  la  figure  17,  beaucoup  plus  compliquée,  représen- 
terait un  animal  quelconque. 

Massavero  ne  put  rien  précisera  notre  compatriote  au  sujet 
de  ce  dernier  dessin.  Il  n'est  pas  douteux  que  la  pierre  de 
Pa-Oro  a  dû  être  chargée  de  gravures  à  une  époque  très 
éloignée,  à  celle  peut-être  où  les  Canaques  habitaient  dans 
des  cavernes.  Elle  nous  renseigne  sur  leur  alimentation,  sur 
leurs  industries.  Ils  avaient  déjà  des  sagaies  et  ils  savaient 
fabriquer  des  étoffes  en  écorces  d'arbres. 

Moïnevra. 

Non  loin  de  Pa-Oro,  M.  Glaumont  découvrit  sur  la  colline 
de  Moïnevra,  un  autre  bloc  couvert  également  de  gravures. 
Son  volume  est  de  quatre  à  cinq  mètres  cubes. 

L'examen  de  ces  dessins  prouve  qu'ils  sont  l'œuvre  d'un 
même  peuple,  mais  ils  doivent  remonter  à  une  époque  moins 
reculée. 

T.   VI  (4°  sirie).  î» 


66  SÉANCE  DU  il  JANVIER   1895 

Ils  sont,  en  effet,  beaucoup  mieux  exécutés.  M.  Glaumont 
inclinerait  à  croire  qu'elle  daterait  du  temps  où  les  naturels, 
sortant  de  leurs  cavernes,  se  fixaient  volontiers  sur  les  col- 
lines. 

Comme  nous  allons  le  voir,  leur  intelligence  a  progressé  et 
leur  genre  de  vie  est  devenu  plus  heureux.  Ils  ne  se  conten- 
tent plus  de  ramasser  des  oursins  sur  les  plages  ou  dans  les 
trous  de  rocher.  Ils  font  des  filets  pour  la  pèche  des  pois- 
sons qu'ils  capturent  aussi  avec  des  sortes  de  tridents.  Ils  font 
enfin  des  plantations  de  palmiers. 

Sur  la  pierre  de  Moïnevra,  le  crabe  est  encoi'e  gravé  (fig.  1 1, 
mais,  celte  fois,  il  est  bien  plus  reconnaissable.  Ses  huit  pattes 
sont  détachées,  et  ses  pinces,  très  visibles,  sont  largement 
ouvertes,  presque  menaçantes.  Il  n'est  pas  pour  ainsi  dire, 
besoin  des  explications  du  chef  des  Oua-oué  pour  donner  un 
nom  à  l'animal  que  le  sculpteur  canaque  a  voulu  repré- 
senter. 

L'oursin  est  aussi  gravé  (fig.  5  et  6). 

J'en  dirai  autant  de  l'astérie  (fig.  2)  et  de  la  méduse  (fig.  3). 

.l'arrivé  aux  dessins  les  plus  curieux,  après  avoir  dit  que 
ceux  qui  sont  désignés  par  les  chiffres  9,  10  et  11  sont  inex- 
plicables ou,  pour  parler  plus  exactement,  demeurent  inexpli- 
qués pour  l'instant. 

Un  autre  sauvage  que  le  chef  des  Oua-oué  en  pourra  peut- 
être  un  jour  en  donner  le  sens  exact.  Je  veux  parler  de  celui 
qui  représente  une  croix  à  trois  bras  et  trois  lignes  diverse- 
ment ondulées. 

Le  quatrième  nous  donne  le  dessin  très  exact  d'une  navette 
à  faire  le  filet. 

Le  septième  met  sous  nos  yeux  l'image  d'une  arme  à  qua- 
tre dents  servant  à  la  pêche  et  toujours  en  usage  dans  notre 
colonie. 

Le  huitième  est  le  plus  intéressant  de  tous.  Au  dire  de  Mas- 
savero,  il  représente  un  alignement  de  cocotiers  disposés 
en  deux  groupes. 

A  l'époque  où  cette  pierre  fut  gravée,  les  Canaques  culli- 


L.  BONNEMÈRE.    —  LES  PIERRES  DE  LA  NOUVELLE-CALÉDONIE        67 

vaient  donc  déjà  cet  arbre  si  précieux;  ils  savaient  l'utiliser 
et  c'est  probablement  avec  ses  feuilles  et  sa  bourre  qu'il  fabri- 
quaient leurs  filets  comme,  au  reste,  ils  le  font  toujours. 

De  plus,  ils  les  plantaient  sans  doute,  comme  semble  le 
faire  croire  la  disposition  de  la  figure.  Elle  met,  en  effet, 
devant  nos  yeux  des  arbres  régulièrement  espacés. 

Un  voit  que  la  pierre  de  Moïnevra  nous  apporte  des  élé- 
ments nouveaux.  Ainsi  que  je  le  disais  plus  haut,  nous 
voyons  naître  l'agriculture. 

Les  pierres  dont  il  nie  reste  à  parler  vont  nous  faire  assister 
à  un  nouveau  progrès. 

Nézadiou. 

En  défrichant  et  en  bouleversant  le  sol  pour  construire  une 
maison,  un  homme  nommé  El  Miloud,  un  Arabe  sans  doute 
déporté  à  la  Nouvelle-Calédonie,  mit  à  jour  des  blocs  de 
pierres  de  proportions  bien  différentes.  Quelques-unes,  en 
effet,  n'ont  qu'un  mètre  cube.  D'autres,  par  contre,  en  ont 
cinq. 

Elles  ont  été  trouvées  sur  une  légère  éminence  que  con- 
tourne la  rivière  dite  des  Cailloux  et  non  loin  d'elle,  mais 
dans  la  plaine,  on  a  découvert  à  plusieurs  reprises  des  foyers 
d'habitations  qui  paraissent  être  fort  anciens. 

Peut-être  doivent-ils  être  reportés  comme  origine,  au  temps 
où  les  pierres  qui  nous  occupent  ont  été  travaillées. 

De  l'examen  de  tous  ces  blocs,  il  résulte  qu'un  progrès 
immense  s'est  accompli  non  seulement  dans  le  procédé  de 
l'ouvrier  mais  dans  Fart  lui-même.  Les  dessins  ne  sont  plus 
gravés  au  burin.  Ils  sont  exécutés  au  marteau  par  percus- 
sions successives.  Toutes  les  figures  ne  sont  donc  plus  tracées 
en  creux.  Il  y  a  demi-relief  et  relief  même  ! 

Il  est  curieux  de  constater  combien  certains  des  dessins 
qui  couvrent  les  pierres  de  Nézadiou  ont  d'analogie  avec  ceux 
qui  ornent  quelques-uns  des  plus  célèbres  monuments  méga- 
lithiques de  la  Bretagne.  En  vérité,  je  serais  même  tenté  de 
dire  qu'en  certains  cas  il  y  a  similitude  absolue. 


68  SÉANCE  DU  17  JANVIER  1895 

Autre  particularité  bien  digne  d'être  notée.  Une  des  pierres 
semble  porter  le  dessin  dp  deux  bâches. 

A  Pa-Oro,  à  Moïnevra,  les  artistes  primitifs,  nous  l'avons 
vu,  n'avaient  représenté  que  des  sagaies  d'espèces  diffé- 
rentes. 

Les  haches  sont  encadrées  par  deux  instruments  k  pointes 
allongées  et  recourbées  qui  ressemblent  beaucoup  au  casse- 
tête  en  bois  dit  à  bec  d'oiseau  dont  se  servent  encore  nos 
Canaques. 

Je  ne  pense  pas  que  ces  bâtons  recourbés  soient  des  armes. 
J'imagine  bien  plutôt  que  ce  sont  les  manches  des  deux 
haches  qu'ils  encadrent.  Si  par  la  pensée  on  réunit  ces  pierres 
si  curieuses  deux  à  deux,  on  aura  la  représentation  exacte 
de  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  une  herminette.  On  aura 
YAra-Tina  de  nos  Néo-Calédoniens  actuels,  qui  leur  sert  à 
fouir  la  terre  et  à  faire  leurs  plantations  d'ignames  et  de 
tarots. 

Peut-être  pourrait-on  également  faire  figurer  parmi  tes 
outils  de  la  même  époque  un  instrument  de  pierre  que 
M.  Glaumont  a  trouvé  non  loin  de  Pa-Oro,  il  est  vrai,  mais 
qui  ne  paraît  pas  pouvoir  être  rapproché  des  sculptures  qui 
couvrent  le  bloc  dont  nous  avons  parlé. 

Je  veux  parler  d'une  sorte  de  pierre  en  roche  mélapyrique 
dont  la  forme  a  été  obtenue  par  le  martelage. 

La  pierre  si  curieuse  qui  va  nous  occuper  est  rare  dans  les 
collections  et  n'en  présente  que  plus  d'intérêt. 

Sa  longeur  est  de  0  m.  380  millimètres;  son  diamètre 
maximum  de  0  m.  050,  et  son  poids  de   1   kil.  775  grammes. 

L'extrémité  supérieure  représente  une  verge  humaine,  un 
phallus  circoncis. 

Les  indigènes  auxquels  M.  Glaumont  a  fait  voir  cet  outil 
l'ont  appelé  Pé  bou-O,  d'un  mot  qui  peut  se  décomposer  ainsi: 

Pé,  qui  porte. 

Bon,  verge. 

0,  homme. 

L'autre  extrémité  est  taillée  en  biseau,  ce  qui  prouve  très 


L.  BONNEMÈRE.  —  LES  PIERRES  DE  LA  NOUVELLE-CALÉDONIE         69 

probablement  que  nous  sommes  en  présence  d'un  pic  a  plan- 
ter les  ignames. 

Tous  ceux  dont  on  se  servait  n'étaient  pas  très  évidemment 
d'un  travail  aussi  parfait. 

Mais  si  on  veut  bien  songer  à  ce  que  cette  plante  qui 
forme  la  base- de  l'alimentation  du  Canaque  est  aussi  pour  lui 
une  plante  pour  ainsi  dire  sacrée  et  que  l'on  ne  peut  la  plan- 
ter ni  récolter  qu'après  avoir  célébré  des  cérémonies  reli- 
gieuses, on  comprendra  aisément  qu'il  devait  y  avoir  des 
instruments  très  ornés  pour  l'arracher.  Celui  dont  je  mets  un 
dessin  sous  les  yeux  de  mes  collègues  était  peut-être  employé 
dans  ces  fêtes  auxquelles  je  viens  de  faire  une  rapide  allusion. 

Si  mon  intention  était  de  parler  avec  quelques  détails  de 
l'agriculture  des  anciens  Canaques,  j'aurais  à  vous  décrire 
d'autres  outils,  d'autres  pics  ou  pioches  faits  d'une  pierre 
allongée,  recourbée  et  pointue  à  une  de  ses  extrémités, 
tandis  que  l'autre,  renflée,  est  percée  d'un  trou  pour  le  pas- 
sage d'un  manche. 

M.  Glaumont  ne  fait  pas  difficulté  pour  avouer  que  la 
plupart  des  dessins  qui  recouvrent  les  pierres  de  Nézadiou 
sont  d'une  interprétation  très  difficile. 

Que  signifient  notamment  ces  demi-cercles  concentriques 
qui  s'emboitent  les  uns  dans  les  autres  et  qui  sont  plus  ou 
moins  réguliers  ? 

Il  est  impossible  de  faire  la  moindre  supposition  un  peu 
plausible  quand  on  n'a  pas  vu  une  ignamière  de  la  Nouvelle- 
Calédonie. 

L'igname  se  cultive  en  Nouvelle-Calédonie  sur  le  flanc  des 
collines  et  même  sur  celui  des  montagnes  atteignant  quelque- 
fois plus  de  quatre  cents  mètres  d'élévation.  Le  Canaque 
plante  l'igname  dans  un  trou  fait  avec  un  pic  en  pierre, 
jadis,  en  bois  aujourd'hui,  et  relève  la  terre  en  talus  demi- 
circulaire,  l'ouverture  du  cercle  en  bas.  Sur  ce  talus,  il  pique 
une  lige  de  bois  autour  de  laquelle  s'enroulent  les  feuilles  et 
les  branches  de  l'igname.  Tin  peu  plus  haut,  il  fait  un  demi- 
cercle  identique  au  premier  et  d'autres   encore.  Ces  demi- 


70  SÉANCE  DU  17  JANVIER   1893 

cercles  concentriques  couvrent  toute  la  colline  et  présentent 
un  aspect  très  particulier  qui  frappa  beaucoup  M.  Glaumont. 

Notre  compatriote  ayant  exécuté  plusieurs  dessins  repré- 
sentant des  ignamières  les  montra  à  divers  colons,  en  même 
temps  que  ceux  que  portaient  certaines  des  pierres  de  Néza- 
diou.  Tous  furent  d'avis  qu'il  y  avait  la  plus  grande  simili- 
tude entre  les  uns  et  les  autres. 

L'opinion  que  les  sauvages  avaient  émise  quand  il  les  avait 
questionnés  au  sujet  des  blocs  qu'il  avait  découverts,  setrouva 
donc  ainsi  complètement  confirmée,  car  M.  Glaumont,  dans 
cette  circonstance,  avait,  encore  tenu  a  suivre  la  méthode  qui 
lui  avail  si  bien  réussi  relativement  à  Pa-Oro  et  à  Moïnevra. 

Grâce  aux  talus  en  demi-cercle,  l'eau  ne  peut  emporter  dans 
sa  course  ni  les  ignames  ni  la  terre  dans  laquelle  elles  sont 
plantées,  ce  qui  arriverait  infailliblement  sans  cette  précau- 
tion, les  collines  affectées  à  la  culture  de  ces  précieux  tuber- 
cules ayant  parfois  jusqu'à  20,  30  et  même  35°  de  pente. 

Telle  est  l'explication  très  naturelle  et  très  vraisemblable  du 
demi-cercle  concentrique. 

Les  signes  en  volutes  sont  peut-être  d'une  interprétation 
moins  facile.  Plusieurs  hypothèses  se  présentent.  Comme  une 
des  pierres  de  Nézadiou  on  remarque  une  sorte  de  croix  qu'on 
pourrait  prendre  pour  un  animal  analogup  à  ceux  que  nous 
avons  rencontrés  à  Pa-Oro  et  à  Nézadiou,  on  pourrait  penser 
que  ces  volutes  doivent  figurer  quelques  coquillages  du  genre 
du  rsTautilus. 

M.  Glaumont  pencherait  plutôt  à  voir  en  eux  la  représen- 
tation d'ignamières  ou  de  tarotières  situées  en   plaine. 

Notre  compatriote  entend  par  ce  dernier  mot  des  plantations 
de  tarots,  ces  végétaux  qui  ne  sont  guère  moins  précieux 
pour  les  Canaques. 

Une  des  pierres  de  Nézadiou  nous  montre  une  ligne  ondulée 
qui,  a  plusieurs  reprises,  fut  reconnue  par  des  Canaques 
comme  représentant  une  de  ces  cultures  dont  il  me  reste  à 
m'occuper. 

«  Les  tarots  sont  plantés  dans  une  rigole,  un  fossé  que  l'on 


L.  BONNEMÈRE.    —  LES  PIERRES  DE   LÀ   NOUVELLE-CALÉDONIE         71 

établit  échelonné  le  "long  d'une  montagne  jusqu'à  huit  cents 
mètres  de  hauteur.  Pour  l'alimentation  on  capte  une  source, 
ou  une  partie  d'un  ruisseau  en  établissant  un  saut  de  moulin 
et  on  le  force  par  une  suite  de  sauts  de  même  nature  à  suivre 
par  une  pente  insensible  les.flancs  de  la  montagne  jusqu'à  sa 
base  en  lui  faisant  tracer  de  longs  circuits.  Il  y  a  en  Nouvelle- 
Calédonie,  —  nous  dit  M.  Glaumont  —  d'immenses  tarotières.  » 

Je  puis  ajouter,  à  cet  égard,  que  notre  compatriote  a  visité 
durant  son  séjour  dans  la  colonie  les  restes  de  travaux  gigan- 
tesques exécutés  par  les  Canaques  d'autrefois  en  vue  de  la 
culture  de  ces  plantes  alimentaires  si  précieuses  pour  eux. 

Je  le  répète,  car  c'est  là  surtout  ce  qui  est  important,  le 
signe  vers  lequel  j'appelle  en  ce  moment  votre  attention,  au 
dire  des  sauvages  actuels,  représente  des  tarotières. 

Les  pierres  de  Nézadiou  d'un  travail  plus  soigné  que  celles 
sur  lesquelles  notre  élude  s'est  portée  tout  d'abord  témoignent 
donc  d'un  grand  progrès  agricole.  Elles  nous  parlent  de 
plantes  cultivées  au  prix  d'efforts  très  pénibles  puisqu'il  fallait 
exécuter  des  travaux  de  divers  genres  sur  les  flancs  des  col- 
lines et  même  des  montagnes,  travaux  qui  remontent  sans 
doute  à  des  temps  éloignés  de  nous. 

M.  Glaumont,  dont  je  ne  suis  ici  que  le  porte-paroles,  n'i- 
gnore pas  qu'à  propos  de  l'âge  qu'il  attribue  à  ces  pierres  on 
a  objecté  qu'elles  étaient  peut-être  plus  récentes  qu'il  ne  le 
croit.  L'examen  très  minutieux  qu'il  a  fait  de  toutes  les  pierres 
découvertes  par  lui  lui  permet  d'affirmer  de  la  façon  la  plus 
absolue  que  toutes  les  gravures  ont  été  faites  sans  l'emploi 
d'outils  en  métal.  Tous  ceux  dont  on  s'est  servi  étaient  en 
roches  quelconques. 

Pierres  du  Diahot 

Dans  une  autre  partie  de  notre  colonie,  au  Diahot,  M.  Glau- 
mont a  observé  divers  blocs  chargés  de  gravures.  L'un  a 
environ  trente-cinq  mètres  de  tour  et  il  est  complètement 
couvert  de  dessins  qui  ne  semblent  pas  présenter  de  sens  si 
on  excepte  peut-être  des  étoiles  à  quatre  branches  qu'on 
pourrait   rapprocher   de   quelques-uns  des  signes  que  nous 


72  SÉANCE  DU  M  JANVIER  189") 

avons  passés  en  revue.  Tout  le  reste  n'est  qu'un  assemblage 
confus  de  lignes  se  coupant  de  diverses  façons,  de  croix  diver- 
sement orientées,  entremêlées  de  quelques  cupules.  Du  reste, 
les  blocs  portant  des  cupules  ne  sont  pas  rares  en  Nouvelle- 
Calédonie. 

Aux  abords  de  ces  blocs  singuliers  sur  le  compte  desquels 
M.  Glaumont  n'a  pu  consulter  aucun  naturel,  il  n'existe  point 
de  tombes  véritables,  ce  qui  n'est  pas  étonnant,  les  Canaques 
n'enterrant  point  leurs  morts.  Mais  entre  toutes  les  pierres, 
c'est  eu  très  grande  quantité  que  notre  compatriote  a  pu 
recueillir  des  ossements,  quelques  pierres  polies  d'une  belle 
conservation  et  beaucoup  plus  de  fragmentées. 

Telles  sont  les  découvertes  que  je  tenais  à  signaler  à  notre 
Compagnie,  car  elles  me  semblent  être  de  nature  à  intéresser 
ceux  de  ses  membres  qui  s'occupent  plus  spécialement  du  sens 
que  peuvent  avoir  les  signes  qui  recouvrent  parfois  en  si 
grand  nombre  les  monuments  mégalitbiques. 

Les  dessins  de  M.  Glaumont,  accompagnant  cette  commu- 
nication ont  été  déposés  aux  Archives  de  la  Société. 

Discussion. 

M.  Vehneau  attire  l'attention  sur  une  découverte  de  AI.  Glau- 
mont. On  considère  comme  récente  l'importation  de  la  poterie 
en  Mélanésie  etjdans  la  Nouvelle-Calédonie  notamment.  Or, 
M.  Glaumont,  en  fouillant  une  berge,  y  a  trouvé  des  poteries 
qui  montrent  que  l'introduction  de  la  poterie  n'est  pas  aussi 
récente  qu'on  l'a  cru. 

.M.  A.  de  Mortillet  fait  remarquer  qu'on  ne  saurait  être 
trop  prudent  au  sujet  de  l'interprétation  des  gravures  donnée 
par  les  paysans.  Ils  ont  toujours  une  explication  à  donner  au 
lieu  de  reconnaître  leur  incompétence.  Les  objets  en  question 
sont  prébistoriques,  c'est-à-dire  qu'ils  sontantérieurs  à  la  con- 
quête des  Européens  :  c'est  ainsi  qu'il  faut  entendre  leur 
ancienneté. 

Quant  aux  gravures,  elles  ne  sont  pas  très  rares  sur  les 
rochers  en  Australie. 

L'un  des  secrétaires  :  Dr  Paul  Raymond. 


OUVRAGES    OFFERTS  73 


Cl 5«  SÉANCE.  —  7  Février  1895. 
Présidence  de  M.  Issaurat. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Arnaud  (F.).  —  L'instruction  'publique  à  Bàrcelonnette,  in-8, 
138  pages.  Digne,  1894. 

Buinton  (D.-G.).  —  A  primer  of  Mayan  hieroglyphics,  in-8, 
152  pages.  Philadelphie,  18(J4. 

Dévot  (Justin).  —  La  nationalité  et  son  influence  quant  à  la 
jouissance  des  droits,  in-8,  171  pages.  Paris,  1893. 

Dévot  (Justin).  —  Acla  et  Verba,  in-8,  171  pages.  Paris, 
1893. 

Dévot  (Justin).  —  Cours  élémentaire  d'instruction  civique  et 
d'éducation  patriotique,  in-8,  208  pages.  Paris,  1894. 

Lavroff  (P.).  —  Essai  d'une  histoire  de  la  pensée,  in-8,  1508 
pages.  Genève,  1894  (en  russe). 

Regnault  (  D1'  F.).  —  Forme  du  crâne  dans  F  hydrocéphalie  (Ext. 
de  la  Revue  mensuelle  des  maladies  de  l'enfance),  in-8,  G  pages. 
Paris,  1894. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

Revue  mensuelle  de  l'Ecole  d'Anthropologie,  15  janvier  1895. 
—  J.-V.  Laborde  :  La  microcéphalie  vraie  et  la  descendance 
de  l'homme. 

Archives  d'Anthropologie  criminelle,  15  janvier  1895.  —  R.  Lé- 
pine  :  Sur  un  cas  particulier  de  somnambulisme  ;  —  E.  Maran- 
don  de  Montyel  :  Des  anomalies  des  organes  génitaux  chez  les 
aliénés. 

Journal  of  anatomg  and  physiology,  January  1895.  — G.  F. 
Marshall  :  Variations  in  tbe  form  of  the  thyroid  gland;  — 

T.  VI  (4°  série).  0 


74 


SÉANCE  DU  7  FÉVRIER  1803 


W.  Bulloch  :  The  central  nervous  System  of  an  anencepha- 
lous  fœtus;  —  A.  Keith  :  Growth  of  brain  in  men  and  mon- 
keys,  with  a  short  criticism  of  the  usual  metliod  of  staling 
brain-ratio:  —  G.  Humphry  :  The  microcephalic  or  idiot 
skull,  and  macrocephalic  or  hydrocéphalie  skull  ;  —  St.  Clair 
Symmers  :  A  skull  with  enormous  pariétal  foramina. 


OBJETS  OFFERTS. 


Dolmens  de  l'Anjou.   Photographies. 


M.  Bousrez,  de  Tours,  offre  à  la  Société  une  série  de  pho- 
tographies des  dolmens  et  menhirs  de  l'Anjou  dont  voici  la 
liste  : 

1.  Bagneux,  grand  Dolmen, 

2.  —        petit        — 

3.  Denezé-sous-Doué    —        village  de  Saulgré. 

4.  —  —        la  Pierre  Péteuse  li  la  Garenne. 

5.  —  la  Pierre  couverte,  au  village 

de  Chavoix. 

—  près  de  Coulon. 

—  la  Pierre  couverte,  au  sud  du 
Moulin  de  Pian. 

—  de  l'Éthiau. 

—  près  de  la  Métairie  de  Beau- 
préau. 

près  de  la  ferme  de  la  Ran- 

geardière. 
de  la  cour  d'Avort. 
de  la  Madeleine. 

—  de  la  Page  rie. 
de  la  Forêt  (sud-est). 

—        (nord-ouest). 
la  Pierre  couverte. 
la  Pierre  au  Loup, 
la  Pierre  Coesée. 


(). 

Antoigné, 

m 

1, 

Cheinellier, 

8. 

Couture, 

9. 

Charcé, 

10. 

Fontaine-Guérin, 

11. 

Gennes, 

12. 

— 

13. 

— 

14. 

— 

13. 

— 

10. 

Pontigné, 

17. 

Seiches, 

18. 

Sou  celles, 

M.   DAVELUY.  —  RAPPORT  ANNUEL  SUR  LES  FINANCES 


75 


19. 

20. 

21. 

OC) 


23. 


24. 
25. 
26. 

27. 

28. 


Thoureil  (le),     *      —        la  Bajoulière. 
Bagneux,  Menhir,    la  Pierre  longue,  près  le  grand 

dolmen. 
—        au  Bois  Gilbert. 


Gennes,  — 

Georges  (St-)  des 
Sept-Voies.  — 

Macaire  (St-)  en 
Maugés,  — 

Thoureil  (le), 

La  Renaudière,        — 
Torfou, 


de  Nidevelle,  près  le  Sale-Vil- 


lage. 


la  Bretellière  (est). 

—  (ouest). 

Saint-Gondon. 
la  Pierre  longue, 
de  la  Bretaudière. 
la  Pierre  Tournisse  (pierre   à 
légende. 


Des  remerciements  sont  adressés  à  M.  Bousrez. 

DÉLÉGATION. 

Sur  la  proposition  de  M.  Salmon,  une  délégation  est  accor- 
dée à  M.  Bousrez,  de  Tours,  pour  des  recherches  en  Indre-et- 
Loire. 


Rapport  annuel  sur  les  fiuances. 

Par  M.  Daveluy,  trésorier. 


Messieurs, 

En  exécution  de  l'article  32  de  notre  règlement,  j'ai  l'hon- 
neur de  vous  présenter  les  comptes  du  trésorier  pour  l'année 
1894.  Ils  se  résument  en  deux  tableaux  (A  etB  ci-après)  con- 
tenant : 

L'un  l'ensemble  par  catégorie,  des  opérations  effectuées  en 


70  SÉANCE  DU  7  FÉVHIER  1895 

1894,  l'autre,  l'inventaire  de  notre  fortune  au  31  décembre 
dernier'. 

Touten  conservant,  en  somme,  la  contexture  précédente  de 
ces  tableaux,  j'avais  cru  opportun,  l'année  dernière,  d'y  intro- 
duire quelques  modifications  de  détail,  que  vous  avez  bien 
voulu  approuver  sur  la  proposition  de  la  commission  des  comp- 
tes (séance  du  15  marsl894).  J'ai,  en  conséquence,  maintenu 
sans  changements  pour  1894,  les  cadres  ainsi  adoptés  pour 
1893. 

Je  n'ai  à  signaler  spécialement  à  votre  attention,  aucun  autre 
fait  que  la  conversion  en  3  0  0  d'une  rente  4  12  0  0,  ce  qui 
entraîne  une  perle  annuelle  de  120  fr.  qui  se  trouve  compen- 
sée jusqu'à  concurrence  de 05  fr.  par  un  achat  de  rente  3  0  0 
dont  je  vous  ai  entretenu  l'an  dernier  (séance  du  1er  février 
1894,  p.  111). 


A.  —  Résumé  des  opérations  en  1894. 


RECETTES. 

1°  Ordinaires. 

Cotisations 7.831  f.  20 

Droits  d'admission 300       » 

Rachat  de  cotisations    ....  198     75 

Rentes  etj  affectés  aux  prix.  1,8531'.  65  )  ,    j  12.792  f.  45 
intérêts,  (descap.de laSoc.    748      »j 

Souscription  de  l'État  aux  publicat.  1 .000 

Ventes  de  publications  ....  880     85  / 

2°  Extraordinaires. 


» 


Legs  Delehaye 1.000 

Reliquat  du  boni  réalisé  en  1893.         14     22 


1.014     22 


Total  des  recettes   .      .      .      .  13. 806  f.  67 


M.  DAVELUY.  —  RAPPORT  ANNUEL  SUR  LES  FINANCES  77 

Report.     .     .     13.806  f.  67 


DEPENSES. 


a 


.2  [  Prix  Godard  .     250  fr.    » 

!  lM  !'f  1.833  f.  63 

>  ~  )  Prix  Bertil Ion.     166      6o 


2   S*  \  Prix  Broca.     .     750 

en 
'>■ 

2  s 

a-  g,  ^  PrixFauvelle.     667         » 

Frais  généraux 2.273  21 

Publications 6.075  20 

Entretien 63  40 

Bibliothèque 589  15 

Collections 415  60 


Total  des  dépenses.      .      .      .     11.250  f.  21 
Excédent  des  recettes  sur  les  dépenses.       2.556     46 


L'excédent  de  nos  recettes  sur  nos  dépenses  est  ainsi  de 
2.556  fr.  46.  L'année  dernière,  il  s'élevait  à  3,139  fr.  87.  Abs- 
traction faite  des  fluctuations  qui  se  produisent  chaque  année 
dans  les  divers  articles  de  receltes  et  de  dépenses,  la  cause  de 
cette  différence  se  trouve  dans  le  legs  de  1,000  fr.  que  nous  a 
fait  notre  regretté  collègue,  M.  Delehaye,  qui  a  figuré  pour 
la  première  fois  parmi  nos  ressources  en  1893  et  qui  continue 
d'y  être  compris  en  1895. 

B.  —  Inventaire  au  31  décembre  1894. 


ACTIF    LIQUIDE. 

.      .               »  fr 

»  \ 

Créances  à  recouvrer , 

.     .       2.425 

»  J 

Société  générale    . 

.      .       7.218 

61  [ 

11.025  fr.  86 

M.  Masson,  éditeur. 

.      .      .           859 

»  \ 

Rentes  à  toucher  . 

.      .      .           523 

25  ] 

78 


SÉANCE  DU  7  FÉVRIER  1895 


Report. 


PASSIF. 


11.025  fr.  86 


Provisions  pour  les  Prix  . 

1.750  fr 

55  \ 

Médaille  Broca 

7 

65  J 

Médaillon  Broca    .... 

38 

»  > 

0.322  fr. 

60 

Statue  Broca 

—   *  '   '  —  — 

10  V 

Factures  à  payer  .... 

1 .  704 
assif. 

30  J 

Excès  de  l'actif  sur  le  p 

4.703  fr 

26 

Valeurs 


A  ajouter  : 

prix  d'achat.      .     73.874  fr.  90 


de  bourse. 


plus-value  résultant  de 


83.584      30 


h  hausse  des  cours.       9.709       40 

Actif  net  en  capitaux  disponibles  et  en  va- 
leurs de  bourse 88.287  fr.  56 

A  ajouter  :  valeurs  dont  le  montant  résulte 
d'appréciations  : 


Quittances  à  recouvrer 
Collections . 

Librairie 

Bibliothèque     . 


2.450  fr.  » 
67.590  85 
68.243      20  y 

8.226 


Mobilier 11.332       50 

Total  de  l'inventaire     . 
Total  de  l'inventaire  ;i  la  fin  de  1893. 

Plus-value  . 


246. 130  fr.  Il 
242.416       37 

3.713  fr.  74 


Ainsi,  comparativement  à  1893,  le  total  de  notre  fortune 
s'est  accru  de 3. 713 f 74 

Maiscommeje  l'ai  marqué  dans  mon  précédent  compte  rendu 
(séance  du  1er  février  1894,  p.  108),  les  valeurs  dont  le  mon- 
tant résulte  d'appréciations  ne  sauraient  être,  d'une  manière 


M.  DAVELUY.  —  RAPPOUT  ANNUEL  SU»  LES  FINANCES  79 

absolue,  acceptées  pour  les  estimations  qui  leursont  attribuées. 
11  est  toutefois  à  noter  que  les  collections,  la  librairie,  la  bi- 
bliotbèque  et  le  mobilier  figurent  dans  le  tableau  précédent 
pour  les  valeurs  qui  leur  ont  été  primitivement  assignées  et 
que,  néanmoins,  de  nombreux  objets  ont  été  ajoutés  à  ceux  qui 
existaient  alors.  Ce  qui  en  réalité  rehausse  d'autant  les  valeurs 
dont  il  s'agit. 

Notre  actif,  comme  vous  le  voyez,  par  le  même  tableau,  dé- 
passe notre  passif  de  4,703  fr.  26. 

Cette  somme  se  compose  : 

1°  du  bénéfice  réalisé  en  1894  (voir  le  tableau  A 
ci-dessus) 2.556 f  46 

2°  du  solde  à  capitaliser,  à  la  fin  de  1893  sur  les 
droits  d'admission,  les  rachats  de  cotisations     .     .         794 f  80 

3°  prix  de  la  vente  d'un  reliquat  de  0.888  sur  la 
rente  4  1  2  p.  0  0  convertie  en  3  2  0  0.     .     .     .  25  '85 

4°  du  solde  du  compte  desbénéfices  antérieurs  à 
1894  moins  1.000  fr.  attribués  aux  frais  d'impres- 
sion de  1894  et  14' 22  affectés  aux  dépenses  extraor- 
dinaires delà  même  année  (2, 340, 37—  1,014,22)    .     1 .326 f  15 

Total  égal 4.703 f  26 

Sur  ce  total  de 4. 703' 28 

11  faut  défalquer  : 

1°  Créances  à  recouvrer 2. 425  '00 

2°  Attribution  par  le  Comité  central 

(séance  du  10  janvier  1895)  au  budget  ,  „„„,„„ 

J  °  >     4.0o8'b.) 

de  1895  : 

1IJ  frais  de  publication   .     1.300 f 00  j 

2°  dépenses  extraordinaires    333'  65  ) 

Reste  libre.     .     .     .     .        644 '61 


En  terminant  mon  exposé  de  1893,  j'appelais  votre  atten- 
tion  sur  la  nécessité  généralement  reconnue  de  mettre  de  bonne 


80  SÉANCE  DU  7  FÉVRIER  1895 

heure  en  recouvrement  les  quittances  des  cotisations  annuelles. 
Conformément  à  des  décisions  prises  par  le  Comité  central  dans 
ses  séances  des  11  janvier  et  15  avril  1894,  les  quittances  des 
cotisations  de  1895  seront  présentées  au  domicile  des  mem- 
bres de  la  Société  dans  la  première  quinzaine  du  mois  de  mars 
prochain.  Mais,  au  préalable,  des  lettres  d'avis  dont  la  formule 
a  été  approuvée  par  le  Comité  central  dans  sa  séance  de  jan- 
vier dernier,  préviendront  les  intéressés  de  cet  envoi  et  les 
prieront  d'y  faire  bon  accueil. 

Uuelques  membres  de  la  Société  ont  émis  le  vreu  qu'un  comp- 
table fût  adjoint  a  la  Commission  de  vérification  des  comptes. 
C'est  un  vœu  auquel  je  m'associe  et  que  je  vous  serai  recon- 
naissant d'accueillir. 

Le  sort  désigne  comme  membres  de  la  Commission  de 
vérification  des  comptes  MM.  Raymond,  Laborde  et  Le  Marcis. 

COMMUNICATIONS. 

Quelques  observations  relativement  au  gisement   in  tri 
glaciaire  de  Yillcl'raache. 

Par  M.  E.  d*Acy. 

,1e  demande  la  permission  de  présenter  quelques  observa- 
tions, au  sujet  de  la  communication  de  M.  G.  de  Mortillet,  sur 
les  alluvions  de  Villefranehe. 

M.  de  Mortillet  nous  a  dit  que  la  faune  de  ce  gisement  n'est 
pas  interglaçiaire,  comme  le  croit  M    Depéret  ',   mais  bien 

i  I)kpéri:t,  Sur  In  découverte  de  silex  taillés,  dans  les  alluvions 
quaternaires  a  rhinocéros  M'-rckH  de  la  vallée  de  la  Saône,  à  Ville- 
franche,  in  :  Comptes-rendus  de  l'Académie  des  Sciences,  8  août  1892. 
—  Delafond  et  Dkpkhkt.  Les  terrains  tertiaires  de  la  Bres-se  et  leurs 
gîtes  de  lirjnitc  et  de  minerais  de  fer.  (Cet  ouvrage  fait  p a i lie  des 
Études  des  gîtes  minéraux  de  la  Fiance,  publiées  sous  les  auspices  de 
M.  le  Ministre  des  travaux  publics  par  le  service  des  Topographies 
souterraines.)  Paris.  Imprimerie  Nationale,  1803,  p.  270  et  suiv.,  et 
allas,  pi.  XVI,  n°*  A,  5,  6  et  7. 


K.  D'ACY.  —  GISEMENT  INTER-GLÂCIAIRE  DE  VILLEFRANCHE        81 

moustérienne  ;  qu'en  effet,  le  renne  y  est  représenté  par  un 
morceau  de  ramure;  que  les-lamelles  de  molaire  d'éléphant, 
qui  ont  été  recueillies,  appartiennent  non  pas  à  l'éléphant 
antique  ni  h  l'éléphant  intermédiaire  —  qui  n'est  qu'une  va- 
riété de  l'antique,  —  mais  simplement  au  mammouth;  et 
.  enfin,  que  les  molaires  de  rhinocéros,  qui  ont  été  attrihuées 
au  rhinocéros  de  Merck,  doiventètre  rapportéesau  rhinocéros 
à  narines  cloisonnées. 

Devant  ces  affirmations  contradictoires,  j'ai  voulu  avoir  un 
troisième  avis  qui  tranchât  la  question  ;  et  j'ai  été  le  deman- 
der à  M.  Gaudry  et  a  M.  Boule.  Ils  ont  pris  part  à  l'excursion, 
que  la  Société  géologique  a  faite,  l'été  dernier,  à  Villefranche; 
ils  ont  vu  les  fossiles  trouvés  dans  ce  gisement  et  conservés 
à  la  Faculté  des  sciences  de  Lyon;  et,  quant  à  leur  compé- 
tence, ou  plutôt  à  leur  autorité,  je  n'ai  pas  hesoin  d'en 
parler. 

Voici  ce  qu'ils  ont  hien  voulu  me  dire,  avec  leur  ohligeance 
accoutumée. 

Ils  n'ont  pas  vu  de  débris  pouvant  se  rapporter  au  renne. 
Le  fragment  de  dent  d'éléphant  ne  saurait  donner  lieu  à 
une  détermination. 

Enfin,  les  molaires  de  rhinocéros  appartiennent  réellement 
au  rhinocéros  de  Merck. 

La  grosseur  de  ces  molaires,  sur  laquelle,  si  je  ne  me 
trompe,  31.  de  Mortillet  a  beaucoup  insisté,  est,  paraît-il,  sans 
importance.  Et,  dans  le  fait,  si  M.  de  Mortillet  nous  a  montré 
quelques  dents  de  ce  pachyderme,  venant  de  Chelles,  qui 
sont  relativement  petites,  en  voici  d'autres  de  la  même  espèce 
de  rhinocéros,  et  trouvées,  elles  aussi,  à  Chelles,  qui  sont 
beaucoup  plus  volumineuses.  Elles  le  sont  plus  que  celles  de 
Villefranche,  ainsi  qu'on  peut  s'en  assurer,  en  jetant  un  coup 
d'œil  sur  l'atlas  de  l'ouvrage  de  MM.  Delafond  et  Depéret, 
planche  XVI,  n"s  4,  5,  fi  et  7. 

De  plus,  je  ferai  remarquer,  relativement  au  morceau  de 
bois,  attribué  par  M.  de  Mortillet  au  renne,  que,  cette  déter- 
mination fut-elle  exacte,  et  ce  fragment  eut-il,  par  extraordi- 


82  SEANCE  DU  7  FÉVRIER  1895 

aaire,  échappé  à  M.  Gaudry  et  à  M.  Boule,  aussi  bien  qu'à 
M.  Depéret  \  la  présence  de  ce  cervidé  dans  la  faune  de  la 
sablière  de  Villefranche,  n'empêcherait  pas  cette  faune  d'être 
interglaciaire. 

En  Angleterre,  on  a  trouvé  le  renne  associé  à  l'éléphant  an- 
tique, au  rhinocéros  de  Merck  et  même  à  l'hippopotame,  dans 
les  grottes  de  Pont-Newydd  2  et  de  Kirkdale3;  et,  mieux  encore 
peut-être,  à  Rixdorf,  près  de  Berlin,  il  accompagne  l'éléphant 
antique  et  le  rhinocéros  de  Merck  dans  une  assise  de  sables 
.  et  de  cailloux,  bien  stratifiée  entre  deux  erratiques  gla- 
ciaires 4. 

11  semble  avoir  vécu  dans  le  voisinage  des  grands  glaciers, 
plus  tôt  que  dans  nos  vallées  de  la  Seine,  de  la  Marne  et  de  la 
Somme. 

Voilà  pour  la  paléontologie. 

Si  je  passe  à  la  stratigraphie,  dont  M.  de  Mortillet  s'est  oc- 
cupé également,  je  ne  parlerai  pas  du  synchronisme,  qui 
parait  cependant  bien  exister,  en  raison  de  la  similitude  de 
leur  altitude,  entre  la  terrasse  de  Villefranche  —  ou,  pour 
mieux  dire,  de  la  vallée  de  la  Saône,  —  et  celle  qui  termine 
les  plaines  situées  à  l'est  de  Lyon  ;  ni  de  la  dépendance,  dans 
laquelle  ces  plaines  se  trouvent,  suivant  les  savants  lyonnais, 
par  rapport  à  la  grande  moraine,  qui  s'étend  de  Lagnieu  à  la 
Verpillière  et  même  au-delà5. 

Je  me  bornerai  à  appeler  l'attention  sur  le  fait  suivant  : 

Les  alluvions  contemporaines  de  la  faune  du  mammouth, 
dont  elles  renferment  les  restes,  sont  connues  depuis  long- 

•  Non  seulement  ce  savant  ne  cite  pas  le  renne,  dans  la  faune 
de  Villefranche,  mais  il  fait  remarquer  son  absence.  —  Delafond 
et  Depéret..,  p.  283  et  288. 

2  Boyd-Dawkins(  Earhj  man  in  Britain,  p.  192. 

3  Le  même,  Cave  hunting,  p.  281;  et  Earhj  man...,  p.  187. 

4  M.  Boule,  Essai  de  paléontologie  stratigraphique  de  l'homme,  in  : 
Revue  d'Anthropologie,  1888,  p.  135.  —  J.  Geikie,  Prehistoric  Eu- 
rope, 1881,  p.  279,  note  1. 

5  Delafond  et  Depéret.  loc  .cit.,  p.  274  et  suiv. 


E.  D  AGY.   —  GISEMENT  INTKIt-GLAGIAIUE  DE  V1LLEFUANCHE         83 

temps.  Or,  ce  ne  sont  pas  celles  de  la  terrasse  dite  de  15  mètres; 
ce  ne  sont  pas  celles  dont  il  est  question  en  ce  moment.  Elles 
sont  situées  plus  bas,  dans  la  plaine  de  fond  de  la  vallée, 
dans  laquelle  la  rivière  actuelle  a  creusé  son  lit.  Et,  bien  que 
des  fouilles  n'aient  pas  été  pousséesjusqu'à  la  basedes  alluvions 
de  la  terrasse,  il  me  paraît  impossible  de  ne  pas  reconnaître  que 
ces  dernières  alluvions  sont  antérieures  à  celles  qui  renferment 
la  faune  du  mammouth,  de  tout  le  temps  qu'il  a  fallu  à  la  Saône 
quaternaire  pour  abaisser  son  lit  d'une  quinzaine  de  mètres  ;  et 
il  est  même  très  probable,  d'après  différents  sondages,  qu'il  faut 
ajouter  à  ce  laps  de  temps  celui  pendant  lequel  se  sont  effec- 
tués un  creusement  plus  considérable  encore,  puis  un  remplis- 
sage égal  à  ce  dernier  abaissement  '. 

En  résumé,  la  paléontologie  nous  dit  que  les  alluvions  de 
la  terrasse  de  Villefranche  sont  de  l'époque  interglaciaire  ;  la 
stratigraphie,  loin  d'infirmer  cette  attribution,  paraît  bien 
être  en  sa  faveur  ;  et,  quant  à  l'industrie,  dont  ces  dépôts 
renferment  les  restes,  personne  ne  conteste  qu'elle  n'appar- 
tienne au  type,  connu  sous  le  nom  de  moustérien. 

Discussion. 

M.  G.  de  Mortillet  rappelle  qu'il  a  d'avance  répondu  à 
tout  ce  qui  concerne  le  gisement  de  Villefranche.  Il  renvoie 
M.  d'Acy  au  texte  même  de  la  communication  dont  il  vient 
de  remettre  le  manuscrit  au  secrétaire.  Quant  à  l'âge  des 
sables  et  graviers,  il  est  bien  difficile  de  le  fixer  d'après 
M.  Depéret  lui-même;  en  effet,  dans  sa  communication  à 
l'Académie  des  sciences,  M.  Depéret  prétend  qu'il  se  rapporte 
à  l'inter-glaciaire,  et  il  souligne  le  mot.  Dans  le  programme 
de  l'excursion  de  la  Société  géologique,  programme  dressé 
par  lui,  il  le  qualifie  de  post-glaciaire.  Lequel  faut-il  ad- 
mettre? Dans  tous  les  cas,  c'est  une  simple  détermination 

1  Ibid.,  p.  284  et  suiv. 


8t  SÉANCE  OU  7  FÉVRIER  1895 

théorique,  le  glaciaire  faisant  complètement  défaut  dans  la 
localité.  Pour  l'industrie,  MM.  de  Mortillet  et  Depéretsont  par- 
faitement d'aecttrd.  L'industrie  est  moustérienne.  Reste   la 
faune  qui,  d'après  M.  Depéret,  n'est  point  celle  du  mousté- 
rien,  mais  bien  celle  du  chelléen,  et  le  professeur  de  Lyon 
compare  constamment   la  faune  de  Villefranche  à  celle  de 
Chelles.  Or,  M.  de  Mortillet  conteste  entièrement  cette  assimi- 
lation. Assimilation  qui  ne  porterait,  du  reste,  que  sur  ce  qui 
concerne  les  rhinocéros.  Or,  à  Villefranche,  on  n'a  constaté 
qu'un  très  gros  rhinocéros,  tandis  qu'à  Chelles  la  forte  majo- 
rité des  débris  de  rhinocéros  sont  de  petite  taille.  Les  dents, 
montrées    par   M.   d'Acy,    sont  très   en    minorité.    Et    puis 
M.  d*Acy  a  oublié  de  dire  en  quoi  les  dents  qu'il  présente  sont 
semblables  à  celles  de  Villefranche.  M.  Depéret  laisse  aussi  le 
public  singulièrement  perplexe  en  attribuant  une  faune  chaude 
au  post-glaciaire.  Jusqu'à  présent  tous  les  paléontologues  sont 
d'accord  pour  diviser  la  faune  quaternaire  en  faune  chaude, 
la  plus  ancienne,  et  en  faune  froide,  la  plus  récente.  Il  faut  ou 
renverser  cette  loi  assise  sur  des  observations  nombreuses  ou 
reconnaître  que  la  thèse  soutenue  par  M.  d'Acy,  d'après  les 
déterminations  de  M.  Depéret,  n'est  pas  exacte.  Il  y  a  contra- 
diction flagrante  entre  la  détermination  géologique  du  terrain 
et  la  déterminatien  paléontologique.  On  ne  peut  pas  adopter 
l'une  et  l'autre.  Il  faut  choisir  entre  l'une  ou  l'autre. 

Quant  au  gisement  de  YElephas  primigenius  que  M.  d'Acy 
place  exclusivement  dans  les  alluvions  de  la  Saône,  il  est  loin 
d'être  aussi  limité.  Le  primigenius  a  vécu  longtemps  pendant 
le  quaternaire,  il  peut  donc  se  rencontrer  dans  des  dépôts  très 
différents  comme  niveau.  Et  puis  la  présence  du  primigenius 
dans  les  alluvions  de  la  plaine  basse  de  la  Saône  peut  très 
bien  être  simplement  accidentelle,  être  tout  bonnement  le  ré- 
sultat de  la  corrosion  et  ablation  des  berges  qui  limitent 
cette  plaine  et  qui  constituent  justement  la  terrasse  de 
15  mètres,  où  l'on  exploite  les  carrières  de  sable  de  Ville- 
franche. 

M.  d'Acy.  —  M.  G.  de  Mortillet  a  voulu  mettre  M.  Depéret  en 


E.   D'ACY.  —  GISEMENT  INTERGLACIAIRE  DE  VILLEFRANCHE         85 

contradiction  avec  lai-même,  en  cilantun  passage  du  program- 
me de  l'excursion  de  la  Société  géologique,  dans  lequel  le  savant 
lyonnais  appelle  la  terrasse  de  Villefranche  post-glacière,  tan- 
dis que,  dans  sa  communication  à  l'Académie  des  sciences,  il 
l'indique  comme  étant  interglaciaire.  Il  me  paraît  y  avoir  sim- 
plement un  lapsus  calami,  ou  une  faute  d'impression  sans  im- 
portance dans  le  programme. 

M.  Depéret  qualifie  ces  alluvions  d'interglaciaires  et  donne 
les  motifs  de  sa  manière  de  voir,  non  seulement  dans  sa  com- 
munication à  l'Académie,  mais  encore  dans  la  grande  et  belle 
étude  qu'il  a  publiée  de  concert  avec  M.  Delafond. 

M.  de  Mortillet  me  semble  se  tromper  également,  quand  il 
représente  M.  Gaudry  et  M.  Depéret  comme  étant  en  désaccord, 
au  sujet  de  la  chronologie  des  faunes  quaternaires.  Bien  au 
contraire,  ces  savants  reconnaissent,  tous  les  deux,  en  haut, 
une  faune  froide  i  ;  plus  bas,  une  faune  chaude  ;  et  enfin,  plus 
bas  encore,  le  retour  d'une  faune  chaude.  On  peut  ne  pas  ad- 
mettre que  les  animaux,  dont  les  restes  ont  été  trouvés  à  Mon- 
treuil  haut,  aient  été  contemporains  de  la  première  extension 
des  glaciers;  mais  on  ne  saurait  contester  que  M.  Gaudry  soit 
complètement  d'accord  avec  M.  Depéret,  sur  l'existence  d'une 
faune  chaude  entre  deux  phases  froides  2. 

Les  fossiles  des  alluvions  de  la  plaine  de  fond  de  la  vallée 
de  la  Saône  ne  peuvent  pas  venir,  par  remaniement,  de  la  ter- 
rasse de  15  mètres,  comme  le  voudrait  M.  de  Mortillet.  Cette 
impossibilité  est  prouvée  parla  différence  complète,  qui  existe 
entre  les  faunes  des  deux  gisements. 

De  même,  bien  qu'aucune  fouille  n'ait  encore  atteint  la  base 

*  Rennes  et  rhinocéros  tichorhinus  de  Montreuil  —  100  m.  — 
Gaudry,  Comptes-rendus  de  l'Académie  des  sciences,  séance  du  21  no- 
vembre 1881. 

Mammouth  de  la  Demi  Lune.  —  Delafond  et  Depéret,  loc.  cit., 
p.  268  et  pi.  XV. 

-  Gaudry,  loc.  cit.  —  Dki.afond  et  Depéret,  loc.  cit.  p.  268  et  sui- 
vantes. 


86  SÉANCE  DU  7  FÉVRIER  4895 

des  alluvions  qui  composent  la  terrasse  *,  il  me  paraît  plus 
que  difficile  d'admettre  l'hypothèse  de  la  continuité  des  cou- 
ches du  fond  de  la  vallée  sous  celles  de  la  terrasse.  Si  cette 
continuité  existait,  nous  aurions  une  faune  chaude  superpo- 
sée et  par  conséquent  postérieure  à  celle  du  Moustier.  Ce  se- 
rait le  renversement  de  tout  ce  que  l'on  sait  sur  ces  ques- 
tions. 

S'il  y  a  un  malentendu  entre  M.  de  Mortillet  et  moi,  si  j'ai 
cru  ses  déterminations  plus  catégoriques  qu'elles  ne  le  sont, 
je  regrette  mon  erreur.  Mais,  en  réalité,  me  suis-je  beaucoup 
trompé,  tout  au  moins  en  ce  qui  concerne  les  rhinocéros? 
Nous  venons  d'entendre  M.  de  Mortillet  insister,  de  nouveau, 
sur  les  caractères,  qui  ditférencieraient  celui  de  Villefranche 
de  celui  de  Chelles.  Puisque  cette  objection  est  reproduite,  je 
répéterai,  en  deux  mots,  que  M.  Gaudry  et  M.  Boule  n'ont  pas 
fait  de  distinction  entre  les  rhinocéros  de  ces  stations;  et  que, 
dans  l'une  comme  dans  l'autre,  ils  ont  reconnu  le  rhinocéros 
Merckii.  J'ajouterai  seulement  que,  contrairement  à  ce  que 
pense  M.  de  Mortillet,  Chelles  m'a  fourni  plus  de  dents  de  rhi- 
nocéros volumineuses  que  de  petites. 

S'il  n'y  a  pas,  a  proprement  parler,  de  terrain  glaciaire,  à 
Villefranche,  il  n'y  en  a  pas  davantage  k  Chelles.  Même  sans 
parler  des  conditions  stratigraphiques  du  premier  de  ces  gise- 
ments *,  la  faune  établit  son  âge  interglaciaire,  comme  elle  le 
fait  pour  le  second. 

Maintenant,  je  ferai  remarquer  à  M.  Adrien  de  Mortillet  que, 
les  restes  d'industrie,  dont  il  a  parlé,  fussent-ils  venus  réelle- 
ment, par  remaniement,  d'une  couche  ancienne  dans  une 
autre  plus  récente,  il  ne  s'en  suivrait  pas  qu'il  en  fût  de  même 
pour  les  fossiles  de  la  plaine  de  fond  de  la  vallée  de  la  Saône. 
Et,  en  effet,  je  crois  avoir  prouvé  qu'il  n'en  est  rien.  Je  de- 
manderai à  M.  Adrien  de  Mortillet  si  nous  n'aurions  pas,  par 
hasard,  dans  le  gisement  qu'il  a  indiqué,  un  exemple  d'une 

i  Je  l'ai  parfaitement  reconnu  tout  à  l'heure. 
2  J'y  ai  fait  rapidement  allusion,  tout  à  l'heure. 


PAUL  PALLARY.  —  RECHERCHES  PALETHNOLOGIQUES       87 

industrie  ayant  dupé  pendant  deux  périodes  successives;  et, 
par  suite,  une  nouvelle  preuve  de  la  nécessité  d'abandonner 
la  classification  par  l'industrie  et  de  n'avoir  recours,  pour 
établir  une  chronologie,  qu'à  la  stratigraphie  et  à  la  paléon- 
tologie. 


Recherches  palcthnologiqucs  effectuées  anx  environs 

d'Onzidan. 

par  M.  Paul  Pallary 
(Lu  par  M.  de  A.   Mortillel.) 


I 


En  1874,  M.  Alfred  Chancogne,  de  TIemcen,  étantà  lâchasse, 
découvrit  sur  la  rive  droite  de  la  Sikkak  (ou  plutôt  Sekkak), 
au  N.-E  de  TIemcen,  des  excavations  creusées  dans  le  tuf 
ignorées  jusqu'alors.  Il  pleuvait  à  verse  et  notre  chasseur  dut 
s'abriter  dans  l'une  d'elles.  Grand  amateur  de  tout  ce  qui  tou- 
che à  l'histoire  naturelle,  M.  Chancogne  mit  à  profit  sa  réclu- 
sion forcée  en  examinant  les  parois  de  son  refuge  :  il  aperçut 
alors  la  moitié  d'une  pierre  noircie  par  la  fumée  et  qui  ressem- 
blait singulièrement  aux  célèbres  bâches  de  St-Acheul.  C'en 
était  une,  en  effet;  la  pointe  était  encore  engagée  dans  le  cal- 
caire, mais  il  fut  assez  facile  de  la  retirer.  M.  Chancogne  la 
mit  dans  sa  gibecière,  puis,  à  la  première  éclaircie,  reprit  le 
chemin  de  TIemcen. 

Quelques  jours  après,  l'auteur  de  la  trouvaille  rencontra 
M.  Bleicher,  alors  médecin-major  dans  la  même  ville,  et  lui  fit 
part  de  sa  découverte.  Plusieurs  excursions  furent  organisées, 
on  examina  avec  soin  les  cavernes,  plusieurs  autres  outils 
furent  découverts  et  finalement  M.  Bleicher  publia  dans  les 
Matériaux  pour  l'histoire  primitive  et  naturelle  de l 'homme de  1875, 


88  SÉANCE  DU  7  FÉVRIER  1895 

sous  le  titre  de  Recherches  d'archéologie  préhistorique  dans  la  pro- 
vince d'Oran,  les  résultats  de  son  exploration  a  Ouzidan. 

L'annonce  d'outils  en  pierres,  taillés  en  forme  d'amande, 
trouvés  dans  des  grottes  produisit  un  certain  étonnement  en 
France.  Jusqu'alors  ces  outils  provenaient  des  alluvions  et  les 
quelques  coups  de  poing  en  pierre  éclatée  trouvés  dans  les 
grottes  étaient  mêlés  à  des  pointes  moustériennes,  en  un  mot, 
on  ne  connaissait  pas  de  station  chelléenne  pure  dans  les  ca- 
vernes. Néanmoins,  devant  l'abondance  des  outils  extraits,  le 
fait  fut  accepté.  M.  Bleicher  paraissait,  d'ailleurs,  assez  expli- 
cite sur  ce  point  :  «  11  est  difficile  d'admettre,  dit-il,  que  ces 
armes  fassent  partie  intégrante  des  couches  de  tuf  calcaire 
à  blocs  irréguliers  (cubant  souvent  2  et  3  mètres)  ou  des  cou- 
ches de  cailloux  roulés,  empâtés  de  tuf  grumeleux,  dans  les- 
quelles on  les  trouve.  Comment  comprendre,  en  effet,  qu'elles 
soient  restées  si  parfaitement  intactes  au  milieu  des  dépôts 
d'alluvions  formés  de  blocs  et  de  cailloux  roulés? 

«  II  nous  paraît  plus  rationnel  d'admettre  que  ces  armes, 
oubliées  dans  des  cachettes  creusées  dans  les  parois  des  grottes,  ont 
fini  par  adhérer  aux  cavités  où  elles  se  trouvaient,  grâce  aux 
incrustations  calcaires  que  déposaient  les  eaux  de  pluie  filtrant 
à  travers  ces  parois.  » 

Les  choses  demeurèrent  dans  cet  état  jusqu'en  1891,  époque 
à  laquelle  j'allai  visiter  les  cavernes,  bien  décidé  à  avoir  la 
solution  de  cette  anomalie  :  ou  les  abris  avaient  été  habités  à 
l'époque  chelléenne  et  alors  il  devait  y  avoir  une  couche  ar- 
chéologique et  une  faune,  ou  les  outils  provenaient  des  cou- 
ches du  tuf  et  alors  les  abris  n'existaient  pas  à  l'époque 
quaternaire. 

Je  fus  surpris  en  constatant  d'abord  que  ces  cavernes  étaient 
entièrement  artificielles  et  qu'elles  étaient  toutes  creusées  d'une 
façon  uniforme. 

Dans  l'une  d'elles  je  fis  un  sondage,  et,  à  mon  grand  éton- 
nement je  trouvai,  dans  une  couche  assez  forte  de  terreau, 
deux  hachettes  éclatées.  Je  revins  à  Oran  avec  l'intention  bien 
arrêtée  de  faire  des  fouilles  régulières. 


PAUL  PALLARY.    —  RECHERCHES  PALETHNO LOGIQUES  89 

Au  Congrès  de  Marseille,  je  demandai  et  j'obtins  de  l'Asso- 
ciation française  pour  l'avancement  des  sciences,  une  subven- 
tion avec  laquelle  je  pus  exécuter  les  travaux  nécessaires. 

Ces  recherches  furent  effectuées  du  2  au  10  août  1892. 
Grâce  au  bienveillant  concours  de  M.  Alfred  Chancogne  qui 
se  mit  à  mon  entière  disposition,  je  pus  les  faire  dans  des 
conditions  très  favorables. 


II 


Les  cavernes  dites  d'Ouzidan,  bien  qu'elles  en  soient  éloi- 
gnées de  4  à  5  kilomètres,  sont  connues  par  les  indigènes  sous 
le  nom  de  R'iran  er  r'ih  (les  grottes  du  vent).  Elles  occupent 
tout  le  bord  d'un  petit  plateau  élevé  d'une  cinquantaine  de 
mètres  au-dessus  de  la  rive  droite  de  la  Sikkak. 

Il  y  a  7  kilomètres  environ  des  cavernes  à  Négrier  et  15  ki- 
lomètres environ  de  Tlemcen. 

Les  cavernes,  actuellement  au  nombre  de  treize  1  sont  si- 
tuées sur  le  bord  d'un  éperon  de  terrain  :  elles  sont  placées 
les  unes  à  la  suite  des  autres  en  forme  de  fer  à  cheval  sur  les 
bords  du  promontoire  et  ce  fer  à  cheval  est  fermé  lui-même 
par  des  cavernes. 

Toutes  ces  excavations  sont  creusées  sur  un  plan  uniforme  : 
ce  sont  deux  chambres  taillées  quelquefois  très  régulièrement 
sous  le  tuf  et  dans  le  poudingue,  communiquant  par  un  étroit 
couloir  et  faiblement  éclairées  par  la  voûte  par  deux  ou  trois 
ouvertures  circulaires  très  régulières,  tout  à  fait  semblables 
aux  bouches  des  silos.  On  en  trouve  de  semblables  éparsessur 
les  mamelons  environnants. 

J'ai  déjà  dit  que  j'avais  été  frappé  par  la  position  des  caver- 
nes et  par  leur  régularité,  ce  qui  prouvait  qu'elles  n'étaient  pas 

i  A  l'époque  des  premières  trouvailles,  elles  étaient  plus  nom- 
breuses (vingt  à  vingt-cinq),  niais  plusieurs  se  sont  effondrées  de- 
puis. 

t.  vi  (4°  série).  7 


90  SÉANCE  DU  7  FÉVRIER  1893 

naturelles.  Dans  le  Catalogue  des  stations  préhistoriques  du  dépar- 
tement d'Oran  Redisais  à  propos  d'Ouzidan  :  Abris  creusés  par 
l'homme  sous  le  tuf.  Mais  il  restait  maintenant  à  savoir  si 
c'était  par  l'homme  quaternaire  ou  par  des  contemporains. 

La  découverte  de  ruines,  que  j'ai  faite  sur  le  plateau  même, 
vint  bien  à  propos  pour  résoudre  la  question. 

Autant  que  je  sache,  personne  n'avait  encore  signalé  des 
ruines  au-dessus  des  cavernes.  Il  est  vrai  qu'elles  sont  telle- 
ment archaïques  qu'il  était  difficile  de  s'apercevoir  de  leur 
présence. 

Les  recherches  entreprises  depuis  m'ont  fait  connaître  la 
corrélation  qui  existe  entre  ces  ruines  et  les  cavernes. 

J'ai  dit,  plus  haut,  comment,  en  1891,  j'avais  recueilli,  dans 
une  caverne,  deux  outils  à  peu  de  profondeur.  Cette  décou- 
verte m'ayant  fait  espérer  que  je  trouverais  une  couche  ar- 
chéologique, je  me  suis  décidé  tout  d'abord  à  fouiller  cet  abri. 

La  surface  du  sol  était  recouverte  par  des  côtes  de  palmier 
nain  (Chamœrops  humilis,  L.). 

Au-dessous  venait  une  autre  couche  assez  résistante  formée 
par  des  déjections  de  chèvres  et  de  bœufs,  puis  se  trouvait  un 
terreau  noirâtre. 

Ce  terreau  n'est  qu'un  mélange  de  cendres,  de  charbon,  de 
débris  de  palmiers  nains.  Elle  a  été  remaniée  à  diverses  re- 
prises et  un  y  trouve  de  tout  :  des  hachettes  chelléennes,  des 
débris  de  faïence  actuelle,  des  tessons  de  lampe  en  terre  ver- 
nissée, des  fragments  de  vases  kabyles,  des  morceaux  de 
verre,  .l'ai  retiré  de  là  des  ossements  de  bœuf,  de  mouton,  de 
chèvre,  de  tortue  et  beaucoup  d'hélices  :  H.  Zapharina,  Dou- 
bleti,  esnorca,  euphorca,  enphorcopsis  et  piratarum  qui  vivent  en- 
core sur  place. 

J'ai  poussé  la  tranchée  jusqu'à  la  rencontre  du  roc  et  j'ai 
trouvé,  sous  le  terreau,  delà  terre  jaunâtre  avec  des  galets  et, 
si  >us  cette  terre  caillouteuse,  du  sable  à  gros  grains  dans  lequel 
abondent  des  petits  cylindres  troués   de  part  en  part,  que 

1  Ass.  franc   pour.  av.  s*".  Congrès  de  Marseille,  II,  p.  612. 


PAUL  PALLARY.  —  RECHERCHES  PALETHNOLOGIQUES      91 

M.  Bleicher  considère  comme  des  gaines  d'incrustation  de 
racines  et  de  tiges  de  graminées;  les  cailloux  roulés  y  sont 
rares. 

L'épaisseur  de  la  coupe  ne  dépasse  pas  1  mètre. 

Le  poudingue  qui  constitue  les  parois  et  quelquefois  le 
plancher  est  formé  par  de  petits  galets  fortement  encroûtés  et 
empâtés  par  un  ciment  calcaire.  La  faible  agglomération  des 
galets  ne  permettait  peut-être  pas  de  se  servir  du  mot  :  pou- 
dingue pour  désigner  cette  formation. 

Enfin,  le  plafond  est  formé  par  cette  croûte  de  tuf  qui  re- 
couvre presque  tous  les  terrains  en  Algérie. 

Les  couches  sablonneuses  de  la  base  ne  fournissent  pas 
d'outils.  Cette  caverne  est  la  seule  dans  laquelle  il  y  ait  un 
semblant  de  couche  archéologique  ;  mais  je  suis  persuadé  que 
la  terre  meuble  a  été  retournée  par  MM.  Bleicher  et  l'abbé 
Brevet;  en  remuant  les  terres,  on  aura  arraché  aux  parois  et 
ramené  à  la  surface  quelques  outils.  D'ailleurs  le  dépôt  sablon- 
neux inférieur  se  désagrège  si  facilement  qu'on  peut  en  reti- 
rer autant  qu'on  en  désire  sans  grands  efforts. 

Dans  la  chambre  adjacente,  il  n'y  a  ni  terreau,  ni  sable  : 
c'est  le  poudingue  qui  affleure. 

J'ai  essayé  de  fouiller  trois  autres  cavernes,  mais  sans  suc- 
cès. Il  n'y  avait  pas  du  tout  de  couche  superficielle  ;  dans  toutes, 
le  poudingue  formait  directement  le  plancher  :  il  était  très 
difficile  de  l'entamer  et  il  était  facile  de  voir  qu'il  n'offrait  au- 
cune différence  avec  la  roche  de  l'extérieur. 

J'ai  retiré  du  poudingue  formant  le  sol  d'une  chambre  un 
coup  de  poing  en  calcaire  encore  adhérent  à  la  roche,  puis  en 
examinant  avec  beaucoup  d'attention  les  parois  de  la  caverne, 
d'une  régularité  telle  qu'il  faut  être  aveugle  pour  ne  pas  y  voir 
le  travail  humain,  j'aperçois  en  pleine  roche  et  non  pas  dans 
une  cavité  ou  une  fissure  une  extrémité  d'outil.  Je  le  dégage 
avec  beaucoup  de  soin  pour  laisser  le  plus  de  gangue  possible 
et  j'ai  enfin  une  superbe  pointe  de  13  centimètres  de  longueur, 


92  SÉANCE  DU  7  FÉVRIER  1895 

taillée  sur  une  seule  face  et  d'allures  moustériennes  évidentes  *. 

Il  n'y  a  donc  pas  de  couche  archéologique  dans  ces  caver- 
nes; les  outils  en  pierre  éclatée  proviennent  bien  du  poudin- 
gue et  font  rentrer  Ouzidan  dans  la  catégorie  des  dépôts  qua- 
ternaires anciens  à  outils  taillés. 

Nous  avons  également  fait  des  fouilles  dans  les  ruines  qui 
se  trouvent  sur  le  plateau. 

Dans  les  déblais  d'une  de  ces  habitations  nous  avons  trouvé  : 
deux  coups  de  poing  chelléens  parfaitement  taillés  et  un  mor- 
ceau depoteriejaunàtre,  épaissede8mill.  Nousavons  misa  jour 
un  foyer  avec  les  débris  d'un  vase  en  terre  rougeàtre,  mince, 
noirci  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur.  Près  de  là  nous  avons  re- 
cueilli une  meule  de  moulin  brisée  en  calcaire  coquillier,  une 
brique  et  d'autres  débris  de  poterie. 

La  brique  et  le  fini  des  poteries  indiquent  sûrement  une 
origine  romaine,  mais  la  construction  des  cases,  l'absence  de 
moellons  et  de  monnaies  indiquent  des  habitants  berbères. 

En  résumé  ,  j'ai  exploré  quatre  cavernes,  fouillé  deux 
maisons  berbères  et  visité  avec  soin  le  plateau,  les  pentes  et 
les  environs.  J'ai  rapporté  de  ces  recherches  : 

Une  pointe  chelléo-moustérienne  trouvée  en  place,  une 
hachette  fixée  à  la  roche  par  une  seule  face,  deux  autres 
trouvées  dans  les  cavernes  mais  détachées  de  leur  gisement, 
trois  coups  de  poing  ramassés  à  la  surface,  trois  autres  sur  les 
pentes  et  deux  dans  les  ruines. 

Ces  trouvailles  permettent  de  tirer  les  conclusions  suivan- 
tes : 

Les  outils  en  pierre  sont  bien  quaternaires  et  proviennent 
sans  contredit  des  couches  à  poudingue  et  tuffeuses;  ces  cou- 
ches sont  en  place. 

Quant  aux  outils  eux-mêmes,  ils  sont  tous  en  calcaire  bleu- 
noir  ou  en  grès  dur;  les  uns  sont  taillés  a  petits  éclats  sur  les 

i  Depuis  cette  découverte,  l'auteur  des  fouilles  est  retourné  à  Ou- 
zidan et  il  a  retiré  du  même  endroit  six  coups  de  poing  tous  enga- 
gés dans  le  poudingue  et  le  tuf. 


PAUL  PALLARY.  —  RECHERCHES  PALETHNOLOGIQUES      93 

deux  faces  en  forme  d'amande;  d'autres  sont  plats,  de  forme 
quadrangulaire  et  taillés  quelquefois  sur  les  deux  faces,  mais 
le  plus  souvent  sur  une  seule.  Enfin  de  véritables  pointes,  entre 
autres  celle  extraite  du  gisement,  taillées  sur  une  seule  face 
indiquent  que  l'on  se  trouve  à  la  fin  du  chelléen  et  que  l'in- 
dustrie moustérienne  fait  son  apparition.  Bien  plus  tard,  à 
une  époque  contemporaine  de  l'occupation  romaine,  le  pro- 
montoire d'Ouzidan  était  occupé  par  une  bourgade  berbère 
dont  les  habitants  avaient  creusé  des  cavités  qui  leur  servaient 
de  magasins,  réservoirs  ou  silos.  En  creusant  les  chambres 
dans  le  poudingue  et  sous  le  tuf,  les  ouvriers  retiraient,  avec 
les  déblais,  les  outils  chelléens  qui  se  trouvaient  dans  les  cou- 
ches et  les  répandaient  ainsi  sur  les  pentes  et  à  la  surface  du 
plateau.  De  plus,  le  gravier  ou  le  sable  grossier  a  été  utilisé 
pour  la  construction  des  maisons  ou  pour  tout  autre  but,  et 
c'est  ce  qui  explique  la  présence  dans  les  cases  des  deux  coups 
de  poing  trouvés  dans  nos  fouilles. 

Discussion. 

M.  Salmon.  —  L'étude  de  M.  Pallary,  sur  le  département 
d'Oran,  outre  le  point  de  vue  local,  présente  un  intérêt  plus 
général,  si  on  la  rapproche  des  recherches  de  M.  Rabourdin 
sur  une  partie  du  Sahara  (première  mission  Flatters),  de 
M.  Collignon,  sur  la  Tunisie,  de  M.  Regnault,  sur  le  Congo. 

L'état  de  nos  connaissances  en  Europe  et  en  Afrique,  per- 
met d'apercevoir  le  grand  mouvement  chelléo-moustérien  qui 
traverse  l'Espagne  (San  Isidro)  et  dont  le  Congo  n'est  peut- 
être  pas  la  limite  extrême.  On  ne  saurait  oublier  les  instru- 
ments de  pierre  congolais,  dont  notre  bulletin  de  1874,  p.  478, 
a  publié  les  dessins  :  ces  pièces  ne  sont  point  différentes  de 
celle  de  l'Europe. 


94  SÉANCE  DL"  7  FÉVUlER   1895 

Forme  du  eràne  dans  l'hydrocéphalie, 

Par  M.  F.  Regnault. 

J'ai  déjà  publié  une  étude  sur  ce  sujet  dans  la  Revue  men- 
suelle des  mala<lu>s  de  l'enfance  (décembre  1894).  Je  me  propose 
ici  d'y  revenir  en  la  complétant. 

11  s'agissait  de  rechercher  si  l'hydrocéphalie,  par  sa  pres- 
sion sur  la  paroi  crânienne,  élargissait  proportionnellement 
plus  les  diamètres  antéro-postérieur  ou  transverse  maximum. 

Les  auteurs  ont  exprimé  a  ce  sujet  des  opinions  contradic- 
toires :  Résumons-les  rapidement  : 

D'Espine  et  Picot  disent  que  tous  les  diamètres  sont  aug- 
mentés, mais  ils  ne  recherchent  si  l'un  l'es!  plus  que  l'autre. 

Sanné,  dans  un  article  de  1888  sur  l'hydrocéphalie,  dans 
le  Dictionnaire  de  Dechambre,  est  plus  explicite.  Pour  lui,  les 
diamètres  antéro-postérieur  et  transverse  s'allongent,  le  pre- 
mier surtout.  Or,  les  mensurations  mêmes,  qu'il  donne,  prou- 
vent le  contraire. 

MM.  Duplay  et  Reclus,  dans  leur  Traité  de  chirurgie  (p.  651, 
t.  III,  par  Gérard-MarchantJ,  restent  dans  le  doute. 

«  Cependant,  disent-ils,  le  type  de  déformation  n'est  pas 
toujours  le  même  :  ici,  c'est  la  région  occipitale  qui  a  cédé  le 
plus  à  la  distension,  et  le  diamètre  occipito-frontal  remporte 
de  beaucoup  sur  les  deux  autres;  ailleurs,  c'est  la  région  breg- 
matique  qui  s'est  le  plus  développée;  d'autres  fois,  c'est  le 
diamètre  bitemporal  qui  est  devenu  le  plus  étendu.  » 

En  mesurant  les  crânes  des  musées  Dupuytren  et  Rroca  et 
en  y  ajoutant  quelques-uns  de  collections  particulières,  j'ai  pu 
réunir  29  crânes,  qui  tous  (sauf  un  ayant  un  indice  de  73,1), 
étaient  fortement  brachycépbales. 

Encore  chez,  ce  dolicho,  numéro  56  du  musée  Broca,  la  ma- 
ladie n'a  pas  dû  être  bien  intense,  si  on  en  juge  par  l'aspect 
du  crâne  qui  n'offre  pas  les  bosses  typiques. 


F.   REGNAULT.    —    FORME  DU  CRANE  DANS  L'HYDROCÉPHALIE        95 

Voici,  d'ailleurs,  les  indices  des  treize  crânes  hydrocéphales 
du  musée  Dupuytren  : 

Nos  137  nouveau-né...  1ml.  céph.  1(18 

38  jeune  enfant..  »         106,7 
29     2  mois »         100,7 

27  jeune  enfant..  »  90,6 

28  7  ans »  91,3 

39  10  ans »  90,6 

26     Sans »  86,3 

24     3  ans »  88,3 

43  27  ans »  91,8 

40  adulte »  89,6 

42  20  ans »  85,7 

41  adulte »  83 

9  adulte »  88 

Les  sept  crânes  hydrocéphales  du  musée  Broca  ont  fourni 
les  indices  suivants  :  89,8  —  86,9  —  94  -  103,1  --89,8  — 
73,1  —97,5. 

On  est  donc  en  droit  de  dire  que  l'hydrocéphalie  amène  un 
agrandissement  plus  marqué  du  diamètre  transverse  que  de 
l'antéro-postérieur. 

La  brachycéphalie  est  d'autant  plus  forte  que  la  maladie 
survient  chez  un  individu  plus  jeune  et  qu'elle  est  plus  in- 
tense. 

Elle  tend  à  se  corriger  chez  les  adultes  guéris,  mais  il  per- 
siste toujours  une  forte  brachycéphalie. 

La  cause  est  due  au  mécanisme  même  de  distension,  qui 
écarte  les  sutures  comme  les  pétales  d'une  Heur,  selon  l'ex- 
pression de  Trousseau.  Les  pariétaux  s'écartent  surtout  par 
leur  partie  postérieure  :  aussi  est-ce  en  haut  et  très  en  arrière 
que  se  trouve  le  diamètre  transverse  maximum. 

Si  on  prenait  simplement  un  diamètre  bipariétal  en  joignant 
le  milieu  des  deux  pariétaux,  on  aurait  un  diamètre  trans- 
verse bien  moindre. 


96  SÉANCE  DU   7   FÉVRIER   1895 

Un  travail  sur  l'hydrocéphalie  de  MM.  Bourneville  et  J.  Noir 
vient  de  paraître  tout  récemment  dans  les  comptes-rendus  du 
service  du  docteur  Bourneville  de  Bicètre  en  1894.  C'est  une 
étude  générale  et  très  étendue  sur  cette  maladie. 

Bien  que  les  auteurs  ne  se  soient  pas  spécialement  occupés 
de  la  question  de  la  forme  du  crâne,  on  peut  cependant,  par 
leurs  mensurations,  reconnaître  que  la  plupart  de  leurs  22 
observations  possèdent  des  indices  fortement  brachycéphales. 
Ils  en  auraient  un  bien  plus  grand  nombre  s'ils  s'étaient  as- 
treints à  prendre  rigoureusement  le  diamètre  transverse  maxi- 
mum. Mais  ils  marquent  simplement  avoir  pris  un  diamètre 
bipariétal,  sans  mentionner  s'il  fut,  dans  toutes  les  observa- 
tions, le  maximum. 

Les  auteurs  citent,  d'ailleurs,  quelques  eas  (ie  brachycé- 
phalie  extrêmement  accentués  qu'ils  dénomment  en  chapeau 
de  gendarme. 

Ils  auraient,  enfin,  observé  quelques  rares  scaphocéphalies. 
Vn  d'entre  eux,  le  numéro  13,  nous  paraît  probant,  comme 
le  montrent  les  mensurations  donnant  71,8  d'indice  et  la 
photographie  qui  est  reproduite.  D'ailleurs,  il  est  ici  spécifié 
que  la  suture  sagittale  est  soudée,  ce  qui  ne  peut  qu'amener 
la  scaphocéphalie.  C'est,  du  reste,  un  incident  bien  rare  de  l'hy- 
drocépbalie. 

A  l'opposé,  il  faut  citer  la  soudure  de  la  suture  métopique 
qui  se  produit  d'ordinaire  vers  la  naissance.  Elle  peut,  par 
conséquent,  exister  déjà  quand  l'hydrocéphalie  débute.  Selon 
que  la  suture  métopique  sera  ou  non  sondée,  l'aspect  de  la 
tète  sera  très  différent.  Si  la  suture  est  intacte,  le  front  de 
l'hydrocéphale  sera  large  et  sa  tête  paraîtra  ronde.  Si  elle  est 
soudée,  on  verra  un  petit  front  dépassé  par  deux  bosses  pa- 
riétales énormes  et  très  postérieures.  Alors,  la  tète,  au  lieu 
d'apparaître  sphérique,  aura  l'aspect  d'un  trapèze  à  grande 
base  postérieure  et  opposée  au  petit  front  antérieur.  Elle  sera 
néanmoins  brachycéphale,  bien  qu'à  simple  vue,  on  la  dirait 
plutôt  dolicho,  le  diamètre  transverse  maximum  étant  porté 
absolument  en  arrière  et  en  haut. 


F.   REGNAULT.   —  FORME  DU  CRANE  DANS  L'HYDROCÉPHALIE       97 

Peut-être  pourra-'t-on  utiliser  ces  données  pour  le  diagnos- 
tic de  l'hydrocéphalie? 

Un  crâne  grossissant  outre  mesure,  et  tendant  à  devenir  de 
plus  en  plus  hrachycéphale,  fera  penser  plutôt  à  l'hydrocé- 
phalie qu'à  toute  autre  maladie;  qu'à  l'hypertrophie  cérébrale 
dite  simple,  par  exemple.  Mais  il  nous  faudra  un  certain  nom- 
bre d'observations  longtemps  suivies  avant  de  poser  une  con- 
clusion ferme. 

En  tous  cas,  ces  recherches  auront  pour  utilité  de  donner 
de  la  précision  aux  descriptions  cliniques  de  nos  auteurs.  Elles 
constituent,  enfin,  une  des  rares  applications  à  la  pathologie 
des  sciences  anthropologiques.  A  ce  point  de  vue,  elles  for- 
ment, comme  la  suite  de  ma  thèse  inaugurale  où  je  décrivai, 
d'après  la  même  méthode,  les  modifications  dans  la  forme  du 
crâne  des  rachitiques. 

Nous  espérons  pouvoir  ajouter,  sous  peu,  d'autres  chapitres 
a  ce  sujet. 


Vestiges  robcuhaiisieus. 

(Note  lue  par  M.  Lagnoau.) 

M.  Emile  Petitot,  ancien  missionnaire  en  Amérique  du 
Nord,  actuellement  curé  à  Mareuil-les-Meaux  (Seine-et-Oise), 
adresse,  au  Secrétaire  général  de  la  Société,  la  lettre  suivante 
relative  à  une  trouvaille  faite  dans  un  champ  appartenant  à 
M.  Aug.  Maslé  : 

«  En  retirant  des  pierres  d'un  terrain,  sis  sur  les  bords  du 
petit  chenal  de  la  Marne,  on  a  découvert  une  couche  de  char- 
bon de  5  ;i  15  centimètres  d'épaisseur,  laquelle  est  à  \  m.  30 
de  profondeur.  Appelé  presque  aussitôt,  j'ai  pu  faire  continuer 
les  fouilles  par  M.  Désiré  Neveu. 

«  Le  foyer  mesure  environ  4  mètres  en  longueur  de  l'ouest 
à  l'est,  sur  2  environ  du^  nord  au  sud.  Il  repose  sur  un  sol 


98  SÉANCE  DU  7   FÉVRIER  1895 

marneux  mêlé  de  sable...  Dans  ce  foyer,  nous  avons  retiré 
deux  moitiés  de  mâchoire  inférieure  de  sanglier  vulgaire,  un 
boutoir  de  sanglier  des  cavernes,  qui  a  été  coupé  en  deux  et 
affûté  par  l'usure  de  manière  à  former  un  outil  aigu;  un  beau 
poinçon  en  os;  deux  fusaïoles  en  terre  cuite,  l'une  noire  de 
3  centimètres  de  large,  l'autre  blanchâtre  de  4  centimètres  1/2 
de  diamètre;  un  éclat  de  silex,  vulgairement  appelé  lame;  une 
molaire  humaine  usée  à  plat  jusqu'à  la  couronne;  une  incisive 
très  longue,  que  j'ai  prise  tout  d'abord  pour  une  incisive  de 
castor;  un  fragment  de  mâchoire  de  mouton  ou  de  bouquetin  ; 
quantité  d'ossements  à  demi  calcinés  de  sanglier,  de  cerf,  de 
castor  ('?),  d'oie  ou  de  quelque  autre  oiseau  aquatique;  des 
dents  de  cerf;  une  grande  quantité  de  débris  de  poterie  appar- 
tenant à  plusieurs  modèles,  savoir  : 

«  1°  Une  grosse  poterie  grossière  et  épaisse,  fabriquée  à  la 
main,  mal  cuite,  friable,  dont  il  y  a  3  ou  4  formes  :  un  sem- 
blable à  un  pot  à  Heurs,  tout  uni;  une  seconde  avec  toron  en 
torsade  à  4  centimètres  du  bord  supérieur,  lequel  est  décoré 
de  petites  dépressions  faites  avec  un  petit  doigt;  un  troisième 
et  un  quatrième  modèles  à  toron  sans  torsade,  mais  garnis 
des  mêmes  impressions  du  bout  du  doigt;  un  cinquième  tout 
uni,  mais  avec  la  même  bordure  sur  l'orifice.  Ces  poteries  ont 
jusqu'à  7  millimètres  d'épaisseur;  elles  devaient  avoir  un  ori- 
fice de  12  à  14  centimètres  en  diamètre. 

«  2°  Une  poterie,  forme  potiche,  moins  épaisse,  grise,  peut- 
être  formée  d'une  pâte  de  grés,  paraissant  faite  au  tour,  de 
8  centimètres  de  diamètre  à  l'orifice  et  5  millimètres  d'épais- 
seur. 

«  3°  Un  autre  modèle  de  potiche  de  8  centimètres  d'orifice 
sur  4  millimètres  d'épaisseur.  Cette  dernière  est  rougeàtre, 
fine,  dure,  et  paraît  avoir  été  faite  au  tour,  à  cause  de  sa 
grande  régularité. 

«  4°  Une  autre  ;i  peu  près  semblable  est  en  terre  noire  et 
fine. 

«  .">'  Une  cinquième  est  une  petite  assiette  ou  terrine  à  bords 
droits,  d'une  terre  noire  et  fine. 


G.  CAPUS.   —  SUR.  LÀ   TAILLE  EN  BOSNIE  99 

«  Il  est  impossible  de  reconstituer  un  seul  de  ces  vases,  tant 
leurs  débris  sont  menus  et  incomplets.  Mais  des  fragments  de 
cols  permettent  d'en  constater  la  forme. 

«  Point  d'ossements  humains,  d'armes,  ni  d'instruments 
quelconques. 

«  En  somme,  je  crois  pouvoir  affirmer  que  nous  sommes  en 
présence  d'un  simple  feu  de  bivouac  ou  de  campement  tem- 
poraire, de  l'époque  que  le  savant,  M.  G.  de  Mortillet,  intitule 
Hobenhausienne.  » 


Sur  la  faille  en  Bosnie. 

Par  M.    G.   Capus. 

Lors  de  mon  dernier  séjour  à  Sarajevo  (Bosnie),  M.  le  baron 
de  Mollinari,  sous-préfet  du  district  de  Sarajevo,  a  bien  voulu, 
sur  ma  demande,  mettre  à  ma  disposition  le  relevé  des  tailles 
au  conseil  de  révision  pendant  l'année  1893.  Ces  chiffres  se 
rapportent  aux  conscrits,  âgés  de  20  ans,  appartenant  aux 
7  districts  suivants  :  Cajnica,  Foca,  Fojnica,  Rogatica,  Sarajevo 
(campagne),  Visoko  et  Visegrad. 

Le  nombre  total  des  individus  ici  mensurés  est  de  772,  dont 
350  musulmans,  305  orthodoxes,  118  catholiques  et  6  juifs. 

Dans  les  districts  de  Cajnica,  Foca,  Rogatica  et  Visegrad,  il 
n'y  avait  pas  de  catholiques  pour  le  tirage  au  sort.  Les  juifs 
sont  des  juifs  espagnols  ou  séphardes. 

Il  va  sans  dire  que  les  chiffres  de  ces  listes  ne  sont  nulle- 
ment sélectionnés,  ils  se  suivent  dans  l'ordre  de  présentation 
des  individus  sous  la  toise. 

Les  moyennes  calculées,  voici  ce  que  j'obtiens  : 

350  musulmans  :  Cajnica,  1693;  Foca,  1705  ;  Fojnica,  1707; 
Rogatica,  1725;  Sarajevo,  1710;  Visoko,  1724  ;  Visegrad,  1709 
—  soit  une  moyenne  musulmane  de  1711. 

305  orthodoxes  :  Cajnica,  1711;  Foca,  1714;  Rogatica,  1714; 


100  SÉANCE  DU  7  FÉVRIER  1895 

Sarajevo,  1734;  Visoko,  1708,  Visegrad,   1695  —  soit  une 
moyenne  orthodoxe  de  1713. 

118  catholiques  :  Fojnica,  1701;  Sarajevo,  1717;  Visoko, 
1701  —  soit  une  moyenne  catholique  de  1706. 

Les  moyennes,  sans  distinction  de  culte,  sont  les  suivantes, 
pour  les  divers  districts  : 

Cajnica,  1704;  Foca,  1710;  Fojnica,  1704;  Rogatica,  1720; 
Sarajevo,  1721,  Visoko,  1711,  et  Visegrad,  1712  — soit  une 
moyenne  générale,  ou  moyenne  des  moyennes,  de  17 10. 

Ainsi,  la  moyenne  de  la  taille  en  Bosnie  centrale,  calculée 
sur  un  nombre  de  766  individus  âgés  de  20  ans,  est  de 
1  m .  71. 

Je  ferai  remarquer  que  nous  avons  affaire  ici  aux  districts 
essentiellement  bosniaques,  à  ceux  qui  occupent  le  centre  de 
la  région  délimitée  comme  province  politique  sinon  comme 
région  naturelle.  Il  ne  faudrait  pas,  jusqu'à  plus  ample  infor- 
mation, considérer  ce  chiffre  comme  pouvant  s'appliquer  inté- 
gralement aux  districts  herzégoviniens  de  l'Ouest,  aux  districts 
du  Nord  qui  touchent  à  la  Croatie  et  à  la  Serbie,  ni  à  ceux 
du  Nord-Ouest  touchant  aux  provinces  dalmates.  Je  suis  porté 
a  croire  qu'on  trouverait,  surtout  vers  l'Ouest,  des  différences 
pouvant  se  répercuter  dans  une  certaine  mesure  sur  le  chif- 
fre de  la  taille  moyenne  tel  que  le  donne  ici  la  Bosnie  centrale. 

On  remarquera  bien  entre  les  moyennes  musulmane  (1711), 
orthodoxe  (1713),  catholique  (1706),  une  légère  différence, 
mais  elle  est  tellement  faible  que  je  n'ose  en  chercher  la  raison 
dans  quelque  lointaine  influence  d'apport  ethnique  ou  dans 
une  différenciation  due  à  un  genre  de  vie  variant  suivant  le 
le  culte.  On  sait  bien  que,  malgré  les  différences  de  culte,  la 
race  —  si  tant  est  qu'on  puisse  appliquer  ce  terme  à  un  fort 
mélange  de  tribus  primitives  —  est  la  même  comme  la  langue 
et  l'origine  avant  l'introduction  des  schismes  religieux. 

Les  maxima  et  les  minima,  relevés  dans  nos  chiffres,  sont 
les  suivants  : 


fi.  CAPUS.  —  SUR  LA  TAILLE  EN  BOSNIE 


101 


Maxima 

Cajnica  . 
Foca  .  . 
Fojnica  . 
Rogatica. 
Sarajevo. 
Visoko  . 
Visegrad. 


Musulmans 

Orthodoxes 

1830 

1810 

1880 

1860 

1865 

»» 

1890 

1890 

1845 

1930 

1830 

1850 

1820 

1850 

Catholiques 


Maximum  orthodoxe  :  1930. 


Minima 

Cajnica  . 
Foca  .  . 
Fojnica  . 
Rogatica. 
Sarajevo. 
Visoko  . 
Visegrad. 


Mi 


1540 
1465 
1530 
1590 
1595 
1590 
1470 


1510 
1560 

»» 
1565 
1610 
1470 
1505 


îimum  catholique  :  1365. 


»» 

»» 
1795 

»» 
1805 
1860 

»» 


Musulmans       Orthodoxes        Catholiques 


»» 

»» 
1610 

»» 
1540 
1365 

»» 


En  examinant  le  pourcentage  des  tailles  (classification  Topi- 
nard),  on  trouve,  pour  l'ensemble  : 


a)  Individus  de  haute  taille  (1700  et  au-dessus)  :  63.9  0/0 

b)  au-dessus  de  la  moyenne  (1650-1690)  :  22.2  0/0 

c)  —       au-dessous  (1600-1640)  :    9.6  0/0 

d)  de  petite  taille  (au-dessous  de  1600J  :    4.3  0/0 

Soit,  en  deux  séries  :  86.1  0/0  au-dessus  de  la  moyenne 
sur  13.9  0/0  au-dessous  de  la  moyenne. 

Le  tableau  suivant  indique  le  pourcentage  des  tailles  par 
district  et  par  culte  : 


402 


SÉANCE  DU  7  FÉVRIER   1895 


Musulmans. 


d 


Cajnica .     . 

58 

26 

12 

4 

Foca.     .     .     . 

50 

36 

10 

4 

Fojnica.     .     . 

62 

22 

16 

2 

Rogatica    .     . 

(32 

30 

4 

4 

Sarajevo     .     . 

66 

16 

14 

4 

Visoko  .     . 

72 

24 

2 

2 

Visegrad    .     . 

60 

21  i 

10 

4 

Moyenne 

61.4 

Orthodoxe* 

25.7 

«1.7 

3.4 

Cajnica. 
Foca.  . 
Fojnica. 
Rogatica 
Sarajevo 
Visoko  . 
Visegrad 


Moyenne 


68 

li 

K) 

8 

72 

18 

8 

2 

»» 

)>» 

»» 

0 

02 

24 

10 

4 

70 

22 

8 

0 

62 

18 

12 

8 

56 

20 

14 

10 

64.7 

19.4 

10.4 

5.4 

Catholiques. 


h 


Foca 

Sarajevo    .     .     . 
Visoko  .... 
Moyenne . 

Moyenne  musulmane  :  a)  61.4  6)25.7  c)    9.7  d)   3.4 

—        orthodoxe:    a)U.l  b)  19.4  c)  10.4  d)   5.4 

catholique  :    a) 65.7  é)21.7  c)   8.7  d)   4.0 


o4 

28 

18 

»» 

(83) 

(13) 

(»») 

W 

60 

24 

8 

8 

65.7 

21.7 

8.7 

4 

G.  CAPUS.    —  SUR  LA  TAILLE  EN  BOSNIE  103 

Il  y  aurait  donc  un  peu  moins  d'individus  de  haute  taille 
parmi  les  musulmans  que  parmi  les  orthodoxes  et  les  catho- 
liques; par  contre,  plus  d'individus  au-dessus  de  la  moyenne 
et  moins  d'individus  de  petite  taille. 

Quanta  la  répartition  par  districts,  il  semblerait  que  dans 
ceux  de  Sarajevo  et  de  Visoko  les  tailles  hautes  et  au-dessus 
de  la  moyenne  prédominent. 

11  est  de  fait  que  ces  deux  districts,  comparés  aux  autres, 
sont  les  plus  riches  et  les  plus  fertiles.  Ils  occupent  pour  une 
large  proportion  la  plaine  agricole,  les  polies,  alors  que  les 
districts  montagnards  plus  pauvres  rendent  la  vie  plus  pé- 
nible et  la  subsistance  plus  précaire.  Il  y  a  peut-être  là  une 
relation  de  cause  à  effet  et  un  fait  à  vérifier  par  l'appoint  de 
plus  amples  observations. 

Ce  n'est  qu'à  titre  complémentaire  que  j'ajoute  ici  le  chiffre 
juif  qui  ne  comprend  que  6  individus.  Ils  ont  donné  une  taille 
moyenne  de  1656,  avec  un  maximum  de  1765  et  un  minimum 
de  1610. 

En  résumé,  les  Bos-niaques  de  la  Bosnie  centrale  ont  une 
taille  moyenne  de  1710.  Ce  chiffre  est  celui  des  Ecossais 
(Gould),  des  Scandinaves  (id),  des  Finnois  (Hjet)  et  de  la  race 
des  Kourganes  de  la  Russie,  d'après  Bogdanoff.  Ils  sont  infé- 
rieurs aux  Livoniens  (1.73,  d'après  Waldauer). 

Ils  sont  supérieurs  aux  groupes  suivants  avec  lesquels  on 
pourrait  plus  ou  moins  les  mettre  en  relation  de  voisinage, 
sinon  de  parenté  :  Dalmates  adultes  (1,69,  d'après  Weissbach), 
Grands Russiens(l. 65,  Tikhomiroff),Esthoniens(l. 64, Grube), 
Ruthènes  (1.64,  Meyeret  Koperniçki),  Hongrois  (1.63,  Berns- 
lein),  Polonais  (1.62),  Toscans  (1.65),  Piémontais  (1.62),  Grecs 
actuels  (1.65). 

L'un  des  secrétaires  :  A.  Viré. 


404  COMMUNICATIONS  Dtl  RUREAT 

1110e  SÉANCE.  —  21  Février  1895. 
Présidence  de  M.  Issaurat. 

M.  le  Président  annonce  la  mort  de  M.  G.  de  Saporta  mem- 
bre titulaire  et  exprime  les  regrets  de  la  Société. 

M.  le  Secrétaire  général  communique  à  la  Société  un  pro- 
jet de  règlement  pour  le  prix  Fauvette  et  annonce  que  ce  prix 
sera  mis  au  concours  pour  la  première  fois  en  1896.  Le  règle- 
ment sera  définitivement  arrêté  par  le  Comité  central. 

ouvrages  offerts. 

Buschan  (Dr  (i.).  —  Einflufs  der  Rasse  au f  die  Form  vnd 
Haeufigkeit  pathoiogischer  Veraenderwngen  in  journal  Globus, 
in-4°,  2  col.,  14  pag.  Braunschweig,  189."». 

Gachon  (P.).  —  Etude  sur  le  manuscrit  G  1036  des  archives 
départementales  de  la  Lozère,  in-4°,  80  pag.  Montpellier,  1894. 

Mies  (D1).  —  Ueber  das  Gehirngewicht  des  heranwachsenden 
Menschen  (Ext.  de  Correspondenz-Blatt  der  Deulschen  anthropol. 
Gesellschaft,  1894),  in-4°,  4  pag.  à  2  col. 

Sergi  (G.).  —  Studi  di  antropologia  laziale  (Ext.  du  Bull, 
délia  R.  Accad.  medica  di  Roma),  in-8°,  60  pag.  et  fig.  Rome, 
1895.  (Ouvrage  présenté  par  M.  Manouvrier.) 

Sergi  (G.).  — Ueber  die  europaeischen  Pygmaeen  (Ext.  des  Cor- 
respondenz-Blatt  der  Deulschen  anthropol.  Gesellschaft.  1894), 
in-4°,  3  pag.  à  2  col. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

C.  R.  de  la  Société  de  biologie,  8  février  1895.  —  Mathias 
Duval  :  Hypothèses  sur  la  physiologie  des  centres  nerveux  ; 
théorie  histologique  du  sommeil. 

Annales  du  musée  Guimet,  tome  XXVI  :  Chaillé-Long-Bey  : 
La  Corée  ou  Tchôsen  (La  terre  du  calme  matinal). 


OBJETS  OFFERTS  405 

Journal  of  the  anthropological  institute,  february  1895.  —  L.-Il. 
Duckwortb  :  Notes  on  Skulls  from  Queensland  and  south 
Australia;  —  A.  E.  Crawley  :  Sexual  Taboo;  —  C.  R.  Mar- 
kham  :  A  List  of  tbe  Tribes  in  tbe  Valley  of  the  Amazon  ;  — 
11.  Ward:  Ethnographical  notes  relating  to  the  Congo  tribes; 
—  II. -S.  Saunderson  :  Notes  on  Corea  and  its  People  ;  — 
W.  Gowland  :  Notes  on  tbe  Dolmens  and  otber  antiquities  of 
Korea. 

Bull,  di  paletnologia  italïana;n0B  10-12,  t.  X. —  C astel franco  : 
Capanna-pozzo  Donegallo;  —  Pigorini  :  Antichita  italicbe  nel 
Himinese. 

Berliner  Gesellschaft  fur  Anthropologie,  Ethnologie  und  Urges- 
chichte,  Festsitzung  znr  Feier  ihres  25  jâhrigen  Bestehens  am 
17  november  1894, 

Travaux  de  la  Société  anthropolojique,  annexe  de  l'Académie 
impériale  de  médecine  militaire,  tome  1er,  n°  1 .  — Tarenetsky  :  Les 
mutilations  du  crâne  après  la  mort;  —  Batouieff  :  Morpholo- 
gie des  dents  au  point  de  vue  anthropologique  ;  —  Delietsine  : 
Un  cas  d'hermaphroditisme  ;  — Talko-Ilryncewicz  :  Anthro- 
pologie de  la  population  de  laLithuanie  et  de  la  Russie  blanche. 

ÉLECTIONS. 

M.  A.  Jones,  ancien  avocat,  présenté  par  MM.  G.  de  Mortillet, 
Hovelacque  et  Hervé,  est  élu  membre  titulaire. 

OBJETS  OFFERTS. 

M.  Hervé  offre,  au  nom  de  M.  Aimé  Rambert,  un  crâne  hu- 
main trouvé  aux  environs  de  Vichy,  dans  une  sablière,  et 
probablement  mérovingien . 

Des  remerciements  sont  adressés  à  M.  Aimé  Rambert. 


t.  vi  (4°  série).  8- 


40(3  séance  du  21  février  1895 

Communications. 

L'Anthropologie  «les  Beaux-Arts. 

Par  Charles  Rociiet 
(lue  par  M.  le  Secrétaire  général) 

Le  laid  est  facile  à  connaître,  à  comprendre,  à  étudier;  c'ost  le  beau  qui  est 
difficile  à  comprendre  sous  toutos  los  formes  qu'il  se  présente. 

L'étude  do  l'homme  parfait  appartient  ;ï  l'artiste  ;  elle  échappe  au  médecin. 

Depuis  dix  ans  que  j'ai  fermé  mes  ateliers  de  sculpture  et 
que  je  vis  dans  la  retraite,  j'ai  repris,  avec  plus  d'ardeur  que 
jamais,  les  études  d'Anthropologie  pour  les  Beaux-Arts,  trop 
souvent  interrompues,  et  qui  ont  toujours  été  les  joies,  et  les 
grandes  préoccupations  de  ma  vie.  ,1e  désire  faire  connaître  ;i 
la  Société,  les  résultats  que  je  suis  parvenu  à  en  obtenir. 

Je  sais  qu'il  existe  une  grande  différence  dans  la  science  de 
l'homme,  entre  la  direction  prise  pour  les  arts,  et  celle  adop- 
tée par  les  anatomistes  et  plus  spécialement  créée  pour  les  scien- 
ces médicales;  que  même  il  existe  une  certaine  prévention  con Ire 
la  science  tentée  par  les  artistes.  Mais  un  rapprochement  ne 
peut-il  pas  se  faire  entre  ces  deux  directions  d'examen  ;  la  bar- 
rière qui  les  sépare  sera-t-elle  toujours  infranchissable  '!  Je  ne 
le  crois  pas. 

L'homme  naturel  que  la  science  doit  étudier,  je  le  compare 
à  une  statue  de  place  publique  qui  doit  être  vue  de  tous  les 
cotés;  son  étude  présente  de  nombreux  aspects;  et  ce  qu'on 
peut  dire  pour  les  arts  est  tout  simplement  un  de  ces  aspects, 
celui  de  l'homme  pris  extérieurement  et  physiquement,  vivant 
et  animé,  celui  de  la  perfection  humaine  en  général,  de  la 
beauté  des  formes  chez  la  femme  comme  chez  l'enfant,  etc. 

Et  comme  je  suis  presque  le  seul  à  défendre  devant  la  science 
ce  noble  côté  de  l'étude,  permettez-moi  de  vous  exposer  quel- 
que peu  ce  que  j'ai  fait  depuis  que  je  ne  suis  plus  au  milieu 


CHARLES  ROCHET.   —  L'ANTHROPOLOGIE  DES  BEAUX-ARTS       107 

de  vous  et  de  le  défendre  de  mon  mieux,  surtout  pour  ceux 
de  mes  collègues  qui  peuvent  ne  pas  me  connaître. 

Il  y  a  de  plus,  dans  ce  que  je  vais  exposer  à  la  Société,  une 
grande  utilité  pour  moi  à  le  faire,  pour  mon  honneur,  pour 
ma  réputation  ;  vous  allez  en  juger. 

Le  Prototype  humain.  1  —  C'est  il  y  a  40  ou  50  ans  que  je 
commençai  cette  étude;  c'est  en  examinant  le  canon  de  Poly- 
clète  et  autres,  qui  a  servi  aux  artistes  grecs  pour  la  confec- 
tion de  leurs  Dieux,  et  dont  usent  encore  nombre  de  profes- 
seurs dans  leur  enseignement  du  dessin;  c'est,  dis-je,  en  faisant 
un  examen  critique  de  ce  canon,  et  voulant  le  corriger;  lui  trou- 
vant la  tète  trop  petite,  les  jambes  trop  longues  et  d'autres  dé- 
fauts encore,  que  j'ai  fait  la  découverte  de  ce  que  j'appelle  : 
Le  Prototype  humain  oh  la  Loi  naturelle  des  proportions  dans  les 
deux  sexes. 

Au  courant  de  mes  recherches  j'en  donnai  d'abord  connais- 
sance à  cette  Société  par  un  Mémoire  lu  dans  les  séances  du 
18  février  et  du  4  mars  1875,  et  intitulé  :  Quelques  considéra- 
tions sur  la  Géométrie  des  Formes  du  Corps  humain  et  sur  l'em- 
ploi qu'en  ont  fait  les  artistes  grecs. 

Je  devrais  rappeler  les  principaux  passages  de  ce  mémoire 
pour  montrer  que  ce  que  j'ai  découvert  date  de  loin,  mais  je 
le  joins  ici  et  marque  sur  la  brochure  les  points  saillants  pour 
ceux  qui  seront  tentés  de  les  consulter. 

A  cette  époque,  et  peu  de  temps  après,  le  27  novembre,  même 
année,  je  lisais  à  l'Académie  des  Beaux-Arts  de  l'Institut  un 
travail  analogue  portant  également  le  titre  de  :  Mémoire  sur 
la  Loi  des  Proportions  du  Corps  humain  et  l'emploi  qu'en  ont  fait 
les  artistes  grecs.  —  Je  joins  ce  mémoire  également  au  dossier. 
Actuellement  toute  cette  œuvre  est  terminée  et  publiée,  en 
tableau  synoptique  et  en  volume.  Le  volume  est  déjà  traduit 
en  trois  langues2. 

i  Le  Prototype  humain,  donnant  les  Lois  naturelles  des  pro- 
portions du  corps,  dans  les  deux  sexes  ;  un  volume  cliez  Pion,  Nour- 
rit et  C'%  10,  rue  Garancière,  à  Paris  :  Prix  1  fr.  f>0. 

2  En  anglais  :  The  Prototype  of  Mon,  à  Londres  chez  Hallière  Tin- 
dall,  and  Cox. 


108  SÉANCE  DU  21   FÉVRIER  1895 

Brève  analyse  de  ce  Prototype,  —  Permettez-moi  de  vous  en 
donner  une  courte  explication  :  La  trie  est  pris?  pour  unité.  — 
Trois  parties  forment  le  tronc  avec  trois  (/irisions  symétriques,  ou 
repères  naturels  aux  mamelons  des  seins,  à  V ombilic 3  aux  organes 
sexuels.  —  Les  cuisses,  genoux  compris,  portent  deux  hauteurs  de 
tête.  —  Les  jambes  pareillement,  mais  avec  les  pieds  compris.  —  Et 
l'homme  entier  renversé  sur  le  dos  les  bras  en  l'air,  présente  dix  têtes 
de  hauteur  totale. 

Et  le  centre  qui,  sans  les  bras  est  aux  organes  des  sexes; 
avec  les  bras,  se  lixe  à  l'ombilic  :  —  Huit  têtes  dans  un  cas; 
dix  tètes,  dans  l'autre. 

Voilà,  selon  moi,  ce  que  serait  le  Type  de  l'Etre  humain  par- 
fait :  Prototype  uu  Archétype,  dont  sortiraient  tous  les  hommes 
présents,  passés,  ou  à  venir. 

Mais  n'anticipons  pas,  nous  allons  revenir  là-dessus,  conti- 
nuons notre  démonstration,  et  passons  à  la  tète. 

Le  Prototype  de  la  tête  ou  laProsopométrie.  —  Ces  premiers  ré- 
sultats obtenus  sur  l'homme  entier,  je  me  trouvai  naturelle- 
ment entraîné  à  faire  les  mêmes  recherches  prototypiques  sur 
la  tète,  qui  est  l'unité  des  mesures  du  corps.  Je  pensai  qu'elle 
devait  avoir,  elle  aussi,  ses  lois  de  constitution  physique  sinon 
pour  la  tète  entière,  au  moins  pour  la  figure  J,  le  visage,  et 
j'arrivai  «à  des  résultats  semblables. 

Mais  ce  travail  de  recherches  a  été  beaucoup  plus  long  et 
plus  laborieux  poui  moi  et  je  suis  loin  de  le  donner  comme 
complet.  La  tète  humaine  est  une  œuvre  de  la  création  infini- 
ment plus  complexe  ou  plus  compliquée  que  n'est  le  corps. 
Et  de  plus  je  n'ai  pu  être  guidé  par  personne.  Nul  savant,  à 
ma  grande  surprise,  n'en  a  jamais  tenté  l'épreuve.  J'ai  eu  tout 
à  faire.  De  plus,  le  corps  est  simple  de  forme;  ses  cotés  ne 

En  italien  :  II  Prolotipo  Umano,  à  Home  chez  Modes  et  Mendel. 

En  allemand  :  Das  Urbild  des  Menschen,  à  Vienne,  chez  Spielha- 
gen  et  Schurich. 

1  La  Figure  humaine  scientifiquement  étudiée  ou  les  24  Lois  de 
Beauté  de  la  Tête.  —  Un  volume  chez  Pion,  Nourrit  et  C'c,  prix, 
2  l'r.  50. 


CHARLES  HOCHET.  —  l'aKTHROPOLOOIE  DES  BEAUX-ARTS        100 

donnent  rien,  tandis  que  la  figure  est  double;  il  faut  en  décrire 
aussi  bien  le  profit  que  la  face;  et  on  a  encore,  en  plus  de  cela. 
le  crâne  qui  forme  à  son  tour  un  sujet  d'étude  également  à 
part. 

Mes  découvertes  sur  la  tète:  — La  première,  ou  la  plus  im- 
portante des  découvertes  que  j'ai  pu  faire,  a  été  celle  que  j'ai 
classé  la  septième  dans  mon  livre  (voir  page  43),  et  qui  sépare 
la  tète  en  deux  moitiés  de  hauteur  semblables.  —  L'une  toute 
crânienne,  l'autre  toute  faciale. 

dette  séparation  est  faite  par  une  ligne  légèrement  courbe 
qui  va  du  centre  d'une  oreille  au  centre  de  l'autre  oreille,  en 
passant  par  le  milieu  des  yeux.  Je  signale  tout  particulièrement 
cette  ligne  parce  qu'elle  est  bien  anatomique  et  correspond 
avec  l'état  intérieur  de  la  tète  (voir  sur  le  squelette  la  place 
qu'occupe  la  base  du  cerveau). 

La  partie  crânienne  don  ne  cinq  divisions  assez  vagues,  comme 
tout  ce  qui  tient  au  crâne,  mais  la  partie  faciale  présente  ses  cinq 
divisions  avec  la  plus  parfaite  régularité  sur  toute  tète  trouvée 
belle.  Et  en  y  joignant  la  ligne  des  sourcils  sur  le  visage  on  a 
les  six  mesures  d'une  face  complète,  que  je  décris  sous  le  nom 
de  Prosopométrie.  —  Voilà  pour  les  divisions  de  la  face,  dite 
petite  face.  (Voir  au  chapitre  Vme,  page  101.) 

Quant  à  celles  du  profil,  elles  sont  tout  aussi  intéressantes 
et  aussi  méthodiques  dans  leurs  divisions.  Je  les  décris  en  six 
lois  (voir  dans  l'ouvrage  les  pages  de  51  à  77).  Ces  lignes  du 
profil  partent  toutes  de  l'oreille  ou  plutôt  du  grand  nerf  facial 
qui  est,  comme  on  le  sait,  contigu  au  trou  auditif  (voir  page  •">•» 
ce  qu'en  dit  llerschfieldj.  Encore  un  rapport  bien  établi  entre 
l'étude  extérieure  de  la  tète,  et  son  anatomie.  Mais  je  ne  fais 
aucune  description  de  toutes  ces  lignes,  tout  intéressantes 
qu'elles  soient,  ne  voulant  pas  abuser  de  la  bienveillante  at- 
tention de  la  Société;  renvoyant  à  l'ouvrage  pour  ceux  qui 
voudront  prendre  la  peine  de  le  consulter. 

Je  me  résume  :  en  signalant  le  point  capital  de  celle  étude, 
c'est  (pie,  l'ensemble  des  mesures  de  tète  présente  le  même 
nombre  de  divisions  symétriques  (pie  l'ensemble  du  corps,  pris 


110  SÉANCE  DU  21  FÉVRIER  1895 

dans  son  entier.  Rapport  infiniment  curieux,  et  qui  m'a 
frappé,  autant  qu'il  m'a  réjoui  quand  je  l'ai  aperçu  :  Dix 
pour  la  tête;  dis  pour  le  corps  (voir  les  figures,  pages  90  et  98). 
Quelle  remarquable  chose  ! 

De  l'admission  du  Prototype  dans  In  science.  —  Maintenant,  si 
ce  double  Prototype  :  Prototype  du  corps,  Prototype  de  la  tète, 
—  était  admis  dans  la  science  (et  pourquoi  ne  le  serait-il 
pas'.'),  les  conséquences  en  seraient  considérables.  Et  laissez- 
moi,  puisque,  pour  raison  de  santé,  je  ne  puis  aller  à  Paris, 
et  soutenir  une  discussion,  si  elle  a  lieu,  laissez-mois  vous 
exposer  les  avantages  qu'on  en  pourrait  tirer. 

D'abord  il  donnerait  une  base  fixe  pour  mesurer  l'homme 
en  toutes  choses  :  ce  serait  comme  un  arbre,  une  tige  à  laquelle 
viendraient  s'accrocher  toutes  les  idées  de  l'homme,  et  des 
hommes;  un  point  de  départ  pour  les  mensurations  humai- 
nes, comme  la  méridienne  est  le  point  de  départ  de  toutes  les 
mensurations  terrestres. 

Avec  ce  type  fondamental  une  fois  admis  les  individus,  les 
peuples  et  les  races  seraient  faciles  à  étudier,  et  a  définir,  car 
ils  ne  seraient  plus  que  des  variantes  où  l'on  n'aurait  qu'à 
chercher  la  différence  en  plus  ou  en  moins,  dans  chaque  partie 
à  étudier.  Quel  mode  facile  pour  les  comparaisons  à  établir! 
On  demande  toujours  un  critérium  dans  la  science  :  en 
voila  un.  —  De  Qualrefages  réclamait  souvent  une.  non»?;  en 
voilà  une  '. 

Je  livre  tout  ceci  aux  1res  sérieuses  méditations  des  mem- 
bres de  cette  Société;  car  ce  que  je  prenais  pour  un  simple 
canon  pour  les  arts,  un  guide  pour  l'enseignement  du  dessin, 
devient  une  chose  grosse  de  conséquences.  Et  permettez-moi 
de  m'y  arrêter,  car  je  prévois  que  vous  refuserez  d'admettre 
le  principe  d'unité  qui  se  trouve  dans  mon  Prototype. 

1  Un  autre  avanlalage  qui  en  résulterait,  c'est  que  notre  langue 
française  n'a  pas  de  nom  pour  désigner  la  femme  et  l'homme 
réunis;  le  mot  Prototype  (et  je  l'emploie  souvent  dans  ce  sens) 
comblerait  cette  lacune. 


CHARLES  nOCHET.  —  L'ANTHROPOLOGIE  DES  BEAUX-ARTS        1  i  I 

Un  peu  de  raisonnement,  S.  Y.  />.  _  Oui,  ceci  a  une  grande 
signification  devant  la  science,  et  cet  ordre  clans  les  mesures, 
cet  équilibre  établi  par  la  nature  entre  toutes  les  parties  de 
notre  corps,  comme  de  notre  tète,  ne  peut  sérieusement  être 
pris  pour  une  fantaisie  d'artiste,  pas  plus  que  comme  un  effet 
(\u  hasard;  ce  ne  peut  être  pris,  selon  moi,  que  comme  le 
fait  d'un  raisonnement,  d'un  calcul,  d'une  volonté  créatrice 
qui  a  voulu  qu'il  en  fut  ainsi. 

Et  nous  le  prouvons  par  nous-mêmes.,  si  nous  voulions  y 
regarder  de  près,  par  ce  qui  se  passe  en  nous  :  Est-ce  que 
chacun  de  nous  n'a  pas  dans  sa  tète  l'idée  d'une  moyenne  de 
grandeur,  pour  juger  de  la  taille  des  hommes  comme  des 
femmes?  Eh  bien!  C'est  ce  qui  règle  mon  Prototype.  Est-ce 
qu'il  n'en  est  pas  de  même  pour  la  figure,  pour  juger,  au  pre- 
mier coup,  des  I rails  d'une  personne,  belle  ou  laide?  C'est  ce 
que  règle  encore  mon  Prototype. 

Et  plus  encore.  Est-ce  que,  dans  la  science,  selon   la  por- 
tée de  notre  esprit  et  la  valeur  de  nos  connaissances,  nous  ne 
portons  pas  dans  notre  cerveau  l'image,  plus  ou  moins  par- 
faite, du  type  de  notre  espèce  pour  juger  de  toutes  les  races, 
apprécier  tous  les  peuples?  au  point  que,  toujours  autour  de 
nous,  à  chaque  conception  qui  se  fait  d'un  nouvel  être  humain, 
nous  savons  d'avance  ce  qui  va  en  sortir.  Et  si,  à   la  nais- 
sance, il  se  présente  quelqu'irrégularité,  quelque  monstruo- 
sité, nous  en  sommes  aussitôt  troublés,  désorientés,  cherchant 
ce  qu'en  peuvent  être  les  causes.  Eh  bien  !  celte   image  que 
nous  avons  de  nous  en  nous-mêmes,  je  le  dis  encore  une  fois, 
c'est  ce  que  représente  mon   Prototype  dans  sa  perfection, 
dans  sa  représentation  la  plus  générale,  la  plus  complète. 

Et,  partant  de  là,  si  nous  quittons  l'homme  des  choses  visi- 
bles ;  si  nous  abordons  l'homme  des  choses  qui  ne  se  voient  pas, 
des  choses  dites  morales  et  intellectuelles,  est-ce  qu'il  n'en  est  pas 
de  même?  Est-ce  (pie  nous  tous,  dans  cet  ordre  d'idées  et  se- 
lon l'état  de  notre  esprit  el  l'étendue  de  nos  connaissances, 
nous  n'avons  pas  aussi  une  idée  de  perfection  humaine,  de 
supériorité  humaine  ?  Partout,  dans  l'humanité,  on  le  trouve 


H2  SÉANCE  DU  21   FÉVRIER  1895 

cet  idéal  de  l'homme  parfait  avec  lequel  nous  vivons.  Partout  il 
existe  en  nous  et  nous  sert  de  guide  ;  sans  quoi  nous  ne  serions 
que  des  brutes.  Ce  sera,  si  vous  le  voulez,  l'homme  beau  pour 
l'artiste  —  l'homme  sain  pour  le  physiologiste  ou  le  méde- 
cin —  le  sage  pour  le  philosophe  —  le  juste  pour  le  magis- 
trat —  l'honnête  homme  pour  le  commerçant  —  le  brave  pour 
le  soldat  ;  et  ainsi  de  suite  ;  ce  que  d'autres  qui  viendront  après 
moi  sauront  bien  compléter. 

Toute  ma  pensée:  toute  ma  crainte.  —  Mais,  ce  que  je  redoute, 
vous  n'accepterez  pas,  pour  la  science,  ce  principe  de  mon 
unité  prototypique. 

Pardonnez-moi  de  préjuger  ainsi  de  vos  décisions,  mais  je 
le  pense,  et  à  quatre-vingts  ans,  si  je  ne  dis  pas  ce  que  je 
pense,  quand  le  ferai-je?  —  Vous  le  repousserez;  vous  n'en 
voudrez  même  pas,  peut-être,  comme  simple  procédé  d'étude, 
c'est  ce  qui  m'a  fait  tant  différer  de  vous  en  parler.  Vous  le 
repousserez  :  Parce  que  cela  tend  à  éloigner  l'homme  des 
animaux,  quand  tant  de  savants  illustres  que  vous  honorez, 
ont  tout  fait  pour  le  rapprocher  d'eux. 

Vous  le  repousserez!  —  Parce  que  cela  conduit  à  admettre 
l'idée  d'une  création  peut-être  unique  pour  l'homme,  et  vous 
^les  rebelles  à  cette  idée. 

Parce  que,  qui  dit  création,  dit  créature:  et  qui  dit  créa- 
ture dit  créateur,  et  vous  voyez  tout  de  suite  où  cela  conduit  : 
moi-même  j'en  suis  effrayé! 

Mais  pensez-y, Messieurs,  l'idéed'une  création  pourf homme 
est  bien  solidement  enracinée,  dans  la  tète  des  hommes;  elle 
date  de  tous  les  temps,  elle  est  de  tous  les  pays,  et  vous  au- 
rez bien  de  la  peine  à  la  bannir  des  cerveaux  humains. 

Voilà  ce  que  je  tenais  à  dire  en  finissant. 

Maintenant,  bien  qu'éloigné  de  vous,  je  me  tiens  à  votre 
disposition,  pour  tout  ce  que  vous  voudrez  obtenir  de  moi, 
dans  cette  grosse  étude,  si  vous  nommez  une  commission  pour 
l'examiner  ou,  si  vous  choisissez  un  rapporteur,  qu'il  me  dise 
sa  pensée  et  je  lui  répondrai. 

Unequestion  toute  personnelle  (annexéeà  cette  communication). 


CHARLES  ROCHET.   —  L'ANTHROPOLOGIE  DES  BEAUX-ARTS        113 

—  Ainsi  que  je  l'ai  dit  en  commençant,  j'avais  un  autre  motif 
pour  vous  communiquer  mes  travaux  d'Anthropologie  des 
Beaux-Arts  ;  celui  de  m'aidera  défendre  les  droits  de  propriété 
de  mes  œuvres.  On  me  pille,  on  me  vole,  on  me  dérobe  le 
fruit  de  mon  travail  et  de  mes  veilles  ;  les  produits  de  mes  re- 
-  cherches  et  de  mes  découvertes.  Des  pirates  d'un  nouveau 
genre,  des  écrivains  sans  valeur,  des  professeurs  sans  talent, 
pour  se  donner  quelque  relief,  me  prennent  une  à  une,  les 
lois  de  proportions  du  Prototype,  ou  canon  nouveau  des 
Beaux-Arts. 

C'est  surtout  à  l'étranger  que  ce  vol  a  lieu,  malgré  des  pu- 
blications et  traductions  faites  dans  les  conditions  de  la  plus 
parfaite  légalité.  Et  comme  je  crains  le  même  sort  pour  ma 
figure  humaine,  qui  est  une  publication  de  date  récente,  je  tiens, 
cette  fois,  à  prendre  rang  et  date  partout  où  je  peux,  pour  le  cas 
où  j'aurais  à  poursuivre.  C'est  pourqtfoi  je  viens  m'adresser  à 
vous,  mes  chers  et  anciens  collègues,  pour  obtenir,  s'il  se 
peut,  aide  et  protection,  à  qui  m'adresser  autre  part?  A  l'A- 
cadémie des  Beaux-Arts  de  l'Institut?  —  Peut-être  le  ferai-je 
également. 

C'est  pourquoi,  une  discussion  sérieuse  au  sein  de  votre 
Société,  si  généralement  appréciée,  et  le  retentissement  qui 
pourrait  en  sortir  dans  le  monde  de  la  science  et  des  arts, 
servirait  peut-être  à  retenir  dans  leur  conduite  ces  indignes 
pillards,  et  m'aiderait  à  sauvegarder,  et  l'honneur  de  mon 
nom,  et  les  droits  de  mes  héritiers. 

Voilà  ce  que  j'avais  aussi  à  cœur  de  vous  dire,  il  en  sor- 
tira, ce  qu'il  en  sortira. 

Daignez  agréer,  Monsieur  le  Président,  et  mes  chers  collè- 
gues, l'expression  de  mon  sincère  attachement  et  la  certitude 
de  toute  ma  reconnaissance  pour  tout  ce  que  j'ai  appris  dans 
les  vingt  années  que  j'ai  passées  au  milieu  de  vous. 

Fait  a  Athis-Mons  (Seine-et-Oise) ,  dans  sa  quatre  vingtième 
année.  —  17  décembre  1894. 


114  SÉANCE  DU  21  FÉVRIER  1893 


Discussion. 

M.  Manouvrier.  — Comme  secrétaire  général  adjoint  chargé 
des  publications,  je  crois  nécessaire  de  demander  l'avis  de  la 
Société  sur  la  question  de  savoir  s'il  faut  insérer  dans  le  Bul- 
letin la  communication  de  M.  Gh.  Hochet.  En  effet,  outre  que 
ce  très  distingué  statuaire  ne  fait  plus  partie  dp  la  Société 
d'Anthropologie,  son  travail,  ainsi  qu'il  semble  lui-même  le 
reconnaître,  estime  œuvre  artistique  plutôt. que  scientifique. 
11  y  a  donc  lieu  de  se  demander  si  la  Société  doit  publier 
ce  travail  in  extenso  ou  bien  si  elle  doit  se  borner,  pour  don- 
ner satisfaction  a  un  ancien  membre,  à  une  mention  de  ses 
ouvrages  et  de  ses  légitimes  réclamations  de  priorité. 

M.  Sanson.  —  Les  objections  opposées  au  travail  de  M.  Ro- 
chet  me  paraissent  être  sans  portée.  Notre  ancien  collègue 
n'a  pas  eu  la  prétention  de  faire  de  la  science  anthropolo- 
gique. C'est  un  artiste.  11  a  conçu  un  type  idéal  de  la  beauté 
humaine,  dont  il  a  indiqué  les  proportions.  De  ce  que  ce 
type  ne  se  réaliserait  pas  souvent,  et  mémo  jamais,  en 
dehors  des  ateliers  des  statuaires,  il  n'en  conserverait  pas 
moins  sa  valeur  artistique.  D'ailleurs,  ce  n'est  point  pour 
nous  convaincre  de  la  réalité  de  ce  prototype  que  M.  Rochet 
s'adresse  à  nous. 

Comme  il  le  dit  dans  le  travail  dont  la  Société  vient  d'en- 
tendre la  lecture,  son  chagrin  est  de  voir,  à  la  fin  de  sa 
longue  carrière,  son  œuvre  non  pas  contestée,  mais  attribuée, 
à  l'étranger,  à  d'autres  que  lui.  Avant  d'envoyer  ici  ce  tra- 
vail, il  m'avait  fait  l'honneur  de  me  demander  mon  avis, 
s'autorisant  de  nos  vieilles  relations  et  aussi  de  considéra- 
tions qu'il  est  inutile  d'indiquer.  Je  lui  ai  fait  remarquer  que 
ce  dont  il  se  plaignait  était  le  sort  commun  à  tous  ceux  qui 
ont  pu  faire  quelque  chose  de  bon.  On  ne  s'attribue  pas  le 
mérite  de  ce  qui  ne  vaut  rien.  C'est  donc  un  hommage  rendu 
à  un  ardeur  que  de  s'emparer  de  ce  qu'il  a  produit.  Mais  cet 
hommage  ne  rend  pas  pour  cela  l'acte  méritoire,  et  je  com- 


CHARLES  ROCHET.   —   L'ANTHROPOLOGIE  DES  BEAUX  ARTS        115 

prends  sans  peine  que  M.  Rochet  tienne  k  ce  que  son  droit 
soit  de  nouveau  affirmé.  Et  c'est  pourquoi  je  lui  ai  conseillé 
la  démarche  qu'il  a  faite,  me  mettant  k  sa  disposition  pour 
l'appuyer,  en  soulevant  au  besoin  une  discussion  ayant  pour 
effet  de  bien  préciser  ce  droit.  Il  ne  demande  pas  que  la 
Société  proclame  l'excellence  de  ses  idées  ;  il  désirerait  seule- 
ment qu'elle  lui  en  donnât  acte  en  insérant  sa  communication 
dans  le  Bulletin.  Et  vraiment  je  ne  crois  pas  que  nous  puis- 
sions refuser  cette  satisfaction  au  vieil  artiste  qui  a  été  notre 
collègue  pendant  plus  de  vingt  ans. 

Du  reste,  il  ne  faudrait  pas  penser  que  l'influence  de 
M.  Rochet  sur  les  progrès  de  l'antbropologie  scientifique  a 
été  tout  k  fait  nulle.  Il  n'y  a  pas  longtemps  que  nous  nous 
en  entretenions  encore  avec  M.  Ilamy,  que  je  regrette  de  ne 
pas  voir  ici,  car  je  suis  sur  qu'il  se  joindrait  k  moi  dans  la 
justice  que  je  veux  rendre  k  notre  collègue  des  anciens  temps 
de  la  Société.  C'était  alors  qu'on  ne  parlait  que  de  brachycé- 
phalie  et  de  dolichocéphalie,  alors  qu'il  n'était  question  que 
de  l'indice  céphalique  pour  distinguer  les  races.  On  entendait 
chaque  fois  M.  Rochet  s'écrier  :  «  Et  le  nez!  »  De  mon  côté, 
je  m'efforçais  de  faire  ressortir  la  valeur  des  formes  faciales, 
en  signalant  leur  prépondérance  chez  les  bètes  dont  je  m'oc- 
cupe. L'on  ne  peut  pas  douter,  quand  on  a  assisté  à  ces 
choses,  que  la  classification  des  formes  nasales  usitée  mainte- 
nant n'ait  été  une  conséquence  de  l'insistance  que  M.  Rochet 
mettait  k  en  signaler  l'importance.  11  ne  laissait  d'ailleurs 
échapper  aucune  occasion  de  chercher  k  faire  prévaloir  la 
morphologie  crâniologique  sur  la  cràniométrie  que  l'École  de 
Broca  prisait  bien  au-dessus  des  impressions  artistiques, 
pour  lesquelles  son  dédain  n'était  peut-être  pas  autant  dissi- 
mulé que  l'aurait  exigé  la  courtoisie. 

En  considération  de  ce  passé,  je  demande  donc  formelle- 
ment que  la  communication  de  M.  Rochet  soit  insérée  in 
exlenso  dans  le  Bulletin  de  la  séance. 

MM.  Eschenauer  et  Zabohowski  appuient  la  demande  de 
M.  Sanson. 


116  SÉANCE  DU  21   FÉVRIER   1895 

M.  Manouvrier.  —  On  tenait  compte,  pour  distinguer  les 
races,  de  la  forme  du  nez  et  de  bien  d'autres  caractères  long- 
temps avant  l'intervention  de  M.  Ch.  Rochet.  Mais  peu  im- 
porte; dans  la  question  qui  nous  occupe,  toute  difficulté  dis- 
paraît devant  la  demande  de  M.  Sanson,  si  la  Société  veut  bien 
émettre  un  vote  conforme. 

J'aurai  moi-même  à  faire  une  demande  analogue  à  propos 
d'une  communication  qui  m'a  été  adressée  par  un  autre  an- 
cien et  honoré  membre  démissionnaire,  31.  le  D1'  Durand  (de 
Gros),  et  que  j'aurai  l'honneur  de  lire  en  cette  séance. 

L'insertion  in  extenso  de  la  communication  de  M.  Charles 
Hochet  est  mise  aux  voix  et  acceptée. 


Du  Duiestre  à  la  Caspîeuue. 

Esquisse  palethnologigue 

Par  M.  Zaborowski. 

I.  —  La  Russie  quaternaire.  Stations  humaines.  Migration  du 
mammouth.  Époque  du  lœss  et  de  la  s  terre  noire»  dans  la 
Russie  méridionale. 

Dans  un  précédent  mémoire  (A  propos  de  dix  crânes  de 
Rochefort,  Bull.  1894),  j'ai  dit  en  passant  que,  quant  à  leurs 
origines,  les  Lithuaniens  étaient  dans  la  même  situation  que 
les  Ossèthes  (Bull.  1894,  p.  65).  Jusqu'ici  on  n'avait  rien,  ni 
notions  précises,  ni  hypothèse  plausible,  sur  les  affinités 
ethniques  véritables,  les  antécédents  et  la  provenance  de  ce 
peuple  lithuanien  si  curieux  pour  sa  langue,  qui  surgit  pour 
l'histoire,  sans  être  un  nouveau  venu  dans  le  territoire  qu'il 
n'a  cessé  d'occuper,  seulement  vers  le  xe  siècle  de  notre  ère. 
Oserai-je  dire  qu'aujourd'hui  j'apporte  une  solution  à  ces  pro- 
blème;- ?  En  tout  cas,  et  grâce  à  de  récents  travaux,  jb  puis 
en   bien  déterminer  les  éléments,  je  puis  fixer  les  origines 


ZABOROWSKI.  —  DU  DNIESTRE  A  LA  CASPIENNE  117 

possibles  et  probables  des  Lithuaniens  et  donner  une  descrip- 
tion satisfaisante  de  leurs  caractères.  L'histoire  d'ailleurs  ne 
m'étant  presque  d'aucun  secours,  puisqu'elle  n'a  éclairé  ces 
régions  reculées  de  l'Europe  septentrionale  que  bien  tardive- 
ment, c'est  sur  la  palelhnologie  et  l'ethnographie  que  je  dois 
m'appuyer,  toute  autre  considération  mise  d'abord  à  part. 

Il  m'est  impossible  de  fournir  aucune  indication  intelligi- 
ble, aucune  donnée  admissible  sur  l'origine  des  Lithuaniens, 
si  d'abord  je  ne  trace  pas  un  tableau  quelconque  de  tout  le 
passé  préhistorique  du  rivage  septentrional  de  la  mer  Noire 
en  particulier.  Les  matériaux  réunis  sur  ce  passé  ne  man- 
quent pas.  Le  difficile  est  de  se  reconnaître  au  milieu  d'eux. 
En  essayant  de  les  coordonner  on  s'expose  à  des  erreurs  et  à 
des  omissions,  à  ne  faire  qu'œuvre  provisoire.  J'en  courrai  le 
risque.  Je  ne  m'occuperai  pas  bien  entendu  de  la  Grimée  et  au- 
tres régions  voisines  où  les  colonies  étrangères  furent  toujours 
dominantes.  Les  richesses  archéologiques  recueillies  là  ont 
été  récemment  l'objet  d'une  publication  en  français.  Elles  sont 
grecques.  Je  ne  m'occuperai  que  de  ce  que  nous  appellerions 
aujourd'hui  VHinterîand.  Il  y  a  dans  la  Russie  propre,  mis  à 
part  les  toundras  qui  n'ont  pour  ainsi  dire  pasde  passé,  deux 
grandes  régions  géographiques  distinctes.  Celle  du  centre, 
du  nord  et  du  nord-ouest  où  les  forets  ont  dominé  ou  domi- 
nent encore;  et  celle  du  sud,  sans  forêt  et  caractérisée  par 
la  steppe.  Le  peuplement  de  la  première  a  été  certainement 
tardif.  On  a  plusieurs  fois  parlé  de  découvertes  relatives 
à  l'homme  quaternaire  dans  cette  région.  Je  les  ai  toujours 
accueillies  avec  la  plus  grande  incrédulité,  et  elles  n'ont  pas 
résisté  à  la  critique.  Cette  région  était,  en  effet,  inhabitable 
jusqu'en  pleine  époque  néolithique.  Voilà  un  premier  fait 
acquis  aujourd'hui  à  la  science.  Car  il  n'y  a  sur  ce  point,  ce 
me  semble,  aucune  dissidence  entre  les  géologues  russes. 

La  Russie  fut,  jusqu'aux  dernières  phases  de  l'époque  qua- 
ternaire, jusqu'à  sa  phase  magdalénienne  inclusivement,  «  un 
désert  de  glace  et  de  neige  privé  de  vie  végétale  et  animale  » 
(Nikilin).  Le  glacier  scandivo-russe,  d'une  épaisseur  de  300  à 


1 18  SÉANCE  DU  21   FÉVRIER  1895 

1,000  mèlres,  la  recouvrait  presque  entièrement  au  nord-ouest, 
au  nord  et  au  centre,  descendant  par  ses  déversements  cen- 
traux jusque  pas  très  loin  des  rives  actuelles  de  la  mer  Noire. 
Ses  limites  méridionales  reconnues  furent  en  effet  la  rivière 
Styr  en  Wolhynie,la  partie  septentrionale  des  gouvernements 
de  Kherson  et  d'Ekatérinoslaw,  le  sud-est  de  celui  de  Pol- 
tawa,  et  l'angle  nord-ouest  du  gouvernement  de  Kharkow. 

Toutes  les  traces  de  l'homme  contemporain  du  mammouth 
se  rencontrent  exclusivement  le  long  de  la  limite  de  la  répar- 
tition des  blocs  erratiques  et  près  de  cette  limite.  Ses  stations 
semblent  se  relier  à  celle  de  la  fameuse  grotte  du  mammouth 
près  de  Cracovie  où  se  montre  encore  la  belle  industrie  mag- 
dalénienne. 

Nous  n'en  connaissons  d'ailleurs  que  trois  ou  quatre  : 
1"  celle  de  Kamenec-Podolski,  queje  cite  avec  doute,  n'ayant 
pas  de  détails;  2°  celle  de  Gontzy,  district  de  Lubny,  gouver- 
nement de  Poltawa,  sur  la  rivière  Oudaï,  où,  à  la  base  d'un 
rivage  ancien,  gisaient  de  nombreux  outils  de  pierre  grossiers 
avec  des  os  de  renne  et  d'au  moins  six  mammouths;  3°  celle 
de  Kostenki,  au  bord  du  Don,  gouvernement  de  Voronêje,  la 
plus  importante  avec  ses  330  silex  dispersés  autour  de  foyers 
avec  les  restes  de  18  mammoutbs;  -4°  celle  bien  connue  de 
Karatcharowo,  près  Mourom. 

La  position  île  cette  dernière  dont  l'ancienneté  est  discutée, 
ne  doit  pas  faire  illusion  sur  l'habitabilité  de  la  Russie  centrale. 
Il  y  a  entre  l'Okaet  le  Don,  un  plateauqui  nefut  jamais  couvert 
de  glace.  L'inlluence  de  la  dépression  aralo-caspienne  devait, 
d'ailleurs,  alors  se  faire  sentir  jusque-là.  Du  cùté  de  l'Est,  en  effet, 
les  limites  du  glacier  scandinavo-russe  remontent  considérable- 
ment. Dans  l'Oural  même  on  ne  retrouve  pi  us  sa  trace,  du  moins 
avec  certitude,  que  vers  le  61e  parallèle.  Mais  les  eaux  delà 
Caspienne  recouvraient  alors  une  immense  surface,  toutes  les 
terres  jusqu'à  plus  de  150  mètres  au-dessus  de  son  niveau 
actuel.  Elles  s'étendaient  jusqu'à  près  de  Kasan,  jusqu'à  l'an- 
gle sud-est  du  gouvernement  de  Viatka,  battant  les  contreforts 
de  l'Oural  jusqu'au  559  parallèle.   Ht  elles  furent  (Tchernis- 


ZABOROWSKI.  —  DU  DMESTRE  A  LA  CASPIENNE  419 

chew),  pendant  la  fonte  du  glacier,  en  communication  par  les 
bassins  d'eau  douce  du  gouvernement  de  Viatka,  avec  les 
mers  boréales  qui  rejoignaient  les  lacs  Onega  et  Ladoga  jus- 
qu'à une  époque  toute  récente. 

L'Europe  était  donc  pour  ainsi  dire  fermée  du  côté  de 
l'Asie,  limitée  nettement  à  l'Est  par  des  obstacles  infranchis- 
sables. Au-delà  de  l'Oural  et  de  la  Caspienne,  au  surplus,  il 
n'y  avait  pas  davantage  de  terre  habitable  sauf  sans  doute 
contre  l'Oural  même. 

Les  eaux  du  lac  Balkach  se  confondaient  avec  celles  de  la 
dépression  aralo-caspienne.  Et  il  y  a  toute  probabilité  que 
cette  mer  était  en  communication  avec  l'Océan  Arctique  par  la 
Sibérie  même.  Le  phoque  qui  l'habite  encore  (ph.  caspcia) 
n'est  qu'une  variété  du  phoque  marbré  de  l'Océan  Arctique, 
comme  celui  du  lac  Baïkal,  à  2,000  pieds  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer.  La  haute  vallée  de  l'Obi,  à  Tomsk,  n'est  pas  à  plus 
de  91  m.  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  actuelle. 

Les  terres  libres  le  long  de  l'Oural  et  tout  autre  territoire 
quelconque  de  la  Sibérie  occidentale,  étaient  complètement 
séparés  de  l'Asie  non  seulement  par  cette  vaste  mer  dont  les 
traces  récentes  se  reconnaissent  jusqu'au-delà  du  Balkach, 
dans  le  bas  des  vallées  qui  descendent  de  l'Alataou.  et  qui 
recouvrait  les  déserts  actuels  du  Turkestan,  mais  encore  par 
les  glaciers  du  massif  central  dont  la  fonte  a  donné  naissance 
à  ces  énormes  dépôts  fertiles  qui  ont  fait  appeler  le  Turkestan 
le  pays  du  Lœs. 

Mais  entre  l'Europe  et  la  Sibérie  les  chemins  furent  dégagés 
avant  la  fin  du  quaternaire,  bien  avant  l'extinction  du  mam- 
mouth. 

Gel  animal  a  vécu  dans  le  sud-est  de  la  Bussie,  dans  le 
bassin  du  Volga,  longtemps  et  en  grandes  troupes,  avant 
d'émigrer  en  Sibérie  sur  des  territoires  abandonnés  par  la 
Caspienne.  Le  glacier  scandinavo-russe  s'est  retiré  par  suite 
de  la  diminution  des  pluies  et  des  neiges,  et  pat  la  tranfof- 
mation  du  climat  sibérien  devenu  continental  au  plus  haut 
degré,  c'est-à-dire  à  saisons  extrêmes.  Pour  la  même  raison 


120  SÉANCE  DU  21   FÉVRIER  1895 

la  Caspienne  abaisse  de  niveau  par  l'effet  d'un  dessèchement 
qui  s'exerce  aujourd'hui  encore  sous  nos  yeux  avec  rapidité, 
dans  toute  l'Asie  centrale  et  même  dans  les  plaines  du  sud 
de  la  Russie. 

Les  dépùts  de  ses  eaux  saumâtres',  à  fleur  de  sol  dans  les 
steppes,  sont,  dans  les  parties  élevées  de  l'ancien  bassin  cas- 
pien,  recouverts  de  l'argile  typique  brune  des  terrasses  flu- 
viatiles  passant  au  lœss.  Or,  sur  les  terrasses  les  plus  élevées, 
dans  les  plus  anciennes  couches  de  cette,  argile,  on  trouve 
en  place  en  abondance,  des  restes  de  mammouth,  de  rhino- 
céros, de  bos  primigenius,  etc.,  mais,  d'ailleurs,  jusqu'à  pré- 
sent, sans  aucune  trace  de  l'activité  humaine.  Ces  animaux 
avaientdonc  un  passage  libre  au  sud  de  l'Oural.  Parla  ils  ont 
émigré  en  Sibérie  où  ils  ont  retrouvé  encore  longtemps  leur 
climat  de  prédilection,  très  humide  et  froid.  Il  parait  plus  que 
probable  que  des  tribus  humaines  les  ont  suivis.  Mais  jusqu'à 
présent  on  n'a  pas  retrouvé  leurs  stations  ni  dans  l'Oural  ni 
dans  la  Sibérie  occidentale.  Des  cavernes  habitées  autrefois 
dans  l'Oural  on  ne  peut  pas  affirmer  qu'elles  remontent  jus- 
qu'à l'époque  de  notre  quaternaire.  A  propos  d'elles,  M.  Tcher- 
nischew  déclare  qu'une  subdivision  de  l'âge  de  pierre  en  une 
période  paléolithique  et  une  période  néolithique  est  à  peine 
admissible  pour  la  région  de  l'Oural.  Mais  le  mammouth  ne 
s'y  rencontre  pas,  et  cela  tranche  la  question  de  leur  âge.  A 
en  juger  par   l'énumération   qu'on  nous   donne  des  objets 
qu'elles  ont  livrés,  leur  industrie  est  plutôt  celle  d'un  peuple 
arriéré  de  l'âge    récent  de  la  pierre  que  celle  d'un   peuple 
ancien.    Les  restes   d'industrie   recueillis    au-dessous   de  la 
tourbe,  au  nord  d'Ekaterinbourg,  font  la  même  impression, 
bien  qu'un  fémur  de  mammouth  ait  été  rencontré  à  peu  de 
distance   et  bien  que  l'épaissenr  de  la  tourbe  (4  m.)  repré- 
sente un  certain  espace  de  temps.  Mais  plus  loin  à  l'est,  sur 
l'Ienisseï,  tout  près  de  Krasnojarsk,   touchant  des  hauteurs 
plus  habitables,  M.  Savenkov  a  trouvé  des  silex  taillés  d'un 
de  nos  types  quaternaires  (le  Moustier),  avec  des  restes  de 


ZABOROWSKI.   —  DU   DNIESTRE  A  LA  CASPIENNE  121 

mammouth  sur  l'âge  desquels  on  n'a  pas  élevé  de  contestation. 

D'après  l'ensemble  même  des  constatations  géologiques 
et  des  découvertes  préhistoriques,  il  ne  semble  donc  pas 
douteux  que  c'est  d'Europe,  de  l'Europe  centrale  et  occiden- 
tale, que  sont  venues  les  premières  peuplades  qui  aient 
occupé  la  Russie  méridionale,  et  que  c'est  aussi  d'Europe  que 
la  Sibérie  occidentale  semble  avoir  reçu  ses  plus  anciens 
habitants.  Que  s'est-il  passé  dans  les  plaines  du  sud  de  la 
Russie  après  cette  émigration  ? 

Dans  cette  région,  il  y  a  une  première  assise  quaternaire 
formée  de  dépôts  d'eau  douce  à  faune  lacustre  et  à  faune 
d'eau  courante.  Ces  dépôts  sont  synchroniques  de  l'extension 
du  glacier  Scandinave. 

Dans  la  zone  de  la  mer  d'Azow  et  de  la  mer  Noire,  se 
superpose  à  ces  dépôts  une  argile  rouge  avec  gypse  et  sel  qui 
témoigne  de  la  présence  de  ces  mers  fort  au-delà  de  leurs 
limites  actuelles.  Ils  sont  recouverts  ailleurs  immédiatement 
comme  cette  argile  elle-même,  d'un  lœss  puissant  identique  à 
celui  de  l'Allemagne  du  Sud,  du  Turkestan,  de  la  Chine.  Ce 
lœss  fertile  est  synchronique  du  retrait  du  glacier.  R  se  con- 
fond avec  ce  qu'on  appelle  en  Wulhynie,  en  Podolie,  l'argile 
à  mammouth,  gris-jaune.  Au-dessus  de  lui  et  grâce  à  lui, 
s'est  formée  cette  fameuse  terre  noire,  la  grande  richesse  de 
la  Russie  méridionale.  L'origine  de  cette  terre  noire,  tcher- 
nozème,  nous  est  connue. 

La  puissante  végétation  herbacée  de  la  steppe  vierge  forme 
encore  aujourd'hui  sous  nos  yeux  un  véritable  feutrage  avec 
ses  débris  annuels.  Et  c'est  la  décomposition  de  ceux-ci  qui  a 
incorporé  au  lœss  sous-jacent,  sur  Do  millions  d'hectares,  de 
la  matière  organique  représentant  en  azote  pour  le  moins 
16  milliards.  Cette  formation  correspond  à  nos  tourbières  et 
représente  ainsi  géologiquement  Page  néolithique. 

Nous  n'avons  pas  de  preuve  d'un  peuplement  de  la  Russie 
méridionale  avant  l'existence  de  cette  terre  noire,  qui,  d'ail- 
leurs, est  d'une  épaisseur  telle  qu'on  fait  remonter  à  6  ou  7.000 
années  ses  premières  couches. 

t.  vi  (4°  série).  9 


422  SÉANCE  DU  24  FÉVRIER  1895 


II.  —  Les  plus  anciens  kourganes  ;  kourganesde  l'âge  de  la  pierre. 
Autres  sépultures  du  même  âge.  Origine  de  l'industrie  et  carac- 
tères de  la  race  néolithique  du  Dniestre  et  du  Dniepre.  Leurs 
rapports  étroits  avec  la  région  de  la  Baltique. 

Le  long  de  certaines  vallées  de  l'intérieur,  il  existait  des 
forêts,  disparues  au  temps  d'Hérodote,  qui  furent  contempo- 
raines de  la  formation  de  la  terre  noire.  On  ne  trouve  pas  de 
kourganes  sur  le  sol  de  ces  anciennes  forêts.  Il  n'y  en  a  donc 
pas  qui  leur  soient  antérieurs.  Mais  il  y  en  a  à  la  lisière. 

Voici  un  autre  fait  plus  catégorique.  Il  y  a  des  kourganes 
élevés  avec  du  sable  et  recouverts  eux-mêmes  d'un  mince 
dépôt  de  terre  végétale.  Ces  kourganes  appartiennent  à  la 
steppe  stérile,  plus  récente  et  qui  est  un  ancien  fond  de  mer. 
Il  ne  faut  pas  la  confondre  avec  la  steppe  herbeuse,  à  sous- 
sol  de  lœss  ou  d'argile  à  mammouth  qui  s'étend  depuis  le 
nord  des  Karpathes  jusqu'au-delà  de  l'Oural,  au  nord  de  la 
steppe  kirghize.  Ses  kourganes  ne  peuvent  pas  être  les  plus 
anciennement  élevés.  Car  c'est  la  steppe  herbeuse  qui  dut 
forcément  être  la  première  habitée.  Eh  bien  !  d'après  les 
observateurs  les  plus  divers,  la  base  des  kourganes,  mis  à 
part  les  kourganes  à  catacombe  bien  datés,  ne  reposent  pas 
immédiatement  sur  le  lœss  ou  l'argile  à  mammouth  ;  c'est 
tout  juste  du  moins  s'ils  en  atteignent  la  surface  lorsque  leur 
fond  ne  forme  pas  cuvette  intentionnellement  creusée,  et  tous 
sont  élevés  avec  la  terre  noire.  Jamais,  du  moins,  la  terre  qui 
les   compose    n'est  du   lœss  ou  de    l'argile   pure. 

Aucun  doute  n'est  donc  possible,  ils  sont  postérieurs  à  la 
terre  noire  envisagée  dans  sa  plus  grande  épaisseur,  dans  ses 
couches  les  plus  anciennes. 

Or,  toute  la  Russie  méridionale,  du  Dniestre  à  la  Caspienne, 
passe  pour  n'avoir  connu  qu'un  seul  genre  de  sépultures, 
celui  sous  tumulus  de  terre,  sous  kourgane.  C'est  là,  en  effet, 
le  seul  monument  funéraire  qui  convienne  à  ces  immenses 
plaines  herbeuses,  le  seul  monument  qu'il  soit  possible  d'y 


ZABOROWSKC.  —  D(!  DN1ESTRE  A  LA  CASPIENNE  123 

édifier  en  toute  occasion.  A  tel  point  qu'on  croirait  volontiers 
que  c'est  là  qu'il  a  été  inventé  et  que  c'est  de  là  que  directe- 
ment ou  indirectement  il  s'est  propagé  dans  les  autres  parties 
de  l'Europe  où  on  le  trouve.  Il  n'est  pas,  en  effet,  d'autre- 
vastes  régions  de  l'Europe  qui  soient  aussi  pauvres  en  matés 
riaux  de  construction.  Le  temps  n'y  a  rien  changé,  car  en- 
core aujourd'hui,  beaucoup  d'indigènes  de  ces  régions,  comme 
ceux  d'une  partie  de  l'Asie  centrale,  construisent  leurs  ca- 
banes uniquement  en  terre  argileuse  mêlée  de  paille.  Cette 
circonstance  même  est  une  source  de  grandes  difficultés  pour 
l'archéologie.  Car  si  le  kourgane  est  à  peu  près  le  seul  monu- 
ment possible,  c'est  aussi  le  monument  de  tous  les  âges.  Le 
même  kourgane  a  été  ouvert  bien  des  fois,  et  à  des  époques 
souvent  très  éloignées.  Entre  deux  couches  d'un  même  kour- 
gane, il  peut  exister  un  laps  de  temps  égal  à  plusieurs  siècles 
et  même  à  un  millénaire  (Bobrinski,  Compte-rendu  du  Con- 
grès de  Moscou,  II,  p.  18).  On  y  trouve  des  sépultures  très 
différentes  sous  le  rapport  de  l'âge,  de  l'industrie,  de  la  popu- 
lation. Des  crânes  extraits  d'un  même  kourgane  peuvent  se 
rapporter  à  des  races  bien  distinctes,  et  parmi  eux,  il  y  en  a 
de  tout  récents. 

Ce  qu'il  y  a  d'aussi  difficultueux,  c'est  que  disséminés  en 
nombre  considérable,  sur  des  espaces  immenses,  il  est  impos- 
sible de  les  répartir  bien  nettement  en  circonscriptions  géo- 
graphiques distinctes.  Il  semble  y  en  avoir  partout  un  peu  de 
tous  les  âges.  Du  moins  ne  pouvons-nous  pas  dire  que  tel 
groupe  de  kourganes  de  telle  région  appartient  à  telle  époque, 
et  que  tel  autre  groupe  de  la  même  région  ou  d'une  autre  ap- 
partient à  telle  autre  époque  ;  qu'ici,  en  les  fouillant,  nous  allons 
nous  trouver  en  présence  de  telle  civilisation  particulière  et 
que  là  sont  groupés  au  complet  les  types  caractéristiques  de 
telle  autre  civilisation.  Ils  sont  l'œuvre  de  peuples  qui  ont 
erré,  se  sont  bousculés  des  siècles  sans  occuper  de  territoires 
bien  limités,  bien  que  tous  ensemble,  dans  ce  perpétuel  bras- 
sage, aient  subi  à  de  certains  moments  les  mêmes  inlluences. 
On  les  compte  d'ailleurs  par  centaines  de  mille.  Le  nombre  de 


124  SÉANCE  DU  21   FÉVRIER  1893 

ceux  qui  ont  été  fouillés  comparativement  à  ceux  encore  in- 
tacts, est  minime,  et  on  ne  sait  rien  de  précis  sur  ceux  de 
régions  entières  importantes  comme  la  vallée  du  Don.  Les 
matériaux  qu'ils  ont  livrés  à  leurs  explorateurs  sont  pourtant 
considérables.  Ils  se  présentent  malheureusement  encore  dans 
un  état  de  confusion  telle  qu'ils  n'ont  rien  changé  aux 
suppositions  et  hypothèses  dont  le  passé  préhistorique  des 
plaines  de  la  mer  Noire  et  le  peuplement  de  l'Europe  ont  été 
jusqu'ici  l'objet.  Un  archéologue  comme  M.  Schmidt  y  a  vu 
les  preuves  d'une  migration  de  colonies  de  Sibériens  de  l*àge 
de  pierre,  en  Danemark!  (Compte-rendu  des  séances  du  Con- 
grès de  Moscuu,  II,  1893,  p.  36.)  M.  Samokvassof,  qui  est 
aussi  un  archéologue  expérimenté,  les  a  répartis,  suivant  les 
données  de  l'histoire,  seulement  en  quatre  époques  :  1°  L'é- 
poque cimmérienne  de  la  pierre  et  du  bronze  ;  2°  l'époque 
scythe  ou  sarmate  ;  3°  l'époque  slave  ;  4°  l'époque  des  Po- 
lovtsys  et  des  Tatars. 


Si  les  plus  anciens  kourganes  eux-mêmes  sont  postérieurs 
à  la  formation  de  la  «  terre  noire  ».  il  en  est  pourtant  qui  ont 
été  élevés  alors  que  la  pierre  était  encore  seule  employée  à 
tous  les  usages.  Dans  ses  fouilles  de  1874  près  de  Kiew,  M.  An- 
tonowitch  en  a  rencontré.  J'ai  signalé  moi-même  ici  en  1880 
(Reçue  d'Anthropologie,  1880,  p.  078)  ceux  qui  ont  été  explorés 
par  M.  L.  Radziminski,  dans  le  district  d'Ostrog  en  Wolhynie. 
Et  de  nouveau,  tout  récemment  (Sur  dix  crânes  de  Rochefort. 
Bullet.  1894,  p.  45),  j'ai  rappelé  les  caractères  essentiels  des 
hommes  qui  y  étaient  ensevelis.  Au  récent  congrès  de  Wilna, 
M.  Radziminski  a  présenté  la  collection  d'objets  d'industrie 
qu'il  en  a  retirée.  Ces  kourganes  néolithiques  fouillés  sont  au 
nombre  de  20.  Les  squelettes  y  gisaient  étendus  sur  un  lit  de 
terre  glaise  blanche  ;  ils  avaient  auprès  de  la  tète  deux  ou 
trois  poteries  qui  devaient  contenir  des  aliments  au  moment 
de  l'inhumation,  et  le  long  du  corps  ou  dans  /"  main  deux  ou 
trois  objets  en  silex  ou  des  débris  d'armes. 


ZABOROWSKI.   —   DU  UNIESTRE  A   LA   CASPIENNE  125 

Voici  quelques-unes  de  ces  pièces  qui  ont  été  publiées  en 
1879  (Zbior,  III,  p.  62). 

M.  de  Baye,  dans  son  compte-rendu  du  congrès  de  Wilna 
(1894,  p.  54),  se  montre  frappé  do  la  ressemblance  de  ce  ma- 
tériel industriel  avec  l'outillage  néolithique  de  la  Suède  et  de 
la  Norvège.  Il  reproduit  comme  type  local  une  lame  courbe 
taillée  des  deux  faces.  Un  exemplaire  tout  semblable  prove- 
nant de  la  (îalicie,  de  Siéniawy,  sur  les  bords  du  San,  a  été 
déjà  publié  en  1876  (Nouvelles  arckéol.,  III,  p.  121  Varso). 
M.  Schmidtfut  aussi  très  frappé  de  ressemblances  pareilles 
devant  les  pièces  néolithiques  recueillies  par  MM.  Bobrinski 
et  Samokvassof.  C'est  à  cette  occasion  qu'il  a  parlé  de  migra- 
tions parties  de  la  Sibérie  pour  gagner  le  Danemark  (?). 
M.  Bezzemberger,  dans  une  étude  d'ensemble  sur  le  passé 
préhistorique  delà  Prusse  orientale,  se  basant  sur  les  relations 
de  l'industrie  néolithique  de  cette  province  avec  l'Occident, 
y  a  vu,  au  contraire,  des  preuves  de  migrations  en  sens  tout 
opposé.  Deux  squelettes  complets  et  un  fragment  de  crâne 
de  l'époque  de  la  pierre  ont  été  découverts  dans  cette  province, 
avec  deux  bouts  de  ceinture  en  os  de  renne.  M.  Bezzemberger 
les  fait  remonter  à  une  époque  où  tous  les  phénomènes  gla- 
ciaires n'était  pas  encore  disparus  entièrement.  Et  il  les  fait 
venir  par  conséquent  de  l'Europe  centrale,  tout  en  les  classant 
dans  un  Age  de  la  pierre  polie  synchronique  ('?)  de  l'âge 
du  bronze  de  notre  Occident. 

Les  caractères  des  crânes  recueillis  ne  nous  sont  pas  suffi- 
samment connus.  Mais  les  trouvailles  de  la  région  baltique, 
de  même  que  les  fouilles  des  cavernes  de  Cracovie,  et  notam- 
ment cellles  de  la  fameuse  caverne  du  Mammouth  qui  a  fourni 
un  précieux  crâne  à  caractères  néolithiques,  m'ont  depuis 
longtemps  inspiré  les  mêmes  conclusions,  si  parfaitement 
conformes  d'ailleurs  avec  ce  que  nous  savons  aujourd'hui  des 
conditions  géologiques  et  climatériques  de  la  Russie  aux 
époques  quaternaire  et  néolithique.  Longtemps  après  le  [tas- 
sage  de  quelques  tribus  quaternaires  qui  paraissent  avoir 
suivi  le  mammouth  dans  sa  migration  en  Sibérie,  un  premier 


126  SÉANCE  DU  21  FÉVRIER  1895 

peuplement  de  la  région  comprise  entre  les  Karpathes  et  la 
Baltique,  s'est  effectué  par  le  sud-ouest  et  l'ouest.  Pourquoi 
les  premières  tribus  clairsemées  qui  se  sont  établies  là  ne 
seraient-elles  pas  descendues  jusque  vers  les  rives  de  la  mer 
Noire?  Il  en  est  qui  ont  suivi  cette  voie.  Telle  est  pour  moi 
l'origine  non  douteuse  des  Kymris  ou  Cimmèriens  de  la  pres- 
qu'île cimbrique,  dont  on  connaît  d'ailleurs  le  mouvement 
postérieur  en  retour,  et  dont  les  Goths,  bien  des  siècles  plus 
tard,  devaient  suivre  la  même  marche. 


En  1887,  le  comte  Bobrinski  a  fait  connaître  le  résultat  des 
fouilles  effectuées  par  lui  dans  52  kourganes  au  sud  de  Kiew. 
Il  a  signalé  dès  lors  et  depuis  au  congrès  de  Moscou  cette  par- 
ticularité frappante  de  leurs  sépultures  néolithiques,  à  savoir 
que  les  squelettes  sont  colorés  en  rouge  avec  du  peroxyde 
de  fer. 

A  Kobrynowa,  au  sud-ouest  de  Zwinogrodki  en  Ukraine, 
au-delà  de  la  Podolie,  par  conséquent,  et  non  loin  du  Dniepre 
et  de  la  mer  Noire,  un  des  kourganes  qui  s'y  trouvent  a  été 
fouillé  complètement  avec  beaucoup  de  soin  en  1887  (Zbior. 
Cracovie,  1888).  Tout  ce  qui  y  était  enfoui  a  donc  été  recueilli. 
De  27  mètres  de  diamètre  et  de  2  mètres  70  de  haut  à  son 
centre,  il  renfermait  a  sa  partie  supérieure,  à  70  et  80  centi- 
mètres de  profondeur,  des  sépultures  (une  dizaine)  en  terre 
libre,  datant  d'une  époque  où  l'influence  grecque  se  faisait 
sentir,  comme  en  témoigne  un  tesson  (de  ces  sépultures,  il  ne 
restait  que  quelques  os  pourris).  Et  il  recouvrait  douze  tom- 
beaux creusés  et  disséminés  sans  ordre  à  la  surface  du  sol 
naturel.  Ces  tombeaux  étaient  des  auges,  de  50  à  60  cent,  de 
profondeur,  de  1  m.  50  à  2  mètres  de  longueur  et  de  0,75  à 
0,80  cent,  de  largeur,  dont  les  parois  étaient  faites  unique- 
ment d'argile  battue  et  qui  avaient  été  primitivement  cou- 
vertes de  planches  ou  de  madriers.  Ils  renfermaient  quinze 
squelettes,  et  cette  trouvaille  est  d'autant  plus  importante 
que  qua're  d'entre  eux  ont  pu  être  étudiés.  J'y  reviendrai 


ZABOROWSKI.   —  DU  DXIESTKK  A   LÀ  CASPIENNE  127 

plus  loin.  Tous  étaient  complètement  recouverts  d'une  couleur 
rouge  ferrugineuse,  en  plus  ou  moins  grande  épaisseur.  Cette 
couleur  était  si  apparente  et  très  souvent  si  abondante  qu'elle 
formait  en  plusieurs  endroits  une  couche  terreuse  particulière 
d'un  demi-centimètre.  Us  ont  été  soumis,  semble-t-il,  au  même 
rite,  ou  ils  appartenaient  à  un  peuple  ayant  les  mêmes  usages 
que  les  hommes  des  grottes  deMenton  et  que  celui  de  Briïnn  en 
Moravie  (V.  Revue  de  l'École  d'Anthropologie,  1893,  I,p.20)  que 
MM.  Makowsky  et  Schaaffhausen  ont  rangé  dans  le  quater- 
naire, et  que  M.  Hervé,  d'après  le  gisement  et  les  caractères 
crâniens  qui  formeraient,  suivant  lui,  transition  entre  le 
Néanderthal  et  le  Cro-Magnon,  classe  à  l'aurore  de  l'époque 
néolithique.  De  sorte  que  si  toute  conclusion  ne  semblait  pas 
prématurée,  on  croirait  que  le  peuple  néolithique  établi  dans 
l'Europe  centrale  s'est  répandu  de  là  au  sud  jusque  dans  la 
Méditerranée,  et  tardivement,  au  nord,  par  la  Moravie  jusque 
sur  le  Dniepre. 

Il  n'y  avait  sur  les  squelettes  de  Kobrynowa  aucune  trace 
de  tissu  quelconque.  Mais  une  matière  grasse  et  poussiéreuse, 
se  rapportant  à  un  vêtement  de  cuir,  recouvrait  le  milieu  du 
corps  de  deux  d'entre  eux.  Les  objets,  en  très  petit  nombre, 
recueillis  dans  les  tombeaux  sont  les  suivants  :  un  vase,  forme 
écuelle,  dans  lequel  des  aliments  avaient  dû  être  déposés  ; 
deux  stylets  ronds  en  os  ou  instruments  pointus  dont  la  tète 
figure  un  double-marteau.  Chacun  d'eux  était  attaché  à  la 
taille  d'un  squelette  de  femme  par  une  chaînette  formée  d'un 
chapelet  de  petits  os  percés;  des  dents  de  loups  formant  un 
collier;  des  sabots  et  rotules  de  brebis  (?);  un  fragment  de 
vase  portant  comme  ornement  sur  le  bord  de  son  ouverture 
des  cavités  de  5  à  8  millimètres. 

Ce  matériel  est  très  pauvre.  On  ne  saurait  contester  son  ca- 
ractère néolithique. 

L'absence  de  silex  étonne.  Mais  le  silex  était  rare  dans  la 
contrée,  et  les  squelettes  recueillis  était  féminins  pour  la 
plupart,  il  est  naturel  qu'on  n'ait  rencontré  auprès  d'eux  que 
des  parures. 


128  SÉANCE  DU  21   FÉVRIER  1895 

Dans  le  village  de  Zawadyniec,  district  de  Kamieniec  Po- 
dolski,  31.  Pulawski  (Zbior,XIV,  1890,  p.  8)  a  fouillé  un  kour- 
gane  où  il  a  mis  à  découvert  un  premier  squelette  avec  un 
petit  vase  contenant  un  couteau,  et  "un  second  auprès  de 
pointes  de  flèches  en  silex  et  d'outils  en  pierre.  Sur  tous  les 
deux,  la  platycnémie  très  apparente  du  tibia  a  été  remar- 
quée. Près  du  premier,  se  trouvait,  en  deux  petits  morceaux, 
de  la  matière  colorante  rouge  ferrugineuse. 

Ainsi,  sur  le  Dniestre  comme  sur  le  Dniepre  et  en  pleine 
Ukraine,  l'emploi  de  matières  rouges,  si  ancien  en  Europe,  a 
été  reconnu  dans  les  sépultures  néolithiques  par  des  auteurs 
différents.  Non  moins  significative  peut-être,  malgré  les  appa- 
rences, est  la  nature  même  du  monument  funéraire. 

Nulle  part  ailleurs  qu'au  sud-ouest  de  la  Russie  on  ne  con- 
naît de  kourganes,  de  tumulus  de  terre,  remontant  à  l'époque, 
néolithique.  Ceux  du  comitat  d'Udvarhély  en  Transylvanie, 
recouvrant  des  tombeaux-caisses  de  pierre,  sont  d'âge  encore 
douteux.  Dans  la  Russie  même,  au  nord,  au  centre,  à  l'est, 
on  n'en  a  pas  encore  trouvé,  malgré  le  nombre  considérable 
de  fouilles  effectuées.  Immédiatement  au-dessus  de  la  Wolby- 
nie,  dans  le  gouvernement  de  Minsk,  sur  la  Bérézina,  district 
d'Ibumin,  (Zb.,  XIII,  p.  56),  il  y  a  deux  cimetières  de  300 
kourganes.  L'un  d'eux,  de  82  kourganes,  serait  d'une  époque 
de  pierre.  Il  peut,  malgré  cela,  être  bien  plus  récent  que  les 
kourganes  de  Wolhynie.  Et  si  on  y  rencontre  des  incinéra- 
tions, comme  on  le  dit.  il  y  a,  jusqu'à  nouvel  ordre,  des 
réserves  à  faire  sur  son  âge. 

Du  côté  de  l'est,  dans  ses  fouilles  des  kourganes  de  la  plaine 
des  Kirghizes,  en  18  localités  différentes,  M.  Néfédow  n'a  pas 
trouvé  un  seul  de  ces  monuments  qui  puisse,  même  avec 
doute,  être  rattaché  à  l'âge  de  pierre.  Il  n'en  serait  pas  ainsi, 
assurément,  si  les  hommes  des  kourganes  néolithiques  du 
Dniepre  et  du  Dniestre,  étaient  venus  d'Asie.  D'un  autre  côté, 
si,  comme  le  prétendent  des  archéologues  très  autorisés,  le 
peuple  des  kourganes  néolithiques  des  rives  de  la  mer  Noire, 
avait  remonté  à  Tàge  de  pierre  vers  la  Baltique  et  la  Suède, 


ZABOROWSKI.  —  DU  DNIESTRE  A  LÀ  CASPIENNE  129 

pourquoi  n'aurait-il  pas  élevé  ses  monuments  funéraires  fa- 
miliers le  long  de  cette  route  et  dans  les  plaines  des  bords  de 
la  Baltique?  Or,  l'aire  des  kourganes  s'arrête  à  peu  près  net- 
tement du  côté  de  l'Occident,  aux  rives  duDniestre  et  à  celles 
du  San  qui  forment  la  frontière  entre  le  Dniestre  et  la  Vistule, 
et  à  celles  du  Bug.  Bien  qu'on  retrouve  au  premier  âge  de  fer 
le  tumulus  de  pierrailles  sur  la  Baltique,  ces  limites  semblent 
ainsi  séparer  deux  mondes. 

Le  kourgane  nous  apparaît  donc  comme  un  monument  dont 
l'invention  s'est  imposée  à  un  peuple  immigré  de  l'ouest  dans 
la  steppe.  Le  caractère  occidental  de  l'industrie  néolithique 
des  kourganes,  attesté  encore  par  les  observations  citées  plus 
haut  et  la  collection  rapportée  ici  même  du  gouvernement  de 
Kiew  {Bullet.,  1893),  par  M.  de  Baye,  n'est  pas  douteux  '. 

Et  les  rapports  qui  ont  existé  au  moins  à  l'origine,  entre  la 
Baltique  et  les  peuples  des  kourganes  et  autres  sépultures 
néolithiques  du  Dniestre,  se  démontrent  encore  par  d'autres 
faits  plus  précis. 

Dans  un  kourgane  de  la  Galicie,  (Ossowski,  Recherches 
paléoethnolog.  en  Galicie,  I,  1890,  p.  22),  à  Chorostkowo,  dis- 
trict d'IIusiatyn,  on  a  recueilli  au  milieu  des  restes  d'un  sque- 
lette, un  petit  vase  à  anse  de  forme  cylindrique  (f.  7,  pi.  I), 
et  un  disque  en  ambre  de  75  millimètres  de  diamètre  et  de 
15  millimètres  d'épaisseur  au  milieu,  ayant  vers  son  centre  un 
trou  pour  le  suspendre,  la  paroi  d'un  petit  trou  de  suspension 
ouvert  sur  le  bord  ayant  été  brisée.  Trois  pots  semblables  ont 
été  trouvés  près  de  Cracovie  et  en  Podolie,  avec  une  industrie 
de  pierre.  Et  l'un  de  ceux  trouvés  accidentellement  à  AVegrzec, 
près  de  Cracovie,  était  précisément  accompagné  d'un  disque 
en  ambre  comme  celui  de  Chorostkowo.  D'autres  exemplaires 

i  Les  stations  de  la  pierre,  plus  récentes  au  centre  de  la  Russie, 
en  diffèrent  parce  qu'elles  appartiennent  aux  peuples  finnois  qui, 
soustraits  aux  influences  étrangères,  ont  conservé  bien  plus  long- 
temps une  industrie  arriérée.  Ces  stations  se  rattachent,  d'ailleurs, 
aussi  à  la  Baltique,  comme  en  témoigne  la  présence  de  l'ambre, 
dans  celle  du  gouvernement  de  Novgorod,  par  exemple. 


130  SÉANCE  DU  21  FÉVRIER  1895 

de  cet  ornement  en  ambre  ont  été  découverts  en  différents  en- 
droits. 

Dans  ce  même  district  d'Husiatyn,  à  Kotsiubintsy,  un  tom- 
beau-caisse en  a  livré  un  avec  trois  haches  en  pierre  polie  et 
des  tessons  (Kopernicki,  1877,  p.  14).  D'autre  part,  près 
d'Inowroclaw  en  Posnanie,  un  peu  plus  vers  le  sud-ouest, 
près  de  Lubraniec  et  à  Bizeszynek,  district  de  Brzést- 
kujawski,  on  en  a  recueilli  plusieurs,  toujours  dans  des 
tombeaux  néolithiques.  De  la  Prusse  orientale,  enfin,  on  en 
possède  une  série  appartenant  aussi  bien  nettement  k  l'âge  de 
la  pierre  (Klebs,  Beitrâge  zur  Naturkunde  Preussens).  Or,  il 
va  sans  dire,  que  ce  ne  sont  pas  les  auteurs  des  kourganes 
néolithiques  de  la  Podolie  qui  ont  apporté  ces  ornements  sur 
la  Baltique.  Leur  présence  à  l'âge  de  pierre,  de  la  Baltique  à 
la  mer  Noire  en  passant  parCracovie,  témoigne  évidemment 
d'un  mouvement  de  la  population  néolithique  en  sens  tout 
opposé. 

*       * 

11  y  a  dans  la  région  ainsi  délimitée,  des  monuments  de 
l'âge  de  pierre,  quelque  peu  différents  des  kourganes,  qui 
offrent  autant  ou  plus  d'intérêt.  Je  viens  de  citer  un  tombeau- 
caisse  de  Kotsiubintsy.  Ce  sont  des  tombeaux  sans  tumulus, 
plus  faciles  à  dater  exactement  parce  que,  dissimulés  aux  re- 
gards par  l'absence  de  signe  extérieur,  ils  ont  été  moins  ex- 
posés aux  mélanges  et  aux  entreprises  des  chercheurs  de  tré- 
sors. D'après  les  découvertes  connues,  bien  insuffisantes  eu 
égard  au  territoire,  aux  contiguités  multiples,  dont  il  s'agit  de 
connaître  le  passé,  dans  la  Pakoucie,  cette  région  podolienne 
qui  confine  à  la  Boukovine  et  à  la  Galicie,  les  tombeaux  de 
cette  sorte  dominent.  Certains  d'entre  eux  se  présentent  au- 
jourd'hui comme  si  le  corps  avait  été  mis  en  terre  accroupi 
souvent  sans  aucune  protection  et  seulement  k40  centimètres 
de  profondeur.  A  côté  des  squelettes,  on  n'a  pas  toujours 
trouvé  des  objets  permettant  de  les  dater  avec  certitude.  Ce- 
pendant, il  y  en  a  qui  sont  antérieurs  ù  l'usage  des  métaux  : 
l'un  d'eux,  mis  accidentellement  à  découvert  à  Uwisla,  est 


ZABOROWSKI.   —  DU  DNIESTRE  A  LA  CASPIENNE  1  31 

un  des  mieux  caractérisés,  une  hache-marteau  en  bois  de  cerf, 
y  ayant  été  mise  dans  la  main  du  mort. 'La  plupart  sont  à 
dalles  de  pierres.  Leur  type  est  bien  connu.  C'est  celui  du 
tombeau-caisse,  dont  les  parois  sont  formées  de  pierres 
plates  non  taillées,  disposées  en  un  carré  de  1  m.  60  de  long 
et  de  0  m.  90  de  large,  recouvert  avec  d'autres  pierres. 

Dans  l'un  d'eux,  ouvert  accidentellement  à  Uwisla  (dis- 
trict d'Husiatyn,  au-dessus  de  Kam-Pod.),  les  deux  blocs  plats 
de  grès  calcaire  miocène  qui  lui  servaient  de  couvercle,  enle- 
vés, on  rencontra  de  la  terre  noire  argileuse.  Englobés  dans 
cette  masse,  se  trouvaient,  étendus  sur  le  fond  à  65  centimètres, 
les  jambes  repliées,  un  squelette  avec  un  couteau  de  silex  dans 
l'une  des  mains  ramenées  sur  le  ventre,  des  fragments  de 
pièces  ornées  en  os,  agrafes  de  ceinture  et  un  petit  vase  à 
côté  de  lui  à  gauche.  A  ses  pieds,  réunis  en  tas,  se  trouvaient 
les  restes  de  deux  autres  squelettes,  sur  lesquels  étaient  cou- 
chés deux  pots  d'argile  pure,  rougeàtre  et  peu  cuite,  comme 
le  précédent.  Ces  deux  squelettes,  a-t-on  supposé,  devaient 
être  des  serviteurs  esclaves  ou  prisonniers  du  mort.  J'admet- 
trais plus  volontiers,  d'après  d'autres  faits  plus  clairs  et  ce  qui 
se  faisait  dans  les  sépultures  dolméniques,  que  ce  sont  tout 
simplement  les  premiers  occupants  du  tombeau,  dont  on  a 
ramassé  successivement  les  restes  pour  enterrer  le  mort 
étendu.  A  Rakowkat,  dans  le  même  district,  l'entourage  en 
-pierres  fait  défaut,  sans  doute,  on  peut  le  présumer,  en  rai- 
son de  la  difficulté  de  se  procurer  des  dalles  dans  un  pays  sans 
accident  et  où  ne  se  trouve  presque  pas  de  ravinement  pro- 
fond. L'un  des  tombeaux  de  cette  localité,  découvert  aussi 
accidentellement  comme  toujours,  renfermait,  aveclesquelette, 
une  hache-marteau  avec  trou  d'emmanchement  ou  casse-tête 
en  pierre  soigneusement  polie  et  d'une  forme  qui  nous  est  bien 
familière,  et  une  hache  en  silex,  également  bien  polie,  plate, 
équarrie,  de  10:2  millimètres  de  long,  de  70  millimètres  de 
large  au  tranchant  et  de  40  millimètres  du  côté  du  manche  et 
d'une  épaisseur  maxima  de  1"  millimètres  seulement,  d'est 
bien  la,  je  crois,  le  type  dominant  dans  le  nord,  en  Danemark, 


132  SÉANCE  DU  21    FÉVRIER  1895 

Un  tombeau-caisse  fouillé  plus  récemment  clans  le  district 
de  Kamieniec  Podolski,  a  donné  à  M.  Pulawski  un  squelette 
dont  le  crâne  est  d'une  pureté  de  forme  remarquable  avec 
trois  morceaux  de  silex  (Zbior,  XIX).  . 

Un  tel  genre  de  tombeaux  nous  est  bien  familièrement  connu. 
C'est  celui  de  toutes  les  nécropoles  protohistoriques  du  Cau- 
case en  particulier.  (D'autres  où  les  dalles  sont  remplacées 
par  des  blocs  en  muraille  sont  identiques  à  ceux  de  nos  tumu- 
Ius  de  l'époque  du  fer.)  Mais  au  Caucase  où  l'existence  d'un 
âge  de  pierre  n'est  attestée  que  par  de  très  rares  objets,  on  n'a 
pas  trouvé  un  seul  de  ces  tombeaux  dont  l'ancienneté  fût  cer- 
taine, pas  un  seul  au  moins  qui  fût  antérieur  à  un  premier 
âge  du  fer  encore  à  dater  exactement.  Il  est  donc  évident  que 
ce  n'est  pas  du  Caucase  que  leur  usage  a  pu  être  introduit  en 
Podolie.  Et  si  l'identité  frappante  qui  les  unit  ne  peut  s'expli- 
quer que  par  les  rapports  d'origine  de  ceux  qui  les  ont  cons- 
truits, il  faut  admettre  que  certains  de  leurs  constructeurs  des 
bords  de  la  mer  Noire  ont  émigré  au  Caucase.  Leur  droit  de 
priorité  n'est  pas  discutable.  J'aurai,  d'ailleurs,  bien  d'autres 
preuves  à  citer  d'une  telle  émigration.  Qu'on  veuille  ne  pas 
oublier  que  la  montagne,  lieu  de  refuge  pour  les  peuples,  est 
aussi  l'abri  ordinaire  des  vieilles  mœurs.  Ce  n'est  pas  d'elle 
que  viennent  les  changements  dans  l'outillage  industriel  et  les 
coutumes.  Elle  est  au  contraire  la  dernière  à  les  accepter. 
J'ajoute,  que  si  les  tombeaux-caisses  datent  de  l'époque  néo- 
lithique sur  le  Dniestre,  ils  y  étaient  encore  en  usage  après 
l'introduction  du  fer.  Furent-ils  particuliers  à  cette  région 
jusqu'à  l'époque  du  fer?  Cela  serait  assez  extraordinaire,  car 
ce  n'est  pas  dans  ce  pays  de  plaine  qu'on  a  pu  inventer  des 
monuments  qui  sont  des  réductions  d'ailleurs  modestes,  de 
dolmens  souterrains.  Peut-on  alors  en  suivre  la  trace  jusqu'aux 
régions  où  les  monuments  sépulcraux  en  blocs  massifs  étaient 
en  usage  à  l'époque  néolithique?  Il  en  a  été  signalé  en  Tran- 
sylvanie. Dans  le  comté  d'Udvarhely,  notamment  (C.  r.  du 
congrès  de  Buda-Pesth,  1878,  II,  p.  112),  des  encaissements 
formés  de  grandes  dalles  de  trachyte  se  rencontrent  groupés 


ZABÙROWSKI.  —  DU  DNIESTRE  A  LA  CASPIENNE  433 

par  deux  ou  trois, -mais  sans  tumulus;  et,  d'après  les  rensei- 
gnements d'ailleurs  assez  vagues  qui  ont  été  publiés,  ils  ne 
renferment  que  des  cendres,  des  morceaux  de  charbon,  quel- 
ques pièces  de  silex  taillés,  du  quartz,  des  restes  de  poteries 
grossières.  Ils  sont  anciens,  on  peut  le  croire,  mais  d'une  épo- 
que où  l'incinération  des  morts  était  pratiquée.  Il  est  donc 
difficile  d'affirmer  leur  antériorité  sur  les  tombeaux-caisses 
néolithiques  de  la  Podolie.  De  sorte  qu'il  faut  encore  se  tour- 
ner du  côté  de  la  Baltique  pour  retrouver  le  point  de  départ 
de  ce  genre  de  tombeaux. 

En  1873,  près  de  Kowal,  au  sud-est  de  Brzest-Kujawski 
(Nouvelles  archéologiques,  III,  187G,  p.  80),  on  a  découvert  une 
sorte  d'allée  enterrée  d'une  soixantaine  de  mètres  de  long,  au 
bout  de  laquelle  se  trouvait  un  petit  dolmen  formé  d'une 
grande  dalle  posée  sur  deux  blocs  de  champ.  Entre  ses  parois 
gisait  un  squelette,  en  partie  brûlé,  avec  un  vase,  mais  rien 
autre. 

En  1890,  M.  Samokvassof  a  eu  la  bonne  fortune  de  décou- 
vrir à  Nowy-Dwor,  au  nord-ouest  de  Varsovie,  un  monument 
d'un  caractère  plus  significatif.  C'est  un  grand  tombeau-caisse 
qui  contenait  huit  squelettes.  A  côté  de  ceux-ci  se  trouvaient 
des  objets  en  pierre  polie,  des  agrafes  de  ceinture  en  os  et 
quelques  dizaines  de  perles  et  autres  ornements  en  ambre.  Non 
seulement  ici  le  tombeau  est  identique  à  ceux  du  Dniestre, 
mais  nous  y  trouvons  les  mêmes  objets.  Ces  agrafes  de 
ceinture  en  os,  nous  venons  de  les  voir  dans  un  tombeau 
d'Uwisla.  Et  on  en  a  trouvé  dans  un  autre  tombeau  du  même 
pays  (Tcharnokontsy,  Ossowski,  1801. 

Le  synchronisme  du  monument  de  Nowy-Dwor  avec  les 
tombeaux-caisses  de  la  Podolie  me  semble  par  là  même  dé- 
montré. Sur  la  Vistule,  après  l'introduction  des  métaux,  ces 
tombeaux  sont  restés  en  usage  et  même  seuls  en  usage,  sous 
tumulus  de  pierres  et  sans  tumulus. 

Le  rite  de  l'incinération  cependant  s'était  complètement 
substitué  à  celui  de  l'inhumation.  Et  ils  ne  renfermaient  que 
des  urnes.  Sur  le  Dniestre,  ils  sont  aussi  restés  en  usage  jus- 


13-4  SÉANCE  DU  21   FÉVRIER  1895 

qu'à  l'introduction  du  fer.  Mais  ceux  qui  les  ont  élevés  sont 
restés  fidèles  au  rite  de  l'inhumation,  tout  en  connaissant  et 
en  pratiquant  peut-être  aussi  en  de  certains  cas  le  rite  de  l'in- 
cinération. Dans  une  certaine  zone,  ils  ont  été  employés  con- 
curremment avec  les  kourganes.  Je  ne  connais  pas  de  raison 
de  les  séparer  de  ceux-ci.  Je  veux  dire  qu'ils  me  paraissent 
Jus  à  des  peuples  de  même  origine  et  de  mêmes  mœurs  habi- 
tant des  localités  différentes  et  ne  disposant  pas  partout  des 
mêmes  matériaux  ou  voulant  donner  plus  ou  moins  de  solen- 
nité aux  cérémonies  funéraires.  Peut-être,  cependant,  démon- 
trera-t-on  par  la  suite  que  ceux  qui  ont  élevé  les  kourganes, 
au  lieu  de  descendre  de  la  Baltique,  après  avoir  pénétré  sur  la 
Vistule  par  la  Moravie,  se  sont  portés  du  Danube  vers  les  plai- 
nes de  la  mer  Noire  par  le  sud-est  des  Balkans.  Cela  ne  chan- 
gera pas  grand'chose  aux  conclusions  qu'il  est  dès  mainte- 
nant possible  de  formuler.  Car,  dans  les  kourganes  comme 
dans  les  tombeaux-caisses  de  la  pierre,  on  constate  non  seule- 
ment la  même  industrie,  les  mêmes  mœurs,  mais  la  même 
race. 

»       * 

11  y  a  déjà  bien  des  années,  j'ai  signalé  le  trait  dominant  de 
cette  race,  d'après  le  savant  Kopernicki  à  qui  revient  l'hon- 
neur de  l'avoir  le  premier  fait  connaître  en  termes  très  précis. 
Dans  ma  récente  communication  à  propos  de  crânes  de 
Rochefort,  j'ai  reproduit  les  mesures  de  deux  crânes  de  la 
Wolhynie  (Bullet.  1894,  p.  45)  et  les  indices  de  la  petite 
série,  que  l'on  possède  de  la  même  provenance  et  de  la 
même  époque.  Je  suis  un  peu  obligé  d'y  revenir  pour  don- 
ner les  mesures  des  crânes  que  j'ai  d'abord  laissés  de  côté. 
Quatre  sur  sept  proviennent  des  Kourganes  de  Radzimin  dont 
un  à  caisse  de  pierres  (V.  plus  haut).  Voici  tous  leurs  indices  : 
70,9  —  64,2  —  72  —  71,6  —  71,2  —  73,8  —  73.  Moyenne  : 
70,95.  Ce  sont  des  dolichocéphales  très  purs  avec  des  diamè- 
tres antéro-postérieurs  qui  s'élèvent  à  193  et  à  204  millimètres. 
Sauf  sur  un,  l'indice  nasal  n'est  pas  très  élevé;  l'indice  orbi- 
taire  non  plus,  sauf  sur  deux  (87,5  —  85,36).  Ils  sont  en 


ZABOROWSKI. 


DU  DNIESTRE  A  LA  CASPIENNE 


13; 


moyenne  leptorhintens  et  microsèmes,  bien  que  comprenant 
un  platyrhinien  et  deux  mésosèmes.  Leurs  circonférences 
horizontales  sont  les  suivantes  :  540,  526,  520,  535,  510,  520, 
550. 

En  1888,  près  de  Kaminiec-Padolski  (V.  plus  haut),  plu- 
sieurs squelettes  ont  été  découverts  avec  des  poteries  et 
des  silex.  Le  crâne  de  l'un  d'eux  qu'accompagnaient  seule- 
ment trois  silex,  non  taillés,  a  été  mesuré.  Son  indice  cépha- 
lique  est  de  68.  Et  il  a  frappé  par  ses  formes  nobles,  délicate* 
sans  rudesses  sauvages  (Kopernicki),  bien  que  le  squelette  révèle 
«  une  musculature  athlétique.  » 

Voici  d'autres  mesures  de  crânes  et  de  squelettes  dont  je 
n'avais  pas  encore  eu  occasion  de  parler;  ce  sont  ceux  des 
kourganes  ukrainiens  de  Kobrynow,  kourganes  de  l'âge  de 
pierre  à  tombes  d'argile  battue,  recouvertes  de  madriers.  J'y 
joins  un  crâne  d'un  kourgane  de  Stanislawka  (district  de 
Wasylkowski),  mais  dont  l'âge  est  incertain,  aucun  objet 
n'ayant  été  trouvé  avec  lui  (Zbior,  XIII,  1).  Ces  mesures  ont 
été  prises  par  un  élève  de  Kopernicki,  le  D'Hryncewicz. 

Nos  des  Tombeaux 


N«2  3  7  1-2  Koui-gano 

fommo      femme     jeune  homme      femmo      do  Stanislawka. 


Diamètre  ant.-post. 
Largeur  maxim  .  . 
Diam.  front,  min. 
—  maxim. 
Circonfér.  horizon  t. 
Long1-  de  la  face.  . 
Largeur  maxim.  (?) 
Hautr  des  orbites. 
Larg.  des  orbites. 
Hauteur  du  nez  .  . 

Mandibule  : 
Long1  du  corps  (?) 


185 

179 

193 

217 

202 

130 

132 

131 

139 

148 

96 

104 

98 

99 

107 

112 

104 

— 

500 

524 

524 

ob;j 

117 

— 

— 

— 

107 

— 

— 

— 

30 

— 

— 

— 

38 

— 

— 

— 

44 

— 

— 

_ . 

86      90 


84 


91 


136  SÉANCE  DU  21  FÉVRIER  4893 


N«2  3  7  12  Kourgano 

femme      femme     jeune  homme      femme      de  Slanisiawka. 


Larg1'  du  corps  (?) 
Haut,  de  la  branche. 


Largeur 


Os  loni/s  : 


27 

31 

30 

34 

56 

57 

63 

— 

37 

— - 

33 

41 

31 

30 

30 



45 

— 

44 

— 

36.5 

— 

34.5 

— 

Long'del'humérus.      31       30  30  33 

—  du  fémur  .  .      45  44  47 

—  du  tibia  .  .  . 


rl.k 


Indice  céphalique  .   .    70,27  73.74    67,87       64, 06 

—  stéphanique.    89,71  92,85    94,25         — 

—  orbitaire.  .   .    78,95      — 


Les  tailles  de  trois  de  ces  sujets,  d'après  les  longueurs  de 
l'humérus  et  du  tibia  (car  je  ne  sais  pas  comment  les  fémurs 
ont  été  mesurés),  seraient  de  1,575,  1,57  et  1,62.  Ce  sont  des 
tailles  petites  :  mais  il  s'agit  de  deux  femmes  et  d'un  jeune 
homme.  En  raison  de  cette  différence  de  sexe,  ils  ne  peuvent 
être  comparés  aux  hommes  de  Wolhynie.  Mais  cependant  ils 
ont  bien  absolument  les  mêmes  caractères  ethniques.  Ils  sont, 
en  particulier,  très  dolichocéphales,  puisque  leur  indice  cé- 
phalique moyen  descend  à  68,98,  autant  par  leur  longueur 
absolue  et  relative  que  par  le  quasi-parallélisme  de  leurs  pa- 
rois latérales. 

Us  nous  aident  ainsi  à  caractériser  mieux  qu'on  ne  l'avait 
fait  jusqu'alors  la  race  des  sépultures  purement  néolithiques 
des  plaine?  du  nord-ouest  de  la  mer  Noire.  C'est  une  race  très 
pure,  aux  caractères  céphaliques  tranchés.  On  n'a  pas,  en 
effet,  trouvé  un  seul  crâne  dans  les  sépultures  de  la  pierre, 
complets  ou  non,  mesurables  et  mesurés  ou  non,  qui  n'ait 
frappé  les  observateurs  quels  qu'ils  fussent,  par  sa  dissem- 
blance d'avec  les  crânes  modernes  sous  le  rapport  de  ses  di- 
mensions dans  le  sens  antéro-postérieur  et  de  sa  forme  géné- 
rale. N'est-ce  pas  là  une  preuve  certaine,  indiscutable,  de 
l'ancienneté  de  cette  race?  Je  ne  suis  malheureusement  pas 


ZABOROWSKI.  —    DU  DNIESTRE  A  LA  CASPIEXNE  437 

en  mesure  d'affirmer  que  les  crânes  néolithiques  de  la  Bal- 
tique en  font  partie. 

Kopernicki  l'a  rapprochée  de  celle  des  Reihengrœber,  des 
Francs-Germains,  et  c'est  aussi  ce  que  j'ai  fait  d'après  lui. 
Mais,  aujourd'hui,  de  nouvelles  distinctions  s'imposent  et  on 
ne  peut  plus  s'en  tenir  à  ce  rapprochement  trop  sommaire. 

Nous  avons,  en  effet,  d'abord  réuni  des  pièces  d'âges  diffé- 
rents, à  cause  de  leur  petit  nombre  et  de  l'indétermination 
des  monuments  où  ils  avaient  été  trouvés.  Et  Kopernicki  se 
bornait  souvent  à  distinguer  les  crânes  préhistoriques  des 
modernes,  en  faisant  des  premiers  un  seul  groupe,  en  raison 
de  leur  caractère  dominant.  Mais,  lorsqu'un  sépare  nettement 
les  néolithiques,  un  autre  type  se  dégage.  Tenant  compte 
des  quatre  crânes  féminins  des  Kourganes  Ukrainiens  de 
Kobrynowo ,  du  crâne  de  Kamieniec  Podolski,  d'un  des 
crânes  podoliens  dont  j'ai  donné  le  tableau  {Bullet.  1894,  p.  46) 
du  n°  16  provenant  d'un  tombeau-caisse  ne  contenant  que  de 
l'os  et  du  silex,  nous  obtenons  une  série  de  treize  pièces  néoli- 
thiques pures  de  diverses  provenances.  C'est  suffisant  pour 
juger  de  la  race  néolithique  des  kourganes  et  tombeaux- 
caisses.  Or,  cette  série  assemblée  au  hasard  des  découvertes, 
est  remarquablement  homogène,  et  se  distingue  par  des  carac- 
tères communs  bien  nets. 

Il  me  semble  bien  que  ces  crânes  ont  une  physionomie  plus 
archaïque  et  plus  noble  que  celle  des  crânes  franco-germains. 
Ils  ont  le  front  presque  droit  généralement.  Et  le  diamètre 
frontal  de  deux  d'entre  eux  atteint  102  millim.  Ils  sont  en 
moyenne  leptorhiniens  et  microsèmes.  Et  la  seule  face  mesu- 
rée, face  d'un  crâne  féminin,  est  longue  et  peu  large. 

Je  crois  donc,  pour  mon  compte,  reconnaître  en  eux  ce  que 
Broca  a  appelé  la  race  néolithique  du  nord  de  la  France.  11  les 
distinguait  par  sa  dolichocéphalie  très  forte,  la  belle  courbure 
d'un  front  non  fuyant  et  la  saillie  prononcée  de  l'occipital  en 
arrière  {Bullet.  1887,  p.  256).  Elle  se  signale  encore  par  sa 
belle  capacité  crânienne.  Or,  tous  ces  caractères,  ce  sont  ceux 
des  crânes  néolithiques  de  Wolhinie  et  d'Ukraine.  Devant 

T.    VI  (4°  SÉÏUEJ.  10 


138  SÉANCE  DU  21  FÉVRIER  1895 

eux,  nous  sommes  manifestement  en  présence  du  fond  ancien, 
du  fond  commun  des  peuples  Galates  ou  Kymriques. 

Nous  avons  affaire  à  des  blonds,  à  l'unique  race  blonde 
ayant  existé  avant  les  mélanges  et  entrecroisements  récents, 
dont  un  crâne  a  été  recueilli,  il  y  a  bien  longtemps,  au  nord 
des  Carpathes,  dans  une  couche  néolithique  de  la  caverne  du 
Mammouth,  près  de  Cracovie. 

Elle  est  européenne  essentiellement.  Et  son  aire  de  forma- 
tion, son  aire  géographique  naturelle,  puisque  c'est  de  là  et  de 
nulle  part  ailleurs  que  sont  sortis  les  flots  des  peuples  blonds, 
ce  sont  les  plaines  coupées  de  forets  immenses,  de  sable  ou  de 
marais  qui  s'étendent  de  la  mer  du  Nord  jusqu'au-delà  du 
Dniepre,  de  la  Baltique  au  Rhin,  et  aux  plaines  du  Danube. 

Il  faut  donc,  jusqu'à  nouvel  ordre  au  moins,  renoncer  à  dire 
que  différents  peuples  préhistoriques,  Celtes  ou  autres,  se 
sont  introduits  en  Europe  en  contournant  la  mer  Noire.  Les 
monuments  de  l'âge  de  pierre  n'ont  pas  livré  une  seule  trace 
de  tels  peuples,  ni  d'aucun  peuple  asiatique.  Au  reste,  les 
bords  immédiats  actuels  de  la  mer  Noire  et  notamment  les 
bouches  du  Danube,  devaient  être  bien  peu  praticables  jusqu'à 
une  époque  récente.  Notre  belle  race  néolithique  blonde  a  dû 
trouver  la  place  à  peu  près  libre  jusqu'au  nord  du  Caucase. 
Et  toutes  les  légendes  conservées  par  l'histoire  sur  les  Kymris 
nous  apprennent  qu'elle  s'y  est  développée  vigoureusement  et 
qu'elle  a  manifesté  sa  présence  avec  énergie  par  des  entreprises 
multipliées  sur  les  régions  environnantes  et  notamment  en 
Asie.  N'est-ce  pas  d'elle,  au  surplus,  que  sont  sortis  très  an- 
ciennement les  Thraces,  puis  les  Hellènes? 

Aussitôt,  d'ailleurs,  qu'apparaissent  les  métaux,  sur  le 
Dniestre  même,  elle  perd  immédiatement  de  sa  pureté. 

L'un  des  secrétaires  :  Dr  Paul  Raymond. 


->=*3»CX£>Ot»e^<- 


OUVRAGES  OFRERTS  139 

617e  SEANCE.  —  7  Mars  1895. 
Présidence   de   M.    Issauiut. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Guyot  (Yves).  —  La  propriété,  origine  et  évolution.  Réfutation 
de  la  thèse  de  M.  Paul  Lafargue,  in-8°,  530  pages.  Paris,  1895. 

Lagnuau  (G.).  —  Influence  du  milieu  sur  la  race,  modifications 
mésologiques  des  caractères  ethniques  de  notre  population.  ('Extr. 
du  C.  R.  de  VAcad.  des  se.  morales  et  politiques),  in-8,  56  pages. 
Paris,  1895. 

Hommage  à  M.  le  prof.  Guido  Cora  pour  son  xxve anniversaire 
géographique,  in-4°,  51  pages.  Turin,  1895. 

Sébillot  (Paul).  — Er xé  près  Liffré,  et  le  château  du  Rordage, 
in-8,  90  pages  et  fîg.  Vannes,  1895. 

M.  Sébillot.  —  J'ai  l'honneur  d'offrir  a  la  Société  la  mono- 
graphie d'Ercé  près  Liffré,  et  du  château  du  Bordage.  Cette 
commune  d'Ercé  est  tout  à  fait  rurale,  et  située  en  dehors  des 
grandes  voies  de  communication.  J'ai  pu  en  reconstituer  l'his- 
toire à  l'aide  des  archives  de  la  commune  qui  remontent  à 
1568,  des  archives  du  château  du  Bordage  qui  sont  en  ma 
possession,  et  aussi  à  l'aide  de  témoignages  oraux.  Cette  bro- 
chure contient  un  peu  de  préhistorique.  J'y  ai  donné  le  mou- 
vement de  la  population  de  1543  à  1890,  avec  certains  détails 
sur  la  marche  des  épidémies;  il  y  a  aussi  un  chapitre  assez 
important  pour  l'histoire  du  protestantisme  en  Bretagne. 
L'église  du  Bordage  a  été  l'une  des  plus  considérables  de  la 
Haute-Bretagne,  bien  qu'elle  n'ait  jamais  compté  plus  de 
100  membres  dans  la  commune  d'Ercé.  Les  protestants  d'Ercé 
étaient  plus  instruits  que  les  autres  habitants,  presque  tous 
signent  leur  abjuration  avec  une  bonne  écriture.  D'ailleurs, 
on  ne  relève  parmi  eux  qu'un  très  petit  nombre  de  labou- 
reurs; en  revanche,  on  y  voit  (igurer  un  certain  nombre  de 


140  SÉANCE  DU  7  MARS  1895 

gens  de  métiers,  et  de  personnes  de  petite  et  de  moyenne 
noblesse. 

Regnault  (Dr  F.).  —  Les  Microcéphales  in  Le  Naturaliste  du 
1er  mars  1895. 

M.  Regnault  en  offrant  cet  article  sur  les  microcéphales  s'é- 
lève à  ce  propos  contre  l'opinion  soutenue  dernièrement  par 
M.  Laborde  et  plus  anciennement  par  Cari  Vogt  qui  consis- 
terait à  regarder  ces  sujets  comme  représentant  un  stade  de 
régression  simien. 

Les  médecins  considèrent  cet  état  comme  dû  a  une  cause 
pathologique;  et,  en  effet,  les  microcéphales  offrent  générale- 
ment de  nombreux  signes  de  maladie;  ils  sont  gâteux,  ont  de 
l'incontinence  d'urine,  d'autres  fois  sont  paralysés  à  des 
degrés  divers. 

Leur  intelligence  est  plus  bornée  que  celle  des  singes,  car 
ils  ne  reconnaissent  même  pas  leur  gardien  et  ne  peuvent 
manger  d'eux-mêmes. 

S'il  fallait  faire  un  rapprochement,  on  pourrait,  à  plus  juste 
titre,  comparer  au  singe  anthropomorphe,  l'enfant  sauvage 
de  l'Aveyron  recueilli,  au  commencement  de  ce  siècle,  par 
Itard,  car  avec  une  intelligence  rudimentaire,  il  avait  un  ins- 
tinct assez  développé  pour  subvenir  à  sa  nourriture,  bien  qu'il 
fût  abandonné  en  pleine  forêt.  Mais  les  différences  sont  ici 
encore  trop  nombreuses  pour  pousser  plus  loin  la  compa- 
raison. 

Nous  avons  examiné  au  point  de  vue  du  développement, 
les  crânes  osseux  des  microcéphales  conservés  dans  nos 
musées.  Nous  n'avons  jamais  rien  observé  de  spécial.  Nous 
avions,  dans  un  travail  antérieur,  noté  que  chez  le  gorille  et  le 
chimpanzé,  le  frontal  et  le  maxillaire  supérieur  se  rejoignaient 
séparant  l'os  lacrimal  de  l'os  planum  de  l'ethmoïde,  et  que 
cette  disposition  existait  atténuée  chez  l'homme  inférieur.  Il 
est  intéressant  de  constater  qu'elle  ne  s'offre  aucunement  chez 
les  microcéphales  :  la  suture,  lacrimo-etlimoïdale  y  est  cons- 
tante et  aussi  développée  que  chez  le  blanc.  Il  en  est  de  même 
de  la  suture  pterygoïde. 


OUVRAGES  OFFERTS  141 

•D'ailleurs,  le  cerveau  du  microcéphale  offre-t-il  toujours  un 
arrêt  de  développement.  Broca  lui-même,  a  montré  (Voir 
Mémoires  sur  l'indice  or  bitaire,  1875)  que  «le  microcéphale  ne 
constituait  pas  toujours  un  arrêt  de  développement,  car  leurs 
cerveaux  présentent  des  dispositions  très  diverses  qui  sou- 
vent ne  peuvent  se  rattacher  à  aucune  phase  du  développe- 
ment normal  ». 

Ajoutons  que  des  causes  pathologiques  peuvent  en  certains 
cas  amener  un  arrêt  de  développement  du  cerveau  sans  mi- 
crocéphalie,  comme  M.  Bourneville  en  a  publié  dernièrement 
un  exemple  (Voir  Progrès  médical,  mars  1893). 

Discussion. 

MM.  Manouvrier,  Deniker,  Hervé  et  Sanson,  font  des  remar- 
ques à  ce  sujet. 

Don  de  M.  E.-A.  Martel  : 

Gaupillat  (Gabriel).  —  Les  gorges  et  ponts  naturels  de  l' Argens, 
de  la  Stagne  et  du  Loup  (Var  et  Alpes-Maritimes)  (Extr.  de 
Y  Annuaire  du  Club  alpin  français,  1893),  in-8,  12  pages  et  fig. 
Paris,  1895. 

Martel  (E.-A.).  —  La  spelœologie  (Ext.  des  C.  R.  de  Vassoc. 
française,  Besançon,  1893),  in-8°,  8  pages.  Paris,  1893. 

Martel  (E.-A.).  —  La  rivière  souterraine  de  Bramabiau 
(Gard)  (Ext.  du  Bull,  de  la  Soc.  de  Géographie,  1895),  in-8°, 
27  pages,  fig.  et  plans.  Paris,  1893. 

Martel  (E.-A).  —  Sous  terre,  cinquième  campagne.  Recherches 
dans  le  Lot  en  1892  et  1893  (Ext.  du  Bul.  de  la  Soc.  scient.,  his- 
tor.  et  archéologique  de  la  Corrèze),  in-8°,  42  pages  et  plans. 
Brive,  1893. 

Martel  (E.-A.).  —  Sous  terre,  sixième  campagne,  1893  (Ext. 
de  Y  Annuaire  du  Club  alpin  français,  1893),  in-8,  23  pages  et 
fig.  Paris,  1894. 

Martel  (E.-A.).  — Sur  la  température  des  Cavernes  (Ext.  des 
C.  H.  de  CAcad.  des  sciences),  in-4°,  3  pages.  1894. 

Martel  et  Gaupillat.  —  C.  B.  sommaire  de  la  cinquième  com- 


142  SÉANCE  DU  7   MARS    1895 

pagne  souterraine,  1892  (Ext.  des  C.  iî.  rfe  /«  Soc.  de  géographie 
de  Paris,  1892),  in-8,  13  pages.  Brive. 

Martel  et  Gaupillat.  —  Sous  terre,  cinquième  campagne,  1893 
(Ext.  de  Y  Annuaire  du  Club  alpin  français,  1892),  in-8,  39  pages, 
fig.  et  plans.  Paris,  1893. 

Martel  (E.-A.)  et  Rivière  (E.).  —  Sur  la  caverne  de  Broun- 
doulaou  (Aveyron)  (Ext.  des  C.  R.  de  VAcad.  des  sciences),  in- 4°, 
4  pages.  Paris,  1893. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

L'Anthropologie,  1895,  n°  1 .  —  De  Baye  :  Notes  sur  l'âge  de  la 
pierre  en  Ukraine;  —  S.  Reinach  :  La  sculpture  en  Europe 
avant  les  influences  gréco-romaines  (suite)  ;  — Glaumont  :  De 
l'art  du  potier  déterre  chez  les  Néo- Calédoniens;  —  Liotard  ; 
Les  races  de  l'Ogooué. 

L'Éducation  intégrale,  1er  mars  1895.  —  Ch.  Delon  :  La  coé- 
ducation  des  deux  sexes,  en  France  et  à  l'Étranger. 

Revue  scientifique,  1895,  n"s  8  et  9.  —  Fr.  Paulhan  :  L'écri- 
ture et  le  caractère;  —  R.  Chandos  :  La  Finlande. 

Anliqvarisk  tidskrift  fur  Sverige.  Del.  13,  n"  1.  —  Oscar 
Montelius  :  Orienten  och  Europa. 

Mémoires  de  la  Société  Finno-ovgrienne,  VI.  —  Axel  Heikel  : 
Antiquités  de  la  Sibérie  occidentale. 

The  amer ican  antiquarian,  1895,  n°  1.  —  St.  D.  Peet  :  Com- 
parison  of  the  efligy-builders  with  the  modem  lndians. 

Royal Irishacademy  (Cunningham  memoirs),  n°N.  — A. -G.  Ilad- 
don  :  The  Décorative  art  of  bristish  New  Guinea. 

DÉLÉGATION. 

M.  Magitot  lit  une  lettre  de  M.  Charles  Bonn,  vice -résident 
en  Indo-Chine,  qui  part  en  mission  et  demande  des  indications 
pour  ses  études. 

MM.    Zarorowski  et  Bonnemère    appuient   la   demande  de 


INFLUENCE  DES  MILIEUX  SUR  LA  RAGE  143 

M.  Bonn  et  M.  Sâlmon  propose  de  lui  donner  en  outre  une 
délégation. 

Cette  proposition  est  adoptée. 

M.  Regnault  demande  que  l'on  offre  des  instructions  aux 
résidents  et  fonctionnaires  des  Colonies. 


COMMUNICATIONS. 

M.  Gustave  Lagneau  offre  a  la  Société  un  mémoire  intitulé  : 
Influence  des  milieux  sur  la  race.  Modifications  mésologiques  des 
caractères  ethniques  de  notre  population.  Dans  ce  mémoire  inséré 
dans  les  comptes-rendus  de  l'Académie  des  Sciences  morales, 
après  avoir  rappelé  la  caractéristique  ethnique  et  la  réparti- 
tion topographique  des  trois  principales  races  aquitanique, 
celtique  et  germanique  qui  ont  concouru  à  la  formation  de 
notre  population,  M.  Lagneau  cherche  à  apprécier  leurs  modi- 
difications  mésologiques,  principalement  d'après  les  statisti- 
ques des  médecins  militaires. 

De  même  que,  pour  les  animaux  domestiques,  certains 
milieux,  en  agissant  principalement  sur  la  nutrition,  sans 
modifier  l'ensemble  des  caractères  ethniques  de  l'homme, 
favorisent  ou  entravent  son  développement,  fortifient  ou 
affaiblissent  sa  constitution. 

De  nombreux  médecins,  principalement  ceux  de  l'armée, 
appelés  à  examiner  lors  du  recrutement  un  grand  nombre  de 
jeunes  gens,  ont  signalé  les  arrêts  du  développement,  en  par- 
ticulier l'abaissement  de  la  taille,  l'affaiblissement  de  la  cons- 
titution et  diverses  altérations  pathologiques  qui  peuvent  être 
attribuées  à  l'action  nocive  de  différents  milieux. 

Misère.  —  L'alimentation  même  grossière,  lorsqu'elle  est 
suffisante,  le  travail  lorsqu'il  n'est  pas  excessif,  n'empêchent 
nullement  le  développement  corporel.  Souvent  le  paysan  mal 
nourri  est  plus  vigoureux  que  le  riche  oisif,  ne  mangeant  que 
des  mets  succulents.  Mais  certaines  conditions  topographiques, 
alimentaires,  professionnelles  ou  sociales  amènent  l'homme  h 
un  état  de  misère  physiologique  par  l'insuffisance  des  recettes 


144  séance  du  7  mahs  1895 

par  rapport  aux  dépenses  organiques,  par  l'infériorité  des 
fondions  d'assimilation  par  rapport  à  celles  de  désassimi- 
Iation,  par  l'insuffisance  de  l'alimentation  par  rapport  à  la  dé- 
perdition due  à  des  fatigues  excessives,  par  l'insalubrité  des 
métiers  s'opposant  au  libre  et  complet  fonctionnement  des 
organes. 

Cette  misère  de  l'organisme  paraît  tenir  à  trois  causes  prin- 
cipales, la  stérilité  du  sol,  l'action  morbigène  de  certaines  loca- 
lités, et  le  travail  excessif  ou  anti-hygiénique. 

Stérilité  du  sol.  —  Le  développement  du  corps  se  ralentit  ou 
s'arrête  dans  les  pays  au  sol  stérile  ou  peu  fertile,  où  vu  l'ab- 
sence des  moyens  de  transport  et  l'insuffisance  des  moyens 
d'échange,  les  habitants  ne  peuvent  se  procurer  que  diffici- 
lement des  substances  alimentaires  défectueuses  et  insuffi- 
santes. 

Il  en  est  ainsi  dans  certaines  régions,  souvent  peu  étendues, 
formées  principalement  de  terrains  primitifs,  disposés  en  pla- 
teaux arides,  en  montagnes  escarpées,  comme  en  Bretagne, 
au  centre  de  la  France,  en  Corse,  où  les  habitants  ne  vivent 
que  de  maigres  récoltes  de  seigle,  de  sarrazin,  de  châtaignes. 

AU/tude.  —  Quoique  souvent  montagneuses,  ces  régions 
doivent  à  leur  stérilité  relative  et  non  à  leur  altitude,  leur 
action  restrictive  sur  la  taille  des  habitants.  Car  dans  certai- 
nes montagnes  moins  stériles  les  habitants  atteignent  une 
taille  élevée.  En  Auvergne,  en  particulier  au  Mont-d'Or,  dans 
la  Haute-Savoie,  en  Maurienne,  on  voit  des  hommes  de  haute 
taille.  La  seule  influence  que  semble  avoir  l'altitude  est  de 
favoriser  la  dilatation  pulmonaire  et  le  développement  thora- 
cique. 

Pays  à  fièvres.  —  Dans  certaines  régions,  l'organisme,  atteint 
par  des  endémies  locales,  reste  chétif  et  insuffisamment  déve- 
loppé. 

En  Sologne,  dans  les  Brandes  de  la  Brème,  vastes  plaines 
marécageuses  du  département  de  l'Indre,  dans  les  Bombes  de 
celui  de  l'Ain,  dans  certains  cantons  marécageux  du  littoral 
de  la  Corse,  divers  pays  a  fièvres  intermittentes,  non  seule- 


INFLUENCE  DES  MILIEUX  SUR  LA  RACE  145 

ment  la  mortalité  infantile  est  considérable,  mais  la  constitu- 
tion est  étiolée,  usée  par  le  paludisme;  la  taille  non  seulement 
est  retardée,  mais  s'arrête  dans  son  évolution. 

Pays  à  goitres.  —  Dans  certaines  vallées  des  Alpes,  du  Jura, 
des  Pyrénées,  où  sévissent  Je  goitre  et  le  crétinisme  de  nom- 
breux habitants  se  trouvent  arrêtés  dans  leur  développement 
et  présentent  la  dégradation  organique  la  plus  affligeante.  Il 
en  est  ainsi  au  Bourg-d'Oisans,  dans  le  département  de  l'Isère  ; 
àEvian,  à  St-Gervais,  en  Savoie;  au  Mont-Dauphin,  à  la  Val- 
louise,  dans  les  Hautes-Alpes. 

Souvent  l'état  misérable  des  jeunes  gens  tient  à  un  travail 
excessif  ou  anti-hygiènique.  Autant  les  exercices  physiques, 
pratiqués  modérément  en  plein  air,  sont  favorables  au  déve- 
loppement des  enfants  de  troupes  des  écoles  de  Montreuil-sur- 
Mer,  de  St-Hippolyte,  et  des  jeunes  soldats  de  l'école  de  gym- 
nastique de  Joinville-le-Pont,  autant  les  efforts  exagérés,  les 
travaux  trop  rudes,  trop  prolongés,  sont  préjudiciables. 

Efforts  exagérés.  —  Dans  l'arrondissement  de  Vouziers,  dans 
le  département  de  la  Haute-Loire,  dans  le  Boccage  et  le  Marais 
du  département  de  la  Vendée,  la  fréquence  des  hernies  a  été 
attribuée  aux  efforts  exigés  par  certaines  professions  de  char- 
rons, de  scieurs  de  long,  de  boulangers,  aux  travaux  pénibles, 
trop  prématurément  imposés,  aux  efforts  faits  pour  franchir 
des  talus,  des  canaux,  etc. 

Des  efforts  d'accommodation  de  la  vue,  souvent  avec  un  éclai- 
rage insuffisant,  déterminent  la  myopie,  si  fréquente  chez  les 
horlogers  des  montagnes  du  département  du  Doubs,  chez  nos 
lycéens,  surtout  chez  nos  élèves  des  écoles  supérieures. 

Travaux  industriels.  —  De  nombreux  travaux  industriels 
mettent  l'organisme  dans  les  conditions  biologiques  les  plus 
fâcheuses,  retardent  ou  arrêtent  le  développement  du  corps. 
Tels  sont  beaucoup  de  travaux,  qui,  trop  souvent,  durant  de 
longues  heures,  dans  leconfinementde  la  chambre,  dans  l'hu- 
mide obscurité  de  la  mine,  dans  l'encombrement  ou  leméphi- 
tisme  de  l'usine,  de  l'atelier,  de  la  fabrique,  de  la  manufac- 


146  SÉANCE  DU  7  MARS  1895 

ture,  imposent  aux  ouvriers  une  fatigue  exagérée  de  certains 
organes,  jointe  à  l'inertie  complète  des  autres. 

Travaux  des  mines.  —  Dans  les  départements  du  Nord,  du 
Pas-de-Calais,  de  la  Nièvre,  les  mineurs  présentent  de  très 
nombreux  exemptés  ou  ajournés  pour  défaut  de  taille. 

Travaux  de  fabriques.  —  Dans  la  plupart  des  localités  indus- 
trielles, indépendamment  d'une  haute  mortalité  infantile,  on 
constate  que  les  habitants  sont  chétifs,  malingres,  qu'ils  n'at- 
teignent que  tardivement  une  taille  généralement  peu  élevée. 
Il  en  est  ainsi  pour  les  peigneurs,  tisseurs,  fileurs  et  autres 
ouvriers  travaillant  la  soie,  la  laine,  lecoton,  etc.,deNarbonne, 
Garcassonne,  Lyon,  Mulhouse,  Nantes,  Reims,  Condé-sur- 
Noireau,  Lisieux,  Elbeuf,  Rouen,  Lille,  Roubaix,  etc.,  etc. 

Sédentarité  industrielle.  —  Indépendamment  des  fâcheuses 
conditions  spéciales  et  inhérentes  à  telle  ou  telle  industrie,  le 
travail  de  fabrique,  de  manufacture,  en  général,  est  d'autant 
plus  nuisible  qu'il  astreint  l'ouvrier  à  une  vie  plus  sédentaire, 
dans  un  air  insuffisamment  renouvelé.  Aussi,  lorsqu'à  une 
alimentation  trop  souvent  défectueuse  ou  insuffisante,  vient 
se  joindre  cette  sédentarité,  cette  vie  privée  d'air  et  de  soleil, 
l'organisme  languit,  s'étiole,  s'anémie  et  ne  prend  que  tardi- 
vement et  incomplètement  le  développement,  la  taille  que  lui 
assigne  son  type  ethnique.  Parfois  le  tronc  se  développe 
plus  que  les  membres  inférieurs.  L'individu  reste  courtaud, 
basset. 

Sédentarité  scolaire.  —  Chez  les  jeunes  gens  de  position  plus 
aisée,  qui  sont  mieux  nourris,  entourés  de  plus  de  soins,  la 
vie  trop  sédentaire  du  lycée  est  également  fort  préjudiciable, 
mais  agit  un  peu  différemment.  Chez  eux  souvent  la  taille 
présente  un  accroissement  à  peu  près  normal,  bien  que  la 
gracilité,  la  faible  musculature,  l'étroitesse  de  la  poitrine  témoi- 
gnent d'un  développement  imparfait.  Quoiqu'ayant  une  taille 
suffisante,  bon  nombre  des  élèves  des  écoles  supérieures,  en 
particulier  de  l'école  militaire  de  St-Cyr,  ont  un  périmètre  tho- 
racique  insuffisant,  indice  de  faiblesse  de  l'appareil  respira- 
toire. 


INFLUENCE  DES  MILIEUX  SUR  LA  RACE  147 

Habitat  urbain.  —  Dans  les  villes,  le  plus  souvent  l'atteinte 
portée  au  développement  physique  des  habitants  peut  être 
attribuée  a  la  misère,  au  travail  excessif,  à  la  vie  trop  séden- 
taire, soit  de  l'atelier,  soit  des  écoles  et  des  bureaux.  Il  est  toute- 
fois juste  de  remarquer  qu'indépendamment  de  ces  fâcheuses 
conditions  biologiques,  le  fait  même  de  l'agglomération  urbaine, 
de  l'encombrement  humain  dans  des  rues  étroites,  des  mai- 
sons élevées,  créent  pour  les  citadins  une  situation  anti-hygié- 
nique, et  facilite  la  propagation  de  nombreuses  maladies  trans- 
missibles,  variole,  fièvre  typhoïde,  diphtérie,  tuberculose, 
dernière  maladie  qui,  a  Paris,  détermine  plus  d'un  cinquième 
des  décès  (12,267  sur  55,469  décès  généraux  en  1893). 

Quoiqu'ayant  en  général  une  alimentation  plus  animalisée 
que  les  campagnards,  les  citadins  n'ont  qu'une  taille  égale  ou 
de  très  peu  supérieure.  Toutefois  leur  taille  moyenne  est  nota- 
blement moins  grande  dans  les  quartiers  pauvres  que  dans 
les  quartiers  riches.  À  Paris,  dans  le  xxe  arrondissement,  celui 
de  Ménilmontant,  la  taille  moyenne  est  de  lm657  alors  qu'elle 
s'élève  à  lm660  dans  le  vme,  celui  de  l'Elysée. 

L'habitat  urbain,  qui  accroît  la  morbidité  et  la  mortalité,  à 
tel  point  que  les  citadins  ne  peuvent  se  perpétuer  au-delà  de 
quelques  générations  qu'en  s'unissant  à  des  immigrés,  paraît 
exercer  une  sorte  de  sélection  intellectuelle.  Le  volume  de  la 
tète  et  la  capacité  crânienne  semblent  plus  élevés  dans  les  vil- 
les que  dans  les  campagnes. 

Discussion. 

M.  R.  Collignon.  —  Je  partage  absolument,  et  j'ai  eu  déjà 
l'occasion  de  m'expliquer  sur  ce  point  devant  la  Société,  la 
manière  devoir  de  M.  Lagneau  en  ce  qui  concerne  les  relations 
de  la  taille  tant  avec  la  race  qu'avec  le  milieu.  Aussi,  n'ai-je, 
en  prenant  la  parole,  d'autre  intention  que  d'apporter  quel- 
ques observations  personnelles  sur  un  point  de  détail. 

Si,  d'une  manière  générale,  il  est  exact  que  les  populations 
montagnardes  soient  plus  petites  que  celles  qui  habitent  les 


148  SÉANCE  DU  7  MARS  1895 

plaines,  ce  qui,  dans  un  certain  cas,  peut-être  imputable  à  la 
race  et,  dans  d'autres,  à  la  double  influence  de  celle-ci  et  de  la 
pauvreté  du  sol,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  parfois,  nous 
pouvons  observer  le  fait  inverse,  c'est-à-dire  des  populations 
de  haute  taille  et  même  de  très  haute  taille  dans  la  montagne, 
alors  que,  dans  les  plaines  voisines,  la  taille  est  peu  élevée. 

En  Italie,  ce  phénomène  a  été  signalé  par  M.  Livi.  Dans  la 
plaine,  populations  relativement  grandes,  puis  de  200  à  900 
mètres,  une  diminution  constante  de  la  taille  et  enfin  un  relè- 
vement notable  de  celle-ci  pour  les  régions  situées  à  une 
altitude  supérieure  à  900  mètres.  Cette  répartition  singulière 
reste  encore  à  expliquer;  s'agit-il  d'un  refoulement  concentri- 
que des  populations  primitives,  et  ce  phénomène  serait-il 
analogue  à  celui  que  de  Quatrefages  a  rendu  classique  en  Océ- 
anieetquipeut  se  résumer  ainsi:  du  centre  de  l'iïeau  littoral, 
Négritos,  Papous,  Polynésiens.  S'agit-il,  au  contraire,  de  phé- 
nomènes purement  mésologiques,  et  les  altitudes  moyennes 
rabougrissent-elles  la  race  par  l'habitat  dans  des  vallées  encais- 
sées et  misérables,  alors  que  la  haute  montagne  entraînerait 
une  vie  plus  active,  plus  laborieuse,  dans  un  air  plus  pur  et 
dans  de  meilleures  conditions  hygiéniques.  Nous  l'ignorons 
encore  et  seules  des  recherches  de  détail  nous  l'apprendront. 

En  France,  j'ai  observé  quelque  chose  d'absolument  analo- 
gue dans  deux  départements  que  j'ai  étudiés  récemment,  les 
Hautes  et  les  Basses-Pyrénées.  Les  cantons  situés  dans  la  mon- 
tagne sont  ceux  où  la  taille  est  la  plus  élevée  et  où  les  petites 
tailles  sont  les  plus  rares. 

Ce  phénomène  est  extrêmement  net.  Prenez  une  carte  d'é- 
tat-major et  relevez,  tout  le  long  de  la  frontière  franco-espa- 
gnole, la  ligne  des  cantons  qui  bordent  celle-ci.  Chacun  d'en- 
tre eux  se  compose  d'une  vallée  (vallée  d'Ossau,  vallée  d'Aspe, 
etc.,  etc.).  C'est  une  sorte  de  petit  pays  dont  trois  côtés  sont 
limités  par  des  crêtes  de  montagne  et  dont  le  quatrième  s'ou- 
vre sur  la  plaine  proprement  dite.  Celle-ci  se  présente  sous 
l'aspect  d'une  région  peu  accidentée,  mamelonnée  et  entière- 
ment dominée  par  les  montagnes  voisines.  Pendant  tout  le 


INFLUENCE  DES  MILIEUX  SUR  LA  RAGE  449 

moyen-àge,  ces  petits  pays,  très  justement  nommés  les  vallées, 
formaient  des  sortes  d'Etats  en  miniature  soumis  à  la  suzerai- 
neté des  Etats  voisins,  mais  possédant  une  certaine  autonomie 
locale,  des  coutumes,  des  droits  et  des  privilèges  spéciaux 
dont  certains  subsistent  encore.  Telle  ou  peu  s'en  faut,  est 
encore  la  République  d'Andorre. 

Dans  toutes  .ces  vallées  donc,  la  taille  est  plus  élevée  que 
dans  les  cantons  limitrophes.  Partout,  sauf  à  Argelès1,  la 
taille  moyenne  dépasse  1  m.  64,  elle  va  même  jusqu'à  atten- 
dre 1  m.  673  à  Vieille-Aure  et  1  m.  685  à  Bordères.  Ce  dernier 
chiffre  est  le  plus  élevé  que  j'aie  rencontré  jusqu'ici  en  France. 
Ni  dans  le  Nord,  ni  dans  le  Pas-de-Calais,  ni  dans  la  Manche,  je 
n'ai  trouvé  plus  de  1  m.  67  dans  les  moyennes.  Le  fait  est  d'au- 
tant plus  frappant  que  dans  les  plaines  les  moyennes  cantonales 
de  taille  oscillent  autour  de  1  m.  63  pour  descendre  même  dans 
la  vallée  de  l'Adour  à  1  m.  60  et  1  m.  61. 

Doit-on,  en  ce  cas,  faire  intervenir  la  race?  Dans  une  partie 
des  cantons  dont  il  s'agit,  oui,  incontestablement.  Ce  sont  les 
cantons  basques.  La  race  basque  est  grande,  très  grande  même, 
puisque  aucun  des  cantons  basques  n'a  moins,  de  1  m.  652, 
rien  d'étonnant  par  conséquent,  de  voir  dans  les  vallées  eus- 
kuuariennes  des  populations  de  haute  stature;  et  encore  doit- 
on  remarquer  que,  même  là,  les  cantons  de  montagne  se  dis- 
tinguent des  cantons  de  plaine  par  un  écart  en  plus  de  1  cen- 
timètre, 1  m.  66  contre  1  m.  65. 

Dans  le  reste  de  la  série  des  cantons  dont  je  m'occupe,  la 
question  est  plus  complexe.  On  ne  saurait  parler  d'une  influence 
ethnique  générale,  car  d'une  vallée  à  l'autre  la  race  change. 
Peuplées  depuis  les  temps  les  plus  reculés  par  des  réfugiés, 
qu'ils  y  soient  venus  en  nombre  ou  un  à  un,  les  vallées  ont  été 
de  véritables  lieux  d'asile  où  les  vainqueurs  de  la  veille  vain- 
cus à  leur  tour,  se  sont  mêlés  à  leurs  anciennes  victimes;  toutes 

*  Argelès  est  une  sous  préfecture  et  forcément  renferme  une  po- 
pulation immigrée  dont  la  présence  peut  masquer  toute  autre  in- 
fluence. 


150  SÉANCE  DU  7  MARS  1895 

les  races  de  l'Europe  s'y  sont  fondues  en  proportions  variables, 
aussi  le  type  résultant  y  diffère-t-il  de  l'une  à  l'autre,  sous 
cette  réserve  cependant  que  les  dolichocéphales  bruns  ont 
presque  partout  la  prédominance  dans  le  mélange.  Dans  un 
seul  canton,  celle-ci  revient  aux  brachycéphales,  et  c'est 
précisément  dans  le  canton  de  Burdères  qui  associe  un  indice 
céphalique  de  84.5  à  la  taille  exceptionnelle  de  1  m.  685. 

Nous  sommes  donc,  de  ce  coté,  en  présence  d'une  inconnue 
qu'il  serait  intéressant  de  dégager.  S'agit-il  du  bien-être  ou  de 
conditions  hygiéniques  favorables,  telles  que  la  vie  au  grand 
air  des  populations  pastorales?  Je  l'ignore,  pourtant  j'ai  tra- 
versé la  plupart  des  villages  situés  dans  ces  cantons,  au  moins 
dans  le  département  des  Basses-Pyrénées.  En  général  et  à  ne 
juger  qu'au  simpleaspect,  ils  m'ont  paru  plutôt  pauvres  etmal 
bâtis,  au  moins  à  les  comparera  ceux  de  la  plaine,  mais  c'est 
une  impression  de  touriste,  et  des  recherches  plus  minutieu- 
ses et  plus  fouillées  s'imposeraient. 

M.  Sanson  fait  diverses  remarques. 

M.  G.  Lagneau.  —  Les  observations  que  M.  Collignon  vient 
d'exposer  relativement  aux  populations  spéciales,  de  taille 
élevée,  de  certaines  hautes  vallées  des  Pyrénées,  me  paraissent 
montrer  à  nouveau  que  l'altitude  n'a  aucune  influence  res- 
trictive sur  la  taille,  quand  les  conditious  d'alimentation  sont 
suffisantes. 

M.  Sanson  parait  trouver  que  dans  cette  étude  de  l'in- 
fluence du  milieu  sur  la  race,  je  n'ai  pas  tenu  assez  compte 
des  recherches  faites  sur  les  animaux  domestiques  ;  et  plu- 
sieurs de  nos  collègues  rappellent  diverses  expériences  sur  des 
lapins,  des  mollusques,  qui  témoignent  de  la  grande  influence 
que  peuvent  avoir  des  milieux  différents  sur  le  développe- 
ment du  corps.  J'ai  cependant  (p.  20  et  25  de  mon  mémoire), 
parlé  des  recherches  zootechniques  de  M.  Sanson.  D'ailleurs, 
je  ferai  remarquer  que  je  ne  me  proposais  nullement  d'étu- 
dier l'influence  des  milieux  d'une  manière  générale;  mais  que 
je  ne  cherchais  qu'à  déterminer  l'influence  que  pouvaient  avoir 
les  différents  milieux,  non  pas  surl'humanité  en  général,  mais 


INFLUENCE  DES  MILIEUX  SUR  LA  RAGE  451 

seulement  sur  la  population  de  la  France.  De  cette  étude,  il 
ressort  que,  dans  les  conditions  normales,  la  taille  comme  les 
autres  caractères  ethniques,  se  transmet  de  génération  en 
génération.  Mais  que  certains  milieux  alimentaires  ou  pro- 
fessionnels, plaçant  l'organisme  dans  de  mauvaises  conditions 
biologiques,  arrêtent  ou  retardent  son  développement. 

M.  Manouvrier.  —  L'influence  du  milieu  sur  la  taille  n'est 
pas  contestable  et  Broca  ne  l'a  point  contestée,  bien  qu'il  attri- 
buât à  la  race  une  influence  prépondérante. 

En  général,  l'influence  de  l'altitude  apparaît  nettement. 
Plusieurs  faits,  relevés  par  M.  Collignon,  tendraient  pourtant 
à  la  rendre  douteuse.  Mais  peut-être  pourrait-on  trouver  la 
cause  de  ces  exceptions  dans  un  examen  particulier  du  genre 
de  vie  et  de  l'alimentation  des  habitants  de  chacun  des  hauts- 
pays  étudiés.  Il  arrive,  d'après  M.  Collignon,  que  la  taille 
baisse  dans  certains  pays  à  mesure  que  croît  l'altitude,  puis 
qu'elle  se  relève  lorsqu'on  monte  à  des  altitudes  supérieures, 
au  lieu  de  baisser  davantage.  Ce  fait  pourrait  être  dû  à  des 
différences  de  race,  mais  il  se  pourrait  aussi  qu'il  tînt  à  des 
différences  dans  les  ressources  alimentaires.  Il  arrive,  en  effet, 
que  sur  les  sommets  des  montagnes,  se  trouvent  des  pâtu- 
rages excellents,  fournissant  en  abondance  le  lait  avec  ses 
divers  produits  et  même  la  viande,  tandis  qu'à  une  moindre 
hauteur,  les  flancs  ravinés  des  montagnes  ne  fournissent  aux 
habitants  que  de  maigres  récoltes  péniblement  obtenues. 

M.  Hervé  rappelle  les  observations  de  M.  Jules  Carret  sur 
le  relèvement  considérable  de  la  taille  en  Savoie  depuis  le  com- 
mencement du  siècle. 

M.  Zaborowski.  —  Celte  question  de  l'exhaussement  de  la 
taille  en  Savoie  qui  a  été  tant  discutée,  je  crois  l'avoir,  pour 
mon  compte,  mise  au  point.  Je  reproduis  les  conclusions  de 
mon  article  (Revue  scientifique,  3  sept.  1892)  auxquelles  je  n'ai 
encore  rien  à  changer: 

«  Les  différences  constatées  dans  la  taille  des  conscrits  aux 
deux  époques  de  1811-1812  et  de  1872-1879  ne  correspondent 
pas  à  un  exhaussement  égal  de  la  taille  moyenne  générale  de  la 


152  SÉANCE  DU  7  MARS  1895 

population  savoisienne.  Celle-ci  semble  bien  s'être  élevée 
quelque  peu  du  fait  de  l'amélioration  des  conditions  d'existence 
et  de  l'élimination  des  fins  misérables,  formant  autrefois  au 
moins  4  0/0  de  la  population  totale.  Ce  changement,  comme 
phénomène  général,  a  été,  sans  aucun  doute,  très  faible.  Mais 
dans  un  certain  nombre  de  communes,  39  seulement  sur  327, 
il  a  été,  au  contraire,  énorme.  Ces  communes  sont  étroitement 
en  rapport  avec  les  lignes  de  chemins  de  fer...  L'exhausse- 
ment de  la  taille  en  Savoie  n'a  donc  ni  l'importance  que  les 
chiffres  bruts  ont  paru  révéler,  ni  la  signification  qu'on  lui 
attribue.  Il  coïncide  d'une  manière  générale  avec  l'améliora- 
tion des  conditions  d'existence  déterminée  par  l'établissement 
des  chemins  de  fer.  Mais  le  bien-être  y  est  pour  peu  de  chose, 
car  il  est  lui-même  faible  comme  phénomène  général.  Son 
amplitude  dépend  uniquement  d'un  petit  nombre  de  communes,  où 
il  a  été  beaucoup  trop  considérable  pour  qu'on  puisse  l'attri- 
buer à  une  autre  cause  qu'à  l'introduction  d'éléments  étran- 
gers amenés  par  les  chemins  de  fer,  l'époque  des  t ruraux  de 
construction  de  ceux-ci  coïncidant  d'ailleurs  remarquablement  avec 
les  dates  de  ce  changement,  en  la  plupart  des  points  »  ''. 

i  Les  conscrits  de  1872  à  1879,  d'après  la  taille  desquels  M.  Car- 
ret  a  opéré,  sont  nés  de  1852  à  1859.  Or,  rien  que  pour  le  perce- 
ment du  mont  Cenis,  commencé  en  1857,  un  grand  nombre  d'ou- 
vriers étrangers  ont  été  attirés,  et  se  sont  établis  pen  lant  ces 
années  là,  dans  le  canton  de  Modane.  Le  principal  Ironçon  de  la 
ligne  de  Chambéry  à  Modane,  qui  passe  le  long  de  l'Isère,  de  Mont- 
mélian  à  Saint-Pierre- d'Albigny,  et  qui  va  de  là,  le  long  de  l'Arc 
jusqu'à  Sainl-Jean-de-Maurienne,  a  été  inauguré  en  1856.  Celui  de 
Saint-Jean-de-Maurienne  à  Saint-Michel,  a  été  inauguré  le  15  mars 
1862...  L'époque  de  tous  les  travaux  des  lignes  de  la  vallée  de 
l'Isère  en  aval  de  l'Arc  et  de  la  vallée  de  l'Arc  elle-même,  corres- 
pond parfaitement  avec  l'époque  de  la  naissance  des  conscrits,  dont 
la  taille  énormément  supérieure  à  li  moyenne,  accuse  un  exhaus- 
sement absolument  anormal.  La  commune  où  cet  exhaussement  a 
été  de  plus  de  10  centimètres  est  celle  d'Argentine.  Elle  est  située 
sur  la  rive  droite  de  l'Arc,  en  face  de  Saint-Alban.  Il  faudrait  sa- 
voir ce  qui  s'est  passé  dans  cette  commune  pendant  et  depuis  la 
construction  des  chemins  de  fer,  et  notamment  si  sa  population  ne 
s'est  pas  notablement  accrue  par  immigration. 


INFLUENCE  DES  MILIEUX  SUR  LA  RACE  4o3 

M.  Manouvrier.  —  Les  lignes  de  chemin  de  fer  peuvent  évi- 
demment exercer  une  double  influence  sur  la  taille  d'une 
population,  soit  en  introduisant  dans  le  pays  un  certain  nom- 
bre d'individus  étrangers  de  taille  supérieure,  soit  en  amélio- 
rant les  ressources  alimentaires.  Mais  ce  n'est  pas  au  bout  de 
vingt  ans  que  de  telles  influences  peuvent  produire,  sur  la 
taille  moyenne,  un  accroissement  de  plusieurs  centimètres  tel 
que  celui  constaté  en  Savoie  par  M.  Carret. 

Si  l'accroissement  de  la  taille  moyenne  dans  un  pays  datait 
de  l'époque  même  où  l'on  a  construit  dans  ce  pays  des  chemins 
de  fer,  cela  prouverait  que  l'accroissementen  question  est  dû  à 
d'autres  causes,  car  ce  n'est  pas  dès  l'année  de  sa  construction 
qu'une  voie  ferrée  peut  in  Huer  sur  la  taille  moyenne  des  habi- 
tants du  pays. 

M.  G.  de  Mortillet.  —  On  vient  de  dire  que  le  Dr  Jules  Carret 
a  constaté  une  assez  forte  augmentation  de  la  taille  chez  les 
conscrits  de  la  Savoie  et  l'on  a  attribué  cette  augmentation  à 
l'influence  du  bien-être  occasionné  par  le  fonctionnement  des 
chemins  de  fer.  Je  suis  tout  disposé  à  accepter  le  fait  cons- 
taté par  M.  Carret,  mais  je  ne  puis  admettre  la  cause  invo- 
quée. En  effet,  le  Dr  Carret  a  publié  ses  Études  sur  les  Savoyards, 
en  1882.  Le  premier  chemin  de  fer  qui  a  existé  en  Savoie  est 
celui  d'Aix-les-Bains  à  Saint-Jean-de-Maurienne,  sa  longueur 
n'atteignait  que  85  kilomètres  et  il  n'a  été  ouvert  qu'en  1856. 
Il  ne  s'est  donc  écoulé  que  26  ans  entre  la  première  action 
du  chemin  de  fer  et  la  publication  du  travail  du  docteur. 
C'est  trop  peu  pour  expliquer  l'accroissement  constaté. 

Ce  qui  a  occasionné  la  diminution  de  la  taille  normale  des 
Savoyards,  c'est  le  grand  développement  que  le  goitre  et  le 
crétinisme  avaient  pris  dans  les  régions  montagneuses,  sur- 
tout en  Maurienne,  vallée  de  l'Arc,  et  en  Tarentaise,  vallée  de 
l'Isère.  Le  gouvernement  sarde,  effrayé  des  progrès  de  ce  dou- 
ble fléau  a  nommé  une  commission  pour  rechercher  les  moyens 
de  le  combattre.  Cette  commission  a  proposé  diverses  réfor- 
mes hygiéniques  qui  ont  produit  les  meilleurs  résultats.  Elle 
s'est  surtout  élevée  contre  les  mariages  entre  gens  de  même 

T.  VI   (49  SÉRIE).  41 


154  SÉANCE  DU  7  MARS  1895 

localité.  Ces  mariages  où  le  mari  et  la  femme  apportant  les 
mêmes  germes  de  dégénérescence  procréaient  des  produits  de 
plus  en  plus  viciés.  Pour  arriver  au  mélange  des  populations 
la  commission  a  recommandé  le  développement  des  moyens 
de  communication,  c'est  ainsi  que  les  chemins  de  fer  ont  joué 
un  certain  rôle  :  le  dépaysement  des  employés,  l'augmenta- 
tion du  nombre  des  foires  et  marchés,  la  multiplication  et  la 
surveillance  hygiénique  des  auberges  et  des  cafés,  enfin, 
l'encouragement  des  vogues  ou  fêtes  locales,  avec  musique  et 
danses,  vogues  capables  d'attirer  les  jeunes  gens  et  les  jeunes 
filles  du  rayon  le  plus  grand  possible.  Ces  sages  dispositions 
étaient  si  nécessaires  et  si  bien  comprises  qu'elles  ont  été 
signées  par  un  savant  prélat  qui  fut  successivement  évêque, 
archevêque  et  cardinal,  le  cardinal  Billet.  Elles  eurent  le  meil- 
leur résultat.  Le  mal  diminua  peu  à  peu  et  la  taille  normale 
des  Savoyards  regagna  ce  qu'elle  avait  perdu.  C'est  donc  à 
l'hygiène  et  aussi  à  la  libre-pensée  qu'il  faut  attribuer  cet 
heureux  résultat. 

L'influence  cléricale  a  été  très  funeste  en  Savoie.  Les  curés, 
protégés  par  le  gouvernement,  se  considéraient  comme  les 
pasteurs  d'un  troupeau.  Ils  mettaient  un  soin  jaloux  à  ne  pas 
le  voir  s'amoindrir  et  maintenaient  leurs  paroissiens  étroite- 
ment groupés  pour  les  conserver.  D'autre  part,  l'introduction 
de  tout  étranger  était  considérée  comme  dangereuse  au  point 
de  vue  de  l'influence  morale.  Auberges  et  cafés  étaient  con- 
sidérés comme  des  lieux  de  perdition,  on  les  supprimait,  ou 
tout  au  moins,  on  mettait  de  nombreux  obstacles  à  leur 
établissement.  Ils  devaient  être  fermés  pendant  les  offices.  Il 
leur  était  défendu  de  servir  gras  les  jours  maigres.  Combien 
de  fois,  quand  je  faisais  la  Carte  géologique  de  la  Savoie,  me 
suis-je  vu  refuser  dans  les  auberges  toute  viande,  parce  que 
c'était  vendredi  ou  samedi,  vigile  et  jeune,  quatre-temps,  ou 
carême.  Il  y  avait  bien  une  fête  patronale,  mais  toute  danse 
était  strictement  interdite.  C'était  œuvre  diabolique.  Aussi  le 
goitre  et  le  crétinisme  faisaient  de  rapides  progrès.  C'est 
contre  ces   abus  qu'on   a  dû    réagir  pour  arrêter  le   mal. 


INFLUENCE  DES  MILIEUX  SUR  LA  RACE  155 

Ce  qui  prouve  que* cette  appréciation  est  bien  fondée,  c'est 
que  l'ancien  duché  de  Savoie  étant  divisé  en  deux  parties  à 
peu  près  égales  comme  surface,  formant  l'une  le  département 
de  la  Savoie,  l'autre  le  département  de  la  Haute-Savoie,  le 
mal  était  surtout  développé. dans  la  première,  possédant  un 
archevêché  et  deux  évèchés,  exhubérance  de  clergé.  Tandis 
qu'il  était  infiniment  moindre  dans  la  Haute-Savoie  qui  n'a 
qu'un  seul  évèché,  et  qui,  par  suite,  était  dans  de  meilleures 
conditions  de  libre-pensée  et  par  suite  d'hygiène. 

M.  G.  Lagneau.  —  A  propos  de  l'accroissement  considéra- 
ble de  la  taille  moyenne  des  habitants  de  la  Savoie,  l'amélio- 
ration des  conditions  biologiques  a  dû  contribuer  à  diminuer 
le  nombre  des  goitreux,  des  crétins  et  autres  individus  arrê- 
tés dans  leur  développement.  Mais  peut-être  aussi  y  a-t-il  eu 
quelque  différence  dans  l'appréciation  des  causes  d'exemp- 
tion. Dans  son  étude  sur  le  recrutement  de  la  Haute-Savoie, 
M.  Longuet,  qui  paraît  s'expliquer  difficilement  cet  énorme 
accroissement  de  taille,  de  près  de  6  centimètres,  en  deux 
générations,  signalé  par  M.  Carret,  dit  :  «  La  taille  était  autre- 
fois le  grand  critérium  de  l'aptitude.  Toutes  les  autres  infir- 
mités organiques  lui  restaient  subordonnées...  Nous  éliminons 
aujourd'hui  ces  éléments  de  perturbation.  Un  conscrit  de  lm£0 
comme  j'en  ai  vu,  de  lm30,  lm40  même  n'est  pas  exempté 
pour  taille,  mais  pour  nanisme,  infantilisme.  Sa  taille  n'est 
même  pas  enregistrée  »  (Arch.  de  métl.  et  de  pharm.  militaires, 
t.  VI,  p.  452,  4885). 

L'un  des  secrétaires  :  A.  Viré. 


i»  i 


«18e  SÉANCE.  -21  Mars  181)5. 
Présidence  de  M.  André  Lefèvre. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Bergaigne  (Abel).  —  L'ancien  roi/aume  de  Catnpa,  dans  l'indo- 


156  SÉANCE  DU  21   MARS  1895 

Chine  d'après  les  inscriptions,  in-8,  106  pages.  Paris,  1888. 
(Achat.) 

Galstelfranco  (P.).  —  Capanna-Pozzo  nel  campo  Donegallo. 
(Ext.  du  Bull,  dipaletnologia  ilaliana),  in-8,  20  pages  avec  plan- 
che. Parme,  1894. 

Castelfranco  (P.).  —  Villaggi  e  necropoli  lacustri  (Ext.  du 
Bull,  di  paletnologia  italiana),  in-8,  10  pages,  Parme  1894. 

Charencey  (H.  de).  —  De  quelques  étymologies  basques  (Ext. 
du  Bul.  de  Linguistique),  in-8,  8  pages.  Paris,  1894. 

Schurtz  (Heinrich).  —  Das  augenornament  und  Veruandte  pro- 
blème (Ext.  de  Abhandl.  d.  K.  S.  Gesellseh.  d.  Wissensch.),  g(1 
in-8,  96  pages  et  planches.  Leipzig,  1895. 

Schurtz  (Heinrich).  —  Der  begrijf  «  Beligion  »  vom  standpunkte 
der  Vœlkerkrunde,  in-4°,  6  pages,  s.  1.  n.  d. 

Stephensom  (F.-B.).  —  Co7igenital  sputs  on  Annamites  in  New- 
York  médical  journal,  .March  2,  1895,  in-4°,  2  pages. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

Bévue  mensuelle  de  l'École  d'Anthropologie,  15  mars  1895.  — 
A.  Lefèvre  :  Enée  et  Virgile;  croyances  des  Latins. 

Archives  de  l'Anthropologie  criminelle,  15  mars  1895.  — 
A.  Baer  :  Tatouage  des  criminels;  —  Daguillon  :  Contribu- 
tions à  l'étude  du  tatouage  chez  les  aliénés. 

Archives  de  médecine  navale  et  coloniale,  mars  1895.  —  Grall, 
Porée  et  Vincent  :  Béribéri  en  Nouvelle-Calédonie  (suite). 

Revue  Scientifique,  9  et  16  mars  1895.  —  Zaborowski  :  Popu- 
lations de  l'Indo-chine;  —  Brissaud  et  Meige  :  Gigantisme  et 
acromégalie. 

Zeitschrift  fur  Ethnologie,  1894,  h.  vi.  — B.  Virchow  :  Scha- 
del  aus  Sud-America,  insbesondere  aus  Argentinien  und  Boli- 
vien. 

Proc.  of  the  Boston  Society  of  nalural  history,  vol.  xxvi.  parts 
ii-m.  —  W.  M.  Davis  :  Facetted  pebbles  on  Cape  Cod. 


DURAND.   —    DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  157 


COMMUNICATIONS. 


M.  Collignon  lit  un  mémoire  sur  l'Anthropologie  du  Sud- 
Ouest  de  la  France. 
Ce  travail  sera  publié  dans  les  Mémoires  de  la  Société. 


Coup  d'œil  rétrospectif  sur  diverses  questions  anthropolo- 
giques. 

Par  M.  Durand  (de  Gros). 
(Lu  par  M.  Manouvrier). 

Pendant  les  quelques  années,  trop  courtes  et  déjà  bien  éloi- 
gnées, où  il  m'a  été  donné  de  prendre  une  part  active  aux 
travaux  de  la  Société  d'Anthropologie,  j'ai  eu  l'occasion  de  lui 
soumettre  un  certain  nombre  d'aperçus  scientifiques  origi- 
naux. 

Ces  vues  inédites,  qui  cadraient  peu  avec  les  idées  régnan- 
tes de  l'époque,  furent  d'abord  mal  accueillies.  Avec  le  temps 
on  s'y  est  familiarisé,  et  telles  de  ces  propositions,  qui 
avaient  été  condamnées  de  prime  abord  par  la  science  ortho- 
doxe comme  autant  d'hérésies  plus  ou  moins  damnables,  j'ai 
aujourd'hui  la  satisfaction  de  voir  qu'elles  font  partie  de  son 
credo. 

Si  je  disais  qu'en  rappelant  à  la  mémoire  de  la  Société  ces 
faits  déjà  bien  anciens  de  son  histoire  je  me  sens  dégagé  de 
toute  préoccupation  personnelle,  je  ne  serais  peut-être  pas 
exact.  Mais  je  crois,  en  tout  cas,  pouvoir  soutenir  que  si  les 
nouveautés  auxquelles  je  fais  allusion  possèdent  le  mérite 
qu'un  retour  de  l'opinion  commence  à  leur  accorder,  il  est  de 
l'intérêt  et  du  devoir  de  la  Société  d'en  revendiquer  tout  haut 
l'initiative,  et  de  s'employer  à  assurer  leur  triomphe  définitif. 
C'est  pourquoi  je  demande  à  faire  défiler  rapidement  sous  vos 
yeux  ces  choquants  paradoxes  d'il  y  a  trente  ans,  auxquels  il 
ne  manque  plus  peut-être  que  votre  appui  déclaré  pour  les 
faire  passer  à  l'état  de  vérités  classiques. 


158  SÉANCE  DU  21  MARS  1895 

Une  simple  mention  me  parait  suffisante  pour  quelques 
thèses  d'ordre  secondaire,  qui  ne  laissèrent  pas  toutefois  de 
soulever  des  discussions  assez  retentissantes;  je  m'appesan- 
tirai davantage  sur  les  autres. 

[.  _A  rencontre  du  polygénisme  étroit  et  rigide  de  Broca, 
qui  avait  pour  cette  doctrine  une  foi  presque  religieuse,  j'osai 
affirmer  que  les  types  ethniques  se  constituent  et  se  diversi- 
fient par  transformation  sous  l'influence  des  milieux  ;  et,  à 
l'appui  de  cette  proposition  générale,  j'apportai  un  recuei1 
d'observations  particulières,  précises  et  topiques.  Je  dévoilai 
ici  ce  phénomène  anthropologique  et  zoologique,  si  intéres- 
sant et  si  ignoré,  que  dans  le  département  de  PAveyron  la 
population  humaine,  et  aussi  celle  des  animaux  domestiques, 
se  partageaient  en  deux  types  nettement  tranchés,  et  qui  cor- 
respondaient aux  deux  grandes  divisions  géologiques  de  la 
région,  les  terrains  siliceux  et  les  terrains  calcaires;  que,  dans 
la  première,  l'homme  et  le  mouton  étaient  d'une  petite  taille 
et  d'une  ossature  grêle;  que  dans  la  seconde,  l'homme  et  le 
mouton  avaient  une  taille  très  supérieure,  avec  un  squelette 
massif;  qu'enfin,  k  ces  différences  géologiques  d'habitat  cor- 
respondaient en  outre  des  contrastes  tout  aussi  accusés  dans 
la  conformation  et  la  santé  des  dents,  dans  le  caractère  moral 
des  hommes,  et  jusque  dans  la  prononciation  de  l'idiome  in- 
digène. 

A  ces  propositions,  Broca  opposa  d'abord  une  fin  de  non- 
recevoir  absolue;  je  revins  k  la  charge  deux  années  durant, 
chaque  fois  les  mains  chargées  de  documents  statistiques 
nouveaux,  et  la  victoire  me  resta.  Depuis,  ces  recherches 
aveyronnaises  ont  été  étendues  k  d'autres  pays,  et  les  résul- 
tats ont  partout  concordé  avec  les  miens  et  sont  venus  confir- 
mer mes  conclusions. 

H.  —  Je  signalai  encore  cet  autre  fait  nouveau  que,  dans 
le  même  département  de  PAveyron,  une  différence  d'indice 
céphalique  très  marquée  sépare  l'habitant  des  villes  de  l'ha- 
bitant des  campagnes,  celui-ci  étant  uniformément  très  bra- 
chycéphale,  celui-là  se  montrant  généralement  mésaticéphale. 


DUUAND     —  DIVEIISES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  loi) 

Encore  cette  fois,,  ce  que  j'avais  affirmé  pour  l'Aveyron  en 
particulier  s'est  trouvé  également  vrai,  à  ce  qu'on  m'assure, 
pour  la  généralité  de  la  France  et  de  l'Europe. 

III.  —  L'anthropologie  et  l'histoire  s'étaient  trouvées  en  face 
d'un  singulier  prohlème,  dont  elles  avaient  fini  par  désespérer 
après  de  nombreux  essais  de  solution,  tous  infructueux.  Il 
s'agissait  de  la  contradiction  flagrante  qui  éclate  entre  le  por- 
trait classique  du  vieux  Gaulois,  grand,  blanc  et  blond,  et  le 
signalement  moyen  du  Français  moderne,  court  et  trapu, 
brun  ou  châtain.  Je  pus  venir  à  bout  de  cette  difficulté,  grâce 
à  une  de  mes  observations  d'anthropologie  aveyronnaise.  En 
Rouergue,  le  type  blond  appartient  à  la  totalité  des  familles 
de  vieille  noblesse  rurale,  alors  que  la  population  du  pays, 
prise  dans  son  ensemble,  ne  fournit  que  deux  blonds  sur  quinze 
individus.  Pareille  différence  ne  pouvait-elle  exister  chez  les 
anciens  Gaulois  entre  la  caste  des  nobles  et  la  masse  plé- 
béienne ou  servile,  qui  est  certainement  la  principale  souche 
de  la  population  actuelle  de  la  France?  N'est-il  pas,  d'ailleurs, 
vraisemblable  que,  les  croisements  ayant  été  nombreux,  sans 
contredit,  par  suite  des  invasions  barbares  à  partir  du  ive  siè- 
cle, dans  toutes  les  classes  de  la  société  gallo-romaine,  avec 
les  blonds  germains,  guerriers  ou  colons,  le  type  brun  de- 
vait dominer  antérieurement  chez  le  peuple  plus  encore  que 
de  nos  jours?  Tout  porte,  ainsi,  à  croire  que  le  type  blond 
était  l'apanage  des  nobles  de  l'ancienne  Gaule,  et  que  c'est 
parmi  eux  que  les  historiens  grecs  et  latins  ont  pris  exclusi- 
vement leurs  modèles  pour  nous  peindre  le  Gaulois. 

IV.  —  Plusieurs  contatations  linguistiques  inédites,  et 
d'une  réelle  importance,  il  me  semble,  furent  soumises  par 
moi  à  la  Société. 

Une  grande  tache  phonétique  s'étend  sur  la  péninsule  ibé- 
rique et  le  sud-ouest  de  la  France.  Elle  est  formée  de  deux 
teintes  superposées.  Dans  son  pourtour  et  sur  une  bande  do 
largeur  variable,  l'une  s'est  délavée,  et  l'autre  se  montre 
seule.  Le  II  aspiré  se  substituant  au  F  latin  est  répandu 
sans  discontinuité   sur  l'Espagne  centrale,  la  région  pyré- 


160  SÉANCE  DU  21   MARS  1895 

néenne  y  compris  le  pays  basque,  la  Gascogne,  et  vient  s'é- 
teindre à  la  Garonne.  Le  B  doux  remplaçant  le  V  latin  est 
sous-jacent  à  la  couche  II  =  F,  et  se  prolonge  au-delà  tout  au- 
tour. En  France,  il  a  pour  limite  nord  la  Vézère,  à  l'ouest  il 
s'arrête  aux  Cévennes  et  aune  ligne  allant  de  cette  chaîne  à  la 
mer  à  travers  le  département  de  l'Hérault. 

Les  deux  caractères  phonétiques  dont  il  s'agit  distinguent 
éminemment  la  langue  basque;  rayonnant  du  centre  cantabre 
sur  les  vastes  provinces  de  l'ibérie  et  delaVasconie  latinisées, 
tout  porte  à  croire  qu'ils  sont  là  un  témoin  et  un  dernier  ves- 
tige de  la  langue  des  Ibères,  conservée  dans  le  basque,  et 
l'indication  persistante  de  leur  domaine  géographique  de 
jadis. 

Un  autre  phénomène  linguistique  a  été  signalé  ici  par  moi, 
qui  est  aussi  très  curieux,  mais  qui  reste  jusqu'à  présent  une 
énigme. 

Les  transformations  phonétiques  les  plus  profondes  qui  dif- 
férencient les  langues  d'oc  et  d'oïl,  et  leurs  patois,  du  latin 
implanté  chez  nous  par  la  conquête  romaine,  c'est  à  1'fnfluence 
du  tudesque  importé  par  les  barbares  qu'elles  sont  dues.  Mais, 
tandis  que  la  plupart  de  ces  modifications  dialectales  se  mon- 
trent par  plaques  géographiques. aux  contours  plus  ou  moins 
irréguliers  et  accidentés,  et  qui  coïncident  souvent  avec  d'an- 
ciennes circonscriptions  politiques   ou  des  circonscriptions 
physiques,   il  en  est  une  dont  l'aire,  très  vaste,  semble  avoir 
été  tracée   sur  la  carte  de  France  arbitrairement,  avec  une 
règle  et  en  deux  coups  de  crayon.  Menez  une  ligne  droite  du 
nord  des  Basses-Alpes  aux  bouches  de  la  Gironde,   puis  une 
autre  de  Luxembourg  à  Rennes  :  tous  les  patois  romans,  soit 
de  langue  d'oc  soit   de  langue  d'oïl,  qui  sont  parlés  entre 
ces    deux    limites    sensiblement    rectilignes    et    parallèles, 
changent  le  C  latin  suivi  de  la  voyelle  a  en  une  chuintante 
figurée   CIL   Ainsi,    par  exemple,    CASTELLUM  y  devient 
chastel  ou  château,  CAPRA  fait  chabra  ou  chèvre,  etc.,  et  cela 
de   l'Océan  jusque   parmi   les   Alpes   et    les   Vosges ,    sans 
aucune  interruption,  sans  aucune  lacune.  Sortez  maintenant 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  161 

de  cette  zone,  soit- pour  pénétrer  dans  la  Provence,  le  Lan- 
guedoc, le  Rouergne,  le  Quercy,  etc.,  soit,  du  côté  du  Nord, 
pour  passer  en  Picardie,  en  Normandie,  en  Lorraine,  en  pays 
Wallon,  et,  aussitôt  la  lisière  franchie,  vous  vous  retrouverez 
en  présence  du  C  latin  guttural  sur  toute  la  ligne.  Ainsi,  au 
Nord,  CASTELLUM  et  CAPRA  maintienent  leur  G  dur  dans 
cdteau  et  quèbre,  et  au  Midi  dans  castel  et  cabra. 

N'y  a-t-il  pas, dans  ce  fait  énigmatique,  un  problème  digne 
d'exciter  la  curiosité  et  la  sagacité  des  linguistes,  des  anthro- 
pologistes,  et  de  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  philoso- 
phique de  la  France? 

V.  —  Dans  une  lecture  sous  ce  titre  :  Aryas  et  Tourans,  où 
j'avais  à  contredire  certaines  théories  favorites  d'Henri  Mar- 
tin, je  dénonçai  l'erreur,  alors  générale,  qui  consistaità  inférer 
l'identité  de  race  de  l'identité  de  langue,  à  considérer  notam- 
ment comme  Aryens  de  sang  tous  les  peuples,  soit  d'Europe 
soit  d'Asie,  blancs  ou  noirs,  blonds  ou  bruns,  parlant  actuel- 
lement l'un  des  idiomes  apparentés  au  sanscrit. 

VI.  —  LePolyzoisme  ou  la  pluralité  animale  dans  l'homme,  c'est 
là  le  titre  d'un  mémoire  que  je  lisais  à  la  Société  dans  sa  séance 
du  7  novembre  1867.  Sans  doute  la  Société  d'Anthropologie  n'a 
pas  eu  la  primeur  de  la  thèse  exposée  dans  cette  communica- 
tion, —  cette  thèse  ayant  déjà  fait  l'objet  de  plusieurs  publi- 
cations successives,  dont  la  première  mon  livre  intitulé  Elec- 
trodj/namisme  vital)  remonte  à  1855.  —  Mais  la  présentation  de 
ce  travail  à  la  Société,  et  l'insertion  qui  en  fut  faite  dans  ses 
Bulletins,  furent,  pour  la  nouvelle  doctrine,  une  sorte  de  bap- 
tême dont  elle  s'autorise  maintenant  pour  réclamer  votre 
patronage. 

11  fallait  toute  la  téméraire  inexpérience  d'un  très  jeune 
homme  pour  oser  avancer,  dès  1853  (dans  mes  conférences 
sur  1'  «  électrobiologie  »),  qu'un  être  humain,  et  en  même  temps 
un  animal  supérieur  quelconque,  n'est,  ni  au  point  de  vue 
organologique,  ni  au  point  de  vue  psychologique,  un  individu 
irréductible;  qu'il  est  une  agglomération  plus  ou  moins  con- 
centrée et  hiérarchisée  d'individualités  animales  distinctes 


162  séa.\ce  du  21  m  Ans  1895 

dont  chacune  réunit  en  elle  tous  les  éléments  essentiels  de 
l'animalité,  c'est-à-dire  un  centre  psychique  et  un  centre  ner- 
veux qui  en  est  le  siège,  un  ou  plusieurs  couples  de  conduc- 
teurs nerveux  a  double  effet,  centripète  et  centrifuge,  et,  à 
l'extrémité  terminale  de  ceux-ci,  un  Organe-outil  ou  organe- 
différentiateur  ménageant  avec  les  agents  externes  un  rap- 
ports d'élection  et  d'adaptation  spécial  et  exclusif,  d'une  part, 
pour  la  réception  et  la  transmission  au  sensorium  particulier 
de  leurs  impressions  excitatrices,  et,  d'autre  part,  pour  leur 
appliquer  en  retour  et  leur  faire  subir  l'action  volontaire 
réflexe. 

L'homme  est-il  réellement  constitué  de  la  sorte?  est-il  véri- 
tablement un  composé  dont  les  éléments  intégrants  seraient 
autant  d'animaux  simples  groupés,  subordonnés  et  organisés 
en  vue  d'un  certain  résultat  d'ensemble,  leur  vie  commune  ? 
S'il  en  était  ainsi,  la  révélation  d'une  telle  vérité  entraînerait 
certainement  avec  elle  des  conséquences  immenses,  et  pour  la 
philosophie  générale,  et  pour  la  psychologie,  et  pour  la  mo- 
rale, et  pour  le  droit,  et  pour  la  sociologie.,  et  pour  la  patho- 
logie, et  pour  la  thérapeutique,  et  que  sais-je  encore.  Les  con- 
séquences, je  les  ai  exposées  ailleurs,  notamment  dans  le 
mémoire  dont  il  est  question;  je  m'abstiendrai  d'y  revenir  ici. 

Encore  une  fois  pourtant,  le  prétendu  fait  du  polyzoïsme  et 
du  polypsychisme  humains  est-il  bien  autre  chose  qu'un  rêve, 
qu'une  de  ces  hypothèses  nuageuses  qui  peuvent  faire  sur 
l'imagination  l'effet  d'un  mirage,  mais  qui  ne  sauraient  se 
solidifier  en  une  certitude  scientifique?  —  Oui,  l'observation 
psychologique,  anatomique  et  pathologique,  et  enfin  la  zoo- 
logie comparative,  se  sont  trouvées  admirablement  d'accord 
pour  apporter  un  concours  décisif  de  preuves  à  cette  concep- 
tion. Mais  hélas!  il  n'est  pire  sourd  que  celui  qui  ne  veut  pas 
entendre,  et  la  science  classique  fut  longtemps  dans  ce  cas  vis- 
a-vis de  mes  démonstrations.  Mettre  en  avant  que  le  corps 
humain  est  une  espèce  de  polypier  ou  de  phalanstère,  où 
logent  une  multitude  d'homoncules  similaires  ayant  chacun 
sa  personnalité  a  soi,  son  petit  logement  à  soi,  quel  thème  à 


DURAND.   —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  163 

plaisanteries  faciles!  On  n'eut  garde  de  s'en  priver.  L'un  des 
membres  les  plus  considérés,  et  assurément  l'un  des  plus  in- 
telligents et  des  plus  instruits,  de  l'Académie  de  médecine 
d'alors,  le  Dr  Chauffard,  n'occupa  pas  moins  d'une  séance 
entière  de  l'assemblée  de  la  rue  des  Saints-Pères  (celle  du 
19  mai  1868)  pour  égayer  ses  collègues  en  étalant  devant  eux 
cette  fantaisie  bizarre  dans  ses  divertissants  détails. 

Cependant  ma  lecture  à  la  Société  d'Anthropologie  —  bien 
qu'elle  n'y  provoquât  aucune  discussion  —  ne  parut  pas  sans 
influence  pour  modifier  l'état  des  esprits  au  sujet  du  poly- 
zoïsme.  Rendant  compte  de  ma  communication,  la  Revue 
Anthropologique  de  Londres  (Anlhropological  Review,  n°  d'avril 
1869,  p.  197),  faisait  les  observations  suivantes  : 

«  Polyzoïsme,  tel  est  le  titre  d'une  communication  très  inté- 
ressante de  M.  Durand  (de  Gros).  Si  l'auteur  de  ce  travail  réus- 
sit à  établir  sa  théorie,  nul  doute  qu'elle  ne  produise  dans  la 
science  une  révolution  d'une  importance  immense,  car  elle 
renverse  ce  qui,  depuis  longtemps,  était  passé  à  peu  près  à 
l'état  de  dogme...  » 

(«  Polyzoism  »  is  the  title  of  a  most  interesting  paper  by 
M.  Durand  (de  Gros).  If  the  author  of  the  contribution  can 
establish  his  theory,  it  will  undoubtedly  be  a  révolution  in 
science  of  immense  importance  :  for  it  would  reverse  what 
has  been  considered  almost  as  a  dogma  for  a  long  period, 
etc.). 

Mais  le  revirement  de  l'opinion  s'accusa  en  outre  par  un 
véritable  événement  scientifique  :  l'emprunt  forcé  que  Claude 
Bernard  me  fit  de  mes  idées  polyzoïstes  et  polypsychistes 
pour  les  enchâsser  —  fort  gauchement  du  reste,  et  en  les  dé- 
marquant, bien  entendu  —  dans  son  discours  d'inauguration 
k  l'Académie  française.  Le  plagiat,  qu'il  me  répugne  de  quali- 
fier autrement  ici,  était  tellement  manifeste,  tellement  pal- 
pable, l'orateur  s'était  donné  si  peu  de  peine  pour  le  déguiser, 
que  tous  ceux  qui  étaient  un  peu  au  courant  de  mes  travaux 
s'en  écrièrent.  Ce  fut  à  tel  point  que,  malgré  le  prestige  de 
Claude  Bernard  et  le  respect  mêlé  de  crainte  que  toute  la  jeur 


164  SÉANCE  DU  21   MARS  1895 

nesse  scientifique  avait  pour  lui,  un  jeune  écrivain  de  la 
Gazette  médicale  de  Paris,  qui  se  trouvait  être  en  même  temps 
dans  la  situation,  particulièrement  délicate  pour  un  critique 
médical,  de  bibliothécaire-adjoint  de  l'Académie  de  médecine, 
se  risqua  à  glisser  l'observation  suivante  parmi  les  éloges  d'un 
compte-rendu  du  discours  de  l'illustre  et  tout  puissant  acadé- 
micien : 

«  Nous  n'avons  pas,  disait-il,  à  revenir  sur  les  doctrines  de 
M.  Claude  Bernard,  doctrines  qui  ne  diffèrent  qu'insensible- 
ment de  celles  que  professent  les  disciples  de  la  philosophie 
positive.  Nous  devons  remarquer  seulement,  afin  de  rendre 
justice  à  chacun,  que  les  propositions  émises  dans  ce  discours 
de  réception  sont  un  peu  plus  larges  que  celles  que  l'auteur  a 
consignées  dans  ses  écrits  officiels  et  dogmatiques,  et  que  nous 
y  avons  retrouvé  avec  plaisir  et  sans  la  moindre  surprise, 
quelques-uns  des  aperçus  les  plus  ingénieux  de  M.  Durand 
(de  Gros)»  (Gazette  médicale  de  Paris  du  5  juin  1869). 

En  effet,  le  discours  du  récipiendaire  apportait  à  son  bril- 
lant auditoire  la  surprise  d'une  théorie  physiologique  toute 
nouvelle,  qu'aucun  des  travaux  de  l'illustre  physiologiste  n'a- 
vait fait  jusqu'alors  pressentir.  C'était  ni  plus  ni  moins  que 
notre  polyzoïsme,  mais  quelque  peu  endommagé  par  la  main 
novice  qui  le  maniait  pour  la  première  fois.  Bornons-nous  à 
citer  les  lignes  suivantes  de  ce  document  magistral  : 

«  Mais,  quant  à  l'intelligence  elle-même,  prononçait  l'ora- 
«  teur,  les  expériences  physiologiques  nous  démontrent  que 
«  cette  force  n'est  point  concentrée  dans  le  seul  organe  céré- 
«  bral,  et  qu'elle  réside  au  contraire  à  des  degrés  divers  dans  une 
«  foule  de  centres  nerveux  inconscients  échelonnés  tout  le  long  de 
«  t'axe  cérébro  spinal,  et  qui  peuvent  agir  d'une  façon  indépen- 
«  dante,  quoique  coordonnés  et  subordonnés  hiérarchiquement  les 
«  uns  aux  autres...  Chaque  fonction  du  corps  possède  ainsi 
«  son  centre  nerveux  spécial,  véritable  cerveau  inférieur...  » 

Notons  maintenant  que  M.  Edmond  Perrier,  professeur  de 
zoologie  au  Muséum,  faisait  paraître,  en  1881,  un  gros  volume 
intitulé  :  Les  colonies  animales  et  la  formation  des  organismes^ 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  465 

dans  lequel  le  «  pblyzoïsme  des  Vertébrés  »  se  trouve  hardi- 
ment affiché  et  officiellement  proclamé.  Ajoutons  que  l'auteur 
paraît  ignorer  totalement  mes  nombreux  travaux  sur  la  ques- 
tion :  il  n'en  dit  mot. 

En  1853,  me  creusant  la  tète  pour  trouver  une  explication 
aux  effets  inouis  de  la  suggestion  hypnotique,  que  je  venais, 
le  premier,  d'importer  sur  le  continent,  je  finis  par  rencon- 
trer l'idée  du  polypsychisme  et  du  polyzoïsme,  qui  fut  pour 
moi  une  illumination  soudaine.  En  1880,  M.  Gharcot  et  son 
école  ayant  ressuscité  l'hypnotisme  en  le  produisant  comme 
une  invention  récente,  on  fit  également  main  basse  sur  mon 
explication,  et  on  s'en  attribua  le  mérite  comme,  d'ailleurs, 
de  bien  d'autres  découvertes  dans  le  même  ordre  d'idées,  qui 
étaient  déjà  vieilles  avant  la  naissance  de  ces  faux  inventeurs. 
On  eut  donc  recours  à  la  théorie  du  polypsychisme.  Mais  pour 
sauver  les  apparences,  on  la  défigura;  au  lieu  de  mes  préci- 
sions anatomiques  et  physiologiques  de  centres  psychiques 
ou  moi  secondaires  correspondant  aux  centres  nerveux  re- 
connus de  l'axe  cérébro-spinal  ainsi  que  le  moi  proprement 
dit  correspond  au  grand  centre  nerveux  cérébral;  au  lieu  de 
ce  polypsychisme  nettement  défini  et  étroitement  rattaché  à  des 
notions  scientifiques  exactes,  on  en  produisit  une  contrefaçon 
informe  et  vague  n'ayant  aucun  appui  dans  l'anatomie  ni  la 
physiologie,  sorte  de  dipsychisme  vaporeux  formulé  dans  le 
dualisme  de  la  conscience  et  de  la  «  subconscience  »,  ou  encore 
de  la  conscience  et  de  1'  «  inconscient  ».  11  serait  superflu  d'a- 
jouter que  ces  ingénieux  hypnopsychologues  de  l'école  mo- 
derne s'imposèrent  le  silence  le  plus  religieux  sur  mes  efforts 
antérieurs  pour  éclairer  la  question. 

Plus  équitable,  l'Académie  des  Sciences,  section  de  la  Méde- 
cine, a  fait  de  moi  un  de  ses  lauréats  en  1892  sur  l'envoi  d'un 
mémoire  où  je  me  faisais  hautement  honneur  de  la  théorie 
polyzoïste.  Le  monde  marche,  c'est  manifeste. 

Vil.  —  En  1808  et  1809,  je  donnai  communication  à  la 
Société  de  deux  mémoires,  l'un  intitulé  :  La  torsion  de  rhume- 


466  SÉANCE  DU  21   MARS  1895 

rus  et  la  filiation  des  espèces;  l'autre,  sous  ce  titre  :  Création  et 
Transformation. 

A  moins  que  je  sois  dupe  des  illusions  d'auteur  au  plus 
haut  degré,  les  constatations  matérielles  et  les  vues  théoriques 
exposées  dans  ces  deux  études  apportent  un  sérieux  concours 
à  deux  nouvelles  sciences  biologiques,  la  Morphogénie  natu- 
relle des  espèces,  et  son  corollaire,  la  Biotaxie  généalogique. 

Le  seul  encouragement  que  me  valut  d'ahord  cette  nouvelle 
initiative,  et  dont  je  dus  me  contenter  pendant  plus  de  dix 
ans,  ce  fut  l'adhésion  loyale  de  Charles  Martins  à  une  inter- 
prétation du  fait  anatomique  de  la  torsion  de  l'humérus  hu- 
main que  j'opposais  à  une  autre  défendue  par  lui  jusque-là, 
et  dont  il  se  décidait  à  faire  le  sacrifice  devant  certaines 
preuves  dont  il  était  à  même  plus  que  personne  d'apprécier 
la  force. 

A  l'occasion  d'un  voyage  à  Paris,  en  1887,  le  hasard  voulut 
que,  me  trouvant  un  jour  au  laboratoire  de  la  Société,  on  vînt 
à  parler  d'un  mémoire  laissé  par  Broca  et  imprimé  après  sa 
mort,  sur  le  tropomètro,  instrument  imaginé  pour  mesurer 
l'angle  de  torsion  de  l'humérus.  Ayant  consulté  cette  œuvre 
posthume  du  regretté  Broca,  j'eus  le  plaisir,  inattendu,  je 
l'avoue,  d'y  rencontrer  l'appréciation  favorable  d'un  de  mes 
travaux.  Depuis  la  mémorable  discussion  sur  l'influence  des 
milieux,  dans  laquelle  j'avais  eu  le  mauvais  sort  de  me  trouver 
constamment  l'adversaire  de  notre  éminent  secrétaire  général, 
il  m'avait  montré  en  toute  occasion  un  éloignement  non  dis- 
simulé. Aussi  c'est  avec  émotion  que,  dans  les  dernières  pages 
tracées  par  lui  la  veille  d'une  mort  prématurée,  je  pus  lire 
plusieurs  passages  où  il  me  montrait,  pour  la  première  fois, 
une  impartialité  presque  bienveillante.  En  voici  quelques 
lignes  : 

«  La  différence  de  direction  du  fémur  et  de  l'humérus,  et  la 
différence  morphologique  qui  s'y  rattache,  ne  constituent  pas 
une  règle  absolue.  » 

Charles  Martins  avait  soutenu  le  contraire,  et  j'avais  opposé 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  167 

à  son  opinion  certains  faits  d'anatomie  comparée  auxquels 
Broca  va  faire  allusion.  Il  continue  ainsi  : 

«  Chez  certains  Chéloniens,  le  coude  et  le  genou  sont  diri- 
gés l'un  et  l'autre  en  avant.  11  y  a  un  autre  type,  qui  ne  s'ob- 
serve que  dans  les  deux  genres  éteints  ichthyosaure  et  plésio- 
saure, et  dans  lequel  la  ligne  articulaire  du  coude  et  du  genou 
sont  parallèles  au  plan  médian  du  corps  au  lieu  de  lui  être 
perpendiculaires...  L'humérus  et  le  fémur  ont  exactement  la 
même  conformation  ;  ils  ne  sont  tordus  ni  l'un  ni  l'autre;  ils 
sont,  suivant  l'expression  de  M.  Durand  (de  Gros),  isomorphes 
et  isotropes.  Ce  type  s'est  maintenu,  en  ce  qui  concerne  la  ligne 
articulaire  du  coude,  chez  les  cétacés  de  la  famille  des  baleines 
(qui  n'ont  pas  de  membre  abdominal).  Je  ne  puis  insister  da- 
vantage sur  ce  sujet  dans  un  travail  d'anthropologie  zoolo- 
gique; mais  je  renverrai  le  lecteur,  pour  plus  de  détails,  à 
un  mémoire  très  remarquable  de  M.  Durand  (de  Gros)  publié 
dans  les  Bulletins  de  la  Société  d'Anthropologie,  2e  série,  t.  V, 
p.  388-463,  Création  et  Transformation.  Voyez  surtout  p.  422.  » 

Et  ailleurs  : 

«  Je  me  bornerai  à  dire  que  le  fait  de  la  torsion  de  l'humé- 
rus est  devenu,  entre  les  mains  de  Charles  Martins,  la  base 
essentielle  d'un  nouveau  et  lumineux  parallèle  anatomique 
des  membres  thoraciques  et  abdominaux;  qu'après  avoir 
établi  ce  parallèle  dans  ses  premières  publications,  le  même 
auteur  en  a  tiré  des  conséquences  pour  l'étude  de  l'évolution 
des  formes  organiques;  qu'enfin,  M.  Durand  (de  Gros),  par 
une  étude  plus  complète  de  la  disposition  de  l'humérus  chez 
les  vertébrés  inférieurs,  et  de  son  adaptation  aux  divers  gen- 
res de  vie,  a  apporté  à  la  doctrine  transformiste  l'appui  de 
faits  très  précis  et  enchaînés  avec  beaucoup  de  sagacité.  » 
(Revue  d'Anthropologie,  2e  série,  t.  IV.) 

Pour  être  entièrement  exact,  Broca  aurait  dû  constater  que 
si  Charles  Martins  a  essayé,  dans  ses  dernières  publications, 
d'appliquer  sa  théorie  de  la  torsion  humérale  à  l'étude  de 
l'évolution  des  formes  organiques,  c'est  postérieurement  à  la 
lecture  et  à  l'impression  de  mes  mémoires,  et  en  s'inspirant 


•168  SÉANCE  DU  21  MARS  1893 

des  nouveaux  faits  et  des  nouveaux  aperçus  théoriques  que 
j'y  avais  consignés. 

Enfin,  les  mêmes  recherches  d'ostéologie  philosophique  ont 
reçu  encore  un  témoignage  précieux  de  la  part  d'un  autre  sa- 
vant collègue.  M.  Manouvrier  ne  leur  a  marchandé  ni  la  place 
ni  l'approbation  dans  son  article  du  Dictionnaire  des  sciences 
anthropologiques  sur  les  membres.  Qu'on  me  permette  de  le  citer 
brièvement  : 

«  La  correspondance  homotypique  des  membres,  dit  M.  Ma- 
nouvrier, est  principalement  masquée  par  ce  fait  :  que  la 
flexion  de  l'articulation  du  genou  se  fait  d'avant  en  arrière, 
tandis  que  celle  du  coude  se  fait  d'arrière  en  avant.  Charles 
Martins  tenta  d'expliquer  cette  opposition  des  deux  membres 
locomoteurs  par  le  double  effet  d'une  torsion  humérale  et 
d'une  demi-révolution  du  radius  et  du  carpe  sur  l'extrémité 
inférieure  du  cubitus.  Mais  c'est  dans  le  beau  mémoire  de 
Durand  (de  Gros),  Création  et  Transformation  (Bulletins  de  la 
Société  d'Anthropologie),  qu'il  faut  suivre  l'histoire  de  cette 
transformation.  » 

Les  développements  et  les  corrections  que  j'ai  apportés  à 
la  théorie  de  Charles  Martins  sur  la  torsion  humérale,  dont  il 
a  la  gloire  d'avoir,  le  premier,  donné  la  clef,  ont  une  portée 
et  une  importance  qui  n'ont  été  qu'imparfaitement  saisies  jus- 
qu'à ce  jour  ;  et  il  est  à  présumer  que  cela  est  dû  en  grande 
partie  à  la  prévention,  à  la  défiance,  à  une  disposition  peu 
confraternelle,  en  un  mot,  qu'un  savant  d'occasion,  un  sim- 
ple amateur  tel  que  moi,  rencontre  presque  invariablement 
chez  les  savants  brevetés  et  appointés.  Comme  il  y  va,  je  crois, 
des  intérêts  de  la  zoologie  et  de  l'anthropologie,  et  de  l'hon- 
neur de  la  science  française,  que  la  lumière  qui  peut  se  déga- 
ger de  mes  recherches  ne  soit  pas  étouffée  sous  le  boisseau,  je 
vais  indiquer  ici  très  sommairement  les  résultats  généraux 
les  plus  saillants  de  ma  coopération  à  l'œuvre  dont  la  décou- 
verte de  Charles  Martins  a  été  le  prélude. 

Martins  prenait  soin  de  déclarer  qu'il  ses  yeux  la  torsion  de 
l'humérus  et  ses  conséquences  mécaniques  apparentes  sur  les 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  469 

dispositions  de  l'avant-bras,  étaient  purement  virtuelles,  un 
simple  ludus  nalurœ  dont  l'anatomie  philosophique  n'avait 
pas  à  rechercher  l'origine.  Je  m'élevai  fortement  contre  cette 
opinion;  je  soutins  que  la  torsion  humérale,  chez  l'homme, 
devait  être  la  transmission  héréditaire  d'une  torsion  actuelle, 
acquise,  réellement  produite  à  un  moment  donné  sur  un  de 
nos  ancêtres  zoologiques. 

D'un  autre  côté,  Charles  Martins  affirmait  très  formellement 
que  la  torsion  humérale  était  commune  a  tous  les  vertébrés, 
soit  terrestres,  soit  aquatiques,  qui  sont  pourvus  de  membres 
articulés.  Je  prouvai,  pièces  en  main,  que  cette  assertion  était 
matériellement  fausse;  qu'il  existe  des  espèces  chez  qui  l'hu- 
mérus n'est  point  tordu  ;  et,  de  plus,  que  chez  toutes  les  es- 
pèces dans  ce  cas  on  constate  en  même  temps  l'absence  de 
ces  dispositions  énigmatiques  de  l'avant-bras  et  de  l'articula- 
tion huméro-cubitale  qui  accompagnent  partout  la  torsion 
humérale,  et  se  trouvent  expliquées  par  elle. 

Ce  n'est  pas  tout  :  je  fouillai  les  archives  ostéologiques  de 
la  zoologie,  et  j'eus  le  bonheur  d'y  rencontrer  des  documents 
décisifs  établissant  que  la  torsion  de  l'humérus  avec  ses  effets 
consécutifs  sur  les  segments  inférieurs  du  membre  avait  com- 
mencé à  un  certain  degré  déterminé  de  l'échelle  des  Vertébrés 
et  partiellement;  qu'elle  avait  été  en  progressant  d'une  es- 
pèce à  la  suivante,  et  que  ses  débuts  étaient,  en  outre,  mar- 
qués par  des  tâtonnements  variés  fournissant  la  preuve  que 
la  torsion  humérale  avait  eu  pour  cause  efficiente  les  efforts 
violents  faits  sur  eux-mêmes  par  des  individus  nageurs  du 
type   brachial    primitif   ou   protomorphe  pour  s'adapter  aux 
conditions   incompatibles  de   locomotion  d'un  milieu    bour- 
beux où  les  espèces  ont  dû  faire  un  stage  plus  ou  moins  long, 
plus  ou  moins  laborieux  avant  d'arriver  à  vivre  et  à  se  mou- 
voir sur  la  terre  ferme. 

Mes  preuves  furent  tellement  concluantes  que,  pour  me  ser- 
vir d'une  locution  familière,  les  bras  en  tombèrent  à  Charles 
Martins,  et  qu'il  dut  se  rendre  sur  le  champ. 

V actualité  de  la  torsion  humérale  se  substituant  à  la  virtua- 
t.  vi  (4e  série)  12 


170  SÉANCE  DU  21  MARS  1895 

lité  enseignée  par  Martins,  la  théorie  du  naturaliste  de  Mont- 
pellier était  un  corps  inerte  que  pénétrait  tout  à  coup  la  vie. 
Ainsi  transformée,  vivifiée  et  généralisée,  elle  allait  commu- 
niquer aux  études  d'anatomie  un  intérêt  palpitant,  et  les 
éclairer  d'un  jour  tout  nouveau.  L'anatomie  animale  cessait, 
par  là,  d'être  une  simple  description  des  parties  du  corps  avec 
indication  de  leurs  usages  physiologiques  respectifs;  main- 
tenant, elle  allait  avoir  à  remplir  une  autre  grande  tâche, 
plus  haute  et  plus  attrayante.  11  s'agirait  de  tracer  l'évolu- 
tion morpholologique  de  chaque  organe  au  cours  de  l'évolu- 
tion phylogénique;  de  découvrir  et  déterminer  les  circons- 
tances diverses  sous  la  pression  desquelles  l'organe  et  ses 
changements  successifs  s'étaient  produits;  et  enfin  de  se  faire 
de  cette  transformation  graduelle  des  organes  d'une  espèce  à 
l'autre  un  critérium  d'une  sûreté  incomparable  pour  déter- 
miner le  degré  de  filiation  et  les  rapports  divers  de  parenté 
de  chaque  espèce  sur  l'arbre  généalogique  du  règne  animal. 

Emerveillé  et  enthousiasmé  par  cette  vision,  j'interrogeai 
de  plus  belle  les  documents  ostéologiques  pour  en  obtenir  de 
nouvelles  découvertes.  Bientôt,  je  constatai  qu'il  n'y  avait, 
pour  ainsi  dire,  qu'à  se  baisser  pour  en  recueillir.  Mais,  à 
mon  grand  regret,  les  circonstances  de  la  vie  m'arrachèrent 
coup  sur  coup  à  mes  recherches.  Quelques  années  plus  tard, 
j'essayai  de  les  reprendre.  Mais,  ayant  constaté  l'insuffisance 
de  nos  collections  publiques  d'histoire  naturelle,  une  visite  à 
plusieurs  établissements  étrangers  s'offrait  comme  une  né- 
cessité. M'étant  adressé,  dans  ce  but,  au  Ministre  de  l'instruc- 
tion publique  pour  en  obtenir  un  appui  moral  et  matériel,  il  me 
fit  bon  accueil;  cependant  il  était  obligé,  dit-il,  de  soumettre 
ma  demande  à  sa  commission  scientifique,  et  celle-ci  me  re- 
poussa, en  même  temps  qu'elle  se  montrait  d'une  complai- 
sance paternelle  pour  quelques  tout  jeunes  gens,  qu'on  inves- 
tissait de  je  ne  sais  plus  quelles  missions  fantastiques  et 
grassement  payées,  pour  leur  procurer  un  voyage  d'agrément 
sous  couleur  de  science.  Mais  laissons  là  les  récriminations. 

Voici,  en  substance,  les  nouvelles  trouvailles  que  je  fis  en 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  171 

utilisant  de  mon  mieux  les  moyens  d'information  tout  primi- 
tifs dont  je  dus  me  contenter. 

La  torsion  de  l'humérus  s'est  opérée  chez  des  Vertébrés  na- 
geurs aux  membres  articulés  protomor plies,  c'est-à-dire  du  type 
élémentaire  et  primordial  de  l'Icthyosaure  et  du  Plésiosaure, 
lequel  est  caractérisé,  rappelons-le,  par  la  parfaite  isomorphie 
-des  deux  membres,  le  thoracique  et  l'abdominal,  et  par  la  di- 
rection latérale  de  la  ligne  articulaire  du  coude  et  du  genou. 

Cette  torsion  s'est  produite  sur  le  bras  nageur  pour  l'accom- 
moder à  des  fonctions  de  chasse-boue  imposées  à  l'animal  par 
la  nécessité  de  se  déplacer,  sous  peine  d'extinction,  dans  un 
milieu  bourbeux  où  il  se  trouvait  jeté,  sans  doute  par  suite 
d'un  abaissement  des  eaux  et  de  la  transformation  des  mers, 
des  lacs,  des  estuaires,  en  marécages  vaseux. 

La  torsion  de  l'humérus  ne  répond  qu'aux  besoins  de  la 
locomotion  au  sein  d'une  masse  molle,  mi-liquide  mi-solide, 
ou  bien  encore  entièrement  solide,  mais  peu  résistante,  comme 
celle  où  se  meut  la  taupe,  et  son  objet  immédiat  est  d'amener 
la  main  à  diriger  ses  doigts  en  avant  et  sa  face  palmaire  en 
dehors,  le  bord  radial  regardant  en  bas. 

Certaines  espèces  marines  protomorphes  sont  passées  di- 
rectement du  milieu  aquatique  au  milieu  terrestre  proprement 
dit,  mais  sans  abandonner  le  premier  entièrement,  et  en  se 
partageant  entre  les  deux.  Telles  sont  les  Tortues  amphibies 
d'Amérique  vivant  alternativement  dans  l'eau  des  fleuves  et 
sur  le  rivage.  Pour  accommoder  le  membre  nageur  proto- 
morphe  à  la  marche,  la  condition  essentielle  était  que  les 
deux  membres  (thoracique  et  abdominal),  au  lieu  de  se  mou- 
voir et  de  se  ployer  dans  des  plans  perpendiculaires  au  plan 
médian  du  corps,  ou  plus  exactement,  dans  des  plans  obli- 
ques peu  éloignés  de  la  perpendiculaire,  fussent  dirigés  et  dé- 
placés suivant  la  progression,  la  main  et  le  pied  se  portant 
en  avant,  leur  face  palmaire  ou  plantaire  appuyant  sur  le  sol. 
Chez  la  Peltocéphale  Tracaxa,  chez  VEmysaure  de  Temminck,  etc. 
(Voir  :  Origines  animales  de  l'homme,  pages  53  et  97),  cette  in- 
dication a  été  remplie  au  moyen  de  diverses  inflexions  du  col 


17^  SÉANCE  DU  21  MARS'1895 

et  du  corps  de  l'humérus  et  du  fémur,  et  d'une  faible  torsion 
de  ces  deux  rayons  osseux  sur  leur  axe.  Ces  déviations  ont 
amené  ce  résultat,  que  le  coude  et  le  genou  font  saillie  en  avant 
et  se  ploient  en  arrière  l'un  comme  l'autre.  C'est  ce  qui  cons- 
titue mon  type  mésomorpke.  Il  réunit  le  double  caractère  de 
l'isomorphie  et  de  l'isotropie,  comme  le  type  protomorphe, 
mais  diffère  de  celui-ci  en  ce  que  l'angle  de  flexion  du  coude 
et  celui  du  genou,  au  lieu  d'être  dans  deux  plans  distincts 
sensiblement  perpendiculaires  au  plan  médian  du  corps,  sont 
ramenés  dans  un  même  plan,  parallèle  à  ce  dernier,  avec 
leurs  convexités  dirigées  en  avant. 

Dans  quelques  cas,  la  torsion  humérale  pour  l'accommo- 
dation au  milieu  bourbeux  a  trouvé  un  succédané  dans  une 
déformation  toute  autre.  Le  but  à  atteindre  étant  de  donner 
aux  mains  une  direction  telle  qu'elles  pussent  rejeter  la  vase 
sur  les  côtés  par  un  mouvement  latéral  de  va-et-vient  pour 
ouvrir  le  chemin  à  l'animal  dans  la  masse  bourbeuse,  l'effet 
voulu  a  été  obtenu  ici  au  moyen  d'une  luxation  de  l'articula- 
tion huméro-cubitale  par  un  quart  de  rotation  antéro-interne. 

Cette  surprenante  mais  incontestable  lésion  morphologique 
peut  s'observerdans  toute  sa  perfection  chez  la  Tortue  du  Cap, 
une  tortue  terrestre,  à  la  vérité,  mais  qui  n'a  dépouillé  au- 
cun des  traits  essentiels  de  la  tortue  de  marécage.  Dans  mon 
mémoire  Création  et  Transformation  on  trouvera  un  tableau 
comparatif  de  quatre  figures  représentant  le  bras  osseux,  vu 
de  face  et  vu  de  profil,  de  deux  types  de  tortues,  la  Tortue  du 
Cap  et  l'Émysaure  de  Temminck.Le  contraste  rend  saisissant 
l'état  de  luxation  du  coude  chez  la  première.  Aucun  natura- 
liste, que  je  sache,  n'avait  signalé  cette  particularité  si  remar- 
quable. 

A  la  seule  exception  d'une  catégorie  de  Tortues  dont  il  vient 
d'être  parlé,  tous  nos  Vertébrés  marcheurs  portent,  dans  leur 
torsion  humérale,  le  certificat  authentique  de  l'exode  aux 
cruelles  épreuves  à  travers  le  désert  boueux.  Mais,  contrai- 
rement encore  à  ce  qu'avait  avancé  témérairement  Charles 
Martins,  la  demi-révolution  radio-earpienne  est  loin  de  cons- 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  173 

tituer  l'unique  procédé  complémentaire  et  compensateur  que 
toutes  les  espèces  auraient  uniformément  subi,  au  sortir  de  la 
bourbe,  pour  s'accommoder  à  la  vie  terrestre  proprement 
dite.  Ce  caractère  est  le  propre  des  Mammifères  terrestres,  et 
encore  sauf  une  exception  qui  va  être  indiquée. 

Les  Batraciens  et  les  Reptiles  opèrent  le  redressement  de 
l'avant-bras  au  moyen  de  la,  luxation  rotative  antéro-interne 
du  coude,  la  rotation  restant  un  peu  inférieure  à  un  angle 
droit.  Les  Oiseaux,  descendants  probables  d'une  souche  rep- 
tilienne, présentent  la  même  déformation  dans  l'aile. 

Les  Monotrèmes,  ces  Mammifères  douteux,  se  distinguent 
radicalement  des  vrais  Mammifères  en  ceci,  que  chez  eux,  la 
pronation  a  été  réalisée  par  un  tout  autre  mécanisme  que  la 
demi-révolution  radio-carpienne. 

La  voie  suivie  chez  eux  pour  ramener  en  avant  l'avant-bras 
et  la  main,  renversés  en  arrière  parla  torsion  humérale,  est 
fort  simple,  mais  très  brutale.  Le  procédé  consiste  en  une 
incurvation  semi-circulaire,  d'arrière  en  avant,  de  l'humérus 
horizontalement  étendu,  avec  déchirement  et  arrachement  de 
la  portion  externe  de  sa  poulie  d'articulation  cubitale.  Cette 
inflexion  violente  de  l'os  du  bras  supérieur,  qui  vient  s'ajou- 
ter à  sa  torsion,  remet  l'avant-bras  en  pronation. 

Et  maintenant,  ce  qui  met  hors  de  tout  doute  que  tel  est 
bien  le  véritable  et  l'unique  processus  mécanique  de  cette  pro- 
nation, c'est  la  disposition  relative  du  radius  et  du  cubitus. 
Au  lieu  que,  comme  dans  la  pronation  par  révolution  radio- 
carpienne,  le  radius  se  couche  en  écharpe  sur  le  cubitus,  for- 
mant avec  lui  une  sorte  de  croix  de  Saint-André,  au  lieu  qu'il 
ait  sa  tète  en  dehors  et  sa  base  en  dedans,  et  au  lieu  que  le 
cubitus,  à  son  tour,  montre  son  extrémité  supérieure  intérieu- 
rement, et  l'inférieure  extérieurement,  et  enfin,  au  lieu  que 
les  deux  os  soient  en  contact  longitudinal  par  leurs  faces  ven- 
trales, et  que  leurs  faces  dorsales  soient  dirigées  en  sens 
opposé  l'une  de  l'autre,  celle-ci  regardant  en  avant,  celle-là 
en  arrière,  ici,  pas  une  de  ces  irrégularités  compliquées  et 
bizarres  :  le  radius  et  le  cubitus  tombent  d'aplomb  et  côte  à 


174  SÉANCE  DU  21  MARS   1895 

côte  parallèlement  juxtaposés  dans  toute  leur  longueur,  en 
contact  par  le  bord  latéral,  et  tournant  tous  deux  leur  face 
dorsale  en  avant. 

Ce  n'est  pas  sans  motif,  je  crois,-  que,  dans  la  discussion 
qui  suivit  la  lecture  de  mes  mémoires,  je  me  suis  montré 
scandalisé  qu'une  conformation  du  membre  thoracique  si 
étrange  et  si  exclusivement  particulière  aux  Monotrèmes,  fut 
passée  totalement  inaperçue  de  notre  collègue,  le  Dr  Alix, 
auteur  d'une  monographie  anatomique  de  l'Echidné,  en  même 
temps  que  de  tous  les  autres  naturalistes. 

La  totalité  des  Mammifères  terrestres,  distraction  faite  des 
Monotrèmes,  ayant  subi  la  demi-révolution  radio-carpienne, 
il  était  intéressant  de  rechercher  quelles  fortunes  diverses 
pouvait  avoir  eues  cette  transformation  fondamentale  sous 
les  influences  modificatrices  différentes  qui  avaient  produit  la 
grande  variété  d'espèces  de  cette  classe. 

Au  bas  de  la  série,  la  pronation  rotatoire  est  mobile,  en- 
tièrement libre,  alternant  à  volonté  avec  la  supination.  Cette 
faculté  se  conserve  sans  interruption,  depuis  les  Mammifères 
les  plus  inférieurs  jusqu'à  l'Homme,  à  travers  les  Edentés 
paléontologiques,  les  Marsupiaux,  les  Prosimiens,  les  Singes 
et  les  Primates  quadrumanes.  La  continuité,  la  persistance 
de  ce  type  brachial  de  la  base  au  sommet  d'une  progression 
d'espèces  séparées  d'ailleurs  par  de  si  nombreuses  et  de  si 
profondes  différences,  est  un  fait  remarquable.  Toutes  les 
espèces  qui  s'échelonnent  clans  cette  série  sont  plus  ou  moins 
arboricoles,  et  chez  elles  la  main  thoracique  sert  principale- 
ment à  saisir  et  à  grimper;  ce  n'est  qu'accessoirement  qu'elle 
sert  k  la  marche  sur  le  sol.  Pour  répondre  k  ces  conditions 
fonctionnelles,  la  rotation  radio-carpienne  se  fait  partout 
librement  et  avec  une  grande  amplitude. 

Cependant  cette  uniformité  brachiale  a  été  attaquée  sur 
divers  points  de  la  série,  sans  doute  par  certains  change- 
ments de  milieu  affectant  les  conditions  de  locomotion;  alors 
sur  la  grande  tige  unie  ont  apparu  ça  et  là  des  bourgeons 
morphologiques  divergents  qui  se  sont  développés  chacun  k 


DURAND.   —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  175 

sa  manière, et  avec*  plus  ou  moins  d'étendue.  Deux  seulement 
arrêteront  ici  notre  attention  :  l'un  a  acquis  le  développement 
d'une  mère  branche,  avec  des  ramifications  en  tout  sens  et 
de  tout  degré;  l'autre  n'a  donné  qu'un  faible  jet,  qui  ne  s'est 
allongé  ni  ramifié. 

Probablement  par  suite  de  la  destruction  des  forêts  sur  un 
point  du  globe,  les  Arboricoles  de  la  région  se  virent  dans  la 
nécessité,  sous  peine  de  mort,  de  demander  leur  subsistance 
et  leur  protection  à  la  course,  et  l'organe  préhenseur  dut  se 
façonner  à  la  marche.  Ce  nouvel  usage  ne  demandait  au  bras 
qu'une  pronation  continue,  et  la  fonction  de  préhension,  qui 
implique  le  jeu  alternatif  de  la  pronation  et  de  la  supination, 
étant  tombée  en  désuétude,  la  faculté  de  rotation  radio-car- 
pienne  se  restreignit  d'abord  faute  d'exercice  et  finit  par  se 
perdre  entièrement.  L'ankylose  gagna  progressivement  les 
articulations  qui  facilitent  ce  mouvement,  et  les  deux  os  de 
l'avant-bras,  constamment  couchés  l'un  sur  l'autre  et  en  con- 
tact mutuel,  tendirent  de  plus  en  plus  à  se  souder  ensemble. 

Les  Ours  et  les  Chats  nous  offrent  aujourd'hui  le  point  de 
départ,  le  terme  initial  de  cette  dégradation  croissante;  elle 
atteint  son  apogée  et  son  dernier  terme  chez  les  Chevaux. 
Chez  les  premiers,  tout  le  changement  se  borne  encore  à  une 
diminution  dans  l'amplitude  du  mouvement  radio-carpien  ; 
l'altération  des  parties,  en  ce  qui  concerne  l'avant-bras  et  son 
articulation  avec  le  carpe,  est  à  peine  sensible.  Au  contraire, 
chez  les  Solipèdes,  non  seulement  tout  mouvement  de  rota- 
tion du  poignet  est  anéanti,  mais  l'avant-bras  ne  possède 
plus  qu'un  seul  os,  le  cubitus  ayant  été  entièrement  absorbé 
et  supplanté  par  son  camarade,  et  n'ayant  laissé  d'autre  trace 
que  son  apophyse  olécràne  soudée  à  la  tète  du  radius,  qui 
forme  à  elle  seule  le  chapiteau  articulaire  sur  lequel  porte  la 
base  de  l'humérus.  Nous  négligeons  ici  les  altérations  non 
moins  considérables  éprouvées  par  les  derniers  segments  du 
membre. 

Entre  le  début  de  cette  transformation  du  membre  thora- 
cique  pour  l'adaptation  à  la  marche  et  à  la  course,  qui  s'ob- 


176  SÉANCE  DU  21  MARS  1895 

serve  chez  les  Chats,  et  son  entier  achèvement  réalisé  dans 
les  Chevaux,  l'évolution  se  développe  sur  plusieurs  lignes  dis- 
tinctes. Les  deux  plus  intéressantes  sont  celle  des  Périsso- 
dactyles  et  celle  des  Artiodactyles.  Toutes  ont  cela  de  commun 
que  le  radius  perd  peu  à  peu  l'obliquité  transversale  qu'il 
affecte  dans  la  pronation  libre,  qu'il  se  redresse  en  avant  du 
cubitus,  le  recouvre  d'abord  antérieurement  sur  toute  sa  lon- 
gueur, et  puis  l'absorbe  par  dégrés  jusqu'à  n'en  plus  laisser 
subsister  qu'un  faible  vestige  (Voir  :  Les  Origines  animales  de 
l'Homme,  p.  128). 

L'autre  embranchement  principal  de  l'évolution  morphogé- 
nique  du  bras  pour  la  constitution  de  la  pronation  perma- 
nente, celui  que  j'ai  comparé  à  un  bourgeon  peu  développé 
en  longueur  et  non  ramifié,  n'est  représenté  que  par  les  Elé- 
phants dans  la  faune  moderne.  Mais  il  se  prolonge  inférieu- 
ment  dans  le  monde  fossile,  jusqu'à  un  étage  zoologique  très 
bas,  jusqu'au-dessous  des  Mammifères,  suivant  quelque  appa- 
rence. En  effet,  je  constate  déjà  chez  certains  Dinosauriens 
une  tendance  très  décidée  à  la  prépondérauce  du  cubitus  sur 
le  radius.  Cette  prépondérance  est  déjà  acquise  et  considéra- 
ble chez  le  Dinothérium,  généralement  regardé  comme  le  pre- 
mier chaînon  de  la  courte  série  des  Proboscidiens  (Voir  :  Les 
Origines  animales  de  l'Homme,  p.  63). 

Si  l'anatomie  comparée  n'avait  pas  oublié  de  soumettre  à 
une  comparaison  critique  le  bras  de  l'Eléphant  et  celui  du 
Cheval  ou  du  Sanglier,  elle  se  fut  épargné  la  faute  grave  de 
réunir  les  Proboscidiens  à  des  types  radicalement  incompati- 
bles pour  composer  de  ce  mélange  hétéroclite  son  prétendu 
ordre  des  Pachydermes. 

Dans  mes  deux  mémoires  à  la  Société  d'Anthropologie,  j'ai 
été  le  premier  à  constater  le  caractère  absolument  sui  generis 
de  la  conformation  de  Pavant-bras  proboscidien.  Un  jeune 
naturaliste  le  signale  à  son  tour  dans  un  ouvrage  récent  : 
«  ...  le  cubitus,  dit-il,  est  plus  fort  que  le  radius,  même  vers 
le  poignet,  ce  qui  constitue  une  exception  remarquable  au 
type  général  »  (Félix  Bernard,  Paléontologie,  1894). 


DURAND.   —   DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  177 

D'après  les  indications  sommaires  qui  précèdent,  on  peut, 
je  crois,  se  rendre  compte  comment  l'anatomie  comparée  des 
membres,  vivifiée  par  la  théorie  de  la  torsion  de  l'humérus, 
deviendra  le  meilleur  guide  du  naturaliste  classificateur  et  lui 
fournira  le  plus  sûr  critérium  du  diagnostic  phylogénique. 
Pour  n'avoir  su  ou  voulu  employer  cette  clef  merveilleuse,  les 
deux  ou  trois  éminents  naturalistes,  zélés  disciples  et  conti- 
nuateurs de  Darwin,  qui  ont  tenté  de  résoudre,  par  la  théorie 
de  l'évolution,  le  problème  toujours  pendant  de  la  classifica- 
tion naturelle  des  espèces,  ont  échoué  dans  cette  entreprise. 

Réhabilitant  Lamarck,  Darwin  a  fait  triompher  ce  principe 
que  ce  que  les  naturalistes  de  la  vieille  école  appellent  Yaffi- 
nité  des  espèces  est  en  réalité,  et  dans  toute  l'acception  du 
mot,  un  rapport  de  parenté,  et  qu'il  faut  voir  dans  l'échelle 
des  êtres  organisés  un  véritable  arbre  généalogique.  Mais 
Darwin  ne  nous  a  donné,  ni  essayé  de  nous  donner,  un  crité- 
rium, une  pierre  de  touche  quelconque,  au  moyen  de  laquelle 
on  pourrait  sûrement  reconnaître,  affirmer  et  démontrer  les 
liens  de  filiation  d'une  espèce  à  l'autre.  C'est  ce  que  n'ont  pas 
compris  les  illustres  darwinistes  qui  se  nomment  Huxley, 
Cari  Vogt,  Haeckel,  etc.;  ils  semblent  avoir  crû  que  l'idée 
transformiste  prise  dans  sa  généralité  constituait  par  elle- 
même  une  méthode  pratique  de  biotaxie. 

Sans  aucun  doute,  les  grands  naturalistes  de  la  vieille 
école,  la  plupart  du  moins,  eurent  le  tort  de  repousser  la  con- 
ception de  la  génération  des  types  d'espèce  par  transforma- 
tion ;  mais  tout  en  refusant  d'admettre  la  possibilité  d'une 
parenté  physiologique  entre  les  espèces,  ils  y  substituèrent 
l'affinité,  qu'ils  allèrent  jusqu'à  définir  «  une  sorte  de  pa- 
renté ».  C'est-à-dire  que  tout  en  niant  la  réalité  de  la  parenté 
zoologique  ou  botanique,  ils  n'en  tenaient  pas  moins  grand 
compte  de  ses  signes  apparents,  et  n'entendaient  pas  moins  se 
fonder  entièrement  sur  eux  pour  déterminer  les  relations 
sériaires  des  êtres  et  la  place  légitime  de  chacun  dans  le  sys- 
tème de  la  nature  vivante.  Comment  en  douter  quand  ils 
reviennent  sans  cesse  et  insistent  avec  tant  de  force  sur  leur 


178  SÉANCE  DU  21   MARS  1895 

distinction  dogmatique  entre  les  classifications  naturelles  et 
les  classifications  artificielles,  entre  le  rapport  d'homologie  et  le 
rapport  d'analogie? 

La  doctrine  évolutionniste  ne  pouvait,  dès  lors,  donner 
aucun  sérieux  avantage  à  ses  adeptes  sur  les  classificateurs 
créationnistes  tant  qu'on  ne  décidait  du  degré  de  parenté  ou 
d'affinité  que  d'après  le  degré  de  ressemblance.  Aussi  les  pro- 
grès que  la  jeune  école  se  flatte,  a  bon  droit,  d'avoir  réalisés 
sur  les  vieux  systèmes  de  groupement  des  animaux  et  des 
plantes  est  dû,  non  point  à  une  méthode  diagnostique  qu'elle 
n'a  pas  encore  su  extraire  du  principe  de  l'évolution,  mais  à 
la  masse  des  observations  biologiques,  et  principalement  des 
découvertes  paléontologiques  et  embryologiques,  qui  se  sont 
accumulées  dans  ces  derniers  temps. 

Et  pourtant,  il  est  une  méthode  de  diagnose  phylogénique 
que  la  théorie  de  l'évolution  nous  tient  en  réserve  ;  elle  est 
fondée,  non  plus  sur  la  comparaison  des  ressemblances  et 
des  différences  apparentes,  mais  sur  l'interprétation  des  tra- 
ces hiéroglyphiques  des  formes  spécifiques  antérieures  et  des 
processus  de  transformation  empreintes  dans  les  formes  nou- 
velles. Ces  vestiges  révélateurs,  c'est  le  système  osseux  qui  en 
est  le  dépôt  principal.  De  ces  archives,  la  théorie  de  la  torsion 
de  l'humérus  a  déjà  extrait  tout  un  dossier  de  documents  h 
l'aide  desquels  il  nous  sera  possible  de  redresser  bon  nombre 
d'erreurs,  quelques-unes  fort  pesantes,  dans  les  généalogies 
animales  qu'ont  dressées,  avec  une  admirable  confiance,  les 
maîtres  de  la  zoologie  darwiniste,  et  dont  ils  garantissent 
l'authenticité.  Ce  jugement  demande  a  être  appuyé  de  quel- 
ques exemples;  je  serai  court. 

Haeckel  et  tous  les  naturalistes  de  la  jeune  école  nous  si- 
gnalent le  type  des  Batraciens,  et  plus  particulièrement  celui 
desAnures,  comme  étant  la  souche  des  Reptiles.  Or,  les  Uro- 
dèles  rectifient  la  torsion  humérale  parla  dislocation  rotatoire 
du  coude;  et  cette  lésion,  chez  les  Anures,  se  complique  de  la 
coalescence  et  de  la  fusion  en  un  seul  cylindre  du  radius  et  du 
cubitus  sur  une  moitié  de  leur  longueur,  et  de  l'interposition 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  179 

d'une  membrane  osseuse  sur  l'autre. Les  Lézards  et  les  Croco- 
diles ayant  le  coude  luxé  comme  les  Urodèles,  rien  dans  la 
morphologie  comparative  du  bras  ne  s'oppose  à  ce  que  ces 
derniers  soient  la  forme  mère  des  deux  autres,  mais  il  n'en 
saurait  être  pareillement  du  type  Grenouille  ou  Crapaud, 
les  deux  rayons  de  l'avant-bras  y  étant  solidarisés  indissolu- 
blement. 

D'autre  part,  les  Tortues  ne  sauraient  descendre  desAmphi- 
biens,  soit  urodèles,  soit  anures,  par  cette  raison  décisive  que 
le  type  brachial  de  ceux-ci  est  néomorplie,  c'est-à-dire  caracté- 
risé par  la  torsion  humérale,  la  cubitation  (disposition  en 
forme  de  coude  de  l'articulation  huméro-cubitale),  et  le  redres- 
sement consécutif  de  l'avant-bras,  tandis  que  la  Tortue  ma- 
rine, qui  est  évidemment  l'aïeule,  ou  peut-être,  pour  être  plus 
exact,  la  grand'tante  de  toutes  les  autres  Tortues,  a  le  bras  pro- 
tomorphe,  autrement  dit  sans  tortion  humérale,  et  sans  hétéro- 
morphie  ni  hétérotropie  à  l'égard  du  membre  postérieur,  ce 
qui,  enfin,  signifie  que  ce  bras  est  essentiellement  primitif  et 
archaïque.  De  cette  considération  il  résulte  que  les  Chéloniens 
sont  d'une  lignée  tout  autre  que  celle  des  Lacertiens  et  des 
Crocodiliens,  et  viennent  directement  de  la  mer;  et  que,  par 
conséquent,  les  avoir  réunis  à  ces  derniers  dans  une  classifi- 
cation qui  se  prétend  généalogique,'  c'est  une  faute  grave. 

La  paléontologie  nous  fait  connaître  un  type  entièrement  dis- 
paru et  très  singulier  qui,  par  sonostéologie,  se  place  immédia- 
tement au-dessous  des  mammifères.  Faute  d'avoir  consulté  la 
structure  du  bras,  on  l'a  casé,  comme  on  avait  fait  de  la  Tor- 
tue, et  avec  moins  d'excuse  encore,  dans  le  groupe  des  Repti- 
les, c'est-à-dire  en  compagnie  des  Lézards,  des  Crocodiles  et 
des  Serpents.  Or,  les  Dinosauriens,  car  c'est  d'eux  qu'il  s'agit, 
ont  un  bras,  qui  de  toute  impossibilité,  ne  peut  procéder  de 
celui  des  Batraciens,  qu'ils  soient  Urodèles  ou  Anures.  En  effet, 
chezleDinosaurien,  les  deux  os  de  l'avant-bras  sont  distincts 
et  libres,  et  l'articulation  cubitale  est  parfaitement  exempte  de 
luxation.  De  plus,  la  torsion  humérale  s'y  complète  par  la  pro- 
nation radio-carpienne  rotatoire,  comme  chez  les  Mammifères 


180  SÉANCE  DU  21   MARS  1895 

terrestres  (les  Monotrèmes  toujours  exceptés).  Par  ces  causes, 
le  Dinosaurien  ne  peut  pas  plus  être  l'héritier  morphologique 
de  l'Amphibien  que  le  Chien  ne  peut  être  celui  du  Mouton. 

La  filiation  des  Batraciens  aux  Dinosauriens  ne  peut  donc 
exister;  et  par  les  mêmes  causes  elle  ne  peut  exister  non  plus 
des  Batraciens  aux  Mammifères,  malgré  le  «  stammbaum  » 
zoologique  dellaeckel,  où  on  pousse  la  hardiesse  jusqu'à  faire 
de  ceux-ci  la  progéniture  immédiate  de  ceux-là. 

llaeckel  a  mérité  un  bon  point  en  se  séparant  courageuse- 
ment de  Huxley  sur  la  question  des  Haliosauriens  (Enaliosau- 
riens).  Il  a  compris  que  ce  que  j'avais  avancédans  mon  mé- 
moire de  1868  est  la  vérité;  c'est-à-dire  que  ces  êtres  sont 
entièrement  fils  de  la  mer,  et  que  tous  leurs  ancêtres  y  naqui- 
rent sans  en  jamais  sortir.  Il  est  incroyable  que  l'opinion  con- 
traire soit  jusqu'à  ce  jour  partagée  par  les  zoologistes  les  plus 
«  avancés  ».  Répetons-le  :  les  Ichthyosaures  et  les  Plésiorau- 
res,  mais  plus  particulièrement  les  premiers,  possèdent  la 
conformation  brachiale  la  plus  primitive,  la  plus  rudimentaire, 
en  un  mot  une  formation  des  membress  à  l'état  naissant.  Les 
faire  descendre  de  quadrupèdes  terrestres  à  l'humérus  tordu, 
à  l' avant-bras  mis  en  supination  par  cette  torsion,  et  puis  ra- 
mené à  la  pronation,  soit  par  incurvation  humérale  (Mono- 
trème),  soit  par  luxation  huméro-cubitale  rotatoire  (Batraciens, 
Reptiles,  Oiseaux),  soit  enfin  par  la  demi-révolution  radio- 
carpienne (Dinosauriens  etMammifères terrestres  supérieurs), 
c'est  un  défi  jeté  à  l'évidence. 

Après  avoir  sainement  jugé  de  la  situation  phylogénique 
des  Haliosauriens,  Haeckel  est  doublement  blâmable  de  s'être 
blousé  comme  il  l'a  fait  —  en  noble  compagnie  du  reste  —  au 
sujet  des  Cétacés.  Un  quart  d'heure  d'attention  suffit  pour  se 
convaincre  que  l'intime  structure  brachiale  des  Baleines  est 
celle  des  Enaliosauriens.  Sans  doute,  cette  structure  est  très 
dégradée,  mais  l'organe  n'en  porte  pas  moins  tous  les  signes 
caractéristiques  du  type  protomorphe,  comme  d'ailleurs  la 
construction  entière  de  l'animal,  et  rien,  absolument  rien  n'y 
décèle  une  influence  terrestre  quelconque.  Emboîtant  le  pas  à 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIONS  ANTHROPOLOGIQUES  481 

des  auteurs  qui  se  répètent  les  uns  les  autres  sans  contrôle, 
Haeckel,  n'hésite  pas  à  voir  dans  les  «  Walfische  »  des  mam- 
mifères terrestres  modifiés  par  le  milieu  aquatique.  Je  vois 
avec  plaisir  que  je  ne  suis  pas  seul  à  m'élever  contre  cette 
abominable  hérésie.  Dans  YEvolution  des  formes  animales  de 
Fernand  Priem  (Paris,  1891),  on  lit  :  «  A  cause  de  toutes  ces 
ressemblances,  plusieurs  naturalistes,  comme  Cari  Vogt  et  le 
docteur  Durand  (de  Gros),  regardent  les  Cétacés  comme  déri- 
vés directement  des  Reptiles  nageurs  »  (p.  374). 

Ce  que,  par  une  énorme  erreur,  Haeckel  affirme  touchant 
l'origine  des  vrais  Cétacés  (Baleines,  Dauphins,  etc.),  se 
trouve  être  la  vérité  même,  appliquée  aux  faux  Cétacés  ou 
Siréniens.  Mais  aussi,  quel  contraste  de  structure  entre  le 
membre  de  ceux-ci  et  le  membre  des  premiers!  Le  bras 
Sirénien,  bien  qu'horriblement  tourmenté  et  défiguré,  nous 
offre  encore  très  nets,  très  fortement  accentués,  tous  les 
traits  essentiels  de  l'organisation  brachiale  néo-morphe  :  tor- 
sion de  l'humérus,  cubitation,  etc.  (v.  Origines  animales  de 
V Homme,  p.  113).  On  est  évidemment  en  présence  d'un  Ongulé 
pentadactyle  terrestre  qui  a  échangé  sa  condition  contre  celle 
de  marin,  et  qui  s'est  revêtu  extérieurement  de  la  livrée  de  son 
nouveau  milieu.  Haeckel  n'a  rien  vu  de  cette  radicale  hétéro- 
génie  qui,  à  généalogiquement  parler,  met  un  monde  d'inter- 
valle entre  le  vrai  Cétacé  et  le  Sirénien.  Et  Haeckel  se  com- 
plaît à  aggraver  son  tort  en  nous  présentant  l'organisme  des 
vrais  Cétacés  comme  le  développement  phylogénique  de  l'or- 
ganisme Sirénien.  Tout  cela  est  prodigieux. 

Le  «  stammbaum  »  nous  présente  nombre  d'autres  préci- 
sions tout  aussi  scabreuses.  Par  exemple,  il  tire  les  Eléphants 
des  Rongeurs.  Le  savant  zoologiste  d'Iéna  a  certainement  né- 
gligé la  comparaison  anatomique  du  membre  antérieur  de  ces 
deux  types.  Elle  lui  aurait  appris  que,  chez  les  Proboscidiens, 
le  radius  est  couché  en  diagonale  sur  le  cubitus  comme  chez 
les  espèces  à  pronation  facultative,  et  que  ce  dernier  est  dans 
l'avant-bras  la  seule  colonne  de  sustentation  (ce  qui  explique 
son  grand  développement  relatif  et  l'atrophie  du  radius).  Ce 


182  SÉANCE  DU  21  MARS  1895 

parallèle  lui  eut  montré,  d'autre  part,  que,  chez  les  Rongeurs, 
le  radius  est  relevé  verticalement  en  avant  du  cubitus,  qu'il 
le  recouvre  entièrement,  et  partage  avec  lui  la  charge  de  l'hu- 
mérus et  du  train  antérieur  de  l'animal;  que  les  deux  rayons 
osseux  sont  aplatis  l'un  contre  l'autre,  et;  déplus,  adhérents  et 
ankilosés  dans  plusieurs  espèces.  Que  l'éminent  professeur 
nous  enseigne  par  quel  inconcevable  processus  le  radius  du 
Rongeur,  qui  s'est  déjà  tant  éloigné  sous  le  double  rapport 
fonctionnel  et  anatomique  de  sa  condition  initiale  de  supina- 
teur  et  pronateur  libre,  est  revenu  sur  ses  pas  pour  reprendre, 
chez  l'Eléphant,  la  posture  caractéristique  de  son  premier 
état.  Mais  tant  vaudrait  s'essayer  k  démontrer  par  quelles 
gradations  rétrogrades  l'esquille  formant  le  résidu  du  cubi- 
tus chez  un  Ruminant  ou  un  Solipède,  a  repris  vie  et  force 
peu  à  peu,  et  s'est  tellement  bien  accru,  qu'il  a  fini  par  for- 
mer l'énorme  masse  cubitale  du  Mastodonte,  et  prendre  une 
telle  revanche  sur  son  frère  le  radius,  qu'il  l'a  réduit  k  son 
tour  au  rôle  de  comparse. 

Inutile  de  pousser  plus  loin  cette  analyse.  Elle  aura  déjà 
suffi  k  démontrer  que  le  célèbre  naturaliste  allemand  et  ses 
émules  s'étaient  trop  hâtés,  beaucoup  trop  hâtés  d'annoncer 
que  par  une  vertu  inhérente  au  darwinisme,  l'histoire  généa- 
logique des  règnes  végétal  et  animal  était  un  fait  accom- 
pli, et  [que  le  grand  desideratum  de  l'histoire  naturelle,  si 
longtemps  poursuivi,  la  découverte  du  vrai  système  de  clas- 
sement des  êtres,  était  enfin  réalisé.  J'ai  essayé  de  faire  voir 
qu'un  tel  résultat  ne  pouvait  être  obtenu  qu'au  moyen  de 
critériums  spéciaux,  précis  et  pratiques,  et  j'ai  montré  le  pou- 
voir de  ma  méthode  en  me  servant  d'un  de  ces  critériums 
pour  relever  et  établir  plusieurs  erreurs  capitales  dans  une 
œuvre  de  classification  généalogique  qui  a  élevé  son  auteur 
au  premier  rang  des  naturalistes  de  l'époque. 

Nous  terminons  en  indiquant  un  enseignement  d'ordre 
général,  une  «morale»,  qui  se  dégage  des  faits  et  des  consi- 
dérations présentés  dans  les  deux  derniers  chapilres  du  pré- 
sent exposé. 


DURAND.  —  DIVERSES  QUESTIOiNS  ANTHROPOLOGrOUES  183 

Les  révélations  aur  la  morphologie  intime  et  la  morpho- 
génie des  Vertébrés  que  nous  devons  à  la  théorie  de  Charles 
Martins  développée,  nous  apprennent  que  le  progrès  phylo- 
génique  ne  se  fait  pas  seulement  par  évolution,  ce  mot  étant 
pris  dans  un  sens  restreint,  c'est-à-dire  par  un  développement 
lent,  continu  et  régulier  des  formes  organiques,  tel  qu'une 
croissance;  mais  qu'il  se  fait  aussi  autrement,  et  pour  la  ma- 
jeure part,  c'est-à-dire  par  voie  de  révolution  violente.  Par  ce 
mot  que  faut-il  entendre?  Je  réponds  :  des  changements  brus- 
ques et  plus  ou  moins  profonds  dans  les  conditions  du  milieu 
d'existence,  provoquant  chez  les  êtres  vivants  des  efforts  et 
des  essais  variés  pour  plier  leurs  organes  aux  nouvelles  exi- 
gences fonctionnelles,  et  ne  laissant  subsister  que  ceux  qui 
seront  parvenus  à  s'adapter  en  se  transformant.  Aussi,  les 
formes  des  organismes  les  plus.parfaits  ne  sont,  à  vrai  dire, 
que  des  amas  de  difformités  accommodées  et  régularisées,  dans 
lesquelles   peut  se   lire  l'histoire   des  vicissitudes  phylogé- 
niques  de  la  race.  Et  plus  un  organisme  est  parfait,  et  plus  il 
porte  en  lui  de  ces  cicatrices  témoins  des  blessures  reçues  par 
ses  ancêtres  dans  le  combat  de  la  vie.  Et  ce  combat  de  la  vie 
n'est  pas  tant  une  concurrence  pour  l'habitat  et  les  sbustances, 
que  Darwin  a  trop  exclusivement  considérée;  non,  ce  n'est 
pas  tant   une   lutte  de  l'individu  contre  ses  pareils,   qu'un 
«  struggle  »  dans  lequel  il  est  lui-même  son  propre  antago- 
niste, dans  lequel  il  s'acharne  à  vaincre  la  résistance  de  ses 
organes  pour  les  plier  à  de  nouvelles  fonctions.  Dès  lors,  les 
races  survivantes  et  prédominantes  ne  sont  pas  nécessaire- 
ment celles  qui  ont  supprimé  le  plus  de  concurrents  et  le  plus 
détruit  autour  d'elles;  ce  sont  plutôt  celles  qui  ont  passé  par 
le  plus  d'épreuves,  qui  ont  le  plus  souffert. 

Les  Mollusques  qui  vivent  en  ce  moment  au  fond  des  mers 
ne  comptent  sans  doute  pas  un  moins  grand  nombre  de  géné- 
rations derrière  eux  que  nos  animaux  les  plus  haut  placés  dans 
l'échelle  du  règne;  mais  ces  générations  se  sont  succédées 
sans  accident,  sans  catastrophe,  elles  sont  nées,  ont  vécu  et 
sont  mortes  dans  la  paix  et  l'uniformité  d'existence  —  et  la 


484  SÉANCE  DU  24  MARS  4895 

race  est  restée  emprisonnée  jusqu'à  ce  jour,  depuis  les  pre- 
miers âges,  dans  son  moule  rudimentaire.  Mais  les  animaux 
supérieurs  que  nous  observons  en  ce  moment,  représentent 
des  races  qui  ont  conquis  leur  élévation  par  une  série  d'in- 
nombrables épreuves  toutes  plus  ou  moins  douloureuses. 

Le  polyzoïsme  organique  nous  offre  à  son  tour  cet  exemple, 
que  pour  soutenir  moins  désavantageusement  le  «struggle  for 
life »,  et  pour  résister  aux  gros,  les  petits  organismes  ont  eu 
recours  à  l'association  ;  qu'ils  se  sont  groupés,  coordonnés, 
subordonnés,  organisés  en  un  mot,  et  que  par  ce  moyen  la 
faiblesse  a  triomphé  de  la  force. 

Discussion. 

M.  Manouvrier. —  Sans  partager  toutes  les  opinions  émises 
par  notre  ancien  et  très  honoré  confrère  M.  le  Dr  Durand  de 
Gros,  je  crois  que  la  communication  qui  vient  d'être  lue  et 
qui  résume  plusieurs  importants  travaux  de  l'auteur  mérite 
d'être  publiée  dans  le  Bulletin. 

Cette  publication,  mise  aux  voix,  est  acceptée. 

L'un  des  secrétaires  :  D1'  Paul  Raymond. 


619e  SEANCE.  —  4  Avril  1895. 
Présidence  de  M.  André  Lefèvre. 

M.  le  Président  annonce  la  mort  de  M.  le  Dr  E.  Besson  et 
de  M.  Ch.  Ploix,  membres  titulaires  et  exprime  les  regrets  de 
la  société. 

M.  le  Président  annonce  que  le  Comité  central  se  réunira 
le  Jeudi  44  Avril. 

ouvrages  offerts. 

M.  de  Longraire.  —  J'ai  l'honneur  d'offrir  à  la  société  deux 
brocbures  que  j'ai  publiées  et  qui  pourront  avoir  quelque 


OUVRAGES  OFFERTS  185 

intérêt  pour  elle.  La  première  est  le  compte  rendu  d'un  ou- 
vrage sur  la  mécanique,  de  Héron  d'Alexandrie  (celui  qui  est 
connu  par  la  fontaine  qui  porte  son  nom).  L'original  de  cet 
ouvrage  est  perdu,  mais  on  savait  qu'il  existait  k  Leyde  une 
traduction  arabe,  qui  a  été  traduite  en  français  par  M.  Carra 
de  Vaux.  Cette  Mécanique  a  dû  être  écrite  dans  des  temps 
voisins  de  l'ère  chrétienne  :  elle  est  curieuse  pour  les  détails 
qu'elle  donne  sur  la  connaissance  des  Grecs  Alexandrins  de 
cette  époque.  Elle  fixe  d'une  manière  plus  nette  que  Vitruve 
et  divers  autres  auteurs  les  idées  des  anciens  sur  la  mécani- 
que. 

La  seconde  traite  d'un  sujet  plus  général  :  les  tremblements 
de  terre  qui  ont  été  l'année  dernière  surtout,  à  l'ordre  du  jour 
par  les  nombreux  désastres  dont  bien  des  pays  ont  été  les 
victimes.  Je  m'y  suis  écarté  de  la  principale  solution  admise 
actuellement,  et  qui  repose  sur  l'hypothèse  d'explosions  sou- 
terraines formidables,  dont  l'existence  ne  peut  être  contrôlée 
par  aucune  observation  directe.  Il  m'a  paru  qu'il  convenait 
d'attaquer  le  problème  en  étudiant  les  désastres  les  plus  grands 
afin  de  se  rendre  compte  de  leur  mécanisme.  Les  observations 
les  plus  récentes  tendent  à  prouver  que  le  siège  des  effets  pro- 
duits dans  les  tremblements  de  terre  est  tout  à  fait  superficiel, 
qu'on  ne  doit  pas  leur  attribuer  les  dislocations  profondes 
appelées  failles  en  géologie,  et  que  les  modifications  du  sol 
affectent  faiblement  le  relief  général  du  terrain.  Ceci  posé,  si 
l'on  consulte,  comme  je  l'ai  fait,  les  récits  des  principaux 
tremblements  de  terre,  on  reconnaît  bientôt  que  les  grands 
désastres  ont  été  produits  par  des  glissements  de  terrains  qu'il 
conviendrait  dès  lors  d'étudier  d'une  manière  spéciale,  à  la 
manière  adoptée  par  les  ingénieurs,  lorsque,  dans  les  grands 
travaux  de  terrassements,  il  se  produit  des  éboulements  de 
masses  importantes  de  terres 

On  entrerait  ainsi  dans  la  sphère  de  l'observation  directe 
pour  quitter  celle  de  l'hypothèse  :  cela  n'expliquerait  pas  les 
secousses  légères  dont,  la  cause  reste  encore  obscure,  mais 
pour  celle-là,  des  appareils  séismographiques  1res  sensibles 

T.  VI   (4«  SÉRIE).  l;î 


486  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

fourniront  très  probablement  les  éléments  de  la  solution  à 
intervenir. 

Oloriz  (Dr  F.)  —  Distribucione  geografica  del  indice  cefalico 
en  Espagna,  Madrid,  1894. 

Cet  ouvrage  a  déjà  été  présenté  par  M.  Deniker.  (V.  Séance 
du  19  janvier  1895,  p.  50.) 

M.  Collignon.  —  Je  m'associe  pleinement  aux  remarques 
faites  par  M.  Deniker,  tout  en  désirant  y  ajouter  quelques  obser- 
vations. 

A  n'en  juger,  que  par  la  répartition  de  l'indice  céphalique, 
on  pourrait  dire,  avec  M.  Oloriz,  que  nul  pays  en  Europe  ne 
présente  pareille  homogénéité.  L'écart  moyen  entre  indices 
provinciaux,  n'est  que  de  6  unités,  contre  11  en  France;  le 
fait  est  certain  et  nous  souscririons  pleinement  à  cette  propo- 
sition, s'il  n'y  avait  une  grosse  restriction  à  faire.  En  France, 
les  luttes  de  race  qui  se  traduisent  à  nos  yeux,  par  des  diffé- 
rences d'indice,  ont  mis  en  présence  plusieurs  variétés  humai- 
nes, l'une  brachycéphale  et  numériquement  en  majorité,  les 
autres  dolichocéphales  brunes  ou  blondes  et  n'ayant  que  des 
prédominances  locales.  (Je  laisse  de  côté  les  variétés  rares, 
Basques,  Arabes,  Juifs,  etc.,  etc.).  Il  s'ensuit  que  ces  races 
devenues  stables  et  amies,  après  des  siècles  de  luttes  et  de 
heurts,  ont  gardé,  pour  ainsi  dire,  leurs  positions  après  le 
dernier  combat.  D'où  des  régions  où  chacune  d'entre  elles  a 
la  majorité,  et  d'où  des  écarts  d'indice.  Mais,  déjà  en  France, 
l'indice  céphalique  est  impuissant  à  séparer  les  dolichocé- 
phales blonds  du  nord,  des  dolichocéphales  bruns  du  midi. 
Que  serait-ce  si  l'analyse  devait  porter  sur  les  groupes  mixtes 
des  races  dolichocéphales  brunes  ? 

Or,  précisément,  c'est  ce  que  nous  observons  en  Espagne. 
Nous  y  retrouvons,  il  est  vrai,  comme  en  France,  des  brachy- 
céphales  et  des  dolichocéphales  blonds,  mais  à  l'état  de  mino- 
rité et  ne  révélant  leur  présence  que  par  un  relèvement  léger 
du  chiffre  moyen  de  l'indice  céphalique  (il  ne  dépasse  guère 
83  dans  les  cantons  bracbycéphales,  et  80  dans  ces  grands 
groupes  qu'on  nomme  Provinces)  ou  par  une  plus  forte  pro- 


OUVRAGES  OFFERTS  187 

portion  d'yeux  bleus  et  de  chevelures  claires.  En  revanche, 
sur  l'ensemble  du  pays,  prédominent  les  dolichocéphales 
bruns. 

Reste  à  savoir  si,  ce  principe  admis,  on  est  en  droit  de  par- 
ler d'uNiTÉ  de  race.  M.  Oloriz  dit  oui,  je  n'hésite  pas  à  répon- 
dre :  non.  Les  blonds  et  les  brachycéphales  (Celto-Ligures?) 
mis  à  part,  nous  devons  distinguer  en  Espagne  dans  le  vaste 
ensemble  des  dolichocéphales  bruns  des  races  très  diverses. 
J'ai  eu  l'occasion,  grâce  à  la  courtoisie  de  mes  camarades 
MM.  les  Officiers  espagnols  de  Saint-Sébastien,  de  pouvoir 
examiner  un  régiment  de  la  garnison,  dans  des  conditions 
toutes  particulières. 

Le  contingent  comprenait,  outre  les  Basques,  des  Gallegos 
(Gallice),  des  Castillans,  des  Catalans  et  des  Andalous.  On  les 
rangea  par  provinces  d'après  leur  lieu  de  naissance.  J'exami- 
nai de  la  sorte  des  groupes  assez  nombreux  de  chaque  caté- 
gorie, ayant  ainsi  sous  les  yeux  une  sorte  de  synthèse  anthro- 
pologique de  l'Espagne.  Bien  plus,  il  me  fut  donné  de 
mesure  rapidement  un  certain  nombre  de  soldats  de  chaque 
catégorie.  Les  mesures  les  différencièrent,  mais  légèrement. 
En  Gallice,  j'obtenais  80,  en  Andalousie,  en  Castille  et  en  Ca- 
talogne, 78  à  79.  Mais  il  suffisait  d'observer  pour  reconnaître 
des  différences  énormes,  et  que  des  mensurations  plus  com- 
plètes eussent  seules  pu  mettre  en  lumière  (indices  faciaux, 
indice  nasal,  indices  verticaux  du  crâne).  On  sentait  immé- 
diatement l'influence  du  sang  celtique  en  Gallice,  le  nez  se 
retroussait,  se  raccourcissait,  s'élargissait.  Le  reste  de  l'Espa- 
gne du  nord,  rappelait  plutôt  les  crânes  néolithiques  de  Sordes 
et  de  rilomme-mort,  alors  que  les  Andalous  nous  présentaient, 
dans  un  mélange  confus,  l'aspect  des  races  berbères  de  l'Afri- 
que du  nord.  La  longue  occupation  arabe  (disons  berbère)  de 
la  région,  a  prodigieusement  croisé  la  race  primitive,  si,  ce 
que  nous  ignorons,  celle-ci  ne  lui  était  pas  dès  la  plus  haute 
antiquité,  parfaitement  analogue.  Certains  sujets,  par  leur 
platyrrhynie  de  plus  de  90,  leur  peau  très  brune,  leurs  che- 
veux frisés  court,  leurs  lèvres  grosses,  accusaient  une  loin- 


488  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

taine  hérédité  nègre  :  d'autres,  ce  type  que  j'ai  isolé  dans  les 
oasis  du  sud  algérien  en  l'appelant  type  Gétule,  d'autres  enfin, 
le  Cro-Magnon  de  Khroumirie  ou  de  Kabylie. 

C'est  dire  qu'il  est  impossible  de  conclure  de  la  similitude 
révélée  par  un  seul  caractère,  fut-il  de  premier  ordre,  comme 
l'est  l'indice  céphalique,  à  une  parenté  ethnique,  et  qu'il  y  a 
lieu  d'appeler  sur  ce  point  l'attention  d'un  travailleur  zélé  et 
consciencieux,  comme  M.  Oloriz,  en  réclamant  de  lui,  le  sup- 
plément d'enquête  qui  s'impose. 

Autre  point  de  vue.  Dans  cette  nappe  uniforme  que  nous 
présente  la  carte  d'Espagne,  3  régions  se  teintent  en  bleu  plus 
ou  moins  foncé,  et  s'accusent  ainsi  comme  légèrement  bra- 
chycéphales.  L'une,  au  sud,  pourrait,  pense  M.  Oloriz,  révéler 
l'influence  ligure,  qu'atteste  le  palus  Liguslicum  des  anciens. 
La  seconde,  au  centre,  serait  celtique  et  rappellerait  le  souve- 
nir de  Celtibères.  J'y  souscris  volontiers;  ces  opinions  sont, 
jusqu'à  nouvel  informé,  les  soûles  admissibles,  et  je  dirai 
plus,  même  avant  tout  renseignement  positif,  on  pouvait  sup- 
poser qu'il  en  serait  ainsi.  La  troisième  est  au  nord,  elle  cou- 
vre en  majeure  partie  la  Gallice,  puis  les  Asturies  et  vient 
mourir  à  la  frontière  française,  dans  le  pays  basque.  En  un 
mot,  toute  la  chaîne  des  monts  Cantabres  qui  borde  le  littoral 
nord  de  l'Espagne  est  habitée  par  une  population  relativement 
brachycéphale,  par  rapport  au  reste  du  pays. 

Il  peut  en  être  déduit  que  le  Cantaber  indomifois,  rappelait, 
par  sa  forme  crânienne  comme  par  son  amour  de  l'indépen- 
dance, ses  frères  de  Ligurie,  d'Auvergne  ou  de  Bretagne. 
En  outre  et  personnellement,  le  fait  nous  intéresse  plus  que 
tout  autre,  car  il  apporte  un  argument  sérieux  à  l'appui  des 
opinions  que  nous  soumettions  récemment  à  la  Société  sur 
l'origine  des  Basques  français. 

Nous  trouvions  ceux-ci  plus  purs,  non  seulement  de  langue 
et  de  coutumes,  et  c'est  chose  depuis  longtemps  observée, 
mais  même  de  race  en  France  qu'en  Espagne,  et  nous  émet- 
tions l'explication  suivante.  Déjà  émigrés  dans  l'ancienne 
Novenpopulanie  dès  587  à  la  suite  soit  d'une  poussée  des  Wisi- 


OUVRAGÉS  OFFERTS  189 

goths,  soit  d'un  besoin  d'expansion  favorisé  par  l'extermina- 
tion des  habitants  du  sud-ouest  de  la  Gaule  lors  des  grandes 
invasions,  les  Basques  français,  dès  lors  mis  à  l'abri,  ou  peu 
s'en  faut,  de  toute  influence  étrangère,  se  sont  perpétués, 
jusqu'à  nos  jours  sans  autre  modification  que  de  lents  et 
graduels  croisements  rendus  rares  par  leur  langue  elle-même. 
Au  contraire,  les  Basques  d'Espagne,  déjà  cantonnés  dans 
leurs  limites  actuelles  et  voisins  vers  l'ouest  des  Celtes  d'As- 
turie  et  de  Gallice,  étaient,  avec  ceux-ci,  devenus  les  derniers 
soutiens  de  l'indépendance  lors  de  l'invasion  arabe.  Celle-ci 
se  heurta  à  leurs  montagnes  sans  jamais  y  asseoir  sérieuse- 
ment sa  domination.  En  revanche,  tous  les  cœurs  fiers  s'y  ré- 
fugièrent comme  dans  l'asile  suprême  da  la  liberté  et  s'y 
mêlèrent  lentement,  individuellement  et  amicalement  aux  au- 
tochtones, pour  ensuite,  au  cours  des  siècles,  redescendre  avec 
eux  vers  le  sud  et  rejeter,  outre  mer,  les  descendants  des  en- 
vahisseurs. 

Les  croisements  qui  en  résultèrent  sont  indéniables  et  les 
chiffres  observés  par  M.  Oloriz  les  traduisent  éloquemment. 
Les  Celtes  purs,  sur  le  vivant,  ont  en  moyenne  un  indice  cé- 
phalique  de  88  au  moins,  les  Basques  purs  de  83  environ, 
l'infiltration  lente  d'éléments  dolichocéphales  abaissa,  d'un 
côté  comme  de  l'autre,  le  chiffre  de  l'indice,  le  faisant  tomber 
à  80  ou  81  dans  les  régions  celtiques,  78  ou  79  en  pays  bas- 
que espagnol.  Les  2  races  primitives  ont  donc  perdu  leur  ca- 
ractère de  pureté  pour  prendre  l'aspect  des  races  mêlées, 
mais  sans  cesser  pourtant  de  conserver  un  faciès  spécial  dû 
au  fonds  primitif,  en  sorte  que  le  caractère  celtique  des  Gal- 
legos  et  des  Asturiens  demeure  évident,  malgré  leur  faible 
indice  de  81,  comme  le  cachet  basque  des  provinces  vascon- 
gades,  se  perpétue  en  dépit  de  leur  indice  de  78  ou  79,  mais 
l'un  et  l'autre  sont  atténués  et  doivent  se  démêler  patiemment 
sous  les  caractères  hétérogènes  surajoutés  par  les  croisements. 
Ainsi  doivent,  à  mon  avis,  s'expliquer  d'une  façon  toute  na- 
turelle, les  différences  de  type  entre  Basques  français  et  Bas- 
ques espagnols  qui,   depuis  si  longtemps,  servent  de  thème 


190  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

aux  controverses  des  anthropologistes,  et  j'ai  lieu  d'être  satis- 
fait des  arguments  nouveaux  que  vient  apporter  au  débat  le 
beau  travail  de  M.  Oloriz. 

Hovelacque  et  Hervé.  —  Etude  de  36  crânes  dauphinois  (dé- 
partement de  l'Isère)  (Extr.  de  la  Revue  de  l'Ecole  d'Anthropologie), 
in-8,  14  pages,  Paris,  1894. 

Koganei  (Dr).  —  Reitrage zur physischen  anthropologie der  Aino. 
II.  Untersuchungen  am  Lebenden  (Extr.  de  Mitth.  d.  medicin.  fa- 
cullàt  d.  Universitaet  zu  Tokio),  in-4°,  154  pages  et  planches, 
Tokio,  1894. 

Longraire  (L.  de).  —  Notice  bibliographique  sur  la  traduction 
des  «  Mécaniques  »  de  Héron  d'Alexandrie  de  M.  le  baron  Carra 
de  Vaux  (Extr.  des  Mém.  de  la  Soc.  des  Ing.  civils),  in-8,  28  pa- 
ges, Paris,  1894. 

Longraire  (L.  de).  —  Etudes  sur  les  tremblements  de  terre. 
Séismes  et  volcans  (Extr.  des  Mém.  de  la  Soc.  des  Ing.  civils), 
in-8,  94  pages,  Paris,  1895. 

Zaborowski.  —  Populations  de  l' Indo-Chine.  Les  Tsiams,  ori- 
gines et  caractères  (Extr.  de  la  Revue  scientifique),  in-8, 30  pages, 
Paris,  1895. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

The  Journal  of  the  Polynesian  Societg,\o\.  III,  n°  4.  —  A  Pau- 
motuan  dictionary  (part  U);  —  The  moriori  people  of  the 
Chatham  islands;  —  The  Maori  tribesof  the  east  Coast  New- 
Zealand;  — Traces  of  ancienthuman  occupation  inlbePelorus 
district,  Middle  island. 


Rapport  de  la  Commission  du   Musée  et  de  la  Bibliothèque. 

Pau  M.  Maximilien  (ieorges,  rapporteur. 

La  commission  du  musée  et  de  la  bibliothèque,  composée  de 
MM.  Salmon,  Vauvillé  et  Maximilien-Georges,  s'est  réunie  le 


MAXIMILIEN- GEORGES.    —  MUSÉE  ET  BIBLIOTHÈQUE  191 

28  février  et  a  désigné  comme  président  M.  Salmon.  Elle  s'est 
d'abord  occupée  de  la  bibliothèque. 

L'archiviste,  M.  Zaborowski,  nous  a  communiqué  les  ren- 
seignements suivants  : 

Le  budget  de  cette  année,  alloué  à  la  bibliothèque  a  été  a  peu 
près  entièrement  dépensé  dans  l'intérêt  de  la  science  et  de  la 
Société;  malgré  cela,  les  besoins  de  la  bibliothèque  étant  pour 
ainsi  dire  illimités,  il  y  a  toujours  de  pressantes  dépenses  à 
faire. 

La  Société  avait  un  nombre  considérable  d'ouvrages  et  de 
collections  non  reliés,  dette  année,  177  volumes  de  tous  for- 
mats ont  été  reliés  pour  le  prix  total  de  309  francs,  ce  qui 
donne  un  prix  moyen  de  1  fr.  75  par  volume.  La  commission, 
après  contrôle  de  cette  facture  de  dépenses,  enregistre  ce 
résultat  en  priant  le  bibliothécaire  de  faire  le  nécessaire  pour 
obtenir  encore,  s'il  est  possible,  de  nouvelles  réductions  de 
prix  auprès  des  relieurs. 

Un  triage  a  dû  être  fait  dans  ces  livres,  car,  les  relier  tous 
ensemble  nous  entraînerait  à  des  dépenses  trop  considérables 
pour  une  année.  La  commission  vous  propose  de  ne  faire 
relier  que  les  volumes  ou  publications  qui,  après  un  examen 
sérieux,  présenteront  un  intérêt  suffisant  pour  nous  engager 
à  faire  cette  dépense. 

Quelques  publications  très  importantes,  telles  que  le  Bulle- 
tin du  musée  d'Harward,  dix-sept  collections  de  bulletins  de 
Sociétés  françaises  et  diverses  autres  publications  qui,  eu 
égard  à  leur  moindre  intérêt  et  à  la  dépense  relativement 
élevée  à  laquelle  cela  nous  entraînerait,  sont  mis  de  coté  sur 
les  rayons  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  les  faire  relier. 

Pour  d'autres  publications,  encore  en  grand  nombre,  mais 
d'un  intérêt  plus  secondaire,  il  a  fallu  prendre  un  parti  encore 
plus  rigoureux;  par  suite  du  manque  de  place,  ces  publica- 
tions ont  dû  être  mises  complètement  de  côté  dans  un  local 
de  l'étage  supérieur.  Vingt-deux  collections  de  périodiques 
qui  s'accroissent  incessamment,  un  grand  nombre  de  publica- 
tions, la  plupart  étrangères  à  l'Anthropologie,  de  nombreuses 


102  SÉANCE  DU   \  AVRIL    1895 

brochures  ou  mémoires  isolés  sont  dans  ce  cas.  L'archiviste 
se  propose  défaire  un  tableau  très  succinct  donnant  des  indi- 
cations sommaires  à  l'aide  d'un  classement  par  groupes,  afin 
de  permettre  aux  membres  de  la  Société  qui  pourraient  en 
avoir  besoin,  de  faire  des  recherches  dans  ces  documents. 

De  nombreux  vides  qui  existent  dans  nos  collections  spécia- 
les qui  sont  souvent  consultées  n'ont  pu  être  comblés  par  suite 
de  l'indifférence,  de  la  négligence  des  directeurs  et  éditeurs 
de  périodiques  avec  lesquels  la  Société  fait  des  échanges,  ou 
de  la  poste  et  autres  causes  diverses. 

D'un  autre  côté,  le  bibliothécaire  cite  à  la  commission  les 
noms  de  MM.  Richet,  pour  la  Revue  scientifique,  Verneau  pour 
['Anthropologie,  Jacques,  de  Bruxelles,  pour  les  Bulletins  delà 
société  d'Anthropologie  de  Bruxelles,  qui  ont  apporté  un  grand 
empressement  à  nous  satisfaire. 

Parmi  les  collections  qui  ont  pu  être  complétées,  la  commis- 
sion vous  signale  les  suivantes  :  Bulletin  de  Palethnologie 
italienne,  Bulletin  international  de  l'Académie  de  Cracovie,  Société 
de  Géographie  italienne,  journal  anglais  «  Nature  »  Esscr  institute. 
Nous  avons  reçu  des  Sociétés  suivantes  et  notamment  des 
deux  premières,  l'Académie  de  Cracovie,  le  musée  de  Sera- 
jewo  et  l'Académie  royale  de  Dublin,  de  nombreux  volumes 
renfermant  des  travaux  de  premier  ordre. 

Le  bibliothécaire  vous  demande  de  décider  l'échange  avec 
le  journal  de  la  Société  finno-ougrienne  d'Helsingsfors.  Le 
compte  rendu  de  l'Académie  royale  d'Irlande,  l'Académie  des 
sciences  de  Philadelphie,  l'Académie  des  sciences  de  Cracovie, 
le  compte-rendu  du  musée  de  Serajewo.  La  commission 
signale  l'utilité  qu'il  y  aurait  à  accepter  cette  proposition, 
car  nous  avons  pour  devoir,  non  seulement  de  répandre  la 
connaissance  de  nos  recherches  aussi  loin  que  nous  le  pou- 
vons, mais  aussi,  à  l'emploi  de  la  langue  française  comme 
langue  scientifique. 

M.  Zaborowski  nous  informe  également  qu'il  a  recueilli 
cent  douze  photographies  depuis  l'année  dernière.  Toutes  se 
rapportent  à   l'Anthropologie;  elles   sont  classées  dans  des 


MAXIMILIEN-GEORGES.   —  MUSÉE  ET  BIBLIOTHÈQUE  193 

albums  faciles  à  consulter.  Il  en  reste  encore  un  certain  nom- 
bre se  rapportant  à  des  sciences  diverses  que  M.  l'Archiviste 
s'occupe  de  classer. 

Tous  nos  clichés  qui  n'avaient  encore  pu  être  rangés  ont 
été  classés  pour  la  première  fois  dans  l'ordre  dans  lequel  ils 
figurent  dans  nos  bulletins  autant  que  possible.  La  commis- 
sion émet  l'avis  que  ces  clichés,  qui  représentent  une  très 
grande  valeur,  soient  déposés  dans  une  pièce  fermant  à  clef, 
car,  dans  l'endroit  où  ils  se  trouvent,  il  nous  semble  qu'ils 
courent  des  dangers. 

L'étage  supérieur  a  été  récemment  fermé  par  une  porte 
vitrée  qui  a  été  mise  en  haut  du  palier  de  l'escalier,  ce  qui  a 
permis  d'y  déposer  une  grande  partie  des  publications  qui 
encombraient  le  local  de  la  bibliothèque;  malgré  cela,  cette 
installation  est  très  insuffisante  et  très  prochainement  ne 
répondra  plus  à  nos  besoins. 

Le  nombre  de  nos  Bulletins  pour  certaines  années  présente 
de  grandes  inégalités.  Ainsi  du  premier  volume  de  votre  troi- 
sième série  nous  n'avons  que  68  exemplaires  et  du  volume  IV 
de  la  première  série,  seulement  22;  alors  que  nous  en  avons 
488  du  Ve,  grâce  à  une  réimpression.  11  y  aurait  donc  lieu  de 
constituer  à  part  les  22  séries  qui  peuvent  être  complètes  : 
quant  aux  volumes  que  nous  avons  en  nombre  dispropor- 
tionné, la  commission  propose  qu'ils  soient  remis  à  l'éditeur 
pour  les  vendre. 

Il  a  été  fait  deux  achats  de  livres  importants  qui  sont  ; 
Brough  Smith  :  The  Aboriginal  of  Victoria  et,  Issel  :  Liguria 
geolor/ica  et  prehistorica. 

Cette  année  la  bibliothèque  a  reçu  un  don  important  de 
M.  Ghervin  en  brochures  et  livres.  M.  Rousselet  nous  a  en- 
voyé la  suite  en  deux  volumes  de  son  magnifique  dictionnaire 
de  géographie  (Vivien  de  St-Martin). 

En  vu  d'un  ordre  qui  nous  a  semblé  nécessaire,  la  commis- 
sion seraitd'avis  quelespublications,  volumes,  mémoires,  etc., 
que  la  bibliothèque  reçoit,  fussent  inscrits  sur  un  registre 
ad  hoc  au  moment  de  leur  réception  et  reçoivent  un  numéro 


194  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

d'ordre  afin  d'avoir  à  tout  moment  la  trace  de  leur  arrivée; 
ensuite,  après  examen,  un  triage  sera  fait  et  tout  ce  qui  sera 
jugé  inutile  ou  faisant  double  emploi  sera  éliminé. 

Au  sujet  des  volumes  prêtés,  la  commission  a  constaté,  sur 
le  registre  de  prêts,  qu'un  certain  nombre  d'ouvrages  emprun- 
tés depuis  longtemps  devraient  être  rendus  à  la  bibliothèque. 
L'archiviste  se  propose  d'adresser  un  rappel  pressant  a  tous 
les  membres  de  la  Société  qui  tardent  trop  à  rendre  les  volu- 
mes qu'ils  ont  entre  les  mains. 

La  commission  émet  aussi  l'avis  que  le  cachet  spécial  de  la 
bibliothèque  soit  apposé  sur  tous  les  volumes,  non  seulement 
sur  une  des  premières  feuilles,  mais  encore  sur  une  page  de 
l'intérieur. 

Les  dépenses  faites  cette  année  pour  le  compte  de  la  biblio- 
thèque se  décomposent  ainsi  qu'il  suit  : 

Achat  de  livres 102.43 

Reliure     .     .     . 309.90 

Couvertures   et  fermetures  d'albums.  117.60 

Collage  de  photographies 37.20 

Cartons  pour  les  brochures  .     .     .     .  15.10 

Frais  divers 2.90 

Total  .     .     585.15 

La  somme  allouée  à  la  bibliothèque  étant  de  650  francs,  il 
est  resté  à  M.  l'Archiviste  la  somme  de  64  fr.  85. 

La  commission  s'est  ensuite  occupée  du  musée. 

Par  les  soins  de  M.  Hervé,  conservateur  de  l'anatomie, 
toutes  les  collections  crâniologiques  de  la  Société,  sauf  l'Amé- 
rique, ont  été  classées  dans  un  ordre  méthodique  permettant 
d'en  embrasser  facilement  l'ensemble,  d'en  étudier  et  exami- 
ner les  détails  sans  perte  de  temps  et  sans  qu'il  puisse  se 
produire  de  confusion  dans  l'esprit  du  chercheur.  Pour  l'Amé- 
rique qui  reste  encore  à  classer,  M.  le  Conservateur  fait 
actuellement  construire  une  armoire  au  fond  de  la  salle  du 
musée,  ce  classement  sera  fait  par  ses  soins  cet  été. 


MAXIM1LIEN-GE0RGES.  —  MUSÉE  ET  BIULIUTHÈQUE  195 

Des  étiquettes  de  différentes  couleurs  ont  été  adoptées  par 
M.  Hervé  pour  les  différentes  époques  et  les  divers  pays. 
Elles  correspondent  au  classement  suivant  : 


Blanc. 
Jaune 
Gris  . 
Violet 
Rouge. 
Rose . 


EPOQUES. 

Crânes  néolithiques. 

—  Age  du  bronze. 

premier  âge  du  fer  et  gaulois. 

—  gallo-romains, 
mérovingiens. 

—  moyen-àge. 

PAYS. 


Vert —       France. 

Jaune —  Europe. 

Rose —  Asie. 

Bleu Afrique. 

Violet    ....  —  Océanie. 

Rouge   ....  —  Amérique. 

M.  A.  de  Mortillet,  chargé  de  la  partie  préhistorique  et 
ethnographique  a  exécuté,  dans  la  salle  du  haut,  un  travail 
de  classement  raisonné  et  méthodique  des  nombreux  et 
divers  objets  qui  constituent  nos  collections. 

Cette  salle  qui  a  été  remise  en  état  autant  qu'il  a  été  possi- 
ble de  le  faire,  est  déjà  insuffisante  à  recevoir  toutes  les  piè- 
ces qui  sont  aujourd'hui  classées  et  étiquetées.  Leur  inscrip- 
tion à  l'aide  d'un  numéro  correspondant  à  un  registre  expli- 
catif a  été  commencée  et  se  continuera  cette  année  afin  que 
le  moindre  objet  ait  une  fiche  indicative. 

Parmi  les  dons  faits  au  musée,  M.  de  Mortillet  nous  prie  de 
mentionner  particulièrement  : 

1°  Une  importante  collection  ethnographique  réunie  au 
Dahomey  au  cours  de  la  campagne  de  1893-1894,  par 
M.  Georges  Danjou,  notre  collègue,  aide-major  au  bataillon 
étranger  et  donnée  par  lui.  Cette  collection  comprend  341 


196  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

objets  :  armes,  vêtements,  poteries  votives,  bijoux,   fétiches, 
gris-gris,  etc. 

2°  Don  de  l'un  de  nos  vice-présidents,  M.  Ollivier-Beaure- 
gard  :  une  riche  parure  de  Javanaise,  vingt-deux  armes  java- 
naises (sabres  et  kriss)  et  diverses  pièces  ethnographiques  de 
l'Amérique  du  Sud. 

3°   Une   importante   série  de   pierres   taillées,    rapportées 

d'Egypte  par  M.  Lajard,  notre  collègue,  destinée  à  la  Société 

et  non  encore  présentée. 

Le  crédit  spécial  au  musée  et  de.     .     .     .     650  fr.  00. 

Les  dépenses  pour  l'année  écoulée  se  sont  réparties  ainsi  : 

Achat  d'un  lot  d'objets  en  fer,  cuivre  et  os  de  provenance 

africaine,  comprenant  :  un  torque,  un  bracelet,  une  pointe  de 

javeline  et  sept  épingles  en  forme  de  spatule  .     .         6  fr.  00 

Port  des  colis  Lajard 103         » 

Port  des  colis  Danjou 32         90 

Nettoyage  du  musée 78         50 

Travail  déclassement  (Frais d'employé  supplé- 
mentaire)        137         50 

Frais  divers 8         50 

Total.     ...     366  fr.  40 

11  est  donc  resté  à  MM.  les  Conservateurs  une  somme 
disponible  de  283  fr.  60. 

La  partie  du  local  affectée  au  musée  préhistorique  et 
ethnographique  étant  manifestement  insuffisante,  la  commis- 
sion exprime  l'avis  que  l'on  fasse  procéder  à  son  agrandisse- 
ment en  ouvrant  et  aménageant  la  pièce  qui  lui  est  conti- 
guë.  Cette  pièce  renferme  actuellement  les  os  longs,  qui  pour- 
raient trouver  place  dans  d'autres  pièces  moins  bien  éclairées 
où  sont  en  dépôt  les  objets  d'ethnographie  non  encore  classés. 

Malgré  le  travail  considérable  qui  a  été  exécuté,  il  reste 
encore  beaucoup  a  faire,  mais,  au  musée  comme  à  la  biblio- 
thèque, la  place  est  à  la  veille  d'être  insuffisante  et  la  Société 
devra  se  préoccuper  de  l'augmenter. 

La  commission  conclut  en  vous  proposant  de  voter  des 


MAXIM1LIEN-GE0RGES.    —   MUSÉE  ET  BIBLIOTHÈQUE  497 

remerciements  à  tous  les  généreux  donateurs,  ainsi  qu'à  nos 
collègues,  MM.  les  Conservateurs  et  M.  le  Bibliothécaire  pour 
le  zèle  et  le  dévouement  qu'ils  ont  apporté  à  remplir  leur 
tâche. 

PRÉSENTATIONS. 

M.  Capitan  présente  une  nombreuse  série  d'objets  ethno- 
graphiques du  Dahomey  apportés  en  France  et  soumis  à 
l'examen  de  la  Société,  par  M.  Royer,  sergent  d'infanterie  de 
marine. 

M.  Zaborowski.  —  De  toutes  ces  pièces  intéressantes  que 
vient  de  nous  présenter  M.  Capitan,  celles  qui  me  frappent 
surtout,  ce  sont  les  objets  votifs  recueillis  sur  des  tombeaux 
de  Dahoméens. 

Assurément,  ils  sont  d'un  usage  très  répandu.  En  Europe, 
dès  l'époque  néolithique,  à  la  place  de  ses  outils,  de  haches 
polies  de  fabrication  coûteuse,  on  offrait  au  mort  des  réduc- 
tions, des  modèles  de  la  dimension  de  jouets  d'enfants.  Les 
Chinois  ont  poussé  cette  pratique  économique  à  sa  limite  ex- 
trême. Les  modèles  d'objets  qu'ils  offrent  aux  morts  sont  des 
simulacres  en  papier.  Et  ils  sont  même  arrivés  à  ne  déposer 
dans  la  tombe  que  le  nom  écrit,  l'énumération  manuscrite  des 
objets  dont  ils  sont  censés  faire  honneur  à  leurs  parents  et 
amis  défunts. 

Il  est  donc  possible  que  ce  même  usage  existe  en  plusieurs 
points  de  l'Afrique.  Mais  c'est  la  première  fois  que  je  vois 
rapporter,  de  chez  les  vrais  nègres,  des  objets  votifs,  c'est-à- 
dire  des  modèles  réduits  de  l'outillage  que  l'usage  prescrit 
d'abandonner,  d'oifrir  aux  morts. 

MM.  G.  et  A.  de  Mortillet,  Lefèvre,  Regnault,  Thieullen, 
Vauvillé,  Fourdrignier  font  des  observations  sur  les  objets 

présentés. 

M.  Zaborowski.  —  Je  ne  conteste  pas  du  tout  le  caractère 
votif  des  poteries  dont  parle  M.  Adrien  de  Mortillet.  Je  ne 
conteste  pas  qu'on  a  pu  fabriquer  exprès,  pour  les  cérémo- 


-198  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

nies  funéraires,  des  modèles  de  vases  en  usage.  Mais  il  est 
bien  difficile  de  reconnaître  ce  caractère  purement  votif  même 
dans  les  poteries  de  très  petites  dimensions.  Car  on  se  sert 
encore,  aujourd'hui,  pour  les  besoins  culinaires,  de  poteries 
extrêmement  petites. 

Ce  qui  inspirait  l'offrande  d'objets  et  de  modèles  réduits 
d'objets  à  l'usage  du  mort,  c'est  la  conception  animiste  d'a- 
près laquelle  le  mort  continuait  d'avoir  les  mêmes  besoins, 
dans  un  monde  plus  ou  moins  éloigné.  Un  sentiment  plus 
complexe  s'est  manifesté  par  l'offrande  de  poteries.  A  l'ori- 
gine, les  vases  déposés  dans  les  tombeaux  étaient  destinés  à 
contenir  presque  uniquement  des  aliments  pour  le  mort.  Mais 
ensuite  cet  usage  n'a  pu  se  maintenir  qu'en  revêtant  un  ca- 
ractère purement  symbolique.  11  a  changé  d'aspect  et  s_'esi 
inspiré  assurément  d'idées  moins  simples,  moins  frustes  que 
les  croyances  d'après  lesquelles  le  mort  devait  être  pourvu 
d'une  provision  de  nourriture.  On  a  offert  des  tessons  au  lieu 
de  vases  entiers.  Et  il  peut  se  faire  qu'on  se  soit  inspiré  en 
cela  de  l'idée  qu'un  objet  cassé  était,  par  cela  même,  expédié 
dans  un  autre  monde  et  que  son  àme  suivait  celle  du  mort. 
Mais  les  énormes  quantités  de  tessons  qui  recouvrent  certains 
tombeaux,  prouvent  que  leur  offrande  avait  un  caractère  sym- 
bolique, peut-être  plus  difficile  à  définir  exactement  qu'on  ne 
l'a  cru. 

COMMUNICATIONS. 
Les  sauvages  de  l'Iiido-Chine.  —  Caraetères  et   origines. 

Par  M.  Zaborowski. 

Encore  aujourd'hui,  bien  que  pressés  de  toutes  parts,  tra- 
versés en  maints  endroits  et  mêlés  rapidement,  de  gré  ou  de 
force,  aux  populations  conquérantes  qui  les  ont  déjà  dépos- 
sédés de  tous  les  territoires  les  plus  fertiles  et  les  plus  salubres, 
les  sauvages  de  l'Indo-Chine  n'ont  pas  encore  été  complète- 
ment déterminés  dans  leurs  caractères  et  leurs  origines.  De 


ZABOROWSKI.  —  LES  SAUVAGES  DE  l/lNDO-GHINE  199 

rares  documents  nouveaux  et  une  étude  plus  minutieuse  de 
documents  déjà  connus,  m'ont,  cependant,  permis  de  for- 
muler à  leur  endroit,  dans  des  conférences  faites  en  1894  et 
en  1895,  des  conclusions  que  je  tiens  pour  définitives.  Je  me 
bornerai  ici  à  l'exposition  sommaire  de  ces  conclusions,  après 
avoir  rappelé  seulement  qu'on  a  cru  reconnaître,  tour  a  tour, 
parmi  eux,  un  fond  commun  différent,  tantôt  alfourou  (Tho- 
rel),  tantôt  négrito  (Hamy,  Verneau,  et,  depuis,  Lapicque  et 
d'autres),  plus  souvent  encore  javanais  (Garnier)  ou  malais 
(Harmand,  Hamy,  Cupet,  etc.),  finalement  battak-dayak 
(Harmand,  Hamy). 

Les  Négritos,  on  le  sait,  sont  des  noirs  à  cheveux  crépus. 
Ils  se  distinguent  surtout  par  leur  très  petite  taille  associée 
à  une  musculature  assez  forte  et  à  un  crâne  arrondi.  Les  Al- 
fourous,  en  présentant  des  caractères  semblables,  se  rappro- 
chent davantage  des  Papous. 

Les  caractères  des  Malais,  s'ils  offrent  des  variations  plus 
étendues,  sont,  cependant,  très  tranchés  par  rapport  aux  pré- 
cédents. 

Les  Malais  ont,  en  effet,  les  cheveux  noirs  à  reflet  bleuâtre 
et  raides,  et  leurs  yeux  quoique  à  peine  obliques,  sont  bridés. 
A  ces  deux  traits,  qui  sont,  d'ailleurs,  distinctifs  de  toutes  les 
races  mongoliques,  auxquels  se  joint  une  coloration  non  pas 
jaune  sale  mat  ou  jaune  grisâtre,  comme  chez  les  Annamites, 
mais  olivâtre  et  rougeâtre,  on  reconnaît  la  présence  certaine 
de  leur  sang. 

11  serait  assez  facile,  en  conséquence,  et  dès  qu'on  se  trouve 
en  présence  d'un  nombre  suffisant  de  sujets,  de  savoir  si  l'un 
ou  l'autre  de  ces  deux  éléments  domine.  Mais  ce  ne  sont  pas 
les  seuls  qui  soient  en  question  et  dont  la  présence  soit  ad- 
missible. 

J'ai  clairement  démontré,  dans  une  conférence  sur  les 
ïsiams  (Revue  scientifique  du  5  mars  1895),  que  j'ai  l'honneur 
d'offrir  à  la  bibliothèque,  qu'un  courant  d'émigration,  parti 
du  sud  de  l'Inde,  n'a  cessé  de  se  porter  sur  la  Cochinchine, 
depuis  les  premiers  siècles  de  notre  ère  au  moins.  Cette  émi- 


200  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

gration  si  ancienne  et  si  prolongée,  qui  se  poursuit  encore  de 
nos  jours,  a  dû,  nécessairement,  influer  sur  les  caractères  de 
la  population.  Et  ce  n'est  pas  tout. 

Mais,  pour  être  plus  clair,  j'ai  dû  établir  trois  divisions 
parmi  les  sauvages  de  l'Indo-Chine,  bien  que  leur  nombre 
total,  peu  élevé,  a  été  estimé  seulement  à  10,000,  d'après  des 
données  d'ailleurs  problématiques. 

Le  nom,  qui  leur  vient  de  leurs  voisins  annamites,  est  de- 
venu générique,  par  une  extension,  d'ailleurs  abusive.  Ce 
nom,  Mois,  qui  veut  dire  sauvages,  est  appliqué  à  ceux  d'en- 
tre eux  qui  sont  en  contact  avec  les  Annamites.  Je  l'ai  réservé 
pour  les  tribus  de  la  Cochinchine,  bien  que  tout  le  long  de  la 
frontière  de  l'Annam  il  soit  employé  pour  les  sauvages  encore 
rebelles  à  la  culture  annamite,  et  aussi  pour  des  tribus  plus 
ou  moins  métissées  qui  sont  venues  s'établir  à  demeure  au 
bas  des  hauteurs  qui  la  dominent. 

J'ai  trouvé  avantage  à  réserver  le  nom  cambodgien  de  sau- 
vage, Peunong,  qui  a  pris  aussi  un  sens  ethnique,  aux  tribus 
qui  furent  toujours  en  contact  avec  le  Cambodge  comme  à 
toutes  celles  qui  sont  établies  entre  le  Cambodge  et  l'Annam. 

Enfin,  de  même,  pour  les  populations  situées  au  nord  de  la 
ligne  prolongée  de  la  frontière  cambodgienne  ou  du  14e  degré 
de  latitude,  j'ai  réservé  le  mot  laotien  de  sauvage,  Khà.  Ces 
trois  subdivisions  ne  sont  peut-être  pas  aussi  arbitraires 
qu'elles  le  paraissent,  puisqu'elles  représentent  trois  groupes 
qui  ont  subi  des  influences  sensiblement  différentes.  Le  pre- 
mier, le  groupe  Moï,  entre  le  10e  et  le  12e  degré  de  latitude, 
est  fortement  mêlé  des  débris  de  l'ancien  peuple  Tsiam  et, 
plus  haut,  le  long  de  la  frontière  annamite,  de  Tsiams  encore, 
puis  d'Annamites.  Le  deuxième,  le  groupe  Peunong,  aurait 
été,  sans  nous,  assimilé  ou  détruit  par  les  Cambodgiens.  Le 
troisième,  le  groupe  Khà,  est  fortement  imprégné  de  la  civili- 
sation laotienne,  et  sa  destruction  par  les  Laotiens,  puis  par 
les  Annamites,  a  été  très  active  depuis  notre  conquête.  Envi- 
sagés dans  leurs  éléments  les  plus  consistants,  ils  présentent 
entre  eux  des  différences  physiques  appréciables.  Mais  ils  ne 


ZABOROWSKI.  —  LES  SAUVAGES  DE  L'INDOCHINE  20 1 

sont  pas  séparés  par  des  lignes  de  démarcation  suffisamment 
nettes,  parce  que  leurs  tribus  n'ont  pas  de  patrie,  ni  aucun 
lien  entre  elles.  Elles  se  poussent  elles-mêmes  en  tous  sens, 
se  laissent  transporter,  se  mêlent  et  s'entrecroisent  inces- 
samment. 

•      » 

De  nombreuses  mesures  ont  été  prises  par  M.  Néïs  sur  les 
Mois  de  Baria,  de  Bien-hoa,  et  les  Thioma,  qui  s'appellent, 
eux-mêmes,  Traos.  Les  moyennes  publiées  comme  ressortant 
de  ces  mesures  sont  généralement  inexactes  et  n'apppren- 
nent  rien.  Celles  plus  détaillées  concernant  les  Moïs  de  Baria, 
tout  contre  les  côtes,  m'ont  permis  la  recherche  suivante.  Us 
sont  petits.  J'ai  groupé  ensemble  les  plus  petits,  ceux  que 
leur  taille  de  1  m.  50  et  au-dessous  rapprochait  des  Négritos. 
J'ai  obtenu  le  tableau  suivant  : 

Tableau  I 

Taille  Indice  céphal. 

1,40 75,54 

1,42 75,70 

1,44  . 74,40 

1,45 81.50 

1,46 74,86 

1,46 77    » 

1,47 73,91 

1,49 77,70 

1.49 80,50 

1,50  .     .     .     .     .     .     .     .  74,80 

765,91 

Indice  céphalique  moyen  :  76,59. 

L'indice  céphalique  moyen  de  ces  dix  individus  est  bien 
inférieur  à  celui  des  Négritos  (de  80  à  84).  Et,  d'ailleurs,  il 
n'y  en  a  que  deux  qui  ne  si;  rattachent  pas  au  type  dolicho- 
t.  vi  (4°  série).  14 


-20-2 


SÉANCE  DU  4  AVRIL  4895 


céphalique.  Or,  s'il  y  avait  des  Négritos  parmi  les  Mois  de 
Baria,  nous  les  retrouverions  à  coup  sur  parmi  les  individus 
les  plus  petits,  précisément  dans  cette  série.  Mais  les  deux  in- 
dividus à  indice  de  80,50  à  81,50,  que  sont-ils?  Je  puis  affir- 
mer qu'ils  ne  sont  pas  négritos.  En  efïet,  M.  Neïs  a  rapporté 
un  grand  nombre  d'échantillons  de  cheveux.  Il  n'y  a  pas  de 
cheveux  laineux  parmi  eux.  La  plupart  sont  ondes  à  reflets 
roussàtres,  comme  peuvent  l'être  ceux  des  Dravidiens,  des 
Veddahs. 

Il  y  a  aussi  des  cheveux  noirs  et  droits  k  reflet  bleuâtre,  du 
type  des  cheveux  mongoliques,  par  conséquent.  A  quelles 
têtes  pourraient  se  rapprocher  ces  derniers,  sinon  aux  tètes 
arrondies? 

J'ai  recherché  quels  étaient  les  indices  céphalométriques 
des  tailles  les  plus  élevées,  de  1  m.  60  et  au-dessus.  Ces  tail- 
les représentent  le  quart  des  sujets  observés,  soit  25  p.  400. 
Voici  le  tableau  que  j'ai  obtenu  : 


Tableau 

II 

nd. céph. 

Taille 

lu  1.  eéph. 

Taille 

Ind.  céph. 

Taille 

83,33.   . 

4,61 

78,92.   .   . 

4,66 

75,13.    . 

.     1,60 

82,58.  . 

1,65 

78,35.   .   . 

4,62 

74,86.   . 

.     1,63 

83,32.  . 

1,61 

77,66.   .   . 

4,62 

73,73  .   . 

.     4 ,65 

81,46.   . 

1,63 

76,84.   .   . 

4,64 

73,65  .  . 

.     4,64 

80,87.   . 

1,62 

76,34.   .   . 

4 ,66 

73,65 .   . 

.     4,62 

80,54.   . 

1,60 

>o,^9.  .   . 

4,64 

73. 15  .   . 

.     4,64 

80,31.  . 

1,64 

75,77.   .   . 

4,64 

73.15.   . 

.     4,64 

80,40.   . 

1,61 

75,40.   .   . 

4,65 

79.23.   . 

1,64 

75,13.   .   . 

4,64 

H  fine    f'O    t 

îKlnan     1 

p<  rlnlii'liiwér 

halftfi  i 

mrs.  an  noi 

nbre  de 

n'ont  plus  la  même  importance  proportionnelle  (20  0/0)  que 
dans  le  précédent  (40  0  0).  Ht  ce  qui  domine  en  proportion 
égale,  ce  sont  les  sous-dolichocéphales,  au  nombre  de  8,  et 
le<  sous-bpachycéphales,  en  même  nombre.  L'indice  moyen 


ZABOROWSKI.  —  LES  SAUVAGES  DE  l'iNDO-GHINB  203 

est,  d'ailleurs,  seus-dolichocéphale  (77,60).  C'est  celui  des 
Tsiams  eux-mêmes  et  des  Indonésiens,  Dayaks  et  Battaks. 

A  quel  type  se  rattachent  les  sous-brachycéphales  ? 

Considérons,  d'abord,  pour  le  savoir,  la  taille  des  sujets 
dont  l'indice  céphalométrique  est  le  plus  élevé. 

Nous  avons  ainsi  le  troisième  tableau  suivant  : 

Tableau  III 

Ind.  céph.  Taille  Ind.  céph.  Taille 

87,21 1,50  83,05 1,57 

84,44 1,50  82,58 1,59 

83,97 1,58  82,58 1,65 

83,78 1,52  82,32 1,61 

83,43 1,49  80,54 1,60 

79,55 1,59 

La  taille  moyenne  des  cinq  plus  brachycéphales  est  seu- 
lement de  1,51.  La  taille  moyenne  générale,  de  1  m.  56,  est 
celle  des  Malais.  Et  je  suis  d'autant  plus  fondé  à  dire  qu'il  y 
a  là  un  élément  Malais  que,  sous  le  rapport  de  la  couleur  de 
la  peau,  de  la  nature  des  cheveux  et  de  l'horizontalité  du  re- 
gard, nos  Moïs  se  distinguent  nettement  des  Annamites.  Tout 
ce  que  nous  savons,  d'ailleurs,  de  la  composition  du  peuple 
Tsiam,  maître  de  la  Cochinchine  jusqu'à  notre  siècle,  nous 
met  en  présence  de  ces  trois  mêmes  éléments  :  Indien  Dravi- 
dien,  Indonésien,  Malais. 

Pour  les  Mois  de  Bien-hoa  et  pour  les  Thioma,  je  n'ai  que 
des  moyennes.  Ces  moyennes  ne  m'ont  pas  permis  de  dégager 
nettement  les  rapports  existant  chez  eux  entre  les  variations 
de  la  taille  et  celles  de  l'indice  céphalométrique.  Je  m'assure, 
toutefois,  que  c'est  toujours  dans  le  groupe  des  sous-dolicho- 
céphales que  se  rencontrent  les  tailles  les  plus  hautes,  ou,  si 
l'on  veut,  les  moins  petites. 

L'indice  moyen  général  est  d'ailleurs  celui  des  25  tailles  les 
plus  élevées  des  Moïs  de  Baria,  77.20.  Et  cela  permet  de  pré- 


204  SÉANCE  DU  4  AVRIL  4895 

voir  qu'en  avançant  dans  l'intérieur,  c'est  l'élément  indoné- 
sien sous-dolichocéphale,  plus  grand  que  les  Malais  et  plus 
ancien  que  tous  les  autres,  qui  tend  à  prédominer. 

*  • 

Huit  crânes  Mois  figurent  dans  les  collections  de  la  Société 

d'Anthropologie.  Des  mesures  en  ont  été  publiées  par  M.  Néïs 
qui  les  a  rapportés  et  donnés.  Elles  présentaient  des  discor- 
dances singulières.  J'ai  de  nouveau  étudié  complètement  sept 
de  ces  crânes,  comprenant  3  Mois  de  Baria,  2  Thiomas  et  deux 
Lays.  Et  on  verra  qu'ils  constituent  une  petite  série  parfaite- 
ment homogène.  Les  deux  Lays  sont  empreints  de  caractères 
d'une  évidente  dégradation.  Le  n°  G  est  très  prognathe  et  le 
n"  7  a  les  fosses  nasales,  sans  bords  inférieurs,  prolongées  en 
gouttières.  Les  deux  Thiomas  se  distinguent  par  une  hauteur 
spino-alvéolaire  extrêmement  réduite  (9  et  10""".),  moitié 
moindre  que  celle  observée  chez  les  Mois  de  Baria  (17  et 
18mm.).  Je  mets  de  coté  toutefois  les  mesures  absolues  pour 
ne  donner  ci-dessous  que  des  indices  : 

Crânes  Moïs  (Néïs) 


Thioma 

Lays 

77,01 

74,71 

74,40 

77,71 

74,71 

77,01 

74,40 

74.28 

85,84 

87, 50 

80,81 

83,63 

64,34 

67,40 

70 

68,46 

56 

55,31 

60,53 

54 

92,10 

89,45 

88,57 

86,84 

Indice  céphaliqne.  74,55  79,19  71,58 

—  vertical   .  .  77,05  78,61  75,56 

—  front,  stéph.  80,53  82,91  87,50 

—  facial    .  .  .  67,40  62,32  65,32 

—  nasal.  .  .  .  57,69  55,10  59,09 

—  orbitaire.  .  86,84  91,67  86,84 

Ils  sont  en  majorité  dolichocéphales  et  leur  indice  céphal. 
moyen  est  de  75,6.  Les  chiffres  donnés  par  M.  Néïs  pour  l'in- 
dice orbitraire  vont  de  84  à  100.  La  moyenne  serait  de  92,  Je 
n'ai  pas  trouvé  de  chiffres  aussi  élevés.  Et  l'indice  orbitaire 
moyen  des  sept  crânes  que  j'ai  mesurés  serait  de  88,9.  II 
place  nos  Moïs  à  la  limite  de  la  mésosémie,  non  loin  par  con- 
séquent  les  mongoliques. 


ZABOROWSKI.  —  LES  SAUVAGES  DE  L'iNDO-CHINE  205 

Leur  indice  nasal  à  tous  est  très  élevé.  Il  y  a  une  erreur 
dans  un  des  chiffres  précédemment  donnés  par  M.  Néïs.  Mes 
chiffres  vont  de  54  à  60,53  et  donnent  comme  moyenne 
56,96.  Autrement  dit  ces  crânes  sont  tous  platyrhiniens, 
caractère  négroïde. 

Je  les  ai  comparés  à  des  crânes  Javanais  et  Madurais  en 
raison  des  relations  historiques  qui  ont  pu  exister  entre  Java 
et  la  Cochinchine. 

Je  ne  reproduis  pas  mes  mesures.  Elles  montrent  que  Java- 
nais et  Madurais,  pas  platyrhiniens  et  pas  dolichocéphales,  du 
type  mongolique,  s'éloigne  d'eux  notablement. 

J'ai  mesuré  aussi  un  Orang  Sakaï  de  Malacca  (don  Mugnier). 
Celui-là,  de  sang  négrito,  est  bien  platyrhinien,  mais  il  l'est 
moins  que  nos  Moïs  et  s'écarte  nettement  d'eux  et  des  Mon- 
goliques  par  la  faible  hauteur  de  ses  orbites  (ind.  78.).  Les 
Dayaks,  d'autre  part,  en  offrant  quelques  traits  semblables 
sont  moins  longs  (ind.  77,52).  Ils  ne  sont  pas  phatyrhiniens 
et  leur  face  se  distingue  en  outre  par  une  différence  marquée 
dans  l'espace  inter-orbitaire  plus  grand  (25  contre  21).  Ce 
n'est  donc  que  parmi  les  Dravidiens  du  sud  de  l'Inde,  groupe 
dont  je  n'exclus  pas  les  Veddahs,  qu'on  rencontre  la  même 
réunion  des  caractères  crâniens  observés  chez  les  Moïs. 

J'ai  mesuré  deux  Malabarais,car  c'est  du  Malabar  que  vien- 
nent encore  aujourd'hui  les  Indiens  de  la  Cochinchine.  Voici 
les  indices  qu'ils  m'ont  donnés  : 

Malabarais  (don  Bassignoi) 


I.  h.  33  ans 

II.  f. 

dice  céphalique  .     .     . 

75,28 

78,78 

—     de  haut.   long.     . 

75,86 

— 

—     stéphanique. 

82 

82,91 

**  r 

55,81 

—     orbitaire  .... 

80 

88 

On   le  voit,  nous  retrouvons  chez  les  Malabarais  la  même 


206  SÉANCE  DU  4  AVRIL   1  89."> 

association  de  caractères  que  chez  les  Mois,  sous-dolichocé- 
phalie,  platyrhinie,  mésosémie. 

M.  Jagor  a  publié  des  mesures  prises]  sur  234  individus 
provenant  tous  des  tribus  Dravidiennes  du  sud  de  l'Inde 
(Zeitschrift  fur  Ethnologie,  1879.)  Je  ne -peux  pas  en  retirer 
un  argument  décisif,  puisqu'elles  ne  me  donnent  ni  la  lar- 
geur relative  du  nez,  ni  la  hauteur  des  orbites.  Mais  on  est 
frappé  de  ressemblances  évidentes  dans  les  caractères  abso- 
lus et  la  relation  de  lataille  aux  indices,  les  moyennes  de  ceux-ci 
étant  comprises  entre  69  et  79  et  les  tailles  moyennes  entre 
l'»43  et  lm66.  (Il  y  a  des  tailles  moyennes  de  1  In67  et  de  lm69 
chez  les  Mois  de  Bien-Hoa  et  surtout  chez  les  Thiomas.) 

Il  serait  sans  doute  utile  d'étudier  de  plus  près  les  chiffres 
de  M.  Jagor.  Mais,  dès  maintenant,  les  faits  recueillis,  les  obser- 
vations précédentes,  d'accord,  au  surplus,  avec  les  données  de 
l'histoire,  permettent  d'affirmer  qu'un  élément  d'origine  dra- 
vidienne  entre  comme  élément  essentiel  dans  la  composition 
de  nos  tribus  Mois.  Le  retrouvons-nous  plus  haut,  au-delà  des 
limites  de  la  Cochinchine?  On  n'aurait  pas  pu  répondre  à  une 
semblable  question  il  y  a  seulement  quelques  mois.  J'y 
réponds  aujourd'hui  sans  hésiter,  affirmativement.  Les  Tsiams 
ont  d'ailleurs  étendu  pendant  des  siècles  leur  domination  jus- 
qu'au Tonkin. 

»    * 

Ouelques  mots  d'abord  sur  le  groupe  des  Peunongs  pris 
dans  son  ensemble  : 

Un  vaste  territoire,  encore  indépendant,  est  réservé  à  ce 
groupe.  Il  comprend  les  tribus  les  plus  nombreuses,  et  il  est 
certain  qu'aujourd'hui  encore  beaucoup  de  ces  tribus  sont 
indemnes  de  tout  mélange  avec  les  Cambodgiens  et  les  Anna- 
mites. Elles  furent  les  dernières  visitées.  Elles  ne  l'ont  pas 
encore  été  toutes  et  l'intérieur  de  leur  pays  n'est  que  difficile- 
ment accessible.  Le  dernier  voyageur  qui  ait  donné  la  rela- 
tion de  son  voyage  chez  eux,  le  capitaine  Cupet,  dit  presque 
avec  insistance,  que  ce  sont  des  Malais,  de  robustes  Malais, 
dont  au  reste  il  admire  sans  réserve  la  musculature  et  les  for- 


ZAB0R0WSK1.   LES  SAUVAGES  DE  L'iNUO-CHI.NE  207 

mes.  M.  Harmand,  M.  Hamy  ont  cru  aussi,  longtemps,  qu'ils 
formaient  le  noyau  continental  de  la  race  Malaise.  Mais  ils 
sont  revenus  sur  cette  appréciation.  M.  Harmand  lui-même, 
en  effet,  a  montré  qu'ils  étaient  dolichocéphales  ou  sous-doli- 
chocéphales. 11  faut  distinguer  cependant.  Le  long  de  la  grande 
voie  de  pénétration  qu'est  le  Mékong,  et  en  contact  avec  les 
Cambodgiens,  c'est  bien  l'élément  Malais  qui  semble  l'em- 
porter.  Les  Piaks  comme  les  Kongs  du  Cambodge  ont  la 
même  forme  crânienne  que  les  Malais.  Quant  au  fond  origi- 
naire de  la  population,  j'ai  cru  pouvoir  aisément  en  déter- 
miner la  nature.  Chez  tous  les  Peunongs,   en  effet,  depuis 
les  Piaks  au  sud-ouest,  jusqu'aux  Bahnars  au  nord-ouest,  se 
rencontrent  des  usages  très  particuliers,  tels  que  celui  de  pas- 
ser de  lourds  anneaux  dans  le  lobe  étiré  de  l'oreille,  de  ma- 
nière à  ce  qu'il  arrive  à  descendre  aux  épaules,  celui  encore 
de  se  casser  les  deux  incisives  médianes  à  l'époque  de  la 
puberté,  et  celui  de  se  couvrir  les  bras  d'anneaux  de  cuivre. 
Eh  bien  !  ces  usages  si  particuliers  aux  Peunongs  sontéga- 
galement  distinctifs  des  Dayaks  de  Bornéo.  Et  j'ai  montré,  à 
l'aide  de  portraits,  que  les  caractères  extérieurs  qui  ont  le 
plus  frappé  chez  les  Peunongs  les  plus  indépendants,  telle 
que  la  robustesse,  une  musculature  presque  belle,  sont  égale- 
ment des  caractères  des  Dayaks.  Il  y  a  entre  les  deux  groupes 
des  identités  de  mœurs  et  de  formes  qui  ne  peuvent  avoir 
leur  explication  que  dans  ce  fait,  pour  moi  aujourd'hui  indé- 
niable, à  savoir  que  jadis  les  populations  primitives  del'Indo- 
Chine  étaient  en  relations  directes,  en  contact  territorialement, 
en  continuité  géographique,  avec  celles  de  Bornéo.  La  res- 
semblance des  deux  groupes  n'est  plus  aujourd'hui  complète. 
Sans  aucun  doute,  de  longs  siècles  d'une  vie  précaire,  misé- 
rable, ont  exercé  une  fâcheuse  dépression  sur  le  physique  des 
sauvages  indo-chinois.  Ils  ont  aussi  subi  d'autres  vicissitudes. 
On  m'a  signalé,  par  exemple, des  cheveux  ondes  et  même  très 
frisés  parmi  eux. 

Depuis  peu  de  temps,  le  Muséum  possède  quelques  crânes 
du  peuple  Bahnar.  qui  habite  aux  contins  nord-est  du  terri- 


208  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

toire  Peunong.  Grâce  à  eux,  je  puis  dire  à  quel  type  se 
rapportent  ces  cheveux  frisés.  Installés  dans  une  région  acces- 
sible, où  les  Missions  catholiques  ont  fondé  un  établissement, 
les  Bahnars  ont  été  décrits  autrefois  plus  ou  moins  exacte- 
ment. Ils  ont,  je  viens  de  le  rappeler,-  les  traits  de  mœurs 
distinctifs  des  Peunongs,  lobe  de  l'oreille  étiré  par  des 
anneaux,  dents  des  jeunes  fdles  pubères  limées,  maisons  com- 
munes des  Battaks. 

Un  voyageur  contemporain  (Navelle-Lanessan)  nous  les  a 
décrits  comme  plus  grands  que  les  Annamites,  avec  des  traits 
plus  réguliers,  des  cheveux  longs  roulés  en  chignons,  à  la 
mode  annamite.  Mais  il  y  aurait  aussi  parmi  eux  des  cheveux 
bouclés,  et  le  voyageur  en  question,  dit  même  crépus.  Je  n'ai 
pas  d'abord  fait  état  de  cette  assertion,  parce  que  celui  qui  l'a 
émise  ne  s'y  arrête  pas,  ne  semble  pas  en  connaître  l'impor- 
tance et  a  pu,  en  conséquence,  employer  le  terme  de  crépus 
sans  lui  attribuer  le  sens  ethnique  qu'il  a  à  nos  yeux,  .le  puis, 
aujourd'hui,  l'expliquer. 

MM.   llamy  et  Verneau  ont  bien  voulu    me   permettre  de 
prendre  quelques  mesures  sur  les  crânes  Bahnars  du  Muséum. 
Ils  sont  dissemblables  par  la  face.  Deux  d'entre   eux,  s;ms 
glabelle  apparente,  sans  dépression  à  la  base  du  nez,  avec  un 
sensible,  développement  de  l'espace  interorbi taire  (24  millimè- 
tres), rappellent  le  crâne  mongolique.  Mais  tous  sont  allongés. 
et  deux  le  sont  extrêmement.  Et  s'ils  portent  la  trace  de  mé- 
langes, ils  se  rattachent  par  leurs  caractères  essentiels,  à  un 
même  type  fondamental.  Et  ce  type,  on  peut  s'en  assurer  par 
la  comparaison  des  trois  caractères  fondamentaux  tirés  des 
indices  céphaliques,  nasal  et  orbitaire,  c'est  celui  de  nos  crâ- 
nes Moïs,  modifiés  dans  la  face  notamment.  L'indice  céphali- 
que  suffît  à  écarter  absolument  l'hypothèse  de  la  présence  de 
Négritos  et  de  cheveux  crépus. 


ZABOROWSKI.  —  LKS   SAUVAGES  DE  l'INDO-CHINE  209 

Granes  Bahnars  (Muséum) 

sans  n° 
DIAMÈTRE  I  II  III         IV  V  1 

Diamètre  ant.-posf  ....  178  176  172  182         Enfant    184 

—       transv 128     •  132  129  122  128 

Nez.  Haut 51  46,5  48  50  50 

Larg 28  29,5  27  27  27,5 

Orbites.       Larg 41  44  37  39,5  40 

Haut 33  32,5  31,5  31,5  30 

Espace  interorbitairo .  .  .  .       21,5        19  24  25  21,8 

Indice  céphalique 71,91       74,99  75  67,03 

—  nasal 54,90      63,40  56,25  54 

—  orbitaire 80,48      73,56  84,93  79,48 

Si  je  ne  me  trompe  et  depuis  quejc  les  ai  étudiés,  on  les  a  rap- 
prochés des  Dayaks.  Et,  en  effet,  il  y  en  a  bien  deux,  comme  je 
viens  de  le  dire,  dont  la  face  notamment,  par  la  distance  sépa- 
rant les  orbites,  peut  rappeler  la  physionomie  des  Dayaks. 
Mais  ils  se  séparent  de  ceux-ci,  par  l'indice  céphalique  bien 
plus  bas  (72,  23)  et  par  leur  platyrhinie  accusée,  caractère 
qui,  je  le  répète,  n'est  pas  mongolique,  mais  négroïde. 

Parmi  les  Bahnars,  le  fond  est  donc  le  même  que  chez  les 
Moi's  cochinchinois.  Ils  sont  bien  plus  près  de  la  zone  côtière 
•  pie  les  autres  Peunongs,  et  ont  certainement  été  mêlés  davan- 
tage que  les  autres  Peunongs  à  la  vie  du  peuple  Tsiam.  Leur 
langue  porte  l'empreinte  de  leurs  origines  et  des  multiples 
influences  qu'ils  ont  subies,  car  elle  renferme  des  mots  malais, 
laotiens,  tsiams  et  annamites.  Il  est  bien  probable  que  la  pro- 
portion des  mots  tsiams  est  la  plus  considérable. 

Tel  serait  ainsi  le  résumé  ethnogénique  de  l'Indo-Chine. 

Des  tribus  de  mêmes  caractères,  de  mêmes  mœurs,  de  mè_ 
mes  origines  que  les  Dayaks,  ont  été  séparées  de  ceux-ci,  re- 
foulées dans  l'intérieur,  avant  l'arrivée  des  Annamites,  pat- 
deux  éléments  qui  se  sont  plus  ou  moins  intimement  mêlés  à 
eux,  et  qui  ont  d'ailleurs  joué  le  même  rôle  sur  les  côtes  des 
grandes  îles  de  la  Malaisie,  l'élément  Dravidien  et  l'élément 
Malais. 


210  SÉANCE  DU  4  AVRIL  4895 

J'ai  pu  me  procurer  quelques  portraits  photographiques  de 
sauvages,  grâce  a  l'obligeance  d'un  résident  au  Tonkin, 
M.  Bonin.  Voici  un  portrait  de  Rodi,  une  des  peuplades  Peu- 
nongs  les  plus  importantes.  Sa  physionomie,  commune  aussi 
chez  les  Gouys  du  Cambodge,  s'éloigne  peu  du  type  malais. 
Mais  voici  un  groupe  de  cinq  Moïs  (Ching-Thauch  ?)  de  l'ar- 
rondissement de  Thudan-Mot,  entre  la  frontière  cambod- 
gienne et  le  territoire  de  Saigon.  Quatre  d'entre  eux  sont  à 
peu  près  identiques  à  ce  Rodi.  Le  cinquième  avec  la  petite 
hotte  et  la  hachette  au  manche  en  crosse  que  portent  tous  les 
sauvages  indo-chinois,  a  des  formes  plus  arrondies,  les  mus- 
cles pectoraux  plus  développés,  la  figure  plus  pleine  et  l'ou- 
verture des  narines  est  cachée,  les  ailes  étant  un  peu  moins 
larges  et  le  lobule  descendant  un  peu  plus  bas.  Ces  légères 
modifications  suffisent  pour  réaliser  absolument  la  physio- 
nomie des  Battaks  de  Sumatra.  Et  des  portraits  du  Muséum 
prouvent  que  cette  physionomie  n'est  pas  rare.  Voici  un 
groupe  plus  nombreux  de  la  même  provenance  et  où  figurent, 
d'ailleurs,  les  cinq  individus  qui  précèdent.  La  même  phy- 
sionomie Rodi  domine.  Tout  le  haut  de  la  face  participe  de 
l'élargissement  des  pommettes,  ce  qui  donne  au  bas  de  la  face 
un  aspect  triangulaire.  11  y  a  des  physionomies  moins  larges 
du  haut  et  plus  longues,  qui  se  rapprochent  davantage  du  type 
caucasique,  et  d'autres  aussi  qui  paraissent  négroïdes  par  la  pro- 
jection de  la  région  sous-nasale.  D'autre  part,  n'était  la  saillie 
du  nez,  les  enfants  avec  leur  front  bombé  si  large,  leur  pau- 
pière un  peu  tombante,  recouvrant  le  bord  des  cils,  rappelle- 
rait de  fort  près  la  figure  annamite.  La  barbe  est  absente  chez 
tous,  sauf  un.  le  plus  négroïde.  La  peau  glabre  associée  à  un 
crâne  sous-dolichocéphale  et  à  des  yeux,  horizontaux  est.  en 
effet,  la  caractéristique  dominante  de  ces  populations,  placées 
ainsi  entre  les  caueasiques  et  les  mongoliques  purs. 

Je  n'ai  plus  qu'un  mot  à  dire  des  Khas.  Ils  comprennent 
les  mêmes  éléments  que  les  Peunongs  dans  la  zone  qui  leur 
est  commune  avec  eux.  Ils  se  distinguent,  cependant,  car  Ma- 
jais   et   Dravidiens  semblent    disparaître  entre  deux  autres 


ZABOROWSKI.   —  LES  SAUVAGES  DE  L'iNDO-CHINB  211 

couches  ethniques,  le  Laotien  qui  tend  à  absorber  tout  ce  qui 
reste  des  sauvages,  et  un  type  caucasique  particulier  qui  est 
encore  à  définir  anatomiquement.  Il  a  la  figure  allongée,  le 
nez  droit  et  étroit.  N'étaient  les  cheveux  droits  et  la  peau 
glabre,  n'étaient  aussi  les  femmes,  aux  traits  qui  attestent  les 
mélanges  de  sang  mongolique,  on  le  prendrait  pour  un  type 
européen. 

D'après  les  quelques  renseignements  que  nous  avons  sur  les 
Lolos,  et  les  petites  tribus  enclavées  dans  les  montagnes  du 
sud-ouest  du  Yunam  et  des  confins  du  Thibet,  il  se  ratta- 
che à  leur  groupe.  Et  d'après  les  portraits  de  Siamois  que  j'ai 
eu  sous  les  yeux,  il  aurait  constitué  le  premier  substratum 
ethnique  de  la  partie  nord  et  occidentale  de  l'Indo-Chine. 
Des  lgorutes  de  Luçon  en  reproduisent  aussi  l'aspect  exté- 
rieur. 

Discussion. 

M.  Lapicque  conteste  divers  points  de  cette  communication. 

M.  Vinson.  — Je  ne  veux  rien  dire  sur  le  fond  de  la  ques- 
tion qui  vient  d'être  discutée;  je  me  propose  seulement  de 
présenter  quelques  observations  rapides.  Notre  honorable  col- 
lègue, M.  Zaborowski,  vient  de  parler  des  Malabars  comme 
étant  de  grande  taille.  Cette  affirmation  m'étonne,  car  j'ai 
passé  dix  ans  dans  l'Inde,  parmi  les  Malabars,  et  mon  im- 
pression est,  au  contraire,  qu'ils  sont  plutôt  généralement 
petits.  Du  reste,  il  faudrait  savoir  ce  que  vous  entendez  par 
«  Malabars  »?  Désignez-vous  ainsi  l'ensemble  des  Dravidiens, 
ou  seulement  ceux  qui  parlent  tamoul?  Les  indigènes  de  la 
côte  orientale  ou  ceux  de  la  côte  occidentale?  Vous  avez  parlé 
d'une  tribu  qui  se  trouve  au  sud  des  Nilagiris,  dans  le  Coïni- 
batour,  et  dont  les  membres  seraient  petits  et  noirs.  Vous 
n'ignorez  pas  que,  précisément,  sur  les  hauteurs  des  Nilagiris 
habitent  les  Todas,  population  fort  intéressante,  qui  paraît  de  ' 
taille  relativement  grande,  et  qui  est  incontestablement  dra- 
vidienne. 

M.  Zaborowski  a  parlé  d'émigrations  de  Dravidiens  vers 


212  SÉANCE  OU  4  AVRIL  1895 

l'Est.  La  chose  n'est  pas  douteuse;  et  beaucoup  de  mots  ta- 
mouls  se  sont  introduits  dans  le  vocabulaire  malais.  Y  a-t-il 
eu  plusieurs  émigrations?  Gomment  se  sont-elles  produites? 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  l'une  des  causes  de  cet  exode  est 
la  victoire  définitive  du  Brahmanisme' sur  le  Bouddhisme.  Les 
traditions,  à  défaut  d'histoire  positive,  dont  les  Indiens  n'ont 
pas  le  sens,  nous  apprennent  que  les  vainqueurs  furent  im- 
pitoyables. 


Auutomie  des  formes  —  Modelés  déterminés  par  l'expansion 
aponévrotiqne  du  muselé  biceps  brachial.  —  Aspects  diiïe- 
rentsdu  muscle  biceps  lors  delà  supiuatioa  et  de  la  proua- 
tion. 

Par  Edouard  Cuyer. 

L'utilité  des  études  anatomiques  appliquées  aux  beaux-arts 
est  absolument  démontrée,  nous  ne  développerons  donc  pas 
les  raisons  qui  militent  en  faveur  de  cette  opinion. 

Cependant,  on  est  quelquefois  tenté  de  croire  qu'une  étude 
très  superficielle  et  réduite  à  l'examen  des  faits  principaux  est 
suffisante,  il  n'en  est  rien.  Nous  sommes  convaincu  que  cer- 
tains détails,  qui  peuvent  sembler  avoir  une  importance 
secondaire,  ne  sauraient  être  passés  sous  silence. 

Nos  convictions  personnelles,  dont  la  force  s'appuie  sur  l'en- 
seignement de  notre  éminent  et  cher  maître  le  professeur 
Mathias-Duval,  nous  engagent  à  signaler,  afin  de  prouver 
l'exactitude  de  l'idée  que  nous  émettons  plus  haut,  les  causes 
qui  déterminent  certains  modelés  du  bras  au  niveau  de  la  ré- 
gion occupée  par  le  biceps  brachial,  modelés  dont  nous  ne 
connaissons  pas  de  description  antérieure,  autre  que  celle 
donnée  dans  ses  cours  par  .M.  Mathias-Duval;  en  effet,  dans 
son  enseignement  oral,  M.  Mathias-Duval  attire  l'attention  sur 
quelques-unes  des  dispositions  dont  nous  allons  analyser  l'en- 
s'emble  en  y  ajoutant  quelques  développements. 

Serait-il  suffisant,  par  exemple,  d'apprendre  que  le  biceps 
se  termine  a  sa  partie  inférieure  par  une  expansion  aponé- 


EDOUARD  CUYER.   —  ANATOMIE  DES  FORMES  213 

vrotique  qui  bride  Tes  muscles  antérieurs  de  l'avant-bras  en  y 
déterminant  une  gouttière?  Serait-il  suffisant  de  savoir  sim- 
plement que  le  biceps  est  supinateur  et  fléchisseur  de  Pavant- 
bras?  Nous  ne  le  croyons  pas,  et,  d'après  des  observations  qui 
nous  sont  personnelles,  nous  allons  le  démontrer. 

Supposons  l'avant-bras  dans  la  ilexion;  cette  attitude  est 
réalisée  parles  contractions  simultanées  du  biceps,  du  brachial 
antérieur  et  dulong  supinateur;  mais  neconsidérons  que  le  bi- 
ceps. Son  expansion  aponévrotique,  attirée  de  bas  en  haut  par 
la  contraction  des  fibres  charnues,  s'enfonce  dans  les  muscles 
del'avant-braset  y  détermine  une  gouttière. *  Mais  cette  gout- 
tière n'estpas  le  seul  modelé  résultant  de  la  présence  de  l'expan- 
sion, car  elle  est  précédée  d'une  saillie  nettement  détachée  sous 
le  bord  interne  de  laquelle  la  peau  s'enfonce  plus  ou  moins. 

L'explication  de  cette  saillie  ne  doit  pas  être  passée  sous 
silence,  en  tout  cas  la  cause  qui  la  détermine  doit  être  ana- 
lysée par  l'artiste. 

Comment  cette  saillie  est-elle  déterminée,  ainsi  que  la  gout- 
tière, par  l'expansion  aponévrotique?  Celle-ci  bride  les  mus- 
cles dans  sa  partie  inférieure,  parce  que  la  pression  que  sa  ten- 
sion détermine  agit,  à  ce  niveau,  perpendiculairement  à  la 
surface  de  la  masse  musculaire  qu'elle  recouvre.  Elle  soulève 
la  peau  dans  sa  partie  supérieure  parce  que,  dans  cette  région, 
elle  est  soulevée  elle-même  par  le  fait  de  sa  tension  et  de  celle 
du  tendon  du  biceps  qu'elle  accompagne,  et  que,  de  plus,  elle 
ne  peut  s'enfoncer  dans  la  masse  correspondante  du  brachial 
antérieur  qu'elle  recouvre  parce  qu'elle  agit  parallèlement  à  la 
surface  de  ce  muscle;  pour  ces  raisons,  tout  ce  qu'elle  peut 
déterminer  par  sa  partie  supérieure  c'est  un  soulèvement  de 
la  peau  au  niveau  de  l'angle  rentrant  formé,  pendant  la  flexion, 
par  la  direction  de  l'avant-bras. 

Dans  l'extension  de  l'avant-bras  la  gouttière  existe  égale- 
ment à  cause  de  la  traction  exercée  dans  ce  cas  sur  l'expan- 
sion aponévrotique  par  l'allongement  du  biceps,  mais  la  partie 

1  Mathias-Duval.  Précis  d'anatomie  artistique,  pages  224  et  225. 


214  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

supérieure  de  celte  expansion  ne  détermine  pas  de  saillie,  car 
elle  se  confond  alors  avec  les  masses  qui  l'entourent  et  sur  les- 
lesquels  elle  repose. 

On  sait  que  le  tendon  inférieur  du  biceps  s'insère  à  la  moi- 
tié postérieure  de  la  tubérosité  bicipitale  du  radius  ;  or  cet  os 
tourne  sur  le  cubitus,  pour  passer  de  la  supination  à  la  prona- 
tion ;  la  tubérosité,  qui  dans  la  supination  est  interne,  devient 
postérieure  dans  la  demi-pronation  et  externe  dans  la  prona- 
tion complète.  11  en  résulte  que  le  tendon  s'enroule  autour  de 
l'extrémité  supérieure  du  radius  et  que,  si  les  muscles  prona- 
leurs  restent  inactifs,  le  biceps,  en  se  contractant,  déroule 
son  tendon  et  entraîne  alors  le  radius  dans  la  supination. 

Supposons  l'attitude  suivante  prise  par  le  modèle  :  les  deux 
avant-bras  fléchis,  mais  l'un  étant  dans  la  supination  et  l'au- 
tre dans  la  pronation.  C'est  une  attitude  que  l'on  peut  avoir 
à  reproduire,  si,  voulant  représenter  un  sujet  qui  soulève 
un  fardeau  par  la  flexion  des  avant-bras,  on  désire  ne  pas  don- 
ner la  même  attitude  générale  aux  deux  membres  supérieurs. 

Nous  constaterons  alors  un  modelé  complètement  différent 
au  niveau  de  chacun  des  deux  biceps  :  le  biceps  qui  appar- 
tient au  membre  dont  l'avant-bras  est  en  supination,  a  son 
corps  charnu  court,  globuleux,  nettement  limité  à  son  bord 
inférieur  par  une  ligne  convexe  éloignée  du  pli  du  coude. 
Au  contraire,  du  coté  où  la  pronation  a  lieu,  le  corps  charnu 
du  biceps  est  de  forme  allongée,  son  bord  inférieur  est  moins 
net  comme  modelé;  c'est  qu'alors,  le  tendon  étant  enroulé 
autour  du  radius,  le  corps  charnu  est  attiré  en  bas,  ce  qui 
s'oppose  à  ce  qu'il  se  raccourcisse  aussi  complètement  par 
l'effet  de  la  contraction.  De  là  l'aspect  particulier  qu'il  pré- 
sente par  rapport  au  biceps  du  côté  opposé. 

En  résumé  :  même  degré  de  flexion  des  deux  avant-bras, 
deux  biceps  contractés  avec  la  même  énergie,  mais  dissem- 
blables comme  forme  et  comme  dimensions;  ceci  sous  l'in- 
fluence de  la  situation  particulière  du  radius  dans  l'altitude 
de  la  supination  et  dans  celle  de  la  pronation. 


EDOUARD  CUYER.   —  ANATOMIE    DES   FORMES  215 

Nous  en  profitons  pour  répéter  encore  que  les  artistes  ne 
doivent  pas  hésiter  à  faire  de  Fanatomie  une  étude  appro- 
fondie, et  c'est  aussi  bien  pour  les  affermir  dans  cette  con- 
viction que  nous  livrons  à  la  publicité  d'un  mémoire  les 
considérations  précédentes,  que  pour  leur  rappeler  une  fois 
de  plus  qu'entre  celui  qui  connaît  la  raison  d'être  des  for- 
mes et  celui  qui  l'ignore,  la  différence  est  trop  grande  pour 
que  les  résultats  obtenus  par  le  second  soient  d'une  valeur 
égale  à  ceux  que  pourra  obtenir  le  premier. 

L'an  des  secrétaires  :  A.  Viré. 


620e  SEANCE.  —  18  Avril  1895. 
Présidence  de  M.  André  Lefèvre. 

M.  le  Président  annonce  que  M.  le  Professeur  sir  William 
Turner,  membre  associé  étranger,  assiste  à  la  séance. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Dory  (Alphonse).  —  Les  mines  préhistoriques  de  l'Aramo  (As- 
turies),  in  Revue  unie,  des  Mines,  in-8,  48  pages,  Bruxelles, 
1894  (offert  par  M.  L.  de  Longraire). 

Lefkvre  (André).  —  Les  Indo-Européensdu  Nord  (Extr.  de  la 
Tribune  Médicale),  in-8,  32  pages,  Paris,  1895. 

Turner  (William).  —  On  M.  Dubois'  description  of  remains 
'ecently  found  in  Jaoa  named  by  him  pithecanthropus  ereclus  (In 
Journ.  ofAnat.  and  Phys.,  april  1895),  in-8,  24  pages,  Londres. 

M.  Manouvrier  présente  et  résume  cet  ouvrage  en  insistant 
sur  les  accords  et  les  divergences  existant  entre  les  conclu- 
sions de  M.  le  Professeur  Turner  et  ses  propres  conclusions 
exposées  dans  la  séance  du  3  janvier-  1895.  (Voir  le  Bulletin 
de  cette  séance.) 


/ 


216  SÉANCE  DU  4  AVRIL  1895 

Discussion  sur  le  Pithecanthropus. 

M.  Hovelacque.  —  Il  me  semble  difficile  de  discuter  d'une 
façon  définitive  sur  le  «  Pithécanthrope  »  de  Dubois  sans  avoir 
les  pièces  sous  les  yeux,  ou  du  moins  de  bons  moulages.  En 
tout  cas,  je  ne  suis  guère  porté  à  voir  dans  tels  ou  tels  crânes 
humains  des  «similaires»  du  crâne  en  question.  Par  sa  vi- 
sière, ou  son  auvent,  si  l'on  aime  mieux,  ce  dernier  se  rap- 
proche sans  doute  des  crânes  de  la  plus  ancienne  race  qua- 
ternaire, cela  est  incontestable,  mais  si  l'on  remarque  que  der- 
rière cet  auvent  se  trouve  un  diamètre  frontal  très  réduit,  puis 
ensuite  un  fort  élargissement  de  la  région  pariétale,  on  recon- 
naîtra que  ce  type  n'est  pas  humain.  Je  ne  reconnais  cette 
forme,  vue  de  haut,  ni  chez  les  néanderthaloïdes,  ni  chez  les 
Australiens.  Par  ce  caractère,  comme  par  sa  capacité,  le  pithé- 
canthrope s'éloigne  de  l'homme,  mais  je  reconnais  qu'il  est 
supérieur  aux  anthropoïdes;  cela  est  non  moins  évident. 

Quant  au  fémur,  je  ne  puis  l'attribuer  au  môme  individu. 
Des  caractères  d'infériorité  supposés  qu'on  lui  prête  ne  me 
paraissent  pas  tels.  Le  plus  ou  moins  de  largeur  de  l'espace 
de  la  région  poplitée,  le  plus  ou  moins  de  saillie  de  telle  ou 
telle  crête  se  rencontrent  constamment  chez  l'homme.  Sauf 
constatation  évidente  sur  l'os  lui-même,  je  regarde  celui-ci 
comme  humain. 

Or,  je  ne  puis  associer,  dans  un  même  individu,  un  fémur 
d'homme  et  un  crâne  plus  ou  moins  simien,  celui-ci  fùt-il  plus 
élevé  en  évolution  que  le  crâne  des  autres  anthropoïdes.  Les 
deux  pièces  trouvées,  d'ailleurs,  à  20  m.  de  distance  l'une  de 
l'autre,  appartiennent  à  deux  individus. 

M.  Manouvrier.  —  Je  ne  crois  pas  que  la  forme  humaine 
du  fémur  de  Java  puisse  suffire  à  démontrer  que  ce  fémur  ne 
provient  pas  du  même  individu  que  le  crâne.  Ainsi  que  je  l'ai 
fait  observer  dans  mon  rapport  à  la  séance  du  3  Janvier,  l'é- 
volution du  fémur  a  dû  être  en  avance,  sur  celle  du  crâne, 
car  l'attitude  et  la  locomotion  bipèdeont,  vraisemblablement, 


OUVRAGES  OFFERTS  217 

été  la  cause  du  perfectionnement  intellectuel.  Actuellement 
encore,  il  existe  des  races  humaines  sauvages  dont  le  crâne 
est  morphologiquement  inférieur  au  crâne  européen,  alors 
que,  par  le  fémur,  ces  races  ne  le  cèdent  en  rien  aux  races 
civilisées. 

M.  Verneau  rappelle  que  l'on  connaissait  déjà  un  certain 
nombre  de  crânes  offrant  les  courbes  générales  du  Pithecan- 
thropus  de  Dubois;  de  Quatrefages,  par  exemple,  a  signalé  et 
figuré  des  crânes  modernes  avec  un  front  plus  fuyant  et  une 
voûte  plus  surbaissée  que  la  pièce  classique  du  Néanderthal. 
Sir  William  Turner  a  insisté  sur  ce  point,  et  l'une  des  figu- 
res de  son  mémoire  nous  montre  des  courbes  antéro-posté- 
rieures  superposées;  au-dessous  du  Néanderthal  se  place  un 
crâne  d'Irlandais  et  un  crâne  d'Australienne  de  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud.  Par  conséquent,  au  point  de  vue  de  la  courbe 
antéro-postérieure  tout  au  moins  le  Pithecantluopus  ereclus  de 
Dubois  ne  présente  rien  d'absolument  exceptionnel. 

Le  docteur  Dubois  a  insisté  sur  l'énorme  cuspide  postérieure 
de  la  molaire  trouvée  à  quelque  distance  de  la  voûte,  et  il 
voit  dans  ce  caractère  quelque  chose  de  tout  à  fait  étranger  ;i 
l'espèce  humaine.  Or,  M.  Verneau  a  rencontré  facilement  des 
troisièmes  molaires  offrant  la  même  disposition.  Il  cite  no- 
tamment un  crâne  de  Moï  de  l'Indo-Chine,  le  premier  qu'il 
ait  examiné  à  ce  point  de  vue  et  qui  montrait  une  troisième 
molaire  supérieure  pourvue  d'une  cuspide  postérieure  encore 
plus  développée  que  celle   figurée  par  M.    Dubois.  —  Il  ne 
faudrait  donc  encore  pas  exagérer  la  valeur  de  ce  caractère. 
M.  Hervé  fait  remarquer  que  trois  hypothèses  peuvent  être 
émises  au  sujet  du  crâne  de  Java.  Il  s'agit,  ou  d'un  crâne 
humain,  ou  d'un  crâne  d'anthropoïde  d'espèce  inconnue,  ou 
bien  d'un  crâne  d'une  espèce  intermédiaire  entre  l'homme  et 
les  anthropoïdes.  En  ce  qui  concerne  la  première  hypothèse, 
on  peut  remarquer  qu'on  ne  connaît  a  Java  aucune  race  hu- 
maine présentant  les  caractères  du  crâne  en  questiou. 

M.  Demker  dit  qui1  la  dent  de  Java  s'éloigne  des  dénis  bn- 

t.  vi  (4°  série).  <3 


218  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

mairies  par  sa  grosseur,  mais  qu'elle  s'en  rapproche,  au  con- 
traire, par  sa  forme. 

M.  Manouvrier  —  A  propos  du  surbaissement  de  la  voûte 
crânienne  et  de  l'inclinaison  frontale  dont  a  parlé  M.  Verneau 
je  ferai  observer  qu'il  ne  s'agit  pas  de  savoir  s'il  est  possible 
de  rencontrer  dans  l'espèce  humaine,  à  l'état  isolé,  tel  ou  tel 
des  caractères  existant  sur  le  crâne  de  Java.  Il  s'agit  ici  d'un 
ensemble  de  caractères  réuni  sur  un  seul  et  même  crâne  et  tel 
qu'aucune  race  humaine  connue  n'en  présente  de  semblables. 
Le  cràneduNéanderthalse  rapproche  beaucoup  du  crâne  de 
Java,  par  sa  forme,  mais  il  s'en  éloigne  beaucoup  par  sa  ca- 
pacité. C'est  là  un  point  très  important  à  mes  yeux,  et  sur 
lequel  j'ai  insisté  dans  mon  travail  sur  la  question  au  mois 
de  janvier.  Car  si  la  faible  capacité  du  crâne  de  Java  était  en 
rapport  avec  une  taille  très  exiguë,  alors  c'est  la  forme  géné- 
rale du  crâne  et  son  frontal  en  visière  qui  devient  extraordi- 
naire. Et  si  la  faible  capacité  crânienne  coïncidait  avec  une 
forte  taille,  alors  le  sujet  était  un  idiot.  En  ce  cas  il  reste  à  se 
demander  si  ce  sujet  représente  une  race  stupide  ou  bien  si 
c'était  un  individu  anormal,  un  microcéphale,  c'est-à-dire  une 
monstruosité  dans  sa  race.  Comme  il  est  peu  satisfaisant 
d'admettre  que  M.  Dubois  soit  tombé  par  hasard  sur  un  cas 
exceptionnel,  on  est  conduit  à  considérer  comme  plus  proba- 
ble l'hypothèse  qu'il  s'agit  d'un  représentant  d'une  race  sau- 
vage disparue  très  inférieure  à  toutes  les  races  humaines 
connues. 

Si  au  crâne  on  ajoute  la  dent,  cette  dernière  hypothèse  ac- 
quiert une  plus  grande  probabilité,  car  ni  le  professeur  Tur- 
ner,  qui  possède  pourtant  une  très  belle  collection  de  crânes 
Australiens,  ni  moi,  n'avons  pu  trouver  une  seule  troisième  mo- 
laire supérieure  présentant  tous  les  caractères  de  la  dent 
de  Java.  J'ai  bien  signalé,  dans  mon  travail,  une  troisième  mo- 
laire humaine  qui,  par  sa  direction  et  le  volume  de  sa  cou- 
ronne, ne  diffère  point  de  la  «lent  de  Java,  mais  c'est  une  troi- 
sième molaire  inférieure.  En  outre,  le  volume  de  ses  racines  est 
de  beaucoup  dépassé  parla  dent  de  Java.  Ici  encore  il  faudrait 


OUVRAGES  OFFERTS  219 

montrer,  dans  l'espèce  humaine,  non  pas  une  dent  présentant 
l'un  des  caractères  de  la  dent  de  Java,  mais  bien  une  dent 
pourvue  d'un  ensemble  de  caractères. 

En  montrant  que  l'on  peut  facilement  trouver  dans  l'espèce 
humaine  l'un  des  caractères  invoqués  à  l'appui  de  la  non  pro- 
venance humaine  de  la  dent  de  Java,  M.  Verneau  contribue 
tout  simplement  à  corroborer  cette  opinion  :  que  si  la  dent 
en  question  est  simienne  par  son  volume,  elle  est  plutôt  hu- 
maine par  la  surface  de  sa  couronne.  Telle  a  été  mon  appré- 
ciation qui  vient  d'être  appuyée  par  M.  Deniker. 

Or,  si  la  dent,  comme  le  crâne,  est  intermédiaire  entre  l'état 
humain  et  l'état  simien,  c'est  un  argument  à  invoquer  en  fa- 
veur de  la  commune  provenance  des  deux  pièces  en  dépit  de 
la  distance  de  1  mètre  qui  les  séparait,  Et  si  la  dent  apparte- 
nait au  crâne,  cela  contribue  à  caractériser  la  forme  bestiale 
de  celui-ci,  sans  le  rapprocher  des  anthropoïdes  connus. 
Gela  vient  encore  infirmer  l'hypothèse  d'un  cas  isolé  de  mi- 
crocéphalie  en  s'ajoutant  aux  caractères  crâniens  déjà  suffi- 
sants pour  montrer  qu'il  s'agirait  d'un  microcéphale  de  forte 
stature,  ce  qui  est  une  rare  exception  parmi  les  microcépha- 
les, déjà  rares  en  tant  que  microcéphales. 

Je  maintiens  donc  mes  premières  conclusions  exposées  en 
Janvier,  à  savoir,  qu'en  fait,  le  crâne  et  la  dent  de  Java  présen- 
tent un  ensemble  de  caractères  intermédiaires  entre  les  carac- 
tères humains  et  les  simiens  —  que  si  le  crâne  de  Java  ne 
provient  pas  d'un  sauvage  microcéphale  pour  sa  race,  et  par 
conséquent  exceptionel,  il  représente  une  race  humaine  ou 
pré-humaine  (ad  libitum)  inférieure  aux  races  humaines 
actuelles  les  plus  arriérées,  —  que  si  les  pièces  trouvées  à 
Java  par  M.  Dubois  ne  suffisent  point  pour  démontrer  absolu- 
ment l'existence  d'une  telle  race,  on  n'est  pas  plus  en  mesure 
de  démontrer  que  le  crâne  de  Java  appartenait  soit  à  une 
race  humaine  au  niveau  des  races  sauvages  actuelles,  soit  à 
une  espèce  actuellement  existante  d'anthropoïdes  —  que,  par 
conséquent,  l'hypothèse  de  M.  Dubois  est  justifiée  à  titre  «l'hy- 
pothèse et  que  la  question  reste  ouverte. 


220  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

M.  Zaborowski.  —  Des  réflexions  que  vient  de  faire  M.  Ma- 
nouvrier,  il  résulterait  que  les  conclusions  de  M.  W.  Turner 
ne  s'écartent  pas  du  point  de  vue  sous  lequel  nous  avons  en- 
visagé les  restes  qu'a  fait  connaître  M.  Dubois.  Il  me  semble 
qu'au  contraire  rien  n'est  venu  jusqu'à  présent  infirmer  à  nos 
yeux  le  classement  opéré  par  M.  Dubois  qui  a  fait  de  ces  res- 
tes ceux  d'une  espèce  d'homme  distincte,  intermédiaire  aux 
anthropoïdes.  En  tout  cas,  nous  n'avons  pas  pu  les  ranger 
dans  un  groupe  quelconque  de  nos  races  humaines.  M.  W. 
Turner  dit  que  des  formes  comme  celles  du  crâne  de  YAnthro- 
popithecus  de  M.  Dubois,  se  rencontrent  chez  certaines  de  ces 
races.  S'il  en  était  ainsi,  ce  serait  nouveau,  car  jamais  je  n'en 
ai  vu  et  jamais  je  n'ai  entendu  parler  de  crânes  semblables 
dans  les  races  humaines  existantes. 

Nous  avons  dû,  pourtant,  réserver  notre  opinion  définitive. 
Car,  quel  est  l'âge  de  ces  restes?  Des  os  d'animaux  ont  été 
trouvés  avec  eux.  Quels  sont  ces  animaux?  La  question  d'âge 
ne  peut  pas  être  séparée  de  celle  de  la  valeur  des  caractères, 
de  la  spécification  de  ces  restes.  Il  est  évident,  en  effet,  que 
s'ils  sont  pliocènes,  comme  le  dit  M.  Dubois,  la  détermination 
qu'il  en  fait  est  la  vraie.  Car,  toutes  les  raisons  données  pour 
expliquer  la  forme  du  crâne,  extraordinaire  pour  notre  temps, 
pour  lui  ôter  toute  valeur  spécifique,  tombent  immédiatement. 
Comme  sont  tombées  les  raisons  (les  mêmes)  données  long- 
temps pour  ôter  aux  caractères  du  crâne  de  Néanderthal  toute 
valeur  ethnique.  Si  les  restes  de  M.  Dubois  sont  pliocènes,  on 
en  trouvera  d'autres  semblables  dans  les  couches  du  même 
âge.  FA  il  n'y  a  pas  d'exemple  d'un  mammifère  ayant  con- 
servé les  mêmes  caractères  spécifiques  depuis  le  pliocène  jus- 
qu'à nos  jours. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

Revue  de  l  Ecole  d1  Anthropologie,  avril  1895.  —  Fr.  Schrader  : 
L'Asie;  —  Ab.  Ilovflacque  et  G.  Hervé  :  Notes  sur  l'ethnologie 
du  Morvan. 


PRÉSENTATIONS  221 

Bull,  delà  Société  A' Anthropologie  de  Lyon,  1894.  — E.  Chan- 
tre :  Observations  anthropologiques  sur  les  crânes  de  la  né- 
cropole de  Sidon  ;  —  Martin  :  Sur  un  monstre  humain  du 
genre  Rhinocéphale. 

G.  R.  de  la  Société  de  Géographie,  1895,  n°  6.  —  E.-F.  Gautier  : 
Voyage  à  Madagascar. 

Archives  de  médecine  navale,  avril  1895.  —  Grall  et  Vincent  : 
Béribéri  en  Nouvelle-Calédonie. 

Revue  scientifique,  6  avril  1895.  —  E.  Gautier  :  Madagascar 
et  son  avenir. 

Bull,  di  paletnologia  ilaliana,  gennaio-inarzo  1895.  —  Pigo- 
rini  :  Antichi  pani  di  rame  e  di  bronzo  da  fondere  renvenuti 
in  ltalia. 

Journ.  of  anatomy  and  physiology,  april  1895.  —  D.  H.  Duck_ 
worth  :  Variations  in  crania  of  Gorilla  Savagei ;  —  H.  Higgins  : 
The  similunar  fibro-cartilages  and  transverse  ligament  of  the 
knee-joint. 

PRÉSENTATIONS. 
Objets   de    Costa-Rica. 

M.  A.  Thieullen.  —  Messieurs,  ces  intéressants  fétiches  gra- 
vés, ces  grosses  et  petites  perles  en  jade,  que  j'ai  l'honneur 
de  vous  présenter,  proviennent  de  l'Amérique  centrale,  de 
Costa-Rica. 

A  voir  ce  beau  travail  de  polissage  et  de  perforation  effec- 
tué sur  une  matière  aussi  dure,  on  est  tenté  de  penser  que 
ces  pièces  ne  doivent  pas  remonter  a  une  époque  bien  an- 
cienne. Les  talons  qui  se  trouvent  sur  la  partie  postérieure 
de  quelques-uns  des  fétiches,  sont  à  peu  près  tels  que  ceux 
qu'on  laisse  actuellement  sur  les  pierres  sciées.  M.  Berquin- 
Narangez,  lapidaire,  à  l'examen  duquel  j'ai  soumis  ces  pièces 
assure  qu'elles  ont  été  façonnées,  à  l'aide  de  moyens  usités 
très  récemment  encore. 


222  SÉANCE  DU  18  AVRIL   1895 

Si  donc  elles  étaient  antérieures  à  la  découverte  de  l'Amé- 
rique, elles  laisseraient  supposer  une  civilisation  bien  avan- 
cée dans  un  pays  que  nous  avons  l'habitude  de  considérer 
comme  ayant  été  très  en  retard  sur  l'ancien  monde. 

Les  trous  qui  ont  été  pratiqués  dans  les  fétiches  et  les 
grosses  perles,  ont  été  amorcés  des  deux  cotés  ;  assez  larges 
aux  orifices,  de  telle  façon  qu'on  pourrait  y  introduire  un 
petit  pois;  ils  se  rétrécissent  tellement  au  point  de  rencontre, 
que  c'est  avec  difficulté  qu'on  peut  quelquefois  y  introduire 
un  gros  fil. 

Avant  de  vous  soumettre  ces  pièces,  j'ai  cherché  à  me  pro- 
curer le  plus  de  renseignements  positifs  à  leur  égard.  C'est 
ainsi  que,  consulté,  leur  premier  propriétaire,  M.  Bramma 
fds  de  Costa-Ricca,  écrit  : 

«  Le  collier  a  été  trouvé  sur  une  haute  colline  du  bord  du 
«  Pacifique,  qui  s'appelle  Nicoya,  et  où  se  trouvent  les  plus 
«  curieuses  sépultures  d'Indiens.  Il  était  entre  deux  pierres  à 
«  moudre  le  maïs,  représentant  des  oiseaux  de  proie  et  super- 
«  posés  l'un  sur  l'autre.  Entre  ces  pierres  et  avec  le  collier  se 
«  trouvaient  des  fétiches  d'or,  que  M.  Bramma  dit  avoir  été 
«  presqu'entièrement  anéantis  par  vétusté. 

«  Ces  pierres  sont  en  ma  possession,  écrit-il,  avec  d'autres 
«  à  moudre  le  café,  des  haches,  des  couteaux,  etc.,  le  tout 
«  formant  deux  grosses  caisses,  que  je  pourrais  envoyer,  si 
«  on  le  désire.  Le  port  à  payer  ne  serait  que  d'une  quaran- 
te taine  de  francs,  etc.,  etc.  ». 

,le  me  suis  rendu  au  Musée  du  Trocadéro  pour  comparer 
ces  divers  objets  avec  ce  que  le  Musée  pouvait  avoir  prove- 
nant de  Costa-Rica. 

La  collection  est  très  limitée;  j'ai  cependant  pu  y  rencon- 
trer un  fétiche,  presque  de  tous  points,  semblable  et  comme 
forme  et  comme  matière  k  celui-ci  qui  parait  être  en  pétro- 
silex.  1!  s'y  trouve  aussi  une  hache  polie,  avec  des  cercles 
concentriques  gravés  d'un  côté,  et  des  traits,  simulant  des 
mains,  gravés  de  l'autre. 


PRÉSENTATIONS  22'i 

Tels  sont,  Messieurs,  les  renseignements  en  petit  nombre 
que  j'ai  pu  me  procurer,  peut-être  vous  aideront-ils,  cepen- 
dant, à  dater  approximativement  ces  pierres  précieuses  si 
remarquables  par  le  travail  qu'elles  ont  subi. 

Discussion. 

M.  Letourneau  dit  que  ces  jades  n'indiquent  pas  nécessai- 
rement une  civilisation  très  avancée.  Il  existe,  au  Musée  de 
Vannes,  des  objets  du  même  genre.  Il  s'agit  plutôt  d'une 
époque  néolithique  analogue  à  la  nôtre. 

M.  Salmon  partage  cette  manière  de  voir. 

Objets  de  l'époque  maruieune. 

M.  Léon  Morel.  — En  1888,  un  ouvrier  d'Is-sur-Tille  décou- 
vrait dans  un  champ  lieudit  La  Combe-Bernard,  une  sépul- 
ture antique  limitée  en  pierres  sèches;  et  tout  d'abord  appa- 
rut à  ses  yeux  un  bandeau  en  or  de  0m15  de  longueur  sur  0m14 
de  largeur,  qu'il  se  hâta  de  porter,  pour  le  vendre,  à  un  orfèvre 
de  Dijon,  puis  il  revint  continuer  sa  fouille,  et  recueillit  une 
magnifique  épingle  en  bronze  d'une  longueur  de  0m65,  trois 
bracelets,  quatorze  anneaux,  une  sorte  de  crochet,  une  tige 
creuse  et  torse,  avec  des  débris  de  pendeloques,  de  fibules,  le 
tout  en  bronze. 

En  ce  qui  concerne  le  bandeau  d'or  vendu  à  un  commer- 
çant, il  est  sans  doute  perdu  pour  la  science.  Ses  dimensions 
données  après  coup,  ne  me  permettent  point  d'en  détermi- 
ner la  destination,  ornement  de  tète  ou  de  col,  il  rappelle 
aussi   les    bandeaux    d'œnochoe     trouvés    en    Champagne. 

Les  trois  bracelets  de  forme  presque  ovale  d'un  diamètre 
intérieur  de  0m055  font  présumer  que  l'un  es1  en  présence 
d'une  sépulture  de  femme. 

Les  anneaux,  au  nombre  de  quatorze,  de  forme  polygonale 
paraissent  avoir  élé  appliqués  sur  cuir  et  feraient  présumer 


224  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

qu'ils  faisaient  parti  d'une  ceinture  dont  on  croit  reconnaître 
les  attaches  dans  les  débris  qui  les  accompagnent. 

Les  autres  fragments  ne  peuvent  constituer  les  éléments 
d'aucune  information  certaine.  Tous  ces  objets  portent-  le 
cachet  d'un  art  déjà  avancé. 

Mais  l'objet  le  plus  intéressant  est  la  belle  épingle.  Sa  tète 
d'une  longueur  de  OmIO,  est  décorée  de  huit  petites  arêtes 
vives  et  fines  faisant  saillie;  elle  se  termine  par  une  large 
arête  circulaire  de  0m03  de  diamètre  surmontée  d'une  pointe 
conique  du  plus  gracieux  effet. 

C'est  le  plus  long  spécimen  de  ce  genre  qui  ail  encore  été 
trouvé  dans  le  terrain  de  l'ancienne  Gaule;  car  si  le  musée  de 
Saint-Germain  possède  un  moulage  de  0rn88,  l'original  pro- 
vient du  canton  de  Berne  en  Suisse  où  il  a  été-  trouvé  dans 
les  marais  de  Zollekefen  ;  il  est  déposé  au  musée  de  Berne. 

M.  Flouest  dans  ses  Sépultures  historiques  de  Vauschalles  (  Côte- 
d'Or),  en  cite  aux  musées  d'Annecy  et  de  Besançon;  mais 
elle  sont  moins  longues  et  moins  ornées. 

Quel  pouvait  être  l'usage  d'une  pareille  pièce  trouvée  dans 
une  sépulture  de  femme? 

Selon  M.  Flouest,  dont  je  partage  l'opinion,  ce  ne  peut  être 
qu'un  objet  de  toilette,  et  je  n'hésite  point  d'en  faire  l'un  des 
supports  de  l'édifice  de  la  chevelure  d'une  Gauloise,  dont  on 
sait,  par  les  historiens  anciens,  l'usage  de  porter,  aussi  bien 
que  les  hommes,  des  chevelures  longues  et  luxuriantes. 

C'est  pourquoi  l'intérêt  de  toute  cette  sépulture  consiste  à 
prouver  d'un  côté  l'habileté  des  ouvriers  du  bronze  et  les  usa- 
ges des  femmes  gauloises  dans  leur  toilette  par  rapport  à  la 
construction  de  leur  chevelure. 

Discussion. 

M  Baymond,  pour  élucider  une  question  soulevée  dans  une 
séance  antérieure,  demande  à  M.  Morel  s'il  pense  que  les  vases 
qu'il  a  recueillis,  et  qui  datent  de  l'époque  marnienne  vraie, 
ont  été  faits  au  tour. 


PRÉSENTATIONS  -2'2'.\ 

M.  Morel  répond  que  ces  vases  ont  été  faits  au  tour,  mais 
que  c'est  surtout  à*  l'époque  suivante,  aux  approches  de  la 
conquête  romaine,  que  l'usage  du  tour  devient  plus  fréquent. 

M.  0.  Vauvillé.  —  Sur  la  demande  faite  par  notre  collègue 
le  Dr  Raymond,  M.  Morel  vient  d'affirmer  qu'il  a  recueilli, 
dans  une  sépulture  à  incinération,  de  l'époque  gauloise  (an- 
térieure aux  monnaies  gauloises),  des  poteries  faites  au  tour 
et  une  fibule  en  fer. 

Les  fibules  en  fer  se  rencontrent  assez  fréquemment  dans 
les  habitations  gauloises  (avec  monnaies)  du  département  de 
l'Aisne  desquelles  ont  été  extraites  les  nombreuses  poteries, 
faites  au  tour,  que  j'ai  présentées  à  la  Société,  dans  la  séance 
du  15  mars  1894  *. 

Le  but  de  la  présentation  de  mes  poteries,  était  de  prouver 
l'usage  du  tour  en  (Jaule,  pour  la  fabrication  des  poteries, 
avant  la  conquête,  comme  je  l'avais  affirmé  dans  la  séance 
du  1er  février  1894 2. 

Malgré  les  vives  objections  qui  ont  été  faites  contre  mes 
affirmations,  le  fait  de  l'usage  du  tour,  avant  la  conquête,  a 
été  admis  par  M.  G.  de  Mortillet  qui  a  même,  depuis  cette  vive 
discussion,  ajouté  à  sa  classification,  le  Beuvraysien  3,  époque 
représentant  celle  des  monnaies  en  Gaule. 

Aujourd'hui,  l'affirmation  de  M.  Morel  permet  donc  de 
croire  que  l'usage  du  tour  en  Gaule  pourrait  remonter  même 
à  une  époque  antérieure  a  celle  des  monnaies  gauloises. 

i  Bulletins,  1894,  page  258. 

2  Bulletins,  1891,  page  121. 

3  Bulletins,  1894,  page  620. 


226  SÉANCE  DU    18  AVRIL  1895 

Rapport  de  la  Commission  des  finances 

M.  Paul  Raymond,  rapporteur. 

Messieurs, 

Au  nom  de  la  Commission  des  finances,  composée  de 
MM.  Laborde,  Le  Marcis  et  P.  Raymond,  j'ai  l'honneur  de 
vous  présenter  notre  rapport  concernant  la  vérification  des 
comptes  de  M.  le  Trésorier  de  la  Société  pour  1894. 

Nous  avons  examiné  les  différentes  pièces  de  comptabilité 
et  aussi  bien  dans  les  dépenses  que  dans  les  recettes,  nous 
n'avons  relevé  aucune  irrégularité.  L'inventaire  rpie  notre  ex- 
cellent collègue,  M.  Daveluy,  vous  a  présenté  dans  une  séance 
précédente  et  dont  vous  retrouverez  ci-après  les  détails,  nous 
a  donc  paru  aussi  exact  que  possible. 

Vous  vous  rappelez  qu'en  raison  de  certains  incidents  dont 
avait  été  saisi  votre  comité  central,  vous  aviez  décidé  d'ad- 
joindre à  votre  Commission  des  finances  pour  l'année  1894, 
un  expert  chargé  d'élucider  les  questions  techniques  qui  pou- 
vaient échapper  à  notre  incompétence.  Nous  nous  sommes 
adjoint  un  comptable  que  nous  avait  indiqué  l'un  de  nos  col- 
lègues, et  nous  avons  la  satisfaction  de  vous  faire  connaître 
que  non  plus  que  nous,  il  n'a  relevé,  dans  notre  comptabilité, 
la  moindre  irrégularité.  Son  rapport  sera  soumis  à  notre  pro- 
chain comité  central. 

Mais,  Messieurs,  ce  qu'il  nous  a  été  donné  d'apprécier  en 
exerçant  notre  contrôle,  c'est  la  somme  considérable  de  travail 
([lie  nous  imposons  à  notre  trésorier,  c'est  le  zèle  que  noire 
dévoué  collègue,  M.  Daveluy,  apporte  dans  ces  ingrates  et  dif- 
ficiles fonctions,  c'est  le  soin  que  l'on  retrouve  dans  les  moin- 
dres actes  de  sa  gestion  de  nos  finances.  Nous  nous  félicitons 
que  les  incidents  auxquels  nous  avons  fait  allusion,  nous 
aient  conduits  à  entrer  dans  les  menus  détails  de  celte  comp- 
tabilité et  nous  aient  permis  d'apprécier  les  qualités  de  notre 
distingué  trésorier.  En  raison  des  services  qu'il  nous  rend, 
ce  n'est  pas  de  remerciements  que  nous  pouvons  ici  parler; 


L.  MANOUVRIER.   —  MICHÛCÉPHALE  VIVANT  ±21 

c'est  l'expression  de  toute  notre  gratitude,  ce  sont  nos  félici- 
tations pour  son  entier  dévouement  que  nous  venons  vous 
proposer  d'offrir,  au  nom  de  la  Société  d'Anthropologie,  à 
notre  trésorier,  M.  Daveluy.  (Applaudissements.) 

GOMMUNICATIOiNS. 

Observation  d'an  microcéphale  vivant  et  de  la  cause  probable 

de  sa  monstruosité. 

Par   M.    L.    Manou vrier  . 


Il  s'agit  d'un  enfant  du  sexe  masculin  (...Mey...),  âgé  de 
7  ans.  Il  est  né  à  Paris  de  parents  très  bien  conformés,  d'ori- 
gine alsacienne,  qui  habitent  actuellement  Aubervilliers.  C'est 
sa  mère  qui  est  venue  me  le  présenter  et  que  j'ai  pu  interro- 
ger. Cette  pauvre  femme,  très  courageuse,  gagne  péniblement 
son  pain  et  celui  de  sa  famille  en  lavant  du  linge  quand  elle 
le  peut,  son  mari  étant  en  ce  moment  malade.  Celui-ci  exerce  la 
profession  d'ouvrier  émailleur.  Il  est  très  rangé  et  n'est  pas 
alcoolique.  Pas  de  dégénérés  ni  dans  sa  famille  ni  dans  celle 
de  sa  femme,  d'après  les  renseignements  fournis  par  cette 
dernière. 

Ils  ont  eu  quatre  enfants  dont  le  microcéphale  est  le  second. 
Les  autres  étaient  tous  de  très  beaux  enfants.  Le  troisième 
est  mort  à  l'âge  de  deux  mois  avec  des  convulsions.  Le  pre- 
mier est  une  jolie  et  intelligente  petite  fille,  âgée  de  neuf  ans 
que  je  présente  en  même  temps  que  son  frère  microcéphale 
Elle  porte  fièrement  la  croix  d'honneur  qu'elle  vient  de  gagner 
à  l'école  communale.  Le  dernier  né,  dit  la  mère,  est  encore 
plus  vigoureux.  En  somme,  la  famille  paraît  être  exempte  de 
toute  tare  pathologique;  c'est  une  famille  que  l'on  peut  dire 
physiquement  florissante. 

L'enfant  microcéphale  présente  le  faciès  caractéristique 
de  cette  monstruosité,  faciès  quirésulte  des  deux  caractères 


^ 


228  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

que  j'ai  indiqués1  comme  différenciant  la  microcéphalie  vraie 

de  l'exiguité  cérébrale  en  rapport  avec  l'exiguité  de  la  taille, 
à  savoir  la  petitesse,  non  seulement  absolue,  mais  encore  re- 
lative du  crâne,  par  rapport  à  la  taille  et  par  rapport  à  la  face. 
La  taille,  que  je  n'ai  pu  mesurer  à  cause  des  mouvements 
du  sujet,  est  à  peu  près  celle  d'un  enfant  de  2  ans.  Voici  les 
principales  mesures  de  la  tète  : 

Diamètre  antéro-postérieur  maximum.  130  millimètres. 

métopique.  125 

—  transverse  maximum.    .    .   .  10(3 

—  vertical 85  — 

—  bizygomatique 94 

L'indide  céphalique  =  81.5. 

Comme  l'indique  la  différence  entre  les  deux  diamètres  an- 
téro-postérieurs,  le  front  est  fuyant,  caractère  également 
régulier  de  la  microcéphalie. 

Au  dire  de  la  mère,  le  front  était  plus  aplati  lors  de  la  nais- 
sance; il  s'est  bombé  un  peu  à  la  partie  supérieure. 

Les  globes  oculaires  sont  un  peu  saillants;  la  mère  affirme 
qu'il  ont  toujours  été  ainsi.  Elle  affirme  également  que  la  tète 
a  beaucoup  grossi  depuis  la  naissance.  Elle  a  remarqué,  à 
cette  époque,  que  la  fontanelle  bregmatique  n'existait  pas.  En 
palpant  le  crâne,  je  trouve  une  saillie  assez  forte  de  la  région 
du  lambda. 

Les  quatre  dents  canines  sont  remarquablement  pointues 
et  dépassent  sensiblement  les  dents  voisines.  Ce  caractère 
pithécoïde  est  assez  accusé  pour  n'avoir  pas  échappé  à  l'ob- 
servation de  la  mère. 

Je  n'ai  pu  le  constater  sur  aucun  des  crânes  microcéphales 
conservés  au  musée  Broca;  il  est  vrai  que  la  plupart  de  ces 
crânes  ont  perdu  leurs  canines. 

1  Article  Microcéphalie  du  Dict.  des  Sciences  Anthrop.  Paris, 
Doin.  éditeur. 


L.  MANOOVRIER.  —  MICROCÉPHALE  VIVANT  229 

La  langue  paramètre  volumineuse;  elle  fait  continuellement 
saillie  derrière  les  lèvres  entr 'ouvertes. 

La  forme  et  les  dimensions  des  oreilles  sont  normales. 

L'enfant  a  eu  plusieurs  fois,  dès  l'âge  de  2  ou  3  mois,  des 
convulsions.  Actuellement,  sa  santé  est  très  bonne. 

Sa  main  gauche  présente  comme  particularité  curieuse  un 
seul  pli  palmaire  transversal  situé  à  peu  près  au  milieu  de  la 
paume.  C'est  un  caractère  pithécoïde  qui  n'est  peut-être  pas 
extrêmement  rare,  car  je  l'ai  rencontré  jusqu'à  présent,  sans 
le  chercher,  sur  deux  hommes  adultes  et  d'intelligence  nor- 
male qui  ont  été  présentés  par  moi  à  la  Société  d'Anthropo- 
logie. 

La  main  droite  ne  présente  pas  le  caractère  ci-dessus  :  un 
second   pli   palmaire   rejoint    le   pli    médian. 

Ayant  été  obligé,  par  suite  d'un  petit  accident,  de  différer 
l'examen  des  organes  génitaux,  je  n'ai  point  retrouvé  l'occa- 
sion de  faire  cet  examen. 

L'enfant  est  complètement  idiot  et  gâteux.  Il  manifeste  une 
bonne  humeur  remarquable,  grâce  aux  soins  attentifs  de  sa 
mère  qui  s'occupe  de  lui  avec  autant  de  sollicitude  que  s'il 
s'agissait  d'un  nourrisson  normal  et  éducable.  Il  regarde  les 
objets,  mais  sans  attention  et  saisit  machinalement  ceux  qu'on 
lui  met  dans  la  main.  Parfois,  il  semble  sourire  à  sa  mère  et 
semble  reconnaître  aussi  sa  sœur.  Il  ne  prononce  aucune  pa- 
role; il  émet  seulement  des  grognements  un  peu  variés  suivant 
qu'il  souffre  ou  qu'il  est  satisfait. 

Lorsqu'on  le  pose  à  terre,  il  se  traîne  assez  vigoureuse- 
ment, à  la  façon  des  enfants  qui  ne  savent  pas  encore  mar- 
cher. Il  s'appuie,  pour  cela,  sur  la  face  palmaire  des  mains  et 
jamais  sur  la  face  dorsale.  Cet  exercice,  longtemps  et  fré- 
quemment répété,  a  entraîné  une  torsion  notable  des  avant- 
bras  et  des  jambes. 

J'ai  longuement  interrogé  la  mère  dans  le  but  de  saisir 
quelque  cause  à  laquelle  on  puisse  attribuer  l'arrêt  de  déve- 
loppement évidemment  intra-utérin  de  son  enfant.  Cette 
femme  a  simplement  noté,  comme  événement  insolite  pendant 


230  SÉANCE  DU  48  AVRIL  1895 

sa  grossesse  anormale,  qu'elle  a  eu  un  joui1  peur  de  chiens  qui 
se  battaient. 

Je  serais  plus  disposé  à  attacher  quelque  importance,  soit 
au  surmenage  qu'elle  a  subi  durant  cette  grossesse,  soit  aux 
pressions  ou  aux  heurts  subis  par  son  abdomen,  et  dont  le 
fœtus  a  pu  se  ressentir  directement  ou  indirectement. 

Pendant  toute  la  durée  de  sa  grossesse,  la  mère  a  travaillé 
dans  une  fabrique  d'allumettes  où  son  ouvrage  consistait,  du 
matin  au  soir,  à  ramasser  de  très  lourdes  charges  de  plaquet- 
tes de  bois  qu'elle  portait,  en  les  appuyant  sur  son  ventre,  aux 
ouvriers  chargés  de  les  tailler.  Elle  était  «aux  pièces»  et 
obligée  de  se  hâter  continuellement. 

Les  charges  de  bois  étaient  «  aussi  lourdes  qu'elle  pouvait 
les  porter». 

Qu'une  telle  besogne  accomplie  pendant  toute  la  durée  de 
la  gestation  ait  pu  entraîner  un  trouble  dans  le  développement 
embryonnaire  ou  fœtal,  on  le  conçoit  facilement.  Parmi  les 
diverses  explications  qui  se  présentent  a  ce  sujet,  je  considé- 
rerais comme  la  plus  vraisemblable  l'explication  par  une 
pression  directe  exercée  à  travers  la  paroi  abdominale  et  uté- 
rine sur  la  tète  du  fœtus  par  un  fardeau  lourd  et  rigide,  assez 
fréquemment  porté  par  la  mère  pour  qu'il  dût,  a  un  moment 
ou  à  l'autre,  atteindre  l'enfant. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  supposer  que  la  quantité  de 
liquide  amniotique  ait  été  exceptionnellement  faible,  car  on 
sait  que,  par  la  palpation,  l'on  peut  souvent  sentir,  d'une 
façon  très  nette,  les  pieds,  les  genoux  ou  la  tète  du  fœtus  à 
travers  la  paroi  abdominale,  même  lorsque  la  quantité  de 
liquide  amniotique  est  normale. 

On  peut  objecter  que  de  très  nombreuses  femmes  s'occupent 
a  de  très  durs  travaux  pendant  leurs  grossesses  sans  donner  le 
jour,  pour  cela,  à  des  microcéphales.  Mais  il  faut  considérer 
qu'il  s'agit  ici  de  fardeaux  rigides  ramassés  et  portés  à  la  hâte, 
pendant  des  journées  entières,  durant  toute  la  grossesse  et  tou- 
jours appuyés  sur  le  ventre,  ce  qui  est  vraiment  très  rare.  Une 
femme  enceinte  peut  éviter  et  évite  très  généralement  de  por- 


G.  DE  MORTILLET.  —  ANIMAL  GRAVÉ  SUR  UNE  TABLE  DE  DOLMEN  231 

ter  ainsi  des  charges  lourdes  sur  son  abdomen;  ou  bien,  si 
elle  y  est  parfois  obligée,  comme  il  arrive  parfois  dans  les 
campagnes,  elle  prend  son  temps  et  des  précautions.  Pour 
que  la  tête  du  fœtus  soit  atteinte  en  pareil  cas,  il  faut  qu'elle 
se  trouve  justement  exposée  au  choc  à  l'instant  où  il  se  pro- 
duit; il  faut  une  coïncidence  vraiment  peu  probable.  Tout 
autre  est  la  condition  d'une  femme  «travaillant  à  ses  pièces» 
comme  la  mère  de  notre  microcéphale,  c'est-à-dire  devant  ac- 
complir en  un  temps  donné  le  maximum  de  travail  possible 
avec  la  régularité  d'une  machine,  pliant  son  corps  et  le  redres- 
sant mille  fois  par  jour  pour  faire  ses  paquets  de  bûches  et 
les  charger,  puis,  les  transportant  en  toute  bâte,  pour  recom- 
mencer ensuite  indéfiniment,  sans  préjudice  pour  la  besogne 
ordinaire  de  son  ménage. 

Pendant  ses  autres  grossesses,  le  travail  de  cette  pauvre 
femme  a  été  tout  différent.  Elle  travaillait  soit  seulement  dans 
sa  maison,  soit  à  laver  du  linge  au  lavoir,  travail  pénible 
mais  assurément  moins  périlleux  pour  le  fœtus  que  le  travail 
industriel  ci-dessus  décrit,  —  soit  assise,  dans  une  manufac- 
ture de  tabacs. 

Ainsi,  sans  pouvoir  affirmer  que  j'ai  saisi,  dans  le  cas  pré- 
sent, la  cause  de  la  microcéphalie,  je  crois  pouvoir  dire  que 
j'ai  trouvé  une  cause  paraissant  très  capable  de  produire  cette 
monstruosité  et  l'ayant  probablement  produite.  C'est  cela  qui, 
joint  aux  deux  caractères  pithécoïdes  (canines  et  pli  palmaire), 
relevés  sur  le  microcéphale  décrit  ci-dessus,  fait  l'intérêt  de  ce 
cas  particulier. 


Animal  gravé  sut*  uuc  table  de  Dolmen. 

Par  M.  G.  de  Mortillet. 

A  Locmariaker,  commune  située  entre  l'entrée  de  la  mer  du 
Morbihan  et  celle  du  golfe  long  et  étroit  désigné  sous  le  nom 
de  rivière  d'Auray,  se  trouve  le  plus  grand   menhir  connu, 


232  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

malheureurement  brisé  en  trois  morceaux,  et,  tout  à  côté,  un 
superbe  dolmen,    communément  appelé   la  Table  des  Mar- 
chands. Ce  nom  vient  de  ce  que  la  chambre  est  recouverte 
par  une  vaste  table  en  granit,  s'élevant  très  peu  au-dessus 
du  niveau  actuel  du  sol.  En  dessous  de  cette  gigantesque 
table  se  trouve  une  hache  emmanchée,  dont  les  lignes  de 
pourtour  sont  gravées  en  creux.  Cette  hache  a  été  remarquée 
et  signalée  depuis  bien  longtemps.  Mais  vers  la  tranche  de  la 
table,  du  côté  du  couloir  d'accès  de  la  chambre,  existe  la  repré- 
sentation, en  très  bas  relief,  d'un  animal.  Cette  représentation 
de  plus  d'un  mètre  de  développement,  en  partie  assez  altérée, 
avait  échappé  aux  premiers  observateurs.  Henri  Martin,  si 
passionné  pour  tout  ce  qui  se  rapporte  aux  monuments  méga- 
lithiques, l'a  signalée  avec  enthousiasme.  Même  avec  telle- 
ment d'enthousiasme  qu'on  a  prétendu  que  son  imagination 
lui  avait  fait  voir  ce  qui  n'existait  pas.  Les  archéologues  ne 
tinrent  aucun  compte  de  l'observation  de  l'illustre  historien. 
Comme  fondateur  et  Président  de  la  Commission  des  Monu- 
ments mégalithiques.  Henri  Martin  fit  acquérir,  par  l'Etal,  le 
Dolmen  des  Marchands,  qui  le  méritait  à  tous  égards.  M.  de 
Closmadeuc,  un  des  membres  les  plus  distingués  de  la  Société 
Polymathique  du  Morbihan,  ayant  bien  voulu  se  charger  de 
la  direction  des  travaux  d'isolement  et  de  déblaiement  du 
monument,  reconnut  nettement  l'existence  de  cette  sculpture. 
Il  s'empressa  d'en  publier,  une  description  et  un  dessin  d'après 
une  photographie  assez  peu  précise,  dans  les  Matériaux  pouf 
l'histoire  de  l'homme  de  1885.  Depuis,  pour  compléter  son  œuvre, 
la  Commission  des  Monuments  mégalithiques  a  fait  prendre 
le  moulage  de  l'animal  figuré  sur,  ou  pour  parler  plus  exac- 
tement, sous  la  Table  des  Marchands.  C'est  la  première  épreuve 
de  ce  moulage  que  j'ai  l'honneur  de  présenter  à  la  Société.  Mal- 
heureusement, les  actions  atmosphériques,  en  effritant  le  grain 
du  granit,  a  fortement  endommagé  la  scupture:  pourtant, 
elle  reste  encore  assez  sensible  pour  qu'on  n'ait  aucun  doute 
sur  son  existence.  Ce  qui  frappe  le  plus,  ce  sont  les  pattes  de 
derrière  de  l'animal.  Elles  sont  représentées  au  moyen  de 


G.  DE  MORTILLET.  —  ANIMAL  GRAVÉ  SUR  UNE  TABLE  DE  DOLMEN  233 


quatre  sillons  profonds,  rectilignes  et  parallèles.  Chaque  paire 
de  sillons  délimite  une  jambe,  qui  se  termine  à  la  base  par 
une  ganse,  à  peu  près  aussi  large  que  longue,  obliquement 
tournée  en  avant,  qui  figure  le  pied.  Ces  gances  paraissaient 
représenter  des  paturons  de  cheval.  De  fait,  en  regardant  le 
moulage,  un  de  nos  collègues  disait  : 

—  C'est  un  cheval  de  bois. 

Ces  jambes  postérieures  sont  perpendiculaires. 

Une  courbe,  également  bien  marquée,  partant  des  jambes 
de  derrière  et  dirigée  presque  horizontalement,  forme  le  ventre. 

De  l'extrémité  gauche  du  ventre  se  développe  un  plan  élevé, 
allant  en  se  rétrécissant  et  ayant  une  direction  oblique.  C'est 
la  figuration  des  jambes  de  devant.  Elles  sont  superposées 
de  sorte  qu'on  n'en  voit  qu'une.  Encore,  il  n'y  a  que  le  gras 
ou  haut  de  la  jambe,  le  bas,  caché  par  un  support,  n'a  pu  être 
moulé.  Autant  les  jambes  de  derrière  sont  raides,  autant  celle 
de  devant  figurée  est  animée.  Elle  représente  évidemment  un 
animal  lancé  au  galop. 

Au-delà  de  cette  jambe,  les  traces  de  la  sculpture  s'affaiblis- 
sent. Néanmoins,  on  reconnaît  encore  suffisamment  le  poi- 

T.  VI  (4e  série)  1" 


234  SÉANCE  DU   18  AVRIL  1895 

trail,  le  cou  très  court  et  une  tète  allongée,  mais  n'ayant  pas 
traces  de  cornes. 

Quant  au  garrot,  au  dos  et  surtout  à  la  queue,  la  détério- 
ration et  l'effritement  du  granit  ont  été  tels  qu'on  les  devine 
plutôt  qu'on  ne  les  voit. 

Cette  sculpture  est  bien  primitive,  bien  élémentaire;  pour- 
tant elle  semble  représenter  un  cheval.  Il  parait  que  bien  avant 
qu'Henri  Martin  la  révélât  au  monde  savant,  elle  était  connue 
de  la  population  locale.  En  effet,  en  breton,  le  dolmen  s'ap- 
pelait :  Dol  Marcb'hand  (Table  Cheval  allée),  ce  qui  signifie  : 
Table  de  l'allée  du  Cheval.  La  consonnance  seule  a  fait  traduire 
en  français  ce  nom  par  Table  des  Marchands,  qui  n'a  aucune  rai- 
son d'être.  Rendons  donc  à  cet  important  monument  sa  vérita- 
ble dénomination  :  Dolmen  ou  Table  de  Marcb'hand.  Ce  nom  a 
le  grand  mérite  de  rappeler  la  plus  ancienne  sculpture  monu- 
mentale de  France  représentant  un  animal. 

Le  D1'  de  Closmadeuc,  dans  sa  note  de  1885,  constate  très 
bien  qu'une  partie  de  la  sculpture  repose  directement  sur  le 
sommet  d'un  pilier.  C'est  ce  qui  a  empêché  de  mouler  l'ani- 
mal dans  tout  son  ensemble.  L'archéologue  morbihannais  en 
conclut,  avec  raison,  (pie  les  sculptures  des  tables  de  dol- 
men étaient  exécutées  avant  la  construction  du  monument. 
Ce  fait  se  constate  d'une  manière  très  nette  dans  un  autre 
dolmen  de  la  commune  de  Locmariaker,  tout  voisin,  celui  de 
Kerverès.  La  face  inférieure  de  la  table  est  toute  semée  de 
petites  cupules  dont  plusieurs  sont  masquées,  en  tout  ou  en 
partie,  par  les  sommets  des  supports  parfaitement  en  place. 

Une  autre  considération  importante  qui  découle  de  l'étude 
de  la  Table  de  March'hand,  concerne  la  facilité  avec  laquelle 
les  constructeurs  de  dolmens  maniaient  les  blocs  de  pierre 
les  plus  lourds.  En  effet,  la  table  du  dolmen  de  March'hand 
qui  mesure  : 

Longueur  moyenne 7  mètres 

Largeur  moyenne 3      — 

Épaisseur  moyenne 0  m  70 


ED.  PIETTE.    —  HIATUS  ET  LACUNE  23S 

cube  14  m7,  au  mininum.  Elle  est  en  granit  très  compact  dont 
la  densité  dépasse  2,50.  Mais  acceptons  ce  chiffre,  le  poids 
de  ladite  table  sera  donc  de  36,750  kilos  ou  36  tonnes  3/4. 
Eh  bien,  non  seulement,  les  constructeurs  du  dolmen  ont 
amené  cet  énorme  bloc  à  pied  d'oeuvre  et  l'ont  placé  sur  ses 
supports,  mais  encore,  ils  ont  dû  le  retourner  pour  exécuter 
les  sculptures.  Ainsi  que  je  l'ai  dit,  le  dessous  de  la  table  du 
dolmen  de  March'hand  porte  la  sculpture  d'une  immense 
hache  emmanchée,  mais  encore  la  représentation  animale? 
dont  il  vient  d'être  question.  Ces  sculptures  et  gravures  n'ont 
pas  été  faites  la  table  en  place,  puisqu'une  partie  de  l'animal 
repose  sur  un  pilier.  Le  sculpteur  a  donc  travaillé  sur  la  face 
libre  de  la  pierre.  Ce  travail  fini,  il  a  fallu  renverser  la  lourde 
table  de  granit  pour  la  mettre  en  place.  Cela  a  nécessité  une 
somme  d'efforts  énorme.  Comment  a-t-on  pu  la  réaliser  à 
une  époque  où  les  connaissances  scientifiques  et  mécaniques 
étaient  si  peu  avancées? 


Hiatus  et  lacune.— Vestiges  de  la  période  de  transition 
dans  la  grotte  du  Mas-d'Azil. 

Par  M.  Ed.  Piette. 

Pendant  les  dernières  années  de  l'empire,  Edouard  Lartet 
était  Président  du  comité  de  la  Paléontologie  française.  Aujour- 
d'hui, après  la  mort  de  M.  Cotteau  et  celle  de  M.  de  Saporla, 
il  ne  reste  plus  que  deux  membres  fondateurs  de  ce  comité, 
M.  de  Fromentel  et  moi.  Mais  alors,  nous  étions  nombreux; 
nos  réunions  avaient  lieu  à  Paris  ;  elles  étaient  suivies  d'aga- 
pes fraternelles.  M.  de  Ferry  qui  venait  de  découvrir  Solutré, 
était  des  nôtres.  Il  arrivait  toujours  les  poches  bourrées  de 
silex  et  d'ossements,  et  ne  manquait  jamais  de  les  vider  de- 
vant nous,  pour  consulter  notre  Président.  La  conversation, 
par  une  pente  irrésistible,  dérivait  sur  les  âges  préhistorique, 
alors  à  peine  entrevus.  C'est  pendant  une  de  ces  réunions  que 


»>36  SÉANCE  DU  18  AVRIL   1895 

j'ai  entendu  Lartet  exprimer  la  pensée  que  l'industrie  néoli- 
thique ne  procédait  pas  de  l'industrie  paléolithique.  Il  en  con- 
cluait que  les  vestiges  de  l'époque  intermédiaire  entre  les 
temps  quaternaires  et  les  temps  modernes  étaient  encore  à 
découvrir.  Je  ne  pense  pas  qu'il  ait  publié  cette  observation; 
mais  elle  était  connue  de  tous  ceux  qui  l'ont  fréquenté;  et 
deux  courants  d'opinion  s'étaient  formés  parmi  les  archéo- 
logues à  son  occasion.  Les  uns  faisaient  remarquer  que  le 
changement  de  climat  avait  dû  amener  des  déplacements  de 
populations,  l'apparition  de  races  envahissantes  sur  notre  sol 
et  l'importation  d'une  industrie  nouvelle.  Ils  en  tiraient  cette 
conséquence  que  l'époque  de  transition  dont  on  ne  connaissait 
pas  les  vestiges  avait  dû  être  fort  courte.  Les  autres  se  lais- 
sant emporter  par  leur  imagination,  soutenaient  qu'entre  le 
monde  ancien  et  le  monde  moderne,  il  n'y  avait  rien  de  com- 
mun, qu'il  était  inutile  de  chercher  des  assises  reliant  une 
industrie  à  l'autre,  car  il  y  avait,  non  une  lacune  dans  nos  con- 
naissances, mais  un  hiatus  profond  dans  la  nature,  une  inter- 
ruption dans  la  tradition  de  l'homme,  résultant  de  ce  que  les 
terres  occidentales  de  l'Europe  avaient  été  inhabitées  pendant 
un  temps  plus  ou  moins  long. 

En  1872,  M.  G.  de  Mortillet,  qui  croyait  à  une  simple  lacune 
souleva  la  question  devant  le  Congrès  international  d'Anthro- 
pologie réuni  à  Bruxelles,  et  s'exprima  ainsi  :  «Entre  le  paléo- 
«  lithique  et  le  néolithique,  il  y  a  une  large  et  profonde  lacune, 
«  un  grand  hiatus;  il  y  a  une  transformation  complète.» 
M.  Cartailhac  s'écria  qu'il  y  avait  un  abîme. 

Le  mot  hiatus  employé  par  M.  de  Mortillet  rendait  mal  sa 
pensée  ;  mais  elle  exprimait  bien  celle  de  M.  Cartailhac  qui 
croyait  à  la  disparition  de  l'homme  dans  nos  contrées  à  cette 
époque  alors  inconnue  qui  sépara  les  temps  quaternaires  des 
temps  actuels.  Cette  dernière  opinion,  ai-je  besoin  de  le  dire, 
était  dénuée  de  tout  fondement.  On  n'avait  découvert  aucune 
trace  de  cataclysme  pouvant  la  justifier,  et  il  semble  qu'elle 
n'aurait  pas  dû  se  produire  au  Congrès  de  Bruxelles  où  des 
savants  étrangers  ont  fait  des  communications  extrêmement 


ED.  METTE.   —  HIATUS  ET  LACUNE  237 

intéressantes  sur  les  tourbières  et  sur  lesKjoekkenmoeddings. 
Broca  la  combattit  avec  beaucoup  de  bon  sens. 

Les  controverses  sur  la  lacune  et  sur  l'hiatus,  se  renouve- 
lèrent au  Congrès  de  l'Association  française,  tenu  à  Lyon  en 
1873,  à  la  réunion  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris,  dans 
la  séance  du  16  avril  1874,  et  au  Congrès  international  d'An- 
thropologie de  Stokholm  en  1874.  A  ce  dernier  congrès,  M.  Ca- 
zalis  de  Fondouce  présenta  un  excellent  mémoire  contre  l'hia- 
tus. M.  Cartailhac  en  inséra  un  résumé  dans  les  Matériaux  et 
il  essaya  de  le  réfuter  (Matériaux,  année  1874,  p.  413).  Il  s'ex- 
prima ainsi  : 

«  Une  discussion  a  eu  lieu  le  16  avril  1874,  à  la  Société 
«  d'Anthropologie,  entre  MM.  Piette,  Garrigou,  de  Mortillet. 
«  Ce  dernier  posa  les  conclusions  que  je  vais  reproduire: 

«  Toute  la  discussion,  je  crois,  repose  sur  un  malentendu.  Entre 
«  l'époque  paléolithique  ou  des  cavernes  et  l'époque  néolithique  ou 
«  de  la  pierre  polie,  il  existe  un  hiatus;  mais  cet  hiatus  n'est  qu'une 
«  simple  lacune  dans  nos  connaissances.  Il  ne  représente  pas  une 
«  véritable  lacune  dans  le  temps  et  dans  l'industrie.  Certainement 
«  l'époque  paléolithique  a  dû  se  rattacher  et  se  souder  à  l'époque 
«  néolithique;  mais  nous  n'avons  pas  encore  découvert  le  point  de 
«  contact.  Entre  les  deux  époques,  il  n'y  a  pas  eu  une  période  où 
«  l'Europe  était  inhabitable  ;  seulement,  les  restes  de  l'époque  de 
«  transition  ou  de  passage,  n'ont  pas  encore  été  trouvés  et  reconnus. 
«  C'est  ce  qui  constitue  l'hiatus  que  nous  constatons.  Je  le  répète, 
«  cet  hiatus  n'est  pas  réel;  il  n'existe  que  dans  le  résultat  de  nos 
«  éludes  et  de  nos  rcclœrchcs  actuelles.  Je  devais  une  explication 
«  parce  que  je  suis  le  principal  propagateur  de  l'idée  de  l'hiatus. 
((  J'ai  signalé  le  fait  pour  stimuler  les  recherches  et  les  invesliga- 
«  lions. 

«  Ainsi  réduite,  la  question  disparaît  à  peu  près,  et  nous  ne 
«  sommes  pas  plus  avancés  qu'au  jour  où  Ed.  Lardet  signa- 
«  lait  une  solution  de  continuité  entre  l'Age  de  la  pierre  polie 
«  et  l'âge  de  la  pierre  taillée,  et  nous  donnait  sa  classification 
«  si  heureuse  en  féconds  résultats. 

«  Mais  je  ne  suis  pas  de  l'avis  de  M.  de  Mortillet.  Je  l'avoue 


238  séance  Dr  18  avril  1895 

«  avec  regret,  car  je  sais  combien  est  grande  l'autorité  du 
«  fondateur  des  Matériaux;  de  sorte  que,  pour  employer  s.es 
a  mêmes  expressions,  je  suis  le  principal  propagateur  de  l'i- 
«  dée  d'hiatus,  telle  que  la  combat  M.  Cazalis  de  Fondouce, 
«  ce  qui  m'impose  le  devoir  de  répondre.  » 

Voilà  donc  M.  Cartailhac  qui  s'érige  en  chef  d'école  et  en 
contradicteur  de  M.  de  Mortillet.  II  avait  bien  mal  choisi  la 
doctrine  dont  il  se  faisait  le  champion.  Il  était  nécessaire  de 
reproduire  ce  passage  pour  faire  comprendre  combien  étaient 
contradictoires  les  sens  que  MM.  de  Mortillet  et  Cartailhac 
attachaient  au  même  mot  hiatus. 

Au  congrès  tenu  à  Nantes  en  1875,  par  l'Association  fran- 
çaise, je  fis,  dans  la  séance  du  26  août,  une  communication 
sur  les  vestiges  de  la  période  7iéoWhique  emparés  à  ceux  des  àcjes 
antérieurs.  Je  prouvai  que  l'industrie  néolithique  procédait, 
quoi  qu'on  en  ait  dit,  de  l'industrie  quaternaire  et  surtout  de 
celle  de  Solutré.  Des  figures  représentant  des  silex  des  deux 
époques,  placés  les  uns  à  côté  des  autres,  rendaient  la  dé- 
monstration évidente.  Il  était  manifeste  qu'il  y  avait  filiation 
et  même  souvent  identité  de  forme.  Je  ne  pouvais  prouver  une 
filiation  immédiate;  car  si,  dans  plusieurs  gisements  néoli- 
thiques, on  avait  recueilli  des  pointes  de  silex  en  feuille  de 
laurier,  en  feuille  de  saule,  en  losange,  semblables  à  celles  de 
Solutré,  les  stations  magdaléniennes  qui  sont  intermédiaires, 
en  étaient  dépourvues  dans  la  vallée  de  la  Garonne  et  dans  les 
Pyrénées,  où  je  les  avais  étudiées.  La  découverte  des  beaux- 
arts  avait  fait  suivre  à  l'homme  un  chemin  nouveau.  La  taille 
élégante  du  silex  avait  cessé  d'être  son  idéal.  La  sculpture,  la 
gravure,  le  travail  de  l'os,  étaient  devenus  les  objets  de  ses 
préoccupations.  De  là,  l'abandon  des  types  de  silex,  dont  la 
confection  demandait  beaucoup  de  soins  et  de  temps.  Mais  si, 
dans  certaines  contrées,  les  populations  avaient  rapidement 
progressé,  dans  d'autres,  elles  s'étaient  attardées  dans  les 
errements  du  passé.  C'est  ainsi  que,  sur  les  rives  du  Gard  et 
de  l'Ardèche,  M.  Cazalis  de  Fondouce  et  le  Dr  Raymond  ont 
découvert   des    grottes    incontestablement   magdaléniennes, 


ED.   PIETTK.    —  HIATUS  ET  LACUNE  239 

dépourvues  de  gravures  et  de  sculptures,  mais  contenant  des 
pointes  de  silex  pareilles  à  celles  de  Solutré  et  des  temps  néo- 
lithiques. En  faisant  connaître  ces  stations,  ils  ont  renoué  la 
tradition  de  l'homme,  et  il  n'a  plus  été  permis  de  dire  que 
l'industrie  moderne  ne  procède  pas  de  l'industrie  quaternaire. 

Il  restait  à  découvrir  les  assises  de  transition  qui  soudent 
la  période  quaternaire  a  la  période  moderne.  Depuis  1871,  je 
fouillais  les  grottes  magdaléniennes  des  Pyrénées,  n'épar- 
gnant ni  argent  ni  peine  pour  en  connaître  la  stratigraphie. 
Mon  hut  était  beaucoup  moins  de  réunir  une  collection  que  de 
faire  une  étude  détaillée  des  couches  et  de  lire  dans  leur  su- 
perposition la  succession  des  temps,  les  progrès  de  l'indus- 
trie et  la  marche  des  sociétés  humaines.  Cette  étude  minu- 
tieuse devait  nécessairement  m' amener  à  rencontrer  les  assises 
qui  recouvrent  les  vestiges  de  l'âge  du  renne  et  celles  sur  les- 
quelles ils  reposent.  J'ai  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir  les 
restes  de  cette  époque  ignorée  qui  sépara  l'âge  magdalénien 
de  celui  des  haches  en  pierre  polie  et  de  combler  la  lacune  sur 
laquelle  on  avait  tant  discuté.  Quant  aux  dévots  de  Yhialus, 
cette  époque  de  désolation  pendant  laquelle  nul  pied  humain 
n'aurait  foulé  le  sol  de  nos  contrées,  force  leur  a  été  d'aban- 
donner une  croyance  dont  ils  avaient  presque  fait  un  dogme, 
mais  qui  n'avait  jamais  reposé  sur  la  plus  petite  donnée  scien- 
tifique. 

Ce  fut  au  Mas-d'Azil,  en  1887  et  en  1888,  que  je  fis  cette 
découverte.  J'y  ai  reconnu  deux  gisements  de  l'époque  de 
transition,  l'un  situé  sous  un  abri  de  roche,  à  droite  de  l'en- 
trée de  la  grotte,  à  un  niveau  beaucoup  plus  élevé  que  celui 
de  la  route,  l'autre  sur  la  rive  gauche  de  l'Arise,  dans  la  grotte 
elle-même,  au  point  où  la  rivière  pénètre  dans  la  caverne.  Ce 
dernier  est  très  étendu  et  livre  un  vaste  champ  à  l'étude.  J'y. 
ai  relevé,  de  haut  en  bas,  la  succession  des  assises  suivantes: 

A.  0  m.  80  à  1  m.  80.  —  Blocs  de  rocher  et  pierres  tombées 
de  la  voûte.  On  trouve  dans  leurs  interstices,  à  la  base,  quel- 
ques haches  en  pierre  polie,  à  la  partie  moyenne  des  traces 
de  vert-de-gris,  à  la  partie  supérieure  des  clous,  des  tessons 


240  SÉANCE  DU   18  AVRIL   1895 

de  poterie  gauloise  et  de  poterie  vernissée.  Au  nord-ouest, 
cette  assise  se  transforme  en  trois  couches  plus  ou  moins  va- 
seuses et  remplies  de  pierrailles,  correspondant  aux  époques 
néolithique  à  hache  polie,  calceutique  et  sidérique. 

B.  0  m.  60.  —  Cendre  ruhanée  à  escargots,  composée  de 
minces  lits  onduleux  gris,  blancs  ou  noirs.  Les  escargots 
sont  des  hélix  nemoralis  en  vastes  amas  lenticulaires.  On  trouve 
dans  cette  assise  des  ossements  de  cerf  elaphe,  de  sanglier, 
de  bœuf,  de  chèvre,  des  grattoirs  en  silex  ronds,  des  outils 
finement  retouchés  en  forme  de  lame  de  canif,  des  racloirs, 
des  ciseaux,  des  tranchets  en  roche  polie,  quelques  outils  de 
type  magdalénien,  des  poinçons  et  des  lissoirs  en  os,  des  co- 
quilles de  noisettes,  de  noix,  des  glands,  des  graines  d'érable 
des  vestiges  de  châtaigne,  des  noyaux  de  prunes,  de  cerises, 
de  prunelles,  d'aubépine.  Cette  couche  correspond  aux  Kjoek- 
kenmoeddings. 

C.  0  m.  63.  —  Couche  rougeAtre  renfermant  de  la  cendre, 
du  charbon,  des  amas  de  peroxyde  de  fer,  de  grosses  pierres 
tombées  de  la  voûte,  des  silex  de  forme  magdalénienne,  de 
petits  grattoirs  arrondis,  des  instruments  en  lame  de  canif, 
très  finement  taillés,  des  canines  percées  de  cerf,  de  nombreux 
poinçons,  des  lissoirs,  des  harpons  perforés,  plats,  ovalaires, 
en  ramure  de  cerf,  des  galets  coloriés  en  grande  abondance, 
des  ossements  de  cerfs  élaphes,  parmi  lesquels  on  remarque 
ceux  de  trois  variétés,  le  cerf  de  nos  forêts  qui  est  très  com- 
mun, le  cerf  du  Canada  assez  rare  et  un  cerf  de  petite  taille 
dont  les  dents  ont  quelque  ressemblance  avec  celles  du  renne. 
On  y  trouve  des  os  de  chevreuil,  de  bouquetin,  de  chamois,  de 
bœufprimitif,  de  cheval,  d'ours  commun,  de  sanglier,  de  blai- 
reau, de  chat  sauvage,  de  castor,  d'oiseaux  divers,  détruites, 
de  brochets,  de  cyprins,  de  grenouilles.  J'y  ai  recueilli  des  noix, 
des  noyaux  de  prunes,  de  prunelles,  de  cerises,  des  baies  d'au- 
bépine, du  blé,  des  restes  de  litière,  et  une  portion  de  squelette 
humain  inhumé  après  avoir  été  dépouillé  de  ses  chairs  avec  un 
silex  et  rougi  par  du  peroxyde  de  fer.  Les  rayures  du  silex  sur 
un  des  fémurs  sont  très  apparentes.  J'ai  aussi  rencontré  dans 


ED.    PIETTE.   —  HIATUS  ET  LACUNE  241 

cette  assise  de  petits  galets  plats,  allongés,  usés  par  le  frotte- 
ment à  l'une  de  'leurs  extrémités,  et  transformés  ainsi  en 
ciseaux  et  en  tranchets.  —  Cette  couche  C  et  celle  qui  renferme 
des  amas  d'escargots,  13,  ne  contiennent  ni  hache  en  pierre 
polie,  ni  ossements  de  renne.  Elles  sont  des  assises  de  transi- 
tion intercalées  entre  les  derniers  strates  de  la  période  mag- 
dalénienne et  l'étage  des  haches  en  pierre  polie. 

Au  nord,  dans  le  voisinage  de  la  rivière,  elles  ont  été  empor- 
tées, ou  submergées  et  lavées  par  des  inondations  qui  se  sont 
élevées  jusqu'à  13  et  14  mètres  au-dessus  du  niveau  moyen 
actuel  des  eaux  de  l'Arise.  Dans  les  endroits  où  elles  n'ont  été 
que  lavées,  les  débordements  en  ont  enlevé  les  parties  menues, 
ne  laissant  que  de  grosses  pierres.  Au  sud,  elles  sont  restées 
intactes,  protégées  par  une  avancée  du  rocher  à  l'entrée  de 
la  grotte.  Ces  inondations  dues  à  des  fontes  de  neige  ou  à  des 
pluies  abondantes,  ne  sont  pas  les  seuls  indices  de  l'impor- 
tance du  volume  des  eaux  que  roulaient  les  rivières  à  cette 
époque.  Les  os  de  castor,  la  grande  quantité  de  mâchoires  et 
de  vertèbres  de  poisson,  le  nombre  considérable  de  harpons 
de  pêche,  donnent  à  penser  que,  dans  la  vallée  de  l'Arise,  et 
peut-être  dans  la  grotte  elle-même,  il  y  avait  des  étangs,  des 
lacs  minuscules,  où  la  pèche  était  fructueuse  et  où  les  castors 
pouvaient  établir  leurs  demeures.  L'abondance  des  ossements 
de  sanglier  et  la  présence  des  os  de  grenouille  révèlent  l'exis- 
tence de  vallées  marécageuses.  Enfin,  l'immense  quantité 
d' hélix  nemoralis,  dans  la  couche  à  escargots,  prouve,  plus  que 
toute  autre  chose,  l'humidité  du  climat  de  cette  époque.  Uhe- 
lix  nemoralis  et  V hélix  horlensis  sont  deux  variétés  d'une  même 
espèce,  \lhelix  nemoralis  est  la  variété  des  pays  humides.  Au- 
jourd'hui, on  n'en  voit  plus  dans  la  faune  vivante  des  environs 
du  M as-d'Azil  ;  on  n'y  voit  que  des  hélix  horlensis.  Il  en  était 
déjà  ainsi  à  l'époque  des  haches  en  pierre  polie.  On  peut  en 
conclure  que  le  climat  de  cette  dernière  époque  fut  beaucoup 
moins  humide  que  celui  qui  régnait,  dans  ce  pays,  pendant 
que  la  couche  à  escargots  se  formait.  Cette  conclusion  est 
d'autant  plus  légitime  que  les  inondations  de  l'Arise  qui  s'éle- 


242  SÉANCE  DU  18   AVRIL  1895 

vaient,  comme  je  l'ai  dit,  à  13  et  14  mètres  au-dessus  du  ni- 
veau moyen  actuel  de  la  rivière,  aux  temps  des  galets  coloriés 
et  des  repas  d'escargots,  et  enlevaient  des  assises  situées  a 
cette  hauteur,  ont  été  bien  moindres  à  l'époque  des  haches 
en  pierre  polie,  puisqu'elles  ont  laissé  intacte  une  couche  ren- 
fermant ces  sortes  de  haches,  placée  près  de  l'Arise,  à  six  mè- 
tres seulement  au-dessus  de  son  niveau.  Il  résulte  de  cette 
observation  que  le  régime  actuel  des  cours  d'eau  n'a  com- 
mencé qu'avec  l'usage  de  la  haehe  en  pierre  polie. 

L'étude  des  assises  à  galets  coloriés  et  à  escargots  nous  révèle 
une  particularité  non  moins  importante.  Les  forets  étaient 
reconstituées  au  moment  où  elles  ont  été  formées  '.  Le  cli- 
mat était  même  assez  doux  pour  que  les  arbres  fruitiers  aient 
alors  prospéré  dans  la  région  pyrénéenne.  La  cendre  des 
foyers  de  la  couche  à  galets  coloriés  est  presque  toujours 
noire.  On  y  brûlait  donc  habituellement  des  déchets  de  chair, 
comme  aux  temps  magdaléniens.  Malgré  la  possession  d'un 
peu  de  blé  et  de  quelques  fruits,  l'homme  qui  peignait 
sur  cailloux  roulés  vivait  presqu'exclusivement  de  viande. 
Les  mœurs  de  l'âge  précédent  avaient  été  transmises  en 
grande  partie  à  la  génération  nouvelle.  Cependant,  la 
grande  quantité  de  charbons  que  Ton  voit  dans  la  cendre 
prouve  que  les  feux  étaient  allumés  et  souvent  même 
entretenus  avec  du  bois.  La  végétation  arborescente  avait 
donc  reparu.  C'est  d'ailleurs  ce  que  démontre  mieux  encore 
la  rencontre  de  quelques  vestiges  de  fruits  dans  cette  assise. 

i  A  l'altitude  et  à  la  latitude  du  Mas-d'Azil,  les  forêts  paraissent 
n'avoir  pas  été  complètement  détruites,  même  au  temps  des  plus 
grands  froids  de  l'époque  magdalénienne.  On  trouve  un  peu  de 
charbon  dans  toutes  les  assises.  Mais  il  y  a  d'autres  grottes  (la 
grande  caverne  d'Arudy  par  exemple,  où,  aux  temps  équidiens  on 
allumait  le  feu  avec  de  grandes  herbes.  Aucune  trace  de  charbon 
n'y  a  été  reconnue  dans  les  couches  magdaléniennes  inférieures. 
Si  l'on  en  voit  aujourd'hui  à  l'endroit  où  elles  affleuraient,  c'est 
parce  qu'il  y  en  avait  beaucoup  dans  la  sépulture  d'un  fondeur  de 
bronze  inhumé  dans  ces  strates, 


KD.  PIEÎTE.  —  HIATUS  ET  LACUiNE  243 

Ces  vestiges  sont  beaucoup  plus  abondants  dans  la  couche  à 
escargots.  La  cendre  des  foyers  y  est  presque  partout  grise 
ou  blanche  comme  celle  des  feux  de  bois.  Les  habitants  de  la 
caverne  n'y  brûlaient  donc  pas  ordinairement  de  la  chair.  Les 
mollusques  et  les  végétaux  formaient  une  partie  notable  de 
leur  alimentation.  11  y  avait  eu  transformation  de  mœurs.  Il 
n'est  pas  sans  intérêt  de  constater  que,  dès  l'époque  de  tran- 
sition, le  prunier,  le  merisier  et  le  noyer  croissaient  sur  notre 
sol.  A  en  juger  par  les  noyaux,  il  y  avait  deux  variétés  de 
cerises  et  trois  de  prunes.  Ainsi  s'évanouissent  les  légendes 
suivant  lesquelles  le  cerisier  aurait  été  importé  d'Asie  en  Italie 
parLucullus  et  le  prunier  par  Caton  l'Ancien. 

Déjà  en  1785,  l'abbé  Rozier  avait  prouvé  que  nos  bonnes 
variétés  de  cerisier  dérivaient  soit  par  les  semis,  soit  par 
l'hybridation  des  merisiers  ou  cerisiers  sauvages,  arbres  rares 
en  Italie,  mais  aborigènes  des  Gaules,  de  la  Grande-Bretagne 
et  de  la  Germanie.  Lamarck,  dans  l'Encyclopédie  méthodique,, 
avait  adopté  sa  manière  de  voir.  Gela  n'empêcha  pas  les 
auteurs  se  copiant  les  uns  les  autres  de  continuer  à  attribuer 
une  origine  asiatique  au  cerisier  et  au  prunier.  L'étude  des 
assises  de  transition,  dans  la  grotte  du  Mas-d'Azil,  démontre 
que  ces  arbres  prospéraient  déjà  sur  noire  sol  avant  l'é- 
poque des  haches  en  pierre  polie.  Lucullus  n'a  donc  doté 
l'Italie  que  d'une  simple  variété  de  cerisier,  et  Caton  n'a 
importé  dans  ce  pays  qu'une  variété  de  prunier.  Or,  le  nom- 
bre des  variétés  de  ces  arbres  fruitiers  était  déjà  grand,  au 
temps  de  Pline,  puisqu'il  en  compte  dix  pour  le  cerisier. 

Les  botanistes  attribuaient  aussi  une  origine  asiatique  à 
notre  noyer  commun  (Jugions  regio),  et  cette  opinon  pouvait 
paraître  justifiée,  puisque  plusieurs  espèces  appartenant  au 
genre  jugions,  notamment  celle  de  nos  vergers,  croissent  et 
prospèrent  sur  les  bords  de  la  mer  Caspienne.  Cependant 
Hernardin  <l<>  Saint  Pierre  soutenait,  je  ne  sais  sur  quel  fonder 
ment,  que  notre  noyer  est  originaire  de  Sardaigne.  La  vérité 
est  que  l'ère  de  végétation  de  cet  arbre  a  été,  aux  temps 
anciens,  beaucoup  plus  vaste  qu'on  ne  le  pensait,  puisqu'il 


244  SÉANCE  DU  18  AVRIL   1895 

existait  dans  la  région  pyrénéenne  avant  l'époque  des  haches 
en  pierre  polie,  en  sorte  que  nous  n'avons  eu  nullement 
besoin  de  l'importer  d'Orient.  Les  noix  sont  petites  et  rares 
dans  l'assise  à  galets  coloriés.  Leur  coque  eu  bois  est  très 
dure.  Elles  sont  plus  nombreuses  dans  l'assise  à  escargots; 
mais  leur  coque  n'est  guère  plus  tendre.  Moins  communes  et 
plus  grosses  dans  l'assise  des  haches  en  pierre  polie,  elles  sont 
semblables  à  la  variété  ordinaire  que  nous  cultivons. 

Il  y  avait  déjà  des  noyers  clans  le  pays  de  Gaule  a  l'époque 
tertiaire.  On  en  a  notamment  signalé  une  espèce  de  l'époque 
pliocène  dans  le  midi  de  la  France,  le  jugions  minor. 

J'aurais  fait  connaître  Vassiseà  galets  coloriés  d'une  manière 
incomplète  si  je  ne  disais  quelques  mots  des  galets  eux-mêmes. 
Ils  sont  généralement  plats  et  ovalaires.  Us  ont  été  recueillis 
dans  le  lit  de  l'Arise.  La  couleur  employée  pour  les  peindre 
est  le  peroxyde  de  fer  dont  le  gisement  se  trouve  en  amont 
de  la  rivière.  La  couche  de  couleur  est  parfois  fort  épaisse. 
Elle  a  dû  être  mêlée  à  une  résine  ou  a  un  corps  gras  pour  la 
fixer,  car  ordinairement  elle  adhère  fortement  et  elle  résiste 
souvent  au  lavage.  On  la  délayait  dans  la  valve  creuse  de 
grands  pecten,  sur  des  spatules,  dans  les  cavités  naturelles 
de  cailloux  roulés.  Cette  couleur  servait  probablement  aussi 
au  tatouage,  car  des  os  d'oiseaux  creux  et  terminés  en  pointe 
en  sont  remplis. 

Les  peintures  des  galets  paraissent  avoir  été  des  sortes 
d'hiéroglyphes.  Les  plus  nombreuses  sont  des  bandes  rouges 
parallèles,  des  cercles  rouges,  alignés  ou  tangeants  à  la  cir- 
conférence ;  elles  semblent  être  des  nombres,  et  les  galets  qui 
les  portent  sont  peut-être  des  marques  de  jeu.  Chaque  cercle, 
chaque  bande  serait  une  unité.  Les  petits  nombres,  deux, 
trois,  quatre,  sont  communs  sur  les  galets;  il  est  rare  de  trou- 
ver des  cailloux  roulés  sur  lesquels  il  y  ait  neuf  ou  dix  bandes 
ou  neuf  ou  dix  cercles.  Rien  ne  nous  fait  soupçonner  quel  fut 
le  système  de  numération  de  cette  époque.  Les  bandes  sont 
parfois  frangées  et  ressemblent  à  des  rameaux.  C'est  une 
ornementation  qui  ne  devait  pas  changer  la  signification  du 


ED.  METTE,   —  HIATUS  ET  LACUNE  245 

signe  et  qui  révèle  un  art  rudimentaire,  sans  élégance,  bien 
éloigné  de  celui  de  l'Age  du  renne.  La  peinture  a  figuré  d'au- 
tres signes  représentatifs  d'idées  :  la  croix  simple,  la  croix 
double,  des  cercles  avec  un  point  au  milieu,  des  sortes  de 
V  ou  d'E,  des  0,  des  U  à  base  anguleuse,  des  M  gothiques, 
des  M  aux  jambages  écartés,  des  I  sans  point,  des  échelles  à 
un  seul  support  traversé  par  les  goujons,  des  flèches  barbe- 
lées, des  lignes  onduleuses  et  serpentantes,  des  courbes  paral- 
lèles superposées,  des  courbes  en  fer  à  cheval  isolées  ou 
superposées,  des  chevrons,  des  cercles  dans  lesquels  est  une 
sorte  de  cœur,  une  ligure  sur  laquelle  on  semble  avoir  voulu 
représenter  une  pierre  servant  de  chevet  et  divers  autres 
caractères  plus  compliqués.  Plusieurs  de  ces  caractères  sont 
également  sur  les  dolmens.  Tels  sont  la  croix,  le  cercle 
pointé,  les  courbes  parallèles,  etc.,  et  il  y  aurait  lieu  de  faire 
un  travail  comparatif  de  ces  signes  avec  ceux  des  inscrip- 
tions libyques,  des  inscriptions  ibériennes  restées  indéchif- 
frées et  avec  les  caractères  berbères.  Les  M  aux  jambes 
écartées,  les  échelles  a  deux  supports,  les  cercles  pointés,  les 
chevrons  avaient  été  figurés  dès  la  dernière  partie  de  l'époque 
magdalénienne  (celle  que  j'ai  nommée  cervidienne).  On  remar- 
quera l'absence  de  figurations  d'animaux  d'autant  plus  frap- 
pante que  ïépoque  des  galets  coloriés  succède  immédiatement  à 
l'Age  du  renne  qu'elles  caractérisaient. 

L'assise  à  galets  coloriés  G  repose,  dans  la  tranchée,  sur  les 
couches  suivantes  : 

D.  0  m  50.  —  Limon  jaunâtre  feuilleté  et,  en  quelque  sorte 
papyracé,  tant  les  feuillets  schisteux  sont  minces.  Lorsqu'on 
regarde  ces  feuillets  à  la  loupe,  on  voit  qu'ils  sont  composés, 
à  la  base,  d'éléments  relativement  grossiers  et,  à  la  partie 
supérieure,  de  grains  très  fins  qui  paraissent  provenir  du 
lœss.  Parmi  les  éléments  de  la  base,  on  remarque  de  nom- 
breux grains  de  peroxyde  et  d'hydroxyde  de  fer  arrachés  aux 
roches  encaissantes  de  la  rivière  en  amont,  des  grains  de 
calcaire  blanchAtre  pris  aux  collines  avoisinantes  et  quelques 
fragments  spathiques,  brillants  comme  des  paillettes  de  mica 


246  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

et  provenant  de  la  trituration  des  oursins  contenus  en  grand 
nombre  dans  la  roche  où  est  creusée  la  grotte.  Chacun  de  ces 
feuillets  est  le  vestige  d'une  inondation,  ou  d'une  recrudes- 
cence dans  une  inondation.  J'ai  détaché  quelques  morceaux 
de  limon  pour  en  avoir  des  échantillons.  L'un  d'eux,  qui  a 
huit  millètres  d'épaisseur,  contient  13  feuillets;  un  autre,  de 
trois  millimètres  d'épaisseur,  en  contient  huit.  On  peut  donc 
admettre  en  moyenne  deux  feuillets  par  millimètre  d'épais- 
seur, .l'ai  indiqué  0  m.  50  pour  la  puissance  de  cette  assise; 
mais  elle  n'est  nullement  régulière.  Dans  la  tranchée  dont  je 
donne  la  coupe,  son  épaisseur  varie  deOm.  12  à  0  m.  17  et  de 
0  m.  17  à  0  m.  90.  Elle  a  été  déposée  dans  les  ravinements 
d'une  couche  archéologique  sous-jacente  et  s'est  en  partie 
formée  à  ses  dépens,  puisqu'on  y  voit  quelques  silex,  de 
rares  ossements  et  des  grains  très  fins  de  cendre  et  de  char- 
bon. Elle  disparaît  en  certains  points  à  l'est,  et  totalement  à 
l'ouest,  à  quelques  mètres  de  la  tranchée.  Là,  la  couche  archéo- 
logique sous-jacente  est  demeurée  intacte  et  se  trouve  en 
contact  immédiat  avec  l'assise  à  galets  coloriés  qui  repose 
sur  elle.  Protégée  par  une  avancée  du  rocher  à  l'entrée  de  la 
grotte,  cette  assise  archéologique  est  restée  à  l'état  d'îlot  pen- 
dant des  inondations  réitérées,  emportée  vers  le  nord  parle 
courant  impétueux  de  la  rivière,  ravinée  au  sud  par  le  remous 
qui  a  déposé  le  limon  schisteux  dans  ses  dépressions.  M.  de 
Kerveiller  a  découvert  autrefois,  à  Saint-Nazairedonton  creu- 
sait le  port,  des  limons  feuilletés,  semblables  à  ceux  que  je 
décris.  Partant  de  ce  principe  que  la  Loire  a  chaque  année 
une  grande  crue,  il  a  proposé  un  chronomètre  d'après  lequel 
le  nombre  des  feuillets  correspondrait  à  un  nombre  égal 
d'années.  On  commettrait  une  erreur  singulière  si  l'on  essayait 
d'appliquer  ce  chronomètre  au  limon  qui  nous  occupe.  Ses 
feuillets  sont  des  dépôts  de  remous,  et  au  cours  d'une  grande 
inondation,  le  remous  a  peut-être  pu  vingt  fois  s'élever  au 
niveau  où  se  sont  formés  ces  feuillets  et  vingt  fois  s'abaisser 
et  disparaître.  Dailleurs,  le  régime  des  eaux  fluviatiles,  à  cette 
époque,  était  bien   différent  de  celui    des  temps  modernes. 


ED.  PIETTE.   —  HIATUS  ET  LACUNE  247 

Les  inondations  de  PArise  montaient  à  treize  mètres  au-des- 
sus du  niveau  actuel  de  ses  eaux.  Les  fontes  de  neiges  extrê- 
mement abondantes  et  les  pluies  torrentielles  donnaient  aux 
rivières  une  ampleur  qu'elles  n'ont  plus  maintenant.  Aussi 
n'est-ce  que  par  curiosité  que  je  vais  calculer,  d'après  les 
principes  de  M.  de  Kerveilîer,  le  nombre  d'années  que  repré- 
senterait la  petite  couche  de  limon  feuilleté  qui  affleure  en 
certains  endroits  sous  l'assise  à  galets  coloriés.  En  admettant 
qu'un  feuillet  représente  une  année,  et  qu'il  y  ait  en  moyenne 
deux  feuillets  par  millimètre  d'épaisseur,  on  a,  pour  12  cen- 
timètres, deux  cent  quarante  années,  pour  17  centimètres, 
340  années  et  pour  0  m. 90,  dix-huit  cents  années.  Que  serait- 
ce,  s'il  fallait  y  ajouter  les  feuillets  des  limons  inférieurs  dont 
je  vais  faire  la  description.  Cela  prouve  que  ce  qui  est  vrai 
pour  l'époque  actuelle  devient  complètement  faux  pour  l'ère 
quaternaire  et  même  pour  la  période  de  transition  qui  l'a 
suivie. 

E.  0  m.  03.  —  Lit  discontinu  de  pierrailles  résultant  du 
lavage  de  la  couche  archéologique. 

F.  0  m.  25  à  0  m.  50.  —  Couche  archéologique,  noirâtre, 
formée  de  cendre,  de  charbon,  de  pierres,  d'esquilles  d'os,  de 
silex  taillés  de  forme  magdalénienne.  Elle  est  légèrement 
inclinée  vers  la  rivière.  J'y  ai  recueilli  des  gravures  sur  os, 
des  aiguilles,  des  harpons  en  bois  de  renne  et  en  bois  de  cerf, 
de  gros  lissoirs  en  bois  de  cerf,  des  flèches  à  base  en  biseau. 
Les  ossements  sont  ceux  du  renne,  qui  est  très  rare,  du  cerf 
élaphe,  du  chevreuil,  du  bœuf,  du  bouquetin,  du  renard,  du 
loup  et  d'oiseaux  divers. 

G.  0  m.  20  à  0  m.  36.  —  Limon  feuilleté  schisteux,  com- 
posé de  feuillets  papyracés  semblables  à  ceux  du  limon  D, 
mais  un  peu  plus  épais,  ayant  en  moyenne  un  millimètre  et 
un  cinquième  de  millimètre,  ce  qui  fait  160  feuillets  pour  une 
épaisseur  de  0  m.  20  et  288  pour  une  épaisseur  de  0  m.  36. 
La  schistosité  est  parallèle  au  plan  de  stratification  et  déter- 
minée par  elle.  Les  feuillets  sont  groupés  par  couches  de 
quinze  à  dix-huit  millimètres  de  hauteur  intercalées  entre  de 


248  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

très  minces  lits  de  sable  calcaire  assez  grossier,  contenant  des 
grains  de  peroxyde  de  fer. 

H.  0  m.  30  à  0  m.  45.  —  Couche  archéologique  de  terre 
noire  devant  sa  couleur  a  la  cendre  des  déchets  de  chair  brû- 
lés dans  les  foyers.  Elle  est  remplie  de'pierrailles.  On  y  trouve 
du  charbon,  des  silex  magdaléniens,  de  petits  grattoirs  arron- 
dis, des  outils  en  lame  de  canif,  des  rondelles  en  os,  des  gra- 
vures sur  os,  sur  bois  de  renne  et  sur  bois  de  cerf,  des  harpons 
à  fût  cylindrique  et  à  saillies  en  bois  de  renne,  quelques 
harpons  en  bois  de  cerf  élaphe,  les  uns  à  fût  cylindrique  et  à 
saillies,  les  autres  plats,  ovalaires,  perforés,  des  aiguilles  en 
os,  des  épingles,  des  poinçons,  des  flèches  à  base  en  biseau, 
et  de  gros  bissoirs  en  endouiller  de  cerf,  caractéristiques  de  la 
lin  des  temps  magdaléniens.  J'y  ai  recueilli  des  ossements  de 
cerf  élaphe,  de  renne,  de  chevreuil,  de  bœuf,  d'aurochs,  de 
bouquetin,  de  chamois,  de  cheval,  de  loup,  de  renard,  de  lynx, 
de  lièvre,  de  coq  de  bruyère,  de  gelinotte.  Les  débris  de  renne 
sont  rares.  Cette  couche  plonge  légèrement  vers  la  rivière. 

I.  1  m.  30  à  1  m.  80.  —  Limon  sableux,  schistoïde  dans  le 
sens  de  la  stratification.  Sa  masse  assez  compacte,  quand  il 
vient  d'être  mis  au  jour,  est  d'un  jaune  sale  tirant  sur  le  gris 
ou  le  brunâtre.  On  le  voit  se  déliter  à  l'air  quand  il  y  a  été 
exposé  pendant  plus  d'un  mois.  Les  lits  schisteux  ont  alors 
un  peu  plus  d'un  centimètre  d'épaisseur.  Ainsi,  un  morceau 
de  0  m.  22  que  j'avais  recueilli,  contenait  dix-huit  lits.  Etant 
revenu  dans  le  gisement  après  plusieurs  mois  d'absence,  je 
remarquai  que  cette  couche  de  limon  dont  la  tranche  verticale 
était  restée  exposée  à  l'air  depuis  l'abandon  de  la  tranchée, 
s'était  subdivisée  en  feuillets  beaucoup  plus  minces,  composés 
des  mêmes  éléments  que  ceux  des  couches  G  et  D.  Des  lits  de 
sable  d'un  demi-millimètre  d'épaisseur  s'intercalent  de  temps 
en  temps  entre  deux  faisceaux  de  feuillets.  Ce  sable,  relative- 
ment grossier,  contient  des  grains  de  peroxyde  de  fer  et  de 
calcaire. 

J.  0  m.  20.  —  Lit  de  pierres  et  de  terre  mélangée 
avec  de  la  cendre  noire  et  du  charbon,  contenant  des  silex 


ED.  PIETTE.   —   HIATUS  ET  LACUNE  249 

taillés  de  forme  magdalénienne,  des  ossements  de  renne,  de 
bœuf,  de  cheval.  C'est  le  reste  d'une  couche  archéologique 
remaniée  et  lavée  par  une  inondation.  Elle  a  été  complète- 
ment enlevée  plus  au  large,  vers  le  nord. 

K.  0  m.  80.  —  Limon  jaune  mêlé  avec  du  sable,  rempli  de 
pierrailles  qui  semblent  être  tombées  de  la  voûte  et  qui  pro- 
viennent certainement  des  calcaires  dans  lesquels  la  grotte 
est  creusée,  ou  de  leur  prolongement  en  amont.  Dans  cette 
couche,  les  pierres  forment  à  peu  près  la  moitié  de  la  masse. 
L.  0  m.  10.  —  Terre  noire  mélangée  avec  de  la  cendre  et 
du  charbon,  remplie  de  pierrailles,  contenant  quelques  silex 
taillés  de  forme   magdalénienne,   des   ossements  brisés   de 
cerf,  de  renne  et  de  bœuf.  C'est  le  reste  d'une  couche  archéo- 
logique très  remaniée  par  une  inondation  et  emportée  complè- 
tement au  nord,  dans  le  voisinage  de  la  rivière.  Au  sud,  près 
de  la  muraille  de  la  grotte,  elle  est  remplacée  par  un  lit  de 
pierres.  En  cet  endroit  le  contre-courant  qui  s'est  formé  à  été 
assez  fort  pour  enlever  toutes  les  parties  menues  de  la  couche. 
A  quelques  mètres  de  la  muraille,  l'effet  du  contre-courant  a 
été  moindre  ;  la  terre  noire  n'a  pas  été  emportée  tout  entière, 
et,  en  suivant  l'affleurement  de  cette  couche  vers  le  nord,  on 
la  voit  augmenter  peu  à  peu  en  épaisseur  et  s'incliner  vers 
le  nord. 

M.  1  m.  40.  —  Couche  de  pierrailles  et  de  limon  semblable 
à  la  couche  K. 

N.  0  m.  10.  —  Vestiges  d'une  couche  archéologique  indi- 
quée par  du  charbon,  des  pierres,  des  ossements  de  cerf  et 
quelques  silex  magdaléniens. 

P.  Plus  de  0  m.  80  de  terre  graveleuse,  jaunâtre,  mélangée 
avec  du  limon,  contenant  quelques  pierrailles. 

Les  couches  D,  E,  F,  G,  II,  I,J,  K,  L,  M,  N,  P,  appartien- 
nent toutes  à  une  même  formation,  celle  que  j'ai  nommée 
élapho-tar (indienne.  C'est  la  dernière  de  l'âge  du  renne.  Elle 
correspond  à  une  longue  époque,  pendant  laquelle  l'humidité 
du  climat  lit  souffrir  le  renne  et  finit  par  le  faire  disparaître. 
Sa  faune  fut   celle  <\i>>  temps  modernes,  si  l'on  en  excepte  ce 

T.    VI  (V'  SKK1KJ.  (7 


250  SÉANCE  DU  18  AVRIL   189.J 

cervidé  qui  devenait  de  plus  en  plus  rare  dans  la  région 
pyrénéenne.  Les  harpons  en  bois  de  renne,  les  aiguilles,  les 
flèches  li  base  en  biseau  et  surtout  les  gros  lissoirs  en  andouil- 
ler  de  cerf  caractérisent  son  industrie.  Ses  silex  taillés  sont 
presque  tous  magdaléniens  ;  on  remarque  pourtant  parmi  eux 
de  petits  grattoirs  arrondis  et  des  outils  en  lame  de  canif, 
précurseurs  des  temps  nouveaux.  La  succession  des  couches, 
les  éléments  dont  elles  sont  composées  et  l'état  dans  lequel 
elles  se  trouvent  aujourd'hui  racontent  une  interminable  série 
d'inondations,  des  fontes  de  neiges,  des  pluies  continues  ou 
torrentielles.  Il  ne  faudrait  pas  attribuer  les  débordements  à 
des  barrages  accidentels  formés  temporairement  dans  la 
grotte.  Peut-être  y  en  a-t-il  eu.  Peut-être  le  tunnel  formé  par 
la  caverne,  en  aval,  n'a-t-il  pas  toujours  offert  un  débouché 
suffisant  aux  eaux  du  torrent,  mais  cela  n'infirme  pas  les 
preuves  de  l'humidité  du  climat.  Dans  la  caverne  de  Gourdan 
on  observe  les  mêmes  d'assises  que  sur  la  rive  gauche  de 
l'Arise,  à  l'exception  des  couches  fluviales  ;  car  elle  se  trouve 
à  un  niveau  trop  élevé  pour  que  les  débordements  de  la 
Garonne  aient  pu  l'atteindre;  mais  quand  les  eaux  de  pluies 
continues  ou  torrentielles  entraînaient  avec  elles  le  lœss  qui 
formait  le  revêtement  de  la  montagne,  la  masse  boueuse 
pénétrait  dans  la  grotte  par  les  fentes  du  calcaire  et  par  des 
conduits  naturels,  s'étendait  sur  une  partie  de  la  couche 
archéologique  et  y  forma it  un  dépôt.  De  là  une  succession  de 
couches  archéologiques  et  de  couches  limoneuses  qui  ne  prou- 
vent pas  moins  que  les  lits  fluviatiles  du  Mas-d'Azil  l'humi- 
dité du  climat.  Quelques  auteurs  allemands  placent  à  cette 
époque  la  dernière  extension  glaciaire.  Les  faits  que  je  signale 
militent  en  faveur  de  leur  opinion,  et  moi-même  je  suis  dis- 
posé à  regarder  la  moraine  frontale  de  Gaseaux-sur-Arboust 
comme  contemporaine  de  ces  temps  pluvieux.  Je  dois  ajou- 
ter cependant  que  la  reprise  de  la  marche  en  avant  des  gla- 
ciers dans  le  midi  de  la  France  a  été  très  peu  considérable,  et 
que  s'il  est  naturel  qu'elle  ait  eu  plus  d'amplitude  en  Allema- 
gne, elle  n'a  pu,  à  beaucoup  près,  égaler  les  extensions  an-té  ' 


ED.   PIETTE.  —  HIATUS  ET  LACUNE  2î)i 

rieures  à  Chelles  ni  l'extension  mostérienne,  et  a  dû  être  res- 
serrée dans  des  limites  étroites. 

Au  Mas-d'Azil,  cinq  fois  les  hommes  de  l'âge  du  renne 
s'installèrent  dans  la  grotte  sur  la  rive  gauche  de  l'Arise,  et 
cinq  fois  les  inondations  les  en  chassèrent.  Ils  se  réfugiaient 
alors  sous  des  abris  de  rocher,  dans  des  lieux  plus  élevés.  Il 
y  en  a  un  à  droite  de  l'entrée  de  la  caverne,  dans  le  voisignage 
d'une  ferme.  Il  a  dû  recevoir  plus  d'une  fois  les  troglodytes 
fuyant  devant  l'inondation.  J'y  ai  constaté  l'existence  des 
mêmes  assises  que  sur  la  rive  gauche  du  cours  d'eau,  à  l'ex- 
ception des  couches  fluviatiles;  il  la  couche  à  galets  coloriés 
et  à  harpons  plats  y  repose,  sans  intermédiaire,  sur  les  der- 
niers strates  de  l'âge  du  renne.  Dans  la  grotte  elle-même  où 
il  y  a  eu  un  îlot  épargné  par  le  torrent,  l'on  peut  voir  aussi 
ces  deux  couches  en  contact  immédiat.  Mais  s'il  est  vrai  que 
cet  îlot  n'a  pas  été  complètement  couvert  par  un  dépôt  fuvia- 
tile,  en  résulte-t-il  qu'il  a  continué  à  être  habité  pendant  la 
série  d'inondations  dont  les  eaux  l'entouraient  de  toute  part. 
Gela  n'est  guère  vraisemblable.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  vien- 
dra à  l'esprit  de  personne  de  considérer  les  inondations  et  la 
fuite  des  populations  devant  elles  comme  des  preuves  de 
l'existence  d'un  hiatus.  Quand  la  rivière  était  rentrée  dans 
son  lit  et  que  la  grotte  était  redevenue  habitable,  l'homme  y 
revenait,  et  la  nouvelle  assise  archéologique  qu'il  formait  était 
pareille  à  la  précédente.  Les  couches  E,  F,  II,  J,  L,  N  sont 
identiques  au  point  de  vue  de  la  faune  et  de  l'industrie.  Le 
renne  y  devient  de  plus  en  plus  rare.  L'emploi  d'instruments 
en  ramure  de  cerf  y  est  de  plus  en  plus  fréquent.  Mais  ces 
changements  sont  presqu'insensibles.  Lorsque  l'homme  est 
forcé  de  quitter  la  grotte  pour  la  cinquième  fois,  les  eaux 
débordées  y  déposent  une  mince  couche  de  limon  feuilleté 
semblable  aux  limons  sous-jacents  et  qui  n'est,  pas  plus 
qu'eux,  un  indice  d'hiatus  ;  c'est  un  vestige  d'inondations 
passagères  qui  n'ont  jamais  intéressé  que  les  parties  basses 
de  la  vallée.  Et  cependant,  pendant  qu'il  se  dépose,  un  fail 
considérable  s'accomplit.  L<-  renne,  que  l'humidité  du  climal 


2o2  SÉANCE  DU  18  AVRIL  4895 

avait  de  plus  en  plus  affaibli,  ne  peut  supporter  la  dernière 
série  d'années  pluvieuses  ;  il  s'éteint  dans  la  région  pyré- 
néenne. Sa  ramure  était  la  matière  première  de  l'industrie  en 
os  :  c'était  elle  que  les  artistes  incisaient  et  couvraient  de 
gravures.  Il  fallut  chercher  de  nouvelles  formes  d'instru- 
ments. Aussi,  lorsque  les  troglodytes  revinrent  dans  la  grotte, 
leur  outillage  en  os  était  renouvelé,  et  ils  ne  gravaient  plus. 
Mais  leurs  outils  en  silex  étaient  les  mêmes  qu'avant  leur 
départ,  et  ce  seul  fait  suffirait  pour  prouver  la  continuité  du 
développement  industriel  dans  nos  contrées.  D'ailleurs,  les 
progrès  accomplis  dans  l'outillage  en  ramure  de  cerf  avant  le 
départ,  avaient  été  utilisés.  C'est  ainsi  que  le  nouveau  type 
de  harpon  adopté  après  l'extinction  du  renne  n'a  été  que  le 
perfectionnement  d'un  type  déjà  trouvé  auparavant  sous 
l'abri  de  la  grotte.  Les  changements  de  climat  occasionnent 
toujours  des  déplacements  de  populations.  Les  hommes  de 
l'âge  du  renne  fuyant  les  inondations  et  cherchant  de  nou- 
velles demeures,  et  ceux  qui  étaient  restés  sous  l'abri  de  la 
rive  droite  du  Mas-d'Azil  durent  se  trouver  en  contact  avec 
de  nouveaux  venus  ;  et  quand  ils  furent  en  peine  pour  renou- 
veler leur  outillage,  ils  imitèrent  sans  doute  plus  d'une  fois 
le  leur.  Les  glaciers  ne  présentaient  plus  un  obstacle  sérieux 
aux  triubus  et  aux  individus  isolésqui  voulaient  franchir  les 
Pyrénées.  Un  courant  d'idées  nouvelles  se  forma  et  les  mœurs 
se  modifièrent.  L'art  sombra  dans  cette  transformation.  Ce  fut 
peut-être  dans  des  pérénigrations  au  sud  des  Pyrénées  que  nos 
troglodytes  apprirent  à  peindre  sur  galets.  Depuis  longtemps, 
il  est  vrai,  les  magdaléniens  employaient  le  peroxyde  de  fer  soit 
pour  se  peindre  le  corps,  soit  pour  d'autres  usages,  car  leurs  sta- 
tuettes, leurs  gravures  et  leurs  instruments  en  sont  parfois 
rougis.  Peignaient-ils  sur  pierre?  Cela  n'est  pas  démontré. 
Depuis  mes  découvertes  du  .Mas-d'Azil,  des  observateurs 
superficiels  l'ont  avancé  ;  mais  ils  se  sont  laissés  tromper  par 
des  remaniements  :  et  il  est  tout  aussi  probable  que  les  popu- 
lations de  l'Age  du  renne,  après  l'extinction  de  cet  animal, 


KO.   NETTE. 


HIATUS  ET  LACUNE  253 


ont  emprunté  cet.  art  à  un  autre  peuple,  pendant  la  crise  qui 
a  transformé  leurs  mœurs. 

11  résulte  de  la  coupe  qui  précède,  qu'après  la  clôture  des 
temps  quaternaires,  signalée  par  la  perte  du  renne,  il  y  a  eu, 
avant  l'invention  de  la  hache  en  pierre  polie,  une  épocpie  non 
moins  humide  que  la  précédente,  mais  moins  froide,  qui  a  eu 
deux  phases  représentées  par  la  couche  à  galets  coloriés  et 
par  celle  à  escargots.  Cette  époque  fut  celle  des  tourbières  qui 
avaient  commencé  à  se  former  aux  temps  élapho-tarandiens. 
L'art  du  polissage  de  la  pierre  a  été  inventé  avant  la  hache. 
Dans  les  couches  E,  F  et  II  j'ai  trouvé  des  pierres  quartzeuses, 
faciles  à  tenir  à  la  main,  dont  l'extrémité  présentait  une  sur- 
face   plane,    unie    ou  légèrement   rayée,    perpendiculaire  à 
l'axe.  Elles  ont  certainement  servi  à  concasser  et  à  broyer,  et 
le  polissage  grossier  qu'elles  ont  subi  provient  de  l'emploi  qui 
en  a  été  fait.  Ce  sont  de  petites  meules  dont  la  surface  unie 
par  le  frottement  n'a  que  cinq  ou  six  centimètres  de  dia- 
mètre. Dans  la  couche  à  galets   coloriés,  j'ai  recueilli   des 
ciseaux  et  des  tranchets  faits  de  petits  galets  siliceux,  plats  et 
ovalaires.  Une  de  leurs  extrémités  usée  soit  d'un  côté,  soit  des 
deux  côtés,  pour  la  rendre  coupante,  a  été  polie  par  le  frotte- 
ment ;  mais  ici  encore  le  polissage  n'a  pas  été  le  but.  11  ne 
résulte  pas  de  l'emploi  de  l'outil,  comme  celui  des  meules  ;  il 
résulte  du  procédé  de]  fabrication.  Il  n'en  est  plus  de  même 
dans  la  couche  k  escargots  :  on  y  rencontre  des  ciseaux,  des 
tranchets,  des  racloirs,  des  grattoirs  entièrement  polis.  Ceux 
qui  ont  fabriqué  ces  objets  les  ont  polis  pour  les  rendre  plus 
beaux.  Le  polissage  est  devenu  pour  ces  ouvriers  un  mode 
d'ornementation.  11  a  été  le   but  de  leur  travail.  Avec  ces 
outils  commence  Vépoque  de  la  pierre  polie  ;  mais  non  celle  des 
haches  en  pierre  polie.  La  hache  n'a  pas  encore  été  rencontrée 
dans  l'assise  à  escargots;  on  ne  la  trouve  que  dans  les  cou- 
ches superposées.  Ainsi  les  assises  de  transition  du  Mas-d'Azil 
nous  font  assister  à  l'invention  du  polissage  de  la  pierre  et  à 
son  application  à  diverses  sortes  d'outils. 

Telles  furent  les  découvertes  que  je  lis  en  1887  et    1888. 


254  SÉANCE  DU  18  AVRIL   1895 

Elles  furent  mentionnées  très  succinctement  dans  des  notes 
présentées  à  l'Académie  des  Sciences  et  à  celle  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres,  dans  deux  brochures  que  je  publiai  et 
dans  des  articles  parus  dans  les  comptes-rendus  des  Congrès 
de  Paris  et  de  Pau.  Mais  la  plus  grande  publicité  qu'elles 
rciurent  fut  celle  de  l'Exposition  internationale  de  1889. 
Toute  ma  collection  du  Mas-d'Azil  y  fut  placée  dans  des 
vitrines  où  je  l'avais  classée  stratigraphiquement  et  chrono- 
logiquement, <le  telle  sorte  que  l'on  voyait  les  perfectionne- 
ments de  l'outillage  se  succéder,  et  chaque  instrument  appa- 
raître à  une  date  relative  déterminée.  De  courtes  notes  écrites 
sur  des  cartons  initiaient  le  visiteur  à  l'histoire  des  époques 
magdaléniennes  et  au  travail  de  subdivision  que  j'avais 
accompli.  Jamais  entreprise  pareille  n'avait  été  tentée.  Des 
millions  de  personnes  défilèrent  devant  mes  vitrines.  Quel- 
ques-unes prirent  des  notes,  et  tous  les  journaux  de  Paris 
s'en  occupèrent.  Cependant  les  brochures  et  les  articles  parus 
n'avaient  donné  qu'une  idée  très  incomplète  du  résultat  de 
mes  observations.  Des  vulgarisateurs  peu  scrupuleux  auraient 
pu  entreprendre  de  vulgariser  les  enseignements  donnés  par 
mes  vitrines  de  l'Exposition  avant  que  je  ne  les  ai  fait  impri- 
mer. Il  était  urgent  que  je  décrive,  avec  détail,  les  assises  de 
transition.  C'est  ce  que  je  viens  de  faire  dans  la  présente 
étude. 

Avant  mes  travaux,  on  avait  souvent  rencontré  des  har- 
pons ovalaires  en  ramure  de  cerf,  à  base  perforée  ;  mais  tous 
les  auteurs  les  avaient  rapportés  au  magdalénien,  sans  se 
préoccuper  de  la  place  qu'ils  occupaient  dans  la  série  des 
assises.  .M.  Garigou,  qui  en  avail  trouvé  à  Alliai,  dans  la 
grotte  de  la  Vache,  les  avait  pris  pour  des  pendants  d'oreille. 
e|  loin  de  voir  dans  l'assise  qui  les  contenait  le  représentant 
delà  lacune,  il  avait  prétendu  trouver  dans  la  stratigraphie 
de  cette  caverne  des  preuves  de  l'existence  d'un  hiatus.  Je 
détachai  cette  assise  de  la  formation  magdalénienne  avec 
laquelle  un  l'avait  confondue,  e|  je  réunis  en  un  étage  les 
strates  à  galets  coloriés  et  ceux  à  escargots.  De  cette  façon,  la 


EL».   PIBTTE.  —    HIATUS  ET  LACUNE  253 

dernière  couche  magdalénienne  fut  celle  qui  est  caractérisée 
par  de  gros  lissoirs  en  ramure  de  cerf.  Après  avoir  ainsi  fixé 
la  limite  supérieure  de  la  période  magdalénienne,  je  m'oc- 
cupai de  sa  limite  inférieure.  J'étudiai  la  grotte  du  Pape  à 
Brassempouy  avec  M.  de  Laporterie,  et  je  donnai  le  nom 
d'étage  eburnéen  à  des  assises  dans  lesquelles  on  trouve  des 
statuettes  humaines  et  des  objets  en  ivoire  avec  la  faune  du 
Monstier.  Je  leur  adjoignis  la  couche  à  pointes  en  feuilles  de 
laurier  qui  les  couronne,  et  sur  laquelle  repose  la  formation 
magdalénienne. 

Ainsi  limitée,  la  formation  magdalénienne  est  encore  com- 
plexe. Elle  se  divise  en  deux  étages  :  le  premier,  que  j'ai 
nommé  kippiquim,  est  formé  par  les  assises  à  sculptures  en 
relief  et  par  cellesà  gravures  à  contours  découpés  ;  le  second 
que  j'ai  nommé  cervidien,  correspond  à  l'époque  de  la  gravure 
simple  et  se  subdivise  en  assise  rangiférienne  et  assise  élapho- 
tarandienne. 

Si,  pour  introduire  plus  d'uniformité  dans  la  terminologie, 
on  veut  remplacer  les  noms  que  j'ai  donnés  aux  divisions  qui 
précèdent  par  des  noms  de  localités,  selon  la  méthode  que 
M.  de  Mortillet  a  empruntée  a  d'Orbigny,  il  y  a  des  règles  à 
suivre.  La  localité  qui  doit  donner  son  nom  à  l'étage  est  celle 
qui  a  été  la  première  étudiée  et  qui  a  fourni  les  caractères 
dont  la  réunion  a  permis  de  le  distinguer.  Si  on  en  préfère 
une  autre,  il  faut  au  moins  qu'elle  soit  mieux  caractérisée  et 
plus  riche.  Faisant  application  de  ces  règles,  je  donnerai  le 
nom  de  Papalien  (grotte  du  Pape;  à  mon  étage  eburnéen  ou 
éléphantien  (époque  de  la  sculpture  en  ronde  bosse),  en  faisant 
remarquer  que  cet  étage  n'est  qu'un  faciès  particulier  et  un 
démembrement  de  celui  de  Solulré.  —  Divisant  la  formation 
magdalénienne  en  deux,  j'appellerai  Arudienne  (grotte  d'A- 
rudy),  l'époque  que  j'ai  nommée  hippiqnienne  (celle  de  la 
sculpture  en  bas-relief  et  de  la  gravure  à  champ-levé).  Je 
donnerai  le  nom  de  Gourdanien  (grotte  de  Gourdan)  à  l'étage 
que  j'ai  fait  connaître  sous  la  dénomination  de  cervidien 
(assises  à  gravures  simples)  et  que  j'ai  subdivisé  «mi  ràngifé- 


256  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

rien  et  élapho-tarandien.  Au-dessus  sont  les  assises  qui  ont 
comblé  la  lacune  :  elles  sont  au  nombre  de  deux  :  celle  à  galets 
coloriés  et  celle  a  escargots. 

Ces  deux  assises,  jointes  à  la  dernière  de  l'âge  du  renne, 
sont  les  vestiges  de  ce  que  j'ai  nommé  .la  période  de  transition. 
Toutes  trois  se  sont  formées  sous  l'infience  d'un  climat  humide, 
signalé  par  des   inondations  réitérées;   toutes  trois   ont   un 
outillage  en    silex  de   type  magdalénien   et  renferment  en 
même  temps  ces  petits  grattoirs  ronds  et  ces  outils  en  lame 
de  canif,  précurseurs  et  témoins  des  temps  nouveaux;  et  l'on 
pourrait  dire  que  toutes  trois  ont  une  faune  moderne,  si  la 
plus  ancienne  ne  renfermait  des  ossements  de  renne  et  des 
outils  faits  de  la  ramure  de  cet  animal,  qui  la  classent  parmi 
les  vestiges  dee  temps  quaternaires.  Celle-ci  (l'assise  élapbo- 
tarandienne)  contient  aussi  des  instruments  en   ramure  de 
cerf.  Son  outillage  en  os  est  mixte.  Il  lui  donne  le  cachet  de 
ce  que  l'on  appelle  une  assise  dépavage.  Elle  appartient  donc 
bien  à  la  période  de  transition.  Aussi  je  la  décrirais  avec  plus 
de  détails  si  elle  n'était  connue  depuis  fort  longtemps.  C'est. 
en  effet,  en  1871  que  je  l'ai  découverte  dans  la  grotte  de  Gour- 
dan.Je  l'ai  signalée  depuis  dans  celle  de  Lortbet;  enfin  je  bai 
retrouvée  en  1888  et  1889  au  Mas-d'Azil,  sur  la  rive  gauche 
de  l'Arise.  Notons  que,  dans  cette  station  de  la  rive  gauche,  il 
n'y  a  pas  découches  magdaléniennes  plus  anciennes,  en  sorte 
que  ce  gisement  est  le  type  de  la  période  de  transition  le  plus 
isolé,  comme  il  est  aussi  le  plus  parfait  et  le  plus  riche. 

L'assise  ;i  galets  coloriés  et  celle  à  escargots  appartiennent 
toutes  deux,  par  leur  faune,  à  l'ère  moderne.  Elles  doivent  être 
classées  dans  la  formation  néolithique,  malgré  la  présence  de 
leurs  silex  magdaléniens.  Toutes  deux  renferment  des  ciseaux 
faits  de  petits  galets  bruts  usés  et  polis  par  le  frottement  à 
l'une  de  leurs  extrémités  pour  la  rendre  tranchante.  Cet  outil 
a  été  le  point  de  départ  de  l'industrie  du  polissage  de  la  pierre 
qui  s'est  affirmée  et  développée  à  l'époque  des  amas  coquilliers 
à  escargots.  On  a  fait  alors  des  ciseaux,  destranchets  et  même 
des  racloirs  entièrement  polis:  et  si  la  hache  en  pierre  polie 

IfcJ 


ED.  PIETTE.  —  HIATUS  ET  LAGUNE  257 

n'a  pas  encore  fait  son  apparition  dans  ces  strates,  il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  ces  amas  appartiennent  incontestablement 
à  l'âge  de  la  pierre  polie.  Ils  ont  un  faciès  bien  plus  moderne 
que  l'assise  à  galets  coloriés.  Leur  cendre  grise  est  le  résidu 
de  feux  de  bois.  La  cendre  noire  des  couches  où  gisent  les 
galets  peints  est  un  résidu  de  feux  où  Ton  a  brûlé  de  la  chair. 
Ces  différences  ne  sont  pas  les  seules  qui  diversifient  les  strates 
des  deux  premières  phases  de  la  période  néolithique.  Les  silex 
sont  très  nombreux  dans  l'assise  à  galets  coloriés  ;  on  est  étonné 
d'y  trouver  des  espaces  où  la  taille  en  a  été  complètement 
négligée,  en  sorte  que  les  instruments  sont  restés  presque 
bruts,  et  d'autres  endroits  où  ils  sonttaillés  aussi  bien  qu'aux 
temps  magdalé  niens.  Dans  les  amas  coquilliers  à  escargots, 
ils  sont  rares,  et  presque  toujours  grossièrement  façonnés. 
Les  strates  à  cailloux  roulés  peints  contiennent  un  outillage 
d'un  caractère  particulier  en  [ramure  de  cerf.  Il  est  peu  varié, 
mais  les  instruments  sont  très  abondants.  Les  poinçons  et  les 
harpons  sont  rares  dans  les  amas  coquilliers.  Ceux-ci  ren- 
ferment des  graines  et  des  noyaux  de  fruits  en  grande  quan- 
tité On  en  trouve  très  peu  dans  les  assises  à  galets  coloriés. 
Enfin  celles-ci  ne  contiennent  aucun  amas  coquillier. 

Dès  l'année  1889,  j'ai  établi  dans  les  couches  qui  repré- 
sentent la  lacune  des  divisions  et  des  subdivisons;  j'en  ai 
créé  la  nomenclature.  Le  25  février  1889,  j'ai  fait  à  l'Académie 
des  Sciences  une  communication  intitulée  :  Un  groupe  d'assises 
rvprésentant  l'époque  de  transition  entre  les  temps  quaternaires  et 
les  temps  modernes.  J'ai  décrit  l'assise  à  escargots  et  celle  à  galets 
coloriés  (Comptes-rendus,  1889,  p.  422). 

Dans  une  brochure  publiée  au  commencement  de  la  même 
année,  intitulée  :  Les  subdivisions  de  l'époque  magdalénienne  et  de 
l'époque  néolithique,  j'ai  divisé  l'ensemble  des  vestiges  néolithi- 
ques en  deux  groupes  de  couches,  les  couches  à  haches  en  pierre 
polie  '  et  les  couches  sans  haches  en  pierre  polie  ' .  J'ai  ensuite 

j 

I     1  Dans  celte  brochure,  j'ai  traduit  les  mots  à  haches  en  pierre 
polie  et  sans  haches  eu  pierre  polie,  par  les  adjectifs  céolitinques  et 


258  SÉANCE  DU   18  AVRIL   1895 

subdivisé  le  groupe  des  couches  sans  haches  en  pierre  polie  et  j'y 
ai  distingué  la  couche  à  escargots  et  l'amas  à  ossements  de  cerf 
communs  et  harpons  perforés  (Voyez  page  20).  Telle  fut  la  classi- 
fication que  je  proposai.  Ce  que  je  nommai  alors  amas  à  osse- 
ments de  cerf  commun  et  harpons  perforés,  .c'est  ce  que  j'ai  appelé 
depuis  assises  à  galets  coloriés,  et  plus  simplement,  assises  éla- 
phiennes:  ce  que  je  nommai  couche  à  escargots,  c'est  ce  que  j'ai 
appelé  depuis  assise  à  escargots,  amas  coquilliers. 

Au  temps  où  j'ai  fait  ces  coupures,  on  considérait  la  période 
néolithique  comme  une  époque  simple  et  les  couches  qui  la  re- 
présentent comme  un  étage.  M.  de  Mortillet  avait  nommé  cet 
étage  robenhausien.  Ne  voulant  pas  me  heurter  à  des  idées 
reçues,  je  conservai  dans  le  tableau  de  la  page  20  le  nom 
d'étage  à  l'ensemble  des  couches  néolithiques,  quoique,  dans  ma 
pensée,  cet  ensemble  constituât  une  formation  qu'il  fallait 
diviser  en  deux  étages.  Cette  opinion  est  encore  la  mienne,  et 
je  fais  des  assises  élaphiennes,  et  des  amas  coquilliers  des 
sous-étages.  On  peut  même  se  demander  si  ces  deux  dernières 
subdivisions  ne  méritent  pas  d'être  érigées  en  étages.  On  est 
si  porté  aujourd'hui  à  multiplier  les  étages  que,  dans  l'âge 
du  fer,  on  en  introduit  de  nouveaux  a  chaque  instant. 
De  cette  manière,  on  supprime  en  réalité  les  sous-étages.,  et  on 
enlève  au  mot  étage  la  valeur  et  la  signification  qu'il  a  en  géo- 
logie. Avec  ce  système  de  la  multiplication  des  étages,  on 
pourrait  soutenir  que  je  n'en  ai  pas  créé  assez  dans  la 
formation  magdalénienne,  que  les  assises  à  sculptures  en  re- 
lief en  constituent  un,  que  celles  à  gravures  au  champ-levé  en 
constituent  un  autre,  et  que  j'ai  eu  tort  de  n'en  faire  (pie  des 
sous-étages.  Je  regarde  les  débats  qui  pourraient  naître  à  cette 
occasion  comme  assez  indifférents.  Quelle  qu'en  soit  la  solu- 
tion, mes  coupures  resteront.  Il  n'y  aurait  lieu  de  les  modi- 

ar.esmolithiques.  Celle  traduction  est  mauvaise,  puisqu'elle  fait  dispa- 
raître l'idée  de  hache.  Aussi,  j'ai  abandonné  ces  qualificatifs;  mais 
j'ai  retenu  la  coupure.  La  véritable  traduction  est  cesmaxinique  et 
acesmaxinique  (de  fae-o  et  k£iv»)).  Il  est  plus  simple  dédire  pelr- 
rinue,  (de  nîisxvs,  hache)  et  apèlécique. 


ED.  PIETTE.   —  HIATUS  ET  LACUNE  259 

fier  que  si  Ton  venait  à  trouver  des  haches  polies  dans  les 
amas  à  escargots.  Dans  ce  cas,  les  assises  à  galets  coloriés 
seraient  les  seules  qu'il  faudrait  laisser  en  dehors  de  l'étage 
des  haches  polies.  Elles  constitueraient  seules  l'étage  apélé- 
cique. 

Ainsi,  la  nomenclature  des  strates  représentant  la  lacune 
a  été  établie  par  moi  dès  1889.  Non  seulement  j'en  ai  fait  les 
coupures,  mais  je  les  ai  nommées.  Nomenclature  et  termino- 
logie ne  sont  pas  des  termes  synonymes.  On  pourra  modifier 
les  noms  que  j'ai  donnés,  quoiqu'ils  aient  incontestablement 
un  droit  de  priorité.  On  fera  alors  de  la  terminologie.  La  nomen- 
clature restera  mon  œuvre.  Au  surplus,  j'ai  pris  une  précau- 
tion contre  ces  substitutions  de  noms.  Au  Congrès  international 
d'Anthropologie  tenu  à  Paris  en  1889,  après  avoir  fait  une 
communication  intitulée  :  L'époque  de  transition  intermédiaire 
entre  Page  du  renne  et  celui  de  la  pierre  polie,  j'ai  dit  positive- 
ment :  «  Si  on  devait  appliquer  un  nom  de  localité  aux  assises 
néolitbiques  qui  ne  contiennent  pas  de  haches  en  pierre  polie, 
ce  serait  celui  du  Mas-d'Azil.  »  —  L'étage  dépourvu  de  haches 
en  pierre  polie  a  donc  reçu  de  moi,  dès  1889,  le  nom  d'étage 
du  Mas-d'Azi\.  On  aurait  pu  le  nommer  arisien  (du  nom  de 
l'Arise,  rivière)  aussi  bien  qu'asylien.  Les  noms  ne  manquent 
jamais. 

Lorsque  j'eus  découvert,  au  Mas-d'Azil,  sur  la  rive  gauche 
de  l'Arise,  les  couches  à  galets  coloriés,  je  me  heurtai  à  une 
difficulté  que  je  n'avais  pas  prévue.  Personne  ne  voulut  croire 
ii  l'existencede  ces  peintures  primitives.  Cependant  les  fouilles 
dans  les  cavernes  détruisent  les  gisements.  Si  j'avais  épuisé 
celui  où  je  les  avais  recueillies,  sans  faire  contrôler  la  réalité 
de  mes  découvertes,  on  aurait  pu  les  contester.  11  fallait  donc 
que  je  fasse  appel  aux  savants  et  les  invite  à  venir  voir  eux- 
mêmes,  .l'obtins  de  la  Société  d'histoire  naturelle  de  Toulouse 
qu'elle  nommât  une  commission  pour  examiner  la  station  et 
constater  l'exactitude  des  failsque  jesignalais.  La  commission, 
sans  me  consulter,  tixa  un  jour  pour  visiter  la  grotte.  J'étais 
fonctionnaire  public,  et  au  jour  indiqué,  je  n'étais  pas  libre, 


260  SÉANCE  DU   18  AVRIL  1895 

de  m'absenter.  Elle  n'alla  pas  au  Mas-d'Azil  et  se  désorganisa. 
Assurément,  il  y  avait  clans  cette  commission  des  personnes 
bienveillantes;  il  y  avait  aussi  des  indifférents  et  même  des 
hommes  hostiles.  Je  compris  que  ceux-ci  voulaient  faire  le 
vide  autour  de  moi,  pour  contester  ensuite  le  résultat  de  mes 
fouilles.  Je  m'adressai  alors  successivement  à  toutes  les  som- 
mités de  la  science  préhistorique  à  Paris  et  à  St-Germain,  les 
priant  de  venir  voir.  Les  uns  me  répondirent  qu'ils  avaient 
toute  confiance  en  moi  pour  des  études  stratigraphiques  ;  les 
autres  qu'ils  ne  disposaient  pas  de  loisirs.  Aucun  ne  voulait 
entreprendre  un  voyage  fatigant  et  coûteux  dans  le  seul  but 
de  donner  l'appui  de  son  autorité  à  la  découverte  d'un  autre. 
Il  n'y  avait  rien  là  que  de  très  naturel;  au  fond  la  plupart 
étaient  restés  sceptiques.  Cependant,  M.  Gaudry  avait  com- 
pris l'importance  des  faits  que  j'annonçais.  Ne  pouvant  venir, 
il  décida  M.  Boule,  alors  secrétaire  de  la  Société  géologique  de 
France,  à  se  rendre  au  Mas-d'Azil.  On  était  en  1889;  M.  Boule 
étudia  sérieusement  le  gisement;  nous  fîmes  une  fouille  en- 
semble. Elle  confirma  tout  ce  que  j'avais  annoncé.  11  publia 
la  relation  de  ce  qu'il  avait  vu  et  ce  témoignage,  joint  à  l'effet 
de  mon  exposition,  dissipa  les  doutes  qui  s'étaient  dabord  ma- 
nifestés. 

M.  Cartailhac  s'occupait  alors  de  la  rédaction  de  son  live  la 
France  préhistorique,  ouvrage  de  vulgarisation,  où  il  n'y  a  pas 
une  idée  nouvelle,  et  dans  lequel  il  a  donné  sa  mesure  pour 
la  compréhension  des  âges  quaternaires.  Il  voulait  y  soutenir 
encore  la  théorie  de  lliiatus.  M.  Boule  parvint  à  lui  faire  atté- 
nuer ce  qu'avait  d'excessif  cette  malencontreuse  hypothèse. 
Mais  les  traces  de  sa  première  rédaction  restent  encore  dans 
l'ouvrage.  Il  y  traite  de  roman  la  réfutation  que  Broca  a  faite 
de  la  lacune  (page  124),  et  il  écrit  (page  122)  :  «  Lorsqu'après 
«  avoir  franchi  l'Age  du  renne,  nous  nous  trouvons  dans  un 
«  âge  nouveau  dit  de  la  pierre  polie,  ou  mieux  période  néoli- 
«  thique,  nous  constatons  que  de  grands  changements  se  sont 
«  accomplis.  Bien  ne  les  faisait  prévoir.  Entre  les  gisements 
«  paléolithiques  les  plus  récents  et  les  gisements  néolithiques 


ED.  PIETTE.  —  HIATUS  ET  LACUNE  261 

«  les  plus  anciens  à  notre  connaissance,  il  y  a  une  solution  de 
«  continuité.   » 

Il  m'était  réservé  d'opérer  complètement  sa  conversion. 
En  1890,  il  me  demanda  la  permission  de  visiter  mes  fouilles 
du  Mas-d'Azil.  Je  le  reçus  en  bon  confrère  et  lui  montrai  une 
tranchée  profonde  que  je  venais  d'ouvrir  à  grands  frais  pour 
en  insérer  la  coupe  dans  mon  ouvrage.  Il  eut  l'amabilité  d'en 
faire  une  photographie  et  de  me  la  donner.  Je  lui  montrai  la 
succession  des  assises,  lui  expliquai  leur  composition,  le  ren- 
seignai sur  le  niveau  auquel  apparaissait  chaque  instrument. 
Il  recueillit  lui-même  des  galets  coloriés  en  place,  et  se  déclara 
convaincu.  A  partir  de  ce  moment,  il  rejeta  la  vieille  défroque 
de  l'hiatus  et,  comme  tous  les  néophytes,  se  montra  plus 
ardent  que  l'initiateur.  Il  m'écrivit  pour  m'emprunter  l'album 
de  mon  ouvrage.  Il  voulait  faire  connaître  partout  mes  décou- 
vertes et  faire  mon  éloge  jusqu'en  Russie.  Je  le  lui  confiai,  et 
il  le  conserva  pendant  plusieurs  mois.  De  mon  côté,  dès  que 
j'apprenais  qu'on  avait  trouvé  des  galets  coloriés  dans  de 
nouvelles  stations,  je  m'empressais  de  le  lui  annoncer.  Au 
début,  quand  j'avais  rencontré  ces  pierres  peintes,  personne 
ne  voulait  y  croire.  Quand  leur  existence  fut  admise  dans  la 
science,  on  en  trouva  de  nouveaux  gisements.  Bien  plus,  on 
s'aperçut  qu'il  y  en  avait  dans  des  stations  anciennement 
connues  et  que  l'on  avait  marché  sur  elles  sans  les  voir. 

Le  26  janvier  1892,  je  recevais  un  dessin  de  pierre  coloriée 
que  M.  Catta,  directeur  d'un  syndicat  à  Alger,  avait  trouvée 
autrefois  dans  la  grotte  de  Bize  (Aude).  Il  ne  pouvait  dire  ni 
dans  quelle  couche  ni  à  quel  niveau.  La  peinture  est,  paraît- 
il,  un  peu  détériorée  actuellement;  c'est  pourquoi  M,  Catta 
envoyait  le  dessin  au  lieu  de  l'original.  Quoique  les  signes 
peints  sur  cette  pierre  soient  différents  de  deux  du  Mas-d'Azil, 
je  suis  disposé  à  la  considérer  comme  authentique.  M.  Catta 
n'a  rien  publié  sur  cet  objet. 

Une  découverte  plus  certaine  et  plus  piquante  est  celle  que 
M.  Ilarlé,  le  savant  paléontotogiste  de  Toulouse,  a  faite  h  la 
tin  do  l'année  1892  dans  les  vitrinesdu  musée  de  Carca'ssonne. 


2fi2  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

Voici  la  lettre  qu'il  m'a  écrite  a  ce  sujet  le  21  décembre  1892. 

«  En  visitant  dernièrement  le  musée  de  Carcassonne,  j'ai 
«  été  frappé  d'y  voir,  parmi  des  échantillons  recueillis  dans 
«  la  grotte  de  la  Crouzade,  près  de  Gruissan,  aux  environs 
«  de  Narbonne,  deux  galets  plats,  en  roche  schisteuse  verte, 
«  ornés  de  dessins  rouges.  L'un  de  ces  galets  a  de  4  à  5  centi- 
«  mètres  de  largeur  et  13  de  longueur.  La  couleur  rouge 
«  recouvre  la  presque  totalité  de  l'une  de  ses  faces  et  une 
«  portion  de  l'autre.  La  coloration  rouge  y  est  des  plus  visi- 
«  ble,  mais  n'est  pas  très  nettement  limitée.  L'autre  galet  a  la 
«  même  largeur,  et,  bien  qu'il  soit  cassé,  il  mesure  encore 
«  douze  centimètres  de  longueur.  L'une  de  ses  faces  est  ornée 
«  de  cinq  bandes  rouges  perpendiculaires  à  la  longueur,  ayant 
«  chacune  un  demi-centimètre  de  largeur.  Le  musée  de  Gar- 
«  cassonne  possède  aussi,  de  la  même  grotte,  de  nombreux 
«  silex  en  lames  allongées,  des  pointes  en  os  et  en  bois  de 
«  cervidés,  un  os  gravé  représentant  une  tète  (biche?)  et  des 
«  ossements  appartenant  aux  animaux  suivants,  d'après  mes 
«  déterminations  :  blaireau,  renard,  Lepus,  Equus  de  taille 
«  ordinaire,  renne,  cerf  élaphe,  grand  bovidé,  bouquetin  (?). 

«  Tous  ces  objets,  y  compris  les  galets,  ont  été  découverts, 
«  il  y  a  près  de  vingt  ans,  par  M.  Rousseau,  conservateur  des 
«  forêts,  qui,  le  22  avril  1874,  a  fait  une  communication  à  la 
«  Société  d'histoire  naturelle  de  Toulouse  au  sujet  des  os  et 
«  des  silex.  M.  Rousseau  (qui  habite  maintenant  Carcassonne) 
«  m'a  dit  ne  pas  se  souvenir  s'il  a  recueilli  les  galets  dans  la 
«  même  couche  que  les  autres  objets.  Il  leur  a  fait  subir  un 
«  lavage.  Ce  qui  reste  maintenant  de  couleur  rouge  adhère 
«  fortement.  Cas  galets  sont  étiquetés  Percuteurs.  » 

J'ai  prié  M.  Nelly  de  m'envoyer  des  dessins  de  ces  galets, 
et  j'ai  été  moi-même  les  voir  au  musée  de  Carcassonne.  Ils 
sont  incontestablemeat  coloriés  et  appartiennent  aux  mêmes 
types  que  ceux  du  Mas-d'Azil.  J'ai  tenu  a  lire  l'article  de 
M.  Rousseau  sur  la  grotte  de  la  Crouzade.  Il  m'a  vivement 
intéressé.  Il  est  l'œuvre  d'un  observateur;  mais  il  n'y  est  pas 
dit  un  mot  des  galets  coloriés.  Il  les  a  tenus  sans  les  voir,  ou 


ED.  NETTE.  —  HIATUS  ET  LACUNE  263 

si  ses  yeux  ont  vu  leur  coloration,  il  n'y  a  attaché  aucune 
importance  et  ne  les  a  recueillis  que  parce  qu'ils  lui  ont  paru 
être  des  percuteurs  ;  et  c'est  M.  Harlé  qui  est  le  vrai  découvreur 
de  ces  galets.  M.  Rousseau  fait,  il  est  vrai,  mention  de  silex 
roses  dans  sa  note;  mais  il  m'a  paru  résulter  d'un  passage  de 
cet  cérit  qu'il  les  considérait  comme  ayant  acquis  cette  couleur 
dans  le  gisement  d'origine  d'où  les  habitants  de  la  grotte  les 
ont  tirés.  D'ailleurs,  les  silex  roses,  à  la  différence  des  galets 
peints,  n'ont  pas  été  coloriés  intentionnellement.  Ce  sont  des 
éclats  de  silex  blonds  ou  blancs  qui  ont  été  accidentellement 
mis  en  contact  avec  du  peroxyde  de  fer.  J'en  ai  recueilli  dans 
plusieurs  grottes.  Il  est  rare  de  trouver  parmi  eux  des  ins- 
truments  parfaits.    Ils   ne  portent  aucun  dessin. 

Jen'ai  pas  manqué  de  faire  connaître  <à  M.  Cartailhac  l'exis- 
tence des  galets  coloriés  dans  les  grottes  de  la  Crouzade  et  de 
liize. 

Depuis  mes  publications  sur  le  Mas-d'Azil,  M.  Miquel  a 
découvert  un  gisement  de  galets  coloriés  dans  la  grotte  de 
Montfort,  près  de  St-Lizier,  Arriège.  Une  autre  station  datant 
de  l'époque  de  transition,  celle  de  la  Tourasse,  à  St-Martory, 
Haute-Garonne,  a  été  fouillée  par  MM.  Durbas  et  Chamaison. 
M.  Regnault  l'a  décrite  imparfaitement  dans  une  brochure 
dont  M.  Boule  a  reproduit  les  principaux  passages  dans  V An- 
thropologie (1892,  t.  3,  p.  743). 

De  toutes  les  stations  connues  de  l'époque  de  transition, 
c'est,  je  pense,  la  plus  pauvre.  Située  à  cinq  ou  six  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  la  Garonne,  elle  a  été  souvent  visitée 
par  les  eaux  du  fleuve  pendant  ses  débordements.  De  là  l'en- 
lèvement et  le  mélange  de  ses  couches  archéologiques  en 
certains  endroits.  On  pouvait  cependant  en  reconnaître  la  suc- 
cession dans  les  partiesépargnées  :  à  la  base  était  l'assise  éla- 
pho-tarandienne,  dans  laquelle  gisaient  des  ossements  et  des 
mâchoires  de  renne.  Au-dessus  s'étendait  la  couche  à  harpons 
plats,  perforés,  en  rainure  de  cerf,  contenantbeaucou|)(lc  débris 
de  cerfélaphe  et  des  os  d'ours  commun,  fie  sanglier,  de  loup,  de 
blaireau,  de  chevreuil,  de  bœuf,  de  cheval.  M.  Boule  y  a  re- 


f>64  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

marqué  des  traces  de  couleur  rouge  sur  un  galet.  Il  est  donc 
à  peu  près  certain  que  cette  assise  renfermait  originairement 
des  galets  peints  dont  la  couleur  a  disparu  par  suite  des  nom- 
breux lavages  causés  par  les  inondations. 

Des  traces  de  la  couche  à  escargots  afleuraient  au-dessus. 
Enfin  un  os  percé  par  une  flèche  barbelée  en  silex  dénotait  la 
présence  des  strates  néolithiques. 
Ce  gisement  est  donc  complexe,  malgré  sa  pauvreté. 
Je  ne  donnerais  pas,  dans  cette  note,  d'une  manière  com- 
plète, la  physionomie  des  débats  relatifs  à  l'hypothèse  de 
l'hiatus,  si  je  ne  faisais  connaître  l'attitude  de  M.  Cartailhac 
au  congrès  tenu  à  Paris  en   1889.  Je  venais  de  décrire  les 
assises  qui  comblent  la  lacune  sur  la  rive  gauche  de  FArise, 
dans  la  grotte  du  Mas-d'Azil.  On  aurait  pu  croire  qu'il  s'en 
trouvait  décontenancé,  lui   qui   s'était  fait  le  champion  de 
cette  singulière  croyance  à  une  époque  pendant  laquelle  l'Eu- 
rope serait  restée  inhabitée  et  la  tradition  de  l'homme  aurait 
été  interrompue.  Pas  du  tout.  Il  se  montra  triomphant.  Voici 
comment  il  s'exprima  (Voyez  compte-rendu,  p.  212)  : 

«  Il  y  a  déjà  plusieurs  années  que  j'ai  insisté  sur  Timpor- 
«  tance  de  ce  que  l'on  a  nommé  l'hiatus.  En  1874,  M.  de 
«  Mortillet  disait  que  cet  hiatus  «  ne  représentait  pas  une  lacune 
«  dans  le  temps  et  dans  l'industrie,  mais  une  simple  lacune  dans 
«  nos  connaissances.  »  Je  crois  que  l'événement  n'a  pas  con- 
«  firme  cette  manière  de  voir.  C'était  bien  une  lacune  dans 
«  l'industrie,  puisque  l'on  a  commencé  à  combler  l'hiatus  en 
«  y  plaçant   les  gisements  campiniens,   suivant   le   mot  de 
«  M.  Salmon.  C'était  une  lacune  dans  le  temps,  puisque  ces 
«  o-isements  de  transition  ont  leurs  caractères  spéciaux  qui 
«  démontrent  leur  durée.  »  Qui  ne  croirait,  en  lisant  cette 
phrase  écrite  avec  aplomb,  que  M.  de  Mortillet  a  eu  tort'? 
M.  Cartailhac  n'a  obtenu  cette  apparence  que  par  une  jon- 
glerie de  mots  et  en  isolant  la  phrase  citée  de  ce  qui  la  suit. 
Pourquoi  n'a-t-il  pas  continué  sa  citation?  «  Certainement,  a 
«  dit  M.  de  Mortillet,  l'époque  paléolithique  a  du  se  rattacher 
«.  et  se  souder  à  l'époque  néolithique,  mais  nous  n'avons  pas 


ED.  METTE.   —  HIATUS  ET  LACUNE  265 

«  encore  découvert  le  point  de  contact.  Il  n'y  a  pas  eu  une 
«  période  où  l'Europe  était  inhabitable.  Seulement  les  restes 
«  de  l'époque  de  transition  ou  de  passage  n'ont  pas  encore 
«  été  trouvés  et  reconnus.  »  M.  Cartailbac  excelle,  en  tron- 
quant un  passage  d'un  auteur,  à  lui  prêter  les  plus  grandes 
billevesées  et  les  idées  les  plus  opposées  à  celles  qu'il  a  voulu 
exprimer.  Après  avoir  ainsi  travesti  les  opinions  de  M.  de 
Mortillet,  il  va  citer  un  passage  de  ce  que  lui-même  a  écrit 
autrefois,  en  le  présentant  de  façon  à  faire  croire  qu'il  avait 
prévu  mes  découvertes  et  l'importance  des  assises  qui  repré- 
sentent la  lacune  en  France.  Voici  ce  passage  :  «Croyez-vous, 
«disais-je  au  Congrès  de  Paris  (1878,  p.  53),  que  les  anciens 
«  Européens  aient  à  la  fois  réduit  en  domesticité  le  chien,  le 
«  cheval,  le  bœuf,  le  mouton,  la  chèvre,  le  cochon  ?  Sup- 
«  posez-vous  qu'ils  aient,  au  même  moment,  inauguré  l'agri- 
«  culture,  fixé  leurs  demeures,  inventé  la  poterie,  etc.?  Non  ' 
«  Tout  cela  suppose  un  long  enfantement.  »  —  Les  décou- 
«  vertes  m'ont  donné  raison.  Le  néolithique  se  complique  à 
«  vue  d'œil,  et  sur  quelques  rares  points,  par  exemple  au 
«  Mas-d'Azil,  on  trouve  déjà  des  liens  industriels  et  zoolo- 
«  giques  entre  les  gisements  paléolithiques  et  quaternaires.  » 
(Compte-rendu  du  Congrès  international  des  Sciences  anthro- 
pologiques, tenu  à  Paris  an  1889,  page  213.) 

Qu'il  me  soit  permis  de  compléter  la  citation  de  M.  Car- 
tailhac.  Voici  la  phrase  qui  suit  dans  le  compte-rendu  du 
Congrès  de  Paris  de  1878  (Voyez  p.  53):  «Les  habitants  d'un 
«  seul  continent  ne  peuvent  pas  avoir  eu  le  merveilleux  pri- 
«  vilège  de  ces  innovations  capitales  ;  l'âge  de  la  pierre  polie 
«  nous  aparaît  en  Europe  comme  la  synthèse  des  progrès 
«  accomplis  avec  lenteur,  par  des  inconnus,  dans  des  pays 
«  ignorés.  » 

Ainsi,  M.  Cartailhac  pensait  en  1878  qu'il  avait  fallu,  pour 
l'élaboration  de  la  civilisation  néolithique,  le  concours  de  tous 
les  peuples  de  l'ancien  et  du  nouveau  continent,  et  que  cette 
élaboration  avait  eu  lieu  hors  de  l'Europe.  Les  assises  du  Mas- 
d'Azil  prouvent  qu'elle  a  eu  lieu  sur  la  terre  de  Gaule  en  même 

T.  VI   ({0  série).  18 


266  SÉANCE  DU  18  AVRIL  1895 

temps,  sans  doute,  que  dans  beaucoup  d'autres  contrées.  Elle 
a  employé  un  fort  long  temps  pour  s'accomplir.  A  en  juger 
par  l'épaisseur  des  strates  sur  la  rive  gauche  de  l'Alise,  la 
durée  de  l'époque  qui  représente  la  lacune  serait  au  moins 
égale  à  celle  des  âges  réunis  de  la  pierre  polie  et  du  bronze. 
Mais  à  aucun  moment  de  cette  longue  époque  l'Europe  n'a  été 
désertée.  11  y  a  eu  transformation  et  non  substitution  d'indus- 
trie. La  transformation  a  eu  lieu  parfois  par  soubresauts 
C'était  jquand  il  y  avait  changement  de  climat  ou  contact  de 
populations  nouvelles  (car  il  serait  puéril  de  nier  qu'au  début 
de  la  période  néolithique  des  races  venues  de  pays  étrangers 
ne  se  soient  mêlées  aux  habitants  de  nos  pays). 

Quant  à  la  domestication  des  animaux  et  à  l'invention  de  la 
culture,  M.  Cartailhac  aurait  pu  se  renfermer  dans  des  don- 
nées moins  vagues.  Au  commencement  de  la  période  magda- 
lénienne, l'homme  a  connu  le  blé  puisqu'il  en  a  sculpté  les 
épis  en  plein  relief.  A  la  fin  de  cette  même  période,  aux 
temps  élapho-tarandiens,  on  faisait  usage  de  petites  meules 
grosses  comme  le  poing  ;  mais  il  n'est  pas  certain  qu'elles 
aient  servi  à  écraser  le  grain.  A  l'époque  des  galets  coloriés, 
l'homme  possédait  le  blé  et  la  meule.  On  n'en  trouve  que  peu 
de  vestiges.  Les  meules  deviennent  très  communes  dans  les 
amas  coquilliers  à  hélix  nemoralis. 

Le  cheval  a  été  domestiqué  dès  l'époque  de  Solutré.  On  l'a 
sculpté  avec  la  chevètre  à  l'époque  de  la  sculpture  en  bas 
relief.  On  l'a  gravé,  enchevêtré  a  l'époque  de  la  gravure  au 
champ-levé.  Puis,  à  l'époque  cervidienne,  quand  le  climat  a 
changé,  qu'il  est  devenu  humide  en  restant  froid  et  que  la 
durée  des  neiges  a  rendu  l'élevage  du  cheval  difficile,  on  a 
domestiqué  le  renne.  Aux  temps  élapho-tarandiens,  quand 
les  pluies  ont  succédé  aux  neiges,  on  a  domestiqué  un  bœuf. 
Des  gravures  le  représentent  avec  une  sangle  ou  avec  une 
couverture. 

Enfin  il  y  aura  lieu  d'examiner  si  un  sus  n'a  pas  été 
domestiqué,  à  l'époque  des  galets  coloriés.  On  trouve  ses 
mâchoires  en  grande  abondance  clans  cette  assise  et  dans  les 


Ctt.   LETOURNEÀU.    —   CURIEUSE  FORME  DU  COMMERCE  PRIMITIF     2G7 

amas  coquilliers.  .On  devra  les  comparer  aux  mâchoires  de 
porc  qui  ne  sont  pas  moins  nombreuses  dans  les  aggloméra- 
tions néolithiques. 

Tous  ces  animaux  étaient  élevés  pour  leur  chair.  On  ne 
leur  demandait  aucun  service  ;  aussi  le  mot  domestication 
n'est-il  pas  juste.  11  n'y  avait  que  semi-domestication.  Cette 
semi-domestication  a  beaucoup  facilité  la  tâché  de  l'homme 
néolithique, 


Luc  curieuse  forme  du  commerce   primitif 

Par  Ch.  Letourneau. 

Dans  nos  sociétés  contemporaines,  le  commerce  joue  un 
rùle  si  prépondérant  qu'il  nous  semble  une  fonction  essen- 
tielle de  toute  société  humaine;  pourtant  l'étude  des  faits  dé- 
montre qu'il  n'en  est  rien.  A  l'origine  de  nos  sociétés,  on 
trouve  un  âge  précommercial  où  en  étaient  encore  restés  les 
Fuégiens,  les  Australiens,  même  les  Polynésiens  avant  leur 
contact  avec  les  navigateurs.  —  Les  premiers  échanges  entre 
les  clans  primitifs  ne  s'effectuèrent  qu'avec  une  extrême  mé- 
fiance et  il  semble  que  la  forme  première  en  ait  été  ce 
commerce  par  dépôt,  dont  Hérodote  cite  un  exemple  long- 
temps considéré  comme  invraisemblable.  Il  s'agit  de  ces 
Libyens  habitant  sur  le  littoral  au-delà  des  Colonnes  d'Her- 
cule et  avec  lesquels,  dit  le  vieil  historien,  les  Carthaginois 
pratiquaient  le  commerce  par  dépôts  :  «  Les  Carthaginois 
débarquent  leur  cargaison,  remontent  sur  leur  navire  et  font 
une  grande  fumée.  Les  habitants  viennent  déposer  de  l'or 
près  des  marchandises.  S'il  y  en  a  assez,  les  Carthaginois  l'em- 
portent: sinon  ils  retournent  à  bord  et  les  indigènes  ajoutent 
de  l'or.  Us  ne  touchent  pas  à  la  cargaison  avant  qu'on  ail 
enlevé  l'or1  ».  Il  est  bien  curieux  de  retrouver  cette  pratique, 

1  Hkrodote,  IV,  100. 


f>68  SÉANCE  DU  18  AVRIL  4893 

si  primitive  encore  en  usage  à  une  époque  relativement  très 
récente  et  dans  les  mêmes  lieux,  au  cap  Blanc,  dans  la  baie 
d'Arguin.  Seulement,  cette  fois,  il  s'agit  non  pas  d'or,  mais 
d'échanges  de  tabac,  d'eau  et  de  biscuit  offerts  par  les  marins 
contre  les  poissons,  que  les  indigènes  dardaient  avec  leurs  sa- 
gaies. Las  deux  descriptions  sont  d'ailleurs  très  comparables1 
et  cette  similitude  atteste,  une  fois  déplus,  combien  les  mœurs 
primitives  se  modifient  lentement.  Mais  ce  mode  de  commerce 
par  dépôts,  d'échanges  pratiqués  sans  que  les  intéressés  se 
vissent  a  dû  être  très  répandu,  peut  être  universel  à  l'origine 
des  sociétés;  puisqu'à  des  dates  relativement  modernes,  on  en 
a  rencontré  divers  exemples.  —  Je  citerai  les  Veddahs  de  Cey- 
lan,  qui  recouraient  à  ce  procédé  pour  troquer  leur  miel,  leur 
cire  et  leur  gibier,  leurs  dents  d'éléphant  contre  le  fer  des  for- 
gerons cinghalais  2.  Au  témoignage  de  Cosmas  (Topographia 
christiana)  les  Ethiopiens  d'Axum  commerçaient  encore  de 
cette  manière  avec  les  Somalis3.  —  Les  Chinois  achetaient  de 
même  le  bois  des  sauvages  Miao-tsé  *.  —  A.  Humboldt  cite 
aussi  un  exemple  de  commerce  par  dépôts  entre  certains  In- 
diens du  Nouveau- Mexique  et  les  garnisons  des  presidios  espa- 
gnols5. Enfin,  de  nos  jours  encore,  du  temps  de  Chardin,  les 
Turcs  commerçaient  avec  les  Tcherkesses  en  recourant  à  des 
pratiques,  qui  sont  manifestement  une  atténuation  du  com- 
merce par  dépôt  des  primitifs.  Ils  descendaient  bien  armés 
sur   le  rivage;   un  parti  de    Tcherkesses,  égal  en  nombre, 
les  attendait  à  une  petite  distance.  De  loin  on  se  montrait  ré- 
ciproquement ses  marchandises  et  finalement  on  les  échan- 
geait avec  de  grandes  précautions0.  Cette  coutume  du  com- 
merce par  dépôts  était  même  si  habituelle  et  si  invétérée  chez 

1  Claude  Jannequin.  —  Voyage  de  Lybie  au  royaume  du  Sénégal,  le 
long  du  Niger  (1648),  p.  41,  43. 

2  0.  Sachot,  Ile  de  Ceylan. 

3  Heeren,  Polit,  et  commer.  des  peuples  de  l'antiquité,  t.  V,  47. 

4  Abbé  Gravier,  Descrip.  gènér.  de  la  Chine,  t.  I,  233. 
^  Nouvelle  Espagne,  t.  II,  408,  409. 

,;  Chardin,  Vogage  en  Perse,  t.  I,  110. 


OUVRAGES  OFFERTS  269 

nombre  de  primitifs,  que  le  voyageur  Lender  l'a  encore  trou- 
vée, mais  à  l'état  de  survivance,  sur  les  rives  du  Niger,  dans 
un  marché.  «  Les  vendeurs  d'ignames,  dit-il,  mettent  à  terre 
par  tas  séparés,  leur  marchandises  et  se  retirent.  Les  ache- 
teurs arrivent,  inspectent  les  différents  tas  et  déposent  auprès 
de  celui  qui  leur  convient  quelque  autre  objet.  Le  vendeur 
vient  et  si  l'affaire  lui  va,  prend  cet  objet.  Ne  le  trouve-t-il 
pas  assez  rémunérateur?  il  s'arrête  un  instant  et  attend  que 
l'offre  soit  augmentée.  En  cas  d'insuccès,  il  remporte  son  pa- 
quet d'ignames  »  l  —  Prochainement,  dans  une  communica- 
tion un  peu  plus  étendue  je  dirai  comment  a  évolué  le  com- 
merce primitif,  à  partir  de  ces  humbles  débuts. 

L'un  des  secrétaires  :  D>  P.  Raymond. 


G21c  SÉANCE.  —  2  Mai  1895. 

Présidence  de  M.  Ollivier-Beauregard. 

correspondance. 

M.  Collignon  lit  une  lettre  de  M.  le  Dr  Matignon,  en  rési- 
dence à  Pékin,  qui  soumet  à  la  Société  la  description  et  le 
dessin  d'un  instrument  destiné  à  mesurer  l'obliquité  de  l'œil. 

Lettre  annonçant  la  mort  de  M.  Adolphe  d'Eichthal  mem- 
bre titulaire. 

M.  le  Président  exprime  les  regrets  de  la  Société. 

Circulaire  de  la  fédération  archéologique  et  historique  de 
Belgique,  invitant  la  Société  à  son  congrès  de  1895,  à  Tournai. 

Circulaire  de  la  Société  française  d'archéologie,  invitant  la 
Société  au  congrès  de  Clermond-Ferrand,  du  5  au  8  juin  1895. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Deniker  (.1.).   —  Sur  les  ossements  humains,    recueillis  par 
1  Landeb,  Journal,  t.  III,  180. 


270  SÉANCE  DU  2  MAI  1895 

M.  Diguet3  dans  la  Basse-Californie  (Ext.  du  But.  du  Muséum 
d'hist.  mat.),  in-8°,  4  pag.  Paris,  1895. 

Foa  (Edouard).  —  Le  Dahomey  :  géographie^  mœurs,  coutumes, 
commerce,  industrie,  expéditions  françaises  (1891-1894),  avec 
une  préface  de  M.  E.  Levasseur,  in-80,,  430  pag.,  fig.  et  pi. 
Taris,  1895  (Don  de  M.  A.  Hennuyer). 

M.  Zaborowski.  — Notre  collègue,  M.  Hennuyer.  qui  publie 
une  Bibliothèque  de  l'explorateur,  comprenant  déjà  deux  volumes 
de  MM.  Verneau  et  Capus,  vient  de  faire  paraître  un  troisième 
volume.  11  est  consacré  au  Dahomey  et  écrit  par  M.  E.  Foa, 
qui  a  séjourné  quatre  ans  dans  ce  pays.  Comme  nous  pos^*'- 
dions  les  deux  précédents,  offerts  par  leurs  auteurs,  j'ai  prié 
M.  Hennuyer  de  vouloir  bien  faire  don  à  notre  bibliothèque 
de  l'ouvrage  de  M.  Foa.  Il  me  l'a  envoyé  immédiatement  en 
me  priant  de  vous  le  présenter.  Ce  n'est  pas  un  ouvrage 
d'anthropologie,  à  proprement  parler.  C'est  une  description 
du  Dahomey,  sol,  faune,  flore,  population,  culture,  tel  qu'il 
se  présentait  à  l'explorateur  au  moment  de  la  conquête  qui 
va  apporter  de  grands  changements  dans  ses  conditions  et 
son  aspect.  Mais  la  plus  grande  partie  de  ce  tableau  relève  de 
l'ethnologie  cl  de  l'ethnographie.  Il  comprend,  en  effet,  des 
chapitres  sur  les  «  caractères  physiques  »,  sur  les  caractères 
moraux,  sur  l'industrie  et  la  culture,  sur  la  nourriture  et 
la  cuisine,  le  costume  et  la  parure,  l'habitation,  l'état 
social,  les  religions,  l'état  politique,  et  les  fêtes  et  céré- 
monies. Les  faits  y  sont  exposés  avec  sobriété  et  préci- 
sion. Je  signalerai  encore  un  court  chapitre  d'une  réelle 
valeur  pratique,  comprenant  le  vocabulaire  Nago  qui  suffit  à 
.M.  Foa  pour  se  faire  comprendre  de  toutes  les  populations  de 
la  région.  El.  à  propos  de  ce  vocabulaire,  qu'il  me  soit  permis 
de  revenir  sur  une  démonstration  que  je  croyais  avoir  faite 
dans  mon  travail  sur  la  disparité  des  races  humaines.  Dans 
un  mémoire  récent  sur  un  crâne  d'enfant  fuégien.M.  Manou- 
vrier* admettait  que  la  langue  fuégienm  pouvait  être,  étail 
même  riche.  J'ai  demandé  des  preuves  de  cette  richesse  et  je 
les  attends  encore.  Un  missionnaire  a  parlé  d'un  dictionnaire 


OUVRAGES  OFFERTS  271 

fuégien  de  30,000  mots.  Je  considère  comme  impossible,  de 
toute  impossibilité,  qu'un  peuple  sans  traditions  écrites  et 
encore  plus  sans  traditions  orales,  puisse  posséder  un  voca- 
bulaire même  des  deux  tiers  moins  riches.  Et,  en  effet,  ce 
dictionnaire  de  30,000  mots,  annoncé  depuis  20  ans,  où  est-il  ? 
M.  Foa  n'est  pas  tombé  dans  ces  illusions.  Je  recommande  ce 
qu'il  dit  à  qui  voudra  s'expliquer  ce  qui  s'est  passé  avec  les 
missionnaires  de  la  Terre  de  feu  :  «  Les  missionnaires  anglais 
dans  le  Yorumba  ont  complété  le  nago  à  leur  façon;  ils  y  ont 
ajouté  une  foule  de  termes  et  accents  conventionnels  avec 
l'intention  de  créer  une  langue  littéraire.  Ils  publient  des  bro- 
chures dans  cet  idiome  et,  comme  ils  l'enseignent  aux  enfants 
qu'ils  élèvent,  un  certain  nombre  de  noirs  lettrés  peuvent  le 
comprendre.  Mais  les  indigènes  ne  comprennent  pas.  Nous 
avons  souvent  essayé  de  lire  aux  indigènes  des  passages  de 
livres  en  naffo  modifié  (que  nous  ne  comprenons  pas  nous- 
mème)  et,  après  lecture,  ils  nous  regardaient  avec  l'ébahis- 
sement  de  gens  qui  ne  savent  pas  ce  qu'on  veut  dire  »  (p.  120). 

M.  Foa  ajoute  que,  sur  un  rayon  de  200  kilomètres,  il  y  a 
trois  langues  distinctes,  totalement  différentes  l'une  de  l'autre 
et  que  toutes  ces  langues  sont  pauvres,  aussi  bien  par  rap- 
port aux  nôtres  qu'en  elles-mêmes.  Ce  ne  sont  pas  pourtant 
celles  de  purs  sauvages,  sans  organisation  sociale. 

«  Il  est  très  amusant,  dit-il  encore,  d'entendre  certains  au- 
teurs parler  des  idiomes  de  la  région  comme  de  langues 
harmonieuses  aux  poétiques  images.  Nous  savons  que  le  Nago 
parle  avec  une  intonation  qui  fait  supposer  qu'il  va  pleurer, 
et  que  le  Dahoméen,  le  Popo  et  le  Minah,  ont  une  langue  gut- 
turale, très  désagréable  à  entendre.  Quant  à  la  poésie,  c'est 
chose  inconnue  sur  les  côtes  d'Afrique.  On  traduit  :  je  t'aime, 
par  :  je  veux  ta  viande  :  et  j'ai  du  chagrin,  par  :  ça  me  cuit  dans 
le  ventre  ». 

Ce  sont  des  faits  de  cette  nature  uniquement  que  l'ob- 
servation exacte  fera  découvrir  dans  les  langues  des  sau- 
vages. 

Mies  (Dr  J.).  —  Ueber  die  Bedeutung  der  bis  jetzt  bekannlen 


-272  SÉANCE  DU  '2  MAI  1895 

Kopfinazze  des  Fiirsten  Bismarck  in  Tàglichc  Rundschau,  17  et 
18  avril  1895,  in-4°. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

L'Éducation  intégrale,  15  avril  1895  :  —  Le  travail  spontané 
chez  l'enfant. 

Bulletin  de  l'Institut  égyptien,  mars  1894.  —  Lajard  :  Deux 
stations  de  silex  taillés  dans  le  désert  oriental. 

Revue  tunisienne,  janvier  1895.  —  Dr  Bertholon  :  Étude  sta- 
tistique sur  la  colonie  française  de  Tunis  ;  —  G.  Médina  :  Note 
sur  la  nécropole  de  Saint-Louis  de  Carthage  ;  —  Dr  Bertho- 
lon :  La  race  de  Néanderthal  dans  l'Afrique  du  Nord. 

Archivio  per  l'antropologia  e  la  etnologia,  vol.  XXIV,  fasc.  3. 
—  Dr  G.  Peli  :  L'indice  cérébrale  nei  sani  di  mente  e  negli 
alienati  ;  —  E.  IL  Giglioli  :  Di  alcuni  strumenti  di  pietra  e  di 
osso  tuttora  adoperati  in  Italia  nella  lavorazione  délie  pelli  e 

del  cuoio. 

The  american  antiquarian.  march  1895.  —  J.  Deans  :  The 
hidery  story  of  création;  —  J.  Wickersham  :  An  aboriginal 
War  club;  —  S.  D.  Peet  :  Anthropomorphic  Divinities  ;  — 
C.  Thomas  :  Prehistoric  contact  of  americans  with  oceanic 
peuples. 

Archiv  fur  anthropologie,  vol.  XXIII,  nos  3  et  4.  —  A.  v.  Tôrôk  : 
Ueber  den  Yesoer  Aïnoschaedel  aus  der  ostasiatischen  reise 
des  Herrn  Grafen  Bêla  Szechenyi  und  ueber  den  Sachaliner 
Aïnoschaedel  des  Koonigl-zoologischen  und  anthropologisch- 
ethnographischen  muséums  zu  Dresden  ;  —  D1'  Weissenberg  : 
Die  sûdeuropàischen  juden.  —  0.  Montelius  :  Findet  man  in 
Schweden  Ueberreste  von  einem  Kupferalter?  —  Zur  aeltes- 
ten  geschichte  des  Wohnhauses  in  Europa,  speciell  im  Nor- 
flen;  _  c.  Voit  :  Ueber  die  Nahrung  in  verschiedenen  klima- 
ten. 

OBJETS  OFFERTS. 

M.  Deniker  offre,  de  la  part    d'un  oflicier  de  la  garnison 


PERRIER  DU  CARNE  ET  MANOUVRIER.  —  DOLMEN    D'EPÔNE       273 

d'Askehad,  dans  la  Caspienne,  des  statues  rappelant   l'art 

grec. 

COMMUNICATIONS 

Le  Dolmen  «  de  la  Justice  »  d'Epône  (Selnc-et-OUe). 
Mobilier  funéraire  et  ossements  humains 

Par  MM.  Perrier  du  Carne  et  L.  Manouvrier. 

I.  Description  de  la  sépulture  et  du  mobilier. 

Par  M.  Perrier  du  Carne. 

M.  Cassan,  sous-préfet  de  l'arrondissement  de  Mantes,  avait, 
dès  1833,  signalé  le  dolmen  de  la  Justice  d'Epône  *.  II  croyait 
que  ce  dolmen  était  un  autel  druidique.  C'était,  du  reste,  l'usage 
à  cette  époque  d'attribuer  au  culte  des  Druides  tous  les  monu- 
ments mégalithiques. 

Ce  qui  avait  pu,  du  reste,  susciter  à  M.  Cassan  cette  idée 
d'autel,  c'est  que,  depuis  fort  longtemps,  le  monument  de  la 
Justice,  privé  du  tumulus  qui  l'avait  primitivement  recouvert, 
émergeait  du  sol. 

Le  dolmen  de  la  Justice  est  situé  sur  la  commune  d'Epône, 
dans  la  plaine  basse  formée  d'alluvions  quaternaires  k  gauche 
de  la  ligne  du  chemin  de  fer  allant  de  Mantes  a  Paris,  et  k  peu 
près  k  mi-distance  entre  le  château  de  la  Garenne  et  la 
Mauldre,  rivière  qui  se  jette  dans  la  Seine;  il  s'élève  au  milieu 
d'un  petit  bois  de  chêne  appartenant  k  Mme  Piot  de  Mézières. 

Ce  monument  est  en  grande  partie  détruit.  Depuis  fort 
longtemps  on  n'aperçoit  plus  que  5  supports  du  côté  droit  et 
3  du  côté  gauche  sur  lesquels  sont  couchés  horizontalement 
deux  tables  énormes  de  silex  meulier  formant  plafond;  la 
première  table  vers  le  nord -ouest  mesure  2  m.  40  dans  le 

i  Statistique  de  l'arrondissement  de  Mantes,  imprimerie  Forcade, 
Mantes,  1833. 


274  SÉANCE  DU  2  MAI  1895 

sens  de  la  largeur  du  monument,  1  m.  40  de  longueur  moyenne 
et  0,60  centimètres  d'épaisseur;  son  poids  peut  être  évalué  à 
6,000  kil.  La  seconde  table  mesure  2  m.  dans  le  sens  de  la 
largeur,  2  m.  10  de  long  et  0,50  centimètres  d'épaisseur,  elle 
est  a  peu  près  du  même  poids  que  le  premier  bloc.  A  la  suite 
est  une  troisième  table  de  poudingue  siliceux  en  partie  brisée 
et  renversée. 

La  longueur  apparente  de  ce  dolmen  est  aujourd'hui  de 
5  m.  30,  la  longueur  réelle  était  autrefois  beaucoup  plus 
considérable,  elle  atteignait  11  m.  64,  ainsi  que  j'ai  pu  m'en 
assurer.  Toute  la  partie  sud-ouest  a  été  détruite  a  une  époque 
fort  reculée;  il  n'en  reste  plus  que  deux  supports  debout,  mais 
enterrés  dans  le  sol,  deux  autres  supports  renversés  et  la 
dalle  de  grès  qui  formait  le  fond  du  monument,  cette  dalle 
est  restée  debout  et  émerge  un  peu  au-dessus  du  sol. 

Le  monument  est  orienté  nord-ouest-sud-est;  l'entrée  que 
j'ai  retrouvée  est  au  nord-ouest;  elle  est  en  partie  fermée  par 
une  dalle  aujourd'hui  enterrée  dans  le  sol.  Cette  entrée  n'est 
pas  précédée  d'un  vestibule.  La  hauteur  du  dolmen  sous  pla- 
fond est,  en  moyenne,  de  1  m.  90;  la  largeur  de  1  m.  50  et  la 
longueur  totale  de  II  m.  64,  ainsi  qu'on  l'a  vu  précédemment. 

Les  constructeurs  de  la  Justice,  pour  mettre,  autant  que 
possible,  le  dolmen  à  l'abri  des  crues  de  la  Seine,  n'ont  pas 
enterré  complètement  ce  monument;  ils  n'ont  creusé  qu'à 
1  m.  30  environ  de  profondeur  dans  la  terre  végétale  et  les 
alluvions  quaternaires  de  sorte  que  les  supports  du  dolmen 
et  les  tables  s'élèvent  aujourd'hui  de  1  m.  35  environ  au-dessus 
du  sol. 

Les  pierres  qui  ont  servi  à  la[construction  de  celte  sépulture 
comprennent  des  blocs  de  meulières, de  grès,  de  calcaire  grossier 
cl  de  poudingue.  On  trouve  les  meulières  dans  la  forêt  des 
Alluetset  sur  le  plateau  des  Maudhuits,  distants  de  quelques 
kilomètres  d'Epône  (étage  des  meulières  de  Brie  et  des  nn1  li- 
bères de  Beauce),  les  grès  (grès  de  Fontainebleau)  si1  rencon- 
trent aussi  aux  Alluets;  quant  au  calcaire  grossier,  il  est  fort 
abondant  dans  toute  la  région.  Le  poudingue  fait,  au  contraire. 


P2RRIER  DU  CARNE  ET  MANOIVRIER.  —  DOLMEN  d'ÉPONE  "275 

défunt.  Le  bloc  employé  provient  donc  de  matériaux  charriés 
dans  les  graviers  quaternaires.  Peut-être  les  meulières  et  les 
grès  eux-mêmes  ont-ils  été  pris  parles  constructeurs  du  dolmen 
dans  ces  mêmes  graviers  où  on  les  rencontre  assez  souvent. 

Le  dolmen  de  la  Justice  étant,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  par- 
faitement apparent,  grâce  à  la  destruction  parlesagentsatmos- 
phériques  du  tumulus  qui  le  recouvrait,  tout  portait  à  croire 
qu'il  avait  été  déjà  fouillé,  M.  Perrier  du  Carne  ayant  cepen- 
dant obtenu  en  1881  deMme  Piot,  à  qui  il  est  heureux  d'adresser 
tous  ses  remerciments,  l'autorisation  de  pratiquer  des  fouilles, 
eut  la  bonne  fortune  de  trouver  la  sépulture  intacte. 

Ayant  déblayé  les  terres  qui  s'étaient  amoncelées  dans  l'in- 
térieur du  monument  surune  épaisseur  de  0,70  cent,  environ, 
il  trouva  un  lit  interrompu  de  pierres  plates,  une  couche  de 
squelettes,  un  second  lit  irrégulier  de  pierres  plates,  une 
seconde  couche  de  squelettes  et  enfin  un  dallage  épais  de  5  à 
6  cent,  reposant  sur  l'alluvion  quaternaire  et  formant  le  sol 
du  monument. 

A  l'entrée  du  monument.  M.  Perrier  du  Carne  a  retrouvé  des 
cendres  et  des  charbons  reposant  sur  le  dallage  inférieur  qui 
était  en  partie  calciné.  Ces  cendres,  encore  incandescentes, 
avaient  été  recouvertes  par  les  plaquettes  de  calcaire  dont  la 
face  inférieure  était  toute  noircie.  Ce  foyer  avait  1  m.  30  de 
large  sur  0,80  cent,  de  long.  Les  cendres  étaient  peu  abon- 
dantes et  il  paraissait  n'avoir  été  allumé  qu'une  seule  fois. 
Dans  tous  les  cas,  la  couche  supérieure  des  ossements  le  recou- 
vrait entièrement  et  il  n'y  avait  dans  cette  couche  d'ossements 
aucune  trace  de  foyer.  L'existence  d'anciens  foyers,  à  l'entrée 
des  dolmens,  a  été  interprétée  diversement.  Certains  archéo- 
logues ont  vu  dans  ces  cendres  la.  preuve  des  festins  funé- 
raires, d'autres  affirment  que  ces  foyers  étaient  allumés  pour 
purifier  l'air  du  caveau.  Je  ne  m'expliquerais  pas,  alors,  un 
foyer  unique  recouvert  entièrement  par  la  couche  supérieure 
des  ossements.  Qu'il  ail  servi  à  la  cuisson  des  aliments  du  festin 
funéraire  ou  à  la  purification  de  l'air,  le  foyer  aurait  dû  être 
allumé  à  chaque  inhumation.  Les  cendres âuràjentj  alors,  élé 


276  SÉANCE  DU  2  MAI  1895 

abondantes  et  se  seraient  étendues  ça  et  là.  Il  n'en  est  pas 
ainsi  au  dolmen  de  la  Justice.  Je  proposerais  donc  une  autre 
explication.  Ou  bien  le  feu  était  une  simple  consécration  du 
monument  ou  bien,  et  cette  explication  me  paraît  plus  pro- 
bable, c'était  une  offrande  aux  morts.  Les  hommes  de  la  pierre 
polie  croyaient,  cela  est  indiscutable,  aune  autre  vie.  Ils  pla- 
çaient à  côté  de  leurs  morts  les  objets  dont  ils  s'étaient  servis, 
des  haches  de  pierre,  des  grattoirs,  des  armes  et  des  outils 
de  toute  sorte  et  même  des  vases  contenant  des  aliments,  en 
un  mot  ils  offraient  à  ceux  qui  n'étaient  plus  tout  ce  qui,  pen- 
dant leur  vie,  avait  pu  leur  être  utile;  or,  qu'y  a-t-il  de  plus 
indispensable  que  le  feu?  le  feu  n'a-t-il  pas  été  sanctifié,  déifié 
par  des  peuples  nombreux!  le  mot  foyer  n'est-il  pas  dans  la 
plupart  des  langues,  synonyme  de  maison,  demeure,  famille? 
Ne  parait-il  pas  naturel,  alors,  que  les  constructeurs  de  dolmens 
qui  offraient  des  aliments  et  des  haches,  aient  allumé  pour  leurs 
morts,  le  feu  qui  leur  avait  été  si  utile  pendant  la  vie?  Ne  pen- 
saient-ils pas,  ces  hommes  primitifs,  dans  leurs  croyances 
naïves,  que  la  flamme  du  foyer  funéraire  s'envolait  sans  s'é- 
teindre pour  réchauffer  au-delà  de  la  vie  l'àme  de  leurs  morts 
qui  s'envolait  sans  périr? 

Le  mobilier  du  dolmen  de  la  Justice  comprenait,  éparsdans 
toute  l'étendue  de  la  sépulture  : 

Poterie 

1  vase  presque  entier  en  terre  fort  grossière  et  mal  cuite  à 
parois  très  épaisses.  Il  mesurait  0  in.  17  cent,  de  hauteur  et 
Om.  13  de  largeur. 

1  autre  vase  brisé. 

Et  de  nombreux  fragments. 

Ornements 

o  rondelles  percées  d'un  trou  au  milieu,  l'une  en  ambre,  3 
en  terre  cuite,  la  5e  en  calcaire. 


PERRIER  Dt*  CARNE  ET  MANOUVRIER.  —  DOLMEN  d'ÉPÔNE  277 

2  amulettes  percées  d'un  trou  de  suspension  et  polies,  l'une 
en  pierre  verte,  l'autre  en  marbre  gris  semé  de  blanc. 

Objets  de  pierre 

4  grattoirs. 

4  pierre  grise  (calcaire),  polie  sur  une  de  ses  faces. 

1  grès  présentant  sur  l'une  de  ses  faces  une  légère  cuvette 
et  ayant  servi  fort  probablement  de  pierre  à  écraser. 

7  haches  polies  en  silex  et  en  grès  de  dimensions  plutôt 
petites. 

1  ébauche  de  hache  en  silex. 

3  belles  lames,  dites  pointes  de  lance,  en  silex  du  Grand- 
Pressigny,  très  finement  retaillées;  l'une  d'elles,  la  plus  grande, 
terminée  en  grattoir  à  la  base,  mesure  0  m.  23  cent,  de  long. 

1  petit  fragment  d'une  quatrième  pointe  de  lance. 

1  pointe  de  javelot,  aussi  en  silex  du  Grand-Pressigny. 

1  pointe  de  flèche  de  silex  a  pédoncule  et  à  deux  barbe - 
lures. 

-2  tranchets  ou  pointes  de  flèche  à  tranchant  transversal. 

Enfin,  un  nucléus  et  des  éclats  de  silex. 

Les  squelettes  paraissaient,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  avoir 
été  déposés  sur  deux  rangées,  mais,  par  suite  des  crues  de  la 
Seine,  la  terre  qui  contenait  ces  ossemements  avait  été  fréquem- 
ment détrempée  et  il  s'était  produit  de  nombreux  tassements 
de  sorte  qu'il  était  très  difficile,  en  général,  de  reconnaître  dans 
quelle  position  l'inhumation  avait  été  pratiquée.  Toutefois, 
M.Perrierdu  Carne  a  pu  reconnaître  que  3  squelettes  avaient 
été  inhumés  les  genoux  ramenés  sous  le  menton  et  le  corps 
couché  de  côté,  les  mains  placées  de  chaque  côté  de  la  tète. 
Les  phalanges  des  mains  et  des  pieds  des  autres  squelettes  se 
trouvaient  généralement,  sinon  dans  leur  connexion  naturelle, 
du  moins  très  rapprochées,  ce  qui  donnerait  à  supposer  que 
l'on  avait  inhumé  dans  le  dolmen  de  la  Justice  les  corps  en- 
tiers et  non  les  squelettes  décharnés. 

On  peut  évaluer  au  moins  à  GO  le  nombre  des  squelettes 


278  SÉANCE  DU  2  MAI  1893 

inhumés  dans  ce  dolmen  ;  après  avoir,  en  effet,  recueilli  tous  les 
humérus.  M.  Perrier  du  Carne  a  compté  58  humérus  gauches. 

II.   Etude    des    ossements. 
Par  M.  L.  Manouvriek. 

Tous  les  os,  complets  uu  non,  qui  ont  pu  être  recueillis  par 
M.  Perrier  du  Carne  ont  été  étudiés  au  laboratoire  d'Anthro- 
pologie de  l'école  des  Hautes  Etudes.  Malheureusement,  les  os 
longs  entiers,  les  seuls  utilisables  pour  la  reconstitution  de  la 
taille,  sont  très  peu  nombreux.  Voici  les  résultats  obtenus  sur 
ce  point,  en  suivant  la  technique  indiquée  dans  mon  mémoire 
sur  la  détermination  de  la  taille  d'après  les  grands  os  des  membres. 
[Mémoires  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris.  *2''  série,  t.  IV.) 

Taille  masculine. 

1  tibia,  longueur  =  340"im  +  2.  Taille  cadavre  =  1"'  61 1 
■4  humérus,  moy.  =311+2.     —  1     623 

1  radius,  233       -f  2.     —  —  1     647 

6  Hommes.  Taille  moyenne  tirant.  =  1'"  626  — 0.02  =  lm  606. 
Tailles  extrêmes  probables. 
D'après  2  humérus.  Max.  =  1™  626.  Min.  =  l"1  546. 

Taille  féminine. 

1  fémur,  longueur  =  406"""  -f-  2.  Taille  cadavre  =  lm  543 
4  humérus     —  2<S0      -f  2.     —  —  1     525 

2  Femmes.  Taille  moy.   cirant  =  1'"  534  —  0.02  =  1"'  514. 

Ces  chillres  seraient  insuffisants,  à  eux  seuls,  pour  consti- 
tuer des  moyennes  stables.  Ils  rendent  seulement  probable 
la  conclusion  que  les  habitants  néolithiques  d'Épône  étaient  de 
petite  taille.  Mais  ils  viennent  s'ajouter  aux  chiffres  beaucoup 
plus  nombreux  fournis  par  la  sépulture  voisine  de  Brueil  '. 

1  L.  Manouvrier  :  Etude  des  crânes  cl  ossements  humains  de  la 


PERRIER  DU  CARNE    ET  MANOl'VRIER.   —  DOLMEN  D'ÉPÔNE         279 

J'ai  obtenu,  comme. taille  moyenne  à  Brueil,  pour  43  hommes  : 
1"'  612  et  pour  22  femmes  :  ln>  500. 

En  fusionnant  les  moyennes  de  Brueil  avec  celles  d'Épône, 
on  obtient  : 

Taille  moyenne  masculine,  49  cas  :  lm  611 
—  féminine,    24  cas  :  lm  501 

Il  convient  de  rapprocher  de  ces  résultats  ceux  que  j'ai 
obtenus  avec  les  os  longs  provenant  d'un  autre  dolmen  voisin, 
celui  des  Mureaux,  étudié  par  M.  Verneau  : 

49  hommes.  Taille  moyenne  =  lm638 
22  femmes.  I111  543 

Ici  la  taille  semblerait  avoir  été  un  peu  plus  élevée  que 
dans  les  stations  très  voisines  de  Brueil  et  d'Épône.  Mais,  en 
raison  de  cette  proximité  et  de  la' faiblesse  numérique  des 
séries,  on  peut  former,  avec  les  trois  stations,  une  seule  série 
qui  devient  alors  suffisante  pour  nous  édifier  sur  la  taille 
moyenne  des  hommes  et  des  femmes  de  cette  région  à  l'épo- 
que néolithique,  en  supposant  que  les  trois  populations  aient 
été  contemporaines. 

dette  fusion  donne  le  résultat  suivant  : 

Taille  moyenne  de  98  hommes  =  ih-  625 
—  46  femmes  =  l"1  521 

Hommes,  max.  =  l111  73.  Min.  =  1U1  42. 
Femmes,     —  1     59.    —         1     39. 

Ces  chiffres  viennent  corroborer  le  fait  général  mis  en 
lumière  dans  le  mémoire  du  D1'  Rahon  \  à  savoir  que  la  taille 
était  un  peu  moins  élevée  qu'aujourd'hui  en  France  aux 
temps  préhistoriques. 

Cave  aux  Fées,  à  Brueil  [S aine- et- Oise)  (Mém.  de  la  Soc.  des  Sciences 
Naturelles  delà  Creuse,  2e  série,  t.  III,  Guéret,  1894). 

i  Rech.  sur  les  ossements  humains  anciens  et  préhistoriques  en  vue 
de  la  reconstitution  de  la  taille.  (Mémoires  de  la  Soc.  d'Anlhr.  de 
Pai-H.  2°  série,  t.  IV.) 


280  SÉANCE  DU  2  MAI  1893 

En  ce  qui  concerne  spécialement  les  ossements  d'Épône, 
leur  faible  longueur  sera  utilement  mise  en  regard  de  la 
dolichocéphalie  générale  des  crânes  trouvés  dans  la  même 
sépulture. 

Mesures  des  os  longs  complets. 

Un  seul  fémur,  considéré  comme  féminin  : 

A.  Longueur  totale  en  position  =  406.  13.  Circonférence 
min.  =  77.  A  =  100.  B.  —  18.96. 

Diamètres  sous-trochantériens  :  transv.  —  31.  Ant.-post. 
=  21.  Indice  de  plalymèrïe  —  67.7. 

Diamètres  partie  moyenne  :  Transv.  =  25.  Ant.-post.  —  26. 

Indice  pilastrique  ==  104. 

Diamètre  de  la  tète  =  42.  Angle  du  col  =  123n. 

Un  seul  tibia,  masculin  : 

Longueur  =  340.  Cire.  min.  rr  33.  Rapport  =  9,  7. 

Diamètres  :  Ant.-post.  =  43.  Transv.  =  23.  Indice  de  pla- 
lycnémie  =  38.1. 

Angles  :  d'inclinaison  ~  14°,  de  rétroversion  —  19°. 


3  humérus  : 

1 

ongueur. 

C 

ire.  min. 

Rapport 

A 

299mm 

67mm      i 

B 

C 

317 

309 

62          \ 
62          i 

20.3 

E 

319 

64         f 

D 

(féminin) 

286 

63 

22.3 

Utilisation  des  os  incomplets  '. 
Fémurs.  —  Platymèrie. 

On  a  pu  former  une  série  de  47  fémurs  adultes.  Voici  les 
résultats  obtenus  au  point  de  vue  de  la   platymèrie,  la  série 

i  M.  le  Dr  Sullivan,  de  Dublin,  a  collaboré  à  celle  étude  durant 
sou  séjour  à  notre  laboratoire. 


l'ERRIER   Dr  CARNE  ET   MANiïUVRIER.  —  DOLMEN  d'ÉPQNE        281 

ayant  é'é  ordonnée  d'après  la  somme  décroissante  des  deux 
diamètres  sous-trochantériens,  puis  divisée  en  trois  groupes 
dont  le  dernier  représente  le  sexe  féminin. 

Groupe  I.  —  Somme  des  diamètres  =.  de  62  à  59""" 
(13  fémurs). 

Diamètre  antéro-postérieur 26.0 

—  transverse 34.0 

Somme 60.0 

Indice  de  platymèrie,  76.4.  Min.  66.7.  Max.   106.9. 

Cet  indice  maximum  représente  un  cas  de  platymèrie  trans- 
versale, c'est-à-dire  d'aplatissement  du  fémur  dans  le  sens 
transversal. 

Groupe  II.  —  Somme  des  diamètres  =  de  58  à  54mm 
(13  fémurs.) 

Diamètre  antéro-postérieur 24.6 

—  transverse 32  0 

Somme 50. fi 

Indice  de  platymèrie,  76,9.  Min.  63.6.  Max.  87.1. 
Groupe  III.  —  Somme  des  diamètres  =  de  53   à  47mui, 
(21  fémurs). 

Diamètre  antéro-postérieur 21.6 

transverse 28.8 

Somme 50.4 

Indice  de  platymèrie  75.0.  Min.  65.6.  Max.  82,1. 

L'indice  moyen  de  platymèrie  ne  varie  donc  pas  sensible- 
ment suivant  la  grosseur  du  fémur,  ici  comme  dans  la  série 
des  67  fémurs  de  Brueil. 

Voici  comment  sont  répartis  les  indices  dans  la  série  entière 
de  47  fémurs  : 


T.    VI  (4e'   SÉKIE)  1<J 


282 


-EA.NCB  DU  2  MAI  1895 


de 


Indices 

Nombre  de  cas 

0/0 

(Sério  de   Brueii) 

63.fi     à 

64.9 

1 

2.1 

7.5 

65       — 

69.9 

10 

21.3 

19.4 

70 

74.9 

il 

23.5 

32.8 

75       — 

79.9 

14 

29.8 

29.8 

bO       — 

84.9 

6 

12.8 

7.5 

85      — 

89.9 

3 

6.3 

3.0 

90       — 

93.5 

1 

2.1 

106.9  — 

1 

2.1 

47 

100  » 

100  » 

La  forme  classique  estreprésentéepar  l'indice  88.8,  moyenne 
obtenue  chez  les  Parisiens  modernes. 

La  forme  platymère  est  donc  la  règle  chez  les  néolithiques 
d'Epône,  comme  chez  leurs  voisins  de  Brueil.  Elle  serait  plus 
accusée  chez  ces  derniers  qui  habitaient  un  pays  accidenté 
et  qui  différaient  de  la  même  façon  des  habitants  néolithiques 
de  la  plaine  des  Mureaux. 

Trois  fémurs  non  adultes  ont  été  placés  hors  série.  Voici 
leurs  chiffres  individuels  : 

Somme  des  2  diamètres  —  46  Indice  de  platymèrie—  70.4 

—  —  39  —  —  77.3 

—  —  36  —  71.4 

Sur  le  premier  et  le  troisième  de  ces  fémurs  d'adolescents, 
la  plalymèrie  est  déjà  très  accentuée. 


Pilastre  fémoral. 

Les  fragments  mesurables  représentent  seulement  26  fé- 
murs. Voici  les  résultats  de  leur  étude  présentés  comme  pour 
la  platymèrie.  Les  diamètres,  ici,  sont  ceux  de  la  partie 
moyenne  du  corps  de  l'os. 

Groupe  1.  —  Somme  des  diamètres  =  de  64  a  57mm. 
Moyenne  =59.5.  —  7  fémurs. 
Indice  pilastrique  =  115.0.  Max.  rr  122.2.  Min.  =  96.5. 


l'EnniEn  du  carne  et  manouvrier.  —  dolmen  d'épôxe      283 

Groupe  IL  —  Somme  des  diamètres  =  de  50  à  53""". 
Moyenne  —  54.4.  —  10  fémurs. 
Indice  pilastrique  =  104.9.  Max.  =  120.0.  Min.   =  92.9. 

Groupe  III.  —  Somme  des  diamètres  =  52  à  49mr". 
Moyenne  =  50.3.  —  9  fémurs  (féminins). 
Indice  pilastrique  =  H2.  2.  Max.  =  138  0.  Min.  =  96-0. 

Un  fémur  non  adulte  :  somme  des  diam.  =42.  Indice  =  110. 

Les  groupes  sont  trop  faibles  pour  donner  lieu  à  des 
conclusions. 

Diamètre  de  la  tête  fémorale  et  angle  du  roi. 

L'angle  du  col  du  fémur  avec  le  corps  de  l'os  a  pu  être 
mesuré  sur  23  fémurs  classés  ci-dessous  d'après  le  diamètre 
décroissant  de  la  tète  fémorale. 

Groupe    I.  Diamètres  de  47  à  46mm  7  fémurs. 


—       IL 

45  à 

41       5 

— 

—      III.         — 

40  à 

37      H 

— 

Groupes 

I 

II 

m 

Diamètre  de  la  tète 

46  3 

42  6 

38  4 

Angle  du  col 

129°  3 

132*6 

128°  3 

Maximum 

133° 

135° 

136" 

Minimum 

125° 

130° 

123" 

Ces  groupes  ne  diffèrent  pas  sensiblement  entre  eux  ni  des 
groupes  semblablement  formés  dans  la  série  de  Brueil. 

Tibias.  —  Platycnémie. 

Les  fragments  mesurables  représentent  21  tibias. 

Groupe  I.  —  Somme  des  2  diamètres,  supérieure  à  54mm. 
Moyenne  =  62.2.  —  8  tibias. 
Indice  de  platycnémie  =62.3.  Max.  =  78.1.  Min.  =  48.9. 

Groupe  IL  —  Somme  des  2  diamètres  =:  de  54  à  51""". 
Moyenne  =52.5.  —  7  tibias. 
Indice  de  platycnémie  =  62.8.  Max.  =  70.0.  Min.  —  55-6. 

Groupe  III.  —  Somme  des  2  diamètres  de  50  à  46""". 


284  SÉANCE  DU  2  MAI  4895 

Moyenne  =  48.6.  —  6  tibias  (féminins). 

Indice  deplatycnémie  =  65.9.Max.  =  72.4.  Min.  =  00.0. 

Composition  de  la  série  totale. 
Indices  Nombre  de  cas. 


.*.) 


\ 

55  à  59.9  3 

60  à  64.9  8 

65  à  69.9  6 

70  à  74.9  2 

7.'i  et  plus  1 

Cette  série  n'est  pas  assez  nombreuse  pour  que  l'on  puisse 
calculer  utilement  le  nombre  des  cas  0  0.  Les  chiffres  ci- 
dessus  n'en  montrent  pas  moins  que  la  platycnémie  était  la 
règle  dans  la  population  d'Epone  comme  dans  les  populations 
néolithiques  voisines. 

.., 
Calcaneum 

M.  Perrier  du  Carne  ayant  eu  le  soin,  singulièrement  rare, 
de  recueillir  tous  les  os  qu'il  a  pu  trouver  dans  la  sépulture 
d'Épône,  sans  se  contenter  des  crânes,  35  calcaneums  et  41 
astragales  ont  pu  être  examinés. 

Sans  en  faire  une  étude  approfondie  à  tous  les  points  de 
vue,  ce  qui  exigerait  des  éléments  de  comparaison  que  je  ne 
possède  pas,  j'ai  mesuré  sur  ces  os  les  dimensions  qui  m'ont 
paru,  à  première  vue,  les  plus  intéressantes  : 

1°  La  longueur  totale  du  calcaneum  depuis  les  rugosités 
qui  donnent  insertion  au  tendon  d'Achille  (point  A)  (en 
excluant  l'épaisseur  de  ces  rugosités),  jusqu'au  milieu  du 
bord  supérieur  de  la  facette  articulaire  antérieure  articulée 
avec  le  eu  boule. 

2°  La  longueur  du  talon ,  mesurée  depuis  le  point  A,  ci- 
dessus,  jusqu'au  fond  de  l'angle  formé  par  les  deux  facettes 


PERUIEIl  DU  CARNE  ET  MAX0UVR1ER.    —  DOLMEN  d'ÉPJNE        285 

articulées  avec  l'astragale.  Ce  fond  correspond  à  peu  près  au 
milieu  de  l'articulation  calcanéo-astragalienne  dans  le  sens 
antéro-postérieur. 

A  défaut  de  la  longueur  du  pied,  ces  deux  mesures  permet- 
tent de  comparer,  à  titre  d'essai,  la  longueur  du  talon  à  la 
longueur  du  calcaneum.. 

3°  La  largeur  ou  épaisseur  du  calcaneum. 

La  série,  ordonnée  d'après  la  longueur  totale  du  calcaneum, 
a  été  divisée  en  trois  groupes  dont  le  dernier  représente, 
selon  toutes  probabilités,  le  sexe  féminin: 

Groupe    I.   Longueurs  de  77  à  74  —    8  os. 

IL  —  73  à  70  —  16  os. 

—    111.  69  à  62  —  11  os. 


Groupes 

I 

11 

III 

Longueur  total» 

J,  T.     .     . 

.       75.2 

71.7 

65.9 

—       du  t; 

ilon,  t  .     . 

.       52.5 

50.5 

45.2 

T  =  100.  t  = 

.       69.8 

70.4 

68.5 

Ces  derniers  rapports  diffèrent  trop  peu  entre  eux,  étant 
donnée  la  faiblesse  des  groupes,  pour  être  considérés  comme 
des  caractères  fermes. 

L'épaisseur  du  talon  (E),  a  été  aussi  comparée  à  la  lon- 
gueur totale  de  l'os.  Elle  a  pu  être  mesurée  sur  18  os  seule- 
ment, partagés  en  trois  groupes  égaux,  la  série  étant  ordonnée 
d'après  la  longueur  T  décroissante  : 

I.     T  =  74.3     E  =  27.5     (T  =  100)     E  =  36.9 

H-  71.5  27.8  38.9 

IIL  67.1  24.8  36.9 

La  différence  des  rapports  est  rendue,  encore  ici.  douteuse 
par  la  faiblesse  des  groupes.  Mais  les  chiffres  qui  précèdent 
pourront  être  comparés  utilement,  au  point  de  vue  descriptif. 
à  ceux  d'autres  séries  ethniques. 


286  sÊAxSCfc;  du  2  mai  1893 

Astragale 

.J'ai  choisi,  pour  cet  os,  les  dimensions  suivantes  : 

1°  Longueur  totale,  depuis  le  bord  inférieur  de  la  gouttière 
du  long  fléchisseur  du  gros  orteil  (pour  éviter  l'os  trigone  non 
constant  d'Albrecht1  et  de  Bardeleben)  jusqu'au  point  le 
plus  proéminent  de  la  tète  de  l'astragale. 

21  La  longueur  de  la  poulie  astragalienne  ou  surface  arti- 
culaire supérieure  à  sa  partie  moyenne. 

3"  La  largeur  de  cette  même  surface  au  milieu  de  sa  lon- 
gueur. 

41  astragales  ont  été  mesurées.  La  série  a  été  ôrdonnéed'a- 
près  la  longueur  totale  et  divisée  en  trois  groupes  : 

Groupe    1.  T  =  de  60  à  55mm  —  11  astragales. 
IL       —        54  à  51       —  13  — 

—     III.       —        50  à  43       —  17         — 

Groupes  I  11  111 

Longueur  totale 56  52.6       48.8 


■o 


—       de  la  poulie.     .     .       34.4       32.4      29.7 
Largeur  —        ...       29.3       28.3       26.2 

Sur  plusieurs  os,  l'une  ou  l'autre  des  deux  dernières  dimen- 
sions n'a  pu  être  mesurée. 


Humérus 

La  largeur   bicondylienne  a  pu   être  mesurée  sur  48  frag- 
ments : 

Ie1'  groupe.  —  Largeurs  de  69  à  64mm. 
14  humérus.  Moyenne  =  65.3. 

2e  groupe.  —  Largeurs  de  63  à  59mm. 
17  humérus.  Moyenne  =r  60.5. 

i  1'.  Albrf.cht:  Os  trigone  du  pied  chez  l'homme.  {Soc  d'Anthr.  de 
Bruxelles,  t.  III,  1885.) 


PERRIER  DU  CARNE  ET  MANOUVRIER.  —  DOLMEN  DËPÔNE       287 

3e  groupe.  —  Largeurs  de  58  à  49mm. 
17  humérus.  Moyenne  =  54.2. 

La  circonférence  minima  du  corps  de  l'os  a  pu  être  mesurée 
sur  26  fragments  : 

1er  groupe.  —  Circonférences  de  74  à  69mm. 
4  humérus.  Moyenne  =  71.2. 

2e  °roupe.  —  Circonférences  de  68  k  64mm. 
8  humérus.  Moyenne  =  65,5. 

3e  groupe.  —  Circonférences  de  63  à  551,l,,r. 
14  humérus.  Moyenne  —  57.2. 

Sur  16  fragments  on  a  pu  mesurer  la  circonférence  minima 
arec  la  largeur  bicondylicnne.  Les  groupes  ont  été  formés  sui- 
vant le  module  ci-dessus  : 


l  II  III 

3  6  7 

71.0  65.6  57.8 
64.6  61.5  56.7 

92.1  93.7  98.2 


Groupes 

Nombre  d'humérus.     .  . 

Circonférence  maxima.  . 

Largeur  bicondylicnne  . 

Rapport.  (Cire.  =  100.)  . 

La  largeur  bicondylienne  serait  sensiblement  plus  grande 
relativement  à  la  grosseur  de  l'os  dans  le  3e  groupe  (sexe 
féminin). 

Perforation  de  la  cavité  olécrânienne 

Cette  perforation  étant  plus  ou  moins  large,  son  étendue  a 
été  notée  au  moyen  des  numéros  1,2  et  3.  On  a  représenté 
par  le  chiffre  0  les  cavités  olécràniennes  dont  le  fond  était 
transparent,  ce  qui  équivaut  presque  a  une  perforation. 

Sur  84  humérus,  29  ou  34.6  0  o  présentaient  cet  état  do 
transparence  ou  la  perforation  : 

Numéro  0 10  humérus. 

—  1 3 

-  2 il 

_       3 5         ~ 


288  SÉANCE  DU  2  MAI  1895 

Sur  les  48  fragments  dont  on  a  pu  mesurer  la  largeur  bi- 
condylienne,  14  étaient  perforés. 

2  appartiennent  au  groupe  I  (ci-dessus)  avec  les  largeurs 

67  et  04. 

4  appartiennent  au  groupe  II   avec  les  largeurs  63,  60, 

59,  59. 

8  appartiennent  au  groupe  III  avec  les  largeurs  56,  54,  54, 

54,  53,  53,  52,  49. 

C'est  donc  parmi  les  numéros  les  plus  faibles  que  la  perfo- 
ration est  la  plus  fréquente.  J'ai  démontré  ailleurs  surabon- 
damment ce  fait  qui  s'explique  mécaniquement. 

Remarque  générale  sur  les  grands  os  des  membres 

Un  a  vu  plus  haut  que  la  taille  était  assez  médiocre  dans  la 
population  d'Épône.  La  grosseur  des  os  ne  présentait  rien  de 
remarquable.  Mais  la  musculature  devait  être  relativement 
puissante  et  le  travail  musculaire  dans  cette  population  devait 
être  intense. 

Ce  fait  est  déjà  indiqué,  pour  les  membres  inférieurs,  par 
la  platymèrie  et  par  la  saillie  pilastrique  ainsi  que  par  la 
platycnémie,  d'après  l'interprétation  que  j'ai  donnée  de  ces 
différents  caractères  dans  des  mémoires  antérieurs  '. 

Cette  interprétation  est  corroborée  par  l'examen  des  os  du 
membre  supérieur.  Si  l'on  trouve  sur  le  fémur  et  le  tibia  les 
marques  d'un  énorme  travail  musculaire,  ce  travail  doit  avoir 
laissé  aussi  des  traces  sur  les  os  du  bras  et  de  l'avant-bras. 
Nous  devons  trouver  sur  ces  os  les  équivalents  de  la  platy- 
mèrie, du  pilastre  fémoral  et  de  la  platycnémie.  Or  ces  équi- 
valents existent,  en  effet,  sur  un  grand  nombre  d'humérus  et 

i  Mèm.  sur  (a  Platycnémie.  (Mèm.  de  la  Soc.  d'Anthr.  de  Paris, 

2e  s.,  t.  III.) 

La   Platymèrie   (Congrès    intcrn.    d'.Vnlh.    et    d'Arch.  préhist., 

Paris,  1889.) 

Mèm.  sur  les  variations  du  corps  du  fémur  dans  l'espèce  hum.  {Bull, 
de  la  Soc.  d'Anthr.  de  Paris,  1893.) 


PEUIUElt  DU  CARNE  ET  MANOUVIUER.    —  DOLMEN  d'ÉPÔNE        289 

de  cubitus  d'Épône  comme  des  autres  stations  préhistoriques 
où  les  caractères  Fémoraux  et  tibiaux  ci-dessus  ont  été  relevés. 
Pour  le  cubitus,  ces  équivalents  consistent  dans  l'incurva- 
tion souvent  très  forte  de  la  portion  supérieure,  dans  son  élar- 
gissement et  dans  l'exagération  de  ses  empreintes  musculaires. 


Pour  l'humérus,  ces  équivalents  consistent  surtout  dans 
l'incurvation  assez  fréquente  du  quart  supérieur  de  l'os,  prin- 
cipalement sur  les  humérus  les  plus  robustes,  —  dans  la  saillie  et 
l'étendue  énormes  du  V  deltoïdien,  dans  la  saillie  considé- 
rable des  deux  lèvres  de  la  coulisse  bicipitale,  dans  la  largeur 
et  l'aplatissement  insolites  de  la  face  postéro-interne  de  l'os.  Sur 
un  bon  nombre  d'humérus  d'Epône  comme  sur  ceux  de  Brueil 
et  de  Chàlons-sur-Marne,  la  lèvre  externe  de  la  coulisse  bici- 
pitale se  termine  inférieurement  par  un  gros  tubercule  plus 
ou  moins  large  qui,  parfois,  vient  se  confondre  avec  la  bran- 


290  SÉANCE  DU  2  MAI   1895 

che  externe  du  V  deltoïdien,  très  saillante  elle-même  ;  de  telle 
sorte  que  ces  deux  renflements  réunis  contribuent  à  accen- 
tuer la  courbure  de  l'humérus  à  ce  niveau.  On  trouve  même, 
sur  des  humérus  très  grêles  et  manifestement  féminins,  ces 
signes  de  surmenage  musculaire  analogues,  je  le  répète,  aux 
caractères  si  remarquables  des  fémurs  et  tibias. 

Mandibule. 

Voici  les  mesures  prises,  d'après  les  instructions  de  Broca, 
sur  sept  mandibules  adultes  : 

Nos  12  3      4      5  6         7 

Projection  ant.-post.  103 
Larg.  bicondylienne  120     118 

—  bigoniaque  .  .     96 

—  bimentonnière  43 
Haut,  symphysienne  31 

—  molaire.  ...  24 
Branche  longueur  .  57 

—       largeur  .  .     29 
Angle  symphysien  .     80° 

—  mandibulaire  123 
Les  n0s  6  et  7  sont  des  mandibules  féminines.  En  général 

les  dents  présentent  une  usure  très  prononcée  mais  cependant 
moins  que  dans  certaines  stations  néolithiques. 

Troisièmes  molaires  :  ont  fait  défaut  toutes  les  deux  sur  la 
mandibule  n°  1.  Une  a  fait  défaut  sur  les  nos  4  et  G. 

Lrane. 

Les  crânes  extraitde  la  sépulture  d'Epône  par  M.  Perrier  du 
Carme  et  conservés  dans  sa  collection  sont  au  nombre  de 
douze,  tous  plus  ou  moins  endommagés. 

Trois  sont  masculins,  neuf  féminins. 


— 

06 

97 

— 

110 

1)7 

— 

[18 

— 

— 

— 

117 

— 

95 

— 

95 

90 

88 

82 

42 

40 

43 

45 

42 

43 

34.5 

34 

36 

31 

28 

27.5 

25.5 

26 

25 

25 

20 

22 

56 

59 

— 

57.5 

52 

— 

31 

32 

32 

29 

28 

28 

72° 

70° 

75° 

77" 

67° 

62° 

37 

130 

— 

129 

132 

— 

PEltRIER  DU  CARNE  ET  MANOUVRIER.   —  DOLMEN  d'ÉPÔNE        291 

Les  crânes  II  et  F  sont  jeunes,  mais  voisins  de  l'âge  adulte. 

Le  crâne  C  présente  un  petit  os  wormien  en  arrière  du 
bregma  et  de  nombreux  os  wormiens  dans  la  suture  lamb- 
doïde. 

Un  fragment  de  voûte  crânienne  présente  une  trépanation 
du  pariétal  droit.  Cet  os  est  très  épais.  Il  n'est  pas  certain  que 
la  trépanation  ait  été  pratiquée  sur  le  vivant. 

D'après  les  indices  crâniens  et  faciaux  consignés  dans  le 
tableau  ci-dessus,  la  population  néolithique  d'Epône  semble- 
rait avoir  été  assez  homogène.  Mais  il  faut  considérer  que 
nous  avons  pu  examiner  seulement  12  crânes,  dont  plusieurs 
très  incomplets,  sur  les  58  au  moins  que  devait  renfermer  la 
sépulture  avant  d'avoir  été  ravagée  par  des  fouilleurs  inin- 
telligents, selon  la  constatation  de  M.  Perrier  du  Carne.  Tou- 
jours est-il  que,  d'après  l'ensemble  des  crânes  mesurés,  la 
dolichocéphalie  aurait  été  la  règle  dans  cette  population.  Ce 
fait  est  à  rapprocher  de  la  très  médiocre  taille  moyenne 
obtenue  d'après  la  mesure  des  os  longs.  Combien  de  ques- 
tions intéressantes  se  posent  ainsi  dans  l'étude  des  ossements 
de  chaque  sépulture  préhistorique  et  restent  non  résolues  par 
suite  du  mauvais  état  ou  de  l'insuffisance  numérique  des 
pièces  recueillies  ! 

Sur  4  crânes  non  décrits  cl  recueillis  par  M.  Perrier  du 
Carne  dans  les  dolmens  de  Dammartin,  des  Maudhuits  et  de 
Dennemont,  situés  dans  la  même  région  que  le  dolmen  de  la 
Justice,  l'indice  céphalique  ne  sort  pas  de  la  dolichocéphalie: 

Dammartin  :  73.9  et  75.5. 

Maudhuits  :  71.1. 

Dennemont  :  75.0. 

Mais  il  ne  faut  pas  oublier  la  présence  de  crânes  brachycé- 
pbales  dans  les  dolmens  voisins  de  Brueil  et  des  Mureaux. 

Le  tableau  suivant  contient  tous  les  chiffres  recueillis  sur 
les  crânes  du  dolmen  d'Epône.  On  a  désigné  par  la  lettre  // 
les  crânes  masculins  et  par  f  les  féminins, 


292                             s 

SÉANCK  DL" 

2  MAI 

1895 

Désignation  et  sexe  . 

.  Lh. 

Gh. 

Hh. 

Af. 

If. 

Diam.  ant.  post.  nias 

.  .  186 

188 

— 

182 

173 

—         —         méto 

p.   178 

184 

— 

183 

172 

—     transv.  max    . 

.    142 

140 

— 

138 

135 

—     basio-bregmat 

.  .     — 

— 

146 

136 

— 

Ligne  naso-basilaire 

— 

— 

106 

95 

— 

Frontal  minimum  .   . 

.     95 

95. 

o 

97 

94 

— ■ 

—     maximum  . 

.   117 

115 

115 

113 

116 

Occipital'max  .   .  .  . 

— 

— 

— 

108 

— 

Trou  oceip.,  longueur 

— 

— 

— 

37 

— 

—         largeur  . 

— 

— 

— 

31 

— 

Girconf.  horizontale 

.     — 

— 

—    • 

505 

— 

Partie  antér 

— 

— 

234 

— 

Courbe  transversale 

.  .     — 

— 

302 

294 

— 

C.  Médiane  :  sous-cér 

.  .     22 

20 

16 

17 

— 

C.  frontale  cérébrale 

.  100 

107 

111 

118 

112 

C.  sagittale 

130 

135 

— 

121 

129? 

C.  occipitale  sup.  .  . 

— 

70 

— 

89 

60? 

G.                    inf..  . 

— 

— 

— 

37 

— 

Largeur  bizygomatiq 

Hauteur  ophryo-alvé 

ol.     — 

— 

79 

— 

— 

—     Naso-alvéola 

re     — 

— 

63 

— 

— 

—      Naso-spinale 

— 

— 

45 

— 

— 

— 

24 

— 

— 

Orbite,  largeur.  .  . 

— 

37.5 

— 

— 

—      hauteur  .  . 

— 

— 

30 

— 

— 

Larg.  interorbitaire  . 

— 

— 

z.» .  o 

— 

— 

Voûte  palatine,  long. 

.     — 

— 

50 

— 

— 

larg. 

— 

— 

35 

— 

— 

Indice  céphalique  . 

.     7(3.3 

74. 

0 

— 

75.8 

78.0 

— 

— 

74.7 

— 

—     transv.  vertice 

il.     — 

— 

— 

98.5 

— 

—     frontal  !«'.   . 

.     66.9 

G8. 

1 

— 

68 . 1 

— 

—     nasal  .... 

— 

— 

53.3 

— ■ 

— 

orbitaire   .  . 

— 

— 

80.0 

— 

— 

l'EltRIER  DU  CARNE  ET  MANOUVRIER.   —  D.iLMEN  d'ÉPÔNE        293 


Kf. 

Ef. 

Cf. 

Df. 

Mf. 

Bf. 

Ff. 

185 

173 

182 

176 

192 

183 

177 

180 

174 

182 

178 

194 

186 

179 

134 

130 

140 

140 

142 

142 

138 

9i  ; 

131 

. 









, 

90. S 

88 

94 

93 

— 

100 

92 

111 

109 

117.5 

116 

— 

114 

111 

— 

100 

102 

104.5 

— 

113 
41 

— 

—  , 

490 

515 

504 

— 

30 
524 

498 

— 

228 

239 

— 

— 

234 

— 

— 

288 

300 

290 

— 

290 

300 

15 

18 

15 

15 

16 

15 

15 

110 

112 

115 

105 

121 

118 

120 

121 

122 

118 

132 

130 

131 

125 

79 

03 

76 

70 

77 

03 

00 

40 

44 

43 

46 

38 

48 

50 

— 

120 

— 

— 

— 

— 

— 

— 

79 

83 

— 

— 

— 

78 

— 

02.5 

68 

— 

— ■ 

— 

03 

— 

44 

47 

— 

— 

— 

40 

— 

23 

22 

— 

— 

— 

23 

— 

34 

37 

— 

— 

— 

39 

— 

27 

32.5 

— 

— 

— 

31 

— 

20 

23 

— 

— 

— 

19 

— 

49 

45 

— 

— 

— 

— 

— 

34 

33 

; 

— 

— 

— 

72.4 

78.0 

76.9 

79.5 

74.0 

77,0 

74 

67.5 


64.7 
62.7 
52.3 

79.4 


67.1         67.8 

—  46.8         — 

—  87.8         — 


77,6 

74.0 

75.4 

— 

97.2 

— 

70.4 

70.2 



50.0 

— 

79*5 

294 


SÉANCE  DU  2  MAI   1893 


Le  dolmen  de  la  Justice  aura  du  moins  enrichi  l'ethnogra- 
phie préhistorique  d'un  fait  nouveau  qu'il  nous  reste  à 
exposer. 

Il  s'agit  d'une  mutilation  crânienne  fort  curieuse  et  dont 
l'intérêt  ne  le  cède  en  rien  à  celui  des  trépanations. 

Sur  3  crânes  d'Épone,  tous  les  trois  féminins,  on  voit  une 
grande  cicatrice  en  forme  de  T  qui  semble  résulter  de  plaies 
faites  évidemment  sur  le  vivant. 

Le  sillon  creusé  sur  le  crâne,  atteint,  par  places,  une  pro- 
fondeur de  2  millimètres. 


Crâne  Df. 


Réd.  au  1   3. 


PERRIER  DU  CARNE  ET  MANOUVRIER.   —  DOLMEN  d'ÉPÔNE        295 

La  lésion  semblerait  avoir  été  pratiquée  intentionnellement 
et  même  avec  un  soin  assez  minutieux,  car  sur  les  trois  crânes 
d'Épône  qui  en  présentent  la  trace,  celle-ci  présente  une  forme 
toujours  identique,  la  forme  d'un  T  dont  la  longue  branche, 
antéro-postérieure,  commence  un  peu  au-dessus  de  la  courbure 
antérieure  de  l'os  frontal  et  suit  la  suture  sagittale  jusqu'à  la 
région  de  l'obélion,  au  voisinage  des  trous  pariétaux.  Là  cette 
branche  rencontre  à  angle  droit  la  branche  transversale  qui  se 
termine  de  chaque  côté  derrière  la  bosse  pariétale  sans  jamais 
aller  jusqu'à  la  suture  lambdoïde.  L'ensemble  de  la  marque 
cicatricielle  est  parfaitement  symétrique,  et  sa  régularité  ne  per- 
met pas  de  douter  qu'il  s'agit  là  sinon  d'une  mutilation  volon- 
taire pratiquée  suivant  un  rite  bien  arrêté  et  fidèlement  suivi, 
au  moins  d'une  lésion  résultant  de  quelque  usage  spécial  pro- 
duisant un  effet  peu  variable. 

Les  deux  figures  ci-jointes  suffisent  pour  indiquer  avec 
clarté  les  points  terminaux  du  T. 

Si  l'on  tient  compte  de  ce  fait  :  que,  sur  les  9  crânes  fémi- 
nins d'Épône,  3  présentent  la  cicatrice  en  T,  l'usage  en  ques- 
tion devait  être  pratiqué  assez  fréquemment. 

Quelle  était  l'intention  de  cette  pratique  barbare?  On  peut 
faire  à  ce  sujet  des  hypothèses  beaucoup  plus  variées  qu'à 
propos  des  trépanations.  S'agit-il  d'un  usage  guerrier,  reli- 
gieux, judiciaire,  marital,  etc.  ?  L'imagination  peut  suivre,  on 
le  voit,  des  routes  fort  diverses  entre  lesquelles  une  option 
quelconque  serait  insuffisamment  justifiée  pour  le  moment. 
11  convient  donc  d'attendre  et  je  me  propose  de  rechercher 
d'abord  s'il  n'existerait  pas,  dans  les  collections  préhistori- 
ques, d'autres  spécimens  de  la  marque  en  T  qui  auraient  pu 
échapper  aux  observateurs. 

APPENDICE 

concernant  4  crânes  provenant  de  3  dolmens  voisins  d'Epône. 

Nous  croyons  devoir  consigner  ici  les  mesures  de  ces  4  crâ- 
nes, en   raison    de    l'inconvénient    qui    résulterait    de    leur 


296  séance  du  2  mai  4 895 

publication  isolée  et  en  raison  de  l'identité  ethnologique  à 
peu  près  certaine  indiquée  par  la  proximité  des  habitats. 

Les  crânes  1  et  2  proviennent  du  dolmen  de  Dammartin 
(Seine-et-Oise). 

Le  crâne  3  provient  du  dolmen  des  Maudhuits (commune  de 
Guerville). 

Le  crâne  4  provient  du  dolmen  de  Dennemont  (commune 
de  Follain ville). 

Ces  crânes,  ainsi  que  ceux  d'Épône  décrits  ci-dessus,  sont 
conservés  dans  la  collection  de  M.  Perrier  du  Carne,  à 
Mantes. 

Nos  et  sexe If. 

Diam.  ant.  post.  max.   .  .  .  184 

—  —       —     met  op.   .   .  187 

—  transv.  max 136 

—  basio-bregm ,  .   .  .   .  138 

Ligne  Naso-basilaire 1)8 

Frontal  minimum 94 

—  maximum 117 

Occipital  maximum 102 

Trou  occip.  Longueur  ....  36 

—  Largeur 29 

Cire,  horizontale 510 

■ —     Partie  antérieure.  .   .   .  240 

Courbe  transversale 302 

G.  médiane  sous-cérébr.    .   .  17 

—  frontale  cérébr 118 

—  sagittale .  135 

—  occipitale  sup 69 

—  —        inf 40 

Largeur  bizygomatique  ,   .   .  122 
Hauteur  ophryo-alvéol.  ...       79.5 

—  naso-alvéolaire.  .  .  03 

—  naso-spinale  ....  46 
Largeur  nasale 26 


2  h. 

3? 

4f. 

188 

179 

176 

184 

178 

176 

142 

138 

132 

140 

135 

130 

92 

100 

99 

— 

90.5 

89 

— 

112 

108 

103 

107 

104 

35 

35 

— 

30 

28 



310? 

— 

— 

25 

— 

— 

113 

— 

— 

130 

— 

— 

80 

— 

— 

42 

— 

— 

— 

125 

115? 

— 

81 

76 

— 

67 

61 

— 

50.5 

43.5 

— 

22 

22 

ZABOROWSKI.  —  DU  DN1ESTRE  A  LA  CASPIENNE  297 

Orbite.  Largeur 37  30  37 

—  Hauteur 31  —  31  29 

Espace  interorbitaire 25  —  20  — 

Voûte  palatine.  Long.    ...  49  50  — 

Larg.    ...  34  —  34  — 

Indice  céphalique  .  .....  73.9  75.5  77.1  75.0 

—  vertical 75.0  74.5  75.4  73.9 

—  transv.  vertic 101.4  98.0  97.8  98.5 

—  frontal  (1er) 09. 1  05.5  07.8 

—  facial 05.1  64.8  00.1 

—  nasal 50.5  —  43.0  50.0 

—  orbitaire 83.8  —  80.1  78.4 


Du  Dnieslre  à  la  Caspienne. 

Esquisse  palethnologique. 

(Suite),  i 

Par  M.  Zahorowski. 

III.  —  Première  apparition  du  mêlai  au  milieu  de  stations  de  la 
pierre  simultanément  avec  le  verre,  l'emploi  du  tour  et  les  pote- 
ries peintes.  Sépultures  à  incinération  en  tombeaux  d'argile 
cuite  avec  poteries  peintes  et  armes  de  pierre.  Double  origine 
du  rite  de  l'incinération  sur  le  Dniestre. 

En  présentant  cet  essai  de  coordination  des  matériaux  rela- 
tifs au  passé  préhistorique  de  la  région  des  fécondes  steppes 
herbeuses  de  la  mer  Noire,  j'ai  bien  prévenu  que  je  me  trom- 
perais sans  doute  plus  d'une  fois  par  omission  et  que  j'étais 
exposé  à  des  erreurs  plus  grandes.  Je  tiens  à  le  répéter  :  je 
n'ai  pas,  je  n'ai  jamais  en,  la  prétention  de  donner  un  tableau 
définitif.  D'autant  plus  que  mes  conclusions  les  plus  générales 

i  V.  Bulletin  1895,  p.  116. 

t.  vi  (i°  série).  'M 


293  SÉANCE  DU  -2  MAI   1895 

sont  en  parfait  désaccord  avec  des  opinions  courantes  qu'il 
convient  peut-être  de  ménager  encore. 

Ces  conclusions  cependant,  il  faut  bien  que  je  les  formule, 
ne  serait-ce  qu'à  titre  provisoire.  Elles  m'apparaissent  d'ail- 
leurs, dans  un  accord  séduisant  avec  d'autres  faits  indiscutés, 
et  sous  un  aspect  de  simplicité  qui  est  bien  la  marque  ordi- 
naire de  la  vérité  même.  Des  considérations  et  découvertes 
exposées  ci-dessus,  il  ressort  avec  évidence  pour  moi  que  ce 
sont  des  populations  de  l'Occident,  en  partie  descendues  de 
la  Baltique,  qui  ont  peuplé  les  plaines  méridionales  du  Dnies- 
tre,  du  Dniepre,  en  un  mot  VHinterland  du  nord  de  la  mer 
Nuire.  Et  ces  populations,  leurs  caractères  sont  dès  mainte- 
nant déterminés  à  laide  d'une  série  suffisante  de  treize  pièces, 
remarquablement  bomogène.  Elles  appartiennent  certaine- 
ment à  notre  grande  race  néolithique  des  dolmens  du  nord- 
est  de  la  France,  je  puis  dire  à  notre  grande  race  Galate  ou 
Kymrique.  Aucune  contestation  n'a  été  élevée  sur  les  faits 
exposés  en  eux-mêmes.  Je  ne  me  suis  pas,  d'ailleurs,  occupé 
des  hypothèses  émises  pour  expliquer  la  présence  de  matières 
colorantes  dans  les  tombeaux.  Faut-il  voir  dans  cette  matière 
un  reste  de  vêtements  fortement  teints  ?  Il  est  possible. 
M.  Bobrinski  dit  que,  dans  certains  tombeaux,  cette  matière  ne 
se  rencontrait  que  sur  la  tète1.  Il  me  paraît  que  les  détails 
donnés  sur  ces  circonstances  ne  sont  ni  assez  nombreux,  ni 
assez  précis.  Mais  on  a  vu  que,  dans  certains  tombeaux,  cette 
matière  recouvre  tout  le  squelette  et  a  une  épaisseur  de  cinq 
millimètres. 

Dans  l'un  d'eux,  la  matière  colorante  a  été  disposée  en 
petits  tas.  Les  anciens  Gaulois  se  peignaient  la  chevelure  en 
rouge,  sans  doute  à  la  façon  des  sauvages  actuels,  en  retenant 
entre  leurs  cheveux,  à  l'aide  de  graisse,  de  la  poudre  rouge 
(ocre).  Il  est  probable  qu'ils  se  peignaient  aussi  le  corps, 

i  Les  squelettes  de  Men'on  paraissent  de  nrême  comme  coiffés 
par  «  une  épaisse  calotte  d'ocre  rouge.  »  (\,' Anthropologie,  1892, 
p.  525.) 


ZAIÎOROWSKI.    —   DU  DNÎGSTRE  A  LA  CASPIENNE  299 

comme  le  font  aujourd'hui  encore  tant  de  peuplades.  La  chose 
est  sûre  pour  certains  d'entre  eux.  Chez  les  Niams-Niams,les 
cadavres  sont  badigeonnés  de  rouge.  (Letourneau.  Évolut. 
religieuse,  p.  83.) 

Dans  le  pays  qui  m'occupe  l'emploi  de  matière  colorantes 
rouge  dans  les  sépultures  semble  avoir  persisté  jusqu'à  l'épo- 
que du  bronze.  (V.  plus  loin;.  L'usage  des  fards  fut  très-com- 
mun a  l'époque  scythe. 

Je  reprends  maintenant  l'énumération  de  monuments  pré- 
historiques, dont  la  succession  peut  remplir  les  temps  anté- 
rieurs à  notre  ère  et  dont  l'étude  est  appelée  à  remplir  un  rôle 
dans  l'élimination  probable  du  roman  pseudo-historique  des 
origines  indo-européennes. 

Il  y  a,  sur  le  Dniestre,  tout  près  de  la  Boukovine,  une  loca- 
lité, encore  aujourd'hui  limitrophe  de  trois  provinces,  qui  fût, 
sans  doute,  pendant  de  longs  siècles  le  boulevard  de  diffé- 
rentes nations.  On  la  désigne  sous  le  nom  de  Horodnica,  qui 
rappelle  l'existence  d'une  forteresse.  J'ai  rendu  compte,  en 
4886  (Archives  slaves  de  biologie) , de  fouilles  qui  y  ont  été  faites. 
Du  coté  gauche,  du  fleuve,  sur  le  territoire  podolien,  s'élève  un 
important  camp  retranché,  formé  de  plusieurs  enceintes,  qui 
remonte  indubitablement  à  l'âge  de  la  pierre.  Les  instruments 
et  armes  en  silex  et  en  pierre  y  étaient  très  nombreux,  à  la 
surface  comme  dans  l'épaisseur  de  la  couche  rapportée,  pres- 
que tout  entière  parsemée  de  foyers.  Parmi  les  outils  de  pierre, 
sont  à  signaler,  les  haches  et  gouges  polies  d'une  sorte  de 
jaspe  argilo-siliceuse  durcie,  dont  on  n'aurait,jusqu'k  présent, 
trouvé  des  échantillons  qu'en  Hongrie  et  en  Bohème.  Les  outils 
en  os  ne  manquaient  pas  non  plus.  On  a  récolté,  en  particu- 
lier, quatre  aiguilles,  dont  deux  en  os  et  deux  faites  de  dents 
appointées.  Avec  ce  matériel,  qui  exclut  l'emploi  usuel  des 
métaux,  apparaît  cependant  le  bronze  :  une  épingle  à  la  sur- 
face, une  autre  dans  la  couche  archéologique,  une  plaque 
avec  cette  dernière,  un  fragment  de  fibule.  Apparaissent  aussi 
de  rares  fragments  de  verre,  et,  dans  la  couche  archéologique 
même,  des  colliers  en   verre  tordu    bleu,   vert,  gris,  noir  et 


300  SÉANCE  DU  2  MAI  1895 

jaune.  Au  milieu  des  tessons  de  vases  (quelques-uns  séchés 
au  soleil)  fabriqués  à  la  main,  se  montrent  enfin  les  premiè- 
res poteries  faites  au  tour,  ce  qui  est  d'exemple  bien  rare 
sinon  unique,  puisque  en  général,  il  n'y  a  pas  contact  entre 
l'industrie  de  la  pierre  et  l'emploi  du  tour. 

Dans  tous  les  environs  du  camp  retranché,  il  y  a  des  sta- 
tions de  même  âge  que  lui.  Outils  de  la  pierre  et  poteries  faites 
à  la  main  y  abondent.  Et  on  y  a  trouvé  aussi  un  morceau  de 
fibule  de  bronze;  une  moitié  de  perle  de  verre. 

A  peu  de  distance  du  retranchement,  il  y  a  un  petit  Kour- 
gane  qui  recouvrait  trois  tombes  contiguës  séparées  par  des 
grandes  dalles.  Il  ne  lui  est,  certes,  pas  contemporain.  Mais  il 
ne  lui  est  peut-être  pas  non  plus  de  beaucoup  postérieur.  Or, 
dans  l'une  des  tombes  on  a  trouvé,  auprès  de  chaque  oreille, 
une  perle  de  cornaline,  sur  la  poitrine  deux  perles  d'ambre  et 
un  anneau  de  fil  de  bronze,  sur  les  genoux  un  morceau  de  fer 
de  40  millim.  de  long,  reste  d'un  petit  couteau,  et  autour  du 
tibia  de  droite,  36  perles  de  verre  diversement  colorées.  Un 
des  squelettes  avait  une  taille  de  lm76. 

D'autres  tombeaux  ont  également  été  découverts  et  fouillés 
dans  des  stations  néolithiques  avoisinantes.  Ils  étaient  plus 
pauvres  en  objets  votifs.  Mais  dans  l'un  d'eux,  formé  d'un 
grand  cercle  de  pierres  couvert  de  dalles,  il  y  avait  un  bouton 
émaillé  (?)  avec  belière  en  fer,  et  36  petites  perles  de  verre  de 
couleur  jaune  d'ambre  clair,  autour  du  cou  d'un  squelette 
d'enfant.  Je  me  persuade  qu'il  est  bien  moins  ancien  que  tous 
les  précédents. 

Dans  un  autre,  un  squelette  de  femme  avait  un  anneau  île 
/il  de  bronze  au  médius  de  la  main  gauche,  un  autre  anneau 
de  fil  de  bronze  en  spirale,  et,  sous  l'épaule  droite,  un  frag- 
ment de  galon  broché  d'or. 

Dans  les  tombeanx  d'un  cimetière  situé  un  peu  au  sud,  à 
Zezawa,  tombeaux  isolés  ou  par  groupes,  sous  grandes  dalles 
posées  à  l'origine  au-dessus  de  trous  creusés  en  terre  libre, 
les  mêmes  objets  ont  été  rencontrés  :  bngues,  pendants  d'o- 
reilles en  fil  de  bronze,  boutons  de  bronze,  fragments  de  tissus 


ZA1Î0R0WSKI.   —  DU  DiNIESTllE  A  LA  CASl'IE.SNE  301 

brochés  d'or.  L'absence  d'un  matériel  de  pierre  étonne.  Cepen- 
dant ces  sépultures  sont  celles  d'un  peuple  n'ayant  sans  doute 
que  la  pierre  pour  son  outillage  et  ses  armes.  Il  recevait  du  de- 
hors quelques  rares  pièces  de  toilette,  produits  des  richeseivili- 
sations  des  côtes  méditerranéennes  de  l'Europe  et  de  l'Asie.  Ce 
n'est  plus  l'âge  de  bronze  pur  :  le  fer  était  connu.  Ce  n'est 
pourtant  pas  encore  l'âge  du  fer.  Une  civilisation  tout  entière, 
d'une  durée  quelconque,  s'intercale  à  coup  sur,  au  moins  dans 
une  certaine  zone,  entre  celle  de  la  pierre  et  celle  du  fer. 


Une  assez  grande  quantité  d'objets  ont  été  recueillis  ça  et 
là,  soit  à  la  surface,  soit  dans  des  fouilles  partielles,  tant  au 
camp  retranché  que  dans  les  stations  avoisinantes.  Eh  bien! 
ils  ne  permettent  pas  de  douter  de  ce  fait.  D'abord,  parmi 
eux,  il  n'y  en  a  aucun  qui  soit  en  fer.  A  peu  près  tous  les 
outils  et  les  armes  sont  en  silex  (nucleus,  couteaux  en  très 
grand  nombre,  pilons,  perçoirs,  racloirs,  haches  et  gouges 
polies),  en  pierre  (haches  en  grand  nombre,  gouges,  mar- 
teaux) et  en  os.  Mais  au  milieu  de  ce  matériel  purement  néo- 
lithique, apparaissent,  pour  la  première  fois,  en  outre  des 
ornements  comme  ceux  énumérés,  épingles,  boucles  d'oreille, 
bracelets,  fibules,  bagues,  perles,  grelots,  des  armes  et  outils. 
Ces  pièces  consistent  uniquement  en  trois  flèches  à  bases 
tubulées  (scythes  ?),  en  un  fragment  de  tète  de  massue  et  en 
fragments  de  faucilles.  Elles  appartiennent  à  un  âge  du 
bronze.  Les  flèches  à  base  tubulée  me  font  craindre  des  mé- 
langes. Mais  les  fibules,  les  fragments  de  tissu  broché  d'or, 
un  bracelet  et  deux  boucles  d'oreilles  en  filigrane  d'argent, 
les  vases  de  verre,  parmi  lesquels  des  petites  fioles  sphéri- 
ques  à  col  court  et  étroit  (phéniciennes),  les  perles  et  colliers 
de  verre,  indiquent  nettement,  comme  les  traces  de  fer  signa- 
lées plus  haut,  que  le  bronze  n'a  été  apporté  en  cette  région 
qu'alors  que,  dans  les  lieux  de  provenance,  régnait  déjà  une 
industrie  du  premier  à^e  du  fer. 

Dans  la  même  localité,  en  face  le  camp  retranché,  de  l'autre 


302  SÉANCE  DU  2  MAI    1895 

côté  du  Dniestre,  dans  l'angle  que  fail  le  fleuve  avec  son 
affluent  le  Jamhorow,  la  rive  escarpée  s'éboulait,  entraînant 
une  foule  de  tessons.  Une  fouille  fut  pratiquée  à  cet  endroit 
(Przybyslawski).  A  deux  mètres  de  profondeur,  au  milieu  du 
sable  cimenté  de  calcaire,  on  trouva  plus*  de  200  tessons  de 
poterie,  poterie  peinte  et  poterie  non  peinte,  avec  des  dents  et 
des  os  d'animaux,  des  éclats  de  silex,  des  fragments  de  man- 
ches et  une  alêne  en  corne  de  cerf.  Pas  de  pièces  entières,  on 
le  voit.  Cependant  l'association  de  vases  peints  avec  une 
industrie  néolithique,  esl  évidente;  une  flèche  en  silex  avec 
pédoncule  a  été  recueillie  non  loin  de  ce  gisement.  Les  tes" 
sons  eux-mêmes  ne  paraissent  être  autre  chose  que  des  rebuts 
de  fabrication.  Ils  représentaient  bien  7Ô0  vases.  Ces  vases, 
supérieurs  à  ceux  du  camp  retranché,  seraient  des  types  imi- 
tés des  modèles  grecs.  Sauf  les  très  grands,  tous  étaient  faits 
au  tour.  Ceux  qui  sont  peints  le  sont  avec  des  couleurs  miné- 
rales, blanche,  rouge  et  brune,  disposées  en  dessins  géomé- 
triques, lignes  en  méandres,  cercles,  ronds. 

Avec  ces  tes-ons,  M.  Przybyslawski  a  pu  reconstruire  quel- 
ques pièces.  En  voila  18,  dans  la  planche  mise  sous  vos  yeux. 
Leur  forme,  comme  leur  fabrication  et  leur  ornementation,  les 
distingue  bien  nettement  non  seulement  des  poteries  plus  an- 
ciennes, mais  aussi  des  poteries  du  premier  âge  de  fer  de  la 
Vistule.  Comme  ces  dernières,  elles  sont  contemporaines  d'un 
premier  âge  de  fer,  d'un  &ge  de  bronze,  pendant  lequel  les 
cadavres  étaient  souvent  incinérés.  Il  y  a,  dans  la  région  même 
étudiée  ici,  sur  le  Dniestre,  des  monuments  duârite  de  l'inciné- 
ration des  cadavres  qui  sont  uniques  en  leur  genre. 

A  Wasylkowce,  à  quelques  kilomètres  à  l'ouest  d'Husiatyn 
sur  le  Zbrucz,  au  sud-ouest  de  la  Podolie,  des  tombeaux  à 
incinération  étaient  signalés  dès  1877.  On  y  mettait,  de 
temps  en  temps,  a  jour,  des  vases  ou  tessons,  toujours  avec 
des  blocs  d'argile  passés  au  feu.  En  I889(Ossowski),  avec  la 
sonde,  on  reconnut  que,  sur  quelques  centaines  de  mètres  car- 
rés, il  y  avait  à  50  et  60  centimètres  de  profondeur  au-dessous 
dp  la  terre  arable,  une  couche  de  blocs  d'argile  cuite  jusqu'au 


ZABDHOWSKI.  --  DM   DNIKSTUE  A  LA  CASPIENNE  303 

rouge.  Ces  blocs  dont  la  terre  végétale  noire  remplissait  les 
interstices,  passaient  de  la  grosseur  d'un  œuf  à  celle  de  mas- 
ses de  quelques  dizaines  de  livres.  Ils  n'avaient  aucune  forme 
fixe  et  définissable.  Un  de  leurs  côtés  était  plat  et  portait  des 
empreintes  de  fibres  ligneuses.  D'où  l'on  pourrait  croire  que 
ces  blocs  ont  été  placés,  pour  leur  cuisson  sur  des  planches, 
détruites  pendant  l'opération.  Ils  étaient  disposés  avec  soin  de 
manière  a  faire  une  couverture  hermétique,  les  petits  com- 
blant exactement  les  interstices  des  plus  grands.  Ils  formaient 
une  masse  de  40  centimètres  d'épaisseur  environ.  Au-dessus  et 
reposant  directement  sur  la  couche  naturelle  d'argile  sous- 
jacente,se  montraient  des  urnes  cinéraires,  disposées  sans  sy- 
métrie, mais  à  peu  de  distance  l'une  de  l'autre  (de  50  à  80  cen- 
timètres au  plus).  Le  poids  des  blocs  qu'elles  avaient  eu  à 
supporter  les  avait  brisées  pour  la  plupart.  Trois  tombeaux 
seulement  ont  été  trouvés  à  peu  près  intacts.  Dans  le  premier 
il  y  avait  deux  vases.  L'un,  à  forme  évasée  de  cuvette  com- 
mune, contenait  le  second,  orné  au  col,  plus  étroit  et  plus 
élevé,  sur  lequel  s'appuyaient  directement  des  blocs  d'argile 
cuite  formant  maçonnerie  tout  autour. 

Sur  le  fond  de  ce  second  vase,  véritable  urne  cinéraire,  il  y 
avait  un  petit  tesson  qui  recouvrait  un  petit  morceau  d'os 
brûlé.  Il  n'y  avait  rien  autre  chose  dans  le  tombeau,  sauf 
quelques  autres  tessons  portant  des  traces  de  peinture,  rangés 
autour  de  la  base  du  premier  vase  comme  pour  maintenir  son 
aplomb.  Le  second  tombeau  renfermait  quatre  vases  :  Une 
urne  très  grande  de  394  millim  de  haut,  entourée  de  tessons 
à  sa  base,  tessons  avec  peintures,  et  dans  son  intérieur,  deux 
petites  urnes  superposées,  et  un  petit  pot  Dans  la  première 
des  petites  urnes,  emboîtée  dans  la  seconde,  ilyavait  un  frag- 
ment d'os  brûlé;  dans  la  seconde  qui  était  peinte,  il  y  avait, 
sur  le  fond,  une  pointe  dp  [lèche  en  silex,  d'un  travail  par- 
fait, qui  porte  des  traces  manifestes  de  son  exposition  au  feu. 

Le  troisième  tombeau,  enfin,  se  composait  d'une  grande 
urne  semblable  à  la  précédente,  mais  peinte  entièrement,  en- 
tourée aussi  de  tessons  et  qui  contenait  un  petit  pot  sur  le 


304  i-éa.nci:;  du  -2  mai  1895 

fond  duquel  il  y  avait,  avec  un  fragment  d'os  brûlé  une  petite 
alêne  en  os.  Les  vases  que  je  viens  d'énumérer  et  quelques 
autres  pots  et  fragments  provenant  de  tombeaux  voisins  dé- 
truits sont  figurés  dans  la  planche  que  je  présente. 

Trois  autres  cimetières  semblables  ont  été  découverts  et 
fouillés  un  peu  plus  à  l'ouest,  sur  le  Seret,  la  grande  rivière 
de  la  même  région,  dans  les  districts  de  Zaleszczyki, 
de  Borszczow  et  de  Czortkow.  Ce  sont  les  cimetières  de 
Szczytowcy,  de  Bilcze  Zlote  et  de  Wygnanka.  Les  urnes  y 
étaient  séparées  de  la  même  façon,  quelquefois  sur  le  côté, 
souvent  renversées,  l'ouverture  en  b;is.  En  ce  cas,  elles  pro- 
tégeaient toujours  uniquement  un  fragment  d'oshumain  brûlé 
posé  sur  un  tesson.  Jamais  on  n'a  trouvé  en  elles  autre  chose 
que  des  outils  ou  armes  en  silex,  pointes  de  flèche,  couteaux, 
haches,  percuteurs,  et  encore  dans  le  plus  petit  nombre  des  cas. 
Je  mets  sous  les  yeux  de  la  Société  les  figures  d'une  série  de  ces 
urnes  peintes  qui  sont  extrêmement  remarquables,  (les  monu- 
ments découverts  depuis  plus  de  quatre  ans  n'ont  pas  encore 
été  signalés  hors  du  pays  où  ils  se  trouvent.  À  qui  les  attri- 
buer? A  quelle  époque  précise  les  faire  remonter? 

Les  faits  indéniables  sont  ceux-ci.  Les  premiers  échantil- 
lons connus  de  ces  poteries  peintes  ont  été  découverts  dans 
un  ancien  atelier,  recouvert  par  un  dépôt  considérable  de 
deux  mètres,  et  rien  ne  les  accompagnait  que  des  outils  de 
pierre.  De  même,  dans  les  tombeaux,  il  n'y  avait  avec  elles 
que  des  outils  de  pierre.  Ceux  qui  les  fabriquaient  ne  devaient 
donc  pas  se  servir  couramment  du  métal. 

Elles  ne  sont  pourtant  pas  caractéristiques  de  tous  les 
cimetières  à  incinération.  11  y  a,  dans  la  même  région,  des 
sépultures  à  incinération  en  urnes  isolées  qui  sont  tout  autres. 
A  l'wisla,  district  d'ilusiatyn,  sur  le  Zbrucz,  au-dessus  d'un 
premier  cimetière,  à  tombes  de  dalles  de  pierre,  appartenant 
à  l'époque  néolithique  (Y.  plus  haut,  p.  131),  un  autre  cime- 
tière, composé  celui-là  de  tombeaux  superficiels  (30  cent,  de 
profondeur),  sans  encaissement  de  pierre,  a  été  découvert 
accidentellement.  Un  de  ces  tombeaux  fouillé,  a  livré  un  col- 


ZABOROWSKl.  —  DU  DNIESTR G  A  LA  CASPIENNK  305 

lier  composé  de  deux  coquilles  de  Cyprœa  pantherina  qui  appar- 
tiennent à  une  faune  d'eaux  plus  chaudes  que  celle  de  la  mer 
Noire,  d'une  défense  de  sanglier  et  de  deux  mâchoires  de 
poisson  ;  un  peigne  en  os,  mais  en  deux  parties,  les  dents 
étant  fixées  à  la  poignée  à  l'aide  de  7  petites  chevilles  en 
bronze;  une  agrafe  en  bronze;  et  un  mors  de  cheval  incom- 
plet en  fer,  d'un  cheval  de  petite  taille  :  le  tarpan  indigène. 
Nul  doute  que  ce  cimetière  doive  appartenir  au  plein  Age  du 
fer,  malgré  la  pauvreté  barbare  de  son  matériel  industriel. 
Or,  sur  son  e m  pincement  même,  en  creusant  accidentellement 
au-dessous  des  squelettes,  à  60  centimètres  et  plus  on  est 
tombé  sur  des  urnes  cinéraires,  très  espacées  et  disposées 
sans  aucun  ordre  en  pleine  terre.  Ces  urnes  étaient  toutes  fai- 
tes à  la  main  et  d'un  type  différent  de  celui  des  urnes  peintes. 
Elles  renfermaient  des  os  brûlés,  mêlés  de  terre  et  souvent 
quelques  objets  de  toilette.  Voici  quels  sont  les  objets  recueil- 
lis :  épingles  en  bronze,  tige  droite,  de  9  centimètres  de  long, 
anneaux  et  boutons  de  bronze,  sortes  de  clous  à  large  tète,  lils 
en  spirale,  ou  en  méandres,  toutes  pièces  en  rapport  avec  des 
traces  d'une  lourde  étoffe,  et  perles  diverses.  La  plupart  des 
perles,  en  grand  nombre,  sont  des  petits  cylindres  ou  disques 
percés.  On  les  a  souvent  données  pour  être  de  verre.  Elles 
seraient  en  terre  de  porcelaine.  Les  autres,  déformes  variées, 
sont  en  verre  blanc,  jaunâtre,  à  reflet  doré  ou  rappelant  l'am- 
bre. (V.  plus  haut,  p.  300),  et  parmi  elles,  il  y  a  des  coquilles 
de  la  Méditerranée  (Cyclonassa  Neritea  ou  Buccinum  neriteum). 
Pas  de  fer  du  tout,  comme  on  le  voit.  Cependant,  peut-on 
donner  cette  industrie  comme  plus  ancienne  que  celle  des 
tombeaux  du  camp  retranché  d'Horodnica?  C'est  douteux. 
Cette  succession  de  trois  cimetières  clans  la  même  localité, 
fixe  du  moins  l'âge  respectif  de  leur  trois  rites  et  industries. 
Et  comme  le  cimetière  à  incinération  s'intercale  entre  un 
cimetière  néolithique  et  un  cimetière  de  l'âge  du  fer,  on  est 
bien  autorisé  à  le  regarder  comme  un  monument  d'une  civi- 
lisation du  bronze.  Mais  on  ne  connaît  pas  encore  (1894) 
d'autre  exemple  dans  la  région  de  tels  cimetières  à  iheiné- 


30G  SÉANCE  DU  2  MAI  1895 

ration  en  urnes  isolées,  en  pleine  terre.  Le  rite  de  l'incinéra- 
tion ne  paraît  pas  avoir  régné  là  d'une  manière  générale.  On  ne 
le  retrouve  comme  caractéristique  d'une  époque  préhistorique 
mieux  déterminée,  que  plus  a  l'ouest,  au-delà  du  San,  le  long- 
dès  Karpathes,  dans  la  Galicie  occidentale.  Il  y  a  eu  des  points 
de  contact,  des  communications  permanentes  entre  les  deux 
régions  dans  la  zone  même  qui  nous  occupe,  après  l'âge  de 
pierre.  Dans  les  districts  de  Skalacki  et  d'Husiatyn,  on  a 
trouvé  des  tumulus  de  pierres  avec  incinération  qui  rappel- 
lent ceux  de  la  Basse-Vistule.  Et  M.  Ossowski  a  signalé  cette 
circonstance,  à  savoir  que  l'ornementation  par  incrustation 
qui  distingue  quelques  urnes  cinéraires  des  tombeaux-caisses 
fie  la  Basse-Vistule,  se  retrouve  au-dessus  d'une  tombe  néoli- 
thique sans  Kourgane  des  environs  de  Kiew  (Des  vases  incrus- 
tés, etc.,  Cracovie,  1892),  et  dans  un  Kourgane  du  district 
d'Iluman  avec  un  mors  de  cheval  en  bronze.  Néanmoins  la 
région  qui  s'étend  du  Dniestre  au  nord  de  la  mer  Noire,  jus- 
qu'au Caucase  et  la  Caspienne,  fut  nettement  limitée  au  nord- 
ouest  par  la  zone  marécageuse  et  sableuse,  tardivement 
habitée,  du  Prypets  et  du  Bug.  Pendant  qu'elle  subissait 
directement  l'iniluence  grecque  et  orientale,  le  pays  d'au-delà 
du  San,  entre  le^San,  les  Karpathes  et  la  Yistule,  comme  celui 
entre  la  Vistule  et  l'Oder,  était  soumis  à  l'action  immédiate 
des  civilisations  nord-italique,  danubienne,  romaine. 

Les  deux  sortes  de  sépulture  à  incinération  qui  représentent 
bien  deux  cultures  différentes,  semblent  donc  avoir  été  intro- 
duites dans  le  pays  par  deux  voies  également  différentes.  Cel- 
les à  poteries  peintes,  si  particulières  aux  rives  du  Dniestre, 
sont  dues  aux.  immigrations  et  aux  échanges  du  cote  de  la  mer 
Noire.  Les  autres,  d'origine  peut-être  plus  ancienne,  tout  en  se 
ditférenciantdes  sépultures  du  même  genre  de  la  Galicie  et  de  la 
Vistule,  sont  en  rapport  avec  le  peuplement  de  cette  région 
par  des  immigrations  venues  par  la  Moravie,  par  les  Karpa- 
thes occidentales,  le  long  de  la  voie  de  l'ambre.  Il  y  a  eu  con- 
tact entre  les  deux  courants  sur  le  haut  Dniestre  et  ses  affluents 
du  nord.  En  ces  dernières  régions  et  plus  à  l'est,  l'évolution 


ZABOROWSKI.   —  DU  DNIESTRE  A  LA  CASPIENNE  307 

des  mœurs  a  été  I > i *■* n  différente  de  ce  qu'elle  fût  du  côté  de 
l'ouest.  J'y  insiste  :  sur  le  Dniestre,  comme  sur  le  Dniepre, 
comme  dans  tout  le  nord  de  la  mer  Noire,  le  rite  de  l'inciné- 
ration ne  s'est  pas  généralisé,  surtout  du  côté  de  l'est.  Il  a 
toujours  été  pratiqué  depuis  la  première  apparition  des  mé- 
taux, mais  il  n'a  jamais  été  pratiqué  exclusivement.  Tandis 
qu'il  l'a  été  au  contraire,  exclusivement,  et  pendant  de  très 
longs  siècles,  au-delà  du  San  et  entre  la  Vistule  et  l'Oder. 
L'usage  de  brûler  les  morts  a  même  persisté  entre  ces  deux 
fleuves  et  la  Baltique,  jusqu'à  l'introduction  du  christianisme. 


Sur  le  Dniestre  et  au  nord  de  la  mer  Noire,  nous  avons  donc 
des  sépultures  à  inhumation  de  toutes  les  époques  préhistori- 
ques, ce  qui  ne  se  rencontre  pas  ailleurs.  Et  parmi  ces  sépul- 
tures, un  certain  nombre  assurément  sont  chronologiquement 
en  rapport  avec  les  sépultures  à  incinération  pure  de  l'ouest 
dont  l'industrie  est  caractéristique  du  premier  âge  de  fer 
nord  italique  (perles  de  verre  bleu,  fibules,  spirales  en  bronze, 
objets  de  toilette  en  fer),  mais  qui,  sous  le  rapport  des  mœurs, 
relèvent  de  la  civilisation  du  bronze. 

IV.  —  Sépultures  à  inhumation  de  1  époque  du  bronze.  Les  blonds 
dolichocéphales  au  voisinage  de  la  Caspienne.  Les  Kourganes  de 
la  steppe  Kirghize  de  lage  du  bronze  et  de  la  période  scythi- 
que.  Les  Kourganes  à  catacombes.  Autres  Kourganes  scylhes. 
Les  miroirs  en  bronze  en  Ukraine  et  au  Caucase.  Ambre  et  Cy- 
prœa  moneta. 

Nous  connaissons  plusieurs  sépultures  à  inhumation  anté- 
rieures à  l'emploi  du  fer  dans  les  armes  et  dont  le  matériel 
est  de  bronze. 

Non  loin  de  cette  localité  d'Uwisla  si  riche  en  monuments, 
dans  ce  même  district  d'ilusiatyn,  sur  le  Zbrucz,  à  Rakow- 
kont,  près  de  l'ustolowka,  où  j'ai  déjà  signalé  un  tombeau 
néolithique  (V.  plus  haut  p.  131)  anciennement  mis  au  jour 
(1866),  deux  autres  tombeaux  ont   été   fouillés    récemmenl 


308  SÉANCE  DU  2  MAI   1895 

(Ossowski,  1890).  Dans  l'un,  formé  de  dalles  de  pierre,  avec 
un  squelette  d'adulte  et  un  squelette  d'enfant,  on  a  recueilli  : 
1°  Deux  belles  épingles  en  bronze  à  tète  formée  de  l'enroule- 
ment sur  lui-même  du  fil  de  bronze  carré  qui  fait  suite  à  la 
tige  ;  2°  Des  boutons  en  bronze,  clous  a  large  tète  et  à  tige 
en  anneau  comme  à  Uwisla  ;  3°  Deux  anneaux,  boucles  d'o- 
reilles, ressemblant  aussi  à  des  clous  plus  petits;  4°  Des  per- 
les comme  celles  des  tombes  à  incinération  d'Uwisla. 

M.  Chantre  a  reproduit  [Le  Caucase,  II,  63),  une  épingle  à 
enroulement,  semblable  à  celle,  de  Rakowkont.  Elle  vient  de 
la  Galicie.  Ce  type  se  rattache,  sans  doute,  au  type  des  terra- 
mares  du  Modenais  et  du  Reggianais,  et  ainsi  à  l'âge  du 
bronze.  Nous  avons,  du  reste,  la  preuve  palpable  que  ce  ma- 
tériel en  bronze  était  antérieur  à  l'époque  où  le  fer  fut  em- 
ployé dans  les  armes.  —  Tout  près  du  tombeau  précédent,  des 
recherches  à  la  sonde,  en  ont  fait  découvrir  un  second.  Des 
blocs  en  muraille,  en  formaient  les  parois,  et  visiblement  la 
moitié  de  ces  parois  avait  été  refaite  de  manière  à  élargir  un 
peu  le  tombeau  à  sa  partie  supérieure.  Dans  la  partie  élargie, 
se  raccordant  mal  avec  l'autre,  se  trouvait  un  squelette  étendu 
les  jambes  repliées.  Il  tenait  dans  sa  main  une  pointe  de  lance 
en  fer  (fig.  12)  et  avait  près  de  la  tète  un  petit  anneau  de 
bronze  (fig.  8),  peut-être  un  reste  oublié  de  la  première  sépul- 
ture. Aux  pieds  de  ce  squelette,  avaient  été  rejetés,  sans  ordre, 
les  ossements  de  deux  autres  squelettes.  Avec  ceux-ci  ne  se 
trouvaient  que  des  objets  en  bronze,  une  petite  épingle  (fig.  42 
de  la  pi.  II  t.  XV  de  Zbior),  un  anneau,  précisément  sembla- 
ble à  celui  ci-dessus  (fig.  8)  et  des  boutons  (?)  à  tige  en 
spirale  (fig.  5  et  6). 

Quelle  distance  de  temps  sépare  ces  deux  sépultures  dans 
le  même  tombeau?  Cela  me  paraît  difficile  à  préciser.  La 
pointe  de  lance  en  fer  a  été  rapprochée  des  types  de  l'indus- 
trie de  la  ïène  (V.  plus  loin)  et  son  âge  fixé  seulement 
aux  environs  de  notre  ère.  Mais  les  Scythes  employaient  le 
fer.  (Hérodote  dit  même,  par  erreur,  qu'ils  ne  connaissaient 
pas  le  bronze  [IV,  c.  71]).  Ce  métal  était  travaillé  par  les 


ZABOROWSKl.  —  OU  DiNIESTRE  A  LA  CASPIENNE  309 

Chalybes,  bien  avant  Hérodote  et.  du  temps  de  celui-ci,   il 
était  en  Grèce,  d'un  emploi  général. 


Voici  d'abord  d'autres  sépultures,  pouvant  être  rapportées 
à  un  âge  du  bronze,  spécial,  peut-être,  en  partie  scythique, 
sans  parler  des  objets  isolés  comme  cette  épée  et  ce  casque  en 
bronze  qui  ont  été  montrés  au  Congrès  de  Moscou  (Anout- 
cbine),  une  hache  à  douille,  un  moule  en  grès  (Ossowski). 

A  Wysocko,  en  18(18,  un  squelette  fut  mis  à  découvert  à  80 
centimètres  de  profondeur.  Il  avait  un  brassard  ou  bracelet 
d'une  lame  de  bronze  de  o  millimètres  de  large  et  d'un  milli- 
mètre d'épaisseur  enroulé  en  spirale.  Un  petit  vase  gisait  à 
côté  de  lui. 

A  Myszkow,  dans  le  district  de  Zaleszczyki,  au  milieu  d'un 
cercle  formé  de  six  grosses  pierres  apparentes,  à  60  centi- 
mètres de  profondeur  dans  une  auge  grossière  en  bois,  gisait 
un  squelette  en  très  mauvais  état.  A  côté  du  crâne,  il  y  avait 
de  très  belles  boucles  d'oreilles  à  double  anneau  en  bronze, 
avec  trois  perles  ornées  de  cercles  en  relief. 

Un  deuxième  tombeau,  tout  semblable,  a  livré  une  fausse 
perle  de  4  millimètres  de  diamètre,  formée  d'une  très  mime 
feuille  d'or  appliquée  sur  une  mince  feuille  d'argent,  et  des  per- 
les d'argile  ordinaires,  mais  semblables,  par  la  forme,  k  celles 
d'Uwisla. 

Dans  un  troisième  tombeau,  on  a  trouvé  un  pendant  d'o- 
reille, simple  anneau  retourné  sur  lui-même. 

Dans  la  même  localité  de  Myszkow,  il  y  a  des  inhumations 
en  terre  libre.  On  trouve  les  squelettes  à  60  centimètres  de 
profondeur,  sans  rien  autour  qui  ait  putservir  à  les  protéger. 
Les  objets  recueillis  auprès  de  quatre  d'entre  eux  sont  :  Un 
anneau-boucle  d'oreille,  un  pendant  d'oreille  à  double  anneau 
avec  trois  perles,  du  même  genre  que  celui  décrit  plus  haut, 
deux  bagues  en  bronze  et  trois  beaux  vases  dont  un  en  forme 
de  coupe,  orné  au-dessus  de  la  panse  de  cercles  concentriques. 
Ces  poteries,  si  bien  faites  qu'elles  soient,  ne  sont  pas  des 


340  SÉANCE  du  -2  MAI  1895 

poteries  grecques.  Ces  sépultures  sont  donc  rapportablcs  à  un 
âge  du  bronze,  antérieur  à  la  pleine  influence  grecque,  qui 
se  manifeste  dans  des  monuments  d'une  richesse  incompa- 
rable. 

Je  n'ai  pas  la  prétention  de  passer  en  revue  toutes  les  sépul- 
tures connues  du  même  genre  d'un  âge  incertain  par  rapport 
à  l'époque  scythe.  Je  citerai  encore  seulement  les  suivantes, 
d'une  physionomie  encore  un  peu  différente. 

A  Grodko,  district  de  Zaleszczyki,  deux  cimetières  sous- 
dalles  ont  été  fouillés.  Les  tombes  étaient  si  serrées  que  les 
dalles  se  rejoignaient  presque.  Les  squelettes,  à  60  centimè- 
tres de  profondeur,  étaient  entourés  d'une  couche  épaisse  de 
quelques  pouces  de  cbaux  blanche  qui  formait  un  enduit  sur 
les  murs  de  la  fosse.  Des  fragments  de  bois  pourri  étaient 
englobés  dans  cette  masse.  Les  os  étaient  bien  conservés.  11 
n'y  avait  en  général  aucun  objet  avec  eux.  Le  cou  d'un  sque- 
lette dont  il  sera  question  plus  loin,  était  entouré  d'une 
étoffe  noire  de  brocart.  Un  autre  avait  une  boucle  d'oreille 
ordinaire  en  bronze  et  un  ornement  en  bois  décoré  de  métal. 
Dans  la  terre  remplissant  les  tombes  et  les  interstices  entre 
les  dalles,  différents  outils  en  pierre  ont  été  recueillis. 


Dans  la  partie  occidentale  du  district  de  Zwinogrodki,  en 
Ukraine,  entre  le  Boh  et  le  Dniepre,  il  y  a  trois  groupes  de 
Kourganes  dont  j'ai  déjà  parlé.  Dans  l'un  de  ces  groupes, 
celui  de  Kobrynowa  (p.  126),  on  a  fouillé  un  Kourgane  qui 
recouvrait  des  tombeaux  à  parois  d'argile  battue.  Au-dessus 
de  ces  tombeaux  néolithiques,  avaient  été  inhumés  une  quin- 
zaine d'hommes  à  une  époque  où  l'influence  grecque  se  fai- 
sait sentir.  Dans  le  second  groupe,  celui  de  Ryzanowa,  un 
Kourgane  (n°  5)  fouillé,  petit  et  recouvert  d'une  couche  natu- 
relle de  terre  noire  de  40  centimètres,  contenait,  au-dessous 
d'une  assise  criblée  de  morceaux  d'argile  cuite  au  feu  d'un 
bûcher,  et  mis  à  part  un  squelette  de  cheval  sur  son  bord  et 
un  premier  squelette  non  loin  de  celui-ci,  deux  squelettes  en 


ZABOROWSKI.   —  DU  DN'IESTRE  A   LA  CASPIENNE  Mil 

pleine  terre,  à  un  et  à  deux  mètres  de  profondeur.  L'un  de  ces 
derniers  était  abondamment  couvert  d'une  matière  rouge 
ferrugineuse.  Il  y  avait  un  petit  bloc  de  cette  matière  colorante 
auprès  des  jambes,  et  un  petit  vase  de  chaque  côté  de  celles-ci. 
Il  y  avait,  en  outre,  à  la  main  gauche,  une  bague  en  bronze. 
Le  second  squelette,  plus  profondément  et  tout  à  fait  au  cen- 
tre, paraît  plus  ancien.  Mais  la  présence  d'un  objet  en  bronze 
et  les  poteries  nous  feront  cependant  ranger  ces  deux  sépul- 
tures auprès  des  précédentes,  malgré  la  présence  de  deux 
outils  de  pierre,  dans  leur  voisinage  et  le  vieil  usage  néoli- 
tbique  de  colorer  les  cadavres  (?)  en  rouge. 


Les  sépultures  ne  se  présentant  pas  encore  en  groupes  nom- 
breux distincts  ou  n'ayant  pas  été  fouillées  par  groupes  com- 
plètement, ne  nous  ont  pas  donné  le  matériel  complet  d'une 
civilisation  particulière  du  bronze.  Cette  civilisation,  recon- 
naissable  surtout  par  son  contact  immédiat  avec  celle  de  la 
pierre,  n'a  eu,  peut-être,  qu'une  existence  éphémère.  Si  elle 
est  antérieure  à  l'introduction  des  monuments  grecs,  intro- 
duction datée,  il  peut  se  faire  aussi  qu'elle  le  soit  de  fort  peu. 

Ainsi,  dans  ce  même  groupe  de  Kourganes  de  Ryzanowa, 
où  une  sépulture  presque  intermédiaire  de  la  pierre  au  bronze 
nous  est  signalée,  se  trouve  un  magnifique  Kourgane  à  cata- 
combes de  l'époque  gréco-scythe. 

Les  poteries  peintes,  trouvées  en  contact  avec  la  pierre  à 
Ilorodnica,  et  les  tombeaux  de  briques  à  incinération  où,  avec 
ces  mêmes  poteries,  on  ne  trouve  que  du  silex,  prouvent  que 
des  produits  de  civilisations  supérieures  ont  été  introduits 
dans  le  pays,  indépendamment  de  toute  transformation  géné- 
rale de  l'industrie  de  ce  pays,  sans  transition  peut-être,  sans 
faire  époque.  Nous  admettons  cependant  que  sur  toute  l'éten- 
due de  cette  plaine  énorme  du  Dniestre  à  la  Caspienne,  a  ré- 
gné une  période  mixte  du  bronze,  antérieure  aux  monuments 
grecs  et  qui  passe  à  la  civilisation  scythiqtie.  En  voici  d'au- 
tres preuves.  Dans  un   travail    récent  (l'Anthropologie,  18! •."'», 


312  SÉANCE  DU  2  MAI   1895 

p.  325j,  M.  Yastrebow  énumère,  comme  provenant  de  (>  cachet- 
tes et  3  sépultures  du  gouvernement  de  Kherson.  tout  un  maté- 
riel de  bronze.  15  haches  dont  une  en  cuivre  rouge,  2  poignards, 
2  serpes,  1  herminette,  quantité  de  pointes  de  flèches,  1  tor- 
que, 1  boucle  d'oreille  avec  dents  percées,  des  moules,  etc. 
Et  qui  ne  serait  frappé  des  distinctions  que  M.  Néfédow,  sans 
connaître  celles  que  je  viens  de  montrer  dans  les  sépultures 
du  Dniestre,  a  été  conduit  à  établir  entre  les  groupes  de  Konr- 
ganes  de  la  plaine  Kirghize  qu'il  a  fouillés  en  grand  nombre. 
«  Il  y  en  a,  dit-il,  de  trois  catégories  (Congrès  international 
d'archéol.  et  d'anthrop.  préhist.,  11e  session,  à  Moscou.  11. 
p.  349,  1893j.  La  première  catégorie  est  représentée  par  les 
Kourganes  solitaires  et  en  petits  groupes,  distribués  dans  la 
bande  de  steppes  qui  longe  la  rive  européenne  du  fleuve  Ou- 
ral à  l'est  d'Orenbourg.  Les  morts  ont  été  ensevelis  sur  le 
sol,  dans  la  position  allongée  ou  repliée  sur  le  côté,  la  tête  ;i 
l'ouest.  Aux  pieds,  on  déposait  du  charbon  et  des  ossements 
d'animaux,  et  à  la  tète  un  vase  d'argile.  Dans  un  Kourgane 
solitaire,  le  mort  avait  été  déposé  à  2  mètres  au-dessous  du  sol, 
dans  un  cercueil  (une  auge?)  de  bois  de  chêne  (?)  :  devant  le 
visage  du  défunt,  se  trouvaient  cinq  pots  d'argile.  En  général, 
il  n'y  avait  ni  armes,  ni  ornements.  Les  squelettes  sont  détruits 
pour  la  plupart.  D'après  quelques  restes  isolés,  on  peut  con- 
clure que  les  hommes  étaient  de  grande  taille  et  dolichocé- 
phales. Ces  Kourganes  sont  évidemment  très  anciens.   » 

Par  leur  caractère  archaïque,  la  pauvreté  de  leur  matériel, 
toujours  en  rapport  avec  la  pauvreté  des  peuples  qui  les  ont 
élevés,  la  façon  dont  les  morts  y  étaient  inhumés,  ils  rappel- 
lent fort  bien  ceux  du  Dniestre,  classés  plus  haut  dans  un 
Age  du  bronze.  Ils  les  rappellent  encore  par  les  Kourganes, 
qui  leur  succèdent  immédiatement,  comme  on  va  le  voir.  Ils 
les  rappellent  enfin,  par  les  caractères  ethniques  du  peuple 
qui  y  a  enterré  ses  morts.  Malheureusement,  il  ne  nous  est 
donné  sur  ces  caractères  qu'une  indication  générale.  Mais  en 
raison  du  contraste  entre  eux  et  ceux  des  peuples  qui  vont 
venir,  cette  indication  a  une  portée  certaine.  Elle  nous  mon- 


ZAfiOROWSKi.  —  DU  DNIÈSTfiE  À  LA  CASMEXNE  343 

tre,  peut-être ,  le  blond  kymrique ,  l'européen  ,  l'aryen  sur 
les  confins  de  l'Asie  (en  deçà  de  l'Oural  toutefois),  au  nord  de  la 
Caspienne.  Et  ce  blond  dolichocéphale,  je  l'ai  montré  aussi 
aux  époques  préhistoriques  (à  propos  des  crânes  de  Roche- 
fort),  k  travers  tout  le  Caucase.  Il  s'est  établi  en  Asie  Mineure. 
L'histoire  n'a  pas  ignoré. les  Kymris.  La  période  de  leurs  agi- 
tations tulmultueuses,  de  leurs  guerres  hardies,  de  leurs 
aventureuses  équipées,  les  mômes  qui  ont  plus  tard  rendu 
célèbre  le  nom  de  leurs  descendants  gaulois,  comme  eux  géné- 
reux et  mobiles,  a  pris  fin,  sur  la  mer  Noire,  par  un  reflux 
de  l'Asie  sur  l'Europe,  par  l'invasion  scythe,  par  la  pénétra- 
lion  du  commerce  et  de  la  civisilation  de  la  Grèce  et  de  l'Asie 
Mineure.  La  période  dite  scythique  est,  en  effet,  caractérisée 
par  ce  mouvement  en  retour  qui  les  a  rejetés,  en  partie,  sur 
le  centre  et  l'ouest  de  l'Europe.  Elle  suit  immédiatement  à  la 
fois,  celle  des  Kymris,  et  celle  des  Kourganes  et  autres  sépul- 
tures que  je  viens  de  passer  en  revue. 


Dans  la  steppe  môme  des  Kirghizes,  se  trouvent  sur  les 
chaînes  de  collines,  en  plusieurs  endroits,  des  Kourganes 
faciles  à  distinguer  des  précédents.  Ils  sont  anciens  aussi, 
mais  ils  le  sont  moins.  Le  contenu  des  tombeaux,  dit  M.  Né- 
fédovv,  rappelle  l'époque  dite  scythique.  Les  squelettes  dans 
des  caveaux,  sous  des  voûtes  ou  des  caisses  de  pierres,  sont 
en  général  mieux  conservés.  On  trouve  des  flèches  de  bronze 
et  des  carquois  en  écorce  de  bouleau  près  de  la  tète,  des  vases 
d'argile,  des  restes  de  cheval  et  du  charbon  au  pieds.  Au- 
près des  femmes,  les  objets  recueillis  sont  :  des  miroirs  en 
bronze,  du  fard  blanc  (craie)  et  rouge  (substance  rosée  dans  le 
creux  d'une  pierre).  Dans  un  Kourgane  de  la  rive  droite  de 
l'Oural,  le  mort  avait  une  coiffe  en  bronze;  dans  un  autre,  il 
tenait  entre  les  dents  une  idole  (?)  en  or,  et  avait  près  de  lui 
une  selle  garnie  d'or  et  d'argent.  Huit  ou  dix  guerriers  étaient 
quelquefois  ensevelis  ensemble,  des  pointes  de  flèche  en  bronze 
à  la  main.  L'un  d'eux,  un  chef,  enseveli  seul,  avaità  la  main 

t.  vi  (4°  série).  21 


314  SÉANCE  DU  2  MAI  1895 

droite  uneépéeen  fer  ;  du  cùté  de  la  main  gauche,  des  représen- 
tations de  têtes  de  lièvre  et  de  hibou,  modelées  avec  une  sorte 
de  minerai  de  fer,  et  sur  la  poitrine,  cinq  pointes  de  flèches 
en  bronze.  Un  autre  chef  avait  sur  la  tète  un  diadème  formé 
de  pointes  de  flèche.  Un  Kourgane  connu  des  Kirghizes  sous 
le  nom  de  «  Kourgane  d'or  »,  renfermait,  au-dessous  d'un 
caveau  ne  contenant  lui-même  que  des  os  d'animaux,  un 
fragment  de  bronze  et  du  charbon,  un  squelette  masculin  et 
un  squelette  féminin  cùte  à  cote.  Près  du  premier,  il  y  avait 
sept  flèches  en  bronze  et  une  tige  d'or  repliée,  longue  de  8  cen- 
timètres; près  du  second  une  boucle  d'oreille, en  fd  d'or,  des 
perles  de  différentes  formes  et  matières,  et  deux  pendeloques 
pyramidales  faites  de  lapis-lazuli,  pendeloques  semblables  à 
celles  trouvées  dans  les  Kourganes  de  la  Crimée  et  de  la 
Tchetchina  au  Caucase.  Des  os  de  cheval  gisaient  dans  une 
fosse  aux  pieds  de  l'homme.  A  une  petite  distance  de  celui-ci 
également  étaient  étendus  trois  autres  squelettes,  ayant  tous 
des  pointes  de  flèche  en  bronze  auprès  d'eux  et  l'un,  en  outre, 
une  petite  tasse  en  argent.  A  noter  encore  parmi  les  objets  les 
plus  remarquables  recueillis  dans  d'autres  Kourganes  :  un 
vase  massif  en  bronze,  et  toujours  du  même  métal,  une  chau- 
dière, avec  un  bec  et  des  anses,  une  cruche,  un  poignard 
orné  d'une  figurine  de  brebis  à  queue  grasse,  un  char  votif. 
M.  Néfédow  conclut  :  «  L'absence  d'outils  en  fer  dans  ces 
tombeaux,  sauf  des  cas  rares,  accuse  leur  antiquité  relative 
et  leur  parenté  avec  les  Kourganes  scythiques  des  gouverne- 
ments d'Ekatérinoslaw  et  de  la  Crimée  ».  Une  épée  en  fer  y 
a  cependant  été  recueillie  et  cela  suffit  à  les  séparer  des  Kour- 
ganes précédents.  Ils  se  distinguent  encore  de  ces  derniers  et 
avant  tout  par  la  richesse  de  leur  matériel.  Cette  richesse  est 
d'autant  plus  frappante  que  la  pénurie  dans  les  Kourganes 
plus  anciens  est  extrême.  Une  dernière  circonstance  les  carac- 
térise encore  :  c'est  la  présence  presque  constante  du  cheval 
dans  leurs  sépultures. 

<  )r,  nous  observons  exactement  la  même  chose  sur  le  Dnies- 
tre.  (Le  bassin  du  Don  si  important  n'a  pas  encore  été  exploré.) 


ZABOROWSKl.   —  DU  DNIESTRE  A   LA  CASPIENNE  315 

Visiblement,  la  même  culture  due  au  commerce  avec  les  Grecs 
qui  ont  fondé  colonies  et  entrepôts  en  Crimée,  ainsi  qu'aux 
mœurs  des  Scythes,  vivant  achevai,  s'est  répandue  de  l'ouest 
à  l'est,  du  Dniestre  à  la  Caspienne  et  au  Caucase,  sur  la 
superficie  des  plaines  méridionales  de  la  Russie  actuelle.  Sur 
toute  cette  superficie,  on  retrouve  également,  vers  la  même 
époque,  un  même  genre  de  monuments  :  les  Kourganes  à  cata- 
combes, imités  des  tombeaux  en  usage  sur  les  rives  de  la  Médi- 
terranée 

Ces  Kourganes,  d'après  M.  Bobrinsky,  sont  abondants  sur 
la  Caspienne;  il  y  en  a,  à  Wladikavkas,  région  caucasienne 
il  y  en  a  sur  le  Don.  Et  celui  du  groupe  de  Ryzanowa,  en 
deçà  du  Dniestre,  en  Ukraine,  est  assurément  un  des  plus 
riches  qu'on  ait  fouillés  (non  le  plus  riche,  sans  doute  :  un 
Kourgane  d'Alexandropol  renfermait  un  millier  d'objets). 

Donc,  dans  le  même  groupe  des  Kourganes  du  district  de 
Zwinogrodki,  où  l'on  a  trouvé  des  sépultures  d'un  Age  du 
bronze  en  contact  avec  l'outillage  de  pierre  (p.  310),  un  grand 
Kourgane  à  catacombe  a  été  découvert.  Voici  les  résultats 
succinctement  rapportés  de  son  exploration  (L'Anthropologie, 
1890,  p.  444)  : 

Vers  lemilieudu  Kourgane,  à  3  m.  10  de  profondeur,  s'ou- 
vrait une  galerie  horizontale  de  6  mètres  de  long,  de  1  mètre 
et  demi  de  large  et  de  plus  de  1  mètre  de  haut.  A  l'entrée  même 
de  celle-ci,  rangés  sur  une  large  planche,  comme  sur  un  autel, 
se  trouvaient  une  grande  amphore,  un  vase  en  bronze,  un 
miroir  en  bronze,  une  épingle  également  en  bronze.  De  l'au- 
tre côté,  sous  l'angle  droit  du  fond,  gisait  le  squelette  d'une 
femme  de  petite  taille  et  assez  délicate.  473  pièces  dont  449 
en  or,  21  en  argent,  2  en  bronze  et  une  en  pierre,  gisaient  des- 
sus et  autour  de  ce  squelette.  La  tète  était  ornée  d'un  dia- 
dème, de  pendeloques,  de  plaques,  de  boucles  d'oreille  et  de 
perles  d'or  et  de  cornaline.  Un  collier  entourait  le  cou  ;  2  bra- 
celets, un  en  or  et  l'autre  en  argent,  entouraient  le  bras.  Aux 
doigts,  huit  bagues,  dont  2  à  monnaie  dePanticapée;  42  roset- 
tes d'or  garnissaient  la  ceinture.  Le  vêtement  était  garni  île 


316  SÉANCE  DU  2. MAI  1895 

350  ornements  d'or,  rosettes  et  plaques  et  de  20  d'argent  (petits 
rouleaux  aplatis  faits  de  plaques  minces).  Les  deux  anneaux  de 
bronze  étaient  aux  pieds.  A  côté  du  squelette  se  trouvaient, 
en  outre,  une  soucoupe  à  deux  anses  en  argent  et  un  autre 
vase  en  argent  orné  autour  de  figures  de  chiens  à  la  course^ 
2  vases  en  bronze,  2  en  argile,  2  poinçons  en  os. 

Cette  industrie  si  riche  est  entièrement  grecque.  Sauf  quel- 
quelques  retouches  et  une  imitation  barbare,  elle  n'est  pas, 
tout  en  restant  plus  archaïque,  sans  de  nombreux  points  de 
contact  avec  l'industrie  «  scytho-byzantine  »  du  Caucase, 
telle  que  l'a  décrite  M.  Chantre  (t.  III).  M.  Ossowski  signale 
un  motif  d'ornement  encore  en  usage  chez  les  Khevsours. 

La  grande  amphore  placée  à  l'entrée  de  la  crypte  est,  à  un 
détail  près  du  pied  plus  dégagé,  identique  à  une  amphore 
reproduite  par  M.  Chantre  (fig.  1  de  la  planche  XVI  du  tome 
III)  et  qui  vient  de  Samthavro.  Les  deux  boucles  d'oreille  en 
or  consistent  chacune  en  un  crochet  fixé  à  un  petit  chien 
ayant  un  petit  disque  avec  anneaux  au  museau  et  à  la  queue, 
et  accroupi  sur  une  boîte  ovale,  sous  laquelle  pendent  six  pe- 
tites boules  attachées  à  des  chaînettes.  Le  seau  en  bronze 
est  orné  à  son  rebord  d'un  bec  ou  goulot  représentant  une 
gueule  de  lion.  Les  monnaies  de  Panticapée  qui  servent  de 
chaton  à  deux  bagues,  datent  cette  industrie  avec  certitude. 
Ces  monnaies  ont  été  frappées  de  650  à  480  avant  J.-C. 
Le  squelette  en  mauvais  état  n'a  pu  être  étudié. 
Les  os  de  chevaux  ont  été  rapportés,  par  M.  Woldrich,  à  la 
petite  race  quaternaire  du  centre  de  l'Europe,  d'où  descen- 
draient les  tarpans,  et  à  la  race  actuelle  de  l'Ukraine. 


Indépendamment  de  ces  riches  sépultures  à  catacombe,  on 
connaît  un  très  grand  nombre  de  Kourganes  qui  appartien- 
nent à  la  même  époque.  Les  Kourganes  scythes  ont  été,  en 
effet,  les  plus  fouillés,  justement  à  cause  de  leurs  trésors.  Le 
bronze  y  domine.  Et  ce  qui  les  distingue  par  dessus  tout, 
c'est  la  présence,  au  milieu  d'un  matériel  plus  ou  moins  ricbe, 


ZABOROWSKI.   —  DU  DNIESTRE  A  LA  CASPIENNE  317 

de  quelque  objet  relevant  de  l'industrie  grecque  antique, 
poterie,  ornements  de  bronze,  d'or  et  d'argent.  J'en  cite  quel- 
ques-uns. Deux  Kourganes  fouillés  en  1882  (Boladzj  dans  le 
district  de  Skwira,  au  sud  de  Kiew,  ont  fourni  les  pièces  sui- 
vantes : 

—  Deux  boucles  d'oreille  en  électron  (Zbior  VIII  pi.  III  f.  2), 
alliage  grec  d'or  et  d'argent  déjà  mentionné  dans  Homère.  Ces 
boucles,  dont  nous  avons  vu  un  modèle  en  bronze  peu  diffé- 
rent, rappellent  aussi  un  peu  ces  boutons  de  bronze  en  forme 
de  clou  à  large  tète  et  à  tige  en  spirale,  qu'on  a  trouvés  dans 
les  tombeaux  de  l'époque  précédente.  (L'usage  de  boutons 
semblables  se  serait  conservé  cbez  les  anciens  Mériens.)  On 
en  a  trouvé,  à  Lizgor,  au  Caucase.  (De  Baye,  Moscou,  p.  43.) 

—  Un  miroir  en  bronze,  de  10  cent,  de  diamètre  (flg.  1.) 

—  Une  agrafe  (ou  boucle  de  ceinture)  en  bronze,  de  5  cent, 
de  long  (fig.  3). 

—  Partie  d'une  pointe  de  lance  en  fer,  de  9  cent,  de  long. 

—  Autre  morceau  d'un  grand  fer  de  lance. 

—  Terrine  d'argile  jaune,  large  de  15  cent,  a  son  ouverture 

Un  Kourgane  du  district  de  Wasylkowo,  sud-ouest  de  Kiew, 
exploré  en  1845,  a  donné  de  même  (Iwaniszew)  des  urnes 
grecques,  des  griffons  en  or,  grecs  également,  de  précieuses 
perles  et  deux  miroirs  de  bronze.  Dans  un  autre  Kourgane 
scytbe,  de  Mikolajow,  district  de  Tarachtchan  (sud  de  Kiew), 
encore  des  pointes  de  fer  et  un  couteau  en  fer,  de  l'ambre,  du 
soufre,  deux  petites  amphores  grecques,  noires,  avec  une  or- 
nementation grecque,  et  un  grand  miroir  de  bronze  avec 
manche. 

Dans  le  district  de  Romawski,  gouvernement  de  Pultawa, 
se  trouve  un  énorme  cimetière  de  petits  kourganes.  Il  a  été 
exploré  par  MM.  Antonowicz  et  Kibalczycz.  Le  fer  y  est  assez 
rare,  mais  on  le  rencontre  toujours  sous  la  forme  de  débris 
d'armes.  Le  bronze  domine  avec  les  objets  en  or  et  en  argent 
d'origine  grecque,  les  perles,  les  coquilles,  le  soufre,  les  vases. 
Un  y  a  recueilli  cinq  miroirs  dont  deux  de  bronze.  Les  trois 


318  SÉANCE  DU  2  MAI   1895 

autres   étaient  formés  d'un  alliage  de  laiton,  de  plomb  et 
d'étain,  alliage  plus  dur  que  le  bronze  et  à  reflet  blanc  (potin). 

On  a  beaucoup  discuté  sur  ces  miroirs,  de  dimensions  varia- 
bles, souvent  petits,  et  munis  d'une  bélière.  Mais  ils  ne  dif- 
fèrent  pas  du  miroir  grec,  que  nous  connaissons  bien  et  dont 
on  a  trouvé  un  bel  exemplaire  dans  le  Kourgane  de  Ryzanowa. 
Le  musée  de  l'Académie  de  Kiew  en  possède  trois,  apportés 
de  Chypre.  Un  Kourgane  de  Crimée  (Kulobski)  a  livré  une 
plaque  d'or  sur  laquelle  est  représentée  une  femme  assise  se 
regardant  dans  un  de  ces  miroirs,  pendant  qu'un  jeune  Scythe 
boit  dans  une  corne.  Enfin  si  telle  n'avait  pas  été  la  destina- 
tion de  ces  disques  en  bronze,  on  n'aurait  pas,  pour  leur  fabri- 
cation, substitué  à  ce  métal  un  alliage  répondant  bien  mieux 
à  cette  destination  même. 

Plusieurs  miroirs  de  ce  dernier  genre  ont  été  trouvés  dans 
des  Kourganes  (district  de  Wasylkowo)  et  dans  des  sépultures 
sans  Kourgane,  entourées  de  pierres  (district  d'Human)  où 
il  y  avait  des  outils  de  fer  et  de  cuivre,  avec  des  dénis  de 
chevaux.  Ils  sont  devenus  plus  abondants  par  la  suite.  Tandis 
que  les  miroirs  de  bronze,  plus  anciens,  sont  incontestable- 
ment d'origine  grecque,  les  miroirs  de  potin,  relevant  d'une 
civilisation  plus  raffinée,  ont  un  cochet  oriental.  (C.Neyman, 
Zbior,  VIII,  1884.  p.  33.) 

M.  Chantre  donne  (III,  pi.  VII-IX)  six  miroirs  provenant  de 
Komounta,  qui  sont  identiques  à  ceux  des  Kourganes  ukrai- 
niens. Et,  détail  fort  important  à  retenir  :  les  tombeaux 
anciens  de  Tchmi,  en  Osséthie,  ne  contenant  que  du  bronze, 
renfermaient  aussi  deux  miroirs  en  bronze.  Les  tombeaux 
Ossètbes  de  Terski,  province  de  Wladikavkas,  ont  livré  des 
miroirs  du  second  type,  avec  des  armes  de  fer,  des  objets  en 
ambre,  des  perles  de  nacre,  des  ornements  de  bronze,  des 
bagues  d'argent,  des  cyprœa  moneta,  des  bracelets  de  verre  bleu 
et  noir,  des  plaques  d'or,  des  perles  d'hématite  avec  mouche 
gravé,  des  perles  d'ambre,  tous  objets  qui  se  trouvent  au 
musée  de  l'Université  de  Kiew.  (Neyman.) 

Les  cyprœa  monda  sont  d'importation  très  ancienne  au  Cau- 


ZABOROWSKL   —  DU  DNIESTRE  A  LA  CASPIENNE  319 

case.  Il  y  en  a  dans  la  nécropole  de  Koban-le-IIaut.  Il  y  a 
aussi  de  l'ambre, *et  la  présence  de  celui-ci  prouve  l'existence 
de  relations  avec  le  Dniestre  et  la  Baltique.  Mais  alors  que  sur 
le  Dniestre  on  trouve  l'ambre  à  une  époque  de  la  pierre  qui 
n'est  représentée  au  Caucase  par  aucun  monument,  alors  que 
le  Dniestre  a  la  priorité  pour  l'ambre,  c'est  le  contraire  pour 
la  cyprœa  monda  qu'on  ne  trouve  pas  dans  les  anciens  tom- 
beaux du  Dniestre,  sauf  ceux  d'une  basse  époque  scythique. 
(Un  collier  de  plusieurs  centaines  de  cyprœa  dans  un  kourgane 
Pultawa.) 

Dans  un  Kourgane  de  Bolhan,  district  d'Olhopolski  (Podo- 
lie),  M.  Neyman  (Zbior,  XIV,  69)  a  recueilli,  avec  des  cyprœa 
monela,  une  épingle  en  bronze,  deux  bagues  en  bronze  et  une 
paire  de  ciseaux.  Ces  ciseaux  sont  une  pièce  intéressante  qui  a 
joué  plus  tard  un  très  grand  rôle  dans  les  sépultures.  Leur 
présence  indique  que  le  Kourgane  de  Bolhan  est  moins  ancien 
que  les  précédents.  Ils  sont  d'ailleurs  à  deux  branches,  mo- 
dernes, alors  qu'à  la  Tène,  les  ciseaux,  d'une  seule  pièce,  sont 
à  ressort. 

L'influence  des  régions  du  Dniestre  et  du  Dniepre  sur 
celles  du  Caucase  est  ancienne  et  elle  a  été  constante,  puis- 
qu'on retrouve  au  Caucase  toute  l'industrie  scythique.  Par 
contre,  il  n'y  a  pas  de  trace  au  nord-ouest  de  la  mer  Noire, 
d'une  influence  ancienne  et  permanente  des  civilisations  cau- 
casiennes. On  a  récemment  exploré  en  Bosnie,  au  sud  de 
Sérajewo,  sur  le  plateau  de  Clasinac,  un  champ  de  tumulus  se 
rapportant  aux  époques  du  fer,  du  Halstattien  au  romain.  On 
y  a  rencontré  la  Cyprœa  moneta  des  mers  tropicales.  La  popula- 
tion de  Glasinac,  dit  M.  G.  de  Mortillet  (Revue  de  l'École.  1894 
p.  389),  avait  une  industrie  qui  a  certains  rapports  avec  le 
premier  âge  du  fer  italien  et  des  analogies  avec  les  objets  re- 
cueillis au  Caucase.  »  J'ai  été  frappé  de  cette  observation,  et 
ne  puis  me  défendre  de  croire  que  la  colonie  de  Clasinac  fut 
fondée  par  quelqu'une  de  ces  migrations,  parties  des  bords 
de  la  mer  Noire  au  cours  de  la  domination  scythique.  D'autant 
plus  (iue  près   du  tiers  '^'^  sépultures  de  Glasinac  sont  à 


320  SÉANGK  DU  2  MAI  1895 

crémation.  L'inhumation  ne  fut  certainement  pas  le  seul 
mode  de  sépulture  pratique  dans  les  plaines  du  nord  de  la 
mer  Noire,  à  l'époque  scythique.  M.  Néfédow  a  signalé  des 
incinérations  dans  les  Kourganes  de  la  steppe  Kirghize.  «  On 
préparait,  dit-il,  une  grande  fosse  ronde;  au  fond  de  laquelle 
on  construisait  un  bûcher,  et  on  posait  dessus,  le  défunt, 
quelquefois  plusieurs,  revêtus  d'habits  et  avec  leurs  armes  et 
ornements.  Puis  on  y  mettait  le  feu  et  quand  tout  était  brûlé 
on  jetait  dans  la  fosse  des  pierres  et  ont  élevait  un  Kourganc 
hémisphérique.  » 


C'est  encore  à  l'époque  scythique  assurément  qu'il  faut 
rapporter  certains  Kourganes,  avec  ou  sans  incinération,  où 
la  disposition  des  corps  parait  se  rapporter  à  de  sanglants 
sacrifices  funéraires.  L'histoire  nous  a  laissé,  sur  ce  trait  des 
mœurs  scythes,  des  indications  qui  ne  sont  pas  inutiles  pour 
nous  guider  à  travers  les  monuments  sans  objet  caractéris- 
tique. 

Dans  le  district  de  Skvviski  au  sud-ouest  de  Kiew,  on  a  fouillé 
en  1855  un  Kourgane  qui  recouvrait  treize  squelettes.  L'un  de 
ceux-ci  était  dans  la  position  assise  au  milieu  des  autres.  Sa 
tète  avait  roulé  du  côté  des  pieds.  Autour  de  lui  les  autres 
squelettes  étaient  disposés  en  rayon,  et  ils  n'avaient  pas  non 
plus  leur  tète.  11  n'y  avait  avec  eux  qu'un  peu  de  charbon. 

Dans  un  autre  Kourgane  fouillé  récemment  en  Ukraine  par 
M.  Antonowicz,  un  squelette  placé  au  milieu  avait  un  second 
squelette  placé  h  ses  pieds  et,  autour  de  lui,  huit  autres 
squelettes.  Les  tètes  de  ces  derniers  étaient  réunies  ensemble 
à  côté. 

(les  détails  révèlent  des  cérémonies  encore  au-dessous  de 
l'horreur  de  certaines  funérailles  chez  les  Scythes  à  s'en  rap- 
porter au  récit  d'Hérodote. 


Les  Koutganes  scytbes  eux-mêmes  pourraient  sans  doute 


ZABOROWSKI.    —   DU    DXIESTBB  A    LA   CASPIENNE  321 

être  séparés  en  deux  groupes.  Du  moment  que  l'on  voit 
l'épée  de  fer  se  montrer  dans  certains  d'entre  eux,  même 
parmi  ceux  de  la  steppe  Kirghize,  il  faut  bien  admettre  que 
le  fer  dominait  dans  les  usages,  avant  la  fin  de  l'époque 
scythique.  Je  citerai  comme  type  de  Kourgane  scythe  ou 
sarmate  appartenant  à  l'époque  du  fer,  celui  deRezyna,  d'un 
groupe  du  district  d'IIuman,  voisin  du  groupe  fameux  de 
ltyzanowa:  Il  recouvrait  primitivement  une  chambre  de  3  à 
4  mètres  de  long,  dont  le  plafond  était  formé  de  longues  plan- 
ches posées  sur  six  poteaux  de  bois  en  deux  rangées.  Dans 
cette  chambre  remblayée  avec  le  temps  et  à  la  suite  de  la 
destruction  du  plafond,  on  a  recueilli  : 

4°  Une  amphore  très  rouge; 

2°  Un  harnachement  de  cheval  (mors,  etc.),  en  fer,  à  l'état 
de  menus  débris  ; 

3"  Ornements  dudit  harnachement  en  cuivre  et  en  bronze. 

4°  Trois  pointes  de  lance  en  fer; 

o°  Quarante  pointes  de  flèche  en  bronze; 

6°  Un  squelette  de  cheval  ; 

7°  Des  os  humains. 

L'amphore  très  rouge  de  740  inillim.  de  haut,  est  certaine- 
ment grecque. 

Du  corps  principal  du  barnachement  du  cheval,  en  fer,  il 
ne  reste  que  des  débris  informes.  Mais  les  ornements  qui  le 
garnissaient  sont  en  bronze.  Ce  sont  des  boucles,  des  anneaux, 
des  boutons.  Il  y  a  aussi  deux  tètes  d'oiseaux  fantastiques. 
Des  pièces  semblables  ont  (Hé  recueillies  assez  souvent  dans 
les  Kourganes  du  Dniepre  et  il  s'en  trouve  au  musée  de  l'Uni- 
versité de  Kiew.Dans  un  Kourgane,  a  Gzartomelicki,  on  en  a 
trouvé  avec  les  squelettes  de  trois  chevaux  et  leur  équipement 
en  or,  en  argent  et  en  bronze.  Elles  rappellent  certains  motifs 
d'ornementation  de  l'art  barbare,  les  fibules  aviformes  fran- 
ques,  de  même  que  bien  d'autres  objets  plus  anciens  du  Dnies- 
tre,  tels  que  peignes,  colliers. 

Les  pointes  de   lance,    assez  communes   dans    les   autres 


322  SÉAKCE  DU  2  MAI  1895 

Kourganes  Ukrainiens,  sont  du  type  des  armes  de  fer  de  la 
Tènc. 

Les  pointes  de  flèches  sont  des  pointes  à  trois  pans,  des 
trièdres,  dont  la  base  est  creuse  pour  recevoir  la  hampe.  On  a 
trouvé  beaucoup  de  ces  flèches  dans  tes  Kourganes  Ukrai- 
niens (comme  dans  ceux  de  la  plaine  Kirghize).  Les  unes 
sont  à  base  coupée  droit;  chez  les  autres,  les  trois  arêtes 
se  prolongent  en  pointe  à  la  base.  Des  flèches  de  ce  type  figu- 
rent parmi  les  armes  de  la  Tène,  mais  elles  sont  en  fer.  Dans 
la  composition  de  celles  de  l'Ukraine,  il  y  a  un  peu  de  zinc, 
0,73  0/0,  d'étain  3  0  0  et  90,27  00  de  cuivre. 

Il  est  difficile  d'expliquer  la  quasi-disparition  du  squelette 
humain. 

La  race  des  chevaux  enterrés  dans  les  Kourganes,  devrait 
être  étudiée  à  part  avec  soin.  L'intérêt  qu'il  y  aurait  a  savoir 
d'où  ces  chevaux  proviennent  n'est  pas  à  démontrer.  M.  Os- 
sowski  a  soumis  les  os  qu'il  a  recueillis  à  M.  Woldrich.  Et, 
d'après  les  déterminations  de  ce  savant,  c'est  le  très  petit 
cheval,  quaternaire  dans  le  centre  de  l'Europe  (E.  Cabalhts 
minor)  et  abondant  dans  les  cavernes  de  Gracovie,  qui  domine 
dans  les  Kourganes.  Il  serait  l'ancêtre  du  tarpan.  Il  est  seul  à 
llezyna.  Dans  le  grand  Kourgane  de  Ryzanowa,  il  y  avait, 
avec  lui,  un  cheval  plus  grand  (E.  Caballus  L.),  identique  au 
cheval  actuel  de  l'Ukraine.  Ce  grand  cheval  est  seul  dans  le 
petit  Kourgane  de  Ryzanowa,  plus  ancien. 

Son  origine  doit  être  cherchée  en  Asie.  Il  y  avait,  en  effet, 
un  élément  asiatique  parmi  les  Scythes,  ('-'est  cet  élément, 
sans  doute,  qui  a  introduit  ce  grand  cheval  destiné  à  supplan- 
ter l'autre.  Au  temps  de  Strabon  (VII,  c.  111,  18),  il  était  si 
peu  répandu  encore  qu'il  n'en  fut  pas  fait  mention.  Les  in- 
digènes n'avaient,  d'ailleurs,  pas  attendu  la  leçon  des  Scy- 
thes pour  se  servir  du  petit  cheval  de  leur  pays.  Homère  (Ilia- 
de, XIII,  3)  applique  déjà  aux  Thraces  qui  venaient  aussi  des 
rivages  de  la  mer  Noire  le  qualificatif  de  «  dompteurs  de  che- 
vaux». 

Dans  la  plaine  des  Kirgbizes,  les  Kourganes  postérieurs  à 


CORRESPONDANCE  323 

l'époque  scythique  proprement  dite,  sont  les  plus  nombreux. 
Il  en  est  parmi  eux  qui  contiennent  des  monnaies  arabes  du 
xe  siècle.  Ceux-ci  ne  doivent  pas  m'occuper  ici.  Voici  comment 
M.  Néfédow  caractérise  les  autres,  les  moins  récents  :  «  Leur 
quantité  et  les  outils  qui  s'y  trouvent,  montrent  que  le  peuple 
auquel  ils  appartenaient  était  sédentaire  et  agriculteur,  mais 
apte  aussi  à  la  guerre.  Dans  les  tombeaux  de  cette  catégorie 
on  trouve  des  faucilles,  des  couteaux  et  des  harpons  en  fer,  et 
aussi  des  pointes  de  flèche  et  de  lance,  faites  du  même  métal. 
Les  femmes  ont  été  déposées  en  habits  de  laine  ou  de  soie,  avec 
des  objets  de  parure  divers  :  colliers,  boucles  d'oreilles  en  ar- 
gent, anneaux,  etc.,  mais  aussi,  comme  les  hommes,  avec  des 
flèches  et  des  étriers.  Une  femme,  même,  a  été  ensevelie  à  cheval. 
On  peut  considérer  comme  objet  de  culte,  un  fétiche  en  fer, 
trouvé  dans  un  Kourgane,  sur  le  «  champ  des  morts  »  :  au 
bout  d'une  tige  de  fer,  haute  de  8  k  9  centim.,  s'élève  un  cou 
long,  surmonté  d'une  tète  d'oiseau  avec  un  bec,  et  de  la  base 
du  cou  part  le  corps  d'un  serpent  enlacé  trois  fois  et  se  termi- 
nant par  une  bouche  ouverte.  » 

De  tels  monuments  se  rapportent,  sans  doute,  à  une  popu- 
lation peu  différente  des  Scythes,  du  moins  sous  le  rapport 
des  mœurs. 

L'un  des  secrétaires  :  Dr  Paul  Rxymond. 


622*  SÉANCE.  -  lli  Mai  1895. 
Présidence  de  M.   André  Lefèvre. 


CO-RRES.'ONDANCE. 


Lettre  annonçant  le  décès  du  prof  Kakl  Vogt,  membre  as- 


socié étranger. 


M.  le  Président  exprime  les  profonds  regrets  de  la  Société 
pour  la  perte  de  ce  savant  anlhropologiste. 


324  SÉANCE  DU  16  MAI  1895 

Lettre  de  M.  Guillabert,  avocat  à.  Toulon,  annonçant  l'en- 
voi d'ossements  gallo-romains  qu'il  offre  a  la  Société. 

Des  remerciements  sont  adressés  au  donateur. 

Lettre  de  M.  de  Brette  qui  adresse  une  note  sur  ses  explo- 
rations en  Colombie  et  sollicite  une  prolongation  de  la  déléga- 
tion qui  lui  a  été  accordée  par  la  Société. 

Cette  prolongation  est  accordée. 

M.  Harlé,  de  Toulouse,  adresse  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  le  Président. 
Dans  une  fort  intéressante  communication  du  6  décembre, 
qui  vient  de  paraître  dans  votre  dernier  fascicule,  M.  G.  de 
Mortillet  a  conclu  d'échantillons  qui  lui  avaient  été  communi- 
qués par  MM.  Chamaison  et  Darbas,  que  la  station  de  la  Tou- 
rasse,  à Saint-Martory  (Haute-Garonne),  est  intermédiaireentre 
le  paléolithique  et  le  néolithique  et  il  en  a  fait  le  type  d'une 
époque  :  le  tourassien.  Permettez-moi  d'appeler  l'attention  de 
la  Société  sur  ce  que,  six  mois  avant  la  communication  du 
savant  créateur  de  la  classification  palethnologique,  j'ai  attri- 
bué à  cette  station  la  même  date,  par  ma  note  :  «  Restes  d'Elan 
«  et  de  Lion  dans  une  station  préhistorique  de  transition  entre 
«  le  quaternaire  et  les  temps  actuels,  à  Saint-Martory  (llaute- 
«  Garonne)  » '.  J'ajoute  que  M.  Félix  Uegnault  avait  conclu 
de  même  sur  la  date  de  cette  station  -. 
Veuillez  agréer,  etc. 

G.  de  Mortillet.  -  -  Je  suis  très  content  de  la  réclamation 
de  M.  Harlé,  et  je  demande  que  sa  lettre  soit  intégralement 
insérée  dans  les  Bulletins.  Peut-être  eut-il  été  plus  naturel  que 
cette  lettre  me  soit  adressée  directement.  Mais  passons,  la 
lettre  <'xisl<\  c'est  l'essentiel.  M.  Harlé  déclare  que  depuis 
longtemps  il  considère  le  gisement  de  la  Tourasse  comme  un 
gisenfentde  transition  entre  le  paléolithique  et  le  néolithique. 

1  Anthropologie,  1894,  page  402. 
-  Revue  des  Pyrénées,  1892. 


CORRESPONDANCE  325 

Je  le  savais.  Je  savais  aussi  que  telle  est  l'opinion  de  MM.  Re- 
gnault,  Cartailhac,  Pietteet  beaucoup  d'autres  palethnologues 
de  valeur.  Mais  dans  une  courte  note,  sur  la  présentation  d'un 
simple  quart  de  feuille  d'impression,  il  m'était  bien  difficile 
de  faire  l'exposé  de  tous  les  avis  émis,  concernant  la  date  du 
gisement  de  la  Tourasse.  C'était,  du  reste,  un  simple  acces- 
soire de  ma  note.  Je  me  suis  contenté  d'indiquer  que  ce  gise- 
ment avait  été  fouillé  par  MM.  Chamaison  et  Darbas.  Cela  me 
paraissait  suffisant  pour  garantir  les  droits  de  priorité  au 
point  de  vue  des  découvertes  d'objets.  Le  gisement  de  la  Tou- 
rasse n'est  pas  le  seul  de  son  genre.  Il  en  a  été  constaté  plu- 
sieurs autres  analogues.  Leur  étude  les  a  fait  classer  tout  à 
fait  à  la  fin  du  magdalénien.  Peu  à  peu,  on  les  a  encore 
rajeunis.  Cette  manière  de  voir  s'est  lentement  infiltrée  dans 
les  données  palethnologiques.  Dire  quel  est  le  premier  qui  a 
émis  cette  manière  de  voir,  serait  bien  difficile.  J'avoue  que 
je  m'en  sens  incapable.  Depuis  quelque  temps  je  me  préoccu- 
pais du  cboix  d'une  localité  typique  pour  caractériser  une 
époque  et  combler  le  vide  du  hiatus.  La  Tourasse  m'a  paru 
être  dans  les  meilleures  conditions.  C'est  pour  cela  que  je  l'ai 
choisie.  J'avouerai  même  que  les  savantes  déterminations 
d'espèces  faites  par  un  maître  tel  que  M.  Harlé,  et  les  inven- 
taires de  M.  Regnault  ont  eu  une  grande  influence  sur  le 
parti  que  j'ai  pris. 

Mais,  pour  moi,  la  faune  n'est  pas  tout;  l'industrie  a  une 
grande  valeur.  Je  classe  surtout  les  époques  humaines  par  les 
œuvres  de  l'homme.  Cela  me  semble  parfaitement  logique. 
D'autant  plus  logique,  qu'il  se  trouve  justement  qu'il  y  a  con- 
cordance entre  les  résultats  fournis  par  l'industrie  et  par  la 
faune.  Or,  je  ne  pense  pas  que  la  réclamation  de  priorité  de 
M.  Harlé  aille  jusqu'à  l'appréciation  des  produits  industriels. 
Pourtant,  dans  une  période  intellectuelle  aussi  active  que  la 
notre,  très  probablement  plusieurs  palethnologues  pourraient 
aussi  formuler  des  réclamations  de  priorité  sur  ce  point.  Si 
cela  était,  je  répéterais  :  tant  mieux!  En  effet,  ce  serait  la 
meilleure  preuve  que  ma  coupe  est  bonne;  que  j'ai  eu  parfai- 


326  SÉANCE  DU  16   MAI  1895 

tement  raison  de  la  faire,  puisque  tous  les  observateurs  sont 
d'accord  et  en  réclament  la  paternité. 

OUVRAGES    OFFERTS. 

Anoutchine  (D.-N.).  —  L'amulette  crânienne  et  la  trépanation 
des  crânes  dans  les  temps  anciens  en  Russie,  in-4°,  18  pages  et 
planches.  Moscou,  1895  (en  russe). 

Gapitan  (D1'  L.).  —  Le  service  anthropométrique  de  la  Préfecture 
de  police,  in  La  Médecine  moderne  du  27  avril  1895,  in-4°  avec 
fig.  Paris. 

Lefèvre  (André).  —  Les  temps  homériques  (hommes  et  dieux, 
mœurs  et  croyances)  (Ext.  de  la  Revue  de  Linguistique),  in-8, 
160  pages.  Paris,  1895. 

Malvert.  —  Science  et  religion,  in-8,  156  pag.  et  fig.  Paris, 
1895. 

Pigorini  (L.).  —  Anlichi  pani  di  rame  e  di  bronzo  da  fonder e 
rinvenuti  in  Italia  (Ext.  du  Bull,  di poletnol.  ital.),  in-8.  38  pag. 
et  pi.  Parme,  1895. 

Pigorini  (L.).  —  Gfltalici  nella  valle  del  Po  (Ext.  du  Bull,  di 
paletnol.  ital.),  in-8,  4  pages.  Parme,  1895. 

Pigoiuni  (L).  —  Recensione  (Ext.  du  Bull.di  paletnol.  ital.). 
in-8,  8  pages.  Parme.  1894. 

M .  < i .  de  Mortillet.  —  Le  directeur  du  Musée  préhistorique  et 
ethnographique  de  Rome,  M.Luigi  Pigorini,  m'a  chargé  d'of- 
frir en  son  nom,  à  la  Société,  trois  brochures  qu'il  vient  de 
publier.  La  première  et  la  plus  importante  est  une  monogra- 
phie des  Pane  dirame  ou  lingots  de  cuivre  découverts  jusqu'à 
ce  jour  en  Italie.  Ces  lingots  et  culots  de  cuivre  et  de  bronze 
sont  disséminés  un  peu  partout.  On  en  a  signalé  un  très  grand 
nombre  en  Erance.  Un  inventaire  comme  celui  que  M.  Pigorini 
a  fait  pour  l'Italie,  est  toujours  fort  utile  au  point  de  vue  de 
l'industrie  protohistorique.  Mais  le  travail  du  savant  italien 
présente  un  intérêt  de  plus.  Non  seulement  il  énumère  les  lin- 
gots purement  industriels  faisant  partie  des  matières  pre- 
mières de  l'âge  du  bronze  et  des  commencements  de  l'âge  du 


PÉRIODIQUES  327 

fer,  mais  il  les  suit  jusqu'il  l'apparition  de  YAes  rude,  débuts 
de  la  monnaie. 

Les  deux  autres  brochures  contiennent  des  articles  de  polé- 
mique dans  lesquels  nous  n'avons  pas  à  prendre  part.  L'un 
est  un  compte-rendu  d'un  mémoire  de  M.  de  Nadaillac  sur 
les  habitations  lacustres,  l'autre  la  réfutation  d'une  assertion 
de  M.  Alexandre  Bertrand,  concernant  les  anciennes  popula- 
tions du  nord  de  l'Italie. 

Hockhill  (William-W.).  —  Diary  of  a  Journey  through  Mon- 
gol ia  and  Thibet,  in  1891  et  1892,  in-8,  413  pag.,  fig.  et  carte. 
Washington,  1894. 

périodiques  (article*  à  signaler). 

L'Education  intégrale,  1er  mai  1893.  -  L.  Nissen  :  Le  tra- 
vail spontané  chez  l'enfant. 

Bévue  de  l' Ecole  d' Anthropologie,  15 mai  1893  :  G.  Hervé  :  Les 
populations  lacustres;  —  Pb.  Salmon  :  Dénombrement  des 
crânes  néolithiques  de  la  Gaule. 

Revue  Scientifique,  11  mai  1893.  —  J.-V.  Laborde  :  La  micro- 
céphalie  et  la  descendance  de  l'homme;  —  Marchoux  :  Porto- 
Novo  et  ses  habitants. 

Mémoires  de  la  Société  des  antiquaires  du  Nord,  1893.  —  Wim- 
mer  :  Les  monuments  runiques  de  l'Allemagne. 

The  American  anthropologist,  January  1893.  —  J.  W.  Powel  : 
Stone  art  in  America. 

Anales  del  Museo  de  La  Plala,  III,  1894.  —  Paleontologia 
argentina. 

Recista  del  Museo  de  La  Plata,  V,  1894.  —  II,  ten  Kate  :  Ex- 
cursion archéologique  dans  les  provinces  de  Catamarca,  Tucù- 
man  et  Salta. 

Revue  d'ethnographie  (russe),  1893,  n°  1.  —  Vsevolojsky  : 
Esquisses  de  la  vie  des  paysans  du  district  de  Samara;  Kha- 
rouzine  :  Esquisse  historique  du  développement  de  l'habitation 
chez  les  Finnois;  —  Soumtzov  :  Observations  sur  les  douma 
de  la  Petite-Russie  et  sur  les  virches  religieux;  —  Kbarouzine  : 


328  SÉANCE  DU  16  -MAI  1895 

Sur  l'origine  et  le  développement  de  l'art  chez  les  peuples  non 
civilisés. 


PUESENTATIONS 

Poteries  funéraires,  ossements,  crâucs,  etc. 

de  IV;i«qiii'  Merovingienuc. 

M.  A.  Thieullen.  —  Lors  de  notre  dernière  séance,  à  propos 
des  poteries  du  Dahomey,  que  M.  le  Dr  Capitan  nous  présen- 
tait, j'ai  eu  l'honneur  de  vous  dire,  que  j'étais  en  train  de 
ramasser,  rue  de  l'Abbaye,  dans  une  tranchée,  faile  pour  un 
égout,  une  certaine  quantité'  de  ces  poteries,  qu'aux  temps 
mérovingiens  et  au  moyen-Age,  on  plaçait  auprès  du  mort. 
J'ai  pensé  qu'il  pouvait  être  intéressant  de  vous  soumettre 
quelques  spécimens  des  pièces  recueillies. 

Ces  lampes  et  ces  lampions  étaient,  paraît-il,  usités  aux 
xve  et  xvie  siècles,  et  les  vases  vernissés  au  xvne  siècle.  Ces 
poteries,  en  forme  de  poêlons  à  courte  poignée,  paraissent 
être  antérieurs.  Je  n'ai  pas  rencontré  de  ces  vases  dont  la 
panse  était  trouée  en  divers  endroits,  afin  d'activer  la  com- 
bustion des  charbons  avec  encens  qu'on  y  mettait,  et  qui  da- 
tent du  xme  siècle. 

J'ai  récolté,  dans  cette  tranchée,  beaucoup  d'autres  objets, 
entre  autres  de  petites  pièces  romaines,  qui  se  trouvaient 
dans  des  sarcophages  en  plAtre  avec  le  mort,  et  ce  petit  pot, 
caractéristique  de  l'époque  mérovingienne.  Quelques  vaisseaux 
en  verre  ont  été  brisés  par  les  ouvriers,  voici  une  anse  qui  en 
provient. 

Une  agrafe  en  bronze,  une  boucle  et  son  ardillon  en  fer. 
quelques  jetons,  généralement  fabriqués  à  Nuremberg,  et  qui 
servaient  pour  les  jetoirs  au  moyen-àge,  une  cinquantaine  de 
pièces  de  monnaies  de  France,  à  l'effigie  des  rois  depuis 
Henri  II  jusqu'à  la  République,  des  coquillages  exotiques  pro- 
viennent du  même  endroit. 

Voici  maintenant  quelques  ossements. 


PRÉSENTATIONS  329 

Ce  crâne  brisé,  cette  mâchoire  inférieure,  ces  divers  osse- 
ments, ce  très  grand  fémur,  etc.,  proviennent  de  tombes  mé- 
rovingiennes en  plâtre  mais  ce  crâne  intact  est  plus  récent, 
Je  l'ai  recueilli  sur  l'emplacement  occupé  autrefois  par  le  grand 
Cloître,  qui  se  trouvait  sur  l'alignement  du  portail  de  l'Église, 
comme  on  le  voit  sur  le  plan  Comboust,  de  1647,  sur  le  plan 
Turgot,  de  1734,  sur  le  plan  Verniquet,  de  1791,  et  sur  les 
divers  plans  contenus  dans  l'histoire  de  Saint-Germain-dcs- 
Près,  par  Dom  Jacques  Bouillard,  bénédictin  de  cette  abbaye, 
ouvrage  in-folio  publié  en  1723,  tandis  que  le  cimetière  de 
l'Eglise  était  au  sud-ouest,  à  coté  de  la  chapelle  Saint-Sym- 
phorien,  derrière  le  presbytère  actuel. 

Ce  crâne  à  la  mâchoire  inférieure  duquel  j'ai  remplacé  une 
dent  que  j'avais  égarée,  afin  de  lui  laisser  sa  physionomie, 
n'est  pas  le  crâne  d'un  homme  quelconque,  mais  doit  être  ce- 
lui d'un  savant  bénédictin.  La  mâchoire  présente  un  progna- 
tisme  très  prononcé,  les  dents  supérieures  n'ont  jamais  reposé 
sur  les  dents  inférieures,  dont  le  coupant  est  intact,  et  qui,  par 
contre,  sont  usées  à  la  base  de  la  couronne.  Je  disais  que  ce 
n'était  pas  là  un  crâne  quelconque.  Je  lis,  en  effet,  dans  l'his- 
toire de  Dom  Jacques  Bouillart,  citée  plus  haut  : 

«  Le  25  avril  1682,  mourut  Dom  René-Ambroise  Janvier, 
religieux  très  savant  dans  la  langue  hébraïque.  Suit  un  pané- 
gyrique. Son  corps  fut  enterré  dans  le  grand  cloître  de  l'ab- 
baye, du  côté  de  l'Eglise. 

«  Le  29  avril  1685,  arriva  la  mort  de  Dom  Luc  d'Achéré, 
fort  connu  dans  la  république  des  lettres.  Il  avait  la  direc- 
tion de  la  Bibliothèque,  si  riche  en  manuscrits.  Il  en  augmenta 
le  nombre,  etc.,  etc.  Il  fut  enterré  dans  le  cloître  au-dessous 
de  la  Bibliothèque  dont  il  avait  eu  soin.  » 

Or,  ces  deux  emplacements,  et  surtout  le  premier,  se  rap- 
portent exactement  à  la  place  où  j'ai  relevé  le  crâne  en  qucs 
tion. 

«  En  1693,  mort  de  Louis  Bulteau,  qui  savait  fort  bien  les 
mathématiques,  les  langues  grecque,  latine,  italienne,  espa- 
gnole. Il  fut  enterré  dans  le  grand  cloître.  » 

t.  vi  (4e  série).  22 


330  SÉANCE  DU    !(>  MAI  1895 

En  terminant,  je  vous  dirai,  Messieurs,  que  le  but  de  mes 
recherches,  clans  cette  tranchée  d'environ  100  mètres  de  long, 
sur  2  mètres  de  large  et  4  mètres  de  profondeur  en  moyenne, 
était  tout  autre  que  ce  qui  fait  l'objet  de  ma  communication 
présente.  Je  cherchais,  dans  les  2  mètres  creusés,  dans  le  ter- 
rain d'alluvion,  des  silex  taillés,  bien  en  place.  J'en  ai  ra- 
massé un  millier  avec  divers  fossiles,  dent  d'éléphant,  de 
cheval,  etc.  Quand  j'aurai  l'honneur  de  vous  présenter  ces 
silex,  je  pense  provoquer  chez  vous,  qui  vous  intéressez  aux 
pierres  taillées,  un  profond  étonnement  causé  par  la  nouveauté 
de  la  taille,  taille  sans  contestation  possible,, qui  nous  amè- 
nera à  d'importantes  et  diverses  déductions  quant  au  préhis- 
torique. 

Discussion. 

M.  0.  Vauvillé.  —  Le  sol  de  Paris  est,  en  certains  endroits, 
jonché  de  débris  de  poteries  de  diverses  époques  successives. 

Il  est  assez  curieux  de  faire  remarquer  que,  dans  les  pote- 
ries présentées  par  notre  collègue,  on  en  voit  :  2  de  l'époque 
gallo-romaine,  1  de  l'époque  mérovingienne  et  d'autres  pou- 
vant se  rapporter  aux  xve  siècle  et  suivants. 

Les  poteries  si  caractéristiques  du  xme  siècle,  avec  flam- 
andes, et  celles  du  xiv'1  siècle,  vernissées  avec  côtes  en  relief, 
manquent  complètement.  Ce  fait  est  étonnant;  est-ce  que 
cette  partie  du  sol  aurait  cessé  d'être  habitée  pendant  tout  le 
temps  où  la  poterie  n'est  pas  représentée  dans  les  trouvailles 
faites  par  M.  Thieullen  '.' 

communications. 
Les  Celtes  orientaux. 

HYPERBORÉENS,  CELTES,   GALATES,   GALLI. 

par  M.  Andrk  Lefèvrb 

L'origine  des  diverses  populations  de  la  fiance  est  une  de 
ces  questions  qui  sont  toujours  ici  à  l'ordre  du  jour,  soit  que 


A.  LEFÈVRB.  —  LES  CELTES  ORIENTAUX  331 

l'archéologie  préhistorique  exhume  et  classe  les  débris  lais- 
sés par  les  races  quaternaires,  soit  que  l'ethnographie  cher- 
che à  retracer,  d'après  les  monuments  et  d'après  les  indica- 
tions des  plus  anciens  textes  écrits,  les  caractères  physiques 
et  moraux  des  groupes  humains  qui  se  sont  succédé,  justa- 
posés  et  amalgamés  sur  notre  sol.  Rien  de  plus  vaste  qu'une 
telle  étude;  mais  j'ai  pensé  qu'en  abordant  un  point  déter- 
miné, il  était  possible  d'écarter  quelques  doutes,  et  d'obtenir 
quelque  certitude.  La  communication  que  je  vous  soumets 
a  pour  but  de  déterminer  le  sens  et  l'emploi  rationnel  des 
noms  bien  connus,  mais  souvent  appliqués  au  hasard  :  Cel- 
tes, Galates  et  Gaulois.  Mais,  je  dois  l'avouer,  si  restreint 
que  soit  mon  sujet,  il  m'a  entraîné  à  quelques  développe- 
ments, pour  lesquels  je  sollicite  votre  bienveillante  atten- 
tion. 

Tant  d'incertitude  plane  sur  l'histoire  ancienne  de  l'Europe 
occidentale,  une  telle  confusion  règne  dans  l'emploi  des  noms 
ethniques  :  Celtes,  Galates,  Galli,  Kimrys,  qu'il  me  paraît  pru- 
dent d'écarter  tout  d'abord,  d'oublier  même,  tout  ce  que  nous 
avons  pu  lire  dans  les  écrivains  les  plus  autorisés,  dans 
Michelet,  dans  Guizot,  dans  Aniédée  Thierry  ou  dans  Henri 
Martin.  Ces  maîtres  éminents  ne  pouvaient  être  qu'imparfai- 
tement initiés  aux  découvertes  et  aux  inductions  de  l'anthro- 
pologie et  de  la  linguistique.  Tous,  séduits  à  quelque  degré 
par  les  préjugés  de  la  celtomanie,  ils  croyaient  plus  ou  moins 
à  l'unité  d'une  race  gauloise,  établie  de  temps  immémorial  sur 
le  sol  gaulois,  entre  l'Escaut  et  la  Garonne,  pourvue  de  toutes 
les  qualités  qu'elle  devait  transmettre  au  peuple  français, 
d'une  religion  originale  et  puissante,  le  druidisme,  barbare 
sans  doute,  mais  déjà  douée  d'un  génie  métaphysique  auquel 
Aristote  lui-même  rendait  hommage.  Car  ils  trouvaient  aisé- 
ment dans  les  auteurs  anciens,  d'une  antiquité  bien  relative, 
la  confirmation  de  théories  qui  flattaient  leur  ardent  patrio- 
tisme. A  peine  avaient-ils  renoncé  à  l'origine  celtique  des 
tumulus  et  des  mégalithes,  dont  on  retrouve  aujourd'hui  les 
similaires  dans  vingt  régions  de  l'Asie,  de  l'Afrique  et  de 


332  séance  nu  16  mai  489o 

l'Europe,  sans  parler  de  l'Amérique.  Des  noms  néo-celtiques, 
sous  lesquels  ces  monuments  ont  été  désignés  dans  notre 
Bretagne,  ils  avaient  tiré,  très  naturellement,  des  conclusions 
que  la  préhistoire  a  écartées.  Nous  savons,  maintenant,  que 
de  longues  périodes  de  temps  se  sont  écoulées  avant  que  le 
Rhin,  ou  tout  au  moins  la  .Marne,  aient  été  franchis  par  les 
conquérants  blonds  et  grands  qui  ont  donné  leur  nom  à  la 
Gaule;  nous  sommes  en  mesure  d'affirmer  que,  six  cents  ans 
avant  notre  ère,  dominaient  à  l'est  du  Rhône  les  Ligures,  au 
sud  des  Cévènnes  les  Ibères;  enfin,  la  densité  persistante  de 
populations  brunes  dans  les  bassins  de  la  Loire  et  de  la  Seine 
nous  autorise  à  penser  que  cette  importante  région  de  la 
France  était  occupée,  dès  la  première  époque  du  bronze,  par 
les  ancêtres  de  la  race  qui  la  remplit  encore  et  qui  a  survécu 
à  toutes  les  invasions  historiques. 

Cette  race  parlait-elle  une  langue  indo-européenne?  Je  crois 
que  M.  d'Arbois  l'a  démontré.  Était-elle  une  branche  des 
Ligures?  Nous  croyons  qu'il  est  encore  impossible  de  se  pro- 
noncer sur  ce  point.  Comme  le  groupe  ausonien,  comme  le 
groupe  ligure,  elle  appartenait,  en  majorité,  à  ce  type  de 
forte  et  moyenne  stature,  à  la  tète  arrondie,  dont  on  peut 
suivre  la  marche  dans  toute  la  partie  moyenne  de  l'Europe. 
La  vraisemblance  doit  ici  nous  suffire,  et  il  faut  la  distin- 
guer avec  soin  de  la  certitude. 

Que  les  Grecs  aient  pu  recueillir,  des  Phéniciens,  quelques 
notions  très  vagues  sur  les  cotes  de  l'Atlantique,  de  la  Man- 
che et  de  la  mer  du  Nord,  c'est  ce  qui  ne  paraît  pas  niable. 
Mais,  sur  l'intérieur  des  terres,  ils  ne  savaient  absolument 
rien.  Non  seulement  Hérodote,  vers  le  milieu  du  ve  siècle, 
mais  Polybe,  trois  cents  ans  plus  tard,  avouent  que  l'Europe 
du  nord-ouest  est  pays  inconnu.  Bien  plus,  tout  ce  qui  était 
situé  au  nord  de  la  Thrace  et  de  l'Illyrie,  h  quelques  journées 
du  Danube,  restait  pour  eux  couvert  d'un  brouillard  impé- 
nétrable, où  ils  plaçaient  les  monts  Ripées,  ou  Riphées,  soit 
les  Carpathes,  soit  même  les  Alpes.  Alpis  était  pour  Hérodote 
le  nom  d'une  rivière.  Pyrènè,  les  Pyrénées,  se  dirigeaient  du 


A.  LEFÈVRE.  —  LES  CELTES  ORIENTAUX.  333 

sud  au  nord,  et  l'Ister  y  prenait  sa  source.  L'Ister,  le  Danube, 
se  jetait  à  la  fois  dans  le  Pont  Euxin  et  dans  une  mer  sep- 
tentrionale; le  Rhin,  sans  nom  encore,  était  sans  doute  une 
des  branches  de  l'Ister.  Ils  ne  possédaient  quelques  données 
précises  que  sur  les  contrées  voisines  du  Caucase  et  sur  le 
pourtour  de  la  mer  Noire.  Au-delà  des  Scythes  et  des  monts 
Riphées,  ils  entrevoyaient  seulement  des  Hyperboréens.  En- 
core, Hérodote,  sceptique  à  ses  heures,  raillait-il  ces  peuples 
fabuleux;  et  il  avait  pleinement  raison  si,  comme  l'établit 
M.  d'Arbois,  les  monts  Riphées  et  les  Hyperboréens  sont  nés 
d'un  hémistiche  d'Homère  :  îmà  cmn-,  èuBpr^ïvs»^  Koç,ic/.o,  «  par  l'im- 
pétuosité de  Borée,  fds  de  l'air.  »  Alcman,  au  vne  siècle,  a  con- 
verti ce  souffle  en  montagne:  «Ripas,  mont  riche  en  forets, 
poitrine  de  la  nuit  noire.  »  EtSophocle,  dans  Œdipe  a  Colone, 
dira  «  les  Ripes  nocturnes  »,  pour  désigner  le  nord.  De  la 
aussi  l'habitude  de  désigner  sous  le  nom  d'Hyper-Boréens,  les 
hommes,  s'il  y  en  avait,  qui  habitaient  au-dessus,  au-delà 
des  Ripes  ou  Riphées. 

Ainsi  l'entend  Pindare,  quand  il  rapporte  cette  étrange 
légende  :  «  Des  sources  ombragées  de  l'Istros,  le  fds  d'Am- 
phitryon a  rapporté  l'olivier,  prix  des  luttes  olympiques.  La 
parole  persuasive  d'Héraklès  avait  obtenu  ce  présent  des 
Hyperboréens,  ce  peuple  qui  adore  Apollon  ».  C'est  un  pas- 
sage bien  curieux;  il  témoigne  d'une  naïveté  singulière,  en 
associant  l'olivier  aux  sources  du  Danube  ;  mais  le  culte 
d'Apollon  attribué  aux  Hyperboréens,  fait  songer  au  Beli  ou 
Belen  des  Celtes.  Apollon  était,  chez  les  Grecs,  un  dieu  venu 
du  nord,  et  la  tradition  s'était  conservée,  à  Délos.  de  vierges 
hyperboréennes,  attachées  au  sanctuaire.  Une  autre  indica- 
tion ne  doit  pas  être  négligée,  c'est  que,  tout  au  début  du 
vc  siècle,  les  anciens  voyaient  les  Hyperboréens,  non  plus  au 
nord  précisément,  mais  vers  l'ouest,  aux  sources  de  l'Istros. 
Or,  c'est  là  que,  vers  le  même  temps,  étaient  signalés  les 
Celtes,  les  Keltoi. 

En  fait,  les  deux  noms  sont  demeurés  longtemps  syno- 
nymes. Hécatée  de  Milet,  vers  500,  connaît  de  nom  les  Celtes, 


334  SÉANCE  DU    16  MAI   18(»."> 

et  les  place  immédiatement  au  nord  do  la  Ligustique.  Héro- 
dote les  cite  deux  fois.  Mais,  après  lui,  Iléraclide  de  Pont  écri- 
vait dans  son  Traité  de  l'âme  :  «  Suivant  un  récit  qui  m'est 
venu  d'Occident,  une  armée,  arrivant  du  pays  des  Iïyper- 
horéens,  aurait  pris  une  ville  grecque,  appelée  Rome  et  située 
là-bas  près  de  la  grande  mer  ».  Enfin,  l'identité  des  Hyper- 
boréens  et  des  Celtes  est  consacrée,  tout  au  début  du  ier  siècle 
avant  J.-C,  par  le  voyageur  philosophe  Poseidonios. 

Mais,  venons  au  mot  Celte,  qui  est,  non  plus  grec,  mais  cel- 
tique, qui  était  le  nom  national  d'un  peuple  ou  d'une  tribu, 
maintenue  à  l'ouest  de  Singidunum  (Belgrade)  par  l'expan- 
sion des  Scythes.  Laissant  des  groupes  plus  ou  moins  com- 
pacts en  Illyrie  (les  Scordisques),  en  Styrie  et  dans  la  Pan- 
nonie  (les  Taurisques),  en  Bohème  (Boïohémum),  les  Boïes  et 
les  Elvètes,  la  masse  de  la.  nation  était  fortement  établie  au 
vie  siècle,  bien  avant  sans  doute,  dans  la  vallée  du  Rhin,  sur 
la  rive  droite  depuis  la  source  du  Danube  jusqu'en  Frise, 
sur  la  rive  gauche  depuis  Strasbourg,  ou  environ  (Argento- 
raté),  jusqu'à  la  Somme,  jusqu'à  l'Escaut;  la  Grande-Breta- 
gne avait  été,  dès  les  premiers  Ages  de  la  conquête,  envahie 
et  peuplée  par  des  Celtes.  Nul  doute  que  les  bassins  de  la 
Seine  et  de  la  Loire  ne  fussent  déjà  parcourus  par  de  nom- 
breuses bandes,  et  que.  dès  sa  fondation  en  territoire  Ligure, 
Marseille  n'ait  eu  a  se  défendre  contre  les  Celtes  Sàlluves, 
Salyes  en  grec,  les  premiers  qui  semblent  avoir  atteint  le 
rivage  méditerranéen. 

Au  ve  siècle,  les  Celtes  ont  franchi  les  Pyrénées,  par  les 
mêmes  chemins  sans  doute  que  les  Ligures  ;  se  glissant  entre 
les  Çévennes  et  la  haute  Garonne,  ils  ont,  soit  tourné  la 
chaîne  à  l'Orient,  soit  découvert  le  port  de  Venasque;  ils  ont 
rapidement  occupé  le  centre  de  la  péninsule,  et  ont  couru  à 
l'ouest  jusqu'en  Galice  et  en  Lusitanie.  Ainsi  se  forma  la  na- 
tion des  Celtibères,  mélange  où  les  Ibères,  vaincus,  n'en  comp- 
taient pas  moins  pour  la  plus  forte  part;  remarquez-le  bien, 
c"est  précisément  ce  qui  se  passa  dans  la  France  centrale  :  les 
Celtes  en  modifièrent  très  peu  les  anciens  éléments  ethniques 


A.   LEFÈVRE.   —   LKS  CELTES  OHIENTAUX  335 

Hérodote  connaît  l'extension  occidentale  des  Celtes.  Je  cite- 
rai les  deux  passages  on  il  la  mentionne  :  «  L'Istros,  né  chez 
les  Keltes,  vers  la  ville  de  Purènè,  coule,  divisant  l'Europe 
en  deux  parties;  les  Keltes  sont,  en  dehors  ou  à  partir  des 
colonnes  ou  stèles  d'iléraklès,  voisins  des  Kunèsioi,  les  der- 
niers Européens  du  côté  de  l'Occident  »  (II,  33).  «  Dans  la 
contrée  qui  domine,  au-dessus  des  Omhriens,  le  Carpis  et 
l'Albis,  coulant  au  nord,  se  jettent  dans  l'Istros  qui  traverse 
toute  l'Europe  à  partir  des  Keltes,  les  derniers  qui,  après  les 
Kunètes,  habitent  l'Occident  ». 

Au  siècle  suivant,  Ephore,  vers  350,  constate  que  la  Celti- 
que comprend  la  plus  grande  partie  de  l'Ibérie  jusqu'à  Cadix. 
Dans  le  même  temps,  le  périple  attribué  à  Scylax  nous  mon- 
tre les  Celtes  entre  les  Etrusques  et  le  fond  de  l'Adriatique;  et 
Théopompe  parle  d'une  défaite  infligée  par  les  Celtes  aux 
llly riens  ». 

Celte  est  également  l'expression  dont  se  sert  Aristote.  Il 
n'a  pas  de  notions  fort  exactes  sur  la  topographie,  puisqu'il 
fait  sortir  des  Pyrénées  le  Danube  et  le  Ouadalquivir;  [mais 
il  sait,  tout  au  moins  il  dit,  que,  chez  les  Celtes,  les  froids  sont 
rigoureux,  que  les  Pyrénées  sont  situées  en  Celtique,  qu'il  y 
a  des  Celtes  en  lbérie,  au-dessus,  utt«?  Tfj; 'i^o^  ;  ilsaitqueles 
Celtes  ont  pris  Rome.  Enfin,  l'alliance  d'Alexandre  avec  les 
Celtes  de  l'Adriatique,  Carniole,  Styrie,  contre  les  Illyriens 
(dont  la  Macédoine  fut  longtemps  tributaire),  est  suffisamment 
connue;  d'après  Ptolémée,  tils  de  Lagos,  (le  général  qui  a 
fondé  la  trentième  dynastie  égyptienne),  Strabon  rapporte 
l'entretien  du  futur  conquérant  avec  des  délégués  celtes,  et  la 
réponse  heureuse,  à  la  fois  fière  et  polie  :  «Nous  ne  craignons 
que  la  chute  du  ciel,  mais  [nous  mettons  au-dessus  de  tout 
l'amitié  d'un  homme  tel  que  toi  ».  «  Quels  fanfarons!  »  dit 
Alexandre;  mais  d'autres  Grecs  pensèrent  qu'on  avait  impar- 
faitement compris  le  langage  des  Celtes;  ceux-ci  venaient  de 
s'engager  par  serment  :  «  Si  nous  enfreignons  ce  traité, 
avaient-ils  dit,  que  le  ciel,  tombant  sur  nous,  nous  écrase  ». 
En  répondant  à  Alexandre,  ils  ne  faisaient  que  répéter  la  for- 


336  SÉANCE  DU   16  MAI  18(.>.'> 

mule  consacrée,  et  en  même  temps  rappeler  le  pacte  qu'ils 
venaient  de  conclure.  Alexandre  s'attendait  à  une  flatterie 

plus  directe. 

L'alliance  dura  tant  que  vécut  Alexandre;  en  324,  à  Baby- 
lone,  il  y  eut  des  Celtes  parmi  les  députés  qui  vinrent  com- 
plimenter le  vainqueur  de  l'Asie.  Ce  fut  seulement  quarante 
ans  après  «pie  la  paix  se  trouva  rompue.  Sans  doute,  ébran- 
lés par  une  invasion  germanique,  par  l'arrivée  des  Quades  et 
des  Marcomans,   des     contingents    celtiques   envahirent    la 
Macédoine.  En  280,  le  roi  Ptolémée  Kéraunos,  attaqué  par 
eux,  perdit  à  la  fois  la  victoire  et  la  vie.  Les  barbares,  com- 
mandés par  un  roi  ou  lirennos,  s'abattirent  sur  la  Thessalie, 
et  pillèrent  le  temple  de  Delphes,  279-278.  Mais,  repousses 
aux  Thermopyles,  décimés  dans  les  défilés  du  Parnasse  et  du 
Pinde,  ils  refluèrent  vers  le  nord  et,  traversant  la  Thrace,  le 
Bosphore,  l'Asie  Mineure,  ils  finirent  par  se  cantonner  dans 
la  Cappadoce  et  la  Phrygie.  C'étaient,  comme  vous  le  savez, 
des  Trocmes,  des  ïolistoboies  et  des  ïectosages,  mais  com- 
plètement étrangers,  si  ce  n'est  de  nom  et  de  race,  aux  BoïVs 
et  aux  Tectosages  de  la  Gaule.  Ils  n'étaient  partis  ni  de  Tou- 
louse, ni  de  la  Loire,  mais  bien  de  la  Styrie  et  de  l'Illyrie. 

Avec  cette  invasion  de  280-278,  mais  non  avant,  apparaît 
un  nom  nouveau,  celui  de  Calâtes,  rvlk-.*-  devient  syno- 
nyme de  Kelte.  Pourquoi  cette  substitution?  Nous  cherche- 
rons tout  à  l'heure  à  l'expliquer.  Poduisons  les  anciens  textes 
où  est  employé  le  mot.  Le  premier  de  ces  documents  est  une 
inscription  votive  de  278.  Cydias,  athénien,  avait  été  tué 
par  les  Celles,  à  la  bataille  des  Thermopyles.  Son  bouclier  fut 
suspendu  sous  le  portique  do  Zcus  libérateur,  ji  Athènes, 
avec  ces  vers  :  «  Sous  ce  bouclier,  Cydias  étendait,  pour  la 
première  fois,  son  bras  gauche,  quand  l'impétueux  Ares  sévil 
contre  le  Galate  ».  Une  touchante  épitaphe  réunit  les  deux 
noms,  Celtes  et  Calâtes.  Il  s'agit  déjeunes  filles  massacrées  à 
Milet,  en  278  :  «  Nous  sommes  parties,  ô  Milet,  chère  patrie, 
en  repoussant  le  criminel  outrage  des  Galates  sans  lois.  Nous 
étions  trois,  vierges  H  ntoyennes  '•  voici  comment  le  violent 


A.   LEEÈVRE.   —  LES  CELTES  ORIENTAUX  337 

Ares  des  Celtes  a  changé  notre  destin.  Nous  n'avons  pas  subi 
l'union  impie.  Aïdès  a  été  notre  protecteur  et  notre  époux  ». 
La  même  synonymie  se  retrouve  dans  un  hymne  de  Callima- 
que,  où  le  dieu  celte  de  la  guerre,  lance  contre  les  Hellènes 
les  Galates,  «  peuple  insensé,  derniers  nés  des  Titans  ».Eratos- 
thène(230)  appelle  Galates  les  Celtes  d'Ibérie.  Enfin,  Polybe, 
au  ne  siècle,  se  sert  indifféremment  des  deux  noms,  traitant 
la  même  tribu,  les  Gaisates  par  exemple,  tantôt  de  Keltoi, 
tantôt  de  Galatai;  la  Gaule  cisalpine,  ici  de  Galatia,  là  de 
Keltikè. 

Plus  tard,  après  la  mort  de  César,  lorsque  l'ancienne  patrie 
des  Celtes  était  occupée,  et  depuis  longtemps,  par  les  Ger- 
mains, lorsque  le  nom  de  Celtique  était  attribué  définitive- 
ment à  la  Gaule  centrale,  Diodore  de  Sicile  essaya  de  distin- 
guer entre  les  Celtes  et  les  Galates.  Voici  comme  il  s'exprime  : 
«  Il  est  important  de  définir  ce  que  beaucoup  ignorent  :  on 
«  donne  le  nom  de  Celtes  à  ceux  qui  habitent  l'intérieur  des 
«  terres  au-dessus  de  Marseille,  près  des  Alpes  et  de  ce  côté-ci 
«  des  Pyrénées;  mais  tous  ceux  qui,  au-delà  du  pays  des  Celtes 
«  ou  Keltikè,  habitent  vers  le  nord,  près  de  l'Océan  et  du  mont 
«  Herkunion  (la  Foret  Noire),  jusqu'à  la  Scythie,  sont  clési- 
«  gnés  par  le  nom  de  Galates  ».  Pour  Diodore,  les  Germains 
sont  des  Galates.  Rappelant  l'expédition  de  César  contre  les 
Sugambri  ou  Sicambres,  il  dira  que  le  proconsul,  ayant  passé 
le  Rhin  sur  un  pont  merveilleux,  «  a  dompté  les  Galates,  qui 
habitent  au-delà  de  ce  fleuve  ». 

Dion  Cassius,  au  contraire,  à  l'inverse,  placera  la  Galatia  à 
gauche  du  Rhin,  à  droite  la  Celtique.  Il  considère  comme 
Celtes  les  Germains  Usipètes  et  Tenctères  et  les  Suèves 
d'Arioviste.  «  Quelques  Celtes,  dit-il,  que  nous  appelons  Ger- 
mains »;  mais  il  règne  dans  sa  pensée  une  grande  confusion. 
«  Suivant  lui,  ce  sont  les  Galates  qui,  en  390,  ont  pris  Rome, 
et  c'est  dans  des  combats  singuliers  contre  des  Celtes  que 
Manlius  et  Valérius,  en  360  et  349,  ont  gagné  les  surnoms  de 
Torquatus  et  de  Corvus.  La  double  erreur  de  Diodore,  de 
Dion,  et    de    quelques  autres,   n'est  pas   sans  intérêt    Elle 


338  SEANCE  DU    16  MAI  189o 

prouve  que  les  anciens  distinguaient  mal  le  Teuton  du  Celte, 
j'entends  du  Celte  traditionnel,  aux  cheveux  roux,  tant  ils 
avaient  été  habitués  à  regarder  les  bassins  du  Rhin  et  du 
Haut-Danube,  comme  le  domaine,  comme  la  patrie  des  Celtes. 

D'où  vient,  maintenant,  que  les  Grecs,  familiarisés  durant 
trois  siècles  avec  le  nom  Keltos,  se  sont  mis  tout  d'un  coup, 
en  280,  à  traiter  de  Calâtes  les  Celtes  envahisseurs  de  la 
Thessalie,  de  la  ïhrace  et  de  l'Asie  mineure?  Est-ce,  comme 
l'imagina  le  Sicilien  Timée,  vers  200,  parce  que  Calâtes  était 
fils  de  la  blanche  Galatée  el  du  terrible  Polyphème  ?  Ou  bien, 
comme  le  suppose  Plutarque  (46-120  de  notre  ère),  parce  que 
lléraldès,  traversant  la  Celtique  après  le  meurtre  de  Géryon, 
aurait  eu  d'une  princesse  gauloise  un  fds  nommé  Calâtes. 
Cette  dernière  fantaisie  mythologique  implique  du  moins 
l'origine  celte  des  Calâtes;  mais  elle  ne  nous  apprend  rien.  Si 
l'on  interroge  le  mot  en  lui-même,  on  reconnaît  qu'il  est  par- 
faitement celtique.  Un  roi  des  Boïes  cisalpins,  en  237,  s'ap- 
pelait Galalos.  Gai,  en  irlandais,  signifie  encore  «  bravoure, 
exploit  ».  Kel,  dans  Keltos.  n'a  point  d'autre  sens.  Ce  sont 
probablement  deux  variantes  dialectales,  qui  ne  diffèrent  que 
par  une  atténuation  de  la  gutturale  k,  et  par  l'insertion  d'une 
voyelle  formative  a.  Le  suffixe  est  le  même.  La  forme  Keltoi, 
Keltai,  est  la  plus  ancienne  ;  elle  s'est  conservée  plus  long- 
temps dans  le  nord,  puisque  les  Germains  l'ont  adoptée  en 
lui  faisant  subir  la  substitution  ordinaire  de  l'aspirée  à  la 
forte  :  Held,  le  béros;  llildebrand:  Hildr  ou  Childis,  déesse  de 
la  guerre  dans  la  mythologie  Scandinave  :  el  la  désinence 
féminine  bien  connue,  Glothildis,  Brxmhildis,  ne  sont  que  des 
formes  germaniques  de  Keltos, Keltis  et  Kelta.  Galatès  esl  resté 
inconnu  aux  Teutons. 

Ce  mot,  dit  M.  d'Arbois,  avec  une  grande  apparence  de 
vérité,  n'a  pris  de  valeur  ethnographique  qu'après  la  disso- 
lution de  ce  qu'il  appelle  l'Empire  celte,  coupé  en  deux  par  le 
progrès,  par  la  révolte,  des  Germains  poussant  la  masse  cel- 
tique au-delà  du  Rhin,  rejetant  par  dessus  les  Alpes  et  le 
Danube  les  restes  des  Cénomans,  des  Boïes,  des  Lingons.  des 


A.  LEFÈVRE.    —    LUS  CfcXTI  tf  OBlEiNTAUX  339 

Sénons  sur  la  Pannonie  et  sur  l'Italie,  et  le  reste  des  Tecto- 
sages  et  des  Tolistoboïes  sur  l'Hellade  et  l'Asie.  Voici  les 
propres  expressions  de  l'auteur  :  «  Le  mot  Galata  semble  être 
«  la  formule  de  la  séparation  du  monde  celtique  continental 
«  en  deux  groupes,  l'un  occidental  et  conservateur  (?),  Celtœ 
«  en  Gaule,  Celtici,  Celtiberi  en  Espagne,  l'autre  oriental  et 
«  révolutionnaire,  les  Galates.  Brennos  a  porté  ce  nom  eth- 
«  nique  jusqu'à  Delphes  en  279;  et,  à  partir  du  m0  siècle 
«  avant  J.-C,  les  Grecs  l'ont  appliqué  h  tous  les  Celtes  sans 
«  distinction,  à  ceux  de  l'ouest  qui  n'en  faisaient  pas  usage, 
«   comme  à  ceux  de  l'est  qui  le  leur  avaient  appris.  » 

Cette  conjecture  ingénieuse  ne  jette-t-elle  pas  quelque 
lumière  sur  la  forme  latine  Galli, laquelle, pourvue  au  Moyen- 
Age  d'une  terminaison  ensis,  Gallensis,  a  donné  le  mot  Gau- 
lois? Que  Galfas  vienne  de  Galata,  non;  le  latin,  riche  en 
masculins  terminés  par  a,  n'aurait  eu  aucune  raison  de  rejeter 
Galata;  mais,  ou  bien  les  Rabotes,  Etrusques,  Vénètes,  Om- 
briens n'avaiant  entendu  que  la  première  syllabe  du  nom,  ou 
bien  les  barbares  se  nommaient  eux-mêmes  Galt,  en  latin 
Gall,  par  assimilation,  très  ordinaire  en  latin,  du  ta  17  :  (rap- 
pelons Poludeukès,  étr.  Pultuke,  latin  Pollux,  et  encore  Odus- 
seus,  étrusq.  Uthuze,  lat.  (Misses,  dakru,  latin  lacryma.  Je  ne 
vois  pas,  pour  ma  part,  ce  qui  fait  dire  à  M.  d'Arbois  :  «  Le 
nom  latin  des  Celtes  est  Gallus,  d'origine  inconnue.  » 
Gallus  est,  ou  foncièrement  identique  à  Keltos,  ou  formé  de  la 
même  racine  que  Galata;  et  celte  racine  est  une  forme  atté- 
nuée d'un  plus  ancien  Kel  ou  Kal.  II  existe,  d'ailleurs.,  une 
forme  intermédiaire,  le  nom  de  peuple  Caletos,  les  habitants 
du  pays  de  Caux.  Qui  se  douterait  qu'un  Cauchois  soit  si  pro- 
che parent  du  héros,  held,  du  fier  Keltos  et  du  fameux 
Galatès  ? 

Il  est  même  probable  que  Galt,  Gall,  Gallus  sont  antérieurs 
à  Galata.  Malgré  la  date  récente  des  historiens  latins  que  nous 
possédons,  on  ne  peut  douter  qu'ils  ne  copient  des  documents 
anciens  et  n'aient  recueilli  des  traditions  acceptées  de  tous; 
il  est  bien  évident  que,  dès  l'arrivée  des  Celtes  dans  la  vallée 


340  SÉANCE  DU    16  MAI  1895 

du  Pu,  dès  le  ve  siècle,  les  Latins  les  connurent  sous  le  nom 
de  Galli,  et  donnèrent  à  la  Lombard ie,  a  l'Emilie,  le  nom  de 
Gallia  Cisalpim  ou  Citerior.  Les  terribles  Sénons  de  l'an  390, 
à  plus  forte  raison,  étaient  Galli,  et  leur  ancienne  capitale 
Sena,  porte  encore  aujourd'hui  leur  nom  national, Senagallica, 
Sinigaglia.  Les  Grecs,  au  mft  siècle,  commençaient  à  se  trou- 
ver en  relations  suivies  avec  les  Romains;  le  terme  Gallus 
devait  leur  être  familier;  et  il  leur  aura  été  d'autant  plus 
facile  de  confondre,  en  Galatès,  à  la  fois  Gallus  et  Keltos. 

Quant  aux  Latins,  ils  commencèrent  par  laisser  le  nom  de 
Celtes  aux  Celtici  et  Celtiberi  d'Espagne,  sans  doute  aussi  aux 
Celtes  du  Rhin,  réservant  Galli  et  Gallia  pour  les  Gaulois 
d'Italie  et  la  Gaule  cisalpine.  C'est  de  ces  Gaulois,  et  non 
d'autres,  c'est  des  Insubres  de  Milan,  des  Boïes  de  Bologne, 
ou  des  Cénomans  que  Caton  le  censeur,  vers  168,  écrit,  dans 
ses  Origines,  la  phrase  dont  on  a  un  peu  trop  abusé  :  Gallia 
duas  res  industriosissime  persequitur,  rem  militarem  et  argule 
loqui;  «  il  est  deux  choses  que  la  Gaule  cultive  avec  le  plus 
grand  soin,  faire  la  guerre  et  parler  finement  ».  Et,  jusqu'au 
dernier  tiers  du  11e  siècle,  la  Gallia,  la  province  de  Gaule, 
attribuée,  tous  les  deux  ou  tous  les  cinq  ans  à  un  proconsul, 
iElius  Peetus  en  198,  Scipion  en  194,  Livius  Salinator,  188. 
Fabius  Buteo,  182,  Claudius  Pulcher,  176,  etc.,  etc.,  est  le  nord 
de  l'Italie,  l'Istrie  même  comprise,  et  la  Styrie,  car  Noréia, 
aujourd'hui  Neumarkt,  était  une  ville  gauloise.  Noréia  quœ  est 
in  Gallia,  écrivait,  à  la  fin  du  second  siècle,  un  bistorien 
perdu,  Sempronius  Asellio. 

Lorsque,  appelés  au  secours  de  Marseille,  en  125,  contre 
les  Salluves,  les  consuls  et  proconsuls  Fulv.  Flaccus,  Sextius 
Calvinus,  Domitius,  Fabius,  ont  passé  les  Alpes,  vaincu  à  la 
fois  les  Ligures  et  les  Celtes  Allobroges  et  Arvernes,  une  pre- 
mière Gallia  ulterior  est  constituée  autour  d'Aix,  A  quœ 
Sextiœ;  puis  une  seconde  en  118,  autour  de  Narbonne,  Narbo- 
Martius.  Dès  lors,  le  nom  de  Gallia  est  étendu  des  Alpes  aux 
Pyrénées,  de  l'Isère  aux  Cévennes  et  à  la  Haute-Garonne.  C'est 
la  Gallia  bracata.  Quand  Cicéron  parle  de  la  Gaule,  c'est  de  la 


A.  LBFÈVBE.    —  LES  CELTES  ORIENTAUX  341 

Gallia  bracata.  Sans  doute,  pendant  le  Ier  siècle  avant  notre 
ère,  l'usage  s'est  répandu  de  donner  le  nom  de  Galli,  même 
aux  Celtibères,  aux  Gallœci  (Galiciens),  même  aux  Ga- 
lates  d'Asie  ;  mais  la  Gallia,  sans  épithète,  demeure,  jus- 
qu'au temps  de  César,  la  province  romaine.  Le  reste  de  la 
Gaule,  y  compris  l'Aquitaine  et  la  Belgique,  s'appelle  ou  va 
s'appeler  (Pomponius  Mêla)  Gallia  Comata,  Gaule  chevelue. 
Et  de  cette  grande  Gaule  une  division  va  être  attribuée  aux 
Celtes,  le  territoire  qu'ils  ont  conquis,  il  est  vrai,  mais  où  leur 
sang  a  laissé  le  moins  de  traces,  le  pays  central  entre  la  Ga- 
ronne et  la  Seine,  la  Celtique  de  César. 

C'est  que  les  anciens  domaines  des  Celtes,  même  sur  la  rive 
gauche  du  Rhin,  ont,  depuis  assez  longtemps,  changé  de 
dénomination.  Une  importante  couche  celtique  ou  celto- 
germanique,  mais  parlant  le  celte,  était  venue  renforcer  ou 
supplanter  les  anciens  Celtes.  C'étaient  les  Volks  ou  Bolgs  ou 
Belges;  qui  ont  laissé  dans  le  Limbourg,  les  Ardennes,  le  Hai- 
riaut,  la  Picardie,  les  Tre vires,  les  Éburons,  les  Nerviens,  les 
Rèmes.lesSuessions^lesBellovaqueSjlesAtrébates,  lesquels  ont 
à  leur  tour  franchi  le  Pas-de-Calais,  envahi  l'Angleterre  et 
poussé  jusqu'en  Irlande;  les  Volks  (foule,  peuple),  dont  les 
Allemands  ont  fait  leurs  Walh,  Welches,  Wallons,  dont  cer- 
taines tribus  célèbres,  les  Tectosages,  les  Arécomiks,  avaient 
déjà  pénétré  jusqu'à  Toulouse  et  jusqu'à  Nîmes,  —  rappelons 
les  Tectosages  d'Asie.  —  Les  Volks  donc,  ou  Bolgs  (variante 
moins  ancienne)  avaient  donné  à  la  Gaule  du  Nord,  jusqu'à 
la  Seine,  le  nom  de  Belgique. 

Tout  en  essayant  d'être  bref,  j'ai  sans  doute  paru  insister 
plus  que  de  raison  sur  l'emploi  chronologique  et  historique 
des  noms  Celtes,  Galates  et  Gaulois.  Mais  j'ai  tenu  à  ne  vous 
laisser  aucun  doute  sur  le  sens  et  la  valeur  de  ces  mots,  d'ail- 
leurs entièrement  synonymes.  Aujourd'hui,  on  laisse  volon- 
tiers en  Asie  les  Galates,  s'il  en  reste,  qui  ont  ravagé  l'Orient 
en  279  avant  notre  ère.  Mais  on  fait  usage,  un  peu  à  contre- 
sens —  qu'importe,  si  l'on  s'entend  —  des  deux  autres  ter- 
mes, réservant  de  préférence  le  nom  de  Gaulois  au  type  grand 


342  Séance  du  16  mai  1895 

et  blond  du  Nord,  donnant  le  nom  de  Celtes  aux  populations 
moyennes  et  brunes  du  Centre,  qui  ont  certainement  précédé 
de  mille  ans  les  Kelloi  d'Hécatée  et  d'Hérodote  sur  le  sol 
qu'elles  occupent  encore.  Celles-là  n'ont  pris  le  nom  de  Celtes 
que  vers  le  temps  de  César.  On  évitera  toute  confusion  en 
adoptant  le  terme  de  Précelte,  ou  même  Celto-Ligure. 

Discussion 

M.  B.  Collignon.  —  Notre  confrère,  parlant  au  nom  de  l'é- 
rudition et  de  l'histoire,  vient  de  nous  exposer  les  raisons  qui 
lui  font  admettre  l'identité  absolue  des  mots'Celtes  et  Galates 
KeAo-r  et  raAaToce.  H  nous  a  montré  que  contrairement  aux  idées 
émises  par  M.  Al.  Bertrand  H  ne  s'agissait  là  ni  de  deux  peu- 
ples, ni  même  de  deux  fractions  différentes  d'un  même  peu- 
ple, mais  bien  d'une  couche  ethnique,  oserai-je  dire  d'un  état 
politique,  dont  le  nom,  au  cours  des  siècles,  a  varié  dans  les 
bouches  de  ses  adversaires  les  Grecs  et  les  Romains.  Pour  lui 
ces  deux  termes  génériques  iront  jamais  désigné  que  les  popu- 
lations grandes  blondes  et  dolichocéphales,  aristocratie  guer- 
rière traînant  au  combat  à  sa  suite  les  populations  vaincues  et 
asservies  chez  lesquelles  elle  s'était  implantée  par  la  force. 

Je  ne  puis  et  ne  veux  dire  qu'une  chose.  Je  partage  entiè- 
rement et  absolument  cette  opinion  qui  ne  me  semble  pas  dis- 
cutable. Oui,  les  Celles  et  les  Galates  de  l'histoire  étaient  des 
blonds  dolichocéphales,  comme  le  furent  leurs  frères  de  sang, 
plus  tardivement  entrés  sur  la  scène,  Cimbres,  Germains, 
Goths,  Francks,  BurgondesouNormands.  Je  ne  crois  pas  qu'au- 
cun antbropologiste  ayant  suivi  de  près  la  question  de  nos  ori- 
gines nationales  puisse  le  nier.  Pourtant,  en  France,  et  en  géné- 
ral dans  tous  les  pays  latins,  les  antbropologistes,  prenant 
peut-être  trop  à  la  lettre  le  texte  et  non  l'esprit  de  Broca, 
continuent  à  désigner  sous  le  nom  de  Celtes  les  petits brachy- 
céphales  bruns  dont  le  prototype  est  l'Auvergnat  de  Si-Nectaire 
du  Haut.  En  le  faisant  lous,  etmoi  tout  le  premier,  nouscommet- 
tons  nue  erreurhistorique,  c'est  incontestable  et  nous  le  savons  pur- 


DISCUSSION    SUR    LES    CELTES  343 

f alternent.  Mais  imus  y  sommes  bien  contraints,  car,  si  faisant 
table  rase,  nous  enlevons  à  ceux-ci  l'étiquette  commode  et  ac- 
tuellement bien  définie  que  leuravait  donnée  Broca,  par  quoi  la 
remplacerons-nous "?  Offrez  nous  un  nom  acceptable,  suffisam- 
ment général  pour  satisfaire  à  toutes  les  données  du  problème, 
nous  lui  ferons  fête,  on  peut  en  être  assuré.  Seulement,  où  le 
trou  ver?  Dirons-nous  les  «Préceltes  »?  Mais  alors,  Néanderthal 
etCro-Magnon,  Orrouy  et  l'Homme-Mort,  races  bien  différentes, 
sont  elles  préceltique  Prendrons-nous,  avec  M.  Lefèvre  le  nom 
historique  de  Ligures?  — Même  difficulté.  Nous  ne  savons  pas, 
il  faut  bien  le  reconnaître,  ce  qu'étaient  anatomiquement  les 
Ligures.  Les  textes  anciens  nous  les  décrivent  comme  petits, 
bruns,  secs,  agiles  et  très  résistants  à  la  fatigue,  pas  un  mot  de 
plus.  Toutes  les  populations  montagnardes  du  sud  de  la  France, 
depuis  les  brach-ycéphales  alpins  jusqu'aux  mésaticéphales  bas- 
ques, en  passantparles  dolichocéphales  Cévenols  et  Pyrénéens, 
peuvent,  ajuste  titre,  s'appliquer  ces  déterminatifs  imprécis. 
Dans  laLigurie  propre  elle-même  nous  trouvons  des  uns  et  des 
autres.  Si  la  petite  série  de  15  montagnards  du  Cul  de  Tende, 
réputés  ligures,  de  M.  Cillebert  d'Hercourt  et  Duhousset,  nous 
accuse  une  brachycépbalie  certaine,  d'autre  part  toute  la  popu- 
lation du  littoral  de  l'antique  Ligurie  soit  en  France,  soit  en  Ita- 
lie, est  dolichocéphale.  En  sorte  que  je  me  déclare  absolument 
hors  d'état  d'affirmer  si  le  Ligure  vrai,  était  dolichocéphale  ou 
brachycéphale.  Dans  ces  conditions,  il  serait  assurément  préma- 
turé de  vouloir  remplacer  un  terme  devenu  précis  par  l'usage 
parun  autre  nom  qui  n'offrirait  pas  de  garanties  plus  grandes, 
.le  n'ignore  pas  pourtant  que  les  très  ingénieuses  déductions 
de  M.  d'Arbois  de  Jubainville  sur  l'aire  de  répartition  dessuf- 
fixes, tels  que  :  asco,  asca,  usco,  oscos,  borm,  ant,  etc.,  etc., 
pour  ne  parler  (pie  des  moins  problématiques,  viendraient 
étayer  cette  attribution  et  la  rendre  même  vraisemblable.  Il  y 
a  très  certainement  une  concordance  intéressante  à  retenir 
entre  l'aire  des  suffixes  ligures  et  celle  delà  race  brachycéphale 
dite  celtique  par  Broca.  J'ajouterai  mèmequ'un  passage  extrê- 
mement peu  connu  d'Aristote,  dont  je  regrette  de  ne  plus  re- 


344  séance  nr  16  mai  1895 

trouver  en  ce  moment  la  justification,  montre  que  la  terre 
ligure  débordait  le  champ  historique  où  la  localisaient  les 
historiens  et  les  géographes  latins,  puisque  cet  auteur  décrit 
la  perte  du  Rhône  (à  Coupy)  d'une  manière  qui  ne  saurait 
prêter  au  doute  et  localise  ce  phénomène  chez  les  Ligures.  Il 
ne  s'ensuit  pas  moins  que  la  certitude  n'est  pas  telle  que  nous 
puissions  admettre  que  l'ensemble  de  nos  races  brachycépha- 
les  ait  constitué  avant  la  venue  des  Celtes  un  état  ligure  ni, 
qu'il  ait  porté  jamais  ce  nom. 

Nous  revenons  donc  à  notre  point  de  départ.  C'est-à-dire 
qu'ignorant  le  nom  vrai  qu'ont  jadis  porté  ces  peuples,  il  nous 
faut  conserver  provisoirement  celui  que    leur   avait   donné 
Broca,  ou,  s'il  nous  choque  trop,  faire  commej'y  ai  été  amené 
dans  les  derniers  travaux  que  j'ai  consacrés  à  notre  ethnogé- 
nie  nationale,  et  employer  des  périphrases  anatomiques.  Ce 
n'est  pas  commode  assurément,  la  phrase  en  est  alourdie,  j'en 
conviens,  mais  je  ne  vois  pas  actuellement  autre  chose  h  faire. 
La  seule  solution  pratique  sera,  le  jour  ou  une  sépulture  an- 
cienne, préromaine  et  préceltique  nous  aura  livré,  je  ne  dis  pas 
des  crânes  brachycéphales,  nous  en  avons  à  revendre,  mais 
des  crânes  brachycépbales  nettement  et  absolument  semblables  à 
ceux  de  nos  Auvergnats,  Bas-Bretons  ou  Savoyards  modernes, 
d'en  faire  une  station  type  et  de  dire  «  Race  de  X"  »  comme 
nous  disons  race  de  Cro-Magnon  ou  race  d'Orrouy,  voire  même 
race  de  Hallstadt,  nom  générique  qui,  adopté  au  Congrès  de 
Bruxelles  de  1891  pour  désigner,  en  sauvegardant  toutes  les 
susceptibilités  nationales,  la  race  septentrionale  dolichocéphale 
et  blonde,  a  permis  de  donner  un  nom  uniforme  aux  Celtes, 
aux  Calâtes,  aux  Francks,  aux  Scandinaves,  aux  Germains 
et  a  tous  les  peuples  de  même  souche. 

Je  viens  de  dire  qu'il  faut  distinguer  entre  brachycéphales, 
et  faire  appel  auxcaractères  autres  que  l'indice  céphalique  pour 
séparer  les  races.  La  chose  semble  si  évidente  que  je  puis  avoir 
l'air  d'avoir  voulu  forcer  une  porte  ouverte.  Il  en  est  rien 
pourtant  et  la  Société  m'excusera  d'ouvrir  une  parenthèse  sur 
ce  point.  Nombre  d'auteurs,  les   uns  en  France,  d'autres  en 


DISCUSSION    SUR    LES    CELTES  343 

Italie,  en  Russie,  .etc.,  je  ne  saurais  dire  d'autres,  mais  tous, 
en  Allemagne,  professent  pour  le  chiffre  de  l'indice  céphalique 
un  respect  qui  tient  du  fétichisme  et  que  je  ne  parviens  pas  à 
m'expliquer.  Pour  certains  d'entre  eux,  l'étude  d'une  popula- 
tion se  résume  en  ceci.  Tant  de  braehycéphales  sur  lOOettant 
de  dolichocéphales.  C'est  plus  précis,  disent-ils,  qu'une 
moyenne  et  à  l'appui  de  cette  opinion  nous  voyons  revenir 
des  clichés  démodés  déjà  en  1800.  Plus  précis,  soit  si  la  popu- 
lation étudiée  est  le  fruit  du  mélange  de  deux  races  seulement, 
mais,  si  le  champ  d'action  s'élargit,  c'est  le  chaos.  Je  crois  avoir 
montré  à  la  Société  que  le  type  basque  est  brachycéphale  (83 
environ)  en  moyenne.  A  ses  cotés  et  pour  proches  voisins  nous 
trouvons  :  1°  des  braehycéphales  du  type  dit  celtique  (Ind. 
moyenne  80);  2°  des  dolichocéphales  bruns;  3°  des  dolichocé- 
phales blonds.  Donc,  cote  à  cote,  et  naturellement  plus  ou 
moins  croisées  et  fondues  les  unes  dans  les  autres,  voilà  quatre 
races  (sans  parler  des  types  rares)  toutes  parfaitement  distinc- 
tes et  nettement  caractérisées.  Les  moyennes  cantonales  d'in- 
dice en  ce  cas  sont  forcément  imprécises,  mais  l'étude  des  ca- 
ractères secondaires,  hauteur  du  crâne,  de  la  face,  du  nez, 
largeur  delà  face,  etc.,  etc.,  permettent  de  débrouiller  le  mé- 
lange. En  revanche  si,  pour  chaque  canton,  vous  vous  borniez 
à  opposer  le  pourcentage  des  braehycéphales  à  celui  des  doli- 
chocéphales, vous  n'obtiendriez  plus  qu'un  trompe-Pœil,  plein, 
à  première  vue  de  précision,  mais  qui  serait  un  non-sens  eth- 
nographique. 

D'où  cette  conclusion  qu'il  est  essentiel  de  délinir  d'abord  le^ 
races  et  de  les  étiqueter  sous  un  nom  historique,  si  la  chose 
est  possible,  conventionnel,  si  on  n'en  peut  trouver  d'autre, 
mais  précis  et  universellement  admissible.  Le  mot  Gelteappli- 
qué  a  nos  braehycéphales  ne  l'est  pas,  ne  saurait  pas  l'être, 
c'était  et  c'est  encore  un  nom  d'attente.  Il  est  voué  à  disparaî- 
tre lorsqu'on  aura  trouvé  mieux. 

Si  nous  nous  élevons  à  un  point  de  vue  plus  général,  il  res- 
sort du  débat  actuel  un  fait  sur  lequel  j'insiste  depuis  des 
années,  après  bien  d'autres  du  reste,  mais  avec  un  contingent 

T.  TI   (4a  SÉRIE).  23 


iîii»  séance  nr  16  mai  1  «S . > ." V 

d'observations  personnelles  suffisant  pour  me  permettre  de 
documenter  l'opinion  que  je  soutiens,  .le  veux  dire  la  persis- 
tance des  races  primitives.  Dans  ses  grandes  lignes  la  popu- 
lation française  actuelle  est  restée  ce  qu'elle  était  au  temps  de 
César  et  vraisemblablement  ce  qu'elle  était  bien  des  siècles 
avant  lui.  Elle  s'est  appelée  Celtique,  puis  Gaule,  puis  France, 
du  nom  d'envahisseurs  successifs.  Les  établissements  fondés 
par  les  nouveaux  arrivants  se  sont  parfois  maintenus,  tels 
ceux  des  Basques  au  sud-ouest,  ceux  des  Normands  dans  une 
partie  du  pays  qui  porte  leur  nom,  ou,  pour  rester  au  temps 
des  (iaulois,  ceux  des  Lemovices  qui  forment  encore  un  lot 
blond  aux  environs  de  Limoges,  etc.,  etc.,  mais  le  plus  sou- 
vent ils  ont  disparu.  Le  vaincu  a  dévoré  le  vainqueur,  et  le 
type  physique  de  ce  dernier  s'est  évanoui.  Le  fait  s'explique 
très  bien.  Aristocratie  batailleuse,  la  race  des  envahisseurs, 
Celtes,  Galates  ou  Francks  s'est  trouvée  soumise  aux  deux 
causes  de  destruction  que  ces  mots  comportent;  aristocratie, 
elle  devait  disparaître,  comme  après  quelques  générations  c'est 
le  lot  de  toutes  les  classes  privilégiées,  quel  que  soit  le  nom 
qu'elles  portent  dans  l'histoire,  Spartiates,  soldats  d'Alexan- 
dre, sénat  de  Roms,  familles  royales  modernes  ou  même  plus 
modestement,  comme  nous  rapprend  de  Candolle,  bourgeois 
de  Btii.'  :  soldats,  ils  subissaient  durement  les  lois  de  la 
guerre;  qu'on  se  souvienne  en  Gaule  des  massacres  opérés 
par  César  après  ses  victoires  surles  Nerviensdanssa2e  campa- 
gne, sur  les  Vénètes,  dans  la  3%  surles  Aduatuques  et  les  Ebu- 
rons  dans  la  6e,  plus  tard  des  croisades,  de  la  guerre  décent 
ans,  des  innombrables  guerres  locales  qui  ensanglantèrent  le 
moyen-âge  en  frappant  proportionnellement  et  eu  égard  à 
leur  petit  nombre,  davantage  les  chefs  que  les  soldats  et  on 
aura  la  clé  de  ces  permanences  ;  les  classes  dominatrices  ont 
diparu  se  poussant  l'une  contre  l'autre  comme  les  flots  succes- 
sifs sur  le  rivage,  le  peuple  est  resté. 

G.  de  Mortillet.  —  Les  communications  de  nos  deux  col- 
lègues sont  des  plus  remarquables  et  pourtant  ils  ne  peuvent 


discussion  <i;n  i.f.s  celths  347 

et  n.e  pourront  pas  parvenir  à  s'entendre,  parce  que  chacun 
d'eux  s'est  cantonné  dans  un  terrain  différent. 

M.  Lefèvre,  avec  une  érudition  profonde,  une  extrême 
finesse  d'appréciation  et  une  méthode  chronologique  des 
plus  exactes,  nous  fait  connaître  l'opinion  des  auteurs  an- 
ciens sur  les  Celtes,  les  Galates  et  les  Gaulois. 

M.  Collignon,  grâce  a  ses  importantes  recherches,  hasées 
sur  les  travaux  des  conseils  de  révision,  nous  a  parfaitement 
exposé  les  caractères  des  Celtes  et  des  Gaulois  des  anthropo- 
logues actuels.  Mais  y  a-t-il  des  rapports  entre  les  Celtes  et 
les  Gaulois  des  anthropologues  et  ceux  des  auteurs  anciens? 

Je  ne  le  crois  pas. 

Ce  sont  les  anciens  auteurs  qui  ont  mis  en  circulation  les 
mots  celtes  et  gaulois.  11  est  donc  très  important  de  bien  con- 
naître et  de  bien  établir  ce  qu'ils  entendaient  par  ces  mots. 
C'est  ce  que  M.  Lefèvre  a  fait  de  main  de  maître.  Ces  termes 
sont  tout  d'abord  des  désignations  vagues  appliquées  à  des 
populations  inconnues  tout  à  fait,  équivalents  au  nom  d'In- 
diens donnés  aux  habitants  de  l'Amérique,  au  moment  de  la 
découverte  de  ce  vaste  continent.  Peu  à  peu,  le  sens  des  deux 
mots  se  restreint,  mais  il  varie  suivant  la  date  et  l'opinion 
des  divers  auteurs,  plus  ou  moins  bien  informés.  Enfin,  il  se 
resserre,  il  se  condense.  Entre  les  mains  de  César,  la  Gaule 
est  un  grand  tout  qui  embrasse  la  France  actuelle,  la  Suisse 
et  la  Belgique;  la  Celtique  n'est  qu'une  portion,  un  tiers  de  la 
Gaule,  donc  les  Celtes  sont  des  Gaulois.  Cela  est  si  vrai  que 
la  guerre  des  Gaules  finit  par  la  défaite  de  Vercingétorix, 
chef  des  Arvernes,  populations  du  centre  de  la  Celtique! 

Il  est  donc  parfaitement  inutile  de  chercher  de  l'anthropo- 
logie dans  les  auteurs  anciens.  Ces  auteurs  n'en  ont  point 
fait.  Us  s'en  tenaient  à  la  géographie  politique,  tout  comme 
de  nos  jours  quand  on  dit,  à  quelques  années  de  distance, 
l'Alsace  et  la  Lorraine  sont  Françaises  ou  bien  sont  Alleman- 
des. Tout  comme  quand  on  considère  la  Savoie  et  Nice, 
comme  italiennes,  quand  elles  appartiennent  à  l'Italie  et  fran- 
çaises quand  elles  appartiennent  à  la  France.  Ces  modifica- 


348  SÉANCE  DU  10  MAI   1895 

tions,  très  importantes  au  point  de  vue  historique,  n'ont 
qu'une  faible  influence  au  point  de  vue  anthropologique. 
Elles  n'amènent  habituellement  qu'une  introduction  de  quel- 
ques éléments  ethniques  nouveaux,  quj  se  fondent  et  se  per- 
dent bientôt  dans  l'ensemble  de  la  population  sans  action 
bien  sensible. 

Si  M.  Lefèvre  reste  en  plein  dans  l'histoire,  M.  Collignon 
me  parait  se  cantonner  d'une  manière  tout  aussi  exclusive 
dans  l'anthropologie.  Les  anthropologues  qui  ont  étudié  les 
anciens  types  humains  de  la  France,  les  ont  divisés  en  deux 
groupes,  les  grands  blonds  aux  yeux  bleus  et  les  petits  bruns 
aux  yeux  foncés.  Les  auteurs  ayant  souvent  dit  que  les 
hommes  du  nord,  parmi  lesquels  les  habitants  de  la  Gaule, 
étaient  grands,  blonds  et  avaient  les  yeux  bleus,  on  a  donné 
sans  hésiter  le  nom  de  Gaulois  au  premier  groupe.  Il  fallait 
baptiser  le  second  :  on  l'a  qualifié  de  Celte.  Sur  ce,  l'accord 
s'est  fait  entre  les  anthropologues.  Leur  type  gaulois  et  leur 
type  celtique  sont  bien  connus.  Quand  ils  en  parlent,  on  sait 
très  bien  ce  qu'ils  veulent  dire.  Cela  peut-être  suffisant  pour 
l'étude,  mais  est-ce  exact?  Certainement,  non  au  point  de  vue 
de  l'histoire.  M.  Collignon  a  fait  une  fort  intéressante  com- 
munication sur  les  deux  types  et  leur  distribution  en  France, 
mais  cette  communication  a-t-elle  quelque  rapport  avec  celle 
de  .M.  Lefèvre?  Je  ne  le  crois  pas.  Nos  deux  collègues  se  sont 
bien  servis  l'un  et  l'autre  t\t^  mêmes  noms,  mais  dans  la 
bouche  de  chacun  deux,  ces  noms  avaient  un  sens,  une  por- 
tée, une  valeur  différente.  C'est  un  exemple  des  inconvé- 
nients qu'il  y  a  de  donner  un  nom  historique  à  une  race 
basée  sur  des  documents  actuels. 

En  outre,  la  dualité  de  Celtes  et  de  Gaulois,  pour  ce  qui 
concerne  la  population  de  la  France  —  comme  du  reste  pour 
toutes  les  autres  populations  —  n'est-elle  pas  trop  absolue. 
Entre  les  brachycéphales  et  les  dolichocéphales,  il  y  a  des 
nuances,  des  gradations  diverses.  Il  en  est  de  même  pour  ce 
qui  concerne  la  taille  petite  et  grande.  Pourquoi  se  borner  à 
grouper  ensemble,  les  caractères  extrêmes.  Entre  les  petits 


DISCUSSION    SUH    LES    CELTES  349 

brachycéphaleset  les  grands  dolichocéphales,  il  y  a  en  France 
une  grande  majorité  d'intermédiaires.  Cette  majorité  ne  doit 
pas  être  composée  uniquement  de  métis.  Il  y  a  certainement 
plusieurs  races.  Il  ne  faut  donc  pas  se  borner  à  ne  voir  que 
des  Celtes  et  des  Gaulois.  Il  faut,  par  une  étude  approfondie 
et  minutieuse,  reconnaître  et  définir  les  diverses  races.  C'est 
pour  arriver  à  ce  résultat,  que  les  recherches  historiques  de 
M.  Lefèvre,  linguistiques  de  M.  d'Arbois  de  Jubainville,  an- 
thropologiques de  M.  Collignon,  sont  des  plus  utiles.  Joignons 
encore  les  travaux  palethnologiques.  Ce  n'est  qu'en  combi- 
nant toutes  ces  recherches,  toutes  ces  études,  tous  ces  efforts 
et  en  faisant  appel  à  toutes  les  sciences,  que  nous  arriverons 
à  posséder  des  données  sérieuses  sur  la  population  de  la 
France. 

M.  Zaborowski.  —  J'avais  demandé  la  parole  pour  appuyer 
encore  les  observations  présentées  par  M.  G.  de  Mortillet.  Car 
si  on  ne  se  tient  pas  aux  distinctions  qu'il  a  rappelées,  on 
s'exposera  assurément  à  des  confusions  inextricables.  Les 
anthropologistes  ont  bien  le  droit  d'emprunter  à  l'histoire  les 
noms  dont  ils  ont  besoin.  Pour  la  Gaule  où  se  trouvaient  deux 
éléments  ethniques  principaux,  ils  disposaient  de  deux  noms 
historiques.  Et  ce  n'est  assurément  pas  celui  de  Galates  ou  de 
Gaulois  qu'ils  pouvaient  appliquer  à  l'élément  petit  et  brun. 
Je  me  souviens  très  bien  que  Henri  Martin,  par  exemple,  a 
toujours  soutenu  que  les  véritables  introducteurs  du  nom  et 
des  idiomes  celtes  étaient  les  grands  blonds.  Et,  si  je  ne  me 
trompe,  on  n'a  pas  pu  démontrer  qu'il  avait  complètement 
tort,  bien  que  d'autres  aient  toujours  vu  dans  les  petits  bruns 
le  premier  élément  aryen  (par  la  langue)  de  l'Europe  occiden- 
tale. Mais  je  me  souviens  aussi  très  bien  que  Broca  a  claire- 
ment expliqué  qu'il  appelait  Celtes,  les  habitants  de  la  Celti- 
que de  César  .  Et  M.  André  Lefèvre  vient  précisément  de  rap- 
peler avec  beaucoup  d'à-propos  et  de  justesse,  ce  qui  s'est 
passé  dans  la  Celtique. 

Les  grands  blonds  y  formèrent  une  petite  aristocratie  et 
Unirent  par  en  disparaître  ou  à  peu  près.  Les  indigènes  étaient 


350  SÉANCE  DU    16  MAI  1895 

ces  petits  à  cheveux  foncés.  Ils  formaient  la  plèbe  et  aussi  le 
nombre.  Ils  n'étaient  pas  guerriers,  et  c'est  pourquoi  les  an- 
ciens les  ont  presque  ignorés,  comme  cela  a  été  dit,  en  appli- 
quant peut-être,  en  effet,  au  peuple  où  ils  étaient  en  majorité 
le  nom  de  leurs  dominateurs.  Mais,  attachés  au  sol  qu'ils  cul- 
tivaient, ils  ont,  pour  ce  motif  même,  survécu  à  leurs  domi- 
nateurs. Ce  caractère  moral  se  retrouve  chez  les  autres  peu- 
ples de  même  race.  Et  nous  sommes  tellement  habitués  à 
reconnaître  leur  physionomie,  sous  le  nom  de  Celtes,  consa- 
cré, d'ailleurs,  par  des  travaux  considérables  qui,  en  admet- 
tant que  ce  nom  ait  des  inconvénients,  ne  pourrait  plus  être 
changé.  11  ost  de  même  évident  que  le  nom  de  France  ne  sera 
jamais  changé,  et  que.  cependant,  personne  aujourd'hui  ne  se 
représente  les  habitants  de  la  France,  et  encore  moins,  le 
français  typique,  sous  les  traits  des  Francs  de  l'histoire. 

Four  ce  qui  est  des  Ligures,  l'histoire  ne  nous  en  dit  pas 
graad'ehose.  Mais  sans  prétendre  contrarier  en  rien  ses 
recherches  particulières,  à  elle  qui  s'occupe  de  l'évolution 
politique  des  peuples,  alors  que  nous  nous  préoccupons  des 
caractères  et  du  rôle  de  leurs  éléments  ethniques,  nous  avons 
donné  le  nom  de  Ligure  à  un  certain  type  crânien.  Et  je  ne 
connais  pas  de  nom  qui  lui  convienne  mieux,  car  ce  type  est 
bien  celui  qui  a  dominé  en  Ligurie,  chez  le  peuple  Ligure. 
Cependant,  nous  le  retrouvons  en  Italie,  à  une  époque  très 
reculée,  bien  antérieure  à  la  venue  du  peuple  Ligure  de  l'his- 
toire. Nous  le  retrouvons,  même  en  Espagne,  à  une  époque 
peut-être  encore  plus  reculée.  Comment  a-t-il  pénétré  jusque 
là?  Je  l'ignore.  Mais,  il  va  sans  dire  qu'en  constatant  la  pré- 
sence ancienne  de  cet  élément  ethnique,  nous  ne  prétendons 
nullement  qu'aux  mêmes  époques  et  partout  où  on  le  retrouve, 
le  peuple  ligure  s'est  promené  triomphalement,  assurant  {(ai- 
des conquêtes,  son  existence,  ou  sa  domination  politique. 

Le  Colonel  Duhousset.  —  Ayantbeaucoup  voyagé,  je  sais  que 
le  document  anthropologique  aussi  consciencieux  qu'il  soit, 
doit,  pour  atteindre  un  résultat  utile,  être  corroboré  par  de 
nombreuses  constatation?  du  même  genre  et  m'est  avis,  que 


GLOTZ.   -  -    LLS  ANIMAUX  INCLUS  DANS  l/AMBltE  351 

dans  le  principe,  on  s'est  un  peu  trop  pressé  d'établir  des 
moyennes,  je  suis  donc  de  l'opinion  du  D1'  Gollignon  rappelant 
cette  vérité  de  ne  pas  conclure,  à  la  légère,  avec  un  bagage  res- 
treint d'expériences;  il  le  sait,  mieux,  que  personne,  puisque 
nous  lui  sommes  redevables  d'études  sérieuses  appuyées  de 
nombreuses  constatations  comparatives,  suivies  sur  les  popu- 
lations de  la  France. 

Etant  d'accord  avec  le  docteur,  je  viens  dire  deux  mots  à 
propos  de  la  citation  qu'il  évoque  d'une  étude  céphalométri- 
que (relatée  dans  les  mémoires  de  la  Société),  faite,  il  y  a 
vingt-sept  ans,  sur  les  Ligures,  dans  les  environs  du  col  de 
Tende.  M.  le  D-*  Gillebert  d'Hercourt  et  moi,  qui  avons  fait  en- 
semble ce  petit  voyage,  nous  ne  sommes  allés  dans  ce  pays 
d'une  grande  rusticité,  que  parce  que  l'endroit  nous  avait  été 
signalé  comme  renfermant  les  types  les  moins  mélangés  des 
sujets  dits  Ligures,  qu'on  sait  encore  bien  reconnaître  dans 
les  populations  travailleuses  de  Monaco,  Nice  et  Menton  et, 
ni  mon  compagnon,  ni  moi,  n'espérions  par  la  modeste  obser- 
vation que  nous  communiquions  à  la  Société,  en  1868,  faire 
autre  chose  que  d'apporter  un  document  sérieusement  établi 
comme  petite  contribution  confirmant  la  ténacité  de  ces  mon- 
tagnards à  habiter  de  si  rudes  contrées,  avec  l'apparence 
d'un  type  dont  la  persistance  les  distingue  des  autres. 


L.e«*  animaux  inclus  dans  l'ambre  et  la  littérature  ancienne. 

Par  M.  Glotz, 
Professeur  d'histoire  au  Lycée  Michclol. 

Un  sait  qu'on  rencontre  très  fréquemment  dans  l'ambre  des 

insectes,  des  vers  et  même  de  petits  reptiles  qui  ont  été  enve- 
loppés par  t'ambre  liquide  alors  qu'il  coulait  de  l'écorce  du 
pinites  succinifer  tertiaire.  Los  anciens  connaissaient  bien  ces 
particularités  de  l'ambre,  mais  Grecs  et  Romains  ne  s'en  sont 
pas  également  occupés. 


352  SÉANCE  DU  16  MAI  1805 

C'est  dans  un  ouvrage  d'Aristote qu'on  trouve,  à  ma  connais- 
sance,   la   première    mention  faite  par  l'antiquité  classique 
d'animaux  contenus  dans  le  succin  *.  Mais  les  écrivains  grecs 
ne  semblent  pas  s'être  fort  préoccupés  de   ce  phénomène  : 
depuis  Thaïes  -  et  Théophraste  jusqu'aux  derniers  de  ces 
faiseurs  d'hypothèses  qu'énumère  l'infatigable   et  fatigante 
érudition  de  Pline  '',   tous  ils   préféraient  aux  observations 
précises  sur  des  accidents  les  conceptions  théoriques  sur  la 
formation  et  les  propriétés  de  l'fliwrpw.  Les  auteurs  latins,  au 
contraire,   qui   ne   se  piquent  pas  d'originalité  scientifique, 
aiment  les  détails  curieux  et  cherchent  volontiers  la  petite 
bète  dans  l'ambre.  Quand  Pline  résume  les  connaissances  de 
son  époque  sur  l'origine  de  cette  matière,  il  ne  manque  pas 
dédire  :  «  Il  est  d'abord  distillé  à  l'état  liquide  :  c'est  ce  que 
prouvent  certains  objets  visibles  dans  les  couches  intérieures, 
tels  que  fourmis,  moucherons,  lézards  :  évidemment  ces  objets 
ont  été  pris  dans  la  résine  liquide  et  y  sont  restés  enfermés 
quand  elle  s'est  durcie  b  ».  Dans  un  passage  de  la  Germanie, 
où  Tacite  semble  avoir  eu  sous  les  yeux  l'ouvrage  de  Pline  ou 
du  moins  une  source  commune,  on  lit  :  «  Terrena  qumdam  atque 
etiam  volucria  animalia  plerumque  interlucent  i;.  »  Toujours  pour 
prouver  que  le  succin  est  une  résine  solidifiée,  Saint-Ambroise 

i  ÀRI8TOTE,  Meteorol,  IV.  10, 10  (éd.  DiJot,  t.  III,  p.  023).  L'ambre, 
dit-il,  paraît  de  la  même  famille  que  la  gomme;  «  car  il  se  coagule, 
et  de  \k  vient  qu'on  y  voit  souvent  des  animaux  qui  s'y  sont  trouves 
ensevelis.  »  (Trad.  Barthélémy  Sl-Hilaire).  Cf.  De  mirab.il.  auscult. 
LXXXI,  82. 

'-  DlOGÉNE  Laerce,   I,  24. 

3  Théophraste,  Lap.  28-20. 

i  Pline,  Hist.  nal.  XXXVII,  2-3  (11-12),  30-53. 

■>Id.ibid.  4G.  Pline  connaît  aus^i  l'existence  de  morceaux  d'ambre 
brut  auxquels  adhère  de  fécorce  fossile  de  pin.  Il  cile  à  ce  propos 
l'autorité  du  roi  de  Gappadoce  Archelaos;  nous  citerons  les  planches 
de  l'ouvrage  intitulé  Die  Flora  des  Bernsleins  und  ihre  Beziehunycn 
zur  Flora  der  Ter tiâr formation  und  der  Gegenioarl  (t.  1,  par  H.  R. 
Geoppert  et  A.  Menge,  Dantzig,  1883:  t.  U,parH.  Conwenlz,  1880). 

8  Tacite,  Germanie,  45. 


GLOTZ.  —  LLS  ANIMAUX   INCLUS  DANS   l'AMBRE  353 

raconte  qu'on  y  trouve  souvent  «  des  feuilles  et  de  très  menus 
bouts  de  bois,  ou  des  animaux  appartenant  aux  petites 
espèces  1.  »  Enfin,  s'il  est  permis  de  rapprocher  Martial  de 
Saint-Ambroise,  ou  doit  remarquer  les  trois  épigram mes  sui- 
vantes : 

1"  «  Cachée  et  luisante  au  fond  d'une  larme  versée  par  une 
sœur  de  Phaéthon,  elle  semble,  cette  abeille,  enfermée  dans 
son  propre  nectar.  Elle  a  obtenu  le  digne  prix  de  si  grands 
labeurs  :  c'est  à  croire  qu'elle  s'est  choisi  cette  mort  »  2. 

2°  «  Près  des  rameaux  larmoyants  des  Iléliades  rampait  une 
vipère,  quand  une  goutte  d'ambre  coula  juste  sur  la  bète. 
Tandis  qu'elle  s'étonnait  d'être  prise  dans  la  gluante  rosée, 
elle  se  raidit  emprisonnée  soudain  dans  cette  glace  durcie.  Ne 
sois  pas  si  vaine,  Cléopàtre,  de  ton  royal  sépulcre,  puisqu'une 
vipère  gît  dans  une  plus  noble  tombe  »  3. 

3°  «  Tandis  que  dans  l'ombre  que  font  les  sœurs  de  Phaéthon 
errait  une  fourmi,  une  goutte  d'ambre  enveloppa  la  bestiole. 
Ainsi,  après  avoir  été  dédaignée  sa  vie  durant,  la  voilà  par  sa 
mort  devenue  chose  précieuse  »  f. 

Le  témoignage  de  Martial  n'est  pas  indifférent  :  ces  trois 
épigrammes  sont  évidemment  de  la  même  catégorie  que  celles 
où  sunt  décrites  des  œuvres  d'art.  Les  pièces  d'ambre  historiées 
étaient  fort  prisées  à  Rome.  Les  riches  patriciens  les  mettaient 
en  bonne  place  dans  leurs  collections  artistiques.  Un  les  avait 
montrées  avec  orgueil  à  Martial,  et  ce  marchand  de  distiques 
alambiqués  avait  aiguisé  ses  traits  d'esprit  sur  commande. 
Rien  de  pareil  chez  les  Grecs.  L'Anthologie  fourmille  d'épi- 
grammes  composées  à  la  louange  de  tel  bronze  fameux,  de 
telle  statue  au  goût  du  jour  :  elle  en  contient,  par  exemple, 
une  série  interminable  sur  la  célèbre  Vache  de  Myron.  Je  n'y 
vois  pas,  pour  moi,  un  seul  vers  consacré  à  une  pièce  d'ambre. 
Cette  différence  entre  la  Grèce  et  Rome  est  de  tous  les  temps 

i  Saint  Ambroise,  1.  II,  Hexameron,  15. 

2  Martial,  IV,  32. 

3  ld.,  ibid.,  5  p. 

4  ld.  VI,  15. 


354  SÉANCE  DU    16  MAI  1895 

et  se  retrouve  pour  tous  les  usages  «le  l'ambre.  Les  Hellènes 
n'y  ont  jamais  tenu;  les  Italiens  l'ont  toujours  recherché.  Les 
fouilles  de  Tirynthe  1  et  de  Troie2  n'ont  pas  révélé  trace  d'ambre. 
Un  en  a  trouvé  sous  forme  de  perles  à  Mycènes3  et  àMénidi4. 
Homère  explique  l'emploi  de  ces  perles  :  on  voit  clans  l'Odyssée 
un  marchand  phénicien  étaler  aux  yeux  des  femmes  grecques 
un  collier  formé  de  grains  d'ambre  que  réunit  un  fil  d'or  5. 
A  l'époque  classique,  les  Grecs  dédaignent  l'ambre  même  pour 
cet  usage  déjà  si  restreint G.  Comme  on  l'a  dit7,  «  en  absorbant 
la  lumière  au  lieu  de  la  réfléchir,  l'ambre  émousse  la  netteté 
du  contour  »  :  il  ne  pouvait  convenir  à  ce  peuple  d'artistes- 
nés,  amoureux  de  lumière  et  de  formes  franches.  Voyez,  par 
contre,  les  nations  de  l'Italie.  Dès  les  temps  les  plus  lointains 
et  pendant  très  longtemps,  on  y  eut  la  passion  des  colliers 
et  de  tous  les  ornements  en  ambre,  et  déjà  l'on  taillait  des 
figurines  dans  les  plus  gros  morceaux  :  c'est  ce  qu'établissent 
les  découvertes  faites  dans  les  tombes  de  l'Étrurie  et  de  la 
vallée  du  Pô,  du  Latiuni  et  delà  Gampanie,  de  la  Lucanie  et 
de  l'Apulie  8.  Si  cette  vogue  de  l'ambre  tomba  quelque  temps, 
c'est  qu'alors  on  était  tout  aux  idées  grecques  en  matière  d'es- 
thétique. Dès  que  Rome  s'émancipa  de  cette  discipline,  le 
naturel  revint  au  galop,  et  l'ambre  fut  remis  à  la  mode.  Ce 
fut  une  fureur.  Les  femmes  l'estimèrent  autant  que  la  perle0; 
elles  en  recherchèrent  la  nuance  pour  leurs  cheveux  10.  On  en 


i  Perrot  et  Chipiez.  Hisl.  de  l'art,  VI,  5G0. 

2  Ibid.  947. 

3  Schliemann,  Mycèms,  trad.  franc,  p.  282-283,  326-327. 
i  Das  Kuppelgrab  vonMenidi,  p.  22,  37. 

s  Homère,  Od  ,  XV,  460.  Cf.  XVIII,  295-296. 
'•  Voir  A.  Jacob,  art.  Electrum,  dans  le  Dict.  des  Antiquités  de 
M.  Saglio. 

t  Perrot,  l.  c,  947. 

s  Voir  l'article  cité  du  Dict.  des  Antiquités. 

'•'  Pline.  I.  c,  30. 

10  PLINE,  l.  c.,  49. 


GLOTZ.  —   LLS  ANIMAUX  INCLUS   DANS  l'aMBRE  355 

fit  toutes  sortes  de  bijoux  '.  On  y  sculpta  des  coupes  -  et  des 
statuettes  3  qui  atteignirent  des  prix  exorbitants.  Sous  Néron, 
un  entrepreneur  des  jeux  envoya  en  Germanie  un  chevalier 
qui  ramassa  l'ambre  sur  tous  les  marchés  et  en  rapporta  une 
telle  provision  qu'on  en  fabriqua  pour  un  jour  l'attirail  complet 
du  cirque4.  Il  faut  voir  avec  quelle  indignation  Pline  déclame 
contre  un  tel  engoûment :i.  Il  n'est  pas  étonnant  que  les  ama- 
teurs romains  aient  aussi  placé  sur  les  rayons  de  leurs  armoires 
des  morceaux  d'ambre  taillés  régulièrement  et  illustrés  d'un 
insecte  ou  d'un  reptile. 

i  Voir  \V.  IIelbig,  Observazioni  sopra  il  commercio  de -ambra,  dans 
les  MU  deïï  Arnd.  dei  Licci,  1876-1877,  p.  422;  F.  WalAnann,  Der 
Bernstein  in  Alterlhum,  p.  48. 

2  Juvénal,  V,  37;  Bullet.  deïï  Inst.,  1842,  p.  41;  Ch.  de  Linas, 
Les  origines  de  l'orfèvrerie  cloisonnée,  p.  147. 

3  Pacsan,  V,  12,  7;  Pline,  l.  c  ;  Chabouillet,  Calai  gênerai  des 
camées  et  pierres  gravées  de  la  Bibl.  Nat.  n°  3489,  3505. 

'*  Pline,  /.  c,  45. 

s  Pline,  l.  c,  30,49.  La  médecine,  qui  ne  résiste  pas  toujours 
aux  entraînements  de  la  mode,  s'en  mêla.  De  tout  temps,  les  enfants 
porlaientdesamulettesd'ambre(id.,  /.c.,51;  W  IIelbig,  op.  cit.,  p. 
428)  ;  les  paysancs  transpadanes  croj-aientque  leurs  colliers  d'ambre 
les  garantissaient  contre  les  affections  de  la  gorge  provoquées  par 
la  consommation  des  eaux  alpestres  (Pline,  /.  c  ,  44).  Les  hommes 
de  l'art  préconisèrent  l'ambre  pour  la  folie  et  la  dysurie  ;  ils  le  pres- 
crivirent sous  forme  d'amulette  contre  les  fièvres,  en  pommade 
contre  les  maux  d'oreilles  et  les  maladies  de  la  vue,  en  poudre  ou 
en  solution  contre  les  maux  d'estomac  (id.,  /.  c,  51),  enfin  en 
pastilles  pour  tous  les  cas  imaginables  (Oribase,  éd.  Daremberg  et 
Bussemaker,  p.  131,  872).  Je  ne  sais  si  l'on  a  remarqué  cette  pres- 
cription, qui  est  bien  une  des  plus  étranges  aberrations  où  soit 
jamais  tombé  l'empirisme  des  charlatans  et  des  sorciers  :  «  Laccr- 
tam  viridem  excœcatam  acu  cuprea  in  vas  vitreum  mittes  cum 
annnlis  aurcis,  argenteis,  ftrreis  cl  electrinis,  si  fuerint,  aut  etiam 
cupreis;  deinde  vas  gypsabis  aut  claudes  diligenter  atque  signabis, 
cl  post  quin'um  vcl  scptimum  diem  apcries;  lacertam  sanis  lumi- 
nibus  inverties,  quant  vivant  dimitles;  annulis  contra  lippitudinem 
ita  uteris,  ut  non  solum  digito  gestenlar,  sed  etiam  oculis  crebrins 
appliccntur,  ita  ut  per  foramen  annuli  visus  transmittatur.  Obser- 
oandum  sanc  imprimis,  ut  inloco  nitido  atque  herbido  deponatur 


356  SÉANCE  DU  16  MAI  1895 

Notre  goût  artistique  serait  plutôt  d'accord  sur  ce  point 
avec  celui  des  Grecs  qu'avec  celui  des  Romains.  Mais 
si  des  pièces  de  ce  genre  venaient  peupler  les  vitrines  des 
musées  ou  étaient  publiées  systématiquement,  la  science  y 
trouverait  son  compte.  On  a  étudié  avec  le  plus  grand  soin  les 
végétaux  contenus  dans  l'ambre  :  les  sociétés  d'histoire  natu- 
relle ou  d'archéologie  qui  fonctionnent  dans  les  pays  d'où 
l'ambre  est  originaire,  surtout  dans  le  Sammland,  ont  une 
prédilection  pour  ces  travaux.  11  faudrait  passer  résolument 
de  la  botanique  à  la  zoologie  de  l'ambre.  La  tentative  ne  serait 
pas  absolument  nouvelle  i:  mais  il  s'agirait  de  multiplier  les 
recherches  dans  cette  voie,  et  peut-être  qu'un  jour  on  consti- 
tuera une  entomologie  de  l'ambre.  Les  victimes  du  pinites 
succinifer  seront  pour  les  naturalistes  des  pièces  admirable- 
ment préparées.  On  peut  en  croire  André  Ghénier,  qui  dit, 
en  parlant  de  la  Mer  Baltique  : 

Là  les  arts  vont  cueillir  celte  merveille  utile, 
Tombe  odorante  où  vit  l'insecte  volatile  : 
Dans  cet  or  diaphane  il  est  lui-même  encor; 
On  dirait  qu'il  respire  et  va  prendre  l'essor. 


ampulla,  et,  <juum  lacerta  discessit,  tum  annuli  colligantur  ;  obser- 
vandum  etiam,  ut  luna  vetere,  id  eu  a  luna  nona  décima  in  vice- 
simam  quintam,  dis  Jovis  spptembri  même  capiatur  lacerta  atque 
ita  remedium  fiât,  sed  ab  hominc  puro  atque  casto.  »  (Marcellus, 
Demedicamentis,  VIII,  49  50;  cf.  XXVI,  17). 

i  A.  Menue,  Lebenszeichen  voriveltlicher,  im  Bernstein  einge- 
schlossener  Thiere,  Progr.  der  Petrischule  in  Dautzig,  1856:  Ein 
Scorpion  und  zwei  Spinnen  im  Bernstein,  dansles  Schrift.  d.  Natur- 
forschenden  (lesellsch.  in  Danfzig,  t  II,  1869.  Voir  aussi,  sur  les 
planches  de  l'ouvrage  cité  de  Goeppert-Menge  et  Conwenlz  un  mou- 
cheron avec  un  graminophylliun  succineum  Conio.  (t.  II,  pi. 
I,  n°  23),  une  larve  (t.  I,  pi.  I,  n°  5),  des  traces  d'insectes  et  de  vers 
(id.,  13  c;  18,  a,  b,  c). 


L.  MANOUVRIER.    —  LE  T  SINC1PITAL  357 


Le  T  sineipital.  -Curieuse  mutilation  crânienne  néolithique. 

M.  Manouvrier.  -  Dans  une  précédente  communication  que 
j'ai  faite  avec  M.  Perrier  du  Carne  sur  le  dolmen  d'Epone  (près 
Mantes,  Seine-et-Oise),  il.  a  été  question  d'une  curieuse  cica- 
trice en  forme  de  T  trouvée  sur  des  crânes  provenant  de  cette 

sépulture  néolithique. 

Cette  cicatrice  en  T  résulte  évidemment  de  lésions  subies 
pendant  la  vie  par  le  cuir  chevelu  et  ayant  intéressé  direc- 
tement ou  indirectement  les  os  sous-jacents. 

Elle  occupe  toujours  la  région  du  vertex  ou  sirwiput  et  pré- 
sente toujours  la  même  forme.  Sa  branche  antéro-postérieure 
commence  toujours  un  peu  au-dessus  de  la  courbure  antérieure 
le  l'os  frontal.  Elle  suit  ensuite  la  suture  sagittale  et  se  termine 
au  voisinage  du  Fobélion  où  elle  rencontre  la  branche  trans- 
versale du  T-  Celle-ci  descend  de  chaque  côté,  symétriquement 
et  perpendiculairement  à  la  branche  antéro-postérieure,  jusque 
derrière  la  bosse  pariétale. 

Surles  12  crânes  extraits  du  dolmen  d'Epone,  trois  présen- 
taient la  cicatrice  en  T  et  tous  trois  étaient  féminins,  Sixautres 
crânes  féminins  ne  la  présentaient  pas. 

Avant  de  tenter  une  interprétation  de  cette  mutilation,  non 
moins  curieuse  que  les  trépanations  néolithiques,  j'ai  voulu 
essayer  d'étendre  un  peu  mon  information.  Pour  cela  j'ai  cher- 
ché dans  les  collections  du  musée  Broca,  dans  l'espoirdetrou- 
ver  d'autres  crânes  présentant  la  cicatrice  en  question,  car  elle 
aurait  fort  bien  pu  échapper  aux  observateurs  ou  être  consi- 
dérée comme  le  résultat  d'un  simple  accident  dépourvu  d'in- 

térèt . 

Effectivement,  j'ai  trouvé  trois  autres  crânes  pourvus  de  la 
cicatrice  en  T  qui  offre,  sur  eux,  exactement  la  même  grandeur 
et  la  même  disposition  que  sur  les  crânes  d'Epone.  Ces  trois 
nouveaux  crânes  sontencore  manifestement  féminins,  de  sorte 
que  l'on  ne  peut  plus  guère  douter  de  l'exclusivité  de  la  mu- 
tilation au  sexe  féminin. 


.158  SiANCEDU  1  * i  MAI    1895 

L'un  de  ces  crânes  provient  du  dolmen  de  Vauréal  (Seine- 
et-Oise);  c'est  celui  d'une  jeune  tille  de  13  ou  14  ans  environ. 

Le  second  provient  du  dolmen  de  Conflans-Ste-Honorine 
(Seine-et-Oise).  C'est  le  crâne  d'une  femme  adulte. 

Le  troisième  provient  du  dolmen  de  Feigneux  (Seine-et-Oise) 
C'est  un  crâne  de  femme  paraissant  assez  âgée,  d'après  la 
soudure  du  quart  inférieur  de  la  suture  coronale  et  d'après 
l'aspect  de  la  surface  des  us. 

Les  trois  dolmens  cités  ci-dessus  sont  peu  distantsdu  dolmen 
d'Epône  et  aucun  des  autres  dolmens  représentés  dans  les 
collections  du  .Musée  Broca  n'a  fourni  de  crânes  possédant  la 
cicatrice  en  T-  Il  semblerait  donc,  jusqu'à  plus  ample  informé, 
que  la  mutilation  d'où  résulte  cette  cicatrice  était  produite  dans 
une  population  néolithique  habitant  un  pays  assez  limité,  aux 
environs  de  Mantes,  au  nord-ouest  de  Paris. 

Sur  le  crâne  de  la  jeune  fille  de  Vauréal,  la  cicatrice  est  très 
peu  profonde.  Les  deux  brandies  du  J  sout  interrompues  par 
places.  Sur  le  crâne  de  la  vieille  femme  de  Feigneux,  au 
contraire,  la  cicatrice  présente  le  maximum  de  largeur  et  de 
profondeur.  Seule  la  portion  gauche  de  la  branche  transver- 
sale est  interrompue  sur  un  espace  d'un  centimètre. 

Sur  le  reste  de  cette  branche,  le  diploé  a  été  mis  à  nu  par 
la  blessure  ou  parla  suppuration.  La  branche  antéro-posté- 
rieure  du  J,  sur  ce  crâne,  atteint,  le  long  de  la  suture  sagittale, 
une  largeur  maximum  de  27  millimètres  et  une  profondeur 
maximum  de  3  millimètres. 

11  est  remarquable  que,  sur  tous  les  crânes,  la  cicatrice  en  y  est 
interrompue  par  places.  Ce  fait  montre  que  la  blessure  faite 
au  cuir  chevelu  n'a  pas  consisté  en  une  incision  ininterrompue. 
Il  y  a  eu  une  série  d'incisions  on  de  plaies  quelconques 
laissant  en  place  le  cuir  chevelu  qui  ,  sans  cela,  eût  pu  subir 
un  décollement  très  étendu. 

Un  autre  fait  à  noter,  c'est  que  les  extrémités  de  chaque 
branche  du  J  sont  toujours  très  bien  marquées  aux  mêmes 
places,  de  telle  sorte  que  si  l'une  des  branches  se  trouve  inter- 
rompue par  un  ou  plusieurs  intervalles  sains,  ou  est  sûr  de 


L.  MANODVRIER.   —    LE   T    SINCIPITAL  :{"><> 

trouver  néammoLns  l'extrémité  de  la  branche  parfaitement 
marquée  à  l'endroit  habituel,  et  alors,  parfois,  sous  la  forme 
d'un  point  plus  ou  moins  bien  circonscrit. 

Ce  fait  semble  indiquer  que  la  mutilation  subie  par  les  crânes 
était  pratiquée  suivant  un  rite  bien  arrêté  et  fidèlement 
observé. 

Il  parait  probable  que  cette  mutilation,  toujours  de  même 
forme  et  de  même  grandeur,  était  pratiquée  intentionnel- 
lement sur  certaines  femmes.  Sa  disposition  en  f  indiquerait, 
en  outre,  quelque  usage  religieux,  à  cause  delà  valeur  hiéra- 
tique attribuée  au  T- 

Cependant,  les  choses  pourraient  s'être  passées  beaucoup 
plus  simplement.  Ce  qui  permet  de  le  supposer,  c'est  que  la 
mutilation  semble  avoir  été  pratiquée  sur  les  deux  raies  de  la 
chevelure  qui  se  produisent  le  plus  naturellement  :  1°  la  raie 
médiane  qui  résulte  de  la  répartition  bilatérale  de  la  chevelure 
quand  celle-ci  est  écartée  pour  laisser  le  visage  découvert, 
2°  la  raie  transversale  qui  résulte  de  la  direction  naturelle  de 
la  portion  postérieure  de  la  chevelure  à  partir  du  tourbillon 
des  cheveux  précisément  situé  vers  Pobélion. 

Ces  deux  raies  forment  un  T  d'autant  mieux  dessiné  que  les 
cheveux  se  font  plus  rares,  de  sorte  que  la  mutilation,  produite 
volontairement  au  non,  n'a  eu  qu'à  suivre  les  raies  en  question 
pour  figurer  le  T  que  nous  voyons. 

11  est  vrai  que  le  T  naturellement  formé  par  les  deux  raies 
de  la  chevelure  a  pu  être  lui-même  le  prototype  du  T  hiératique. 

Quant  à  l'interprétation  de  la  cicatrice  trouvée  sur  nos 
crânes  néolithiques,  elle  peut  être  cherchée  dans  des  usages 
hypothétiques  se  rattachant  à  la  religion,  à  la  guerre,  à  la 
justice  pénale,  au  deuil,  à  la  thérapeutique,  a  la  coiffure,  etc. 
Je  réserverai  pour  le  prochain  congrès  de  l'Association  fran- 
çaise, à  Bordeaux,  ce  chapitre  conjectural  et  difficile.  D'ici  là, 
peut-être  de  nouveaux  documents  seront-ils  découverts. 

En  tout  cas,  il  me  parait  utile  derépandre  le  plus 'possible, 
parmi  les  archéologues  et  les  palethnologues,  la  connaissance 
de  la  cicatrice  en  T.  EU'1  contribuera,  comme  haute  curiosité, 


360  SÉANCE  DU  27  MAI  1895 

à  attirer  sur  les  crânes  préhistoriques  l'attention  des  fouilleurs 
trop  indifférents,  pour  la  plupart,  aux  squelettes  des  hommes 
qui  ont  taillé  les  silex  tant  recherchés  ou  qui  s'en  sont  servi. 

Peut-être  aussi  pourra-t-elle  servir,  si  on  la  rencontre  dans 
des  stations  plus  ou  moins  lointaines,  ii  établir  l'existence  de 
relations  entre  diverses  populations  de  l'époque  de  la  pierre. 

Une  coutume  aussi  particulière,  quelle  que  soit  sa  significa- 
tion propre,  indiquerait,  évidemment,  des  relations  ethniques 
avec  plus  de  sûreté  que  des  objets  d'un  usage  courant  chez 
tous  les  peuples  et  présentant  partout  des  formes  nécessaires 
dont  les  variations  limitées  ont  dû  se  répéter  bien  des  fois 
indépendamment  de  toute  relation  ou  parenté  entre  les  divers 
peuples. 

En  raison  de  l'incertitude  existante  au  sujetde  la  nature  de 
la  lésion  qui  a  produit  sur  le  crâne  la  marque  dont  il  s'agit  et 
au  sujet  «le  sa  cause,  je  crois  convenable  de  dénommer  cette 
marque  exclusivement  d'après  sa  forme  et  son  siège,  (l'est 
pourquoi  je  lui  donne  le  nom  de  Tsineipital. 

L'un  des  secrétaires  :  D1  P.  Raymond. 


G2Ô8  SEANCE.  —  27  Mai  1893. 

TREIZIÈME  CONFÉRENCE  ANNUELLE  TRANSFORMISTE 

Les  expressions  «le  la  physionomie;  leurs  origines 
anatomiques. 

Par  M.  Edouard  Guyer. 

Mesdames,  Messieurs, 

La  conférence  transformiste  a  été  instituée  dans  le  but  d'en- 
tendre exposer  chaque  année,  par  un  membre  de  la  Socirti' 
d' Anthropologie,  un  chapitre  de  nus  études  au  point  de  vue  de 
la  doctrine  de  l'évolution. 

Il  va  sans  dire  que,  vu  l'esprit  large  de  notre  Société,  il  n'a 


ED.  (TïER.  —  LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  301 

jamais  été  question  de  faire,  d'un  pareil  exposé,  uniquement 
un  plaidoyer  en  faveur  du  transformisme,  mais  encore,  le  cas 
échéant,  d'examiner  les  objections  qu'on  lui  peut  faire. 

(  Jependant,  je  dois  vous  le  dire  tout  d'abord,  il  se  trouve  que 
le  sujet  que  nous  avons  choisi  cette  année,  les  expressions  de 
la  physionomie,  plaide  d'une  façon  absolue  en  faveur  du  trans- 
formisme ;  c'est  pourquoi  je  crois  devoir  en  commençant  vous 
rappeler  ce  qu'est  cette  doctrine.  Cela  aura  pour  avantage  de 
nous  placer  bien  nettement  au  pointde  vue  qui  doit  nous  gui- 
der. 

Nous  rappellerons  donc  que  la  doctrine  transformiste,  rem- 
plaçant la  théorie  des  créations  indépendantes,  nous  enseigne 
que  l'homme  et  les  autres  animaux  émanent  d'espèces  infé- 
rieures qui,  dans  la  suite  des  temps,  sous  l'influence  du  milieu, 
se  sont  transformées,  modifiées,  jusqu'à  acquérir  des  caractè- 
res que  nous  leur  connaissons. 

Loin  d'être  un  roman  scientifique,  comme  on  l'a  dit  quel- 
quefois, cette  doctrine  repose  sur  des  bases  dont  la  raison  peut 
se  satisfaire. L'embryologie,  l'anatomie,  nous  donnent  des  preu- 
ves de  l'excellence  de  cette  doctrine. 

L'embryologie,  par  le  développement  de  l'homme  qui,  au 
début  de  son  existence,  passe,  dans  un  temps  relativement 
court,  par  toutes  les  phases  à  chacune  desquelles  se  sont  ar- 
rêtés ses  différents  ancêtres,  pendant  les  époques  qui  précè- 
dent celle  à  laquelle  nous  somme  arrivés.  Pour  se  convaincre 
de  l'existence  de  ces  transitions,  il  suffit  de  comparer  des 
embryons  humains,  à  des  stades  différents  de  leur  dévelop- 
pement, avec  l'embryon  d'un  reptile,  d'un  oiseau  et  d'un 
mammifère  quelconque.  La  ressemblance,  qui  est  frappante,  ne 
saurait  être  expliquée  par  la  théorie  des  créations  indépen- 
dantes; elle  est  assurément  mieux  appréciée  par  la  doctrine 
transformiste. 

L'anatomie,  par  les  organes  anormaux  ou  rudimentaires 
dont  la  présence  ne  peut  être  expliquée  que  par  le  fait  qu'à 
un  moment  donné  ces  organes  avaient  leurtitilité.  Par  exem- 
ple  :  l'appendice   du    caecum,    vestige  d'un    diverticule   du 

t.  vi  (4°  série).  24 


c02  SÉANCE  DU  27   MAI    1895 


O 


même  genre  très  développé  chez  les  herbivores:  les  muscles 
auriculaires,  très  développés  chez  les  animaux. dont  le  pavillon 
de  l'oreille  est  mobile;  le  muscle  pyramidal  de  l'abdomen, 
vestige  d'un  muscle  ayant  sa  raison  d'être  chez  les  marsu- 
piaux ;  le  repli  semi-lunaire  de  la  conjonctive,  débris  d'une 
troisième  paupière  qui  existe  chez  les  oiseaux,  etc. 

Malgré  que  nos  connaissances  aient  des  limites  que  nous  ne 
franchirons  probablement  jamais,  tout  ce  qui  peut  éclairer 
notre  origine  est  intéressant  ;  c'est  pourquoi,  non  seulement 
dans  ses  travaux  de  chaque  jour,  mais  encore  dans  cette  con- 
férence annuelle  qu'elle  a  fondée  depuis  treize  ans  déjà,  la 
Société  d'Anthropologie  s'occupe  des  questions  relatives  à  ce 
sujet  :  c'est  pourquoi  aussi  mes  prédécesseurs  dans  cette  con- 
férence ont  traité  des  questions  détachées  du  grand  ensem- 
ble de  la  théorie  transformiste. 

Nous  avons  choisi  les  expressions  de  la  physionomie  parce 
que,  nous  tenons  à  le  répéter,  elles  nous  fourniront  aussi  des 
preuves  de  la  parenté  de  l'homme  avec  les  autres  animaux. 
Nous  le  constaterons  bientôt  en  étudiant  non  seulement  leur 
mécanisme,  mais  encore  et  surtout  leur  signification. 

En  toute  sincérité,  celte  parenté  n'a  rien  qui  puisse  nous  of- 
fenser ;  pourquoi  rougirions-nous  de  notre  modeste  origine, 
quand  au  contraire  nous  devrions  nous  en  enorgueillir  ;  n'est-il 
pas  préférable  de  s'être  élevé  au-dessus  de  sa  condition  primi- 
tive que  d'être  resté  stationnaire  ou  peut-être  d'avoir  descendu. 

Du  reste,  pour  rassurer  toutes  les  consciences,  nous  tenons 
à  faire  remarquer  que,  à  notre  avis,  la  théorie  transformiste  n'a 
en  elle-même  rien  qui  puisse  blesser  aucun  sentiment,  même 
religieux  ;  elle  est  simplement  plus  scientifique  que  d'autres 
théories.  Ceux  qui  s'en  sont  faits  les  adversaires  ne  se  disent 
pas  assez  qu'en  n'admettant  pas  cette  doctrine  ils  sont  peu 
respectueux  de  la  volonté  créatrice,  car  ils  jugent  alors  celle-ci 
comme  n'ayant  pas  eu  un  plan  d'ensemble  bien  déterminé  dans 
l'œuvre  qu'ils  lui  font  gloire  d'avoir  accomplie. 

Parmi  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  des  expressions  de 
la  physionomie,  il  en  est  deux  qui  méritent,  chacun  pour  une 


ED.  CUYER.   —  LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  3fi3 

part  égale,  mais  pour  des  motifs  différents,  d'être  étudiés  d'une 
façon  plus  particulière,  ce  sont  :  Duchenne  (de  Boulogne)  et 
Darwin. 

Duchenne  s'occupa  du  mécanisme  des  expressions,  il  recher- 
cha par  quelles  modifications  de  forme  celles-ci  se  traduisent. 
Darwin  s'occupa  de  trouver  la  raison  d'être  de  ces  modifications. 
Le  premier  fit  connaître  le  «  comment  »  des  expressions,  le  se- 
cond en  détermina  le  «  pourquoi  ».  Développons  cesdeux  façons 
de  voir  et  occupons-nous  d'abord  de  Duchenne  (de  Boulogne). 
Les  muscles  de  la  face  (fig.  1)  sont  des  muscles  peaussiers, 
à  l'exception,  bien  entendu,  des  muscles  masticateurs.  Insérés 
par  l'une  de  leurs  extrémités  à  une  surface  osseuse,  ils  s'atta- 
chent par  l'autre  extrémité  à  la  face  profonde  de  la  peau  ;  ils  tra- 
duisent leur  contraction  par  des  déplacements  de  cette  dernière, 
déterminant  ainsi  des  plis,  changeant  la  direction  de  certaines 
rides  ou  des  parties  mobiles  de  la  face  :  paupières,  sourcils, 
ailes  du  nez,  lèvres,  commissures  labiales.  De  ces  modifications 
résultent  les  expressions  delà  physionomie. 

Pour  obtenir  d'une  façon  expérimentale  la  contraction  de 
chacun  de  ces  muscles,  Duchenne  employa  l'électricité. 

Mais  l'électrisation  des  muscles  de  la  face,  à  cause  de  la  sen- 
sibilité de  la  peau  qui  les  recouvre,  ne  peut  être  obtenue  sans 
déterminer  de  la  douleur  et,  par  conséquent,  une  contraction 
complexe  qui  n'est  pas  toujours,  bien  entendu,  celle  que  l'on 
désire  étudier. 

Duchenne  a  pu  éviter  cet  inconvénient  en  expérimentant 
sur  un  sujet  atteint  d'anesthésie  de  la  face,  c'est-à-dire  dont 
la  peau  du  visage  était  insensible. 

Les  excitateurs  étant  alors  placés  sur  des  points  déterminés, 
la  peau  se  laissait  traverser  par  le  courant  sans  être  impres- 
sionnée, le  muscle  choisi  se  contractait  et  une  expression  en 
résultait.  D'où  la  possibilité  de  désigner  chacun  des  muscles 
de  la  face  par  le  nom  de  l'expression  que  sa  contraction  déter- 
mine :  frontal,  muscle  de  l'attention;  grand  zygomatique, 
muscle  du  rire,  etc. 


364 


SÉANCE  DU  27   MAI  1895 


Fig.  !.  —  Mu<clc>  do  la  tôlo' (d'après  nature). 

I.  Occipital.  —  2.  Aponévrose  épicrànienne.  —  3.  Frontal.  —  4.  Orbiculaire 
des  paupières.  —  o.  Pyramidal.  —  G.  Canin  —  7.  Orbiculaire  dos  lèvros.  — 
S.  Triangulaire  dos  lèvros.  —  9.  Carré  do  la  lèvre  inférieure.  —  10.  Grand 
zygomatiquo.  —  11.  Élévateurs  de  la  lèvro  supérieure  et  do  l'aile  du  nez.  — 
—  1-2.  Polit  zygomatiquo.  —  11.  Transverse  du  noz.  —  14.  Massétor.  — 
18.  Auriculaire  supérieur.  —   lu.  Peaussier  du  cou. 


Le  résultat  de  ces  expériences  nous  a  été  transmis  au 
moyen  de  photographies  exécutées  par  Duchenne. 

Duohen ne  a  non  seulement  reproduit  les  expressions  d'une  fa- 
çon expérimentale,  il  nous  a  encore  enseigné  que  leur  mé- 
canisme est  plus  simple  qu'on  ne  lecroyait  jusqu'alors;  cette 
simplification  a  bien  sa  valeu.-.  D'apèslui,  dans  bien  des  cas,  la 
contraction  d'un  seul  muscle  suflit  pour  peindre  une  expres- 
sion. Il  nous  a  enseigné  aussi,  comme  complément  «à  l'obser- 
vation précédente,  que  si  dans  certains  cas  toute  la  face  semble 


ED    CU YEN.  —  LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  365 

modifiée,  c'est  que  le  changement  véritable  occasionne,  par 
un  effet  de  contraste,  un  sémillant  de  modification  dans  les 
parties  environnantes. 

Ce  phénomène,  comparable  aux  effets  déterminés  par  le. 
contraste  des  couleurs,  est  rendu  évident  par  l'une  des  pho- 
tographies exécutées  par  Duchenne.  La  bouche  du  sujet  a 
l'une  de  ses  commissures  abaissée,  expression  du  mépris,  tan- 
dis que  l'autre  commissure  est  élevée,  expression  du  sourire. 
En  masquant  le  côté  de  la  bouche  qui  sourit,  pour  ne  laisser 
visible  que  celui  qui  méprise,  on  constate  que  les  yeux  ont 
une  expression  de  froideur  très  nette  et  qu'ils  sont  bien  en 
accord  avec  la  signification  de  l'expression  de  la  bouche.  Au 
contraire,  ils  semblent  aimables  et  souriants,  lorsqu'on  laisse 
seulement  à  découvert  le  côté  de  la  bouche  ayant  celle  der- 
nière expression.  Le  changement  constaté  dans  l'expression 
des  yeux  n'est  évidemment,  dans  ces  deux  cas,  que  le  résul- 
tat d'une  illusion. 

La  simplification  des  éludes,  lorsqu'elle  ne  fait  pas  sortir 
ces  dernières  des  limites  de  la  vérité,  est  un  bien  à  tous  les 
points  de  vue,  et  au  point  de  vue  artistique  en  particulier  cette 
simplification  a  une  réelle  importance. 

Ceci  me  fournil  l'occasion  d'avoir  le  plaisir  de  rappeler  que 
mon  maître,  le  professeur  Mathias-Duval,  frappé  de  l'intérêt 
que  présentent  les  études  de  Duchenne,  lésa,  le  premier,  uti- 
lisées pour  l'instruction  des  artistes  dans  son  enseignement 
de  l'anatomie  à  l'École  nationale  des  Beaux-Arts.  Duchenne, 
peu  habitué  à  voir  ses  travaux  appréciés  de  cette  manière, 
en  fut  vivement  touché  et,  en  souvenir  de  cet  accueil,  donna 
la  collection  complète  de  ses  photographies  originales  à 
M.  Mathias-Duval  qui  les  offrit  à  son  tour  à  l'Ecole  des  Beaux- 
Arts,  où  nous  les  conservons  en  bonne  place  dans  notre  musée 
d'analomie,  c'est:à-dire  dans  le  musée  lluguier. 

Cependant  on  a  critiqué  Duchenne  :  on  a  eu  tort.  On  a  dit 
qu'il  avait  reproduit  des  grimaces.  Pourquoi  des  grimaces'.' 
C'est  peut-être  à  cause  de  l'impression  bizarre  produite,  si 
l'on  n'est  pas  prévenu,  par  certaines  photographies  sur  les- 


366  SÉAKCE  DU  2~  MAI  l89o 

quelles  ont  été  représentées,  sur  une  même  face,  d'un  côté 
l'expression  du  rire,  de  l'autre  l'expression  du  pleurer.  Un  au- 
rait dû  constater,  au  contraire,  que  ces  photographies  sont 
très  didactiques,  qu'elles  sont  excellentes  au  point  de  vue 
comparatif.  Les  photographies  de  Duche-nne  sont  expressives, 
et  elles  le  sont  d'une  façon  indiscutable. 

Un  lui  a  reproché  aussi  d'avoir,  pour  ses  expériences,  choisi 
un  sujet  laid.  Ce  sujet  n'est  pas  beau  il  est  vrai;  mais  qu'est- 
ce  que  cela  peut  faire?  Duchenne  n'en  avait  pas  d'autre  pré- 
sentant les  mêmes  conditions  d'insensibilité  associées  à  une 
peau  souple,  fine,  se  laissant  facilement  déplacer.  Il  faut,  au 
contraire,  nous  féliciter  qu'il  ait  rencontré  ce  sujet. 

Mais  ce  qu'il  faut  alors  reconnaître,  c'est  que  Duchenne 
n'est  pas  allé  plus  loin  dans  la  question  qui  nous  occupe,  et 
que,  s'il  a  su  décrire  le  mécanisme  des  expressions,  il  est  resté, 
au  point  de  vue  de  l'explication  de  leur  raison  d'être, 
dans  l'ordre  des  opinions  sentimentales.  En  effet,  il  se  conten- 
tait d'en  donner  l'explication  suivante:  «  Le  Créateur  n'a  pas 
eu  à  se  préoccuper  ici  des  besoins  de  la  mécanique;  il  a  pu, 
selon  sa  sagesse  ou  —  que  l'on  nie  pardonne  cette  manière  de 
parler  —  par  une  divine  fantaisie,  mettre  en  action  tel  ou  tel 
muscle,  un  seulou  plusieurs  muscles  à  la  fois,  lorsqu'il  a  voulu 
que  les  signes  caractéristiques  des  passions,  même  les  plus  fu- 
gaces, fussent  écrits  passagèrement  sur  la  face  de  l'homme. 
Ce  langage  de  la  physionomie  une  fois  créé,  il  lui  a  suffi,  pour 
le  rendre  universel  et  immuable,  de  donner  à  tout  être  hu- 
main la  faculté  instinctive  d'exprimer  toujours  ses  sentiments 
par  la  contraction  des  mêmes  muscles  '.  » 

Tout  autre  a  été  le  raie  de  Darwin.  Frappé  de  ce  fait  que  les 
expressions  se  traduisent  de  la  même  manière,  non  seulement 
dans  toutes  les  races  humaines,  à  tous  les  âges,  mais  encore 
chez  certains  animaux,  il  a  recherché  la  raison  d'être  de  cette 

i  G.-B.  Duchenne  (de  Boulogne),  Mécanisme  de  la  physionomie  hu- 
maine ou  analyse  électro-physiologique  de  l'expression  des  passions  ; 
Paris,  1876,  2e  édition,  p.  31. 


ED.  CUYER.  —  LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  307 

ressemblance  et  est  arrivé  à  cette  conclusion,  que  les  mouve- 
ments expressifs' de  la  face  ne  sont  que  des  gestes  en  rapport 
avec  l'accomplissement  de  fonctions  placées  sous  la  dépen- 
dance des  émotions;  en  un  mot,  les  expressions  ne  sont  (pie 
l'accomplissement  de  fonctions. 

Certaines  de  ces  fonctions  sont  encore  utiles,  et  les  mouve- 
ments de  la  face  qui  les  accompagnent  sont  facilement  explica- 
bles; il  n'en  est  pas  de  même  pour  d'autres  fonctions,  qui, 
n'ayant  plus  une  aussi  grande  utilité,  ont  cependant  leurs 
gestes  faciaux  conservés  par  la  force  de  l'habitude  transmise 
par  l'hérédité. 

En  résumé,  parce  qu'elles  sont  ou  ont  été  utiles  au  point  de 
vue  fonctionnel,  les  expressions  se  traduisent  et  sont  interpré- 
tées de  la  même  façon  dans  toutes  les  races  humaines,  chez  les 
singes  et  même  chez  d'autres  animaux. 

Comme  exemples  de  mouvements  utiles  se  reproduisant  par 
la  force  de  l'habitude  pendant  un  même  état  d'esprit,  et  pour 
donner  une  idée  des  recherches  de  Darwin,  nous  citerons  les 
signes  d'affirmation  et  de  négation  qu'il  a  étudiés  :  Offrez  à 
un  enfant  ou  à  un  chien  de  résultat  sera  le  même)  un  aliment 
qu'il  ne  veuille  pas  accepter,  il  tournera  alternativement  la 
tète  d'un  côté  et  d'autre  afin  d'éviter  que  sa  bouche  ne  soit  en 
contact  avec  l'aliment  en  question;  c'est  le  germe  du  non. 

Si,  au  contraire,  il  accepte,  il  penchera  la  tète  en  avant  afin 
de  happer  l'aliment;  c'est  le  germe  du  oui. 

Ces  signes,  bien  naturels,  sont  devenus  si  instinctifs,  que 
dans  toutes  les  circonstances  d'acceptation  ou  de  refus  ils 
sont  exécutés,  et  que  chez  tous  les  peuples  ils  sont  facile- 
ment compris. 

Lorsque  nous  frappons  du  pied  en  signe  d'une  impatience 
déterminée  par  une  cause  quelconque,  ne  retrouvons-nous 
pas  le  piétinement  de  l'animal  impatient  de  se  déplacer?  Et, 
si  nous  admettons  les  conséquences  de  cette  interprétation, 
lorsque,  pour  les  mêmes  causes,  nous  frapponsavec  les  doigts, 
d'une  façon  brusque  et  répétée,  sur  une  table  par  exemple, 
ne  pouvons-nous,  avec  raison,  assimiler  ces  mou  venu  nts  au 


368  séance  di   27  haï  L895 

piétinement    des    membres    antérieurs    d'un    quadrupède  '.' 

Si,  considérant  les  expressions  dans  leur  ensemble,  certains 
esprits  pensent  qu'il  en  est  de  bestiales  et  par  conséquent  in- 
dignes de  l'espèce  humaine,  on  peut  leur  rappeler  que  cer- 
tains individus  de  cette  espèce  si1  rapprochent  de  la  brute  et 
ajouter  que  c'est  une  nouvelle  preuve  de  notre  descendance, 
descendance  dont  ces  individus  ne  sont  pas  encore  parvenus 
a  se  séparer. 

Darwin  a  su  reconnaître  le  mérite  des  travaux  de  Duchenne 
et  les  a  utilisés.  C'est  pourquoi  nous  associons  ces  deux  auteurs 
dans  l'étude  dont  nous  nous  occupons  et  à  laquelle  nous  ajou- 
terons quelques  vues  qui  nous  sont  personnelles: 

.Nous  diviserons  les  expressions  en  deux  groupes  : 

1°  Les  expressions  faciles  à  expliquer,  parce  que  les  fonctions 
qu'elles  accompagnent  sont  encore  utiles. 

2"  Les  expressions  plus  difficiles  à  expliquer,  telles  que  le 
rire,  le  pleurer,  parce  qu'elles  constituent  des  gestes  exécutés 
par  la  force  de  l'habitude,  les  fonctions  qu'elles  accompagnent 
n'ayant  plus  une  utilité  aussi  facilement  appréciable. 

Nous  commencerons  par  l'expression  de  l'attention  qui  est 
traduite  par  la  contraction  du  muscle  frontal. 

11  faut  associer  la  description  du  frontal  à  celle  d'un  mus- 
cle qui  occupe  la  partie  postérieure  de  la  tète,  le  muscle  occi- 
pital, ces  deux  muscles  ayant  îles  connexions  qui  ne  peuvent 
être  méconnues. 

Le  muscle  occipital  s'insère  à  la  ligne  courbe  occipitale  supé- 
rieure, ses  fibres,  dirigées  en  haut,  vont  s'attacher  à  l'aponé- 
vrose épicrànienne;  celle-ci,  recouvrant  le  crâne  sans  y  adhérer, 
se  termine  à  la  partie  supérieure  du  front  et  donne  attache  au 
muscle  frontal  dont  les  fibres  charnues,  se  dirigeant  en  bas, 
vont  s'insérer  à  la  face  profonde  de  la  peau  que  recouvre  le 
sourcil. 

L'occipital,  en  se  contractant,  attire  l'aponévrose  en  bas 
et  en  arrière  et  la  tend,  celle-ci  donne  alors  un  point  fixe  au 
frontal  qui,  par  sa  contraction,  élève  la  peau  de  la  région  du 
sourcil.  Les  sourcils,  étant  élevés,  prennent  une  forme  courbe 


ED.  CUVER.  —  LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  369 

à  convexité  tournée  en  haut  et  la  peau  du  front,  ramassée 
sur  elle-même,  se  plisse  de  rides  transversales  d'autant  plus 
nombreuses  et  plus  marquées  qu'elle  est  plus  fine  et  moins 
élastique  (fîg.  2). 

L'œil,  parce  déplacement,  est  largement  découvert  et  peut 
recevoir  facilement  toutes  les  impressions  extérieures.  Par 
association,  cette  disposition  du  sourcil  qui  favorise  la  percep- 
tion de  ce  que  l'on  regarde,  ce  qui  constitue  bien  une  fonction, 
est  employée  pour  accompagner  toutes  les  circonstances  dans 
lesquelles  l'idée  d'attention  doit  être  exprimée. 


Fig.  2.  —  Schéma  do  l'attention  (d'après  Matliias-Duval)  '. 
Contraction  du  muscle  frontal. 


On  emploie  quelquefois  dans  le  langage  familier,  pour  re- 
commander à  quelqu'un  d'être  attentif,  une  locution  qui  rap- 
pelle et  dépeint  bien  le  mécanisme  que  nous  venons  d'indiquer; 

1  Les  schémas  des  expressions  que  nous  reproduisons  dans  cet 
article  sont  dus  aux  recherches  de  M  .  le  professeur  Mathias-Dûval. 
Voir  :  Malhias-Duval,  Précis  d'anatomie  artistique  (Bibliothèque  de 
l'enseignement  des  beaux-arls).  (Juantin,  éditeur. 


370  SÉANCE  DU  27  MAI   1893 

c'est  lorsque  l'on  remplace  «  fais  attention  »  par  «  ouvre  l'œil  ». 

L'attention  visuelle  accompagne  l'attention  auditive.  Ce- 
pendant si  cette  dernière  est  plus  particulièrement  en  jeu, 
comme  l'oreille  est  immobile,  la  tète  se  tourne  du  côté  d'où 
vient  le  bruit;  alors  le  muscle  sterno-cléido-inastoïdien  qui 
produit  ce  mouvement  devient  presque  un  muscle  de  l'expres- 
sion; c'est  encore  une  preuve  qu'une  expression  doit  être  as- 
sociée à  l'idée  de  fonction. 

Chez  le  chien,  les  deux  attentions,  visuelle  et  auditive,  se 
manifestenl  simultanément,  mais  d'une  autre  manière  :  la  ré- 
gion des  sourcils  est  élevée  et  les  oreilles  se  rapprochent  en 
tournant  leur  ouverture  en  avant  ;  par  exemple,  chez  un 
chien  cherchant  a  se  rendre  compte  d'un  événement  qui  l'in- 
téresse et  se  passe  loin  de  lui,  ou  auquel  on  montre  une  frian- 
dise en  lui  faisant  comprendre  qu'on  la  lui  destine.  On  cons- 
tate alors  la  présence,  dans  la  région  frontale,  de  rides  horizon- 
tales auxquelles  s'ajoutent  des  rides  verticales.  Ces  dernières 
sont  dues  au  rapprochement  des  oreilles  déterminé  par  la 
contraction  d'un  muscle  qui  relie  les  deux  pavillons  en  pas- 
sant sur  la  partie  correspondante  du  crâne. 

Mais  si  le  chien,  étant  attentif,  redoute  un  danger  immédiat, 
alors  il  dirige  ses  oreilles  en  arrière,  il  les  abrite  comme  pour 
les  soustraire  à  l'attaque  qu'il  redoute.  C'est  encore  une  fonc- 
tion. 

Mais  revenons  à  l'homme.  Si  l'attention  est  attirée  par  un 
fait  qui  détermine  de  l'étonnement,  de  la  surprise,  alors  la  con- 
traction du  frontal  est  plus  énergique,  ce  qui  occasionne  une 
plus  forte  élévation  des  sourcils;  en  même  temps,  la  bouche 
est  ouverte.  Darwin  explique  cette  ouverture  de  la  bouche  de 
la  manière  suivante  : 

«  Lorsque  l'attention  reste  concentrée  pendant  longtemps 
sur  quelque  objet  ou  sujet,  sans  s'en  détourner,  tous  les  organes 
du  corps  sont  oubliés  et  négligés  *;  et,  comme  la   somme  de 

i  Voir  à  ce  sujet  :  Gratiolet,  De  la  physionomie  et  des  mouvements 
d' es-pression,  Paris,  1865,  p.  254. 


ED.  CUYËR.   —  LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  M7I 

l'énergie  nerveuse,  chez  un  individu  donné,  est  limitée,  il  ne  s'en 
transmet  qu'une  faible  proportion  à  toutes  les  parties  du  sys- 
tème, sauf  à  celle  qui  actuellement  est  mise  énergiquement  en 
action;  c'est  pourquoi  la  plupart  des  muscles  tendent  à  se  re- 
lâcher, et  la  mâchoire  tombe  par  son  propre  poids.  Ainsi  s'ex- 
pliquent la  mâchoire  abaissée  et  la  bouche  ouverte  de  l'homme 
qui  est  stupéfié  ou  effrayé,  ou  même  qui  ne  subit  ces  impres- 
sions qu'à  un  faible  degré. 

«  Il  existe  encore  une  cause,  très  importante,  qui  provoque 
l'ouverture  de  la  bouche,  sous  l'influence  de  l'élonnement  et 
plus  spécialement  d'une  surprise  soudaine.  Il  nous  est  beau- 
coup plus  facile  d'exécuter  une  inspiration  vigoureuse  et  pro- 
fonde à  travers  la  bonche  ouverte  qu'à  travers  les  narines. 
Or,  lorsque  nous  tressaillons,  à  l'ouïe  de  quelque  son  brusque, 
à  l'aspect  de  quelque  objet  inattendu,  presque  tous  nos  muscles 
entrent  momentanément  et  involontairement  en  action  avec 
énergie,  pour  nous  mettre  en  état  de  repousser  ou  de  fuir  un 
danger,  dont  nous  associons  d'ordinaire  l'idée  à  toute  chose 
imprévue.  Mais,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  nous  nous  pré- 
parons toujours  à  un  acte  énergique  quelconque,  sans  en  avoir 
conscience,  en  exécutant  d'abord  une  profonde  inspiration, 
et  par  conséquent  nous  commençons  par  ouvrir  largement  la 
bouche.  Si  aucun  acte  ne  se  produit  et  si  notre  étonnement  dure, 
nous  cessons  un  instant  de  respirer,  ou  bien  nous  respirons 
aussi  doucement  que  possible,  afin  d'entendre  distinctement 
tout  son  qui  pourra  venir  frapper  nos  oreilles.  Enfin,  si  notre 
attention  se  prolonge  longtemps  et  que  notre  esprit  soit  entiè- 
rement absordé,  tous  nos  muscles  se  relâchent,  et  la  mâchoire, 
qui  s'était  d'abord  abaissée  brusquement,  conserve  cette  posi- 
tion. Ainsi  plusieurs  causes  concourent  à  produire  ce  même 
mouvement,  toutes  les  fois  que  nous  éprouvons  de  la  surprise, 
de l'étonnement,  de  la  stupéfaction1.» 

1  C.  Darwin,  l'Expression  des  émotions  chez  l'homme  et  les  animaux. 
Traduction  française  de  S.  l'ozzi  et  K.  Benoit  ;  Paris,  1877,  2°  édi- 
tion, p.  308  et  309. 


372  séance  du  27  mai  1895 

<  le  relâchement  musculaire,  qui  est  cause  de  rabaissement 
de  la  mâchoire  inférieure,  explique  aussi  le  fait  que  les  membres 
supérieurs  retombent  inertes  le  long  du  corps,  que  les  jambes 
fléchissent,  sous  l'influence  d'une  vive  surprise. 

Cela  explique  aussi  celte  locution  d'autant  plus  expressive 
qu'elle  est  le  plus  souvent  accompagnée  d'une  attitude  cor- 
respondante :«  Je  fus  tellement  surpris  que  les  bras  m'en  sont 
tombés.  » 

Si  la  surprise  a  été  provoquée  par  une  cause  indiscutablement 
dangereuse,  aux  caractères  que  nous  venons  de  signaler  s'a- 
joute la  contraction  du  muscle  peaussier. du  cou.  L'expression 
est  alors  celle  de  l'effroi,  de  la  terreur. 

Le  peaussier  du  cou  prend  ses  insertions  à  la  face  profonde 
de  la  peau  qui  recouvre  l'épaule  et  la  partie  supérieure  du 
muscle  grand  pectoral;  ses  fibres,  dirigées  en  haut  et  en  de- 
dans, recouvrent  les  muscles  du  cou,  atteignent  la  mâchoire 
inférieure  à  laquelle  quelques-unes  de  ces  fibres  prennent 
insertion,  tandis  que  les  autres  vont  s'attacher  à  la  peau  de 
la  région  inférieure  de  la  face.  En  se  contractant,  le  peaussier 
attire  en  bas  les  parties  de  la  face  auxquelles  il  s'insère,  et 
soulève  la  peau  du  cou  en  déterminant  à  ce  niveau  des  rides 
transversales  etdes  saillies  comparables  à  des  cordes  tendues  ; 
ces  saillies  sont  causées  par  le  groupement,  en  faisceaux  dis- 
tincts, des  fibres  charnues,  sous  l'influence  de  la  contraction. 

dette  contraction,  qui  accompagne  les  troubles  respiratoires, 
ne  donne  pas  lieu,  si  elle  est  isolée,  a  une  véritable  expres- 
sion; elle  ne  produit  qu'une  grimace.  Le  muscle  peaussier  par 
lui-même  est  donc  inexpressif;  mais  sa  contraction  associée  à 
celle  d'un  des  autres  muscles  de  la  face  donne  une  grande 
énergie  à  l'expression  déterminée  par  chacun  de  ces  derniers. 

Reprenant  dans  l'expression  de  l'attention  le  signe  le  plus 
typique,  l'élévation  du  sourcil,  je  voudrais  le  mettre  en  paral- 
lèle avec  le  déplacement  inverse  que  ce  dernier  subit  lors  d'une 
autre  expression;  je  fais  allusion  à  l'expression  de  la  réflexion. 

Lorsque  l'attention  est  fortement  fixée  sur  les  faits  exté- 
rieurs, on  ne  réfléchit  pas;  lorsqu'on  rentre  en  soi-même,  que 


ED.  CL'VER.  —  LES  EXPRESSIONS  DE  LA   PHYSIONOMIE 


373 


l'on  réfléchit,  on  cherche  à  ne  plus  être  distrait  par  les  impres- 
sions extérieures,  on  n'y  est  plus  attentif.  Donc,  si  l'attention 
et  la  réflexion  sont  antagonistes,  leurs  modes  d'expression  doi- 
vent être  différents  ;  c'est  en  effet  ce  que  nous  allons  constater. 

L'expression  de  la  réflexion  est  déterminée  par  la  contrac- 
tion de  la  portion  supérieure  de  l'orbiculaire  des  paupières. 

Ce  muscle  orbiculaire,  dont  les  insertions  se  font  sur  l'apo- 
physe montante  du  maxillaire  supérieur,  est  formé  de  fibres 
curvilignes  qui,  entourant  la  région  oculaire,  constituent  un 
anneau  musculaire  assez  large  pouvant  être  considéré  comme 
formé  de  deux  portions:  l'une,  supérieure,  qui  occupe  la  ré- 
gion du  sourcil  et  de  la  paupière  supérieure  ;  l'autre,  inférieure, 


Fig.  3.  —  Schéma  de  fa  réflexion  (d'après  Mathias-Duval). 
Contraction  de  l'orbiculairo  des  paupières. 


située  dans  la  région  et  la  paupière  opposées.  A  la  partie 
eyterne  de  la  région  orbitaire  les  fibres  de  ces  deux  por- 
tions s'entre-croisent  et  s'insèrent  à  la  face  profonde  dejla 
peau.  La  portion  supérieure,  en  se  contractant,  redresse  la 
courbure  de  ses  fibres  qui,  ainsi,  tendent  à  devenir  rectilignes. 
Il  en  résulte  l'abaissement  du  sourcil.  Cet  abaissement  du  sour- 


374  SÉANCE  DU  27  MAI  18'.)"» 

cil  entraîne  la  peau  du  front  en  lias,  aucune  ride  transversale 
n'existe  alors  dans  cette  région:  mais,  comme  l'orbiculaire 
n'est  pas  fixé  à  sa  partie  externe,  il  glisse  un  peu  de  dehors 
en  dedans,  et  le  sourcil  est  attiré  vers  la  ligne  médiane,  ce 
qui  explique  la  production  de  rides  verticales  dans  l'espace  in- 
tersourcilier  (fig.  3). 

Cet  abaissement  du  sourcil  est  destiné  à  soustraire  la  vue 
aux  impressions  extérieures;  ce  qui  le  prouve  bien,  c'est  que. 
si  cet  abaissement  n'est  pas  suffisant,  on  porte  la  main  devant 
les  yeux  afin  de  les  isoler  davantage  ;  ce  geste  est,  en  effet, 
celui  qui  accompagne  et  représente  la  méditation.  Nous  trou- 
vons là  encore  l'accomplissement  de  fonctions. 

Darwin  donne,  de  l'abaissement  du  sourcil,  une  explication 
un  peu  différente.  Il  fait  remarquer  que  la  contraction  des 
muscles  péri-oculaires  accompagne  toujours  l'émission  de 
cris,  afin  de  lutter  contre  la  pression  sanguine  qui,  s'associant 
à  toute  expiration  énergique,  pourrait  avoir  des  conséquences 
fâcheuses  pour  l'appareil  de  la  vision;  le  globe  de  l'œil,  com- 
primé, se  trouve  alors  protégé  contre  cet  inconvénient  par  la 
contraction  des  muscles  qui  l'entourent. 

Par  association,  cette  contraction  accompagne  toute  émo- 
tion désagréable,  toute  difficulté  a  vaincre,  en  un  mot,  toutes 
les  sensations  pénibles  à  l'occasion  desquelles  des  cris  ont  pu 
primitivement  être  poussés.  Comme  exemples  de  contraction 
des  muscles  péri-oculaires  pendant  l'exécution  d'un  acte  pré- 
sentant quelque  difficulté,  nous  rappellerons  que  les  bègues 
froncent  les  sourcils  en  parlant,  et  qu'on  en  fait  autant  en 
mettant  une  botte  trop  étroite  un  en  cherchant  à  ouvrir  une 
porte  trop  bien  fermée. 

Or,  réfléchir  suppose  toujours  une  certaine  difficulté,  on  se 
heurte  à  des  idées  contraires  entre  lesquelles  il  faut  faire  un 
choix.  Alors  on  abaisse  les  sourcils.  Au  contraire,  le  soulage- 
ment que  l'on  éprouve  lorque  l'on  a  trouvé  une  solution  s'ex- 
prime par  une  élévation  des  sourcils,  et  cette  élévation  accom- 
pagne souvent  un  soupir  de  satisfaction  suivi  d'une  phrase 
de  ce  ce  genre  :  «  Ah  !  j'ai  trouvé.  » 


ED.  OTTYER. 


LES  EXPRESSIONS  DE  LA    PHYSIONOMIE 


375 


Mais  si  la  réflexion  devient  difficile,  un  mouvement  de 
mauvaise  humeur  apparaît;  nous  sommes  irrités  contre  la 
cause  qui  nous  arrête  ;  alors  la  contraction  de  l'orbiculaire 
devient  plus  énergiqne  et  le  muscle  pyramidal,  qui  aune  ac- 
tion analogue,  entre  en  contraction.  Dans  ces  circonstances 
les  crisseraient  plus  forts,  il  faut  maîtriser  davantage  l'afflux 
sanguin  devenu  plus  abondant,  le  pyramidal  vient  au  secours, 
pour  ainsi  dire,  de  l'orbiculaire  qui  est  insuffisant. 

Le  pyramidal,  inséré  sur  les  os  propres  du  nez,  est  formé 
de  libres  qui  vont  s'attacher  à  la  face  profonde  de  la  peau  de 
l'espace  intersourcilier.  Sous  l'influence  de  la  contraction  de  ce 
muscle,  la  peau  de  cette  région  est  abaissée  et  plisséede  rides 
plus  ou  moins  profondes  (lig.  4). 

Par  association,  toute  idée  de  lutte,  de  menace,  est  accom- 
pagnée de  la  contraction  du  pyramidal  ;  le  regard  devient 
dur,  farouche,  et  c'est  très  justement  que  Duchenne  a  désigné 
ce  muscle  sous  le  nom  de  muscle  de  l'agression. 


El .  Cuvcr" 

Fig.  i.  —  Expression  do  l'agression  (d'après  nature). 
Contraction  du  musdo  pyramidal. 


376  SÉANCE  DU  27  MAI  1895 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  passer  en  revue  tons  les 
muscles  de  la  face,  car  notre  but  est  seulement  de  légitimer 
par  quelques  exemples  les  idées  de  Darwin  ;  nous  abandon- 
nerons donc  la  région  de  l'œil,  pour  examiner  quelques-unes 
des  expressions  qui  se  traduisent  par.  des  mouvements  de  la 
bouche. 

Nous  signalerons  d'abord  une  expression  humaine  qui  en 
rappelle  très  nettement  une  que  l'on  voit  prendre  au  chien 
dans  certaines  circonstances.  Cherchez  à  prendre  à  un  chien 
un  os  qu'il  est  en  train  de  ronger;  il  le  défendra  certaine- 
ment et,  tout  d'abord,  marquera  son  intention  très  légitime 
en  soulevant  sa  lèvre  supérieure  de  façon  a  découvrir  la  dent 
canine.  Cet  acte  est  expressif  au  plus  haut  degré,  et  ne  peut 
laisser  aucun  doute  sur  sa  signification  fonctionnelle.  Chez 
l'homme,  une  expression  du  même  genre,  due  à  la  contrac- 
tion du  muscle  canin,  est  destinée  à  exprimer  l'agression,  à 
produire  le  ricanement  de  défi. 

Le  muscle  canin,  inséré  d'une  part  dans  la  fosse  canine  et 
d'autre  part  à  la  lèvre  supérieure,  soulève  celle-ci  et  découvre 
la  dent  canine  ;  ce  geste  révèle  nettement,  par  analogie  avec 
ce  que  nous  signalons  plus  haut  à  propos  du  chien,  l'origine 
animale  de  l'homme.  L'expression  que  le  canin  détermine  ne 
peut  cependant  être  considérée  que  comme  un  souvenir  du 
temps  passé,  car,  lorsqu'elle  a  lieu,  ce  n'est  évidemment  pas 
parce  que  nous  avons  l'intention  de  mordre;  c'est  un  simu- 
lacre inconsciemment  exécuté. 

Autour  de  l'orifice  buccal,  comme  autour  de  l'œil, se  trouve 
un  muscle  formé  de  fibres  circulaires,  c'est  l'orbiculaire  des 
lèvres.  Ce  muscle  est  formé  d'une  portion  périphérique,  c'est- 
à-dire  entourant  les  lèvres,  et  d'une  portion  centrale  située 
dans  l'épaisseur  de  ces  dernières. 

La  portion  située  dans  l'épaisseur  des  lèvres  resserre  celles- 
ci  de  façon  a  rétrécir  l'orifice  buccal. 

Nous  ne  ferons  que  signaler  l'acte  de  serrer  les  lèvres  dans 
le  but  de  diminuer,  par  coquetterie,  les  dimensions  de  f  orifice 
buccal.   .Mais   nous  ferons  remarquer,  en  y  insistant  davan- 


ED.   r.î'YER.  --    LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE 


377 


tage,  que  cet  acte  se  produit  aussi  lorsque,  se  tenant  sur  la 
réserve,  on  veut  indiquer  par  cette  occlusion  que  Ton  est  décidé 
à  ne  pas  répondre  à  une  question  que  l'on  juge  indiscrète. 

Cette  occlusion  accompagne  aussi  tout  acte  énergique  né- 
cessitant la  production  d'un  effort  et,  par  association,  toute 
résolution  bien  arrêtée.  Dans  ce  cas,  en  plus  de  la  fermeture 
de  la  bouche,  se  produit  un  fort  rapprochement  des  mâ- 
choires, et  comme  ce  rapprochement  est  déterminé  en  partie 
par  le  muscle  masséter,  la  contraction  de  celui-ci  donne  à  la 
physionomie  un  aspect  très  résolu,  d'énergie  même  un  peu 
brutale. 

D'autre  part,  on  ferme  encore  la  bouche  en  serrant  les  lèvres, 


7CV 


Fig.  5.  —  Chimpanzé  désappointa  ot  do  mauvaise  humour 
(d'après  Darwin). 


dans  certains  cas  qui  ne  nécessitent  pas  de  force,  pour  que, 

en  arrêtant  ainsi  la  respiration  ou  la  modérant,  les  mouve- 

t.  vi  (4J  série).  2a 


378 


SÉANCE  DU  27  MAI   !89o 


menls  du  thorax  h'entravent  pas  ceux  des  membres;   par 

exemple  :  lorsqu'on  enfile  une  aiguille  ou  que  l'on  trace  une 
ligne  à  main  levée. 

La  portion  qui  entoure  les  lèvres  projette  celles-ci  en  avant, 
ce  qui  donne  l'expression  de  la  moue.  Cet  allongement  des 
lèvres  est  probablement  en  rapport,  ainsi  que  le  dit  Darwin. 
avec  rémission  de  sons,  de  cris,  ayant  accompagné  primiti- 
vement toute  contrariété. 

En  tout  cas,  lors  de  cette  expression,  la  bouche  de  l'homme 
est  comparable  à  celle  de  certains  singes  lorsqu'ils  sont  désap- 
pointés et  de  mauvaise  humeur.  Darwin,  dans  son  livre  sur 
les  expressions,  reproduit  le  portrait  d'un  chimpanzé  que  l'on 
avait  chagriné  en  lui reprenantune  orange  qu'on  lui  avait  d'a- 
bord otî'erte  (fig.  5).  Les  lèvres,  à  cause  de  leur  développement, 


Fig.  G.  —  Schéma  du  mépris,  ilu  dégoût  (d'après  Malhias-Duval). 
Contraction  du  triangulaire  dos  lèvres. 


sont  allongées  d'une  façon  certainement  pins  accentuée  que 
chez  l'homme:  mais,  cette  différence  étant  négligée,  on  ne 
peut  qu'être  frappé  de  la  ressemblance  qui  existe  entre  cette 


ED.   CUYBR,  —   LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  379 

expression  et  celle  que  prend  l'homme  sous  l'influence  d'un 
état  d'esprit  du  même  genre. 

Au-dessous  de  la  bouche  se  trouvent  deux  muscles  :  le  trian- 
gulaire des  lèvres  et  le  carré  de  la  lèvre  inférieure. 

Insérés  sur  la  ligne  oblique  externe  du  maxillare  infé- 
rieur, ces  deux  muscles  vont  vers  la  bouche.  Le  triangulaire, 
qui  est  plus  superficiel  que  le  carré,  va,  par  des  fibres  con- 
vergentes, s'insérer  à  la  commissure  labiale,  tandis  que  le 
carré  va  s'attacher  à  la  moitié  correspondante  de  la  lèvre 
inférieure. 

Lorsqu'il  se  contracte,  le  triangulaire  abaisse  la  commis- 
sure labiale  ;  il  en  résulte  que,  cet  abaissement  ayant  lieu  des 
deux  cotés,  la  bouche  prend,  dans  son  ensemble,  une  forme 
courbe  à  convexité  tournée  en  haut.  Le  sillon  naso-labial, 
attiré  en  bas,  est  allongé.  A  cause  de  ces  déplacements,  les 
narines  sont  abaissées  et  leur  ouverture  est  un  peu  rétrécie 
(fig.  6). 

La  contraction  légère  du  triangulaire  détermine  l'expres- 
sion de  la  tristesse,  du  mépris;  sentiments  qui  se  confon- 
dentcertainement  l'un  avec  l'autre,  car,  dans  bien  des  cas,  il  est 
pénible  d'avoir  à  exprimer  du  mépris.  A  l'abaissement  des 
commissures  s'associe  le  plus  souvent  l'abaissement  de  la 
paupière  supérieure  ;  cette  association  peut  se  traduire  alors 
par  une  phrase  de  ce  genre  :  «  Je  vous  méprise,  vous  ne  va- 
lez pas  la  peine  que  je  vous  regarde.  » 

Si  la  contraction  du  triangulaire  devient  plus  énergique, 
elle  peint  le  dégoût.  Et  cela  n'a  rien  de  surprenant,  car  la 
similitude  entre  le  mépris  et  le  dégoût  est  évidente  ;  le  mé- 
pris n'est  certainement  qu'une  des  nuances  de  ce  dernier. 

Mais  le  carré  de  la  lèvre  inférieure  donne  encore  plus  l'ex- 
pression du  dégoût,  du  dégoût  dans  toute  son  horreur.  Ce 
muscle  qui  abaisse  la  lèvre  inférieure  dans  toute  son  étendue, 
en  même  temps  la  renverse  en  avant. 

C'est  alors  que  l'analogie  entre  l'expression  et  In  fonction 
devient  facile  à  démontrer. 

Introduisez  dans  la  bouche  d'un  enfantune  substance amère 


380 


SÉANCE   DU  27    MAI  1895 


ou  répugnante,  qui  évidemment  lui  inspirera  du  dégoût. 
Comment  la  rejettera-t-il  :'  En  renversant  la  lèvre  inférieure 
en  avant,  en  abaissant  les  commissures  labiales,  en  donnant, 
en  un  mot,  à  sa  bouche,  la  forme  d'une  gouttière  destinée  à 
favoriser  l'écoulement  au  dehors  de  la'  substance  répugnante 
dont  il  veut  se  débarrasser. 

Par  association,  le  dégoût  moral  se  traduit  de  la  même  ma- 
nière. Chez  certains  sujets,  auxquels  l'éducation  n'a  pas  ap- 


Fig.  7.  —Schéma  du  pleurer  (d'après  Mathias-Duval). 
Contraction  du  polit  zygomati  |uo  et  des  élévateurs  do  la  lèvre 

supérieure 


pris  à  dissimuler  leurs  impressions,  cette  mimique  prend  quel- 
quefois une  intensité  d'expression  des  plus  remarquables,  et 
même,  si  à  leur  avis  celle-ci  est  insuffisante,  c'est  en  cra- 
chant qu'ils  expriment  l'impression  qu'ils  ressentent  et  dunt 
ils  veulent  donner  la  sensation. 

Mais  revenons  à  l'enfant  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure. 
Si  le  renversement  de  sa  lèvre  inférieure  ne  suffit  pas  pour 
expulser,  alors  il  avance  la  langue  hors  de  la  bouche.  Cet 
acte  complémentaire  du  dégoût  physique  est  très  probable- 


ED.   CUVER.    —  LES  EXPBESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  381 

ment  la  raison  pour  laquelle  on  tire  la  langue  en  signe  de 
mépris  ou  de  haine.  Il  est  difficile  de  l'expliquer  autrement. 

L'abaissement  des  lignes  du  visage  ou,  pour  mieux  dire, 
la  direction  de  ces  lignes  en  bas  et  en  dehors,  de  chaque  côté 
de  la  ligne  médiane,  accompagne  les  sentiments  tristes.  C'est 
ce  que  nous  venons  de  constater  pour  la  tristesse,  le  mépris, 
le  dégoût;  c'est  ce  que  nous  constaterions  également  pour 
l'expression  du  pleurer  (fig.  7).  L'individu  est  déprimé,  tout 
se  retire  vers  le  centre,  les  membres  sont  resserrés  contre  le 
corps  ;  dans  cet  état  on  est  renfrogné  ;  on  est  comme  (sous 
l'impression  du  froid  qui  est  cause  que  l'on  s'enferme  dans 
ses  vêtements  en  les  boutonnant. 

Au  contraire,  sous  l'influence  de  sentiments  gais,  les  lignes 
du  visage  deviennent  obliques  en  haut  et  en  dehors,  la  phy- 
sionomie s'épanouit  ;  on  est  tout  en  dehors,  tout  s'éloigne  du 
centre,  les  membres  s'agitent,  on  danse,  on  saute  ;  on  est  ex- 
pansif.  Comme  sous  l'impression  de  la  chaleur,  on  laisse  flot- 
ter ses  vêtements. 

Ces  deux  états  différents  de  la  physionomie  sont  bien  ren- 
dus par  les  schémas  de  Humbert  de  Superville  (fig.  8). 

Ces  trois  schémas  de  la  face  humaine  représentent  par  de 
simples  lignes,  les  yeux,  la  partie  inférieure  du  nez  et  la  bou- 
che. Dans  l'un  de  ces  schémas  les  lignes  sont  horizontales, 
l'impression  produite  est  celle  de  l'austérité,  du  calme,  de  la 


Fig.  8.  —  Schémas  de  Humbert  ilo  SuporviUe. 

constance;  dansun  autre  les  lignes  sont  obliques  en  bas  et  en 
dehors  de  la  ligne  médiane,  il  en  résulte  l'impression  de  la 


382  SÉANCE  DU  21  MAI   1895 

tristesse,  de  la  douleur;  enfin,  dans  le  troisième,  les  lignes 
sont  obliques  en  haut  et  en  dehors  de  la  ligne  médiane,  et 
l'impression  est  celle  de  la  gaieté,  du  rire,  de  la  légèreté  '. 

C'est  une  des  expressions  en  rapport  avec  ce  troisième  état 
de  la  physionomie  que  nous  allons  étudier  maintenant,  l'ex- 
pression du  rire  ;  elle  est  déterminée  par  la  contraction  du 
muscle  grand  zygomatique. 

Le  grand  zygomatique  s'insère  à  l'os  malaire,  descend  obli- 
quement en  bas  et  en  dedans,  et  va  s'insérer  à  la  commissure 
labiale.  Par  sa  contraction,  il  élargit  la  bouche  en  tirant  la 
commissure  en  haut  et  en  dehors;  la  bouche  prend,  par  con- 
séquent,  une  forme  courbe  à  convexité  tournée  en  bas,  c'est 
la  forme  inverse  de  celle  que  nous  avons  signalée  pour  le  mé- 
pris et  le  dégoût. 

De  plus,  le  sillon  naso-labial  cesse  d'être  rectiligne  ;  attiré 
en  haut  par  son  extrémité  inférieure,  tandis  que  son  extré- 
mité opposée  reste  fixe,  il  devient  courbe  a  convexité  tournée 
en  bas  et  en  dedans.  La  peau  de  la  joue,  refoulée  vers  la 
pommette,  devient  plus  saillante  et  se  creuse,  au  niveau  de 
l'angle  externe  de  l'œil,  de  rides  divergentes  plus  ou  moins 
nombreuses  et  plus  ou  moins  marquées.  Telles  sont  les  modi- 
fications  qui  peignent  l'expression  du  rire  (fig.  9). 

Le  cheval,  le  chien,  ont  un  grand  zygomatique  ;  ils  doi- 
vent donc  rire;  en  effet,  ils  prennent  cette  expression  sous  t'in- 
fluence decertains  sentiments  de  bien-être  ou  d'espoir  de  bien- 
ètre,  lorsqu'ils  voient  une  personne  de  laquelle  ils  espèrent  une 
caresse  ou  une  friandise.  Accueillez  un  chien  en  lui  donnant 
des  coups  sans  qull  les  ait  mérités,  je  vous  affirme  que  lors- 
qu'il vous  reverra  il  ne  rira  plus. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  au  sujet  du  chien  nous  engage 
à  indiquer  quelle  peut  être  à  noire  avis,  la  signification  du 
rire,  quelle  est  la  fonction  à  laquelle  son  expression  se  rap- 
porte. 

i  Humhert  de  Superville,  Essai  sur  les  signes  inconditionnels  dans 
l'art;  Leyde,  1827. 


E.   CUV'EH.   —  LES  EXPllËSSiONà  DE  LA  PHYSIONOMIE 


383 


Dans  le  rire,  les  lèvres  étant  écartées,  les  dents  sont  décou- 
vertes. En  nous  plaçant  au  point  de  vue  transformiste,  eela 
doit  nous  donner  à  réfléchir  et  nous  mettra  peut-être  sur  la 
voie  d'une  explication. 


Fig.  0.  —  Schéma  du  riro  (d'après  Math ias-Duval). 
Contraction  du  grand  zygomaliquo. 

Chez  nos  ancêtres,  dont  les  sentiments  ne  devaient  pas  être 
très  compliqués,  l'action  de  découvrir  les  dents  accompa- 
gnait surtout,  c'est  plus  que  probable,  l'acte  de  s'en  servir 
pour  manger  ou  pour  mordre. 

Parmi  les  plaisirs  peu  raffinés  qu'ils  pouvaient  avoir,  celui 
de  manger  devait  tenir  une  place  prépondérante  (chez  nous 
il  est  encore  vivace). 

Par  l'hérédité,  le  même  geste,  découvrir  les  dents,  peut 
nous  être  resté  pour  servir  d'expression  dans  toutes  les  cir- 
constances où  nous  éprouvons  du  plaisir.  On  nous  objectera 
peut-être  que  les  sources  du  rire  sont  plus  pures  chez  nous. 
Pourquoi  donc?  Elles  sont  plus  variées,  voila  toute  la  diffé- 
rence. 

Sincèrement  ne  se  mèle-t-il  pas  très  souvent  à  la  joie,  au 


384  SÉANCE  DU  27  MAI  1895 

plaisir,  un  sentiment  de  satisfaction  personnelle;  je  n'ose  pas 
dire  d'égoïsm1,  mais  c'est  ce  que  j'incline  a  penser. 

Dans  toutes  les  circontances  qui  excitent  notre  joie,  il  se 
mêle  1  idée  de  quelque  chose  de  bon,  de  savoureux. 

L'association  de  l'idée  unique  et  primitive  de  «  bon  man- 
ger »  avec  toutes  les  choses  agréables  étant  admissible,  nous 
pourrons  analyser  ce  sentiment  dans  certaines  de  ses  mani- 
festations. 

Lorsque  nous  avons  du  plaisir  à  recevoir  certaines  per- 
sonnes, nous  les  accueillons  en  riant  ou  en  souriant.  N'est-ce 
pas  parce  que  nous  nous  nous  disons  qu'elles  vont  nous  faire 
passer,  a  nous,  un  moment  agréable?  Un  ne  sourit  jamais  à 
un  importun. 

Et  la  preuve  que  cela  n'est  pas  exagéré  et  que  nous  en 
avons  conscience,  c'est  que  nous  n'osons  guère  dire,  à  moins 
de  parler  sans  réfléchir,  qu'un  tel  a  beaucoup  de  plaisir  à 
nous  recevoir,  ou  si  nous  le  disons,  c'est  avec  certaines  pré- 
cautions ou  en  nous  accusant  intérieurement  d'être  un  peu 
présomptueux. 

De  plus,  si  nous  nous  examinons  sincèrement  et  sans  parti 
pris,  ne  serons-nous  pas  d'avis  ^il  n'est  pas  nécessaire  de  l'a- 
vouer) que  notre  bon  accueil  est  quelquefois  déterminé  par  la 
satisfaction  que  nous  fait  éprouver  le  sentiment  de  la  supé- 
riorité que  nous  nous  attribuons,  et  que  nous  constatons  en 
nous-mème.  vis-à-vis  île  celui  que  nous  recevons  :  supériorité 
de  situation,  de  fortune,  d'esprit  ou  d'intelligence. 

En  définitive,  le  plaisir  est  une  satisfaction  que  nous  nous 
donnons  ou  qui  nous  est  donnée. 

On  m'objectera  le  rire  des  enfants;  cette  objection  ne  me 
semble  pas  convaincante.  L'enfant,  encore  plus  que  nous,  est 
sensible  aux  félicités  du  goût;  s'il  sourit,  c'est  parce  qu'il  es- 
père qu'on  va  lui  offrir  quelque  chose  de  bon.  Pouvons-nous 
croire  que  dans  cet  être  encore  imcomplet  il  existe  un  autre 
sentiment?  C'est  le  bien-être  qui  le  préoccupe  ;  bien  aimer 
les  enfants,  c'est  le  leur  procurer. 

Lorsqu'ils  sont  un  peu  grands  déjà,  à  l'époque  du  jour  de 


ED.  CUYER    —  LES  EXPRESSIONS  DE  LA  PHYSIONOMIE  385 

l'an,  les  enfants  vous  accueillent  d'une  façon  souriante;  vous 
pensez  :  «  Sont-ils  aimables,  sont-ils  gentils.  »  Si  vous  leur 
apportez  des  étrennes,  cette  impression  sera  juste  et  se  main- 
tiendra. Mais  si  vous  n'en  apportez  pas,  alors  il  faut  modifier 
votre  opinion,  elle  deviendrait  complètement  fausse. 

Mais  on  rit  pour  bien  des  raisons,  de  même  qu'on  lève  le 
bras  pour  bien  des  causes. 

Or,  comme  nous  l'avons  fait  remarquer,  on  découvre  les 
dents  non  seulement  pour  manger,  mais  encore  pour  mordre, 
ce  terme  étant  pris  dans  l'acception  de  se  défendre  ou  atta- 
quer. Ceci  devait  être  un  acte  souvent  répété  chez  nos  an- 
cêtres. 

Supposons  que  l'importun  de  tout  à  l'heure  nous  semble 
dangereux  pour  notre  sécurité  personnelle  ou  pour  l'arrange- 
ment de  nos  intérêts.  Si  nous  avons  de  l'empire  sur  nous-mème, 
si  nous  savonsdissimuler,  ce  sera  simplementd'une  façon  polie 
ou  avec  froideur  que  nous  le  recevrons.  Mais  si  nous  n'avons, 
pas  les  notions  de  prudence  nécessaires  ou  si  nous  voulons 
l'intimider,  ce  sera  avec  un  rire  que  nous  l'accueillerons, 
mais  un  rire  agressif,  celui  que  l'on  exprime  en  disant  d'un 
ton  sec  et  mordant  :  «  Ah  !  vous  voilà  »  ;  d'une  façon  qui  peut 
se  traduire  par  :  «  Gomment,  c'est  encore  vous;  je  ne  serai 
donc  jamais  débarrassé  du  désagrément  de  vous  voir!  »  Dans 
de  semblables  circonstances  nos  ancêtres  se  seraient  jetés  sur 
l'importun.  Pourquoi  ne  pas  le  supposer,  puisque  c'est  ainsi 
qu'agissent  les  animaux? 

Donc,  plaisir  de  manger  dans  un  cas,  agression  dans  l'au- 
tre. Par  association,  ces  deux  sentiments  se  sont  bien  certai- 
nement étendus  et  n'ont  plus  le  sens  restreint  que  nous  pouvons 
leur  supposer  chez  nos  ancêtres  ;  mais  leur  origine  me  semble 
être  la  même. 

Il  est  des  sujets  qui  ne  rient  jamais  ;  on  leur  accorde  généra- 
lement pour  cette  raison  une  grande  supériorité  ou  une  cer- 
taine dose  de  fatuité.  Ne  considérons  que  le  premier  cas,  le 
second  n'étant  que  la  simulation  de  celui-ci.  A  notre  avis, 
lorsqu'on  ne  rit  plus,  c'est  que  l'on  a  cessé  d'être  accessible 


386  SÉANCE  DU  6  JUIN  189o 

aux  émotions  que  nons  signalions  tout  à  l'heure  ;  c'est  la  sa- 
gesse, ou  la  suprême  indifférence. 

Si  des  applications  beaucoup  plus  fines  et  plus  délicates  ont 
été  faites  de  l'expression  du  rire,  ce  qui  nous  est  indiqué  par 
toutes  les  nuances  qui  existent  entre  le  sourire  le  plus  léger 
et  le  rire  le  plus  éclatant,  c'est  qu'il  s'est  produit,  pour  cette  ex- 
pression comme  pour  beaucoup  d'autres,  ce  que  nous  cons- 
tatons pour  certains  mots.  En  effet,  parmi  ceux-ci,  il  en  est 
qui,  détournés  de  leur  signification  primitive,  appréciable  par 
leur  étymologie,  servent  maintenant  à  désigner  des  choses 
plus  ou  moins  différentes.  On  peut  donc  considérer,  jusqu'à 
un  certain  point,  l'étude  que  nous  venons  de  faire,  comme 
une  étude  étymologique  des  expressions. 

C'est,  si  vous  le  voulez  bien,  sur  cette  conclusion  que  nous 
nous  arrêterons  dans  cet  examen  des  expressions.  Nous  au- 
rions pu  citer  d'autres  exemples,  tels  que  la  douleur,  le  pleu- 
rer, etc.,  mais  ceux  que  nous  avons  choisis  me  semblent 
prouver  d'une  façon  suffisante  ce  que  nous  voulions  démon- 
trer. D'autre  part,  je  craindrais,  en  étendant  davantage  cette 
étude,  d'abuser  de  votre  bienveillante  attention. 

En  remerciant  mes  maîtres  et  mes  collègues  de  la  Société 
d'Anthropologie  de  m'avoir  désigné  pour  faire  celle  confé- 
rence, je  vous  remercie  bien  sincèrement  de  l'avoir  écoutée. 


-> — <- 


624e  SÉANCE.  —  0  juin  1893. 
Présidence  de  M.  Ollivier-Beauregard. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

PfGORim  (L.).  —  La  Terramara  Castellazzo  di  Fontanellato 
nelParmense  (ext.  de  Notizie  degli  Scavi),  in-4°,  11  pages  et  fig. 
Home,  1895. 

.M.  (i.  de  Mortillet.  —  M.  Luigi  Pigorini,  l'habile,  patient 

et  soigneux  explorateur  de  la  lerramare  de  Castellazo  di  Fon- 


OBJETS  OFFERTS  387 

tanellato,  me  charge  de  présenter  à  la  Société  son  rapport  sur 
les  fouilles  de  1894.  C'est,  je  crois,  le  septième.  Il  s'y  occupe 
surtout  de  la  terrasse  quadrangulaire,  entourée  de  fossés  qui 
se  trouve  dans  l'intérieur  de  l'enceinte  fortifiée.  11  a  reconnu 
que  les  terres  qui  la  constituent  étaient  maintenues  par  des 
pilotages  et  des  fascinages.  Sur  le  sommet  de  cette  terrasse,  il 
a  rencontré  cinq  fosses  alignées,  contenant,  en  abondance,  des 
coquilles  d'Unio  ou  moules  d'eau  douce,  et  des  briques  romai- 
nes, dépôt  postérieur,  mais  qui  suggère  à  l'auteur  «  que  dans 
la  construction  des  cités  et  des  camps,  les  Romains  conser- 
vaient les  mêmes  préceptes  observés  déjà  à  l'Age  du  bronze, 
par  les  habitants  des  terramares  ».  D'où  M.  Pigorini  conclut 
à  «  l'unité  ethnique  dos  lerramaricoles  et  des  Romains  ». 

Reunault  (F.).  —  Lés  déformations  crâniennes  dans  l'art  sino- 
japonais  in  La  Nature  du  20  avril  1895,  in-4°  avec  fig. 

Spalikowski  (Edm.).  —  Note  sur  quelques  ossements  de  ïéj/o- 
que  gauloise,  in-8°  4  pages.  Rouen,  1894. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

Mémoires  de  la  Société  des  sciences  naturelles  et  archéologiques 
de  la  Creuse,  tome  VIII,  2e  but.  —  L.  Manouvrier  :  Etudes  des 
crânes  et  ossements  humains  recueillis  dans  la  sépulture  néo- 
lithique dite  la  Cave  anr  fées,  à  Brueil  (Seine-et-Oise). 

Contributions  ta  North  american  ethnologg,  vol.  IX.  —  S.  II. 
Higgs  :  Dakota  grammar,  texts,  and  ethnography. 

Bureau  of  ethnology  (Au mial  report,  1889-1890).  —  M.  C.  Ste- 
venson :  The  Sid  ;  —  L.  M.  Turner  :  Ethnology  of  the  Ungava 
district;  —  J.-O.  Dorsey  :  A  Study  of  Siowan  cuits. 

Bureau  of  ethnology  (Annual  report  1890-1891).  —  C.  Tho- 
mas :  Report  on  the  mound  explorations  of  the  Bureau  of 
ethnology. 

OliJfcTS  OFFERTS. 
Photographies  du  mS^alithes  du  Maiue-Bt-Loire. 

M.  Louis  Bousrez,  archéologue  à  Tours,  offre  à  la  Société 


388  SÉANCE  DU  6  JUIN  1895 

les  photographies,  par  lui  faites,  de  dix  dolmens  et  de  douze 
menhirs  du  département  de  Maine-et-Loire.  Les  dolmens  sont 
situés  sur  les  communes  de  Beauveau,  Broc,  Chigné,  Corzé, 
Bistré,  Jarzé,  Bou-Marson  et  les  Ulmes  ;  les  menhirs,  sur 
celles  dWrtanner,  Chigné,  Cuon,  Echemiré,  Fief-Sauvin,  Mar- 
tigné-Briand,  Montreuil-Bellay,  Saint-Martin-d'Arcé  et  Ter- 
neuil. 

Le  donateur  pense  que  les  trois  menhirs  de  Martigné- 
Briand  faisaient  partie  d'un  cromlech.  Le  dolmen  de  Broc 
porte  le  nom  significatif  de  la  Pierre  couverte. 

PRÉSENTATIONS. 

M.  LAPicQ.ua présente  une  collection  de  photographies  faites 
en  Ahyssinie  et  relative  à  l'infibulation. 

M.  le  Bibliothécaire  est  autorisé  à  faire  les  démarches  né- 
cessaires pour  acquérir  des  exemplaires  de  ces  photogra- 
phies. 

M.  Ollivier-Beauregard  dit  que  l'on  trouverait  probable- 
ment, dans  l'un  des  ouvrages  du  Dr  Godard,  des  renseigne- 
ments sur  les  pratiques  «le  l'infibulation  en  Abyssinie. 

COMMUNICATIONS. 
La  station  des  Hotcauv. 

Par  M.  E.  d'Acy. 

J'ai  l'honneur  de  faire  hommage  à  la  Société  d'un  exem- 
plaire des  quelques  lignes,  que  j'ai  écrites  dans  la  Revue  Ar- 
chéologique, sur  la  découverte,  dans  le  département  de  l'Ain, 
d'une  nouvelle  station  de  l'époque  du  renne,  celle  de  la  grotte 
des  lloteaux. 

La  terrasse,  qui  précède  cette  grotte,  a  été  fouillée,  avec 
autant  de  soin  que  de  succès,  par  M.  l'abbé  Tournier  et 
M,  Charles  Guillon  ;  et  ces  savants  explorateurs  ont  fait  con- 


E.  D'ACY.   —    LA  STATION  DES  HOTEA.UX  389 

naître  les  résultats  de  leurs  recherches,  dans  une  très  intéres- 
sante brochure,  avec  coupe  et  planches  à  l'appui. 

La  faune,  déterminée  par  MM.  Boule  et  Mil  ne-Edwards,  est 
celle  de  l'époque  du  renne;  et,  de  même  que  dans  les  assises 
tarandienne  et  élaphienne  du  Mas  d'Azil,  le  nombre  des  dé- 
bris de  ce  mammifère  diminue,  dans  les  dépôts  des  IToteaux, 
à  mesure  que  l'on  monte,  tandis  que  les  ossements  du  cerf 
élaphe  deviennent  de  plus  en  plus  abondants. 

L'industrie  se  rapporte  bien  à  l'âge  du  renne.  Un  bâton  de 
commandement  mérite  d'être  cité  particulièrement,  pour  la 
très  jolie  gravure  dont  il  est  orné,  et  qui  représente  un  cerf 
qui  brame. 

Mais  ce  qui  donne,  selon  moi,  encore  bien  plus  d'impor- 
tance à  cette  nouvelle  station,  c'est  la  sépulture  de  l'époque 
du  renne,  qu'elle  renfermait. 

Un  squelette  d'adolescent  gisait  dans  le  sixième  foyer,  le 
dernier  par  en  bas. 

Il  était  tout  empâté  d'ocre  rouge.  Le  cadavre,  auquel  il  a 
appartenu,  a  don:  élé  l'objet  de  soins  funéraires,  si  je  peux 
parler  ainsi. 

Au-dessus  de  lui,  se  trouvaient  une  couoh  >  argileuse,  puis 
cinq  foyers  situés  les  uns  au-dessus  des  autres  et  séparés  par 
des  couches  de  terre  plus  ou  moins  argileuse  ou  sableuse. 

MM.  Tournier  et  Guillon  ont  exploité  le 5  dép5ts,  par  tran- 
ches verticales.  Grâce  à  ce  mode  de  procéder,  ils  ont  pu  s'as- 
surer et  faire  constater  par  une  délégation  de  la  Société  d'his- 
toire naturelle  de  l'Ain,  lorsque  les  extrémités  inférieures  du 
squelette  apparurent  dans  la  coupe,  qu'au-dessus  d'elles, 
foyers  et  couches  intermédiaires  étaient  aussi  régulièrement 
stratifiés  que  d'ordinaire,  qu'il  n'y  avait  aucune  trace  de 
remaniement.  La  même  disposition  a  persisté  constamment 
au-dessus  du  squelette  et  jusqu'à  la  paroi  du  rocher,  au  fond 
de  la  terrasse. 

La  sépulture  est  donc,  sans  contestation  possible,  contem- 
poraine du  foyer  qui  la  renfermait  ;  autrement  dit,  elle  appar- 
tient à  l'âge  du  renne;  et  la  grande  abondance  des  débris  de 


390  SÉANCE  DU  P>  JUIN  1895 

ce  mammifère,  à  son  niveau,  permet  de  l'attribuer  à  la  période 
tarandienne  de  M.  Piette. 

Je  ne  crois  pas  avoir  besoin  d'insister  sur  l'intérêt  qu'elle 
présente. 

Discussion. 

M.  (I.  de  Moutillet.  —  Je  comprends  très  bien  que  M.  d'Acy 
signale  les  fouilles  de  l'abri  sous  roche  des  Hoteaux.  Ces 
fouilles  sont  fort  intéressantes.  Elles  ont  d'autant  plus  d'im- 
portance qu'elles  font  très  bien  connaître  un  gisement  mag- 
dalénien, très  nettement  caractérisé.  Les  gisements  de  cette 
époque  signalés  jusqu'à  présont  dans  l'est  de  la  France,  sont 
encore  peu  nombreux.  Celui  des  Hoteaux,  en  outre,  a  fourni 
un  remarquable  bâton  de  commandement,  portant  une  gra- 
vure de  cervidé.  (l'est  peut-être  l'objet  d'art  le  plus  important 
signalé  dans  toute  la  région. 

Mais  ce  que  je  ne  comprends  plus,  c'est  que  notre  collègue 
soit  assez  hardi,  pour  s'emparer  d'une  fouille  qui  n'est  pas 
complète,  pour  baser  d'importantes  conclusions,  contraires 
à  ce  qui  est  généralement  admis.  Et  sur  quoi  appuie-t-il  ces 
conclusions?  Sur  une  coupe  évidemment  schématique.  En 
effet,  la  coupe  donnée  par  MM.  Tournier  et  Guillon,  est  plus 
haute  que  large,  or,  la  hauteur  du  dépôt  meuble,  n'est  que 
de  2  mètres,  tandis  que  son  étendue  en  longueur  est  de  15  mè- 
tres et  en  largeur,  de  8  ou  10  mètres. 

Elle  est  d'autant  plus  schématique  que  les  treize  zones  dont 
elle  se  compose  sont  chacune  à  peu  près  de  la  même  épais- 
seur sur  toute  leur  étendue,  il  n'y  a  d'exception  que  pour  les 
deux  zones  archéologiques  supérieures.  Or,  il  est  évident  que 
sur  la  largeur  et  la  longueur  de  la  terrasse  données  par  les 
fouilleurs  eux-mêmes,  il  y  a  dû  avoir  de  fortes  modifications 
entre  le  centre  et  les  bords,  entre  les  bords  extérieurs  et  ceux 
qui  vont  buter  contre  la  paroi  verticale  du  rocher.  Ces  inéga- 
lités doivent  être  d'autant  plus  sensibles  que  les  débris  et  les 
éboulis  de  la  roche  formant  surplomb,  constituent  la  majeure 


E.   D'ACY.   —  LA  STATION  DES  HtTEAI (X  391 

partit'  du  lerrainjneuble  de  la  terrasse,  et  que  ces  débris  et 
éboulis  n'ont  pu  se  produire  d'une  manière  uniforme.  Dans 
une  question  aussi  importante  que  celle  soulevée  par  M.  d'Acy 
il  faut  des  documents  plus  précis,  plus  positifs  que  ceux  sur 
lesquels  il  s'appuie. 

M.  d'Acy.  —  M.  de  Mortillet  vient  de  dire,  si  je  ne  me 
trompe,  que  si  la  sépulture  des  Hoteaux  remontait  à  l'âge 
du  renne,  elle  serait  la  première  connue  de  cette  époque.  Je 
ne  chercherai  pas  de  nouveau  à  modifier  sa  manière  de  voir 
relativement  aux  squelettes  des  Baoussé-Roussé,  de  Lau- 
gerie-basse,  de  Chancelade,  etc.  ;  mais  je  me  permettrai  de 
continuer  à  protester  contre  elle. 

Il  est  certain  que  MM.  Tournier  et  Guillon  n'ont  pas  fouillé 
la  grotte  des  Hoteaux,  mais  bien  la  terrasse  qui  précède 
cette  grotte.  Mais  je  ne  vois  pas  ce  que  le  voisinage  de  la 
caverne  pourrait  faire  à  la  découverte  du  squelette  de  la  ter- 
rasse. Et,  de  plus,  MM.  Tournier  et  Guillon  ne  disent  pas, 
que  je  sache,  que  ce  squelette  fut  près  de  l'ouverture  de  la 
grotte.  Ils  le  disent  d'un  maxillaire  isolé,  trouvé  à  l'"30  de 
profondeur,  sur  le  bord  d'un  foyer  —  ce  doit  être  le  4°  —  ; 
n\ais  ils  ne  le  disent  pas  du  squelette  rencontré  à  2  mètres 
de  la  surface,  dans  le  6e  foyer. 

Quant  à  la  coupe  figurée  par  MM.  Tournier  et  Guillon  et 
incriminée  par  M.  de  Mortillet,  elle  ne  représente  pas  le  gise- 
ment en  entier.  D'après  l'échelle,  elle  ne  doit  guère  en  donner 
plus  de  la  moitié;  et  elle  est  complétée  par  les  explications 
très  détaillées,  contenues  dans  le  texte  du  mémoire.  Elle 
commence  à  gauche  —  par  rapport  au  lecteur  —  non  pas  au 
bord  de  la  terrasse,  mais  à  la  tranchée,  que  MM.  Tournier  et 
Guillon  ont  fait  ouvrir,  dès  le  début  de  leurs  fouilles,  afin 
d'exploiter  les  dépôts  par  sections  verticales.  Pour  le  côté 
druitdela  figure,  la  ligne  absolument  droite  et  perpendiculaire 
qui  la  limite,  me  paraît  montrer  clairement  que  les  couches 
ne  sont  pas  représentées  jusqu'à  la  paroi  de  fond  du  rocher. 
D'ailleurs,  MM.  Tournier  et  Guillon  disent  que  les  foyers  pre- 
naient  presque  immédiatement  contact  avec  cette  paroi.  Ils  ne 


392  SÉANCE  DU  6  JUIN  1895 

la  touchaient  donc  pas.  Les  3e,  4e,  5e  et  6e  foyers  étaient 
comme  encadrés,  en  avant  et  sur  les  côtés,  par  un  amas  com- 
pact de  débris  calcaires  et  osseux,  dans  lequel  ils  se  prolon- 
geaient parfois  en  une  ligne  à  peine  perceptible.  Et,  quant 
aux  deux  foyers  supérieurs,  dont  la  figure  contient  la  fin  — 
vers  la  gauche  —  ils  s'éteignent  bien  en  biseau,  comme  c'est 
leur  devoir.  Les  critiques  de  M.  de  Mortillet,  relativement  au 
soin,  à  l'exactitude  avec  lesquels  la  coupe  aurait  été  relevée, 
me  semblent  donc  manquer  complètement  de  fondements. 

J'ignore  si  M.  l'abbé  Tournier  s'est  trompé  au  sujet  du  gise- 
ment d'une  station  moustérienne.  Mais  ce  qui  est  certain,  c'est 
que,  devant  une  coupe  telle  que  celle  de  la  terrasse  des  Ho- 
teaux,  il  n'avait  pas  besoin  d'être  le  savant  géolugue  qu'il  est, 
pour  reconnaître  la  stratification  des  foyers  noirs  et  des 
couches  intermédiaires  jaunâtres.  Il  suffisait  de  regarder. 
Cette  stratification  nette,  régulière,  toujours  la  même  a  été 
constatée  et  par  M.  l'abbé  Tournier  et  par  M.  Guillon.  La 
même  disposition  a  été  reconnue  par  une  délégation  de  la 
Société  d'histoire  naturelle  de  l'Ain,  appelée  tout  exprès  pour 
t'xaniiner  les  terrains,  lors  de  l'apparition  des  extrémités  in- 
férieures du  squelette.  Une  peut-on  désirer  de  plus  ?  Le  non 
remaniement  des  couches  domine  toute  la  question.  Il  est 
établi  d'une  façon  incontestable. 

G.  de  Moktillet.  —  Lorsqu'il  s'agit  de  faits  très  importants 
desquels  on  veut  tirer  Ae  grandes  conclusions,  il  faut  être  de 
la  plus  rigoureuse  exactitude.  C'est  malheureusement  ce  qui 
n'a  pas  lieu  dans  le  cas  actuel.  Ne  peut-on  pas  reprocher  à 
M.  d'Acy  lui-même  de  n'être  pas  assez  précis  ?  Arguant  de  la 
fouille  d'une  plateforme-abri,  c'est  lui  qui  ledit,  il  intitule  sa 
brochure  La  Grotte  des  Hoteaux.  Or,  les  fouilleurs  déclarent 
carrément  que  cette  grotte  est  «  non  encore  explorée  ».  M. 
d'Acy,  comme  MM.  Tournier  et  Guillon,  qualifie  de  foyer  les 
assises  avec  ossements  et  silex.  Ces  foyers,  au  nombre  de  6, 
ou  tout  au  inoins  de  4,  s'étendraient  sur  tout  l'espace  de  la 
terrasse,  gigantesques  foyers  de  15  mètres  de  long  sur  8  ou 
10  de  large.  Un  en  voit  rarement  de  pareille  dimension  !  !  ! 


E.  D'ACV.  -  LA  STATION  DES  HOTEAUX  393 

Mais  si  les  foyers. étaient  si  vastes,  occupant  tout  l'espace,  où 
donc  se  casaient  les  hommes?  Et  comment  os  et  silex  ne 
sont-ils  pas  les  uns  brûlés,  les  autres  craquelés  ?  Il  s'agit  évi- 
demment d'assises  successives  archéologiques  et  stériles. 
Devant  ce  manque  de  précision  et  de  critique,  quelle  con- 
fiance accorder  aux  observations  concernant  le  terrain  recou- 
vrant le  squelette  ? 

Les  fouilleurs  ont  compris  l'importance  de  la  sépulture.  Ils 
se  sont  empressés  de  faire  constater  le  gisement  et  la  virgi- 
nité des  couches  supérieures  par  une  délégation  de  la  Société 
d'histoire  naturelle  de  l'Ain.  Le  maire  de  Rossillon  présida  à 
la  levée  du  corps  et  un  curé  du  séminaire  vint  la  bénir.  Mais, 
puisque  le  cas  était  si  important  —  et  il  l'est  réellement  —  pour- 
quoi, au  lieu  de  s'en  référer  à  une  coupe  schématique  d'ensem- 
ble n'a-t-on  pas  donné  une  coupe  vraie,  une  coupe  exacte  du 
terrain  au-dessus  du  corps?  Cette  coupe  manquait-elle  de 
netteté  ou  ne  satisfaisait-elle  pas  tous  les  visiteurs  ?  Nous  ne 
savons,  mais  nous  ne  possédons  qu'une  coupe  à  côté,  ce  n'est 
pas  assez.  Par  contre,  on  nous  donne  une  phototypie  du 
squelette,  mais  du  squelette  enlevé  par  pièces  et  morceaux, 
puis  reconstitué  pour  être  soumis  a  l'appareil  photographi- 
que. Toujours  du  schéma  !  C'est  trop. 

Maintenant,  un  peu  de  critique.  M.  d'Acy  arguant  du  main- 
tien de  la  régularité  des  assises  au-dessus  du  squelette,  con- 
clut :  «  Il  est  donc  incontestable  qu'il  n'y  a  pas  eu  d'enseve- 
lissement postérieur  à  la  formation  des  dépôts,  et  que  le 
squelette  est  contemporain  du  6e  foyer,  dans  lequel  il 
reposait.  » 

D'après  MM.  Tournier  et  Guillon,  le  squelette  humain  gisait 
régulièrement  couché  sur  le  dos,  les  divers  os  disposés  dans 
leur  connexion  naturelle,  au  milieu  d'un  foyer  qui  n'avait  que 
10  centimètres  d'épaisseur.  Il  était  régulièrement  recouvert 
d'une  assise  de  terre  argileuse  épaisse  de  20  centimètres. 

Une  assise  de  10  centimètres  est  tout  à  fait  insuffisante 
pour  loger  un  corps,  même  quand  il  est  décharné  et  qu'il  ne 
reste  plus  que   le  squelette.   Le  crâne  seul,   dans  quel  sens 

T.  VI  (4"  série).  P(j 


^94  SÉANCE  DU  G  JUIN  1 89o 

qu'on  le  place,  a  plus  de  10  centimètres  de  hauteur,  bien  que 
cela  contrarie  un  peu  la  fameuse  régularité  des  assises,  si 
bien  constatée  et  si  hautement  proclamée.  A  plus  forte  raison 
on  ne  peut  pas  ensevelir  un  corps  dans  une  assise  si  peu 
épaisse.  Donc,  si  le  squelette  est  contemporain  de  l'assise, 
comme  le  prétend  M.  d'Acy,  il  a  dû  rester  a  découvert.  Mais 
ce  n'est  pas  admissible,  car,  dans  ce  cas,  après  la  décompo- 
sition des  chairs,  les  os  se  seraient  déplacés  et  mêlés.  En 
outre,  les  bêtes  fauves,  contre  lesquelles  il  fallait  se  protéger, 
d'après  MM.  Tournier  et  Guillon,  auraient  dévoré  le  cadavre. 
C'est  d'autant  plus  certain  que,  parmi  ces  fauves,  il  y  avait 
l'hyène,  le  plus  vorace  de  tous. 

L'assise  qui  recouvre  celle  contenant  le  squelette  étant  en 
terre  argileuse  stérile,  on  pourrait  peut-être  admettre  qu'elle 
est  le  produit  d'une  inondation  venant  de  l'extérieur  ou  de  la 
grotte,  et  que  l'individu  retrouvé  est  une  victime  de  cette 
inondation.  Recouvert  immédiatement  par  la  terre  argileuse, 
produit  de  cette  inondation,  son  squelette  aurait  été  conservé 
et  les  assises  supérieures  auraient  pu  se  déposer  régulière- 
ment au-dessus  de  lui.  Mais  alors  il  n'est  plus  question  de 
sépulture  intentionnelle. 

S'il  y  a  sépulture  réelle  et  intentionnelle,  il  est  absolument 
nécessaire  qu'il  y  ait  eu  une  fosse  creusée.  Il  reste  à  détermi- 
ner ïi  quelle  époque  a  eu  lieu  ce  creusement.  S'il  y  a  eu 
sépulture,  l'individu  enterré  n'appartient  pas  a  l'époque  de 
l'assise  dans  laquelle  il  a  été  trouvé.  A  quelle  époque  appar- 
tient-il ?  Le  squelette  gisant  seulement  à  lm80  de  profondeur, 
dépôts  récents  compris,  peut  très  bien  appartenir  à  la  période 
actuelle  justement  caractérisée  par  l'ensevelissement  des 
morts. 

M.  d'Acy.  —  M.  G.  de  Mortillet  est  encore  revenu  sur  la  coupe 
figurée  par  MM.  Tournier  et  Guillon.  J'ajouterai  simplement 
à  ce  que  j'ai  déjà  dit  que  cette  coupe  n'est  évidemment  pas 
celle  dans  laquelle  les  pieds  du  squelette  ont  été  découverts, 
et  qui  a  été  examinée,  vérifiée,  si  je  peux  parler  ainsi,  par  la 
délégation   de  la  Société  d'histoire  naturelle  de  l'Ain.  C'est 


A.  DUMONT.  —  MOUVEMENT  DE  LA  POPULATION  FRANÇAISE    395 

une  coupe  perpendiculaire  au  rocher  du  fond,  dressée  à  l'aide 
des  coupes  parallèles  à  ce  rocher —  ou  à  peu  près  —  obtenues 
constamment,  grâce  à  l'exploitation  par  tranches  verticales. 
Pour  être  schématique,  elle  n'en  est  pas  moins  exacte. 

Quant  au  mode  d'inhumation,  au  creusement  de  la  fosse 
dans  un  terrain  antérieur,  etc.,  ce  sont  les  mêmes  objections 
que  pour  les  sépultures  des  Baoussé-Boussé,  de  Spy,  etc.  Ce 
serait  abuser  de  la  patience  de  la  Société  que  de  recommencer 
nos  querelles  k  leur  sujet. 

Je  me  bornerai  à  dire  que,  si  les  hyènes  n'ont  pas  dévoré 
le  cadavre  de  la  terrasse  des  Hoteaux,  c'est  que  là,  comme 
ailleurs,  elles  ont  été  tenues  à  distance  par  la  présence  des 
vivants  qui  continuaient  k  cohabiter  avec  le  mort,  après  l'avoir 
sommairement  inhumé  en  quelque  endroit  de  leur  foyer 
commun. 


Mouvement  de  la  population  française  en  1898. 

Par  M.  Arsène  Dumont. 

C'est  en  1888,  pour  la  première  fois,  que  le  gouvernement, 
préoccupé  du  nombre  croissant  des  étrangers  habitant  en 
France,  a  fait  relever  dans  les  mairies  et  publier  à  YOjficiel  le 
mouvement  de  la  population  parmi  eux. 

Cette  heureuse  innovation  présentait  deux  avantages  :  car 
d'une  part  nous  avons  le  plus  grand  intérêt  à  connaître  avec 
précision  les  diverses  nationalités  répandues  sur  notre  sol,  et 
de  l'autre  les  phénomènes  démographiques  qui  se  produisent 
parmi  nous,  au  sein  de  la  population  française,  ne  peuvent 
être  rigoureusement  déterminés  que  si  on  élimine  les  causes 
d'erreur  résultant  du  mélange  de  la  population  étrangère.  La 
nuptialité,  la  natalité,  la  mortalité,  la  natalité  naturelle, 
l'excès  des  naissances  sur  les  décès  ne  peuvent  être  connus 
exactement  parmi  les  Français  que  si  on  les  connaît,  et  avec 
une  égale  exactitude  parmi  les  étrangers  habitant  en  France. 


396  SÉANCE  DU  6  JUIN   1895 

C'est  ainsi  que,  pendant  les  cinq  années  1888,  1889,  1890, 
4891  et  1892,  où  cette  distinction  a  pu  être  faite,  la  mortalité 
était  plus  grande  parmi  les  Français  que  chez  la  colonie 
étrangère.  Elle  était  pour  la  population  totale  de  la  France 
de  22,:?  :  pour  la  colonie  étrangère  de  16,1),  et  pour  les  Français 
seuls  de  22,5.  Il  est  évident  que  ce  chiffre  est  l'expression 
véritable  de  la  mortalité  française  pendant  cette  période 
quinquennale,  et  non  moins  évident  qu'il  était  impossible  de 
l'établir  sans  connaître  la  mortalité  de  la  colonie  étrangère. 

C'est  ainsi  encore  que,  pendant  la  même  période,  la  natalité 
naturelle,  c'est-à-dire  le  chiffre  qui  répond  à  la  question  :  pour 
cent  naissances  générales,  combien  de  naissances  naturelles'? 
est,  pour  la  population  totale  de  la  France,  8,5;  pour  la 
colonie  étrangère,  12,8,  et,  pour  les  Français  seuls,  8,3.  Ce 
dernier  chiffre  est  bien  la  ssule  expression  exacte  de  notre 
natalité  naturelle,  qui,  sans  la  connaissance  de  l'état  démo- 
graphique des  étrangers,  serait  induement  grossi  par  la 
natalité  naturelle  très  supérieure  de  ces  derniers. 

Pour  la  natalité  et  la  nuptialité,  cette  distinction  a  moins 
de  conséquence.  Entre  la  nuptialité  des  Français  seuls,  qui 
est  de  7,3,  et  celle  de  la  colonie,  qui  est  de  6,2  seulement; 
entre  la  natalité  des  Français,  qui  est  de  22,66,  et  celle  de  la 
colonie  étrangère,  qui  est  de  23,2,  les  différences  sont  trop 
faibles  pour  que,  entre  la  population  totale  de  la  France  et 
les  Français  seuls,  elles  puissent  apparaître  ailleurs  que  dans 
les  centièmes  d'unité. 

Mais  où  cette  division  de  la  démographie  de  la  France  en 
deux  comptes  distincts  reprend  un  grand  intérêt,  c'est  quand 
il  s'agit  du  chiffre  brut  de  l'excès  réciproque  des  naissances 
sur  les  décès.  Ainsi,  pendant  les  cinq  années  énoncées, 
l'excès  des  naissances  sur  les  décès  a  été,  pour  la  population 
totale  de  la  France,  de  61,426,  mais,  parmi  la  colonie  étran- 
gère, il  a  élé  de  40,334  :  de  sorte  qu'il  tombe,  pour  les  Français 
seuls,  à  21.092.  C'est-à-dire  que  l'excès  annuel  des  naissances 
sur  les  décès  était,  pour  la  population  entière,  de  12,285; 
pour  la  colonie  étrangère,   de  8,066,    et.  pour  les  Français 


A.   DUMONT.  —  MOUVEMENT  DE  LA   POPULATION  FRANÇAISE         397 

seuls,  de  4, 218.. Si  faible  que  soit  ce  chiffre,  c'est  évidemment 
la  seule  expression  vraie  de  l'excès  des  naissances  sur  les 
décès. 

Mais  il  y  a  plus  :  de  ces  cinq  années,  les  trois  dernières, 
1890,  1891  et  1892,  ont  été  particulièrement  malheureuses  ; 
elles  ont  présenté,  pour  la  population  totale  de  la  France,  un 
excès  de  68,992  décès  sur  les  naissances.  Toutefois,  pour  les 
Français  seuls,  cet  excès  des  décès  s'élevait  à  90,832;  car, 
pendant  ces  trois  années,  la  colonie  étrangère,  démographi- 
quement  prospère,  au  milieu  de  la  nation  malade,  s'accroissait 
de  21,840  individus,  par  excès  des  naissances  sur  les  décès. 
J'ai  étudié  ailleurs  le  détail  et  les  causes  de  ces  phénomènes; 
mais  le  résultat  qu'on  ne  peut  trop  rappeler,  c'est  que,  pen- 
dant ces  trois  dernières  années,  la  population  entière  de  la 
France  a  perdu  annuellement  22,997  habitants,  par  excès  des 
décès  sur  les  naissances,  et  que  la  population  française  seule 
en  a  perdu  annuellement  30,277  pour  la  même  cause. 

Or,  il  faut  le  répéter  sans  cesse,  ce  dernier  chiffre  est  le  seul 
qui  doive  nous  intéresser. 

Au  point  de  vue  scientifique,  la  population  française  com- 
prend tous  les  êtres  humains  présents  sur  son  territoire  le 
jour  du  recensement.  Elle  embrasse,  outre  les  37,003,174 
citoyens  français,  les  1,130,221  étrangers  qui  se  trouvaient 
alors  parmi  nous.  Mais  au  point  de  vue  national,  le  premier 
de  ces  deux  chiffres  est  le  seul  qui  nous  importe  :  ce  qui  tend 
à  le  diminuer  affaiblit  la  France,  ce  qui  tend  à  l'accroître  la 
fortifie. 

Il  semblait  qu'une  distinction  si  utile  et  si  rationnelle,  une 
fois  adoptée,  ne  dut  plus  être  omise.  Si  imparfaites  que  fussent 
les  bases  sur  lesquelles  elle  reposait,  les  résultats  numériques 
conservaient  assez  de  certitude  pour  que  leur  portée  philoso- 
phique n'en  fût  point  diminuée.  Cependant,  après  avoir  été 
faite  pendant  cinq  ans,  dans  le  Journal  officiel  du  19  janvier 
1895,  qui  relate  le  mouvement  de  la  population  pour  l'année 
1893,  nous  voyons  qu'elle  a  disparu.  Nous  y  lisons  que  la 
nuptialité  a  été,  pour  cette  année,  de   7,36;   la  natalité,  de 


398  SÉANCE  DU  6  JUIN  1895 

22,9;  la  natalité  naturelle,  de  8,8;  la  mortalité,  de  22,8; 
l'excès  des  naissances  sur  les  décès,  de  7,146.  Mais  tous  ces 
chiffres  sont  relatifs  à  l'ensemble  de  la  population  habitant  la 
France.  Les  données  permettant  de  calculer  la  natalité  et  la 
natalité  naturelle,  la  nuptialité,  la  mortalité  et  l'excès  réci- 
proque des  naissances  sur  les  décès  pour  la  nation  française, 
n'ont  pas  été  fournies. 

L'état  démographique  de  la  France  parait,  ainsi  présenté, 
un  peu  moins  mauvais  pendant  l'année  1893  que  pendant  les 
trois  années  précédentes.  II  y  a  un  excédent  de  7,146  nais- 
sances sur  les  décès  qui  sert  de  prétexte  à  l'optimisme  officiel. 
Si,  en  effet,  l'on  observe  que,  dans  la  colonie  étrangère,  l'excès 
des  naissances  sur  les  décès  a  été  en  moyenne  de  7,280  par 
an  durant  les  trois  années  1890,  1891  et  1892,  et  qu'il  n'y  a 
pas  de  raison  pour  que  cet  excédent  n'ait  pas  été  le  même  en 
1893,  on  est  obligé  de  conclure  (pie,  pour  cette  dernière 
année,  l'excès  de  7,146  naissances  existant  dans  la  popula- 
tion totale  de  la  France,  se  transforme  en  un  excès  de  134 
décès  parmi  les  Français  seuls.  Si,  au  lieu  de  considérer  comme 
chiffre  probable  de  l'excès  de  naissances  sur  les  décès  parmi 
la  colonie  étrangère  en  1893,  la  moyenne  des  trois  années 
précédentes,  on  préfère,  ce  qui  est  plus  rationnel,  prendre 
la  moyenne  de  la  période  quinquennale  .1888-1892,  cette 
moyenne  étant  de  8,066,  l'excès  des  décès  sur  les  naissances 
parmi  les  Français  seuls  devient  920. 

De  quelque  façon  que  l'on  calcule,  voici  quatre  années 
consécutives  que,  en  pleine  paix,  sans  calamités  publiques 
exceptionnelles,  mais,  au  contraire,  au  milieu  de  la  richesse 
rapidement  croissante,  le  nombre  des  Français  diminue  par 
excès  des  décès  sur  les  naissances.  Il  y  a  cinq  ans  seulement, 
quand  on  parlait  de  dépopulation,  on  était  parfois  taxé  d'exa- 
gération :  car  l'ensemble  de  la  France  présentait  encore,  tout 
compensé,  une  augmentation  d'environ  cent  mille  habitants 
par  an.  Il  pouvait  paraître,  à  condition  de  ne  pas  approfon- 
dir, indifférent  que  quelques  groupes  de  départements  pré- 
sentassent plus  de  décès  que  de  naissances,   si  les  autres 


A.    DUMONT.  —  MOUVEMENT  Dlî  LA   POPULATION  FRANÇAISE  399 

compensaient  largement  le  déficit.  Aujourd'hui,  il  n'en  est 
plus  ainsi  :  le  fléau  de  la  dépopulation  a  fait  des  progrès 
si  rapides  que  les  prévisions  les  plus  pessimistes  ont  été 
dépassées. 

Pour  en  juger,  il  est  nécessaire  de  comparer  notre  état  dé- 
mographique de  1893  avec  notre  état  antérieur,  avec  celui 
des  autres  nations,  et  d'examiner  rapidement  l'état  de  nos 
divers  départements. 

Etant  donnée  l'insuffisance  des  documents  officiels,  nous 
ne  pouvons  connaître  le  mouvement  de  la  population  chez  les 
Français  seuls.  Pour  l'ensemhle  de  la  population  française, 
la  nuptialité  a  été,  en  1893,  de  7,56  contre  7,3  pendant  la 
période  quinquennale  précédente;  la  natalité  de  22,9  au  lieu 
de  22,67.  Il  y  a  donc  une  légère  amélioration  sous  ces  deux 
rapports.  Mais  la  mortalité  s'est  accrue;  elle  est  de  22,8  au 
lieu  de  23,3.  La  proportion  des  naissances  naturelles  est  de 
8,8  au  lieu  de  8,5.  Pour  ces  deux  phénomènes  il  y  a  donc 
légère  aggravation. 

Si  l'on  compare  ces  quatre  chiffres  à  ceux  qui  sont  fournis 
par  les  autres  nations,  notre  nuptialité  de  1893  apparaît 
comme  moyenne  en  Europe.  Notre  natalité  nous  place  au 
dernier  rang,  avec  un  intervalle  considérable  entre  nous  et 
les  nations  les  moins  dissemblables.  La  natalité  de  la  Suisse, 
celle  qui  est  la  moins  éloignée  de  la  nôtre,  varie  depuis  dix 
ans  entre  26,7  et  29;  celle  de  la  Suède  varie  depuis  douze  ans 
entre  27,7  et  29,9;  celle  de  la  Belgique,  depuis  huit  ans,  entre 
28,6  et  29,9.  Tous  les  autres  Etats  ont  des  natalités  au-dessus  de 
30.  La  natalité  anglaise  est  en  général  de  8  ou  9  unités  au-des- 
sus de  la  nuire;  celles  de  l'Italie  et  de  l'Allemagne,  de  12  ou 
15  ;  celles  de  la  Saxe,  du  Wurtemberg,  de  l'Autriche  et  de  la 
Hongrie,  de  18  à  20.  Enfin  la  Russie  a  compté,  de  1887  à 
1890,  de  48,5  à  50,3  naissances  pour  1,000  habitants;  Sa 
natalité  est  par  suite  beaucoup  plus  que  double  de  la  nôtre. 

Si  notre  natalité  est  beaucoup  trop  faible,  notre  mortalité 
n'en  est  pas  moins  trop  forte.  Egale  à  peu  près  à  celle  Se 
l'Angleterre,  elle  est  supérieure  à  celle  du  Danemark,  de  la 


400  SÉANCE  DU  6  JUIN  1895 

Suède  et  surtout  de  la  Norwège.  C'est  sous  ce  climat  à  la  fois 
humide  et  glacé  que  l'homme  vit  le  plus  longtemps  et  pré- 
sente le  plus  de  résistance  à   la  maladie,  bien  que  tous  ses 
besoins,  en  fait  de  vêtement,  de  logement,  de  chauffge  et 
d'alimentation,    y    soient    plus    considérables    que   partout 
ailleurs.  C'est  sous  le  beau  ciel  de  l'Italie  et  de  l'Espagne,  où 
la  nature  est  si  clémente  à  l'homme,  qu'il  présente  le  plus  de 
mortalité  et  de  morbidité.  La  France,  intermédiaire  entre  les 
deux  presqu'îles  du  Midi  et  la  Norwège,  comme  latitude  et 
comme  température,  l'est  aussi  comme  mortalité.  Ce  n'est  pas 
sans  doute  que  les  climats  septentrionaux  soient  plus  favo- 
rables à  notre  constitution,  mais  c'est  que  l'homme  fait  lui- 
même  sa  destinée.  On  doit  penser  qu'il  gère  dans  le  Nord  ses 
forces  physiques  et  mentales  d'une  manière  plus  rationnelle, 
qui  serait  à  étudier  afin  de  ramener  notre  mortalité  a   un 
chiffre  qui,  vu  la  faiblesse  de  notre  natalité,  pourrait  certai- 
nement ne  pas  excéder  13  décès  pour  100  habitants. 

Si  l'on  considérait  une  moyenne  de  8  mariages  pour  1,000 
habitants  comme  constituant  l'état  de  santé  démographique, 
ce  qui  n'est  pas  trop  demander,  surtout  chez  une  nation  où 
le  nombre  des  adultes  est  proportionnellement  considérable, 
on  verrait  qu'en  1893  vingt  de  nos  départements  seulement 
ont  atteint  ou  dépassé  ce  chiffre.  Encore  faut-il  y  comprendre 
la  Seine,  où,  malgré  l'élévation  apparente  de  la  nuptialité 
(9,3,  le  maximum  de  toute  la  France),  le  goût  pour  le  mariage 
est  en  réalité,  comme  on  sait,  fort  peu  développé.  Dans  07 
départements,  la  nuptialité  reste  au-dessous  de  8  pour  1,000 
habitants,  qui  a  semblé  longtemps  la  proportion  normale  en 

France. 

En  même  temps,  le  nombre  des  divorces  augmente  réguliè- 
rement d'année  en  année,  suivant  une  progression  en  rapport 
avec  le  relâchement  du  lien  conjugal  et  qui  est  loin  d'avoir 
atteint  son  terme. 

La  fécondité  des  mariages  en  1893  a  été,  comme  toujours, 
insuffisante.  Le  nombre  des  naissances  légitimes  ayant  été 
de  798,110  et  celui  des  mariages  de  287,294,  la  proportion 


A.   DUMONT.  —  MOUVEMBKT  DIÎ  LA  POPULATION  FRANÇAISE         -401 

des  naissances  pour  100  mariages  est  de  277.  Bien  que  ces 
naissances  ne  soient  évidemment  point  attribuables,  sinon 
pour  une  très  faible  part,  aux  unions  de  l'année,  ce  chiffre 
n'en  a  pas  moins  sa  portée,  comme  indice  de  la  fécondité 
habituelle  des  mariages. 

Ici  encore  nous  nous  trouvons  en  présence  d'un  phénomène 
de  pathologie  sociale.  Au  taux  actuel  de  notre  nuptialité  et 
de  notre  mortalité,  le  chiffre  minimum  qui  serait  désirable 
ne  devrait  pas  descendre  au-dessous  de  3,5  naissances  légi- 
times pour  un  mariage  et  3,8  assurerait  seul  la  pleine  santé 
démographique.  Mais  il  y  a  plus,  ce  chiffre  si  bas  de  2,77  n'est 
qu'une  moyenne,  et  comme  les  différences  sont  grandes  de 
département  à  département  et  de  commune  à  commune 
certaines  divisions  administratives  restent  bien  au-dessous  de 
ce  chiffre.  Nous  avons  des  cantons  qui,  en  fait,  n'ont  pas 
même  un  enfant  vivant  par  ménage. 

Il  y  a  certainement  un  point  au-dessous  duquel  l'abaisse- 
ment de  la  natalité  doit  être  considéré  comme  une  maladie 
sociale.  Alors  même  que  le  chiffre  des  décès  serait  beaucoup 
plus  faible  que  celui  des  naissances  et  que  le  nombre  des 
habitants  ne  serait  point  en  voie  de  diminution,  une  nation 
doit  être  considérée  comme  malade  s'il  n'y  a  point  assez  de 
naissances,  que  ce  déficit  provienne  soit  du  trop  petit  nombre 
des  mariages  contractés,  soit  de  la  proportion  trop  forte  des 
mariages  sans  enfants  ou  n'ayant  que  des  enfants  uniques,  et 
qui  sont  presque  toujours  des  enfants  gâtés. 

Ce  niveau  minimum  de  la  natalité  désirable  peut  naturelle- 
ment varier  suivant  les  circonstances  et  les  appréciations  ; 
mais  il  semble  qu'il  doit  en  tous  cas  être  compris  entre  25  et 
30  et  que  25  soit  à  peu  près  le  dernier  degré  auquel  on  puisse 
l'abaisser.  Or,  nous  n'avons  que  15  départements  présentant 
25  ou  plus  de  25  naissances  pour  1,000  habitants,  et  quatre 
seulement,  le  Morbihan  et  le  Finistère,  le  Nord  et  le  Pas-de- 
Calais  qui  accusent  une  natalité  pleinement  satisfaisante  de 
30  à  33,5.  Quatorze  ont  une  natalité  de  25  à  23,  passable 
pour  la  France  actuelle,  c'est-à-dire  supérieure  à  la  moyenne 


402  SÉANCE  DU  6  JUIN   1895 

nationale  de  l'année,  bien  qu'insuffisante  en  elle-même.  Mais 
dans  58  la  natalité  est  au-dessous  de  ce  chiffre  si  bas.  Enfin 
dans  cinq  départements,  l'Yonne,  le  Tarn-et-Garonne,  le  Lot, 
le  Lot-et-Garonne  et  le  Gers,  elle  est  inférieure  à  17.  Ce  der- 
nier département  n'a  que  14,9  naissances  pour  1,000  habitants, 
ce  qui,  en  admettant  comme  vraisemblables,  des  oscillations 
de  cinq  en  plus  ou  en  moins  de  la  moyenne,  suppose  des  com- 
munes où  la  natalité  descend  à  moins  de  10  pour  1,000  habi- 
tants '. 

Natalité  naturelle.  —  Si  l'on  demandait  quel  est  le  nombre 
de  naissances  naturelles  que  l'on  doit  désirer  dans  une  nation, 
l'esprit  de  nos  lois  et  la  direction  de  la  morale  régnante  por- 
teraient certainement  à  répondre  que  le  mieux  est  de  n'en 
avoir  aucune.  Mais  c'est  un  idéal  que  la  civilisation  euro- 
péenne ne  peut  atteindre.  Nos  codes  et  nos  mœurs  semblent 
avoir  établi  le  mariage  comme  un  canal  destiné  à  endiguer 
la  plus  grande  part  de  l'instinct  sexuel  sans  jamais  pouvoir 
le  contenir  tout  entier.  Ils  rendent  les  naissances  naturelles 
inévitables  tout  en  les  regardant  avec  défaveur.  Sans  doute, 
un  enfant  légitime  sur  lequel  veillent  à  la  fois  un  père  et 
une  mère  a  toutes  chances  d'être  mieux  vêtu,  mieux  lavé, 
mieux  protégé  contre  le  vice,  la  mort  et  la  maladie  que  l'en- 
fant naturel.  Il  est  plus  avantageux  pour  lui  et  pour  la  société 
que  sa  naissance  se  produise  en  dedans  qu'en  dehors  du 
mariage.  Mais  étant  donnée  l'insuffisance  de  notre  natalité 
légitime,  s'il  vaut  mieux  enregistrer  une  naissance  légitime 
qu'une  naturelle,  il  vaut  beaucoup  mieux  mieux  une  nais- 
sance naturelle  que  rien. 

Le  chiffre  des  naissances  naturelles  a  été  de  76,662  en  1893, 
soit  8,8  pour  100  naissances  de  toute  nature.  C'est  le  chiffre 
le  plus  élevé  qui  ait  encore  été  constaté  en  France.  Mais  il 
n'a  qu'une  relation  fort  indirecte  avec  celui  de  la  nuptialité 
ou  de  la  natalité  générales.  Quelques-uns  des  départements 

1  C'est  un  cas  de  tératologie  sociale  que  je  n'ai  rencontré  qu'une 
fois  à  St-Contesl  (Calvados),  moyenne  de  la  décade  1843-1852. 


A.  DUMONT.  —  MOUVEMENT  DE  LA  POPULATION  FRANÇAISE    403 

qui  ont  le  moins  d.e  naissances  légitimes  sont  aussi  ceux  qui 
en  ont  le  moins  de  naturelles.  Exemples  :  Le  Lot,  le  Lot-et- 
Garonne  et  même  le  Gers.  Au  contraire,  la  Seine,  la  Somme, 
le  Rhône,  le  Calvados,  le  Nord,  la  Seine-Inférieure,  la  Gironde 
ne  doivent  leur  haute  natalité  naturelle  qu'à  leur  nombreux 
prolétariat  industriel  et  agricole.  La  natalité  naturelle  n'est 
nullement  en  raison  inverse  de  la  natalité  légitime  ou,  du 
moins,  cette  relation  inverse  n'est  une  hypothèse  admissible 
que  pour  le  Morbihan  et  le  Finistère.  Les  naissances  natu- 
relles sont  plus  nombreuses  dans  les  départements  de  race 
kymrique  et  aussi  dans  ceux  où  la  répartition  des  richesses 
étant  très  inégale  il  existe  un  nombreux  prolétariat. 

Mortalité.  —  Nous  n'avons  que  dix  départements  où  la  mor- 
talité soit  inférieure  à  20,  et,  dans  le  plus  épargné  de  tous, 
elle  dépasse  encore  16.  Dans  G6,  elle  varie  de  20  à  25  ;  enfin, 
dans  11  départements,  elle  varie  de  25  a  28,2.  Dans  les  trois 
départements  les  plus  maltraités,  le  Finistère,  les  Bouches- 
du-lthône  et  la  Seine-Inférieure,  la  haute  mortalité  tient  à  la 
pauvreté,  mais  pour  ces  deux  derniers  à  la  pauvreté  de  la 
majorité  seulement  de  la  population,  ce  qui  ne  les  empêche 
pas  de  compter  une  minorité  extrêmement  fortunée  qui  leur 
vaut  leur  réputation  de  richesse. 

Cette  mortalité  si  élevée  de  77  de  nos  départements  montre 
combien  nous  sommes  loin  de  la  mortalité  idéale,  c'est-à-dire 
de  la  mortalité  minimum  compatible  avec  la  nécessité  de 
mourir. 

Excès  des  naissances  sur  les  décès.  —  Il  devrait  se  produire 
dans  toute  la  nation,  mais  aussi  dans  toutes  ses  parties,  dépar- 
tements et  communes.  Toute  collectivité  où  il  se  ne  se  produit 
point  est  malade  et  réclame  l'intervention  du  législateur.  Or, 
nous  avons  compt':,  en  1893,  la  grande  majorité  des  départe- 
ments, 51,  où  il  y  a  eu  excès  de  décès  sur  les  naissances. 
Dans  le  département  de  l'Orne,  peu  dense  et  peu  peuplé, 
l'excès  des  décès  a  été  de  2,336  on  cette  seule  année.  Dans 
l'Eure,  il  a  été  de  1,755;  dans  le  Lot-et-Garonne,  de  1,573 
dans  le  Lot,  de  1,415  ;  dans  le  Gers,  de  1,295.  Les  départe- 


404  SÉANCE  DU  6  JUIN   1895 

ments  où  la  population  par  excès  des  décès  sur  les  naissances 
est  le  plus  active  sont  le  Gers,  le  Lot,  le  Lot-et-Garonne, 
l'Orne,  qui  ont  pour  1,000  décès  de  730  à  750  naissances  seu- 
lement, puis  la  Côte-d'Or,  l'Eure,  la  Haute-Garonne,  la  Sar- 
the,  le  Tarn-et-Garonne,  l'Yonne,  quLen  ont  de  750  à  800. 
Telle  est  la  profondeur  du  mal  ! 

Il  tient  à  des  causes  profondes  et  permanentes,  sans  cesse 
agissantes,  d'une  énergie  toujours  croissante.  Le  principe 
toxique  contenu  dans  notre  civilisation  se  développe  comme 
un  ferment  caché,  à  la  chaleur  du  bien-être,  et  il  continuera 
à  se  développer.  Il  a  toujours  tué  toutes  les  aristocraties, 
toutes  les  bourgeoisies  pensant  et  aspirant  à  vivre  noblement, 
il  mine  maintenant  le  peuple  pensant  et  aspirant  à  vivre 
bourgeoisement.  Il  est  constitué  par  un  état  d'esprit,  un  en- 
semble d'appréciations  et  d'aspirations  dont  tout,  dans  notre 
démocratie  imparfaite  et  contradictoire,  encourage  la  rapide 
diffusion,  et  tant  que  nous  serons  dans  le  même  état  social, 
douloureux  et  illogique,  il  gagnera  sans  cesse  en  profondeur 
cl  en  étendue. 

Quel  remède  '.'  Sa  détermination  abstraite  tient  en  deux 
mots  :  dégager  le  principe  toxique  afin  de  l'éliminer,  ou,  en 
termes  plus  courts,  étudier  le  mal  dans  le  plus  grand  détail 
et  rendre  ses  causes  évidentes  à  tous  les  yeux,  afin  de  les 
supprimer. 

La  dépopulation  tient  tantôt  à  l'excès  de  l'émigration  sur 
l'immigration  et  tantôt  à  l'excès  des  décès  sur  les  naissances. 
L'excès  des  décès  sur  les  naissances  lui-même  tient  tantôt  au 
chiffre  excessif  des  décès,  tantôt  à  l'abaissement  trop  grand 
de  la  natalité.  Enfin,  l'abaissement  de  la  natalité  peut  venir 
soit  du  trop  petit  nombre  d'enfants  par  mariage,  soit  du  trop 
petit  nombre  des  mariages,  soit  même  de  l'absence  des  nais- 
sances naturelles,  dont  l'apoint  empêche  souvent  la  natalité 
générale  d'être  au-dessous  de  la  mortalité.  Enfin,  l'abaisse- 
ment de  la  nuptialité,  de  la  natalité  légitime  et  de  la  natalité 
naturelle  peut  résulter  soit  de  la  volonté,  soit  de  raisons 
physiologiques.  Telles  sont  les  causes  immédiates  de  la  dépo- 


A.    DUMONT.  —  MOUVEMENT  DE  LA  POPULATION  FRANÇAISE         405 

pulation,  celles  qu'il  est  possible  de  découvrir  et  d'exprimer 
mathématiquement.  Les  causes  médiates  qui  sont  du  domaine 
de  la  psychologie  et  de  l'ethnographie  ne  peuvent  être  qu'en- 
suite cherchées  avec  utilité. 

Les  progrès  de  la  dépopulation  ont  mis  la  France  dans  une 
situation  telle  qu'elle  ne  peut  attendre  son  salut  que  des  pro- 
grès de  la  démographie.  Quelque  grande  que  soit  la  tâche, 
cette  science  peut  l'accomplir  à  la  seule  condition  de  procé- 
der avec  méthode.  Pour  arriver  à  déterminer  les  remèdes, 
autrement  dit  les  réformes  sociales  et  morales,  intellectuelles 
et  esthétiques  nécessaires,  il  faut  avoir  découvert  les  causes 
médiates  et  avant  celles-ci  les  causes  immédiates,  mathémati- 
quement mesurables.  Il  faut  commencer  par  faire  la  démo- 
graphie de  la  France  entière,  commune  par  commune  et  can- 
ton par  canton. 

La  nation,  attaquée  par  un  mal  inoui,  ne  doit  pas  oublier 
qu'elle  possède  dans  les  archives  des  départements  des  tré- 
sors sans  prix,  comme  l'espèce  humaine  n'en  a  jamais  pos- 
sédé, les  matériaux  d'une  histoire  exacte  de  36,000  unités 
démographiques  pendant  cent  ans.  C'est  dans  l'exploitation 
méthodique  de  ces  documents  que  réside  le  salut.  Puisse 
cette  conviction  se  propager  jusqu'à  ce  qu'elle  envahisse  la 
majorité  de  la  nation  et  tourne  enfin  les  pouvoirs  publics  à 
édicter  les  mesures  indispensables. 

Discussion. 

M.  René  Worms  fait  observer  que  les  questions  soulevées 
par  M.  Arsène  Dumont  n'ont  pas  moins  d'intérêt  pour  le 
législateur  que  pour  l'homme  de  science.  En  effet,  les  textes 
légaux  sur  la  nationalité  ont  été  remaniés  en  1889  pour  attri- 
buer la  qualité  de  Français  à  nombre  d'enfants  nés  en  France 
de  parents  étrangers.  On  s'est  aperçu  en  1893  qu'on  était  allé 
trop  loin  dans  cette  voie,  et  l'on  est  revenu  en  partie  sur  les 
dispositions  prises.  La  question  est  aujourd'hui  de  savoir  la- 
quelle de  ces  deux  orientations,  celle  de  1889  et  celle  de  1893, 


406  SÉANCE  DU  6  JUIN  1895 

doit  rester  l'orientation  définitive  de  nos  législateurs.  Or, 
pour  trancher  cette  question,  les  statistiques  du  genre  de 
celles  dont  parle  M.  Dumont  ont  une  importance  décisive. 
En  effet,  s'il  est  bien  établi  que  la  natalité  française  serait  in- 
férieure en  valeur  absolue  a  la  mortalité,  n'était  l'appoint  de 
la  natalité  due  aux  étrangers  établis  en  France,  il  faudra 
conclure  que  le  législateur  de  1889  n'avait  pas  tort  de  vouloir 
rendre  Français  les  enfants  de  ces  étrangers,  puisque  sans 
eux  notre  population  décroîtrait  sans  cesse  en  valeur  ab- 
solue. Il  serait  donc  essentiel  que  les  statistiques  fissent 
connaître  combien,  parmi  les  enfants  nés  en  France,  sont 
issus  d'auteurs  étrangers,  afin  que  le  législateur  put  se  pro- 
noncer en  connaissance  de  cause.  Il  serait  même  nécessaire, 
à  notre  point  de  vue,  que  les  statistiques  divisassent  cette 
catégorie  d'enfants  suivant  la  nationalité  d'origine  de  leurs 
auteurs. 

M.  G.  Lagneau.  —  M.  Dumont  attribue  notre  faible  excé- 
dent de  7,146  naissances  sur  les  décès  en  1893  '  aux  étrangers 
immigrés  en  notre  pays.  Aussi  exprime-t-il  le  regret  que  dans 
la  publication  du  dernier  mouvement  de  la  population,  après 
la  natalité  et  la  mortalité  générales  de  tous  les  habitants,  on 
n'ait  pas  continué,  comme  les  années  précédentes,  à  indiquer 
séparément  la  natalité  et  la  mortalité  des  Français  et  des 
différents  immigrés  étrangers.  Sachant  qu'en  1890,  1891  et 
1892,  pour  tous  les  habitants,  il  y  avait  des  excédents  de 
38,446,  de  10,505  et  de  20,041  décès,  et  que  pour  les  Français, 
considérés  isolément,  ces  excédents  s'élevaient  à  43,820,  à 
19,354  et  à  27,658  décès-,  la  remarque  de  notre  collègue 
semble  très  vraisemblable.il  est  donc  évidemment  regrettable 
qu'on  n'ait  pas  indiqué  séparément,  pour  1893,  la  natalité  et 
la  mortalité  des  immigrés. 

i  Mouvement  de  la  population  :  Journal  officiel,  19  janvier  1895, 
p.  336. 

2  Mouvement  de  la  population  :  Journal  officiel,  21  octobre  1891, 
p.  5062  ;  20  décembre  1892,  p.  G349  ;  15  février  1894,  p.  748. 


A.  Dl'MONT.  —  MOUVEMENT  DE  LA  POPULATION  FRANÇAISE    407 

Quant  aux  excédents  des  naissances,  de  8,959,  de  7,788  et 
de  6,179,  présentés  par  la  plupart  des  dilïérents  immigrés  : 
Belges,  Espagnols,  Italiens,  Suisses  (moins  les  Anglais,  qui  ont 
un  excédent  de  décès),  ils  semblent  témoigner  d'une  natalité 
supérieure  à  celle  des  Français,  bien  que,  ainsi  que  le  re- 
marque M.  Dumont,  elle  puisse  être,  pour  eux,  moindre  en 
France  que  dans  leur  pays  d'origine. 

En  effet,  il  faut  observer  que  ces  excédents  de  naissances, 
résultant  du  rapprochement  des  nombres  des  naissances  sur 
ceux  des  décès,  n'impliquent  pas  une  très  grande  fécondité. 
De  1890  à  1892  les  naissances  et  les  décès  des  Français  de 
tous  âges  ne  sont  pas  comparables  aux  naissances  et  aux 
décès  des  étrangers,  qui,  pour  la  plupart,  ne  sont  arrivés  en 
France  qu'à  l'Age  adulte,  c'est-à-dire  à  l'âge  de  procréation  et 
de  faible  mortalité. 

Quoique  la  natalité  des  étrangers  en  France  soit  assez  élevée, 
leur  fécondité  y  est  vraisemblablement  moindre  qu'elle  n'au- 
rait été  dans  leurs  dilïérents  pays.  L'inégale  proportion  des 
immigrés  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  ne  doit  pas  faciliter  les 
mariages. 

Si,  lors  du  dénombrement  de  1881,  d'Angleterre  il  était 
venu  plus  de  femmes  que  d'hommes,  de  Belgique,  d'Espagne, 
de  Hollande  et  surtout  d'Italie,  il  était  venu  plus  d'hommes 
que  de  femmes3. 

Les  mariages  entre  immigrés  et  Françaises  trouvent  parfois 
des  difficultés  dans  les  formalités  à  remplir,  d'où  il  résulte 
souvent  des  unions  illégitimes,  difficiles  à  régulariser.  M.  le 
Dr  Pénot,  de  Mulhouse,  avait  signalé  les  difficultés  qu'éprou- 
vaient les  ouvriers  étrangers  à  faire  venir  de  leur  pays  les 
pièces  exigées  pour  leur  mariage,  et  en  particulier  à  acquérir 
le  titre  de  bourgeoisie  dont  tout  marié  devait  justifier,  pour  sa 
femme  et  ses  futurs  enfants,  dans  certains  États  de  l'Alle- 
magne, dans  certains  cantons  de  la  Suisse  '*. 

3  Résultats  statistiques  du  dénombrement  de  18S1,  tabl.  4,  p.  110 
114,  etc.,  18G3. 

4  I'énot  :  Recherches  statistiques  sur  Mulhouse,  p.  30,  40, 1813. 


408  SÉANCE  DU  fi  JUIN  1895 

Relativement;!  la  naturalisation  des  étrangers,  M.  Worms 
rappelle  qu'après  avoir,  il  y  a  quelques  années,  pris  certaines 
mesures  pour  la  faciliter,  on  crut  devoir  la  rendre  moins  facile. 
Je  sais  qu'en  1891,  sur  38,133,385  habitants,  on  compte,  dans 
notre  pays,  36,83:2,470  Français,  170,704  naturalisés  français 
et  1,130,211  étrangers1.  Notre  population  ne  se  maintient 
que  par  l'immigration  étrangère.  Avec  Bertillon  père"2  et 
maints  autres  démographes,  je  vois  avec  peine  que  les 
moyens  d'existence,  dont  la  France  dispose  par  sa  production 
ou  son  importation,  au  lieu  de  servir  à  notre  utilité,  sollicitent 
l'immigration  d'étrangers  de  plus  en  plus  nombreux.  Mais  je 
crois  néanmoins  qu'il  importe  de  faciliter  de  plus  en  plus  la 
naturalisation  de  ces  immigrants  pour  leur  faire  partager  les 
droits,  les  intérêts,  les  obligations  de  nos  compatriotes. 
M.  Rochard  pense  qu'  «  un  peuple  qui  se  recrute  à  l'étranger 
perd  vite...  son  caractère,  ses  mœurs  et  ses  propres  forces; 
il  y  perd,  avec  le  temps,  ce  qu'il  y  a  de  plus  précieux  :  sa  na- 
tionalité3... »  Je  ne  redoute  nullement  ces  conséquences  attri- 
buées à  cette  immigration  considérable,  car  les  étrangers  qui 
viennent  se  fixer  dans  noire  pays  sont  pour  la  plupart  de 
même  race  que  nos  nationaux.  Il  y  a  longtemps  que  Strabon 
disait  que  les  habitants  de  la  péninsule  Ibérique,  les  Espa- 
gnols, étaient  de  même  race  que  les  Aquitains  '*,  dont  descen- 
dent la  plupart  de  nos  compatriotes  du  Sud-Ouest.  Nos  habi- 
tants des  départements  du  Nord  et  de  l'Est  descendent  en 
partie  des  immigrants  Normands,  Belges,  Germains,  Francks, 
Burgundiens  de  race  germanique.  Au  point  de  vue  anthro- 
pologique, l'immigration  actuelle  ne  semble  nullement  modi- 
fier notre  population.  La  naturalisation  est  le  meilleur  moyen 
de  nous  assimiler  ces  étrangers. 

i  Résultats  statistiques  du  dénombrement  de  1891,  p.    119,  1894. 

2  Bertillon  :  Migration.  Dictionnaire  des  Sciences  médicales,  p.  601, 
1875. 

s  Rochard  :  Bulletin  de  l'Académie  de  Médecine,  20  février  1883. 

4  Strabon  :  Liv.  IV,  cap.  I,  §  I,  et  cap.  Il,  §  I,  p.  146  et  157, 
édit.  Didot. 


REÔUJAULT.  —  DEFORMATIONS  IRANIENNES  409 

Défor.nations  crâniennes  dans  l'art  Sino-Japonais 

Par  le  D1'  Regnault. 

Les  artistes  sino-japonais  étaient  très  capables  de  repro- 
duire les  déformations  crâniennes  avec  une  grande  exactitude. 
Je  n'en  veux  pour  exemple  qu'une  statue  japonaise  ancienne 
en  bois  conservée  au  musée  Guimet.  Elle  représente  Kou- 
ya-Djonin,  prêtre  fondateur  d'une  secte  boudhiste,  mort  en 
974.  Cette  statue,  très  remarquable  et  très  belle,  montre  une 
tète  en  carène  avec  un  front  saillant  à  la  partie  médiane. 
Celte  déformation  est  représentée  avec  fidélité  et  minutie. 

De  pareils  exemples  sont  l'exception.  Les  tètes  des  divinités, 
des  saints  et  des  philosophes  sont  pourtant  très  souvent  dé- 
formées; mais  ces  déformations  n'ont  qu'un  rapport  éloigné 
avec  celles  que  peut  observer  l'anthropologiste. 

Ainsi  les  artistes  chinois  et  japonais  s'accordent  à  donner 
au  philosophe  Lao-ïseu,  au  dieu  du  bonheur  et  à  celui  de  la 
longévité,  un  crâne  élevé  en  hauteur.  Le  diamètre  vertical 
l'emporte  sur  les  autres,  la  face  parait  surmontée  d'un  cylindre 
qui,  dans  les  cas  extrêmes,  peut  être  deux  fois  plus  haut  que 
le  visage. 

Pourquoi  les  artistes  jaunes  ont-ils  ainsi  représenté  ces 
dieux?  Tchen-ki-Tong  pensait  que  ses  compatriotes  avaient 
v«»ulu  rappeler  leur  haute  sagesse.  Mais  on  ne  s'expliquerait 
pas  pourquoi  la  hauteur  du  crâne  diffère  suivant  les  statues. 
Sur  les  statuettes  du  musée  Guimet,  on  peut  trouver  des  dieux 
dont  le  crâne  a  la  même  hauteur  que  la  figure;  d'autres  ont 
deux  et  même  deux  fois  et  demi  cette  hauteur.  On  saisit  ici 
la  pansée  de  l'artiste  qui  observe  le  réel  et  l'exagère  plus  ou 
moins,  suivant  sa  fantaisie.  Il  a  obéi  h  la  même  inspiration 
que  celle  qui  poussait  nos  ancêtres  à  allonger  leurs  souliers  à 
poulaine  ou  leurs  coiffures. 

Tandis  que  l'art  grec  a  en  général  assez  fidèlement  inter- 
prété les  déformations  crâniennes,  l'art  sino-japonais  les. a 
presque  toujours  absolument  modifiées.  En   effet,  l'art   des 

t.  vi  (4«  série).  27 


410  SÉANCE  DU  6  JUIN  1895 

orientaux  est  un  de  ceux  qui  s'éloignent  le  plus  de  la  copie 
exacte  de  la  nature.  Non  qu'ils  ne  sachent  dessiner  avec  une 
merveilleuse  vérité;  mais  en  bien  des  œuvres  l'imagination 
vient  dévier  le  pinceau  et  créer  l'irréel.  Rappelez-vous  ces 
génies  du  mal  qui  grimacent  :  le  front  a  chez  eux  disparu,  le 
crâne  fuit  au-dessus  des  sourcils  d'une  façon  plus  brusque 
que  chez  un  microcéphale.  Li-Tié-Koné,  le  philosophe  chinois, 
et  Lao-tsaé-Hù,  le  dieu  des  mendiants,  ont  aussi  perdu  leur 
front.  La  fantaisie  de  l'artiste  n'a  pas  de  frein. 

La  meilleure  preuve  nous  est  donnée  par  ces  albums 
de  dessins,  qui  vulgarisent,  en  Chine  et  au  Japon,  les  por- 
traits des  disciples  de  Bouddha,  les  cinq  cents  Lohans. 

Nous  avons  pu  feuilleter,  au  musée  Guimet,  trois  albums 
les  figurant. 

L'un  contenait  les  cinq  cents  Lohans  ;  c'est  un  manuscrit 
chinois  publié  au  Japon,  de  1790  à  1821.  Trente  pour  cent 
de  ces  saints  ont  des  crânes  déformés. 

Des  deux  autres  albums,  d'un  dessin  plus  artistique,  l'un 
contient  les  portraits  authentiques  de  seize  des  Lohans,  dé- 
nommés les  seize  rakaies,  œuvre  due  à  l'auguste  pinceau  de 
Khien-long-IIouang-yu-pi-te-i  san-lo-han-to,  manuscrit  du 
xviue  siècle,  réimprimé  a  Canton. 

L'autre,  le  portrait  des  Lohans,  par  Tiun-yun-fang,  au 
xviuc  siècle. 

Les  déformations  de  ces  personnages  sont  très  variables. 
La  plus  fréquente  est  justement  la  déformation  conique. 
Le  sommet  de  la  tète  est  marqué  par  une  saillie  plus  ou 
moins  pointue,  les  deux  parties  latérales  étant  très  inclinées 
sur  la  figure  représentée  de  face,  ainsi  que  l'a  ordinairement 
reproduit  l'artiste.  La  déformation  conique  parait  à  grand 
diamètre,  tantôt  verticale,  tantôt  oblique,  tantôt  horizontale, 
couchée. 

Cette  déformation  rappelle  le  dessin  reproduit  par  Gosse, 
d'après  Lafitau,  d'un  moine  boudhiste.  Lafitau,  dans  son 
Traité  des  cérémonies  et  coutumes  religieuses  des  peuples  idolâtres, 
2  vol.  Amsterdam,  1723;  nouvelle  édition,  1789,  p.  220,  t.  II, 


REGNAtJLT.     -  DÉFORMATIONS  CRANIENNES  i\[ 

rappelle  que  certaines  sectes  de  mendiants,  en  Chine,  et 
certains  prêtres,  au  Japon,  ont  la  tète  déformée. 

Dans  un  second  groupe  on  peut  ranger  les  déformations 
irrégulières.  La  tète  présente  des  irrégularités,  des  bosse- 
lures et  des  creux  qu'il  est  bien  difficile  d'expliquer  par 
comparaison  avec  quelques-unes  des  déformations  signalées 
jusqu'à  présent  par  les  auteurs. 

Dans  le  livre  des  cinq  cents  Lohans,  les  figures  sont  vues 
de  face,  les  bosselures  sont  légères,  uniquement  représentées 
par  un  trait  irrégulier.  Citons  Long-mo,  Min-chekan,  Yeou- 
lo-ping-lo  comme  des  personnages  où  cette  déformation  est 
surtout  marquée. 

Mais  dans  l'album  de  Khien-long-IIouang  et  de  Tiun-yun- 
fang,  les  figures  sont  soignées  et  de  profil  et  les  déformations 
sont  intenses.  Les  auteurs  se  sont  plus  h  dessiner  des  crânes 
difformes.  Le  plus  souvent  c'est  l'occiput  qui  bombe  au  point 
de  former  une  bosse  énorme,  mais  le  verlex  peut  n'être  pas 
mieux  traité. 

En  troisième  lieu,  bien  que  d'une  façon  assez  rare,  nous 
pouvons  trouver  la  macrocéphalie.  Elle  existe  très  intense  sur 
quatre  personnages  des  cinq  cents  Lohans.  Sur  deux  d'entre 
eux  le  milieu  de  la  face  tombe  aux  sourcils  ;  sur  deux  autres, 
à  la  racine  du  nez. 

En  moyenne,  trente  pour  cent  de  ces  saints  ont  le  crâne 
notablement  déformé. 

L'art  ne  doit  pas  être  étudié  comme  une  abstraction  et 
suivant  certaines  idées  préconçues.  Il  faut  en  examiner  les 
manifestations  chez  tous  les  peuples  et  voir  comment  ils  l'ont 
compris. 

Certes,  l'observation  est  à  l'origine  de  toutes  les  conceptions 
artistiques  comme  de  toute  pensée  humaine.  Mais,  suivant 
la  race,  les  artistes  se  sont  plus  ou  moins  éloignés  de  la 
vérité. 

Pour  mieux  montrer  la  nouvelle  voie  vers  laquelle  se  dirige 
l'étude  de  l'art,  il  convient  de  rappeler  plusieurs  travaux 
anglais  et  américains  poursuivis  suivant  la   même  méthode 


412  séanck  du  6  juin  1895 

d'observation  et  dont  les  conclusions  générales  rappellent  les 
nôtres. 

Haddon,  dans  un  récent  travail  soumis  à  l'Académie  royale 
irlandaise  sur  l'art  papou,  note  que  :  «  L'art  d'un  peuple 
civilisé  dépend  de  causes  extrêmement  complexes.  Il  est  bien 
difficile  de  les  apprécier.  Pour  en  avoir  une  idée,  il  convient 
de  s'adresser  à  un  art  moins  évolué  :  à  ses  débuts.  Ainsi  font 
les  pbysiologistes,  qui  comprennent  mieux  les  animaux  de 
forme  complexe  après  avoir  étudié  les  plus  simples.  L'art  des 
sauvages  est  réaliste.  Ce  sont  les  formes  usitées  qu'ils  copient  : 
l'art  d'une  contrée  est  en  rapport  avec  sa  faune  et  sa  flore. 
Mais  ils  transforment  ce  qu'ils  voient  et  le  modifient  pour 
l'ornementation.  » 

Ainsi  on  retrouve  au  milieu  des  lignes  ornementales  com- 
plexes des  dessins  papous  quelques  traits  représentant  des 
figures  d'hommes  et  d'animaux.  Certains  dessins  donnent 
des  traits  humains  et  animaux  si  frustes  qu'on  ne  pourrait 
les  deviner  si  on  n'établissait  la  gradation  avec  d'autres 
mieux  indiqués. 

En  Amérique,  il  en  est  de  même.  Holmes  et  Henshaw  ont 
multiplié,  depuis  plusieurs  années,  de  curieux  travaux  pré- 
sentés à  la  Smithsonian  Institution  montrant  des  anciennes 
poteries  américaines  ornées  par  un  art  qui  évolue  suivant  les 
mêmes  lois.  Les  figures  d'animaux  et  d'hommes  sont  gra- 
duellement transformées  au  point  de  ne  plus  représenter  que 
quelques  lignes  frustes  perdues  dans  une  ornementation 
géométrique  compliquée. 

Les  déformations  crâniennes  forment  un  nouveau  chapitre 
sur  l'Art  étudié  d'après  ses  productions  et  non  d'après  des 
théories  plus  ou  moins  vagues. 

Tandis  que  les  Grecs  et  surtout  les  Egyptiens  ont  reproduit 
ces  déformations  avec  assez  de  fidélité1,  les  Sino-Japonais  les 
ont  exagérées,  et  il  est,  par  suite,  difficile,  en  bien  des  cas,  de 

*  Voir  à  ce  sujet  la  Nature,  1894,  2e  semest.,  p.  517,  et  1895, 
1er  semest.,  p.  21  et  321. 


OUVRAGES  OFFERTS  413 

les  comparer  à  la  nature.  Quels  que  soient  les  motifs  qui 
aient  poussé  le  burin  du  jaune,  celui  du  Papou  ou  de  l'Ame* 
cain,  ils  ont  obéi  à  un  même  sentiment  qui  leur  a  fait  mépriser 
la  copie  exacte  des  objets. 

M.  Azoulay  expose  une  théorie  mécanique  du  sommeil  et 
de  l'attention,  d'après  Bamon  y  Cajal. 

L'un  des  secrétaires  :  Dr  P.  Raymond. 


625e  SEANCE.  —  20  juin  1895. 

Présidence  de  M.  André  Lefèvre. 

ouvrages  offerts. 

Benedikt  (Dr  M.).  —  Ueber  dcn  Begriff  «  Krampf»  (Ext.  de 
Wiener  mediz.  Wochenschrift),  in-8°,  13  p.  Vienne,  1895. 

Benedikt  (D1*  M.). —  Wladimir  Alexewitsch  Betz.Nachruf,  in-8°, 
10  p.  Vienne,  1894. 

Benedikt  (Dr  M.).  —  Ein  Fall  von  Paraplegia  spastica  juvsni- 
lis  (Ext.  de  Wiener  mediz.  Presse),  in-8°,  12  p.  Vienne,  1893. 

Bknedikt  (Dr  M.).  —  Vergleichendc  Anatomie  der  Gehirnober- 
flœche  (Ext.  de  R.  Encyclopœdie  der  Gesammten  heil/cunde),  in-8°, 
38  p.  avec  fîg.  Vienne,  1893. 

Bhinton  (D1'  D.-G.).  —  The  protohisloric  ethnography  of  Wes- 
tern Asia  (Ext.  de  Proc.  Am.  Philos.  Society),  in-8°,  32  p.  Phi- 
ladelphie, 1895. 

Buschan  (Dr  G.).  —  Vorgeschichtliche  Bjt'inik  der  CuUur.  und 
Nulzpflanzen  der  allai  Welt  auf  Grand  prœ  historischer  Fundc, 
in-8°,  268  p.  Breslau,  1895. 

IIodge  (F.-WÏ).  —  List  of  the  publications  of  thc  Bureau  of 
Elhnology  with  index lo  authors  and  subjecls,  in-8°,25  p.  Washing- 
ton, 1894. 

IIoelder  (Dr  II.  von).  --  Untersuchungeu  ueber  die  Skelellfunde 
in  den  vorrœmischen  Hiigelgraebern  Wurllcmbcrgs  und  Hohenzol- 


414  SÉANCE  DU  20  JUIN  181)5 

lerns  (Ext.  de  Fundberichten  ans  Schwaèen),  in-8°,  71  p.  Stutt- 
gart, 1893. 

Holmes  (W.  H.).  —  An  ancient  quarry  in  Tndian  territory, 
in-8°,  19  p.  avec  fig.  et  pi.  Washington,  1894. 

Meyer  (DrIL).  — Doyen  und  Pfeil  in  Cenlral-Brasilien,  in-8°, 
34  p.  avec  pi.  Leipzig,  1893. 

Poehl  (Dr  A.).  —  Einwirkung  des  Spermins  auf  den  Stoffum- 
salz  bci  Autointoxicalionen  im  Allgemeinen  und  bei  harnsaurer 
Diathese  im  Speciellen  (Ext.  de  Zeitsc.  fur  klinische  Medicin), 
in-8°,  40  p.  Berlin,  1894. 

Poehl  (Dr  A.).  —  Die Immunitacts-und  ïmmunisationstheorieen 
vont  biologisch-chemischcn  Standpunkl  betrachtet  (Ext.de  Deutschen 
medicinischen  Wochenschrift),  in- 8°,  12  p.  Leipzig,  1893. 

Vivien  de  Saint-Martin  et  Rousselet.  —  Dictionnaire  de  Géo- 
graphie unkerselle,  t.  VII.  Paris,  1893-1893,  in-4". 

M.  Dexiker.  —  Le  septième  volume  du  Dictionnaire  de  Géo- 
graphie que  j'ai  l'honneur  d'offrir  à  la  Société  au  nom  de 
M.  Rousselet,  directeur,  et  de  MM.  Hachette  et  Cie,  éditeurs, 
termine  l'œuvre  colossale  entreprise  il  y  a  une  quinzaine  d'an- 
nées par  l'une  des  premières  maisons  éditrices  de  France. 
Cette  œuvre  est  unique  dans  son  genre;  il  n'existe  rien  de 
semblable  dans  les  littératures  étrangères  :  le  fait  a  été 
reconnu  même  en  Allemagne.  Nulle  part  on  n'a  osé  une 
pareille  entreprise  :  il  a  été  réservé  à  notre  pays  de  réunir 
les  forces  intellectuelles  en  môme  temps  que  les  moyens  finan- 
ciers suffisants,  pour  mener  à  bonne  fin  une  publication  aussi 
difficile  que  coûteuse. 

Les  sept  volumes  in-4°  du  Dictionnaire  que  possède  aujour- 
d'hui, grâce  à  l'obligeance  de  M.  Rousselet  et  la  libéralité  de 
la  maison  Hachette  et  O,  notre  bibliothèque,  sont  imprimés  sur 
trois  colonnes  en  caractères  lins  mais  très  lisibles.  Ils  repré- 
sentent sous  une  forme  compacte  au  moins  12G  volumes  in-8° 
de  3C0  pages.  Il  ne  faut  pas  oublier,  qu'à  côté  des  renseigne- 
ments nombreux  et  détaillés  de  géographie  proprement  dite, 
1  î  Dictionnaire  renferme  une  foule  d'articles  et  de  notes  concer- 
nant l'anthropologie  et  l'ethnographie;  ace  pointde  vue  ii  doit 


PÉRIODIQUES  415 

nous  intéresser  tout  particulièrement.  On  y  a  donné  non  seu- 
lement une  notice  historique  et  descriptive  des  différentes 
races  humaines  prises  dans  leur  ensemhle,  aussi  bien  que  des 
nations  et  des  peuples  qui  ont  eu  leur  rôle  dans  l'histoire  ou 
qui  y  tiennent  actuellement  leur  place;  mais  on  a  aussi  relevé 
partout  une  nomenclature  développée  des  tribus  entre  les- 
quelles se  divisent  les  peuples  demi-civilisés.  D'ailleurs,  le 
directeur  du  Dictionnaire,  M.  Rousselet,  qui  a  succédé  à 
M.  Vivien  de  Saint-Martin  presque  à  l'origine  de  l'œuvre,  est 
un  des  plus  anciens  membres  de  notre  société;  et  dans  la 
liste  de  ses  quarante  collaborateurs,  je  vois  à  coté  de  mon 
nom,  ceux  de  plusieurs  de  nos  collègues. 

Notons  encore  que  tous  les  articles  du  Dictionnaire, tant 
soit  peu  importants,  sont  accompagnés  d'une  riche  bibliogra- 
phie qui  représente  le  dépouillement  de  plus  de  150,000 
fiches. 

Les  nombreuses  découvertes  géographiques  de  ces  derniers 
temps  ont  rendu  nécessaire  la  publication  d'un  supplément  au 
Dictionnaire.  On  y  travaille  en  ce  moment  et  les  premiers 
fascicules  du  volume  supplémentaire  vont  paraître  dans  quel- 
ques semaines.  Ce  sera  la  mise  à  jour  de  tous  les  articles 
anciens  et,  comme  bien  vous  le  pensez,  les  notes  ethnologi- 
ques nouvelles  y  tiendront  une  large  place,  car  jamais  on  n'a 
encore  signalé  et  décrit  tant  de  peuplades  nouvelles  que 
depuis  les  dix  dernières  années. 

Avec  ce  supplément,  le  Dictionnaire  de  Géographie  universelle 
de  Vivien  de  Saint-Martin  et  Rousselet  sera  un  véritable  mo- 
nument de  la  science  géographique  frnnçaise  et  en  même 
temps  une  mine  inépuisable  de  renseignements  pour  tous 
ceux  qui  travaillent  dans  les  différente-;  branches  de  la  science 
touchant  de  près  ou  de  loin  à  la  géographie. 

l'ÉiuoDiQUES  (articles  à  signaler). 

Kcvue  de  ï Ecole  d'Anthropologie,  15  juin  IN:),'».  —  L.  Manou- 
vrier  :  Les  concepts  psychologiques  :  Sentiments  et  Connais- 
sance; —  Ph.  Salmori  :  Ethnologie  préhistorique. 


416  SÉANCE  DU  20  JUIN  1895 

Revue  scientifique,  15  juin  1895.  —  Ed.  Blanc  :  L'utilisation 
des  oiseaux  de  proie  en  Asie  centrale. 

Journal  of  the  Anthropological  institute,  may  1895.  — 
E.  B.  Tylor  :  On  the  occurence  of  Ground  Stone  implements 
of  Australian  type  in  Tasmania;  —  B.  II.  Thomson  :  The 
Kalou-Vu  of  the  Fijians  ;  —  L.  Fison  :  .The  classificatory  Sys- 
tem of  relationship;  —  B.  H.  Thomson  :  Goncuhitancy  in  the 
classificatory  System  of  relationship  ;  —  Notes  on  the 
Samoyads  of  the  GreatTundra;  —  II.  II.  Mathews  :  The  bora, 
or  initiation  cérémonies  of  the  Kamilaroi  tribe;  —  R.  Ethe- 
ridge  :  A  highly  ornate  «  Sword  »  from  the  Goburg  peninsula, 
North  Australia;  —  A.  E.  Crawley  :  Sexual  Taboo  :  a  study  in 
the  relations  of  the  sexes;  —  The  teeth  of  ten  Sioux  indians. 

The  American  anthropologist,  april  1895.  —  O.-T.  Mason  : 
Similarities  in  culture;  — J.  W.  Fewkes  :  Acomparison  of  Sia 
and  Tusayan  snake  cérémonials. 

Journal  of  the  asialic  Society  of  Bengale,  1894,  n°  4.  — 
E.  Vansittart  the  tribes,  clans,  and  castes  of  Nepaul. 

Zcit  chrift  fiir  Ethnologie,  1895,  h.  2.  —  R.  v.  Weinzierl  : 
Der  praehistorische  Wohnplatz  und  die  Begraebnisstaette  bei 
Lobositz  an  der  Elbe;  —  8.  Weissenberg  :  Ueber  die  Formen 
der  lland  und  des  Fusses. 

PRÉSENTATIONS. 
Cas  de  itcutadactjiic  chez  uu  suidé. 

M.  André  Sanson.  —  Les  suidés  porcins  ont,  comme  on  sait, 
quatre  doigts  à  chacun  des  membres,  dont  deux  seulement 
servent  à  l'appui  sur  le  sol;  les  deux  autres  sont  situés  en 
arrière  et  au-dessus  des  premiers.  La  pièce  que  je  mets  sous  les 
yeux  de  la  Société,  en  présente  un  cinquième  placé  un  peu  en 
arrière  et  au-dessus  du  deuxième  doigt  interne,  ainsi  qu'on 
peut  le  voir  sur  la  figure  qui  accompagne  cette  note.  Ce  doigt 
supplémentaire  existant  au  membre  antérieur  droit  de  l'ani- 
mal occupait,  de  la  sorte,  à  peu  près  la  place  du  pouce  dans 


PRÉSENTATIONS 


il  7 


la  main  humaine.  Les  pha- 
langes, au  nomhre  de  trois 
comme  dans  les  doigts  nor- 
maux, et  le  métacarpien  ont 
nécessairement,  par  le  fait 
de  la  situation  même,  une 
longueur  moindre  que  celle 
du  deuxième  doigt  normal 
correspondant.  Leur  volume 
est  également  plus  petit.  Le 
métacarpien     est     articulé 
avec  un  petit  os  carpien  su- 
pplémentaire. 

Sur  l'animal    vivant,    le 
cinquième  doigt  était, 
comme  les  autres,  pourvu  de 
son  ongle;  mais  je  ne  lui  ai 
trouvé,  à  la  dissection,  au- 
cune relation  avec  le  sys- 
tème   musculaire    :    aucun 
tendon   ne  venait  s'y  atta- 
cher. Sur  la  pièce,  on  peut 
très  bien  voir  ceux  qui  se 
rendent  aux  autres  doigts 
et  qui,  pour  les  deux  supé- 
rieurs  normaux,    se   déta- 
chent de  celui  du  fléchisseur 
commun. Lecinquièmedoigt 
ne  fonctionnait  donc  point 
et  n'était  analogue   à    un 
pouce  que  par  sa  situation. 
Je  ne  présente  pas  le  fait 
comme     absolument     nou- 
veau  11  avait  été  observé  déjà,  et  H  existe  dans  les  musées 
|     -q,le,  notamment  dans  ceux  des  écoles  vétérinl 
t  et  de  Lyon,  des  plèces  semblables  à  celle  que  je  mon- 


418  séance  d-j  20  juin  1893 

tre  ici.  J'ai  pensé  néanmoins  qu'il  ne  serait  pas  superflu  de 
joindre  ce  fait  aux  autres  dans  les  annales  de  la  science,  où  il 
est  bon,  selon  moi,  que  toute  observation  de  quelque  impor- 
tance soit  enregistrée. 

On  pourrait,  à  son  occasion,  se  livrer  à  bien  des  hypothèses 
explicatives.  Je  n'ai  personnellement  aucun  goût  pour. ce 
genre  d'exercice  intellectuel  dont  la  stérilité  me  paraît  de  plus 
en  plus  frappante.  Il  a  été  remarqué,  à  ce  sujet,  que  l'existence 
du  petit  os  carpien  ou  métacarpien  supplémentaire  est  nor" 
maie  chez  le  porc,  et  que  c'est  ce  bourgeon  digital  qui  s'est 
développé  chez  le  sujet  en  question.  Sans  doute,  mais  qu'est- 
ce  qui  a  déterminé,  dans  le  cas,  le  développement  de  ce  bour- 
geon, qui  ne  se  développe  point  d'habitude?  Celajrevient,  au 
bout  du  compte,  à  constater  le  fait,  ce  qui,  dans  l'état  de  la 
science,  me  paraît  suffire  jusqu'à  plus  ample  informé.  Toute 
dissertation  hypothétique  à  son  sujet  serait  évidemment  du 
temps  perdu,  ne  pouvant  pas  contribuera  l'avancement  de  la 
science. 

L'animal  qui  m'a  fourni  la  pièce  en  question  était  né  de 
parents  normaux  à  la  porcherie  de  l'école  de  Grignon.  De  son 
vivant,  la  particularité  qu'il  présentait  n'avait  point  été 
remarquée.  Sacrifié  après  engraissement,  c'est  le  chef  de  cui- 
sine qui,  en  dépeçant  le  cadavre,  l'a  aperçue  et  a  eu  la  bonne 
idée  d'envoyer  ladite  pièce  à  mon  laboratoire,  pensant,  avec 
raison,  qu'elle  m'intéresserait. 


Une  observation  de  nœvus  généralisé. 

M.  Uegnault  présente  une  fillette  atteinte  de  nœvus  généralisé. 
Elle  est  née  à  Orthez  (Béarn)  en  juillet  1882,  la  sixième  de 
neuf  enfants.  Ses  parents,  venus  avec  elle  et  ses  frères  et 
sœurs,  n'ont  aucune  anomalie.  Rien  à  remarquer  dans  les 
ascendants  ni  les  collatéraux  ;  rien  non  plus  pendant  la  gros- 
sesse. Les  parents  ne  sont  pas  cagots;  ils  sont  bien  portants. 
L'enfant  a  des  dents  normales.  Le  nœvus,  fortement  brunâtre, 


E     b'ACY.    —  LA   TKIsRASSE  D3S  HOTliAL'X  I  19 

occupe  l'oreille  gauche,  la  moitié  de  la  joue  gauche,  le  cou,  la 
nuque;  de  ce  côté,'il  prend  les  deux  tiers  du  thorax,  passe  à 
deux  centimètres  au-dessous  du  sein  gauche,  prend  l'aisselle 
et  l'épaule  gauche.  D'autres  taches  pigmentaires  existent, 
nombreuses,  sur  le  corps  et  les  membres.  Une  d'elles  est 
observée  au-dessous  et  au  dehors  de  l'œil  droit.  Les  taches 
sont  plus  abondantes  et  plus  larges  au  membre  inférieur  droit 
qu'au  gauche  ;  une  d'elles,  faible  et  petite  comme  une  pièce 
de  vingt  sous,  existe  sous  la  plante  du  pied  gauche.  Le  mame- 
lon gauche  forme  un  cercle  intact  au  milieu  des  parties  pig- 
mentées, il  est  situé  un  peu  plus  bas  que  le  droit. 

Comme  le  fait  remarquer  M.  Mahoudeau,  tous  les  degrés  de 
nœvi  existent  sur  ce  sujet  :  depuis  la  tache  légèrement  bru- 
nâtre jusqu'à  celle  noire  et  couverte  de  poils.  Ces  poils  sont 
surtout  abondants  à  la  face  où  ils  font  suite  avec  les  cheveux. 
Ils  ne  formaient,  au  dire  des  parents,  qu'un  simple  duvet  à 
la  naissance  ;  ils  ont  forci  et  noirci  par  la  suite.  En  certains 
points,  avant-bras,  scapulum,  le  naevus  forme  un  relief  sail- 
lant, irrégulier,  rugueux,  mamelonné,  semblable  à  une  envie. 
En  d'autres,  principalement  au  scapulum  et  au  bras,  se  révè- 
lent à  la  pression  des  tumeurs  érectiles,  mollasses,  de  volume 
constant.  Deux  petites  taches  avec  tumeurs  érectiles  sont  sen- 
ties a  la  tête,  au  milieu  des  cheveux. 

COMMUNICATIONS. 
Coupe  et  mobilier  funéraire  de  la  terrasse  des  Hoteaux. 

Par  M.  E.  d'Acy. 

Messieurs,  j'espère  que  vous  me  pardonnerez  de  revenir 
encore  sur  la  station  des  Hoteaux,  en  raison  de  l'intérêt  excep- 
tionnel qu'elle  présente. 

Vous  vous  souvenez  sans  doute  que,  dans  noire  dernière 
séance,  M.  G.  de  Mortilleta  formulé  des  critiques  relativement 
à  la  façon  brusque,  carrée,  si  je  puis  parler  ainsi,  dont  les 


420  SÉANCE  DU  20  JUIN  1895 

foyers  se  terminent  dans  la  coupe  figurée  par  MM.  Tournier 
et  Guillon.  J'ai  répondu  qu'évidemment  cette  planche  ne 
donnait  pas  la  coupe  entière  du  gisement  et  qu'il  fallait  la 
compléter  par  les  indications  détaillées  contenues  clans  la 
brochure. 

La  coupe  complète,  que  M.  l'abbé  Tournier  a  eu  l'amabilité 
de  m'envoyer  et  que  j'ai  l'honneur  de  vous  soumettre,  prouve 
que  j'étais  dans  le  vrai  et  que  les  foyers  avaient  bien  l'allure 
qu'ils  devaient  avoir. 

Il  paraît  que  c'est  l'imprimeur  qui,  croyant  mieux  faire,  a 
coupé  carrément  la  figure,  au  lieu  de  la  reproduire  telle  que 
M.  l'abbé  Tournier  la  lui  avait  envoyée. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  la  coupe  exacte  des  couches  de 
la  terrasse  des  Hoteaux  que  je  puis  vous  présenter.  M.  l'abbé 
Tournier  m'a  fait  parvenir  tout  le  mobilier  de  la  sépulture,  et 
je  m'empresse  de  vous  le  soumettre. 

Voici  la  dent  de  cerf  perforée,  qui  était  a  gauche  de  la  tète 
du  squelette. 

Puis  l'éclat  grossier,  que  MM.  Tournier  et  Guillon  pensent 
être  <(  taillé  en  forme  de  casse-tête  »,  mais  sur  l'usage  duquel 
je  ne  saurais  me  prononcer,  et  qui  était  également  h  gauche, 
mais  un  peu  plus  loin  et  plus  bas. 

Ce  couteau  était  à  droite,  à  côté  de  l'omoplate. 

A  droite  encore,  vers  la  partie  inférieure  de  l'humérus,  se 
trouvait  cette  très  jolie  pointe,  finement  retaillée  et  digne 
d'être  comparée  aux  plus  élégantes  de  celles  du  même  genre, 
provenant  du  Moustier,  de  Gorge  d'Enfer,  de  la  Madeleine  et 
de  Laugerie,  qui  sont  représentées  dans  les  Reliquiœ  Aquita- 
nicœ. 

Enfin,  voici  le  bâton  de  commandement,  qui  était  à  côté  du 
squelette.  Dans  leur  mémoire,  MM.  Tournier  et  Guillon  se  sont 
exprimés  de  la  façon  suivante,  relativement  a  la  place  exacte 
qu'il  occupait  :  «  2°  Un  bâton  de  commandement  trouvé  à  côté 
des  tibias,  lors  de  la  première  découverte  :  circonstance  qui 
ne  nous  permet  pas  de  lui  assigner  sa  place  à  droite  ou  à  gau- 
che ». 


E    d\\CY.   —  LA   TERRASSE  DES  HOTEAUX  421 

Aujourd'hui,  M.  l'abbé  Tournier  m'écrit  que  le  fémur  placé 
à  droite,  par  rapport  au  squelette,  étant  brisé  et  le  bâton  de 
commandement  l'étant  également,  il  pense  que  ce  bâton  était 
auprès  de  ce  fémur  de  droite. 

Cela  est  possible;  je  dirai  même  assez  probable;  mais  que 
le  bâton  fut  à  droite,  ou  qu'il  fut  à  gauche,  je  n'y  attache  pas 
grande  importance.  Ce  qui  en  a  beaucoup  plus,  c'est  que 
M.  Tournier  me  fait  savoir  qu'il  n'a  pas  quitté  un  seul  instant 
le  lieu  de  la  fouille,  et  que  le  bâton  lui  a  été  remis,  «  tendu  » 
par  l'ouvrier,  qui  travaillait  au  fond  de  la  tranchée,  en  même 
temps  que  la  partie  inférieure  du  fémur  de  droite,  la  partie 
supérieure  du  tibia  droit  et  la  partie  inférieure  du  tibia  gau- 
che, le  tout  englué  dans  la  boue  ocreuse  et  cendreuse  de  la 
sépulture.  Il  me  semble  évident,  d'après  cela,  que  le  bâton  de 
commandement  était  tout  à  côté  du  squelette,  et  qu'il  faisait 
partie  du  mobilier  funéraire. 

En  une  certaine  mesure,  les  trois  premiers  objets  de  ce 
mobilier  n'ont  pas  de  signification  chronologique  précise; 
mais  la  pointe  de  silex  finement  retaillée  et  le  bâton  de  com- 
mandement s'accorderaient,  s'il  pouvait  en  être  besoin,  avec 
le  non-remaniement  des  dépôts,  pour  ranger  la  sépulture  des 
Iluleaux  dans  l'âge  du  renne. 

Je  ferai  remarquer,  en  passant,  que  le  squelette  n'était  pas 
en  aussi  bon  état  que  le  pense  M.  de  Mortillet.  Le  fémur  gau- 
che était  fragmenté  et  détérioré.  De  plus, il  était  adroite,  et  le 
droit  était  à  gauche,  ce  qui  militerait  en  faveur  de  l'hypothèse 
d'un  décharnement,  opéré  préalablement  à  l'inhumation.  Et, 
d'après  la  photographie,  la  tète  semble  bien  être  éloignée  des 
vertèbres,  d'une  façon  anormale. 

M.  l'abbé  Tournier  m'a  encore  envoyé  ces  quelques  silex, 
dont  deux  finement  retaillés  sur  un  de  leurs  bords,  rappellent 
ceux  de  la  Madeleine,  de  Laugerie-basse,  d'Excideuil,  etc. 
L'une  de  ces  deux  lames  se  termine  par  un  perçoir  très  fin, 
et  ce  fragment  de  couteau  en  fait  autant.  Il  y  a  encore  une 
espèce  de  grattoir  double  et  un  débris  avec  encoches  latérales. 
Ces  pièces  étaient  vers  la  partie  inférieure  des  bras  et  autour 


422  sé.\n:e  du  20  juin  189j 

du  bassin.  Mais  MM.  Tournier  et  Guillon  ont  soin  de  dire 
qu'elles  ont  été  trouvées  soit  au  milieu  des  terres  adhérentes 
au  squelette,  soit  dans  les  résidus  lavés  ;  et  que,  ne  pouvant 
leur  assigner  de  place  précise,  ils  se  contentent  de  les  énumé- 
rer.  Je  ne  les  présente  donc  que  comme  des  échantillons  de 
l'industrie  du  Ge  foyer. 

Discussion. 

M.  G.  de  Mortillet.  —  Comme  réponse  générale  à  M.  d'Acy, 
je  m'en  réfère  a  ce  que  j'ai  dit  à  la  dernière  séance  et  qui  se 
trouve  au  procès-verbal  qui  vient  d'être  lu.  Je  me  contenterai 
donc  de  faire  ressortir  quelques  détails. 

M.  d'Acy  vient  de  nous  présenter  une  nouvelle  coupe  du  ter- 
rain exploré.  Elle  lui  a  été  adressée  par  M.  l'abbé  Tournier. 
Cette  coupe  ne  ressemble  pas  du  tout  à  la  première.  Cela  ne 
paraît-t-il  pas  indiquer  que  mes  critiques  sur  cette  première 
coupe,  qui  est  celle  imprimée  et  répandue  partout,  étaient 
justes?  En  tout  cas  ces  critiques  ont  porté,  puisqu'on  a  senti 
la  nécessité  de  produire  une  nouvelle  coupe.  Pour  expliquer  la 
différence,  M.  d'Acy,  d'après  M.  l'abbé  Tournier,  nous  dit  que 
la  coupe  donnée  dans  le  mémoire  a  été  altérée,  ou  tout  au 
moins  modifiée  par  l'imprimeur.  Comment  admettre  que  dans 
une  publication  de  luxe,  pour  laquelle  on  a  dû  faire  des  frais 
considérables,  les  auteurs  aient  reculé  devant  un  supplé- 
ment de  dépense  insignifiant  lorsqu'il  s'est  agi  de  refaire  la 
planche  la  plus  importante,  si  elle  avait  été  altérée  par  l'im- 
primeur. Mais  il  suffit  d'examiner  la  planche  pour  reconnaître 
qu'il  n'y  a  pas  eu  d'altération.  En  effet,  cette  planche  se 
compose  d'une  partie  gravée  et  d'une  partie  composée  typo- 
graphiquement.  Or.  la  partie  gravée  est  intacte  et  la  partie 
typographique  ne  peut  en  rien  modifier  le  sens  de  la  partie 
gravée.  11  y  a  mieux  que  cela.  Le  texte  du  mémoire  corres- 
pond parfaitement  à  la  coupe  gravée  et  pas  du  tout  à  la 
coupe  manuscrite  produite  par  M.  d'Acy.  Coupe  qui  n'ap- 
paraît que  quinze  jours  après  la  grande  discussion.  N'est-il 


E.   DACY.  —  L.V  TfiBUASSiS  DES  [IoTSAUX  423 

pas  à  craindre  qire  M.  l'abbé  Tournier  n'ait  été  éclairé  par 
cette  discussion?  Les  couches  de  rejets  d'habitations  ne  sont 
plus  uniformes  d'un  bout  à  l'autre  du  gisement.  Elles  se  ter- 
minent toutes,  des  deux  côtés,  en  biseau. 

C'est  sur  une  observation  aussi  peu  certaine,  aussi  peu 
précise  qu'on  veut  baser  le  renversement  d'une  donnée 
appuyée  sur  l'ensemble  de  ce  que  nous  connaissons,  de  ce 
qui  a  été  constaté  partout  ailleurs.  Ce  n'est  pas  admissible. 

M.  E.  d'Acy.  —  Si  MM.  Tournier  et  Guillon  n'ont  pas  repré- 
senté graphiquement  la  coupe,  dans  laquelle  les  os  des  jambes 
du  squelette  ont  apparu,  —  celle  que  la  délégation  de  la 
Société  d'histoire  naturelle  de  l'Ain  a  examinée,  — je  peux 
dire  qu'ils  l'ont  donnée  par  écrit.  C'est  la  même  que  celle  de 
la  page  26  de  leur  mémoire.  Il  est  facile  de  s'en  assurer,  grâce 
aux  détails  très  circonstanciés  qu'ils  ont  consignés  dans  le 
texte.  La  coupe,  qui  est  figurée,  est  schématique,  je  le  veux 
bien;  mais  elle  résulte  —  je  suis  obligé  de  le  répéter  —  de  la 
série  de  celles  que  ces  Messieurs  ont  eues  constamment  devant 
eux,  grâce  à  leur  exploitation  par  tranches  verticales,  et  dont 
ils  ont  décrit  deux,  avec  cotes  à  l'appui.  Complétée  par  les 
nombreuses  observations  qui  l'accompagnent,  cette  planche 
permet  de  se  rendre  parfaitement  compte  de  l'ensemble  du 
gisement  et  de  la  situation  de  la  sépulture.  Je  dis  :  complétée, 
parce  que  —  ainsi  que  je  l'ai  fait  remarquer  l'autre  jour  — 
elle  ne  représente  pas  toute  la  longueur  des  dépôts.  Elle  s'ar- 
rête, à  gauche,  à  la  tranchée  ouverte  au  début  des  fouilles, 
vers  le  milieu  de  l'abri.  La  légende  l'indique.  A  droite,  la 
ligne  parfaitement  droite  et  perpendiculaire,  qui  la  termine 
carrément,  n'a  évidemment  que  la  prétention  de  représenter 
la  paroi  du  rocher  du  fond.  Enfin,  l'échelle  montre,  elle  aussi, 
que  cette  figure  n'est,  en  longueur,  qu'un  morceau,  si  je  peux 
parler  ainsi,  de  la  coupe  totale. 

La  coupe  totale,  c'est  celle  que  je  viens  de  présenter.  M.  de 
Mortillet  a  dit  qu'elle  a  été  faite,  depuis  la  discussion  du 
6;  ce  qui  signifie  évidemment  qu'elle  a  été  dressée  pour  le 
besoin  de  la  cause.  Mais,  outre  que  cette  insinuation,  fort  peu 


424  SÉANCE  DU  20  JUIN  1895 

charitable,  est  toute  gratuite,  elle  ne  peut  être  d'aucune  uti- 
lité à  son  auteur.  Cette  coupe  ne  contredit  en  aucune  façon 
celle  du  mémoire.  Elle  la  prolonge;  elle  la  complète;  mais 
voilà  tout.  Maintenant,  que  la  tranchée  n'y  soit  pas  aussi 
large  qu'elle  devrait  l'être;  que,  d'après  l'échelle,  un  ouvrier 
n'ait  pu  y  travailler;  je  le  veux  bien.  Mais,  en  vérité,  c'est  là 
un  détail  fort  insignifiant;  et  cette  légère  erreur  n'incrimine 
en  rien  l'ensemble  du  croquis. 

Mais,  objecte  encore  M.  de  Mortillot,  le  sixième  foyer  n'avait 
que  O'IO  d'épaisseur.  Il  n'a  donc  pu  contenir  un  cadavre.  La 
tète,  pour  ne  parler  que  d'elle,  mesure  plus  de  0"'10.  En  outre, 
le  cadavre  a  dû  être  enterré  assez  profondément,  puisqu'il  n'a 
pas  été  dévoré  par  les  hyènes.  A  cela  je  réponds  :  pour  le 
reste  du  corps,  l'hypothèse  d'un  décharnement  —  hypo- 
thèse rendue  vraisemblable  par  l'interversion  des  fémurs  — 
résout  parfaitement  la  première  difficulté;  et,  quant  à  la  tète, 
excédât-elle  de  quelques  centimètres,  par  en  haut  ou  par  en 
bas,  l'épaisseur  moyenne  du  foyer,  c'est  encore  là  un  détail  de 
bien  faible  importance.  Si  les  hyènes  n'ont  pas  dévoré 
le  cadavre  ou  rongé  le  squelette,  c'est  tout  simplement  parce 
qu'elles  auront  été  tenues  à  distance  —  je  l'ai  déjà  dit  —  par 
la  présence  des  survivants  de  la  famille.  Enfin,  l'emploi  de 
l'ocre  rouge  rend  l'ensevelissement  indiscutable. 

M.  Hervé  fait  une  observation  relative  à  la  position  des 
ossements. 

M.  G.  de  Mortillet.  —  Un  mot  qui  abrégera  la  discussion. 
M  Hervé,  examinant  la  planche  qui  représente  le  squelette, 
dit  qu'il  est  couché  sur  le  ventre.  Mais  la  tète  est  en  sens 
inverse,  les  omoplates  ne  sont  en  aucun  sens.  Cela  est  tout 
naturel.  Cette  planche  n'est  pas  la  reproduction  du  squelette 
tel  qu'il  était  dans  le  gisement,  mais  bien  du  squelette  refait 
par  des  personnes  qui  ignorent  l'anatomie.  Les  auteurs  eux- 
mêmes  l'avouent.  Ils  disent  :  «  les  fémurs  étaient  écartés  en 
dehors  de  l'axe  du  bassin,  ce  qui  indiquerait  que  les  jambes 
étaient  repliées  en  dedans.  N'ayant  pas  les  tibias  complets,  ni 
leur  position,  nous  n'avons  pas  pu  faire  figurer  cette  disposi- 


E.  D  Af.Y.   —  LA  TERRASSE  DES  HOTEAUX  42. ) 

lion  des  jambes. dans  la  photographie.»  Ils  ont  placé  les 
jambes  toutes  droites.  M.  d'Acy  vient  de  nous  dire  qu'on  igno- 
rait de  quel  côté  se  trouvait  le  bâton  de  commandement.  Dans 
la  photographie,  il  est  carrément  placé  a  droite  du  squelette, 
couché  sur  le  dos,  ou  à  gauche  si  ce  squelette  est  couché  sur 
le  ventre,  ce  qu'on  ne  peut  pas  deviner.  Et  c'est  sur  ces  docu- 
ments que  l'on  veut  bâtir  des  théories. 

M.  d'Acy.  —  Je  ne  suis  malheureusement  pas  anatomiste; 
et  je  ne  puis  que  répéter  ce  que  disent  MM.  Tournier  et  Guil- 
lon.  Peut-être  aura-t-on  remis  les  fémurs  à  leur  place  normale, 
avant  de  faire  la  photographie. 

M.  A.  de  Mortillet.  —  Il  suffît  d'avoir  fouillé  un  dépôt  de 
rejets  d'habitation  et  surtout  d'abri  pour  reconnaître  que  les 
deux  coupes  présentées,  l'ancienne  et  la  nouvelle,  ne  sont  que 
des  coupes  théoriques  représentant  l'ensemble  du  terrain  et 
non  les  détails  vrais.  Dans  ces  coupes,  les  divers  dépôts 
archéologiques  sont  figurés  d'une  manière  à  peu  près  uni- 
forme. Or,  en  fait,  rien  n'est  plus  irrégulier,  plus  accidenté, 
plus  varié  que  ces  dépôts. 

MM.  Hardy  et  Féaux,  dans  leur  note  sur  le  squelette  humain 
de  Ghancelade  (Dordogne),  d'une  manière  générale  indiquent 
quatre  niveaux  archéologiques.  Mais  lorsqu'ils  donnent  la 
coupe  vraie  du  terrain  au-dessus  du  squelette  qui  gisait  dans 
le  niveau  inférieur,  ils  montrent  que  les  deux  niveaux  inter- 
médiaires se  réunissent  et  n'en  forment  plus  qu'un  seul.  Quant 
au  niveau  supérieur,  il  vient  finir  un  peu  de  côté.  Cet  exemple 
montre  la  différence  qui  existe  entre  une  coupe  théorique 
d'ensemble  et  une  coupe  vraie  prise  sur  un  point  déterminé. 
Or,  M.  l'abbé  Tournier  ne  produit  que  des  coupes  théoriques. 
C'est  loin  d'être  suffisant  surtout  dans  un  cas  aussi  important. 
M.  D'Aoy.  —  .Je  ne  répondrai  que  deux  mots.  Quand 
MM.  Tournier  et  Guillon  déclarent  qu'ils  ont  m,  constaté  par 
eux-mêmes,  telle  et  telle  chose;  quand  M.  Tournier  ajoute  qu'il 
n'a  pas  quitté,  un  seul  instant,  le  théâtre  de  la  fouille;  quand 
une  délégation  de  la  Société  d'histoire  naturelle  de  l'Ain,  ap- 
pelée par  surcroît  de  précaution,  pour  examiner  la  coupe,  à 
t.  vi  (4e  sébie)  28 


426  séance  di;  20  juin  1893 

l'endroit  de  la  sépulture,  a  reconnu  la  parfaite  exactitude  des 
faits  allégués:  quand  des  observations  se  présentent  avec  de 
pareilles  garanties  de  certitude,  et  que,  de  plus,  elles  ne  sont 
contredites  par  personne,  qui  ait  vu  le  gisement,  elles  ne  sau- 
raient être  récusées,  alors  même  qu'elfes  seraient  embarras- 
santes, ou  qu'elles  différeraient,  sous  certains  rapports,  de 
celles  qui  ont  été  faites  en  d'autres  endroits. 


Dégénérescence   de  l'espèce   humaine:    causes   et  remèdes. 

Par  M.  Paul  Robin. 

Il  a  été  fort  à  la  mode  dans  ces  dernières  années  de  se 
lamenter  sur  la  dépopulation  de  la  France.  La  Société  d'An- 
thropologie a  largement  participé  à  la  contagion.  Elle  a  mé- 
langé aux  études  purement  démographiques  qui  sont  un  de 
ses  principaux  domaines,  des  considérations  sociologiques 
que  quelque  personnes  ont  trouvées  étrangères  à  son  but.  Je 
me  réjouis,  pour  mon  compte  de  cet  écart  prétendu,  pensant 
que  l'Anthropologie  a  le  droit  de  s'occuper  de  ce  qui  intéresse 
l'être  humain,  et  je  m'en  autorise  pour  aborder  cette  étude  et 
en  tirer  des  conclusions  pratiques. 

La  sélection  naturelle  qui  ne  laisse  survivre  que  les  meil- 
leurs, en  supprimant  brutalement,  cruellement,  les  plus  fai- 
bles, a  perdu  de  sa  puissance  sur  l'existence  des  animaux, 
par  l'intervention  de  l'homme. 

Celui-ci  l'a  remplacée  par  une  sélection  artificielle  ayant 
pour  but  de  ne  faire  naître  que  ceux  qui  lui  seraient  le  plus 
utiles.  Ce  n'a  pas  toujours  été  sans  quelques  cruautés  de 
détail. 

Pour  sa  propre  race,  poussé  par  une  sensibilité  qui  l'ho- 
nore, mais  dont  éclate  aux  yeux  des  moins  clairvoyants  la 
terrible  contre-partie,  l'homme  moderne  agit  juste  en  sens 
inverse  :  Il  fait  de  la  sélection  à  l'envers.  Il  soigne  surtout  les 
faibles,  les  attardés,  les  dégénérés.  Il  triche  en  leur  faveur 


PAUL  RORIN.  -  -  DEGENERESCENCE  DE  l'eSPÉCE  HUMAINE         427 

contre  les  forlsr  les  meilleurs  de  corps  ou  de  cerveau,  qui 
eussent  sans  doute  triomphé  dans  un  état  plus  voisin  de  la 
nature,  mais  qui  vaincus  par  un  organisme  social  armé  tout 
entier  contre  eux,  ou  bien  périssent,  ou  bien  redescendent 
dans  les  rangs  des  faibles  et  des  dégénérés. 

Des  établissements  créés  pour  donner  à  grand  prix  aux 
jeunes  inférieurs  un  semblant  d'instruction,  abondent  :  Bicê- 
tre,  la  Salpètrière  et  tant  d'autres  palais  pour  les  enfants  des 
deux  sexes,  idots,  épileptiques,  tuberculeux,  scrofuleux, 
n'arrivent  pas  à  élever  au  dixième  de  la  valeur  de  l'enfant 
idéal,  ces  petits  malheureux  qui  ne  valaient  que  quelques 
centièmes  de  ce  type.  Pour  produire  un  très  faible  travail  de 
mécanique  cérébrale  et  musculaire,  quelques  0,02  à  0,06,  on 
y  dépense  un  argent  et  une  énergie  capable  de  faire  monter 
des  enfants  médiocres,  moyens  ou  supérieurs  d'un  très  grand 
nombre  de  degré  dans  l'échelle  de  la  valeur,  soit  par  exemple 
de  0,5  à  0,8  ou  0,9! 

Vouloir  choisir  les  meilleurs  enfants  (et  dans  la  période 
actuelle,  il  faut  se  contenter  de  dire  les  moins  mauvais),  les 
laisser  se  développer  au  maximum  moyen,  aux  points  de  vue 
physique,  intellectuel  et  moral,  avec  le  plus  de  liberté  possi- 
ble, une  large  mais  simple  alimentation,  tout  l'exercice  que 
réclament  des  organes  sains;  en  leur  facilitant  la  satisfaction 
de  toutes  les  curiosités  qui  font  naître  en  eux  la  vue  des  splen- 
deurs ou  des  nuisances  de  la  nature  et  des  merveilles  de  l'in- 
dustrie; sans  leur  imposer  aucune  de  ces  entraves  matérielles 
et  morales,  de"  ces  affirmations  a  priori,  tristes  survivances 
d'un  passé  qui  s'efface,  entraves  qui  débilitent  le  corps  et  le 
cerveau,  c'est  tout  un  programme  d'éducation  rationnelle. 
Tenter  sa  réalisation,  c'est  un  crime  que  ne  peuvent 
pardonner  les  puissants  attardés  et  dégénérés.  Tous  leurs 
efforts  se  sont  coalisés  pour  en  écraser,  presque  dans  le  germe, 
la  première  tentative  assez  réussie.  Il  faut,  cependant,  en  même 
temps  que  l'éducation  rationnelle  s'occupe  de  la  meilleure 
naissance  possible  des  sujets  auxquels  elle  doit  s'appliquer. 
Il  faut  opposer  la  propagande  de  l'amélioration  humaine  à 


'r_),s  séance  du  20  jriN  1895 

l'extension  de  la  dégénérescence,  résultat  du  hasard,  de  l'in- 
différence, en  même  temps  que  des  mauvaises  institutions 
dérivées  de  l'égoïsme  ou  de  sensibleries  non  raisonnées. 

Tous  les  efforts  des  hommes  ont  pour  objet  unique  de  se 
procurer  le  bonheur.  C'est  pour  cela  qu'ils  se  sont  réunis  en 
sociétés,  ont  créé  des  institutions  .  se  sont  imposé  le  joug  de 
l'autorité;  qu'ils  ont  étudié  la  nature,  qu'il  ont  trouvé  dans 
les  ressources  de  l'industrie  les  moyens  d'améliorer  les  biens 
offerts  par  la  nature,  d'en  atténuer  les  effets  nuisibles. 

Jusqu'à  présent,  on  a  très  peu  réussi  à  trouver  le  bonheur 
cherché.  Est-il  un  seul  humain  qui  puisse  se  dire  parfaite- 
ment heureux?  Ceux  mêmes,  en  si  petit  nombre,  de  qui  la  satis- 
faction des  besoins  strictement  personnels  semble  parfaite- 
ment assurée,  ne  peuvent,  s'ils  ont  le  cerveau  normal  moderne 
imprégné  de  sympathie,  goûter  leur  bonheur  relatif  en  se 
voyant  entourés  de  tant  de  misères. 

Je  crois  inutile  de  décrire  jusqu'à  quel  point  l'immense 
majorité  des  humains  manquent  de  la  satisfaction  de  leurs 
besoins,  si  bien  déterminés  par  les  Utilitariens  Anglais,  paj 
les  trois  mots  :  Pain,  Loisir,  Amour!  Je  laisse  aux  plus  auto- 
risés le  soin  de  donner  sur  ces  sujets  les  statistiques  les  plus 
convaincantes;  ils  le  font  à  toute  occasion,  je  ne  pourrais  que 
les  copier. 

Cependant,  tandis  que  pour  tant  de  gens,  la  vie  vaut  si  peu 
la  peine  d'être  vécue  que  l'on  pourrait  trouver  étonnant  qu'ils 
en  acceptent  la  charge,  la  majorité  des  penseurs,  des  écri- 
vains de  toute  catégorie,  cédant  avec  plus  ou  moins  de  con- 
viction ou  de  condescendance  à  l'un  des  préjugés  les  plus 
antiques,  se  plaignant  que  le  nombre  de  ces  malheureux  soit 
trop  petit,  et  ils  poussent  de  toute  manière  les  pauvres  gens 
à  croître  et  à  multiplier. 

Or,  il  y  a  une  limite  évidente  à  cette  folle  multiplication. 
Supposons  un  couple  idéal,  réalisé  fréquemment  par  les 
Canadiens  d'il  y  a  cent  ans,  les  colons  néo-zélandais  d'il  y  a 
cinquante  ans.  De  16  à  46  ans  la  femme  aurait  46  enfants.  A 


PAUL  ROMN.   —  DÉGÉNÉRESCENCE  DK  L*E>PÈCE  lli  MAINE  i2î) 

80  ans,  elle  pourrait  être  entourée  de  plus  de  600  descendants 
directs  et  de  leurs  000  conjoints. 

D'un  seul  couple  seraient  issus  un  siècle  après  son  union, 
en  nombre  rond,  dix  mille  personnes.  Après  deux  siècles  cent 
millions,  après  trois  siècles  mille  milliards. 

1  siècle.     .....  10.000 

2  — 100.000.000 

3  — 1.000.000.000.000 

Si  une  femme  ne  donne  pas  une  telle  abondance  de  rejetons, 
c'est  parce  qu'elle  est  privée  de  conjoint,  ce  qui  arrive  a  40 
pour  100,  ou  qu'elle  n'en  a  que  très  tard;  parce  qu'elle  est 
anormale,  d'une  manière  temporaire  on  permanente;  ou  parce 
qu'elle  triche  au  jeu  d'amour. 

Le  taux  que  nous  indiquons,  basé  sur  l'hypothèse  admissi- 
ble d'une  race  normale  restant  conforme  à  sa  souche,  exprime 
non  pas  une  loi  positive,  mais  une  loi  tendancielle. 

Si  les  faits  ne  sont  pas  conformes  a  cette  tendance,  c'est 
qu'il  y  a  des  obstacles  naturels  ou  artificiels.  Les  naturels 
sont  tous  douloureux  :  ou  bien  ils  suppriment  les  vies  déjà 
existantes,  ou  bien  ils  suppriment  les  joies  de  l'amour,  quand 
ils  ne  les  transforment  pas  en  torture;  ce  sont  :  la  misère,  le 
célibat,  la  prostitution,  d'où  résultent  la  série  de  crimes  plus 
sociaux  qu'individuels,  avortements,  infanticides,  meurtres, 
morts  de  misère. 

Pour  ceux  très  nombreux  qui  confondent  les  lois  tendan- 
cielles et  les  lois  positives,  qui  croient  que,  tout  naturellement, 
avec  des  parents  normaux  et  ne  fraudant  pas,  la  natalité  res- 
terait faible  et  ne  dépasserait  pas  3  ou  4  enfants  par  couple, 
et  prennent  arbitrairement  ces  chiffres  comme  idéal,  rappe- 
lons le  calcul  fait  dans  le  salon d'Herschell  I  à  la  fin  du  siècle 
dernier. 

Le  pieux  constructeur  de  pyramides  aurait,  par  hypothèse, 
reçu  le  don  divin  d'avoir,  lui  el  ses  descendants,  trois  enfants 
par  couple.  A  combien  de  gens  monterait  sa  rare,  aujourd'hui, 
après  3,000  ans?  Admettons  seulement  quatre  générations 


430  SÉANCE  DU  20  JUIN  1895 

par  siècle  (il  y  en  aurait  sept  d'après  le  calcul  précédent),  cela 
ferait  120  générations  depuis  Sésostris.  La  population  se 
serait  doublée  120  fois  et  serait  devenue  21'20.  On  sait  que  le 
logarithme  de  2  est  environ  1  3.  Le  nombre  des  descendants 
de  la  dernière  génération  aurait  un  nombre  de  chiffres  égal 

k.Ç+4. 

Le  plus  petit  de  ces  nombres  est  l'unité  survie  de  40  zéros. 
Forgeons  le  mot  :  dix  tridécillions.  Les  invités  d'Herschell 
calculèrent  que  cette  population  couvrirait  la  surface  de  la 
terre;  il  y  a  au-dessus  une  deuxième  couche  de  gens,  une 
troisième,  etc.,  etc.,  jusqu'à  l'étoile  Sirius! 

On  voit  combien  cette  modération  serait  encore  immodérée. 
11  faut  donc  à  un  certain  moment,  ou  subir  la  cruauté  des 
obstacles  créés  par  la  nature  ou  par  l'égoïsme  social  actuel, 
ou  braver  l'indécence  des  obstacles  artificiels. 

—  C'est  une  question  pour  l'avenir,  répondra-t-on.  Nous 
n'en  sommes  pas  encore  là.  11  y  a  de  la  place  sur  la  terre  pour 
dix  fois  plus  d'habitanis  qu'elle  n'en  contient.  —  Mais  à  quoi 
peut  servir,  pour  la  masse  qui  crève  de  faim  en  ce  moment, 
le  blé  que  l'on  parviendra,  dans  cinquante  ans,  à  faire  pousser 
dans  le  Sahara?  Que  toute  la  planète  soit  cultivée  comme  la 
banlieue  de  Paris,  et  sans  doute  la  proposition  deviendra 
vraie  :  mais  il  faut  avoir  la  table  garnie  avant  d'appeler  les 
invités. 

D'ailleurs,  quelle  passion  nous  pousse  à  vouloir  être  si 
serrés?  Deux  arguments  de  même  nature,  également  mauvais, 
sont  présentés  par  les  partis  politiques  extrêmes.  Les  chauvins 
veulent  le  plus  grand  nombre  possible  d'enfants  pour  faire 
des  soldats  qui  tueront  les  Allemands  (ou  se  feront  tuer  par 
eux);  certains  révolutionnaires  pensent  que  plus  il  y  aura  de 
misérables,  plus  vite  viendra  la  révolution  qui  apportera  le 
bonheur  à  tous. 

Faire  des  enfants  mâles  des  tueurs  ou  des  tués  (des  filles, 
quoi?  je  ne  sais.  Tout  métier  regorge  de  demandes;  n'est 
même  pas  prostituée  qui  veut!);  augmenter  à  coup  sûr  la 
misère  pour  amener  d'une  façon  douteuse  le  bonheur  de  la 


PAUL  IlOBIN.   —  HÊGÉNÉUESUËNUE  Dfc!  [/ESPACE  HUMAINE         431 

victoire  ou  celui  de  la  paix,  voila  des  perspectives  qui  ne 
séduisent  guère  les  gens  sensés,  les  parents  justement  pru- 
dents. Plutôt  que  d'augmenter  le  nombre  et,  par  suite,  la 
misère  des  Français,  diminuons  le  nombre  et  la  misère  de  nos 
ennemis;  pour  cela  associons  nos  efforts  à  ceux  des  philo- 
sophes  des  nations  voisines.  Que  chacun  fasse  ce  qu'il  peut 
partout  et  surtout  chez  soi.  Nos  amis  mélioristes,  Anglais, 
Belges,  Hollandais,  Allemands,  travaillent  pour  atténuer  la 
misère  dans  notre  pays;  travaillons  de  même  pour  les  leurs, 
et  par  suite  pour  la  paix,  pour  le  bonheur  de  tous  ! 

Tel  est  le  point  de  vue  des  Néo-Malthusiens  anglais  qui 
répètent,  avec  le  philosophe,  ce  que  l'on  affecte  de  considérer 
en  France  comme  odieux  et  immoral  : 

«  Il  vaut  mieux,  pour  une  famille  ou  une  nation,  créer  une 
meilleure  vie  pour  un  seul  enfant  que  de  fournir  le  strict  et 
misérable  nécessaire  à  deux.  » 

Très  touché  de  l'importance  de  ce  point  de  vue,  je  le  suis 
encore  plus  du  suivant  : 

Si  l'augmentation  île  la  natalité  est  moins  utile  que  ne 
l'avaient  fait  croire  une  étude  superficielle  et  certains  préjugés 
nationaux;  s'il  est  plutôt  important  de  maintenir  la  popula- 
tion au  chiffre  actuel  ou  même  de  la  réduire  par  les  moyens 
artificiels,  non  douloureux,  non  dangereux,  que  doivent 
connaître  les  parents  prudents,  il  est  au  moins  désirable  que 
la  réduction  porte  sur  la  progéniture  des  victimes  du  passé 
ayant  des  tares  matérielles  ou  murales,  laquelle'  a  toutes  les 
chances  de  voir  aggraver  encore  en   elle  l'infériorité  de  ses 

parents. 

Les  législations  diverses  ont  entouré  la  satisfaction  du 
besoin  sexuel  de  mille  entraves  que  la  physiologie  n'a  pas  à 
connaître. 

Si,  avec  les  utilitariens,  nous  admettons  que  la  morale 
n'est  autre  chose  que  la  science  et  l'art  du  bonheur,  nous 
devons  en  conclure  (pie  deux  adultes  ne  commettent  aucune 
offense  contre  la  morale  en  échangeant  la  volupté  d'amour, 
autant  que  cet  échange  reste  stérile.  Mais,  au  contraire,  c'esl 


432  SÉANCE  DU  20  JUIN  1895 

un  grand  crime  contre  un  enfant  que  de  l'appeler  au  monde 
sans  lui  assurer,  dans  les  conditions  actuelles,  toutes  les  chances 
possibles  d'y  recevoir  la  satisfaction  de  ses  besoins  physiques, 
intellectuels  et  moraux. 

C'est  là  une  vérité  évidente  :  ce  devrait  être  le  principal 
dogme  de  la  morale  moderne.  Quelle  femme,  en  effet,  consentira 
à  être  mère  d'un  enfant  qu'elle  saura  n'avoir  à  peu  près  aucune 
chance  de  devenir  heureux  et  bon?  Lui  en  faire  un  devoir  au 
nom  d'idées  préconçues  est  une  simple  atrocité.  Dans  les  cas 
extrêmes  de  dégénérescence,  c'est  même  un  devoir  d'empêcher 
la  création  d'un  enfant  dont  la  courte  vie,  trop  longue  encore,  ne 
serait  qu'une  série  continue  de  souffrances  pour  lui-même  et 
une  charge  funeste  pour  les  ressources  toujours  insuffisantes 
des  assistances  publiques  et  des  charités  privées.  Dans  les 
cas  ordinaires,  quand,  au  lieu  de  cacher  à  la  jeune  femme 
pubère  ce  qu'elle  a  tant  intérêt  à  connaître,  on  lui  aura  donné 
honnêtement,  franchement,  les  notions  de  physiologie  néces- 
saires, loin  de  laisser  agir  le  hasard,  elle  saura  employer  les 
artifices  hygiéniques  qui  lui  permettront  de  n'avoir  d'enfants 
que  dans  les  meilleures  conditions  à  tous  les  points  de  vue. 

Nous  voyons  ainsi  le  remède  se  présenter  immédiatement 
à  côté  du  mal,  sans  avoir,  sauf  dans  des  cas  exceptionnels, 
recours  à  l'autorité,  toujours  et  partout  si  puissante  pour  le 
mal,  si  impuissante  pour  le  bien. 

La  liberté  de  la  femme  :  liberté  devant  les  lois,  devant  les 
mœurs,  devant  l'opinion,  est  par  elle-même,  si  l'on  peut 
abandonner  des  préjugés  séculaires,  un  axiome  évident  ;  mais 
cette  liberté,  s'appuyant  sur  la  science,  sera  la  véritable 
régénératrice  de  l'espèce  humaine. 

Les  femmes  de  qualité  inférieure  reculeront  devant  la 
douleur,  le  danger,  l'ennui  d'être  mères,  tant  mieux  !  Elles 
laisseront  ce  rôle,  noble  par  dessus  tout,  à  celles  qui  aiment 
véritablement  les  enfants,  savent  les  élever,  et  qui  montre- 
ront leur  tendresse  dès  la  conception,  en  s'arrangeant  pour 
n'avoir  que  des  enfants  de  qualité  supérieure. 

De  plus,  alors,  la  quantité  suivra  la  qualité,  bien  entendu 


OUVRAGES    OFFERTS  433 

dans  les  limites  de  la  prudence.  Les  parents  sages  et  pré- 
voyants ne  craindront  plus  de  jeter  leurs  bons  enfants  dans 
l'ignoble  mêlée  sociale,  exposés  à  être  écrasés  par  les  infé- 
rieurs. 

Répandre  au  bon  endroit  cette  utile  science  pratique, 
Messieurs  et  chers  confrères,  est  un  apostolat  auquel  je  vous 
convie,  et  a  qui  votre  haute  valeur  scientifique  peut  donner 
d'emblée  une  puissance  qui  désarme  la  calomnie  et  le  ridi- 
cule. 

L'un  des  secrétaires  :  A.  Viré. 


(>20e  SÉANCE.  —4  juillet  1895. 
Présidence  de  M.  Ollivier-Beauregard. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Delage  (Yves).  —  La  structure  du  protoplasma,  les  théories 
de  l'hérédité  et  les  grands  problèmes  de  la  biologie  générale,  grand 
in-8,  xvi-878  pages  avec  fig.  Paris  1895  (oifert  par  M.  Schlei- 
cher). 

Livi  (Dr  R.).  —  Sulla  interpretazione  délie  curve  seriali  in 
antropometria  (Ext.  de  AttiSoc.  rom.  di  AntropoL),  in-8°  34,  pag. 
avec  diagrammes,  Rome,  1895. 

MM.  Collignon  et  Manouvrier  font  ressortir  l'intérêt  de  cet 
ouvrage. 

Mil.ne-Edwards(A.),  Deniker  (J.),  Boulart(R.),  E.dePousar- 
gues,  et  Delisle  (F.)  —  Observations  sur  deux  orangs-outangs  adul- 
tes morts  à  Paris,  in-4°  418  pag.,  fig.  et  planches,  Paris,  1895. 

Marchesetti  (l)r.  G.).  —  Scavi  nella  necropoli  di  S.  Lucia, 
in-8°,  334  pag.  et  planches,  Trieste  1893. 

Tiiomas-Marancourt  (Ed.).  —  De  quelques  objets  protohistori- 
ques trouvés  en  Angleterre,  in-8°,  17  pag.  Fontainebleau,  1894. 

Ministère  des  travaux  publics.  —  Documents   relatas  à  la 


-434  SÉANCE  DU  4  JUILLET   1895 

mission  dirigée  au  sud  de  l'Algérie  par  M.  A.  Choisy.  IIIe 
volume  :  Hydrologie,  statistique,  météorologie  par  M.  G.  Rol- 
land; anthropologie,  zoologie,  observations  sur  les  conditions 
sanitaires  par  M.  le  Dr  II.  Weisgerber,  etc.,  in-8°,  504  pag. 
avec  fig.  et  tableaux.  Paris,  1895. 

Périodiques.  —  (Articles  à  signaler.) 

L'Anthropologie,  1893,  n°  3.  —  Dr  E.  Ilamy  :  Considérations 
générales  sur  les  races  jaunes;  —  H.  Meige  :  L'infantilisme, 
le  féminisme  et  les  hermaphrodites  antiques;  —  Ed.  Piette  : 
Etudes  d'ethnographie  préhistorique;  —  J.  Reinach  :  La 
sculpture  en  Europe  avant  les  influences  gréco-romaines. 

Bul.de  la  Société  de  géographie,  Ier  trim.  1895. — F.  Foureau  : 
Une  mission  chez  les  Touareg  Azdjer;  —  11.  Douliot  :  Journal 
de  voyage  fait  sur  la  côte  ouest  de  Madagascar  [suite). 

Recueil  des  notices  et  Mémoires  de  la  Société  archéologique  de 
Constantine,  1894.  —  G.  Viré  :  Les  antiquités  dans  la  com- 
mune mixte  de  Taher;  —  Prud'homme  :  De  quelques  silex 
taillés  du  musée  de  Constantine. 

Bul.  de  l'Académie  des  sciences  de  Cracovie,  mai  1895.  —  C.  R. 
de  la  commission  d'anthropologie. 

Atti  del  Museocivico  di  storia  naturale  di  Trieste,  vol.  IX.  — 
Dr  C.  Marchesetti  :  La  Grotta  azzurra  di  Samatorza. 

The  american  antiquarian,  may  1895.  —  S.  D.  Peet  :  The 
story  of  the  création  among  the  american  aborigines  a  proof 
of  prébistoric  contact  ;  —  The  calendar  system  of  the  Chibchas. 

Miltheil.  der  anthropologischen  Gesellschaft  in  Wien.  XXV  R. 
1  IL  — L.  v.  Schrœder  :  Ueber  die  Entwicklund  der  Indologie 
in-Europa  und  ihre  Reziehungen  zur  allgemeinen  Vœlker- 
kunde;  —  Leder  :  Ueber  alte  Grabstœtten  in  Silurien  und  der 


Mongolei. 


OBJETS  OFFERTS. 


M.  d'AuLT  du  Mesnil  offre  des  photographies  du  menhir  de 
Clamart. 
M.  Delisle  offre  des  photographies  d'un  Orang-outang. 


TH.  CHUDZENSKI.   —  l'LIS  CÉRÉBRAUX  DES  LÉMURIENS  435 

COMMUNICATIONS. 

Sur  les  plis  cérébraux  des  lémuriens  eu  général 
et  du  Loris  grêle  en  particulier. 

Par  Théophile  Chudzinski. 

Parmi  tous  les  organes  du  corps  d'un  mammifère,  il  n'y  en 
a  peut  être  pas  un  seul  qui  ait  autant  de  fixité  que  le  plisse- 
ment cérébral,  de  sorte  qu'avec  un  peu  d'habitude,  il  est  fa- 
cile de  reconnaître  les  ordres,  la  famille,  le  genre  et  souvent 
même  l'espèce  à  laquelle  appartient  le  cerveau  observé. 

C'est  ainsi  que  la  famille  des  faux  singes  ou,  plus  exacte- 
ment, des  prosimiens,  présente  un  plissement  de  l'écorce 
cérébrale  qui  lui  est  propre  et  qui  la  distingue  des  autres 
groupes  des  mammifères  placés  plus  haut  ou  plus  bas. 

En  se  basant  sur  la  conformation  spéciale  du  placenta  des 
lémuriens  et  sur  les  autres  faits  de  leur  organisation,  on 
arrive  à  cette  conclusion  :  que  les  prosimiens  forment  un 
groupe  a  part,  lequel  mérite  le  nom  d'un  ordre,  ordre  des  pro- 
simiens, bien  que  certains  caractères  anatomiques  les  rappro- 
chent des  vrais  singes. 

En  effet,  chez  les  singes  des  espèces  les  plus  inférieures, 
par  exemple  chez  les  ouistiti,  la  surface  cérébrale  est  entière- 
ment lisse,  au  moins  dans  sa  partie  externe,  ou  comme  chez 
les  autres  hapales  (marikina)  qui  n'ont  qu'une  ou  deux  inci- 
sures.  Mais  déjà  chez  les  singes  cébiens  la  surface  cérébrale 
se  plisse  beaucoup  plus,  ainsi  que  chez  les  singes  plali- 
rhyniens  et  finit  par  le  riche  plissement  des  singes  anthro- 
poïdes. 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  prosimiens.  Leurs  cerveaux, 
même  ceux  des  individus  les  plus  petits,  si  petits  qu'à  peine 
ils  ont  les  dimensions  d'un  rat  de  moyenne  taille  (poids  du 
loris  grêle  210  gr.,  poids  de  l'encéphale  8  gr.)  ont  déjà  la 
surface  cérébrale  relativement  très  plissée,  comme  cela  se 
voit  très  bien  sur  ce  cerveau  de  loris  grêle. 


436  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

Mais  en  examinant  en  même  temps  la  surface  cérébrale 
d'un  maki  inférieur,  dont  le  poids  et  la  taille  sont  cinq  fois 
plus  forts  on  trouve  que  son  plissement  est  moins  riche  que 
celui  de  notre  loris.  A  quoi  faut-il  attribuer  ce  fait  contra- 
dictoire?... peut-être  à  ce  que  les  loris  et  leurs  congénères 
forment  une  famille  à  part,  représentant  les  lémuriens  de 
l'Asie. 

Ce  plissement  primitif  se  perfectionne  dans  les  espèces  des 
lémuriens  supérieurs  comme  par  exemples  les  indris,  chez  les 
quels  les  sillons  et  les  scissures  s'enrichissent  encore  par  l'ap- 
parition d'une  scissure  comparable  à  la  scissure  de  Rolando 
des  primates.  Cette  nouvelle  scissure  est  très  nettement 
dessinée  et  elle  est  remarquable  par  les  flexuosités  et  les 
ramifications  des  sillons  cérébraux. 

La  forme  générale  du  cerveau  des  lémuriens  est  celle  d'un 
ovoïde  dont  l'extrémité  antérieure  serait  arrondie.  Les  hémis- 
phères recouvrent  un  peu  plus  que  la  moitié  de  la  face  supé- 
rieure du  cervelet.  Les  lobes  olfactifs,  quoique  déjà  un  peu 
amoindris  dans  leur  volume,  conservent  cependant  un  déve- 
loppement relativement,  considérable.  Les  lobes  de  l'hippo- 
campe sont  encore  assez  forts.  Tous  ces  caractères  rappro- 
chent les  lémuriens  des  carnassiers,  plutôt  que  des  vrais 
singes. 

Pourtant  le  cerveau  des  lémuriens,  par  sa  forme,  par  le 
mode  de  plissement  de  sa  surface,  a  des  analogies  frappantes 
avec  le  plissement  de  la  même  surface  chez  certains  singes 
d'Amérique. 

En  effet,  en  examinant  la  surface  cérébrale  de  notre  loris 
grêle  nous  apercevons,  d'abord,  une  longue  et  profonde  scis- 
sure transversale  S  (fig.  1  et  2)  qui  s'étend  delà  scissure  hip- 
pocampo-olfactive,  h,  jusqu'à  proximité  du  bord  supérieur  de 
l'hémisphère  droit,  où  son  extrémité  n'est  séparée  du  bord 
supérieur  que  d'un  millimètre,  et  de  trois  millimètres  sur 
l'hémisphère  gauche.  Dans  son  trajet  cette  scissure  est  légère- 
ment ondulée  et  sa  direction  sensiblement  verticale  dans 
ses  deux  tiers  inférieurs.  Ensuite  elle  décrit  une  courbe  à 


TH.   ClH'DZINSKI. 


plis  nERicniurx  des  lémuriens 


43 1 


concavité  postérieure;  puis  elle  se  brise  brusquement  et  se 
dirige  vers  le  bord  supérieur  de  l'hémisphère  en  faisant 
avec  sa  partie  précédente  un  angle  obtus  ouvert  en  dedans. 
Sur  l'hémisphère  gauche,  la  scissure  en  question  forme 
par  ses  inflexions  deux  genoux;  l'un  de  ces  genoux  se  trouve 
à  la  partie  moyenne  de  la  scissure  et  l'autre  dans  le  premier 
tiers  inférieur.  La  partie  transversale  de  cette  scissure, 
celle  qui  avoisine  le  bord  supérieur  de  l'hémisphère,  est  sé- 
parée du  reste  de  la  scissure  par  un  pli  de  deux  millimètres 


de  largeur. 


Fig.  1. 


Fig.  2. 


0' 


*t  k 


Fis.  3 


Fig.  4 


Loris  t.rêle  :  I.  Face  supérieure.  —  2.  Face  inférieure.  —  3.  Face  interne. 

4.  Face  externe. 

Ainsi  cette  grande  scissure  de  la  face  externe  du  loris  grêle, 
se  compose  de  trois  portions,  qui  se  distinguent  par  leur 
direction,  leur  courbure  et  aussi  par  leur  longueur.  La  por- 
tion inférieure  S  est  verticale;  la  partie  moyenne  décrit  une 
courbe  assez  étendue;  et  la  troisième  0,  très  courte,  est  per- 
pendiculaire au  bord  supérieur  de  l'hémisphère. 

Suivant  nous,  les  trois  tronçons  de  cette  seule  fente  cérébra- 


438  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

le,  appartiennent  à  des  éléments  qui  sont  ordinairement  très 
distincts.  Ainsi  la  partie  supérieure  s'individualise  déjà  sur 
l'hémisphère  gauche  et  s'en  sépare  par  un  petit  pli  de  com- 
munication. Nous  regardons,  et  cela  à  juste  titre,  la  partie 
inférieure  comme  la  scissure  sylvienne  proprement  dite,  et  la 
partie  moyenne,  remarquable  par  sa  courbure,  comme  le  sil- 
lon interpariétal.  Enfin,  le  tronçon  supérieur,  à  notre  avis, 
serait  une  ébauche  de  la  portion  externe  de  la  scissure  occi- 
pitale. 

Le  prolongement  de  la  scissure  sylvienne  jusqu'au  bord 
supérieur  de  l'hémisphère,  se  voit  chez  certains  singes  cébiens, 
par  exemple  chez  le  Douroucouli  (Nyctipithecus);  chez  le  hur- 
leur (Mycetes),  chez  le  Coàito  (Ateles  marginalus)  et  enfin  chez  le 
Saimiri  (Pithésciureus) .  Chez  ce  dernier,  la  scissure  de  Sylvius 
rejoint  la  scissure  occipitale,  sur  la  face  interne  de  l'hémis- 
phère :  là  elle  se  confond  avec  cette  dernière,  mais  en  réalité 
elle  en  est  séparée  par  un  pli  de  passage  qui  est  très  profond. 
Donc,  chez  notre  loris  grêle,  cette  petite  fente  cérébrale  est 
composée  d'un  sillon  et  de  deux  scissures  ;  elle  sépare  la  surface 
externe  de  l'hémisphère  cérébral  en  deux  portions  :  une  por- 
tion antérieure  formée  de  la  totalité  du  lobe  frontal  "el 
d'une  partie  du  lobe  occipital,  et  une  portion  postérieure  résul- 
tant de  la  fusion  du  lobe  temporal,  des  parties  des  lobes 
pariétaux  et  du  lobe  occipital. 

La  portion  antérieure  est  creusée  de  trois  sillons  courts 
mais  très  profonds.  Le  plus  inférieur  de  ces  sillons  est  rela- 
tivement long  et  il  est  situé  dans  la  région  sus-orbitaire  de 
l'hémisphère.  Ce  sillon  sépare  deux  plis  de  la  portion  sus- 
orbitaire  de  l'hémisphère.  Le  pli  sus-orbitaire  externe  est  le 
plus  large. 

La  portion  du  lobe  fronto-pariétal,  située  au-dessus  de  la 
région  sus-orbitaire,  constitue  l'étage  supérieur  de  l'hémis- 
phère ;  elle  est  divisée  en  trois  plis  par  les  sillons  /'  et  f.  Ce 
dernier  est  relativement  long  et  se  recourbe  en  forme  d'un  S 
italique  couché.  On  peut  regarder  ce  sillon  comme  le  sillon 
principal  du  lobe  frontal,  car  c'est  lui  qui  sépare  le  lobe  fron- 


TH.  GHUDZINSKI.   —  PLIS  CEREBRAUX  DES  LÉMURIENS  439 

tal  en  deux  plis  primaires.  Le  pli  supérieur,  ou  le  premier  pli 
frontal  est  large;  il  se  subdivise  par  une  incisure  en  deux 
plis  secondaires. 

Quand  on  réfléchit  en  regardant  le  lobe  frontal  du  loris 
grêle,  on  est  étonné  de  sa  richesse  en  plis,  en  tenant  compte 
de  l'extrême  petitesse  de  l'encéphale. 

Le  plissement  de  la  portion  temporo-occipitale  du  cerveau 
du  loris  est  plus  simple;  en  effet,  cette  surface  n'a  que  deux 
sillons,  dont  l'antérieur  est  rectiligne  et  en  même  temps  le 
plus  long.  Ce  sillon  antérieur  est  parallèle  à  la  scissure  de 
Sylvius,  et  par  cela  il  est  analogue  au  sillon  parallèle  des 
vrais  singes.  On  a  déjà  deviné  dans  ce  sillon  le  premier  sillon 
temporal  des  primates  (marqué  par  la  lettre  t  sur  nos  figu- 
res 1  et  2).  L'extrémité  inférieure  du  premier  sillon  temporal 
aboutit  à  un  sillon  qui  sépare  le  lobe  de  l'hippocampe  du 
reste  de  l'hémisphère. 

En  arrière  du  premier  sillon  temporal,  on  en  voit  un  autre 
qui  est  coudé  :  sa  partie  supérieure  a  une  direction  antéro- 
postérieure  et  sa  partie  inférieure  est  verticale.  D'après  notre 
avis,  la  portion  antéro-supérieure  du  second  sillon  temporal 
établit  des  limites  entre  les  lobes  temporal,  pariétal  et  occi- 
pital. 

On  peut  comparer  cette  portion  du  second  sillon  temporal 
au  sillon  du  pli  courbe  des  vrais  singes,  dans  ce  cas  il  repré- 
senterait la  partie  postérieure  du  sillon  pariétal.  Les  deux  sil- 
lons temporaux  divisent  le  lobe  temporal  en  trois  plis,  dont  le 
troisième  se  replie  sur  la  face  interne  de  l'hémisphère  et  là  il 
est  parcouru  par  les  nombreux  sillons  vasculaires  qui  creusent 
transversalement  sa  surface. 

Le  premier  pli  temporal  est  assez  régulièrement  quadrila- 
tère. Le  second  pli. temporal  se  confond  avec  le  troisième  dans 
la  plus  grande  partie  de  son  étendue. 

Le  lobe  pariétal  n'a  que  deux  plis.  Le  pli  supérieur  concourt 
à  la  formation  du  bord  supérieur  de  l'hémisphère;  ensuite 
il  se  replie  sur  la  face  interne  de  l'hémisphère  où  il  entre 
dans  la  constitution  du  lobule  carré.  La  portion  du  premier 


440  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

pli  pariétal,  qui  est  situé  sur  la  face  externe  de  l'hémisphère, 
est  très  étroite;  elle  n'est,  en  réalité,  que  le  prolongement 
direct  du  premier  pli  du  lobe  frontal. 

Le  second  pli  pariétal  P  se  rencontre  au-dessus  des  deux 
sillons  temporaux. 

Enfin,  la  portion  externe  du  lobe  occipital  forme  une  sur- 
face complètement  lisse.  Cette  surface  se  termine  par  un  con- 
tour arrondi  qui  détermine  la  corne  postérieure  de  l'hémis- 
phère cérébral. 

La  face  interne  de  l'hémisphère  du  loris  grêle  laisse  voir, 
tout  d'abord,  un  sillon  longitudinal  dont  la  direction  est 
antéro-postérieure.  Ce  sillon  est  placé  au  voisinage  du  bord 
supérieur  de  l'hémisphère  auquel  il  est  parallèle  ;  il  est  d'ail- 
leurs peu  sinueux.  Ce  sillon  représente  le  sillon  sous-frontal 
des  primates  Sf.  Chez  les  carnassiers  et  les  autres  quadru- 
pèdes il  fait  partie  de  la  grande  scissure  limbique  Sf. 

Dans  la  partie  postérieure  de  l'hémisphère  on  remarque 
deux  scissures  très  profondes.  Ces  deux  scissures,  après  un 
court  trajet,  se  réunissent  et  aboutissent  à  la  scissure  des  hip- 
pocampes, dont  elles  sont  séparées  par  un  pli  de  passage 
qui  relie  le  lobule  carré  ou  plutôt  la  partie  postérieure  du 
pli  du  corps  calleux  au  troisième  pli  temporal.  De  ces  deux 
scissures,  l'antérieure  presque  perpendiculaire  à  l'axe  de  l'hé- 
misphère constitue  la  scissure  occipitale  o  ;  la  seconde  scissu- 
re, qui  est  plus  en  arrière,  a  une  direction  plutôt  horizonta- 
le :  elle  s'engage  dans  la  corne  postérieure  de  l'hémisphère. 
L'autre  extrémité  de  la  même  scissure  se  confond  intimement 
avec  la  scissure  occipitale,  c'est  la  scissure  calcarine  (Cal.) 

Les  deux  scissures,  en  se  réunissant  avec  la  scissure  des 
hippocampes  forment  une  espèce  de  fourche,  ou  bien  la  lettre 
y  couchée. 

Dans  les  branches  deVy  est  enclavée  une  surface  triangu- 
laire parfaitement  lisse,  c'est  le  lobule  triangulaire  ou  le 
lobule  cunéiforme,  absolument  analogue  au  cunéus  de  l'es- 
pèce humaine  4. 

1  L'isolement  si  profond  et  si  net  du  lobule  cunéiforme  ne  s'ob- 


TH.  CHUDZLVSKI.     —   PLIS  CÉRÉBRAUX  DES  LÉMURIENS  441 

Tous  les  plis  de  la  face  interne  de  l'hémisphère  sont  com- 
plètement lisses;  quelques-uns  seulement  sont  marqués  plus 
ou  moins  par  des  sillons  vasculaires.  Ces  sillons  sont  surtout 
multiples  sur  la  portion  interne  du  troisième  pli  temporal. 

La  portion  du  premier  pli  frontal,  celle  qui  se  trouve  sur  la 
face  interne  de  l'hémisphère  n'offre  aucune  incisure,  et  à  plus 
forte  raison  aucun  sillon. 

Le  pli  du  corps  calleux  est  étroit  et  complètement  lisse. 

Le  lohule  carré  est  petit,  nettement  limité,  et  son  bord  an- 
térieur est  un  peu  entamé  par  le  sillon  sous-frontal.  Sa  confi- 
guration est  vraiment  celle  d'un  quadrilatère  géométrique. 

Le  lobe  occipital,  sur  la  face  interne  de  l'hémisphère,  est 
formé  en  grande  partie  parle  lobule  cunéiforme,  et  par  la  fu- 
sion de  celui-ci  avec  la  portion  supérieure  du  troisième  pli 
temporal. 

Les  lobes  de  l'hippocampe  sont  séparés  des  plis  cérébraux 
par  un  sillon  horizontal  peu  profond. 

En  résumé,  la  face  externe  de  l'hémisphère  du  loris  grêle 
est  relativement  riche  en  sillons;  elle  en  compte  de  5  à  6  d'un 
hémisphère  à  l'autre,  plus  une  longue  et  profonde  scissure 
sylvio-pariétale,  et  non  compris  le  sillon  de  la  délimitation 
des  lobes  de  l'hippocampe. 

La  face  interne  présente  des  plis  dont  la  surface  est  tout  à 
fait  lisse.  Cette  face  possède  trois  scissures,  savoir  :  les  scis- 
sures occipitale  et  calcarine,  la  scissure  des  hippocampes, 
et  un  sillon  proportionnellement  très  grand  qui  est  le  sillon 
sous-frontal. 

De  tout  ce  qui  précède  il  résulte  que  le  plissement  si  com- 
pliqué de  l'écorce  cérébrale  du  loris  prouve  que  ce  n'est  pas 
par  lui  que  commence  la  série  des  lémuriens.  Il  en  résulte 
aussi  que  l'espèce  primitive  de  ces  mammifères  est  inconnue 

serve  que  dans  l'espèce  humaine  et  les  lémuriens.  Chez  tous  les 
singes,  le  lobule  cunéiforme  est  relié  par  un  pli  de  passage  très 
superficiel  à  la  portion  temporale,  de  sorte  que  les  scissures  occipi- 
tale et  calcarine  sont  séparées  l'une  de  l'autre  et  n'arrivent  plus 
à  la  scissure  des  hippocam;  es. 

T.   VI  (4<»SÊRIB).  29 


442  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

jusqu'à  présent,  ou  que  cette  espèce  a  totalement  disparu,  ce 
qui  n'est  pas  probable.  Il  se  peut  même  que,  par  sa  petitesse 
extrême,  il  ait  pu  échapper  aux  yeux  des  observateurs  les 
plus  expérimentés.  Peut-être  aussi  que  sa  conformation  dif- 
fère tellement  de  celle  des  autres  lémuriens  qu'elle  ne  périr  et 
pas  de  le  classer  exactement. 

Dans  tous  les  cas,  ce  petit  cerveau  échappe  à  la  loi,  pour- 
tant si  vraie,  de  M.  Dareste,  qui  veut  que  les  animaux  de 
petite  taille,  d'une  certaine  famille  zoologique,  aient  le  cer- 
veau absolument  lisse,  ou  bien  que  le  plissement  en  soit  très 
rudimentaire. 

Nous  connaissons  maintenant  les  plis  cérébraux  du  loris 
grêle  ;  comparons-les  à  présent  aux  mêmes  plis  des  lémuriens 
de  l'Afrique. 

Presque  tous  les  lémuriens  de  l'Afrique  ont  pour  patrie  l'île 
de  Madagascar,  au  moins  à  l'époque  actuelle.  Les  lémuriens 
ont  été  étudiés  avec  un  soin  minutieux  par  M.  Alphonse 
Milne-Edwards.  Ce  savant  maître  a  reconnu  que  ces  mammi- 
fères s'éloignent  beaucoup  des  vrais  singes  par  leur  placenta, 
qui  est  diffus  *. 

Dans  notre  mémoire  sur  les  plis  cérébraux  des  mammifères 
quadrupèdes  en  1878,  nous  avons  publié  des  schémas  des 
principaux  types  des  lémuriens  dans  la  planche  IX  et  dans 
les  figures  75,  76  et  77  de  la  planche  VIII  annexées  à  notre 
ouvrage. 

Tous  les  schémas  de  la  planche  IX  sont  faits  d'après  les 
dessins  de  M.  Alphonse  Milne-Edwards.  Les  figures  75,  76  cl 
77  d'après  notre  moulage  du  cerveau  d'un  maki  à  front  noir 
(lemur  nigrifrons). 

Le  cerveau  des  lémuriens  inférieurs,  par  exemple  celui  du 
maki  a  front  noir,  est  beaucoup  plus  volumineux  que  le  cer- 
veau du  loris  grêle  et,  en  même  temps,  il  est  plus  allongé. 

Le  cervelet  des  makis  inférieurs  est  plus  recouvert  par  les 

*  On  sait  que  les  singes  ont  le  placenla  discoïde,  qu'il  soit  unique 
ou  double. 


Tir.   C.ÎÎUDZLVSKl. 


PLIS  CEREBRAUX  DES  LEMURIENS 


443 


hémisphères  cérébraux.  Mais  les  lobes  hippocampes  sont  aussi 
volumineux  que*  ceux  du  loris  grêle.  Cependant,  il  nous 
semble  apercevoir  une  petite  tendance  à  l'atrophie  des  lobes 
olfactifs  plus  prononcée  que  chez  le  loris. 

Comme  chez  les  loris,  la  face  externe  de  l'hémisphère  est 
divisée  en  deux  portions  par  une  longue  scissure  transversale 
un  peu  sinueuse  Seulement  cette  scissure  est  moins  profonde 
que  la  même  scissure  du  lotis.  L'extrémité  inférieure  de  cette 
scissure  commence  à  la  scissure  hippocampo-olfactive  ;  de  là, 
elle  monte  un  peu  obliquement  en  haut  et  en  arrière,  en  se 
dirigeant  vers  le  milieu  d'un  sillon  antéro-postérieur,  et  elle 
cesse  à  trois  ou  quatre  millimètres  au-dessous  de  ce  sillon. 


sf- 


Fig.  5  Fig.  6 

Maki  à  front  noir.  —  5.  Faco  supérieure.  —  6.  Face  interne 


Cette  longue  fente  cérébrale  est  la  scissure  de  Sylvius  et  le 
sillon  sous  lequel  elle  se  termine  est  le  sillon  pariétal.  Comme 
chez  le  loris,  la  scissure  sylvienne  du  maki  a  front  noir  di- 
vise l'hémisphère  cérébral  en  deux  portions  :  la  portion  anté- 
rieure, formée  du  lobe  frontal  et  de  la  partie  supérieure  du 
lobe  pariétal,  et  la  portion  postérieure,  contenant  le  lobe  tem- 
poral, la  partie  inférieure  du  lobe  pariétal,  ainsi  que  la  partie 
superficielle  du  lobe  occipital. 


444  SÉANCE  DU  4  JUILLET  4895 

Les  limites  supérieures  du  lobe  frontal  sont  incertaines,  car 
ce  lobe  se  continue,  sans  aucune  interruption,  avec  le  lobe 
pariétal.  Le  lobe  frontal  proprement  dit  a  un  long  sillon  rec- 
tiligne  dont  la  direction  est  antéro-postérieure.  Ce  sillon  com- 
mence près  de  la  corne  antérieure  de. l'hémisphère;  c'est  le 
sillon  frontal  (rostral  de  certains  anatomistes).  Le  sillon  fron- 
tal divise  le  lobe  frontal  en  deux  plis  très  larges  ;  ce  sont  les 
plis  frontaux  :  l'un  supérieur,  l'autre  inférieur.  Tout  à  fait 
en  bas,  dans  la  région  sus-orbitaire  de  l'hémisphère,  on  voit, 
encore  une  incisure  ramifiée  qui  détermine  aussi  deux  plis, 
lesquels  ne  sont  que  le  prolongement  des  plis  frontaux  de  la 
face  externe  de  l'hémisphère. 

Les  deux  plis  frontaux  sont  tout  à  fait  lisses,  c'est-à-dire 
sans  trace  de  la  moindre  incisure. 

Le  premier  pli  frontal,  en  se  confondant  intimement  avec 
la  portion  supérieure  du  lobe  pariétal,  forme  une  très  longue 
bande  unique,  étendue  de  la  corne  antérieure  de  l'hémisphère 
jusqu'à  sa  corne  postérieure. 

Le  second  pli  frontal  décrit  quelques  sinuosités  au-dessus 
de  la  scissure  de  Sylvius  et  du  premier  sillon  temporal,  et  se 
confond  à  son  tour  avec  le  lobe  temporal.  En  outre,  les  deux 
plis  se  réunissent,  ou  plutôt  continuent  leur  trajet  à  travers 
les  lobes  pariétal  et  occipital;  par  conséquent  ils  parcourent 
toute  la  longueur  de  l'hémisphère. 

La  portion  de  l'hémisphère  du  maki  nigrifrons  située  en 
arrière  de  la  scissure  de  Sylvius,  renferme  les  éléments  de 
trois  lobes  fusionnés  plus  ou  moins  entre  eux  ;  ce  sont  les 
lobes  temporal,  pariétal  et  occipital. 

Le  lobe  temporal  est  limité  en  bas  par  une  portion  de  la 
scissure  limbique,  qui  le  sépare  du  lobe  hippocampe.  En  haut, 
les  limites  du  lobe  temporal  sont  fort  vagues  et  par  conséquent 
incertaines.  Dans  tous  les  cas,  le  lobe  temporal,  quoique  très 
large,  n'a  pourtant  qu'un  seul  sillon  peu  onduleux.  La  direc- 
tion de  ce  sillon  est  verticale  et  en  môme  temps  parallèle  à  la 
scissure  de  Sylvius.  Chez  les  mammifères,  dont  les  plis  tem- 


TH.  CHUDZINSKI.   —  PLIS  CÉRÉBRAUX  DES    LÉMURIENS  445 

poraux  sont  multiples,  il  représente  le  premier  sillon  tempo- 
ral ou  le  sillon  parallèle. 

Le  sillon  unique  de  notre  maki  partage  le  lobe  temporal 
en  deux  larges  plis  temporaux  dont  la  surface  est  parfaite- 
ment lisse. 

Au-dessus  de  la  scissure  de  Sylvius  et  du  sillon  temporal, 
on  voit  un  autre  sillon  longitudinal  et  antéro-postérieur.  11 
est  légèrement  recourbé  et  la  faible  concavité  qui  en  résulte 
est  tournée  en  bas. 

Ce  sillon  est  parallèle  au  bord  supérieur  de  l'hémisphère 
en  creusant  la  surface  de  la  région  pariétale  du  cerveau  ;  c'est 
donc  le  sillon  pariétal.  Son  extrémité  antérieure  s'incline  un 
peu  en  bas  et  va  à  la  rencontre  du  sillon  frontal.  Cette  incli- 
naison, plus  accentuée  encore  chez  les  makis  supérieurs,  se- 
rait-elle une  ébauche  de  la  scissure  rolandique?... 

L'extrémité  postérieure  du  sillon  pariétal  est  quelquefois 
bifide,  et  une  branche  de  la  bifurcation  se  tourne  vers  le  bord 
supérieur  de  l'hémisphère;  ce  petit  ramuscule  ne  serait-il  pas 
aussi  le  rudiment  de  la  scissure  occipitale?  Quoi  qu'il  en  soit, 
ce  petit  crochet  du  sillon  pariétal  marque  la  limite  du  lobe 
pariétal  et  du  lobe  occipital. 

D'ailleurs,  la  scissure  de  Sylvius  et  le  sillon  temporal,  sont 
situés  à  une  faible  distance  du  sillon  pariétal.  Celui-ci  sépare 
deux  plis  du  lobe  pariétal.  Le  pli  pariétal  supérieur  est  recti- 
ligne;  le  pli  inférieur,  au  contraire,  se  recourbe  au-dessus  des 
extrémités  supérieures  de  la  scissure  de  Sylvius  et  du  sillon 
temporal. 

Les  deux  plis  pariétaux  se  continuent  sans  aucune  inter- 
ruption avec  les  plis  du  lobe  frontal  et  du  lobe  occipital, 
comme  nous  l'avons  déjà  vu  plus  haut.  En  outre,  le  deuxième 
pli   pariétal  se  confond  encore  avec  le  lobe  temporal. 

La  portion  externe  du  lobe  occipital  présente  une  surface 
complètement  lisse.  C'est  elle  qui  forme  le  bord  et  la  corne 
postérieure  de  l'hémisphère.  Cette  portion  du  lobe  occipital 
se  confond  intimement  avec  le  lobe  pariétal  en  haut  et  le  lobe 
temporal  en  bas. 


44G  SEANCE  DU  4  JUILLET  1895 

Sur  la  surface  interne  de  l'hémisphère  des  makis  inférieurs, 
comme  d'ailleurs  chez  le  loris  grêle,  nous  apercevons  d'abord 
un  sillon  antéro-postérieur;  c'est  le  sillon  sous-frontal,  qui 
fait  partie,  chez  les  mammifères  quadrupèdes,  de  la  grande 
scissure  limbique.  Le  sillon  sous-frontal  décrit  une  courbe 
concentrique  au  corps  calleux,  et  il  occupe  la  majeure  portion 
de  la  face  interne  de  l'hémisphère.  L'extrémité  antérieure  du 
sillon  sous-frontal  est  assez  éloignée  de  la  corne  antérieure  du 
cerveau  et  son  extrémité  postérieure  se  recourbe  un  peu  en 
haut,  comme  pour  atteindre  le  bord  supérieur  de  l'hémisphère 
et  passer  ensuite  à  sa  face  externe.  Cette  disposjon  est  la  règle 
chez  les  singes  cébiens  et  autres. 

Chez  les  makis  inférieurs,  le  sillon  sous  frontal  accuse  seu- 
lement la  tendance  à  se  prolonger  jusqu'à  la  face  externe  de 
l'hémisphère,  car  cette  extrémité,  postérieure  au  sillon  sous- 
frontal  est  éloignée  du  bord  supérieur  de  celle-ci  de  5  à  6  mil- 
limètres. 

En  arrière  du  sillon  sous-frontal,  on  aperçoit  deux  fentes  en 
forme  de  fourche.  Ces  deux  fentes  sont  obliquement  dirigées 
en  bas  et  en  avant.  Le  manche  de  cette  espèce  de  fourche  est 
relativement  long,  et  nous  la  connaissons  déjà  sous  le  nom  de 
scissure  des  hippocampes.  Le  bras  antérieur  de  cette  fourche 
n'est  autre  chose  que  la  scissure  occipitale,  et  le  bras  posté- 
rieur est  la  scissure  calcarine.  Le  confluent  de  ces  trois  scis- 
sures est  occupé  par  un  petit  pli  de  passage  très  profond, 
étendu  de  l'extrémité  postérieure  du  pli  du  corps  calleux  à  la 
portion  interne  du  deuxième  pli  temporal.  On  voit  d'après  cela 
que  c'est  la  répétition  des  scissures  du  loris  grêle  dans  tous 
ses  détails.  Enfin,  à  proximité  de  la  corne  de  l'hémisphère,  on 
voit  encore  une  toute  petite  incisure,  parallèle  au  bord  infé- 
rieur du  lobe  frontal. 

La  partie  supérieure  de  la  face  interne  de  l'hémisphère  des 
makis  est  formée  par  un  long  pli  antéro-postérieur.  Ce  pli, 
dans  ses  deux  tiers  antérieurs,  est  constitué  par  le  repli  sur 
la  face  interne  de  l'hémisphère  du  premier  pli  frontal.  La  sur- 
face de  cite  bande  est  parcourue  par  un  léger  enfonccinenr 


TH.  CHUDZINSKI.  —  PL'S  CÉRÉBRAUX  DES  LEMURIENS  447 

vasculaire  qui  se-continue  sur  le  lobule  carré.  Plus  en  arrière, 
on  rencontre  une  surface  quadrilatère,  parfaitement  lisse. 
Elle  a  très  peu  d'étendue  et  elle  est  limitée  en  avant  par  l'ex- 
trémité postérieure  du  sillon  sous-frontal,  et  en  arrière  par  la 
scissure  occipitale.  C'est  le  lobule  carré  ;  il  est  formé  en  plus 
grande  partie  par  l'extrémité  postérieure  du  pli  du  corps  cal- 
leux, comme  nous  le  verrons  un  peu  plus  bas. 

Plus  en  arrière  encore,  on  remarque  un  tout  petit  lobule 
triangulaire  limité  par  la  scissure  occipitale  et  calcarine.  Le 
sommet  aigu  de  ce  lobule  est  enclavé  dans  le  confluent  des 
scissures  :  occipitale,  calcarine  et  de  la  scissure  des  hippo- 
campes. La  surface  de  ce  triangle  est  lisse.  D'après  cette  des- 
cription, on  a  deviné  facilement  le  lobule  cunéiforme  de  notre 
loris  grêle. 

Au-dessous  du  lobule  cunéiforme,  on  trouve  la  portion  in- 
terne du  deuxième  pli  temporal,  dont  la  surface  est  également 
lisse.  Enfin,  au-dessous  du  sillon  sous-frontal  et  au-dessus  du 
corps  calleux,  on  voit  encore  une  bande  de  la  substance  grise 
qui  représente  le  pli  du  corps  calleux.  Ce  pli  est  limité  en 
avant  par  l'incissure  sus-orbitaire  interne  et,  en  arrière,  il  se 
confond  avec  le  lobule  carré.  Au-dessous  du  pli  du  corps  cal- 
leux, on  voit  la  coupe  du  corps  calleux  lui-même,  sous  la  forme 
d'une  longue  bandelette  blanche,  laquelle  contourne  la  couche 
optique  relativement  volumineuse.  Plus  bas,  on  voit  un  sillon 
de  séparation  du  lobe  hippocampe  du  reste  de  l'hémisphère 
et  la  partie  interne  du  lobe  du  même  nom. 

En  somme,  la  face  interne  du  maki  à  front  noir  possède 
trois  sillons  et  une  scissure.  Les  premiers  divisent  cette  face 
en  six  plis  dont  la  surface  est  tout  à  fait  lisse;  ce  sont  :  deux 
plis  frontaux,  deux  temporaux  et  deux  pariétaux;  ces  der- 
niers se  confondent  vers  la  portion  externe  du  lobe  occipital. 
C'est  précisément  le  contraire  qu'on  constate  sur  la  lace 
interne  de  l'hémisphère.  En  effet,  on  y  voit  trois  scissures  et 
un  seul  sillon.  Les  trois  scissures,  dont  la  scissure  occipitale, 
calcarine  et  des  hippocampes;  le  sillon,  c'est  le  sillon  sous- 
frontal.  Néanmoins,  il  n'y  a  que  trois  plis  et  les  deux  lobules. 


448  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

Il  en  résulte  de  ce  fait,  que  le  plissement  de  l'écorce  céré- 
brale des  makis  inférieurs  est  très  simple,  tellement  simple 
qu'il  se  place  au-dessous  de  celui  que  nous  avons  vu  chez 
le  loris  grêle,  dont  le  poids  et  la  taille  étaient  si  faibles.  En  effet, 
chez  les  loris,  nous  avons  compté  trois  plis  du  lobe  frontal  : 
deux  primaires  et  un  secondaire.  Chez  les  makis  inférieurs, 
il  n'y  en  a  que  deux.  De  même,  nous  avons  vu  trois  plis  du 
lobe  temporal  chez  les  loris;  chez  les  makis,  nous  n'en  trou- 
vons que  deux  également.  Pour  finir,  nous  ajouterons  encore 
cette  remarque,  que  la  conformation  du  plissement  cérébral 
des  makis  inférieurs  s'élargit  à  la  partie  postérieure  du  lobe 
frontal  en  affectant  la  forme  d'une  demi-tète  de  flèche,  dont 
le  talon  serait  tourné  vers  la  corne  postérieure  du  cerveau.  Ce 
talon  n'est  que  le  prolongement  de  la  portion  supérieure  du 
lobe  pariétal  et  du  lobe  occipital. 

Le  pli  inférieur,  plus  uniforme  dans  ses  contours,  décrit 
une  anse  au-dessus  de  la  scissure  de  Sylvius  et  du  sillon  tem- 
poral. 

Ainsi,  nous  obtenons  deux  plis  longitudinaux,  se  dévelop- 
pant d'avant  en  arrière,  absolument  comme  les  plis  de  certains 
carnassiers.  Les  deux  plis  antéro-postérieurs  existent  chez  les 
grands  chéiroptères  et  les  autres  insectivores,  ainsi  que  chez 
certains  édentés,  notamment  chez  les  tatous.  Cependant,  par 
leur  conformation,  les  plis  des  makis  se  rapprocheront  da- 
vantage des  plis  desgenettes  et  des  vivéridés,  dont  ils  diffèrent 
seulement  par  le  nombre.  En  effet,  les  genettes  et  les  vivéri- 
dés possèdent  trois  plis  antéro-postérieurs.  Ces  trois  plis  sont 
produits  par  le  dédoublement  du  pli  supérieur  par  un  long 
sillon  longitudinal.  Mais,  nous  regardons  ce  sillon  comme  le 
sillon  secondaire  parce  qu'il  apparaît  assez  tardivement  après 
le  sillon  principal  proprement  dit. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  face  interne  do  l'hémisphère. 
La  conformation  du  sillon  sous-frontal,  le  mode  de  dévelop- 
pement se  retrouve  chez  un  singe  cébien  connu  sous  le  nom 
de  Moloch  (Callitrix),  avec  cette  différence  que  son  unique 
sillon   frontal    est    très   court   et    très  rapproché   du  bord 


TH.   CHUDZINSKI.    —  PLIS  CÉRÉBRAUX  DES  LÉMURIENS  449 

antérieur  de  l'hémisphère.  Seulement,  sur  la  face  interne  de 
l'hémisphère  du  Moloch,on  remarque  une  différence  capitale, 
car  son  lobule  cunéiforme  se  communique  par  un  large  p!i  de 
passage  superficiel  avec  la  portion  postérieure  du  pli  du 
corps  calleux. 

Par  ce  fait,  les  scissures  occipitale  et  calcarine  étant  sépa- 
rées l'une  de  l'autre  sont  parfaitement  indépendantes. 

D'après  les  faits  énoncés  plus  haut,  nous  sommes  autorisé 
à  poser  les  conclusions  suivantes  : 

En  raison  du  volume  et  du  développement  des  lobes  olfac- 
tifs, d'une  part;  de  la  direction  et  de  la  continuité  des  plis  de 
la  face  externe  du  cerveau,  ainsi  que  du  volume  des  lobes  de 
l'hippocampe,  d'autre  part,  les  plis  cérébraux  des  makis  pré- 
sentent un  état  intermédiaire  entre  le  plissement  des  cerveaux 
de  carnassiers  et  celui  des  singes.  En  effet,  si,  par  la  pensée, 
nous  prolongeons  le  sillon  frontal  jusqu'à  l'extrémité  anté- 
rieure, qui  est  toute  proche  du  sillon  pariétal,  nous  n'avons 
que  deux  plis  antéro-postérieurs  ;  et  ces  deux  plis  se  déve- 
loppent au-dessus  des  sommets  de  la  scissure  de  Sylvius  et 
du  sillon  temporal  en  parcourant  toute  la  longueur  de  l'hé- 
misphère. Le  pli  supérieur  est  déjà  tout  formé  dans  toute  sa 
longueur.  La  portion  antérieure  de  la  scissure  occipitale  et 
calcarine;  la  formation  du  lobulecarréet  du  lobule  cunéiforme, 
éloigne,  au  contraire,  les  lémuriens  inférieurs  de  tous  les 
autres  mammifères  quadrupèdes  et  les  rapprochedes  primates, 
c'est-à-dire  des  vrais  singes.  Et  même  la  conformation  du 
lobule  cunéiforme  place  les  loris  et  les  lémuriens  inférieurs 
au-dessus  des  anthropoïdes  et  les  range  à  côté  de  l'homme 
normal,  comme  nous  l'avons  déjà  dit  plus  haut. 

Après  avoir  longuement  insisté  sur  les  plis  des  lémuriens 
inférieurs,  il  est  temps,  à  présent,  de  s'occuper  de  quelques 
détails  de  perfectionnement  des  plis  cérébraux  des  lémuriens 
supérieurs. 

Chez  les  lémuriens  supérieurs,  le  cerveau  est  relativement 
plus  volumineux  et  ses  hémisphères  recouvrent  la  plus  grande 
partie  du  cervelet.  Cependant  la  portion  antérieure  du  cer- 


4S0  SÉANCE  DU  i  JUILLET   1893 

veau  est  plus  rétrécie  que  celle  du  loris  grêle  ;  de  sorte  que 
les  cornes  antérieures  du  cerveau,  au  lieu  d'être  arrondies, 
sont  un  peu  pointues.  Mais  en  revanche  les  lobes  olfactirs 
s'atrophient  à  un  tel  degré  qu'ils  se  réduisent  presque  aux 
dimensions  des  bandelettes,  improprement  nommées  nerfs 
olfactifs,  qui  sont  propres  aux  primates.  Par  la  suite  les  lobes 
hippocampes  s'atrophient  à  leur  tour  et  se  placent  sur  la  base 
de  l'encéphale.  Tous  ces  faits  indiquent  que  l'encéphale  des 
lémuriens  supérieurs  subit  une  évolution  progressive  en  s'a- 
vançant  vers  le  type  plus  élevé,  par  la  portion  instinctive  du 
cerveau  Alors  il  est  facile  à  prévoir  que  la  partie  intellec- 
tuelle évoluera  dans  le  même  sens,  et  c'est  ce  qui  arrive  effec- 
tivement . 

Tout  d'abord  les  hémisphères  du  cerveau  augmentent  de 
volume,  tandis  que  le  cervelet  reste  stationnaire  ;  ensuite  les 
sillons  de  la  surface  cérébrale  se  multiplient;  les  scissures 
deviennent  plus  profondes,  plus  flexueuses,  plus  ramifiées, 
et  c'est  ce  qui  rend  la  surface  de  l'hémisphère  plus  tourmentée. 

Nous  allons  passer  en  revue  toutes  ces  particularités. 

L'agrandissement  des  hémisphères  se  fait  sentir  surtout 
dans  leur  portion  postérieure;  c'est  pourquoi  le  cervelet  est 
recouvert  en  majeure  partie,  et  les  lobes  hippocampes,  déjà 
diminués,  sont  refoulés  vers  la  base  de  l'encéphale.  Et  comme 
les  lobes  olfactifs  sont  beaucoup  amoindris,  eux  aussi,  il  en 
résulte  que  les  extrémités  libres  des  lobes  hippocampes  se 
rapprochent  et  ne  sont  séparés  l'un  de  l'autre  que  par  le  tu- 
bercule cendré. 

Dans  tous  les  cas,  en  posant  sur  la  table  l'encéphale  d'un 
lndri,  par  exemple,  on  n'aperçoit  plus  les  lobes  hippocampes. 

Nous  avons  déjà  remarqué,  à  propos  du  cerveau  du  maki 
à  front  noir,  que  les  sillons  et  les  scissures  étaient  rectilignes 
ou  très  peu  fiexueux.  Chez  les  lémuriens  supérieurs  les  scis- 
sures et  sillons  non  seulement  sont  ondulés,  mais  aussi  sont 
ramifiés  :  ainsi  chez  le  propithécus  diadema  on  remarque,  tout 
d'abord,  que  le  plissement  de  son  écorce  cérébrale  est  asymé- 
trique, c'est-à-dire  qu'il  varie  d'un  hémisphère  à  l'autre. 


TH.   CHUDZINSKI.  —  PLIS  CÉRÉBRAUX  DIiS  LÉMURIENS  451 

In  fait  pareil  r>e  s'observe  que  chez  les  mammifères  les 
plus  supérieurs  ou  sur  les  animaux  domestiques,  comme,  par 
exemple,  chez  les  chiens. 

La  scissure  de  Sylvius  du  propithecus  diadema1,  par  le  fait 
même  de  l'agrandissement  de  ses  hémisphères,  devient  très 
longue  et  se  porte  en  haut  et  arrière,  en  décrivant  une  courbe 
très  régulière  et  très  étendue.  La  partie  supérieure  de  cette 
courbe  s'incline  tellement  en  arrière  qu'elle  devient  parallèle 
ou,  mieux  encore,  concentrique  au  bord  supérieur  de  l'hémis- 
phère. En  outre,  l'extrémité  supérieure  de  la  scissure  de  Syl- 
vius s'avance  vers  le  sillon  pariétal. 

Nous  avons  dit  que  la  scissure  de  Sylvius  décrit  une  courbe 
régulière;  cela  est  vrai  seulement  pour  l'hémisphère  gauche, 
car  sur  l'hémisphère  droit  la  scissure  de  Sylvius  présente 
quelques  brisures  et  son  extrémité  supérieure  est  bifurquée. 

Dans  son  parcours  la  scissure  de  Sylvius  est,  en  effet,  bri- 
sée deux  fois  et  au  niveau  de  la  première  brisure  on  voit  une 
petite  ramification  très  courte. 

Les  deux  bifurcations  de  la  scissure  de  Sylvius  s'enfoncent 
dans  le  lobe  pariétal. 

La  scissure  de  Sylvius,  dans  les  espèces  précédentes,  divise 
l'hémisphère  en  deux  portions  presque  égales.  La  portion  an- 
térieure est  aussi  composée  de  deux  lobes  :  du  frontal  et  du 
pariétal.  Ces  deux  lobes  forment  une  large  surface  qui  est 
parcourue  par  deux  sillons  à  droite  et  par  trois  sur  l'hémis- 
phère gauche. 

Le  premier  de  ces  sillons  est  longitudinal  et  sa  direction 
est  antéro-poslérieure  ;  il  est  flexueux  et  bifurqué  dans  son 
extrémité  antérieure.  L'extrémité  postérieure  de  ce  sillon  est 
simple  sur  l'hémisphère  gauche  et  bifurquée  sur  le  droit.  Le 
même  sillon  de  l'hémisphère  gauche  se  dirige  vers  un  autre 
sillon  oblique  qui  se  trouve  au-dessus  de  la  scissure  de  Syl- 
vius et  du  premier  sillon  temporal.  Est-ce  le  sillon  pariétal? 
Nous  penchons  pour  l'affirmative.  A  droite,   il  n'y  a  qu'un 

i  Nous  décrivons  les  scissures  et  les  sillons  des  lémuriens  supé- 
rieurs d'après  les  dessins  de  .M.  Alphonse  Milne-Edwards. 


432  SÉANCE  DU  1  JUILLET  1895 

seul  sillon  antéro-postérieur,  ses  deux  extrémités  sont  bifides. 
Dans  son  trajet,  ce  sillon  présente  une  brisure  qui  marque 
probablement  la  jonction  de  deux  sillons  :  frontal  et  pariétal. 

Ces  deux  sillons  sont  nettement  séparés  par  une  distance 
de  trois  millimètres  environ  sur  l'hémisphère  droit.  Mais  le 
vrai  sillon  frontal  ou  sillon  principal  est  situé  plus  bas.  Il 
commence  au  niveau  de  la  corne  antérieure  de  l'hémisphère 
et  se  porte  en  arrière  en  décrivant  une  courbe  concentrique 
au  bord  supérieur  de  celle-ci;  près  de  son  extrémité  posté- 
rieure, il  s'en  détache  un  petit  rameau  ascendant  en  forme 
d'un  S  italique.  Ce  rameau  marche  à  la  rencontre  de  l'extré- 
mité antérieure  du  sillon  frontal  supérieur. 

En  outre,  on  aperçoit,  dans  la  région  sus-orbitaire  de  l'hé- 
misphère, deux  incisures  longitudinales  dont  les  deux  extré- 
mités sont  bifides.  Ces  deux  sillons  sus-orbitaires  sont  la 
continuation  de  deux  sillons  de  la  face  externe  du  cerveau. 

Les  deux  sillons  du  lobe  temporal  du  propithécus  diadema 
séparent  par  conséquent  trois  plis  du  lobe  frontal.  En  réalité, 
il  n'y  a  que  deux  plis  principaux,  absolument  comme  chez 
les  makis  inférieurs;  car  le  sillon  supérieur  du  lobe  frontal 
n'indique  que  la  division  du  pli  frontal  supérieur  en  deux  plis 
secondaires. 

A  l'appui  de  notre  manière  de  voir,  nous  rappellerons  ce 
fait,  que  chez  un  très  jeune  propithécus  diadema  on  ne  voit 
que  ce  sillon  sur  le  lobe  frontal,  et  par  conséquent  il  n'y  a 
que  deux  plis  frontaux  primitifs;  et  nous  sommes  d'autant 
plus  convaincu  de  la  vérité  de  notre  jugement,  que  chez  tous 
les  singes  inférieurs  ce  sillon  est  constant,  les  autres  n'étant 
que  des  détails  de  perfectionnement. 

Le  lobe  temporal  du  propithécus  diadema  est  excessive- 
ment large.  Ses  contours  sont  encore  plus  accentués  par  la 
profondeur  de  la  scissure  de  Sylvius.  Le  lobe  temporal  est 
creusé  par  des  incisures  multiples,  mais  on  y  aperçoit  des 
sillons  continus.  Ces  incisures  se  superposent  les  unes  au- 
dessus  des  autres,  et  voici  de  quelle  manière. 

Immédiatement  en  arrière  de  la  scissure  de  Sylvius,   on 


TH.  CHUDZINSKI.  —  PLIS  CÉRÉBRAUX   DES  LÉMURIENS  453 

remarque  deux  incisures;  l'incisure  supérieure  commence 
par  une  extrémité  bifurquée  en  forme  d'un  y,  puis  elle  se 
prolonge  en  bas  en  suivant  une  direction  parallèle  à  la  scis- 
sure deSylvius  et  se  bifurque  de  nouveau.  Un  peu  au-des- 
sous de  cette  incisure  on  en  voit  une  autre,  dont  la  direction 
est  oblique  en  bas  et  en  avant.  Ces  deux  incisures  forment  te 
premier  sillon  temporal  ou  les  sillons  parallèles  de  Gratiolet. 

En  arrière  du  premier  sillon  temporal  on  remarque  égale- 
ment deux  autres  incisures;  l'incisure  supérieure  est  courte  et 
bifurquée  à  son  extrémité  supérieure;  l'incisure  inférieure 
est  très  oblique  et  se  présente  sous  la  forme  de  l'impression 
que  produirait  un  ongle  sur  une  sur  face  un  peu  molle.  Ces 
deux  incisures  forment  le  deuxième  sillon  temporal.  En  arrière 
de  l'incisure  du  second  sillon  temporal  et  déjà  dans  la  région 
occipitale,  on  voit  encore  une  très  petite  incisure  rectiligne 
ayant  la  forme  d'un  trait  vertical.  Enfin,  entre  le  premier  et 
le  second  sillon  temporal,  on  trouve  encore  une  autre  petite 
incisure. 

Les  deux  sillons  temporaux  que  nous  venons  de  décrire, 
divisent  le  lobe  temporal  en  trois  plis  d'inégale  largeur.  Ces 
plis  temporaux  en  raison  même  des  interruptions  formées  par 
les  sillons  des  lobes  communiquent  entre  eux  par  des  plis 
anastomotiques. 

Le  premier  pli  frontal  du  propitbécus  diadema  est  le  moins 
large  et  c'est  lui  qui  forme  la  lèvre  postérieure  de  la  scissure 
de  Sylvius. 

Le  deuxième  et  le  troisième  pli  frontal  ont  une  tendance  à 
une  division  en  plis  secondaires  et  cette  tentative  est  marquée 
par  deux  petites  incisures  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 

Le  lobe  pariétal  est  tellement  confondu  avec  les  lobes  voi- 
sins et  surtout  avec  le  lobe  frontal,  qu'il  est  difficile  de  lui 
assigner  des  limites  exactes.  Cette  difficulté  s'accroît  encore, 
par  suite  des  anastomoses  et  de  la  fusion  de  ces  lobes,  et 
quelquefois  aussi,  par  l'absence  même  du  sillon  pariétal. 

Cependant  sur  l'hémisphère  gauche  du  cerveau  du  pro- 
pithôque  diadema,  nous  apercevons  un  petit  trait  contourné 


454  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

et  très  obliquement  dirigé  en  arrière  et  en  dehors.  Cette  in- 
cisure  passe  au-dessus  des  extrémités  supérieures  de  la  scissure 
de  Sylvius  et  du  premier  sillon  temporal.  Ce  sillon  est  incon- 
testablement le  sillon  pariétal.  Il  faut  remarquer  qu'il  est 
absolument  indépendant  des  autres  sillons.  Naturellement  le 
sillon  pariétal  sépare  deux  plis  de  la  région  du  même  nom. 

Le  premier  de  ces  plis  se  présente  sous  la  forme  d'un  trian- 
gle, fort  irrégulier  dont  le  sommet  tronqué  se  fusionne  avec  le 
premier  pli  frontal,  lequel  se  prolonge  vers  la  partie  posté- 
rieure de  l'hémisphère.  La  base  de  ce  triangle  est  très  large; 
elle  se  confond  avec  le  lobe  occipital. 

Dans  la  région  occipitale  on  voit  trois  incisures,  dont  la 
direction  est  perpendiculaire  au  bord  supérieur  de  l'hémis- 
phère. Sur  l'hémisphère  gauche  il  y  a  quatre  incisures  pareil- 
les, elles  sont  parallèles  entre  elles.  Sur  l'hémisphère  droit 
du  dessin,  la  plus  antérieure  de  ces  incisures,  marche  à  la 
rencontre  de  la  scissure  de  Sylvius,  en  touchent  presque  sa 
ramification  postérieure. 

L'extrémité  interne  de  la  même  scissure,  coupe  le  bord 
supérieur  de  l'hémisphère  correspondant. 

Nous  avons  vu  précédemment  que  la  scissure  de  Sylvius 
du  Suimiri  et  du  hurleur,  se  prolonge,  non  seulement  jus- 
qu'au bord  supérieur  de  l'hémisphère,  mais  empiète  même 
sur  la  portion  de  la  face  interne  de  celui-ci.  Comme  une  des 
incisures  que  nous  venons  de  décrire  correpond  parfaitement 
à  l'extrémité  de  la  scissure  sylvienne,  il  est  possible  que  l'on 
voit  une  tendance  pareille  chez  noire  propithôque  diadema, 
quoique  très  imparfaite. 

Toujours  sur  cet  hémisphère  droit  et  en  arrière  de  la  pré- 
cédente incisure,  on  en  rencontre  une  nouvelle,  plus  courte, 
mais  plus  prrofonde.  Celle  incisure  entame  nettement  le  bord 
supérieur  de  l'hémisphère  et  passe  avec  toute  probabilité  sur 
sa  face  interne.  En  arrière  de  la  deuxième  incisure  on  en 
trouve  aussi  une  troisième,  dont  la  direction  est  également 
transversale  ;  elle  descend  vers  la  portion  supérieure  du  lobe 
temporal. 


TH.  CHUDZ1NSKI.   —  PLIS  CÉRÉBRAUX  DES  LÉMURIENS  455 

Sur  l'hémisphère  gauche  nous  retrouvons  les  mêmes  scissu- 
res ;  seulement  leur  nombre  est  augmenté,  car  on  en  compte 
quatre,  comme  nous  l'avons  déjà  mentionné  plus  haut. 

Il  résulte  de  la  direction  et  du  nombre  de  ces  incisures  que 
la  partie  externe  et  postérieure  de  l'hémisphère  cérébral  du 
diadema  est  composée  de  quatre  ou  cinq  plis  transversaux, 
lesquels  semblent  continuer  les  plis  du  lobe  temporal.  On 
dirait  que  ces  plis  transversaux  de  la  région  occipitale  du  pru- 
pithéque  ne  sont  que  la  réapparition  simple  des  plis  du  lobe 
temporal.  Une  pareille  conformation,,  mais  très  complète,  se 
voit  chez  les  échidnés,  chez  certains  rongeurs  (castor)  et  aussi 
chez  certains  carnassiers. 

Maintenant,  si  on  compare  les  plis  du  fœtus  à  terme  des  pro- 
pithécus  diadema  avec  ceux  de  l'individu  adulte,  on  n'est  pas 
étonné  de  voir  que  les  plis  du  premier  reproduisent,  tout 
simplement,  les  plis  analogues  des  individus  adultes  des 
lémuriens  inférieurs.  Ainsi,  le  lobe  frontal,  chez  le  fœtus  du 
diadema,  n'a  qu'un  seul  sillon  frontal  inférieur;  le  lobe  tem- 
poral n'en  a  pas  d'avantage;  seulement  son  extrémité  anté- 
rieure est  bifide.  Mais  le  sillon  pariétal  apparaît  avec  netteté; 
en  outre  il  est  parfaitement  indépendant  et  son  extrémité  an- 
térieure est  aussi  bifurquée. 

En  arrière  de  ce  sillon,  et  toujours  chez  le  fœtus,  on  voit 
un  sillon,  perpendiculaire  au  bord  supérieur  de  l'hémisphère, 
qui  semble  se  continuer  sur  la  face  interne  de  celui-ci.  Ce 
nouveau  sillon  doit  être  regardé  comme  le  rudiment  de  la 
portion  externe  de  la  scissure  occipitale;  mais  nous  ne  pou- 
vons pas  l'affirmer  avec  toute  certitude. 

Enfin  sur  le  lobe  occipital  il  y  a  une  petite  incisure,  et  c'est 
tout. 

La  face  interne  de  l'hémisphère  cérébral  du  prupithécus 
diadema  serait  très  facile  à  décrire  si  nous  avions  un  guide 
sûr,  c'est-à-dire  si  nous  avions  la  reproduction  de  la  face 
interne  de  l'hémisphère  du  fœtus  de  ce  prosimien.  Nous  le 
regrettons,  d'autant  plus  que  le  détail  du  dessin  de  la  face 
interne  de  l'indidu  adulte  présente  suivant  nous,  certaines  in- 


456  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

corections  dues   à   l'interprétation  erronée   du  dessinateur. 

En  effet,  d'après  ce  dessin,  la  face  interne  du  propithécus 
diadema  qui  est  un  prosimien  bien  supérieur  aux  autres 
lémuriens,  serait  ravalée  au  rang  des  simples  quadrupèdes 
inférieurs,  comme  les  rongeurs,  herbivores  et  carnassiers. 

Chez  le  loris  grêle,  et  surtout  chez  le  lémur  nigrifrons,  nous 
avons  vu  que  le  sillon  sous-frontal  est  plus  court  que  chez  les 
mammifères  quadrupèdes;  il  a  même  son  extrémité  posté- 
rieure relevée  et  dirigée  vers  le  bord  supérieur  de  l'hémis- 
phère. A  ce  propos,  nous  avons  fait  la  remarque  qu'une 
pareille  disposition  prouve  la  tendance  de  ce  sillon  à  attein- 
dre la  face  externe  de  l'hémisphère,  ce  qui  est  un  fait  habituai 
chez  les  vrais  singes. 

Chez  le  diadema,  nous  voyons  tout  le  contraire.  Son  sillon 
sous-frontal  commence  au  niveau  de  la  corne  antérieure  du 
cerveau  par  une  extrémité  bifurquée  ;  ensuite  il  décrit  une 
longue  courbe  concentrique  au  bord  supérieur  d'hémisphère, 
parcourt  la  plus  grande  partie  de  sa  longueur,  et  se  jette 
définitivement  dans  la  scissure  occipitale. 

Cette  conformation  du  sillon  sous-frontal  est  absolument 
identique  à  celle  des  mammifères  franchement  quadrupèdes; 
en  d'autres  termes,  le  sillon  sous-frontal  du  propithécus 
diadema  représente  la  partie  supérieure  de  la  grande  scissure 
limbique  des  quadrupèdes,  si  bien  décrite  par  notre  illustre 
maître  Paul  Broca.  Et  même  cette  conformation  de  la  face 
interne  du  propithécus,  reproduit  avec  exactitude  le  con- 
tour de  la  partie  supérieure  de  la  scissure  limbique  des  ani- 
maux précités. 

Cependant,  et  comme  pour  lever  nos  doutes,  nous  voyons 
chez  un  autre  prosimien  nommé  avahi,  se  produire  le  même 
fait  ainsi  que  chez  l'indri  adulte,  comme  nous  le  verrons 
un  peu  plus  bas. 

Pourtant,  à  notre  grand  regret,  nous  ne  pouvons  pas 
contrôler  ces  faits  importants  sur  les  cerveaux  même  des 
lémuriens  en  question,  car,  nous  le  répétons  encore  une  fois, 


TH.   GHUDZINSKI.    —  PLIS  CEREBRAUX   DES  LEMURIENS  4.U 

les  seuls  documents  que  nous  avions  n'étaient  que  des  des- 
sins. 

Sur  la  face  interne  de  l'hémisphère,  nous  trouvons  les  trois 
scissures  ordinaires  de  cette  face. 

Les  deux  scissures,  occipitale  et  calcarine.,  commencent 
par  une  extrémité  bifide,  près  du  bord  supérieur  de  l'hémis- 
phère, et  tout  près  du  bord  inférieur  de  l'hémisphère  on  voit 
encore  une  incisure  oblique  qui  entame  le  troisième  pli  tem- 
poral. Gomme  chez  les  autres  lémuriens,  les  scissures  occipi- 
tale et  calcarine  communiquent  entre  elles  et  aussi  avec  la 
scissure  des  hippocampes;  c'est  ce  qui  rend  le  sommet  du 
lobule  cunéiforme  absolument  libre.  La  portion  du  pli  frontal 
qui  se  replie  sur  la  face  interne  de  l'hémisphère  a  son  bord 
inférieur  très  irrégulier,  à  cause  des  sinuosités  du  sillon  sous- 
frontal. 

En  outre,  dans  le  tiers  antérieur  de  ce  pli,  on  voit  une 
incisure  longitudinale  tout  près  du  sillon  sous-frontal.  La 
portion  interne  du  pli  frontal  supérieur  s'élargit  à  ses  deux 
extrémités  et  notamment  à  son  extrémité  postérieure.  A  cet 
endroit,  elle  est  marquée  par  une  nouvelle  incisure  qui  tra- 
verse presque  toute  sa  hauteur,  parallèlement  à  la  scissure 
occipitale.  La  partie  moyenne  de  la  portion  interne  du  pre- 
mier pli  frontal  est  relativement  étroite. 

Le  pli  du  corps  calleux,  se  présente  sous  la  forme  d'une 
bande  de  substance  grise,  qui  est  étroite  dans  la  majeure 
partie  de  son  trajet.  Seule  son  extrémité  postérieure  s'élargit 
notablement.  Le  bord  supérieur  de  ce  pli  est  un  peu  crèté,  à 
cause  des  irrégularités  du  sillon  sous-frontal,  mais  sa  surface 
est  complètement  lisse. 

Gomme  conséquence  de  la  continuité  du  sillon  sous-frontal 
avec  la  scissure  occipitale  et  celle  des  hippocampes,  il  résulte 
que  le  lobule  carré  est  absent;  cependant  près  de  l'extrémité 
postérieure  du  pli  pariéto-frontal,  on  voit  une  petite  encoche 
qui  semble  marquer  la  limite  antérieure  du  lobe  carré.  Dans 
ce  cas,  la  scissure  perpendiculaire  qu'on  y  remarque,  divisera 
ce  rudiment  du  lobule  carré  en  deux  plis  ascendants. 

T.  VI    (4e   SÉRIE).  30 


4;j8  SÉANCE  DU  A  JUILLET  4895 

L'absence,  ou  malformation  du  lobule  carré  est  d'autant 
plus  étrange  que  le  même  lobule  est  très  nettement  accusé 
chez  le  loris  grêle  et  chez  les  lémuriens  inférieurs. 

On  sait  que  le  lobule  carré  des  primates  est  généralement 
formé  par  la  portion  élargie  de  l'extrémité  du  corps  calleux, 
ou  plus  exactement  :  le  lobule  carré  n'est  qu'un  pli  de  passage 
entre  le  lobe  pariétal  et  la  partie  supérieure  du  lobe  limbique,  c'est- 
à-dire  de  la  portion  postérieure  de  la  circonvolution  du  corps 
calleux. 

Le  lobule  cunéiforme  est  très  long;  ses  bords  sont  irrégu- 
liers et  sa  direction  est  presque  horizontale,  Le  sommet  du 
lobule  carré  est  reçu  dans  le  confluent  des  trois  scissures  : 
occipitale,  calcarine  et  des  hippocampes. 

Essayons,  maintenant,  de  tirer  des  conclusions  de  tous  les 
faits  que  nous  avons  observés.  Mais  auparavant,  jetons  encore 
un  coup  d'oeil  sur  les  dessins.  Ce  qui  frappe  et  fixe  le  plus 
notre  attention,  c'est  le  plissement,  si  simple,  du  fœtus  du 
propithécus  diadema. 

Ses  plis  cérébraux  sont  très  accusés,  et  pourtant  il  n'y  a 
qu'un  seul  sillon  frontal,  un  autre  pour  le  lobe  pariétal  et  une 
petite  incisure  pour  le  lobe  occipital.  Tous  ces  sillons  sont 
rectilignes  et  sont  séparés  par  la  scissure  de  Sylvius. 

Cette  dernière  et  le  sillon  qu'elle  sépare,  établissent  des 
limites  précises  aux  lobes  cérébraux.  Par  conséquent,  les  plis 
fœtaux  du  prosimien  diadema  ne  diffèrent  en  aucune  façon 
des  mêmes  plis  des  lémuriens  adultes  des  espèces  inférieures, 
et  se  rapprochentde  la  conformation  des  mammifères  franche- 
ment quadrupèdes. 

Chez  l'adulte,  ce  rapprochement  est  accentué  encore  par 
la  continuité  du  sillon  frontal  et  de  la  scissure  des  hippocam- 
pes, avec  laquelle  ce  sillon  forme  une  véritable  scissure  lim- 
bique des  quadrupèdes.  En  second  lieu,  cette  ressemblance 
s'accentue  davantage  par  l'absence  du  lobule  carré.  Mais  le 
diadema  se  rappoche  des  primates  par  son  lobule  cunéiforme, 
et  se  place  même  au-dessus  des  singes  par  la  conformation 
et  l'indépendance  de  ce  même  lobule. 


TH.  CHUDZINSKI.  —  PLIS  CÉRÉBRAUX  DES  LÉMURIENS  439 

En  somme,  chez  le  propithécus  diadena,  les  limites  des 
lobes  cérébraux  sont  vagues;  car  par  la  direction  des  sillons  et 
des  plis  qui  en  résultent,  il  ne  diffère  pas  beaucoup  de  cer- 
tains rongeurs  et  surtout  des  carnassiers;  mais,  parles  autres 
caractères,  il  se  rapproche  des  singes  et  même  de  l'homme 
(lobule  cunéiforme). 

Le  lémurien  indri  forme  le  groupe  de  lémuriens  placé  à 
leur  tète  par  ses  caractères  zoologiques.  Son  cerveau,  tout 
en  présentant  une  surface  moins  compliquée  que  celle  du 
diadema,  est  néanmoins  supérieur  à  celui-ci. 

Le  cerveau  de  l'indri  est  moins  supérieur  par  son  volume 
que  par  la  netteté  de  ses  scissures  et  de  ses  sillons  et  l'ap- 
parition d'une  nouvelle  fente  cérébrale,  dont  nous  allons  par- 
ler a  l'instant. 

Certainement,  si  l'on  s'en  rapporte  seulement  à  la  forme 
du  cerveau  de  ce  prosimien,  qui  est  plus  rétrécie  en  avant, 
ou  si  l'on  considère  l'allongement  de  ses  lobes  olfactifs,  il 
cédera  la  place  au  propithécus  diadema. 

Mais,  en  revanche,  par  le  développement  de  ses  hémis- 
phères cérébraux  qui  recouvrent  un  espace  plus  considérable 
de  la  face  supérieure  du  cervelet,  par  le  volume  et  le  refou- 
lement vers  la  base  du  cerveau  des  lobes  hippocampes,  il  est 
égal  au  propithécus  diadema. 

Voyons  maintenant  en  quoi  consiste  la  supériorité  de  plis- 
sement du  cerveau  de  l'indri. 

Nous  avons  dit  que  les  scissures  et  les  sillons  étaient  plus 
accentués  chez  l'indri,  et  cela  est  parfaitement  exact;  seule- 
ment l'interprétatton  de  ces  sillons  n'est  pas  trop  aisée,  à 
cause  des  détails  mixtes  et  hésitants  qui  oscillent  entre  ceux 
des  carnassiers  et  des  singes. 

Comme  chez  les  lémuriens  précédents,  la  scissure  de  Syl- 
vius  de  l'indri  est  très  longue. 

Elle  se  porte  obliquement  en  arrière,  et  dépasse  la  moitié 
antérieure  de  l'hémisphère  cérébral. 

Dans  son  trajet,  cette  scissure  forme  une  ou  deux  indexions, 
lesquelles,  du  reste,  n'ont  pas  une  grande  importance.  La  por- 


460 


SEANCE  DU  4  JUILLET  1895 


tion  de  l'hémisphère  située  au-devant  de  cette  scissure  est  divi- 
sée en  plis  par  deux  sillons.  L'un  de  ces  sillons  occupe  la 
partie  antérieure  du  lobe  frontal.  Il  est  oblique  et  sa  direction 
est  antéro-postérieure.  Ce  premier  sillon  est  suivi  par  un 
autre  dont  la  direction  est  la  même.  Ce  second  sillon,  ou  plutôt 
cette  incisure,  se  place  au-dessus  et  en  arrière  du  sillon  pré- 
cédent. Tous  les  deux  forment  un  sillon  unique  sur  l'hémis- 
phère droit.  C'est  le  seul  sillon  frontal.  En  arrière,  apparaît 
un  autre  sillon,  long  et  flexueux,  dont  la  direction  est  trans- 
versale par  rapport  à  Taxe  de  l'hémisphère;  par  conséquent, 
ce  sillon  est  parallèle  à  la  scissure  de  Sylvius.  Il  commence 
par  une  extrémité  bifurquée,  et  la  branche  de  cette  bifurca- 
tion est  assez  longue. 


Fig.  7.  —  Indri,  face  supérieure. 


Ce  nouveau  sillon  du  lobe  frontal  de  l'Indri  rappelle  exac- 
tement la  scissure  de  Rolando  des  primates;  et  c'est  effective- 
ment cette  scissure  qui  apparaît  nettement  et  pour  la  première 
fois  chez  les  lémuriens. 

Ainsi  le  lobe  frontal  de  l'Indri  possède  un  sillon  frontal  et 


TH.   CHUDZINSKI. 


PLIS  CKRKURAUX  DES  LEMURIENS 


461 


une  scissure  transversale  :  le  sillon  et  la  scissure  divisent  ce 
lobe  en  trois  plis*  frontaux  :  deux  antéro-postérieurs  et  un 
transversalement  ascendant,  absolument  comme  chez  les 
cébiens  supérieurs  et  ches  les  singes  pithéciens. 

Le  lobe  temporal  de  l'indri  est  très  large,  mais  il  n'a  qu'un 
seul  sillon  en  forme  de  parenthèse;  il  est  parallèle  kla  scissure 
de  Sylvius  et  limite  deux  plis  temporaux  très  larges  et  parfai- 
tement lisses. 


H 


Fig.  8  ot  9 
Indri.  —  8.  Face  externe.  —  9.  Face  interne. 


En  arrière  de  la  scissure  de  Ilolando  se  trouve  un  sillon 
longitudinal  antéro-postérieur  dont  le  trajet  est  un  peu  obli- 
que de  dedans  en  dehors. 

C'est  le  sillon  pariétal.  Il  divise  le  lobe  pariétal  en  deux 


462  SÉANCE  DU  4  JUILLET   18'Jo 

plis,  dont  le  supérieur  continue  sans  interruption  le  premier 
pli  frontal  et  finit  près  du  sillon  transversal  que  nous  décri- 
rons tout  à  l'heure. 

Le  second  pli  pariétal,  ou  pli  pariétal  inférieur,  s'étend 
directement  au-dessus  de  la  scissure  de  Sylvius  et  du  sillon 
temporal,  sans  décrire  aucune  courbe;  il  se  continue  aussi  et 
sans  interruption  avec  le  second  pli  frontal.  Cette  conforma- 
tion du  deuxième  pli  pariétal  est  propre  seulement  à  l'hémis- 
phère gauche,  car  à  droite  le  second  pli  pariétal  est  séparé 
du  deuxième  pli  frontal  par  la  scissure  de  Rolando  qui  est 
très  longue. 

Tout  à  fait  en  arrière  et  près  du  bord  postérieur  de  l'hémis- 
phère on  voit  un  sillon  assez  long  et  dont  la  direction  est  ver- 
ticale au  bord  supérieur  de  l'hémisphère.  Suivant  notre  avis, 
ce  sillon  transversal  est  analogue  à  la  portion  externe  de  la 
scissure  occipitale  des  singes.  Dans  tous  les  cas,  ce  sillon 
limite  une  surface  très  étroite  qui  borde  le  contour  du  bord 
postérieur  de  l'hémisphère. 

La  face  interne  de  l'hémisphère  cérébral  de  l'Indri  est  d'une 
d'une  grande  simplicité.  On  y  voit,  d'abord,  un  très  long  sil- 
lon recourbé  et  à  peu  près  concentrique  au  bord  supérieur  de 
l'hémisphère.  Ce  sillon  forme  une  courbe  très  régulière  qui 
n'a  aucune  inflexion  ni  brisure.  Ce  sillon  parcourt  toute  la 
longueur  de  l'hémisphère;  il  aboutit,  en  bas  et  en  arrière,  à 
la  scissure  des  hippocampes. 

Il  en  résulte  que  le  lobule  carré  est  non  seulement  absent, 
mais  qu'on  n'en  trouve  pas  la  moindre  trace.  On  a  déjà 
deviné  facilement  que  le  sillon  en  question  est  le  sillon  sous- 
frontal. 

Ce  sillon  sous-frontal  de  l'Indri  est  remarquable  à  plusieurs 
titres.  D'abord,  par  son  étendue,  ensuite  par  ses  deux  rameaux 
ascendants,  puis  par  son  analogie  parfaite  avec  le  sillon 
pareil  des  mammifères  franchement  quadrupèdes.  Ce  sillon 
forme  la  partie  supérieure  de  la  grande  scissure  limbique  de 
Broca . 

Nous  venons  de  mentionner  les  deux  rameaux  ascendants 


TH.  CHUDZINSKI.    —  PLIS  CÉRÉBRAUX  DES  LÉMURIENS  463 

du  sillon  sous-frontal  de  PIndri.  Ces  deux  rameaux  sont  très 
importants  car  ils  représentent  les  deux  scissures  occipitale 
et  calcarine.  Le  plus  antérieur  de  ces  rameaux  est  la  scissure 
occipitale,  et  le  postérieur  est  la  scissure  calcarine.  L'une  et 
l'autre  aboutissent,  par  l'intermédiaire  du  sillon  sous-frontal, 
à  la  scissure  des  hippocampes;  seulement  les  embouchures  de 
ces  deux  scissures  sont  séparées  l'une  de  l'autre  par  un  inter- 
valle de  cinq  à  sept  millimètres  à  peu  près. 

Le  sillon  sous-frontal  et  les  deux  scissures,  sont  d'une  rare 
simplicité  dans  leur  contour.  Les  plis  cérébraux  qui  en  résul- 
tent out  leurs  bords  très  réguliers  et  leur  surface  est  parfaite- 
ment lisse. 

Nous  avons  déjà  dit  que  le  lobule  carré  était  absent;  seule- 
ment, en  cet  endroit,  il  se  produit  un  élargissement  du  pli 
pariétal. 

Le  lobule  cunéiforme  est  très  bien  limité  par  les  scissures 
occipitale  et  calcarine,  mais  il  est  relativement  court. Sa  forme 
diffère  un  peu  de  celle  du  cunéus  des  autres  lémuriens.  Cela 
est  très  naturel.  En  effet  chez  les  lémuriens  précédents,  la 
scissure  occipitale  et  la  calcarine  s'étendent  jusqu'à  la  scis- 
sure des  hippocampes;  chez  PIndri,  ces  trois  scissures 
sont  éloignées  les  unes  des  autres,  et  comme  les  scissures 
occipitale  et  calcarine  sont  séparées  par  une  certaine  distance, 
il  en  résulte  que  le  sommet  du  lobule  cunéiforme  est  comme 
tronqué  et,  par  conséquent,  raccourci  dans  sa  longueur. 

En  résumé,  le  cerveau  de  PIndri  n'a  que  deux  plis  frontaux 
anléro-postérieurs,  plus  un  pli  frontal  transversal  ou  pli  fron- 
tal ascendant,  qui  est  un  véritable  pli  des  primates.  Par  con- 
séquent, il  y  a  autant  de  plis  dans  le  lobe  pariétal;  deux 
antéro-postérieurs  et  un  transversal  qui  est,  en  vérité,  encore 
rudimentaire. 

Le  lobe  occipital  a  deux  plis,  dont  la  direction  est  transver- 
sale. Ces  plis  sont  très  étroits. 

Le  lobe  temporal  n'a  aussi  que  deux  plis,  plus  une  ébauche 
du  troisième. 

Tous  ces  plis  de  PIndri  adulte  se  retrouvent  chez  son  fœtus 


464  SÉANCE  DU    i  JUILLET   1895 

à  terme,  y  compris  la  scissure  de  Itolando  et  par  conséquent 
le  pli  frontal  ascendant.  Seulement,  les  scissures  et  les  sillons 
sont  plus  simples. 

Nous  avons  donné  des  conclusions  après  l'étude  des  plis  pro- 
pres à  chacune  des  espèces  de  lémuriens.  Il  nous  reste,  main- 
tenant à  ajouter  encore  quelques  mots  qui  résumeront  les  con- 
clusions précédentes. 

Auparavant,  nous  demandons  la  permission  de  répondre  à 
quelques  objections  qu'on  pourrait  nous  adresser. 

On  nous  objectera,  par  exemple,  que  l'étude  des  plis  céré- 
braux des  lémuriens  est  du  domaine  de  la  zoologie  générale. 
A  cela,  nous  opposons  cette  simple  observation,  que  tous 
les  faits  de  la  zoologie  éclairent  singulièrement  l'anatomie 
et  la  physiologie  de  l'espèce  humaine.  Sans  ces  faits,  on 
ne  pourrait  jamais  expliquer  certaines  conformations. 

C'est  pourquoi  nous  nous  sommes  adressé  à  la  Société 
d'Anthropologie,  et  cela,  pour  les  raisons  suivantes  qui  ser- 
viront de  conclusions  générales  à  notre  étude  des  plis  céré- 
braux des  lémuriens. 

Nous  constatons,  tout  d'abord,  que  les  plis  cérébraux  des 
lémuriens  représentent  un  état  intermédiaire  entre  les  plis  des 
carnassiers  et  les  plis  des  primates,  y  compris  l'homme  lui- 
même.  Ces  plis  se  rapprochent  de  ceux  des  primates  par  cer- 
tains détails  et  notamment  par  l'apparition  de  la  scissure  de 
Rolando,  par  le  lobule  cunéiforme.  Par  leur  conformation, 
les  plis  cérébraux  des  lémuriens  aident  donc  à  la  compréhen- 
sion des  plis  cérébraux  des  anthropoïdes  et,  à  plus  forte  rai- 
son, des  plis  du  cerveau  de  l'homme. 

Le  plissement  de  l'écorce  cérébrale  des  lémuriens  nous 
guide  aussi  dans  l'étude  et  dans  l'interprétation  de  l'appari- 
tion successive  des  sillons  et  des  plis  chez  tous  les  primates, 
depuis  l'espèce  à  cerveau  lisse  jusqu'au  plissement  si  riche 
des  anthropoïdes  et  de  l'homme. 

Pour  le  moment  nous  nous  abstenons  d'autres  remarques 
à  ce  sujet,  mais  nous  espérons  revenir  encore  une  fois  sur 
cette  étude. 


U.    VAUVILLÉ.    —   FEUILLE  DITE  DE  LAURIER  4<i.*> 

Discussion 

M.  Manouvrier  dit  qu'il  est  très  intéressant  de  voir  le  cer- 
veau d'un  singe  aussi  petit  que  le  loris  grêle  présenter  des 
circonvolutions.  Comme  l'a  fait  remarquer  M.  Chudzinski 
c'est  une  exception  dont  l'interprétation  est,  pour  le  moment, 
fort  embarrassante.  Elle  est  d'autant  plus  précieuse  à  enre- 
gistrer. 

M.  Hervé  parle  également  sur  ce  sujet. 


Quelques  ateliers  néolithiques  de  la  Dordogne  où  l'on  trouve 
la  feuille  dite  de  laurier. 


Par   M.    Octave  Vauvillé. 

Le  13  juin  dernier,  guidé  par  M.  François  Delmas,  le  fameux 
chercheur  de  préhistorique  de  Creysse  qui,  depuis  vingt  an- 
nées, a  fait  des  découvertes  très  importantes  dans  toute  sa 
région,  j'ai  exploré  les  quelques  ateliers  néolithiques  ci-après 
désignés,  les  seuls  des  environs,  où,  d'après  M.  Delmas,  on 
trouve  des  pièces  dites  en  feuille  de  laurier. 

1°  Au  lieu  dit  La  Nauve,  sur  le  territoire  de  Creysse,  tout 
près  des  habitations  du  même  nom  et  de  la  route  de  Creysse 
à  Bergerac. 

2°  Au  lieu  ditGillet,  sur  le  même  territoire  de  Creysse  et  au 
sud  de  l'atelier  de  la  Nauve,  entre  la  route  de  Creysse  à  Ber- 
gerac et  la  Dordogne,  et  se  terminant  au  pont  du  chemin  de 
fer  de  Marmande  à  Angoulème,  limite  du  territoire  de  Creysse. 

3"  Au  même  lieu  dit  Gillet,  sur  le  territoire  de  Bergerac,  à 
l'ouest  du  pont  du  chemin  de  fer  de  Marmande,  entre  la  Dor- 
dogne et  la  route  de  Bergerac  a  Creysse. 

Ces  trois  ateliers,  qui  sont  dans  le  fond  d'une  vallée  d'en- 
viron 1,700  mètres  de  largeur,  sont  admirablement  placés  sur 
le  bord  de  la  rive  droite  de  la  Dordogne,  leur  altitude  peut 
varier  de  28  à  32  mètres  environ. 


4G6  SÉANCE  DU   i  JUILLET  1895 

Les  eaux  de  la  Dordogne,  dont  le  lit  est  très  prononcé,  cou- 
lent ordinairement  à  environ  10  mètres  au-dessous  des  par- 
ties les  plus  basses  des  ateliers,  qui  ont  été  très  occupés  à  l'é- 
poque préhistorique,  les  crues  n'y  étaient  donc  pas  à  craindre. 

Les  recherches  du  13  juin  ont  été  .faites  particulièrement 
sur  le  lieu  dit  Gillct  sur  Bergerac  où,  de  grandes  surfaces  de 
terre,  très  siliceuse,  étaient  labourées  et  non  ensemencées. 
Les  labours  ayant  été  fortement  lavés  par  de  grandes  pluies,  il 
fut  très  facile  de  recueillir  beaucoup  de  silex  taillés. 

Voici  70  pièces  en  silex  très  variés,  provenant  des  trois  ate- 
liers en  question. 

On  peut  remarquer  :  des  nucléus,  des  lames  très  variées 
faisant  bien  ressortir  la  grande  variété  de  silex  employés  pour 
la  taille,  2  pièces  en  forme  de  racloir,  des  grattoirs  concaves, 
des  pointes,  une  scie?  2  pointes  de  flèches  à  pédoncule,  bar- 
belées, 1  tranchet,  2  pointes  finement  retouchées  d'un  seul 
côté,  1  fragment  de  hache  polie  et  des  fragments  de  pièces  en 
forme  de  feuille  de  laurier. 

Le  plus  curieux,  c'est  qu'au  milieu  de  très  nombreuses  piè- 
ces bien  néolithiques,  on  rencontre  des  instruments  en  silex 
du  genre  de  ceux  en  forme  de  feuille  de  laurier,  bien  datés  de 
l'époque  solutréenne. 

On  peut  donc  se  poser  la  question  suivante  :  les  pièces  en 
feuille  de  laurier,  trouvées  dans  ces  ateliers  néolithiques,  sont- 
elles  solutréennes  ou  de  l'époque  de  la  pierre  polie? 

M.  Delmas,  qui  explore,  depuis  près  de  20  années,  ces  ate- 
liers, m'a  affirmé  n'avoir  jamais  trouvé,  dans  ces  endroits, 
aucune  pointe  de  flèche  à  cran,  bien  caractéristique  du  solu- 
tréen, dans  la  Dordogne,  à  Laugerie-llaute  '  et  dans  la  vallée 
de  la  Tardoire,  au  Placard  2. 

Si  on  examine  avec  soin  les  pièces  du  genre  de  feuille  de 
laurier,  provenant  de  ces  milieux  néolithiques,  on  voit  que  ces 
pièces  paraissent,  en  général,  plus  épaisses  que  celles  de  l'é- 

i  Bulletins  1894,  page  569. 
-  Bulletins  1894,  page  570. 


0.    VAUVILLÉ,    —  FEUiLLK  DITE  DE  LAURIER  467 

poque  solutréenne,  la  taille  en  est  aussi  différente;  enfin,  les 
retouches  sont  généralement  moins  soignées  que  celles  du 
solutréen. 

Voici  deux  pièces  qui  sont  bien  concluantes  pour  résoudre 
la  question  du  solutréen  ou  du  néolithique  pour  les  pièces  en 
feuille  de  laurier  provenant  des  ateliers  en  question. 

La  première,  qui  vient  de  Gillet  sur  Bergerac  est  une  pièce 
taillée  du  genre  de  celles  des  pointes  à  cran  de  l'époque  solu- 
tréenne; elle  porte,  d'un  côté,  des  traces  de  polissage,  elle  est 
donc  bien  néolithique. 

La  deuxième,  qui  vient  de  LaNauve,  est  taillée  tout  à  fait  en 
forme  de  feuille  de  laurier,  comme  les  autres  du  même  genre 
provenant  des  divers  ateliers  néolithiques.  Le  plus  intéres- 
sant, c'est  que  cette  deuxième  pièce  porte,  d'un  côté,  une  par- 
tie assez  forte  ayant  subi  l'action  d'un  polissage  bien  certain. 
Le  polissage  paraît  même  être  antérieur  à  la  taille  de  la  pièce 
en  feuille  de  laurier;  ce  fait,  à  lui  seul,  prouve  bien  que  les 
pièces  taillées  en  feuille  de  laurier  recueillies  dans  ces  milieux 
néolithiques,  sont  de  l'époque  de  la  pierre  polie  et  non  de  l'é- 
poque solutréenne. 

De  plus,  si  on  compare  bien  l'ensemble  de  toutes  les  pièces 
que  j'ai  pu  recueillir,  on  peut  reconnaître  que  ce  sont  les 
mêmes  silex  qui  ont  été  employés  pour  les  instruments  divers, 
comme  pour  les  pièces  en  feuille  de  laurier. 

Atelier  .néolithique  de  Pille. 

D'après  M.  Delmas,  il  existe,  près  du  château  de  Pille,  sur 
le  territoire  de  Cour-de-Pille,  un  atelier  qui  lui  a  aussi  fourni 
beaucoup  de  silex  taillés  de  l'époque  néolithique,  parmi  les 
pièces  recueillies,  il  y  en  avait  aussi  un  certain  nombre  en 
forme  de  feuille  de  laurier,  comme  dans  les  ateliers  dont  il  a 
été  question  précédemment. 

Cet  atelier  est  presque  en  face  de  celui  de  Gillet  surCreysse, 
mais  du  côté  opposé/le  la  Dordogne. 

M.  Delmas  m'a  bien  affirmé  n'avoir  jamais  recueilli,  dans 


4t>8  SÉANCE  bU  4  JUILLET  189o 

l'atelier  de  Pille,  comme  pour  les  trois  autres  ateliers,  aucune 
pointe  de  flèche  dite  à  cran  si  caractéristique  du  solutréen.  Ce 
fait  s'explique  très  bien,  attendu  que  les  pièces  en  feuille  de 
laurier  de  ces  ateliers,  doivent  être  de  l'époque  néolithique. 

Il  est  donc  bien  évident,  comme  cela-a  été  admis  par  notre 
collègue  le  Dr  Capital),  dans  la  séance  du  8  novembre  1894  i, 
et  même  par  M.  Adrien  de  Mortillet 2,  que  dans  certains  cas  de 
trouvaille  de  silex  taillés  en  feuille  de  laurier,  il  est  impossible 
de  dire  s'ils  se  rapportent  à  l'époque  solutréenne  ou  à  l'époque 
néolithique. 

Solutréen  de  la  vallée  de  la  Couze  (Dordogne) 

Ouoiqu'on  n'ait  pas  trouvé  jusqu'alors,  dans  les  ateliers 
dont  il  vient  d'être  question,  de  pièces  se  rapportant  bien  k 
l'époque  solutréenne,  il  est  cependant  bien  certain  que  tout 
près  de  là,  sur  la  rive  gauche  de  la  Dordogne,  l'industrie  so- 
lutréenne, bien  caractérisée  par  la  pointe  à  cran,  a  existé. 

J'ai  pu  en  avoir  la  preuve,  le  11  juin  dernier,  en  revenant 
de  faire  une  excursion  au  Moustier  et  à  la  Madelaine.  En  pas- 
sant k  Tursac  on  m'invita  h  aller  voir  la  collection  préhisto- 
rique de  M.  Belvès,  instituteur  de  la  commune. 

Dans  cette  collection,  je  remarquai  de  suite  quelques 
pointes  k  cran  de  l'époque  solutréenne,  et  à  ma  demande, 
M.  Belvès  répondit  :  «  Ces  pièces  viennent  de  la  vallée  de  la 
Couze.  » 

Comme  les  pièces  solutréennes  m'intéressaient  particuliè- 
rement, M.  Belvès  eut  la  gracieuseté  de  m'en  offrir  une.  Voici 
cette  pièce,  qui  a  été  trouvée  k  Montferrand  (Dordogne)  ;  on 
peut  voir  qu'elle  est  bien  typique  du  solutréen. 

Comme  la  rivière  de  la  Couze,  affluent  de  gauche  de  la  Dor- 
dogne, n'est  environ  qu'à  douze  kilomètres  en  amont  de 
Creysse,  il  pourrait  très  bien  se  faire  qu'il  y  eût  même  sur 

i  Bulletins  1894,  page  572. 
2  Bulletins  1894,  page  572. 


discussion  469 

ce  dernier  pays,  comme  sur  Bergerac  ou  sur  Cour-de-Pille, 
des  pièces  à  cran  de  l'époque  solutréenne,  lesquelles  auraient 
été  perdues  ou  même  enlevées  par  les  eaux  de  la  Couze  et 
ensuite  par  celles  de  la  Dordogne.  Il  ne  serait  donc  pas  éton- 
nant d'y  trouver  des  pointes  à  cran  de  l'époque  solutréenne. 


Discussion 

M.  A.  de  Mortillet  fait  diverses  observations. 

M.  G.  Vauvillé.  —  Contrairement  à  ce  que  dit  M.  A.  de 
Mortillet,  relativement  à  l'atelier  de  Gillet-Bergerac,  que  j'ai 
exploré  dans  de  très  bonnes  conditions,  je  n'ai  pu  y  constater 
aucune  pièce  chelléenne.  Par  contre,  les  instruments  chel- 
léens  sont  fréquents  sur  le  même  territoire  de  Bergerac,  au 
lieu  dit  Pech  charmant,  sur  un  petit  coteau,  planté  de  vignes 
renommées;  cette  partie  est  à  l'altitude  de  98  mètres.  M.  A.  de 
Mortillet  dit  aussi  que  les  pièces  ont  été  achetées  par  moi  à 
M.  Delmas.  Je  réponds  que  je  n'ai  pas  acheté,  comme  il  l'a 
fait  lui-même  chez  M.  Delmas,  des  pièces  sans  savoir  d'où 
elles  provenaient.  Au  contraire,  je  me  suis  rendu  sur  les  lieux, 
avec  M.  Delmas,  pour  recueillir,  directement  sur  le  sol  des 
ateliers  en  question,  les  pièces  que  je  présente. 

Il  est  un  fait  certain,  d'après  ce  que  m'a  bien  affirmé  M.  Del- 
mas, c'est  que  sur  des  milliers  de  pièces  recueillies  par  lui  sur 
ces  ateliers,  où  on  trouve  des  pièces  taillées  en  forme  de  feuille 
de  laurier,  il  n'a  pas  rencontré  une  seule  pointe  à  cran  typi- 
que de  l'époque  solutréenne.  Si,  les  pièces  en  feuilles  de  lau- 
rier étaient  de  cette  dernière  époque,  on  y  aurait  trouvé  aussi 
quelques  pointes  à  cran,  attendu  qu'elles  existent  bien  dans 
la  vallée  de  la  Couze,  à  peu  de  distance  des  endroits  explorés 
par  moi. 

M.  A.  de  Mortillet  a  dit  également  qu'à  Laugerie-Haute  il 
n'y  a  que  des  feuilles  de  laurier  et  pas  de  pointes  à  cran  ; 
c'est  une  erreur,  car  j'ai  présenté  à  la  Société,  dans  la  séance 
du  8  novembre  1894,  deux  pointes  à  cran  recueillies  par  moi 


470  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

en  1894  a  Laugerie-Haute  '  ;  elles  ne  sont  donc  pas  rares,  car 
je  n'ai  fouillé  que  peu  de  temps  dans  cet  endroit. 

M.  G.  de  Mortillet.  — Je  désirerais  faire  deux  observations 
sur  les  pièces  que  présente  M.  Vauvillé. 

Voici  celle  qu'il  tenait  à  la  main  quand  il  a  voulu  établir 
que  des  types  solutréens,  forme  feuille  de  laurier,  portent  des 
traces  de  polissage  etque,  par  conséquent,  ces  types  sont  néo- 
litbiques.  Je  ferai  tout  d'abord  remarquer  que  cette  pièce  ne 
porte  pas  trace  de  polissage.  Elle  est,  il  est  vrai,  presque  en- 
tièrement lisse  sur  une  face.  Mais  c'est  la  face  d'éclatement, 
et  vous  savez  que  les  faces  d'éclatement  des  lames  détachées 
des  nucléus  sont  toujours  lisses.  Ce  qui  a  pu  induire  en  erreur 
notre  collègue,  c'est  qu'il  s'agit  d'une  face  d'éclatement  fort 
ancienne  qui  s'est  légèrement  patinée  par  l'action  du  temps, 
patine  qui  lui  a  donné  un  certain  vernis.  Le  lisse  de  l'éclate- 
ment a  été  renforcé  par  ce  vernis.  Mais  cette  patine,  bien  que 
légère,  nous  prouve  que  la  pièce  est  fausse.  En  effet,  la  face 
entièrement  retaillée  et  les  retailles  de  la  face  d'éclatement 
sont  complètement  dépourvues,  comme  vous  pouvez  le  voir, 
de  patine.  En  outre,  on  n'a  qu'à  passer  les  doigts  sur  les 
arêtes  des  retailles  pour  s'assurer  que  ces  arêtes  sont  vives 
et  aigres  —  antipode  du  vernis  de  la  face,  —  ces  retailles 
sont  donc  récentes.  La  pièce  a  été  profondément  altérée  et, 
par  suite,  ne  prouve  absolument  rien.  Il  est  bien  certain  que 
ce  n'est  pas  notre  collègue  qui  a  altéré  la  pièce.  Il  n'existe 
aucun  doute  à  cet  égard.  Mais  à  Bergerac  on  récolte  des  silex 
et  on  les  vend.  M.  Vauvillé  vient  de  nous  dire  qu'il  en  a  été 
recueilli  ainsi  plus  de  10,000.  Or  nous  savons,  par  l'expé- 
rience, que  la  fraude  suit  de  près  le  commerce  des  silex. 
Partout  où  l'on  vend,  il  faut  être  très  circonspect.  Notre  col- 
lègue nous  dit  qu'il  a  recueilli  lui-même  les  silex  qu'il  nous 
présente.  Je  ne  mets  pas  sa  parole  en  doute,  mais  une  pièce 
peut  facilement  se  glisser  au  milieu  d'autres.  Et  puis,  com- 
ment a-t-il  connu  les  localités?  Par  les  habitants,  qui  font  le 
commerce,  qui  peuvent  très  bien  avoir  semé  sur  le  sol  des 

i  Bulletins  1894,  page  569. 


DISCUSSION  471 

silex  corrigés  et  améliorés.  Toujours  est-il  que  la  pièce  est  cer- 
tainement fausse. 

Passons  à  un  autre  échantillon.  C'est,  comme  vous  le  voyez, 
une  lame  avec  face  d'éclatement  lisse  et  du  poli.  Mais  là  rien 
d'étonnant,  cette  lame  est  certainement  néolithique.  Seule- 
ment, comparons  cette  lame  avec  les  silex  en  feuille  de  lau- 
rier. Il  est  facile  de  reconnaître  qu'il  existe  là  deux  modes  de 
travail  tout  différents,  deux  techniques.  Le  point  de  départ 
n'est  pas  le  même.  Dans  les  pièces  néolithiques,  ce  départ  est 
la  lame  détachée  franchement  du  nucléus  ;  clans  les  silex  en 
feuilles  de  laurier,  le  point  de  départ  est  un  éclat  de  silex 
bien  plus  épais. 

Les  pointes  en  feuilles  de  laurier  grandes  et  épaisses  sont 
encore  un  problème.  M.  Vauvillé  rend  un  véritable  service  à 
la  science  en  étudiant  cette  question.  Mais  je  ne  crois  pas 
qu'il  soit  arrivé  à  la  résoudre.  En  tout  cas,  si,  en  France 
comme  en  Italie,  il  faut  rapporter  au  néolithique  les  pointes 
épaisses  en  feuille  de  laurier,  cela  n'empêche  pas  les  types 
minces  des  couches  solutréennes  d'être  caractéristiques  d'une 
époque  paléolithique  bien  définie. 

M.  0.  Vauvillé.  —  M.  G.  de  Mortillet  dit  que  j'ai  acheté  les 
pièces  ;  je  n'ai  pas  fait,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  comme  d'au- 
tres personnes  qui  se  contentent  d'acheter  pour  avoir  ;  au 
contraire,  j'ai  tenu  à  me  rendre  sur  les  lieux  pour  recueillir 
moi-même  les  pièces  sur  place. 

M.  G.  de  Mortillet  parle  aussi  de  pièce  fausse;  si  je  ne  m'étais 
pas  rendu  sur  place,  cela  laisserait  un  doute;  cette  pièce  est 
bien  authentique  et  porte  la  trace  évidente  du  polissage;  elle 
est,  au  contraire,  une  preuve  de  l'époque  néolithique. 

M.  G.  de  Mortillet  dit  encore  qu'il  y  a  deux  époques  de  taille 
dans  les  pièces  en  feuille  de  laurier  présentées  par  moi;  cela 
ne  prouve  pas  qu'elles  ne  soient  de  la  même  époque.  Ce  fait 
existe  bien  aussi  pour  les  pièces  so'utréennes  de  Laugerie- 
Haute,  où  on  en  trouve  de  très  grossièrement  travaillées  et 
épaisses  et  d'autres  d'une  taille   admirable  et  minces  ';  ces 

*  Bulletins  1894,  page  508. 


472  séance  Dr  4  juillet  1895 

pièces,  qui  diffèrent  cependant  tant  de  taille,  de  retouche  et 
d'épaisseur,  sont  cependant  toutes  de  l'époque  solutréenne. 

M.  Capitan.  —  J'ai  pu  étudier  sur  place  plusieurs  de  ces 
stations  et  grands  ateliers  des  environs  de  Bergerac  et  y 
recueillir  de  nombreuses  séries.  On  est  frappé  de  ce  fait,  c'est 
qu'en  général  on  y  rencontre  mélangés  des  instruments 
d'époques  diverses  depuis  l'acheuléen  jusqu'au  néolithique.  II 
existe  des  haches  très  bien  travaillées  acheuléennes,  des 
racloirs  abondants  et  des  pointes  moustériennes  qui  sont 
mélangés  à  de  nombreuses  pièces  néolithiques.  Il  est  donc 
fort  difficile,  quand  un  instrument  ne  rentre  pas  indiscuta- 
blement dans  une  de  ces  formes  typiques  de  l'attribuer  à  une 
époque  ou  à  une  autre,  tel  est  le  cas  pour  nombre  de  pointes 
comme  celles  présentées  par  M.  Vauvillé,  qui  rappellent  les 
pointes  solutréennes,  ou  encore  pour  les  grattoirs,  les  enco- 
ches, etc.,  d'autant  plus  qu'il  semble  que,  par  tradition,  des 
formes  anciennes  se  sont  conservées  pendant  les  époques  ulté- 
rieures. D'ailleurs,  il  faut  remarquer  aussi  que  certaines  sta- 
tions, telles  que  la  grande  station  de  la  Mérigode,  où  j'ai  pu 
recueillir  des  séries  très  nombreuses,  sont  nettement  néolithi- 
ques, contrairement  à  l'attribution  qu'on  leur  donne  d'ordi- 
naire. Leur  faciès  est,  d'ailleurs,  spécial  ;  elles  rappellent  les 
stations  d'exploitation  et  de  taille  de  silex  de  Spiennes,  de 
Champignolles.  J'aurai  l'occasion  d'en  présenter  sous  peu  une 
à  la  Société. 


Observations  sur  quelques  auimaux  eavernieoles  du  Jura, 

Par  M.  Armand  Viré. 

Les  observations  qui  font  le  sujet  de  cette  note,  ne  se  rap- 
portent pas  à  un  sujet  anthropologique  ;  aussi,  aurais-je  hésité 
à  les  communiquer  ici,  si  elles  ne  présentaient  un  caractère 
très  général,  grâce  à  l'influence  très  nette  du  milieu  qu'elles 
viennent  mettre  en  lumière. 

Beaucoup  se  sont  déjà  occupés  de  la  question  :  Les  Abeille 


ARMAND  VIRÉ.    —  ANIMAUX  CAVERN  ICOLES  DU  JURA  473 

de  Perrin,  Lucante,  de  Saulcy,  Monniez  pour  la  France, 
Schiodte  et  autres  pour  l'Amérique  et  l'Autriche. 

Au  cours  d'une  exploration  des  Cavernes  du  Jura,  cavernes 
que  j'ai  déjà  signalées  il  y  a  quelques  mois,  j'ai  pu  recueillir 
un  certain  nombre  d'animaux  invertébrés  dont  les  représen- 
tants normaux  vivent  au  dehors,  et  peuvent  servir  de  terme 
de  comparaison. 

Dans  la  grotte  de  Baume-les-Messieurs,  près  de  Lons-le- 
Saulnier,  et  dans  celle  des  Planches  (la  Grande-Source),  près 
d'Arbois,  j'ai  trouvé  dans  les  lacs  et  cours  d'eau  souterrains 
des  Crevettines  (peut-être  le  Niphargus  stygius  de  la  Mam- 
moth's  Cave?)  qui  présentent  des  phénomènes  de  dégénéres- 
cence dus  à  l'influence  de  l'obscurité. 

Les  téguments  décolorés,  presque  transparents,  laissent 
apercevoir  le  tube  digestif  et  les  principales  masses  muscu- 
laires. 

Les  yeux  sont  profondément  modifiés.  Chez  certains  indi- 
vidus, ils  sont  encore  d'un  beau  rouge  vif,  et  s'aperçoivent 
nettement  par  contraste  sur  la  masse  décolorée  du  corps.  Chez 
d'autres,  ce  ne  sont  plus  que  deux  petites  lamelles  rougeâ- 
tres  et  paraissent  sans  aucune  utilité  physiologique. 

Chez  d'autres  enfin,  ils  sont  complètement  décolorés  et  im- 
perceptibles et  ne  servent  plus  à  remplir  leur  rôle. 

Une  expérience  intéressante  à  tenter,  c'est  de  remettre  ces 
animaux  à  la  lumière  et  devoir  s'il  n'interviendrait  pas  quel- 
ques phénomènes  de  retour  au  type  ancestral  normal.  C'est 
ce  que  j'ai  tenté  et  bien  que  l'expérience  ait  été  interrompue 
accidentellement,  ces  premiers  résultats  sont  si  concluants, 
que  je  vais  la  rapporter  ici. 

J'avais  mis,  le  8  juin  dernier,  un  lot  de  ces  crustacés  dans 
une  chambre  obscure,  dans  des  conditions  à  peu  près  sembla- 
bles à  celles  qui  sont  réalisées  dans  les  cavernes. 

Un  autre  lot  fut  placé  dans  un  bac  d'eau  courante  à  la 
lumière,  près  d'une  fenêtre  vivement  éclairée. 

Dès  le  huitième  jour,  je  pus  apercevoir  des  points  noirs 

t.  vi  (4°  série)  3i 


474  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

sur  les  pattes  et  les  antennes  accidentellement  cassées  et  en 
voie  de  guérison. 

Puis,  peu  à  peu,  des  points  noirs  irréguliers  apparurent  sur 
toute  la  carapace,  augmentant  chaque  jour  en  dimensions. 

.Malheureusement,  vers  la  troisième  semaine,  la  rupture  d'un 
tube  pendant  la  nuit,  permit  ;i  mes  animaux  de  s'échapper 
et  de  fder  vers  les  égouts  où  ils  retrouveront,  sans  doute, 
l'obscurité,  mais  non  la  pureté  des  eaux  de  leurs  cavernes, 

Une  seconde  expérience  est  en  cours  depuis  deux  jours 
avec  les  derniers  spécimens  qui  nie  restaient  *. 

Ainsi  donc,  il  est  permis  d'espérer  d'une  expérience  plus 
longtemps  maintenue,  ce  fait  intéressant  à  constater  du  retour 
au  type  normal  sous  l'influence  de  la  lumière. 

D'autres  animaux  sont  certainement  plus  caractéristiques 
que  ces  crustacés. 

Ce  sont  des  thysanoures  et  des  cloportes  décolorés  complè- 
tement et  surtout  des  staphylins. 

Ces  derniers,  tout  à  fait  blancs,  ont  perdu  toute  trace  exté- 
rieure de  l'œil.  Même  avec  de  très  forts  grossissements,  la 
place  de  l'œil  ne  diffère  absolument  pas  du  reste  du  tégu- 
ment. 

Par  contre,  en  vertu  de  la  loi  établie  par  Geoffroy  Saint-IIi- 
laire  du  balancement  des  organes,  les  antennes  ont  crû  d'une 
façon  anormale. 

Les  anneaux,  plusmassifs  etmoins pédoncules,  sontcouverts 
d'une  multitude  de  poils  tactils  plus  longs  et  plus  abondants 
que  dans  l'espèce  normale.  La  tète  et  tout  le  corps  sont  éga- 
lement garnis  de  ces  productions  beaucoup  plus  abondantes 
qu'îi  l'ordinaire. 

Les  organes  buccaux  eux-mêmes,  si  bien  développés  et  ap- 
propriés au  genre  de  vie  carnassière  des  staphylins,  sont  atro- 

i  Morts  pendants  les  grandes  chaleurs  du  mois  de  juillet.  Une 
nouvelle  campagne  (août  septembre)  m'a  donné  une  quinzaine 
d'espèces  cavernicoles  modifiées  de  la  même  façon.  (Crustacés  :  5; 
insectes  :  2;  thysanoures  :  3;  arachnide  :  \,  etc. 


ARMAND  VIRÉ.  —  ANIMAUX  CAVERNICOLES  DU  JURA  475 

phiés  par  une  modification  que  je  n'ai  pu  encore  étudier.  Les 
crocs,  les  palpes  ont  disparu,  et  la  bouche  paraît  sans  dé- 
fense. Il  y  a  là  certainement  une  adaptation  à  un  genre  de 
vie  nouveau  où  le  régime  végétarien  entre  certainement  pour 
une  large  part.  En  effet,  les  proies  vivantes  étant  fort  peu 
nombreuses,  les  staphylins  cavernicoles  de  Baume  doivent  se 
nourrir  sans  doute  en  partie  des  diatomées,  des  algues  et  des 
moisissures  qui  végètent  sur  les  parois  de  calcaire  ou  sur 
l'argile  humide. 

Ainsi  donc  l'organe  du  tact  a  suppléé  là  en  grande  partie  à 
l'organe  de  la  vision  devenu  inutile. 

L'organe  de  l'audition,  contrairement  à  ce  que  l'on  aurait 
pu  croire,  ne  paraît  pas  très  développé.  On  peut  faire  du  bruit 
autour  de  ces  animaux  sans  qu'ils  s'enfuient. 

Par  contre,  l'odorat  parait  très  aiguisé,  et  on  voit  tous  ces 
animaux  accourir  de  tous  les  points  des  flaques  d'eau  et  des 
galeries  sèches  autour  des  appâts  corrompus  que  l'on  dépose 
en  divers  points. 

Il  est  évident  que  ces  modifications  extérieures  en  entraî- 
nent de  plus  profondes  encore  sur  les  organes  internes,  et 
notamment  sur  le  système  nerveux. 

Mais  l'étude  histologique  que  j'en  ai  entreprise  n'est  pas 
encore  assez  avancée  pour  que  je  les  note. 

Je  signalerai  cependant  des  dégénérescences  dans  les  cor- 
neilles oculaires  que  j'ai  pu  entrevoir  sur  les  crustacés. 

11  y  a  donc  là  toute  une  mine  de  recherches  et  d'expériences 
des  plus  intéressantes,  que  je  compte  exploiter  et  dont  je 
communiquerai  les  résultats  à  mesure  de  leur  constatation. 

Le  fait  le  plus  intéressant  qui  se  dégage  à  l'heure  actuelle 
de  ces  recherches  est  l'admirable  plasticité  de  l'individu  ani- 
mal et,  par  suite,  de  l'espèce,  qui  n'est  guère  qu'un  rappro- 
chement théorique  d'individus  d'une  môme  descendance. 

Sous  l'influence  du  milieu,  en  effet,  la  matière,  qui  parais- 
sait avoir  acquis  sa  forme  définitive,  évolue  graduellement 
jusqu'à  revêtir  une  forme  tout  à  fait  nouvelle  et  être  classée 
par  les  naturalistes  sous  un  nom  et  une  étiquette  différents, 


476  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

jusqu'au  jour  où  l'un   aperçoit  les  intermédiaires  et  où  les 
limites  entre  les  deux  espèces  n'existent  plus. 


Les  superstitions  médicales  normandes 

Par  M.  Edmond  Spalikowski. 

On  ne  croirait  pas,  j'en  suis  sûr,  au  premier  abord,  à  la 
persistance  des  vieilles  traditions  locales  en  Normandie,  et 
celui  qui  tenterait  de  retracer  quelques-unes  des  superstitions 
grossières  encore  existantes  aujourd'hui  serait  taxé  d'exagé- 
ration. Le  fait  est  pourtant  vrai  et  M.  Léon  de  Vesly,  dans 
une  série  d'articles  fort  curieux,  s'est  étendu  sur  les  feux  de 
carrefour  et  lhistoire  des  arbres  vénérés.  Je  ne  reviendrai  pas 
ici  sur  les  sujets  que  l'éminent  archéologue  a  si  fidèlement 
dépeints,  je  ne  m'occuperai  ici  que  des  superstitions  médi- 
cales de  la  Seine-Inférieure.  Sous  ce  nom  de  superstitions 
médicales,  j'entends  les  moyens  réputés  efficaces  par  les  igno- 
rants pour  guérir  telle  ou  telle  maladie. 

Tous  les  médecins  de  Rouen  connaissent  la  corde  à  tabac 
roulée  autour  des  reins,  mais  ce  qu'ils  ignorent  c'est  la  mer- 
veilleuse propriété  que  possède  ce  talisman  de  calmer  les  né- 
vralgies lombaires  !  Les  plaides  tiennent  naturellement  le 
premier  rang  dans  la  pharmacopée  populaire. 

Personne,  dans  le  pays  de  Caux,  ne  met  en  doute  l'effica- 
cité du  lierre  détrempé  dans  du  vinaigre  contre  les  anthrax. 
M.  Léon  de  Vesly  raconte  qu'à  Léry  existe  un  hêtre  appelé 
Arbre  de  Saint-Uuen,  entouré  d'une  couron ne  tressée  de  buis, 
de  genêts  et  de  rameaux  de  sapins,  «  les  brins  qui  composent 
cette  couronne  préservent  les  nouveau-nés  de  la  fièvre.  »  N'y 
a-t-il  pas  là  un  souvenir  du  gui  qui,  abattu  par  la  faucille  du 
druide,  conférait  l'immunité  à  ceux  qui  le  recueillaient. 

Les  saints  passent  aussi  pour  d'excellents  médicastres,mais 
chacun  a  sa  spécialité  et  l'essentiel  est  de  connaître  celui  qui 
délivre  de  tel  ou  tel   mal.  Pour  le  savoir,  il  faut  mettre  une 


ED.    SPALIKOWSKI.  —  LES  SUPERSTITIONS  MÉDICALES  NORMANDES       -477 

feuille  de  vigne  on  de  lierre  dans  du  vinaigre,  puis  compter  le 
nombre  de  taches  produites  par  l'acide  sur  le  limbe;  un  peu 
d'habitude  nous  dira  à  quel  saint  répond  telle  quantité  de 
taches. 

Une  autre  coutume  consiste  à  gratter  le  plâtre  de  la  statue 
de  tel  ou  tel  saint,  on  met  cette  poudre  dans  de  l'eau  et  quand 
cette  mixture  est  absorbée  par  le  patient  la  guérison  survient! 
Ceci  explique  pourquoi  il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  dans 
certaines  églises  de  campagne  des  images  sculptées  de  saints 
personnages  auxquels  il  manque  un  pied,  un  bras  ou  même 
la  tète,  par  suite  d'un  raclage  de  plusieurs  générations! 
D'autres  sont  ridiculement  affublés  de  rubans,  témoignages 
de  cures  merveilleuses! 

Si  quelque  «  mal  étrange  »,  comme  celui  dont  parle  noire  bon 
fabuliste,  atteint  un  paysan  cauchois  à  la  fin  d'août,  il  s'en 
va  solitaire  cueillir  une  feuille  d'arbre  et  la  jette  derrière  son 
dos,  en  remarquant  la  place  où  elle  tombe,  quand  la  feuille 
pourrira,  il  sera  guéri...  ou  mort  ! 

Les  reboateurs  sont  légendaires  en  Normandie,  ils  descen- 
dent en  droite  ligne  des  sorciers,  disent-ils,  et  comme  tels  on 
les  appelle  du  même  nom  que  leurs  aïeux,  ils  font  des  conju- 
rations, jettent  des  sorts,  font  avorter  les  vaches,  remettent 
en  dix  minutes  une  entorse  avec  une  bouteille,  vous  délivrent 
d'un  violent  mal  de  dents  en  appliquant  simplement  leur 
pouce  loco  dolenti.  Ceux-ci  vous  forcent  à  boire  l'urine  d'un 
enfant  d'un  an,  ceux-là  conseillent  aux  phtisiques  de  s'abreu- 
ver d'urine  de  génisse. 

Aux  environs  de  Caudebec,  les  tumeurs  abdominales  chez 
les  femmes,  cèdent  merveilleusement  au  remède  suivant  qui 
consiste  dans  l'application  de  six  bougies  allumées  sur  le  ven- 
tre^  quand  la  dernière  est  consumée,  le  kyste  ou  fibrome  est 
disparu. 

A  Rouen,  en  plein  faubourg  Saint-Sever,  je  suis  entré  dans 
une  famille  d'ouvriers  qui  me  demandait  une  consultation 
pour  leur  enfant  qui,  affirmait-on,  avait  des  vers -et  souffrait 
horriblement;  je  découvre  le  malade  dans  son  lit,  et  j'aper- 


478  SÉANCE  DU  4  JUILLET  1895 

çois  des  centaines  de  lombrics  qui  grouillaient  autour  du  mal- 
heureux petit  être.  Quelle  étrange  homéopathie!  D'autres, 
non  contents  de  la  médication  externe,  se  nourrissent  de  pain 
dans  lequel  on  a  mis  des  poux!  Enfin,  je  termine  en  citant 
le  pigeon  vivant  ouvert  en  deux  et  appliqué  sanglant  sur  le 
crâne  d'un  enfant  atteint  de  méningite!  La  liste  serait  longue 
encore,  mais  les  exemples  que  j'ai  donnés  suffisent  pour  mon- 
trer jusqu'à  quel  point  le  paysan  est  réfractaire  aux  idées 
modernes,  à  cela  j'y  vois  deux  causes.  La  première,  c'est  que 
le  souvenir  de  l'antiquité  se  conserve  intégralement  dans  les 
familles  campagnardes,  la  seconde  c'est  qu'à  un  fanatisme  à 
outrance,  s'ajoute  le  refus  de  recevoir  les  vérités  nouvelles. 
L'instruction  populaire  peut  seule  venir  à  bout  de  ces  préju- 
gés, et  je  ne  doute  pas  qu'un  jour  ne  vienne,  où  ces  erreurs 
disparaîtront  :  en  tous  cas,  il  m'a  paru  bon  de  les  signaler, 
car  rien  ne  peut  laisser  indifférent  l'anthropologiste,  pas  plus 
les  défauts  de  caractère  de  ses  semblables  que  ses  malforma- 
tions corporelles. 

M.  Zaborowski.  —  La  pratique  consistant  à  poser  sur  la  tète 
des  enfants  atteints  de  méningite,  un  pigeon  fraîchement  tué, 
je  l'ai  signalée  comme  existant  chez  moi-même,  à  Thiais,  près 
de  Paris.  Une  pratique  à  peu  près  identique  existe  encore  à 
ma  connaissance  dans  la  Charente-Inférieure. 

M.  Manouviuek.  —  Les  pratiques  de  ce  genre  sont,  en  effet, 
très  fréquentes;  il  en  a  été  question  bien  souvent.  Elles  rap- 
pellent, du  reste,  toute  une  série  de  remèdes  jadis  employés 
par  les  médecins  eux-mêmes  et  que  l'on  trouve  indiqués  dans 
les  formulaires  de  l'ancienne  pharmacopée. 

M.  G.  Papitlault  lit  un  mémoire  sur  la  Suture  métopûjue  et 
ses  rapports  avec  la  morphologie  crânienne. 

Ce  travail  paraîtra  dans  les  Mémoires  de  la  Société. 

L'un  des  secrétaires  :  A.  Viré. 


OUVRAGES  OFFERTS  479 

627«  SEANCE.  -   18  juillet  1895. 
Présidence  de  M.  Sanson. 

CORRESPONDANCE. 

Lettre  de  M.  le  Secrétaire  général  de  l'Institut  international 
de  Sociologie,  demandant  l'autorisation  de  tenir  le  2e  Congrès 
de  cet  Institut  dans  la  salle  des  séances  de  la  Société.  Cette 
autorisation  est  accordée. 

M.  le  Secrétaire  général  adjoint  annonce  que  les  membres 
de  la  Société  sont  invités  par  M.  Barbier,  directeur  de  l'Expo- 
sition soudanaise  du  Champ-de-Mars,  à  visiter  collectivement 
cette  exposition  où  sont  exhibés  330  nègres.  11  a  obtenu,  en 
outre,  trois  cartes  d'entrée  permanentes  pour  les  membres  de 
la  Société  qui  voudraient  faire  des  observations  particulières 
sur  ces  indigènes  africains. 

Un  rendez-vous  est  pris  pour  visiter  cette  Exposition. 

OUVRAGES    OFFERTS. 

Acï  (E.  d'.).  — ■  Les  sépultures  des  grottes  des  Baoussé-Roussé 
(réplique)  (Ext.  de  l' Anthropologie),  in-8°,  10  pag.,  Paris,  1895. 

Buschan  (G.).  —  Kriminalanthropologic  (Ext.  de  Encyclo- 
paedische  Jahrbilcher),  in-8°,  8  pag.,  AVien,  1893. 

Charles-Albbrt.  —  Aux  anarchistes  qui  s'ignorent,  in-12°, 
12  pag.,  Bruxelles,  1893. 

Dumont  (A.).  —  La  civilisation  scientifique  en  France  (Ext. 
des  C.  R.  de  V  Association  française,  1894),  in-8°,  9  pag.,  Paris,, 
1893. 

—  La  natalité  dans  le  cinton  d'Isigng  (Calvados)  (Ext.  des 
C.  R.  de  l'Association  française,  1894),  in-8°,  9  pag.,  Paris,  1893. 

Kropotkine  (P.).  —  L'Anarchie  dans  l'évolution  sociale,  in- 12, 
33  pag.,  Bruxelles,  1893. 

Sergi  (C).  —  Origine  e  dijfusionc  délia  slirpe  medderranea, 
in-8u,  144  pag.,  Borne,  1893.  (Présenté  par  M.  Manouvrier.) 


480  SÉANCE  DU  18  JUILLET   1895 

Toeroek  (Dr  A.  von).  —  Ueber  die  neue  palaeclltnologische 
Eintheilung  der  Sleinzeit  (Ext.  de  Correspondcnz-Blatl  der  Deuts- 
chen  Anlkrop.  Gesellsc),  in-4°,  4  pag.,  Munchen,  1895. 

—  Ueber  den  Yesoer  Ainoschaedel  aus  der  ostasiatischen  Rcisc 
des  Herrn  Grafen  Bêla  Szcchenyi  unduebèr  den  Sachaliner  Ainos- 
chaedel des  Kœnigl.  zoologischen  und  anthropologisch-ethnogr  a 
phischen Muséums zu  Dresden (Ext.  de  Arckiv.  fiir  Anthropologie) 
in-4°,  98  pag.,  Munchen,  1895. 

Annales  de  V Institut  international  de  Sociologie,  tome  I,  in-8°, 
388  pag.,  Paris,  1895. 

M.  René  Wobms  rappelle  le  succès  qu'a  eu  le  Congrès  de 
Sociologie  de  189-4,  et  offre  à  la  Société,  au  nom  de  l'Institut 
international  de  Sociologie,  auquel  elle  avait  bien  voulu  prêter 
sa  salle  pour  le  Congrès,  le  volume  qui  reproduit  les  travaux, 
de  ce  Congrès  et  qui  vient  de  paraître.  Ces  études  sont  dues 
à  MM.  John  Lubbock,  Novicow,  Tarde,  René  Worms,  Maxime 
Kovalewsky,  Paul  de  Lilienfeld,  Louis  Gumplowicz,  Douglas 
Galton,  Enrico  Ferri,  Combes  de  Lestrade,  Tœnnies,  Dorado, 
Posada,  Emile  Worms,  J.  Mandello,  Abrikossof,  C.  deKrauz, 
Fiamingo,  Simmel.  Elles  portent  sur  presque  toutes  les  par- 
ties de  la  science  sociale,  et  plusieurs  touchent  à  des  questions 
d'anthropologie  et  d'ethnographie.  Le  volume  pourra  donc 
présenter  quelque  intérêt  pour  les  membres  de  la  Société. 

Expediçdo  portugueza  ao  Muatidnvua,  1884-1888.  —  Elhno- 
graphia  e  historia  tradicional  dospovosda  lunda,  in-8°,  732  pag. 
vec  fig.,  Lisbonne,  1890. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

Revue  Scientifique,  G  et  13  juillet  1895.  —  Th.  Child  :  Peking 
et  ses  habitants;  —  Ed.  Cuyer  :  Les  expressions  de  la 
physionomie  et  leurs  origines  anatomiques. 

Archives  de  l'Anthropologie  criminelle,  15  juillet  1895.  — 
Dr  Marty  :  Recherches  sur  l'archéologie  criminelle  dans 
l'Yonne. 

Ceslnj  Lid  (le  peuple  tchèque).,  n°  3,   4,  5  de  18i>5.  —  Snajdr 


ZABOROWSKI.  —  COLLECTION  MARCHI.  i  '[ 

Ludvik  :  Palaeethnologicke  aforismy  hledici  predevsim  k 
obyvatelstvu  zeme  ceské.  —  Matiegka  :  Prispevky  ku  poznani 
ceskeho  neolithu  ;  —  L.  Niederle  :  Prispevky  k  moravske 
kraniologû;  —  Kucera  :  Predhistoricke  nalezy  na  Lounsku. 

But.  de  la  Société  d'histoire  naturelle  de  Cohnar,  tome  II, 
(1891-1894).  —  Faudel  et  Bleicher  :  Supplément  aux  maté- 
riaux pour  une  étude  préhistorique  de  l'Alsace  ;  —  Gasser  : 
Station  préhistorique  de  Soultz. 

Bul.  del  instituto  geografico  argentino,  tome  XV,  fasc  9  k  12 
et  XVI,  fasc.  1  -2.  —  J.  13.  Ambrosetti  :  Los  Paraderos  Preco- 
lombianos  de  Goya;  —  Los  Indios  Caingua  del  alto  Parana; 
—  S.  A.  Lafone  Quevedo  :  La  lengua  vilela  o  chulupi. 

ÉLECTIONS. 

M.  Marshall  II.  Saville,  sous-directeur  de  la  section  anthro- 
pologique du  muséum  d'histoire  naturelle  de  New- York  et 
M.  le  Duc  de  Loubat,  présentés  par  MM.  Verneau,  Capus  et 
Collignon,  sont  élus  membres  titulaires. 


Présentation    de    documents   photographiques. 
Collection  Marclii. 

M.  Zaborowski.  —  Dans  l'une  des  séances  du  mois  dernier, 
M.  Lapicque  nous  a  présenté  une  très  intéressante  série  de 
documents  photographiques  se  rapportant  aux  pratiques  de 
la  circoncision  et  surtout  de  l'infïbulation,  dans  la  région 
abyssinienne.  Depuis,  je  suis  entré  en  relation  avec  le  pro- 
priétaire de  ces  photographies,  en  vue  d'en  acquérir,  si  pos- 
sible, un  certains  nombre  pour  nos  collections.  Ces  photogra- 
phies ont  été  faites  aux  frais  et  sur  les  indications  de  M.  Mar- 
clii. 

M.  Marchi  a  visité  pour  la  première  fois  le  littoral  de  la  mer 
llouge,  et  en  particulier  le  pays  des  Ilababs,  en  1876.  Et  c'est 
en  188i  qu'il  a  recueilli  les  documents  en  question.  Sa  collec- 
tion se  compose  de  deux  cent  cinquante  pièces  qui  nous  don- 


48:2  séance  du  18  juillet  1893 

nent  les  types  et  nous  font  pénétrer  très  avant  dans  les  mœurs 
et  usages  des  Hababs,  du  N.-E.  de  l'Abyssinie,  et  des  Abyssins 
musulmans  et  chrétiens  eux-mêmes. 

Ne  pouvant  pas  mettre  en  œuvre  lui-même  tous  ces  docu- 
ments ethnographiques,  il  ne  demandait  pas  mieux  que  de 
s'en  défaire,  mais  à  un  prix  qui  fût  une  juste  rémunération 
de  ses  efforts  patients  et  coûteux. 

Je  ne  pouvais  pas  songer  a  lui  offrir  une  somme  bien  éle- 
vée. Et  les  autres  sociétés  savantes  n'ont  pas  plus  que  nous 
des  ressources  assez  importantes  pour  couvrir  des  frais  repré- 
sentant ceux  d'une  véritable  exploration,  si  élevé  que  soit  l'in- 
térêt qui  s'attache  à  celle-ci. 

J'étais  donc  bien  embarrassé  dans  mon  désir  de  ne  pas  voir 
perdus  pour  la  science  les  documents  réunis  par  M.  Marchi.  Je 
ne  pouvais  que  l'engager  à  former  plusieurs  exemplaires  d'u  n 
album  qui  trouverait  des  acheteurs  sûrement  en  raison  de  son 
très  vif  intérêt,  ainsi  que  de  la  valeur  unique  et  de  la  nou- 
veauté de  certaines  de  ses  pièces  dont  l'exécution  est  remar- 
quable. 

C'est  à  ce  parti  qu'il  s'est  finalement  arrêté.  J'avais  fait  un 
choix  de  40  photographies  que  je  pouvais  payer  un  petit  prix. 
Ce  choix  qui  donnera  une  idée  très  précise  de  la  collection  en- 
tière, M.  Marchi  a  préféré  l'offrir  gratuitement  à  la  Société 
d'Anthropologie.  Il  est  entendu  seulement  qu'aucune  de  ces 
pièces  ne  pourra  être  reproduite  sans  son  autorisation.  La 
plupart  nous  éclairent,  non  seulement  sur  des  pratiques  très 
singulières  et  encore  plus  ou  moins  mystérieuse,  mais  sur  le 
caractère  d'un  peuple  peu  connu.  Je  veux  parler  des  Hababs. 
Ils  ont  été  visités  pour  la  première  fois  seulement  en  1871 
(Munzinger).  MM.  von  Heuglin  et  Vieweg  les  ont  étudiés  en 
explorant  leur  pays,  seulement  en  1875.  La  publication  de  leur 
ouvrage  ne  date  que  de  1877.  Ce  peuple  curieux  l'est  peut- 
être  d'ailleurs,  encore  moins  par  lui-même  qu'en  raison  des 
rapports  de  type  et  de  mœurs  qu'il  offre  avec  d'autres  popu- 
lations de  l'Afrique,  les  unes  circonvoisines,  les  autres  éloi- 
gnées. Il  est  inutile  de  revenir  sur  ce  qui  a  été  dit  précédera- 


ZABOROWSKI.  —  COLLECTION  MARCHI  483 

ment  à  propos  de  sa  façon  de  pratiquer  l'infibulation  des  filles 
et  femmes. 

Je  vous  remets  seulement  sous  les  yeux  deux  photogra- 
phies, l'une  d'une  petite  fille  de  cinq  ans,  l'autre  d'une  jeune 
fille  de  17  ans,  toutes  deux  opérées  et  la  cicatrisation  faite. 
Vous  pouvez  voir  que  le  vagin  est  clos  presque  hermétique- 
ment et  que  tout  rapport  sexuel  avec  elles  est  impossible. 

Voici  une  série  de  quatre  photographies  qui  montrent  de 
quelle  façon  épouvantable  est  traitée  la  femme  adultère  :  at- 
tachée par  les  poignets  en  l'air,  elle  est  d'abord  aspergée 
d'eau  bouillante  par  son  mari.  Celui-ci  ensuite  lui  verse  sur 
la  tète  une  sébile  de  cette  eau.  Enfin  on  la  fixe  solidement, 
courbée  en  deux,  sur  un  chevalet,  sur  lequel  monte  le  mari.  Et 
on  lui  enfonce  dans  le  derrière  un  paquet  de  chilïons  a  l'aide 
d'une  large  règle  de  bois  sur  laquelle  cogne  le  mari  lui-même. 
Les  suites  de  cette  belle  opération  se  devinent.  (Test  ordinai- 
rement la  mort. 

Voici  maintenant  deux  photographies  qui  se  rapportent  au 
tatouage  des  garçons  et  des  filles  à  l'aide  d'un  brandon.  Je 
vous  montre  encore,  entre  plusieurs  autres,  une  jeune  Habab, 
au  repos.  Elle  n'est  pas  mariée.  Voyez  les  quatre  anneaux 
qu'elle  porte  au  lobe  et  à  la  circonférence  de  l'oreille.  Cet 
usage  des  boucles  d'oreille  multiples  est,  vous  le  savez,  univer- 
sel chez  les  Ouolofs,  les  Toucouleurs,  sur  une  desquelles  j'en  ai 
compté  au  Champ-de-Mars  jusqu'à  dix-sept  à  chaque  oreille. 
Autre  particularité  très  remarquable  :  Cette  jeune  fille  a  un 
trou  sous  la  narine  droite,  au-dessus  de  l'aile  du  lobule.  Dans  ce 
trou  elle  passera  un  anneau  après  son  mariage,  comme  cer- 
taines femmes  Poullo  ou  Pœul.  Dans  la  suivante,  portrait  d'une 
guerrière,  vous  remarquerez  la  ceinture  de  grosses  perles  qui 
tombe  au-dessous  de  la  hanche.  Cette  ceinture,  des  observa- 
teurs (Rochebrune)  la  croyaient  particulière  aux  Ouolowes 
de  la  cote  occidentale,  elle  a  un  rôle,  le  même,  à  ces  deux 
extrémités  de  l'Afrique,  dans  les  relations  amoureuses. 

Enfin,  voici  le  portrait  d'une  malheureuse  Abyssine  cou- 


48  i  SÉANCE  DU   18  JUILLET  1895 

verte  de  pustules  de  la  syphilis.  Les  Abyssins  sont  infectés  en 
grand  nombre  par  cette  maladie. 

Je  n'ai  rien  à  ajouter  pour  le  moment.  Ces  quelques  échan- 
tillons suffisent  bien  certes  pour  faire  apprécier  comme  elle 
le  mérite  la  valeur  de  la  collection  de  M*.  Marchi.  Pour  chacune 
des  photographies  qu'il  nous  a  données,  j'ai  rédigé,  sur  ses 
indications,  une  note  explicative  qui  figurera  dans  l'album 
qui  leur  sera  réservé. 

M.  le  Président  prie  M.  Zaborowski  de  transmettre  à  M.  Mar- 
chi les  vifs  remerciements  de  la  Société  d'Anthropologie. 

Discussion. 

M.  le  Dr  Jousseaumk  ajoute  à  cette  communication  que  ces 
photographies  ont  au  point  de  vue  des  mœurs  des  peuples 
qui  habitent  entre  l'Ethiopie,  la  mer  Rouge  et  le  golfe  d'Aden 
un  très  grand  intérêt.  Le  photographe  qui  les  a  faites  a  dû 
employer  tous  les  moyens  possibles  et  une  persévérante  téna- 
cité pour  déterminer  les  habitants  de  ces  contrées  à  poser 
devant  un  appareil  photographique.  Ce  photographe  qu'il  a 
connu  à  Massa wah,  s'est  ensuite  rendu  à  Zanzibar  pour  com- 
pléter l'œuvre  commencée  à  Massawah.  La  mort  étant  venue 
l'interrompre,  M.  Marchi  avec  lequel  il  était  associé  est  rentré 
en  possession  des  clichés  déjà  faits. 

Ces  photographies  sont  pour  la  science  très  précieuses; 
mais  il  est  regrettable  que  l'on  ne  connaisse  pas  les  tribus 
auxquelles  appartiennent  les  personnes  qui  ont  été  photogra- 
phiées. 

Malgré  ce  desiderata,  ces  photographies  présentent  la  collec- 
tion la  plus  complète  et  la  plus  nombreuse  qui  ait  été  faite  jus- 
qu'à ce  jour.  On  y  trouve  les  différents  procédés  de  suture  em- 
ployés pour  les  infibulations  des  femmes,  procédés  qui  diffèrent 
suivant  l'âge  de  la  personne.  Ainsi  chez  les  femmes  d'un  Age 
avancé,  ayant  déjà  subi  plusieurs  fois  l'inflbulation,  on  se 
sert  d'un  double  bâtonnet  pour  rapprocher  les  deux  parties 
avivées  de  ce  qui  reste  des  grandes  lèvres. 


ED.  PIETTE.  —  UNE  SÉPULTURE  AU  MAS  d'aZIL  485 

Le  don  fait  par  M.  Marchi  à  la  Société  d'Anthropologie 
est  d'un  prix  inestimable  pour  ceux  qui  voudront  s'occuper 
des  mœurs  des  populations  Africaines  des  bords  de  la  mer  de- 
puis Massawah  jusqu'à  Zanzibar  et  propose  que  des  remercie- 
ments soient  en  effet  votés  à  M.  Marchi. 

COMMUNICATIONS 
Une  sépulture  dans   l'assise  à  galets  coloriés  du  Mas  d'Azil 

Par  M.  Ed.  Piette. 

En  fouillant,  dans  la  grotte  du  Mas-d'Azil,  l'assise  à  galets 
coloriés  placée  sur  la  rive  gauche  de  l'Arise,  j'ai  découvert  les 
ossements  d'un  squelette  humain  incomplet.  Le  crâne  et  les  pe- 
tits os  manquaient  ;  les  os  longs  avaient  été  mis  en  tas  à  coté  de 
la  mâchoire  inférieure.  Tous  étaient  rougis  par  du  peroxidede 
fer  ;  quelques-uns  étaient  rayés  par  le  tranchant  d'un  silex. 
Ils  n'avaient  donc  été  placés  en  cet  endroit  qu'après  avoir  été 
décharnés  ;  s'il  y  avait  eu  inhumation,  elle  avait  été  celle  d'un 
squelette  et  non  celle  d'un  cadavre.  L'absence  des  petits  os 
tend  à  prouver  que  le  corps  avait  été  porté  hors  de  la  caverne, 
à  l'abri  des  carnassiers,  mais  non  peut-être  des  oiseaux  rapa- 
ces  et  que  les  os  en  avaient  été  ensuite  rapportés  dans  la 
grotte,  après  avoir  été  raclés  avec  le  silex  pour  enlever  les 
chairs  encore  adhérentes,  puis  rougis  au  moyen  du  peroxide 
de  fer.  C'est  l'explication  à  laquelle  je  me  suis  arrêté.  La  dé- 
sarticulation des  os  dont  aucun  ne  se  trouvait  dans  sa  con- 
nexion naturelle  avec  un  autre  m'a  paru  un  argument  sérieux 
en  faveur  de  cette  opinion.  Le  tas  d'ossements  est  incontesta- 
blement contemporain  de  l'assise  à  galets  coloriés.  Elle  a  con- 
tinué à  se  former  régulièrement  au-dessus  de  lui  ;  puis  elle 
a  été  recouverte  par  des  lits  lenticulaires  d'esgargots  alternant 
avec  des  cendres  rubanées  restées  intactes. 

J'ai  l'honneur  de  mettre  sous  les  yeux  des  membres  de  la 
Société  un  fémur  et  la  mandibule  de  ce  squelette.  La  couleur 
rouge  qui  les  recouvre  a  subsisté  malgré  un  lavage.  Sur  le  fé- 


486  SÉANCE  DU  18  JUILLET  1895 

mur  on  voit  plusieurs  rayures  très  distinctes  faites  avec  un 
silex.  On  y  remarque  aussi  une  petite  dépression  triangulaire, 
résultant  d'une  blessure  faite  par  une  flèche.  L'état  de  l'os 
prouve  qu'elle  n'a  pas  entraîné  immédiatement  la  mort. 


Noirs  anthropologiques  sur  le  Valais 

Paii  M.  Maurice  Bedot 

M.  le  colonel  Dr  Ziegler,  médecin  en  chef  de  la  Confédéra- 
tion suisse  ayant  bien  voulu  m'autoriser  à  suivre  les  opéra- 
tions du  recrutement  dans  le  Bas-Valais,  j'ai  pu  réunir  de  la 
sorte  quelques  matériaux  en  vue  d'une  étude  anthropolo- 
gique de  cette  région.  Ces  recherches  ont  été  grandement 
facilitées  par  l'appui  et  la  bienveillance  de  M.  le  colonel  de 
Gocatrix  et  de  M.  le  major  D1'  Auguste  Wartmann,  auxquels 
je  suis  heureux  d'adresser  ici  le  témoignage  de  ma  vive 
reconnaissance. 

Le  canton  du  Valais  comprend  toute  la  région  parcourue 
par  le  Rhône  et  ses  affluents,  à  partir  de  sa  naissance  jusqu'à 
son  embouchure  dans  le  lac  de  Genève  —  et  à  l'exception  de 
la  partie  de  la  rive  droite  située  entre  Saint-Maurice  et  le  lac. 
Les  frontières  politiques  du  Valais  coïncident  en  général  avec 
la  ligne  de  partage  des  eaux,  de  telle  sorte  que  tout  le  canton 
se  trouve  compris  dans  le  bassin  du  Rhône.  Il  est  limité  au 
Nord  et  au  Sud  par  de  hautes  chaînes  de  montagnes  qui  s'é- 
tendent des  Diablerets  à  la  Jungfrau  et  du  Grand  Saint-Bernard 
à  la  Furka  en  passant  par  le  Cervin  et  le  Mont-Rose.  Dans  la 
vallée  principale,  le  Rhône  traverse  une  plaine  dont  la  largeur 
—  avant  Martigny  —  ne  dépasse  pas  quatre  kilomètres.  Le 
reste  du  pays,  entièrement  montagneux,  est  formé  par  les 
vallées  latérales  que  parcourent  les  nombreux  affluents  du 
Rhône.  Ces  vallées  sont  beaucoup  plus  grandes  et  plus  peu- 
plées sur  le  versant  méridional  que  sur  le  versant  septen- 
trional. 


M.  BEDOT.    -    NOTES  ANTHROPOLOGIQUES  SUR  LE  VALAIS         487 

Le  Valais  est  divisé  en  deux  parties  :  1°  le  Haut-Valais  qui 
s'étend  du  glacier  du  Rhùne  à  Sion  et  dont  les  habitants 
parlent  un  dialect  allemand;  2°  le  Bas-Valais  qui  s'étend  de 
Sion  au  lac  de  Genève  et  dont  les  habitants  parlent  le  fran- 
çais. 

Par  sa  situation,  le  Valais  se  trouve  être  un  peu  en  dehors 
de  la  circulation  générale.  Il  doit  à  cette  circonstance  d'avoir 
conservé  jusqu'à  ce  jour  un  caractère  très  original.  La  popu- 
lation, cependant,  est  loin  de  présenter  un  aspect  homogène 
et  l'on  peut  observer  des  différences  de  types  assez  frap- 
pantes. 

On  a  prétendu  souvent  que  l'on  retrouvait  dans  quelques 
vallées  latérales  les  descendants  de  populations  d'origines 
très  diverses'qui  s'y  seraient  tconservésj  dans  un  état  relati- 


EckelU   1:8oo.O0O 


M=BIano 


G-  S=  Bernapd 


4<S8  SÉANCE   DU  18  JUILLET  1895 

vement  pur.  La  légende,  qui  n'est  pas  pour  déplaire  aux 
habitants  du  pays,  a  maintes  fuis  servi  de  base  à  ces  spécu- 
lations ethnographiques.  Certaines  vallées  passent  pour  être 
habitées  par  des  Romains,  d'autres  encore  par  les  Sarrasins, 
qui  occupèrent  au  xe  siècle  quelques  passages  des  Alpes 
valaisannes.  Cette  dernière  hypothèse  est  la  plus  courante. 
Des  personnes  dignes  de  foi  ont  souvent  affirmé  avoir  observé 
des  Valaisans  présentant  un  type  arabe  nettement  accusé 
C'est  possible,  mais  je  ne  crois  pas  qu'il  ait  jamais  été  fait  de 
recherches  scientifiques  sur  ce  sujet,  et  je  dois  ajouter  que 
mes  observations  ne  fournissent,  pour  le  moment,  aucune 
preuve  en  faveur  de  cette  hypothèse. 

Mes  études  ont  porté  seulement  sur  le  Bas-Valais.  Les 
observations  enregistrées  pour  chaque  homme  sont  : 

1°  Le  lieu  d'origine  ; 

2°  La  hauteur  de  la  taille  ; 

3°  La  mesure  des  deux  diamètres  céphaliques  ; 

4°  La  couleur  des  cheveux. 

L'indice  céphalique  mesuré  sur  le  vivant  a  toujours  été 
réduit  de  2  unités  pour  obtenir  l'indice  crânien.  J'ai  laissé 
de  côté  les  données  concernant  des  localités  isolées  (situées 
en  dehors  des  régions  étudiées),  lorsqu'elles  se  rapportaient 
à  un  nombre  d'individus  inférieur  à  dix. 

Les  mensurations  ont  été  faites  sur  736  hommes.  Le  nom- 
bre des  observations  qui  ont  pu  être  utilisées  et  groupées 
dans  des  régions  définies  est  de  614. 

11  m'a  semblé  intéressant  d'adopter  un  groupement  géo- 
graphique permettant  de  constater  la  modification  des  carac- 
tères dans  les  différentes  vallées.  Nous  avons  ainsi  une  répar- 
tition générale  en  5  régions,  qui  sont  : 

lre  Région.  Vallée  du  Rhône  de  Monthey  à  Sion.  Toutes  les 
localités  comprises  dans  cette  région  sont  situées  dans  la 
plaine. 

2e  Région.  Val  d'Uliez,  Val  du  Trient  et  Pays  d'Entremont 
(Bagnes,  Enlremont  et  Orsières).  Soit  tout  le  bassin  des  af- 
fluents de  la  rive  gauche  du  Rhône,  de  Monthey  à  Martigny 


M.   BEDoT.  —  NOTES  ANTHROPOLOGIQUES  SUR  LE  VALAIS  489 


lre  région.  —  Vallée  du  Rhône. 


NOMBI1E 

de 

LOCALITÉS 

INDICE    CRc 

ME» 

RÉPARTITION 

TAILLE 

sujets 

Moy. 

80.4 

Mas. 

87.0 

Min. 
73.9 

Bra- 

chy. 

4 

SsBra- 
chy. 

10 

Mesa- 
ticep. 

7 

l'S"  Do- 
licho. 

2 

1  Doli- 
|  cho. 

1 

moyenne 

24 

1.657 

10 

Massongex  .... 

81.1 

87.1 

75.1 

2 

4 

3 

1 

0 

1  626 

10 

Saint-Maurice.. 

79.3 

88.9 

74.4 

1 

2 

3 

2 

1.684 

12 

82.2 

90.5 

78.9 

9 

8 

2 

0 

0 

1.625 

15 

Marligny-Ville  « 

82.1 

87.1 

74  0 

5 

7 

0 

2 

1 

1.625 

15 

l-ullj 

78.0 

87.6 

72.6 

1 

3 

3 

5 

3 

1.643 

20 

77.4 

83.7 

71.3 

2 

3 

5 

6 

4 

1.613 

15 

79.1 

84.5 

73.5 

3 

4 

1 

5 

2 

1.587 

12 

80.0 

89.7 

75.4 

1 

6 

0 

5 

0 

1.613 

18 

Chamoson 

79.5 

86  8 

74.7 

3 

5 

3 

6 

1 

1.602 

19 

Ardon  

79  1 

84.8 

70.4 

3 

2 

9 

4 

1 

1.671 

10 

79.9 

87.4 

70.9 

2 

3 

2 

2 

1 

1  .'645 

37 

81.2 

89.4 

7L3 

9 

13 

6 

8 

1 

1.639 

15 

Sion 

78.8 

86.0 

73.0 

2 

6 

0 

5 

2 

1.656 

232 

Total. . 

40 

76 

43 

54 

19 

Ce  qui  do 

nne  p 

our  ( 

ent  : 

17 

33 

18 

23 

8 

Indice  crânien  moyen  :  79.92. 


i  Martigny-Bourg  et  Martigny  Combe  sont  situés  à  une  certaine  dis- 
tance de  Marligny-Ville,  à  l'entrée  de  la  Vallée  de  la  Dranse  qui  conduit 
dans  le  pays  d'Entremont.  Je  les  ai,  par  conséquent,  classés  dans  la 
2e  région,  car  il  se  trouvent  en  dehors  du  courant  qui  parcourt  la  plaine 
du  Rhône. 


T.    VI   (i°   SFIHE). 


;;_> 


490 


SÉANCE  DU  18  JUILLET  4895 

2e  région,  —  a)  Val  d'Illiez. 


NOMBRE 

de 

sujots 

LOCALITÉS 

INDICE    CltàNIEN 

RÉPARTITION 

TAILLE 

Mo  y, 

Max. 

91.7 

Min. 

Bra- 
chy. 

S'Bra- 

cliy. 

Mésa- 
licép. 

5'  1)0- 

licho. 

Doli- 
cho. 

moyenne 

31 

Trois -Torrents. 

82.3 

72.7 

13 

8 

6 

2 

2 

1.650 

15 

90.7 

76.5 

9 

1 

3 

2 

0 

1.G90 

6 

Champéry. . . . 

81.9 

85.5 

77.7 

2 

3 

0 

1 

5 

0 
2 

1.686 

52 

Total.... 

24 

12 

9 

Ce  qui  donne  pour  cent  :  40      23      17      10 
Indice  crânien  moyen  :  82.56. 

b)  Val  du  Trient. 


Salvan. . 
Finhaut. 


85.2 

92.5 

74.9 

18 

5 

2 

0 

1 

84.3 

89.0 

79.5 

5 

3 

1 

0 

0 

Totai 

23 

8 

3 

0 

1 

26 

9 

35 


Ce  qui  donne  pour  cent  :  66      23 
Indice  crânien  moyen  :  84.95. 

c)  Entremont. 


8       0 


35 

9 
15 
33 
19 

9 
19 
58 

197 


Martigny-Bourg 
et  Combe.. . . 

Bovernier 

Sem brancher. . 

Orsières 

Liddes 

Bourg  St-Pierre 

Vollèges 

Bagnes  (Chable) 


82.8 

91.1 

82.3 

88.3 

83.9 

91.4 

84.4 

90.7 

85.1 

91.1 

83  1 

92.4 

83  7 

90. 5 

84.3 

92.3 

76.4]  13 


78.2 
78.0 
75.5 
74.9 
77.3 
76.1 
77.2 


TOTAI 


2 

9 

22 

13 

5 

9 

35 


14 

5 
3 

8 
3 
1 

8 
16 


108 


Ce  qui  donne  pour  cent  :  55 
Indice  crânien  moyen  :  83.88. 


58 
29 


2 

3 
2 
2 
9 

1 
6 


24 
12 


il 
0 
1 
0 

1 

1 

1 


6 
3 


0 
0 
1 
0 
0 
0 


1.634 
1.590 


1 
0.5 


1.615 

1.608 
1.606 
1.605 
1.626 
1.621 
1.608 
1.617 


M.  BEDOT.  —  NOTES  ANTHROPOLOGIQUES  SUR  LE  VALAIS  491 

3°  région.  —  Isérable. 


NOMBRE 

de 
mensu- 
rations 


15 


LOCALITÉS 


Isérable. 


INDICE    CRaNlEN 


Mov.     Mai.     Mi 


84.5 


90.0 


75.0 


RÉPARTITION 


Bra-     S'Bra- 
>hy.      cliy. 


9 


Mésa- 
ticép. 


S-  Do 
licho. 


Doli- 
cho. 


Ce  qui  donne  pour  cent  :  60      33 
Indice  crânien  moyen  :  84.58. 

¥  région.  —  Nendaz. 


0 
0 


TAILLE 

moyenne 


1.621 


41 


Nendaz  .    . 


79.6 


87.2  72.9 


6 


14 


8 


5  11. 000 


Ce  qui  donne  pour  cent  :  15      34      19      19      12 
Indice  crânien  moyen  :  79.63. 


5°  région.  —  Savièze. 


42 


Savièze 


77.1 

89.1 

71.7 

3 

4 

6 

15 

14 

1.633 


Ce  qui  donne  pour  cent  :     7 
Indice  crânien  moyen  :  77.08. 

Récapitulation. 


9      14      36      33 


m 

o 

o 
•w 


Ire 

2e 

3e 

4° 
5e 


Vallée  du  Rhône. .  . . 

V.    d'Illiez,   Trient, 
Entremont 


Isérable. 
Nendaz . 
Savièze  . 


Tolal. 


NOMBRE 

de 
sujets 

MOYENNE 

de  la 
taille 

MOYENNE 

de  l'indice 
crânien 

232 

1.640 

79.92 

284 

1.625 

83.78 

15 

1.621 

84.58 

41 

1  600 

79.63 

42 

1.633 

77.08 

614 

— 
ce 

>> 

» 

t. 

CQ 

su 

o 

a 

en 

m 

40 

76 

43 

54 

155 

78 

36 

11 

9 

5 

0 

1 

6 

14 

8 

8 

3 

4 

6 

15 

213 

177 

93 

89 

Ce  qui  donne  pour  cent  :     35      #)      15      14 
Indice  crânien  moyen  :  81  .60. 


19 

4 

0 

5 

14 

42 

7 


492  SÉANCE  DU  18  JUILLET  1S95 

3e  Région.  Isérable.  Village  perché  sur  la  montagne  qui 
domine  la  plaine  du  Rhùne  sur  la  rive  gauche,  à  640  mètres 
au-dessus  de  Riddes. 

4e  Réyion.  Nendaz.  Village  sur  la  montagne  dominant  la 
rive  gauche  du  Rhône. 

5e  Région.  Savièze.  Village  dans  la  montagne,  au-dessus 
de  Sion,  sur  la  rive  droite  du  Rhùne. 

Ces  régions  ont  été  établies  arbitrairement  et  seulement 
dans  le  but  de  faciliter  la  comparaison  des  résultats,  en  réu- 
nissant autant  que  possible  les  localités  présentant  des  condi- 
tions d'existence  analogues. 

En  comparant  les  résultats  des  mensurations,  on  voit  que 
les  tètes  larges  sont  en  grande  majorité  dans  le  Bas-Valais. 
Mais  elles  ne  sont  pas  réparties  égalemet  dans  les  différentes 
vallées. 

Dans  tout  le  pays  montagneux  de  la  deuxième  région,  on 
observe  une  brachycéphalie  bien  prononcée.  Les  brachycé- 
phales  forment  la  majorité  et  sont  presque  toujours  d'autant 
plus  nombreux  que  Ton  s'éloigne  davantage  de  la  vallée  du 
Rhône.  Les  nombres  d'individus  répartis  dans  les  différents 
groupes  d'indices  crâniens  forment  une  série  décroissante  à 
partir  des  brachycéphales  jusqu'aux  dolichocéphales.  Ces 
derniers  sont  en  nombre  minime,  soit  1,40  0  0. 

En  revanche,  dans  la  première  région  —  la  vallée  du 
Rhùne  —  les  brachycéphales  ont  diminué  pour  laisser  la 
majorité  aux.  sous-brachycéphales.  Les  dolichocéphales  sont 
en  augmentation  (8,18  0  0)  et  les  sous-dolichocéphales  arri- 
vent au  chiffre  de  23,27  0  0. 

Si  l'on  veut  mettre  en  parallèle,  dans  cette  région,  les  ha- 
bitants des  deux  rives  du  fleuve,  on  obtient  la  répartition 

suivante  : 

Rive  gauche.  Rive  droite. 

Brachycéphales 17.92  pour  cent.  16.(56  pour  cent. 

Sous  Brachycéphales 35.84  —  30.15         — 

Mésaticéphales 18.86  —  18.25         — 

Sous-Dolichocéphales...  17.92  —  27.77         — 

Dolichocéphales 9.43  —  7.14         — 


M.   BED0T.   —  NOTES  ANTHROPOLOGIQUES   SUR    LE   VALAIS  493 

Des  deux  côtés,  les  brachycéphales  sont  en  majorité,  mais 
ils  sont  plus  nombreux  sur  la  rive  gauche  que  sur  la  rive 
droite.  En  outre,  on  voit  que  le  nombre  des  sous-dolichocé- 
phales est  beaucoup  plus  grand  sur  la  rive  droite  que  sur 
l'autre. 

La  quatrième  région,  celle  de  Nendaz  donne  des  résultats 
a  peu  près  analogues. 

Il  n'en  est  pas  de  même  dans  la  troisième  région  —  Iséra- 
ble —  où  l'on  trouve  comme  indice  crânien  moyen,  84,58. 
Cette  moyenne  est  établie  sur  15  individus  qui  se  classent  de 
la  manière  suivante  :  9  brachycéphales,  5  sous-brachycépha- 
les  et  1  sous-dolichocéphale.  Ce  dernier  avait  une  tète  allon- 
gée et  relevée  en  arrière  d'une  forme  assez  remarquable  pour 
que  j'aie  cru  devoir  en  faire  une  mention  spéciale  dans  mes 
notes.  Si,  pour  cette  raison,  on  le  met  à  part  et  que  l'on 
prenne  la  moyenne  des  14  autres  individus,  on  obtient  un  in- 
dice crânien  de  85,26,  qui  dénote  une  brachycéphalie  extrê- 
mement prononcée  et  supérieure  même  à  celle  des  Lapons 
mesurés  par  Broca. 

Dans  la  cinquième  région,  celle  de  Savièze  qui  se  trouve 
sur  la  rive  droite  du  Rhône,  les  brachycéphales  sont  en  mi- 
norité. La  majorité  a  passé  aux  sous-dolichocéphales  et  après 
eux  aux  dolichocéphales.  La  moyenne  générale  de  l'indice 
est  de  77,08. 

On  a  vu,  plus  haut,  quelle  était  la  moyenne  de  la  taille 
dans  chaque  région.  C'est  dans  la  vallée  du  Rhône  que  l'on 
observe  le  maximum  de  1  m.  640;  vient  ensuite  Savièze  avec 
1  m.  633.  Mais  on  ne  doit  pas  oublier  que  ces  mesures  ont 
été  prises  sur  des  recrues  âgées,  pour  la  plupart,  de  19  ans, 
c'est-à-dire  n'ayant  pas  encore  atteint  le  maximum  de  leur 
taille. 

En  classant  les  individus  de  tout  le  Bas-Valais  d'après  leur 
indice  crânien  et  en  faisant  la  moyenne  des  tailles,  on  obtient 
les  chiffres  suivants  : 

Brachycéphales lm621 

Sous-Brachycéphales I"l(i28 


494  SÉANCE  DU  18  JUILLET  1895 

Mésaticéphales 1^633 

Sous-dolichocéphales lm641 

Dolichocéphales lm628 

La  taille  va  donc  en  augmentant  à  partir  des  brachycé- 
phales  jusqu'aux  sous- dolichocéphales  qui  atteignent  le 
maximum  de  1  m.  641  ;  puis  elle  redescend  à  1  m.  628  chez 
les  vrais  dolichocéphales. 

Si  l'on  admet,  avec  Quetelet,  qu'à  19  ans  il  manque  à 
l'homme  15  millimètres  de  sa  taille  définitive,  on  voit  que 
les  sous-dolichocéphales  se  trouvent  seuls  un  peu  au-dessus 
de  la  moyenne  de  1  m.  65. 

Les  recherches  sur  la  couleur  des  cheveux  ne  m'ont  pas 
donné  de  résultats  bien  caractéristiques.  Les  cheveux  châ- 
tains et  les  blonds,  ainsi  que  les  nuances  intermédiaires,  sont 
répartis  à  peu  près  également  dans  toutes  les  régions,  aussi 
bien  chez  les  brachycéphales  que  chez  les  dolichocéphales. 
On  constate  cependant,  sur  l'ensemble  des  observations,  une 
légère  prédominance  du  châtain.  La  couleur  chàtain-foncé  est 
très  rare.  Quant  au  noir  pur,  je  n'en  ai  vu  que  4  cas  (2  bra- 
chycéphales et  2  sous-brachycéphales). 

Les  résultats  fournis  par  cette  première  campagne  anthro- 
pométrique dans  le  Bas-Valais  semblent  autoriser  les  conclu- 
sions suivantes  : 

Le  Bas-Valais  est  habité  par  une  race  très  brachycéphale 
et  de  taille  au-dessous  de  la  moyenne,  dont  les  représentants 
les  plus  purs  se  rencontrent  actuellement  dans  les  montagnes 
et  les  vallées  des  affluents  du  Rhône,  principalement  sur  la 
rive  gauche.  On  peut  constater,  en  outre,  la  présence  d'une 
autre  race  —  caractérisée  par  une  tète  étroite  et  une  taille  un 
peu  plus  élevée  —  qui  a  refoulé  la  première  dans  les  vallées 
latérales  et  s'est  établie  dans  la  plaine  du  Rhône  et  sur  cer- 
tains points  de  la  rive  droite  du  fleuve. 

On  finit  remarquer,  en  outre,  que  la  race  brachycéphale 
primitive  a  un  indice  crânien  très  élevé  qui,  dans  certai- 
nes régions,  dépasse  celui  des  Savoyards  et  des  Auvergnats, 
et  peut-être  même  celui  des  Lapons. 


M.  HEDOT.  —  NOTES  ANTHROPOLOGIQUES  SUR  LE  VALAIS         495 

M.  Azoulay  fait^en  son  nom  et  au  nom  de  M.  Baudelot,  une 
communication  sur  les  dents  artificielles  françaises,  anglaises 
et  américaines. 

M.  Regnault  fait  une  communication  sur  les  attitudes  de 
repos  dans  les  races  humaines. 

Les  manuscrits  de  ces  auteurs  n'ont  pas  été  remis  au  secré- 
tariat. 

L'un  des  secrétaires  :  Dr  P.  Raymond. 


028e  SÉANCE.  —  3  octobre  1895. 
Présidence  de  M.  André  Lefèvre. 


CORRESPONDANCE. 

M.  Kovalewsky,  Président  du  deuxième  Congrès  de  l'Ins- 
titut international  de  Sociologie,  remercie  la  Société  de  l'hos- 
pitalité qu'elle  a  donnée  à  ce  Congrès. 

ouvrages  offerts. 

Giltchenko  (N.-V.).  —  Matériaux  pour  l'anthropologie  du  Cau- 
case. Les  Cosaques  du  Kouban  (en  russe),  in-4°,  48  pages,  Mos- 
cou, 1895. 

Iwanowski  (Dr  Al.).  —  Die  Mongolei.  Ethnographische  Slcizze, 
in-8°,  28  pages,  Leipzig,  1895. 

Jacques  (Dr  V.).  —  Les  Congolais  de  l'Exposition  universelle 
d'Anvers  (Ext.  du  Bull.  Soc.  d'Anthrop.  Bruxelles),  in-8°,  62  pa- 
ges et  fîg.,  Bruxelles,  1895. 

Lehmaisn-Nitsche  (Dr  R.).  —  Beilrœge  zur  physiseken  Anthro- 
pologie der  Bajuvarcn  :  Ueber  die  larigm  Knochen  der  sudbayeris- 
chen  Reihengrœberbevœlkerung  (Ext.  de  Beitnrge  Anthrop.  u. 
Urgesch.  Bayern»),  in-4°,  92  pages  et  fig.,  Munich,  1895. 

—  La  Taille  de  la  population  des  Reihengrœber  de  la  Bavière  mé- 
ridionale (V'-VII*  siècle  après  J.-C),  comparée  à  la  taille  des  ha- 
bitants actuels  du  même  pays. 


49G  SÉANCE  DU  3  OCTOBRE  1895 

M.  Manouvrier.  —  L'auteur  de  cet  excellent  travail,  M.  le 
Dr  Robert  Lehmann-Nitsche,  s'est  inspiré  de  mon  mémoire 
sur  la  Détermination  de  la  Taille,  dont  il  a  suivi  avec  le  plus 
grand  soin  toutes  les  indications  techniques,  ainsi  que  du 
mémoire  du  Dr  Rahon  sur  la  Taille'  d'après  les  ossements 
préhistoriques. 

M.  Lehmann-Nitsche  a  utilisé,  dans  ce  travail,  fait  à  l'Ins- 
titut Anthropologique  de  Munich,  dirigé  par  le  professeur 
Johannes  Ranke,  une  importante  collection  d'osssements 
extraits  de  350  tombeaux  et  représentant  une  antique  popula- 
tion bien  groupée  qui  occupait,  à  une  époque  «caractéristi- 
que »  pour  l'Allemagne  du  sud,  les  territoires  d'Allach,  de 
Dillingen,  de  Gundelfîngen,  de  Memmingen  et  de  Fischen. 

Les  tombeaux  du  territoire  d'Allach,  trouvés  à  l'ouest  de 
Munich  et  tout  près  de  cette  ville,  appartiendraient  aux  pre- 
miers colons  de  race  bavaroise,  aux  «  Bajuvares»,  tandis  que 
les  autres,  situés  près  de  la  frontière  du  Wurtenberg  auraient 
appartenu  aux  Souabes-Alemans. 

Malheureusement,  là  comme  ailleurs,  la  plupart  des  os  sont 
brisés  et  incomplets,  de  sorte  que  M.  Lehmann-Nitsche  n'a 
pu  en  utiliser  qu'une  faible  partie.  Toutefois,  les  moyennes 
obtenues  peuvent  être  considérées  comme  à  peu  près  stables, 
du  moins  pour  le  sexe  masculin. 

Voici  ces  moyennes  : 

Bajuvares  :  39  os  masculins;  14  féminins. 

Taille  moyenne  masculine  —  lm,686;  féminine  =  lm,573. 

Souabes  et  Alemans  :  G4  os  masculins;  2i  féminins. 

Taille  moyenne  masculine  .—  lm,682;  féminine  =  1"',533. 

En  réunissant  les  deux  populations,  on  obtient  : 

Taille  moyenne  masculine  d'après  103  os  =  l,n,683. 
féminine        —         38  os  =  lm,554. 

M.  Lehman-Nitsche  a  comparé  ces  résultais  aux  chiffres 
obtenus  par  M.  Ranke  sur  les  conscrits  Bavarois  en  1875.  La 
taille  moyenne  pour  Munich  est  de  lm,68.  Elle  est  de  1DI,06 
environ  pour  les  conscrits  des  arrondissements  de  Dillingen, 
Memmingen,  etc. 


OUVRAGES    OFFERTS  497 

La  petite  différence  existante  entre  la  taille  ancienne  et  la 
taille  moderne  est  attribuée  par  l'auteur  à  ce  que  les  os 
anciens,  les  mieux  conservés,  appartenaient  en  majorité  aux 
individus  les  plus  robustes,  et  à  ce  que  les  conscrits  n'ont  pas 
atteint  complètement,  à  20  ans,  leur  taille  définitive. 

Il  est  très  remarquable  de  voir  que  ces  résultats  sont  entiè- 
rement conformes  à  ceux  obtenus  en  France  et  qu'en  Allema- 
gne du  sud,  aussi,  la  taille  moyenne  actuelle  se  maintient  au 
niveau  ancien.  Il  faut  remarquer,  en  outre,  que  la  taille,  dans 
l'Allemagne  du  sud,  est  supérieure  à  la  taille  française. 

M.  Lehmann-Nitscbe  a  essayé  de  comparer,  non  seulement 
les  moyennes,  mais  encore  la  composition  des  séries  à  l'épo- 
que ancienne  et  à  l'époque  actuelle.  Sur  ce  point,  les  résultats 
sont  illusoires,  car  si  le  nombre  des  cas  masculins  anciens  est 
suffisant  pour  fournir  une  moyenne  approximativement 
exacte,  ce  nombre  est  très  insuffisant  pour  fournir  des  moyen- 
nes valables  de  chaque  groupe  de  tailles. 

En  ce  qui  concerne  la  différence  de  taille  entre  les  anciens 
Bajuvares  et  les  Souabes-Alemans,  cette  différence  semblerait 
être  en  faveur  des  Bajuvares,  mais  le  nombre  des  cas  observés 
est,  ici  encore,  trop  faible  pour  inspirer  une  confiance  absolue 
dans  les  résultats  de  la  comparaison. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  consciencieux  mémoire  de  M.  Lehmann- 
Nitsche,  dont  je  n'ai  pu  donner  ici  qu'un  résumé  très  succinct, 
a  mis  en  lumière  des  faits  importants.  Il  est  à  souhaiter  que 
les  matériaux  du  même  genre,  existants  dans  les  autres  pays, 
soient  utilisés  d'une  façon  aussi  rigoureuse  et  aussi  profitable. 
—  Des  recherches  analogues  ont  été  faites,  en  Russie,  il  y  a 
2  ans,  par  M.  Kroutowsky,  mais  n'ont  pas  encore  été 
publiées. 

Letourneau  (Dr  Ch.).  —  La  guerre  dans  les  diverses  races 
humaines,  in-8°,  xxi-;')81  pages,  Paris,  1893. 

Loris  Melikoff  (Dr).  —  Aperçu  ethnographique  sur  VEpidémie 
de  choléra  à  Rescht. 

Meyer  (A.  B.).  —  Zivei  Hauwaffen  von  Mattu  bei  Neu  Guinea 


498  séance  du  3  octobre  1895 

(Ext.  de  Abh.  u.  Berichle  K.  zool.  u.  Anth.-Elhn.  Muséums  zu 
Dresden),  in-4°,  6  pages  et  planche,  Berlin,  1895. 

Reber  (B.).  —  Die  vorhistorischen  Denkmœler  im  Einfischthal 
(Walis)  (Ext.  de  Archiv.  fii>'  Anthropologie),  in-4°,  16  pages 
et  pi.,  Brunschwig,  1892. 

Regnault  (Dr  F.).  —  Pourquoi  les  nègres  sont-iU  noirs  ?  Etude 
sur  les  causes  de  la  coloration  de  la  peau  in  La  Médecine  moderne 
du  2  octobre  1895. 

Rodrigues  (Nina).  — Nègres  criminels  au  Brésil  (Ext.  de  Arch. 
di  Psichi.  ed  antrop.  criminelle),  in-8°,  8  pages,  Turin,  1895. 

Sherzer  (W.  IL).  —  Plalgcnemic  man  in  New  York,  in-8°j 
26  pages,  Albany,  1894. 

Spalikowski  (Dr  Edm.).  —  Une  «  Anatomie  »  au  XVIIe  siècle, 
d'après  Th.  Gelée,  in-8,  3  pages,  Rouen,  1894. 

Spalikowski  (Dr  Edm.).  —  Le  médecin  Tronchin  et  sa  corres- 
pondent avec  Volteiire,  in-8°,  9  pages,  Rouen,  1895. 

Toeroek  (A.  von).  —  Offener  Brief  an  Herrn  Dr.  Moriz  Bcne- 
dikt  in  Wien  und  Antivorth  auf  den  vorhergefanden  offenen  Brief 
des  Herrn  Prof.  Dr.  Aurelv.  Tœrœk(Craniologie)  (Ext.  de  Mitth. 
Anthrop.  Gesellsch.  in  Wien),  in-4°,  9  pages  à  2  col.,  Vienne, 
1895. 

Zaborowski.  —  Du  Dnieslre  à  la  Caspienne  (Ext.  du  Bull. 
Soc.  Anthrop.  de  Paris),  in-8°,  24  pages,  Paris,  1895. 

Périodiques  (articles  à  signaler). 

L'Anthropologie,  1895,  n°  4.  —  De  Baye  :  Note  sur  l'époque 
des  métaux  en  Ukraine.  —  Dr  Jousseaume  :  Réflexions  an- 
thropologiques à  propos  des  tumulus  et  silex  taillés  des  Ço- 
malis  et  des  Danakils.  —  Meige  :  L'Infantilisme,  le  Féminisme 
et  les  hermaphrodites  antiques. 

Revue  de  l'École  d'Anthropologie,  1895,  n  s  7,  8,  9.  —  Ch.  Le- 

.  tourneau  :  Le  passé  et  l'avenir  du  commerce.  —  G.  de  Mor- 

tillet   :   Les    Mottes.  —  Capitan  :    Le    milieu  extérieur.    — 

L.   Manouvrier  :   Discussion   des    concepts    psychologiques. 

Sentiments  et  connaissance.  Etats  affectifs. 


PÉRIODIQUES  499 

Bull,  de  la  Soc.  dauphinoise  d'ethnologie  et  a" anthropologie,  1895, 
n°  2.  —  Dr  A.  Bordier  :  Enquête  sur  la  couleur  des  cheveux 
et  des  yeux  dans  le  département  de  l'Isère.  —  II.  Muller  : 
Fouilles  pratiquées  dans  les  grottes  et  abris  des  Balmes. 

Bull,  de  la  Soc.  de  Géographie  de  Paris,  1895,  n°  2.  —  P.  d'En- 
joy  :  Une  incursion  chez  les  Moïs. 

Bévue  Scientifique,  1895,  nos  3,  10,  12,  13  (2e  sem  ).  — 
Paulhan  :  L'origine  du  mariage.  -  G.  Variot  :  Les  avaleurs 
de  sabres.  —  E.  llamy  :  Les  races  humaines  de  Madagascar. 
—  W.  Ilaacke  :  L'allongement  des  ongles  et  des  poils  comme 
résultat  de  l'atrophie  par  défaut  d'usage.  —  A.  Leclère  :  L'ins- 
truction chez  les  Cambodgiens. 

Bull,  de  la  Soc.  de  Géographie  belge,  1895,  n°  1.  —  V.  Lévy  : 
Le  peuple  balinais. 

Zeilschrift  fur  Ethnologie,  1895,  n°s  3-4.  —  Wegener  (Ph.)  : 
Bericht  ueber  den  Urnenfriedhof  bei  Bùlstringen  (Reg.-Bez. 
Magdeburg)  avec  fig.  —  P.  Ehrenreich  :  Materialien  zurSpra- 
chenkunde  Brasiliens  (suite). 

Archiv  fur  Anthropologie,  XXIII,  n°  4.  —  S.  Weissenberg  : 
Die  sûdrusischen  Juden.  Eine  anthropometriscbe  Studie.  — 
M.  Hœrnes  :  Untersuchungen  iiber  den  Hallstœtter  Culturkreis. 

Mitth.  der  Anthropologischen  Gesellschaft  in  Wicn,  XXV, 
nos  3-4.  —  Weinzierl  :  Die  neolitische  Ansiedelung  bei  Gross- 
Czermosenk  an  der  Elbe.  —  S.  Weissenberg  :  Ueber  di  zum 
mongolischen  Bogen  gehœringen  Spannringe  und  Schutzplat- 
ten.  —  R.  Meringer  :  Studien  zur  germanischen  Volkskunde 
(suite).  —  A.  AVeisbach  :  Die  Salzburger. 

Journal of  the  Anlhropological  1 nstilute ,  XXV,  n°  1.  —  Lewis  : 
Prehistoric  remains  in  Cornwall.  —  J.  Beddœ  :  On  the  Nor- 
thern Settlemen  of  the  AVest-Saxons.  —  S.  Hall  :  The  chan- 
ges in  the  proportions  of  the  human  body  during  the  period 
of  Growth.  —  Last  :  Notes  on  the  languages  Spoken  in  Ma- 
dagascar. —  Duckworth  :  Notes  on  a  collection  of  Oania  of 
Esquimaux. 

Journal  of  analomg  an  l  phgsiologg,  XXIX,  n"  i.  — P.  Polter  : 
The  obliquily  of  the  arm  of  the  female  in  extension.  The  re,- 


500  SÉANCE  DU  3  OCTOBRE  1895 

lation  of  the  forearm  with  the  Upper  arm  in  flexion.  —  E. 
Fawcett  :  An  Unusually  large  terminal  vermiform  appendix, 
with  recurved  small  conical  caecum,  with  remarks  on  the  pe- 
ritoneal  pouches.  —  J.  Cunningham  :  The  form  of  the  spleen 
and  the  Kidneys. 

Journal  and  Proc.  of  the  Royal  Society  of  New  South  Wales, 
XXVIII  (1894).  —  Liversidge  :  Notes  on  some  Australasian 
and  other  stone  implements. 

Bul.  di 'paletnolorjia  italiana,  XXI  noS  4  6.  —  Blasio  :  Avanzi 
preistorici  délia  grolla  délie  Felci  nell'  Isola  di  Capri. 

Archivio  pcr  l'antropologia,  XXV,  nos  192.  —  M.  Pitzorno  : 
Quattordici  erani  con  ossa  accessorie.  —  II.  Giglioli  :  Ap- 
punti  intorno  ad  una  collezione  etnografica  fatta  durante  il 
terzo  viaggio  di  Cook,  e  conservata  sin  dalla  fine  del  secolo 
scorzo  nel  R.  Museo  di  Storia  naturale  di  Firenze.  —  E.  Re- 
galia  :  Sulla  causa  générale  délie  anomalie  numeriche  del 
rachide.  —  G.  Mondio  :  Nove  cervelli  di  deliquenti. 

PRÉSENTATIONS. 

M.  F.  Regnault  présente  des  photographies  de  poteries 
égyptiennes. 

COMMUNICATIONS. 

Les  anciens  chants  historiques  et  les  traditions   populaires 

d'Arménie 

Par  M.  Er.  Lalayantz. 

Messieurs, 

Permettez-moi  de  vous  remercier  tout  d'abord  du  grand 
honneur  que  vous  m'avez  fait  en  m'admettant  au  nombre 
des  correspondants  étrangers  de  votre  savante  Société,  et  de 
vous  exprimer  toute  ma  gratitude  pour  une  aussi  flatteuse 
distinction. 

Enhardi  par  ce  témoignage  précieux  de  sympathique  es- 
time, j'essayerai,  si  vous  le  voulez-bien,  Messieurs,  de  justifier 


ER.  LALAYANTZ.  —  LES  ANCIENS  CHANTS  D  ARMÉNIE  501 

votre  choix,  et  je  vais,  dès  maintenant,  vous  prier  de  m'ac- 
corder  quelques  instants  de  bienveillante  attention  et  d'indul- 
gence, dont  je  m'efforcerai  de  ne  pas  abuser. 

Il  s'agit  d'une  étude  sur  les  chants  historiques  et  traditions 
populaires  de  l'Arménie  ancienne,  que  je  viens  d'écrire  tout 
récemment,  et  dont  je  me  propose  de  vous  lire  deux  ou  trois 
chapitres. 

Nous,  Arméniens,  possédons  un  certain  nombre  de  chants 
historiques,  recueillis  primitivement  par  Mar-Abasse  de 
Mtzoarin  et  Moïse  de  Khorén  sur  lesquels  est  basée  l'histoire 
primitive  de  l'Arménie.  Je  n'insiste  pas  sur  les  autres  écri- 
vains, qui  nous  ont  transmis  quelques  fragments  de  ces 
chants,  et  qui  citent  les  œuvres  patriotiques  des  patriarches 
et  des  rois  arméniens,  de  Haïk,  premier  patriarche  arménien 
(20  siècles  av.  J.-C.)  jusqu'à  Arlavasde  II,  roi  d'Arménie 
(2  siècles  après  J.-G.)  inclusivement.  Il  va  sans  dire  que 
presque  toute  l'Arménie  a  participé  à  la  composition  de  ces 
chants,  seulement,  selon  M.  de  Khorèn,  la  province  de  Kogh- 
then,  qui  abondait  en  vin,  fut  la  plus  renommée,  elle  a  eu  des 
chanteurs  analogues  aux  anciens  bardes  gaulois;  ces  chan- 
teurs s'en  allaient  de  ville  en  ville,  de  village  en  village, 
récitant  et  chantant  les  aventures  des  rois  arméniens.  Il  y 
avait  encore  des  chanteurs,  nommés  goussant,  qui  représen- 
taient le  sujet  de  leur  récit  en  chantant  et  récitant.  Ces  chants 
étaient  inséparables  de  la  musique  et  des  danses  que  j'ai 
aussi  étudiées  avec  assez  de  détails.  Je  n'insisterai  pas  non 
plus  sur  les  genres  des  chants,  mais  je  veux  vous  parler  de 
l'art  et  de  l'esprit  de  la  poésie  arménienne. 

Presque  tous  ces  chants  sont  épiques  et,  s'il  s'était  trouvé 
un  compilateur  comme  Firedousi,  ces  chants  auraient  pu 
former  un  Chah-naméh,  glorifiant  les  œuvres  poétiques  des 
rois  arméniens.  Le  trait  essentiel  de  ces  compositions  con- 
siste à  répéter  dans  la  deuxième  ligne  le  contenu  de  la  pre- 
mière, mais  cela  sous  une  nouvelle  forme,  ajoutant  toujours 
des  mots  nouveaux    et  de  nouvelles    pensées,   de  façon    à 


502  SÉANCE  DU  3  OCTOBRE  1895 

former  des  répétitions  harmonieuses  et  une  progression  gra- 
duée des  idées. 
Par  exemple  : 

«  Le  ciel  et  la  terre  étaient  dans  l'enfantement, 

La  mer  aux  reflets  de  pourpre  était  aussi  en  travail, 

Dans  la  mer  naquit  un  petit  roseau  vermeil, 

Du  tube  de  ce  roseau  sortait  de  la  fumée, 

Du  tube  de  ce  roseau  jaillissait  de  la  flamme, 

De  cette  flamme  s'élançait  un  jeune  enfant, 

Ce  jeune  enfant  avait  une  chevelure  de  feu, 

Il  avait  une  barbe  de  flamme, 

Et  ses  petits  yeuX  étaient  deux  soleils  »  i. 

Ces  répétitions  et  ces  comparaisons  se  font  de  deux  maniè- 
res :  ou  par  combinaison,  c'est-à-dire  que  la  seconde  phrase 
est  aussi  importante  que  la  première  et  lui  fait  suite,  par 
exemple  : 

«  Une  pluie  d'or  tombait  au  mariage  d'Artuschès  ; 
Une  pluie  de  perles  tombait  aux  noces  de  Sathinig.  » 

Ou  par  opposition,  c'est-à-dire  que  la  seconde  phrase  est 
opposée  à  la  première,  mais  se  rapporte  à  la  même  idée.  Cela 
a  lieu  souvent  dans  les  proverbes,  comme  par  exemple  : 

«  Si  tu  as  le  gosier  de  Schara, 
Nous  n'avons  pas  les  greniers  de  Schirag.  » 

La  versification  de  ces  chants  est  prosodique.  Presque  tous 
les  mots  de  l'ancienne  langue  arménienne  étant  accentués 
sur  la  dernière  syllabe,  la  langue  prend  d'elle-même  une 
tournure  iambique,  courante  et  rapide.  Et  les  anciens  poètes 
ont  employé  cette  règle  de  l'accent  très  consciencieusement 
et  en  parfaite  connaissance  de  cause. 

Ce  qui  se  voit  surtout  dans  le  fragment  suivant  : 

1  Collection  des  historiens  arméniens  par  V.  Langlois  :  Moïse  de 
Korène,  76. 


ER.   LALAYANTZ.   —  LES  ANCIENS  CHANTS  d'aRMÉME  503 

«  Vardkès,  encore  enfant,  étant  parti 

Du  canton  de  Douh,  près  du  fleuve  Kosakh, 

Va  se  fixer  près  de  la  colline  de  Cherèch, 

Près  de  la  ville  d'Artimée,  près  du  fleuve  Kasakh, 

Pour  tailler  et  sculpter  la  porte  d'Érouand,  roi  i  ». 

«  Ces  fragments,  dit  Schlegel,  ont  l'esprit  de  la  poésie 
orientale,  et  par  leur  éclat,  leur  splendeur  et  leur  élégance 
peuvent  égaler  et  même  dépasser  la  poésie  homérique.  » 

Et  un  autre  écrivain,  Enin,  observe  avec  beaucoup  de 
vérité  :  Qu'en  lisant  ces  chants  il  nous  semble  voir  les  héros 
helléniques,  décrits  dans  l'Iliade.  Et  justement  les  chants  sur 
Torque  ressemblent  beaucoup  aux  passages  de  l'Odyssée  rela- 
tifs à  Polyphème,  le  Cyclope. 

Entre  ces  poésies,  on  trouve  en  effet,  plusieurs  analogies, 
par  exemple,  les  expressions  suivantes  : 

«  La  mer  aux  reflets  de  pourpre,  —  chevelure  de  feu,  — 
une  barbe  de  flammes.  —  Ses  petits  yeux  étaient  deux  soleils. 
—  Et  prompt  comme  l'aigle  au  vol  rapide,  il  franchit  le 
fleuve.  » 

Mais  ce  sont  les  métaphores  et  les  allégories,  le  souffle  et  le 
génie  de  la  poésie  orientale,  qui  éclatent  surtout  dans  ces 
fragments,  Par  exemple  : 

«  Une  pluie  d'or  tombait  au  mariage  d'Artaschès; 
Une  pluie  de  perles  aux  noces  de  Sathinig.  » 

Où  la  profusion  de  l'or  et  de  perles  pendant,  les  noces  est 
assimilée  à  une  ondée  de  pluie.  Ou  bien  : 

«  Les  descendants  des  Dragons  avaient  dérobé  l'enfant 
royal  (Artavasd)  et  lui  avaient  substitué  un  deve  (démon). 
Deve  est  ici  mis  au  lieu  de  vicieux.»  » 

Une  jolie  métaphore  est  contenue  dans  le  fragment  que 
nous  avons  déjà  cité  : 

«  Le  ciel  et  la  terre  étaient  dans  l'enfantement,  etc.,  »  où 
on   décrit  allégoriquement  la  naissance  de  Vahaken,  héros 

1  M.   DE  KORÈNK,  liv.    II,   Ch.  LXV. 


504  SÉANCE  DU  3  OCTOBRE  1895 

national  et  en  même  temps  dieu  de  la  bravoure,  mais  sym- 
bolisant le  lever  du  soleil  sortant  de  la  mer  aux  reflets  de 
pourpre. 

Le  fragment  suivant  se  rapporte  à  l'enlèvement  de  Sathi- 
nig  par  le  roi  Artaschès. 

«  Le  valeureux  roi  Artaschès,  monté  sur  un  beau  (coursier)  noir, 

Tirant  la  lanière  de  cuir  rouge  garnie  d'anneaux  d'or, 

Et  prompt  comme  un  aigle  qui  fend  l'air,  passant  le  fleuve, 

Lance  cette  lanière  de  cuir  rouge  garnie  d'anneaux  d'or 

Autour  des  flancs  de  la  vierge  des  Alains; 

Il  étreint  avec  douleur  par  le  milieu  du  corps  la  jeune  princesse, 

Et  l'entraîne  brusquement  dans  son  camp  '. 

Dans  ce  fragment  «  la  lanière  de  cuir  rouge  garnie 
d'anneaux  d'or  »  aux  termes  de  l'explication  même  de  Moïse 
ds  Khorène  signifiait  l'appât  d'or  et  de  cuir  si  estimés  chez  les 
Alains. 

Un  autre  fragment  s'exprime  ainsi  : 

«  La  princesse  Sathinig  convoite  avec  ardeur 

L'herbe  ardahhure  et  l'herbette  dltz  des  coussins  cl'Arkavan  »; 
ce  qui  veut  dire  que  Sathinig  étant  amoureuse  d'Arkam,  dé- 
sirait ardemment  mettre  l'herbe  magique  dans  les  coussins 
d'Arkavan,  pour  être  aimée  de  lui. 

Permettez-moi,  Messieurs,  de  vous  citer  encore  deux  tradi- 
tions populaires,  qui  ont  une  grande  ressemblance  avec  celles 
de  tous  les  peuples  de  l'Orient. 

Il  s'agit  de  la  légende  d'Ara  et  de  Sémiramis  qui  semble 
dérivée  du  conte  égyptien  des  Deux  Frère*,  et  de  celui  d'Arta- 
vazd,  le  Prométhée  arménien. 

Moïse  de  Khorène  raconte,  d'après  les  contes  populaires, 
qu'après  Aram  le  gouvernement  d'Arménie  échut  à  son  fds, 
surnommé  le  Beau.  Quelques  années  après  la  reine  d'Assyrie 
Schamiram  (Sémiramis)  devint  éperdument  amoureuse  d'Ara 
et  le  pria  à  plusieurs  reprises  de  la  venir  prendre  pour  épouse. 

Moïse  de  Korêne,  liv.  II,  ch.  l. 


ER.   LALAYANTZ.   —   LES  ANCIENS  CHANTS  d' ARMÉNIE  505 

Mais  Ara  refusa  toujours.  «  Outrée  de  ses  refus,  la  grande 
reine  des  Assyriens  vint  en  Arménie  à  la  tète  de  ses  troupes, 
fondre  sur  le  prince  dédaigneux.  Mais  au  moment  du  combat, 
elle  voulut  que  ses  généraux  épargnassent,  s'il  était  possible, 
la  vie  de  l'objet  de  sa  passion.  Cependant  au  milieu  de  la 
bataille,  Ara  fut  tué  en  combattant,  sans  avoir  été  reconnu. 
Alors  la  reine  donna  l'ordre  à  ceux  qui  dépouillaient  les  ca- 
davres, de  chercher  le  corps  d'Ara  parmi  les  morts. 

Ara  fut  retrouvé  sans  vie  au  milieu  de  ses  compagnons 
d'armes,  et  Sémiramis  le  fit  placer  sur  la  terrasse  de  son 
palais. 

Cependant,  comme  les  troupes  arméniennes  revenaient 
au  combat  contre  la  reine  Sémiramis  pour  venger  la  mort 
d'Ara;  celle-ci  dit  :  —  J'ai  ordonné  à  mes  dieux  de  lécher  les 
plaies  d'Ara,  et  alors  il  reviendra  à  la  vie.  »  —  Elle  espérait, 
par  la  vertu  de  ses  maléfices  ressusciter  Ara,  mais  quand  le 
cadavre  fut  en  putréfaction,  elle  le  fit  jeter  (par  ses  serviteurs) 
dans  une  fosse  profonde  pour  le  dérober  ainsi  à  la  vue  de 
tous.  Puis,  en  secret  ayant  travesti  un  de  ses  amants,  elle 
publia  à  propros  d'Ara  la  nouvelle  suivante  :  «  Les  dieux  en 
léchant  les  plaies  d'Ara,  l'ont  rendu  à  la  vie...  » 

Après  quoi  Sémiramis  fit  ériger  une  nouvelle  statue  aux 
dieux,  et  leur  offrit  des  sacrifices  comme  si  leur  puissance 
avait  sauvé  Ara.  Grâce  à  ces  bruits  répandus  en  Arménie 
touchant  Ara,  Sémiramis  persuada  tout  le  monde  et  fit  cesser 
la  guerre  *. 

Ce  conte  correspondait  parfaitement  à  certaine  croyance 
des  Arméniens  à  ce  qu'on  appelle  les  Avalez. 

La  signification  propre  du  nom  d'Aralez  est  «  qui  lèche 
continuellement,  complètement  »,  et  il  paraît  avoir  désigné 
une  classe  d'êtres  surnaturels,  ou  de  divinités  nées  d'un 
chien  2,  et  dont]  les  fonctions  consistaient  à  lécher  les  bles- 
sures des  guerriers  tombés  sur  le  champ  de  bataille  et  à  les 

1  M.  de  Korêne,  liv.  I,  ch.  xv. 

2  Eznig,  p.  98-100. 

T.  VI    (4U   SÈME)  3  tJ 


,"',00  SÉANCE  DU  3  OCTOBRE  1895 

faire  ainsi  revenir  à  la  vie.  Cette  croyance  a  persisté  jusqu'au 
ve  siècle  dans  la  classe  des  nobles,  quoique  le  christianisme 
fût  devenu  alors  la  religion  dominante  du  pays.  Faustus  de 
Byzance  nous  en  cite  un  exemple. 

Le  général  en  chef  des  Arméniens  Mouschegh  Mamikonian 
fut,  dit-il,  calomnié  auprès  du  roi  arménien  Varazdat  (384- 
386)  par  Saharouni  et  tué  dans  un  festin  offert  par  le  roi  à 
la  noblesse. 

«  Quand  on  apporta  le  corps  du  sharapet  Mouschegh  dans 
sa  maison,  chez  ses  familiers,  ces  derniers  ne  voulurent  pas 
croire  à  sa  mort,  quoiqu'ils  vissent  sa  tète  séparée  du  tronc. 
Ils  disaient  :  «  Il  a  pris  part  à  des  combats  sans  nombre  et 
jamais  il  n'a  reçu  de  blessure;  jamais  trait  ne  l'a  atteint; 
personne  ne  l'a  frappé  d'une  arme  quelconque  ».  D'autres 
espéraient  le  voir  ressusciter  ;  aussi  quelques-uns  d'entre  eux 
ayant  rapproché  sa  tète  du  tronc  et  les  ayant  recousus  ensem- 
ble emportèrent  le  cadavre  et  le  placèrent  sur  le  toit  d'une 
tour,  en  disant  : 

«  Comme  Mouschegh  était  un  homme  brave,  les  Aralez  des- 
cendront et  le  ressusciteront.  » 

Dans  cette  espérance  ils  restèrent  à  le  garder  jusqu'à  ce 
que  le  cadavre  fut  décomposé.  Alors  seulement  ils  le  descen- 
dirent de  la  tour,  le  pleurèrent  et  l'enterrèrent  selon  les  règles 
prescrites. 

Selon  le  môme  Moïse  de  Khorène  la  légende  d'Ara  était  très 
répandue,  et  il  me  semble  qu'Emin  a  raison  de  l'identifier 
avec  le  conte  d'Er  l'Arménien,  cité  par  Platon  dans  sa  Répu- 
blique ',  et  résumé  ainsi  : 

«  Er  l'Arménien,  originaire  de  Pamphylie,  avait  été  tué 
dans  une  bataille  :  dix  jours  après,  comme  on  enlevait  les 
cadavres  déjà  défigurés  de  ceux  qui  étaient  tombés  avec  lui, 
le  sien  fut  trouvé  sain  et  entier,  on  le  porta  chez  lui  pour  cé- 
lébrer ses  funérailles,  et  le  douzième  jour,  alors  qu'il  était  sur 

1  La  République,  livre  X.  ch.  x. 


ER.  LALAYANTZ.   —  LES  ANCIENS  CHANTS  D'ARMÉNIE  oÔ7 

le  bûcher,  il  ressuscita  et  raconta  ce  qu'il  avait  vu  dans  l'au- 
tre vie.  » 

Le  récit  d'Ara  ressemble  beaucoup  aussi  à  diverses  légen- 
des des  nations  orientales,  aux  contes  d'Orion,  d'Hippolyte,  de 
Bellérophon,  de  Joseph,  etc.,  et  il  me  semble  que  cette  légende 
a  aussi  pour  origine  le  conte  égyptien  des  Deux  Frères  par- 
venu jusqu'à  nous  dans  un  manuscrit  du  xin9  siècle  avant 
.T. -G. 

Passons,  maintenant  au  récit  d'Artavazd  : 

Artaschès  II  (78-120  n.c.)  était  le  roi  le  plus  aimé  d'Armé- 
nie. Les  chants  historiques  glorifiaient  sa  jeunesse.  Quand  il 
fut  devenu  vieux,  il  se  souvint  du  printemps  de  sa  vie;  un 
matin,  que  la  lumière  du  soleil  se  répandait  avec  la  rosée  sur 
les  villages  et  les  villes  et  se  rappelant  les  plaisirs  de  ses 
chasses,  il  s'écria  : 

•  0  !  qui  me  rendra  la  fumée  de  mon  foyer, 
Et  le  joyeux  matin  de  Navarard  * 
Et  l'élan  des  biches  et  des  cerfs.  » 

Alors  le  peuple,  en  voyant  que  les  plaisirs  de  son  aimable 
roi  étaient  restés  incomplets,  prit  le  deuil  et  chanta  : 

—  «  Nous  faisions  retentir  les  trompettes, 

(Suivant  l'usage  des  rois) 
Nous  faisions  résonner  les  tambours   » 

Enfin  quand  Artaschès  mourut  on  célébra  ses  funérailles 
de  la  manière  suivante  '  : 

«  La  civière  était  d'or,  le  trône  et  le  lit  d'étoffe  fine,  le  men- 
teau  qui  enveloppait  le  corps,  de  drap  d'or.  Une  couronne 
était  posée  sur  la  tète  d'Artaschès;  son  épée  d'or  était  devant 
lui.  Autour  du  trône  se  tenaient  ses  fils  et  toute  la  foule  des 

i  Navarard  était  le  premier  mois  de  l'année  dans  l'ancien  caleo- 
drier  arménien  et  le  premier  jour  de  ce  mois  était  célébré  par  des 
fêtes . 

Moïse  de  Khorêne  liv.  II,  ch.  lx. 


508  SÉANCE  DU  3  OCTOBRE  1895 

parents  et  des  proches.  Près  d'eux  étaient  les  généraux,  les 
chefs  des  satrapies,  les  classes  des  nobles,  les  corps  de  trou- 
pes armées  de  toutes  pièces,  comme  si  elles  allaient  marcher 
au  combat.  En  tète,  les  trompettes  d'airain  retentissaient;  en 
arrière  du  cortège,  marchaient  des  jeunes  fdles  vêtues  de 
noir,  des  femmes  éplorées  et  enfin  la  foule  du  peuple.  Ce  fut 
ainsi  que  le  corps  d'Artaschès  fut  porté  et  enseveli.  Autour 
de  son  tombeau  il  y  eut  bien  des  morts  volontaires  :...  ses 
femmes  bien-aimées,  concubines  et  ses  esclaves  dévoués  se 
sacrifièrent  à  l'envi. 

Artavazd,  fils  d'Artaschès,  voyant  tant  de  sang  versé,  parla 
ainsi  avec  amertume  à  son  père  : 

«  Puisque  tu  es  parti,  emportant  avec  toi  tout  le  pays, 
Gomment  règnerai-je,  moi,  sur  ses  ruines  ? 

Mais,  Artaschôs,  irrité  de  ce  langage,  maudit  Artavazd  : 

Tu  iras  à  cheval  chasser  sur  le  libre  Massis, 

Les  Kadch  (esprits)  te  saisiront,  te  conduiront  sur  le  libre 

Tu  resteras  là  et  tu  ne  verras  plus  la  lumière.  »      [Massis,] 

Or  précisément  quelques  jours  après  Artavazd  «  fut  empri- 
sonné dans  une  caverne  et  chargé  dé  chaînes  de  fer;  mais 
deux  chiens  rongeaient  continuellement  ses  chaînes,  et  il  s'ef- 
força de  s'évader  pour  venir  porter  la  dévastation  dans  le 
monde.  Mais  au  seul  bruit  des  coups  de  marteau  des  forge- 
rons, ses  fers  reprirent,  dit-on,  une  nouvelle  force.  »  C'est 
pourquoi  non  seulement  au  temps  de  Moïse  de  Khorène 
mais  encore  à  présent,  beaucoup  de  forgerons  frappent  l'en- 
clume trois  ou  quatre  fois  le  dimanche,  pour  consolider,  di- 
sent-ils, les  chaînes  d'Artavazd  l. 

La  légende  d'Artavazd  passa  en  Géorgie  où  elle  persiste 
encore  dans  la  tradition  populaire,  et  elle  y  a  été  recueillie 
par  M.  Emin;  mais  elle  s'y  est  imprégnée  d'une  couleur  chré- 
tienne. Une  femme,  surprise  en  chemin  par  les  douleurs  de 

1  Moïse  de  Kiiorêne  liv.  II,  ch.  lxi. 


ER.  LALAYANTZ.  —  LES  ANCIENS  CHANTS  D'ARMÉNIE  509 

l'enfantement,  mit,  dit-on,  au  monde  un  fils,  qui  reçut  le  nom 
d'Amiran.  Elle  souhaitait  ardemment  pour  lui  le  baptême; 
mais  il  n'y  avait  là  personne  qui  pût  le  lui  administrer.  Elle 
était  donc  dans  une  extrême  perplexité,  lorsqu'un  vieillard  se 
présenta  à  elle,  imprima  sur  l'enfant  le  sceau  du  chris- 
tianisme, et  promit,  d'après  le  vœu  de  la  mère,  de  demander 
à  Dieu  pour  lui  une  très  grande  force  corporelle.  La  prière  du 
vieillard  fut  exaucée,  et  lorsqu'Amiran  fut  parvenu  à  l'ado- 
lescence, doué  d'une  vigueur  extraordinaire,  il  accomplit  les 
prouesses  les  plus  étonnantes.  Son  orgueil,  enflé  par  ses 
succès,  alla  si  loin,  qu'il  osa  défier  le  ciel  lui-même.  Dieu, 
irrité,  l'attacha  alors  avec  des  chaînes  de  fer  en  un  point  du 
Caucase.  L'épée  d'Amiran  gisait  à  terre,  tombée  près  de  lui, 
il  ne  restait  que  son  chien  fidèle  qui  léchait  continuellement 
ses  chaînes  pour  tâcher  de  les  amincir  et  de  délivrer  son 
maître.  Le  géant,  au  cœur  endurci,  attend  ainsi  avec  impa- 
tience le  moment  où.  dégagé  de  ses  fers,  il  pourra  aller 
assouvir  sa  vengeance.  .Mais  l'œil  de  Dieu  ne  se  ferme  jamais. 
Chaque  année,  le  jour  de  jeudi-saint,  sort  des  entrailles  de  la 
terre  un  forgeron  qui  vient  consolider  à  nouveau  les  chaînes 
du  captif  et  les  sceller  au  rocher  plus  fortement  que 
jamais  '. 

Les  Cabardiens  racontent  aujoud'hui  encore  que  sur  un 
grand  rocher  conique  de  la  montagne  d'Elbrouz  est  assis 
un  vieillard,  dont  la  barbe  descend  jusqu'aux  pieds.  Tout  son 
corps  est  couvert  de  poils  blonds;  les  ongles  de  ses  doigts  et 
de  ses  orteils  sont  très  longs,  et  ressemblent  à  des  griffes 
d'aigle;  ses  yeux  rouges  brûlent  comme  un  tison  ardent.  Il 
porte  sur  le  dos,  la  poitrine,  les  bras  et  les  pieds  de  lourdes 
chaînes,  qui  l'attachent  en  ce  lieu  depuis  les  temps  les  plus 
reculés.  Jadis  il  était  pieux  et  pouvait  à  loisir  approcher  du 
grand  dieu  ïcha.  Mais  ayant  essayé  un  jour  de  précipiter  le 
dieu  pour  le  dominer,  il  fut  vaincu  dans  la  lutte  et  pour  tou- 
jours lié  sur  sou  rocher.  Très  peu  d'hommes  l'ont  vu,  parce 

1  Emin,  Étude,  p.  41-42,  <ité  par  Dulaurier. 


510  SÉANCE  DU  3  OCTOBRE  1895 

qu'il  est  très  dangereux  de  l'approcher.  Personne  ne  le 
contemple  deux  fois,  et  ceux  qui  ont  essayé  de  le  faire  en 
sont  morts. 

Ce  vieillard  est  presque  toujours  dans  un  état  apathique  et 
engourdi  ;  quand  il  s'éveille,  il  s'adresse  aussitôt  à  ses  gar- 
diens et  leur  demande  :  «  Le  roseau  croît-il  encore?  les  brebis 
mettent-elles  toujours  bas?  » 

—  Oui,  le  roseau  croît  encore,  et  les  brebis  mettent  bas, 
répondent  les  gardiens.  » 

Le  vieillard  devient  alors  plus  furieux,  parce  qu'il  sait,  qu'il 
doit  souffrir  aussi  longtemps  que  le  roseau  croîtra  et  que  les 
brebis  mettront  bas.  Désespéré,  il  essaye  de  briser  ses  chaînes 
et  alors  la  terre  tremble;  du  frottement  des  chaînes  jaillissent 
l'éclair  et  le  tonnerre.  La  lourde  respiration  du  vieillard  sou- 
lève des  tempêtes  furieuses:  ses  soupirs  produisent  des  bruits 
souterrains  et  ses  larmes  forment  le  fleuve  qui  s'élance  de  la 
cime  de  l'Elbrouz  avec  tant  de  violence  ' . 

Ne  voulant  pas  abuser  de  votre  patience,  je  ne  citerai  pas 
les  récits  analogues  de  presque  tous  les  peuples  du  Caucase, 
mais  je  les  ai  recueillis  et  je  finirai  en  vous  disant  que  j'ai  eu 
l'honneur,  dans  les  conclusions  de  cette  étude,  de  me  rencon- 
trer avec  le  célèbre  philologue  de  l'Université  de  Moscou, 
M.  Mùller,  pour  établir  que  l'origine  du  mythe  de  Promé- 
thée  se  trouve  au  Caucase  et  n'est  autre  chose  que  le  récit  de 
la  lutte  entre  le  Dieu  de  la  lumière  et  le  Dragon,  la  victoire 
du  premier  sur  le  second  et  l'enchaînement  éternel  du  Dra- 
gon sur  un  rocher. 

L'un  des  secrétaires  :  A.  Viré. 
1  Le  journal  «  Kabkraz  »  1846,  n°  35. 


CORRESPONDANCE  311 

629*  SÉANCE.  —  17  Octobre  1895. 
Présidence  de  M.  Issaurat. 

CORRESPONDANCE. 

M.  Zaborowski.  —  J'ai  reçu  la  lettre  suivante: 

11  octobre   1895. 
Monsieur  et  cher  collègue, 

J'ai  vu  avec  plaisir  dans  votre  excellent  mémoire  :  Du 
Dniestre  à  la  Caspienne,  que  vous  êtes  arrivé  à  partager  l'opi- 
nion que  j'ai  tantde  fois  soutenue  sur  l'origine  européenne  des 
Européens  et  en  particulier  de  la  race  blonde.  Permettez-moi 
de  vous  signaler  entre  autres,  mon  mémoire  sur  l'origine  des 
Aryas,  inséré  dans  le  compte-rendu  du  Congrès  d'Anthropo- 
logie de  1878  et  mes  communications  a  la  Société  de  juillet  et 
décembre  1873  et  de  janvier  et  octobre  1874. 

Comme  moi  aussi,  vous  êtes  arrivé  à  conclure  que  jusqu'à 
une  époque  récente,  l'Europe  a  été  séparée  de  l'Asie  par  une 
mer  continue  qui  reliait  la  mer  Noire  et  la  Caspienne  h  la 
mer  boréale  par  le  bassin  de  l'Obi,  et  qui,  par  un  autre  bras,  se 
joignait  antérieurement  à  la  Baltique,  ne  laisssant  émerger 
que  l'île  Ouralo-permienne,  ainsi  que  je  l'ai  soutenu  dans  les 
séances  de  décembre  1873  et  janvier  1874,  et  depuis  dans 
mon  essai  de  géographie  quaternaire,  publié  en  1875  dans  la 
Revue  de  philosophie  positive  (le  tirage  à  part  est  à  la  bibliothè- 
que). 

La  plus  ancienne  communication  établie  par  terre  entre 
l'Asie  et  l'Europe  parait  avoir  été  l'isthme  du  Bosphore,  avant  la 
rupture.  A  l'époque  tertiaire  et  quaternaire,  l'Asie  Mineure, 
avec  le  Caucase  et  le  Liban,  dut  faire  partie  de  l'Europe  ; 
mais  était  séparée  de  l'Asie  par  une  mer  alors  équatoriale, 
qui  allait  du  Sahara  au  désert  persan  par  le  désert  de  Syrie 
et  le   bas  Euphrate  (V.  E.  Reclus). 

Ce  sont  là  des  faits  qui  détruisent  toute  la  légende  du 
Pamir. 


512  SÉANCE  DU   17  OCTOBRE  1895 

Gomme  moi,  enfin,  vous  voyez  dans  les  Scythes  des  autoch- 
thones  blonds  d'Europe,  frères  des  Saces,  des  Thraces,  des 
Gètes,  des  Goths,  des  Gaeltes  et  des  Kaeltes  (Gallataï  et  Kel- 
toï),  et  parlant  comme  eux  des  dialectes  aryens. 

Il  y  a  eu  certainement  des  Scythes  en  Asie,  mais  ils  sont 
venus  d'Europe.  Outre  leur  invasion  par  le  Caucase,  au  vme 
siècle  avant  notre  ère,  la  tradition  d'une  dominatiou  scythi- 
que  en  Asie  Mineure,  s'est  conservée. 

Les  Khetas,  Hétéens  ou  Gissiens  qui  ont  si  longtemps  do- 
miné sur  tout  le  cours  de  l'Euphrate  et  qui,  au  xve  siècle 
avant  notre  ère,  luttèrent  contre  Ramsès  III,  sont  identifiés 
par  l'Egyptologue  Prisse  d'Avennes  avec  les  Scythes,  Sketœ 
ou  Getœ.  Les  Schetas  combattaient  sur  des  chars  comme  les 
Scythes.  Ils  étaient  comme  eux  armés  de  l'arc,  de  l'épée  et  de 
la  lance  ou  du  javelot.  Leurs  places  fortes  étaient  défendues 
par  un  double  fossé.  Leur  unique  vêtement  était  une  longue 
robe  à  manches  courtes  et  à  pèlerine.  Ils  ne  paraissent  pas 
avoir  connu  le  casque  ni  la  cuirasse.  (V.  Prisse  d'A.vennes, 
Science  française  du  11  octobre  18D5). 

Les  Rotennons  ou  Lodannons,  peuple  au  teint  clair,  aux 
yeux  bleus,  aux  cheveux  bruns  ou  blonds,  qui  soutinrent 
une  longue  guerre  contre  ïhoutmés  III  et  que  Champollion 
identifiait  avec  les  Lydiens,  ne  serait  en  ce  cas  qu'une  peu- 
plade scythique  d'Asie.  On  s'expliquerait  ainsi  comme,  pour 
Homère,  ionien  d'Asie,  l'idéal  de  la  beauté,  pour  l'homme 
comme  pour  la  femme,  c'est  la  beauté  blonde. 

L'état  de  ma  santé  ne  me  permettant  pas  de  monter  l'esca- 
lier de  la  Société,  faites-moi  le  plaisir,  mon  cher  collègue,  de 
donner  lecture  de  ma  lettre  à  la  prochaine  séance  et  agréez 
d'avance,  avec  mes  remerciments,  l'expression  cordiale  de 
mes  sentiments  distingués. 

Clémence  Royer. 

Je  connaissais  la  plupart  des  travaux  de  Mme  Clémence 
Royer,  et  je  me  suis  fait  un  plaisir  de  citer  notamment  son 
mémoire  sur  les  Aryas,  dans  mon  mémoire  sur  les  Grecs 


CORRbSPONDANCb;  513 

paru  dans  La  Grande  encyclopédie,  et  à  propos  de  mon  mé- 
moire Sur  dix  crânes  de  Rochefort.  Je  suis  très  heureux  d'être 
son  intermédiaire  pour  les  rappeler  à  la  Société.  Ils  représen- 
tent de  longs  efforts  de  coordination  qui  en  éclairant  les  don- 
nées acquises,  contribuent  au  progrès  de  la  science.  J'en  ai 
fait  mon  profit,  je  me  plais  à  le  dire.  11  ne  serait  que  juste 
que  les  auteurs  qui  de  nos  jours  ont  repris  la  question  de  l'o- 
rigine des  Aryas,  et  des  blonds,  depuis  M.  Penka  jusqu'à 
M.  Sergi,  citassent  en  première  ligne  Mme  Clémence  Royer.  Car 
c'est  d'elle  que  vinrent  d'abord  les  attaques  les  plus  résolues 
contre  la  légende  classique. 

J'ai  pour  mon  compte  volontairement  négligé  les  traditions 
historiques  plus  ou  moins  fragmentaires,  plus  ou  moins  con- 
cordantes, pour  m'en  tenir  aux  plus  récents  résultats  des 
études  de  géologie,  d'ethnologie,  d'archéologie.  J'ai  dû,  de- 
vant ces  résultats,  modifier  mes  popres  vues  d'abord  trop 
conformes  aux  légendes  admises  de  la  linguistique  et  de  l'his- 
toire. Mais  ces  résultats  ne  me  permettent  pas  d'être  aussi 
affirmatif  que  Mme  Royer  sur  plusieurs  détails  qui  ont  leur 
importance.  Ainsi,  la  question  des  communications  entre  la 
Caspienne  et  la  mer  Noire  ne  me  paraît  pas  tranchée  d'une 
façon  satisfaisante,  car  il  y  a  entre  les  deux  bassins  des  diffé- 
rences de  faune  notables.  De  même  je  ne  sais  rien  de  commu- 
nications directes  entre  la  Raltique  et  la  mer  Noire.  Les 
bassins  de  ces  deux  mers  ont  été  en  relations  pendant  et 
après  la  fonte  du  glacier  Scandinave  par  l'intermédiaire  de 
fleuves  et  de  lacs  d'eau  douce.  Enfin  je  dois  dire  qu'à  ren- 
contre de  ce  que  pense  Mme  Royer,  l'élément  dominant  des 
populations  scythiqnes  était  d'origine  asiatique. 

C'est  du  moins  ce  qui  résulte  pour  moi  des  données  archéo- 
logiques qu'on  trouvera  dans  mon  second  mémoire  qui  vient 
de  paraître  et  que  Mme  Royer  ne  connaissait  pas,  et  de  consi- 
dérations ethnologiques  qui  figurent  dans  un  troisième  mé- 
moire rédigé  depuis  un  an  et  dont  je  donnerai  prochaine- 
ment lecture. 


514  SÉANCE  DU  17  OCTUBKE  1895 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Coghlan  (T.  A.).  —  .4  statistical  surcey  of  New  South  Wales, 
1893-1894,  in-8,  378  pag.  , Sydney,  1893. 

Durand  (de  Gros).  —  Suggestions  hypnotiques  criminelles  (Extr . 
de  la  Revue  de  l'Hypnotisme),  in-8,  16  pag.,  Paris,  1895. 

Fiuipont  (Julien).  —  The  imaginary  race  of  constadt  or  nean- 
derthal  in  Science,  New-York,  22  décembre  1893. 

—  La  race  imaginaire  de  Cannstadt  ou  de  Neanderthal  (Extr.  du 
But.  Soc.  Anthropol.  de  Bruxelles),  in-8,  12  pag.  Bruxelles,  1895. 

Regalia  (E.).  —  Sulla  causa  générale  délie  anomalie  numeriche 
del  rachide  (Extr.  de  Archivos  per  l'anthropologia),  in-8,  76  pag., 
Florence,  1895. 

Sérieux  (P.)  et  Mathieu  (F.).  —  L'alcool,  in-32,  192  pag., 
Paris,  1895. 

Duval  (Dr  Mathias).  —  Palhogénie  générale  de  l'embryon. 
Tératogénie,  in-8,  104  pag   et  fig.,  Paris,  1895. 

—  Les  monstres  par  défaut  elles  montres  par  excès  de  fécondation 
(Extr.  des  Ann.  de  Gynêcol.  et  d'obstét.),  in-8,  44  pag.  et  fig., 
Paris,  1895. 

M.  Mathias-Duval.  —J'ai  l'honneur  de  faire  hommage  à  la 
Société  de  deux  opuscules  sur  la  tératologie;  l'un,  intitulé 
«  Les  monstres  par  défaut  et  les  monstres  par  excès  de  fécondation  » 
est  extrait  des  Annales  de  Gynécologie  et  d'obstétrique,  février 
1895;  l'autre  est  le  tirage  à  part  du  chapitre  :  «  Pathogénie 
générale  de  l'embryon;  tératogénie  »  du  traité  de  Pathologie 
générale  publié  sous  la  direction  du  professeur  Bouchard. 

La  Société  d'Anthropologie  a  toujours  montré  le  plus  vif 
intérêt  pour  les  questions  de  tératologie;  c'est  dans  son  sein, 
à  l'instigation  de  Broca,  qu'eut  lieu,  en  1873,  une  discussion 
mémorable  sur  la  genèse  des  monstres  doubles;  c'est  ici  que 
M.  Dareste  a  communiqué  les  résultats  les  plus  remarquables 
de  ses  recherches  de  tératogénie  expérimentale.  Je  demande 
donc  à  la  Société  la  permission  de  lui  signaler  rapidement  les 
vues  nouvelles  développées  dans  ces  deux  opuscules.  Du  reste 
je  ne   saurais    oublier   qu'ici   même,    comme  professeur   à 


OUVRAGES   OFFERTS  515 

l'École  d'Anthropologie,  j'ai,  pendant  deux  années  consécuti- 
ves, consacré  mon  cours  à  la  tératologie,  et  que  beaucoup 
des  idées  développées  dans  ces  deux  brochures,  je  les  avais 
déjà  exposées,  au  inoins  en  partie,  dans  ces  leçons. 

Les  monstres  sont  le  résultat  d'accidents  survenus  au  cours 
du  développement;  les  étapes  successives  de  ce  développe- 
ment étant  bien  connues  aujourd'hui,  grâce  aux  immenses 
progrès  de  l'embryologie,  il  est  devenu  possible  de  préciser, 
pour  charpie  type  tératologique,  le  stade  du  développement 
normal  auquel  s'est  produit  l'accident,  l'arrêt,  la  déviation 
qui  a  abouti  au  monstre  donné.  J'ai  donc  pu  présenter  ce  que 
j'appelle  une  étiologie  tératogénique  chronologique,  comprenant 
l'étude  des  causes  qui  peuvent  agir  sur  les  produits  sexuels 
avant  la  fécondation,  puis  pendant  la  fécondation,  puis  sur 
les  premiers  rudiments  du  corps  de  l'embryon,  etc.,  etc.  De 
ces  stades,  ce  sont  les  premiers  qui  sont  les  plus  importants, 
à  savoir  ceux  relatifs  à  la  fécondation.  Sous  le  titre  d'accidents 
de  la  fécondation  j'étudie  deux  cas  bien  singuliers  :  de  déve- 
loppement d'un  ovule  non  fécondé,  de  développement  d'un 
ovule  trop  fécondé. 

Les  ovules  qui,  exceptionnellement,  se  développement  par 
parthénogèse,  e'est-à-dire  sans  intervention  de  l'élément 
mâle,  donnent  naissance  à  des  produits  informes,  dont  la 
plupart  avaient  été  considérés  jusqu'ici  comme  des  kystes 
dermoïdes  de  l'ovaire.  Grâce  à  un  mémoire  remarquable, 
publié  par  M.  le  D1'  Répin,  et  dont  les  recherches  ont  été  fai- 
tes dans  mon  laboratoire,  il  se  trouve  démontré  que  les  kys- 
tes dermoïdes  de  l'ovaire  ne  sont,  au  moins  pour  le  plus 
grand  nombre,  autre  chose  que  des  ovules  développés  par- 
thénogénétiquement.  Ce  sont  des  monstres  par  défaut  de 
fécondation . 

Le  type  opposé  est  celui  des  monstres  par  excès  de  fécondation. 
Il  est  reconnu  aujourd'hui  que  normalement  la  fécondation 
s'accomplit  par  l'entrée  d'un  seul  spermatozoïde  et  sa  fusion 
avec  l'ovule  ;  si  deux  ou  plusieurs  spermatozoïdes  prennent 
part  à  cet  acte,  il  y  a  polyspermie,  et  le  développement  de 


516  SEANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

l'œuf  ne  se  fait  pas  selon  le  type  normal.  Deux  ou  plusieurs, 
embryons  naissent  de  cet  œuf  unique,  et  naissent  dans  des 
conditions  telles  que,  le  plus  souvent,  ils  sont  dès  le  début 
soudés  l'un  à  l'autre;  telle  est  l'origine  des  monstres  doubles, 
et  la  partie  la  plus  importante,  je  crois  pouvoir  dire  aussi  la 
plus  originale,  des  deux  mémoires  en  question,  est  le  chapi- 
tre où  je  cherche  à  établir  géométriquement  les  conditions 
qui  déterminent  ces  soudures  de  manière  à  réaliser  l'un  des 
trois  types  établis  par  Geoffroy  Saint-Hilaire,  les  tératopages 
térataddphes,  et  les  tératodymes .  Ce  serait  abuser  de  la  bien- 
veillante attention  de  la  Société  que  d'entrer  ici  dans  des 
détails. 

Mais,  pour  lui  signaler  quelques  points  nouveaux,  je  ne  puis 
me  dispenser  de  lui  rappeler  que,  dans  un  monstre  double, 
les  deux  sujets  composants  peuvent  ou  bien  présenter  un 
développement  égal  (monstres  doubles  autositaires)  ou  bien 
un  développement  inégal  [ monstres  parasitaires).  Dans  ce 
dernier  cas  l'un  des  sujets  est  réduit  à  un  rudiment  implanté 
sur  le  corps  du  sujet  complet,  dont  il  apparaît  comme  un 
parasite.  —  D'autre  part,  il  peut  se  faire  que,  exceptionnelle- 
ment, deux  sujets,  produits  d'un  seul  œuf,  par  polyspermie, 
ne  se  soudent  pas  :  ce  sont  des  jumeaux  univitellins.  Et  dans 
ce  cas  aussi,  comme  précédemment,  l'un  d'eux  peut  être  bien 
conformé,  tandis  que  l'autre  demeure  rudimentaire,  ne  vivant 
que  grâce  à  la  circulation  qu'il  emprunte  à  son  frère,  car  il 
est  lui-même  acéphale  et  privé  de  cœur.  Or,  Geoffroy  Saint- 
llilaire  avait  parfaitement  étudié  ces  acéphaliens  et  acardia- 
ques,  mais,  tout  en  constatant  qu'un  tel  sujet  est  toujours  as- 
socié à  un  jumeau  bien  conformé,  il  en  faisait  cependant  un 
monstre  simple,  n'ayant  pu  reconnaître  qu'il  s'agit  la  de  mons- 
tres doubles  dont  les  deux  sujets  sont  restés  indépendants. 
Nous  devons  à  Dareste  les  premières  notions  précises  sur  ces 
rapports  entre  les  monstres  parasites  dits  omphalosites  et  les 
montres  doubles  parasitaires  proprement  dits,  et  aujourd'hui, 
avec  les  progrès  de  nos  connaissances  sur  la  fécondation  et 
ses  accidents,  nous  pouvons  dire  que.  étiologiquement,  le 


OUVRAGES   OFFERTS  517 

monstre  double  est  celui  qui  provient  d'un  œuf  hyperfécondé 
(polyspermie),  œuf  qui  produit  deux  sujets,  lesquels  pourront 
demeurer  indépendants  (ce  qui  est  rare)  ou  se  former  en  état 
de  soudure  (ce  qui  est  le  plus  fréquent).  De  sorte  que  nous 
faisons  sortir  les  omphalosites  du  groupe  des  monstres  sim- 
ples (monstres  unitaires  parasites),  pour  les  rattacher  au 
groupe  des  monstres  composés  (monstres  doubles  parasitai- 
res). 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Un  embryon  normal,  simple,  pro- 
venant d'une  fécondation  normale,  monospermique,  peut,  au 
début  de  son  développement,  éprouver,  par  compression  de 
l'amnios  ou  par  divers  autres  mécanismes,  un  arrêt  de  for- 
mation tel  qu'il  devienne  acéphale  et  acardiaque;  il  est  alors 
identique  à  un  omphalosite  de  Geoffroy  Saint-IIilaire,  avec 
cette  différence  fondamentale  qu'il  n'est  pas  omphalosite,  car, 
étant  un  produit  simple,  unique,  isolé,  de  fécondation  nor- 
male, il  ne  peut  emprunter  les  voies  de  circulation  d'un  frère 
jumeau  qui  n'existe  pas.  Aussi  un  pareil  monstre  ne  peut-il 
continuer  à  se  développer;  il  périt  bientôt,  est  plus  ou  moins 
résorbé,  réduit  à  une  masse  informe.  C'est  pourquoi  ces  acé- 
phales et  acardiaques  sont  demeurés  ignorés  tant  que  la 
tératologie  n'a  emprunté  ses  objets  d'étude  qu'aux  produits 
de  la  parturition  normale  ;  mais  ils  nous  ont  été  révélés  par 
la  tératologie  expérimentale  qui,  recherchant  l'état  des  mons- 
tres dès  les  premières  phases  de  leur  formation,  a  pu  ainsi 
constater  ces  formes  éphémères,  destinées  à  disparaître  pres- 
que aussitôt  après  s'être  produites. 

Il  en  résulte  que  les  divisions  et  classifications  établies  par 
Geoffroy  Saint-IIilaire  demeurent  entièrement  valables  aujour- 
d'hui, avec  une  très  légère  retouche.  Nous  avons  un  grand 
groupe,  dit  des  monstres  unitaires,  et  comprenant  les  mons- 
tres unitaires  autosites,  d'une  part,  et  d'autre  part  lesacépha- 
liens  et  acardiaques;  mais  ceux-ci  ne  peuvent  plus  porter  le 
nom  de  parasites  et  omphalosites;  ils  ne  sont  ni  parasites, 
ni  omphalosites,  puisqu'ils  ne  sont  pas  accompagnés  d'un 
autre  sujet,  et  par  cela  même  ils  meurent  bientôt  et  n'arrivent 


518  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

pas  au  terme  de  la  gestation.  Puis,  nous  avons  un  second 
grand  groupe,  dit  des  monstres  composés  ou  doubles  (les 
monstres  triples  étant  extrément  rares);  il  comprend  les 
montres  doubles  autoritaires,  et  les  monstres  doubles  parasi- 
taires de  Geoffroy  Saint-Hilaire;  et  il  faut  y  ajouter,  en  troi- 
sième lieu,  les  monstres  omphalosites  que  nous  détachons  du 
groupe  des  unitaires,  comme  il  a  été  dit  ci-dessus.  En  un  mot 
la  classification  de  Geoffroy  Saint-Hilaire  n'a  à  être  retouchée 
qu'en  ceci  :  déplacer  ses  omphalosites  du  groupe  des  unitaires 
pour  les  porter  dans  celui  des  monstres  composés,  et  les  rem- 
placer, dans  le  groupe  des  unitaires,  par  les  vrais  acardiaques 
et  acéphaliens  simples. 

Il  est  merveilleux  de  voir  cette  classification  s'adapter  ainsi 
aux  grands  progrès  accomplis  par  la  tératologie;  c'est  que  la 
classification  de  Geoffroy  Saint-Hilaire  a  été  basée  sur  une 
étude  exacte  et  minutieuse  de  la  constitution  des  formes 
monstrueuses,  c'est-à-dire  sur  l'anatomie  pathologique  de 
l'embryon.  La  constitution  anatomique  des  êtres  normaux  et 
anormaux  est  en  rapport  avec  leurs  origines;  l'étude  de  ces 
deux  ordres  de  faits  doit  donc  conduire  à  des  résultats  sem- 
blables, c'est-à-dire  que  la  tératologie  actuelle,  étudiant  l'ori- 
gine et  le  mode  de  formation  des  monstres,  ne  peut  que  les 
trouver  conformes  aux  cadres  tracés  par  Geoffroy  Saint- 
Hilaire,  puisque  ces  cadres  ont  été  établis  sur  des  bases  ana- 
tomiques  rigoureusement  exactes. 

M.  Sanson.  —  Dans  l'intéressante  communication  de  M.  Ma- 
thias  Duval  il  y  a  un  point  qui  m'a  particulièrement  frappé. 
Certains  auteurs,  notamment  un  professeur  de  l'Université  de 
Strasbourg,  voulant  interpréter  scientifiquement  l'affirma- 
tion de  Buffon  relative  aux  parts  respectives  du  père  et  de 
la  mère  dans  la  reproduction,  ont  conclu  que  l'élément  mâle 
fournit  le  feuillet  supérieur  du  blastoderme.  Or  les  détails  que 
vient  de  donner  notre  collègue  sur  les  kistes  dermoïdes  de 
l'ovaire  montrent  que  ce  feuillet  peut  provenir  aussi  de  l'élé- 
ment femelle.  J'ajoute  que  d'ailleurs  l'idée  de  Buffon  sur  l'hé- 
rédité des  formes  extérieures  n'est  pas  exacte. 


ÉLECTIONS  519 

périodiques  (articles  à  signaler). 

Revue  de  l'école  d'Anthropologie,  1895,  n°  10.  —  P.  G.  Mahou- 
deau  :  L'albinisme. 

Soc.  d'histoire  naturelle  d'Autun,  7e  bul.  1894.  —  F.  Pérot  : 
Notes  sur  une  dent  de  mammouth  et  sur  un  couteau  en 
schiste  noir. 

Actes  de  la  Soc.  scientifique  du  Chili,  1894,  n°  5.  —  Vergara 
Flores  :  Cràneos  de  indigenas  bolivianos. 

Ethnologisches  Noiizbaltt  (k.  muséums  fur  Yœlkcrhunde)  Berlin. 
1895.  Ueber  zwei  alte  Ganœ-Schnitzwerke  aus  Neu-Seeland. 
—  Altertùmer  aus  Guatemala. 

OBJETS    OFFERTS. 

M.  Dareste  offre  à  la  Société  deux  crânes  de  bœufs  gnatos. 

M.  Sanson.  —  Tout  est  bien  qui  finit  bien.  Lorsqu'à  mon 
instigation  le  professeur  Besnard,  de  Santiago,  a  envoyé  au 
jardin  d'acclimatation  les  deux  individus  dont  il  vient 
d'être  parlé,  il  y  mit  la  condition  que  leurs  têtes  me  se- 
raient plus  tard  remises.  Par  une  inadvertance  de  la  direc- 
tion, cette  condition,  comme  on  le  voit,  ne  fut  pas  remplie. 
Je  ne  le  regrette  plus  maintenant,  du  moment  que  les  pièces 
devront  désormais  faire  partie  d'une  collection  publique. 

présentations. 

M.  Arsène  Dumont  présente  une  carte  de  France  chiffrée 
d'où  il  ressort  que,  dans  la  plupart  des  départements,  le 
nombre  des  décès  l'emporte  sur  celui  des  naissances. 

M.  Fourdrignier  présente  plusieurs  crânes  et  ossements 
datant  de  l'époque  Marnienne  (jiig  siècle)  qu'il  offre  à  l'Ecole 
d'Anthropologie. 

ÉLECTION. 

M.  Diego  Ripoche  yTorrens,  membre  honoraire  et  fondateur 


520  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

du  Museo  canario,  présenté  par  MM.  Capus,  Manouvrier,  G.  do 
Mortillet,  Letourneau,  Hervé  et  Vinson,  est  élu  membre 
correspondant  étranger. 

COMMUNICATIONS. 
Silex  taillés  des  Tufs  de  la  Celle-sous-Moret  (Seine-et-Marne). 

Par  MM.  Emile  Collln,  Reynier  et  A.  de  Mortillet. 

Les  Tufs  de  la  Celle-sous-Moret,  bien  connus  des  géologues 
et  des  palethnologues  sont  situés  sur  la  rive  droite  de  la  Seine, 
entre  le  village  de  la  Celle  et  celui  de  Vernou,  à  quelque  dis- 
tance en  amont  du  confluent  de  la  Seine  et  du  Loing.  Ils  for- 
ment un  dépôt  d'au  moins  un  quinzaine  de  mètres  de  puis- 
sance, couvrant  une  surface  d'environ  500  mètres  de  longueur 
sur  250  mètres  de  largeur.  Ce  dépôt  est  plaqué  contre  un 
escarpement  de  calcaire  lacustre  tertiaire  et  repose  sur  des 
alluvions  caillouteuses  anciennes.  Une  partie  de  ces  tufs  forte- 
ment concrétionnée  renferme  de  très  nombreuses  empreintes 
de  végétaux  et  des  mollusques  terrestres,  qui  ont  fourni  de 
précieuses  indications  sur  le  climat  de  la  vallée  de  la  Seine  à 
l'époque  où  ils  se  sont  déposés. 

MM.  Chouquet,  de  Saporta,  R.  Tournouër  et  G.  de  Mortil- 
let, qui  ont  étudié  cet  important  gisement,  sont  d'accord  pour 
le  considérer  comme  appartenant  à  une  période  fort  reculée 
des  temps  quaternaires,  période  pendant  laquelle  régnait  une 
température  plus  tiède,  plus  humide  et  surtout  plus  uniforme. 
Bien  que  postérieurs  au  creusement  de  la  vallée  qui  doit 
remonter  à  la  fin  du  tertiaire,  et  un  peu  plus  anciens  que  les 
graviers  quaternaires  qui  leur  servent  de  base,  les  tufs  de  la 
Celle  sont  cependant  antérieurs  au  quaternaire  moyen,  ainsi 
qu'il  résulte  de  l'étude  de  la  flore  et  de  la  faune  malacolo- 
gique.  C'est  ce  que  semble  également  confirmer  la  trouvaille 
faite  dans  les  terres  qui  couvrent  le  tuf  de  silex  taillés  parmi 
lesquels  se  trouvait  une  pointe  évidemment  inoustérienne 
remise  par  M.  G.  de  Mortillet  au  Musée  de  Saint-Germain. 


COMMUNICATIONS  521 

Mais,  dans  les  tufs  mêmes,  on  n'avait  encore  rencontré  au- 
cun objet  d'industrie  humaine,  lorsqu'un  carrier  intelligent, 
M.  Bezault  fils,  découvrit  dans  une  petite  carrière  ouverte 
au-dessous  du  cimetière  de  la  Celle,  en  contre-bas  de  l'ancien 
chemin  de  Vernou,  quelques  instruments  en  silex  qu'il  mit  de 
cùté.  L'année  suivante,  c'est-à-dire  l'hiver  dernier,  il  en 
recueillit  un  plus  grand  nombre  encore.  Depuis,  les  travaux 
de  la  ligne  en  construction  du  chemin  de  fer  de  Corbeil  à 
Montereau  ont  complètement  fait  disparaître  la  carrière. 

M.  Victor  Bezault  fils  a  bien  voulu  céder  à  l'Ecole  d'An- 
thropologie les  objets  récoltés  par  lui  et  nous  donner  des 
renseignements  sur  la  place  qu'ils  occupaient.  Ils  gisaient  à 
divers  niveaux,  à  3  ou  4  mètres  au-dessous  du  sommet  de  la 
carrière,  sous  une  épaisse  couche  de  tuf  formant  à  sa  base 
une  roche  fort  dure.  Plusieurs  d'entre  eux  étaient  très  rap- 
prochés les  uns  des  autres,  comme  groupés.  Au-dessous,  il 
existait  encore  du  tuf,  l'exploitation  n'ayant  pas  été  poussée 
jusqu'au  gravier. 

Le  nombre  total  des  pièces  recueillies  est  d'environ  une 
trentaine,  dont  23  font  aujourd'hui  partie  des  collections  de 
l'École  d'Anthropologie.  L'École  des  mines  en  possède  5  ; 
M.  le  Dr  Capitan,  1  ;  M.  Emile  Gollin,  1  ;  et  2  sont  entre  les 
mains  d'un  ingénieur,  soit  en  total,  32  pièces. 

Tous  ces  intruments  sont  du  type  coup-de-poing,  plus  ou 
moins  taillés  sur  les  deux  faces,  les  uns  h  grands  éclats,  les 
autres  un  peu  plus  finement.  Ils  sont  presque  tous  en  forme 
d'amande,  et  sur  la  plupart  d'entre  eux  se  voit  encore  à  la 
base  une  partie  de  la  croûte  du  rognon  dans  lequel  ils  ont  été 
taillés.  Le  plus  grand  spécimen  mesure  17  centimètres  de 
longueur,  9  de  largeur  et  5  d'épaisseur.  Un  des  plus  petits 
a  85  millimètres  de  long,  48  de  large  et  33  d'épaisseur.  La 
majeure  partie  est  en  silex  de  la  craie  qui  se  voit  non  loin  de 
là  en  allant  vers  Montereau.  Quelques-uns  pourtant  semblent 
être  en  silex  tertiaire  pouvant  provenir  du  Calcaire  de  Brie, 
dont  il  existe  des  gisements  très  voisins. 

La  patine  blanche  et  mate  d'un  aspect  tout  particulier  que 

t.  vi  (4e  série).  3| 


")2'2  séance  du  17  octobre  1895 

présentent  tous  ces  silex,  les  traces  de  concrétions  tuffeuses 
que  portent  encore  sur  leurs  deux  faces  plusieurs  échantil- 
lons sont  un  sur  garant  qu'ils  proviennent  bien  des  tufs. 

En  somme,  comme  formes  et  comme  travail,  ces  silex  pa- 
raissent appartenir  à  la  fin  de  l'époque  chelléenne  ou  au 
commencement  de  l'époque  acheuléenne.  Les  documents 
paiethnologiques  fournis  par  cette  intéressante  découvert»1 
viennent  donc  pleinement  confirmer  les  conclusions  tirées  de 
l'étude  stratigraphique  et  paléontologique  du  gisement  de  la 
Celle. 

Discussion. 

M.  0.  Vauvillé.  —  Je  pense  devoir  faire  remarquer  que 
dans  les  échantillons  de  tuf,  qui  nous  sont  présentés,  il  y  en 
a  de  formation  d'époques  diverses.  En  voici  un,  avec  belles 
empreintes,  lequel  a  été  extrait  depuis  longtemps  ;  il  est  tout 
différent  de  formation  des  autres,  qui  proviennent  de  décou- 
vertes récentes  faites  dans  les  déblais  exécutés  pour  l'éta- 
blissement d'un  chemin  de  fer. 

M.  G.  de  Mortillet  prend  part  à  la  discussion. 

M.  Capitan  fait  une  communication  sur  les  gisements 
quaternaires  des  vallées  de  la  Charente  et  sur  le  gisement  de 
Tilloux  en  particulier.  Le  manuscrit  n'a  pas  été  remis  au 
secrétariat. 


Quelques  observations  sur  le  graud  droit  de  l'abdouieu  daus 

les  races  humaines 

Par  M.  Théophile  Chudzinski. 

Le  muscle  grand  droit  de  l'abdomen  est  remarquable  par 
sa  longueur.  C'est  un  ruban  charnu,  étendu  du  pubis  à  la 
cinquième  cote.  M.  Sappey  compare  sa  forme  à  un  trian- 
gle dont  le  sommet  tronqué  répond  au  pubis.  Le  muscle 
grand  droit  de  l'abdomen  est  remarquable  aussi  par  les  inter- 


TH.   CHUDZtNSKL    —  GRAND  DROIT  DR  l' ABDOMEN  ;i23 

sections  tendineuses  qui  interrompent  transversalement  ses 
fibres  musculaires  en  plusieurs  endroits. 

Le  grand  droit  de  l'abdomen  se  fixe  en  bas,  sur  cet  inter- 
valle compris  entre  la  symphyse  du  pubis  et  l'épine  pubienne. 
En  haut,  il  s'attache  par  trois  languettes  dont  l'interne  se 
rend  à  l'appendice  xyphôïde  et  au  cartilage  de  la  septième 
cùte.  La  languette  moyenne  s'insère  sur  la  sixième  côte,  et  la 
languette  externe  sur  la  cinquième. 

Telle  est  la  description  classique  des  insertions  du  grand 
droit  de  l'abdomen.  —  Mais  les  insertions  costales  ne  s'arrê- 
tent pas  toujours  à  la  cinquième  cote.  Gruvelhier  a  vu  l'in- 
sertion aller  jusqu'à  la  quatrième  côte.  Nous-mème,  nous 
avons  signalé  un  cas  chez  un  nègre,  dans  lequel  l'insertion 
du  grand  droit  de  l'abdomen  remontait  jusqu'à  la  troisième 
côte  et  à  la  partie  correspondante  du  sternum.  Bearis  et  Bou- 
chard ont  signalé  l'insertion  du  droit  de  l'abdomen  à  la 
deuxième  côte. 

La  multiplication  anormale  des  insertions  costales,  du 
grand  droit  de  l'abdomen  de  l'homme,  est  la  règle  commune 
chez  les  animaux  quadrupèdes,  comme  par  exemple  pour 
le  cheval,  le  porc,  le  chat,  etc.;  chez  ces  animaux  l'insertion 
costale  du  droit  de  l'abdomen  se  fait  jusqu'à  la  quatrième 
côte;  chez  les  singes  quadrupèdes  ce  muscle  remonte  jusqu'à 
la  première  côte. 

On  a  vu  le  grand  droit  de  l'abdomen  double  (Otto)  et  nous 
supposons  que  par  ce  terme  l'observateur  a  voulu  dire  que  ce 
muscle  était  divisé  en  deux  parties  de  haut  en  bas  ;  et  pour- 
tant ce  fait  de  duplicité  du  droit  de  l'abdomen  met  dans  l'em- 
barras M.  Testut,  car  il  hésite  entre  la  division  toute  simple 
de  ce  muscle  en  deux  parties  ou  en  une  véritable  doublure, 
c'est-à-dire  à  deux  couches  musculaires  superposées. 

On  a  noté  aussi  l'absence  totale  du  grand  droit  de  l'abdo- 
men :  mais  c'étaient  des  cas  purement  pathologiques. 

Gomme  les  insertions,  le  nombre  des  intersections  tendi- 
neuses varie,  non  seulement  chez  les  mammifères  quadru- 
pèdes, mais  aussi  chez  l'homme. 


oiU  séance  Dr  4  7  octobre  189o 

Les  intersections  des  mammifères  inférieurs  varient  entre 
les  nombres  9  et  7  ;  le  dernier  chitfre  s'applique  surtout  aux 
singes  quadrupèdes.  Chez  les  anthropoïdes,  on  compte  ordi- 
nairement o  intersections;  pourtant  nous  avons  observé  chez 
un  singe  gorille  mâle  7  intersections,  -et  sur  un  autre  jeune 
gorille  du  même  sexe  G.  Chez  les  singes  quadrupèdes,  de  ces 
7  intersections,  trois  sont  sous-omhilicales.  Chez  les  anthro- 
poïdes il  n'y  a  qu'une  simple  interruption  qui  descend  au- 
dessus  de  l'ombilic. 

Dans  l'espèce  humaine  le  nombre  le  plus  fréquent  des  in- 
tersections du  droit  de  l'abdomen  est  de  3  ou  4,  rarement  de 
5  et  plus  rarement  encore  de  2.  Dans  tous  les  cas,  il  n'y 
a  qu'une  seule  intersection  sous-ombilicale,  s'il  y  en  a  une  ; 
car  dans  l'espèce  humaine,  il  y  a  une  tendance  à  la  suppres- 
sion de  cette  dernière  intersection.  En  cas  de  présence  de 
l'intersection  sous-ombilicale,  la  suivante  et  même  la  troi- 
sième aboutissent  à  l'ombilic.  Ainsi  le  nombre  des  intersec- 
tions tendineuses,  chez  les  anthropoïdes  et  chez  l'homme, 
n'excède,  normalement,  le  nombre  de  5.  Pour  les  premiers 
nous  avons  vu  que,  par  exception,  il  peut  s'élever  de  6  a  7. 
Chez  l'homme,  nous  avons  compté  six  intersections  chez  un 
nègre  de  Mozambique  dans  l'atlas  de  Laurillard.  Dans  nos 
propres  recherches,  nous  avons  vu  le  plus  souvent  le  nombre 
4  des  intersections  du  droit  d'abdomen  dans  les  races  de  cou- 
leur et  rarement  o,  et  une  fois,  deux  seulement  chez  une 
négresse  d'Egypte. 

La  longueur  du  grand  droit  de  l'abdomen  est  en  moyenne 
de  360  millimètres  dans  toutes  les  races,  et  sa  largeur  ne 
varie  pas  beaucoup  non  plus. 

La  plus  grande  largeur  du  droit  de  l'abdomen  dans  les 
races  est  : 

Dans  les  races      Raco     Race        Race 
on  général         noire    jaune     blanche 

Moyenne 79  79.25    70  82     1 

Maximum 101  90         83        101  millimètres. 


Minimum 57  57  06  05 


\ 


En  moyenne.  .  . 

54.65 

51 

Au  maximum  .  . 

65 

58 

Au  minimum  .  . 

39 

39 

TH.  CHUDZINSKL   —  GRAND  DUOIT  DE  L'ABDOMEN  525 

Donc  la  largeur  de  la  partie  supérieure  du  grand  droit  de 
l'abdomen  est  à  son  maximum  dans  la  race  blanche,  d'une 
manière  absolue,,  et  au  minimum  dans  la  race  jaune. 

Larsreur  du  droit  de  l'abdomen  dans  les  races  :  au  niveau 
de  l'ombilic: 

Dans  les  races    Race        Race       Race 
en  général       noire     blancho     jaune 

59    Deux  cas  \ 

65  55  millimètres. 

55  54        J 

Comme  dans  le  tableau  précédent,  la  largeur  du  droit  de 
l'abdomen  est  aussi,  plus  étendue  dans  la  race  blanche,  même 
son  maximum  est  supérieur  à  celui  de  la  race  noire,  mais  sa 
moyenne  n'est  supérieure  à  la  moyenne  de  races  que  de 
4  millimètres. 

L'étendue  de  l'insertion  pubienne  est  en  moyenne  de  37 
millimètres  dans  toutes  les  races  humaines,  et  la  hauteur 
moyenne  des  races  est  de  43  millimètres. 

Maintenant  nous  entrons  dans  l'étude  des  intersections  ten- 
dineuses du  droit  antérieur  de  l'abdomen  Nous  examinerons 
successivement  leur  forme,  leur  direction,  leur  trajet,  l'éten- 
due de  leur  parcours  et  nous  étudierons  surtout  la  distance  qui 
les  sépare  de  l'ombilic  et  du  pubis. 

Ensuite  nous  signalerons  la  hauteur  de  chaque  intersection 
et  sa  correspondance  avec  la  côte  voisine. 

Les  contours  des  intersections  tendineuses  du  grand  droit 
de  l'abdomen  sont  variables  ;  tantôt  c'est  une  ligne  transver- 
sale très  nette  et  presque  rectiligne  ou  largement  ondulée, 
tantôt  c'est  un  zigzag  en  forme  de  chiffre  3,  ou  en  chevron, 
dont  la  pointe  est  tournée  en  haut.  Parfois  la  forme  d'une 
intersection  est  celle  d'un  quadrilatère. 

La  direction  des  intersections  tendineuses  du  grand  droit 
de  l'abdomen  est  rarement  horizontale,  le  plus  souvent  elle 
est  oblique  de  bas  en  haut  et  de  dehors  en  dedans;  ou  bien 
elle  est  oblique  en  sens  inverse,  ce  qui  est  moins  fréquent.  La 


526  SÉANCE  DU    17  OCTOBRE  1895 

conséquence  de  cette  obliquité  est  l'anastomose  de  deux  inter- 
sections tendineuses,  et  cette  anastomose  a  lieu  au  niveau  de 
l'ombilic. 

Très  souvent,  les  intersections  sont  incomplètes  et  n'occu- 
pent qu'une  certaine  partie  du  muscle,  sait  sa  partie  externe, 
moyenne  ou  interne  du  muscle  ;  les  intersections  sont  rare- 
ment interrompues  pendant  leur  trajet,  dans  leur  partie  moyen- 
ne; si  cette  interruption  existe,  alors  le  tronçon  du  muscle 
compris  entre  ses  deux  parties  s'étend  entre  les  deux  inter- 
sections voisines.  Nous  avons  observé  une  pareille  disposition 
chez  un  noir  de  Pondichéry  dans  une  étendue  de  10  mil- 
limètres. 

Donc,  les  intersections  tendineuses  du  grand  droit  de  l'ab- 
domen sont  souvent  incomplètes,  et  la  longueur  de  leur  par- 
cours est  représenté  par  ces  chiffres. 

Dans  la  race  noire  une  intersection  occupe  parfois  les  deux 
tiers  de  la  longueur  du  muscle,  chez  les  autres  individus  elle 
n'a  que  21,  13  ou  10  millimètres  dans  sa  partie  externe  ;  ou 
bien  l'intersection,  partie  du  bord  interne  du  droit  de  l'ab- 
domen, cesse  brusquement,  après  21  ou  12  millimètres  de 
trajet. 

On  voit  aussi  des  cas  ou  l'intersection  tendineuse  est  éloi- 
gné des  deux  bords.  Ainsi  elle  peut  commencer  en  dedans  du 
bord  externe  du  droit  de  l'abdomen  à  12,  17,  28  et  38  milli- 
mètres, et  à  12,  24  et  40  millimètres  en  dehors  du  bord 
interne.  Dans  tous  ces  cas,  son  parcours  est  variable,  et  il 
est  représenté  par  les  chiffres  12,  17,  23,  35  et  122  millimè- 
tres au  maximum.  Ceci,  c'est  pour  la  première  intersection 
ou  l'intersection  la  plus  inférieure.  Les  mêmes  faits  se  repro- 
duisent aussi  dans  la  race  blanche,  mais  avec  moins  de  fré- 
quence. 

Les  irrégularités  de  la  deuxième  intersection  sont  moins 
nombreuses.  Nous  avons  vu  plus  haut,  que  la  deuxième  in- 
tersection s'anastomose,  parfois,  avec  la  première,  et  toutes 
les  deux  aboutissent  à  l'ombilic.  Elle  est  aussi  quelquefois 
incomplète  et  n'existe  que  dans  une  certaine  étendue  de  la 


TH.  CHUDZINSKI.  —  GRAND  DltOIT  DE  L'ABDOMEN  527 

partie  externe  ou  interne  du  muscle  ;  dans  d'autres  cas,  elle 
est  éloignée  soit  du  bord  externe,  soit  du  bord  interne,  de 
12  à  28  millimètres.  La  même  chose  se  voit  dans  le  trajet  de 
la  troisième  intersection  ;  son  origine  peut  s'éloigner  de  9  à 
38  millimètres  du  bord  externe  au  bord  interne  du  muscle. 

La  quatrième  intersection  du  grand  droit  de  l'abdomen  se 
présente  parfois  sous  la  forme  d'une  traînée  linéaire  n'ayant 
que  17  millimètres  d'étendue.  Dans  d'autres  cas,  la  distance 
qui  la  sépare  des  bords  charnus  du  muscle  est  de  22,  30  et 
37  millimètres. 

La  cinquième  intersection  est  rarement  complète;  cette 
intersection  est  placée  sur  la  partie  large  du  grand  droit  de 
l'abdomen;  elle  est  pâle,  peu  haute,  et  son  étendue  varie 
entre  17  et  52  millimètres.  Son  absence  est  très  fréquente 
dans  les  races  humaines,  surtout  dans  la  race  blanche. 

En  somme,  les  irrégularités  des  deuxième,  troisième, 
quatrième  et  cinquième  instersections  sont  moins  fréquentes, 
et  en  môme  temps  moins  variées  que  celle  de  la  première  ou 
de  l'intersection  dite  sous-ombilicale. 

Ces  irrégularités  et  les  variations  des  intersections  tendi- 
neuses du  grand  droit  de  l'abdomen,  sont  la  preuve  de  leur 
inconstance  et  par  cela  elles  nous  autorisent  à  conclure  qu'elles 
sont  en  voie  de  disparition.  En  effet,  le  nombre  des  intersec- 
tions tendineuses  chez  l'homme  se  réduit  tellement,  qu'il 
n'en  reste  que  deux  chez  certains  individus;  d'autre  part, 
quand  même  elles  existent  en  nombre  plus  grand,  elles  ne  sont 
représentées  que  par  une  ligne  assez  courte.  Enfin,  dans  l'es- 
pèce humaine,  très  souvent,  l'intersection  sous-ombilicale 
disparaît  sans  laisser  aucune  trace.  D'ailleurs,  nous  avons 
vu  plus  haut  que  certains  mammifères  sont  complètement 
dépourvus  des  intersections  du  grand  droit  de  l'abdomen. 

Nous  avons  examiné  la  forme,  la  direction,  le  trajet,  l'éten- 
due et  le  nombre  ries  intersections;  il  nous  reste  maintenant 
à  signaler  leur  distance,  suit  de  l'ombilic,  soit  du  pubis  ; 
ensuite,  nous  examinerons  leur  hauteur  et  leur  correspon- 
dance à  la  côte  voisine. 


528  SÉANCE  DU  17  OCTUBQE  4895 

La  première  intersection  ou  intersection  ombilicale. —  Les  indi- 
dus  que  nous  avons  disséqués  ont  été  pour  la  plupart  autop- 
siés, c'est  pourquoi  nos  séries  sont  très  petites. 

Mais, quoi  qu*il  en  soit,  voici  le  résultat  de  nos  recherches  : 
La  première  intersection  des  blancs  aboutit,  deux  fois  sur 
dix,  à  l'ombilic.  Chez  les  noirs,  cinq  fois  sur  quatorze  sujets. 
Chez  les  restes  des  individus  des  deux  races  elle  est  sus  ou 
sous-ombilicale,  et  descend  au-dessous  de  l'ombilic  plus  ou 
moins  bas,  comme  le  démontre  ce  tableau  : 

Dans  los  races      Race  Raoo 

en  général  noire         blanche 

Moyenne 30.22  36.3  26 

Maximum 57  50  57 

Minimum 15  17  15 

Un  seul  cas  choz  los  fommos  noires  :  27  millimètres. 
Deux  cas  dans  la  race  jaune  :  35  et  30  millimètres. 

La  situation  de  la  première  intersection  à  droite  et  à  gau- 
che au-dessus  de  l'ombilic: 

Chez  les  noires      à  gauche  adroite  à  gauche  à  droito 


Moyenne 37  36  10  31       I 

Maximum 50  42  25  57 

Minimum 17  29  15  17       ] 


Donc,  il  est  incontestable  que  la  première  intersection  ten- 
dineuse de  la  race  blanche  descend  plus  bas  au-dessous  de 
l'ombilic  que  celle  de  la  race  noire.  En  effet,  sa  moyenne  est 
inférieure  à  la  moyenne  de  races  de  4  millimètres,  elle  est 
inférieure  à  la  moyenne  de  la  race  noire  de  10  millimètres. 
Cependant,  son  maximum  est  plus  élevé  que  celui  des 
autres  races. 

Ce  maximum  nous  l'avons  observé  chez  un  décapité. 

Il  est  à  remarquer  que  la  situation  de  la  première  intersec- 
tion est  presque  égale  des  deux  cotés  chez  les  noirs;  chez  le 
blanc,  au  contraire,  la  différence  entre  le  côté  droit  et  le  gauche 


TH.   CHUDZINSKf.   —  GRAND  DROIT  DE  l'aBI>OMEN  529 

est  énorme.  Les  deux  chiffres  de  la  race  jaune  semblent  indi- 
quer que  leur  première  intersection  est  placée  probablement 
aussi  bas  que  dans  la  race  noire. 

Deuxième  intersection  tendineuse  du  grand  droit  de  l'abdomen.  — 
Nous  l'avons  vu  aboutir  à  l'ombilic,  cinq  fois  dans  la  race 
noire  et  deux  fois  dans  laTace  blanche. 

Chez  les  autres  individus  de  deux  races,  elle  remonte  au- 
dessus  de  l'ombilic  de  cette  manière  : 

Moyenne 33    34    35     1 

Maximum 57     57     55  millimètres. 

Minimum 20    20    20 

Dans  la  race  jaune  sur  les  deux  individus  non  autopsiés, 
la  deuxième  intersection  aboutit  à  l'ombilic. 

D'après  ces  chiffres,  la  situation  de  la  deuxième  intersection 
au-dessus  de  l'ombilic  est  presque  la  même  chez  les  hommes 
des  races  blanche  et  noire;  elle  s'abaisse  jusqu'à  l'ombilic 
chez  trois  femmes  de  la  race  noire  ainsi  que  chez  deux  indi- 
vidus de  la  race  jaune.  11  y  a,  en  outre,  une  différence  bien 
marquée  dans  la  situation  de  la  deuxième  intersection  à  gau- 
che et  à  droite;  la  moyenne,  à  gauche,  28;  à  droite,  de  35  mil- 
limètres. 

Troisième  intersection  tendineuse.  —  Sa  situation  au-dessus  de 
l'ombilic  est  celle-ci  : 

Dans  les  races  Race  Raco 

en  général  jaune  blancho 

Moyenne 115  118  106 

Maximum.  ...         155  150  155 

Minimum  ....  57  57  67 

Nous  n'avons  qu'un  seul  cas  dans  la  race  jaune  :  84  milli- 
mètres. 

L'explication  des  chiffres  est  superflue,  car  les  chiffres  eux- 
mêmes  parlent  très  clairement.  Mais,  ce  qu'il  y  est  utile  à 
noter,  c'est  la  différence  entre  les  côtés  gauche  et  droit  du 
corps  : 


530  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

A  droite  A  gauche 

Moyenne 129  00 

Maximum 15(1  128 

Minimum 113  57 

C'est-à-dire  qu'à  la  droite  la  troisième  intersection  est  pla- 
cée de  39  millimètres  plus  haut  au-dessus  de  l'ombilic  qu'à 
gauche. 

Quatrième  intersection.  —  Est  située  au-dessus  de  l'ombilic  : 

Dans  les  races       Race  Race 

on  général         noire         blanche  Race  jaune 

Moyenne  ...        155  179  132  n 

J  Un  seul  cas  :    128 

Maximum.  .  .        216  210  165        millimètres. 

Minimum  ...        114  149  114 

La  différence  de  47  millimètres  entre  les  races  blanche  et 
noire  serait  hors  de  proportion.  Cela  prouve  l'insuffisance  de 
notre  série  de  blancs. 

La  différence  entre  les  côtés  droit  et  gauche  est  très  remar- 
quable chez  les  nègres  : 


oL 


A  droite  A  gauche 

Moyenne 193  169 

Maximum 216  200 

Minimum 171  167 

La  différence  entre  le  côté  droit  et  le  gauche  est  donc  de  24 
millimètres  au  profit  du  côté  droit. 

Cinquième  intersection.  —  Fait  défaut  chez  les  individus  des 
races  blanche  et  jaune  qui  étaient  soumis  à  notre  appréciation. 

Chez  les  nègres,  nous  ne  l'avons  vu  que  deux  fois.  Sa  dis- 
tance de  l'ombilic  est  246  dans  un  cas,  et  de  203  millimètres 
dans  l'autre. 

En  résumé,  toutes  les  intersections  tendineuses  du  grand 
droit  de  l'abdomen  remontent  plus  haut  au-dessus  de  l'om- 
bilic dans  la  race  noire  que  dans  les  autres  races. 


TH.   CHUDZINSKl.   —   GRAND   DROIT  DE  L'ABDOMEN  531 

Nous  avons  terminé  l'étude  de  la  situation  des  intersections 
tendineuses  par  rapport  à  l'ombilic  ;  seulement,  la  situation 
de  l'ombilic  lui-même  n'a  pas  de  fixité  suffisante.  Or,  nous 
avons  pensé  qu'il  est  utile  d'établir  la  distance  de  chaque 
intersection  tendineuse  du  grand  droit  de  l'abdomen  par  rap- 
port au  pubis  qui  est  un  point  immuable.  Mais  avant  de  com- 
mencer cette  étude,  nous  poserons  cette  question.  A  quel  point 
précis  du  tronc  est  placé  l'ombilic?  Pour  résoudre  cette  ques^ 
tion,  nous  nous  sommes  heurté  contre  un  obstacle,  car  tous 
les  traités  d'anatomie  passent  sous  silence  ce  petit  fait  d'ana- 
tomie. 

Avec  les  faibles  ressources  dont  nous  disposons,  nous  avons 
précisé,  tant  bien  que  mal,  l'emplacement  de  l'ombilic.  Mal- 
heureusement, la  série  est  très  insignifiante,  car  elle  n'est 
composée  que  de  10  individus  de  toutes  races;  mais,  telle 
qu'elle  est,  nous  la  présentons  à  titre  provisoire. 

L'ombilic,  dans  les  races  humaines,  est  rarement  placé  au 
milieu  de  la  ligne  tirée  du  sommet  de  l'appendice  xyphoïde 
à  la  symphyse  pubienne. 

Dans  notre  série,  nous  avons  vu  un  seul  cas  seulement  où 
l'ombilic  était  placé  presque  au  milieu  (à  un  millimètre  près 
de  cette  ligne).  En  moyenne,  l'ombilic  est  situé  à  15  ou,  plus 
exactement,  à  14,9  au-dessus  de  la  moitié  de  la  ligne  xypho- 
pubienne;  au  maximum  k  25,  et  au  minimum  un  millimètre. 
Mais,  deux  fois,  il  était  situé  à  8  et  10  millimètres  au-dessous 
de  ce  point. 

Sa  situation  au-dessus  du  pubis  est  la  suivante  : 

Dans  les  Raco  noiro 

races  en  général        H.  F. 

Moyenne  ........       154.5  150  150 

Maximum 174  174  152 

Minimum 140  140  »» 

Distance  de  l'appendice  xypboïdc  ;i  l'ombilic  : 
Moyenne  155,  maximum  163,  minimun  132  millimètres. 


532  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE    1895 

Dans  ces  chiffres,  nous  n'avons  pas  compris  le  nombre  209 
qui  nous  a  paru  anormal;  mais,  si  on  le  fait  entrer  dans  la 
série,  les  chiffres  précédents  se  modifient  de  cette  sorte  : 

Moyenne  161,  maximum  209,  minimum  132  millimètres. 

La  longueur  de  la  ligne  pubio-xyhoïdienne  du  grand  droit 
de  l'abdomen,  est  en  moyenne  321.7,  au  maximum  389  et  au 
minimum  381  millimètres;  mais,  si  on  supprime  le  nombre 
389  de  la  série,  alors  la  moyenne  descend  à  314,  au  maxi- 
mum 350,  le  minimum  reste  invariable  à  301  millimètres. 

Après  cette  longue  digression,  nous  revenons  à  notre  sujet. 
Nous  allons  maintenant  voir  comment  les  intersections  du 
grand  droit  de  l'abdomen  s'étagent  au-dessus  du  pubis. 

La  première  intersection  remonte  au-dessus  du  pubis  : 

Dans  les  racos      Race  noire         Race    Raco 
en  général    Série     H.        F.    jaune  blanche 

Moyenne  .  .  .     133.4!)  135     129    150    127     130     \ 

Maximum.  .  .     180        180     153    180    145    109     !   millimèlres. 

Minimum  .  .  .     101         101     101     110    102     107     ! 

Ce  tableau  est  un  peu  compliqué.  D'après  les  chiffres  qui  le 
composent,  la  moyenne  de  la  race  noire  domine  les  moyen- 
nes des  autres  races,  et  particulièrement  la  moyenne  de  la 
race  jaune.  Cela  ne  serait  pas  étonnant;  mais  voici,  la 
moyenne  des  hommes  de  la  race  noire  a  4  millimètres  de 
moins  que  la  moyenne  générale  des  races,  et  un  millimètre 
plus  inférieure  à  celle  de  la  race  blanche  qui,  à  son  tour, 
descend  de  20  millimètres  plus  bas  que  la  moyenne  des 
femmes  de  la  race  noire. 

Le  maximum  se  maintient  toujours  dans  la  série  des  fem- 
mes de  la  race  noire  et  chez  les  blancs;  le  minimum  est  dans 
la  race  jaune  et  chez  les  noirs  du  sexe  masculin. 

Cette  même  intersection  est  différemment  placée  au-dessus 
du  pubis  ;i  droite  et  à  gauche  : 


TH    CHCDZIXSKI. 


f.RAXD  DROIT  DR  I,  AHDOMEX 


133 


Dans  los  races 


A  droite 


Race  noire 


on  général         Série         II. 


Race 
F.     blanche 


Moyenne. 
Maximum 
Minimum 


133 
169 
101 


132 
100 
101 


129 
153 
101 


140 
100 
110 


Dans  le  5  races 
en  général 


A  gauche 

Race  noire 


Moyenne.  . 
Maximum  . 
Minimum  . 


136 
180 
110 


Série 

141 
180 
117 


H. 

129 
150 
117 


F. 

160 
180 
130 


137 
169 
107 


Race 

blanche 

125 

148 
110 


millimètres. 


millimètres. 


D'une  manière  générale,  \a  première  intersection  monte 
plus  haut  à  gauche  qu'à  droite  par  sa  moyenne  dans  la  race 
noire,  elle  monte  plus  haut  à  droite  dans  la  race  blanche  (de 
12  millimètres).  Chez  les  hommes  de  la  race  noire,  il  y  a  de 
l'égalité;  chez  les  femmes  de  la  même  race,  il  y  a  20  milli- 
mètres à  l'avantage  du  côté  gauche.  Enfin,  la  moyenne  géné- 
rale de  race  est  de  3  millimètres  plus  haute  à  gauche.  Le 
maximum  le  plus  fort  est  dans  la  race  nuire  et  naturellement 
chez  les  femmes,  mais  seulement  à  gauche,  car  à  droite  le 
maximum  le  plus  fort  est  chez  les  blancs,  puis  chez  les  fem- 
mes de  la  race  noire. 

Deuxième  intersection . 

Dans  les  races  Race  noire  Race 

on  «énéral        Série         H.  F.      blanche 


Moyenne  . 
Maximum 
Minimum 


198.87 

248 

127 


188 
240 
127 


180 
240 
127 


211 

181.2 

240 

248  , 

160 

145 

Nous  n'avons 
quecesiloux  nom- 
bres pour  la  race 
jaune:  22i  otlGO. 


Ce  tableau  est  assez  curieux  par  ses  chiffres;  il  fait  voir 
d'abord  que  la  deuxième  intersection  du  droit  antérieur  de 
'abdomen  s'élève  le  plus  au-dessus  du  pubis  chez  les  femmes 


534 


SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 


de  la  race  noire;  de  plus,  sa  moyenne  est  supérieure  à  celle 
de  la  série  des  noirs  du  sexe  masculin  de  31  millimètres,  et 
de  30  à  celle  de  la  race  blanche.  Son  minimum  est  très  élevé 
chez  les  négresses,  et  le  maximum  le  plus  fort  est  dans  la  race 
blanche. 

Les  deux  nombres  de  la  race  jaune  semblent  indiquer  la 
moyenne  très  élevée. 

Voyons  maintenant  la  différence  de  la  hauteur  à  laquelle 
est  portée  la  deuxième  intersection  à  droite  et  à  gauche. 

A  droite 


Dans  les  races 

Race  noiro 

Race 

en  général 

Sério 

"       H. 

~fT 

blancho 

Moyenne .  . 

194 

190 

177.45 

215 

202 

Maximum  . 

248 

240 

222 

240 

248 

Minimum.  . 

127 

127 

127 

160 

163 

A  gauche 

Moyenne  générale  Race  noire 

dos  racos  Série      H.         F. 


Race 
blanche 


Moyenne.  .  .     184.57        198     186    206.5    169 
Maximum  .  .     240  240    240    230        210 

Minimum.  .  .     145  145    145    176        145 


millimètres. 


Donc,  d'une  manière  absolue,  la  deuxième  intersection 
remonte  plus  haut,  au-dessus  du  pubis,  à  droite  qu'à  gau- 
che, comme  le  prouve  la  moyenne  générale  de  race.  En  effet, 
cette  moyenne  à  droite  a  9  millimètres  de  plus  qu'à  gauche. 
Mais  le  reste  du  tableau  ne  se  comporte  pas  de  cette  manière. 
Ainsi,  la  moyenne  des  femmes  noires  s'abaisse  de  8  millimè- 
tres à  gauche,  et  celle  de  la  race  blanche  de  33  millimètres; 
au  contraire,  la  moyenne  des  noirs  du  sexe  masculin  s'élève 
de  9  millimètres. 

Le  maximum  est  invariable  à  l'exception  du  maximum  des 
blancs  qui  est  nettement  diminué.  Le  minimum  est  plus  élevé 


TH.   CHUDZ1XSKI.   —   GRAND  DROIT  DE  L'ABDOMEN  535 

à  gauche  qu'à  droite  ;  il  est  aussi  diminué  dans  la  race 
blanche. 

En  somme,  la  deuxième  intersection  tendineuse  du  grand 
droit  de  l'abdomen  s'élève  davantage  au-dessus  du  pubis  à 
droite  qu'à  gauche. 

Troisième  intersection.  —  est  située  au-dessus  du  pubis: 

Dans  les  races  Race  noire  Race 

en  général      Série      H.  F.     blanche  Race  jauno 

Moyenne..     259  288     287.5    289    250  2      Nous  n'avons  que  ces 

Maximum.  393  393  393  310  340  ^re-TooTïs? 
Minimum  .     184?        217     217        250     148?      millimètres. 

Ces  chiffres  montrent  clairement  la  situation  très  élevée  de 
la  troisième  intersection,  au-dessus  du  pubis  dans  la  race 
noire  et  cela  dans  les  deux  sexes,  car  leurs  moyennes  sont 
égales.  La  race  blanche  se  distingue  de  la  race  noire  par  un 
abaissement  considérable  de  sa  moyenne;  cette  moyenne  est 
égale  au  minimum  des  femmes  de  la  race  noire,  elle  est  de 
9  millimètres  au-dessous  de  la  moyenne  des  races,  et  de  39 
au-dessous  de  celle  de  la  race  noire,  et  pourtant  son  maximum 
est  assez  considérable. 

La  troisième  intersection  diffère  dans  sa  situation  à  gauche  et 
à  droite  : 

A  droite 


Dans  les  i 

races 

Race  noire 

Race 

en  général            Série 

'       ït 

F. 

blanche 

Moyenne  .  . 

260 

285 

284 

287 

266 

Maximum.  . 

340 

340 

310 

310 

340 

Minimum  .  . 

235 

250 
A  gauche 

250 

230 

230 

Dans  les 
races  en  général 

Race  noire 

Race  blanche 

Moyenne.  . 

■      • 

291.5 

264 

313 

Maximum  . 

*       .       • 

393 

340 

393 

Minimum  . 

•      •      • 

217 

217 

269 

536  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

On  voit,  d'après  ce  tableau,  que  la  moyenne  générale  des 
races  aurait  en  plus  32  millimètres,  par  conséquent  la  troi- 
sième intersection  du  droit  de  l'abdomen  à  gauche  remonte  en 
haut  de  32  millimètres  en  plus  que  son  congénère  du  côté 
droit.  Cette  différence  est  encore  plus  remarquable  dans  la 
race  blanche;  elle  a  47  millimètres  de  plus  pour  le  côté 
gauche. 

A  droite,  c'est  la  race  noire  qui  lient  le  premier  rang;  à 
gauche,  c'est  la  race  blanche  et  dans  les  proportions  bien  plus 
supérieures.  Seulement,  comme  nos  séries  sont  très  petites, 
ces  chiffres  n'ont  d'autres  valeurs  que  des  documents  pour 
les  recherches  ultérieures.  Nous  n'avons  pas  donné  des  chif- 
fres de  la  hauteur  gauche  de  la  troisième  intersection  des 
femmes  de  la  race  noire,  car  nous  n'avions  que  deux  chiffres 
disponibles  :  310  et  230.  La  cause  de  ce  manque  de  chiffres, 
est  l'autopsie  qui  a  lacéré  ce  côté,  ensuite,  une  de  ces  femmes 
(Fatalarie  manquait  de  la  troisième  intersection  à  gaucbe,  car 
il  n'en  avait  que  deux  seulement  en  tout). 

Quatrième  intersection.  —  S'élève  au-dessus  du  pubis  dans 
l'ordre  suivant  : 


La  raco  jaune  est  re- 
présentée par  ces  deux 
nombres  :  368  et  !238. 


C'est  encore  dans  la  race  noire  que  la  quatrième  intersec- 
tion monte  plus  haut  au-dessus  du  pubis.  La  moyenne  est 
supérieure  a  la  moyenne  de  race  de  13  millimètres  et  même 
chez  les  hommes  de  la  race  noire  de  22  millimètres.  La 
moyenne  des  femmes  de  la  race  noire  est  égale  à  la  moyenne 
générale  des  races.  Chez  les  individus  blancs,  la  moyenne  de 
la  quatrième  intersection  diffère  de  la  moyenne  de  12  mil- 
limètres et  34  par  rapport  à  la  moyenne  de  noirs  du  sexe  mas- 
culin. Le  maximum  est  très  fort  dans  la  race  noire;  le  mini- 
mum ne  présente  pas  de  différences  notables. 


Dans  les  races 

R; 

Série 

jce  noire 

Race 

en  général 

"lt 

F. 

bancho 

Moyenne.  .     315 

329.5 

337 

315 

303 

Maximum .    408 

408 

408 

380 

344 

Minimum  .     270 

275 

280 

275 

270 

TH.  CHUDZlXSKf.  —  ÛRAND  DROIT  DE  L'ABDOMEN 


537 


La  situation  à  droite  et  à  gauche  de  la  quatrième  intersec- 
tion est  celle-ci  : 

A  droite 


Dans  les  races 

Race  noire 

Race 

en 

général 

Série 

"       ît      " 

F. 

blanche 

Moyenne  . 

«   , 

325 

319 

325 

296 

308 

Maximum. 

.   . 

408 

408 

408 

310 

334 

Minimum . 

, 

275 

275 

300 

275 

270 

A  gauche 


Moyenne.  . 
Maximum  . 
Minimum  . 


Dans  les  races 

on  général        Race  noire  H.    Raco  blancho 


322 

379 

270 


343.5 

293 

379 

310 

280 

270 

Chez  les  femmes  de  la  race  noire  nous  avons  a  noter  ces 
deux  chiffres  et  seulement  pour  le  côté  gauche  :  380  et  340  mil- 
limètres. 

Donc  la  moyenne  générale  du  côté  gauche  est  inférieure  à 
celle  du  côté  droit  de  3  millimètres.  Chez  les  individus,  de  la 
race  noire,  les  hommes,  elle  est  de  19  millimètres  moindre 
du  côté  droit.  Dans  la  race  blanche,  entre  les  côtés  droit  et 
gauche,  il  y  a  9  millimètres  à  l'avantage  du  côté  droit.  Gela 
veut  dire  que,  d'une  manière  générale,  la  quatrième  intersec- 
tion est  plus  haut  placée  à  droite  qu'à  gauche.  Seulement  son 
maximum  est  très  variable,  peut-être  à  cause  de  la  fai- 
blesse de  nos  séries. 

Cinquième  intersection.  —  Nous  avons  déjà  remarqué,  plus 
haut,  que  la  cinquième  intersection  du  grand  droit  de  l'ab- 
domen manquait  chez  les  individus  des  races  blanche  et 
jaune.  Dans  la  race  noire  nous  l'avons  observé  deux  fois  seu- 
lement. Dans  un  de  ces  deux  cas,  elle  était  située  a  430  milli- 
mètres au-dessus  du  même  point. 

Il  nous  reste,  maintenant,  peu  de  chose  à  ajouter  à  l'étude 
du  grand  droit  de  l'abdomen  ;  cependant,  avant  de  terminer 

t.  vi  (4°  série).  33 


Î38 


SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 


ce  travail,  nous  examinerons  encore  la  hauteur  des  intersec- 
tions tendineuses  et  leur  correspondance  avec  la  côte  voisine. 
La  hauteur  de  chaque  intersection    tendineuse  dans    les 
races,  est  la  suivante  : 

Dans  la  race  blanche 


\'0 


90 


:^o 


40 


Moyenne    .  .  . 

10 

14 

16 

13 

) 

Maximum  .  .  . 

23 

20 

25 

25 

\  millimètres 

Minimum  .   .   . 

4 

9 

10 

6 

j 

Moyenne  . 
Maximum. 
Minimum. 


Dans  la  race  noire 

\  '0  2°  3° 

Sério    H.     F.    Série    H.     F.    Série     H.    F. 

13  12  14  19  20  21  17  19  12 

24  22  24  30  35  40  29  29  17 

445557779 


Moyenne  . 
Maximum 
Minimum. 


4o  intersection 

Série                       H. 

F. 

9                       10 

4 

25                     25 

11 

1                       1 

1 

Dans  la  race  jaune,  la  première  intersection  a  20  millimè- 
tres de  hauteur,  la  deuxième  28,  la  troisième  25  et  la  qua- 
trième 4  millimètres. 

En  résumé  :  la  hauteur  de  la  première  intersection  du 
grand  droit  de  l'abdomen  est  un  peu  moindre  chez  les  blancs 
que  celle  de  la  race  noire.  Cependant  nous  avons  écarté  de 
la  série  de  femmes  noires  la  hauteur  de  la  première  intersec- 
tion de  la  négresse  d'Egypte  nommée  Fatalarie.  Cette  né- 
gresse n'avait  que  deux  intersections  à  doite  et  trois  à  gau- 
che. Or  ,1a  première  intersection  droite  est  haute  de  49  milli- 
mètres, celle  du  coté  gauche  de  47  millimètres. 


TH.   GHUDZINSKl.  —  GRAND  DROIT  OE  l'aBDOMEX  539 

La  deuxième  intersection  tendineuse  a  peu  de  hauteur 
dans  la  race  blanche,  mais  cette  hauteur  est  considérable 
chez  les  femmes  de  la  race  noire  ;  chez  ces  dernières  la  hau- 
teur est  de  40  millimètres  au  maximum.  Enfin  la  hauteur  de 
la  deuxième  intersection  des  blancs  est  moindre  que  celle  de 
la  première. 

La  hauteur  de  la  troisième  intersection  est  plus  faible  chez 
les  blancs  que  chez  les  noirs,  mais  seulement  quand  on  com- 
pare les  individus  des  sexes  masculins  de  ces  deux  races  ;  au 
contraire,  cette  hauteur  est  plus  forte  chez  les  blancs  que  celle 
des  femmes  de  la  race  noire. 

La  hauteur  de  la  quatrième  intersection  est  faible  chez  les 
femmes  de  la  race  noire,  elle  est  égale  chez  les  individus  des 
races  noire  et  blanche  du  sexe  masculin. 

Enfin  nous  finirons  par  l'examen  de  la  correspondance  des 
intersections  tendineuses  avec  les  côtes  voisines. 

Nous  remarquerons  que  cette  correspondance  est  absolu- 
ment la  même  dans  toutes  les  races.  Les  écarts  individuels 
sont  aussi  les  mêmes. 

La  première  intersection  tendineuse  du  grand  droit  de 
l'abdomen  est  placée,  dans  la  majorité  des  cas,  sur  le  trajet  de 
ladouxième  cote.  Chez  la  négresse  Eatalarie,  elle  était  située 
au-dessous  de  la  douzième  côte. 

La  seconde  intersection  suit  la  direction  de  la  onzième 
côte,  quatre  fois  seulement  nous  l'avons  vu  sur  le  trajet  de 
la  dixième  côte  et  une  seule  fois  sur  le  trajet  de  la  neuvième 
côte,  chez  un  blanc. 

La  troisième  intersection  se  place,  le  plus  souvent  sur  le 
trajet  de  la  dixième  côte,  2  fois  sur  le  trajet  de  la  neuvième 
et  une  seule  fois  de  la  huitième  côte,  chez  les  nègres...  Chez 
les  blancs  son  trajet  est  irrégulier,  tantôt  sur  le  trajet  de  la 
dixième,  tantôt  de  la  neuvième  ou  même  de  la  huitième  et  une 
seule  fois,  nous  l'avons  vu,  sur  le  trajet  de  la  septième  côte. 

La  quatrième  intersection  suit  fréquemment  le  trajet  de  la 
septième  côte  ou  la  huitième  et  seulement  par  exception  la 
neuvième  côte. 


540  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

La  cinquième  intersection,  quand  elle  existe,  correspond  à 
la  sixième  côte. 

Nous  avons  terminé  cette  longue  et  un  peu  aride  étude  du 
grand  droit  de  l'abdomen.  Cependant  cette  étude,  quelque  aride 
qu'elle  soit,  est,  selon  nous,  de  quelque  utilité  ;  elle  complète 
des  connaissances  acquises  sur  ce  muscle,  dans  les  traités 
d'anatomie  descriptive. 

Maintenant,  nous  récapitulons  les  faits  principaux  de  la 
constitution  du  muscle  droit  de  l'abdomen. 

1°  La  plus  grande  largeur  du  grand  droit  de  l'abdomen,  est 
presque  égale  dans  toutes  les  races  humaines  par  sa 
moyenne  ;  mais  le  maximum  et  le  minimum  sont  plus  forts 
dans  la  race  blanche.  Dans  la  race  jaune  la  largeur  de  ce 
muscle  parait  être  relativement  moins  considérable. 

2°  Les  irrégularités  dans  la  forme,  trajet,  direction  et  l'or- 
dre des  intersections  tendineuses  du  droit  antérieur  de  l'abdo- 
men, sont  plus  fréquentes  dans  les  races  de  couleur. 

3°  Les  intersections  sous-ombilicales  sont  moins  rares  ; 
dans  les  races  de  couleur  elles  montent  plus  haut  au-dessus 
de  l'ombilic  dans  la  race  noire,  et  surtout  chez  les  femmes 
de  cette  race. 

4°  Pour  la  plupart  du  temps,  les  intersections  du  côté  gau- 
che s'élèvent  davantage  au-dessus  de  pubis  que  celle  du  côté 
droit. 

5°  Enfin  la  hauteur  de  chaque  intersection  est  plus  grande 
dans  la  race  noire,  surtout  chez  les  femmes. 


Malformations  congénitales  multiples  et  héréditaires  des 
doigts  et  des  orteils. 

Fusion  de  la  première  et  de  la  deuxième  phalanges 

Par  MM.  Moutard  Martin,  médecin   de  l'hôpital  de  la  Charité 
et  II.  Pissavy,  interne  dos  Hôpitaux. 

Nous  avons  observé,  chez  un  malade  mort  de  tuberculose 
pulmonaire,  une  malformation   assez  rare  des  mains  et  des 


MOUTARD-MARTIN  ET  I'ISSAVY.   MALFORMATIONS  541 

pieds.  Tandis  que  les  pouces  et  les  gros  orteils  étaient  nor- 
maux, tous  les  autres  doigts  paraissaient  n'avoir  que  deux 
phalanges,  la  première  et  la  troisième.  Mais,  en  regardant  de 
plus  près,  on  pouvait  se  rendre  compte  qu'il  existait  un  rudi- 
ment de  phalangine,  ainsi  que  l'a  montré  plus  tard  l'examen 
microscopique. 

M.  Pasteau,  aide  d'anatomie  à  la  Faculté,  a  bien  voulu  se 
charger  de  disséquer  et  de  dessiner  le  médius  de  la  main 
droite  et  le  deuxième  orteil  droit,  seules  pièces  que  nous 
ayons  pu  nous  procurer,  et  nous  avons  fait  exécuter  un  mou- 
lage de  la  main  droite. 

Nous  allons  étudier  successivement  l'anatomie  patholo- 
gique de  la  difformité  qui  nous  occupe  et  l'influence  de  l'hé- 
rédité sur  son  apparition. 

1°  Médius  de  la  main  droite.  —  Comme  tous  les  autres 
doigts,  sauf  le  pouce,  le  médius  est,  dans  son  ensemble,  un 
peu  raccourci.  Il  le  serait  bien  davantage  si  la  première  pha- 
lange ne  présentait  un  allongement  notable  qui  compense  un 
peu  la  brièveté  extrême  du  rudiment  de  la  phalangine.  Celle- 
ci  n'est  représentée  que  par  une  masse  osseuse  irrégulière 
située  à  l'extrémité  antérieure  de  la  première  phalange.  Celte 
masse  osseuse,  en  effet,  ne  saurait  être  autre  chose  que  la 
phalangine  atrophiée,  car  la  configuration  extérieure  de 
l'os,  les  insertions  musculaires,  les  insertions  ligamenteuses 
et  l'aspect  de  la  coupe  concourent  à  le  démontrer. 

A)  Configuration  extérieure  de  l'os.  —  La  première  phalange 
(fig.  1  et  2)  est  facilement  reconnaissable,  et  si  nous  suppri- 
mons par  la  pensée  les  irrégularités  osseuses  qu'elle  porte  à 
son  extrémité  antérieure,  elle  se  trouve  ramenée  au  type 
ordinaire  des  phalanges.  Son  extrémité  supérieure  est  nor- 
malement conformée;  son  corps  ne  présente  d'autre  anomalie 
qu'une  longueur  un  peu  trop  grande  (26  millimètres  au  lieu 
de  19  millimètres  trouvés  sur  le  squelette  d'un  homme  de 
taille  moyenne);  son  extrémité  inférieure,  enfin,  devient  elle- 
même  régulière  si,  après  avoir  détaché  le  prolongement  osseux 


542  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

qu'elle  supporte,  nous  creusons  sur  la  surface  de  section  une 
poulie  articulaire. 

Mais  ce  prolongement  osseux,  que  nous  supposons  sec- 
tionné, rappelle.,  lui  aussi,  dans  une  certaine  mesure,  la 
forme  des  phalanges  normales.  C'est  une  phalange  très 
réduite  sans  doute,  mais  sur  laquelle  nous  retrouvons  néan- 
moins un  corps  et  deux  extrémités.  Le  corps  n'est  plus  repré- 
senté que  par  une  dépression  circulaire  et  sépare  l'une  de 
l'autre  l'extrémité  supérieure  voisine  du  plan  de  section,  et 
l'extrémité  inférieure  voisine  de  la  phalangette  avec  laquelle 
elle  s'articule.  Quant  à  la  troisième  phalange,  elle  ne  pré- 
sente pas  d'anomalie. 

Ainsi,  l'aspect  seul  des  pièces  osseuses  nous  permet  déjà 
d'affirmer  la  présence  d'une  phalangine  rudimentaire  soudée 
à  la  première  phalange.  Mais  nous  trouvons  dans  l'étude  des 
insertions  musculaires  un  argument  plus  ferme  et  plus  pré- 
cis puisque  nous  allons  voir  les  tendons  qui  s'attachent  nor- 
malement à  la  deuxième  phalange,  venir  se  fixer  sur  la  masse 
osseuse  irrégulière  qui,  pour  nous,  la  représente. 

B)  Insertions  musculaires.  —  Sur  cette  masse  osseuse,  en 
effet  (fig.  1),  nous  trouvons  à  la  face  dorsale,  l'insertion  de 
la  languette  médiane  de  l'extenseur  commun  (E);  à  la 
face  palmaire  l'insertion  du  fléchisseur  superficiel  (F-).  Or, 
à  l'état  normal  l'extenseur  commun  s'attache  par  sa  lan- 
guette médiane  à  l'extrémité  supérieure  de  la  deuxième  pha- 
lange, et  le  fléchisseur  superficiel,  aux  bords  latéraux  du 
corps  de  cette  même  phalange. 

La  phalange  unguéale  porte  à  la  face  dorsale  les  insertions 
régulières  des  deux  languettes  latérales  de  l'extenseur  com- 
mun réunies  en  un  seul  tendon,  et  à  la  face  palmaire  les 
insertions  du  lléchisseur  profond  des  doigts. 

C)  Insertions  ligamenteuses.  —  Chez  les  individus  sains,  les 
articulations  des  phalanges  entre  elles  et  celles  des  premières 
phalanges  avec  les  métacarpiens  à  la  main,  avec  les  métatar- 
siens au  pied,  présentent  toutes  la  même  disposition.  L'ar- 
ticulation métatarso-phalangienne  conservée  sur  la  fig.  3  étant 


MOUTARD-MARTIN  ET  l'ISSAVY.  —  MALFORMATIONS 


543 


parfaitement  régulière,  pourra  nous  servir  de  point  de  com- 
paraison :  nous  allons  la  décrire  en  quelques  mots.  Il  existe 


pjg.  i.  _  3«  doigt  de  la  main  droite  disséqué  pour  montrer  les 

insertions  des  tendons. 

Pi,  tIC  phalange  —  P3,  3*  phalange.—  E,  tendon  de  l'extenseur 
s'insérant  sur  P3  et  envoyant  une  expansion  E'  sur  ce  qui  corres- 
pond à  la  2e  phalange.  —  F1,  fléchisseur  perforant  (profond)  s'in- 
sérant  sur  P3.  —  F-,  fléchisseur  perforé  (superficiel)  s'insérant  sur 
la  2e  phalange.  —  L,  faisceau  phalangien  du  ligament  latéral  de 
l'articulation  phalango-phalanginienne.  —  L',  fibres  les  plus  supé- 
rieures de  la  capsule  de  l'articulation  phalango-phalanginienne. 


au  niveau  de  cette  articulation  deux  sortes  de  ligaments  :  un 
ligament  capsulaire  dont  les  fibres,  horizontalement  dirigées, 
se  voient  à  la  face  dorsale,  et  deux  ligaments  latéraux  :  l'un 
interne  et  l'autre  externe.  Chacun  de  ces  ligaments  latéraux 
comprend  lui-même  deux  faisceaux  :  un  faisceau  oblique  en 
bas  et  en  avant  :  faisceau  métatarso-phalangien  et  un  fais- 
ceau vertical  qui  passe  comme  une  sangle  sous  la  tète  du 
métatarsien  pour  aller  se  continuer  avec  celui  du  cùté  opposé  ; 
faisceau  métatarso-glenoïdien.  —  Or,  si  nous  revenons  main- 
tenant à  la  main,  nous  trouvons  à  l'extrémité  antérieure  de  la 


544  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

première  phalange  :  un  grand  ligament  latéral  oblique  en  bas 
et  en  avant,  s'étendant  de  la  première  à  la  troisième  phalan- 
ge, et  au-dessus  de  lui  quelques  fibres  horizontales  qui  ne 
franchissent  pasl'interligne  articulaire. Ces  fibres  horizontales 
représentent  évidemment  le  ligament  capsulaire  de  l'articula- 
tion qui  devrait  exister  entre  la  première  et  la  deuxième  pha- 
lange. Quant  au  grand  ligament  latéral,  il  est  formé,  croyons- 
nous,  de  deux  ligaments  réunis  bout  à  bout  :  le  ligament 
latéral  de  l'articulation  phalango-phalanginienne  et  le  liga- 
ment latéral  de  l'articulation  phalangino-phalangctticnne. 

D)  Aspect  de  la  coupe.  —  L'aspect  de  la  coupe  enfin  vient 
fournir  à  notre  opinion  un  dernier  et  sérieux  appui,  ainsi 
qu'il  est  facile  de  s'en  rendre  compte  par  un  simple  coup 
d'oeil  jeté  sur  les  pièces  ou  sur  les  dessins. 

Nous  constatons  tout  d'abord  (fig.  2)  que  l'extrémité  supé- 
rieure (P1)  est  normalement  conformée  avec  sa  masse  spon- 
gieuse à  aréoles  étroites  recouverte  d'une  couche  de  tissu 


If jjpël^*  [ 


Fig.  II.  —  Même  doigt  que  sur  la  fig.  I. 

La  pièce  a  été  coupée  dans  sa  longueur  sur  la  ligne  médiane.  — 
On  peut  étudier  l'architecture  des  os;  les  insertions  musculaires 
ont  été  gardées  en  partie.. 

P',  lre  phalange  soudée  avec  —  P*,  2e  phalange.  —  P3,  3e  pha- 
lange. —  E,  tendon  de  l'extenseur  s'insérant  sur  P3  et  envoyant  une 
expansion  E'  sur  P*.  —  F',  fléchisseur  profond  s'insérant  sur  P3. 
—  F-,  fléchisseur  superficiel  s'insérant  sur  P2. 


MOUTARD-MARTIN  ET  PISSAVY.  —  MALFORMATIONS  543 

compact.  Le  corps,  sauf  sa  longueur  exagérée,  ne  présente 
pas  non  plus  d'irrégularité  de  structure  :  le  canal  médullaire 
existe  et  le  tissu  compact  qui  l'entoure  a  son  épaisseur  ordi- 
naire. 

Au  niveau  de  l'extrémité  inférieure,  le  tissu  compact  se 
continue  sans  ligne  de  démarcation  bien  nette  avec  celui  de 
l'extrémité  supérieure  de  la  phalangine  (P2),  Mais  dans  la 
partie  qui  correspond  au  corps  de  cette  deuxième  phalange, 
les  aréoles  osseuses  s'agrandissent  et  il  existe  en  somme  une 
ébauche  de  canal  médullaire.  Vers  l'extrémité  inférieure,  les 
aréoles  se  rétrécissent  de  nouveau  pour  reprendre  le  même 
aspect  qu'à  l'extrémité  supérieure. 

Deuxième  orteil  du  pied  droit.  —  Les  malformations  de  cet 
orteil  ressemblent  beaucoup  à  celles  du  médius,  et  la  confi- 
guration extérieure  de  l'os,  les  insertions  musculaires  et  liga- 
menteuses, l'aspect  de  la  coupe,  enfin,  sont,  comme  nous 
allons  le  voir,  très  remarquables. 

A)  Configuration  extérieure  de  l'os.  —  Le  squelette  est  formé 
comme  au  doigt  par  deux  pièces  seulement  :  l'une  qui  repré- 
sente les  deux  premières  phalanges  réunies,  l'autre  qui  repré- 
sente la  troisième  phalange  régulièrement  conformée.  Ce 
squelette  est  dans  son  ensemble  notablement  raccourci  (30 
millimètres  au  lieu  de  50  millimètres  trouvés  sur  le  squelette 
d'un  individu  de  taille  moyenne),  mais  le  raccourcissement 
ne  porte  que  sur  les  deux  premières  phalanges.  La  première 
(fig.3  et  4,  P')dont  l'extrémité  supérieure  est  bien  conformée 
mais  dont  le  corps  n'a  que  quelques  millimètres  de  longueur, 
se  confond  par  son  extrémité  inférieure  avec  l'extrémité 
supérieure  de  la  deuxième.  Au  point  de  réunion  se  trouve, 
sur  la  face  plantaire,  un  tubercule  assez  volumineux,  qui 
semble  appartenir  en  propre  à  la  deuxième  phalange,  ainsi 
que  le  montrera  l'étude  des  insertions  musculaires.  Le  corps 
de  cette  deuxième  phalange  est  uniquement  représenté  par 
une  dépression  circulaire  au-delà  de  laquelle  on  voit  l'extré- 
mité inférieure  avec  la  poulie  destinée  à  recevoir  la  phalan- 
gette. 


546 


SÉANCE  DU   17  OCTOBRE  1895 


B)  Insertions  musculaires.  —  A  l'état  normal,  le  tendon  du 
long  extenseur  commun  des  orteils,  s'insère  par  une  lan- 


Fig.  III.  —  2'  orteil  (enlevé  avec  la  plus  grande  partie  du  méta- 
tarsien correspondant  et  disséqué. 

M,  2e  métatarsien,  —  P3,  3°  phalange.  —  E,  tendon  de  l'exten- 
seur s'insérant  sur  P3  et  sur  ce  qui  correspond  à  la  2°  phalange.  — 
F1,  tendon  du  long  fléchisseur  s'insérant  sur  P3.  —  F-,  tendon  du 
court  fléchisseur  plantaire  s'insérant  sur  les  bords  de  la  2e  pha- 
lange atrophiée.  —  I,  2e  inlerosseux  (dorsal)  s'insérant  sur  la 
1°  phalange  (côté  externe  de  l'extrémité  postérieure»).  —  L,  lig. 
latéral  de  l'articulation  phalango-phalanginienne. 

guette  médiane  à  la  deuxième  phalange  et  par  deux  autres 
languettes  réunies  à  la  phalange  unguéale.  11  fournit,  en 
outre,  une  expansion  fibreuse  à  la  première  phalange1. 

Sur  nos  pièces,  nous  retrouvons  l'expansion  fibreuse 
(fig.  3-E)  pour  la  première  phalange,  l'insertion  de  la  lan- 
guette médiane  à  l'union  de  la  première  et  de  la  deuxième 
phalanges,  et  enfin,  l'insertion  sur  la  phalange  unguéale  des 
deux  languettes  latérales  réunies  en  un  seul  tendon. 

Du  côté  de  la  face  plantaire,  le  tendon  du  long  fléchisseur 


Beacnis  et  Bouchard,  Anatomic  descriptive. 


MOUTARD-MARTIN  ET  PISSAVY.    —    MALFORMATIONS  547 

commun  (fig.  3.  F1),  s'insère  comme  d'ordinaire  à  la  base 
de  la  phalange  unguéale.  Le  tendon  du  court  fléchisseur  (F2) 
qui,  habituellement,  s'attache  aux  bords  de  la  deuxième  pha- 
lange, vient  se  fixer,  sur  la  pièce  que  nous  présentons,  au 
tubercule  de  la  deuxième  phalange  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut. 

Signalons  enfin,  au  niveau  de  la  première  phalange,  l'in- 
sertion du  deuxième  interosseux  dorsal.  On  sait  que  les  inter- 
osseux du  pied  «  s'insèrent  au  côté  externe  des  premières 
phalanges,  et  nullement  au  bord  des  tendons  des  muscles 
extenseurs  » l. 

C)  Insertions  ligamenteuses.  —  Nous  pourrions  reproduire 
ici  textuellement  la  description  que  nous  avons  déjà  donnée 
pour  la  main.  Nous  nous  contentons  d'y  renvoyer  afin  d'évi- 
ter des  redites  inutiles. 

D)  Aspect  de  la  coupe.  —  La  première  phalange  (fig.  4-P1), 
qui  est,  comme  nous  l'avons  vu,  très  courte,  se  trouve  cons- 
tituée par  une  masse  spongieuse  dont  les  aréoles  présentent 
partout  la  même  grandeur.  Il  n'existe  donc  pas  de  trace  ap- 
préciable de  canal  médullaire.  Cette  masse  spongieuse  se 
continue  avec  celle  de  la  deuxième  phalange  ;  cependant,  au 
point  où  se  fait  la  fusion,  le  tissu  osseux  paraît  un  peu  plus 
dense.  Un  manchon  de  tissu  compact  revêt  les  deux  pha- 
langes réunies. 

L'extrémité  supérieure  de  la  première  phalange  s'unit  par 
une  articulation  normale  au  deuxième  métatarsien. 

A  l'extrémité  inférieure  de  la  deuxième  phalange  (P2),  nous 
trouvons  la  poulie  articulaire  destinée  à  recevoir  la  phalan- 
gette. Cette  dernière,  comme  au  médius,  a  une  disposition  et 
une  structure  régulières. 

En  résumé,  nous  nous  trouvons  en  présence  d'une  malfor- 
mation qui  frappe  tous  les  doigts,  sauf  le  pouce  et  le  gros 
orteil,  et  qui  consiste  en  une  fusion  entre  la  phalange  et  la 
phalangine. 

'  Cruveilher,  Anatomic  descriptive,  t.  I,  p.  781, 


548  séance  du  17  octobre  1895 

D'après  les  renseignements  fournis  par  le  malade,  cette 
difformité  est  héréditaire  dans   sa  famille  depuis  quatre  généra- 


Fig.  IV.  —  Même  orteil  que  sur  la  fig.  III. 
(Coupe  longitudinale  médiane.  —  Les  ligaments  sont  conservés.) 

M,  mélatarsien.  —  P1,  1°  phalange  soudée  à  P2,  2"  phalange.  — 
P3(  3e  phalange.  —  E,  tendon  de  l'extenseur  s'insérant  sur  P3  et 
pî#  —  Fi,  tendon  du  long  fléchisseur  commun  s'insérant  sur  P3. 
—  F2,  tendon  du  court  fléchisseur  plantaire  s'insérant  sur  P"2. 

tions,  mais  elle  ne  frappe  pas  tous  les  individus.  Le  grand- 
père  paternel  et  le  père  la  présentaient  ;  celui-ci  a  eu  cinq 
enfants,  deux  filles  et  trois  fds.  Les  deux  filles  sont  bien  con- 
formées, elles  n'ont  pas  d'enfants.  Le  second  fds  est  bien 
conformé  également,  ainsi  que  ses  deux  enfants.  Mais  notre 
malade  et  son  frère  aîné  sont  atteints  de  la  malformation. 

Ce  frère  aine  a  eu  un  fds,  mort  à  17  ans,  qui  présentait  la 
malformation,  trois  fdles  normalement  constituées  et  deux 
garçons  jumeaux  dont  l'un  était  indemne,  tandis  que  l'autre 
était  atteint  de  la  difformité.  —  Notre  malade,  enfin,  a  eu 
deux  filles  toutes  deux  frappées.  L'une  est  morte,  l'autre  en- 
core vivante,  actuellement  âgée  de  neuf  ans,  a  pu  être  exa- 
minée. On  a  constaté  chez  elle  que  la  malformation  est  beau- 
coup moins  prononcée  que  chez  son  père.  A  chaque  main, 
deux  doigts  seulement  sont  atteints,  l'index  et  le  médius. 
Aux  index  même  les  trois  phalanges  sont  bien  nettes  et  d'une 


MOUTARD-MARTIN  ET  PISSAVY.    —  MALFORMATIONS  5-i9 

mobilité  manifeste  quoique  très  limitée.  Aux  médius,  les 
trois  phalanges  sont  beaucoup  moins  facilement  détermi- 
nables  et  la  mobilité  est  à  peu  près  nulle  entre  la  première 
et  la  deuxième  phalange.  Les  orteils  ne  paraissent  présenter 
que  deux  phalanges. 

M.  le  docteur  Walther  a  présenté  à  la  Société  Anatomique  ' 
des  pièces  qui  offrent  plusieurs  points  de  ressemblance  avec 
les  nôtres.  L'analogie  n'est  pourtant  pas  complète,  mais  les 
différences  ont  une  importance  secondaire,  car  le  mécanisme 
de  la  malformation  est  le  même  dans  les  deux  cas.  «  Il  s'agit, 
dans  la  présentation  de  M.  Walther,  d'une  brachydactylie 
nettement  produite  à  l'annulaire  et  probablement  aussi  à 
l'auriculaire  de  la  main  droite  par  la  soudure  de  la  phalan- 
gine  et  de  la  phalangette.  Cette  soudure  est  accusée  par  la 
configuration  extérieure  de  l'os  et  par  l'aspect  de  la  coupe. 
Sur  la  coupe  de  l'annulaire,  on  voit,  en  effet,  une  interrup- 
tion d'un  canal  médullaire  rudimentaire  au  niveau  de  la 
deuxième  pièce  osseuse  du  squelette.  Cette  réunion  des  deux 
phalanges  est  douteuse  à  l'index.  Au  médius,  on  ne  trouve 
qu'une  seule  tige  osseuse  formée  par  la  soudure  de  deux 
pièces  primitives  bien  distinctes  :  les  traces  de  la  phalangine 
font  complètement  défaut.  »  —  La  main  gauche  et  les  pieds 
sont  normaux. 

La  grande  analogie  qui  existe  entre  cette  observation  et  la 
nôtre  est  que  la  malformation  consiste,  dans  les  deux  cas,  en 
une  soudure  de  pièces  osseuses.  Cette  soudure,  sur  les  pièces 
de  M.  Walther,  atteint  son  plus  haut  degré  au  niveau  du 
médius,  où  les  trois  segments  se  sont  réunis  en  un  seul,  et 
son  degré  le  plus  faible  à  l'annulaire,  dont  les  trois  phalanges 
restent  encore  très  visibles. 

Vanatomie  comparée  nous  apprend  qu'un  certain  nombre 
d'os  normaux  du  squelette  humain  résultent  de  la  réunion 
de  pièces  qui  demeurent  isolées  chez  des  vertébrés  moins 

i  Bull.  Soc.  Anat.,  octobre  1886. 


550  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  i  89o 

parfaits  :  le  mécanisme  d'après  lequel  s'est  produite  la  dif- 
formité qui  nous  occupe  n'a  donc  rien  d'exceptionnel. 

On  pouvait  se  demander  si  l'anomalie  que  nous  avons  ob- 
servée ne  représentait  pas  une  disposition  normale  chez  des 
vertébrés  moins  parfaits  que  l'homme'  dans  la  série  animale. 
Nous  avons  trouvé,  en  effet,  que  chez  les  chauves-souris,  «  les 
doigts  de  la  main  qui  sont  dépourvus  de  griffes  ne  possèdent 
pas  plus  de  deux  phalanges1  ».  Mais  cette  disposition  dans 
une  espèce  isolée  a  trop  peu  d'importance  pour  permettre  un 
rapprochement. 

Nous  avons  vu  que  l'évolution  vicieuse  des  cellules  desti- 
nées à  produire  le  squelette  des  doigts  reconnaissait  pour 
cause  dans  notre  cas,  la  seule  influence  de  l'hérédité.  Il  y  a 
là  une  sorte  de  maladie  familiale  analogue  à  celles  qui  ont 
été  décrites  dans  la  pathologie  du  système  nerveux.  Certains 
auteurs  s'étaient  même  demande  si  les  difformités  de  même 
ordre  que  celle  que  nous  étudions  n'étaient  point  dues  à  une 
lésion  des  centres  nerveux.  Cette  opinion  reposait  sur  la 
constatation,  dans  plusieurs  autopsies,  d'altérations  du  né- 
vraxe  coïncidant  avec  la  malformation.  Mais  dans  un  certain 
nombre  d'autres  cas,  le  système  nerveux  central  a  été  trouvé 
parfaitement  sain.  Son  influence  ne  saurait  donc  être  légiti- 
mement invoquée1. 

Nous  pouvons  rapprocher  de  notre  observation,  deux  au- 
tres faits  à  peu  près  semblables  dans  lesquels  l'influence  de 
l'hérédité  est  tout  aussi  évidente. 

Le  premier  est  celui  d'un  soldat  russe  qui  n'avait  que  deux 
phalanges  aux  doitgs  et  aux  orteils.  Le  raccourcissement 
devait  être  peu  marqué,  car  le  conseil  de  re vision  ne  vit  pas 
la  malformation  et  incorpora  l'homme.  Elle  ne  fut  reconnue 
que  plus  tard  et  le  soldat  raconta  que  son  père  et  ses  frères 
avaient  aux  doigts  la  même  difformité  que  lui  -. 

i  Huxley,  Eléments  d'anatomie  comparée. 
i  Derodr,  Th.  de  Lille,  août  1888. 


MOL'TARD-MARTIN  ET  PISSAVY.  —   MALFORMATIONS  551 

Le  second  a  été  publié  en  1852  par  M.  Mercier  alors  interne 
des  hôpitaux.1.  Il  s'agit  d'un  malade  de  22  ans,  entré  pour 
bronchite,  à  l'hùpital  de  la  Charité.  Ce  malade  n'a  que  deux 
phalanges  à  chaque  doigt.  La  première  a  le  double  de  la  lon- 
gueur des  phalanges  ordinaires.  La  phalange  unguéale  est 
normale  sous  le  rapport  de  sa  forme  et  de  ses  dimensions. 
Il  en  résulte  que  les  doigts  n'ont  que  trois  ou  quatre  lignes 
de  moins  que  ceux  d'une  autre  personne,  et  sont  d'ailleurs 
bien  proportionnés  entre  eux.  Les  pouces  ont  deux  phalan- 
ges mais  pas  de  métacarpiens  2.  Les  orteils  n'ont  également 
que  deux  phalanges  et  sont  raccourcis.  —  Le  grand-père  du 
malade  avait  la  même  difformité.  Il  a  eu  trois  enfants,  qui 
la  présentaient  également.  L'ainé  de  ceux-ci  eut  trois  garçons, 
qui  tous  manquaient  d'une  phalange  aux  doigts  et  aux  orteils, 
ces  trois  garçons  n'ont  pas  encore  d'enfants.  —  Le  second, 
du  sexe  féminin  a  eu  quatre  enfants  :  deux  filles  qui  ont  trois 
phalanges  et  deux  garçons  qui  n'en  ont  que  deux.  —  Le  troi- 
sième, père  du  malade  sujet  de  l'observation,  a  eu  onze  en- 
fants :  cinq  filles  normalement  conformées  et  six  garçons  aux- 
quels il  manquait,  à  tous,  une  phalange  aux  doigts  et  aux 
orteils.  La  mère  du  malade  a  fait  en  outre  deux  fausses  cou- 
ches :  les  deux  fœtus  du  sexe  masculin  avaient,  paraît-il,  une 
phalange  en  moins. 

Nous  avons  résumé  dans  les  deux  tableaux  suivants  l'hé- 
rédité du  malade  de  M.  Mercier  et  celle  de  notre  malade. 


2  Mirabel.  Th.  de  Paris,  août  1873. 

'  Mercier,  Bull.  Soc.  anat.,  1852. 

2  Notre  malade  présentait  des  métacarpiens  et  des  métatarsiens 
normaux  à  tous  les  doigts.  Sa  fille  n'offre  pas  non  plus  d'anomalie 
sous  ce  rapport. 


552 


SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 


Tableau  de  l'hékédité  chez  le  malade  de  M.  Mercier. 

La  lettre  D  indique  l'existence  de  la  difformité. 

La  lettre  N  la  conformation  normale. 

Le  sexe  est  indiqué  par  les  lettres  F  (fille)  et  G  (garçon). 


4"  génération. 

Grand-père  paternel. 
D 

2°  génération. 
S'  génération. 

F 
D 

G  G  F  F 

D  D  N  N 

G 

D 

G  G  G 
D  D  D 

G  G  G  G  G 

D  D  D  D  D 

G  (père  du  malade) 
D 

F  F  F  F  F  G  G 
N  N  N  N  N  D  D 

jumeaux 


Tableau  de  l'hérédité  chez  notre  malade. 


/"  génération. 


Grand-père  paternel 
D 


2e  génération. 


3'  génération. 


F     F 

N     N 


G  (père  du  malade) 
D 

G  G 

D  N 


G     (malade) 
D 


4'  génération. 


G     F     F     F     G     G 

D    N     N     N     N     D 


mort  à  17  ans 


G    G 

N    N 


jumeaux 


F     F 
D     D 


De  l'observation  de  M.  Mercier  et  d'un  certain  nombre  d'au- 
tres, M.  Mirabel  conclut  dans  sa  thèse,  que  les  malformations 
héréditaires  reviennent,  du  moins  dans  l'espèce  humaine,  au 
type  normal  et  régulier  après  un  temps  plus  ou  moins  long. 

Cette  tendance  vers  le  type  régulier  se  montre  aussi  dans 
notre  cas.  Le  grand-père  difforme  engendre  un  fils  difforme 
également,  mais  celui-ci,  sur  cinq  enfants,  en  a  trois  qui  sont 
indemnes.  De  ces  trois  descendants  normaux,  un  seul  a  des 
enfants,  ces  enfants  sont  bien  constitués.  Les  deux  descen- 


L.MANOUVRIER.   —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPE      353 

dants  difformes,  notre  malade  et  son  frère  aîné,  ont  l'un  et 
l'autre  des  enfants.  Ceux,  de  notre  malade  présentent  la  mal- 
formation, mais  nous  avons  constaté  que  chez  sa  fdle  aînée, 
la  seule  encore  vivante,  elle  était  en  voie  de  décroissance. 
Enfin  parmi  les  six  enfants  du  frère  aîné,  quatre  sont  déjà 
revenus  au  type  normal. 

Mais  ce  qui  nous  frappe  surtout,  aussi  bien  dans  l'observation 
de  M.  Mercier  que  dans  la  nôtre,  c'est  de  voir  que  la  diffor- 
mité tend  à  disparaître  d'abord  chez  les  filles  et  persiste  plus  long- 
temps chez  les  garçons,  c'est-à-dire  chez  les  descendants  de  même 
sexe  que  le  générateur  qui  Va  transmise.  Si  cette  première  im- 
pression était  confirmée  par  un  certain  nombre  d'observations 
nouvelles,  il  deviendrait  légitime  de  conclure  que  l'influence 
héréditaire  se  manifeste  surtout  chez  les  descendants  de 
même  sexe  que  l'individu  primitivement  atteint.  Or,  les  faits 
analogues  à  celui  que  nous  venons  de  rapporter  sont  particu- 
lièrement favorables  à  l'étude  de  l'hérédité  en  général  et  de 
l'hérédité  pathologique  en  particulier,  car  son  influence  appa- 
raît dégagée  de  toutes  les  circonstances  extérieures  (conta- 
gion, traumatismes,  etc.)  qui  viennent  trop  souvent  l'obs- 
curcir. 


Deuxième  étude  sur  le   «  Pithecantliropus  ereetus  »    comme 
précurseur  présumé  de  l'homme. 

Par  L.  Manouvrier. 

J'ai  déjà  présenté  (en  janvier  1895)  un  travail  sur  ce  sujet1. 
Ce  travail  consistait  en  un  examen  de  l'excellent  mémoire 
du  Dr  Eug.  Dubois  d'après  les  dessins,  photographies  et 
chiffres  publiés  par  l'auteur. 

J'exprimai  l'opinion  que  les  trois  pièces  squelettiques  ne 
pouvaient  pas  être  considérées  avec  certitude  comme  prove- 

1  Discussion  du  «  Pithrcanthropus  crectus  »  comme  précurseur 
présumé  de  V homme.  Bulletin  1895. 

T.  vi  (Ie  série).  36 


554  SÉANCE  DU  47  OCTOBRE  1895 

nant  d'un  même  individu  ni  d'une  même  espèce,  mais  qu'il 
n'y  avait  pourtant  à  cela  aucune  impossibilité  théorique.  La 
conclusion  fut  qu'il  était  aussi  impossible  de  démontrer  l'ori- 
gine humaine  de  ces  pièces  que  leur  origine  simienne.  Par 
conséquent,  l'hypothèse  de  M.  Dubois,  sans  être  démontrée, 
me  paraissait  légitime  en  tant  qu'hypothèse,  et  la  question 
devait  être  considérée  comme  pendante. 

Cette  manière  de  voir  se  trouva  fortement  corroborée  par 
les  opinions,  contradictoires  entre  elles,  émises  peu  après  par 
plusieurs  anatomistes  anthropologistes  des  plus  éminents  de 
l'Europe.  Pendant  que  les  uns  affirmaient  l'origine  humaine 
du  crâne  de  Java,  les  autres  affirmaient  non  moins  catégo- 
riquement son  origine  simienne.  La  divergence  de  ces  opi- 
nions est  d'autant  plus  instructive  qu'elles  furent  exprimées 
isolément  avant  que  chaque  auteur  eût  pu  être  iniluencé  par 
les  avis  et  arguments  des  autres. 

Quant  au  fémur  de  Java,  il  fut  unanimement  déclaré  hu- 
main. Je  restai  seul,  sur  ce  point,  à  faire  des  réserves  en 
faveur  de  Fhypoibèse  de  M.  Dubois,  car,  tout  en  reconnais- 
sant que  ce  fémur  ne  différait  d'un  fémur  humain  par  aucun 
caractère,  la  réserve  me  fut  imposée  :  1°  par  sa  découverte  à 
quelques  mètres  d'un  crâne  et  d'une  dent  dont  la  détermina- 
lion  spécifique  était  embarrassante;  2°  par  des  considérations 
théoriques  d'après  lesquelles  il  me  semblait  possible  et  même 
probable  que  le  fémur  ait  été,  morphologiquement,  en  avance 
sur  le  crâne  dans  une  espèce  intermédiaire  entre  les  anthro- 
poïdes et  l'homme. 

La  question  fut  portée  au  Congrès  zoologique  international 
de  Leyde  (septembre  1895),  où  M.  Eug.  Dubois  présenta  les 
pièces  de  son  Pithecanthropus  à  un  certain  nombre  d'anato- 
mistes.  D'après  les  renseignements  indirects  qui  me  sont  par- 
venus, l'opinion  générale  aurait  été  moins  tranchante  que 
primitivement.  En  outre,  M.  le  Professeur  Kollmann  a  bien 
voulu  m'écrire,  après  avoir  pris  connaissance  de  mon  mé- 
moire et  après  avoir  reçu  la  visite  de  M.  Virchow  revenant 
de  Leyde,    que  la    question  ne   lui    paraissait  pas  avoir  été 


L.  MANOUVRIER.  —   DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      35o 

résolue  au  Congrès  et  que  de  nouvelles  recherches,  notam- 
ment sur  le  fémur,  étaient  nécessaires. 

Quelque  temps  avant  le  Congrès,  M.  Dubois  m'écrivit  à 
propos  de  mon  mémoire  et  me  demanda  si  je  pourrais  lui 
montrer  un  fémur  humain  semblable  à  celui  de  Trinil.  Je 
trouvai  seulement  quelques  fémurs  plus  ou  moins  approchants, 
mais  assez  peu  différents  pour  permettre  de  croire  que  l'on 
trouverait  sûrement  des  fémurs  humains  semblables  si  l'on 
possédait  des  collections  moins  pauvres  où  toutes  les  races 
humaines  seraient  représentées  par  de  nombreux  spécimens. 

J'espérais  seulement  voir  les  moulages  des  pièces  contro- 
versées lorsque,  le  31  octobre,  M.  Dubois  vint  à  Paris  et  eut 
l'obligeance  de  me  montrer  les  pièces  elles-mêmes.  Cette  com- 
munication a  modifié  ma  manière  de  voir  assez  sensiblement 
pour  que  je  me  croie  obligé  de  le  dire  et  d'en  indiquer  les 
raisons. 

L'examen  des  ossements  du  Pilhecanthropus  a  produit  sur 
moi  une  impression  très  différente  de  celle  produite  par  la 
vue  des  dessins,  photogravures  et  par  les  descriptions,  pour- 
tant exactes,  de  M.  Dubois. 

Tout  d'abord  j'ai  été  frappé  par  l'état  de  fossilisation  com- 
plète des  os.  Jusqu'alors  on  parlait  d'ossements  humains  fos- 
siles autant  parce  qu'ils  appartenaient  à  des  gisements  recon- 
nus comme  très  anciens  que  parce  qu'ils  étaient  réellement 
fossilisés.  Les  squelettes  de  Spy,  appartenant  à  la  formation 
quaternaire   la  plus  ancienne,  n'en  ont  pas  moins  conservé 
un  aspect  peu  différent  de  celui  des  squelettes  enfouis  dans  la 
terre  depuis  les  temps  néolithiques.  Il  en  est  autrement  des 
os  de  Java.   J'ai  voulu  peser  le  fémur  comparativement  avec 
un  fémur  momifié  des  Canaries  et  avec  un  fémur  néolithi- 
que de  Chàlons,  tous  deux  d'un  volume  supérieur.   Ces  deux 
derniers,    quoique    parfaitement    conservés    et    1res  solides, 
n'atteignaient  pas  le   poids  de  350  grammes,  tandis  que  le 
fémur  du  Pitbecanthropus  ne  pèse  pas  moins  de  1  kilogramme. 

Sans  doute,  le  degré  de  fossilisation  ne  dépend  pas  unique- 
ment de  la  durée  du  séjour  dans  la  terre.  Il  dépend  aussi  de 


556  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

la  nature  du  terrain  et  delà  facilité  avec  laquelle  les  éléments 
minéraux  de  celui-ci  s'incorporent  et  se  substituent  aux  élé- 
ments osseux.  Mais  comme  nous  n'avons  jamais  vu  d'osse- 
ments humains  fossilisés  à  un  si  haut  degré,  quelles  que  fussent 
leur  ancienneté  et  la  nature  très  variée  des  terrains  dans 
lesquels  ils  se  sont  conservés;  comme  la  fossilisation  extrême 
des  os  de  Java  leur  donne  un  aspect  identique  à  celui  des 
ossements  fossiles  de  l'époque  tertiaire  en  général;  comme, 
d'autre  part,  c'est  dans  une  même  couche  tertiaire  qu'ils  ont 
été  trouvés  avec  d'autres  ossements  fossiles  représentant  une 
faune  tertiaire,  il  faudrait,  pour  n'être  pas  influencé  de  prime 
abord  par  ces  faits,  ou  bien  avoir  un  préjugé,  ou  bien  con- 
naître des  faits  contradictoires  qui,  je  crois,  font  jusqu'à  pré- 
sent défaut. 

En  outre,  M.  Eug.  Dubois  qui,  dans  son  premier  mémoire, 
fut  peut-être  un  peu  trop  sobre  de  renseignements  au  sujet 
de  la  faune  contemporaine  des  os  en  question  et  au  sujet 
de  la  couche  géologique  du  gisement,  est  aujourd'hui  en 
mesure  d'émettre  des  affirmations  précises  qu'il  publiera  dans 
un  prochain  ouvrage.  Par  des  fouilles  méthodiques  poursui- 
vies pendant  plusieurs  années  consécutives  dans  la  région, 
il  a  acquis  une  connaissance  approfondie  de  la  couche  géolo- 
gique dont  il  s'agit  et  de  la  faune  qu'elle  contient.  Cette 
faune,  dont  il  a  rapporté  en  Hollande  une  énorme  quantité 
d'ossements  fossiles,  se  composait  d'animaux  dont  les  espèces 
ont  disparu  pour  la  plupart  ;  elle  caractérise,  affirme-t-il,  le 
pliocène  supérieur,  et  il  n'y  aurait  pas  à  douter  de  sa  contem- 
poranéité  avec  les  os  du  «  Pithecanthropus  ».  Je  ne  puis  que 
reproduire  ici  les  affirmations  orales  de  M.  Dubois,  en  atten- 
dant qu'il  les  répète  et  les  justifie  lui-même.  J'ajouterai  seu- 
lement que  les  assertions  d'un  investigateur  aussi  compétent 
et  consciencieux  me  paraissent  dignes  d'une  grande  confiance. 

Dans  ces  conditions  je  puis  avouer  la  profonde  impression 
produite  sur  moi  par  la  vue  des  ossements  de  Trinil  et  je 
crois  pouvoir  dire  que  leur  degré  de  fossilisation  n'a  pas 
impressionné  moins  fortement  les  diverses  personnes  compé- 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  MJR  LE  PITHECANTHROPUS       557 

tentes  qui  ont  examiné  ces  os  en  ma  présence.  M.  Boule, 
particulièrement  expert  sur  ce  point,  en  sa  qualité  de  géolo- 
gue-paléontologiste, a  été  frappé,  comme  nous,  par  la  fossi- 
lisation du  crâne,  du  fémur  et  des  dents  qui  lui  a  paru,  à 
première  vue,  absolument  semblable  à  celle  d'ossements 
de  l'époque  tertiaire. 

Les  deux  dents  (car  une  2e  molaire  accompagne  maintenant 
la  3e  primitivement  décrite),  ont  un  aspect  siliceux  que 
M.  Boule  a  déclaré  caractéristique  de  la  fossilisation. Enfin  les 
quatre  pièces  ont  été  trouvées  enveloppées  dans  une  gangue 
terreuse,  de  composition  identique,  dont  l'intérieur  de  la 
calotte  crânienne  n'a  pu  être  débarrassé  dans  la  crainte  de 
détériorer  les  os  du  crâne.  M.  Dubois  se  propose  de  soumettre 
cette  gangue  à  l'analyse  chimique.  Je  pense  qu'il  ne  devra  pas 
hésiter  à  sacrifier  un  fragment  du  fémur,  lorsque  cet  os  aura 
été  une  fois  moulé,  pour  en  faire  connaître  également  la  com- 
position chimique  comparée  à  celle  d'ossements  moins  anciens 
et  à  celle  d'ossements  d'animaux  d'espèces  disparues  trouvés 
à  coté  de  ceux  du  Pithecanthropus. 

En  somme,  l'état  de  la  fossilisation  des  quatre  pièces 
de  Trinil  fait  disparaître  les  cloutes  que  l'on  pouvait  avoir 
au  sujet  de  leur  ancienneté  et  de  leur  contemporanéité. 
Par  cela  même  on  est  conduit  à  partager  la  conviction  de 
M.  Dubois  sur  ces  deux  points  que  la  simple  description 
n'éclairait  point  suffisamment.  Dès  lors  on  est  conduit  à  par- 
tager également  sa  conviction  en  ce  qui  concerne  l'attribution 
des  quatre  pièces  à  une  seule  et  même  espèce,  car  il  serait 
trop  étrange  que  le  hasard  eût  réuni  dans  un  espace  de  ter- 
rain si  petit  deux  ou  trois  espèces  différentes,  toutes  très  rap- 
prochées de  l'espèce  humaine.  Enfin,  ces  diverses  pièces  ne 
présentant  aucune  incompatibilité  au  point  de  vue  des  corré- 
lations, une  raison  analogue  à  la  précédente  porte  a  croire 
qu'elles  proviennent,  selon  toutes  les  probabilités,  à  un  même 
individu. 

L'examen  direct  de  ces  pièces  m'ayant  ainsi  convaincu  de 
leur  haute  importance  et  m'ayant  édifié  sur  plusieurs  détails 


558  SÉANCE  DU  17  OCT-BUB  1895 

morphologiques  imparfaitement  rendus  par  les  dessins  et  les 
chiffres,  je  vais  compléter,  sur  divers  points,  ma  première 
étude  et  rectifier  ma  précédente  opinion. 

FÉMUR. 

J'ai  dit  que,  d'après  mes  tableaux  pour  la  détermination  de 
la  taille  d'après  les  grands  os  des  membres  (Mém.  de  la  Soc. 
d'Antkr.,  2e  série,  t.  IV),  la  longueur  fémorale  donnée  par 
M.  Dubois  correspondrait  à  une  taille  de  lm657.  Il  est  superflu 
de  dire  que  ce  chiffre  ne  représente  qu'une  moyenne  et  une 
simple  probabilité.  Dans  le  mémoire  ci-dessus,  j'ai  fait  obser- 
ver qu'il  y  aurait  lieu  d'élever  ou  d'abaisser  les  coefficients  de 
reconstitution  de  la  taille  lorsque  les  os  mesurés  sont  très  gros 
ou  très  minces  relativement  à  leur  longueur,  car,  dans  le  pre- 
mier cas  l'on  a  affaire  à  des  individus  dont  les  membres  sont, 
en  général,  courts  par  rapport  à  la  taille  totale,  à  des  indi- 
vidus trapus,  à  des   microshèles,  tandis  que,  dans  le  second 
cas,  les  individus  sont  plutôt  petits  par  rapport  à  la  longueur 
de  leurs  membres;  ce  sont  des  macroskèles  dont  la  constitution 
est  ordinairement  moins  robuste.  Tel  était  le  cas  de  l'individu 
de  Trinil  si  l'on  en  juge  d'après  la  gracilité,  non  excessive 
pourtant,  de  son   fémur.  Il  y  a  donc  lieu  de  penser,  en  le 
jugeant  d'après  nos  notions  sur  l'espèce  humaine,  que  sa 
.  taille  a  pu  être  un  peu  exagérée  par  nos  estimations  basées 
sur  des  moyennes,  qu'il  n'avait  peut-être  pas  une  taille  supé- 
rieure à  lm60  et  qu'il  avait  le  tronc  plutôt  court  relativement 
à  ses  membres. 

En  ce  qui  concerne  les  excroissances  anormales  de  la  région 
sous-trochantérienne  postérieure  du  fémur  de  Trinil,  je  les 
avais  considérées,  et  le  professeur  Turner  aussi,  comme  résul- 
tant de  russification  des  aponévroses  d'insertion  de  plusieurs 
muscles  fessiers.  Or,  d'après  la  similitude  de  ces  excroissances 
avec  celles  qu'on  a  trouvées  à  Berlin  sur  deux  fémurs  prove- 
nant d'individus  atteints  de  carie  vertébrale  et  d'abcès  dits  par 
congestion.  M.  Virchow  a  émis,  au  congrès  de  Leyde,  l'opi- 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SVl\  LE  PITHtCANTHROPUS      559 

nion  qu'il  s'agit  ici  d'un  cas  du  même  genre.  Je  n'ai  qu'à 
m'incliner  devant  ces  faits  et  devant  une  aussi  haute  compé- 
tence en  anatomie  pathologique. 

D'après  cette  interprétation,  il  est  permis  de  présumer  que 
l'individu  de  Trinil  fut  impotent  pendant  une  assez  grande 
partie  de  sa  vie.  Sa  fonction  de  locomotion  fut  sérieusement 
gênée  par  la  lésion  vertéhrale,  par  la  lésion  fémorale,  par  les 
troubles  généraux  consécutifs  et  peut-être  aussi  antérieurs  k 
ces  deux  lésions.  Tout  cela  peut  avoir  exercé  une  influence 
indirecte  sur  la  forme  du  fémur  et  j'exposerai  plus  loin  un 
autre  motif  qui  me  porte  à  le  croire. 

Une  seconde  particularité  anormale  existe  sur  le  fémur  de 
Trinil.  Elle  consiste  en  une  apophyse  assez  saillante  située 
sur  le  bord  supérieur  et  externe  du  condyle  externe  vers  l'in- 
sertion du  muscle  jumeau  externe.  C'est  là  une  anomalie 
inconnue  jusqu'à  présent  ou  tout  au  moins  très  rare  dans  l'es- 
pèce humaine. 

Sans  pouvoir  me  prononcer  sur  la  signification  de  cette 
apophyse,  je  pense  que  sa  présence  sur  le  fémur  de  Trinil  ne 
doit  pas  être  négligée,  car  on  est  bien  obligé  de  reconnaître 
qu'une  particularité  rencontrée  sur  le  seul  fémur  connu  d'une 
race  était  probablement  moins  rare  dans  cette  race  qu'elle  ne 
l'est  dans  les  races  où  on  ne  rencontre  cette  particularité 
qu'une  fois  sur  100,  1,000  ou  10,000  individus.  L'apophyse 
en  question  serait  d'autant  plus  intéressante  ici  qu'elle  peut 
n'être  pas  une  formation  pathologique. 

Dans  l'hypothèse  suivant  laquelle  le  fémur  de  Trinil  appar- 
tiendrait à  une  espèce  particulière,  il  est  permis  de  supposer 
que  cette  apophyse  correspondait  à  une  disposition  muscu- 
laire normale  dans  cette  espèce,  d'attribuer  ainsi  une  valeur 
morphologique  à  sa  réapparition  rare  dans  l'espèce  humaine. 
Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  particularités,  dont  la  valeur  est 
minime,  du  moins  pour  le  moment,  dans  la  question  de 
détermination  spécifique  qu'il  s'agit  de  trancher,  le  fémur 
de  Trinil  présente  d'autres  caractères  intéressants,  signalés 
par  M.  Dubois  dans  son  mémoire. 


5))0  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE   1895 

En  ce  qui  concerne  l'extrémité  supérieure,  je  n'ai 
pas  à  revenir  sur  mes  premières  appréciations.  L'examen 
direct  de  l'os  m'autorise  même  à  les  répéter.  Je  n'ai  rien  pu 
trouver  sur  cette  portion  ni  sur  les  trois  quarts  supérieurs 
du  corps  du  fémur  de  Trinil  qui  puisse  servir  à  différencier 
ce  fémur  d'un  fémur  humain.  J'ai  pu  montrer  à  M.  Dubois 
des  fémurs  humains  sur  lesquels  la  crête  intertrochantérienne 
est  semblable  à  celle  du  fémur  de  Java. 

En  ce  qui  concerne  l'indice  pilastrique,  j'ai  montré  que, 
d'après  mes  recherches  exposées  dans  un  travail  antérieur1, 
et  cela  d'accord  avec  l'opinion  de  M  Dubois,  cet  indice,  sans 
être  aussi  élevé  que  chez  beaucoup  d'hommes,  s'écarte  consi- 
dérablement du  maximum  observé  chez  les  anthropoïdes 
grimpeurs  et  atteste  péremptoirement  l'attitude  bipède. 

Mais  le  caractère  sur  lequel  je  suis  obligé  de  revenir,  c'est 
la  forme  presque  cylindrique  du  fémur  signalée  par  M.  Du- 
bois au  niveau  de  la  région  poplitée. 

Indice poplité.  —  D'après  les  mesures  de  M.  Dubois,  le  fémur 
de  Trinil  présente,  li  4  centimètres  au-dessus  du  bord  anté- 
rieur et  supérieur  de  la  surface  articulaire  condylienne,  les 
dimensions  suivantes  : 

Diamètre  transversal 33mm 

antéro-postérieur 32 

ce  dernier  diamètre  étant  mesuré  suivant  le  plan  médian  de 
l'os.  M.  Dubois  ajoute  qu'il  n'a  jamais  vu  un  fémur  humain 
aussi  arrondi  à  ce  niveau. 

Ayant  examiné  à  ce  point  de  vue  plusieurs  centaines  de 
fémurs  de  diverses  races,  je  trouvai  sur  presque  tous  une 
ditïérence  beaucoup  plus  grande  entre  les  deux  diamètres. 
Cependant  je  suis  parvenu  à  trouver  quelques  fémurs  qui,  à 
ne  considérer  que  le  rapport  des  deux  diamètres  en  question, 
font  disparaître  l'isolement  du  fémur  de  Trinil.  Pour  abréger 

<  Étude  sur  les  variations  morphol.  du  fémur  dans  l'esp.  humaine 
{Bull.  Soc.  d'Anthr.  de  Paris,  1893). 


52 

36 

69.2 

33 

23 

69.7 

33 

32 

97.0 

33 

29 

87.9 

40 

36 

90.0 

25 

25 

100.0 

26 

30 

115.3 

3G 

29 

80.6 

33 

27 

81.8 

38.5 

31 

87.5 

32 

28 

87.5 

L.  MANOUVR1ER., —  DEUXIÈME   ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS       561 

les  désignations,. car  j'aurai  à  revenir  sur   plusieurs  de  ces 
os,  j'attribuerai  k  chacun  d'eux  une  lettre  (A,  B,  G...). 

Tableau  I 

Diamètres  fémoraux  à  4cm  au  dessus  des  condyles. 

Transv.     Ant.-P.    Tr. -100 

Fémur  de  forme  vulgaire,  très  large  . . . 
—              —          —        peu  large  .... 
Fémur  de  Trinil  (E.  Dubois) 33 

A  Canarien  ancien  n°  17  (Soc.  d'Anthr.). 
B        —  —      n°  20  — 

C  Iles  Philippines.  Coll.  Marche  (Muséum). 
U  Canaries,  Ténériffe  ( Volantin).     — 
E  Venezuela  pré-Colombien.  1  Soc.d'Anl. 

G  Néolithique  o*  de  Nanteuil  (Aisne) 

II  Parisien  ancien.  Saint-Marcel  n°  58  .  . 

Il  n'est  question,  ici,  que  de  fémurs  parfaitement  normaux. 
Un  parlera  plus  loin  des  cas  pathologiques. 

La  liste  ci-dessus  semble  donc  démontrer  que  certains 
fémurs,  dans  des  races  très  diverses,  peuvent  atteindre  et 
même  dépasser,  sous  le  rapport  dont  il  s'agit,  le  fémur  de 
Trinil.  J'ai  cru  d'abord  qu'il  en  était  ainsi  avant  d'avoir  exa- 
miné de  visu  ce  dernier  fémur.  Mais,  en  réalité,  le  diamètre 
antéro-postérieur  des  fémurs  G  et  D  n'est  pas  exactement 
comparable,  n'est  pas  homologue  au  diamètre  mesuré  par 
M.  Dubois. 

En  voyant  le  fémur  de  Trinil,  je  me  suis  aperçu  que  les 
mesures  prises  par  M.  Dubois  et  par  moi  étaient  insuffisantes 
pour  caractériser  la  forme  de  la  section  transversale  en  ques- 
tion à  tel  point  que  les  fémurs  G  et  D  se  rapprochent  beau- 
coup moins  du  fémur  de  Trinil  que  les  fémurs  B,  E,  F,  G,  II. 

D'abord,  la  comparaison  des  deux  diamètres  antéro-posté- 
rieur et  transverse  est  insuffisante  parce  que  c'est  tantôt  des 
variations  de  largeur  et  tantôt  des  variations  d'épaisseur  que 


>62 


SÉANCE  DU   17  OCTOBRE  1895 


résulte  la  grandeur  ou   la   brièveté  du  diamètre  antéro-pos- 
térieur  par  rapport  au  diamètre  transverse. 

En  outre,  la  longueur  du  diamètre  antéro-postérieur  maxi- 
mum est  influencée  par  le  renflement  antérieur  et  postérieur 


Fig.  1. 

Trois  fémurs  sectionnés  à  4  cm.  au-dessus  des  condyles  et  \  us 
en  raccourci. 

La  longueur  totale  est  supposée  la  même  pour  ces  trois  fémurs 
et  la  ligne  âpre  GC  commence  au  même  niveau,  supérieurement. 
0.  Partie  supérieure  de  la  surface  d'insertion  du  crural.  —  F. 
Crète  fessière. 

IV°  1.  —  Fémur  à  platymèrie  sous-trochantérienne  transversale 
et  à  surface  poplitée  large. 

N°  2.  —  Fémur  à  platymèrie  sous-trochantérienne  ordinaire  ou 
antéro-postérieure  et  à  prolongement  pilastrique  inférieur  très 
saillant.  (Type  du  Canarien,  n°  17). 

N°  3.  --  Fémur  du  type  de  Trinil  et  du  type  BFFGH  (tableau  I). 

npi.  Face  postérieure,  i.  Face  interne. 


L.  MANOUVMEtt.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      563 

de  l'os  du  coté  externe.  Le  renflement  postérieur  atteint  son 
maximum  sur  le  prolongement  inférieur  du  pilastre  fémoral, 
décrit  k  tort  comme  prolongement  de  la  ligne  âpre.  (Op.  cit.)  Le 
pilastre  est  encore  très  saillant  à  ce  niveau  sur  beaucoup  de 
fémurs,  de  sorte  que  la  face  postérieure  de  l'os  se  renfle  de 
plus  en  plus  depuis  son  bord  interne  jusqu'à  son  bord  ex- 
terne, formé  par  le  prolongement  en  question  (2,  fig.  1). 

11  en  est  ainsi  sur  les  fémurs  A,  G,  D,  dont  le  point  le  plus 
saillant  en  arrière  n'est  pas  le  point  médian  p  de  la  face  posté- 
rieure, mais  bien  le  bord  postérieur  latéral  n  du  prolongement 
pilastrique  C'n. 

Sur  le  fémur  de  Trinil,  au  contraire,  c'est  sur  le  plan 
médian  mn  que  la  face  postérieure  est  le  plus  renflée  au  lieu  de 
se  renfler  de  plus  en  plus  à  partir  de  ce  plan  jusqu'à  la  ren- 
contre du  bord  pilastrique,  pourtant  très  apparent.  Celui-ci 
occupe  donc  un  plan  transversal  moins  reculé  en  arrière  que 
le  point  médian.  Contrairement  à  ce  qui  a  lieu  sur  les  autres 
fémurs,  ce  n'est  donc  point  pour  rejoindre  la  saillie  externe 
formée  par  le  prolongement  pilastrique  que  la  face  postérieure 
de  l'os  se  renfle  au  niveau  du  plan  médian,  puisqu'elle  est 
plus  renflée  à  ce  niveau  qu'au  niveau  du  prolongement  pilas- 
trique situé  plus  en  dehors  (3  fig.  1). 

11  y  a  donc,  sur  le  fémur  de  Trinil,  un  renflement  médian 
de  la  région  poplitée  qui  n'est  pas  complètement  analogue  au 
renflement  externe  des  fémurs  sur  lesquels  j'ai  trouvé  le  dia- 
mètre antéro-postérieur  égal  ou  supérieur  au  diamètre  trans- 
verse. 

Sous  ce  rapport  et  d'après  mes  recherches,  le  fémur  de 
Trinil  resterait  isolé  si  l'on  mesurait  le  diamètre  antéro-posté- 
rieur exactement  sur  le  plan  médian  de  l'os,  en  évitant  de 
faire  intervenir  le  renflement  externe  produit  par  le  prolon- 
gement pilastrique.  Il  y  aurait  seulement  quelques  rares 
fémurs  normaux  se  rapprochant  du  fémur  de  Trinil  sans  l'at- 
teindre. Celui-ci  présente  donc  sous  ce  rapport,  jusqu'à  plus 
ample  informé,  un  caractère  limite.  A  supposer  que  sur  un 
fémur  du  type2  (fig.  1  )  à  prolongement  pilastrique  extrêmement 


564  SÉANGK  DU  17  OCTOBRE    1895 

saillant,  le  point  médian  postérieur  arrive  à  être  porté  assez 
loin  en  arrière  pour  que  le  diamètre  aboutissant  à  ce  point 
médian  arrive  à  égaler  le  diamètre  transverse,  un  tel  fémur 
n'aurait,  de  ce  fait,  qu'une  ressemblance  trompeuse  avec  le 
fémur  de  Trinil.  Il  donnerait  toujours  .mn  ^>  mp,  tandis  que 
le  fémur  de  Trinil  donne  mn  <  mp. 

Autrement  dit,  ce  dernier  n'est  pas  seulement  remarquable 
par  la  brièveté  de  son  diamètre  antéro-postérieur;  il  est 
remarquable  en  même  temps  parce  que  son  point  médian 
postérieur  p  est  plus  saillant  que  son  point  latéral  n  situé  sur 
le  prolongement  pilastrique. 

Nous  avons  donc  à  rechercher  ce  second  caractère  mn 
<^  mp  dans  l'espèce  humaine  comme  nous  avons  recherché 
le  premier. 

Renflement  poplité  médian  ou  forme  arrondie  de  la  région  popli- 
tée  (mn  <^  mp).  —  J'ai  trouvé  ce  caractère  sur  5  fémurs 
humains  normaux  parmi  les  mille,  environ,  que  j'ai  pu  exa- 
miner à  Paris.  Il  sera  question,  plus  loin,  des  fémurs  patho- 
logiques. Les  5  fémurs  dont  il  est  question  en  ce  moment 
sont  normaux,  et  le  caractère  dont  il  s'agit  se  rattache  à  la 
forme  ordinaire  par  des  transitions  graduelles. 

Ces  5  fémurs,  sans  être  aussi  remarquables  que  celui  de 
Trinil  sous  le  rapport  du  rétrécissement  transversal  de  la 
région  poplitée  dont  on  a  parlé  plus  haut,  présentent  ce  rétré- 
cissement à  un  degré  très  prononcé,  assez  pour  pouvoir  être 
rangés  dans  le  type  de  Trinil.  Ils  figurent  dans  le  tableau  1 
concernant  le  rapport  du  diamètre  antéro-postérieur  au 
transverse  =  100.  Il  ne  reste  donc  plus  qu'à  les  examiner  au 
point  de  vue  mn  <<  mp. 

Ces  deux  diamètres  antéro-postérieurs  mn  et  mp  doivent 
partir,  en  avant,  du  point  m  qui  est  externe  par  rapport  au 
plan  médian  et  qui  occupe  la  portion  la.  plus  renflée  de  la 
région.  Ce  point  m  doit  être  choisi  de  préférence  au  point  A 
(fig.  2)  parce  que  le  diamètre  An  serait  trop  influencé  par  son 
obliquité  en  rapport  avec  la  largeur  transversale  de  l'os. 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHRÛPUS      565 

Tableau  II 

Fémurs  analogxics  au  fémur  de  Trinil  : 
Indice  poplité  mégasème  et  mn  <^  m  p. 

Désignation  1  B  E  F  G  H 

Longueur  totale  (proj.)....  460  442  408  457  430 

Diamètre  de  la  tête  fémor..  50  46.5  42?  51  44 

Diam.  sous-trochantér.  : 

Transverse 38  32  30  31  31 

Antéro-postérieur 25  23  22  24  23 

Indice  de  platyméric 65.7  71.8  73.3  77  4  74.2 

Diam.  portion  moyenne  : 

ïransvei  se 26  24  23  26  25 

Antéro-postérieur 30  :J5  27  315  26 

Indice  pilastrique 115  104  117  121  104 

Indice  poplité 90  80.6  818  80.5  87.5 

Larg.  poplitée  à  4cm  (*) 40  36  33  38.5  32 

Larg.  bicondyl.  max.  (m)...  85  81  90  78 

u  =  100.  i  = 47  44  43  41 

Dist.  deligneàpreauxcond.  106  117  106  125  117 

mp 36  30  27  31  28 

mn 35  26  25  5  28.5  27 

Aucun  desfémursB,E,F,  G,  H  n'atteint,  par  l'indice  poplité, 
le  fémur  de  Trinil,  mais  tous  s'en  rapprochent  sous  ce  rapport, 
comme  on  l'a  vu  plus  haut.  Ils  s'en  rapprochent  en  même  temps 
au  point  de  vue  du  rapport  des  deux  diamètres  antéro-posté- 
rieurs  mn  et  mp.  Peut-être  môme  le  fémur  de  Trinil  est-il  un 
peu  dépassé  à  ce  point  de  vue  par  les  fémurs  E  et  G.  En  tout 
cas,  les  deux  caractères  en  question  se  trouvant  réunis  sur  ces 
divers  fémurs,  peu  importequ'ils  existent  exactement  au  même 
degré  que  chez  le  Pithecanthropus.  Quand  bien  même  ce 
dernier  serait  un  peu  dépassé  sous  l'un  ou  l'autre  rapport  par 
quelques  rares  fémurs  humains,  il  n'en  resterait  pas  moins 
vrai  qu'il  présente  un  caractère  limite  dans  l'espèce  humaine, 
caractère    double   que    nous   pouvons    maintenant   définir  : 

i  Pour  la  désignation  plus  complète  de  ces  fémurs,  voir  le  Ta- 
bleau I. 


566  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

Ptatymèrie  transversale poplitée  avec  renflement  postérieur  médian. 

Ce  caractère  est-il  rare  dans  toutes  les  races  humaines, 
sans  exception?  Nous  l'ignorons  évidemment,  puisque  nous 
ne  possédons  pas  de  grandes  séries  de  fémurs  de  toutes  les 
races  existantes.  Mais  il  s'éloigne  au  plus  haut  degré  de  la 
forme  moyenne  dans  toutes  les  séries  ethniques  où  j'ai  pu  le 
trouver,  et,  d'autre  part,  j'ai  constaté  la  forme  opposée, 
c'est-à-dire  aplatie,  de  la  région  poplitée  sur  tous  les  spéci- 
mens rares  ou  uniques  des  races  anciennes  et  actuelles  les 
plus  pauvrement  représentées  dans  nos  collections  :  Austra- 
liens, Négritos,  Esquimaux,  Européens  paléolithiques,  etc. 

Les  séries  dans  lesquelles  j'ai  rencontré  ce  caractère  à 
l'état  isolé,  sont  des  séries  relativement  fortes. 

Le  fémur  B  :  série  de  350  canariens  anciens  (Soc.  d'Anthr.  et 
Muséum).  —  Le  fémur  II  :  série  de  156  parisiens  du  moyen-âge. 
—  Les  fémurs  E,  F,  série  de  30  indiens  pré  Colombiens  du 
Venezuela.  Ici,  la  rareté  du  caractère  n'est  pas  énorme,  mais 
il  est  encore  manifestement  une  exception.  —  Le  fémur  G  : 
collection  d'une  centaine  de  fémurs  néolithiques  trouvés  dans 
diverses  stations  françaises. 

Je  n'ai  pas  rencontré  une  seule  fois  le  caractère  en  ques- 
tion sur  une  centaine  de  fémurs  français  modernes,  ni  sur 
une  soixantaine  de  fémurs  nègres. 

J'ai  rencontré  sur  plusieurs,  fémurs  normaux  comme  les 
précédents,  les  deux  diamètres  mn  et  mp  égaux  avec  une 
platymèrie  poplitée  plus  ou  moins  accentuée,  à  savoir  : 

Sur  deux  fémurs  canariens  (Guanches)  ;  sur  un  fémur  véné- 
zélien  (pré-Colombien,  coll.  Marcano);  sur  un  fémur  péruvien 
(moderne);  sur  un  fémur  parisien  ancien. 

Ces  différents  cas  se  rattachent  à  la  forme  vulgaire  par 
des  cas  intermédiaires  ;  ils  rattachent,  en  même  temps,  cette 
forme  à  la  forme  de  Trinil  par  des  transitions  graduelles. 
L'examen  de  ces  transitions  rend  vraisemblable  la  parfaite 
régularité  de  la  formation  du  caractère  morphologique  en 
question,  mais  dans  des  conditions  plus  ou  moins  rares,  et 
la  possibilité  de  sa  formation  sporadique  dans  des  races  quel- 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      567 

conques.  Ce  caractère  n'en  est  pas  moins  très   exceptionnel 
dans  toutes  les  races  connues. 

Analyse  et  interprétation.  —  L'hypothèse  du  Pithecanthro- 
pus  ne  trouve  aucun  obstacle  dans  le  fait  que  des  fémurs 
humains  ressemblent  à  celui  de  cet  ancêtre  présumé  qui  re- 
présenterait une  véritable  race  humaine  plus  ancienne  que 
toutes  les  races  connues  jusqu'à  présent.  Il  serait  logique 
d'admettre  que  si  des  causes  dont  l'association  est  deve- 
nue plus  ou  moins  rare  aboutissent  à  la  formation  d'une 
platymèrie  poplitée,  avec  renflement  médian,  chez  des  indi- 
vidus appartenant  à  des  races  humaines  très  diverses,  ces 
mêmes  causes  ont  pu  s'associer  aussi  plus  fréquemment  ou 
même  ordinairement  dans  une  race  ancestrale  qui  possédait 
l'attitude  bipède.  On  peut  renverser  l'ordre  de  ce  raisonne- 
ment et,  sans  même  faire  intervenir  l'atavisme  trop  souvent 
invoqué  mal  à  propos,  dire  que  les  conditions  d'où  est  résulté 
le  caractère  en  question,  dans  une  race  ancestrale  déjà 
bipède,  peuvent  fort  bien  se  rencontrer  encore  chez  un  cer- 
tain nombre  d'individus  dans  les  races  actuelles.  Y  eût-il  une 
race  humaine  actuelle  dans  laquelle  ce  caractère  serait  vul- 
gaire, cela  ne  gênerait  en  rien  l'hypothèse  du  Pithecanth.ro- 
pus. 

En  tous  cas,  le  caractère  en  question  devient  particulière- 
ment intéressant;  c'est  pourquoi  j'ai  cherché  à  l'expliquer  en 
suivant  la  méthode  ordinaire  de  l'anatomie  comparative. 
Pour  atteindre  complètement  ce  but,  il  faudrait  des  recher- 
ches très  étendues  que  je  n'ai  pas  eu  le  loisir  d'entrepren- 
dre. Cependant,  mes  études  antérieures  sur  les  variations  du 
corps  du  fémur  dans  l'espèce  humaine  m'ont  permis  d'abou- 
tir tout  au  moins  à  un  commencement  d'interprétation. 

Ayant  réuni,  d'une  part,  les  fémurs  mentionnés  plus  haut 
qui  présentent  le  même  caractère  que  le  fémur  de  Trinil, 
ainsi  que  plusieurs  autres  fémurs  presque  semblables,  — 
d'autre  part,  un  certain  nombre  de  fémurs  présentant  une 
forme  franchement  opposée,  c'est-à-dire,  une  surface  poplitée 


568  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

très  large  et  aplatie  ou  concave,  j'ai  observé  les  faits  sui- 
vants sur  les  premiers  fémurs  par  contraste  avec  les  der- 
niers : 

1°  Tous  les  fémurs  analogues  au  fémur  de  Trinil,  même  le 
fémur  parisien  H,  présentent  une  plat-ymèrie  sous-trochanté- 
rienne  plus  ou  moins  prononcée.  Je  rappelle  que  cette  pla- 
tymèrie  consiste  en  un  aplatissement  antéro-postérieur,  avec 
élargissement  transversal  de  la  région  sous-trochantérienne; 

2°  Sur  ces  mêmes  fémurs,  l'empreinte  concave  du  muscle 
crural,  continuée  en  bas  par  l'empreinte  du  vaste  externe, 
commence  en  haut  seulement  au-dessous  de  la  région  apla- 
tie, c'est-à-dire,  au-dessous  de  l'insertion  fessière  rejetée  en 
dehors.  La  face  externe  du  fémur  à  ce  niveau  étant  conver- 
tie en  un  bord,  le  faisceau  externe  du  crural  n'y  trouve 
point  place,  de  sorte  que  son  empreinte  concave  commence  à 
un  niveau  plus  inférieur; 

3°  Par  suite,  cette  empreinte  se  prolonge  plus  loin,  infé- 
rieurement,  de  telle  sorte  que  si  l'on  regarde  l'os  du  coté 
externe,  et  si  l'on  considère  l'ensemble  de  l'empreinte  con- 
cave qui  descend  jusque  vers  le  milieu  de  la  région  poplitée, 
on  voit  que  le  centre  de  cette  empreinte  ou  son  maximum  de 
profondeur  est  situé  au-dessous  du  milieu  de  la  diaphyse 
fémorale.  Dans  mes  recherches  antérieures,  j'avais  déjà  noté 
cette  tendance  à  l'abaissement  du  centre  de  l'empreinte  cru- 
rale sur  les  fémurs  platymères,  et  la  figure  3  du  mémoire 
cité  plus  haut  représente  ce  caractère: 

4°  J'ai  montré,  dans  le  même  mémoire,  que  le  pilastre 
fémoral  résulte  de  ce  que  le  muscle  crural,  dont  les  fibres 
s'insèrent  directement  sur  l'os,  détermine  un  agrandissement 
de  la  face  externe  dans  le  sens  antéro-postérieur  et  dans  la 
mesure  de  ses  besoins,  de  sorte  que  le  pilastre  se  forme  de  la 
même  façon  que  la  crête  sagittale  du  gorille  pour  les  besoins 
d'insertion  du  muscle  temporal.  Dès  lors,  le  pilastre  est  d'au- 
tant plus  saillant  que  le  muscle  crural  est  plus  développé  par 
rapport  au  volume  de  la  diaphyse.  Et  si  la  portion  externe  du 
crural,  commençant  moins  haut,  par  suite  de  la  platymèrie 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      569 

antéro-postérieure,  descend  plus  bas,  elle  détermine  en  bas 
un  prolongement  pilaslrique  aux  dépens  de  l'épaisseur  trans- 
versale, de  sorte  que  la  diaphyse  tend  à  conserver,  jusqu'à  la 
région  poplitée,  la  forme  cylindrique  qu'elle  possède  tou- 
jours au  niveau  de  la  bifurcation  inférieure  de  la  ligne  âpre. 

Voilà  des  traits  communs  à  tous  les  fémurs  sur  lesquels 
j'ai  trouvé  un  diamètre  antéro-postérieur  très  peu  différent 
du  diamètre  transverse  à  la  région  poplitée,  comme  sur  le 
fémur  de  Trinil  (tableaux  I  et  II). 

Mais  parmi  ces  fémurs,  nous  avons  vu  qu'il  y  a  deux  varié- 
tés bien  distinctes  :  l'une  (fémurs  A,  D)  qui  présente  mn  >  mp, 
l'autre  qui,  au  contraire,  présente  mn  <^  mp,  comme  le  fémur 
de  Trinil  (fémurs  B,  E,  F,  G,  II). 

Or  ces  deux  variétés  diffèrent  l'une  de  l'autre  en  ceci  :  que, 
dans  la  première,  les  muscles  sont  plus  développés  relative- 
ment au  volume  de  l'os.  De  là  est  résultée  la  différence  dont  il 
s'agit  : 

Dans  les  deux  variétés  l'abaissement  et  la  prolongation 
inférieure  de  l'empreinte  crurale  externe  ont  déterminé  le 
rétrécissement  tranversal  et  le  renflement  postérieur  de  la 
région  poplitée.  Mais,  dans  le  type  A,  D,  il  est  résulté  du 
grand  développement  des  faisceaux  inférieurs  et  externes  du 
crural  et  du  vaste  externe  un  prolongement  pilastrique  poussé 
jusqu'au  voisinage  du  condyle  et  une  saillie  externe  tellement 
grande  à  ce  niveau  qu'elle  arrive  parfois  à  conserver,  à 
4  centimètres  au-dessus  des  condyles,  l'épaisseur  maximum 
qu'elle  avait  au  niveau  de  la  ligne  âpre.  C'est  alors  que  l'on 
observe  la  déclivité  de  la  face  postérieure  représentée  dans  le 
n°  2  de  la  fig.  1  —  et  que  l'on  trouve  mn  >  mp. 

Dans  le  type  de  Trinil,  au  contraire  (fémurs  B,  E,  F,  (1,  H) 
les  faisceaux  musculaires  externes  (crural  -\-  vaste  externe) 
après  avoir  poussé  le  prolongement  pilastrique  jusqu'à  la 
région  poplitée  et  déterminé  ainsi  la  platymèrie  transversale 
de  cette  région,  en  raison  de  leur  situation  basse  sur  la 
diapbyse,  n'ont  pas  été  assez  développés  pour  pousser  plus 
loin  le  prolongement  pilastrique  jusqu'à  4  centimètres  du 

T.    VI  (4°  SÉRIE).  37 


570 


SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 


condyle.  Après  avoir  abaissé  plus  ou  moins  le  point  de  bifur- 
cation de  la  ligne  Apre,  de  façon  a  produire  la  platymèrie 
poplitée,  l'empreinte  crurale  s'est  effacée  rapidement  ;  la  bran- 
che externe  de  bifurcation  de  la  ligne  âpre,  au  lieu  de  faire 
une  forte  saillie  postérieure,  s'est  inclinée  en  avant  et  s'est  à 
peine  maintenue  sous  la  forme  d'une  ligne  peu  accentuée  sur 
la  face  externe  de  l'os,  si  bien  qu'à  -4  centimètres  au-dessus 
des  condyles  cette  ligne  est  devenue  parfois  à  peine  visible 
sur  la  face  externe  arrondie  à  ce  niveau  (n°  3  de  la  fig.  1). 


Fig.  2. 

Section  transversale  du  fémur  à  4  centim.  au-dessus  des  con- 
dyles. 

Ei.  Axe  transversal.  Ap.  Axe  antéro-poslérieur. 

mA,  no.  Lignes  perpendiculaires  à  Ap  entre  lesquelles  a  été 
mesuré  le  diamètre  antéro-post.  (Tableau  I.) 

n.  n'.  n".  Section  du  prolongement  pilastrique  ou  branche  externe 
de  la  ligne  âpre  en  des  situations  diverses. 


C'est  alors  qu'on  obtient  mn  <  mp  comme  sur  le  fémur  de 
Trinil.  La  fig.  1  schématise  ces  faits  et  ces  explications. 
La  fig.  2  les  schématise  sous  une  autre  forme  en  mon- 
trant les  deux  positions  n  et  n  de  la  branche  externe  de  la 
ligne  Apre  par  rapport  au  point  médian  p  sur  deux  fémurs 


L.  MANOUVRIER.    -    DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS       571 

np  letn'pl.  La  type  de  Trinil  peut  être  considéré  comme 
étant  le  type  canarien  A,  D  dont  la  portion  n'np  aurait  été 
supprimée  par  suite  de  l'affaissement  du  prolongement  pilas- 
trique  au  niveau  de  la  région  poplitée. 

Le  point  n"  représente  une  exagération  de  cet  affaissement 
sur  quelques  fémurs  à  empreintes  musculaires  très  peu  mar- 
quées et  sur  lesquels  un  léger  renflement  médian  S  peut  dé- 
terminer mn"  <^  ou  =  ms.  J'ai  rencontré  plusieurs  de  ces 
fémurs  qui  différent  complètement  du  type  de  Trinil,  ci-des- 
sus décrit,  par  leur  grande  largeur  transversale. 

L'explication  qui  précède  rattache,  en  résumé,  la  forme  de 
Trinil  :  1°  à  la  platymérie  antéro-postérieure  sous-trochanté- 
rienne  qui  existait  probablement  sur  le  fémur  de  Trinil 
comme  elle  existe  sur  les  cinq  fémurs  analogues  du  tableau  II  ; 
2°  à  l'abaissement  consécutif  de  l'empreinte  crurale  d'où 
serait  résulté  un  prolongement  pilastrique  suffisant  pour 
déterminer  la  prolongation  de  la  ligne  âpre  et  la  conserva- 
tion delà  forme  cylindrique  de  la  diaphyse  jusqu'à  la  région 
poplitée;  3°  à  un  faible  développement  musculaire  relative- 
ment au  volume  de  l'os,  au  moins  dans  la  région  inférieure 
de  la  cuisse,  d'où  serait  résulté,  à  la  région  poplitée,  un  affais- 
sement de  la  saillie  pilastrique  avec  conservation  du  renfle- 
ment antéro-postérieur  médian. 

On  voit  que  cette  explication  repose  sur  l'accommodation 
morphologique  des  os  aux  besoins  des  muscles  qui  s'insèrent 
directement  sur  eux  par  leurs  fibres  charnues.  Une  explica- 
tion plus  simple  pourrait  être  tirée  de  l'accommodation  mor- 
phologique des  os  aux  nécessités  mécaniques  de  la  résistance 
à  la  flexion  et  à  la  rupture,  accommodation  particulièrement 
nécessaire  pour  le  membre  inférieur  sur  lequel  agit  le  poids 
du  corps  multiplié  par  une  vitesse  considérable  dans  beaucoup 
de  mouvements.  J'ai  étudié  cette  cause  de  modification  mor- 
phologique principalement  à  propos  de  la  platycnémie  qui 
renforce  incontestablement  le  tibia  dans  le  sens  antéro-posté- 
rieur où  il  est  le  plus  exposé  à  la  llexion  ;  mais  en  présence 
de  cas  très  probants  d'après  lesquels  il  est  manifeste  que  la 


572  séance  du  17  ocroonE  4895 

platycnémie  résulte  d'une  accommodation  du  tibia  à  l'agran- 
dissement du  muscle  tibial  postérieur,  j'ai  adopté  cette  der- 
nière interprétation,  sans  nier  pour  cela  que  l'accommodation 
mécanique  intervienne  avec  plus  ou  moins  d'efficacité  dans 
certains  cas,  soit  isolément,  soit  concurremment  et  syner- 
giquement  avec  la  première  sorte  d'accommodation  fonction- 
nelle. 

De  même,  pour  l'interprétation  des  divers  genres  de  pla- 
tymèrie,  les  deux  sortes  d'accommodation  peuvent  être  invo- 
quées, mais  ici  encore  des  cas  très  probants  m'ont  paru  militer 
en  faveur  de  l'accommodation  du  corps  du  fémur  aux  besoins 
du  crural  et  notamment,  pour  les  portions  moyenne  et  infé- 
rieure de  la  diaphyse,  aux  besoins  de  la  portion  externe  de  ce 
muscle  mêlé  en  bas  avec  le  vaste  externe.  Ici  encore,  toute- 
fois, il  est  certain  que  les  particularités  morphologiques  du 
fémur  produites  sous  l'influence  des  insertions  musculaires 
directes  sont  avantageuses  en  même  temps  à  la  résistance  de 
l'os  dans  la  direction  des  forces  qui  tendent  à  le  courber. 
Dans  certains  cas,  notamment  pour  les  fémurs  du  type  A  et 
D  (tableau  I,  n°  2,  fig.  1)  dont  la  forme  diapbysaire  est  re- 
marquablement influencée  par  les  insertions  du  crural,  le 
rôle  modificateur  de  ces  insertions  direc'.es  est  trop  évident 
pour  qu'on  en  cherche  un  autre.  Mais  dans  les  cas  analogues 
à  celui  du  fémur  de  Trinil,  où  les  insertions  externes  du  cru- 
ral n'indiquent  pas  un  grand  développement  de  ce  muscle 
par  rapport  au  volume  de  l'os,  si  l'on  ne  trouve  pas  dans 
l'abaissement  de  ses  insertions  et  dans  le  prolongement 
pilastrique  consécutif  une  cause  suffisante  de  la  persistance 
de  la  forme  cylindrique  jusqu'au  milieu  de  la  région  poplitée, 
peut-être  serait-il  légitime  de  faire  intervenir,  pour  aider  l'in- 
terprétation cherchée,  un  renforcement  antéro-postérieur  de 
cette  région  aux  dépens  de  sa  largeur,  déterminé  par  l'ac- 
commodation morphologique  du  fémur  ù  ses  besoins  de  ré- 
sistance dans  le  sens  où  il  est  le  plus  exposé  à  se  rompre. 

Mais,  en  vérité,  l'explication  donnée  plus  haut  me  paraît 
mieux  justifiée  par  l'examen  comparatif  auquel  je  me  suis 


L.  MA.NOUVRIER. DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHItOPUS       573 

livré,  d'autant  mieux  qu'il  ne  manque  pas  de  fémurs  très 
minces  et  fragiles  dont  la  région  poplitée  n'en  est  pas  moins 
restée  très  aplatie  dans  le  sens  antéro-postérieur. 

Il  me  reste  à  ajouter,  sur  ce  chapitre,  deux  indications 
relatives  à  la  recherche  des  fémurs  du  type  de  Trinil. 

1°  Les  diamètres  de  la  région  poplitée  ayant  été  mesurés, 
sur  le  fémur  du  Pithecanthropus  à  quatre  centimètres  au- 
dessus  de  la  limite  supérieure  des  condyles,  il  y  a  lieu  d'aug- 
menter ou  de  diminuer  un  peu  cette  distance  pour  les  fémurs 
très  longs  et  les  fémurs  très  courts  pour  opérer  toujours  sur 
des  sections  homologues. 

2°  Le  point  n  étant  pris,  pour  le  fémur  de  Trinil,  sur  le 
prolongement  externe  de  la  ligne  âpre  et  celui-ci  étant  par- 
fois à  peine  marqué  au  niveau  du  point  de  repère,  on  doit 
éviter  de  confondre  ce  prolongement  avec  une  petite  saillie 
linéaire  qui  semble  parfois  continuer  jusqu'au  condyle  ex- 
terne le  prolongement  en  question,  mais  qui,  d'autres  fois  se 
trouve  un  peu  en  avant  de  lui  sur  la  face  externe;  de  sorte 
que  si  l'on  plaçait  la  pointe  du  compas  sur  cette  saillie  linéaire 
lorsqu'elle  est  plus  visible  que  le  prolongement  réel  de  la  ligne 
âpre,  on  obtiendrait  indûment  un  diamètre  mn<^mp. 

La  saillie  linéaire  dont  il  s'agit  est  étrangère  aux  insertions 
musculaires  de  la  cuisse;  elle  sert  à  l'insertion  du  plantaire 
grêle,  mais  n'est  pas  constante,  car  on  sait  que  ce  muscle 
peut  s'insérer  sur  la  coque  condylienne  1  sur  divers  autres 
points,  ou  manquer  totalement  (Hyrtl,  Macalister,  Chud- 
zinski,  Testut.) 

La  figure  3  représente  trois  dispositions  de  l'insertion  fé- 
morale du  plantaire  grêle  (t)  par  rapport  à  la  terminaison  du 
prolongement  de  la  ligne  âpre  o.  Le  n°  i  représente  un  fémur 
canarien  sur  lequel  on  trouve  mn  <  mp  ou  mn  >  mp  suivant 
que  l'on  prend  le  point  n  sur  la  ligne  i  ou  sur  le  prolonge- 
ment de  la  ligne  o.  Sur  le  n°  2  les  deux  lignes  i  et  o  se  termi- 
ment  au  même  niveau;  c'est  un  cas  analogue  à  celui  où  les 


-e< 


1  Poirier.  Traité  d'Anat.  hum.,  t.  II,  p.  260. 


574 


SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1893 


deux  lignes  se  confondent;  c'est  le  cas  du  fémur  II  du  tableau 
II.  Sur  le  n°3  la  ligne  i  est  absente;  c'est  le  cas  des  fémurs 
B,  E,  G,  II. 


^mmwémm, 


% 


Fig.  3. 

Portion  inférieure  et  postérieure  de  la  face  'externe  de  trois 
fémurs  sur  lesquels  on  voit  trois  différents  mode  de  terminaison  de 
la  branche  externe  de  la  ligne  âpre  dans  les  cas  où  l'on  trouve 
inn  <  mp. 

C.  Condjle  externe.  —  P.  Prolongement  pilastrique. 

0.  Terminaison  de  la  branche  externe  de  la  ligne  âpre, 

i.  Crète  d'insertion  du  muscle  plantaire  grêle. 

a.  Niveau  auquel  on  mesure  les  diamètres  de  la  section  poplitée 
(4  cm.  au  dessus  des  condyles). 


Point  de  vue  pathologique.  —  11  n'a  été  question  jusqu'ici  que 
des  fémurs  normaux,  quoique  rares,  sur  lesquels  la  platy- 
mèrie  poplitée  avec  renflement  postérieur  médian  constitue 
un  caractère  lié  à  la  forme  vulgaire  par  des  transitions 
insensibles,  en  même  temps  que  rien  n'indique  la  ^moindre 
altération  morbide  de  ces  fémurs  dans  toutes  leurs J  parties, 
ni  un  développement  anormal  des  membres. 

Les  cinq  fémurs  qui  ont  fait  l'objet  du  précédent  chapitre 
détruisent  l'isolement  du  fémur  de  Trinil,  sans  infirmer  pour 
cela  l'hypothèse  d'un  Pithecanthropus.  Ils  éloignent  l'idée 
d'une  déformation  pathologique  de  la  région  poplitée.  D'autre 


L.  MA.NOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ETUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      575 

part,  cette  petite  collection  de  fémurs  humains  présentant  le 
caractère  le  plus  tranché  qui  eût  pu  différencier  le  fémur  de 
Trinil  du  fémur  humain  et  servir  d'argument  contre  l'hypo- 
thèse d'une  parenté  entre  le  P.  E.  et  l'homme,  cette  petite  collec- 
tion, dis-je,  comble  d'avance  l'abîme  que  d'aucuns  pourraient 
encore  trouver  entre  les  deux  espèces  voisines  :  le  P.  E.  et 
Y  Homo  sapiens.  Elle  montre,  d'après  l'interprétation  exposée 
plus  haut,  qu'il  s'agit  d'un  caractère  incapable,  a  lui  seul, 
de  différencier  deux  espèces  et  même  deux  races  l'une  de 
l'autre. 

Par  le  fait  que  ce  caractère  fémoral  existe  sur  l'unique  spéci- 
men connu  de  P.  E.,  on  est  porté  à  considérer  comme  probable 
qu'il  s'agit  d'une  forme  constante  ou  tout  au  moins  fréquente 
dans  cette  espèce.  Mais  il  n'y  aurait  rien  d'étonnant,  étant 
donnée  la  variabilité  des  caractères  fémoraux  de  l'espèce 
humaine,  à  ce  que  l'on  trouvât  d'autres  spécimens  de  l'espèce 
P.  E.  exempts  des  caractères  fémoraux  remarqués  sur  le  seul 
exemplaire  connu  jusqu'à  présent. 

Le  fémur  que  nous  connaissons  est  mince  par  rapport  à  sa 
longueur;  cela  indique  une  faible  carrure  relativement  a  la 
taille.  Bien  que  ce  fémur  ait  un  pilastre  suffisant  pour  attester 
l'attitude  bipède,  sa  saillie  pilastrique  est  faible,  plus  faible 
que  ne  l'indique  l'indice  pilastrique,  trop  influencé  par  la 
largeur  absolue  de  la  diaphyse.  L'empreinte  crurale  se  pro- 
longe en  bas  suffisamment  pour  donner  lieu  à  la  platymèrie 
poplitée  mais  elle  s'efface  assez  rapidement  pour  donner  lieu 
au   caractère  mn    <    mp.    Sur    les   cinq    fémurs    humains 
ainsi    conformés   que    j'ai    trouvés,    trois    sont    également 
minces  et  indiquent  une  musculature  féminine.  Ils  ont  en 
même  temps  une  courbure   diaphysaire  très   faible,    autre 
caractère  très   remarquable  chez  notre    spécimen  de  P.  E. 
et  qui   indique,   avec  les  caractères  précédents,  une  activité 
locomotrice  modérée.  Il  est  plus  que  probable  que,  sous  ce 
rapport,   tous  les  individus  de  l'espèce  P.  E.  ne  se  ressem- 
blaient pas,    à   moins   que   leur  genre  de  vie  (peut-être  la 
conservation  partielle  de  l'usage   des    membres   supérieurs 


576  séance  du  17  octobre  1895 

pour  la  locomotion  en  forêt)  ait  généralisé  dans  toute  la  race 
un  usage  peu  intensif  des  muscles  fémoraux. 

Il  y  a  pourtant  lieu  de  prendre  en  considération  l'altéra- 
tion pathologique  présentée  parle  fémur  de  Trinil.  Les  énor- 
mes végétations  osseuses  de  ce  fémur  se  sont  certainement 
formées  à  l'âge  adulte;  mais  ces  végétations,  et  surtout  la 
maladie  grave  et  longue  dont  elles  seraient  le  signe,  n'en 
ont  pas  moins  été  capables  de  nuire  plus  ou  moins  ;i  la 
locomotion,  et  peut-être  pendant  une  grande  partie  de  la  vie 
du  sujet. 

Un  doute  s'impose  donc  déjà  sur  la  valeur  spécifique  des  di- 
vers caractères  par  lesquels  le  fémur  de  Trinil  se  différencie 
du  fémur  humain  puisque,  sans  être  pathologiques  en  eux- 
mêmes,  ces  caractères  peuvent,  d'après  les  faits  et  l'inter- 
prétation exposés  plus  haut,  être  en  rapport  avec  une  paresse 
fonctionnelle  relative  d'origine  pathologique  dont  les  causes 
sont  ici  palpables. 

Ce  n'est  pas  la  rectitude  ni  la  platymèrie  poplitée  extraordi- 
naires du  fémur  de  Trinil  qui  seraient  pathologiques  :  mais 
ces  caractères  appartenant  de  préférence,  dans  l'espèce  hu- 
maine, li  des  individus  peu  musclés,  il  est  possible  que  leur 
existence  chez  l'individu  de  Trinil  soit  une  conséquence,  mor- 
phologiquement normale,  de  la  diminution  fonctionnelle 
occasionnée  par  les  lésions  véritables,  tant  fémorale  que  ver- 
tébrale. 

Il  est  possible,  autrement  dit,  que  les  caractères  relevés  sur 
le  fémur  de  Trinil  ne  représentent  pas  l'état  moyen  du  fémur 
dans  la  race  ou  l'espèce  dite  P.  E.  Cette  hypothèse  me  paraît 
légitimée  par  la  lésion  fémorale  existante  sur  le  fémur  de 
Trinil  et  par  son  accord  avec  l'interprétation  précédente  des 
autres  caractères,  bien  que  cette  interprétation  n'implique  pas 
nécessairement  une  faiblesse  musculaire  morbide. 

Les  fémurs  humains  pathologiques  sur  lesquels  j'ai  rencon- 
tré un  renflement  antéro-postérieur  de  la  région  poplitée  sont 
au  nombre  de  quatre.  Trois  de  ces  fémurs  (deux  Canariens  et 
un  Maori  du  Muséum)  présentent  une  exostose  volumineuse 


L.  MANOUVRIER.  — DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS       577 

précisément  au  milieu  de  la  surface  poplitée.  Mais  il  s'agit 
manifestement  de  tumeurs;  la  surface  poplitée  de  ces  fémurs 
est  large,  et  il  faudrait  considérer  aveuglément  les  mesures 
des  diamètres  mn  et  mp  pour  assimiler  ces  fémurs  à  celui  de 
Trinil.  Sur  le  fémur  Maori  (droit)  on  a  mn  =  33  <  mp  =  38, 
mais  la  tumeur  poplitée  en  cause  n'est  pas  niable  et  le  fémur 
gauche,  qui  en  est  exempt,  présente  des  diamètres  ordinai- 
res. Inutile  d'insister  sur  ces  cas,  sans  analogie  réelle  avec  le 
fémur  de  Trinil  ni  avec  les  fémurs  similaires  dont  on  a  parlé 
plus  haut,  où  le  renflement  de  la  région  poplitée  ne  peut  pas 
môme  èlre  soupçonné  d'être  dû  directement  à  une  formation 
morbide. 

Le  4e  fémur,  dont  il  me  reste  à  parler,  est  beaucoup  plus 
intéressant.  C'est  le  n°  111  de  la  série  de  Saint-Germain-des- 
Prés  (Parisiens  du  Moyen-Age).  Sa  tète  est  complètement 
déformée,  aplatie  dans  le  sens  de  l'axe  du  col,  éburnée  super- 
ficiellement et  usée  par  frottement  dans  la  cavité  cotyloïde, 
bordée  enfin  de  végétations  arthritiques  à  sa  partie  inférieure 
et  en  haut.  Ces  lésions  me  paraissent  indiquer  une  coxalgie 
survenue  pendant  l'adolescence  et  guérie,  mais  suivie  d'ar- 
thrite ayant  rendu  les  mouvements  de  la  tête  fémorale  diffi- 
ciles et  pénibles. 

Ce  fémur  présente,  en  outre,  une  courbure  très  exagérée, 
une  platymèrie  sous-trochantérienne  transversale  et  un  pilas- 
tre extrêmement  saillant.  Enfin,  il  est  très  étroit  et  complète- 
ment cylindrique  à  la  région  poplitée  où  il  présente  une  ana- 
logie complète  avec  le  fémur  de  Trinil. 

Il  s'agit  ici,  précisément,  d'un  cas  où  la  diaphyse  tout 
entière  présente  des  caractères  morphologiques  exceptionnels 
que  l'on  peut  attribuer  à  l'influence  indirecte  d'une  maladie 
évidente  de  l'articulation  coxo-fémorale  et  de  lésions  de  la 
tète  du  fémur. 

Voici  les  mesures  de  l'os  en  question  complètement  isolé 
sous  tous  les  rapports  de  la  série  des  fémurs  de  Saint-Germain- 
des-Prés  à  laquelle  il  appartient  : 

Longueur  =  438. 


578  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

Inclinaison  de  la  diaphyse  =  2°. 

Angle  du  col  avec  la  diaphyse  =  130°. 

Diam.  sous-trochanter.  :  Transv.  =  21.5.  Ant.-post.  =  27. 

Indice  de  platymèrie  =  125.5  (P.  transversale). 

Diam.  partie  moyenne  :  Transv.  =  2'2.  Ant.-post.  =  32. 

Indice  pilastrique  =  145.4. 

Diamètres  poplités  :  Transverse  —  32.  Ant.-post.  =  31. 

mp  =  31  ;  mn  =  30. 

Largeur  bicondylienne  max.  =  76. 

Courbure  ant.-post.  très  forte  (Flèche  max.  =  68  mm.  en 
comprenant  l'épaisseur  de  l'os). 

Ce  fémur,  dont  la  région  poplitée  est  si  manifestement  dif- 
férente de  celle  des  fémurs  parisiens  doit,  sans  cloute,  les 
caractères  qui  le  rapprochent  du  fémur  de  Trinil  à  une  accom- 
modation commandée  par  la  maladie  coxo -fémorale. 

J'ai  dit  précédemment  que  ces  caractères  peuvent  résulter 
d'un  grand  développement  musculaire  relativement  au  volume 
de  l'os,  mais  qu'ils  pourraient  être   expliqués,  dans  certains 
cas,  par  une  simple  accommodation  morphologique  de  l'os  a 
des  nécessités  mécaniques  en  vue  de  la  résistance  aux  forces 
qui  tendent  à  le  fléchir  clans  le  sens  antéro-postérieur.  Si  je 
me  suis  décidé  pour  la  première  interprétation  à  propos  des 
fémurs  préhistoriques  dont  tous  les  caractères  dénotent  un 
parfait  développement  musculaire,  la  seconde  interprétation 
me  semble,  au  contraire,  plus  justifiée  clans  le  cas  particulier 
dont  il  s'agit,  d'abord  parce  qu'il  est  difficile  d'admettre  que 
le  malade  auquel  a  appartenu  ce  fémur  d'un  faible  volume 
ait  eu  des  muscbs  très  développés,  ensuite  parce  que  la  por- 
tion externe  de  son  muscle  crural  ne  parait  pas  avoir  profité 
de  la  grande  surface  qui  lui  était  offerte  par  l'agrandissement 
de  la  saillie  pilastrique,  enfin  parce  que,  contrairement  aux 
fémurs  préhistoriques  dont  je  me  suis  occupé,  sa  platymèrie 
sous-trochantérienne  n'est  pas  antéro-postérieure,  mais  trans- 
versale et  que  cet  aplatissement  formé  aux  dépens  de  la  lar- 
geur se  continue  d'un  bout  à  l'autre  de  la  diaphyse. 

On  doit  remarquer,  il  est  vrai,  que  si  le  fémur  de  Trinil  est 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PI  THECANTHROPUS       579 

cylindrique  à  la  région  poplitée  comme  ce  fémur  de  coxal- 
gique,  il  en  diffère  complètement  par  son  absence  de  cour- 
bure, par  sa  faible  saillie  pilastrique  et  par  sa  platymèrie 
sous-trochantérienne  qui  semble  avoir  été  antéro-postérieure. 
Mais  ces  différences  pourraient  être  expliquées  avec  vraisem- 
blance en  considérant  que,  pour  le  sujet  parisien,  la  coxalgie 
a  dû  survenir  pendant  l'adolescence,  à  un  Age  où  le  fémur, 
en  voie  de  croissance,  pouvait  s'adapter  facilement  en  vue 
de  la  résistance  aux  causes  de  flexion  de  la  diaphyse  et 
qu'en  raison  même  de  la  maladie  coxo-fémorale,  le  fémur 
était  d'autant  plus  exposé  a  la  flexion  qui,  d'ailleurs,  s'est 
produite  à  un  haut  degré. 

La  maladie  du  sujet  de  Trinil,  au  contraire,  s'il  s'agissait, 
comme  le  pense  Virchow,  d'un  abcès  par  congestion  d'origine 
vertébrale,  a  pu  affecter  celui-ci  alors  qu'il  avait  atteint  son 
complet  développement  et  réalisé  déjà  ses  principaux  carac- 
tères. La  rectitude  remarquable  du  fémur  de  Trinil  ferait 
alors  supposer  que  la  maladie  vertébrale  a  placé  le  sujet  dans 
un  état  d'impotence  locomotrice  relative  qui  aurait  modéré 
l'activité  des  muscles  de  la  cuisse  et  du  fémur  lui-même 
avant,  pendant  et  après  l'atteinte  subie  par  cet  os. 

L'inactivité  fémorale  relative  du  sujet  de  Trinil  était  déjà 
rendue  probable  par  l'interprétation  que  j'ai  donnée  plus  haut 
de  la  forme  cylindrique  de  la  région  poplitée,  abstraction 
faite  de  toute  cause  pathologique. 

Cette  probabilité  augmente  si  l'on  considère  que,  dans 
une  nombreuse  collection  de  fémurs  parisiens,  le  seul  fémur 
dont  la  région  poplitée  ressemble  à  celle  du  fémur  de  Trinil 
provient  d'un  individu  coxalgique  et  impotent. 

L'explication  pathologique,  pour  hypothétique  qu'elle  soit, 
me  parait  être  plausible  et  tout  au  moins  justifiée  de  toutes 
façons. 

Il  ne  faut  pourtant  pas  oublier  que  j'ai  trouvé  cinq  fémurs 
humains  normaux  arrondis  à  la  région  poplitée.  Parmi  ces 
cinq  fémurs  deux  sont  masculins,  assez  robustes,  et  présen- 
tent des  empreintes  musculaires  assez  fortes. 


580  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

En  somme,  un  doute  s'impose  dans  l'interprétation  des 
caractères  du  fémur  de  Java.  On  peut  soupçonner,  mais 
non  affirmer,  que  ces  caractères  sont  purement  individuels 
et  indirectement  liés  à  la  maladie  grave  attestée  par  les  végé- 
tations sous-trochantériennes. 

Il  n'est  pas  certain,  mais  il  est  probable  que  si  l'on  trouve 
un  second  individu  de  la  race  de  Trinil,  ses  fémurs  ne  pré- 
senteront pas  cette  forme  cylindrique  de  la  région  poplitée 
qui,  du  reste,  n'est  pas  plus  simienne  qu'humaine.  Il  est  pro- 
bable que  la  différence  consistera  en  une  accentuation  des 
caractères  en  rapport  avec  l'activité  des  membres  inférieurs 
et  que,  par  conséquent,  ce  second  fémur  à  trouver  se  rappro- 
chera de  la  forme  humaine  plus  encore  que  le  premier. 

Cela  n'infirme  en  rien,  je  le  répète,  l'hypothèse  d'un  Pithe- 
canthropus,  mais  cela  nous  engage  à  ne  pas  attacher  trop 
d'importance  aux  caractères  fémoraux  du  spécimen  existant 
au  point  de  vue  de  la  caractérisation  ethnique  et  de  la  déter- 
mination spécifique. 

En  terminant  ce  chapitre,  je  rappelle  la  forme  du  fémur  de 
Spy  trouvé  par  M.  Fraipont.  Ce  fémur,  vraisemblablement 
moins  ancien  que  le  fémur  de  Trinil,  est,  à  mon  avis,  beaucoup 
plus  remarquable  par  l'ensemble  de  ses  caractères.  En  dehors 
de  son  pilastre,  qui  est  humain  quoique  peu  saillant,  ce  fémur 
fait  songer  au  gorille  plus  encore  que  le  fémur  de  Java  ne  fait 
songer  au  gibbon.  Et  certes,  pour  le  fémur  de  Spy,  on  n'est 
pas  tenté  de  faire  intervenir  la  pathologie. 

Dents. 

D'après  les  mesures  et  les  figures  publiées  par  M.  Dubois, 
j'avais  considéré  la  3e  molaire  comme  appartenant  à  une  race 
disparue,  soit  humaine,  soit  anthropoïdes.  C'est,  d'ailleurs,  au 
sujet  de  cette  dent  que  les  conclusions  des  anatomistes  ont  été 
le  plus  réservées.  Son  examen  direct  n'a  pas  rendu  pour  moi 
sa  détermination  spécifique  moins  embarrassante,  car  sa  gran- 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      581 

deur  et  le  grand  écartement  de  ses  racines  la  placent  hors  delà 
série  humaine  et,  d'autre  part,  la  forme  de  sa  face  triturante  ne 
permet  guère  de  l'attribuer  à  l'une  des  espèces  connues  d'an- 
thropoïdes. 

Ce  serait  une  dent  atypique.  Elle  présente  une  sorte  de 
grande  cuspide  circulaire  à  surface  lisse  qui  occupe  tout  le 
pourtour  de  la  couronne  et  circonscrit  une  dépression  centrale 
offrant  un  aspect  analogue  à  celui  d'une  3°  molaire  impar- 
faitement développée.  Peut-être  s'agit-il  effectivement  d'une 
3e  molaire  qui  n'aurait  pas  atteint  son  développement  nor- 
mal. Ce  ne  serait  point,  en  ce  cas,  à  mon  avis,  une  jeune 
dent  en  voie  de  croissance,  parce  que  la  grande  cuspide  cir- 
culaire n'occupe  pas  seulement  le  bord  de  la  couronne, 
comme  il  arrive  en  pareil  cas,  mais  elle  occupe  la  plus  grande 
partie  de  la  face  triturante  et  présente,  en  outre,  une  forme 
régulière.  De  plus,  on  aperçoit  clans  la  dépression  centrale 
une  petite  facette  plate  qui  semble  résulter  d'un  commence- 
ment d'usure.  D'après  ces  faits,  je  serais  plutôt  porté  à  consi- 
dérer cette  dent  comme  adulte,  mais  seulement  comme 
n'ayant  pas  eu  un  développement  régulier  et  n'ayant  pas 
servi  à  la  trituration  des  aliments  au  même  degré  que  les 
autres  dents,  par  suite  d'un  contact  imparfait  avec  la  dent 
opposée. 

L'autre  dent  (2e  molaire),  contrairement  à  la  précédente, 
est  très  usée,  de  sorte  que  la  face  triturante  est  devenue  con- 
cave et  en  même  temps  polie  comme  le  chaton  d'une  bague. 
Cette  usure  serait  plus  en  rapport  avec  l'âge  certainement 
adulte,  sinon  sénile  du  crâne.  Elle  n'atteste  pas  absolument  la 
sénilité,  car  il  n'est  pas  rare  de  trouver  des  dents  aussi  usées 
sur  des  crânes  néolithiques  nullement  séniles.  Loin  d'être 
en  contradiction  avec  l'état  de  la  3e  molaire,  elle  corroborerait 
plutôt  l'interprétation  ci-dessus  de  la  forme  de  cette  dernière. 
Il  n'y  a  rien,  non  plus,  de  contradictoire  entre  le  volume  ab- 
solu ou  relatif  des  deux  dents  et  l'opinion  de  M.  Dubois  qui 
les  attribue  l'une  et  l'autre  à  un  même  individu,  représenté 
déjà  par  le  crâne  et  le  fémur  de  Trinil. 


582  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1893 

Ces  dents,  en  effet,  sont  intermédiaires,  l'une  et  l'autre, 
par  leur  grandeur,  entre  celles  des  hommes  et  celles  des 
grands  anthropoïdes  connus.  Elles  ont  donc  appartenu  à  un 
maxillaire  de  volume  également  intermédiaire,  ce  qui  est  par- 
faitement en  accord  avec  la  situation  des  lignes  courbes 
temporales  sur  la  calotte  crânienne  de  Trinil. 

Ces  lignes  sont  beaucoup  moins  rapprochées  de  la  ligne 
médiane  que  chez  les  anthropoïdes,  même  femelles.  Or  elles 
deviendraient  certainement  plus  latérales  chez  ces  animaux 
s'ils  avaient  des  dents  moins  volumineuses  et  une  voûte  crâ- 
nienne plus  développée,  ce  qui  est  précisément  le  cas  du 
Pitbecanthropus. 

Si  nous  considérons,  d'autre  part,  le  volume  de  la  dent 
comparativement  à  la  stature  indiquée  par  le  fémur,  nous  n'y 
trouvons  pas  davantage  un  défaut  de  corrélation  dans  l'hy- 
pothèse où  le  fémur  et  le  crâne  auraient  appartenu  à  un 
même  individu.  Cet  individu,  en  effet,  aurait  eu  une  taille 
humaine  avec  des  dents  relativement  trop  fortes  pour  sa  taille 
en  le  supposant  homme,  trop  faibles,  au  contraire,  en  le  sup- 
posant anthropoïde.  Il  devait  donc  être  intermédiaire,  comme 
l'indiquent  les  caractères  du  crâne. 

Toutefois,  il  y  a  des  crânes  humains  dont  les  lignes  courbes 
temporales  se  rappochent  beaucoup  plus  de  la  ligne  médiane 
avec  des  dents  moins  volumineuses  que  celles  de  Trinil  et 
une  capacité  crânienne  beaucoup  plus  grande.  Tel  est,  par 
exemple,  un  crâne  du  Turkestan  de  forme  remarquablement 
bestiale  faisant  partie  de  la  collection  de  la  Société  d'Anthro- 
pologie et  figuré  plus  loin.  Les  dents  de  ce  crâne  ne  sont 
pas,  cependant,  aussi  volumineuses  que  celle  de  Trinil.  Par 
conséquent  si  les  deux  dents  de  Trinil  sont  en  parfaite  har- 
monie avec  le  crâne  en  regardant  par  le  coté  anthropoïde, 
la  corrélation  n'est  pas  ausssi  évidente  si  l'on  regarde  par 
le  coté  humain.  Ce  serait  là  un  argument  en  faveur  de  ceux 
qui  sont  portés  à  rattacher  le  squelette  de  Trinil  à  la  famille 
des  Anthropoïdes  plutôt  qu'au  genre  Homo. 

Mais  c'est  là  une  question  très  secondaire  à  mon  avis,  et  je 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  P1THECANTHROPUS      583 

dirais  presque  oiseuse  s'il  était  une  fois  admis  qu'il  s'agit 
d'une  espèce  intermédiaire,  crâniologiquement,  entre  les  an- 
thropoïdes connus  et  l'espèce  humaine.  Si  lePithecanthropus 
se  rapproche  plus  des  anthropoïdes  que  de  l'homme  au  point 
de  vue  de  l'influence  du  volume  des  dents  sur  le  rapproche- 
ment des  lignes  courbes  temporales,  c'est  un  fait  à  noter.  Il 
n'en  reste  pas  moins  vrai  que  les  dents  de  ïrinil  trouvent 
leur  place  sur  le  crâne  de  Trinil  considéré  comme  un  crâne 
d'anthropoïde,  et  cela  n'empêche  pas  ce  crâne  d'être  plus 
rapproché  de  l'espèce  humaine  que  les  crânes  des  espèces 
connues  d'anthropoïdes  grimpeurs.  Il  n'est  pas  obligatoire, 
pour  un  Pithecanthropus  digne  de  ce  nom,  de  se  rapprocher 
de  l'homme  au  même  degré  sous  tous  les  rapports. 

J'ajouterai  seulement  que  le  volume  des  dents  canines, 
chez  les  anthropoïdes,  exerce  une  influence  prépondérante 
sur  le  rapprochement  des  crêtes  temporales.  Au  moment  de 
l'éruption  des  canines  chez  les  anthropoïdes  mâles,  la  voûte 
crânienne  a  déjà  atteint  son  étendue  définitive  et  les  crêtes 
temporales  sont  encore  écartées  presque  autant  que  chez 
l'homme.  Mais  en  même  temps  que  les  canines  se  dévelop- 
pent, les  crêtes  temporales  grimpent  en  quelque  sorte  rapi- 
dement jusqu'à  la  ligne  sagittale.  On  peut  présumer,  d'après 
cela,  que  le  crâne  de  Trinil  appartenait  soit  à  un  sujet  féminin, 
soit  àun  mâle  dont  les  canines  étaient  très  faibles  pour  un  an- 
thropoïde. La  première  opinion  est  peu  vraisemblable,  à  cause 
de  la  grande  étendue  des  sinus  frontaux  et,  si  l'on  fait  inter- 
venir le  fémur,  à  cause  de  la  stature  indiquée  par  cet  os,  sta- 
ture qui  serait  extraordinaire  pour  un  anthropoïde  femelle 
dans  les  plus  grandes  espèces  connues. 

Je  conclus  donc,  au  sujet  des  dents,  que  la  3°  molaire  est 
probablement  atypique;  que  la  2e  a  pu  appartenir  au  même 
sujet  ;  qu'il  n'y  â  pas  de  défaut  de  corrélation  entre  ces  deux 
dents  et  le  crâne,  enfin  qu'elles  ont  dû  appartenir  à  un  être  in- 
termédiaire, crAniologiquement,  entre  l'homme  et  les  anthro- 
poïdes. 


584  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE   1895 


Crâne 


Capacité  absolue  et  7'elative.  —  Comparaison  avec  la  race  du 
Néanderthal  et  de  Spy.  —  On  s'accorde  généralement  à  évaluer 
la  capacité  du  crâne  de  Trinil  à  1,000  ce.  environ.  L'erreur 
possible  ne  me  paraît  pas  dépasser  100  ce.  et  je  crois  que 
cette  erreur  est  plutôt  en  plus  à  cause  de  l'aplatissement 
frontal  et,  en  un  mot,  de  l'exiguité  relative  de  toutes  les 
régions  du  crâne  non  mesurées  par  les  3  diamètres  qui  ser- 
vent au  calcul  de  la  capacité  d'après  l'indice  cubique. 

Le  volume  absolu  de  l'encéphale  serait  peu  intéressant  si 
l'on  ne  pouvait  évaluer  approximativement  sa  grandeur  rela- 
tive par  rapport  à  la  masse  générale  du  squelette,  car  un 
homme  de  très  petite  taille  pourrait  avoir  un  volume  encé- 
phalique aussi  faible  sans  que  son  intelligence  put  être  consi- 
dérée comme  anormalement  réduite  pour  une  race  sauvage. 
En  ce  cas,  le  volume  de  l'encéphale  est  relativement  grand 
par  rapport  à  la  taille  et  cette  supériorité  se  traduit  par  des 
caractères  morphologiques  du  crâne  tendant  à  se  rapprocher 
des  caractères  féminins  et  des  caractères  de  jeunesse.  Or  le 
crâne  de  Trinil  se  trouve  dans  le  cas  diamétralement  opposé. 
Il  est  donc  certain  que  ce  crâne  était  très  petit  non  seulement 
d'une  façon  absolue,  mais  encore  relativement  à  la  taille. 
C'est  pourquoi  le  volume  du  fémur  de  Trinil,  qui  correspond 
à  peu  près  à  une  taille  moyenne,  présente  une  corrélation  très 
satisfaisante  avec  le  crâne  de  Trinil,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans 
mon  précédent  mémoire. 

En  dehors  de  la  forme  générale  du  crâne  c'est-à-dire  de  la 
forme  endocrànienne,  le  volume  relatif  de  l'encéphale  est 
indiqué  par  l'importance  des  saillies  exocrâniennes.  Sur  le 
crâne  de  Trinil,  ces  saillies  confirment  absolument  l'indica- 
tion précédente.  Elles  indiquent,  sans  qu'aucun  doute  soit 
possible,  un  volume  encéphalique  relativement  très  faible  par 
rapport  à  la  masse  squelettique  et,  par  conséquent,  un  fémur 
à  peu  près  tel  que  celui  de  Trinil. 

La  saillie  la  plus  importante,  ici,  est  celle  de  la  visière  sur- 


L.  MANOUVRIER.    -   DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECÀNTHROPUS      585 

orbitaire,  qui  sem  étudiée  plus  loin.  Comme  le  grand  intérêt 
du  crâne  de  Trinil  consiste  dans  son  infériorité  morphologique 
rapprochée  de  son  ancienneté  par  rapport  au  cr^ne  du  Néaii- 
derthal  lui-même;  comme,  d'autre  part  il  n'y  a  pas  plus  de 
doute  sur  l'attitude  bipède  de  la  race  de  Trinil  que  sur  celle 
de  la  race  du  Néanderthâl,  il  importe  surtout  de  comparer 
ces  deux  races  autant  que  possible  sous  le  rapport  du  dé- 
veloppement cérébral  relatif,  élément  indispensable  d'appré- 
ciation du  développement  intellectuel. 

L'individu  de  Trinil  avait  une  masse  squelettique  très  infé- 
rieure à  celle  de  l'homme  du  Néanderthâl  et  à  celle  de  l'homme 
de  Spy  dont  on  connait  les  fémurs.  Si  son  développement 
intellectuel  était  égal  à  celui  de  cette  race,  il  devait  donc 
avoir  un  volume  encéphalique  relativement  supérieur  puisque, 
à  intelligence  égale,  le  volume  relatif  du  cerveau  croît  à 
mesure  que  la  taille  diminue.  En  ce  cas  sa  forme  crânienne 
devait  être  également  supérieure  à  celle  des  hommes  du  Néan- 
derthâl et  de  Spy,  en  vertu  du  rapport  existant  entre  le 
poids  relatif  du  cerveau  et  la  forme  générale  du  crâne.  Or 
c'est  le  contraire  qui  a  lieu  :  l'homme  de  Trinil  est  inférieur 
à  la  fois  par  sa  taille,  par  le  volume  cérébral  absolu,  par  le 
volume  cérébral  relatif  et,  consécutivement,  par  la  forme  du 
crâne.  Il  était  donc  beaucoup  plus  arriéré  au  point  de  vue 
de  l'évolution  humaine. 

Si  un  attribue  au  Néanderthâl  un  diamètre  basio-breg- 
matique  =z  125,  et  si  l'on  prend  comme  indice  cubique  1.25, 
coefficient  très  supérieur  à  celui  que  j'ai  obtenu  expérimen- 
talement pour  les  crânes  océaniens  l,  on  trouve  que  la  capa- 
cité du  Néanderthâl  n'était  pas  inférieure  à  1,500  ce,  la 
moyenne  des  Parisiens  étant  1,560.  Ce  chiffre  1,500  est  évi- 
demment faible  pour  le  volume  athlétique  du  fémur  du 
Néanderthâl;  mais  il  est  encore  très  élevé  par  rapport  à  la 
capacité  du  crâne  de  Trinil.  Le  fémur  de  Trinil  est  moins 
robuste  il  est  vrai,  mais  on  ne  peut  imputer  à  la  différence 

1  Sur  l'indice  cubique  du  crû  ne.  (Assoc.  française,  lSSOj. 

T.  VI  (i°  série)  ,!S 


586  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

fémorale  la  différence  de  500  ce.  au  moins  existante  entre  les 
deux  crânes.  G;est  tout  au  plus  si  la  moitié  de  cette  différence 
pourrait  être  attribuée  à  la  différence  squelettique  et  muscu- 
laire. On  peut  en  juger  d'après  la  différence  sexuelle  de  la 
capacité  crânienne  qui,  pour  les  Parisiens  modernes,  n'atteint 
pas  200  ce.  malgré  une  différence  de  poids  fémoral  d'environ 

1/3. 

L'homme  du  Néanderthal  était  donc  beaucoup  mieux  doué 
que  celui  de  Trinil  au  point  de  vue  de  la  capacité  crânienne 
et  c'est  là  un  point  dé  vue  très  important  dès  que  l'on  pos- 
sède, d'après  le  volume  fémoral,  des  renseignements  sur  la 
masse  squelettique. 

La  race  de  Trinil,  autant  que  l'on  en  peut  juger  d'après  un 
seul  individu,  différait  moins  de  la  race  du  Néanderthal  et  de 
Spy  que  des  anthropoïdes  sous  le  rapport  du  développement 
cérébral,  mais  elle  en  différait  cependant  beaucoup;  plus  que 
la  race  de  Spy  ne  diffère  des  races  actuelles  européennes. 

Visière  frontale.  —  Malgré  sa  faible  capacité,  le  crâne  de 
Trinil  dépasse,  par  sa  formation  exocrânienne  sus-orbitaire 
ou   pré-cérébrale,  le  Néanderthal  lui-même. 

Comparons,  sous  ce  rapport,  ces  deux  crânes  entre  eux  et 
à  quelques  autres  crânes  à  capacité  relative  certainement 
très  faible.  Le  chimpanzé  (mâle)  approchait  déjà  de  l'âge 
adulte;  ses  canines  sont  .à  moitié  sorties.  La  crête  sus-orbi- 
taire est  déjà  très  proéminente.  Le  crâne  microcéphale  est 
celui  de  Margaretha  Moehler  (Vogt)  (fig.  11). 

1°  Saillie  mix.  anléro-postérieure  V  de  la  visière  frontale  com- 
parée au  diamètre  ant.-post.  max.  du  crâne.  D.  A.  p.  =  iOO. 


D.  A.  p         lu  lice 


Néanderthal 

Chimpanzé  adolescent. 

Crâne  de  Trinil 

Microcéphale  M. M 

Gorille  adulte 


30""" 

204""" 

14,  G 

23 

140 

18.4 

30 

180 

10.0 

20 

128 

20.3 

40 

170 

23.5 

L.  MANOUYRIER.   —  DEUXIEME  ETUDE  SUR  LE  PITIIECAiNTUROI'US       .j87 

On  voit  que.  la  saillie  sus-orbitaire  est  relativement  plus 
grande  sur  le  crâne  de  Trinil  que  sur  celui  du  Néanderthal. 
Sous  ce  rapport,  le  crâne  de  Trinil  atteint  à  peu  près  le  niveau 
d'un  chimpanzé  dont  les  canines  sont  sur  le  point  de  sortir. 
.Mais  il  est  dépassé  par  un  microcéphale  exceptionnel  cl  plus 
encore  par  le  gorille. 

2°  Saillie  latérale  Je  la  visière  frontale. 

Examinons  maintenant  la  saillie  latérale  de  la  visière 
frontale  par  rapport  à  la  largeur  frontale  rétro-orbitaire.  On 
exprime  plus  exactement,  par  ce  moyen,  le  développement 
absolu  de  la  saillie  sus-orbitaire  en  même  temps  que  son 
développement  relatif  par  rapport  à  la  région  antérieure 
du  crâne  cérébral  ainsi  que  la  profondeur  de  la  partie  antéro- 
supérieure  de  la  fosse  temporale.  Ce  dernier  caractère  fournit 
une  bonne  indication  sur  le  volume  des  maxillaires  et  des 
dents  dout  nous  aurons  à  nous  occuper  plus  loin. 

La  série  ci-dessous  comprend  des  crânes  provenant  d'indi- 
vidus bien  caractérisés  sous  le  rapport  du  volume  relatif  de 
l'encéphale.  Le  Français  supérieur  n'est  autre  que  Bertillon 
père,  dont  la  taille  était  petite  et  le  cerveau  volumineux.  Le 
crâne  français  inférieur  provient  des  Catacombes;  il  cube 
1  ,«i60  ce.  (200  au-dessous  de  la  moyenne),  mais  sa  forme 
indique  la  microcéphalie  relativement  à  la  taille,  et  sa  région 
frontale  est  d'une  étroitesse  extrême.  Le  crâne  français 
féminin  est,  au  contraire,  bien  développé. 

Le  crâne  du  Turkestan  provient  certainement  d'un  colosse 
à  capacité  crânienne  ordinaire.  Sa  surface  d'insertion  tempo- 
rale est  extraordinaire  (fig.  8). 

Le  Néanderthaloïde  français  est  remarquable  par  l'impor- 
tance des  formations  exocrâniennes.  Les  deux  crânes  néo- 
calédoniens  ont  une  forme  très  bestiale. 

Le  crâne  de  chimpanzé  très  jeune  est  celui  dont  le  profil  est 
figuré  plus  loin  (fig.  10). 


588  SÉANCE  DU  47  OCTOBRE  4895 

Largeur  frontale  rétro-orbitaire  F  comparée  à  la  largeur  max'una 
l  V  de  la  visière  sus-orbitaire  =?  100. 

F.  V  Indice 

Femme  française 0*>  07  07. 9 

Français  sup.  (A.  B.) 08  101  97.0 

Chimpanzé  très  jeune 77  84  91. G 

Néanderlhal 110  124  88.7 

Français  néanderlhaloïde 08  112  87.4 

Français  inf 89  102  87.2 

'  fi  il 

Néo-calédonien  (Vanikoro) 80  105  84  7 

Crâne  de  Trinil 88  105  83.8 

Néo-calédonien  (Ile  des  Pins) 95  115  82. G 

Crâne  du  Turkestan 101  124  81.4 

Microcéphale 77                94.5  81.4 

Microcéphale  M.  M 75               93  80. G 

Chimpanzé  adolescent 71               09  71.7 

Gorille  adulte 73  121  GO. 3 

On  voit  que,  sous  ce  rapport,  le  crâne  de  Trinil  est  inférieur 
encore  au  Néanderlhal  et  se  rapproche  heaucoup  des  crânes 
humains  appartenant  à  des  individus  dont  l'encéphale  était 
liés  petit  relativement  à  la  taille,  et  la  face  très  développée 
relativement  au  crâne.  L'homme  de  Trinil,  et  très  probable- 
ment  sa  race,  présentait  donc  ce  double  caractère.  Cela,  joint 
à  la  forme  simienne  de  la  voûte  du  crâne,  autorise  a  affirmer 
qu'il  n'y  a  aucun  défaut  appréciable  de  corrélation  anatomi- 
que  entre  le  crâne,  le  fémur  et  les  dents  fossiles  de  Trinil. 

Mais,  d'après  l'ordre  des  indices  ci-dessus,  il  semblerait  que 
li>  crâne  de  Trinil  soit  supérieur,  sous  le- rapport  envisagé, 
aux  deux  crânes  humains  qui  viennent  après  lui.  Cela  résulte 
simplement  de  l'insuffisance  des  dimensions  comparées  êatoe 
elles  pour  évaluer  le  caractère  étudié.  Il  faudrait  pouvoir 
tenir  compte  en  même  temps  de  la  largeur  transversale  de  la 
visière  et  de  sa  proéminence  en  avant  du  diamètre  crânien 
pour  rendre  le  crâne  de  Trinil  exactement  comparable  aux 
crânes  néo-calédoniens  confrontés  avec  lui.  L'angle  formé 
par  le  bord  postérieur  de  la  visière  frontale  avec  la  paroi 


L.  MANOLVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      589 

latérale  du  -crâne  est  beaucoup  plus  ouvert  sur  le  crâne  de 
Trinil  que  sur  ces  deux  crânes  océaniens,  et  plus  ouvert  même 
que  sur  les  crânes  humains  inférieurs  compris  dans  la  série 
ci-dessus,  de  sorte  qu'en  tenant  compte  de  ce  fait  on  éloigne- 
rait un  peu  plus  le  crâne  de  Trinil  de  celui  du  Néanderthal, 
et  il  se  trouverait  placé  très  près  du  chimpanzé  adolescent. 

Pour  la  même  raison,  les  indices  des  deux  crânes  microcé- 
phales seraient  notablement  abaissés.  Les  chiffres  ci-dessus 
n'en  montrent  pas  moins,  quoique  avec  une  certaine  atténua- 
tion, une  infériorité  importante  du  crâne  de  Trinil  par  rap- 
port au  crâne  du  Néandertbal. 

L'angle  dont  je  viens  de  parler  ci-dessus  est  à  considérer 
séparément,  car  sa  grandeur  constitue  l'un  des  caractères 
simiens  les  plus  remarquables  du  crâne  de  Trinil.  Cet  angle, 
(T  et  V,  iig.  4)  formé  par  la  paroi  externe  de  l'os  frontal  et 
l'apophyse  orbitaire  externe  est  presque  aussi  obtus  que  chez 
les  chimpanzés  et  les  gorilles;  il  en  résulte  que  le  bord  ex- 
terne de  l'ouverture  orbitaire  se  trouve  porté  très  en  avant  de 
la  limite  antérieure  du  cerveau. 

Largeur  frontale.  —  L'indice  frontal  de  Broca  (rapport 
du  diamètre  frontal  minimum  au  transverse  max.  =  400)  est 
bas  sut  le  crâne  de  Trinil  ((H. G)  et  très  inférieur  à  celui  du 
Néanderthal  (73.8)  parce  que  ce  dernier  crAne  n'est  nulle- 
ment inférieur  sous  le  rapport  de  la  largeur  frontale. 

Son  diamètre  frontal  minimum  mesuré  sur  les  crêtes  fc  101) 
d'après  un  moulage.  Il  dépasse  donc  très  notablement  la 
moyenne  des  Européens  modernes  et  c'est  à  cause  de  cette 
grande  largeur  frontale  que  son  indice  frontal  est  très  élevé, 
car  le  diamètre  transverse  maximum  =  450  mm.  est  très 
satisfaisant  pour  un  crâne  aussi  dolichocéphale.  L'indice 
frontal  du  crâne  de  Trinil,  au  contraire,  est  bas,  et  c'est  bien 
à  cause  de  son  étroitesse  frontale  (85  mm.). 

On  peut  trouver  assez  facilement  dans  toutes  les  races 
humaines,  quoique  exceptionnellement,  une  largeur  frontale 
moindre,  mais  ce  n'est  certes  pas  un  caractère  avantageux. 
Un  doit   reci.nnailre  que,  sous  ce  rapport,  le  crâne  du  Van- 


$90  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE   1895 

derthal  présente  une  compensation  importante  a  l'infériorité 
de  ses  autres  dimensions  frontales,  à  tel  point  qu'en  somme, 
on  n'est  pas  en  droit  de  placer  ce  crâne,  sous  ce  rapport,  au- 
dessous  de  la  moyenne  des  races  sauvages  actuelles,  tandis 
(|ue  le  crâne  de  Trinil  atteint  et  franchit  même,  dans  son 
ensemble,  la  limite  inférieure  de  l'écart  normal  dans  les  plus 
inférieures  des  races  humaines  connues.  On  peut  dire  que 
c'est  un  crâne  humain  limite,  et  s'il  importe  que  l'on  en 
puisse  trouver  ou  non  de  pareils  dans  les  races  actuelles, 
c'est  au  point  de  vue  du  raccordement  de  la  portion  la  plus 
basse  de  l'espèce  humaine  telle  que  nous  la  connaissons  à 
la  race  pleistocène  représentée  par  le  crâne  de  Trinil. 

La  forme  générale  de  ce  crâne  et  la  proéminence  extrême 
de  sa  visière  frontale  ne  sont  pas  les  seuls  caractères  crâniens 
en  rapport  avec  le  faible  développement  relatif  de  l'encé- 
phale. Il  faut  y  joindre  la  grande  largeur  de  la  crête  occipi- 
tale et  le  caractère  suivant  : 

Crête  métopiqae.  — Je  nomme  ainsi  la  saillie  médio-frontale, 
très  prononcée,  qui  atteint  son  maximum  d'épaisseur  à  la 
région  du  bregma  et  reproduit,  en  ce  point,  la  forme  de  la 
frontanellebregmatique.  Cette  saillie  représente  le  cas  opposé 
h  celui  où  l'ossification  crânienne  est  impuissante  à  recou- 
vrir le  cerveau  lorsque  la  croissance  de  celui-ci  est  trop  rapi- 
de 2.  L'existence  même  des  fontanelles  normales,  ainsi  que 
leur  longue  persistance  et  celle  de  la  suture  métopique,  ré- 
sultent d'ailleurs  de  l'insuffisance  relative  momentanée  de 
l'ossification  crânienne.  Sur  le  crâne  de  Trinil,  au  contraire, 
c'est  le  développement  osseux  qui  a  été  surabondant,  au 
moins  pour  la  région  frontale. 

La  crête  métopique  ne  se  rencontre,  je  crois,  que  chez  des 
individus  dont  la  masse  squelettique  est  très  développée 
relativement  a  l'encéphale.  Elle  me  parait  résulter  d'un  excès 
d'ossification  par  rapport  à  la  surface  à  recouvrir.  Mais  cet 

1  Mém.  sur  le  développ.  quantil.  comparé  de  l'encéphale  et  de 
diverses  parties  du  squelette.  (Bull.de  la  Soc.  Zool.  de  Franc}  188L. 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PlTHECANTIIROl'US      ij'Jl 

excès  se  traduit;  normalement,  par  une  plus  grande  épaisseur 
des  os  du  crâne,  épaisseur  assez  uniformément  répartie  pour 
qu'aucune  crête  du  genre  de  celle  qui  nous  occupe  ne  se  pro- 
duise. Une  telle  crête  pourrait  donc  indiquer  une  soudure 
précoce  de  la  suture  métopique,  c'est-à-dire  une  synostose 
réalisée  avant  l'achèvement  de  la  croissance  des  os  du  crâne 
en  épaisseur. 

Cela  autorise  à  soupçonner  que  le  crâne  de  Trinil  était  in- 
férieur à  la  moyenne  de  sa  race  quant  au  développement 
frontal.  En  ce  cas,  il  y  aurait  lieu  de  s'attendre  à  ce  que  de 
nouvelles  recherches  à  Java  amènent  au  jour  des  spécimens 
un  peu  plus  rapprochés  de  la  forme  humaine  et  facilitent 
ainsi  le  raccordement  de  la  race  fossile  de  Trinil  avec  l'espèce 
humaine.  Gela  n'empêcherait  pas  la  race  pléistocène  d'être 
assez  inférieure  pour  constituer  un  nouvel  anneau  de  la  chaîne 
qui  doit  unir  notre  espèce  aux  anthropoïdes. 

J'ai  trouvé  une  crête  métopique  absolument  analogue  sur 
un  crâne  parisien  provenant  des  catacombes,  crâne  masculin 
qui  paraît  provenir  d'un  individu  assez  vigoureux  mais  à 
faible  capacité  (1360  ce).  Le  diamètre  frontal  minimum 
(83.5)  de  ce  crâne  est  exceptionnellement  réduit  par  rapport 
à  la  moyenne  des  Parisiens  (100),  en  même  temps  que  par  rap- 
port au  diamètre  transverse  maximum  du  même  crâne  (143). 

Sur  ce  crâne,  très  inférieur  à  la  moyenne  par  l'insuffisance 
de  son  développement  frontal  dans  tous  les  sens,  la  crête  méto- 
pique ne  se  prolonge  pas,  cependant,  de  façon  à  occuper  tout 
l'emplacement  de  la  fontanelle  bregmatique.  Sur  le  crâne  de 
Trinil,  au  contraire,  la  crête  métopique  dessine  cette  fonta- 
nelle et  montre  ainsi  qu'elle  était  assez  étendue,  contraire- 
ment à  ce  qui  a  lieu  chez  les  microcéphales  et  même  chez  des 
nouveau-nés  dont  le  développement  encéphalique  est  sim- 
plement médiocre.  Ainsi,  l'homme  de  Trinil  possédait,  à  sa 
naissance,  un  développement  encéphalique  normal.  A  sup- 
poser que  le  développement  ultérieur  ait  été  inférieur  à  la 
moyenne  de  sa  race,  l'arrêt  se  serait  produit  vers  l'époque  de 
la  synostose  de  la  suture  métopique,  ôe  qui  aurait  pu  suffire 


592  séance  du  17  octokhe  1895 

pour  déterminer  une  submicrocéphalie  frontale  plus  ou  moins 
accentuée  par  rapport  au  type  ethnique. 

Je,  crois  devoir  mentionner  ce  soupçon;  je  ne  m*y  arrèic 
point  pourtant,  parce  que  j'ai  trouvé  quelques  crânes  de 
nègres  sur  lesquels  la  crête  métopique  existe  sans  que  la 
largeur  frontale  soit  inférieure  a  la  moyenne  ethnique. 

Il  n'a  été  question,  plus  haut,  que  de  l'étroitesse  antérieure 
du  front,  caractère  important  parce  qu'il  rappelle  la  forme 
des  anthropoïdes.  Ordinairement,  les  crânes  humains  les 
plus  étroits  présentent,  en  arrière  de  la  paroi  orbitaire 
externe,  un  renflement  plus  ou  moins  prononcé,  principale- 
ment lorsqu'ils  sont  brachycéphales.  Sur  le  crâne  de  Trinil, 
ce  renflement  fait  défaut,  comme  l'ont  remarqué  Dubois  et 
Virchow.  C'est  la  un  caractère  simien  qui  n'est  pas  nécessai- 
rement lié  à  l'exiguïté  (Ju  diamètre  frontal  minimum,  comme 
le  montre  la  superposition  des  contours  du  crâne  de  Trinil, 
d'un  crâne  de  Vanicoro  (Nouvelle-Calédonie)  remarquable  liai- 
son étroitesse  et  du  crâne  parisien  à  crête  métopique.  Ce  der- 
nier est  brachycéphale  ;  sa  largeur  pariétale  dépasse  celle  du 
crâne  de  Trinil,  ce  qui  n'a  pas  empêché  la  paroi  latérale  du 
frontal  de  se  renfler  pour  son  propre  compte  (fig.  4).  La  fai- 
ble hauteur  des  lobes  frontaux  de  l'homme  de  Trinil  n'était 
donc  point  compensée,  comme  chez  l'homme  duNéanderthal. 
par  un  excès  de  largeur;  ils  étaient  réduits,  dans  tons  les 
sens,  à  un  degré  qui.  dans  les  races  humaines  actuelles,  ne 
s'observe  qu'en  cas  d'arrêt  de  développement  pathologique. 

La  figure  i  fait  aussi  ressortir  un  trait  assez  singulier  du 
crâne  de  Trinil,  à  savoir  la  proéminence  des  portions  latérales 
de  la  formation  sus-orbilaire  par  rapport  à  la  portion  mé- 
diane. Ce  caractère  a  été,  je  crois,  signalé  par  Ml  Dubois, 
dans  son  mémoire,  et  parait  devoir  être  surtout  utilisable  au 
point  de  vue  de  la  recherche  de  la  souche  anthropoïde  a  la- 
quelle se  rattache  la  race  de  Trinil. 

La  figure  -4  fait  encore  ressortir,  par  contraste,  la  plagiocé- 
phalie  du  cranc  de  Trinil.  Ce  caractère  paraît  être  beaucoup 
plus  fréquent  dans  l'espèce  humaine  que  chez   les  anthrr- 


L.  MAXÙUVIUEIl.  — DEUXIÈME  ÉTUDE  SLR  LE  PITIIK'IAM  HROPUS      593 

poïdes,  mais  il  ne.  me  paraît  pas  avoir  une  fréquence  supé- 
rieure chez  les  microcéphales.  On  sait  qu'il  peut  exister  sur 
des  crânes  très  hien  développés.  Il  ne  peut  guère  servir,  par 
conséquent,   a   renforcer   la   probabilité  de  l'hypothèse  plus 


•  tf'itfoi- 


Fi",  4.  Contours  superposés  d'un  crâne  de  Vanikoro,  d'un  crâne  fran- 
çais  également  remarquable  par  sa  faible  largeur  frontale  et  du  crâne 
ileTrinil.  —  Réduction  à  1/3. 


haut  émise  d'une  infériorité  du  crâne  de  Trinil  par  rapport  à 
la  moyenne  de  sa  race. 

Essai  de  reconstitution  graphique.  —  Pour  apprécier  convena- 
blement la  forme  du  crAne  de  Trinil,  on  est  obligé  d'orienter 
la  voûte  et  de  compléter  imaginalivement  celle-ci.  (l'est  là. 
déjà,  un  essai  de  reconstitution,  mais  il  aboutit  à  la  formation 
d'une  image  plus  ou  moins  vague  et  flottante,  qu'il  est  cer- 
tainement avantageux  de  fixer  graphiquement  pour  augmen- 
ter la  netteté  des  comparaisons.  Il  m'a  paru  possible  d'établir 
la  situation  des  divers  [points  singuliers   manquants,  d'âpre 


594 


SÉANCE  DU    17  OCTOBRE  1893 


les  indications  existantes  et  dfaprès  diverses  corrélations  per- 
mettant de  contrôler  les  résultats  les  uns  par  les  autres.  La 
figure  que  j'ai  obtenue  et  que  j'ai  d'abefrd  tracée  très  laborieu- 
sement, pour  mon  édification  personnelle,  m'a  paru  être  assez 
approximativement  exacte  pour  faciliter  les  appréciations 
morphologiques.  Les  inexactitudes  commises  ne  peuvent  pas 
être  assez  grandes  pour  fausser  gravement  la  physionomie 
de  cette  figure. 

Il  ne  s'agit  donc  pas  d'une  pure  fantaisie  ou  d'une  simple 
traduction  graphique  d'idées  préconçues.  Cet  essai  est  basé, 
quant  aux  lignes  et  proportions  importantes,  sur  des  corré- 
lations rééliéo  et  sur  l'hypothèse  très  probable  que  la   calotte 


Fig.  .'j.  Essai  do  reconstitution  du  crâne  du  Pitbecanlliropus.  —  A. 
Centre  du  méat  aulitif.  A',  A",  A'".  Autres  positions  essayées  de  ce 
rentre.  —  G.  Crète  occipitale.  —  pt,  crèle  pariétale  inférieure  ou  teni- 
poro-occipitale.  —  h,  bregma.  —  \,  lambda.  —  o.  opistliion.—  B  basion. 
Héductijn  à  2  'i. 


crânienne,    les  deux   dents   èl   le   fémur   proviennent    d'un 
même  individu 

Voici  d'ailleurs  les  données  justificatives  qui,  indépendam- 
ment d'un  certain    nombre    de    comparaisons    avec    divers 


L.   MANOUVRIÉR.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUB  LE  PÏTHECANTHBOPUS      595 


erànes  d'hommes  et  d'anthropoïdes,  ont  servi   à  déterminer 
etiàqûé  point. 


Fig.  G.  Essai  en  prenant  pour  centre  le  point  A'  (abandonné)  de  la 


fig.  5. 


Fig.  7.  Essai  en  prenant  pour  centre  un  point  situé  1  cm.  ;'i  au-des- 
sus du  point  A'  <lc  la  fig.  D  et  situé  certainement  trop  haut. 


598  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1893 

Crèle  temporo- occipitale.  — L'un  des  caractères  du  c;il varia 
de  Trinil  qui  m'ont  le  plus  éclairé  dans  ce  travail,  c'est 
celui  sur  lequel  j'ai  attiré  l'attention  dans  mon  précédent 
mémoire;  la  crête  presque  horizontale,  qui  est  très  bien 
conservée  sur  le  pariétal  droit,  et  qui  est  très  certainement 
la  limite  inférieure  et  postérieure  de  la  surface  d'insertion  du 
muscle  temporal.  Comme  je  l'ai  fait  remarquer,  cette  saillie, 
contrairement  à  ce  qui  a  lieu  presque  toujours  dans  l'espèce 
humaine,  n'est  pas  située  sur  un  plan  plus  élevé  que  la  crèle 
occipitale  et  semble  être  un  prolongement  de  celle-ci.  Elle  es! 
surmontée  d'une  légère  dépression  très  visible,  dont  la  direc- 
tion devient  légèrement  oblique  en  arrière,  où  l'on  voit  la 
saillie  en  question,  à  son  point  de  jonction  avec  la  crête  oc- 
cipitale, se  continuer  avec  la  portion  la  plus  reculée  de  la 
ligne  courbe  temporale.  Cette  crête  n'est  autre  que  la  crête! 
temporale  sus-matoïdienne  prolongée  jusqu'à  la  rencontre  de 
la  crête  occipitale.  Ce  prolongement  existe,  du  reste,  norma- 
lement sur  tous  les  crânes  humains  dont  la  fosse  temporale 
est  bien  marquée,  mais  seulement  à  l'état  de  ligne  à  peine 
visible,  donnant  insertion  à  l'aponévrose  temporale  et  se  rele- 
vant pour  former  la  ligne  courbe  temporale  postérieure.  Mais 
il  reste  d'ordinaire  un  espace  libre,  plus  ou  moins  large,  entre 
la  crête  pariétale  inférieure  et  postérieure  pi  (fig.o)  et  la  crête 
occipitale,  soit  parce  que  celle-ci  est  située  sur  un  plan  plus 
bas,  soit  parce  que  celle-là  ne  s'avance  pas  assez  loin  en  ar- 
rière. 

Pour  que  soit  réalisé  le  caractère  décrit  sur  la  calolle  de 
Trinil,  il  faut  un  développement  exceptionnel  du  muscle  tem- 
poral et  des  muscles  de  la  nuque,  relativement  au  volume  du 
crâne.  J'ajoute  que  ce  caractère  a  d'autant  plus  de  chances 
de  se  former,  à  développement  musculaire  égal,  que  le  crâne 
est  plus  bas  et  le  front  plus  fuyant,  parce  qu'alors  le  muscle 
temporal  et  son  aponévrose  cherchent  en  bas  et  en  arrière 
la  place  qui  leur  manque  en  haut  et  en  avant. 

Sur  le  crAne  de  Trinil,  les  limites  de  la  surface  d'insertion 
du  muscle  temporal  sont  suffisamment  visibles  dans  toute 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHEGANTHROPUS      597 

leur  étendue.  Elles,  sont  encore  plus  visibles  sur  un  moulage 
en  platine  donné  par  M.  Dubois  à  la  Société  d'Anthropologie, 
et  dont  tous  les  reliefs,  invisibles  sur  l'original,  se  sont  des- 
sinés de  mieux  en  mieux,  à  mesure  que  la  poussière  et  les 
frottements  subis  pendant  trois  mois  d'étude  en  ont  sali 
davantage  les  plus  fines  aspérités.  Seulement,  l'on  ne  dis- 
tingue pas  l'une  de  l'autre  les  deux  lignes  courbes  temporales. 
Il  est  plus  que  probable  que  c'est  seulement  l'inférieure  qui  est 
restée  visible.  En  son  point  le  plus  rapproché  de  la  ligne 
médiane  elle  en  est  distante  de  37  mm.  Il  n'est  pas  rare  de 
rencontrer  dans  les  races  nègres  des  distances  plus  faibles. 

D'ailleurs,  malgré  son  prolongement  postérieur  poussé 
très  loin  ,  la  surface  d'insertion  du  muscle  temporal  n'est 
grande,  sur  le  crâne  de  Trinil,  que  relativement  au  calva- 
ria.  Absolument,  elle  est  beaucoup  moins  grande  que  sur 
de  nombreux  crânes  humains,  et  il  y  aura  lieu  de  revenir 
plus  loin  sur  ce  fait,  à  propos  des  maxillaires. 

Le  point  qu'il  importe  de  fixer  ici,  c'est  la  continuité  de  la 
crête  occipitale  et  de  la  crête  pariétale  inférieure  dont  il  a  été 
question  plus  haut.  J'ai  sous  les  yeux  un  crâne  du  Turkestan, 
extrêmement  remarquable  par  l'énorme  développement  de  la 
fosse  temporale,  qui  présente  une  crête  pariétale  exactement 
semblable  et  aussi  en  continuité  avec  la  crête  occipitale.  La 
similitude  est  tellement  frappante  qu'elle  ne  peut  laisser 
aucun  doute.  Sur  ce  crâne  du  Turkestan,  la  crête  sus-mas- 
toïdienne temporale  coexiste  avec  la  crête  pt  sans  se  confondre 
avec  elle  (fi  g.  8). 

Dans  mon  précédent  mémoire,  j'avais  signalé  la  continuité 
de  la  crête  pariétale  dont  je  viens  de  parler,  et  de  la  crête 
occipitale  comme  un  caractère  non  humain,  parce  que  j'avais 
naturellement  cherché  ce  caractère  dans  les  races  nègres 
d'Afrique  et  d'Océanie  et  que  je  n'avais  pu  l'y  rencontrer.  Le 
souvenir  m'est  ensuite  venu  du  Turkestan,  ici  représenté,  qui 
est  peut-être  le  seul  crâne  humain  sur  lequel  on  puisse  obser- 
ver les  crêtes  sagittale  et  occipitale  du  gorille,  parfaitement 
dessinées!, 


598  SÉANCE  DU   17  0CT01IRE  1895 

Ce  crâne,  qui  mériterait  une  description  spéciale,  aide 
beaucoup  à  comprendre  l'important  caractère  relevé  sur  le 
crâne  de  ïrinil.  Comme  ce  dernier,  il  présente  sur  une  même 
ligne,  la  crête  occipitale  G,  la  dépression  surmontant  la  crête 
pariétale  pt,  et  le  bord  orbitaire  supérieur.  Sa  protubérance 
occipitale  externe  est  remontée  au-dessus  de  l'inion,  poinl 
correspondant  à  la  protubérance  interne  qui  marque  la  limite 
inférieure  du   cerveau. 

Sur  le  crâne  du  Turkestan,  l'inion  est  situé  à  2  cm.  au-des- 
sous de  la  protubérance  occipitale  externe.  11  n'en  était  pas 
de  même  chez  l'individu  de  Trinil  bien  que  son  cerveau  dé- 
passât de  beaucoup,  en  arrière,  le  cervelet.  C'est  un  caractère 
humain  que  possèdent,  à  un  degré  moindre,  les  anthropoïdes; 

Chez  ces  animaux,  la  situation  élevée  de  la  crête  occipitale 
externe,  par  rapport  à  l'inion,  est  un  fait  régulier,  à  cause 
du  grand  développement  des  muscles  de  la  nuque  relative- 
ment au  volume  du  crâne  et  à  cause  de  la  situation  reculée 
du  trou  occipital.  Dans  l'espèce  humaine,  ce  fait  n'est  pas 
très  rare,  même  dans  les  races  européennes;  mais  il  est 
beaucoup  moins  rare  de  trouver  l'inion  au-dessus  de  la  pro- 
tubérance occipitale  externe.  On  sait,  [qu'en  général,  celle 
protubérance  correspond  sensiblement  à  l'inion. 

Ces  différences  de  situation  de  l'inion  par  rapport  à  la  pro- 
tubérance occipitale  externe  sont  très  importantes  autant  que 
faciles  à  expliquer.  Elles  doivent  être  prises  en  considération, 
notamment  lorsqu'on  superpose  les  courbes  sagittales  de  plu- 
sieurs crânes  dans  le  but  d'apprécier  le  degré  d'affaissement 
de  la  voûte  crânienne.  La  crête  occipitale  externe  appar- 
tient à  l'exocràne,  et  la  forme  générale  qu'il  s'agit  d'appré- 
cier est  essentiellement  une  forme  endocrànienne  commandée 
par  la  forme  de  l'encéphale.  Celle-ci  est  réalisée  indépen- 
damment des  variations  subies  par  la  surface  exocranienne, 
les  aspérités  de  celle-ci  étant  directement  commandées  en 
arrière  par  les  muscles  occipitaux  qui  montent  plus  ou  moins 
haut  suivant  leurs  propres  besoins  et  sans  s'occuper,  pour 
ainsi  dire,  de  la  situation  des  points  singuliers  de  l*endocr;\- 


L.  MANOUVRIER.    —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITIIECANTIIROPUS      .j1»D 

oe.  Il  arrive  donc  que  si  l'on  superpose  plusieurs  lignes  sagit- 
tales sans  connaître  la  situation  véritable  des  inions  et  en 
supposant  que  la  crèle  occipitale  occupe  sur  les  diverses 
courbes  superposées  une  même  situation,  on  pourra  super- 
poser, en  réalité,  des  points  homologues  au  point  de  vue  de 
l'exocràne,  mais  nullement  homologues  au  point  de  vue  de 
l'endocràne. 

Sur  un  crâne  de  gorille  adulte,  la  crête  occipitale  atteint  un 
niveau  bien  plus  voisin  du  lambda,  de  telle  sorte  que  la  direc- 
tion de  la  crête  temporo-occipitale  devient  oblique  de  haut 
en  bas  et  d'arrière  en  avant. 

Cette  obliquité  existe  normalement  chez  l'homme,  mais 
avec  cette  différence,  considérable  :  que,  chez  les  singes,  il  y 
a  continuité  entre  la  crête  occipitale  et  la  crête  temporo-parié- 
tale.  Cette  continuité  existe  sur  le  crâne  de  Trinil,  mais  la 
direction  des  crêtes  est  ici  horizontale  et  non  pas  oblique. 
Enfin,  chez  l'homme,  la  crête  C  descendant  au  niveau  de 
l'inion,  la  crête  tp  reste  isolée  à  un  niveau  supérieur. 

Sous  ce  rapport,  le  crâne  de  Trinil  est  donc  manifestement 
intermédiaire  entre  la  forme  humaine  normale  et  la  formé 
simienne. 

Orientation.  —  Pour  obtenir  l'orientation,  il  faut  que  la  ca- 
lotte, étant  posée  sur  un  plan  horizontal,  son  bord  orbitaire 
supérieur  soit  relevé  jusqu'à  ce  que  l'on  obtienne  entre  lui 
et  le  plan  horizontal  une  distance  suffisante  pour  compren- 
dre la  hauteur  de  la  face.  Afin  de  ne  pas  abandonner  sans 
nécessité  absolue,  dans  cette  opération  délicate,  la  morpholo- 
gie humaine,  j'ai  pris  le  parti  d'inscrire  la  calotte  de  Trinil 
dans  une  calotte  humaine  à  face  très  développée,  à  front 
fuyant,  à  glabelle  très  proéminente,  à  crête  occipitale  située 
au-dessus  de  l'inion  et  se  continuant  avec  la  crête  temporo- 
pariétale.  Ce  crâne  n'est  autre  que  celui  du  Turkestan  ici  re- 
présenté (fig.  8).  La  superposition  des  deux  crânes  a  été  faite 
suivant  la  ligne  qui  joint  l'inion  au  bord  orbitaire  supérieur, 
c'est-à-dire  à  peu  près  suivant  le  plan  inférieur  du  cerveau. 

On  peut  voir  sur  la  ligure  8  que  l'orientation  ainsi  obte- 


GOO 


SÉANCE  DU  17  OCTOBRE    1895 


nue  pour  la  calotte  de  Trinil  est  très  satisfaisante  si  l'on 
considère  soit  les  diverses  portions  de  la  courbe  sagittale,  soit 
la  direction  de  la  visière  frontale,  soit  celle  du  bord  orbitaire 
supérieur.  Si  Ton  veut  essayer  de  placer  la  calotte  de  Trinil 
dans  une  autre  position,  on  se  heurte,  au  contraire,  à  des 
difficultés  diverses.  Si  l'on  relève,  par  exemple,  l'occiput,  on 
rendra  la  courbe  frontale  moins  fuyante,  mais  alors  toute  la 
région  postérieure  du  crâne  prendra  une  orientation  simiesque, 
Veut-on  abaisser  davantage  l'occiput?  alors  la  courbe  frontale 


H' 


Fig.  8.  Profil  d'un  crâne  du  Turkestau  de  forme  bestiale  dans  lequel 
est  inscrit  en  pointillé  le  profil  de  Trinil  il'.  La  région  sincipitale  pré- 
sente une  mutilation  par  coup  de  satire.  —  Plan  alvéolo-  condylien. 
—  Dessin  fait  avec  le  stèréographe  de  Broca.  —  Réduction  à  1/4. 


devient  tout  à  fait  horizontale,  la  projection  du  bord  orbi- 
taire supérieur  tend  à  devenir  verticale  et  le  prognathisme 
s'exagère.  Il  est  intéressant  de  voir  qu'en  donnant  à  chaque 
partie  du  crâne  à  reconstituer  une  position  et  des  dimensions 
commandées  par  les  corrélations  connues,  sans  s'occuper  du 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      GO  1 

résultat,  comme'je  l'ai  fait,  on  arrive  à  ceci  :  que  toutes 
les  parties  se  raccordent  aisément  les  unes  aux  autres  et  que 
la  direction  donnée  à  la  calotte  crânienne  ne  peut  être  rendue 
plus  humaine  en  avant  sans  devenir  plus  simienne  en  arrière 
cl  vice  versa. 

Avec  l'orientation  donnée,  le  plan  alvéolo-condylien  peut 
être  sensiblemeut  horizontal  comme  celui  d'un  crâne  humain  ; 
l'arcade  zygomatique  est  également  horizontale  comme  dans 
l'espèce  humaine,  la  direction  des  orbites  répond  assez  à  l'ho- 
rizontalité du  regard;  l'apophyse  orbitaire  de  l'os  jugal  est 
à  peu  près  perpendiculaire  à  l'apophyse  zygomatique  comme 
chez  l'homme  ;  la  direction  du  trou  occipital  est  humaine, 
la  région  cérébelleuse  descend  plus  bas  que  ce  trou  comme 
chez  l'homme.  Et  malgré  tout,  la  figure  obtenue  n'a  pas  l'appa- 
rence humaine. 

Mais  continuons  la  justification  de  cette  figure. 

Bregma  opisthion  et  basion.  —  Le  bregma  est  parfaitement 
visible  sur  le  crâne. 

La  position  de  l'opisthion  (o)  est  donnée  très  approxima- 
tivement par  la  fossette  médiane  occipitale  très  bien  con- 
servée. Cette  fossette,  très  fréquente  dans  l'espèce  humaine 
cl  dans  les  races  européennes,  parfois  aussi  profonde  que  sur 
le  crâne  de  Trinil,  est  toujours  située  immédiatement  en 
arrière  du  trou  occipital  et  en  avant  de  la  crête  occipitale 
inférieure.  Elle  est  ordinairement  divisée  en  deux  parties  par 
Une  petite  crête  médiane,  mais  celle-ci  peut  être  absente  ou 
réduite  à  une  saillie  très  faible  qui,  sur  le  crâne  de  Trinil, 
peut  avoir  été  détruite. 

Le  bord  antérieur  de  cette  fossette  peut  être  distant  de 
Fopistbion  de  quelques  millimètres.  Gomme  il  est  très  pro- 
bable que,  sur  le  crâne  de  Trinil,  le  bord  postérieur  du  trou 
occipital  a  été  usé,  il  est  convenable  d'accepter  ici  une  dis- 
tance de  5  à  G  mm.  pour  l'opisthion  et  d'admettre  une  in- 
certitude égale  pour  la  hauteur  du  point  o,  par  rapport  au 
bord  antérieur  de  la  fossette.  Ce  bord  se  relève  parfois  un 
peu  avant  d'atteindre  le  trou  occipital . 

t.  vi  (4°  slme).  39 


602  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

Comme  nous  n'avons  aucune  donnée  permettant  de  connaî- 
tre la  longueur  du  trou  occipital,  la  position  du  Basion  se 
trouve  déterminée  également  avec  une  erreur  possible  de 
quelques  millimètres  en  admettant  une  longueur  moyenne 
pour  le  trou  occipital. 

Ces  chances  d'erreur  sont  évidemment  insignifiantes 
dans  la  question  dont  il  s'agit,  puisque  notre  but  n'est  pas 
tant  de  reconstituer  des  caractères  individuels  que  de  recons- 
tituer un  type  supposé  spécifique  comportant  des  écarts  pour 
le  moins  égaux  aux  erreurs  possibles  dans  les  déterminations 
ci-dessus.  Sur  des  crânes  humains  égaux  en  volume,  l'opis- 
tbion,  le  basion  et  tous  les  points  singuliers  du  crâne  peuvent 
être  déplacés  de  5  ou  (>  mm.  sans  que  cela  puisse  porter 
une  atteinte  bien  sérieuse  au  type  de  l'espèce  et  même  de  la 
race. 

Méat  auditif.  —  En  latitude,  sa  situation  est  déterminée 
avec  une  très  grande  approximation,  car  il  doit  être  immé- 
diatement au-dessous  de  la  crête  temporo-pariétale,  crête 
parfaitement  dessinée  sur  le  crâne  de  Trinil  et  que  nous  sa- 
vons avoir,  en  raison  de  sa  saillie  très  forte  et  de  sa  conti- 
nuité avec  la  crête  occipitale,  une  direction  à  peu  près  hori- 
zontale S3  continuant  avec  celle  de  l'arcade  zygomatique.  On 
ne  peut  placer  le  méat  auditif  qu'immédiatement  au-dessous 
de  cette  crête,  dans  l'anfractuosité  produite  par  la  cassure  du 
crâne  qui  semble  avoir  précisément  contourné  la  portion  ré- 
sistante constituée  par  le  rocher.  De  même,  la  cassure  du 
crâne  produit,  un  peu  en  arrière  et  au-dessous,  une  autre 
anfractuosité  qui  semble  marquer  l'insertion  de  l'apophyse 
mastoïde. 

On  remarquera  la  concordance  de  ces  diverses  indications 
et  en  même  temps  la  coordination  très  satisfaisante  des  dif- 
férents points  posés  jusqu'ici.  En  plaçant  le  méat  auditif  où  il 
est,  ce  méat  se  trouve  à  une  distance  de  12  à  15  mm.  du  ba- 
sion, distance  parfaitement  vraisemblable  aussi  bien  pour  un 
homme  que  pour  un  anthropoïde. 

Mais  en  a  vu  plus  haut  que  le  basion  pourrait  se  trouver 


L.    MÀNOUVMER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      ()03 

un  peu  plus  en  ayant  ou  plus  en  arrière.  Ici,  l'erreur  possible 
quoique  absolument  faible,  est  loin  d'être  indifférente,  car 
elle  peut  changer  beaucoup  la  direction  de  la  ligne  BA,  qui 
joint  le  basion  au  centre  du  méat  auriculaire.  Or,  cette  ligne 
aboutit  normalement  en  arrière  du  bregma  chez  l'homme 
et  très  en  avant  chez  l'anthropoïde  adulte.  Pour  le  crâne  de 
Trinil  nous  obtenons  une  direction  qui  deviendrait  simienne 
Ou  plus  humaine  si  l'on  déplaçait  de  5  mm.  en  arrière  ou  en 
avant,  soit  le  centre  auditif,  soit  le  basion,  soit  de  3  ou  4  mm. 
en  sens  contraires  l'un  et  l'autre  point.  Ici  la  reconstitution 
est  donc  insuffisante. 

La  longitude  du  méat  auriculaire  est  déterminée  par  la 
nécessité  de  le  placer  en  arrière  de  la  fosse  temporale  et, 
d'autre  part,  assez  en  avant  de  l'opisthion  pour  laisser  une 
place  raisonnable  à  la  base  de  l'apophyse  mastoïde  ;  mais 
la  situation  adoptée  a  été  nécessitée  surtout  par  les  rapports 
des  angles  et  rayons  auriculaires.  De  plus,  en  plaçant  le  méat 
auditif  un  peu  plus  en  avant,  il  serait  situé  en  avant  du 
basion,  même  en  admettant  pour  celui-ci  la  position  la  plus 
avancée  possible.  En  ce  cas,  la  ligne  passant  par  le  basion 
et  par  le  centre  du  méat  auditif  aboutirait  très  en  avant  du 
bregma  et  prendrait  une  direction  simienne.  Mais  cela  consti- 
tuerait une  erreur. 

En  effet,  cette  direction  antéro-postérieure  de  la  ligne  ba- 
sio-auriculaire  résulte  de  la  situation  de  plus  en  plus  reculée 
du  trou  occipital  à  mesure  que  le  singe  s'approche  davantage 
de  l'âge  adulte.  Par  suite  de  l'allongement  de  l'apophyse  ba- 
silaire,  ce  trou  qui  avait,  pendant  le  jeune  âge,  une  situation 
et  une  direction  à  peu  près  humaines,  se  trouve  porté  en  ar- 
rière sans  que  le  méat  auriculaire  soit  déplacé,  et  sa  direc- 
tion devient  oblique  par  suite  d'un  redressement  de  la  région 
postérieure  du  crâne,  dont  j'ai  montré  ailleurs  la  cause  et  le 
mécanisme  l.  Or,  sur  le  crâne  de  Trinil,  la  situation  du  trou 

1  Sur  les  modifie,  du  profil  encéphalique  et  endo-crânien  dans  le 
passage  à  l'état  adulte  chez  les  anthropoïdes.  (Bull.  Soc.  d'Anthr.  de 
Bordeaux,  I.  1884). 


604  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

occipital  n'est  pas  simienne,  elle  est  un  peu  plus  reculée  que 
chez  l'homme,  mais  pas  plus  que  chez  un  anthropoïde.  Il  n'est 
donc  pas  possible  de  placer  le  méat  auriculaire  de  telle  sorte 
que  la  ligne  basio-auriculaire  prendrait  la  direction  frontale 
comme  chez  les  anthropoïdes  adultes.  * 

Il  importe  de  remarquer  que  la  situation  du  méat  auditif 
sur  le  crâne  de  Trinil  n'est  pas  reculée  autant  qu'elle  le  paraît 
au  premier  abord.  Si  l'on  fait  abstraction  de  la  visière 
frontale,  et  si  l'on  tient  compte  de  la  brachycéphalie  du 
crâne  abstraction  faite  de  cette  visière,  on  verra  que  le  point 
auriculaire  est  situé  en  réalité  aussi  en  avant  que  dans  l'es- 
pèce humaine.  Cela  n'empêche  pas  de  considérer  la  forme 
du  crâne  de  Trinil  comme  intermédiaire  entre  la  forme  hu- 
maine et  la  forme  simienne.  C'est  par  l'ensemble  de  ses  ca- 
ractères que  le  crâne  de  Trinil  se  rapproche  de  la  forme  si- 
mienne plus  que  tout  autre  crâne  humain  normal.  Ce  qu'il  pré- 
sente de  plus  simien,  d'après  la  figure  ici  obtenue,  c'est  la 
distance  remarquablement  faible  du  méat  auditif  à  toute  la 
portion  médiane  de  la  voûte  comprise  entre  les  bosses  fron- 
tales et  le  lambda  ainsi  que  la  brièveté  générale  de  la  courbe 
médiane  dont  nous  allons  nous  occuper.  En  dépit  des  carac- 
tères plutôt  humains  attribués  ici  à  la  région  occipitale,  l'as- 
pect bestial  de  ce  crâne  est  rendu  encore  plus  frappant  après 
sa  reconstitution. 

Angles  auriculaires.  —  11  est  intéressant  de  mesurer  ces 
angles  sur  notre  dessin  et  de  les  comparer  à  quelques  moyen- 
nes ainsi  qu'aux  chiffres  du  Néanderthal.  Les  risques  d'er- 
reur ne  sont  pas  assez  grands  pour  enlever  toute  valeur  à  cet 
examen  comparatif,  surtout  en  ce  qui  concerne  les  angles 
frontal  (Boc)  cérébral  total  Boe  et  auriculaire  total  Bof.  Le 
premier  exprime  surtout  l'abaissement  de  la  région  cérébrale 
antérieure  par  rapport  à  la  base  du  cerveau.  Les  deux  der- 
niers expriment  le  développement  de  la  voûte  par  rapport  à 
la  base  du  crâne  en  avant  et  en  arrière.  Ils  dépendent  du 
degré  d'extension  de  la  voûte  en  avant  par  suite  du  dévelop- 
pement frontal  et  de  la  situation  plus  ou  moins  reculée  du 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIEME  ÉTUDE  SUR  LE  PlTHECAiNTHRÛPUS      00.J 

trou  occipital.  La  figure  9  montre  l'effet  produit  par  la  subs- 
titution des  rayons  Ob  et  O/'à  OB  et  OF. 


-4. 

J  ^^\    ^  ^ 

\     I  ^^ T  \_>^ 

Ai---  F 

Fig.  9.  Angles  et  rayons  auriculaires.  Schéma. 

A  nyles  au  >  '  icula  ires . 

BOA   BOC  COD  DOE  EOF  BOh  BOF 

Front  Cérébr.  Total 

2  Chimpanzés..     56°       38°  50°  2o°5  34°5  119.5  154 

7  Microcéph....     52.5    41.2  59.3  36  5  35.7  138.5  174.2 

3  Subm.  (Paris).     53.5    50  61.3  34  33  5  145  178.5 
43  Néo-caléd ....         »       49  63  36  30  148  178 
13  Néol. (France).    49.9    54  59.2  37.1  34.6  151.1  184.2 
40  Parisiens 50.3    54.6  59.7  40.1  30.6  151.4  185 

Cro-Magnon 44        54  59  37  40  150  190 

Néanderlhal 60        50.5  60.5  88  26.5  149  175 

Trinil 49        47  62  33  25  142  167 

Point  A' »         47-5  65.5  35  28  148  175 

Point  A" »         50  62  30.5  23.5  142.5  166 

Point  A'" »         46  63  34  26  143  169 

Fig.",..    »         4*  7"  44  22  162  [84 


liOG  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE   1895 

Je  donne  les  angles  obtenus  avec  les  points  A'  A"  A"! 
comme  centres  pour  faciliter  le  contrôle,  mais  le  point  A  est 
le  seul  avec  lequel  j'aie  pu  obtenir  des  rapports  exempts 
d'impossibilités  ou  de  trop  grosses  invraisemblances.  J'ai 
contrôlé  la  situation  de  ce  point  par  des  essais  nombreux  à 
divers  points  de  vue  et  je  crois  que  l'on  en  trouvera  difficile- 
ment une  meilleure. 

La  signification  des  divers  angles  auriculaires  est  trop 
complexe  pour  que  les  chiffres  qui  précèdent  puissent  être 
comparés  un  à  un  comme  des  échelons  du  progrès  morpholo- 
gique. 

Ce  qui  est  remarquable,  c'est  que  par  les  angles  frontal. 
cérébral  et  cncépbalique  total  le  crâne  de  Trinil  est  très  supé- 
rieur aux  anthropoïdes,  mais  inférieur  aux  nègres  océaniens 
ainsi  qu'au  Néanderthal.  Il  est  supérieur  par  les  angles  fron- 
tal et  pariétal  aux  microcéphales.  Au  contraire,  les  crânes  de 
l'époque  néolithique  ne  se  distinguent  pas  notablement  des 
crânes  parisiens  modernes. 

En  plaçant  le  centre  des  angles  au  point  A'  on  relèverait  le 
crâne  de  Trinil  à  peu  près  au  niveau  des  Néo-Calédoniens, 
mais  alors  on  l'abaisserait  très  au-dessous  des  anthropoïdes 
sous  le  rapport  des  rayons  auriculaires,  comme  on  le  verra 
plus  loin.  Ce  serait  pis  encore  avec  la  figure  7. 

Rayons  auriculaires.  —  Ces  rayons  sont  très  bien  appropriés 
à  la  mesure  des  caractères  les  plus  frappants  du  crâne  de 
Trinil,  à  savoir  l'abaissement  de  l'ensemble  de  l'arc  sagittal, 
notamment  des  portions  frontale  et  pariétale  postérieure 
de  cet  arc.  Ici  l'incertitude  au  sujet  de  la  situation  exacte  de 
divers  points  singuliers  de  la  courbe  sagittale  n'est  pas  assez 
grande  pour  influencer  notablement  les  rapports  obtenus,  car 
il  n'y  a  pas  de  différence  sensible  entre  les  rayons  auriculaires 
aboutissant  à  des  points  de  la  voûte  distants  l'un  de  l'autre 
de  plusieurs  millimètres.  Les  chiffres  ci-dessous  méritent 
donc  une  sérieuse  attention,  d'autant  plus  que  les  rayons 
auriculaires  ont  une  signification  moins  complexe  que  celle 
d  !S  angles.  Aux  rayons  habituellement  mesurés,  j'ai  joint  : 


I.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ETUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS       607 

1°  un  rayon  frontal  aboutissant  à  la  courbure  frontale,  2°  un 
rayon  pariétal  aboutissant  à  la  courbure  pariétale  située  a  la 
région   de  l'obélion,   un   peu  en  avant  des  trous  pariétaux. 
On   peut  lui   donner   le   nom   de  rayon  obélial.  Les  rayons 
auriculaires  mesurent  évidemment  le  développement  encépha- 
lique dans  les  diverses  directions  et  dans  le  plan  médian.  Ils 
présentent,  sur  les  diamètres  antéro-postérieurs,  l'avantage 
d'être  analytiques.  Leur  valeur  absolue  est  déjà  intéressante, 
mais  il  est  beaucoup  plus  instructif  de  les  comparer  tous  à 
l'un  d'eux,  au  rayon  de  l'ophryon.  Celui-ci,  en  effet,  bien 
qu'aboutissant  à  la  région  frontale,  mesure  la  base  du  crâne  à 
peu  près  comme  la  ligne  naso-basilaire,  de  sorte  que  les 
autres  rayons  comparés  à  lui  =  100  mesureront  le  degré  de 
développement  de  l'encéphale  au-dessus  de  cette  base  dont  la 
longueur  est  la  plus  directement  en  rapport  avec  la  taille. 

La  comparaison  des  rayons  auriculaires  au  rayon  de  l'o- 
phryon est  donc  éminemment  propre  à  indiquer  le  dévelop- 
pement relatif  à  l'encéphale  qui,  a  taille  égale,  est  en  relation 
intime  avec  le  développement  intellectuel. 

Ce  moyen  d'investigation,  toutefois,  pourrait  être  perfec- 
tionné, car  le  rayon  auriculaire  de  l'ophryon  est  influencé 
notablement  par  la  longueur  de  la  loge  frontale  du  crâne 
dont  la  signification  est  toute  différente  de  celle  de  la  partie 
de  ce  rayon  située  en  arrière  de  la  gouttière  optique.  D'autre 
part  le  rayon  de  l'ophryon  ne  mesure  pas  la  portion  de  la 
base  de  l'encéphale  située  entre  le  méat  auriculaire  et  l'opis- 
thion.  Il  faudrait  donc  remplacer  ce  rayon  par  une  dimension 
composée   mesurant,  d'une  façon  plus  correcte,  le  dévelop- 
pement de  la  base  du  crâne  en  arrière  de  la  gouttière  optique 
et  en  même  temps  la  largeur  de  cette  base,  puis  comparer 
cette  dimension  composée  à  d'autres  dimensions  composées 
mesurant  le  développement  cérébral  au-dessus  de   la  base 
dans  les  diverses  directions.  Mais  mes  recherches  sur  cette 
question  n'étant  pas  suffisamment  avancées,  je  me  bornerai 
a  la   première  comparaison  indiquée  ci-dessus.   fille  place, 
comme  on  va  le  voir,  le  crâne  du  Pithecanthropus  r  un  rang 


G08  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

extrêmement  inférieur  sans  que  l'on  puisse  attribuer  ce  fait 
aux  causes  d'erreur  mentionnées  plus  haut.  Les  rapports 
calculés  tendent,  en  effet,  à  avantager  les  brachycéphales.  Or, 
les  crânes  crue  nous  allons  comparer  à  celui  du  Pithecanthro- 
pus  sont  tous  plus  dolichocéphales  que  ce  dernier,  à  l'excep- 
tion du  crAne  d'Andaman. 

Le  crâne  de  ïrinil  n'est  dolichocéphale,  en  effet,  que  grâce 
à  sa  visière  frontale,  car  si  l'on  calcule  l'indice  céphalique 
d'après  le  diamètre  antéro-postérieur  métopique  et  non  d'a- 
près le  maximum,  alors  cet  indice  atteint  82,  l'indice  des  Pari- 
siens restant,  en  pareil  cas,  inférieur  à  80. 

Faute  de  temps,  je  n'ai  pu  comparer  un  grand  nombre  de 
crânes  exotiques  à  celui  de  ïrinil.  Mais  ceux  qui  figurent  dans 
le  tableau  ci-dessous  n'ont  pas  été  choisis  suivant  une  idée 
préconçue.  J'ai  simplement  utilisé  les  dessins  stéréographiés 
que  je  possède.  Le  crâne  de  l'île  Engineer  et  le  Néo-Cal.  sont 
ceux  qui  sont  figurés  dans  mon  précédent  mémoire;  l'Austra- 
lien, le  Tasmanien,  l'Andaman  et  le  Fijien  appartiennnent  au 
R.  Coll.  of  surgeons  de  Londres.  J'ai  pris  soin  de  m'assurer, 
d'après  les  albums  et  les  collections,  que  ces  crânes  représen- 
tent normalement  leurs  races  respectives  sous  le  rapport  envi- 
sagé. Tous  les  dessins  utilisés  ici  ont  été  faits^avec  le  stéréo- 
graphe  de  Broca. 

Les  chiffres  concernant  les  Parisiens  sont  empruntés  à  un 
mémoire  sous  presse  du  Dr  Papillault1  qui  a  bien  voulu 
mesurer  pour  moi,  sur  ses  dessins  stéréographiés,  les  rayons 
auriculaires  aboutissant  à  la  courbure  frontale. 

Considérons  d'abord  les  chiffres  absolus  : 

Un  peut  d'abord  remarquer  en  passant  que  le  rayon  alvéo- 
laire dépasse  tous  les  autres,  excepté  chez  les  Parisiens,  et 
que  sous  ce  rapport,  le  crâne  de  Trinil  s'éloignerail  nota- 
blement des  anthropoïdes,  mais  aussi  des  crânes  qui  le  sui- 
vent dans  notre  tableau. 

1  G.  Papillault,  Recherche  sur  la  suture  métopique  et  sur  ses 
rapports  avec  la  morphologie  crânienne.  Sous  presse.  Paris.  Mé- 
moires de  la  Société  d'Anthropologie. 


L.  MANOUVRIBR.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUK  LE  PITHECANTHROPUà       009 

Si  l'on  compare  #u  rayon  de  l'ophryon  013  les  rayons  frontal 
bregmatique,  pré-obélial  et  du  lambda,  on  voit  que,  jusqu'au 
crâne  du  Néanderthal  inclusivement,  les  rayons  auriculaires 
vont  en  décroissant  d'avant  en  arrière  à  partir  de  l'ophryon.  Il 
y  a  une  exception  en  faveur  de  l'un  des 5  microcéphales  Colin, 
chez  lequel  existe  une  déformation  consistant  en  une  verticalité 
remarquable  de  la  région  pariéto-occipitale.  Au  contraire, 
pour  les  crânes  qui  terminent  la  liste,  les  rayons  bregma- 
tique et  obélial  sont  plus  longs  que  celui  de  l'ophryon. 

Rayons  auriculaires.  (Longueur  absolue). 


OA 

OB 

oc 

OD 

OE 

Alv. 

Ophr. 

Front. 

Bregm. 

Obéi. 

Lamb. 

nion 

1  i  >rang .... 

139 

80 

80 

79 

72 

68 

— 

1  Ghîmp. . . . 

121 

80 

79 

77 

72 

64.5 

47 

—    J11C . . . 

126 

84 

83 

74 

68 

62 

49 

—    J"e . 

89 

71 

73 

69 

65 

59 

50 

1  Microcéph. 

88.5 

75 

74 

71 

67 

60 

39? 

—    (Dum). 

97 

78 

79 

78 

10 

65 

50? 

—    (Vicl). 

95.5 

75 

75 

75.5 

73 

61 

52 

—    (Colin) 

96 

85 

88 

93 

ou 

63 

40 

i  A" 

123 

105 

101 

96.5 

86 

85 

75 

Trinil    <  A  ' 
/  A" 

1^5 
H4 

106 
97 

99 
93 

91 
92 

80 
87 

79 
87 

75 
83 

(   A'" 

124. 

107 

100 

95-5 

83 

80 

7i 

Figure  7. 

128 

1 00 

<Ji 

84 

73 

75. 

70 

Néander . .    . 

111 

110 

111.5 

108 

106.5 

100.5 

87 

Engineer 

106 

105 

112 

117.5 

117 

109.5 

75 

113 

110 

116 

123 

123 

101 

77 

Auslr.  (1053). 

108 

98 

103 

109.5 

112 

101 

65 

Tastn.  (1082). 

108.5 

108 

115 

112 

114.5 

106 

70 

And.  (1213).. 

95 

88.5 

100 

111 

115 

101 

61 

Fijien  (1120). 

108.5 

108.5 

122 

124 

124 

108 

— 

Cro-Magnon. 

121 

120 

133 

124 

121  5 

107 

80 

Paris.  48  II.. 

96.2 

100.7 

113.3 

117.2 

120 

105 

79.7 

—     30  F  . . 

91 

95.3 

109 

110.2 

115.7 

104.5 

80.1 

Cela  indiq 

ue  un 

déveloi 

)pemcn 

t    supérieur  <l 

e    la    r 

îgion 

fronto-pariétaje  du  crâne,  au  dessus  du  méat  auriculaire. 


610  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1893 

De  l'accroissement  de  l'encéphale  par  rapport  a  la  taille, 
représentée  ici  par  le  rayon  de  l'ophryon,  résulte  nécessaire- 
ment le  refoulement  des  points  où  aboutissent  les  autres 
rayons.  Beaucoup  plus  expressifs  sont  les  rapports  de  ces 
divers  rayons  entre  eux. 

Rayons  auriculaires   rapportés  aa  Hayon  basial 
île  l'ophryon  r=  100. 

Alv.       Front.       Bi-egra.      Obéi.       Lamb.      Inion 

Orang 174  100  98.7  89.7  85 

Chimpanzé 151  98.7  96.2  90  80.6    58.7 

_    jno 150  98.8  88.1  80.9  73.8    58.3 

_    Jno 125.3  102.8  97.2  91.5  83.1     70.4 

Hicrocépfa 118.0  98.6  94.6  89.3  80.0    52.0? 

—    (Dura) 124.3  101.2  100  93.6  83.3    64.1? 

_    (Vict) 127.3  100  100  6  97.3  85.3    69.3 

_     (Colin) 112.9  103.5  109.4  105.8  74.1     57.6 

I     a 117.1      96.1  91.9  81.9  800    71.4 

)     A' 117.9      93-4  85.8  75.4       74.5     7o  7 

Triml    j     A" 117. 5       95-8  94-8  89.7  89. 7     85.5 

(     A'" 115  8       034  89.2  7/6       74-  7     66.3 

Figure  7.  128  91  84  73  75         7° 

Néander 100.3  101.4  08.2  96  91.4    79.1 

Engineer 100.1  106.6  111.9  111  104.3    71.4 

Néo-Cal 103  105.4  112  112  91  8    70.0 

Austral 110.2  105  111.7  114.2  103  0    66.3 

Tasman 100.4  106.5  103.7  106  98.1     64.8 

Andamaa 107.3  112.0  125.4  120  0  114.1     72  3 

Fijien 100  112.4  114.2  114.2      99.5      - 

Cro-Magnon 100.8  110.8  103  3  101.2      89.2    66.6 

(     H 05.5  112.5  110.3  119.1  104.2    70.1 

Paris     j     F 95.4  114.3  115.6  121.4  109.6     84.0 

Dans  la  colonne  des  rayons  alvéolaires,  l'élévation  des 
chiffres  est  en  rapport  avec  le  prognathisme.  Sous  ce  rap- 
port, le  crâne  de  Trinil  prendrait  place  parmi  les  microcé- 
phales, assez  loin  au-dessous  des  races  humaines  océaniennes. 


L.  MANOUYRIElt.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      Cil 

Dans  les  colonnes  suivantes,  principalement  dans  celles 
qui  concernent  les  rayons  de  la  courbure  frontale  et  de  la 
pariétale,  l'élévation  des  chiffres,  au  contraire,  est  en  rapport 
général  avec  une  supériorité  morphologique  consistant  clans 
le  degré  de  refoulement  de  la  voûte  crânienne  par  l'encéphale 
au-dessus  de  la  hase  du  crâne,  représentée  ici  par  le  rayon  de 
Tophryon  =  100. 

Il  faut  tenir  compte  ici,  toutefois,  d'une  cause  d'erreur  in- 
troduite par  la  hrachycéphalie,  qui  tend  à  diminuer  la  hase 
d  u  crâne  relativement  aux  rayons  auriculaires.  C'est  pourquoi 
le  crâne  Andaman  occupe  une  place  avantageuse  dans  notre 
tableau.  Les  crânes  parisiens  doivent  peut-être  à  la  même 
cause  une  partie  de  leur  supériorité,  bien  que  leur  indice 
moyen  n'atteigne  pas  80.0.  J'ai  dit  déjà  que  le  crâne  du  mi- 
crocéphale Colin  est  extrêmement  hrachycéphale,  comme  par 
suite  d'une  déformation.  Tous  les  autres  crânes  humains  sont 
plus  dolichocéphales  que  le  crâne  de  Trinil,  de  sorte  que  l'in- 
fériorité de  celui-ci  aurait  dû  être  plutôt  atténuée  par  son  in- 
dice céphalique. 

Par  la  valeur  relative  du  rayon  frontal,  le  crâne  de  Trinil 
se  place  au-dessous  des  anthropoïdes  eux-mêmes  (jeunes,  il 
est  vrai)  et  dont  deux,l'orang  et  le  troisième  chimpanzé,  sont 
plus  brachycéphales  que  lui.  Il  est  au-dessous  du  Néander- 
thal  et  des  Océaniens. 

Par  le  rayon  du  hregma,  le  crâne  de  Trinil  est  encore  infé- 
rieur aux  microcéphales  et  aux  anthropoïdes,  excepté  l'un 
des  chimpanzés  dont  la  courbure  frontale  est  presque  nulle. 
Il  est  très  inférieur  aux  crânes  océaniens. 

Par  le  rayon  obélial,  qui  exprime  la  courbure  pariétale,  le 
crâne  de  Trinil  n'a  encore  au-dessous  de  lui  que  l'un  des 
chimpanzés.  Il  est  notablement  inférieur  aux  trois  autres  an- 
thropoïdes et  aux  microcéphales,  très  éloigné  des  crânes 
océaniens.  On  voit  que  ces  chiffres  expriment  très  bien,  en  la 
précisant,  l'impression  produite  à  première  vue  par  le  crâne 
fossile  de  Java. 
Par  le  rayon  du  lambda,  le  crâne  de  Trinil  ne  se  distingue 


612  SÉANCE  DU  47  OCTOBRE  1895 

pas  nettement  des  anthropoïdes  et  des  microcéphales;  il  est 
encore  très  au-dessous  duNéanderthal  et  des  Océaniens. 

Le  rayon  de  l'inion  ne  fournit  pas  de  différences  Suffisam- 
ment caractéristiques  au  point  de  vue  qui  nous  occupe.     • 

En  prenant  comme  centre  des  rayons  auriculaires  le  point 
A",  ont  obtient  des  rayons  îîregmatique  ohélial  et  lambda- 
tique  relativement  plus  élevés  et  dépassant  ceux  des  anthro- 
poïdes; mais,  alors,  le  rayon  iniaque  dépasse  en  valeur  rela- 
tive celui  des  Parisiens  eux-mêmes,  ce  qui  est  absolument 
contradictoire  avec  l'ensemble  des  caractères  crâniens.  De 
plus,  si  le  point  A"  relève  le  crâne  de  Trinil,  au  point  de  vue 
des  rayons  auriculaires,  il  donne  a  ce  crûne  un  caractère  ab- 
solument simien,  consistant  en  ce  que  la  ligne  basio-auricu- 
laire  B  A"  aboutit  à  plusieurs  centimètres  en  avant  du 
bregma.  Or,  il  ne  parait  pas  possible  d'avancer  le  basion,  si 
ce  n'est  par  simple  fantaisie,  étant  donnée  la  position  à  peu 
près  certaine  de  l'opisthion  et  la  longueur  de  31  mm.  attri- 
buée au  trou  occipital,  chiffre  déjà  fort  pour  le  volume  du 
crâne  de  Trinil. 

D'ailleurs,  il  faut  remarquer  que  l'aplatissement  et  la  briè- 
veté de  la  voûte  crânienne  fronto-pariétale  exprimés  par  les 
rapports  ci-dessus  sont  des  caractères  très  frappants  à  pre- 
mière vue  sur  ce  crâne,  et  que  les  courbures  frontale  et  parié- 
tale paraissent  effectivement  plus  fortes  sur  la  plupart  des 
crânes  d'anthropoïdes  jeunes  que  sur  le  crâne  de  Trinil,  dont 
l'arc  frontal  et  l'arc  pariétal  médians  sont  presque  des  lignes 
droites. 

Les  chiffres  ci-dessus  ne  font  donc  que  traduire  et  expri- 
mer approximativement  ces  importants  caractères  morpholo- 
giques par  lesquels  le  crâne  de  Trinil  reste  placé  au  niveau 
des  singes,  en  dépit  des  caractères  par  lesquels  il  rentre 
dans  l'espèce  humaine. 

Ces  caractères  ressortent  très  bien  dans  la  figure  10  où  j'ai 
rapproché  quatre  profils  en  superposant  les  centres  auricu- 
laires et  en  donnant  au  bord  supérieur  de  l'arcade  zygonïa- 
tiqne   ainsi  qu'au    plan    alvéolo-condylien  une   direction    à 


L.  MA.NOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPES      613 

peu  près  horizontale.  Dans  diverses  recherches,  j'ai  toujours 
trouvé  ce  mode  de  superposition  plus  satisfaisant  que  tout 
autre.  Il  en  a  été  de  même  ici,  car  la  direction  en  éventail  des 
lignes  nn'n"n"'  et  F  F'  F"  F'"  se  trouve  ainsi  parfaitement 
conforme  aux  rapports  du  tahleau  ci-dessus.  En  même  temps 
le   changement  de   direction   du  bord   externe   des    orbites 


CHIMPMZE  JnJ 

'  ,    ,   TRiNl'L 

"  N£/)NDERTH/\L  , 

'"  CRO-  MAGNON  

Fig.  10.  Profils  superposés  après  essai  de  reconstitution  du  crâne  du 
Néanderlhal  n"  d'après  un  moulage.  —  T,  Courtour  de  l'écaillé  tempo- 
rale existant  sur  le  moulage.  —  A,  centre  auriculaire  commun  aux  4 
crânes.  —  o  o'  o"  o'",  bord  orbitaire  ext.  —  n  ri  n"  ri",  couburc  parié- 
lialc.  —  Profils  dessinés  avec  le  stéréographe  de  Broca. 

oo*"o''o'"  qui  se  produit  dans  la  passage  de  la  forme  si- 
mienne à  la  forme  humaine  se  trouve  fidèlement  reproduit 
dans  notre  figure  sans  qu'il  y  ait  eu  aucun  artifice  employé 


614  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1893 

dans  ce  but.  Les  profils  du  vieillard  de  Cro-Magnon  et  des 
chimpanzés  sont  entièrement  dessinés  au  stéréographe. 

Pour  le  Néanderthal  j'ai  essayé  une  reconstitution  d'après 
un  moulage  et  d'après  quelques  crânes  français  de  type  très 
approchant.  Quelques-uns  trouveront- peut-être  que  j'ai  attri- 
bué à  ce  crâne  un  prognathisme  trop  faible.  Mais  ce  n'est 
qu'une  apparence.  J'ai  simplement  tenu  compte  en  ceci  du 
fait  sur  lequel  j'ai  attiré  autrefois  l'attention  :  à  savoir  que  la 
proéminence  du  maxillaire  en  avant  du  cerveau  peut  être 
très  forte  sans  que  la  ligne  faciale  soit  très  oblique,  lorsque 
la  proéminence  de  la  portion  faciale  de  l'os  frontal  et  la 
situation  reculée  des  orbites  par  rapport  à  la  glabelle  assu- 
rent déjà  au  maxillaire  une  place  considérable  en  avant  du 
cerveau  sans  que  la  mâchoire  ait  besoin  de  proéminer  beau- 
coup en  avant  de  la  glabelle.  Les  lignes  placées  au  bas  de  la 
figure  représentent  d'ailleurs  la  projection  de  la  face  en  avant 
du  cerveau  pour  les  quatre  crânes  superposés,  et  l'on  voit 
qu'il  s'en  faut  de  peu  que  le  prognathisme  réel  et  absolu  du 
Néanderthal  atteigne  celui  de  Trinil. 

Sur  ce  dernier  crâne,  le  bord  supérieur  des  orbites  se  rap- 
proche de  la  glabelle  beaucoup  plus  que  sur  le  Néanderthal. 
Ce  caractère  coïncidant  avec  une  visière  frontale  très  pro- 
éminente contribue  encore  à  rapprocher  le  crâne  de  Trinil  de 
celui  des  anthropoïdes.  Bien  plus  :  le  bord  orbitaire  supé- 
rieur du  crâne  de  Trinil  est  plus  proéminent  que  la  glabelle 
elle-même.  Ce  fait,  déjà  remarqué  par  MM.  Dubois  etVirchow, 
est  très  important,  car  il  indique,  en  même  temps  que  la 
situation  très  avancée  de  l'ouverture  orbitaire  une  direction 
verticale  de  la  ligne  sous-glabellaire,  caractère  qui  est  simien 
lorsqu'il  coïncide,  comme  c'est  ici  le  cas,  arec  une  grande  visière 
frontale,  ce  qui  indique  une  direction  oblique  de  la  ligne  naso- 
alvéolaire. 

Revenons  maintenant  à  l'effacement  des  courbures  frontale 

et  pariétale  qui  place  le  crâne  de  Trinil  au-dessous  de  tous 

les  crânes  humains  normaux  et  au  niveau  des  anthropoïdes. 

Sous  ce  rapport,  le  Néanderthal  n'est  pas  très  haut  placé 


L.  M.VNOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHTOPUS      615 

dans  notre  série;. mais  il  s'éloigne  cependant  beaucoup  des 
anthropoïdes  par  ses  courbures  pariétale  et  occipitale  supé- 
rieure, tandis  que  celles-ci  font  défaut  sur  le  crâne  de  Trinil. 
L'absence  de  courbure  ou  de  bosse  occipitale  sur  ce  dernier 
est  cause  que  l'extrémité  postérieure  du  diamètre  antéro-pos- 
térieur  maximum  est  située  sur  la  crête  occipitale,  comme 
chez  les  anthropoïdes. 

Cela  se  produit  dans  l'espèce  humaine  en  cas  de  brachycé- 
phalie  extrême,  d'où  résulte  l'absence  de  bosse  occipitale, 
mais,  en  même  temps,  une  courbure  pariétale  exagérée,  c'est- 
à-dire  le  contraire  du  crâne  de  Trinil.  Ladolichocéphalietend 
à  diminuer  la  courbure  pariétale  au  profit  de  saillie  occipitale  ; 
mais  le  crâne  de  Trinil,  abstraction  faite  de  sa  visière  fron- 
tale, est  plutôt  brachycéphale  et  sa  bosse  occipitale  est  nulle. 
Il  doit  donc  être  rangé,  d'après  la  forme  de  sa  courbe  médiane, 
avec  les  anthropoïdes. 

Et  pourtant  il  s'éloigne  beaucoup  des  anthropoïdes  par  la 
forme  de  sa  région  occipitale  et  par  sa  capacité.  Voila  un  dé- 
saccord qui  doit  cacher  quelque  point  important  du  problème 
à  résoudre. 

Ce  désaccord  prouve,  je  crois,  que  la  race  de  Trinil  est  issue 
d'une  race  ou  espèce  de  très  petite  taille. 

En  effet,  l'accroissement  de  la  taille  détermine,  si  le  déve- 
loppement intellectuel  reste  station  naire,  un  agrandissement 
encéphalique  qui  porte  principalement  sur  les  parties  infé- 
rieures et  centrales  du  cervenu  et  d'où  résulte  un  agran- 
dissement de  la  base  du  crâne  (région  basilaire  notamment) 
par  rapport  à  la  voûte.  Or,  si  l'on  compare  la  race  de  Trinil 
aux  grands  anthropoïdes,  on  trouve  dans  cette  race  une  capa- 
cité crânienne  indiquant  un  développement  intellectuel  très 
supérieur,  puisque  cette  capacité  dépasse  de  beaucoup  celle 
de  tous  les  anthropoïdes  à  taille  égale. 

Si  la  race  de  Trinil  était  issue  d'une  race  anthropoïde  de 
même  taille,  son  accroissement  cérébral  exclusivement  corré- 
latif, en  ce  cas,  à  l'accroissement  intellectuel,  eût  déterminé 
l'agrandissement  de  la  voûte  du  crâne  par  rapport  à  sa  base. 


616  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  4893 

Or  cet  agrandissement  ne  s'est  pas  produit,  comme  le  démon- 
tre la  nullité  des  courbures  frontale  et  pariétale.  Le  forme 
de  la  yoûte  crènienne  est  restée  simienne  malgré  un  accrois- 
sement cérébral  de  400  ce.  au  moins  par  rapport  aux  plus 
grands  anthropoïdes  et  lié,  par  conséquent,  à  un  accroisse- 
ment intellectuel.  Il  a  donc  fallu  qu'un  accroissement  simul- 
tané ou  ultérieur  de  la  taille,  agrandissant  la  base  du  erâne, 
ait  fait  équilibre  à  l'agrandissement  de  la  yoûte  de  façon  à 
maintenir  les  caractères  simiens  ou  à  les  rétablir. 

Ainsi  s'impose  la  conclusion  que,  si  le  crâne  de  Trinil  est 
un  représentant  normal  de  sa  race,  cette  race  doit  être  issue 
d'une  race  de  taille  très  inférieure.  Et,  dans  le  cas  où  cette 
race  ancestrale  aurait  réalisé  d'abord  son  perfectionnement 
intellectuel,  elle  a  dû  passer  par  une  phase  pendant  laquelle 
sa  forme  crânienne  se  rapprochait  plus  de  la  forme  humaine 
que  celle  du  crâne  de  Trinil. 

La  possibilité  générale  d'une  telle  phase  est  prouvée,  du 
reste,  par  l'examen  comparatif  des  races  humaines  entre  elles, 
car  avec  un  développement  intellectuel  égal  autant  que  nous 
pouvons  en  juger,  les  races  sauvages  de  très  petite  taille, 
telles  que  les  Négritos,  l'emportent  évidemment  sur  les  races 
sauvages  de  forte  stature  au  point  de  vue  du  développement 
de  la  voûte  relativement  à  la  base  du  cràvne.  De  même  les  es- 
pèces simiennes  de  très  petite  taille  l'emportent,  au  même 
point  de  vue,  sur  les  anthropoïdes. 

Si  la  race  de  Trinil  était  issue  d'une  espèce  de  même  taille 
qu'elle,  on  ne  s'expliquerait  pas  qu'un  accroissement  encépha- 
lique de  400  ce,  entièrement  corrélatif,  en  ce  cas,  à  un  perfec- 
tionnement intellectuel  et  doublant  presque  le  volume  encépha- 
lique en  rapport  avec  une  pareille  taille,  n'ait  pas  modifié  con- 
sidérablement l'étendue  relative  de  la  voûte  crânienne.  Il  faut 
donc  que  cet  accroissement  encéphalique  de  400  ce,  en  sus 
de  l'influence  de  la  taille,  ait  été  accompagné  ou  suivi  d'un 
accroissement  de  taille  assez  important  pour  maintenir  l'ab- 
sence des  courbures  frontale  et  pariétale  du  crâne.  Le  main- 
tien de  cette  absence  implique  donc  rigoureusement  que  la 


L.  MANOUVRIER.   —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECA.NTUROPUS      GIT 

race  anthropoïde,  précurseur  de  la  race  anthropomorphe  de 
Trinil,  était  d'une  taille  très  inférieure  h  celle  des  gorilles,  des 
orangs  et  même  des  chimpanzés,  dont  un  accroissement  encé- 
phalique de  400  ce.  (entièrement  corrélatif  à  un  accroisse- 
ment intellectuel)  élèverait  nécessairement  la  forme  crânienne 
très  au-dessus  du  crâne  de  Trinil. 

Ainsi,  non  seulement  la  faible  stature  de  toutes  les  espèces 
connues,  vivantes  ou  fossiles,  du"  genre  Hylobates,  ne  s'op- 
pose pas  a  ce  que  l'on  cherche  dans  ce  genre  la  souche  du 
pro-Pithecanthropus;  mais  encore  cette  faible  stature  devient 
un  argument  de  plus  en  faveur  de  la  filiation  de  la  race  de 
Trinil  et  d'une  race  d'Hylobates. 

Arcade  zygomatique .  Hauteur  des  orbites  et  de  la  face.  — 
Le  méat  auditif  une  fois  posé,  on  obtient  par  cela  même  la 
direction  générale  de  l'arcade  zygomatique.  Le  bord  supérieur 
de  cette  arcade  doit,  en  effet,  être  à  peu  près  tangent  au  bord 
supérieur  du  méat  et  aboutir  en  avant  un  peu  au-dessous 
du  bord  orbitaire  inférieur. 

Une  autre  indication  est  fournie,  sur  ce  point,  par  la  crête 
temporo-pariétale  pt  surmontée  d'une  dépression  qui  pré- 
sente une  légère  courbure  à  concavité  supérieure.  Si  nous 
continuons  cette  courbure  en  avant,  nous  devons  obtenir 
;i  peu  près  le  bord  supérieur  de  l'arcade  zygomatique  et  abou- 
tir, à  quelques  millimètres  près,  au  bord  orbitaire  inférieur 
comme  chez  les  anthropoïdes  adultes  et  chez  l'homme.  On 
est  ainsi  conduit  à  la  certitude  que  la  hauteur  orbitaire 
du  crâne  de  Trinil  ne  dépassait  pas  la  hauteur  moyenne  dans 
l'espèce  humaine.  C'est  donc  cette  hauteur  qui  a  été  admise, 
avec  une  hauteur  jugale  et  une  hauteur  nasale  également 
ordinaires. 

La  hauteur  nasale  a  été,  toutefois,  subordonnée  à  la  hauteur 
de  la  face.  Celle-ci  n'excède  pas  la  hauteur  faciale  de  nom- 
breux crânes  humains;  elle  est  la  même  que  celle  du  crâne 
du  Turkestan  dont  il  a  été  question;  mais  elle  est  grande 
par  rapport  a  la  faible  hauteur  crânienne. 

Cette  hauteur  ne  dépasse  la  moyenne  humaine  que  pour  la 

t.  vi  (4e  série)  50 


f)18  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

région  alvéolaire  de  l'os  maxillaire.  Sur  ce  point  j'ai  tenu 
compte  du  grand  volume  des  deux,  dents  molaires  trouvées  à 
Trinil  auprès  du  crAne  et  qui  lui  appartenaient  très  vraisem- 
blablement. 

Os  maxillaires.  —  Il  a  fallu  tenir  compte  aussi  du  grand  écar- 
tement  des  racines  de  ces  dents,  qui  comporte  des  dimensions 
maxillaires  postérieures  notablement  plus  grandes  que  dans 
l'espèce  humaine.  C'est  pourquoi  les  deux  mâchoires  sont  très 
développées  surnotre  dessin.  Elles  ont  été  cependant  réduites 
au  minimum  acceptable.  J'ai  cru  pouvoir  prendre  en  considéra- 
tion ce  fait,  indiqué  dans  mon  précédent  mémoire,  que  les 
fausses  molaires  et  les  incisives  sont  souvent  très  petites  chez 
les  Néo-Calédoniens  relativement  aux  grosses  molaires.  D'au- 
tre part  j'ai  été  conduit  à  refuser  au  Pithecanthropus  des 
canines  de  combat  qui  occupent,  chez  les  anthropoïdes  maies, 
avec  le  diastème  qui  les  précède,  une  longueur  égale  à  celle 
des  deux  fausses  molaires  réunies.  Dès  lors  la  longueur  des 
mâchoires  pourra  paraître  suffisante,  une  fois  admise  la 
raison  pour  laquelle  j'ai  refusé  au  crâne  de  Trinil  des  canines 
simiennes. 

Cette  raison  est  tirée  de  la  faible  étendue  de  la  surface 
d'insertion  du  muscle  temporal.  Sans  doute,  cette  surface 
est  grande,  relativement  au  volume  du  crâne,  puisque  nous 
l'avons  vue  s'étendre  très  loin,  en  arrière  du  méat  auditif, 
jusqu'à  la  rencontre  de  la  crête  occipitale,  en  même  temps 
qu'elle  s'avance  en  haut  jusqu'à  un  distance  assez  faible 
de  la  ligne  médiane.  Mais  cela  tend  seulement  à  prou- 
ver que  la  mandibule  était  très  développée  relalioement  au 
crâne.  Quant  au  volume  absolu  de  la  mandibule,  il  doit  être 
en  rapport  avec  la  grandeur  absolue  de  la  surface  d'inser- 
tion du  muscle  temporal.  Or,  cette  surface  est  trop  petite,  sur 
le  crâne  de  Trinil,  pour  être  en  rapport  avec  des  maxillaires 
simiens. 

Sur  beaucoup  de  crânes  océaniens  et  surtout  sur  notre 
crâne  du  Turkestan,  la  surface  d'insertion  temporale  est 
beaucoup  plus  grande,  absolument,  que  sur  le  crâne  de  Tri- 


L.    MANOUVRIER.    —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITIIECANTlIROPUS       619 

nil  ;  et  pourtant,  les  maxillaires  de  ces  crânes  ont  une  lon- 
gueur notablement  plus  faible  que  celle  que  j'ai  accordée  au 
crâne  de  Trinil.  On  pourrait  même,  d'après  ces  seules  consi- 
dérations, penser  que  les  dimensions  des  maxillaires  sont 
très  exagérées  dans  le  dessin  ci-dessus. 

Mais  il  faut  aussi  considérer  que,  chez  le  chimpanzé  et  le 
gorille  femelles,  les  surfaces  temporales  n'atteignent  pas, 
sur  le  crâne,  une  étendue  absolue  aussi  grande  que  chez 
beaucoup  d'hommes  ;  cela  n'empêche  pas  ces  animaux 
d'avoir  des  maxillaires  dont  le  volume  dépasse  de  beaucoup 
le  maximum  humain.  C'est  pourquoi,  chez  les  anthropoïdes, 
les  insertions  du  muscle  temporal  trouvent  en  avant,  derrière 
la  paroi  externe  de  l'orbite,  une  surface  très  grande,  de  sorte 
que  la  portion  antérieure  de  ce  muscle  acquiert  une  épais- 
seur énorme. 

(  )r  il  en  est  de  même  pour  le  crâne  de  Trinil  :  c'est  en  avant, 
dans  la  fosse  temporale  proprement  dite,  que  le  muscle  tem- 
poral a  pu  atteindre  une  épaisseur  en  rapport  avec  les  puis- 
santes mâchoires  que  je  lui  ai  attribuées.  Gela  est  indiqué, 
non  seulement  par  la  saillie  latérale  extraordinairement 
grande  de  l'apophyse  orbitaire  externe,  mais  encore  par  la 
grande  ouverture  de  l'angle  que  forme  cette  apophyse  avec 
la  paroi  frontale  externe. 

La  grande  étendue  de  la  fosse  temporale  proprement  dite 
autorise  donc  à  attribuer  au  crâne  de  Trinil  des  dimensions 
maxillaires  supérieures  aux  dimensions  humaines  normales 
et  proportionnées  au  volume  des  deux  molaires  trouvées  par 
M.  Dubois.  Il  serait  permis  peut-être  d'aller  jusqu'au  volume 
maxillaire  du  chimpanzé,  à  l'âge  d'éruption  des  canines  : 
mais  il  faut  reconnaître  que,  sur  ce  point,  le  chiffre  de  l'ap- 
proximation atteinte  est  dillicile  à  déterminer  k  1  cm.  près. 

Prognathisme.  —  Avec  des  dents  aussi  volumineuses  que 
celles  de  Trinil  on  eût  pu  prévoir,  a  priori,  un  prognathisme 
tout  a  fait  simien  qui  n'est  pas  réalisé  dans  notre  figure.  Le 
prognathisme  est  très  inférieur  à  celui  d'un  jeune  chim- 
panzé dont  les  maxillaires  sunl  à  peine  plus  volumineux.   Il 


620  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

est  aisé  de  comprendre  que  ce  fait  est  dû  à  la  grandeur  du 
crâne,  très  supérieure  à  celle  d'un  anthropoïde.  Il  y  aune  telle 
distance  horizontale  entre  la  cavité  glénoïde  du  temporal 
et  le  plan  vertical  antérieur  des  orbites  que  la  majeure  partie 
des  mâchoires  à  trouvé  place  dans  cette  distance.  De  là  et  de 
la  réduction  des  canines  qui  jouent  le  plus  grand  rôle  dans 
la  production  de  la  proéminence  maxillaire,  il  est  résulté  que 
le  prognathisme  ne  dépasse  pas  énormément  le  maximum  des 
Australiens. 

Le  prognathisme  mandibulaire  dépasse  le  maximum  humain 
tout  en  restant  inférieur  au  minimun  simien., Un  rudiment 
de  menton  a  été  admis,  comme  aussi  un  rudiment  d'épine 
nasale.  Cela  me  paraît  justifié  d'après  la  théorie  que  j'ai 
donnée  sur  la  formation  du  menton  '.  Le  menton  résulte  de 
ce  que  la  portion  alvéolaire  de  la  mandibule  a  un  développe- 
ment proportionel  à  celui  des  dents,  tandis  que  la  portion 
située  au-dessous  du  trou  mentonnier  est  plus  directement 
proportionnée  à  la  masse  générale  du  squelette  2.  Le  men- 
ton se  forme  donc  par  suite  de  la  réduction  du  volume  des 
dents,  par  rapport  à  la  taille.  Ici  nous  avons  une  taille  humaine 
et  des  dents  supérieures  en  volume  à  celles  des  Australiens 
eux-mêmes;  il  doit  donc  y  avoir  un  menton  moins  prononcé 
que  chez  les  Australiens.  Mais  la  taille  est  forte  et  les  dents 
sont  petites  pour  un  singe  de  cette  taille  ;  il  doit  donc  y  avoir 
un  menton  plus  prononcé  que  chez  les  singes.  C'est  pourquoi  j'ai 
admis  une  forme  intermédiaire. 

Pour  un  certain  nombre  de  caractères,  il  n'est  pas  néces- 
saire d'entrer  ici  dans  des  détails  justificatifs.  La  hauteur  de 
la  branche  montante  de  la  mandibule  n'excède  pas  celle  de 
certains  crânes  humains.  La  largeur  a  dû  être  proportionnée 
à  la  longueur  du  corps  de  la  mandibule.  Les  points  d'insertion 
du  massêter  ont  reçu  une  importance  également  en  rapport 

1  Dictionn.  des  sciences  anlhropol.  Art.  Prognathisme. 
-  L.  M.  Sur  le  de'oelopp.  quantit.  comparé  de  l'encéphale  cl  de 
diverses  parties  du  squelette  Bull.  Soc.  Zool.  de  France,  1881). 


L.  MÀNOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPOS      621 

avec  le  volume  de  la  mandibule.  En  corrélation  avec  le  volume 
du  masséter  j'ai  admis  une  assez  grande  largeur  pour  les 
apophyses  et  arcades  zygomatiques.  Enfin  les  apophyses  mas- 
toïdesontreçu  un  volume  assez  grand,  en  rapport  avec  la  taille, 
mais  une  longueur  relativement  faible  pour  rester  un  peu  en 
deçà  de  la  forme  humaine  ordinaire. 

Interprétation.  —  L'essai  de  reconstitution  ici  tenté  a  eu 
pour  but  d'obtenir  une  figure  quelconque  uniquement  com- 
posée d'après  des  données  crâniologiques.  L'opinion  très 
réservée,  soutenue  dans  mon  premier  mémoire,  ayant  été 
que  le  crâne  de  Trinil  présentait  des  caractères  intermédiai- 
res entre  ceux  de  l'espèce  humaine  et  ceux  des  anthropoïdes, 
il  ne  m'eût  été  désagréable  en  rien  d'aboutir  à  une  figure  plus 
humaine  ou  plus  simienne.  J'avoue  avoir  été  obligé  de  retou- 
cher plusieurs  fois  certains  traits,  mais  toujours  pour  des 
raisons  d'ordre  anatomique.  jamais  pour  satistaire  une  idée 

préconçue. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  figure  obtenue  s  accorde 
complètement  avec  ma  première  opinion  et  la  consolide  par 
conséquent.  Ce  n'est  certainement  point  la  une  figure  humaine, 
et  même  en  diminuant  les  maxillaires,  en  supprimant  le  pro- 
gnathisme, on  n'obtiendrait  pas  une  physionomie  humaine 
acceptable  étantdonnéelaformegénéraledelavoùte.Onobtien- 

drait  simplement  un  crâne  bizarre,  une  forme  aussi  offensante 
pour  l'œil  que  difficilement  justifiable.  Cela  est  en  faveur  de 
l'opinion  primitivement  soutenue  par  les  anthropologistes 
allemands  qu'il  s'agissait  d'un  singe. 

Mais,  d'un  autre  côté,  l'opinion  première  des  anthropolo- 
oistres  anglais  qu'il  s'agissait  d'un  homme  trouve  sa  justifi- 
cation dans  des  faits  incontestables.  Il  n'y  a  pas  d'anthro- 
poïde adulte  dont  la  capacité  crânienne  approche  de  celle 
du  crâne  de  Trinil.  Il  n'y  a  d'anthropoïde  adulte  dont  le  trou 
occipital  soit  situé  si  avant  sous  l'occiput  et  si  profondément 
entre  les  deux  saillies  cérébelleuses.  Sir  W.  Turner  a  pu 
montrer  sur  divers  crânes  humains  des  caractères  1res  rapt.ro- 


G-22 


SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 


chés  des  caractères  pithécoïdes  du  crâne  de  Trinil,  tandis  qu'il 
eût  été  difficile  aux  anatomistes  allemands  de  montrer  sur 
des  crânes  de  singes  adultes  une  situation  approchante  du 


Fig.  11.  Profil  du  crâne  d'un  1res  jeune  chimpanzé.  B.  Tasion. 
Opislhion,  (Dessiné  avec  le  stéréogr.  de  Broca.) 


_  O 


Fig.  12.  Profil  du  crâne  de  Mar^arellia  Mœhler,  microcéphale  décrite 
par  Cari  Vogt  (d'après  un  moulage).  —  Profils  superposés  de  deux  crâ- 
nes parisiens  féminins  d'une  belle  conformation,  l'un  grand,  l'autre 
petit.  Le  centre  auriculaire  est  le  même  pour  les  3  crânes.  Dessins  au 
stéréographe.   Réduction  à  1/3. 

trou  occipal  et  une  capacité  crânienne  également  approchante 
de  celle  du  crâne  de  Trinil. 


L.  M.VNOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LS  PITIIECANTHROPUS      023 

Je  crois  savoir,  d'après  une  lettre  de  M.  Eugène  Dubois,  que 
l'opinion  générale  a  été  sensiblement  modifiée  par  la  vue 
directe  des  pièces.  Aussi  bien  je  cherche  simplement  ici  à  mon- 
trer, dans  la  divergence  des  affirmations  premières  d'anato- 
mistes  très  éminents  les  uns  et  les  autres,  un  argument  de 
plus  en  faveur  de  mon  opinion  ;  c'est  pourquoi  je  cherche  a 
mettre  en  relief  les  fortes  raisons  qui  pouvaient  inspirer  des 
conclusions  aussi  différentes. 

Or,  un  fait  me  paraît  propre  a  expliquer  tout  cela  et  à  mettre 
d'accord  tout  le  monde  :  c'est  que  le  crâne  de  Trinil  est  assimi- 
lable, quant  a  sa  for  m1:  y  in  'raie,  au  crâne  des  jeunes  anthro- 
poïdes. 

On  sait  qne  les  anthropoïdes  jeunes  ont  un  encéphale  très 
développé  relativement  a  leur  taille  si  on  la  compare  aux  adul- 
tes ;  on  sait  aussi  que,  sous  le  rapport  de  la  situation  et  de  la 
direction  du  trou  occipital,  ils  sont  à  peu  près  humains.  A 
mesure  qu'ils  avancent  en  âge  la  région  basilaire  allant  de 
de  l'éphippium  au  trou  occipital  s'allonge  en  raison  des  pro- 
grès de  la  taille  et  sans  que  la  voûte  crânienne  s'allonge.  Il 
en  résulte  un  recul  du  trou  occipital,  un  refoulement  proges- 
sif  de  toute  la  région  occipitalequi  finit  par  regarder  en  arrièrre 
au  lieu  de  regarder  en  bas.  Et  comme  les  parties  centrales  du 
cerveau  croissent  plus  longtemps  que  le  manteau,  celui-ci 
est  refoulé  latéralement  et  en  haut,  de  sorte  que  le  trou  occi- 
pital finit  par  occuper  un  plan  plus  inférieur  que  celui  des 
parties  circonvoisines  l. 

Cela  dit,  supposons  que  le  cerveau  d'un  certain  anthro- 
poïde X  se  développe  suffisamment  jusqu'à  l'àgeadulte pour 
atteindre  le  volume  relatif  existant  chez  les  anthropoïdes  jeu- 
nes des  espèces  connues,  alors  le  crâne  de  cet  anthropoïde 
adulte  devra  ressemblera  celui  des  anthropoïdes  jeunes  des 
autres    espèces.    Il  revêtira,  par   conséquent,  divers  carac- 

i'Cf  mon  mémoire  sur  les  'modifications  du  profil  endocrânieri 

dans  le  passage  à  Vétat  adulte,  etc  [Bull.  Soc.  Anthr.  de  Bordeaux 
t.  I  1884. 


P>24  SÉANCE  DU    17  OCTOBRE  1895 

tères  humains,  précisément  ceux  que  présente  le  crâne  de 
Trinil  ;  mais  il  pourra  conserver,  néammoins,  d'autre  carac- 
tères simiens  plus  ou  moins  atténués,  ceux  que  l'on  trouve 
également  sur  le  crâne  de  Trinil.  La  forme  crânienne  du  pré- 
curseur de  l'homme  était  d'avance  indiquée  par  la  forme  crâ- 
nienne des  jeunes  anthropoïdes. 

La  figure  que  j'ai  obtenue,  si  l'on  met  de  coté  les  caractè- 
res exclusivement  en  rapport  avec  l'Age  adulte,  me  produit 
l'impression  d'un  crâne  de  très  jeune  anthropoïde  avec  sa 
forme  presque  humaine,  mais cependantsimienneencore. C'est 
ce  qui  donne  une  forme  très  rationnelle  à  la  divergence  des 
appréciations  rappelée  plus  haut. 

Mais  le  crâne  de  Trinil  est  adulte  ;  il  s'élève  donc  par  sa 
forme  au-dessus  de  toutes  les  espèces  connues  d'anthropoï- 
des en  même  temps  qu'il  les  dépasse  par  son  volume. 

D'autre  part,  le  crâne  de  Trinil  reste  encore  éloigné  du  lype 
humain  aussi  bien  par  sa  grandeur  que  par  sa  forme.  Si  mis 
ces  deux  rapports  il  représente  un  type  intermédiaire  aussi 
parfaitement  que  possible. 

Il  n'est  pas  humain  par  sa  grandeur,  non  parce  qu'il  est  im- 
possible de  rencontrer  une  aussi  faible  capacité  dans  l'espèce 
humaine,  mais  parce  que,  dans  les  races  humaines  les  plus  sau- 
vages, les  individus  normauxde  taille  correspondante  au  fémur 
de  Trinil  possèdent  une  capacité  très  supérieure.  Jecrois pou- 
voir maintenir  sur  ce  point  ce  que  j'ai  dit  dans  mon  précédent 
mémoire.  Pour  un  homme  de  taille  moyenne  la  capacité  du 
crâne  de  Trinil  indiquerait  l'imbécilité.  Elle  serait  compatible 
avec  une  intelligence  normale  chez  un  pygmée  ;  mais  elle 
coexiste  ici  avec  une  forme  générale  et  avec  une  visière  fron- 
tale indiquant  tout  autre  chose  qu'un  pygmée  Le  nanisme 
simple  ne  tend  pas  à  bestialiser  la  forme  du  crâne;  il  tend, 
au  contraire,  à  rendre  cette  forme  supérieure  à  la  moyenne 
de  la  race.  Tout  concourt  à  montrer  que  l'individu  de  Trinil 
possédait  une  capacité  crânienne  très  faible  pour  sa  taille, 
trop  faible  pour  qu'il  soit  possible  de  lui  attribuer  une  intelli- 
gence humaine  normale  dans  l'état  actuel  de  l'espèce. 


L.  MAKOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      625 

Si  l'on  veut  admettre  qu'il  s'agit  d'un  imbécile  anormal 
pour  sa  race  et  rencontre  à  la  faveur  d'un  hasard  extraordi- 
naire, je  n'ai  rien  trouvé  d'abord  à  objecter  sinon  l'étrangeté 
de  ce  hasard.  Mais  j'objecte  en  outre,  aujourd'hui,  que  si  les 
dents  sont  grosses  relativement  au  crâne  chez  les  microcéphales, 
leur  volume  absolu  n'a  rien  d'exagéré  d'après  tous  les  spéci- 
mens connus.  Le  prétendu  microcéphale  de  ïrinil  aurait  donc 
appartenu  à  une  race  humaine  qui  possédait  normalement 
des  dents  et  des  mâchoires  énormes,  d'après  les  deux  molaires 
que  l'on  possède.  Mais  alors  on  serait  ramené  à  admettre  l'in- 
fériorité de  cette  même  race  sous  le  rapport  de  la  morpholo- 
gie crânienne. 

Il  me  paraît  très  satisfaisant  de  supposer  que  si  une  race 
anthropoïde  s'est  élevée  dans  la  direction  humaine,  elle  a  dû 
atteindre  tout  d'abord,  et  conserver  à  l'Age  adulte, le  progrès 
morphologique  indiqué  par  une  phase  précédemment  transi- 
toire de  son  évolution  cérébrale  ontogénique. 

L'existence  de  cette  phase  enfantine  qui  annoncerait  ainsi 
la  direction  du  progrès  cérébral  à  réaliser  par  une  espèce,  en 
cas  d'évolution  progressive,  peut  paraître  au  premier  abord 
paradoxale  au  point  de  vue  de  la  théorie  même  de  l'évolution. 
On  sait,  en  effet,  que  les  premières  phases  de  l'évolution  onto- 
génique resssemblent  plutôt  à  une  sorte  de  récapitulation  de 
l'évolution  phylogénique.  C'est  même  à  propos  de  l'encéphale 
que  Serres  a  mis  en  évidence,  pour  la  première  fois,  je  crois, 
celte  récapitulation. 

On  a  remarqué  depuis  longtemps  ce  fait  curieux  :  que  les 
jeunes  anthropoïdes  se  rapprochent  craniologiquement  de 
l'homme  beaucoup  plus  pendant  leur  enfance  qu'à  l'Age 
adulte.  Quelques  auteurs  ont  même  cru  pouvoir  baser  sur  ce 
fait  l'opinion  que  les  anthropoïdes  seraient  issus,  par  dégra- 
dation, d'une  souche  morphologiquement  supérieure:  mais  le 
paradoxe  dont  il  s'agit  peut  recevoir,  d'après  mes  recherches, 
une  interprétation  liés  différente.  Ce  n'est  pas  seulement  chez 
les  anthropoïdes  jeunes  que  l'on  observe  un  certain  nombre 
de  caractères  crâniens  plus  élevés  que  chez  les  adultes.  J'ai 


626  séance  du  17  ocToimE  1895 

constata  des  caractères  de  ce  genre  aussi  bien  dans  l'espèce 
humaine,  chez  d'autres  primates  et  chez  les  carnassiers;  et 
je  crois  en  avoir  donné  une  explication  satisfaisante  appuyée 
sur  de  nombreux  faits  parfaitement  coordonnés  entre  eux. 
11  ne  s'agit  pas  ici  des  premières  phases  du  développement 
embryonnaire,  phases  réellement  récapitulatives;  il  s'agit 
d'une  phase  postérieure  dans  laquelle  le  développement  onto- 
génique  de  l'encéphale  est  très  avancé  quant  aux  parties  les 
plus  indépendantes  de  la  taille  et  par  conséquent  les  plus 
directement  liées  au  fonctionnement  intellectuel,  relativement 
aux  parties  dont  le  développement  est  plus  étroitement  en 
rapport  avec  la  taille.  A  mesure  que  l'animal  grandit,  ces 
dernières  parties  croissent  également  et  arrivent  à  prendre, 
par  rapport  aux  portions  les  plus  étroitement  intellectuelles 
et  à  développement  vite  achevé,  une  importance  d'autant 
plus  considérable  que  la  masse  des  systèmes  osseux  et  mus- 
culaires devient  plus  grande.  Ces  dernières  portions  de  l'encé- 
phale étant  les  plus  centrales  et  inférieures  refoulent  alors 
en  arrière  et  latéralement  le  manteau  cérébral,  de  telle  sorte 
que  le  passage  de  la  forme  cérébrale  enfantine  à  la  forme 
adulte  trouve  dans  ce  fait  une  explication  complète. 

J'ai  donné  comme  complément  de  preuve,  à  ce  sujet,  le  fait 
que  les  races  et  les  individus  de  très  petite  taille,  aussi  bien 
dans  l'espèce  humaine  que  chez  les  chiens  et  chez  les  singes, 
conservent  en  partie  à  l'âge  adulte  les  caractères  de  supério- 
rité morphologique  de  l'enfance.  A  la  condition,  bien  entendu, 
qu'avec  l'infériorité  de  la  taille,  ne  coexiste  pas  une  infério- 
rité intellectuelle  très  prononcée.  Les  divers  caractères  de 
supériorité  du  crâne  féminin  doivent  être  interprétés  ainsi, 
de  même  que  les  caractères  analogues  des  petits  chiens  hava- 
nais comparés  aux  grands  chiens,  de  certaines  petites  espèces 
de  singes  comparées  aux  grandes  espèces  et  des  jeunes  en 
général  comparés  aux  adultes.  J'ai  montré,  toutefois,  dans  un 
des  mémoires  déjà  cités,  que,  dans  l'espèce  humaine  ou  tout 
au  moins  dans  les  races  européennes,  la  supériorité  morpho- 
logique du  crâne  enfantin  disparait  en  partie  à  cause  de  la 


L.  MANOUVIUER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      027 

continuation  du  développement  frontal  jusqu'à  l'Age  adulte. 

Ces  faits  rappelés,  je  répète  qu'il  est  rationnel  de  penser 
qu'une  espèce  anthropoïde  évaluant  vers  le  type  humain  a  dû 
réaliser  avant  tout,  à  l'état  adulte,  en  ce  qui  concerne  le  crâne, 
les  caractères  de  supériorité  qu'elle  possédait  transitoirement 
à  l'état  jeune  avant  cette  évolution. 

Les  conditions  de  cette  réalisation  existeraient  déjà  en  par- 
tic  dans  une  race  d'anthropoïdes  dont  la  taille  resterait  sta- 
lionnaire  à  partir  d'un  très  jeune  âge,  autrement  dit  dans 
une  race  naine  ou  pygméenne,  puisque  nous  venons  de  voir 
que  c'est  l'accroissement  de  la  taille  qui  détruit  la  supériorité 
morphologique  crânienne  des  anthropoïdes  jeunes. 

Tel  n'a  pas  été,  certainement,  le  cas  de  Pithecanthropus 
dont  la  taille  adulte,  suffisamment  indiquée  par  le  fémur  et 
même  par  les  caractères  crâniens,  était  grande  pour  tous  les 
genres  d'anthropoïdes. 

Mais  il  y  a  d'autres  conditions  de  réalisation  de  la  supério- 
rité dont  il  s'agit.  Elle  peut  être  maintenue  jusqu'à  l'âge 
adulte  si,  contrairement  à  ce  qui  a  lieu  chez  les  anthropoïdes 
à  mesure  que  la  taille  accroît  la  longueur  de  la  région  basi- 
laire  et  le  volume  des  parties  centrales  du  cerveau,  le  manteau 
cérébral  continue,  lui  aussi,  à  croître  plus  ou  moins,  en  cor- 
rélation avec  le  perfectionnement  intellectuel. 

Les  choses  semblent  s'être  passées  ainsi.  Le  Pithecanthro- 
pus représenterait  cette  phase  inférieure  de  l'évolution  humaine 
dans  laquelle  le  perfectionnement  intellectuel  et  cérébral 
auraient  été  suffisants  juste  assez  pour  que  le  développement 
de  la  voûte  du  crâne  ne  restât  pas  plus  en  retard  qu'il  ne  l'est 
chez  les  jeunes  anthropoïdes,  par  rapport  au  développement 
basilaire  corrélatif  à  l'accroissement  de  la  taille. 

Dans  les  races  humaines  actuelles  les  plus  inférieures,  ce 
stade  de  l'évolution  est  largement  dépassé  pour  les  individus 
normaux.  A  mesure  que  la  région  basilaire  s'allonge,  la  voûte 
du  crâne  s'agrandit  proportionnellement  davantage,  assez. 
pour  que  le  progrès  morphologique  atteint  par  !<•  Pithecan- 


628  SÉANCE  DU    17  OCTOBRE  1895 

thropus  soit  largement  dépassé,  moins  qu'il  ne  l'est  toutefois 
dans  les  races  européennes. 

POINT  DE  VUE  TRANSFORMISTE. 

Question  d'origine.  —  Ces  développements  théoriques,  ap- 
puyés sur  des  faits  certains,  ont  ici  une  place  légitime,  car 
l'hypothèse  à  la  vraisemblance  de  laquelle  ils  peuvent  con- 
tribuer, ;i  savoir  la  qualité  de  précurseur  attribuée  par 
M.  Dubois  à  son  P.  E.,  repose  sur  un  ensemble  de  faits  assez 
respectable  pour  exiger  la  plus  sérieuse  attention.  En  outre, 
derrière  cette  hypothèse  en  surgit  une  autre  aux  yeux  des 
transformistes.  Tout  naturellement  se  pose  la  question  de  sa- 
voir si  le  précurseur  de  Java  était  un  ancêtre  immédiat  de 
l'homme  ou  d'une  partie  de  l'espèce  humaine. 

La  qualification  de  précurseur  peut  être  acceptée  sans  répu- 
gnance indépendamment  de  la  doctrine  transformiste.  Elle 
place  tout  simplement  une  espèce  intermédiaire  entre  les 
anthropoïdes  et  l'espèce  humaine  et  vient  confirmer  une  fois 
de  plus  le  vieil  adage  :  Natura  non  facit  sallus.  Elle  exprime 
une  pure  constatation.  En  faveur  de  cette  hypothèse  milite- 
ront, d'une  part,  tous  les  arguments  apportés  pour  démon- 
trer qu'il  s'agit  d'une  espèce  anthropoïde  véritablement 
simienne  jusqu'alors  inconnue;  —  d'autre  part,  tous  les  ar- 
guments apportés  pour  démontrer  qu'il  s'agit  d'une  race 
humaine. 

L'hypothèse  d'un  véritable  ancêtre  tirera  profit  de  tous  ces 
arguments,  car  tous  tendront  à  établir  une  filiation  ininter- 
rompue aux  yeux  des  partisans  du  transformisme,  c'est-à- 
dire  de  ceux  qui  désirent  et  prétendent  expliquer  pourquoi 
Natura  non  facit  salins.  En  insistant  sur  les  caractères  simies- 
ques,  on  appuiera  volontairement  ou  non  la  filiation  du 
pithecanthropus  avec  les  singes  ;  en  insistant  sur  les  carac- 
tères humains,  on  rendra  plus  probable  la  filiation  de  l'espèce 
intermédiaire  avec  l'espèce  humaine. 

L'événement  scientifique  dû  aux.  laborieuses  et  fructueuses 


L.  MANOUVniGK.   —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS       G29 

recherches  de  M.  Eug.  Dubois  est  de  nature  a  réjouir  tous  les 
amis  de  la  science,  mais  il  semble  devoir  être  plus  particu- 
lièrement agréable  aux  transformistes.  Pour  ces  derniers,  la 
question  de  savoir  si  le  P.  E.  doit  être  rangé  dans  le  genre 
Homo  sapiens  ou  dans  un  genre  voisin  dépend  de  la  valeur 
que  l'on  voudra  attacher  au  mot  sapiens,  dont  la  valeur  est 
déjà  très  relative.  Quant  à  la  question  d'espèce  elle-même, 
c'est,  pour  le  transformiste,  aussi  bien  que  la  précédente,  une 
simple  question  de  différenciation  morphologique. 

Il  n'en  est  pas  moins  intéressant  de  rechercher  à  quel 
genre  simien  serait  échu  l'honneur  de  devenir  souche  hu- 
maine, autrement  dit  à  quel  genre  anthropoïde  connu  se 
rattache  l'intermédiaire  P.  E. 

M.  Dubois  a  pensé  au  genre  Hylobates  (Gibbon),  non  seule- 
ment à  cause  de  certains  caractères  crâniens  et  fémoraux, 
mais  encore  à  cause  de  considérations  diverses  et  de  faits 
dont  l'ensemble  est  assez  imposant. 

Je  ferai  quelques  remarques  seulement  sur  ce  point. 

Sur  cinq  caractères  distinctifs  de  la  colonne  dorso-lombairc 
des  bipèdes,  Broca  en  trouve,  chez  tous  les  anthropoïdes, 
quatre  qui  font  défaut  chez  tous  les  autres  primates.  Le  cin- 
quième caractère,  d'une  importance  majeure,  celui  de  la 
courbure  de  la  région  lombaire,  on  le  trouve,  seulement  un 
pou  moins  prononcé  que  dans  le  type  humain,  chez  les  gib- 
bons. Le  rachis  du  gibbon  siamang  présente  exactement  les 
trois  courbures  du  type  humain.  Ces  courbures  se  dégradent 
peu  à  peu  de  l'homme  au  gibbon  siamang,  de  celui-ci  aux 
autres  gibbons,  puis  des  gibbons  au  chimpanzé  et  enfin  au 
gorille1,  de  sorte  que  le  genre  gibbon  était  le  mieux  appro- 
prié à  l'équilibre  vertical.  On  doit  reconnaître,  avec  Broca, 
que  le  gibbon,  comme  tous  les  anthropoïdes,  est  un  bipède 
imparfait,  mais  néanmoins  un  véritable  bipède,  différant 
beaucoup  moins  de  l'homme,  sous  ce  rapport,  que  des  autres 
primates  (ibid.,y.  2o). 

1  P.  Broca,  L'ordre  des  Primates  (Bull.  Soc  d'Anthr.  de  Paris, 
1869,  et  Mémoires  de  Broca.  t.  III). 


630  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

I. a  fosse  iliaque  interne  n'est  pas  aussi  concave  chez  les 
gibbons  que  chez  les  gorilles,  mais  n'est  pas  convexe  comme 
chez  les  singes  quadrupèdes;  elle  est  un  peu  concave  chez  le 
gibbon  agilis  et  plate  chez  le  siamang  (II.  syndactylus).  Sous 
le  rapport  du  nombre  des  pièces  définitives  du  sternum,  les 
gibbons  présentent  exactement  le  type  humain,  contraire- 
ment aux  autres  anthropoïdes  (ibid,Y>.  41).  Par  l'angle  de 
torsion  humorale,  les  gibbons  sont  notablement  supérieurs 
aux  autres  anthropoïdes,  mais  leur  moyenne  atteint  pourtant 
le  minimum  individuel  rencontré  sur  des  hommes  bien  con- 
formés1. Le  lobe  azygos  du  poumon  droit,  dont  la  présence 
parait  être  liée  à  l'attitude  quadrupède,  fait  défaut  chez  les 
anthropoïdes  comme  chez  l'homme;  il  existe  chez  les  gib- 
bons, mais  il  est  très  petit  et  a  peine  distinct  du  lobe  infé- 
rieur, dont  il  parait  n'être  qu'un  prolongement. 

Les  gibbons  n'ont  pas  de  sacs  laryngers,  mais  17/.  syndac- 
tylus a  deux  sacs  sous-épigloltiques  parfaitement  distincts 
(Broca,  ibid.,  p.  119). 

Sous  le  rapport  de  la  forme  générale  du  cerveau,  les  gib- 
bons appartiennent  au  type  humain,  comme  les  autres  an- 
thropoïdes. Il  est  vrai  que  leur  lobe  frontal  est  plus  étroit  en 
avant  que  celui  des  orangs,  gorilles  et  chimpanzés,  mais 
c'est  la  une  différence  insignifiant»1  au  point  de  vue  qui  nous 
occupe,  car  elle  est  de  celles  dont  on  peut  le  plus  facilement 
admettre  la  disparition  sous  l'influence  d'un  perfectionnement 
fonctionnel,  tandis  que  c'est  très  difficile  pour  certains  carac- 
tères tels  que,  par  exemple,  l'absence  de  division  du  poumon 
chez  l'orang.  À  supposer  que  l'espèce  du  genre  Ilylobates 
d'où  serait  dérivée  la  notre,  ait  été  inférieure  cérébralement 
aux  grands  anthropoïdes  actuels,  ce  qui  est  très  possible,  elle 
pourrait  avoir  facilement  dépassé  sous  ce  rapport  ces  der- 
niers, grâce  aux  conditions  de  perfectionnement  qui  auraient 
déterminé  sa  transformation  dans  le  sens  humain. 

1  Cf.  P.  Broca.  La  torsion  de  l'humérus  et  le  tropomèlrc,  (Revue 
d'Anthr.,  1881,  p.  570-583). 


L.  MANOUVRIER.  — DEUXIÈME  ETUDE  SUR  LE  F1THECANTHROPIS      631 

Le  type  cérébral. des  gibbons,  d'après  les  deux  spécimens 
que  je  connais,  me  parait  être  assez  complètement  humain 
déjà,  dans  ses  caractères  principaux,  pour  que  les  différences 
de  détail  puissent  être  considérées  toutes  comme  susceptibles 
d'être  effacées  sous  l'influence  d'un  accroissement  de  taille 
et  d'une  transformation  intellectuelle  aussi  considérable  que 
le  comporte  l'hypothèse  ici  examinée. 

Telles  sont,  notamment,  la  brièveté  des  sillons,  l'absence 
d'incisures  sur  toutes  les  circonvolutions  et  la  simplicité  de 
celles-ci.  L'essentiel  est  que  la  disposition  des  plis  soit  la 
même  que  chez  l'homme,  et,  sous  ce  rapport,  le  cerveau  du 
gibbon  ne  laisse  rien  à  désirer.  Au  sujet  de  la  complexité 
des  plis  cérébraux,  aussi  bien  qu'au  sujet  du  volume  céré- 
bral, on  ne  peut  faire  abstraction  de  la  taille  de  l'individu. 
Le  cerveau  de  l'orang  ressemble  plus  à  celui  de  l'homme  que 
le  cerveau  du  gibbon,  c'est  vrai,  mais  il  est  permis  de  croire 
que  l'infériorité  de  celui-ci  disparaîtrait  sous  ce  rapport  aussi 
bien  que  sous  le  rapport  du  volume  dans  une  espèce  de  gib- 
bon qui  atteindrait  la  taille  de  l'orang. 

Il  faut  enfin  tenir  compte,  dans  cette  question,  des  nom- 
breuses variations  que  présente  la  morphologie  cérébrale 
dans  l'espèce  humaine  et  ne  point  exiger,  chez  l'espèce  ances- 
trale  cherchée,  une  perfection  typique  supérieure  à  celle  de 
nos  microcéphales  ordinaires. 

Sans  se  placer  au  point  de  vue  de  la  théorie  transformiste, 
Broca  ne  manqua  point  de  faire  ressortir  que  la  différence 
d'attitude  existante  entre  les  anthropoïdes  et  l'homme,  quel- 
que faible  qu'elle  fût,  devait  correspondre  à  une  supériorité 
psychologique  énorme  en  faveur  de  ce  dernier.  Il  fit  obser- 
ver «  qu'un  perfectionnement  organique  léger  en  soi  peut 
amener  dos  conséquences  fonctionnelles  diverses,  nombreuses, 
profondes,  qu'il  peut  y  avoir  un  défaut  de  proportion  entre 
un  changement  anatomique  et  un  changement  physiologique. 
Voilà  pourquoi,  dit-il,  dans  le  parallèle  de  l'homme  et  des 
anthropoïdes,  la  comparaison  des  organes  ne  montre  que  des 
différences  légères,  tandis  que  la  comparaison  des  fondions 


f>32  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

en    révèle  de   beaucoup  plus    grandes  »   (loc.  cit.,    p.  443). 

Gomme  beaucoup  d'autres  remarques  de  Broca,  celle-ci  est 
de  nature  à  corroborer  la  théorie  transformiste,  en  montrant 
que  des  changements  organiques  très  légers  ont  pu  être  suf- 
fisants pour  modifier  beaucoup  les  fonctions.  Mais  il  faut 
aller  plus  loin,  et  si  l'on  cherche  la  cause  de  ces  légers  chan- 
gements organiques  si  importants  en  physiologie,  c'est  aux 
modifications  physiologiques  elles-mêmes  qu'il  faut  remon- 
ter. Car  celles-ci  ont  une  cause  modificatrice  évidente  dans 
les  actes  imposés  à  l'organisme  par  les  circonstances  exté- 
rieures; et  c'est  ainsi  qu'elles  peuvent  influer  sur  les  orga- 
nes. Renversant  les  termes  de  la  proposition  de  Broca,  on 
peut  dire  qu'une  modification  fonctionnelle  légère,  concer- 
nant l'attitude,  a  suffi  pour  produire  des  modifications  orga- 
niques très  considérables,  importantes  elles-mêmes  au  point 
de  vue  fonctionnel,  si  bien  que  l'on  peut  expliquer  par 
le  simple  changement  de  l'attitude  toutes  les  différences 
anatomiques  et  physiologique^  capables  de  caractériser  le 
genre  Homo,  par  rapport  à  la  Famille  des  Anthropoïdes. 

11  faut  considérer,  en  effet,  que  les  modifications  fonction- 
nelles liées  comme  causes  et  effets  aux  changements  organi- 
ques, réagissent  les  unes  sur  les  autres  de  façon  à  expliquer 
des  changements  qui,  au  premier  abord,  paraissent  n'avoir 
aucun  lien  avec  les  premiers.  D'où  il  suit  que  si  l'on  veut 
remonter,  dans  la  série  anthropomorphe,  jusqu'à  l'espèce 
ancestrale  dans  laquelle  s'est  produite  la  modification  de  l'at- 
titude, on  peut  s'attendre  à  trouver,  dans  cette  espèce,  des 
caractères  morphologiques  trop  différents  des  caractère- 
humains  pour  que  l'on  soit  actuellement  en  état  d'expliquer, 
de  prime  abord,  le  mécanisme  propre  de  leur  transforma- 
tion. 

Avant  de  récuser  une  espèce  anthropoïde  comme  ayant  pu 
être  le  point  initial  de  la  lignée  humaine,  il  faudrait  donc 
être  certain  que  les  caractères  motivant  la  récusation  sont  de 
ceux  qui  ne  peuvent  avoir  été  transformés  sous  l'influence 
des  multiples  modifications  dérivées  directement  ou  indirec- 


L.  MASOUVUIEU.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PI?HECANTHROPUS      633 

teraent  de  l'attitude  bipède.  En  ce  qui  concerne  le  cerveau, 
plus  particulièrement,  ces  modifications  peuvent  avoir  été 
très  grandes,  puisque  c'est  dans  le  domaine  des  fonctions  céré- 
brales que  l'espèce  humaine  a  réalisé,  par  rapport  aux  an- 
thropoïdes, son  maximum  de  différenciation. 

Il  n'en  est  pas  moins  probable  que  la  race  anthropoïde 
préhumaine  était  remarquable  par  une  réunion  de  ces  divers 
caractères  presque  humain  que  nous  observons  diséminés 
dans  les  différents  genres  d'anthropoïdes  actuels.  Mais  aucun 
de  ces  caractères  n'empêcherait,  je  crois,  de  classer  une  telle 
espèce  dans  le  genre  Hylobates  qui  présente,  d'ailleurs,  tel 
qu'il  est,  des  variations  assez  fortes. 

Au  sujet  de  la  généalogie  du  P.  E.,  il  me  semble  que  c'est 
tout  au  plus,  si  l'on  peut  rattacher  cette  espèce  au  genre 
Hylobates  ou  à  un  genre  voisin,  étant  donnée  la  distance  qui 
•sépare  encore  le  P.  E.  des  anthropoïdes  miocènes  actuellement 
connus  et,  surtout,  l'insuffisance  des  restes  squelettiques  que 
l'on  en  possède.  Je  maintiens  pourtant  que  l'espèce  d'où  est 
issu  directement  le  P.  E.,  a  dû  être  très  inférieure  à  lui,  en 
raison  de  la  possibilité  d'une  transformation  très  rapide  de 
l'attitude  et  des  conséquences  multiples  de  cette  transfor- 
mation d'un  caractère  dominateur. 

11  y  a  eu  passage  non  seulement  d'une  espèce  à  une  autre, 
mais  encore,  en  même  temps,  d'une  famille  à  une  autre  et 
sans  que  ce  passage  ait  exigé  «  de  la  nature  »  de  plus  grands 
efforts  que  beaucoup  d'autres  transformations  moins  impor- 
tantes. 

Question  de  classement.  —  On  peut  essayer  de  pourvoir  le 
P.  E.  d'ascendants  hypothétiques,  mais  on  peut  le  classer 
d'une  façon  moins  provisoire.  Or,  la  place  qui  lui  a  été  attri- 
buée par  M.  Dubois  entre  les  singes  et  les  hommes,  me  sem- 
ble suffisamment  justifiée. 

Pour  ma  part,  j'avoue  que  je  n'aurais  pas  hésité  à  placer 
le  P.  E.  dans  la  famille  des  Hominiens,  car  une  espèce 
jouissant  de  l'attitude  verticale,  de  la  marche  bipède  et  d'un 
volume  cérébral  au  moins  double  de  celui  des  anthropoïdes 

T.   VI  (*c  SÉIUE).  '.I 


034  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

à  taille  égale,  sort  complètement  de  la  famille  des  Anthro- 
poïdes et  possède  les  caractères  fondamentaux  distinctifs  de 
la  famille  humaine. 

Dans  la  famille  des  Hominiens,  les  caractères  connus  du 
P.  E.,  m'eussent  paru  suffisants  pour  légitimer  la  forma- 
tion d'une  espèce  caractérisée  par  l'infériorité  du  volume  et  de 
la  forme  du  cerveau  relativement  à  l'espèce  humaine,  ou 
hien  d'un  genre,  au  cas  où  l'on  voudrait  distinguer  parmi  les 
hommes  actuels  plusieurs  espèces  différentes. 

Je  trouverais  seulement  excessive  la  distinction  faite  par 
M.  Dubois  d'une  nouvelle  famille,  car  il  suffit  de  placer  le 
P.  E.  en  dehors  de  la  famille  des  Anthropoïdes,  au-dessous 
du  genre  Homo.  On  peut  pourtant  supposer  que  le  P.  E.  ne 
possédait  pas  l'un  des  caractères  les  plus  précieux  de  l'huma- 
nité, a  savoir  le  langage  articulé.  L'étroitesse  frontale,  très 
loin  prolongée  du  crâne  de  Trinil,  permet  de  douter  que  la 
circonvolution  de  Broca  ait  été  plus  développée  chez  le  P.  E. 
que  chez  les  anthropoïdes.  Ce  dernier  caractère,  sur  la  réalité 
duquel  on  discuterait  vainement,  suffirait-il  pour  justifier 
la  formation  d'une  nouvelle  famille?  C'est  comme  on  le  vou- 
dra. 

Sur  le  chapitre  des  appellations,  c'est  à  M.  Dubois  que  doit 
être  réservé  l'honneur,  bien  mérité  par  lui,  de  choisir.  Je  me 
borne  à  émettre  un  doute  sur  la  nécessité  de  former  une 
nouvelle  famille  pour  classer  le  P.  E.  Un  nouveau  genre 
ajouté  au  genre  Homo  dans  la  famille  des  Hominiens  eût  lar- 
gement suffi,  et  les  doutes  relatifs  au  développement  de  la 
troisième  circonvolution  frontale  eussent  trouvé  une  place 
suffisante  dans  la  justification  du  genre  pitlucjnlhropus. 

D'ailleurs,  tous  ces  termes  :  famille,  genre,  espèce,  race 
n'ont  à  mes  yeux  d'autre  valeur  que  celle  tirée  de  la  subor- 
dination des  caractères  et  du  degré  de  différenciation.  Loin 
de  diminuer  l'importance  de  la  découverte  de  M.  Dubois, 
cette  discussion  ne  fait  que  mettre  davantage  en  relief  la 
qualité  de  précurseur  de  l'homme,  attribuée  par  lui  à  son 
P,  E. 


L.  MÀNOUVIUER.  —  DEUXIEME  ETUDE  SUR  LE  PITIIECANTHROPl'S      633 

Au-delà  des  temps  quaternaires,  la  théorie  transformiste 
supposait  l'existence  de  races  morphologiquement  infé- 
rieures à  celle  du  Néanderthal  et  de  Spy,  au  point  de  vue  de 
l'évolution  crânienne  et  céréhrale.  Cette  race  était,  d'ailleurs, 
tout  aussi  manifestement  humaine  que  nos  races  sauvages 
actuelles;  la  théorie  transformiste  avait  d'autant  plus  besoin 
de  trouver,  dans  les  couches  géologiques  précédentes,  une 
race  fossile  qui  méritât  mieux  l'épithète  d'intermédiaire  entre 
les  races  actuelles  les  plus  inférieures  et  les  anthropoïdes. 
Une  couche  pléistocène  de  Java  nous  a  fourni  cette  race 
assez  inférieure,  cette  fois,  pour  soulever  la  question  d'espèce, 
de  genre,  de  famille.  Cette  question  de  mots  résulte  de  ce 
qu'il  y  a  vraiment  quelque  chose  de  nouveau  à  classer  :  l'un 
des  anneaux  manquants  de  la  chaîne  ininterrompue  qui  doit, 
selon  la  théorie  transformiste,  relier  l'homme  à  une  espèce 
anthropoïde. 

Or,  l'anneau  trouvé  par  M.  Dubois  est  si  bien  placé  au 
milieu  de  la  chaîne,  qu'il  suffit  à  indiquer  l'état  des  anneaux 
manquants  en  deçà  de  lui  et  au-delà.  Et  comme  il  ne  s'agit, 
entre  l'espèce  anthropoïde  devenue  bipède  et  l'homme,  que 
d'une  question  de  pas  successifs  dans  une  même  voie,  il  me 
semble  que  le  seul  genre  Pithecanthropus  pourra  comprendre 
tous  les  degrés  parcourus  depuis  la  réalisation  parfaite  de 
l'attitude  et  de  la  marche  bipède  jusqu'à  l'état  le  plus  infé- 
rieur de  l'humanité  actuelle.  On  pourra  si  on  le  juge  néces- 
saire d'après  les  découvertes  futures,  distinguer  dans  ce  genre 
des  espèces  diverses,  comme  certains  auteurs  éprouvent  le 
besoin  d'en  établir  dans  le  genre  Homo  tel  que  nous  le  con- 
naissons. 

L'établissement  de  ce  nouveau  genre  me  semble  d'autant 
plus  suffisant  que  la  dénomination  de  races  a  paru  jusqu'il 
présent  suffisante  pour  désigner  des  groupes  humains  fort 
divers  et  que  l'on  n'a  pas  formé,  avec  raison,  une  espèce  parti- 
culière pour  la  race  du  Néanderthal  et  de  Spy.  A  fortiori  n'ira- 
t-on  pas  jusqu'au  genre.  En  réservant  donc  le  cadre  espèce  pour 
les  divisions  futures  du  genre  Homo,  si  tant  est  que  le  besoin 


63§  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

s  en  fasse  senlir,  le  cadre  genre  sera  suffisamment  large  pour 
comprendre  tous  les  intermédiaires  possibles  entre  les  Anthro- 
poïdes et  l'Homme.  Un  seul  genre,  même,  sera  suffisant;  car 
s'il  y  a  eu  plusieurs  souches  différentes  intermédiaires  entre 
les  singes  et  l'Homme,  elles  n'ont  pas  dû  différer  plus  entre 
elles  que  ne  diffèrent  les  diverses  races  humaines  qui  en  sont 
issues  et  dont  personne,  certainement,  ne  voudrait  faire  des 
genres,  puisque  c'est  déjà  hardi  d'en  faire  des  espèces. 

Ainsi  donc,  en  raison  de  l'importance  très  haute  des  carac- 
tères intellectuels  et  de  la  prohabilité  que  l'espèce  anthropo- 
morphe de  Trinil  n'a  pas  dépassé,  sous  ce  rapport,  la  moitié  de 
la  distance  qui  sépare  les  anthropoïdes  de  l'homme,  on  peut 
admettre  pour  cette  espèce  jugée  indigne  du  nom  de  sapiens, 
le  nom  d'erectus,  excellent  pour  indiquer  la  cause  de  son  ache- 
minement vers  un  degré  supérieur  d'intelligence.  On  peut 
même,  pour  marquer  plus  fortement  l'importance  des  carac- 
tères intellectuels,  ranger  cette  espèce  dans  un  genre  nou- 
veau Pilhecanthropus.  Mais  cela  suffit.  Le  nouveau  genre,  pos- 
sédant tous  les  attributs  caractéristiques  de  la  famille  des 
Hominiens,  peut  prendre  place  dans  cette  famille,  à  un  rang 
inférieur,  et  il  pourra  comprendre,  sans  difficulté,  toutes  les 
espèces  ou  races  intermédiaires  qui  ont  pu  exister  entre  l'es- 
pèce jugée  digne  du  nom  d'Homo  sapiens  et  l'espèce  qui,  la 
première,  sortit  de  la  famille  des  Anthropoïdes  en  adoptant 
l'attitude  et  la  marche  bipèdes,  causes  de  la  supériorité  hu- 
maine. 

Questions  de  possibilité  de  la  transformation.  —  Les  motifs 
du  passage  à  la  marche  bipède  ont  dû  être  très  impérieux, 
car  il  est  difficile  de  croire  que,  sans  cela,  une  espèce  de 
grimpeurs  eût  pris  spontanément  l'audacieuse  initiative  de 
renoncer  à  un  mode  de  locomotion  en  rapport  avec  une 
adaptation  instinctivement  et  organiquement  fixée. 

Entre  autres  hypothèses  à  ce  sujet,  on  peut  supposer  la 
destruction  plus  ou  moins  complète  des  forêts  dans  une  île 
habitée  par  des  anthropoïdes  capables  de  prendre,  au  besoin, 
l'attitude  bipède.  Un  volcan  aurait  pu  accomplir  cette  destruc- 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHRO  PUS      637 

tion  et  rendre  nécessaire,  sous  peine  de  suppression  de  la 
race,  l'adoption  de  la  marche  bipède,  d'ailleurs  assez  facile 
pour  une  race  du  genre  IJy lobâtes. 

En  refusant  au  P.  E.  la  qualité  d'ancêtre  humain,  on  n'ex- 
pliquerait pas  plus  facilement  la  disparition  d'une  espèce 
anthropomorphe  aussi  supérieure  à  toutes  le.s  autres  espèces 
simiennes  que  l'était  celle  de  l'individu  fossile  de  Trinil,  car 
elle  était  de  forte  taille  et  cérébralement  supérieure  à  toutes 
les  autres.  Elle  possédait  donc  de  grandes  chances  de  survie 
dans  la  concurrence  vitale.  Dans  l'hypothèse  ici  envisagée, 
l'espèce  Pithecanthropus  erectus  n'aurait  pas  disparu.  Deve- 
nue race  humaine,  elle  ne  pouvait  pas  rester  en  même  temps 
une  race  anthropoïde.  Si  le  Pithecanthropus  n'était  qu'un 
simple  précurseur,  il  était  assez  supérieur  aux  autres  ani- 
maux pour  survivre  à  l'état  d'espèce,  à  moins  que  l'es'pèce 
humaine  surgissant  tout  à  coup  «  du  limon  de  la  terre  »  ne  se 
soit  empressée  de  faire  disparaître  ce  concurrent  dangereux, 
Mais  si  le  P.  E.  était  un  ancêtre,  son  espèce  survit  encore 
dans  sa  descendauce  humaine. 

La  différence  est  si  faible  entre  le  P.  E.  et  l'homme  actuel 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  chercher  un  chaînon  intermédiaire. 
Ce  chaînon  est  suffisamment  représenté  par  la  portion  la  plus 
arriérée  de  nos  races  sauvages,  à  preuve  l'attribution  du 
crâne  de  Trinil  lui-même  à  quelque  race  humaine. 

Si  l'on  admet  que,  parmi  plusieurs  espèces  fossiles  de  gib- 
bons Gx,  Gy,  Gz,  cette  dernière  espèce  ait  évolué  vers  le  type 
humain  et  soit  devenue,  en  prenant  l'attitude  bipède,  d'abord 
un  anthropomorphe  marcheur  ==  H°,  puis  le  Pithecanthropus 
Erectus  =  II1,  puis  que  celle-ci,  en  vertu  des  conséquences 
multiples  de  l'attitude  bipède,  soit  devenue  progressivement 
1P,  stade  correspondant  à  la  basse  portion  des  races  actuelles 
les  moins  avancées,  on  obtient  : 

Gibbon  x. 

Gibbon  y. 

Gibbon,.  --Il"-  ■-«!'.  g.  -,  II»)  — IH. 
Il   doit  donc  y  avoir,  dans  la    faune  adurlK    un    bialus 


038  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

formé  par  la  transformation  du  Gibbon  z  en  11°,  puis  de  11° 
en  II1,  puis  de  H1  en  II2,  de  telle  sorte  que,  dans  cette  faune 
actuelle,  l'espèce  la  plus  rapprochée  de  H'2  doit  être  une  espèce 
très  inférieure,  issue  du  Gibbon  x  ou  y.  Le  fossé  doit  être  ici 
d'autant  plus  grand  qu'il  ne  s'agirait  pas  seulement  de  la 
transformation  d'un  quadrupède  en  un  autre  quadrupède 
conservant  les  caractères  génériques  de  son  ancêtre,  mais 
bien  d'une  transformation  de  l'attitude  elle-même,  entraînant 
un  changement  radical  de  type  et  des  modifications  physio- 
psychologiques  très  profondes. 

On  conçoit  qu'une  transformation  aussi  importante  entraî- 
née par  des  circonstances  aussi  impérieuses  que  celles  indi- 
quées plus  haut  ait  dû  être  une  condition  sine  quâ  non  de 
survivance  pour  tous  les  individus  de  l'espèce  transformée 
qui  se  sont  trouvés  dans  ces  circonstances.  Des  grimpeurs 
privés  de  leurs  forêts  et  capables  de  marcher  plus  ou  moins 
bien  ont  dû  devenir  marcheurs  quadrupèdes  ou  bipèdes  sous 
peine  de  mourir  de  faim.  Ceux-là  seuls  qui  ont  évolué  ont  pu 
perpétuer  la  race. 

L'existence  d'un  hiatus  entre  deux  espèces  vivantes,  voi- 
sines l'une  de  l'autre,  ne  peut  donc  servir  d'argument  contre 
la  théorie  transformiste.  Ce  hiatus,  comme  on  vient  de  le 
voir,  peut  être,  au  contraire,  un  résultat  direct  de  la  trans- 
formation d'une  espèce  en  une  autre. 

Bien  que  la  transformation  ici  supposée  ait  été  très  pro- 
fonde, de  façon  à  donner  naissance  à  un  prétendu  nouveau 
règne,  au  règne  humain,  cette  transformation  aurait  pu  se 
produire,  selon  l'hypothèse  exposée  ci-dessus,  sans  que  la 
nature  ait  été  obligée  de  faire  le  moindre  saut.  Il  se  peut 
qu'au  point  de  vue  purement  zootaxique,  on  constate  un 
sallus  véritable  ;  mais  je  viens  de  montrer  que  ce  saltus  a  pu 
être  la  conséquence  graduelle  d'une  simple  modification  d'ha- 
bitudes locomotrices  dans  une  race  de  singes  déjà  capable  de 
prendre  l'attitude  bipède.  Ce  changement  a  pu  être  brusque- 
ment motivé,  mais  il  n'y  a  pas  eu  de  saut  anatomique  du 
gibbon  s  à  l'homme  actuel. 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      639 

Ce  qui  a  pu  se  produire  brusquement,  c'est  la  condition 
extérieure  d'où  Serait  résultée,  pour  une  race  anthropoïde 
de  grimpeurs,  la  nécessité  d'adopter  habituellement  un  mode 
de  locomotion  qu'elle  était  apte  à  utiliser  occasionnellement. 
Mais  il  n'y  aurait  eu  de  brusque,  au  point  de  vue  biologique, 
qu'un  simple  accroissement  de  fréquence  dans  l'utilisation 
d'une  aptitude  fonctionnelle  déjà  existante.  Des  modifications 
anatomiques  multiples  et  considérables  peuvent  avoir  été 
entraînées  parce  seul  changement  d'attitude  habituelle,  mais 
elles  ont  dû  se  produire  par  degrés  d'autant  plus  insensibles 
que,  déjà,  les  anthropoïdes  se  rapprochaient  morphologique- 
ment beaucoup  plus  de  l'homme  que  des  singes  quadrupèdes 
par  leur  conformation  générale  (Huxley,  Broca). 

S'il  existe  un  fossé  entre  l'espèce  humaine  actuelle  et  le 
précurseur,  les  restes  fossiles  des  races  intermédiaires  n'en 
doivent  pas  moins  exister.  Il  doit  y  avoir  des  restes  de  111, 
dont  les  pièces  trouvées  par  M.  Dubois,  seraient  un  premier 
spécimen.  Il  doit  y  avoir  aussi  des  restes  fossiles  du  Gibbon  z. 
Ces  derniers  pourront  être  fort  peu  distincts  des  ossements 
d'espèces  connues  du  genre  Hylobates  puisqu'ils  auront 
appartenu,  selon  notre  hypothèse,  à  une  espèce  non  encore 
transformée.  Peut-être  révèleront-ils  une  espèce  remarquable 
par  sa  stature  et  par  une  aptitude  relativement  supérieure  à 
la  marche  bipède?  Cela  n'est  point  théoriquement  nécessaire: 
les  diverses  espèces  vivantes  du  genre  Hylobates  ont  une 
conformation  qui  leur  permet  de  prendre  facilement  l'attitude 
bipède;  la  taille  a  pu  et  a  dît  (v.  p.  013)  subir  des  variations 
considérables  après  la  transformation  de  l'attitude.  Il  est 
enfin  probable  que  le  Gibbon  z  était  une  espèce  plus  rappro- 
chée de  l'homme  sous  certains  rapports  que  les  espèces  du 
genre  Hylobates  que  nous  connaissons. 

En  tout  cas,  si  l'on  admet  que  les  pièces  trouvées  à  Trinil 
représentent  réellement  les  restes  d'un  Pithecantbropus,  et 
si  l'on  admet  que  ce  P.  est  un  ancêtre  de  l'homme,  il  faut 
trouver  maintenant  un  ancêtre  à  ce  Pithocanthropus,  et  il  me 
semble  exigible  que  cet  ancêtre  no  soit  pas  inférieur,  au  poiril 


G40  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

de  vue  de  l'attitude,  aux  anthropoïdes  actuels.  Il  faut  qu'il 
ait  été  capable  de  prendre  au  besoin  l'attitude  bipède  et  qu'il 
ait  été  conduit  par  sa  conformation  a  prendre  cette  attitude 
plutôt  que  l'attitude  quadrupède.  Tel  serait  certainement  le 
cas  de  tous  les  anthropoïdes  connus.. 

Rappelons  ici  l'existence,  à  l'époque  miocène,  de  plusieurs 
espèces  anthropoïdes  telles  que  le  Dryopithecus,  le  Pliopi- 
thecus  et  l'Anthropopithecus  Sivalensis.  Comme  l'a  fait 
remarquer  M.  Dubois,  son  P.  E.  ne  risque  pas,  à  son  tour,  de 
manquer  d'ascendance. 

La  transformation  du  mode  habituel  de  locomotion  a  pu 
être  très  rapide,  mais  les  transformations  'morphologiques 
consécutives  ont  dû  demander  beaucoup  de  temps  et  n'ont  pu 
être  fixées  héréditairement  qu'après  un  grand  nombre  (le 
générations.  Des  centaines  peut-être,  mais  peut-être  beaucoup 
moins,  car  la  sélection  dans  les  conditions  indiquées  plus  haut 
a  dû  être  des  plus  actives.  En  outre,  la  fixation  des  nouveaux 
caractères  a  été  assurée  par  leur  existence  dans  les  deux 
sexes  et  par  la  continuité  de  la  cause  transformatrice  chez 
tous  les  individus  pendant  toute  leur  vie. 

En  ce  qui  concerne  les  conséquences  morphologiques 
directes  de  l'attitude  bipède,  on  peut  présumer  que  ces  consé- 
quences mécaniques  ont  dû  se  produire  avec  une  grande 
rapidité  si  l'on  en  juge  d'après  les  multiples  variations  sque- 
lettiques  produites  chez  l'homme  sous  l'influence  de  varia- 
lions  fonctionnelles  minimes  relativement  à  celles  que  nous 
envisageons  ici. 

Kn  ce  qui  concerne  l'accroissement  cérébral,  il  se  fait  avec 
une  telle  lenteur  qu'à  peine  est-il  constatable  dans  nos  races 
européennes  depuis  les  temps  préhistoriques.  Or,  le  Pitheean- 
lliropus.  dont  le  poids  encéphalique  n'était  certainement  pas 
inférieur  à  700  gr.  d'après  sa  capacité  crânienne,  dépassait  de 
300  gr.  environ,  sous  ce  rapport,  les  plus  grands  gorilles.  11 
dépassait  pour  le  moins  autant  son  ancêtre  Gibbon  s,  si 
celui-ci  était  d'une  taille  égale  à  la  sienne  4.  C'est  là  une  diffé- 

1  Dans  les  évaluations  faites  à  ce  sujet,   il  faut    évidemment 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  MHIECANTHROPUS      6il 

rence  énorme.  Elje  dépasse  celle  qui  existe  entre  la  moyenne 
australienne  el  la  moyenne  des  Français  ou  des  Anglais.  Elle 
dépasse  plus  encore  celle  que  l'on  trouve,  en  Europe,  entre 
la  moyenne  d'une  série  d'hommes  quelconques  et  une  série 
d'hommes  distingués.  Elle  n'est  pourtant  pas  trop  embar- 
rassante pour  l'hypothèse  que  nous  examinons. 

Il  faut  considérer  en  effet  que  l'espèce  humaine  n'a  jamais 
réalisé,  depuis  qu'elle  existe,  un  progrès  comparable  à  celui 
qu*1  représente  le  passage  de  l'état  de  grimpeur  à  l'état  de 
marcheur  bipède.  Ce  passage  représente  une  véritable  libé- 
ration des  membres  supérieurs,  des  mains  précédemment  em- 
ployées comme  organes  dé  locomotion  au  même  titre  que  les 
pieds.  Car  c'est  à  l'aide  de  ses  mains  que  l'anthropoïde  che- 
mine dans  les  arbres  ;  c'est  avec  ses  bras  puissants  qu'il  se 
lient  suspendu  avec  l'aisance  d'un  petit  enfant  qui  serait 
muni  de  bras  d'adulle.  C'est  par  le  mode  de  locomotion  du 
grimpeur  que  la  main  est  devenue  peu  à  peu  apte  à  la  fonc- 
tion de  préhension,  puis  à  la  fonction  de  manipulation;  et 
c'est  grâce  à  l'émancipation  complète  du  membre  supé- 
rieur par  rapport  à  la  locomotion  que  les  fonctions  de 
préhension  et  de  manipulation  de  la  main  ont  pu  acquérir 
des  appropriations  plus  variées.  Le  perfectionnement  du 
sens  tactile  a  du  être  un  résultat  immédiat  de  cette  émanci- 
pation. Ce  résultat  a  dû  entraîner  l'acquisition  d'une  foule 
de  notions  nouvelles  suggérant  des  mouvements  nouveaux, 
des  actions  nouvelles.  D'où  la  multiplication  des  mouvements 
des  doigts  et  de  leurs  combinaisons,  l'accroissement  de 
l'adresse  manuelle  et  toutes  les  conséquences  psychologiques, 
réagissant  les  unes  sur  les  autres,  qui  ont  dû  nécessairement 
dériver  de  l'accroissement  en  variété  et  complexité  des  repré- 
sentations sensorielles  et  motrices  nouvellement  acquises.  Je 
ne  saurais  mieux  faire  que  de  renvoyer  le  lecteur,  sur  ce  sujet, 
aux  belles  pages  consacrées  par  Herbert  Spencer  au  parallé- 

ramenor  le  poids  encéphalique  à  celai  que  comporte  une  taille 
égale  à  celle  du  V.  E. 


642  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

lisme  du  perfectionnement  sensoriel  et  moteur  dans  la  série 
animale  et  du  perfectionnement  intellectuel.  ' 

Le  passage  suivant  de  Broca,  doit  être  ici  ('gaiement 
rappelé  : 

«  Aux  conditions  analomiques  déjà  réunies  en  eux  (les  anthro- 
poïdes), ajoutez  le  peu  qui  leur  manque  pour  devenir  tout  à  fait 
droits,  pour  èlre  en  parfait  équilibre  'ur  leurs  deux  pieds,  sans  fa- 
tigue musculaire  bien  notable,  et  vous  verrez  aussitôt  s'agrandir 
presque  indéfiniment  les  horizons  de  la  vie.  L'homme,  car  c'est  de 
lui  que  je  parle  à  présent,  pourra  déployer  et  utiliser  partout  ses 
forces.  Il  ne  sera  pas  confiné  dans  la  forêt,  il  pourra  parcourir  la 
savane,  traverser  les  steppes,  habiter  à  son  choix  la  plaine  ou  la 
montagne,  et  devenir  le  conquérant  de  la  planète  entière.  Sa  main, 
détachée  du  sol,  ne  sera  plus  qu'un  merveilleux  instrument  du  tra- 
vail, instrument  actif  à  l'aide  duquel  il  pourra  se  créer  des  instru- 
ments passifs,  fabriquer  et  manier  des  outils,  des  armes  offensives 
et  défensives.  Capable  de  courir  partout,  il  pourra  poursuivre  et 
atteindre  une  proie  vivante  et  ajouter  à  son  régime  végétal  une 
nourriture  animale.  '  ». 

Il  est  impossible  de  dire  approximativement  à  quelle  aug- 
mentation de  poids  cérébral  peut  correspondre  la  transforma- 
tion dont  il  s'agit,  mais  il  y  a  lieu  de  croire  que  cette 
augmentation  a  dû  être  très  forte,  d'autant  plus  que 
l'accroissement  intellectuel  en  question  aurait  porté  simulta- 
nément sur  les  représentations  sensorielles  et  motrices,  sur 
un  ordre  de  sensations  dont  l'importance  psychologique  est 
extrême,  sur  un  ordre  de  mouvements  (les  mouvements  des 
doigts)  très  complexe  et  que  nous  savons  être  d'un  grand 
secours  dans  la  fonction  d'expression.  Cette  fonction  est  peut- 
être  la  plus  importante  à  considérer  ici,  parce  que  ses  progrès 
retentissent  d'une  façon  capitale  sur  le  développement  intel- 
lectuel et  social.  On  a  pu  remarquer,  chez  divers  peuples  sau- 

1  H.    Spencer.  Principes  de  Psycholoyie.    Ed.  française    T.    I. 
p.  311  ss. 
1  P.  Broca.  L'ordre  des  Primates.  ()fc'm.  T.  III.  p.  112). 


L.  MÀNOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUK  LE  PITHECANTHROPUS      643 

vages,  combien  le.  langage  par  gestes  supplée  aux  imperfec- 
tions du  langage  parlé;  il  est  donc  permis  de  supposer  que 
les  mouvements  des  mains  et  des  doigts  figuraient  pour  une 
large  part  parmi  les  moyens  d'expression  primitifs  de  l'homme 
pliocène.  Ces  mouvements  peuvent  être  assimilés,  au  point 
de  vue  delà  complexité  du  langage,  à  la  parole  rudimentaire. 

Je  ne  crois  pas  que  l'on  puisse  citer  aucune  cause  ultérieure 
de  progrès  psychologique  et  d'accroissement  du  poids  céré- 
bral comparable  en  puissance  à  l'émancipation  des  membres 
supérieurs.  Il  est  donc  permis  de  ne  point  s'étonner  de  voir  le 
volume  encéphalique  du  Pithecanthropus  dépasser  de  400  cen- 
lim.  cubes,  à  taille  égale,  celui  des  anthopoïdes  grimpeurs.  Le 
perfectionnement  du  langage  articulé  a  dû  être,  depuis,  le 
principal  facteur  survenu  du  progrès  psychologique  et  céré- 
bral, mais  il  est  probable  que  ce  dernier  progrès,  auquel 
serait  due  en  grande  partie  la  supériorité  des  races  actuelles 
les  plus  inférieures  par  rapport  au  Pithecanthropus,  a  été 
plus  lentement  progressif.  11  n'a  pas  été  beaucoup  moins  im- 
portant que  le  précédent  dont  il  n'a  été  que  la  continuation 
en  ce  qui  concerne  l'influence  du  langage.  C'est  que  chaque 
progrès  réalisé  dans  une  portion  de  l'intelligence  devient  lui- 
même  un  nouvel  élément  de  progrès  intellectuel. 

Voici  quelques  chiffres  propres  à  fixer  les  idées  sur  la  mar- 
che de  l'accroissement  quantitatif  de  l'encéphale  depuis  l'an- 
thropoïde précurseur  jusqu'à  l'homme  sauvage  actuel  que  nous 
représenterons  par  la  race  australienne,  dont  la  taille  moyenne 
ne  paraît  pas  s'éloigner  notablement  de  celle  du  Pithecan- 
thropus. 

Le  poids  encéphalique  d'un  gibbon  a  été  trouvé  =  103  gr. 
(Chudzinski).  Mais  le  gibbon  supposé  précurseur  ayant  dû 
posséder  ou  acquérir  une  taille  humaine,  d'après  le  fémur  de 
Trinil,  il  faut,  pour  tenir  compte  de  l'influence  de  la  taille  sur 
le  poids  de  l'encéphale,  ramener  ce  dernier  à  un  chiffre  supé- 
rieur à  celui  du  chimpanzé  qui  est  de  387  gr.1  Un  chimpanzé 

<  V.  mon  mémoire  sur  Y  Interprétation  de  la  quantité  dans  l'en- 
céphale, ch.  I.  (Mém.  de  la  Soc.  d'Anthr.  de  Paris,  2e  série,  t.  111). 


64-4  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE   189.') 

qui  aurait  une  taille  humaine  pourrait  bien  avoir  un  poids 
encéphalique  de  500  grammes  environ.  Pour  le  Pithecanlhro- 
pus,  en  multipliant  la  capacité  crânienne,  évaluée  ;i  1 ,000  ce, 
par  l'équivalent  pondéral  0.87,  on  obtient  870  gr.,  soit  une 
différence  en  plus  ==  370.  Pour  la  race  australienne,  on  ob- 
tient de  la  même  façon,  d'après  la  moyenne  de  la  capacité 
crânienne  —  1347  ce.  un  poids  encéphalique  de  1,172  gr., ce 
qui  donne  une  supériorité  de  300  gr.  par  rapport  au  Pithe- 
canthropus,  avec  une  taille  moyenne  qui  peut  être  considérée 
comme  égale,  étant  donné  le  défaut  de  précision  de  nos  éva- 
luations. Continuant  celles-ci  et  considérant  la  progression 
humaine  dans  son  ensemble,  nous  trouvons  comme  moyenne 
des  Français  actuels,  que  nous  pouvons  désigner  par  113  (l'Aus- 
tralien étant  H2  et  le  Pithecanthropus  II1).  1,360  gr.  Enfin,  si 
nous  considérons  la  moyenne  du  poids  encéphalique  moyen 
—  1,440  gr.  environ  des  hommes  européens  distingués  comme 
représentant  une  phase  évolutive  supérieure  Il\  nous  obte- 
nons la  progression  suivante  : 

Ancêtre  anthropoïde  (à  taille  égale)..  .'500  gr.  Différences 

Pithecanthropus  II1 870  —  370  gr. 

Australien  11- 1170-  300  — 

11' 1360  -  100  — 

II1 »     —  150 '  — 

La  capacité  crânienne  a  taille  égale  peut  être  prise  utile- 
ment comme  base  d'estimation  du  progrès  vers  l'état  humain 
parfait  au  point  de  vue  zootaxique,  mais  il  serait  illusoire  d'y 
chercher  des  indications  chronométriques. 

Il  ne  s'agit  là  que  de  la  progression  purement  quantitative. 
Elle  a  été  accompagnée  d'une  progression  dans  la  forme 
générale  du  cerveau  qui  indiquerait  un  perfectionnement  dans 
la  répartition  des  différences  quantitatives.  Ce  perfectionne- 

1  Pour  ce  dernier  chiffre,  voir  mon  Essai  sur  les  qualités  intellec- 
tuelles considérées  en  fonction  de  la  supériorité  cérébrale  quanti- 
tative. (Bévue  de  l'École  d'Anthr.  de  Paris,  1894,  n°  3,  p.  71.) 


L.  MÀNOUVRIER.    —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPUS      645 

ment  est  déjà  sensible  chez  le  Pithecanthropus,  mais  cette 
question  est  trop  complexe  pour  être  abordée  ici  avec  les 
développements  nécessaires. 

J'ajouterai  seulement  à  ce  qui  a  été  dit  sur  ce  sujet  dans  le 
chapitre  précédent  que  le  progrès  morphologique  total  dont  i 
s'agit  semble  avoir  été  à  peu  près  parallèle  au  progrès  quan- 
titatif depuis  l'anthropoïde  précurseur  jusqu'à  l'homme  civi- 
lisé. Ici  encore  le  changement  le  plus  sensible  a  dû  se  pro- 
duire au  début  de  la  transformation  à  cause  de  la  corrélation 
existante  entre  l'attitude  du  corps  et  la  direction  du  trou  oc- 
cipital. La  voûte  crânienne,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  n'en 
a  pas  moins  conservé  jusqu'au  Pithecanthropus  une  forme 
passablement  pithecoïde. 

Recherches  complémentaires.  —  11  ne  serait  pas  absurde  de 
tenter  sur  diverses  espèces  de  gibbons  une  expérience  con- 
forme a  nos  hypothèses.  Elle  consisterait  à  placer  une  colonie 
gibbons  dans  des  conditions  analogues  à  celles  que  nous 
supposons  avoir  présidé  à  la  transformation  pithecanthro- 
pique,  pour  voir  simplement  ce  qui  adviendrait  des  habi- 
tudes locomotrices  de  ces  gibbons.  Les  conditions  de  l'expé- 
rience devraient  être  préalablement  discutées  avec  soin. 

En  attendant,  l'exécution  de  nouvelles  fouilles  aussi  éten- 
dues que  possible  à  Java  doit  apparaître  à  »ous  comme  une 
entreprise  d'un  haut  intérêt. 

Il  y  a  environ  une  chance  sur  deux  pour  que  l'unique  et 
très  incomplet  spécimen  découvert  à  Trinil  soit  compris  entre 
les  limites  de  Yécart  probable  par  rapport  à  la  moyenne  de  sa 
race.  Il  y  a  donc  une  chance  sur  deux  pour  qu'un  autre  spé- 
cimen sorte  de  ces  limites  et  représente,  soit  un  degré  d'évo- 
lution crânienne  supérieur,  soit  un  degré  inférieur  plus 
rapproché  de  l'état  simien.  Mais  quel  que  doive  être  le  second 
spécimen  à  découvrir,  il  sera  sans  doute  représenté  par  quel- 
ques pièces  squelettiques  manquantes  à  celui  que  nous  avons 
eu  à  étudier.  Ce  seraient  des  documents  propres  à  diminuer 
beaucoup  la  difficulté  du  problème  à  résoudre. 
Comme  forme  intermédiaire  entre  l'homme  et  les  singes,  il 


646  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

est  difficile  d'imaginer  quelque  chose  de  plus  satisfaisant  que 
le  crâne  de  Trinil.  Si  ce  crâne,  comme  il  est  probable,  n'est 
pas  exceptionnel  pour  sa  race,  on  peut  s'attendre  à  trouver 
d'autres  spécimens  plus  rapprochés  encore,  soit  de  l'homme, 
soit  du  singe.  Mais  ce  que  la  race  de  Trinil  ne  nous  a  pas 
encore  fourni,  les  races  humaines  les  plus  inférieures  ne  le 
fournissent-elles  pas  surabondamment  ?  N'existe-t-il  pas  des 
crânes  humains,  inférieurs  par  rapport  à  la  moyenne  de  leur 
race,  qui  nous  montrent  toutes  les  transitions  théoriquement 
désirables  entre  l'homme  et  le  Pithecanthropus? 

Tous  les  crânes  humains  inférieurs  que  l'on  pourra  mon- 
trer comme  se  rapprochant  de  la  forme  de  Trinil  par  certains 
caractères  suppléeront  fort  bien  à  l'absence  des  spécimens 
élevés  de  la  race  de  Pithecanthropus.  Mais  on  trouvera  diffi- 
cilement, parmi  les  crânes  humains  normaux,  des  spécimens 
aussi  franchement  et  complètement  pilhecoïdes.  11  est  fré- 
quent de  voir  tel  ou  tel  caractère  individuel  rappelant  un  type 
ancestral,  car  il  est  plus  facile  de  descendre  que  de  monter  en 
matière  d'évolution;  mais  les  arrêts  pathologiques  de  déve- 
loppement survenus  pendant  la  vie  embryonnaire  sont  seuls 
capables  de  donner  lieu  à  tout  un  ensemble  de  caractères  rap- 
pelant une  phase  lointaine  de  l'évolution  phylogénique.  Les 
idiots  microcéphales  seuls,  même  dans  les  races  humaines  les 
plus  arriérées,  présentent  cet  ensemble  de  caractères  qui  arrive 
à  réaliser  un  type  morphologique  inférieur  li  celui  du  Pithe- 
canthropus lui-même. 

La  distance  morphologique  existante  entre  le  Pithecan- 
thropus et  l'Homme  normal  doit  être  considérée  comme  un 
résultat  nécessaire  au  point  de  vue  transformiste.  C'est  la 
meilleure  portion  de  la  race  intermédiaire  qui  a  pu  survivre 
et  former  une  race  humaine  inférieure.  Celle-ci  doit  donc 
présenter  des  caractères  supérieurs  à  celle  de  la  moyenne 
ancestrale,  même  indépendamment  des  progrès  physiologi- 
quement  acquis  que  cette  race  humaine  a  pu  réaliser  depuis 
l'époque  pliocène.  L'existence  de  crânes  humains  présentant 
en  bloc  l'ensemble  des  caractères  crâniens  du  Pithecanthropus 


L.  MANOUVRIER.  —  DEUXIÈME  ÉTUDE  SUR  LE  PITIIECANTHROPUS      647 

n'est  pas  encore  démontrée,  à  moins  qu'on  ne  fasse  entrer  en 
ligne  de  compte  la  microcéphalie  plus  ou  moins  accentuée, 
c'est-à-dire  une  véritable  anomalie  par  arrêt  de  développe- 
ment. 

Mais  on  ne  peut  représenter  une  race  par  un  crâne  anormal 
et  l'on  remarquera  que,  dans  la  question  dont  il  s'agit,  la 
ressemblance  existante  entre  des  crânes  humains  plus  ou 
moins  entachés  de  microcéphalie  et  le  crâne  de  Trinil  ne  sau- 
rait contrarier  l'hypothèse  d'après  laquelle  ce  dernier  crâne 
représenterait  une  espèce  ancestrale.  Cette  ressemblance,  au 
contraire,  serait  tout  à  fait  conforme  à  la  théorie  transfor- 
miste, et  elle  existe  sans  sortir  même  des  races  civilisées.  On 
sait  que  la  microcéphalie  complète  ramène  la  forme  crânienne 
de  l'homme  au  niveau  des  singes.  C'est  donc  uniquement  la 
pauvreté  de  nos  collections  qui  a  empêché  de  trouver  parmi 
les  races  les  plus  arriérées  des  crânes  aussi  pithecoïdes  que 
celui  de  Trinil.  Les  crânes  présentés  par  sir  W.  Turner 
dans  son  très  intéressant  mémoire  sur  la  question,  ne  s'en 
rapprochent  que  partiellement.  Il  en  est  de  même  du  crâne 
Sambaqui  que  le  professeur  A.  Nehring,  de  Berlin,  vient  de 
confronter  avec  celui  de  Trinil1.  Vu  d'en  haut,  avec  une 
orientation  appropriée  à  la  circonstance,  ce  crâne  ressemble 
effectivement  un  peu  à  celui  du  Pithecanthropus,  mais  il  en 
diffère  énormément  si  l'on  considère  les  vues  de  profil. 

On  en  trouvera  certainement  de  plus  rapprochés  du  crâne  de 
Trinil  sous  le  double  rapport  de  la  forme  et  de  capacité,  mais 
ce  seront  des  crânes  très  inférieurs  à  la  moyenne  de  leur  race  ; 
ce  seront  des  submicrocéphales,  des  anormaux.  Supposons 
que  l'on  arrive  à  former  une  série  de  crânes  humains 
normaux  à  l'extrémité  inférieure  de  laquelle  pourrait  figurer 
le  crâne  de  Trinil  ;  rien  ne  serait  plus  propre  à  montrer  que 
l'espèce  du  Pithecanthropus  et  l'espèce  humaine  se  pénètrent, 
s'enchevêtrent  mutuellement.   L'enchevêtrement  serait  plus 

1  Ein  pithccanlliropos,  âhnlichcr  menschenschadel ,  etc.  (Natur- 
lOisscnschaftliche  Wochenschrift,  17  nov.  1895). 


048  SÉANCE  DU  17  OCTOBRE  1895 

complet  encore  si  l'on  trouvait  un  jour,  grâce  à  l'opération 
inverse,  une  série  fossile  de  la  race  P.  E.  dont  l'extrémité 
supérieure  se  raccorderait  morphologiquement  avec  l'état 
moyen  de  nos  races  les  plus  arriérées. 

Conclusion  générale.  —  Pour  infirmer  sérieusement  la  légitime 
et  vraisemblable  hypothèse  de  M.  Dubois,  il  faudrait  prouver 
que  le  crâne  de  Trinil  est  une  simple  monstruosité  sans  signi- 
fication ethnologique.  Ce  hasard  serait  mathématiquement 
possible,  puisque  la  race  de  Trinil  doit  avoir  eu,  comme  les 
autres,  ses  microcéphales;  et  c'est  pour  cela  que  l'opinion 
opposée  à  celle  de  M.  Dubois  peut  se  prévaloir,  jusqu'à  plus 
ample  informé,  d'une  possibilité  entre  des  milliers  de  possi- 
bilités contraires.  L'invraisemblance  d'un  cas  de  submicrocé- 
phalie  coïncidant  avec  une  taille  au  moins  moyenne  me  sembla 
plus  grande  encore  depuis  que  j'ai  vu  les  deux  molaires  de 
Trinil,  car  des  dents  trop  grosses  et  trop  grandes  pour  un 
sauvage  normalement  développé  attesteraient,  en  cas  de  mi- 
crocéphalie  humaine,  une  étrangeté  de  plus  :  une  microcépba- 
lie  qui  aurait  exagéré  non  pas  seulement  le  volume  des  dents 
par  rapport  au  crâne,  mais  encore  le  volume  absolu  des  dents 
au-delà  du  maximum  ethnique. 

L'hypothèse  d'un  cas  de  microcéphalie  étant  écartée,  deux 
autres  restent  en  présence  : 

1°  A  l'époque  pleistocène  vivait,  à  Java,  une  race  humaine 
craniologiquement  intermédiaire  entre  les  plus  inférieures 
des  races  connnes  et  des  anthropoïdes. 

2°  A  l'époque  pliocène  vivait,  à  Java,  une  race  anthropoïde 
possédant  l'attitude  bipède  et  intermédiaire  par  son  déve- 
loppement cérébral  entre  les  plus  élevés  des  singes  connus  et 
l'espèce  humaine. 

L'examen  de  ces  deux  hypothèses  au  point  de  vue  de  la 
théorie  transformiste  permet  de  les  fondre  en  une  seule.  Cet 
examen  permet  de  considérer  avec  une  grande  vraisemblance 
la  race  en  question  comme  une  race  précurseur,  pour  l'espèce 
humaine  et  ancestrale  au  même  titre  que  la  race  du  Néander- 
thal  et  de  Spy. 


L.   MAXOUVRIER.    —  DEUXIEME  ÉTUDE  SUR  LE  PITHECANTHROPES      G4î) 

D'après  le  spécimen  trouvé  par  M  Dubois,  cette  race 
anthropomorphe  était  assez  rapprochée  des  races  humaines 
actuelles  les  plus  inférieures  et  de  la  race  de  Spy  d'une  part, 
assez  peu  éloignée  des  anthropoïdes  d'autre  part,  pour  cons- 
tiuer  de  la  façon  la  plus  satisfaisante  l'anneau  jusqu'ici  man- 
quant de  la  chaîne  ininterrompue  théoriquement  admise  entre 
l'homme  et  les  singes. 

Le  crâne  suffit,  à  lui  seul,  pour  légitimer  cette  conclusion. 
Il  est  possible  qu'il  soit  inférieur  à  la  moyenne  de  sa  race, 
mais  il  y  a  des  chances  à  peu  près  égales  pour  qu'il  soit,  au 
contraire,  supérieur  à  cette  moyenne  et  il  n'existe  aucune 
raison  valable  pour  le  considérer  comme  un  cas  aberrant, 
anormal. 

Il  n'y  a  d'ailleurs  aucun  défaut  de  corrélation  anatomique 
entre  le  crâne,  les  dents  et  le  fémur  de  Trinil  ;  ces  diverses 
pièces  concordent,  au  contraire,  entre  elles.  Il  y  a  des  raisons 
assez  fortes  pour  croire  que  certains  caractères  du  fémur  sont 
dépourvus  de  valeur  ethnique,  mais  il  n'y  a  aucun  doute  à 
avoir  au  sujet  des  caractères  fémoraux  indiquant  la  marche 
bipède  et  une  stature  voisine  de  la  moyenne  humaine,  les 
deux  seuls  points  qui  importent  dans  l'interprétation  des 
diverses  pièces  au  point  de  vue  de  la  théorie  de  l'évolution. 

Jusqu'à  preuve  du  contraire,  on  peut  donc  considérer 
comme  trouvé  le  «  Missing  Unie  »,  et  les  faits  acquis  sont  en 
parfait  accord,  jusqu'à  présent,  avec  la  théorie  transfor- 
miste. 

Il  y  a  encore,  dans  tout  cela,  des  hypothèses,  je  n'en  dis- 
conviens pas  :  l'anthropoïde  par  lequel  a  débuté  la  transfor- 
mation dans  la  direction  humaine  est  à  trouver  comme  l'était 
naguère  le  stade  déjà  très  avancé  que  représente  le  P.  E. 

Mais  l'attribution  des  pièces  de  Trinil  à  deux  ou  trois 
espèces  inconnues  et  voisines  de  l'homme  ou  à  un  simple 
microcéphale,  c'est  là,  aussi,  de  l'hypothèse. 

Il  s'agit  donc  de  savoir  quelle  est  l'hypothèse  le  plus  pro- 
pre à  expliquer  les  faits  directement  en  cause  sans  être  en 
contradiction  avec  les  données  de  la  science,  et  à  éclaircir 
t.  vi  (4°  série).  42 


650  SÉANCE  DU   \~   OCTOBRE  4895 

cette  question  désormais  imposée  plus  impérieusement  que 
jamais  à  notre  examen  :  que  pouvait  être  l'espèce  humaine  à 
l'époque  pliocène  et  comment  a-t-elle  pu  prendre  naissance? 
On  ne  peut  plus  différée,  maintenant,  l'examen  de  cette  ques- 
tion dans  toute  sa  largeur. 

Les  pièces  fossiles  de  Trinil  répondent  que  l'homme  exis- 
tait déià,  qu'il  possédait  les  attributs  caractéristiques  de  la 
famille  humaine  a  un  assez  haut  degré  pour  pouvoir  être 
rangé  dans  cette  famille,  mais  qu'il  était  si  peu  éloigné,  néan- 
moins, de  la  famille  des  Anthropoïdes,  par  sa  morphologie 
crânienne  que  l'on  peut  d'ores  et  déjà  se  livrer  à  des  conjec- 
tures sérieuses  sur  le  genre  Anthropoïde  auquel  il  se  rat  lâ- 
che. La  découverte  de  M.  Dubois  est  donc  1res  importante 
pour  l'Anthropologie  et  aussi  pour  la  Philosophie  qui  entend 
se  baser  sur  des  notions  positives  à  l'exclusion  de  la  Poésie 
métaphysique. 

Sans  doute  les  pièces  fossiles  de  Trinil  n'apportent  point 
une  preuve  mathémathique  de  l'origine  simienne  de  l'homme, 
parce  que  la  question  ne  comporte  pas  de  preuve  de  ce  genre. 
Mais  elles  contribuent  à  donner  à  la  r/enète  transformiste  un 
degré  de  vraisemblance  assez  supérieur  à  celui  des  opinions 
contraires  pour  entraîner  la  conviction.  Dans  cette  question 
comme  dans  les  autres,  la  science  ne  consiste  pas  seulement 
en  un  tas,  mais  bien  en  un  enchaînement  de  faits.  Pour  dé- 
couvrir cet  enchaînement,  l'hypothèse  joue  un  rôle  néces- 
saire; et  l'on  accordera,  je  pense,  que  la  théorie  de  l'évolu- 
tion, ici  comme  ailleurs,  s'élève  quelque  peu  au-dessus  de  la 
pure  hypothèse. 

Certains  zoologistes  supposent  que  l'espèce  humaine  n'a  pas 
eu  d'ancêtres.  Si  cette  hypothèse,  dont  la  vraisemblance 
n'est  pas  de  premier  ordre,  leur  paraît  être  scientifique  et 
féconde,  l'hypothèse  opposée  peut  se  prévaloir  de  titres  supé- 
rieurs à  notre  croyance.  Et  si  l'espèce  humaine  n'est  pas 
apparue  par  génération  spontanée;  si,  d'autre  part,  les  carac- 
tères crâniens  des  hommes  quaternaires  trouvés  en  Europe 
représentaient  une  phase  évolutive  peu  éloignée  de  la  phase 


MALFORMATIONS    HEREDITAIRES  Ool 

actuelle,  il  y  ayq.it  lieu  de  supposer  que  l'on  trouverait  dans 
les  couches  pliocènes  une  race  plus  arriérée  morphologique- 
ment que  celle'du  Néandertral  et  de  Spy.  Or  c'est  précisément 
ce  qui  est  arrivé.  La  race  de  ïrinil  présente  des  caractères 
tels  qu'elle  pourrait  être  résultée  directement  de  la  transfor- 
mation d'une  race  d'anthropoïdes  grimpeurs.  Dans  ces  con- 
ditions, si  le  doute  qui  peut  subsister  au  sujet  de  l'origine 
simienne  de  l'homme  est  uniquement  proportionné  aux  rai- 
sons d'ordre  scientifique  capables  de  le  motiver,  il  me  parait 
devoir  être  bien  mince. 

L'un  des  secrétaires  :  P.  Raymond. 


^-^o^ja^f^— »- 


630e  SÉANCE.  —  7  novembre  1895. 
Présidence  de   M.   André  Lefèvre. 

A  propos  du  procès-verbal. 
Malformations  congénitales. 

M.  Sanson.  —  Je  ferai  remarquer,  d'abord,  que  le  fait 
intéressant  communiqué  par  M.  Moutard-Martin  s'ajoute  à 
beaucoup  d'autres  déjà  connus  pour  montrer  que  les  mal- 
formations congénitales  se  transmettent  par  hérédité.  L'un 
des  plus  remarquables,  parmi  ces  faits,  est  celui  qui  a  été 
observé  par  M.  Èedârt,  sur  une  famille  dans  laquelle  il  avait 
pu  suivre,  dans  quatre  générations,  la  transmission  des 
mains  et  des  pieds  dits  en  pince.  Sa  description  détaillée 
figure  dans  nos  Bulletins.  Depuis,  il  m'a  personnellement  fail 
connaître  l'existence,  chez  un  sujet  de  la  cinquième  généra- 
lion,  de  cette  même  malformation  héréditaire.  Je  ne  sache 
pas  qu'aucune  autre  ait  été  ainsi  suivie  durant  aussi  long- 
temps et  avec  les  mêmes  garanties  de  ceEtidude'. 

Cela  m'amène  à  examiner,  ensuite,  l'idée  formulée  par 
Tailleur  qu'a  rilé  M.   Muula -d-.Ma  ri  in  et  qui  èsl    relative  à  la 


052  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

tendance  au  retour  vers  le  type  normal.  Cette  tendance  n'est 
pas  douteuse.  En  zootechnie,  nous  en  avons  de  nombreux 
exemples.  Mais  les  cas  cités  ici  ne  suffiraient  point  pour  l'éta- 
blir. En  effet,  dans  ces  cas,  un  seul  des  reproducteurs  était 
atteint  de  la  malformation.  Le  produit  avait,  en  principe, 
autant  de  chances  d'hériter  de  l'un  que  de  l'autre.  S'il  naît 
normal,  on  peut  admettre  qu*il  a  hérité  de  celui  de  ses  pa- 
rents qui  était  lui-même  indemne.  Le  vrai  phénomène  de 
réversion,  c'est  quand  de  deux  procréateurs  atteints  de  la 
même  malformation,  naît  un  individu  qui  ne  la  présente  à 
aucun  degré,  comme  l'exemple  nous  en  a  été  fourni  bien  des 
fois  par  l'ancienne  variété  des  mérinos  à  laine  soyeuse  de 
Mauchamp.  On  voyait,  de  temps  à  autre,  réapparaître  dans 
le  troupeau  de  l'Etat  le  lainage  normal  de  la  race.  C'est 
qu'alors  l'atavisme  de  la  race  était  plus  puissant  que  l'ata- 
visme de  famille  et  que  l'hérédité  individuelle,  ce  qui,  du 
reste,  est  le  cas  ordinaire. 

J'ai  saisi  au  passage  l'observation  qu'un  père  atteint  de 
la  malformation  des  mains  et  des  pieds  dont  il  est  question 
l'avait  surtout  transmise  à  ses  fils.  Cela  me  paraît  pouvoir 
s'interpréter  aisément  d'après  les  lois  connues  de  l'hérédité. 
Je  suis  de  ceux  qui  pensent,  avec  Girou  de  Buzareingues,  que 
la  transmission  du  sexe  dépend  de  la  puissance  héréditaire 
individuelle.  S'il  en  est  ainsi,  et  les  faits  ne  permettent  guère 
d'en  douter  dans  la  plupart  des  cas,  cette  puissance  hérédi- 
taire individuelle  doit  aussi  influer  sur  la  transmission  des 
autres  parties  de  l'organisme.  Mais  il  s'agit  là  d'une  chose 
complexe,  au  sujet  de  laquelle  il  nous  reste  encore  beaucoup 
à  apprendre.  La  preuve  en  est  que  dans  le  cas  observé  par 
M.  Moutard-Martin,  la  transmission  s'est  faite  du  père  à  la 
fille.  Dans  ce  cas,  apparemment,  il  y  a  eu  conflit  des  deux  héré- 
dités individuelles  en  présence,  et  peut-être  aussi  atavisme 
de  famille  à  l'égard  de  la  malformation.  L'état  général  de  la 
santé  du  père  me  paraîtrait  fortement  militer  en  faveur  de  la 
dernière  interprétation. 


COMMUNICATIONS  653 

Dimiuiitiou  de  la  population  de  la  France. 

.M.  Arsène  Dumont  communique  la  lettre  suivante,  qui  lui  a 
été  adressée  par  Mme  Cl.  Royer,  à  propos  de  son  récent  mé- 
moire sur  le  mouvement  de  la  population  française  en  1893  : 

Monsieur  et  cher  collègue, 

Comme  vous,  je  ne  crois  point  qu'une  Providence  s'occupe 
des  affaires  humaines;  elles  subissent  l'empire  d'une  puis- 
sance bien  plus  formidable  :  C'est  la  nécessité  des  choses  et 
l'inéluctabilité  des  lois  naturelles  et  économiques,  de  ces  lois 
qu'il  est  de  mode,  aujourd'hui,  de  traiter  de  «vieille  ren- 
gaine. » 

Loin  d'exprimer  la  crainte  du  surpeuplement,  j'ai  dit  que  la 
dépopulation  de  l'Europe  est  fatale,  et  que  la  France  ne  fait, 
en  cela,  qu'ouvrir  la  marche. 

Elle  est  fatale  en  France  pour  des  causes  multiples  que 
voici  : 

1°  Chaque  citoyen  y  naît  débiteur  de  plus  de  mille  francs, 
en  moyenne,  et  presque  du  double  en  comptant  les  dettes 
des  communes. 

2°  Chacun  y  supporte  une  moyenne  d'impôt  égale  au 
quotient  du  budget  de  l'État  qui,  augmenté  de  celui  des 
départements  et  des  communes,  approche  de  5  milliards  di- 
visé par  36  millions  d'habitants  s'élève  à  139  fr. 

3"  Chaque  homme  valide  y  est  enlevé  au  travail  à  l'âge 
»lu  mariage,  pour  être  encaserné  dans  les  villes  dont  il  prend 
les  habitudes  et  d'où  il  ne  revient  plus  aux  champs. 

-4°  La  petite  culture  y  est  fatalement  condamnée,  parce  que 
le  petit  propriétaire  ou  le  petit  fermier  ne  peuvent  vendre 
assez  de  produits  pour  acheter  ceux  qu'ils  ne  peuvent  pro- 
duire et  qui  sont  tous  frappés  par  le  fisc. 

5o  Tandis  qtiè  les  grands  propriétaires  du  sol  prétendent 
en  maintenir  la  renie  par  des  lois  fiscales,  on  peut  avoir  pour 
ïo,000  fr.,  dans  l'Amérique  du  Sud,  un  kilomètre  carré  de 


654  SÉANCE  DU   7  NOVEMBRE  1895 

terres   vierges  pouvant    donner   dix  ans   de  récoltes    sans 
fumure. 

6°  Les  populations  agricoles,  ruinées,  privées  de  travail 
par  les  machines,  refluent  dans  les  villes  et  ne  peuvent  s'y 
loger  que  dans  des  taudis  qu'elles  paient  au  minimum  10  fr. 
le  mètre  superficiel,  sous  les  toits. 

7°  L'industrie,  découragée  par  la  fiscalité,  voit  se  fermer  les 
marchés  étrangers,  diminuer  le  marché  national  et  ne  peut 
plus  occuper  les  bras  disponibles. 

8°  Le  capital,  effrayé  des  risque  d'une  industrie  qui  péri- 
clite, reflue  vers  les  fonds  d'Etat  et  n'obtient  plus  qu'une 
rente  si  minime  qu'elle  décourage  l'épargne. 

9°  L'inégalité  des  fortunes,  décroissant  en  même  temps  que 
leur  moyenne,  supprime  peu  à  peu  les  industries  de  luxe  les 
plus  rémunératrices  avec  ceux  qui  en  vivaient. 

10°  La  culture  intellectuelle  s'égalisa nt  comme  les  fortunes 
avec  un  abaissement  rapide  delà  moyenne,  les  besoins  crois- 
sent plus  vite  que  la  possibilité  de  les  satisfaire.  On  veut  jouir 
davantage  et  on  ne  veut  pas  mettre  au  monde  des  enfants 
voués  à  la  misère  ou  du  moins  à  la  déchéance. 

La  carte  que  vous  avez  eu  l'obligeance  de  m'envoyer 
confirme  tous  ces  faits  et  leurs  conséquences. 

Les  seules  populations  qui  donnent  encore  un  nombre  de 
naissances  égal  à  celui  des  décès,  sont  les  populations  arrié- 
rées du  plateau  central  et  de  la  Bretagne,  parce  qu'elles  ont 
conservé  encore  quelque  chose  des  habitudes  de  nos  vieux 
paysans,  qui  se  nourrissaient  de  pain  noir,  de  châtaignes,  de 
pommes  de  terre  et  de  viande  de  porc.  Partout  où  le  paysan 
mange  du  pain  blanc  el  de  la  viande  et  boit  du  vin;  partout 
où  les  femmes  ont  quitté  la  robe  de  bure,  lilée  de  la  laine  de 
leurs  moutons,  pour  les  modes  de  Paris,  la  population  décroît, 
parce  qu'on  y  est  devenu  plus  prévoyant  et  plus  égoïste  à  la 
fois,  et  que  les  instincts  y  subissent  la  puissance  inbibitoire 
fie  la  volonté  réfléchie'. 

Chacun  consulte  son  intérêt  qui  n'est  jamais  d'avoir  beau- 
coup d'enfants,  dans  l'intérêt  même  de  ceux  qu'on  à, 


CL.  ROYKR.   —  DIMINUTION  DE  LA  POPULATION  65S 

Si,  au  Nord,  vous  avez  un  groupe  de  départements  où  la 
population  maintient  ses  rangs,  c'est  grâce  à  l'activité  des 
industries  locales  et  à  la  basse  moyenne  intellectuelle  de  leurs 
populations  ouvrières.  En  Bretagne,  l'industrie  maritime 
s'ajoute  à  la  simplicité  des  mœurs  agricoles  du  centre  de  la 
péninsule  pour  maintenir  la  natalité,  grande  partout  où  règne 
la  grande  propriété  foncière. 

Plus  la  propriété  est  divisée,  plus  est  rapide  la  dépopula- 
tion, parce  que  les  héritages  y  ont  atteint  la  limite  de  la  divi- 
sibilité, que  les  frais  de  partage  en  absorbent  la  plus  grande 
partie  et  que  les  héritiers  ruinés  sont  chassés  dans  les 
villes. 

Pour  remédier  à  tout  cela,  il  ne  faut  rien  moins  qu'une 
refonte  générale  de  nos  lois  civiles  et  l'abandon  total  des  vieux 
principes  du  droit  romain,  qui  est  en  train  de  nous  tuer,  comme 
il  a  tué  Rome  et,  mieux  encore,  grâce  à  ce  qu'a  pu  y  ajouter  le 
droit  canon. 

11  faut  une  nouvelle  organisation  de  la  famille  qui  l'élargisse. 
L'unité  sociale  composée  du  père,  de  la  mère  et  des  enfants  est 
condamnée.  Il  faut  l'héritage  indivisible.  Gomme  l'homme  se 
soustrait  de  plus  en  plus  aux  charges  de  la  famille,  il  faut 
que  l'héritage  descende  en  ligne  féminine  exclusivement,  sous 
les  garanties  du  régime  dotal,  afin  que  la  vie  des  enfants  soit 
assurée  avec  celle  de  leur  mère. 
Le  retour  au  matriarcat  primitif  s'impose. 
11  faut  fonder  la.  gens  maternelle,  la  filiation  du  nom  par  les 
femmes.  Les  enfants  doivent  grandir  autour  de  l'aïeule,  chef 
de  famille  par  droit  de  sénescence.  Il  faut  que  la  vie  doue- 
tique  reste  commune  entre  la  mère  et  ses  lilles,  dès  lors  libres 
de  s'adonner  aux  professions   rémunératrices,  et  que  leurs 
enfants  soient  protégés  plus  efficacement  que  par  leurs  pères. 
Vous  semblez  regretter  que  les  gens  riches  aient  peu  d'en- 
fants. 11  est  heureux  qu'il  en  soit  ainsi   pour  qu'ils  ne  spienl 
pas  condamnés  aux  souffrances  de  la  déchéance  et  ne  pas 
multiplier  les  déclassés;  afin  qu'il  ivsle  en  haut  de  la  pyra- 
mide sociale  assez  de  places  vides  pour  enlrelenir  chez  les 


G56  SÉANCE  DU  7  NQVEMBBE  4895 

basses  classes  l'émulation  d'y  monter,  qui  est  la  condition  du 
progrès  ;  et,  enfin,  pour  retarder  l'égalisation  des  fortunes, 
dont  le  résultat  immédiat  est  une  diminution  de  la  densité  de 
la  population  et  son  appauvrissement  général. 

En  tout  pays,  le  nombre  des  individus  qui  ont  juste  les 
moyens  de  ne  pas  mourir,  est  à  peu  près  constant  et  égal  a 
celui  des  sauvages  primitifs  qui  occupaient  le  sol;  tout  le  pro- 
grès des  civilisations  consiste  à  multiplier  les  étages  de  la 
pyramide  sociale,  dont  la  base  reste  constante  et  dont  la  hau- 
teur seule  peut  augmenter. 

Vous  allez  dire,  Monsieur  et  cher  collègue,  que  c'est  un 
nouveau  traité  que  je  vous  envoie;  mais,  je  crois,  le  déposer 
en  bonnes  mains. 

Dans  vos  savantes  études  de  statistique  locale,  vous  lui 
ferez  porter  tous  ses  fruits;  et,  je  vous  serai  obligée  de  com- 
muniquer celle  lettre  à  la  Société  quand  vous  y  viendrez.  J'ai 
le  regret,  maintenant,  de  ne  pouvoir  y  aller  que  rarement. 

Agréez,  etc. 

OUVRAGES   OFFERTS. 

Georges  et  Chauvet.  —  Cachettes  d'objets  en  bronze  découvertes 
à  Venat,  commune  de  Saint-Yrieix  (Rapports  extr.  du  Bull,  de 
la  Soc.  archéol.  et  kist.  de  la  Ckarenle),  in-8°,  288  p.  avec  fig. 
et  XXIV  planches.  Angoulème,  1893. 

Guubieri  (II.)  et  Masetti  (E.).  —  Influenza  del  sesso  e  delV 
età  sut  peso  del  cranio  e  délia  mandibola  (Ex.tr.  de  la  Rivista  spc- 
rim.  di  freniatria  e  di  medicina  légale),  in-8,  24  p.  et  planche. 
Reggio-Emilia,  1895. 

IIong-Tjyong  ou.  —  Le  Bois  sec  refleuri  (roman  coréen  tra- 
duit sur  le  texte  original;  in  Annales  du  Musée  Guimel,  biblio- 
thèque de  vulgarisation,  vol.  VIII,  in-18,  192  p.  Paris,  1895. 

Hepburn  (Dr  David).  —  The papillary  ridgcs  on  the  hands  and 
feel  of  monk>i;/i  and  men  (Ext.  de  The  scienlific  transactions  of 
the  royal  Dublin  Society),  in-4°,  15  p.  avec  pi.  Dublin,  1895. 

HoBERTsoiN.  —  Kafiristjan  and  its people,  in--4°,  104  p. 


ELECTIONS  657 

Souza-Gomkz  (de):  —  Crimes  a  crimiuosos,  in-8,  23  p.  Bio  de 
Janeiro,  4895. 

Yastrebov  (VI.).  —  Pains  de  noces  rituels  en  Ukraine  (Extr. 
de  la  Revue  des  Traditions  populaires),  in-8,  12  p.  Paris,  1895. 

périodiques  (articles  à  signaler^ 

L'Anthropologie,  1896,  n°  5.  —  M.  Boule  :  La  ballastière  de 
Tilloux;  —  R.  Verneau  :  Ouolofs,  Leybous  et  Sérères. 

Bull,  de  la  Société  anatomique  de  Paris,  1895,  nos  1  à  11.  — 
H.  Morestin  :  Muscle  ilio-rotulien  surnuméraire;  Anomalie  de 
l'angulaire  de  l'omoplate;  Anomalie  de  l'accessoire  du  long 
fléchisseur  commun  des  orteils;  Acromion  formant  un  osselet 
distinct  articulé  avec  l'épine  de  l'omoplate;  Le  ligament 
cunéo-métatarsien  transverse  chez  les  singes  et  chez  l'homme  ; 

—  Caracotchian  :  Urte  anomalie  de  l'appendice  cœcal  ;  —  Mo- 
restin :  Osselet  surnuméraire  entre  les  hases  du  premier  et 
du  deuxième  métatarsiens;  —  Fromont  :  Anomalies  muscu- 
laires multiples  de  la  main:  —  Grenet  :  Foie  multilobulé. 

C.  H.  de  la  Société  de  biologie,  1895,  n°  28.  —  Ch.  Féré  :  Note 
sur  la  sensibilité  de  la  pulpe  des  doigts. 

Union  géographique  du  Nord  de  la  France,  1895,  2e  trim.  — 
F.  de  Beaudière  :  Inventaire  d'un  colon  français  de  Saint- 
Domingue. 

Journal  of  the  anthropological  Societg  of  Bombay,  vol.  Ht,  n°  6. 

—  .Jivanji  Jamsheji  Modi  :  Charms  or  amulets  for  some 
diseases  of  the  Eye  :  —  À  few  ancient  beliefs  about  the  éclipse 
and  a  few  superstitions  based  on  those  beliefs. 

ÉLECTIONS. 

M.  Albert  Colas,  présenté  par  MM.  Zaborowski,  A.  de  Mor- 
tillet  et  Mme  Clémence  Iloyer,  est  élu  membre  titulaire. 

M.  le  D1'  Paul  Sérieux,  membre  associé  national  depuis  1891, 
est  élu  membre  titulaire. 


(158  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

OBJETS    OFFERTS 

Moulages  du  crâne  et  des  dents  du  Pitheeautliropus. 

M.  Manouvrier  annonce  a  la  Société  que  M.  le  Dr  Eug.  Dubois 
a  bien  voulu  apporter,  à  Paris,  le  31  octobre,  au  Laboratoire 
d'Anthropologie  de  l'Ecole  des  Hautes  études,  les  pièces  origi- 
nales de  son  Pithecanthropus.  Ces  pièces  ont  pu  être  exami- 
nées par  plusieurs  membres  de  la  Société  et  par  M.  Marcelin 
Boule,  du  Muséum.  Leur  examen,  qui  ne  peut  laisser  aucun 
doute  sur  la  fossilisation  parfaite  de  ces  diverses  pièces  a  pro- 
duit sur  tous  une  vive  impression. 

M.  Dubois  a  laissé,  pour  être  offerts  à  la  Société,  les  mou- 
lages du  crâne  et  des  deux  dents  de  Trinil. 

M.  Manouvrier  oxpose  ensuite  la  modification  de  sa  première 
opinion  concernant  les  pièces  découvertes  à  Trinil  et  l'hypo- 
thèse de  M.  Dubois,  d'après  laquelle  ces  pièces  représente- 
raient une  espèce  précurseur  et  ancestrale  de  l'espèce  humaine. 
11  avait  conclu  à  la  légitimité  de  cette  hypothèse.  Il  conclut 
maintenant  à  sa  vraisemblance,  très  supérieure  à  celle  des 
hypothèses  contraires  et,  par  conséquent,  à  sa  validité  scien- 
tifique jusqu'à  présentation  de  preuves  opposées  ou  d'une 
autre  hypothèse  plus  satisfaisante. 

Le  mémoire  à  l'appui  de  ces  conclusions  a  été  inséré,  par 
erreur,  dans  le  bulletin  de  la  séance  du  17  octobre. 

M.  Verneau  déclare  qn'il  se  range  à  l'opinion  de  M.  Manou- 
vrier, mais  que,  toutefois,  le  fémur  lui  semble  avoir  appar- 
tenu à  un  individu  d'une  taille  supérieure  à  celle  qu'indique- 
rait le  crâne. 

M.  Manouvrier  fait  observer  que  les  caractères  du  crâne 
indiquent  une  taille  relativement  très  grande  par  rapport  au 
volume  de  l'encéphale  et  que,  par  conséquent,  la  grandeur  du 
fémur,  par  rapport  au  crâne,  est  au  contraire  une  forte  raison 
en  faveur  de  l'attribution  des  deux  pièces  à  un  même  individu. 
M.  G.  de  Mortillet  propose  de  décerner  à  M.  Eug.  Dubois 
le  litre  de  membre  associé  étranger. 


EU.  PIETTB.  —  K0U1LLKS  FAITES  A  BHASSEMPOUY  659 

Cette  proposition  est  appuyée  unanimement  et  inscrite  sur 
le  registre  des  candidatures. 

Ont  signé  la  proposition  :  MM.  G.  de  Mortillet,  Manouvrier, 
Letourneau,  Verneau,  Ph.  Salmon,  Collignon.  Zaborowski, 
Daveluy,  Sanson,  Mathias  Duval,  Olivier-Beauregard,  Papil- 
lault,  Mahoudeau. 

COMMUNICATIONS. 

Fonillcs    faites  à   Brasseinpoiiy  e»  1895. 

Par  M.  Edouard  Piette. 

Je  viens  de  faire  de  nouvelles  fouilles  à  Brassempouy.  A 
mon  grand  regret,  M.  de  Laporterie  n'a  pu  m'accompagner; 
Mais  j'ai  travaillé  sur  des  données  que  nous  avions  acquises 
ensemble,  et  dans  quelques  mois  nous  retournerons  tous  deux 
au  gisement  pour  continuer  notre  œuvre  commune. 

La  station  se  compose  d'une  grotte  ramifiée  et  d'une  avenue 
qui  part  d'un  chemin  d'exploitation  et  aboutit  à  la  caverne. 
Mes  investigations  ont  porté  sur  trois  points  différents  : 

1°  J'ai  voulu  d'abord  savoir  si  l'assise  à  statuettes  se  pro- 
longe jusqu'au  chemin.  L'année  dernière,  M.  de  Laporterie  et 
moi  nous  l'avions  suivie  jusqu'au  point  où  l'avenue  cesse 
d'être  encaissée  entre  des  calcaires  abrupts.  Là  elle  nous  avait 
semblé  disparaître.  Nous  ne  nous  étions  pas  trompés.  Le 
rocher  qui  forme  l'aire  de  la  grotte,  après  s'être  creusé  légè- 
rement dans  l'allée,  se  relève  en  cet  endroit,  en  sorte  que 
cette  assise  se  trouve  dans  une  cuvette  peu  profonde.  Au-delà, 
il  y  a  encore  des  couches  archéologiques;  mais  elles  n'en 
sont  pas  le  prolongement;  elles  m'ont  paru  être  la  continua- 
tion de  celles  qui  la  recouvrent.  Assez  épaisses  et  complexes, 
elles  sont  dépourvues  de  foyers.  Leurs  éléments  sont  donc  en 
grande  partie  des  éléments  de  rejet  auxquels  se  sont  ajoutés 
ceux  provenant  de  la  présence  momentanée  des  habitants 
dans  cette  partie  de  l'avenue.  Malgré  cette  origine,  ces  couches 
sont  stratifiées    et  Ton  distingue,  sans  beaucoup  de  peine. 


660  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

Gelles  qui  se  sont  formées  k  des  époques  différentes.  Elles 
affleurent  dans  l'ordre  suivant,  au-dessus  du  rocher  qui  forme 
l'aire  de  l'allée  : 

A,  0  m.  30.  à  0  m.  50.  —  Pierrailles  reposant  sur  le  rocher, 
renfermant  de  nombreux  débris  de  cheval,  quelques  dents 
d'hyènes  et  des  silex.  Peut-être  une  partie  de  ces  pierrailles 
devrait  elle  être  considérée  comme  correspondant  à  l'assise  à 
statuettes. 

B,  0  m.  30  à  0  m.  40.  —  Couche  à  faune  mostérienne, 
contenant  des  silex  taillés,  des  instruments  en  os  et  en  ivoire 
et  quelques  débris  de  sagaie  en  ramure  de  renne. 

G,  0  m.  15.  —  Couche  pareille  à  la  précédente,  caractérisée 
par  de  nombreuses  plaquettes  d'ivoire  sur  lesquelles  on  à 
tracé  des  traits  au  silex,  comme  si  l'on  s'était  exercé  à  la  gra- 
vure. Je  n'ai  pu  y  reconnaître  le  dessin  d'aucune  forme  ani- 
male ou  végétale.  Je  suis  cependant  disposé  à  penser  que  je 
me  suis  trouvé  en  présence  des  premiers  essais  de  gravure, 
et  que  le  mammouth  gravé  de  la  Madeleine  provient  d'une 
couche  semblable.  Si  cette  hypothèse  était  exacte,  l'assise 
sous-jacente  B  correspondrait  à  celle  de  la  sculpture  en  relief, 
et  ce  serait  à  elle  ou  à  son  prolongement  dans  l'avenue  et 
dans  la  grotte  qu'il  faudrait  rapporter  les  reliefs  découverts 
au  cours  des  premières  fouilles  du  comte  de  Poudenx.  Ils 
gisaient,  a-t-on  dit,  au-dessous  du  niveau  des  flèches  a  cran. 
Un  ouvrier  m'a  assuré  que  pendant  les  fouilles  de  l'Association 
française  il  avait  recueilli  dans  la  couche  qui  affleure  au-dessus 
de  celle  des  statuettes  un  ivoire  cylindrique  couvert  de  sculp- 
tures, et  que  la  personne  à  laquelle  il  l'avait  remis  l'avait 
qualifié  de  bâton  de  commandement.  Ce  mot  de  bâton  de  comman- 
dement ne  se  serait  pas  trouvé  dans  la  bouche  de  cet  ouvriers'il 
ne  l'avait  pas  entendu  prononcer;  il  est  la  preuve  de  sa  sin- 
cérité. 11  y  a  donc  des  raisons  de  penser  que  la  couche  B  n'est 
pas  autre  chose  que  l'assise  des  sculptures  en  relief.  Cela  n'est 
pourtant  pas  complètement  prouvé.  A  la  partie  supérieure 
de  la  couche  C,  on  rencontre  de  grandes  lames  en  silex.  M.  de 
Laporterie  en  avait  déjà  remarqué  de  semblables,  au  même 


ED.  PIETTE.   —  FOUILLES  FAITES  A  BRASSEMPOUY  661 

niveau,  dans  la  grotte  ;  et  j'en  ai  trouvé  dans  la  même  position 
au  Mas  d'Azil,  dans  la  salle  supérieure  de  la  rive  droite. 

D,  0  m.  80.  —  Amas  de  pierrailles,  d'ossements  mostériens 
et  de  silex  solutréens  plus  ou  moins  imparfaits  ou  cassés, 
parmi  lesquels  il  y  a  des  pointes  de  flèche  en  forme  de  feuilles 
de  laurier  ébauchées  ou  brisées  et  des  flèches  à  cran  presque 
toutes  ébréchéesou  épointées.  Cette  accumulation  de  débrisa 
été  formée  de  rejets  et  d'éclats  résultant  de  la  taille  du  silex. 
Elle  est  évidemment  solutréenne. 

2°  Après  m'ètre  assuré  ainsi  de  la  disparition  de  l'assise  à 
statuettes  dans  le  voisinage  du  chemin,  j'ai  porté  mes  inves- 
tigations dans  la  grande  galerie  qui  est  le  prolongement  de 
la  grotte.  L'assise  archéologique  y  est  réduite  à  une  épaisseur 
de  0  m.  15  à  0  m.  40.  Elle  consiste  en  un  limon  jaune  dont 
les  éléments  paraissent  empruntés  au  loess.  On  y  voit  des 
foyers  à  diverses  hauteurs.  Limons  et  foyers  sont  donc  con- 
temporains. J'y  ai  rencontré  quelques  gros  morceaux  d'ivoire 
qui  ne  m'ont  pas  paru  sculptés.  Ils  étaient  si  amollis  par  l'hu- 
midité de  la  grotte  qu'ils  avaient  la  consistance  du  mastic  et 
qu'il  m'a  été  impossible  de  les  extraire.  J'ai  pu  recueillir  à 
côté  d'un  foyer,  dans  la  terre  mêlée  avec  de  la  cendre,  un 
fragment  de  tète  de  sagaie  en  ivoire,  orné  d'un  quadrillage 
ponctué.  A  dix  centimètres  au-dessus  de  ce  fragment,  dans 
le  limon,  était  une  tète  de  sagaie  en  silex,  taillée  en  forme  de 
feuille  de  laurier.  Dans  les  grottes  des  Pyrénées,  les  ivoires 
pectines  occupent  ordinairement  un  même  niveau  à  la  partie 
supérieure  de  l'étage  équidien.  J'en  ai  recueilli  dans  cette  po- 
sition à  Gourdan,  à  Lorthet  et  au  Mas-d'Azil.  Les  silex  lauri- 
formes  sont,  a  Brassempouy,  le  couronnement  de  cet  étage. 
Ils  peuvent  descendre  un  peu  plus  bas,  mais  leur  principal 
gisement,  dans  la  grotte  du  Pape,  est  au-dessus  de  celui  des 
sculptures.  Ils  manquent  dans  toutes  les  cavernes  des  Pyré- 
nées que  j'ai  explorées,  excepté  à  Gourdan.  L'année  dernière  ; 
M.  de  Laporterie  et  moi,  nous  avons  recueilli  dans  la  grande 
galerie,  un  racloir  mostérien,  dans  le  bas  de  l'assise  archéo- 
logique, à  trois  mètres  environ  de  l'endroit  où  je  viens  de 


662  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  189o 

rencontrer  le  silex,  lauriforme.  Cette  assise  paraît  donc,  mal- 
gré sa  faible  épaisseur,  résumer  toutes  les  couches  de  la 
grotte  et  en  être  le  prolongement.  Nous  reprendrons,  dans 
quelques  mois,  l'exploration  de  cette  galerie. 

3°  À  quelques  mètres  de  l'entrée  principale  de  la  caverne 
au  bord  du  chemin  s'ouvre  un  corridor  déjà  signalé  sous  le 
nom  de  repaire  d'hyène.  La  voûte  en  est  formée  par  un  banc 
de  pierrailles,  unies  par  un  ciment  calcaire.  Un  vide  de  trente 
ou  quarante  centimètres  la  sépare  d'une  assise  de  limon  jaune 
<lans  lequel  se  trouvent  des  foyers.  Le  vide  a  été  produit  évi- 
demment par  les  eaux  qui  ont  enlevé  une  couche  formée 
d'éléments  meubles  sur  lesquels  reposait  là  voûte.  L'année 
dernière,  M.  de  Laporterie  et  moi,  nous  avions  étudié  cette 
voûte,  et  nous  avions  conclu  de  l'examen  des  silex  et  de  la 
faune,  qu'elle  était  l'équivalent  de  l'assise  de  Gorge  d'Enfer  et 
de  Cro-Magnon;  M.  Mascaraux  nous  avait  confirmé  dans  cette 
opinion  en  nous  disant  qu'il  y  avait  recueilli  une  tète  de 
flèche  losangique,  en  ramure  de  cervidé,  du  type  qui  caracté- 
rise ces  stations  ;  et  depuis  lors  nous  avions  donné  à  ce  cor- 
ridor le  nom  de  galerie  de  Cro-Magnon.  J'y  ai  trouvé  moi- 
même  cette  année,  dans  le  banc  de  pierrailles  agglutinées  qui 
forme  la  voûte,  une  tète  de  flèche  semblable,  de  nombreux 
silex  pareils  à  ceux  de  Gorge  d'Enfer  et  des  ossements  de 
cheval,  d'aurochs,  de  renne.  Ce  banc  est  donc  bien  du  même 
âge  que  l'assise  de  ces  stations. 

L'assise  limoneuse,  à  foyers,  qui  affleure  dans  le  corridor 
au-dessous  du  vide  formé  par  les  eaux,  contient  de  très  nom- 
breux ossements  de  chevaux.  M.  de  Laporterie  et  moi  nous  y 
avions  recueilli  l'année  dernière  une  dent  de  felis  spelœus,  et 
M.  Mascaraux  une  dent  d'ursus  spelœus.  J'y  ai  trouvé  cette 
année  des  ossements  de  mammouth,  de  rhinocéros  tichorinus, 
des  mâchoires  d'hyène,  une  dent  de  la  même  espèce  d'animal 
ayant  subi  l'action  du  feu,  des  os  de  bos,  de  renne,  etc.  J'y  ai 
aussi  rencontré  un  coprolithe  d'hyène  qui  a  pu  se  trouver 
dans  les  intestinsd'une  bêle  dépecée  et  mangée  dans  la  caverne, 
mais  qui  a  peut-être  une  autre  origine,  car  des  os  rongés  que 


PAUL  RAYMOND.  —  GISEMENTS  MOUSTÉRIENÔ  DANS  LE  GARD        663 

j'ai  recueillis  prouvent  que  les  habitants  de  la  galerie  la  quit- 
taient quelquefois  et  que  les  fauves  s'y  introduisaient  en  leur 
absence.  Les  foyers  et  le  limon  où  ils  sont  m'ont  fourni  des 
silex  taillés,  divers  instruments  en  os  et  en  ivoire,  notam- 
ment un  hameçon  bifide  en  os  et  un  très  beau  poinçon  en 
ivoire.  Ces  foyers  à  ossements  de  chevaux  sont  évidemment 
assimilables  à  ceux  de  la  grotte  et  de  la  grande  galerie;  mais 
à  quelle  couche  correspondent-ils?  Il  faut  de  nouvelles  éludes 
pour  le  savoir. 

Dès  maintenant,  un  fait  certain  se  dégage  de  ces  observa- 
tions :  L'assise  de  Cro-Magnon  et  de  Gorge  d'Enfer  existe  à 
Brassempouy  et  se  trouve  au-dessus  des  foyers  à  ossements 
de  chevaux,  c'est-à-dire  au-dessus  de  l'étage  équidien.  C'est 
la  position  qu'elle  occupe  aussi  à  Gourdan,  sur  la  montagne 
du  Bouchet,  où  elle  repose  sur  la  couche  à  silex  en  forme  de 
feuilles  de  lauriers.  Je  l'ai  nommée  Vallinfernalienne,  du  nom 
de  Gorge  d'Enfer  où  elle  a  été  étudiée  avec  soin  par  MM.  Mas- 
sénat  etGeraud.  Ces  auteurs  en  font  la  base  de  l'époque  mag- 
dalénienne. Je  me  rallie  à  leur  opinion. 

J'ai  fait  élargir  à  la  mine  l'entrée  du  corridor  dit  de  Cro- 
Magnon,  préparant  ainsi  le  gisement  pour  les  fouilles  que 
M.  de  Laporterie  et  moi  nous  nous  proposons  d'y  faire  dans 
quelques  mois. 


I.  —  Gisements  moustérieus  dans  le  Gard. 
II.  —  Continuation  de  l'exploration  de  l'Aven  de  Ronze. 

Par  le  Dr  Paul  Raymond. 

I.  —  Le  quaternaire  supérieur  est,  on  le  sait,  largement 
représenté  dans  le  Gard  et  depuis  plusieurs  années,  j'ai 
communiqué  à  la  Société  d'Anthropologie  les  résultats  de  mes 
recherches  dans  les  grottes  magdaléniennes  des  rives  de  l'Ar- 
dèche.  En  est-il  de  même  pour  le  quaternaire  moyen  et  à 
l'époque  du  Moustier,  celte  région  du  Languedoc  a-t-elle  été 
habitée?  Certains  palethnologues  répondent  négativement  et 


664  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

ils  ne  foui  remonter  qu'à  l'époque  de  la  Madeleine  l'appari- 
tion de  l'homme  dans  cette  partie  de  la  France.  Pour  ma  part, 
je  n'hésite  pas  à  conclure  par  l'affirmative  et  j'apporte  les 
preuves  du  fait  que  j'avance. 

Déjà,  en  1893,  je  vous  avais  présenté  des  pièces  qui  prove- 
naient d'une  station  à  la  surface  du  sol,  la  station  de  Salazac 
dans  l'arrondissement  ct'Uzès  1.  Les  pointes  et  les  racloirs 
franchement  moustériens,  les  disques  et  les  gros  éclats  du 
type  Levallois,  l'ensemble  de  la  collection  en  un  mot,  per- 
mettaient bien  de  faire  remonter  à  l'époque  moustérienne  le 
gisement  en  question,  et  de  fait,  n'y  eut-il  aucun  doute  dans 
votre  esprit.  Mais  il  n'en  fut  pas  de  même  parmi  certains  de 
mes  collègues  de  la  Société  d'étude  des  sciences  naturelles  de 
Nîmes  qui,  il  faut  le  reconnaître,  n'avaient  pas  vu  les  pièces 
et  raisonnaient  d'après  ce  que  l'on  trouve  le  plus  souvent 
dans  le  département  du  Gard,  c'est-à-dire  d'après  les  gise- 
ments néolithiques.  C'est  ainsi  que  M.  le  Dr  Delamare  dans  le 
compte  rendu  qu'il  présentait  de  ma  note  sur  la  station  de  Sala- 
zac, se  fondant  sur  ce  que  certains  types  appartenantaupaléo- 
lithique  ont  franchi  cette  époque  et  se  retrouvent  dans  la 
pierre  polie;  sur  ce  que  dans  presque  toutes  les  stations  néolL 
thiques  on  rencontre  la  facture  d'outils  et  d'armes  des  âges 
antérieurs;  sur  ce  fait,  fort  juste  d'ailleurs,  que  la  forme  des 
objets  trouvés  ne  paraît  plus  suffisante  pour  dater  une  décou- 
verte et  qu'il  y  avait  lieu  d'interroger  la  faune,  les  vestiges 
céramiques,  etc.,  M.  Delamare,  dis-je,  se  montrait  plus  disposé 
à  foire  de  la  station  de  Salazac  un  atelier  néolithique!  A  vrai 
dire,  j'avais  répondu  par  avance  aux  objections  de  M.  Dela- 
mare. Le  faciès  de  l'ensemble  de  la  collection,  tout  d'abord, 
était  bien  typique  et  si  je  présentais  cette  station  comme 
paléolithique,  c'est  qu'en  la  comparant  à  ce  que  je  trouvais 
dans  des  stations  voisines  mais  franchement  néolithiques,  je 
constatais  des  différences  telles,  que  je  ne  pouvais  hésiter. 
Aujourd'hui',   connaissant   mieux   encore  le    néolithique    du 

1  Bill,  de  la  Soc.  tVAnthr.  1893,  p.  257. 


PAUL  RAYMOND.  —  GISEMENTS  MOUSTÉRIENS  DANS  LE  GARD      665 

Gard,  je  ne  puis  douter  un  seul  instant.  Certes,  l'objection 
que  certains  types  industriels  paléolithiques  se  retrouvent 
à  la  pierre  polie  et  que  dans  les  stations  néolithiques  on  rencon- 
tre  la  facture  d'outils  et  d'armes  des  cages  antérieurs,  pourrait 
être  embarrassante  :  mais  à  tout  prendre,  cette  objection  est 
spécieuse,  et  voici  pourquoi.  Je  sais  fort  bien  que  la  survi. 
varice  des  types  industriels  est  un  fait  banal,  mais  quelle 
preuve  a-t-on  que  des  instruments  de  type  paléolithique  trou- 
vés dans  des  stations  néolithiques  ne  sont  pas  réellement  paléo- 
lithiques? Si  cette  station  a  été  habitée,  c'est  qu'elle  présentait 
des  avantages  ;  or,  ces  avantages  existaient  aussi  bien  avant 
et  après.  Pourquoi  dès  lors  cette  station  néolithique  n'aurait- 
elle  pas  été  habitée  aussi  bien  a  l'époque  paléolithique  que 
plus  tard,  à  l'âge  du  bronze,  du  fer,  ou  a  la  période  gallo- 
romaine?  Et  de  fait,  c'est  ce  qui  a  lieu  le  plus  souvent, 
et  les  exemples  abondent.  De  ce  que  j'eusse  trouvé  une  mon- 
naie gallo-romaine  au  milieu  de  ces  silex,  aurais-je  été  en 
droit  de  conclure  que  c'étaient  les  Romains  qui  les  avaient 
taillés?  Le  même  raisonnement  serait-il  moins  juste  s'il  s'a- 
gissait d'une  poterie?  A  la  surface  du  sol,  tout  se  mêle,  et  il 
est  souvent  impossible,  si  la  station  n'est  pas  très  pure,  de 
faire  le  départ  de  ce  qui  revient  à  chaque  époque,  de  ce  qui 
appartient  aux  générations  nombreuses  qui  s'y  sont  succédé, 
si  bien  encore  une  fois,  que  ce  qu'il  y  a  de  mieux  à  faire, 
c'est  de  se  baser  sur  le  faciès  général  de  la  station,  sur  l'en- 
semble des  pièces  que  l'on  y  a  recueillies  tout  en  reconnais- 
sant que  la  morphologie  de  chacune  d'elles,  considérée  isolé- 
ment, n'a  pas  grande  valeur. 

Quant  à  la  faune,  heureux  sont  ceux  qui  découvrent  un 
ossement  fossile  à  côté  d'un  silex  taillé.  Et  d'ailleurs,  cette 
faune  n'est  pas  toujours  aussi  démonstrative  qu'on  le  croit. 
Cette  discussion  n'a  plus,  d'ailleurs,  qu'un  intérêt  rétrospec- 
tif, car  je  crois  avoir  convaincu  mon  excellent  confrère,  le 
l)r  Delamarc,  mais  si  je  reviens  sur  ces  objections,  c'est  pour 
montrer  combien  il  est  parfois  difficile  de  se  faire  un.'  idée 
d'un  gisement  quand  on  ne  l'a  pas  visité  et  quand  on  ne  con- 

T.  VI   (1°  SÉRIE).  't,i 


060  SÉANCE  DU  7  NÛVEMPRE  1895 

naît  les  pièces  que  par  une  description  non  accompagnée 
d'aucune  représentation. 

Quoi  qu'il  en  fût  d'ailleurs,  j'assimilais  la  station  de  Sala- 
zac  aux  stations  quaternaires,  nombreuses  déjà,  qui  ont  été 
rencontrées  à  la  surface  du  sol  dans  différentes  parties  de  la 
France  ;  je  la  considérais  comme  bien  et  dûment  mousté- 
rienne  et  j'attendais  que  mon  opinion  fût  corroborée  par 
d'autres  palethnologues.  Grand  fut  donc  mon  plaisir,  lorsque 
visitant  cette  année  même,  la  collection  de  M.  le  Frère 
Sallustien  à  Uzès,  je  trouvai  des  pièces  absolument  sem- 
blables à  celles  de  Salazac,  et  qui  d'ailleurs,  étaient  fort  juste- 
ment étiquetées  moustériennes.  Elles  provenaient  aussi  d'une 
station  à  l'air  libre  située  dans  la  commune  de  Foissac, 
encore  dans  l'arrondissement  d'Uzès. 

J'appris  que  cette  station  avait  donné  lieu  aux  mêmes  dis- 
cussions que  ma  station  de  Salazac,  mais  enfin,  M.  le  Frère 
Sallustien  se  basant,  comme  moi,  sur  l'ensemble  de  la  collec- 
tion et  sur  la  morphologie  bien  particulière  des  pièces  qu'il 
avait  recueillies,  avait  maintenu  sa  classification  et,  à  mon 
sens,  il  avail  raison.  Il  s'agissait  bien  d'une  deuxième  sta- 
tion moustérienne. 

Je  reconnaissais,  néanmoins,  que  puisque  le  moustérien 
n'avait  pas  été  jusqu'ici  signalé  dans  le  Gard,  le  doute  ne 
serait  véritablement  levé  que  le  jour  où  nous  trouverions  en 
place,  sur  des  alluvions  quaternaires,  par  exemple,  les  ins- 
truments de  ce  type  moustérien.  L'occasion  ne  devait  pas 
tarder  à  se  présenter,  et  c'est  dans  de  telles  conditions  qu'ont 
été  trouvées  les  pièces  que  j'ai  l'honneur  de  vous  communi- 
quer :  elles  caractérisent  le  troisième  gisement  moustérien 
trouvé  dans  le  Gard,  le  gisement  d'Aiguèze. 

Un  mot  d'abord,  sur  la  constitution  géologique  de  la  région  : 

Les  plateaux  néocomiens  qui  s'étendent  sur  toute  la  partie 
nord-est  du  département,  s'abaissent  à  mesure  qu'ils  se  rap- 
prochent du  Rhône  et  ils  se  terminent  sur  le  territoire  de  la 
commune  d'Aiguèze.  Ils  sont  alors  juxtaposés  au  Sud  aux 
terrains  du  Gault  qui  s'avancent  un  peu  plus  vers  l'Est.  Au 


PAtIL  RAYMOND.  —  GISEMENTS  MOUSTÉRIENS  DANS  LE  GARD       667 

point  précis  où  s'arrêtent  les  sédiments  néocomiens,  se  mon- 
trent entre  leur  base  et  la  bordure  du  Gault,  des  alluvions 
quaternaires  qui  se  présentent  en  coupe  de  la  façon  suivante  : 

ire  couche  :  terre  végétale,  0,35  centimètres  ; 

2e  couche  :  cailloux  roulés  (fragments  de  roche  néocomienne, 
provenant  des  plateaux  voisins.  Volume  variable  de  ces  frag- 
ments unis  et  à  angles  arrondis.  Les  mômes  cailloux  se 
retrouvent  dans  les  deux  couches  suivantes).  Epaisseur  de 
cette  couche  :  \  mètre  ; 

3e  couche  :  argilo  calcaire  avec  des  cailloux  roulés,  mais  en 
moins  grand  nombre  que  dans  la  précédente  et  la  suivante. 
Epaisseur  :  0,40  centimètres; 

4e  couche  :  cailloux  roulés,  0,50  centimètres. 

Ce  sont  ces  différentes  couches  que,  l'année  dernière,  on 
utilisa  comme  ballast,  lors  de  la  construction  d'un  pont  sur 
l'Ardèche,  entre  les  communes  d'Aiguèze  et  de  Saint-Martin 
d'Ardèche.  On  ouvrit  alors,  au  milieu  de  ces  alluvions  ancien- 
nes, une  carrière  d'environ  500  mètres  de  superficie  et  à 
quelques  pas  du  pont  en  construction,  au  lieudit  le  Blanchis- 
sage. Un  des  jeunes  gens  qui  m'accompagnent  dans  mes 
fouilles  annuelles,  Louis  Suau,  était  précisément  employé 
aux  travaux  du  pont.  C'est  lui  qui  trouva  ces  silex  :  il  les 
rechercha  ensuite  avec  soin  et  il  me  les  réserva.  S'ils  ne  sont 
pas  plus  nombreux,  c'est  que  les  terrassiers,  que  n'intéres- 
saient pas  ces  recherches  scientifiques,  ne  prêtèrent  aucune 
attention  à  la  découverte  qui  venait  d'être  faite  et  ainsi  furent 
vraisemblablement  perdues  plusieurs  pièces. 

Je  ne  m'attarderai  pas  à  décrire  ces  lames  et  ces  pointes 
moustériennes  :  elles  sont  typiques  et  absolument  semblables 
à  celles  que  nous  recueillons  chaque  jour  dans  les  ballastiôres 
de  la  Seine,  par  exemple.  Elles  sont  en  silex  lacustre  de  la 
région  ;  elles  ont,  en  général,  7  ou  8  centimètres  de  long  sur 
4  ou  5  de  large;  la  plus  longue  atteint  10  centimètres.  Deux 
sont  entièrement  cacbolonnécs  et  nous  en  examinerons  la  rai- 
son. Trois  de  ces  pièces  dilfèrent  quelque  peu  des  antres  :  ce 
ne   sonl    plus    les  formes  massives  de   l'éqiwpie    mouslénenne 


068  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

vraie  :  les  lames  sont  plus  allongées,  plus  fines  :  on  sent  que 
le  moustérien  n'est  pas  loin  de  finir. 

Ces  différentes  constatations  nous  amènent  à  parler  des 
couches  au  niveau  desquelles  ces  pièces  ont  été  trouvées. 
L'étude  stratigraphique  que  nous  venons  de  faire,  nous  mon- 
tre qu'une  période  de  calme  relatif,  pendant  laquelle  une 
argile  ne  renfermant  que  peu  de  cailloux,  s'est  déposée,  est 
intermédiaire  à  deux  phases  de  courants  violents  qui  n'ont 
laissé  déposer  que  des  cailluux.  Dans  la  plus  inférieure  de 
ces  couches,  celle  de  la  base  de  la  ballastière,  non  plus  que 
dans  la  couche  argileuse,  il  n'a  été  trouvé  aucun  silex.  Toutes 
les  pièces  ont  été  trouvées  dans  la  deuxième  couche  et  il  est 
vraisemblable  que  les  pièces  cacholonnées  étaient  celles  qui  se 
trouvaient  en  contact  avec  la  couche  argileuse  intermédiaire. 
Quoi  qu'il  en  soit,  d'ailleurs,  la  vraie  couche  industrielle,  la 
couche  moustérienne  est  cette  couche  caillouteuse  de  1  mètre 
de  puissance  et  dans  toute  son  épaisseur,  des  pièces  taillées 
ont  été  rencontrées.  Aucun  ossement  n'a  été  trouvé. 

La  couche  inférieure  caillouteuse  date-t-elle  de  la  même 
époque,  ou  y  trouverons-nous  quelque  pièce,  un  coup  de 
poing  chelléen?  Je  ne  sais.  Le  chelléen  n'a  pas  encore  été 
signalé  dans  le  Gard,  d'une  façon  indiscutable,  du  moins  :  je 
crois  néanmoins,  que  nous  l'y  rencontrerons.  L'existence  du 
moustérien  y  est  en  tout  cas,  dès  à  présent,  nettement  établie 
et  je  n'ai  que  faire  d'insister  sur  l'importance  de  ce  gisement 
d'Aiguèzc  où  les  pièces  moustérien  nés  les  plus  franches,  trou- 
vées en  place  au  milieu  d'alluvions  quaternaires,  viennent 
témoigner  de  l'existence  de  l'homme  à  cette  époque,  dans 
cette  partie  du  Languedoc,  nous  permettant  d'être,  par  com- 
paraison, plus  affirmatif  encore  que  par  le  passé,  sur  l'épo- 
que à  laquelle  remontent  les  premiers  gisements  que  nous 
avons  signalés. 

IL  —  J'ai  continué,  cette  année,  l'exploration  de  ce  curieux 
aven  de  Ronze  dont  je  vous  avais  entretenus  l'année  der- 
nière1. Nous  y  avons  consacré  dix-sept  journées  et  j'estime  que 

1  Dul.  de  la  Soc.  d'Anlhr.  1894,  p.  548. 


PAUL- RAYMOND.  —  GISEMENTS  MOUSTBRIENS  DANS  LK  UAHD 


669 


nous  avons  exploré  le  tiers  environ  du  gisement.  11  est  donc 
possible  de  s'en  faire  une  idée  générale,  et  c'est  une  vue  d'en- 
semble que  je  me  suis  proposé  de  vous  présenter  aujourd'hui. 
Je  ne  reviens  pas  sur  la  topographie  de  l'aven  de  Ronze  ayant 
eu  l'occasion  d'y  insister  ici  même  dans  une  autre  publica- 
tion1, mais  je  désire  relever  une  erreur  que  m'a  fait  commettre 
une  fausse  interprétation  de  mes  notes,  .l'avais  donné  comme 
profondeur  totale  de  l'aven  96  mètres  :  c'est  en  réalité,  le 
second  étage  qui  atteint  cette  profondeur  :  il  faut  ajouter  la 
hauteur  du  premier  étage,  de  la  cuvette  proprement  dite  qui 
est  de  16  mètres,  si  bien  que  la  profondeur  totale  de  l'aven 
est  de  112  mètres.  Fermant  l'abri  sous  roche  et  dans  le  pro- 
longement de  l'a  pic,  j'ai  trouvé  un  véritable  mur  en  énormes 
blocs  calcaires  disposés  à  la  suite  les  uns  des  autres,  mais 
n'atteignant  pas  les  parois  latérales  de  la  grotte  :  celle-ci  res- 
tait donc  ouverte  sur  les  [côtés.  En  arrière  de  ces  blocs  qui 
ne  s'élèvent,   d'ailleurs,   qu'à  0,60  centimètres  environ,  se 
trouvait  un  foyer  très  étendu  et  de  plus  de  0,50  centimètres 
d'épaisseur.  C'est  à  environ  3  mètres  de  ce  foyer  que  se  trou- 
vaient les  parties  les  plus  riches  du  gisement.  Voici  la  liste 
des  pièces  qui  y  ont  été  recueillies  : 
1<>  Eclats  :  quantité  considérable  ; 

2o  Pièces  à  différents  degrés  de  dégrossissement  et  rejetées 
soit  parce  qu'elles  ne  venaient  pas  bien,  soit  parce  qu'elles 
s'étaient  brisées  pendant  l'opération  ; 

30  Pointes  de  lances  de  dimensions  variables,  au  nombre 
de  7.  L'une  d'elles  est  brisée  à  la  moitié  environ  de  sa  lon- 
gueur et  cette   moitié   mesure  0,11   centimètres.   Un  aatre 
intacte!  mesure  0,18  centimètres  de  long  sur  o  de  large; 
40  pointes  de  flèches  au  nombre  de  32. 
Ces  pointes  dont  la  plus  longue  mesure  8  cent.  1/2  sur  3 
et  la  plus  petite  3  cent,  sur  1  12  sont  du  type  solutréen  le 
plus  pur;  allongées  ou  losangiques,  elles  sont  absolument 
semblait  aux   poinles  feuilles  de   laurier  de  Solulré.   Cer- 

1  La  Naluro. 


670  SÉANCE  DU  7  NOVEMBUE  1895 

taines  d'entrés  elles  sont  de  véritables  œuvres  d'art  et  il  serait 
difficile  d'admettre  qu'elles  servissent;!  des  usages  courants- 
Si  l'on  songe,  d'autre  part,  que  ces  pointes  se  retrouvent 
dans  les  dolmens  de  la  région,  on  peut  dire  qu'il  s'agissait 
plutôt  de  pointes  votives  et  que  cet  atelier  de  Ronze  faisait, 
en  quelque  sorte,  de  ce  genre  de  produits,  sa  spécialité.  Ces 
pointes  sont  en  silex  gris,  brun  ou  rose.  Elles  sont  bien  dif- 
férentes des  précédentes  qui  sont  bien  moins  finement  exé- 
cutées et  n'avaient  aucun  caractère  votif.  On  ne  les  trouve 
pas,  d'ailleurs,  dans  les  dolmens  de  la  région; 

5°  Deux  pointes  allongées  de  5  cent,  sur  1  1  2,  pointes  typi- 
ques des  dolmens,  en  silex  gris; 

6°  Une  pointe  en  cristal  de  roche  de  0,02  centimètres  sur 
0,007  millimètres; 

7°  Ébauches  des  pièces  précédentes  en  nombre  indéterminé  ; 

8°  Grattoirs,  9; 

10°  Uii  fragment  de  haché  polie  en  diorite; 

11°  Objets  de  parure  ;  une  plaque  en  os  rectangulaire,  mesu- 
rant 0,05  centimètres  sur  4,  perforée  au  centre;  une  défense 
de  sanglier  et  une  dent  de  cerf  partagées  dans  le  sens  de  la 
longueur,  éléments  d'un  collier;  une  coquille  de  moule  bri- 
sée; une  perle  en  bronze  (c'est  le  seul  vestige  de  bronze  qui  ait 
été  trouvé  jusqu'à  présent;;  un  moule  de  micraster; 

12°  Trois  fusaïoles  (dont  une  brisée)  en  terre  cuite; 

13°  Nombreux  fragments  de  poterie  [1  s'agit  de  la  poterie 
néolithique  avec  ses  caractères  bien  connus.  De  ces  fragments, 
les  uns  sont  simples,  les  autres  sont  ornés,  et  ces  dessins 
représentent  soit  des  cercles,  soit  des  lignes  droites  ou  se 
coupant  à  angle  droit  ou  aigu.  D'autres  présentent  des  clé- 
pressions  en  coup  d'ongle,  des  pastillages,  des  sinuosités  sur 
les  bords  dijs  vases,  etc.  Toute  une  classification  des  types 
céramiques  à  cette  période  de  la  pierre  polie  peut  être  écha- 
faudée  sur  ces  échantillons  de  l'aven  de  Ronze.  De  même, 
l'histoire  de  l'anse  et  des  transformations  des  moyens  de  sus- 
pension des  vases  est  écrite  sur  ces  fragments.  (Un  travail 
sera  consacré  à  ces  deux  intéressantes  questions.) 


PAUL   RAYMOND.   —   GI5KMENTS  MOUSTÉR1ENS  DANS  LE  GARD       671 

Fragments  d'un  vase  de  0,08  cent,  de  diamètre  ; 
Une  tasse  de  0,05  cent,  de  diamètre  et  de  0,04  1/2  de  hau- 
teur extérieure  ; 
14°  Une  série  d'instruments  en  os  ainsi  constituée  : 

2  lissoirs; 

1  gaîne  en  corne  de  cerf; 

50  aiguilles  ou  poinçons; 

1  aiguille  à  chas; 

9  poinçons  en  cubitus  de  ruminant; 

3  pointes  de  poignard  (?)  en  andouiller  de  cerf  ; 
15°  Deux  meules  en  granit  de  0  m.  28  sur  0  m.  18  ; 
16°  Six  broyeurs  ou  percuteurs  en  silex  ou  quartzite; 

17°  Un  instrument  en  forme  de  hache  ou  de  casse-tête,  en 
silex,  destiné  à  être  emmanché  ; 

18°  Faune  :  nombreux  ossements  intacts  ou  brisés  apparte- 
nant à  la  faune  actuelle  et  que  M.  M.  Boule  avec  son  obli- 
geance habituelle,  a  bien  voulu  déterminer.  Ces  ossements 
appartiennent  au  bœuf  (petit  bœuf  néolithique  de  Rutimcyer), 
au  chien,  au  sanglier,  au  cerf,  au  chevreuil,  à  la  chèvre. 
Ajoutons  des  ossements  de  rongeurs  et  d'oiseaux. 

La  récolte,  on  le  voit,  a  été  abondante  et  d'une  importance 
réelle.  Les  fouilles  sont  néanmoins  d'exécution  difficile,  en 
raison  de  ce  fait  que  la  couche  industrielle  n'est  pas  continue 
et  qu'on  la  perd  aisément.  Le  gisement  est  un  exemple  aussi 
parfait  que  possible  de  l'industrie  de  la  fin  du  néolithique. 

Discussion. 

M.  0.  Vauvillé.  —  Dans  l'a  séance  de  la  Société,  du  4  juil- 
let dernier,  j'ai  présenté  un  certain  nombre  de  pièces  taillées 
en  feuille  de  laurier,  du  genre  de  celles  provenant  de  milieux 
dits  solutréens.  Cette  présentation,  de  pièces  recueillies  sur 
les  territoires  de  Creysse  et  de  Bergerac  (l)ordogne),  avait 
pour  but  de  prouver  que  certaines  pièces  taillées  en  feuille  de 
laurier,  élaiml  bien  de  l'époque  néolithique. 


672  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

Une  assez  vive  discussion  eut  lieu,  dans  la  dite  séance, 
pour  chercher  à  combattre  mes  affirmations  l. 

La  présentation  par  notre  collègue,  le  Dr  Raymond,  d'ins- 
truments provenant  du  département  du  Gard,  vient  bien 
prouver,  comme  je  l'affirmais  à  la  séance  du  -4  juillet,  qu'à 
l'époque  néolithique  on  a  taillé  des  pièces,  dites  en  feuille  de 
laurier,  du  genre  de  celles  du  solutréen. 

Parmi  les  pièces  qui  nous  sont  présentées,  il  y  en  a  d'admira- 
blement retouchées,  elles  pourraient  certainement  être  prises 
comme  étant  de  l'époque  solutréenne,  si  elles  n'avaient  pas 
été  recueillies  dans  un  gisement  bien  néolithique. 

MM.  A.  de  Mortillet  et  Collin  prennent  part  à  la  discussion. 


Le  dolmen  du  ttrah'  î\iol  à  Irzon  (.Uorbihau),  10    août   1893 

Par  M.  F.  Gaillard. 

Le  dolmen  du  Giati'  Niol  est  situé  dans  la  parcelle  du  ca- 
dastre de  la  commune  d'Arzon,  section  B,  n°  616,  et  tout  à 
proximité  du  bourg,  à  environ  300  mètres  au  Nord:  il  est  sur 
une  hauteur,  à  l'entrée  de  l'un  de  ces  promontoires  si  nom- 
breux des  rivages  intérieurs  du  Morbihan.  Sa  situation,  par 
rapport  aux  autres  monuments  mégalithiques  environnants, 
le  classe  dans  cette  agglomération  de  grands  monuments  de 
l'extrémité  ouest  de  la  presqu'île  de  Rhuys  et  des  îles  du 
Morbihan. 

De  cette  altitude,  le  regard  les  embrasse  tous  :  au  Nord, 
l'île  el  le  tumulus  de  Gavr'inis,  plus  bas  l'îlot  d'Er-Lannic, 
dont  le  cromlech,  le  plus  beau  monument  de  ce  genre  qui 
soit  connu  et  qu'il  faut  s'étonner  de  ne  pas  voir  déjà  acquis 
et  restauré  par  l'État,  apparaît  dans  son  regrettable  état  de 
ruines  ;  plus  vers  l'Est,  l'île  aux  Moines  et  l'île  d'Arz,  avec 
leurs  dolmens  sur  les  points. culminants;  vers  l'Est  et  se  dé- 

l.  Dullolins,  vol.  I8i>5,  page  469. 


F.  GAILLARD.   —  LE  DOLMEN  DU  GRAH'  NIOL  A  ARZON  673 

lâchant  d'une  façon  toute  grandiose,  le  tumulus  de  Tumiac; 
vers  le  Midi  et  au-delà  du  bourg,  le  tumulus  du  Petit-Mont, 
sur  son  promontoire  désert  et  avancé  dans  l'Océan  ;  à  l'Ouest, 
la  hauteur  du  Moteno,  qui  masque  celle  de  Bil-Groëz,  où  le 
dolmen  qui  y  exista  est  aujourd'hui  totalement  détruit;  puis, 
dans  l'horizon  lointain  et  encadrant  cette  perspective  pitto- 
resque et  saisissante,  Locmariaquer,  dont  le  grand  menhir, 
s'il  eût  été  relevé,  eût  fait  un  centre  de  tous  ces  monuments 
indiqué  par  le  plus  exceptionnel  des  monolithes,  visible 
d'énormes  distances;  enfin  le  tumulus  de  Saint-Michel,  à 
Carnac,  apparaît  aussi  par  un  temps  clair  dans  l'horizon  le 
plus  lointain. 

La  situation  du  dolmen  du  Grah'  Niol  est  donc  très  remar- 
quable ;  ses  dimensions,  sa  construction,  le  volume  et  la  dis- 
position des  pierres  qui  le  composent,  le  classent  parmi  nos 
plus  grands  mégalithes  ;  les  sculptures  de  quelques  supports 
le  rangent  également  parmi  ces  monuments  dont  il  est  indis- 
pensable d'assurer  la  conservation,  car  on  ne  saurait  trop 
posséder,  pour  pouvoir  les  étudier,  ces  intéressants  dessins 
sur  pierres  qu'on  ne  peut  espérer  déchiffrer  et  expliquer 
qu'en  les  conservant.  Ce  sont  les  volumes  d'une  bibliothèque 
d'études  à  poursuivre;  comme  les  alignements  de  menhirs, 
comme  les  cromlechs  qui  ne  sont  pas  définis  non  plus,  il  est 
de  toute  nécessité  d'assurer  la  conservation  pour  les  progrès 
de  l'avenir.  Ce  sont  des  mesures  qui  s'imposent  logiquement, 
car  un  intérêt  scientifique  s'attache  aux  progrès  à  acquérir. 

Le  nom  du  monument  présente  un  autre  intérêt  relative- 
ment caractérisé,  étant  donnés  ceux  de  monuments  voisins. 
Le  Grah'  Niol  doit  se  traduire  par  l'éminence  ou  la  butte  du 
soleil  ;  or,  dans  les  environs,  on  retrouve  à  Sarzeau,  à  la  pointe 
Saint-Jacques,  un  haut  menhir  isole,  c'est  le  Men  Niol,  la 
pierre  du  soleil;  à  l'Ile  aux  Moines,  parmi  les  dolmens  explo- 
rés et  décrits  en  1877  à  la  Société  polymathique  par  notre 
honoré  collègue,  M.  le  Dr  Mauricet,  se  trouvent  le  dolmen  du 
Niol  et  les  deux  dolmens  de  l'en  Niol,  la  pointe  du  soleil.  Ces 


674  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

remarques,  qui  ne  peuvent  être,  ni  ne  tendent  à  être  une  dé- 
finition, sont  néanmoins  à  signaler. 

Ce  dolmen  a  déjà  subi  des  destructions,  il  n'y  a  nul  sou- 
venir de  leur  époque  parmi  les  habitants  du  pays;  personne, 
même  parmi  les  vieillards,  n'a  vu  accomplir  ce  regrettable 
vandalisme.  Deux  "tables  de  la  galerie  manquent  et  ont  été 
enlevées  en  même  temps  que  plusieurs  supports  de  la  gale- 
rie, d'un  cabinet  latéral  et  surtout  de  la  chambre,  où  il  n'en 
reste  qu'un  seul,  sur  le  sommet  duquel  s'appuie  la  table  in- 
clinée obliquement  vers  celle  qui  la  précède. 

Ce  monument  a  une  longueur  intérieure  de  11  m.  40,  du 
premier  support  de  la  galerie  du  coté  du  Nord' au  menhir  du 
chevet  de  la  chambre.  Il  a  dû  être  encore  plus  développé, 
car  j'ai  constaté  que  le  dallage  continuait  jusqu'à  13  mètres, 
et,  au  surplus,  j'ai  recueilli  sur  ce  dallage  de  la  calaïs  à 
12  m.  50,  et  de  la  poterie  jusqu'à  12  mètres.  Il  y  a  donc  lieu 
de  croire  que  les  premiers  supports  d'entrée  ont  été  enlevés; 
du  reste,  sur  le  bord  du  sentier  voisin  et  à  2  m.  50  vers  le 
Sud-Est,  existe  une  table  à  plat  sur  le  terrain  qui,  probable- 
ment, fut  la  première  de_la  galerie  de  ce  vaste  dolmen.  Sa 
galerie  a  une  largeur  moyenne  d'un  mètre.  Du  côté  du  Midi 
et  précédant  la  chambre,  existe  un  cabinet  latéral  recouvert, 
en  même  temps,  que  la  galerie,  par  une  seule  et  énorme  table 
dont  je  parlerai  plus  loin.  La  profondeur  est  bien  celle  des 
plus  imposants  dolmens  :  à  l'entrée,  1  m.  90;  sous  la  table 
du  cabinet  latéral,  1  m.  70,  et  dans  la  chambre,  2  mètres. 

11  existe  deux  tables  en  place  sur  leurs  supports  à  l'entrée  : 
la  première  mesure  1  m.  60  sur  1  m.  35  et  une  épaisseur  de 
0  m.  25;  la  seconde  2  m.  70  sur  1  m.  80  et  une  épaisseur 
moyenne  de  0  m.  35.  Deux  tables  qui  devaient  venir  ensuite, 
ainsi  qu'on  en  peut  juger  par  les  distances,  ont  disparu;  mais 
à  la  suite  il  existe,  en  place,  une  autre  table  de  dimension  et 
de  forme  si  exceptionnelles,  qu'il  a  fallu  les  fouilles  que  j'ai 
exécutées  et  que  j'ai  l'honneur  d'exposer  ici,  pour  s'expliquer 
son  ingénieux  emploi.  Cette  table  a,  en  effet,  la  forme  d'un 
énorme  triangle  isocèle  par  sa  superficie;  le  sommet  le  plus 


F.  GAILLARD.  —  LE  DOLMEN  DU  GRAH'  MOL  A  ARZON  675 

allongé  et  le  plus  étroit  recouvre  la  galerie  sans  la  déborder 
de  beaucoup,  elle  se  trouve  alors  dépasser  les  supports  du 
côté  opposé  par  la  base  du  triangle,  et  elle  va  s'élargissant 
de  telle  façon  que  la  largeur  à  cette  base  égale  presque  la 
longueur  de  la  table  de  la  chambre.  Le  sommet  de  cette  table 
triangulaire  est,  du  coté  du  Nord,  sur  la  galerie;  la  base,  du 
côté  du  Midi,  sur  un  cabinet  latéral.  Elle  mesure  en  longueur, 
c'est-à-dire  du  sommet  du  triangle  qu'elle  représente  à  la 
base,  5  m.  50  ;  sa  largeur  à  la  base  est  de  2  m.  90,  et  son 
épaisseur  moyenne  de  0  m.  52. 

La  table  de  la  chambre  vient  immédiatement  après;  en 
s'inclinant  quand  on  détruisit  ses  supports,  elle  a  bien  con- 
servé sa  position  sur  le  menhir  du  chevet  et  sur  lequel  elle 
repose,  mais  elle  s'est  naturellement  éloignée  de  la  table  pré- 
cédente. Il  est  facile  de  comprendre  que,  primitivement,  dans 
la  position  horizontale  que  lui  donnaient  les  supports  détruits, 
elle  se  juxtaposait  très  bien  avec  la  table  qui  la  précède.  Elle 
mesure  en  longueur  2  m.  80,  en  largeur  i  mètres,  et  en  épais- 
seur 0  m.  50. 

Les  supports  mesurent,  en  partant  de  l'entrée  :  du  côté  du 
Nord,  1  mètre  sur  0  m.  70,  1  m.  25  sur  1  mètre,  1  m.  20  sur 
1  mètre,  1  m.  90  suri  mètre;  un  cinquième,  cassé  dans  sa 
hauteur,  1  m.  40  sur  1  m.  20,  0  m.  80  sur  1  m.  10;  du  côté 
du  Sud,  1  m.  50  sur  1  m.  10,  1  m.  60  sur  0  m.  80,  1  m.  50 
sur  0  m.  40,  1  m.  65  sur  0  m.  45;  un  cinquième  est  décou- 
ronné dans  sa  hauteur;  au  cabinet  latéral,  1  m.  40  sur  1  m.  20, 
un  autre  en  place,  debout,  ([ne  le  blocage  ne  permet  pas  de 
mesurer  exactement,  un  autre  support  renversé  1  m.  30  sur 
0  ni.  50,  plus  deux  autres  qui  obstruaient  la  galerie.  Celu1 
de  la  chambre  a  2  mètres  de  bailleur,  0  m.  90  en  largeur  à 
la  base,  et  une  épaisseur  moyenne  de  0  m.  70. 

Il  existe  donc,  actuellement,  quatre  tables  :  côté  nord,  sept 
supports  debout;  côté  sud,  cinq  ;  cabinet  latéral,  trois;  cham- 
bre, un;  au  total,  seize  supports.  En  calculant  les  distances 
moyennes,  on  peut  conjecturer  qu'il  a  du  être  détruit,  dans 
ce  dolmen,  seize  ou  dix-huit  supports.  Ce  vandalisme  est  d'au- 


676 


SÉANCE  DU  7  NOVEMBUE   1893 


tant  plus  regrettable  qu'il  y  a  lieu  de  supposer  que  plusieurs 
de  ces  supports  devaient  avoir  des  sculptures  lapidaires, 
comme  il  y  en  a  sur  quelques-uns  de  ceux  qui  restent.  J'en 
ai  relevé  trois  ainsi  :  le  premier,  à  l'entrée,  est  le  quatrième 
du  côté  nord.  Vers  le  haut  de  ce  support,  la  forme  du  sept  qui 
se  rencontre  en  d'autres  dolmens  sculptés,  notamment  au 
Mané  Kerionod,  à  Carnac,  quelques  fois  seul,  d'autres  plu- 
sieurs fois  en  lui-même,  répété  sur  le  même  support  ou  sur 
des  supports  différents;  plus  bas,  un  autre  signe  en  forme  de 
faucille  ou  plutôt,  comme  il  n'en  aurait  pas  une  dimension 
aussi  grande,  d'un  point  d'interrogation  ou  d'un  cinq  ren- 
versé sur  son  ouverture.  Je  n'ai  remarqué  ce  signe  dans  au- 
cun autre  dolmen  du  pays. 


Le  second  support  sculpté  est  beaucoup  plus  ricbe  sous  ce 
rapport;  c'est  le  quatrième  du  côté  sud,  et  il  présente,  comme 
les  autres,  les  sculptures  dont  les  croquis  sont  joints  h  ce  rap" 
port.  J'y  signale  la  forme  de  l'U  dans  sa  position  naturelle  et 
1T  renversé,  celle  de  la  virgule  ou  l'apostrophe,  la  ligne  bri- 
sée répétée  plusieurs  fois  parallèlement.  Ces  signes  se  retrou- 


F.   GAILLARD.  —  LE  DOLMEN  DU  GRAïf  NIOL    A  ARZON  677 

vent  auMané  Lud,  au  dolmen  des  Marchands  à  Locmariaquer 
et  au  Mané  Karioned  à  Carnac. 

Le  troisième  support  sculpté  est  celui  du  chevet  de  la 
chambre.  Les  dessins  y  sont  bien  plus  grands  que  sur  les  au- 
tres supports;  ils  semblent  proportionnés  à  la  hauteur, 
2  mètres,  de  cette  paroi.  Deux  signes  seulement  très  caracté- 
risés; en  haut,  l'U  qui,  je  l'ai  ait  déjà,  se  rencontre  en  d'au- 
tres dolmens,  puis,  un  peu  plus  bas,  un  autre  signe,  un 
cartouche  un  peu  horizontal,  surmonté  de  la  virgule  et  au- 
dessous  d'un  trait  ondulé.  Il  y  a  lieu  de  remarquer  ici  que  ce 
même  signe  est  reproduit  sur  le  quatrième  support  sculpté 
du  Midi,  avec  cette  seule  variante  que  le  cartouche  est  tourné 
à  gauche,  tandis  que  sur  celui-ci  il  est  tourné  à  droite.  Il 
existait  aussi  sur  le  Petit-Mont1. 

Une  trouvaille  très  intéressante  a  été  également  faite  au 
cours  de  ces  fouilles.  Dans  l'intérieur  de  la  gaierie  et  dans 
l'axe  du  cabinet  latéral,  nous  avons  recueilli  deux  pierres  de 
blocage,  de  ces  pierres  brutes  que  les  constructeurs  préhisto- 
riques employaient,  comme  on  en  voit  en  beaucoup  de  dol- 
mens, pour  combler  les  ouvertures  que  présentaient  souvent 
les  supports  et  les  tables  qui  n'étaient  pas  toujours  exacte- 
ment juxtaposés.  C'est  bien  là  la  preuve  matérielle  qu'ils  ne 
taillaient  nullement  leurs  blocs  et  ne  leur  donnaient  pas  une 
forme  nécessaire  ou  cherchée.  Ces  deux  pierres,  qui  sont 
plus  larges  qu'épaisses  et,  au  surplus,  ainsi  que  l'exige  leur 
emploi  comme  blocage,  mesurent  :  la  première,  en  largeur, 
0  m.  28  et  0  m.  38,  et  en  épaisseur  0  m.  16;  la  deuxième, 
0  m.  30  et  0  m.  20  sur  0  m.  14.  Cette  dernière  a  été  cassée, 
et  nous  n'en  avons  pas  retrouvé  l'autre  partie,  que  nous  eus- 
sions facilement  reconnue.  Les   carriers   mutilateurs  de  ce 
monument  ont  dû.  l'employer  ou  la  jeter  ailleurs  comme  les 
autres  débris  qu'ils  faisaient.  Chacune  de  ces  pierres  a  une 
surface  plate  sur  un  côté,  et  sur  ce  côté  se  trouve,  sur  cha- 

1  Recueil  des  signes  sculptes  sur  les  monuments  mégalithiques. 
L.  Davy  de  Cussé,  1865.  I1'0  livraison. 


GTS  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

cune  d'elles,  une  hache  sculptée  en  relief.  La  deuxième  de 
ces  pierres  en  avait  deux,  l'une  k  la  suite  de  l'autre,  les  tran- 
chants en  sens  opposés,  mais  rapprochés,  les  talons  en  sens 
contraire.  La  hache  de  la  première  pierre  mesure  0  m.  48  en 
longueur,  et  0  m.  05  en  largeur  au  tranchant;  celle  delà 
deuxième,  0  m.  20  en  longueur,  et  0  m.  07  au  tranchant.  Du 
côté  où  cette  deuxième  pierre  est  brisée  existe  la  forme  du 
tranchant  d'une  seconde  hache  ;  elle  est  séparée  de  l'autre, 
qui  existe  tout  entière,  par  0  m.  04.  On  ne  connaît  encore, 
jusqu'à  présent,  que  la  pierre  de  blocage  du  dolmen  de  Ga- 
vr'inis,  au-dessus  de  la  sixième  paroi  de  droite,  qui  ait  une 
sculpture  de  ce  genre  et  qu'on  a  considéré,  à  tort  ou  à  rai- 
son, comme  la  représentation  de  la  hache  emmanchée.  Ces 
sculptures  du  Grah'  Niol  semblent  devoir  trancher  la  question 
controversée  jusqu'ici  des  moyens  employés  pour  leur  exécu- 
tion. En  les  examinant,  en  effet,  avec  attention,  il  est  facile 
de  se  convaincre  qu'elles  ont  été  faites,  non  point  par  l'em- 
ploi d'un  outil  quelconque  en  métal,  mais  uniquement  par 
l'usure  et  le  frottement  d'une  pierre  plus  dure.  Ces  deux 
pierres,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  présentent  une  surface  plate, 
l'artiste  préhistorique,  pour  y  sculpter  une  hache  en  relief,  a 
simplement  exécuté  une  rainure  creuse  par  frottement  ou 
polissage  dans  la  forme  de  la  hache,  et  dès  lors,  celle-ci,  sé- 
parée du  reste  de  la  superficie,  se  trouve  en  relief;  naturelle- 
ment elle  n'a  ni  ronde  bosse,  ni  saillie  autres  que  la  surface 
environnante.  Ce  fait  me  semble  logiquement  et  matérielle- 
ment concluant.  Le  creux  dessinant  la  hache  a  0  m.  02  en 
largeur  et  0  m.  005  en  profondeur.  Des  photographies  ci- 
jointes  de  ces  deux  pierres  permettent  d'apprécier  l'impor- 
tance de  cette  trouvaille. 

Le  domen  du  Grah'Niol  ne  contenait  que  fort  peu  de  silex, 
je  n'y  ai  receuilli  qu'une  pointe  de  flèche  transversale,  un 
grattoir  et  une  lame  sur  le  dallage  de  l'entrée,  mesurant  0  m.  09 
de  longueur  sur  0  m.  035  de  largeur,  .l'ai  également  trouvé 
dans  le  commencement  de  la  galerie  et  à  toute  sa  profondeur 
une  pierre  ronde  en  quart/.,   d'un  diamètre  de  0  m.  10.  Elle 


F.  GAILLAHD.  —  LE  DOLMEN  DU  GIUH'  NiOL  A  ARZo.N  (579 

ne  porte  aucune  trace  de  percussion  et  j'incline  à  croire  que 
selon  l'opinion  de  notre  honoré  collègue,  M.  Chauvet,  de 
Ruffec,  elle  constitua  une  pierre  de  jet.  D'autres  objets  qui  ne 
se  trouvent  que  dans  les  grands  domens  exceptionnels,  y  ont 
été  recueillis.  Un  grain  de  collier  serpentine  et  huit  autres 
grains  en  calaïs;  ces  derniers  en  forme  de  fortes  lentilles.  La 
calaïs  présente  des  teintes  variées  depuis  le  gros  vert  jusqu'au 
vert  tendre  et  le  vert  jaspé.  Il  dût  y  avoir  un  collier  tout  entier 
dans  ce  dolmen,  car  j'ai  aussi  recueilli  à  l'entrée  une  moitié 
d'un  grain  de  calaïs  bien  plus  gros;  iî  avait  un  diamètre  de 
0  m.  013  et  une  épaisseur  de  0  m.  008.  Accompagnant  ces 
grains  de  collier,  trois  petits  tubes  en  or,  de  la  dimension 
d'une  tige  de  blé,  longs  chacun  de  deux  centimètres,  formés 
d'une  feuille  d'or  jaune  natif,  pareil  à  celui  des  autres  objets 
en  ce  métal  que  j'ai  déjà  recueillis  au  dolmen  de  Kerouaren 
Plouhinec  en  1884  et  à  celui  recueilli  par  d'autres  chercheurs. 
Ces  trois  tubes  ont  dû  servir  à  séparer  des  grains  dans  un 
collier;  ils  sont  tous  trois  du  poids  d'un  gramme.  Les  grains 
de  collier  étaient  dispersés  dans  la  galerie,  depuis  l'entrée 
jusque  et  principalement  dans  l'axe  du  cabinet  latéral.  Les 
trois  petits  tubes  étaient  aussi  dans  ce  dernier  endroit. 

Dans  ce  même  axe  et  contre  les  pierres  gisant  à  plat,  trois 
haches  en  diorite;  l'une  tronquée  au  talon,  mesure  :  longueur 
0  m.  03,  largeur  au  tranchant  0  m.  033;  les  deux  autres, 
dont  le  talon  existe  régulièrement,  longueur  0  m.  053,  lon- 
gueur du  tranchant  0  m.  033  et  0  m.  073  sur  0  m.  043. 

La  poterie  offre  des  spécimens  variés  ;  il  n'y  avait  aucun 
vase  entier  mais  de  nombreux  fragments  dont  plusieurs  orne- 
mentations ont  été  relevées.  De  l'examen  attentif  de  ces  divers 
fragments  et  des  reconstitutions  accomplies,  il  en  résulte  six 
variétés  de  dessins  sur  des  vases  de  couleur  et  de  capacité 
différentes.  La  première  est  celle  d'un  grand  vase  noirâtre  à 
l'extérieur  et  rougeâtre  intérieurement.  Les  bordures  recons- 
tituées dénotent  une  ouverture  d'un  diamètre  de  0  m.  030; 
l'épaisseur  en  est  d'un  centimètre.  L'ornementation,  qui 
existe  du  haut  en  bas,  consiste  en  une  série  de  lignes  hori- 


680  SÉANCE  DU  7  NOVEMBRE  1895 

zonlales  parallèles,  distantes  les  unes  des  autres  d'un  centi- 
mètre; elles  semblent  avoir  été  faites  par  l'application  d'une 
petite  corde  sur  la  pâte  tendre. 

Le  second  type  donne  un  diamètre  d'ouverture  de  0  m.  15, 
l'épaisseur  en  est  de  0  m.  004;  la  terre  est  rouge,  lustrée  à 
l'extérieur  comme  à  l'intérieur.  L'ornementation  consiste 
en  bandes  horizontales  alternées  de  0  m.  012  de  pointillés 
réguliers  dont  l'inclinaison  oblique  est  en  sens  inverse  dans 
chaque  section.  Ces  bandes  ornementées,  qui  existaient  sur 
toute  la  hauteur  du  vase  sont  séparées  entre  elles  par  une 
bande  lisse  d'un  centimètre.  Ce  vase  devait  être  calici- 
forme. 

Le  troisième  type,  également  caliciforme,  ornementé  sur 
toute  sa  superficie,  est  de  même  couleur  rouge  mais  d'une 
épaisseur  de  0  m.  005.  L'ornementation  y  est  encore  plus  fine- 
ment exécutée  :  elle  consiste  en  une  bande  de  pointillés,  très 
petits,  très  réguliers,  de  0  m.  008  de  largueur,  séparée  de 
l'autre  par  trois  lignes  au  trait  de  0  m.  008.  Ces  traits, 
comme  pour  le  premier  vase,  ont  dû  être  produits  par  l'em- 
preinte d'une  petite,  ficelle  ;  les  pointillés,  obliquant  en  sens 
inverse  dans  chaque  bande  sont  tellement  fins  et  réguliers 
qu'on  peut  en  conclure  qu'ils  ont  été  obtenus  à  l'aide  d'une 
molette. 

Le  quatrième,  d'un  vase  caliciforme  et  de  même  couleur 
rougeâtre,  à  une  ornementation  régulière  du  haut  en  bas  de 
traits  circulaires,  horizontalement  espacés  0  m.  005. 

Le  cinquième,  encore  d'un  vase  caliciforme  et  de  couleur 
rouge  à  l'extérieur,  mais  plus  foncé  à  l'intérieur,  est  ornementé 
par  des  bandes  alternatives  au  pointillé  plus  largement  exé- 
cuté, obliquant  aussi  en  sens  inverse,  d'une  largeur  d'un  cen- 
timètre et  séparées  d'un  centimètre  les  unes  des  autres. 

Le  sixième,  caliciforme  aussi,  est  ornementé  au  col  du  vase 
de  trois  bandes  de  pointillés;  la  première  supérieure  de  trian- 
gles alternés  et  les  deux  autres  de  lignes  an  sens  opposés.  Ce 
vase  est  de  couleur  brune  à  l'extérieur  comme  à  l'intérieur  et 
lustré:  son  diamètre  d'ouverture  était  de  0  m.  14. 


T.  GAILLARD:   —  LE  DOLMEN  DU  GRAh'  iNIOL  A    ARZON  681 

Parmi  les  vases  sans  aucune  ornementation,  il  faut  en 
signaler  un  de  capacité  assez  grande  ;  diamètre  d'ouverture 
0  m.  27,  épaisseur  0  m.  009,  couleur  rouge  brique.  La  moitié 
d'un  petit  vase  en  terre  brune,  apode,  0  m.  006  d'épaisseur, 
bauteur  0  m.  04,  qui  a  dû  constituer  l'un  de  ces  récipients 
où  les  préhistoriques  conservaient  les  couleurs  qui  leur 
servaient  probablement  à  se  tatouer. 

Dans  les  reconstitutions  à  peu  près  complètes  se  trouvent 
deux  petits  vases  apodes.  L'un,  très  (in,  de  couleur  noire, 
lustré  et  d'une  infime  épaisseur  de  0  m.  002,  a  un  diamètre 
d'ouverture  de  0  m.  055  et  une  profondeur  de  0  m.  035;  lf 
second  est  à  signaler  tout  spécialement.  De  couleur  terre  de 
sienne,  épaisseur  de  0  m.  003  à  0  m.  004,  son  diamètre  est  de 
0  m.  06  et  sa  profondeur  de  0  m.  04.  Il  a  un  seul  bouton 
percé  et  ce  qui  le  distingue  particulièrement  c'est  qu'il  pré- 
sente à  l'intérieur,  au  droit  et  à  la  perpendiculaire  de  ce  bou- 
ton, une  sorte  de  petit  récipient  fait  par  la  pression  sur  la 
pâte  tendre.  Cette  pression  à  dû  être  faite  par  un  doigt  de 
femme.  Je  dois  ici  rappeler  qu'au  dolmen  du  Parc  Nehué  h 
iliantec,  dont  la  Société  d'Anthropologie  a  publié  le  rapport  en 
1889,  page  193,  je  lis  même  trouvaille  d'un  petit  vase  apode 
avec  récipient  intérieur  et  un  seul  bouton  du  même  côté.  Dans 
ce  rapport  je  signalai  aussi  pareil  résultat  obtenu  par  l'un  de 
mes  amis,  M.  Réveillère,  d'Angers,  à  Baden  et  par  Miln  au 
Mané  etGragneux  àCarnac;  ce  dernier  vase  figure  au  Musée 
Miln  sous  le  numéro  61  du  catalogue.  J'ai  démontré  que  contrai- 
rement à  l'opinion  de  ce  dernier  le  récipient  intérieur  ne  peut 
servir  à  soutenir  une  mèche  de  lampe  puisque  la  combustion 
eut  atteint  le  lien  de  suspension  ;  il  y  a  donc  une  autre  raison 
d'être  de  cette  formation  exceptionnelle  et  qui  cependant,  on 
le  voit,  était  assez  pratiquée,  car  il  faut  admettre  qu'elle  a 
dû  exister  dans  beaucoup  d'autres  dolmens  et  qu'on  a  détruite 
ou  qu'on  n'a  nullement  remarquée.  Je  n'hésite  pas  à  en  attri- 
buer l'usage  a  une  simple  représentation  emblématique  ; 
ainsi  que  certains  vases  ornementés  présentent  des  dessins 
aux  traits  identiques  ou  se  rappi ueliant  des  lignes  coneentri- 
t.  vi  (4e  série)  44 


682  SÉANCE  DL"  7  NOVEMBRE  189.J 

ques  ou  ondulées  du  dolmen  de  Gavr'inis,  ces  récipients  inté- 
rieurs ont  le  même  rapport  et  le  même  caractère.  Le  dolmen 
de  Gavr'inis,  par  ses  sculptures  hors  de  pair,  dût  évidem- 
ment représenter  une  sépulture  d'une  importance  considéra- 
ble et  des  emblèmes  répétés  ailleurs.  Or,  il  existe  à  la  douzième 
paroi  et  dans  la  chambre  une  cavité  dont  on  n'a  pu  et  on  ne 
pourra  probablement  jamais  expliquer  l'usage;  il  est  néan- 
moins permis  de  supposer  qu'un  creux  pareil,  très  difficile  à 
exécuter  par  frottement  ou  polissage  selon  la  méthode  usitée 
à  cette  époque,  avait  une  haute  importance  dans  les  cérémo- 
nies. Le  dolmen  de  Gavr'inis  lui-même,  par  ses  nombreuses 
et  remarquabbles  sculptures,  semble  avoir  été  un  véritable 
sanctuaire  funéraire  ;  sans  que  nous  puissions  nous  expliquer 
aujourd'hui  le  sens  des  sculptures  qui  ornent  ses  parois,  nous 
en  voyons  reproduites  en  d'autres  dolmens  et  sur  certaines 
poteries  de  ces  monuments;  j'en  conclus  que  les  récipients 
intérieurs  des  vases  que  je  signale  ont  le  même  caractère  et 
sont  en  rapport  direct  de  la  cavité  du  douzième  support  dans 
la  chambre  de  Gavr'inis. 

Evidemment  l'opinion  que  j'en  émets  ici  peut  être  combat- 
tue parce  qu'on  n'a  pas  eu  lieu  de  l'expliquer  ailleurs  et  en 
général,  il  me  suffira,  je  crois,  de  faire  remarquer  que,  de 
même  que  le  dolmen  de  Gavr'inis  est  unique,  ce  qui  ne  peut 
faire  douter  de  son  antiquité,  ce  que  je  relève  et  signale  ici 
n'a  peut-être  aussi  qu'un  caractère  régional,  au  surplus 
comme  les  sculptures  elles-mêmes,  comme  la  calais  qu'on  ne 
recueille  que  dans  nos  dolmens  de  ce  littoral  du  Morbihan. 

Dans  tous  les  cas  cette  opinion  est  basée  sur  des  faits  maté- 
riels et,  comme  je  l'écrivais  en  1889,  pourra  se  confirmer 
par  de  nouveaux  succès  dans  des  observations  de  ce  genre. 

Il  y  avait  enfin  au  Grah'Niol  une  quantité  de  débris,  variés 
en  forme,  épaisseur,  couleur,  qui  indiquaient  qu'un  nombre 
considérable  de  vases  différents  y  avaient  existé  ;  les  uns  apo- 
des, les  autres  à  fonds  aplatis. 

Tous  ces  fragments  de  poterie  étaient  dispersés  dans  le 
même  espace  que  les  grains  de  collier.  En  quelques  endroits 


F.   GAILLARD.  —   LE  DOLMKN  DU  GRAh'  NtOL  A  ARZON  US:? 

ils  étaient  plus  agglomérés  et  leur  ornementation  indiquait 
que  les  vases  auxquels  ils  avaient  appartenu  avaient  été  bri- 
sés à  la  place  qu'ils  occupaient.  Sur  toute  la  superficie,  de 
nombreux  fragments  de  charbon  et  de  la  cendre;  plusieurs 
des  débris  de  poterie  en  sont  couverts  intérieurement,  indi- 
quant ainsi  que  les  vases  dont  ils  proviennent  en  ont  con- 
tenu. 

La  chambre  n'a  rien  donné  et  cela  s'explique;  les  parois 
ayant  été  enlevées,  moins  celle  qui  en  reste,  il  a  fallu  pour 
opérer  cette  destruction  dégarnir  ces  supports  jusqu'à  la  base 
et  naturellement  le  terrain  enlevé,  comme  d'habitude,  à  la 
pelle  et  transporté  en  tombereaux  dans  des  champs  incon- 
nus, contenait  un  riche  mobilier  funéraire  complètement 
perdu  pour  les  études  scientifiques.  Dans  la  galerie  comme 
dans  le  cabinet  latéral  où  des  supports  manquent,  il  en  a  été 
de  même,  mais  dans  une  mesure  moins  totale.  Ce  qui  le 
prouve  c'est  que  dans  la  chambre  il  n'y  avait  aucun  dallage, 
tandis  que  la  galerie  et  le  cabinet  latéral  en  avaient  conservé 
des  sections.  On  ne  peut  s'empêcher  de  déplorer  un  vanda- 
lisme inconscient  à  une  époque  reculée  et  où  les  études  de  ces 
monuments  n'étaient  nullement  faites,  d'autant  qu'on  peut 
assurément  avoir  la  ferme  conviction  que  plusieurs  des  sup- 
ports détruits  durent  être  sculptés.  Quoiqu'il  en  soit,  ce  grand 
et  profond  dolmen  du  Grah'Niol  mérite  par  son  type  d'être 
conservé  comme  nos  plus  grands  mégalithes.  Les  tables  sont 
à  la  surface  du  terrain  et  le  monument,  dans  toute  sa  profon- 
deur, est  au-dessous  du  sol. 

Je  joins  à  tous  ces  détails  le  plan,  la  photographie  de  ce 
monument,  celle  des  pierres  de  blocage  avec  haches  en  relief, 
le  dessin  à  l'échelle  des  supports  sculptés  et  la  photograpbie 
du  vase  apode  à  récipient  intérieur. 

Le  dolmen  du  Grah'Niol  ouvre  au  100°  degré  de  la  bous- 
sole, c'est-à-dire  à  l'Est  dix  degrés  Sud. 


684  SÉANCE  DU  21   NOVEMBRE  1895 

631e  SÉANCE.  —  21  novembre  1895 
Présidence  de  M.  Issaurat. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Raye  (baron  de).  —  Note  sur  des  bijoux  barbares  en  forme  de 
mouches.  (Ext.  des  Mém.  Soc.  nation,  des  antiquaires  de  France), 
in-8°,  22  pag.  et  fig.,  Paris,  1895. 

Boas  (Franz).  —  Chinooktexts,  in-8°,  278pag.,  Washington, 
1894. 

Caracache  (Dr  A.).  —  Présentation  d'un  fœtus  monstrueux, 
in-8°,  5  pag.,  Gonstantinople,  1895. 

Fulcomer  (D.).  —  Instruction  in  Sociology  in  Institution  of 
Learning,  in-8°,  19  pag.,  Chicago,  s.  d. 

Giacomini  (Dr  Carlo),  —  Annolazioni  sopra  Vanatomia  del 
negro,  5  mémoires  in-8°,  40-80-96-24  48  pag.  avec  fig.  et  pi., 
Turin,  1878  à  1892. 

Giacomini  (Dr  Carlo).  —  Contribulo  allô  studio  délia  microce- 
falia,  in-8°,  19  pag.,  Turin,  s.  d. 

Giacomini  (Dr  Carlo).  —  Una  microcefala.  Osservazioni  ana- 
lomiche  ed  antropologiche,  in-8°,  86  pag.  et  pi.  Turin,  1876. 

Giacomini  (Dr  Carlo).  —  I  cervelli  dei  microcefali,  in-8°,  331 
pag.,  et  pi.,  Turin,  1890.  (Ouvrages  présentés  par  M.  Manœu- 
vrier.) 

Hamy  (E.-T.).  —  Les  races  humaines  de  Madagascar.  (Ext.  de 
la  Revue  Scientifique),  in-8°.  26  pag.,  Paris,  1895. 

Mooney  (James).  —  The  Siou  an  tribes  of  the  east,  in-8°,  100 
pag.,  Washington,  1894. 

Reclus  (Elisée).  —  Nouvelle  géographie  universelle,  19  vol. 
in-8°  jésus  avec  fig.  et  cartes,  Paris,  1876-1894  (Achat). 

Reclus  (Elisée).  —  Projet  de  construction  d'un  globe  terrestre  à 
l'échelle  du  1/100,000,  in-8°,  15  pag.,  Bruxelles,  1895. 

Vauchez  (Emmanuel).  —  La  banqueroute  de  la  science  et  la 
faillite  de  l'Instruction  laique,  in-18,  32  pag.,  Tarhes,  1895. 


PÉRIODIQUES  685 

Vauchez  (Emmanuel).  —  L'éducation  morale,  in-18",  40  pag., 
Nevers,  1895. 

Worms  (R.).  —  Un  laboratoire  de  sociologie.  (Ext.  de  la  Rev. 
inlern.  de  sociologie),  in-8°,  17  pag.,  Paris,  1895. 

M.  René  Worms  fait  hommage  de  son  étude  intitulée  :  «  Un 
laboratoire  de  Sociologie  ».  Il  s'est  efforcé  d'y  prouver  que  la 
Sociologie  peut  être  constituée  par  des  procédés  de  mesure 
précis,  tels  que  ceux  qu'emploient  déjà  la  psychologie  expé- 
rimentale et  la  statistique  et  analogues  à  ceux  des  sciences 
naturelles  et  physiques. 

M.  Manouvrier  dit  que  cela  revient  à  affirmer  la  nécessité 
évidente  de  constituer  la  Sociologie  avec  la  Psychologie,  la 
Démographie,  avec  l'Anthropologie  en  général,  en  un  mot 
avec  les  sciences  afférentes  qui  ont  leurs  laboratoires  et  leurs 
procédés  d'étude.  Un  laboratoire  affecté  spécialement  à  la 
Sociologie  en  dehors  de  ces  sciences  devrait,  pour  mériter  un 
titre  particulier,  être  consacré  à  des  expériences  directement 
sociologiques.  Son  établissement  ne  serait  pas  irréalisable 
avec  de  très  larges  moyens. 

Autrement  ce  serait  simplement  un  laboratoire  de  Psycho- 
logie, ou  d'Anthropologie  ou  de  Statistique,  etc. 

périodiques  (Articles  à  signaler). 

Revue  de  l'Ecole  d'Anthropologie,  1895,  n°  XI.  —  A.  deMor- 
tillet  :  Excursions  de  1895;  —  L.  Capitan  :  Une  visite  à  la 
JJalIastière  de  Tilloux. 

G.  R.  de  la  Société  de  biologie,  1895,  n°  30.  —  Charrin  et 
(iley  :  Difformités  congénitales  expérimentales. 

Revue  scientifique,  9  nov.  1895.  —  Zaborowski  :  la  Russie 
préhistorique  et  les  relations  de  l'Europe  avec  l'Asie  par  la 
Caspienne. 

The  American  anthropologist,  1895,  n°  3.  —  W.  Hodge  :  The 
early  Navajo  and  Apache.  —  F.  Ward  :  The  relation  ofsocio- 
logy  to  anthropology.  —  G.-R.  Putnam  :  A  Yuma  crémation. 
—  W.  Me  Gee  :  Some'principles  of  nomenclature. 


686  SÉANCE  DU  21  NOVEMBRE   1893 

PRÉSENTATIONS. 
Photographie  d'un  monunicut  mégalithiiic. 

Par  M.  le  Baron  de  Baye. 

M,  le  baron  de  Baye  communique  une  lettre  qu'il  a  reçue 
de  M.  l'abbé  Patriat,  curé  de  Jully  (Yonne),  et  la  photogra- 
phie d'une  pierre  sur  laquelle  il  attire  l'attention  de  ses 
confrères.  Il  s'agit  d'un  bloc  de  granit,  découvert  dans  le 
Morvan,  mesurant  1  m.  90  de  largeur  environ  sur  1  m.  30  de 
hauteur.  La  base  est  fracturée  et  tout  le  reste  du  pourtour  est 
taillé  grossièrement  en  biseau.  Ce  bloc  repose  sur  le  flanc 
d'un  coteau  à  l'altitude  de  380  mères  (d'après  la  carte  dressée 
par  l'état-major),  le  monolithe  n'a  jamais  été  ni  remarqué  ni 
cité,  il  se  trouve  sur  le  territoire  de  Saint-Germain-des- 
Champs,  canton  de  Quarré-les-Tombes  (Yonne),  à  300  mètres 
environ  de  la  rivière  Cure. 

L'auteur  de  la  découverte  ne  met  pas  en  doute  que  les  deux 
rainures  perpendiculaires  soient  dues  au  travail  de  l'homme. 
L'examen  de  la  photographie  nous  autorise  à  penser  de 
même.  Ces  rainures  sont  profondes  et  larges  de  deux  à  trois 
centimètres  environ.  Quant  à  la  rainure  en  rigole  horizontale 
et  légèrement  arquée  qui  affleure  le  bord  du  bloc,  elle  n'est 
pas  aussi  nettement  indiquée,  surtout  au  milieu  de  sa  cour- 
bure. Du  reste,  elle  est  moins  profonde  que  les  deux  autres. 

Mais  la  partie  la  plus  intéressante,  selon  moi,  est  l'angle 
supérieur  à  droite  de  la  pierre  et,  à  la  gauche,  de  celui  qui  la 
regarde.  Il  y  a  là  des  lignes  qui  ont  été  considérées  par  les 
personnes  de  la  localité  comme  une  grossière  figuration  d'une 
tète  de  félin.  L'auteur  de  la  lettre  hésite  à  y  reconnaître  les 
traces  de  l'œuvre  do  l'homme.  Pour  nous,  nous  rangerons 
celte  sculpture  sommaire  dans  la  série,  tous  les  jours  plus 
nombreuse,  des  monuments  néolithiques,  dont  l'étude  a  été 
inaugurée  par  la  découverte  de  nos  grottes  du  département 
de  la  Marne. 


COLLIGNON. —  LA  COULEUR  ET  LE  CHEVEU  DU  NÈGRE  NOUVEAU-NÉ    687 

Le  monument  de  Sàint-Germain-des-Champs  mérite  de 
fixer  l'attention  de  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'art  des 
hommes  néolithiques. 

Discussion. 

M.  G.  de  Mortillet,  pense  qu'il  n'y  a  point  trace  de  travail 
humain. 

M.  Hervé  dit  qu'il  a  vu  dans  le  Morvan,  où  ils  sont  fré- 
quents, plusieurs  de  ces  pseudo -monuments  mégalithiques. 

COMMUNICATIONS. 
E<a  couleur  et  le  cheveu  du  nègre  nouveau-né. 

Par  le  D1'  K.  Collignon. 

On  peut  lire  dans  tous  les  traités  d'ethnographie  ou  d'an- 
thropologie qu'au  moment  de  sa  naissance  le  négrillon  est 
blanc.  Les  téguments,  sous  l'influence  de  la  lumière,  se  fonce- 
raient rapidement  et  l'enfant  atteindrait  sa  couleur  défini- 
tive en  quelques  jours. 

Je  n'ai  nullement  l'intention  de  faire  l'historique  de  la 
question,  le  fait  ayant  été  observé  pour  ainsi  dire  par  tout  le 
monde,  et  son  existence  ne  pouvant  être  mise  en  doute,  ni 
pour  les  nègres  d'Afrique,  ni  pour  les  noirs  océaniens. 

Mais  ayant  eu  récemment  l'occasion  d'observer  plusieurs 
enfants  nègres  immédiatement  après  leur  naissance,  je  puis 
apporter  au  débat  non  plus  des  affirmations,  mais  des  cons- 
tatations exactes  relevées  a  l'aide  du  Tableau  chromatique  de 
Broca,  autrement  dit  substituer  des  chiffres  précis  à  des  com- 
paraisons vagues, 

Les  deux  premières  observations  ont  été  recueillies  au  vil- 
lage soudanais,  créé  au  Champ-de-Mars  cet  été  par  MM.  Bar- 
bier. Nous  savons  tous  a  la  Société  d'anthropologie  combien 
ces  messieurs  ont  mis  de  complaisance  a  favoriser  nos  re- 
cherches sur  Wiu<  pensionnaires,  et,  je  puis  dire  hautemenl 


688  SÉANCE  DU  21  NOVEMBRE  1895 

que  grâce  à  eux.  nos  connaissances  sur  l'ethnographie  du 
Sénégal  auront  fait  un  grand  pas.  Dans  le  cas  présent,  ils 
mirent  la  plus  extrême  obligeance  k  me  faire  prévenir  immé- 
diatement chaque  fois  qu'il  y  eut  un  accouchement  au  vil- 
lage. Malheureusement,  je  ne  pus  arriver  à  temps  que  trois 
fois  sur  six.  Voici  ce  que  je  pus  constater. 

Observation  1.  —  Le  19  septembre  1895,  à  10  h.  10  du 
matin,  naît  un  enfant  du  sexe  masculin,  fils  de  père  et  de 
mère  ouolofs.  J'arrive  au  moment  où  l'on  venait  de  sectionner 
le  cordon  et  pendant  qu'on  lavait  le  bébé. 

La  couleur  de  celui-ci  était  difficile  à  définir.  Sous  une  teinte 
rose  rougektre,  plus  claire  que  le  n°  24  de  l'échelle  de  Broca, 
on  voyait  transparaître  un  fond  de  pigment  disséminé  qui 
tendait  à  masquer  cette  teinte  et  donnait  à  l'œil  la  sensation 
du  lilas  pâle,  le  lilas  tel  qu'on  l'observe  en  fleurs.  L'impres- 
sion ne  peut  mieux  se  comparer  qu'à  celle  que  fournit  une 
barbe  noire  fraîchement  rasée.  Les  oreilles,  les  seins,  les  or- 
ganes génitaux  étaient  manifestement  foncés,  28/29  environ. 
Les  pieds  et  les  mains,  au  contraire,  atteignaient  un  rose 
franc,  bien  plus  rose  et  bien  plus  clair  que  le  24  et  d'une 
teinte  n'existant  pas  sur  l'échelle. 

Les  cheveux,  très  abondants,  étaient  noirs,  fins,  souples,  à 
peine  ondulés  et  longs  de  3  centimètres. 

Le  lendemain  20  septembre,  la  peau  a  manifestement  foncé, 
29  dans  l'ensemble,  c'est-à-dire  vieux  cuir.  Les  pieds  et  les 
mains  sur  leurs  deux  faces  conservent  une  teinte  rougeàtre 
qui  n'existe  pas  sur  notre  tableau.  Celle-ci  remonte  environ 
jusqu'il  la  moitié  des  avant-bras  et  des  jambes,  surtout  sur 
les  faces  palmaires  des  premiers,  postérieures  des  seconds. 
Les  organes  génitaux,  les  oreilles  et  les  seins  ont  28/35. 

Le  21  septembre,  même  couleur,  29  sur  le  corps,  28/35  aux 
régions  foncées,  rouge  brique  aux  extrémités. 

Du  22  au  2G,  état  stationnaire.  L'enfant  entre  k  l'hôpital 
pour  conjonctivite  purulente.  Je  ne  le  revois  que  le  3  novem- 
bre, 46  jours  après  la  naissance. 

A  ma  grande  suprise,  je  constate  que  la  couleur  du  bébé  a 


COLLIGNON.  —  LÀ  COULEUR  ET  LE  CHEVEU  DU  NÈGRE  NOUVEAU-NÉ     680 

plutôt  légèrement  pâlie,  elle  atteint  à  peine  le  29  sur  le  corps, 
le  32,  c'est-à-dire  le  rose  jaunâtre  sur  les  deux  faces  des  mains 
et  des  pieds  jusqu'aux  poignets  et  aux  malléoles,  la  teinte  se 
fondant  doucement  et  passant  graduellement  au  brun  en  re- 
montant les  membres. 

Observation  2.  —  Le  28  septembre  1895,  à  6  h.  du  soir,  naît 
un  petit  garçon  d'un  père  et  d'une  mère  ouolofs.  Couleur  du 
père,  28  ;  de  la  mère,  28/43  (c'est-à-dire  le  noir  à  peine 
adouci  et  tirant  sur  le  chocolat  très  foncé.) 

Je  vois  l'enfant  à  6  h.  10,  à  la  lumière.  Il  est  rougeàtre,  in- 
finiment plus  clair  comme  nuance  que  ses  parents,  mais  mani- 
festement plus  foncé  que  moi.  Observant  à  la  lumière  d'une 
bougie,  il  m'est  impossible  de  noter  la  teinte  précise.  Cheveux 
noirs,  longs,  doux  et  à  peine  ondulés,  comme  le  précédent. 

Revenu  le  lendemain  matin,  à  la  première  heure,  je  trouve 
l'enfant  bien  enveloppé,  n'ayant  pas  vu  la  lumière  du  jour  et 
n'ayant  pu  encore  en  subir  l'influence.  Corps,  teinte  30  (cuir 
fauve.)  Oreilles,  organes  génitaux,  creux  de  l'aisselle  foncés, 
28/29.  Extrémités  rougeâtres  comme  chez  le  premier. 

Le  30,  l'état  est  stationnaire,  nul  changement. 

Le  3  novembre,  36  jours  après  la  naissance,  la  teinte  at- 
teint le  29  sur  le  corps;  comme  toujours,  elle  est  plus  foncée 
aux  points  ci-dessus  indiqués,  rose  aux  extrémités. 

Observation  3.  —  Le  26  septembre,  à  5  heures  du  matin,  je 
suis  appelé  au  village  où  je  trouve  une  jeune  fille  de  race 
leybou  qui  venait  d'expulser  un  fœtus  de  deux  mois  environ. 

Celui-ci,  que  j'ai  conservé,  était  rose  franc  de  la  couleur 
de  nos  muqueuses,  sans  trace  de  pigmentation.  Les  caractères 
de  race  étaient  déjà  accusés:  le  petit  crâne  était  manifestement 
dolichocéphale,  et  surtout  le  nez  franchement  platyrhinien, 
épaté,  avec  des  narines  ouvertes  transversalement  comme  celles 
des  noirs. 

A  ces  3  cas,  vient  s'en  ajouter  un  quatrième,  que  je  ne  cite 
que  pour  mémoire.  A  l'exposition  de  Bordeaux,  M.  Gravier 
avait  installé  un  village  sénégalais  et  un  village  annamite 
que  j'ai  pu  visiter  pendant  8  jours,  avec  quelques-uns  de  nos 


(>90  SÉANCE  DU  21  NOVEMBRE  1895 

collègues,  au  moment  du  Congrès  de  l'Association  française 
pour  l'avancement  des  sciences. 

Pendant  mon  séjour,  il  y  eut  vers  les  10  heures  du  matin 
un  accouchement.  M.  Cabanes,  le  conservateur  du  Muséum, 
auquel  j'avais  signalé  l'intérêt  de  constatations  précises,  avait 
prié  M.  Gravier  de  l'avertir  le  plus  tôt  possible.  Il  put  donc 
arriver  en  temps  utile.  Malheureusement,  il  ne  possédait  pas 
l'échelle  chromatique  de  Broca.  Prévenu  moi-même  vers  midi, 
deux  heures  après  la  naissance,  je  vis  l'enfant  qui  déjà  pré- 
sentait une  teinte  relativement  foncée  et  voisine  en  plus  pâle 
du  29.  Comme  toujours,  les  organes  génitaux,  les  seins  et 
surtout  les  oreilles  étaient  plus  foncés,  les  pieds  et  les  mains 
rougeùtres. 

Rencontrant  M.  Cabanes  vers  2  heures,  il  me  dit  avoir  vu 
l'enfant,  et  avoir  constaté  qu'il  était  blanc  ou  pour  mieux  dire 
à  peine  plus  foncé  que  l'Européen,  mais  dans  un  ton  jaune 
rougeàtre.  Comme,  un  peu  surpris,  je  lui  faisais  part  de  ma 
constatation,  nous  retournâmes  voir  notre  négrillon,  et 
M.  Cabanes  constata  que  sa  teinte  avait  changé  du  tout  au 
tout  en  moins  de  4  heures. 

On  doit  donc  conclure  que  la  pigmentation  se  fait  très  vite, 
puisque  dans  le  cas  présent  elle  était  déjà  manifeste  au  bout 
de  2  heures.  Il  parait  cependant  que  le  fait  n'est  pas  constant 
et  que  suivant  les  individus  le  phénomène  est  plus  ou  moins 
rapide.  Certains  enfants  se  fonceraient  presque  instantané- 
ment; d'autres,  au  contraire,  mettraient  plusieurs  jours  avant 
d'être  nettement  bruns.  On  peut  voir  du  reste  que  même  après 
6  semaines  nos  autres  négrillons  étaient  loin  d'être  aussi  noirs 
que  leurs  parents. 

J'appellerai  aussi  l'attentiou  sur  deux  points,  parce  que  je 
les  crois  importants  et  même  très  importants  au  point  de  vue 
philosophique,  et  que  je  ne  les  ai  vus  signalés  nulle  part. 

D'abord  la  nature  du  cheveu  chez  le  nouveau-né.  Chez  les 
3  petits  bonshommes  dont  j'ai  parlé  plus  haut  et  sur  les  autres 
vus  par  moi,  3  à  Paris,  1  à  Bordeaux,  dans  les  8  jours  après 
leur  naissance,  j'ai  constaté  l'existence  de  cheveux  abondants, 


DISCUSSION  691 

noirs,  fins,  souples,  à  peine  ondulés  et  d'une  longueur  variant 
entre  3  et  6  centimètres,  cheveux  ne  ressemblant  en  rien  à 
ceux  des  adultes  qui  sont  courts,  rudes  et  assez  frisés  pour 
rendre  l'aspect  en  grains  de  poivre.  D'où  la  conclusion  que 
Yancêtre  inconnu  du  nègre  n'avait  pas  les  cheveux  crépus, 
mais  un  cheveu  lisse  comme  nous.  Ce  caractère  serait  donc 
acquis  et  relativement  récent. 

L'autre  point  ne  touche  plus  qu'accessoirement  à  la  question 
qui  nous  occupe.  Chacun  sait  que  chez  les  noirs  la  paume  des 
mains  et  la  plante  des  pieds  sont  plus  clairs  que  l'ensemble 
des  téguments.  Grosso  modo,  on  dit  que  chez  eux  ces  deux  ré- 
gions sont  blanches.  Le  fait  est  exact,  bien  que  soumis  à  des 
variations  considérables,  car  la  couleur  oscille,  d'après  mes 
observations,  entre  33  et  29,  c'est-à-dire  entre  le  jaune  pâle 
et  un  chocolat  assez  foncé,  sans  prendre  jamais  chez  l'adulte 
la  teinte  rose  de  la  peau  européenne.  Mais  ce  que  je  n'avais 
jamais  lu  nulle  part  et  que  j'ai  pu  constater  à  Bordeaux,  dans 
le  village  annamite,  c'est  que  la  même  chose  existe  dans  les 
races  jaunes,  ou  tout  au  moins  chez  les  indigènes  d'Annam 
observés. 

En  effet,  ceux-ci,  franchement  jaunes  sur  tout  le  corps,  ont 
la  plante  des  pieds  et  la  paume  des  mains  roses  et  du  rose 
chair  européen  ;  en  sorte  qu'on  pourrait  énoncer  familière- 
ment le  phénomène  en  disant  que  les  noirs  ont  ces  régions 
de  la  couleur  des  jaunes,  et  ceux-ci  de  celle  des  blancs. 

Il  me  paraît  superflu  d'insister  sur  l'importance  philoso- 
pbique  de  ce  fait,  quelque  minime  qu'il  semble  de  prime 
abord,  et  sur  les  conclusions  qu'on  en  peut  tirer  au  point  de 
vue  de  la  parenté  des  3  grands  troncs  de  l'humanité. 

Discussion. 

ML  Arsène  Dumont.  —  M.  Collignon  a  observé  chez  plusieurs 
négrillons  que  leur  pigmentation  était  beaucoup  moins  pro- 
noncée à  leur  naissance  qu'elle  n'est  un  peu  plus  tard.  Je 
puis  ajouter  que  j'ai  remarqué  et  fait  remarquer,  lors  du  con- 
grès de  Bordeaux,  à  plusieurs  de  nos  collègues  de  la  section 


692  SÉANCE  DU  21  NOVEMBRE  1895 

d'anthropologie,  et,  j'y  pense,  à  M.  Collignon  lui-même,  un 
très  jeune  enfant  annamite  qui,  au  lieu  de  présenter  des  che- 
veux complètement  noirs  comme  sa  mère,  les  avait  châtain 
foncé.  Ce  caractère  ne  s'ohserve  pas  chez  les  nègres  où  dès 
la  naissance  les  cheveux  sont  complètement  noirs  —  le  rap- 
procherait donc  de  nos  races.  Il  me  semhle  que  ce  petit  fait 
forme  groupe  avec  les  précédents,  en  ce  sens  qu'il  tend  à  éta- 
blir que  les  enfants  des  diverses  races  humaines,  soit  nègres, 
soit  annamites,  sont  moins  différents  entre  eux  que  les  adul- 
tes entre  eux.  On  sait,  d'autre  part,  que  l'enfant  gorille  dif- 
fère moins  de  l'enfant  humain  que  le  gorille  adulte  de  l'homme 
adulte.  Tous  ensemble,  ces  faits  et  les  faits  analogues  que 
l'on  pourrait  joindre  militent  en  faveur  d'une  très  ancienne 
communauté  d'origine. 


Xote  sur  l'Hérédité  morbide. 

Par  le  Dr  IlEiNRY  Morau. 

Bien  que  les  faits  sur  lesquels  je  me  permets  d'attirer  l'at- 
tention de  la  Société  ne  se  rattachent  pas  d'une  façon  directe 
à  l'objet  habituel  de  nos  études,  les  recherches  anthropologi- 
ques, je  crois  cependant  utile  et  nécessaire  de  vous  en  faire 
part,  car  ils  peuvent  jeter  un  certain  jour  sur  les  lois  natu- 
relles de  l'hérédité  et  en  particulier  de  l'hérédité  morbide. 

On  sait  que,  depuis  1888,  j'ai  entrepris  une  série  de  recher- 
ches sur  l'inoculation  et  la  transmissibilité  des  néoplasmes. 
Opérant  toujours  sur  des  animaux  de  la  même  espèce  (la  sou- 
ris blanche)  et  'avec  le  même  néoplasme  (un  epitheliome  cy- 
lindrique) je  suis  parvenu,  en  1893,  à  montrer  à  l'Institut, 
grâce  au  bienveillant  concours  de  mon  illustre  et  regretté 
maître,  le  Pr  Verneuil,  l'inoculabilité  de  ces  néoplasmes.  Au- 
jourd'hui le  fait  a  été  vérifié  par  de  nombreux  expérimenta- 
teurs et  il  ne  semble  plus  laisser  de  doute  dans  tout  esprit 
scientifique  vraiment  compétent.  Dès  le  3  juillet  1893,  dans 
ma  note  que  communiquait  à  l'Institut  le  Pr  Verneuil,  je  fai- 


H.  MOIUU.  —  NOTE  SUR  [/HÉRÉDITÉ  MORDIDE  693 

sais  remarquer  la  facilité  extrême  que  présentaient  les  ani- 
maux nés  de  parents  cancéreux  à  prendre,  par  inoculation 
directe  ou  indirecte,  le  néoplasme  de  leurs  ascendants.  Depuis 
cette  époque,  j'ai  poursuivi  et  je  poursuis  encore  ces  recher- 
ches, et  j'ai  été  frappé  du  fait  suivant,  qui  est  l'objet  de  la 
présente  communication  : 

Des  animaux  A,  sains,  indemnes  de  toute  néoplasie,  sont 
inoculés,  suivant  ma  méthode  ordinaire.  Après  un  laps  de 
temps,  qui  varie  entre  trois  et  six  mois,  ils  deviennent  por- 
teurs de  néoplasmes,  identiques  au  point  de  vue  anatomique, 
au  néoplasme  inoculé.  Ces  animaux  A,  croisent  entre  eux  et 
me  fournissent  des  descendants  B,  héréditaires  néoplasiques 
de  générateurs  eux-mêmes  néoplasiques.  Ces  animaux  B  sont, 
à  peu  de  chose  près,  identiques  à  leurs  parents;  aussi  beaux 
de  poils,  lustrés,  peut-être  un  peu  plus  sensibles  à  la  vie  dure 
des  ménageries  de  laboratoire.  Ils  présentent,  cependant,  ce 
fait  particulier  que  nous  connaissons  déjà  de  par  la  clinique, 
que,  inoculés  à  leur  tour,  ils  offrent  un  terrain  éminemment 
favorable  à  l'évolution  du  néoplasme.  En  1893,  j'ai  pu  faire 
voir,  à  l'Institut,  un  de  ces  héréditaires  inoculé  vivant,  qui, 
avec  une  bonne  santé  apparente,  était  cependant  porteur  d'un 
néoplasme  représentant  comme  volume,  les  deux  tiers  de  son 
volume  total.  Dans  ces  cas,  les  faits  expérimentaux  viennent 
corroborer  ceux  que  nous  fournissent  quotidiennement  l'ob- 
servation clinique. 

Mais  dans  les  expériences  ultérieures,  nous  voyons  l'expé- 
rimentation entrer  en  contradiction  avec  l'observation.  Si,  en 
effet,  ces  animaux  B,  héréditaires  cancéreux,  inoculés  eux- 
mêmes  avec  le  même  néoplasme,  viennent  à  croiser  entre  eux, 
nous  assistons  aux  phénomènes  suivants  : 

1°  D'une  manière  générale  la  gestation  de  ces  animaux 
n'arrive  pas  à  son  terme  normal,  les  avortements  ou  les  morts 
des  générateurs  paravortement  sont  extrêmement  fréquentes. 
Sur  30  couples,  j'ai  pu  observer  18  avortements. 

2°  Lorsque  la  gestation  suit  son  cours  normal,  les  petits, 
C,  sont  généralement  rachitiques,  malingreux,  à  poils  rares 


694  SÉANCE  DU  21   NOVEMBRE  189."l 

et  clairsemés.  Sans  avoir  fait  un  pourcentage  rigoureux,  j'ai 
remarqué  cependant  que  le  sexe  féminin  prédominait  dans 
cette  série  C  d'héréditaires  par  2e  génération.  Je  signale  le 
fait  sans  y  insister  davantage. 

3°  Mais,  ce  sur  quoi  j'appelle  toute  votre  attention,  ce  sont 
les  difformités  que  j'ai  pu  observer  dans  ces  cas.  Outre  le  ra- 
chitisme, la  mort  fréquente  dès  les  premières  heures  j'ai  eu 
dans  un  cas  un  fait  de  syndactylie,  dans  un  autre  une  imper- 
foration anale  reconnue  seulement  à  l'autopsie  du  sujet. 

Ces  faits  expérimentaux,  se  rattachant  uniquement  à  l'évo- 
lution d'un  néoplasme  dans 'un  organisme,  évolution  venant 
entacher  l'organisme  jusque  clans  sa  troisième  descendance, 
me  semblent  confirmer  et  corroborer  les  belles  expériences 
dont  MM.  Charrin  et  Gley  viennent  de  communiquer  les  résul- 
tats à  l'Institut.  Marchant  dans  des  chemins  différents  nous 
sommes  arrivés,  je  crois,  aux  mêmes  résultats.  Ils  ont  cepen- 
dant l'honneur  de  pouvoir  indiquer  d'une  façon  précise  et 
indiscutable  l'agent  même  de  la  dégénérescence,  tandis  que 
dans  mes  expériences  je  ne  puis  que  signaler  les  faits  sans 
en  donner  aucune  explication  ou  démonstration  expérimen- 
tale. 

En  effet,  ces  expérimentateurs,  agissant  avec  le  poison  pyo- 
cyanique,  montrent  les  dégénérescences  et  les  anomalies  que 
procure  ce  poison  en  évoluant  à  travers  plusieurs  organismes. 
Mais  dans  mon  cas,  comment  pourrai-je  montrer  le  poison, 
puisque  nous  ne  le  connaissons  pas  encore?  Est-ce  un  pro- 
duit de  sécrétion  de  bactéries?  Nous  ne  le  croyons  pas,  puis- 
que cette  bactérie  spécifique  n'est  pas  encore  isolée.  Y  a-t-il 
là  un  agent  de  sécrétion  cellulaire,  je  le  penserai  volontiers. 
Et  cependant  l'animal,  C,  issu  d'ascendants  déjà  pénétrés  et 
infectés  par  ce  poison  cellulaire  devrait  être,  plus  que  tout 
autre,  apte  à  recevoir  un  nouveau  germe  morbide.  Or,  c'est  là 
justement  que  l'expérimentation  est  en  contradiction  avec 
l'observation.  Ces  animaux  héréditaires  en  2e  ligne  ne  sont 
plus  susceptibles  d'être  inoculés,  ils  sont  toujours  réfractaires 
<à  l'inoculation  d'un  néoplasme. 


DISCUSSION  <i!C) 

Quel  est  donc  l'agent  de  cette  hérédité  morbide  ? 

J'ai  cherché  dans  les  ovules  de  ces  animaux,  avec  les  réac- 
tifs les  plus  sensibles  dont  dispose  la  technique  histologique 
moderne,  et  je  n'ai  rien  trouvé  d'analogue  à  ce  qu'on  trouve 
dans  les  œufs  de  vers  à  soie  dans  les  cas  de  flacherie  ou  de 
pebrine.  Dans  les  spermatozoïdes,  quoi  qu'ait  pu  dire  au  der- 
nier Congrès  de  la  Tuberculose,  un  observateur  parisien,  ces 
recherches  sont  encore  au-dessus  de  nos  ressources  scienti- 
fiques actuelles. 

Je  me  résume  donc  en  signalant  les  faits  tels  qu'ils  sont, 
sans  vouloir  en  tirer  une  conclusion.  A  l'heure  actuelle,  ces 
questions,  croyons-nous,  ne  sont  pas  encore  assez  mûries 
pour  pouvoir  en  donner  de  bonnes  explications.  Pour  faire 
œuvre  vraiment  scientifique,  il  faut  accumuler  les  faits,  mul- 
tiplier les  observations  et  laisser  le  temps  faire  son  œuvre. 
La  lumière  scientifique  ne  se  faisant  que  lentement. 

Discussion. 

M.  Arsène  Dumont.  —  Je  me  permets  d'insister  sur  un  point 
de  la  communication  de  M.  Morau.  Les  souris,  mâles  et 
femelles,  affaiblies  par  le  cancer,  avortaient  fréquemment  et 
produisaient  beaucoup  plus  de  femelles  que  de  mâles.  C'est 
un  fait  de  plus  à  l'appui  de  cette  opinion  que  la  morti-natalité 
et  l'abaissement  de  la  masculinité  sont  deux  effets  jumeaux 
de  l'affaiblissement  physiologique  des  géniteurs.  Cette  opi- 
nion ne  saurait  être  trop  fortement  motivée  et  il  serait  dési- 
rable que  M.  Morau  put  nous  donner  la  proportion  des  mâles 
et  des  femelles.  En  effet,  la  démographie  peut  tirer  parti  de 
ces  faits  pour  distinguer,  parmi  les  collectivités  à  faible  nata- 
lité, celles  où  la  cause  est  volontaire  et  celles  où  l'on  doit  in- 
voquer la  cause  physiologique. 

Lorsque  dans  une  collectivité  à  faible  natalité,  la  masculi- 
nité est  très  basse,  comme  ce  dernier  phénomène  est  certai- 
nement involontaire,  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  le  p/emiar. 
l'est  également.  C'est  une  règle  de  sociologie  que  j'ai  plu- 


696  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

sieurs  fois  formulée  eu  ces  termes,  je  note  avec  plaisir  tout 
ce  qui  peut  en  fortifier  les  bases  biologiques. 

L'un  des  secrétaires  :  Dr  P.  Raymond. 


638e  SÉANCE.  -  -  5  décembre  1895. 
Présidence  de  M.  André  Lefèvre. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Ambrûsetti  (J.-B.).  —  Sobre  una  coleccion  de  aljarerias  mi- 
nuanes.  (Ext.  du  Bol.  del  Instituto  geografico  argenlino),  in-8°, 
26  pag.  etfig.,  Buenos-Aires,  1893. 

Ambrosetti  (J.-B.).  —  Matérielles  para  el  estudio  del  folk-lore 
misionero.  (Ext.  du  Rev.  del  Jardin  zoologico)  in-8°,  32  pag., 
Buenos-Aires,  1894. 

Ambrosetti  (J.-B.).  —  Apuntes  para  un  folk  lore  argenlino 
(Gaucho),  in-8°,  21  pag.,  Buenos-Aires,  s.  d. 

Ambrosetti  (J.-B.).  —  Los  paraderos  precolombianos  de  Goya. 
(Ext.  du  Bol.  del  Instituto  geografico),  in-8°,  22  pag..  et  fig., 
Buenos-Aires,  1894. 

Ambrosetti  (J.-B.).  —  Los  Indios  Kaingangues  de  San  Pedro, 
con  un  vocabidario.  (Ext.  de  Rev.  del  Jardin  zoologico),  in-8°, 
81  pag.  et  fig.,  Buenos-Aires,  1895. 

Ambrosetti  (J.-B.).  —  Los  Indios  Caingua  del  Alto  Parana. 
(Ext.  du  Bol.  del  Instituto  geografico),  in-8°,  86  pag.  et  fig., 
Buenos-Aires,  1895. 

Baye  (baron  dej.  —  Note  sur  l'époque  des  métaux  en  Ukraine. 
(Ext.  de  l' Anthropologie),  in-8°,  19  pag.  et  fig.,  Paris,  1896. 

Brinton  (D.-G.).  —  Report  upon  the  collections  exhibited  al  the 
Columbian  historical  exposition,  in-8°,  19  pag.,  Washington, 
1895. 

Brinton  (D.-G.).  —  Address  by  —  the  retiring président of  the 
Am.  assoc.  for  the  adv.  of  se.  august,  1895,  in-8°,  17  pag.,  Sa- 
lem, 1896. 


PERlODKjUE:- 


697 


Garnault  (de  Paris)  (Dr).  —  Peut-on  tirer  de  la  forme  du 
crâne  des  conclusions  sur  les  dispositions  anatomiques  rendant  plus 
ou  moins  dangereuses  les  opérations  sur  le  Rocher,  in  8°,  36  pag. 
et  fig.,  Paris,  1895. 

Justin  (J.)  —  Les  relations  extérieures  d'Haïti,  in-8°,236pag., 

Paris,  1895. 

Larrey  (baron  IL).  —  Discours  prononcé  le  18  octobre  1895 

aux  funérailles  du  — ,  in-8",  32  pag.,  Paris,  1895. 

Leitner  (Dr  G.-W.).  —  New  dangers  and  fresh  wrongs.  (Ext. 
de  Asialic  quaterlg  review,  1895),  in-8°,  24  pag. 

Marina  (Dr  Giuseppe)  Ricerche  antropobgiche  ed  etnographiche 
suiRagazzi,  in-8",  86  pag.,  Turin,  1896. 

Regnault  (Dr  F .).  —  Anomalies  du  système  pileux  chez  l'homme 
in  La  Médecine  Moderne  du  6  nov.  1895. 

Stephenson  (Dr  F.-B.).  —  The  sijmbol  of  medicine  in  Roston 
médical  and  Surgical  Journal  du  14  nov.  1895. 

Terrier  (F.)  et  Peraire  (M.).  — V opération  du  trépan,  in-12, 
283  pag.  et  222  fig.  Paris,  1895. 

M.  le  Baron  de  Baye.  —  La  première  partie  de  l'ouvrage 
que  j'ai  l'honneur  d'offrir  à  la  Société  d'Anthropologie,  de  la 
part  des  auteurs,  est  l'historique  de  cette  opération  depuis  les 
temps  préhistoriques  jusqu'à  nos  jours.  Les  chapitres  consa- 
crés aux  trépanations  néolithiques,  chirurgicales  et  posthumes 
donnent  un  résumé  très  complet  de  la  question.  Non  moins 
intéressants  les  chapitres  suivants  consacrés  aux  temps  his- 
toriques :  le  Trépan  dans  l'antiquité,  au  Moyen-Age,  et  pen- 
dant les  xvi,  xvii,  xvui,  et  xixe  siècles. 

Je  me  félicite  d'avoir  été  chargé  par  les  auteurs  de  présen- 
ter à  mes  confrères  un  volume  aussi  savant  que  beau. 

périodiques  (articles  à  signaler). 

Journal  of  the  anthropologicd  inditute,  nov.  1895.  —  A.-W  . 
Buckland  :  Four,  as  a  sacrednumber.  —  Myres  :  The  miser's 
doom  :  a  modem  greek  morality.  —  Poh  ath  Kehelpannala  : 
Cérémonies  observeJ  l»y  Ihe  kandyans  in  Paddy  cultivation. 

T.  VI  (1°  SÉRIE).  ''■' 


698  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

M.  Kovalewsky  :  The  lex  barbarorum  of  the  Daghestan. 

—  J.  Kollmann  :  Pygmies  in  Europe.  —  J.  Lewis  :  The  Has- 
tin°-s  Kitchen  Middens. — J.  Lewis  AbbotU:  Notes  on  aremar- 
kable  Barrow  at  Sevenoacks;  —  Notes,  on  some  specialised 
and  diminutive  forms  of  flint  implements  from  Hastings  Kit- 
chen Midden  and  Sevenoaks.  —  IL  Mathews  :  The  rock  pain- 
tings  and  carvings  of  the  australian  aborigines. 

The  american  antiquarian ,  sept.  1895.  —  A.  C.  Fletcher  : 
Tbe  sacred  pôle  of  the  Omaha  tribe. 

ÉLECTIONS. 

M.  le  Dr  P.  IIaax,  présenté  par  MM.  d'Aultdu  Mesnil,  Saint- 
Yves  Ménard  et  Letourneau.  —  M.  le  D1'  P.  Lafontant,  présenté 
parMM.Manouvrier,  Papillault  et  Letourneau;  —  M. Th. Volkov, 
licencié  ès-sciences,  présenté  par  MM.  Louet,  Clément  Rubbens 
et  A.  de  Mortillet,  sont  élus  membres  titulaires. 


Renouvellement  du  bureau  pour  18»6. 

Le  sort  désigne  comme  scrutateurs  pour  le  dépouillement 
des  listes  MM.  Delisle,  A.  de  Mortillet,  Vinchon,  Fourdrignier 
et  Bloch. 

Le  scrutin  donne  les  résultats  suivants  : 

Nombre  des  votants  :  59. 

Sont  élus  : 

Président  :  M.  André  Lefèvre,  58  v. 

1er  Vice-Président  :  M.  Ollivier-Beauregard,  58  v. 

2e  —  :  M.  G.  Hervé,  56  v. 

Secrétaire-général  :  M.  Letourneau,  59  v. 

Secrétaire-général  adjoint  :  M.  L.  Manouvrier,  59  v. 

Secret,  des  séances  :  MM.  Raymond,  57  v.  —  A  Viré,  56  v. 

Conservateurs  des  collections  :  MM.  A.  de  Mortillet,  57  v.  — 
Cuyer,  56  v. 

Bibliothécaire  :  M.  Zaborowski,  57  v. 


PRESENTATION  G'.H) 

Trésorier  :  M.  Daveluy,  58  v. 

Commission  de  publication  :  MM.  Salmon,  56  v.  —  Dareste, 
58  v.  —  Issaurat,  58. 

PRÉSENTATION. 
Photographie  «lui»  taureau  de  Cîaîuée 

M.  André  Sanson.  —  J'ai  communiqué  à  la  Société,  il  y  ;i 
quelque  temps,  des  faits  qui  montraient  que  des  Bovidés  dont 
la  race  est  incontestablement  originaire  d'Asie  et  qui  peuple 
actuellement  les  steppes  de  la  Russie  méridionale  et  de  la 
Hongrie,  se  trouvent  sur  les  plateaux  de  l'Afrique  centrale, 
dans  la  région  des  grands  lacs.  J'ai  montré  que  ces  Bovidés, 
pris  par  Adametz  pour  des  zébus,  sont  bien  des  taurins  et 
qu'ils  étaient  arrivés  jusque  là  par  l'Egypte,  l'Abyssinie  et  le 
pays  des  Gallas.  La  pbotographie  que  je  présente  aujourd'hui 
et  que  je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Jean  Dybowski  a  été  prise 
dans  le  courant  de  cette  année  en  Guinée  française,  sur  les 
bords  de  l'Ogoué.  C'est  celle  d'un  taureau  qu'il  est  facile  de 
reconnaître,  rien  qu'à  l'aspect  de  son  cornage,  comme  appar- 
tenant lui  aussi  à  la  même  race  que  celle  de  la  population  des 
plateaux  dont  je  viens  de  parler,  c'est-à-dire  à  la  race  asia- 
tique. 

En  examinant  dernièrement  une  série  d'autres  photogra- 
pbies  exécutées  au  Transwaal  et  dont  quelques-unes  repré- 
sentent des  attelages  de  bœufs,  j'y  ai  reconnu  également 
l'existence  d'individus  appartenant,  par  leurs  caractères,  à 
cette  même  race. 

Il  me  paraît  résulter  de  ces  constatations  que  la  race  bovine 
en  question  n'est  pas  seulement  arrivée  au  centre  de  l'Afri- 
que, mais  qu'elle  est  parvenue  jusqu'à  la  cote  occidentale  et 
jusqu'au  sud  du  Continent  africain.  Comme  il  n'y  a  pas 
apparence  qu'elle  ait  pu  prendre  cette  extension  de  son  pro- 
pre mouvement,  en  passant  d'Asie  en  Afrique,  il  me  paraît 
légitime  d'en  conclure  qu'elle  a  été  amenée  par  une  popula- 
tion humaine  asiatique;  et  c'csl  par  Ih  que  mes  communica- 


700  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

tions  sur  ce  sujet  intéressent,  je  crois,  l'Anthropologie.  Elles 
corroborent,  me  semble-t-il,  l'idée  de  ceux  qui  considèrent 
les  Peuls  d'Afrique  comme  étant  d'origine  asiatique.  Mais  je 
ne  veux  pas  davantage  m'aventurer  .sur  ce  domaine  qui 
n'est  pas  le  mien.  Je  me  borne  à  affirmer  en  toute  certitude 
que  les  Bovidés  dont  il  s'agit  sont  bien,  eux,  originaires  de 
l'Asie. 

Discussion. 

M.  Zarorowski.  —  Je  demande  à  faire  une  réserve  sur  l'ori- 
gine soi-disant  asiatique  attribuée  aux  Peuls,  Pouls  ou  Foulbé. 
Nous  ne  pouvons  pas  du  tout  les  faire  venir  de  si  loin.  Ce 
sont  des  nomades  pasteurs  vivant  de  laitage,  qui  se  sont  im- 
plantés à  une  époque  relativement  récente  dans  l'Afrique  occi- 
dentale. On  a  dit  entre  autres  choses  qu'ils  descendaient  d'une 
tribu  de  Fellahs  égyptiens.  Ce  n'est  probablement  pas  tout  à 
fait  exact.  Leurs  mœurs  pastorales  les  distinguent  autant  des 
Fellahs  que  des  nègres  du  Soudan,  qui  sont  tous  agriculteurs. 
Ils  sont  les  propagateurs  du  mahométisme  et  en  tout  cas  du 
zébu,  puisqu'ils  se  nourrissent  du  lait  de  cet  animal  et  le  zébu 
appartient  à  la  côte  orientale  de  l'Afrique.  Et  comme  leurs  tradi- 
tions elles-mêmes  rappelées  il  y  bien  longtemps  et  par  moi-même 
en  1883  (Nouvelle  Revue,  Les  peuples  de  l'Afrique),  toutes  leurs 
babitudes  de  vie,  leur  matériel  industriel,  leurs  maisons  de 
branchages,   en  forme  de  meule  allongée,  les  rattachent  aux 
populations  des  régions  arides  de  l'Afrique  du  nord-est.  Cer- 
tains de  leurs  traits  rappellent  indiscutablement  la  physio- 
nomie égyptienne.  Ce  sont  surtout  leur  fin  nez,  il  est  vrai 
arqué,   leurs  yeux  en  amande  que  nos  compatriotes  du  Séné- 
gal ont  distingués  a  première  vue  par  le  terme  de  «  yeux  de 
Chinois  »,   leurs  membres  maigres,  leurs  extrémités  fines. 
Leurs  crânes  auraient  aussi  les  caractères  de  ceux  des  Egyp- 
tiens anciens   et  modernes  (V.  Revue  encyclopédique,   1er  août 
1895,  p.  286.  —  Rullet-  soc.  d'Anthropologie.   —  Note  sur  les 
photographies  Marchi,   1895).  De  sorte  que  tout  bien  consi- 
déré et  eu  égard  à  leurs   mœurs  comme   à   leurs  caractères 


PEULS  701 

physiques,  je  crois  pouvoir  les  rattachera  un  groupe  très  an- 
cien, mêlé  à  l'histoire  même  de  l'Egypte,  et  qui  a  traversé 
hien  des  vicissitudes,  celui  des  Bedjas  qui  occupe  aujourd'hui 
les  rivages  de  la  mer  Rouge  depuis  le  territoire  des  Danakils 
et  des  Hababs  jusqu'à  l'horizon  de  Syène,  mais  les  Bedjas  mêlés 
intimement  aux  Berabras  nubiens  de  figure  égyptienne  et  qu'ils 
ont  conquis  et  refoulés.  Les  Bedjas  sont  devenus  musulmans 
fanatiques  pour  la  plupart,  ce  en  quoi  beaucoup  de  Pouls 
s'identifient  encore  a  eux.  Et  ils  ont  reçu  du  sang  arabe.  Mais 
je  ne  connais  aucune  raison  pour  les  faire  venir  d'Asie.  Au 
contraire  ils  me  paraissent  être  avec  les  Berabras,  les  anciens 
Egyptiens,  les  Berbères,  un  élément  essentiellement  autoch- 
tone. Il  faut  d'ailleurs  que  j'ajoute  qu'avant  les  migrations 
des  Pouls,  l'Ouest  et  le  centre  de  l'Afrique  ont  été  mis  en 
relation  avec  la  région  nilotique  et  les  côtes  par  d'autres 
mouvements. 

J'ai  déjà  rapproché  cette  curieuse  peuplade  des  Sabangas 
rencontrée  par  Dybowski  sur  l'Ombella  affluent  de  l'Oubangui, 
de  ces  mêmes  Bedjas,  «  connus,  disais-je,  des  anciens  Egyp- 
tiens avec  lesquels  ils  ont  des  traits  communs  »  (Plantes  cul- 
tivées dans  l'Afrique  noire,  Ballet.  1893,  p.  513).  Car  il  y  a 
aujourd'hui  encore  des  tribus  Bedjas  qui  ne  sont  pas  musul- 
manes. Ces  Sabangas  seraient  aujourd'hui  des  cultivateurs.  Ils 
seraient  plus  anciennement  détachés  du  tronc  commun  que 
les  Pouls.  Les  peuplades  nomades  comme  les  Pouls  peuvent- 
elles  être  considérées  comme  ayant  répandu  la  culture  des 
plantes  orientales?  C'est  douteux.  Cette  culture  existait  dans 
l'Afrique  occidentale  avant  leur  arrivée.  Elle  est  indubitable- 
ment antérieure  à  l'introduction  du  mahomélisme  et  peut- 
être  de  beaucoup.  Ce  seraient  donc  les  introducteurs  de  celle 
culture  qui  auraient  amené  avec  eux  le  bœuf  de  Guinée  dont 
la  photographie  nous  est  montrée? 

J'ai  l'honneur  d'offrir  un  article  déjà  ancien,  paru  dans  la 
Revue  encyclopédique  (1er  Aoùl  1893)  sur  les  Soudaniens  exposés 
à  Paris.  [1  renferme  entre  autres  le  portrait  d'un  Poul  noir 
du  Champ  de  Mars.  Je  lui  trouve  une  physionomie  identi- 


702  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

que  a  celle  du  Bedja  dont  M.  Hartmann  a  donné  le  portrait 
dans  son  ouvrage  sur  les  peuples  de  l'Afrique  (p.  21). 

M.  Laborde  présente  plusieurs  surmoulages  du  crâne  du 
pithecanthropus  :  l'un  destinéà  l'Ecole  d'Anthropologie,  l'au- 
tre au  Laboratoire,  les  autres  à  divers  Musées.  Ces  pièces  ont 
été  exécutées  au  Laboratoire  d'Anthropologie  par  M.  Flandi- 
nette,  d'après  le  moulage  offert  à  la  société  par  M.  Dubois. 


Note  sur  la  démographie  des  Musulmans  en  Algérie. 

Par  M.  Arsène  Dumont. 

Depuis  l'année  1888,  la  statistique  générale  de  l'Algérie  donne 
le  mouvement  de  la  population,  mariages,  divorces,  nais- 
sances et  décès  parmi  les  Musulmans  de  l'Algérie.  Ces  chif- 
fres ont  été  relevés,  d'après  la  méthode  usitée  en  France,  sur 
les  registres  de  l'état-civil  des  communes  des  deux  territoires 
et  bien  que  les  documents  officiels  avertissent  expressément 
de  ne  les  considérer  que  comme  approximatifs,  ils  révèlent 
avec  une  certitude  suffisante,  un  certain  nombre  de  faits  inté- 
ressants. 

D'abord,  on  sait  par  les  recensements,  que  la  population 
musulmane  d'Algérie  est  en  progrès  rapide. 

Elle  était  de  2,850,866  habitants  en  1881. 

—       de  3,262,849  en  1886. 

de  3,557,063  en  1891. 

Elle  s'esl  donc  accrue  de  726,197  individus  en  dix  ans.  Cet 
accroissement  énorme  de  25,4  0  0  du  chiffre  initial,  ne  serait 
pas  dû,  du  moins,  si  les  statistiques  du  mouvement  de  la 
population  sont  exactes  ,k  l'excès  des  naissances  sur  les  décès. 
11  proviendrait  soit  de  l'immigration  de  tribus  étrangères, 
venant  profiter  des  bienfaits  de  la  paix  française,  soit  plus 
vraisemblablement  de  recensements  de  moins  en  moins  dé- 
fectueux. Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  qu'il  se  trouve  en 


A.   DUMONT.   —  DÉMOGRAPHIE  DES  MUSULMANS  EN  ALGÉRIE        703 

Algérie  seulement,  au  moins  trois  millions  et  demi  de  Musul- 
mans soumis  à  la  domination  française.  Il  est  avantageux 
pour  eux  et  pour  nous  que  leur  état  social  soit  connu  le  mieux 
possible;  et  ce  n'est  pas  moins  profitable  pour  la  sociologie. 
Le  laps  de  dix  années  que  nous  embrassons  a  été  subdi- 
visé en  deux  périodes  triennales,  1888-1890  et  1891-1893,  ce 
qui  permet  de  juger  la  valeur  des  moyennes  d'après  leur 
constance  et  leur  régularité. 

Période  1888-1890. 

Mariages,  divorces,  nuptialité.  —  On  a  compté  chez  les  Mu- 
sulmans de  l'Algérie  entière,  pendant  cette  période,  111,317 
mariages  et  44,748  divorces.  Ce  qui  donne  40,2  divorces  pour 
100  mariages. 

Si  on  rapporte  le  nombre  de  ces  mariages  à  la  population 
accusée  par  le  recensement  de  1886,  on  trouve  que  la  nuptia- 
lité s'élève  à  1 1,3. 

Naissances,  masculinité,  natalité,  fécondité  des  mariages.  —  On 
a  relevé  pendant  la  môme  période,  228,914  naissances,  dont 
124,843  naissances  masculines  et  104,071  naissances  fémini- 
nes. La  masculinité  serait  donc  de  119,9.  La  natalité  serait 
seulement  de  23,0,  c'est-à-dire,  très  faible,  et  la  fécondité  de 
ces  mariages  si  nombreux  serait  seulement  de  deux  nais- 
sances en  moyenne  pour  un  mariage,  c'est-à-dire,  plus  faible 
qu'en  France  et  qu'en  aucun  pays  connu. 

Décès,  mortalité,  excès  des  naissances  sur  les  décès.  —  On  a 
relevé  241,359  décès  de  Musulmans  pendant  ces  trois  années 
sur  les  registres  de  l'état-civil  de  toute  l'Algérie,  ce  qui  donne 
une  mortalité  de  24,7  pour  1,000  habitants.  Cette  mortalité 
n'est  pas  très  élevée  en  elle-même,  mais  elle  est  supérieure  à 
la  natalité  et  l'excès  des  décès  sur  les  naissances  est  de  12,445, 
pendant  la  période  triennale. 

Deuxième  période,  1891-1893. 

La  période  1891-1893,  présente  moins  de  mariages,  moins 
de  divorces  et  un  peu  plus  de  naissances. 


704  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1805 

Mariages,  divorces,  nuptialité.  —  On  a  relevé  sur  les  regis- 
tres de  l'élat-civil  pour  les  Musulmans  de  l'Algérie  entière, 
pendant  cette  période,  99,684  mariages  et  37,874  divorces.  Il 
y  a  donc  eu  37,8  divorces  sur  100  mariages  contractés,  nom- 
bre qui  n'est  pas  sensiblement  différent  de  celui  de  la  période 
antérieure  et,  qui,  par  conséquent,  doit  être  regardé  comme 
exact  ou  du  moins  très  voisin  de  la  réalité.  Les  mariages  rap- 
portés au  nombre  total  des  Musulmans  recensés,  en  1891, 
donnent  une  nuptialité  de  9,2  seulement,  sensiblement  infé- 
rieure à  celle  de  la  période  précédente;  mais  encore  très  con- 
sidérable. 

Naissances,  masculinité,  natalité,  fécondité  des  mariages.  —On 
a  relevé  pendant  la  période  1891-1893,  sur  les  registres  de 
l'état-civil  de  l'Algérie  entière  parmi  les  Musulmans,  285,834 
naissances,  c'est-à-dire,  32,000  environ  de  plus  que  pendant 
les  trois  années  précédentes. 

Sur  ce  nombre,  il  y  a  eu  149,798  naissances  de  garçons  et 
130,036  naissances  de  filles,  ce  qui  donne  comme  expression 
de  la  masculinité,  le  chiffre  encore  très  élevé  de  110,1. 

La  natalité  se  relève  à  26,3  et  la  fécondité  nuptiale  à  2,87 
naissances  pour  un  mariage.  Ces  deux  chiffres,  bien  que 
supérieurs  à  ceux  de  la  période  antérieure  sont  encore  très 
faibles  et  probablement  assez  inexacts. 

L'hypothèse  probable  est  qu'un  très  grand  nombre  de  nais- 
sances n'ont  pas  été  déclarées,  dans  la  première  période  et 
que  les  omissions  ont  porté  principalement  sur  les  naissances 
féminines,  considérées  chez  les  Arabes,  aussi  bien  que  chez 
beaucoup  d'autres  peuples,  comme  moins  importantes  ou 
moins  honorables  que  les  naissances  masculines.  Dans  la 
seconde  période,  les  Musulmans  s'habituant  aux  formalités 
de  l'état-civil,  auraient  omis  moins  de  déclarations,  principa- 
lement en  ce  qui  concerne  les  naissances  féminines,  ce  qui 
expliquerait  le  relèvement  de  cette  natalité  d'une  faiblesse 
inattendue  et  surtout  d'une  infécondité  des  mariages  qui, 
poussée  à  ce  point,  est  tout  à  fait  invraisemblable,  et  enfin, 


A.  DUMONT.  —  DÉMOGRAPHIE  DES  MUSULMANS  EN  ALGÉRIE        lOh 

l'abaissement,  dans  une  certaine  mesure,  d'une  masculinité 

excessive. 

Décès,  mortalité,  excès  des  naissances  sur  les  décès.  —  Les  dé- 
cès se  sont  élevés  pendant  ces  trois  années  à  259,404. 

La  mortalité  a  donc  été  de  24,1  pour  1,000  Musulmans, 
c'est-à-dire  assez  semblable  à  celle  de  la  période  1888-1890. 

L'excédent  des  naissances  sur  les  décès  a  été  de  26,430  en 
trois  années  au  lieu  d'un  excédent  inverse  de  12,445  décès 
sur  les  naissances,  pendant  les  trois  années  antérieures. 

Il  est  probable  que  les  Musulmans  ont  moins  de  répu- 
gnance pour  les  déclarations  de  décès  que  pour  les  déclara- 
tions de  naissances,  et  que  les  omissions  dans  la  déclaration 
des  naissances  portent  principalement  sur  les  naissances  d'en- 
fants qui  n'ont  vécu  que  peu  de  jours  ou  de  semaines. 

C'est  un  fait  qui  se  produit,  paraît-il,  aux  États-Unis  et 
généralement  dans  tous  les  pays  où  les  déclarations  de  nais- 
sances ne  se  font  pas  très  régulièrement  dans  les  vingt-quatre 
heures  :  l'enfant  décédé  avant  la  déclaration,  ne  figure  pas 
sur  les  registres  de  l'état-civil. 

C'est  par  rapport  à  l'évolution  du  mariage  et  de  la  famille 
que  la  démographie  des  Musulmans  est  surtout  instructive. 

Les  données  d'après  lesquelles  la  nuptialité,  la  natalité  et  la 
mortalité  ont  été  établies  sont,  nous  l'avons  déjà  dit,  assez 
peu  sûres;  mais  elles  ne  peuvent,  en  tous  cas,  pécher  que  par 
omissions,  faute  de  déclaration  des  actes  de  l'état-civil.  Car 
la  nuptialité  constatée  de  11,3  pendant  la  période  triennale 
1888-1890,  et  de  9,2  pendant  la  période  1891-1893,  est  déjà 
par  elle-même  très  considérable.  Ou'on  doive  la  majorer  d'un 
tiers,  d'un  quart  ou  seulement  d'un  cinquième  pour  la  recti- 
fier, 'son  élévation  n'en  sera  que  plus  accentuée.  Nous  sommes 
donc  autorisés  à  regarder,  comme  un  fait  acquis,  que  la  nup- 
tialité des  polygames  algériens  est  très  élevée  et  supérieure 
à  ce  qui  s'observe  chez  toutes  les  nations  européennes.  C'est, 
du  reste,  un  résultai  qui  ne  doit  point  surprendre,  puisque 
l'on  sait  que  tous  les  musulmans  se  marient  et  que  le  mariage 


706  SÉAMCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

parmi  eux  est  extrêmement  précoce.  Les  Arabes  paraissent 
avoir,  sur  ce  point,  un  ensemble  d'appréciations  tellement  dif- 
férentes des  nôtres,  que  nous  ne  sommes  guère  moins  incapa- 
bles de  les  comprendre  qu'ils  ne  le  sont  de  nous  comprendre 
nous-mêmes.  Mais  plus  la  chose  est  .difficile,  plus  elle  est 
digne  d'être  entreprise  et  plus  elle  peut  devenir  féconde  en 
aperçus  nouveaux  et  utiles  pour  la  sociologie. 

Un  chef  arabe  annonça  un  jour  à  un  colon  français  qu'il 
venait  de  marier  son  fils  ;ïgé  de  quatorze  ans.  Le  Français  lui 
répondit  que  c'était  mutiler  son  fils,  qu'en  France,  la  loi  ne 
permettait  pas  le  mariage  aux  jeunes  hommes  avant  dix-huit 
ans  et  que  tout  le  monde  s'accordait  a  trouver  que  c'était  trop 
tôt  encore,  qu'il  était  prouvé  que  ces  mariages  prématurés 
étaient  funestes. 

—  «  Que  veux-tu,  lui  répondit  l'Arabe,  il  avait  déjà  un 
cheval!  ».  Chacun  des  deux  s'en  alla  en  pensant  que  son 
interlocuteur  avait  perdu  le  jugement.  Quand  deux  manières 
de  penser  et  de  sentir  diffèrent  à  ce  point,  il  semble  qu'elles 
soient  aussi  irréductibles  que  des  différences  de  conformation 
physiologique.  Mais  la  supériorité  appartient  à  celle  des 
deux  races  qui  comprend  l'autre,  et  qui  est  en  possession 
d'une  méthode,  lui  permettant  de  juger  ses  mœurs  d'après  le 
critérium  de  leurs  effets. 

Les  observateurs,  dont  l'imagination  n'est  pas  indignée  par 
la  connaissance  des  chiffres,  sont  toujours  portés  à  grossir  les 
faits  exceptionnels  qui  les  frappent.  Ils  ont  souvent  exagéré 
la  précocité  du  mariage  chez  les  Musulmans  et  l'ont  repré- 
senté comme  ayant  lieu  très  fréquemment  avant  la  puberté. 
Voici  à  ce  sujet  des  faits  précis  : 

D'après  le  recensement  de  1891,  il  n'y  avait  pas,  dans  toute 
la  population  masculine  de  l'Algérie,  un  seul  marié  âgé  de 
moins  de  14  ans. 

Sur  une  population  mâle  de  35,056  individus  de  14  à  15 
ans,  il  y  avait  1  seul  marié. 

Sur  une  population  mâle  de  37,790  individus  de  15  à  16 
ans,  660  étaient  mariés  une  fois  seulement,  10  avaient  deux 


A.  DUMONT.  —  DÉMOGRAPHIE  DES  MUSULMANS  EN  ALGÉRIE        TOT 

ou   plusieurs  femmes,   4    étaient    veufs  et  4   étaient   déjà 

divorcés. 

Sur  une  population  mâle  de  31,973  individus  âgés  de  16 
à  17  ans,  574  étaient  mariés  une  fois  seulement,  33  avaient 
deux  ou    plusieurs  femmes,   2    étaient  veufs   et  2   étaient 

divorcés. 

Sur  une  population  mâle  de  33,542  individus  ùgés  de  17 
à  18  ans,  905  étaient  mariés  une  fois,  250  avaient  deux  ou 
plusieurs  femmes,  4  étaient  veufs  et  26  étaient  divorcés. 

Cela  ne  faisait,  en  somme,  dans  toute  l'Algérie,  pour  les 
âges  antérieurs  à  celui  où  la  loi  française  permet  le  mariage, 
que  2,140  individus  mariés  une  fois,  293  mariés  deux  ou  plu- 
sieurs fois,  10  veufs  et  32  divorcés. 

Il  est  vrai  que  les  Arabes  ne  révèlent  pas  facilement  leur 
état  civil  et  que  sur  la  population  totale  de  l'Algérie,  86,949 
individus  maies  sont  portés  comme  mariés  une  seule  fois  et 
9,526  comme  mariés  plusieurs  fois  sans  indication  d'âge. 
Dans  ce  groupe  peuvent  se  trouver  englobés  des  jeunes  Musul- 
mans mariés  à  un  âge  extrêmement  prématuré  et  qui  n'ont 
pas  cru  devoir  le  déclarer. 

Le  mariage  des  jeunes  hommes  de  15  à  20  ans,  en  Algérie, 
Européens  et  Musulmans  compris  (car  le  recensement  ne  per- 
met pas  la  division)  ne  forme  qu'une  exception  égale  à  5,9 
pour  cent,  tandis  que  94  pour  cent  des  individus  de  cet  âge 
sont  encore  célibataires,  ou  bien  veufs  et  divorcés. 

Dans  le  groupe  d'âge  de  20  à  24  ans  accomplis,  le  rapport 
des  mariés  du  groupe  total  n'est  encore  que  37  pour  cent. 
(  l'est  seulement  à  partir  de  25  ans  que  nous  voyons  les  mariés 
devenir  plus  nombreux  que  les  célibataires,  veufs  et  divorcés 

réunis. 

Si  nous  examinons  de  même  le  sexe  féminin,  nous  remar- 
quons que  la  précocité  des  mariages  y  est  plus  grande,  bien 
qu'elle  soit  encore  très  exceptionnelle. 

Le  recensement  de  1891,  nous  révèle  une  mariée  de  11  à 
12  ans;  7  de  12  à  13;  166  de  13  à  14;  262  de  14  à  15.  Ce  ne 
sont  donc  que  des  exceptions  très  rares. 


708  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

Au-dessus  de  15  ans,  il  est  vrai,  la  proportion  des  mariées 
augmente  subitement.  Ainsi  : 

Sur  une  population  féminine  de  15  à  16  ans  de  40.867  per- 
sonnes, européennes  comprises,  il  faut  toujours  le  remarquer, 
10,538,  plus  du  quart  étaient  déjà  mariées,  108  étaient  veu- 
ves et  143  déjà  divorcées. 

Sur  la  population  féminine  de  16  à  17  ans,  un  tiers  envi- 
ron étaient  mariées,  veuves  ou  divorcées.  Enfin,  dans  la  popu- 
lation féminine  de  19  à  20  ans,  le  nombre  des  mariées 
commence  à  dépasser  celui  des  célibataires. 

On  peut  donc  dire,  en  résumé,  pour  le  sexe  féminin,  le 
mariage  est  beaucoup  plus  précoce  en  Algérie  qu'en  France, 
mais  les  mariages  tout  à  fait  prématurés  sont  une  exception 
assez  rare.  Toutefois,  il  est  nécessaire  d'ajouter  qui,  comme 
pour  le  sexe  masculin,  nous  ne  connaissons  pas  l'âge  de  tous 
les  mariages. 

Pour  89,353  mariées  dans  l'Algérie  entière,  aucun  âge  n'a 
été  indiqué.  Il  est  fort  possible  qu'un  certain  nombre  de  très 
jeunes  mariées  soient  comprises  dans  ce  chiffre.  Mais  c'est 
une  simple  possibilité  et  l'ignorance  où  nous  sommes  des  faits 
ne  permet  pas  d'avancer  que  ce  soit  une  probabilité. 

Du  recensement  de  1891,  il  résulte  que  parmi  les  Musul- 
mans âgés  de  plus  de  25  ans,  presque  tous  les  hommes  sont 
mariés,  veufs  ou  divorcés,  les  célibataires  ne  forment  qu'une 
exception  très  minime.  Le  mélange  avec  l'élément  européen, 
chez  qui  le  célibat  paraît  être  assez  fréquent,  ne  permet  pas 
d'en  connaître  le  nombre  exact. 

Parmi  la  population  mâle  de  25  ans  à  60  qui  s'élève  à 
1,009,320  individus,  soit  à  peu  près  le  quart  de  la  population 
totale  de  l'Algérie,  on  compte  701,198  hommes  mariés,  sur  ce 
nombre,  592,635,  y  compris  les  Européens,  n'ont  qu'une 
femme,  108,563  ont  deux  ou  un  plus  grand  nombre  de 
femmes. 

Ces  polygames  sont  donc  avec  les  monogames,  de  fait  et  de 
droit,  réunis  dans  la  proportion  de  15,3  0  0. 

Ce  chiffre  exprime  la  fréquence  de  la  polygamie  en  Algérie, 


A.  DUMONT.  —  DÉMOGRAPHIE  DES  MUSULMANS  EN  ALGÉRIE        709 


car  chacun  sait  que  la  grande  majorité  des  Musulmans,  bien 
que  pouvant  avoir  plusieurs  femmes,  n'en  ont  qu'une  en  réa- 
lité. La  polygamie,  étant  avant  tout  une  question  d'argent,  se 
rencontre  surtout  parmi  les  Musulmans  riches, les  chefs  de  tribu. 

En  somme  que  si  les  mariages  tout  à  fait  prématurés  sont 
rares  surtout  pour  le  sexe  masculin,  les  mariages  précoces 
sont  très  communs  et  le  célibat  définitif  est  exceptionnel.  Ces 
faits,  à  eux  seuls,  suffiraient  à  déterminer  la  haute  nuptialité 
que  nous  avons  constatée.  Mais  elle  est  encore  augmentée 
par  les  polygames  de  fait  qui  contractent  chacun  deux  ou 
plusieurs  mariages  et,  enfin,  par  le  grand  nombre  des 
divorcés  et  divorcées  qui  ne  tardent  pas  à  contracter  un 
nouveau  mariage. 

En  effet,  la  fréquence  extrême  des  divorces  est  l'un  des 
traits  les  plus  caractéristiques  de  la  démographie  des  Musul- 
mans algériens.  Nous  la  voyons  s'élever  à  40,2  divorces  pour 
100  mariages  en  1888-1890  et  37,8  en  1891-1893  atteint  un 
maximum  inconnu  en  Europe  et  en  Amérique  l. 

1  On  ne  voit  que  le  Japon  où  les  divorces  soient  presque  aussi 
fréquents.  La  nuptialité,  intérieure  à  celle  des  Musulmans  d'Algérie, 
n'est  que  peu  supérieure  à  celle  des  nations  européennes.  Elle  varie 
(empire  entier,  années  1887-1892)  de  8,0  à  8,55,  et  la  proportion 
des  divorces  aux  mariages  contractés  dans  les  mêmes  années 
oscille  entre  le  minimum  31,5  en  1889  et  le  minimum  32,4  en  1891. 

Dans  le  petit  tableau  ci  dessous  le  nombre  des  divorces  a  été 
rapporté,  non  au  nombre  des  mariages  existants,  mais  au  nombre 
des  mariages  célébrés  dans  l'année.  Il  fournit  la  réponse  à  cette 
question,  tandis  qu'il  se  célèbre  100  mariages,  combien  s'en  dis- 


sout-il  par 

divorce? 

Nombre  de 

Nombre 

Nuptialité 

Divorces 

Divorces 

Années 

de 

pr  1000 

pr  1000 

pMOO 

mariages 

divorces 

hab. 

hab. 

mariages 

1887 

334.149 

110.859 

8,55 

2,84 

33,2 

1888 

330  246 

109.175 

8,34 

2,76 

33,0 

1889 

340.445 

107.478 

8,50 

2,68 

31,5 

1890 

325.141 

109.088 

8,04 

2,70 

33,5 

1891 

325  651 

112.411 

8,00 

2,76 

34,2 

1892 

346.489 

113.498 

8,48 

2,76 

.'{2,7 

7  10  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  189.J 

Le  divorce  est  un  phénomène  démographique  partout  en 
progrès  chez  les  peuples  de  civilisation  occidentale.  Chez 
ceux  où  il  n'existait  pas,  on  se  voit  obligé  de  l'établir  et  chez 
ceux  où  il  existait  anciennement  sa  fréquence  augmente  avec 
rapidité.  Ce  progrès  est  en  rapport  avec  la  diminution  de 
l'autorité  paternelle  et  maritale,  l'indépendance  croissante  des 
enfants  à  l'égard  du  père,  de  la  femme  à  l'égard  du  mari  ; 
c'est  un  cas  particulier  du  progrès  de  l'individualisme  qui 
tend  à  affranchir  la  personne  humaine  de  tout  lien  légal  de 
sujétion  envers  toute  autre  personne.  Plus  les  peuples  avan- 
cent dans  cette  voie,  plus  nous  voyons  les  divorces  se  multi- 
plier aussi  bien  aux  États-Unis  que  sur  le  vieux  continent. 

Mais  telle  n'est  pas  la  cause  de  l'extrême  fréquence  des 
divorces  chez  les  Musulmans,  tout  au  contraire,  dans  cette 
société  arriérée  vivant  encore  en  grand  partie  de  la  vie  de 
tribu  et  de  la  vie  patriarcale,  l'individualisme  est  très  faible. 
Si  le  divorce  s'y  produit  aussi  souvent,  ce  n'est  pas  dû  à  l'in- 
suffisance de  l'autorité  paternelle  ou  maritale,  mais  bien  à  ce 
que  cette  autorité  est  excessive.  La  femme  ne  compte  pas,  n'a 
pas  de  droits  ou  n'a  pas  ki  volonté  de  les  faire  respecter,  de 
sorte  qu'elle  est  exposée  à  se  voir  congédier  par  son  mari 
comme  un  esclave  qui  a  cessé  de  plaire. 

Il  est  instructif  de  constater  à  des  points  fort  éloignés  de 
l'évolution  du  mariage  que  l'extrême  dépendance  de  la  femme 
a,  pour  effet,  l'extrême  fréquence  des  divorces:  qu'une  dépen- 
dance modérée  entraine  leur  diminution  ou  leur  absence,  et 
qu'une  indépendance  très  grande  des  femmes  a,  pour  consé- 
quence, de  ramener  à  nouveau  le  relâchement  progressif  et 
la  rupture  du  lien  conjugal. 

Le  troisième  résultat  et  sans  doute  le  plus  inattendu  de  cette 
étude  est  l'infécondité  du  mariage  musulman.  Quand  même, 
dans  la  seconde  des  deux  périodes  que  nous  avons  embras- 
sées, celle  qui  offre  la  natalité  la  plus  haute,  on  supposerait 
que  un  quart  des  naissances  n'ont  point  été  déclarées,  la  nata- 
lité ne  serait  encore  que  de  32,9.  C'est  un  chiffre  élevé,  mais 
nullement  phénoménal.  Il  est  égalé  par  nos  deux  ou  trois 


A.  DUMONT. — DÉMOGRAPHIE  DES  MUSULMANS  EN  ALGÉRIE      711 

départements  les  plus  féconds  et  grandement  dépassé  par  plu- 
sieurs nations  européennes,  notamment  par  la  Hongrie  et  la 
Russie.  Or,  comme  la  nuptialité  véritable  est  vraisemblable- 
ment de  11  ou  12  mariages  annuels  pour  mille  habitants,  le 
nombre  moyen  des  naissances  pour  un  mariage  tombe,  néces- 
sairement, à  2,7  ou  3  tout  au  plus. 

Si  l'on  se  rappelle  toutes  les  causes  qui  devaient  à  priori 
faire  prédire  une  grande  fécondité  des  mariages  :  la  grande 
jeunesse  des  mariés  des  deux  sexes,  le  peu  d'effort  des  indi- 
vidus vers  leur  développement  personnel,  l'état  stagnant  de 
la  civilisation  et  l'ignorance  presque  universelle,  le  régime  de 
la  terre  qui  est  la  propriété  collective,  ce  phénomène  inattendu 
doit  exciter  une  vive  curiosité  de  connaître  les  faits  avec  assez 
de  précision  et  de  détail  pour  en  pénétrer  les  causes  d'ordre 
ethnographique  et  démographique. 

Tels  sont  les  trois  résultats  de  cette  étude.  Au  point  de  vue 
de  la  démographie  descriptive,  ils  nous  donnent  des  notions 
plus  précises  sur  les  habitudes  qui  régissent  l'union  sexuelle 
parmi  l'élément  musulman  de  l'Algérie,  et  ils  ouvrent  la  porte 
à  des  recherches  que  la  science  française  a  le  devoir  de  pour- 
suivre, d'étendre  et  de  préciser  encore.  Puisque  la  France 
a  pris  par  la  conquête  la  tâche  de  présider  aux  destinées  des 
Musulmans  de  l'Afrique  du  Nord,  elle  doit  s  acquitter  de  ce 
devoir  de  tutelle  non  seulement  avec  une  bienveillance  qui 
n'est  que  stricte  justice;  mais  encore  avec  une  pleine  con- 
naissance des  faits. 

Au  point  de  vue  de  la  démographie  rationnelle,  c'est-à-dire 
du  déterminisme  des  faits  sociaux,  il  faudrait  appliquer  ici  la 
méthode  qui  s'impose  toutes  les  fois  que  l'on  veut  procéder  à 
la  recherche  des  causes  de  démographie  et  que  j'ai  exposée  à 
propos  de  la  recherche  des  causes  de  l'abaissement  de  la 
natalité  en  France,  diviser  la  difficulté,  étudier  séparément 
les  Arabes  et  les  Kabyles  qui  peuvent  différer  beaucoup  au 
point  de  vue  démographique  comme  ils  le  font  sous  tant  d'au- 
tres rapports,  choisir  des  circonscriptions  peu  étendues  ou 
quelqu'un  des  phénomènes  dont  l'on  veut  se  rendre  compte, 


712  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

fréquence  des  divorces,  élévation  de  la  nuptialité,  infécon- 
dité des  unions,  se  produit  avec  son  maximum  d'intensité, 
puis  aller  le  visiter  faire  une  enquête  méthodique  sur  place. 
Une  semblable  étude  convenablement  conduite  serait  longue 
et  coûteuse  ;  mais  elle  serait  féconde  pour  la  science  sociale  et 
présenterait  en  outre  de  précieux  avantages  pratiques.  En 
effet,  on  ne  saurait  trop  le  redire,  la  politique  et  l'adminis- 
tration, pour  devenir  rationnelles,  ne  peuvent  pas  plus  se 
passer  de  la  connaissance  démographique  des  peuples  que  la 
médecine  ne  peut  se  passer  de  la  connaissance  de  l'anatomie 
et  de  la  physiologie.  Puisse  être  prochain  le  jour  où  cette 
grande  vérité  sera  reconnue  sans  conteste. 

Discussion. 

M.  Zaborowski.  —  Je  ne  peux  me  retenir  d'exprimer  mon 
étonnement  devant  les  résultats  statistiques  que  vient  de  nous 
faire  connaître  M.  Dumont.  Il  fut  un  temps  où  nous  crûmes 
que  les  populations  musulmanes  de  l'Algérie  étaient  en  ra- 
pide décroissance.  «  C'est  un  fait  indiscutable,  écrivait  M.  Ri- 
coux  (La  démographie  figurée  de  l'Algérie,  1880,  p.  260),  le 
peuple  arabe  tend  à  disparaître  d'une  manière  régulière  et 
rapide.  »  Au  nombre  de  trois  millions  en  1830,  les  indigènes 
n'étaient  plus,  en  effet,  en  1872,  qu'au  nombre  de  2,125,051. 
Ils  se  relevaient  en  1870  à  2,462,930.  Mais  ces  derniers  chif- 
fres, quoique  officiels,  ne  méritaient  qu'une  créance  limitée, 
suivant  M.  Ricoux.  En  effet,  en  1875,  on  ne  comptait  que 
2,171,690  musulmans,  explique-t-il  :  admettre  qu'en  l'espace 
d'une  année  ils  se  soient  accrus  de  près  de  300,000  âmes,  eux 
qui  ne  se  recrutent  par  aucune  immigration,  est  une  exagération 
tellement  monstrueuse  qu'elle  ne  se  discute  pas.  D'ailleurs,  à 
Constantine,  où  la  population  indigène  est  dense,  en  l'espace 
de  huit  années,  les  décès  ont  presque  doublé  les  naissances. 
En  écartant  les  décès  de  malades  venus  du  dehors,  M.  Ricoux 
a  encore  compté  au  moins  150  décès  pour  100  naissances. 
D'autres  chiffres  concordants  avec  celui-là,  qui  était  très  sûr, 
M.  Ricoux  en  concluait  que,  «  loin  de  se  relever  depuis  les 


DÉMOGRAPHIE  DES  MUSULMANS  EX  ALGERIE  743 

calamités  de  1867-1871,  les  indigènes  étaient  menacés  d'une 
disparition  inévitable  prochaine  ».  Il  ajoutait,  entre  autres  : 
«  Le  peuple  arabe  meurt  de  ses  vices  et  de  ses  déprava- 
tions. » 

Ces  prévisions  ne  se  sont  pas  du  tout  réalisées.  Et  peu  d'an- 
nées   après,  nous  apprenions   que   les    indigènes,  arabes  et 
autres,  s'étaient,  au  contraire,  continuellement  accrus.  Et  voici 
comment  j'essayais  d'expliquer  ce  phénomène  dans  mon  mé- 
moire sur  les  Disparités  des  races  humaines  (IXe  Conférence, 
Hroca.  —  Ballet.  1892,  p.  050)  :  «  Les  nomades  sont  aux  an- 
tipodes de  notre  civilisation  industrielle  et  bureaucratique. 
Ils  ne  peuvent  pas  se  laisser  assujettir  par  elle  sans  changer 
leur  vie  de  fond  en  comble.  Ils  lui  sont  forcément  restés  re- 
belles. Un  grand  nombre  de  leurs  enfants  ont  été  soumis  a 
l'éducation  de  nos  établissements  scolaires;  ils  ont  acquis 
quelque  instruction  ;  il  en  est  même  qui  ont  pu  obtenir  des 
diplômes  de  médecin.  Presque  tous,  après  cet  effort,  sont  re- 
tournés au  milieu  des  leurs,  dégagés  de  toute  empreinte  eu- 
ropéenne reconnaissable.   Ils  n'ont  rien  changé  aux  mœurs 
de  leurs  ancêtres,  et,  mariés  à  des  femmes  arabes,  ont  conti- 
nué d'observer,  vis-à-vis  d'elles,  les  coutumes  barbares  de 
claustration  jalouse  et  absolue.  Tout  le  côté  intellectuel  de 
notre  civilisation  est  au-dessus  de  leur  portée...  Mais  la  colo- 
nisation n'a  pas  pu  marcher  assez  vite  pour  précipiter  leur 
décadence,  et  leur  climat  (sans  parler  de  leur  soumission  au 
moins  apparente)  paraît  bien  les  avoir  sauvés;  car,  aujour- 
d'hui, beaucoup  de  colons  (où  prendraient-ils  la  main-d'œuvre 
dont  ils  ont  besoin)  regardent  les  indigènes  comme  devant 
être  des  auxiliaires  précieux  dans  leurs  entreprises  agricoles. 
D'autre  part,  une  grande  partie  du  territoire  algérien  ne  se 
prête  pas  à  la  culture,  et  les  indigènes  seuls  peuvent  y  vivre.  » 
L'augmentation   signalée  dans  leur  nombre  pourrait  être 
due  à  un  recensement  meilleur  de  ceux  qui  nomadisent  [dus 
ou  moins,  ou  à  l'incorporation  de  nomades  dans   la  popula- 
tion  sédentaire.  Mais  tout  s'explique-t-il  de  la  sorte'.'  J'en 
doute.  Et  alors  il  n'en  est  que  plus  surprenant  de  voir  de  telles 
t.  iv.  (\'  sébik).  iG 


"14  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

populations  présenter  une  natalité  des  plus  faibles.  Cependant 
une  faible  natalité  est  une  conséquence  presque  forcée  des 
vices  et  des  dépravations  dont  M.  Ricoux  reconnaissait  déjà 
la  portée  sociale.  Tous  ceux  qui  ont  étudié  la  criminalité  des 
Arabes  savent  de  quoi  il  s'agit.  De  plus,  leur  religion,  leurs 
mœurs  autorisent  des  mariages  extrêmement  précoces,  même 
de  fillettes  de  7  ans.  Et  ce  n'est  pas  tout.  Il  n'y  a  pas  encore 
longtemps,  les  Arabes  du  désert  enterraient  vifs  les  nouveau- 
nés  du  sexe  féminin.  Ce  n'était  pas  seulement  un  acte  admis, 
c'était  presque  un  acte  méritoire  débarrassant  la  tribu  de  non- 
valeurs,  de  bouches  inutiles.  Aujourd'hui  encore,  probable- 
ment., les  naissances  féminines  ne  sont  pas  toutes  déclarées, 
et  il  y  en  a  qui  sont  supprimées.  La  brutalité  connue  de  cer- 
tains usages  arabes  autorise  à  le  croire. 

M.  le  Dr  II.  Collignon.  — J'estime,  pour  ma  part,  que  les  docu- 
ments que  vient  de  nous  communiquer  M.  Dumont  ne  peuvent 
pas  être  considérés  comme  définitifs.  Il  est  probable  qu'il  a 
raison  lorsqu'il  envisage  comme  un  peu  artificielle  l'énorme 
augmentation  de  plus  de  700,000  âmes  constatée  dans  le 
nombre  des  musulmans  recensés  en  1881  et  1891.  L'indigène 
est  méfiant;  au  début,  le  recensement  ne  lui  disait  rien  qui 
vaille  et  ne  le  rassure  pas  complètement  encore  aujourd'hui. 
Pour  lui,  il  ne  peut  être  que  synonyme  d'impôts  ou  de  cons- 
cription. Je  me  souviens  personnellement  des  difficultés  qu'on 
eut  en  pareille  circonstance  en  Tunisie. 

D'autre  part,  les  femmes,  les  petites  filles  surtout,  comp- 
tent si  peu  dans  ce  pays,  qu'on  ne  peut  s'étonner  de  les  voir 
omises  souvent;  le  père  ne  s'imagine  pas,  et  de  très  bonne 
foi,  qu'on  puisse  avoir  intérêt  à  connaître  un  fait  de  si  minime 
importance.  Il  y  a  certainement  là,  comme  nous  l'a  si  bien 
exposé  M.  Dumont,  une  explication  de  la  faible  natalité  et  de 
la  haute  masculinité  dans  les  naissances.  Et  pourtant,  en 
rappelant  mes  souvenirs  sur  ce  point,  je  serais  aussi  tenté 
de  croire  à  une  faible  natalité,  au  moins  dans  les  villes.  En 
Tunisie,  j'ai  été,  pendant  trois  ans,  médecin  des  bureaux  de 
renseignements,  à  Garsa,  à  Tozeuf  et  à  Sousse.  J'ai,  de  la 


DEMOGRAPHIE  DES  MUSULMANS  EN  ALGÉRIE         7  l  .*i 

sorte,  pu  pénétrer,  très  librement  môme,  dans  la  plupart  des 
maisons  de  la  ville,  causant  avec  les  parents,  voyant  jouer 
les  enfants,  soignant  ceux-ci,  demandant  combien  ils  avaient 
de  frères  et  de  sœurs.  J'ai  des  souvenirs  très  précis  encore 
sur  une  douzaine  de  familles,  et  parmi  elles  je  n'en  trouve 
qu'une  ayant  quatre  enfants  (trois  fds,  une  fdle)  ;  dans  une 
autre,  un  fils  unique  qui  avait  alors  18  ans,  etc.,  etc.  Nulle 
part  je  ne  revois  de  familles  énormes  comprenant  une  dizaine 
d'enfants.  Mais  ce  n'est  là  qu'une  impression,  et  rien  n'est 
plus  trompeur.  Attendons  donc,  pour  nous  prononcer  en  toute 
certitude,  la  venue  de  documents  absolument  inattaquables. 
M.  Dumont  envisageait  aussi  l'hypothèse  d'immigrations 
tunisiennes  ou  marocaines  en  Algérie.  Je  crois  que  ce  phéno- 
mène serait  quantité  négligeable;  car,  si  des  Tunisiens  vont 
en  Algérie  pour  s'y  fixer,  il  y  a  non  moins  d'Algériens  en 
Tunisie:  les  grandes  villes  de  la  Régence,  Tunis,  Sousse,  Sfax 
en  regorgent. 

J'en  dirais  autant,  mais  pour  une  autre  cause,  du  fait  que 
nous  signalait  M.  Thulié.  Les  très  nombreuses  caravanes  qu'il 
a  vues  au  sud  de  Biskra  sont  formées,  presque  en  totalité,  de 
Mzabites,  c'est-à-dire  d'une  population  comprise,  elle  aussi, 
dans  les  chiffres  du  recensement,  et  dont  les  déplacements 
ne  peuvent  influencer  le  total,  mais  qui,  en  outre,  a  des  ha- 
bitudes toutes  spéciales.  Les  Mzabites  sont  les  Auvergnats  de 
l'Algérie,  comme  les  indigènes  de  Djerbah  sont  ceux  de  la 
Tunisie.  Commerçants,  portefaix,  garçons  de  bains,  âniers, 
etc.,  ils  émigrent  tous  les  ans  vers  les  grandes  villes  de  l'Al- 
gérie, ramassent  un  petit  pécule  et  retournent  avec  lui  au 
pays. 

Ce  trait  de  mœurs  est,  du  reste,  un  vrai  caractère  moral 
de  race.  Les  indigènes  du  Mzab  sont,  en  Algérie,  ce  que  j'ap- 
pelle des  brachycéphales  relatifs.  Entourés  de  toutes  parts  de 
populations  très  dolichocéphales  et  dont  l'indice  céphalique 
moyen  oscille  entre  74  et  7o.  ils  le  sont  bien  moins  qu'eux 
(ind.  7(>  à  77);  il  en  est  de  même  en  Tunisie  des  iiidigène9 
de  Djerbah.  qui  ont  un  indice  de  81.  à  côté   de    leurs   voisins 


716  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

très  dolichocéphales  de  Gabès,  qui  ont  celui  de  74.  Les  uns 
comme  les  autres  manifestent  leur  attachement  au  sol  par  la 
tendance  constante  qu'ils  ont  a  y  revenir  toujours,  dès  qu'ils 
le  peuvent.  Tels,  disais-je  plus  haut,  nos  Auvergnats,  si  bra- 
ehycéphales,  et  tels,  ajouterai-je  en  ne  prenant  que  des 
exemples  connus  de  tous,  les  Savoyards,  les  Piémontais  en 
Europe,  et  surtout  les  Chinois  en  extrême  Asie. 

M.  G.  Lagneau.  —  Plusieurs  des  faits  démographiques 
d'apparences  singulières  s'expliqueront  mieux  en  se  modifiant 
lorsque  les  documents  statistiques  seront  de  mieux  en  mieux 
recueillis.  Pour  les  naissances,  la  prédominance  du  sexe  mas- 
culin sur  le  sexe  féminin  chez  les  musulmans  d'Algérie,  me 
rappelle  qu'en  1882,  lorsque  je  lus  à  l'Académie  des  Sciences 
morales  quelques  remarques  démographiques  sur  les  catholi- 
ques, les  protestants  et  les  israélites,  je  constatai  parfois  une 
pareille  prédominance  de  111,  de  128  garçons  pour  100  fdles 
chez  les  juifs  d'Autriche,  de  Russie  et  des  provinces  Danubien- 
nes. Un  membre  de  l'Institut,  M.  Franck,  lui-même  israélite, 
un  médecin  de  Buccarest,  M.  Obédénare,  paraissaient  n'attri- 
buer cette  prédominance  apparente  du  sexe  masculin  qu'aux 
déclarations  faites  beaucoup  plus  exactement  pour  les  garçons 
que  pour  les  fdles. 

M.  Thulié.  —  Cette  augmentation  de  726,197  musulmans 
d'Algérie  de  1881  à  1891,  si  peu  en  rapport  avec  la  natalité 
de  cette  population  d'après  les  moyennes  indiquées,  ne  peut- 
elle  s'expliquer  aussi,  au  moins  en  partie,  par  le  phénomène 
que  l'on  peut  constater  actuellement  en  France  et  dans  pres- 
que tous  les  pays,  c'est-à-dire  l'absorption  par  les  grandes 
villes  des  populations  rurales.  J'ai  été  frappé  l'année  dernière 
dans  le  trajet  de  Constantine  à  Biskra,  par  la  fureur  de  dépla- 
cement de  la  population  musulmane.  De  même,  d'ailleurs 
que  sur  toutes  les  autres  lignes  d'Algérie  que  j'ai  parcourues, 
les  trains  de  ce  chemin  de  fer  qui  traverse  des  pays  paraissant 
morts,  sans  habitations  et  sans  habitants,  étaient,  à  l'aller 
comme  au  retour,  envahis  par  une  foule  compacte  d'indigènes 
qui  s'entassaient  dans  les  compartiments  où  pas  une  place  ne 


DENIKER.  —  CONCOURS  POUR  LE  PRIX  GODARD        717 

restait  vide.  Pendant  notre  trajet,  en  allant,  comme  en  revenant, 
nous  avons  rencontré  chaque  fois  plus  de  quarante  caravanes 
nombreuses  qui  suivaient  la  piste  à  peu  près  parallèle  à  la 
li^ne  ferrée  et  regagnaient  les  terres  du  Sud,  c'était  vers  le 
milieu  du  mois  d'octobre.  N'est-il  pas  probable  que  quelques- 
uns  de  ces  indigènes  frappés  par  le  contraste  entre  la  tristesse 
de  leur  vie  pastorale  et  l'agitation,  la  vie  intense,  les  facilités 
commerciales  de  la  grande  ville,  de  Gonstantine  par  exemple, 
dont  le  quartier  arabe  est  un  des  coins  les  plus  animés  et  les 
plus  grouillants  qu'il  m'ait  été  donné  de  voir,  n'est-il  pas 
probable,  dis-je,  que  quelques-uns  laissent  repartir  la  cara- 
vane sans  la  suivre  et  se  fixent  dans  un  milieu  qui  les  séduit. 
D'ailleurs,  plus  les  villes  deviennent  prospères,  plus  le  com- 
merce s'étend,  plus  les  travaux  s'y  multiplient,  plus  les 
ruraux  qui  ont  l'ambition  d'améliorer  leur  sort  quittent  la 
campagne,  et  à  fortiori  le  désert,  pour  s'y  fixer  pour  tenter 
fortune,  ou  tout  au  inoins  pour  vivre  plus  facilement. 

MM.  Hervé  et  Letourneau  ont  pris  part  à  la  discussion. 


Rapport  sur  le  coucoiirs  pour  le  prix  Godard,  en   18!)5. 

Par  M.  J.  Deniker  '. 

La  commission  nommée  par  le  Comité  central  a  eu  à  exami- 
ner quatre  ouvrages  dont  voici  les  titres,  par  ordre  alphabé- 
tique de  noms  d'auteurs. 

1.  Atgier  (D1),  Anthropologie  de  la  France;  La  Vienne.  Etude, 
suivie  de  la  statistique  ethnique  de  l'Indre;  Angers,  1893, 
manuscrit  de  233  p.  in-fol.  avec  cartes  et  tableaux. 

2.  ]{usciiA.N  (Dr  tieorg),  Vorgeschichtliche  Botanik  derCiËttùr- 
iiml  Nutzpflartzen  der  alten  Weld  an/'  Grand  prnhistorisrhrr 
Funde;  Breslau,  1895,  in-8°,  xn-266  p. 

3.  Livi  (Ur  Ridolfô),  Saggio  dei  risùltàti  antropometrici  otle- 

1  Rapporteur  du  jury,  composé  de  MM.  GapitaQ,  Ueniker,  Ma- 
nouvrier,  A.  de  Moilillct  et  Papillault. 


718  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1895 

nuti  dallo  spoglio  dei  fogli  sanitarii  délie  classi  1859-63;  Roma, 
1894,  in  -4°,  48  p.,  avec6  cartes. 

4.  Oloriz  (Dr  Don  Federico),  Distribution  geografica  del 
indice  cefalico  en  Espana  deducida  del  examen  de  8,368  rarones 
adultos,  Madrid;  1894,  in-8°,  286  p.,  avec  2  cartes. 

L'ouvrage  de  M.  Oloriz,  professeur  d'anatomie  à  la  Faculté 
de  médecine  de  Madrid,  est  connu  de  nous  tous;  une  analyse 
très  détaillée,  en  a  été  publiée  dans  le  Bulletin  *  par  notre  col- 
lègue M.  Azoulay.  Mon  appréciation  personnelle  vous  la  con- 
naissez également;  je  l'ai  exprimée  en  présentant  cet  ouvrage 
à  la  Société  au  nom  de  l'auteur 2. 

De  l'avis  unanime  de  la  commission,  c'est  un  travail  remar- 
quable, qui  traite  le  sujet  à  tous  les  points  de  vue.  On  y  trouve 
des  données  précieuses  sur  la  technique  anthropométrique 
en  général,  aussi  bien  que  les  éléments  d'une  ethnogénie  de 
l'Espagne  ;  des  renseignements  sur  la  répartition  des  races 
dans  ce  pays,  aussi  bien  que  des  considérations  relatives  à 
l'influence  du  milieu  sur  l'indice  céphalique,  etc.  L'auteur 
épuise  son  sujet;  c'est  à  peine  s'il  reste  quelque  chose  à  gla- 
ner dans  le  vaste  champs  qu'il  a  exploré,  par  exemple  à  com- 
pléter les  observations  dans  certaines  circonscriptions  judi- 
ciaires (division  analogue  à  notre  canton)  où  le  nombre  de 
sujets  mesurés  par  M.  Oloriz  est  trop  restreint  (moins  de  10). 
Espérons  que  le  savant  professeur  de  Madrid,  quia  si  brillam- 
ment inauguré  les  études  anthropométriques  en  Espagne  ne 
s'arrêtera  pas  en  route,  et  nous  donnera,  comme  il  l'a  pro- 
mis, des  monographies  sur  la  taille,  et  sur  plusieurs  autres 
caractères  morpbologiques  des  Espagnols. 

Le  mémoire  de  M.  Livi,  médecin-major  de  lie  classe  «le 
l'armée  italienne  est  moins  étendu  que  le  livre  de  M.  Oloriz. 
C'est  le  premier  «essai»,  comme  le  dit  d'ailleurs  le  titre, 
de  la  mise  en  œuvre  de  riches  et  importants  matériaux  an- 
thropométriques recueillis  par  les  médecins  militaires  ita- 
liens sur  les  «  feuilles  sanitaires  »  depuis  1879.  Le  nombre  de 

1  Bulletin  soc.  d'Anthropologie,  1894,  p.  520. 
-  Bull.  sor.  d'Anthropologie,  1895,  p.  50. 


DENIKEU.   —  CONCOURS  POUR  LE  PRIX  GODARD  719 

sujets  observés  est  de  300,000.  Le  travail  de  M.  Livi,  que 
votre  commission  a  examiné,  est  limité  à  la  répartition  de 
«  grandes  »  et  de  «  petites  tailles  »   (4  catégories)  par  «  cir- 
condari  et  monda/menti  (divisions  correspondants  à  nos  arron- 
dissements et  cantons),  et  à  la  répartition  des  types  «  blond 
et  «  brun  »  par  circondari  dans  toute  l'Italie.  Mais  ce  n'est 
qu'un  commencement.  M.  Livi  est  en  train  en  ce  moment  de 
dépouiller  les  «  feuilles  sanitaires»  concernant  les  autres  carac- 
tères anthropologiques  :  l'indice  céphalique,  le  périmètre  tho- 
racique,  etc.  Les  travaux  importants  publiés  par  ce  savant, 
il  y  a  déjà  plusieurs  années,  notamment  le  mémoire  sur  la 
répartition  géographique  des  tailles  et  des  indices  céphaliques 
par  circondari  et  par  districts  militaires  (comprenant  plusieurs 
circondari)*,  nous  donnent  le  droit  de  supposer,  presque  d'af- 
firmer, que  son  prochain  mémoire  dont  l'apparition,  si  je  suis 
bien  informé,  est  imminente,  sera  une  œuvre  magistrale  pour 
l'anthropologie  physique  des  populations  italiennes.  Espérons 
que  nous  y  verrons  également  figurer,  à  côté  des  proportions 
de  «  grands  »  et  de  «  petits  »,  les  chiffres  exprimant  les  tailles 
moyennes,  chiffres  qui  fixent  plus  facilement  les  idées  sur  les 
différences  des  caractères,  et  qui  font  malheureusement  défaut 
dans  le  mémoire  dont  je  viens  de  rendre  compte. 

Le  travail  de  M.  Atgier,  médecin-major  de  2e  classe  au 
25e  régiment  de  dragons,  s'occupe  d'un  territoire  beaucoup 
plus  restreint  que  ceux  dont  il  est  question  dans  les  ouvrages 
de  MM.  Oloriz  et  Livi.  C'est  une  étude  sur  deux  départements 
français.  L'auteur  nous  donne  d'abord  un  aperçu  détaillé  du 
préhistorique  et  de  l'ethnographie  historique  du  département 
de  la  Vienne.  Il  énumère  tous  les  monuments  préhistoriques 
de  ce  département  et  indique  leurs  emplacements  sur  les  cro- 
quis de  cartes.  Puis  il  nous  retrace  en  abrégé  l'ethnographie 
de  la  Vienne  pendant  les  périodes  «  kymrique  »,  romaine, 

Livi,  SullaStatura,  degli  Ualiani  ;  Archivio per  l'Antropoloijia, 
etc.,  t.  XIII,  1883,  p.  243,  av.  une  carte  et  tabl.  —  Du  même,  L'hi- 
dice  cofalico  degli  Italiani;  même  recueil,  t.  XVI,  1886,  p.  223, 
av.  une  carte  et  tableaux. 


720  SÉANCE  DU  5  DÉCEMBRE  1896' 

gothique,  franque,  et  s'arrête  sur  les  invasions  arabes.  Enfin, 
il  donne  ses  observations  personnelles  sur  la  taille,  la  couleur 
des  yeux  et  des  cheveux  ainsi  que  sur  l'indice  céphalique 
des  hommes  de  la  classe  de  1891  dans  la  Vienne  (par  can- 
tons et  arrondissements).  Comme  annexe,  on  trouve  à  la  fin 
de  l'ouvrage,  la  statistique  ethnique  du  département  de 
l'Indre,  comprenant  la  répartition  de  «  grandes  »  et  de 
«  petites  tailles  »,  des  «  brachycépales  »  et  des  «  dolichocé- 
phales »,  par  cantons  et  par  arrondissements.  L'absence 
totale  des  moyennes  clans  l'ouvrage  rend  assez  difficile  l'o- 
rientation au  milieu  des  chiffres  d'un  grand  intérêt.  Aussi 
pour  mon  édification  personnelle,  et  pour  faciliter  l'étude  du 
mémoire  de  M.  Atgier  aux  autres,  ai-je  calculé  quelques 
moyennes.  Il  ressortde  ces  calculs  que  les  arrondissements  les 
plus  dolichocépales,(arrond.  de  Civray  avec  l'ind.  céph.moy. 
79.9  dans  la  Vienne  ;  les  arrond.  du  Blanc  et  de  La  Châtre  avec 
les  ind.  céph.  moy.  de  78.8  et  de  79.9,  dans  l'Indre),  sont  pré- 
cisément ceux  qui  se  rapprochent  le  plus  de  la  zone  dolichocé- 
phale si  bien  délimitée  par  mon  collègue  et  ami  M.  Collignon 
dans  les  départements  voisins  :  Dordogne,  Haute-Vienne  et 
Charente  l.  D'autres  part,  les  arrondissements  qui  se  trouvent 
autour  des  trois  précédents,  ceux  de  Poitiers,  de  Montmoril- 
lon  et  de  Loudun  dans  la  Vienne,  ainsi  que  l'arrondissement 
de  Chàteauroux,  dans  l'Indre  constituent  une  zone  de  passage 
vers  le  territoire  des  brachycéphales.  Les  populations  y  sont 
à  peine  sous-brachycéphales,  les  indices  moyens  variant  entre 
80. o  et  80.7.  Ce  n'est  que  tout  à  fait  dans  le  Nord  du  départe- 
ment de  la  Vienne  (dans  l'arrondissement  de  Chàtellerault) 
et  dans  le  N.-Ë:  du  département  de  l'Indre  (arrondissement 
d'Issoudun)queles  indices  s'élèvent  un  peu,  pour  arriver  à  81  et 
81.3;  L'indice  moyen  dans  les  deux  départements  eslsous-bra- 
chycéphale  (Vienne,  80. G,  Indre  80.1);  il  est  de  deux  unités 

1  Arrondissements  de  l'érigueux,  Ribérac,  Nontron,  Limoges, 
Angoulème,  Bnrbezieux,  etc.  Voy.  pour  plus  de  détails  :  le  travail 
de  M.  Collignon,  dans  les  Mémoires  de  la  soc.  d'Anthropologie,  t.  I 
(3e  série),  3"  fascicule,  1894. 


DENIKKR.  —  CONCOURS  POUR  LE  PRIX   GODARD  721 

inférieure  à  celui  qu'indique  la  carte  de  notre  collègue  M.  Côlli- 
gnon  (Vienne  82.4,  Indre  82.3).  La  taille  moyenne  dans  l'Indre, 
d'après  mon  calcul,  est  de  1  m.  65,  chiffre  identique  à  celui  du 
tableau  de  recrutement  donné  par  J.  Bertillon  ;  mais  la  répar- 
tition suivant  les  arrondissements  est  assez  remarquable  : 
dans  l'Ouest  du  département  (arrondissements  du  Blanc  et  de 
Chàteauroux)  la  taille  est  au-dessous  de  la  moyenne,  1  m.  64; 
tandis  qu'elle  est  au-dessus  de  la  moyenne  dans  l'Est  (arron- 
dissements d'Issoudun  et  de  La  Châtre)  :  \  m.  66  et  I  m.  67. 
Sans  entrer  dans  plus  de  détails,  j'ajouterai  enfin  que  l'examen 
des  tableaux  de  couleurs  des  yeux  et  des  cheveux  permet  de 
constater  un  fait  intéressant  :  les  bruns  sont  plus  nombreux 
dans  le  Nord  du  département  de  l'Indre  que  dans  le  Sud.  De 
même,  la  prédominence  des  bruns  est  manifeste  dans  la  par- 
tie ouest  du  département  de  la  Vienne,  tandis  que  les  blonds 
l'emportent  a  l'Est.  Il  serait  désirable  que  M.  Atgier  conti- 
nuât ses  recherches  dans  les  départements  situés  au  Nord  de 
ceux  qu'il  a  déjà  si  consciencieusement  étudiés.  Il  pourrait  ains1 
relier  ses  propres  observations,  faites  en  1886  dans  le  Mor- 
bihan S  ainsi  que  celles  de  M.  Collignon,  exécutées  en  Breta- 
gne et  en  Normandie,  à  l'étude  si  intéressante  des  popula- 
tions de  la  Vienne  et  de  l'Indrequ'il  vient  de  nous  donner.  Les 
départements  de  l'Indre-et-Loire,  du  Maine-et-Loire,  de  la 
Mayenne  sont  tout  indiqués  pour  cette  étude  comparative. 

Le  quatrième  ouvrage  qu'avait  à  examiner  votre  commis- 
sion est  celui  de  M.  Buschan,  docteur  en  philosophie  et  en 
médecine  de  l'Université  de  Breslau  et  membre  correspon- 
dant de  notre  Société.  Il  ne  touche  pas  de  si  près  aux  sciences 
anthropologiques  que  les  travaux  dont  je  viens  de  parler.  Il 
intéresse  néanmoins  autant  les  botanistes  que  les  savants  qui 
étudient  le  préhistorique.  L'auteur,  que  vous  connaissez  déjà 
par  une  petite  note  sur  la  botanique  préhistorique  parue 
dans  notre  Bulletin  2  et  par  ses  nombreuses  analyses  des  tra- 

1  Voy.  Archives  de  médecine  et  pharmacie  militaires,  t.  VII, 
1886.  ' 

2  Bulletin,  Soc  Anthropol.,  1893,  p.  5UG. 


722  SÉANCE  DU   12   DÉCEMBRE  1895 

vaux  français  dans  les  revues  anthropologiques  allemandes, 
examine  dans  son  livre  et  décrit  en  détail  plus  d'une  centaine  de 
plantes,  dont  les  graines  et  autres  restes  ont  été  trouvés  dans 
les  stations  préhistoriques  de  toutes  les  époques,  mais  princi- 
palement dans  les  stations  lacustres  de  l'époque  robenhau- 
sienne.  Tout  le  long  de  l'ouvrage,  l'auteur  fait  preuve 
d'une  vaste  érudition  et  d'un  soin  méticuleux  avec  lequel  il  sait 
réunir  les  matériaux  épars  clans  tant  de  publications  diffé- 
rentes; son  livre  rendra  certes  un  grand  service  à  la  science 
préhistorique  et  prendra  place  à  côté  des  ouvrages  similaires 
de  De  Candolle  et  de  V.  Hehn. 

Tout  en  reconnaissant  une  haute  valeur  à  chacun  des  quatre 
ouvrages  dont  je  viens  de  vous  donner  un  aperçu,  la  commis- 
sion, s'inspirant  surtout  de  l'étendue  du  sujet  traité  et  de  la 
somme  de  travail  dépensée  au  profit  des  études  anthropo- 
logiques a  proposé  au  comité  central  de  partager  le  prix  entre 
MM.  Livi  et  Oloriz,  qui  recevraient  ainsi  chacun  la  médaille 
d'argent  et  la  somme  de  250  francs. 

Elle  a  proposé  en  outre  de  donner  une  médaille  d'argent  à 
chacun  des  autres  concurrents,  c'est-a-dire  à  M.  Atgier  et  à 
M.  Buschan.  Le  comité  central  à  approuvé  cette  proposition 
de  la  commission. 

L'un  des  secrétaires  :  A.  Viré. 


SÉANCE  SOLENNELLE  Dl  12  DÉCEMBRE  1895. 

Présidence  de  M.  André  Lefèvre. 

12        CONFÉRENCE     ANNUELLE      BROCA 
Ijes  Négrilles  et  les  Ethiopiens. 

Par  M.  R.  Verneau. 
(Le  manuscrit  n'a  pas  été  remis  au  secrétariat). 


PÉRIODIQUES  "23 

633°  SÉANCE.  —  19  décembre  1895. 
Présidence  de  M.  André  Lefèvre 

CORRESPONDANCE. 

M.  le  Président  annonce  la  mort  de  M.  Ludwig  Rutimeyer, 
professeur  à,  l'Université  de  Bàle,  membre  associé  étranger. 
Il  exprime  les  vifs  regrets  de  la  Société. 

Lettre  de  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  invitant 
la  Société  à  prendre  part  au  Congrès  annuel  des  sociétés  sa- 
vantes, à  la  Sorbonne. 

OUVRAGES  OFFERTS. 

Anton  y  Ferrandiz  (D.  Manuel).  Razas  y  naciones  de  Europa 
(Discurso),  in-8°,  43  pag.,  Madrid,  1895. 

Lafontant  (Dr  Peupignand).  —  De  l'hygiène  en  Haïti,  in-12, 
224  pag.,  Paris,  1896. 

Mercer  (Henry  C).  —  The  hill-caves  of  Yucatan,  in-8°,  183 
pag.  etfig.  Philadelphie,  1896. 

Quatrefages  (A.  de).  —  Darwin  et  ses  précurseurs  français, 
in-8°,  294  pag.,  Paris,  1892.  (Achat). 

Quatrefages  (A.  de).  —  Les  émules  de  Darwin,  2  vol.  in-8°, 
cxL-154-288  pag.,  Paris,  1894  (Achat). 

Sébillot  (Paul).  —  Légendes  et  curiosités  des  métiers,  gr.  in-8°, 
648  pag.  avec  228  gravures,  Paris,  1895. 

Meyer  (A.-B.),  Schadenberg  (A.)  und  Foy  (W.).  —  Die  Man- 
gianenschrift  von  Mindoro.  (Ext.  de  Abh.  u.  Ber.  d.  K.  Zool.  u. 
Anthr.  —  Ethn.  muséums  zu  Dresden),  in-4°,  34  pag.  et  plan- 
ches, Berlin,  1895. 

périodiques.  (Articles  à  signaler). 

Revue  scientifique,   14  déc.  1895.  —  V.  Turquan  :  Durée  de 
la  génération  humaine. 
Nature,  5  déc.  1895.  —  Dr  Dubois  :  Missing  Link. 


7:24  séa.nce  du  19  décembre  1895 

Revue  de  l'Ecole  d'Anthropologie,  15  déc.  1895.  —  A.  Lefèvre  : 
Les  Dieux  de  la  Gaule.  —  Salmon  :  Type  crâniens  néoliti- 
ques. 

OBJETS    OFFERTS     " 

M.  Gaillard  offre  quatre  photographies  du  dolmen  deGralv 
niol  (Morbihan). 

M.  Fourdrignier  offre  treize  photographies  dont  sept  repré- 
sentent les  trois  microcéphales  vivants  que  la  Société  a  eu  à 
examiner. 

M.  J.-G.  Davelouis  offre  deux  photographies  de  types  nor- 
mands. 

COMMUNICATIONS. 

M.  Manouvrier  expose  les  résultats  de  son  étude  des  crânes 
et  ossements  humains  recueillis  dans  la  sépulture  néolithique 
de  Chàlons-sur-Marne,  étude  faite  avec  la  collaboration   de 

M.  PûKROWSKY. 

Le  mémoire  sera  publié  ultérieurement. 


Sur  l'existence  de  nègres  relativement  blonds  dans  la  région 

du  Congo. 

Par  le  Dr  R.  Collignon. 

Dans  une  présentation  faite  le  7  juin  1894',  M.  Dybowsky 
nous  montrait  les  photographies  de  deux  Akoas  recueillies 
par  lui  au  cours  de  son  voyage  au  Congo.  Il  signalait,  entre 
autres  particularités  intéressantes,  que  ces  négrilles  avaient 
des  cheveux  d'une  nuance  relativement  claire,  châtains  rous- 
sètres  et  non  plus  noirs  comme  le  sont  ceux  de  l'ensemble 
des  nègres,  et  des  yeux  d'un  ton  jaune  moyen  clair  par  rap- 
port aux  yeux  marrons  foncés  de  ceux-ci. 

M.  Dybowsky  n'ayant  pas  rédigé  sa  communication,  il  ne 

1  Bullet.  Soc.  Anlhr.,  IVe  série,  t.  V,  p.  140. 


VÀUVILLK.  —  ATELIERS  NÉOLITHIQUES  DE  MERCIN  ~'2o 

reste  malheureusement,  dans  nos  bulletins,  d'autre  trace  de 
cette  constatation  curieuse  que  les  quelques  mots  que  j'avais 
prononcés  lors  de  la  discussion. 

Or,  le  hasard  vient  de  me  faire  découvrir  un  passage  ou- 
blié de  Walckenaer,  où  mention  est  faite  de  caractères  ana- 
logues chez  des  nègres  du  Congo,  précisément  dans  la 
région  où  M.  Dybowsky  vit  et  observa  ses  deux  négrilles. 

Je  cite  textuellement  :  «  Les  naturels  de  Congo,  quoique 
«  noirs  comme  les  nègres  de  Sénégambie,  semblent  former, 
«  cependant,  une  race  différente  et  se  rapprocher,  par  les 
«  traits,  des  Européens;  ils  ont  quelquefois  les  cheveux  d'un 
«  brun  rougeâtre,  et  les  yeux  d'un  verd  foncé  ou  couleur  de  mer  \  » 

L'observation  est  précise;  on  ne  saurait  songer  à  une 
teinture  de  la  chevelure,  puisque  les  yeux  sont  «  verds  ou 
couleur  de  mer  ».  J'ai  donc  cru  qu'il  était  bon  de  la  signaler 
à  l'attention  de  nos  collègues,  ne  fût-ce  que  pour  retrouver 
les  sources  auxquelles  Walckenaer  l'avait  puisée,  et  pour 
tenter  d'obtenir  de  nos  compatriotes  résidant  au  Congo  quel- 
ques renseignements  à  cet  égard. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  remarquer  combien,  si  le  fait 
est  exact,  il  a  d'importance  au  point  de  vue  de  la  filiation 
des  races  humaines,  qu'il  s'agisse  de  négrilles,  comme  dans 
le  cas  de  Dybowsky,  ou  de  nègres  ordinaires,  comme  le  lais- 
serait supposer  le  texte  de  Walckenaer. 


fo  L.'un  des  ateliers  néolithiques  de  Mercin  (Aisne)  —  2°  Sé- 
pulture dite  gauloise  de  l'époque  niarnienne  sur  Mercin.  — 
3»  Observations  sur  la  dénomination  de  l'époque  gauloise 
dite  Beuvraysienne. 

Par  M.  Octave  Vauvillk.- 

L'un  des  ateliers  néolithiques  de  Mercin  (Aisne). 

Sur  le  territoire  de  Mercin,  canton  de  Soissons,  les  recher- 
ches que  j'ai  faites,  il  y  a  quelques  années,  m'ont  fait  décou- 

1  C.-A.  Walckenaer.  Cosmologie  ou  Description  générale  de  la 
Terre.  Paris,  1816,  p.  525. 


726  séance  du  19  décembre  1895 

vrir,  au  lieu  dit  la  Sablonnière,  beaucoup  de  silex  taillés,  bien 
caractéristiques  de  l'époque  de  la  pierre  polie.  J'y  ai  recueilli 
de  nombreux  éclats  de  silex,  des  percuteurs,  des  nucleus,  de 
nombreuses  lames,  dont  un  certain  nombre  très  petites,  des 
grattoirs  concaves  et  convexes,  des  retouchoirs,  etc. 

Les  silex  qui  ont  été  employés  sont  très  variés,  comme  on 
peut  le  voir  sur  les  divers  nucleus  que  je  vous  présente,  avec 
un  certain  nombre  d'autres  pièces.  Le  grès  aussi  a  été  em- 
ployé :  voici  un  très  beau  grattoir  convexe,  et  j'ai  trouvé 
quelques  nucleus  de  roche. 

Les  silex  taillés  se  trouvent  principalement  sur  une  partie 
très  siliceuse  (comme  l'indique  le  lieu  dit  la  Sablonnière),  for- 
mant un  monticule  d'environ  65  mètres  d'altitude,  dominant 
de  15  à  20  mètres  les  terrains  environnants,  sur  les  côtés 
Nord,  Sud  et  Ouest.  Cet  endroit  est  très  sain,  on  a  pu  y  séjour- 
ner; tout  près  de  là  passe  un  petit  cours  d'eau,  le  ru  de 
Voisdon. 

Lors  de  mes  premières  recherches  j'avais  remarqué  quel- 
ques fragments  de  crânes  humains,  ce  fait  me  permit  de 
croire  qu'il  devait  exister  là  d'anciennes  sépultures. 

Sépulture  dite  gauloise  de  l'époque  marnienne,  sur  Mercin. 

M.  Bonant,  propriétaire  du  terrain  dit  la  Sablonnière,  à  qui 
j'avais  dit  qu'il  pourrrait  être  intéressant  de  fouiller  sa  pro- 
priété, m'offrit  de  m'envoyer  son  jardinier  pour  faire  des 
recherches,  si  je  voulais  bien  les  diriger. 

Le  21  septembre  1893,  on  fit  d'abord  quelques  fouilles,  sans 
obtenir  de  résultat:  mais  ayant  remarqué  un  grès  qui  était 
très  apparent  au-dessus  du  sol,  je  le  fis  bien  dégager;  il  me- 
surait 80  centimètres  de  longueur,  55  centimètres  de  largeur 
et  28  centimètres  d'épaisseur;  il  était  légèrement  incliné  vers 
le  Nord. 

Ce  grès  était  entouré  de  15  autres  et  de  19  pierres  en  cal- 
caire dur,  de  diverses  grosseurs  et  de  provenances  différentes. 
Le  tout  avait  servi  à  recouvrir  une  cavité,  formée  aussi  de 
pierres  et  de  grès,  d'une  longueur  totale  de  1  m.  70,  de  l'Est 
à  l'Ouest;  la  largeur  était  de  50  centimètres  au  milieu,  à  l'Est 


VAUVILLE.  —  ATELIERS  NÉOLITHIQUES  DE  MERCIN  727 

elle  était  de  30  centimètres.  La  hauteur  avait  30  centimèt.  du 
fond  au-dessus  des  grès  et  des  pierres  formant  la  couverture. 
Cette  cavité,  qui  était  un  tombeau,  renfermait  un  squelette 
humain,  les  ossements  étaient  en  très  mauvais  état  de  conser- 
vation. Le  côté  Nord  de  la  cavité  était  formé  de  7  pierres, 
ayant  une  longueur  totale   de  1  m.  70;  le  bout  Est  avait 

2  pierres;  le  bout  Ouest,  où  était  la  tète,  était  formé  d'une 
seule  pierre;  le  côté  Sud  était  formé  de  5  pierres  d'une  lon- 
gueur totale  de  1  m.  27.  L'extrémité  Ouest  n'en  avait  pas;  il 
s'}'  trouvait,  du  côté   droit   cl   à  15  centimètres  de  la  tète, 

3  vases  en  terre. 

Deux  de  ces  vases  étaient  l'un  dans  l'autre;  le  troisième, de 
forme  plate,  recouvrait  les  deux  premiers  et  avait  un  diamè- 
tre de  19  centimètres  avec  un  petit  rebord  relevé  de  20  milli- 
mètres de  hauteur.  Ces  vases  s'étaient  brisés  sous  la  pression 
des  pierres  et  de  la  terre.  Le  fond  de  la  sépulture  était  sur  le 
sol  naturel,  à  75  centimètres  de  profondeur  au-dessous  du 
niveau  du  sol  actuel. 

On  fouilla  avec  soin  et  on  découvrit  les  traces  du  squelette 
complet. 

La  fouille,  commencée  à  l'Est,  du  côté  des  pieds,  fit  d'abord 
trouver  deux  petits  anneaux  de  bronze  (Voir  Album  Caranda, 
nouvelle  série,  PL.  419,  n°  6).  Lorsqu'on  arriva  aux  bras,  on 
découvrit  un  bracelet  simple  à  chaque  bras,  le  radius  et  le 
cubitus  étaient  dans  le  bracelet. 

Près  de  la  tète,  on  trouva  un  beau  torque  à  torsades  en 
bronze,  du  genre  de  ceux  découverts  par  Frédéric  Moreau 
dans  ses  fouilles  de  Chassemy  (Album  Caranda,  nouvelle  sé- 
rie, PL.  119,  n°  2). 

Voici  l'un  des  bracelets  et  le  torque  que  M.  Bonant,  auquel 
j'avais  remis  tous  les  objets  en  bronze  trouvés  lors  des  fouilles, 
a  bien  voulu  me  confier  pour  vous  les  présenter. 

Les  trois  vases,  comme  je  l'ai  dit,  étaient  brisés,  j'ai  pu  en 
retirer  plus  de  75  fragments;  en  voici  20  débris,  pouvant 
donner  une  idée  de  leurs  formes,  de  leur  ornementation  et  de 
leur  fabrication. 


728  SÉANCE  DU    19  DÉCEMBRE    1895 

Le  vase  de  forme  plate,  qui  recouvrait  les  autres,  n'était 
pas  orné,  les  autres,  au  contraire,  l'étaient  de  dessins  variés, 
lesquels  sont  très  communs  dans  les  sépultures  gauloises 
dites  marniennes.  Ces  poteries  paraissent  avoir  été  faites  sans 
l'intervention  du  tour,  leur  pâte  ne  ressemble  pas  à  celle  des 
poteries  usuelles  provenant  des  enceintes  gauloises  de  l'Aisne 
et  de  la  Somme  ! . 

Si  on  compare  les  poteries  provenant  de  la  sépulture  de 
Mercin,  lesquelles  sont  identiques  à  celles  des  sépultures  dites 
gauloises  de  la  Marne  et  de  celles  de  l'Aisne  fouillées  par 
M.  Frédéric  Moreau,  avec  les  20  fragments  de  poteries  que 
voici ,  provenant  d'habitations  gauloises  de  l'enceinte  de 
Pommiers2,  on  est  frappé  de  la  différence  qui  existe  entre 
elles. 

Les  premières  sont  d'une  fabrication  qui  parait  primitive, 
malgré  l'élégance  de  forme  et  l'ornementation  de  l'un  des 
vases;  la  terre,  qui  a  servi  à  leur  fabrication,  ne  parait  pas 
avoir  été  préparée  avec  soin,  comme  le  prouve  les  cavités  de 
ces  poteries.  Au  contraire,  les  autres  ont  été  extrêmement  soi- 
gnées sous  tous  les  rapports. 

Il  y  a  là  un  contraste  bien  évident  qui  provient,  soit  de  la 
différence  d'Age  de  fabrication  entre  les  poteries  des  sépul- 
tures et  celles  des  poteries  usuelles  gauloises  faites  au  tour  ; 
soit  de  celle  résultant  d'une  autre  fabrication,  par  une  popu- 
lation qui  paraît  s'être  fixée  dans  les  départements  de  la 
Marne  et  de  l'Aisne,  jusqu'à  Mercin  où  la  sépulture  dite  mar- 
nienne  a  été  découverte. 

Observations  sur  la  dénomination  de  l'époque  gauloise 
dite  Beurrai/ sienne. 

Comme  vous  le  savez,  Messieurs,  c'est  à  la  suite  de  longues 
•4  vives  discussions  qui  ont  suivi  mes  présentations  de  pote- 

1  Bulletin  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris,  1894,  page  278. 

-  L'enceinte  de  Pommiers,  l'ancien  Noviodunum  des  Suessions, 
ne  se  trouve  pas  à  plus  de  2,800  mètres  de  l'endroit  de  la  sépul- 
ture de  Mercin. 


VA1VILLK.  —  ÉPOQUE  DITE  BEUVRAYSIENNE  729 

ries  gauloises  provenant  des  enceintes  bien  datées  de  l'Aisne 
et  de  la  Somme  ',  que  notre  très  honoré  maître,  M.  Gabriel  de 
Mortillet,  après  avoir  bien  reconnu  que  les  poteries  usuelles 
gauloises  avaient  été  faites  au  tour,  a  compris  que  sa  classi- 
fication était  incomplète. 

Pour  combler  la  lacune,  de  la  dernière  période  gauloise,  où 
les  monnaies  d'or,  d'argent  et  de  bronze  sont  nombreuses, 
M.  G.  de  Mortillet  a,  l'année  dernière,  désigné  cette  époque 
sous  le  nom  de  Beuvraysienne2. 

Comme  je  ne  connaissais  les  objets  recueillis  au  Mont  Beu- 
vray que  par  ce  qu'il  y  a  au  musée  de  Saint-Germain,  je  me 
suis  rendu  à  Autun  pour  me  renseigner  sur  l'ensemble  de  ce 
qui  existe  au  Musée  de  la  Société  Éduenne.  Là,  dans  une  très 
belle  salle,  consacrée  spécialement  aux  objets  trouvés  dans 
l'ancien  oppidum  des  Eduens,  j'ai  vu  que  le  Beuvray  ne  repré- 
sente que  très  peu  l'époque  gauloise  d'avant  la  conquête,  mais 
qu'il  comprend,  au  contraire,  une  bonne  partie  de  l'époque 
gallo-romaine,  ou  Lugdunienne,  de  la  classification  de  M.  G. 
de  Mortillet.  En  effet,  voici  ce  que  j'ai  constaté  : 

D,  E,  F,  et  G  3.  Des  objets  en  fer,  fibules  à  ressort,  clefs 
courbes,  talons  d'étendards,  anneaux  divers,  marteaux,  ha- 
ches, clous  divers,  etc.,  identiques  à  ceux  recueillis  dans  les 
anceintes  gauloises  de  l'Aisne. 

.]  et  K.  Des  verres  colorés  et  des  bracelets  en  verre  fili- 
grannés  *. 

L.  Fibules  variées  en  bronze.  Quelques  unes  sont  gauloises, 
mais  il  y  en  a  certainement  beaucoup  cie  l'époque  gallo- 
romaine. 

M.  Poteries  fines  rouges,  indiquées  comme  provenant  de  la 

1  Bulletin  de  la  Société,  volume  1894,  pages  278  à  291. 

2  Bulletin  de  la  Société,  volume  1894,  page  619. 

3  Les  lettres  indiquées  sont  celles  des  vitrines  de  la  Société 
Éduenne  (Salle  du  Beuvray). 

*  La  désignation  des  objets  est  généralement  telle  qu'elle  est  in- 
diquée dans  les  vitrines. 

t.  vi  (4*  série).  47 


730  SÉANCE  DU  19  DÉCEMBRE  4895 

haute  Italie.  Ces  poteries  sont  incontestablement  de  l'époque 
romaine. 

N.  Nombreuses  monnaies  gauloises  en  argent,  en  bronze 
et  en  potin. 

Les  monnaies  en  potin,  très  nombreuses, prouvent  bien  que 
ce  numéraire  a  circulé  bien  après  la  conquête,  car  beaucoup 
de  ces  pièces  ont  été  coulées  du  temps  de  la  domination 
romaine  '. 

Q.  Poteries  peintes  avec  décorations  géométriques.  D'après 
l'indication  qui  est  dans  la  vitrine  ces  poteries  seraient  orien- 
tales. 

R.  Céramique  artistique. 

S.  Poteries  noires,  jaunes  et  grises,  ornées  de  palmettes, 
dessins  de  tissus,  quadrillages,  pointillés,  grains  de  blé,  ha- 
chures, échancrures  et  empreintes  rondes  en  forme  d'œil. 

Ces  poteries,  comme  celles  des  séries  M  et  R,  doivent  être 
postérieures  à  la  conquête  romaine. 

T.  Céramique  en  terre  noire.  Ornements  foi  mes  de  chevrons 
et  empreintes  diverses. 

Y.  Poteries  grises  et  noires.  Ornementation  à  lignes  paral- 
lèles à  la  griffe. 

X.  Marbres  d'un  temple  païen. 

Y.  Monnaies  romaines. 

Comme  on  le  voit,  l'enceinte  de  Beuvray  a  fourni  des  objets 
de  deux  époques  bien  distinctes  :  1°  de  la  fin  de  la  période 
gauloise;  2°  de  l'époque  de  la  domination  romaine.  11  y  en 
aurait  même  d'origine  orientale,  d'après  l'indication  de  la 
vitrine  Q.  Les  objets  postérieurs  à  la  conquête  sont  1res  nom- 
breux. 

D'après  ce  qui  existe  au  Musée  de  Saint-Germain,  prove- 

1  Si  on  consulte  les  Mémoires  de  la  Société  Éduenne,  tome  II, 
nouvelle  série  (1873),  pages  148  174,  on  voit,  d'après  M.  Anatole  de 
Barthélémy,  qu'en  1872  on  avait  trouvé  dans  l'oppidum  de  Beu- 
vray 628  monnaies  gauloises,  dont  257  en  potin  et  bronze  coulées. 
A  la  même  époque,  on  avait  aussi  recueilli  47  monnaies  romaines, 
donl  12  postérieures  à  l'an  10  avant  l'ère  chrétienne. 


VAUVILLÉ.  —  ÉI'OOUE  DITE  BEUVRAYSIKNNE  731 

n.ml  du  Mont  Beuvray,  il  est  impossible  de  se  rendre  bien 
compte  de  ce  qui  a  été  recueilli  dans  l'oppidum.  Pour  juger 
de  l'ensemble  des  découvertes,  il  faut  voir  les  diverses  séries 
de  la  très  intéressante  salle  du  Beuvray  de  la  Société  Eduenne, 
et,  après  examen  sérieux,  on  est  convaincu  que  la  principale 
occupation  sédentaire  de  l'oppidum  Éduen,  est  postérieure  a 
la  conquête  romaine. 

Dans  le  très  intéressant  article  intitulé  :  Étude  sur  les  mon- 
naies antiques  recueillies  au  Mont  Beuvray  de  1867  à  1872  \ 
M.  Anatole  de  Barthélémy,  membre  de  l'Institut,  qui  est  cer- 
tainement très  expert  en  numismatique  gauloise,  donne  les 
conclusions  suivantes,  après  un  examen  raisonné  et  une  lon- 
gue dissertation  sur  l'époque  d'émissions  des  monnaies  gau- 
loises2 : 

«  Si  nous  passons  à  l'examen  des  dates  approximatives  des 
«  monnaies  cataloguées  ci-dessus,  nous  constatons  que  le  plus 
u  grand  nombre  semble  être  postérieur  à  l'an  61  ;  avant  cette 
«  limite,  les  plus  anciennes  ne  remontent  guère  au-delà  de 
«  l'an  65,  date  des  deniers  au  cavalier,  considérés  par  M.  de 
«  Sauloy  comme  émis  par  une  ligue  formée  des  peuples  gau- 
«  lois  du  Sud-Est  pour  résister  à  l'invasion  des  Germains 
«  d'Arioviste. 

«  Nous  voyons,  en  effet,  que  les  deux  seules  pièces  d'or 
«  sont  des  exceptions;  leur  très  bas  titre  indique  qu'elles ap- 
«  partiennent  à  la  dernière  période  du  monnayage  que  nous 
«  savons  se  terminer  par  les  statères  au  nom  de  Vercingé- 
«  torix.  Nous  notons,  en  outre,  que  ces  deux  pièces  d'or  sont 
«  belvètes,  par  conséquent  étrangères  au  pays,  et  que,  jus- 
«  qu'ici,  le  plateau  du  Beuvray  n'a  pas  encore  fourni  une 
«  seule  monnaie  d'or  éduenne.  Le  numéraire  d'or  n'avait 
«  donc  plus  cours  usuel  à  l'époque  que  nous  éludions. 

«  La  conséquence  de  toutes  ces  observations,  c'est  que  la 

\  Mémoires  de  la  Société  Éduenne,  tome  II,  nouvelle  série  (1873), 
p:ige  148. 

2  Mémoires  de  la  Société  Éduenne,  tome  II,  nouvelle  série  (1873), 
page  loi*. 


732  SÉANCE  DU  19  DÉCEMBRE   1895 

«  population  sédentaire  du  Mont  Beuvray  y  a  résidé  depuis 
«  l'an  S3  environ  jusqu'à  l'an  5  avant  l'ère  chrétienne.  » 

Il  est  donc  bien  certain,  d'après  les  objets  recueillis  au 
Mont  Beuvray,  qui  sont  au  Musée  de  la  Société  Eduenne,  et 
d'après  l'étude  des  monnaies  gauloises,  provenant  de  la  même 
enceinte,  faite  par  M.  Anatole  de  Barthélémy,  que  l'époque 
d'occupation  sédentaire  du  Mont  Beuvray,  a  eu  lieu  après  la 
conquête  romaine  *. 

L'industrie  représentée  dans  l'oppidum  des  Eduens,  est 
donc  en  grande  partie  de  l'époque  dite  Lugdunienne,  et  non  de 
l'époque  gauloise  d'avant  la  conquête,  puisque  d'après  M.  A. 
de  Barthélémy  la  population  sédentaire  y  a  résidée  depuis 
l'an  53  environ,  jusqu'à  l'an  5  avant  l'ère  chrétienne. 

11  est  bien  regrettable  que  notre  maître,  M.  Gabriel  de  Mor- 
lillel,  ait  eu  la  pensée  de  prendre,  pour  désigner  la  dernière 
époque  de  la  période  gauloise,  pendant  laquelle  les  monnaie 
gauloises  en  or,  en  argent  et  en  bronze  étaient  nombreuses, 
le  nom  de  Beuvraysienne ;  en  effet,  l'époque  du  Beuvray  repré- 
sente une  époque  beaucoup  plus  récente  que  celle  qu'il  vou- 
lait désigner,  comprenant  une  durée  d'environ  150  ans  avant 
la  conquête  2.  Je  viens  prier  notre  très  honoré  collègue  el 
maître  de  vouloir  bien  accepter,  sans  hésiter,  de  changer  le 
nom  de  Beuvraysien,  avant  que  sa  nouvelle  classification  ne 
soit  bien  connue,  puisque  ce  nom  n'a  été  donné  que  l'année 
dernière3,  pour  prendre  celui  d'époque  des  monnaies  gauloises. 
ou  tout  autre  plus  en  rapport  avec  l'époque  qu'il  a  voulu 
désigner.  Ce  changement  de  nom  aurait  aussi  l'avantage  de 
s'appliquer  d'une  manière  générale  aux  nombreuses  peu- 
plades gauloises  qui  avaient  leurs  monnaies  diverses,  souvent 
bien  différentes  les  unes  des  autres. 

Si  ce  changement  de  nom  n'a  pas  lieu,  on  pourra,  à  partir 
de  maintenant,  mettre  sous  le  nom  de  Beuvraysien  presque 

i  Cette  contrée  était  déjà  soumise  aux  Romains  dès  la  première 
campagne  de  César  en  58  avant  J.-C. 

2  et  o  Bulletins  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris,  volume  de 
1894,  page  'J2U. 


VAU  VILLE.  —  ÉPOQUE  DITE  BEUVRA  YSIENNE  733 

tout  ce  qui  a  rapport  a  une  bonne  partie  du  premier  siècle  de 
l'époque  dite  Lugdunienne,  qui  commence  avec  César,  d'après 
Mj  G.  de  Mortillet1  ;  ce  serait  là  une  contradiction  de  classifi- 
cation, qu'il  est  bon  de  chercher  à  éviter. 

Discussion. 

M.  Vauvillé  répond  à  une  observation  de  M:  Fourdrignier 
que  les  poteries  des  sépultures  dites  marniennes  paraissent 
bien  avoir  été  faites  à  la  main,  tandis  que  les  poteries  usuelles 
gauloises,  provenant  des  enceintes  de  l'Aisne,  au  contraire, 
ont  été  faites  à  l'aide  du  tour;  elles  diffèrent  donc  bien,  de 
fabrication  et  même  de  forme,  des  poteries  funéraires. 

M.  A.  de  Mortillet  présente  diverses  observations. 

M.  Vauvillé.  —  Je  me  permettrai  de  dire  à  notre  collègue 
qu'il  faudrait  avoir  vu  attentivement  tout  ce  qui  existe  dans 
la  salle  dite  de  Beuvray,  de  la  Société  Éduenne,  notamment 
des  poteries  ornées  identiques  à  celles  que  voici  de  l'époque 
gallo-romaine,  provenant  du  département  de  l'Allier;  il  y  en 
a  même  de  tellement  semblables  qu'on  pourrait  se  demander 
si,  dans  celles  du  Beuvray,  il  n'y  en  aurait  pas  de  ce  dépar- 
tement. 

Beaucoup  d'autres  poteries  sont  aussi,  incontestablement, 
dé  l'époque  postérieure  à  la  conquête;  il  en  est  de  même  pour 
beaucoup  d'objets  du  Beuvray. 

Les  monnaies  sont  également  une  preuve  bien  certaine  de 
toute  la  durée  de  l'occupation  sédentaire  de  l'oppidum,  les 
nombreuses  monnaies  de  potin  prouvent  bien  l'occupation 
postérieure  à  la  conquête. 

Contrairement  à  ce  que  dit  M.  A.  de  MorLillet,  on  a  recueilli 
des  monnaies  impériales  romaines2;  elles  prouvent  bien  que 
foceupation  de  l'enceinte  a  duré  jusqu'à  l'an  5  avant  l'ère 
chrétienne. 

1  Bulletins  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris,  volume   de 

1804,  page  620. 
"-Mémoires  de  la  Société  Éduenne,  tome   11  de  1873,  pages  148 

à  174. 


734  SÉANCE  DU  19  DÉCEMURE  1895 

M.  A.  de  Mortillet  donne  lecture  d'un  article  du  Diction- 
naire des  Antiquités  gauloises. 

M.  Vauvillé.  —  De  I  article  que  vient  de  lire  M.  A.  de  Mor- 
tillet,  il  ressort  bien  que  l'oppidum  des  Eduens  a  été  aban- 
donné en  l'an  5  avant  notre  ère.  Nous  sommes  donc  d'accord 
puisque,  dans  mes  conclusions,  je  disais  que  d'après  les  objets 
recueillis  au  mont  Beuvray,  de  même  que  d'après  l'étude  des 
monnaies  de  l'enceinte,  faite  par  M.  Anatole  de  Barthélémy, 
l'oppidum  avait  été  occupé  sédentairement  de  l'an  53  environ 
à  l'an  5  avant  notre  ère. 

L'époque  du  Beuvraysien  rentre  dune  bien  dans  l'époque 
dite  Lugdunienne,  commençant  avec  César,  d'après  M.  G.  de 
Mortillet,  et  non  dans  l'époque  des  monnaies  gauloises  en  or, 
en  argent  et  en  bronze,  qui,  d'après  le  même  auteur,  a  pré- 
cédé de  150  ans  l'époque  de  la  conquête  par  lesBomains. 


Poterie  eme  et  orisjiuc  du  tour. 

Par  MM,  Lajard  et  Félix  Begnallt  f. 

Nombreux  sont  les  traités  sur  la  poterie,  mais  tous  se  bor- 
nent à  en  faire  l'étude  chez  les  peuples  civilisés,  Egyptiens, 
Grecs,  etc.,  sans  remonter  à  l'origine  chez  les  sauvages.  Bien 
que  les  ethnographes  se  soient  livrés  à  ces  recherches,  le  sujet 
est  loin  d'être  entièrement  connu. 

Il  semble  que  la  poterie  crue  ait  précédé  la  cuite,  et  que 
l'homme  n'ait  pas  inventé  d'emblée  la  cuisson  de  l'argile. 

En  Egypte  et  en  Assyrie,  les  briques  qui  servaient  à  la  bâtisse 
étaient  simplement  séchées  au  soleil.  Mais  on  ignore  générale- 
ment que  la  poterie  crue  est  encore  aujourd'hui  d'un  usage 
fréquent  en  Egypte  et  dans  l'Afrique  du  Nord. 

M.  Lajard  a  rapporté  d'Egypte  plusieurs  photographies  qui 
montrent  les   divers  emplois  de  poterie  crue.  Ce  sont  des 

1  Première  partie  sur  la  poterie  crue  de  M.  Lajard,  l'autre  sur  le 
tour  de  M.  liegnault. 


L.UARD  ET  REGN'AULT.   —  POTERIE  CRUE  ET  ORIGINE  DU  TOUR     735 

vases  en  forme  de  jarre  avec  couvercle  à  bords  denliculés, 
comme  une  scie;  d'énormes  amphores  munies  d'un  court 
goulot,  des  écuelles,  de  larges  coupes  (fig.  1.) 


Ces  vases  servent  en  général  à  conserver  des  grains,  des 
substances  sèches:  car  les  liquides  s'enfuiraient. 

D'autres  fois  avant  la  récolte,  la  basse-cour  s'y  réfugie.  Telle 
celte  grande  amphore  (fig.  2),  percée  à  sa  base  pour  prendre 


i^liTn  1 1  (I  j/iIM  A  — * 


Fis.  1 


le  grain";  d'un  trou    par   lequel    péttvenl  également  entrer 
les  poulets.    Sur  les  loiis  des    maisons  de    longs   vases  en 


736 


SÉANCE  DU  19  DÉCEMBRE  1805 


terre  crue  (lig.  3),  ayant  la  forme  de  cylindres  allongés  et 
verticaux  servent  à  faire  nicher  les  pigeons.  D'autres  ont  une 


\ 


JÏS\f 


Fig.  S. 

forme  différente.  Cette  forme  varie  suivant  les  villages  et 
parait  la  même  pour  chaque  bourg. 

On  fabrique  encore  avec  l'argile  crue  des  plateaux  cylindri- 
ques bas  et  ii  surface  plane  sur  laquelle  les  femmes  travaillent 
la  pâte  de  farine  pour  faire  le  pain. 

Enfin  la  capacité  peut  s'agrandir  et  on  a  de  véritables 
bâtisses  formées  d'argile  crue  grossièrement  pétrie  et  séchée 
au  soleil.  Ce  sont  des  sortes  d'abris  ronds  servant  également 
à  serrer  la  provision  de  grains.  Avant  la  récolte  la  basse-cour 
s'y  réfugie.  A  côté  la  demeure  de  l'homme  est  faite  au  moyen 
de  roseaux  et  forme  un  gourbi  primitif.  De  sorte  que  sur  une 
photographie  le  bétail  semble  mieux  logé  que  le  propriétaire. 

Toutes  ces  poteries  sont  faites  de  terre  glaise  pétrie  à  la 
main,  sans  tour,  simplement  séchée  au  soleil. 


LAJAIU)  ET   REGNAULT. 


POTERIE  CRIE  ET  ORIGINE  DU  TOUR 


m 


Rappelons  que  Mi  Viré  à  signalé  en  Kabylie  i'éxïstèiïce  de 
poteries  crues  {Bulletin  Soc.  Antltrop.,  1893.) 

.le  présente  en  second  lieu  une  série  de  chronophotographies 
prises  par  l'appareil  de  M.  Marey  avec  l'aide  de  son  prépara- 
teur M.  Comte.  Elle  montre  une  négresse  Ouolove  de  la  der- 
nière exposition  du  Champ  île  Mars  faisant  de  la  poterie.  On 
voit,  grâce  à  la  chronophotographie.  les  diverses  phases  de 
cette  opération  (lig.  i). 


Pour  faire  ses  vases,  elle  possède  : 

1°  Une  éeuelle  creuse  de  vingt-cinq  centimètres  de  diamè- 
tre,, reposant  par  son  centre  sur  la  terre,  et  pouvant  tourner 
facilement  sur  elle-même  par  un  simple  mouvement  demain. 

2*  De  la  poudre  de  sable  noir  qu'elle  met  dans  l'écuelle  pour 
(lue  l'argile  ne  s'y  attache  pas. 

3°  De  l'argile  dont  elle  prend  un  morceau  et  enlève  les 
paillettes. 

Voici  comment  (die  procède  : 

Elle  pétrit  la  boule  d'argile  entre  ses  deux  mains. 

Elle  la  creuse  avec  ses  mains  avant  de  la  placer  sur  l'écuelle. 
Elle  place  la  houle  sur  l'écuelle,  et  en  récure  le  centre  avec  le 
dos  de   l'arliculalion    phalango-phalanginienne    de    la.    main 


738  SÉANCE   DU  19  DÉCEMBRE    1895 

droite  ',  les  doigts  sont  repliés  dans  la  paume  de  la  main, 
celle-ci  est  tenue  verticalement.  Pendant  ce  temps  la  main 
gauche  la  face  palmaire  regardant  l'écuelle,  tourne  celle-ci, 
sous  l'influence  de  ce  mouvement  de  rotation  et  de  la  main 
droite  qui  creuse,  les  bords  du  vase  s'élèvent  et  frottant  contre 
la  paume  de  la  main  gauche  se  façonnent. 

Une  fois  les  bords  élevés  la  négresse  termine  la  partie  supé- 
rieuredu  vase  en  façonnant  un  boudin  d'argile.  Elle  le  tient  de 
la  main  droite  et  le  fixe  au  bord  supérieur  du  vase,  en  même 
temps  qu'elle  continue  à  faire  tourner  l'écuclle  de  la  main 
gauche.  Le  vase  est  ainsi  terminé. 

dette  pratique  est  bien  spéciale,  et  n'a  pas,  à  ma  connais- 
sance, été  notée  jusqu'à  présent.  Elle  montre  la  transition 
entre  la  poterie  sans  tour  et  au  tour. 

La  poterie  sans  tour  peut  être  faite  en  appliquant  la  terre 
glaise  sur  une  forme  d'osier  ou  sur  un  fruit  ou  par  moulage, 
lu  procédé  spécial  a  été  étudié  chez  les  Galibis  par  M.  Capi- 
tal!. Ce  sont  des  boudins  d'argile  successivement  façonnés  et 
étages  l'un  sur  l'autre. 

M.  Lajard  a  indiqué  un  procédé  analogue  aux  îles  Cana- 
ries; Ici  c'est  un  seul  boudin  qu'on  enroule  en  spirale 
(Soc.  Anthrop.,  19  nov.  1891).  On  ne  fait  pas  tourner  le  vase. 

La  négresse  au  contraire  au  moyen  de  son  écuelle  fait 
tourner  le  vase.  Supposez  cette  écuelle  montée  sur  un  pivot 
et  nous  avons  le  tour  primitif  usité  autrefois  chez  les  Egyptiens 
et  les  Grecs,  encore  employé  de  nos  jours  en  Orient  notam- 
ment chez  les  Indous. 

C'est  une  roue  horizontale,  basse,  tournant  sur  un  pivot. 
On  l'actionne  à  la  main,  puis  on  pétrit  la  masse  de  terre 
glaise  placée  dessus  et  qui  tourne  et  on  en  façonne  des  vases. 
Le  tour  mil  parle  pied  employé  de  nos  jours  n'est  venu  que 
bien  plus  tard. 

1  Sur  ce  dessin,  c'est  la  main  gauche  qui  creuse,  la  droite  qui 
tourne;  ce  qui  est  rare.  En  général  c'est  comme  nous  décrivons  la 
gauche  qui  tourne  la  droite  qui  creuse. 


LAJARD  ET  REGNAULT.  —  POTERIE  CRL'E  ZT  ORIGINE  DU  TOUR         Tli!) 

J'ai  voulu  voir  si  quelque  différence  dans  la  forme,  l'aspect, 
le  grain  pouvait  distinguer  la  poterie  africaine  ainsi  façon- 
née de  la  poterie  d'Amérique  faite  sans  tour  ou  d'Europe 
faite  avec  tour.  Je  n'ai  pu  rien  noter  de  caractéristique.  Pour 
affirmer  à  la  vue  de  débris  de  poterie  si  celle-ci  est  faite  avec 
ou  sans  tour,  il  faut  qu'elle  soit  ou  très  grossière  outrés  fine. 
Mais  dans  les  cas  intermédiaires  très  nombreux,  il  convient,  je 
crois,  souvent  de  rester  dans  le  doute. 

L'un  des  secrétaires  :  A.  Viré. 


TABLE   DES   DONS 


A   LA   SOCIÉTÉ    ET   A  '  L'ÉCOLE    D'ANTHROPOLOGIE 


Dons  a  la  Société,  7,  47,  49,  50, 
63,  73,  74,  104,  105,  139,  140, 
141,  142,  150,  181».  190,  215, 
209,  270,  271.  273,  320,  327, 
386,  387,  388,  413,  414,  433, 
434,  479,  480,  495.  497,  498, 
514,  519,  540,  656,  657,  658, 
684,  685,  696,  697,  702,  723, 
724. 

Dons  a  l'École  d'Anthropologie, 
519,  702. 

Acy  ((!"),  388,  479. 

Ambrosetti  (J.-B.),  696. 

Anoutciiine  (D.-N),  326. 

Anton  y  Ferrandiz,  723. 

Arnaud  (F.),  73. 

Ault  du  Mesnil  (d'),  431. 

Baya  (de),  684,  696. 

Benedikt  (M.),  413. 

Bernard  et  Féré,  7. 

Boas  (F.>,  684. 

Bousrez,  74,  388. 

BuiNTON  (D.-G.),  73,  413,  696. 

Buschan  (G.),  104,  413,  479. 

Capitan  (L.),326. 

Caracache  (A.),  684. 

Castelfranco  (P.),  156. 

Cazalis  de  Fondouce.  7. 

Charencey  (de),  7.  156. 

Charles-Albert,  479. 

Coghlan  (T. -A.),  514. 

Coha.  (Guido),  139. 

Darkste  (G  ),  51!).  » 

Davelocis  (J.-G.),  724. 

Delislk,  434. 

Deniker  (J.),  20!),  273. 

Dévot  (J.),  73. 

Dubois  (E.),  658. 

T.  VI  (4e  série) 


Dumont(A.),  479. 
Durand  (de  Gros),  514. 
Duval  (Mathias),  514. 
Fourdrignier,  51!),  724. 
Fraipont  (J  ),  51 1. 
Fulcomer  (D.),  684. 
Gachon  (P.).  101. 
Gaillard  (F.),  724. 
Garnaud  (de  Paris),  097. 
Georges  et  Chaiivet,  050. 
Giacomini  (C),  081. 
Giltchenko  (N.-V.),  495. 
Gi.aumont,  63. 

GuiTTONNEAU  (P.)  ET  BONNEMÈRK 
(L.),  47. 

(ii  MRiERi  etMasetti,  650. 

Guyot  (Yves),  139. 

Hamy  (E.-T.),  684. 

Hennuyer  (A.),  270. 

Hepburn  (D.),  656. 

IllRST  (B.-C),  7. 

IIodge  (F.-W.),  413. 

BOEDER  (H.-V.),413. 

Holmes  (W.-II.),  414. 

iiovelacque  et  hervé,  190. 

Institut  International  de  Socio- 
logie, 480. 

Iwanowski  (Al.),  495. 

Jacques  (V.).  195. 

Justin  (J.),  697. 

Koganéi,  190. 

Kkopotkine  (P.),  479. 

Laboratoire  d'Anthropologie  , 
702. 

Laeontant-Perpignand,  723. 

Lagneau  (G.),  139. 

Lwirey  (Famille  da  baron  11.), 
697. 

Lausiés,  19. 


\ki 


TABLE  DES  DONS 


Lavroff  (P.),  73. 
Lefèvhb  (A.),  215,  32(i. 
Lehmann-Nitsche  (R.),  495. 
Leitner  (G.-W.),  607. 
Letourneau  (Ch.j,  41)7. 
Levier  (E.),  49. 
Livi  (R.),  433. 
Longraire  (de),  190,  215. 
Loris-Melikoff,  497. 
Malvert,  320. 
Marchi,  481. 
Marchesetti  (C),  433. 
Marina  (G.),  697. 
Martel  (E.-A.).  141. 
Martel  et   Gaupillat,  111,  112. 
Martel  et  Rivière,  142. 
Mercer  (H.-C),  723. 
Meyer  (A.-R.),  497,  723. 
Meyer  (H.),  414. 
Mies  (.1.),  104,  271. 
Milne-Edwards  ,     Deniker  .     DE 

PûDSARGUES    LT  DeLISLE,  433. 

Ministère  des  Travaux  publics, 

433. 
Mooney  (J.),  084. 
Moutard-Martin  et  Pissavv,  540. 
O-loriz  (P.),  50,  186. 
Pigorini  (L.)  326,  386. 
Poehl  (A.),  414.     . 


Rambert  (Aimé),  105. 

Reber  (B.),  498. 

Reclus  (Eliséey,  684. 

Regalia  (E.),  514. 

Regnault  (F.),  73,  140,  387,498, 

697. 
Rockhiï.l  (W.),  327. 
Rodiugues  (N.),  498. 
Rousselet   et  Hachette  et   C'° 

414. 

SCHLEICHER,  433. 

Schurtz  (H.),  156. 
Sébillot  (P.),  139,  723. 
Sergi  (G.),  104,  479. 
Sérieux  et  Mathieu.  514. 
Sherzer  (W.-H.),  498. 
Société   de  Géographie  de   Lis- 
bonne, 480. 
Souza-Gomez  (de),  657. 
Spalikowski  (Edm.),  387,  498. 
Stephenson  (F.-B.),  156,  697. 
T.er^ek  (A.-v.),  480,  498. 
Terrier  et  Péraire,  697. 
Thomas  Marancourt  (Ed.),    433. 

TURNER  (W.),  215. 

Vauchez  (Emmanuel),  684,  685. 
Worms  (R.),  685. 
Yastrebov  (VI.),  657. 
Zaborowski,  190,  498. 


TABLE   DES   TRAVAUX   ORIGINAUX 


DES  PRINCIPALES  COMMUNICATIONS 


ACY  (E.  d').  —  Quelijuos  observations  relativement  au  gisement  iuter- 

glnciaîrc  ilo  Yillefraiiclie,  80. 
ACY  (E.  il').  —  La  station  dos  Hoteaux,  388. 

—  Coupe  et  mobilier  funéraire  do  la   terrasse   do;    Ho- 

teaux, 449. 

BAYE  (Baron  do).  —  Photographie  d'un  mo:iumcut  mégalithique, 

G86. 

BEDOT  (Maurice).  —  Notes  anthropologiques  sur  lo  Valais,  486. 

BONNEMÈBE  (Lionel).  —  Le  dolmen  do  l'Ethiau,  47. 

—  Los  pierres  gravées  do  la  Nouvelle-Calédonie,  63 

BONNET.  —  Habitations  souterraines,  8. 

CAl'ITAN.  —  A  propos  dos  déformations  crâniennes  dans  l'art  an- 
tique, 9. 

CAPUS  (G.).  —  Sur  la  taille  en  Bosnie,  90. 

CHUDZINSKI  (Théophile).  —  Sur  los  plis  cérébraux,  des  lémuriens  on 

général   ot   du  Loris   grêle  on  particulier, 
435. 
—  Quelques  observations  sur  le  grand  droit 

de  l'abdomen  dans  les  races  humaines, 
522. 

COLLIGNON  (R.).  —  La  couleur  et  le  cheveu  du  nègre  nouveau-né, 

687. 

—  Sur  l'existence  de  nègres  relativement  blonds  dans  la 

région  du  Cttngo,  72  i. 

COLLIN  (Emilo),  REYNIER  ot  MOUTILLET  (A.  de).  —  Silex  taillés  des 

tufs  do  la  t'ellc- 
sous-  M o  r  e  t 

tSeine-ot  -  Marne), 
820. 


744  TRAVAUX  ORIGINAUX  ET  PRINCIPALES  COMMUNICATIONS 

CUYER  (Edouard).  —  Anatoinie  des  formes.  Modelés  déterminés  par 

l'expansion  aponévrotiqne  du  muscle  bi- 
ceps brachial.  Aspects  différents  du  muscle 
biceps  lors  do  la  supiuation  et  do  la  prona- 
Uon,2l2. 
Les  expressions  de  la  physionomie;  leurs  ori- 
gines analomiques,  360. 

DENIKER  (J.).  —  Rapport  sur  le  concours  pour  le  prix  Godard,  en 

4895,  747. 

DUHOUSSET.  —  Echelle  témoin  pour  les  photographies  anthropolo- 
giques, 53. 

DUMÛNT  (Arscnoj.  —  Mouvemont  de  la  population  française  en  4893, 

395. 

Note   sur   la   démographie   des  Musulmans   en 

Algérie,  702. 

DURAND  (do  Gros).  —  Coup  d'oeil  rétrospectif  sur  diverses  questions  an- 
thropologiques, 157. 

GAILLARD  (F.).  —  Le  dolmen  de  Grah'  rViol,  à  Arzon  (Morbihan),  672. 

GLOTZ.  —  Los  animaux  inclus  dans  l'ambre  et  la  littérature  ancienne  351. 

LAGNEAU  (Gustave).  —  Influence  des  milieux  sur  la  race,  443. 

LAJARD  et  REGNAI' LT  (Félix).  —  Poterie  crue  et  origine  du  tour,  73i. 

LALAYANTZ  (Er.).  —  Les  anciens  chants  historiques  ot  les  traditions 

populaires  d'Arménie,  500. 

LEFÈVRE    (André).   —  Los   Celtes    orientaux,  Hyperboréons,    Celtes, 

GalateSj  Galli,  330. 

LETOURNEAU  (Ch.).—  Une  curieuse  forme  du  commerce  primitif,  267. 

MANOUVRIER    (L .).    —  Discussion  du  Pîthecanthropns   erectus, 

comme  précurseur  de  l'homme,  12.  2°  étu- 
de sur  le  Pîthecasithroiiiis,  553. 

—  Obsorvation  d'un  microcéphale  vivant  ot  do  la 

cause  probable  do  sa  monstruosité,  227. 

—  Lo  T  sincipital,  curiouso  mutilation  crânienne 

néolithique,  357. 

—  (Voir  PERRIER  DU  CARNE). 
MORAU  (Henry).  —  Note  sur  l'hérédité  morbide,  692. 
MORTILLET  (A.  do).  —  (V.  COLLIN  Emile). 

MORT1LLCT  (G.  do).  —  Photographies  anthropologiques,  11. 

—  Terrasse    inférieure    de    Yillefraiiehe  -  sur  - 

Saône.  Industrie  ot  faune,  57. 

—  Animal  gravé  sur  uno  table  do  dolmen,  23t. 


TRAVAUX  ORIGINAUX  ET  PRINCIPALES  COMMUNICATIONS  745 

MOUTARD-MARTIN  et  PISSAVY.  —  Malformations  congénitales  mul- 
tiples et  héréditaires  dos  doigts  ot  dos 
orteils,  540. 

PALLARY  (Paul).  —  Recherches  palethcologiques,  effectuées  aux  envi- 
rons d'Oazidan,  87. 

PERRIER  DU  CARNE  ot  MANQUVRIER  (L.)  —  Le  dolmen  «de  la  Jus- 
tice »  d'Épone  (Seine- 
et-Oise).  Mobilier  fu- 
néraire ot  ossements 
humains,  273. 

PET1T0T  (Abbé  Emile).  —  Vestiges  robenhausîens,  97. 

PIETTE  (Ed.).  —  Hiatus  et  lacune.  Vestiges  de  la  période  do  transition 
dans  la  grotte  du  Mas-d'Azil,  235. 

—  Une  sépulture  dans  l'assise  à  galets  coloriés  du  Mas- 

d'Vzil,  '«85. 

—  Fouilles  faites  à  Brasscmpouy  en  1895,  659. 
PISSAVY  (II.).  —  (Voir  MOUTARD-MARTIN). 

RAYMOND  (Paul).  —  Gisements  moustériens  dans  lo  Gard.  Continua- 
lion  de  l'exploration  do  l'Aven  de  Ronzo,  0(33. 
REGNAULT  (Félix).  —  Formo  du  crâne  dans  l'hydrocéphalie,  94. 

—  Déformations    crâniennes    dans    l'art    sino- 

gaponais,  409. 

—  Une  observation  do  ucevus  généralisé,  iî8. 

REYMER.  -  (Voir  COLLIN  Emile). 

ROBIN  (Paul).  —  Dégénérescence  do  l'espèce   humaine;  causes  ot 

remèdes,  426. 
HOCHET  (Charles).  —  L'anthropologie  des  Beaux- Vils,   106. 
ROYER  (Clémence).  —  Diminution  do  la  population  do  la  Franc-,  653. 
SANSON  (André).  —  Cas  do  pentadactjlie  chez  un  suidé,  416. 

—  Malformations  congénitales,  651. 

—  Photographio  d'un  taureau  do  Guinée,  699. 
SPALIKOWSKl    (Edmond).    —    Los    sujicrstitioits     médicales     nor- 
mandes, 476. 

TH1EULLEN  (A.),  -   Poteries  funéraires,  ossements,  crânes,  etc., 

de  l'époque  mérovingienne,  328. 
VAUV1LLÉ  (Octave).  —  Quelques  ateliers  néolithiques  do  la  Dordogne 

où  l'on  trouve  la  feuille  dite  do  laurier,  465. 
—  T    L'un    1s  ateliers    néolithiques   de    Mercin 

(Aisne);  2°  Sépulture  dite  gauloise  do  l'époque 
inarnieanc  sur  Mercin;  ■">*  Observations  sur  la 
dénomination  do  l'époque  gauloise  dito 
Bcuvraysieniie,  725. 


74G  TRAVAUX   ORIGINAUX  ET  PRINCIPALES  COMMUNICATIONS 

VIRE  (Armand).  —  Obsorvalions  sur  quelques  animaux  cavernicoles  i!u 
Jura,   i72. 

ZABOROWSKI.   —   Los   Sauvages    do    riudo-Chiuc.   Caractères   et   ori- 
gines, 198. 

—  Du   DnicAlrc   à    la   Caspienne.    Esquisse  palolunolo- 

giquo,  116,  -2iH. 


TABLE    DES   AUTEURS 


Acy  (E.  d),  62,  80,  84,  388,  394,  419, 

423.  425. 
Ault  du  Mosnil  (d'),  62. 
Azoulay,  413,  493. 
Baudolot,  495. 
Raye  (baron  do),  686,  697. 
Rodot  (Maurice),  486. 
Ronnomôro,  47,  63. 
lîonnot,  8. 
Rousroz,  387. 
Capitan,  9,  522. 
Capus  (G.),  99. 

Chudzinski  (Théophilo),  134,  522. 
Collignon  (11.),  50,  117,  157,  ài'2,  472, 

687,  714,  724. 
Cuyer  (Edouard),  212,  360. 
Dareste,  1. 
Davoluy,  75. 

Donikor,  50,  141,  217.  411,717. 
Ihihoussot  (colonol),  53,  350. 
Dumont  (Arsèno),  395,  519,  691,  635, 

702. 
Durand  (do  Gros),  157. 
Duval  (Mathias),  47,  §14. 
Eschonaucr,  1 14. 
Fourdrïgnior,  197,  519. 
Gaillard  (F.),  672. 
Glolz,  351, 
Hatlé,  32  k 

Hervé,  111,  151,  217,  424,  465,  687. 
llovclacquo,  216. 
Issaurat,  4. 
Joussoauino,  48 4. 
Labordo,  702. 

Lagnoau  (G.),  143,  150    153,  406,  ]7I6. 
Lajard.  734. 
Lalayantz,  300. 
Lapicquo,  211,  388. 
Lofôvre  (André),  197,  330. 
Lotournoau  (Cli.),  223,  267. 
Longraire  (do),  184. 


Manouvrior  (L),  12,  17,  111,116, 

131,  153,   184,  216,  218,  227, 

357,  465,   478,  496,  553,  658, 

721. 
Matignon,  269. 
Maximilion-Gcorgcs,  190. 
Morau  (Henri),  692. 
Morol  (Léon),  223,  224. 
Mortillot  (A.  do),  72,  197,  425, 

733,  731. 
Mortillet  (G.  do),  11,  47,  57,  81, 

197,  231,  324,  326,  316,  392, 

421,  638.  687. 
Moutard-Martin,  510. 
Ollivier-Boauregard,  388. 
Pallary  (Paul),  87. 
Papillault,  478. 
Porrior  du  Came,  273. 
Potilot  (abbé  Emile),  97. 
Piotlo  (Ed.),  235,  485,  659. 
Pissavy  (H.),  540. 
Raymond  (Paul),  221,  226,  663. 
Rognault  (F),  10,  91,  140,  197, 
Robin  (Paul),  426. 
Rochct  (Charles),  106. 
Royer  (Mm0  Clémonco),  511,  653. 
Salmon,  93. 
Sanson,  47,  111,   111,  150,. 223, 

519,  651,  699. 
SéhillQt,  139. 
Spalikowski,  476. 
Tbioullen  (A.),  197,  221,  328. 
Tbulié,  716. 
Vauvillé  (O.),  197,  223,  330,  463, 

475,  522.  67 1 ,  725,  733,  734. 
Vernoau,  72,  217,  658,  722. 
Viré  (Armand),  472. 
Worms  (Roné).  105,  180,  685. 
Zaborowski,  114,  116,   151,  197, 

220,  270,   297,  349,  578,  481, 

700, 712. 


141, 
273, 
685, 


469, 

1 53, 
422, 


109. 


il«. 


169, 


198, 
512, 


TABLE  ANALYTIQUE  ET  ALPHABÉTIQUE 


des  matières  contenues  dans  ce  volume; 


Par  M.  Dure  au 


Âbyssinic.  Infibulalion  en  — ,  388. 

Abyssins.  Syphilis  chez  uno  femmo 
—,  484. 

ADULTÈRE  cliez  les  Habalis.  483. 

AGE  do  pifrro,  en  Russie,  122.  Solu- 
tion do  cont inutile  cnlro  1'  —  polio 
cl  F  —  taillée,  236. 

Ainnèze.  Gisômont  moustérien  d'  — , 
666. 

Aknas,  724. 

AlfonroMs.  Cheveux,  taille,  système 
musculaire  clos  —  19!). 

Algérie.  Démographio  des  musulmans 
P'n  _,  703. 

Allemagne.  Natalité  de  l'  —,  399. 

ALTITUDE.  Influenco  do  1'  —  sur  la 
race,  1  \\. 

AMBRE.  Animaux  inclus  dans  1'  — , 
Soi  :  ornements  d'  et  amulettes 
(•liez  lo<  Romains,  355. 

AMULETTES  d'ambro  chez  les  Ro- 
mains. 358. 

ANATOMIE  dos  formes,  212;  appliquée 
aax  beaux  arts,  212. 

Angleterre.  Natalité  do  Y  — .  3.10. 

ANIMAUX  inclus  dans  l'ambre,  351  ; 
—  dos  cavernes  du  Jura,  473. 

Anjou.  Dolmens  et  menhirs  do  1'  — , 
74. 

ANTHROPOLOGIE  des  Roaux-Arts,  106. 

Arménie.  Chants  historiques  et  tra- 
ditions populaires  d'  — .  500. 

ARMES  et  outils  en  pierre  trouvés 
près  d'Oiizidan  (Algério),  87. 

ART  antique.  Déformations  crâniennes 
dans  Y  — ,9;  —  sino-japonais;  dé- 
formations ciàniennes  dansl'  — ,  i09. 

Aryns.  161 . 

Arznn  (Morbihan).  Dolmen  d' — ,  388. 

ATELIERS  néolithiques  de  la  Dordo- 


gno,  463;  —  néolithique  do  Mcrcin 

(Aisne),  728. 
ATTENTION.  Théorie  do  1'  —,  413. 
Autriche.  Natalité  do  Y  — ,  399. 
Avryron.   Deux  types  de   population 

dans  1'  — .  158. 
Bahnars.  Crânes  des  —,  208,  209; 

cheveux  dos  — ,  208. 
Basques    do    France    présentent  plus 

d'homogénéité  et  sont   de  race  plus 

puro  quo  ceux  d'Espagne,  51,  188. 
RATON   DE  COMMANDEMENT  trouvé 

dans  la  terrasso  dos  liotcaux  (Ain), 

39.1,  420. 
Beauveou   (Maino-el-Loire).    Dolmen 

de  —,  388. 
REAUX-ARTS.   Anthropologie  des  —, 

106;  anatomio  des  formes  appliquée 

aux  — ,  212;  modelés  déterminés  par 

l'oxpansion  aponévrolique  du  musclo 

biceps  brachial,  212. 
Brdjas,  701. 
Beuvray.  Dénomination  de   l'époque 

gauloiso    dito   Rouvraysicnno,    728; 

poteries  do  —,  7  2!). 
Belges,  341. 

Itcson  (E.)-  Mort  de  M.  — .  184. 
BLONDS  dolichocéphalos,   do    la  Cas- 
pienne, 307. 
BOEUFS  gnatos.  Crânes  do  —,  519. 
Bolgs  ou  Belges,  344. 
Bosnie.  Sur  la  taillo  en  -,  99. 
BOVINE.  Raco  — ,  est  parvenue  d'Asie 

en  Afrique  amenéo  par  uno  popula- 

i ion  humaine  asiatique  699. 
Brasssempouy.  Fouilles  do — ,  659. 
Broc  (Maine-et-Loire).  Dolmen  do  — , 

388. 
Çiispicnne.  Blonds  dolichocéphales  de 

la  —,  307;  sépultures  à  inhumation 

do  la  —,  307,  320. 


fABLE  ANALYTIQUE  ET  ALPHABETIQUE 


749 


Caucase.  Tombeaux -caisses  du  — , 
132. 

CAVERNE  dé  Pa-Oro  (Nouvelle-Calé- 
donie), 63;  —  d'Ouzidan  (Algérie), 
89;  —Jura,  473. 

Celle-smis-Moret  (Seino- et-Mame). 
Silex  taillés  des  tufs  do  la  —,  520. 

Celtes  orientaux,  330,  333;  —  et 
Galatrs  identiques,  312. 

CERVEAU.  Plis  cérébraux  des  lému- 
riens et  du  Loris,  435. 

CHANTS  historiques  do  l'Arménie, 
500. 

CHEVEUX  des  Alfourous,  199;  —  dos 
Rabnars,    £08  ;   —  dos  Mois,   '20-2  ; 

—  dos  Negrilos,  199;  —  dos  Malais, 
199;  — du  nouveau-né,  687. 

Chigné  (Maine-et-Loire).  Dolmen  do 
- ,  388. 

Choroslkowo.  Kourgane  do  —,  et 
objets  qu'il  contenait,  129. 

Cimmériens  ou  Kymris,  Origine  dos 
-,  -126. 

Ci&&iens  ou  Héléons,  512. 

COMMERCE  primitif.  Une  curiouse 
formodu  —,  267. 

CONFERENCE  ANNUELLE  BROCA 
(douzième),  722.      ,    , 

CONGRÈS  DE  LA  FEDERATION  AR- 
CHÉOLOGIQUE et  historique  de  Bol- 
eiquo  on  -1893,  269.       ,    „ 

CONGRÈS  DE  LA  SOCIETE  FRAN- 
ÇAISE D'ARCHEOLOGIE  on  1893, 
269. 

CONGRÈS  DE  SOCIOLOGIE.  Complo 
rendu  du  —,  do  1894,  490. 

Corzè  (Maino-ot-Loire),  dolmen  de—, 
388. 

Costa  Rica.  Fétiches  gravés  de  —, 
221. 

CRANIOLOGIE.  Généralités.  Rap- 
ports do  la  suture  métopiquo  avec  la 
morphologie  crànionno,  478. 

Cràniologie  descriptive.  Crâ- 
nes :  d'un  Néo-Calédonicn  do  Ka- 
nala,  18;  —  voûto  crânienno  du 
crânodoNéanderthal,  22;— masculin 
do  l'ilo  Enginecr  (Nouvelle-Guinée), 
28;  —  féminin  do  la  mémo  île,  36; 
indice  céphaliquo  descrànos  do  l'Es- 
pagno,  50,  186;  —,  trouvés  dans  les 
Kourganos  de  la  Russio,  123,  135; 
ressemblent  à  ceux  do  la  race  néoli- 
thique du  nord  do   la  Franco,  137; 

—  des  Mois,  201;  —  du  dolmen 
d'Epone  (Seine-et-Oise),  290  ;  —  dos 
Rabnars,  208;  -  des  Negritos,  199; 

—  provenant  d'une  tombo  mérovin- 
gienne, à  Paris,  329;  —  dos  habi- 
tants du  Valais,  489  ;  —  do  la  sépul- 


ture néolithique  do  Châlons-sur- 
Marno.  724;  —  de  Néandorthal 
comparé  avec  celui  du  Pithecan- 
thropus  ereclus,  584. 

C'ràniologic  pathologique.  Dé- 
formations crâniennes  dans  l'art  an- 
tique, 9.  Crâne  d'un  microcéphale 
adulte,  23;  forme  du  —  dans  l'hy- 
drocéphalie, 94;  —  des  microcé- 
phales, 140;  curieuse  mutilation 
crânienne  néolithique,  337;  défor- 
mations crâniennes  dans  l'art  sino- 
japonais,  409. 

Cràniologic  comparée.  Crâne 
du  Pithecanlhropus  erectus,  20. 
31,  40,  216,  658;  —  d'un  chimpanzé 
non  adulto,  26  ;  —  de  bœufs  gnatos, 
519,  658. 

Croix-des-Cnsaques.  Sépulture  néo- 
litbiquo  do  la  — ,  49. 

CROMLECH  do  Martigné-Briand,  388 

Dahomey,  19/,  270;  objets  votifs 
recueillis  dans  les  tombeaux  du  — , 
197  ;  idiomes  du  —,  271. 

Danemark.  Mortalité  du  —,  399. 

Dayaks.  Déformation  artificielle  du 
lobo  de  l'oroille  chez  les  —,  207  ; 
brisure  des  dents  incisives  chez  les 
—,  207. 

DÉFORMATIONS  crâniennes  dans  l'art 
antique,  9  ;  —  dans  l'art  sino-japo- 
nais,  409;  mutilation  crânienno 
néolithique,  357. 

DÉMOGRAPHIE  des  musulmans  en  Al- 
gérie, 703. 

DENTS.  Brisure  dos  incisives  chez  les 
Peunongs  et  les  Dayaks,  207  ;  — 
molaire  du  ï'ilhecanthropus  erec- 
tus, 17,  81,  41  ;  —  artificielles.  Wa, 

DÉPOPULATION  de  la  Franco,  653. 

Distré  (Maino-et-Loiro).  Dolmen  de 
-,  388. 

DIVORCE.  Fréquentchozles  musulmans 
algériens .  703  ;  —  au  Japon,  709. 

DOIGTS.  Malformations  congénitales 
des  —,  540. 

DOLMENS  :  d'Etbiau  (Maine-et-Loire). 
47;  —je  l'Anjou,  74;  animal  gravé 
sur  le  dolmen  de  Locmariaker,  ap- 
polé  la  Table  dos  Marchands,  231; 

—  «  do  la  Justice  »,  à  Epone  (Soine- 
ot-Oiso),  273;  —do  Beauvoau,  Broc, 
Chigné,  Cor/.é,  Distré,  Jarzé,  Rou- 
Marson,  les  Ul mes  (Maine-et-Loire), 
388;  —  du  Grah'  Niol,  à  Arxon 
(Morbihan),  673. 

Dordoqne.    A  tôliers  néolithiques    de 

—  465. 


750 


TABLE  ANALYTIQUE  ET  ALPHABETIQUE 


ÉCHELLE  témoin  pour  les  photogra- 
phies anthropologiques,  53. 

Eichthal  (Adolphe  d').  Mort  do  M.—, 
269. 

ÉCOLE  D'ANTHROPOLOGIE,  dons, 
510;  d'un  surmoulage  du  crâne  de 
Pithecanthropus,  702. 

EMBRYON.  Pathogénie  de  1'—,  514. 

Epone  (Seine-ot-Oiso).  Dolmen  «  de  la 
Justice»  à — ,  273;  description  de 
la  sépulture,  273;  squelettes,  cen- 
dres, 275  :  poterie,  ornements,  276; 
objets  do  pierre,  277  ;  ossemonts,  278. 

ÉPOQUE  DU  BRONZE.  Sépultures  à 
inhumation  de  1' —  au  voisinage  de 
la  Caspienne,  307  ;  kourganes  de 
1'— .  307. 

ÉPOQUE  GAULOISE.  Dénomination  de 
1' —  dite  Beuvraysionno,  728. 

Ercé  (Morbihan),  439. 

Espagne.  Basques  d' —  présontont 
moins  d'homogénéité  que  les  Basques 
do  Franco,  51  ;  indice  céphaliquo 
on  — ,  50,  186,  718;  plusiours  races 
do  dolichocéphales  bruns  on  — ,  187  ; 
Basques  moins  purs  ou  —  qu'on 
Franco,   188. 

ESPÈCE.  Filiation  dos  —,  -166;  dégé- 
nérescence de  1' —  humaine,  426. 

Elhiau  (Maino-ct-Loiro).  Dolmen  d' — , 
47. 

Ethiopiens,  722. 

Européens.  Origine  européenne  des — , 
511. 

EXPOSITION  SOUDANAISE  du  Champ- 
de-Mars,  479. 

EXPRESSIONS.  Étude  des  —,  360  ;  — 
do  l'attention.  369  ;  —  do  la  réflexion, 
373;  —  do  l'agression,  375;  —  du 
désappointement,  377  ;  —  du  mé- 
pris, 378;  —  du  plourer,  380;  — 
duriro,  381,  383. 

Fellahs,  700. 

FEMME  onterrée    à    cheval  dans  un 
kourgane  des  Kirghizes,  323. 

FÉMUR  du  Pithecanthropus  erec- 
tus  ,44,31,  41,  216. 

FÉTICHES  gravés  de  Costa-Rica,  221. 

FIÈVRES.  Influeneo  des  —  sur  la  race, 
4  H. 

Foissac.  Station  moustérienne  do  — , 
666. 

Foulbé  (Voyez  Peuls). 

France.  Raco  néolitique  du  Nord  do 
la — ,  437;  intluonco  dos  milieux 
sur  la  raco,  on  — ,  143;  anthropolo- 
gie du  Sud-Ouost  do  la  — ,  457  ;  — 
Basquos  de  —  plus  purs  quo  coux 
d'Espagne.  51,  488;  mouvomont  de 
la  population    française  en   4893  : 


excès  des  décès  sur  les  naissancos, 
397,  403;  nuptialité,  divorces,  fé- 
condité des  mariages,  400  ;  natalité, 
401,  402;  mortalité,  396,  403;  ex- 
cès dosnaisssances  sur  les  décès,  398, 
406;  faiblo  excédant  des  naissances 
dû  aux  étrangers  immigrés,  396,  406  ; 
dépopulation  do  la  — ,  653. 

Fuégien.  Idiome  — ,  270. 

Galates,  336;  Celtes  ot  —  identiques, 
342;  —  ou  Celtes  orientaux  iden- 
tiques, 342. 

Gallia,  340. 

Gard.  Gisements  moustériens  dans  lo 
—,  663. 

Gaulois,  334,  341. 

GISEMENT  de  Villofrancho,  80;  n'est 
pas  intorglaciairo,  '84;  opinion  con- 
traire, 83.  85  ;  —  moustériens  dans 
le  Gard,  663  ;  —  quaternaires  de  la 
valléo  do  la  Charento,  522. 

GOITRE.  Influence  du  —  sur  la  raco, 
445,  453. 

GRAINES  trouvéos  dans  les  stations 
préhistoriquos,  722. 

GROTTE  du  Mammouth,  près  Cracovio, 
418;  —  du  Mas  d'Azil,  235;  deux 
gisements  do  l'époquo  do  transaction 
dans  la  — ,  239  ;  stratigraphie  do  la  — 
et  indication  dos  silex,  débris  d'os- 
sements, otc,  contenus  dans  los  di- 
verses assises,  239  et  suiv.;  —  des 
Hotoaux  (Ain),  sorait  do  l'époque  du 
ronne,  388,  391  ;  opinion  contraire. 
390  :  squoletto  empâté  d'ocro  rouge 
trouvé  dans  la — ,  389;  modo  d'inhu- 
mation de  ce  squelette,  391,394. 

Guinée.  Taureau  de  — ,  699. 

Hahahs.  Mœurs  dos  — ,  482;  infibu- 
lation,  482,484;  adultèro,  tatouage, 
ornements,  483. 

HABITATIONS  souterrainos  do  l'épo- 
quo mérovingienne  dans  los  départe- 
ments de  l'Indro  et  de  Loir-et-Cher,  8. 

HÉBÉDITÉ  MOBBIDE,  692. 

Hétéens  ou  Cissiens,  542. 

HOMME.  Du  Pithecanthropus  erec- 
tus,  commo  précursour  présumé  do 
1' — ,12;  —  pluralité  animale  dans 
1'—  161. 

Hongrie.  Natalité  de  la  —,  399. 

Horodnica.  Fouilles  faites  dans  —, 
299  ;  —  Kourgano  do  — ,  300. 

HUMÉRUS.  Torsion  de  1'  —,  166. 

HYDROCÉPHALIE.  Formo  du  crâne 
dans  1'  —,  94. 

INDICE  CÉPHALIQUE  des  crânes  do 
l'Espagne,  50,486,718;  —des  Mois, 
201  ;  —  dos  Malabarais,  205. 


TABLE  ANALYTIQUE  ET  ALPHABETIQUE 


"■">  1 


Indo-Chine.  Sauvagos  do  1'  — ,  198. 
Indre.  Habitations  souterraines  dans 
lo  département  do  1'  —,  8. 

INDUSTRIE.  Origine  de  1'  —,  et  carac- 
tères do  la  raco  néolilhiquo  du  Dnies- 
tro  et  du  Dnièpro,  -122;  —  influonco 
des  travaux  industriels  sur  la  race, 
1  io,  et  de  la  sédontarité  industriollo, 
4 ï6 ;  —  paléolithique  et  néolithique 
séparées  par  une  époque  intermé- 
diaire, 236. 

1NFIBULATION  chez  les  Abvssins,  388; 

—  choz  les  Habahs,  482,  481. 
Is-sur-Tille.    Sépulture   do   l'époquo 

marnienne  trouvée  à  La-Combo-Ber- 
nard,  près  d'  — ,  223. 

Italie.  Anthropologio  physique  des  po- 
pulations do  1'  —,  718;  lingots  de 
cuivro  trouvés  en  — ,  326;  natalité 
de  T  —,  399. 

Japon.  Divorce  fréquent  au  — ,  709. 

Keltoï,  333. 

Jarzé  (Mainoot  Loiro).Dolmon  do  —, 
388. 

Java.  Piostos  d'un  squelotto  trouvé 
à  — ,  412  (Voir  l'ithocanlhropus 
oroctus). 

Jura.  Cavornos  du  — ,  473. 

Khà,  200. 

Khàs,  210. 

Khclas,  512. 

KIP.GHIZES.   Kourganos  des  —,  322. 

Kobrynowa.  Kouri;ancs  de — ,  126; 
squelettes,  poteries,  outils  en  os, 
chaînette  on  os  percés  trouvés  à  — , 
127. 

Kotsiubinslsy.  Sépulture  on  forme-  de 
tombeau-caisse  do  — ,  130. 

KOIT.GANES  de  l'àgo  de  la  pierro  en 
Russie,  122,  124,  126;  —  do  Kobry- 
nowa, 126;  —  de  Chorostkowo,  129; 

—  de  l'époquo  du  bronze —  do  Horod- 
nica,300 ,  30î,  313  ;  de  la  Caspienno, 

—  à  catacombes,  —  Scythes,  307, 
320;  —  des  Kirghizes,  322;  femme 
enterrée  à  cheval  dans  un  — ,  323. 

Kymris  ou  Cimmeriens.  Origine  dos 
—,  126. 

La  Tourasse  (Haute-Garonne).  Sta- 
tion do  la  —  ;  intermédiaire  entre  le 
paléolithique  et  lo  néolithique,  321. 

LÉMURIENS.  Plis  cérébraux  des  —, 
133. 

Les  Hoteaux  (Ain).  Mobilior  funéraire 
de  la  torrasso  do  — ,  119;  bâton  do 
commandement  trouvé  aux  — ,  399, 
'/2tt;  squelotto  dos  — ,  121;  silex, 
120. 

Ligures,  313,  330. 


LINGOTS  do  cuivro  découverlson  Italie, 
326. 

LINGUISTIQUE.  Fuégien,270;  idiomos 
du  Dahomey,  271. 

Lithuaniens.  Origint  dos — ,  116. 

Locmariaker.  Dolmen  «.!■•> — ,  231. 

Loir-et-Cher.  Habitations  souterrai- 
nes dans  lo  département  do  — .  8. 

LORIS.  Plis  cérébraux  du  —,  435. 

Mac  Carthy.  Mort  de  M.  —  ,  49. 

Maine-et-Loire.  Mégalithosdc — ,387. 

Malais.  Cheveux,  yeux,  couleur  de  la 
peau,  199. 

Malabarais,  205;  indico  céphalique 
des  —,  203;  taillo,  206,  211. 

MALFORMATIONS  congénitales  multi- 
plos  et  héréditaires  des  doigts  ot  dos 
ortoils,  540;  — congénitales  so  trans- 
mettent par  hérédité,  651. 

MAMMOUTH.  Grolto  du  —,  près  Cra- 
covie,  118;  —  Existonce  du  —  dans 
lo  Sud-Est  do  la  Russio  ot  son  émi- 
gration, 119. 

Mareuil-  Its-Meaux  (Soino-ol-Oiso). 
Vestiges  robenhausions  découverts  à 

—  9/. 
Martigné-Briand.  Cromlech  do  —, 

388. 
Mas-d'Azil.  Grolto  du  —,  235. 
MARIAGE  dos  musulmans  en  Algérie' 

703;  -  peu  féconds,  710. 
MFXALITIIES  du  Maino-ot-Loiro,  387  ; 

—  do  Saint-Martin-des-Champs,  687. 
MENHIRS  de  l'Anjou,  74;  —  d'Artan- 

nor,  Chigné,  Cuon,  Echomeré,  Fiof- 
Sauvîn,  Martigné-Briand,  Montreuil- 
Rellay,  Saint-Martin-d'Arcé,  Terneuil 
(Maine-et-Loire),  388. 

Mercin  (Aisno).  Atolier  néolithique  do 
-,  7i?. 

MICROCEPHALES,  140.  Enfant —,227  ; 

—  cause  do  sa  monstruosité,  230. 
MILIEU.  Influence  dos  —  sur  la  raco, 

•1 43  ;  —  influenco  du  —  sur  la  taillo, 

113,  147,  loi. 
MISÈRE.  Influenco  do  la  —sur  la  race, 

113.  14Ï. 
MIROIRS  en  bronze  on  Ukraine  et  au 

Caucaso,  307. 
MOEURS  des  Habahs,  482. 
Mois,  200.  Taillo  dos  —,  201  :  iiulico 

céphaliquo  des  —  201  ;  cheveux,  202  ; 

crànos,  201,  210;  peau,  210. 
MONSTRES.  Sur  les  —,  511. 

MORTALITÉ  do  la  Franco,  396;  —du 
Danemark,  399  ;  —  do  la  Sùcdo,  do  la 
Nonvègo,  100. 

MUSCLES.  Mololés  détermines  par 
l'expansion  aponévrotiquo  du   mus- 


752 


TABLE  ANALYTIQUE  ET  ALPHABÉTIQUE 


cle  bicops  brachial,  212;  —  grand 
droit  de  l'abdomen,  522. 

Musulmans  en  Algérie.  Statistique, 
702;  mariage,  divorce,  nuptialité, 
excédant  des  naissances  sur  les  dé- 
cès, 703  ;  fréquence  du  divorce,  709  ; 
infécondité  du  mariage,  710. 

MUTILATION  crânienne  sur  dos  crânes 
du  dolmen  d'Epono,  29i;  —  néoli- 
thique, 357  ;  —  crânienne  néolithi- 
que 337. 

Myszkow .  Sépulture  de  l'âge  du  bronze 
à  —,  303. 

NATALITÉ  do  la  Franco,  396;  —  de 
la  Suisso,  de  la  Suèdo,  de  la  Belgi- 
que do  l'Italie,  do  l'Allemagne,  de 
la  Saxe,  du  Wurtemberg,  de  l'Autri- 
che, do  la  Hongrie,  do  l'Angleterre, 
de  la  Russio,  399. 

NÈGRE.  Peau  de  nègre  moins  pigmen- 
tée à  la  naissanoe.  691  ;  —  relative- 
ment blonds  dans  la  région  du  Congo, 
724. 

NÉGRILLES,  722. 

NÉGRITOS.  Cheveux,  taille,  syslèmo 
musculaire,  crâne,  199 

NOEVUS.  Observation  de  —  généralisé, 
118. 

Normandie.  Superstitions  médicales 
en  —,  476;   rebouteurs  on  — ,  477. 

Nnrwège.   Mortalité  de   la  — ,  400. 

Noureau-né.  Couleur  do  la  peau  et 
du  cheveu  du  —,  687. 

Nouvelle-Calédonie.  Pierres  gravéos 
do  la  — ,  63  ;  caverne  Pa-Oro,  63  ; 
l'introduction  do  la  roterie  en  — 
n'est  pas  récente,  7  2. 

OBJETS  en  bronze  trouvés  dans  une 
sépulturo  ancienne  de  l'époquo  mar- 
monne, à  Is-sur-Tille,  224;  —  on 
silex  trouvés  dans  les  kourganes  do 
la  Russie,  124:  —  en  silex  trouvés 
dans  les  sépultures  do  Horodnica, 
2. '9. 

OBJETS  VOTIFS  trouvés  dans  los  tom- 
beaux du  Dahomey,  197. 

OREILLE.  Déformafion  artificielle  du 
lobe  de  1' —  chez  les  Peunongs  et  les 
Davaks,  207. 

ORNEMENTS  d'ambre  chez  lesRomains 
35S:  —  chez  les  Hababs,  483. 

ORTEILS.  Malformations  dos  —,  540. 

OUTILS  en  os  trouvés  dans  les  kour- 
ganes de  Kobrynowa,  127;  —  on 
silex  trouvés  à  Mareuil-les-Meaux 
(Seine-et-Oise),  98;  —  près  d'Ouzi- 
dan  (Algérip),  87. 

Ouzidan  (Algérie).  Recherches  paléo- 
olhnologiques  dans  les  cavernes  d' — , 
89. 


Pa-Oro  (Nouvello-Calédoniej,  63. 

PEAU  du  nouveau-né,  687  ;  —  des 
Malais,  199;  —  des  Mois,  210;  — 
du  nègre  moins  pigmentéo  à  la  nais- 
sance, 691. 

PENTADACTYLIE  chez  un  Suidé,  116. 

Peuls.  Origine  dos  —,  700,  701. 

Peunrmgs,  200;  crânes—,  207;  dé- 
formation artificielle  dn  lobo  do 
l'oreillo  chez  los  — ,  207  ;  ebovoux 
des  — ,  207;  brisure  des  donts  inci- 
sives à  l'époquo  do  la  puberté,  207. 

PHOTOGRAPHIES  anthropologiques, 
11  ;  échelle  témoin  pour  les  — ,  53. 

PHYSIONOMIE.  Expressions  do  la—, 
360. 

PIERRES  gravées  do  la  Nouvelle-Calé- 
donie, 63. 

PITIIECANTHROPUS  ERECTUS.  Du 
—  comme  précurseur  présumé  do 
l'homme,  12,  216,  553;  fémur  du 
— ,  H;  dent  molaire  du  — ,  17,  31, 
41;  visière  frontale  du  — ,  586; 
largeur  frontale,  583;  crête  métopi- 
quo,  590;  Bregma,  opislhion  et  faa- 
sion,  601  ;  méat  auditif,  602;  anglos 
auriculaires,  604;  rayons  auriculai- 
res, 60S;  moulages  du  cràno  et  des 
donts  du — ,  658;  — représente  uno 
ospèco  précurseur  et  ancestralo  de 
l'ospcco    humaine,  658. 

Ploix  (Cil.).  Mort  de  M.  —,  18 i. 

POTERIE.  L'introduction  do  la  —  en 
Nouvellc-C  .lédonie  n'est  pas  récente, 
72;  —  trouvées  à  Mareuil-les-Meaux 
(Seino-et-Oisc),  98:  —  trouvées  dans 
los  kourganes  do  la  Russio,  124,  127 
et  suite;  —  faitos  au  tour  en  Gaule, 
avant  la  conquête,  225;  — dos  sépul- 
tures de  Horodnica,  299;  —  do  1  épo- 
que méroving  enno  trouvées  dans  uno 
ancienne  sépulturo  à  Paris,  328;  — 
de  Bouvray,  729;  —  crue  ot  origino 
du  tour,  734. 

Pouls  (Voyez  Pouls). 

POLYZOISME,  161. 

PRIX  C.ODARD.Rapportsur  le  concours 
de  1895,  717. 

PROSOPOMETRIE,  108. 

PROTOTYPE  HUMAIN,  107. 

RAGE.  Influence  dos  milieux  sur  la  — , 
143;  misèro,  443;  stérilité  du  sol, 
altitude,  fièvres,  goitre,  115.  153; 
efforts  exagérés,  travaux  industriels. 
1 15,  I  46;  sédentarités  industrielle  et 
scolaire,  146;  habitat  urbain,  HT; 
attitude  de  repos  dans  los  —  humai- 
nes, 195. 

BEBOUTEURS  on  Normandie,  477. 


TABLE  ANALYTIQUE  ET  ALPHABÉTIQUE 


733 


REPOS.  Altitudes  do  —  dans  les  races 
humaines,  495. 

Romains.  Amulottes  et  ornements 
d'ambre  chez  les  — ,  355. 

Iiolennons  ou  Lodannons,  512. 

Rou  Marson  (Maino-ot-Loiro).  Dol- 
men de  —,  388. 

Russie.  De  la  —  quatornairo,  -116; 
existence  du  mammouth  dans  le  Sud- 
Est  do  la  — ,  -119;  kourganes  de  l'âge 
de  la  pierre  en  —,  422,  124,  -127  ; 
origine  de  l'industrie  et  caractères 
de  la  race  néolithiquo  du  Dniestre  et 
du  Dnièpre,  122;  natalité  de  la  —, 
399. 

Rutimeyer.  Mort  do  M.  —,  723. 

Sabangas,  70 1. 

Saint-Martin- des-Champs  (Yonne). 
Monument  mégalithique  do  — .  6S7. 

Salazac.  Station  moustérienne  de — , 
66  4. 

Saporla  (G.  de).  Mort  de  M.  —,  104. 

SAUVAGES  do  l'Indo-Chino.  Carac- 
tères et  origines,   198. 

Saxe.  Natalité  de  la  —,  399. 

Savoie.  Augmentation  do  la  laillo  on 
— ,  451  ;  causes  de  cetto  augmenta- 
tion, 152,  153,  455;  causos  do  la 
diminution,  153. 

Schelas,  512. 

Scythes.  Sont  des  autochtones  blonds 
d'Europe,  512;  kourganes  — ,  307, 
320. 

SÉDENTAR1TÉ  scolaire.  Influoncc  do 
la  —  sur  la  raco,  1  40. 

SÉPULTURES  néolithiques  de  la  Croix- 
dos  Cosaques,  M  9  ;  —  fou  tombeaux- 
caisses)  do  Kotsiubintb.y,  de  Uwisla 
sont  dos  tombeaux  sans  tumulus, 
430;  do  Nowy-Dwor,  133. 

SÉPULTURES  à  incinération  doWasyl- 
kowee,  302;  —  do  l'âge  du  bronzo  à 
Mysko\v,309,  —  do  l'époquedu  renno 
dans  la  grotte  des  Holeaux(Ain),388; 

—  à  inhumation  do  l'époque  du  bronzo 
au  voisinage  de  la  Caspienne,  307  ; 

—  dans  l'assise  à  galets  coloriés  du 
Mas-d'Azil,  485;  —  néolithiquo  de 
Châlons-sur- Marne,  724;  —  dito  gau- 
loise do  l'époque  marnionno  sur  Mor- 
cin,  726. 

SIGNES  gravés  sur  lo  dolmon  d'Ethiau 
(Maino-ot-Loiro),   il. 

SILEX  taillés-deViïlefranche-sur-Saône, 
60;  -  taillés  des  tufs  do  la  Collo- 
sous-Mdrot  (Seine-ot-Marne),  520;  — 
do  la  terrasse  dos  lloloaux  (Ain),  420. 

Skwiski.  Kourganes  du  district  do — , 
320. 


SOCIÉTÉ  D'ANTHROPOLOGIE  DE 
PARIS  :  statuts, l;  Règlement,  V  ; 
Prix  décernés  par  la  Société  : 
dispositions  réglementaires  commu- 
nes à  tous  les  prix,  XV  ;  prix  Godard, 
XV  ;  prix  Rroca,  XVI  ;  prix  Rertillon, 
XVI;  prix  Fauvelle,  liste  générale 
des  présidents  de  la  Société,  XVII; 
secrétaire  général  de  1859  à  1889, 
XVII;  bureau  de  1895,  XVIII;  instal- 
lation du  bureau,  1,  comité  central, 
XVIII  ;  anciens  présidents,  XIX  ;  com- 
mission do  publication,  XIX;  comité 
contentieux,  XIX;  liste  des  membres 
de  la  Société,  XXI;  sociétés  savantes 
et  recueils  scientifiques  avec  lesquels 
la  Société  éehango  ses  publications. 
XL. 

Cartes  de  missions  remises  à  MM. 
Rousroz,    73;   Ch.   Bonn,    142;    do 
,  Brotto,  321. 

Elections  de  MM.  Despréaux,  7  ;  0. 
Schmidt,  53;  A.  Jones,  105;  Mars- 
hall H.  Saville,  duc  do  Loubat.  i81 
Albert  Colas,  Paul  Sérieux,  657  :  P. 
Haan,  P.  Lafontan,  Th.  Volkov,  698, 
comme  titulaires;  —  LaJayantz,  7; 
Diego  Ripocho  y  Torrens,  520,  commo 
correspondants  étrangers;  —  Thom- 
son, 7;  E.  Dubois,  659,  comme  as- 
,  sociés  étrangers. 

Election  du  bureau  ot  de  la  com- 
mission do  publication  pour  1896, 
698. 

Rapport  annuel  sur  les  finances,  75: 
—  rapport  do  la  commission  du  mu- 
sée et  do  la  bibliothèque  190;  —  do 
la  commission  les  finances,  226  ;  — 
rapport  sur  lo  concours  du  prix  Go- 
dard on  1895,  717. 

Dons  d'un   moulago  d'un   eroupo   do 


signes  gravés  sur  le  dolmen  d'Ethiau 
et  de   dessins  (Maine-ot-Loire),  47  ; 

—  d'ossements  gaulois  ot  ossements 
provenant  do  la  sépulturo  néolithiquo 
do  la  Croix-dos-Cosaques,  49;  —  do 
dessins  de  pierres  gravées  do  la  Nou- 
velle-Calédonie, 63;  —  d'uno  serin 
de  photograhies  des  dolmens  ot  men- 
hirs de  l'Anjou,  7  4;  —  d'un  crâno 
trouvé  dans  une  sablière  près'  Vichy, 
405:  —  do  statues  rappelant  l'art  grec, 
273;  —  d'ossements  gallo-romains, 
321;  —  do  photographies  do  méga- 
lithes de  Maine-et-Loiro,  387;  — do 
photographies,  482;  — de  deux  crâ- 
nes do  bœufs  giatos,  819;  —  do  pho- 
tographies du  menhir  de  Clamart,  131; 

—  do  photographies  d'un  orang-ou- 
tang, Î34;  —  moulages  du  crâne  et 


—  -      , 


TABLE  ANALYTIQUE  ET  ALI'HABÉTlgUE 


dos  deux  dents  du  Pithecanthropus, 
658;  —  do  quatre  photographies  du 
dolmen  do  Grah'NioI  (Morbihan),  do 
photographies  do  trois  microcéphalos, 
de  deux  photographies  de  types  nor- 
mands, 724. 

Nécrologie  :  MM.  O.Mac  Carthy,49; 
M.  G.  de  Saporta,  104;  E.  Besson, 
Ch.  Ploix,184;  Adolphe  d'Eichlhal, 
269;  Karl  V0gt,  321  ;  Rutimever,  723. 

SOCIOLOGIE.  Importance  de  La—,  685. 

SOL.  Influence  do  la  stérilité  du  —  sur 
la  race,  144. 

SOMMEIL.  Théorie  du  —,  413. 

Soudaniens,  701. 

STATION  des  Hoteaux,  149,  388. 

Suède.  Natalité  de  la  —,  399;  morta- 
lité de  la—,  400. 

SUIDÉS.  Pentadactyliochezun— ,  117, 
Suisse.  Natalité  de  la  —,  399. 

SUPERSTITIONS  médicales  normandes, 

476. 
SYPHILIS  chez  uno  femme  d'Abyssinie, 

484. 

SYSTÈME  MUSCULAIRE  des  Alfourous, 

199;  —dos  Négritos,  199. 
TAILLE.  Influence  des  milieux  sur  la 
— ,  et  relations  avec  la  race,  143,  1  VI, 
151;  — plus  élevée  dans  los  pays  de 
montagnes,  144,  148;  augmentation 
do  la  —  en  Savoie,  151  ;  —  causes  do 
cotte  augmentation,  152,  153,  155; 
causes  de  la  diminution,  155;  sur  la 

—  en  Bosnie,  99;  —  des  Alfourous, 
dos  Négritos,  199;  —des  Mois,  201  ; 

—  des  Todas,  21 1  ;  —  de  la  popula- 
tion des  Reihengneber  do  la  Bavière 
méridionale,  495  ;  —  des  Malabarais, 
206,  211;  -  dos  habitants  du  Va- 
lais, 489. 


TAUREAU  do  Guinéo,  699. 
TATOUAGE  chez  les  Habahs,  483. 
Tectosages,  341. 
TERRAMARE  de  Castellazzo  do  Fon- 

tanellato,  336. 
TERRASSE  inférieure  de  Villofranche- 

sur-Saône,  industrie  et   fauno,    57; 

—  silex  taillés  de  la — ,  60. 
TÊTE.  Prototype  de  la  —,  108. 
Tilloux.  Gisement  de  —,  522. 
Todao.  Taille  des  -,  211. 
TOMBEAUX-Caissesdu  Caucase,  132; 

objets  votifs  trouvés  dans  los  —  du 

Dahomey,  197. 
TRADITIONS  populaires  do  l'Arménie, 

500. 
TRÉPAN.  Opération  du  —,  697. 
TRANSFORMISME.  Doctrine  —,  361. 
Tsiarns,  199. 
Tourans,  161. 
Ulmes  (Maino-et-Loire).   Dolmen  des 

—,  388. 
l'uisla.  Sépulturo  do  —,  130. 
Valais.   Anthropologie  du  —,    486  ; 

crâne,  taille,  489. 
Vienne.  Anthropologie  de  la  — ,  720. 
Ville  franche  -  sur- Saône.  Terrasse 

inférieure  de  —,  industrie  et  faune. 

57;  silex  taillés  do — ,  60. 
Villes.  Influence   de   l'habitat  urbain 

sur  la  race,  147. 
Vogt  (Cari).  Mort  do  M.  —,  323. 
Votks  ou  Belges,  341. 
Wasylkowce.  Sépultures  à  incinéra- 
tion de  — ,  302. 
Wurtemberg.  Natalité  du  —,  399. 
Wysocko.    Sépulture     do    l'àgo    du 

bronze  do  — ,  309. 
YEUX,  dos  Malais,  199. 
ZAWADNIEC.  Kourgane  fouillé  à —,  et 

objets  qu'il  contenait,  128. 


lieongcncy    —  [mp.  Laffray 


GN 
2 

t. 6 


Société  d'anthropologie 
de  Paris 

Bulletins  et  mémoires 


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