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DE LA SOCIÉTÉ
D'ANTHROPOLOGIE
DE PARIS
BEAUGEXCY. — IMP. T. LAFFEAY.
BULLETINS er
DR LA/ SOCIÉTÉ
D'ANTHROPOLOGIE
DE PARIS
TOME SIXIÈME (IVe SÉRIE)
ANNÉE 1895
PARIS
MASS.ON & Ci0, ÉDITEURS
Libraires île l'Académie de Médecine
BOULEVARD SAINT-GERMAIN. 12<>
1893
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SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE
DE PARIS
(fondée en 1859, reconnue d'utilité publique en 1864)
15, rue de l'École de médecine, 15
STATUTS
TITRE PREMIER. — but et organisation de la société.
Article leP. — La Société d'anthropologie de Paris a pour
but l'étude scientifique des races humaines.
Art. 2. — Elle se compose, en nombre illimité, de membres
titulaires, de membres honoraires, de membres associés étran-
gers et de correspondants.
Art. 3. — Tous les membres et correspondants de la Société
sont nommés par voie d'élection, sur la proposition de trois
membres, sauf l'exception indiquée à l'article 11.
Art. 4. — Un Comité central de trente membres, se recrutant
lui-même par voie d'élection parmi les membres titulaires, est
chargé de veiller aux intérêts matériels, moraux et scientifiques
delà Société. Les membres du Comité central peuvent seuls voter
sur les modifications des statuts et règlement. Les membres du
Bureau et de la Commission de publication ne peuvent être choisis
que parmi les membres du Comité central.
Art. 5 *. — Le Bureau, élu par la Société en séance publique
i Modifié conformément au décret du 2 octobre 1807.
tl STATUTS
se compose d'un président, de deux vice-présidents, d'un secré-
taire général, d'un secrétaire général adjoint, de deux secré-
taires annuels, d'un archiviste, d'un trésorier et d'un conserva-
teur des collections. La Commission de publication se compose
de trois membres. Tous ces fonctionnaires sont élus pour un an,
à l'exception du secrétaire général, dont les fonctions sont
triennales. Tous sont inéligibles, à l'exception du président,
qui ne peut être réélu qu'après une année d'intervalle.
Art. 6. — La Société est représentée par le Bureau.
TITRE IL — CANDIDATURES ET NOMINATIONS.
Art. 7. —Les titres de membre titulaire et de correspondant
national ne peuvent être conférés qu'aux personnes qui ont fait
acte de candidature. Les membres honoraires, les associés et
correspondants étrangers peuvent être nommés directement par
la Société.
Art. 8. — Les conditions à remplir pour devenir membre
titulaire ou pour obtenir le titre de correspondant national
sont: 1° d'être présenté par trois membres qui inscrivent leur
proposition sur le grand registre et y apposent leur signature ;
2° d'adresser au président une demande écrite; 3° d'obtenir au
scrutin secret la majorité des suffrages des membres présents.
Ce scrutin a lieu dans la séance qui suit l'inscription de la can-
didature.
Art. 9. — Les associés étrangers et les correspondants
étrangers sont nommés individuellement et au scrutin secret, à
la demande de trois membres qui inscrivent leur proposition
sur le grand registre et y apposent leur signature. Le scrutin a
lieu à la majorité absolue des membres présents, dans la séance
qui suit l'inscription de la candidature.
Art. 10. — Tout membre ayant rempli pendant cinq ans au
moins les fonctions de membre du Comité central (ou de membre
titulaire antérieurement à la création du Comité central), et
ayant fait partie de la Société pendant dix ans au moins en
qualité de membre titulaire (ou de membre associé national
antérieurement à la création du Comité central), pourra, sur sa
demande, être élu membre honoraire en séance publique, à la
majorité absolue des membres présents. 11 cessera dès lors d'être
soumis à la cotisation, en continuant à jouir de tous les droits
STATUTS ÎI1
des membres titulaires et à recevoir gratuitement toutes les
publications de la Société.
Art. 11. — La société, sur la proposition de cinq membres,
confère directement le titre de membre honoraire à des savants
pris hors de son sein, et ayant rendu des services éminentsà la
science. Les présentateurs inscrivent leur proposition sur le grand
registre et y apposent leur signature. L'élection a lieu à la ma-
jorité absolue des membres présents, dans la séance qui suit
l'inscription de la candidature.
TITRE III. — ADMINISTRATION.
Art. 12. — Les ressources de la Société se composent :
1° Du revenu des biens et valeurs de toute nature appartenant
à la Société;
2° Du droit d'admisison pour les membres titulaires et poul-
ies correspondants nationaux. Ce droit est fixé à 20 fr. ;
3* De la cotisation payée par tous les membres titulaires, rési-
dants au non résidants. Le montant en est fixé par la Société,
suivant ses besoins ;
4° Des amendes encourues, suivant qu'il sera statué par le
reniement;
5° Du produit des publications;
0° Des dons et legs que la Société est autorisée à recevoir ;
7° Des subventions qui peuvent lui être accordées par l'État.
Art. 13. — Les fonds libres sont placés en rentes sur l'État.
Art. 14. — Les délibérations du Comité central relatives à
des aliénations, acquisitions ou échanges d'immeubles et à
l'acceptation de dons ou legs, sont subordonnées à l'approbation
du gouvernement. Elles ne peuvent être prises qu'après une
convocation spéciale, et à la majorité des deux tiers des membres
du Comité qui assistent à la séance.
Art. 15. — Les livres, brochures, cartes, crânes, plâtres,
pièces d'anatomie, objets d'art et d'industrie, dessins, photogra-
phies, etc., qui composent les collections de la Société ne peuvent
en aucun cas être vendus ; mais la Société pourra compléter son
musée par voie d'échanges. Ces échanges ne pourront porter que
sur des objets possédés à plusieurs exemplaires. Ils ne pourront
avoir lieu qu'entre le musée de la Société et d'autres musées
d'une importance reconnue, et ils devront toujours être indiqués
sur le catalogue.
IV STATUTS
TITRE IV. — dispositions générales.
Art. 16. — La Société s'interdit toute discussion étrangère
au but de son institution.
Art. 17. — Un règlement particulier, soumis à l'approbation
du ministre de l'instruction publique, détermine les conditions
d'administration intérieure, et en général toutes les dispositions
de détail propres à assurer l'exécution des statuts.
Art. 18 — Nul changement ne peut être apporté aux statuts
qu'avec l'approbation du gouvernement.
Art. 19. — En cas de dissolution, il sera statué par la Société,
convoquée extraordinairement, sur l'emploi des biens, fonds,
livres, etc., appartenant à la Société; toutes les pièces du musée
deviendront de droit la propriété du Muséum d'histoire naturelle,
à moins que la Société n'en dispose, par un vote régulier, en
faveur d'un autre établissement public ou d'une société reconnue
par l'État. — Dans cette circonstance, la Société devra toujours
respecter les clauses stipulées par les donateurs en prévision du
cas de dissolution.
^t~s=s*s=m-
REGLEMENT
DE
LA SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE
REVISÉ EN 1893
TITRE PREMIER. — des séances publiques.
Article 1er. _ Les séances publiques ont lieu le premier et le
troisième jeudi de chaque mois, de trois à cinq heures de l'après-
midi. Il pourra être tenu des séances extraordinaires sur la
proposition du Bureau et par décision de la Société.
Art. 2. — La périodicité des séances pourra être changée par
une simple décision de la Société, à la majorité absolue des
membres présents, pourvu que la Société en ait été prévenue une
séance à l'avance par son président et que tous les membres
aient en outre été convoqués à domicile.
Art. 3. — La Société prend chaque année deux mois de va-
cances, en août et septembre.
TITRE II. — fonctions du bureau.
Art. 4. — Le président dirige les séances, proclame les déci-
sions de la Société et les noms des membres élus et nomme,
après avoir pris l'avis du Bureau, les commissions chargées des
rapports et des travaux scientifiques.
Art. 5. — En l'absence du président et des vices présidents,
le plus ancien membre préside la séance.
Art. 6. — Le secrétaire général, élu pour trois ans et rééligi-
ble, reçoit, dépouille et rédige la correspondance. Il prépare
l'ordre du jour des séance de concert avec le président-. Il a la
parole immédiatement après l'adoption du procès-verbal, pour
communiquer à la Société les pièces de la correspondance. Il
est chargé de la publication des Bulletins et Mémoires sous la
direction du Comité de publication, avec le concours des secré-
taires annuels. Il est adjoint de droit à la Commission de pu-
blication et tous les travaux destinés à cette Commission sont
d'abord déposés entre ses mains. 11 est suppléé dans ces diffé-
rentes fonctions par le secrétaire général adjoint.
VI REGLEMENT
Art. 7. — Les secrétaires sont chargés delà rédaction des pro-
oès-verbaux. Pour concourir à cette rédaction des procès-ver-
baux, la Société pourra élire, en dehors du Comité central, deux
secrétaires adjoints pris parmi les membresqui, étant titulaires
pendant plus d'une année, ont fait à la Société une communi-
cation scientifique.
Art. 8. — L'archiviste est chargé de la conservation des ma-
nuscrits, des dessins, des livres et gravures, des paquets cache-
tés, des lettres adressées à la Société. 11 date et parafe toutes
ces pièces le jour de leur réception. Les pièces anatomiques, les
moules et tous les objets offerts à la Société ou acquis par elle
sont mis sous la garde du conservateur des collections. Tous
deux dressent un catalogue et un inventaire des objets de tout
genre qui leur ont été confiés et en rendent compte tous les ans
à une commission spéciale.
Art. 9. — Le trésorier reçoit le montant des cotisations et
des droits d'admission, tient toutes les écritures relatives à la
comptabilité, signe, de concert avec le président, les baux et les
bordereaux de dépenses, solde les frais de publication, touche
chez les libraires le produit de la vente des Bulletins et Mémoi-
res et rend chaque année compte de sa gestion à une commis-
sion spéciale.
TITlîE III. — DU COMITÉ CENTRAL.
Art. 10. — Les questions administratives, personnelles, ré-
glementaires et en général toutes les questions qui ne sont pas
purement scientifiques, exception faite de celles qui sont men-
tionnées dans les articles 32, 33 et 73, sont examinées et réso-
lues dans les séances du Comité central.
Art. 11. — Les réunions du Comité ne sont pas publiques, et
n'ont jamais lieu le même jour que les séances de la Société.
Elles sont annoncées huit jours à l'avance par le président, en
séance publique. Les membres du Comité sont en outre avertis
à domicile. Tous les membres de la Société ont le droit d'assis-
ter à ces réunions.
Art. 12. — Les membres du Comité central qui, sans justi-
fier de leur absence, manqueront à quatre séances consécutives
du Comité seront considérés comme ne faisant plus partie du
Comité. Cette disposition ne concerne pas les anciens présidents
de la Société.
Art. 13. — Dans ces réunions, tous les membres de la Société
indistinctement ont toujours voix consultative. Les membres
du Comité seuls ont voix délibérative.
A.RT. 14. — Le bureau du Comité est le même que celui delà
Société. Toutefois le Comité pourra, à la demande des secré-
RÈGLEMENT VII
taires, charger un de ses membres de diriger les procès-ver-
baux de ses séances.
Aux. 15. — Les procès-verbaux des séances du Comité, n'é-
tant pas destinés à être publiés, sont transcrits par les soins du
secrétaire sur un registre spécial qui reste toujours déposé dans
les archives.
Art. 16. — Les séances du Comité ont lieu régulièrement :
1° en janvier, dans la quinzaine qui suit laséance d'installation
du Bureau; 2° dans la première quinzaine d'avril; 3« dans la
première quinzaine de juillet; 4° dans la première quinzaine de
novembre.
Art. 17. — Le Bureau a en outre le droit de provoquer une
réunion du Comité toutes les fois qu'il le juge nécessaire.
Art. 18. — Lorsqu'une ou plusieurs places sont vacantes dans
le sein du Comité, le Comité nomme une commission de cinq
membres chargée de lui présenter une liste de candidats. Les
personnes portées sur cette liste devront appartenir à la
Société depuis au moins un an en qualité^de membres titulaires.
Art. 19. — La présentation de cette liste doit être motivée par
un rapport écrit qui est lu et discuté séance tenante. Le vote
suit immédiatement la discussion, et l'élection a lieu à la ma-
jorité absolue des membres qui y prennent part. Mais elle
n'est valable que lorsque le candidat élu obtient au moins douze
voix.
Art. 20. — Le Comité peut élire plusieurs membres dans la
même séance et à la suite du même rapport. Ces élections, qui
ont lieu par scrutins successifs et individuels ne peuvent dépas-
ser le nombre de trois dans la même séance.
Art. 21. — Le Comité central nomme chaque année unecom-
mission permanente de cinq membres, qui est chargée d'exami-
ner les candidatures au titre de correspondant étranger ou d'as-
socié étranger. Avant d'inscrire une de ces candidatures sur le
grand registre, les présentateurs doivent soumettre à cette com-
mission les titres anthropologiques ou autres de leur candidat.
Le jour de l'élection, le président de la commission annonce,
avant le scrutin, que la candidature est présentée avec ou sans
L'appui de la commission (avril 1880).
Art. 22. — Celte commission est chargée en outre d'étudier
la liste des membres étrangers au point de vue des changements
d'adresse, des vacances par décès ou par démission, et de -
lacunes à combler suivant les besoins de la Société (avril 1880).
Art. 23. — Les résultats des séances du Comité sont annon-
cés parle président dans la plus prochaine séance de la Société
soit publiquement, soit en comité secret et sont consignés, s'il
y alieu, dansles Bulletins. Cette communicat ion ne peut.doaner
lieu à aucune discussion.
VIII RÈGLEMENT
TITRE IV. — RECETTES ET DÉPENSES.
Art. 24. — Le droit d'admission est fixé à 20 francs pour les
membres titulaires et pour les correspondants nationaux. Les
membres honoraires, les associés étrangers etles correspondants
étrangers sont admis gratuitement.
Art. 25. - Les membres titulaires fournissent chaque année
une cotisation de 30 francs, qui peut être rachetée par le
versement d'une somme de 3U0 francs dont le payement pourra
être effectué en trois annuités consécutives de 100 francs. Ils
reçoivent gratuitement un exemplaire de toutes'les publications
de la Société. Les membres nouvellement élus ont droit aux
fascicules déjà publiés des Bulletins de l'année et du volume
de Mémoires en cours de publication.
Art. 26. — Le recouvrement des cotisations des membres ti-
tulaires qui ne résident pas dans le département delà Seine s'ef-
fectue à domicile aux frais de la Société. Toutefois les membres
qui résident hors de France doivent désigner à Paris une per-
sonne chargée de verser leur cotisation.
Art. 27. — Tout membre qui aura laissé écouler une année
sans acquitter le montant de ses cotisations, sera averti une
première fois parle trésorier, une seconde fois par le président ;
si ces avertissements sont sans effet, il sera considéré comme
démissionnaire et perdra ses droits à la propriété des objets
appartenant à la Société.
Art. 28. — Les membres honoraires élus directement, les
membres associés étrangers et les correspondants, n'étant sou-
mis à aucune cotisation, n'ont aucun droit à la propriété des
objets appartenant à la Société.
Art. £9. — Les recettes provenant de la vente des publica-
tions de la Société seront encaissées par le trésorier aux échéan-
ces convenues avec les libraires chargés de la vente.
Art. 30. — Les frais de locations, de bureau et d'administra-
tion seront réglés par le Bureau et acquittés par le trésorier, sur
le visa du président.
Art. 31. — Les frais de publication sont réglés par la com-
mission de publication; ils sont acquittés par le trésorier, sur
le visa du président.
Art. 32. — Le trésorier présente ses comptes dans la première
séance de février. Une commission, composée de trois membres
tirés au sort, fait un rapport écrit sur ces comptes dans l'une
des trois séances suivantes, en comité secret. La Sociélé vote sur
le rapport et le président, s'il y a lieu, donne ensuite décharge
au trésorier.
Art. 33. — Dans la première séance de février, une commis-
RÈGLEMENT IX
de trois membres lires au sort est chargée d'examiner le cata-
logue de tous les objets dont l'archiviste et le conservateur des
collections sont dépositaires. Cette commission fait son rapport
dans l'une des séances suivantes.
TITRE V. — PUBLICATIONS.
Art. 34. — La Société publie des Bulletins et Mémoires ori-
ginaux.
Art. 35. — Tous les mémoires manuscrits lus ou communi-
qués à la Société, tous les rapports scientifiques et généralement
tous les travaux qui ne figurent pas dans lesprocès-verbaux des
séances sont remis à la Commission de publication.
Art 36. — Les Bulletins sont publiés par le secrétaire gé-
néral, sous la direction du Comité de publication, avec le con-
cours des secrétaires annuels, et se composent : 1° des procès-
verbaux des séances; 2" des travaux renvoyés aux Bulletins par
la Commission de publication pour y paraître textuellement, ou
en extraits, ou en analyses.
Art. 37. — La Commission de publication se compose de trois
membres élus chaoue année au scrutin de liste et à la majorité
absolue des votants. Ils sont rééligibles et peuvent faire partie
du Bureau. Le secrétaire général est adjoint de droit à cette com-
mission.
Art. 40. — Cette commission dirige la publication des Bulle-
tins et des Mémoires de la Société. Ses droits sont absolus et
ses décisions sans appel. Elle décide, ajourne ou refuse l'im-
pression des travaux qui lui sont renvoyés et détermine l'ordre
de leur publication ; elle s'entend avec les auteurs pour les
modifications, les coupures et les suppressions qui lui paraissent
opportunes, ou pour la rédaction des extraits qu'elle juge utile
de publier à la place des mémoires primitifs.
Art. 39.— Les frais de gravure ou de lithograpbie et généra-
lement tous les frais de composition supplémentaire qui ne se-
ront pas compris dans les conventions passées avec le libraire
sont supportes par les auteurs, à moins que la Société, sur la
proposition de la Commission de publication et sur l'avis du
trésorier, ne décide qu'elle prend ces faits à sa charge.
Art. 40. — Tous les travaux inédits lus ou adressés à la
Société deviennent sa propriété et ceux qui ne sont pas publiés
textuellement sont déposés aux archives avec les formes officiel-
les destinées à en déterminer exactement la date Ceux qui
émanent de personnes étrangères à la Société ne peuvent, en
aucun cas, être repris par les auteurs. Ceux-ci, toutefois, ont Le
droit d'en faire prendre copie aux archives. Les planches, des-
X REGLEMENT.
siiis, pièces anatomiques ou moules peuvent toujours être repris
par ceux qui les ont présentés; mais la Société se réserve le
droit d'en conserver la copie, la photographie ou la reproduc-
tion par tout autre procédé, à la condition de ne point les dété-
riorer.
Art. il. — Tout manuscrit émanant d'un membre de la So-
ciété, qui ne serait pas publié dans le délai d'un an, ou dont il
n'aurait été publié qu'un extrait, ou qui serait déposé aux archi-
ves, sera remis à l'auteur sur sa demande.
Art. 42. — Les auteurs des travaux publiés dans les Bulle-
lins et Mémoires reçoivent gratuitement, sur leur demande,
vingt-cinq exemplaires d'un tirage à part sans remaniement;
ils ont le droit de faire faire à leurs frais un tirage à part supplé-
mentaire.
TITRE VI. — COMMISSIONS ET rapports SCIENTIFIQUES".
Art. 4-3. — Tout travail inédit présenté par une personne
étrangère à la Société est renvoyé à une commission de trois
membres désignés par le président, sur l'avis du Bureau. La
commission pourra, suivant l'importance du travail, faire un
rapport verbal ou écrit; mais toutes les fois qu'elle présentera
des conclusions soumises au vote de la Société, il faudra que le
rapport soit écrit et signé des commissaires.
Art. 44. — "Quoique les commissions ordinaires ne se com-
posent que de trois membres, on peut, si on le juge utile, ad-
joindre un ou plusieurs membres de plus à certaines commis-
sions.
Art. 45. — Les ouvrages imprimés adressés à la Société sont
renvoyés à une commission, si les auteurs en font la demande;
dans le cas contraire, le renvoi à une commission est facul-
tatif, et le président peut ne désigner qu'un seul commissaire.
Art. 4(3. — Dans toute commission scientifique, les pièces
sont remises au commissaire nommé le premier. Il en accuse
réception sur un registre spécial dont l'archiviste est déposi-
taire et c'est lui qui est chargé de convoquer la Commission. Il
garde le travail pendant huit jours pour en prendre connaissance,
après quoi il transmet à ses deux collègues, qui ont également
huit jours chacun pour prendre connaissance du travail. Au
bout de trois semaines, la Commission se réunit et désigne son
rapporteur. La durée des préliminaires ne pourra être abrégée
que pour les rapports d'urgence, sur l'invitation du président.
Art. 47. — Les commissaires en retard seront avertis tous
les trois mois, parle président.
RÈGLEMENT XI
TITRE VII. — DÉLÉGATIONS SCIENTIFIQUES.
(Comité central du 22 juillet 1880)
Art. 48. — La Société, pour facili'er les recherches en pays
étrangers, peut confier des missions temporaires à des voya-
geurs nationaux ou étrangers, qui reçoivent à cet effet des délé-
gations spéciales sur parchemin. Ces délégations, essentielle-
ment différentes des diplômes de correspondants, indiquent la
date, la durée et la nature de la mission. Elles portent la
signature du président et du secrétaire général. Leur durée
sera déterminée d'après la nature de la mission.
Elles sont renouvelables.
Art. 'iO. — Nul ne peut obtenir une nouvelle délégation
avant d'avoir communiqué ou transmis à la Société les résul-
tats scientiliques de la délégation précédente.
Art. 50. — Toute personne qui désire obtenir une délégation
doit en faire la demande écrite et être présentée par trois mem-
bres de la Société, qui inscrivent la proposition sur un registre
spécial.
La Société peut voter séance tenante sur cette proposition.
Art. 51. — En cas d'urgence motivée par le prompt départ
du voyageur et par l'éloignement de la première séance, le
Bureau peut donner une délégation dont la durée n'excédera
pas un an.
Aut. 52. — Le Comité central pourra décerne1" des médailles
aux personnes qui se seront acquittées de leur mission à la sa-
tisfaction de la Société.
TITRE VIII. - ORDRE DES SÉANCES.
A ht. 53. — L'ordre du jour est réglé par le président, après
avis du secrétaire général. Néanmoins, sur la proposition de
trois membres, la Société peut modifier cet ordre du jour.
Art. 53 bis. — Toute personne étrangère à In Société peut
s'inscrire pour une lecture ou une communication orale.
Art. 54. — Les personnes étrangères à la Société, ne pou-
vant obtenir la parole sur la rédaction du procès-verbal, seront
toujours invitées à résumer elles-mêmes par écrit leurs commu-
nications orales et à remettre, dans un délai de trois jours,
s
XII RÈGLEMENT
leurs notes au secrétaire. Si elles ne répondent pas à cette invi-
tation, elles ne seront admises à élever aucune réclamation sur
la manière dont le secrétaire aura rendu dans son procès-verbal
leurs paroles ou leurs opinions. Le secrétaire aura même le
droit de ne faire aucune mention de leurs communications.
Art. 55. -*- Les lectures et communications émanant des
membres de la Société sont discutées immédiatement, ainsi
que les rapports. Lorsqu'il y a des conclusions à voter, le rap-
porteur a le droit de prendre la parole le dernier.
Art. 56. — La parole est accordée, dans le cours d'une dis-
cussion, à tout membre qui la demande pour rétablir la ques-
tion, pour proposer la clôture ou l'ordre du jour ou pour un fait
personnel.
Art. 57. — Le président rappelle à l'ordre quiconque dépasse
les limites des discussisns scientifiques et à la question tout
orateur qui s'éloigne de l'objet de la discussion.
Art. 58. — Le président ne peut, de sa propre autorité, inter-
rompre ou terminer une discussion, proposer la clôture ou l'or-
dre du jour; il ne peut consulter la Société à cet égard que si
In clôture ou l'ordre du jour, proposé par un membre, est ap-
puyé par deux autres membres au moins. Toutefois, dans le
cas où l'ordre ne pourrait être rétabli, le président, après avoir
consulté le Bureau, a le droit de lever la séance.
TITRE IX. — ÉLECTIONS DU BUREAU ET DES COMMISSIONS.
Art. 59. — La Société renouvelle son Bureau dans la pre-
mière séance de décembre, par voie d'élection, conformément à
l'article 5 des statuts. Le nouveau Bureau entre en fonctions
dans la première séance de janvier.
Art. 60 — Les élections du Bureau et de la Commission de
publication ont lieu à la majorité absolue des votants. Tous les
membres titulaires, résidant soit à Paris, soit en province, sont
appelés à voter.
Art. 61. — Les membres non résidants sont seuls autorisés
à voter par correspondance, suivant les formes indiquées dans
les articles 64 et 65. Les membres résidants ne peuvent voter
qu'en déposant eux-mêmes leur bulletin dans l'urne.
Art. 6'2. — Le Comité central, dans sa réunion de novembre,
dresse la liste des candidats qu'il propose pour les diverses
fonctions.
Art. 63. — Cette liste, avant d'être envoyée à tous les mem-
bres titulaires, est communiquée à la Société par le président,
dans la seconde séance de novembre. Toute candidature pro-
posée par cinq membres est de droit ajoutée à la liste, pourvu
qu'elle soit conforme à l'article i des statuts et transmise au
REGLEMENT XIII
secrétaire gênerai dans les trois jours qui suivent cette séance
publique.
Art. 64. — Au terme de ces trois jours, le secrétaire général
adresse à tous les membres titulaires non résidants une circu-
laire renfermant : 1° la articles du règlement relatifs aux élec-
tions; 2° la liste des candidats proposés par cinq membres;
3o l'indication du jour où le scrutin sera dépouillé; 4° un bulle-
tin dévote imprimé et numéroté sur lequel les diverses fonctions
vacantes sont énumérées; 5° une enveloppé imprimée dans
laquelle le bulletin, rempli et non signé, doit être renvoyé au
secrétariat.
Art. 65. — Le jour du scrutin, le président tire au sort,
parmi les membres présents, le nom d'un commissaire scruta-
teur. Tous les bulletins envoyés par correspondance sont cléca-
cbetés en séance par ce commissaire, qui dicte aux secrétaires
les numéros d'ordre des bulletins. Lorsque rémunération est
terminée et qu'il est constaté qu'aucun membre n'a voté plus
d'une fois, le scrutateur dépose un à un les bulletins dans l'urne
en déchirant chaque fois le numéro d'ordre. Le secret du vote
se trouve ainsi assuré. Les membres présents déposent ensuite
directement leur vote dans l'urne. Le président procède alors
au dépouillement du scrutin suivant les formes ordinaires.
Art. 66. — Les candidats qui obtiennent la majorité absolue
des suffrages exprimés sont déclarés élus. Les billets blancs
sont annulés.
Art. 67. — Lorsque, pour une ou plusieurs fonctions, il n'y
a pas eu de majorité absolue, un scrutin de ballottage a lieu
dans la seconde séance de décembre. Dans l'intervalle des
deux séances, une nouvelle circulaire est adressée à tous les
membres titulaires non résidants, qui sont invités à opter, pour
chaque fonction vacante, entre les deux candidats qui ont
réuni, au premier tour, le plus grand nombre de suffrages. Le
nombre de voix obtenu par chacun des deux candidats est in-
diqué sur la circulaire. En cas de partage, l'ancienneté de titre
d'abord, ensuite l'ancienneté d'âge, décident entre les deux
candidats.
TITRE X. - comités secrets.
Art. 68. — Sauf le cas d'urgence absolue, le Comité secrel
est annoncé une séance à l'avance par le président et annoncé
de nouveau par lui immédiatement après la lecture du procès-
verbal de la séance du jour.
Art. 69. — Les Comités secrets commencent à quatre heures
et demie. Les décisions y sont prises à la majorité absolue des
votants et sont valables, quel que soit le nombre des membres
XIV REGLEMENT
qui prennent part au vote, sauf l'exception indiquée dans l'ar-
ticle 73.
Art. 70. — Les Comités secrets peuvent être provoqués de
deux manières : 1° par le président au nom du Bureau; 2° sur
la proposition de cinq membres de la Société qui en font au pré-
sident la demande écrite, en indiquant l'objet de leur proposi-
tion. Le président, après avoir pris l'avis du Bureau, accorde
ou refuse le Comité secret; dans ce dernier cas, les membres
signataires de la demande peuvent faire appel de la décision
du Bureau de la Société.
Art. 71. — S'il arrive qu'une circonstance grave paraisse de
nature à motiver l'examen de la conduite d'un membre, la
Société pourra lui demander des explications et prononcer son
exclusion. Mais cette mesure ne pourra être prise que de la
manière suivante : 1° une demande motivée sera déposée sur
le bureau et réclamera en même temps un comité secret, qui ne
peut avoir lieu moins de huit jours après et qui est précédé
d'une convocation spéciale; 2° le jour du Comité secret, le
membre visé est appelé à donner les explications qui lui sont
demandées et il a toujours le droit de parler le dernier. 11 se
retire ensuite, et la Société délibère. Le vote n'est valable que
s'il réunit les deux tiers des suffrages exprimés.
-TITRE XL — révision dit rèolemrnt.
Art. 72. — Toute proposition tendant à reviser le règlement
devra être signée par cinq membres au moins, déposée sur le
bureau et renvoyée au Comité central qui la fait examiner par
Commission. Cette Commission fait son rapport et la proposi-
tion est discutée immédiatement après; tous les membres de la
Société peuvent prendre part à cette discussion; mais les mem-
bres du Comité seuls sont appelés à voter sur la modification
proposée, ainsi qu'il est dit en l'article 4 des statuts. Tous les
membres du Comité doivent être convoqués à domicile.
Art. 73. — Par exception aux dispositions précédentes, la
revision des articles 1 et 3 du règlement s'effectuera suivant les
règles indiquées en l'article 2.
PRIX DE LA SOCIÉTÉ XV
PRIX DÉCERNÉS PAR LA SOCIÉTÉ
DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES COMMUNES A TOUS LES PRIX
Les membres qui composent le Comité central de la Société
d'anthropologie sont seuls exclus des concours.
Tout travail qui aurait été couronné par une autre société,
avant son dépôt à la Société d'anthropologie, est exclu des
concours.
Le jury d'examen comprendra cinq membres élus au scrutin
de liste par les membres du Comité central, choisis dans son
sein et à la majorité absolue des membres qui le composent.
Ce jury fait son rapport et soumet son jugement à la ratifi-
cation du Comité central.
Le jury d'examen sera élu quatre mois au moins avant le
jour où le prix doit être décerné.
Tous les travaux imprimés ou manuscrits, adressés à la So-
ciété ou publiés après le jour où le jury d'examen aura été nommé,
ne pourront prendre part au concours que pour la période sui-
vante.
Dans le cas où, une année, le prix en concours ne serait pas
décerné, il serait ajouté au prix qui serait donné au concours
suivant.
PRIX GODARD
FONDÉ PAR LE DOCTEUR ERNEST GODARD EN 186'3.
Extrait du testament. — « Ce prix sera donné au meilleur
mémoire sur un sujet se rattachant à l'anthropologie; aucun
sujet de prix ne sera proposé. »
RÈGLEMENT.
Article lftr. — Le prix Godard sera décerné, tous les doux
ans, le jour de la séance solennelle de la Société.
XVI PRIX DE La SOCIÉTÉ
Art. 2. — Ce prix est de la valeur de 500 francs.
A ht ■>. — Tous les travaux, manuscrits ou imprimés, adres-
i - ou non à la Société, peuvent prendre part au concours.
Voir les dispositions communes à tous les prix.
Le prochain concours aura lieu en 1895.
PRIX BROCA
FOX DÉ PAR Mme BROCA EX 1881.
« Ce prix est destiné à récompenser le meilleur mémoire sur
une question d'anatomie humaine, d'anatomie comparée ou de
physiologie se rattachant à l'anthropologie. »
RÈGLEMENT.
Article ler. - Le prix Broca sera décerné, tous les deux ans,
le jour de la séance solennelle de la Société.
Art. 2. — Ce prix est de valeur de 1,500 francs.
Art. 3. — Tous les mémoires, manuscrits ou imprimés, adres-
sés à la Société peuvent prendre part au concours; toutefois les
auteurs des travaux imprimés ne pourront prendre part au
concours qu'autant qu'ils en auront formellement exprimé l'in-
tention.
Voir les dispositions communes à tous les prix.
Le -prochain concours mira lieu en 1896.
PRIX BERTILLON
FONDÉ PAR MM. BERTILLON FRÈRES, EN 1885,
CONFORMÉMENT A LA VOLONTÉ DE LEUR PÈRE, ADOLPHE
BERTILLON.
« Le prix Bertillon sera décerné sans distinction de sexe, de
nationalité ni de profession, au meilleur travail envoyé sur une
matière concernant l'anthropologie et, notamment, la démogra-
phie. »
ANCIENS PRESIDENTS
XVII
REGLEMENT.
Article 1er. — Le prix Bertillon sera décerné, tous les trois
ans, le jour de la séance solennelle de la Société.
Art. 2. — Ce prix sera d'une valeur de 500 francs.
Art. 3. — Tous les mémoires, manuscrits ou imprimés, adres-
sés à la Société, pourront prendre part au concours; toutefois
les auteurs des travaux imprimés ne pourront prendre part au
concours qu'autant qu'ils en auront formellement exprimé l'in-
tention.
Voir les dispositions communes à tous les prix.
Le prochain concours aura lieu en 1895.
LISTE GENERALE
DES PRÉSIDENTS DE LA SOCIÉTÉ
En 1850 MM.
Martix-Magron.
En 1877 MM.
DE RANSE.
1860
Isidore Geoffroy
1878
MARiTN(Henri).
Saint-Hilaire.
1879
Sanson.
1861
Béclard.
1880
Ploix.
1862
Boudin.
1881
Parrot.
1863
DE QUATREFAGES.
1882
Thulié
1864
Gratiolet.
1883
Proust. .
1865
Pruner-Bev.
1884
Hamy.
1866
Périer.
1885
Dureau.
1867
Gavarret.
1886
Letourneau.
1868
Bertrand.
1887
Magitot.
1869
Lartet.
1888
Pozzi.
1870-71
Gaussin.
1889
MàthiasDuval
1872
Lagneau .
1890
Hovelacque.
1873
Bertillon.
1891
Laborde.
1874
Faidherbe.
1892
BORDIER.
1875
Dally.
1893
Ph. Salmon.
1876
DE MORTILI.ET.
1894
Dareste.
SECRETAIRE GENERAL de i859 a m0.
BROCA (Paul), fondateur.
S VIII
FONCTIONNAIRES ACTUELS
BUREAU DE 1895.
Président MM.
1er Vice-Président
2e Vice-Président
Secrétaire général
Sec ré ta ire généra l a djo int. .
Secrétaires annuels ....
Conservateurs des collections.
Archiviste. . . .
A rchivisle honoraire
Trésorier
C. Issaurat.
A. Lefèvre.
Ollivier Beauregard.
Letourneau.
Manouvrier.
I Paul Raymond.
( Viré.
\ A. de Mortillet.
| G. Hervé.
Zaborowski.
DuREAU.
Daveluy.
COMITÉ CENTRAL.
MM.
AULT-DUMESNIL(d')
AZOULAY.
Capitan.
G. Gapus.
Cherviw
collineau.
E. Gollin.
GUYER.
Daveluy.
Deniker.
MM.
Girard de Rialle.
Hervé.
G. Issaurat.
André Lefèvre.
Mahoudeau.
Manouvrier.
A. de Mortillet.
Ollivier Beauregard Viré.
Papillault. Zaborowski
Piètrement.
MM.
Raymond.
Rondeau.
Royer (M"ie Clémence)
Sebillot.
Topinard.
Verneau.
VlNSON.
FONCTIONNAIRES ACTUELS. XIX
Anciens présidents membres du Comité ceutral.
MM.
MM.
MM.
BORDIER.
Laborde.
Proust.
Dareste.
L AGNEAU.
Salmon.
DUREAU.
Letourneau.
S AN SON.
Duval Œ
fATHIAS)
. Magitot.
Thulié.
HAMY. (i. L>K MORTILLET.
HOVELACQUE. POZZI.
COMMISSION DE PUBLICATION
MM. Dareste. — Laborde. — Salmon.
COMITÉ CONTENTIEUX
MM. Galin, notaire, 35, rue de Châteaudun.
Auzoux, avoué près le Tribunal de première instance, 1 18,
rue de Rivoli.
Laurent, agent de change, 9, rue du Quatre-Septeinbiv.
-r~-~Œ*^ïi- — v-
LISTE DES MEMBRES
DE LA
SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE
au lor janvier 1895.
ABRÉVIATIONS : Hon., membre honoraire. — Ae, Associé
étranger. — Ce, correspondant étranger. — Cn, correspon-
dant national. — T, membre titulaire. — *, cotisation rache-
tée.
Les adresses sans indication de ville sont à PARIS.
Acy (Ernest d'), archéologue, 'i0, boni. Malesherbes 1868 T.
Alba (Léon y), D. M., à Lima, Pérou (1861). Ce.
Albert Lr, de Monaco, 25, rue du Faubg-St-Honoré (1883). T.
Albf.spy, I). M . boulevard Galy, à Rode/, Aveyron, (1877). T.
Alglave (Em..), professeur à la Faculté de droit, 27, avenue de
Paris, Versailles (1883). T.
Alezais (H.), D. M., chef des travaux anatomiques, à l'Ecole
de médecine, 47, rue de Breteuil, à Marseille (1886). T.
Alix, D. M., 10, rue de Rivoli (1864). T.
Almeras (.T. -.T.), ex-chirurgien en chef de l'hôpital d'Ktampes,
à Autretot, par Yvetot, Seine-Inférieure (1862). T.
Anoutghine(D.), professeur d'anthropologie au Musée polytech-
nique, Moscou (1893). Ae.
Araxzadi (Telesforo de). D. M., professeur à l'université de < liv-
nade, Espagne (1893). T.
Arbo D. M., à Drammen, Norwège (1880). Ce.
Argyriades (P.), avocat à la Cour d'appel, 5, rue Théophile-
Gauthier (1891). T.
Aristoff, D. M., médecin de l'escadre russe, abord du Thëretz
(1893). Ae.
Arnaud, notaire, à Barcelonnette, Basses-Alpes (1888). T.
Asgoli (David), 67, rue delà Victoire (1892). -T.
Atgier, médecin-major au 135° d'infanterie, 16, rue de l'Asile-
Saint-Honoré, à Angers (1877). T.
PERSONNEL XXI
Aubert, médecin-major de 1" classe., hôpital du Belvédère,
Tunis (1887). Cn.
Aubry (P.). D. M., 17, rue du Port, à Saint-Brieuc (1886). T.
Audain, D. M., à Port-au-Prince, Haïti (1850). Ce.
Ault-Dumesnil (d'), administrateur des musées, 1, rue de
l'Eauette, à Abbeville (1881). T.
* Aya, D. M., 11, cité Trévise (1885). T.
Azoulay (L.)', D. M , 155, rue Blomet (1890). T.
Baetgk (Otto), directeur de l'institution des enfants arriérés,
Eauhonne, Seine-et-Oise (1881). T.
Barber (E.-A ), maître ès-arts de l'Université de Philadelphie,
'j007, Ghesnut street, à Philadelphie, U. S. A. (1886). Ce.
Barret (P.)., D. M., 108, rue du Banelagh (1880). T.
Barthélémy (FA. 61, rue de Rome (1804). T.
Bassano (marquis de), 0, rue Dumont-d'Urville (1888). T.
* Baye (Joseph de), 58, avenue de la Grande-Armée (1873). T.
Beaumais (B. Adam de), D. M., 7, place de l'Ancienne-Mairie,
à Vannes, Morbihan (1803). T.
Beaunis (H.-E.), professeur à la Faculté de médecine de Nancy,
villa Joséphine, route d'Antibes, à Cannes (1863). T.
Beddoe (John), à Clifton, Bristol, Angleterre (1860). Ae.
Bellugcj (Guiseppe), professeur à l'Université, Pérouse, Italie
(1803). Ae.
Bénédikt (M.), D. M., professeur à l'Université, 5, Franciskaner
Platz, Vienne (1803). Ae.
Ber (Théodore), à Lima, Pérou (1876). Cn.
Berenger-Feraud, 1). M., directeur du service de santé de la
marine, 40, boulevard de Strasbourg, à Toulon (1801). T.
Bernadet (Charles), à Londres (1865). Cn.
Bernard (Edm ), 12, Boulevard de la Foncière, à Cannes
(1803). T.
Bertillon (Alphonse), chef du service anthropométrique à la
préfecture de police, 36, quai des Orfèvres (1880). T.
Bertillon (Jacques), D. M., chef du service de la statistique
municipale, 2i, rue de Penthièvre (1878). T. •
* Bertrand (G.), docteur en droit, 8, rue d'Alger (1883). T.
Bestion, médecin de lre classe de la marine, rue Saint-Roch, à
Toulon (1870). Cn.
Biïzançon (P.), D. M., 22, rue delà Pépinière (1802). T.
Biart (Lucien), à Ori/aba, Mexique (1862). Cn.
Bidard, D. M., ex-interne d<j« hôpitaux, !». rue d<j Sm^sn^s
(1878). T.
XXII PERSONNEL
Binet (Ed.), D. M., 33, boulevard Henri IV (1884). T.
Blake (Carter), membre de l'Institut anthropologique, Londres
(1863)! Ae.
* Blanchard (R.), D. M., agrégé à la Faculté de médecine, 32,
rue du Luxembourg (1882). T.
Blignières (Célestin de), capitaine d'artillerie, 38, rue de Long-
champs, à Neuilly, Seine (1863). T.
Blogh (Ad.), D. M., 47, rue Blanche (1878). T.
Boban-Duvergé (E.-A.i, antiquaire, 122, avenue d'Orléans.
(1881). T.
Bogdanow (le professeur Anatole), Arbate, Spass-Pesski, Mos-
cou (1874). Ae.
Boisjoslin (J. de), 82, rue de la Pompe (1893). T.
* Bonaparte (le prince Roland), 22, cours la Reine (1884). T.
* Bonnard (P.), avocat à la Cour d'appel, agrégé de philoso-
phie, 15, rue de la Planche (1883). T.
Bonnemère (Lionel), avocat, 26, rue Chaptal (1880). T.
Bonnet, géologue, 55. boulevard Saint-Michel (1889). T.
Bordier, 1). M., directeur de l'École de médecine de Grenoble,
au Bâchais, par Grenoble, Isère (1876). T.
Bosteaux-Paris, maire de Cernay-les-Reims, Manie (1890). T.
Boudier (Victor), San Pedro del Pinatar (Mureie-Espagne),
(1894). T.
Boutequoi, D. M., à Clhitillon-sur-Seine, Côte-d'Or (1878). T.
Boyer. D. M., médecin de la marine, à Brest (1878). Cn.
Brabrook (E.-W.)j président de l'Institut anthropologique, à
Londres (1880). Ce.
Brinton (D.), D. M., professeur d'archéologie et linguistique à
l'Université de Pensylvanie, Philadelphie, U. S. Am. (1893). Ae.
* Broga (Auguste), D. M., chirurgien des hôpitaux, 5, rue de
l'Université (1880). T.
Br.ouARDEL (P.), doyen de la Faculté de médecine, membre de
l'Académie de médecine, 1, place Larrey (1875). T.
Brunet (Daniel), directeur médecin en chef de l'asile d'aliénés,
Évreux, Eure (1862). T.
Buisset (A.), architecte, 4 rue Berthollet (1880). T.
Buschan (docteur), à Stettin, Poméranie (1891). Ce.
Calonge (Belisario), D. M., à Truxillo, Pérou (1861). Ce.
Calori, professeur à Bologne, Italie (1874), Ae.
Ca'pellini (G ,), professeur de géologie et de paléontologie, à
l'Université de Bologne, Italie (1874). Ae.
Capitan (Louis), D. M., ancien interne des hôpitaux, 5, rue des
Ursulines (1881) T.
PERSONNEL XXIII
Capus tG.)j docteur, ès-science, 16, rue Cassini (1888;. T.
Carr (Lucien), Peabody muséum, Harward's University, Cam-
bridge, Mass., U. S. (1879). Ce.
Carrière (Gab.), président de la Société d'Études des Sciences
naturelles, 2, rue des Chapeliers, Nîmes (1894). Cn.
Carrow, D. M., à Canton, Chine (1879). Ce.
Cartailhag (E.), 5, rue de la Chaîne, à Toulouse, et 17, rue
Lacépède,- à Paris (1869). T.
Castelfranco (Pompeo), professeur, à Milan (188i). Ce.
Castillo (Antonio del), directeur de l'École des Mines du Mexi-
que, à Mexico (1895). T.
< Iazalis, pharmacien de la marine, à Rochefort (1871). Cn.
Ca/alis de Fondouce, ingénieur, licencié es- sciences, 18, rue
des Étuves. à Montpellier, Hérault (1865). T.
Celle (Eugène), D. M., à San-Francisco, Californie (1862). Cn.
Cernuschi (Henri), 7, avenue Velasquez (1875). T.
Chaix (Paul), à Genève (1860) Ae.
< Ihakir-Bey, ancien attaché militaire à l'ambassade ottomane
(1875). Ce.
Chanot, D. M., ex-chirurgien de la marine, à l'île de la Réu-
nion (1860). Cn.
Chantre (E.), sous-directeur du Muséum, 37, cours Morand,
Lyon (1868). T.
Charencey (de), 25, rue Barbet-de-Jouy (1875) T.
Charnock (Richard), membre de l'Institut anthropologique de
Londres (1864). Ae.
Chassagne, D. M., ex-médecin-major au 35° rég. d'artillerie, à
Vannes (1880). Cn.
Chassin, D. M., à la Vera-Cruz (1870). Cn.
Chatellier (Paul du), château de Kernuz, par Pont-1'Abbé-
Lambour, Finistère (1890). T.
ChauvetiG.), notaire à Ruiïec, Charente (1875). T.
Chavassier, D. M., à Saint-Sernin, par Duras, Lot-et Ga
ronne (1861). T.
* Chehvin (Arthur), D. M., directeur de l'institut des bègues,
82, avenue Victor- Hugo (1887). T.
Chil-y-Naranio, D. M., à Palmas, Grande-Canarie (1878). Ae.
Chûquet, D. M , 13, rue de Seine (1882). T.
Choudens (Joseph de), D. M., à Porto-Rico, Antilles 1 1861 ). Ce.
* Chudzjnski, premier préparateur au Laboratoire d' Anthropo-
logie^ 5. rue du Faubourg-Saint-Jacques (1880). T.
Claine, explorateur, 89, rue du Cherche Midi (1891). Cn*.
XXiv PERSONNEL
Glosmadeug (de), D. M., président de la Société polymathique
du Morbihan, à Vannes (1884). T.
Cocchi (Igino), professeur à l'Institut des études supérieures à
Florence (1872). Ae.
Coignard, D. M., 10, rue de Constantinople (1879). T.
Collignon (René), D. M., médecin-major à l'École supérieure
de guerre, 9, avenue de la Bourdonnais (1880). T.
Collix (Emile), poléoethnologue, 30, rue Saint-Marc (1888). T.
Collingwood (Frederick), membre de l'Institut anthropologi-
que de Londres (1864). Ae.
Collineau, D. M., 8, avenue de la République, à Gourbevoie,
Seine (1867). T.
Gonstantineî-cu (Barbe), docteur en philosophie, professeur
d'histoire à Bukharest (1879). Ce.
Cora (Guido, directeur du Cosmos, 74, corso Vittorio Emanuele,
à Turin (1873). Ae,
Corne, consul au Japon, ex-officier de marine, 10, rue Saint-
Séverin (1879t. Cn.
Cornil, sénateur, professeur à la Faculté de médecine, membre
de l'Académie de médecine, 19, r. Saint-Guillaume (1867) Hon.
Corre(A.), D. M., 12, rue de la Mairie, à Brest (1881). T.
Gosta-Simôes (A. A. da), professeur à l'Université de Coïmbre,
Portugal (1866). Ce.
Gouriard (Alfred), D. M., Grande-Koniuchenui, à Saint-Péters-
bourg (1875) Ce.
Guyer (Edouard), peintre, professeur suppléant à l'École des
beaux- arts, 13, rue de Seine (1886). T.
Dagincourt (Emmanuel), D. M , 159, rue de la Pompe (1883). T.
Daleau (F.), à Bourg-sur-Gironde, Gironde (1875). T.
Dalieol (Lucien ), directeur de la Colonie de la Loge, par Baugy,
Cher (1890). T.
Dallas (Maurice), avocat, 18, cours d'Aquitaine, à Bordeaux
(1890). T.
Dally (Aristide), commandant d'infanterie en retraite, 121,
boulevard Malesberbes .(1867). Cn.
Danielli (Jacopo), D. M., Florence, Italie (1893). Ae.
Daninos, conservateur au musée de Boulacq, au. Caire (1860). Cn.
Dan.iou (G.), D. M., médecin-major de 2" classe, à Limqux,
Aude (1894 ). T.
Dareste, D. M., 37, rue de Fleurus (Fondateur), Hon.
Darling (W.), professeur d'anatomie descriptive aux Universi-
tés de New-York et de. Vermont, à New-York (1877k Ce.
DARLOff; 15, avenue de l'Observatoire (1887). T.
PERSONNEL XXV
Daveluy (Gh.), administrateur des Contributions directes au
ministère des finances, 107, boulevard Brune (1889). T.
Delisle (F.), D. M., préparateur d'Anthropologie au Muséum,
26, rue Vauquelin (1883). T.
Delmas (Louis-H.), D. M., à la Havane (1878). Ce.
* Deniker, docteur ès-sciences, bibliothécaire du Muséum d'his-
toire naturelle, 2, rue de Butïon (1881). T.
D'Enjoy (Paul), procureur de la République, 3, rue Lécluse
(1894). T.
Derizans (Benito), D. M., Larangeiras, Brésil (1876). Ce.
Desmazes, commandant du génie en retraite, à Montpellier
(1880). Cn.
Despréaux, D. M., Il, rue Littré (1895). T.
Destruges, (Alcide), D. M., à Guayaquil, Equateur (1863). Ce.
Diamandy, archéologue, 33, rue des Écoles, à Paris (1892). Ce.
Dodeuil (Timoléon), D. M., à Ham, Somme (1866). T.
Doin (O.), libraire éditeur, 8, place de l'Odéon (1882). T.
Dorlhag de Borne, receveur des postes à Libreville. Galion
(1890). T.
* Doûglass (.Andrew. E), de New York, chez Leroux, 28, rue
Bonaparte (1887). T.
Duchesne (E.-L.), D. M., licencié en droit, 15, rue Pigalle
(1885). T.
Dufay, D. M., sénateur, 76, rue d'Assas (1880). T.
Dufour, D. M., 7, rue de la Fidélité (1893). T.
Duhousset (le colonel), 6, rue Furstenberg (1863). Cn.
IX mont (A), 17, rue de Bras, à Caen, Calvados (1889). T.
Dunant, D. M., à Genève (1868). Ce.
Du Pasquier (Gh.), D. M , \'i, rue des Écuries d'Artois (1891). T.
Duplay (Simon), professeur à la Faculté de médecine, membre
<l>' l'Académie de médecine, 10. rue Cambacérès (1863). T.
Dupont (Ed.), directeur du musée d'histoire naturelle de
Bruxelles, à Boitsfort (1872). Ae.
Duportal, ingénieur, villa Montmorency (1868). T.
Durkau (A.), D. M., bibliothécaire de l'Académie de médecine,
V.i, rue des Saints-Pères (1863). Hon.
Dutailly (G.), ancien député, 181, bd St-Germain ( 1887). T.
* Duval (Mathias), membre de l'Académie de médecine, profes-
seur à la Faculté de médecine, à l'École d'Anthropologie et à
l'École des beaux-arts, 11, cité Malesherbe», rue des Mar-
tyrs (1873). T.
Dybowski (Jean), 16, rue de Bottembourg (1894). Cn.
XXVI PERSONNEL-
Echerag (d'), inspecteur de l'Assistance publique, 6, chemin
des Coutures, à Sèvres, Seine (1889). T.
Edwards-Pilliet (M11" Blanche), D. M., 4, rue Richepanse,
(1887). T.
Eighthal (Louis d'), aux Bézards, par Nogent-sur-Vernisson
Loiret (1881) T.
Eschenauer (le pasteur), 149, boulevard St-Germain (1870). T.
Evans (John), président de la Société des antiquaires et de la
Société de numismatique, Nash Mills, Hemel Hempstead,
Angleterre (1877). Ae.
Fallût, D. M., médecin adjoint des hôpitaux, professeur à
l'École de méd., 167, rue de Rome, à Marseille (1879). T.
Falret (Jules), D. M., médecin de Bicêtre, % rue Falrel, à
Vanyes (1865). T.
Fauvelle (R ), 11, rue de Médicis (1893). T.
Fenerly-Effendi, professeur à l'École impériale de médecine
de Constantinople (1865). Ae.
Féré (Charles), D. M., médecin de l'hospice de Bicêtre, 37, bou-
levard Saint-Michel (1878). T.
Fernandès (A. -F.), D. M., à Rio-Janeiro, Brésil (1861). Ce.
Ferraz de Macedo (F.), D. M., 63, rua Nova do Almads, Lis-
bonne (1888). T.
Fiaux (Louis), D.M.,13,rue de Navarin (1878). T.
* Firmin (D.), avocat à Port-au-Prince, Haïti (1881). T.
Fischer (Henri), docteur es sciences, 9 bis, rueLegoff (1893). T.
Floweh, directeur du Musée d'histoire naturelle de Londres,
Croniwell Road, London. S. \V. (1877). Ae.
Fontan (Alfred), à Mazamet, Tarn (1860). Cn.
Fourdrignier (E.), archéologue, 112, Grande-Rue, à Sèvres,
Seine (1879). T.
Fournier (A.), D. M., à Rambervilliers, Vosges (1878) T.
Friis, prof, à l'Université de Christiania, Norwège (1870) Ce.
Fryer (le major), commissaire du gouvernement anglais en
Birmanie, à Calcutta (1877). Ce.
Fumouze(V.), D. M., 78, rue du Faubourg-Saint-Denis 1872. T.
Gaddi, conservateur du musée anatomique, Modéne (1886). Ae.
Gadeau de Kerville (Henri), homme de sciences, 7 bis, rue
Dupont, à Rouen (1886). T.
Gaillard (F.), archéologue, à Plouharnel, Morbihan (1883). T.
Gaillard (Georges), D. M., 182, rue de Rivoli (1879). T.
Gaillardo, D. M., médecin sanitaire de France, à Alexandrie,
Egypte (1874). Cn.
Galdo (Manuel), directeur de l'Institut de Madrid (1865;. Ce.
PERSOKNEL XXVII
Gallard, D. M., 24, place Vendôme (1892). T.
Garson, D. M., conservateur du Musée anthropologique du Col-
lège des chirurgiens de Londres (1893). Ae.
Gaume (F;), D. M., 12L avenue de Villiers (1866). T.
Geoffroy, D. M., 26, boulevard Sébastopol (1879). T.
George (Hector), D. M., licencié es sciences, 8, rue des Écoles
(1869). T.
Georges (Maxiuiilien), 34, rue Bloinet (1893). T.
Germain (Henri), ingénieur civil des mines, place Beaulieu, à
Cognac (1877). T.
Ghigv (Jean T.), avenue de l'Observatoire (1893). T.
GiagominIj professeur à l'Université de Turin (1878). Ae.
Giglioli (E.), professeur de zoologie à l'Institut supérieur, Viale
dei Golli, Villa Belvédère, à Florence (1882). Ae.
Girard de Rialle, chef de la division des archives au minis-
tère des affaires étrangères, 1, place Pereire (1861). T.
Glaumont, percepteur à Coron, prés Vézins (Maine-et-Loire),
(1889). Cn.
Godel, administrateur civil à Franceville, Congo français
(1892). Cn.
Gosse (Hippolyte), professeur à l'Université de Genève, 7, rue
des Chaudronniers (1860). Ae.
GouiN (Léon), ingénieur civil des mines, à Gagliari, Sardaigne
(1884). Cn.
Gross, D. M., à Neuville, canton de Berne, Suisse (1882). Ce.
Guérault (Henri), ex-chirurgien de la marine, chirurgien de
l'Hôtel-Dieu de Tours (1860). T.
Guérin-Catelain, 13, place de la Bourse (1893). T.
Guibert, D. M., à Saint-Brieuc (1888). T.
Guida fSalvatore), lieutenant-colonel médecin, Borne (1894).
Ae.
Gujllabert, avocat, 30, rue Lafayette, à Toulon, Var(1888). T.
* Guimet (Emile), 1, place de la Miséricorde, à Lyon et (Musée
Guimet) avenue d'Iéna, Paris (1877). T.
Guyot (Yves), ancien ministre des Travaux publics, 95, rue de
Seine (1871). Hon.
Guzman Blanco (le général), ancien président de la République
du Venezuela, 25, rue Lapérouse (1888). T.
Hagen (D'' A.), 2 bis, place Gambetta, Toulon (1894). Cn.
Hamon (A.), publiciste, 132, avenue de Clichy (1893). T.
Hamon D.-M., à Jérémie (Haïti) (1894). T.
Uamv (Ernest), D. M., professeur d'anthropologie au Muséum
d'histoire naturelle, 36, rue Geoffroy-Saint-Hilaire (1867). T,
XX \ III PERSONNEL
Hayden, inspecter gênerai of U. S. Ceological Survey, Was-
hington. (1880). Ae.
Haynes (Henry-W.), professeur à l'Université de Boston, 230,
Beacon street, Boston, Mass., États-Unis (1878). Ce.
Hazelius, D. M., directeur du musée ethnographique Scandi-
nave, à Stockholm (18*4). Ce.
Heger, D. M., professeur de physiologie à l'Université, 7, rue
du Chêne, à Bruxelles (1884). Ce.
* Hennuyer (A.), imprimeur-éditeur, 7, rue Darcet (1881) T.
Henry (R.\ colonel du génie à Oran, (1877). Cn.
Hervé (Georges), D. M., professeur à l'École d'Anthropologie,
8, rue de Berlin (1880). T.
Higgins (Alfred), membre de l'Institut anthropologique de
Londres ^1863). Ae.
Hildebrand (Haiis), D. M., lep conservateur au musée royal
d'archéologie, à Stockholm (1874). Ce.
His (Wilhelm), professeur à l'Université de Leipsig, Saxe,
Konigstrasse, 22 (1864). Ae.
Hoelder (de), conseiller supérieur de médecine, Marienstrasse,
à Stuttgart (1882). Ae.
Houzê (E.), D. M., professeur d'anthropologie à l'Université,
89, boulevard de Waterloo, à Bruxelles (1803). Ae.
* Hoyelacque (Abel), directeur de l'École d'Anthropologie,
député, 38, rue du Luxembourg (1807). T.
Hoyos-Sainz (Luis de), docteur es sciences, Barquillo, 86, à
Madrid (1802). T.
Humphry, professeur d'anatomie à l'Université de Cambridge
(1872). Ae.
Hureau de Villeneuve (Abel), D. M., 01, rue d'Amsterdam
(1863). T.
Hurst (Marie-Joseph), médecin principal de lre classe de
réserve, 110, avenue MalakolT (1863). Cn.
Huxley (Thomas), professeur à l'École royale des Mines, 4,
Malborough Place, Londres, N. W. (1866). Ae.
Hvde Glarke, vice-président de l'Institut anthropologique, 82,
St-Georges Square, S. W., Londres (1865). Ce.
Ikoff (Constantin), D. M., secrétaire de la Section anthropolo-
gique de la Société des Amis des sciences naturelles, Moscou
(1803). Ae.
Issaurat (Albert), D. M., 27, rue Drouot (1874). T.
Issauraï (C), homme de lettres, 27, rue Drouot (1874). T.
Italia-Nicastro, D. M., à Palazzolo-Acreide, Sicile (1866). Ce.
PKRSÔNNEL XXIX
Iwanowski, D. Mr, V. Vyborskaïa Slorma, Finski pereoulok,
maison Opotchinina, à Saint-Pétersbourg (1879). Ce.
* Jackson (Henry- William), 67, Upgate, Louth, Lincolnshire,
England. S. E. (1865). T.
Jacquemet, professeur agrégé à la Faculté de médecine de
Montpellier (1859). Cn.
Jacques, D. M., secrétaire de la Société d'anthropologie, 86, rue
de Ruysbroeck, Bruxelles (1893). Ae.
Jalouzet, vice-consul de France, à Belfast (1883). Cn.
Jamin(P.), artiste peintre, 82, boulev. des Batignolles (1892'. T.
Janssens (E.), D. M., 80, Marché au Charbon, à Bruxelles
(1869). Ce.
Janvier (L.), D. M , chargé d'affaires d'Haïti, 5 Albany Court
Yard, Piccadilly, Londres (1882). T.
* Javal (Emile), D. M., directeur du laboratoire d'ophtalmologie,
membre de l'Académie de médecine, 52, r. de Grenelle ( 1 872) . T.
Jennings (Oscar), membre du Collège royal «les chirurgiens de
Londres, 88, avenue Kléber (1879). T.
Jones (A.), ancien avocat, (38, rue Singer (1895). T.
* Jousseaume, D. M., 29, rue de Gergovie (1866). T.
Jouvencel (Paul de), ancien député, 28, rue Singer (1860), T.
* Juglar (Mme j.)f 58, rue des Mathurins (1881). T.
Justin (J.), 63, rue Claude-Bernard (1898). T.
Kalindero, D. M., à Bukharest (1869). Ce
Fvanitz (Félix), Eschenbach Casse à Vienne, Autriche (1878). Ae.
Kaszwetow (W\), ancien président de la Société des Amis de la
nature de Moscou (1888). Ce.
K oi.lmann, professeur de zoologie à l'Université, Bâle, Suisse
(1898). Ce.
Koyalewski (Maxime), villa Balaya, Beaulieu, Alpes-Marit.
(1894). T.
Krantz (J.-B.), sénateur, inspecteur général honoraire des ponts
et chaussées, 47, rue La Bruyère (1877). Hon.
Kroutgwsky (W.), 12, rue Geouroy-St-Hilaire (1892). T.
Labadie-Lagrave, D. M., médecin îles hôpitaux, 8, avenue
Montaigne (1869). T.
La Bédoixière (de), contre-amiral, 20, rue de Navarin (1881). T.
* Laborde, D. M., chef des travaux pratiques de physiologie à la
Faculté de médecine, 15, rue de l'École-de-Médecine (1876). T.
La Bruyère, artiste peintre à Alger (1880). Cn.
LACASsaaxE, professeur de médecine légale à la Faculté de mé-
decine de Lyon (1869). Cn.
Lacombe (P.), 5, avenue du Marché, à Gharenton, Seine (I887).T.
XXX PERSONNEL
Ladreit de Lacharrière, médecin on chef de l'Institution
nationale des sourds-muets, 3, quai Malaquais (1864). T.
* Lagneatj (G.), D.M., membre de l'Académie de médecine, 38,
rue de la Chaussée-d'Antin (1850). Hon.
Lagrené (de), consul de France, à Moscou (1879) Cn.
Lajard (Joseph), archéologue, 83, rue Joseph- Vernet, à Avi-
gnon (1888). T.
Lalayantz i Ervand), 13, rue Monsieur-le-Prince (1895). Ce.
Lamouroux, D. M., 150, rue de Rivoli (1872). T.
* Lamy (Ernest), 113, boulevard Haussmann (1878). T.
Landry, professeur à l'Université de Québec, Canada (1861). Ce
Lannelongue, professeur à la Faculté de médecine, membre
de l'Académie de médecine, 3, rue François-Icr (1877). T.
Lapicque, D. M., chef du Laboratoire des cliniques à l'Hôtel-
Dieu, 59, rue Claude-Bernard (1892). T.
Latteux, D. M., 9, rue Marsollier (1876) T.
Lautré, médecin missionnaire, à Thaba-Bossiou, montagnes
de la Nuit, Afrique australe (1862). Cn.
Lavroff (Pierre), 328, rue Saint-Jacques (1870). T.
Lazarus, professeur, 5 Kônigsplatz, à Berlin (1866). Ae.
Le Baron (Jules), D. M., inspecteur des enfants du premier
âge, 34, rue de Lille (1881). T.
Leboucq, D. M., professeur à l'Université de Gand, (1884). Ce.
Le Coin (Albert), D. M., 15, rueGuénégaud (1873). T.
Lecuyer, I>. M., à Beaurieux, Aisne (1887). Cn.
Le Double (A.), D. M., professeur à l'École de médecine, 29,
rue Nicolas-Simon, à Tours (1876). T.
Lefèyre (André), professeur à l'École d'anthropologie, 21, rue
Hautefeuille (1874). T.
Legratn (G.), élève diplômé de l'École du Louvre, membre de
l'Institut français d'archéologie oriental.' nu Caire (1890). T.
Le.iars, D. M., chirurgien des hôpitaux, 75, rue. de Miroménil
(1889). T.
Le Marcis, 17, rue Chanaleilles (1879). T.
Lesopef ( Alex.-Aug.), 109, boulevard Beaumarchais (1877). T.
* Le Sourd (Ernest), D. M., ancien chirurgien de la marine,
4, rue de l'Odéo n (1865). T.
Lesquizamon (D. Juan-Martin), ministre du gouvernement de
la province de Salta, Bépublique Argentine (1877). Ce.
Letourneau (Ch.) D. M., professeur à l'École d'anthropologie,
70, boulevard Saint-Michel (1865). T.
Letûux (Maxime), D. M., 1, rue Porte-Prison, à Vannes
(1893). T.
PERSONNEL XXXÎ
Levasseur (E.), membre de l'Institut, professes!» an Collège de
Fiance, 26, rue Monsieur le-Prince (18S1). T.
Liétard, D. M., membre de la Société asiatique, médecin aux
Eaux de Plombières, Vosges (1862). T.
Livi, D. AI , attaché à l'inspection de santé militaire au minis-
tère de la guerre, 53, via Principe Umberto, Rome (1894). Ae.
Lokgraire (le Royer de), ingénieur civil, 23, quai Voltaire
(1888). T.
Louet ( A.-J.-E .). 25, rue de Tournon (1891). T.
Lubbocp: (sir John), 38, Queen Anne's Gâte, Westminster,
Londres (1867). Ae.
Lugol (Edouard), avocat, 11, rue de Téhéran (1866). T.
Eumholtz (Cari), consulat général de Suède et Norwège, à
New-York (1889). Ce.
Luschan (Félix), membre de la Société anthropologique de
Vienne, Maassenstrasse, 25, à Rerlin W. (1878). Ce.
Ltttke (comte de), amiral, présidentde l'Académie des sciences,
à Saint-Pétersbourg (1874). Ae.
Luys (.1.) D. M., membre de l'Académie de médecine, 20, rue de
Grenelle (1859). T.
Macedo-Pixto, professeur à l'Université de Coïmbre, Portugal
(1866). Ce.
Magitot (E.), D. M., 9, boulevard Malesherbes (1860). T.
Magnan (V.), D. M , médecin de l'asile Saint-Anne, 1, rue Ca-
banis (1876). T.
Mahotjdeau (P. -G.), professeur à l'École d'anthropologie,
188, Avenue du Maine (1887). T.
Maindron (M.), explorateur, 15, rue Linné (1892). T.
Maltef, professeur cà l'Université de Kasan (1882). Ae.
* Maxottvrïer (L.), D. M., professeur à l'École d'anthropologie,
15, rue de rÉcole-de-Médecîne (1882). T.
Maxtegazza (le professeur), directeur du Musée national à
Florence (1863). Ae.
Marcaxo, D. M., ancien interne des hôpitaux, 89, boulevard
de Courcelles (1887). T.
* Marche (Alfred), voyageur, archiviste, 1, rue Lavalette, à
Tunis (187!»). T.
Marmottax, D. M., député, 31, rue Deshordes-Valniore 1 1875). T.
Martel (E.-A), avocat, 8, rue Ménars (1885). T.
Martin, D. M., conseiller municipal d'Alger (187!»). Cn.
Martin (André), D. M., membre du Comité consultatif d'hy-
giène, 3, rue Gay-Lussac (1881). T.
Masox (Otis T.), conservateur du Mus.'., ethnologique de
XXXII PERSONNEL
Smithsonian Institution, Washington, U. S. Ain. (1893). Ae.
Masséna, (duc de Rivoli), 8, rue Jean-Goujon (1871). T.
Massignon, 93, rue Saint-Honoré (1883). T.
Masson (Georges), éditeur, 120, boulevard Saint-Germain,
(1861). T.
Mauduit (Pierre-Isidore), D. M., 39, rue de Rivoli (1863). T.
Maurel, D. M , professeur à l'École de médecine, 10, rue d'Al-
sace-Lorraine, à Toulouse (1877). T.
Mauriget (Alphonse), D. M., correspondant de l'Académie de
médecine, 6, rue Lehelec, à Vannes (18<'.\>) T.
Mayer, 31, rue de Naples (18S7) T.
Menard Saixt-Yves, D. M., directeur de l'Institut de vaccine
animale, 8, rue Ballu (1887). T.
Mercer (Henry G.), attaché au Muséum de l'Université de Pen-
sylvanie, Duylestown, BucksCounty U. S. A. (1893). T.
Mever (A. B.), directeur du Musée d'anthropologie et d'ethno-
graphie de Dresde, Lindengasse, 24 (1890). Ae.
Michaut, D. M., boulevard Paul-Bert, à Haïphong (1890). T.
Mirande, ancien juge au tribunal de; Karikal, Indes françaises,
(1808). Cn.
Mjreur (il.), D. M., 1, rue de la République, à Marseille
(1890). T.
Molixier, pharmacien de la Société des voyages d'études, à
Bussiére, Loire (1878). Cn.
* MoxcELON,.à Ygrande, Allier (1886'. T.
Monod (Charles) D. M., agrégé à la Faculté de médecine, 12,
rue Cambacérés (1872)T. .
Montaxo, D. M., château de Gémil, par Mentastruc, Haute-
Garonne (1879). Cn.
Moxtelius (().), D M., 2e conservateur au musée royal d'ar-
chéologie, à Stockholm (1874). Ce.
Moxtrouzier (le père), missionnaire, à la Nouvelle-Calédonie
(1800). Cn.
Morai- (H.), D. M., 'Ci, rue Condorcet (1892). T.
Morei. (Léon), receveur des finances, en retraite, 3, rue de
Sedan, à Reims (1880). T.
Morén'O (Francisco), Directeur du Musée, I.a Plata, Rép. Ar-
gentine (1893). Ae.
Morexo Maiz, D. M., à Lima, Pérou (1804). Ce.
Morris (J. P.), à Ulverston, Angleterre (1807). Ce.
Morselli, professeur à l'Université de Gênes (1874). Ae.
* Mortillet (Adrien de), professeur à l'École d'anthropologie,
3, rue de Lorraine, Saint-Germain-en-Laye (1881). T.
PERSONNEL XXXIII
* Mortillet (Gabriel de), professeur à l'École d'anthropologie,
3, rue de Lorraine, Saint-Germain-en-Laye (1865). T.
Mûtheau (B.), médecin des prisons de la régence, Tunis, rue
Es-Sadikia (1890). T.
Moussaud (D. M.), 7, Boulevard de Sébastopol (1861). T.
Moutier, D. M., 11, rue Miroménil (1888). T.
Much, secrétaire général de la Société d'anthropologie, 0, Josefs-
gasse, Vienne VIII (1878). Ce.
Muller (Frédéric), professeur à l'Université Marxergasse 24%
à Vienne III (1874). Ae.
Musgrave-Claye (R. de), D. M., 10, rue Gachet, à Pau, Basses-
Pyrénées (1889). T.
Nadaillac (le marquis de), correspondant de l'Institut, 18, rue
Duphot (1869). T.
Neis (Paul), D. M., médecin de 1^ classe de la marine, à
Saigon (1881). Cn.
NiGAisE(Ch.-L.-A.), archéologue, à Ghàlons-sur-Marne(1878).T.
Nicas, D. M., 80, rue Saint-Honoré, à Fontainebleau (1867). T.
Nicolas (U.), 9, rue Velouterie, à Avignon (1888). T.
Nicole (P.), 59, rue de la Bourre, Le Havre (1878). T.
NrcoLUccr (G.), professeur d'Anthropologie à l'Université de
Naples (1864). Ae.
Niederlé (Lubor), D. M.,29 Jecnaul. Prague,Bohême (1893). Ae.
Nott (J.-G), à Mobile, U. S. Ain. (1859). Ae.
Novikoff, 6, rue de la Poste, Odessa, Russie (1891). T.
Novaro, D. M., professeur agrégé à la Faculté des sciences de
Buenos-Ayres, 18, rue de Constantine (1878). Ce.
Obolonski (N.), D. M., professeur à l'Université de Kiew
(1889). Ce.
O'Donavan (D.), bibliothécaire du parlement à Brisbane, Aus-
tralie (1885). Ae.
Ollivier-Beauregard, 3, rue Jacob (1879). T.
Ûrnstein (B.), médecin en chef de l'armée grecque à Athènes
(1882). Ae.
Ossowski (G.), membre de la commission archéologique des
sciences de Cracovie, Oulica Slawkowska, 228, à Cracovie
(1879). Ce.
Padilla (Don Mariano), à Guatemala (1861). Ae.
Pagliani, prof, d'hygiène à l'Université de Rome (1877). Ce.
Papillault (G.), D. M., 5, rue de Latran (1893). T.
Paris (Gustave), D. M., à Luxeuil, Haute-Saône (1880). T.
Paul-Boncour (G.), interne des hôpitaux, 18, rue Vignon
(1894). T.
3
XXXIV PERSONNEL
Pechdû (J.j, D. M., à Villefranche, Aveyron, (1878). T.
Pengelly (W.), membre de la Société royale de Londres, à
Torquay, Devonshire, Angleterre (1874). Ce.
Pennetier (Georges i, professeur à l'École de médecine, 9. im-
passe de la Cordeiïe, barrière Saint- Maur, à Rouen (,1868). T.
Pératé, D. M., 3, rue Saint-Philippe-du-Roule (1868). T.
Perera (Andrews), professeur à Slave-Island, Colombo, Ceylan
(1882). Ce.
Perrier du Carne, avocat, à Mantes, Seine et-Oise (1893). T.
Petit (Abel), D. M., 65, r. de la Mairie, à Carcassonne (1875). T.
Philimonoff, conservateur du musée des armures au Kremlin,
à Moscou (1879). Ce.
Pichardo (Gabriel), à la Havane (1878). Ce.
Pétrim (Michel), D. M., àGalatz, Roumanie (1874). Ae.
Pichon D, M., 9, rue Chardin (1872). Cn.
Pietkieyvicz (Yalérius), D. M., 76, boulev. Haussmann (1878). T.
Piètrement, vétérinaire militaire en retraite, 141, boulevard
Saint-Michel (1874). T.
Piette (E.), juge honoraire à Rumigny, Ardennes (1870). T.
Pigeon (Mrao Pauline), directrice des écoles de la Salpêtrière,
70, boulevard Saint-Marcel (1890). T.
Pigné, D. M. , à San-Francisco, Californie (1863). Cn.
Pigorim (Professeur L.), directeur du Musée national préhis-
torique et ethnographique, collège Romain, Rome (1881). Ae.
Pilard (Georges), professeur de géologie à l'Université dAgran
(Autriche-Hongrie) (1874). Ce.
Pilliet (A.-H.), D, M., 4, rue Richepanse (1889). T.
PiNCfr (l'abbé), missionnaire, Fort Good Hope, district de la
rivière Mac-Kenzie, Canada (1873). Ce.
Pitt-Rivers (le major général), président de l'Institut anthro-
pologique à Londres (1881). Ae.
Poirier, D. M., chef des travaux anatomiques de la Faculté,
7, rue de l'École-de-Médecine (1890). T.
Pokrowski, licencié ès-sciences naturelles, 5, rue Corneille
(1894). T.
Pûmmerol (Félix), D. M., conseiller général à Gerzat, Puy-de
Dôme (1866). T.
Ponsot (A.), 21, rue du Faubourg-Saint-Jacques (1884). T.
Pornain, 8, rue Quétigny, Epinay-sur-Seine, Seine (1888). T.
Posada Arango, D. M., professeur à Médelline, États-Unis du
Sud (1870). Ce.
* Poussié (E.), D. M. 2, rue de Valois (1884). T.
Poux-Ffanklin, 16, rueMontalivet (1894). T.
PERSONNEL XXXV
Pozzi (Samuel), agrégé à la Faculté de médecine, chirurgien des
hôpitaux, 10, place Vendôme (1870). T.
Powell (le major J.-W.), directeur du bureau d'ethnologie,
Washington (1882). Ae.
Prengruéber, D. M., médecin de colonisation, à Palestro
(1881). Cn.
Prieur (Albert), D. M., 24, boulevard Voltaire (1892). T.
Profillet (le R. P.), missionnaire, à Haïti (1864). Ce.
Proust (Adrien), professeur à la Faculté de médecine, membre
de l'Académie de médecine, 9, boulev. Malesherbes (1861). T.
Pulsky (François de), inspecteur général des Musées et Biblio-
thèques de Hongrie, Buda-Pesth (1878). Ae.
Putnam (F.-W.)> conservateur du musée Peabody, Harvard
university, à Cambridge, Mass (1882). Ce.
Raffegeau, D. M., 9, avenue des Pages, Le Vésinet, S.-et-O.
(1889). T.
Rahon(.I.), D. M., licencié ès-sciences, 121, avenue Parmentier
(1892). T
Ramadier, D. M., médecin adjoint à l'asile de Villejuif
(1891). Cn.
Rangabé (Alexandre), membre de la Société d'archéologie
d'Athènes, ministre de Grèce (1865). Ce.
PiAnke, professeur de zoologie à l'Université de Munich, 25,
Brienner Strasse (1882). Ae.
Raymond (P.), D. M., 32, avenue Kléber (1892). T.
Reboue (.T.), D. M., l,rue d'Uzès, à Nîmes, Gard (1893). T.
Reclus (Élie), 22, rue Vilain XIV, Bruxelles (1881). T.
Reglus (Elisée), 27, rue du Lac, Bruxelles (1889). T.
Regalia (Ettore), secrétaire de la Société d'Anthropologie,
3, Via Gino Gaponi, Florence (1893). Ae.
Regnault (F.), D. M., 12, rue de Longehamps (1888). T.
Regny-Bey (de), chef du service de statistique d'Egypte, mem-
bre de l'Institut égyptien, à Alexandrie (1874). Cn.
RÉMusAT(Paul de), 118, r. du Faubourg-Saint-Honoré (18G1).T.
Renard (Léon), D. M., 97, i*ue Toupet-do-Bé veaux, à Chauinont,
Haute-Marne (1880) T.
Retzius (Gustaf), professeur agrégé ;'i la Faculté de Stockholm
(1873). Ce.
Rey (Aristide), député de l'Isère, 1, boulevard Morland (1880). T.
Rey (Philippe), I). M., médecin en chef de l'asile d'aliénés, 2,
chemin de Saint-Pierre, à Marseille (1883). T.
Reyxier (J.-B.), D. M., à Sisteron, Basses-Alpes (1886). T.
XXXVI PERSONNEL
Reynier (Paul), agrégé à la Faculté de médecine, chirurgien
des hôpitaux, 12 bis, place Delaborde (1883). T.
Ribemont D. M., agrégé à la Faculté de médecine. 10, boule-
vard Malesherbes (1876). T.
Ribot (Th.), directeur de la Revue x>hilosophique, professeur
au collège de France, 108, boulevard Saint-Germain (1880). T.
Riccardi (Paul), professeur à l'Université de Modène, Italie
(1888). T.
Riohet (Charles), D. M., professeur à la Faculté de médecine,
15, rue de l'Université (1877). T.
Ritti (Antoine), D. M., Maison nationale de Charenton-Saint-
Maurice, 57, Grand'Rue (1875). T.
Rtvett Carnac (H.), archéologue attaché au gouvernement
civil du Bengale, à Allahabad, Indes anglaises (1883). Ce.
Rivière (E.), archéologue, 50, rue de Lille (18881 T.
* Robin (Paul), 228, rue des Pyrénées (1881). T.
Rocher (Emile), employé aux douanes chinoises, à Shang-Haï
(1881). Cn.
Romer (Floris), proies, à l'Université de Pesth (1807). Ce.
Rondeau (P.), D. M.. 14, rue Desbordes-Valmore (1882). T.
Rothschild (le baron Edm. de), 41, rue du Faubourg-Saint-
Honoré (1875). T.
Rothschild (le baron Gustave de), 23, aven. Marigny(1875). T.
Roussel (Th.), D., sénateur, 71, faub. St-Honoré (1889). T.
* Rousselet (L.), archéologue, 126, Rd St-Germain (1872). T.
Rouvière (le lieutenant colonel de), ancien officier d'ordonnance
du général F aidherbe, ministère de la guerre (1867). Cn.
Roux (E.), D. M., à Rioin, Puy-de-Dôme (1892). T.
Rowe (Léo Stanton), membre de l'Académie des sciences poli-
tiques et sociales de Philadelphie (1891). Ce.
Royer (M1110 Clémence), maison Galignani, 55,boulevarcl Pineau,
à Neuilly, Seine (1870). Hon.
Rubbens (Clément), 27, quai Saint-Michel (1890). T.
Rudler (F.-W.), vice-président de l'Institut anthropologique de
Grande Bretagne et d'Irlande, à Londres (1881). Ce.
Rutimeyer (Ludwig), prof, à l'Université de Bàle (1864). Ae.
Sainte-Marie (Pricot de), consul de France, château de Hierce,
par Brantôme, Dordogne (1880). Cn.
Saintu (O.), D. M., 59Ms, rue Rochechouart (1890). T.
Salmon (Philippe), vice-président de la commission des monu-
ments mégalithiques, 29, rue Le Peletier (1878). T.
Sanrey, D. M., médecin-major au bataillon territorial de
zouaves à Sétif (1878). Cn.
PERSONNEL XXXVII
Sanson (André), professeur à l'École nationale de Grignon et à
l'Institut national agronomique, 11, r. Boissonnade (1862). T.
Saporta (le marquis Gaston de), correspondant de l'Institut,
21, rue Grande-Horloge, à Aix, Bouches-du-Rhône (1869). T.
Sghleigher, libraire-éditeur, 15, rue des Saints-Pères (1891). T.
Schmidt (Waldemar), professeur à l'Université fie. Copenhague
(1875). Ae:
Schmit (E.), pharmacien, 24, rue Saint-Jacques, à Ghâlons-sur-
Marne (1892). T.
Schmit (Oscar), palethnologue, 49, rue du Rocher (1895). T.
Schoett (John), inspecteur général de la vaccination à Madras,
membre de la Société d'anthropologie de Londres, à Madr i
Indes anglaises (187.»). Ce.
Schrader (F.), géographe, 75, rue Madame (1892). T.
Schulhof (Joh. Sieg.), D. M., médecin de l'armée autrichienne
à Raguse (1893). T.
Serillot (Paul), artiste peintre, membre de la Commission des
monuments mégalithiques, 80, boulevard St-Marcel(J878). T.
Sée (Marc), agrégé à la Faculté de médecine, membre de l'Aca-
démie de médecine, 126, boulevard St-Germain (1859). Hcn.
Seeland (N.), D. M., médecin en chef de la province de Semi-
retscheok, à Verei, Russie (1886). Ce.
Séglas, D. M., membre delà Société médico-psychologique, 96,
rue de Rennes (1884). T.
Segoxd, D. M., agrégé à la Faculté de médecine, 11, quai d'Or-
say (1872). T.
* Selys-Longchamps (Walter de), Halloy, prés Ciney, Belgique
(1877). T.
Semelaigne, D. M., château Saint-James, avenue de Madrid, a
Neuilly, Seine (1861). T.
Semelaigne (René), D. M., château Saint-James, avenue de
Madrid, à Neuilly, Seine (180-3). T.
Sérieux (P.), D. M., médecin adjoint â l'asile de Villejuif
(1891). Cn.
Serrano (Matias-Meto), secrétaire de la B. Académie de Méde-
cine de Madrid (1865). Ae.
Serrurier (L.), docteur en droit, directeur du Musée national
d'ethnographie des Pays-Bas, â Lcyde (1886). T.
Sigerson, D. M., professeur de biologie à l'Université de Du-
blin, 3 Clare street (1878). Ce.
Simoneau, 63, rue Manin (1886). T.
Sinety (de), D. M., 14, place Vendôme (1874). T.
XXXVIII PERSONNEL
Sommier (Stephen), secrétaire de la Société d'Anthropologie,
3 via Gino Cappoui, Florence (1893). Ae.
Souchu-Servinière, député 2, rue des Fossés, à Laval,
Mayenne (1867). T.
Spalikowski (Ed.), étudiant en médecine, 2, rue Poitron, Rouen
(1894). T.
Stanley (Davis-Ch. -Henry), D. M., à Meridon, Connecticut,
Ktats-Unis (1878). Ce,
Stapleton, à Dublin (1859). Ae.
Steenstrup, directeur du Muséum de zoologie, à Copenhague
(1872), 10, Norregate. Ae.
* Stephexsox (Franklin-Barche), D. M., Surgeon United States,
Navy, Bartlett street Roxbury, Boston, Mass. (1878). T.
Stieda, professeur à l'Université de Kcenigsberg, (1879). Ae.
Stuer (Alexandre), directeur du Comptoir géologique, 40, rue
des Mathurins (1894). T.
Simaxgala, principal du collège de Yidyodaya, Colombo,
Ceylan (1882). Ce.
Syamour (MlllC), statuaire, 6, rue du Yal-de-Gràce (1888). T.
ïarxowski (Mmc), D. M., trésorière de la Société d'anthropolo-
gie de Saint-Pétersbourg, 104, quai de la Moïka, (1890). T.
Tavaxo, D. M., à Rio-.Tanerio (1878). Ce.
Ten Kate (H. -F.), D. M., Scheveningen, Hollande (1879). T.
Terrier (Félix), D. M., professeur à la Faculté de médecine,
membre de l'Académie de médecine, o, rue de Copenhague
(1871). T.
* Testut, D. M , professeur d'anatomie à la Faculté de méde-
cine, 3, avenue de l'Archevêché, Lyon (1883). T.
Thieullex 'Adrien), 31, rue de Fleurus (1887). T.
Thomas-Marancout (Edm.), villa des Grouettes, à Montigny
sur-Loing, Seine-et-Marne (1893). T.
Thomson (Arthur), professeur d'anatomie humaine, à l'Uni-
versité d'Oxford, 159, Woodstock road (1895). Ae.
Thorel, D. M., 1, place Victor-Hugo (1876). T.
Thelié (H.), D. M., 37, boulevard Beauséjour (1866). T.
Tikhomiroff (A.), secrétaire de la Société impériale des Amis
des sciences naturelles, d'anthropologie et d'ethnographie, à
Moscou (1879). Ce.
Tirant, 1). M., administrateur des affaires indigènes, à Saigon,
Cochinchine (1874). Cn.
Todd (Spencer), secrétaire général du gouvernement de la colo-
nie, au Cap de Bonne-Espérance (1879). Ce.
PERSONNEL XXXIX
Tommasini, D. M., 36, boulevard Séguin, à Oran, Algérie
(1880). T.
* Topinard, D. M., 105, rue de Rennes (1860). T.
Tôrôk (Aurèle de), D. M., professeur d'anthropologie à Buda-
pest (1893). Ae.
Torres (Melchior), professeur agrégé à l'École de médecine de
Buenos-Ayres (1879). Ce.
Tourangin (G.), D. M., 30 bis, boulevard Voltaire (1879). T.
Tourtoulon (DE),Valergues, par Lansargues, Hérault (1878). T.
Tremlett (F. -S), contre-amiral, Belle-Vue, Tunbridge Wells'
Kent and Sussex, Angleterre (1891). Ce.
Trowtowsky, secrétaire général de la Société d'archéologie de
Moscou (1888). Ce.
Trumet de Fontarce, D. M., 10, rue du Général-Foy (1882). T.
Turner (William), professeur à l'Université d'Edimbourg
(1878). Ae.
Tylor ( E. B. ), président de l'Institut anthropologique de
Cirande-Bretagne et d'Irlande, à Londres (1880) Ae.
Tvtler (Robert), gouverneur du Bengale, à Umballa (1866). Ae.
* Valenzuela (Théodore), docteur en droit, ancien ministre
plénipotentiaire de Colombie, à Bogota ii875). T.
Valut, D. M., 32. avenue Aubert, àVincennes (1880). T.
Vandekkindère (Léon), professeur à l'Université libre de
Bruxelles, avenue des Fleurs à Uccle (1884). Ae.
Van Dubex, professeur et directeur du Musée, à Stockholm
(1878). Ae.
Vasgoxgellos-Abreu (de), à Coïmbre (1875). Ce.
Vaughez (Emmanuel), Les Sables d'Olonne, Vendée '1888). T.
Vauvjllé (O.), archéologue, 11, boulevard Barbés (1890). T.
Verneau, D. M., 148, rue Broca (1875). T.
Verxet (G.), 28, rue Boschot, Fontenay-sous-Bois, Seine
(1894). T.
Verneuil (Aristide), professeur honoraire à la Faculté de mé-
decine, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie
de médecine, 11, boulevard du Palais {Fondateur). Hon.
Vernial, D. M., 45, avenue de la République, à Courbevoie
(1880). T.
Véron (veuve Eug.), 78, rue Ney, k Lyon, (1891 1. T.
Viaxna, D. M., à Pernambuc, Brésil (1877). Ce.
Vielle, juge de paix à Château-Thierry, Aisne (1888). T.
Vielle (A.), juge de paix à Ecouen (1885). T.
Vinghon(M.), avocat, 16, rue de Bagneux (1891). T.
* Vinson (Julien), sous-inspecteur des forêts, prof, à l'Ecole na-
XL PEU SONNE L
tionale des langues orientales vivantes, 52, rue de Verneuil
(1877). T.
Virchow, D. M., député, professeur à l'Université de Berlin
(1867). Ae.
Viré (Armand), naturaliste, 21, rue VauÇuelin (1872). T.
Vogt (Cari), professeur à Genève (1863). Ae.
Vogt (Victor), 75, boulevard Saint-Michel (1890). T.
Voisin (A.), D. M., médecin de la Salpêtrière, 16. rue Séguier
(1865). T.
Walther (Charles), ex-médecin inspecteur de la marine en
retraite, à Seuilly, Indre-et-Loire ^1865). Cn.
Walther de la Tour (E.), D. M., ex-médecin de la "marine de
l'État (1874). Cn.
Wecker (L. de), D. M., 31, avenue d'Antin (1868). T.
* Wehlin, D. M., 29, rue de Paris, à Clamart, Seine (1884). T.
Weisgerber (Ed.), ingénieur en chef des ponts et chaussées,
72, rue de Monceau '1888). T.
Weisgerber (H.), D. M., 62, rue de Prony (1880). T.
Wiener, voyageur au Pérou et en Bolivie, 10, rue Saint-Larare
(1878). Cn.
Wilson (Thomas), Smithsonian Institut, à Washington, D. G.,
(1884). T.
* Wissendorff (Henry), 19, Nadexhcliuskaia, à Saint-Péters-
bourg (1886). T.
Withall, à Genève (1868). Ce.
Woldrich, membre de la Société d'anthropologie, à Vienne,
Autriche (1878). Ce.
* Worms (René), licencié ès-sciences, agrégé de philosophie,
docteur en droit, 35, rue Quincampoix (1893). T.
WRZESNiowsKr, professeur d'anatomie à l'Université de Var-
sovie, 2, rue Alexandria, (1880). Ce.
Zaborowski, à Thiais, Seine (1874\ T.
Zellk (.}.), capitaine en retraite de l'armée néerlandaise à
Luxembourg (Grand Duché) (1891). Ce.
Zograff, membre du comité de l'Exposition anthropologique,
à Moscou (1879). Ce.
SOCIETES SAVANTES & RECUEILS SCIENTIFIQUES
AVEC LESQUELS LA SOCIÉTÉ ÉCHANGE SES PUBLICATIONS
(Les 60tiétés préeedéos d'un astérisque recoin ni du Ministère de l'Instruction publique,
Iîs publications de la Société d'Anlhropologfo).
PARIS
Anthropologie (1'). G. Masson, 120, boulevard Saint-Germain.
Archives de médecine et de chirurgie militaires, au ministère de
la guerre.
Archives de médecine navale et coloniale. Pr Kerniogant, pavil-
lon de Flore.
Association général des étudiants, il, rue des Écoles.
Commission des monuments mégalithiques, 8, rue de Valois.
Ecole d'anthropologie de Paris, 15, rue de l'École-de-Médecine.
Laboratoire d'anthropologie de l'École des hautes études.
Laboratoire d'anthropologie du Muséum, rue de BulTon.
Mélusine M. Gaidoz, directeur, 22, rue Servandoni.
Musée Guimet avenue d'Iéna.
Progrès médical, 14, rue des Carmes.
Revue de l'Hypnotisme, 14, rue Taitbout.
Revue sientifiques, 19, rue des St-Pères.
Revue des traditions populaires. M. P. Sébillot, 80, BdSt-Marcel.
Société nationale d'acclimatation de France, 41, rue de Lille.
Société anatomique, 15, rue de l'École-de-Médecine.
Société de biologie, 15, rue de l'École-de-Médecine.
Société d'ethnographie, 28, rue Mazarine.
Société géologique de France, 7, rue des GranûVAugustins.
Société de géographie de Paris, 184, boulevard Saint-Germain.
Société de l'histoire de Paris et de l'Ile de France, 8, rue des
Petits-Champs.
Société médicale des hôpitaux de Paris, 3, rue de l'Abbaye.
Société de statistique, 28, rue Serpente.
Société zoologique de France, 7, rue des Grands-Augustius.
XLII SOCIÉTÉS SAVANTES
DÉPARTEMENTS & COLONIES
Abbeville * Société d'émulation.
Angers * Académie des sciences et belles lettres.
— • . . Société d'études scientifiques.
Arras * Académie des sciences, lettres et arts.
Autan * Société Eduenne.
— Société d'histoire naturelle.
Auooerre Société des sciences historiques et natu-
relles de l'Yonne.
Beauvais * Société acad. d'archéologie, sciences et arts.
Rpl fort Société Belfortaine d'émulation.
Besançon * Société d'émulation du Doubs.
Bone Académie d'IIippone.
Bordeaux * Académiedessciences,belles-lettruset arts.
— Société d'anthropologie du S.-O. et de Bor-
deaux.
— * Société archéologique de la Gironde.
— . • • Société de médecine et chirurgie.
— Société des sciences physiques et naturelles.
Boulogne-s-M * Société académique.
Bourges Société des antiquaires du Centre.
' 'tien «... * Société des antiquaires de Normandie.
Vhambéry Société savoisienne d'histoire et d'archéo-
logie.
Châteaudun Société dunoise d'archéologie, sciences et
arts.
Cherbourg * Société des sciences naturelles.
Constantine Société archéologique.
Dijon * Commission des antiquités delà Côte-d'Or.
Dunkerque Société dunkerquoise.
Epinal Société d'émulation des Vosges.
Gannat Société des sciences médicales.
Grenoble * Académie delphinale.
— Société dauphinoises d'ethnologie et d'an-
thropologie.
Guéret Société des sciences natur. et archéol. de
la Creuse.
Laon Société académique.
Le Havre Société havraise d'études diverses.
Le Mant * Société d'agriculture, siences et arts de la
Sarthe.
SOCIÉTÉS SAVANTES XLIII
Lyon * Académie des science, belles-lettres et art .
— Société d'anthropologie.
— , . Archives de l'anthropologie criminelle, 78,
rue de l'Hôtel de ville.
— Muséum d'histoire naturelle.
Mâcon. * Académie des sciences, arts et belles-lettres.
Marseille * Académie des sciences, lettres et arts.
Montbèliard Société d'émulation.
Montpellier * Société archéologique.
— * Société nationale d'émulation.
Moulins Société d'émulation et des beaux-arts du
Bourbonnais
Nancy Académie de Stanislas.
Nantes * Société académique de Nantes.
— Société des sciences naturelles de l'Ouest
de la France.
Nîmes Académie de Nîmes.
— Société d'études des sciences naturelles, 6,
quai Lafontaine.
Niort * Société de statistique, sciences et arts.
Noyon * < lomité historique et archéologique.
Poitiers '. . Société des antiquaires de l'Ouest.
Reims * Académie nationale.
Rouen * Académie des sciences, belles-lettres et arts.
— Société des amis des sciences naturelles,
VJ bis, vue St-Lô.
Si-Denis (Réunion).. Société des sciences, lettres et arts.
St-Omer . . * Société des antiquaires de la Morinie.
si-Quentin Société académique des sciences et arts.
Soissons Société archéologique, historique et scien-
titique.
Senlis Comité archéologique.
Toulouse Société d'histoire naturelle.
— * Société des sciences physiques et naturelles
Tours Société de géographie.
Troyes Société académique de l'Aube.
Tunis Institut de Carthage.
Vannes Société polymatique du Morbihan.
Yenrlnine Société archéologie et scientitique du Ven-
dùmois.
XLIV SOCIETES SAVANTES
Allemagne.
Berlin ... Anthropologische Gesellschft 120, Kœnig-
gràtzerstrasse.
Dresde Verein fûrErdkunde, Kl. Brudergasse 11, II
Kœnigsberg Physikalisch-Œkonomische Gesellschaft.
Leipzig Verein fur Erdkunde, Uoiversitàtsbiblio-
tek, 4, Beethovenstrasse.
Munich. Deutsche Gesellschaft fur Anthropologie.
Bayerische Akademieder Wissenschaften.
Alsace=Lorraine.
Colmar Société d'histoire naturelle.
Angleterre.
Dublin Royal Irish acaclémy, 19, Dawson street.
Edimbourg Collège of the Physicians.
— Society of antiquaries of Scotland.
— Royal Society.
Londres Anthropological Instituts of Great Britain
and Ireland, 3, Hanover square.
— Journal of Anatoniy and Physiology, Ch.
Grilïin, édit., Exeter street strand.
— Nature Journal, Macniillan, édit. 29, Bed-
fort street, strand.
Autriche.
Cracovie . . . . Académie des sciences.
Prague Cesky Lid, 29, Jecna ul.
Sera ïevo Bosnisch-Hercegovinische Landesmuseum
Trieste Museo civico di stoiïa naturale.
Tienne Anthropologische Gesellschaft, 7, Burg-
ring.
Australie et Nouvelle Zêlancle.
sidney Royal Society of New South Wales, 5,
Elisabeth street north.
Wellington Polynesian society.
Belgique.
Bruxelles Académie royale des sciences, lettres et arts
— Société d'anthropologie.
— Société d'archéologie, 11, rue Raveinstein.
— Société de géographie.
Brésil.
Rio-de- Janeiro Muséum d'histoire naturelle.
SOCIÉTÉS SAVANTES X.LV
Canada.
Toronto Canadian Institute, 58, Richmond street
cast.
Cbili.
Santiago .... ... Société scientifique du Chili, Casilla 12 D.
Danemark.
Copenhague Société royale des antiquaires du Nord.
Egypte
Alexandrie . . Institut égyptien.
États Unis.
Boston Boston Society of Natural History.
Cambridge Muséum Comparative Zoology,atHarward
Collège.
— Peabody Muséum, Harward's University
Chicago American A ntiquarian, 17, Wabasli Avenue
Ph iladelph ie . . . . Academy of natural Science, Logan square .
American Naturalist, 2102 Pine Street.
— American Pbilosophical Society, 1045Fifth
street.
— Numismatic and Antiquarian Society.
Saint-Louis Academy of Sciences.
Salenl Essex Institute.
Washington Anthropological Society, 1315, Corcoran
street.
— Bureau of Ethnology.
— Smithsonian institution.
-r~ U. S. geological and geographical Survey.
Finlande.
Hehingfors Société finno-ougrienne.
Grèce.
Athènes Société historique et ethnographique.
Hollande.
Amsterdam Kon. nederlandsch aardrijkskundig Gen-
nootschap.
XLVI SOCIETES SAVANTES
La Haye Bataviaasch Genootschap van kusten en
wetensehappen.
Indes Anglaises
Calcutta Asiastic Society ofBengal, 57, Park Street.
Italie.
Florence Società italiana di alitropologia ed etno-
logia, 3, via Gino Capponi.
Milan Società italiana di scienze naturali, 5,
via Principe Humberto.
Naples Società reale.
Home Bullettino di Paletnologia italiana, M. le
Corn. L. Pigorini, Gollegio Roinano.
— Società roman a di antropologia, 27, via
Gollegio romano.
— Società geografica italiana.
Turin Cosmos di Guido-Cora, 74, corso Vittorio
Emanuele..
•lapon.
Tohio. Asiatic Society of Japan, 17, Tsukijy.
Mexique.
Cordoba Museo Nacional de ciencias.
Portugal.
Lisbonne ....... Sociedade de geographia.
Porto Revista de sciencias naturaes, e sociaes M.
II. Peixoto, academia polytechnica.
République Argentine.
Cordoba Academia nacional de ciencias.
Roumanie.
Jassy Société des médecins et des naturalistes.
— Societatii stiintifice si literare.
Russie.
Kiev: Université impériale de Saint- Wladimir.
Moscou Société dos amis des sciences naturelles.
Revue d'Ethnographie, musée polytech-
nique.
— Société impériale des naturalistes.
St-I'élersboury . . . . Société impériale de géographie.
Tchita Société impériale de géographie (Transbaï-
kalie).
SOCIÉTÉS SAVANTES XLVII
Suède.
Stockholm Kongl. vitterhets historié oeh antiquitets
akadémiens.
— Svenska sallskapet for antropologi och
geografi.
Suisse.
Bâle Naturforschende Gesellschaft.
Genève Société de géographie.
Lausanne Société vaudoise des sciences naturelles.
Neufchâtel Société neufchateloise de géographie.
613e SÉANCE. — 3 Janvier 1895.
Présidence de M. Issaurat.
INSTALLATION DU BUREAU.
M. Dareste, président sortant, lit l'allocution suivante :
Messieurs et chers collègues,
L'année qui vient de finir a été aussi fructueuse pour l'an-
thropologie que celles qui l'ont précédée. Sans doute, il ne
s'est pas produit de ces grandes discussions qui ont, à diver-
ses reprises, passionné notre Société et donné à tant de nos
collègues l'occasion de montrer l'étendue de leurs connais-
sances et de faire preuve de leurs talents oratoires. Mais la
science s'accroît surtout par l'accumulation de tous les faits
nouveaux et bien étudiés que chaque travailleur apporte à
l'œuvre commune. Nous avons entendu des communications
très imposantes se rattachant à toutes les branches de l'an-
thropologie : anatomie, ethnologie, archéologie et statistique.
Il est inutile de les énumérer aujourd'hui. Je vous rappellerai
seulement le fait si intéressant des trois enfants microcéphales
que notre collègue Laborde vous a présentés, et qui offrent
un si curieux exemple d'une des plus tristes anomalies qui
puissent affecter l'organisation humaine.
Tous les services administratifs de votre Société, grâce à
leur excellente organisation, et au zèle de ceux de nos col-
lègues qui en ont accepté la charge, ont fonctionné à la satis-
faction générale. Je n'ai rien de plus à vous en dire. Mais je
dois vous signaler deux faits très importants pour nous. La
donation d'une allée couverte par Mm0 Blain des Cormiers,
donation faite en 1892, mais qui, par suite des formalités
légales, n'a pu être terminée qu'en 1893, a reçu l'année der-
T. VI (i° SIÎKIE). I
2 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
nière son complément nécessaire. Au mois de juin, cette allée
couverte a été classée parmi les monuments historiques.
D'autre part, notre collègue Collin a découvert dans la vallée
de l'Epte, département de Seine-et-Oise, une autre allée l'ou-
verte de 15 mètres de long, et dans laquelle un a commencé
des fouilles intéressantes. M. Collin s'en est rendu acquéreur
et il en a fait don à l'Ecole d'anthropologie. Puissent ces
libéralités trouver dans l'avenir de nombreux imitateurs!
Nous avons malheureusement, tous les ans, un triste
devoir à remplir, celui de rappeler à votre souvenir ceux de
nos collègues qui ont disparu. Or, celte année, ce devoir est
particulièrement pénible ; car nous avons quinze noms à ins-
crire sur notre liste nécrologique, quinze noms parmi les-
quels il en est d'illustres, mais qui tous ont également droit à
nos regrets.
Parmi les membres honoraires, nous avons perdu Brown
Sequard et Victor Duruy.
Brown Sequard, qui s'était placé au premier rang des phy-
siologistes de notre époque, était un des fondateurs de la
Société. Il avait quitté la France un an après cette fondation,
avec le titre-d'associé étranger. Il était devenu membre hono-
raire en 1889.
Victor Duruy, dont les travaux sur l'histoire grecque et
sur l'histoire romaine sont, depuis longtemps, devenus clas-
siques, est l'un des hommes qui ont le plus contribué au pro-
grès de la Société. C'est lui qui, en 1864, lorsqu'il était mi-
nistre de l'instruction publique, a proposé le décret qui l'a
reconnue comme établissement d'utilité publique.
Les membres titulaires que nous avons perdus sont :
Bataillard, membre du Comité central, qui consacrait tous
ses loisirs à l'histoire des Bohémiens, et a recueilli sur ce
sujet de nombreux documents.
Berchon, médecin de la marine, a recueilli dans ses voyages
de nombreux documents sur l'histoire physiologique des indi-
gènes du Sénégal et de l'Océanie.
Cotteau correspondant de l'Académie des sciences qui s'était
DARESTE. — INSTALLATION DU BUREAU 3
acquis une grande compétence dans l'histoire naturelle des
Fchinides vivants et fossiles, tellement grande qu'il avait été
appelé à déterminer les échantillons des animaux de cette
classe qui sont réunis dans tous les musées d'histoire natu-
relle du monde, de San Francisco à Sidney.
Dupont-White, qui n'a fait que passer parmi nous.
Faucon, archéologue éminent, conservateur du Musée Car-
navalet à Paris. Il est mort quelques semaines après son en-
trée à la Société ; il nous donnait de grandes espérances qui
ne sont aujourd'hui que des regrets.
Landowski, docteur en médecine ; il nous a fait connaître
un cas très curieux de dualité de l'utérus et du vagin.
Ouinquaud, médecin de l'hôpital Saint-Louis et agrégé de
la Faculté de médecine ; il avait commencé d'importantes
recherches physiologiques brusquement interrompues par
une mort prématurée.
Le vicomte René de Semallé qui avait souvent pris part à nos
discussions, jusqu'au jour où l'état de sa santé l'empêcha de
venir siéger parmi nous. Il s'était surtout occupé de l'ethno-
logie de l'Amérique du Nord.
Deux anciens membres titulaires nous avaient quitté depuis
longtemps.
Piketty, éminent archéologue,
et Georges Pouchet, professeur d'anatomie comparée au
Muséum. Il avait fait de nombreux travaux. La Société d'an-
tbropologie ne peut pas oublier qu'un de ses premiers ouvrages
fut un livre remarquable s.ur la pluralité des races humaines.
Enfin, trois associés étrangers : Betz, professeur d'anato-
mie à l'Université de Kiew (Russie); Sasse, docteur en
médecine à Zaandâm (Hollande) ; llannover, membre de
l'Académie des sciences de Copenhague et correspondant de
l'Institut de France. llannover était un anatomiste éminent;
il a fait, pendant une très longue vie scientifique, de nom-
breux travaux, parmi lesquels nous devons mentionner de
belles études anatomiques sur les monstres.
Dix-neuf membres nouveaux viennent combler les vides
4 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
qui se sont produits cette année ; quatorze membres titulaires,
trois associés nationaux et deux associés étrangers.
Il ne me reste plus maintenant qu'à vous remercier bien
cordialement de la bienveillance que vous m'avez témoignée
pendant le cours de cette année. Elle comptera pour moi
parmi les meilleurs souvenirs de ma vie.
Je prie M. Issaurat de prendre ma place au fauteuil.
M. Issaurat, président pour 1893, lit le discours suivant :
Messieurs,
M un premier mut, en prenant place à ce fauteuil, duit être
une parole de remerciement et de reconnaissance pour le
grand honneur que vous me faites. J'en suis profondément
touché, d'autant plus touché et inquiet en même temps, que
vous me faites le successeur immédiat de l'un des deux seuls
survivants des fondateurs de outre Société. Yuus cunnaissez
tuus les travaux du docteur Dareste sur la tératogénie expé-
rimentale. Heureusement pour moi, son éloge n'est plus à
faire, et je puis me borner à le remercier, au nom de tous,
d'avuir bien- voulu nous donner une année de son temps,
temps consacré tout entier aux prublèmes ardus de sa science
favorite.
Messieurs, naguère, l'un de nos distingués présidents vous
disait : « Notre Société en est à cette phase de République idéale
où chaque citoyen exerce à sun tour la fonction de gouverne-
ment. » - - Ici, guuvernemeut signifie direction, ordre à main-
tenir. — L'applicatiun que vous faites aujourd'hui de ce prin-
cipe essentiellement démocratique servira, si vous le voulez
bien, de thème aux quelques paroles que j'ai à vous adresser
et, en même temps, d'exemple et d'encouragement, si besoin
est, aux timides, aux silencieux, aux travailleurs discrets
auxquels vous ne demandez que du dévouement et de la
bonne volonté pour devenir vos élus.
Messieurs, lorsque, il y a une vingtaine d'années, j'eus la
hardiesse, moi, inconnu, dépourvu de tout bagage scienti-
C. ISSAURAT. — INSTALLATION DU BUREAU 5
fique, de me joindre au petit groupe de libres penseurs, mes
amis, que vous reçûtes le même jour dans votre compagnie,
je ne me doutais guère que vous me feriez monter, d'échelon
en échelon, jusqu'aux degrés les plus élevés de votre Société.
Aujourd'hui encore, j'en suis à me demander quels sont mes
. titres à vos -bienveillants suffrages. Oh! je sais bien qu'en y
regardant de près je pourrais découvrir, à travers les nuages
de noire poussière que j'ai soulevés dans votre bibliothèque
pour compléter l'inventaire de vos richesses bibliographiques
et vous en faciliter le catalogue, je pourrais découvrir, dis-je,
les motifs de votre choix si flatteur pour moi. Mais si j'ai de-
viné juste, et je le crois, laissez-moi vous dire que vous récom-
pensez bien généreusement les petits services que l'on est heu-
reux de vous rendre.
Messieurs, je suis venu chez vous comme on va à l'école,
et l'on y va à tout âge, disait Voltaire. Je n'ai qu'à me féli-
citer d'avoir suivi cette inspiration. Ainsi, un fait entre mille
à citer brièvement : où ai-je appris que le nom vrai, juste, à
la fois scientifique et philosophique de la lutte pour la vie,
souvent si mal compris et si mal appliqué, est et doit être la
survivance du plus apte? Où ai-je appris que, dans la nature
elle-même, cette loi a pour contrepoids et comme pour cor-
rectif cette autre bien supérieure : l'union, l'aide pour la vie?
et tant d'autres choses ayant toutes pour objet et pour but
l'humanité dans toute l'étendue et la force du terme. Mais
c'est chez vous, Messieurs, que j'ai appris tout cela ; et je suis
heureux de le dire bien haut pour l'honneur de la Société,
organe et — passez-moi l'expression — représentante auto-
risée des sciences anthropologiques, sciences auxquelles rien
de ce qui est humain n'est étranger.
Messieurs, je n'ai pas la prétention de vous faire un dis-
cours. D'abord, un discours, moi?...
Des méchants vous ont dit ces nouvelles...
Ce n'est pas ma profession...
vous dirait La Fontaine. J'ai bien pu, parfois, feuilleter quel-
6 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
ques pages de l'Art de penser, mais l'Art de parler, l'Art ora-
toire m'est toujours resté parfaitement inconnu. Je ne l'ai
jamais tant regretté qu'aujourd'hui.
D'ailleurs, lorsque je me rappelle à quelle hauteur de pen-
sée et de style mes prédécesseurs se sont élevés, l'idée ne me
vient pas, et pour cause, d'essayer de les suivre sur ces som-
mets, seulement je me demande quel langage, quelles expres-
sions suffisamment modestes je pourrais employer pour ne pas
être taxé d'orgueil ! Ce n'est pas de la modestie qu'il me fau-
drait faire, c'est de l'humilité. Humilité I ce mot sonne mal à
mon oreille, certains en ayant fait un synonyme plus ou
moins hypocrite de vanité. Une chose pourtant me rassure,
sous ce rapport, c'est que vous venez de me donner un titre
dont je suis heureux et fier, et qui ne me permet pas, ne
fut-ce que par respect pour vous de courber mon front trop
bas. Et puis, faut-il vous l'avouer? je suis un peu disciple de
Rabelais, du moins j'ai beaucoup lu son livre, le Livre,
comme disait le cardinal de Bellay; eh bien, Rabelais échap-
pait aux humilités équivoques, ironiques, en prenant la fuite.
,Je vous demande la permission de faire moralement comme
lui, en niellant un lerme à ce trop long bavardage, en rede-
venant simple auditeur, simple écolier, comme je disais tan-
tôt, et en vous donnant la parole à vous-mêmes, bien certain
que ce que vous direz vaudra infiniment mieux que tout ce
que je pourrais dire moi-même.
.Mrs chers collègues, une prière, en terminant : si vous vou-
lez que les fonctions dont vous venez de m'investir ne soient
pas trop lourdes pour mes faibles épaules, mettez le comble
a votre bienveillance en continuant d'avoir toujours, les uns
pour les autres, cette courtoisie, ce respect qui, ici, plus
qu'ailleurs, se nomme attention et silence.
Avant de m'asseoir, je vous propos»1 de voter des remercie-
ments aux deux secrétaires sortants, dont nous avons tous pu
apprécier le zèle et le dévouement.
C. ISSAURAT. — [INSTALLATION DU BUREAU 7
Des remerciements sont votés aux deux secrétaires sor-
tants : MM. Capitan et Cuyer.
M. le Président annonce que le Comité central tiendra sa
séance réglementaire le jeudi 10 janvier, à 4 heures.
OUVRAGES OFFERTS.
Bernard et Féré. — De l'aphasie et de ses diverses formes,
in-8°, 260 pages, Paris, 4889.
( Iharencey (Cte <lej. — Les déformations crâniennes et le concile
de Lima (Ext. de la Revue des Religions), in-8°, ÎS7 pages,
Amiens 1894.
Cazalis de Fondouce (P.). — Une fonderie antique de bronze
des environs de Montpellier (Ext. des Mém. de la Soc. arch. de
Montpellier), in-4°, 4 pages, Montpellier, s. d.
IIirst (Barton C. — The influence of the habituai inclination
of the pelris in the erect posture upon the sharpe and size of the
pelric canal. in-8°, 5 pages, 1894.
périodiques. — (Articles à signaler).
Bulletino di paletnologia italiana, tome X, noS 7-9, 1894. —
Castelfranco : Villaggi e necropoli lacustri.
ELECTIONS.
M. le Dr Desfréaux, présenté par MM. Letourneau, Hervé
et Collignon est élu membre titulaire.
M. Arthur Thomson, professeur d'anatomie humaine à
l'Université d'Oxford,, présenté par MM. Manouvrier, Letour-
neau, G. de Mortillet, Hervé et Papillault est élu membre
associé étranger.
M. Ervand Lalayantz, présenté par MM. Letourneau, Ma-
nouvrier, Dareste, Cuyer et Sébillot est élu membre correspon-
dant étranger.
8 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
A propos du procès-verbal.
Habitations sotiterraiu.es.
M. Bonnet. — Voici, d'après le D1' Bourgoin, de Selles-sur-
Cher, quelques renseignements sur les habitations souter-
raines de l'époque mérovingienne des départements de l'Indre et
de Loir-et-Cher dont j'ai entretenu la Société dans la précé-
dente réunion.
Les habitations souterraines du canton de Saint-Christophe-
en-Bazelle et celles du canton de Yalençay, au lieu dit Bar-
zelle, à cause du peu de solidité du terrain, étaient revêtues
intérieurement de pierre en moyen appareil. Dans le pays,
ces cryptes sont appelées Bardelle. Les noms de Barzelle,
Bazelle, Barzeille, Bardclin, qui sont communs dans cette
contrée, ne sont probablement qu'une corruption de Bardelle.
Un petit ruisseau près de Bazelle, canton de Valençay, est
appelé Reau-Bardcllas, Bardella, diminutif de Barda, appar-
tient à une famille de mots impliquant l'idée d'abri ou de cou-
verture.
Sur le coteau de l'Indre, à Villedieu, à Mehun et à Saint-
Benoît-du-Sault,ces demeures souterraines sont creuséesdans
le roc.
D'après le D1' Bourgoin, elles se multiplieraient dans les
environs de Limoges au point de donner le nom à une ville,
La Souterraine.
Dans le département de Loir-et-Cher, il en a été trouvé
une à Belleroche, près Thésée, avec son trésor intact. Le D1
Bourgoin ne désigne pas les objets composant ce trésor. Deux
ont été découvertes à Saint-Ambroin-sur-Arnon, une autre
près de Villentrois (Indre). Ces quatre demeures étaient creu-
sées dans le roc, la nature du sol le permettant.
Au Chàtelier, près Soings,il a été trouvé des chambres sou-
terraines à l'extrémité d'un long corridor auquel on descen-
PRÉSENTATIONS 0
dait par un escalier en pierre. Les murs étaient doublés d'une
couche d'argile pour arrêter l'infiltration des eaux, précau-
tion nécessaire dans un sol aussi humide que celui de la
Sologne.
Le Dr Bourgoin fait la remarque que toutes ces habitations
sont dans le, voisinage des voies romaines et, ainsi que je l'ai
dit dans ma précédente communication, les fait remonter à
l'invasion des Barbares, tout en les considérant comme de-
meures temporaires, comme cachettes.
PRESENTATIONS.
A propos des déformations crâuienues dans l'art autique.
M. Câpitan. — Dans le dernière séance, le 1)'' Regnault a
fait une communication sur diverses figurines grecques et
égyptiennes du Musée du Louvre sur lesquelles il a constaté
la représentation de diverses déformations crâniennes sem-
blables à celles que nous observons parfois aujourd'hui
encore.
Je voudrais vous montrer deux petites tètes grecques origi-
nales en terre cuite. L'une représente un individu à front
fuyant et déprimé presque autant que celui des petites têtes
mexicaines si abondantes dans les collections à crâne allongé.
La face a une expression de stupidité très bien rendue. L'au-
tre tète représente un sujet à crâne plutôt conique, à gran-
des oreilles, à large nez épaté, large bouche grimaçante et
menton de galoche.
Sans entrer dans des dissertations littéraires sur ces deux
tètes, je crois qu'elles peuvent parfaitement venir à l'appui
de la proposition suivante : les anciens (et ici nous ne parle-
rons que des Grecs n'ayant devant les yeux que des docu-
ments grecs) observaient et copiaient l'homme mais ils le
faisaient en artistes et en artistes spirituels, sachant trouver
10 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
dans un modèle le côté ou l'aspect piquant et original, puis
exprimer, par une exagération voulue, ce côté qui les intéres-
sait dans le sujet qu'ils voulaient exprimer. Les exemples de
ce fait sont fort nombreux.
Pour nous en tenir à nos deux figurines, la première repré-
sente probablement un sujet a crâne déformé et à aspect peu
intelligent, mais l'artiste grec a exagéré la déformation
crânienne, poussé à l'extrême le rendu de la physionomie et
a, ainsi, constitué une charge véritable. Pour l'autre tête, la
chose est encore plus nette; c'est bien un grotesque qu'a
voulu représenter le modeleur grec. Peut-être a-t-il eu comme
modèle sous les yeux ou dans sa mémoire un déformé ou un
idiot ou bien encore un pitre expert en grimaces comme il en
est de nos jours encore de célèbres au Japon. Toujours est-il
que sur ce type vu l'artiste antique à édifié un type Imagina-
tif rendant mieux sa pensée et ne présentant que très modi-
fiés ou altérés les caratères du modèle.
Nous pensons donc que cette notion ne doit pas être mise
de côté quand on cherche à analyser l'œuvre des modeleurs
antiques. Si parfois ils ont représenté des types pathologi-
ques ou anormaux, c'est le plus souvent en leur donnant un
caractère qui en fait une reproduction éloignée et non fidèle
de la nature. Vouloir baser des diagnostics pathologiques ou
de morphologie scientifique sur des figurines anciennes grec-
ques me parait un peu hasardeux.
Discussion.
M. Regnault. — Le point important dans cet examen des
statuettes antiques est de savoir si l'artiste a eu sous les yeux
le modèle de déformations qu'il a représenté. Qu'il l'eut repré-
senté en l'exagérant, c'est ce que font presque tous les
artistes dans leurs œuvres encore de nos jours.
Mais il est bien évident pour tous que l'artiste n'a pu
inventer les déformations dont M. Gapitan nous met sous les
yeux les spécimens.
G. DE MORTILLET. — PHOTOGRAPHIES ANTHROPOLOGIQUES 11
Photographies anthropologiques.
M. G. de Mortillet. — J'ai l'honneur de présenter a la Société
des photographies qui, avec juste raison, peuvent être qua-
lifiées de Photographies anthropologiques. Ces photographies re-
présentent des types humains, tout à fait à l'état de nature,
entièrement nus, debout, les jambes rapprochées, les bras
pendants le long du corps. Ils sont pris sous trois aspects
différents : complètement de faee, exactement de profil et en
plein dos. On peut ainsi étudier les individus dans tous leurs
détails et sous tous les points de vue. On peut aussi les compa-
rer entre eux les poses étant toujours les mêmes.
Les photographies que je vous présente ont été prises sur
des plaques mesurant 18 centimètres de large, sur 24 de hau-
teur. C'est un format courant qu'on rencontre partout dans
le commerce. J'ajouterai que c'est le meilleur de tous les
formats. Plus petit, l'étude est moins facile; il peut échapper
des caractères. Plus grand, c'est une augmentation de prix
presque sans avantage. En outre la plaque 18-24 permet de
coller les trois poses à côté l'une de l'autre dans un album
d'étude de dimension ordinaire, ou d'en former un tableau
sur carton de dimension commode. C'est d'autant plus facile
que l'individu debout est loin de remplir les 14 centimètres
du cliché et que l'on peut réduire la largeur des épreuves.
C'est ce qui a été fait pour les photographies présentées. Au
nombre de neuf, elles sont collées trois par trois sur trois
feuilles. Il y a donc trois types différents :
1° Un Juif.
2° Une Juive.
3° Un jeune Arabe, tous les trois de Tunis.
Le jeune Arabe est marabout, titre caractérisé par une
coupe toute particulière fie la chevelure. 11 a ses bras bien
pendants. Le Juif et la Juive les ont beaucoup moins tom-
bants. Est-ce un caractère ethnique? Naturellement, Juif et
12 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
Arabe sont circoncis. Leurs photographies permettent de bien
observer cette mutilation religieuse.
C'est l'Ecole d'Anthropologie, toujours désireuse de faire
progresser la science qui a pris l'initiative de faire exécuter à
Tunis les dites photographies. Elles est fort désireuse devoir
suivre son exemple, certaine qu'il en résulterait de véritables
avantages pour la science.
Discussion du «Pitliecanthropus ère c tu s » comme précurseur
présumé de l'homme.
ParL. Manouvrier.
Sur l'invitation de plusieurs collègues, je viens entretenir la
Société d'une découverte récente qui mérite la plus grande
attention, car il ne s'agirait de rien moins, d'après son autour,
que de l'origine de l'espèce humaine.
Il faut bien se dire, ici, que jamais cette origine ne se trou-
vera écrite explicitement sur des pièces anatomiques. Il faut
interroger minutieusement les pièces même incomplètes, car
on attendra peut-être toujours en vain des pièces parlantes
sans réticence ni ambiguïté. On aurait tort de traiter à la
légère des documents sous prétexte qu'ils ne portent pas en
eux une démonstration péremptoire. L'origine de notre espèce
par voie d'évolution, est un de ces faits que l'on ne peut
reconstituer à l'état visible et tangible. C'est une question dans
laquelle on sera peut-être toujours obligé de faire intervenir
des hypothèses plus ou moins plausibles. Mais ces bvpothèses
elles-mêmes ne sont pas à dédaigner si, dès aujourd'hui, elles
reposent sur des faits certains, si elles sont d'accord avec nus
connaissances actuelles et ne sont en opposition avec aucune,
si enfin elles se relient avec une doctrine générale solidement
basée telle que la doctrine de l'évolution et du transformisme.
Ces conditions suffisent pour que tout homme impartial et
t.. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU IMTHECANTUROPUS ERECTUS 13
indépendant préfère une telle hypothèse à toute autre ne réa-
lisant pas les mêmes conditions, quille à tenir docilement
compte des faits contradictoires et des indications nouvelles
qui peuvent survenir.
Voici la découverte dont il s'agit :
En 1891-92, M. le D1' Eug. Dubois, médecin militaire hol-
landais, a trouvé, à Java, dans un terrain qui appartiendrait
au pliocène supérieur ou au quaternaire le plus ancien et ren-
fermant d'autres fossiles, quelques restes squeleltiques d'un
intérêt tout particulier. Ces restes consistent en une calotte
crânienne, une dent molaire et un fémur entier. M. Dubois a
étudié ces pièces avec le plus grand soin et en a donné une
description très complète, accompagnée de dessins et de pho-
togravures dans un bon mémoire qui promet de faire grand
bruit ''. Il attribue ces os à un animal intermédiaire entre les
grands singes anthropoïdes et l'homme, possédant l'attitude
verticale, et qu'il nomme, pour cette raison a Pithecanthropus
erectus». Il pense même qu'il s'agit du véritable précurseur
de l'homme.
Sans doute les trois pièces squeleltiques trouvées par M. Du-
bois sont insuffisantes pour satisfaire la curiosité des anato-
mistes. Cependant, je puis dire, en ce qui me concerne, que
ces trois pièces sont presque exactement celles que j'aurais
choisies pour m'éclairer sur la question s'il m'eût été permis
d'en choisir trois seulement sur un squelette entier.
En effet, nous possédons une portion de la boîte crânienne
suffisante pour nous édifier sur le volume et sur la forme
générale de l'encéphale, jusqu'à un certain point sur la taille
de l'animal, et même pour nous faire soupçonner la direction
de l'attitude. En second lieu, le fémur contribue à renforcer
notre opinion sur là taille, sur l'attitude du corps, sur l'im-
portance relative de l'appareil locomoteur par rapport au
i Pithecantliropus erectus, eine mcnschenaehxliche ueberflansform
ans Java. (Batavia Landesdruckerei, 1894).
44 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
crâne, sur le mode de locomotion et sur le genre auquel peut
être rattaché l'animal dans l'ordre des primates. Enfin la
dent, qui est une troisième molaire, nous renseigne sur l'im-
portance relative des maxillaires par rapportai! crâne et par
rapport à l'appareil locomoteur. Si au lieu de cette dent on eût
trouvé seulement la moitié d'une mandibule même complè-
tement édentée, je ne puis m'empêcher de remarquer que
j'aurais eu le plaisir d'examiner précisément les trois pièces
de squelette que j'ai choisies autrefois pour en étudier les
relations pondérales comme possédant la signification phy-
siologique la plus nette au point de vue du développement
atteint par trois grands ordres de fonctions *. Mais, en
somme, une 3e molaire régulièrement développée constitue
déjà une pièce capable de nous donner de sérieux renseigne-
ments sur le développement de l'ensemble des mâchoires.
Voilà pourquoi les trois pièces trouvées par M. Dubois ont
fortement attiré mon attention et pourquoi je me permets de
les étudier après lui, d'après les photographies et les mesures
qu'il en a données. Malheureusement, la dent ayant été trou-
vée à un 1 mètre et le fémur à 15 mètres du crâne, il n'est
pas absolument certain que ces trois pièces proviennent d'un
même individu. M. Dubois a beau affirmer énergiqueinent sa
conviction à cet égard, le doute s'impose. Aussi, après avoir
exposé mon opinion sur chacune des trois pièces considérées
isolément, j'envisagerai successivement trois situations :
1° Le crâne, la dent et le fémur appartiennent à un même
squelette.
2" Le crâne et la déni sont seuls en cause.
3° Le crâne seul est en cause.
Le fémur. — 31. Dubois s'est efforcé de trouver sur le fémur
des caractères de différenciation d'avec le fémur humain, mais
1 L. Manouvrier : Recherches d'anatomie comparative, etc
ier Mémoire : sur le développement quantitatif comparé de l'encéphale
et de diverses parties du squelette (Bull, de la Société Zoologique de
France, T. VII. Paris 1882).
L. MANÛUVRIER. — DISCUSSION DU PITRECANÏHROPUS ERECTUS 15
les traits différentiels qu'il signale me paraissent insuffisants.
Ce sont des traits que l'on rencontre très fréquemment sur des
fémurs humains. L'incurvation de la ligne rugueuse qui unit le
grand trochanter au petit trochanter, par exemple, est un
caractère régulier dans l'espèce humaine. Le rapprochement
des deux condyles ne présente rien de plus extraordinaire; il
est en rapport avec une largeur plutôt faible du corps de l'os.
Rien de particulier non plus dans le volume de la tète fémo-
rale, dans l'angle du col, dans l'inclinaison du corps, dans la
saillie pilastrique.
Cette saillie mérite particulièrement notre attention, car
elle possède une signification physiologique très nette sur
laquelle j'ai insisté ailleurs1. Si l'on compare les anthropoïdes
aux quadrupèdes, aux singes inférieurs, à l'homme et aux
anthropoïdes, c'est chez ces derniers que l'indice pilastrique
ou indice de section de la portion moyenne du corps de l'os
est le plus faible et chez l'homme (marcheur bipède) qu'il est
le plus élevé. Ce fait a élé mis en évidence par Broca et j'en
ai montré la raison dans mon mémoire '. D'après mes propres
recherches, l'indice pilastrique varie de 71.7 chez un gorille
à 93.0 chez un chimpanzé, tandis que, chez les hommes nor-
maux, je l'ai vu osciller entre 80.7 et 131.9. Or, d'après les
mesures de M. Dubois, j'ai obtenu, pour le fémur de Java, un
indice de 109.1 très supérieur, par conséquent, au maximum
des anthropoïdes, et à peu près égal à la moyenne des hommes.
L'indice pilastrique classerait donc le fémur de Java parmi
les fémurs humains et le différencie nettement des fémurs
d'anthropoïdes. Il atteste un développement humain du muscle
crural et, par conséquent, l'attitude bipède.
La longueur de l'os, mesurée par M. Dubois, est de 453 milim.
Elle correspond, d'après mes tableaux de reconstitution de la
taille pour l'espèce humaine 2, à une taille probable de
i Etude sur les variations morphologiques du corps du fémur dans
l'espèce humaine. (Bull de la Soc. d'Anthr. de Paris 1893).
2 Mémoire sur la détermination de la taille d'après les grands os des
membres (Mémoires de la Soc. d'Anthr. 2° série, t. IV. 1892.
16 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
1 m. 657 pour le sexe masculin, ce qui est à peu près la taille
moyenne des Européens, Une telle longueur fémorale comparée
aux autres dimensions du fémur contribue encore a différencier
le fémur de Java du fémur des anthropoïdes à l'exception du
gibbon. Or, à Java existent précisément des gibbons (Hylobates)
qui diffèrent beaucoup des autres espèces d'anthropoïdes par
leur longueur fémorale. Mais le fémur du gibbon est très
mince. Il faudrait alors supposer que le fémur en question
provient d'une espèce de gibbon d'une taille exceptionnelle
se rapprochant de celle del'homme, et dont le fémur aurait ac-
quis, sous l'influence de la marche bipède, des caractères com-
plètement humains.
Je ne trouve aucune impossibilité à opposer à cette hypo-
thèse, mais je ne trouve rien, non plus, qui la rende néces-
saire, puisqu'il s'agit d'un fémur isolé qu'aucun caractère ne
différencie du fémur humain et qui, considéré à part, n'aurait
jamais été soupçonné d'appartenir à une autre espèce que
l'espèce humaine.
Il ne faut pourtant pas méconnaître que, sans être néces-
saire, l'hypothèse en question est motivée par le voisinage
d'une dent et d'un crâne pithécoïdes, par l'existence à Java
du genre Hylobates dont l'attitude s'éloigne relativement peu
de celle de l'homme. Il n'est pas oiseux, en ce cas, de remar-
quer que cette hypothèse ne se heurte à aucune impossibilité
anatomique saisissable pour le moment.
Ce qui est certain, à mon avis, c'est que, si le fémur de
«lava ne provient pas d'un homme, il n'en présente pas moins
tous les caractères du fémur humain et n'en diffère par aucun
caractère suffisamment tranché pour autoriser à dire que ce
n'est pas un fémur humain.
Il présente une particularité très remarquable, mais d'ordre
pathologique. Cette particularité consiste en des excroissances
tout à fait curieuses situées au niveau des lignes de bifurca-
tion de la ligne âpre. M. Dubois la considère comme résultant
d'un anévrysme traumalique, mais une autre explication me
semble préférable. Ces excroissances me rappellent assez celles
L. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU PITHECANÎHROPUS ERECTUS li
qui résultent parfois de l'ossification des insertions tendineuses
ou aponévrotiques. Mais elles dépassent énormément, en
étendue et en volume, tout ce que jai vu dans ce genre, bien
que j'aie examiné de nombreuses centaines de fémurs et plu-
sieurs collections d'os pathologiques. Je n'ai pu me rendre
compte avec- certitude, d'après les dessins ou photographies
de M. Dubois, de la situation exacte de ces excroissances par
rapport aux insertions musculaires. Les insertions intéressées
pourraient être celles du moyen adducteur et du pectine,
muscle également adducteur. Mais je ne puis rien affirmer,
sinon qu'il s'agit d'une anomalie extrêmement rare, au point
qu'elle n'a probablement jamais été observée à ce degré dans
l'espèce humaine.
Peut-on voir la un fait propre à corroborer dans une cer-
taine mesure, l'opinion qu'il ne s'agit pas d'un fémur humain?
Il faut avouer que cet argument tout seul serait un peu
maigre. Sans doute, il est singulier que l'on soit tombé
par hasard sur un fémur présentant une altération si extra-
ordinaire, mais le hasard produit de ces singularités, et le
hasard peut être invoqué ici à bon droit, parce que l'anoma-
lie en question semble être rare chez les anthropoïdes aussi
bien que chez nous. Jusqu'à plus ample informé, les excrois-
sances du fémur de Java doivent donc être laissées de côté
comme indifférentes dans la discussion.
La dent. — La 3e molaire supérieure trouvée par M. Dubois
paraît avoir appartenu à un grand anthropoïde.
L'aspect de sa surface triturante seul rappelle plutôt
l'espèce humaine, car les cuspides sont peu saillantes et
arrondies comme chez l'homme; mais par son volume, la di-
rection antéro-postérieure de sa couronne et l'écartement con-
sidérable de ses racines, elle s'éloigne trop des molaires
humaines pour qu'elle puisse être attribuée à un homme. Elle
diffère assez, d'autre part, des dents de gorille, de chimpanzé
et d'orang pour qu'un doute s'élève à propos de ces trois
espèces et que l'on puisse soulever l'hypolbèse d'une espèce
t. vi (4e si-rie). 2
18
SÉANCE DU 3 JANVIER i895
inconnue telle qu'un gibbon de très grande taille. Dans l'hy-
pothèse d'une espèce actuelle, je pencherais pour l'oraiig
femelle.
11 y a lieu, pourtant, de se demander si quelque mâchoire
humaine, dans les races nègres ne pourrait pas posséder par
exception une 3e molaire aussi développée.
Ayant examiné dans ce but les collections du Musée Broca,
j'ai d'abord passé en revue infructueusement une centaine de
crânes de nègres d'Afrique et de l'Oeéanie sans rencontrer
une dent pareille, mais j'ai fini par en trouver une sur un
crâne Néo-Calédonien. Ce crâne (nn 33 ) provient de Kanala
Fig. 1.
CrAne d'un Néo-Calédonien de Kanala.
S. — La 3e molaire inférieure dont la couronne présente une
direction semblable et des dimensions égales à celles de la dent de
Java.
om. — Absence de renflement pariéto- occipital.
Diamètres :
Antéro-post. maximum — 188min. Mélopique = 183.
Transverse maximun — 132. Basiobregmatique ~ 13G.
Frontal minimum ~ 95. Hizygomatique =: 136.
L. MANOUVRIKR. — DISCUSSION DU IMTHRCANTHUOPUS EtlECTUS 19
et fait partie d'une série donnée à la Société d'Anthropologie
par le Dr Bourgarel. La 3e molaire droite inférieure présente
la même direction et le même volume que celle du prétendu
pitheçanthropus. La longueur de la couronne, dirigée d'a-
vant en arrière, mesure 15 millim. et la largeur 12 rnilim.
(l'est une dent très régulièrement plantée et dont le volume
n'est pas exagéré par rapport à celui des deux autres grosses
molaires qu'elle accompagne. Le poids de la mandibule at-
teint près de 130 grammes. La 3e molaire inférieure gauche
est un peu moins grosse, ce qui n'a rien d'extraordidaire.
Les six grosses molaires de la mandibule en question pré-
sentent un volume considérable soit absolument, soit relati-
vement aux petites molaires et aux incisives, fait assez
fréquent, mais particulièrement marqué ici. Du côté de la
troisième molaire dont il s'agit, les petites molaires sont peu
volumineuses et très serrées l'une contre l'autre. En outre,
les alvéoles des deux incisives sont très étroites. L'alvéole de
la canine est au contraire large et profonde.
La petitesse des fausses molaires et des incisives est un
fait commun chez les Néo-Calédoniens. Comme il est très
accentué sur la mandibule dont il s'agit, il est peut-être en
corrélation avec la grandeur extraordinaire de la troisième
molaire.
Quoi qu'il en soit, la dent présentée par M. Dubois n'offre
pas un volume et une direction sans exemple dans l'espèce
humaine.
Je n'ai parlé, il est vrai, que de la couronne de la dent. Il
faut aussi parler des racines. Or, les racines de la dent
exceptionnelle que j'ai rencontrée sont très rapprochées
l'une de l'autre et beaucoup moins grosses que celles de la
dent de Java.
D'autre part, cette dernière est une troisième molaire supé-
rieure, tandis que la dent dont je viens de parler appartient
à la mâchoire inférieure.
Or, la troisième molaire inférieure est très généralement
plus grosse, chez l'homme, que la supérieure correspondante.
20 SÉANCE DU 3 JANVIER 4895
C'est ce qui a lieu chez mon Néo-Calédonien dont les troisièmes
molaires supérieures sont loin d'atteindre le volume de la
dent de Java, même k ne considérer que la couronne.
En somme, je n'ai pu trouver, dans l'espèce humaine,
qu'une seule troisième molaire atteignant le volume et pré-
sentant la direction de la dent de Java. Et c'est une troisième
molaire inférieure. Et les racines en sont petites et peu écar-
tées, relativement à la dent de Java. Quant ù la troisième
molaire supérieure, je n'ai pu en trouver aucune, approchant
de la dent de Java, môme dans les races nègres. "Je dois donc
considérer cette dent comme ayant appartenu soit à un
anthropoïde, soit à un être humain d'une race disparue.
Le crâne. — Le crâne du prétendu Pithecanthropus est
surtout remarquable par son très faible volume, si c'est un
crâne humain, — par son énorme volume si c'est un crâne
d'anthropoïde. Ses dimensions dépassent, en effet, de beau-
coup celles des plus grands crânes d'anthropoïdes, tout en
restant très inférieures aux dimensions moyennes des races
humaines les moins bien douées sous ce rapport.
A ces dimensions correspondrait, d'après les calculs de
M. Dubois, une capacité crânienne voisine de 1,000 cent,
cubes, tandis que la capacité du crâne, même chez les plus
grands gorilles, ne dépasse guère 600 cent, cubes. En utili-
sant le procédé de l'indice cubique, après avoir, par diverses
comparaisons, évalué approximativement le diamètre vertical
non mesurable, j'ai obtenu, pour le « Pithecanthropus, » de
900 a 1,000, en faisant varier l'indice delà moyenne océanienne
au maximum. Or, la capacité du crâne humain, la microcé-
phalie pathologique étant mise à part, ne descend à un chiffre
aussi bas que chez des individus extrêmement rares, même
dans les races les plus arriérées. Et ces individus sont tou-
jours, soit de très petite taille, soit des faibles d'esprit. Avec
une taille moyenne et une capacité crânienne aussi minime,
un homme ne pourrait être qu'un imbécile d'après tout ce que
nous savons sur ce sujet.
L. MANOUVRI&It. DISCUSSION DU PITHECANTHROPUS ERECTUS 21
Or, la taille du sujet, à ne considérer que les grandes varia-
tions, se traduit par certains caractères crâniens en dehors
de la capacité cubique. Tels sont les caractères sexuels en
général.
Les races humaines de très petite taille (le mot taille étant
pris dans sa large acception) tels que les Bengalis, les Négri-
tos, les Boschimans, présentent des contours crâniens et une
forme crânienne générale fort différente de ceux des races de
forte taille, telles que les Patagons, les Polynésiens, les
Ouolofs, etc.
L'un des caractères les plus saillants, à cet égard, est la
saillie sus-orbitaire de la base du frontal, c'est-à-dire de la
glabelle et des bosses sourcilières. Il n'est pas nécessaire de
voir le fémur ou le tibia de l'homme du Néanderthal pour
être certain que cet homme présentait une masse squelettique
considérable.
Il n'est pas plus nécessaire de posséder un fémur du sque-
lette de Java pour diagnostiquer une taille très forte relati-
vement au volume de l'encéphale.
Or, c'est le contraire qui a lieu chez les individus de petite
taille et d'intelligence normale. L'encéphale, chez eux, est
très développé relativement à la masse du corps, et c'est pré-
cisément pour cela que les portions accessoires ou du moins
plus particulièrement en relation avec le développement
général du squelette, sont peu développées relativement à la
boîte crânienne.
Plus l'encéphale est volumineux par rapport à la masse du
corps, plus la partie supérieure du front tend à proéminer
par rapport à la portion inférieure, ainsi qu'on le voit chez
les races de faible stature comparées aux races de forte
stature, chez les femmes comparées aux hommes, chez les
petits hommes comparés aux grands dans une même race,
chez les enfants comparés aux adultes. Sans méconnaître la
complexité de cette question que j'ai beaucoup étudiée, je
crois inutile d'insister davantage pour montrer que le crâne
de Java peut être considéré comme n'ayant pas appartenu à
22
SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
un pygmée. Or, un pygmée seul pourrait avoir une intelli-
gence moyenne de sauvage avec un si petit encéphale. Encore
n'est-ce pas certain. Les pygmées eux-mêmes dont on a pu
mesurer le crâne, ceux, par exemple, qui ont été étudiés
récemment par Kollmann, avaient tous une capacité crânienne
très supérieure à 1,000 cent, cubes.
Le crâne de Java présente à un degré plus prononcé encore
que le crâne du Néanderthal, eu égard à son faible volume,
et par conséquent à un degré jusqu'alors inconnu dans
l'espèce humaine, la disposition en visière de la portion sus-
orbitaire du frontal. Ce caractère, à lui seul, permettrait de
douter que le crâne en question appartienne à l'espèce
humaine. Il indique, en outre, une taille absolument assez
forte et relativement très forte par rapport à l'encéphale. La
Fig. 1 bis. — Voûle crânienne du « Pitliecanthropus » comparée à
celle du Néanderthal avec même réduction. Dessin de M. A. de
Mortillet (Extr. de la Revue de l'École d'Anthr., février 1895).
Les autres figures ont été dessinées par l'auteur avec lestéréogra-
phe de Broca et réduites au 1/3.
L. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU PITHECANTHROPUS ERECTUS 23
capacité crânienne .est enfin extraordinàirement faible d'une
façon absolue pour une race humaine même sauvage, fût-ce
une race de pygmées.
La forme du crâne indiquant d'autre part une taille nulle-
ment pygméenne, on peut conclure que si l'individu appelé
Pithecanthropus appartenait à l'espèce humaine, il ne possé-
- dait qu'une intelligence inférieure à celle des peuples sauvages
les plus stupides que nous connaissions; c'était un sauvage
imbécile pour le moins, sinon un idiot.
Telle est l'indication fournie par le volume du crâne et par
la disposition en visière du frontal.
Les autres caractères du crâne ne sont point en contradic-
tion avec ceux-là. Ils confirmeraient plutôt la conclusion ci-
dessus, notamment la forte inclinaison du front, sa très
faible largeur absolue et relativement à la largeur pariétale.
Sous ces rapports, le crâne de .lava serait inférieur au crâne
du Néanderthal. Sous d'autres rapports, moins significatifs,
le crâne en question n'est pas extraordinaire. Sa norma ver-
ticalis, abstraction faite de la saillie sus-nasale, serait faible-
ment brachycéphale. L'indice vertical est faible, autrement
dit le crâne est bas, mais ce caractère est assez fréquemment
observé chez des Européens suffisamment intelligents.
La situation plus ou moins reculée du trou occipital serait
un caractère fort intéressant, mais la portion inférieure de l'os
occipital étant absente, c'est tout au plus si l'on peut pré-
sumer que le trou occipital était situé plus en arrière qu'il
ne l'est chez la moyenne des Australiens.
La direction dé ce trou, indiquée par l'angle de Daubenton,
ou par l'angle basilaire de Broca, eût été aussi intéressante,
mais elle nous esl plus inconnue encore que sa situation, car
elle dépend en grandi' partie de la direction et de la longueur
de l'apophyse basilaire qui manque totalement. On ne peut
donc rien affirmer, d'après le crAne, au sujet de l'altitude et
de la direction de la colonne vertébrale (liez le fossile de
Java.
Mais, autant que l'on en peut juger d'après la photogra-
24 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
phie de M. Dubois, le crâne de Java présente un autre carac-
tère très important, à mon avis, qui contribue puissamment
à lui donner une forme pithécoïde.
Ce caractère consiste en un renflement de la portion infé-
rieure et postérieure de la région pariétale, renflement qui se
continue en arrière avec la crête occipitale supérieure, et en
avant avec la crête sus-mastoïdienne.
Fig. 2. — Crâne du t Pilhecanthropus » d'après la photographie de
M. Dubois, 2/5 grandeur naturelle.
X. — Renflement pariéto-occipital.
B. — Position supposée du basion, d'après laquelle le diamètre
basio-bregmatique =
Je ne connais pas d'exemple, dans l'espèce humaine et
même dans les races océaniennes, d'une telle disposition qui
est, au contraire, l'une des caractéristiques du type crânien
des anthropoïdes comparé au type humain. Je n'ai pu la
trouver, et encore à un état très atténué, que dans deux cas
de microcéphalie franche sur une douzaine decrânes microcé-
phales existants au musée Broca.
Cette disposition existe à son plus haut degré sur les crânes
de grands gorilles maies dont la crête occipitale et la crête
sus-mastoïdienne forment une crête unique très saillante qui
X. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU PITHECANTHROl'US ERECTUS 25
Fig. 3. — Crâne d'un microcéphale adulte présentant par excep-
tion ce même renflement, grandeur = 1/3.
se continue même au-dessus du méat auditif avec l'arcade
zygomatique. Elle résulte évidemment du développement
énorme des muscles de la nuque sous l'influence duquel la
crête occipitale s'est élevée très haut sur la paroi postérieure
du crâne, absolument de la même manière que les muscles
temporaux se sont élevés jusqu'au-dessus du vertex.En même
temps que les muscles de la nuque ont envahi une portion
importante de la région postérieure du crâne, ils ont envahi
également toute la région postérieure et inférieure des os
temporaux. C'est, en somme, une conséquence d'un faible
développement encéphalique par rapport à un grand déve-
loppement musculaire.
Cette disposition existe à un degré moindre chez le gorille,
femelle, les orangs et les chimpanzés; elle est plus atténuée
encore chez les jeunes gorilles, orangs et chimpanzés et
n'existe pas encore chez les très jeunes anthropoïdes dont le
système musculaire est en retard par rapport au développe-
ment encéphalique. Quand elle commence à apparaître, c'est
sous la forme d'un simple renflement de la région auriculo-
iniaque. La saillie des crêtes ne se produit que lorsque les
muscles continuent à croître après que le cerveau a atteint à
peu près son complet développement. Les variations de celle
saillie suivant l'âge, le sexe et la taille s'expliquent donc très
26
SÉANCE DU 3 JANVIER 18U5
Fw. 4. — Crâne d'un chimpanzé non adulte présentant le renfle-
ment pariéto-occipital perceptible sur le crâne de Java (1/3).
facilement. La figura 4 montre approximativement l'état des
choses chez un chimpazé jeune dont la canine et la troisième
molaire sont encore incomplètement sorties.
Dans l'espèce humaine l'encéphale atteint presque toujours
un volume assez grand, soit absolument, soit relativement aux
muscles de la nuque d'ailleurs peu développés comparative-
ment à ceux des anthropoïdes, pour que la crête occipitale reste
toujours à un niveau plus bas que celui de la crête sus-mas-
toïdienne, de sorte que la crête occipitale prolongée resterait
séparée de la crête mastoïdenne par un intervalle om (fig. 1)
de 1 à 2 centimètres.
Chez les microcéphales, cet intervalle subsiste ordinaire-
ment en dépit de l'exiguïté du crâne parce que le volume du
crâne atteint encore généralement ou dépasse celui des an-
thropoïdes, tandis que les muscles de la nuque sont presque
toujours peu développés comme l'ensemble du système mus-
culaire. Si j'ai pu trouver deux crânes de microcéphales pré-
sentant à peu près la disposition simienne, dont il s'agit, c'est
que l'un d'eux appartenait à un sujet grand et vigoureux
(Edern), et l'autre à un sujet dont le trou occipital est telle-
ment reculé en arrière que les insertions des muscles de la
nuque n'ont pu trouver place qu'en remontant jusqu'à un ni-
I. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU PITHECANTHltOPUS ERECTUS 27
veau exceptionnellement élevé par rapport au méat auditif.
C'est ce dernier crâne que représente la figure 3.
Il est donc très remarquable de voir, sur le crâne de Java,
la crête occipitale supérieure en continuité avec un ren-
flement postérieur et inférieur de la région pariétale, renfle-
ment qui semble se confondre lui-même avec la crête sus-
mastoïdienne. Par ce caractère, le crâne de Java ne s'éloigne
pas du type humain au même degré que les crânes d'anthro-
poïdes adultes, mais il s'en éloigne autant que les crânes
de gibbons jeunes à dentition incomplète.
J'ai cherché en vain, parmi une centaine de crânes humains
d'Océanie, ce renflement pariéto-iniaque. J'ai trouvé seule-
ment quelques crânes Néo-Galédoniens sur lesquels la crête
occipitale supérieure se trouve au niveau de la crête sus-mas-
toïdienne, mais je n'ai pu en trouver aucun sur lequel le ren-
flement sus-mastoïdien se trouve, comme sur le crâne de
Java, plus bas que la crête occipitale.
Il est vrai qu'une certaine réserve à ce sujet m'est imposée
par le fait que le caractère en question pourrait être simulé
sur la photographie de M. Dubois, par quelque jeu d'ombres.
C'est pourquoi je prie la Société d'Anthropologie de faire offi-
ciellement des démarches auprès du gouvernement néerlan-
dais pour obtenir l'envoi de moulages dont elle supporterait
au besoin les frais '. Eu attendant, je suis obligé de tenir
compte de l'apparence d'un fait que rien ne contredit pour le
moment et qui placerait, à mon avis, le crâne fossile de Java
;i un rang morpbologique plus bas que celui des crânes hu-
mains normaux les plus inférieurs, bien que supérieur à celui
des anthropoïdes actuellement connus.
Un dernier caractère du crâne de Java mérite une grande
attention bien que, cOmme le précédent, il ne soit pas aussi
parfaitement étudiable qu'on pourrait le désirer sur les pho-
tographies. Il s'agit de la crête temporale, dont le. rapproche
1 Ces démarches ont été faites et accueillies favorablement,
mais n'ont pas abouti jusqu'à présent au résultat désiré.
28
SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
ment de la ligne médiane est en relation bien connue avec le
développement de la mandibule, par rapport au volume et
plus particulièrement à la hauteur du crâne.
Sur le crâne fossile de Java, cette crête a été assez forte-
ment marquée, surtout si l'on tient "compte de l'usure mani-
feste subie par la surface crânienne. Mais elle ne paraît pas
avoir atteint, sur l'os pariétal, un niveau plus élevé que sur
de nombreux crânes humains même dans les races euro-
péennes.
Je pourrais même citer un bon nombre de crânes euro-
péens, asiatiques, américains, africains et surtout océaniens
sur lesquels les lignes courbes temporales se rapprochent plus
de la ligne médiane que sur le crâne de Java. C'est ce qu'on
peut' observer, par exemple, sur le crâne néo-calédonien re-
présenté ici (fig. 1), et auquel appartient la troisième molaire
Fig. 5. — Crâne masculin de l'île Engineer, remarquable par sa
forme bestiale.
Capacité = 1396 ce. Diamètres :
Antéro-post. maximum = 188. Métopique = 185.
Tranverse max. = 120. Basio-bregmatique = 136.
FroDtal minimum = 78. Bizygomatique = 138.
L. MÀNOUVRIER. — DISCUSSION DU PITHECANTHItOPUS EREGTLS 29
exceptionnelle dont il à été question plus haut. Sur un crâne
provenant de l'île Engineèr, pointe S.-E. de la Nouvelle-Gui-
née (fig. 5), et qui présente la forme la plus bestiale que
j'aie peut-être jamais rencontrée dans les races sauvages, la
crête temporale monte plus haut encore, jusqu'à 3 centimètres
de la ligne médiane, un peu en arriére du bregma. Il est vrai
que, sur ce crâne dont la mandibule manque, l'écartement
très considérable des arcades zygomatiques atteste un muscle
temporal énorme. Mais, pourtant, d'après la grandeur peu
exagérée de la mâchoire supérieure, il est très probable que
la mandibule et les dents inférieures ne dépassaient pas en
volume la mâchoire inférieure du Néo-Calédonien dont le
poids atteint 130 grammes. Or, le crâne néo-calédonien et celui
de l'île Engineèr ci-dessus représentés, sont des crânes beau-
coup plus grands et beaucoup plus hauts que celui de Java.
La hauteur basio-bregmatique mesure 137 millimètres sur le
premier, et 136 millimètres sur le second. Sur l'un et l'autre,
le diamètre antéro-postérieur maximum est de 188 milli-
mètres. Ces deux crânes présentaient donc, pour l'insertion du
muscle temporal, une surface notablement plus longue que
celle du crâne de Java et beaucoup plus grande dans le sens
vertical.
Pour un développement maxillaire égal, le crâne de Java,
beaucoup plus petit, beaucoup moins haut surtout, devrait
donc présenter des crêtes temporales plus rapprochées de la
suture sagittale. Mais c'est le contraire qui a lieu, selon toutes
les apparences. Il est donc plus que probable que le muscle
temporal et les maxillaires du « pithecanthropus » étaient
moins développés que chez les deux individus pris comme
termes de comparaison. On est donc en droit de douter forte-
ment que la dent trouvée par M. Dubois ait appartenu au
crâne trouvé à coté de cette dent.
La raison qui m'empêche de nier absolument que la dent
n'appartient pas au crâne, c'est qu'avec des dents plus grosses
encore et avec un crâne plus petit, des crânes d'anthropoïdes
femelles présentent des crêtes temporales plus ou moins dis-
30 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
tantes de la suture sagittale. Ce fait s'explique par la profon-
deur de la fosse temporale en arrière des apophyses orbitai-
res, le muscle temporal trouvant là une surface d'insertion
assez considérable pour qu'il n'ait pas besoin de prendre
des insertions jusqu'au sommet du crâne.
Or, la portion orbitaire de la fosse temporale était très
profonde sur le crâne de Java, d'après la grandeur et la
proéminence en dehors de l'apophyse orbitaire externe. Ce
fait permet d'admettre la possibilité que le crâne de Java eût
été pourvu d'une mandibule et de dents exceptionnellement
volumineuses pour l'espèce humaine sans" avoir des crêtes
temporales aussi rapprochées de la ligne sagittale que chez
les anthropoïdes femelles et même que chez certains hommes
à fosse temporale moins profonde.
Il ne faut pas oublier, en outre, la réserve imposée relati-
vement à la situation des lignes courbes temporales et notam-
ment de la supérieure par l'insuffisance de la reproduction
photographique que nous en avons et par l'usure manifeste
subie par les os pariétaux du crâne de Java.
Contentons-nous donc de formuler un doute au sujet de
l'identification de la dent trouvée par M. Dubois sans aller
jusqu'à une négation formelle qui ne serait pas moins témé-
raire qu'une affirmation.
Avant de formuler des conclusions, nous avons à envisager
successivement trois hypothèses nécessitées par l'incertitude
existante au sujet de l'identité des trois pièces trouvées par
M. Dubois. Cet investigateur a beau affirmer énergiquement
que les trois pièces proviennent d'un même individu, sa
conviction ne saurait équivaloir à une certitude dans les con-
ditions où ont été trouvées le crâne, le fémur et la dent.
D'autre part, nous n'avons aucune preuve formelle oppo-
sable à cette conviction basée sur l'examen direct des lieux et
des objets. 11 y a donc lieu d'envisager d'abord l'hypothèse
d'après laquelle le fémur, la dent et le crâne auraient appar-
tenu à un même individu.
L. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU PITHÉJANTHROPUS ERECTUS 31
Fémur, dent et crâne. — J'ai dit que le fémur ne se distingue
en rien d'un fémur humain normal et que la dent semble pro-
venir d'un anthropoïde et plutôt d'un orang de taille médiocre ;
mais comme le crâne présente des caractères pithécoïdes au
moins exceptionnels dans l'espèce humaine, il peut avoir
- appartenu soit à un homme exceptionnellement inférieur
pour sa race, soit à un individu d'une race humaine infé-
rieure aux races actuelles les plus inférieures, soit à une
espèce ou race anthropoïde ignorée. Celle-ci ne se rattache-
rait ni aux gorilles ni aux chimpanzés inconnus dans la
région ; elle ne se rattacherait pas davantage aux orangs
dont le type crânien est trop diffèrent; mais elle pourrait être
rattachée, comme le pense M. Dubois, à quelque espèce hypo-
thétique du genre gibbon (Hylobates). Au point de vue mor-
phologique, je ne vois rien qui rende cette dernière hypothèse
inacceptable. Un gibbon appartenant à une espèce de très
forte taille relativement aux plus grandes espèces connues et
d'une intelligence quelque peu supérieure aurait eu, autant
que je puis en juger, un crâne présentant tous les caractères
du crâne fossile de Java, car, le type de celui-ci ne diffère
du type gibbon que par des caractères étroitement en rapport
avec la masse squelettique et le développement intellectuel
qui sont des éléments évolutivement transformables au plus
haut degré dans un même type spécifique ou générique. Du
côté du crâne, l'hypothèse d'un gibbon de très forte taille me
paraît très acceptable. Du côté du fémur, la forme et les pro-
portions de cet os dans le genre Hylobates sont assez peu
éloignées de celles de l'espèce humaine pour qu'un simple
accroissement de taille avec les modifications de détail qui s'y
rattachent puisse rendre un fémur de gibbon absolument
semblable a un fémur humain. Du côté de la dent il n'y a pas
plus de difficulté, car le volume mis à part, la dent fossile de
Java ressemblerait plus à une dent de gibbon qu'à une dent
d 'orang.
En somme, je n'ai rien à objecter à l'hypothèse de M. Dubois
qu'il peut s'agir d'un gibbon d'énorme taille et d'intelligence
32 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
relativement supérieure par l'apport aux singes. En admet-
tant cette hypothèse il n'y aurait aucun effort pénible à faire,
du moins pour un partisan de la théorie transformiste, à
admettre que cette espèce de gibbon perfectionné fût deve-
nue, grâce à une continuation de son perfectionnement, com-
plètement humaine.
Je ne puis m'empêcher de regretter ici que M. Dubois n'ait
pu trouver certaines autres pièces du squelette de son Pithe-
canthropus, telles qu'un humérus dont la longueur n'eût pas
manqué de nous édifier, un os iliaque dont l'aplatissement,
si absolu chez les gibbons, eût probablement conservé quel-
que trace de ce caractère simien. Les trois pièces que l'on
possède et qui sont en assez bon état n'étaient pas accompa-
gnées du inoindre autre fragment squelettique de même ordre
dans un terrain fouillé sur une étendue de vingt mètres au
moins en longueur. C'est la un fait peu propre à corroborer
l'opinion qu'il s'agit d'ossements ayant appartenu à un même
individu. Quoi qu'il en soit, on est obligé de prendre les choses
telles qu'elles se présentent, et les regrets ici exprimés sont
superflus.
Me plaçant toujours, pour le moment, au point de vue de
l'homogénéité des trois pièces, j'ai maintenant à examiner
l'hypothèse qu'elles proviennent d'un représentant non pa-
thologique d'une espèce ou race humaine disparue. En ce cas,
cette espèce ou race se serait éteinte ou bien se serait trans-
formée en une race actuelle à cerveau moins inférieur et à
dents moins volumineuses.
Cette hypothèse ne me paraît pas plus en contradiction
que la précédente avec les caractères des pièces en question.
Elle n'aurait rien de plus étonnant d'ailleurs que l'hypothèse
couramment admise et largement justifiée d'une évolution
semblable dans les races européennes depuis les temps qua-
ternaires, et d'une évolution générale de l'espèce humaine. Il
n'y a pas plus de distance entre le « Pithecanthropus » et
diverses races humaines actuelles de l'Océanie qu'entre celles-
ci et les races actuelles de l'Europe occidentale. Ces dernières
L. MANOUVWER. — DISCUSSION DU PITHÊCANTHROPUS ERECTUS 33
ont été précédées en Europe par des races quaternaires comme
celle duNéanderthal ou de Spy, qui semblent avoir été supé-
rieures, morphologiquement, aux Australiens actuels, mais
qui n'en différaient pas moins considérablement des Fran-
çais. Belges ou Allemands actuels. Il faut remarquer aussi
que, sans être pathologique ni même exceptionnel, le crâne
de Java pourrait être inférieur à la moyenne de sa race, de
sorte que cette race pourrait avoir été, par rapport aux Pa-
pouas actuels, par exemple, ce que la race quaternaire euro-
péenne est par rapport à la nôtre. On peut encore considérer
que le crâne de Java provient d'un dépôt tertiaire vraisem-
blablement plus ancien que nos alluvions quaternaires.
J'ai dit plus haut que, contrairement à l'opinion de M. Du-
bois, le fémur de Java manque de caractères propres à le
différencier d'un fémur absolument humain. L'évolution
humaine de ce fémur aurait donc été plus rapide et plus
complète que celle du crâne et des maxillaires. Or, cela n'infir-
merait en rien les deux hypothèses précédentes. 11 est très
vraisemblable, en effet, que si une race d'anthropoïdes grim-
peurs a pu évoluer vers le type humain sous l'influence de
conditions quelconques, l'adaptation de ses membres infé-
rieurs à la marche a dû être le premier stade de cette trans-
formation qui aurait rendu libre pour des fonctions autres
que la locomotion, les membres supérieurs et déterminé ainsi
le progrès cérébral. J'ai déjà insisté ailleurs sur cette remar-
que '. On trouve, d'ailleurs, actuellement, des races humaines,
très arriérées sous le rapport de la forme du crâne, qui ne le
cèdent en rien aux races européennes sous le rapport du
fémur. Il n'y aurait donc pas lieu de s'étonner de trouver une
race humaine tertiaire ou quaternaire plus avancée sous le
rapport de l'évolution fémorale que sous le rapport de l'évo-
lution crânienne.
1 Etude sur la rétroversion sur la tête du tibia et l'attitude hu-
maine à l'époque quaternaire. (Mémoires de la Soc. d'Anthr. de
Paris, 2e série, t. IV).
T. VI ( i'' sùhie). X
34 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
Au point de vue de la théorie transformiste, les deux hypo-
thèses qui viennent d'être examinées diffèrent beaucoup entre-
elles en ceci : que, dans la première, il s'agirait de la trans-
formation d'une race de grimpeurs en une race adaptée à la
locomotion bipède, tandis que, dans la seconde, il s'agirait
simplement de la transformation d'une race déjà bipède et
seulement arriérée quant à révolution de crâne. Il est super-
flu de dire que la seconde hypothèse est de heaucoup la
plus vraisemblable, puisque l'on est obligé de faire intervenir,
dans la première, la transformation complète d'un type en un
autre et que les 3 pièces que nous possédons de l'individu
fossile de Java ne nous offrent, en somme, que des carac-
tères non incompatibles avec le type humain.
Il n'en est pas moins certain que plusieurs de ces caractères
dénotent une infériorité considérable, même par rapport aux
races humaines actuelles les plus arriérées. Toujours en sup-
posant que le crâne, la dent et le fémur de Java proviennent
d'un même individu et que celui-ci était un représentant nor-
mal d'une race fossile, cette race ne pouvait posséder, avec
un encéphale aussi petit, relativement au maxillaire et au
fémur, qu'une intelligence intermédiaire entre celle des grands
anthropoïdes connus et celle des races humaines les plus infé-
rieures.
Une troisième hypothèse reste à examiner : c'est celle
d'après laquelle l'individu fossile de Java ne serait qu'un
représentant anormal, pathologique, de sa race. Ce serait
alors un microcéphale de grande taille dont le crâne seul
aurait subi un arrêt de développement. Je ne vois rien qui,
théoriquement, soit en contradiction formelle avec cette hypo-
thèse puisque la microcéphalie n'est pas incompatible avec
une taille normale et une grande vigueur musculaire. On en
possède au moins un exemple fourni par le microcéphale
Edern.
Mais la microcéphalie franche, telle que je l'ai définie
ailleurs ', c'est-à-dire caractérisée par l'exiguïté relative et non
1 Article Microcéphalie du Dictionn. des Sciences anthr,
L. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU PITUECANTIIROPUS KRECTUS 35
pas seulement absolue de l'encéphale, est déjà une anomalie
très rare dans toutes les races. De plus, les individus de taille
normale constituent une autre rare exception parmi les mi-
crocéphales. Or, il est bien peu satisfaisant d'admettre que
le premier et seul squelette fossile découvert à Java soit pré-
cisément celui d'un individu exceptionnel clans sa race, une
de ces monstruosités dont la fréquence est peut-être inférieure
à 1 sur 50,000. Il est vrai que l'exostose du fémur de Java,
au degré qu'elle présente, est une anomalie plus rare encore;
mais ce n'est pas une raison pour supposer que le crâne était
lui-même une exception. C'est possible, théoriquement, mais
c'est extrêmement peu probable, de sorte, que l'hypothèse
d'une race ainsi constituée doit avoir notre préférence. Il y a
peut-être plus de 50,000 chances contre une que le crâne
fossile de Java n'ait pas appartenu a un microcéphale et
beaucoup plus de chances encore qu'il n'ait pas appartenu à
un microcéphale de la taille indiquée par le fémur.
crâne et dent. — Supposons maintenant que le fémur soit
à éliminer comme étranger au crâne; il restera le crâne et la
dent. Avec ces deuxpièces seules, il reste certain que le sujet
n'était pas un pygmée, comme je l'ai fait observer précédem-
ment, mais on peut lui attribuer une taille assez médiocre pour
que la petitesse de son crâne fût compatible avec une intelli-
gence équivalente à celle de certains sauvages actuels infé-
rieurs sous ce rapport à la moyenne de leur race, sans être des
microcéphalesproprement dits. Avec le fémur, on peut opter
entre quatre hypothèses : 1° un cas de microcéphalie franche,
pathologique, c'est-à-dire l'idiotie, une rare exception dans
toutes les races; 2° un cas de simple infériorité par rapport au
développement intellectuel moyen d'une race très inférieure
elle même, c'est-à-dire l'imbécilité individuelle; 3° un cas
représentant l'état moyen d'une race à type intellectuel inter-
médiaire entre le type humain et le type simien.
Le fémur étant mis hors de cause, rien ne prouve plus que
le sujet fût de grande taille; par conséquent l'hypothèse d'un
30
SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
cas isolé de microcéphalie pathologique, devient encore plus
téméraire, mais elle reste théoriquement possihle. La troi-
sième des hypothèses ci-dessus, perd également du terrain
parce qu'il devient permis de supposer que la taille du sujet,
sans être celle d'un nain, était encore assez faible pour que
l'exiguité cérébrale fût compatible avec une intelligence infé-
rieure par rapport à la moyenne des races sauvages actuelles,
mais conservant encore le type humain. La deuxième hypo-
thèse, d'après laquelle le sujet ne représenterait ni un cas
isolé de microcéphalie franche, ni l'état moyen d'une race
inférieure aux races actuelles les plus arriérées, mais repré-
senterait un cas isolé d'infériorité intellectuelle vulgaire par
rapport à la moyenne d'une race sauvage analogue aux races
actuelles, cette hypothèse deviendrait donc la plus vraissem-
blable. Si la microcéphalie franche est très rare dans toutes
les races, la petitesse du crâne correspondante à la simple
Fig. G. — Crâne féminin de l'île Engineer remarquable par sa fai-
ble capacité (1060 c. c. Procédé de Broca).
Diamètres :
Ant.-post. max. = 170. Métop. = 168. Transv. max. = 116.
Basio-bregm. = 128. Front, min. = 78. Bizygom. = 115?
L. MANOUVRIËR. — DISCUSSION DU PITHECANTHROPUS ERECTU3 37
imbécillité, c'est-à-dire à ce degré inférieur d'intelligence qui
permet encore chez nous à un individu soigneusement cultivé
d'occuper des situations enviables, la simple imbécilité, dis-je,
est, au contraire, très commune II est donc permis, sans
invoquer un hasard extraordinaire, de considérer le crâne en
question comme étant celui d'un sauvage inférieur par rapport
à la moyenne de sa race, cette race pouvant avoir été intel-
lectuellement au niveau des races océaniennes actuelles.
Celte solution aurait l'avantage de ne pas sortir du champ
ethnographique actuel. Cela lui donne un aspect plus rigou-
reusement positif au premier abord. Mais si l'on considère
qu'il s'agit d'un crâne fossile et non d'un crâne moderne,
cet avantage s'évanouit, car l'opinion que les races fossiles
à Java ou ailleurs, étaient équivalentes morphologiquement
et intellectuellement aux races actuelles ne saurait être regardée
comme jouissant d'une rigueur scientifique supérieure à celle
de l'opinion contraire.
Il est donc très difficile de faire un choix entre les hypo-
thèses que nous venons d'examiner puisqu'aucune d'entre
elles ne se heurte à une impossibilité absolue. Écartons comme
trop hasardeuse l'hypothèse d'un cas isolé de microcéphalie
franche, nous n'en restons pas inoins en face du crâne d'un
imbécile. Cela est prouvé par l'exiguïté absolue du crâne
accompagnée de caractères morpbologiques (énorme saillie
sus-orbitaire et forme générale) indiquant, dans toutes les
races, un développement encépbalique relativement faible.
J'ai montré ailleurs que l'abaissement du poids relatif de
l'encéphale par rapport à la masse du corps est un caractère
lié, dans une même espèce, soit à une supériorité de taille,
soit à une infériorité intellectuelle '. Or, si l'homme de Java
était de grande taille, il avait un encéphale absolument trop
petit pour ne pas être un imbécile; et s'il était de petite taille,
i Mém. sur l'interprétation de la quantité dans V encéphale (Mémoires
de la Soc. d'Anthr. de Paris, 2° série, t. III).
38 SÉANCE DU 3 JANVIER 189-3
son infériorité encéphalique relative démontrée par la mor-
phologie prouve encore que c'était un imbécile.
Dans le premier cas, dont la réalité serait établie par l'i-
dentité du fémur, le diagnostic serait aggravé, voilà la diffé-
rence.
Dans l'un et l'autre cas, il ne sagit plus que de savoir si
l'on est en présence d'un cas particulier plus ou moins éloi-
gné d'une moyenne ethnique — ou bien d'une race ou espèce
inférieure aux plus inférieures des races actuelles.
Telle est la question pendante, à mon avis.
Pour la résoudre, de nouvelles découvertes seraient néces-
saires. Si l'on pouvait ajouter, par exemple, aux pièces déjà
trouvées, un crâne complet semblable à celui du Pithecan-
thropus, et présentant d'autres caractères pithecoïdes impor-
tants, ou bien un os iliaque, un bassin, une mandibule, un
pied d'un classement aussi difficile, on serait obligé de con-
clure à l'existence d'une véritable race ou espèce possédant
un type intermédiaire entre celui des singes anthropoïdes et
le type humain.
A défaut de nouvelles pièces de ce genre, l'affirmation de
l'existence d'une telle race est prématurée.
Mais la découverte de M. Dubois n'est pas inutile pour
cela.
On ne peut affirmer, en effet, que les trois pièces trouvées
n'appartenaient pas à un même individu, car il n'y a point à
cela d'impossibilité théorique et l'on n'a rencontré dans le
terrain fouillé les restes d'aucun autre animal auquel on
puisse attribuer l'une ou l'autre de ces trois pièces. Il est seu-
lement permis d'avoir des doutes a cet égard.
le chank fût-il seul en cause, la question ne changerait pas
beaucoup pour cela. C'est toujours un crâne intermédiaire par
sa forme ^et son volume entre le type humain et le t}7pe si-
mien..La dent contribuerait seulement à beslialiser ce crâne
un peu plus. 11 en serait de même du fémur à cause de la
taille considérable qu'il indiquerait et de la péjoration qui en
résulterait dans L'interprétation de la capacité crânienne.
L. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU l'ITHEOANTHROPUS EREGTUS 39
Mais si l'hypothèse de M. Dubois ne se heurte pas à des im-
possibilités absolues, l'hypothèse qu'il s'agit d'un individu
inférieur, par rapport à sa race elle-même inférieure, possède
une égale vraisemblance. Un microcéphale australien de
grande taille, un Australien suhmicrocéphale de taille mé-
diocre, pourraient avoir un crâne aussi pithécoïde que celui
de Java. Cette hypothèse a contre elle l'obligation d'invoquer
un hasard plus ou moins exceptionnel.
Enfin, l'hypothèse que le fossile de Java serait un repré-
sentant normal d'une race humaine tertiaire, intermédiaire
entre les races humaines actuelles les plus inférieures et les
anthropoïdes du genre gibbon, n'est ni plus ni moins vrai-
semhlable que les précédentes.
Si la théorie de M. Dubois doit être ainsi ramenée à l'état
d'hypothèse, on ne saurait méconnaître pour cela l'intérêt de
ces faits : que le premier et seul crâne humain découvert à
Java dans un lorrain tertiaire est morphologiquement au ni-
veau des crânes australiens les plus inférieurs, et qu'il pré-
sente des caractères assez analogues à ceux du genre gibbon,
existant à Java, au point que l'on pourrait attribuer sans dif-
ficulté un crâne semblable à une espèce de gibbon qui possé-
derait une taille humaine et un développement intellectuel
quelque peu supérieur à celui des anthropoïdes connus.
Tout en réduisant la théorie de M. Dubois à l'état d'hypo-
thèse, on doit donc attribuer une certaine valeur à sa décou-
verte.
Comme je l'ai dit au début de ce travail, on ne trouvera pas
l'origine de l'homme décrite sur des pièces analomiques aussi
explicitement que dans la bible. Il faudra toujours recourir,
en pareille matière, a l'induction et toujours, peut-être, com-
pléter les faits acquis par des hypothèses. Mais l'induction et
l'hypothèse ont assez contribué au progrès de la science pour
mériter d'être traitées, ici comme ailleurs, avec considé-
ration.
11 doit être fort intéressant pour tout anatomisle anthropo-
40 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
logiste que l'on ait trouvé un crâne fossile dont la qualité de
crâne humain est déjà douteuse.
Cela corrobore l'espoir de trouver, à Java ou ailleurs, des
restes squelettiques suffisants pour démontrer l'existence, à
l'époque pliocène, d'une race dont il sera impossible de dire si
c'était une race humaine ou une race simienne.
Les partisans de la doctrine créationniste pourront se con-
tenter, alors, de rappeler la maxime « natura non facitsaltus ».
Cette maxime n'est pas pour déplaire aux partisans de la
doctrine transformiste. Ce ne serait pas, pour ces derniers,
un léger motif de satisfaction si l'on arrivait, à constater que,
même en ce qui concerne l'espèce humaine, la « Nature » a
procédé comme si elle eût été impuissante à passer d'une
espèce à une autre sans produire une catégorie intermédiaire.
P.-S. — Un retard considérable apporté parle changement
d'imprimeur dans la publication de ce bulletin m'a permis de
prendre connaissance des appréciations émises sur la décou-
verte de Java par plusieurs éminents anatomistes. Bien que
chacune de- ces appréciations, considérée isolément, diffère
plus ou moins de la mienne, leur ensemble me paraît ajouter
beaucoup de poids a la manière de voir que j'ai communi-
quée dès le mois de janvier 1895 devant la Société d'Anthro-
pologie de Paris et que je viens d'exposer. En effet, tan-
dis qu'en Grande-Bretagne les professeurs Cunningham { et
W. Turner - considèrent le crâne fossile de Java comme un
crùne humain, opinion partagée en Suisse par M. Rudolf
Martin :!, de Zurich, des anatomistes allemands tels que
i Dv Dubois so-called missing link. (Nature 1895).
2 On M. Dubois description of remains recenthj found in Java wilh
remarks on so called Iransitîonal forms between Apes and Man. (Jour-
nal of anat. And I'hysiol. , vol. XXIV, 424.
3 Krisliche Bedenken gegen den Pithecauthropus erectus Dubois.
(Globus, «and LXVII, Nr. 14).
L. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU PITHECANTHROPUS ERECTUS 41
les professeurs Krailse \ Virchovv, Luschan et Waldeyer ne
seraient pas éloignés de considérer plutôt ce crâne comme
ayant appartenu à un anthropoïde. Krause conclut même
nettement dans ce sens.
La divergence d'appréciations si autorisées de part et d'au-
tre et formulées isolément par des savants de la plus haute
compétence ayant sous les yeux ou connaissant toutes les col-
lections les plus riches de l'Europe, cette divergence vient à
l'appui de mon opinion plus dubitative et formulée la pre-
mière. M. Eug. Dubois s'en félicitera sans doute plus encore,
bien que sa propre opinion ait été généralement considérée
comme trop hardie, car il n'a eu à sa disposition, pour s'é-
clairer, qu'un très petit nombre de pièces propres à élucider
la question. C'est un fait dont il faut tenir compte pour appré-
cier avec justice la valeur de son mémoire.
Je n'ai pu prendre connaissance que des conclusions for-
mulées par les auteurs cités plus haut. Je me borne donc a
insister ici sur l'opposition très remarquable dont je viens de
parler. Je puis cependant présenter quelques remarques au
sujet du mémoire lu par sir W. Turner le 4 février 1895 à la
Société royale d'Edinburgh.
En ce qui concerne les exostoses fémorales, W. Turner est
d'avis, comme moi, qu'elles résultent de l'ossification d'inser-
tions musculaires, et il m'a dit en avoir vu de presque aussi
grandes sur un fémur humain. Le professeur G. Garson, de
Londres, m'apprend, d'autre part, qu'il en existe d'aussi gran-
des dans les collections d'anatomie humaine pathologique du
Royal Collège of Surgeons. Quant à l'identité spécifique du
fémur de Java, W. Turner ne trouve pas plus que les autres
anatomistes, dans ce fémur, de caractères pouvant indiquer
que ce n'est pas un fémur humain.
En ce qui concerne la dent, Turner ne conclut pas d'une fa-
çon décisive. Il n'a pu trouver, dans toute sa belle collection de
crânes australiens, aucune 3e molaire supérieure dont la cou-
1 Zeitschrift fur Ethnologie, 1895. Heft I.
42 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
ronne atteigne les dimensions de celle de Java. Celle dont j'ai
parlé s'en rapprocherait beaucoup plus et présente une direc-
tion semblable, mais c'est une 3e molaire inférieure et ses ra-
cines sont relativement petites.
En ce qui concerne le crâne, Turner a pu citer un certain
nombre de crânes humains très rapprochés, soit par la forme
de leur courbe sagittale, soit par leur faible hauteur, soit par
leur faible capacité, du crâne de Java. Il a obtenu comme
moyenne pour 24 hommes australiensl,286 cent, cubes et pour
12 femmes 1,106 cent, cubes. Un crâne masculin a.présenté le
minimum de L044 cent, cubes. Sur les 12 féminins, o ont une
capacité inférieure a 1,100 et 3 de 998 à 930 cent, cubes.
Ces chiffres sont, en vérité, fort intéressants. Ils montrent
rpie, dans la race australienne, la capacité crânienne peut
descendre très fréquemment aussi bas que celle du crâne de-
Java. C'est un fait propre à corroborer puissamment l'opinion
que ce crâne pourrait être simplement celui d'un sauvage plus
ou moins inférieur par rapport à la moyenne de sa race: et
dont l'infériorité ne serait pas tellement exceptionnelle qu'on
ne pût en rencontrer une semblable sur 20 ou 30 individus.
Aux chiffres cités par sir W. Turner on peut ajouter, avec
M. Rudolf Martin, que Sir W. II. Flower a trouvé un crâne
Veddah et un crâne Andaman, tous les deux féminins, avec des
capacités de 960 cent, cubes et de 1,040 cent, cubes.
Une objection se présente pourtant. Il ne s'agit pas seule-
ment de trouver les différents caractères du crâne de Java
dans l'espèce humaine ; il faudrait encore que ces caractères
fussent trouvés réunis sur un même crâne et il faudrait exa-
miner si ce crâne peut être considéré comme normal ou comme
pathologique, afin déjuger si l'on doit considérer le crâne de
Java comme un représentant à peu près normal de sa race ou
comme un cas extraordinaire trouvé là en vertu d'un hasard
non moins extraordinaire.
Je ne doute pas de la possibilité de trouver dans l'espèce
humaine, même en dehors des cas pathologiques, une capa-
cité crânienne aussi faible, une visière frontale aussi proémi-
L. MANOUVRIER. — DISCUSSION DU PITHEOANTHROPUS EREGTUS 43
nente, une inclinaison frontale aussi forte, une hauteur aussi
faible que sur le crâne de Java, d'autant mieux que plusieurs
de ces caractères sont fréquemment associés entre eux. Peut-
être cependant aurait-on beaucoup de peine à trouver sur un
crâ ne non pathologiquement microcéphale le renflement occipi-
to-pariétal sur lequel j'ai insisté et qui apparaît admirablement
sur l'un des dessins du crâne de Java reproduits dans le mé-
moire de M. Turner (fig. 1, p. 431),
Il me paraît surtout important de savoir si les capacités crâ-
niennesinférieures à 1 ,050 cenl. cubes rencontrées dans la race
australienne coïncidaient avec la présence d'une visière fron-
tale aussi énorme que celle du crâne de Java. Il est vrai que
cette visière constitue l'un des traits ethniques du crâne aus-
tralien. Mais, la comme ailleurs, elle est en relation avec la
taille de l'individu; c'est pourquoi elle est très atténuée sur les
crânes féminins et aussi chez les individus de très petite taille
qui sont particulièrement susceptibles d'avoir, sans anomalie,
une très faible capacité crânienne. Il importerait donc, à mon
avis, de savoir si les quatre crânes féminins et le crâne mas-
culin d'une capacité inférieure à 1,050 cent, cubes du musée
d'Edinburgh étaient pourvus d'une visière frontale aussi proé-
minente que celle du crâne de Java. Il me parait plus proba-
ble que ces très petits crânes présenteraient au contraire, sous
ce rapport, une atténuation, même relativement à la moyenne
de leur race.
J'estime aussi qu'il importerait de savoir si ces mêmes crânes,
au lieu de présenter une forme semblable à celle du crâne de
Java, ne présenteraient pas, au contraire une atténuation de
la forme bestiale commune parmi les crânes australiens. Ce desi-
deratum est indiqué par le fait sur lequel j'ai appelé déjà
l'attention, que lorsque l'exiguité du crâne est simplement en
rapport avec une très petite taille, elle s'accompagne très gé-
néralement d'une certaine supériorité morphologique analogue
à celle des crânes de jeunes anthropoïdes. En même temps,
le faible poids du crâne, sa minceur et la féminisation de sa
surface extérieure contribuent à dénoter la faible taille du sujet,
44 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
Ouand l'exiguïté du crâne n'est pas accompagnée de ces ca-
ractèresets'accompagne au contraire d'une infériorité morpho-
logique caractérisée par l'étroitesse relative du front, par son
inclinaison, par les divers signes d'une prédominance relative
du développement maxillaire, alors on peut conclure que l'en-
céphale était petit, non seulement d'une façon absolue, mais
encore relativement à la masse du corps et que, par conséquent,
il s'agit d'un développement encéphalique insuffisant, d'un
rapprochement vers la microcéphalie vraie.
Ce sont les crânes de ce dernier genre auxquels convient le
nom de submicroeéphales. Leur forme doit être appréciée,
naturellement, d'après la moyenne de leur race. On ne peut
demander à un pygmée australien la compensation crâ-
nienne morphologique exigible chez un pygmée européen.
Si l'on attribue au crâne de Java le sexe féminin c'est sa
visière frontalequi. alors, deviendra étonnante. J'ai trouvé, moi
aussi, quelques crânes européens ou exotiques dont la capacité
est inférieure à lOOOcent. cubes etun certain nombre qui cubent
de 1 ,000 à 1 , 100 cent, cubes. Parmi ces crânes quelques-uns pré-
sentent les caractères morphologiques du manisme simple in-
diqués plus haut. Mais la plupart semblent avoir appartenu à
des individus à la fois petits et imbéciles, à des submicrocé-
phales. L'un des deux plus petits crAnes exotiques du Musée
Broca est celui d'un Néo-Calédonien qui était un nain difforme
et accompagnait un chef en qualité de sorcier. Ce crâne n'est
pas plus grand que celui de Java, mais il présente précisément
des caractères en rapport avec la petite taille du sujet; il est
évident que c'est un crâne pathologique. L'autre crâne cube
1,060 ce. (Fig. 6). Il provient de l'île Engineer (S-E de la Nou-
velle Guinée) et fait partie d'une série de 14 crAnes dont le
plus petit après lui cube 1,215 cent. cube. C'estun crâne fémi-
nin qui, par ses diamètres transverse maximum (= 116) et
frontal maximum (= 79), <>st inférieur au crâne de Java lui-
même. Mais son diamètre basio-bregmatique atteint 128 mil-
limètres et l'ensemble de ses caractères morphologiques ne
permet pas de douter qu'il ait appartenu à un sujet de très
L. MÀNOUVRIER. — DISCUSSION DU PlTHECANTHROPUS EKECTUS 45
petite taille. Loin de présenter, comme le crâne de Java, une
visière frontale énorme même pour un australien, il ne pos-
sède qu'une très minime saillie glabellaire et sus-orbitaire
pour sa race. S'il en était ainsi pour les petits crânes austra-
liens cités par W. Turner, comme permet de le supposer la qua-
lité de féminins attribuée à tous sauf un, il s'agirait simple-
ment là d'une exiguïté encépbalique en rapport avec l'exiguïté
de la taille dans une race dont le développement cérébral
moyen est déjà faible normalement.
Pourlecrane de Java, au contraire, sa visière frontale énorme
et aussi sa forme générale ne permettent pas de l'attribuer à
une femme ou à un homme d'une taille exceptionnellement
petite. On est donc conduit à l'attribuer à un individu d'une
assez forte taille et d'une intelligence inférieure même pour la
race australienne. Il s'agirait donc de savoir, comme je l'ai
dit plus haut, si cet individu était un représentant normal ou
anormal de sa race. Dans le cas où les crânes australiens cités
par Turner auraient une visière frontale aussi développée en
même temps qu'une forme générale aussi inférieure que celle
du crâne de Java, la remarque du savant professeur d'Edin-
burg ajouterait beaucoup de poids à l'hypothèse que le crâne
de Java n'a rien de plus étonnant qu'un assez bon nombre de
crânes australiens actuels. La race fossile à laquelle a appar-
tenu ce crâne pourrait avoir été une race humaine tout aussi
développée que la race australienne actuelle.
Dans le cas contraire, il faudrait admettre ou bien que
M. Dubois a rencontré par un hasard extraordinaire le crâne
d'un microcéphale plus ou moins idiot, sans valeur ethnique
par conséquent, ou bien que ce crâne représente normalement
une race inférieure, crâniologiquement, aux races humaines
actuelles les plus inférieures, ce qui impliquerait un dévelop-
pement intellectuel vraiment peu éloigné de celui des anthro-
poïdes.
Pour savoir si cette race appartenait au type humain de
marcheur bipède ou bien si c'était une race appartenant à un
type grimpeur, de nouveaux documents seraient nécessaires.
46 SÉANCE DU 3 JANVIER 1893
A la Société d'Anthropologie de Berlin, Krause a conclu de
son examen du crâne de Java qu'il a existé une espèce de
gibbon de grande taille avec une capacité crânienne plus
grande que chez les gibbons connus. Mais, considérant le
fémur comme absolument humain, il a conclu que ce fémur
atteste l'existence à Java, peut-être dans le pliocène supérieur,
d'une race humaine ayant une taille et un fémur exactement
les mêmes que dans la plupart des races actuelles.
Cette double conclusion d'un anatomiste aussi autorisé ne
paraîtra pas radicalement opposée à l'opinion de. M. Dubois
si on la rapproche de certaines considérations présentées dans
mon travail, à savoir : 1° qu'il existe morphologiquement des
différences assez faibles entre le fémur de gibbon et le fémur
humain pour qu'on ne trouve aucune difficulté à admettre
qu'un gibbon de grande taille ait pu avoir un fémur sem-
blable à celui de Java; 2° que, dans cette hypothèse, il serait
satisfaisant de trouver chez ce gibbon un fémur plus humain
que le crâne, puisque le perfectionnement crânien devrait
avoir eu pour antécédent le perfectionnement de la locomo-
tion bipède et du fémur, et puisque nous voyons encore aujour-
d'hui des races humaines sauvages tout aussi bien partagées
que les races européennes sous le rapport du fémur alors
qu'elles sont notablement arriérées sous le rapport du crâne.
On peut ajouter que, pour atteindre la forme humaine, le
fémur d'un grand gibbon aurait beaucoup moins à faire que
le crâne, ce qui expliquerait le retard relatif de ce dernier.
Virchow a noté que le fémur de Java se rapprocherait de
celui du gibbon par le défaut de courbure de la portion infé-
rieure de sa diaphyse. Mais j'avoue mon défaut de conviction
sur ce fait qui serait à ajouter aux considérations précédentes.
Sans abandonner aucune des réserves que j'ai faites dans le
présent travail, je puis donc dire, en terminant, que la ques-
tion soulevée par la découverte et le travail de M. Dubois
reste une question ouverte et que l'hypothèse d'un Pithecan-
thropus, sans pouvoir sortir pour le moment de l'état d'hypo-
thèse, n'est pas en contradiction formelle avec les faits connus.
LIONEL BONNEMÈRE. — LE DOLMEN DE l'ÉTHIAU 47
Discussion.
M. Mathias Duval dit que, d'après les considérations pré-
sentées par M. Manon vrier, la découverte de Java possède
une très haute importance. Il demande que ces considérations
soient reproduites dans le Bulletin avec tous les développe-
ments qu'elles comportent.
M. Sanson dit qu'il approuve pleinement les réserves de
M. Manouvrier.
M. Manouvrier fait observer que, sur certains points, son
appréciation aurait pu être plus catégorique s'il eût pu juger
d'après des moulages au lieu de simples photographies. 11
pense que l'on pourrait s'adresser au gouvernement néerlan-
dais pour obtenir ces moulages.
M. G. de Mobtillet appuie cette proposition et M. Fourdri-
c.MER offre d'être en cela l'intermédiaire de la Société.
M. Mathias Duval demande à M. Manouvrier s'il a rencon-
tré réunies sur un même fémur humain les diverses particula-
rités considérées par M. Dubois comme différenciant le fémur
de Java d'un fémur humain.
M. Manouvrier répond que ces particularités sont trop
ordinaires dans l'espèce humaine pour n'être pas réunies sur
de nombreux fémurs humains.
communications.
Le Dolmen de l'Éthiau.
par M. Lionel Bonnemèke.
Au nom de M. Pierre Guittonncau et au mien, j'ai l'hon-
neur d'offrir à la Société d'anthropologie un moulage du prin-
cipal groupe de signes gravés qui se trouve à l'intérieur sur
une des dalles du dolmen d'Ethiau dans la commune de
Couture (en Maine-et-Loire.)
48 SÉANCE DU 3 JANVIER 1895
J'ai déjà eu le plaisir d'entretenir mes collègues de ce
monument par malheur très incomplet et j'en ai offert une
photographie à notre compagnie.
Je ne veux par revenir sur ce que j'ai dit au sujet de ce
dolmen dont j'ai déjà indiqué les dimensions.
Je veux simplement, aujourd'hui, vous signaler quelques
autres signes que j'ai remarqués et qui se trouvent sur la
dalle dont j'ai fait mouler la partie la plus intéressante. Ils
forment deux autres petits groupes composés l'un de quatre
traits et l'autre de trois. A noter encore, près de l'entrée, une
sorte de Y très bien tracé. La profondeur des deux lignes qui
le composent est de 25 centimètres.
Malgré l'opinion si compétente de plusieurs de nos collè-
gues, il m'est impossible de croire que tous ces dessins soient
dus à des influences athinosphériques et j'ai la très ferme
conviction qu'ils ont été exécutés de main d'homme, ce qui
les rend intéressants pour nous.
M. Bourez a bien saisi les particularités qui distinguent ce
dolmen quand il dit que pour le construire on a utilisé des
blocs natifs que l'on a recouverts d'une dalle et au milieu
desquels on a déblayé un espace suffisant pour le but de ce
monument, en se contentant, pour le compléter, de l'augmen-
ter d'un vestibule au moyen de dalles rapportées malheu-
reusement renversées ou même disparues, du moins pour la
plupart.
Je le repète, il n'est pas douteux pour moi que les stries
qui couvrent une des dalles soient dues à la main de l'homme.
Quels sont les ouvriers qui les ont tracées? Faut-il y voir
l'œuvre de préhistoriques'? Faut-il leur donner pour auteurs
quelques-uns des carriers qui depuis un temps immémorial
exploitent les grès si communs dans les environs? Ou si l'on
veut encore, doit-on leur donner pour auteurs les gens qui
ont habité ce dolmen transformé en petite chambre? Je n'en
sais rien et je laisse la chose à décider à plus compétent que
moi.
Mon but a été surtout d'appeler l'attention de mes collé-
OUVRAGES OFFERTS 49
gués sur un monument qui présente des particularités cer-
tainement curieuses et dont l'existence a été, à certain moment
surtout, très fortement menacée.
Des dessins accompagnant cette communication ont été
déposés aux archives de la Société.
L'un des secrétaires : Dr Paul Raymond.
6Ue SÉANCE. — 17 janvier 18fl:>.
Présidence de M. Issaurat.
CORRESPONDANCE.
M. le Président communique l'annonce du décès de M. 0. Mac-
Carthy, conservateur honuraire de la Bibliothèque et Musée
d'Alger, membre correspondant national depuis 1879. Il
exprime les regrets de la Société.
Lettre de remerciements de M. le Dr Despréaux pour son
élection.
Lettre de M. Emile Schmit qui adresse à la Société trois
eusses renfermant des ossements gaulois et quelques osse-
ments provenant de la sépulture néolithique de la Groix-des-
Cosaques.
Lettre de M. (iodel, adjoint colonial à Franceville (Congo)
annonçant l'envoi d'un squelette Batéké.
ouvrages offerts.
Lausiès (Drj. — Population du Havre. Origine, développement ,
démographie, in-8°, 157 pages et diagramme, Havre, 1894.
Levier (Emile). - - A travers le Caucase, gr. in-8°, 347 pages
et lig., Neufchateb 1894.
t. vi (i« série). 4
50 SÉANCE DU 19 JANVIER 1895
Oloriz (Dr Federico). — Distribution geografca del indice
cefalico en Espagna deducida del examen de 8.368 varones adul-
tes > in-8°, 286 pages et cartes, Madrid, 1894.
En offrant cet ouvrage, à la Société, de la part de l'auteur,
M. Deniker en fait ressortir l'importance. C'est le premier
essai d'ensemble sur l'indice céphalique en Espagne basé sur
les mesures de plus de 8,000 individus. Ce travail conscien-
cieux servirait à lui seul à établir l'autorité de M. Oloriz en la
matière. Mais le savant professeur de Madrid ne s'en est pas
tenu là. Il vient de nvinformer par une lettre .qu'il est en
train de mettre en œuvre les chiffres recueillis par lui, sur la
taille de plusieurs milliers de recrues espagnoles. Ainsi donc,
grâce aux travaux de M. Oloriz et de ses élèves, nous serons
bientôt en possession des éléments importants qui nous ont
manqué jusqu'à ce jour sur les caractères physiques des
habitants de la péninsule ibérique. Les travaux que je vous
signale combleront une lacune que j'étais un des premiers à
regretter ici même, il y a quelques années.
M. le D1' Collignon. Je m'associe pleinement à tout ce que vient
de faire remarquer M. Deniker. Comme lui, je suis frappé de
l'homogénéité que présente l'Espagne au point de vue de la
forme céphalique. Je tiens toutefois à faire observer que ce
fait n'implique pas identité de race. Dans le reste de l'Europe
et notamment en France, diverses populations, soit dolicho-
cépbales, soit brachycéphales, se sont heurtées sans pouvoir
s'absorber, parce quelles formaient des groupes sensiblement
égaux en nombre. En Espagne, au contraire, les races bra-
chycéphales moins favorisées sous ce rapport, se sont pres-
que complètement fondues dans les masses dolichocéphales
soit primitives, soit immigrées. Celles-ci possédant des indices
céphaliques, respectivement très voisins, ne sauraient être dif-
férenciées par cet important caractère. C'est ainsi que les Cas-
tillans, les Aragonais, les Catalans se distinguent à première
vue des Andalous qui, inversement, me semblent inséparables
des populations Berbères d'Algérie prises en bloc. En exa-
minant, en Espagne, les hommes d'un régiment d'infanterie,
OUVRAGES OFFERTS ;"1
qu'on avait eu, p'our favoriser mes recherches, l'obligeance
de grouper suivant leur origine, le fait sautait aux yeux.
Or, l'indice céphalique des uns et des autres oscille autour
de 77.
D'autre part, un fait capital pour l'ethnographie de la pé-
ninsule ressort de ce que la seule région du pays qui soit
légèrement, mais réellement brachycéphale1 est celle qui
s'étend sur tout le littoral nord et vient se terminer dans les
provinces basques.
En entretenant l'année dernière la Société de mes recher-
ches sur le peuple Euskuarien, j'avais expliqué la moindre
homogénéité des Basques d'Espagne par rapport à leurs con-
génères français, en invoquant les croisements prolongés que
les premiers ont subi avec les autres races hispaniennes lors
de l'invasion mulsulmane. Les Basques de France y avaient
échappé, protégés par la montagne elle-même et avaient
conservé, comme déjà l'observait Broca, sans pouvoir l'expli-
quer, une plus grande pureté de coutumes, de mœurs et de
langue, j'ajoutais même de race.
Il me semble que l'étude des cartes de M. Oloriz apporte de
sérieux arguments en faveur de cette opinion. L'acculement
de brachycéphales à la mer dans les monts des Asturies, peut
être considéré comme un phénomène connexe. C'est là que s'ar-
rêta le Ilot des invasions musulmanes, là aussi que se recons-
titua sous forme de petits états indépendants, la patrie espa-
gnole et là, par conséquent, postérieurement à la marche vers
le sud des populations chrétiennes, et à la grande uniformi-
sation de type que ce gigantesque brassage d'hommes devait
produire et a produit en effet, là que devaient nécessairement
se conserver des groupes de population plus différenciés et
plus primitifs au sens ethnographique du mot. Les popula-
1 Le littoral de la province de Séville est aussi relativement bra-
chycéphale, mais sans dépasser 79, sauf dans trois petites circons-
criptions. Influence ligure, dit M. Oloriz; c'est du reste ce qui sem-
ble le plus problable.
52 SÉANCE DU 47 JANVIER 4893
tiens celtiques de la Gallice et des Asturies ont été à cette
époque profondément modifiées par le refoulement dans la
montagne d'un nombre considérable de fuyards et d'émi-
grants provenant de tous les autres peuples espagnols, en
majorité dolichocéphales. Le type résultant du mélange s'est
modifié dans le sens de dolichocéphalie, car les indices de 80-
81 ou 82, observés dans cette région accusent un métissage
énergique (en France et en Italie, des départements entiers
atteignent les indices énormes de 87 et 88), mais il n'y a pas
eu cependant absorption complète des premiers occupants par
les nouveaux venus, en sorteque l'état actuel de la population
est encore un pâle reflet du passé.
A l'autre extrémité de la chaîne cantabrique, en pays bas-
que, le même phénomène s'est produit, mais la race primi-
tive y était différente. Je crois avoir démontré qu'elle était
brachycéphale bien qu'à un moindre degré que les Celtes de
Gallice; on comprendra donc facilement que les croisements
aient abaissé, non moins énergiquement. son indice céphali-
que qui, de 83 environ, est tombé à 78 et 79, comme chez
ceux-ci, il était descendu d'un chiffre primitif vraisemblable-
ment voisin de 88 au chiffre actuel de 80-82.
périodiques. — Articles à signaler.
L'Anthropologie, n° 6, 1894. — \\. Ponlnau et E. Gabié :
Un cimetière gaulois à Saint-Sulpice (Tarn): — D1' John
Beddœ : Sur l'histoire de l'indice céphalique dans les îles
Britanniques {fin); — Dr Besson : Biles funéraires en usage
chez les Betsiléos.
Bulletin de la Société dauphinoise d'ethnologie et d'anthropologie,
décembre 1894. — Dr A. Bordier : Crânes de Yeurey et Yen-
tavon; — H. Muller : Fouilles aux Balmes de la Buisse, près
Voreppe; — Dr A. Bordier : L'état social en Dauphiné avant
la Révolution; — Dr Essautier : Distribution géographique
de la carie dentaire en France depuis environ un demi-siècle.
Proc. Royal Irish Academy, décembre 1894. — Dr J. Cun-
DUHOUSSET. — ÉCHELLE TÉMOIN POUR LES PHOTOGRAPHIES 53
ningham : On some osseous remains found atold Connaught,
Bray, Co. Dublin.
The american antiqmrian, déeeittber 1894. — James Wickers-
ham : Origin of the Indians; - D. G. Brinton : On certain
morphologie traits of american languages.
Cesktj Lid, n° 1, 1894. — L. Niederle : Sur les principales
questions dans l'archéologie de Bohème.
ÉLECTIONS.
M. Oscar Schimdt, palethnologue, présenté par MM. Colliri,
A. de Mortillet et G. de Mortillet, est élu membre titulaire.
A propos du procès-verbal.
Echelle témoin pour les photographies anthropologiques.
M. le Colonel Duhousset. — Les anthropologistes et les
ethnographes doivent, autant que possible, rechercher les
sujets d'étude entièrement nus afin de les mesurer et exami-
ner de face, de profil et de dos; on ne peut qu'approuver et
s'intéresser activement à la communication émise par M. de
Mortillet, à la dernière séance, en nous présentant quelques
types, répondant aux sérieuses expériences d'ensemble que
nous souhaitons voir s'accomplir avec suite. L'idée d'u ne collec-
tion de ce genre eut déjà un commencement d'exécution; il y
a une vingtaine d'années, la Société d'ethnographie fit exécu-
ter un certain nombre de photographies africaines très réus-
sies sur trois aspects.
M. de Mortillet a commencé, il y a deux ans, une série ana-
logue à Annecy, figurant aux constatations photographiques
de la Savoie, dans un format et une disposition parfaitement
analysables, posant les sujets en leur faisant à peu près join-
dre les talons, et les bras pendants naturellement pour accuser
54
SÉANCE DU 17 JANVIER 1895
une attitude faisant bien face à l'appareil. Afin de reproduire
un groupe, il put soin de chercher, d'homme à femme, des
comparaisons relatives aux tailles réciproques en les alignant
au plus près, par le coude à coude, ce qui produit l'ensemble
photographique le moins sujet à se déformer devant l'ob-
jectif.
Enfin, pour amener au meilleur résultat, M. de Mortiljet
avait placé intentionnellement ses modèles sur un tapis dont
les raies devaient servir à guider des poses semblables.
Je demanderai, pour le bien de la cause, qu'il mé soit per-
mis d'ajouter encore quelques précautions à prendre, comme
indice de comparaison signalétique accompagnant le sujet, en
lui adjoignant un témoin se photographiant avec chaque
épreuve.
Ce témoin est un demi-mètre, peint en blanc et gradué d'une
façon apparente tous les cinq centimètres; il se fixe à fond
sur une rondelle solide lui permettant de se tenir verticale-
ment sur le sol. A partir de zéro, une simple ligne, figurée à
la craie sur le parquet, constitue immédiatement un angle
droit, dont l'ouverture sera aussi rapprochée du sujet qu'on
le jugera convenable, et même entre deux personnes. —
DLHOUSSET. — ÉCHELLE TÉMOIN POUR LES PHOTOGRAPHIES 55
L'homme, vu de face, est placé en travers de cette ligne blan-
che, de façon que la tige verticale, fixée de côté, coupe le profil
du pied en avant de la malléole externe, vérification s'appli-
quant également au sujet, vu par derrière.
Les dernières expériences du D' Richer (1894, Revue scien-
. tifique) à propos de la station humaine ont prouvé que, de
profil, la verticale s'élevant du milieu du pied passait sur le
trou auditif, mais je crois que, dans le cas qui nous occupe,
on se trouvera le plus souvent en présence d'un sujet s'ap-
puyant franchement sur les talons, car un homme auquel on
recommande de se tenir bien droit, relève la tête et cambre
immédiatement les reins.
On pourra donc se contenter d'assurer la verticalité utile du
témoin T en le plaçant tangentiellement en avant de la mal-
léole externe; ayant soin, toutefois, que l'écartement extrême
dès pieds AB, dont les talons sont réunis, n'excède pas la lon-
gueur du pied, de l'extrémité A d'un gros orteil à l'autre \\.
Sans doute, nous n'aurons pas tout à fait la normale de la
ligne de gravité de la station verticale droite et symétrique,
qui devrait longer la partie interne de la rotule, en avant du
tibia; mais notre à peu près CD sera préférable à l'ancienne
position du soldat sans armes, le faisant appuyer sur le pre-
mier tiers antérieur du pied, en penchant le haut du corps en
avant, probablement en prévision de l'habituer au poids inso-
lite du sac.
Cette échelle numérique, quoique restreinte, afin d'être plus
maniable, en voyage, est absolument liée avec celle de l'é-
preuve, elle établit tout de suite, avec n'importe quelle pho-
tographie, faite sous les latitudes les plus diverses, et ayant
eu recours à ce témoin, une comparaison facile à vérifier parce
qu'en supposant ce demi-mètre prolongé, il offre, approxima-
tivement la division latérale médiane du corps contenant le
centre de gravité.
Lorsqu'on opérera dans une chambre, on mobilisera à son
aise, sur un appui maintenant sa verticalité, une tige graduée
même de plus d*un mètre, pouvant se démonter et à laquelle
56 SÉANCE DU 17 JANVIER 1895
on adjoindra, à l'occasion, un curseur pour indiquer telle
distance qu'il plaira de justifier.
Pour l'homme vu par derrière, on utilisera le témoin en fai-
sant dépasser les talons, du côté de l'objectif, en dehors de
la trace rectiligne du sol MN, cette dernière ligne, prolongée
en M'N', dans la pose de profil, apparaîtra a hauteur du bas
de la malléole externe G et séparera, en deux parties égales,
l'angle formé par les pieds A'B'.
Nous avons cru devoir rappeler cette adjonction métrique
déjà recommandée, il y a plus de trente ans, lorsque je me-
surai, au fortNapoléon, en 1864, une série de Kabyles avec le
Dr Gillebert d'IIercourt (qui obtint le prix Godard pour le tra-
vail qu'il fit a cette époque en Algérie). — Plus tard, les mé-
moires de la Société d'Anthropologie publièrent en 1875, avec
des conseils sur l'application de la photographie a l'étude
scientifique des races humaines, ma notice sur les instruments
anthropométriques, devant faire partie de la trousse du voya-
geur, résultant de l'usage le plus praticable à l'étranger. Ce
témoin, m'ayant servi dans diverses circonstances, non seule-
ment pour des mensurations humaines, mais afin d'apprécier
les hauteurs comparatives de poteries rares, et d'ustensiles
impossibles a rapporter.
Inutile d'ajouter que, pour conserver à ces expériences de
mensurations comparatives restreintes ou totales toute leur
rigueur, il importe à l'explorateur de noter, une fois pour
toutes, la longueur focale de l'objectif qui lui a servi à pren-
dre ses sujets.
Il est bien entendu, aussi, que nous parlons uniquement,
aujourd'hui, des épreuves en pied, car, pour les portraits, l'éta-
lon de comparaison serait maintenu, de préférence, dans le
plan passant par l'angle externe de l'œil, ainsi que le con-
seille M. Bertillon (après nombreux résultats satisfaisants)
dans ses instructions signalé tiques.
G. DE M0RT1LLET. — TERRASSE DE VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE 57
COMMUNICATIONS.
Terrasse inférieure de Villefranche-sm>Saône.
Iudnstrie et faune.
PAR M. G. DE MORTILLET.
M. Gh. Depéret, professeur à la Faculté des sciences de-
Lyon, a fait, le 8 août 1892, à l'Académie des sciences, une
communication Sur la découverte de silex taillés dans les allu-
vions quaternaires à Rhinocéros Mercki de la vallée de la Saône à
V ille franche .
Dans la séance du 13 février 1894 de la Société d'Anthro-
pologie, M. Ernest d'Acy a rappelé cette communication à
propos des Silex taillés du limon des plateaux de la Picardie et
de la Normandie (page 184 des Bulletins de 1894). Dans la
discussion, page 202, j'ai écarté cette citation comme portant
sur des observations que ni M. d'Acy ni moi n'avions pu
sérieusement contrôler. Depuis j'ai visité la localité et vu a
Lyon les ossements et silex recueillis. C'est le résultat de ces
recherches que je viens vous faire connaître, heureux de
constater la présence de notre collègue M. d'Acy parmi nous.
La Société géologique de France devait, en 1894, visiter le
« 22 août... Au pont de Beauregard, terrasse fluvialile post-
glaciaire a faune de Chelles, Rhinocéros Mercki. Bison priscus
et silex taillés du type moustérien. » Je transcris textuellement
le programme, laissant en caractères italiques ce qui est en
italiques. C'était une excellente occasion ; d'autant plus excel-
lente que le programme avait été rédigé par M. Depéret et qu'il
devait personnellement diriger l'excursion. Je résolus d'en
profiter. Malheureusement je fus forcé de partir pour la
Bosnie et j'étais au Congrès de Sarajevo pendant que mes
collègues de la Société géologique étaient à Lyon. Mais à mon
retour j'exécutai l'excursion projetée. Ne voulant pas la faire
seul, je fus fort heureux de rencontrer comme compagnon
58 SÉANCE DU 17 JANVIER 1893
d'exploration M. Georges Hervé, alors a Villefranche-sur-
Saùne.
Le 16 septembre, conformément a l'énoncé du programme
de la Société géologique, nous nous rendîmes au pont de
Beauregard, sur la Saône, et nous demandâmes où il y avait
des exploitations de sables et de graviers. On nous en indiqua
qui dominaient immédiatement le village et la Saône, mais
elles étaient situées à un niveau assez élevé et elles étaient
ouvertes dans des assises pliocènes, connues des géologues
sous le nom de sables de Trévoux. Il ne pouvait -se rencon-
trer là ni Rhinocéros Merkii ni silex taillés. Il y avait donc
erreur. Je me rendis le lendemain à Lyon pour mieux me
renseigner. MM. Chantre et Depéret me dirent que les gise-
ments en question n'étaient pas sur la rive gauche de la Saône
où se trouvent les carrières de Beauregard que nous avions vi-
sitées, mais bien sur la rive droite, commune de Villefranche,
département du Rhône, à une certaine distance de la rivière.
Pourquoi alors désigner ces gisements sous le nom de pont
dp Beauregard, Beauregard, village attenant au pont, étant
du département de l'Ain, et le dit pont se trouvant plus rap-
proché des exploitations de sable et de gravier pliocènes que
de celles qui contiennent une faune quaternaire et des silex
taillés, situés à une certaine distance de la Saune? Ce nom
de sabliaires du pont de Beauregard n'est donc pas exact et
peut induire en erreur, ce qui nous est arrivé ; il faut le sup-
primer et le remplacer parle nom industriellement et géogra-
phiquement plus exact de Sablières de YilIcfranche-suv-Saône,
qui est du reste le premier qui a été employé par M. Depéret.
A Lyon, je vis au Muséum de la ville, les fossiles et les
silex recueillis, par M. Ernest Chantre, dans les sablières de
Villefranche. .l'examinai surtout dans les belles collections de
la Faculté des sciences, ceux rassemblés par M. Depéret, qui
voulut bien le lendemain venir à Villefranche montrer les
véritables gisements à M. Hervé et a moi.
Ces gisements s'étendent en ligne le long des premiers
escarpements qui bordent la plaine de la Saône. Ils sont lar-
G. DE MORTILLET. — TERRASSE DE VILLEFRANCHE-SURSAÔNE 59
gement et activement exploités pour les besoins de la viticul-
ture. Le philoxéra recherche les terres fortes, il craint le
sable. Aussi les vignerons le combattent en chaussant le pied
des ceps de vigne avec le produit des sablières. C'est donc la
partie la plus sableuse des carrières, c'est-à-dire la plus supé-
rieure qui est surtout exploitée. Là, comme partout dans les
gisements analogues, c'est vers la base que se groupent les
éléments les plus considérables, graviers et cailloux, qui, dans
le cas actuel, trouvent peu ou pas d'écoulement commercial.
C'est pourquoi les ouvriers rencontrent comme fossiles plus
d'os que de silex.
Pourtant les silex portant des traces incontestables du tra-
vail humain ne sont pas rares. J'en ai vu un certain nombre
au Muséum de Lyon, à la Faculté des sciences, et lors de notre
visite les ouvriers en possédaient encore quelques-uns malgré
le passage de la Société géologique qui avait eu lieu 21 jours
auparavant. Ce passage avait, même laissé des traces, car j'ai
ramassé moi-même sur le sol d'une de ces exploitations des
silex cassés par le marteau des géologues, entre autres un
demi-nucléus bien quaternaire sur une face, qui présentait
une cassure toute fraîche sur la face opposée. Ces silex
anciens sont patines et surtout lustrés, preuve de plus qu'ils
appartiennent à une formation fluviatile. Ils sont générale-
ment de petites dimensions et ne représentent que des rebuts
de taille, esquilles, éclats et lames grossières. Pourtant ils
sont suffisants pour qu'on puisse les attribuer sans hésitation
au moustérien. C'est en effet la détermination qu'en a fait
M. Depéret dès l'origine et celle qui se trouve avec raison
dans le programme de l'excursion de la Société géologique.
Il n'y a qu'à voir un échantillon que j'ai rapporté et offert à
l'Ecole d'Anthropologie pour s'assurer de l'exactitude de cette
détermination.
60
SÉANCE DU 17 JANVIER 1895
Fig. 1. Face.
Fig. 2. Revers.
Silex taillé de la terrasse inférieure de Villefranche (Rhône).
(Ext. de la Remic de l'École d'Anthropologie, novembre 1894).
Jusqu'à présent on n'a pas encore signalé do coup-de-poing
chelléen ou même acheuléen. (l'est une industrie tout à fait
différente de celle de Chelles, mais plus que suffisante pour
bien établir l'existence de l'homme.
Passons à la faune. Les bovidés abondent. M. Depéret y
désigne surtout, presque exclusivement, le Bison priscus ou
aurochs. Les équidés sont aussi en grand nombre. Mais ce
n'est pas sur ces groupes que porlo la discussion. Examinons
avec plus de soin les éléphants, les rhinocéros et les cervidés.
Je n'ai vu qu'un seul fragment, en assez mauvais état, de
molaire d'éléphant provenant des sablières de Villefranche.
Il se trouve dans les collections de la Faculté des sciences de
Lyon. M. Depéret ne le détermine pas. Il m'a semblé se rap-
procher très sensiblement de VE. primigenius ou mammouth.
AChelles, les molaires d'Elepkas antiquus abondent et sont très
bien caractérisées.
Les collections de la Faculté contiennent aussi des molaires
G. DE MORTIU.ET. — TERRASSE DE VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNK 61
de rhinocéros : M. Depéret les attribue au Rhinocéros Merkii.
Ces dents, dont le bourrelet inférieur est presque nul, attei-
gnent la taille de celles des plus grands Rhinocéros tichorhinus.
Ne se rapporteraient-elles pas à cette espèce? Je n'ai pas eu
assez de temps pour les étudier suffisamment. Lors de notre
visite aux exploitations, je me suis procuré une prémolaire
inférieure de rhinocéros. Ces prémolaires n'ont rien de carac-
téristique comme détermination spécifique, mais cette dent,
déposée à l'Ecole d'Anthropologie, atteint aussi les dimensions
des dents analogues des R. tichorhinus. A Chelles, où les dents
de rhinocéros sont très abondantes, elles se rapportent géné-
ralement à la petite variété du li. Merkii, avec fort bourrelet
à la base.
Comme aspect général la faune de Villefranche, au point
de vue des éléphants et des rhinocéros, diffère donc, comme
pour l'industrie, très sensiblement de celle de Chelles. C'est
aller un peu vite de les synchroniser, ainsi que le fait le
professeur de Lyon. 11 prétend que la faune de Villefranche est
« de climat tempéré ou chaud, tout à fait identique à la faune
dite chelléenne. » Ce climat chaud ou tempéré devra être
terriblement refroidi si certain bois de cervidé de Villefranche,
qui existe au Muséum de Lyon, est rapporté au renne, Ta-
randus rangifer.
Comme détermination de l'âge du gisement de Villefranche,
le professeur de Lyon a dit à l'Académie des Sciences qu'il
est inter-glaciaire en soulignant le mot. Dans le programme de
l'excursion de la Société géologique il est devenu post-gla-
ciaire. Ouelle est la bonne détermination? Si toutefois l'une
des deux est bonne? Ce qu'il y a de certain, et M. Depéret
l'a parfaitement reconnu dans notre excursion avec M. Hervé,
c'est qu'il n'existe pas trace de glaciaire ni dessus ni dessous
le gisement et qu'il n'en existe pas dans les environs. Les
déterminations inter-glaciaire ou post-glaciaire sont donc des
déterminations purement théoriques, sur lesquelles l'imagina-
tion peut avoir une certaine influence. Dès lors, n'est-il pa<j
permis de penser que le désir de mettre en contradiction les
02 SÉANCE DU 17 JANVIER 1895
données de l'industrie avec celles de la paléontologie propre-
ment dite a eu quelque action sur l'opinion émise?
11 y a plus. Cette détermination d'époque me parait en
contradiction avec les données généralement acceptées de la
paléontologie. On a reconnu dans le quaternaire deux grou-
pements d'espèces d'animaux : l'un avec YElephas antiquus et
le Rhinocéros Merkii avait besoin d'une certaine température;
l'autre avec YElephas primigeniuSj le lihinoceros tichorhinm et le
Tarandus rangifer ne craignait pas le froid. M. Albert Caudry
a désigné ces deux faunes sous les noms de « faune chaude
et de faune froide. » Il a, en outre, reconnu que la faune
chaude est la plus ancienne et la faune froide la plus récente.
Or, M. Depéret, contrairement à l'avis si solidement motivé
du Maître, prétend que la faune de Villefranche appartient à la
faune chaude et pourtant qu'elle est post-glaciaire ou tout au
plus inter-glaciaire.
Rien n'est donc changé dans les données générales de la
palethnologie. Le gisement quaternaire de Villefranche ne
constitue pas une sérieuse exception. Tout tend à le ramener
le plus simplement du monde dans le cadre qui renferme
toutes les autres observations.
J'aurais voulu donner et au besoin discuter l'opinion des
membres de la Société de Géologie qui sont allés visiter les
exploitations de sable de Villefranche-sur-Saône, mais la
Société géologique n'a publié qu'un compte-rendu sommaire,
ne contenant aucune appréciation.
Discussion.
M. d'Acy dit qu'il n'avait indiqué ce gisement que d'après
M. Depéret : il ne connaît pas la station et s'en rapporte
à la détermination de la Société géologique qui est allée la
visiter.
M. d'Ault du Mesnil fait quelques observations sur la déter-
mination des Rhinocéros et attend pour se prononcer sur
celui qui a été trouvé à Villefranche d'examiner des pièces
provenant de la station.
L. BONNEMÈRE. — LES PIERRES Dïï LA NOUVELLE-C ALÉD3ME 63
Les pierres gravées de la Nouvelle-Calédonie.
Par M. L. Bonnemère.
J'ai l'honneur d'offrir à la Société, au nom de M. Glaumont,
percepteur à Coron, une suite de dessins et de gravures exé-
cutés par lui et représentant quelques-uns des objets si remar-
quables rapportés par lui de notre colonie '.
Dans aucun pays du midi, parait- il, les armes et les oulils
en pierre taillée, et même polie, n'abondent autant qu'en
Nouvelle-Calédonie.
Sans doute leur intérêt est très grand et ce n'est point
cependant sur eux que je vous prierai de porter votre bien-
veillante attention, mais sur une série de dessins représentant
des signes relevés par M. Glaumont sur des blocs parfois
énormes qu'il a pu examiner en place pendant le séjour de
quelques années qu'il a fait en Océanie.
C'est ainsi que nous étudierons successivement les pierres
de Pa-oro, de Moïnevra, de Nézadiou et du Diahot.
Pa-Oro.
Après avoir fait une abondante récolte d'armes et d'outils
dans les plaines qui avoisinent Bourail, M. Glaumont voulut
aussi explorer les cavernes si nombreuses en Nouvelle-Calé-
donie, et c'est non loin de l'une d'elles, appelée Pa-Oro qu'il
découvrit une énorme pierre plate de trois mètres de hauteur
sur deux mètres de largeur.
Elle était recouverte de dessins obtenus au moyen d'enco-
ches, et ces encoches ont été faites par des grattages avec un
éclat de silex comme burin ou une coquille pointue '.
i Tous les dessins accompagnant cette communication ont été
déposés aux Archives delà Société.
04 SÉANCE DU 17 JANVIER 1895
La pierre de Pa-Oro est donc le produit d'un art tout à fait
primitif.
Ne pouvant pas s'expliquer la signification de toutes ces
figures, notre compatriote eut l'excellente idée de questionner
à leur égard un chef du pays, nommé Massavero, dont à plu-
sieurs reprises il avait remarqué l'intelligence.
M. Glaumont eut la satisfaction de voir qu'il donnait un
sens très plausible à la presque totalité de ces gravures.
Suivant Massavero, les lignes horizontales I et II représen-
teraient des sagaies ordinaires groupées en paquets de cinq.
De toutes les armes des Néo-Calédoniens,.la sagaie est la
plus simple. C'est donc celle qui a dû être le plus ancienne-
ment usitée.
La croix entourée ou non d'un cercle (lîg. 2, 4, 5, 7, 10,
15, 10), représenterait deux sortes d'oursins très communs
en Nouvelle-Calédonie. Celui indiqué par une croix simple
serait le Cydaris clavigera. En langue canaque,, ces deux
espèces sont désignées par un même mot qui est : « mien ».
L'interprétation des signes 0, 9, 13 est moins certaine.
Le chef Massavero dit à M. Glaumont que c'était là « ga-oua-
oué », et il lui avoua qu'il ne pouvait pas traduire exactement
cette expression en français.
Le Canaque pensait que la figure sur laquelle M. Glaumont
attirait son attention devait être le signe du tatouage. Le
tatouage, en langue néo-calédonnienne, s'appelle «.ga-otia-oué».
11 est évident que les naturels de cette île se font des marques
semblables sur la poitrine au moment des pilous.
Autant Massavero avait été affirmatif pour les premiers
signes, autant il se montrait prudent à l'égard de ceux que
nous étudions en ce moment.
Il est certain que les signes qui nous occupent en ce mo-
ment, peuvent également bien, sinon mieux, représenter des
astéries.
Les figures 3, 8, 12, sont des duru-ané, ou marteaux à lus-
trer les étoffes faites en écorces d'arbre. Jadis ces marteaux
se fabriquaient en pierres sillonnées de lignes se coupant à
L. BONNEMÈRE. — LES PIERRES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE 65
angle droit. Notre compatriote en a trouvé un tout près du
bloc dont j'analyse les particularités.
Les sauvages actuels se servent maintenant de « duru-
ané » en bois, fabriqués sur le môme principe.
La ligure 14 est un corps limité, régulièremeut ovale. L'ar-
tiste, toujours d'après Massavero, a eu l'intention de repré-
senter un crabe ou « boss ». Les quatre lignes parallèles
indiquent les huit pattes de l'animal au repos. C'est, on le
voit, l'enfance de l'art.
Pour corroborer l'opinion du chef sauvage, il convient
d'ajouter que la pierre fétiche du crabe est semblable à la
figure que je viens de décrire.
Les Canaques, disons-le en passant, ont des fétiches pour
toutes choses. Les uns leur assurent de bonnes pèches et dif-
fèrent suivant les espèces de poissons qui abondent sur les
cotes de leur île. Grâce à d'autres, ils se croient certains
d'avoir toujours d'abondantes récoltes d'ignames et de tarots.
Tous ces objets amulettiques sont en pierre.
Enfin, la figure 17, beaucoup plus compliquée, représen-
terait un animal quelconque.
Massavero ne put rien précisera notre compatriote au sujet
de ce dernier dessin. Il n'est pas douteux que la pierre de
Pa-Oro a dû être chargée de gravures à une époque très
éloignée, à celle peut-être où les Canaques habitaient dans
des cavernes. Elle nous renseigne sur leur alimentation, sur
leurs industries. Ils avaient déjà des sagaies et ils savaient
fabriquer des étoffes en écorces d'arbres.
Moïnevra.
Non loin de Pa-Oro, M. Glaumont découvrit sur la colline
de Moïnevra, un autre bloc couvert également de gravures.
Son volume est de quatre à cinq mètres cubes.
L'examen de ces dessins prouve qu'ils sont l'œuvre d'un
même peuple, mais ils doivent remonter à une époque moins
reculée.
T. VI (4° sirie). î»
66 SÉANCE DU il JANVIER 1895
Ils sont, en effet, beaucoup mieux exécutés. M. Glaumont
inclinerait à croire qu'elle daterait du temps où les naturels,
sortant de leurs cavernes, se fixaient volontiers sur les col-
lines.
Comme nous allons le voir, leur intelligence a progressé et
leur genre de vie est devenu plus heureux. Ils ne se conten-
tent plus de ramasser des oursins sur les plages ou dans les
trous de rocher. Ils font des filets pour la pèche des pois-
sons qu'ils capturent aussi avec des sortes de tridents. Ils font
enfin des plantations de palmiers.
Sur la pierre de Moïnevra, le crabe est encoi'e gravé (fig. 1 1,
mais, celte fois, il est bien plus reconnaissable. Ses huit pattes
sont détachées, et ses pinces, très visibles, sont largement
ouvertes, presque menaçantes. Il n'est pas pour ainsi dire,
besoin des explications du chef des Oua-oué pour donner un
nom à l'animal que le sculpteur canaque a voulu repré-
senter.
L'oursin est aussi gravé (fig. 5 et 6).
J'en dirai autant de l'astérie (fig. 2) et de la méduse (fig. 3).
.l'arrivé aux dessins les plus curieux, après avoir dit que
ceux qui sont désignés par les chiffres 9, 10 et 11 sont inex-
plicables ou, pour parler plus exactement, demeurent inexpli-
qués pour l'instant.
Un autre sauvage que le chef des Oua-oué en pourra peut-
être un jour en donner le sens exact. Je veux parler de celui
qui représente une croix à trois bras et trois lignes diverse-
ment ondulées.
Le quatrième nous donne le dessin très exact d'une navette
à faire le filet.
Le septième met sous nos yeux l'image d'une arme à qua-
tre dents servant à la pêche et toujours en usage dans notre
colonie.
Le huitième est le plus intéressant de tous. Au dire de Mas-
savero, il représente un alignement de cocotiers disposés
en deux groupes.
A l'époque où cette pierre fut gravée, les Canaques culli-
L. BONNEMÈRE. — LES PIERRES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE 67
vaient donc déjà cet arbre si précieux; ils savaient l'utiliser
et c'est probablement avec ses feuilles et sa bourre qu'il fabri-
quaient leurs filets comme, au reste, ils le font toujours.
De plus, ils les plantaient sans doute, comme semble le
faire croire la disposition de la figure. Elle met, en effet,
devant nos yeux des arbres régulièrement espacés.
Un voit que la pierre de Moïnevra nous apporte des élé-
ments nouveaux. Ainsi que je le disais plus haut, nous
voyons naître l'agriculture.
Les pierres dont il nie reste à parler vont nous faire assister
à un nouveau progrès.
Nézadiou.
En défrichant et en bouleversant le sol pour construire une
maison, un homme nommé El Miloud, un Arabe sans doute
déporté à la Nouvelle-Calédonie, mit à jour des blocs de
pierres de proportions bien différentes. Quelques-unes, en
effet, n'ont qu'un mètre cube. D'autres, par contre, en ont
cinq.
Elles ont été trouvées sur une légère éminence que con-
tourne la rivière dite des Cailloux et non loin d'elle, mais
dans la plaine, on a découvert à plusieurs reprises des foyers
d'habitations qui paraissent être fort anciens.
Peut-être doivent-ils être reportés comme origine, au temps
où les pierres qui nous occupent ont été travaillées.
De l'examen de tous ces blocs, il résulte qu'un progrès
immense s'est accompli non seulement dans le procédé de
l'ouvrier mais dans Fart lui-même. Les dessins ne sont plus
gravés au burin. Ils sont exécutés au marteau par percus-
sions successives. Toutes les figures ne sont donc plus tracées
en creux. Il y a demi-relief et relief même !
Il est curieux de constater combien certains des dessins
qui couvrent les pierres de Nézadiou ont d'analogie avec ceux
qui ornent quelques-uns des plus célèbres monuments méga-
lithiques de la Bretagne. En vérité, je serais même tenté de
dire qu'en certains cas il y a similitude absolue.
68 SÉANCE DU 17 JANVIER 1895
Autre particularité bien digne d'être notée. Une des pierres
semble porter le dessin dp deux bâches.
A Pa-Oro, à Moïnevra, les artistes primitifs, nous l'avons
vu, n'avaient représenté que des sagaies d'espèces diffé-
rentes.
Les haches sont encadrées par deux instruments k pointes
allongées et recourbées qui ressemblent beaucoup au casse-
tête en bois dit à bec d'oiseau dont se servent encore nos
Canaques.
Je ne pense pas que ces bâtons recourbés soient des armes.
J'imagine bien plutôt que ce sont les manches des deux
haches qu'ils encadrent. Si par la pensée on réunit ces pierres
si curieuses deux à deux, on aura la représentation exacte
de ce qu'on est convenu d'appeler une herminette. On aura
YAra-Tina de nos Néo-Calédoniens actuels, qui leur sert à
fouir la terre et à faire leurs plantations d'ignames et de
tarots.
Peut-être pourrait-on également faire figurer parmi tes
outils de la même époque un instrument de pierre que
M. Glaumont a trouvé non loin de Pa-Oro, il est vrai, mais
qui ne paraît pas pouvoir être rapproché des sculptures qui
couvrent le bloc dont nous avons parlé.
Je veux parler d'une sorte de pierre en roche mélapyrique
dont la forme a été obtenue par le martelage.
La pierre si curieuse qui va nous occuper est rare dans les
collections et n'en présente que plus d'intérêt.
Sa longeur est de 0 m. 380 millimètres; son diamètre
maximum de 0 m. 050, et son poids de 1 kil. 775 grammes.
L'extrémité supérieure représente une verge humaine, un
phallus circoncis.
Les indigènes auxquels M. Glaumont a fait voir cet outil
l'ont appelé Pé bou-O, d'un mot qui peut se décomposer ainsi:
Pé, qui porte.
Bon, verge.
0, homme.
L'autre extrémité est taillée en biseau, ce qui prouve très
L. BONNEMÈRE. — LES PIERRES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE 69
probablement que nous sommes en présence d'un pic a plan-
ter les ignames.
Tous ceux dont on se servait n'étaient pas très évidemment
d'un travail aussi parfait.
Mais si on veut bien songer à ce que cette plante qui
forme la base- de l'alimentation du Canaque est aussi pour lui
une plante pour ainsi dire sacrée et que l'on ne peut la plan-
ter ni récolter qu'après avoir célébré des cérémonies reli-
gieuses, on comprendra aisément qu'il devait y avoir des
instruments très ornés pour l'arracher. Celui dont je mets un
dessin sous les yeux de mes collègues était peut-être employé
dans ces fêtes auxquelles je viens de faire une rapide allusion.
Si mon intention était de parler avec quelques détails de
l'agriculture des anciens Canaques, j'aurais à vous décrire
d'autres outils, d'autres pics ou pioches faits d'une pierre
allongée, recourbée et pointue à une de ses extrémités,
tandis que l'autre, renflée, est percée d'un trou pour le pas-
sage d'un manche.
M. Glaumont ne fait pas difficulté pour avouer que la
plupart des dessins qui recouvrent les pierres de Nézadiou
sont d'une interprétation très difficile.
Que signifient notamment ces demi-cercles concentriques
qui s'emboitent les uns dans les autres et qui sont plus ou
moins réguliers ?
Il est impossible de faire la moindre supposition un peu
plausible quand on n'a pas vu une ignamière de la Nouvelle-
Calédonie.
L'igname se cultive en Nouvelle-Calédonie sur le flanc des
collines et même sur celui des montagnes atteignant quelque-
fois plus de quatre cents mètres d'élévation. Le Canaque
plante l'igname dans un trou fait avec un pic en pierre,
jadis, en bois aujourd'hui, et relève la terre en talus demi-
circulaire, l'ouverture du cercle en bas. Sur ce talus, il pique
une lige de bois autour de laquelle s'enroulent les feuilles et
les branches de l'igname. Tin peu plus haut, il fait un demi-
cercle identique au premier et d'autres encore. Ces demi-
70 SÉANCE DU 17 JANVIER 1893
cercles concentriques couvrent toute la colline et présentent
un aspect très particulier qui frappa beaucoup M. Glaumont.
Notre compatriote ayant exécuté plusieurs dessins repré-
sentant des ignamières les montra à divers colons, en même
temps que ceux que portaient certaines des pierres de Néza-
diou. Tous furent d'avis qu'il y avait la plus grande simili-
tude entre les uns et les autres.
L'opinion que les sauvages avaient émise quand il les avait
questionnés au sujet des blocs qu'il avait découverts, setrouva
donc ainsi complètement confirmée, car M. Glaumont, dans
cette circonstance, avait, encore tenu a suivre la méthode qui
lui avail si bien réussi relativement à Pa-Oro et à Moïnevra.
Grâce aux talus en demi-cercle, l'eau ne peut emporter dans
sa course ni les ignames ni la terre dans laquelle elles sont
plantées, ce qui arriverait infailliblement sans cette précau-
tion, les collines affectées à la culture de ces précieux tuber-
cules ayant parfois jusqu'à 20, 30 et même 35° de pente.
Telle est l'explication très naturelle et très vraisemblable du
demi-cercle concentrique.
Les signes en volutes sont peut-être d'une interprétation
moins facile. Plusieurs hypothèses se présentent. Comme une
des pierres de Nézadiou on remarque une sorte de croix qu'on
pourrait prendre pour un animal analogup à ceux que nous
avons rencontrés à Pa-Oro et à Nézadiou, on pourrait penser
que ces volutes doivent figurer quelques coquillages du genre
du rsTautilus.
M. Glaumont pencherait plutôt à voir en eux la représen-
tation d'ignamières ou de tarotières situées en plaine.
Notre compatriote entend par ce dernier mot des plantations
de tarots, ces végétaux qui ne sont guère moins précieux
pour les Canaques.
Une des pierres de Nézadiou nous montre une ligne ondulée
qui, a plusieurs reprises, fut reconnue par des Canaques
comme représentant une de ces cultures dont il me reste à
m'occuper.
« Les tarots sont plantés dans une rigole, un fossé que l'on
L. BONNEMÈRE. — LES PIERRES DE LÀ NOUVELLE-CALÉDONIE 71
établit échelonné le "long d'une montagne jusqu'à huit cents
mètres de hauteur. Pour l'alimentation on capte une source,
ou une partie d'un ruisseau en établissant un saut de moulin
et on le force par une suite de sauts de même nature à suivre
par une pente insensible les.flancs de la montagne jusqu'à sa
base en lui faisant tracer de longs circuits. Il y a en Nouvelle-
Calédonie, — nous dit M. Glaumont — d'immenses tarotières. »
Je puis ajouter, à cet égard, que notre compatriote a visité
durant son séjour dans la colonie les restes de travaux gigan-
tesques exécutés par les Canaques d'autrefois en vue de la
culture de ces plantes alimentaires si précieuses pour eux.
Je le répète, car c'est là surtout ce qui est important, le
signe vers lequel j'appelle en ce moment votre attention, au
dire des sauvages actuels, représente des tarotières.
Les pierres de Nézadiou d'un travail plus soigné que celles
sur lesquelles notre élude s'est portée tout d'abord témoignent
donc d'un grand progrès agricole. Elles nous parlent de
plantes cultivées au prix d'efforts très pénibles puisqu'il fallait
exécuter des travaux de divers genres sur les flancs des col-
lines et même des montagnes, travaux qui remontent sans
doute à des temps éloignés de nous.
M. Glaumont, dont je ne suis ici que le porte-paroles, n'i-
gnore pas qu'à propos de l'âge qu'il attribue à ces pierres on
a objecté qu'elles étaient peut-être plus récentes qu'il ne le
croit. L'examen très minutieux qu'il a fait de toutes les pierres
découvertes par lui lui permet d'affirmer de la façon la plus
absolue que toutes les gravures ont été faites sans l'emploi
d'outils en métal. Tous ceux dont on s'est servi étaient en
roches quelconques.
Pierres du Diahot
Dans une autre partie de notre colonie, au Diahot, M. Glau-
mont a observé divers blocs chargés de gravures. L'un a
environ trente-cinq mètres de tour et il est complètement
couvert de dessins qui ne semblent pas présenter de sens si
on excepte peut-être des étoiles à quatre branches qu'on
pourrait rapprocher de quelques-uns des signes que nous
72 SÉANCE DU M JANVIER 189")
avons passés en revue. Tout le reste n'est qu'un assemblage
confus de lignes se coupant de diverses façons, de croix diver-
sement orientées, entremêlées de quelques cupules. Du reste,
les blocs portant des cupules ne sont pas rares en Nouvelle-
Calédonie.
Aux abords de ces blocs singuliers sur le compte desquels
M. Glaumont n'a pu consulter aucun naturel, il n'existe point
de tombes véritables, ce qui n'est pas étonnant, les Canaques
n'enterrant point leurs morts. Mais entre toutes les pierres,
c'est eu très grande quantité que notre compatriote a pu
recueillir des ossements, quelques pierres polies d'une belle
conservation et beaucoup plus de fragmentées.
Telles sont les découvertes que je tenais à signaler à notre
Compagnie, car elles me semblent être de nature à intéresser
ceux de ses membres qui s'occupent plus spécialement du sens
que peuvent avoir les signes qui recouvrent parfois en si
grand nombre les monuments mégalitbiques.
Les dessins de M. Glaumont, accompagnant cette commu-
nication ont été déposés aux Archives de la Société.
Discussion.
M. Vehneau attire l'attention sur une découverte de AI. Glau-
mont. On considère comme récente l'importation de la poterie
en Mélanésie etjdans la Nouvelle-Calédonie notamment. Or,
M. Glaumont, en fouillant une berge, y a trouvé des poteries
qui montrent que l'introduction de la poterie n'est pas aussi
récente qu'on l'a cru.
.M. A. de Mortillet fait remarquer qu'on ne saurait être
trop prudent au sujet de l'interprétation des gravures donnée
par les paysans. Ils ont toujours une explication à donner au
lieu de reconnaître leur incompétence. Les objets en question
sont prébistoriques, c'est-à-dire qu'ils sontantérieurs à la con-
quête des Européens : c'est ainsi qu'il faut entendre leur
ancienneté.
Quant aux gravures, elles ne sont pas très rares sur les
rochers en Australie.
L'un des secrétaires : Dr Paul Raymond.
OUVRAGES OFFERTS 73
Cl 5« SÉANCE. — 7 Février 1895.
Présidence de M. Issaurat.
OUVRAGES OFFERTS.
Arnaud (F.). — L'instruction 'publique à Bàrcelonnette, in-8,
138 pages. Digne, 1894.
Buinton (D.-G.). — A primer of Mayan hieroglyphics, in-8,
152 pages. Philadelphie, 18(J4.
Dévot (Justin). — La nationalité et son influence quant à la
jouissance des droits, in-8, 171 pages. Paris, 1893.
Dévot (Justin). — Acla et Verba, in-8, 171 pages. Paris,
1893.
Dévot (Justin). — Cours élémentaire d'instruction civique et
d'éducation patriotique, in-8, 208 pages. Paris, 1894.
Lavroff (P.). — Essai d'une histoire de la pensée, in-8, 1508
pages. Genève, 1894 (en russe).
Regnault ( D1' F.). — Forme du crâne dans F hydrocéphalie (Ext.
de la Revue mensuelle des maladies de l'enfance), in-8, G pages.
Paris, 1894.
périodiques (articles à signaler).
Revue mensuelle de l'Ecole d'Anthropologie, 15 janvier 1895.
— J.-V. Laborde : La microcéphalie vraie et la descendance
de l'homme.
Archives d'Anthropologie criminelle, 15 janvier 1895. — R. Lé-
pine : Sur un cas particulier de somnambulisme ; — E. Maran-
don de Montyel : Des anomalies des organes génitaux chez les
aliénés.
Journal of anatomg and physiology, January 1895. — G. F.
Marshall : Variations in tbe form of the thyroid gland; —
T. VI (4° série). 0
74
SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1803
W. Bulloch : The central nervous System of an anencepha-
lous fœtus; — A. Keith : Growth of brain in men and mon-
keys, with a short criticism of the usual metliod of staling
brain-ratio: — G. Humphry : The microcephalic or idiot
skull, and macrocephalic or hydrocéphalie skull ; — St. Clair
Symmers : A skull with enormous pariétal foramina.
OBJETS OFFERTS.
Dolmens de l'Anjou. Photographies.
M. Bousrez, de Tours, offre à la Société une série de pho-
tographies des dolmens et menhirs de l'Anjou dont voici la
liste :
1. Bagneux, grand Dolmen,
2. — petit —
3. Denezé-sous-Doué — village de Saulgré.
4. — — la Pierre Péteuse li la Garenne.
5. — la Pierre couverte, au village
de Chavoix.
— près de Coulon.
— la Pierre couverte, au sud du
Moulin de Pian.
— de l'Éthiau.
— près de la Métairie de Beau-
préau.
près de la ferme de la Ran-
geardière.
de la cour d'Avort.
de la Madeleine.
— de la Page rie.
de la Forêt (sud-est).
— (nord-ouest).
la Pierre couverte.
la Pierre au Loup,
la Pierre Coesée.
().
Antoigné,
m
1,
Cheinellier,
8.
Couture,
9.
Charcé,
10.
Fontaine-Guérin,
11.
Gennes,
12.
—
13.
—
14.
—
13.
—
10.
Pontigné,
17.
Seiches,
18.
Sou celles,
M. DAVELUY. — RAPPORT ANNUEL SUR LES FINANCES
75
19.
20.
21.
OC)
23.
24.
25.
26.
27.
28.
Thoureil (le), * — la Bajoulière.
Bagneux, Menhir, la Pierre longue, près le grand
dolmen.
— au Bois Gilbert.
Gennes, —
Georges (St-) des
Sept-Voies. —
Macaire (St-) en
Maugés, —
Thoureil (le),
La Renaudière, —
Torfou,
de Nidevelle, près le Sale-Vil-
lage.
la Bretellière (est).
— (ouest).
Saint-Gondon.
la Pierre longue,
de la Bretaudière.
la Pierre Tournisse (pierre à
légende.
Des remerciements sont adressés à M. Bousrez.
DÉLÉGATION.
Sur la proposition de M. Salmon, une délégation est accor-
dée à M. Bousrez, de Tours, pour des recherches en Indre-et-
Loire.
Rapport annuel sur les fiuances.
Par M. Daveluy, trésorier.
Messieurs,
En exécution de l'article 32 de notre règlement, j'ai l'hon-
neur de vous présenter les comptes du trésorier pour l'année
1894. Ils se résument en deux tableaux (A etB ci-après) con-
tenant :
L'un l'ensemble par catégorie, des opérations effectuées en
70 SÉANCE DU 7 FÉVHIER 1895
1894, l'autre, l'inventaire de notre fortune au 31 décembre
dernier'.
Touten conservant, en somme, la contexture précédente de
ces tableaux, j'avais cru opportun, l'année dernière, d'y intro-
duire quelques modifications de détail, que vous avez bien
voulu approuver sur la proposition de la commission des comp-
tes (séance du 15 marsl894). J'ai, en conséquence, maintenu
sans changements pour 1894, les cadres ainsi adoptés pour
1893.
Je n'ai à signaler spécialement à votre attention, aucun autre
fait que la conversion en 3 0 0 d'une rente 4 12 0 0, ce qui
entraîne une perle annuelle de 120 fr. qui se trouve compen-
sée jusqu'à concurrence de 05 fr. par un achat de rente 3 0 0
dont je vous ai entretenu l'an dernier (séance du 1er février
1894, p. 111).
A. — Résumé des opérations en 1894.
RECETTES.
1° Ordinaires.
Cotisations 7.831 f. 20
Droits d'admission 300 »
Rachat de cotisations .... 198 75
Rentes etj affectés aux prix. 1,8531'. 65 ) , j 12.792 f. 45
intérêts, (descap.de laSoc. 748 »j
Souscription de l'État aux publicat. 1 .000
Ventes de publications .... 880 85 /
2° Extraordinaires.
»
Legs Delehaye 1.000
Reliquat du boni réalisé en 1893. 14 22
1.014 22
Total des recettes . . . . 13. 806 f. 67
M. DAVELUY. — RAPPORT ANNUEL SUR LES FINANCES 77
Report. . . 13.806 f. 67
DEPENSES.
a
.2 [ Prix Godard . 250 fr. »
! lM !'f 1.833 f. 63
> ~ ) Prix Bertil Ion. 166 6o
2 S* \ Prix Broca. . 750
en
'>■
2 s
a- g, ^ PrixFauvelle. 667 »
Frais généraux 2.273 21
Publications 6.075 20
Entretien 63 40
Bibliothèque 589 15
Collections 415 60
Total des dépenses. . . . 11.250 f. 21
Excédent des recettes sur les dépenses. 2.556 46
L'excédent de nos recettes sur nos dépenses est ainsi de
2.556 fr. 46. L'année dernière, il s'élevait à 3,139 fr. 87. Abs-
traction faite des fluctuations qui se produisent chaque année
dans les divers articles de receltes et de dépenses, la cause de
cette différence se trouve dans le legs de 1,000 fr. que nous a
fait notre regretté collègue, M. Delehaye, qui a figuré pour
la première fois parmi nos ressources en 1893 et qui continue
d'y être compris en 1895.
B. — Inventaire au 31 décembre 1894.
ACTIF LIQUIDE.
. . » fr
» \
Créances à recouvrer ,
. . 2.425
» J
Société générale .
. . 7.218
61 [
11.025 fr. 86
M. Masson, éditeur.
. . . 859
» \
Rentes à toucher .
. . . 523
25 ]
78
SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1895
Report.
PASSIF.
11.025 fr. 86
Provisions pour les Prix .
1.750 fr
55 \
Médaille Broca
7
65 J
Médaillon Broca ....
38
» >
0.322 fr.
60
Statue Broca
— * ' ' — —
10 V
Factures à payer ....
1 . 704
assif.
30 J
Excès de l'actif sur le p
4.703 fr
26
Valeurs
A ajouter :
prix d'achat. . 73.874 fr. 90
de bourse.
plus-value résultant de
83.584 30
h hausse des cours. 9.709 40
Actif net en capitaux disponibles et en va-
leurs de bourse 88.287 fr. 56
A ajouter : valeurs dont le montant résulte
d'appréciations :
Quittances à recouvrer
Collections .
Librairie
Bibliothèque .
2.450 fr. »
67.590 85
68.243 20 y
8.226
Mobilier 11.332 50
Total de l'inventaire .
Total de l'inventaire ;i la fin de 1893.
Plus-value .
246. 130 fr. Il
242.416 37
3.713 fr. 74
Ainsi, comparativement à 1893, le total de notre fortune
s'est accru de 3. 713 f 74
Maiscommeje l'ai marqué dans mon précédent compte rendu
(séance du 1er février 1894, p. 108), les valeurs dont le mon-
tant résulte d'appréciations ne sauraient être, d'une manière
M. DAVELUY. — RAPPOUT ANNUEL SU» LES FINANCES 79
absolue, acceptées pour les estimations qui leursont attribuées.
11 est toutefois à noter que les collections, la librairie, la bi-
bliotbèque et le mobilier figurent dans le tableau précédent
pour les valeurs qui leur ont été primitivement assignées et
que, néanmoins, de nombreux objets ont été ajoutés à ceux qui
existaient alors. Ce qui en réalité rehausse d'autant les valeurs
dont il s'agit.
Notre actif, comme vous le voyez, par le même tableau, dé-
passe notre passif de 4,703 fr. 26.
Cette somme se compose :
1° du bénéfice réalisé en 1894 (voir le tableau A
ci-dessus) 2.556 f 46
2° du solde à capitaliser, à la fin de 1893 sur les
droits d'admission, les rachats de cotisations . . 794 f 80
3° prix de la vente d'un reliquat de 0.888 sur la
rente 4 1 2 p. 0 0 convertie en 3 2 0 0. . . . 25 '85
4° du solde du compte desbénéfices antérieurs à
1894 moins 1.000 fr. attribués aux frais d'impres-
sion de 1894 et 14' 22 affectés aux dépenses extraor-
dinaires delà même année (2, 340, 37— 1,014,22) . 1 .326 f 15
Total égal 4.703 f 26
Sur ce total de 4. 703' 28
11 faut défalquer :
1° Créances à recouvrer 2. 425 '00
2° Attribution par le Comité central
(séance du 10 janvier 1895) au budget , „„„,„„
J ° > 4.0o8'b.)
de 1895 :
1IJ frais de publication . 1.300 f 00 j
2° dépenses extraordinaires 333' 65 )
Reste libre. . . . . 644 '61
En terminant mon exposé de 1893, j'appelais votre atten-
tion sur la nécessité généralement reconnue de mettre de bonne
80 SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1895
heure en recouvrement les quittances des cotisations annuelles.
Conformément à des décisions prises par le Comité central dans
ses séances des 11 janvier et 15 avril 1894, les quittances des
cotisations de 1895 seront présentées au domicile des mem-
bres de la Société dans la première quinzaine du mois de mars
prochain. Mais, au préalable, des lettres d'avis dont la formule
a été approuvée par le Comité central dans sa séance de jan-
vier dernier, préviendront les intéressés de cet envoi et les
prieront d'y faire bon accueil.
Uuelques membres de la Société ont émis le vreu qu'un comp-
table fût adjoint a la Commission de vérification des comptes.
C'est un vœu auquel je m'associe et que je vous serai recon-
naissant d'accueillir.
Le sort désigne comme membres de la Commission de
vérification des comptes MM. Raymond, Laborde et Le Marcis.
COMMUNICATIONS.
Quelques observations relativement au gisement in tri
glaciaire de Yillcl'raache.
Par M. E. d*Acy.
,1e demande la permission de présenter quelques observa-
tions, au sujet de la communication de M. G. de Mortillet, sur
les alluvions de Villefranehe.
M. de Mortillet nous a dit que la faune de ce gisement n'est
pas interglaçiaire, comme le croit M Depéret ', mais bien
i I)kpéri:t, Sur In découverte de silex taillés, dans les alluvions
quaternaires a rhinocéros M'-rckH de la vallée de la Saône, à Ville-
franche, in : Comptes-rendus de l'Académie des Sciences, 8 août 1892.
— Delafond et Dkpkhkt. Les terrains tertiaires de la Bres-se et leurs
gîtes de lirjnitc et de minerais de fer. (Cet ouvrage fait p a i lie des
Études des gîtes minéraux de la Fiance, publiées sous les auspices de
M. le Ministre des travaux publics par le service des Topographies
souterraines.) Paris. Imprimerie Nationale, 1803, p. 270 et suiv., et
allas, pi. XVI, n°* A, 5, 6 et 7.
K. D'ACY. — GISEMENT INTER-GLÂCIAIRE DE VILLEFRANCHE 81
moustérienne ; qu'en effet, le renne y est représenté par un
morceau de ramure; que les-lamelles de molaire d'éléphant,
qui ont été recueillies, appartiennent non pas à l'éléphant
antique ni h l'éléphant intermédiaire — qui n'est qu'une va-
riété de l'antique, — mais simplement au mammouth; et
. enfin, que les molaires de rhinocéros, qui ont été attrihuées
au rhinocéros de Merck, doiventètre rapportéesau rhinocéros
à narines cloisonnées.
Devant ces affirmations contradictoires, j'ai voulu avoir un
troisième avis qui tranchât la question ; et j'ai été le deman-
der à M. Gaudry et a M. Boule. Ils ont pris part à l'excursion,
que la Société géologique a faite, l'été dernier, à Villefranche;
ils ont vu les fossiles trouvés dans ce gisement et conservés
à la Faculté des sciences de Lyon; et, quant à leur compé-
tence, ou plutôt à leur autorité, je n'ai pas hesoin d'en
parler.
Voici ce qu'ils ont hien voulu me dire, avec leur ohligeance
accoutumée.
Ils n'ont pas vu de débris pouvant se rapporter au renne.
Le fragment de dent d'éléphant ne saurait donner lieu à
une détermination.
Enfin, les molaires de rhinocéros appartiennent réellement
au rhinocéros de Merck.
La grosseur de ces molaires, sur laquelle, si je ne me
trompe, 31. de Mortillet a beaucoup insisté, est, paraît-il, sans
importance. Et, dans le fait, si M. de Mortillet nous a montré
quelques dents de ce pachyderme, venant de Chelles, qui
sont relativement petites, en voici d'autres de la même espèce
de rhinocéros, et trouvées, elles aussi, à Chelles, qui sont
beaucoup plus volumineuses. Elles le sont plus que celles de
Villefranche, ainsi qu'on peut s'en assurer, en jetant un coup
d'œil sur l'atlas de l'ouvrage de MM. Delafond et Depéret,
planche XVI, n"s 4, 5, fi et 7.
De plus, je ferai remarquer, relativement au morceau de
bois, attribué par M. de Mortillet au renne, que, cette déter-
mination fut-elle exacte, et ce fragment eut-il, par extraordi-
82 SEANCE DU 7 FÉVRIER 1895
aaire, échappé à M. Gaudry et à M. Boule, aussi bien qu'à
M. Depéret \ la présence de ce cervidé dans la faune de la
sablière de Villefranche, n'empêcherait pas cette faune d'être
interglaciaire.
En Angleterre, on a trouvé le renne associé à l'éléphant an-
tique, au rhinocéros de Merck et même à l'hippopotame, dans
les grottes de Pont-Newydd 2 et de Kirkdale3; et, mieux encore
peut-être, à Rixdorf, près de Berlin, il accompagne l'éléphant
antique et le rhinocéros de Merck dans une assise de sables
. et de cailloux, bien stratifiée entre deux erratiques gla-
ciaires 4.
11 semble avoir vécu dans le voisinage des grands glaciers,
plus tôt que dans nos vallées de la Seine, de la Marne et de la
Somme.
Voilà pour la paléontologie.
Si je passe à la stratigraphie, dont M. de Mortillet s'est oc-
cupé également, je ne parlerai pas du synchronisme, qui
parait cependant bien exister, en raison de la similitude de
leur altitude, entre la terrasse de Villefranche — ou, pour
mieux dire, de la vallée de la Saône, — et celle qui termine
les plaines situées à l'est de Lyon ; ni de la dépendance, dans
laquelle ces plaines se trouvent, suivant les savants lyonnais,
par rapport à la grande moraine, qui s'étend de Lagnieu à la
Verpillière et même au-delà5.
Je me bornerai à appeler l'attention sur le fait suivant :
Les alluvions contemporaines de la faune du mammouth,
dont elles renferment les restes, sont connues depuis long-
• Non seulement ce savant ne cite pas le renne, dans la faune
de Villefranche, mais il fait remarquer son absence. — Delafond
et Depéret.., p. 283 et 288.
2 Boyd-Dawkins( Earhj man in Britain, p. 192.
3 Le même, Cave hunting, p. 281; et Earhj man..., p. 187.
4 M. Boule, Essai de paléontologie stratigraphique de l'homme, in :
Revue d'Anthropologie, 1888, p. 135. — J. Geikie, Prehistoric Eu-
rope, 1881, p. 279, note 1.
5 Delafond et Depéret. loc .cit., p. 274 et suiv.
E. D AGY. — GISEMENT INTKIt-GLAGIAIUE DE V1LLEFUANCHE 83
temps. Or, ce ne sont pas celles de la terrasse dite de 15 mètres;
ce ne sont pas celles dont il est question en ce moment. Elles
sont situées plus bas, dans la plaine de fond de la vallée,
dans laquelle la rivière actuelle a creusé son lit. Et, bien que
des fouilles n'aient pas été pousséesjusqu'à la basedes alluvions
de la terrasse, il me paraît impossible de ne pas reconnaître que
ces dernières alluvions sont antérieures à celles qui renferment
la faune du mammouth, de tout le temps qu'il a fallu à la Saône
quaternaire pour abaisser son lit d'une quinzaine de mètres ; et
il est même très probable, d'après différents sondages, qu'il faut
ajouter à ce laps de temps celui pendant lequel se sont effec-
tués un creusement plus considérable encore, puis un remplis-
sage égal à ce dernier abaissement '.
En résumé, la paléontologie nous dit que les alluvions de
la terrasse de Villefranche sont de l'époque interglaciaire ; la
stratigraphie, loin d'infirmer cette attribution, paraît bien
être en sa faveur ; et, quant à l'industrie, dont ces dépôts
renferment les restes, personne ne conteste qu'elle n'appar-
tienne au type, connu sous le nom de moustérien.
Discussion.
M. G. de Mortillet rappelle qu'il a d'avance répondu à
tout ce qui concerne le gisement de Villefranche. Il renvoie
M. d'Acy au texte même de la communication dont il vient
de remettre le manuscrit au secrétaire. Quant à l'âge des
sables et graviers, il est bien difficile de le fixer d'après
M. Depéret lui-même; en effet, dans sa communication à
l'Académie des sciences, M. Depéret prétend qu'il se rapporte
à l'inter-glaciaire, et il souligne le mot. Dans le programme
de l'excursion de la Société géologique, programme dressé
par lui, il le qualifie de post-glaciaire. Lequel faut-il ad-
mettre? Dans tous les cas, c'est une simple détermination
1 Ibid., p. 284 et suiv.
8t SÉANCE OU 7 FÉVRIER 1895
théorique, le glaciaire faisant complètement défaut dans la
localité. Pour l'industrie, MM. de Mortillet et Depéretsont par-
faitement d'aecttrd. L'industrie est moustérienne. Reste la
faune qui, d'après M. Depéret, n'est point celle du mousté-
rien, mais bien celle du chelléen, et le professeur de Lyon
compare constamment la faune de Villefranche à celle de
Chelles. Or, M. de Mortillet conteste entièrement cette assimi-
lation. Assimilation qui ne porterait, du reste, que sur ce qui
concerne les rhinocéros. Or, à Villefranche, on n'a constaté
qu'un très gros rhinocéros, tandis qu'à Chelles la forte majo-
rité des débris de rhinocéros sont de petite taille. Les dents,
montrées par M. d'Acy, sont très en minorité. Et puis
M. d*Acy a oublié de dire en quoi les dents qu'il présente sont
semblables à celles de Villefranche. M. Depéret laisse aussi le
public singulièrement perplexe en attribuant une faune chaude
au post-glaciaire. Jusqu'à présent tous les paléontologues sont
d'accord pour diviser la faune quaternaire en faune chaude,
la plus ancienne, et en faune froide, la plus récente. Il faut ou
renverser cette loi assise sur des observations nombreuses ou
reconnaître que la thèse soutenue par M. d'Acy, d'après les
déterminations de M. Depéret, n'est pas exacte. Il y a contra-
diction flagrante entre la détermination géologique du terrain
et la déterminatien paléontologique. On ne peut pas adopter
l'une et l'autre. Il faut choisir entre l'une ou l'autre.
Quant au gisement de YElephas primigenius que M. d'Acy
place exclusivement dans les alluvions de la Saône, il est loin
d'être aussi limité. Le primigenius a vécu longtemps pendant
le quaternaire, il peut donc se rencontrer dans des dépôts très
différents comme niveau. Et puis la présence du primigenius
dans les alluvions de la plaine basse de la Saône peut très
bien être simplement accidentelle, être tout bonnement le ré-
sultat de la corrosion et ablation des berges qui limitent
cette plaine et qui constituent justement la terrasse de
15 mètres, où l'on exploite les carrières de sable de Ville-
franche.
M. d'Acy. — M. G. de Mortillet a voulu mettre M. Depéret en
E. D'ACY. — GISEMENT INTERGLACIAIRE DE VILLEFRANCHE 85
contradiction avec lai-même, en cilantun passage du program-
me de l'excursion de la Société géologique, dans lequel le savant
lyonnais appelle la terrasse de Villefranche post-glacière, tan-
dis que, dans sa communication à l'Académie des sciences, il
l'indique comme étant interglaciaire. Il me paraît y avoir sim-
plement un lapsus calami, ou une faute d'impression sans im-
portance dans le programme.
M. Depéret qualifie ces alluvions d'interglaciaires et donne
les motifs de sa manière de voir, non seulement dans sa com-
munication à l'Académie, mais encore dans la grande et belle
étude qu'il a publiée de concert avec M. Delafond.
M. de Mortillet me semble se tromper également, quand il
représente M. Gaudry et M. Depéret comme étant en désaccord,
au sujet de la chronologie des faunes quaternaires. Bien au
contraire, ces savants reconnaissent, tous les deux, en haut,
une faune froide i ; plus bas, une faune chaude ; et enfin, plus
bas encore, le retour d'une faune chaude. On peut ne pas ad-
mettre que les animaux, dont les restes ont été trouvés à Mon-
treuil haut, aient été contemporains de la première extension
des glaciers; mais on ne saurait contester que M. Gaudry soit
complètement d'accord avec M. Depéret, sur l'existence d'une
faune chaude entre deux phases froides 2.
Les fossiles des alluvions de la plaine de fond de la vallée
de la Saône ne peuvent pas venir, par remaniement, de la ter-
rasse de 15 mètres, comme le voudrait M. de Mortillet. Cette
impossibilité est prouvée parla différence complète, qui existe
entre les faunes des deux gisements.
De même, bien qu'aucune fouille n'ait encore atteint la base
* Rennes et rhinocéros tichorhinus de Montreuil — 100 m. —
Gaudry, Comptes-rendus de l'Académie des sciences, séance du 21 no-
vembre 1881.
Mammouth de la Demi Lune. — Delafond et Depéret, loc. cit.,
p. 268 et pi. XV.
- Gaudry, loc. cit. — Dki.afond et Depéret, loc. cit. p. 268 et sui-
vantes.
86 SÉANCE DU 7 FÉVRIER 4895
des alluvions qui composent la terrasse *, il me paraît plus
que difficile d'admettre l'hypothèse de la continuité des cou-
ches du fond de la vallée sous celles de la terrasse. Si cette
continuité existait, nous aurions une faune chaude superpo-
sée et par conséquent postérieure à celle du Moustier. Ce se-
rait le renversement de tout ce que l'on sait sur ces ques-
tions.
S'il y a un malentendu entre M. de Mortillet et moi, si j'ai
cru ses déterminations plus catégoriques qu'elles ne le sont,
je regrette mon erreur. Mais, en réalité, me suis-je beaucoup
trompé, tout au moins en ce qui concerne les rhinocéros?
Nous venons d'entendre M. de Mortillet insister, de nouveau,
sur les caractères, qui ditférencieraient celui de Villefranche
de celui de Chelles. Puisque cette objection est reproduite, je
répéterai, en deux mots, que M. Gaudry et M. Boule n'ont pas
fait de distinction entre les rhinocéros de ces stations; et que,
dans l'une comme dans l'autre, ils ont reconnu le rhinocéros
Merckii. J'ajouterai seulement que, contrairement à ce que
pense M. de Mortillet, Chelles m'a fourni plus de dents de rhi-
nocéros volumineuses que de petites.
S'il n'y a pas, a proprement parler, de terrain glaciaire, à
Villefranche, il n'y en a pas davantage k Chelles. Même sans
parler des conditions stratigraphiques du premier de ces gise-
ments *, la faune établit son âge interglaciaire, comme elle le
fait pour le second.
Maintenant, je ferai remarquer à M. Adrien de Mortillet que,
les restes d'industrie, dont il a parlé, fussent-ils venus réelle-
ment, par remaniement, d'une couche ancienne dans une
autre plus récente, il ne s'en suivrait pas qu'il en fût de même
pour les fossiles de la plaine de fond de la vallée de la Saône.
Et, en effet, je crois avoir prouvé qu'il n'en est rien. Je de-
manderai à M. Adrien de Mortillet si nous n'aurions pas, par
hasard, dans le gisement qu'il a indiqué, un exemple d'une
i Je l'ai parfaitement reconnu tout à l'heure.
2 J'y ai fait rapidement allusion, tout à l'heure.
PAUL PALLARY. — RECHERCHES PALETHNOLOGIQUES 87
industrie ayant dupé pendant deux périodes successives; et,
par suite, une nouvelle preuve de la nécessité d'abandonner
la classification par l'industrie et de n'avoir recours, pour
établir une chronologie, qu'à la stratigraphie et à la paléon-
tologie.
Recherches palcthnologiqucs effectuées anx environs
d'Onzidan.
par M. Paul Pallary
(Lu par M. de A. Mortillel.)
I
En 1874, M. Alfred Chancogne, de TIemcen, étantà lâchasse,
découvrit sur la rive droite de la Sikkak (ou plutôt Sekkak),
au N.-E de TIemcen, des excavations creusées dans le tuf
ignorées jusqu'alors. Il pleuvait à verse et notre chasseur dut
s'abriter dans l'une d'elles. Grand amateur de tout ce qui tou-
che à l'histoire naturelle, M. Chancogne mit à profit sa réclu-
sion forcée en examinant les parois de son refuge : il aperçut
alors la moitié d'une pierre noircie par la fumée et qui ressem-
blait singulièrement aux célèbres bâches de St-Acheul. C'en
était une, en effet; la pointe était encore engagée dans le cal-
caire, mais il fut assez facile de la retirer. M. Chancogne la
mit dans sa gibecière, puis, à la première éclaircie, reprit le
chemin de TIemcen.
Quelques jours après, l'auteur de la trouvaille rencontra
M. Bleicher, alors médecin-major dans la même ville, et lui fit
part de sa découverte. Plusieurs excursions furent organisées,
on examina avec soin les cavernes, plusieurs autres outils
furent découverts et finalement M. Bleicher publia dans les
Matériaux pour l'histoire primitive et naturelle de l 'homme de 1875,
88 SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1895
sous le titre de Recherches d'archéologie préhistorique dans la pro-
vince d'Oran, les résultats de son exploration a Ouzidan.
L'annonce d'outils en pierres, taillés en forme d'amande,
trouvés dans des grottes produisit un certain étonnement en
France. Jusqu'alors ces outils provenaient des alluvions et les
quelques coups de poing en pierre éclatée trouvés dans les
grottes étaient mêlés à des pointes moustériennes, en un mot,
on ne connaissait pas de station chelléenne pure dans les ca-
vernes. Néanmoins, devant l'abondance des outils extraits, le
fait fut accepté. M. Bleicher paraissait, d'ailleurs, assez expli-
cite sur ce point : « 11 est difficile d'admettre, dit-il, que ces
armes fassent partie intégrante des couches de tuf calcaire
à blocs irréguliers (cubant souvent 2 et 3 mètres) ou des cou-
ches de cailloux roulés, empâtés de tuf grumeleux, dans les-
quelles on les trouve. Comment comprendre, en effet, qu'elles
soient restées si parfaitement intactes au milieu des dépôts
d'alluvions formés de blocs et de cailloux roulés?
« II nous paraît plus rationnel d'admettre que ces armes,
oubliées dans des cachettes creusées dans les parois des grottes, ont
fini par adhérer aux cavités où elles se trouvaient, grâce aux
incrustations calcaires que déposaient les eaux de pluie filtrant
à travers ces parois. »
Les choses demeurèrent dans cet état jusqu'en 1891, époque
à laquelle j'allai visiter les cavernes, bien décidé à avoir la
solution de cette anomalie : ou les abris avaient été habités à
l'époque chelléenne et alors il devait y avoir une couche ar-
chéologique et une faune, ou les outils provenaient des cou-
ches du tuf et alors les abris n'existaient pas à l'époque
quaternaire.
Je fus surpris en constatant d'abord que ces cavernes étaient
entièrement artificielles et qu'elles étaient toutes creusées d'une
façon uniforme.
Dans l'une d'elles je fis un sondage, et, à mon grand éton-
nement je trouvai, dans une couche assez forte de terreau,
deux hachettes éclatées. Je revins à Oran avec l'intention bien
arrêtée de faire des fouilles régulières.
PAUL PALLARY. — RECHERCHES PALETHNO LOGIQUES 89
Au Congrès de Marseille, je demandai et j'obtins de l'Asso-
ciation française pour l'avancement des sciences, une subven-
tion avec laquelle je pus exécuter les travaux nécessaires.
Ces recherches furent effectuées du 2 au 10 août 1892.
Grâce au bienveillant concours de M. Alfred Chancogne qui
se mit à mon entière disposition, je pus les faire dans des
conditions très favorables.
II
Les cavernes dites d'Ouzidan, bien qu'elles en soient éloi-
gnées de 4 à 5 kilomètres, sont connues par les indigènes sous
le nom de R'iran er r'ih (les grottes du vent). Elles occupent
tout le bord d'un petit plateau élevé d'une cinquantaine de
mètres au-dessus de la rive droite de la Sikkak.
Il y a 7 kilomètres environ des cavernes à Négrier et 15 ki-
lomètres environ de Tlemcen.
Les cavernes, actuellement au nombre de treize 1 sont si-
tuées sur le bord d'un éperon de terrain : elles sont placées
les unes à la suite des autres en forme de fer à cheval sur les
bords du promontoire et ce fer à cheval est fermé lui-même
par des cavernes.
Toutes ces excavations sont creusées sur un plan uniforme :
ce sont deux chambres taillées quelquefois très régulièrement
sous le tuf et dans le poudingue, communiquant par un étroit
couloir et faiblement éclairées par la voûte par deux ou trois
ouvertures circulaires très régulières, tout à fait semblables
aux bouches des silos. On en trouve de semblables éparsessur
les mamelons environnants.
J'ai déjà dit que j'avais été frappé par la position des caver-
nes et par leur régularité, ce qui prouvait qu'elles n'étaient pas
i A l'époque des premières trouvailles, elles étaient plus nom-
breuses (vingt à vingt-cinq), niais plusieurs se sont effondrées de-
puis.
t. vi (4° série). 7
90 SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1893
naturelles. Dans le Catalogue des stations préhistoriques du dépar-
tement d'Oran Redisais à propos d'Ouzidan : Abris creusés par
l'homme sous le tuf. Mais il restait maintenant à savoir si
c'était par l'homme quaternaire ou par des contemporains.
La découverte de ruines, que j'ai faite sur le plateau même,
vint bien à propos pour résoudre la question.
Autant que je sache, personne n'avait encore signalé des
ruines au-dessus des cavernes. Il est vrai qu'elles sont telle-
ment archaïques qu'il était difficile de s'apercevoir de leur
présence.
Les recherches entreprises depuis m'ont fait connaître la
corrélation qui existe entre ces ruines et les cavernes.
J'ai dit, plus haut, comment, en 1891, j'avais recueilli, dans
une caverne, deux outils à peu de profondeur. Cette décou-
verte m'ayant fait espérer que je trouverais une couche ar-
chéologique, je me suis décidé tout d'abord à fouiller cet abri.
La surface du sol était recouverte par des côtes de palmier
nain (Chamœrops humilis, L.).
Au-dessous venait une autre couche assez résistante formée
par des déjections de chèvres et de bœufs, puis se trouvait un
terreau noirâtre.
Ce terreau n'est qu'un mélange de cendres, de charbon, de
débris de palmiers nains. Elle a été remaniée à diverses re-
prises et un y trouve de tout : des hachettes chelléennes, des
débris de faïence actuelle, des tessons de lampe en terre ver-
nissée, des fragments de vases kabyles, des morceaux de
verre, .l'ai retiré de là des ossements de bœuf, de mouton, de
chèvre, de tortue et beaucoup d'hélices : H. Zapharina, Dou-
bleti, esnorca, euphorca, enphorcopsis et piratarum qui vivent en-
core sur place.
J'ai poussé la tranchée jusqu'à la rencontre du roc et j'ai
trouvé, sous le terreau, delà terre jaunâtre avec des galets et,
si >us cette terre caillouteuse, du sable à gros grains dans lequel
abondent des petits cylindres troués de part en part, que
1 Ass. franc pour. av. s*". Congrès de Marseille, II, p. 612.
PAUL PALLARY. — RECHERCHES PALETHNOLOGIQUES 91
M. Bleicher considère comme des gaines d'incrustation de
racines et de tiges de graminées; les cailloux roulés y sont
rares.
L'épaisseur de la coupe ne dépasse pas 1 mètre.
Le poudingue qui constitue les parois et quelquefois le
plancher est formé par de petits galets fortement encroûtés et
empâtés par un ciment calcaire. La faible agglomération des
galets ne permettait peut-être pas de se servir du mot : pou-
dingue pour désigner cette formation.
Enfin, le plafond est formé par cette croûte de tuf qui re-
couvre presque tous les terrains en Algérie.
Les couches sablonneuses de la base ne fournissent pas
d'outils. Cette caverne est la seule dans laquelle il y ait un
semblant de couche archéologique ; mais je suis persuadé que
la terre meuble a été retournée par MM. Bleicher et l'abbé
Brevet; en remuant les terres, on aura arraché aux parois et
ramené à la surface quelques outils. D'ailleurs le dépôt sablon-
neux inférieur se désagrège si facilement qu'on peut en reti-
rer autant qu'on en désire sans grands efforts.
Dans la chambre adjacente, il n'y a ni terreau, ni sable :
c'est le poudingue qui affleure.
J'ai essayé de fouiller trois autres cavernes, mais sans suc-
cès. Il n'y avait pas du tout de couche superficielle ; dans toutes,
le poudingue formait directement le plancher : il était très
difficile de l'entamer et il était facile de voir qu'il n'offrait au-
cune différence avec la roche de l'extérieur.
J'ai retiré du poudingue formant le sol d'une chambre un
coup de poing en calcaire encore adhérent à la roche, puis en
examinant avec beaucoup d'attention les parois de la caverne,
d'une régularité telle qu'il faut être aveugle pour ne pas y voir
le travail humain, j'aperçois en pleine roche et non pas dans
une cavité ou une fissure une extrémité d'outil. Je le dégage
avec beaucoup de soin pour laisser le plus de gangue possible
et j'ai enfin une superbe pointe de 13 centimètres de longueur,
92 SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1895
taillée sur une seule face et d'allures moustériennes évidentes *.
Il n'y a donc pas de couche archéologique dans ces caver-
nes; les outils en pierre éclatée proviennent bien du poudin-
gue et font rentrer Ouzidan dans la catégorie des dépôts qua-
ternaires anciens à outils taillés.
Nous avons également fait des fouilles dans les ruines qui
se trouvent sur le plateau.
Dans les déblais d'une de ces habitations nous avons trouvé :
deux coups de poing chelléens parfaitement taillés et un mor-
ceau depoteriejaunàtre, épaissede8mill. Nousavons misa jour
un foyer avec les débris d'un vase en terre rougeàtre, mince,
noirci à l'intérieur et à l'extérieur. Près de là nous avons re-
cueilli une meule de moulin brisée en calcaire coquillier, une
brique et d'autres débris de poterie.
La brique et le fini des poteries indiquent sûrement une
origine romaine, mais la construction des cases, l'absence de
moellons et de monnaies indiquent des habitants berbères.
En résumé , j'ai exploré quatre cavernes, fouillé deux
maisons berbères et visité avec soin le plateau, les pentes et
les environs. J'ai rapporté de ces recherches :
Une pointe chelléo-moustérienne trouvée en place, une
hachette fixée à la roche par une seule face, deux autres
trouvées dans les cavernes mais détachées de leur gisement,
trois coups de poing ramassés à la surface, trois autres sur les
pentes et deux dans les ruines.
Ces trouvailles permettent de tirer les conclusions suivan-
tes :
Les outils en pierre sont bien quaternaires et proviennent
sans contredit des couches à poudingue et tuffeuses; ces cou-
ches sont en place.
Quant aux outils eux-mêmes, ils sont tous en calcaire bleu-
noir ou en grès dur; les uns sont taillés a petits éclats sur les
i Depuis cette découverte, l'auteur des fouilles est retourné à Ou-
zidan et il a retiré du même endroit six coups de poing tous enga-
gés dans le poudingue et le tuf.
PAUL PALLARY. — RECHERCHES PALETHNOLOGIQUES 93
deux faces en forme d'amande; d'autres sont plats, de forme
quadrangulaire et taillés quelquefois sur les deux faces, mais
le plus souvent sur une seule. Enfin de véritables pointes, entre
autres celle extraite du gisement, taillées sur une seule face
indiquent que l'on se trouve à la fin du chelléen et que l'in-
dustrie moustérienne fait son apparition. Bien plus tard, à
une époque contemporaine de l'occupation romaine, le pro-
montoire d'Ouzidan était occupé par une bourgade berbère
dont les habitants avaient creusé des cavités qui leur servaient
de magasins, réservoirs ou silos. En creusant les chambres
dans le poudingue et sous le tuf, les ouvriers retiraient, avec
les déblais, les outils chelléens qui se trouvaient dans les cou-
ches et les répandaient ainsi sur les pentes et à la surface du
plateau. De plus, le gravier ou le sable grossier a été utilisé
pour la construction des maisons ou pour tout autre but, et
c'est ce qui explique la présence dans les cases des deux coups
de poing trouvés dans nos fouilles.
Discussion.
M. Salmon. — L'étude de M. Pallary, sur le département
d'Oran, outre le point de vue local, présente un intérêt plus
général, si on la rapproche des recherches de M. Rabourdin
sur une partie du Sahara (première mission Flatters), de
M. Collignon, sur la Tunisie, de M. Regnault, sur le Congo.
L'état de nos connaissances en Europe et en Afrique, per-
met d'apercevoir le grand mouvement chelléo-moustérien qui
traverse l'Espagne (San Isidro) et dont le Congo n'est peut-
être pas la limite extrême. On ne saurait oublier les instru-
ments de pierre congolais, dont notre bulletin de 1874, p. 478,
a publié les dessins : ces pièces ne sont point différentes de
celle de l'Europe.
94 SÉANCE DL" 7 FÉVUlER 1895
Forme du eràne dans l'hydrocéphalie,
Par M. F. Regnault.
J'ai déjà publié une étude sur ce sujet dans la Revue men-
suelle des mala<lu>s de l'enfance (décembre 1894). Je me propose
ici d'y revenir en la complétant.
11 s'agissait de rechercher si l'hydrocéphalie, par sa pres-
sion sur la paroi crânienne, élargissait proportionnellement
plus les diamètres antéro-postérieur ou transverse maximum.
Les auteurs ont exprimé a ce sujet des opinions contradic-
toires : Résumons-les rapidement :
D'Espine et Picot disent que tous les diamètres sont aug-
mentés, mais ils ne recherchent si l'un l'es! plus que l'autre.
Sanné, dans un article de 1888 sur l'hydrocéphalie, dans
le Dictionnaire de Dechambre, est plus explicite. Pour lui, les
diamètres antéro-postérieur et transverse s'allongent, le pre-
mier surtout. Or, les mensurations mêmes, qu'il donne, prou-
vent le contraire.
MM. Duplay et Reclus, dans leur Traité de chirurgie (p. 651,
t. III, par Gérard-MarchantJ, restent dans le doute.
« Cependant, disent-ils, le type de déformation n'est pas
toujours le même : ici, c'est la région occipitale qui a cédé le
plus à la distension, et le diamètre occipito-frontal remporte
de beaucoup sur les deux autres; ailleurs, c'est la région breg-
matique qui s'est le plus développée; d'autres fois, c'est le
diamètre bitemporal qui est devenu le plus étendu. »
En mesurant les crânes des musées Dupuytren et Rroca et
en y ajoutant quelques-uns de collections particulières, j'ai pu
réunir 29 crânes, qui tous (sauf un ayant un indice de 73,1),
étaient fortement brachycépbales.
Encore chez, ce dolicho, numéro 56 du musée Broca, la ma-
ladie n'a pas dû être bien intense, si on en juge par l'aspect
du crâne qui n'offre pas les bosses typiques.
F. REGNAULT. — FORME DU CRANE DANS L'HYDROCÉPHALIE 95
Voici, d'ailleurs, les indices des treize crânes hydrocéphales
du musée Dupuytren :
Nos 137 nouveau-né... 1ml. céph. 1(18
38 jeune enfant.. » 106,7
29 2 mois » 100,7
27 jeune enfant.. » 90,6
28 7 ans » 91,3
39 10 ans » 90,6
26 Sans » 86,3
24 3 ans » 88,3
43 27 ans » 91,8
40 adulte » 89,6
42 20 ans » 85,7
41 adulte » 83
9 adulte » 88
Les sept crânes hydrocéphales du musée Broca ont fourni
les indices suivants : 89,8 — 86,9 — 94 - 103,1 --89,8 —
73,1 —97,5.
On est donc en droit de dire que l'hydrocéphalie amène un
agrandissement plus marqué du diamètre transverse que de
l'antéro-postérieur.
La brachycéphalie est d'autant plus forte que la maladie
survient chez un individu plus jeune et qu'elle est plus in-
tense.
Elle tend à se corriger chez les adultes guéris, mais il per-
siste toujours une forte brachycéphalie.
La cause est due au mécanisme même de distension, qui
écarte les sutures comme les pétales d'une Heur, selon l'ex-
pression de Trousseau. Les pariétaux s'écartent surtout par
leur partie postérieure : aussi est-ce en haut et très en arrière
que se trouve le diamètre transverse maximum.
Si on prenait simplement un diamètre bipariétal en joignant
le milieu des deux pariétaux, on aurait un diamètre trans-
verse bien moindre.
96 SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1895
Un travail sur l'hydrocéphalie de MM. Bourneville et J. Noir
vient de paraître tout récemment dans les comptes-rendus du
service du docteur Bourneville de Bicètre en 1894. C'est une
étude générale et très étendue sur cette maladie.
Bien que les auteurs ne se soient pas spécialement occupés
de la question de la forme du crâne, on peut cependant, par
leurs mensurations, reconnaître que la plupart de leurs 22
observations possèdent des indices fortement brachycéphales.
Ils en auraient un bien plus grand nombre s'ils s'étaient as-
treints à prendre rigoureusement le diamètre transverse maxi-
mum. Mais ils marquent simplement avoir pris un diamètre
bipariétal, sans mentionner s'il fut, dans toutes les observa-
tions, le maximum.
Les auteurs citent, d'ailleurs, quelques eas (ie brachycé-
phalie extrêmement accentués qu'ils dénomment en chapeau
de gendarme.
Ils auraient, enfin, observé quelques rares scaphocéphalies.
Vn d'entre eux, le numéro 13, nous paraît probant, comme
le montrent les mensurations donnant 71,8 d'indice et la
photographie qui est reproduite. D'ailleurs, il est ici spécifié
que la suture sagittale est soudée, ce qui ne peut qu'amener
la scaphocéphalie. C'est, du reste, un incident bien rare de l'hy-
drocépbalie.
A l'opposé, il faut citer la soudure de la suture métopique
qui se produit d'ordinaire vers la naissance. Elle peut, par
conséquent, exister déjà quand l'hydrocéphalie débute. Selon
que la suture métopique sera ou non sondée, l'aspect de la
tète sera très différent. Si la suture est intacte, le front de
l'hydrocéphale sera large et sa tête paraîtra ronde. Si elle est
soudée, on verra un petit front dépassé par deux bosses pa-
riétales énormes et très postérieures. Alors, la tète, au lieu
d'apparaître sphérique, aura l'aspect d'un trapèze à grande
base postérieure et opposée au petit front antérieur. Elle sera
néanmoins brachycéphale, bien qu'à simple vue, on la dirait
plutôt dolicho, le diamètre transverse maximum étant porté
absolument en arrière et en haut.
F. REGNAULT. — FORME DU CRANE DANS L'HYDROCÉPHALIE 97
Peut-être pourra-'t-on utiliser ces données pour le diagnos-
tic de l'hydrocéphalie?
Un crâne grossissant outre mesure, et tendant à devenir de
plus en plus hrachycéphale, fera penser plutôt à l'hydrocé-
phalie qu'à toute autre maladie; qu'à l'hypertrophie cérébrale
dite simple, par exemple. Mais il nous faudra un certain nom-
bre d'observations longtemps suivies avant de poser une con-
clusion ferme.
En tous cas, ces recherches auront pour utilité de donner
de la précision aux descriptions cliniques de nos auteurs. Elles
constituent, enfin, une des rares applications à la pathologie
des sciences anthropologiques. A ce point de vue, elles for-
ment, comme la suite de ma thèse inaugurale où je décrivai,
d'après la même méthode, les modifications dans la forme du
crâne des rachitiques.
Nous espérons pouvoir ajouter, sous peu, d'autres chapitres
a ce sujet.
Vestiges robcuhaiisieus.
(Note lue par M. Lagnoau.)
M. Emile Petitot, ancien missionnaire en Amérique du
Nord, actuellement curé à Mareuil-les-Meaux (Seine-et-Oise),
adresse, au Secrétaire général de la Société, la lettre suivante
relative à une trouvaille faite dans un champ appartenant à
M. Aug. Maslé :
« En retirant des pierres d'un terrain, sis sur les bords du
petit chenal de la Marne, on a découvert une couche de char-
bon de 5 ;i 15 centimètres d'épaisseur, laquelle est à \ m. 30
de profondeur. Appelé presque aussitôt, j'ai pu faire continuer
les fouilles par M. Désiré Neveu.
« Le foyer mesure environ 4 mètres en longueur de l'ouest
à l'est, sur 2 environ du^ nord au sud. Il repose sur un sol
98 SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1895
marneux mêlé de sable... Dans ce foyer, nous avons retiré
deux moitiés de mâchoire inférieure de sanglier vulgaire, un
boutoir de sanglier des cavernes, qui a été coupé en deux et
affûté par l'usure de manière à former un outil aigu; un beau
poinçon en os; deux fusaïoles en terre cuite, l'une noire de
3 centimètres de large, l'autre blanchâtre de 4 centimètres 1/2
de diamètre; un éclat de silex, vulgairement appelé lame; une
molaire humaine usée à plat jusqu'à la couronne; une incisive
très longue, que j'ai prise tout d'abord pour une incisive de
castor; un fragment de mâchoire de mouton ou de bouquetin ;
quantité d'ossements à demi calcinés de sanglier, de cerf, de
castor ('?), d'oie ou de quelque autre oiseau aquatique; des
dents de cerf; une grande quantité de débris de poterie appar-
tenant à plusieurs modèles, savoir :
« 1° Une grosse poterie grossière et épaisse, fabriquée à la
main, mal cuite, friable, dont il y a 3 ou 4 formes : un sem-
blable à un pot à Heurs, tout uni; une seconde avec toron en
torsade à 4 centimètres du bord supérieur, lequel est décoré
de petites dépressions faites avec un petit doigt; un troisième
et un quatrième modèles à toron sans torsade, mais garnis
des mêmes impressions du bout du doigt; un cinquième tout
uni, mais avec la même bordure sur l'orifice. Ces poteries ont
jusqu'à 7 millimètres d'épaisseur; elles devaient avoir un ori-
fice de 12 à 14 centimètres en diamètre.
« 2° Une poterie, forme potiche, moins épaisse, grise, peut-
être formée d'une pâte de grés, paraissant faite au tour, de
8 centimètres de diamètre à l'orifice et 5 millimètres d'épais-
seur.
« 3° Un autre modèle de potiche de 8 centimètres d'orifice
sur 4 millimètres d'épaisseur. Cette dernière est rougeàtre,
fine, dure, et paraît avoir été faite au tour, à cause de sa
grande régularité.
« 4° Une autre ;i peu près semblable est en terre noire et
fine.
« .">' Une cinquième est une petite assiette ou terrine à bords
droits, d'une terre noire et fine.
G. CAPUS. — SUR. LÀ TAILLE EN BOSNIE 99
« Il est impossible de reconstituer un seul de ces vases, tant
leurs débris sont menus et incomplets. Mais des fragments de
cols permettent d'en constater la forme.
« Point d'ossements humains, d'armes, ni d'instruments
quelconques.
« En somme, je crois pouvoir affirmer que nous sommes en
présence d'un simple feu de bivouac ou de campement tem-
poraire, de l'époque que le savant, M. G. de Mortillet, intitule
Hobenhausienne. »
Sur la faille en Bosnie.
Par M. G. Capus.
Lors de mon dernier séjour à Sarajevo (Bosnie), M. le baron
de Mollinari, sous-préfet du district de Sarajevo, a bien voulu,
sur ma demande, mettre à ma disposition le relevé des tailles
au conseil de révision pendant l'année 1893. Ces chiffres se
rapportent aux conscrits, âgés de 20 ans, appartenant aux
7 districts suivants : Cajnica, Foca, Fojnica, Rogatica, Sarajevo
(campagne), Visoko et Visegrad.
Le nombre total des individus ici mensurés est de 772, dont
350 musulmans, 305 orthodoxes, 118 catholiques et 6 juifs.
Dans les districts de Cajnica, Foca, Rogatica et Visegrad, il
n'y avait pas de catholiques pour le tirage au sort. Les juifs
sont des juifs espagnols ou séphardes.
Il va sans dire que les chiffres de ces listes ne sont nulle-
ment sélectionnés, ils se suivent dans l'ordre de présentation
des individus sous la toise.
Les moyennes calculées, voici ce que j'obtiens :
350 musulmans : Cajnica, 1693; Foca, 1705 ; Fojnica, 1707;
Rogatica, 1725; Sarajevo, 1710; Visoko, 1724 ; Visegrad, 1709
— soit une moyenne musulmane de 1711.
305 orthodoxes : Cajnica, 1711; Foca, 1714; Rogatica, 1714;
100 SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1895
Sarajevo, 1734; Visoko, 1708, Visegrad, 1695 — soit une
moyenne orthodoxe de 1713.
118 catholiques : Fojnica, 1701; Sarajevo, 1717; Visoko,
1701 — soit une moyenne catholique de 1706.
Les moyennes, sans distinction de culte, sont les suivantes,
pour les divers districts :
Cajnica, 1704; Foca, 1710; Fojnica, 1704; Rogatica, 1720;
Sarajevo, 1721, Visoko, 1711, et Visegrad, 1712 — soit une
moyenne générale, ou moyenne des moyennes, de 17 10.
Ainsi, la moyenne de la taille en Bosnie centrale, calculée
sur un nombre de 766 individus âgés de 20 ans, est de
1 m . 71.
Je ferai remarquer que nous avons affaire ici aux districts
essentiellement bosniaques, à ceux qui occupent le centre de
la région délimitée comme province politique sinon comme
région naturelle. Il ne faudrait pas, jusqu'à plus ample infor-
mation, considérer ce chiffre comme pouvant s'appliquer inté-
gralement aux districts herzégoviniens de l'Ouest, aux districts
du Nord qui touchent à la Croatie et à la Serbie, ni à ceux
du Nord-Ouest touchant aux provinces dalmates. Je suis porté
a croire qu'on trouverait, surtout vers l'Ouest, des différences
pouvant se répercuter dans une certaine mesure sur le chif-
fre de la taille moyenne tel que le donne ici la Bosnie centrale.
On remarquera bien entre les moyennes musulmane (1711),
orthodoxe (1713), catholique (1706), une légère différence,
mais elle est tellement faible que je n'ose en chercher la raison
dans quelque lointaine influence d'apport ethnique ou dans
une différenciation due à un genre de vie variant suivant le
le culte. On sait bien que, malgré les différences de culte, la
race — si tant est qu'on puisse appliquer ce terme à un fort
mélange de tribus primitives — est la même comme la langue
et l'origine avant l'introduction des schismes religieux.
Les maxima et les minima, relevés dans nos chiffres, sont
les suivants :
fi. CAPUS. — SUR LA TAILLE EN BOSNIE
101
Maxima
Cajnica .
Foca . .
Fojnica .
Rogatica.
Sarajevo.
Visoko .
Visegrad.
Musulmans
Orthodoxes
1830
1810
1880
1860
1865
»»
1890
1890
1845
1930
1830
1850
1820
1850
Catholiques
Maximum orthodoxe : 1930.
Minima
Cajnica .
Foca . .
Fojnica .
Rogatica.
Sarajevo.
Visoko .
Visegrad.
Mi
1540
1465
1530
1590
1595
1590
1470
1510
1560
»»
1565
1610
1470
1505
îimum catholique : 1365.
»»
»»
1795
»»
1805
1860
»»
Musulmans Orthodoxes Catholiques
»»
»»
1610
»»
1540
1365
»»
En examinant le pourcentage des tailles (classification Topi-
nard), on trouve, pour l'ensemble :
a) Individus de haute taille (1700 et au-dessus) : 63.9 0/0
b) au-dessus de la moyenne (1650-1690) : 22.2 0/0
c) — au-dessous (1600-1640) : 9.6 0/0
d) de petite taille (au-dessous de 1600J : 4.3 0/0
Soit, en deux séries : 86.1 0/0 au-dessus de la moyenne
sur 13.9 0/0 au-dessous de la moyenne.
Le tableau suivant indique le pourcentage des tailles par
district et par culte :
402
SÉANCE DU 7 FÉVRIER 1895
Musulmans.
d
Cajnica . .
58
26
12
4
Foca. . . .
50
36
10
4
Fojnica. . .
62
22
16
2
Rogatica . .
(32
30
4
4
Sarajevo . .
66
16
14
4
Visoko . .
72
24
2
2
Visegrad . .
60
21 i
10
4
Moyenne
61.4
Orthodoxe*
25.7
«1.7
3.4
Cajnica.
Foca. .
Fojnica.
Rogatica
Sarajevo
Visoko .
Visegrad
Moyenne
68
li
K)
8
72
18
8
2
»»
)>»
»»
0
02
24
10
4
70
22
8
0
62
18
12
8
56
20
14
10
64.7
19.4
10.4
5.4
Catholiques.
h
Foca
Sarajevo . . .
Visoko ....
Moyenne .
Moyenne musulmane : a) 61.4 6)25.7 c) 9.7 d) 3.4
— orthodoxe: a)U.l b) 19.4 c) 10.4 d) 5.4
catholique : a) 65.7 é)21.7 c) 8.7 d) 4.0
o4
28
18
»»
(83)
(13)
(»»)
W
60
24
8
8
65.7
21.7
8.7
4
G. CAPUS. — SUR LA TAILLE EN BOSNIE 103
Il y aurait donc un peu moins d'individus de haute taille
parmi les musulmans que parmi les orthodoxes et les catho-
liques; par contre, plus d'individus au-dessus de la moyenne
et moins d'individus de petite taille.
Quanta la répartition par districts, il semblerait que dans
ceux de Sarajevo et de Visoko les tailles hautes et au-dessus
de la moyenne prédominent.
11 est de fait que ces deux districts, comparés aux autres,
sont les plus riches et les plus fertiles. Ils occupent pour une
large proportion la plaine agricole, les polies, alors que les
districts montagnards plus pauvres rendent la vie plus pé-
nible et la subsistance plus précaire. Il y a peut-être là une
relation de cause à effet et un fait à vérifier par l'appoint de
plus amples observations.
Ce n'est qu'à titre complémentaire que j'ajoute ici le chiffre
juif qui ne comprend que 6 individus. Ils ont donné une taille
moyenne de 1656, avec un maximum de 1765 et un minimum
de 1610.
En résumé, les Bos-niaques de la Bosnie centrale ont une
taille moyenne de 1710. Ce chiffre est celui des Ecossais
(Gould), des Scandinaves (id), des Finnois (Hjet) et de la race
des Kourganes de la Russie, d'après Bogdanoff. Ils sont infé-
rieurs aux Livoniens (1.73, d'après Waldauer).
Ils sont supérieurs aux groupes suivants avec lesquels on
pourrait plus ou moins les mettre en relation de voisinage,
sinon de parenté : Dalmates adultes (1,69, d'après Weissbach),
Grands Russiens(l. 65, Tikhomiroff),Esthoniens(l. 64, Grube),
Ruthènes (1.64, Meyeret Koperniçki), Hongrois (1.63, Berns-
lein), Polonais (1.62), Toscans (1.65), Piémontais (1.62), Grecs
actuels (1.65).
L'un des secrétaires : A. Viré.
404 COMMUNICATIONS Dtl RUREAT
1110e SÉANCE. — 21 Février 1895.
Présidence de M. Issaurat.
M. le Président annonce la mort de M. G. de Saporta mem-
bre titulaire et exprime les regrets de la Société.
M. le Secrétaire général communique à la Société un pro-
jet de règlement pour le prix Fauvette et annonce que ce prix
sera mis au concours pour la première fois en 1896. Le règle-
ment sera définitivement arrêté par le Comité central.
ouvrages offerts.
Buschan (Dr (i.). — Einflufs der Rasse au f die Form vnd
Haeufigkeit pathoiogischer Veraenderwngen in journal Globus,
in-4°, 2 col., 14 pag. Braunschweig, 189."».
Gachon (P.). — Etude sur le manuscrit G 1036 des archives
départementales de la Lozère, in-4°, 80 pag. Montpellier, 1894.
Mies (D1). — Ueber das Gehirngewicht des heranwachsenden
Menschen (Ext. de Correspondenz-Blatt der Deulschen anthropol.
Gesellschaft, 1894), in-4°, 4 pag. à 2 col.
Sergi (G.). — Studi di antropologia laziale (Ext. du Bull,
délia R. Accad. medica di Roma), in-8°, 60 pag. et fig. Rome,
1895. (Ouvrage présenté par M. Manouvrier.)
Sergi (G.). — Ueber die europaeischen Pygmaeen (Ext. des Cor-
respondenz-Blatt der Deulschen anthropol. Gesellschaft. 1894),
in-4°, 3 pag. à 2 col.
périodiques (articles à signaler).
C. R. de la Société de biologie, 8 février 1895. — Mathias
Duval : Hypothèses sur la physiologie des centres nerveux ;
théorie histologique du sommeil.
Annales du musée Guimet, tome XXVI : Chaillé-Long-Bey :
La Corée ou Tchôsen (La terre du calme matinal).
OBJETS OFFERTS 405
Journal of the anthropological institute, february 1895. — L.-Il.
Duckwortb : Notes on Skulls from Queensland and south
Australia; — A. E. Crawley : Sexual Taboo; — C. R. Mar-
kham : A List of tbe Tribes in tbe Valley of the Amazon ; —
11. Ward: Ethnographical notes relating to the Congo tribes;
— II. -S. Saunderson : Notes on Corea and its People ; —
W. Gowland : Notes on tbe Dolmens and otber antiquities of
Korea.
Bull, di paletnologia italïana;n0B 10-12, t. X. — C astel franco :
Capanna-pozzo Donegallo; — Pigorini : Antichita italicbe nel
Himinese.
Berliner Gesellschaft fur Anthropologie, Ethnologie und Urges-
chichte, Festsitzung znr Feier ihres 25 jâhrigen Bestehens am
17 november 1894,
Travaux de la Société anthropolojique, annexe de l'Académie
impériale de médecine militaire, tome 1er, n° 1 . — Tarenetsky : Les
mutilations du crâne après la mort; — Batouieff : Morpholo-
gie des dents au point de vue anthropologique ; — Delietsine :
Un cas d'hermaphroditisme ; — Talko-Ilryncewicz : Anthro-
pologie de la population de laLithuanie et de la Russie blanche.
ÉLECTIONS.
M. A. Jones, ancien avocat, présenté par MM. G. de Mortillet,
Hovelacque et Hervé, est élu membre titulaire.
OBJETS OFFERTS.
M. Hervé offre, au nom de M. Aimé Rambert, un crâne hu-
main trouvé aux environs de Vichy, dans une sablière, et
probablement mérovingien .
Des remerciements sont adressés à M. Aimé Rambert.
t. vi (4° série). 8-
40(3 séance du 21 février 1895
Communications.
L'Anthropologie «les Beaux-Arts.
Par Charles Rociiet
(lue par M. le Secrétaire général)
Le laid est facile à connaître, à comprendre, à étudier; c'ost le beau qui est
difficile à comprendre sous toutos los formes qu'il se présente.
L'étude do l'homme parfait appartient ;ï l'artiste ; elle échappe au médecin.
Depuis dix ans que j'ai fermé mes ateliers de sculpture et
que je vis dans la retraite, j'ai repris, avec plus d'ardeur que
jamais, les études d'Anthropologie pour les Beaux-Arts, trop
souvent interrompues, et qui ont toujours été les joies, et les
grandes préoccupations de ma vie. ,1e désire faire connaître ;i
la Société, les résultats que je suis parvenu à en obtenir.
Je sais qu'il existe une grande différence dans la science de
l'homme, entre la direction prise pour les arts, et celle adop-
tée par les anatomistes et plus spécialement créée pour les scien-
ces médicales; que même il existe une certaine prévention con Ire
la science tentée par les artistes. Mais un rapprochement ne
peut-il pas se faire entre ces deux directions d'examen ; la bar-
rière qui les sépare sera-t-elle toujours infranchissable '! Je ne
le crois pas.
L'homme naturel que la science doit étudier, je le compare
à une statue de place publique qui doit être vue de tous les
cotés; son étude présente de nombreux aspects; et ce qu'on
peut dire pour les arts est tout simplement un de ces aspects,
celui de l'homme pris extérieurement et physiquement, vivant
et animé, celui de la perfection humaine en général, de la
beauté des formes chez la femme comme chez l'enfant, etc.
Et comme je suis presque le seul à défendre devant la science
ce noble côté de l'étude, permettez-moi de vous exposer quel-
que peu ce que j'ai fait depuis que je ne suis plus au milieu
CHARLES ROCHET. — L'ANTHROPOLOGIE DES BEAUX-ARTS 107
de vous et de le défendre de mon mieux, surtout pour ceux
de mes collègues qui peuvent ne pas me connaître.
Il y a de plus, dans ce que je vais exposer à la Société, une
grande utilité pour moi à le faire, pour mon honneur, pour
ma réputation ; vous allez en juger.
Le Prototype humain. 1 — C'est il y a 40 ou 50 ans que je
commençai cette étude; c'est en examinant le canon de Poly-
clète et autres, qui a servi aux artistes grecs pour la confec-
tion de leurs Dieux, et dont usent encore nombre de profes-
seurs dans leur enseignement du dessin; c'est, dis-je, en faisant
un examen critique de ce canon, et voulant le corriger; lui trou-
vant la tète trop petite, les jambes trop longues et d'autres dé-
fauts encore, que j'ai fait la découverte de ce que j'appelle :
Le Prototype humain oh la Loi naturelle des proportions dans les
deux sexes.
Au courant de mes recherches j'en donnai d'abord connais-
sance à cette Société par un Mémoire lu dans les séances du
18 février et du 4 mars 1875, et intitulé : Quelques considéra-
tions sur la Géométrie des Formes du Corps humain et sur l'em-
ploi qu'en ont fait les artistes grecs.
Je devrais rappeler les principaux passages de ce mémoire
pour montrer que ce que j'ai découvert date de loin, mais je
le joins ici et marque sur la brochure les points saillants pour
ceux qui seront tentés de les consulter.
A cette époque, et peu de temps après, le 27 novembre, même
année, je lisais à l'Académie des Beaux-Arts de l'Institut un
travail analogue portant également le titre de : Mémoire sur
la Loi des Proportions du Corps humain et l'emploi qu'en ont fait
les artistes grecs. — Je joins ce mémoire également au dossier.
Actuellement toute cette œuvre est terminée et publiée, en
tableau synoptique et en volume. Le volume est déjà traduit
en trois langues2.
i Le Prototype humain, donnant les Lois naturelles des pro-
portions du corps, dans les deux sexes ; un volume cliez Pion, Nour-
rit et C'% 10, rue Garancière, à Paris : Prix 1 fr. f>0.
2 En anglais : The Prototype of Mon, à Londres chez Hallière Tin-
dall, and Cox.
108 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
Brève analyse de ce Prototype, — Permettez-moi de vous en
donner une courte explication : La trie est pris? pour unité. —
Trois parties forment le tronc avec trois (/irisions symétriques, ou
repères naturels aux mamelons des seins, à V ombilic 3 aux organes
sexuels. — Les cuisses, genoux compris, portent deux hauteurs de
tête. — Les jambes pareillement, mais avec les pieds compris. — Et
l'homme entier renversé sur le dos les bras en l'air, présente dix têtes
de hauteur totale.
Et le centre qui, sans les bras est aux organes des sexes;
avec les bras, se lixe à l'ombilic : — Huit têtes dans un cas;
dix tètes, dans l'autre.
Voilà, selon moi, ce que serait le Type de l'Etre humain par-
fait : Prototype uu Archétype, dont sortiraient tous les hommes
présents, passés, ou à venir.
Mais n'anticipons pas, nous allons revenir là-dessus, conti-
nuons notre démonstration, et passons à la tète.
Le Prototype de la tête ou laProsopométrie. — Ces premiers ré-
sultats obtenus sur l'homme entier, je me trouvai naturelle-
ment entraîné à faire les mêmes recherches prototypiques sur
la tète, qui est l'unité des mesures du corps. Je pensai qu'elle
devait avoir, elle aussi, ses lois de constitution physique sinon
pour la tète entière, au moins pour la figure J, le visage, et
j'arrivai «à des résultats semblables.
Mais ce travail de recherches a été beaucoup plus long et
plus laborieux poui moi et je suis loin de le donner comme
complet. La tète humaine est une œuvre de la création infini-
ment plus complexe ou plus compliquée que n'est le corps.
Et de plus je n'ai pu être guidé par personne. Nul savant, à
ma grande surprise, n'en a jamais tenté l'épreuve. J'ai eu tout
à faire. De plus, le corps est simple de forme; ses cotés ne
En italien : II Prolotipo Umano, à Home chez Modes et Mendel.
En allemand : Das Urbild des Menschen, à Vienne, chez Spielha-
gen et Schurich.
1 La Figure humaine scientifiquement étudiée ou les 24 Lois de
Beauté de la Tête. — Un volume chez Pion, Nourrit et C'c, prix,
2 l'r. 50.
CHARLES HOCHET. — l'aKTHROPOLOOIE DES BEAUX-ARTS 100
donnent rien, tandis que la figure est double; il faut en décrire
aussi bien le profit que la face; et on a encore, en plus de cela.
le crâne qui forme à son tour un sujet d'étude également à
part.
Mes découvertes sur la tète: — La première, ou la plus im-
portante des découvertes que j'ai pu faire, a été celle que j'ai
classé la septième dans mon livre (voir page 43), et qui sépare
la tète en deux moitiés de hauteur semblables. — L'une toute
crânienne, l'autre toute faciale.
dette séparation est faite par une ligne légèrement courbe
qui va du centre d'une oreille au centre de l'autre oreille, en
passant par le milieu des yeux. Je signale tout particulièrement
cette ligne parce qu'elle est bien anatomique et correspond
avec l'état intérieur de la tète (voir sur le squelette la place
qu'occupe la base du cerveau).
La partie crânienne don ne cinq divisions assez vagues, comme
tout ce qui tient au crâne, mais la partie faciale présente ses cinq
divisions avec la plus parfaite régularité sur toute tète trouvée
belle. Et en y joignant la ligne des sourcils sur le visage on a
les six mesures d'une face complète, que je décris sous le nom
de Prosopométrie. — Voilà pour les divisions de la face, dite
petite face. (Voir au chapitre Vme, page 101.)
Quant à celles du profil, elles sont tout aussi intéressantes
et aussi méthodiques dans leurs divisions. Je les décris en six
lois (voir dans l'ouvrage les pages de 51 à 77). Ces lignes du
profil partent toutes de l'oreille ou plutôt du grand nerf facial
qui est, comme on le sait, contigu au trou auditif (voir page •">•»
ce qu'en dit llerschfieldj. Encore un rapport bien établi entre
l'étude extérieure de la tète, et son anatomie. Mais je ne fais
aucune description de toutes ces lignes, tout intéressantes
qu'elles soient, ne voulant pas abuser de la bienveillante at-
tention de la Société; renvoyant à l'ouvrage pour ceux qui
voudront prendre la peine de le consulter.
Je me résume : en signalant le point capital de celle étude,
c'est (pie, l'ensemble des mesures de tète présente le même
nombre de divisions symétriques (pie l'ensemble du corps, pris
110 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
dans son entier. Rapport infiniment curieux, et qui m'a
frappé, autant qu'il m'a réjoui quand je l'ai aperçu : Dix
pour la tête; dis pour le corps (voir les figures, pages 90 et 98).
Quelle remarquable chose !
De l'admission du Prototype dans In science. — Maintenant, si
ce double Prototype : Prototype du corps, Prototype de la tète,
— était admis dans la science (et pourquoi ne le serait-il
pas'.'), les conséquences en seraient considérables. Et laissez-
moi, puisque, pour raison de santé, je ne puis aller à Paris,
et soutenir une discussion, si elle a lieu, laissez-mois vous
exposer les avantages qu'on en pourrait tirer.
D'abord il donnerait une base fixe pour mesurer l'homme
en toutes choses : ce serait comme un arbre, une tige à laquelle
viendraient s'accrocher toutes les idées de l'homme, et des
hommes; un point de départ pour les mensurations humai-
nes, comme la méridienne est le point de départ de toutes les
mensurations terrestres.
Avec ce type fondamental une fois admis les individus, les
peuples et les races seraient faciles à étudier, et a définir, car
ils ne seraient plus que des variantes où l'on n'aurait qu'à
chercher la différence en plus ou en moins, dans chaque partie
à étudier. Quel mode facile pour les comparaisons à établir!
On demande toujours un critérium dans la science : en
voila un. — De Qualrefages réclamait souvent une. non»?; en
voilà une '.
Je livre tout ceci aux 1res sérieuses méditations des mem-
bres de cette Société; car ce que je prenais pour un simple
canon pour les arts, un guide pour l'enseignement du dessin,
devient une chose grosse de conséquences. Et permettez-moi
de m'y arrêter, car je prévois que vous refuserez d'admettre
le principe d'unité qui se trouve dans mon Prototype.
1 Un autre avanlalage qui en résulterait, c'est que notre langue
française n'a pas de nom pour désigner la femme et l'homme
réunis; le mot Prototype (et je l'emploie souvent dans ce sens)
comblerait cette lacune.
CHARLES nOCHET. — L'ANTHROPOLOGIE DES BEAUX-ARTS 1 i I
Un peu de raisonnement, S. Y. />. _ Oui, ceci a une grande
signification devant la science, et cet ordre clans les mesures,
cet équilibre établi par la nature entre toutes les parties de
notre corps, comme de notre tète, ne peut sérieusement être
pris pour une fantaisie d'artiste, pas plus que comme un effet
(\u hasard; ce ne peut être pris, selon moi, que comme le
fait d'un raisonnement, d'un calcul, d'une volonté créatrice
qui a voulu qu'il en fut ainsi.
Et nous le prouvons par nous-mêmes., si nous voulions y
regarder de près, par ce qui se passe en nous : Est-ce que
chacun de nous n'a pas dans sa tète l'idée d'une moyenne de
grandeur, pour juger de la taille des hommes comme des
femmes? Eh bien! C'est ce qui règle mon Prototype. Est-ce
qu'il n'en est pas de même pour la figure, pour juger, au pre-
mier coup, des I rails d'une personne, belle ou laide? C'est ce
que règle encore mon Prototype.
Et plus encore. Est-ce que, dans la science, selon la por-
tée de notre esprit et la valeur de nos connaissances, nous ne
portons pas dans notre cerveau l'image, plus ou moins par-
faite, du type de notre espèce pour juger de toutes les races,
apprécier tous les peuples? au point que, toujours autour de
nous, à chaque conception qui se fait d'un nouvel être humain,
nous savons d'avance ce qui va en sortir. Et si, à la nais-
sance, il se présente quelqu'irrégularité, quelque monstruo-
sité, nous en sommes aussitôt troublés, désorientés, cherchant
ce qu'en peuvent être les causes. Eh bien ! celte image que
nous avons de nous en nous-mêmes, je le dis encore une fois,
c'est ce que représente mon Prototype dans sa perfection,
dans sa représentation la plus générale, la plus complète.
Et, partant de là, si nous quittons l'homme des choses visi-
bles ; si nous abordons l'homme des choses qui ne se voient pas,
des choses dites morales et intellectuelles, est-ce qu'il n'en est pas
de même? Est-ce (pie nous tous, dans cet ordre d'idées et se-
lon l'état de notre esprit el l'étendue de nos connaissances,
nous n'avons pas aussi une idée de perfection humaine, de
supériorité humaine ? Partout, dans l'humanité, on le trouve
H2 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
cet idéal de l'homme parfait avec lequel nous vivons. Partout il
existe en nous et nous sert de guide ; sans quoi nous ne serions
que des brutes. Ce sera, si vous le voulez, l'homme beau pour
l'artiste — l'homme sain pour le physiologiste ou le méde-
cin — le sage pour le philosophe — le juste pour le magis-
trat — l'honnête homme pour le commerçant — le brave pour
le soldat ; et ainsi de suite ; ce que d'autres qui viendront après
moi sauront bien compléter.
Toute ma pensée: toute ma crainte. — Mais, ce que je redoute,
vous n'accepterez pas, pour la science, ce principe de mon
unité prototypique.
Pardonnez-moi de préjuger ainsi de vos décisions, mais je
le pense, et à quatre-vingts ans, si je ne dis pas ce que je
pense, quand le ferai-je? — Vous le repousserez; vous n'en
voudrez même pas, peut-être, comme simple procédé d'étude,
c'est ce qui m'a fait tant différer de vous en parler. Vous le
repousserez : Parce que cela tend à éloigner l'homme des
animaux, quand tant de savants illustres que vous honorez,
ont tout fait pour le rapprocher d'eux.
Vous le repousserez! — Parce que cela conduit à admettre
l'idée d'une création peut-être unique pour l'homme, et vous
^les rebelles à cette idée.
Parce que, qui dit création, dit créature: et qui dit créa-
ture dit créateur, et vous voyez tout de suite où cela conduit :
moi-même j'en suis effrayé!
Mais pensez-y, Messieurs, l'idéed'une création pourf homme
est bien solidement enracinée, dans la tète des hommes; elle
date de tous les temps, elle est de tous les pays, et vous au-
rez bien de la peine à la bannir des cerveaux humains.
Voilà ce que je tenais à dire en finissant.
Maintenant, bien qu'éloigné de vous, je me tiens à votre
disposition, pour tout ce que vous voudrez obtenir de moi,
dans cette grosse étude, si vous nommez une commission pour
l'examiner ou, si vous choisissez un rapporteur, qu'il me dise
sa pensée et je lui répondrai.
Unequestion toute personnelle (annexéeà cette communication).
CHARLES ROCHET. — L'ANTHROPOLOGIE DES BEAUX-ARTS 113
— Ainsi que je l'ai dit en commençant, j'avais un autre motif
pour vous communiquer mes travaux d'Anthropologie des
Beaux-Arts ; celui de m'aidera défendre les droits de propriété
de mes œuvres. On me pille, on me vole, on me dérobe le
fruit de mon travail et de mes veilles ; les produits de mes re-
- cherches et de mes découvertes. Des pirates d'un nouveau
genre, des écrivains sans valeur, des professeurs sans talent,
pour se donner quelque relief, me prennent une à une, les
lois de proportions du Prototype, ou canon nouveau des
Beaux-Arts.
C'est surtout à l'étranger que ce vol a lieu, malgré des pu-
blications et traductions faites dans les conditions de la plus
parfaite légalité. Et comme je crains le même sort pour ma
figure humaine, qui est une publication de date récente, je tiens,
cette fois, à prendre rang et date partout où je peux, pour le cas
où j'aurais à poursuivre. C'est pourqtfoi je viens m'adresser à
vous, mes chers et anciens collègues, pour obtenir, s'il se
peut, aide et protection, à qui m'adresser autre part? A l'A-
cadémie des Beaux-Arts de l'Institut? — Peut-être le ferai-je
également.
C'est pourquoi, une discussion sérieuse au sein de votre
Société, si généralement appréciée, et le retentissement qui
pourrait en sortir dans le monde de la science et des arts,
servirait peut-être à retenir dans leur conduite ces indignes
pillards, et m'aiderait à sauvegarder, et l'honneur de mon
nom, et les droits de mes héritiers.
Voilà ce que j'avais aussi à cœur de vous dire, il en sor-
tira, ce qu'il en sortira.
Daignez agréer, Monsieur le Président, et mes chers collè-
gues, l'expression de mon sincère attachement et la certitude
de toute ma reconnaissance pour tout ce que j'ai appris dans
les vingt années que j'ai passées au milieu de vous.
Fait a Athis-Mons (Seine-et-Oise) , dans sa quatre vingtième
année. — 17 décembre 1894.
114 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1893
Discussion.
M. Manouvrier. — Comme secrétaire général adjoint chargé
des publications, je crois nécessaire de demander l'avis de la
Société sur la question de savoir s'il faut insérer dans le Bul-
letin la communication de M. Gh. Hochet. En effet, outre que
ce très distingué statuaire ne fait plus partie dp la Société
d'Anthropologie, son travail, ainsi qu'il semble lui-même le
reconnaître, estime œuvre artistique plutôt. que scientifique.
11 y a donc lieu de se demander si la Société doit publier
ce travail in extenso ou bien si elle doit se borner, pour don-
ner satisfaction a un ancien membre, à une mention de ses
ouvrages et de ses légitimes réclamations de priorité.
M. Sanson. — Les objections opposées au travail de M. Ro-
chet me paraissent être sans portée. Notre ancien collègue
n'a pas eu la prétention de faire de la science anthropolo-
gique. C'est un artiste. 11 a conçu un type idéal de la beauté
humaine, dont il a indiqué les proportions. De ce que ce
type ne se réaliserait pas souvent, et mémo jamais, en
dehors des ateliers des statuaires, il n'en conserverait pas
moins sa valeur artistique. D'ailleurs, ce n'est point pour
nous convaincre de la réalité de ce prototype que M. Rochet
s'adresse à nous.
Comme il le dit dans le travail dont la Société vient d'en-
tendre la lecture, son chagrin est de voir, à la fin de sa
longue carrière, son œuvre non pas contestée, mais attribuée,
à l'étranger, à d'autres que lui. Avant d'envoyer ici ce tra-
vail, il m'avait fait l'honneur de me demander mon avis,
s'autorisant de nos vieilles relations et aussi de considéra-
tions qu'il est inutile d'indiquer. Je lui ai fait remarquer que
ce dont il se plaignait était le sort commun à tous ceux qui
ont pu faire quelque chose de bon. On ne s'attribue pas le
mérite de ce qui ne vaut rien. C'est donc un hommage rendu
à un ardeur que de s'emparer de ce qu'il a produit. Mais cet
hommage ne rend pas pour cela l'acte méritoire, et je com-
CHARLES ROCHET. — L'ANTHROPOLOGIE DES BEAUX ARTS 115
prends sans peine que M. Rochet tienne k ce que son droit
soit de nouveau affirmé. Et c'est pourquoi je lui ai conseillé
la démarche qu'il a faite, me mettant k sa disposition pour
l'appuyer, en soulevant au besoin une discussion ayant pour
effet de bien préciser ce droit. Il ne demande pas que la
Société proclame l'excellence de ses idées ; il désirerait seule-
ment qu'elle lui en donnât acte en insérant sa communication
dans le Bulletin. Et vraiment je ne crois pas que nous puis-
sions refuser cette satisfaction au vieil artiste qui a été notre
collègue pendant plus de vingt ans.
Du reste, il ne faudrait pas penser que l'influence de
M. Rochet sur les progrès de l'antbropologie scientifique a
été tout k fait nulle. Il n'y a pas longtemps que nous nous
en entretenions encore avec M. Ilamy, que je regrette de ne
pas voir ici, car je suis sur qu'il se joindrait k moi dans la
justice que je veux rendre k notre collègue des anciens temps
de la Société. C'était alors qu'on ne parlait que de brachycé-
phalie et de dolichocéphalie, alors qu'il n'était question que
de l'indice céphalique pour distinguer les races. On entendait
chaque fois M. Rochet s'écrier : « Et le nez! » De mon côté,
je m'efforçais de faire ressortir la valeur des formes faciales,
en signalant leur prépondérance chez les bètes dont je m'oc-
cupe. L'on ne peut pas douter, quand on a assisté à ces
choses, que la classification des formes nasales usitée mainte-
nant n'ait été une conséquence de l'insistance que M. Rochet
mettait k en signaler l'importance. 11 ne laissait d'ailleurs
échapper aucune occasion de chercher k faire prévaloir la
morphologie crâniologique sur la cràniométrie que l'École de
Broca prisait bien au-dessus des impressions artistiques,
pour lesquelles son dédain n'était peut-être pas autant dissi-
mulé que l'aurait exigé la courtoisie.
En considération de ce passé, je demande donc formelle-
ment que la communication de M. Rochet soit insérée in
exlenso dans le Bulletin de la séance.
MM. Eschenauer et Zabohowski appuient la demande de
M. Sanson.
116 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
M. Manouvrier. — On tenait compte, pour distinguer les
races, de la forme du nez et de bien d'autres caractères long-
temps avant l'intervention de M. Ch. Rochet. Mais peu im-
porte; dans la question qui nous occupe, toute difficulté dis-
paraît devant la demande de M. Sanson, si la Société veut bien
émettre un vote conforme.
J'aurai moi-même à faire une demande analogue à propos
d'une communication qui m'a été adressée par un autre an-
cien et honoré membre démissionnaire, 31. le D1' Durand (de
Gros), et que j'aurai l'honneur de lire en cette séance.
L'insertion in extenso de la communication de M. Charles
Hochet est mise aux voix et acceptée.
Du Duiestre à la Caspîeuue.
Esquisse palethnologigue
Par M. Zaborowski.
I. — La Russie quaternaire. Stations humaines. Migration du
mammouth. Époque du lœss et de la s terre noire» dans la
Russie méridionale.
Dans un précédent mémoire (A propos de dix crânes de
Rochefort, Bull. 1894), j'ai dit en passant que, quant à leurs
origines, les Lithuaniens étaient dans la même situation que
les Ossèthes (Bull. 1894, p. 65). Jusqu'ici on n'avait rien, ni
notions précises, ni hypothèse plausible, sur les affinités
ethniques véritables, les antécédents et la provenance de ce
peuple lithuanien si curieux pour sa langue, qui surgit pour
l'histoire, sans être un nouveau venu dans le territoire qu'il
n'a cessé d'occuper, seulement vers le xe siècle de notre ère.
Oserai-je dire qu'aujourd'hui j'apporte une solution à ces pro-
blème;- ? En tout cas, et grâce à de récents travaux, jb puis
en bien déterminer les éléments, je puis fixer les origines
ZABOROWSKI. — DU DNIESTRE A LA CASPIENNE 117
possibles et probables des Lithuaniens et donner une descrip-
tion satisfaisante de leurs caractères. L'histoire d'ailleurs ne
m'étant presque d'aucun secours, puisqu'elle n'a éclairé ces
régions reculées de l'Europe septentrionale que bien tardive-
ment, c'est sur la palelhnologie et l'ethnographie que je dois
m'appuyer, toute autre considération mise d'abord à part.
Il m'est impossible de fournir aucune indication intelligi-
ble, aucune donnée admissible sur l'origine des Lithuaniens,
si d'abord je ne trace pas un tableau quelconque de tout le
passé préhistorique du rivage septentrional de la mer Noire
en particulier. Les matériaux réunis sur ce passé ne man-
quent pas. Le difficile est de se reconnaître au milieu d'eux.
En essayant de les coordonner on s'expose à des erreurs et à
des omissions, à ne faire qu'œuvre provisoire. J'en courrai le
risque. Je ne m'occuperai pas bien entendu de la Grimée et au-
tres régions voisines où les colonies étrangères furent toujours
dominantes. Les richesses archéologiques recueillies là ont
été récemment l'objet d'une publication en français. Elles sont
grecques. Je ne m'occuperai que de ce que nous appellerions
aujourd'hui VHinterîand. Il y a dans la Russie propre, mis à
part les toundras qui n'ont pour ainsi dire pasde passé, deux
grandes régions géographiques distinctes. Celle du centre,
du nord et du nord-ouest où les forets ont dominé ou domi-
nent encore; et celle du sud, sans forêt et caractérisée par
la steppe. Le peuplement de la première a été certainement
tardif. On a plusieurs fois parlé de découvertes relatives
à l'homme quaternaire dans cette région. Je les ai toujours
accueillies avec la plus grande incrédulité, et elles n'ont pas
résisté à la critique. Cette région était, en effet, inhabitable
jusqu'en pleine époque néolithique. Voilà un premier fait
acquis aujourd'hui à la science. Car il n'y a sur ce point, ce
me semble, aucune dissidence entre les géologues russes.
La Russie fut, jusqu'aux dernières phases de l'époque qua-
ternaire, jusqu'à sa phase magdalénienne inclusivement, « un
désert de glace et de neige privé de vie végétale et animale »
(Nikilin). Le glacier scandivo-russe, d'une épaisseur de 300 à
1 18 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
1,000 mèlres, la recouvrait presque entièrement au nord-ouest,
au nord et au centre, descendant par ses déversements cen-
traux jusque pas très loin des rives actuelles de la mer Noire.
Ses limites méridionales reconnues furent en effet la rivière
Styr en Wolhynie,la partie septentrionale des gouvernements
de Kherson et d'Ekatérinoslaw, le sud-est de celui de Pol-
tawa, et l'angle nord-ouest du gouvernement de Kharkow.
Toutes les traces de l'homme contemporain du mammouth
se rencontrent exclusivement le long de la limite de la répar-
tition des blocs erratiques et près de cette limite. Ses stations
semblent se relier à celle de la fameuse grotte du mammouth
près de Cracovie où se montre encore la belle industrie mag-
dalénienne.
Nous n'en connaissons d'ailleurs que trois ou quatre :
1" celle de Kamenec-Podolski, queje cite avec doute, n'ayant
pas de détails; 2° celle de Gontzy, district de Lubny, gouver-
nement de Poltawa, sur la rivière Oudaï, où, à la base d'un
rivage ancien, gisaient de nombreux outils de pierre grossiers
avec des os de renne et d'au moins six mammouths; 3° celle
de Kostenki, au bord du Don, gouvernement de Voronêje, la
plus importante avec ses 330 silex dispersés autour de foyers
avec les restes de 18 mammoutbs; -4° celle bien connue de
Karatcharowo, près Mourom.
La position île cette dernière dont l'ancienneté est discutée,
ne doit pas faire illusion sur l'habitabilité de la Russie centrale.
Il y a entre l'Okaet le Don, un plateauqui nefut jamais couvert
de glace. L'inlluence de la dépression aralo-caspienne devait,
d'ailleurs, alors se faire sentir jusque-là. Du cùté de l'Est, en effet,
les limites du glacier scandinavo-russe remontent considérable-
ment. Dans l'Oural même on ne retrouve pi us sa trace, du moins
avec certitude, que vers le 61e parallèle. Mais les eaux delà
Caspienne recouvraient alors une immense surface, toutes les
terres jusqu'à plus de 150 mètres au-dessus de son niveau
actuel. Elles s'étendaient jusqu'à près de Kasan, jusqu'à l'an-
gle sud-est du gouvernement de Viatka, battant les contreforts
de l'Oural jusqu'au 559 parallèle. Ht elles furent (Tchernis-
ZABOROWSKI. — DU DMESTRE A LA CASPIENNE 419
chew), pendant la fonte du glacier, en communication par les
bassins d'eau douce du gouvernement de Viatka, avec les
mers boréales qui rejoignaient les lacs Onega et Ladoga jus-
qu'à une époque toute récente.
L'Europe était donc pour ainsi dire fermée du côté de
l'Asie, limitée nettement à l'Est par des obstacles infranchis-
sables. Au-delà de l'Oural et de la Caspienne, au surplus, il
n'y avait pas davantage de terre habitable sauf sans doute
contre l'Oural même.
Les eaux du lac Balkach se confondaient avec celles de la
dépression aralo-caspienne. Et il y a toute probabilité que
cette mer était en communication avec l'Océan Arctique par la
Sibérie même. Le phoque qui l'habite encore (ph. caspcia)
n'est qu'une variété du phoque marbré de l'Océan Arctique,
comme celui du lac Baïkal, à 2,000 pieds au-dessus du niveau
de la mer. La haute vallée de l'Obi, à Tomsk, n'est pas à plus
de 91 m. au-dessus du niveau de la mer actuelle.
Les terres libres le long de l'Oural et tout autre territoire
quelconque de la Sibérie occidentale, étaient complètement
séparés de l'Asie non seulement par cette vaste mer dont les
traces récentes se reconnaissent jusqu'au-delà du Balkach,
dans le bas des vallées qui descendent de l'Alataou. et qui
recouvrait les déserts actuels du Turkestan, mais encore par
les glaciers du massif central dont la fonte a donné naissance
à ces énormes dépôts fertiles qui ont fait appeler le Turkestan
le pays du Lœs.
Mais entre l'Europe et la Sibérie les chemins furent dégagés
avant la fin du quaternaire, bien avant l'extinction du mam-
mouth.
Gel animal a vécu dans le sud-est de la Bussie, dans le
bassin du Volga, longtemps et en grandes troupes, avant
d'émigrer en Sibérie sur des territoires abandonnés par la
Caspienne. Le glacier scandinavo-russe s'est retiré par suite
de la diminution des pluies et des neiges, et pat la tranfof-
mation du climat sibérien devenu continental au plus haut
degré, c'est-à-dire à saisons extrêmes. Pour la même raison
120 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
la Caspienne abaisse de niveau par l'effet d'un dessèchement
qui s'exerce aujourd'hui encore sous nos yeux avec rapidité,
dans toute l'Asie centrale et même dans les plaines du sud
de la Russie.
Les dépùts de ses eaux saumâtres', à fleur de sol dans les
steppes, sont, dans les parties élevées de l'ancien bassin cas-
pien, recouverts de l'argile typique brune des terrasses flu-
viatiles passant au lœss. Or, sur les terrasses les plus élevées,
dans les plus anciennes couches de cette, argile, on trouve
en place en abondance, des restes de mammouth, de rhino-
céros, de bos primigenius, etc., mais, d'ailleurs, jusqu'à pré-
sent, sans aucune trace de l'activité humaine. Ces animaux
avaientdonc un passage libre au sud de l'Oural. Parla ils ont
émigré en Sibérie où ils ont retrouvé encore longtemps leur
climat de prédilection, très humide et froid. Il parait plus que
probable que des tribus humaines les ont suivis. Mais jusqu'à
présent on n'a pas retrouvé leurs stations ni dans l'Oural ni
dans la Sibérie occidentale. Des cavernes habitées autrefois
dans l'Oural on ne peut pas affirmer qu'elles remontent jus-
qu'à l'époque de notre quaternaire. A propos d'elles, M. Tcher-
nischew déclare qu'une subdivision de l'âge de pierre en une
période paléolithique et une période néolithique est à peine
admissible pour la région de l'Oural. Mais le mammouth ne
s'y rencontre pas, et cela tranche la question de leur âge. A
en juger par l'énumération qu'on nous donne des objets
qu'elles ont livrés, leur industrie est plutôt celle d'un peuple
arriéré de l'âge récent de la pierre que celle d'un peuple
ancien. Les restes d'industrie recueillis au-dessous de la
tourbe, au nord d'Ekaterinbourg, font la même impression,
bien qu'un fémur de mammouth ait été rencontré à peu de
distance et bien que l'épaissenr de la tourbe (4 m.) repré-
sente un certain espace de temps. Mais plus loin à l'est, sur
l'Ienisseï, tout près de Krasnojarsk, touchant des hauteurs
plus habitables, M. Savenkov a trouvé des silex taillés d'un
de nos types quaternaires (le Moustier), avec des restes de
ZABOROWSKI. — DU DNIESTRE A LA CASPIENNE 121
mammouth sur l'âge desquels on n'a pas élevé de contestation.
D'après l'ensemble même des constatations géologiques
et des découvertes préhistoriques, il ne semble donc pas
douteux que c'est d'Europe, de l'Europe centrale et occiden-
tale, que sont venues les premières peuplades qui aient
occupé la Russie méridionale, et que c'est aussi d'Europe que
la Sibérie occidentale semble avoir reçu ses plus anciens
habitants. Que s'est-il passé dans les plaines du sud de la
Russie après cette émigration ?
Dans cette région, il y a une première assise quaternaire
formée de dépôts d'eau douce à faune lacustre et à faune
d'eau courante. Ces dépôts sont synchroniques de l'extension
du glacier Scandinave.
Dans la zone de la mer d'Azow et de la mer Noire, se
superpose à ces dépôts une argile rouge avec gypse et sel qui
témoigne de la présence de ces mers fort au-delà de leurs
limites actuelles. Ils sont recouverts ailleurs immédiatement
comme cette argile elle-même, d'un lœss puissant identique à
celui de l'Allemagne du Sud, du Turkestan, de la Chine. Ce
lœss fertile est synchronique du retrait du glacier. R se con-
fond avec ce qu'on appelle en Wulhynie, en Podolie, l'argile
à mammouth, gris-jaune. Au-dessus de lui et grâce à lui,
s'est formée cette fameuse terre noire, la grande richesse de
la Russie méridionale. L'origine de cette terre noire, tcher-
nozème, nous est connue.
La puissante végétation herbacée de la steppe vierge forme
encore aujourd'hui sous nos yeux un véritable feutrage avec
ses débris annuels. Et c'est la décomposition de ceux-ci qui a
incorporé au lœss sous-jacent, sur Do millions d'hectares, de
la matière organique représentant en azote pour le moins
16 milliards. Cette formation correspond à nos tourbières et
représente ainsi géologiquement Page néolithique.
Nous n'avons pas de preuve d'un peuplement de la Russie
méridionale avant l'existence de cette terre noire, qui, d'ail-
leurs, est d'une épaisseur telle qu'on fait remonter à 6 ou 7.000
années ses premières couches.
t. vi (4° série). 9
422 SÉANCE DU 24 FÉVRIER 1895
II. — Les plus anciens kourganes ; kourganesde l'âge de la pierre.
Autres sépultures du même âge. Origine de l'industrie et carac-
tères de la race néolithique du Dniestre et du Dniepre. Leurs
rapports étroits avec la région de la Baltique.
Le long de certaines vallées de l'intérieur, il existait des
forêts, disparues au temps d'Hérodote, qui furent contempo-
raines de la formation de la terre noire. On ne trouve pas de
kourganes sur le sol de ces anciennes forêts. Il n'y en a donc
pas qui leur soient antérieurs. Mais il y en a à la lisière.
Voici un autre fait plus catégorique. Il y a des kourganes
élevés avec du sable et recouverts eux-mêmes d'un mince
dépôt de terre végétale. Ces kourganes appartiennent à la
steppe stérile, plus récente et qui est un ancien fond de mer.
Il ne faut pas la confondre avec la steppe herbeuse, à sous-
sol de lœss ou d'argile à mammouth qui s'étend depuis le
nord des Karpathes jusqu'au-delà de l'Oural, au nord de la
steppe kirghize. Ses kourganes ne peuvent pas être les plus
anciennement élevés. Car c'est la steppe herbeuse qui dut
forcément être la première habitée. Eh bien ! d'après les
observateurs les plus divers, la base des kourganes, mis à
part les kourganes à catacombe bien datés, ne reposent pas
immédiatement sur le lœss ou l'argile à mammouth ; c'est
tout juste du moins s'ils en atteignent la surface lorsque leur
fond ne forme pas cuvette intentionnellement creusée, et tous
sont élevés avec la terre noire. Jamais, du moins, la terre qui
les compose n'est du lœss ou de l'argile pure.
Aucun doute n'est donc possible, ils sont postérieurs à la
terre noire envisagée dans sa plus grande épaisseur, dans ses
couches les plus anciennes.
Or, toute la Russie méridionale, du Dniestre à la Caspienne,
passe pour n'avoir connu qu'un seul genre de sépultures,
celui sous tumulus de terre, sous kourgane. C'est là, en effet,
le seul monument funéraire qui convienne à ces immenses
plaines herbeuses, le seul monument qu'il soit possible d'y
ZABOROWSKC. — D(! DN1ESTRE A LA CASPIENNE 123
édifier en toute occasion. A tel point qu'on croirait volontiers
que c'est là qu'il a été inventé et que c'est de là que directe-
ment ou indirectement il s'est propagé dans les autres parties
de l'Europe où on le trouve. Il n'est pas, en effet, d'autre-
vastes régions de l'Europe qui soient aussi pauvres en matés
riaux de construction. Le temps n'y a rien changé, car en-
core aujourd'hui, beaucoup d'indigènes de ces régions, comme
ceux d'une partie de l'Asie centrale, construisent leurs ca-
banes uniquement en terre argileuse mêlée de paille. Cette
circonstance même est une source de grandes difficultés pour
l'archéologie. Car si le kourgane est à peu près le seul monu-
ment possible, c'est aussi le monument de tous les âges. Le
même kourgane a été ouvert bien des fois, et à des époques
souvent très éloignées. Entre deux couches d'un même kour-
gane, il peut exister un laps de temps égal à plusieurs siècles
et même à un millénaire (Bobrinski, Compte-rendu du Con-
grès de Moscou, II, p. 18). On y trouve des sépultures très
différentes sous le rapport de l'âge, de l'industrie, de la popu-
lation. Des crânes extraits d'un même kourgane peuvent se
rapporter à des races bien distinctes, et parmi eux, il y en a
de tout récents.
Ce qu'il y a d'aussi difficultueux, c'est que disséminés en
nombre considérable, sur des espaces immenses, il est impos-
sible de les répartir bien nettement en circonscriptions géo-
graphiques distinctes. Il semble y en avoir partout un peu de
tous les âges. Du moins ne pouvons-nous pas dire que tel
groupe de kourganes de telle région appartient à telle époque,
et que tel autre groupe de la même région ou d'une autre ap-
partient à telle autre époque ; qu'ici, en les fouillant, nous allons
nous trouver en présence de telle civilisation particulière et
que là sont groupés au complet les types caractéristiques de
telle autre civilisation. Ils sont l'œuvre de peuples qui ont
erré, se sont bousculés des siècles sans occuper de territoires
bien limités, bien que tous ensemble, dans ce perpétuel bras-
sage, aient subi à de certains moments les mêmes inlluences.
On les compte d'ailleurs par centaines de mille. Le nombre de
124 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1893
ceux qui ont été fouillés comparativement à ceux encore in-
tacts, est minime, et on ne sait rien de précis sur ceux de
régions entières importantes comme la vallée du Don. Les
matériaux qu'ils ont livrés à leurs explorateurs sont pourtant
considérables. Ils se présentent malheureusement encore dans
un état de confusion telle qu'ils n'ont rien changé aux
suppositions et hypothèses dont le passé préhistorique des
plaines de la mer Noire et le peuplement de l'Europe ont été
jusqu'ici l'objet. Un archéologue comme M. Schmidt y a vu
les preuves d'une migration de colonies de Sibériens de l*àge
de pierre, en Danemark! (Compte-rendu des séances du Con-
grès de Moscuu, II, 1893, p. 36.) M. Samokvassof, qui est
aussi un archéologue expérimenté, les a répartis, suivant les
données de l'histoire, seulement en quatre époques : 1° L'é-
poque cimmérienne de la pierre et du bronze ; 2° l'époque
scythe ou sarmate ; 3° l'époque slave ; 4° l'époque des Po-
lovtsys et des Tatars.
Si les plus anciens kourganes eux-mêmes sont postérieurs
à la formation de la « terre noire ». il en est pourtant qui ont
été élevés alors que la pierre était encore seule employée à
tous les usages. Dans ses fouilles de 1874 près de Kiew, M. An-
tonowitch en a rencontré. J'ai signalé moi-même ici en 1880
(Reçue d'Anthropologie, 1880, p. 078) ceux qui ont été explorés
par M. L. Radziminski, dans le district d'Ostrog en Wolhynie.
Et de nouveau, tout récemment (Sur dix crânes de Rochefort.
Bullet. 1894, p. 45), j'ai rappelé les caractères essentiels des
hommes qui y étaient ensevelis. Au récent congrès de Wilna,
M. Radziminski a présenté la collection d'objets d'industrie
qu'il en a retirée. Ces kourganes néolithiques fouillés sont au
nombre de 20. Les squelettes y gisaient étendus sur un lit de
terre glaise blanche ; ils avaient auprès de la tète deux ou
trois poteries qui devaient contenir des aliments au moment
de l'inhumation, et le long du corps ou dans /" main deux ou
trois objets en silex ou des débris d'armes.
ZABOROWSKI. — DU UNIESTRE A LA CASPIENNE 125
Voici quelques-unes de ces pièces qui ont été publiées en
1879 (Zbior, III, p. 62).
M. de Baye, dans son compte-rendu du congrès de Wilna
(1894, p. 54), se montre frappé do la ressemblance de ce ma-
tériel industriel avec l'outillage néolithique de la Suède et de
la Norvège. Il reproduit comme type local une lame courbe
taillée des deux faces. Un exemplaire tout semblable prove-
nant de la (îalicie, de Siéniawy, sur les bords du San, a été
déjà publié en 1876 (Nouvelles arckéol., III, p. 121 Varso).
M. Schmidtfut aussi très frappé de ressemblances pareilles
devant les pièces néolithiques recueillies par MM. Bobrinski
et Samokvassof. C'est à cette occasion qu'il a parlé de migra-
tions parties de la Sibérie pour gagner le Danemark (?).
M. Bezzemberger, dans une étude d'ensemble sur le passé
préhistorique delà Prusse orientale, se basant sur les relations
de l'industrie néolithique de cette province avec l'Occident,
y a vu, au contraire, des preuves de migrations en sens tout
opposé. Deux squelettes complets et un fragment de crâne
de l'époque de la pierre ont été découverts dans cette province,
avec deux bouts de ceinture en os de renne. M. Bezzemberger
les fait remonter à une époque où tous les phénomènes gla-
ciaires n'était pas encore disparus entièrement. Et il les fait
venir par conséquent de l'Europe centrale, tout en les classant
dans un Age de la pierre polie synchronique ('?) de l'âge
du bronze de notre Occident.
Les caractères des crânes recueillis ne nous sont pas suffi-
samment connus. Mais les trouvailles de la région baltique,
de même que les fouilles des cavernes de Cracovie, et notam-
ment cellles de la fameuse caverne du Mammouth qui a fourni
un précieux crâne à caractères néolithiques, m'ont depuis
longtemps inspiré les mêmes conclusions, si parfaitement
conformes d'ailleurs avec ce que nous savons aujourd'hui des
conditions géologiques et climatériques de la Russie aux
époques quaternaire et néolithique. Longtemps après le [tas-
sage de quelques tribus quaternaires qui paraissent avoir
suivi le mammouth dans sa migration en Sibérie, un premier
126 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
peuplement de la région comprise entre les Karpathes et la
Baltique, s'est effectué par le sud-ouest et l'ouest. Pourquoi
les premières tribus clairsemées qui se sont établies là ne
seraient-elles pas descendues jusque vers les rives de la mer
Noire? Il en est qui ont suivi cette voie. Telle est pour moi
l'origine non douteuse des Kymris ou Cimmèriens de la pres-
qu'île cimbrique, dont on connaît d'ailleurs le mouvement
postérieur en retour, et dont les Goths, bien des siècles plus
tard, devaient suivre la même marche.
En 1887, le comte Bobrinski a fait connaître le résultat des
fouilles effectuées par lui dans 52 kourganes au sud de Kiew.
Il a signalé dès lors et depuis au congrès de Moscou cette par-
ticularité frappante de leurs sépultures néolithiques, à savoir
que les squelettes sont colorés en rouge avec du peroxyde
de fer.
A Kobrynowa, au sud-ouest de Zwinogrodki en Ukraine,
au-delà de la Podolie, par conséquent, et non loin du Dniepre
et de la mer Noire, un des kourganes qui s'y trouvent a été
fouillé complètement avec beaucoup de soin en 1887 (Zbior.
Cracovie, 1888). Tout ce qui y était enfoui a donc été recueilli.
De 27 mètres de diamètre et de 2 mètres 70 de haut à son
centre, il renfermait a sa partie supérieure, à 70 et 80 centi-
mètres de profondeur, des sépultures (une dizaine) en terre
libre, datant d'une époque où l'influence grecque se faisait
sentir, comme en témoigne un tesson (de ces sépultures, il ne
restait que quelques os pourris). Et il recouvrait douze tom-
beaux creusés et disséminés sans ordre à la surface du sol
naturel. Ces tombeaux étaient des auges, de 50 à 60 cent, de
profondeur, de 1 m. 50 à 2 mètres de longueur et de 0,75 à
0,80 cent, de largeur, dont les parois étaient faites unique-
ment d'argile battue et qui avaient été primitivement cou-
vertes de planches ou de madriers. Ils renfermaient quinze
squelettes, et cette trouvaille est d'autant plus importante
que qua're d'entre eux ont pu être étudiés. J'y reviendrai
ZABOROWSKI. — DU DXIESTKK A LÀ CASPIENNE 127
plus loin. Tous étaient complètement recouverts d'une couleur
rouge ferrugineuse, en plus ou moins grande épaisseur. Cette
couleur était si apparente et très souvent si abondante qu'elle
formait en plusieurs endroits une couche terreuse particulière
d'un demi-centimètre. Us ont été soumis, semble-t-il, au même
rite, ou ils appartenaient à un peuple ayant les mêmes usages
que les hommes des grottes deMenton et que celui de Briïnn en
Moravie (V. Revue de l'École d'Anthropologie, 1893, I,p.20) que
MM. Makowsky et Schaaffhausen ont rangé dans le quater-
naire, et que M. Hervé, d'après le gisement et les caractères
crâniens qui formeraient, suivant lui, transition entre le
Néanderthal et le Cro-Magnon, classe à l'aurore de l'époque
néolithique. De sorte que si toute conclusion ne semblait pas
prématurée, on croirait que le peuple néolithique établi dans
l'Europe centrale s'est répandu de là au sud jusque dans la
Méditerranée, et tardivement, au nord, par la Moravie jusque
sur le Dniepre.
Il n'y avait sur les squelettes de Kobrynowa aucune trace
de tissu quelconque. Mais une matière grasse et poussiéreuse,
se rapportant à un vêtement de cuir, recouvrait le milieu du
corps de deux d'entre eux. Les objets, en très petit nombre,
recueillis dans les tombeaux sont les suivants : un vase, forme
écuelle, dans lequel des aliments avaient dû être déposés ;
deux stylets ronds en os ou instruments pointus dont la tète
figure un double-marteau. Chacun d'eux était attaché à la
taille d'un squelette de femme par une chaînette formée d'un
chapelet de petits os percés; des dents de loups formant un
collier; des sabots et rotules de brebis (?); un fragment de
vase portant comme ornement sur le bord de son ouverture
des cavités de 5 à 8 millimètres.
Ce matériel est très pauvre. On ne saurait contester son ca-
ractère néolithique.
L'absence de silex étonne. Mais le silex était rare dans la
contrée, et les squelettes recueillis était féminins pour la
plupart, il est naturel qu'on n'ait rencontré auprès d'eux que
des parures.
128 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
Dans le village de Zawadyniec, district de Kamieniec Po-
dolski, 31. Pulawski (Zbior,XIV, 1890, p. 8) a fouillé un kour-
gane où il a mis à découvert un premier squelette avec un
petit vase contenant un couteau, et "un second auprès de
pointes de flèches en silex et d'outils en pierre. Sur tous les
deux, la platycnémie très apparente du tibia a été remar-
quée. Près du premier, se trouvait, en deux petits morceaux,
de la matière colorante rouge ferrugineuse.
Ainsi, sur le Dniestre comme sur le Dniepre et en pleine
Ukraine, l'emploi de matières rouges, si ancien en Europe, a
été reconnu dans les sépultures néolithiques par des auteurs
différents. Non moins significative peut-être, malgré les appa-
rences, est la nature même du monument funéraire.
Nulle part ailleurs qu'au sud-ouest de la Russie on ne con-
naît de kourganes, de tumulus de terre, remontant à l'époque,
néolithique. Ceux du comitat d'Udvarhély en Transylvanie,
recouvrant des tombeaux-caisses de pierre, sont d'âge encore
douteux. Dans la Russie même, au nord, au centre, à l'est,
on n'en a pas encore trouvé, malgré le nombre considérable
de fouilles effectuées. Immédiatement au-dessus de la Wolby-
nie, dans le gouvernement de Minsk, sur la Bérézina, district
d'Ibumin, (Zb., XIII, p. 56), il y a deux cimetières de 300
kourganes. L'un d'eux, de 82 kourganes, serait d'une époque
de pierre. Il peut, malgré cela, être bien plus récent que les
kourganes de Wolhynie. Et si on y rencontre des incinéra-
tions, comme on le dit. il y a, jusqu'à nouvel ordre, des
réserves à faire sur son âge.
Du côté de l'est, dans ses fouilles des kourganes de la plaine
des Kirghizes, en 18 localités différentes, M. Néfédow n'a pas
trouvé un seul de ces monuments qui puisse, même avec
doute, être rattaché à l'âge de pierre. Il n'en serait pas ainsi,
assurément, si les hommes des kourganes néolithiques du
Dniepre et du Dniestre, étaient venus d'Asie. D'un autre côté,
si, comme le prétendent des archéologues très autorisés, le
peuple des kourganes néolithiques des rives de la mer Noire,
avait remonté à Tàge de pierre vers la Baltique et la Suède,
ZABOROWSKI. — DU DNIESTRE A LÀ CASPIENNE 129
pourquoi n'aurait-il pas élevé ses monuments funéraires fa-
miliers le long de cette route et dans les plaines des bords de
la Baltique? Or, l'aire des kourganes s'arrête à peu près net-
tement du côté de l'Occident, aux rives duDniestre et à celles
du San qui forment la frontière entre le Dniestre et la Vistule,
et à celles du Bug. Bien qu'on retrouve au premier âge de fer
le tumulus de pierrailles sur la Baltique, ces limites semblent
ainsi séparer deux mondes.
Le kourgane nous apparaît donc comme un monument dont
l'invention s'est imposée à un peuple immigré de l'ouest dans
la steppe. Le caractère occidental de l'industrie néolithique
des kourganes, attesté encore par les observations citées plus
haut et la collection rapportée ici même du gouvernement de
Kiew {Bullet., 1893), par M. de Baye, n'est pas douteux '.
Et les rapports qui ont existé au moins à l'origine, entre la
Baltique et les peuples des kourganes et autres sépultures
néolithiques du Dniestre, se démontrent encore par d'autres
faits plus précis.
Dans un kourgane de la Galicie, (Ossowski, Recherches
paléoethnolog. en Galicie, I, 1890, p. 22), à Chorostkowo, dis-
trict d'IIusiatyn, on a recueilli au milieu des restes d'un sque-
lette, un petit vase à anse de forme cylindrique (f. 7, pi. I),
et un disque en ambre de 75 millimètres de diamètre et de
15 millimètres d'épaisseur au milieu, ayant vers son centre un
trou pour le suspendre, la paroi d'un petit trou de suspension
ouvert sur le bord ayant été brisée. Trois pots semblables ont
été trouvés près de Cracovie et en Podolie, avec une industrie
de pierre. Et l'un de ceux trouvés accidentellement à AVegrzec,
près de Cracovie, était précisément accompagné d'un disque
en ambre comme celui de Chorostkowo. D'autres exemplaires
i Les stations de la pierre, plus récentes au centre de la Russie,
en diffèrent parce qu'elles appartiennent aux peuples finnois qui,
soustraits aux influences étrangères, ont conservé bien plus long-
temps une industrie arriérée. Ces stations se rattachent, d'ailleurs,
aussi à la Baltique, comme en témoigne la présence de l'ambre,
dans celle du gouvernement de Novgorod, par exemple.
130 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
de cet ornement en ambre ont été découverts en différents en-
droits.
Dans ce même district d'Husiatyn, à Kotsiubintsy, un tom-
beau-caisse en a livré un avec trois haches en pierre polie et
des tessons (Kopernicki, 1877, p. 14). D'autre part, près
d'Inowroclaw en Posnanie, un peu plus vers le sud-ouest,
près de Lubraniec et à Bizeszynek, district de Brzést-
kujawski, on en a recueilli plusieurs, toujours dans des
tombeaux néolithiques. De la Prusse orientale, enfin, on en
possède une série appartenant aussi bien nettement k l'âge de
la pierre (Klebs, Beitrâge zur Naturkunde Preussens). Or, il
va sans dire, que ce ne sont pas les auteurs des kourganes
néolithiques de la Podolie qui ont apporté ces ornements sur
la Baltique. Leur présence à l'âge de pierre, de la Baltique à
la mer Noire en passant parCracovie, témoigne évidemment
d'un mouvement de la population néolithique en sens tout
opposé.
* *
11 y a dans la région ainsi délimitée, des monuments de
l'âge de pierre, quelque peu différents des kourganes, qui
offrent autant ou plus d'intérêt. Je viens de citer un tombeau-
caisse de Kotsiubintsy. Ce sont des tombeaux sans tumulus,
plus faciles à dater exactement parce que, dissimulés aux re-
gards par l'absence de signe extérieur, ils ont été moins ex-
posés aux mélanges et aux entreprises des chercheurs de tré-
sors. D'après les découvertes connues, bien insuffisantes eu
égard au territoire, aux contiguités multiples, dont il s'agit de
connaître le passé, dans la Pakoucie, cette région podolienne
qui confine à la Boukovine et à la Galicie, les tombeaux de
cette sorte dominent. Certains d'entre eux se présentent au-
jourd'hui comme si le corps avait été mis en terre accroupi
souvent sans aucune protection et seulement k40 centimètres
de profondeur. A côté des squelettes, on n'a pas toujours
trouvé des objets permettant de les dater avec certitude. Ce-
pendant, il y en a qui sont antérieurs ù l'usage des métaux :
l'un d'eux, mis accidentellement à découvert à Uwisla, est
ZABOROWSKI. — DU DNIESTRE A LA CASPIENNE 1 31
un des mieux caractérisés, une hache-marteau en bois de cerf,
y ayant été mise dans la main du mort. 'La plupart sont à
dalles de pierres. Leur type est bien connu. C'est celui du
tombeau-caisse, dont les parois sont formées de pierres
plates non taillées, disposées en un carré de 1 m. 60 de long
et de 0 m. 90 de large, recouvert avec d'autres pierres.
Dans l'un d'eux, ouvert accidentellement à Uwisla (dis-
trict d'Husiatyn, au-dessus de Kam-Pod.), les deux blocs plats
de grès calcaire miocène qui lui servaient de couvercle, enle-
vés, on rencontra de la terre noire argileuse. Englobés dans
cette masse, se trouvaient, étendus sur le fond à 65 centimètres,
les jambes repliées, un squelette avec un couteau de silex dans
l'une des mains ramenées sur le ventre, des fragments de
pièces ornées en os, agrafes de ceinture et un petit vase à
côté de lui à gauche. A ses pieds, réunis en tas, se trouvaient
les restes de deux autres squelettes, sur lesquels étaient cou-
chés deux pots d'argile pure, rougeàtre et peu cuite, comme
le précédent. Ces deux squelettes, a-t-on supposé, devaient
être des serviteurs esclaves ou prisonniers du mort. J'admet-
trais plus volontiers, d'après d'autres faits plus clairs et ce qui
se faisait dans les sépultures dolméniques, que ce sont tout
simplement les premiers occupants du tombeau, dont on a
ramassé successivement les restes pour enterrer le mort
étendu. A Rakowkat, dans le même district, l'entourage en
-pierres fait défaut, sans doute, on peut le présumer, en rai-
son de la difficulté de se procurer des dalles dans un pays sans
accident et où ne se trouve presque pas de ravinement pro-
fond. L'un des tombeaux de cette localité, découvert aussi
accidentellement comme toujours, renfermait, aveclesquelette,
une hache-marteau avec trou d'emmanchement ou casse-tête
en pierre soigneusement polie et d'une forme qui nous est bien
familière, et une hache en silex, également bien polie, plate,
équarrie, de 10:2 millimètres de long, de 70 millimètres de
large au tranchant et de 40 millimètres du côté du manche et
d'une épaisseur maxima de 1" millimètres seulement, d'est
bien la, je crois, le type dominant dans le nord, en Danemark,
132 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
Un tombeau-caisse fouillé plus récemment clans le district
de Kamieniec Podolski, a donné à M. Pulawski un squelette
dont le crâne est d'une pureté de forme remarquable avec
trois morceaux de silex (Zbior, XIX). .
Un tel genre de tombeaux nous est bien familièrement connu.
C'est celui de toutes les nécropoles protohistoriques du Cau-
case en particulier. (D'autres où les dalles sont remplacées
par des blocs en muraille sont identiques à ceux de nos tumu-
Ius de l'époque du fer.) Mais au Caucase où l'existence d'un
âge de pierre n'est attestée que par de très rares objets, on n'a
pas trouvé un seul de ces tombeaux dont l'ancienneté fût cer-
taine, pas un seul au moins qui fût antérieur à un premier
âge du fer encore à dater exactement. Il est donc évident que
ce n'est pas du Caucase que leur usage a pu être introduit en
Podolie. Et si l'identité frappante qui les unit ne peut s'expli-
quer que par les rapports d'origine de ceux qui les ont cons-
truits, il faut admettre que certains de leurs constructeurs des
bords de la mer Noire ont émigré au Caucase. Leur droit de
priorité n'est pas discutable. J'aurai, d'ailleurs, bien d'autres
preuves à citer d'une telle émigration. Qu'on veuille ne pas
oublier que la montagne, lieu de refuge pour les peuples, est
aussi l'abri ordinaire des vieilles mœurs. Ce n'est pas d'elle
que viennent les changements dans l'outillage industriel et les
coutumes. Elle est au contraire la dernière à les accepter.
J'ajoute, que si les tombeaux-caisses datent de l'époque néo-
lithique sur le Dniestre, ils y étaient encore en usage après
l'introduction du fer. Furent-ils particuliers à cette région
jusqu'à l'époque du fer? Cela serait assez extraordinaire, car
ce n'est pas dans ce pays de plaine qu'on a pu inventer des
monuments qui sont des réductions d'ailleurs modestes, de
dolmens souterrains. Peut-on alors en suivre la trace jusqu'aux
régions où les monuments sépulcraux en blocs massifs étaient
en usage à l'époque néolithique? Il en a été signalé en Tran-
sylvanie. Dans le comté d'Udvarhely, notamment (C. r. du
congrès de Buda-Pesth, 1878, II, p. 112), des encaissements
formés de grandes dalles de trachyte se rencontrent groupés
ZABÙROWSKI. — DU DNIESTRE A LA CASPIENNE 433
par deux ou trois, -mais sans tumulus; et, d'après les rensei-
gnements d'ailleurs assez vagues qui ont été publiés, ils ne
renferment que des cendres, des morceaux de charbon, quel-
ques pièces de silex taillés, du quartz, des restes de poteries
grossières. Ils sont anciens, on peut le croire, mais d'une épo-
que où l'incinération des morts était pratiquée. Il est donc
difficile d'affirmer leur antériorité sur les tombeaux-caisses
néolithiques de la Podolie. De sorte qu'il faut encore se tour-
ner du côté de la Baltique pour retrouver le point de départ
de ce genre de tombeaux.
En 1873, près de Kowal, au sud-est de Brzest-Kujawski
(Nouvelles archéologiques, III, 187G, p. 80), on a découvert une
sorte d'allée enterrée d'une soixantaine de mètres de long, au
bout de laquelle se trouvait un petit dolmen formé d'une
grande dalle posée sur deux blocs de champ. Entre ses parois
gisait un squelette, en partie brûlé, avec un vase, mais rien
autre.
En 1890, M. Samokvassof a eu la bonne fortune de décou-
vrir à Nowy-Dwor, au nord-ouest de Varsovie, un monument
d'un caractère plus significatif. C'est un grand tombeau-caisse
qui contenait huit squelettes. A côté de ceux-ci se trouvaient
des objets en pierre polie, des agrafes de ceinture en os et
quelques dizaines de perles et autres ornements en ambre. Non
seulement ici le tombeau est identique à ceux du Dniestre,
mais nous y trouvons les mêmes objets. Ces agrafes de
ceinture en os, nous venons de les voir dans un tombeau
d'Uwisla. Et on en a trouvé dans un autre tombeau du même
pays (Tcharnokontsy, Ossowski, 1801.
Le synchronisme du monument de Nowy-Dwor avec les
tombeaux-caisses de la Podolie me semble par là même dé-
montré. Sur la Vistule, après l'introduction des métaux, ces
tombeaux sont restés en usage et même seuls en usage, sous
tumulus de pierres et sans tumulus.
Le rite de l'incinération cependant s'était complètement
substitué à celui de l'inhumation. Et ils ne renfermaient que
des urnes. Sur le Dniestre, ils sont aussi restés en usage jus-
13-4 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
qu'à l'introduction du fer. Mais ceux qui les ont élevés sont
restés fidèles au rite de l'inhumation, tout en connaissant et
en pratiquant peut-être aussi en de certains cas le rite de l'in-
cinération. Dans une certaine zone, ils ont été employés con-
curremment avec les kourganes. Je ne connais pas de raison
de les séparer de ceux-ci. Je veux dire qu'ils me paraissent
Jus à des peuples de même origine et de mêmes mœurs habi-
tant des localités différentes et ne disposant pas partout des
mêmes matériaux ou voulant donner plus ou moins de solen-
nité aux cérémonies funéraires. Peut-être, cependant, démon-
trera-t-on par la suite que ceux qui ont élevé les kourganes,
au lieu de descendre de la Baltique, après avoir pénétré sur la
Vistule par la Moravie, se sont portés du Danube vers les plai-
nes de la mer Noire par le sud-est des Balkans. Cela ne chan-
gera pas grand'chose aux conclusions qu'il est dès mainte-
nant possible de formuler. Car, dans les kourganes comme
dans les tombeaux-caisses de la pierre, on constate non seule-
ment la même industrie, les mêmes mœurs, mais la même
race.
» *
11 y a déjà bien des années, j'ai signalé le trait dominant de
cette race, d'après le savant Kopernicki à qui revient l'hon-
neur de l'avoir le premier fait connaître en termes très précis.
Dans ma récente communication à propos de crânes de
Rochefort, j'ai reproduit les mesures de deux crânes de la
Wolhynie (Bullet. 1894, p. 45) et les indices de la petite
série, que l'on possède de la même provenance et de la
même époque. Je suis un peu obligé d'y revenir pour don-
ner les mesures des crânes que j'ai d'abord laissés de côté.
Quatre sur sept proviennent des Kourganes de Radzimin dont
un à caisse de pierres (V. plus haut). Voici tous leurs indices :
70,9 — 64,2 — 72 — 71,6 — 71,2 — 73,8 — 73. Moyenne :
70,95. Ce sont des dolichocéphales très purs avec des diamè-
tres antéro-postérieurs qui s'élèvent à 193 et à 204 millimètres.
Sauf sur un, l'indice nasal n'est pas très élevé; l'indice orbi-
taire non plus, sauf sur deux (87,5 — 85,36). Ils sont en
ZABOROWSKI.
DU DNIESTRE A LA CASPIENNE
13;
moyenne leptorhintens et microsèmes, bien que comprenant
un platyrhinien et deux mésosèmes. Leurs circonférences
horizontales sont les suivantes : 540, 526, 520, 535, 510, 520,
550.
En 1888, près de Kaminiec-Padolski (V. plus haut), plu-
sieurs squelettes ont été découverts avec des poteries et
des silex. Le crâne de l'un d'eux qu'accompagnaient seule-
ment trois silex, non taillés, a été mesuré. Son indice cépha-
lique est de 68. Et il a frappé par ses formes nobles, délicate*
sans rudesses sauvages (Kopernicki), bien que le squelette révèle
« une musculature athlétique. »
Voici d'autres mesures de crânes et de squelettes dont je
n'avais pas encore eu occasion de parler; ce sont ceux des
kourganes ukrainiens de Kobrynow, kourganes de l'âge de
pierre à tombes d'argile battue, recouvertes de madriers. J'y
joins un crâne d'un kourgane de Stanislawka (district de
Wasylkowski), mais dont l'âge est incertain, aucun objet
n'ayant été trouvé avec lui (Zbior, XIII, 1). Ces mesures ont
été prises par un élève de Kopernicki, le D'Hryncewicz.
Nos des Tombeaux
N«2 3 7 1-2 Koui-gano
fommo femme jeune homme femmo do Stanislawka.
Diamètre ant.-post.
Largeur maxim . .
Diam. front, min.
— maxim.
Circonfér. horizon t.
Long1- de la face. .
Largeur maxim. (?)
Hautr des orbites.
Larg. des orbites.
Hauteur du nez . .
Mandibule :
Long1 du corps (?)
185
179
193
217
202
130
132
131
139
148
96
104
98
99
107
112
104
—
500
524
524
ob;j
117
—
—
—
107
—
—
—
30
—
—
—
38
—
—
—
44
—
—
_ .
86 90
84
91
136 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 4893
N«2 3 7 12 Kourgano
femme femme jeune homme femme de Slanisiawka.
Larg1' du corps (?)
Haut, de la branche.
Largeur
Os loni/s :
27
31
30
34
56
57
63
—
37
— -
33
41
31
30
30
45
—
44
—
36.5
—
34.5
—
Long'del'humérus. 31 30 30 33
— du fémur . . 45 44 47
— du tibia . . .
rl.k
Indice céphalique . . 70,27 73.74 67,87 64, 06
— stéphanique. 89,71 92,85 94,25 —
— orbitaire. . . 78,95 —
Les tailles de trois de ces sujets, d'après les longueurs de
l'humérus et du tibia (car je ne sais pas comment les fémurs
ont été mesurés), seraient de 1,575, 1,57 et 1,62. Ce sont des
tailles petites : mais il s'agit de deux femmes et d'un jeune
homme. En raison de cette différence de sexe, ils ne peuvent
être comparés aux hommes de Wolhynie. Mais cependant ils
ont bien absolument les mêmes caractères ethniques. Ils sont,
en particulier, très dolichocéphales, puisque leur indice cé-
phalique moyen descend à 68,98, autant par leur longueur
absolue et relative que par le quasi-parallélisme de leurs pa-
rois latérales.
Us nous aident ainsi à caractériser mieux qu'on ne l'avait
fait jusqu'alors la race des sépultures purement néolithiques
des plaine? du nord-ouest de la mer Noire. C'est une race très
pure, aux caractères céphaliques tranchés. On n'a pas, en
effet, trouvé un seul crâne dans les sépultures de la pierre,
complets ou non, mesurables et mesurés ou non, qui n'ait
frappé les observateurs quels qu'ils fussent, par sa dissem-
blance d'avec les crânes modernes sous le rapport de ses di-
mensions dans le sens antéro-postérieur et de sa forme géné-
rale. N'est-ce pas là une preuve certaine, indiscutable, de
l'ancienneté de cette race? Je ne suis malheureusement pas
ZABOROWSKI. — DU DNIESTRE A LA CASPIEXNE 437
en mesure d'affirmer que les crânes néolithiques de la Bal-
tique en font partie.
Kopernicki l'a rapprochée de celle des Reihengrœber, des
Francs-Germains, et c'est aussi ce que j'ai fait d'après lui.
Mais, aujourd'hui, de nouvelles distinctions s'imposent et on
ne peut plus s'en tenir à ce rapprochement trop sommaire.
Nous avons, en effet, d'abord réuni des pièces d'âges diffé-
rents, à cause de leur petit nombre et de l'indétermination
des monuments où ils avaient été trouvés. Et Kopernicki se
bornait souvent à distinguer les crânes préhistoriques des
modernes, en faisant des premiers un seul groupe, en raison
de leur caractère dominant. Mais, lorsqu'un sépare nettement
les néolithiques, un autre type se dégage. Tenant compte
des quatre crânes féminins des Kourganes Ukrainiens de
Kobrynowo , du crâne de Kamieniec Podolski, d'un des
crânes podoliens dont j'ai donné le tableau {Bullet. 1894, p. 46)
du n° 16 provenant d'un tombeau-caisse ne contenant que de
l'os et du silex, nous obtenons une série de treize pièces néoli-
thiques pures de diverses provenances. C'est suffisant pour
juger de la race néolithique des kourganes et tombeaux-
caisses. Or, cette série assemblée au hasard des découvertes,
est remarquablement homogène, et se distingue par des carac-
tères communs bien nets.
Il me semble bien que ces crânes ont une physionomie plus
archaïque et plus noble que celle des crânes franco-germains.
Ils ont le front presque droit généralement. Et le diamètre
frontal de deux d'entre eux atteint 102 millim. Ils sont en
moyenne leptorhiniens et microsèmes. Et la seule face mesu-
rée, face d'un crâne féminin, est longue et peu large.
Je crois donc, pour mon compte, reconnaître en eux ce que
Broca a appelé la race néolithique du nord de la France. 11 les
distinguait par sa dolichocéphalie très forte, la belle courbure
d'un front non fuyant et la saillie prononcée de l'occipital en
arrière {Bullet. 1887, p. 256). Elle se signale encore par sa
belle capacité crânienne. Or, tous ces caractères, ce sont ceux
des crânes néolithiques de Wolhinie et d'Ukraine. Devant
T. VI (4° SÉÏUEJ. 10
138 SÉANCE DU 21 FÉVRIER 1895
eux, nous sommes manifestement en présence du fond ancien,
du fond commun des peuples Galates ou Kymriques.
Nous avons affaire à des blonds, à l'unique race blonde
ayant existé avant les mélanges et entrecroisements récents,
dont un crâne a été recueilli, il y a bien longtemps, au nord
des Carpathes, dans une couche néolithique de la caverne du
Mammouth, près de Cracovie.
Elle est européenne essentiellement. Et son aire de forma-
tion, son aire géographique naturelle, puisque c'est de là et de
nulle part ailleurs que sont sortis les flots des peuples blonds,
ce sont les plaines coupées de forets immenses, de sable ou de
marais qui s'étendent de la mer du Nord jusqu'au-delà du
Dniepre, de la Baltique au Rhin, et aux plaines du Danube.
Il faut donc, jusqu'à nouvel ordre au moins, renoncer à dire
que différents peuples préhistoriques, Celtes ou autres, se
sont introduits en Europe en contournant la mer Noire. Les
monuments de l'âge de pierre n'ont pas livré une seule trace
de tels peuples, ni d'aucun peuple asiatique. Au reste, les
bords immédiats actuels de la mer Noire et notamment les
bouches du Danube, devaient être bien peu praticables jusqu'à
une époque récente. Notre belle race néolithique blonde a dû
trouver la place à peu près libre jusqu'au nord du Caucase.
Et toutes les légendes conservées par l'histoire sur les Kymris
nous apprennent qu'elle s'y est développée vigoureusement et
qu'elle a manifesté sa présence avec énergie par des entreprises
multipliées sur les régions environnantes et notamment en
Asie. N'est-ce pas d'elle, au surplus, que sont sortis très an-
ciennement les Thraces, puis les Hellènes?
Aussitôt, d'ailleurs, qu'apparaissent les métaux, sur le
Dniestre même, elle perd immédiatement de sa pureté.
L'un des secrétaires : Dr Paul Raymond.
->=*3»CX£>Ot»e^<-
OUVRAGES OFRERTS 139
617e SEANCE. — 7 Mars 1895.
Présidence de M. Issauiut.
OUVRAGES OFFERTS.
Guyot (Yves). — La propriété, origine et évolution. Réfutation
de la thèse de M. Paul Lafargue, in-8°, 530 pages. Paris, 1895.
Lagnuau (G.). — Influence du milieu sur la race, modifications
mésologiques des caractères ethniques de notre population. ('Extr.
du C. R. de VAcad. des se. morales et politiques), in-8, 56 pages.
Paris, 1895.
Hommage à M. le prof. Guido Cora pour son xxve anniversaire
géographique, in-4°, 51 pages. Turin, 1895.
Sébillot (Paul). — Er xé près Liffré, et le château du Rordage,
in-8, 90 pages et fîg. Vannes, 1895.
M. Sébillot. — J'ai l'honneur d'offrir a la Société la mono-
graphie d'Ercé près Liffré, et du château du Bordage. Cette
commune d'Ercé est tout à fait rurale, et située en dehors des
grandes voies de communication. J'ai pu en reconstituer l'his-
toire à l'aide des archives de la commune qui remontent à
1568, des archives du château du Bordage qui sont en ma
possession, et aussi à l'aide de témoignages oraux. Cette bro-
chure contient un peu de préhistorique. J'y ai donné le mou-
vement de la population de 1543 à 1890, avec certains détails
sur la marche des épidémies; il y a aussi un chapitre assez
important pour l'histoire du protestantisme en Bretagne.
L'église du Bordage a été l'une des plus considérables de la
Haute-Bretagne, bien qu'elle n'ait jamais compté plus de
100 membres dans la commune d'Ercé. Les protestants d'Ercé
étaient plus instruits que les autres habitants, presque tous
signent leur abjuration avec une bonne écriture. D'ailleurs,
on ne relève parmi eux qu'un très petit nombre de labou-
reurs; en revanche, on y voit (igurer un certain nombre de
140 SÉANCE DU 7 MARS 1895
gens de métiers, et de personnes de petite et de moyenne
noblesse.
Regnault (Dr F.). — Les Microcéphales in Le Naturaliste du
1er mars 1895.
M. Regnault en offrant cet article sur les microcéphales s'é-
lève à ce propos contre l'opinion soutenue dernièrement par
M. Laborde et plus anciennement par Cari Vogt qui consis-
terait à regarder ces sujets comme représentant un stade de
régression simien.
Les médecins considèrent cet état comme dû a une cause
pathologique; et, en effet, les microcéphales offrent générale-
ment de nombreux signes de maladie; ils sont gâteux, ont de
l'incontinence d'urine, d'autres fois sont paralysés à des
degrés divers.
Leur intelligence est plus bornée que celle des singes, car
ils ne reconnaissent même pas leur gardien et ne peuvent
manger d'eux-mêmes.
S'il fallait faire un rapprochement, on pourrait, à plus juste
titre, comparer au singe anthropomorphe, l'enfant sauvage
de l'Aveyron recueilli, au commencement de ce siècle, par
Itard, car avec une intelligence rudimentaire, il avait un ins-
tinct assez développé pour subvenir à sa nourriture, bien qu'il
fût abandonné en pleine forêt. Mais les différences sont ici
encore trop nombreuses pour pousser plus loin la compa-
raison.
Nous avons examiné au point de vue du développement,
les crânes osseux des microcéphales conservés dans nos
musées. Nous n'avons jamais rien observé de spécial. Nous
avions, dans un travail antérieur, noté que chez le gorille et le
chimpanzé, le frontal et le maxillaire supérieur se rejoignaient
séparant l'os lacrimal de l'os planum de l'ethmoïde, et que
cette disposition existait atténuée chez l'homme inférieur. Il
est intéressant de constater qu'elle ne s'offre aucunement chez
les microcéphales : la suture, lacrimo-etlimoïdale y est cons-
tante et aussi développée que chez le blanc. Il en est de même
de la suture pterygoïde.
OUVRAGES OFFERTS 141
•D'ailleurs, le cerveau du microcéphale offre-t-il toujours un
arrêt de développement. Broca lui-même, a montré (Voir
Mémoires sur l'indice or bitaire, 1875) que «le microcéphale ne
constituait pas toujours un arrêt de développement, car leurs
cerveaux présentent des dispositions très diverses qui sou-
vent ne peuvent se rattacher à aucune phase du développe-
ment normal ».
Ajoutons que des causes pathologiques peuvent en certains
cas amener un arrêt de développement du cerveau sans mi-
crocéphalie, comme M. Bourneville en a publié dernièrement
un exemple (Voir Progrès médical, mars 1893).
Discussion.
MM. Manouvrier, Deniker, Hervé et Sanson, font des remar-
ques à ce sujet.
Don de M. E.-A. Martel :
Gaupillat (Gabriel). — Les gorges et ponts naturels de l' Argens,
de la Stagne et du Loup (Var et Alpes-Maritimes) (Extr. de
Y Annuaire du Club alpin français, 1893), in-8, 12 pages et fig.
Paris, 1895.
Martel (E.-A.). — La spelœologie (Ext. des C. R. de Vassoc.
française, Besançon, 1893), in-8°, 8 pages. Paris, 1893.
Martel (E.-A.). — La rivière souterraine de Bramabiau
(Gard) (Ext. du Bull, de la Soc. de Géographie, 1895), in-8°,
27 pages, fig. et plans. Paris, 1893.
Martel (E.-A). — Sous terre, cinquième campagne. Recherches
dans le Lot en 1892 et 1893 (Ext. du Bul. de la Soc. scient., his-
tor. et archéologique de la Corrèze), in-8°, 42 pages et plans.
Brive, 1893.
Martel (E.-A.). — Sous terre, sixième campagne, 1893 (Ext.
de Y Annuaire du Club alpin français, 1893), in-8, 23 pages et
fig. Paris, 1894.
Martel (E.-A.). — Sur la température des Cavernes (Ext. des
C. H. de CAcad. des sciences), in-4°, 3 pages. 1894.
Martel et Gaupillat. — C. B. sommaire de la cinquième com-
142 SÉANCE DU 7 MARS 1895
pagne souterraine, 1892 (Ext. des C. iî. rfe /« Soc. de géographie
de Paris, 1892), in-8, 13 pages. Brive.
Martel et Gaupillat. — Sous terre, cinquième campagne, 1893
(Ext. de Y Annuaire du Club alpin français, 1892), in-8, 39 pages,
fig. et plans. Paris, 1893.
Martel (E.-A.) et Rivière (E.). — Sur la caverne de Broun-
doulaou (Aveyron) (Ext. des C. R. de VAcad. des sciences), in- 4°,
4 pages. Paris, 1893.
périodiques (articles à signaler).
L'Anthropologie, 1895, n° 1 . — De Baye : Notes sur l'âge de la
pierre en Ukraine; — S. Reinach : La sculpture en Europe
avant les influences gréco-romaines (suite) ; — Glaumont : De
l'art du potier déterre chez les Néo- Calédoniens; — Liotard ;
Les races de l'Ogooué.
L'Éducation intégrale, 1er mars 1895. — Ch. Delon : La coé-
ducation des deux sexes, en France et à l'Étranger.
Revue scientifique, 1895, n"s 8 et 9. — Fr. Paulhan : L'écri-
ture et le caractère; — R. Chandos : La Finlande.
Anliqvarisk tidskrift fur Sverige. Del. 13, n" 1. — Oscar
Montelius : Orienten och Europa.
Mémoires de la Société Finno-ovgrienne, VI. — Axel Heikel :
Antiquités de la Sibérie occidentale.
The amer ican antiquarian, 1895, n° 1. — St. D. Peet : Com-
parison of the efligy-builders with the modem lndians.
Royal Irishacademy (Cunningham memoirs), n°N. — A. -G. Ilad-
don : The Décorative art of bristish New Guinea.
DÉLÉGATION.
M. Magitot lit une lettre de M. Charles Bonn, vice -résident
en Indo-Chine, qui part en mission et demande des indications
pour ses études.
MM. Zarorowski et Bonnemère appuient la demande de
INFLUENCE DES MILIEUX SUR LA RAGE 143
M. Bonn et M. Sâlmon propose de lui donner en outre une
délégation.
Cette proposition est adoptée.
M. Regnault demande que l'on offre des instructions aux
résidents et fonctionnaires des Colonies.
COMMUNICATIONS.
M. Gustave Lagneau offre a la Société un mémoire intitulé :
Influence des milieux sur la race. Modifications mésologiques des
caractères ethniques de notre population. Dans ce mémoire inséré
dans les comptes-rendus de l'Académie des Sciences morales,
après avoir rappelé la caractéristique ethnique et la réparti-
tion topographique des trois principales races aquitanique,
celtique et germanique qui ont concouru à la formation de
notre population, M. Lagneau cherche à apprécier leurs modi-
difications mésologiques, principalement d'après les statisti-
ques des médecins militaires.
De même que, pour les animaux domestiques, certains
milieux, en agissant principalement sur la nutrition, sans
modifier l'ensemble des caractères ethniques de l'homme,
favorisent ou entravent son développement, fortifient ou
affaiblissent sa constitution.
De nombreux médecins, principalement ceux de l'armée,
appelés à examiner lors du recrutement un grand nombre de
jeunes gens, ont signalé les arrêts du développement, en par-
ticulier l'abaissement de la taille, l'affaiblissement de la cons-
titution et diverses altérations pathologiques qui peuvent être
attribuées à l'action nocive de différents milieux.
Misère. — L'alimentation même grossière, lorsqu'elle est
suffisante, le travail lorsqu'il n'est pas excessif, n'empêchent
nullement le développement corporel. Souvent le paysan mal
nourri est plus vigoureux que le riche oisif, ne mangeant que
des mets succulents. Mais certaines conditions topographiques,
alimentaires, professionnelles ou sociales amènent l'homme h
un état de misère physiologique par l'insuffisance des recettes
144 séance du 7 mahs 1895
par rapport aux dépenses organiques, par l'infériorité des
fondions d'assimilation par rapport à celles de désassimi-
Iation, par l'insuffisance de l'alimentation par rapport à la dé-
perdition due à des fatigues excessives, par l'insalubrité des
métiers s'opposant au libre et complet fonctionnement des
organes.
Cette misère de l'organisme paraît tenir à trois causes prin-
cipales, la stérilité du sol, l'action morbigène de certaines loca-
lités, et le travail excessif ou anti-hygiénique.
Stérilité du sol. — Le développement du corps se ralentit ou
s'arrête dans les pays au sol stérile ou peu fertile, où vu l'ab-
sence des moyens de transport et l'insuffisance des moyens
d'échange, les habitants ne peuvent se procurer que diffici-
lement des substances alimentaires défectueuses et insuffi-
santes.
Il en est ainsi dans certaines régions, souvent peu étendues,
formées principalement de terrains primitifs, disposés en pla-
teaux arides, en montagnes escarpées, comme en Bretagne,
au centre de la France, en Corse, où les habitants ne vivent
que de maigres récoltes de seigle, de sarrazin, de châtaignes.
AU/tude. — Quoique souvent montagneuses, ces régions
doivent à leur stérilité relative et non à leur altitude, leur
action restrictive sur la taille des habitants. Car dans certai-
nes montagnes moins stériles les habitants atteignent une
taille élevée. En Auvergne, en particulier au Mont-d'Or, dans
la Haute-Savoie, en Maurienne, on voit des hommes de haute
taille. La seule influence que semble avoir l'altitude est de
favoriser la dilatation pulmonaire et le développement thora-
cique.
Pays à fièvres. — Dans certaines régions, l'organisme, atteint
par des endémies locales, reste chétif et insuffisamment déve-
loppé.
En Sologne, dans les Brandes de la Brème, vastes plaines
marécageuses du département de l'Indre, dans les Bombes de
celui de l'Ain, dans certains cantons marécageux du littoral
de la Corse, divers pays a fièvres intermittentes, non seule-
INFLUENCE DES MILIEUX SUR LA RACE 145
ment la mortalité infantile est considérable, mais la constitu-
tion est étiolée, usée par le paludisme; la taille non seulement
est retardée, mais s'arrête dans son évolution.
Pays à goitres. — Dans certaines vallées des Alpes, du Jura,
des Pyrénées, où sévissent Je goitre et le crétinisme de nom-
breux habitants se trouvent arrêtés dans leur développement
et présentent la dégradation organique la plus affligeante. Il
en est ainsi au Bourg-d'Oisans, dans le département de l'Isère ;
àEvian, à St-Gervais, en Savoie; au Mont-Dauphin, à la Val-
louise, dans les Hautes-Alpes.
Souvent l'état misérable des jeunes gens tient à un travail
excessif ou anti-hygiènique. Autant les exercices physiques,
pratiqués modérément en plein air, sont favorables au déve-
loppement des enfants de troupes des écoles de Montreuil-sur-
Mer, de St-Hippolyte, et des jeunes soldats de l'école de gym-
nastique de Joinville-le-Pont, autant les efforts exagérés, les
travaux trop rudes, trop prolongés, sont préjudiciables.
Efforts exagérés. — Dans l'arrondissement de Vouziers, dans
le département de la Haute-Loire, dans le Boccage et le Marais
du département de la Vendée, la fréquence des hernies a été
attribuée aux efforts exigés par certaines professions de char-
rons, de scieurs de long, de boulangers, aux travaux pénibles,
trop prématurément imposés, aux efforts faits pour franchir
des talus, des canaux, etc.
Des efforts d'accommodation de la vue, souvent avec un éclai-
rage insuffisant, déterminent la myopie, si fréquente chez les
horlogers des montagnes du département du Doubs, chez nos
lycéens, surtout chez nos élèves des écoles supérieures.
Travaux industriels. — De nombreux travaux industriels
mettent l'organisme dans les conditions biologiques les plus
fâcheuses, retardent ou arrêtent le développement du corps.
Tels sont beaucoup de travaux, qui, trop souvent, durant de
longues heures, dans leconfinementde la chambre, dans l'hu-
mide obscurité de la mine, dans l'encombrement ou leméphi-
tisme de l'usine, de l'atelier, de la fabrique, de la manufac-
146 SÉANCE DU 7 MARS 1895
ture, imposent aux ouvriers une fatigue exagérée de certains
organes, jointe à l'inertie complète des autres.
Travaux des mines. — Dans les départements du Nord, du
Pas-de-Calais, de la Nièvre, les mineurs présentent de très
nombreux exemptés ou ajournés pour défaut de taille.
Travaux de fabriques. — Dans la plupart des localités indus-
trielles, indépendamment d'une haute mortalité infantile, on
constate que les habitants sont chétifs, malingres, qu'ils n'at-
teignent que tardivement une taille généralement peu élevée.
Il en est ainsi pour les peigneurs, tisseurs, fileurs et autres
ouvriers travaillant la soie, la laine, lecoton, etc.,deNarbonne,
Garcassonne, Lyon, Mulhouse, Nantes, Reims, Condé-sur-
Noireau, Lisieux, Elbeuf, Rouen, Lille, Roubaix, etc., etc.
Sédentarité industrielle. — Indépendamment des fâcheuses
conditions spéciales et inhérentes à telle ou telle industrie, le
travail de fabrique, de manufacture, en général, est d'autant
plus nuisible qu'il astreint l'ouvrier à une vie plus sédentaire,
dans un air insuffisamment renouvelé. Aussi, lorsqu'à une
alimentation trop souvent défectueuse ou insuffisante, vient
se joindre cette sédentarité, cette vie privée d'air et de soleil,
l'organisme languit, s'étiole, s'anémie et ne prend que tardi-
vement et incomplètement le développement, la taille que lui
assigne son type ethnique. Parfois le tronc se développe
plus que les membres inférieurs. L'individu reste courtaud,
basset.
Sédentarité scolaire. — Chez les jeunes gens de position plus
aisée, qui sont mieux nourris, entourés de plus de soins, la
vie trop sédentaire du lycée est également fort préjudiciable,
mais agit un peu différemment. Chez eux souvent la taille
présente un accroissement à peu près normal, bien que la
gracilité, la faible musculature, l'étroitesse de la poitrine témoi-
gnent d'un développement imparfait. Quoiqu'ayant une taille
suffisante, bon nombre des élèves des écoles supérieures, en
particulier de l'école militaire de St-Cyr, ont un périmètre tho-
racique insuffisant, indice de faiblesse de l'appareil respira-
toire.
INFLUENCE DES MILIEUX SUR LA RACE 147
Habitat urbain. — Dans les villes, le plus souvent l'atteinte
portée au développement physique des habitants peut être
attribuée a la misère, au travail excessif, à la vie trop séden-
taire, soit de l'atelier, soit des écoles et des bureaux. Il est toute-
fois juste de remarquer qu'indépendamment de ces fâcheuses
conditions biologiques, le fait même de l'agglomération urbaine,
de l'encombrement humain dans des rues étroites, des mai-
sons élevées, créent pour les citadins une situation anti-hygié-
nique, et facilite la propagation de nombreuses maladies trans-
missibles, variole, fièvre typhoïde, diphtérie, tuberculose,
dernière maladie qui, a Paris, détermine plus d'un cinquième
des décès (12,267 sur 55,469 décès généraux en 1893).
Quoiqu'ayant en général une alimentation plus animalisée
que les campagnards, les citadins n'ont qu'une taille égale ou
de très peu supérieure. Toutefois leur taille moyenne est nota-
blement moins grande dans les quartiers pauvres que dans
les quartiers riches. À Paris, dans le xxe arrondissement, celui
de Ménilmontant, la taille moyenne est de lm657 alors qu'elle
s'élève à lm660 dans le vme, celui de l'Elysée.
L'habitat urbain, qui accroît la morbidité et la mortalité, à
tel point que les citadins ne peuvent se perpétuer au-delà de
quelques générations qu'en s'unissant à des immigrés, paraît
exercer une sorte de sélection intellectuelle. Le volume de la
tète et la capacité crânienne semblent plus élevés dans les vil-
les que dans les campagnes.
Discussion.
M. R. Collignon. — Je partage absolument, et j'ai eu déjà
l'occasion de m'expliquer sur ce point devant la Société, la
manière devoir de M. Lagneau en ce qui concerne les relations
de la taille tant avec la race qu'avec le milieu. Aussi, n'ai-je,
en prenant la parole, d'autre intention que d'apporter quel-
ques observations personnelles sur un point de détail.
Si, d'une manière générale, il est exact que les populations
montagnardes soient plus petites que celles qui habitent les
148 SÉANCE DU 7 MARS 1895
plaines, ce qui, dans un certain cas, peut-être imputable à la
race et, dans d'autres, à la double influence de celle-ci et de la
pauvreté du sol, il n'en est pas moins vrai que, parfois, nous
pouvons observer le fait inverse, c'est-à-dire des populations
de haute taille et même de très haute taille dans la montagne,
alors que, dans les plaines voisines, la taille est peu élevée.
En Italie, ce phénomène a été signalé par M. Livi. Dans la
plaine, populations relativement grandes, puis de 200 à 900
mètres, une diminution constante de la taille et enfin un relè-
vement notable de celle-ci pour les régions situées à une
altitude supérieure à 900 mètres. Cette répartition singulière
reste encore à expliquer; s'agit-il d'un refoulement concentri-
que des populations primitives, et ce phénomène serait-il
analogue à celui que de Quatrefages a rendu classique en Océ-
anieetquipeut se résumer ainsi: du centre de l'iïeau littoral,
Négritos, Papous, Polynésiens. S'agit-il, au contraire, de phé-
nomènes purement mésologiques, et les altitudes moyennes
rabougrissent-elles la race par l'habitat dans des vallées encais-
sées et misérables, alors que la haute montagne entraînerait
une vie plus active, plus laborieuse, dans un air plus pur et
dans de meilleures conditions hygiéniques. Nous l'ignorons
encore et seules des recherches de détail nous l'apprendront.
En France, j'ai observé quelque chose d'absolument analo-
gue dans deux départements que j'ai étudiés récemment, les
Hautes et les Basses-Pyrénées. Les cantons situés dans la mon-
tagne sont ceux où la taille est la plus élevée et où les petites
tailles sont les plus rares.
Ce phénomène est extrêmement net. Prenez une carte d'é-
tat-major et relevez, tout le long de la frontière franco-espa-
gnole, la ligne des cantons qui bordent celle-ci. Chacun d'en-
tre eux se compose d'une vallée (vallée d'Ossau, vallée d'Aspe,
etc., etc.). C'est une sorte de petit pays dont trois côtés sont
limités par des crêtes de montagne et dont le quatrième s'ou-
vre sur la plaine proprement dite. Celle-ci se présente sous
l'aspect d'une région peu accidentée, mamelonnée et entière-
ment dominée par les montagnes voisines. Pendant tout le
INFLUENCE DES MILIEUX SUR LA RAGE 449
moyen-àge, ces petits pays, très justement nommés les vallées,
formaient des sortes d'Etats en miniature soumis à la suzerai-
neté des Etats voisins, mais possédant une certaine autonomie
locale, des coutumes, des droits et des privilèges spéciaux
dont certains subsistent encore. Telle ou peu s'en faut, est
encore la République d'Andorre.
Dans toutes .ces vallées donc, la taille est plus élevée que
dans les cantons limitrophes. Partout, sauf à Argelès1, la
taille moyenne dépasse 1 m. 64, elle va même jusqu'à atten-
dre 1 m. 673 à Vieille-Aure et 1 m. 685 à Bordères. Ce dernier
chiffre est le plus élevé que j'aie rencontré jusqu'ici en France.
Ni dans le Nord, ni dans le Pas-de-Calais, ni dans la Manche, je
n'ai trouvé plus de 1 m. 67 dans les moyennes. Le fait est d'au-
tant plus frappant que dans les plaines les moyennes cantonales
de taille oscillent autour de 1 m. 63 pour descendre même dans
la vallée de l'Adour à 1 m. 60 et 1 m. 61.
Doit-on, en ce cas, faire intervenir la race? Dans une partie
des cantons dont il s'agit, oui, incontestablement. Ce sont les
cantons basques. La race basque est grande, très grande même,
puisque aucun des cantons basques n'a moins, de 1 m. 652,
rien d'étonnant par conséquent, de voir dans les vallées eus-
kuuariennes des populations de haute stature; et encore doit-
on remarquer que, même là, les cantons de montagne se dis-
tinguent des cantons de plaine par un écart en plus de 1 cen-
timètre, 1 m. 66 contre 1 m. 65.
Dans le reste de la série des cantons dont je m'occupe, la
question est plus complexe. On ne saurait parler d'une influence
ethnique générale, car d'une vallée à l'autre la race change.
Peuplées depuis les temps les plus reculés par des réfugiés,
qu'ils y soient venus en nombre ou un à un, les vallées ont été
de véritables lieux d'asile où les vainqueurs de la veille vain-
cus à leur tour, se sont mêlés à leurs anciennes victimes; toutes
* Argelès est une sous préfecture et forcément renferme une po-
pulation immigrée dont la présence peut masquer toute autre in-
fluence.
150 SÉANCE DU 7 MARS 1895
les races de l'Europe s'y sont fondues en proportions variables,
aussi le type résultant y diffère-t-il de l'une à l'autre, sous
cette réserve cependant que les dolichocéphales bruns ont
presque partout la prédominance dans le mélange. Dans un
seul canton, celle-ci revient aux brachycéphales, et c'est
précisément dans le canton de Burdères qui associe un indice
céphalique de 84.5 à la taille exceptionnelle de 1 m. 685.
Nous sommes donc, de ce coté, en présence d'une inconnue
qu'il serait intéressant de dégager. S'agit-il du bien-être ou de
conditions hygiéniques favorables, telles que la vie au grand
air des populations pastorales? Je l'ignore, pourtant j'ai tra-
versé la plupart des villages situés dans ces cantons, au moins
dans le département des Basses-Pyrénées. En général et à ne
juger qu'au simpleaspect, ils m'ont paru plutôt pauvres etmal
bâtis, au moins à les comparera ceux de la plaine, mais c'est
une impression de touriste, et des recherches plus minutieu-
ses et plus fouillées s'imposeraient.
M. Sanson fait diverses remarques.
M. G. Lagneau. — Les observations que M. Collignon vient
d'exposer relativement aux populations spéciales, de taille
élevée, de certaines hautes vallées des Pyrénées, me paraissent
montrer à nouveau que l'altitude n'a aucune influence res-
trictive sur la taille, quand les conditious d'alimentation sont
suffisantes.
M. Sanson parait trouver que dans cette étude de l'in-
fluence du milieu sur la race, je n'ai pas tenu assez compte
des recherches faites sur les animaux domestiques ; et plu-
sieurs de nos collègues rappellent diverses expériences sur des
lapins, des mollusques, qui témoignent de la grande influence
que peuvent avoir des milieux différents sur le développe-
ment du corps. J'ai cependant (p. 20 et 25 de mon mémoire),
parlé des recherches zootechniques de M. Sanson. D'ailleurs,
je ferai remarquer que je ne me proposais nullement d'étu-
dier l'influence des milieux d'une manière générale; mais que
je ne cherchais qu'à déterminer l'influence que pouvaient avoir
les différents milieux, non pas surl'humanité en général, mais
INFLUENCE DES MILIEUX SUR LA RAGE 451
seulement sur la population de la France. De cette étude, il
ressort que, dans les conditions normales, la taille comme les
autres caractères ethniques, se transmet de génération en
génération. Mais que certains milieux alimentaires ou pro-
fessionnels, plaçant l'organisme dans de mauvaises conditions
biologiques, arrêtent ou retardent son développement.
M. Manouvrier. — L'influence du milieu sur la taille n'est
pas contestable et Broca ne l'a point contestée, bien qu'il attri-
buât à la race une influence prépondérante.
En général, l'influence de l'altitude apparaît nettement.
Plusieurs faits, relevés par M. Collignon, tendraient pourtant
à la rendre douteuse. Mais peut-être pourrait-on trouver la
cause de ces exceptions dans un examen particulier du genre
de vie et de l'alimentation des habitants de chacun des hauts-
pays étudiés. Il arrive, d'après M. Collignon, que la taille
baisse dans certains pays à mesure que croît l'altitude, puis
qu'elle se relève lorsqu'on monte à des altitudes supérieures,
au lieu de baisser davantage. Ce fait pourrait être dû à des
différences de race, mais il se pourrait aussi qu'il tînt à des
différences dans les ressources alimentaires. Il arrive, en effet,
que sur les sommets des montagnes, se trouvent des pâtu-
rages excellents, fournissant en abondance le lait avec ses
divers produits et même la viande, tandis qu'à une moindre
hauteur, les flancs ravinés des montagnes ne fournissent aux
habitants que de maigres récoltes péniblement obtenues.
M. Hervé rappelle les observations de M. Jules Carret sur
le relèvement considérable de la taille en Savoie depuis le com-
mencement du siècle.
M. Zaborowski. — Celte question de l'exhaussement de la
taille en Savoie qui a été tant discutée, je crois l'avoir, pour
mon compte, mise au point. Je reproduis les conclusions de
mon article (Revue scientifique, 3 sept. 1892) auxquelles je n'ai
encore rien à changer:
« Les différences constatées dans la taille des conscrits aux
deux époques de 1811-1812 et de 1872-1879 ne correspondent
pas à un exhaussement égal de la taille moyenne générale de la
152 SÉANCE DU 7 MARS 1895
population savoisienne. Celle-ci semble bien s'être élevée
quelque peu du fait de l'amélioration des conditions d'existence
et de l'élimination des fins misérables, formant autrefois au
moins 4 0/0 de la population totale. Ce changement, comme
phénomène général, a été, sans aucun doute, très faible. Mais
dans un certain nombre de communes, 39 seulement sur 327,
il a été, au contraire, énorme. Ces communes sont étroitement
en rapport avec les lignes de chemins de fer... L'exhausse-
ment de la taille en Savoie n'a donc ni l'importance que les
chiffres bruts ont paru révéler, ni la signification qu'on lui
attribue. Il coïncide d'une manière générale avec l'améliora-
tion des conditions d'existence déterminée par l'établissement
des chemins de fer. Mais le bien-être y est pour peu de chose,
car il est lui-même faible comme phénomène général. Son
amplitude dépend uniquement d'un petit nombre de communes, où
il a été beaucoup trop considérable pour qu'on puisse l'attri-
buer à une autre cause qu'à l'introduction d'éléments étran-
gers amenés par les chemins de fer, l'époque des t ruraux de
construction de ceux-ci coïncidant d'ailleurs remarquablement avec
les dates de ce changement, en la plupart des points » ''.
i Les conscrits de 1872 à 1879, d'après la taille desquels M. Car-
ret a opéré, sont nés de 1852 à 1859. Or, rien que pour le perce-
ment du mont Cenis, commencé en 1857, un grand nombre d'ou-
vriers étrangers ont été attirés, et se sont établis pen lant ces
années là, dans le canton de Modane. Le principal Ironçon de la
ligne de Chambéry à Modane, qui passe le long de l'Isère, de Mont-
mélian à Saint-Pierre- d'Albigny, et qui va de là, le long de l'Arc
jusqu'à Sainl-Jean-de-Maurienne, a été inauguré en 1856. Celui de
Saint-Jean-de-Maurienne à Saint-Michel, a été inauguré le 15 mars
1862... L'époque de tous les travaux des lignes de la vallée de
l'Isère en aval de l'Arc et de la vallée de l'Arc elle-même, corres-
pond parfaitement avec l'époque de la naissance des conscrits, dont
la taille énormément supérieure à li moyenne, accuse un exhaus-
sement absolument anormal. La commune où cet exhaussement a
été de plus de 10 centimètres est celle d'Argentine. Elle est située
sur la rive droite de l'Arc, en face de Saint-Alban. Il faudrait sa-
voir ce qui s'est passé dans cette commune pendant et depuis la
construction des chemins de fer, et notamment si sa population ne
s'est pas notablement accrue par immigration.
INFLUENCE DES MILIEUX SUR LA RACE 4o3
M. Manouvrier. — Les lignes de chemin de fer peuvent évi-
demment exercer une double influence sur la taille d'une
population, soit en introduisant dans le pays un certain nom-
bre d'individus étrangers de taille supérieure, soit en amélio-
rant les ressources alimentaires. Mais ce n'est pas au bout de
vingt ans que de telles influences peuvent produire, sur la
taille moyenne, un accroissement de plusieurs centimètres tel
que celui constaté en Savoie par M. Carret.
Si l'accroissement de la taille moyenne dans un pays datait
de l'époque même où l'on a construit dans ce pays des chemins
de fer, cela prouverait que l'accroissementen question est dû à
d'autres causes, car ce n'est pas dès l'année de sa construction
qu'une voie ferrée peut in Huer sur la taille moyenne des habi-
tants du pays.
M. G. de Mortillet. — On vient de dire que le Dr Jules Carret
a constaté une assez forte augmentation de la taille chez les
conscrits de la Savoie et l'on a attribué cette augmentation à
l'influence du bien-être occasionné par le fonctionnement des
chemins de fer. Je suis tout disposé à accepter le fait cons-
taté par M. Carret, mais je ne puis admettre la cause invo-
quée. En effet, le Dr Carret a publié ses Études sur les Savoyards,
en 1882. Le premier chemin de fer qui a existé en Savoie est
celui d'Aix-les-Bains à Saint-Jean-de-Maurienne, sa longueur
n'atteignait que 85 kilomètres et il n'a été ouvert qu'en 1856.
Il ne s'est donc écoulé que 26 ans entre la première action
du chemin de fer et la publication du travail du docteur.
C'est trop peu pour expliquer l'accroissement constaté.
Ce qui a occasionné la diminution de la taille normale des
Savoyards, c'est le grand développement que le goitre et le
crétinisme avaient pris dans les régions montagneuses, sur-
tout en Maurienne, vallée de l'Arc, et en Tarentaise, vallée de
l'Isère. Le gouvernement sarde, effrayé des progrès de ce dou-
ble fléau a nommé une commission pour rechercher les moyens
de le combattre. Cette commission a proposé diverses réfor-
mes hygiéniques qui ont produit les meilleurs résultats. Elle
s'est surtout élevée contre les mariages entre gens de même
T. VI (49 SÉRIE). 41
154 SÉANCE DU 7 MARS 1895
localité. Ces mariages où le mari et la femme apportant les
mêmes germes de dégénérescence procréaient des produits de
plus en plus viciés. Pour arriver au mélange des populations
la commission a recommandé le développement des moyens
de communication, c'est ainsi que les chemins de fer ont joué
un certain rôle : le dépaysement des employés, l'augmenta-
tion du nombre des foires et marchés, la multiplication et la
surveillance hygiénique des auberges et des cafés, enfin,
l'encouragement des vogues ou fêtes locales, avec musique et
danses, vogues capables d'attirer les jeunes gens et les jeunes
filles du rayon le plus grand possible. Ces sages dispositions
étaient si nécessaires et si bien comprises qu'elles ont été
signées par un savant prélat qui fut successivement évêque,
archevêque et cardinal, le cardinal Billet. Elles eurent le meil-
leur résultat. Le mal diminua peu à peu et la taille normale
des Savoyards regagna ce qu'elle avait perdu. C'est donc à
l'hygiène et aussi à la libre-pensée qu'il faut attribuer cet
heureux résultat.
L'influence cléricale a été très funeste en Savoie. Les curés,
protégés par le gouvernement, se considéraient comme les
pasteurs d'un troupeau. Ils mettaient un soin jaloux à ne pas
le voir s'amoindrir et maintenaient leurs paroissiens étroite-
ment groupés pour les conserver. D'autre part, l'introduction
de tout étranger était considérée comme dangereuse au point
de vue de l'influence morale. Auberges et cafés étaient con-
sidérés comme des lieux de perdition, on les supprimait, ou
tout au moins, on mettait de nombreux obstacles à leur
établissement. Ils devaient être fermés pendant les offices. Il
leur était défendu de servir gras les jours maigres. Combien
de fois, quand je faisais la Carte géologique de la Savoie, me
suis-je vu refuser dans les auberges toute viande, parce que
c'était vendredi ou samedi, vigile et jeune, quatre-temps, ou
carême. Il y avait bien une fête patronale, mais toute danse
était strictement interdite. C'était œuvre diabolique. Aussi le
goitre et le crétinisme faisaient de rapides progrès. C'est
contre ces abus qu'on a dû réagir pour arrêter le mal.
INFLUENCE DES MILIEUX SUR LA RACE 155
Ce qui prouve que* cette appréciation est bien fondée, c'est
que l'ancien duché de Savoie étant divisé en deux parties à
peu près égales comme surface, formant l'une le département
de la Savoie, l'autre le département de la Haute-Savoie, le
mal était surtout développé. dans la première, possédant un
archevêché et deux évèchés, exhubérance de clergé. Tandis
qu'il était infiniment moindre dans la Haute-Savoie qui n'a
qu'un seul évèché, et qui, par suite, était dans de meilleures
conditions de libre-pensée et par suite d'hygiène.
M. G. Lagneau. — A propos de l'accroissement considéra-
ble de la taille moyenne des habitants de la Savoie, l'amélio-
ration des conditions biologiques a dû contribuer à diminuer
le nombre des goitreux, des crétins et autres individus arrê-
tés dans leur développement. Mais peut-être aussi y a-t-il eu
quelque différence dans l'appréciation des causes d'exemp-
tion. Dans son étude sur le recrutement de la Haute-Savoie,
M. Longuet, qui paraît s'expliquer difficilement cet énorme
accroissement de taille, de près de 6 centimètres, en deux
générations, signalé par M. Carret, dit : « La taille était autre-
fois le grand critérium de l'aptitude. Toutes les autres infir-
mités organiques lui restaient subordonnées... Nous éliminons
aujourd'hui ces éléments de perturbation. Un conscrit de lm£0
comme j'en ai vu, de lm30, lm40 même n'est pas exempté
pour taille, mais pour nanisme, infantilisme. Sa taille n'est
même pas enregistrée » (Arch. de métl. et de pharm. militaires,
t. VI, p. 452, 4885).
L'un des secrétaires : A. Viré.
i» i
«18e SÉANCE. -21 Mars 181)5.
Présidence de M. André Lefèvre.
OUVRAGES OFFERTS.
Bergaigne (Abel). — L'ancien roi/aume de Catnpa, dans l'indo-
156 SÉANCE DU 21 MARS 1895
Chine d'après les inscriptions, in-8, 106 pages. Paris, 1888.
(Achat.)
Galstelfranco (P.). — Capanna-Pozzo nel campo Donegallo.
(Ext. du Bull, dipaletnologia ilaliana), in-8, 20 pages avec plan-
che. Parme, 1894.
Castelfranco (P.). — Villaggi e necropoli lacustri (Ext. du
Bull, di paletnologia italiana), in-8, 10 pages, Parme 1894.
Charencey (H. de). — De quelques étymologies basques (Ext.
du Bul. de Linguistique), in-8, 8 pages. Paris, 1894.
Schurtz (Heinrich). — Das augenornament und Veruandte pro-
blème (Ext. de Abhandl. d. K. S. Gesellseh. d. Wissensch.), g(1
in-8, 96 pages et planches. Leipzig, 1895.
Schurtz (Heinrich). — Der begrijf « Beligion » vom standpunkte
der Vœlkerkrunde, in-4°, 6 pages, s. 1. n. d.
Stephensom (F.-B.). — Co7igenital sputs on Annamites in New-
York médical journal, .March 2, 1895, in-4°, 2 pages.
périodiques (articles à signaler).
Bévue mensuelle de l'École d'Anthropologie, 15 mars 1895. —
A. Lefèvre : Enée et Virgile; croyances des Latins.
Archives de l'Anthropologie criminelle, 15 mars 1895. —
A. Baer : Tatouage des criminels; — Daguillon : Contribu-
tions à l'étude du tatouage chez les aliénés.
Archives de médecine navale et coloniale, mars 1895. — Grall,
Porée et Vincent : Béribéri en Nouvelle-Calédonie (suite).
Revue Scientifique, 9 et 16 mars 1895. — Zaborowski : Popu-
lations de l'Indo-chine; — Brissaud et Meige : Gigantisme et
acromégalie.
Zeitschrift fur Ethnologie, 1894, h. vi. — B. Virchow : Scha-
del aus Sud-America, insbesondere aus Argentinien und Boli-
vien.
Proc. of the Boston Society of nalural history, vol. xxvi. parts
ii-m. — W. M. Davis : Facetted pebbles on Cape Cod.
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 157
COMMUNICATIONS.
M. Collignon lit un mémoire sur l'Anthropologie du Sud-
Ouest de la France.
Ce travail sera publié dans les Mémoires de la Société.
Coup d'œil rétrospectif sur diverses questions anthropolo-
giques.
Par M. Durand (de Gros).
(Lu par M. Manouvrier).
Pendant les quelques années, trop courtes et déjà bien éloi-
gnées, où il m'a été donné de prendre une part active aux
travaux de la Société d'Anthropologie, j'ai eu l'occasion de lui
soumettre un certain nombre d'aperçus scientifiques origi-
naux.
Ces vues inédites, qui cadraient peu avec les idées régnan-
tes de l'époque, furent d'abord mal accueillies. Avec le temps
on s'y est familiarisé, et telles de ces propositions, qui
avaient été condamnées de prime abord par la science ortho-
doxe comme autant d'hérésies plus ou moins damnables, j'ai
aujourd'hui la satisfaction de voir qu'elles font partie de son
credo.
Si je disais qu'en rappelant à la mémoire de la Société ces
faits déjà bien anciens de son histoire je me sens dégagé de
toute préoccupation personnelle, je ne serais peut-être pas
exact. Mais je crois, en tout cas, pouvoir soutenir que si les
nouveautés auxquelles je fais allusion possèdent le mérite
qu'un retour de l'opinion commence à leur accorder, il est de
l'intérêt et du devoir de la Société d'en revendiquer tout haut
l'initiative, et de s'employer à assurer leur triomphe définitif.
C'est pourquoi je demande à faire défiler rapidement sous vos
yeux ces choquants paradoxes d'il y a trente ans, auxquels il
ne manque plus peut-être que votre appui déclaré pour les
faire passer à l'état de vérités classiques.
158 SÉANCE DU 21 MARS 1895
Une simple mention me parait suffisante pour quelques
thèses d'ordre secondaire, qui ne laissèrent pas toutefois de
soulever des discussions assez retentissantes; je m'appesan-
tirai davantage sur les autres.
[. _A rencontre du polygénisme étroit et rigide de Broca,
qui avait pour cette doctrine une foi presque religieuse, j'osai
affirmer que les types ethniques se constituent et se diversi-
fient par transformation sous l'influence des milieux ; et, à
l'appui de cette proposition générale, j'apportai un recuei1
d'observations particulières, précises et topiques. Je dévoilai
ici ce phénomène anthropologique et zoologique, si intéres-
sant et si ignoré, que dans le département de PAveyron la
population humaine, et aussi celle des animaux domestiques,
se partageaient en deux types nettement tranchés, et qui cor-
respondaient aux deux grandes divisions géologiques de la
région, les terrains siliceux et les terrains calcaires; que, dans
la première, l'homme et le mouton étaient d'une petite taille
et d'une ossature grêle; que dans la seconde, l'homme et le
mouton avaient une taille très supérieure, avec un squelette
massif; qu'enfin, k ces différences géologiques d'habitat cor-
respondaient en outre des contrastes tout aussi accusés dans
la conformation et la santé des dents, dans le caractère moral
des hommes, et jusque dans la prononciation de l'idiome in-
digène.
A ces propositions, Broca opposa d'abord une fin de non-
recevoir absolue; je revins k la charge deux années durant,
chaque fois les mains chargées de documents statistiques
nouveaux, et la victoire me resta. Depuis, ces recherches
aveyronnaises ont été étendues k d'autres pays, et les résul-
tats ont partout concordé avec les miens et sont venus confir-
mer mes conclusions.
H. — Je signalai encore cet autre fait nouveau que, dans
le même département de PAveyron, une différence d'indice
céphalique très marquée sépare l'habitant des villes de l'ha-
bitant des campagnes, celui-ci étant uniformément très bra-
chycéphale, celui-là se montrant généralement mésaticéphale.
DUUAND — DIVEIISES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES loi)
Encore cette fois,, ce que j'avais affirmé pour l'Aveyron en
particulier s'est trouvé également vrai, à ce qu'on m'assure,
pour la généralité de la France et de l'Europe.
III. — L'anthropologie et l'histoire s'étaient trouvées en face
d'un singulier prohlème, dont elles avaient fini par désespérer
après de nombreux essais de solution, tous infructueux. Il
s'agissait de la contradiction flagrante qui éclate entre le por-
trait classique du vieux Gaulois, grand, blanc et blond, et le
signalement moyen du Français moderne, court et trapu,
brun ou châtain. Je pus venir à bout de cette difficulté, grâce
à une de mes observations d'anthropologie aveyronnaise. En
Rouergue, le type blond appartient à la totalité des familles
de vieille noblesse rurale, alors que la population du pays,
prise dans son ensemble, ne fournit que deux blonds sur quinze
individus. Pareille différence ne pouvait-elle exister chez les
anciens Gaulois entre la caste des nobles et la masse plé-
béienne ou servile, qui est certainement la principale souche
de la population actuelle de la France? N'est-il pas, d'ailleurs,
vraisemblable que, les croisements ayant été nombreux, sans
contredit, par suite des invasions barbares à partir du ive siè-
cle, dans toutes les classes de la société gallo-romaine, avec
les blonds germains, guerriers ou colons, le type brun de-
vait dominer antérieurement chez le peuple plus encore que
de nos jours? Tout porte, ainsi, à croire que le type blond
était l'apanage des nobles de l'ancienne Gaule, et que c'est
parmi eux que les historiens grecs et latins ont pris exclusi-
vement leurs modèles pour nous peindre le Gaulois.
IV. — Plusieurs contatations linguistiques inédites, et
d'une réelle importance, il me semble, furent soumises par
moi à la Société.
Une grande tache phonétique s'étend sur la péninsule ibé-
rique et le sud-ouest de la France. Elle est formée de deux
teintes superposées. Dans son pourtour et sur une bande do
largeur variable, l'une s'est délavée, et l'autre se montre
seule. Le II aspiré se substituant au F latin est répandu
sans discontinuité sur l'Espagne centrale, la région pyré-
160 SÉANCE DU 21 MARS 1895
néenne y compris le pays basque, la Gascogne, et vient s'é-
teindre à la Garonne. Le B doux remplaçant le V latin est
sous-jacent à la couche II = F, et se prolonge au-delà tout au-
tour. En France, il a pour limite nord la Vézère, à l'ouest il
s'arrête aux Cévennes et aune ligne allant de cette chaîne à la
mer à travers le département de l'Hérault.
Les deux caractères phonétiques dont il s'agit distinguent
éminemment la langue basque; rayonnant du centre cantabre
sur les vastes provinces de l'ibérie et delaVasconie latinisées,
tout porte à croire qu'ils sont là un témoin et un dernier ves-
tige de la langue des Ibères, conservée dans le basque, et
l'indication persistante de leur domaine géographique de
jadis.
Un autre phénomène linguistique a été signalé ici par moi,
qui est aussi très curieux, mais qui reste jusqu'à présent une
énigme.
Les transformations phonétiques les plus profondes qui dif-
férencient les langues d'oc et d'oïl, et leurs patois, du latin
implanté chez nous par la conquête romaine, c'est à 1'fnfluence
du tudesque importé par les barbares qu'elles sont dues. Mais,
tandis que la plupart de ces modifications dialectales se mon-
trent par plaques géographiques. aux contours plus ou moins
irréguliers et accidentés, et qui coïncident souvent avec d'an-
ciennes circonscriptions politiques ou des circonscriptions
physiques, il en est une dont l'aire, très vaste, semble avoir
été tracée sur la carte de France arbitrairement, avec une
règle et en deux coups de crayon. Menez une ligne droite du
nord des Basses-Alpes aux bouches de la Gironde, puis une
autre de Luxembourg à Rennes : tous les patois romans, soit
de langue d'oc soit de langue d'oïl, qui sont parlés entre
ces deux limites sensiblement rectilignes et parallèles,
changent le C latin suivi de la voyelle a en une chuintante
figurée CIL Ainsi, par exemple, CASTELLUM y devient
chastel ou château, CAPRA fait chabra ou chèvre, etc., et cela
de l'Océan jusque parmi les Alpes et les Vosges , sans
aucune interruption, sans aucune lacune. Sortez maintenant
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 161
de cette zone, soit- pour pénétrer dans la Provence, le Lan-
guedoc, le Rouergne, le Quercy, etc., soit, du côté du Nord,
pour passer en Picardie, en Normandie, en Lorraine, en pays
Wallon, et, aussitôt la lisière franchie, vous vous retrouverez
en présence du C latin guttural sur toute la ligne. Ainsi, au
Nord, CASTELLUM et CAPRA maintienent leur G dur dans
cdteau et quèbre, et au Midi dans castel et cabra.
N'y a-t-il pas, dans ce fait énigmatique, un problème digne
d'exciter la curiosité et la sagacité des linguistes, des anthro-
pologistes, et de ceux qui s'intéressent à l'histoire philoso-
phique de la France?
V. — Dans une lecture sous ce titre : Aryas et Tourans, où
j'avais à contredire certaines théories favorites d'Henri Mar-
tin, je dénonçai l'erreur, alors générale, qui consistaità inférer
l'identité de race de l'identité de langue, à considérer notam-
ment comme Aryens de sang tous les peuples, soit d'Europe
soit d'Asie, blancs ou noirs, blonds ou bruns, parlant actuel-
lement l'un des idiomes apparentés au sanscrit.
VI. — LePolyzoisme ou la pluralité animale dans l'homme, c'est
là le titre d'un mémoire que je lisais à la Société dans sa séance
du 7 novembre 1867. Sans doute la Société d'Anthropologie n'a
pas eu la primeur de la thèse exposée dans cette communica-
tion, — cette thèse ayant déjà fait l'objet de plusieurs publi-
cations successives, dont la première mon livre intitulé Elec-
trodj/namisme vital) remonte à 1855. — Mais la présentation de
ce travail à la Société, et l'insertion qui en fut faite dans ses
Bulletins, furent, pour la nouvelle doctrine, une sorte de bap-
tême dont elle s'autorise maintenant pour réclamer votre
patronage.
11 fallait toute la téméraire inexpérience d'un très jeune
homme pour oser avancer, dès 1853 (dans mes conférences
sur 1' « électrobiologie »), qu'un être humain, et en même temps
un animal supérieur quelconque, n'est, ni au point de vue
organologique, ni au point de vue psychologique, un individu
irréductible; qu'il est une agglomération plus ou moins con-
centrée et hiérarchisée d'individualités animales distinctes
162 séa.\ce du 21 m Ans 1895
dont chacune réunit en elle tous les éléments essentiels de
l'animalité, c'est-à-dire un centre psychique et un centre ner-
veux qui en est le siège, un ou plusieurs couples de conduc-
teurs nerveux a double effet, centripète et centrifuge, et, à
l'extrémité terminale de ceux-ci, un Organe-outil ou organe-
différentiateur ménageant avec les agents externes un rap-
ports d'élection et d'adaptation spécial et exclusif, d'une part,
pour la réception et la transmission au sensorium particulier
de leurs impressions excitatrices, et, d'autre part, pour leur
appliquer en retour et leur faire subir l'action volontaire
réflexe.
L'homme est-il réellement constitué de la sorte? est-il véri-
tablement un composé dont les éléments intégrants seraient
autant d'animaux simples groupés, subordonnés et organisés
en vue d'un certain résultat d'ensemble, leur vie commune ?
S'il en était ainsi, la révélation d'une telle vérité entraînerait
certainement avec elle des conséquences immenses, et pour la
philosophie générale, et pour la psychologie, et pour la mo-
rale, et pour le droit, et pour la sociologie., et pour la patho-
logie, et pour la thérapeutique, et que sais-je encore. Les con-
séquences, je les ai exposées ailleurs, notamment dans le
mémoire dont il est question; je m'abstiendrai d'y revenir ici.
Encore une fois pourtant, le prétendu fait du polyzoïsme et
du polypsychisme humains est-il bien autre chose qu'un rêve,
qu'une de ces hypothèses nuageuses qui peuvent faire sur
l'imagination l'effet d'un mirage, mais qui ne sauraient se
solidifier en une certitude scientifique? — Oui, l'observation
psychologique, anatomique et pathologique, et enfin la zoo-
logie comparative, se sont trouvées admirablement d'accord
pour apporter un concours décisif de preuves à cette concep-
tion. Mais hélas! il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas
entendre, et la science classique fut longtemps dans ce cas vis-
a-vis de mes démonstrations. Mettre en avant que le corps
humain est une espèce de polypier ou de phalanstère, où
logent une multitude d'homoncules similaires ayant chacun
sa personnalité a soi, son petit logement à soi, quel thème à
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 163
plaisanteries faciles! On n'eut garde de s'en priver. L'un des
membres les plus considérés, et assurément l'un des plus in-
telligents et des plus instruits, de l'Académie de médecine
d'alors, le Dr Chauffard, n'occupa pas moins d'une séance
entière de l'assemblée de la rue des Saints-Pères (celle du
19 mai 1868) pour égayer ses collègues en étalant devant eux
cette fantaisie bizarre dans ses divertissants détails.
Cependant ma lecture à la Société d'Anthropologie — bien
qu'elle n'y provoquât aucune discussion — ne parut pas sans
influence pour modifier l'état des esprits au sujet du poly-
zoïsme. Rendant compte de ma communication, la Revue
Anthropologique de Londres (Anlhropological Review, n° d'avril
1869, p. 197), faisait les observations suivantes :
« Polyzoïsme, tel est le titre d'une communication très inté-
ressante de M. Durand (de Gros). Si l'auteur de ce travail réus-
sit à établir sa théorie, nul doute qu'elle ne produise dans la
science une révolution d'une importance immense, car elle
renverse ce qui, depuis longtemps, était passé à peu près à
l'état de dogme... »
(« Polyzoism » is the title of a most interesting paper by
M. Durand (de Gros). If the author of the contribution can
establish his theory, it will undoubtedly be a révolution in
science of immense importance : for it would reverse what
has been considered almost as a dogma for a long period,
etc.).
Mais le revirement de l'opinion s'accusa en outre par un
véritable événement scientifique : l'emprunt forcé que Claude
Bernard me fit de mes idées polyzoïstes et polypsychistes
pour les enchâsser — fort gauchement du reste, et en les dé-
marquant, bien entendu — dans son discours d'inauguration
k l'Académie française. Le plagiat, qu'il me répugne de quali-
fier autrement ici, était tellement manifeste, tellement pal-
pable, l'orateur s'était donné si peu de peine pour le déguiser,
que tous ceux qui étaient un peu au courant de mes travaux
s'en écrièrent. Ce fut à tel point que, malgré le prestige de
Claude Bernard et le respect mêlé de crainte que toute la jeur
164 SÉANCE DU 21 MARS 1895
nesse scientifique avait pour lui, un jeune écrivain de la
Gazette médicale de Paris, qui se trouvait être en même temps
dans la situation, particulièrement délicate pour un critique
médical, de bibliothécaire-adjoint de l'Académie de médecine,
se risqua à glisser l'observation suivante parmi les éloges d'un
compte-rendu du discours de l'illustre et tout puissant acadé-
micien :
« Nous n'avons pas, disait-il, à revenir sur les doctrines de
M. Claude Bernard, doctrines qui ne diffèrent qu'insensible-
ment de celles que professent les disciples de la philosophie
positive. Nous devons remarquer seulement, afin de rendre
justice à chacun, que les propositions émises dans ce discours
de réception sont un peu plus larges que celles que l'auteur a
consignées dans ses écrits officiels et dogmatiques, et que nous
y avons retrouvé avec plaisir et sans la moindre surprise,
quelques-uns des aperçus les plus ingénieux de M. Durand
(de Gros)» (Gazette médicale de Paris du 5 juin 1869).
En effet, le discours du récipiendaire apportait à son bril-
lant auditoire la surprise d'une théorie physiologique toute
nouvelle, qu'aucun des travaux de l'illustre physiologiste n'a-
vait fait jusqu'alors pressentir. C'était ni plus ni moins que
notre polyzoïsme, mais quelque peu endommagé par la main
novice qui le maniait pour la première fois. Bornons-nous à
citer les lignes suivantes de ce document magistral :
« Mais, quant à l'intelligence elle-même, prononçait l'ora-
« teur, les expériences physiologiques nous démontrent que
« cette force n'est point concentrée dans le seul organe céré-
« bral, et qu'elle réside au contraire à des degrés divers dans une
« foule de centres nerveux inconscients échelonnés tout le long de
« t'axe cérébro spinal, et qui peuvent agir d'une façon indépen-
« dante, quoique coordonnés et subordonnés hiérarchiquement les
« uns aux autres... Chaque fonction du corps possède ainsi
« son centre nerveux spécial, véritable cerveau inférieur... »
Notons maintenant que M. Edmond Perrier, professeur de
zoologie au Muséum, faisait paraître, en 1881, un gros volume
intitulé : Les colonies animales et la formation des organismes^
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 465
dans lequel le « pblyzoïsme des Vertébrés » se trouve hardi-
ment affiché et officiellement proclamé. Ajoutons que l'auteur
paraît ignorer totalement mes nombreux travaux sur la ques-
tion : il n'en dit mot.
En 1853, me creusant la tète pour trouver une explication
aux effets inouis de la suggestion hypnotique, que je venais,
le premier, d'importer sur le continent, je finis par rencon-
trer l'idée du polypsychisme et du polyzoïsme, qui fut pour
moi une illumination soudaine. En 1880, M. Gharcot et son
école ayant ressuscité l'hypnotisme en le produisant comme
une invention récente, on fit également main basse sur mon
explication, et on s'en attribua le mérite comme, d'ailleurs,
de bien d'autres découvertes dans le même ordre d'idées, qui
étaient déjà vieilles avant la naissance de ces faux inventeurs.
On eut donc recours à la théorie du polypsychisme. Mais pour
sauver les apparences, on la défigura; au lieu de mes préci-
sions anatomiques et physiologiques de centres psychiques
ou moi secondaires correspondant aux centres nerveux re-
connus de l'axe cérébro-spinal ainsi que le moi proprement
dit correspond au grand centre nerveux cérébral; au lieu de
ce polypsychisme nettement défini et étroitement rattaché à des
notions scientifiques exactes, on en produisit une contrefaçon
informe et vague n'ayant aucun appui dans l'anatomie ni la
physiologie, sorte de dipsychisme vaporeux formulé dans le
dualisme de la conscience et de la « subconscience », ou encore
de la conscience et de 1' « inconscient ». 11 serait superflu d'a-
jouter que ces ingénieux hypnopsychologues de l'école mo-
derne s'imposèrent le silence le plus religieux sur mes efforts
antérieurs pour éclairer la question.
Plus équitable, l'Académie des Sciences, section de la Méde-
cine, a fait de moi un de ses lauréats en 1892 sur l'envoi d'un
mémoire où je me faisais hautement honneur de la théorie
polyzoïste. Le monde marche, c'est manifeste.
Vil. — En 1808 et 1809, je donnai communication à la
Société de deux mémoires, l'un intitulé : La torsion de rhume-
466 SÉANCE DU 21 MARS 1895
rus et la filiation des espèces; l'autre, sous ce titre : Création et
Transformation.
A moins que je sois dupe des illusions d'auteur au plus
haut degré, les constatations matérielles et les vues théoriques
exposées dans ces deux études apportent un sérieux concours
à deux nouvelles sciences biologiques, la Morphogénie natu-
relle des espèces, et son corollaire, la Biotaxie généalogique.
Le seul encouragement que me valut d'ahord cette nouvelle
initiative, et dont je dus me contenter pendant plus de dix
ans, ce fut l'adhésion loyale de Charles Martins à une inter-
prétation du fait anatomique de la torsion de l'humérus hu-
main que j'opposais à une autre défendue par lui jusque-là,
et dont il se décidait à faire le sacrifice devant certaines
preuves dont il était à même plus que personne d'apprécier
la force.
A l'occasion d'un voyage à Paris, en 1887, le hasard voulut
que, me trouvant un jour au laboratoire de la Société, on vînt
à parler d'un mémoire laissé par Broca et imprimé après sa
mort, sur le tropomètro, instrument imaginé pour mesurer
l'angle de torsion de l'humérus. Ayant consulté cette œuvre
posthume du regretté Broca, j'eus le plaisir, inattendu, je
l'avoue, d'y rencontrer l'appréciation favorable d'un de mes
travaux. Depuis la mémorable discussion sur l'influence des
milieux, dans laquelle j'avais eu le mauvais sort de me trouver
constamment l'adversaire de notre éminent secrétaire général,
il m'avait montré en toute occasion un éloignement non dis-
simulé. Aussi c'est avec émotion que, dans les dernières pages
tracées par lui la veille d'une mort prématurée, je pus lire
plusieurs passages où il me montrait, pour la première fois,
une impartialité presque bienveillante. En voici quelques
lignes :
« La différence de direction du fémur et de l'humérus, et la
différence morphologique qui s'y rattache, ne constituent pas
une règle absolue. »
Charles Martins avait soutenu le contraire, et j'avais opposé
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 167
à son opinion certains faits d'anatomie comparée auxquels
Broca va faire allusion. Il continue ainsi :
« Chez certains Chéloniens, le coude et le genou sont diri-
gés l'un et l'autre en avant. 11 y a un autre type, qui ne s'ob-
serve que dans les deux genres éteints ichthyosaure et plésio-
saure, et dans lequel la ligne articulaire du coude et du genou
sont parallèles au plan médian du corps au lieu de lui être
perpendiculaires... L'humérus et le fémur ont exactement la
même conformation ; ils ne sont tordus ni l'un ni l'autre; ils
sont, suivant l'expression de M. Durand (de Gros), isomorphes
et isotropes. Ce type s'est maintenu, en ce qui concerne la ligne
articulaire du coude, chez les cétacés de la famille des baleines
(qui n'ont pas de membre abdominal). Je ne puis insister da-
vantage sur ce sujet dans un travail d'anthropologie zoolo-
gique; mais je renverrai le lecteur, pour plus de détails, à
un mémoire très remarquable de M. Durand (de Gros) publié
dans les Bulletins de la Société d'Anthropologie, 2e série, t. V,
p. 388-463, Création et Transformation. Voyez surtout p. 422. »
Et ailleurs :
« Je me bornerai à dire que le fait de la torsion de l'humé-
rus est devenu, entre les mains de Charles Martins, la base
essentielle d'un nouveau et lumineux parallèle anatomique
des membres thoraciques et abdominaux; qu'après avoir
établi ce parallèle dans ses premières publications, le même
auteur en a tiré des conséquences pour l'étude de l'évolution
des formes organiques; qu'enfin, M. Durand (de Gros), par
une étude plus complète de la disposition de l'humérus chez
les vertébrés inférieurs, et de son adaptation aux divers gen-
res de vie, a apporté à la doctrine transformiste l'appui de
faits très précis et enchaînés avec beaucoup de sagacité. »
(Revue d'Anthropologie, 2e série, t. IV.)
Pour être entièrement exact, Broca aurait dû constater que
si Charles Martins a essayé, dans ses dernières publications,
d'appliquer sa théorie de la torsion humérale à l'étude de
l'évolution des formes organiques, c'est postérieurement à la
lecture et à l'impression de mes mémoires, et en s'inspirant
•168 SÉANCE DU 21 MARS 1893
des nouveaux faits et des nouveaux aperçus théoriques que
j'y avais consignés.
Enfin, les mêmes recherches d'ostéologie philosophique ont
reçu encore un témoignage précieux de la part d'un autre sa-
vant collègue. M. Manouvrier ne leur a marchandé ni la place
ni l'approbation dans son article du Dictionnaire des sciences
anthropologiques sur les membres. Qu'on me permette de le citer
brièvement :
« La correspondance homotypique des membres, dit M. Ma-
nouvrier, est principalement masquée par ce fait : que la
flexion de l'articulation du genou se fait d'avant en arrière,
tandis que celle du coude se fait d'arrière en avant. Charles
Martins tenta d'expliquer cette opposition des deux membres
locomoteurs par le double effet d'une torsion humérale et
d'une demi-révolution du radius et du carpe sur l'extrémité
inférieure du cubitus. Mais c'est dans le beau mémoire de
Durand (de Gros), Création et Transformation (Bulletins de la
Société d'Anthropologie), qu'il faut suivre l'histoire de cette
transformation. »
Les développements et les corrections que j'ai apportés à
la théorie de Charles Martins sur la torsion humérale, dont il
a la gloire d'avoir, le premier, donné la clef, ont une portée
et une importance qui n'ont été qu'imparfaitement saisies jus-
qu'à ce jour ; et il est à présumer que cela est dû en grande
partie à la prévention, à la défiance, à une disposition peu
confraternelle, en un mot, qu'un savant d'occasion, un sim-
ple amateur tel que moi, rencontre presque invariablement
chez les savants brevetés et appointés. Comme il y va, je crois,
des intérêts de la zoologie et de l'anthropologie, et de l'hon-
neur de la science française, que la lumière qui peut se déga-
ger de mes recherches ne soit pas étouffée sous le boisseau, je
vais indiquer ici très sommairement les résultats généraux
les plus saillants de ma coopération à l'œuvre dont la décou-
verte de Charles Martins a été le prélude.
Martins prenait soin de déclarer qu'il ses yeux la torsion de
l'humérus et ses conséquences mécaniques apparentes sur les
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 469
dispositions de l'avant-bras, étaient purement virtuelles, un
simple ludus nalurœ dont l'anatomie philosophique n'avait
pas à rechercher l'origine. Je m'élevai fortement contre cette
opinion; je soutins que la torsion humérale, chez l'homme,
devait être la transmission héréditaire d'une torsion actuelle,
acquise, réellement produite à un moment donné sur un de
nos ancêtres zoologiques.
D'un autre côté, Charles Martins affirmait très formellement
que la torsion humérale était commune a tous les vertébrés,
soit terrestres, soit aquatiques, qui sont pourvus de membres
articulés. Je prouvai, pièces en main, que cette assertion était
matériellement fausse; qu'il existe des espèces chez qui l'hu-
mérus n'est point tordu ; et, de plus, que chez toutes les es-
pèces dans ce cas on constate en même temps l'absence de
ces dispositions énigmatiques de l'avant-bras et de l'articula-
tion huméro-cubitale qui accompagnent partout la torsion
humérale, et se trouvent expliquées par elle.
Ce n'est pas tout : je fouillai les archives ostéologiques de
la zoologie, et j'eus le bonheur d'y rencontrer des documents
décisifs établissant que la torsion de l'humérus avec ses effets
consécutifs sur les segments inférieurs du membre avait com-
mencé à un certain degré déterminé de l'échelle des Vertébrés
et partiellement; qu'elle avait été en progressant d'une es-
pèce à la suivante, et que ses débuts étaient, en outre, mar-
qués par des tâtonnements variés fournissant la preuve que
la torsion humérale avait eu pour cause efficiente les efforts
violents faits sur eux-mêmes par des individus nageurs du
type brachial primitif ou protomorphe pour s'adapter aux
conditions incompatibles de locomotion d'un milieu bour-
beux où les espèces ont dû faire un stage plus ou moins long,
plus ou moins laborieux avant d'arriver à vivre et à se mou-
voir sur la terre ferme.
Mes preuves furent tellement concluantes que, pour me ser-
vir d'une locution familière, les bras en tombèrent à Charles
Martins, et qu'il dut se rendre sur le champ.
V actualité de la torsion humérale se substituant à la virtua-
t. vi (4e série) 12
170 SÉANCE DU 21 MARS 1895
lité enseignée par Martins, la théorie du naturaliste de Mont-
pellier était un corps inerte que pénétrait tout à coup la vie.
Ainsi transformée, vivifiée et généralisée, elle allait commu-
niquer aux études d'anatomie un intérêt palpitant, et les
éclairer d'un jour tout nouveau. L'anatomie animale cessait,
par là, d'être une simple description des parties du corps avec
indication de leurs usages physiologiques respectifs; main-
tenant, elle allait avoir à remplir une autre grande tâche,
plus haute et plus attrayante. 11 s'agirait de tracer l'évolu-
tion morpholologique de chaque organe au cours de l'évolu-
tion phylogénique; de découvrir et déterminer les circons-
tances diverses sous la pression desquelles l'organe et ses
changements successifs s'étaient produits; et enfin de se faire
de cette transformation graduelle des organes d'une espèce à
l'autre un critérium d'une sûreté incomparable pour déter-
miner le degré de filiation et les rapports divers de parenté
de chaque espèce sur l'arbre généalogique du règne animal.
Emerveillé et enthousiasmé par cette vision, j'interrogeai
de plus belle les documents ostéologiques pour en obtenir de
nouvelles découvertes. Bientôt, je constatai qu'il n'y avait,
pour ainsi dire, qu'à se baisser pour en recueillir. Mais, à
mon grand regret, les circonstances de la vie m'arrachèrent
coup sur coup à mes recherches. Quelques années plus tard,
j'essayai de les reprendre. Mais, ayant constaté l'insuffisance
de nos collections publiques d'histoire naturelle, une visite à
plusieurs établissements étrangers s'offrait comme une né-
cessité. M'étant adressé, dans ce but, au Ministre de l'instruc-
tion publique pour en obtenir un appui moral et matériel, il me
fit bon accueil; cependant il était obligé, dit-il, de soumettre
ma demande à sa commission scientifique, et celle-ci me re-
poussa, en même temps qu'elle se montrait d'une complai-
sance paternelle pour quelques tout jeunes gens, qu'on inves-
tissait de je ne sais plus quelles missions fantastiques et
grassement payées, pour leur procurer un voyage d'agrément
sous couleur de science. Mais laissons là les récriminations.
Voici, en substance, les nouvelles trouvailles que je fis en
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 171
utilisant de mon mieux les moyens d'information tout primi-
tifs dont je dus me contenter.
La torsion de l'humérus s'est opérée chez des Vertébrés na-
geurs aux membres articulés protomor plies, c'est-à-dire du type
élémentaire et primordial de l'Icthyosaure et du Plésiosaure,
lequel est caractérisé, rappelons-le, par la parfaite isomorphie
-des deux membres, le thoracique et l'abdominal, et par la di-
rection latérale de la ligne articulaire du coude et du genou.
Cette torsion s'est produite sur le bras nageur pour l'accom-
moder à des fonctions de chasse-boue imposées à l'animal par
la nécessité de se déplacer, sous peine d'extinction, dans un
milieu bourbeux où il se trouvait jeté, sans doute par suite
d'un abaissement des eaux et de la transformation des mers,
des lacs, des estuaires, en marécages vaseux.
La torsion de l'humérus ne répond qu'aux besoins de la
locomotion au sein d'une masse molle, mi-liquide mi-solide,
ou bien encore entièrement solide, mais peu résistante, comme
celle où se meut la taupe, et son objet immédiat est d'amener
la main à diriger ses doigts en avant et sa face palmaire en
dehors, le bord radial regardant en bas.
Certaines espèces marines protomorphes sont passées di-
rectement du milieu aquatique au milieu terrestre proprement
dit, mais sans abandonner le premier entièrement, et en se
partageant entre les deux. Telles sont les Tortues amphibies
d'Amérique vivant alternativement dans l'eau des fleuves et
sur le rivage. Pour accommoder le membre nageur proto-
morphe à la marche, la condition essentielle était que les
deux membres (thoracique et abdominal), au lieu de se mou-
voir et de se ployer dans des plans perpendiculaires au plan
médian du corps, ou plus exactement, dans des plans obli-
ques peu éloignés de la perpendiculaire, fussent dirigés et dé-
placés suivant la progression, la main et le pied se portant
en avant, leur face palmaire ou plantaire appuyant sur le sol.
Chez la Peltocéphale Tracaxa, chez VEmysaure de Temminck, etc.
(Voir : Origines animales de l'homme, pages 53 et 97), cette in-
dication a été remplie au moyen de diverses inflexions du col
17^ SÉANCE DU 21 MARS'1895
et du corps de l'humérus et du fémur, et d'une faible torsion
de ces deux rayons osseux sur leur axe. Ces déviations ont
amené ce résultat, que le coude et le genou font saillie en avant
et se ploient en arrière l'un comme l'autre. C'est ce qui cons-
titue mon type mésomorpke. Il réunit le double caractère de
l'isomorphie et de l'isotropie, comme le type protomorphe,
mais diffère de celui-ci en ce que l'angle de flexion du coude
et celui du genou, au lieu d'être dans deux plans distincts
sensiblement perpendiculaires au plan médian du corps, sont
ramenés dans un même plan, parallèle à ce dernier, avec
leurs convexités dirigées en avant.
Dans quelques cas, la torsion humérale pour l'accommo-
dation au milieu bourbeux a trouvé un succédané dans une
déformation toute autre. Le but à atteindre étant de donner
aux mains une direction telle qu'elles pussent rejeter la vase
sur les côtés par un mouvement latéral de va-et-vient pour
ouvrir le chemin à l'animal dans la masse bourbeuse, l'effet
voulu a été obtenu ici au moyen d'une luxation de l'articula-
tion huméro-cubitale par un quart de rotation antéro-interne.
Cette surprenante mais incontestable lésion morphologique
peut s'observerdans toute sa perfection chez la Tortue du Cap,
une tortue terrestre, à la vérité, mais qui n'a dépouillé au-
cun des traits essentiels de la tortue de marécage. Dans mon
mémoire Création et Transformation on trouvera un tableau
comparatif de quatre figures représentant le bras osseux, vu
de face et vu de profil, de deux types de tortues, la Tortue du
Cap et l'Émysaure de Temminck.Le contraste rend saisissant
l'état de luxation du coude chez la première. Aucun natura-
liste, que je sache, n'avait signalé cette particularité si remar-
quable.
A la seule exception d'une catégorie de Tortues dont il vient
d'être parlé, tous nos Vertébrés marcheurs portent, dans leur
torsion humérale, le certificat authentique de l'exode aux
cruelles épreuves à travers le désert boueux. Mais, contrai-
rement encore à ce qu'avait avancé témérairement Charles
Martins, la demi-révolution radio-earpienne est loin de cons-
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 173
tituer l'unique procédé complémentaire et compensateur que
toutes les espèces auraient uniformément subi, au sortir de la
bourbe, pour s'accommoder à la vie terrestre proprement
dite. Ce caractère est le propre des Mammifères terrestres, et
encore sauf une exception qui va être indiquée.
Les Batraciens et les Reptiles opèrent le redressement de
l'avant-bras au moyen de la, luxation rotative antéro-interne
du coude, la rotation restant un peu inférieure à un angle
droit. Les Oiseaux, descendants probables d'une souche rep-
tilienne, présentent la même déformation dans l'aile.
Les Monotrèmes, ces Mammifères douteux, se distinguent
radicalement des vrais Mammifères en ceci, que chez eux, la
pronation a été réalisée par un tout autre mécanisme que la
demi-révolution radio-carpienne.
La voie suivie chez eux pour ramener en avant l'avant-bras
et la main, renversés en arrière parla torsion humérale, est
fort simple, mais très brutale. Le procédé consiste en une
incurvation semi-circulaire, d'arrière en avant, de l'humérus
horizontalement étendu, avec déchirement et arrachement de
la portion externe de sa poulie d'articulation cubitale. Cette
inflexion violente de l'os du bras supérieur, qui vient s'ajou-
ter à sa torsion, remet l'avant-bras en pronation.
Et maintenant, ce qui met hors de tout doute que tel est
bien le véritable et l'unique processus mécanique de cette pro-
nation, c'est la disposition relative du radius et du cubitus.
Au lieu que, comme dans la pronation par révolution radio-
carpienne, le radius se couche en écharpe sur le cubitus, for-
mant avec lui une sorte de croix de Saint-André, au lieu qu'il
ait sa tète en dehors et sa base en dedans, et au lieu que le
cubitus, à son tour, montre son extrémité supérieure intérieu-
rement, et l'inférieure extérieurement, et enfin, au lieu que
les deux os soient en contact longitudinal par leurs faces ven-
trales, et que leurs faces dorsales soient dirigées en sens
opposé l'une de l'autre, celle-ci regardant en avant, celle-là
en arrière, ici, pas une de ces irrégularités compliquées et
bizarres : le radius et le cubitus tombent d'aplomb et côte à
174 SÉANCE DU 21 MARS 1895
côte parallèlement juxtaposés dans toute leur longueur, en
contact par le bord latéral, et tournant tous deux leur face
dorsale en avant.
Ce n'est pas sans motif, je crois,- que, dans la discussion
qui suivit la lecture de mes mémoires, je me suis montré
scandalisé qu'une conformation du membre thoracique si
étrange et si exclusivement particulière aux Monotrèmes, fut
passée totalement inaperçue de notre collègue, le Dr Alix,
auteur d'une monographie anatomique de l'Echidné, en même
temps que de tous les autres naturalistes.
La totalité des Mammifères terrestres, distraction faite des
Monotrèmes, ayant subi la demi-révolution radio-carpienne,
il était intéressant de rechercher quelles fortunes diverses
pouvait avoir eues cette transformation fondamentale sous
les influences modificatrices différentes qui avaient produit la
grande variété d'espèces de cette classe.
Au bas de la série, la pronation rotatoire est mobile, en-
tièrement libre, alternant à volonté avec la supination. Cette
faculté se conserve sans interruption, depuis les Mammifères
les plus inférieurs jusqu'à l'Homme, à travers les Edentés
paléontologiques, les Marsupiaux, les Prosimiens, les Singes
et les Primates quadrumanes. La continuité, la persistance
de ce type brachial de la base au sommet d'une progression
d'espèces séparées d'ailleurs par de si nombreuses et de si
profondes différences, est un fait remarquable. Toutes les
espèces qui s'échelonnent clans cette série sont plus ou moins
arboricoles, et chez elles la main thoracique sert principale-
ment à saisir et à grimper; ce n'est qu'accessoirement qu'elle
sert k la marche sur le sol. Pour répondre k ces conditions
fonctionnelles, la rotation radio-carpienne se fait partout
librement et avec une grande amplitude.
Cependant cette uniformité brachiale a été attaquée sur
divers points de la série, sans doute par certains change-
ments de milieu affectant les conditions de locomotion; alors
sur la grande tige unie ont apparu ça et là des bourgeons
morphologiques divergents qui se sont développés chacun k
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 175
sa manière, et avec* plus ou moins d'étendue. Deux seulement
arrêteront ici notre attention : l'un a acquis le développement
d'une mère branche, avec des ramifications en tout sens et
de tout degré; l'autre n'a donné qu'un faible jet, qui ne s'est
allongé ni ramifié.
Probablement par suite de la destruction des forêts sur un
point du globe, les Arboricoles de la région se virent dans la
nécessité, sous peine de mort, de demander leur subsistance
et leur protection à la course, et l'organe préhenseur dut se
façonner à la marche. Ce nouvel usage ne demandait au bras
qu'une pronation continue, et la fonction de préhension, qui
implique le jeu alternatif de la pronation et de la supination,
étant tombée en désuétude, la faculté de rotation radio-car-
pienne se restreignit d'abord faute d'exercice et finit par se
perdre entièrement. L'ankylose gagna progressivement les
articulations qui facilitent ce mouvement, et les deux os de
l'avant-bras, constamment couchés l'un sur l'autre et en con-
tact mutuel, tendirent de plus en plus à se souder ensemble.
Les Ours et les Chats nous offrent aujourd'hui le point de
départ, le terme initial de cette dégradation croissante; elle
atteint son apogée et son dernier terme chez les Chevaux.
Chez les premiers, tout le changement se borne encore à une
diminution dans l'amplitude du mouvement radio-carpien ;
l'altération des parties, en ce qui concerne l'avant-bras et son
articulation avec le carpe, est à peine sensible. Au contraire,
chez les Solipèdes, non seulement tout mouvement de rota-
tion du poignet est anéanti, mais l'avant-bras ne possède
plus qu'un seul os, le cubitus ayant été entièrement absorbé
et supplanté par son camarade, et n'ayant laissé d'autre trace
que son apophyse olécràne soudée à la tète du radius, qui
forme à elle seule le chapiteau articulaire sur lequel porte la
base de l'humérus. Nous négligeons ici les altérations non
moins considérables éprouvées par les derniers segments du
membre.
Entre le début de cette transformation du membre thora-
cique pour l'adaptation à la marche et à la course, qui s'ob-
176 SÉANCE DU 21 MARS 1895
serve chez les Chats, et son entier achèvement réalisé dans
les Chevaux, l'évolution se développe sur plusieurs lignes dis-
tinctes. Les deux plus intéressantes sont celle des Périsso-
dactyles et celle des Artiodactyles. Toutes ont cela de commun
que le radius perd peu à peu l'obliquité transversale qu'il
affecte dans la pronation libre, qu'il se redresse en avant du
cubitus, le recouvre d'abord antérieurement sur toute sa lon-
gueur, et puis l'absorbe par dégrés jusqu'à n'en plus laisser
subsister qu'un faible vestige (Voir : Les Origines animales de
l'Homme, p. 128).
L'autre embranchement principal de l'évolution morphogé-
nique du bras pour la constitution de la pronation perma-
nente, celui que j'ai comparé à un bourgeon peu développé
en longueur et non ramifié, n'est représenté que par les Elé-
phants dans la faune moderne. Mais il se prolonge inférieu-
ment dans le monde fossile, jusqu'à un étage zoologique très
bas, jusqu'au-dessous des Mammifères, suivant quelque appa-
rence. En effet, je constate déjà chez certains Dinosauriens
une tendance très décidée à la prépondérauce du cubitus sur
le radius. Cette prépondérance est déjà acquise et considéra-
ble chez le Dinothérium, généralement regardé comme le pre-
mier chaînon de la courte série des Proboscidiens (Voir : Les
Origines animales de l'Homme, p. 63).
Si l'anatomie comparée n'avait pas oublié de soumettre à
une comparaison critique le bras de l'Eléphant et celui du
Cheval ou du Sanglier, elle se fut épargné la faute grave de
réunir les Proboscidiens à des types radicalement incompati-
bles pour composer de ce mélange hétéroclite son prétendu
ordre des Pachydermes.
Dans mes deux mémoires à la Société d'Anthropologie, j'ai
été le premier à constater le caractère absolument sui generis
de la conformation de Pavant-bras proboscidien. Un jeune
naturaliste le signale à son tour dans un ouvrage récent :
« ... le cubitus, dit-il, est plus fort que le radius, même vers
le poignet, ce qui constitue une exception remarquable au
type général » (Félix Bernard, Paléontologie, 1894).
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 177
D'après les indications sommaires qui précèdent, on peut,
je crois, se rendre compte comment l'anatomie comparée des
membres, vivifiée par la théorie de la torsion de l'humérus,
deviendra le meilleur guide du naturaliste classificateur et lui
fournira le plus sûr critérium du diagnostic phylogénique.
Pour n'avoir su ou voulu employer cette clef merveilleuse, les
deux ou trois éminents naturalistes, zélés disciples et conti-
nuateurs de Darwin, qui ont tenté de résoudre, par la théorie
de l'évolution, le problème toujours pendant de la classifica-
tion naturelle des espèces, ont échoué dans cette entreprise.
Réhabilitant Lamarck, Darwin a fait triompher ce principe
que ce que les naturalistes de la vieille école appellent Yaffi-
nité des espèces est en réalité, et dans toute l'acception du
mot, un rapport de parenté, et qu'il faut voir dans l'échelle
des êtres organisés un véritable arbre généalogique. Mais
Darwin ne nous a donné, ni essayé de nous donner, un crité-
rium, une pierre de touche quelconque, au moyen de laquelle
on pourrait sûrement reconnaître, affirmer et démontrer les
liens de filiation d'une espèce à l'autre. C'est ce que n'ont pas
compris les illustres darwinistes qui se nomment Huxley,
Cari Vogt, Haeckel, etc.; ils semblent avoir crû que l'idée
transformiste prise dans sa généralité constituait par elle-
même une méthode pratique de biotaxie.
Sans aucun doute, les grands naturalistes de la vieille
école, la plupart du moins, eurent le tort de repousser la con-
ception de la génération des types d'espèce par transforma-
tion ; mais tout en refusant d'admettre la possibilité d'une
parenté physiologique entre les espèces, ils y substituèrent
l'affinité, qu'ils allèrent jusqu'à définir « une sorte de pa-
renté ». C'est-à-dire que tout en niant la réalité de la parenté
zoologique ou botanique, ils n'en tenaient pas moins grand
compte de ses signes apparents, et n'entendaient pas moins se
fonder entièrement sur eux pour déterminer les relations
sériaires des êtres et la place légitime de chacun dans le sys-
tème de la nature vivante. Comment en douter quand ils
reviennent sans cesse et insistent avec tant de force sur leur
178 SÉANCE DU 21 MARS 1895
distinction dogmatique entre les classifications naturelles et
les classifications artificielles, entre le rapport d'homologie et le
rapport d'analogie?
La doctrine évolutionniste ne pouvait, dès lors, donner
aucun sérieux avantage à ses adeptes sur les classificateurs
créationnistes tant qu'on ne décidait du degré de parenté ou
d'affinité que d'après le degré de ressemblance. Aussi les pro-
grès que la jeune école se flatte, a bon droit, d'avoir réalisés
sur les vieux systèmes de groupement des animaux et des
plantes est dû, non point à une méthode diagnostique qu'elle
n'a pas encore su extraire du principe de l'évolution, mais à
la masse des observations biologiques, et principalement des
découvertes paléontologiques et embryologiques, qui se sont
accumulées dans ces derniers temps.
Et pourtant, il est une méthode de diagnose phylogénique
que la théorie de l'évolution nous tient en réserve ; elle est
fondée, non plus sur la comparaison des ressemblances et
des différences apparentes, mais sur l'interprétation des tra-
ces hiéroglyphiques des formes spécifiques antérieures et des
processus de transformation empreintes dans les formes nou-
velles. Ces vestiges révélateurs, c'est le système osseux qui en
est le dépôt principal. De ces archives, la théorie de la torsion
de l'humérus a déjà extrait tout un dossier de documents h
l'aide desquels il nous sera possible de redresser bon nombre
d'erreurs, quelques-unes fort pesantes, dans les généalogies
animales qu'ont dressées, avec une admirable confiance, les
maîtres de la zoologie darwiniste, et dont ils garantissent
l'authenticité. Ce jugement demande a être appuyé de quel-
ques exemples; je serai court.
Haeckel et tous les naturalistes de la jeune école nous si-
gnalent le type des Batraciens, et plus particulièrement celui
desAnures, comme étant la souche des Reptiles. Or, les Uro-
dèles rectifient la torsion humérale parla dislocation rotatoire
du coude; et cette lésion, chez les Anures, se complique de la
coalescence et de la fusion en un seul cylindre du radius et du
cubitus sur une moitié de leur longueur, et de l'interposition
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 179
d'une membrane osseuse sur l'autre. Les Lézards et les Croco-
diles ayant le coude luxé comme les Urodèles, rien dans la
morphologie comparative du bras ne s'oppose à ce que ces
derniers soient la forme mère des deux autres, mais il n'en
saurait être pareillement du type Grenouille ou Crapaud,
les deux rayons de l'avant-bras y étant solidarisés indissolu-
blement.
D'autre part, les Tortues ne sauraient descendre desAmphi-
biens, soit urodèles, soit anures, par cette raison décisive que
le type brachial de ceux-ci est néomorplie, c'est-à-dire caracté-
risé par la torsion humérale, la cubitation (disposition en
forme de coude de l'articulation huméro-cubitale), et le redres-
sement consécutif de l'avant-bras, tandis que la Tortue ma-
rine, qui est évidemment l'aïeule, ou peut-être, pour être plus
exact, la grand'tante de toutes les autres Tortues, a le bras pro-
tomorphe, autrement dit sans tortion humérale, et sans hétéro-
morphie ni hétérotropie à l'égard du membre postérieur, ce
qui, enfin, signifie que ce bras est essentiellement primitif et
archaïque. De cette considération il résulte que les Chéloniens
sont d'une lignée tout autre que celle des Lacertiens et des
Crocodiliens, et viennent directement de la mer; et que, par
conséquent, les avoir réunis à ces derniers dans une classifi-
cation qui se prétend généalogique,' c'est une faute grave.
La paléontologie nous fait connaître un type entièrement dis-
paru et très singulier qui, par sonostéologie, se place immédia-
tement au-dessous des mammifères. Faute d'avoir consulté la
structure du bras, on l'a casé, comme on avait fait de la Tor-
tue, et avec moins d'excuse encore, dans le groupe des Repti-
les, c'est-à-dire en compagnie des Lézards, des Crocodiles et
des Serpents. Or, les Dinosauriens, car c'est d'eux qu'il s'agit,
ont un bras, qui de toute impossibilité, ne peut procéder de
celui des Batraciens, qu'ils soient Urodèles ou Anures. En effet,
chezleDinosaurien, les deux os de l'avant-bras sont distincts
et libres, et l'articulation cubitale est parfaitement exempte de
luxation. De plus, la torsion humérale s'y complète par la pro-
nation radio-carpienne rotatoire, comme chez les Mammifères
180 SÉANCE DU 21 MARS 1895
terrestres (les Monotrèmes toujours exceptés). Par ces causes,
le Dinosaurien ne peut pas plus être l'héritier morphologique
de l'Amphibien que le Chien ne peut être celui du Mouton.
La filiation des Batraciens aux Dinosauriens ne peut donc
exister; et par les mêmes causes elle ne peut exister non plus
des Batraciens aux Mammifères, malgré le « stammbaum »
zoologique dellaeckel, où on pousse la hardiesse jusqu'à faire
de ceux-ci la progéniture immédiate de ceux-là.
llaeckel a mérité un bon point en se séparant courageuse-
ment de Huxley sur la question des Haliosauriens (Enaliosau-
riens). Il a compris que ce que j'avais avancédans mon mé-
moire de 1868 est la vérité; c'est-à-dire que ces êtres sont
entièrement fils de la mer, et que tous leurs ancêtres y naqui-
rent sans en jamais sortir. Il est incroyable que l'opinion con-
traire soit jusqu'à ce jour partagée par les zoologistes les plus
« avancés ». Répetons-le : les Ichthyosaures et les Plésiorau-
res, mais plus particulièrement les premiers, possèdent la
conformation brachiale la plus primitive, la plus rudimentaire,
en un mot une formation des membress à l'état naissant. Les
faire descendre de quadrupèdes terrestres à l'humérus tordu,
à l' avant-bras mis en supination par cette torsion, et puis ra-
mené à la pronation, soit par incurvation humérale (Mono-
trème), soit par luxation huméro-cubitale rotatoire (Batraciens,
Reptiles, Oiseaux), soit enfin par la demi-révolution radio-
carpienne (Dinosauriens etMammifères terrestres supérieurs),
c'est un défi jeté à l'évidence.
Après avoir sainement jugé de la situation phylogénique
des Haliosauriens, Haeckel est doublement blâmable de s'être
blousé comme il l'a fait — en noble compagnie du reste — au
sujet des Cétacés. Un quart d'heure d'attention suffit pour se
convaincre que l'intime structure brachiale des Baleines est
celle des Enaliosauriens. Sans doute, cette structure est très
dégradée, mais l'organe n'en porte pas moins tous les signes
caractéristiques du type protomorphe, comme d'ailleurs la
construction entière de l'animal, et rien, absolument rien n'y
décèle une influence terrestre quelconque. Emboîtant le pas à
DURAND. — DIVERSES QUESTIONS ANTHROPOLOGIQUES 481
des auteurs qui se répètent les uns les autres sans contrôle,
Haeckel, n'hésite pas à voir dans les « Walfische » des mam-
mifères terrestres modifiés par le milieu aquatique. Je vois
avec plaisir que je ne suis pas seul à m'élever contre cette
abominable hérésie. Dans YEvolution des formes animales de
Fernand Priem (Paris, 1891), on lit : « A cause de toutes ces
ressemblances, plusieurs naturalistes, comme Cari Vogt et le
docteur Durand (de Gros), regardent les Cétacés comme déri-
vés directement des Reptiles nageurs » (p. 374).
Ce que, par une énorme erreur, Haeckel affirme touchant
l'origine des vrais Cétacés (Baleines, Dauphins, etc.), se
trouve être la vérité même, appliquée aux faux Cétacés ou
Siréniens. Mais aussi, quel contraste de structure entre le
membre de ceux-ci et le membre des premiers! Le bras
Sirénien, bien qu'horriblement tourmenté et défiguré, nous
offre encore très nets, très fortement accentués, tous les
traits essentiels de l'organisation brachiale néo-morphe : tor-
sion de l'humérus, cubitation, etc. (v. Origines animales de
V Homme, p. 113). On est évidemment en présence d'un Ongulé
pentadactyle terrestre qui a échangé sa condition contre celle
de marin, et qui s'est revêtu extérieurement de la livrée de son
nouveau milieu. Haeckel n'a rien vu de cette radicale hétéro-
génie qui, à généalogiquement parler, met un monde d'inter-
valle entre le vrai Cétacé et le Sirénien. Et Haeckel se com-
plaît à aggraver son tort en nous présentant l'organisme des
vrais Cétacés comme le développement phylogénique de l'or-
ganisme Sirénien. Tout cela est prodigieux.
Le « stammbaum » nous présente nombre d'autres préci-
sions tout aussi scabreuses. Par exemple, il tire les Eléphants
des Rongeurs. Le savant zoologiste d'Iéna a certainement né-
gligé la comparaison anatomique du membre antérieur de ces
deux types. Elle lui aurait appris que, chez les Proboscidiens,
le radius est couché en diagonale sur le cubitus comme chez
les espèces à pronation facultative, et que ce dernier est dans
l'avant-bras la seule colonne de sustentation (ce qui explique
son grand développement relatif et l'atrophie du radius). Ce
182 SÉANCE DU 21 MARS 1895
parallèle lui eut montré, d'autre part, que, chez les Rongeurs,
le radius est relevé verticalement en avant du cubitus, qu'il
le recouvre entièrement, et partage avec lui la charge de l'hu-
mérus et du train antérieur de l'animal; que les deux rayons
osseux sont aplatis l'un contre l'autre, et; déplus, adhérents et
ankilosés dans plusieurs espèces. Que l'éminent professeur
nous enseigne par quel inconcevable processus le radius du
Rongeur, qui s'est déjà tant éloigné sous le double rapport
fonctionnel et anatomique de sa condition initiale de supina-
teur et pronateur libre, est revenu sur ses pas pour reprendre,
chez l'Eléphant, la posture caractéristique de son premier
état. Mais tant vaudrait s'essayer k démontrer par quelles
gradations rétrogrades l'esquille formant le résidu du cubi-
tus chez un Ruminant ou un Solipède, a repris vie et force
peu à peu, et s'est tellement bien accru, qu'il a fini par for-
mer l'énorme masse cubitale du Mastodonte, et prendre une
telle revanche sur son frère le radius, qu'il l'a réduit k son
tour au rôle de comparse.
Inutile de pousser plus loin cette analyse. Elle aura déjà
suffi k démontrer que le célèbre naturaliste allemand et ses
émules s'étaient trop hâtés, beaucoup trop hâtés d'annoncer
que par une vertu inhérente au darwinisme, l'histoire généa-
logique des règnes végétal et animal était un fait accom-
pli, et [que le grand desideratum de l'histoire naturelle, si
longtemps poursuivi, la découverte du vrai système de clas-
sement des êtres, était enfin réalisé. J'ai essayé de faire voir
qu'un tel résultat ne pouvait être obtenu qu'au moyen de
critériums spéciaux, précis et pratiques, et j'ai montré le pou-
voir de ma méthode en me servant d'un de ces critériums
pour relever et établir plusieurs erreurs capitales dans une
œuvre de classification généalogique qui a élevé son auteur
au premier rang des naturalistes de l'époque.
Nous terminons en indiquant un enseignement d'ordre
général, une «morale», qui se dégage des faits et des consi-
dérations présentés dans les deux derniers chapilres du pré-
sent exposé.
DURAND. — DIVERSES QUESTIOiNS ANTHROPOLOGrOUES 183
Les révélations aur la morphologie intime et la morpho-
génie des Vertébrés que nous devons à la théorie de Charles
Martins développée, nous apprennent que le progrès phylo-
génique ne se fait pas seulement par évolution, ce mot étant
pris dans un sens restreint, c'est-à-dire par un développement
lent, continu et régulier des formes organiques, tel qu'une
croissance; mais qu'il se fait aussi autrement, et pour la ma-
jeure part, c'est-à-dire par voie de révolution violente. Par ce
mot que faut-il entendre? Je réponds : des changements brus-
ques et plus ou moins profonds dans les conditions du milieu
d'existence, provoquant chez les êtres vivants des efforts et
des essais variés pour plier leurs organes aux nouvelles exi-
gences fonctionnelles, et ne laissant subsister que ceux qui
seront parvenus à s'adapter en se transformant. Aussi, les
formes des organismes les plus.parfaits ne sont, à vrai dire,
que des amas de difformités accommodées et régularisées, dans
lesquelles peut se lire l'histoire des vicissitudes phylogé-
niques de la race. Et plus un organisme est parfait, et plus il
porte en lui de ces cicatrices témoins des blessures reçues par
ses ancêtres dans le combat de la vie. Et ce combat de la vie
n'est pas tant une concurrence pour l'habitat et les sbustances,
que Darwin a trop exclusivement considérée; non, ce n'est
pas tant une lutte de l'individu contre ses pareils, qu'un
« struggle » dans lequel il est lui-même son propre antago-
niste, dans lequel il s'acharne à vaincre la résistance de ses
organes pour les plier à de nouvelles fonctions. Dès lors, les
races survivantes et prédominantes ne sont pas nécessaire-
ment celles qui ont supprimé le plus de concurrents et le plus
détruit autour d'elles; ce sont plutôt celles qui ont passé par
le plus d'épreuves, qui ont le plus souffert.
Les Mollusques qui vivent en ce moment au fond des mers
ne comptent sans doute pas un moins grand nombre de géné-
rations derrière eux que nos animaux les plus haut placés dans
l'échelle du règne; mais ces générations se sont succédées
sans accident, sans catastrophe, elles sont nées, ont vécu et
sont mortes dans la paix et l'uniformité d'existence — et la
484 SÉANCE DU 24 MARS 4895
race est restée emprisonnée jusqu'à ce jour, depuis les pre-
miers âges, dans son moule rudimentaire. Mais les animaux
supérieurs que nous observons en ce moment, représentent
des races qui ont conquis leur élévation par une série d'in-
nombrables épreuves toutes plus ou moins douloureuses.
Le polyzoïsme organique nous offre à son tour cet exemple,
que pour soutenir moins désavantageusement le «struggle for
life », et pour résister aux gros, les petits organismes ont eu
recours à l'association ; qu'ils se sont groupés, coordonnés,
subordonnés, organisés en un mot, et que par ce moyen la
faiblesse a triomphé de la force.
Discussion.
M. Manouvrier. — Sans partager toutes les opinions émises
par notre ancien et très honoré confrère M. le Dr Durand de
Gros, je crois que la communication qui vient d'être lue et
qui résume plusieurs importants travaux de l'auteur mérite
d'être publiée dans le Bulletin.
Cette publication, mise aux voix, est acceptée.
L'un des secrétaires : D1' Paul Raymond.
619e SEANCE. — 4 Avril 1895.
Présidence de M. André Lefèvre.
M. le Président annonce la mort de M. le Dr E. Besson et
de M. Ch. Ploix, membres titulaires et exprime les regrets de
la société.
M. le Président annonce que le Comité central se réunira
le Jeudi 44 Avril.
ouvrages offerts.
M. de Longraire. — J'ai l'honneur d'offrir à la société deux
brocbures que j'ai publiées et qui pourront avoir quelque
OUVRAGES OFFERTS 185
intérêt pour elle. La première est le compte rendu d'un ou-
vrage sur la mécanique, de Héron d'Alexandrie (celui qui est
connu par la fontaine qui porte son nom). L'original de cet
ouvrage est perdu, mais on savait qu'il existait k Leyde une
traduction arabe, qui a été traduite en français par M. Carra
de Vaux. Cette Mécanique a dû être écrite dans des temps
voisins de l'ère chrétienne : elle est curieuse pour les détails
qu'elle donne sur la connaissance des Grecs Alexandrins de
cette époque. Elle fixe d'une manière plus nette que Vitruve
et divers autres auteurs les idées des anciens sur la mécani-
que.
La seconde traite d'un sujet plus général : les tremblements
de terre qui ont été l'année dernière surtout, à l'ordre du jour
par les nombreux désastres dont bien des pays ont été les
victimes. Je m'y suis écarté de la principale solution admise
actuellement, et qui repose sur l'hypothèse d'explosions sou-
terraines formidables, dont l'existence ne peut être contrôlée
par aucune observation directe. Il m'a paru qu'il convenait
d'attaquer le problème en étudiant les désastres les plus grands
afin de se rendre compte de leur mécanisme. Les observations
les plus récentes tendent à prouver que le siège des effets pro-
duits dans les tremblements de terre est tout à fait superficiel,
qu'on ne doit pas leur attribuer les dislocations profondes
appelées failles en géologie, et que les modifications du sol
affectent faiblement le relief général du terrain. Ceci posé, si
l'on consulte, comme je l'ai fait, les récits des principaux
tremblements de terre, on reconnaît bientôt que les grands
désastres ont été produits par des glissements de terrains qu'il
conviendrait dès lors d'étudier d'une manière spéciale, à la
manière adoptée par les ingénieurs, lorsque, dans les grands
travaux de terrassements, il se produit des éboulements de
masses importantes de terres
On entrerait ainsi dans la sphère de l'observation directe
pour quitter celle de l'hypothèse : cela n'expliquerait pas les
secousses légères dont, la cause reste encore obscure, mais
pour celle-là, des appareils séismographiques 1res sensibles
T. VI (4« SÉRIE). l;î
486 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
fourniront très probablement les éléments de la solution à
intervenir.
Oloriz (Dr F.) — Distribucione geografica del indice cefalico
en Espagna, Madrid, 1894.
Cet ouvrage a déjà été présenté par M. Deniker. (V. Séance
du 19 janvier 1895, p. 50.)
M. Collignon. — Je m'associe pleinement aux remarques
faites par M. Deniker, tout en désirant y ajouter quelques obser-
vations.
A n'en juger, que par la répartition de l'indice céphalique,
on pourrait dire, avec M. Oloriz, que nul pays en Europe ne
présente pareille homogénéité. L'écart moyen entre indices
provinciaux, n'est que de 6 unités, contre 11 en France; le
fait est certain et nous souscririons pleinement à cette propo-
sition, s'il n'y avait une grosse restriction à faire. En France,
les luttes de race qui se traduisent à nos yeux, par des diffé-
rences d'indice, ont mis en présence plusieurs variétés humai-
nes, l'une brachycéphale et numériquement en majorité, les
autres dolichocéphales brunes ou blondes et n'ayant que des
prédominances locales. (Je laisse de côté les variétés rares,
Basques, Arabes, Juifs, etc., etc.). Il s'ensuit que ces races
devenues stables et amies, après des siècles de luttes et de
heurts, ont gardé, pour ainsi dire, leurs positions après le
dernier combat. D'où des régions où chacune d'entre elles a
la majorité, et d'où des écarts d'indice. Mais, déjà en France,
l'indice céphalique est impuissant à séparer les dolichocé-
phales blonds du nord, des dolichocéphales bruns du midi.
Que serait-ce si l'analyse devait porter sur les groupes mixtes
des races dolichocéphales brunes ?
Or, précisément, c'est ce que nous observons en Espagne.
Nous y retrouvons, il est vrai, comme en France, des brachy-
céphales et des dolichocéphales blonds, mais à l'état de mino-
rité et ne révélant leur présence que par un relèvement léger
du chiffre moyen de l'indice céphalique (il ne dépasse guère
83 dans les cantons bracbycéphales, et 80 dans ces grands
groupes qu'on nomme Provinces) ou par une plus forte pro-
OUVRAGES OFFERTS 187
portion d'yeux bleus et de chevelures claires. En revanche,
sur l'ensemble du pays, prédominent les dolichocéphales
bruns.
Reste à savoir si, ce principe admis, on est en droit de par-
ler d'uNiTÉ de race. M. Oloriz dit oui, je n'hésite pas à répon-
dre : non. Les blonds et les brachycéphales (Celto-Ligures?)
mis à part, nous devons distinguer en Espagne dans le vaste
ensemble des dolichocéphales bruns des races très diverses.
J'ai eu l'occasion, grâce à la courtoisie de mes camarades
MM. les Officiers espagnols de Saint-Sébastien, de pouvoir
examiner un régiment de la garnison, dans des conditions
toutes particulières.
Le contingent comprenait, outre les Basques, des Gallegos
(Gallice), des Castillans, des Catalans et des Andalous. On les
rangea par provinces d'après leur lieu de naissance. J'exami-
nai de la sorte des groupes assez nombreux de chaque caté-
gorie, ayant ainsi sous les yeux une sorte de synthèse anthro-
pologique de l'Espagne. Bien plus, il me fut donné de
mesure rapidement un certain nombre de soldats de chaque
catégorie. Les mesures les différencièrent, mais légèrement.
En Gallice, j'obtenais 80, en Andalousie, en Castille et en Ca-
talogne, 78 à 79. Mais il suffisait d'observer pour reconnaître
des différences énormes, et que des mensurations plus com-
plètes eussent seules pu mettre en lumière (indices faciaux,
indice nasal, indices verticaux du crâne). On sentait immé-
diatement l'influence du sang celtique en Gallice, le nez se
retroussait, se raccourcissait, s'élargissait. Le reste de l'Espa-
gne du nord, rappelait plutôt les crânes néolithiques de Sordes
et de rilomme-mort, alors que les Andalous nous présentaient,
dans un mélange confus, l'aspect des races berbères de l'Afri-
que du nord. La longue occupation arabe (disons berbère) de
la région, a prodigieusement croisé la race primitive, si, ce
que nous ignorons, celle-ci ne lui était pas dès la plus haute
antiquité, parfaitement analogue. Certains sujets, par leur
platyrrhynie de plus de 90, leur peau très brune, leurs che-
veux frisés court, leurs lèvres grosses, accusaient une loin-
488 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
taine hérédité nègre : d'autres, ce type que j'ai isolé dans les
oasis du sud algérien en l'appelant type Gétule, d'autres enfin,
le Cro-Magnon de Khroumirie ou de Kabylie.
C'est dire qu'il est impossible de conclure de la similitude
révélée par un seul caractère, fut-il de premier ordre, comme
l'est l'indice céphalique, à une parenté ethnique, et qu'il y a
lieu d'appeler sur ce point l'attention d'un travailleur zélé et
consciencieux, comme M. Oloriz, en réclamant de lui, le sup-
plément d'enquête qui s'impose.
Autre point de vue. Dans cette nappe uniforme que nous
présente la carte d'Espagne, 3 régions se teintent en bleu plus
ou moins foncé, et s'accusent ainsi comme légèrement bra-
chycéphales. L'une, au sud, pourrait, pense M. Oloriz, révéler
l'influence ligure, qu'atteste le palus Liguslicum des anciens.
La seconde, au centre, serait celtique et rappellerait le souve-
nir de Celtibères. J'y souscris volontiers; ces opinions sont,
jusqu'à nouvel informé, les soûles admissibles, et je dirai
plus, même avant tout renseignement positif, on pouvait sup-
poser qu'il en serait ainsi. La troisième est au nord, elle cou-
vre en majeure partie la Gallice, puis les Asturies et vient
mourir à la frontière française, dans le pays basque. En un
mot, toute la chaîne des monts Cantabres qui borde le littoral
nord de l'Espagne est habitée par une population relativement
brachycéphale, par rapport au reste du pays.
Il peut en être déduit que le Cantaber indomifois, rappelait,
par sa forme crânienne comme par son amour de l'indépen-
dance, ses frères de Ligurie, d'Auvergne ou de Bretagne.
En outre et personnellement, le fait nous intéresse plus que
tout autre, car il apporte un argument sérieux à l'appui des
opinions que nous soumettions récemment à la Société sur
l'origine des Basques français.
Nous trouvions ceux-ci plus purs, non seulement de langue
et de coutumes, et c'est chose depuis longtemps observée,
mais même de race en France qu'en Espagne, et nous émet-
tions l'explication suivante. Déjà émigrés dans l'ancienne
Novenpopulanie dès 587 à la suite soit d'une poussée des Wisi-
OUVRAGÉS OFFERTS 189
goths, soit d'un besoin d'expansion favorisé par l'extermina-
tion des habitants du sud-ouest de la Gaule lors des grandes
invasions, les Basques français, dès lors mis à l'abri, ou peu
s'en faut, de toute influence étrangère, se sont perpétués,
jusqu'à nos jours sans autre modification que de lents et
graduels croisements rendus rares par leur langue elle-même.
Au contraire, les Basques d'Espagne, déjà cantonnés dans
leurs limites actuelles et voisins vers l'ouest des Celtes d'As-
turie et de Gallice, étaient, avec ceux-ci, devenus les derniers
soutiens de l'indépendance lors de l'invasion arabe. Celle-ci
se heurta à leurs montagnes sans jamais y asseoir sérieuse-
ment sa domination. En revanche, tous les cœurs fiers s'y ré-
fugièrent comme dans l'asile suprême da la liberté et s'y
mêlèrent lentement, individuellement et amicalement aux au-
tochtones, pour ensuite, au cours des siècles, redescendre avec
eux vers le sud et rejeter, outre mer, les descendants des en-
vahisseurs.
Les croisements qui en résultèrent sont indéniables et les
chiffres observés par M. Oloriz les traduisent éloquemment.
Les Celtes purs, sur le vivant, ont en moyenne un indice cé-
phalique de 88 au moins, les Basques purs de 83 environ,
l'infiltration lente d'éléments dolichocéphales abaissa, d'un
côté comme de l'autre, le chiffre de l'indice, le faisant tomber
à 80 ou 81 dans les régions celtiques, 78 ou 79 en pays bas-
que espagnol. Les 2 races primitives ont donc perdu leur ca-
ractère de pureté pour prendre l'aspect des races mêlées,
mais sans cesser pourtant de conserver un faciès spécial dû
au fonds primitif, en sorte que le caractère celtique des Gal-
legos et des Asturiens demeure évident, malgré leur faible
indice de 81, comme le cachet basque des provinces vascon-
gades, se perpétue en dépit de leur indice de 78 ou 79, mais
l'un et l'autre sont atténués et doivent se démêler patiemment
sous les caractères hétérogènes surajoutés par les croisements.
Ainsi doivent, à mon avis, s'expliquer d'une façon toute na-
turelle, les différences de type entre Basques français et Bas-
ques espagnols qui, depuis si longtemps, servent de thème
190 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
aux controverses des anthropologistes, et j'ai lieu d'être satis-
fait des arguments nouveaux que vient apporter au débat le
beau travail de M. Oloriz.
Hovelacque et Hervé. — Etude de 36 crânes dauphinois (dé-
partement de l'Isère) (Extr. de la Revue de l'Ecole d'Anthropologie),
in-8, 14 pages, Paris, 1894.
Koganei (Dr). — Reitrage zur physischen anthropologie der Aino.
II. Untersuchungen am Lebenden (Extr. de Mitth. d. medicin. fa-
cullàt d. Universitaet zu Tokio), in-4°, 154 pages et planches,
Tokio, 1894.
Longraire (L. de). — Notice bibliographique sur la traduction
des « Mécaniques » de Héron d'Alexandrie de M. le baron Carra
de Vaux (Extr. des Mém. de la Soc. des Ing. civils), in-8, 28 pa-
ges, Paris, 1894.
Longraire (L. de). — Etudes sur les tremblements de terre.
Séismes et volcans (Extr. des Mém. de la Soc. des Ing. civils),
in-8, 94 pages, Paris, 1895.
Zaborowski. — Populations de l' Indo-Chine. Les Tsiams, ori-
gines et caractères (Extr. de la Revue scientifique), in-8, 30 pages,
Paris, 1895.
périodiques (articles à signaler).
The Journal of the Polynesian Societg,\o\. III, n° 4. — A Pau-
motuan dictionary (part U); — The moriori people of the
Chatham islands; — The Maori tribesof the east Coast New-
Zealand; — Traces of ancienthuman occupation inlbePelorus
district, Middle island.
Rapport de la Commission du Musée et de la Bibliothèque.
Pau M. Maximilien (ieorges, rapporteur.
La commission du musée et de la bibliothèque, composée de
MM. Salmon, Vauvillé et Maximilien-Georges, s'est réunie le
MAXIMILIEN- GEORGES. — MUSÉE ET BIBLIOTHÈQUE 191
28 février et a désigné comme président M. Salmon. Elle s'est
d'abord occupée de la bibliothèque.
L'archiviste, M. Zaborowski, nous a communiqué les ren-
seignements suivants :
Le budget de cette année, alloué à la bibliothèque a été a peu
près entièrement dépensé dans l'intérêt de la science et de la
Société; malgré cela, les besoins de la bibliothèque étant pour
ainsi dire illimités, il y a toujours de pressantes dépenses à
faire.
La Société avait un nombre considérable d'ouvrages et de
collections non reliés, dette année, 177 volumes de tous for-
mats ont été reliés pour le prix total de 309 francs, ce qui
donne un prix moyen de 1 fr. 75 par volume. La commission,
après contrôle de cette facture de dépenses, enregistre ce
résultat en priant le bibliothécaire de faire le nécessaire pour
obtenir encore, s'il est possible, de nouvelles réductions de
prix auprès des relieurs.
Un triage a dû être fait dans ces livres, car, les relier tous
ensemble nous entraînerait à des dépenses trop considérables
pour une année. La commission vous propose de ne faire
relier que les volumes ou publications qui, après un examen
sérieux, présenteront un intérêt suffisant pour nous engager
à faire cette dépense.
Quelques publications très importantes, telles que le Bulle-
tin du musée d'Harward, dix-sept collections de bulletins de
Sociétés françaises et diverses autres publications qui, eu
égard à leur moindre intérêt et à la dépense relativement
élevée à laquelle cela nous entraînerait, sont mis de coté sur
les rayons sans qu'il soit nécessaire de les faire relier.
Pour d'autres publications, encore en grand nombre, mais
d'un intérêt plus secondaire, il a fallu prendre un parti encore
plus rigoureux; par suite du manque de place, ces publica-
tions ont dû être mises complètement de côté dans un local
de l'étage supérieur. Vingt-deux collections de périodiques
qui s'accroissent incessamment, un grand nombre de publica-
tions, la plupart étrangères à l'Anthropologie, de nombreuses
102 SÉANCE DU \ AVRIL 1895
brochures ou mémoires isolés sont dans ce cas. L'archiviste
se propose défaire un tableau très succinct donnant des indi-
cations sommaires à l'aide d'un classement par groupes, afin
de permettre aux membres de la Société qui pourraient en
avoir besoin, de faire des recherches dans ces documents.
De nombreux vides qui existent dans nos collections spécia-
les qui sont souvent consultées n'ont pu être comblés par suite
de l'indifférence, de la négligence des directeurs et éditeurs
de périodiques avec lesquels la Société fait des échanges, ou
de la poste et autres causes diverses.
D'un autre côté, le bibliothécaire cite à la commission les
noms de MM. Richet, pour la Revue scientifique, Verneau pour
['Anthropologie, Jacques, de Bruxelles, pour les Bulletins delà
société d'Anthropologie de Bruxelles, qui ont apporté un grand
empressement à nous satisfaire.
Parmi les collections qui ont pu être complétées, la commis-
sion vous signale les suivantes : Bulletin de Palethnologie
italienne, Bulletin international de l'Académie de Cracovie, Société
de Géographie italienne, journal anglais « Nature » Esscr institute.
Nous avons reçu des Sociétés suivantes et notamment des
deux premières, l'Académie de Cracovie, le musée de Sera-
jewo et l'Académie royale de Dublin, de nombreux volumes
renfermant des travaux de premier ordre.
Le bibliothécaire vous demande de décider l'échange avec
le journal de la Société finno-ougrienne d'Helsingsfors. Le
compte rendu de l'Académie royale d'Irlande, l'Académie des
sciences de Philadelphie, l'Académie des sciences de Cracovie,
le compte-rendu du musée de Serajewo. La commission
signale l'utilité qu'il y aurait à accepter cette proposition,
car nous avons pour devoir, non seulement de répandre la
connaissance de nos recherches aussi loin que nous le pou-
vons, mais aussi, à l'emploi de la langue française comme
langue scientifique.
M. Zaborowski nous informe également qu'il a recueilli
cent douze photographies depuis l'année dernière. Toutes se
rapportent à l'Anthropologie; elles sont classées dans des
MAXIMILIEN-GEORGES. — MUSÉE ET BIBLIOTHÈQUE 193
albums faciles à consulter. Il en reste encore un certain nom-
bre se rapportant à des sciences diverses que M. l'Archiviste
s'occupe de classer.
Tous nos clichés qui n'avaient encore pu être rangés ont
été classés pour la première fois dans l'ordre dans lequel ils
figurent dans nos bulletins autant que possible. La commis-
sion émet l'avis que ces clichés, qui représentent une très
grande valeur, soient déposés dans une pièce fermant à clef,
car, dans l'endroit où ils se trouvent, il nous semble qu'ils
courent des dangers.
L'étage supérieur a été récemment fermé par une porte
vitrée qui a été mise en haut du palier de l'escalier, ce qui a
permis d'y déposer une grande partie des publications qui
encombraient le local de la bibliothèque; malgré cela, cette
installation est très insuffisante et très prochainement ne
répondra plus à nos besoins.
Le nombre de nos Bulletins pour certaines années présente
de grandes inégalités. Ainsi du premier volume de votre troi-
sième série nous n'avons que 68 exemplaires et du volume IV
de la première série, seulement 22; alors que nous en avons
488 du Ve, grâce à une réimpression. 11 y aurait donc lieu de
constituer à part les 22 séries qui peuvent être complètes :
quant aux volumes que nous avons en nombre dispropor-
tionné, la commission propose qu'ils soient remis à l'éditeur
pour les vendre.
Il a été fait deux achats de livres importants qui sont ;
Brough Smith : The Aboriginal of Victoria et, Issel : Liguria
geolor/ica et prehistorica.
Cette année la bibliothèque a reçu un don important de
M. Ghervin en brochures et livres. M. Rousselet nous a en-
voyé la suite en deux volumes de son magnifique dictionnaire
de géographie (Vivien de St-Martin).
En vu d'un ordre qui nous a semblé nécessaire, la commis-
sion seraitd'avis quelespublications, volumes, mémoires, etc.,
que la bibliothèque reçoit, fussent inscrits sur un registre
ad hoc au moment de leur réception et reçoivent un numéro
194 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
d'ordre afin d'avoir à tout moment la trace de leur arrivée;
ensuite, après examen, un triage sera fait et tout ce qui sera
jugé inutile ou faisant double emploi sera éliminé.
Au sujet des volumes prêtés, la commission a constaté, sur
le registre de prêts, qu'un certain nombre d'ouvrages emprun-
tés depuis longtemps devraient être rendus à la bibliothèque.
L'archiviste se propose d'adresser un rappel pressant a tous
les membres de la Société qui tardent trop à rendre les volu-
mes qu'ils ont entre les mains.
La commission émet aussi l'avis que le cachet spécial de la
bibliothèque soit apposé sur tous les volumes, non seulement
sur une des premières feuilles, mais encore sur une page de
l'intérieur.
Les dépenses faites cette année pour le compte de la biblio-
thèque se décomposent ainsi qu'il suit :
Achat de livres 102.43
Reliure . . . 309.90
Couvertures et fermetures d'albums. 117.60
Collage de photographies 37.20
Cartons pour les brochures . . . . 15.10
Frais divers 2.90
Total . . 585.15
La somme allouée à la bibliothèque étant de 650 francs, il
est resté à M. l'Archiviste la somme de 64 fr. 85.
La commission s'est ensuite occupée du musée.
Par les soins de M. Hervé, conservateur de l'anatomie,
toutes les collections crâniologiques de la Société, sauf l'Amé-
rique, ont été classées dans un ordre méthodique permettant
d'en embrasser facilement l'ensemble, d'en étudier et exami-
ner les détails sans perte de temps et sans qu'il puisse se
produire de confusion dans l'esprit du chercheur. Pour l'Amé-
rique qui reste encore à classer, M. le Conservateur fait
actuellement construire une armoire au fond de la salle du
musée, ce classement sera fait par ses soins cet été.
MAXIM1LIEN-GE0RGES. — MUSÉE ET BIULIUTHÈQUE 195
Des étiquettes de différentes couleurs ont été adoptées par
M. Hervé pour les différentes époques et les divers pays.
Elles correspondent au classement suivant :
Blanc.
Jaune
Gris .
Violet
Rouge.
Rose .
EPOQUES.
Crânes néolithiques.
— Age du bronze.
premier âge du fer et gaulois.
— gallo-romains,
mérovingiens.
— moyen-àge.
PAYS.
Vert — France.
Jaune — Europe.
Rose — Asie.
Bleu Afrique.
Violet .... — Océanie.
Rouge .... — Amérique.
M. A. de Mortillet, chargé de la partie préhistorique et
ethnographique a exécuté, dans la salle du haut, un travail
de classement raisonné et méthodique des nombreux et
divers objets qui constituent nos collections.
Cette salle qui a été remise en état autant qu'il a été possi-
ble de le faire, est déjà insuffisante à recevoir toutes les piè-
ces qui sont aujourd'hui classées et étiquetées. Leur inscrip-
tion à l'aide d'un numéro correspondant à un registre expli-
catif a été commencée et se continuera cette année afin que
le moindre objet ait une fiche indicative.
Parmi les dons faits au musée, M. de Mortillet nous prie de
mentionner particulièrement :
1° Une importante collection ethnographique réunie au
Dahomey au cours de la campagne de 1893-1894, par
M. Georges Danjou, notre collègue, aide-major au bataillon
étranger et donnée par lui. Cette collection comprend 341
196 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
objets : armes, vêtements, poteries votives, bijoux, fétiches,
gris-gris, etc.
2° Don de l'un de nos vice-présidents, M. Ollivier-Beaure-
gard : une riche parure de Javanaise, vingt-deux armes java-
naises (sabres et kriss) et diverses pièces ethnographiques de
l'Amérique du Sud.
3° Une importante série de pierres taillées, rapportées
d'Egypte par M. Lajard, notre collègue, destinée à la Société
et non encore présentée.
Le crédit spécial au musée et de. . . . 650 fr. 00.
Les dépenses pour l'année écoulée se sont réparties ainsi :
Achat d'un lot d'objets en fer, cuivre et os de provenance
africaine, comprenant : un torque, un bracelet, une pointe de
javeline et sept épingles en forme de spatule . . 6 fr. 00
Port des colis Lajard 103 »
Port des colis Danjou 32 90
Nettoyage du musée 78 50
Travail déclassement (Frais d'employé supplé-
mentaire) 137 50
Frais divers 8 50
Total. ... 366 fr. 40
11 est donc resté à MM. les Conservateurs une somme
disponible de 283 fr. 60.
La partie du local affectée au musée préhistorique et
ethnographique étant manifestement insuffisante, la commis-
sion exprime l'avis que l'on fasse procéder à son agrandisse-
ment en ouvrant et aménageant la pièce qui lui est conti-
guë. Cette pièce renferme actuellement les os longs, qui pour-
raient trouver place dans d'autres pièces moins bien éclairées
où sont en dépôt les objets d'ethnographie non encore classés.
Malgré le travail considérable qui a été exécuté, il reste
encore beaucoup a faire, mais, au musée comme à la biblio-
thèque, la place est à la veille d'être insuffisante et la Société
devra se préoccuper de l'augmenter.
La commission conclut en vous proposant de voter des
MAXIM1LIEN-GE0RGES. — MUSÉE ET BIBLIOTHÈQUE 497
remerciements à tous les généreux donateurs, ainsi qu'à nos
collègues, MM. les Conservateurs et M. le Bibliothécaire pour
le zèle et le dévouement qu'ils ont apporté à remplir leur
tâche.
PRÉSENTATIONS.
M. Capitan présente une nombreuse série d'objets ethno-
graphiques du Dahomey apportés en France et soumis à
l'examen de la Société, par M. Royer, sergent d'infanterie de
marine.
M. Zaborowski. — De toutes ces pièces intéressantes que
vient de nous présenter M. Capitan, celles qui me frappent
surtout, ce sont les objets votifs recueillis sur des tombeaux
de Dahoméens.
Assurément, ils sont d'un usage très répandu. En Europe,
dès l'époque néolithique, à la place de ses outils, de haches
polies de fabrication coûteuse, on offrait au mort des réduc-
tions, des modèles de la dimension de jouets d'enfants. Les
Chinois ont poussé cette pratique économique à sa limite ex-
trême. Les modèles d'objets qu'ils offrent aux morts sont des
simulacres en papier. Et ils sont même arrivés à ne déposer
dans la tombe que le nom écrit, l'énumération manuscrite des
objets dont ils sont censés faire honneur à leurs parents et
amis défunts.
Il est donc possible que ce même usage existe en plusieurs
points de l'Afrique. Mais c'est la première fois que je vois
rapporter, de chez les vrais nègres, des objets votifs, c'est-à-
dire des modèles réduits de l'outillage que l'usage prescrit
d'abandonner, d'oifrir aux morts.
MM. G. et A. de Mortillet, Lefèvre, Regnault, Thieullen,
Vauvillé, Fourdrignier font des observations sur les objets
présentés.
M. Zaborowski. — Je ne conteste pas du tout le caractère
votif des poteries dont parle M. Adrien de Mortillet. Je ne
conteste pas qu'on a pu fabriquer exprès, pour les cérémo-
-198 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
nies funéraires, des modèles de vases en usage. Mais il est
bien difficile de reconnaître ce caractère purement votif même
dans les poteries de très petites dimensions. Car on se sert
encore, aujourd'hui, pour les besoins culinaires, de poteries
extrêmement petites.
Ce qui inspirait l'offrande d'objets et de modèles réduits
d'objets à l'usage du mort, c'est la conception animiste d'a-
près laquelle le mort continuait d'avoir les mêmes besoins,
dans un monde plus ou moins éloigné. Un sentiment plus
complexe s'est manifesté par l'offrande de poteries. A l'ori-
gine, les vases déposés dans les tombeaux étaient destinés à
contenir presque uniquement des aliments pour le mort. Mais
ensuite cet usage n'a pu se maintenir qu'en revêtant un ca-
ractère purement symbolique. 11 a changé d'aspect et s_'esi
inspiré assurément d'idées moins simples, moins frustes que
les croyances d'après lesquelles le mort devait être pourvu
d'une provision de nourriture. On a offert des tessons au lieu
de vases entiers. Et il peut se faire qu'on se soit inspiré en
cela de l'idée qu'un objet cassé était, par cela même, expédié
dans un autre monde et que son àme suivait celle du mort.
Mais les énormes quantités de tessons qui recouvrent certains
tombeaux, prouvent que leur offrande avait un caractère sym-
bolique, peut-être plus difficile à définir exactement qu'on ne
l'a cru.
COMMUNICATIONS.
Les sauvages de l'Iiido-Chine. — Caraetères et origines.
Par M. Zaborowski.
Encore aujourd'hui, bien que pressés de toutes parts, tra-
versés en maints endroits et mêlés rapidement, de gré ou de
force, aux populations conquérantes qui les ont déjà dépos-
sédés de tous les territoires les plus fertiles et les plus salubres,
les sauvages de l'Indo-Chine n'ont pas encore été complète-
ment déterminés dans leurs caractères et leurs origines. De
ZABOROWSKI. — LES SAUVAGES DE l/lNDO-GHINE 199
rares documents nouveaux et une étude plus minutieuse de
documents déjà connus, m'ont, cependant, permis de for-
muler à leur endroit, dans des conférences faites en 1894 et
en 1895, des conclusions que je tiens pour définitives. Je me
bornerai ici à l'exposition sommaire de ces conclusions, après
avoir rappelé seulement qu'on a cru reconnaître, tour a tour,
parmi eux, un fond commun différent, tantôt alfourou (Tho-
rel), tantôt négrito (Hamy, Verneau, et, depuis, Lapicque et
d'autres), plus souvent encore javanais (Garnier) ou malais
(Harmand, Hamy, Cupet, etc.), finalement battak-dayak
(Harmand, Hamy).
Les Négritos, on le sait, sont des noirs à cheveux crépus.
Ils se distinguent surtout par leur très petite taille associée
à une musculature assez forte et à un crâne arrondi. Les Al-
fourous, en présentant des caractères semblables, se rappro-
chent davantage des Papous.
Les caractères des Malais, s'ils offrent des variations plus
étendues, sont, cependant, très tranchés par rapport aux pré-
cédents.
Les Malais ont, en effet, les cheveux noirs à reflet bleuâtre
et raides, et leurs yeux quoique à peine obliques, sont bridés.
A ces deux traits, qui sont, d'ailleurs, distinctifs de toutes les
races mongoliques, auxquels se joint une coloration non pas
jaune sale mat ou jaune grisâtre, comme chez les Annamites,
mais olivâtre et rougeâtre, on reconnaît la présence certaine
de leur sang.
11 serait assez facile, en conséquence, et dès qu'on se trouve
en présence d'un nombre suffisant de sujets, de savoir si l'un
ou l'autre de ces deux éléments domine. Mais ce ne sont pas
les seuls qui soient en question et dont la présence soit ad-
missible.
J'ai clairement démontré, dans une conférence sur les
ïsiams (Revue scientifique du 5 mars 1895), que j'ai l'honneur
d'offrir à la bibliothèque, qu'un courant d'émigration, parti
du sud de l'Inde, n'a cessé de se porter sur la Cochinchine,
depuis les premiers siècles de notre ère au moins. Cette émi-
200 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
gration si ancienne et si prolongée, qui se poursuit encore de
nos jours, a dû, nécessairement, influer sur les caractères de
la population. Et ce n'est pas tout.
Mais, pour être plus clair, j'ai dû établir trois divisions
parmi les sauvages de l'Indo-Chine, bien que leur nombre
total, peu élevé, a été estimé seulement à 10,000, d'après des
données d'ailleurs problématiques.
Le nom, qui leur vient de leurs voisins annamites, est de-
venu générique, par une extension, d'ailleurs abusive. Ce
nom, Mois, qui veut dire sauvages, est appliqué à ceux d'en-
tre eux qui sont en contact avec les Annamites. Je l'ai réservé
pour les tribus de la Cochinchine, bien que tout le long de la
frontière de l'Annam il soit employé pour les sauvages encore
rebelles à la culture annamite, et aussi pour des tribus plus
ou moins métissées qui sont venues s'établir à demeure au
bas des hauteurs qui la dominent.
J'ai trouvé avantage à réserver le nom cambodgien de sau-
vage, Peunong, qui a pris aussi un sens ethnique, aux tribus
qui furent toujours en contact avec le Cambodge comme à
toutes celles qui sont établies entre le Cambodge et l'Annam.
Enfin, de même, pour les populations situées au nord de la
ligne prolongée de la frontière cambodgienne ou du 14e degré
de latitude, j'ai réservé le mot laotien de sauvage, Khà. Ces
trois subdivisions ne sont peut-être pas aussi arbitraires
qu'elles le paraissent, puisqu'elles représentent trois groupes
qui ont subi des influences sensiblement différentes. Le pre-
mier, le groupe Moï, entre le 10e et le 12e degré de latitude,
est fortement mêlé des débris de l'ancien peuple Tsiam et,
plus haut, le long de la frontière annamite, de Tsiams encore,
puis d'Annamites. Le deuxième, le groupe Peunong, aurait
été, sans nous, assimilé ou détruit par les Cambodgiens. Le
troisième, le groupe Khà, est fortement imprégné de la civili-
sation laotienne, et sa destruction par les Laotiens, puis par
les Annamites, a été très active depuis notre conquête. Envi-
sagés dans leurs éléments les plus consistants, ils présentent
entre eux des différences physiques appréciables. Mais ils ne
ZABOROWSKI. — LES SAUVAGES DE L'INDOCHINE 20 1
sont pas séparés par des lignes de démarcation suffisamment
nettes, parce que leurs tribus n'ont pas de patrie, ni aucun
lien entre elles. Elles se poussent elles-mêmes en tous sens,
se laissent transporter, se mêlent et s'entrecroisent inces-
samment.
• »
De nombreuses mesures ont été prises par M. Néïs sur les
Mois de Baria, de Bien-hoa, et les Thioma, qui s'appellent,
eux-mêmes, Traos. Les moyennes publiées comme ressortant
de ces mesures sont généralement inexactes et n'apppren-
nent rien. Celles plus détaillées concernant les Moïs de Baria,
tout contre les côtes, m'ont permis la recherche suivante. Us
sont petits. J'ai groupé ensemble les plus petits, ceux que
leur taille de 1 m. 50 et au-dessous rapprochait des Négritos.
J'ai obtenu le tableau suivant :
Tableau I
Taille Indice céphal.
1,40 75,54
1,42 75,70
1,44 . 74,40
1,45 81.50
1,46 74,86
1,46 77 »
1,47 73,91
1,49 77,70
1.49 80,50
1,50 . . . . . . . . 74,80
765,91
Indice céphalique moyen : 76,59.
L'indice céphalique moyen de ces dix individus est bien
inférieur à celui des Négritos (de 80 à 84). Et, d'ailleurs, il
n'y en a que deux qui ne si; rattachent pas au type dolicho-
t. vi (4° série). 14
-20-2
SÉANCE DU 4 AVRIL 4895
céphalique. Or, s'il y avait des Négritos parmi les Mois de
Baria, nous les retrouverions à coup sur parmi les individus
les plus petits, précisément dans cette série. Mais les deux in-
dividus à indice de 80,50 à 81,50, que sont-ils? Je puis affir-
mer qu'ils ne sont pas négritos. En efïet, M. Neïs a rapporté
un grand nombre d'échantillons de cheveux. Il n'y a pas de
cheveux laineux parmi eux. La plupart sont ondes à reflets
roussàtres, comme peuvent l'être ceux des Dravidiens, des
Veddahs.
Il y a aussi des cheveux noirs et droits k reflet bleuâtre, du
type des cheveux mongoliques, par conséquent. A quelles
têtes pourraient se rapprocher ces derniers, sinon aux tètes
arrondies?
J'ai recherché quels étaient les indices céphalométriques
des tailles les plus élevées, de 1 m. 60 et au-dessus. Ces tail-
les représentent le quart des sujets observés, soit 25 p. 400.
Voici le tableau que j'ai obtenu :
Tableau
II
nd. céph.
Taille
lu 1. eéph.
Taille
Ind. céph.
Taille
83,33. .
4,61
78,92. . .
4,66
75,13. .
. 1,60
82,58. .
1,65
78,35. . .
4,62
74,86. .
. 1,63
83,32. .
1,61
77,66. . .
4,62
73,73 . .
. 4 ,65
81,46. .
1,63
76,84. . .
4,64
73,65 . .
. 4,64
80,87. .
1,62
76,34. . .
4 ,66
73,65 . .
. 4,62
80,54. .
1,60
>o,^9. . .
4,64
73. 15 . .
. 4,64
80,31. .
1,64
75,77. . .
4,64
73.15. .
. 4,64
80,40. .
1,61
75,40. . .
4,65
79.23. .
1,64
75,13. . .
4,64
H fine f'O t
îKlnan 1
p< rlnlii'liiwér
halftfi i
mrs. an noi
nbre de
n'ont plus la même importance proportionnelle (20 0/0) que
dans le précédent (40 0 0). Ht ce qui domine en proportion
égale, ce sont les sous-dolichocéphales, au nombre de 8, et
le< sous-bpachycéphales, en même nombre. L'indice moyen
ZABOROWSKI. — LES SAUVAGES DE l'iNDO-GHINB 203
est, d'ailleurs, seus-dolichocéphale (77,60). C'est celui des
Tsiams eux-mêmes et des Indonésiens, Dayaks et Battaks.
A quel type se rattachent les sous-brachycéphales ?
Considérons, d'abord, pour le savoir, la taille des sujets
dont l'indice céphalométrique est le plus élevé.
Nous avons ainsi le troisième tableau suivant :
Tableau III
Ind. céph. Taille Ind. céph. Taille
87,21 1,50 83,05 1,57
84,44 1,50 82,58 1,59
83,97 1,58 82,58 1,65
83,78 1,52 82,32 1,61
83,43 1,49 80,54 1,60
79,55 1,59
La taille moyenne des cinq plus brachycéphales est seu-
lement de 1,51. La taille moyenne générale, de 1 m. 56, est
celle des Malais. Et je suis d'autant plus fondé à dire qu'il y
a là un élément Malais que, sous le rapport de la couleur de
la peau, de la nature des cheveux et de l'horizontalité du re-
gard, nos Moïs se distinguent nettement des Annamites. Tout
ce que nous savons, d'ailleurs, de la composition du peuple
Tsiam, maître de la Cochinchine jusqu'à notre siècle, nous
met en présence de ces trois mêmes éléments : Indien Dravi-
dien, Indonésien, Malais.
Pour les Mois de Bien-hoa et pour les Thioma, je n'ai que
des moyennes. Ces moyennes ne m'ont pas permis de dégager
nettement les rapports existant chez eux entre les variations
de la taille et celles de l'indice céphalométrique. Je m'assure,
toutefois, que c'est toujours dans le groupe des sous-dolicho-
céphales que se rencontrent les tailles les plus hautes, ou, si
l'on veut, les moins petites.
L'indice moyen général est d'ailleurs celui des 25 tailles les
plus élevées des Moïs de Baria, 77.20. Et cela permet de pré-
204 SÉANCE DU 4 AVRIL 4895
voir qu'en avançant dans l'intérieur, c'est l'élément indoné-
sien sous-dolichocéphale, plus grand que les Malais et plus
ancien que tous les autres, qui tend à prédominer.
* •
Huit crânes Mois figurent dans les collections de la Société
d'Anthropologie. Des mesures en ont été publiées par M. Néïs
qui les a rapportés et donnés. Elles présentaient des discor-
dances singulières. J'ai de nouveau étudié complètement sept
de ces crânes, comprenant 3 Mois de Baria, 2 Thiomas et deux
Lays. Et on verra qu'ils constituent une petite série parfaite-
ment homogène. Les deux Lays sont empreints de caractères
d'une évidente dégradation. Le n° G est très prognathe et le
n" 7 a les fosses nasales, sans bords inférieurs, prolongées en
gouttières. Les deux Thiomas se distinguent par une hauteur
spino-alvéolaire extrêmement réduite (9 et 10""".), moitié
moindre que celle observée chez les Mois de Baria (17 et
18mm.). Je mets de coté toutefois les mesures absolues pour
ne donner ci-dessous que des indices :
Crânes Moïs (Néïs)
Thioma
Lays
77,01
74,71
74,40
77,71
74,71
77,01
74,40
74.28
85,84
87, 50
80,81
83,63
64,34
67,40
70
68,46
56
55,31
60,53
54
92,10
89,45
88,57
86,84
Indice céphaliqne. 74,55 79,19 71,58
— vertical . . 77,05 78,61 75,56
— front, stéph. 80,53 82,91 87,50
— facial . . . 67,40 62,32 65,32
— nasal. . . . 57,69 55,10 59,09
— orbitaire. . 86,84 91,67 86,84
Ils sont en majorité dolichocéphales et leur indice céphal.
moyen est de 75,6. Les chiffres donnés par M. Néïs pour l'in-
dice orbitraire vont de 84 à 100. La moyenne serait de 92, Je
n'ai pas trouvé de chiffres aussi élevés. Et l'indice orbitaire
moyen des sept crânes que j'ai mesurés serait de 88,9. II
place nos Moïs à la limite de la mésosémie, non loin par con-
séquent les mongoliques.
ZABOROWSKI. — LES SAUVAGES DE L'iNDO-CHINE 205
Leur indice nasal à tous est très élevé. Il y a une erreur
dans un des chiffres précédemment donnés par M. Néïs. Mes
chiffres vont de 54 à 60,53 et donnent comme moyenne
56,96. Autrement dit ces crânes sont tous platyrhiniens,
caractère négroïde.
Je les ai comparés à des crânes Javanais et Madurais en
raison des relations historiques qui ont pu exister entre Java
et la Cochinchine.
Je ne reproduis pas mes mesures. Elles montrent que Java-
nais et Madurais, pas platyrhiniens et pas dolichocéphales, du
type mongolique, s'éloigne d'eux notablement.
J'ai mesuré aussi un Orang Sakaï de Malacca (don Mugnier).
Celui-là, de sang négrito, est bien platyrhinien, mais il l'est
moins que nos Moïs et s'écarte nettement d'eux et des Mon-
goliques par la faible hauteur de ses orbites (ind. 78.). Les
Dayaks, d'autre part, en offrant quelques traits semblables
sont moins longs (ind. 77,52). Ils ne sont pas phatyrhiniens
et leur face se distingue en outre par une différence marquée
dans l'espace inter-orbitaire plus grand (25 contre 21). Ce
n'est donc que parmi les Dravidiens du sud de l'Inde, groupe
dont je n'exclus pas les Veddahs, qu'on rencontre la même
réunion des caractères crâniens observés chez les Moïs.
J'ai mesuré deux Malabarais,car c'est du Malabar que vien-
nent encore aujourd'hui les Indiens de la Cochinchine. Voici
les indices qu'ils m'ont donnés :
Malabarais (don Bassignoi)
I. h. 33 ans
II. f.
dice céphalique . . .
75,28
78,78
— de haut. long. .
75,86
—
— stéphanique.
82
82,91
** r
55,81
— orbitaire ....
80
88
On le voit, nous retrouvons chez les Malabarais la même
206 SÉANCE DU 4 AVRIL 1 89.">
association de caractères que chez les Mois, sous-dolichocé-
phalie, platyrhinie, mésosémie.
M. Jagor a publié des mesures prises] sur 234 individus
provenant tous des tribus Dravidiennes du sud de l'Inde
(Zeitschrift fur Ethnologie, 1879.) Je ne -peux pas en retirer
un argument décisif, puisqu'elles ne me donnent ni la lar-
geur relative du nez, ni la hauteur des orbites. Mais on est
frappé de ressemblances évidentes dans les caractères abso-
lus et la relation de lataille aux indices, les moyennes de ceux-ci
étant comprises entre 69 et 79 et les tailles moyennes entre
l'»43 et lm66. (Il y a des tailles moyennes de 1 In67 et de lm69
chez les Mois de Bien-Hoa et surtout chez les Thiomas.)
Il serait sans doute utile d'étudier de plus près les chiffres
de M. Jagor. Mais, dès maintenant, les faits recueillis, les obser-
vations précédentes, d'accord, au surplus, avec les données de
l'histoire, permettent d'affirmer qu'un élément d'origine dra-
vidienne entre comme élément essentiel dans la composition
de nos tribus Mois. Le retrouvons-nous plus haut, au-delà des
limites de la Cochinchine? On n'aurait pas pu répondre à une
semblable question il y a seulement quelques mois. J'y
réponds aujourd'hui sans hésiter, affirmativement. Les Tsiams
ont d'ailleurs étendu pendant des siècles leur domination jus-
qu'au Tonkin.
» *
Ouelques mots d'abord sur le groupe des Peunongs pris
dans son ensemble :
Un vaste territoire, encore indépendant, est réservé à ce
groupe. Il comprend les tribus les plus nombreuses, et il est
certain qu'aujourd'hui encore beaucoup de ces tribus sont
indemnes de tout mélange avec les Cambodgiens et les Anna-
mites. Elles furent les dernières visitées. Elles ne l'ont pas
encore été toutes et l'intérieur de leur pays n'est que difficile-
ment accessible. Le dernier voyageur qui ait donné la rela-
tion de son voyage chez eux, le capitaine Cupet, dit presque
avec insistance, que ce sont des Malais, de robustes Malais,
dont au reste il admire sans réserve la musculature et les for-
ZAB0R0WSK1. LES SAUVAGES DE L'iNUO-CHI.NE 207
mes. M. Harmand, M. Hamy ont cru aussi, longtemps, qu'ils
formaient le noyau continental de la race Malaise. Mais ils
sont revenus sur cette appréciation. M. Harmand lui-même,
en effet, a montré qu'ils étaient dolichocéphales ou sous-doli-
chocéphales. 11 faut distinguer cependant. Le long de la grande
voie de pénétration qu'est le Mékong, et en contact avec les
Cambodgiens, c'est bien l'élément Malais qui semble l'em-
porter. Les Piaks comme les Kongs du Cambodge ont la
même forme crânienne que les Malais. Quant au fond origi-
naire de la population, j'ai cru pouvoir aisément en déter-
miner la nature. Chez tous les Peunongs, en effet, depuis
les Piaks au sud-ouest, jusqu'aux Bahnars au nord-ouest, se
rencontrent des usages très particuliers, tels que celui de pas-
ser de lourds anneaux dans le lobe étiré de l'oreille, de ma-
nière à ce qu'il arrive à descendre aux épaules, celui encore
de se casser les deux incisives médianes à l'époque de la
puberté, et celui de se couvrir les bras d'anneaux de cuivre.
Eh bien ! ces usages si particuliers aux Peunongs sontéga-
galement distinctifs des Dayaks de Bornéo. Et j'ai montré, à
l'aide de portraits, que les caractères extérieurs qui ont le
plus frappé chez les Peunongs les plus indépendants, telle
que la robustesse, une musculature presque belle, sont égale-
ment des caractères des Dayaks. Il y a entre les deux groupes
des identités de mœurs et de formes qui ne peuvent avoir
leur explication que dans ce fait, pour moi aujourd'hui indé-
niable, à savoir que jadis les populations primitives del'Indo-
Chine étaient en relations directes, en contact territorialement,
en continuité géographique, avec celles de Bornéo. La res-
semblance des deux groupes n'est plus aujourd'hui complète.
Sans aucun doute, de longs siècles d'une vie précaire, misé-
rable, ont exercé une fâcheuse dépression sur le physique des
sauvages indo-chinois. Ils ont aussi subi d'autres vicissitudes.
On m'a signalé, par exemple, des cheveux ondes et même très
frisés parmi eux.
Depuis peu de temps, le Muséum possède quelques crânes
du peuple Bahnar. qui habite aux contins nord-est du terri-
208 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
toire Peunong. Grâce à eux, je puis dire à quel type se
rapportent ces cheveux frisés. Installés dans une région acces-
sible, où les Missions catholiques ont fondé un établissement,
les Bahnars ont été décrits autrefois plus ou moins exacte-
ment. Ils ont, je viens de le rappeler,- les traits de mœurs
distinctifs des Peunongs, lobe de l'oreille étiré par des
anneaux, dents des jeunes fdles pubères limées, maisons com-
munes des Battaks.
Un voyageur contemporain (Navelle-Lanessan) nous les a
décrits comme plus grands que les Annamites, avec des traits
plus réguliers, des cheveux longs roulés en chignons, à la
mode annamite. Mais il y aurait aussi parmi eux des cheveux
bouclés, et le voyageur en question, dit même crépus. Je n'ai
pas d'abord fait état de cette assertion, parce que celui qui l'a
émise ne s'y arrête pas, ne semble pas en connaître l'impor-
tance et a pu, en conséquence, employer le terme de crépus
sans lui attribuer le sens ethnique qu'il a à nos yeux, .le puis,
aujourd'hui, l'expliquer.
MM. llamy et Verneau ont bien voulu me permettre de
prendre quelques mesures sur les crânes Bahnars du Muséum.
Ils sont dissemblables par la face. Deux d'entre eux, s;ms
glabelle apparente, sans dépression à la base du nez, avec un
sensible, développement de l'espace interorbi taire (24 millimè-
tres), rappellent le crâne mongolique. Mais tous sont allongés.
et deux le sont extrêmement. Et s'ils portent la trace de mé-
langes, ils se rattachent par leurs caractères essentiels, à un
même type fondamental. Et ce type, on peut s'en assurer par
la comparaison des trois caractères fondamentaux tirés des
indices céphaliques, nasal et orbitaire, c'est celui de nos crâ-
nes Moïs, modifiés dans la face notamment. L'indice céphali-
que suffît à écarter absolument l'hypothèse de la présence de
Négritos et de cheveux crépus.
ZABOROWSKI. — LKS SAUVAGES DE l'INDO-CHINE 209
Granes Bahnars (Muséum)
sans n°
DIAMÈTRE I II III IV V 1
Diamètre ant.-posf .... 178 176 172 182 Enfant 184
— transv 128 • 132 129 122 128
Nez. Haut 51 46,5 48 50 50
Larg 28 29,5 27 27 27,5
Orbites. Larg 41 44 37 39,5 40
Haut 33 32,5 31,5 31,5 30
Espace interorbitairo . . . . 21,5 19 24 25 21,8
Indice céphalique 71,91 74,99 75 67,03
— nasal 54,90 63,40 56,25 54
— orbitaire 80,48 73,56 84,93 79,48
Si je ne me trompe et depuis quejc les ai étudiés, on les a rap-
prochés des Dayaks. Et, en effet, il y en a bien deux, comme je
viens de le dire, dont la face notamment, par la distance sépa-
rant les orbites, peut rappeler la physionomie des Dayaks.
Mais ils se séparent de ceux-ci, par l'indice céphalique bien
plus bas (72, 23) et par leur platyrhinie accusée, caractère
qui, je le répète, n'est pas mongolique, mais négroïde.
Parmi les Bahnars, le fond est donc le même que chez les
Moi's cochinchinois. Ils sont bien plus près de la zone côtière
• pie les autres Peunongs, et ont certainement été mêlés davan-
tage que les autres Peunongs à la vie du peuple Tsiam. Leur
langue porte l'empreinte de leurs origines et des multiples
influences qu'ils ont subies, car elle renferme des mots malais,
laotiens, tsiams et annamites. Il est bien probable que la pro-
portion des mots tsiams est la plus considérable.
Tel serait ainsi le résumé ethnogénique de l'Indo-Chine.
Des tribus de mêmes caractères, de mêmes mœurs, de mè_
mes origines que les Dayaks, ont été séparées de ceux-ci, re-
foulées dans l'intérieur, avant l'arrivée des Annamites, pat-
deux éléments qui se sont plus ou moins intimement mêlés à
eux, et qui ont d'ailleurs joué le même rôle sur les côtes des
grandes îles de la Malaisie, l'élément Dravidien et l'élément
Malais.
210 SÉANCE DU 4 AVRIL 4895
J'ai pu me procurer quelques portraits photographiques de
sauvages, grâce a l'obligeance d'un résident au Tonkin,
M. Bonin. Voici un portrait de Rodi, une des peuplades Peu-
nongs les plus importantes. Sa physionomie, commune aussi
chez les Gouys du Cambodge, s'éloigne peu du type malais.
Mais voici un groupe de cinq Moïs (Ching-Thauch ?) de l'ar-
rondissement de Thudan-Mot, entre la frontière cambod-
gienne et le territoire de Saigon. Quatre d'entre eux sont à
peu près identiques à ce Rodi. Le cinquième avec la petite
hotte et la hachette au manche en crosse que portent tous les
sauvages indo-chinois, a des formes plus arrondies, les mus-
cles pectoraux plus développés, la figure plus pleine et l'ou-
verture des narines est cachée, les ailes étant un peu moins
larges et le lobule descendant un peu plus bas. Ces légères
modifications suffisent pour réaliser absolument la physio-
nomie des Battaks de Sumatra. Et des portraits du Muséum
prouvent que cette physionomie n'est pas rare. Voici un
groupe plus nombreux de la même provenance et où figurent,
d'ailleurs, les cinq individus qui précèdent. La même phy-
sionomie Rodi domine. Tout le haut de la face participe de
l'élargissement des pommettes, ce qui donne au bas de la face
un aspect triangulaire. 11 y a des physionomies moins larges
du haut et plus longues, qui se rapprochent davantage du type
caucasique, et d'autres aussi qui paraissent négroïdes par la pro-
jection de la région sous-nasale. D'autre part, n'était la saillie
du nez, les enfants avec leur front bombé si large, leur pau-
pière un peu tombante, recouvrant le bord des cils, rappelle-
rait de fort près la figure annamite. La barbe est absente chez
tous, sauf un. le plus négroïde. La peau glabre associée à un
crâne sous-dolichocéphale et à des yeux, horizontaux est. en
effet, la caractéristique dominante de ces populations, placées
ainsi entre les caueasiques et les mongoliques purs.
Je n'ai plus qu'un mot à dire des Khas. Ils comprennent
les mêmes éléments que les Peunongs dans la zone qui leur
est commune avec eux. Ils se distinguent, cependant, car Ma-
jais et Dravidiens semblent disparaître entre deux autres
ZABOROWSKI. — LES SAUVAGES DE L'iNDO-CHINB 211
couches ethniques, le Laotien qui tend à absorber tout ce qui
reste des sauvages, et un type caucasique particulier qui est
encore à définir anatomiquement. Il a la figure allongée, le
nez droit et étroit. N'étaient les cheveux droits et la peau
glabre, n'étaient aussi les femmes, aux traits qui attestent les
mélanges de sang mongolique, on le prendrait pour un type
européen.
D'après les quelques renseignements que nous avons sur les
Lolos, et les petites tribus enclavées dans les montagnes du
sud-ouest du Yunam et des confins du Thibet, il se ratta-
che à leur groupe. Et d'après les portraits de Siamois que j'ai
eu sous les yeux, il aurait constitué le premier substratum
ethnique de la partie nord et occidentale de l'Indo-Chine.
Des lgorutes de Luçon en reproduisent aussi l'aspect exté-
rieur.
Discussion.
M. Lapicque conteste divers points de cette communication.
M. Vinson. — Je ne veux rien dire sur le fond de la ques-
tion qui vient d'être discutée; je me propose seulement de
présenter quelques observations rapides. Notre honorable col-
lègue, M. Zaborowski, vient de parler des Malabars comme
étant de grande taille. Cette affirmation m'étonne, car j'ai
passé dix ans dans l'Inde, parmi les Malabars, et mon im-
pression est, au contraire, qu'ils sont plutôt généralement
petits. Du reste, il faudrait savoir ce que vous entendez par
« Malabars »? Désignez-vous ainsi l'ensemble des Dravidiens,
ou seulement ceux qui parlent tamoul? Les indigènes de la
côte orientale ou ceux de la côte occidentale? Vous avez parlé
d'une tribu qui se trouve au sud des Nilagiris, dans le Coïni-
batour, et dont les membres seraient petits et noirs. Vous
n'ignorez pas que, précisément, sur les hauteurs des Nilagiris
habitent les Todas, population fort intéressante, qui paraît de '
taille relativement grande, et qui est incontestablement dra-
vidienne.
M. Zaborowski a parlé d'émigrations de Dravidiens vers
212 SÉANCE OU 4 AVRIL 1895
l'Est. La chose n'est pas douteuse; et beaucoup de mots ta-
mouls se sont introduits dans le vocabulaire malais. Y a-t-il
eu plusieurs émigrations? Gomment se sont-elles produites?
Ce qui est certain, c'est que l'une des causes de cet exode est
la victoire définitive du Brahmanisme' sur le Bouddhisme. Les
traditions, à défaut d'histoire positive, dont les Indiens n'ont
pas le sens, nous apprennent que les vainqueurs furent im-
pitoyables.
Auutomie des formes — Modelés déterminés par l'expansion
aponévrotiqne du muselé biceps brachial. — Aspects diiïe-
rentsdu muscle biceps lors delà supiuatioa et de la proua-
tion.
Par Edouard Cuyer.
L'utilité des études anatomiques appliquées aux beaux-arts
est absolument démontrée, nous ne développerons donc pas
les raisons qui militent en faveur de cette opinion.
Cependant, on est quelquefois tenté de croire qu'une étude
très superficielle et réduite à l'examen des faits principaux est
suffisante, il n'en est rien. Nous sommes convaincu que cer-
tains détails, qui peuvent sembler avoir une importance
secondaire, ne sauraient être passés sous silence.
Nos convictions personnelles, dont la force s'appuie sur l'en-
seignement de notre éminent et cher maître le professeur
Mathias-Duval, nous engagent à signaler, afin de prouver
l'exactitude de l'idée que nous émettons plus haut, les causes
qui déterminent certains modelés du bras au niveau de la ré-
gion occupée par le biceps brachial, modelés dont nous ne
connaissons pas de description antérieure, autre que celle
donnée dans ses cours par .M. Mathias-Duval; en effet, dans
son enseignement oral, M. Mathias-Duval attire l'attention sur
quelques-unes des dispositions dont nous allons analyser l'en-
s'emble en y ajoutant quelques développements.
Serait-il suffisant, par exemple, d'apprendre que le biceps
se termine a sa partie inférieure par une expansion aponé-
EDOUARD CUYER. — ANATOMIE DES FORMES 213
vrotique qui bride Tes muscles antérieurs de l'avant-bras en y
déterminant une gouttière? Serait-il suffisant de savoir sim-
plement que le biceps est supinateur et fléchisseur de Pavant-
bras? Nous ne le croyons pas, et, d'après des observations qui
nous sont personnelles, nous allons le démontrer.
Supposons l'avant-bras dans la ilexion; cette attitude est
réalisée parles contractions simultanées du biceps, du brachial
antérieur et dulong supinateur; mais neconsidérons que le bi-
ceps. Son expansion aponévrotique, attirée de bas en haut par
la contraction des fibres charnues, s'enfonce dans les muscles
del'avant-braset y détermine une gouttière. * Mais cette gout-
tière n'estpas le seul modelé résultant de la présence de l'expan-
sion, car elle est précédée d'une saillie nettement détachée sous
le bord interne de laquelle la peau s'enfonce plus ou moins.
L'explication de cette saillie ne doit pas être passée sous
silence, en tout cas la cause qui la détermine doit être ana-
lysée par l'artiste.
Comment cette saillie est-elle déterminée, ainsi que la gout-
tière, par l'expansion aponévrotique? Celle-ci bride les mus-
cles dans sa partie inférieure, parce que la pression que sa ten-
sion détermine agit, à ce niveau, perpendiculairement à la
surface de la masse musculaire qu'elle recouvre. Elle soulève
la peau dans sa partie supérieure parce que, dans cette région,
elle est soulevée elle-même par le fait de sa tension et de celle
du tendon du biceps qu'elle accompagne, et que, de plus, elle
ne peut s'enfoncer dans la masse correspondante du brachial
antérieur qu'elle recouvre parce qu'elle agit parallèlement à la
surface de ce muscle; pour ces raisons, tout ce qu'elle peut
déterminer par sa partie supérieure c'est un soulèvement de
la peau au niveau de l'angle rentrant formé, pendant la flexion,
par la direction de l'avant-bras.
Dans l'extension de l'avant-bras la gouttière existe égale-
ment à cause de la traction exercée dans ce cas sur l'expan-
sion aponévrotique par l'allongement du biceps, mais la partie
1 Mathias-Duval. Précis d'anatomie artistique, pages 224 et 225.
214 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
supérieure de celte expansion ne détermine pas de saillie, car
elle se confond alors avec les masses qui l'entourent et sur les-
lesquels elle repose.
On sait que le tendon inférieur du biceps s'insère à la moi-
tié postérieure de la tubérosité bicipitale du radius ; or cet os
tourne sur le cubitus, pour passer de la supination à la prona-
tion ; la tubérosité, qui dans la supination est interne, devient
postérieure dans la demi-pronation et externe dans la prona-
tion complète. 11 en résulte que le tendon s'enroule autour de
l'extrémité supérieure du radius et que, si les muscles prona-
leurs restent inactifs, le biceps, en se contractant, déroule
son tendon et entraîne alors le radius dans la supination.
Supposons l'attitude suivante prise par le modèle : les deux
avant-bras fléchis, mais l'un étant dans la supination et l'au-
tre dans la pronation. C'est une attitude que l'on peut avoir
à reproduire, si, voulant représenter un sujet qui soulève
un fardeau par la flexion des avant-bras, on désire ne pas don-
ner la même attitude générale aux deux membres supérieurs.
Nous constaterons alors un modelé complètement différent
au niveau de chacun des deux biceps : le biceps qui appar-
tient au membre dont l'avant-bras est en supination, a son
corps charnu court, globuleux, nettement limité à son bord
inférieur par une ligne convexe éloignée du pli du coude.
Au contraire, du coté où la pronation a lieu, le corps charnu
du biceps est de forme allongée, son bord inférieur est moins
net comme modelé; c'est qu'alors, le tendon étant enroulé
autour du radius, le corps charnu est attiré en bas, ce qui
s'oppose à ce qu'il se raccourcisse aussi complètement par
l'effet de la contraction. De là l'aspect particulier qu'il pré-
sente par rapport au biceps du côté opposé.
En résumé : même degré de flexion des deux avant-bras,
deux biceps contractés avec la même énergie, mais dissem-
blables comme forme et comme dimensions; ceci sous l'in-
fluence de la situation particulière du radius dans l'altitude
de la supination et dans celle de la pronation.
EDOUARD CUYER. — ANATOMIE DES FORMES 215
Nous en profitons pour répéter encore que les artistes ne
doivent pas hésiter à faire de Fanatomie une étude appro-
fondie, et c'est aussi bien pour les affermir dans cette con-
viction que nous livrons à la publicité d'un mémoire les
considérations précédentes, que pour leur rappeler une fois
de plus qu'entre celui qui connaît la raison d'être des for-
mes et celui qui l'ignore, la différence est trop grande pour
que les résultats obtenus par le second soient d'une valeur
égale à ceux que pourra obtenir le premier.
L'an des secrétaires : A. Viré.
620e SEANCE. — 18 Avril 1895.
Présidence de M. André Lefèvre.
M. le Président annonce que M. le Professeur sir William
Turner, membre associé étranger, assiste à la séance.
OUVRAGES OFFERTS.
Dory (Alphonse). — Les mines préhistoriques de l'Aramo (As-
turies), in Revue unie, des Mines, in-8, 48 pages, Bruxelles,
1894 (offert par M. L. de Longraire).
Lefkvre (André). — Les Indo-Européensdu Nord (Extr. de la
Tribune Médicale), in-8, 32 pages, Paris, 1895.
Turner (William). — On M. Dubois' description of remains
'ecently found in Jaoa named by him pithecanthropus ereclus (In
Journ. ofAnat. and Phys., april 1895), in-8, 24 pages, Londres.
M. Manouvrier présente et résume cet ouvrage en insistant
sur les accords et les divergences existant entre les conclu-
sions de M. le Professeur Turner et ses propres conclusions
exposées dans la séance du 3 janvier- 1895. (Voir le Bulletin
de cette séance.)
/
216 SÉANCE DU 4 AVRIL 1895
Discussion sur le Pithecanthropus.
M. Hovelacque. — Il me semble difficile de discuter d'une
façon définitive sur le « Pithécanthrope » de Dubois sans avoir
les pièces sous les yeux, ou du moins de bons moulages. En
tout cas, je ne suis guère porté à voir dans tels ou tels crânes
humains des «similaires» du crâne en question. Par sa vi-
sière, ou son auvent, si l'on aime mieux, ce dernier se rap-
proche sans doute des crânes de la plus ancienne race qua-
ternaire, cela est incontestable, mais si l'on remarque que der-
rière cet auvent se trouve un diamètre frontal très réduit, puis
ensuite un fort élargissement de la région pariétale, on recon-
naîtra que ce type n'est pas humain. Je ne reconnais cette
forme, vue de haut, ni chez les néanderthaloïdes, ni chez les
Australiens. Par ce caractère, comme par sa capacité, le pithé-
canthrope s'éloigne de l'homme, mais je reconnais qu'il est
supérieur aux anthropoïdes; cela est non moins évident.
Quant au fémur, je ne puis l'attribuer au môme individu.
Des caractères d'infériorité supposés qu'on lui prête ne me
paraissent pas tels. Le plus ou moins de largeur de l'espace
de la région poplitée, le plus ou moins de saillie de telle ou
telle crête se rencontrent constamment chez l'homme. Sauf
constatation évidente sur l'os lui-même, je regarde celui-ci
comme humain.
Or, je ne puis associer, dans un même individu, un fémur
d'homme et un crâne plus ou moins simien, celui-ci fùt-il plus
élevé en évolution que le crâne des autres anthropoïdes. Les
deux pièces trouvées, d'ailleurs, à 20 m. de distance l'une de
l'autre, appartiennent à deux individus.
M. Manouvrier. — Je ne crois pas que la forme humaine
du fémur de Java puisse suffire à démontrer que ce fémur ne
provient pas du même individu que le crâne. Ainsi que je l'ai
fait observer dans mon rapport à la séance du 3 Janvier, l'é-
volution du fémur a dû être en avance, sur celle du crâne,
car l'attitude et la locomotion bipèdeont, vraisemblablement,
OUVRAGES OFFERTS 217
été la cause du perfectionnement intellectuel. Actuellement
encore, il existe des races humaines sauvages dont le crâne
est morphologiquement inférieur au crâne européen, alors
que, par le fémur, ces races ne le cèdent en rien aux races
civilisées.
M. Verneau rappelle que l'on connaissait déjà un certain
nombre de crânes offrant les courbes générales du Pithecan-
thropus de Dubois; de Quatrefages, par exemple, a signalé et
figuré des crânes modernes avec un front plus fuyant et une
voûte plus surbaissée que la pièce classique du Néanderthal.
Sir William Turner a insisté sur ce point, et l'une des figu-
res de son mémoire nous montre des courbes antéro-posté-
rieures superposées; au-dessous du Néanderthal se place un
crâne d'Irlandais et un crâne d'Australienne de la Nouvelle-
Galles du Sud. Par conséquent, au point de vue de la courbe
antéro-postérieure tout au moins le Pithecantluopus ereclus de
Dubois ne présente rien d'absolument exceptionnel.
Le docteur Dubois a insisté sur l'énorme cuspide postérieure
de la molaire trouvée à quelque distance de la voûte, et il
voit dans ce caractère quelque chose de tout à fait étranger ;i
l'espèce humaine. Or, M. Verneau a rencontré facilement des
troisièmes molaires offrant la même disposition. Il cite no-
tamment un crâne de Moï de l'Indo-Chine, le premier qu'il
ait examiné à ce point de vue et qui montrait une troisième
molaire supérieure pourvue d'une cuspide postérieure encore
plus développée que celle figurée par M. Dubois. — Il ne
faudrait donc encore pas exagérer la valeur de ce caractère.
M. Hervé fait remarquer que trois hypothèses peuvent être
émises au sujet du crâne de Java. Il s'agit, ou d'un crâne
humain, ou d'un crâne d'anthropoïde d'espèce inconnue, ou
bien d'un crâne d'une espèce intermédiaire entre l'homme et
les anthropoïdes. En ce qui concerne la première hypothèse,
on peut remarquer qu'on ne connaît a Java aucune race hu-
maine présentant les caractères du crâne en questiou.
M. Demker dit qui1 la dent de Java s'éloigne des dénis bn-
t. vi (4° série). <3
218 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
mairies par sa grosseur, mais qu'elle s'en rapproche, au con-
traire, par sa forme.
M. Manouvrier — A propos du surbaissement de la voûte
crânienne et de l'inclinaison frontale dont a parlé M. Verneau
je ferai observer qu'il ne s'agit pas de savoir s'il est possible
de rencontrer dans l'espèce humaine, à l'état isolé, tel ou tel
des caractères existant sur le crâne de Java. Il s'agit ici d'un
ensemble de caractères réuni sur un seul et même crâne et tel
qu'aucune race humaine connue n'en présente de semblables.
Le cràneduNéanderthalse rapproche beaucoup du crâne de
Java, par sa forme, mais il s'en éloigne beaucoup par sa ca-
pacité. C'est là un point très important à mes yeux, et sur
lequel j'ai insisté dans mon travail sur la question au mois
de janvier. Car si la faible capacité du crâne de Java était en
rapport avec une taille très exiguë, alors c'est la forme géné-
rale du crâne et son frontal en visière qui devient extraordi-
naire. Et si la faible capacité crânienne coïncidait avec une
forte taille, alors le sujet était un idiot. En ce cas il reste à se
demander si ce sujet représente une race stupide ou bien si
c'était un individu anormal, un microcéphale, c'est-à-dire une
monstruosité dans sa race. Comme il est peu satisfaisant
d'admettre que M. Dubois soit tombé par hasard sur un cas
exceptionnel, on est conduit à considérer comme plus proba-
ble l'hypothèse qu'il s'agit d'un représentant d'une race sau-
vage disparue très inférieure à toutes les races humaines
connues.
Si au crâne on ajoute la dent, cette dernière hypothèse ac-
quiert une plus grande probabilité, car ni le professeur Tur-
ner, qui possède pourtant une très belle collection de crânes
Australiens, ni moi, n'avons pu trouver une seule troisième mo-
laire supérieure présentant tous les caractères de la dent
de Java. J'ai bien signalé, dans mon travail, une troisième mo-
laire humaine qui, par sa direction et le volume de sa cou-
ronne, ne diffère point de la «lent de Java, mais c'est une troi-
sième molaire inférieure. En outre, le volume de ses racines est
de beaucoup dépassé parla dent de Java. Ici encore il faudrait
OUVRAGES OFFERTS 219
montrer, dans l'espèce humaine, non pas une dent présentant
l'un des caractères de la dent de Java, mais bien une dent
pourvue d'un ensemble de caractères.
En montrant que l'on peut facilement trouver dans l'espèce
humaine l'un des caractères invoqués à l'appui de la non pro-
venance humaine de la dent de Java, M. Verneau contribue
tout simplement à corroborer cette opinion : que si la dent
en question est simienne par son volume, elle est plutôt hu-
maine par la surface de sa couronne. Telle a été mon appré-
ciation qui vient d'être appuyée par M. Deniker.
Or, si la dent, comme le crâne, est intermédiaire entre l'état
humain et l'état simien, c'est un argument à invoquer en fa-
veur de la commune provenance des deux pièces en dépit de
la distance de 1 mètre qui les séparait, Et si la dent apparte-
nait au crâne, cela contribue à caractériser la forme bestiale
de celui-ci, sans le rapprocher des anthropoïdes connus.
Gela vient encore infirmer l'hypothèse d'un cas isolé de mi-
crocéphalie en s'ajoutant aux caractères crâniens déjà suffi-
sants pour montrer qu'il s'agirait d'un microcéphale de forte
stature, ce qui est une rare exception parmi les microcépha-
les, déjà rares en tant que microcéphales.
Je maintiens donc mes premières conclusions exposées en
Janvier, à savoir, qu'en fait, le crâne et la dent de Java présen-
tent un ensemble de caractères intermédiaires entre les carac-
tères humains et les simiens — que si le crâne de Java ne
provient pas d'un sauvage microcéphale pour sa race, et par
conséquent exceptionel, il représente une race humaine ou
pré-humaine (ad libitum) inférieure aux races humaines
actuelles les plus arriérées, — que si les pièces trouvées à
Java par M. Dubois ne suffisent point pour démontrer absolu-
ment l'existence d'une telle race, on n'est pas plus en mesure
de démontrer que le crâne de Java appartenait soit à une
race humaine au niveau des races sauvages actuelles, soit à
une espèce actuellement existante d'anthropoïdes — que, par
conséquent, l'hypothèse de M. Dubois est justifiée à titre «l'hy-
pothèse et que la question reste ouverte.
220 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
M. Zaborowski. — Des réflexions que vient de faire M. Ma-
nouvrier, il résulterait que les conclusions de M. W. Turner
ne s'écartent pas du point de vue sous lequel nous avons en-
visagé les restes qu'a fait connaître M. Dubois. Il me semble
qu'au contraire rien n'est venu jusqu'à présent infirmer à nos
yeux le classement opéré par M. Dubois qui a fait de ces res-
tes ceux d'une espèce d'homme distincte, intermédiaire aux
anthropoïdes. En tout cas, nous n'avons pas pu les ranger
dans un groupe quelconque de nos races humaines. M. W.
Turner dit que des formes comme celles du crâne de YAnthro-
popithecus de M. Dubois, se rencontrent chez certaines de ces
races. S'il en était ainsi, ce serait nouveau, car jamais je n'en
ai vu et jamais je n'ai entendu parler de crânes semblables
dans les races humaines existantes.
Nous avons dû, pourtant, réserver notre opinion définitive.
Car, quel est l'âge de ces restes? Des os d'animaux ont été
trouvés avec eux. Quels sont ces animaux? La question d'âge
ne peut pas être séparée de celle de la valeur des caractères,
de la spécification de ces restes. Il est évident, en effet, que
s'ils sont pliocènes, comme le dit M. Dubois, la détermination
qu'il en fait est la vraie. Car, toutes les raisons données pour
expliquer la forme du crâne, extraordinaire pour notre temps,
pour lui ôter toute valeur spécifique, tombent immédiatement.
Comme sont tombées les raisons (les mêmes) données long-
temps pour ôter aux caractères du crâne de Néanderthal toute
valeur ethnique. Si les restes de M. Dubois sont pliocènes, on
en trouvera d'autres semblables dans les couches du même
âge. FA il n'y a pas d'exemple d'un mammifère ayant con-
servé les mêmes caractères spécifiques depuis le pliocène jus-
qu'à nos jours.
périodiques (articles à signaler).
Revue de l Ecole d1 Anthropologie, avril 1895. — Fr. Schrader :
L'Asie; — Ab. Ilovflacque et G. Hervé : Notes sur l'ethnologie
du Morvan.
PRÉSENTATIONS 221
Bull, delà Société A' Anthropologie de Lyon, 1894. — E. Chan-
tre : Observations anthropologiques sur les crânes de la né-
cropole de Sidon ; — Martin : Sur un monstre humain du
genre Rhinocéphale.
G. R. de la Société de Géographie, 1895, n° 6. — E.-F. Gautier :
Voyage à Madagascar.
Archives de médecine navale, avril 1895. — Grall et Vincent :
Béribéri en Nouvelle-Calédonie.
Revue scientifique, 6 avril 1895. — E. Gautier : Madagascar
et son avenir.
Bull, di paletnologia ilaliana, gennaio-inarzo 1895. — Pigo-
rini : Antichi pani di rame e di bronzo da fondere renvenuti
in ltalia.
Journ. of anatomy and physiology, april 1895. — D. H. Duck_
worth : Variations in crania of Gorilla Savagei ; — H. Higgins :
The similunar fibro-cartilages and transverse ligament of the
knee-joint.
PRÉSENTATIONS.
Objets de Costa-Rica.
M. A. Thieullen. — Messieurs, ces intéressants fétiches gra-
vés, ces grosses et petites perles en jade, que j'ai l'honneur
de vous présenter, proviennent de l'Amérique centrale, de
Costa-Rica.
A voir ce beau travail de polissage et de perforation effec-
tué sur une matière aussi dure, on est tenté de penser que
ces pièces ne doivent pas remonter a une époque bien an-
cienne. Les talons qui se trouvent sur la partie postérieure
de quelques-uns des fétiches, sont à peu près tels que ceux
qu'on laisse actuellement sur les pierres sciées. M. Berquin-
Narangez, lapidaire, à l'examen duquel j'ai soumis ces pièces
assure qu'elles ont été façonnées, à l'aide de moyens usités
très récemment encore.
222 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
Si donc elles étaient antérieures à la découverte de l'Amé-
rique, elles laisseraient supposer une civilisation bien avan-
cée dans un pays que nous avons l'habitude de considérer
comme ayant été très en retard sur l'ancien monde.
Les trous qui ont été pratiqués dans les fétiches et les
grosses perles, ont été amorcés des deux cotés ; assez larges
aux orifices, de telle façon qu'on pourrait y introduire un
petit pois; ils se rétrécissent tellement au point de rencontre,
que c'est avec difficulté qu'on peut quelquefois y introduire
un gros fil.
Avant de vous soumettre ces pièces, j'ai cherché à me pro-
curer le plus de renseignements positifs à leur égard. C'est
ainsi que, consulté, leur premier propriétaire, M. Bramma
fds de Costa-Ricca, écrit :
« Le collier a été trouvé sur une haute colline du bord du
« Pacifique, qui s'appelle Nicoya, et où se trouvent les plus
« curieuses sépultures d'Indiens. Il était entre deux pierres à
« moudre le maïs, représentant des oiseaux de proie et super-
« posés l'un sur l'autre. Entre ces pierres et avec le collier se
« trouvaient des fétiches d'or, que M. Bramma dit avoir été
« presqu'entièrement anéantis par vétusté.
« Ces pierres sont en ma possession, écrit-il, avec d'autres
« à moudre le café, des haches, des couteaux, etc., le tout
« formant deux grosses caisses, que je pourrais envoyer, si
« on le désire. Le port à payer ne serait que d'une quaran-
te taine de francs, etc., etc. ».
,le me suis rendu au Musée du Trocadéro pour comparer
ces divers objets avec ce que le Musée pouvait avoir prove-
nant de Costa-Rica.
La collection est très limitée; j'ai cependant pu y rencon-
trer un fétiche, presque de tous points, semblable et comme
forme et comme matière k celui-ci qui parait être en pétro-
silex. 1! s'y trouve aussi une hache polie, avec des cercles
concentriques gravés d'un côté, et des traits, simulant des
mains, gravés de l'autre.
PRÉSENTATIONS 22'i
Tels sont, Messieurs, les renseignements en petit nombre
que j'ai pu me procurer, peut-être vous aideront-ils, cepen-
dant, à dater approximativement ces pierres précieuses si
remarquables par le travail qu'elles ont subi.
Discussion.
M. Letourneau dit que ces jades n'indiquent pas nécessai-
rement une civilisation très avancée. Il existe, au Musée de
Vannes, des objets du même genre. Il s'agit plutôt d'une
époque néolithique analogue à la nôtre.
M. Salmon partage cette manière de voir.
Objets de l'époque maruieune.
M. Léon Morel. — En 1888, un ouvrier d'Is-sur-Tille décou-
vrait dans un champ lieudit La Combe-Bernard, une sépul-
ture antique limitée en pierres sèches; et tout d'abord appa-
rut à ses yeux un bandeau en or de 0m15 de longueur sur 0m14
de largeur, qu'il se hâta de porter, pour le vendre, à un orfèvre
de Dijon, puis il revint continuer sa fouille, et recueillit une
magnifique épingle en bronze d'une longueur de 0m65, trois
bracelets, quatorze anneaux, une sorte de crochet, une tige
creuse et torse, avec des débris de pendeloques, de fibules, le
tout en bronze.
En ce qui concerne le bandeau d'or vendu à un commer-
çant, il est sans doute perdu pour la science. Ses dimensions
données après coup, ne me permettent point d'en détermi-
ner la destination, ornement de tète ou de col, il rappelle
aussi les bandeaux d'œnochoe trouvés en Champagne.
Les trois bracelets de forme presque ovale d'un diamètre
intérieur de 0m055 font présumer que l'un es1 en présence
d'une sépulture de femme.
Les anneaux, au nombre de quatorze, de forme polygonale
paraissent avoir élé appliqués sur cuir et feraient présumer
224 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
qu'ils faisaient parti d'une ceinture dont on croit reconnaître
les attaches dans les débris qui les accompagnent.
Les autres fragments ne peuvent constituer les éléments
d'aucune information certaine. Tous ces objets portent- le
cachet d'un art déjà avancé.
Mais l'objet le plus intéressant est la belle épingle. Sa tète
d'une longueur de OmIO, est décorée de huit petites arêtes
vives et fines faisant saillie; elle se termine par une large
arête circulaire de 0m03 de diamètre surmontée d'une pointe
conique du plus gracieux effet.
C'est le plus long spécimen de ce genre qui ail encore été
trouvé dans le terrain de l'ancienne Gaule; car si le musée de
Saint-Germain possède un moulage de 0rn88, l'original pro-
vient du canton de Berne en Suisse où il a été- trouvé dans
les marais de Zollekefen ; il est déposé au musée de Berne.
M. Flouest dans ses Sépultures historiques de Vauschalles ( Côte-
d'Or), en cite aux musées d'Annecy et de Besançon; mais
elle sont moins longues et moins ornées.
Quel pouvait être l'usage d'une pareille pièce trouvée dans
une sépulture de femme?
Selon M. Flouest, dont je partage l'opinion, ce ne peut être
qu'un objet de toilette, et je n'hésite point d'en faire l'un des
supports de l'édifice de la chevelure d'une Gauloise, dont on
sait, par les historiens anciens, l'usage de porter, aussi bien
que les hommes, des chevelures longues et luxuriantes.
C'est pourquoi l'intérêt de toute cette sépulture consiste à
prouver d'un côté l'habileté des ouvriers du bronze et les usa-
ges des femmes gauloises dans leur toilette par rapport à la
construction de leur chevelure.
Discussion.
M Baymond, pour élucider une question soulevée dans une
séance antérieure, demande à M. Morel s'il pense que les vases
qu'il a recueillis, et qui datent de l'époque marnienne vraie,
ont été faits au tour.
PRÉSENTATIONS -2'2'.\
M. Morel répond que ces vases ont été faits au tour, mais
que c'est surtout à* l'époque suivante, aux approches de la
conquête romaine, que l'usage du tour devient plus fréquent.
M. 0. Vauvillé. — Sur la demande faite par notre collègue
le Dr Raymond, M. Morel vient d'affirmer qu'il a recueilli,
dans une sépulture à incinération, de l'époque gauloise (an-
térieure aux monnaies gauloises), des poteries faites au tour
et une fibule en fer.
Les fibules en fer se rencontrent assez fréquemment dans
les habitations gauloises (avec monnaies) du département de
l'Aisne desquelles ont été extraites les nombreuses poteries,
faites au tour, que j'ai présentées à la Société, dans la séance
du 15 mars 1894 *.
Le but de la présentation de mes poteries, était de prouver
l'usage du tour en (Jaule, pour la fabrication des poteries,
avant la conquête, comme je l'avais affirmé dans la séance
du 1er février 1894 2.
Malgré les vives objections qui ont été faites contre mes
affirmations, le fait de l'usage du tour, avant la conquête, a
été admis par M. G. de Mortillet qui a même, depuis cette vive
discussion, ajouté à sa classification, le Beuvraysien 3, époque
représentant celle des monnaies en Gaule.
Aujourd'hui, l'affirmation de M. Morel permet donc de
croire que l'usage du tour en Gaule pourrait remonter même
à une époque antérieure a celle des monnaies gauloises.
i Bulletins, 1894, page 258.
2 Bulletins, 1891, page 121.
3 Bulletins, 1894, page 620.
226 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
Rapport de la Commission des finances
M. Paul Raymond, rapporteur.
Messieurs,
Au nom de la Commission des finances, composée de
MM. Laborde, Le Marcis et P. Raymond, j'ai l'honneur de
vous présenter notre rapport concernant la vérification des
comptes de M. le Trésorier de la Société pour 1894.
Nous avons examiné les différentes pièces de comptabilité
et aussi bien dans les dépenses que dans les recettes, nous
n'avons relevé aucune irrégularité. L'inventaire rpie notre ex-
cellent collègue, M. Daveluy, vous a présenté dans une séance
précédente et dont vous retrouverez ci-après les détails, nous
a donc paru aussi exact que possible.
Vous vous rappelez qu'en raison de certains incidents dont
avait été saisi votre comité central, vous aviez décidé d'ad-
joindre à votre Commission des finances pour l'année 1894,
un expert chargé d'élucider les questions techniques qui pou-
vaient échapper à notre incompétence. Nous nous sommes
adjoint un comptable que nous avait indiqué l'un de nos col-
lègues, et nous avons la satisfaction de vous faire connaître
que non plus que nous, il n'a relevé, dans notre comptabilité,
la moindre irrégularité. Son rapport sera soumis à notre pro-
chain comité central.
Mais, Messieurs, ce qu'il nous a été donné d'apprécier en
exerçant notre contrôle, c'est la somme considérable de travail
([lie nous imposons à notre trésorier, c'est le zèle que noire
dévoué collègue, M. Daveluy, apporte dans ces ingrates et dif-
ficiles fonctions, c'est le soin que l'on retrouve dans les moin-
dres actes de sa gestion de nos finances. Nous nous félicitons
que les incidents auxquels nous avons fait allusion, nous
aient conduits à entrer dans les menus détails de celte comp-
tabilité et nous aient permis d'apprécier les qualités de notre
distingué trésorier. En raison des services qu'il nous rend,
ce n'est pas de remerciements que nous pouvons ici parler;
L. MANOUVRIER. — MICHÛCÉPHALE VIVANT ±21
c'est l'expression de toute notre gratitude, ce sont nos félici-
tations pour son entier dévouement que nous venons vous
proposer d'offrir, au nom de la Société d'Anthropologie, à
notre trésorier, M. Daveluy. (Applaudissements.)
GOMMUNICATIOiNS.
Observation d'an microcéphale vivant et de la cause probable
de sa monstruosité.
Par M. L. Manou vrier .
Il s'agit d'un enfant du sexe masculin (...Mey...), âgé de
7 ans. Il est né à Paris de parents très bien conformés, d'ori-
gine alsacienne, qui habitent actuellement Aubervilliers. C'est
sa mère qui est venue me le présenter et que j'ai pu interro-
ger. Cette pauvre femme, très courageuse, gagne péniblement
son pain et celui de sa famille en lavant du linge quand elle
le peut, son mari étant en ce moment malade. Celui-ci exerce la
profession d'ouvrier émailleur. Il est très rangé et n'est pas
alcoolique. Pas de dégénérés ni dans sa famille ni dans celle
de sa femme, d'après les renseignements fournis par cette
dernière.
Ils ont eu quatre enfants dont le microcéphale est le second.
Les autres étaient tous de très beaux enfants. Le troisième
est mort à l'âge de deux mois avec des convulsions. Le pre-
mier est une jolie et intelligente petite fille, âgée de neuf ans
que je présente en même temps que son frère microcéphale
Elle porte fièrement la croix d'honneur qu'elle vient de gagner
à l'école communale. Le dernier né, dit la mère, est encore
plus vigoureux. En somme, la famille paraît être exempte de
toute tare pathologique; c'est une famille que l'on peut dire
physiquement florissante.
L'enfant microcéphale présente le faciès caractéristique
de cette monstruosité, faciès quirésulte des deux caractères
^
228 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
que j'ai indiqués1 comme différenciant la microcéphalie vraie
de l'exiguité cérébrale en rapport avec l'exiguité de la taille,
à savoir la petitesse, non seulement absolue, mais encore re-
lative du crâne, par rapport à la taille et par rapport à la face.
La taille, que je n'ai pu mesurer à cause des mouvements
du sujet, est à peu près celle d'un enfant de 2 ans. Voici les
principales mesures de la tète :
Diamètre antéro-postérieur maximum. 130 millimètres.
métopique. 125
— transverse maximum. . . . 10(3
— vertical 85 —
— bizygomatique 94
L'indide céphalique = 81.5.
Comme l'indique la différence entre les deux diamètres an-
téro-postérieurs, le front est fuyant, caractère également
régulier de la microcéphalie.
Au dire de la mère, le front était plus aplati lors de la nais-
sance; il s'est bombé un peu à la partie supérieure.
Les globes oculaires sont un peu saillants; la mère affirme
qu'il ont toujours été ainsi. Elle affirme également que la tète
a beaucoup grossi depuis la naissance. Elle a remarqué, à
cette époque, que la fontanelle bregmatique n'existait pas. En
palpant le crâne, je trouve une saillie assez forte de la région
du lambda.
Les quatre dents canines sont remarquablement pointues
et dépassent sensiblement les dents voisines. Ce caractère
pithécoïde est assez accusé pour n'avoir pas échappé à l'ob-
servation de la mère.
Je n'ai pu le constater sur aucun des crânes microcéphales
conservés au musée Broca; il est vrai que la plupart de ces
crânes ont perdu leurs canines.
1 Article Microcéphalie du Dict. des Sciences Anthrop. Paris,
Doin. éditeur.
L. MANOOVRIER. — MICROCÉPHALE VIVANT 229
La langue paramètre volumineuse; elle fait continuellement
saillie derrière les lèvres entr 'ouvertes.
La forme et les dimensions des oreilles sont normales.
L'enfant a eu plusieurs fois, dès l'âge de 2 ou 3 mois, des
convulsions. Actuellement, sa santé est très bonne.
Sa main gauche présente comme particularité curieuse un
seul pli palmaire transversal situé à peu près au milieu de la
paume. C'est un caractère pithécoïde qui n'est peut-être pas
extrêmement rare, car je l'ai rencontré jusqu'à présent, sans
le chercher, sur deux hommes adultes et d'intelligence nor-
male qui ont été présentés par moi à la Société d'Anthropo-
logie.
La main droite ne présente pas le caractère ci-dessus : un
second pli palmaire rejoint le pli médian.
Ayant été obligé, par suite d'un petit accident, de différer
l'examen des organes génitaux, je n'ai point retrouvé l'occa-
sion de faire cet examen.
L'enfant est complètement idiot et gâteux. Il manifeste une
bonne humeur remarquable, grâce aux soins attentifs de sa
mère qui s'occupe de lui avec autant de sollicitude que s'il
s'agissait d'un nourrisson normal et éducable. Il regarde les
objets, mais sans attention et saisit machinalement ceux qu'on
lui met dans la main. Parfois, il semble sourire à sa mère et
semble reconnaître aussi sa sœur. Il ne prononce aucune pa-
role; il émet seulement des grognements un peu variés suivant
qu'il souffre ou qu'il est satisfait.
Lorsqu'on le pose à terre, il se traîne assez vigoureuse-
ment, à la façon des enfants qui ne savent pas encore mar-
cher. Il s'appuie, pour cela, sur la face palmaire des mains et
jamais sur la face dorsale. Cet exercice, longtemps et fré-
quemment répété, a entraîné une torsion notable des avant-
bras et des jambes.
J'ai longuement interrogé la mère dans le but de saisir
quelque cause à laquelle on puisse attribuer l'arrêt de déve-
loppement évidemment intra-utérin de son enfant. Cette
femme a simplement noté, comme événement insolite pendant
230 SÉANCE DU 48 AVRIL 1895
sa grossesse anormale, qu'elle a eu un joui1 peur de chiens qui
se battaient.
Je serais plus disposé à attacher quelque importance, soit
au surmenage qu'elle a subi durant cette grossesse, soit aux
pressions ou aux heurts subis par son abdomen, et dont le
fœtus a pu se ressentir directement ou indirectement.
Pendant toute la durée de sa grossesse, la mère a travaillé
dans une fabrique d'allumettes où son ouvrage consistait, du
matin au soir, à ramasser de très lourdes charges de plaquet-
tes de bois qu'elle portait, en les appuyant sur son ventre, aux
ouvriers chargés de les tailler. Elle était «aux pièces» et
obligée de se hâter continuellement.
Les charges de bois étaient « aussi lourdes qu'elle pouvait
les porter».
Qu'une telle besogne accomplie pendant toute la durée de
la gestation ait pu entraîner un trouble dans le développement
embryonnaire ou fœtal, on le conçoit facilement. Parmi les
diverses explications qui se présentent a ce sujet, je considé-
rerais comme la plus vraisemblable l'explication par une
pression directe exercée à travers la paroi abdominale et uté-
rine sur la tète du fœtus par un fardeau lourd et rigide, assez
fréquemment porté par la mère pour qu'il dût, a un moment
ou à l'autre, atteindre l'enfant.
Il n'est pas nécessaire de supposer que la quantité de
liquide amniotique ait été exceptionnellement faible, car on
sait que, par la palpation, l'on peut souvent sentir, d'une
façon très nette, les pieds, les genoux ou la tète du fœtus à
travers la paroi abdominale, même lorsque la quantité de
liquide amniotique est normale.
On peut objecter que de très nombreuses femmes s'occupent
a de très durs travaux pendant leurs grossesses sans donner le
jour, pour cela, à des microcéphales. Mais il faut considérer
qu'il s'agit ici de fardeaux rigides ramassés et portés à la hâte,
pendant des journées entières, durant toute la grossesse et tou-
jours appuyés sur le ventre, ce qui est vraiment très rare. Une
femme enceinte peut éviter et évite très généralement de por-
G. DE MORTILLET. — ANIMAL GRAVÉ SUR UNE TABLE DE DOLMEN 231
ter ainsi des charges lourdes sur son abdomen; ou bien, si
elle y est parfois obligée, comme il arrive parfois dans les
campagnes, elle prend son temps et des précautions. Pour
que la tête du fœtus soit atteinte en pareil cas, il faut qu'elle
se trouve justement exposée au choc à l'instant où il se pro-
duit; il faut une coïncidence vraiment peu probable. Tout
autre est la condition d'une femme «travaillant à ses pièces»
comme la mère de notre microcéphale, c'est-à-dire devant ac-
complir en un temps donné le maximum de travail possible
avec la régularité d'une machine, pliant son corps et le redres-
sant mille fois par jour pour faire ses paquets de bûches et
les charger, puis, les transportant en toute bâte, pour recom-
mencer ensuite indéfiniment, sans préjudice pour la besogne
ordinaire de son ménage.
Pendant ses autres grossesses, le travail de cette pauvre
femme a été tout différent. Elle travaillait soit seulement dans
sa maison, soit à laver du linge au lavoir, travail pénible
mais assurément moins périlleux pour le fœtus que le travail
industriel ci-dessus décrit, — soit assise, dans une manufac-
ture de tabacs.
Ainsi, sans pouvoir affirmer que j'ai saisi, dans le cas pré-
sent, la cause de la microcéphalie, je crois pouvoir dire que
j'ai trouvé une cause paraissant très capable de produire cette
monstruosité et l'ayant probablement produite. C'est cela qui,
joint aux deux caractères pithécoïdes (canines et pli palmaire),
relevés sur le microcéphale décrit ci-dessus, fait l'intérêt de ce
cas particulier.
Animal gravé sut* uuc table de Dolmen.
Par M. G. de Mortillet.
A Locmariaker, commune située entre l'entrée de la mer du
Morbihan et celle du golfe long et étroit désigné sous le nom
de rivière d'Auray, se trouve le plus grand menhir connu,
232 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
malheureurement brisé en trois morceaux, et, tout à côté, un
superbe dolmen, communément appelé la Table des Mar-
chands. Ce nom vient de ce que la chambre est recouverte
par une vaste table en granit, s'élevant très peu au-dessus
du niveau actuel du sol. En dessous de cette gigantesque
table se trouve une hache emmanchée, dont les lignes de
pourtour sont gravées en creux. Cette hache a été remarquée
et signalée depuis bien longtemps. Mais vers la tranche de la
table, du côté du couloir d'accès de la chambre, existe la repré-
sentation, en très bas relief, d'un animal. Cette représentation
de plus d'un mètre de développement, en partie assez altérée,
avait échappé aux premiers observateurs. Henri Martin, si
passionné pour tout ce qui se rapporte aux monuments méga-
lithiques, l'a signalée avec enthousiasme. Même avec telle-
ment d'enthousiasme qu'on a prétendu que son imagination
lui avait fait voir ce qui n'existait pas. Les archéologues ne
tinrent aucun compte de l'observation de l'illustre historien.
Comme fondateur et Président de la Commission des Monu-
ments mégalithiques. Henri Martin fit acquérir, par l'Etal, le
Dolmen des Marchands, qui le méritait à tous égards. M. de
Closmadeuc, un des membres les plus distingués de la Société
Polymathique du Morbihan, ayant bien voulu se charger de
la direction des travaux d'isolement et de déblaiement du
monument, reconnut nettement l'existence de cette sculpture.
Il s'empressa d'en publier, une description et un dessin d'après
une photographie assez peu précise, dans les Matériaux pouf
l'histoire de l'homme de 1885. Depuis, pour compléter son œuvre,
la Commission des Monuments mégalithiques a fait prendre
le moulage de l'animal figuré sur, ou pour parler plus exac-
tement, sous la Table des Marchands. C'est la première épreuve
de ce moulage que j'ai l'honneur de présenter à la Société. Mal-
heureusement, les actions atmosphériques, en effritant le grain
du granit, a fortement endommagé la scupture: pourtant,
elle reste encore assez sensible pour qu'on n'ait aucun doute
sur son existence. Ce qui frappe le plus, ce sont les pattes de
derrière de l'animal. Elles sont représentées au moyen de
G. DE MORTILLET. — ANIMAL GRAVÉ SUR UNE TABLE DE DOLMEN 233
quatre sillons profonds, rectilignes et parallèles. Chaque paire
de sillons délimite une jambe, qui se termine à la base par
une ganse, à peu près aussi large que longue, obliquement
tournée en avant, qui figure le pied. Ces gances paraissaient
représenter des paturons de cheval. De fait, en regardant le
moulage, un de nos collègues disait :
— C'est un cheval de bois.
Ces jambes postérieures sont perpendiculaires.
Une courbe, également bien marquée, partant des jambes
de derrière et dirigée presque horizontalement, forme le ventre.
De l'extrémité gauche du ventre se développe un plan élevé,
allant en se rétrécissant et ayant une direction oblique. C'est
la figuration des jambes de devant. Elles sont superposées
de sorte qu'on n'en voit qu'une. Encore, il n'y a que le gras
ou haut de la jambe, le bas, caché par un support, n'a pu être
moulé. Autant les jambes de derrière sont raides, autant celle
de devant figurée est animée. Elle représente évidemment un
animal lancé au galop.
Au-delà de cette jambe, les traces de la sculpture s'affaiblis-
sent. Néanmoins, on reconnaît encore suffisamment le poi-
T. VI (4e série) 1"
234 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
trail, le cou très court et une tète allongée, mais n'ayant pas
traces de cornes.
Quant au garrot, au dos et surtout à la queue, la détério-
ration et l'effritement du granit ont été tels qu'on les devine
plutôt qu'on ne les voit.
Cette sculpture est bien primitive, bien élémentaire; pour-
tant elle semble représenter un cheval. Il parait que bien avant
qu'Henri Martin la révélât au monde savant, elle était connue
de la population locale. En effet, en breton, le dolmen s'ap-
pelait : Dol Marcb'hand (Table Cheval allée), ce qui signifie :
Table de l'allée du Cheval. La consonnance seule a fait traduire
en français ce nom par Table des Marchands, qui n'a aucune rai-
son d'être. Rendons donc à cet important monument sa vérita-
ble dénomination : Dolmen ou Table de Marcb'hand. Ce nom a
le grand mérite de rappeler la plus ancienne sculpture monu-
mentale de France représentant un animal.
Le D1' de Closmadeuc, dans sa note de 1885, constate très
bien qu'une partie de la sculpture repose directement sur le
sommet d'un pilier. C'est ce qui a empêché de mouler l'ani-
mal dans tout son ensemble. L'archéologue morbihannais en
conclut, avec raison, (pie les sculptures des tables de dol-
men étaient exécutées avant la construction du monument.
Ce fait se constate d'une manière très nette dans un autre
dolmen de la commune de Locmariaker, tout voisin, celui de
Kerverès. La face inférieure de la table est toute semée de
petites cupules dont plusieurs sont masquées, en tout ou en
partie, par les sommets des supports parfaitement en place.
Une autre considération importante qui découle de l'étude
de la Table de March'hand, concerne la facilité avec laquelle
les constructeurs de dolmens maniaient les blocs de pierre
les plus lourds. En effet, la table du dolmen de March'hand
qui mesure :
Longueur moyenne 7 mètres
Largeur moyenne 3 —
Épaisseur moyenne 0 m 70
ED. PIETTE. — HIATUS ET LACUNE 23S
cube 14 m7, au mininum. Elle est en granit très compact dont
la densité dépasse 2,50. Mais acceptons ce chiffre, le poids
de ladite table sera donc de 36,750 kilos ou 36 tonnes 3/4.
Eh bien, non seulement, les constructeurs du dolmen ont
amené cet énorme bloc à pied d'oeuvre et l'ont placé sur ses
supports, mais encore, ils ont dû le retourner pour exécuter
les sculptures. Ainsi que je l'ai dit, le dessous de la table du
dolmen de March'hand porte la sculpture d'une immense
hache emmanchée, mais encore la représentation animale?
dont il vient d'être question. Ces sculptures et gravures n'ont
pas été faites la table en place, puisqu'une partie de l'animal
repose sur un pilier. Le sculpteur a donc travaillé sur la face
libre de la pierre. Ce travail fini, il a fallu renverser la lourde
table de granit pour la mettre en place. Cela a nécessité une
somme d'efforts énorme. Comment a-t-on pu la réaliser à
une époque où les connaissances scientifiques et mécaniques
étaient si peu avancées?
Hiatus et lacune.— Vestiges de la période de transition
dans la grotte du Mas-d'Azil.
Par M. Ed. Piette.
Pendant les dernières années de l'empire, Edouard Lartet
était Président du comité de la Paléontologie française. Aujour-
d'hui, après la mort de M. Cotteau et celle de M. de Saporla,
il ne reste plus que deux membres fondateurs de ce comité,
M. de Fromentel et moi. Mais alors, nous étions nombreux;
nos réunions avaient lieu à Paris ; elles étaient suivies d'aga-
pes fraternelles. M. de Ferry qui venait de découvrir Solutré,
était des nôtres. Il arrivait toujours les poches bourrées de
silex et d'ossements, et ne manquait jamais de les vider de-
vant nous, pour consulter notre Président. La conversation,
par une pente irrésistible, dérivait sur les âges préhistorique,
alors à peine entrevus. C'est pendant une de ces réunions que
»>36 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
j'ai entendu Lartet exprimer la pensée que l'industrie néoli-
thique ne procédait pas de l'industrie paléolithique. Il en con-
cluait que les vestiges de l'époque intermédiaire entre les
temps quaternaires et les temps modernes étaient encore à
découvrir. Je ne pense pas qu'il ait publié cette observation;
mais elle était connue de tous ceux qui l'ont fréquenté; et
deux courants d'opinion s'étaient formés parmi les archéo-
logues à son occasion. Les uns faisaient remarquer que le
changement de climat avait dû amener des déplacements de
populations, l'apparition de races envahissantes sur notre sol
et l'importation d'une industrie nouvelle. Ils en tiraient cette
conséquence que l'époque de transition dont on ne connaissait
pas les vestiges avait dû être fort courte. Les autres se lais-
sant emporter par leur imagination, soutenaient qu'entre le
monde ancien et le monde moderne, il n'y avait rien de com-
mun, qu'il était inutile de chercher des assises reliant une
industrie à l'autre, car il y avait, non une lacune dans nos con-
naissances, mais un hiatus profond dans la nature, une inter-
ruption dans la tradition de l'homme, résultant de ce que les
terres occidentales de l'Europe avaient été inhabitées pendant
un temps plus ou moins long.
En 1872, M. G. de Mortillet, qui croyait à une simple lacune
souleva la question devant le Congrès international d'Anthro-
pologie réuni à Bruxelles, et s'exprima ainsi : «Entre le paléo-
« lithique et le néolithique, il y a une large et profonde lacune,
« un grand hiatus; il y a une transformation complète.»
M. Cartailhac s'écria qu'il y avait un abîme.
Le mot hiatus employé par M. de Mortillet rendait mal sa
pensée ; mais elle exprimait bien celle de M. Cartailhac qui
croyait à la disparition de l'homme dans nos contrées à cette
époque alors inconnue qui sépara les temps quaternaires des
temps actuels. Cette dernière opinion, ai-je besoin de le dire,
était dénuée de tout fondement. On n'avait découvert aucune
trace de cataclysme pouvant la justifier, et il semble qu'elle
n'aurait pas dû se produire au Congrès de Bruxelles où des
savants étrangers ont fait des communications extrêmement
ED. METTE. — HIATUS ET LACUNE 237
intéressantes sur les tourbières et sur lesKjoekkenmoeddings.
Broca la combattit avec beaucoup de bon sens.
Les controverses sur la lacune et sur l'hiatus, se renouve-
lèrent au Congrès de l'Association française, tenu à Lyon en
1873, à la réunion de la Société d'Anthropologie de Paris, dans
la séance du 16 avril 1874, et au Congrès international d'An-
thropologie de Stokholm en 1874. A ce dernier congrès, M. Ca-
zalis de Fondouce présenta un excellent mémoire contre l'hia-
tus. M. Cartailhac en inséra un résumé dans les Matériaux et
il essaya de le réfuter (Matériaux, année 1874, p. 413). Il s'ex-
prima ainsi :
« Une discussion a eu lieu le 16 avril 1874, à la Société
« d'Anthropologie, entre MM. Piette, Garrigou, de Mortillet.
« Ce dernier posa les conclusions que je vais reproduire:
« Toute la discussion, je crois, repose sur un malentendu. Entre
« l'époque paléolithique ou des cavernes et l'époque néolithique ou
« de la pierre polie, il existe un hiatus; mais cet hiatus n'est qu'une
« simple lacune dans nos connaissances. Il ne représente pas une
« véritable lacune dans le temps et dans l'industrie. Certainement
« l'époque paléolithique a dû se rattacher et se souder à l'époque
« néolithique; mais nous n'avons pas encore découvert le point de
« contact. Entre les deux époques, il n'y a pas eu une période où
« l'Europe était inhabitable ; seulement, les restes de l'époque de
« transition ou de passage, n'ont pas encore été trouvés et reconnus.
« C'est ce qui constitue l'hiatus que nous constatons. Je le répète,
« cet hiatus n'est pas réel; il n'existe que dans le résultat de nos
« éludes et de nos rcclœrchcs actuelles. Je devais une explication
« parce que je suis le principal propagateur de l'idée de l'hiatus.
(( J'ai signalé le fait pour stimuler les recherches et les invesliga-
« lions.
« Ainsi réduite, la question disparaît à peu près, et nous ne
« sommes pas plus avancés qu'au jour où Ed. Lardet signa-
« lait une solution de continuité entre l'Age de la pierre polie
« et l'âge de la pierre taillée, et nous donnait sa classification
« si heureuse en féconds résultats.
« Mais je ne suis pas de l'avis de M. de Mortillet. Je l'avoue
238 séance Dr 18 avril 1895
« avec regret, car je sais combien est grande l'autorité du
« fondateur des Matériaux; de sorte que, pour employer s.es
a mêmes expressions, je suis le principal propagateur de l'i-
« dée d'hiatus, telle que la combat M. Cazalis de Fondouce,
« ce qui m'impose le devoir de répondre. »
Voilà donc M. Cartailhac qui s'érige en chef d'école et en
contradicteur de M. de Mortillet. II avait bien mal choisi la
doctrine dont il se faisait le champion. Il était nécessaire de
reproduire ce passage pour faire comprendre combien étaient
contradictoires les sens que MM. de Mortillet et Cartailhac
attachaient au même mot hiatus.
Au congrès tenu à Nantes en 1875, par l'Association fran-
çaise, je fis, dans la séance du 26 août, une communication
sur les vestiges de la période 7iéoWhique emparés à ceux des àcjes
antérieurs. Je prouvai que l'industrie néolithique procédait,
quoi qu'on en ait dit, de l'industrie quaternaire et surtout de
celle de Solutré. Des figures représentant des silex des deux
époques, placés les uns à côté des autres, rendaient la dé-
monstration évidente. Il était manifeste qu'il y avait filiation
et même souvent identité de forme. Je ne pouvais prouver une
filiation immédiate; car si, dans plusieurs gisements néoli-
thiques, on avait recueilli des pointes de silex en feuille de
laurier, en feuille de saule, en losange, semblables à celles de
Solutré, les stations magdaléniennes qui sont intermédiaires,
en étaient dépourvues dans la vallée de la Garonne et dans les
Pyrénées, où je les avais étudiées. La découverte des beaux-
arts avait fait suivre à l'homme un chemin nouveau. La taille
élégante du silex avait cessé d'être son idéal. La sculpture, la
gravure, le travail de l'os, étaient devenus les objets de ses
préoccupations. De là, l'abandon des types de silex, dont la
confection demandait beaucoup de soins et de temps. Mais si,
dans certaines contrées, les populations avaient rapidement
progressé, dans d'autres, elles s'étaient attardées dans les
errements du passé. C'est ainsi que, sur les rives du Gard et
de l'Ardèche, M. Cazalis de Fondouce et le Dr Raymond ont
découvert des grottes incontestablement magdaléniennes,
ED. PIETTK. — HIATUS ET LACUNE 239
dépourvues de gravures et de sculptures, mais contenant des
pointes de silex pareilles à celles de Solutré et des temps néo-
lithiques. En faisant connaître ces stations, ils ont renoué la
tradition de l'homme, et il n'a plus été permis de dire que
l'industrie moderne ne procède pas de l'industrie quaternaire.
Il restait à découvrir les assises de transition qui soudent
la période quaternaire a la période moderne. Depuis 1871, je
fouillais les grottes magdaléniennes des Pyrénées, n'épar-
gnant ni argent ni peine pour en connaître la stratigraphie.
Mon hut était beaucoup moins de réunir une collection que de
faire une étude détaillée des couches et de lire dans leur su-
perposition la succession des temps, les progrès de l'indus-
trie et la marche des sociétés humaines. Cette étude minu-
tieuse devait nécessairement m' amener à rencontrer les assises
qui recouvrent les vestiges de l'âge du renne et celles sur les-
quelles ils reposent. J'ai eu la bonne fortune de découvrir les
restes de cette époque ignorée qui sépara l'âge magdalénien
de celui des haches en pierre polie et de combler la lacune sur
laquelle on avait tant discuté. Quant aux dévots de Yhialus,
cette époque de désolation pendant laquelle nul pied humain
n'aurait foulé le sol de nos contrées, force leur a été d'aban-
donner une croyance dont ils avaient presque fait un dogme,
mais qui n'avait jamais reposé sur la plus petite donnée scien-
tifique.
Ce fut au Mas-d'Azil, en 1887 et en 1888, que je fis cette
découverte. J'y ai reconnu deux gisements de l'époque de
transition, l'un situé sous un abri de roche, à droite de l'en-
trée de la grotte, à un niveau beaucoup plus élevé que celui
de la route, l'autre sur la rive gauche de l'Arise, dans la grotte
elle-même, au point où la rivière pénètre dans la caverne. Ce
dernier est très étendu et livre un vaste champ à l'étude. J'y.
ai relevé, de haut en bas, la succession des assises suivantes:
A. 0 m. 80 à 1 m. 80. — Blocs de rocher et pierres tombées
de la voûte. On trouve dans leurs interstices, à la base, quel-
ques haches en pierre polie, à la partie moyenne des traces
de vert-de-gris, à la partie supérieure des clous, des tessons
240 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
de poterie gauloise et de poterie vernissée. Au nord-ouest,
cette assise se transforme en trois couches plus ou moins va-
seuses et remplies de pierrailles, correspondant aux époques
néolithique à hache polie, calceutique et sidérique.
B. 0 m. 60. — Cendre ruhanée à escargots, composée de
minces lits onduleux gris, blancs ou noirs. Les escargots
sont des hélix nemoralis en vastes amas lenticulaires. On trouve
dans cette assise des ossements de cerf elaphe, de sanglier,
de bœuf, de chèvre, des grattoirs en silex ronds, des outils
finement retouchés en forme de lame de canif, des racloirs,
des ciseaux, des tranchets en roche polie, quelques outils de
type magdalénien, des poinçons et des lissoirs en os, des co-
quilles de noisettes, de noix, des glands, des graines d'érable
des vestiges de châtaigne, des noyaux de prunes, de cerises,
de prunelles, d'aubépine. Cette couche correspond aux Kjoek-
kenmoeddings.
C. 0 m. 63. — Couche rougeAtre renfermant de la cendre,
du charbon, des amas de peroxyde de fer, de grosses pierres
tombées de la voûte, des silex de forme magdalénienne, de
petits grattoirs arrondis, des instruments en lame de canif,
très finement taillés, des canines percées de cerf, de nombreux
poinçons, des lissoirs, des harpons perforés, plats, ovalaires,
en ramure de cerf, des galets coloriés en grande abondance,
des ossements de cerfs élaphes, parmi lesquels on remarque
ceux de trois variétés, le cerf de nos forêts qui est très com-
mun, le cerf du Canada assez rare et un cerf de petite taille
dont les dents ont quelque ressemblance avec celles du renne.
On y trouve des os de chevreuil, de bouquetin, de chamois, de
bœufprimitif, de cheval, d'ours commun, de sanglier, de blai-
reau, de chat sauvage, de castor, d'oiseaux divers, détruites,
de brochets, de cyprins, de grenouilles. J'y ai recueilli des noix,
des noyaux de prunes, de prunelles, de cerises, des baies d'au-
bépine, du blé, des restes de litière, et une portion de squelette
humain inhumé après avoir été dépouillé de ses chairs avec un
silex et rougi par du peroxyde de fer. Les rayures du silex sur
un des fémurs sont très apparentes. J'ai aussi rencontré dans
ED. PIETTE. — HIATUS ET LACUNE 241
cette assise de petits galets plats, allongés, usés par le frotte-
ment à l'une de 'leurs extrémités, et transformés ainsi en
ciseaux et en tranchets. — Cette couche C et celle qui renferme
des amas d'escargots, 13, ne contiennent ni hache en pierre
polie, ni ossements de renne. Elles sont des assises de transi-
tion intercalées entre les derniers strates de la période mag-
dalénienne et l'étage des haches en pierre polie.
Au nord, dans le voisinage de la rivière, elles ont été empor-
tées, ou submergées et lavées par des inondations qui se sont
élevées jusqu'à 13 et 14 mètres au-dessus du niveau moyen
actuel des eaux de l'Arise. Dans les endroits où elles n'ont été
que lavées, les débordements en ont enlevé les parties menues,
ne laissant que de grosses pierres. Au sud, elles sont restées
intactes, protégées par une avancée du rocher à l'entrée de
la grotte. Ces inondations dues à des fontes de neige ou à des
pluies abondantes, ne sont pas les seuls indices de l'impor-
tance du volume des eaux que roulaient les rivières à cette
époque. Les os de castor, la grande quantité de mâchoires et
de vertèbres de poisson, le nombre considérable de harpons
de pêche, donnent à penser que, dans la vallée de l'Arise, et
peut-être dans la grotte elle-même, il y avait des étangs, des
lacs minuscules, où la pèche était fructueuse et où les castors
pouvaient établir leurs demeures. L'abondance des ossements
de sanglier et la présence des os de grenouille révèlent l'exis-
tence de vallées marécageuses. Enfin, l'immense quantité
d' hélix nemoralis, dans la couche à escargots, prouve, plus que
toute autre chose, l'humidité du climat de cette époque. Uhe-
lix nemoralis et V hélix horlensis sont deux variétés d'une même
espèce, \lhelix nemoralis est la variété des pays humides. Au-
jourd'hui, on n'en voit plus dans la faune vivante des environs
du M as-d'Azil ; on n'y voit que des hélix horlensis. Il en était
déjà ainsi à l'époque des haches en pierre polie. On peut en
conclure que le climat de cette dernière époque fut beaucoup
moins humide que celui qui régnait, dans ce pays, pendant
que la couche à escargots se formait. Cette conclusion est
d'autant plus légitime que les inondations de l'Arise qui s'éle-
242 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
vaient, comme je l'ai dit, à 13 et 14 mètres au-dessus du ni-
veau moyen actuel de la rivière, aux temps des galets coloriés
et des repas d'escargots, et enlevaient des assises situées a
cette hauteur, ont été bien moindres à l'époque des haches
en pierre polie, puisqu'elles ont laissé intacte une couche ren-
fermant ces sortes de haches, placée près de l'Arise, à six mè-
tres seulement au-dessus de son niveau. Il résulte de cette
observation que le régime actuel des cours d'eau n'a com-
mencé qu'avec l'usage de la haehe en pierre polie.
L'étude des assises à galets coloriés et à escargots nous révèle
une particularité non moins importante. Les forets étaient
reconstituées au moment où elles ont été formées '. Le cli-
mat était même assez doux pour que les arbres fruitiers aient
alors prospéré dans la région pyrénéenne. La cendre des
foyers de la couche à galets coloriés est presque toujours
noire. On y brûlait donc habituellement des déchets de chair,
comme aux temps magdaléniens. Malgré la possession d'un
peu de blé et de quelques fruits, l'homme qui peignait
sur cailloux roulés vivait presqu'exclusivement de viande.
Les mœurs de l'âge précédent avaient été transmises en
grande partie à la génération nouvelle. Cependant, la
grande quantité de charbons que Ton voit dans la cendre
prouve que les feux étaient allumés et souvent même
entretenus avec du bois. La végétation arborescente avait
donc reparu. C'est d'ailleurs ce que démontre mieux encore
la rencontre de quelques vestiges de fruits dans cette assise.
i A l'altitude et à la latitude du Mas-d'Azil, les forêts paraissent
n'avoir pas été complètement détruites, même au temps des plus
grands froids de l'époque magdalénienne. On trouve un peu de
charbon dans toutes les assises. Mais il y a d'autres grottes (la
grande caverne d'Arudy par exemple, où, aux temps équidiens on
allumait le feu avec de grandes herbes. Aucune trace de charbon
n'y a été reconnue dans les couches magdaléniennes inférieures.
Si l'on en voit aujourd'hui à l'endroit où elles affleuraient, c'est
parce qu'il y en avait beaucoup dans la sépulture d'un fondeur de
bronze inhumé dans ces strates,
KD. PIEÎTE. — HIATUS ET LACUiNE 243
Ces vestiges sont beaucoup plus abondants dans la couche à
escargots. La cendre des foyers y est presque partout grise
ou blanche comme celle des feux de bois. Les habitants de la
caverne n'y brûlaient donc pas ordinairement de la chair. Les
mollusques et les végétaux formaient une partie notable de
leur alimentation. 11 y avait eu transformation de mœurs. Il
n'est pas sans intérêt de constater que, dès l'époque de tran-
sition, le prunier, le merisier et le noyer croissaient sur notre
sol. A en juger par les noyaux, il y avait deux variétés de
cerises et trois de prunes. Ainsi s'évanouissent les légendes
suivant lesquelles le cerisier aurait été importé d'Asie en Italie
parLucullus et le prunier par Caton l'Ancien.
Déjà en 1785, l'abbé Rozier avait prouvé que nos bonnes
variétés de cerisier dérivaient soit par les semis, soit par
l'hybridation des merisiers ou cerisiers sauvages, arbres rares
en Italie, mais aborigènes des Gaules, de la Grande-Bretagne
et de la Germanie. Lamarck, dans l'Encyclopédie méthodique,,
avait adopté sa manière de voir. Gela n'empêcha pas les
auteurs se copiant les uns les autres de continuer à attribuer
une origine asiatique au cerisier et au prunier. L'étude des
assises de transition, dans la grotte du Mas-d'Azil, démontre
que ces arbres prospéraient déjà sur noire sol avant l'é-
poque des haches en pierre polie. Lucullus n'a donc doté
l'Italie que d'une simple variété de cerisier, et Caton n'a
importé dans ce pays qu'une variété de prunier. Or, le nom-
bre des variétés de ces arbres fruitiers était déjà grand, au
temps de Pline, puisqu'il en compte dix pour le cerisier.
Les botanistes attribuaient aussi une origine asiatique à
notre noyer commun (Jugions regio), et cette opinon pouvait
paraître justifiée, puisque plusieurs espèces appartenant au
genre jugions, notamment celle de nos vergers, croissent et
prospèrent sur les bords de la mer Caspienne. Cependant
Hernardin <l<> Saint Pierre soutenait, je ne sais sur quel fonder
ment, que notre noyer est originaire de Sardaigne. La vérité
est que l'ère de végétation de cet arbre a été, aux temps
anciens, beaucoup plus vaste qu'on ne le pensait, puisqu'il
244 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
existait dans la région pyrénéenne avant l'époque des haches
en pierre polie, en sorte que nous n'avons eu nullement
besoin de l'importer d'Orient. Les noix sont petites et rares
dans l'assise à galets coloriés. Leur coque eu bois est très
dure. Elles sont plus nombreuses dans l'assise à escargots;
mais leur coque n'est guère plus tendre. Moins communes et
plus grosses dans l'assise des haches en pierre polie, elles sont
semblables à la variété ordinaire que nous cultivons.
Il y avait déjà des noyers clans le pays de Gaule a l'époque
tertiaire. On en a notamment signalé une espèce de l'époque
pliocène dans le midi de la France, le jugions minor.
J'aurais fait connaître Vassiseà galets coloriés d'une manière
incomplète si je ne disais quelques mots des galets eux-mêmes.
Ils sont généralement plats et ovalaires. Us ont été recueillis
dans le lit de l'Arise. La couleur employée pour les peindre
est le peroxyde de fer dont le gisement se trouve en amont
de la rivière. La couche de couleur est parfois fort épaisse.
Elle a dû être mêlée à une résine ou a un corps gras pour la
fixer, car ordinairement elle adhère fortement et elle résiste
souvent au lavage. On la délayait dans la valve creuse de
grands pecten, sur des spatules, dans les cavités naturelles
de cailloux roulés. Cette couleur servait probablement aussi
au tatouage, car des os d'oiseaux creux et terminés en pointe
en sont remplis.
Les peintures des galets paraissent avoir été des sortes
d'hiéroglyphes. Les plus nombreuses sont des bandes rouges
parallèles, des cercles rouges, alignés ou tangeants à la cir-
conférence ; elles semblent être des nombres, et les galets qui
les portent sont peut-être des marques de jeu. Chaque cercle,
chaque bande serait une unité. Les petits nombres, deux,
trois, quatre, sont communs sur les galets; il est rare de trou-
ver des cailloux roulés sur lesquels il y ait neuf ou dix bandes
ou neuf ou dix cercles. Rien ne nous fait soupçonner quel fut
le système de numération de cette époque. Les bandes sont
parfois frangées et ressemblent à des rameaux. C'est une
ornementation qui ne devait pas changer la signification du
ED. METTE, — HIATUS ET LACUNE 245
signe et qui révèle un art rudimentaire, sans élégance, bien
éloigné de celui de l'Age du renne. La peinture a figuré d'au-
tres signes représentatifs d'idées : la croix simple, la croix
double, des cercles avec un point au milieu, des sortes de
V ou d'E, des 0, des U à base anguleuse, des M gothiques,
des M aux jambages écartés, des I sans point, des échelles à
un seul support traversé par les goujons, des flèches barbe-
lées, des lignes onduleuses et serpentantes, des courbes paral-
lèles superposées, des courbes en fer à cheval isolées ou
superposées, des chevrons, des cercles dans lesquels est une
sorte de cœur, une ligure sur laquelle on semble avoir voulu
représenter une pierre servant de chevet et divers autres
caractères plus compliqués. Plusieurs de ces caractères sont
également sur les dolmens. Tels sont la croix, le cercle
pointé, les courbes parallèles, etc., et il y aurait lieu de faire
un travail comparatif de ces signes avec ceux des inscrip-
tions libyques, des inscriptions ibériennes restées indéchif-
frées et avec les caractères berbères. Les M aux jambes
écartées, les échelles a deux supports, les cercles pointés, les
chevrons avaient été figurés dès la dernière partie de l'époque
magdalénienne (celle que j'ai nommée cervidienne). On remar-
quera l'absence de figurations d'animaux d'autant plus frap-
pante que ïépoque des galets coloriés succède immédiatement à
l'Age du renne qu'elles caractérisaient.
L'assise à galets coloriés G repose, dans la tranchée, sur les
couches suivantes :
D. 0 m 50. — Limon jaunâtre feuilleté et, en quelque sorte
papyracé, tant les feuillets schisteux sont minces. Lorsqu'on
regarde ces feuillets à la loupe, on voit qu'ils sont composés,
à la base, d'éléments relativement grossiers et, à la partie
supérieure, de grains très fins qui paraissent provenir du
lœss. Parmi les éléments de la base, on remarque de nom-
breux grains de peroxyde et d'hydroxyde de fer arrachés aux
roches encaissantes de la rivière en amont, des grains de
calcaire blanchAtre pris aux collines avoisinantes et quelques
fragments spathiques, brillants comme des paillettes de mica
246 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
et provenant de la trituration des oursins contenus en grand
nombre dans la roche où est creusée la grotte. Chacun de ces
feuillets est le vestige d'une inondation, ou d'une recrudes-
cence dans une inondation. J'ai détaché quelques morceaux
de limon pour en avoir des échantillons. L'un d'eux, qui a
huit millètres d'épaisseur, contient 13 feuillets; un autre, de
trois millimètres d'épaisseur, en contient huit. On peut donc
admettre en moyenne deux feuillets par millimètre d'épais-
seur, .l'ai indiqué 0 m. 50 pour la puissance de cette assise;
mais elle n'est nullement régulière. Dans la tranchée dont je
donne la coupe, son épaisseur varie deOm. 12 à 0 m. 17 et de
0 m. 17 à 0 m. 90. Elle a été déposée dans les ravinements
d'une couche archéologique sous-jacente et s'est en partie
formée à ses dépens, puisqu'on y voit quelques silex, de
rares ossements et des grains très fins de cendre et de char-
bon. Elle disparaît en certains points à l'est, et totalement à
l'ouest, à quelques mètres de la tranchée. Là, la couche archéo-
logique sous-jacente est demeurée intacte et se trouve en
contact immédiat avec l'assise à galets coloriés qui repose
sur elle. Protégée par une avancée du rocher à l'entrée de la
grotte, cette assise archéologique est restée à l'état d'îlot pen-
dant des inondations réitérées, emportée vers le nord parle
courant impétueux de la rivière, ravinée au sud par le remous
qui a déposé le limon schisteux dans ses dépressions. M. de
Kerveiller a découvert autrefois, à Saint-Nazairedonton creu-
sait le port, des limons feuilletés, semblables à ceux que je
décris. Partant de ce principe que la Loire a chaque année
une grande crue, il a proposé un chronomètre d'après lequel
le nombre des feuillets correspondrait à un nombre égal
d'années. On commettrait une erreur singulière si l'on essayait
d'appliquer ce chronomètre au limon qui nous occupe. Ses
feuillets sont des dépôts de remous, et au cours d'une grande
inondation, le remous a peut-être pu vingt fois s'élever au
niveau où se sont formés ces feuillets et vingt fois s'abaisser
et disparaître. Dailleurs, le régime des eaux fluviatiles, à cette
époque, était bien différent de celui des temps modernes.
ED. PIETTE. — HIATUS ET LACUNE 247
Les inondations de PArise montaient à treize mètres au-des-
sus du niveau actuel de ses eaux. Les fontes de neiges extrê-
mement abondantes et les pluies torrentielles donnaient aux
rivières une ampleur qu'elles n'ont plus maintenant. Aussi
n'est-ce que par curiosité que je vais calculer, d'après les
principes de M. de Kerveilîer, le nombre d'années que repré-
senterait la petite couche de limon feuilleté qui affleure en
certains endroits sous l'assise à galets coloriés. En admettant
qu'un feuillet représente une année, et qu'il y ait en moyenne
deux feuillets par millimètre d'épaisseur, on a, pour 12 cen-
timètres, deux cent quarante années, pour 17 centimètres,
340 années et pour 0 m. 90, dix-huit cents années. Que serait-
ce, s'il fallait y ajouter les feuillets des limons inférieurs dont
je vais faire la description. Cela prouve que ce qui est vrai
pour l'époque actuelle devient complètement faux pour l'ère
quaternaire et même pour la période de transition qui l'a
suivie.
E. 0 m. 03. — Lit discontinu de pierrailles résultant du
lavage de la couche archéologique.
F. 0 m. 25 à 0 m. 50. — Couche archéologique, noirâtre,
formée de cendre, de charbon, de pierres, d'esquilles d'os, de
silex taillés de forme magdalénienne. Elle est légèrement
inclinée vers la rivière. J'y ai recueilli des gravures sur os,
des aiguilles, des harpons en bois de renne et en bois de cerf,
de gros lissoirs en bois de cerf, des flèches à base en biseau.
Les ossements sont ceux du renne, qui est très rare, du cerf
élaphe, du chevreuil, du bœuf, du bouquetin, du renard, du
loup et d'oiseaux divers.
G. 0 m. 20 à 0 m. 36. — Limon feuilleté schisteux, com-
posé de feuillets papyracés semblables à ceux du limon D,
mais un peu plus épais, ayant en moyenne un millimètre et
un cinquième de millimètre, ce qui fait 160 feuillets pour une
épaisseur de 0 m. 20 et 288 pour une épaisseur de 0 m. 36.
La schistosité est parallèle au plan de stratification et déter-
minée par elle. Les feuillets sont groupés par couches de
quinze à dix-huit millimètres de hauteur intercalées entre de
248 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
très minces lits de sable calcaire assez grossier, contenant des
grains de peroxyde de fer.
H. 0 m. 30 à 0 m. 45. — Couche archéologique de terre
noire devant sa couleur a la cendre des déchets de chair brû-
lés dans les foyers. Elle est remplie de'pierrailles. On y trouve
du charbon, des silex magdaléniens, de petits grattoirs arron-
dis, des outils en lame de canif, des rondelles en os, des gra-
vures sur os, sur bois de renne et sur bois de cerf, des harpons
à fût cylindrique et à saillies en bois de renne, quelques
harpons en bois de cerf élaphe, les uns à fût cylindrique et à
saillies, les autres plats, ovalaires, perforés, des aiguilles en
os, des épingles, des poinçons, des flèches à base en biseau,
et de gros bissoirs en endouiller de cerf, caractéristiques de la
lin des temps magdaléniens. J'y ai recueilli des ossements de
cerf élaphe, de renne, de chevreuil, de bœuf, d'aurochs, de
bouquetin, de chamois, de cheval, de loup, de renard, de lynx,
de lièvre, de coq de bruyère, de gelinotte. Les débris de renne
sont rares. Cette couche plonge légèrement vers la rivière.
I. 1 m. 30 à 1 m. 80. — Limon sableux, schistoïde dans le
sens de la stratification. Sa masse assez compacte, quand il
vient d'être mis au jour, est d'un jaune sale tirant sur le gris
ou le brunâtre. On le voit se déliter à l'air quand il y a été
exposé pendant plus d'un mois. Les lits schisteux ont alors
un peu plus d'un centimètre d'épaisseur. Ainsi, un morceau
de 0 m. 22 que j'avais recueilli, contenait dix-huit lits. Etant
revenu dans le gisement après plusieurs mois d'absence, je
remarquai que cette couche de limon dont la tranche verticale
était restée exposée à l'air depuis l'abandon de la tranchée,
s'était subdivisée en feuillets beaucoup plus minces, composés
des mêmes éléments que ceux des couches G et D. Des lits de
sable d'un demi-millimètre d'épaisseur s'intercalent de temps
en temps entre deux faisceaux de feuillets. Ce sable, relative-
ment grossier, contient des grains de peroxyde de fer et de
calcaire.
J. 0 m. 20. — Lit de pierres et de terre mélangée
avec de la cendre noire et du charbon, contenant des silex
ED. PIETTE. — HIATUS ET LACUNE 249
taillés de forme magdalénienne, des ossements de renne, de
bœuf, de cheval. C'est le reste d'une couche archéologique
remaniée et lavée par une inondation. Elle a été complète-
ment enlevée plus au large, vers le nord.
K. 0 m. 80. — Limon jaune mêlé avec du sable, rempli de
pierrailles qui semblent être tombées de la voûte et qui pro-
viennent certainement des calcaires dans lesquels la grotte
est creusée, ou de leur prolongement en amont. Dans cette
couche, les pierres forment à peu près la moitié de la masse.
L. 0 m. 10. — Terre noire mélangée avec de la cendre et
du charbon, remplie de pierrailles, contenant quelques silex
taillés de forme magdalénienne, des ossements brisés de
cerf, de renne et de bœuf. C'est le reste d'une couche archéo-
logique très remaniée par une inondation et emportée complè-
tement au nord, dans le voisinage de la rivière. Au sud, près
de la muraille de la grotte, elle est remplacée par un lit de
pierres. En cet endroit le contre-courant qui s'est formé à été
assez fort pour enlever toutes les parties menues de la couche.
A quelques mètres de la muraille, l'effet du contre-courant a
été moindre ; la terre noire n'a pas été emportée tout entière,
et, en suivant l'affleurement de cette couche vers le nord, on
la voit augmenter peu à peu en épaisseur et s'incliner vers
le nord.
M. 1 m. 40. — Couche de pierrailles et de limon semblable
à la couche K.
N. 0 m. 10. — Vestiges d'une couche archéologique indi-
quée par du charbon, des pierres, des ossements de cerf et
quelques silex magdaléniens.
P. Plus de 0 m. 80 de terre graveleuse, jaunâtre, mélangée
avec du limon, contenant quelques pierrailles.
Les couches D, E, F, G, II, I,J, K, L, M, N, P, appartien-
nent toutes à une même formation, celle que j'ai nommée
élapho-tar (indienne. C'est la dernière de l'âge du renne. Elle
correspond à une longue époque, pendant laquelle l'humidité
du climat lit souffrir le renne et finit par le faire disparaître.
Sa faune fut celle <\i>> temps modernes, si l'on en excepte ce
T. VI (V' SKK1KJ. (7
250 SÉANCE DU 18 AVRIL 189.J
cervidé qui devenait de plus en plus rare dans la région
pyrénéenne. Les harpons en bois de renne, les aiguilles, les
flèches li base en biseau et surtout les gros lissoirs en andouil-
ler de cerf caractérisent son industrie. Ses silex taillés sont
presque tous magdaléniens ; on remarque pourtant parmi eux
de petits grattoirs arrondis et des outils en lame de canif,
précurseurs des temps nouveaux. La succession des couches,
les éléments dont elles sont composées et l'état dans lequel
elles se trouvent aujourd'hui racontent une interminable série
d'inondations, des fontes de neiges, des pluies continues ou
torrentielles. Il ne faudrait pas attribuer les débordements à
des barrages accidentels formés temporairement dans la
grotte. Peut-être y en a-t-il eu. Peut-être le tunnel formé par
la caverne, en aval, n'a-t-il pas toujours offert un débouché
suffisant aux eaux du torrent, mais cela n'infirme pas les
preuves de l'humidité du climat. Dans la caverne de Gourdan
on observe les mêmes d'assises que sur la rive gauche de
l'Arise, à l'exception des couches fluviales ; car elle se trouve
à un niveau trop élevé pour que les débordements de la
Garonne aient pu l'atteindre; mais quand les eaux de pluies
continues ou torrentielles entraînaient avec elles le lœss qui
formait le revêtement de la montagne, la masse boueuse
pénétrait dans la grotte par les fentes du calcaire et par des
conduits naturels, s'étendait sur une partie de la couche
archéologique et y forma it un dépôt. De là une succession de
couches archéologiques et de couches limoneuses qui ne prou-
vent pas moins que les lits fluviatiles du Mas-d'Azil l'humi-
dité du climat. Quelques auteurs allemands placent à cette
époque la dernière extension glaciaire. Les faits que je signale
militent en faveur de leur opinion, et moi-même je suis dis-
posé à regarder la moraine frontale de Gaseaux-sur-Arboust
comme contemporaine de ces temps pluvieux. Je dois ajou-
ter cependant que la reprise de la marche en avant des gla-
ciers dans le midi de la France a été très peu considérable, et
que s'il est naturel qu'elle ait eu plus d'amplitude en Allema-
gne, elle n'a pu, à beaucoup près, égaler les extensions an-té '
ED. PIETTE. — HIATUS ET LACUNE 2î)i
rieures à Chelles ni l'extension mostérienne, et a dû être res-
serrée dans des limites étroites.
Au Mas-d'Azil, cinq fois les hommes de l'âge du renne
s'installèrent dans la grotte sur la rive gauche de l'Arise, et
cinq fois les inondations les en chassèrent. Ils se réfugiaient
alors sous des abris de rocher, dans des lieux plus élevés. Il
y en a un à droite de l'entrée de la caverne, dans le voisignage
d'une ferme. Il a dû recevoir plus d'une fois les troglodytes
fuyant devant l'inondation. J'y ai constaté l'existence des
mêmes assises que sur la rive gauche du cours d'eau, à l'ex-
ception des couches fluviatiles; il la couche à galets coloriés
et à harpons plats y repose, sans intermédiaire, sur les der-
niers strates de l'âge du renne. Dans la grotte elle-même où
il y a eu un îlot épargné par le torrent, l'on peut voir aussi
ces deux couches en contact immédiat. Mais s'il est vrai que
cet îlot n'a pas été complètement couvert par un dépôt fuvia-
tile, en résulte-t-il qu'il a continué à être habité pendant la
série d'inondations dont les eaux l'entouraient de toute part.
Gela n'est guère vraisemblable. Quoi qu'il en soit, il ne vien-
dra à l'esprit de personne de considérer les inondations et la
fuite des populations devant elles comme des preuves de
l'existence d'un hiatus. Quand la rivière était rentrée dans
son lit et que la grotte était redevenue habitable, l'homme y
revenait, et la nouvelle assise archéologique qu'il formait était
pareille à la précédente. Les couches E, F, II, J, L, N sont
identiques au point de vue de la faune et de l'industrie. Le
renne y devient de plus en plus rare. L'emploi d'instruments
en ramure de cerf y est de plus en plus fréquent. Mais ces
changements sont presqu'insensibles. Lorsque l'homme est
forcé de quitter la grotte pour la cinquième fois, les eaux
débordées y déposent une mince couche de limon feuilleté
semblable aux limons sous-jacents et qui n'est, pas plus
qu'eux, un indice d'hiatus ; c'est un vestige d'inondations
passagères qui n'ont jamais intéressé que les parties basses
de la vallée. Et cependant, pendant qu'il se dépose, un fail
considérable s'accomplit. L<- renne, que l'humidité du climal
2o2 SÉANCE DU 18 AVRIL 4895
avait de plus en plus affaibli, ne peut supporter la dernière
série d'années pluvieuses ; il s'éteint dans la région pyré-
néenne. Sa ramure était la matière première de l'industrie en
os : c'était elle que les artistes incisaient et couvraient de
gravures. Il fallut chercher de nouvelles formes d'instru-
ments. Aussi, lorsque les troglodytes revinrent dans la grotte,
leur outillage en os était renouvelé, et ils ne gravaient plus.
Mais leurs outils en silex étaient les mêmes qu'avant leur
départ, et ce seul fait suffirait pour prouver la continuité du
développement industriel dans nos contrées. D'ailleurs, les
progrès accomplis dans l'outillage en ramure de cerf avant le
départ, avaient été utilisés. C'est ainsi que le nouveau type
de harpon adopté après l'extinction du renne n'a été que le
perfectionnement d'un type déjà trouvé auparavant sous
l'abri de la grotte. Les changements de climat occasionnent
toujours des déplacements de populations. Les hommes de
l'âge du renne fuyant les inondations et cherchant de nou-
velles demeures, et ceux qui étaient restés sous l'abri de la
rive droite du Mas-d'Azil durent se trouver en contact avec
de nouveaux venus ; et quand ils furent en peine pour renou-
veler leur outillage, ils imitèrent sans doute plus d'une fois
le leur. Les glaciers ne présentaient plus un obstacle sérieux
aux triubus et aux individus isolésqui voulaient franchir les
Pyrénées. Un courant d'idées nouvelles se forma et les mœurs
se modifièrent. L'art sombra dans cette transformation. Ce fut
peut-être dans des pérénigrations au sud des Pyrénées que nos
troglodytes apprirent à peindre sur galets. Depuis longtemps,
il est vrai, les magdaléniens employaient le peroxyde de fer soit
pour se peindre le corps, soit pour d'autres usages, car leurs sta-
tuettes, leurs gravures et leurs instruments en sont parfois
rougis. Peignaient-ils sur pierre? Cela n'est pas démontré.
Depuis mes découvertes du .Mas-d'Azil, des observateurs
superficiels l'ont avancé ; mais ils se sont laissés tromper par
des remaniements : et il est tout aussi probable que les popu-
lations de l'Age du renne, après l'extinction de cet animal,
KO. NETTE.
HIATUS ET LACUNE 253
ont emprunté cet. art à un autre peuple, pendant la crise qui
a transformé leurs mœurs.
11 résulte de la coupe qui précède, qu'après la clôture des
temps quaternaires, signalée par la perte du renne, il y a eu,
avant l'invention de la hache en pierre polie, une épocpie non
moins humide que la précédente, mais moins froide, qui a eu
deux phases représentées par la couche à galets coloriés et
par celle à escargots. Cette époque fut celle des tourbières qui
avaient commencé à se former aux temps élapho-tarandiens.
L'art du polissage de la pierre a été inventé avant la hache.
Dans les couches E, F et II j'ai trouvé des pierres quartzeuses,
faciles à tenir à la main, dont l'extrémité présentait une sur-
face plane, unie ou légèrement rayée, perpendiculaire à
l'axe. Elles ont certainement servi à concasser et à broyer, et
le polissage grossier qu'elles ont subi provient de l'emploi qui
en a été fait. Ce sont de petites meules dont la surface unie
par le frottement n'a que cinq ou six centimètres de dia-
mètre. Dans la couche à galets coloriés, j'ai recueilli des
ciseaux et des tranchets faits de petits galets siliceux, plats et
ovalaires. Une de leurs extrémités usée soit d'un côté, soit des
deux côtés, pour la rendre coupante, a été polie par le frotte-
ment ; mais ici encore le polissage n'a pas été le but. 11 ne
résulte pas de l'emploi de l'outil, comme celui des meules ; il
résulte du procédé de] fabrication. Il n'en est plus de même
dans la couche k escargots : on y rencontre des ciseaux, des
tranchets, des racloirs, des grattoirs entièrement polis. Ceux
qui ont fabriqué ces objets les ont polis pour les rendre plus
beaux. Le polissage est devenu pour ces ouvriers un mode
d'ornementation. 11 a été le but de leur travail. Avec ces
outils commence Vépoque de la pierre polie ; mais non celle des
haches en pierre polie. La hache n'a pas encore été rencontrée
dans l'assise à escargots; on ne la trouve que dans les cou-
ches superposées. Ainsi les assises de transition du Mas-d'Azil
nous font assister à l'invention du polissage de la pierre et à
son application à diverses sortes d'outils.
Telles furent les découvertes que je lis en 1887 et 1888.
254 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
Elles furent mentionnées très succinctement dans des notes
présentées à l'Académie des Sciences et à celle des Inscrip-
tions et Belles-Lettres, dans deux brochures que je publiai et
dans des articles parus dans les comptes-rendus des Congrès
de Paris et de Pau. Mais la plus grande publicité qu'elles
rciurent fut celle de l'Exposition internationale de 1889.
Toute ma collection du Mas-d'Azil y fut placée dans des
vitrines où je l'avais classée stratigraphiquement et chrono-
logiquement, <le telle sorte que l'on voyait les perfectionne-
ments de l'outillage se succéder, et chaque instrument appa-
raître à une date relative déterminée. De courtes notes écrites
sur des cartons initiaient le visiteur à l'histoire des époques
magdaléniennes et au travail de subdivision que j'avais
accompli. Jamais entreprise pareille n'avait été tentée. Des
millions de personnes défilèrent devant mes vitrines. Quel-
ques-unes prirent des notes, et tous les journaux de Paris
s'en occupèrent. Cependant les brochures et les articles parus
n'avaient donné qu'une idée très incomplète du résultat de
mes observations. Des vulgarisateurs peu scrupuleux auraient
pu entreprendre de vulgariser les enseignements donnés par
mes vitrines de l'Exposition avant que je ne les ai fait impri-
mer. Il était urgent que je décrive, avec détail, les assises de
transition. C'est ce que je viens de faire dans la présente
étude.
Avant mes travaux, on avait souvent rencontré des har-
pons ovalaires en ramure de cerf, à base perforée ; mais tous
les auteurs les avaient rapportés au magdalénien, sans se
préoccuper de la place qu'ils occupaient dans la série des
assises. .M. Garigou, qui en avail trouvé à Alliai, dans la
grotte de la Vache, les avait pris pour des pendants d'oreille.
e| loin de voir dans l'assise qui les contenait le représentant
delà lacune, il avait prétendu trouver dans la stratigraphie
de cette caverne des preuves de l'existence d'un hiatus. Je
détachai cette assise de la formation magdalénienne avec
laquelle un l'avait confondue, e| je réunis en un étage les
strates à galets coloriés et ceux à escargots. De cette façon, la
EL». PIBTTE. — HIATUS ET LACUNE 253
dernière couche magdalénienne fut celle qui est caractérisée
par de gros lissoirs en ramure de cerf. Après avoir ainsi fixé
la limite supérieure de la période magdalénienne, je m'oc-
cupai de sa limite inférieure. J'étudiai la grotte du Pape à
Brassempouy avec M. de Laporterie, et je donnai le nom
d'étage eburnéen à des assises dans lesquelles on trouve des
statuettes humaines et des objets en ivoire avec la faune du
Monstier. Je leur adjoignis la couche à pointes en feuilles de
laurier qui les couronne, et sur laquelle repose la formation
magdalénienne.
Ainsi limitée, la formation magdalénienne est encore com-
plexe. Elle se divise en deux étages : le premier, que j'ai
nommé kippiquim, est formé par les assises à sculptures en
relief et par cellesà gravures à contours découpés ; le second
que j'ai nommé cervidien, correspond à l'époque de la gravure
simple et se subdivise en assise rangiférienne et assise élapho-
tarandienne.
Si, pour introduire plus d'uniformité dans la terminologie,
on veut remplacer les noms que j'ai donnés aux divisions qui
précèdent par des noms de localités, selon la méthode que
M. de Mortillet a empruntée a d'Orbigny, il y a des règles à
suivre. La localité qui doit donner son nom à l'étage est celle
qui a été la première étudiée et qui a fourni les caractères
dont la réunion a permis de le distinguer. Si on en préfère
une autre, il faut au moins qu'elle soit mieux caractérisée et
plus riche. Faisant application de ces règles, je donnerai le
nom de Papalien (grotte du Pape; à mon étage eburnéen ou
éléphantien (époque de la sculpture en ronde bosse), en faisant
remarquer que cet étage n'est qu'un faciès particulier et un
démembrement de celui de Solulré. — Divisant la formation
magdalénienne en deux, j'appellerai Arudienne (grotte d'A-
rudy), l'époque que j'ai nommée hippiqnienne (celle de la
sculpture en bas-relief et de la gravure à champ-levé). Je
donnerai le nom de Gourdanien (grotte de Gourdan) à l'étage
que j'ai fait connaître sous la dénomination de cervidien
(assises à gravures simples) et que j'ai subdivisé «mi ràngifé-
256 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
rien et élapho-tarandien. Au-dessus sont les assises qui ont
comblé la lacune : elles sont au nombre de deux : celle à galets
coloriés et celle a escargots.
Ces deux assises, jointes à la dernière de l'âge du renne,
sont les vestiges de ce que j'ai nommé .la période de transition.
Toutes trois se sont formées sous l'infience d'un climat humide,
signalé par des inondations réitérées; toutes trois ont un
outillage en silex de type magdalénien et renferment en
même temps ces petits grattoirs ronds et ces outils en lame
de canif, précurseurs et témoins des temps nouveaux; et l'on
pourrait dire que toutes trois ont une faune moderne, si la
plus ancienne ne renfermait des ossements de renne et des
outils faits de la ramure de cet animal, qui la classent parmi
les vestiges dee temps quaternaires. Celle-ci (l'assise élapbo-
tarandienne) contient aussi des instruments en ramure de
cerf. Son outillage en os est mixte. Il lui donne le cachet de
ce que l'on appelle une assise dépavage. Elle appartient donc
bien à la période de transition. Aussi je la décrirais avec plus
de détails si elle n'était connue depuis fort longtemps. C'est.
en effet, en 1871 que je l'ai découverte dans la grotte de Gour-
dan.Je l'ai signalée depuis dans celle de Lortbet; enfin je bai
retrouvée en 1888 et 1889 au Mas-d'Azil, sur la rive gauche
de l'Arise. Notons que, dans cette station de la rive gauche, il
n'y a pas découches magdaléniennes plus anciennes, en sorte
que ce gisement est le type de la période de transition le plus
isolé, comme il est aussi le plus parfait et le plus riche.
L'assise ;i galets coloriés et celle à escargots appartiennent
toutes deux, par leur faune, à l'ère moderne. Elles doivent être
classées dans la formation néolithique, malgré la présence de
leurs silex magdaléniens. Toutes deux renferment des ciseaux
faits de petits galets bruts usés et polis par le frottement à
l'une de leurs extrémités pour la rendre tranchante. Cet outil
a été le point de départ de l'industrie du polissage de la pierre
qui s'est affirmée et développée à l'époque des amas coquilliers
à escargots. On a fait alors des ciseaux, destranchets et même
des racloirs entièrement polis: et si la hache en pierre polie
IfcJ
ED. PIETTE. — HIATUS ET LAGUNE 257
n'a pas encore fait son apparition dans ces strates, il n'en est
pas moins vrai que ces amas appartiennent incontestablement
à l'âge de la pierre polie. Ils ont un faciès bien plus moderne
que l'assise à galets coloriés. Leur cendre grise est le résidu
de feux de bois. La cendre noire des couches où gisent les
galets peints est un résidu de feux où Ton a brûlé de la chair.
Ces différences ne sont pas les seules qui diversifient les strates
des deux premières phases de la période néolithique. Les silex
sont très nombreux dans l'assise à galets coloriés ; on est étonné
d'y trouver des espaces où la taille en a été complètement
négligée, en sorte que les instruments sont restés presque
bruts, et d'autres endroits où ils sonttaillés aussi bien qu'aux
temps magdalé niens. Dans les amas coquilliers à escargots,
ils sont rares, et presque toujours grossièrement façonnés.
Les strates à cailloux roulés peints contiennent un outillage
d'un caractère particulier en [ramure de cerf. Il est peu varié,
mais les instruments sont très abondants. Les poinçons et les
harpons sont rares dans les amas coquilliers. Ceux-ci ren-
ferment des graines et des noyaux de fruits en grande quan-
tité On en trouve très peu dans les assises à galets coloriés.
Enfin celles-ci ne contiennent aucun amas coquillier.
Dès l'année 1889, j'ai établi dans les couches qui repré-
sentent la lacune des divisions et des subdivisons; j'en ai
créé la nomenclature. Le 25 février 1889, j'ai fait à l'Académie
des Sciences une communication intitulée : Un groupe d'assises
rvprésentant l'époque de transition entre les temps quaternaires et
les temps modernes. J'ai décrit l'assise à escargots et celle à galets
coloriés (Comptes-rendus, 1889, p. 422).
Dans une brochure publiée au commencement de la même
année, intitulée : Les subdivisions de l'époque magdalénienne et de
l'époque néolithique, j'ai divisé l'ensemble des vestiges néolithi-
ques en deux groupes de couches, les couches à haches en pierre
polie ' et les couches sans haches en pierre polie ' . J'ai ensuite
j
I 1 Dans celte brochure, j'ai traduit les mots à haches en pierre
polie et sans haches eu pierre polie, par les adjectifs céolitinques et
258 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
subdivisé le groupe des couches sans haches en pierre polie et j'y
ai distingué la couche à escargots et l'amas à ossements de cerf
communs et harpons perforés (Voyez page 20). Telle fut la classi-
fication que je proposai. Ce que je nommai alors amas à osse-
ments de cerf commun et harpons perforés, .c'est ce que j'ai appelé
depuis assises à galets coloriés, et plus simplement, assises éla-
phiennes: ce que je nommai couche à escargots, c'est ce que j'ai
appelé depuis assise à escargots, amas coquilliers.
Au temps où j'ai fait ces coupures, on considérait la période
néolithique comme une époque simple et les couches qui la re-
présentent comme un étage. M. de Mortillet avait nommé cet
étage robenhausien. Ne voulant pas me heurter à des idées
reçues, je conservai dans le tableau de la page 20 le nom
d'étage à l'ensemble des couches néolithiques, quoique, dans ma
pensée, cet ensemble constituât une formation qu'il fallait
diviser en deux étages. Cette opinion est encore la mienne, et
je fais des assises élaphiennes, et des amas coquilliers des
sous-étages. On peut même se demander si ces deux dernières
subdivisions ne méritent pas d'être érigées en étages. On est
si porté aujourd'hui à multiplier les étages que, dans l'âge
du fer, on en introduit de nouveaux a chaque instant.
De cette manière, on supprime en réalité les sous-étages., et on
enlève au mot étage la valeur et la signification qu'il a en géo-
logie. Avec ce système de la multiplication des étages, on
pourrait soutenir que je n'en ai pas créé assez dans la
formation magdalénienne, que les assises à sculptures en re-
lief en constituent un, que celles à gravures au champ-levé en
constituent un autre, et que j'ai eu tort de n'en faire (pie des
sous-étages. Je regarde les débats qui pourraient naître à cette
occasion comme assez indifférents. Quelle qu'en soit la solu-
tion, mes coupures resteront. Il n'y aurait lieu de les modi-
ar.esmolithiques. Celle traduction est mauvaise, puisqu'elle fait dispa-
raître l'idée de hache. Aussi, j'ai abandonné ces qualificatifs; mais
j'ai retenu la coupure. La véritable traduction est cesmaxinique et
acesmaxinique (de fae-o et k£iv»)). Il est plus simple dédire pelr-
rinue, (de nîisxvs, hache) et apèlécique.
ED. PIETTE. — HIATUS ET LACUNE 259
fier que si Ton venait à trouver des haches polies dans les
amas à escargots. Dans ce cas, les assises à galets coloriés
seraient les seules qu'il faudrait laisser en dehors de l'étage
des haches polies. Elles constitueraient seules l'étage apélé-
cique.
Ainsi, la nomenclature des strates représentant la lacune
a été établie par moi dès 1889. Non seulement j'en ai fait les
coupures, mais je les ai nommées. Nomenclature et termino-
logie ne sont pas des termes synonymes. On pourra modifier
les noms que j'ai donnés, quoiqu'ils aient incontestablement
un droit de priorité. On fera alors de la terminologie. La nomen-
clature restera mon œuvre. Au surplus, j'ai pris une précau-
tion contre ces substitutions de noms. Au Congrès international
d'Anthropologie tenu à Paris en 1889, après avoir fait une
communication intitulée : L'époque de transition intermédiaire
entre Page du renne et celui de la pierre polie, j'ai dit positive-
ment : « Si on devait appliquer un nom de localité aux assises
néolitbiques qui ne contiennent pas de haches en pierre polie,
ce serait celui du Mas-d'Azil. » — L'étage dépourvu de haches
en pierre polie a donc reçu de moi, dès 1889, le nom d'étage
du Mas-d'Azi\. On aurait pu le nommer arisien (du nom de
l'Arise, rivière) aussi bien qu'asylien. Les noms ne manquent
jamais.
Lorsque j'eus découvert, au Mas-d'Azil, sur la rive gauche
de l'Arise, les couches à galets coloriés, je me heurtai à une
difficulté que je n'avais pas prévue. Personne ne voulut croire
ii l'existencede ces peintures primitives. Cependant les fouilles
dans les cavernes détruisent les gisements. Si j'avais épuisé
celui où je les avais recueillies, sans faire contrôler la réalité
de mes découvertes, on aurait pu les contester. 11 fallait donc
que je fasse appel aux savants et les invite à venir voir eux-
mêmes, .l'obtins de la Société d'histoire naturelle de Toulouse
qu'elle nommât une commission pour examiner la station et
constater l'exactitude des failsque jesignalais. La commission,
sans me consulter, tixa un jour pour visiter la grotte. J'étais
fonctionnaire public, et au jour indiqué, je n'étais pas libre,
260 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
de m'absenter. Elle n'alla pas au Mas-d'Azil et se désorganisa.
Assurément, il y avait clans cette commission des personnes
bienveillantes; il y avait aussi des indifférents et même des
hommes hostiles. Je compris que ceux-ci voulaient faire le
vide autour de moi, pour contester ensuite le résultat de mes
fouilles. Je m'adressai alors successivement à toutes les som-
mités de la science préhistorique à Paris et à St-Germain, les
priant de venir voir. Les uns me répondirent qu'ils avaient
toute confiance en moi pour des études stratigraphiques ; les
autres qu'ils ne disposaient pas de loisirs. Aucun ne voulait
entreprendre un voyage fatigant et coûteux dans le seul but
de donner l'appui de son autorité à la découverte d'un autre.
Il n'y avait rien là que de très naturel; au fond la plupart
étaient restés sceptiques. Cependant, M. Gaudry avait com-
pris l'importance des faits que j'annonçais. Ne pouvant venir,
il décida M. Boule, alors secrétaire de la Société géologique de
France, à se rendre au Mas-d'Azil. On était en 1889; M. Boule
étudia sérieusement le gisement; nous fîmes une fouille en-
semble. Elle confirma tout ce que j'avais annoncé. 11 publia
la relation de ce qu'il avait vu et ce témoignage, joint à l'effet
de mon exposition, dissipa les doutes qui s'étaient dabord ma-
nifestés.
M. Cartailhac s'occupait alors de la rédaction de son live la
France préhistorique, ouvrage de vulgarisation, où il n'y a pas
une idée nouvelle, et dans lequel il a donné sa mesure pour
la compréhension des âges quaternaires. Il voulait y soutenir
encore la théorie de lliiatus. M. Boule parvint à lui faire atté-
nuer ce qu'avait d'excessif cette malencontreuse hypothèse.
Mais les traces de sa première rédaction restent encore dans
l'ouvrage. Il y traite de roman la réfutation que Broca a faite
de la lacune (page 124), et il écrit (page 122) : « Lorsqu'après
« avoir franchi l'Age du renne, nous nous trouvons dans un
« âge nouveau dit de la pierre polie, ou mieux période néoli-
« thique, nous constatons que de grands changements se sont
« accomplis. Bien ne les faisait prévoir. Entre les gisements
« paléolithiques les plus récents et les gisements néolithiques
ED. PIETTE. — HIATUS ET LACUNE 261
« les plus anciens à notre connaissance, il y a une solution de
« continuité. »
Il m'était réservé d'opérer complètement sa conversion.
En 1890, il me demanda la permission de visiter mes fouilles
du Mas-d'Azil. Je le reçus en bon confrère et lui montrai une
tranchée profonde que je venais d'ouvrir à grands frais pour
en insérer la coupe dans mon ouvrage. Il eut l'amabilité d'en
faire une photographie et de me la donner. Je lui montrai la
succession des assises, lui expliquai leur composition, le ren-
seignai sur le niveau auquel apparaissait chaque instrument.
Il recueillit lui-même des galets coloriés en place, et se déclara
convaincu. A partir de ce moment, il rejeta la vieille défroque
de l'hiatus et, comme tous les néophytes, se montra plus
ardent que l'initiateur. Il m'écrivit pour m'emprunter l'album
de mon ouvrage. Il voulait faire connaître partout mes décou-
vertes et faire mon éloge jusqu'en Russie. Je le lui confiai, et
il le conserva pendant plusieurs mois. De mon côté, dès que
j'apprenais qu'on avait trouvé des galets coloriés dans de
nouvelles stations, je m'empressais de le lui annoncer. Au
début, quand j'avais rencontré ces pierres peintes, personne
ne voulait y croire. Quand leur existence fut admise dans la
science, on en trouva de nouveaux gisements. Bien plus, on
s'aperçut qu'il y en avait dans des stations anciennement
connues et que l'on avait marché sur elles sans les voir.
Le 26 janvier 1892, je recevais un dessin de pierre coloriée
que M. Catta, directeur d'un syndicat à Alger, avait trouvée
autrefois dans la grotte de Bize (Aude). Il ne pouvait dire ni
dans quelle couche ni à quel niveau. La peinture est, paraît-
il, un peu détériorée actuellement; c'est pourquoi M, Catta
envoyait le dessin au lieu de l'original. Quoique les signes
peints sur cette pierre soient différents de deux du Mas-d'Azil,
je suis disposé à la considérer comme authentique. M. Catta
n'a rien publié sur cet objet.
Une découverte plus certaine et plus piquante est celle que
M. Ilarlé, le savant paléontotogiste de Toulouse, a faite h la
tin do l'année 1892 dans les vitrinesdu musée de Carca'ssonne.
2fi2 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
Voici la lettre qu'il m'a écrite a ce sujet le 21 décembre 1892.
« En visitant dernièrement le musée de Carcassonne, j'ai
« été frappé d'y voir, parmi des échantillons recueillis dans
« la grotte de la Crouzade, près de Gruissan, aux environs
« de Narbonne, deux galets plats, en roche schisteuse verte,
« ornés de dessins rouges. L'un de ces galets a de 4 à 5 centi-
« mètres de largeur et 13 de longueur. La couleur rouge
« recouvre la presque totalité de l'une de ses faces et une
« portion de l'autre. La coloration rouge y est des plus visi-
« ble, mais n'est pas très nettement limitée. L'autre galet a la
« même largeur, et, bien qu'il soit cassé, il mesure encore
« douze centimètres de longueur. L'une de ses faces est ornée
« de cinq bandes rouges perpendiculaires à la longueur, ayant
« chacune un demi-centimètre de largeur. Le musée de Gar-
« cassonne possède aussi, de la même grotte, de nombreux
« silex en lames allongées, des pointes en os et en bois de
« cervidés, un os gravé représentant une tète (biche?) et des
« ossements appartenant aux animaux suivants, d'après mes
« déterminations : blaireau, renard, Lepus, Equus de taille
« ordinaire, renne, cerf élaphe, grand bovidé, bouquetin (?).
« Tous ces objets, y compris les galets, ont été découverts,
« il y a près de vingt ans, par M. Rousseau, conservateur des
« forêts, qui, le 22 avril 1874, a fait une communication à la
« Société d'histoire naturelle de Toulouse au sujet des os et
« des silex. M. Rousseau (qui habite maintenant Carcassonne)
« m'a dit ne pas se souvenir s'il a recueilli les galets dans la
« même couche que les autres objets. Il leur a fait subir un
« lavage. Ce qui reste maintenant de couleur rouge adhère
« fortement. Cas galets sont étiquetés Percuteurs. »
J'ai prié M. Nelly de m'envoyer des dessins de ces galets,
et j'ai été moi-même les voir au musée de Carcassonne. Ils
sont incontestablemeat coloriés et appartiennent aux mêmes
types que ceux du Mas-d'Azil. J'ai tenu a lire l'article de
M. Rousseau sur la grotte de la Crouzade. Il m'a vivement
intéressé. Il est l'œuvre d'un observateur; mais il n'y est pas
dit un mot des galets coloriés. Il les a tenus sans les voir, ou
ED. NETTE. — HIATUS ET LACUNE 263
si ses yeux ont vu leur coloration, il n'y a attaché aucune
importance et ne les a recueillis que parce qu'ils lui ont paru
être des percuteurs ; et c'est M. Harlé qui est le vrai découvreur
de ces galets. M. Rousseau fait, il est vrai, mention de silex
roses dans sa note; mais il m'a paru résulter d'un passage de
cet cérit qu'il les considérait comme ayant acquis cette couleur
dans le gisement d'origine d'où les habitants de la grotte les
ont tirés. D'ailleurs, les silex roses, à la différence des galets
peints, n'ont pas été coloriés intentionnellement. Ce sont des
éclats de silex blonds ou blancs qui ont été accidentellement
mis en contact avec du peroxyde de fer. J'en ai recueilli dans
plusieurs grottes. Il est rare de trouver parmi eux des ins-
truments parfaits. Ils ne portent aucun dessin.
Jen'ai pas manqué de faire connaître <à M. Cartailhac l'exis-
tence des galets coloriés dans les grottes de la Crouzade et de
liize.
Depuis mes publications sur le Mas-d'Azil, M. Miquel a
découvert un gisement de galets coloriés dans la grotte de
Montfort, près de St-Lizier, Arriège. Une autre station datant
de l'époque de transition, celle de la Tourasse, à St-Martory,
Haute-Garonne, a été fouillée par MM. Durbas et Chamaison.
M. Regnault l'a décrite imparfaitement dans une brochure
dont M. Boule a reproduit les principaux passages dans V An-
thropologie (1892, t. 3, p. 743).
De toutes les stations connues de l'époque de transition,
c'est, je pense, la plus pauvre. Située à cinq ou six mètres
au-dessus du niveau de la Garonne, elle a été souvent visitée
par les eaux du fleuve pendant ses débordements. De là l'en-
lèvement et le mélange de ses couches archéologiques en
certains endroits. On pouvait cependant en reconnaître la suc-
cession dans les partiesépargnées : à la base était l'assise éla-
pho-tarandienne, dans laquelle gisaient des ossements et des
mâchoires de renne. Au-dessus s'étendait la couche à harpons
plats, perforés, en rainure de cerf, contenantbeaucou|)(lc débris
de cerfélaphe et des os d'ours commun, fie sanglier, de loup, de
blaireau, de chevreuil, de bœuf, de cheval. M. Boule y a re-
f>64 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
marqué des traces de couleur rouge sur un galet. Il est donc
à peu près certain que cette assise renfermait originairement
des galets peints dont la couleur a disparu par suite des nom-
breux lavages causés par les inondations.
Des traces de la couche à escargots afleuraient au-dessus.
Enfin un os percé par une flèche barbelée en silex dénotait la
présence des strates néolithiques.
Ce gisement est donc complexe, malgré sa pauvreté.
Je ne donnerais pas, dans cette note, d'une manière com-
plète, la physionomie des débats relatifs à l'hypothèse de
l'hiatus, si je ne faisais connaître l'attitude de M. Cartailhac
au congrès tenu à Paris en 1889. Je venais de décrire les
assises qui comblent la lacune sur la rive gauche de FArise,
dans la grotte du Mas-d'Azil. On aurait pu croire qu'il s'en
trouvait décontenancé, lui qui s'était fait le champion de
cette singulière croyance à une époque pendant laquelle l'Eu-
rope serait restée inhabitée et la tradition de l'homme aurait
été interrompue. Pas du tout. Il se montra triomphant. Voici
comment il s'exprima (Voyez compte-rendu, p. 212) :
« Il y a déjà plusieurs années que j'ai insisté sur Timpor-
« tance de ce que l'on a nommé l'hiatus. En 1874, M. de
« Mortillet disait que cet hiatus « ne représentait pas une lacune
« dans le temps et dans l'industrie, mais une simple lacune dans
« nos connaissances. » Je crois que l'événement n'a pas con-
« firme cette manière de voir. C'était bien une lacune dans
« l'industrie, puisque l'on a commencé à combler l'hiatus en
« y plaçant les gisements campiniens, suivant le mot de
« M. Salmon. C'était une lacune dans le temps, puisque ces
« o-isements de transition ont leurs caractères spéciaux qui
« démontrent leur durée. » Qui ne croirait, en lisant cette
phrase écrite avec aplomb, que M. de Mortillet a eu tort'?
M. Cartailhac n'a obtenu cette apparence que par une jon-
glerie de mots et en isolant la phrase citée de ce qui la suit.
Pourquoi n'a-t-il pas continué sa citation? « Certainement, a
« dit M. de Mortillet, l'époque paléolithique a du se rattacher
«. et se souder à l'époque néolithique, mais nous n'avons pas
ED. METTE. — HIATUS ET LACUNE 265
« encore découvert le point de contact. Il n'y a pas eu une
« période où l'Europe était inhabitable. Seulement les restes
« de l'époque de transition ou de passage n'ont pas encore
« été trouvés et reconnus. » M. Cartailbac excelle, en tron-
quant un passage d'un auteur, à lui prêter les plus grandes
billevesées et les idées les plus opposées à celles qu'il a voulu
exprimer. Après avoir ainsi travesti les opinions de M. de
Mortillet, il va citer un passage de ce que lui-même a écrit
autrefois, en le présentant de façon à faire croire qu'il avait
prévu mes découvertes et l'importance des assises qui repré-
sentent la lacune en France. Voici ce passage : «Croyez-vous,
«disais-je au Congrès de Paris (1878, p. 53), que les anciens
« Européens aient à la fois réduit en domesticité le chien, le
« cheval, le bœuf, le mouton, la chèvre, le cochon ? Sup-
« posez-vous qu'ils aient, au même moment, inauguré l'agri-
« culture, fixé leurs demeures, inventé la poterie, etc.? Non '
« Tout cela suppose un long enfantement. » — Les décou-
« vertes m'ont donné raison. Le néolithique se complique à
« vue d'œil, et sur quelques rares points, par exemple au
« Mas-d'Azil, on trouve déjà des liens industriels et zoolo-
« giques entre les gisements paléolithiques et quaternaires. »
(Compte-rendu du Congrès international des Sciences anthro-
pologiques, tenu à Paris an 1889, page 213.)
Qu'il me soit permis de compléter la citation de M. Car-
tailhac. Voici la phrase qui suit dans le compte-rendu du
Congrès de Paris de 1878 (Voyez p. 53): «Les habitants d'un
« seul continent ne peuvent pas avoir eu le merveilleux pri-
« vilège de ces innovations capitales ; l'âge de la pierre polie
« nous aparaît en Europe comme la synthèse des progrès
« accomplis avec lenteur, par des inconnus, dans des pays
« ignorés. »
Ainsi, M. Cartailhac pensait en 1878 qu'il avait fallu, pour
l'élaboration de la civilisation néolithique, le concours de tous
les peuples de l'ancien et du nouveau continent, et que cette
élaboration avait eu lieu hors de l'Europe. Les assises du Mas-
d'Azil prouvent qu'elle a eu lieu sur la terre de Gaule en même
T. VI ({0 série). 18
266 SÉANCE DU 18 AVRIL 1895
temps, sans doute, que dans beaucoup d'autres contrées. Elle
a employé un fort long temps pour s'accomplir. A en juger
par l'épaisseur des strates sur la rive gauche de l'Alise, la
durée de l'époque qui représente la lacune serait au moins
égale à celle des âges réunis de la pierre polie et du bronze.
Mais à aucun moment de cette longue époque l'Europe n'a été
désertée. 11 y a eu transformation et non substitution d'indus-
trie. La transformation a eu lieu parfois par soubresauts
C'était jquand il y avait changement de climat ou contact de
populations nouvelles (car il serait puéril de nier qu'au début
de la période néolithique des races venues de pays étrangers
ne se soient mêlées aux habitants de nos pays).
Quant à la domestication des animaux et à l'invention de la
culture, M. Cartailhac aurait pu se renfermer dans des don-
nées moins vagues. Au commencement de la période magda-
lénienne, l'homme a connu le blé puisqu'il en a sculpté les
épis en plein relief. A la fin de cette même période, aux
temps élapho-tarandiens, on faisait usage de petites meules
grosses comme le poing ; mais il n'est pas certain qu'elles
aient servi à écraser le grain. A l'époque des galets coloriés,
l'homme possédait le blé et la meule. On n'en trouve que peu
de vestiges. Les meules deviennent très communes dans les
amas coquilliers à hélix nemoralis.
Le cheval a été domestiqué dès l'époque de Solutré. On l'a
sculpté avec la chevètre à l'époque de la sculpture en bas
relief. On l'a gravé, enchevêtré a l'époque de la gravure au
champ-levé. Puis, à l'époque cervidienne, quand le climat a
changé, qu'il est devenu humide en restant froid et que la
durée des neiges a rendu l'élevage du cheval difficile, on a
domestiqué le renne. Aux temps élapho-tarandiens, quand
les pluies ont succédé aux neiges, on a domestiqué un bœuf.
Des gravures le représentent avec une sangle ou avec une
couverture.
Enfin il y aura lieu d'examiner si un sus n'a pas été
domestiqué, à l'époque des galets coloriés. On trouve ses
mâchoires en grande abondance clans cette assise et dans les
Ctt. LETOURNEÀU. — CURIEUSE FORME DU COMMERCE PRIMITIF 2G7
amas coquilliers. .On devra les comparer aux mâchoires de
porc qui ne sont pas moins nombreuses dans les aggloméra-
tions néolithiques.
Tous ces animaux étaient élevés pour leur chair. On ne
leur demandait aucun service ; aussi le mot domestication
n'est-il pas juste. 11 n'y avait que semi-domestication. Cette
semi-domestication a beaucoup facilité la tâché de l'homme
néolithique,
Luc curieuse forme du commerce primitif
Par Ch. Letourneau.
Dans nos sociétés contemporaines, le commerce joue un
rùle si prépondérant qu'il nous semble une fonction essen-
tielle de toute société humaine; pourtant l'étude des faits dé-
montre qu'il n'en est rien. A l'origine de nos sociétés, on
trouve un âge précommercial où en étaient encore restés les
Fuégiens, les Australiens, même les Polynésiens avant leur
contact avec les navigateurs. — Les premiers échanges entre
les clans primitifs ne s'effectuèrent qu'avec une extrême mé-
fiance et il semble que la forme première en ait été ce
commerce par dépôt, dont Hérodote cite un exemple long-
temps considéré comme invraisemblable. Il s'agit de ces
Libyens habitant sur le littoral au-delà des Colonnes d'Her-
cule et avec lesquels, dit le vieil historien, les Carthaginois
pratiquaient le commerce par dépôts : « Les Carthaginois
débarquent leur cargaison, remontent sur leur navire et font
une grande fumée. Les habitants viennent déposer de l'or
près des marchandises. S'il y en a assez, les Carthaginois l'em-
portent: sinon ils retournent à bord et les indigènes ajoutent
de l'or. Us ne touchent pas à la cargaison avant qu'on ail
enlevé l'or1 ». Il est bien curieux de retrouver cette pratique,
1 Hkrodote, IV, 100.
f>68 SÉANCE DU 18 AVRIL 4893
si primitive encore en usage à une époque relativement très
récente et dans les mêmes lieux, au cap Blanc, dans la baie
d'Arguin. Seulement, cette fois, il s'agit non pas d'or, mais
d'échanges de tabac, d'eau et de biscuit offerts par les marins
contre les poissons, que les indigènes dardaient avec leurs sa-
gaies. Las deux descriptions sont d'ailleurs très comparables1
et cette similitude atteste, une fois déplus, combien les mœurs
primitives se modifient lentement. Mais ce mode de commerce
par dépôts, d'échanges pratiqués sans que les intéressés se
vissent a dû être très répandu, peut être universel à l'origine
des sociétés; puisqu'à des dates relativement modernes, on en
a rencontré divers exemples. — Je citerai les Veddahs de Cey-
lan, qui recouraient à ce procédé pour troquer leur miel, leur
cire et leur gibier, leurs dents d'éléphant contre le fer des for-
gerons cinghalais 2. Au témoignage de Cosmas (Topographia
christiana) les Ethiopiens d'Axum commerçaient encore de
cette manière avec les Somalis3. — Les Chinois achetaient de
même le bois des sauvages Miao-tsé *. — A. Humboldt cite
aussi un exemple de commerce par dépôts entre certains In-
diens du Nouveau- Mexique et les garnisons des presidios espa-
gnols5. Enfin, de nos jours encore, du temps de Chardin, les
Turcs commerçaient avec les Tcherkesses en recourant à des
pratiques, qui sont manifestement une atténuation du com-
merce par dépôt des primitifs. Ils descendaient bien armés
sur le rivage; un parti de Tcherkesses, égal en nombre,
les attendait à une petite distance. De loin on se montrait ré-
ciproquement ses marchandises et finalement on les échan-
geait avec de grandes précautions0. Cette coutume du com-
merce par dépôts était même si habituelle et si invétérée chez
1 Claude Jannequin. — Voyage de Lybie au royaume du Sénégal, le
long du Niger (1648), p. 41, 43.
2 0. Sachot, Ile de Ceylan.
3 Heeren, Polit, et commer. des peuples de l'antiquité, t. V, 47.
4 Abbé Gravier, Descrip. gènér. de la Chine, t. I, 233.
^ Nouvelle Espagne, t. II, 408, 409.
,; Chardin, Vogage en Perse, t. I, 110.
OUVRAGES OFFERTS 269
nombre de primitifs, que le voyageur Lender l'a encore trou-
vée, mais à l'état de survivance, sur les rives du Niger, dans
un marché. « Les vendeurs d'ignames, dit-il, mettent à terre
par tas séparés, leur marchandises et se retirent. Les ache-
teurs arrivent, inspectent les différents tas et déposent auprès
de celui qui leur convient quelque autre objet. Le vendeur
vient et si l'affaire lui va, prend cet objet. Ne le trouve-t-il
pas assez rémunérateur? il s'arrête un instant et attend que
l'offre soit augmentée. En cas d'insuccès, il remporte son pa-
quet d'ignames » l — Prochainement, dans une communica-
tion un peu plus étendue je dirai comment a évolué le com-
merce primitif, à partir de ces humbles débuts.
L'un des secrétaires : D> P. Raymond.
G21c SÉANCE. — 2 Mai 1895.
Présidence de M. Ollivier-Beauregard.
correspondance.
M. Collignon lit une lettre de M. le Dr Matignon, en rési-
dence à Pékin, qui soumet à la Société la description et le
dessin d'un instrument destiné à mesurer l'obliquité de l'œil.
Lettre annonçant la mort de M. Adolphe d'Eichthal mem-
bre titulaire.
M. le Président exprime les regrets de la Société.
Circulaire de la fédération archéologique et historique de
Belgique, invitant la Société à son congrès de 1895, à Tournai.
Circulaire de la Société française d'archéologie, invitant la
Société au congrès de Clermond-Ferrand, du 5 au 8 juin 1895.
OUVRAGES OFFERTS.
Deniker (.1.). — Sur les ossements humains, recueillis par
1 Landeb, Journal, t. III, 180.
270 SÉANCE DU 2 MAI 1895
M. Diguet3 dans la Basse-Californie (Ext. du But. du Muséum
d'hist. mat.), in-8°, 4 pag. Paris, 1895.
Foa (Edouard). — Le Dahomey : géographie^ mœurs, coutumes,
commerce, industrie, expéditions françaises (1891-1894), avec
une préface de M. E. Levasseur, in-80,, 430 pag., fig. et pi.
Taris, 1895 (Don de M. A. Hennuyer).
M. Zaborowski. — Notre collègue, M. Hennuyer. qui publie
une Bibliothèque de l'explorateur, comprenant déjà deux volumes
de MM. Verneau et Capus, vient de faire paraître un troisième
volume. 11 est consacré au Dahomey et écrit par M. E. Foa,
qui a séjourné quatre ans dans ce pays. Comme nous pos^*'-
dions les deux précédents, offerts par leurs auteurs, j'ai prié
M. Hennuyer de vouloir bien faire don à notre bibliothèque
de l'ouvrage de M. Foa. Il me l'a envoyé immédiatement en
me priant de vous le présenter. Ce n'est pas un ouvrage
d'anthropologie, à proprement parler. C'est une description
du Dahomey, sol, faune, flore, population, culture, tel qu'il
se présentait à l'explorateur au moment de la conquête qui
va apporter de grands changements dans ses conditions et
son aspect. Mais la plus grande partie de ce tableau relève de
l'ethnologie cl de l'ethnographie. Il comprend, en effet, des
chapitres sur les « caractères physiques », sur les caractères
moraux, sur l'industrie et la culture, sur la nourriture et
la cuisine, le costume et la parure, l'habitation, l'état
social, les religions, l'état politique, et les fêtes et céré-
monies. Les faits y sont exposés avec sobriété et préci-
sion. Je signalerai encore un court chapitre d'une réelle
valeur pratique, comprenant le vocabulaire Nago qui suffit à
.M. Foa pour se faire comprendre de toutes les populations de
la région. El. à propos de ce vocabulaire, qu'il me soit permis
de revenir sur une démonstration que je croyais avoir faite
dans mon travail sur la disparité des races humaines. Dans
un mémoire récent sur un crâne d'enfant fuégien.M. Manou-
vrier* admettait que la langue fuégienm pouvait être, étail
même riche. J'ai demandé des preuves de cette richesse et je
les attends encore. Un missionnaire a parlé d'un dictionnaire
OUVRAGES OFFERTS 271
fuégien de 30,000 mots. Je considère comme impossible, de
toute impossibilité, qu'un peuple sans traditions écrites et
encore plus sans traditions orales, puisse posséder un voca-
bulaire même des deux tiers moins riches. Et, en effet, ce
dictionnaire de 30,000 mots, annoncé depuis 20 ans, où est-il ?
M. Foa n'est pas tombé dans ces illusions. Je recommande ce
qu'il dit à qui voudra s'expliquer ce qui s'est passé avec les
missionnaires de la Terre de feu : « Les missionnaires anglais
dans le Yorumba ont complété le nago à leur façon; ils y ont
ajouté une foule de termes et accents conventionnels avec
l'intention de créer une langue littéraire. Ils publient des bro-
chures dans cet idiome et, comme ils l'enseignent aux enfants
qu'ils élèvent, un certain nombre de noirs lettrés peuvent le
comprendre. Mais les indigènes ne comprennent pas. Nous
avons souvent essayé de lire aux indigènes des passages de
livres en naffo modifié (que nous ne comprenons pas nous-
mème) et, après lecture, ils nous regardaient avec l'ébahis-
sement de gens qui ne savent pas ce qu'on veut dire » (p. 120).
M. Foa ajoute que, sur un rayon de 200 kilomètres, il y a
trois langues distinctes, totalement différentes l'une de l'autre
et que toutes ces langues sont pauvres, aussi bien par rap-
port aux nôtres qu'en elles-mêmes. Ce ne sont pas pourtant
celles de purs sauvages, sans organisation sociale.
« Il est très amusant, dit-il encore, d'entendre certains au-
teurs parler des idiomes de la région comme de langues
harmonieuses aux poétiques images. Nous savons que le Nago
parle avec une intonation qui fait supposer qu'il va pleurer,
et que le Dahoméen, le Popo et le Minah, ont une langue gut-
turale, très désagréable à entendre. Quant à la poésie, c'est
chose inconnue sur les côtes d'Afrique. On traduit : je t'aime,
par : je veux ta viande : et j'ai du chagrin, par : ça me cuit dans
le ventre ».
Ce sont des faits de cette nature uniquement que l'ob-
servation exacte fera découvrir dans les langues des sau-
vages.
Mies (Dr J.). — Ueber die Bedeutung der bis jetzt bekannlen
-272 SÉANCE DU '2 MAI 1895
Kopfinazze des Fiirsten Bismarck in Tàglichc Rundschau, 17 et
18 avril 1895, in-4°.
périodiques (articles à signaler).
L'Éducation intégrale, 15 avril 1895 : — Le travail spontané
chez l'enfant.
Bulletin de l'Institut égyptien, mars 1894. — Lajard : Deux
stations de silex taillés dans le désert oriental.
Revue tunisienne, janvier 1895. — Dr Bertholon : Étude sta-
tistique sur la colonie française de Tunis ; — G. Médina : Note
sur la nécropole de Saint-Louis de Carthage ; — Dr Bertho-
lon : La race de Néanderthal dans l'Afrique du Nord.
Archivio per l'antropologia e la etnologia, vol. XXIV, fasc. 3.
— Dr G. Peli : L'indice cérébrale nei sani di mente e negli
alienati ; — E. IL Giglioli : Di alcuni strumenti di pietra e di
osso tuttora adoperati in Italia nella lavorazione délie pelli e
del cuoio.
The american antiquarian. march 1895. — J. Deans : The
hidery story of création; — J. Wickersham : An aboriginal
War club; — S. D. Peet : Anthropomorphic Divinities ; —
C. Thomas : Prehistoric contact of americans with oceanic
peuples.
Archiv fur anthropologie, vol. XXIII, nos 3 et 4. — A. v. Tôrôk :
Ueber den Yesoer Aïnoschaedel aus der ostasiatischen reise
des Herrn Grafen Bêla Szechenyi und ueber den Sachaliner
Aïnoschaedel des Koonigl-zoologischen und anthropologisch-
ethnographischen muséums zu Dresden ; — D1' Weissenberg :
Die sûdeuropàischen juden. — 0. Montelius : Findet man in
Schweden Ueberreste von einem Kupferalter? — Zur aeltes-
ten geschichte des Wohnhauses in Europa, speciell im Nor-
flen; _ c. Voit : Ueber die Nahrung in verschiedenen klima-
ten.
OBJETS OFFERTS.
M. Deniker offre, de la part d'un oflicier de la garnison
PERRIER DU CARNE ET MANOUVRIER. — DOLMEN D'EPÔNE 273
d'Askehad, dans la Caspienne, des statues rappelant l'art
grec.
COMMUNICATIONS
Le Dolmen « de la Justice » d'Epône (Selnc-et-OUe).
Mobilier funéraire et ossements humains
Par MM. Perrier du Carne et L. Manouvrier.
I. Description de la sépulture et du mobilier.
Par M. Perrier du Carne.
M. Cassan, sous-préfet de l'arrondissement de Mantes, avait,
dès 1833, signalé le dolmen de la Justice d'Epône *. II croyait
que ce dolmen était un autel druidique. C'était, du reste, l'usage
à cette époque d'attribuer au culte des Druides tous les monu-
ments mégalithiques.
Ce qui avait pu, du reste, susciter à M. Cassan cette idée
d'autel, c'est que, depuis fort longtemps, le monument de la
Justice, privé du tumulus qui l'avait primitivement recouvert,
émergeait du sol.
Le dolmen de la Justice est situé sur la commune d'Epône,
dans la plaine basse formée d'alluvions quaternaires k gauche
de la ligne du chemin de fer allant de Mantes a Paris, et k peu
près k mi-distance entre le château de la Garenne et la
Mauldre, rivière qui se jette dans la Seine; il s'élève au milieu
d'un petit bois de chêne appartenant k Mme Piot de Mézières.
Ce monument est en grande partie détruit. Depuis fort
longtemps on n'aperçoit plus que 5 supports du côté droit et
3 du côté gauche sur lesquels sont couchés horizontalement
deux tables énormes de silex meulier formant plafond; la
première table vers le nord -ouest mesure 2 m. 40 dans le
i Statistique de l'arrondissement de Mantes, imprimerie Forcade,
Mantes, 1833.
274 SÉANCE DU 2 MAI 1895
sens de la largeur du monument, 1 m. 40 de longueur moyenne
et 0,60 centimètres d'épaisseur; son poids peut être évalué à
6,000 kil. La seconde table mesure 2 m. dans le sens de la
largeur, 2 m. 10 de long et 0,50 centimètres d'épaisseur, elle
est a peu près du même poids que le premier bloc. A la suite
est une troisième table de poudingue siliceux en partie brisée
et renversée.
La longueur apparente de ce dolmen est aujourd'hui de
5 m. 30, la longueur réelle était autrefois beaucoup plus
considérable, elle atteignait 11 m. 64, ainsi que j'ai pu m'en
assurer. Toute la partie sud-ouest a été détruite a une époque
fort reculée; il n'en reste plus que deux supports debout, mais
enterrés dans le sol, deux autres supports renversés et la
dalle de grès qui formait le fond du monument, cette dalle
est restée debout et émerge un peu au-dessus du sol.
Le monument est orienté nord-ouest-sud-est; l'entrée que
j'ai retrouvée est au nord-ouest; elle est en partie fermée par
une dalle aujourd'hui enterrée dans le sol. Cette entrée n'est
pas précédée d'un vestibule. La hauteur du dolmen sous pla-
fond est, en moyenne, de 1 m. 90; la largeur de 1 m. 50 et la
longueur totale de II m. 64, ainsi qu'on l'a vu précédemment.
Les constructeurs de la Justice, pour mettre, autant que
possible, le dolmen à l'abri des crues de la Seine, n'ont pas
enterré complètement ce monument; ils n'ont creusé qu'à
1 m. 30 environ de profondeur dans la terre végétale et les
alluvions quaternaires de sorte que les supports du dolmen
et les tables s'élèvent aujourd'hui de 1 m. 35 environ au-dessus
du sol.
Les pierres qui ont servi à la[construction de celte sépulture
comprennent des blocs de meulières, de grès, de calcaire grossier
cl de poudingue. On trouve les meulières dans la forêt des
Alluetset sur le plateau des Maudhuits, distants de quelques
kilomètres d'Epône (étage des meulières de Brie et des nn1 li-
bères de Beauce), les grès (grès de Fontainebleau) si1 rencon-
trent aussi aux Alluets; quant au calcaire grossier, il est fort
abondant dans toute la région. Le poudingue fait, au contraire.
P2RRIER DU CARNE ET MANOIVRIER. — DOLMEN d'ÉPONE "275
défunt. Le bloc employé provient donc de matériaux charriés
dans les graviers quaternaires. Peut-être les meulières et les
grès eux-mêmes ont-ils été pris parles constructeurs du dolmen
dans ces mêmes graviers où on les rencontre assez souvent.
Le dolmen de la Justice étant, ainsi que nous l'avons vu, par-
faitement apparent, grâce à la destruction parlesagentsatmos-
phériques du tumulus qui le recouvrait, tout portait à croire
qu'il avait été déjà fouillé, M. Perrier du Carne ayant cepen-
dant obtenu en 1881 deMme Piot, à qui il est heureux d'adresser
tous ses remerciments, l'autorisation de pratiquer des fouilles,
eut la bonne fortune de trouver la sépulture intacte.
Ayant déblayé les terres qui s'étaient amoncelées dans l'in-
térieur du monument surune épaisseur de 0,70 cent, environ,
il trouva un lit interrompu de pierres plates, une couche de
squelettes, un second lit irrégulier de pierres plates, une
seconde couche de squelettes et enfin un dallage épais de 5 à
6 cent, reposant sur l'alluvion quaternaire et formant le sol
du monument.
A l'entrée du monument. M. Perrier du Carne a retrouvé des
cendres et des charbons reposant sur le dallage inférieur qui
était en partie calciné. Ces cendres, encore incandescentes,
avaient été recouvertes par les plaquettes de calcaire dont la
face inférieure était toute noircie. Ce foyer avait 1 m. 30 de
large sur 0,80 cent, de long. Les cendres étaient peu abon-
dantes et il paraissait n'avoir été allumé qu'une seule fois.
Dans tous les cas, la couche supérieure des ossements le recou-
vrait entièrement et il n'y avait dans cette couche d'ossements
aucune trace de foyer. L'existence d'anciens foyers, à l'entrée
des dolmens, a été interprétée diversement. Certains archéo-
logues ont vu dans ces cendres la. preuve des festins funé-
raires, d'autres affirment que ces foyers étaient allumés pour
purifier l'air du caveau. Je ne m'expliquerais pas, alors, un
foyer unique recouvert entièrement par la couche supérieure
des ossements. Qu'il ail servi à la cuisson des aliments du festin
funéraire ou à la purification de l'air, le foyer aurait dû être
allumé à chaque inhumation. Les cendres âuràjentj alors, élé
276 SÉANCE DU 2 MAI 1895
abondantes et se seraient étendues ça et là. Il n'en est pas
ainsi au dolmen de la Justice. Je proposerais donc une autre
explication. Ou bien le feu était une simple consécration du
monument ou bien, et cette explication me paraît plus pro-
bable, c'était une offrande aux morts. Les hommes de la pierre
polie croyaient, cela est indiscutable, aune autre vie. Ils pla-
çaient à côté de leurs morts les objets dont ils s'étaient servis,
des haches de pierre, des grattoirs, des armes et des outils
de toute sorte et même des vases contenant des aliments, en
un mot ils offraient à ceux qui n'étaient plus tout ce qui, pen-
dant leur vie, avait pu leur être utile; or, qu'y a-t-il de plus
indispensable que le feu? le feu n'a-t-il pas été sanctifié, déifié
par des peuples nombreux! le mot foyer n'est-il pas dans la
plupart des langues, synonyme de maison, demeure, famille?
Ne parait-il pas naturel, alors, que les constructeurs de dolmens
qui offraient des aliments et des haches, aient allumé pour leurs
morts, le feu qui leur avait été si utile pendant la vie? Ne pen-
saient-ils pas, ces hommes primitifs, dans leurs croyances
naïves, que la flamme du foyer funéraire s'envolait sans s'é-
teindre pour réchauffer au-delà de la vie l'àme de leurs morts
qui s'envolait sans périr?
Le mobilier du dolmen de la Justice comprenait, éparsdans
toute l'étendue de la sépulture :
Poterie
1 vase presque entier en terre fort grossière et mal cuite à
parois très épaisses. Il mesurait 0 in. 17 cent, de hauteur et
Om. 13 de largeur.
1 autre vase brisé.
Et de nombreux fragments.
Ornements
o rondelles percées d'un trou au milieu, l'une en ambre, 3
en terre cuite, la 5e en calcaire.
PERRIER Dt* CARNE ET MANOUVRIER. — DOLMEN d'ÉPÔNE 277
2 amulettes percées d'un trou de suspension et polies, l'une
en pierre verte, l'autre en marbre gris semé de blanc.
Objets de pierre
4 grattoirs.
4 pierre grise (calcaire), polie sur une de ses faces.
1 grès présentant sur l'une de ses faces une légère cuvette
et ayant servi fort probablement de pierre à écraser.
7 haches polies en silex et en grès de dimensions plutôt
petites.
1 ébauche de hache en silex.
3 belles lames, dites pointes de lance, en silex du Grand-
Pressigny, très finement retaillées; l'une d'elles, la plus grande,
terminée en grattoir à la base, mesure 0 m. 23 cent, de long.
1 petit fragment d'une quatrième pointe de lance.
1 pointe de javelot, aussi en silex du Grand-Pressigny.
1 pointe de flèche de silex a pédoncule et à deux barbe -
lures.
-2 tranchets ou pointes de flèche à tranchant transversal.
Enfin, un nucléus et des éclats de silex.
Les squelettes paraissaient, ainsi que nous l'avons vu, avoir
été déposés sur deux rangées, mais, par suite des crues de la
Seine, la terre qui contenait ces ossemements avait été fréquem-
ment détrempée et il s'était produit de nombreux tassements
de sorte qu'il était très difficile, en général, de reconnaître dans
quelle position l'inhumation avait été pratiquée. Toutefois,
M.Perrierdu Carne a pu reconnaître que 3 squelettes avaient
été inhumés les genoux ramenés sous le menton et le corps
couché de côté, les mains placées de chaque côté de la tète.
Les phalanges des mains et des pieds des autres squelettes se
trouvaient généralement, sinon dans leur connexion naturelle,
du moins très rapprochées, ce qui donnerait à supposer que
l'on avait inhumé dans le dolmen de la Justice les corps en-
tiers et non les squelettes décharnés.
On peut évaluer au moins à GO le nombre des squelettes
278 SÉANCE DU 2 MAI 1893
inhumés dans ce dolmen ; après avoir, en effet, recueilli tous les
humérus. M. Perrier du Carne a compté 58 humérus gauches.
II. Etude des ossements.
Par M. L. Manouvriek.
Tous les os, complets uu non, qui ont pu être recueillis par
M. Perrier du Carne ont été étudiés au laboratoire d'Anthro-
pologie de l'école des Hautes Etudes. Malheureusement, les os
longs entiers, les seuls utilisables pour la reconstitution de la
taille, sont très peu nombreux. Voici les résultats obtenus sur
ce point, en suivant la technique indiquée dans mon mémoire
sur la détermination de la taille d'après les grands os des membres.
[Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris. *2'' série, t. IV.)
Taille masculine.
1 tibia, longueur = 340"im + 2. Taille cadavre = 1"' 61 1
■4 humérus, moy. =311+2. — 1 623
1 radius, 233 -f 2. — — 1 647
6 Hommes. Taille moyenne tirant. = 1'" 626 — 0.02 = lm 606.
Tailles extrêmes probables.
D'après 2 humérus. Max. = 1™ 626. Min. = l"1 546.
Taille féminine.
1 fémur, longueur = 406""" -f- 2. Taille cadavre = lm 543
4 humérus — 2<S0 -f 2. — — 1 525
2 Femmes. Taille moy. cirant = 1'" 534 — 0.02 = 1"' 514.
Ces chillres seraient insuffisants, à eux seuls, pour consti-
tuer des moyennes stables. Ils rendent seulement probable
la conclusion que les habitants néolithiques d'Épône étaient de
petite taille. Mais ils viennent s'ajouter aux chiffres beaucoup
plus nombreux fournis par la sépulture voisine de Brueil '.
1 L. Manouvrier : Etude des crânes cl ossements humains de la
PERRIER DU CARNE ET MANOl'VRIER. — DOLMEN D'ÉPÔNE 279
J'ai obtenu, comme. taille moyenne à Brueil, pour 43 hommes :
1"' 612 et pour 22 femmes : ln> 500.
En fusionnant les moyennes de Brueil avec celles d'Épône,
on obtient :
Taille moyenne masculine, 49 cas : lm 611
— féminine, 24 cas : lm 501
Il convient de rapprocher de ces résultats ceux que j'ai
obtenus avec les os longs provenant d'un autre dolmen voisin,
celui des Mureaux, étudié par M. Verneau :
49 hommes. Taille moyenne = lm638
22 femmes. I111 543
Ici la taille semblerait avoir été un peu plus élevée que
dans les stations très voisines de Brueil et d'Épône. Mais, en
raison de cette proximité et de la' faiblesse numérique des
séries, on peut former, avec les trois stations, une seule série
qui devient alors suffisante pour nous édifier sur la taille
moyenne des hommes et des femmes de cette région à l'épo-
que néolithique, en supposant que les trois populations aient
été contemporaines.
dette fusion donne le résultat suivant :
Taille moyenne de 98 hommes = ih- 625
— 46 femmes = l"1 521
Hommes, max. = l111 73. Min. = 1U1 42.
Femmes, — 1 59. — 1 39.
Ces chiffres viennent corroborer le fait général mis en
lumière dans le mémoire du D1' Rahon \ à savoir que la taille
était un peu moins élevée qu'aujourd'hui en France aux
temps préhistoriques.
Cave aux Fées, à Brueil [S aine- et- Oise) (Mém. de la Soc. des Sciences
Naturelles delà Creuse, 2e série, t. III, Guéret, 1894).
i Rech. sur les ossements humains anciens et préhistoriques en vue
de la reconstitution de la taille. (Mémoires de la Soc. d'Anlhr. de
Pai-H. 2° série, t. IV.)
280 SÉANCE DU 2 MAI 1893
En ce qui concerne spécialement les ossements d'Épône,
leur faible longueur sera utilement mise en regard de la
dolichocéphalie générale des crânes trouvés dans la même
sépulture.
Mesures des os longs complets.
Un seul fémur, considéré comme féminin :
A. Longueur totale en position = 406. 13. Circonférence
min. = 77. A = 100. B. — 18.96.
Diamètres sous-trochantériens : transv. — 31. Ant.-post.
= 21. Indice de plalymèrïe — 67.7.
Diamètres partie moyenne : Transv. = 25. Ant.-post. — 26.
Indice pilastrique == 104.
Diamètre de la tète = 42. Angle du col = 123n.
Un seul tibia, masculin :
Longueur = 340. Cire. min. rr 33. Rapport = 9, 7.
Diamètres : Ant.-post. = 43. Transv. = 23. Indice de pla-
lycnémie = 38.1.
Angles : d'inclinaison ~ 14°, de rétroversion — 19°.
3 humérus :
1
ongueur.
C
ire. min.
Rapport
A
299mm
67mm i
B
C
317
309
62 \
62 i
20.3
E
319
64 f
D
(féminin)
286
63
22.3
Utilisation des os incomplets '.
Fémurs. — Platymèrie.
On a pu former une série de 47 fémurs adultes. Voici les
résultats obtenus au point de vue de la platymèrie, la série
i M. le Dr Sullivan, de Dublin, a collaboré à celle étude durant
sou séjour à notre laboratoire.
l'ERRIER Dr CARNE ET MANiïUVRIER. — DOLMEN d'ÉPQNE 281
ayant é'é ordonnée d'après la somme décroissante des deux
diamètres sous-trochantériens, puis divisée en trois groupes
dont le dernier représente le sexe féminin.
Groupe I. — Somme des diamètres =. de 62 à 59"""
(13 fémurs).
Diamètre antéro-postérieur 26.0
— transverse 34.0
Somme 60.0
Indice de platymèrie, 76.4. Min. 66.7. Max. 106.9.
Cet indice maximum représente un cas de platymèrie trans-
versale, c'est-à-dire d'aplatissement du fémur dans le sens
transversal.
Groupe II. — Somme des diamètres = de 58 à 54mm
(13 fémurs.)
Diamètre antéro-postérieur 24.6
— transverse 32 0
Somme 50. fi
Indice de platymèrie, 76,9. Min. 63.6. Max. 87.1.
Groupe III. — Somme des diamètres = de 53 à 47mui,
(21 fémurs).
Diamètre antéro-postérieur 21.6
transverse 28.8
Somme 50.4
Indice de platymèrie 75.0. Min. 65.6. Max. 82,1.
L'indice moyen de platymèrie ne varie donc pas sensible-
ment suivant la grosseur du fémur, ici comme dans la série
des 67 fémurs de Brueil.
Voici comment sont répartis les indices dans la série entière
de 47 fémurs :
T. VI (4e' SÉKIE) 1<J
282
-EA.NCB DU 2 MAI 1895
de
Indices
Nombre de cas
0/0
(Sério de Brueii)
63.fi à
64.9
1
2.1
7.5
65 —
69.9
10
21.3
19.4
70
74.9
il
23.5
32.8
75 —
79.9
14
29.8
29.8
bO —
84.9
6
12.8
7.5
85 —
89.9
3
6.3
3.0
90 —
93.5
1
2.1
106.9 —
1
2.1
47
100 »
100 »
La forme classique estreprésentéepar l'indice 88.8, moyenne
obtenue chez les Parisiens modernes.
La forme platymère est donc la règle chez les néolithiques
d'Epône, comme chez leurs voisins de Brueil. Elle serait plus
accusée chez ces derniers qui habitaient un pays accidenté
et qui différaient de la même façon des habitants néolithiques
de la plaine des Mureaux.
Trois fémurs non adultes ont été placés hors série. Voici
leurs chiffres individuels :
Somme des 2 diamètres — 46 Indice de platymèrie— 70.4
— — 39 — — 77.3
— — 36 — 71.4
Sur le premier et le troisième de ces fémurs d'adolescents,
la plalymèrie est déjà très accentuée.
Pilastre fémoral.
Les fragments mesurables représentent seulement 26 fé-
murs. Voici les résultats de leur étude présentés comme pour
la platymèrie. Les diamètres, ici, sont ceux de la partie
moyenne du corps de l'os.
Groupe 1. — Somme des diamètres = de 64 a 57mm.
Moyenne =59.5. — 7 fémurs.
Indice pilastrique = 115.0. Max. rr 122.2. Min. = 96.5.
l'EnniEn du carne et manouvrier. — dolmen d'épôxe 283
Groupe IL — Somme des diamètres = de 50 à 53""".
Moyenne — 54.4. — 10 fémurs.
Indice pilastrique = 104.9. Max. = 120.0. Min. = 92.9.
Groupe III. — Somme des diamètres = 52 à 49mr".
Moyenne = 50.3. — 9 fémurs (féminins).
Indice pilastrique = H2. 2. Max. = 138 0. Min. = 96-0.
Un fémur non adulte : somme des diam. =42. Indice = 110.
Les groupes sont trop faibles pour donner lieu à des
conclusions.
Diamètre de la tête fémorale et angle du roi.
L'angle du col du fémur avec le corps de l'os a pu être
mesuré sur 23 fémurs classés ci-dessous d'après le diamètre
décroissant de la tète fémorale.
Groupe I. Diamètres de 47 à 46mm 7 fémurs.
— IL
45 à
41 5
—
— III. —
40 à
37 H
—
Groupes
I
II
m
Diamètre de la tète
46 3
42 6
38 4
Angle du col
129° 3
132*6
128° 3
Maximum
133°
135°
136"
Minimum
125°
130°
123"
Ces groupes ne diffèrent pas sensiblement entre eux ni des
groupes semblablement formés dans la série de Brueil.
Tibias. — Platycnémie.
Les fragments mesurables représentent 21 tibias.
Groupe I. — Somme des 2 diamètres, supérieure à 54mm.
Moyenne = 62.2. — 8 tibias.
Indice de platycnémie =62.3. Max. = 78.1. Min. = 48.9.
Groupe IL — Somme des 2 diamètres =: de 54 à 51""".
Moyenne =52.5. — 7 tibias.
Indice de platycnémie = 62.8. Max. = 70.0. Min. — 55-6.
Groupe III. — Somme des 2 diamètres de 50 à 46""".
284 SÉANCE DU 2 MAI 4895
Moyenne = 48.6. — 6 tibias (féminins).
Indice deplatycnémie = 65.9.Max. = 72.4. Min. = 00.0.
Composition de la série totale.
Indices Nombre de cas.
.*.)
\
55 à 59.9 3
60 à 64.9 8
65 à 69.9 6
70 à 74.9 2
7.'i et plus 1
Cette série n'est pas assez nombreuse pour que l'on puisse
calculer utilement le nombre des cas 0 0. Les chiffres ci-
dessus n'en montrent pas moins que la platycnémie était la
règle dans la population d'Epone comme dans les populations
néolithiques voisines.
..,
Calcaneum
M. Perrier du Carne ayant eu le soin, singulièrement rare,
de recueillir tous les os qu'il a pu trouver dans la sépulture
d'Épône, sans se contenter des crânes, 35 calcaneums et 41
astragales ont pu être examinés.
Sans en faire une étude approfondie à tous les points de
vue, ce qui exigerait des éléments de comparaison que je ne
possède pas, j'ai mesuré sur ces os les dimensions qui m'ont
paru, à première vue, les plus intéressantes :
1° La longueur totale du calcaneum depuis les rugosités
qui donnent insertion au tendon d'Achille (point A) (en
excluant l'épaisseur de ces rugosités), jusqu'au milieu du
bord supérieur de la facette articulaire antérieure articulée
avec le eu boule.
2° La longueur du talon , mesurée depuis le point A, ci-
dessus, jusqu'au fond de l'angle formé par les deux facettes
PERUIEIl DU CARNE ET MAX0UVR1ER. — DOLMEN d'ÉPJNE 285
articulées avec l'astragale. Ce fond correspond à peu près au
milieu de l'articulation calcanéo-astragalienne dans le sens
antéro-postérieur.
A défaut de la longueur du pied, ces deux mesures permet-
tent de comparer, à titre d'essai, la longueur du talon à la
longueur du calcaneum..
3° La largeur ou épaisseur du calcaneum.
La série, ordonnée d'après la longueur totale du calcaneum,
a été divisée en trois groupes dont le dernier représente,
selon toutes probabilités, le sexe féminin:
Groupe I. Longueurs de 77 à 74 — 8 os.
IL — 73 à 70 — 16 os.
— 111. 69 à 62 — 11 os.
Groupes
I
11
III
Longueur total»
J, T. . .
. 75.2
71.7
65.9
— du t;
ilon, t . .
. 52.5
50.5
45.2
T = 100. t =
. 69.8
70.4
68.5
Ces derniers rapports diffèrent trop peu entre eux, étant
donnée la faiblesse des groupes, pour être considérés comme
des caractères fermes.
L'épaisseur du talon (E), a été aussi comparée à la lon-
gueur totale de l'os. Elle a pu être mesurée sur 18 os seule-
ment, partagés en trois groupes égaux, la série étant ordonnée
d'après la longueur T décroissante :
I. T = 74.3 E = 27.5 (T = 100) E = 36.9
H- 71.5 27.8 38.9
IIL 67.1 24.8 36.9
La différence des rapports est rendue, encore ici. douteuse
par la faiblesse des groupes. Mais les chiffres qui précèdent
pourront être comparés utilement, au point de vue descriptif.
à ceux d'autres séries ethniques.
286 sÊAxSCfc; du 2 mai 1893
Astragale
.J'ai choisi, pour cet os, les dimensions suivantes :
1° Longueur totale, depuis le bord inférieur de la gouttière
du long fléchisseur du gros orteil (pour éviter l'os trigone non
constant d'Albrecht1 et de Bardeleben) jusqu'au point le
plus proéminent de la tète de l'astragale.
21 La longueur de la poulie astragalienne ou surface arti-
culaire supérieure à sa partie moyenne.
3" La largeur de cette même surface au milieu de sa lon-
gueur.
41 astragales ont été mesurées. La série a été ôrdonnéed'a-
près la longueur totale et divisée en trois groupes :
Groupe 1. T = de 60 à 55mm — 11 astragales.
IL — 54 à 51 — 13 —
— III. — 50 à 43 — 17 —
Groupes I 11 111
Longueur totale 56 52.6 48.8
■o
— de la poulie. . . 34.4 32.4 29.7
Largeur — ... 29.3 28.3 26.2
Sur plusieurs os, l'une ou l'autre des deux dernières dimen-
sions n'a pu être mesurée.
Humérus
La largeur bicondylienne a pu être mesurée sur 48 frag-
ments :
Ie1' groupe. — Largeurs de 69 à 64mm.
14 humérus. Moyenne = 65.3.
2e groupe. — Largeurs de 63 à 59mm.
17 humérus. Moyenne =r 60.5.
i 1'. Albrf.cht: Os trigone du pied chez l'homme. {Soc d'Anthr. de
Bruxelles, t. III, 1885.)
PERRIER DU CARNE ET MANOUVRIER. — DOLMEN DËPÔNE 287
3e groupe. — Largeurs de 58 à 49mm.
17 humérus. Moyenne = 54.2.
La circonférence minima du corps de l'os a pu être mesurée
sur 26 fragments :
1er groupe. — Circonférences de 74 à 69mm.
4 humérus. Moyenne = 71.2.
2e °roupe. — Circonférences de 68 k 64mm.
8 humérus. Moyenne = 65,5.
3e groupe. — Circonférences de 63 à 551,l,,r.
14 humérus. Moyenne — 57.2.
Sur 16 fragments on a pu mesurer la circonférence minima
arec la largeur bicondylicnne. Les groupes ont été formés sui-
vant le module ci-dessus :
l II III
3 6 7
71.0 65.6 57.8
64.6 61.5 56.7
92.1 93.7 98.2
Groupes
Nombre d'humérus. . .
Circonférence maxima. .
Largeur bicondylicnne .
Rapport. (Cire. = 100.) .
La largeur bicondylienne serait sensiblement plus grande
relativement à la grosseur de l'os dans le 3e groupe (sexe
féminin).
Perforation de la cavité olécrânienne
Cette perforation étant plus ou moins large, son étendue a
été notée au moyen des numéros 1,2 et 3. On a représenté
par le chiffre 0 les cavités olécràniennes dont le fond était
transparent, ce qui équivaut presque a une perforation.
Sur 84 humérus, 29 ou 34.6 0 o présentaient cet état do
transparence ou la perforation :
Numéro 0 10 humérus.
— 1 3
- 2 il
_ 3 5 ~
288 SÉANCE DU 2 MAI 1895
Sur les 48 fragments dont on a pu mesurer la largeur bi-
condylienne, 14 étaient perforés.
2 appartiennent au groupe I (ci-dessus) avec les largeurs
67 et 04.
4 appartiennent au groupe II avec les largeurs 63, 60,
59, 59.
8 appartiennent au groupe III avec les largeurs 56, 54, 54,
54, 53, 53, 52, 49.
C'est donc parmi les numéros les plus faibles que la perfo-
ration est la plus fréquente. J'ai démontré ailleurs surabon-
damment ce fait qui s'explique mécaniquement.
Remarque générale sur les grands os des membres
Un a vu plus haut que la taille était assez médiocre dans la
population d'Épône. La grosseur des os ne présentait rien de
remarquable. Mais la musculature devait être relativement
puissante et le travail musculaire dans cette population devait
être intense.
Ce fait est déjà indiqué, pour les membres inférieurs, par
la platymèrie et par la saillie pilastrique ainsi que par la
platycnémie, d'après l'interprétation que j'ai donnée de ces
différents caractères dans des mémoires antérieurs '.
Cette interprétation est corroborée par l'examen des os du
membre supérieur. Si l'on trouve sur le fémur et le tibia les
marques d'un énorme travail musculaire, ce travail doit avoir
laissé aussi des traces sur les os du bras et de l'avant-bras.
Nous devons trouver sur ces os les équivalents de la platy-
mèrie, du pilastre fémoral et de la platycnémie. Or ces équi-
valents existent, en effet, sur un grand nombre d'humérus et
i Mèm. sur (a Platycnémie. (Mèm. de la Soc. d'Anthr. de Paris,
2e s., t. III.)
La Platymèrie (Congrès intcrn. d'.Vnlh. et d'Arch. préhist.,
Paris, 1889.)
Mèm. sur les variations du corps du fémur dans l'espèce hum. {Bull,
de la Soc. d'Anthr. de Paris, 1893.)
PEUIUElt DU CARNE ET MANOUVIUER. — DOLMEN d'ÉPÔNE 289
de cubitus d'Épône comme des autres stations préhistoriques
où les caractères Fémoraux et tibiaux ci-dessus ont été relevés.
Pour le cubitus, ces équivalents consistent dans l'incurva-
tion souvent très forte de la portion supérieure, dans son élar-
gissement et dans l'exagération de ses empreintes musculaires.
Pour l'humérus, ces équivalents consistent surtout dans
l'incurvation assez fréquente du quart supérieur de l'os, prin-
cipalement sur les humérus les plus robustes, — dans la saillie et
l'étendue énormes du V deltoïdien, dans la saillie considé-
rable des deux lèvres de la coulisse bicipitale, dans la largeur
et l'aplatissement insolites de la face postéro-interne de l'os. Sur
un bon nombre d'humérus d'Epône comme sur ceux de Brueil
et de Chàlons-sur-Marne, la lèvre externe de la coulisse bici-
pitale se termine inférieurement par un gros tubercule plus
ou moins large qui, parfois, vient se confondre avec la bran-
290 SÉANCE DU 2 MAI 1895
che externe du V deltoïdien, très saillante elle-même ; de telle
sorte que ces deux renflements réunis contribuent à accen-
tuer la courbure de l'humérus à ce niveau. On trouve même,
sur des humérus très grêles et manifestement féminins, ces
signes de surmenage musculaire analogues, je le répète, aux
caractères si remarquables des fémurs et tibias.
Mandibule.
Voici les mesures prises, d'après les instructions de Broca,
sur sept mandibules adultes :
Nos 12 3 4 5 6 7
Projection ant.-post. 103
Larg. bicondylienne 120 118
— bigoniaque . . 96
— bimentonnière 43
Haut, symphysienne 31
— molaire. ... 24
Branche longueur . 57
— largeur . . 29
Angle symphysien . 80°
— mandibulaire 123
Les n0s 6 et 7 sont des mandibules féminines. En général
les dents présentent une usure très prononcée mais cependant
moins que dans certaines stations néolithiques.
Troisièmes molaires : ont fait défaut toutes les deux sur la
mandibule n° 1. Une a fait défaut sur les nos 4 et G.
Lrane.
Les crânes extraitde la sépulture d'Epône par M. Perrier du
Carme et conservés dans sa collection sont au nombre de
douze, tous plus ou moins endommagés.
Trois sont masculins, neuf féminins.
—
06
97
—
110
1)7
—
[18
—
—
—
117
—
95
—
95
90
88
82
42
40
43
45
42
43
34.5
34
36
31
28
27.5
25.5
26
25
25
20
22
56
59
—
57.5
52
—
31
32
32
29
28
28
72°
70°
75°
77"
67°
62°
37
130
—
129
132
—
PEltRIER DU CARNE ET MANOUVRIER. — DOLMEN d'ÉPÔNE 291
Les crânes II et F sont jeunes, mais voisins de l'âge adulte.
Le crâne C présente un petit os wormien en arrière du
bregma et de nombreux os wormiens dans la suture lamb-
doïde.
Un fragment de voûte crânienne présente une trépanation
du pariétal droit. Cet os est très épais. Il n'est pas certain que
la trépanation ait été pratiquée sur le vivant.
D'après les indices crâniens et faciaux consignés dans le
tableau ci-dessus, la population néolithique d'Epône semble-
rait avoir été assez homogène. Mais il faut considérer que
nous avons pu examiner seulement 12 crânes, dont plusieurs
très incomplets, sur les 58 au moins que devait renfermer la
sépulture avant d'avoir été ravagée par des fouilleurs inin-
telligents, selon la constatation de M. Perrier du Carne. Tou-
jours est-il que, d'après l'ensemble des crânes mesurés, la
dolichocéphalie aurait été la règle dans cette population. Ce
fait est à rapprocher de la très médiocre taille moyenne
obtenue d'après la mesure des os longs. Combien de ques-
tions intéressantes se posent ainsi dans l'étude des ossements
de chaque sépulture préhistorique et restent non résolues par
suite du mauvais état ou de l'insuffisance numérique des
pièces recueillies !
Sur 4 crânes non décrits cl recueillis par M. Perrier du
Carne dans les dolmens de Dammartin, des Maudhuits et de
Dennemont, situés dans la même région que le dolmen de la
Justice, l'indice céphalique ne sort pas de la dolichocéphalie:
Dammartin : 73.9 et 75.5.
Maudhuits : 71.1.
Dennemont : 75.0.
Mais il ne faut pas oublier la présence de crânes brachycé-
pbales dans les dolmens voisins de Brueil et des Mureaux.
Le tableau suivant contient tous les chiffres recueillis sur
les crânes du dolmen d'Epône. On a désigné par la lettre //
les crânes masculins et par f les féminins,
292 s
SÉANCK DL"
2 MAI
1895
Désignation et sexe .
. Lh.
Gh.
Hh.
Af.
If.
Diam. ant. post. nias
. . 186
188
—
182
173
— — méto
p. 178
184
—
183
172
— transv. max .
. 142
140
—
138
135
— basio-bregmat
. . —
—
146
136
—
Ligne naso-basilaire
—
—
106
95
—
Frontal minimum . .
. 95
95.
o
97
94
— ■
— maximum .
. 117
115
115
113
116
Occipital'max . . . .
—
—
—
108
—
Trou oceip., longueur
—
—
—
37
—
— largeur .
—
—
—
31
—
Girconf. horizontale
. —
—
— •
505
—
Partie antér
—
—
234
—
Courbe transversale
. . —
—
302
294
—
C. Médiane : sous-cér
. . 22
20
16
17
—
C. frontale cérébrale
. 100
107
111
118
112
C. sagittale
130
135
—
121
129?
C. occipitale sup. . .
—
70
—
89
60?
G. inf.. .
—
—
—
37
—
Largeur bizygomatiq
Hauteur ophryo-alvé
ol. —
—
79
—
—
— Naso-alvéola
re —
—
63
—
—
— Naso-spinale
—
—
45
—
—
—
24
—
—
Orbite, largeur. . .
—
37.5
—
—
— hauteur . .
—
—
30
—
—
Larg. interorbitaire .
—
—
z.» . o
—
—
Voûte palatine, long.
. —
—
50
—
—
larg.
—
—
35
—
—
Indice céphalique .
. 7(3.3
74.
0
—
75.8
78.0
—
—
74.7
—
— transv. vertice
il. —
—
—
98.5
—
— frontal !«'. .
. 66.9
G8.
1
—
68 . 1
—
— nasal ....
—
—
53.3
— ■
—
orbitaire . .
—
—
80.0
—
—
l'EltRIER DU CARNE ET MANOUVRIER. — D.iLMEN d'ÉPÔNE 293
Kf.
Ef.
Cf.
Df.
Mf.
Bf.
Ff.
185
173
182
176
192
183
177
180
174
182
178
194
186
179
134
130
140
140
142
142
138
9i ;
131
.
,
90. S
88
94
93
—
100
92
111
109
117.5
116
—
114
111
—
100
102
104.5
—
113
41
—
— ,
490
515
504
—
30
524
498
—
228
239
—
—
234
—
—
288
300
290
—
290
300
15
18
15
15
16
15
15
110
112
115
105
121
118
120
121
122
118
132
130
131
125
79
03
76
70
77
03
00
40
44
43
46
38
48
50
—
120
—
—
—
—
—
—
79
83
—
—
—
78
—
02.5
68
—
— ■
—
03
—
44
47
—
—
—
40
—
23
22
—
—
—
23
—
34
37
—
—
—
39
—
27
32.5
—
—
—
31
—
20
23
—
—
—
19
—
49
45
—
—
—
—
—
34
33
;
—
—
—
72.4
78.0
76.9
79.5
74.0
77,0
74
67.5
64.7
62.7
52.3
79.4
67.1 67.8
— 46.8 —
— 87.8 —
77,6
74.0
75.4
—
97.2
—
70.4
70.2
50.0
—
79*5
294
SÉANCE DU 2 MAI 1893
Le dolmen de la Justice aura du moins enrichi l'ethnogra-
phie préhistorique d'un fait nouveau qu'il nous reste à
exposer.
Il s'agit d'une mutilation crânienne fort curieuse et dont
l'intérêt ne le cède en rien à celui des trépanations.
Sur 3 crânes d'Épone, tous les trois féminins, on voit une
grande cicatrice en forme de T qui semble résulter de plaies
faites évidemment sur le vivant.
Le sillon creusé sur le crâne, atteint, par places, une pro-
fondeur de 2 millimètres.
Crâne Df.
Réd. au 1 3.
PERRIER DU CARNE ET MANOUVRIER. — DOLMEN d'ÉPÔNE 295
La lésion semblerait avoir été pratiquée intentionnellement
et même avec un soin assez minutieux, car sur les trois crânes
d'Épône qui en présentent la trace, celle-ci présente une forme
toujours identique, la forme d'un T dont la longue branche,
antéro-postérieure, commence un peu au-dessus de la courbure
antérieure de l'os frontal et suit la suture sagittale jusqu'à la
région de l'obélion, au voisinage des trous pariétaux. Là cette
branche rencontre à angle droit la branche transversale qui se
termine de chaque côté derrière la bosse pariétale sans jamais
aller jusqu'à la suture lambdoïde. L'ensemble de la marque
cicatricielle est parfaitement symétrique, et sa régularité ne per-
met pas de douter qu'il s'agit là sinon d'une mutilation volon-
taire pratiquée suivant un rite bien arrêté et fidèlement suivi,
au moins d'une lésion résultant de quelque usage spécial pro-
duisant un effet peu variable.
Les deux figures ci-jointes suffisent pour indiquer avec
clarté les points terminaux du T.
Si l'on tient compte de ce fait : que, sur les 9 crânes fémi-
nins d'Épône, 3 présentent la cicatrice en T, l'usage en ques-
tion devait être pratiqué assez fréquemment.
Quelle était l'intention de cette pratique barbare? On peut
faire à ce sujet des hypothèses beaucoup plus variées qu'à
propos des trépanations. S'agit-il d'un usage guerrier, reli-
gieux, judiciaire, marital, etc. ? L'imagination peut suivre, on
le voit, des routes fort diverses entre lesquelles une option
quelconque serait insuffisamment justifiée pour le moment.
11 convient donc d'attendre et je me propose de rechercher
d'abord s'il n'existerait pas, dans les collections préhistori-
ques, d'autres spécimens de la marque en T qui auraient pu
échapper aux observateurs.
APPENDICE
concernant 4 crânes provenant de 3 dolmens voisins d'Epône.
Nous croyons devoir consigner ici les mesures de ces 4 crâ-
nes, en raison de l'inconvénient qui résulterait de leur
296 séance du 2 mai 4 895
publication isolée et en raison de l'identité ethnologique à
peu près certaine indiquée par la proximité des habitats.
Les crânes 1 et 2 proviennent du dolmen de Dammartin
(Seine-et-Oise).
Le crâne 3 provient du dolmen des Maudhuits (commune de
Guerville).
Le crâne 4 provient du dolmen de Dennemont (commune
de Follain ville).
Ces crânes, ainsi que ceux d'Épône décrits ci-dessus, sont
conservés dans la collection de M. Perrier du Carne, à
Mantes.
Nos et sexe If.
Diam. ant. post. max. . . . 184
— — — met op. . . 187
— transv. max 136
— basio-bregm , . . . . 138
Ligne Naso-basilaire 1)8
Frontal minimum 94
— maximum 117
Occipital maximum 102
Trou occip. Longueur .... 36
— Largeur 29
Cire, horizontale 510
■ — Partie antérieure. . . . 240
Courbe transversale 302
G. médiane sous-cérébr. . . 17
— frontale cérébr 118
— sagittale . 135
— occipitale sup 69
— — inf 40
Largeur bizygomatique , . . 122
Hauteur ophryo-alvéol. ... 79.5
— naso-alvéolaire. . . 03
— naso-spinale .... 46
Largeur nasale 26
2 h.
3?
4f.
188
179
176
184
178
176
142
138
132
140
135
130
92
100
99
—
90.5
89
—
112
108
103
107
104
35
35
—
30
28
310?
—
—
25
—
—
113
—
—
130
—
—
80
—
—
42
—
—
—
125
115?
—
81
76
—
67
61
—
50.5
43.5
—
22
22
ZABOROWSKI. — DU DN1ESTRE A LA CASPIENNE 297
Orbite. Largeur 37 30 37
— Hauteur 31 — 31 29
Espace interorbitaire 25 — 20 —
Voûte palatine. Long. ... 49 50 —
Larg. ... 34 — 34 —
Indice céphalique . ..... 73.9 75.5 77.1 75.0
— vertical 75.0 74.5 75.4 73.9
— transv. vertic 101.4 98.0 97.8 98.5
— frontal (1er) 09. 1 05.5 07.8
— facial 05.1 64.8 00.1
— nasal 50.5 — 43.0 50.0
— orbitaire 83.8 — 80.1 78.4
Du Dnieslre à la Caspienne.
Esquisse palethnologique.
(Suite), i
Par M. Zahorowski.
III. — Première apparition du mêlai au milieu de stations de la
pierre simultanément avec le verre, l'emploi du tour et les pote-
ries peintes. Sépultures à incinération en tombeaux d'argile
cuite avec poteries peintes et armes de pierre. Double origine
du rite de l'incinération sur le Dniestre.
En présentant cet essai de coordination des matériaux rela-
tifs au passé préhistorique de la région des fécondes steppes
herbeuses de la mer Noire, j'ai bien prévenu que je me trom-
perais sans doute plus d'une fois par omission et que j'étais
exposé à des erreurs plus grandes. Je tiens à le répéter : je
n'ai pas, je n'ai jamais en, la prétention de donner un tableau
définitif. D'autant plus que mes conclusions les plus générales
i V. Bulletin 1895, p. 116.
t. vi (i° série). 'M
293 SÉANCE DU -2 MAI 1895
sont en parfait désaccord avec des opinions courantes qu'il
convient peut-être de ménager encore.
Ces conclusions cependant, il faut bien que je les formule,
ne serait-ce qu'à titre provisoire. Elles m'apparaissent d'ail-
leurs, dans un accord séduisant avec d'autres faits indiscutés,
et sous un aspect de simplicité qui est bien la marque ordi-
naire de la vérité même. Des considérations et découvertes
exposées ci-dessus, il ressort avec évidence pour moi que ce
sont des populations de l'Occident, en partie descendues de
la Baltique, qui ont peuplé les plaines méridionales du Dnies-
tre, du Dniepre, en un mot VHinterland du nord de la mer
Nuire. Et ces populations, leurs caractères sont dès mainte-
nant déterminés à laide d'une série suffisante de treize pièces,
remarquablement bomogène. Elles appartiennent certaine-
ment à notre grande race néolithique des dolmens du nord-
est de la France, je puis dire à notre grande race Galate ou
Kymrique. Aucune contestation n'a été élevée sur les faits
exposés en eux-mêmes. Je ne me suis pas, d'ailleurs, occupé
des hypothèses émises pour expliquer la présence de matières
colorantes dans les tombeaux. Faut-il voir dans cette matière
un reste de vêtements fortement teints ? Il est possible.
M. Bobrinski dit que, dans certains tombeaux, cette matière ne
se rencontrait que sur la tète1. Il me paraît que les détails
donnés sur ces circonstances ne sont ni assez nombreux, ni
assez précis. Mais on a vu que, dans certains tombeaux, cette
matière recouvre tout le squelette et a une épaisseur de cinq
millimètres.
Dans l'un d'eux, la matière colorante a été disposée en
petits tas. Les anciens Gaulois se peignaient la chevelure en
rouge, sans doute à la façon des sauvages actuels, en retenant
entre leurs cheveux, à l'aide de graisse, de la poudre rouge
(ocre). Il est probable qu'ils se peignaient aussi le corps,
i Les squelettes de Men'on paraissent de nrême comme coiffés
par « une épaisse calotte d'ocre rouge. » (\,' Anthropologie, 1892,
p. 525.)
ZAIÎOROWSKI. — DU DNÎGSTRE A LA CASPIENNE 299
comme le font aujourd'hui encore tant de peuplades. La chose
est sûre pour certains d'entre eux. Chez les Niams-Niams,les
cadavres sont badigeonnés de rouge. (Letourneau. Évolut.
religieuse, p. 83.)
Dans le pays qui m'occupe l'emploi de matière colorantes
rouge dans les sépultures semble avoir persisté jusqu'à l'épo-
que du bronze. (V. plus loin;. L'usage des fards fut très-com-
mun a l'époque scythe.
Je reprends maintenant l'énumération de monuments pré-
historiques, dont la succession peut remplir les temps anté-
rieurs à notre ère et dont l'étude est appelée à remplir un rôle
dans l'élimination probable du roman pseudo-historique des
origines indo-européennes.
Il y a, sur le Dniestre, tout près de la Boukovine, une loca-
lité, encore aujourd'hui limitrophe de trois provinces, qui fût,
sans doute, pendant de longs siècles le boulevard de diffé-
rentes nations. On la désigne sous le nom de Horodnica, qui
rappelle l'existence d'une forteresse. J'ai rendu compte, en
4886 (Archives slaves de biologie) , de fouilles qui y ont été faites.
Du coté gauche, du fleuve, sur le territoire podolien, s'élève un
important camp retranché, formé de plusieurs enceintes, qui
remonte indubitablement à l'âge de la pierre. Les instruments
et armes en silex et en pierre y étaient très nombreux, à la
surface comme dans l'épaisseur de la couche rapportée, pres-
que tout entière parsemée de foyers. Parmi les outils de pierre,
sont à signaler, les haches et gouges polies d'une sorte de
jaspe argilo-siliceuse durcie, dont on n'aurait,jusqu'k présent,
trouvé des échantillons qu'en Hongrie et en Bohème. Les outils
en os ne manquaient pas non plus. On a récolté, en particu-
lier, quatre aiguilles, dont deux en os et deux faites de dents
appointées. Avec ce matériel, qui exclut l'emploi usuel des
métaux, apparaît cependant le bronze : une épingle à la sur-
face, une autre dans la couche archéologique, une plaque
avec cette dernière, un fragment de fibule. Apparaissent aussi
de rares fragments de verre, et, dans la couche archéologique
même, des colliers en verre tordu bleu, vert, gris, noir et
300 SÉANCE DU 2 MAI 1895
jaune. Au milieu des tessons de vases (quelques-uns séchés
au soleil) fabriqués à la main, se montrent enfin les premiè-
res poteries faites au tour, ce qui est d'exemple bien rare
sinon unique, puisque en général, il n'y a pas contact entre
l'industrie de la pierre et l'emploi du tour.
Dans tous les environs du camp retranché, il y a des sta-
tions de même âge que lui. Outils de la pierre et poteries faites
à la main y abondent. Et on y a trouvé aussi un morceau de
fibule de bronze; une moitié de perle de verre.
A peu de distance du retranchement, il y a un petit Kour-
gane qui recouvrait trois tombes contiguës séparées par des
grandes dalles. Il ne lui est, certes, pas contemporain. Mais il
ne lui est peut-être pas non plus de beaucoup postérieur. Or,
dans l'une des tombes on a trouvé, auprès de chaque oreille,
une perle de cornaline, sur la poitrine deux perles d'ambre et
un anneau de fil de bronze, sur les genoux un morceau de fer
de 40 millim. de long, reste d'un petit couteau, et autour du
tibia de droite, 36 perles de verre diversement colorées. Un
des squelettes avait une taille de lm76.
D'autres tombeaux ont également été découverts et fouillés
dans des stations néolithiques avoisinantes. Ils étaient plus
pauvres en objets votifs. Mais dans l'un d'eux, formé d'un
grand cercle de pierres couvert de dalles, il y avait un bouton
émaillé (?) avec belière en fer, et 36 petites perles de verre de
couleur jaune d'ambre clair, autour du cou d'un squelette
d'enfant. Je me persuade qu'il est bien moins ancien que tous
les précédents.
Dans un autre, un squelette de femme avait un anneau île
/il de bronze au médius de la main gauche, un autre anneau
de fil de bronze en spirale, et, sous l'épaule droite, un frag-
ment de galon broché d'or.
Dans les tombeanx d'un cimetière situé un peu au sud, à
Zezawa, tombeaux isolés ou par groupes, sous grandes dalles
posées à l'origine au-dessus de trous creusés en terre libre,
les mêmes objets ont été rencontrés : bngues, pendants d'o-
reilles en fil de bronze, boutons de bronze, fragments de tissus
ZA1Î0R0WSKI. — DU DiNIESTllE A LA CASl'IE.SNE 301
brochés d'or. L'absence d'un matériel de pierre étonne. Cepen-
dant ces sépultures sont celles d'un peuple n'ayant sans doute
que la pierre pour son outillage et ses armes. Il recevait du de-
hors quelques rares pièces de toilette, produits des richeseivili-
sations des côtes méditerranéennes de l'Europe et de l'Asie. Ce
n'est plus l'âge de bronze pur : le fer était connu. Ce n'est
pourtant pas encore l'âge du fer. Une civilisation tout entière,
d'une durée quelconque, s'intercale à coup sur, au moins dans
une certaine zone, entre celle de la pierre et celle du fer.
Une assez grande quantité d'objets ont été recueillis ça et
là, soit à la surface, soit dans des fouilles partielles, tant au
camp retranché que dans les stations avoisinantes. Eh bien!
ils ne permettent pas de douter de ce fait. D'abord, parmi
eux, il n'y en a aucun qui soit en fer. A peu près tous les
outils et les armes sont en silex (nucleus, couteaux en très
grand nombre, pilons, perçoirs, racloirs, haches et gouges
polies), en pierre (haches en grand nombre, gouges, mar-
teaux) et en os. Mais au milieu de ce matériel purement néo-
lithique, apparaissent, pour la première fois, en outre des
ornements comme ceux énumérés, épingles, boucles d'oreille,
bracelets, fibules, bagues, perles, grelots, des armes et outils.
Ces pièces consistent uniquement en trois flèches à bases
tubulées (scythes ?), en un fragment de tète de massue et en
fragments de faucilles. Elles appartiennent à un âge du
bronze. Les flèches à base tubulée me font craindre des mé-
langes. Mais les fibules, les fragments de tissu broché d'or,
un bracelet et deux boucles d'oreilles en filigrane d'argent,
les vases de verre, parmi lesquels des petites fioles sphéri-
ques à col court et étroit (phéniciennes), les perles et colliers
de verre, indiquent nettement, comme les traces de fer signa-
lées plus haut, que le bronze n'a été apporté en cette région
qu'alors que, dans les lieux de provenance, régnait déjà une
industrie du premier à^e du fer.
Dans la même localité, en face le camp retranché, de l'autre
302 SÉANCE DU 2 MAI 1895
côté du Dniestre, dans l'angle que fail le fleuve avec son
affluent le Jamhorow, la rive escarpée s'éboulait, entraînant
une foule de tessons. Une fouille fut pratiquée à cet endroit
(Przybyslawski). A deux mètres de profondeur, au milieu du
sable cimenté de calcaire, on trouva plus* de 200 tessons de
poterie, poterie peinte et poterie non peinte, avec des dents et
des os d'animaux, des éclats de silex, des fragments de man-
ches et une alêne en corne de cerf. Pas de pièces entières, on
le voit. Cependant l'association de vases peints avec une
industrie néolithique, esl évidente; une flèche en silex avec
pédoncule a été recueillie non loin de ce gisement. Les tes"
sons eux-mêmes ne paraissent être autre chose que des rebuts
de fabrication. Ils représentaient bien 7Ô0 vases. Ces vases,
supérieurs à ceux du camp retranché, seraient des types imi-
tés des modèles grecs. Sauf les très grands, tous étaient faits
au tour. Ceux qui sont peints le sont avec des couleurs miné-
rales, blanche, rouge et brune, disposées en dessins géomé-
triques, lignes en méandres, cercles, ronds.
Avec ces tes-ons, M. Przybyslawski a pu reconstruire quel-
ques pièces. En voila 18, dans la planche mise sous vos yeux.
Leur forme, comme leur fabrication et leur ornementation, les
distingue bien nettement non seulement des poteries plus an-
ciennes, mais aussi des poteries du premier âge de fer de la
Vistule. Comme ces dernières, elles sont contemporaines d'un
premier âge de fer, d'un &ge de bronze, pendant lequel les
cadavres étaient souvent incinérés. Il y a, dans la région même
étudiée ici, sur le Dniestre, des monuments duârite de l'inciné-
ration des cadavres qui sont uniques en leur genre.
A Wasylkowce, à quelques kilomètres à l'ouest d'Husiatyn
sur le Zbrucz, au sud-ouest de la Podolie, des tombeaux à
incinération étaient signalés dès 1877. On y mettait, de
temps en temps, a jour, des vases ou tessons, toujours avec
des blocs d'argile passés au feu. En I889(Ossowski), avec la
sonde, on reconnut que, sur quelques centaines de mètres car-
rés, il y avait à 50 et 60 centimètres de profondeur au-dessous
dp la terre arable, une couche de blocs d'argile cuite jusqu'au
ZABDHOWSKI. -- DM DNIKSTUE A LA CASPIENNE 303
rouge. Ces blocs dont la terre végétale noire remplissait les
interstices, passaient de la grosseur d'un œuf à celle de mas-
ses de quelques dizaines de livres. Ils n'avaient aucune forme
fixe et définissable. Un de leurs côtés était plat et portait des
empreintes de fibres ligneuses. D'où l'on pourrait croire que
ces blocs ont été placés, pour leur cuisson sur des planches,
détruites pendant l'opération. Ils étaient disposés avec soin de
manière a faire une couverture hermétique, les petits com-
blant exactement les interstices des plus grands. Ils formaient
une masse de 40 centimètres d'épaisseur environ. Au-dessus et
reposant directement sur la couche naturelle d'argile sous-
jacente,se montraient des urnes cinéraires, disposées sans sy-
métrie, mais à peu de distance l'une de l'autre (de 50 à 80 cen-
timètres au plus). Le poids des blocs qu'elles avaient eu à
supporter les avait brisées pour la plupart. Trois tombeaux
seulement ont été trouvés à peu près intacts. Dans le premier
il y avait deux vases. L'un, à forme évasée de cuvette com-
mune, contenait le second, orné au col, plus étroit et plus
élevé, sur lequel s'appuyaient directement des blocs d'argile
cuite formant maçonnerie tout autour.
Sur le fond de ce second vase, véritable urne cinéraire, il y
avait un petit tesson qui recouvrait un petit morceau d'os
brûlé. Il n'y avait rien autre chose dans le tombeau, sauf
quelques autres tessons portant des traces de peinture, rangés
autour de la base du premier vase comme pour maintenir son
aplomb. Le second tombeau renfermait quatre vases : Une
urne très grande de 394 millim de haut, entourée de tessons
à sa base, tessons avec peintures, et dans son intérieur, deux
petites urnes superposées, et un petit pot Dans la première
des petites urnes, emboîtée dans la seconde, ilyavait un frag-
ment d'os brûlé; dans la seconde qui était peinte, il y avait,
sur le fond, une pointe dp [lèche en silex, d'un travail par-
fait, qui porte des traces manifestes de son exposition au feu.
Le troisième tombeau, enfin, se composait d'une grande
urne semblable à la précédente, mais peinte entièrement, en-
tourée aussi de tessons et qui contenait un petit pot sur le
304 i-éa.nci:; du -2 mai 1895
fond duquel il y avait, avec un fragment d'os brûlé une petite
alêne en os. Les vases que je viens d'énumérer et quelques
autres pots et fragments provenant de tombeaux voisins dé-
truits sont figurés dans la planche que je présente.
Trois autres cimetières semblables ont été découverts et
fouillés un peu plus à l'ouest, sur le Seret, la grande rivière
de la même région, dans les districts de Zaleszczyki,
de Borszczow et de Czortkow. Ce sont les cimetières de
Szczytowcy, de Bilcze Zlote et de Wygnanka. Les urnes y
étaient séparées de la même façon, quelquefois sur le côté,
souvent renversées, l'ouverture en b;is. En ce cas, elles pro-
tégeaient toujours uniquement un fragment d'oshumain brûlé
posé sur un tesson. Jamais on n'a trouvé en elles autre chose
que des outils ou armes en silex, pointes de flèche, couteaux,
haches, percuteurs, et encore dans le plus petit nombre des cas.
Je mets sous les yeux de la Société les figures d'une série de ces
urnes peintes qui sont extrêmement remarquables, (les monu-
ments découverts depuis plus de quatre ans n'ont pas encore
été signalés hors du pays où ils se trouvent. À qui les attri-
buer? A quelle époque précise les faire remonter?
Les faits indéniables sont ceux-ci. Les premiers échantil-
lons connus de ces poteries peintes ont été découverts dans
un ancien atelier, recouvert par un dépôt considérable de
deux mètres, et rien ne les accompagnait que des outils de
pierre. De même, dans les tombeaux, il n'y avait avec elles
que des outils de pierre. Ceux qui les fabriquaient ne devaient
donc pas se servir couramment du métal.
Elles ne sont pourtant pas caractéristiques de tous les
cimetières à incinération. 11 y a, dans la même région, des
sépultures à incinération en urnes isolées qui sont tout autres.
A l'wisla, district d'ilusiatyn, sur le Zbrucz, au-dessus d'un
premier cimetière, à tombes de dalles de pierre, appartenant
à l'époque néolithique (Y. plus haut, p. 131), un autre cime-
tière, composé celui-là de tombeaux superficiels (30 cent, de
profondeur), sans encaissement de pierre, a été découvert
accidentellement. Un de ces tombeaux fouillé, a livré un col-
ZABOROWSKl. — DU DNIESTR G A LA CASPIENNK 305
lier composé de deux coquilles de Cyprœa pantherina qui appar-
tiennent à une faune d'eaux plus chaudes que celle de la mer
Noire, d'une défense de sanglier et de deux mâchoires de
poisson ; un peigne en os, mais en deux parties, les dents
étant fixées à la poignée à l'aide de 7 petites chevilles en
bronze; une agrafe en bronze; et un mors de cheval incom-
plet en fer, d'un cheval de petite taille : le tarpan indigène.
Nul doute que ce cimetière doive appartenir au plein Age du
fer, malgré la pauvreté barbare de son matériel industriel.
Or, sur son e m pincement même, en creusant accidentellement
au-dessous des squelettes, à 60 centimètres et plus on est
tombé sur des urnes cinéraires, très espacées et disposées
sans aucun ordre en pleine terre. Ces urnes étaient toutes fai-
tes à la main et d'un type différent de celui des urnes peintes.
Elles renfermaient des os brûlés, mêlés de terre et souvent
quelques objets de toilette. Voici quels sont les objets recueil-
lis : épingles en bronze, tige droite, de 9 centimètres de long,
anneaux et boutons de bronze, sortes de clous à large tète, lils
en spirale, ou en méandres, toutes pièces en rapport avec des
traces d'une lourde étoffe, et perles diverses. La plupart des
perles, en grand nombre, sont des petits cylindres ou disques
percés. On les a souvent données pour être de verre. Elles
seraient en terre de porcelaine. Les autres, déformes variées,
sont en verre blanc, jaunâtre, à reflet doré ou rappelant l'am-
bre. (V. plus haut, p. 300), et parmi elles, il y a des coquilles
de la Méditerranée (Cyclonassa Neritea ou Buccinum neriteum).
Pas de fer du tout, comme on le voit. Cependant, peut-on
donner cette industrie comme plus ancienne que celle des
tombeaux du camp retranché d'Horodnica? C'est douteux.
Cette succession de trois cimetières clans la même localité,
fixe du moins l'âge respectif de leur trois rites et industries.
Et comme le cimetière à incinération s'intercale entre un
cimetière néolithique et un cimetière de l'âge du fer, on est
bien autorisé à le regarder comme un monument d'une civi-
lisation du bronze. Mais on ne connaît pas encore (1894)
d'autre exemple dans la région de tels cimetières à iheiné-
30G SÉANCE DU 2 MAI 1895
ration en urnes isolées, en pleine terre. Le rite de l'incinéra-
tion ne paraît pas avoir régné là d'une manière générale. On ne
le retrouve comme caractéristique d'une époque préhistorique
mieux déterminée, que plus a l'ouest, au-delà du San, le long-
dès Karpathes, dans la Galicie occidentale. Il y a eu des points
de contact, des communications permanentes entre les deux
régions dans la zone même qui nous occupe, après l'âge de
pierre. Dans les districts de Skalacki et d'Husiatyn, on a
trouvé des tumulus de pierres avec incinération qui rappel-
lent ceux de la Basse-Vistule. Et M. Ossowski a signalé cette
circonstance, à savoir que l'ornementation par incrustation
qui distingue quelques urnes cinéraires des tombeaux-caisses
fie la Basse-Vistule, se retrouve au-dessus d'une tombe néoli-
thique sans Kourgane des environs de Kiew (Des vases incrus-
tés, etc., Cracovie, 1892), et dans un Kourgane du district
d'Iluman avec un mors de cheval en bronze. Néanmoins la
région qui s'étend du Dniestre au nord de la mer Noire, jus-
qu'au Caucase et la Caspienne, fut nettement limitée au nord-
ouest par la zone marécageuse et sableuse, tardivement
habitée, du Prypets et du Bug. Pendant qu'elle subissait
directement l'iniluence grecque et orientale, le pays d'au-delà
du San, entre le^San, les Karpathes et la Yistule, comme celui
entre la Vistule et l'Oder, était soumis à l'action immédiate
des civilisations nord-italique, danubienne, romaine.
Les deux sortes de sépulture à incinération qui représentent
bien deux cultures différentes, semblent donc avoir été intro-
duites dans le pays par deux voies également différentes. Cel-
les à poteries peintes, si particulières aux rives du Dniestre,
sont dues aux. immigrations et aux échanges du cote de la mer
Noire. Les autres, d'origine peut-être plus ancienne, tout en se
ditférenciantdes sépultures du même genre de la Galicie et de la
Vistule, sont en rapport avec le peuplement de cette région
par des immigrations venues par la Moravie, par les Karpa-
thes occidentales, le long de la voie de l'ambre. Il y a eu con-
tact entre les deux courants sur le haut Dniestre et ses affluents
du nord. En ces dernières régions et plus à l'est, l'évolution
ZABOROWSKI. — DU DNIESTRE A LA CASPIENNE 307
des mœurs a été I > i *■* n différente de ce qu'elle fût du côté de
l'ouest. J'y insiste : sur le Dniestre, comme sur le Dniepre,
comme dans tout le nord de la mer Noire, le rite de l'inciné-
ration ne s'est pas généralisé, surtout du côté de l'est. Il a
toujours été pratiqué depuis la première apparition des mé-
taux, mais il n'a jamais été pratiqué exclusivement. Tandis
qu'il l'a été au contraire, exclusivement, et pendant de très
longs siècles, au-delà du San et entre la Vistule et l'Oder.
L'usage de brûler les morts a même persisté entre ces deux
fleuves et la Baltique, jusqu'à l'introduction du christianisme.
Sur le Dniestre et au nord de la mer Noire, nous avons donc
des sépultures à inhumation de toutes les époques préhistori-
ques, ce qui ne se rencontre pas ailleurs. Et parmi ces sépul-
tures, un certain nombre assurément sont chronologiquement
en rapport avec les sépultures à incinération pure de l'ouest
dont l'industrie est caractéristique du premier âge de fer
nord italique (perles de verre bleu, fibules, spirales en bronze,
objets de toilette en fer), mais qui, sous le rapport des mœurs,
relèvent de la civilisation du bronze.
IV. — Sépultures à inhumation de 1 époque du bronze. Les blonds
dolichocéphales au voisinage de la Caspienne. Les Kourganes de
la steppe Kirghize de lage du bronze et de la période scythi-
que. Les Kourganes à catacombes. Autres Kourganes scylhes.
Les miroirs en bronze en Ukraine et au Caucase. Ambre et Cy-
prœa moneta.
Nous connaissons plusieurs sépultures à inhumation anté-
rieures à l'emploi du fer dans les armes et dont le matériel
est de bronze.
Non loin de cette localité d'Uwisla si riche en monuments,
dans ce même district d'ilusiatyn, sur le Zbrucz, à Rakow-
kont, près de l'ustolowka, où j'ai déjà signalé un tombeau
néolithique (V. plus haut p. 131) anciennement mis au jour
(1866), deux autres tombeaux ont été fouillés récemmenl
308 SÉANCE DU 2 MAI 1895
(Ossowski, 1890). Dans l'un, formé de dalles de pierre, avec
un squelette d'adulte et un squelette d'enfant, on a recueilli :
1° Deux belles épingles en bronze à tète formée de l'enroule-
ment sur lui-même du fil de bronze carré qui fait suite à la
tige ; 2° Des boutons en bronze, clous a large tète et à tige
en anneau comme à Uwisla ; 3° Deux anneaux, boucles d'o-
reilles, ressemblant aussi à des clous plus petits; 4° Des per-
les comme celles des tombes à incinération d'Uwisla.
M. Chantre a reproduit [Le Caucase, II, 63), une épingle à
enroulement, semblable à celle, de Rakowkont. Elle vient de
la Galicie. Ce type se rattache, sans doute, au type des terra-
mares du Modenais et du Reggianais, et ainsi à l'âge du
bronze. Nous avons, du reste, la preuve palpable que ce ma-
tériel en bronze était antérieur à l'époque où le fer fut em-
ployé dans les armes. — Tout près du tombeau précédent, des
recherches à la sonde, en ont fait découvrir un second. Des
blocs en muraille, en formaient les parois, et visiblement la
moitié de ces parois avait été refaite de manière à élargir un
peu le tombeau à sa partie supérieure. Dans la partie élargie,
se raccordant mal avec l'autre, se trouvait un squelette étendu
les jambes repliées. Il tenait dans sa main une pointe de lance
en fer (fig. 12) et avait près de la tète un petit anneau de
bronze (fig. 8), peut-être un reste oublié de la première sépul-
ture. Aux pieds de ce squelette, avaient été rejetés, sans ordre,
les ossements de deux autres squelettes. Avec ceux-ci ne se
trouvaient que des objets en bronze, une petite épingle (fig. 42
de la pi. II t. XV de Zbior), un anneau, précisément sembla-
ble à celui ci-dessus (fig. 8) et des boutons (?) à tige en
spirale (fig. 5 et 6).
Quelle distance de temps sépare ces deux sépultures dans
le même tombeau? Cela me paraît difficile à préciser. La
pointe de lance en fer a été rapprochée des types de l'indus-
trie de la ïène (V. plus loin) et son âge fixé seulement
aux environs de notre ère. Mais les Scythes employaient le
fer. (Hérodote dit même, par erreur, qu'ils ne connaissaient
pas le bronze [IV, c. 71]). Ce métal était travaillé par les
ZABOROWSKl. — OU DiNIESTRE A LA CASPIENNE 309
Chalybes, bien avant Hérodote et. du temps de celui-ci, il
était en Grèce, d'un emploi général.
Voici d'abord d'autres sépultures, pouvant être rapportées
à un âge du bronze, spécial, peut-être, en partie scythique,
sans parler des objets isolés comme cette épée et ce casque en
bronze qui ont été montrés au Congrès de Moscou (Anout-
cbine), une hache à douille, un moule en grès (Ossowski).
A Wysocko, en 18(18, un squelette fut mis à découvert à 80
centimètres de profondeur. Il avait un brassard ou bracelet
d'une lame de bronze de o millimètres de large et d'un milli-
mètre d'épaisseur enroulé en spirale. Un petit vase gisait à
côté de lui.
A Myszkow, dans le district de Zaleszczyki, au milieu d'un
cercle formé de six grosses pierres apparentes, à 60 centi-
mètres de profondeur dans une auge grossière en bois, gisait
un squelette en très mauvais état. A côté du crâne, il y avait
de très belles boucles d'oreilles à double anneau en bronze,
avec trois perles ornées de cercles en relief.
Un deuxième tombeau, tout semblable, a livré une fausse
perle de 4 millimètres de diamètre, formée d'une très mime
feuille d'or appliquée sur une mince feuille d'argent, et des per-
les d'argile ordinaires, mais semblables, par la forme, k celles
d'Uwisla.
Dans un troisième tombeau, on a trouvé un pendant d'o-
reille, simple anneau retourné sur lui-même.
Dans la même localité de Myszkow, il y a des inhumations
en terre libre. On trouve les squelettes à 60 centimètres de
profondeur, sans rien autour qui ait putservir à les protéger.
Les objets recueillis auprès de quatre d'entre eux sont : Un
anneau-boucle d'oreille, un pendant d'oreille à double anneau
avec trois perles, du même genre que celui décrit plus haut,
deux bagues en bronze et trois beaux vases dont un en forme
de coupe, orné au-dessus de la panse de cercles concentriques.
Ces poteries, si bien faites qu'elles soient, ne sont pas des
340 SÉANCE du -2 MAI 1895
poteries grecques. Ces sépultures sont donc rapportablcs à un
âge du bronze, antérieur à la pleine influence grecque, qui
se manifeste dans des monuments d'une richesse incompa-
rable.
Je n'ai pas la prétention de passer en revue toutes les sépul-
tures connues du même genre d'un âge incertain par rapport
à l'époque scythe. Je citerai encore seulement les suivantes,
d'une physionomie encore un peu différente.
A Grodko, district de Zaleszczyki, deux cimetières sous-
dalles ont été fouillés. Les tombes étaient si serrées que les
dalles se rejoignaient presque. Les squelettes, à 60 centimè-
tres de profondeur, étaient entourés d'une couche épaisse de
quelques pouces de cbaux blanche qui formait un enduit sur
les murs de la fosse. Des fragments de bois pourri étaient
englobés dans cette masse. Les os étaient bien conservés. 11
n'y avait en général aucun objet avec eux. Le cou d'un sque-
lette dont il sera question plus loin, était entouré d'une
étoffe noire de brocart. Un autre avait une boucle d'oreille
ordinaire en bronze et un ornement en bois décoré de métal.
Dans la terre remplissant les tombes et les interstices entre
les dalles, différents outils en pierre ont été recueillis.
Dans la partie occidentale du district de Zwinogrodki, en
Ukraine, entre le Boh et le Dniepre, il y a trois groupes de
Kourganes dont j'ai déjà parlé. Dans l'un de ces groupes,
celui de Kobrynowa (p. 126), on a fouillé un Kourgane qui
recouvrait des tombeaux à parois d'argile battue. Au-dessus
de ces tombeaux néolithiques, avaient été inhumés une quin-
zaine d'hommes à une époque où l'influence grecque se fai-
sait sentir. Dans le second groupe, celui de Ryzanowa, un
Kourgane (n° 5) fouillé, petit et recouvert d'une couche natu-
relle de terre noire de 40 centimètres, contenait, au-dessous
d'une assise criblée de morceaux d'argile cuite au feu d'un
bûcher, et mis à part un squelette de cheval sur son bord et
un premier squelette non loin de celui-ci, deux squelettes en
ZABOROWSKI. — DU DN'IESTRE A LA CASPIENNE Mil
pleine terre, à un et à deux mètres de profondeur. L'un de ces
derniers était abondamment couvert d'une matière rouge
ferrugineuse. Il y avait un petit bloc de cette matière colorante
auprès des jambes, et un petit vase de chaque côté de celles-ci.
Il y avait, en outre, à la main gauche, une bague en bronze.
Le second squelette, plus profondément et tout à fait au cen-
tre, paraît plus ancien. Mais la présence d'un objet en bronze
et les poteries nous feront cependant ranger ces deux sépul-
tures auprès des précédentes, malgré la présence de deux
outils de pierre, dans leur voisinage et le vieil usage néoli-
tbique de colorer les cadavres (?) en rouge.
Les sépultures ne se présentant pas encore en groupes nom-
breux distincts ou n'ayant pas été fouillées par groupes com-
plètement, ne nous ont pas donné le matériel complet d'une
civilisation particulière du bronze. Cette civilisation, recon-
naissable surtout par son contact immédiat avec celle de la
pierre, n'a eu, peut-être, qu'une existence éphémère. Si elle
est antérieure à l'introduction des monuments grecs, intro-
duction datée, il peut se faire aussi qu'elle le soit de fort peu.
Ainsi, dans ce même groupe de Kourganes de Ryzanowa,
où une sépulture presque intermédiaire de la pierre au bronze
nous est signalée, se trouve un magnifique Kourgane à cata-
combes de l'époque gréco-scythe.
Les poteries peintes, trouvées en contact avec la pierre à
Ilorodnica, et les tombeaux de briques à incinération où, avec
ces mêmes poteries, on ne trouve que du silex, prouvent que
des produits de civilisations supérieures ont été introduits
dans le pays, indépendamment de toute transformation géné-
rale de l'industrie de ce pays, sans transition peut-être, sans
faire époque. Nous admettons cependant que sur toute l'éten-
due de cette plaine énorme du Dniestre à la Caspienne, a ré-
gné une période mixte du bronze, antérieure aux monuments
grecs et qui passe à la civilisation scythiqtie. En voici d'au-
tres preuves. Dans un travail récent (l'Anthropologie, 18! •."'»,
312 SÉANCE DU 2 MAI 1895
p. 325j, M. Yastrebow énumère, comme provenant de (> cachet-
tes et 3 sépultures du gouvernement de Kherson. tout un maté-
riel de bronze. 15 haches dont une en cuivre rouge, 2 poignards,
2 serpes, 1 herminette, quantité de pointes de flèches, 1 tor-
que, 1 boucle d'oreille avec dents percées, des moules, etc.
Et qui ne serait frappé des distinctions que M. Néfédow, sans
connaître celles que je viens de montrer dans les sépultures
du Dniestre, a été conduit à établir entre les groupes de Konr-
ganes de la plaine Kirghize qu'il a fouillés en grand nombre.
« Il y en a, dit-il, de trois catégories (Congrès international
d'archéol. et d'anthrop. préhist., 11e session, à Moscou. 11.
p. 349, 1893j. La première catégorie est représentée par les
Kourganes solitaires et en petits groupes, distribués dans la
bande de steppes qui longe la rive européenne du fleuve Ou-
ral à l'est d'Orenbourg. Les morts ont été ensevelis sur le
sol, dans la position allongée ou repliée sur le côté, la tête ;i
l'ouest. Aux pieds, on déposait du charbon et des ossements
d'animaux, et à la tète un vase d'argile. Dans un Kourgane
solitaire, le mort avait été déposé à 2 mètres au-dessous du sol,
dans un cercueil (une auge?) de bois de chêne (?) : devant le
visage du défunt, se trouvaient cinq pots d'argile. En général,
il n'y avait ni armes, ni ornements. Les squelettes sont détruits
pour la plupart. D'après quelques restes isolés, on peut con-
clure que les hommes étaient de grande taille et dolichocé-
phales. Ces Kourganes sont évidemment très anciens. »
Par leur caractère archaïque, la pauvreté de leur matériel,
toujours en rapport avec la pauvreté des peuples qui les ont
élevés, la façon dont les morts y étaient inhumés, ils rappel-
lent fort bien ceux du Dniestre, classés plus haut dans un
Age du bronze. Ils les rappellent encore par les Kourganes,
qui leur succèdent immédiatement, comme on va le voir. Ils
les rappellent enfin, par les caractères ethniques du peuple
qui y a enterré ses morts. Malheureusement, il ne nous est
donné sur ces caractères qu'une indication générale. Mais en
raison du contraste entre eux et ceux des peuples qui vont
venir, cette indication a une portée certaine. Elle nous mon-
ZAfiOROWSKi. — DU DNIÈSTfiE À LA CASMEXNE 343
tre, peut-être , le blond kymrique , l'européen , l'aryen sur
les confins de l'Asie (en deçà de l'Oural toutefois), au nord de la
Caspienne. Et ce blond dolichocéphale, je l'ai montré aussi
aux époques préhistoriques (à propos des crânes de Roche-
fort), k travers tout le Caucase. Il s'est établi en Asie Mineure.
L'histoire n'a pas ignoré. les Kymris. La période de leurs agi-
tations tulmultueuses, de leurs guerres hardies, de leurs
aventureuses équipées, les mômes qui ont plus tard rendu
célèbre le nom de leurs descendants gaulois, comme eux géné-
reux et mobiles, a pris fin, sur la mer Noire, par un reflux
de l'Asie sur l'Europe, par l'invasion scythe, par la pénétra-
lion du commerce et de la civisilation de la Grèce et de l'Asie
Mineure. La période dite scythique est, en effet, caractérisée
par ce mouvement en retour qui les a rejetés, en partie, sur
le centre et l'ouest de l'Europe. Elle suit immédiatement à la
fois, celle des Kymris, et celle des Kourganes et autres sépul-
tures que je viens de passer en revue.
Dans la steppe môme des Kirghizes, se trouvent sur les
chaînes de collines, en plusieurs endroits, des Kourganes
faciles à distinguer des précédents. Ils sont anciens aussi,
mais ils le sont moins. Le contenu des tombeaux, dit M. Né-
fédovv, rappelle l'époque dite scythique. Les squelettes dans
des caveaux, sous des voûtes ou des caisses de pierres, sont
en général mieux conservés. On trouve des flèches de bronze
et des carquois en écorce de bouleau près de la tète, des vases
d'argile, des restes de cheval et du charbon au pieds. Au-
près des femmes, les objets recueillis sont : des miroirs en
bronze, du fard blanc (craie) et rouge (substance rosée dans le
creux d'une pierre). Dans un Kourgane de la rive droite de
l'Oural, le mort avait une coiffe en bronze; dans un autre, il
tenait entre les dents une idole (?) en or, et avait près de lui
une selle garnie d'or et d'argent. Huit ou dix guerriers étaient
quelquefois ensevelis ensemble, des pointes de flèche en bronze
à la main. L'un d'eux, un chef, enseveli seul, avaità la main
t. vi (4° série). 21
314 SÉANCE DU 2 MAI 1895
droite uneépéeen fer ; du cùté de la main gauche, des représen-
tations de têtes de lièvre et de hibou, modelées avec une sorte
de minerai de fer, et sur la poitrine, cinq pointes de flèches
en bronze. Un autre chef avait sur la tète un diadème formé
de pointes de flèche. Un Kourgane connu des Kirghizes sous
le nom de « Kourgane d'or », renfermait, au-dessous d'un
caveau ne contenant lui-même que des os d'animaux, un
fragment de bronze et du charbon, un squelette masculin et
un squelette féminin cùte à cote. Près du premier, il y avait
sept flèches en bronze et une tige d'or repliée, longue de 8 cen-
timètres; près du second une boucle d'oreille, en fd d'or, des
perles de différentes formes et matières, et deux pendeloques
pyramidales faites de lapis-lazuli, pendeloques semblables à
celles trouvées dans les Kourganes de la Crimée et de la
Tchetchina au Caucase. Des os de cheval gisaient dans une
fosse aux pieds de l'homme. A une petite distance de celui-ci
également étaient étendus trois autres squelettes, ayant tous
des pointes de flèche en bronze auprès d'eux et l'un, en outre,
une petite tasse en argent. A noter encore parmi les objets les
plus remarquables recueillis dans d'autres Kourganes : un
vase massif en bronze, et toujours du même métal, une chau-
dière, avec un bec et des anses, une cruche, un poignard
orné d'une figurine de brebis à queue grasse, un char votif.
M. Néfédow conclut : « L'absence d'outils en fer dans ces
tombeaux, sauf des cas rares, accuse leur antiquité relative
et leur parenté avec les Kourganes scythiques des gouverne-
ments d'Ekatérinoslaw et de la Crimée ». Une épée en fer y
a cependant été recueillie et cela suffit à les séparer des Kour-
ganes précédents. Ils se distinguent encore de ces derniers et
avant tout par la richesse de leur matériel. Cette richesse est
d'autant plus frappante que la pénurie dans les Kourganes
plus anciens est extrême. Une dernière circonstance les carac-
térise encore : c'est la présence presque constante du cheval
dans leurs sépultures.
< )r, nous observons exactement la même chose sur le Dnies-
tre. (Le bassin du Don si important n'a pas encore été exploré.)
ZABOROWSKl. — DU DNIESTRE A LA CASPIENNE 315
Visiblement, la même culture due au commerce avec les Grecs
qui ont fondé colonies et entrepôts en Crimée, ainsi qu'aux
mœurs des Scythes, vivant achevai, s'est répandue de l'ouest
à l'est, du Dniestre à la Caspienne et au Caucase, sur la
superficie des plaines méridionales de la Russie actuelle. Sur
toute cette superficie, on retrouve également, vers la même
époque, un même genre de monuments : les Kourganes à cata-
combes, imités des tombeaux en usage sur les rives de la Médi-
terranée
Ces Kourganes, d'après M. Bobrinsky, sont abondants sur
la Caspienne; il y en a, à Wladikavkas, région caucasienne
il y en a sur le Don. Et celui du groupe de Ryzanowa, en
deçà du Dniestre, en Ukraine, est assurément un des plus
riches qu'on ait fouillés (non le plus riche, sans doute : un
Kourgane d'Alexandropol renfermait un millier d'objets).
Donc, dans le même groupe des Kourganes du district de
Zwinogrodki, où l'on a trouvé des sépultures d'un Age du
bronze en contact avec l'outillage de pierre (p. 310), un grand
Kourgane à catacombe a été découvert. Voici les résultats
succinctement rapportés de son exploration (L'Anthropologie,
1890, p. 444) :
Vers lemilieudu Kourgane, à 3 m. 10 de profondeur, s'ou-
vrait une galerie horizontale de 6 mètres de long, de 1 mètre
et demi de large et de plus de 1 mètre de haut. A l'entrée même
de celle-ci, rangés sur une large planche, comme sur un autel,
se trouvaient une grande amphore, un vase en bronze, un
miroir en bronze, une épingle également en bronze. De l'au-
tre côté, sous l'angle droit du fond, gisait le squelette d'une
femme de petite taille et assez délicate. 473 pièces dont 449
en or, 21 en argent, 2 en bronze et une en pierre, gisaient des-
sus et autour de ce squelette. La tète était ornée d'un dia-
dème, de pendeloques, de plaques, de boucles d'oreille et de
perles d'or et de cornaline. Un collier entourait le cou ; 2 bra-
celets, un en or et l'autre en argent, entouraient le bras. Aux
doigts, huit bagues, dont 2 à monnaie dePanticapée; 42 roset-
tes d'or garnissaient la ceinture. Le vêtement était garni île
316 SÉANCE DU 2. MAI 1895
350 ornements d'or, rosettes et plaques et de 20 d'argent (petits
rouleaux aplatis faits de plaques minces). Les deux anneaux de
bronze étaient aux pieds. A côté du squelette se trouvaient,
en outre, une soucoupe à deux anses en argent et un autre
vase en argent orné autour de figures de chiens à la course^
2 vases en bronze, 2 en argile, 2 poinçons en os.
Cette industrie si riche est entièrement grecque. Sauf quel-
quelques retouches et une imitation barbare, elle n'est pas,
tout en restant plus archaïque, sans de nombreux points de
contact avec l'industrie « scytho-byzantine » du Caucase,
telle que l'a décrite M. Chantre (t. III). M. Ossowski signale
un motif d'ornement encore en usage chez les Khevsours.
La grande amphore placée à l'entrée de la crypte est, à un
détail près du pied plus dégagé, identique à une amphore
reproduite par M. Chantre (fig. 1 de la planche XVI du tome
III) et qui vient de Samthavro. Les deux boucles d'oreille en
or consistent chacune en un crochet fixé à un petit chien
ayant un petit disque avec anneaux au museau et à la queue,
et accroupi sur une boîte ovale, sous laquelle pendent six pe-
tites boules attachées à des chaînettes. Le seau en bronze
est orné à son rebord d'un bec ou goulot représentant une
gueule de lion. Les monnaies de Panticapée qui servent de
chaton à deux bagues, datent cette industrie avec certitude.
Ces monnaies ont été frappées de 650 à 480 avant J.-C.
Le squelette en mauvais état n'a pu être étudié.
Les os de chevaux ont été rapportés, par M. Woldrich, à la
petite race quaternaire du centre de l'Europe, d'où descen-
draient les tarpans, et à la race actuelle de l'Ukraine.
Indépendamment de ces riches sépultures à catacombe, on
connaît un très grand nombre de Kourganes qui appartien-
nent à la même époque. Les Kourganes scythes ont été, en
effet, les plus fouillés, justement à cause de leurs trésors. Le
bronze y domine. Et ce qui les distingue par dessus tout,
c'est la présence, au milieu d'un matériel plus ou moins ricbe,
ZABOROWSKI. — DU DNIESTRE A LA CASPIENNE 317
de quelque objet relevant de l'industrie grecque antique,
poterie, ornements de bronze, d'or et d'argent. J'en cite quel-
ques-uns. Deux Kourganes fouillés en 1882 (Boladzj dans le
district de Skwira, au sud de Kiew, ont fourni les pièces sui-
vantes :
— Deux boucles d'oreille en électron (Zbior VIII pi. III f. 2),
alliage grec d'or et d'argent déjà mentionné dans Homère. Ces
boucles, dont nous avons vu un modèle en bronze peu diffé-
rent, rappellent aussi un peu ces boutons de bronze en forme
de clou à large tète et à tige en spirale, qu'on a trouvés dans
les tombeaux de l'époque précédente. (L'usage de boutons
semblables se serait conservé cbez les anciens Mériens.) On
en a trouvé, à Lizgor, au Caucase. (De Baye, Moscou, p. 43.)
— Un miroir en bronze, de 10 cent, de diamètre (flg. 1.)
— Une agrafe (ou boucle de ceinture) en bronze, de 5 cent,
de long (fig. 3).
— Partie d'une pointe de lance en fer, de 9 cent, de long.
— Autre morceau d'un grand fer de lance.
— Terrine d'argile jaune, large de 15 cent, a son ouverture
Un Kourgane du district de Wasylkowo, sud-ouest de Kiew,
exploré en 1845, a donné de même (Iwaniszew) des urnes
grecques, des griffons en or, grecs également, de précieuses
perles et deux miroirs de bronze. Dans un autre Kourgane
scytbe, de Mikolajow, district de Tarachtchan (sud de Kiew),
encore des pointes de fer et un couteau en fer, de l'ambre, du
soufre, deux petites amphores grecques, noires, avec une or-
nementation grecque, et un grand miroir de bronze avec
manche.
Dans le district de Romawski, gouvernement de Pultawa,
se trouve un énorme cimetière de petits kourganes. Il a été
exploré par MM. Antonowicz et Kibalczycz. Le fer y est assez
rare, mais on le rencontre toujours sous la forme de débris
d'armes. Le bronze domine avec les objets en or et en argent
d'origine grecque, les perles, les coquilles, le soufre, les vases.
Un y a recueilli cinq miroirs dont deux de bronze. Les trois
318 SÉANCE DU 2 MAI 1895
autres étaient formés d'un alliage de laiton, de plomb et
d'étain, alliage plus dur que le bronze et à reflet blanc (potin).
On a beaucoup discuté sur ces miroirs, de dimensions varia-
bles, souvent petits, et munis d'une bélière. Mais ils ne dif-
fèrent pas du miroir grec, que nous connaissons bien et dont
on a trouvé un bel exemplaire dans le Kourgane de Ryzanowa.
Le musée de l'Académie de Kiew en possède trois, apportés
de Chypre. Un Kourgane de Crimée (Kulobski) a livré une
plaque d'or sur laquelle est représentée une femme assise se
regardant dans un de ces miroirs, pendant qu'un jeune Scythe
boit dans une corne. Enfin si telle n'avait pas été la destina-
tion de ces disques en bronze, on n'aurait pas, pour leur fabri-
cation, substitué à ce métal un alliage répondant bien mieux
à cette destination même.
Plusieurs miroirs de ce dernier genre ont été trouvés dans
des Kourganes (district de Wasylkowo) et dans des sépultures
sans Kourgane, entourées de pierres (district d'Human) où
il y avait des outils de fer et de cuivre, avec des dénis de
chevaux. Ils sont devenus plus abondants par la suite. Tandis
que les miroirs de bronze, plus anciens, sont incontestable-
ment d'origine grecque, les miroirs de potin, relevant d'une
civilisation plus raffinée, ont un cochet oriental. (C.Neyman,
Zbior, VIII, 1884. p. 33.)
M. Chantre donne (III, pi. VII-IX) six miroirs provenant de
Komounta, qui sont identiques à ceux des Kourganes ukrai-
niens. Et, détail fort important à retenir : les tombeaux
anciens de Tchmi, en Osséthie, ne contenant que du bronze,
renfermaient aussi deux miroirs en bronze. Les tombeaux
Ossètbes de Terski, province de Wladikavkas, ont livré des
miroirs du second type, avec des armes de fer, des objets en
ambre, des perles de nacre, des ornements de bronze, des
bagues d'argent, des cyprœa moneta, des bracelets de verre bleu
et noir, des plaques d'or, des perles d'hématite avec mouche
gravé, des perles d'ambre, tous objets qui se trouvent au
musée de l'Université de Kiew. (Neyman.)
Les cyprœa monda sont d'importation très ancienne au Cau-
ZABOROWSKL — DU DNIESTRE A LA CASPIENNE 319
case. Il y en a dans la nécropole de Koban-le-IIaut. Il y a
aussi de l'ambre, *et la présence de celui-ci prouve l'existence
de relations avec le Dniestre et la Baltique. Mais alors que sur
le Dniestre on trouve l'ambre à une époque de la pierre qui
n'est représentée au Caucase par aucun monument, alors que
le Dniestre a la priorité pour l'ambre, c'est le contraire pour
la cyprœa monda qu'on ne trouve pas dans les anciens tom-
beaux du Dniestre, sauf ceux d'une basse époque scythique.
(Un collier de plusieurs centaines de cyprœa dans un kourgane
Pultawa.)
Dans un Kourgane de Bolhan, district d'Olhopolski (Podo-
lie), M. Neyman (Zbior, XIV, 69) a recueilli, avec des cyprœa
monela, une épingle en bronze, deux bagues en bronze et une
paire de ciseaux. Ces ciseaux sont une pièce intéressante qui a
joué plus tard un très grand rôle dans les sépultures. Leur
présence indique que le Kourgane de Bolhan est moins ancien
que les précédents. Ils sont d'ailleurs à deux branches, mo-
dernes, alors qu'à la Tène, les ciseaux, d'une seule pièce, sont
à ressort.
L'influence des régions du Dniestre et du Dniepre sur
celles du Caucase est ancienne et elle a été constante, puis-
qu'on retrouve au Caucase toute l'industrie scythique. Par
contre, il n'y a pas de trace au nord-ouest de la mer Noire,
d'une influence ancienne et permanente des civilisations cau-
casiennes. On a récemment exploré en Bosnie, au sud de
Sérajewo, sur le plateau de Clasinac, un champ de tumulus se
rapportant aux époques du fer, du Halstattien au romain. On
y a rencontré la Cyprœa moneta des mers tropicales. La popula-
tion de Glasinac, dit M. G. de Mortillet (Revue de l'École. 1894
p. 389), avait une industrie qui a certains rapports avec le
premier âge du fer italien et des analogies avec les objets re-
cueillis au Caucase. » J'ai été frappé de cette observation, et
ne puis me défendre de croire que la colonie de Clasinac fut
fondée par quelqu'une de ces migrations, parties des bords
de la mer Noire au cours de la domination scythique. D'autant
plus (iue près du tiers '^'^ sépultures de Glasinac sont à
320 SÉANGK DU 2 MAI 1895
crémation. L'inhumation ne fut certainement pas le seul
mode de sépulture pratique dans les plaines du nord de la
mer Noire, à l'époque scythique. M. Néfédow a signalé des
incinérations dans les Kourganes de la steppe Kirghize. « On
préparait, dit-il, une grande fosse ronde; au fond de laquelle
on construisait un bûcher, et on posait dessus, le défunt,
quelquefois plusieurs, revêtus d'habits et avec leurs armes et
ornements. Puis on y mettait le feu et quand tout était brûlé
on jetait dans la fosse des pierres et ont élevait un Kourganc
hémisphérique. »
C'est encore à l'époque scythique assurément qu'il faut
rapporter certains Kourganes, avec ou sans incinération, où
la disposition des corps parait se rapporter à de sanglants
sacrifices funéraires. L'histoire nous a laissé, sur ce trait des
mœurs scythes, des indications qui ne sont pas inutiles pour
nous guider à travers les monuments sans objet caractéris-
tique.
Dans le district de Skvviski au sud-ouest de Kiew, on a fouillé
en 1855 un Kourgane qui recouvrait treize squelettes. L'un de
ceux-ci était dans la position assise au milieu des autres. Sa
tète avait roulé du côté des pieds. Autour de lui les autres
squelettes étaient disposés en rayon, et ils n'avaient pas non
plus leur tète. 11 n'y avait avec eux qu'un peu de charbon.
Dans un autre Kourgane fouillé récemment en Ukraine par
M. Antonowicz, un squelette placé au milieu avait un second
squelette placé h ses pieds et, autour de lui, huit autres
squelettes. Les tètes de ces derniers étaient réunies ensemble
à côté.
(les détails révèlent des cérémonies encore au-dessous de
l'horreur de certaines funérailles chez les Scythes à s'en rap-
porter au récit d'Hérodote.
Les Koutganes scytbes eux-mêmes pourraient sans doute
ZABOROWSKI. — DU DXIESTBB A LA CASPIENNE 321
être séparés en deux groupes. Du moment que l'on voit
l'épée de fer se montrer dans certains d'entre eux, même
parmi ceux de la steppe Kirghize, il faut bien admettre que
le fer dominait dans les usages, avant la fin de l'époque
scythique. Je citerai comme type de Kourgane scythe ou
sarmate appartenant à l'époque du fer, celui deRezyna, d'un
groupe du district d'IIuman, voisin du groupe fameux de
ltyzanowa: Il recouvrait primitivement une chambre de 3 à
4 mètres de long, dont le plafond était formé de longues plan-
ches posées sur six poteaux de bois en deux rangées. Dans
cette chambre remblayée avec le temps et à la suite de la
destruction du plafond, on a recueilli :
4° Une amphore très rouge;
2° Un harnachement de cheval (mors, etc.), en fer, à l'état
de menus débris ;
3" Ornements dudit harnachement en cuivre et en bronze.
4° Trois pointes de lance en fer;
o° Quarante pointes de flèche en bronze;
6° Un squelette de cheval ;
7° Des os humains.
L'amphore très rouge de 740 inillim. de haut, est certaine-
ment grecque.
Du corps principal du barnachement du cheval, en fer, il
ne reste que des débris informes. Mais les ornements qui le
garnissaient sont en bronze. Ce sont des boucles, des anneaux,
des boutons. Il y a aussi deux tètes d'oiseaux fantastiques.
Des pièces semblables ont (Hé recueillies assez souvent dans
les Kourganes du Dniepre et il s'en trouve au musée de l'Uni-
versité de Kiew.Dans un Kourgane, a Gzartomelicki, on en a
trouvé avec les squelettes de trois chevaux et leur équipement
en or, en argent et en bronze. Elles rappellent certains motifs
d'ornementation de l'art barbare, les fibules aviformes fran-
ques, de même que bien d'autres objets plus anciens du Dnies-
tre, tels que peignes, colliers.
Les pointes de lance, assez communes dans les autres
322 SÉAKCE DU 2 MAI 1895
Kourganes Ukrainiens, sont du type des armes de fer de la
Tènc.
Les pointes de flèches sont des pointes à trois pans, des
trièdres, dont la base est creuse pour recevoir la hampe. On a
trouvé beaucoup de ces flèches dans tes Kourganes Ukrai-
niens (comme dans ceux de la plaine Kirghize). Les unes
sont à base coupée droit; chez les autres, les trois arêtes
se prolongent en pointe à la base. Des flèches de ce type figu-
rent parmi les armes de la Tène, mais elles sont en fer. Dans
la composition de celles de l'Ukraine, il y a un peu de zinc,
0,73 0/0, d'étain 3 0 0 et 90,27 00 de cuivre.
Il est difficile d'expliquer la quasi-disparition du squelette
humain.
La race des chevaux enterrés dans les Kourganes, devrait
être étudiée à part avec soin. L'intérêt qu'il y aurait a savoir
d'où ces chevaux proviennent n'est pas à démontrer. M. Os-
sowski a soumis les os qu'il a recueillis à M. Woldrich. Et,
d'après les déterminations de ce savant, c'est le très petit
cheval, quaternaire dans le centre de l'Europe (E. Cabalhts
minor) et abondant dans les cavernes de Gracovie, qui domine
dans les Kourganes. Il serait l'ancêtre du tarpan. Il est seul à
llezyna. Dans le grand Kourgane de Ryzanowa, il y avait,
avec lui, un cheval plus grand (E. Caballus L.), identique au
cheval actuel de l'Ukraine. Ce grand cheval est seul dans le
petit Kourgane de Ryzanowa, plus ancien.
Son origine doit être cherchée en Asie. Il y avait, en effet,
un élément asiatique parmi les Scythes, ('-'est cet élément,
sans doute, qui a introduit ce grand cheval destiné à supplan-
ter l'autre. Au temps de Strabon (VII, c. 111, 18), il était si
peu répandu encore qu'il n'en fut pas fait mention. Les in-
digènes n'avaient, d'ailleurs, pas attendu la leçon des Scy-
thes pour se servir du petit cheval de leur pays. Homère (Ilia-
de, XIII, 3) applique déjà aux Thraces qui venaient aussi des
rivages de la mer Noire le qualificatif de « dompteurs de che-
vaux».
Dans la plaine des Kirgbizes, les Kourganes postérieurs à
CORRESPONDANCE 323
l'époque scythique proprement dite, sont les plus nombreux.
Il en est parmi eux qui contiennent des monnaies arabes du
xe siècle. Ceux-ci ne doivent pas m'occuper ici. Voici comment
M. Néfédow caractérise les autres, les moins récents : « Leur
quantité et les outils qui s'y trouvent, montrent que le peuple
auquel ils appartenaient était sédentaire et agriculteur, mais
apte aussi à la guerre. Dans les tombeaux de cette catégorie
on trouve des faucilles, des couteaux et des harpons en fer, et
aussi des pointes de flèche et de lance, faites du même métal.
Les femmes ont été déposées en habits de laine ou de soie, avec
des objets de parure divers : colliers, boucles d'oreilles en ar-
gent, anneaux, etc., mais aussi, comme les hommes, avec des
flèches et des étriers. Une femme, même, a été ensevelie à cheval.
On peut considérer comme objet de culte, un fétiche en fer,
trouvé dans un Kourgane, sur le « champ des morts » : au
bout d'une tige de fer, haute de 8 k 9 centim., s'élève un cou
long, surmonté d'une tète d'oiseau avec un bec, et de la base
du cou part le corps d'un serpent enlacé trois fois et se termi-
nant par une bouche ouverte. »
De tels monuments se rapportent, sans doute, à une popu-
lation peu différente des Scythes, du moins sous le rapport
des mœurs.
L'un des secrétaires : Dr Paul Rxymond.
622* SÉANCE. - lli Mai 1895.
Présidence de M. André Lefèvre.
CO-RRES.'ONDANCE.
Lettre annonçant le décès du prof Kakl Vogt, membre as-
socié étranger.
M. le Président exprime les profonds regrets de la Société
pour la perte de ce savant anlhropologiste.
324 SÉANCE DU 16 MAI 1895
Lettre de M. Guillabert, avocat à. Toulon, annonçant l'en-
voi d'ossements gallo-romains qu'il offre a la Société.
Des remerciements sont adressés au donateur.
Lettre de M. de Brette qui adresse une note sur ses explo-
rations en Colombie et sollicite une prolongation de la déléga-
tion qui lui a été accordée par la Société.
Cette prolongation est accordée.
M. Harlé, de Toulouse, adresse la lettre suivante :
Monsieur le Président.
Dans une fort intéressante communication du 6 décembre,
qui vient de paraître dans votre dernier fascicule, M. G. de
Mortillet a conclu d'échantillons qui lui avaient été communi-
qués par MM. Chamaison et Darbas, que la station de la Tou-
rasse, à Saint-Martory (Haute-Garonne), est intermédiaireentre
le paléolithique et le néolithique et il en a fait le type d'une
époque : le tourassien. Permettez-moi d'appeler l'attention de
la Société sur ce que, six mois avant la communication du
savant créateur de la classification palethnologique, j'ai attri-
bué à cette station la même date, par ma note : « Restes d'Elan
« et de Lion dans une station préhistorique de transition entre
« le quaternaire et les temps actuels, à Saint-Martory (llaute-
« Garonne) » '. J'ajoute que M. Félix Uegnault avait conclu
de même sur la date de cette station -.
Veuillez agréer, etc.
G. de Mortillet. - - Je suis très content de la réclamation
de M. Harlé, et je demande que sa lettre soit intégralement
insérée dans les Bulletins. Peut-être eut-il été plus naturel que
cette lettre me soit adressée directement. Mais passons, la
lettre <'xisl<\ c'est l'essentiel. M. Harlé déclare que depuis
longtemps il considère le gisement de la Tourasse comme un
gisenfentde transition entre le paléolithique et le néolithique.
1 Anthropologie, 1894, page 402.
- Revue des Pyrénées, 1892.
CORRESPONDANCE 325
Je le savais. Je savais aussi que telle est l'opinion de MM. Re-
gnault, Cartailhac, Pietteet beaucoup d'autres palethnologues
de valeur. Mais dans une courte note, sur la présentation d'un
simple quart de feuille d'impression, il m'était bien difficile
de faire l'exposé de tous les avis émis, concernant la date du
gisement de la Tourasse. C'était, du reste, un simple acces-
soire de ma note. Je me suis contenté d'indiquer que ce gise-
ment avait été fouillé par MM. Chamaison et Darbas. Cela me
paraissait suffisant pour garantir les droits de priorité au
point de vue des découvertes d'objets. Le gisement de la Tou-
rasse n'est pas le seul de son genre. Il en a été constaté plu-
sieurs autres analogues. Leur étude les a fait classer tout à
fait à la fin du magdalénien. Peu à peu, on les a encore
rajeunis. Cette manière de voir s'est lentement infiltrée dans
les données palethnologiques. Dire quel est le premier qui a
émis cette manière de voir, serait bien difficile. J'avoue que
je m'en sens incapable. Depuis quelque temps je me préoccu-
pais du cboix d'une localité typique pour caractériser une
époque et combler le vide du hiatus. La Tourasse m'a paru
être dans les meilleures conditions. C'est pour cela que je l'ai
choisie. J'avouerai même que les savantes déterminations
d'espèces faites par un maître tel que M. Harlé, et les inven-
taires de M. Regnault ont eu une grande influence sur le
parti que j'ai pris.
Mais, pour moi, la faune n'est pas tout; l'industrie a une
grande valeur. Je classe surtout les époques humaines par les
œuvres de l'homme. Cela me semble parfaitement logique.
D'autant plus logique, qu'il se trouve justement qu'il y a con-
cordance entre les résultats fournis par l'industrie et par la
faune. Or, je ne pense pas que la réclamation de priorité de
M. Harlé aille jusqu'à l'appréciation des produits industriels.
Pourtant, dans une période intellectuelle aussi active que la
notre, très probablement plusieurs palethnologues pourraient
aussi formuler des réclamations de priorité sur ce point. Si
cela était, je répéterais : tant mieux! En effet, ce serait la
meilleure preuve que ma coupe est bonne; que j'ai eu parfai-
326 SÉANCE DU 16 MAI 1895
tement raison de la faire, puisque tous les observateurs sont
d'accord et en réclament la paternité.
OUVRAGES OFFERTS.
Anoutchine (D.-N.). — L'amulette crânienne et la trépanation
des crânes dans les temps anciens en Russie, in-4°, 18 pages et
planches. Moscou, 1895 (en russe).
Gapitan (D1' L.). — Le service anthropométrique de la Préfecture
de police, in La Médecine moderne du 27 avril 1895, in-4° avec
fig. Paris.
Lefèvre (André). — Les temps homériques (hommes et dieux,
mœurs et croyances) (Ext. de la Revue de Linguistique), in-8,
160 pages. Paris, 1895.
Malvert. — Science et religion, in-8, 156 pag. et fig. Paris,
1895.
Pigorini (L.). — Anlichi pani di rame e di bronzo da fonder e
rinvenuti in Italia (Ext. du Bull, di poletnol. ital.), in-8. 38 pag.
et pi. Parme, 1895.
Pigorini (L.). — Gfltalici nella valle del Po (Ext. du Bull, di
paletnol. ital.), in-8, 4 pages. Parme, 1895.
Pigoiuni (L). — Recensione (Ext. du Bull.di paletnol. ital.).
in-8, 8 pages. Parme. 1894.
M . < i . de Mortillet. — Le directeur du Musée préhistorique et
ethnographique de Rome, M.Luigi Pigorini, m'a chargé d'of-
frir en son nom, à la Société, trois brochures qu'il vient de
publier. La première et la plus importante est une monogra-
phie des Pane dirame ou lingots de cuivre découverts jusqu'à
ce jour en Italie. Ces lingots et culots de cuivre et de bronze
sont disséminés un peu partout. On en a signalé un très grand
nombre en Erance. Un inventaire comme celui que M. Pigorini
a fait pour l'Italie, est toujours fort utile au point de vue de
l'industrie protohistorique. Mais le travail du savant italien
présente un intérêt de plus. Non seulement il énumère les lin-
gots purement industriels faisant partie des matières pre-
mières de l'âge du bronze et des commencements de l'âge du
PÉRIODIQUES 327
fer, mais il les suit jusqu'il l'apparition de YAes rude, débuts
de la monnaie.
Les deux autres brochures contiennent des articles de polé-
mique dans lesquels nous n'avons pas à prendre part. L'un
est un compte-rendu d'un mémoire de M. de Nadaillac sur
les habitations lacustres, l'autre la réfutation d'une assertion
de M. Alexandre Bertrand, concernant les anciennes popula-
tions du nord de l'Italie.
Hockhill (William-W.). — Diary of a Journey through Mon-
gol ia and Thibet, in 1891 et 1892, in-8, 413 pag., fig. et carte.
Washington, 1894.
périodiques (article* à signaler).
L'Education intégrale, 1er mai 1893. - L. Nissen : Le tra-
vail spontané chez l'enfant.
Bévue de l' Ecole d' Anthropologie, 15 mai 1893 : G. Hervé : Les
populations lacustres; — Pb. Salmon : Dénombrement des
crânes néolithiques de la Gaule.
Revue Scientifique, 11 mai 1893. — J.-V. Laborde : La micro-
céphalie et la descendance de l'homme; — Marchoux : Porto-
Novo et ses habitants.
Mémoires de la Société des antiquaires du Nord, 1893. — Wim-
mer : Les monuments runiques de l'Allemagne.
The American anthropologist, January 1893. — J. W. Powel :
Stone art in America.
Anales del Museo de La Plala, III, 1894. — Paleontologia
argentina.
Recista del Museo de La Plata, V, 1894. — II, ten Kate : Ex-
cursion archéologique dans les provinces de Catamarca, Tucù-
man et Salta.
Revue d'ethnographie (russe), 1893, n° 1. — Vsevolojsky :
Esquisses de la vie des paysans du district de Samara; Kha-
rouzine : Esquisse historique du développement de l'habitation
chez les Finnois; — Soumtzov : Observations sur les douma
de la Petite-Russie et sur les virches religieux; — Kbarouzine :
328 SÉANCE DU 16 -MAI 1895
Sur l'origine et le développement de l'art chez les peuples non
civilisés.
PUESENTATIONS
Poteries funéraires, ossements, crâucs, etc.
de IV;i«qiii' Merovingienuc.
M. A. Thieullen. — Lors de notre dernière séance, à propos
des poteries du Dahomey, que M. le Dr Capitan nous présen-
tait, j'ai eu l'honneur de vous dire, que j'étais en train de
ramasser, rue de l'Abbaye, dans une tranchée, faile pour un
égout, une certaine quantité' de ces poteries, qu'aux temps
mérovingiens et au moyen-Age, on plaçait auprès du mort.
J'ai pensé qu'il pouvait être intéressant de vous soumettre
quelques spécimens des pièces recueillies.
Ces lampes et ces lampions étaient, paraît-il, usités aux
xve et xvie siècles, et les vases vernissés au xvne siècle. Ces
poteries, en forme de poêlons à courte poignée, paraissent
être antérieurs. Je n'ai pas rencontré de ces vases dont la
panse était trouée en divers endroits, afin d'activer la com-
bustion des charbons avec encens qu'on y mettait, et qui da-
tent du xme siècle.
J'ai récolté, dans cette tranchée, beaucoup d'autres objets,
entre autres de petites pièces romaines, qui se trouvaient
dans des sarcophages en plAtre avec le mort, et ce petit pot,
caractéristique de l'époque mérovingienne. Quelques vaisseaux
en verre ont été brisés par les ouvriers, voici une anse qui en
provient.
Une agrafe en bronze, une boucle et son ardillon en fer.
quelques jetons, généralement fabriqués à Nuremberg, et qui
servaient pour les jetoirs au moyen-àge, une cinquantaine de
pièces de monnaies de France, à l'effigie des rois depuis
Henri II jusqu'à la République, des coquillages exotiques pro-
viennent du même endroit.
Voici maintenant quelques ossements.
PRÉSENTATIONS 329
Ce crâne brisé, cette mâchoire inférieure, ces divers osse-
ments, ce très grand fémur, etc., proviennent de tombes mé-
rovingiennes en plâtre mais ce crâne intact est plus récent,
Je l'ai recueilli sur l'emplacement occupé autrefois par le grand
Cloître, qui se trouvait sur l'alignement du portail de l'Église,
comme on le voit sur le plan Comboust, de 1647, sur le plan
Turgot, de 1734, sur le plan Verniquet, de 1791, et sur les
divers plans contenus dans l'histoire de Saint-Germain-dcs-
Près, par Dom Jacques Bouillard, bénédictin de cette abbaye,
ouvrage in-folio publié en 1723, tandis que le cimetière de
l'Eglise était au sud-ouest, à coté de la chapelle Saint-Sym-
phorien, derrière le presbytère actuel.
Ce crâne à la mâchoire inférieure duquel j'ai remplacé une
dent que j'avais égarée, afin de lui laisser sa physionomie,
n'est pas le crâne d'un homme quelconque, mais doit être ce-
lui d'un savant bénédictin. La mâchoire présente un progna-
tisme très prononcé, les dents supérieures n'ont jamais reposé
sur les dents inférieures, dont le coupant est intact, et qui, par
contre, sont usées à la base de la couronne. Je disais que ce
n'était pas là un crâne quelconque. Je lis, en effet, dans l'his-
toire de Dom Jacques Bouillart, citée plus haut :
« Le 25 avril 1682, mourut Dom René-Ambroise Janvier,
religieux très savant dans la langue hébraïque. Suit un pané-
gyrique. Son corps fut enterré dans le grand cloître de l'ab-
baye, du côté de l'Eglise.
« Le 29 avril 1685, arriva la mort de Dom Luc d'Achéré,
fort connu dans la république des lettres. Il avait la direc-
tion de la Bibliothèque, si riche en manuscrits. Il en augmenta
le nombre, etc., etc. Il fut enterré dans le cloître au-dessous
de la Bibliothèque dont il avait eu soin. »
Or, ces deux emplacements, et surtout le premier, se rap-
portent exactement à la place où j'ai relevé le crâne en qucs
tion.
« En 1693, mort de Louis Bulteau, qui savait fort bien les
mathématiques, les langues grecque, latine, italienne, espa-
gnole. Il fut enterré dans le grand cloître. »
t. vi (4e série). 22
330 SÉANCE DU !(> MAI 1895
En terminant, je vous dirai, Messieurs, que le but de mes
recherches, clans cette tranchée d'environ 100 mètres de long,
sur 2 mètres de large et 4 mètres de profondeur en moyenne,
était tout autre que ce qui fait l'objet de ma communication
présente. Je cherchais, dans les 2 mètres creusés, dans le ter-
rain d'alluvion, des silex taillés, bien en place. J'en ai ra-
massé un millier avec divers fossiles, dent d'éléphant, de
cheval, etc. Quand j'aurai l'honneur de vous présenter ces
silex, je pense provoquer chez vous, qui vous intéressez aux
pierres taillées, un profond étonnement causé par la nouveauté
de la taille, taille sans contestation possible,, qui nous amè-
nera à d'importantes et diverses déductions quant au préhis-
torique.
Discussion.
M. 0. Vauvillé. — Le sol de Paris est, en certains endroits,
jonché de débris de poteries de diverses époques successives.
Il est assez curieux de faire remarquer que, dans les pote-
ries présentées par notre collègue, on en voit : 2 de l'époque
gallo-romaine, 1 de l'époque mérovingienne et d'autres pou-
vant se rapporter aux xve siècle et suivants.
Les poteries si caractéristiques du xme siècle, avec flam-
andes, et celles du xiv'1 siècle, vernissées avec côtes en relief,
manquent complètement. Ce fait est étonnant; est-ce que
cette partie du sol aurait cessé d'être habitée pendant tout le
temps où la poterie n'est pas représentée dans les trouvailles
faites par M. Thieullen '.'
communications.
Les Celtes orientaux.
HYPERBORÉENS, CELTES, GALATES, GALLI.
par M. Andrk Lefèvrb
L'origine des diverses populations de la fiance est une de
ces questions qui sont toujours ici à l'ordre du jour, soit que
A. LEFÈVRB. — LES CELTES ORIENTAUX 331
l'archéologie préhistorique exhume et classe les débris lais-
sés par les races quaternaires, soit que l'ethnographie cher-
che à retracer, d'après les monuments et d'après les indica-
tions des plus anciens textes écrits, les caractères physiques
et moraux des groupes humains qui se sont succédé, justa-
posés et amalgamés sur notre sol. Rien de plus vaste qu'une
telle étude; mais j'ai pensé qu'en abordant un point déter-
miné, il était possible d'écarter quelques doutes, et d'obtenir
quelque certitude. La communication que je vous soumets
a pour but de déterminer le sens et l'emploi rationnel des
noms bien connus, mais souvent appliqués au hasard : Cel-
tes, Galates et Gaulois. Mais, je dois l'avouer, si restreint
que soit mon sujet, il m'a entraîné à quelques développe-
ments, pour lesquels je sollicite votre bienveillante atten-
tion.
Tant d'incertitude plane sur l'histoire ancienne de l'Europe
occidentale, une telle confusion règne dans l'emploi des noms
ethniques : Celtes, Galates, Galli, Kimrys, qu'il me paraît pru-
dent d'écarter tout d'abord, d'oublier même, tout ce que nous
avons pu lire dans les écrivains les plus autorisés, dans
Michelet, dans Guizot, dans Aniédée Thierry ou dans Henri
Martin. Ces maîtres éminents ne pouvaient être qu'imparfai-
tement initiés aux découvertes et aux inductions de l'anthro-
pologie et de la linguistique. Tous, séduits à quelque degré
par les préjugés de la celtomanie, ils croyaient plus ou moins
à l'unité d'une race gauloise, établie de temps immémorial sur
le sol gaulois, entre l'Escaut et la Garonne, pourvue de toutes
les qualités qu'elle devait transmettre au peuple français,
d'une religion originale et puissante, le druidisme, barbare
sans doute, mais déjà douée d'un génie métaphysique auquel
Aristote lui-même rendait hommage. Car ils trouvaient aisé-
ment dans les auteurs anciens, d'une antiquité bien relative,
la confirmation de théories qui flattaient leur ardent patrio-
tisme. A peine avaient-ils renoncé à l'origine celtique des
tumulus et des mégalithes, dont on retrouve aujourd'hui les
similaires dans vingt régions de l'Asie, de l'Afrique et de
332 séance nu 16 mai 489o
l'Europe, sans parler de l'Amérique. Des noms néo-celtiques,
sous lesquels ces monuments ont été désignés dans notre
Bretagne, ils avaient tiré, très naturellement, des conclusions
que la préhistoire a écartées. Nous savons, maintenant, que
de longues périodes de temps se sont écoulées avant que le
Rhin, ou tout au moins la .Marne, aient été franchis par les
conquérants blonds et grands qui ont donné leur nom à la
Gaule; nous sommes en mesure d'affirmer que, six cents ans
avant notre ère, dominaient à l'est du Rhône les Ligures, au
sud des Cévènnes les Ibères; enfin, la densité persistante de
populations brunes dans les bassins de la Loire et de la Seine
nous autorise à penser que cette importante région de la
France était occupée, dès la première époque du bronze, par
les ancêtres de la race qui la remplit encore et qui a survécu
à toutes les invasions historiques.
Cette race parlait-elle une langue indo-européenne? Je crois
que M. d'Arbois l'a démontré. Était-elle une branche des
Ligures? Nous croyons qu'il est encore impossible de se pro-
noncer sur ce point. Comme le groupe ausonien, comme le
groupe ligure, elle appartenait, en majorité, à ce type de
forte et moyenne stature, à la tète arrondie, dont on peut
suivre la marche dans toute la partie moyenne de l'Europe.
La vraisemblance doit ici nous suffire, et il faut la distin-
guer avec soin de la certitude.
Que les Grecs aient pu recueillir, des Phéniciens, quelques
notions très vagues sur les cotes de l'Atlantique, de la Man-
che et de la mer du Nord, c'est ce qui ne paraît pas niable.
Mais, sur l'intérieur des terres, ils ne savaient absolument
rien. Non seulement Hérodote, vers le milieu du ve siècle,
mais Polybe, trois cents ans plus tard, avouent que l'Europe
du nord-ouest est pays inconnu. Bien plus, tout ce qui était
situé au nord de la Thrace et de l'Illyrie, h quelques journées
du Danube, restait pour eux couvert d'un brouillard impé-
nétrable, où ils plaçaient les monts Ripées, ou Riphées, soit
les Carpathes, soit même les Alpes. Alpis était pour Hérodote
le nom d'une rivière. Pyrènè, les Pyrénées, se dirigeaient du
A. LEFÈVRE. — LES CELTES ORIENTAUX. 333
sud au nord, et l'Ister y prenait sa source. L'Ister, le Danube,
se jetait à la fois dans le Pont Euxin et dans une mer sep-
tentrionale; le Rhin, sans nom encore, était sans doute une
des branches de l'Ister. Ils ne possédaient quelques données
précises que sur les contrées voisines du Caucase et sur le
pourtour de la mer Noire. Au-delà des Scythes et des monts
Riphées, ils entrevoyaient seulement des Hyperboréens. En-
core, Hérodote, sceptique à ses heures, raillait-il ces peuples
fabuleux; et il avait pleinement raison si, comme l'établit
M. d'Arbois, les monts Riphées et les Hyperboréens sont nés
d'un hémistiche d'Homère : îmà cmn-, èuBpr^ïvs»^ Koç,ic/.o, « par l'im-
pétuosité de Borée, fds de l'air. » Alcman, au vne siècle, a con-
verti ce souffle en montagne: «Ripas, mont riche en forets,
poitrine de la nuit noire. » EtSophocle, dans Œdipe a Colone,
dira « les Ripes nocturnes », pour désigner le nord. De la
aussi l'habitude de désigner sous le nom d'Hyper-Boréens, les
hommes, s'il y en avait, qui habitaient au-dessus, au-delà
des Ripes ou Riphées.
Ainsi l'entend Pindare, quand il rapporte cette étrange
légende : « Des sources ombragées de l'Istros, le fds d'Am-
phitryon a rapporté l'olivier, prix des luttes olympiques. La
parole persuasive d'Héraklès avait obtenu ce présent des
Hyperboréens, ce peuple qui adore Apollon ». C'est un pas-
sage bien curieux; il témoigne d'une naïveté singulière, en
associant l'olivier aux sources du Danube ; mais le culte
d'Apollon attribué aux Hyperboréens, fait songer au Beli ou
Belen des Celtes. Apollon était, chez les Grecs, un dieu venu
du nord, et la tradition s'était conservée, à Délos. de vierges
hyperboréennes, attachées au sanctuaire. Une autre indica-
tion ne doit pas être négligée, c'est que, tout au début du
vc siècle, les anciens voyaient les Hyperboréens, non plus au
nord précisément, mais vers l'ouest, aux sources de l'Istros.
Or, c'est là que, vers le même temps, étaient signalés les
Celtes, les Keltoi.
En fait, les deux noms sont demeurés longtemps syno-
nymes. Hécatée de Milet, vers 500, connaît de nom les Celtes,
334 SÉANCE DU 16 MAI 18(».">
et les place immédiatement au nord do la Ligustique. Héro-
dote les cite deux fois. Mais, après lui, Iléraclide de Pont écri-
vait dans son Traité de l'âme : « Suivant un récit qui m'est
venu d'Occident, une armée, arrivant du pays des Iïyper-
horéens, aurait pris une ville grecque, appelée Rome et située
là-bas près de la grande mer ». Enfin, l'identité des Hyper-
boréens et des Celtes est consacrée, tout au début du ier siècle
avant J.-C, par le voyageur philosophe Poseidonios.
Mais, venons au mot Celte, qui est, non plus grec, mais cel-
tique, qui était le nom national d'un peuple ou d'une tribu,
maintenue à l'ouest de Singidunum (Belgrade) par l'expan-
sion des Scythes. Laissant des groupes plus ou moins com-
pacts en Illyrie (les Scordisques), en Styrie et dans la Pan-
nonie (les Taurisques), en Bohème (Boïohémum), les Boïes et
les Elvètes, la masse de la. nation était fortement établie au
vie siècle, bien avant sans doute, dans la vallée du Rhin, sur
la rive droite depuis la source du Danube jusqu'en Frise,
sur la rive gauche depuis Strasbourg, ou environ (Argento-
raté), jusqu'à la Somme, jusqu'à l'Escaut; la Grande-Breta-
gne avait été, dès les premiers Ages de la conquête, envahie
et peuplée par des Celtes. Nul doute que les bassins de la
Seine et de la Loire ne fussent déjà parcourus par de nom-
breuses bandes, et que. dès sa fondation en territoire Ligure,
Marseille n'ait eu a se défendre contre les Celtes Sàlluves,
Salyes en grec, les premiers qui semblent avoir atteint le
rivage méditerranéen.
Au ve siècle, les Celtes ont franchi les Pyrénées, par les
mêmes chemins sans doute que les Ligures ; se glissant entre
les Çévennes et la haute Garonne, ils ont, soit tourné la
chaîne à l'Orient, soit découvert le port de Venasque; ils ont
rapidement occupé le centre de la péninsule, et ont couru à
l'ouest jusqu'en Galice et en Lusitanie. Ainsi se forma la na-
tion des Celtibères, mélange où les Ibères, vaincus, n'en comp-
taient pas moins pour la plus forte part; remarquez-le bien,
c"est précisément ce qui se passa dans la France centrale : les
Celtes en modifièrent très peu les anciens éléments ethniques
A. LEFÈVRE. — LKS CELTES OHIENTAUX 335
Hérodote connaît l'extension occidentale des Celtes. Je cite-
rai les deux passages on il la mentionne : « L'Istros, né chez
les Keltes, vers la ville de Purènè, coule, divisant l'Europe
en deux parties; les Keltes sont, en dehors ou à partir des
colonnes ou stèles d'iléraklès, voisins des Kunèsioi, les der-
niers Européens du côté de l'Occident » (II, 33). « Dans la
contrée qui domine, au-dessus des Omhriens, le Carpis et
l'Albis, coulant au nord, se jettent dans l'Istros qui traverse
toute l'Europe à partir des Keltes, les derniers qui, après les
Kunètes, habitent l'Occident ».
Au siècle suivant, Ephore, vers 350, constate que la Celti-
que comprend la plus grande partie de l'Ibérie jusqu'à Cadix.
Dans le même temps, le périple attribué à Scylax nous mon-
tre les Celtes entre les Etrusques et le fond de l'Adriatique; et
Théopompe parle d'une défaite infligée par les Celtes aux
llly riens ».
Celte est également l'expression dont se sert Aristote. Il
n'a pas de notions fort exactes sur la topographie, puisqu'il
fait sortir des Pyrénées le Danube et le Ouadalquivir; [mais
il sait, tout au moins il dit, que, chez les Celtes, les froids sont
rigoureux, que les Pyrénées sont situées en Celtique, qu'il y
a des Celtes en lbérie, au-dessus, utt«? Tfj; 'i^o^ ; ilsaitqueles
Celtes ont pris Rome. Enfin, l'alliance d'Alexandre avec les
Celtes de l'Adriatique, Carniole, Styrie, contre les Illyriens
(dont la Macédoine fut longtemps tributaire), est suffisamment
connue; d'après Ptolémée, tils de Lagos, (le général qui a
fondé la trentième dynastie égyptienne), Strabon rapporte
l'entretien du futur conquérant avec des délégués celtes, et la
réponse heureuse, à la fois fière et polie : «Nous ne craignons
que la chute du ciel, mais [nous mettons au-dessus de tout
l'amitié d'un homme tel que toi ». « Quels fanfarons! » dit
Alexandre; mais d'autres Grecs pensèrent qu'on avait impar-
faitement compris le langage des Celtes; ceux-ci venaient de
s'engager par serment : « Si nous enfreignons ce traité,
avaient-ils dit, que le ciel, tombant sur nous, nous écrase ».
En répondant à Alexandre, ils ne faisaient que répéter la for-
336 SÉANCE DU 16 MAI 18(.>.'>
mule consacrée, et en même temps rappeler le pacte qu'ils
venaient de conclure. Alexandre s'attendait à une flatterie
plus directe.
L'alliance dura tant que vécut Alexandre; en 324, à Baby-
lone, il y eut des Celtes parmi les députés qui vinrent com-
plimenter le vainqueur de l'Asie. Ce fut seulement quarante
ans après «pie la paix se trouva rompue. Sans doute, ébran-
lés par une invasion germanique, par l'arrivée des Quades et
des Marcomans, des contingents celtiques envahirent la
Macédoine. En 280, le roi Ptolémée Kéraunos, attaqué par
eux, perdit à la fois la victoire et la vie. Les barbares, com-
mandés par un roi ou lirennos, s'abattirent sur la Thessalie,
et pillèrent le temple de Delphes, 279-278. Mais, repousses
aux Thermopyles, décimés dans les défilés du Parnasse et du
Pinde, ils refluèrent vers le nord et, traversant la Thrace, le
Bosphore, l'Asie Mineure, ils finirent par se cantonner dans
la Cappadoce et la Phrygie. C'étaient, comme vous le savez,
des Trocmes, des ïolistoboies et des ïectosages, mais com-
plètement étrangers, si ce n'est de nom et de race, aux BoïVs
et aux Tectosages de la Gaule. Ils n'étaient partis ni de Tou-
louse, ni de la Loire, mais bien de la Styrie et de l'Illyrie.
Avec cette invasion de 280-278, mais non avant, apparaît
un nom nouveau, celui de Calâtes, rvlk-.*- devient syno-
nyme de Kelte. Pourquoi cette substitution? Nous cherche-
rons tout à l'heure à l'expliquer. Poduisons les anciens textes
où est employé le mot. Le premier de ces documents est une
inscription votive de 278. Cydias, athénien, avait été tué
par les Celles, à la bataille des Thermopyles. Son bouclier fut
suspendu sous le portique do Zcus libérateur, ji Athènes,
avec ces vers : « Sous ce bouclier, Cydias étendait, pour la
première fois, son bras gauche, quand l'impétueux Ares sévil
contre le Galate ». Une touchante épitaphe réunit les deux
noms, Celtes et Calâtes. Il s'agit déjeunes filles massacrées à
Milet, en 278 : « Nous sommes parties, ô Milet, chère patrie,
en repoussant le criminel outrage des Galates sans lois. Nous
étions trois, vierges H ntoyennes '• voici comment le violent
A. LEEÈVRE. — LES CELTES ORIENTAUX 337
Ares des Celtes a changé notre destin. Nous n'avons pas subi
l'union impie. Aïdès a été notre protecteur et notre époux ».
La même synonymie se retrouve dans un hymne de Callima-
que, où le dieu celte de la guerre, lance contre les Hellènes
les Galates, « peuple insensé, derniers nés des Titans ».Eratos-
thène(230) appelle Galates les Celtes d'Ibérie. Enfin, Polybe,
au ne siècle, se sert indifféremment des deux noms, traitant
la même tribu, les Gaisates par exemple, tantôt de Keltoi,
tantôt de Galatai; la Gaule cisalpine, ici de Galatia, là de
Keltikè.
Plus tard, après la mort de César, lorsque l'ancienne patrie
des Celtes était occupée, et depuis longtemps, par les Ger-
mains, lorsque le nom de Celtique était attribué définitive-
ment à la Gaule centrale, Diodore de Sicile essaya de distin-
guer entre les Celtes et les Galates. Voici comme il s'exprime :
« Il est important de définir ce que beaucoup ignorent : on
« donne le nom de Celtes à ceux qui habitent l'intérieur des
« terres au-dessus de Marseille, près des Alpes et de ce côté-ci
« des Pyrénées; mais tous ceux qui, au-delà du pays des Celtes
« ou Keltikè, habitent vers le nord, près de l'Océan et du mont
« Herkunion (la Foret Noire), jusqu'à la Scythie, sont clési-
« gnés par le nom de Galates ». Pour Diodore, les Germains
sont des Galates. Rappelant l'expédition de César contre les
Sugambri ou Sicambres, il dira que le proconsul, ayant passé
le Rhin sur un pont merveilleux, « a dompté les Galates, qui
habitent au-delà de ce fleuve ».
Dion Cassius, au contraire, à l'inverse, placera la Galatia à
gauche du Rhin, à droite la Celtique. Il considère comme
Celtes les Germains Usipètes et Tenctères et les Suèves
d'Arioviste. « Quelques Celtes, dit-il, que nous appelons Ger-
mains »; mais il règne dans sa pensée une grande confusion.
« Suivant lui, ce sont les Galates qui, en 390, ont pris Rome,
et c'est dans des combats singuliers contre des Celtes que
Manlius et Valérius, en 360 et 349, ont gagné les surnoms de
Torquatus et de Corvus. La double erreur de Diodore, de
Dion, et de quelques autres, n'est pas sans intérêt Elle
338 SEANCE DU 16 MAI 189o
prouve que les anciens distinguaient mal le Teuton du Celte,
j'entends du Celte traditionnel, aux cheveux roux, tant ils
avaient été habitués à regarder les bassins du Rhin et du
Haut-Danube, comme le domaine, comme la patrie des Celtes.
D'où vient, maintenant, que les Grecs, familiarisés durant
trois siècles avec le nom Keltos, se sont mis tout d'un coup,
en 280, à traiter de Calâtes les Celtes envahisseurs de la
Thessalie, de la ïhrace et de l'Asie mineure? Est-ce, comme
l'imagina le Sicilien Timée, vers 200, parce que Calâtes était
fils de la blanche Galatée el du terrible Polyphème ? Ou bien,
comme le suppose Plutarque (46-120 de notre ère), parce que
lléraldès, traversant la Celtique après le meurtre de Géryon,
aurait eu d'une princesse gauloise un fds nommé Calâtes.
Cette dernière fantaisie mythologique implique du moins
l'origine celte des Calâtes; mais elle ne nous apprend rien. Si
l'on interroge le mot en lui-même, on reconnaît qu'il est par-
faitement celtique. Un roi des Boïes cisalpins, en 237, s'ap-
pelait Galalos. Gai, en irlandais, signifie encore « bravoure,
exploit ». Kel, dans Keltos. n'a point d'autre sens. Ce sont
probablement deux variantes dialectales, qui ne diffèrent que
par une atténuation de la gutturale k, et par l'insertion d'une
voyelle formative a. Le suffixe est le même. La forme Keltoi,
Keltai, est la plus ancienne ; elle s'est conservée plus long-
temps dans le nord, puisque les Germains l'ont adoptée en
lui faisant subir la substitution ordinaire de l'aspirée à la
forte : Held, le béros; llildebrand: Hildr ou Childis, déesse de
la guerre dans la mythologie Scandinave : el la désinence
féminine bien connue, Glothildis, Brxmhildis, ne sont que des
formes germaniques de Keltos, Keltis et Kelta. Galatès esl resté
inconnu aux Teutons.
Ce mot, dit M. d'Arbois, avec une grande apparence de
vérité, n'a pris de valeur ethnographique qu'après la disso-
lution de ce qu'il appelle l'Empire celte, coupé en deux par le
progrès, par la révolte, des Germains poussant la masse cel-
tique au-delà du Rhin, rejetant par dessus les Alpes et le
Danube les restes des Cénomans, des Boïes, des Lingons. des
A. LEFÈVRE. — LUS CfcXTI tf OBlEiNTAUX 339
Sénons sur la Pannonie et sur l'Italie, et le reste des Tecto-
sages et des Tolistoboïes sur l'Hellade et l'Asie. Voici les
propres expressions de l'auteur : « Le mot Galata semble être
« la formule de la séparation du monde celtique continental
« en deux groupes, l'un occidental et conservateur (?), Celtœ
« en Gaule, Celtici, Celtiberi en Espagne, l'autre oriental et
« révolutionnaire, les Galates. Brennos a porté ce nom eth-
« nique jusqu'à Delphes en 279; et, à partir du m0 siècle
« avant J.-C, les Grecs l'ont appliqué h tous les Celtes sans
« distinction, à ceux de l'ouest qui n'en faisaient pas usage,
« comme à ceux de l'est qui le leur avaient appris. »
Cette conjecture ingénieuse ne jette-t-elle pas quelque
lumière sur la forme latine Galli, laquelle, pourvue au Moyen-
Age d'une terminaison ensis, Gallensis, a donné le mot Gau-
lois? Que Galfas vienne de Galata, non; le latin, riche en
masculins terminés par a, n'aurait eu aucune raison de rejeter
Galata; mais, ou bien les Rabotes, Etrusques, Vénètes, Om-
briens n'avaiant entendu que la première syllabe du nom, ou
bien les barbares se nommaient eux-mêmes Galt, en latin
Gall, par assimilation, très ordinaire en latin, du ta 17 : (rap-
pelons Poludeukès, étr. Pultuke, latin Pollux, et encore Odus-
seus, étrusq. Uthuze, lat. (Misses, dakru, latin lacryma. Je ne
vois pas, pour ma part, ce qui fait dire à M. d'Arbois : « Le
nom latin des Celtes est Gallus, d'origine inconnue. »
Gallus est, ou foncièrement identique à Keltos, ou formé de la
même racine que Galata; et celte racine est une forme atté-
nuée d'un plus ancien Kel ou Kal. II existe, d'ailleurs., une
forme intermédiaire, le nom de peuple Caletos, les habitants
du pays de Caux. Qui se douterait qu'un Cauchois soit si pro-
che parent du héros, held, du fier Keltos et du fameux
Galatès ?
Il est même probable que Galt, Gall, Gallus sont antérieurs
à Galata. Malgré la date récente des historiens latins que nous
possédons, on ne peut douter qu'ils ne copient des documents
anciens et n'aient recueilli des traditions acceptées de tous;
il est bien évident que, dès l'arrivée des Celtes dans la vallée
340 SÉANCE DU 16 MAI 1895
du Pu, dès le ve siècle, les Latins les connurent sous le nom
de Galli, et donnèrent à la Lombard ie, a l'Emilie, le nom de
Gallia Cisalpim ou Citerior. Les terribles Sénons de l'an 390,
à plus forte raison, étaient Galli, et leur ancienne capitale
Sena, porte encore aujourd'hui leur nom national, Senagallica,
Sinigaglia. Les Grecs, au mft siècle, commençaient à se trou-
ver en relations suivies avec les Romains; le terme Gallus
devait leur être familier; et il leur aura été d'autant plus
facile de confondre, en Galatès, à la fois Gallus et Keltos.
Quant aux Latins, ils commencèrent par laisser le nom de
Celtes aux Celtici et Celtiberi d'Espagne, sans doute aussi aux
Celtes du Rhin, réservant Galli et Gallia pour les Gaulois
d'Italie et la Gaule cisalpine. C'est de ces Gaulois, et non
d'autres, c'est des Insubres de Milan, des Boïes de Bologne,
ou des Cénomans que Caton le censeur, vers 168, écrit, dans
ses Origines, la phrase dont on a un peu trop abusé : Gallia
duas res industriosissime persequitur, rem militarem et argule
loqui; « il est deux choses que la Gaule cultive avec le plus
grand soin, faire la guerre et parler finement ». Et, jusqu'au
dernier tiers du 11e siècle, la Gallia, la province de Gaule,
attribuée, tous les deux ou tous les cinq ans à un proconsul,
iElius Peetus en 198, Scipion en 194, Livius Salinator, 188.
Fabius Buteo, 182, Claudius Pulcher, 176, etc., etc., est le nord
de l'Italie, l'Istrie même comprise, et la Styrie, car Noréia,
aujourd'hui Neumarkt, était une ville gauloise. Noréia quœ est
in Gallia, écrivait, à la fin du second siècle, un bistorien
perdu, Sempronius Asellio.
Lorsque, appelés au secours de Marseille, en 125, contre
les Salluves, les consuls et proconsuls Fulv. Flaccus, Sextius
Calvinus, Domitius, Fabius, ont passé les Alpes, vaincu à la
fois les Ligures et les Celtes Allobroges et Arvernes, une pre-
mière Gallia ulterior est constituée autour d'Aix, A quœ
Sextiœ; puis une seconde en 118, autour de Narbonne, Narbo-
Martius. Dès lors, le nom de Gallia est étendu des Alpes aux
Pyrénées, de l'Isère aux Cévennes et à la Haute-Garonne. C'est
la Gallia bracata. Quand Cicéron parle de la Gaule, c'est de la
A. LBFÈVBE. — LES CELTES ORIENTAUX 341
Gallia bracata. Sans doute, pendant le Ier siècle avant notre
ère, l'usage s'est répandu de donner le nom de Galli, même
aux Celtibères, aux Gallœci (Galiciens), même aux Ga-
lates d'Asie ; mais la Gallia, sans épithète, demeure, jus-
qu'au temps de César, la province romaine. Le reste de la
Gaule, y compris l'Aquitaine et la Belgique, s'appelle ou va
s'appeler (Pomponius Mêla) Gallia Comata, Gaule chevelue.
Et de cette grande Gaule une division va être attribuée aux
Celtes, le territoire qu'ils ont conquis, il est vrai, mais où leur
sang a laissé le moins de traces, le pays central entre la Ga-
ronne et la Seine, la Celtique de César.
C'est que les anciens domaines des Celtes, même sur la rive
gauche du Rhin, ont, depuis assez longtemps, changé de
dénomination. Une importante couche celtique ou celto-
germanique, mais parlant le celte, était venue renforcer ou
supplanter les anciens Celtes. C'étaient les Volks ou Bolgs ou
Belges; qui ont laissé dans le Limbourg, les Ardennes, le Hai-
riaut, la Picardie, les Tre vires, les Éburons, les Nerviens, les
Rèmes.lesSuessions^lesBellovaqueSjlesAtrébates, lesquels ont
à leur tour franchi le Pas-de-Calais, envahi l'Angleterre et
poussé jusqu'en Irlande; les Volks (foule, peuple), dont les
Allemands ont fait leurs Walh, Welches, Wallons, dont cer-
taines tribus célèbres, les Tectosages, les Arécomiks, avaient
déjà pénétré jusqu'à Toulouse et jusqu'à Nîmes, — rappelons
les Tectosages d'Asie. — Les Volks donc, ou Bolgs (variante
moins ancienne) avaient donné à la Gaule du Nord, jusqu'à
la Seine, le nom de Belgique.
Tout en essayant d'être bref, j'ai sans doute paru insister
plus que de raison sur l'emploi chronologique et historique
des noms Celtes, Galates et Gaulois. Mais j'ai tenu à ne vous
laisser aucun doute sur le sens et la valeur de ces mots, d'ail-
leurs entièrement synonymes. Aujourd'hui, on laisse volon-
tiers en Asie les Galates, s'il en reste, qui ont ravagé l'Orient
en 279 avant notre ère. Mais on fait usage, un peu à contre-
sens — qu'importe, si l'on s'entend — des deux autres ter-
mes, réservant de préférence le nom de Gaulois au type grand
342 Séance du 16 mai 1895
et blond du Nord, donnant le nom de Celtes aux populations
moyennes et brunes du Centre, qui ont certainement précédé
de mille ans les Kelloi d'Hécatée et d'Hérodote sur le sol
qu'elles occupent encore. Celles-là n'ont pris le nom de Celtes
que vers le temps de César. On évitera toute confusion en
adoptant le terme de Précelte, ou même Celto-Ligure.
Discussion
M. B. Collignon. — Notre confrère, parlant au nom de l'é-
rudition et de l'histoire, vient de nous exposer les raisons qui
lui font admettre l'identité absolue des mots'Celtes et Galates
KeAo-r et raAaToce. H nous a montré que contrairement aux idées
émises par M. Al. Bertrand H ne s'agissait là ni de deux peu-
ples, ni même de deux fractions différentes d'un même peu-
ple, mais bien d'une couche ethnique, oserai-je dire d'un état
politique, dont le nom, au cours des siècles, a varié dans les
bouches de ses adversaires les Grecs et les Romains. Pour lui
ces deux termes génériques iront jamais désigné que les popu-
lations grandes blondes et dolichocéphales, aristocratie guer-
rière traînant au combat à sa suite les populations vaincues et
asservies chez lesquelles elle s'était implantée par la force.
Je ne puis et ne veux dire qu'une chose. Je partage entiè-
rement et absolument cette opinion qui ne me semble pas dis-
cutable. Oui, les Celles et les Galates de l'histoire étaient des
blonds dolichocéphales, comme le furent leurs frères de sang,
plus tardivement entrés sur la scène, Cimbres, Germains,
Goths, Francks, BurgondesouNormands. Je ne crois pas qu'au-
cun antbropologiste ayant suivi de près la question de nos ori-
gines nationales puisse le nier. Pourtant, en France, et en géné-
ral dans tous les pays latins, les antbropologistes, prenant
peut-être trop à la lettre le texte et non l'esprit de Broca,
continuent à désigner sous le nom de Celtes les petits brachy-
céphales bruns dont le prototype est l'Auvergnat de Si-Nectaire
du Haut. En le faisant lous, etmoi tout le premier, nouscommet-
tons nue erreurhistorique, c'est incontestable et nous le savons pur-
DISCUSSION SUR LES CELTES 343
f alternent. Mais imus y sommes bien contraints, car, si faisant
table rase, nous enlevons à ceux-ci l'étiquette commode et ac-
tuellement bien définie que leuravait donnée Broca, par quoi la
remplacerons-nous "? Offrez nous un nom acceptable, suffisam-
ment général pour satisfaire à toutes les données du problème,
nous lui ferons fête, on peut en être assuré. Seulement, où le
trou ver? Dirons-nous les «Préceltes »? Mais alors, Néanderthal
etCro-Magnon, Orrouy et l'Homme-Mort, races bien différentes,
sont elles préceltique Prendrons-nous, avec M. Lefèvre le nom
historique de Ligures? — Même difficulté. Nous ne savons pas,
il faut bien le reconnaître, ce qu'étaient anatomiquement les
Ligures. Les textes anciens nous les décrivent comme petits,
bruns, secs, agiles et très résistants à la fatigue, pas un mot de
plus. Toutes les populations montagnardes du sud de la France,
depuis les brach-ycéphales alpins jusqu'aux mésaticéphales bas-
ques, en passantparles dolichocéphales Cévenols et Pyrénéens,
peuvent, ajuste titre, s'appliquer ces déterminatifs imprécis.
Dans laLigurie propre elle-même nous trouvons des uns et des
autres. Si la petite série de 15 montagnards du Cul de Tende,
réputés ligures, de M. Cillebert d'Hercourt et Duhousset, nous
accuse une brachycépbalie certaine, d'autre part toute la popu-
lation du littoral de l'antique Ligurie soit en France, soit en Ita-
lie, est dolichocéphale. En sorte que je me déclare absolument
hors d'état d'affirmer si le Ligure vrai, était dolichocéphale ou
brachycéphale. Dans ces conditions, il serait assurément préma-
turé de vouloir remplacer un terme devenu précis par l'usage
parun autre nom qui n'offrirait pas de garanties plus grandes,
.le n'ignore pas pourtant que les très ingénieuses déductions
de M. d'Arbois de Jubainville sur l'aire de répartition dessuf-
fixes, tels que : asco, asca, usco, oscos, borm, ant, etc., etc.,
pour ne parler (pie des moins problématiques, viendraient
étayer cette attribution et la rendre même vraisemblable. Il y
a très certainement une concordance intéressante à retenir
entre l'aire des suffixes ligures et celle delà race brachycéphale
dite celtique par Broca. J'ajouterai mèmequ'un passage extrê-
mement peu connu d'Aristote, dont je regrette de ne plus re-
344 séance nr 16 mai 1895
trouver en ce moment la justification, montre que la terre
ligure débordait le champ historique où la localisaient les
historiens et les géographes latins, puisque cet auteur décrit
la perte du Rhône (à Coupy) d'une manière qui ne saurait
prêter au doute et localise ce phénomène chez les Ligures. Il
ne s'ensuit pas moins que la certitude n'est pas telle que nous
puissions admettre que l'ensemble de nos races brachycépha-
les ait constitué avant la venue des Celtes un état ligure ni,
qu'il ait porté jamais ce nom.
Nous revenons donc à notre point de départ. C'est-à-dire
qu'ignorant le nom vrai qu'ont jadis porté ces peuples, il nous
faut conserver provisoirement celui que leur avait donné
Broca, ou, s'il nous choque trop, faire commej'y ai été amené
dans les derniers travaux que j'ai consacrés à notre ethnogé-
nie nationale, et employer des périphrases anatomiques. Ce
n'est pas commode assurément, la phrase en est alourdie, j'en
conviens, mais je ne vois pas actuellement autre chose h faire.
La seule solution pratique sera, le jour ou une sépulture an-
cienne, préromaine et préceltique nous aura livré, je ne dis pas
des crânes brachycéphales, nous en avons à revendre, mais
des crânes brachycépbales nettement et absolument semblables à
ceux de nos Auvergnats, Bas-Bretons ou Savoyards modernes,
d'en faire une station type et de dire « Race de X" » comme
nous disons race de Cro-Magnon ou race d'Orrouy, voire même
race de Hallstadt, nom générique qui, adopté au Congrès de
Bruxelles de 1891 pour désigner, en sauvegardant toutes les
susceptibilités nationales, la race septentrionale dolichocéphale
et blonde, a permis de donner un nom uniforme aux Celtes,
aux Calâtes, aux Francks, aux Scandinaves, aux Germains
et a tous les peuples de même souche.
Je viens de dire qu'il faut distinguer entre brachycéphales,
et faire appel auxcaractères autres que l'indice céphalique pour
séparer les races. La chose semble si évidente que je puis avoir
l'air d'avoir voulu forcer une porte ouverte. Il en est rien
pourtant et la Société m'excusera d'ouvrir une parenthèse sur
ce point. Nombre d'auteurs, les uns en France, d'autres en
DISCUSSION SUR LES CELTES 343
Italie, en Russie, .etc., je ne saurais dire d'autres, mais tous,
en Allemagne, professent pour le chiffre de l'indice céphalique
un respect qui tient du fétichisme et que je ne parviens pas à
m'expliquer. Pour certains d'entre eux, l'étude d'une popula-
tion se résume en ceci. Tant de braehycéphales sur lOOettant
de dolichocéphales. C'est plus précis, disent-ils, qu'une
moyenne et à l'appui de cette opinion nous voyons revenir
des clichés démodés déjà en 1800. Plus précis, soit si la popu-
lation étudiée est le fruit du mélange de deux races seulement,
mais, si le champ d'action s'élargit, c'est le chaos. Je crois avoir
montré à la Société que le type basque est brachycéphale (83
environ) en moyenne. A ses cotés et pour proches voisins nous
trouvons : 1° des braehycéphales du type dit celtique (Ind.
moyenne 80); 2° des dolichocéphales bruns; 3° des dolichocé-
phales blonds. Donc, cote à cote, et naturellement plus ou
moins croisées et fondues les unes dans les autres, voilà quatre
races (sans parler des types rares) toutes parfaitement distinc-
tes et nettement caractérisées. Les moyennes cantonales d'in-
dice en ce cas sont forcément imprécises, mais l'étude des ca-
ractères secondaires, hauteur du crâne, de la face, du nez,
largeur delà face, etc., etc., permettent de débrouiller le mé-
lange. En revanche si, pour chaque canton, vous vous borniez
à opposer le pourcentage des braehycéphales à celui des doli-
chocéphales, vous n'obtiendriez plus qu'un trompe-Pœil, plein,
à première vue de précision, mais qui serait un non-sens eth-
nographique.
D'où cette conclusion qu'il est essentiel de délinir d'abord le^
races et de les étiqueter sous un nom historique, si la chose
est possible, conventionnel, si on n'en peut trouver d'autre,
mais précis et universellement admissible. Le mot Gelteappli-
qué a nos braehycéphales ne l'est pas, ne saurait pas l'être,
c'était et c'est encore un nom d'attente. Il est voué à disparaî-
tre lorsqu'on aura trouvé mieux.
Si nous nous élevons à un point de vue plus général, il res-
sort du débat actuel un fait sur lequel j'insiste depuis des
années, après bien d'autres du reste, mais avec un contingent
T. TI (4a SÉRIE). 23
iîii» séance nr 16 mai 1 «S . > ." V
d'observations personnelles suffisant pour me permettre de
documenter l'opinion que je soutiens, .le veux dire la persis-
tance des races primitives. Dans ses grandes lignes la popu-
lation française actuelle est restée ce qu'elle était au temps de
César et vraisemblablement ce qu'elle était bien des siècles
avant lui. Elle s'est appelée Celtique, puis Gaule, puis France,
du nom d'envahisseurs successifs. Les établissements fondés
par les nouveaux arrivants se sont parfois maintenus, tels
ceux des Basques au sud-ouest, ceux des Normands dans une
partie du pays qui porte leur nom, ou, pour rester au temps
des (iaulois, ceux des Lemovices qui forment encore un lot
blond aux environs de Limoges, etc., etc., mais le plus sou-
vent ils ont disparu. Le vaincu a dévoré le vainqueur, et le
type physique de ce dernier s'est évanoui. Le fait s'explique
très bien. Aristocratie batailleuse, la race des envahisseurs,
Celtes, Galates ou Francks s'est trouvée soumise aux deux
causes de destruction que ces mots comportent; aristocratie,
elle devait disparaître, comme après quelques générations c'est
le lot de toutes les classes privilégiées, quel que soit le nom
qu'elles portent dans l'histoire, Spartiates, soldats d'Alexan-
dre, sénat de Roms, familles royales modernes ou même plus
modestement, comme nous rapprend de Candolle, bourgeois
de Btii.' : soldats, ils subissaient durement les lois de la
guerre; qu'on se souvienne en Gaule des massacres opérés
par César après ses victoires surles Nerviensdanssa2e campa-
gne, sur les Vénètes, dans la 3% surles Aduatuques et les Ebu-
rons dans la 6e, plus tard des croisades, de la guerre décent
ans, des innombrables guerres locales qui ensanglantèrent le
moyen-âge en frappant proportionnellement et eu égard à
leur petit nombre, davantage les chefs que les soldats et on
aura la clé de ces permanences ; les classes dominatrices ont
diparu se poussant l'une contre l'autre comme les flots succes-
sifs sur le rivage, le peuple est resté.
G. de Mortillet. — Les communications de nos deux col-
lègues sont des plus remarquables et pourtant ils ne peuvent
discussion <i;n i.f.s celths 347
et n.e pourront pas parvenir à s'entendre, parce que chacun
d'eux s'est cantonné dans un terrain différent.
M. Lefèvre, avec une érudition profonde, une extrême
finesse d'appréciation et une méthode chronologique des
plus exactes, nous fait connaître l'opinion des auteurs an-
ciens sur les Celtes, les Galates et les Gaulois.
M. Collignon, grâce a ses importantes recherches, hasées
sur les travaux des conseils de révision, nous a parfaitement
exposé les caractères des Celtes et des Gaulois des anthropo-
logues actuels. Mais y a-t-il des rapports entre les Celtes et
les Gaulois des anthropologues et ceux des auteurs anciens?
Je ne le crois pas.
Ce sont les anciens auteurs qui ont mis en circulation les
mots celtes et gaulois. 11 est donc très important de bien con-
naître et de bien établir ce qu'ils entendaient par ces mots.
C'est ce que M. Lefèvre a fait de main de maître. Ces termes
sont tout d'abord des désignations vagues appliquées à des
populations inconnues tout à fait, équivalents au nom d'In-
diens donnés aux habitants de l'Amérique, au moment de la
découverte de ce vaste continent. Peu à peu, le sens des deux
mots se restreint, mais il varie suivant la date et l'opinion
des divers auteurs, plus ou moins bien informés. Enfin, il se
resserre, il se condense. Entre les mains de César, la Gaule
est un grand tout qui embrasse la France actuelle, la Suisse
et la Belgique; la Celtique n'est qu'une portion, un tiers de la
Gaule, donc les Celtes sont des Gaulois. Cela est si vrai que
la guerre des Gaules finit par la défaite de Vercingétorix,
chef des Arvernes, populations du centre de la Celtique!
Il est donc parfaitement inutile de chercher de l'anthropo-
logie dans les auteurs anciens. Ces auteurs n'en ont point
fait. Us s'en tenaient à la géographie politique, tout comme
de nos jours quand on dit, à quelques années de distance,
l'Alsace et la Lorraine sont Françaises ou bien sont Alleman-
des. Tout comme quand on considère la Savoie et Nice,
comme italiennes, quand elles appartiennent à l'Italie et fran-
çaises quand elles appartiennent à la France. Ces modifica-
348 SÉANCE DU 10 MAI 1895
tions, très importantes au point de vue historique, n'ont
qu'une faible influence au point de vue anthropologique.
Elles n'amènent habituellement qu'une introduction de quel-
ques éléments ethniques nouveaux, quj se fondent et se per-
dent bientôt dans l'ensemble de la population sans action
bien sensible.
Si M. Lefèvre reste en plein dans l'histoire, M. Collignon
me parait se cantonner d'une manière tout aussi exclusive
dans l'anthropologie. Les anthropologues qui ont étudié les
anciens types humains de la France, les ont divisés en deux
groupes, les grands blonds aux yeux bleus et les petits bruns
aux yeux foncés. Les auteurs ayant souvent dit que les
hommes du nord, parmi lesquels les habitants de la Gaule,
étaient grands, blonds et avaient les yeux bleus, on a donné
sans hésiter le nom de Gaulois au premier groupe. Il fallait
baptiser le second : on l'a qualifié de Celte. Sur ce, l'accord
s'est fait entre les anthropologues. Leur type gaulois et leur
type celtique sont bien connus. Quand ils en parlent, on sait
très bien ce qu'ils veulent dire. Cela peut-être suffisant pour
l'étude, mais est-ce exact? Certainement, non au point de vue
de l'histoire. M. Collignon a fait une fort intéressante com-
munication sur les deux types et leur distribution en France,
mais cette communication a-t-elle quelque rapport avec celle
de .M. Lefèvre? Je ne le crois pas. Nos deux collègues se sont
bien servis l'un et l'autre t\t^ mêmes noms, mais dans la
bouche de chacun deux, ces noms avaient un sens, une por-
tée, une valeur différente. C'est un exemple des inconvé-
nients qu'il y a de donner un nom historique à une race
basée sur des documents actuels.
En outre, la dualité de Celtes et de Gaulois, pour ce qui
concerne la population de la France — comme du reste pour
toutes les autres populations — n'est-elle pas trop absolue.
Entre les brachycéphales et les dolichocéphales, il y a des
nuances, des gradations diverses. Il en est de même pour ce
qui concerne la taille petite et grande. Pourquoi se borner à
grouper ensemble, les caractères extrêmes. Entre les petits
DISCUSSION SUH LES CELTES 349
brachycéphaleset les grands dolichocéphales, il y a en France
une grande majorité d'intermédiaires. Cette majorité ne doit
pas être composée uniquement de métis. Il y a certainement
plusieurs races. Il ne faut donc pas se borner à ne voir que
des Celtes et des Gaulois. Il faut, par une étude approfondie
et minutieuse, reconnaître et définir les diverses races. C'est
pour arriver à ce résultat, que les recherches historiques de
M. Lefèvre, linguistiques de M. d'Arbois de Jubainville, an-
thropologiques de M. Collignon, sont des plus utiles. Joignons
encore les travaux palethnologiques. Ce n'est qu'en combi-
nant toutes ces recherches, toutes ces études, tous ces efforts
et en faisant appel à toutes les sciences, que nous arriverons
à posséder des données sérieuses sur la population de la
France.
M. Zaborowski. — J'avais demandé la parole pour appuyer
encore les observations présentées par M. G. de Mortillet. Car
si on ne se tient pas aux distinctions qu'il a rappelées, on
s'exposera assurément à des confusions inextricables. Les
anthropologistes ont bien le droit d'emprunter à l'histoire les
noms dont ils ont besoin. Pour la Gaule où se trouvaient deux
éléments ethniques principaux, ils disposaient de deux noms
historiques. Et ce n'est assurément pas celui de Galates ou de
Gaulois qu'ils pouvaient appliquer à l'élément petit et brun.
Je me souviens très bien que Henri Martin, par exemple, a
toujours soutenu que les véritables introducteurs du nom et
des idiomes celtes étaient les grands blonds. Et, si je ne me
trompe, on n'a pas pu démontrer qu'il avait complètement
tort, bien que d'autres aient toujours vu dans les petits bruns
le premier élément aryen (par la langue) de l'Europe occiden-
tale. Mais je me souviens aussi très bien que Broca a claire-
ment expliqué qu'il appelait Celtes, les habitants de la Celti-
que de César . Et M. André Lefèvre vient précisément de rap-
peler avec beaucoup d'à-propos et de justesse, ce qui s'est
passé dans la Celtique.
Les grands blonds y formèrent une petite aristocratie et
Unirent par en disparaître ou à peu près. Les indigènes étaient
350 SÉANCE DU 16 MAI 1895
ces petits à cheveux foncés. Ils formaient la plèbe et aussi le
nombre. Ils n'étaient pas guerriers, et c'est pourquoi les an-
ciens les ont presque ignorés, comme cela a été dit, en appli-
quant peut-être, en effet, au peuple où ils étaient en majorité
le nom de leurs dominateurs. Mais, attachés au sol qu'ils cul-
tivaient, ils ont, pour ce motif même, survécu à leurs domi-
nateurs. Ce caractère moral se retrouve chez les autres peu-
ples de même race. Et nous sommes tellement habitués à
reconnaître leur physionomie, sous le nom de Celtes, consa-
cré, d'ailleurs, par des travaux considérables qui, en admet-
tant que ce nom ait des inconvénients, ne pourrait plus être
changé. 11 ost de même évident que le nom de France ne sera
jamais changé, et que. cependant, personne aujourd'hui ne se
représente les habitants de la France, et encore moins, le
français typique, sous les traits des Francs de l'histoire.
Four ce qui est des Ligures, l'histoire ne nous en dit pas
graad'ehose. Mais sans prétendre contrarier en rien ses
recherches particulières, à elle qui s'occupe de l'évolution
politique des peuples, alors que nous nous préoccupons des
caractères et du rôle de leurs éléments ethniques, nous avons
donné le nom de Ligure à un certain type crânien. Et je ne
connais pas de nom qui lui convienne mieux, car ce type est
bien celui qui a dominé en Ligurie, chez le peuple Ligure.
Cependant, nous le retrouvons en Italie, à une époque très
reculée, bien antérieure à la venue du peuple Ligure de l'his-
toire. Nous le retrouvons, même en Espagne, à une époque
peut-être encore plus reculée. Comment a-t-il pénétré jusque
là? Je l'ignore. Mais, il va sans dire qu'en constatant la pré-
sence ancienne de cet élément ethnique, nous ne prétendons
nullement qu'aux mêmes époques et partout où on le retrouve,
le peuple ligure s'est promené triomphalement, assurant {(ai-
des conquêtes, son existence, ou sa domination politique.
Le Colonel Duhousset. — Ayantbeaucoup voyagé, je sais que
le document anthropologique aussi consciencieux qu'il soit,
doit, pour atteindre un résultat utile, être corroboré par de
nombreuses constatation? du même genre et m'est avis, que
GLOTZ. - - LLS ANIMAUX INCLUS DANS l/AMBltE 351
dans le principe, on s'est un peu trop pressé d'établir des
moyennes, je suis donc de l'opinion du D1' Gollignon rappelant
cette vérité de ne pas conclure, à la légère, avec un bagage res-
treint d'expériences; il le sait, mieux, que personne, puisque
nous lui sommes redevables d'études sérieuses appuyées de
nombreuses constatations comparatives, suivies sur les popu-
lations de la France.
Etant d'accord avec le docteur, je viens dire deux mots à
propos de la citation qu'il évoque d'une étude céphalométri-
que (relatée dans les mémoires de la Société), faite, il y a
vingt-sept ans, sur les Ligures, dans les environs du col de
Tende. M. le D-* Gillebert d'Hercourt et moi, qui avons fait en-
semble ce petit voyage, nous ne sommes allés dans ce pays
d'une grande rusticité, que parce que l'endroit nous avait été
signalé comme renfermant les types les moins mélangés des
sujets dits Ligures, qu'on sait encore bien reconnaître dans
les populations travailleuses de Monaco, Nice et Menton et,
ni mon compagnon, ni moi, n'espérions par la modeste obser-
vation que nous communiquions à la Société, en 1868, faire
autre chose que d'apporter un document sérieusement établi
comme petite contribution confirmant la ténacité de ces mon-
tagnards à habiter de si rudes contrées, avec l'apparence
d'un type dont la persistance les distingue des autres.
L.e«* animaux inclus dans l'ambre et la littérature ancienne.
Par M. Glotz,
Professeur d'histoire au Lycée Michclol.
Un sait qu'on rencontre très fréquemment dans l'ambre des
insectes, des vers et même de petits reptiles qui ont été enve-
loppés par t'ambre liquide alors qu'il coulait de l'écorce du
pinites succinifer tertiaire. Los anciens connaissaient bien ces
particularités de l'ambre, mais Grecs et Romains ne s'en sont
pas également occupés.
352 SÉANCE DU 16 MAI 1805
C'est dans un ouvrage d'Aristote qu'on trouve, à ma connais-
sance, la première mention faite par l'antiquité classique
d'animaux contenus dans le succin *. Mais les écrivains grecs
ne semblent pas s'être fort préoccupés de ce phénomène :
depuis Thaïes - et Théophraste jusqu'aux derniers de ces
faiseurs d'hypothèses qu'énumère l'infatigable et fatigante
érudition de Pline '', tous ils préféraient aux observations
précises sur des accidents les conceptions théoriques sur la
formation et les propriétés de l'fliwrpw. Les auteurs latins, au
contraire, qui ne se piquent pas d'originalité scientifique,
aiment les détails curieux et cherchent volontiers la petite
bète dans l'ambre. Quand Pline résume les connaissances de
son époque sur l'origine de cette matière, il ne manque pas
dédire : « Il est d'abord distillé à l'état liquide : c'est ce que
prouvent certains objets visibles dans les couches intérieures,
tels que fourmis, moucherons, lézards : évidemment ces objets
ont été pris dans la résine liquide et y sont restés enfermés
quand elle s'est durcie b ». Dans un passage de la Germanie,
où Tacite semble avoir eu sous les yeux l'ouvrage de Pline ou
du moins une source commune, on lit : « Terrena qumdam atque
etiam volucria animalia plerumque interlucent i;. » Toujours pour
prouver que le succin est une résine solidifiée, Saint-Ambroise
i ÀRI8TOTE, Meteorol, IV. 10, 10 (éd. DiJot, t. III, p. 023). L'ambre,
dit-il, paraît de la même famille que la gomme; « car il se coagule,
et de \k vient qu'on y voit souvent des animaux qui s'y sont trouves
ensevelis. » (Trad. Barthélémy Sl-Hilaire). Cf. De mirab.il. auscult.
LXXXI, 82.
'- DlOGÉNE Laerce, I, 24.
3 Théophraste, Lap. 28-20.
i Pline, Hist. nal. XXXVII, 2-3 (11-12), 30-53.
■>Id.ibid. 4G. Pline connaît aus^i l'existence de morceaux d'ambre
brut auxquels adhère de fécorce fossile de pin. Il cile à ce propos
l'autorité du roi de Gappadoce Archelaos; nous citerons les planches
de l'ouvrage intitulé Die Flora des Bernsleins und ihre Beziehunycn
zur Flora der Ter tiâr formation und der Gegenioarl (t. 1, par H. R.
Geoppert et A. Menge, Dantzig, 1883: t. U,parH. Conwenlz, 1880).
8 Tacite, Germanie, 45.
GLOTZ. — LLS ANIMAUX INCLUS DANS l'AMBRE 353
raconte qu'on y trouve souvent « des feuilles et de très menus
bouts de bois, ou des animaux appartenant aux petites
espèces 1. » Enfin, s'il est permis de rapprocher Martial de
Saint-Ambroise, ou doit remarquer les trois épigram mes sui-
vantes :
1" « Cachée et luisante au fond d'une larme versée par une
sœur de Phaéthon, elle semble, cette abeille, enfermée dans
son propre nectar. Elle a obtenu le digne prix de si grands
labeurs : c'est à croire qu'elle s'est choisi cette mort » 2.
2° « Près des rameaux larmoyants des Iléliades rampait une
vipère, quand une goutte d'ambre coula juste sur la bète.
Tandis qu'elle s'étonnait d'être prise dans la gluante rosée,
elle se raidit emprisonnée soudain dans cette glace durcie. Ne
sois pas si vaine, Cléopàtre, de ton royal sépulcre, puisqu'une
vipère gît dans une plus noble tombe » 3.
3° « Tandis que dans l'ombre que font les sœurs de Phaéthon
errait une fourmi, une goutte d'ambre enveloppa la bestiole.
Ainsi, après avoir été dédaignée sa vie durant, la voilà par sa
mort devenue chose précieuse » f.
Le témoignage de Martial n'est pas indifférent : ces trois
épigrammes sont évidemment de la même catégorie que celles
où sunt décrites des œuvres d'art. Les pièces d'ambre historiées
étaient fort prisées à Rome. Les riches patriciens les mettaient
en bonne place dans leurs collections artistiques. Un les avait
montrées avec orgueil à Martial, et ce marchand de distiques
alambiqués avait aiguisé ses traits d'esprit sur commande.
Rien de pareil chez les Grecs. L'Anthologie fourmille d'épi-
grammes composées à la louange de tel bronze fameux, de
telle statue au goût du jour : elle en contient, par exemple,
une série interminable sur la célèbre Vache de Myron. Je n'y
vois pas, pour moi, un seul vers consacré à une pièce d'ambre.
Cette différence entre la Grèce et Rome est de tous les temps
i Saint Ambroise, 1. II, Hexameron, 15.
2 Martial, IV, 32.
3 ld., ibid., 5 p.
4 ld. VI, 15.
354 SÉANCE DU 16 MAI 1895
et se retrouve pour tous les usages «le l'ambre. Les Hellènes
n'y ont jamais tenu; les Italiens l'ont toujours recherché. Les
fouilles de Tirynthe 1 et de Troie2 n'ont pas révélé trace d'ambre.
Un en a trouvé sous forme de perles à Mycènes3 et àMénidi4.
Homère explique l'emploi de ces perles : on voit clans l'Odyssée
un marchand phénicien étaler aux yeux des femmes grecques
un collier formé de grains d'ambre que réunit un fil d'or 5.
A l'époque classique, les Grecs dédaignent l'ambre même pour
cet usage déjà si restreint G. Comme on l'a dit7, « en absorbant
la lumière au lieu de la réfléchir, l'ambre émousse la netteté
du contour » : il ne pouvait convenir à ce peuple d'artistes-
nés, amoureux de lumière et de formes franches. Voyez, par
contre, les nations de l'Italie. Dès les temps les plus lointains
et pendant très longtemps, on y eut la passion des colliers
et de tous les ornements en ambre, et déjà l'on taillait des
figurines dans les plus gros morceaux : c'est ce qu'établissent
les découvertes faites dans les tombes de l'Étrurie et de la
vallée du Pô, du Latiuni et delà Gampanie, de la Lucanie et
de l'Apulie 8. Si cette vogue de l'ambre tomba quelque temps,
c'est qu'alors on était tout aux idées grecques en matière d'es-
thétique. Dès que Rome s'émancipa de cette discipline, le
naturel revint au galop, et l'ambre fut remis à la mode. Ce
fut une fureur. Les femmes l'estimèrent autant que la perle0;
elles en recherchèrent la nuance pour leurs cheveux 10. On en
i Perrot et Chipiez. Hisl. de l'art, VI, 5G0.
2 Ibid. 947.
3 Schliemann, Mycèms, trad. franc, p. 282-283, 326-327.
i Das Kuppelgrab vonMenidi, p. 22, 37.
s Homère, Od , XV, 460. Cf. XVIII, 295-296.
'• Voir A. Jacob, art. Electrum, dans le Dict. des Antiquités de
M. Saglio.
t Perrot, l. c, 947.
s Voir l'article cité du Dict. des Antiquités.
'•' Pline. I. c, 30.
10 PLINE, l. c., 49.
GLOTZ. — LLS ANIMAUX INCLUS DANS l'aMBRE 355
fit toutes sortes de bijoux '. On y sculpta des coupes - et des
statuettes 3 qui atteignirent des prix exorbitants. Sous Néron,
un entrepreneur des jeux envoya en Germanie un chevalier
qui ramassa l'ambre sur tous les marchés et en rapporta une
telle provision qu'on en fabriqua pour un jour l'attirail complet
du cirque4. Il faut voir avec quelle indignation Pline déclame
contre un tel engoûment :i. Il n'est pas étonnant que les ama-
teurs romains aient aussi placé sur les rayons de leurs armoires
des morceaux d'ambre taillés régulièrement et illustrés d'un
insecte ou d'un reptile.
i Voir \V. IIelbig, Observazioni sopra il commercio de -ambra, dans
les MU deïï Arnd. dei Licci, 1876-1877, p. 422; F. WalAnann, Der
Bernstein in Alterlhum, p. 48.
2 Juvénal, V, 37; Bullet. deïï Inst., 1842, p. 41; Ch. de Linas,
Les origines de l'orfèvrerie cloisonnée, p. 147.
3 Pacsan, V, 12, 7; Pline, l. c ; Chabouillet, Calai gênerai des
camées et pierres gravées de la Bibl. Nat. n° 3489, 3505.
'* Pline, /. c, 45.
s Pline, l. c, 30,49. La médecine, qui ne résiste pas toujours
aux entraînements de la mode, s'en mêla. De tout temps, les enfants
porlaientdesamulettesd'ambre(id., /.c.,51; W IIelbig, op. cit., p.
428) ; les paysancs transpadanes croj-aientque leurs colliers d'ambre
les garantissaient contre les affections de la gorge provoquées par
la consommation des eaux alpestres (Pline, /. c , 44). Les hommes
de l'art préconisèrent l'ambre pour la folie et la dysurie ; ils le pres-
crivirent sous forme d'amulette contre les fièvres, en pommade
contre les maux d'oreilles et les maladies de la vue, en poudre ou
en solution contre les maux d'estomac (id., /. c, 51), enfin en
pastilles pour tous les cas imaginables (Oribase, éd. Daremberg et
Bussemaker, p. 131, 872). Je ne sais si l'on a remarqué cette pres-
cription, qui est bien une des plus étranges aberrations où soit
jamais tombé l'empirisme des charlatans et des sorciers : « Laccr-
tam viridem excœcatam acu cuprea in vas vitreum mittes cum
annnlis aurcis, argenteis, ftrreis cl electrinis, si fuerint, aut etiam
cupreis; deinde vas gypsabis aut claudes diligenter atque signabis,
cl post quin'um vcl scptimum diem apcries; lacertam sanis lumi-
nibus inverties, quant vivant dimitles; annulis contra lippitudinem
ita uteris, ut non solum digito gestenlar, sed etiam oculis crebrins
appliccntur, ita ut per foramen annuli visus transmittatur. Obser-
oandum sanc imprimis, ut inloco nitido atque herbido deponatur
356 SÉANCE DU 16 MAI 1895
Notre goût artistique serait plutôt d'accord sur ce point
avec celui des Grecs qu'avec celui des Romains. Mais
si des pièces de ce genre venaient peupler les vitrines des
musées ou étaient publiées systématiquement, la science y
trouverait son compte. On a étudié avec le plus grand soin les
végétaux contenus dans l'ambre : les sociétés d'histoire natu-
relle ou d'archéologie qui fonctionnent dans les pays d'où
l'ambre est originaire, surtout dans le Sammland, ont une
prédilection pour ces travaux. 11 faudrait passer résolument
de la botanique à la zoologie de l'ambre. La tentative ne serait
pas absolument nouvelle i: mais il s'agirait de multiplier les
recherches dans cette voie, et peut-être qu'un jour on consti-
tuera une entomologie de l'ambre. Les victimes du pinites
succinifer seront pour les naturalistes des pièces admirable-
ment préparées. On peut en croire André Ghénier, qui dit,
en parlant de la Mer Baltique :
Là les arts vont cueillir celte merveille utile,
Tombe odorante où vit l'insecte volatile :
Dans cet or diaphane il est lui-même encor;
On dirait qu'il respire et va prendre l'essor.
ampulla, et, <juum lacerta discessit, tum annuli colligantur ; obser-
vandum etiam, ut luna vetere, id eu a luna nona décima in vice-
simam quintam, dis Jovis spptembri même capiatur lacerta atque
ita remedium fiât, sed ab hominc puro atque casto. » (Marcellus,
Demedicamentis, VIII, 49 50; cf. XXVI, 17).
i A. Menue, Lebenszeichen voriveltlicher, im Bernstein einge-
schlossener Thiere, Progr. der Petrischule in Dautzig, 1856: Ein
Scorpion und zwei Spinnen im Bernstein, dansles Schrift. d. Natur-
forschenden (lesellsch. in Danfzig, t II, 1869. Voir aussi, sur les
planches de l'ouvrage cité de Goeppert-Menge et Conwenlz un mou-
cheron avec un graminophylliun succineum Conio. (t. II, pi.
I, n° 23), une larve (t. I, pi. I, n° 5), des traces d'insectes et de vers
(id., 13 c; 18, a, b, c).
L. MANOUVRIER. — LE T SINC1PITAL 357
Le T sineipital. -Curieuse mutilation crânienne néolithique.
M. Manouvrier. - Dans une précédente communication que
j'ai faite avec M. Perrier du Carne sur le dolmen d'Epone (près
Mantes, Seine-et-Oise), il. a été question d'une curieuse cica-
trice en forme de T trouvée sur des crânes provenant de cette
sépulture néolithique.
Cette cicatrice en T résulte évidemment de lésions subies
pendant la vie par le cuir chevelu et ayant intéressé direc-
tement ou indirectement les os sous-jacents.
Elle occupe toujours la région du vertex ou sirwiput et pré-
sente toujours la même forme. Sa branche antéro-postérieure
commence toujours un peu au-dessus de la courbure antérieure
le l'os frontal. Elle suit ensuite la suture sagittale et se termine
au voisinage du Fobélion où elle rencontre la branche trans-
versale du T- Celle-ci descend de chaque côté, symétriquement
et perpendiculairement à la branche antéro-postérieure, jusque
derrière la bosse pariétale.
Surles 12 crânes extraits du dolmen d'Epone, trois présen-
taient la cicatrice en T et tous trois étaient féminins, Sixautres
crânes féminins ne la présentaient pas.
Avant de tenter une interprétation de cette mutilation, non
moins curieuse que les trépanations néolithiques, j'ai voulu
essayer d'étendre un peu mon information. Pour cela j'ai cher-
ché dans les collections du musée Broca, dans l'espoirdetrou-
ver d'autres crânes présentant la cicatrice en question, car elle
aurait fort bien pu échapper aux observateurs ou être consi-
dérée comme le résultat d'un simple accident dépourvu d'in-
térèt .
Effectivement, j'ai trouvé trois autres crânes pourvus de la
cicatrice en T qui offre, sur eux, exactement la même grandeur
et la même disposition que sur les crânes d'Epone. Ces trois
nouveaux crânes sontencore manifestement féminins, de sorte
que l'on ne peut plus guère douter de l'exclusivité de la mu-
tilation au sexe féminin.
.158 SiANCEDU 1 * i MAI 1895
L'un de ces crânes provient du dolmen de Vauréal (Seine-
et-Oise); c'est celui d'une jeune tille de 13 ou 14 ans environ.
Le second provient du dolmen de Conflans-Ste-Honorine
(Seine-et-Oise). C'est le crâne d'une femme adulte.
Le troisième provient du dolmen de Feigneux (Seine-et-Oise)
C'est un crâne de femme paraissant assez âgée, d'après la
soudure du quart inférieur de la suture coronale et d'après
l'aspect de la surface des us.
Les trois dolmens cités ci-dessus sont peu distantsdu dolmen
d'Epône et aucun des autres dolmens représentés dans les
collections du .Musée Broca n'a fourni de crânes possédant la
cicatrice en T- Il semblerait donc, jusqu'à plus ample informé,
que la mutilation d'où résulte cette cicatrice était produite dans
une population néolithique habitant un pays assez limité, aux
environs de Mantes, au nord-ouest de Paris.
Sur le crâne de la jeune fille de Vauréal, la cicatrice est très
peu profonde. Les deux brandies du J sout interrompues par
places. Sur le crâne de la vieille femme de Feigneux, au
contraire, la cicatrice présente le maximum de largeur et de
profondeur. Seule la portion gauche de la branche transver-
sale est interrompue sur un espace d'un centimètre.
Sur le reste de cette branche, le diploé a été mis à nu par
la blessure ou parla suppuration. La branche antéro-posté-
rieure du J, sur ce crâne, atteint, le long de la suture sagittale,
une largeur maximum de 27 millimètres et une profondeur
maximum de 3 millimètres.
11 est remarquable que, sur tous les crânes, la cicatrice en y est
interrompue par places. Ce fait montre que la blessure faite
au cuir chevelu n'a pas consisté en une incision ininterrompue.
Il y a eu une série d'incisions on de plaies quelconques
laissant en place le cuir chevelu qui , sans cela, eût pu subir
un décollement très étendu.
Un autre fait à noter, c'est que les extrémités de chaque
branche du J sont toujours très bien marquées aux mêmes
places, de telle sorte que si l'une des branches se trouve inter-
rompue par un ou plusieurs intervalles sains, ou est sûr de
L. MANODVRIER. — LE T SINCIPITAL :{"><>
trouver néammoLns l'extrémité de la branche parfaitement
marquée à l'endroit habituel, et alors, parfois, sous la forme
d'un point plus ou moins bien circonscrit.
Ce fait semble indiquer que la mutilation subie par les crânes
était pratiquée suivant un rite bien arrêté et fidèlement
observé.
Il parait probable que cette mutilation, toujours de même
forme et de même grandeur, était pratiquée intentionnel-
lement sur certaines femmes. Sa disposition en f indiquerait,
en outre, quelque usage religieux, à cause delà valeur hiéra-
tique attribuée au T-
Cependant, les choses pourraient s'être passées beaucoup
plus simplement. Ce qui permet de le supposer, c'est que la
mutilation semble avoir été pratiquée sur les deux raies de la
chevelure qui se produisent le plus naturellement : 1° la raie
médiane qui résulte de la répartition bilatérale de la chevelure
quand celle-ci est écartée pour laisser le visage découvert,
2° la raie transversale qui résulte de la direction naturelle de
la portion postérieure de la chevelure à partir du tourbillon
des cheveux précisément situé vers Pobélion.
Ces deux raies forment un T d'autant mieux dessiné que les
cheveux se font plus rares, de sorte que la mutilation, produite
volontairement au non, n'a eu qu'à suivre les raies en question
pour figurer le T que nous voyons.
11 est vrai que le T naturellement formé par les deux raies
de la chevelure a pu être lui-même le prototype du T hiératique.
Quant à l'interprétation de la cicatrice trouvée sur nos
crânes néolithiques, elle peut être cherchée dans des usages
hypothétiques se rattachant à la religion, à la guerre, à la
justice pénale, au deuil, à la thérapeutique, a la coiffure, etc.
Je réserverai pour le prochain congrès de l'Association fran-
çaise, à Bordeaux, ce chapitre conjectural et difficile. D'ici là,
peut-être de nouveaux documents seront-ils découverts.
En tout cas, il me parait utile derépandre le plus 'possible,
parmi les archéologues et les palethnologues, la connaissance
de la cicatrice en T. EU'1 contribuera, comme haute curiosité,
360 SÉANCE DU 27 MAI 1895
à attirer sur les crânes préhistoriques l'attention des fouilleurs
trop indifférents, pour la plupart, aux squelettes des hommes
qui ont taillé les silex tant recherchés ou qui s'en sont servi.
Peut-être aussi pourra-t-elle servir, si on la rencontre dans
des stations plus ou moins lointaines, ii établir l'existence de
relations entre diverses populations de l'époque de la pierre.
Une coutume aussi particulière, quelle que soit sa significa-
tion propre, indiquerait, évidemment, des relations ethniques
avec plus de sûreté que des objets d'un usage courant chez
tous les peuples et présentant partout des formes nécessaires
dont les variations limitées ont dû se répéter bien des fois
indépendamment de toute relation ou parenté entre les divers
peuples.
En raison de l'incertitude existante au sujetde la nature de
la lésion qui a produit sur le crâne la marque dont il s'agit et
au sujet «le sa cause, je crois convenable de dénommer cette
marque exclusivement d'après sa forme et son siège, (l'est
pourquoi je lui donne le nom de Tsineipital.
L'un des secrétaires : D1 P. Raymond.
G2Ô8 SEANCE. — 27 Mai 1893.
TREIZIÈME CONFÉRENCE ANNUELLE TRANSFORMISTE
Les expressions «le la physionomie; leurs origines
anatomiques.
Par M. Edouard Guyer.
Mesdames, Messieurs,
La conférence transformiste a été instituée dans le but d'en-
tendre exposer chaque année, par un membre de la Socirti'
d' Anthropologie, un chapitre de nus études au point de vue de
la doctrine de l'évolution.
Il va sans dire que, vu l'esprit large de notre Société, il n'a
ED. (TïER. — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE 301
jamais été question de faire, d'un pareil exposé, uniquement
un plaidoyer en faveur du transformisme, mais encore, le cas
échéant, d'examiner les objections qu'on lui peut faire.
( Jependant, je dois vous le dire tout d'abord, il se trouve que
le sujet que nous avons choisi cette année, les expressions de
la physionomie, plaide d'une façon absolue en faveur du trans-
formisme ; c'est pourquoi je crois devoir en commençant vous
rappeler ce qu'est cette doctrine. Cela aura pour avantage de
nous placer bien nettement au pointde vue qui doit nous gui-
der.
Nous rappellerons donc que la doctrine transformiste, rem-
plaçant la théorie des créations indépendantes, nous enseigne
que l'homme et les autres animaux émanent d'espèces infé-
rieures qui, dans la suite des temps, sous l'influence du milieu,
se sont transformées, modifiées, jusqu'à acquérir des caractè-
res que nous leur connaissons.
Loin d'être un roman scientifique, comme on l'a dit quel-
quefois, cette doctrine repose sur des bases dont la raison peut
se satisfaire. L'embryologie, l'anatomie, nous donnent des preu-
ves de l'excellence de cette doctrine.
L'embryologie, par le développement de l'homme qui, au
début de son existence, passe, dans un temps relativement
court, par toutes les phases à chacune desquelles se sont ar-
rêtés ses différents ancêtres, pendant les époques qui précè-
dent celle à laquelle nous somme arrivés. Pour se convaincre
de l'existence de ces transitions, il suffit de comparer des
embryons humains, à des stades différents de leur dévelop-
pement, avec l'embryon d'un reptile, d'un oiseau et d'un
mammifère quelconque. La ressemblance, qui est frappante, ne
saurait être expliquée par la théorie des créations indépen-
dantes; elle est assurément mieux appréciée par la doctrine
transformiste.
L'anatomie, par les organes anormaux ou rudimentaires
dont la présence ne peut être expliquée que par le fait qu'à
un moment donné ces organes avaient leurtitilité. Par exem-
ple : l'appendice du caecum, vestige d'un diverticule du
t. vi (4° série). 24
c02 SÉANCE DU 27 MAI 1895
O
même genre très développé chez les herbivores: les muscles
auriculaires, très développés chez les animaux. dont le pavillon
de l'oreille est mobile; le muscle pyramidal de l'abdomen,
vestige d'un muscle ayant sa raison d'être chez les marsu-
piaux ; le repli semi-lunaire de la conjonctive, débris d'une
troisième paupière qui existe chez les oiseaux, etc.
Malgré que nos connaissances aient des limites que nous ne
franchirons probablement jamais, tout ce qui peut éclairer
notre origine est intéressant ; c'est pourquoi, non seulement
dans ses travaux de chaque jour, mais encore dans cette con-
férence annuelle qu'elle a fondée depuis treize ans déjà, la
Société d'Anthropologie s'occupe des questions relatives à ce
sujet : c'est pourquoi aussi mes prédécesseurs dans cette con-
férence ont traité des questions détachées du grand ensem-
ble de la théorie transformiste.
Nous avons choisi les expressions de la physionomie parce
que, nous tenons à le répéter, elles nous fourniront aussi des
preuves de la parenté de l'homme avec les autres animaux.
Nous le constaterons bientôt en étudiant non seulement leur
mécanisme, mais encore et surtout leur signification.
En toute sincérité, celte parenté n'a rien qui puisse nous of-
fenser ; pourquoi rougirions-nous de notre modeste origine,
quand au contraire nous devrions nous en enorgueillir ; n'est-il
pas préférable de s'être élevé au-dessus de sa condition primi-
tive que d'être resté stationnaire ou peut-être d'avoir descendu.
Du reste, pour rassurer toutes les consciences, nous tenons
à faire remarquer que, à notre avis, la théorie transformiste n'a
en elle-même rien qui puisse blesser aucun sentiment, même
religieux ; elle est simplement plus scientifique que d'autres
théories. Ceux qui s'en sont faits les adversaires ne se disent
pas assez qu'en n'admettant pas cette doctrine ils sont peu
respectueux de la volonté créatrice, car ils jugent alors celle-ci
comme n'ayant pas eu un plan d'ensemble bien déterminé dans
l'œuvre qu'ils lui font gloire d'avoir accomplie.
Parmi les auteurs qui se sont occupés des expressions de
la physionomie, il en est deux qui méritent, chacun pour une
ED. CUYER. — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE 3fi3
part égale, mais pour des motifs différents, d'être étudiés d'une
façon plus particulière, ce sont : Duchenne (de Boulogne) et
Darwin.
Duchenne s'occupa du mécanisme des expressions, il recher-
cha par quelles modifications de forme celles-ci se traduisent.
Darwin s'occupa de trouver la raison d'être de ces modifications.
Le premier fit connaître le « comment » des expressions, le se-
cond en détermina le « pourquoi ». Développons cesdeux façons
de voir et occupons-nous d'abord de Duchenne (de Boulogne).
Les muscles de la face (fig. 1) sont des muscles peaussiers,
à l'exception, bien entendu, des muscles masticateurs. Insérés
par l'une de leurs extrémités à une surface osseuse, ils s'atta-
chent par l'autre extrémité à la face profonde de la peau ; ils tra-
duisent leur contraction par des déplacements de cette dernière,
déterminant ainsi des plis, changeant la direction de certaines
rides ou des parties mobiles de la face : paupières, sourcils,
ailes du nez, lèvres, commissures labiales. De ces modifications
résultent les expressions delà physionomie.
Pour obtenir d'une façon expérimentale la contraction de
chacun de ces muscles, Duchenne employa l'électricité.
Mais l'électrisation des muscles de la face, à cause de la sen-
sibilité de la peau qui les recouvre, ne peut être obtenue sans
déterminer de la douleur et, par conséquent, une contraction
complexe qui n'est pas toujours, bien entendu, celle que l'on
désire étudier.
Duchenne a pu éviter cet inconvénient en expérimentant
sur un sujet atteint d'anesthésie de la face, c'est-à-dire dont
la peau du visage était insensible.
Les excitateurs étant alors placés sur des points déterminés,
la peau se laissait traverser par le courant sans être impres-
sionnée, le muscle choisi se contractait et une expression en
résultait. D'où la possibilité de désigner chacun des muscles
de la face par le nom de l'expression que sa contraction déter-
mine : frontal, muscle de l'attention; grand zygomatique,
muscle du rire, etc.
364
SÉANCE DU 27 MAI 1895
Fig. !. — Mu<clc> do la tôlo' (d'après nature).
I. Occipital. — 2. Aponévrose épicrànienne. — 3. Frontal. — 4. Orbiculaire
des paupières. — o. Pyramidal. — G. Canin — 7. Orbiculaire dos lèvros. —
S. Triangulaire dos lèvros. — 9. Carré do la lèvre inférieure. — 10. Grand
zygomatiquo. — 11. Élévateurs de la lèvro supérieure et do l'aile du nez. —
— 1-2. Polit zygomatiquo. — 11. Transverse du noz. — 14. Massétor. —
18. Auriculaire supérieur. — lu. Peaussier du cou.
Le résultat de ces expériences nous a été transmis au
moyen de photographies exécutées par Duchenne.
Duohen ne a non seulement reproduit les expressions d'une fa-
çon expérimentale, il nous a encore enseigné que leur mé-
canisme est plus simple qu'on ne lecroyait jusqu'alors; cette
simplification a bien sa valeu.-. D'apèslui, dans bien des cas, la
contraction d'un seul muscle suflit pour peindre une expres-
sion. Il nous a enseigné aussi, comme complément «à l'obser-
vation précédente, que si dans certains cas toute la face semble
ED CU YEN. — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE 365
modifiée, c'est que le changement véritable occasionne, par
un effet de contraste, un sémillant de modification dans les
parties environnantes.
Ce phénomène, comparable aux effets déterminés par le.
contraste des couleurs, est rendu évident par l'une des pho-
tographies exécutées par Duchenne. La bouche du sujet a
l'une de ses commissures abaissée, expression du mépris, tan-
dis que l'autre commissure est élevée, expression du sourire.
En masquant le côté de la bouche qui sourit, pour ne laisser
visible que celui qui méprise, on constate que les yeux ont
une expression de froideur très nette et qu'ils sont bien en
accord avec la signification de l'expression de la bouche. Au
contraire, ils semblent aimables et souriants, lorsqu'on laisse
seulement à découvert le côté de la bouche ayant celle der-
nière expression. Le changement constaté dans l'expression
des yeux n'est évidemment, dans ces deux cas, que le résul-
tat d'une illusion.
La simplification des éludes, lorsqu'elle ne fait pas sortir
ces dernières des limites de la vérité, est un bien à tous les
points de vue, et au point de vue artistique en particulier cette
simplification a une réelle importance.
Ceci me fournil l'occasion d'avoir le plaisir de rappeler que
mon maître, le professeur Mathias-Duval, frappé de l'intérêt
que présentent les études de Duchenne, lésa, le premier, uti-
lisées pour l'instruction des artistes dans son enseignement
de l'anatomie à l'École nationale des Beaux-Arts. Duchenne,
peu habitué à voir ses travaux appréciés de cette manière,
en fut vivement touché et, en souvenir de cet accueil, donna
la collection complète de ses photographies originales à
M. Mathias-Duval qui les offrit à son tour à l'Ecole des Beaux-
Arts, où nous les conservons en bonne place dans notre musée
d'analomie, c'est:à-dire dans le musée lluguier.
Cependant on a critiqué Duchenne : on a eu tort. On a dit
qu'il avait reproduit des grimaces. Pourquoi des grimaces'.'
C'est peut-être à cause de l'impression bizarre produite, si
l'on n'est pas prévenu, par certaines photographies sur les-
366 SÉAKCE DU 2~ MAI l89o
quelles ont été représentées, sur une même face, d'un côté
l'expression du rire, de l'autre l'expression du pleurer. Un au-
rait dû constater, au contraire, que ces photographies sont
très didactiques, qu'elles sont excellentes au point de vue
comparatif. Les photographies de Duche-nne sont expressives,
et elles le sont d'une façon indiscutable.
Un lui a reproché aussi d'avoir, pour ses expériences, choisi
un sujet laid. Ce sujet n'est pas beau il est vrai; mais qu'est-
ce que cela peut faire? Duchenne n'en avait pas d'autre pré-
sentant les mêmes conditions d'insensibilité associées à une
peau souple, fine, se laissant facilement déplacer. Il faut, au
contraire, nous féliciter qu'il ait rencontré ce sujet.
Mais ce qu'il faut alors reconnaître, c'est que Duchenne
n'est pas allé plus loin dans la question qui nous occupe, et
que, s'il a su décrire le mécanisme des expressions, il est resté,
au point de vue de l'explication de leur raison d'être,
dans l'ordre des opinions sentimentales. En effet, il se conten-
tait d'en donner l'explication suivante: « Le Créateur n'a pas
eu à se préoccuper ici des besoins de la mécanique; il a pu,
selon sa sagesse ou — que l'on nie pardonne cette manière de
parler — par une divine fantaisie, mettre en action tel ou tel
muscle, un seulou plusieurs muscles à la fois, lorsqu'il a voulu
que les signes caractéristiques des passions, même les plus fu-
gaces, fussent écrits passagèrement sur la face de l'homme.
Ce langage de la physionomie une fois créé, il lui a suffi, pour
le rendre universel et immuable, de donner à tout être hu-
main la faculté instinctive d'exprimer toujours ses sentiments
par la contraction des mêmes muscles '. »
Tout autre a été le raie de Darwin. Frappé de ce fait que les
expressions se traduisent de la même manière, non seulement
dans toutes les races humaines, à tous les âges, mais encore
chez certains animaux, il a recherché la raison d'être de cette
i G.-B. Duchenne (de Boulogne), Mécanisme de la physionomie hu-
maine ou analyse électro-physiologique de l'expression des passions ;
Paris, 1876, 2e édition, p. 31.
ED. CUYER. — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE 307
ressemblance et est arrivé à cette conclusion, que les mouve-
ments expressifs' de la face ne sont que des gestes en rapport
avec l'accomplissement de fonctions placées sous la dépen-
dance des émotions; en un mot, les expressions ne sont (pie
l'accomplissement de fonctions.
Certaines de ces fonctions sont encore utiles, et les mouve-
ments de la face qui les accompagnent sont facilement explica-
bles; il n'en est pas de même pour d'autres fonctions, qui,
n'ayant plus une aussi grande utilité, ont cependant leurs
gestes faciaux conservés par la force de l'habitude transmise
par l'hérédité.
En résumé, parce qu'elles sont ou ont été utiles au point de
vue fonctionnel, les expressions se traduisent et sont interpré-
tées de la même façon dans toutes les races humaines, chez les
singes et même chez d'autres animaux.
Comme exemples de mouvements utiles se reproduisant par
la force de l'habitude pendant un même état d'esprit, et pour
donner une idée des recherches de Darwin, nous citerons les
signes d'affirmation et de négation qu'il a étudiés : Offrez à
un enfant ou à un chien de résultat sera le même) un aliment
qu'il ne veuille pas accepter, il tournera alternativement la
tète d'un côté et d'autre afin d'éviter que sa bouche ne soit en
contact avec l'aliment en question; c'est le germe du non.
Si, au contraire, il accepte, il penchera la tète en avant afin
de happer l'aliment; c'est le germe du oui.
Ces signes, bien naturels, sont devenus si instinctifs, que
dans toutes les circonstances d'acceptation ou de refus ils
sont exécutés, et que chez tous les peuples ils sont facile-
ment compris.
Lorsque nous frappons du pied en signe d'une impatience
déterminée par une cause quelconque, ne retrouvons-nous
pas le piétinement de l'animal impatient de se déplacer? Et,
si nous admettons les conséquences de cette interprétation,
lorsque, pour les mêmes causes, nous frapponsavec les doigts,
d'une façon brusque et répétée, sur une table par exemple,
ne pouvons-nous, avec raison, assimiler ces mou venu nts au
368 séance di 27 haï L895
piétinement des membres antérieurs d'un quadrupède '.'
Si, considérant les expressions dans leur ensemble, certains
esprits pensent qu'il en est de bestiales et par conséquent in-
dignes de l'espèce humaine, on peut leur rappeler que cer-
tains individus de cette espèce si1 rapprochent de la brute et
ajouter que c'est une nouvelle preuve de notre descendance,
descendance dont ces individus ne sont pas encore parvenus
a se séparer.
Darwin a su reconnaître le mérite des travaux de Duchenne
et les a utilisés. C'est pourquoi nous associons ces deux auteurs
dans l'étude dont nous nous occupons et à laquelle nous ajou-
terons quelques vues qui nous sont personnelles:
.Nous diviserons les expressions en deux groupes :
1° Les expressions faciles à expliquer, parce que les fonctions
qu'elles accompagnent sont encore utiles.
2" Les expressions plus difficiles à expliquer, telles que le
rire, le pleurer, parce qu'elles constituent des gestes exécutés
par la force de l'habitude, les fonctions qu'elles accompagnent
n'ayant plus une utilité aussi facilement appréciable.
Nous commencerons par l'expression de l'attention qui est
traduite par la contraction du muscle frontal.
11 faut associer la description du frontal à celle d'un mus-
cle qui occupe la partie postérieure de la tète, le muscle occi-
pital, ces deux muscles ayant îles connexions qui ne peuvent
être méconnues.
Le muscle occipital s'insère à la ligne courbe occipitale supé-
rieure, ses fibres, dirigées en haut, vont s'attacher à l'aponé-
vrose épicrànienne; celle-ci, recouvrant le crâne sans y adhérer,
se termine à la partie supérieure du front et donne attache au
muscle frontal dont les fibres charnues, se dirigeant en bas,
vont s'insérer à la face profonde de la peau que recouvre le
sourcil.
L'occipital, en se contractant, attire l'aponévrose en bas
et en arrière et la tend, celle-ci donne alors un point fixe au
frontal qui, par sa contraction, élève la peau de la région du
sourcil. Les sourcils, étant élevés, prennent une forme courbe
ED. CUVER. — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE 369
à convexité tournée en haut et la peau du front, ramassée
sur elle-même, se plisse de rides transversales d'autant plus
nombreuses et plus marquées qu'elle est plus fine et moins
élastique (fîg. 2).
L'œil, parce déplacement, est largement découvert et peut
recevoir facilement toutes les impressions extérieures. Par
association, cette disposition du sourcil qui favorise la percep-
tion de ce que l'on regarde, ce qui constitue bien une fonction,
est employée pour accompagner toutes les circonstances dans
lesquelles l'idée d'attention doit être exprimée.
Fig. 2. — Schéma do l'attention (d'après Matliias-Duval) '.
Contraction du muscle frontal.
On emploie quelquefois dans le langage familier, pour re-
commander à quelqu'un d'être attentif, une locution qui rap-
pelle et dépeint bien le mécanisme que nous venons d'indiquer;
1 Les schémas des expressions que nous reproduisons dans cet
article sont dus aux recherches de M . le professeur Mathias-Dûval.
Voir : Malhias-Duval, Précis d'anatomie artistique (Bibliothèque de
l'enseignement des beaux-arls). (Juantin, éditeur.
370 SÉANCE DU 27 MAI 1893
c'est lorsque l'on remplace « fais attention » par « ouvre l'œil ».
L'attention visuelle accompagne l'attention auditive. Ce-
pendant si cette dernière est plus particulièrement en jeu,
comme l'oreille est immobile, la tète se tourne du côté d'où
vient le bruit; alors le muscle sterno-cléido-inastoïdien qui
produit ce mouvement devient presque un muscle de l'expres-
sion; c'est encore une preuve qu'une expression doit être as-
sociée à l'idée de fonction.
Chez le chien, les deux attentions, visuelle et auditive, se
manifestenl simultanément, mais d'une autre manière : la ré-
gion des sourcils est élevée et les oreilles se rapprochent en
tournant leur ouverture en avant ; par exemple, chez un
chien cherchant a se rendre compte d'un événement qui l'in-
téresse et se passe loin de lui, ou auquel on montre une frian-
dise en lui faisant comprendre qu'on la lui destine. On cons-
tate alors la présence, dans la région frontale, de rides horizon-
tales auxquelles s'ajoutent des rides verticales. Ces dernières
sont dues au rapprochement des oreilles déterminé par la
contraction d'un muscle qui relie les deux pavillons en pas-
sant sur la partie correspondante du crâne.
Mais si le chien, étant attentif, redoute un danger immédiat,
alors il dirige ses oreilles en arrière, il les abrite comme pour
les soustraire à l'attaque qu'il redoute. C'est encore une fonc-
tion.
Mais revenons à l'homme. Si l'attention est attirée par un
fait qui détermine de l'étonnement, de la surprise, alors la con-
traction du frontal est plus énergique, ce qui occasionne une
plus forte élévation des sourcils; en même temps, la bouche
est ouverte. Darwin explique cette ouverture de la bouche de
la manière suivante :
« Lorsque l'attention reste concentrée pendant longtemps
sur quelque objet ou sujet, sans s'en détourner, tous les organes
du corps sont oubliés et négligés *; et, comme la somme de
i Voir à ce sujet : Gratiolet, De la physionomie et des mouvements
d' es-pression, Paris, 1865, p. 254.
ED. CUYËR. — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE M7I
l'énergie nerveuse, chez un individu donné, est limitée, il ne s'en
transmet qu'une faible proportion à toutes les parties du sys-
tème, sauf à celle qui actuellement est mise énergiquement en
action; c'est pourquoi la plupart des muscles tendent à se re-
lâcher, et la mâchoire tombe par son propre poids. Ainsi s'ex-
pliquent la mâchoire abaissée et la bouche ouverte de l'homme
qui est stupéfié ou effrayé, ou même qui ne subit ces impres-
sions qu'à un faible degré.
« Il existe encore une cause, très importante, qui provoque
l'ouverture de la bouche, sous l'influence de l'élonnement et
plus spécialement d'une surprise soudaine. Il nous est beau-
coup plus facile d'exécuter une inspiration vigoureuse et pro-
fonde à travers la bonche ouverte qu'à travers les narines.
Or, lorsque nous tressaillons, à l'ouïe de quelque son brusque,
à l'aspect de quelque objet inattendu, presque tous nos muscles
entrent momentanément et involontairement en action avec
énergie, pour nous mettre en état de repousser ou de fuir un
danger, dont nous associons d'ordinaire l'idée à toute chose
imprévue. Mais, comme nous l'avons déjà vu, nous nous pré-
parons toujours à un acte énergique quelconque, sans en avoir
conscience, en exécutant d'abord une profonde inspiration,
et par conséquent nous commençons par ouvrir largement la
bouche. Si aucun acte ne se produit et si notre étonnement dure,
nous cessons un instant de respirer, ou bien nous respirons
aussi doucement que possible, afin d'entendre distinctement
tout son qui pourra venir frapper nos oreilles. Enfin, si notre
attention se prolonge longtemps et que notre esprit soit entiè-
rement absordé, tous nos muscles se relâchent, et la mâchoire,
qui s'était d'abord abaissée brusquement, conserve cette posi-
tion. Ainsi plusieurs causes concourent à produire ce même
mouvement, toutes les fois que nous éprouvons de la surprise,
de l'étonnement, de la stupéfaction1.»
1 C. Darwin, l'Expression des émotions chez l'homme et les animaux.
Traduction française de S. l'ozzi et K. Benoit ; Paris, 1877, 2° édi-
tion, p. 308 et 309.
372 séance du 27 mai 1895
< le relâchement musculaire, qui est cause de rabaissement
de la mâchoire inférieure, explique aussi le fait que les membres
supérieurs retombent inertes le long du corps, que les jambes
fléchissent, sous l'influence d'une vive surprise.
Cela explique aussi celte locution d'autant plus expressive
qu'elle est le plus souvent accompagnée d'une attitude cor-
respondante :« Je fus tellement surpris que les bras m'en sont
tombés. »
Si la surprise a été provoquée par une cause indiscutablement
dangereuse, aux caractères que nous venons de signaler s'a-
joute la contraction du muscle peaussier. du cou. L'expression
est alors celle de l'effroi, de la terreur.
Le peaussier du cou prend ses insertions à la face profonde
de la peau qui recouvre l'épaule et la partie supérieure du
muscle grand pectoral; ses fibres, dirigées en haut et en de-
dans, recouvrent les muscles du cou, atteignent la mâchoire
inférieure à laquelle quelques-unes de ces fibres prennent
insertion, tandis que les autres vont s'attacher à la peau de
la région inférieure de la face. En se contractant, le peaussier
attire en bas les parties de la face auxquelles il s'insère, et
soulève la peau du cou en déterminant à ce niveau des rides
transversales etdes saillies comparables à des cordes tendues ;
ces saillies sont causées par le groupement, en faisceaux dis-
tincts, des fibres charnues, sous l'influence de la contraction.
dette contraction, qui accompagne les troubles respiratoires,
ne donne pas lieu, si elle est isolée, a une véritable expres-
sion; elle ne produit qu'une grimace. Le muscle peaussier par
lui-même est donc inexpressif; mais sa contraction associée à
celle d'un des autres muscles de la face donne une grande
énergie à l'expression déterminée par chacun de ces derniers.
Reprenant dans l'expression de l'attention le signe le plus
typique, l'élévation du sourcil, je voudrais le mettre en paral-
lèle avec le déplacement inverse que ce dernier subit lors d'une
autre expression; je fais allusion à l'expression de la réflexion.
Lorsque l'attention est fortement fixée sur les faits exté-
rieurs, on ne réfléchit pas; lorsqu'on rentre en soi-même, que
ED. CL'VER. — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE
373
l'on réfléchit, on cherche à ne plus être distrait par les impres-
sions extérieures, on n'y est plus attentif. Donc, si l'attention
et la réflexion sont antagonistes, leurs modes d'expression doi-
vent être différents ; c'est en effet ce que nous allons constater.
L'expression de la réflexion est déterminée par la contrac-
tion de la portion supérieure de l'orbiculaire des paupières.
Ce muscle orbiculaire, dont les insertions se font sur l'apo-
physe montante du maxillaire supérieur, est formé de fibres
curvilignes qui, entourant la région oculaire, constituent un
anneau musculaire assez large pouvant être considéré comme
formé de deux portions: l'une, supérieure, qui occupe la ré-
gion du sourcil et de la paupière supérieure ; l'autre, inférieure,
Fig. 3. — Schéma de fa réflexion (d'après Mathias-Duval).
Contraction de l'orbiculairo des paupières.
située dans la région et la paupière opposées. A la partie
eyterne de la région orbitaire les fibres de ces deux por-
tions s'entre-croisent et s'insèrent à la face profonde dejla
peau. La portion supérieure, en se contractant, redresse la
courbure de ses fibres qui, ainsi, tendent à devenir rectilignes.
Il en résulte l'abaissement du sourcil. Cet abaissement du sour-
374 SÉANCE DU 27 MAI 18'.)"»
cil entraîne la peau du front en lias, aucune ride transversale
n'existe alors dans cette région: mais, comme l'orbiculaire
n'est pas fixé à sa partie externe, il glisse un peu de dehors
en dedans, et le sourcil est attiré vers la ligne médiane, ce
qui explique la production de rides verticales dans l'espace in-
tersourcilier (fig. 3).
Cet abaissement du sourcil est destiné à soustraire la vue
aux impressions extérieures; ce qui le prouve bien, c'est que.
si cet abaissement n'est pas suffisant, on porte la main devant
les yeux afin de les isoler davantage ; ce geste est, en effet,
celui qui accompagne et représente la méditation. Nous trou-
vons là encore l'accomplissement de fonctions.
Darwin donne, de l'abaissement du sourcil, une explication
un peu différente. Il fait remarquer que la contraction des
muscles péri-oculaires accompagne toujours l'émission de
cris, afin de lutter contre la pression sanguine qui, s'associant
à toute expiration énergique, pourrait avoir des conséquences
fâcheuses pour l'appareil de la vision; le globe de l'œil, com-
primé, se trouve alors protégé contre cet inconvénient par la
contraction des muscles qui l'entourent.
Par association, cette contraction accompagne toute émo-
tion désagréable, toute difficulté a vaincre, en un mot, toutes
les sensations pénibles à l'occasion desquelles des cris ont pu
primitivement être poussés. Comme exemples de contraction
des muscles péri-oculaires pendant l'exécution d'un acte pré-
sentant quelque difficulté, nous rappellerons que les bègues
froncent les sourcils en parlant, et qu'on en fait autant en
mettant une botte trop étroite un en cherchant à ouvrir une
porte trop bien fermée.
Or, réfléchir suppose toujours une certaine difficulté, on se
heurte à des idées contraires entre lesquelles il faut faire un
choix. Alors on abaisse les sourcils. Au contraire, le soulage-
ment que l'on éprouve lorque l'on a trouvé une solution s'ex-
prime par une élévation des sourcils, et cette élévation accom-
pagne souvent un soupir de satisfaction suivi d'une phrase
de ce ce genre : « Ah ! j'ai trouvé. »
ED. OTTYER.
LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE
375
Mais si la réflexion devient difficile, un mouvement de
mauvaise humeur apparaît; nous sommes irrités contre la
cause qui nous arrête ; alors la contraction de l'orbiculaire
devient plus énergiqne et le muscle pyramidal, qui aune ac-
tion analogue, entre en contraction. Dans ces circonstances
les crisseraient plus forts, il faut maîtriser davantage l'afflux
sanguin devenu plus abondant, le pyramidal vient au secours,
pour ainsi dire, de l'orbiculaire qui est insuffisant.
Le pyramidal, inséré sur les os propres du nez, est formé
de libres qui vont s'attacher à la face profonde de la peau de
l'espace intersourcilier. Sous l'influence de la contraction de ce
muscle, la peau de cette région est abaissée et plisséede rides
plus ou moins profondes (lig. 4).
Par association, toute idée de lutte, de menace, est accom-
pagnée de la contraction du pyramidal ; le regard devient
dur, farouche, et c'est très justement que Duchenne a désigné
ce muscle sous le nom de muscle de l'agression.
El . Cuvcr"
Fig. i. — Expression do l'agression (d'après nature).
Contraction du musdo pyramidal.
376 SÉANCE DU 27 MAI 1895
Nous n'avons pas l'intention de passer en revue tons les
muscles de la face, car notre but est seulement de légitimer
par quelques exemples les idées de Darwin ; nous abandon-
nerons donc la région de l'œil, pour examiner quelques-unes
des expressions qui se traduisent par. des mouvements de la
bouche.
Nous signalerons d'abord une expression humaine qui en
rappelle très nettement une que l'on voit prendre au chien
dans certaines circonstances. Cherchez à prendre à un chien
un os qu'il est en train de ronger; il le défendra certaine-
ment et, tout d'abord, marquera son intention très légitime
en soulevant sa lèvre supérieure de façon a découvrir la dent
canine. Cet acte est expressif au plus haut degré, et ne peut
laisser aucun doute sur sa signification fonctionnelle. Chez
l'homme, une expression du même genre, due à la contrac-
tion du muscle canin, est destinée à exprimer l'agression, à
produire le ricanement de défi.
Le muscle canin, inséré d'une part dans la fosse canine et
d'autre part à la lèvre supérieure, soulève celle-ci et découvre
la dent canine ; ce geste révèle nettement, par analogie avec
ce que nous signalons plus haut à propos du chien, l'origine
animale de l'homme. L'expression que le canin détermine ne
peut cependant être considérée que comme un souvenir du
temps passé, car, lorsqu'elle a lieu, ce n'est évidemment pas
parce que nous avons l'intention de mordre; c'est un simu-
lacre inconsciemment exécuté.
Autour de l'orifice buccal, comme autour de l'œil, se trouve
un muscle formé de fibres circulaires, c'est l'orbiculaire des
lèvres. Ce muscle est formé d'une portion périphérique, c'est-
à-dire entourant les lèvres, et d'une portion centrale située
dans l'épaisseur de ces dernières.
La portion située dans l'épaisseur des lèvres resserre celles-
ci de façon a rétrécir l'orifice buccal.
Nous ne ferons que signaler l'acte de serrer les lèvres dans
le but de diminuer, par coquetterie, les dimensions de f orifice
buccal. .Mais nous ferons remarquer, en y insistant davan-
ED. r.î'YER. -- LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE
377
tage, que cet acte se produit aussi lorsque, se tenant sur la
réserve, on veut indiquer par cette occlusion que Ton est décidé
à ne pas répondre à une question que l'on juge indiscrète.
Cette occlusion accompagne aussi tout acte énergique né-
cessitant la production d'un effort et, par association, toute
résolution bien arrêtée. Dans ce cas, en plus de la fermeture
de la bouche, se produit un fort rapprochement des mâ-
choires, et comme ce rapprochement est déterminé en partie
par le muscle masséter, la contraction de celui-ci donne à la
physionomie un aspect très résolu, d'énergie même un peu
brutale.
D'autre part, on ferme encore la bouche en serrant les lèvres,
7CV
Fig. 5. — Chimpanzé désappointa ot do mauvaise humour
(d'après Darwin).
dans certains cas qui ne nécessitent pas de force, pour que,
en arrêtant ainsi la respiration ou la modérant, les mouve-
t. vi (4J série). 2a
378
SÉANCE DU 27 MAI !89o
menls du thorax h'entravent pas ceux des membres; par
exemple : lorsqu'on enfile une aiguille ou que l'on trace une
ligne à main levée.
La portion qui entoure les lèvres projette celles-ci en avant,
ce qui donne l'expression de la moue. Cet allongement des
lèvres est probablement en rapport, ainsi que le dit Darwin.
avec rémission de sons, de cris, ayant accompagné primiti-
vement toute contrariété.
En tout cas, lors de cette expression, la bouche de l'homme
est comparable à celle de certains singes lorsqu'ils sont désap-
pointés et de mauvaise humeur. Darwin, dans son livre sur
les expressions, reproduit le portrait d'un chimpanzé que l'on
avait chagriné en lui reprenantune orange qu'on lui avait d'a-
bord otî'erte (fig. 5). Les lèvres, à cause de leur développement,
Fig. G. — Schéma du mépris, ilu dégoût (d'après Malhias-Duval).
Contraction du triangulaire dos lèvres.
sont allongées d'une façon certainement pins accentuée que
chez l'homme: mais, cette différence étant négligée, on ne
peut qu'être frappé de la ressemblance qui existe entre cette
ED. CUYBR, — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE 379
expression et celle que prend l'homme sous l'influence d'un
état d'esprit du même genre.
Au-dessous de la bouche se trouvent deux muscles : le trian-
gulaire des lèvres et le carré de la lèvre inférieure.
Insérés sur la ligne oblique externe du maxillare infé-
rieur, ces deux muscles vont vers la bouche. Le triangulaire,
qui est plus superficiel que le carré, va, par des fibres con-
vergentes, s'insérer à la commissure labiale, tandis que le
carré va s'attacher à la moitié correspondante de la lèvre
inférieure.
Lorsqu'il se contracte, le triangulaire abaisse la commis-
sure labiale ; il en résulte que, cet abaissement ayant lieu des
deux cotés, la bouche prend, dans son ensemble, une forme
courbe à convexité tournée en haut. Le sillon naso-labial,
attiré en bas, est allongé. A cause de ces déplacements, les
narines sont abaissées et leur ouverture est un peu rétrécie
(fig. 6).
La contraction légère du triangulaire détermine l'expres-
sion de la tristesse, du mépris; sentiments qui se confon-
dentcertainement l'un avec l'autre, car, dans bien des cas, il est
pénible d'avoir à exprimer du mépris. A l'abaissement des
commissures s'associe le plus souvent l'abaissement de la
paupière supérieure ; cette association peut se traduire alors
par une phrase de ce genre : « Je vous méprise, vous ne va-
lez pas la peine que je vous regarde. »
Si la contraction du triangulaire devient plus énergique,
elle peint le dégoût. Et cela n'a rien de surprenant, car la
similitude entre le mépris et le dégoût est évidente ; le mé-
pris n'est certainement qu'une des nuances de ce dernier.
Mais le carré de la lèvre inférieure donne encore plus l'ex-
pression du dégoût, du dégoût dans toute son horreur. Ce
muscle qui abaisse la lèvre inférieure dans toute son étendue,
en même temps la renverse en avant.
C'est alors que l'analogie entre l'expression et In fonction
devient facile à démontrer.
Introduisez dans la bouche d'un enfantune substance amère
380
SÉANCE DU 27 MAI 1895
ou répugnante, qui évidemment lui inspirera du dégoût.
Comment la rejettera-t-il :' En renversant la lèvre inférieure
en avant, en abaissant les commissures labiales, en donnant,
en un mot, à sa bouche, la forme d'une gouttière destinée à
favoriser l'écoulement au dehors de la' substance répugnante
dont il veut se débarrasser.
Par association, le dégoût moral se traduit de la même ma-
nière. Chez certains sujets, auxquels l'éducation n'a pas ap-
Fig. 7. —Schéma du pleurer (d'après Mathias-Duval).
Contraction du polit zygomati |uo et des élévateurs do la lèvre
supérieure
pris à dissimuler leurs impressions, cette mimique prend quel-
quefois une intensité d'expression des plus remarquables, et
même, si à leur avis celle-ci est insuffisante, c'est en cra-
chant qu'ils expriment l'impression qu'ils ressentent et dunt
ils veulent donner la sensation.
Mais revenons à l'enfant dont nous parlions tout à l'heure.
Si le renversement de sa lèvre inférieure ne suffit pas pour
expulser, alors il avance la langue hors de la bouche. Cet
acte complémentaire du dégoût physique est très probable-
ED. CUVER. — LES EXPBESSIONS DE LA PHYSIONOMIE 381
ment la raison pour laquelle on tire la langue en signe de
mépris ou de haine. Il est difficile de l'expliquer autrement.
L'abaissement des lignes du visage ou, pour mieux dire,
la direction de ces lignes en bas et en dehors, de chaque côté
de la ligne médiane, accompagne les sentiments tristes. C'est
ce que nous venons de constater pour la tristesse, le mépris,
le dégoût; c'est ce que nous constaterions également pour
l'expression du pleurer (fig. 7). L'individu est déprimé, tout
se retire vers le centre, les membres sont resserrés contre le
corps ; dans cet état on est renfrogné ; on est comme (sous
l'impression du froid qui est cause que l'on s'enferme dans
ses vêtements en les boutonnant.
Au contraire, sous l'influence de sentiments gais, les lignes
du visage deviennent obliques en haut et en dehors, la phy-
sionomie s'épanouit ; on est tout en dehors, tout s'éloigne du
centre, les membres s'agitent, on danse, on saute ; on est ex-
pansif. Comme sous l'impression de la chaleur, on laisse flot-
ter ses vêtements.
Ces deux états différents de la physionomie sont bien ren-
dus par les schémas de Humbert de Superville (fig. 8).
Ces trois schémas de la face humaine représentent par de
simples lignes, les yeux, la partie inférieure du nez et la bou-
che. Dans l'un de ces schémas les lignes sont horizontales,
l'impression produite est celle de l'austérité, du calme, de la
Fig. 8. — Schémas de Humbert ilo SuporviUe.
constance; dansun autre les lignes sont obliques en bas et en
dehors de la ligne médiane, il en résulte l'impression de la
382 SÉANCE DU 21 MAI 1895
tristesse, de la douleur; enfin, dans le troisième, les lignes
sont obliques en haut et en dehors de la ligne médiane, et
l'impression est celle de la gaieté, du rire, de la légèreté '.
C'est une des expressions en rapport avec ce troisième état
de la physionomie que nous allons étudier maintenant, l'ex-
pression du rire ; elle est déterminée par la contraction du
muscle grand zygomatique.
Le grand zygomatique s'insère à l'os malaire, descend obli-
quement en bas et en dedans, et va s'insérer à la commissure
labiale. Par sa contraction, il élargit la bouche en tirant la
commissure en haut et en dehors; la bouche prend, par con-
séquent, une forme courbe à convexité tournée en bas, c'est
la forme inverse de celle que nous avons signalée pour le mé-
pris et le dégoût.
De plus, le sillon naso-labial cesse d'être rectiligne ; attiré
en haut par son extrémité inférieure, tandis que son extré-
mité opposée reste fixe, il devient courbe a convexité tournée
en bas et en dedans. La peau de la joue, refoulée vers la
pommette, devient plus saillante et se creuse, au niveau de
l'angle externe de l'œil, de rides divergentes plus ou moins
nombreuses et plus ou moins marquées. Telles sont les modi-
fications qui peignent l'expression du rire (fig. 9).
Le cheval, le chien, ont un grand zygomatique ; ils doi-
vent donc rire; en effet, ils prennent cette expression sous t'in-
fluence decertains sentiments de bien-être ou d'espoir de bien-
ètre, lorsqu'ils voient une personne de laquelle ils espèrent une
caresse ou une friandise. Accueillez un chien en lui donnant
des coups sans qull les ait mérités, je vous affirme que lors-
qu'il vous reverra il ne rira plus.
Ce que nous venons de dire au sujet du chien nous engage
à indiquer quelle peut être à noire avis, la signification du
rire, quelle est la fonction à laquelle son expression se rap-
porte.
i Humhert de Superville, Essai sur les signes inconditionnels dans
l'art; Leyde, 1827.
E. CUV'EH. — LES EXPllËSSiONà DE LA PHYSIONOMIE
383
Dans le rire, les lèvres étant écartées, les dents sont décou-
vertes. En nous plaçant au point de vue transformiste, eela
doit nous donner à réfléchir et nous mettra peut-être sur la
voie d'une explication.
Fig. 0. — Schéma du riro (d'après Math ias-Duval).
Contraction du grand zygomaliquo.
Chez nos ancêtres, dont les sentiments ne devaient pas être
très compliqués, l'action de découvrir les dents accompa-
gnait surtout, c'est plus que probable, l'acte de s'en servir
pour manger ou pour mordre.
Parmi les plaisirs peu raffinés qu'ils pouvaient avoir, celui
de manger devait tenir une place prépondérante (chez nous
il est encore vivace).
Par l'hérédité, le même geste, découvrir les dents, peut
nous être resté pour servir d'expression dans toutes les cir-
constances où nous éprouvons du plaisir. On nous objectera
peut-être que les sources du rire sont plus pures chez nous.
Pourquoi donc? Elles sont plus variées, voila toute la diffé-
rence.
Sincèrement ne se mèle-t-il pas très souvent à la joie, au
384 SÉANCE DU 27 MAI 1895
plaisir, un sentiment de satisfaction personnelle; je n'ose pas
dire d'égoïsm1, mais c'est ce que j'incline a penser.
Dans toutes les circontances qui excitent notre joie, il se
mêle 1 idée de quelque chose de bon, de savoureux.
L'association de l'idée unique et primitive de « bon man-
ger » avec toutes les choses agréables étant admissible, nous
pourrons analyser ce sentiment dans certaines de ses mani-
festations.
Lorsque nous avons du plaisir à recevoir certaines per-
sonnes, nous les accueillons en riant ou en souriant. N'est-ce
pas parce que nous nous nous disons qu'elles vont nous faire
passer, a nous, un moment agréable? Un ne sourit jamais à
un importun.
Et la preuve que cela n'est pas exagéré et que nous en
avons conscience, c'est que nous n'osons guère dire, à moins
de parler sans réfléchir, qu'un tel a beaucoup de plaisir à
nous recevoir, ou si nous le disons, c'est avec certaines pré-
cautions ou en nous accusant intérieurement d'être un peu
présomptueux.
De plus, si nous nous examinons sincèrement et sans parti
pris, ne serons-nous pas d'avis ^il n'est pas nécessaire de l'a-
vouer) que notre bon accueil est quelquefois déterminé par la
satisfaction que nous fait éprouver le sentiment de la supé-
riorité que nous nous attribuons, et que nous constatons en
nous-mème. vis-à-vis île celui que nous recevons : supériorité
de situation, de fortune, d'esprit ou d'intelligence.
En définitive, le plaisir est une satisfaction que nous nous
donnons ou qui nous est donnée.
On m'objectera le rire des enfants; cette objection ne me
semble pas convaincante. L'enfant, encore plus que nous, est
sensible aux félicités du goût; s'il sourit, c'est parce qu'il es-
père qu'on va lui offrir quelque chose de bon. Pouvons-nous
croire que dans cet être encore imcomplet il existe un autre
sentiment? C'est le bien-être qui le préoccupe ; bien aimer
les enfants, c'est le leur procurer.
Lorsqu'ils sont un peu grands déjà, à l'époque du jour de
ED. CUYER — LES EXPRESSIONS DE LA PHYSIONOMIE 385
l'an, les enfants vous accueillent d'une façon souriante; vous
pensez : « Sont-ils aimables, sont-ils gentils. » Si vous leur
apportez des étrennes, cette impression sera juste et se main-
tiendra. Mais si vous n'en apportez pas, alors il faut modifier
votre opinion, elle deviendrait complètement fausse.
Mais on rit pour bien des raisons, de même qu'on lève le
bras pour bien des causes.
Or, comme nous l'avons fait remarquer, on découvre les
dents non seulement pour manger, mais encore pour mordre,
ce terme étant pris dans l'acception de se défendre ou atta-
quer. Ceci devait être un acte souvent répété chez nos an-
cêtres.
Supposons que l'importun de tout à l'heure nous semble
dangereux pour notre sécurité personnelle ou pour l'arrange-
ment de nos intérêts. Si nous avons de l'empire sur nous-mème,
si nous savonsdissimuler, ce sera simplementd'une façon polie
ou avec froideur que nous le recevrons. Mais si nous n'avons,
pas les notions de prudence nécessaires ou si nous voulons
l'intimider, ce sera avec un rire que nous l'accueillerons,
mais un rire agressif, celui que l'on exprime en disant d'un
ton sec et mordant : « Ah ! vous voilà » ; d'une façon qui peut
se traduire par : « Gomment, c'est encore vous; je ne serai
donc jamais débarrassé du désagrément de vous voir! » Dans
de semblables circonstances nos ancêtres se seraient jetés sur
l'importun. Pourquoi ne pas le supposer, puisque c'est ainsi
qu'agissent les animaux?
Donc, plaisir de manger dans un cas, agression dans l'au-
tre. Par association, ces deux sentiments se sont bien certai-
nement étendus et n'ont plus le sens restreint que nous pouvons
leur supposer chez nos ancêtres ; mais leur origine me semble
être la même.
Il est des sujets qui ne rient jamais ; on leur accorde généra-
lement pour cette raison une grande supériorité ou une cer-
taine dose de fatuité. Ne considérons que le premier cas, le
second n'étant que la simulation de celui-ci. A notre avis,
lorsqu'on ne rit plus, c'est que l'on a cessé d'être accessible
386 SÉANCE DU 6 JUIN 189o
aux émotions que nons signalions tout à l'heure ; c'est la sa-
gesse, ou la suprême indifférence.
Si des applications beaucoup plus fines et plus délicates ont
été faites de l'expression du rire, ce qui nous est indiqué par
toutes les nuances qui existent entre le sourire le plus léger
et le rire le plus éclatant, c'est qu'il s'est produit, pour cette ex-
pression comme pour beaucoup d'autres, ce que nous cons-
tatons pour certains mots. En effet, parmi ceux-ci, il en est
qui, détournés de leur signification primitive, appréciable par
leur étymologie, servent maintenant à désigner des choses
plus ou moins différentes. On peut donc considérer, jusqu'à
un certain point, l'étude que nous venons de faire, comme
une étude étymologique des expressions.
C'est, si vous le voulez bien, sur cette conclusion que nous
nous arrêterons dans cet examen des expressions. Nous au-
rions pu citer d'autres exemples, tels que la douleur, le pleu-
rer, etc., mais ceux que nous avons choisis me semblent
prouver d'une façon suffisante ce que nous voulions démon-
trer. D'autre part, je craindrais, en étendant davantage cette
étude, d'abuser de votre bienveillante attention.
En remerciant mes maîtres et mes collègues de la Société
d'Anthropologie de m'avoir désigné pour faire celle confé-
rence, je vous remercie bien sincèrement de l'avoir écoutée.
-> — <-
624e SÉANCE. — 0 juin 1893.
Présidence de M. Ollivier-Beauregard.
OUVRAGES OFFERTS.
PfGORim (L.). — La Terramara Castellazzo di Fontanellato
nelParmense (ext. de Notizie degli Scavi), in-4°, 11 pages et fig.
Home, 1895.
.M. (i. de Mortillet. — M. Luigi Pigorini, l'habile, patient
et soigneux explorateur de la lerramare de Castellazo di Fon-
OBJETS OFFERTS 387
tanellato, me charge de présenter à la Société son rapport sur
les fouilles de 1894. C'est, je crois, le septième. Il s'y occupe
surtout de la terrasse quadrangulaire, entourée de fossés qui
se trouve dans l'intérieur de l'enceinte fortifiée. 11 a reconnu
que les terres qui la constituent étaient maintenues par des
pilotages et des fascinages. Sur le sommet de cette terrasse, il
a rencontré cinq fosses alignées, contenant, en abondance, des
coquilles d'Unio ou moules d'eau douce, et des briques romai-
nes, dépôt postérieur, mais qui suggère à l'auteur « que dans
la construction des cités et des camps, les Romains conser-
vaient les mêmes préceptes observés déjà à l'Age du bronze,
par les habitants des terramares ». D'où M. Pigorini conclut
à « l'unité ethnique dos lerramaricoles et des Romains ».
Reunault (F.). — Lés déformations crâniennes dans l'art sino-
japonais in La Nature du 20 avril 1895, in-4° avec fig.
Spalikowski (Edm.). — Note sur quelques ossements de ïéj/o-
que gauloise, in-8° 4 pages. Rouen, 1894.
périodiques (articles à signaler).
Mémoires de la Société des sciences naturelles et archéologiques
de la Creuse, tome VIII, 2e but. — L. Manouvrier : Etudes des
crânes et ossements humains recueillis dans la sépulture néo-
lithique dite la Cave anr fées, à Brueil (Seine-et-Oise).
Contributions ta North american ethnologg, vol. IX. — S. II.
Higgs : Dakota grammar, texts, and ethnography.
Bureau of ethnology (Au mial report, 1889-1890). — M. C. Ste-
venson : The Sid ; — L. M. Turner : Ethnology of the Ungava
district; — J.-O. Dorsey : A Study of Siowan cuits.
Bureau of ethnology (Annual report 1890-1891). — C. Tho-
mas : Report on the mound explorations of the Bureau of
ethnology.
OliJfcTS OFFERTS.
Photographies du mS^alithes du Maiue-Bt-Loire.
M. Louis Bousrez, archéologue à Tours, offre à la Société
388 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
les photographies, par lui faites, de dix dolmens et de douze
menhirs du département de Maine-et-Loire. Les dolmens sont
situés sur les communes de Beauveau, Broc, Chigné, Corzé,
Bistré, Jarzé, Bou-Marson et les Ulmes ; les menhirs, sur
celles dWrtanner, Chigné, Cuon, Echemiré, Fief-Sauvin, Mar-
tigné-Briand, Montreuil-Bellay, Saint-Martin-d'Arcé et Ter-
neuil.
Le donateur pense que les trois menhirs de Martigné-
Briand faisaient partie d'un cromlech. Le dolmen de Broc
porte le nom significatif de la Pierre couverte.
PRÉSENTATIONS.
M. LAPicQ.ua présente une collection de photographies faites
en Ahyssinie et relative à l'infibulation.
M. le Bibliothécaire est autorisé à faire les démarches né-
cessaires pour acquérir des exemplaires de ces photogra-
phies.
M. Ollivier-Beauregard dit que l'on trouverait probable-
ment, dans l'un des ouvrages du Dr Godard, des renseigne-
ments sur les pratiques «le l'infibulation en Abyssinie.
COMMUNICATIONS.
La station des Hotcauv.
Par M. E. d'Acy.
J'ai l'honneur de faire hommage à la Société d'un exem-
plaire des quelques lignes, que j'ai écrites dans la Revue Ar-
chéologique, sur la découverte, dans le département de l'Ain,
d'une nouvelle station de l'époque du renne, celle de la grotte
des lloteaux.
La terrasse, qui précède cette grotte, a été fouillée, avec
autant de soin que de succès, par M. l'abbé Tournier et
M, Charles Guillon ; et ces savants explorateurs ont fait con-
E. D'ACY. — LA STATION DES HOTEA.UX 389
naître les résultats de leurs recherches, dans une très intéres-
sante brochure, avec coupe et planches à l'appui.
La faune, déterminée par MM. Boule et Mil ne-Edwards, est
celle de l'époque du renne; et, de même que dans les assises
tarandienne et élaphienne du Mas d'Azil, le nombre des dé-
bris de ce mammifère diminue, dans les dépôts des IToteaux,
à mesure que l'on monte, tandis que les ossements du cerf
élaphe deviennent de plus en plus abondants.
L'industrie se rapporte bien à l'âge du renne. Un bâton de
commandement mérite d'être cité particulièrement, pour la
très jolie gravure dont il est orné, et qui représente un cerf
qui brame.
Mais ce qui donne, selon moi, encore bien plus d'impor-
tance à cette nouvelle station, c'est la sépulture de l'époque
du renne, qu'elle renfermait.
Un squelette d'adolescent gisait dans le sixième foyer, le
dernier par en bas.
Il était tout empâté d'ocre rouge. Le cadavre, auquel il a
appartenu, a don: élé l'objet de soins funéraires, si je peux
parler ainsi.
Au-dessus de lui, se trouvaient une couoh > argileuse, puis
cinq foyers situés les uns au-dessus des autres et séparés par
des couches de terre plus ou moins argileuse ou sableuse.
MM. Tournier et Guillon ont exploité le 5 dép5ts, par tran-
ches verticales. Grâce à ce mode de procéder, ils ont pu s'as-
surer et faire constater par une délégation de la Société d'his-
toire naturelle de l'Ain, lorsque les extrémités inférieures du
squelette apparurent dans la coupe, qu'au-dessus d'elles,
foyers et couches intermédiaires étaient aussi régulièrement
stratifiés que d'ordinaire, qu'il n'y avait aucune trace de
remaniement. La même disposition a persisté constamment
au-dessus du squelette et jusqu'à la paroi du rocher, au fond
de la terrasse.
La sépulture est donc, sans contestation possible, contem-
poraine du foyer qui la renfermait ; autrement dit, elle appar-
tient à l'âge du renne; et la grande abondance des débris de
390 SÉANCE DU P> JUIN 1895
ce mammifère, à son niveau, permet de l'attribuer à la période
tarandienne de M. Piette.
Je ne crois pas avoir besoin d'insister sur l'intérêt qu'elle
présente.
Discussion.
M. (I. de Moutillet. — Je comprends très bien que M. d'Acy
signale les fouilles de l'abri sous roche des Hoteaux. Ces
fouilles sont fort intéressantes. Elles ont d'autant plus d'im-
portance qu'elles font très bien connaître un gisement mag-
dalénien, très nettement caractérisé. Les gisements de cette
époque signalés jusqu'à présont dans l'est de la France, sont
encore peu nombreux. Celui des Hoteaux, en outre, a fourni
un remarquable bâton de commandement, portant une gra-
vure de cervidé. (l'est peut-être l'objet d'art le plus important
signalé dans toute la région.
Mais ce que je ne comprends plus, c'est que notre collègue
soit assez hardi, pour s'emparer d'une fouille qui n'est pas
complète, pour baser d'importantes conclusions, contraires
à ce qui est généralement admis. Et sur quoi appuie-t-il ces
conclusions? Sur une coupe évidemment schématique. En
effet, la coupe donnée par MM. Tournier et Guillon, est plus
haute que large, or, la hauteur du dépôt meuble, n'est que
de 2 mètres, tandis que son étendue en longueur est de 15 mè-
tres et en largeur, de 8 ou 10 mètres.
Elle est d'autant plus schématique que les treize zones dont
elle se compose sont chacune à peu près de la même épais-
seur sur toute leur étendue, il n'y a d'exception que pour les
deux zones archéologiques supérieures. Or, il est évident que
sur la largeur et la longueur de la terrasse données par les
fouilleurs eux-mêmes, il y a dû avoir de fortes modifications
entre le centre et les bords, entre les bords extérieurs et ceux
qui vont buter contre la paroi verticale du rocher. Ces inéga-
lités doivent être d'autant plus sensibles que les débris et les
éboulis de la roche formant surplomb, constituent la majeure
E. D'ACY. — LA STATION DES HtTEAI (X 391
partit' du lerrainjneuble de la terrasse, et que ces débris et
éboulis n'ont pu se produire d'une manière uniforme. Dans
une question aussi importante que celle soulevée par M. d'Acy
il faut des documents plus précis, plus positifs que ceux sur
lesquels il s'appuie.
M. d'Acy. — M. de Mortillet vient de dire, si je ne me
trompe, que si la sépulture des Hoteaux remontait à l'âge
du renne, elle serait la première connue de cette époque. Je
ne chercherai pas de nouveau à modifier sa manière de voir
relativement aux squelettes des Baoussé-Roussé, de Lau-
gerie-basse, de Chancelade, etc. ; mais je me permettrai de
continuer à protester contre elle.
Il est certain que MM. Tournier et Guillon n'ont pas fouillé
la grotte des Hoteaux, mais bien la terrasse qui précède
cette grotte. Mais je ne vois pas ce que le voisinage de la
caverne pourrait faire à la découverte du squelette de la ter-
rasse. Et, de plus, MM. Tournier et Guillon ne disent pas,
que je sache, que ce squelette fut près de l'ouverture de la
grotte. Ils le disent d'un maxillaire isolé, trouvé à l'"30 de
profondeur, sur le bord d'un foyer — ce doit être le 4° — ;
n\ais ils ne le disent pas du squelette rencontré à 2 mètres
de la surface, dans le 6e foyer.
Quant à la coupe figurée par MM. Tournier et Guillon et
incriminée par M. de Mortillet, elle ne représente pas le gise-
ment en entier. D'après l'échelle, elle ne doit guère en donner
plus de la moitié; et elle est complétée par les explications
très détaillées, contenues dans le texte du mémoire. Elle
commence à gauche — par rapport au lecteur — non pas au
bord de la terrasse, mais à la tranchée, que MM. Tournier et
Guillon ont fait ouvrir, dès le début de leurs fouilles, afin
d'exploiter les dépôts par sections verticales. Pour le côté
druitdela figure, la ligne absolument droite et perpendiculaire
qui la limite, me paraît montrer clairement que les couches
ne sont pas représentées jusqu'à la paroi de fond du rocher.
D'ailleurs, MM. Tournier et Guillon disent que les foyers pre-
naient presque immédiatement contact avec cette paroi. Ils ne
392 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
la touchaient donc pas. Les 3e, 4e, 5e et 6e foyers étaient
comme encadrés, en avant et sur les côtés, par un amas com-
pact de débris calcaires et osseux, dans lequel ils se prolon-
geaient parfois en une ligne à peine perceptible. Et, quant
aux deux foyers supérieurs, dont la figure contient la fin —
vers la gauche — ils s'éteignent bien en biseau, comme c'est
leur devoir. Les critiques de M. de Mortillet, relativement au
soin, à l'exactitude avec lesquels la coupe aurait été relevée,
me semblent donc manquer complètement de fondements.
J'ignore si M. l'abbé Tournier s'est trompé au sujet du gise-
ment d'une station moustérienne. Mais ce qui est certain, c'est
que, devant une coupe telle que celle de la terrasse des Ho-
teaux, il n'avait pas besoin d'être le savant géolugue qu'il est,
pour reconnaître la stratification des foyers noirs et des
couches intermédiaires jaunâtres. Il suffisait de regarder.
Cette stratification nette, régulière, toujours la même a été
constatée et par M. l'abbé Tournier et par M. Guillon. La
même disposition a été reconnue par une délégation de la
Société d'histoire naturelle de l'Ain, appelée tout exprès pour
t'xaniiner les terrains, lors de l'apparition des extrémités in-
férieures du squelette. Une peut-on désirer de plus ? Le non
remaniement des couches domine toute la question. Il est
établi d'une façon incontestable.
G. de Moktillet. — Lorsqu'il s'agit de faits très importants
desquels on veut tirer Ae grandes conclusions, il faut être de
la plus rigoureuse exactitude. C'est malheureusement ce qui
n'a pas lieu dans le cas actuel. Ne peut-on pas reprocher à
M. d'Acy lui-même de n'être pas assez précis ? Arguant de la
fouille d'une plateforme-abri, c'est lui qui ledit, il intitule sa
brochure La Grotte des Hoteaux. Or, les fouilleurs déclarent
carrément que cette grotte est « non encore explorée ». M.
d'Acy, comme MM. Tournier et Guillon, qualifie de foyer les
assises avec ossements et silex. Ces foyers, au nombre de 6,
ou tout au inoins de 4, s'étendraient sur tout l'espace de la
terrasse, gigantesques foyers de 15 mètres de long sur 8 ou
10 de large. Un en voit rarement de pareille dimension ! ! !
E. D'ACV. - LA STATION DES HOTEAUX 393
Mais si les foyers. étaient si vastes, occupant tout l'espace, où
donc se casaient les hommes? Et comment os et silex ne
sont-ils pas les uns brûlés, les autres craquelés ? Il s'agit évi-
demment d'assises successives archéologiques et stériles.
Devant ce manque de précision et de critique, quelle con-
fiance accorder aux observations concernant le terrain recou-
vrant le squelette ?
Les fouilleurs ont compris l'importance de la sépulture. Ils
se sont empressés de faire constater le gisement et la virgi-
nité des couches supérieures par une délégation de la Société
d'histoire naturelle de l'Ain. Le maire de Rossillon présida à
la levée du corps et un curé du séminaire vint la bénir. Mais,
puisque le cas était si important — et il l'est réellement — pour-
quoi, au lieu de s'en référer à une coupe schématique d'ensem-
ble n'a-t-on pas donné une coupe vraie, une coupe exacte du
terrain au-dessus du corps? Cette coupe manquait-elle de
netteté ou ne satisfaisait-elle pas tous les visiteurs ? Nous ne
savons, mais nous ne possédons qu'une coupe à côté, ce n'est
pas assez. Par contre, on nous donne une phototypie du
squelette, mais du squelette enlevé par pièces et morceaux,
puis reconstitué pour être soumis a l'appareil photographi-
que. Toujours du schéma ! C'est trop.
Maintenant, un peu de critique. M. d'Acy arguant du main-
tien de la régularité des assises au-dessus du squelette, con-
clut : « Il est donc incontestable qu'il n'y a pas eu d'enseve-
lissement postérieur à la formation des dépôts, et que le
squelette est contemporain du 6e foyer, dans lequel il
reposait. »
D'après MM. Tournier et Guillon, le squelette humain gisait
régulièrement couché sur le dos, les divers os disposés dans
leur connexion naturelle, au milieu d'un foyer qui n'avait que
10 centimètres d'épaisseur. Il était régulièrement recouvert
d'une assise de terre argileuse épaisse de 20 centimètres.
Une assise de 10 centimètres est tout à fait insuffisante
pour loger un corps, même quand il est décharné et qu'il ne
reste plus que le squelette. Le crâne seul, dans quel sens
T. VI (4" série). P(j
^94 SÉANCE DU G JUIN 1 89o
qu'on le place, a plus de 10 centimètres de hauteur, bien que
cela contrarie un peu la fameuse régularité des assises, si
bien constatée et si hautement proclamée. A plus forte raison
on ne peut pas ensevelir un corps dans une assise si peu
épaisse. Donc, si le squelette est contemporain de l'assise,
comme le prétend M. d'Acy, il a dû rester a découvert. Mais
ce n'est pas admissible, car, dans ce cas, après la décompo-
sition des chairs, les os se seraient déplacés et mêlés. En
outre, les bêtes fauves, contre lesquelles il fallait se protéger,
d'après MM. Tournier et Guillon, auraient dévoré le cadavre.
C'est d'autant plus certain que, parmi ces fauves, il y avait
l'hyène, le plus vorace de tous.
L'assise qui recouvre celle contenant le squelette étant en
terre argileuse stérile, on pourrait peut-être admettre qu'elle
est le produit d'une inondation venant de l'extérieur ou de la
grotte, et que l'individu retrouvé est une victime de cette
inondation. Recouvert immédiatement par la terre argileuse,
produit de cette inondation, son squelette aurait été conservé
et les assises supérieures auraient pu se déposer régulière-
ment au-dessus de lui. Mais alors il n'est plus question de
sépulture intentionnelle.
S'il y a sépulture réelle et intentionnelle, il est absolument
nécessaire qu'il y ait eu une fosse creusée. Il reste à détermi-
ner ïi quelle époque a eu lieu ce creusement. S'il y a eu
sépulture, l'individu enterré n'appartient pas a l'époque de
l'assise dans laquelle il a été trouvé. A quelle époque appar-
tient-il ? Le squelette gisant seulement à lm80 de profondeur,
dépôts récents compris, peut très bien appartenir à la période
actuelle justement caractérisée par l'ensevelissement des
morts.
M. d'Acy. — M. G. de Mortillet est encore revenu sur la coupe
figurée par MM. Tournier et Guillon. J'ajouterai simplement
à ce que j'ai déjà dit que cette coupe n'est évidemment pas
celle dans laquelle les pieds du squelette ont été découverts,
et qui a été examinée, vérifiée, si je peux parler ainsi, par la
délégation de la Société d'histoire naturelle de l'Ain. C'est
A. DUMONT. — MOUVEMENT DE LA POPULATION FRANÇAISE 395
une coupe perpendiculaire au rocher du fond, dressée à l'aide
des coupes parallèles à ce rocher — ou à peu près — obtenues
constamment, grâce à l'exploitation par tranches verticales.
Pour être schématique, elle n'en est pas moins exacte.
Quant au mode d'inhumation, au creusement de la fosse
dans un terrain antérieur, etc., ce sont les mêmes objections
que pour les sépultures des Baoussé-Boussé, de Spy, etc. Ce
serait abuser de la patience de la Société que de recommencer
nos querelles k leur sujet.
Je me bornerai à dire que, si les hyènes n'ont pas dévoré
le cadavre de la terrasse des Hoteaux, c'est que là, comme
ailleurs, elles ont été tenues à distance par la présence des
vivants qui continuaient k cohabiter avec le mort, après l'avoir
sommairement inhumé en quelque endroit de leur foyer
commun.
Mouvement de la population française en 1898.
Par M. Arsène Dumont.
C'est en 1888, pour la première fois, que le gouvernement,
préoccupé du nombre croissant des étrangers habitant en
France, a fait relever dans les mairies et publier à YOjficiel le
mouvement de la population parmi eux.
Cette heureuse innovation présentait deux avantages : car
d'une part nous avons le plus grand intérêt à connaître avec
précision les diverses nationalités répandues sur notre sol, et
de l'autre les phénomènes démographiques qui se produisent
parmi nous, au sein de la population française, ne peuvent
être rigoureusement déterminés que si on élimine les causes
d'erreur résultant du mélange de la population étrangère. La
nuptialité, la natalité, la mortalité, la natalité naturelle,
l'excès des naissances sur les décès ne peuvent être connus
exactement parmi les Français que si on les connaît, et avec
une égale exactitude parmi les étrangers habitant en France.
396 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
C'est ainsi que, pendant les cinq années 1888, 1889, 1890,
4891 et 1892, où cette distinction a pu être faite, la mortalité
était plus grande parmi les Français que chez la colonie
étrangère. Elle était pour la population totale de la France
de 22,:? : pour la colonie étrangère de 16,1), et pour les Français
seuls de 22,5. Il est évident que ce chiffre est l'expression
véritable de la mortalité française pendant cette période
quinquennale, et non moins évident qu'il était impossible de
l'établir sans connaître la mortalité de la colonie étrangère.
C'est ainsi encore que, pendant la même période, la natalité
naturelle, c'est-à-dire le chiffre qui répond à la question : pour
cent naissances générales, combien de naissances naturelles'?
est, pour la population totale de la France, 8,5; pour la
colonie étrangère, 12,8, et, pour les Français seuls, 8,3. Ce
dernier chiffre est bien la ssule expression exacte de notre
natalité naturelle, qui, sans la connaissance de l'état démo-
graphique des étrangers, serait induement grossi par la
natalité naturelle très supérieure de ces derniers.
Pour la natalité et la nuptialité, cette distinction a moins
de conséquence. Entre la nuptialité des Français seuls, qui
est de 7,3, et celle de la colonie, qui est de 6,2 seulement;
entre la natalité des Français, qui est de 22,66, et celle de la
colonie étrangère, qui est de 23,2, les différences sont trop
faibles pour que, entre la population totale de la France et
les Français seuls, elles puissent apparaître ailleurs que dans
les centièmes d'unité.
Mais où cette division de la démographie de la France en
deux comptes distincts reprend un grand intérêt, c'est quand
il s'agit du chiffre brut de l'excès réciproque des naissances
sur les décès. Ainsi, pendant les cinq années énoncées,
l'excès des naissances sur les décès a été, pour la population
totale de la France, de 61,426, mais, parmi la colonie étran-
gère, il a élé de 40,334 : de sorte qu'il tombe, pour les Français
seuls, à 21.092. C'est-à-dire que l'excès annuel des naissances
sur les décès était, pour la population entière, de 12,285;
pour la colonie étrangère, de 8,066, et. pour les Français
A. DUMONT. — MOUVEMENT DE LA POPULATION FRANÇAISE 397
seuls, de 4, 218.. Si faible que soit ce chiffre, c'est évidemment
la seule expression vraie de l'excès des naissances sur les
décès.
Mais il y a plus : de ces cinq années, les trois dernières,
1890, 1891 et 1892, ont été particulièrement malheureuses ;
elles ont présenté, pour la population totale de la France, un
excès de 68,992 décès sur les naissances. Toutefois, pour les
Français seuls, cet excès des décès s'élevait à 90,832; car,
pendant ces trois années, la colonie étrangère, démographi-
quement prospère, au milieu de la nation malade, s'accroissait
de 21,840 individus, par excès des naissances sur les décès.
J'ai étudié ailleurs le détail et les causes de ces phénomènes;
mais le résultat qu'on ne peut trop rappeler, c'est que, pen-
dant ces trois dernières années, la population entière de la
France a perdu annuellement 22,997 habitants, par excès des
décès sur les naissances, et que la population française seule
en a perdu annuellement 30,277 pour la même cause.
Or, il faut le répéter sans cesse, ce dernier chiffre est le seul
qui doive nous intéresser.
Au point de vue scientifique, la population française com-
prend tous les êtres humains présents sur son territoire le
jour du recensement. Elle embrasse, outre les 37,003,174
citoyens français, les 1,130,221 étrangers qui se trouvaient
alors parmi nous. Mais au point de vue national, le premier
de ces deux chiffres est le seul qui nous importe : ce qui tend
à le diminuer affaiblit la France, ce qui tend à l'accroître la
fortifie.
Il semblait qu'une distinction si utile et si rationnelle, une
fois adoptée, ne dut plus être omise. Si imparfaites que fussent
les bases sur lesquelles elle reposait, les résultats numériques
conservaient assez de certitude pour que leur portée philoso-
phique n'en fût point diminuée. Cependant, après avoir été
faite pendant cinq ans, dans le Journal officiel du 19 janvier
1895, qui relate le mouvement de la population pour l'année
1893, nous voyons qu'elle a disparu. Nous y lisons que la
nuptialité a été, pour cette année, de 7,36; la natalité, de
398 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
22,9; la natalité naturelle, de 8,8; la mortalité, de 22,8;
l'excès des naissances sur les décès, de 7,146. Mais tous ces
chiffres sont relatifs à l'ensemble de la population habitant la
France. Les données permettant de calculer la natalité et la
natalité naturelle, la nuptialité, la mortalité et l'excès réci-
proque des naissances sur les décès pour la nation française,
n'ont pas été fournies.
L'état démographique de la France parait, ainsi présenté,
un peu moins mauvais pendant l'année 1893 que pendant les
trois années précédentes. II y a un excédent de 7,146 nais-
sances sur les décès qui sert de prétexte à l'optimisme officiel.
Si, en effet, l'on observe que, dans la colonie étrangère, l'excès
des naissances sur les décès a été en moyenne de 7,280 par
an durant les trois années 1890, 1891 et 1892, et qu'il n'y a
pas de raison pour que cet excédent n'ait pas été le même en
1893, on est obligé de conclure (pie, pour cette dernière
année, l'excès de 7,146 naissances existant dans la popula-
tion totale de la France, se transforme en un excès de 134
décès parmi les Français seuls. Si, au lieu de considérer comme
chiffre probable de l'excès de naissances sur les décès parmi
la colonie étrangère en 1893, la moyenne des trois années
précédentes, on préfère, ce qui est plus rationnel, prendre
la moyenne de la période quinquennale .1888-1892, cette
moyenne étant de 8,066, l'excès des décès sur les naissances
parmi les Français seuls devient 920.
De quelque façon que l'on calcule, voici quatre années
consécutives que, en pleine paix, sans calamités publiques
exceptionnelles, mais, au contraire, au milieu de la richesse
rapidement croissante, le nombre des Français diminue par
excès des décès sur les naissances. Il y a cinq ans seulement,
quand on parlait de dépopulation, on était parfois taxé d'exa-
gération : car l'ensemble de la France présentait encore, tout
compensé, une augmentation d'environ cent mille habitants
par an. Il pouvait paraître, à condition de ne pas approfon-
dir, indifférent que quelques groupes de départements pré-
sentassent plus de décès que de naissances, si les autres
A. DUMONT. — MOUVEMENT Dlî LA POPULATION FRANÇAISE 399
compensaient largement le déficit. Aujourd'hui, il n'en est
plus ainsi : le fléau de la dépopulation a fait des progrès
si rapides que les prévisions les plus pessimistes ont été
dépassées.
Pour en juger, il est nécessaire de comparer notre état dé-
mographique de 1893 avec notre état antérieur, avec celui
des autres nations, et d'examiner rapidement l'état de nos
divers départements.
Etant donnée l'insuffisance des documents officiels, nous
ne pouvons connaître le mouvement de la population chez les
Français seuls. Pour l'ensemhle de la population française,
la nuptialité a été, en 1893, de 7,56 contre 7,3 pendant la
période quinquennale précédente; la natalité de 22,9 au lieu
de 22,67. Il y a donc une légère amélioration sous ces deux
rapports. Mais la mortalité s'est accrue; elle est de 22,8 au
lieu de 23,3. La proportion des naissances naturelles est de
8,8 au lieu de 8,5. Pour ces deux phénomènes il y a donc
légère aggravation.
Si l'on compare ces quatre chiffres à ceux qui sont fournis
par les autres nations, notre nuptialité de 1893 apparaît
comme moyenne en Europe. Notre natalité nous place au
dernier rang, avec un intervalle considérable entre nous et
les nations les moins dissemblables. La natalité de la Suisse,
celle qui est la moins éloignée de la nôtre, varie depuis dix
ans entre 26,7 et 29; celle de la Suède varie depuis douze ans
entre 27,7 et 29,9; celle de la Belgique, depuis huit ans, entre
28,6 et 29,9. Tous les autres Etats ont des natalités au-dessus de
30. La natalité anglaise est en général de 8 ou 9 unités au-des-
sus de la nuire; celles de l'Italie et de l'Allemagne, de 12 ou
15 ; celles de la Saxe, du Wurtemberg, de l'Autriche et de la
Hongrie, de 18 à 20. Enfin la Russie a compté, de 1887 à
1890, de 48,5 à 50,3 naissances pour 1,000 habitants; Sa
natalité est par suite beaucoup plus que double de la nôtre.
Si notre natalité est beaucoup trop faible, notre mortalité
n'en est pas moins trop forte. Egale à peu près à celle Se
l'Angleterre, elle est supérieure à celle du Danemark, de la
400 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
Suède et surtout de la Norwège. C'est sous ce climat à la fois
humide et glacé que l'homme vit le plus longtemps et pré-
sente le plus de résistance à la maladie, bien que tous ses
besoins, en fait de vêtement, de logement, de chauffge et
d'alimentation, y soient plus considérables que partout
ailleurs. C'est sous le beau ciel de l'Italie et de l'Espagne, où
la nature est si clémente à l'homme, qu'il présente le plus de
mortalité et de morbidité. La France, intermédiaire entre les
deux presqu'îles du Midi et la Norwège, comme latitude et
comme température, l'est aussi comme mortalité. Ce n'est pas
sans doute que les climats septentrionaux soient plus favo-
rables à notre constitution, mais c'est que l'homme fait lui-
même sa destinée. On doit penser qu'il gère dans le Nord ses
forces physiques et mentales d'une manière plus rationnelle,
qui serait à étudier afin de ramener notre mortalité a un
chiffre qui, vu la faiblesse de notre natalité, pourrait certai-
nement ne pas excéder 13 décès pour 100 habitants.
Si l'on considérait une moyenne de 8 mariages pour 1,000
habitants comme constituant l'état de santé démographique,
ce qui n'est pas trop demander, surtout chez une nation où
le nombre des adultes est proportionnellement considérable,
on verrait qu'en 1893 vingt de nos départements seulement
ont atteint ou dépassé ce chiffre. Encore faut-il y comprendre
la Seine, où, malgré l'élévation apparente de la nuptialité
(9,3, le maximum de toute la France), le goût pour le mariage
est en réalité, comme on sait, fort peu développé. Dans 07
départements, la nuptialité reste au-dessous de 8 pour 1,000
habitants, qui a semblé longtemps la proportion normale en
France.
En même temps, le nombre des divorces augmente réguliè-
rement d'année en année, suivant une progression en rapport
avec le relâchement du lien conjugal et qui est loin d'avoir
atteint son terme.
La fécondité des mariages en 1893 a été, comme toujours,
insuffisante. Le nombre des naissances légitimes ayant été
de 798,110 et celui des mariages de 287,294, la proportion
A. DUMONT. — MOUVEMBKT DIÎ LA POPULATION FRANÇAISE -401
des naissances pour 100 mariages est de 277. Bien que ces
naissances ne soient évidemment point attribuables, sinon
pour une très faible part, aux unions de l'année, ce chiffre
n'en a pas moins sa portée, comme indice de la fécondité
habituelle des mariages.
Ici encore nous nous trouvons en présence d'un phénomène
de pathologie sociale. Au taux actuel de notre nuptialité et
de notre mortalité, le chiffre minimum qui serait désirable
ne devrait pas descendre au-dessous de 3,5 naissances légi-
times pour un mariage et 3,8 assurerait seul la pleine santé
démographique. Mais il y a plus, ce chiffre si bas de 2,77 n'est
qu'une moyenne, et comme les différences sont grandes de
département à département et de commune à commune
certaines divisions administratives restent bien au-dessous de
ce chiffre. Nous avons des cantons qui, en fait, n'ont pas
même un enfant vivant par ménage.
Il y a certainement un point au-dessous duquel l'abaisse-
ment de la natalité doit être considéré comme une maladie
sociale. Alors même que le chiffre des décès serait beaucoup
plus faible que celui des naissances et que le nombre des
habitants ne serait point en voie de diminution, une nation
doit être considérée comme malade s'il n'y a point assez de
naissances, que ce déficit provienne soit du trop petit nombre
des mariages contractés, soit de la proportion trop forte des
mariages sans enfants ou n'ayant que des enfants uniques, et
qui sont presque toujours des enfants gâtés.
Ce niveau minimum de la natalité désirable peut naturelle-
ment varier suivant les circonstances et les appréciations ;
mais il semble qu'il doit en tous cas être compris entre 25 et
30 et que 25 soit à peu près le dernier degré auquel on puisse
l'abaisser. Or, nous n'avons que 15 départements présentant
25 ou plus de 25 naissances pour 1,000 habitants, et quatre
seulement, le Morbihan et le Finistère, le Nord et le Pas-de-
Calais qui accusent une natalité pleinement satisfaisante de
30 à 33,5. Quatorze ont une natalité de 25 à 23, passable
pour la France actuelle, c'est-à-dire supérieure à la moyenne
402 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
nationale de l'année, bien qu'insuffisante en elle-même. Mais
dans 58 la natalité est au-dessous de ce chiffre si bas. Enfin
dans cinq départements, l'Yonne, le Tarn-et-Garonne, le Lot,
le Lot-et-Garonne et le Gers, elle est inférieure à 17. Ce der-
nier département n'a que 14,9 naissances pour 1,000 habitants,
ce qui, en admettant comme vraisemblables, des oscillations
de cinq en plus ou en moins de la moyenne, suppose des com-
munes où la natalité descend à moins de 10 pour 1,000 habi-
tants '.
Natalité naturelle. — Si l'on demandait quel est le nombre
de naissances naturelles que l'on doit désirer dans une nation,
l'esprit de nos lois et la direction de la morale régnante por-
teraient certainement à répondre que le mieux est de n'en
avoir aucune. Mais c'est un idéal que la civilisation euro-
péenne ne peut atteindre. Nos codes et nos mœurs semblent
avoir établi le mariage comme un canal destiné à endiguer
la plus grande part de l'instinct sexuel sans jamais pouvoir
le contenir tout entier. Ils rendent les naissances naturelles
inévitables tout en les regardant avec défaveur. Sans doute,
un enfant légitime sur lequel veillent à la fois un père et
une mère a toutes chances d'être mieux vêtu, mieux lavé,
mieux protégé contre le vice, la mort et la maladie que l'en-
fant naturel. Il est plus avantageux pour lui et pour la société
que sa naissance se produise en dedans qu'en dehors du
mariage. Mais étant donnée l'insuffisance de notre natalité
légitime, s'il vaut mieux enregistrer une naissance légitime
qu'une naturelle, il vaut beaucoup mieux mieux une nais-
sance naturelle que rien.
Le chiffre des naissances naturelles a été de 76,662 en 1893,
soit 8,8 pour 100 naissances de toute nature. C'est le chiffre
le plus élevé qui ait encore été constaté en France. Mais il
n'a qu'une relation fort indirecte avec celui de la nuptialité
ou de la natalité générales. Quelques-uns des départements
1 C'est un cas de tératologie sociale que je n'ai rencontré qu'une
fois à St-Contesl (Calvados), moyenne de la décade 1843-1852.
A. DUMONT. — MOUVEMENT DE LA POPULATION FRANÇAISE 403
qui ont le moins d.e naissances légitimes sont aussi ceux qui
en ont le moins de naturelles. Exemples : Le Lot, le Lot-et-
Garonne et même le Gers. Au contraire, la Seine, la Somme,
le Rhône, le Calvados, le Nord, la Seine-Inférieure, la Gironde
ne doivent leur haute natalité naturelle qu'à leur nombreux
prolétariat industriel et agricole. La natalité naturelle n'est
nullement en raison inverse de la natalité légitime ou, du
moins, cette relation inverse n'est une hypothèse admissible
que pour le Morbihan et le Finistère. Les naissances natu-
relles sont plus nombreuses dans les départements de race
kymrique et aussi dans ceux où la répartition des richesses
étant très inégale il existe un nombreux prolétariat.
Mortalité. — Nous n'avons que dix départements où la mor-
talité soit inférieure à 20, et, dans le plus épargné de tous,
elle dépasse encore 16. Dans G6, elle varie de 20 à 25 ; enfin,
dans 11 départements, elle varie de 25 a 28,2. Dans les trois
départements les plus maltraités, le Finistère, les Bouches-
du-lthône et la Seine-Inférieure, la haute mortalité tient à la
pauvreté, mais pour ces deux derniers à la pauvreté de la
majorité seulement de la population, ce qui ne les empêche
pas de compter une minorité extrêmement fortunée qui leur
vaut leur réputation de richesse.
Cette mortalité si élevée de 77 de nos départements montre
combien nous sommes loin de la mortalité idéale, c'est-à-dire
de la mortalité minimum compatible avec la nécessité de
mourir.
Excès des naissances sur les décès. — Il devrait se produire
dans toute la nation, mais aussi dans toutes ses parties, dépar-
tements et communes. Toute collectivité où il se ne se produit
point est malade et réclame l'intervention du législateur. Or,
nous avons compt':, en 1893, la grande majorité des départe-
ments, 51, où il y a eu excès de décès sur les naissances.
Dans le département de l'Orne, peu dense et peu peuplé,
l'excès des décès a été de 2,336 on cette seule année. Dans
l'Eure, il a été de 1,755; dans le Lot-et-Garonne, de 1,573
dans le Lot, de 1,415 ; dans le Gers, de 1,295. Les départe-
404 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
ments où la population par excès des décès sur les naissances
est le plus active sont le Gers, le Lot, le Lot-et-Garonne,
l'Orne, qui ont pour 1,000 décès de 730 à 750 naissances seu-
lement, puis la Côte-d'Or, l'Eure, la Haute-Garonne, la Sar-
the, le Tarn-et-Garonne, l'Yonne, quLen ont de 750 à 800.
Telle est la profondeur du mal !
Il tient à des causes profondes et permanentes, sans cesse
agissantes, d'une énergie toujours croissante. Le principe
toxique contenu dans notre civilisation se développe comme
un ferment caché, à la chaleur du bien-être, et il continuera
à se développer. Il a toujours tué toutes les aristocraties,
toutes les bourgeoisies pensant et aspirant à vivre noblement,
il mine maintenant le peuple pensant et aspirant à vivre
bourgeoisement. Il est constitué par un état d'esprit, un en-
semble d'appréciations et d'aspirations dont tout, dans notre
démocratie imparfaite et contradictoire, encourage la rapide
diffusion, et tant que nous serons dans le même état social,
douloureux et illogique, il gagnera sans cesse en profondeur
cl en étendue.
Quel remède '.' Sa détermination abstraite tient en deux
mots : dégager le principe toxique afin de l'éliminer, ou, en
termes plus courts, étudier le mal dans le plus grand détail
et rendre ses causes évidentes à tous les yeux, afin de les
supprimer.
La dépopulation tient tantôt à l'excès de l'émigration sur
l'immigration et tantôt à l'excès des décès sur les naissances.
L'excès des décès sur les naissances lui-même tient tantôt au
chiffre excessif des décès, tantôt à l'abaissement trop grand
de la natalité. Enfin, l'abaissement de la natalité peut venir
soit du trop petit nombre d'enfants par mariage, soit du trop
petit nombre des mariages, soit même de l'absence des nais-
sances naturelles, dont l'apoint empêche souvent la natalité
générale d'être au-dessous de la mortalité. Enfin, l'abaisse-
ment de la nuptialité, de la natalité légitime et de la natalité
naturelle peut résulter soit de la volonté, soit de raisons
physiologiques. Telles sont les causes immédiates de la dépo-
A. DUMONT. — MOUVEMENT DE LA POPULATION FRANÇAISE 405
pulation, celles qu'il est possible de découvrir et d'exprimer
mathématiquement. Les causes médiates qui sont du domaine
de la psychologie et de l'ethnographie ne peuvent être qu'en-
suite cherchées avec utilité.
Les progrès de la dépopulation ont mis la France dans une
situation telle qu'elle ne peut attendre son salut que des pro-
grès de la démographie. Quelque grande que soit la tâche,
cette science peut l'accomplir à la seule condition de procé-
der avec méthode. Pour arriver à déterminer les remèdes,
autrement dit les réformes sociales et morales, intellectuelles
et esthétiques nécessaires, il faut avoir découvert les causes
médiates et avant celles-ci les causes immédiates, mathémati-
quement mesurables. Il faut commencer par faire la démo-
graphie de la France entière, commune par commune et can-
ton par canton.
La nation, attaquée par un mal inoui, ne doit pas oublier
qu'elle possède dans les archives des départements des tré-
sors sans prix, comme l'espèce humaine n'en a jamais pos-
sédé, les matériaux d'une histoire exacte de 36,000 unités
démographiques pendant cent ans. C'est dans l'exploitation
méthodique de ces documents que réside le salut. Puisse
cette conviction se propager jusqu'à ce qu'elle envahisse la
majorité de la nation et tourne enfin les pouvoirs publics à
édicter les mesures indispensables.
Discussion.
M. René Worms fait observer que les questions soulevées
par M. Arsène Dumont n'ont pas moins d'intérêt pour le
législateur que pour l'homme de science. En effet, les textes
légaux sur la nationalité ont été remaniés en 1889 pour attri-
buer la qualité de Français à nombre d'enfants nés en France
de parents étrangers. On s'est aperçu en 1893 qu'on était allé
trop loin dans cette voie, et l'on est revenu en partie sur les
dispositions prises. La question est aujourd'hui de savoir la-
quelle de ces deux orientations, celle de 1889 et celle de 1893,
406 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
doit rester l'orientation définitive de nos législateurs. Or,
pour trancher cette question, les statistiques du genre de
celles dont parle M. Dumont ont une importance décisive.
En effet, s'il est bien établi que la natalité française serait in-
férieure en valeur absolue a la mortalité, n'était l'appoint de
la natalité due aux étrangers établis en France, il faudra
conclure que le législateur de 1889 n'avait pas tort de vouloir
rendre Français les enfants de ces étrangers, puisque sans
eux notre population décroîtrait sans cesse en valeur ab-
solue. Il serait donc essentiel que les statistiques fissent
connaître combien, parmi les enfants nés en France, sont
issus d'auteurs étrangers, afin que le législateur put se pro-
noncer en connaissance de cause. Il serait même nécessaire,
à notre point de vue, que les statistiques divisassent cette
catégorie d'enfants suivant la nationalité d'origine de leurs
auteurs.
M. G. Lagneau. — M. Dumont attribue notre faible excé-
dent de 7,146 naissances sur les décès en 1893 ' aux étrangers
immigrés en notre pays. Aussi exprime-t-il le regret que dans
la publication du dernier mouvement de la population, après
la natalité et la mortalité générales de tous les habitants, on
n'ait pas continué, comme les années précédentes, à indiquer
séparément la natalité et la mortalité des Français et des
différents immigrés étrangers. Sachant qu'en 1890, 1891 et
1892, pour tous les habitants, il y avait des excédents de
38,446, de 10,505 et de 20,041 décès, et que pour les Français,
considérés isolément, ces excédents s'élevaient à 43,820, à
19,354 et à 27,658 décès-, la remarque de notre collègue
semble très vraisemblable.il est donc évidemment regrettable
qu'on n'ait pas indiqué séparément, pour 1893, la natalité et
la mortalité des immigrés.
i Mouvement de la population : Journal officiel, 19 janvier 1895,
p. 336.
2 Mouvement de la population : Journal officiel, 21 octobre 1891,
p. 5062 ; 20 décembre 1892, p. G349 ; 15 février 1894, p. 748.
A. Dl'MONT. — MOUVEMENT DE LA POPULATION FRANÇAISE 407
Quant aux excédents des naissances, de 8,959, de 7,788 et
de 6,179, présentés par la plupart des dilïérents immigrés :
Belges, Espagnols, Italiens, Suisses (moins les Anglais, qui ont
un excédent de décès), ils semblent témoigner d'une natalité
supérieure à celle des Français, bien que, ainsi que le re-
marque M. Dumont, elle puisse être, pour eux, moindre en
France que dans leur pays d'origine.
En effet, il faut observer que ces excédents de naissances,
résultant du rapprochement des nombres des naissances sur
ceux des décès, n'impliquent pas une très grande fécondité.
De 1890 à 1892 les naissances et les décès des Français de
tous âges ne sont pas comparables aux naissances et aux
décès des étrangers, qui, pour la plupart, ne sont arrivés en
France qu'à l'Age adulte, c'est-à-dire à l'âge de procréation et
de faible mortalité.
Quoique la natalité des étrangers en France soit assez élevée,
leur fécondité y est vraisemblablement moindre qu'elle n'au-
rait été dans leurs dilïérents pays. L'inégale proportion des
immigrés de l'un et de l'autre sexe ne doit pas faciliter les
mariages.
Si, lors du dénombrement de 1881, d'Angleterre il était
venu plus de femmes que d'hommes, de Belgique, d'Espagne,
de Hollande et surtout d'Italie, il était venu plus d'hommes
que de femmes3.
Les mariages entre immigrés et Françaises trouvent parfois
des difficultés dans les formalités à remplir, d'où il résulte
souvent des unions illégitimes, difficiles à régulariser. M. le
Dr Pénot, de Mulhouse, avait signalé les difficultés qu'éprou-
vaient les ouvriers étrangers à faire venir de leur pays les
pièces exigées pour leur mariage, et en particulier à acquérir
le titre de bourgeoisie dont tout marié devait justifier, pour sa
femme et ses futurs enfants, dans certains États de l'Alle-
magne, dans certains cantons de la Suisse '*.
3 Résultats statistiques du dénombrement de 18S1, tabl. 4, p. 110
114, etc., 18G3.
4 I'énot : Recherches statistiques sur Mulhouse, p. 30, 40, 1813.
408 SÉANCE DU fi JUIN 1895
Relativement;! la naturalisation des étrangers, M. Worms
rappelle qu'après avoir, il y a quelques années, pris certaines
mesures pour la faciliter, on crut devoir la rendre moins facile.
Je sais qu'en 1891, sur 38,133,385 habitants, on compte, dans
notre pays, 36,83:2,470 Français, 170,704 naturalisés français
et 1,130,211 étrangers1. Notre population ne se maintient
que par l'immigration étrangère. Avec Bertillon père"2 et
maints autres démographes, je vois avec peine que les
moyens d'existence, dont la France dispose par sa production
ou son importation, au lieu de servir à notre utilité, sollicitent
l'immigration d'étrangers de plus en plus nombreux. Mais je
crois néanmoins qu'il importe de faciliter de plus en plus la
naturalisation de ces immigrants pour leur faire partager les
droits, les intérêts, les obligations de nos compatriotes.
M. Rochard pense qu' « un peuple qui se recrute à l'étranger
perd vite... son caractère, ses mœurs et ses propres forces;
il y perd, avec le temps, ce qu'il y a de plus précieux : sa na-
tionalité3... » Je ne redoute nullement ces conséquences attri-
buées à cette immigration considérable, car les étrangers qui
viennent se fixer dans noire pays sont pour la plupart de
même race que nos nationaux. Il y a longtemps que Strabon
disait que les habitants de la péninsule Ibérique, les Espa-
gnols, étaient de même race que les Aquitains '*, dont descen-
dent la plupart de nos compatriotes du Sud-Ouest. Nos habi-
tants des départements du Nord et de l'Est descendent en
partie des immigrants Normands, Belges, Germains, Francks,
Burgundiens de race germanique. Au point de vue anthro-
pologique, l'immigration actuelle ne semble nullement modi-
fier notre population. La naturalisation est le meilleur moyen
de nous assimiler ces étrangers.
i Résultats statistiques du dénombrement de 1891, p. 119, 1894.
2 Bertillon : Migration. Dictionnaire des Sciences médicales, p. 601,
1875.
s Rochard : Bulletin de l'Académie de Médecine, 20 février 1883.
4 Strabon : Liv. IV, cap. I, § I, et cap. Il, § I, p. 146 et 157,
édit. Didot.
REÔUJAULT. — DEFORMATIONS IRANIENNES 409
Défor.nations crâniennes dans l'art Sino-Japonais
Par le D1' Regnault.
Les artistes sino-japonais étaient très capables de repro-
duire les déformations crâniennes avec une grande exactitude.
Je n'en veux pour exemple qu'une statue japonaise ancienne
en bois conservée au musée Guimet. Elle représente Kou-
ya-Djonin, prêtre fondateur d'une secte boudhiste, mort en
974. Cette statue, très remarquable et très belle, montre une
tète en carène avec un front saillant à la partie médiane.
Celte déformation est représentée avec fidélité et minutie.
De pareils exemples sont l'exception. Les tètes des divinités,
des saints et des philosophes sont pourtant très souvent dé-
formées; mais ces déformations n'ont qu'un rapport éloigné
avec celles que peut observer l'anthropologiste.
Ainsi les artistes chinois et japonais s'accordent à donner
au philosophe Lao-ïseu, au dieu du bonheur et à celui de la
longévité, un crâne élevé en hauteur. Le diamètre vertical
l'emporte sur les autres, la face parait surmontée d'un cylindre
qui, dans les cas extrêmes, peut être deux fois plus haut que
le visage.
Pourquoi les artistes jaunes ont-ils ainsi représenté ces
dieux? Tchen-ki-Tong pensait que ses compatriotes avaient
v«»ulu rappeler leur haute sagesse. Mais on ne s'expliquerait
pas pourquoi la hauteur du crâne diffère suivant les statues.
Sur les statuettes du musée Guimet, on peut trouver des dieux
dont le crâne a la même hauteur que la figure; d'autres ont
deux et même deux fois et demi cette hauteur. On saisit ici
la pansée de l'artiste qui observe le réel et l'exagère plus ou
moins, suivant sa fantaisie. Il a obéi h la même inspiration
que celle qui poussait nos ancêtres à allonger leurs souliers à
poulaine ou leurs coiffures.
Tandis que l'art grec a en général assez fidèlement inter-
prété les déformations crâniennes, l'art sino-japonais les. a
presque toujours absolument modifiées. En effet, l'art des
t. vi (4« série). 27
410 SÉANCE DU 6 JUIN 1895
orientaux est un de ceux qui s'éloignent le plus de la copie
exacte de la nature. Non qu'ils ne sachent dessiner avec une
merveilleuse vérité; mais en bien des œuvres l'imagination
vient dévier le pinceau et créer l'irréel. Rappelez-vous ces
génies du mal qui grimacent : le front a chez eux disparu, le
crâne fuit au-dessus des sourcils d'une façon plus brusque
que chez un microcéphale. Li-Tié-Koné, le philosophe chinois,
et Lao-tsaé-Hù, le dieu des mendiants, ont aussi perdu leur
front. La fantaisie de l'artiste n'a pas de frein.
La meilleure preuve nous est donnée par ces albums
de dessins, qui vulgarisent, en Chine et au Japon, les por-
traits des disciples de Bouddha, les cinq cents Lohans.
Nous avons pu feuilleter, au musée Guimet, trois albums
les figurant.
L'un contenait les cinq cents Lohans ; c'est un manuscrit
chinois publié au Japon, de 1790 à 1821. Trente pour cent
de ces saints ont des crânes déformés.
Des deux autres albums, d'un dessin plus artistique, l'un
contient les portraits authentiques de seize des Lohans, dé-
nommés les seize rakaies, œuvre due à l'auguste pinceau de
Khien-long-IIouang-yu-pi-te-i san-lo-han-to, manuscrit du
xviue siècle, réimprimé a Canton.
L'autre, le portrait des Lohans, par Tiun-yun-fang, au
xviuc siècle.
Les déformations de ces personnages sont très variables.
La plus fréquente est justement la déformation conique.
Le sommet de la tète est marqué par une saillie plus ou
moins pointue, les deux parties latérales étant très inclinées
sur la figure représentée de face, ainsi que l'a ordinairement
reproduit l'artiste. La déformation conique parait à grand
diamètre, tantôt verticale, tantôt oblique, tantôt horizontale,
couchée.
Cette déformation rappelle le dessin reproduit par Gosse,
d'après Lafitau, d'un moine boudhiste. Lafitau, dans son
Traité des cérémonies et coutumes religieuses des peuples idolâtres,
2 vol. Amsterdam, 1723; nouvelle édition, 1789, p. 220, t. II,
REGNAtJLT. - DÉFORMATIONS CRANIENNES i\[
rappelle que certaines sectes de mendiants, en Chine, et
certains prêtres, au Japon, ont la tète déformée.
Dans un second groupe on peut ranger les déformations
irrégulières. La tète présente des irrégularités, des bosse-
lures et des creux qu'il est bien difficile d'expliquer par
comparaison avec quelques-unes des déformations signalées
jusqu'à présent par les auteurs.
Dans le livre des cinq cents Lohans, les figures sont vues
de face, les bosselures sont légères, uniquement représentées
par un trait irrégulier. Citons Long-mo, Min-chekan, Yeou-
lo-ping-lo comme des personnages où cette déformation est
surtout marquée.
Mais dans l'album de Khien-long-IIouang et de Tiun-yun-
fang, les figures sont soignées et de profil et les déformations
sont intenses. Les auteurs se sont plus h dessiner des crânes
difformes. Le plus souvent c'est l'occiput qui bombe au point
de former une bosse énorme, mais le verlex peut n'être pas
mieux traité.
En troisième lieu, bien que d'une façon assez rare, nous
pouvons trouver la macrocéphalie. Elle existe très intense sur
quatre personnages des cinq cents Lohans. Sur deux d'entre
eux le milieu de la face tombe aux sourcils ; sur deux autres,
à la racine du nez.
En moyenne, trente pour cent de ces saints ont le crâne
notablement déformé.
L'art ne doit pas être étudié comme une abstraction et
suivant certaines idées préconçues. Il faut en examiner les
manifestations chez tous les peuples et voir comment ils l'ont
compris.
Certes, l'observation est à l'origine de toutes les conceptions
artistiques comme de toute pensée humaine. Mais, suivant
la race, les artistes se sont plus ou moins éloignés de la
vérité.
Pour mieux montrer la nouvelle voie vers laquelle se dirige
l'étude de l'art, il convient de rappeler plusieurs travaux
anglais et américains poursuivis suivant la même méthode
412 séanck du 6 juin 1895
d'observation et dont les conclusions générales rappellent les
nôtres.
Haddon, dans un récent travail soumis à l'Académie royale
irlandaise sur l'art papou, note que : « L'art d'un peuple
civilisé dépend de causes extrêmement complexes. Il est bien
difficile de les apprécier. Pour en avoir une idée, il convient
de s'adresser à un art moins évolué : à ses débuts. Ainsi font
les pbysiologistes, qui comprennent mieux les animaux de
forme complexe après avoir étudié les plus simples. L'art des
sauvages est réaliste. Ce sont les formes usitées qu'ils copient :
l'art d'une contrée est en rapport avec sa faune et sa flore.
Mais ils transforment ce qu'ils voient et le modifient pour
l'ornementation. »
Ainsi on retrouve au milieu des lignes ornementales com-
plexes des dessins papous quelques traits représentant des
figures d'hommes et d'animaux. Certains dessins donnent
des traits humains et animaux si frustes qu'on ne pourrait
les deviner si on n'établissait la gradation avec d'autres
mieux indiqués.
En Amérique, il en est de même. Holmes et Henshaw ont
multiplié, depuis plusieurs années, de curieux travaux pré-
sentés à la Smithsonian Institution montrant des anciennes
poteries américaines ornées par un art qui évolue suivant les
mêmes lois. Les figures d'animaux et d'hommes sont gra-
duellement transformées au point de ne plus représenter que
quelques lignes frustes perdues dans une ornementation
géométrique compliquée.
Les déformations crâniennes forment un nouveau chapitre
sur l'Art étudié d'après ses productions et non d'après des
théories plus ou moins vagues.
Tandis que les Grecs et surtout les Egyptiens ont reproduit
ces déformations avec assez de fidélité1, les Sino-Japonais les
ont exagérées, et il est, par suite, difficile, en bien des cas, de
* Voir à ce sujet la Nature, 1894, 2e semest., p. 517, et 1895,
1er semest., p. 21 et 321.
OUVRAGES OFFERTS 413
les comparer à la nature. Quels que soient les motifs qui
aient poussé le burin du jaune, celui du Papou ou de l'Ame*
cain, ils ont obéi à un même sentiment qui leur a fait mépriser
la copie exacte des objets.
M. Azoulay expose une théorie mécanique du sommeil et
de l'attention, d'après Bamon y Cajal.
L'un des secrétaires : Dr P. Raymond.
625e SEANCE. — 20 juin 1895.
Présidence de M. André Lefèvre.
ouvrages offerts.
Benedikt (Dr M.). — Ueber dcn Begriff « Krampf» (Ext. de
Wiener mediz. Wochenschrift), in-8°, 13 p. Vienne, 1895.
Benedikt (D1* M.). — Wladimir Alexewitsch Betz.Nachruf, in-8°,
10 p. Vienne, 1894.
Benedikt (Dr M.). — Ein Fall von Paraplegia spastica juvsni-
lis (Ext. de Wiener mediz. Presse), in-8°, 12 p. Vienne, 1893.
Bknedikt (Dr M.). — Vergleichendc Anatomie der Gehirnober-
flœche (Ext. de R. Encyclopœdie der Gesammten heil/cunde), in-8°,
38 p. avec fîg. Vienne, 1893.
Bhinton (D1' D.-G.). — The protohisloric ethnography of Wes-
tern Asia (Ext. de Proc. Am. Philos. Society), in-8°, 32 p. Phi-
ladelphie, 1895.
Buschan (Dr G.). — Vorgeschichtliche Bjt'inik der CuUur. und
Nulzpflanzen der allai Welt auf Grand prœ historischer Fundc,
in-8°, 268 p. Breslau, 1895.
IIodge (F.-WÏ). — List of the publications of thc Bureau of
Elhnology with index lo authors and subjecls, in-8°,25 p. Washing-
ton, 1894.
IIoelder (Dr II. von). -- Untersuchungeu ueber die Skelellfunde
in den vorrœmischen Hiigelgraebern Wurllcmbcrgs und Hohenzol-
414 SÉANCE DU 20 JUIN 181)5
lerns (Ext. de Fundberichten ans Schwaèen), in-8°, 71 p. Stutt-
gart, 1893.
Holmes (W. H.). — An ancient quarry in Tndian territory,
in-8°, 19 p. avec fig. et pi. Washington, 1894.
Meyer (DrIL). — Doyen und Pfeil in Cenlral-Brasilien, in-8°,
34 p. avec pi. Leipzig, 1893.
Poehl (Dr A.). — Einwirkung des Spermins auf den Stoffum-
salz bci Autointoxicalionen im Allgemeinen und bei harnsaurer
Diathese im Speciellen (Ext. de Zeitsc. fur klinische Medicin),
in-8°, 40 p. Berlin, 1894.
Poehl (Dr A.). — Die Immunitacts-und ïmmunisationstheorieen
vont biologisch-chemischcn Standpunkl betrachtet (Ext.de Deutschen
medicinischen Wochenschrift), in- 8°, 12 p. Leipzig, 1893.
Vivien de Saint-Martin et Rousselet. — Dictionnaire de Géo-
graphie unkerselle, t. VII. Paris, 1893-1893, in-4".
M. Dexiker. — Le septième volume du Dictionnaire de Géo-
graphie que j'ai l'honneur d'offrir à la Société au nom de
M. Rousselet, directeur, et de MM. Hachette et Cie, éditeurs,
termine l'œuvre colossale entreprise il y a une quinzaine d'an-
nées par l'une des premières maisons éditrices de France.
Cette œuvre est unique dans son genre; il n'existe rien de
semblable dans les littératures étrangères : le fait a été
reconnu même en Allemagne. Nulle part on n'a osé une
pareille entreprise : il a été réservé à notre pays de réunir
les forces intellectuelles en môme temps que les moyens finan-
ciers suffisants, pour mener à bonne fin une publication aussi
difficile que coûteuse.
Les sept volumes in-4° du Dictionnaire que possède aujour-
d'hui, grâce à l'obligeance de M. Rousselet et la libéralité de
la maison Hachette et O, notre bibliothèque, sont imprimés sur
trois colonnes en caractères lins mais très lisibles. Ils repré-
sentent sous une forme compacte au moins 12G volumes in-8°
de 3C0 pages. Il ne faut pas oublier, qu'à côté des renseigne-
ments nombreux et détaillés de géographie proprement dite,
1 î Dictionnaire renferme une foule d'articles et de notes concer-
nant l'anthropologie et l'ethnographie; ace pointde vue ii doit
PÉRIODIQUES 415
nous intéresser tout particulièrement. On y a donné non seu-
lement une notice historique et descriptive des différentes
races humaines prises dans leur ensemhle, aussi bien que des
nations et des peuples qui ont eu leur rôle dans l'histoire ou
qui y tiennent actuellement leur place; mais on a aussi relevé
partout une nomenclature développée des tribus entre les-
quelles se divisent les peuples demi-civilisés. D'ailleurs, le
directeur du Dictionnaire, M. Rousselet, qui a succédé à
M. Vivien de Saint-Martin presque à l'origine de l'œuvre, est
un des plus anciens membres de notre société; et dans la
liste de ses quarante collaborateurs, je vois à coté de mon
nom, ceux de plusieurs de nos collègues.
Notons encore que tous les articles du Dictionnaire, tant
soit peu importants, sont accompagnés d'une riche bibliogra-
phie qui représente le dépouillement de plus de 150,000
fiches.
Les nombreuses découvertes géographiques de ces derniers
temps ont rendu nécessaire la publication d'un supplément au
Dictionnaire. On y travaille en ce moment et les premiers
fascicules du volume supplémentaire vont paraître dans quel-
ques semaines. Ce sera la mise à jour de tous les articles
anciens et, comme bien vous le pensez, les notes ethnologi-
ques nouvelles y tiendront une large place, car jamais on n'a
encore signalé et décrit tant de peuplades nouvelles que
depuis les dix dernières années.
Avec ce supplément, le Dictionnaire de Géographie universelle
de Vivien de Saint-Martin et Rousselet sera un véritable mo-
nument de la science géographique frnnçaise et en même
temps une mine inépuisable de renseignements pour tous
ceux qui travaillent dans les différente-; branches de la science
touchant de près ou de loin à la géographie.
l'ÉiuoDiQUES (articles à signaler).
Kcvue de ï Ecole d'Anthropologie, 15 juin IN:),'». — L. Manou-
vrier : Les concepts psychologiques : Sentiments et Connais-
sance; — Ph. Salmori : Ethnologie préhistorique.
416 SÉANCE DU 20 JUIN 1895
Revue scientifique, 15 juin 1895. — Ed. Blanc : L'utilisation
des oiseaux de proie en Asie centrale.
Journal of the Anthropological institute, may 1895. —
E. B. Tylor : On the occurence of Ground Stone implements
of Australian type in Tasmania; — B. II. Thomson : The
Kalou-Vu of the Fijians ; — L. Fison : .The classificatory Sys-
tem of relationship; — B. H. Thomson : Goncuhitancy in the
classificatory System of relationship ; — Notes on the
Samoyads of the GreatTundra; — II. II. Mathews : The bora,
or initiation cérémonies of the Kamilaroi tribe; — R. Ethe-
ridge : A highly ornate « Sword » from the Goburg peninsula,
North Australia; — A. E. Crawley : Sexual Taboo : a study in
the relations of the sexes; — The teeth of ten Sioux indians.
The American anthropologist, april 1895. — O.-T. Mason :
Similarities in culture; — J. W. Fewkes : Acomparison of Sia
and Tusayan snake cérémonials.
Journal of the asialic Society of Bengale, 1894, n° 4. —
E. Vansittart the tribes, clans, and castes of Nepaul.
Zcit chrift fiir Ethnologie, 1895, h. 2. — R. v. Weinzierl :
Der praehistorische Wohnplatz und die Begraebnisstaette bei
Lobositz an der Elbe; — 8. Weissenberg : Ueber die Formen
der lland und des Fusses.
PRÉSENTATIONS.
Cas de itcutadactjiic chez uu suidé.
M. André Sanson. — Les suidés porcins ont, comme on sait,
quatre doigts à chacun des membres, dont deux seulement
servent à l'appui sur le sol; les deux autres sont situés en
arrière et au-dessus des premiers. La pièce que je mets sous les
yeux de la Société, en présente un cinquième placé un peu en
arrière et au-dessus du deuxième doigt interne, ainsi qu'on
peut le voir sur la figure qui accompagne cette note. Ce doigt
supplémentaire existant au membre antérieur droit de l'ani-
mal occupait, de la sorte, à peu près la place du pouce dans
PRÉSENTATIONS
il 7
la main humaine. Les pha-
langes, au nomhre de trois
comme dans les doigts nor-
maux, et le métacarpien ont
nécessairement, par le fait
de la situation même, une
longueur moindre que celle
du deuxième doigt normal
correspondant. Leur volume
est également plus petit. Le
métacarpien est articulé
avec un petit os carpien su-
pplémentaire.
Sur l'animal vivant, le
cinquième doigt était,
comme les autres, pourvu de
son ongle; mais je ne lui ai
trouvé, à la dissection, au-
cune relation avec le sys-
tème musculaire : aucun
tendon ne venait s'y atta-
cher. Sur la pièce, on peut
très bien voir ceux qui se
rendent aux autres doigts
et qui, pour les deux supé-
rieurs normaux, se déta-
chent de celui du fléchisseur
commun. Lecinquièmedoigt
ne fonctionnait donc point
et n'était analogue à un
pouce que par sa situation.
Je ne présente pas le fait
comme absolument nou-
veau 11 avait été observé déjà, et H existe dans les musées
| -q,le, notamment dans ceux des écoles vétérinl
t et de Lyon, des plèces semblables à celle que je mon-
418 séance d-j 20 juin 1893
tre ici. J'ai pensé néanmoins qu'il ne serait pas superflu de
joindre ce fait aux autres dans les annales de la science, où il
est bon, selon moi, que toute observation de quelque impor-
tance soit enregistrée.
On pourrait, à son occasion, se livrer à bien des hypothèses
explicatives. Je n'ai personnellement aucun goût pour. ce
genre d'exercice intellectuel dont la stérilité me paraît de plus
en plus frappante. Il a été remarqué, à ce sujet, que l'existence
du petit os carpien ou métacarpien supplémentaire est nor"
maie chez le porc, et que c'est ce bourgeon digital qui s'est
développé chez le sujet en question. Sans doute, mais qu'est-
ce qui a déterminé, dans le cas, le développement de ce bour-
geon, qui ne se développe point d'habitude? Celajrevient, au
bout du compte, à constater le fait, ce qui, dans l'état de la
science, me paraît suffire jusqu'à plus ample informé. Toute
dissertation hypothétique à son sujet serait évidemment du
temps perdu, ne pouvant pas contribuera l'avancement de la
science.
L'animal qui m'a fourni la pièce en question était né de
parents normaux à la porcherie de l'école de Grignon. De son
vivant, la particularité qu'il présentait n'avait point été
remarquée. Sacrifié après engraissement, c'est le chef de cui-
sine qui, en dépeçant le cadavre, l'a aperçue et a eu la bonne
idée d'envoyer ladite pièce à mon laboratoire, pensant, avec
raison, qu'elle m'intéresserait.
Une observation de nœvus généralisé.
M. Uegnault présente une fillette atteinte de nœvus généralisé.
Elle est née à Orthez (Béarn) en juillet 1882, la sixième de
neuf enfants. Ses parents, venus avec elle et ses frères et
sœurs, n'ont aucune anomalie. Rien à remarquer dans les
ascendants ni les collatéraux ; rien non plus pendant la gros-
sesse. Les parents ne sont pas cagots; ils sont bien portants.
L'enfant a des dents normales. Le nœvus, fortement brunâtre,
E b'ACY. — LA TKIsRASSE D3S HOTliAL'X I 19
occupe l'oreille gauche, la moitié de la joue gauche, le cou, la
nuque; de ce côté,'il prend les deux tiers du thorax, passe à
deux centimètres au-dessous du sein gauche, prend l'aisselle
et l'épaule gauche. D'autres taches pigmentaires existent,
nombreuses, sur le corps et les membres. Une d'elles est
observée au-dessous et au dehors de l'œil droit. Les taches
sont plus abondantes et plus larges au membre inférieur droit
qu'au gauche ; une d'elles, faible et petite comme une pièce
de vingt sous, existe sous la plante du pied gauche. Le mame-
lon gauche forme un cercle intact au milieu des parties pig-
mentées, il est situé un peu plus bas que le droit.
Comme le fait remarquer M. Mahoudeau, tous les degrés de
nœvi existent sur ce sujet : depuis la tache légèrement bru-
nâtre jusqu'à celle noire et couverte de poils. Ces poils sont
surtout abondants à la face où ils font suite avec les cheveux.
Ils ne formaient, au dire des parents, qu'un simple duvet à
la naissance ; ils ont forci et noirci par la suite. En certains
points, avant-bras, scapulum, le naevus forme un relief sail-
lant, irrégulier, rugueux, mamelonné, semblable à une envie.
En d'autres, principalement au scapulum et au bras, se révè-
lent à la pression des tumeurs érectiles, mollasses, de volume
constant. Deux petites taches avec tumeurs érectiles sont sen-
ties a la tête, au milieu des cheveux.
COMMUNICATIONS.
Coupe et mobilier funéraire de la terrasse des Hoteaux.
Par M. E. d'Acy.
Messieurs, j'espère que vous me pardonnerez de revenir
encore sur la station des Hoteaux, en raison de l'intérêt excep-
tionnel qu'elle présente.
Vous vous souvenez sans doute que, dans noire dernière
séance, M. G. de Mortilleta formulé des critiques relativement
à la façon brusque, carrée, si je puis parler ainsi, dont les
420 SÉANCE DU 20 JUIN 1895
foyers se terminent dans la coupe figurée par MM. Tournier
et Guillon. J'ai répondu qu'évidemment cette planche ne
donnait pas la coupe entière du gisement et qu'il fallait la
compléter par les indications détaillées contenues clans la
brochure.
La coupe complète, que M. l'abbé Tournier a eu l'amabilité
de m'envoyer et que j'ai l'honneur de vous soumettre, prouve
que j'étais dans le vrai et que les foyers avaient bien l'allure
qu'ils devaient avoir.
Il paraît que c'est l'imprimeur qui, croyant mieux faire, a
coupé carrément la figure, au lieu de la reproduire telle que
M. l'abbé Tournier la lui avait envoyée.
Mais ce n'est pas seulement la coupe exacte des couches de
la terrasse des Hoteaux que je puis vous présenter. M. l'abbé
Tournier m'a fait parvenir tout le mobilier de la sépulture, et
je m'empresse de vous le soumettre.
Voici la dent de cerf perforée, qui était a gauche de la tète
du squelette.
Puis l'éclat grossier, que MM. Tournier et Guillon pensent
être <( taillé en forme de casse-tête », mais sur l'usage duquel
je ne saurais me prononcer, et qui était également h gauche,
mais un peu plus loin et plus bas.
Ce couteau était à droite, à côté de l'omoplate.
A droite encore, vers la partie inférieure de l'humérus, se
trouvait cette très jolie pointe, finement retaillée et digne
d'être comparée aux plus élégantes de celles du même genre,
provenant du Moustier, de Gorge d'Enfer, de la Madeleine et
de Laugerie, qui sont représentées dans les Reliquiœ Aquita-
nicœ.
Enfin, voici le bâton de commandement, qui était à côté du
squelette. Dans leur mémoire, MM. Tournier et Guillon se sont
exprimés de la façon suivante, relativement a la place exacte
qu'il occupait : « 2° Un bâton de commandement trouvé à côté
des tibias, lors de la première découverte : circonstance qui
ne nous permet pas de lui assigner sa place à droite ou à gau-
che ».
E d\\CY. — LA TERRASSE DES HOTEAUX 421
Aujourd'hui, M. l'abbé Tournier m'écrit que le fémur placé
à droite, par rapport au squelette, étant brisé et le bâton de
commandement l'étant également, il pense que ce bâton était
auprès de ce fémur de droite.
Cela est possible; je dirai même assez probable; mais que
le bâton fut à droite, ou qu'il fut à gauche, je n'y attache pas
grande importance. Ce qui en a beaucoup plus, c'est que
M. Tournier me fait savoir qu'il n'a pas quitté un seul instant
le lieu de la fouille, et que le bâton lui a été remis, « tendu »
par l'ouvrier, qui travaillait au fond de la tranchée, en même
temps que la partie inférieure du fémur de droite, la partie
supérieure du tibia droit et la partie inférieure du tibia gau-
che, le tout englué dans la boue ocreuse et cendreuse de la
sépulture. Il me semble évident, d'après cela, que le bâton de
commandement était tout à côté du squelette, et qu'il faisait
partie du mobilier funéraire.
En une certaine mesure, les trois premiers objets de ce
mobilier n'ont pas de signification chronologique précise;
mais la pointe de silex finement retaillée et le bâton de com-
mandement s'accorderaient, s'il pouvait en être besoin, avec
le non-remaniement des dépôts, pour ranger la sépulture des
Iluleaux dans l'âge du renne.
Je ferai remarquer, en passant, que le squelette n'était pas
en aussi bon état que le pense M. de Mortillet. Le fémur gau-
che était fragmenté et détérioré. De plus, il était adroite, et le
droit était à gauche, ce qui militerait en faveur de l'hypothèse
d'un décharnement, opéré préalablement à l'inhumation. Et,
d'après la photographie, la tète semble bien être éloignée des
vertèbres, d'une façon anormale.
M. l'abbé Tournier m'a encore envoyé ces quelques silex,
dont deux finement retaillés sur un de leurs bords, rappellent
ceux de la Madeleine, de Laugerie-basse, d'Excideuil, etc.
L'une de ces deux lames se termine par un perçoir très fin,
et ce fragment de couteau en fait autant. Il y a encore une
espèce de grattoir double et un débris avec encoches latérales.
Ces pièces étaient vers la partie inférieure des bras et autour
422 sé.\n:e du 20 juin 189j
du bassin. Mais MM. Tournier et Guillon ont soin de dire
qu'elles ont été trouvées soit au milieu des terres adhérentes
au squelette, soit dans les résidus lavés ; et que, ne pouvant
leur assigner de place précise, ils se contentent de les énumé-
rer. Je ne les présente donc que comme des échantillons de
l'industrie du Ge foyer.
Discussion.
M. G. de Mortillet. — Comme réponse générale à M. d'Acy,
je m'en réfère a ce que j'ai dit à la dernière séance et qui se
trouve au procès-verbal qui vient d'être lu. Je me contenterai
donc de faire ressortir quelques détails.
M. d'Acy vient de nous présenter une nouvelle coupe du ter-
rain exploré. Elle lui a été adressée par M. l'abbé Tournier.
Cette coupe ne ressemble pas du tout à la première. Cela ne
paraît-t-il pas indiquer que mes critiques sur cette première
coupe, qui est celle imprimée et répandue partout, étaient
justes? En tout cas ces critiques ont porté, puisqu'on a senti
la nécessité de produire une nouvelle coupe. Pour expliquer la
différence, M. d'Acy, d'après M. l'abbé Tournier, nous dit que
la coupe donnée dans le mémoire a été altérée, ou tout au
moins modifiée par l'imprimeur. Comment admettre que dans
une publication de luxe, pour laquelle on a dû faire des frais
considérables, les auteurs aient reculé devant un supplé-
ment de dépense insignifiant lorsqu'il s'est agi de refaire la
planche la plus importante, si elle avait été altérée par l'im-
primeur. Mais il suffit d'examiner la planche pour reconnaître
qu'il n'y a pas eu d'altération. En effet, cette planche se
compose d'une partie gravée et d'une partie composée typo-
graphiquement. Or. la partie gravée est intacte et la partie
typographique ne peut en rien modifier le sens de la partie
gravée. 11 y a mieux que cela. Le texte du mémoire corres-
pond parfaitement à la coupe gravée et pas du tout à la
coupe manuscrite produite par M. d'Acy. Coupe qui n'ap-
paraît que quinze jours après la grande discussion. N'est-il
E. DACY. — L.V TfiBUASSiS DES [IoTSAUX 423
pas à craindre qire M. l'abbé Tournier n'ait été éclairé par
cette discussion? Les couches de rejets d'habitations ne sont
plus uniformes d'un bout à l'autre du gisement. Elles se ter-
minent toutes, des deux côtés, en biseau.
C'est sur une observation aussi peu certaine, aussi peu
précise qu'on veut baser le renversement d'une donnée
appuyée sur l'ensemble de ce que nous connaissons, de ce
qui a été constaté partout ailleurs. Ce n'est pas admissible.
M. E. d'Acy. — Si MM. Tournier et Guillon n'ont pas repré-
senté graphiquement la coupe, dans laquelle les os des jambes
du squelette ont apparu, — celle que la délégation de la
Société d'histoire naturelle de l'Ain a examinée, — je peux
dire qu'ils l'ont donnée par écrit. C'est la même que celle de
la page 26 de leur mémoire. Il est facile de s'en assurer, grâce
aux détails très circonstanciés qu'ils ont consignés dans le
texte. La coupe, qui est figurée, est schématique, je le veux
bien; mais elle résulte — je suis obligé de le répéter — de la
série de celles que ces Messieurs ont eues constamment devant
eux, grâce à leur exploitation par tranches verticales, et dont
ils ont décrit deux, avec cotes à l'appui. Complétée par les
nombreuses observations qui l'accompagnent, cette planche
permet de se rendre parfaitement compte de l'ensemble du
gisement et de la situation de la sépulture. Je dis : complétée,
parce que — ainsi que je l'ai fait remarquer l'autre jour —
elle ne représente pas toute la longueur des dépôts. Elle s'ar-
rête, à gauche, à la tranchée ouverte au début des fouilles,
vers le milieu de l'abri. La légende l'indique. A droite, la
ligne parfaitement droite et perpendiculaire, qui la termine
carrément, n'a évidemment que la prétention de représenter
la paroi du rocher du fond. Enfin, l'échelle montre, elle aussi,
que cette figure n'est, en longueur, qu'un morceau, si je peux
parler ainsi, de la coupe totale.
La coupe totale, c'est celle que je viens de présenter. M. de
Mortillet a dit qu'elle a été faite, depuis la discussion du
6; ce qui signifie évidemment qu'elle a été dressée pour le
besoin de la cause. Mais, outre que cette insinuation, fort peu
424 SÉANCE DU 20 JUIN 1895
charitable, est toute gratuite, elle ne peut être d'aucune uti-
lité à son auteur. Cette coupe ne contredit en aucune façon
celle du mémoire. Elle la prolonge; elle la complète; mais
voilà tout. Maintenant, que la tranchée n'y soit pas aussi
large qu'elle devrait l'être; que, d'après l'échelle, un ouvrier
n'ait pu y travailler; je le veux bien. Mais, en vérité, c'est là
un détail fort insignifiant; et cette légère erreur n'incrimine
en rien l'ensemble du croquis.
Mais, objecte encore M. de Mortillot, le sixième foyer n'avait
que O'IO d'épaisseur. Il n'a donc pu contenir un cadavre. La
tète, pour ne parler que d'elle, mesure plus de 0"'10. En outre,
le cadavre a dû être enterré assez profondément, puisqu'il n'a
pas été dévoré par les hyènes. A cela je réponds : pour le
reste du corps, l'hypothèse d'un décharnement — hypo-
thèse rendue vraisemblable par l'interversion des fémurs —
résout parfaitement la première difficulté; et, quant à la tète,
excédât-elle de quelques centimètres, par en haut ou par en
bas, l'épaisseur moyenne du foyer, c'est encore là un détail de
bien faible importance. Si les hyènes n'ont pas dévoré
le cadavre ou rongé le squelette, c'est tout simplement parce
qu'elles auront été tenues à distance — je l'ai déjà dit — par
la présence des survivants de la famille. Enfin, l'emploi de
l'ocre rouge rend l'ensevelissement indiscutable.
M. Hervé fait une observation relative à la position des
ossements.
M. G. de Mortillet. — Un mot qui abrégera la discussion.
M Hervé, examinant la planche qui représente le squelette,
dit qu'il est couché sur le ventre. Mais la tète est en sens
inverse, les omoplates ne sont en aucun sens. Cela est tout
naturel. Cette planche n'est pas la reproduction du squelette
tel qu'il était dans le gisement, mais bien du squelette refait
par des personnes qui ignorent l'anatomie. Les auteurs eux-
mêmes l'avouent. Ils disent : « les fémurs étaient écartés en
dehors de l'axe du bassin, ce qui indiquerait que les jambes
étaient repliées en dedans. N'ayant pas les tibias complets, ni
leur position, nous n'avons pas pu faire figurer cette disposi-
E. D Af.Y. — LA TERRASSE DES HOTEAUX 42. )
lion des jambes. dans la photographie.» Ils ont placé les
jambes toutes droites. M. d'Acy vient de nous dire qu'on igno-
rait de quel côté se trouvait le bâton de commandement. Dans
la photographie, il est carrément placé a droite du squelette,
couché sur le dos, ou à gauche si ce squelette est couché sur
le ventre, ce qu'on ne peut pas deviner. Et c'est sur ces docu-
ments que l'on veut bâtir des théories.
M. d'Acy. — Je ne suis malheureusement pas anatomiste;
et je ne puis que répéter ce que disent MM. Tournier et Guil-
lon. Peut-être aura-t-on remis les fémurs à leur place normale,
avant de faire la photographie.
M. A. de Mortillet. — Il suffît d'avoir fouillé un dépôt de
rejets d'habitation et surtout d'abri pour reconnaître que les
deux coupes présentées, l'ancienne et la nouvelle, ne sont que
des coupes théoriques représentant l'ensemble du terrain et
non les détails vrais. Dans ces coupes, les divers dépôts
archéologiques sont figurés d'une manière à peu près uni-
forme. Or, en fait, rien n'est plus irrégulier, plus accidenté,
plus varié que ces dépôts.
MM. Hardy et Féaux, dans leur note sur le squelette humain
de Ghancelade (Dordogne), d'une manière générale indiquent
quatre niveaux archéologiques. Mais lorsqu'ils donnent la
coupe vraie du terrain au-dessus du squelette qui gisait dans
le niveau inférieur, ils montrent que les deux niveaux inter-
médiaires se réunissent et n'en forment plus qu'un seul. Quant
au niveau supérieur, il vient finir un peu de côté. Cet exemple
montre la différence qui existe entre une coupe théorique
d'ensemble et une coupe vraie prise sur un point déterminé.
Or, M. l'abbé Tournier ne produit que des coupes théoriques.
C'est loin d'être suffisant surtout dans un cas aussi important.
M. D'Aoy. — .Je ne répondrai que deux mots. Quand
MM. Tournier et Guillon déclarent qu'ils ont m, constaté par
eux-mêmes, telle et telle chose; quand M. Tournier ajoute qu'il
n'a pas quitté, un seul instant, le théâtre de la fouille; quand
une délégation de la Société d'histoire naturelle de l'Ain, ap-
pelée par surcroît de précaution, pour examiner la coupe, à
t. vi (4e sébie) 28
426 séance di; 20 juin 1893
l'endroit de la sépulture, a reconnu la parfaite exactitude des
faits allégués: quand des observations se présentent avec de
pareilles garanties de certitude, et que, de plus, elles ne sont
contredites par personne, qui ait vu le gisement, elles ne sau-
raient être récusées, alors même qu'elfes seraient embarras-
santes, ou qu'elles différeraient, sous certains rapports, de
celles qui ont été faites en d'autres endroits.
Dégénérescence de l'espèce humaine: causes et remèdes.
Par M. Paul Robin.
Il a été fort à la mode dans ces dernières années de se
lamenter sur la dépopulation de la France. La Société d'An-
thropologie a largement participé à la contagion. Elle a mé-
langé aux études purement démographiques qui sont un de
ses principaux domaines, des considérations sociologiques
que quelque personnes ont trouvées étrangères à son but. Je
me réjouis, pour mon compte de cet écart prétendu, pensant
que l'Anthropologie a le droit de s'occuper de ce qui intéresse
l'être humain, et je m'en autorise pour aborder cette étude et
en tirer des conclusions pratiques.
La sélection naturelle qui ne laisse survivre que les meil-
leurs, en supprimant brutalement, cruellement, les plus fai-
bles, a perdu de sa puissance sur l'existence des animaux,
par l'intervention de l'homme.
Celui-ci l'a remplacée par une sélection artificielle ayant
pour but de ne faire naître que ceux qui lui seraient le plus
utiles. Ce n'a pas toujours été sans quelques cruautés de
détail.
Pour sa propre race, poussé par une sensibilité qui l'ho-
nore, mais dont éclate aux yeux des moins clairvoyants la
terrible contre-partie, l'homme moderne agit juste en sens
inverse : Il fait de la sélection à l'envers. Il soigne surtout les
faibles, les attardés, les dégénérés. Il triche en leur faveur
PAUL RORIN. - - DEGENERESCENCE DE l'eSPÉCE HUMAINE 427
contre les forlsr les meilleurs de corps ou de cerveau, qui
eussent sans doute triomphé dans un état plus voisin de la
nature, mais qui vaincus par un organisme social armé tout
entier contre eux, ou bien périssent, ou bien redescendent
dans les rangs des faibles et des dégénérés.
Des établissements créés pour donner à grand prix aux
jeunes inférieurs un semblant d'instruction, abondent : Bicê-
tre, la Salpètrière et tant d'autres palais pour les enfants des
deux sexes, idots, épileptiques, tuberculeux, scrofuleux,
n'arrivent pas à élever au dixième de la valeur de l'enfant
idéal, ces petits malheureux qui ne valaient que quelques
centièmes de ce type. Pour produire un très faible travail de
mécanique cérébrale et musculaire, quelques 0,02 à 0,06, on
y dépense un argent et une énergie capable de faire monter
des enfants médiocres, moyens ou supérieurs d'un très grand
nombre de degré dans l'échelle de la valeur, soit par exemple
de 0,5 à 0,8 ou 0,9!
Vouloir choisir les meilleurs enfants (et dans la période
actuelle, il faut se contenter de dire les moins mauvais), les
laisser se développer au maximum moyen, aux points de vue
physique, intellectuel et moral, avec le plus de liberté possi-
ble, une large mais simple alimentation, tout l'exercice que
réclament des organes sains; en leur facilitant la satisfaction
de toutes les curiosités qui font naître en eux la vue des splen-
deurs ou des nuisances de la nature et des merveilles de l'in-
dustrie; sans leur imposer aucune de ces entraves matérielles
et morales, de" ces affirmations a priori, tristes survivances
d'un passé qui s'efface, entraves qui débilitent le corps et le
cerveau, c'est tout un programme d'éducation rationnelle.
Tenter sa réalisation, c'est un crime que ne peuvent
pardonner les puissants attardés et dégénérés. Tous leurs
efforts se sont coalisés pour en écraser, presque dans le germe,
la première tentative assez réussie. Il faut, cependant, en même
temps que l'éducation rationnelle s'occupe de la meilleure
naissance possible des sujets auxquels elle doit s'appliquer.
Il faut opposer la propagande de l'amélioration humaine à
'r_),s séance du 20 jriN 1895
l'extension de la dégénérescence, résultat du hasard, de l'in-
différence, en même temps que des mauvaises institutions
dérivées de l'égoïsme ou de sensibleries non raisonnées.
Tous les efforts des hommes ont pour objet unique de se
procurer le bonheur. C'est pour cela qu'ils se sont réunis en
sociétés, ont créé des institutions . se sont imposé le joug de
l'autorité; qu'ils ont étudié la nature, qu'il ont trouvé dans
les ressources de l'industrie les moyens d'améliorer les biens
offerts par la nature, d'en atténuer les effets nuisibles.
Jusqu'à présent, on a très peu réussi à trouver le bonheur
cherché. Est-il un seul humain qui puisse se dire parfaite-
ment heureux? Ceux mêmes, en si petit nombre, de qui la satis-
faction des besoins strictement personnels semble parfaite-
ment assurée, ne peuvent, s'ils ont le cerveau normal moderne
imprégné de sympathie, goûter leur bonheur relatif en se
voyant entourés de tant de misères.
Je crois inutile de décrire jusqu'à quel point l'immense
majorité des humains manquent de la satisfaction de leurs
besoins, si bien déterminés par les Utilitariens Anglais, paj
les trois mots : Pain, Loisir, Amour! Je laisse aux plus auto-
risés le soin de donner sur ces sujets les statistiques les plus
convaincantes; ils le font à toute occasion, je ne pourrais que
les copier.
Cependant, tandis que pour tant de gens, la vie vaut si peu
la peine d'être vécue que l'on pourrait trouver étonnant qu'ils
en acceptent la charge, la majorité des penseurs, des écri-
vains de toute catégorie, cédant avec plus ou moins de con-
viction ou de condescendance à l'un des préjugés les plus
antiques, se plaignant que le nombre de ces malheureux soit
trop petit, et ils poussent de toute manière les pauvres gens
à croître et à multiplier.
Or, il y a une limite évidente à cette folle multiplication.
Supposons un couple idéal, réalisé fréquemment par les
Canadiens d'il y a cent ans, les colons néo-zélandais d'il y a
cinquante ans. De 16 à 46 ans la femme aurait 46 enfants. A
PAUL ROMN. — DÉGÉNÉRESCENCE DK L*E>PÈCE lli MAINE i2î)
80 ans, elle pourrait être entourée de plus de 600 descendants
directs et de leurs 000 conjoints.
D'un seul couple seraient issus un siècle après son union,
en nombre rond, dix mille personnes. Après deux siècles cent
millions, après trois siècles mille milliards.
1 siècle. ..... 10.000
2 — 100.000.000
3 — 1.000.000.000.000
Si une femme ne donne pas une telle abondance de rejetons,
c'est parce qu'elle est privée de conjoint, ce qui arrive a 40
pour 100, ou qu'elle n'en a que très tard; parce qu'elle est
anormale, d'une manière temporaire on permanente; ou parce
qu'elle triche au jeu d'amour.
Le taux que nous indiquons, basé sur l'hypothèse admissi-
ble d'une race normale restant conforme à sa souche, exprime
non pas une loi positive, mais une loi tendancielle.
Si les faits ne sont pas conformes a cette tendance, c'est
qu'il y a des obstacles naturels ou artificiels. Les naturels
sont tous douloureux : ou bien ils suppriment les vies déjà
existantes, ou bien ils suppriment les joies de l'amour, quand
ils ne les transforment pas en torture; ce sont : la misère, le
célibat, la prostitution, d'où résultent la série de crimes plus
sociaux qu'individuels, avortements, infanticides, meurtres,
morts de misère.
Pour ceux très nombreux qui confondent les lois tendan-
cielles et les lois positives, qui croient que, tout naturellement,
avec des parents normaux et ne fraudant pas, la natalité res-
terait faible et ne dépasserait pas 3 ou 4 enfants par couple,
et prennent arbitrairement ces chiffres comme idéal, rappe-
lons le calcul fait dans le salon d'Herschell I à la fin du siècle
dernier.
Le pieux constructeur de pyramides aurait, par hypothèse,
reçu le don divin d'avoir, lui el ses descendants, trois enfants
par couple. A combien de gens monterait sa rare, aujourd'hui,
après 3,000 ans? Admettons seulement quatre générations
430 SÉANCE DU 20 JUIN 1895
par siècle (il y en aurait sept d'après le calcul précédent), cela
ferait 120 générations depuis Sésostris. La population se
serait doublée 120 fois et serait devenue 21'20. On sait que le
logarithme de 2 est environ 1 3. Le nombre des descendants
de la dernière génération aurait un nombre de chiffres égal
k.Ç+4.
Le plus petit de ces nombres est l'unité survie de 40 zéros.
Forgeons le mot : dix tridécillions. Les invités d'Herschell
calculèrent que cette population couvrirait la surface de la
terre; il y a au-dessus une deuxième couche de gens, une
troisième, etc., etc., jusqu'à l'étoile Sirius!
On voit combien cette modération serait encore immodérée.
11 faut donc à un certain moment, ou subir la cruauté des
obstacles créés par la nature ou par l'égoïsme social actuel,
ou braver l'indécence des obstacles artificiels.
— C'est une question pour l'avenir, répondra-t-on. Nous
n'en sommes pas encore là. 11 y a de la place sur la terre pour
dix fois plus d'habitanis qu'elle n'en contient. — Mais à quoi
peut servir, pour la masse qui crève de faim en ce moment,
le blé que l'on parviendra, dans cinquante ans, à faire pousser
dans le Sahara? Que toute la planète soit cultivée comme la
banlieue de Paris, et sans doute la proposition deviendra
vraie : mais il faut avoir la table garnie avant d'appeler les
invités.
D'ailleurs, quelle passion nous pousse à vouloir être si
serrés? Deux arguments de même nature, également mauvais,
sont présentés par les partis politiques extrêmes. Les chauvins
veulent le plus grand nombre possible d'enfants pour faire
des soldats qui tueront les Allemands (ou se feront tuer par
eux); certains révolutionnaires pensent que plus il y aura de
misérables, plus vite viendra la révolution qui apportera le
bonheur à tous.
Faire des enfants mâles des tueurs ou des tués (des filles,
quoi? je ne sais. Tout métier regorge de demandes; n'est
même pas prostituée qui veut!); augmenter à coup sûr la
misère pour amener d'une façon douteuse le bonheur de la
PAUL IlOBIN. — HÊGÉNÉUESUËNUE Dfc! [/ESPACE HUMAINE 431
victoire ou celui de la paix, voila des perspectives qui ne
séduisent guère les gens sensés, les parents justement pru-
dents. Plutôt que d'augmenter le nombre et, par suite, la
misère des Français, diminuons le nombre et la misère de nos
ennemis; pour cela associons nos efforts à ceux des philo-
sophes des nations voisines. Que chacun fasse ce qu'il peut
partout et surtout chez soi. Nos amis mélioristes, Anglais,
Belges, Hollandais, Allemands, travaillent pour atténuer la
misère dans notre pays; travaillons de même pour les leurs,
et par suite pour la paix, pour le bonheur de tous !
Tel est le point de vue des Néo-Malthusiens anglais qui
répètent, avec le philosophe, ce que l'on affecte de considérer
en France comme odieux et immoral :
« Il vaut mieux, pour une famille ou une nation, créer une
meilleure vie pour un seul enfant que de fournir le strict et
misérable nécessaire à deux. »
Très touché de l'importance de ce point de vue, je le suis
encore plus du suivant :
Si l'augmentation île la natalité est moins utile que ne
l'avaient fait croire une étude superficielle et certains préjugés
nationaux; s'il est plutôt important de maintenir la popula-
tion au chiffre actuel ou même de la réduire par les moyens
artificiels, non douloureux, non dangereux, que doivent
connaître les parents prudents, il est au moins désirable que
la réduction porte sur la progéniture des victimes du passé
ayant des tares matérielles ou murales, laquelle' a toutes les
chances de voir aggraver encore en elle l'infériorité de ses
parents.
Les législations diverses ont entouré la satisfaction du
besoin sexuel de mille entraves que la physiologie n'a pas à
connaître.
Si, avec les utilitariens, nous admettons que la morale
n'est autre chose que la science et l'art du bonheur, nous
devons en conclure (pie deux adultes ne commettent aucune
offense contre la morale en échangeant la volupté d'amour,
autant que cet échange reste stérile. Mais, au contraire, c'esl
432 SÉANCE DU 20 JUIN 1895
un grand crime contre un enfant que de l'appeler au monde
sans lui assurer, dans les conditions actuelles, toutes les chances
possibles d'y recevoir la satisfaction de ses besoins physiques,
intellectuels et moraux.
C'est là une vérité évidente : ce devrait être le principal
dogme de la morale moderne. Quelle femme, en effet, consentira
à être mère d'un enfant qu'elle saura n'avoir à peu près aucune
chance de devenir heureux et bon? Lui en faire un devoir au
nom d'idées préconçues est une simple atrocité. Dans les cas
extrêmes de dégénérescence, c'est même un devoir d'empêcher
la création d'un enfant dont la courte vie, trop longue encore, ne
serait qu'une série continue de souffrances pour lui-même et
une charge funeste pour les ressources toujours insuffisantes
des assistances publiques et des charités privées. Dans les
cas ordinaires, quand, au lieu de cacher à la jeune femme
pubère ce qu'elle a tant intérêt à connaître, on lui aura donné
honnêtement, franchement, les notions de physiologie néces-
saires, loin de laisser agir le hasard, elle saura employer les
artifices hygiéniques qui lui permettront de n'avoir d'enfants
que dans les meilleures conditions à tous les points de vue.
Nous voyons ainsi le remède se présenter immédiatement
à côté du mal, sans avoir, sauf dans des cas exceptionnels,
recours à l'autorité, toujours et partout si puissante pour le
mal, si impuissante pour le bien.
La liberté de la femme : liberté devant les lois, devant les
mœurs, devant l'opinion, est par elle-même, si l'on peut
abandonner des préjugés séculaires, un axiome évident ; mais
cette liberté, s'appuyant sur la science, sera la véritable
régénératrice de l'espèce humaine.
Les femmes de qualité inférieure reculeront devant la
douleur, le danger, l'ennui d'être mères, tant mieux ! Elles
laisseront ce rôle, noble par dessus tout, à celles qui aiment
véritablement les enfants, savent les élever, et qui montre-
ront leur tendresse dès la conception, en s'arrangeant pour
n'avoir que des enfants de qualité supérieure.
De plus, alors, la quantité suivra la qualité, bien entendu
OUVRAGES OFFERTS 433
dans les limites de la prudence. Les parents sages et pré-
voyants ne craindront plus de jeter leurs bons enfants dans
l'ignoble mêlée sociale, exposés à être écrasés par les infé-
rieurs.
Répandre au bon endroit cette utile science pratique,
Messieurs et chers confrères, est un apostolat auquel je vous
convie, et a qui votre haute valeur scientifique peut donner
d'emblée une puissance qui désarme la calomnie et le ridi-
cule.
L'un des secrétaires : A. Viré.
(>20e SÉANCE. —4 juillet 1895.
Présidence de M. Ollivier-Beauregard.
OUVRAGES OFFERTS.
Delage (Yves). — La structure du protoplasma, les théories
de l'hérédité et les grands problèmes de la biologie générale, grand
in-8, xvi-878 pages avec fig. Paris 1895 (oifert par M. Schlei-
cher).
Livi (Dr R.). — Sulla interpretazione délie curve seriali in
antropometria (Ext. de AttiSoc. rom. di AntropoL), in-8° 34, pag.
avec diagrammes, Rome, 1895.
MM. Collignon et Manouvrier font ressortir l'intérêt de cet
ouvrage.
Mil.ne-Edwards(A.), Deniker (J.), Boulart(R.), E.dePousar-
gues, et Delisle (F.) — Observations sur deux orangs-outangs adul-
tes morts à Paris, in-4° 418 pag., fig. et planches, Paris, 1895.
Marchesetti (l)r. G.). — Scavi nella necropoli di S. Lucia,
in-8°, 334 pag. et planches, Trieste 1893.
Tiiomas-Marancourt (Ed.). — De quelques objets protohistori-
ques trouvés en Angleterre, in-8°, 17 pag. Fontainebleau, 1894.
Ministère des travaux publics. — Documents relatas à la
-434 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
mission dirigée au sud de l'Algérie par M. A. Choisy. IIIe
volume : Hydrologie, statistique, météorologie par M. G. Rol-
land; anthropologie, zoologie, observations sur les conditions
sanitaires par M. le Dr II. Weisgerber, etc., in-8°, 504 pag.
avec fig. et tableaux. Paris, 1895.
Périodiques. — (Articles à signaler.)
L'Anthropologie, 1893, n° 3. — Dr E. Ilamy : Considérations
générales sur les races jaunes; — H. Meige : L'infantilisme,
le féminisme et les hermaphrodites antiques; — Ed. Piette :
Etudes d'ethnographie préhistorique; — J. Reinach : La
sculpture en Europe avant les influences gréco-romaines.
Bul.de la Société de géographie, Ier trim. 1895. — F. Foureau :
Une mission chez les Touareg Azdjer; — 11. Douliot : Journal
de voyage fait sur la côte ouest de Madagascar [suite).
Recueil des notices et Mémoires de la Société archéologique de
Constantine, 1894. — G. Viré : Les antiquités dans la com-
mune mixte de Taher; — Prud'homme : De quelques silex
taillés du musée de Constantine.
Bul. de l'Académie des sciences de Cracovie, mai 1895. — C. R.
de la commission d'anthropologie.
Atti del Museocivico di storia naturale di Trieste, vol. IX. —
Dr C. Marchesetti : La Grotta azzurra di Samatorza.
The american antiquarian, may 1895. — S. D. Peet : The
story of the création among the american aborigines a proof
of prébistoric contact ; — The calendar system of the Chibchas.
Miltheil. der anthropologischen Gesellschaft in Wien. XXV R.
1 IL — L. v. Schrœder : Ueber die Entwicklund der Indologie
in-Europa und ihre Reziehungen zur allgemeinen Vœlker-
kunde; — Leder : Ueber alte Grabstœtten in Silurien und der
Mongolei.
OBJETS OFFERTS.
M. d'AuLT du Mesnil offre des photographies du menhir de
Clamart.
M. Delisle offre des photographies d'un Orang-outang.
TH. CHUDZENSKI. — l'LIS CÉRÉBRAUX DES LÉMURIENS 435
COMMUNICATIONS.
Sur les plis cérébraux des lémuriens eu général
et du Loris grêle en particulier.
Par Théophile Chudzinski.
Parmi tous les organes du corps d'un mammifère, il n'y en
a peut être pas un seul qui ait autant de fixité que le plisse-
ment cérébral, de sorte qu'avec un peu d'habitude, il est fa-
cile de reconnaître les ordres, la famille, le genre et souvent
même l'espèce à laquelle appartient le cerveau observé.
C'est ainsi que la famille des faux singes ou, plus exacte-
ment, des prosimiens, présente un plissement de l'écorce
cérébrale qui lui est propre et qui la distingue des autres
groupes des mammifères placés plus haut ou plus bas.
En se basant sur la conformation spéciale du placenta des
lémuriens et sur les autres faits de leur organisation, on
arrive à cette conclusion : que les prosimiens forment un
groupe a part, lequel mérite le nom d'un ordre, ordre des pro-
simiens, bien que certains caractères anatomiques les rappro-
chent des vrais singes.
En effet, chez les singes des espèces les plus inférieures,
par exemple chez les ouistiti, la surface cérébrale est entière-
ment lisse, au moins dans sa partie externe, ou comme chez
les autres hapales (marikina) qui n'ont qu'une ou deux inci-
sures. Mais déjà chez les singes cébiens la surface cérébrale
se plisse beaucoup plus, ainsi que chez les singes plali-
rhyniens et finit par le riche plissement des singes anthro-
poïdes.
Il n'en est pas de même des prosimiens. Leurs cerveaux,
même ceux des individus les plus petits, si petits qu'à peine
ils ont les dimensions d'un rat de moyenne taille (poids du
loris grêle 210 gr., poids de l'encéphale 8 gr.) ont déjà la
surface cérébrale relativement très plissée, comme cela se
voit très bien sur ce cerveau de loris grêle.
436 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
Mais en examinant en même temps la surface cérébrale
d'un maki inférieur, dont le poids et la taille sont cinq fois
plus forts on trouve que son plissement est moins riche que
celui de notre loris. A quoi faut-il attribuer ce fait contra-
dictoire?... peut-être à ce que les loris et leurs congénères
forment une famille à part, représentant les lémuriens de
l'Asie.
Ce plissement primitif se perfectionne dans les espèces des
lémuriens supérieurs comme par exemples les indris, chez les
quels les sillons et les scissures s'enrichissent encore par l'ap-
parition d'une scissure comparable à la scissure de Rolando
des primates. Cette nouvelle scissure est très nettement
dessinée et elle est remarquable par les flexuosités et les
ramifications des sillons cérébraux.
La forme générale du cerveau des lémuriens est celle d'un
ovoïde dont l'extrémité antérieure serait arrondie. Les hémis-
phères recouvrent un peu plus que la moitié de la face supé-
rieure du cervelet. Les lobes olfactifs, quoique déjà un peu
amoindris dans leur volume, conservent cependant un déve-
loppement relativement, considérable. Les lobes de l'hippo-
campe sont encore assez forts. Tous ces caractères rappro-
chent les lémuriens des carnassiers, plutôt que des vrais
singes.
Pourtant le cerveau des lémuriens, par sa forme, par le
mode de plissement de sa surface, a des analogies frappantes
avec le plissement de la même surface chez certains singes
d'Amérique.
En effet, en examinant la surface cérébrale de notre loris
grêle nous apercevons, d'abord, une longue et profonde scis-
sure transversale S (fig. 1 et 2) qui s'étend delà scissure hip-
pocampo-olfactive, h, jusqu'à proximité du bord supérieur de
l'hémisphère droit, où son extrémité n'est séparée du bord
supérieur que d'un millimètre, et de trois millimètres sur
l'hémisphère gauche. Dans son trajet cette scissure est légère-
ment ondulée et sa direction sensiblement verticale dans
ses deux tiers inférieurs. Ensuite elle décrit une courbe à
TH. ClH'DZINSKI.
plis nERicniurx des lémuriens
43 1
concavité postérieure; puis elle se brise brusquement et se
dirige vers le bord supérieur de l'hémisphère en faisant
avec sa partie précédente un angle obtus ouvert en dedans.
Sur l'hémisphère gauche, la scissure en question forme
par ses inflexions deux genoux; l'un de ces genoux se trouve
à la partie moyenne de la scissure et l'autre dans le premier
tiers inférieur. La partie transversale de cette scissure,
celle qui avoisine le bord supérieur de l'hémisphère, est sé-
parée du reste de la scissure par un pli de deux millimètres
de largeur.
Fig. 1.
Fig. 2.
0'
*t k
Fis. 3
Fig. 4
Loris t.rêle : I. Face supérieure. — 2. Face inférieure. — 3. Face interne.
4. Face externe.
Ainsi cette grande scissure de la face externe du loris grêle,
se compose de trois portions, qui se distinguent par leur
direction, leur courbure et aussi par leur longueur. La por-
tion inférieure S est verticale; la partie moyenne décrit une
courbe assez étendue; et la troisième 0, très courte, est per-
pendiculaire au bord supérieur de l'hémisphère.
Suivant nous, les trois tronçons de cette seule fente cérébra-
438 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
le, appartiennent à des éléments qui sont ordinairement très
distincts. Ainsi la partie supérieure s'individualise déjà sur
l'hémisphère gauche et s'en sépare par un petit pli de com-
munication. Nous regardons, et cela à juste titre, la partie
inférieure comme la scissure sylvienne proprement dite, et la
partie moyenne, remarquable par sa courbure, comme le sil-
lon interpariétal. Enfin, le tronçon supérieur, à notre avis,
serait une ébauche de la portion externe de la scissure occi-
pitale.
Le prolongement de la scissure sylvienne jusqu'au bord
supérieur de l'hémisphère, se voit chez certains singes cébiens,
par exemple chez le Douroucouli (Nyctipithecus); chez le hur-
leur (Mycetes), chez le Coàito (Ateles marginalus) et enfin chez le
Saimiri (Pithésciureus) . Chez ce dernier, la scissure de Sylvius
rejoint la scissure occipitale, sur la face interne de l'hémis-
phère : là elle se confond avec cette dernière, mais en réalité
elle en est séparée par un pli de passage qui est très profond.
Donc, chez notre loris grêle, cette petite fente cérébrale est
composée d'un sillon et de deux scissures ; elle sépare la surface
externe de l'hémisphère cérébral en deux portions : une por-
tion antérieure formée de la totalité du lobe frontal "el
d'une partie du lobe occipital, et une portion postérieure résul-
tant de la fusion du lobe temporal, des parties des lobes
pariétaux et du lobe occipital.
La portion antérieure est creusée de trois sillons courts
mais très profonds. Le plus inférieur de ces sillons est rela-
tivement long et il est situé dans la région sus-orbitaire de
l'hémisphère. Ce sillon sépare deux plis de la portion sus-
orbitaire de l'hémisphère. Le pli sus-orbitaire externe est le
plus large.
La portion du lobe fronto-pariétal, située au-dessus de la
région sus-orbitaire, constitue l'étage supérieur de l'hémis-
phère ; elle est divisée en trois plis par les sillons /' et f. Ce
dernier est relativement long et se recourbe en forme d'un S
italique couché. On peut regarder ce sillon comme le sillon
principal du lobe frontal, car c'est lui qui sépare le lobe fron-
TH. GHUDZINSKI. — PLIS CEREBRAUX DES LÉMURIENS 439
tal en deux plis primaires. Le pli supérieur, ou le premier pli
frontal est large; il se subdivise par une incisure en deux
plis secondaires.
Quand on réfléchit en regardant le lobe frontal du loris
grêle, on est étonné de sa richesse en plis, en tenant compte
de l'extrême petitesse de l'encéphale.
Le plissement de la portion temporo-occipitale du cerveau
du loris est plus simple; en effet, cette surface n'a que deux
sillons, dont l'antérieur est rectiligne et en même temps le
plus long. Ce sillon antérieur est parallèle à la scissure de
Sylvius, et par cela il est analogue au sillon parallèle des
vrais singes. On a déjà deviné dans ce sillon le premier sillon
temporal des primates (marqué par la lettre t sur nos figu-
res 1 et 2). L'extrémité inférieure du premier sillon temporal
aboutit à un sillon qui sépare le lobe de l'hippocampe du
reste de l'hémisphère.
En arrière du premier sillon temporal, on en voit un autre
qui est coudé : sa partie supérieure a une direction antéro-
postérieure et sa partie inférieure est verticale. D'après notre
avis, la portion antéro-supérieure du second sillon temporal
établit des limites entre les lobes temporal, pariétal et occi-
pital.
On peut comparer cette portion du second sillon temporal
au sillon du pli courbe des vrais singes, dans ce cas il repré-
senterait la partie postérieure du sillon pariétal. Les deux sil-
lons temporaux divisent le lobe temporal en trois plis, dont le
troisième se replie sur la face interne de l'hémisphère et là il
est parcouru par les nombreux sillons vasculaires qui creusent
transversalement sa surface.
Le premier pli temporal est assez régulièrement quadrila-
tère. Le second pli. temporal se confond avec le troisième dans
la plus grande partie de son étendue.
Le lobe pariétal n'a que deux plis. Le pli supérieur concourt
à la formation du bord supérieur de l'hémisphère; ensuite
il se replie sur la face interne de l'hémisphère où il entre
dans la constitution du lobule carré. La portion du premier
440 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
pli pariétal, qui est situé sur la face externe de l'hémisphère,
est très étroite; elle n'est, en réalité, que le prolongement
direct du premier pli du lobe frontal.
Le second pli pariétal P se rencontre au-dessus des deux
sillons temporaux.
Enfin, la portion externe du lobe occipital forme une sur-
face complètement lisse. Cette surface se termine par un con-
tour arrondi qui détermine la corne postérieure de l'hémis-
phère cérébral.
La face interne de l'hémisphère du loris grêle laisse voir,
tout d'abord, un sillon longitudinal dont la direction est
antéro-postérieure. Ce sillon est placé au voisinage du bord
supérieur de l'hémisphère auquel il est parallèle ; il est d'ail-
leurs peu sinueux. Ce sillon représente le sillon sous-frontal
des primates Sf. Chez les carnassiers et les autres quadru-
pèdes il fait partie de la grande scissure limbique Sf.
Dans la partie postérieure de l'hémisphère on remarque
deux scissures très profondes. Ces deux scissures, après un
court trajet, se réunissent et aboutissent à la scissure des hip-
pocampes, dont elles sont séparées par un pli de passage
qui relie le lobule carré ou plutôt la partie postérieure du
pli du corps calleux au troisième pli temporal. De ces deux
scissures, l'antérieure presque perpendiculaire à l'axe de l'hé-
misphère constitue la scissure occipitale o ; la seconde scissu-
re, qui est plus en arrière, a une direction plutôt horizonta-
le : elle s'engage dans la corne postérieure de l'hémisphère.
L'autre extrémité de la même scissure se confond intimement
avec la scissure occipitale, c'est la scissure calcarine (Cal.)
Les deux scissures, en se réunissant avec la scissure des
hippocampes forment une espèce de fourche, ou bien la lettre
y couchée.
Dans les branches deVy est enclavée une surface triangu-
laire parfaitement lisse, c'est le lobule triangulaire ou le
lobule cunéiforme, absolument analogue au cunéus de l'es-
pèce humaine 4.
1 L'isolement si profond et si net du lobule cunéiforme ne s'ob-
TH. CHUDZLVSKI. — PLIS CÉRÉBRAUX DES LÉMURIENS 441
Tous les plis de la face interne de l'hémisphère sont com-
plètement lisses; quelques-uns seulement sont marqués plus
ou moins par des sillons vasculaires. Ces sillons sont surtout
multiples sur la portion interne du troisième pli temporal.
La portion du premier pli frontal, celle qui se trouve sur la
face interne de l'hémisphère n'offre aucune incisure, et à plus
forte raison aucun sillon.
Le pli du corps calleux est étroit et complètement lisse.
Le lohule carré est petit, nettement limité, et son bord an-
térieur est un peu entamé par le sillon sous-frontal. Sa confi-
guration est vraiment celle d'un quadrilatère géométrique.
Le lobe occipital, sur la face interne de l'hémisphère, est
formé en grande partie parle lobule cunéiforme, et par la fu-
sion de celui-ci avec la portion supérieure du troisième pli
temporal.
Les lobes de l'hippocampe sont séparés des plis cérébraux
par un sillon horizontal peu profond.
En résumé, la face externe de l'hémisphère du loris grêle
est relativement riche en sillons; elle en compte de 5 à 6 d'un
hémisphère à l'autre, plus une longue et profonde scissure
sylvio-pariétale, et non compris le sillon de la délimitation
des lobes de l'hippocampe.
La face interne présente des plis dont la surface est tout à
fait lisse. Cette face possède trois scissures, savoir : les scis-
sures occipitale et calcarine, la scissure des hippocampes,
et un sillon proportionnellement très grand qui est le sillon
sous-frontal.
De tout ce qui précède il résulte que le plissement si com-
pliqué de l'écorce cérébrale du loris prouve que ce n'est pas
par lui que commence la série des lémuriens. Il en résulte
aussi que l'espèce primitive de ces mammifères est inconnue
serve que dans l'espèce humaine et les lémuriens. Chez tous les
singes, le lobule cunéiforme est relié par un pli de passage très
superficiel à la portion temporale, de sorte que les scissures occipi-
tale et calcarine sont séparées l'une de l'autre et n'arrivent plus
à la scissure des hippocam; es.
T. VI (4<»SÊRIB). 29
442 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
jusqu'à présent, ou que cette espèce a totalement disparu, ce
qui n'est pas probable. Il se peut même que, par sa petitesse
extrême, il ait pu échapper aux yeux des observateurs les
plus expérimentés. Peut-être aussi que sa conformation dif-
fère tellement de celle des autres lémuriens qu'elle ne périr et
pas de le classer exactement.
Dans tous les cas, ce petit cerveau échappe à la loi, pour-
tant si vraie, de M. Dareste, qui veut que les animaux de
petite taille, d'une certaine famille zoologique, aient le cer-
veau absolument lisse, ou bien que le plissement en soit très
rudimentaire.
Nous connaissons maintenant les plis cérébraux du loris
grêle ; comparons-les à présent aux mêmes plis des lémuriens
de l'Afrique.
Presque tous les lémuriens de l'Afrique ont pour patrie l'île
de Madagascar, au moins à l'époque actuelle. Les lémuriens
ont été étudiés avec un soin minutieux par M. Alphonse
Milne-Edwards. Ce savant maître a reconnu que ces mammi-
fères s'éloignent beaucoup des vrais singes par leur placenta,
qui est diffus *.
Dans notre mémoire sur les plis cérébraux des mammifères
quadrupèdes en 1878, nous avons publié des schémas des
principaux types des lémuriens dans la planche IX et dans
les figures 75, 76 et 77 de la planche VIII annexées à notre
ouvrage.
Tous les schémas de la planche IX sont faits d'après les
dessins de M. Alphonse Milne-Edwards. Les figures 75, 76 cl
77 d'après notre moulage du cerveau d'un maki à front noir
(lemur nigrifrons).
Le cerveau des lémuriens inférieurs, par exemple celui du
maki a front noir, est beaucoup plus volumineux que le cer-
veau du loris grêle et, en même temps, il est plus allongé.
Le cervelet des makis inférieurs est plus recouvert par les
* On sait que les singes ont le placenla discoïde, qu'il soit unique
ou double.
Tir. C.ÎÎUDZLVSKl.
PLIS CEREBRAUX DES LEMURIENS
443
hémisphères cérébraux. Mais les lobes hippocampes sont aussi
volumineux que* ceux du loris grêle. Cependant, il nous
semble apercevoir une petite tendance à l'atrophie des lobes
olfactifs plus prononcée que chez le loris.
Comme chez les loris, la face externe de l'hémisphère est
divisée en deux portions par une longue scissure transversale
un peu sinueuse Seulement cette scissure est moins profonde
que la même scissure du lotis. L'extrémité inférieure de cette
scissure commence à la scissure hippocampo-olfactive ; de là,
elle monte un peu obliquement en haut et en arrière, en se
dirigeant vers le milieu d'un sillon antéro-postérieur, et elle
cesse à trois ou quatre millimètres au-dessous de ce sillon.
sf-
Fig. 5 Fig. 6
Maki à front noir. — 5. Faco supérieure. — 6. Face interne
Cette longue fente cérébrale est la scissure de Sylvius et le
sillon sous lequel elle se termine est le sillon pariétal. Comme
chez le loris, la scissure sylvienne du maki a front noir di-
vise l'hémisphère cérébral en deux portions : la portion anté-
rieure, formée du lobe frontal et de la partie supérieure du
lobe pariétal, et la portion postérieure, contenant le lobe tem-
poral, la partie inférieure du lobe pariétal, ainsi que la partie
superficielle du lobe occipital.
444 SÉANCE DU 4 JUILLET 4895
Les limites supérieures du lobe frontal sont incertaines, car
ce lobe se continue, sans aucune interruption, avec le lobe
pariétal. Le lobe frontal proprement dit a un long sillon rec-
tiligne dont la direction est antéro-postérieure. Ce sillon com-
mence près de la corne antérieure de. l'hémisphère; c'est le
sillon frontal (rostral de certains anatomistes). Le sillon fron-
tal divise le lobe frontal en deux plis très larges ; ce sont les
plis frontaux : l'un supérieur, l'autre inférieur. Tout à fait
en bas, dans la région sus-orbitaire de l'hémisphère, on voit,
encore une incisure ramifiée qui détermine aussi deux plis,
lesquels ne sont que le prolongement des plis frontaux de la
face externe de l'hémisphère.
Les deux plis frontaux sont tout à fait lisses, c'est-à-dire
sans trace de la moindre incisure.
Le premier pli frontal, en se confondant intimement avec
la portion supérieure du lobe pariétal, forme une très longue
bande unique, étendue de la corne antérieure de l'hémisphère
jusqu'à sa corne postérieure.
Le second pli frontal décrit quelques sinuosités au-dessus
de la scissure de Sylvius et du premier sillon temporal, et se
confond à son tour avec le lobe temporal. En outre, les deux
plis se réunissent, ou plutôt continuent leur trajet à travers
les lobes pariétal et occipital; par conséquent ils parcourent
toute la longueur de l'hémisphère.
La portion de l'hémisphère du maki nigrifrons située en
arrière de la scissure de Sylvius, renferme les éléments de
trois lobes fusionnés plus ou moins entre eux ; ce sont les
lobes temporal, pariétal et occipital.
Le lobe temporal est limité en bas par une portion de la
scissure limbique, qui le sépare du lobe hippocampe. En haut,
les limites du lobe temporal sont fort vagues et par conséquent
incertaines. Dans tous les cas, le lobe temporal, quoique très
large, n'a pourtant qu'un seul sillon peu onduleux. La direc-
tion de ce sillon est verticale et en môme temps parallèle à la
scissure de Sylvius. Chez les mammifères, dont les plis tem-
TH. CHUDZINSKI. — PLIS CÉRÉBRAUX DES LÉMURIENS 445
poraux sont multiples, il représente le premier sillon tempo-
ral ou le sillon parallèle.
Le sillon unique de notre maki partage le lobe temporal
en deux larges plis temporaux dont la surface est parfaite-
ment lisse.
Au-dessus de la scissure de Sylvius et du sillon temporal,
on voit un autre sillon longitudinal et antéro-postérieur. 11
est légèrement recourbé et la faible concavité qui en résulte
est tournée en bas.
Ce sillon est parallèle au bord supérieur de l'hémisphère
en creusant la surface de la région pariétale du cerveau ; c'est
donc le sillon pariétal. Son extrémité antérieure s'incline un
peu en bas et va à la rencontre du sillon frontal. Cette incli-
naison, plus accentuée encore chez les makis supérieurs, se-
rait-elle une ébauche de la scissure rolandique?...
L'extrémité postérieure du sillon pariétal est quelquefois
bifide, et une branche de la bifurcation se tourne vers le bord
supérieur de l'hémisphère; ce petit ramuscule ne serait-il pas
aussi le rudiment de la scissure occipitale? Quoi qu'il en soit,
ce petit crochet du sillon pariétal marque la limite du lobe
pariétal et du lobe occipital.
D'ailleurs, la scissure de Sylvius et le sillon temporal, sont
situés à une faible distance du sillon pariétal. Celui-ci sépare
deux plis du lobe pariétal. Le pli pariétal supérieur est recti-
ligne; le pli inférieur, au contraire, se recourbe au-dessus des
extrémités supérieures de la scissure de Sylvius et du sillon
temporal.
Les deux plis pariétaux se continuent sans aucune inter-
ruption avec les plis du lobe frontal et du lobe occipital,
comme nous l'avons déjà vu plus haut. En outre, le deuxième
pli pariétal se confond encore avec le lobe temporal.
La portion externe du lobe occipital présente une surface
complètement lisse. C'est elle qui forme le bord et la corne
postérieure de l'hémisphère. Cette portion du lobe occipital
se confond intimement avec le lobe pariétal en haut et le lobe
temporal en bas.
44G SEANCE DU 4 JUILLET 1895
Sur la surface interne de l'hémisphère des makis inférieurs,
comme d'ailleurs chez le loris grêle, nous apercevons d'abord
un sillon antéro-postérieur; c'est le sillon sous-frontal, qui
fait partie, chez les mammifères quadrupèdes, de la grande
scissure limbique. Le sillon sous-frontal décrit une courbe
concentrique au corps calleux, et il occupe la majeure portion
de la face interne de l'hémisphère. L'extrémité antérieure du
sillon sous-frontal est assez éloignée de la corne antérieure du
cerveau et son extrémité postérieure se recourbe un peu en
haut, comme pour atteindre le bord supérieur de l'hémisphère
et passer ensuite à sa face externe. Cette disposjon est la règle
chez les singes cébiens et autres.
Chez les makis inférieurs, le sillon sous frontal accuse seu-
lement la tendance à se prolonger jusqu'à la face externe de
l'hémisphère, car cette extrémité, postérieure au sillon sous-
frontal est éloignée du bord supérieur de celle-ci de 5 à 6 mil-
limètres.
En arrière du sillon sous-frontal, on aperçoit deux fentes en
forme de fourche. Ces deux fentes sont obliquement dirigées
en bas et en avant. Le manche de cette espèce de fourche est
relativement long, et nous la connaissons déjà sous le nom de
scissure des hippocampes. Le bras antérieur de cette fourche
n'est autre chose que la scissure occipitale, et le bras posté-
rieur est la scissure calcarine. Le confluent de ces trois scis-
sures est occupé par un petit pli de passage très profond,
étendu de l'extrémité postérieure du pli du corps calleux à la
portion interne du deuxième pli temporal. On voit d'après cela
que c'est la répétition des scissures du loris grêle dans tous
ses détails. Enfin, à proximité de la corne de l'hémisphère, on
voit encore une toute petite incisure, parallèle au bord infé-
rieur du lobe frontal.
La partie supérieure de la face interne de l'hémisphère des
makis est formée par un long pli antéro-postérieur. Ce pli,
dans ses deux tiers antérieurs, est constitué par le repli sur
la face interne de l'hémisphère du premier pli frontal. La sur-
face de cite bande est parcourue par un léger enfonccinenr
TH. CHUDZINSKI. — PL'S CÉRÉBRAUX DES LEMURIENS 447
vasculaire qui se-continue sur le lobule carré. Plus en arrière,
on rencontre une surface quadrilatère, parfaitement lisse.
Elle a très peu d'étendue et elle est limitée en avant par l'ex-
trémité postérieure du sillon sous-frontal, et en arrière par la
scissure occipitale. C'est le lobule carré ; il est formé en plus
grande partie par l'extrémité postérieure du pli du corps cal-
leux, comme nous le verrons un peu plus bas.
Plus en arrière encore, on remarque un tout petit lobule
triangulaire limité par la scissure occipitale et calcarine. Le
sommet aigu de ce lobule est enclavé dans le confluent des
scissures : occipitale, calcarine et de la scissure des hippo-
campes. La surface de ce triangle est lisse. D'après cette des-
cription, on a deviné facilement le lobule cunéiforme de notre
loris grêle.
Au-dessous du lobule cunéiforme, on trouve la portion in-
terne du deuxième pli temporal, dont la surface est également
lisse. Enfin, au-dessous du sillon sous-frontal et au-dessus du
corps calleux, on voit encore une bande de la substance grise
qui représente le pli du corps calleux. Ce pli est limité en
avant par l'incissure sus-orbitaire interne et, en arrière, il se
confond avec le lobule carré. Au-dessous du pli du corps cal-
leux, on voit la coupe du corps calleux lui-même, sous la forme
d'une longue bandelette blanche, laquelle contourne la couche
optique relativement volumineuse. Plus bas, on voit un sillon
de séparation du lobe hippocampe du reste de l'hémisphère
et la partie interne du lobe du même nom.
En somme, la face interne du maki à front noir possède
trois sillons et une scissure. Les premiers divisent cette face
en six plis dont la surface est tout à fait lisse; ce sont : deux
plis frontaux, deux temporaux et deux pariétaux; ces der-
niers se confondent vers la portion externe du lobe occipital.
C'est précisément le contraire qu'on constate sur la lace
interne de l'hémisphère. En effet, on y voit trois scissures et
un seul sillon. Les trois scissures, dont la scissure occipitale,
calcarine et des hippocampes; le sillon, c'est le sillon sous-
frontal. Néanmoins, il n'y a que trois plis et les deux lobules.
448 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
Il en résulte de ce fait, que le plissement de l'écorce céré-
brale des makis inférieurs est très simple, tellement simple
qu'il se place au-dessous de celui que nous avons vu chez
le loris grêle, dont le poids et la taille étaient si faibles. En effet,
chez les loris, nous avons compté trois plis du lobe frontal :
deux primaires et un secondaire. Chez les makis inférieurs,
il n'y en a que deux. De même, nous avons vu trois plis du
lobe temporal chez les loris; chez les makis, nous n'en trou-
vons que deux également. Pour finir, nous ajouterons encore
cette remarque, que la conformation du plissement cérébral
des makis inférieurs s'élargit à la partie postérieure du lobe
frontal en affectant la forme d'une demi-tète de flèche, dont
le talon serait tourné vers la corne postérieure du cerveau. Ce
talon n'est que le prolongement de la portion supérieure du
lobe pariétal et du lobe occipital.
Le pli inférieur, plus uniforme dans ses contours, décrit
une anse au-dessus de la scissure de Sylvius et du sillon tem-
poral.
Ainsi, nous obtenons deux plis longitudinaux, se dévelop-
pant d'avant en arrière, absolument comme les plis de certains
carnassiers. Les deux plis antéro-postérieurs existent chez les
grands chéiroptères et les autres insectivores, ainsi que chez
certains édentés, notamment chez les tatous. Cependant, par
leur conformation, les plis des makis se rapprocheront da-
vantage des plis desgenettes et des vivéridés, dont ils diffèrent
seulement par le nombre. En effet, les genettes et les vivéri-
dés possèdent trois plis antéro-postérieurs. Ces trois plis sont
produits par le dédoublement du pli supérieur par un long
sillon longitudinal. Mais, nous regardons ce sillon comme le
sillon secondaire parce qu'il apparaît assez tardivement après
le sillon principal proprement dit.
Il n'en est pas de même de la face interne do l'hémisphère.
La conformation du sillon sous-frontal, le mode de dévelop-
pement se retrouve chez un singe cébien connu sous le nom
de Moloch (Callitrix), avec cette différence que son unique
sillon frontal est très court et très rapproché du bord
TH. CHUDZINSKI. — PLIS CÉRÉBRAUX DES LÉMURIENS 449
antérieur de l'hémisphère. Seulement, sur la face interne de
l'hémisphère du Moloch,on remarque une différence capitale,
car son lobule cunéiforme se communique par un large p!i de
passage superficiel avec la portion postérieure du pli du
corps calleux.
Par ce fait, les scissures occipitale et calcarine étant sépa-
rées l'une de l'autre sont parfaitement indépendantes.
D'après les faits énoncés plus haut, nous sommes autorisé
à poser les conclusions suivantes :
En raison du volume et du développement des lobes olfac-
tifs, d'une part; de la direction et de la continuité des plis de
la face externe du cerveau, ainsi que du volume des lobes de
l'hippocampe, d'autre part, les plis cérébraux des makis pré-
sentent un état intermédiaire entre le plissement des cerveaux
de carnassiers et celui des singes. En effet, si, par la pensée,
nous prolongeons le sillon frontal jusqu'à l'extrémité anté-
rieure, qui est toute proche du sillon pariétal, nous n'avons
que deux plis antéro-postérieurs ; et ces deux plis se déve-
loppent au-dessus des sommets de la scissure de Sylvius et
du sillon temporal en parcourant toute la longueur de l'hé-
misphère. Le pli supérieur est déjà tout formé dans toute sa
longueur. La portion antérieure de la scissure occipitale et
calcarine; la formation du lobulecarréet du lobule cunéiforme,
éloigne, au contraire, les lémuriens inférieurs de tous les
autres mammifères quadrupèdes et les rapprochedes primates,
c'est-à-dire des vrais singes. Et même la conformation du
lobule cunéiforme place les loris et les lémuriens inférieurs
au-dessus des anthropoïdes et les range à côté de l'homme
normal, comme nous l'avons déjà dit plus haut.
Après avoir longuement insisté sur les plis des lémuriens
inférieurs, il est temps, à présent, de s'occuper de quelques
détails de perfectionnement des plis cérébraux des lémuriens
supérieurs.
Chez les lémuriens supérieurs, le cerveau est relativement
plus volumineux et ses hémisphères recouvrent la plus grande
partie du cervelet. Cependant la portion antérieure du cer-
4S0 SÉANCE DU i JUILLET 1893
veau est plus rétrécie que celle du loris grêle ; de sorte que
les cornes antérieures du cerveau, au lieu d'être arrondies,
sont un peu pointues. Mais en revanche les lobes olfactirs
s'atrophient à un tel degré qu'ils se réduisent presque aux
dimensions des bandelettes, improprement nommées nerfs
olfactifs, qui sont propres aux primates. Par la suite les lobes
hippocampes s'atrophient à leur tour et se placent sur la base
de l'encéphale. Tous ces faits indiquent que l'encéphale des
lémuriens supérieurs subit une évolution progressive en s'a-
vançant vers le type plus élevé, par la portion instinctive du
cerveau Alors il est facile à prévoir que la partie intellec-
tuelle évoluera dans le même sens, et c'est ce qui arrive effec-
tivement .
Tout d'abord les hémisphères du cerveau augmentent de
volume, tandis que le cervelet reste stationnaire ; ensuite les
sillons de la surface cérébrale se multiplient; les scissures
deviennent plus profondes, plus flexueuses, plus ramifiées,
et c'est ce qui rend la surface de l'hémisphère plus tourmentée.
Nous allons passer en revue toutes ces particularités.
L'agrandissement des hémisphères se fait sentir surtout
dans leur portion postérieure; c'est pourquoi le cervelet est
recouvert en majeure partie, et les lobes hippocampes, déjà
diminués, sont refoulés vers la base de l'encéphale. Et comme
les lobes olfactifs sont beaucoup amoindris, eux aussi, il en
résulte que les extrémités libres des lobes hippocampes se
rapprochent et ne sont séparés l'un de l'autre que par le tu-
bercule cendré.
Dans tous les cas, en posant sur la table l'encéphale d'un
lndri, par exemple, on n'aperçoit plus les lobes hippocampes.
Nous avons déjà remarqué, à propos du cerveau du maki
à front noir, que les sillons et les scissures étaient rectilignes
ou très peu fiexueux. Chez les lémuriens supérieurs les scis-
sures et sillons non seulement sont ondulés, mais aussi sont
ramifiés : ainsi chez le propithécus diadema on remarque, tout
d'abord, que le plissement de son écorce cérébrale est asymé-
trique, c'est-à-dire qu'il varie d'un hémisphère à l'autre.
TH. CHUDZINSKI. — PLIS CÉRÉBRAUX DIiS LÉMURIENS 451
In fait pareil r>e s'observe que chez les mammifères les
plus supérieurs ou sur les animaux domestiques, comme, par
exemple, chez les chiens.
La scissure de Sylvius du propithecus diadema1, par le fait
même de l'agrandissement de ses hémisphères, devient très
longue et se porte en haut et arrière, en décrivant une courbe
très régulière et très étendue. La partie supérieure de cette
courbe s'incline tellement en arrière qu'elle devient parallèle
ou, mieux encore, concentrique au bord supérieur de l'hémis-
phère. En outre, l'extrémité supérieure de la scissure de Syl-
vius s'avance vers le sillon pariétal.
Nous avons dit que la scissure de Sylvius décrit une courbe
régulière; cela est vrai seulement pour l'hémisphère gauche,
car sur l'hémisphère droit la scissure de Sylvius présente
quelques brisures et son extrémité supérieure est bifurquée.
Dans son parcours la scissure de Sylvius est, en effet, bri-
sée deux fois et au niveau de la première brisure on voit une
petite ramification très courte.
Les deux bifurcations de la scissure de Sylvius s'enfoncent
dans le lobe pariétal.
La scissure de Sylvius, dans les espèces précédentes, divise
l'hémisphère en deux portions presque égales. La portion an-
térieure est aussi composée de deux lobes : du frontal et du
pariétal. Ces deux lobes forment une large surface qui est
parcourue par deux sillons à droite et par trois sur l'hémis-
phère gauche.
Le premier de ces sillons est longitudinal et sa direction
est antéro-poslérieure ; il est flexueux et bifurqué dans son
extrémité antérieure. L'extrémité postérieure de ce sillon est
simple sur l'hémisphère gauche et bifurquée sur le droit. Le
même sillon de l'hémisphère gauche se dirige vers un autre
sillon oblique qui se trouve au-dessus de la scissure de Syl-
vius et du premier sillon temporal. Est-ce le sillon pariétal?
Nous penchons pour l'affirmative. A droite, il n'y a qu'un
i Nous décrivons les scissures et les sillons des lémuriens supé-
rieurs d'après les dessins de .M. Alphonse Milne-Edwards.
432 SÉANCE DU 1 JUILLET 1895
seul sillon antéro-postérieur, ses deux extrémités sont bifides.
Dans son trajet, ce sillon présente une brisure qui marque
probablement la jonction de deux sillons : frontal et pariétal.
Ces deux sillons sont nettement séparés par une distance
de trois millimètres environ sur l'hémisphère droit. Mais le
vrai sillon frontal ou sillon principal est situé plus bas. Il
commence au niveau de la corne antérieure de l'hémisphère
et se porte en arrière en décrivant une courbe concentrique
au bord supérieur de celle-ci; près de son extrémité posté-
rieure, il s'en détache un petit rameau ascendant en forme
d'un S italique. Ce rameau marche à la rencontre de l'extré-
mité antérieure du sillon frontal supérieur.
En outre, on aperçoit, dans la région sus-orbitaire de l'hé-
misphère, deux incisures longitudinales dont les deux extré-
mités sont bifides. Ces deux sillons sus-orbitaires sont la
continuation de deux sillons de la face externe du cerveau.
Les deux sillons du lobe temporal du propithécus diadema
séparent par conséquent trois plis du lobe frontal. En réalité,
il n'y a que deux plis principaux, absolument comme chez
les makis inférieurs; car le sillon supérieur du lobe frontal
n'indique que la division du pli frontal supérieur en deux plis
secondaires.
A l'appui de notre manière de voir, nous rappellerons ce
fait, que chez un très jeune propithécus diadema on ne voit
que ce sillon sur le lobe frontal, et par conséquent il n'y a
que deux plis frontaux primitifs; et nous sommes d'autant
plus convaincu de la vérité de notre jugement, que chez tous
les singes inférieurs ce sillon est constant, les autres n'étant
que des détails de perfectionnement.
Le lobe temporal du propithécus diadema est excessive-
ment large. Ses contours sont encore plus accentués par la
profondeur de la scissure de Sylvius. Le lobe temporal est
creusé par des incisures multiples, mais on y aperçoit des
sillons continus. Ces incisures se superposent les unes au-
dessus des autres, et voici de quelle manière.
Immédiatement en arrière de la scissure de Sylvius, on
TH. CHUDZINSKI. — PLIS CÉRÉBRAUX DES LÉMURIENS 453
remarque deux incisures; l'incisure supérieure commence
par une extrémité bifurquée en forme d'un y, puis elle se
prolonge en bas en suivant une direction parallèle à la scis-
sure deSylvius et se bifurque de nouveau. Un peu au-des-
sous de cette incisure on en voit une autre, dont la direction
est oblique en bas et en avant. Ces deux incisures forment te
premier sillon temporal ou les sillons parallèles de Gratiolet.
En arrière du premier sillon temporal on remarque égale-
ment deux autres incisures; l'incisure supérieure est courte et
bifurquée à son extrémité supérieure; l'incisure inférieure
est très oblique et se présente sous la forme de l'impression
que produirait un ongle sur une sur face un peu molle. Ces
deux incisures forment le deuxième sillon temporal. En arrière
de l'incisure du second sillon temporal et déjà dans la région
occipitale, on voit encore une très petite incisure rectiligne
ayant la forme d'un trait vertical. Enfin, entre le premier et
le second sillon temporal, on trouve encore une autre petite
incisure.
Les deux sillons temporaux que nous venons de décrire,
divisent le lobe temporal en trois plis d'inégale largeur. Ces
plis temporaux en raison même des interruptions formées par
les sillons des lobes communiquent entre eux par des plis
anastomotiques.
Le premier pli frontal du propitbécus diadema est le moins
large et c'est lui qui forme la lèvre postérieure de la scissure
de Sylvius.
Le deuxième et le troisième pli frontal ont une tendance à
une division en plis secondaires et cette tentative est marquée
par deux petites incisures dont nous avons parlé plus haut.
Le lobe pariétal est tellement confondu avec les lobes voi-
sins et surtout avec le lobe frontal, qu'il est difficile de lui
assigner des limites exactes. Cette difficulté s'accroît encore,
par suite des anastomoses et de la fusion de ces lobes, et
quelquefois aussi, par l'absence même du sillon pariétal.
Cependant sur l'hémisphère gauche du cerveau du pro-
pithôque diadema, nous apercevons un petit trait contourné
454 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
et très obliquement dirigé en arrière et en dehors. Cette in-
cisure passe au-dessus des extrémités supérieures de la scissure
de Sylvius et du premier sillon temporal. Ce sillon est incon-
testablement le sillon pariétal. Il faut remarquer qu'il est
absolument indépendant des autres sillons. Naturellement le
sillon pariétal sépare deux plis de la région du même nom.
Le premier de ces plis se présente sous la forme d'un trian-
gle, fort irrégulier dont le sommet tronqué se fusionne avec le
premier pli frontal, lequel se prolonge vers la partie posté-
rieure de l'hémisphère. La base de ce triangle est très large;
elle se confond avec le lobe occipital.
Dans la région occipitale on voit trois incisures, dont la
direction est perpendiculaire au bord supérieur de l'hémis-
phère. Sur l'hémisphère gauche il y a quatre incisures pareil-
les, elles sont parallèles entre elles. Sur l'hémisphère droit
du dessin, la plus antérieure de ces incisures, marche à la
rencontre de la scissure de Sylvius, en touchent presque sa
ramification postérieure.
L'extrémité interne de la même scissure, coupe le bord
supérieur de l'hémisphère correspondant.
Nous avons vu précédemment que la scissure de Sylvius
du Suimiri et du hurleur, se prolonge, non seulement jus-
qu'au bord supérieur de l'hémisphère, mais empiète même
sur la portion de la face interne de celui-ci. Comme une des
incisures que nous venons de décrire correpond parfaitement
à l'extrémité de la scissure sylvienne, il est possible que l'on
voit une tendance pareille chez noire propithôque diadema,
quoique très imparfaite.
Toujours sur cet hémisphère droit et en arrière de la pré-
cédente incisure, on en rencontre une nouvelle, plus courte,
mais plus prrofonde. Celle incisure entame nettement le bord
supérieur de l'hémisphère et passe avec toute probabilité sur
sa face interne. En arrière de la deuxième incisure on en
trouve aussi une troisième, dont la direction est également
transversale ; elle descend vers la portion supérieure du lobe
temporal.
TH. CHUDZ1NSKI. — PLIS CÉRÉBRAUX DES LÉMURIENS 455
Sur l'hémisphère gauche nous retrouvons les mêmes scissu-
res ; seulement leur nombre est augmenté, car on en compte
quatre, comme nous l'avons déjà mentionné plus haut.
Il résulte de la direction et du nombre de ces incisures que
la partie externe et postérieure de l'hémisphère cérébral du
diadema est composée de quatre ou cinq plis transversaux,
lesquels semblent continuer les plis du lobe temporal. On
dirait que ces plis transversaux de la région occipitale du pru-
pithéque ne sont que la réapparition simple des plis du lobe
temporal. Une pareille conformation,, mais très complète, se
voit chez les échidnés, chez certains rongeurs (castor) et aussi
chez certains carnassiers.
Maintenant, si on compare les plis du fœtus à terme des pro-
pithécus diadema avec ceux de l'individu adulte, on n'est pas
étonné de voir que les plis du premier reproduisent, tout
simplement, les plis analogues des individus adultes des
lémuriens inférieurs. Ainsi, le lobe frontal, chez le fœtus du
diadema, n'a qu'un seul sillon frontal inférieur; le lobe tem-
poral n'en a pas d'avantage; seulement son extrémité anté-
rieure est bifide. Mais le sillon pariétal apparaît avec netteté;
en outre il est parfaitement indépendant et son extrémité an-
térieure est aussi bifurquée.
En arrière de ce sillon, et toujours chez le fœtus, on voit
un sillon, perpendiculaire au bord supérieur de l'hémisphère,
qui semble se continuer sur la face interne de celui-ci. Ce
nouveau sillon doit être regardé comme le rudiment de la
portion externe de la scissure occipitale; mais nous ne pou-
vons pas l'affirmer avec toute certitude.
Enfin sur le lobe occipital il y a une petite incisure, et c'est
tout.
La face interne de l'hémisphère cérébral du prupithécus
diadema serait très facile à décrire si nous avions un guide
sûr, c'est-à-dire si nous avions la reproduction de la face
interne de l'hémisphère du fœtus de ce prosimien. Nous le
regrettons, d'autant plus que le détail du dessin de la face
interne de l'indidu adulte présente suivant nous, certaines in-
456 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
corections dues à l'interprétation erronée du dessinateur.
En effet, d'après ce dessin, la face interne du propithécus
diadema qui est un prosimien bien supérieur aux autres
lémuriens, serait ravalée au rang des simples quadrupèdes
inférieurs, comme les rongeurs, herbivores et carnassiers.
Chez le loris grêle, et surtout chez le lémur nigrifrons, nous
avons vu que le sillon sous-frontal est plus court que chez les
mammifères quadrupèdes; il a même son extrémité posté-
rieure relevée et dirigée vers le bord supérieur de l'hémis-
phère. A ce propos, nous avons fait la remarque qu'une
pareille disposition prouve la tendance de ce sillon à attein-
dre la face externe de l'hémisphère, ce qui est un fait habituai
chez les vrais singes.
Chez le diadema, nous voyons tout le contraire. Son sillon
sous-frontal commence au niveau de la corne antérieure du
cerveau par une extrémité bifurquée ; ensuite il décrit une
longue courbe concentrique au bord supérieur d'hémisphère,
parcourt la plus grande partie de sa longueur, et se jette
définitivement dans la scissure occipitale.
Cette conformation du sillon sous-frontal est absolument
identique à celle des mammifères franchement quadrupèdes;
en d'autres termes, le sillon sous-frontal du propithécus
diadema représente la partie supérieure de la grande scissure
limbique des quadrupèdes, si bien décrite par notre illustre
maître Paul Broca. Et même cette conformation de la face
interne du propithécus, reproduit avec exactitude le con-
tour de la partie supérieure de la scissure limbique des ani-
maux précités.
Cependant, et comme pour lever nos doutes, nous voyons
chez un autre prosimien nommé avahi, se produire le même
fait ainsi que chez l'indri adulte, comme nous le verrons
un peu plus bas.
Pourtant, à notre grand regret, nous ne pouvons pas
contrôler ces faits importants sur les cerveaux même des
lémuriens en question, car, nous le répétons encore une fois,
TH. GHUDZINSKI. — PLIS CEREBRAUX DES LEMURIENS 4.U
les seuls documents que nous avions n'étaient que des des-
sins.
Sur la face interne de l'hémisphère, nous trouvons les trois
scissures ordinaires de cette face.
Les deux scissures, occipitale et calcarine., commencent
par une extrémité bifide, près du bord supérieur de l'hémis-
phère, et tout près du bord inférieur de l'hémisphère on voit
encore une incisure oblique qui entame le troisième pli tem-
poral. Gomme chez les autres lémuriens, les scissures occipi-
tale et calcarine communiquent entre elles et aussi avec la
scissure des hippocampes; c'est ce qui rend le sommet du
lobule cunéiforme absolument libre. La portion du pli frontal
qui se replie sur la face interne de l'hémisphère a son bord
inférieur très irrégulier, à cause des sinuosités du sillon sous-
frontal.
En outre, dans le tiers antérieur de ce pli, on voit une
incisure longitudinale tout près du sillon sous-frontal. La
portion interne du pli frontal supérieur s'élargit à ses deux
extrémités et notamment à son extrémité postérieure. A cet
endroit, elle est marquée par une nouvelle incisure qui tra-
verse presque toute sa hauteur, parallèlement à la scissure
occipitale. La partie moyenne de la portion interne du pre-
mier pli frontal est relativement étroite.
Le pli du corps calleux, se présente sous la forme d'une
bande de substance grise, qui est étroite dans la majeure
partie de son trajet. Seule son extrémité postérieure s'élargit
notablement. Le bord supérieur de ce pli est un peu crèté, à
cause des irrégularités du sillon sous-frontal, mais sa surface
est complètement lisse.
Gomme conséquence de la continuité du sillon sous-frontal
avec la scissure occipitale et celle des hippocampes, il résulte
que le lobule carré est absent; cependant près de l'extrémité
postérieure du pli pariéto-frontal, on voit une petite encoche
qui semble marquer la limite antérieure du lobe carré. Dans
ce cas, la scissure perpendiculaire qu'on y remarque, divisera
ce rudiment du lobule carré en deux plis ascendants.
T. VI (4e SÉRIE). 30
4;j8 SÉANCE DU A JUILLET 4895
L'absence, ou malformation du lobule carré est d'autant
plus étrange que le même lobule est très nettement accusé
chez le loris grêle et chez les lémuriens inférieurs.
On sait que le lobule carré des primates est généralement
formé par la portion élargie de l'extrémité du corps calleux,
ou plus exactement : le lobule carré n'est qu'un pli de passage
entre le lobe pariétal et la partie supérieure du lobe limbique, c'est-
à-dire de la portion postérieure de la circonvolution du corps
calleux.
Le lobule cunéiforme est très long; ses bords sont irrégu-
liers et sa direction est presque horizontale, Le sommet du
lobule carré est reçu dans le confluent des trois scissures :
occipitale, calcarine et des hippocampes.
Essayons, maintenant, de tirer des conclusions de tous les
faits que nous avons observés. Mais auparavant, jetons encore
un coup d'oeil sur les dessins. Ce qui frappe et fixe le plus
notre attention, c'est le plissement, si simple, du fœtus du
propithécus diadema.
Ses plis cérébraux sont très accusés, et pourtant il n'y a
qu'un seul sillon frontal, un autre pour le lobe pariétal et une
petite incisure pour le lobe occipital. Tous ces sillons sont
rectilignes et sont séparés par la scissure de Sylvius.
Cette dernière et le sillon qu'elle sépare, établissent des
limites précises aux lobes cérébraux. Par conséquent, les plis
fœtaux du prosimien diadema ne diffèrent en aucune façon
des mêmes plis des lémuriens adultes des espèces inférieures,
et se rapprochentde la conformation des mammifères franche-
ment quadrupèdes.
Chez l'adulte, ce rapprochement est accentué encore par
la continuité du sillon frontal et de la scissure des hippocam-
pes, avec laquelle ce sillon forme une véritable scissure lim-
bique des quadrupèdes. En second lieu, cette ressemblance
s'accentue davantage par l'absence du lobule carré. Mais le
diadema se rappoche des primates par son lobule cunéiforme,
et se place même au-dessus des singes par la conformation
et l'indépendance de ce même lobule.
TH. CHUDZINSKI. — PLIS CÉRÉBRAUX DES LÉMURIENS 439
En somme, chez le propithécus diadena, les limites des
lobes cérébraux sont vagues; car par la direction des sillons et
des plis qui en résultent, il ne diffère pas beaucoup de cer-
tains rongeurs et surtout des carnassiers; mais, parles autres
caractères, il se rapproche des singes et même de l'homme
(lobule cunéiforme).
Le lémurien indri forme le groupe de lémuriens placé à
leur tète par ses caractères zoologiques. Son cerveau, tout
en présentant une surface moins compliquée que celle du
diadema, est néanmoins supérieur à celui-ci.
Le cerveau de l'indri est moins supérieur par son volume
que par la netteté de ses scissures et de ses sillons et l'ap-
parition d'une nouvelle fente cérébrale, dont nous allons par-
ler a l'instant.
Certainement, si l'on s'en rapporte seulement à la forme
du cerveau de ce prosimien, qui est plus rétrécie en avant,
ou si l'on considère l'allongement de ses lobes olfactifs, il
cédera la place au propithécus diadema.
Mais, en revanche, par le développement de ses hémis-
phères cérébraux qui recouvrent un espace plus considérable
de la face supérieure du cervelet, par le volume et le refou-
lement vers la base du cerveau des lobes hippocampes, il est
égal au propithécus diadema.
Voyons maintenant en quoi consiste la supériorité de plis-
sement du cerveau de l'indri.
Nous avons dit que les scissures et les sillons étaient plus
accentués chez l'indri, et cela est parfaitement exact; seule-
ment l'interprétatton de ces sillons n'est pas trop aisée, à
cause des détails mixtes et hésitants qui oscillent entre ceux
des carnassiers et des singes.
Comme chez les lémuriens précédents, la scissure de Syl-
vius de l'indri est très longue.
Elle se porte obliquement en arrière, et dépasse la moitié
antérieure de l'hémisphère cérébral.
Dans son trajet, cette scissure forme une ou deux indexions,
lesquelles, du reste, n'ont pas une grande importance. La por-
460
SEANCE DU 4 JUILLET 1895
tion de l'hémisphère située au-devant de cette scissure est divi-
sée en plis par deux sillons. L'un de ces sillons occupe la
partie antérieure du lobe frontal. Il est oblique et sa direction
est antéro-postérieure. Ce premier sillon est suivi par un
autre dont la direction est la même. Ce second sillon, ou plutôt
cette incisure, se place au-dessus et en arrière du sillon pré-
cédent. Tous les deux forment un sillon unique sur l'hémis-
phère droit. C'est le seul sillon frontal. En arrière, apparaît
un autre sillon, long et flexueux, dont la direction est trans-
versale par rapport à Taxe de l'hémisphère; par conséquent,
ce sillon est parallèle à la scissure de Sylvius. Il commence
par une extrémité bifurquée, et la branche de cette bifurca-
tion est assez longue.
Fig. 7. — Indri, face supérieure.
Ce nouveau sillon du lobe frontal de l'Indri rappelle exac-
tement la scissure de Rolando des primates; et c'est effective-
ment cette scissure qui apparaît nettement et pour la première
fois chez les lémuriens.
Ainsi le lobe frontal de l'Indri possède un sillon frontal et
TH. CHUDZINSKI.
PLIS CKRKURAUX DES LEMURIENS
461
une scissure transversale : le sillon et la scissure divisent ce
lobe en trois plis* frontaux : deux antéro-postérieurs et un
transversalement ascendant, absolument comme chez les
cébiens supérieurs et ches les singes pithéciens.
Le lobe temporal de l'indri est très large, mais il n'a qu'un
seul sillon en forme de parenthèse; il est parallèle kla scissure
de Sylvius et limite deux plis temporaux très larges et parfai-
tement lisses.
H
Fig. 8 ot 9
Indri. — 8. Face externe. — 9. Face interne.
En arrière de la scissure de Ilolando se trouve un sillon
longitudinal antéro-postérieur dont le trajet est un peu obli-
que de dedans en dehors.
C'est le sillon pariétal. Il divise le lobe pariétal en deux
462 SÉANCE DU 4 JUILLET 18'Jo
plis, dont le supérieur continue sans interruption le premier
pli frontal et finit près du sillon transversal que nous décri-
rons tout à l'heure.
Le second pli pariétal, ou pli pariétal inférieur, s'étend
directement au-dessus de la scissure de Sylvius et du sillon
temporal, sans décrire aucune courbe; il se continue aussi et
sans interruption avec le second pli frontal. Cette conforma-
tion du deuxième pli pariétal est propre seulement à l'hémis-
phère gauche, car à droite le second pli pariétal est séparé
du deuxième pli frontal par la scissure de Rolando qui est
très longue.
Tout à fait en arrière et près du bord postérieur de l'hémis-
phère on voit un sillon assez long et dont la direction est ver-
ticale au bord supérieur de l'hémisphère. Suivant notre avis,
ce sillon transversal est analogue à la portion externe de la
scissure occipitale des singes. Dans tous les cas, ce sillon
limite une surface très étroite qui borde le contour du bord
postérieur de l'hémisphère.
La face interne de l'hémisphère cérébral de l'Indri est d'une
d'une grande simplicité. On y voit, d'abord, un très long sil-
lon recourbé et à peu près concentrique au bord supérieur de
l'hémisphère. Ce sillon forme une courbe très régulière qui
n'a aucune inflexion ni brisure. Ce sillon parcourt toute la
longueur de l'hémisphère; il aboutit, en bas et en arrière, à
la scissure des hippocampes.
Il en résulte que le lobule carré est non seulement absent,
mais qu'on n'en trouve pas la moindre trace. On a déjà
deviné facilement que le sillon en question est le sillon sous-
frontal.
Ce sillon sous-frontal de l'Indri est remarquable à plusieurs
titres. D'abord, par son étendue, ensuite par ses deux rameaux
ascendants, puis par son analogie parfaite avec le sillon
pareil des mammifères franchement quadrupèdes. Ce sillon
forme la partie supérieure de la grande scissure limbique de
Broca .
Nous venons de mentionner les deux rameaux ascendants
TH. CHUDZINSKI. — PLIS CÉRÉBRAUX DES LÉMURIENS 463
du sillon sous-frontal de PIndri. Ces deux rameaux sont très
importants car ils représentent les deux scissures occipitale
et calcarine. Le plus antérieur de ces rameaux est la scissure
occipitale, et le postérieur est la scissure calcarine. L'une et
l'autre aboutissent, par l'intermédiaire du sillon sous-frontal,
à la scissure des hippocampes; seulement les embouchures de
ces deux scissures sont séparées l'une de l'autre par un inter-
valle de cinq à sept millimètres à peu près.
Le sillon sous-frontal et les deux scissures, sont d'une rare
simplicité dans leur contour. Les plis cérébraux qui en résul-
tent out leurs bords très réguliers et leur surface est parfaite-
ment lisse.
Nous avons déjà dit que le lobule carré était absent; seule-
ment, en cet endroit, il se produit un élargissement du pli
pariétal.
Le lobule cunéiforme est très bien limité par les scissures
occipitale et calcarine, mais il est relativement court. Sa forme
diffère un peu de celle du cunéus des autres lémuriens. Cela
est très naturel. En effet chez les lémuriens précédents, la
scissure occipitale et la calcarine s'étendent jusqu'à la scis-
sure des hippocampes; chez PIndri, ces trois scissures
sont éloignées les unes des autres, et comme les scissures
occipitale et calcarine sont séparées par une certaine distance,
il en résulte que le sommet du lobule cunéiforme est comme
tronqué et, par conséquent, raccourci dans sa longueur.
En résumé, le cerveau de PIndri n'a que deux plis frontaux
anléro-postérieurs, plus un pli frontal transversal ou pli fron-
tal ascendant, qui est un véritable pli des primates. Par con-
séquent, il y a autant de plis dans le lobe pariétal; deux
antéro-postérieurs et un transversal qui est, en vérité, encore
rudimentaire.
Le lobe occipital a deux plis, dont la direction est transver-
sale. Ces plis sont très étroits.
Le lobe temporal n'a aussi que deux plis, plus une ébauche
du troisième.
Tous ces plis de PIndri adulte se retrouvent chez son fœtus
464 SÉANCE DU i JUILLET 1895
à terme, y compris la scissure de Itolando et par conséquent
le pli frontal ascendant. Seulement, les scissures et les sillons
sont plus simples.
Nous avons donné des conclusions après l'étude des plis pro-
pres à chacune des espèces de lémuriens. Il nous reste, main-
tenant à ajouter encore quelques mots qui résumeront les con-
clusions précédentes.
Auparavant, nous demandons la permission de répondre à
quelques objections qu'on pourrait nous adresser.
On nous objectera, par exemple, que l'étude des plis céré-
braux des lémuriens est du domaine de la zoologie générale.
A cela, nous opposons cette simple observation, que tous
les faits de la zoologie éclairent singulièrement l'anatomie
et la physiologie de l'espèce humaine. Sans ces faits, on
ne pourrait jamais expliquer certaines conformations.
C'est pourquoi nous nous sommes adressé à la Société
d'Anthropologie, et cela, pour les raisons suivantes qui ser-
viront de conclusions générales à notre étude des plis céré-
braux des lémuriens.
Nous constatons, tout d'abord, que les plis cérébraux des
lémuriens représentent un état intermédiaire entre les plis des
carnassiers et les plis des primates, y compris l'homme lui-
même. Ces plis se rapprochent de ceux des primates par cer-
tains détails et notamment par l'apparition de la scissure de
Rolando, par le lobule cunéiforme. Par leur conformation,
les plis cérébraux des lémuriens aident donc à la compréhen-
sion des plis cérébraux des anthropoïdes et, à plus forte rai-
son, des plis du cerveau de l'homme.
Le plissement de l'écorce cérébrale des lémuriens nous
guide aussi dans l'étude et dans l'interprétation de l'appari-
tion successive des sillons et des plis chez tous les primates,
depuis l'espèce à cerveau lisse jusqu'au plissement si riche
des anthropoïdes et de l'homme.
Pour le moment nous nous abstenons d'autres remarques
à ce sujet, mais nous espérons revenir encore une fois sur
cette étude.
U. VAUVILLÉ. — FEUILLE DITE DE LAURIER 4<i.*>
Discussion
M. Manouvrier dit qu'il est très intéressant de voir le cer-
veau d'un singe aussi petit que le loris grêle présenter des
circonvolutions. Comme l'a fait remarquer M. Chudzinski
c'est une exception dont l'interprétation est, pour le moment,
fort embarrassante. Elle est d'autant plus précieuse à enre-
gistrer.
M. Hervé parle également sur ce sujet.
Quelques ateliers néolithiques de la Dordogne où l'on trouve
la feuille dite de laurier.
Par M. Octave Vauvillé.
Le 13 juin dernier, guidé par M. François Delmas, le fameux
chercheur de préhistorique de Creysse qui, depuis vingt an-
nées, a fait des découvertes très importantes dans toute sa
région, j'ai exploré les quelques ateliers néolithiques ci-après
désignés, les seuls des environs, où, d'après M. Delmas, on
trouve des pièces dites en feuille de laurier.
1° Au lieu dit La Nauve, sur le territoire de Creysse, tout
près des habitations du même nom et de la route de Creysse
à Bergerac.
2° Au lieu ditGillet, sur le même territoire de Creysse et au
sud de l'atelier de la Nauve, entre la route de Creysse à Ber-
gerac et la Dordogne, et se terminant au pont du chemin de
fer de Marmande à Angoulème, limite du territoire de Creysse.
3" Au même lieu dit Gillet, sur le territoire de Bergerac, à
l'ouest du pont du chemin de fer de Marmande, entre la Dor-
dogne et la route de Bergerac a Creysse.
Ces trois ateliers, qui sont dans le fond d'une vallée d'en-
viron 1,700 mètres de largeur, sont admirablement placés sur
le bord de la rive droite de la Dordogne, leur altitude peut
varier de 28 à 32 mètres environ.
4G6 SÉANCE DU i JUILLET 1895
Les eaux de la Dordogne, dont le lit est très prononcé, cou-
lent ordinairement à environ 10 mètres au-dessous des par-
ties les plus basses des ateliers, qui ont été très occupés à l'é-
poque préhistorique, les crues n'y étaient donc pas à craindre.
Les recherches du 13 juin ont été .faites particulièrement
sur le lieu dit Gillct sur Bergerac où, de grandes surfaces de
terre, très siliceuse, étaient labourées et non ensemencées.
Les labours ayant été fortement lavés par de grandes pluies, il
fut très facile de recueillir beaucoup de silex taillés.
Voici 70 pièces en silex très variés, provenant des trois ate-
liers en question.
On peut remarquer : des nucléus, des lames très variées
faisant bien ressortir la grande variété de silex employés pour
la taille, 2 pièces en forme de racloir, des grattoirs concaves,
des pointes, une scie? 2 pointes de flèches à pédoncule, bar-
belées, 1 tranchet, 2 pointes finement retouchées d'un seul
côté, 1 fragment de hache polie et des fragments de pièces en
forme de feuille de laurier.
Le plus curieux, c'est qu'au milieu de très nombreuses piè-
ces bien néolithiques, on rencontre des instruments en silex
du genre de ceux en forme de feuille de laurier, bien datés de
l'époque solutréenne.
On peut donc se poser la question suivante : les pièces en
feuille de laurier, trouvées dans ces ateliers néolithiques, sont-
elles solutréennes ou de l'époque de la pierre polie?
M. Delmas, qui explore, depuis près de 20 années, ces ate-
liers, m'a affirmé n'avoir jamais trouvé, dans ces endroits,
aucune pointe de flèche à cran, bien caractéristique du solu-
tréen, dans la Dordogne, à Laugerie-llaute ' et dans la vallée
de la Tardoire, au Placard 2.
Si on examine avec soin les pièces du genre de feuille de
laurier, provenant de ces milieux néolithiques, on voit que ces
pièces paraissent, en général, plus épaisses que celles de l'é-
i Bulletins 1894, page 569.
- Bulletins 1894, page 570.
0. VAUVILLÉ, — FEUiLLK DITE DE LAURIER 467
poque solutréenne, la taille en est aussi différente; enfin, les
retouches sont généralement moins soignées que celles du
solutréen.
Voici deux pièces qui sont bien concluantes pour résoudre
la question du solutréen ou du néolithique pour les pièces en
feuille de laurier provenant des ateliers en question.
La première, qui vient de Gillet sur Bergerac est une pièce
taillée du genre de celles des pointes à cran de l'époque solu-
tréenne; elle porte, d'un côté, des traces de polissage, elle est
donc bien néolithique.
La deuxième, qui vient de LaNauve, est taillée tout à fait en
forme de feuille de laurier, comme les autres du même genre
provenant des divers ateliers néolithiques. Le plus intéres-
sant, c'est que cette deuxième pièce porte, d'un côté, une par-
tie assez forte ayant subi l'action d'un polissage bien certain.
Le polissage paraît même être antérieur à la taille de la pièce
en feuille de laurier; ce fait, à lui seul, prouve bien que les
pièces taillées en feuille de laurier recueillies dans ces milieux
néolithiques, sont de l'époque de la pierre polie et non de l'é-
poque solutréenne.
De plus, si on compare bien l'ensemble de toutes les pièces
que j'ai pu recueillir, on peut reconnaître que ce sont les
mêmes silex qui ont été employés pour les instruments divers,
comme pour les pièces en feuille de laurier.
Atelier .néolithique de Pille.
D'après M. Delmas, il existe, près du château de Pille, sur
le territoire de Cour-de-Pille, un atelier qui lui a aussi fourni
beaucoup de silex taillés de l'époque néolithique, parmi les
pièces recueillies, il y en avait aussi un certain nombre en
forme de feuille de laurier, comme dans les ateliers dont il a
été question précédemment.
Cet atelier est presque en face de celui de Gillet surCreysse,
mais du côté opposé/le la Dordogne.
M. Delmas m'a bien affirmé n'avoir jamais recueilli, dans
4t>8 SÉANCE bU 4 JUILLET 189o
l'atelier de Pille, comme pour les trois autres ateliers, aucune
pointe de flèche dite à cran si caractéristique du solutréen. Ce
fait s'explique très bien, attendu que les pièces en feuille de
laurier de ces ateliers, doivent être de l'époque néolithique.
Il est donc bien évident, comme cela-a été admis par notre
collègue le Dr Capital), dans la séance du 8 novembre 1894 i,
et même par M. Adrien de Mortillet 2, que dans certains cas de
trouvaille de silex taillés en feuille de laurier, il est impossible
de dire s'ils se rapportent à l'époque solutréenne ou à l'époque
néolithique.
Solutréen de la vallée de la Couze (Dordogne)
Ouoiqu'on n'ait pas trouvé jusqu'alors, dans les ateliers
dont il vient d'être question, de pièces se rapportant bien k
l'époque solutréenne, il est cependant bien certain que tout
près de là, sur la rive gauche de la Dordogne, l'industrie so-
lutréenne, bien caractérisée par la pointe à cran, a existé.
J'ai pu en avoir la preuve, le 11 juin dernier, en revenant
de faire une excursion au Moustier et à la Madelaine. En pas-
sant k Tursac on m'invita h aller voir la collection préhisto-
rique de M. Belvès, instituteur de la commune.
Dans cette collection, je remarquai de suite quelques
pointes k cran de l'époque solutréenne, et à ma demande,
M. Belvès répondit : « Ces pièces viennent de la vallée de la
Couze. »
Comme les pièces solutréennes m'intéressaient particuliè-
rement, M. Belvès eut la gracieuseté de m'en offrir une. Voici
cette pièce, qui a été trouvée k Montferrand (Dordogne) ; on
peut voir qu'elle est bien typique du solutréen.
Comme la rivière de la Couze, affluent de gauche de la Dor-
dogne, n'est environ qu'à douze kilomètres en amont de
Creysse, il pourrait très bien se faire qu'il y eût même sur
i Bulletins 1894, page 572.
2 Bulletins 1894, page 572.
discussion 469
ce dernier pays, comme sur Bergerac ou sur Cour-de-Pille,
des pièces à cran de l'époque solutréenne, lesquelles auraient
été perdues ou même enlevées par les eaux de la Couze et
ensuite par celles de la Dordogne. Il ne serait donc pas éton-
nant d'y trouver des pointes à cran de l'époque solutréenne.
Discussion
M. A. de Mortillet fait diverses observations.
M. G. Vauvillé. — Contrairement à ce que dit M. A. de
Mortillet, relativement à l'atelier de Gillet-Bergerac, que j'ai
exploré dans de très bonnes conditions, je n'ai pu y constater
aucune pièce chelléenne. Par contre, les instruments chel-
léens sont fréquents sur le même territoire de Bergerac, au
lieu dit Pech charmant, sur un petit coteau, planté de vignes
renommées; cette partie est à l'altitude de 98 mètres. M. A. de
Mortillet dit aussi que les pièces ont été achetées par moi à
M. Delmas. Je réponds que je n'ai pas acheté, comme il l'a
fait lui-même chez M. Delmas, des pièces sans savoir d'où
elles provenaient. Au contraire, je me suis rendu sur les lieux,
avec M. Delmas, pour recueillir, directement sur le sol des
ateliers en question, les pièces que je présente.
Il est un fait certain, d'après ce que m'a bien affirmé M. Del-
mas, c'est que sur des milliers de pièces recueillies par lui sur
ces ateliers, où on trouve des pièces taillées en forme de feuille
de laurier, il n'a pas rencontré une seule pointe à cran typi-
que de l'époque solutréenne. Si, les pièces en feuilles de lau-
rier étaient de cette dernière époque, on y aurait trouvé aussi
quelques pointes à cran, attendu qu'elles existent bien dans
la vallée de la Couze, à peu de distance des endroits explorés
par moi.
M. A. de Mortillet a dit également qu'à Laugerie-Haute il
n'y a que des feuilles de laurier et pas de pointes à cran ;
c'est une erreur, car j'ai présenté à la Société, dans la séance
du 8 novembre 1894, deux pointes à cran recueillies par moi
470 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
en 1894 a Laugerie-Haute ' ; elles ne sont donc pas rares, car
je n'ai fouillé que peu de temps dans cet endroit.
M. G. de Mortillet. — Je désirerais faire deux observations
sur les pièces que présente M. Vauvillé.
Voici celle qu'il tenait à la main quand il a voulu établir
que des types solutréens, forme feuille de laurier, portent des
traces de polissage etque, par conséquent, ces types sont néo-
litbiques. Je ferai tout d'abord remarquer que cette pièce ne
porte pas trace de polissage. Elle est, il est vrai, presque en-
tièrement lisse sur une face. Mais c'est la face d'éclatement,
et vous savez que les faces d'éclatement des lames détachées
des nucléus sont toujours lisses. Ce qui a pu induire en erreur
notre collègue, c'est qu'il s'agit d'une face d'éclatement fort
ancienne qui s'est légèrement patinée par l'action du temps,
patine qui lui a donné un certain vernis. Le lisse de l'éclate-
ment a été renforcé par ce vernis. Mais cette patine, bien que
légère, nous prouve que la pièce est fausse. En effet, la face
entièrement retaillée et les retailles de la face d'éclatement
sont complètement dépourvues, comme vous pouvez le voir,
de patine. En outre, on n'a qu'à passer les doigts sur les
arêtes des retailles pour s'assurer que ces arêtes sont vives
et aigres — antipode du vernis de la face, — ces retailles
sont donc récentes. La pièce a été profondément altérée et,
par suite, ne prouve absolument rien. Il est bien certain que
ce n'est pas notre collègue qui a altéré la pièce. Il n'existe
aucun doute à cet égard. Mais à Bergerac on récolte des silex
et on les vend. M. Vauvillé vient de nous dire qu'il en a été
recueilli ainsi plus de 10,000. Or nous savons, par l'expé-
rience, que la fraude suit de près le commerce des silex.
Partout où l'on vend, il faut être très circonspect. Notre col-
lègue nous dit qu'il a recueilli lui-même les silex qu'il nous
présente. Je ne mets pas sa parole en doute, mais une pièce
peut facilement se glisser au milieu d'autres. Et puis, com-
ment a-t-il connu les localités? Par les habitants, qui font le
commerce, qui peuvent très bien avoir semé sur le sol des
i Bulletins 1894, page 569.
DISCUSSION 471
silex corrigés et améliorés. Toujours est-il que la pièce est cer-
tainement fausse.
Passons à un autre échantillon. C'est, comme vous le voyez,
une lame avec face d'éclatement lisse et du poli. Mais là rien
d'étonnant, cette lame est certainement néolithique. Seule-
ment, comparons cette lame avec les silex en feuille de lau-
rier. Il est facile de reconnaître qu'il existe là deux modes de
travail tout différents, deux techniques. Le point de départ
n'est pas le même. Dans les pièces néolithiques, ce départ est
la lame détachée franchement du nucléus ; clans les silex en
feuilles de laurier, le point de départ est un éclat de silex
bien plus épais.
Les pointes en feuilles de laurier grandes et épaisses sont
encore un problème. M. Vauvillé rend un véritable service à
la science en étudiant cette question. Mais je ne crois pas
qu'il soit arrivé à la résoudre. En tout cas, si, en France
comme en Italie, il faut rapporter au néolithique les pointes
épaisses en feuille de laurier, cela n'empêche pas les types
minces des couches solutréennes d'être caractéristiques d'une
époque paléolithique bien définie.
M. 0. Vauvillé. — M. G. de Mortillet dit que j'ai acheté les
pièces ; je n'ai pas fait, ainsi que je l'ai déjà dit, comme d'au-
tres personnes qui se contentent d'acheter pour avoir ; au
contraire, j'ai tenu à me rendre sur les lieux pour recueillir
moi-même les pièces sur place.
M. G. de Mortillet parle aussi de pièce fausse; si je ne m'étais
pas rendu sur place, cela laisserait un doute; cette pièce est
bien authentique et porte la trace évidente du polissage; elle
est, au contraire, une preuve de l'époque néolithique.
M. G. de Mortillet dit encore qu'il y a deux époques de taille
dans les pièces en feuille de laurier présentées par moi; cela
ne prouve pas qu'elles ne soient de la même époque. Ce fait
existe bien aussi pour les pièces so'utréennes de Laugerie-
Haute, où on en trouve de très grossièrement travaillées et
épaisses et d'autres d'une taille admirable et minces '; ces
* Bulletins 1894, page 508.
472 séance Dr 4 juillet 1895
pièces, qui diffèrent cependant tant de taille, de retouche et
d'épaisseur, sont cependant toutes de l'époque solutréenne.
M. Capitan. — J'ai pu étudier sur place plusieurs de ces
stations et grands ateliers des environs de Bergerac et y
recueillir de nombreuses séries. On est frappé de ce fait, c'est
qu'en général on y rencontre mélangés des instruments
d'époques diverses depuis l'acheuléen jusqu'au néolithique. II
existe des haches très bien travaillées acheuléennes, des
racloirs abondants et des pointes moustériennes qui sont
mélangés à de nombreuses pièces néolithiques. Il est donc
fort difficile, quand un instrument ne rentre pas indiscuta-
blement dans une de ces formes typiques de l'attribuer à une
époque ou à une autre, tel est le cas pour nombre de pointes
comme celles présentées par M. Vauvillé, qui rappellent les
pointes solutréennes, ou encore pour les grattoirs, les enco-
ches, etc., d'autant plus qu'il semble que, par tradition, des
formes anciennes se sont conservées pendant les époques ulté-
rieures. D'ailleurs, il faut remarquer aussi que certaines sta-
tions, telles que la grande station de la Mérigode, où j'ai pu
recueillir des séries très nombreuses, sont nettement néolithi-
ques, contrairement à l'attribution qu'on leur donne d'ordi-
naire. Leur faciès est, d'ailleurs, spécial ; elles rappellent les
stations d'exploitation et de taille de silex de Spiennes, de
Champignolles. J'aurai l'occasion d'en présenter sous peu une
à la Société.
Observations sur quelques auimaux eavernieoles du Jura,
Par M. Armand Viré.
Les observations qui font le sujet de cette note, ne se rap-
portent pas à un sujet anthropologique ; aussi, aurais-je hésité
à les communiquer ici, si elles ne présentaient un caractère
très général, grâce à l'influence très nette du milieu qu'elles
viennent mettre en lumière.
Beaucoup se sont déjà occupés de la question : Les Abeille
ARMAND VIRÉ. — ANIMAUX CAVERN ICOLES DU JURA 473
de Perrin, Lucante, de Saulcy, Monniez pour la France,
Schiodte et autres pour l'Amérique et l'Autriche.
Au cours d'une exploration des Cavernes du Jura, cavernes
que j'ai déjà signalées il y a quelques mois, j'ai pu recueillir
un certain nombre d'animaux invertébrés dont les représen-
tants normaux vivent au dehors, et peuvent servir de terme
de comparaison.
Dans la grotte de Baume-les-Messieurs, près de Lons-le-
Saulnier, et dans celle des Planches (la Grande-Source), près
d'Arbois, j'ai trouvé dans les lacs et cours d'eau souterrains
des Crevettines (peut-être le Niphargus stygius de la Mam-
moth's Cave?) qui présentent des phénomènes de dégénéres-
cence dus à l'influence de l'obscurité.
Les téguments décolorés, presque transparents, laissent
apercevoir le tube digestif et les principales masses muscu-
laires.
Les yeux sont profondément modifiés. Chez certains indi-
vidus, ils sont encore d'un beau rouge vif, et s'aperçoivent
nettement par contraste sur la masse décolorée du corps. Chez
d'autres, ce ne sont plus que deux petites lamelles rougeâ-
tres et paraissent sans aucune utilité physiologique.
Chez d'autres enfin, ils sont complètement décolorés et im-
perceptibles et ne servent plus à remplir leur rôle.
Une expérience intéressante à tenter, c'est de remettre ces
animaux à la lumière et devoir s'il n'interviendrait pas quel-
ques phénomènes de retour au type ancestral normal. C'est
ce que j'ai tenté et bien que l'expérience ait été interrompue
accidentellement, ces premiers résultats sont si concluants,
que je vais la rapporter ici.
J'avais mis, le 8 juin dernier, un lot de ces crustacés dans
une chambre obscure, dans des conditions à peu près sembla-
bles à celles qui sont réalisées dans les cavernes.
Un autre lot fut placé dans un bac d'eau courante à la
lumière, près d'une fenêtre vivement éclairée.
Dès le huitième jour, je pus apercevoir des points noirs
t. vi (4° série) 3i
474 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
sur les pattes et les antennes accidentellement cassées et en
voie de guérison.
Puis, peu à peu, des points noirs irréguliers apparurent sur
toute la carapace, augmentant chaque jour en dimensions.
.Malheureusement, vers la troisième semaine, la rupture d'un
tube pendant la nuit, permit ;i mes animaux de s'échapper
et de fder vers les égouts où ils retrouveront, sans doute,
l'obscurité, mais non la pureté des eaux de leurs cavernes,
Une seconde expérience est en cours depuis deux jours
avec les derniers spécimens qui nie restaient *.
Ainsi donc, il est permis d'espérer d'une expérience plus
longtemps maintenue, ce fait intéressant à constater du retour
au type normal sous l'influence de la lumière.
D'autres animaux sont certainement plus caractéristiques
que ces crustacés.
Ce sont des thysanoures et des cloportes décolorés complè-
tement et surtout des staphylins.
Ces derniers, tout à fait blancs, ont perdu toute trace exté-
rieure de l'œil. Même avec de très forts grossissements, la
place de l'œil ne diffère absolument pas du reste du tégu-
ment.
Par contre, en vertu de la loi établie par Geoffroy Saint-IIi-
laire du balancement des organes, les antennes ont crû d'une
façon anormale.
Les anneaux, plusmassifs etmoins pédoncules, sontcouverts
d'une multitude de poils tactils plus longs et plus abondants
que dans l'espèce normale. La tète et tout le corps sont éga-
lement garnis de ces productions beaucoup plus abondantes
qu'îi l'ordinaire.
Les organes buccaux eux-mêmes, si bien développés et ap-
propriés au genre de vie carnassière des staphylins, sont atro-
i Morts pendants les grandes chaleurs du mois de juillet. Une
nouvelle campagne (août septembre) m'a donné une quinzaine
d'espèces cavernicoles modifiées de la même façon. (Crustacés : 5;
insectes : 2; thysanoures : 3; arachnide : \, etc.
ARMAND VIRÉ. — ANIMAUX CAVERNICOLES DU JURA 475
phiés par une modification que je n'ai pu encore étudier. Les
crocs, les palpes ont disparu, et la bouche paraît sans dé-
fense. Il y a là certainement une adaptation à un genre de
vie nouveau où le régime végétarien entre certainement pour
une large part. En effet, les proies vivantes étant fort peu
nombreuses, les staphylins cavernicoles de Baume doivent se
nourrir sans doute en partie des diatomées, des algues et des
moisissures qui végètent sur les parois de calcaire ou sur
l'argile humide.
Ainsi donc l'organe du tact a suppléé là en grande partie à
l'organe de la vision devenu inutile.
L'organe de l'audition, contrairement à ce que l'on aurait
pu croire, ne paraît pas très développé. On peut faire du bruit
autour de ces animaux sans qu'ils s'enfuient.
Par contre, l'odorat parait très aiguisé, et on voit tous ces
animaux accourir de tous les points des flaques d'eau et des
galeries sèches autour des appâts corrompus que l'on dépose
en divers points.
Il est évident que ces modifications extérieures en entraî-
nent de plus profondes encore sur les organes internes, et
notamment sur le système nerveux.
Mais l'étude histologique que j'en ai entreprise n'est pas
encore assez avancée pour que je les note.
Je signalerai cependant des dégénérescences dans les cor-
neilles oculaires que j'ai pu entrevoir sur les crustacés.
11 y a donc là toute une mine de recherches et d'expériences
des plus intéressantes, que je compte exploiter et dont je
communiquerai les résultats à mesure de leur constatation.
Le fait le plus intéressant qui se dégage à l'heure actuelle
de ces recherches est l'admirable plasticité de l'individu ani-
mal et, par suite, de l'espèce, qui n'est guère qu'un rappro-
chement théorique d'individus d'une môme descendance.
Sous l'influence du milieu, en effet, la matière, qui parais-
sait avoir acquis sa forme définitive, évolue graduellement
jusqu'à revêtir une forme tout à fait nouvelle et être classée
par les naturalistes sous un nom et une étiquette différents,
476 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
jusqu'au jour où l'un aperçoit les intermédiaires et où les
limites entre les deux espèces n'existent plus.
Les superstitions médicales normandes
Par M. Edmond Spalikowski.
On ne croirait pas, j'en suis sûr, au premier abord, à la
persistance des vieilles traditions locales en Normandie, et
celui qui tenterait de retracer quelques-unes des superstitions
grossières encore existantes aujourd'hui serait taxé d'exagé-
ration. Le fait est pourtant vrai et M. Léon de Vesly, dans
une série d'articles fort curieux, s'est étendu sur les feux de
carrefour et lhistoire des arbres vénérés. Je ne reviendrai pas
ici sur les sujets que l'éminent archéologue a si fidèlement
dépeints, je ne m'occuperai ici que des superstitions médi-
cales de la Seine-Inférieure. Sous ce nom de superstitions
médicales, j'entends les moyens réputés efficaces par les igno-
rants pour guérir telle ou telle maladie.
Tous les médecins de Rouen connaissent la corde à tabac
roulée autour des reins, mais ce qu'ils ignorent c'est la mer-
veilleuse propriété que possède ce talisman de calmer les né-
vralgies lombaires ! Les plaides tiennent naturellement le
premier rang dans la pharmacopée populaire.
Personne, dans le pays de Caux, ne met en doute l'effica-
cité du lierre détrempé dans du vinaigre contre les anthrax.
M. Léon de Vesly raconte qu'à Léry existe un hêtre appelé
Arbre de Saint-Uuen, entouré d'une couron ne tressée de buis,
de genêts et de rameaux de sapins, « les brins qui composent
cette couronne préservent les nouveau-nés de la fièvre. » N'y
a-t-il pas là un souvenir du gui qui, abattu par la faucille du
druide, conférait l'immunité à ceux qui le recueillaient.
Les saints passent aussi pour d'excellents médicastres,mais
chacun a sa spécialité et l'essentiel est de connaître celui qui
délivre de tel ou tel mal. Pour le savoir, il faut mettre une
ED. SPALIKOWSKI. — LES SUPERSTITIONS MÉDICALES NORMANDES -477
feuille de vigne on de lierre dans du vinaigre, puis compter le
nombre de taches produites par l'acide sur le limbe; un peu
d'habitude nous dira à quel saint répond telle quantité de
taches.
Une autre coutume consiste à gratter le plâtre de la statue
de tel ou tel saint, on met cette poudre dans de l'eau et quand
cette mixture est absorbée par le patient la guérison survient!
Ceci explique pourquoi il n'est pas rare de rencontrer dans
certaines églises de campagne des images sculptées de saints
personnages auxquels il manque un pied, un bras ou même
la tète, par suite d'un raclage de plusieurs générations!
D'autres sont ridiculement affublés de rubans, témoignages
de cures merveilleuses!
Si quelque « mal étrange », comme celui dont parle noire bon
fabuliste, atteint un paysan cauchois à la fin d'août, il s'en
va solitaire cueillir une feuille d'arbre et la jette derrière son
dos, en remarquant la place où elle tombe, quand la feuille
pourrira, il sera guéri... ou mort !
Les reboateurs sont légendaires en Normandie, ils descen-
dent en droite ligne des sorciers, disent-ils, et comme tels on
les appelle du même nom que leurs aïeux, ils font des conju-
rations, jettent des sorts, font avorter les vaches, remettent
en dix minutes une entorse avec une bouteille, vous délivrent
d'un violent mal de dents en appliquant simplement leur
pouce loco dolenti. Ceux-ci vous forcent à boire l'urine d'un
enfant d'un an, ceux-là conseillent aux phtisiques de s'abreu-
ver d'urine de génisse.
Aux environs de Caudebec, les tumeurs abdominales chez
les femmes, cèdent merveilleusement au remède suivant qui
consiste dans l'application de six bougies allumées sur le ven-
tre^ quand la dernière est consumée, le kyste ou fibrome est
disparu.
A Rouen, en plein faubourg Saint-Sever, je suis entré dans
une famille d'ouvriers qui me demandait une consultation
pour leur enfant qui, affirmait-on, avait des vers -et souffrait
horriblement; je découvre le malade dans son lit, et j'aper-
478 SÉANCE DU 4 JUILLET 1895
çois des centaines de lombrics qui grouillaient autour du mal-
heureux petit être. Quelle étrange homéopathie! D'autres,
non contents de la médication externe, se nourrissent de pain
dans lequel on a mis des poux! Enfin, je termine en citant
le pigeon vivant ouvert en deux et appliqué sanglant sur le
crâne d'un enfant atteint de méningite! La liste serait longue
encore, mais les exemples que j'ai donnés suffisent pour mon-
trer jusqu'à quel point le paysan est réfractaire aux idées
modernes, à cela j'y vois deux causes. La première, c'est que
le souvenir de l'antiquité se conserve intégralement dans les
familles campagnardes, la seconde c'est qu'à un fanatisme à
outrance, s'ajoute le refus de recevoir les vérités nouvelles.
L'instruction populaire peut seule venir à bout de ces préju-
gés, et je ne doute pas qu'un jour ne vienne, où ces erreurs
disparaîtront : en tous cas, il m'a paru bon de les signaler,
car rien ne peut laisser indifférent l'anthropologiste, pas plus
les défauts de caractère de ses semblables que ses malforma-
tions corporelles.
M. Zaborowski. — La pratique consistant à poser sur la tète
des enfants atteints de méningite, un pigeon fraîchement tué,
je l'ai signalée comme existant chez moi-même, à Thiais, près
de Paris. Une pratique à peu près identique existe encore à
ma connaissance dans la Charente-Inférieure.
M. Manouviuek. — Les pratiques de ce genre sont, en effet,
très fréquentes; il en a été question bien souvent. Elles rap-
pellent, du reste, toute une série de remèdes jadis employés
par les médecins eux-mêmes et que l'on trouve indiqués dans
les formulaires de l'ancienne pharmacopée.
M. G. Papitlault lit un mémoire sur la Suture métopûjue et
ses rapports avec la morphologie crânienne.
Ce travail paraîtra dans les Mémoires de la Société.
L'un des secrétaires : A. Viré.
OUVRAGES OFFERTS 479
627« SEANCE. - 18 juillet 1895.
Présidence de M. Sanson.
CORRESPONDANCE.
Lettre de M. le Secrétaire général de l'Institut international
de Sociologie, demandant l'autorisation de tenir le 2e Congrès
de cet Institut dans la salle des séances de la Société. Cette
autorisation est accordée.
M. le Secrétaire général adjoint annonce que les membres
de la Société sont invités par M. Barbier, directeur de l'Expo-
sition soudanaise du Champ-de-Mars, à visiter collectivement
cette exposition où sont exhibés 330 nègres. 11 a obtenu, en
outre, trois cartes d'entrée permanentes pour les membres de
la Société qui voudraient faire des observations particulières
sur ces indigènes africains.
Un rendez-vous est pris pour visiter cette Exposition.
OUVRAGES OFFERTS.
Acï (E. d'.). — ■ Les sépultures des grottes des Baoussé-Roussé
(réplique) (Ext. de l' Anthropologie), in-8°, 10 pag., Paris, 1895.
Buschan (G.). — Kriminalanthropologic (Ext. de Encyclo-
paedische Jahrbilcher), in-8°, 8 pag., AVien, 1893.
Charles-Albbrt. — Aux anarchistes qui s'ignorent, in-12°,
12 pag., Bruxelles, 1893.
Dumont (A.). — La civilisation scientifique en France (Ext.
des C. R. de V Association française, 1894), in-8°, 9 pag., Paris,,
1893.
— La natalité dans le cinton d'Isigng (Calvados) (Ext. des
C. R. de l'Association française, 1894), in-8°, 9 pag., Paris, 1893.
Kropotkine (P.). — L'Anarchie dans l'évolution sociale, in- 12,
33 pag., Bruxelles, 1893.
Sergi (C). — Origine e dijfusionc délia slirpe medderranea,
in-8u, 144 pag., Borne, 1893. (Présenté par M. Manouvrier.)
480 SÉANCE DU 18 JUILLET 1895
Toeroek (Dr A. von). — Ueber die neue palaeclltnologische
Eintheilung der Sleinzeit (Ext. de Correspondcnz-Blatl der Deuts-
chen Anlkrop. Gesellsc), in-4°, 4 pag., Munchen, 1895.
— Ueber den Yesoer Ainoschaedel aus der ostasiatischen Rcisc
des Herrn Grafen Bêla Szcchenyi unduebèr den Sachaliner Ainos-
chaedel des Kœnigl. zoologischen und anthropologisch-ethnogr a
phischen Muséums zu Dresden (Ext. de Arckiv. fiir Anthropologie)
in-4°, 98 pag., Munchen, 1895.
Annales de V Institut international de Sociologie, tome I, in-8°,
388 pag., Paris, 1895.
M. René Wobms rappelle le succès qu'a eu le Congrès de
Sociologie de 189-4, et offre à la Société, au nom de l'Institut
international de Sociologie, auquel elle avait bien voulu prêter
sa salle pour le Congrès, le volume qui reproduit les travaux,
de ce Congrès et qui vient de paraître. Ces études sont dues
à MM. John Lubbock, Novicow, Tarde, René Worms, Maxime
Kovalewsky, Paul de Lilienfeld, Louis Gumplowicz, Douglas
Galton, Enrico Ferri, Combes de Lestrade, Tœnnies, Dorado,
Posada, Emile Worms, J. Mandello, Abrikossof, C. deKrauz,
Fiamingo, Simmel. Elles portent sur presque toutes les par-
ties de la science sociale, et plusieurs touchent à des questions
d'anthropologie et d'ethnographie. Le volume pourra donc
présenter quelque intérêt pour les membres de la Société.
Expediçdo portugueza ao Muatidnvua, 1884-1888. — Elhno-
graphia e historia tradicional dospovosda lunda, in-8°, 732 pag.
vec fig., Lisbonne, 1890.
périodiques (articles à signaler).
Revue Scientifique, G et 13 juillet 1895. — Th. Child : Peking
et ses habitants; — Ed. Cuyer : Les expressions de la
physionomie et leurs origines anatomiques.
Archives de l'Anthropologie criminelle, 15 juillet 1895. —
Dr Marty : Recherches sur l'archéologie criminelle dans
l'Yonne.
Ceslnj Lid (le peuple tchèque)., n° 3, 4, 5 de 18i>5. — Snajdr
ZABOROWSKI. — COLLECTION MARCHI. i '[
Ludvik : Palaeethnologicke aforismy hledici predevsim k
obyvatelstvu zeme ceské. — Matiegka : Prispevky ku poznani
ceskeho neolithu ; — L. Niederle : Prispevky k moravske
kraniologû; — Kucera : Predhistoricke nalezy na Lounsku.
But. de la Société d'histoire naturelle de Cohnar, tome II,
(1891-1894). — Faudel et Bleicher : Supplément aux maté-
riaux pour une étude préhistorique de l'Alsace ; — Gasser :
Station préhistorique de Soultz.
Bul. del instituto geografico argentino, tome XV, fasc 9 k 12
et XVI, fasc. 1 -2. — J. 13. Ambrosetti : Los Paraderos Preco-
lombianos de Goya; — Los Indios Caingua del alto Parana;
— S. A. Lafone Quevedo : La lengua vilela o chulupi.
ÉLECTIONS.
M. Marshall II. Saville, sous-directeur de la section anthro-
pologique du muséum d'histoire naturelle de New- York et
M. le Duc de Loubat, présentés par MM. Verneau, Capus et
Collignon, sont élus membres titulaires.
Présentation de documents photographiques.
Collection Marclii.
M. Zaborowski. — Dans l'une des séances du mois dernier,
M. Lapicque nous a présenté une très intéressante série de
documents photographiques se rapportant aux pratiques de
la circoncision et surtout de l'infïbulation, dans la région
abyssinienne. Depuis, je suis entré en relation avec le pro-
priétaire de ces photographies, en vue d'en acquérir, si pos-
sible, un certains nombre pour nos collections. Ces photogra-
phies ont été faites aux frais et sur les indications de M. Mar-
clii.
M. Marchi a visité pour la première fois le littoral de la mer
llouge, et en particulier le pays des Ilababs, en 1876. Et c'est
en 188i qu'il a recueilli les documents en question. Sa collec-
tion se compose de deux cent cinquante pièces qui nous don-
48:2 séance du 18 juillet 1893
nent les types et nous font pénétrer très avant dans les mœurs
et usages des Hababs, du N.-E. de l'Abyssinie, et des Abyssins
musulmans et chrétiens eux-mêmes.
Ne pouvant pas mettre en œuvre lui-même tous ces docu-
ments ethnographiques, il ne demandait pas mieux que de
s'en défaire, mais à un prix qui fût une juste rémunération
de ses efforts patients et coûteux.
Je ne pouvais pas songer a lui offrir une somme bien éle-
vée. Et les autres sociétés savantes n'ont pas plus que nous
des ressources assez importantes pour couvrir des frais repré-
sentant ceux d'une véritable exploration, si élevé que soit l'in-
térêt qui s'attache à celle-ci.
J'étais donc bien embarrassé dans mon désir de ne pas voir
perdus pour la science les documents réunis par M. Marchi. Je
ne pouvais que l'engager à former plusieurs exemplaires d'u n
album qui trouverait des acheteurs sûrement en raison de son
très vif intérêt, ainsi que de la valeur unique et de la nou-
veauté de certaines de ses pièces dont l'exécution est remar-
quable.
C'est à ce parti qu'il s'est finalement arrêté. J'avais fait un
choix de 40 photographies que je pouvais payer un petit prix.
Ce choix qui donnera une idée très précise de la collection en-
tière, M. Marchi a préféré l'offrir gratuitement à la Société
d'Anthropologie. Il est entendu seulement qu'aucune de ces
pièces ne pourra être reproduite sans son autorisation. La
plupart nous éclairent, non seulement sur des pratiques très
singulières et encore plus ou moins mystérieuse, mais sur le
caractère d'un peuple peu connu. Je veux parler des Hababs.
Ils ont été visités pour la première fois seulement en 1871
(Munzinger). MM. von Heuglin et Vieweg les ont étudiés en
explorant leur pays, seulement en 1875. La publication de leur
ouvrage ne date que de 1877. Ce peuple curieux l'est peut-
être d'ailleurs, encore moins par lui-même qu'en raison des
rapports de type et de mœurs qu'il offre avec d'autres popu-
lations de l'Afrique, les unes circonvoisines, les autres éloi-
gnées. Il est inutile de revenir sur ce qui a été dit précédera-
ZABOROWSKI. — COLLECTION MARCHI 483
ment à propos de sa façon de pratiquer l'infibulation des filles
et femmes.
Je vous remets seulement sous les yeux deux photogra-
phies, l'une d'une petite fille de cinq ans, l'autre d'une jeune
fille de 17 ans, toutes deux opérées et la cicatrisation faite.
Vous pouvez voir que le vagin est clos presque hermétique-
ment et que tout rapport sexuel avec elles est impossible.
Voici une série de quatre photographies qui montrent de
quelle façon épouvantable est traitée la femme adultère : at-
tachée par les poignets en l'air, elle est d'abord aspergée
d'eau bouillante par son mari. Celui-ci ensuite lui verse sur
la tète une sébile de cette eau. Enfin on la fixe solidement,
courbée en deux, sur un chevalet, sur lequel monte le mari. Et
on lui enfonce dans le derrière un paquet de chilïons a l'aide
d'une large règle de bois sur laquelle cogne le mari lui-même.
Les suites de cette belle opération se devinent. (Test ordinai-
rement la mort.
Voici maintenant deux photographies qui se rapportent au
tatouage des garçons et des filles à l'aide d'un brandon. Je
vous montre encore, entre plusieurs autres, une jeune Habab,
au repos. Elle n'est pas mariée. Voyez les quatre anneaux
qu'elle porte au lobe et à la circonférence de l'oreille. Cet
usage des boucles d'oreille multiples est, vous le savez, univer-
sel chez les Ouolofs, les Toucouleurs, sur une desquelles j'en ai
compté au Champ-de-Mars jusqu'à dix-sept à chaque oreille.
Autre particularité très remarquable : Cette jeune fille a un
trou sous la narine droite, au-dessus de l'aile du lobule. Dans ce
trou elle passera un anneau après son mariage, comme cer-
taines femmes Poullo ou Pœul. Dans la suivante, portrait d'une
guerrière, vous remarquerez la ceinture de grosses perles qui
tombe au-dessous de la hanche. Cette ceinture, des observa-
teurs (Rochebrune) la croyaient particulière aux Ouolowes
de la cote occidentale, elle a un rôle, le même, à ces deux
extrémités de l'Afrique, dans les relations amoureuses.
Enfin, voici le portrait d'une malheureuse Abyssine cou-
48 i SÉANCE DU 18 JUILLET 1895
verte de pustules de la syphilis. Les Abyssins sont infectés en
grand nombre par cette maladie.
Je n'ai rien à ajouter pour le moment. Ces quelques échan-
tillons suffisent bien certes pour faire apprécier comme elle
le mérite la valeur de la collection de M*. Marchi. Pour chacune
des photographies qu'il nous a données, j'ai rédigé, sur ses
indications, une note explicative qui figurera dans l'album
qui leur sera réservé.
M. le Président prie M. Zaborowski de transmettre à M. Mar-
chi les vifs remerciements de la Société d'Anthropologie.
Discussion.
M. le Dr Jousseaumk ajoute à cette communication que ces
photographies ont au point de vue des mœurs des peuples
qui habitent entre l'Ethiopie, la mer Rouge et le golfe d'Aden
un très grand intérêt. Le photographe qui les a faites a dû
employer tous les moyens possibles et une persévérante téna-
cité pour déterminer les habitants de ces contrées à poser
devant un appareil photographique. Ce photographe qu'il a
connu à Massa wah, s'est ensuite rendu à Zanzibar pour com-
pléter l'œuvre commencée à Massawah. La mort étant venue
l'interrompre, M. Marchi avec lequel il était associé est rentré
en possession des clichés déjà faits.
Ces photographies sont pour la science très précieuses;
mais il est regrettable que l'on ne connaisse pas les tribus
auxquelles appartiennent les personnes qui ont été photogra-
phiées.
Malgré ce desiderata, ces photographies présentent la collec-
tion la plus complète et la plus nombreuse qui ait été faite jus-
qu'à ce jour. On y trouve les différents procédés de suture em-
ployés pour les infibulations des femmes, procédés qui diffèrent
suivant l'âge de la personne. Ainsi chez les femmes d'un Age
avancé, ayant déjà subi plusieurs fois l'inflbulation, on se
sert d'un double bâtonnet pour rapprocher les deux parties
avivées de ce qui reste des grandes lèvres.
ED. PIETTE. — UNE SÉPULTURE AU MAS d'aZIL 485
Le don fait par M. Marchi à la Société d'Anthropologie
est d'un prix inestimable pour ceux qui voudront s'occuper
des mœurs des populations Africaines des bords de la mer de-
puis Massawah jusqu'à Zanzibar et propose que des remercie-
ments soient en effet votés à M. Marchi.
COMMUNICATIONS
Une sépulture dans l'assise à galets coloriés du Mas d'Azil
Par M. Ed. Piette.
En fouillant, dans la grotte du Mas-d'Azil, l'assise à galets
coloriés placée sur la rive gauche de l'Arise, j'ai découvert les
ossements d'un squelette humain incomplet. Le crâne et les pe-
tits os manquaient ; les os longs avaient été mis en tas à coté de
la mâchoire inférieure. Tous étaient rougis par du peroxidede
fer ; quelques-uns étaient rayés par le tranchant d'un silex.
Ils n'avaient donc été placés en cet endroit qu'après avoir été
décharnés ; s'il y avait eu inhumation, elle avait été celle d'un
squelette et non celle d'un cadavre. L'absence des petits os
tend à prouver que le corps avait été porté hors de la caverne,
à l'abri des carnassiers, mais non peut-être des oiseaux rapa-
ces et que les os en avaient été ensuite rapportés dans la
grotte, après avoir été raclés avec le silex pour enlever les
chairs encore adhérentes, puis rougis au moyen du peroxide
de fer. C'est l'explication à laquelle je me suis arrêté. La dé-
sarticulation des os dont aucun ne se trouvait dans sa con-
nexion naturelle avec un autre m'a paru un argument sérieux
en faveur de cette opinion. Le tas d'ossements est incontesta-
blement contemporain de l'assise à galets coloriés. Elle a con-
tinué à se former régulièrement au-dessus de lui ; puis elle
a été recouverte par des lits lenticulaires d'esgargots alternant
avec des cendres rubanées restées intactes.
J'ai l'honneur de mettre sous les yeux des membres de la
Société un fémur et la mandibule de ce squelette. La couleur
rouge qui les recouvre a subsisté malgré un lavage. Sur le fé-
486 SÉANCE DU 18 JUILLET 1895
mur on voit plusieurs rayures très distinctes faites avec un
silex. On y remarque aussi une petite dépression triangulaire,
résultant d'une blessure faite par une flèche. L'état de l'os
prouve qu'elle n'a pas entraîné immédiatement la mort.
Noirs anthropologiques sur le Valais
Paii M. Maurice Bedot
M. le colonel Dr Ziegler, médecin en chef de la Confédéra-
tion suisse ayant bien voulu m'autoriser à suivre les opéra-
tions du recrutement dans le Bas-Valais, j'ai pu réunir de la
sorte quelques matériaux en vue d'une étude anthropolo-
gique de cette région. Ces recherches ont été grandement
facilitées par l'appui et la bienveillance de M. le colonel de
Gocatrix et de M. le major D1' Auguste Wartmann, auxquels
je suis heureux d'adresser ici le témoignage de ma vive
reconnaissance.
Le canton du Valais comprend toute la région parcourue
par le Rhône et ses affluents, à partir de sa naissance jusqu'à
son embouchure dans le lac de Genève — et à l'exception de
la partie de la rive droite située entre Saint-Maurice et le lac.
Les frontières politiques du Valais coïncident en général avec
la ligne de partage des eaux, de telle sorte que tout le canton
se trouve compris dans le bassin du Rhône. Il est limité au
Nord et au Sud par de hautes chaînes de montagnes qui s'é-
tendent des Diablerets à la Jungfrau et du Grand Saint-Bernard
à la Furka en passant par le Cervin et le Mont-Rose. Dans la
vallée principale, le Rhône traverse une plaine dont la largeur
— avant Martigny — ne dépasse pas quatre kilomètres. Le
reste du pays, entièrement montagneux, est formé par les
vallées latérales que parcourent les nombreux affluents du
Rhône. Ces vallées sont beaucoup plus grandes et plus peu-
plées sur le versant méridional que sur le versant septen-
trional.
M. BEDOT. - NOTES ANTHROPOLOGIQUES SUR LE VALAIS 487
Le Valais est divisé en deux parties : 1° le Haut-Valais qui
s'étend du glacier du Rhùne à Sion et dont les habitants
parlent un dialect allemand; 2° le Bas-Valais qui s'étend de
Sion au lac de Genève et dont les habitants parlent le fran-
çais.
Par sa situation, le Valais se trouve être un peu en dehors
de la circulation générale. Il doit à cette circonstance d'avoir
conservé jusqu'à ce jour un caractère très original. La popu-
lation, cependant, est loin de présenter un aspect homogène
et l'on peut observer des différences de types assez frap-
pantes.
On a prétendu souvent que l'on retrouvait dans quelques
vallées latérales les descendants de populations d'origines
très diverses'qui s'y seraient tconservésj dans un état relati-
EckelU 1:8oo.O0O
M=BIano
G- S= Bernapd
4<S8 SÉANCE DU 18 JUILLET 1895
vement pur. La légende, qui n'est pas pour déplaire aux
habitants du pays, a maintes fuis servi de base à ces spécu-
lations ethnographiques. Certaines vallées passent pour être
habitées par des Romains, d'autres encore par les Sarrasins,
qui occupèrent au xe siècle quelques passages des Alpes
valaisannes. Cette dernière hypothèse est la plus courante.
Des personnes dignes de foi ont souvent affirmé avoir observé
des Valaisans présentant un type arabe nettement accusé
C'est possible, mais je ne crois pas qu'il ait jamais été fait de
recherches scientifiques sur ce sujet, et je dois ajouter que
mes observations ne fournissent, pour le moment, aucune
preuve en faveur de cette hypothèse.
Mes études ont porté seulement sur le Bas-Valais. Les
observations enregistrées pour chaque homme sont :
1° Le lieu d'origine ;
2° La hauteur de la taille ;
3° La mesure des deux diamètres céphaliques ;
4° La couleur des cheveux.
L'indice céphalique mesuré sur le vivant a toujours été
réduit de 2 unités pour obtenir l'indice crânien. J'ai laissé
de côté les données concernant des localités isolées (situées
en dehors des régions étudiées), lorsqu'elles se rapportaient
à un nombre d'individus inférieur à dix.
Les mensurations ont été faites sur 736 hommes. Le nom-
bre des observations qui ont pu être utilisées et groupées
dans des régions définies est de 614.
11 m'a semblé intéressant d'adopter un groupement géo-
graphique permettant de constater la modification des carac-
tères dans les différentes vallées. Nous avons ainsi une répar-
tition générale en 5 régions, qui sont :
lre Région. Vallée du Rhône de Monthey à Sion. Toutes les
localités comprises dans cette région sont situées dans la
plaine.
2e Région. Val d'Uliez, Val du Trient et Pays d'Entremont
(Bagnes, Enlremont et Orsières). Soit tout le bassin des af-
fluents de la rive gauche du Rhône, de Monthey à Martigny
M. BEDoT. — NOTES ANTHROPOLOGIQUES SUR LE VALAIS 489
lre région. — Vallée du Rhône.
NOMBI1E
de
LOCALITÉS
INDICE CRc
ME»
RÉPARTITION
TAILLE
sujets
Moy.
80.4
Mas.
87.0
Min.
73.9
Bra-
chy.
4
SsBra-
chy.
10
Mesa-
ticep.
7
l'S" Do-
licho.
2
1 Doli-
| cho.
1
moyenne
24
1.657
10
Massongex ....
81.1
87.1
75.1
2
4
3
1
0
1 626
10
Saint-Maurice..
79.3
88.9
74.4
1
2
3
2
1.684
12
82.2
90.5
78.9
9
8
2
0
0
1.625
15
Marligny-Ville «
82.1
87.1
74 0
5
7
0
2
1
1.625
15
l-ullj
78.0
87.6
72.6
1
3
3
5
3
1.643
20
77.4
83.7
71.3
2
3
5
6
4
1.613
15
79.1
84.5
73.5
3
4
1
5
2
1.587
12
80.0
89.7
75.4
1
6
0
5
0
1.613
18
Chamoson
79.5
86 8
74.7
3
5
3
6
1
1.602
19
Ardon
79 1
84.8
70.4
3
2
9
4
1
1.671
10
79.9
87.4
70.9
2
3
2
2
1
1 .'645
37
81.2
89.4
7L3
9
13
6
8
1
1.639
15
Sion
78.8
86.0
73.0
2
6
0
5
2
1.656
232
Total. .
40
76
43
54
19
Ce qui do
nne p
our (
ent :
17
33
18
23
8
Indice crânien moyen : 79.92.
i Martigny-Bourg et Martigny Combe sont situés à une certaine dis-
tance de Marligny-Ville, à l'entrée de la Vallée de la Dranse qui conduit
dans le pays d'Entremont. Je les ai, par conséquent, classés dans la
2e région, car il se trouvent en dehors du courant qui parcourt la plaine
du Rhône.
T. VI (i° SFIHE).
;;_>
490
SÉANCE DU 18 JUILLET 4895
2e région, — a) Val d'Illiez.
NOMBRE
de
sujots
LOCALITÉS
INDICE CltàNIEN
RÉPARTITION
TAILLE
Mo y,
Max.
91.7
Min.
Bra-
chy.
S'Bra-
cliy.
Mésa-
licép.
5' 1)0-
licho.
Doli-
cho.
moyenne
31
Trois -Torrents.
82.3
72.7
13
8
6
2
2
1.650
15
90.7
76.5
9
1
3
2
0
1.G90
6
Champéry. . . .
81.9
85.5
77.7
2
3
0
1
5
0
2
1.686
52
Total....
24
12
9
Ce qui donne pour cent : 40 23 17 10
Indice crânien moyen : 82.56.
b) Val du Trient.
Salvan. .
Finhaut.
85.2
92.5
74.9
18
5
2
0
1
84.3
89.0
79.5
5
3
1
0
0
Totai
23
8
3
0
1
26
9
35
Ce qui donne pour cent : 66 23
Indice crânien moyen : 84.95.
c) Entremont.
8 0
35
9
15
33
19
9
19
58
197
Martigny-Bourg
et Combe.. . .
Bovernier
Sem brancher. .
Orsières
Liddes
Bourg St-Pierre
Vollèges
Bagnes (Chable)
82.8
91.1
82.3
88.3
83.9
91.4
84.4
90.7
85.1
91.1
83 1
92.4
83 7
90. 5
84.3
92.3
76.4] 13
78.2
78.0
75.5
74.9
77.3
76.1
77.2
TOTAI
2
9
22
13
5
9
35
14
5
3
8
3
1
8
16
108
Ce qui donne pour cent : 55
Indice crânien moyen : 83.88.
58
29
2
3
2
2
9
1
6
24
12
il
0
1
0
1
1
1
6
3
0
0
1
0
0
0
1.634
1.590
1
0.5
1.615
1.608
1.606
1.605
1.626
1.621
1.608
1.617
M. BEDOT. — NOTES ANTHROPOLOGIQUES SUR LE VALAIS 491
3° région. — Isérable.
NOMBRE
de
mensu-
rations
15
LOCALITÉS
Isérable.
INDICE CRaNlEN
Mov. Mai. Mi
84.5
90.0
75.0
RÉPARTITION
Bra- S'Bra-
>hy. cliy.
9
Mésa-
ticép.
S- Do
licho.
Doli-
cho.
Ce qui donne pour cent : 60 33
Indice crânien moyen : 84.58.
¥ région. — Nendaz.
0
0
TAILLE
moyenne
1.621
41
Nendaz . .
79.6
87.2 72.9
6
14
8
5 11. 000
Ce qui donne pour cent : 15 34 19 19 12
Indice crânien moyen : 79.63.
5° région. — Savièze.
42
Savièze
77.1
89.1
71.7
3
4
6
15
14
1.633
Ce qui donne pour cent : 7
Indice crânien moyen : 77.08.
Récapitulation.
9 14 36 33
m
o
o
•w
Ire
2e
3e
4°
5e
Vallée du Rhône. . . .
V. d'Illiez, Trient,
Entremont
Isérable.
Nendaz .
Savièze .
Tolal.
NOMBRE
de
sujets
MOYENNE
de la
taille
MOYENNE
de l'indice
crânien
232
1.640
79.92
284
1.625
83.78
15
1.621
84.58
41
1 600
79.63
42
1.633
77.08
614
—
ce
>>
»
t.
CQ
su
o
a
en
m
40
76
43
54
155
78
36
11
9
5
0
1
6
14
8
8
3
4
6
15
213
177
93
89
Ce qui donne pour cent : 35 #) 15 14
Indice crânien moyen : 81 .60.
19
4
0
5
14
42
7
492 SÉANCE DU 18 JUILLET 1S95
3e Région. Isérable. Village perché sur la montagne qui
domine la plaine du Rhùne sur la rive gauche, à 640 mètres
au-dessus de Riddes.
4e Réyion. Nendaz. Village sur la montagne dominant la
rive gauche du Rhône.
5e Région. Savièze. Village dans la montagne, au-dessus
de Sion, sur la rive droite du Rhùne.
Ces régions ont été établies arbitrairement et seulement
dans le but de faciliter la comparaison des résultats, en réu-
nissant autant que possible les localités présentant des condi-
tions d'existence analogues.
En comparant les résultats des mensurations, on voit que
les tètes larges sont en grande majorité dans le Bas-Valais.
Mais elles ne sont pas réparties égalemet dans les différentes
vallées.
Dans tout le pays montagneux de la deuxième région, on
observe une brachycéphalie bien prononcée. Les brachycé-
phales forment la majorité et sont presque toujours d'autant
plus nombreux que Ton s'éloigne davantage de la vallée du
Rhône. Les nombres d'individus répartis dans les différents
groupes d'indices crâniens forment une série décroissante à
partir des brachycéphales jusqu'aux dolichocéphales. Ces
derniers sont en nombre minime, soit 1,40 0 0.
En revanche, dans la première région — la vallée du
Rhùne — les brachycéphales ont diminué pour laisser la
majorité aux. sous-brachycéphales. Les dolichocéphales sont
en augmentation (8,18 0 0) et les sous-dolichocéphales arri-
vent au chiffre de 23,27 0 0.
Si l'on veut mettre en parallèle, dans cette région, les ha-
bitants des deux rives du fleuve, on obtient la répartition
suivante :
Rive gauche. Rive droite.
Brachycéphales 17.92 pour cent. 16.(56 pour cent.
Sous Brachycéphales 35.84 — 30.15 —
Mésaticéphales 18.86 — 18.25 —
Sous-Dolichocéphales... 17.92 — 27.77 —
Dolichocéphales 9.43 — 7.14 —
M. BED0T. — NOTES ANTHROPOLOGIQUES SUR LE VALAIS 493
Des deux côtés, les brachycéphales sont en majorité, mais
ils sont plus nombreux sur la rive gauche que sur la rive
droite. En outre, on voit que le nombre des sous-dolichocé-
phales est beaucoup plus grand sur la rive droite que sur
l'autre.
La quatrième région, celle de Nendaz donne des résultats
a peu près analogues.
Il n'en est pas de même dans la troisième région — Iséra-
ble — où l'on trouve comme indice crânien moyen, 84,58.
Cette moyenne est établie sur 15 individus qui se classent de
la manière suivante : 9 brachycéphales, 5 sous-brachycépha-
les et 1 sous-dolichocéphale. Ce dernier avait une tète allon-
gée et relevée en arrière d'une forme assez remarquable pour
que j'aie cru devoir en faire une mention spéciale dans mes
notes. Si, pour cette raison, on le met à part et que l'on
prenne la moyenne des 14 autres individus, on obtient un in-
dice crânien de 85,26, qui dénote une brachycéphalie extrê-
mement prononcée et supérieure même à celle des Lapons
mesurés par Broca.
Dans la cinquième région, celle de Savièze qui se trouve
sur la rive droite du Rhône, les brachycéphales sont en mi-
norité. La majorité a passé aux sous-dolichocéphales et après
eux aux dolichocéphales. La moyenne générale de l'indice
est de 77,08.
On a vu, plus haut, quelle était la moyenne de la taille
dans chaque région. C'est dans la vallée du Rhône que l'on
observe le maximum de 1 m. 640; vient ensuite Savièze avec
1 m. 633. Mais on ne doit pas oublier que ces mesures ont
été prises sur des recrues âgées, pour la plupart, de 19 ans,
c'est-à-dire n'ayant pas encore atteint le maximum de leur
taille.
En classant les individus de tout le Bas-Valais d'après leur
indice crânien et en faisant la moyenne des tailles, on obtient
les chiffres suivants :
Brachycéphales lm621
Sous-Brachycéphales I"l(i28
494 SÉANCE DU 18 JUILLET 1895
Mésaticéphales 1^633
Sous-dolichocéphales lm641
Dolichocéphales lm628
La taille va donc en augmentant à partir des brachycé-
phales jusqu'aux sous- dolichocéphales qui atteignent le
maximum de 1 m. 641 ; puis elle redescend à 1 m. 628 chez
les vrais dolichocéphales.
Si l'on admet, avec Quetelet, qu'à 19 ans il manque à
l'homme 15 millimètres de sa taille définitive, on voit que
les sous-dolichocéphales se trouvent seuls un peu au-dessus
de la moyenne de 1 m. 65.
Les recherches sur la couleur des cheveux ne m'ont pas
donné de résultats bien caractéristiques. Les cheveux châ-
tains et les blonds, ainsi que les nuances intermédiaires, sont
répartis à peu près également dans toutes les régions, aussi
bien chez les brachycéphales que chez les dolichocéphales.
On constate cependant, sur l'ensemble des observations, une
légère prédominance du châtain. La couleur chàtain-foncé est
très rare. Quant au noir pur, je n'en ai vu que 4 cas (2 bra-
chycéphales et 2 sous-brachycéphales).
Les résultats fournis par cette première campagne anthro-
pométrique dans le Bas-Valais semblent autoriser les conclu-
sions suivantes :
Le Bas-Valais est habité par une race très brachycéphale
et de taille au-dessous de la moyenne, dont les représentants
les plus purs se rencontrent actuellement dans les montagnes
et les vallées des affluents du Rhône, principalement sur la
rive gauche. On peut constater, en outre, la présence d'une
autre race — caractérisée par une tète étroite et une taille un
peu plus élevée — qui a refoulé la première dans les vallées
latérales et s'est établie dans la plaine du Rhône et sur cer-
tains points de la rive droite du fleuve.
On finit remarquer, en outre, que la race brachycéphale
primitive a un indice crânien très élevé qui, dans certai-
nes régions, dépasse celui des Savoyards et des Auvergnats,
et peut-être même celui des Lapons.
M. HEDOT. — NOTES ANTHROPOLOGIQUES SUR LE VALAIS 495
M. Azoulay fait^en son nom et au nom de M. Baudelot, une
communication sur les dents artificielles françaises, anglaises
et américaines.
M. Regnault fait une communication sur les attitudes de
repos dans les races humaines.
Les manuscrits de ces auteurs n'ont pas été remis au secré-
tariat.
L'un des secrétaires : Dr P. Raymond.
028e SÉANCE. — 3 octobre 1895.
Présidence de M. André Lefèvre.
CORRESPONDANCE.
M. Kovalewsky, Président du deuxième Congrès de l'Ins-
titut international de Sociologie, remercie la Société de l'hos-
pitalité qu'elle a donnée à ce Congrès.
ouvrages offerts.
Giltchenko (N.-V.). — Matériaux pour l'anthropologie du Cau-
case. Les Cosaques du Kouban (en russe), in-4°, 48 pages, Mos-
cou, 1895.
Iwanowski (Dr Al.). — Die Mongolei. Ethnographische Slcizze,
in-8°, 28 pages, Leipzig, 1895.
Jacques (Dr V.). — Les Congolais de l'Exposition universelle
d'Anvers (Ext. du Bull. Soc. d'Anthrop. Bruxelles), in-8°, 62 pa-
ges et fîg., Bruxelles, 1895.
Lehmaisn-Nitsche (Dr R.). — Beilrœge zur physiseken Anthro-
pologie der Bajuvarcn : Ueber die larigm Knochen der sudbayeris-
chen Reihengrœberbevœlkerung (Ext. de Beitnrge Anthrop. u.
Urgesch. Bayern»), in-4°, 92 pages et fig., Munich, 1895.
— La Taille de la population des Reihengrœber de la Bavière mé-
ridionale (V'-VII* siècle après J.-C), comparée à la taille des ha-
bitants actuels du même pays.
49G SÉANCE DU 3 OCTOBRE 1895
M. Manouvrier. — L'auteur de cet excellent travail, M. le
Dr Robert Lehmann-Nitsche, s'est inspiré de mon mémoire
sur la Détermination de la Taille, dont il a suivi avec le plus
grand soin toutes les indications techniques, ainsi que du
mémoire du Dr Rahon sur la Taille' d'après les ossements
préhistoriques.
M. Lehmann-Nitsche a utilisé, dans ce travail, fait à l'Ins-
titut Anthropologique de Munich, dirigé par le professeur
Johannes Ranke, une importante collection d'osssements
extraits de 350 tombeaux et représentant une antique popula-
tion bien groupée qui occupait, à une époque «caractéristi-
que » pour l'Allemagne du sud, les territoires d'Allach, de
Dillingen, de Gundelfîngen, de Memmingen et de Fischen.
Les tombeaux du territoire d'Allach, trouvés à l'ouest de
Munich et tout près de cette ville, appartiendraient aux pre-
miers colons de race bavaroise, aux « Bajuvares», tandis que
les autres, situés près de la frontière du Wurtenberg auraient
appartenu aux Souabes-Alemans.
Malheureusement, là comme ailleurs, la plupart des os sont
brisés et incomplets, de sorte que M. Lehmann-Nitsche n'a
pu en utiliser qu'une faible partie. Toutefois, les moyennes
obtenues peuvent être considérées comme à peu près stables,
du moins pour le sexe masculin.
Voici ces moyennes :
Bajuvares : 39 os masculins; 14 féminins.
Taille moyenne masculine — lm,686; féminine = lm,573.
Souabes et Alemans : G4 os masculins; 2i féminins.
Taille moyenne masculine .— lm,682; féminine = 1"',533.
En réunissant les deux populations, on obtient :
Taille moyenne masculine d'après 103 os = l,n,683.
féminine — 38 os = lm,554.
M. Lehman-Nitsche a comparé ces résultais aux chiffres
obtenus par M. Ranke sur les conscrits Bavarois en 1875. La
taille moyenne pour Munich est de lm,68. Elle est de 1DI,06
environ pour les conscrits des arrondissements de Dillingen,
Memmingen, etc.
OUVRAGES OFFERTS 497
La petite différence existante entre la taille ancienne et la
taille moderne est attribuée par l'auteur à ce que les os
anciens, les mieux conservés, appartenaient en majorité aux
individus les plus robustes, et à ce que les conscrits n'ont pas
atteint complètement, à 20 ans, leur taille définitive.
Il est très remarquable de voir que ces résultats sont entiè-
rement conformes à ceux obtenus en France et qu'en Allema-
gne du sud, aussi, la taille moyenne actuelle se maintient au
niveau ancien. Il faut remarquer, en outre, que la taille, dans
l'Allemagne du sud, est supérieure à la taille française.
M. Lehmann-Nitscbe a essayé de comparer, non seulement
les moyennes, mais encore la composition des séries à l'épo-
que ancienne et à l'époque actuelle. Sur ce point, les résultats
sont illusoires, car si le nombre des cas masculins anciens est
suffisant pour fournir une moyenne approximativement
exacte, ce nombre est très insuffisant pour fournir des moyen-
nes valables de chaque groupe de tailles.
En ce qui concerne la différence de taille entre les anciens
Bajuvares et les Souabes-Alemans, cette différence semblerait
être en faveur des Bajuvares, mais le nombre des cas observés
est, ici encore, trop faible pour inspirer une confiance absolue
dans les résultats de la comparaison.
Quoiqu'il en soit, le consciencieux mémoire de M. Lehmann-
Nitsche, dont je n'ai pu donner ici qu'un résumé très succinct,
a mis en lumière des faits importants. Il est à souhaiter que
les matériaux du même genre, existants dans les autres pays,
soient utilisés d'une façon aussi rigoureuse et aussi profitable.
— Des recherches analogues ont été faites, en Russie, il y a
2 ans, par M. Kroutowsky, mais n'ont pas encore été
publiées.
Letourneau (Dr Ch.). — La guerre dans les diverses races
humaines, in-8°, xxi-;')81 pages, Paris, 1893.
Loris Melikoff (Dr). — Aperçu ethnographique sur VEpidémie
de choléra à Rescht.
Meyer (A. B.). — Zivei Hauwaffen von Mattu bei Neu Guinea
498 séance du 3 octobre 1895
(Ext. de Abh. u. Berichle K. zool. u. Anth.-Elhn. Muséums zu
Dresden), in-4°, 6 pages et planche, Berlin, 1895.
Reber (B.). — Die vorhistorischen Denkmœler im Einfischthal
(Walis) (Ext. de Archiv. fii>' Anthropologie), in-4°, 16 pages
et pi., Brunschwig, 1892.
Regnault (Dr F.). — Pourquoi les nègres sont-iU noirs ? Etude
sur les causes de la coloration de la peau in La Médecine moderne
du 2 octobre 1895.
Rodrigues (Nina). — Nègres criminels au Brésil (Ext. de Arch.
di Psichi. ed antrop. criminelle), in-8°, 8 pages, Turin, 1895.
Sherzer (W. IL). — Plalgcnemic man in New York, in-8°j
26 pages, Albany, 1894.
Spalikowski (Dr Edm.). — Une « Anatomie » au XVIIe siècle,
d'après Th. Gelée, in-8, 3 pages, Rouen, 1894.
Spalikowski (Dr Edm.). — Le médecin Tronchin et sa corres-
pondent avec Volteiire, in-8°, 9 pages, Rouen, 1895.
Toeroek (A. von). — Offener Brief an Herrn Dr. Moriz Bcne-
dikt in Wien und Antivorth auf den vorhergefanden offenen Brief
des Herrn Prof. Dr. Aurelv. Tœrœk(Craniologie) (Ext. de Mitth.
Anthrop. Gesellsch. in Wien), in-4°, 9 pages à 2 col., Vienne,
1895.
Zaborowski. — Du Dnieslre à la Caspienne (Ext. du Bull.
Soc. Anthrop. de Paris), in-8°, 24 pages, Paris, 1895.
Périodiques (articles à signaler).
L'Anthropologie, 1895, n° 4. — De Baye : Note sur l'époque
des métaux en Ukraine. — Dr Jousseaume : Réflexions an-
thropologiques à propos des tumulus et silex taillés des Ço-
malis et des Danakils. — Meige : L'Infantilisme, le Féminisme
et les hermaphrodites antiques.
Revue de l'École d'Anthropologie, 1895, n s 7, 8, 9. — Ch. Le-
. tourneau : Le passé et l'avenir du commerce. — G. de Mor-
tillet : Les Mottes. — Capitan : Le milieu extérieur. —
L. Manouvrier : Discussion des concepts psychologiques.
Sentiments et connaissance. Etats affectifs.
PÉRIODIQUES 499
Bull, de la Soc. dauphinoise d'ethnologie et a" anthropologie, 1895,
n° 2. — Dr A. Bordier : Enquête sur la couleur des cheveux
et des yeux dans le département de l'Isère. — II. Muller :
Fouilles pratiquées dans les grottes et abris des Balmes.
Bull, de la Soc. de Géographie de Paris, 1895, n° 2. — P. d'En-
joy : Une incursion chez les Moïs.
Bévue Scientifique, 1895, nos 3, 10, 12, 13 (2e sem ). —
Paulhan : L'origine du mariage. - G. Variot : Les avaleurs
de sabres. — E. llamy : Les races humaines de Madagascar.
— W. Ilaacke : L'allongement des ongles et des poils comme
résultat de l'atrophie par défaut d'usage. — A. Leclère : L'ins-
truction chez les Cambodgiens.
Bull, de la Soc. de Géographie belge, 1895, n° 1. — V. Lévy :
Le peuple balinais.
Zeilschrift fur Ethnologie, 1895, n°s 3-4. — Wegener (Ph.) :
Bericht ueber den Urnenfriedhof bei Bùlstringen (Reg.-Bez.
Magdeburg) avec fig. — P. Ehrenreich : Materialien zurSpra-
chenkunde Brasiliens (suite).
Archiv fur Anthropologie, XXIII, n° 4. — S. Weissenberg :
Die sûdrusischen Juden. Eine anthropometriscbe Studie. —
M. Hœrnes : Untersuchungen iiber den Hallstœtter Culturkreis.
Mitth. der Anthropologischen Gesellschaft in Wicn, XXV,
nos 3-4. — Weinzierl : Die neolitische Ansiedelung bei Gross-
Czermosenk an der Elbe. — S. Weissenberg : Ueber di zum
mongolischen Bogen gehœringen Spannringe und Schutzplat-
ten. — R. Meringer : Studien zur germanischen Volkskunde
(suite). — A. AVeisbach : Die Salzburger.
Journal of the Anlhropological 1 nstilute , XXV, n° 1. — Lewis :
Prehistoric remains in Cornwall. — J. Beddœ : On the Nor-
thern Settlemen of the AVest-Saxons. — S. Hall : The chan-
ges in the proportions of the human body during the period
of Growth. — Last : Notes on the languages Spoken in Ma-
dagascar. — Duckworth : Notes on a collection of Oania of
Esquimaux.
Journal of analomg an l phgsiologg, XXIX, n" i. — P. Polter :
The obliquily of the arm of the female in extension. The re,-
500 SÉANCE DU 3 OCTOBRE 1895
lation of the forearm with the Upper arm in flexion. — E.
Fawcett : An Unusually large terminal vermiform appendix,
with recurved small conical caecum, with remarks on the pe-
ritoneal pouches. — J. Cunningham : The form of the spleen
and the Kidneys.
Journal and Proc. of the Royal Society of New South Wales,
XXVIII (1894). — Liversidge : Notes on some Australasian
and other stone implements.
Bul. di 'paletnolorjia italiana, XXI noS 4 6. — Blasio : Avanzi
preistorici délia grolla délie Felci nell' Isola di Capri.
Archivio pcr l'antropologia, XXV, nos 192. — M. Pitzorno :
Quattordici erani con ossa accessorie. — II. Giglioli : Ap-
punti intorno ad una collezione etnografica fatta durante il
terzo viaggio di Cook, e conservata sin dalla fine del secolo
scorzo nel R. Museo di Storia naturale di Firenze. — E. Re-
galia : Sulla causa générale délie anomalie numeriche del
rachide. — G. Mondio : Nove cervelli di deliquenti.
PRÉSENTATIONS.
M. F. Regnault présente des photographies de poteries
égyptiennes.
COMMUNICATIONS.
Les anciens chants historiques et les traditions populaires
d'Arménie
Par M. Er. Lalayantz.
Messieurs,
Permettez-moi de vous remercier tout d'abord du grand
honneur que vous m'avez fait en m'admettant au nombre
des correspondants étrangers de votre savante Société, et de
vous exprimer toute ma gratitude pour une aussi flatteuse
distinction.
Enhardi par ce témoignage précieux de sympathique es-
time, j'essayerai, si vous le voulez-bien, Messieurs, de justifier
ER. LALAYANTZ. — LES ANCIENS CHANTS D ARMÉNIE 501
votre choix, et je vais, dès maintenant, vous prier de m'ac-
corder quelques instants de bienveillante attention et d'indul-
gence, dont je m'efforcerai de ne pas abuser.
Il s'agit d'une étude sur les chants historiques et traditions
populaires de l'Arménie ancienne, que je viens d'écrire tout
récemment, et dont je me propose de vous lire deux ou trois
chapitres.
Nous, Arméniens, possédons un certain nombre de chants
historiques, recueillis primitivement par Mar-Abasse de
Mtzoarin et Moïse de Khorén sur lesquels est basée l'histoire
primitive de l'Arménie. Je n'insiste pas sur les autres écri-
vains, qui nous ont transmis quelques fragments de ces
chants, et qui citent les œuvres patriotiques des patriarches
et des rois arméniens, de Haïk, premier patriarche arménien
(20 siècles av. J.-C.) jusqu'à Arlavasde II, roi d'Arménie
(2 siècles après J.-G.) inclusivement. Il va sans dire que
presque toute l'Arménie a participé à la composition de ces
chants, seulement, selon M. de Khorèn, la province de Kogh-
then, qui abondait en vin, fut la plus renommée, elle a eu des
chanteurs analogues aux anciens bardes gaulois; ces chan-
teurs s'en allaient de ville en ville, de village en village,
récitant et chantant les aventures des rois arméniens. Il y
avait encore des chanteurs, nommés goussant, qui représen-
taient le sujet de leur récit en chantant et récitant. Ces chants
étaient inséparables de la musique et des danses que j'ai
aussi étudiées avec assez de détails. Je n'insisterai pas non
plus sur les genres des chants, mais je veux vous parler de
l'art et de l'esprit de la poésie arménienne.
Presque tous ces chants sont épiques et, s'il s'était trouvé
un compilateur comme Firedousi, ces chants auraient pu
former un Chah-naméh, glorifiant les œuvres poétiques des
rois arméniens. Le trait essentiel de ces compositions con-
siste à répéter dans la deuxième ligne le contenu de la pre-
mière, mais cela sous une nouvelle forme, ajoutant toujours
des mots nouveaux et de nouvelles pensées, de façon à
502 SÉANCE DU 3 OCTOBRE 1895
former des répétitions harmonieuses et une progression gra-
duée des idées.
Par exemple :
« Le ciel et la terre étaient dans l'enfantement,
La mer aux reflets de pourpre était aussi en travail,
Dans la mer naquit un petit roseau vermeil,
Du tube de ce roseau sortait de la fumée,
Du tube de ce roseau jaillissait de la flamme,
De cette flamme s'élançait un jeune enfant,
Ce jeune enfant avait une chevelure de feu,
Il avait une barbe de flamme,
Et ses petits yeuX étaient deux soleils » i.
Ces répétitions et ces comparaisons se font de deux maniè-
res : ou par combinaison, c'est-à-dire que la seconde phrase
est aussi importante que la première et lui fait suite, par
exemple :
« Une pluie d'or tombait au mariage d'Artuschès ;
Une pluie de perles tombait aux noces de Sathinig. »
Ou par opposition, c'est-à-dire que la seconde phrase est
opposée à la première, mais se rapporte à la même idée. Cela
a lieu souvent dans les proverbes, comme par exemple :
« Si tu as le gosier de Schara,
Nous n'avons pas les greniers de Schirag. »
La versification de ces chants est prosodique. Presque tous
les mots de l'ancienne langue arménienne étant accentués
sur la dernière syllabe, la langue prend d'elle-même une
tournure iambique, courante et rapide. Et les anciens poètes
ont employé cette règle de l'accent très consciencieusement
et en parfaite connaissance de cause.
Ce qui se voit surtout dans le fragment suivant :
1 Collection des historiens arméniens par V. Langlois : Moïse de
Korène, 76.
ER. LALAYANTZ. — LES ANCIENS CHANTS d'aRMÉME 503
« Vardkès, encore enfant, étant parti
Du canton de Douh, près du fleuve Kosakh,
Va se fixer près de la colline de Cherèch,
Près de la ville d'Artimée, près du fleuve Kasakh,
Pour tailler et sculpter la porte d'Érouand, roi i ».
« Ces fragments, dit Schlegel, ont l'esprit de la poésie
orientale, et par leur éclat, leur splendeur et leur élégance
peuvent égaler et même dépasser la poésie homérique. »
Et un autre écrivain, Enin, observe avec beaucoup de
vérité : Qu'en lisant ces chants il nous semble voir les héros
helléniques, décrits dans l'Iliade. Et justement les chants sur
Torque ressemblent beaucoup aux passages de l'Odyssée rela-
tifs à Polyphème, le Cyclope.
Entre ces poésies, on trouve en effet, plusieurs analogies,
par exemple, les expressions suivantes :
« La mer aux reflets de pourpre, — chevelure de feu, —
une barbe de flammes. — Ses petits yeux étaient deux soleils.
— Et prompt comme l'aigle au vol rapide, il franchit le
fleuve. »
Mais ce sont les métaphores et les allégories, le souffle et le
génie de la poésie orientale, qui éclatent surtout dans ces
fragments, Par exemple :
« Une pluie d'or tombait au mariage d'Artaschès;
Une pluie de perles aux noces de Sathinig. »
Où la profusion de l'or et de perles pendant, les noces est
assimilée à une ondée de pluie. Ou bien :
« Les descendants des Dragons avaient dérobé l'enfant
royal (Artavasd) et lui avaient substitué un deve (démon).
Deve est ici mis au lieu de vicieux.» »
Une jolie métaphore est contenue dans le fragment que
nous avons déjà cité :
« Le ciel et la terre étaient dans l'enfantement, etc., » où
on décrit allégoriquement la naissance de Vahaken, héros
1 M. DE KORÈNK, liv. II, Ch. LXV.
504 SÉANCE DU 3 OCTOBRE 1895
national et en même temps dieu de la bravoure, mais sym-
bolisant le lever du soleil sortant de la mer aux reflets de
pourpre.
Le fragment suivant se rapporte à l'enlèvement de Sathi-
nig par le roi Artaschès.
« Le valeureux roi Artaschès, monté sur un beau (coursier) noir,
Tirant la lanière de cuir rouge garnie d'anneaux d'or,
Et prompt comme un aigle qui fend l'air, passant le fleuve,
Lance cette lanière de cuir rouge garnie d'anneaux d'or
Autour des flancs de la vierge des Alains;
Il étreint avec douleur par le milieu du corps la jeune princesse,
Et l'entraîne brusquement dans son camp '.
Dans ce fragment « la lanière de cuir rouge garnie
d'anneaux d'or » aux termes de l'explication même de Moïse
ds Khorène signifiait l'appât d'or et de cuir si estimés chez les
Alains.
Un autre fragment s'exprime ainsi :
« La princesse Sathinig convoite avec ardeur
L'herbe ardahhure et l'herbette dltz des coussins cl'Arkavan »;
ce qui veut dire que Sathinig étant amoureuse d'Arkam, dé-
sirait ardemment mettre l'herbe magique dans les coussins
d'Arkavan, pour être aimée de lui.
Permettez-moi, Messieurs, de vous citer encore deux tradi-
tions populaires, qui ont une grande ressemblance avec celles
de tous les peuples de l'Orient.
Il s'agit de la légende d'Ara et de Sémiramis qui semble
dérivée du conte égyptien des Deux Frère*, et de celui d'Arta-
vazd, le Prométhée arménien.
Moïse de Khorène raconte, d'après les contes populaires,
qu'après Aram le gouvernement d'Arménie échut à son fds,
surnommé le Beau. Quelques années après la reine d'Assyrie
Schamiram (Sémiramis) devint éperdument amoureuse d'Ara
et le pria à plusieurs reprises de la venir prendre pour épouse.
Moïse de Korêne, liv. II, ch. l.
ER. LALAYANTZ. — LES ANCIENS CHANTS d' ARMÉNIE 505
Mais Ara refusa toujours. « Outrée de ses refus, la grande
reine des Assyriens vint en Arménie à la tète de ses troupes,
fondre sur le prince dédaigneux. Mais au moment du combat,
elle voulut que ses généraux épargnassent, s'il était possible,
la vie de l'objet de sa passion. Cependant au milieu de la
bataille, Ara fut tué en combattant, sans avoir été reconnu.
Alors la reine donna l'ordre à ceux qui dépouillaient les ca-
davres, de chercher le corps d'Ara parmi les morts.
Ara fut retrouvé sans vie au milieu de ses compagnons
d'armes, et Sémiramis le fit placer sur la terrasse de son
palais.
Cependant, comme les troupes arméniennes revenaient
au combat contre la reine Sémiramis pour venger la mort
d'Ara; celle-ci dit : — J'ai ordonné à mes dieux de lécher les
plaies d'Ara, et alors il reviendra à la vie. » — Elle espérait,
par la vertu de ses maléfices ressusciter Ara, mais quand le
cadavre fut en putréfaction, elle le fit jeter (par ses serviteurs)
dans une fosse profonde pour le dérober ainsi à la vue de
tous. Puis, en secret ayant travesti un de ses amants, elle
publia à propros d'Ara la nouvelle suivante : « Les dieux en
léchant les plaies d'Ara, l'ont rendu à la vie... »
Après quoi Sémiramis fit ériger une nouvelle statue aux
dieux, et leur offrit des sacrifices comme si leur puissance
avait sauvé Ara. Grâce à ces bruits répandus en Arménie
touchant Ara, Sémiramis persuada tout le monde et fit cesser
la guerre *.
Ce conte correspondait parfaitement à certaine croyance
des Arméniens à ce qu'on appelle les Avalez.
La signification propre du nom d'Aralez est « qui lèche
continuellement, complètement », et il paraît avoir désigné
une classe d'êtres surnaturels, ou de divinités nées d'un
chien 2, et dont] les fonctions consistaient à lécher les bles-
sures des guerriers tombés sur le champ de bataille et à les
1 M. de Korêne, liv. I, ch. xv.
2 Eznig, p. 98-100.
T. VI (4U SÈME) 3 tJ
,"',00 SÉANCE DU 3 OCTOBRE 1895
faire ainsi revenir à la vie. Cette croyance a persisté jusqu'au
ve siècle dans la classe des nobles, quoique le christianisme
fût devenu alors la religion dominante du pays. Faustus de
Byzance nous en cite un exemple.
Le général en chef des Arméniens Mouschegh Mamikonian
fut, dit-il, calomnié auprès du roi arménien Varazdat (384-
386) par Saharouni et tué dans un festin offert par le roi à
la noblesse.
« Quand on apporta le corps du sharapet Mouschegh dans
sa maison, chez ses familiers, ces derniers ne voulurent pas
croire à sa mort, quoiqu'ils vissent sa tète séparée du tronc.
Ils disaient : « Il a pris part à des combats sans nombre et
jamais il n'a reçu de blessure; jamais trait ne l'a atteint;
personne ne l'a frappé d'une arme quelconque ». D'autres
espéraient le voir ressusciter ; aussi quelques-uns d'entre eux
ayant rapproché sa tète du tronc et les ayant recousus ensem-
ble emportèrent le cadavre et le placèrent sur le toit d'une
tour, en disant :
« Comme Mouschegh était un homme brave, les Aralez des-
cendront et le ressusciteront. »
Dans cette espérance ils restèrent à le garder jusqu'à ce
que le cadavre fut décomposé. Alors seulement ils le descen-
dirent de la tour, le pleurèrent et l'enterrèrent selon les règles
prescrites.
Selon le môme Moïse de Khorène la légende d'Ara était très
répandue, et il me semble qu'Emin a raison de l'identifier
avec le conte d'Er l'Arménien, cité par Platon dans sa Répu-
blique ', et résumé ainsi :
« Er l'Arménien, originaire de Pamphylie, avait été tué
dans une bataille : dix jours après, comme on enlevait les
cadavres déjà défigurés de ceux qui étaient tombés avec lui,
le sien fut trouvé sain et entier, on le porta chez lui pour cé-
lébrer ses funérailles, et le douzième jour, alors qu'il était sur
1 La République, livre X. ch. x.
ER. LALAYANTZ. — LES ANCIENS CHANTS D'ARMÉNIE oÔ7
le bûcher, il ressuscita et raconta ce qu'il avait vu dans l'au-
tre vie. »
Le récit d'Ara ressemble beaucoup aussi à diverses légen-
des des nations orientales, aux contes d'Orion, d'Hippolyte, de
Bellérophon, de Joseph, etc., et il me semble que cette légende
a aussi pour origine le conte égyptien des Deux Frères par-
venu jusqu'à nous dans un manuscrit du xin9 siècle avant
.T. -G.
Passons, maintenant au récit d'Artavazd :
Artaschès II (78-120 n.c.) était le roi le plus aimé d'Armé-
nie. Les chants historiques glorifiaient sa jeunesse. Quand il
fut devenu vieux, il se souvint du printemps de sa vie; un
matin, que la lumière du soleil se répandait avec la rosée sur
les villages et les villes et se rappelant les plaisirs de ses
chasses, il s'écria :
• 0 ! qui me rendra la fumée de mon foyer,
Et le joyeux matin de Navarard *
Et l'élan des biches et des cerfs. »
Alors le peuple, en voyant que les plaisirs de son aimable
roi étaient restés incomplets, prit le deuil et chanta :
— « Nous faisions retentir les trompettes,
(Suivant l'usage des rois)
Nous faisions résonner les tambours »
Enfin quand Artaschès mourut on célébra ses funérailles
de la manière suivante ' :
« La civière était d'or, le trône et le lit d'étoffe fine, le men-
teau qui enveloppait le corps, de drap d'or. Une couronne
était posée sur la tète d'Artaschès; son épée d'or était devant
lui. Autour du trône se tenaient ses fils et toute la foule des
i Navarard était le premier mois de l'année dans l'ancien caleo-
drier arménien et le premier jour de ce mois était célébré par des
fêtes .
Moïse de Khorêne liv. II, ch. lx.
508 SÉANCE DU 3 OCTOBRE 1895
parents et des proches. Près d'eux étaient les généraux, les
chefs des satrapies, les classes des nobles, les corps de trou-
pes armées de toutes pièces, comme si elles allaient marcher
au combat. En tète, les trompettes d'airain retentissaient; en
arrière du cortège, marchaient des jeunes fdles vêtues de
noir, des femmes éplorées et enfin la foule du peuple. Ce fut
ainsi que le corps d'Artaschès fut porté et enseveli. Autour
de son tombeau il y eut bien des morts volontaires :... ses
femmes bien-aimées, concubines et ses esclaves dévoués se
sacrifièrent à l'envi.
Artavazd, fils d'Artaschès, voyant tant de sang versé, parla
ainsi avec amertume à son père :
« Puisque tu es parti, emportant avec toi tout le pays,
Gomment règnerai-je, moi, sur ses ruines ?
Mais, Artaschôs, irrité de ce langage, maudit Artavazd :
Tu iras à cheval chasser sur le libre Massis,
Les Kadch (esprits) te saisiront, te conduiront sur le libre
Tu resteras là et tu ne verras plus la lumière. » [Massis,]
Or précisément quelques jours après Artavazd « fut empri-
sonné dans une caverne et chargé dé chaînes de fer; mais
deux chiens rongeaient continuellement ses chaînes, et il s'ef-
força de s'évader pour venir porter la dévastation dans le
monde. Mais au seul bruit des coups de marteau des forge-
rons, ses fers reprirent, dit-on, une nouvelle force. » C'est
pourquoi non seulement au temps de Moïse de Khorène
mais encore à présent, beaucoup de forgerons frappent l'en-
clume trois ou quatre fois le dimanche, pour consolider, di-
sent-ils, les chaînes d'Artavazd l.
La légende d'Artavazd passa en Géorgie où elle persiste
encore dans la tradition populaire, et elle y a été recueillie
par M. Emin; mais elle s'y est imprégnée d'une couleur chré-
tienne. Une femme, surprise en chemin par les douleurs de
1 Moïse de Kiiorêne liv. II, ch. lxi.
ER. LALAYANTZ. — LES ANCIENS CHANTS D'ARMÉNIE 509
l'enfantement, mit, dit-on, au monde un fils, qui reçut le nom
d'Amiran. Elle souhaitait ardemment pour lui le baptême;
mais il n'y avait là personne qui pût le lui administrer. Elle
était donc dans une extrême perplexité, lorsqu'un vieillard se
présenta à elle, imprima sur l'enfant le sceau du chris-
tianisme, et promit, d'après le vœu de la mère, de demander
à Dieu pour lui une très grande force corporelle. La prière du
vieillard fut exaucée, et lorsqu'Amiran fut parvenu à l'ado-
lescence, doué d'une vigueur extraordinaire, il accomplit les
prouesses les plus étonnantes. Son orgueil, enflé par ses
succès, alla si loin, qu'il osa défier le ciel lui-même. Dieu,
irrité, l'attacha alors avec des chaînes de fer en un point du
Caucase. L'épée d'Amiran gisait à terre, tombée près de lui,
il ne restait que son chien fidèle qui léchait continuellement
ses chaînes pour tâcher de les amincir et de délivrer son
maître. Le géant, au cœur endurci, attend ainsi avec impa-
tience le moment où. dégagé de ses fers, il pourra aller
assouvir sa vengeance. .Mais l'œil de Dieu ne se ferme jamais.
Chaque année, le jour de jeudi-saint, sort des entrailles de la
terre un forgeron qui vient consolider à nouveau les chaînes
du captif et les sceller au rocher plus fortement que
jamais '.
Les Cabardiens racontent aujoud'hui encore que sur un
grand rocher conique de la montagne d'Elbrouz est assis
un vieillard, dont la barbe descend jusqu'aux pieds. Tout son
corps est couvert de poils blonds; les ongles de ses doigts et
de ses orteils sont très longs, et ressemblent à des griffes
d'aigle; ses yeux rouges brûlent comme un tison ardent. Il
porte sur le dos, la poitrine, les bras et les pieds de lourdes
chaînes, qui l'attachent en ce lieu depuis les temps les plus
reculés. Jadis il était pieux et pouvait à loisir approcher du
grand dieu ïcha. Mais ayant essayé un jour de précipiter le
dieu pour le dominer, il fut vaincu dans la lutte et pour tou-
jours lié sur sou rocher. Très peu d'hommes l'ont vu, parce
1 Emin, Étude, p. 41-42, <ité par Dulaurier.
510 SÉANCE DU 3 OCTOBRE 1895
qu'il est très dangereux de l'approcher. Personne ne le
contemple deux fois, et ceux qui ont essayé de le faire en
sont morts.
Ce vieillard est presque toujours dans un état apathique et
engourdi ; quand il s'éveille, il s'adresse aussitôt à ses gar-
diens et leur demande : « Le roseau croît-il encore? les brebis
mettent-elles toujours bas? »
— Oui, le roseau croît encore, et les brebis mettent bas,
répondent les gardiens. »
Le vieillard devient alors plus furieux, parce qu'il sait, qu'il
doit souffrir aussi longtemps que le roseau croîtra et que les
brebis mettront bas. Désespéré, il essaye de briser ses chaînes
et alors la terre tremble; du frottement des chaînes jaillissent
l'éclair et le tonnerre. La lourde respiration du vieillard sou-
lève des tempêtes furieuses: ses soupirs produisent des bruits
souterrains et ses larmes forment le fleuve qui s'élance de la
cime de l'Elbrouz avec tant de violence ' .
Ne voulant pas abuser de votre patience, je ne citerai pas
les récits analogues de presque tous les peuples du Caucase,
mais je les ai recueillis et je finirai en vous disant que j'ai eu
l'honneur, dans les conclusions de cette étude, de me rencon-
trer avec le célèbre philologue de l'Université de Moscou,
M. Mùller, pour établir que l'origine du mythe de Promé-
thée se trouve au Caucase et n'est autre chose que le récit de
la lutte entre le Dieu de la lumière et le Dragon, la victoire
du premier sur le second et l'enchaînement éternel du Dra-
gon sur un rocher.
L'un des secrétaires : A. Viré.
1 Le journal « Kabkraz » 1846, n° 35.
CORRESPONDANCE 311
629* SÉANCE. — 17 Octobre 1895.
Présidence de M. Issaurat.
CORRESPONDANCE.
M. Zaborowski. — J'ai reçu la lettre suivante:
11 octobre 1895.
Monsieur et cher collègue,
J'ai vu avec plaisir dans votre excellent mémoire : Du
Dniestre à la Caspienne, que vous êtes arrivé à partager l'opi-
nion que j'ai tantde fois soutenue sur l'origine européenne des
Européens et en particulier de la race blonde. Permettez-moi
de vous signaler entre autres, mon mémoire sur l'origine des
Aryas, inséré dans le compte-rendu du Congrès d'Anthropo-
logie de 1878 et mes communications a la Société de juillet et
décembre 1873 et de janvier et octobre 1874.
Comme moi aussi, vous êtes arrivé à conclure que jusqu'à
une époque récente, l'Europe a été séparée de l'Asie par une
mer continue qui reliait la mer Noire et la Caspienne h la
mer boréale par le bassin de l'Obi, et qui, par un autre bras, se
joignait antérieurement à la Baltique, ne laisssant émerger
que l'île Ouralo-permienne, ainsi que je l'ai soutenu dans les
séances de décembre 1873 et janvier 1874, et depuis dans
mon essai de géographie quaternaire, publié en 1875 dans la
Revue de philosophie positive (le tirage à part est à la bibliothè-
que).
La plus ancienne communication établie par terre entre
l'Asie et l'Europe parait avoir été l'isthme du Bosphore, avant la
rupture. A l'époque tertiaire et quaternaire, l'Asie Mineure,
avec le Caucase et le Liban, dut faire partie de l'Europe ;
mais était séparée de l'Asie par une mer alors équatoriale,
qui allait du Sahara au désert persan par le désert de Syrie
et le bas Euphrate (V. E. Reclus).
Ce sont là des faits qui détruisent toute la légende du
Pamir.
512 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
Gomme moi, enfin, vous voyez dans les Scythes des autoch-
thones blonds d'Europe, frères des Saces, des Thraces, des
Gètes, des Goths, des Gaeltes et des Kaeltes (Gallataï et Kel-
toï), et parlant comme eux des dialectes aryens.
Il y a eu certainement des Scythes en Asie, mais ils sont
venus d'Europe. Outre leur invasion par le Caucase, au vme
siècle avant notre ère, la tradition d'une dominatiou scythi-
que en Asie Mineure, s'est conservée.
Les Khetas, Hétéens ou Gissiens qui ont si longtemps do-
miné sur tout le cours de l'Euphrate et qui, au xve siècle
avant notre ère, luttèrent contre Ramsès III, sont identifiés
par l'Egyptologue Prisse d'Avennes avec les Scythes, Sketœ
ou Getœ. Les Schetas combattaient sur des chars comme les
Scythes. Ils étaient comme eux armés de l'arc, de l'épée et de
la lance ou du javelot. Leurs places fortes étaient défendues
par un double fossé. Leur unique vêtement était une longue
robe à manches courtes et à pèlerine. Ils ne paraissent pas
avoir connu le casque ni la cuirasse. (V. Prisse d'A.vennes,
Science française du 11 octobre 18D5).
Les Rotennons ou Lodannons, peuple au teint clair, aux
yeux bleus, aux cheveux bruns ou blonds, qui soutinrent
une longue guerre contre ïhoutmés III et que Champollion
identifiait avec les Lydiens, ne serait en ce cas qu'une peu-
plade scythique d'Asie. On s'expliquerait ainsi comme, pour
Homère, ionien d'Asie, l'idéal de la beauté, pour l'homme
comme pour la femme, c'est la beauté blonde.
L'état de ma santé ne me permettant pas de monter l'esca-
lier de la Société, faites-moi le plaisir, mon cher collègue, de
donner lecture de ma lettre à la prochaine séance et agréez
d'avance, avec mes remerciments, l'expression cordiale de
mes sentiments distingués.
Clémence Royer.
Je connaissais la plupart des travaux de Mme Clémence
Royer, et je me suis fait un plaisir de citer notamment son
mémoire sur les Aryas, dans mon mémoire sur les Grecs
CORRbSPONDANCb; 513
paru dans La Grande encyclopédie, et à propos de mon mé-
moire Sur dix crânes de Rochefort. Je suis très heureux d'être
son intermédiaire pour les rappeler à la Société. Ils représen-
tent de longs efforts de coordination qui en éclairant les don-
nées acquises, contribuent au progrès de la science. J'en ai
fait mon profit, je me plais à le dire. 11 ne serait que juste
que les auteurs qui de nos jours ont repris la question de l'o-
rigine des Aryas, et des blonds, depuis M. Penka jusqu'à
M. Sergi, citassent en première ligne Mme Clémence Royer. Car
c'est d'elle que vinrent d'abord les attaques les plus résolues
contre la légende classique.
J'ai pour mon compte volontairement négligé les traditions
historiques plus ou moins fragmentaires, plus ou moins con-
cordantes, pour m'en tenir aux plus récents résultats des
études de géologie, d'ethnologie, d'archéologie. J'ai dû, de-
vant ces résultats, modifier mes popres vues d'abord trop
conformes aux légendes admises de la linguistique et de l'his-
toire. Mais ces résultats ne me permettent pas d'être aussi
affirmatif que Mme Royer sur plusieurs détails qui ont leur
importance. Ainsi, la question des communications entre la
Caspienne et la mer Noire ne me paraît pas tranchée d'une
façon satisfaisante, car il y a entre les deux bassins des diffé-
rences de faune notables. De même je ne sais rien de commu-
nications directes entre la Raltique et la mer Noire. Les
bassins de ces deux mers ont été en relations pendant et
après la fonte du glacier Scandinave par l'intermédiaire de
fleuves et de lacs d'eau douce. Enfin je dois dire qu'à ren-
contre de ce que pense Mme Royer, l'élément dominant des
populations scythiqnes était d'origine asiatique.
C'est du moins ce qui résulte pour moi des données archéo-
logiques qu'on trouvera dans mon second mémoire qui vient
de paraître et que Mme Royer ne connaissait pas, et de consi-
dérations ethnologiques qui figurent dans un troisième mé-
moire rédigé depuis un an et dont je donnerai prochaine-
ment lecture.
514 SÉANCE DU 17 OCTUBKE 1895
OUVRAGES OFFERTS.
Coghlan (T. A.). — .4 statistical surcey of New South Wales,
1893-1894, in-8, 378 pag. , Sydney, 1893.
Durand (de Gros). — Suggestions hypnotiques criminelles (Extr .
de la Revue de l'Hypnotisme), in-8, 16 pag., Paris, 1895.
Fiuipont (Julien). — The imaginary race of constadt or nean-
derthal in Science, New-York, 22 décembre 1893.
— La race imaginaire de Cannstadt ou de Neanderthal (Extr. du
But. Soc. Anthropol. de Bruxelles), in-8, 12 pag. Bruxelles, 1895.
Regalia (E.). — Sulla causa générale délie anomalie numeriche
del rachide (Extr. de Archivos per l'anthropologia), in-8, 76 pag.,
Florence, 1895.
Sérieux (P.) et Mathieu (F.). — L'alcool, in-32, 192 pag.,
Paris, 1895.
Duval (Dr Mathias). — Palhogénie générale de l'embryon.
Tératogénie, in-8, 104 pag et fig., Paris, 1895.
— Les monstres par défaut elles montres par excès de fécondation
(Extr. des Ann. de Gynêcol. et d'obstét.), in-8, 44 pag. et fig.,
Paris, 1895.
M. Mathias-Duval. —J'ai l'honneur de faire hommage à la
Société de deux opuscules sur la tératologie; l'un, intitulé
« Les monstres par défaut et les monstres par excès de fécondation »
est extrait des Annales de Gynécologie et d'obstétrique, février
1895; l'autre est le tirage à part du chapitre : « Pathogénie
générale de l'embryon; tératogénie » du traité de Pathologie
générale publié sous la direction du professeur Bouchard.
La Société d'Anthropologie a toujours montré le plus vif
intérêt pour les questions de tératologie; c'est dans son sein,
à l'instigation de Broca, qu'eut lieu, en 1873, une discussion
mémorable sur la genèse des monstres doubles; c'est ici que
M. Dareste a communiqué les résultats les plus remarquables
de ses recherches de tératogénie expérimentale. Je demande
donc à la Société la permission de lui signaler rapidement les
vues nouvelles développées dans ces deux opuscules. Du reste
je ne saurais oublier qu'ici même, comme professeur à
OUVRAGES OFFERTS 515
l'École d'Anthropologie, j'ai, pendant deux années consécuti-
ves, consacré mon cours à la tératologie, et que beaucoup
des idées développées dans ces deux brochures, je les avais
déjà exposées, au inoins en partie, dans ces leçons.
Les monstres sont le résultat d'accidents survenus au cours
du développement; les étapes successives de ce développe-
ment étant bien connues aujourd'hui, grâce aux immenses
progrès de l'embryologie, il est devenu possible de préciser,
pour charpie type tératologique, le stade du développement
normal auquel s'est produit l'accident, l'arrêt, la déviation
qui a abouti au monstre donné. J'ai donc pu présenter ce que
j'appelle une étiologie tératogénique chronologique, comprenant
l'étude des causes qui peuvent agir sur les produits sexuels
avant la fécondation, puis pendant la fécondation, puis sur
les premiers rudiments du corps de l'embryon, etc., etc. De
ces stades, ce sont les premiers qui sont les plus importants,
à savoir ceux relatifs à la fécondation. Sous le titre d'accidents
de la fécondation j'étudie deux cas bien singuliers : de déve-
loppement d'un ovule non fécondé, de développement d'un
ovule trop fécondé.
Les ovules qui, exceptionnellement, se développement par
parthénogèse, e'est-à-dire sans intervention de l'élément
mâle, donnent naissance à des produits informes, dont la
plupart avaient été considérés jusqu'ici comme des kystes
dermoïdes de l'ovaire. Grâce à un mémoire remarquable,
publié par M. le D1' Répin, et dont les recherches ont été fai-
tes dans mon laboratoire, il se trouve démontré que les kys-
tes dermoïdes de l'ovaire ne sont, au moins pour le plus
grand nombre, autre chose que des ovules développés par-
thénogénétiquement. Ce sont des monstres par défaut de
fécondation .
Le type opposé est celui des monstres par excès de fécondation.
Il est reconnu aujourd'hui que normalement la fécondation
s'accomplit par l'entrée d'un seul spermatozoïde et sa fusion
avec l'ovule ; si deux ou plusieurs spermatozoïdes prennent
part à cet acte, il y a polyspermie, et le développement de
516 SEANCE DU 17 OCTOBRE 1895
l'œuf ne se fait pas selon le type normal. Deux ou plusieurs,
embryons naissent de cet œuf unique, et naissent dans des
conditions telles que, le plus souvent, ils sont dès le début
soudés l'un à l'autre; telle est l'origine des monstres doubles,
et la partie la plus importante, je crois pouvoir dire aussi la
plus originale, des deux mémoires en question, est le chapi-
tre où je cherche à établir géométriquement les conditions
qui déterminent ces soudures de manière à réaliser l'un des
trois types établis par Geoffroy Saint-Hilaire, les tératopages
térataddphes, et les tératodymes . Ce serait abuser de la bien-
veillante attention de la Société que d'entrer ici dans des
détails.
Mais, pour lui signaler quelques points nouveaux, je ne puis
me dispenser de lui rappeler que, dans un monstre double,
les deux sujets composants peuvent ou bien présenter un
développement égal (monstres doubles autositaires) ou bien
un développement inégal [ monstres parasitaires). Dans ce
dernier cas l'un des sujets est réduit à un rudiment implanté
sur le corps du sujet complet, dont il apparaît comme un
parasite. — D'autre part, il peut se faire que, exceptionnelle-
ment, deux sujets, produits d'un seul œuf, par polyspermie,
ne se soudent pas : ce sont des jumeaux univitellins. Et dans
ce cas aussi, comme précédemment, l'un d'eux peut être bien
conformé, tandis que l'autre demeure rudimentaire, ne vivant
que grâce à la circulation qu'il emprunte à son frère, car il
est lui-même acéphale et privé de cœur. Or, Geoffroy Saint-
llilaire avait parfaitement étudié ces acéphaliens et acardia-
ques, mais, tout en constatant qu'un tel sujet est toujours as-
socié à un jumeau bien conformé, il en faisait cependant un
monstre simple, n'ayant pu reconnaître qu'il s'agit la de mons-
tres doubles dont les deux sujets sont restés indépendants.
Nous devons à Dareste les premières notions précises sur ces
rapports entre les monstres parasites dits omphalosites et les
montres doubles parasitaires proprement dits, et aujourd'hui,
avec les progrès de nos connaissances sur la fécondation et
ses accidents, nous pouvons dire que. étiologiquement, le
OUVRAGES OFFERTS 517
monstre double est celui qui provient d'un œuf hyperfécondé
(polyspermie), œuf qui produit deux sujets, lesquels pourront
demeurer indépendants (ce qui est rare) ou se former en état
de soudure (ce qui est le plus fréquent). De sorte que nous
faisons sortir les omphalosites du groupe des monstres sim-
ples (monstres unitaires parasites), pour les rattacher au
groupe des monstres composés (monstres doubles parasitai-
res).
Mais ce n'est pas tout. Un embryon normal, simple, pro-
venant d'une fécondation normale, monospermique, peut, au
début de son développement, éprouver, par compression de
l'amnios ou par divers autres mécanismes, un arrêt de for-
mation tel qu'il devienne acéphale et acardiaque; il est alors
identique à un omphalosite de Geoffroy Saint-IIilaire, avec
cette différence fondamentale qu'il n'est pas omphalosite, car,
étant un produit simple, unique, isolé, de fécondation nor-
male, il ne peut emprunter les voies de circulation d'un frère
jumeau qui n'existe pas. Aussi un pareil monstre ne peut-il
continuer à se développer; il périt bientôt, est plus ou moins
résorbé, réduit à une masse informe. C'est pourquoi ces acé-
phales et acardiaques sont demeurés ignorés tant que la
tératologie n'a emprunté ses objets d'étude qu'aux produits
de la parturition normale ; mais ils nous ont été révélés par
la tératologie expérimentale qui, recherchant l'état des mons-
tres dès les premières phases de leur formation, a pu ainsi
constater ces formes éphémères, destinées à disparaître pres-
que aussitôt après s'être produites.
Il en résulte que les divisions et classifications établies par
Geoffroy Saint-IIilaire demeurent entièrement valables aujour-
d'hui, avec une très légère retouche. Nous avons un grand
groupe, dit des monstres unitaires, et comprenant les mons-
tres unitaires autosites, d'une part, et d'autre part lesacépha-
liens et acardiaques; mais ceux-ci ne peuvent plus porter le
nom de parasites et omphalosites; ils ne sont ni parasites,
ni omphalosites, puisqu'ils ne sont pas accompagnés d'un
autre sujet, et par cela même ils meurent bientôt et n'arrivent
518 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
pas au terme de la gestation. Puis, nous avons un second
grand groupe, dit des monstres composés ou doubles (les
monstres triples étant extrément rares); il comprend les
montres doubles autoritaires, et les monstres doubles parasi-
taires de Geoffroy Saint-Hilaire; et il faut y ajouter, en troi-
sième lieu, les monstres omphalosites que nous détachons du
groupe des unitaires, comme il a été dit ci-dessus. En un mot
la classification de Geoffroy Saint-Hilaire n'a à être retouchée
qu'en ceci : déplacer ses omphalosites du groupe des unitaires
pour les porter dans celui des monstres composés, et les rem-
placer, dans le groupe des unitaires, par les vrais acardiaques
et acéphaliens simples.
Il est merveilleux de voir cette classification s'adapter ainsi
aux grands progrès accomplis par la tératologie; c'est que la
classification de Geoffroy Saint-Hilaire a été basée sur une
étude exacte et minutieuse de la constitution des formes
monstrueuses, c'est-à-dire sur l'anatomie pathologique de
l'embryon. La constitution anatomique des êtres normaux et
anormaux est en rapport avec leurs origines; l'étude de ces
deux ordres de faits doit donc conduire à des résultats sem-
blables, c'est-à-dire que la tératologie actuelle, étudiant l'ori-
gine et le mode de formation des monstres, ne peut que les
trouver conformes aux cadres tracés par Geoffroy Saint-
Hilaire, puisque ces cadres ont été établis sur des bases ana-
tomiques rigoureusement exactes.
M. Sanson. — Dans l'intéressante communication de M. Ma-
thias Duval il y a un point qui m'a particulièrement frappé.
Certains auteurs, notamment un professeur de l'Université de
Strasbourg, voulant interpréter scientifiquement l'affirma-
tion de Buffon relative aux parts respectives du père et de
la mère dans la reproduction, ont conclu que l'élément mâle
fournit le feuillet supérieur du blastoderme. Or les détails que
vient de donner notre collègue sur les kistes dermoïdes de
l'ovaire montrent que ce feuillet peut provenir aussi de l'élé-
ment femelle. J'ajoute que d'ailleurs l'idée de Buffon sur l'hé-
rédité des formes extérieures n'est pas exacte.
ÉLECTIONS 519
périodiques (articles à signaler).
Revue de l'école d'Anthropologie, 1895, n° 10. — P. G. Mahou-
deau : L'albinisme.
Soc. d'histoire naturelle d'Autun, 7e bul. 1894. — F. Pérot :
Notes sur une dent de mammouth et sur un couteau en
schiste noir.
Actes de la Soc. scientifique du Chili, 1894, n° 5. — Vergara
Flores : Cràneos de indigenas bolivianos.
Ethnologisches Noiizbaltt (k. muséums fur Yœlkcrhunde) Berlin.
1895. Ueber zwei alte Ganœ-Schnitzwerke aus Neu-Seeland.
— Altertùmer aus Guatemala.
OBJETS OFFERTS.
M. Dareste offre à la Société deux crânes de bœufs gnatos.
M. Sanson. — Tout est bien qui finit bien. Lorsqu'à mon
instigation le professeur Besnard, de Santiago, a envoyé au
jardin d'acclimatation les deux individus dont il vient
d'être parlé, il y mit la condition que leurs têtes me se-
raient plus tard remises. Par une inadvertance de la direc-
tion, cette condition, comme on le voit, ne fut pas remplie.
Je ne le regrette plus maintenant, du moment que les pièces
devront désormais faire partie d'une collection publique.
présentations.
M. Arsène Dumont présente une carte de France chiffrée
d'où il ressort que, dans la plupart des départements, le
nombre des décès l'emporte sur celui des naissances.
M. Fourdrignier présente plusieurs crânes et ossements
datant de l'époque Marnienne (jiig siècle) qu'il offre à l'Ecole
d'Anthropologie.
ÉLECTION.
M. Diego Ripoche yTorrens, membre honoraire et fondateur
520 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
du Museo canario, présenté par MM. Capus, Manouvrier, G. do
Mortillet, Letourneau, Hervé et Vinson, est élu membre
correspondant étranger.
COMMUNICATIONS.
Silex taillés des Tufs de la Celle-sous-Moret (Seine-et-Marne).
Par MM. Emile Collln, Reynier et A. de Mortillet.
Les Tufs de la Celle-sous-Moret, bien connus des géologues
et des palethnologues sont situés sur la rive droite de la Seine,
entre le village de la Celle et celui de Vernou, à quelque dis-
tance en amont du confluent de la Seine et du Loing. Ils for-
ment un dépôt d'au moins un quinzaine de mètres de puis-
sance, couvrant une surface d'environ 500 mètres de longueur
sur 250 mètres de largeur. Ce dépôt est plaqué contre un
escarpement de calcaire lacustre tertiaire et repose sur des
alluvions caillouteuses anciennes. Une partie de ces tufs forte-
ment concrétionnée renferme de très nombreuses empreintes
de végétaux et des mollusques terrestres, qui ont fourni de
précieuses indications sur le climat de la vallée de la Seine à
l'époque où ils se sont déposés.
MM. Chouquet, de Saporta, R. Tournouër et G. de Mortil-
let, qui ont étudié cet important gisement, sont d'accord pour
le considérer comme appartenant à une période fort reculée
des temps quaternaires, période pendant laquelle régnait une
température plus tiède, plus humide et surtout plus uniforme.
Bien que postérieurs au creusement de la vallée qui doit
remonter à la fin du tertiaire, et un peu plus anciens que les
graviers quaternaires qui leur servent de base, les tufs de la
Celle sont cependant antérieurs au quaternaire moyen, ainsi
qu'il résulte de l'étude de la flore et de la faune malacolo-
gique. C'est ce que semble également confirmer la trouvaille
faite dans les terres qui couvrent le tuf de silex taillés parmi
lesquels se trouvait une pointe évidemment inoustérienne
remise par M. G. de Mortillet au Musée de Saint-Germain.
COMMUNICATIONS 521
Mais, dans les tufs mêmes, on n'avait encore rencontré au-
cun objet d'industrie humaine, lorsqu'un carrier intelligent,
M. Bezault fils, découvrit dans une petite carrière ouverte
au-dessous du cimetière de la Celle, en contre-bas de l'ancien
chemin de Vernou, quelques instruments en silex qu'il mit de
cùté. L'année suivante, c'est-à-dire l'hiver dernier, il en
recueillit un plus grand nombre encore. Depuis, les travaux
de la ligne en construction du chemin de fer de Corbeil à
Montereau ont complètement fait disparaître la carrière.
M. Victor Bezault fils a bien voulu céder à l'Ecole d'An-
thropologie les objets récoltés par lui et nous donner des
renseignements sur la place qu'ils occupaient. Ils gisaient à
divers niveaux, à 3 ou 4 mètres au-dessous du sommet de la
carrière, sous une épaisse couche de tuf formant à sa base
une roche fort dure. Plusieurs d'entre eux étaient très rap-
prochés les uns des autres, comme groupés. Au-dessous, il
existait encore du tuf, l'exploitation n'ayant pas été poussée
jusqu'au gravier.
Le nombre total des pièces recueillies est d'environ une
trentaine, dont 23 font aujourd'hui partie des collections de
l'École d'Anthropologie. L'École des mines en possède 5 ;
M. le Dr Capitan, 1 ; M. Emile Gollin, 1 ; et 2 sont entre les
mains d'un ingénieur, soit en total, 32 pièces.
Tous ces intruments sont du type coup-de-poing, plus ou
moins taillés sur les deux faces, les uns h grands éclats, les
autres un peu plus finement. Ils sont presque tous en forme
d'amande, et sur la plupart d'entre eux se voit encore à la
base une partie de la croûte du rognon dans lequel ils ont été
taillés. Le plus grand spécimen mesure 17 centimètres de
longueur, 9 de largeur et 5 d'épaisseur. Un des plus petits
a 85 millimètres de long, 48 de large et 33 d'épaisseur. La
majeure partie est en silex de la craie qui se voit non loin de
là en allant vers Montereau. Quelques-uns pourtant semblent
être en silex tertiaire pouvant provenir du Calcaire de Brie,
dont il existe des gisements très voisins.
La patine blanche et mate d'un aspect tout particulier que
t. vi (4e série). 3|
")2'2 séance du 17 octobre 1895
présentent tous ces silex, les traces de concrétions tuffeuses
que portent encore sur leurs deux faces plusieurs échantil-
lons sont un sur garant qu'ils proviennent bien des tufs.
En somme, comme formes et comme travail, ces silex pa-
raissent appartenir à la fin de l'époque chelléenne ou au
commencement de l'époque acheuléenne. Les documents
paiethnologiques fournis par cette intéressante découvert»1
viennent donc pleinement confirmer les conclusions tirées de
l'étude stratigraphique et paléontologique du gisement de la
Celle.
Discussion.
M. 0. Vauvillé. — Je pense devoir faire remarquer que
dans les échantillons de tuf, qui nous sont présentés, il y en
a de formation d'époques diverses. En voici un, avec belles
empreintes, lequel a été extrait depuis longtemps ; il est tout
différent de formation des autres, qui proviennent de décou-
vertes récentes faites dans les déblais exécutés pour l'éta-
blissement d'un chemin de fer.
M. G. de Mortillet prend part à la discussion.
M. Capitan fait une communication sur les gisements
quaternaires des vallées de la Charente et sur le gisement de
Tilloux en particulier. Le manuscrit n'a pas été remis au
secrétariat.
Quelques observations sur le graud droit de l'abdouieu daus
les races humaines
Par M. Théophile Chudzinski.
Le muscle grand droit de l'abdomen est remarquable par
sa longueur. C'est un ruban charnu, étendu du pubis à la
cinquième cote. M. Sappey compare sa forme à un trian-
gle dont le sommet tronqué répond au pubis. Le muscle
grand droit de l'abdomen est remarquable aussi par les inter-
TH. CHUDZtNSKL — GRAND DROIT DR l' ABDOMEN ;i23
sections tendineuses qui interrompent transversalement ses
fibres musculaires en plusieurs endroits.
Le grand droit de l'abdomen se fixe en bas, sur cet inter-
valle compris entre la symphyse du pubis et l'épine pubienne.
En haut, il s'attache par trois languettes dont l'interne se
rend à l'appendice xyphôïde et au cartilage de la septième
cùte. La languette moyenne s'insère sur la sixième côte, et la
languette externe sur la cinquième.
Telle est la description classique des insertions du grand
droit de l'abdomen. — Mais les insertions costales ne s'arrê-
tent pas toujours à la cinquième cote. Gruvelhier a vu l'in-
sertion aller jusqu'à la quatrième côte. Nous-mème, nous
avons signalé un cas chez un nègre, dans lequel l'insertion
du grand droit de l'abdomen remontait jusqu'à la troisième
côte et à la partie correspondante du sternum. Bearis et Bou-
chard ont signalé l'insertion du droit de l'abdomen à la
deuxième côte.
La multiplication anormale des insertions costales, du
grand droit de l'abdomen de l'homme, est la règle commune
chez les animaux quadrupèdes, comme par exemple pour
le cheval, le porc, le chat, etc.; chez ces animaux l'insertion
costale du droit de l'abdomen se fait jusqu'à la quatrième
côte; chez les singes quadrupèdes ce muscle remonte jusqu'à
la première côte.
On a vu le grand droit de l'abdomen double (Otto) et nous
supposons que par ce terme l'observateur a voulu dire que ce
muscle était divisé en deux parties de haut en bas ; et pour-
tant ce fait de duplicité du droit de l'abdomen met dans l'em-
barras M. Testut, car il hésite entre la division toute simple
de ce muscle en deux parties ou en une véritable doublure,
c'est-à-dire à deux couches musculaires superposées.
On a noté aussi l'absence totale du grand droit de l'abdo-
men : mais c'étaient des cas purement pathologiques.
Gomme les insertions, le nombre des intersections tendi-
neuses varie, non seulement chez les mammifères quadru-
pèdes, mais aussi chez l'homme.
oiU séance Dr 4 7 octobre 189o
Les intersections des mammifères inférieurs varient entre
les nombres 9 et 7 ; le dernier chitfre s'applique surtout aux
singes quadrupèdes. Chez les anthropoïdes, on compte ordi-
nairement o intersections; pourtant nous avons observé chez
un singe gorille mâle 7 intersections, -et sur un autre jeune
gorille du même sexe G. Chez les singes quadrupèdes, de ces
7 intersections, trois sont sous-omhilicales. Chez les anthro-
poïdes il n'y a qu'une simple interruption qui descend au-
dessus de l'ombilic.
Dans l'espèce humaine le nombre le plus fréquent des in-
tersections du droit de l'abdomen est de 3 ou 4, rarement de
5 et plus rarement encore de 2. Dans tous les cas, il n'y
a qu'une seule intersection sous-ombilicale, s'il y en a une ;
car dans l'espèce humaine, il y a une tendance à la suppres-
sion de cette dernière intersection. En cas de présence de
l'intersection sous-ombilicale, la suivante et même la troi-
sième aboutissent à l'ombilic. Ainsi le nombre des intersec-
tions tendineuses, chez les anthropoïdes et chez l'homme,
n'excède, normalement, le nombre de 5. Pour les premiers
nous avons vu que, par exception, il peut s'élever de 6 a 7.
Chez l'homme, nous avons compté six intersections chez un
nègre de Mozambique dans l'atlas de Laurillard. Dans nos
propres recherches, nous avons vu le plus souvent le nombre
4 des intersections du droit d'abdomen dans les races de cou-
leur et rarement o, et une fois, deux seulement chez une
négresse d'Egypte.
La longueur du grand droit de l'abdomen est en moyenne
de 360 millimètres dans toutes les races, et sa largeur ne
varie pas beaucoup non plus.
La plus grande largeur du droit de l'abdomen dans les
races est :
Dans les races Raco Race Race
on général noire jaune blanche
Moyenne 79 79.25 70 82 1
Maximum 101 90 83 101 millimètres.
Minimum 57 57 06 05
\
En moyenne. . .
54.65
51
Au maximum . .
65
58
Au minimum . .
39
39
TH. CHUDZINSKL — GRAND DUOIT DE L'ABDOMEN 525
Donc la largeur de la partie supérieure du grand droit de
l'abdomen est à son maximum dans la race blanche, d'une
manière absolue,, et au minimum dans la race jaune.
Larsreur du droit de l'abdomen dans les races : au niveau
de l'ombilic:
Dans les races Race Race Race
en général noire blancho jaune
59 Deux cas \
65 55 millimètres.
55 54 J
Comme dans le tableau précédent, la largeur du droit de
l'abdomen est aussi, plus étendue dans la race blanche, même
son maximum est supérieur à celui de la race noire, mais sa
moyenne n'est supérieure à la moyenne de races que de
4 millimètres.
L'étendue de l'insertion pubienne est en moyenne de 37
millimètres dans toutes les races humaines, et la hauteur
moyenne des races est de 43 millimètres.
Maintenant nous entrons dans l'étude des intersections ten-
dineuses du droit antérieur de l'abdomen Nous examinerons
successivement leur forme, leur direction, leur trajet, l'éten-
due de leur parcours et nous étudierons surtout la distance qui
les sépare de l'ombilic et du pubis.
Ensuite nous signalerons la hauteur de chaque intersection
et sa correspondance avec la côte voisine.
Les contours des intersections tendineuses du grand droit
de l'abdomen sont variables ; tantôt c'est une ligne transver-
sale très nette et presque rectiligne ou largement ondulée,
tantôt c'est un zigzag en forme de chiffre 3, ou en chevron,
dont la pointe est tournée en haut. Parfois la forme d'une
intersection est celle d'un quadrilatère.
La direction des intersections tendineuses du grand droit
de l'abdomen est rarement horizontale, le plus souvent elle
est oblique de bas en haut et de dehors en dedans; ou bien
elle est oblique en sens inverse, ce qui est moins fréquent. La
526 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
conséquence de cette obliquité est l'anastomose de deux inter-
sections tendineuses, et cette anastomose a lieu au niveau de
l'ombilic.
Très souvent, les intersections sont incomplètes et n'occu-
pent qu'une certaine partie du muscle, sait sa partie externe,
moyenne ou interne du muscle ; les intersections sont rare-
ment interrompues pendant leur trajet, dans leur partie moyen-
ne; si cette interruption existe, alors le tronçon du muscle
compris entre ses deux parties s'étend entre les deux inter-
sections voisines. Nous avons observé une pareille disposition
chez un noir de Pondichéry dans une étendue de 10 mil-
limètres.
Donc, les intersections tendineuses du grand droit de l'ab-
domen sont souvent incomplètes, et la longueur de leur par-
cours est représenté par ces chiffres.
Dans la race noire une intersection occupe parfois les deux
tiers de la longueur du muscle, chez les autres individus elle
n'a que 21, 13 ou 10 millimètres dans sa partie externe ; ou
bien l'intersection, partie du bord interne du droit de l'ab-
domen, cesse brusquement, après 21 ou 12 millimètres de
trajet.
On voit aussi des cas ou l'intersection tendineuse est éloi-
gné des deux bords. Ainsi elle peut commencer en dedans du
bord externe du droit de l'abdomen à 12, 17, 28 et 38 milli-
mètres, et à 12, 24 et 40 millimètres en dehors du bord
interne. Dans tous ces cas, son parcours est variable, et il
est représenté par les chiffres 12, 17, 23, 35 et 122 millimè-
tres au maximum. Ceci, c'est pour la première intersection
ou l'intersection la plus inférieure. Les mêmes faits se repro-
duisent aussi dans la race blanche, mais avec moins de fré-
quence.
Les irrégularités de la deuxième intersection sont moins
nombreuses. Nous avons vu plus haut, que la deuxième in-
tersection s'anastomose, parfois, avec la première, et toutes
les deux aboutissent à l'ombilic. Elle est aussi quelquefois
incomplète et n'existe que dans une certaine étendue de la
TH. CHUDZINSKI. — GRAND DltOIT DE L'ABDOMEN 527
partie externe ou interne du muscle ; dans d'autres cas, elle
est éloignée soit du bord externe, soit du bord interne, de
12 à 28 millimètres. La même chose se voit dans le trajet de
la troisième intersection ; son origine peut s'éloigner de 9 à
38 millimètres du bord externe au bord interne du muscle.
La quatrième intersection du grand droit de l'abdomen se
présente parfois sous la forme d'une traînée linéaire n'ayant
que 17 millimètres d'étendue. Dans d'autres cas, la distance
qui la sépare des bords charnus du muscle est de 22, 30 et
37 millimètres.
La cinquième intersection est rarement complète; cette
intersection est placée sur la partie large du grand droit de
l'abdomen; elle est pâle, peu haute, et son étendue varie
entre 17 et 52 millimètres. Son absence est très fréquente
dans les races humaines, surtout dans la race blanche.
En somme, les irrégularités des deuxième, troisième,
quatrième et cinquième instersections sont moins fréquentes,
et en môme temps moins variées que celle de la première ou
de l'intersection dite sous-ombilicale.
Ces irrégularités et les variations des intersections tendi-
neuses du grand droit de l'abdomen, sont la preuve de leur
inconstance et par cela elles nous autorisent à conclure qu'elles
sont en voie de disparition. En effet, le nombre des intersec-
tions tendineuses chez l'homme se réduit tellement, qu'il
n'en reste que deux chez certains individus; d'autre part,
quand même elles existent en nombre plus grand, elles ne sont
représentées que par une ligne assez courte. Enfin, dans l'es-
pèce humaine, très souvent, l'intersection sous-ombilicale
disparaît sans laisser aucune trace. D'ailleurs, nous avons
vu plus haut que certains mammifères sont complètement
dépourvus des intersections du grand droit de l'abdomen.
Nous avons examiné la forme, la direction, le trajet, l'éten-
due et le nombre ries intersections; il nous reste maintenant
à signaler leur distance, suit de l'ombilic, soit du pubis ;
ensuite, nous examinerons leur hauteur et leur correspon-
dance à la côte voisine.
528 SÉANCE DU 17 OCTUBQE 4895
La première intersection ou intersection ombilicale. — Les indi-
dus que nous avons disséqués ont été pour la plupart autop-
siés, c'est pourquoi nos séries sont très petites.
Mais, quoi qu*il en soit, voici le résultat de nos recherches :
La première intersection des blancs aboutit, deux fois sur
dix, à l'ombilic. Chez les noirs, cinq fois sur quatorze sujets.
Chez les restes des individus des deux races elle est sus ou
sous-ombilicale, et descend au-dessous de l'ombilic plus ou
moins bas, comme le démontre ce tableau :
Dans los races Race Raoo
en général noire blanche
Moyenne 30.22 36.3 26
Maximum 57 50 57
Minimum 15 17 15
Un seul cas choz los fommos noires : 27 millimètres.
Deux cas dans la race jaune : 35 et 30 millimètres.
La situation de la première intersection à droite et à gau-
che au-dessus de l'ombilic:
Chez les noires à gauche adroite à gauche à droito
Moyenne 37 36 10 31 I
Maximum 50 42 25 57
Minimum 17 29 15 17 ]
Donc, il est incontestable que la première intersection ten-
dineuse de la race blanche descend plus bas au-dessous de
l'ombilic que celle de la race noire. En effet, sa moyenne est
inférieure à la moyenne de races de 4 millimètres, elle est
inférieure à la moyenne de la race noire de 10 millimètres.
Cependant, son maximum est plus élevé que celui des
autres races.
Ce maximum nous l'avons observé chez un décapité.
Il est à remarquer que la situation de la première intersec-
tion est presque égale des deux cotés chez les noirs; chez le
blanc, au contraire, la différence entre le côté droit et le gauche
TH. CHUDZINSKf. — GRAND DROIT DE l'aBI>OMEN 529
est énorme. Les deux chiffres de la race jaune semblent indi-
quer que leur première intersection est placée probablement
aussi bas que dans la race noire.
Deuxième intersection tendineuse du grand droit de l'abdomen. —
Nous l'avons vu aboutir à l'ombilic, cinq fois dans la race
noire et deux fois dans laTace blanche.
Chez les autres individus de deux races, elle remonte au-
dessus de l'ombilic de cette manière :
Moyenne 33 34 35 1
Maximum 57 57 55 millimètres.
Minimum 20 20 20
Dans la race jaune sur les deux individus non autopsiés,
la deuxième intersection aboutit à l'ombilic.
D'après ces chiffres, la situation de la deuxième intersection
au-dessus de l'ombilic est presque la même chez les hommes
des races blanche et noire; elle s'abaisse jusqu'à l'ombilic
chez trois femmes de la race noire ainsi que chez deux indi-
vidus de la race jaune. 11 y a, en outre, une différence bien
marquée dans la situation de la deuxième intersection à gau-
che et à droite; la moyenne, à gauche, 28; à droite, de 35 mil-
limètres.
Troisième intersection tendineuse. — Sa situation au-dessus de
l'ombilic est celle-ci :
Dans les races Race Raco
en général jaune blancho
Moyenne 115 118 106
Maximum. ... 155 150 155
Minimum .... 57 57 67
Nous n'avons qu'un seul cas dans la race jaune : 84 milli-
mètres.
L'explication des chiffres est superflue, car les chiffres eux-
mêmes parlent très clairement. Mais, ce qu'il y est utile à
noter, c'est la différence entre les côtés gauche et droit du
corps :
530 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
A droite A gauche
Moyenne 129 00
Maximum 15(1 128
Minimum 113 57
C'est-à-dire qu'à la droite la troisième intersection est pla-
cée de 39 millimètres plus haut au-dessus de l'ombilic qu'à
gauche.
Quatrième intersection. — Est située au-dessus de l'ombilic :
Dans les races Race Race
on général noire blanche Race jaune
Moyenne ... 155 179 132 n
J Un seul cas : 128
Maximum. . . 216 210 165 millimètres.
Minimum ... 114 149 114
La différence de 47 millimètres entre les races blanche et
noire serait hors de proportion. Cela prouve l'insuffisance de
notre série de blancs.
La différence entre les côtés droit et gauche est très remar-
quable chez les nègres :
oL
A droite A gauche
Moyenne 193 169
Maximum 216 200
Minimum 171 167
La différence entre le côté droit et le gauche est donc de 24
millimètres au profit du côté droit.
Cinquième intersection. — Fait défaut chez les individus des
races blanche et jaune qui étaient soumis à notre appréciation.
Chez les nègres, nous ne l'avons vu que deux fois. Sa dis-
tance de l'ombilic est 246 dans un cas, et de 203 millimètres
dans l'autre.
En résumé, toutes les intersections tendineuses du grand
droit de l'abdomen remontent plus haut au-dessus de l'om-
bilic dans la race noire que dans les autres races.
TH. CHUDZINSKl. — GRAND DROIT DE L'ABDOMEN 531
Nous avons terminé l'étude de la situation des intersections
tendineuses par rapport à l'ombilic ; seulement, la situation
de l'ombilic lui-même n'a pas de fixité suffisante. Or, nous
avons pensé qu'il est utile d'établir la distance de chaque
intersection tendineuse du grand droit de l'abdomen par rap-
port au pubis qui est un point immuable. Mais avant de com-
mencer cette étude, nous poserons cette question. A quel point
précis du tronc est placé l'ombilic? Pour résoudre cette ques^
tion, nous nous sommes heurté contre un obstacle, car tous
les traités d'anatomie passent sous silence ce petit fait d'ana-
tomie.
Avec les faibles ressources dont nous disposons, nous avons
précisé, tant bien que mal, l'emplacement de l'ombilic. Mal-
heureusement, la série est très insignifiante, car elle n'est
composée que de 10 individus de toutes races; mais, telle
qu'elle est, nous la présentons à titre provisoire.
L'ombilic, dans les races humaines, est rarement placé au
milieu de la ligne tirée du sommet de l'appendice xyphoïde
à la symphyse pubienne.
Dans notre série, nous avons vu un seul cas seulement où
l'ombilic était placé presque au milieu (à un millimètre près
de cette ligne). En moyenne, l'ombilic est situé à 15 ou, plus
exactement, à 14,9 au-dessus de la moitié de la ligne xypho-
pubienne; au maximum k 25, et au minimum un millimètre.
Mais, deux fois, il était situé à 8 et 10 millimètres au-dessous
de ce point.
Sa situation au-dessus du pubis est la suivante :
Dans les Raco noiro
races en général H. F.
Moyenne ........ 154.5 150 150
Maximum 174 174 152
Minimum 140 140 »»
Distance de l'appendice xypboïdc ;i l'ombilic :
Moyenne 155, maximum 163, minimun 132 millimètres.
532 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
Dans ces chiffres, nous n'avons pas compris le nombre 209
qui nous a paru anormal; mais, si on le fait entrer dans la
série, les chiffres précédents se modifient de cette sorte :
Moyenne 161, maximum 209, minimum 132 millimètres.
La longueur de la ligne pubio-xyhoïdienne du grand droit
de l'abdomen, est en moyenne 321.7, au maximum 389 et au
minimum 381 millimètres; mais, si on supprime le nombre
389 de la série, alors la moyenne descend à 314, au maxi-
mum 350, le minimum reste invariable à 301 millimètres.
Après cette longue digression, nous revenons à notre sujet.
Nous allons maintenant voir comment les intersections du
grand droit de l'abdomen s'étagent au-dessus du pubis.
La première intersection remonte au-dessus du pubis :
Dans les racos Race noire Race Raco
en général Série H. F. jaune blanche
Moyenne . . . 133.4!) 135 129 150 127 130 \
Maximum. . . 180 180 153 180 145 109 ! millimèlres.
Minimum . . . 101 101 101 110 102 107 !
Ce tableau est un peu compliqué. D'après les chiffres qui le
composent, la moyenne de la race noire domine les moyen-
nes des autres races, et particulièrement la moyenne de la
race jaune. Cela ne serait pas étonnant; mais voici, la
moyenne des hommes de la race noire a 4 millimètres de
moins que la moyenne générale des races, et un millimètre
plus inférieure à celle de la race blanche qui, à son tour,
descend de 20 millimètres plus bas que la moyenne des
femmes de la race noire.
Le maximum se maintient toujours dans la série des fem-
mes de la race noire et chez les blancs; le minimum est dans
la race jaune et chez les noirs du sexe masculin.
Cette même intersection est différemment placée au-dessus
du pubis ;i droite et à gauche :
TH CHCDZIXSKI.
f.RAXD DROIT DR I, AHDOMEX
133
Dans los races
A droite
Race noire
on général Série II.
Race
F. blanche
Moyenne.
Maximum
Minimum
133
169
101
132
100
101
129
153
101
140
100
110
Dans le 5 races
en général
A gauche
Race noire
Moyenne. .
Maximum .
Minimum .
136
180
110
Série
141
180
117
H.
129
150
117
F.
160
180
130
137
169
107
Race
blanche
125
148
110
millimètres.
millimètres.
D'une manière générale, \a première intersection monte
plus haut à gauche qu'à droite par sa moyenne dans la race
noire, elle monte plus haut à droite dans la race blanche (de
12 millimètres). Chez les hommes de la race noire, il y a de
l'égalité; chez les femmes de la même race, il y a 20 milli-
mètres à l'avantage du côté gauche. Enfin, la moyenne géné-
rale de race est de 3 millimètres plus haute à gauche. Le
maximum le plus fort est dans la race nuire et naturellement
chez les femmes, mais seulement à gauche, car à droite le
maximum le plus fort est chez les blancs, puis chez les fem-
mes de la race noire.
Deuxième intersection .
Dans les races Race noire Race
on «énéral Série H. F. blanche
Moyenne .
Maximum
Minimum
198.87
248
127
188
240
127
180
240
127
211
181.2
240
248 ,
160
145
Nous n'avons
quecesiloux nom-
bres pour la race
jaune: 22i otlGO.
Ce tableau est assez curieux par ses chiffres; il fait voir
d'abord que la deuxième intersection du droit antérieur de
'abdomen s'élève le plus au-dessus du pubis chez les femmes
534
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
de la race noire; de plus, sa moyenne est supérieure à celle
de la série des noirs du sexe masculin de 31 millimètres, et
de 30 à celle de la race blanche. Son minimum est très élevé
chez les négresses, et le maximum le plus fort est dans la race
blanche.
Les deux nombres de la race jaune semblent indiquer la
moyenne très élevée.
Voyons maintenant la différence de la hauteur à laquelle
est portée la deuxième intersection à droite et à gauche.
A droite
Dans les races
Race noiro
Race
en général
Sério
" H.
~fT
blancho
Moyenne . .
194
190
177.45
215
202
Maximum .
248
240
222
240
248
Minimum. .
127
127
127
160
163
A gauche
Moyenne générale Race noire
dos racos Série H. F.
Race
blanche
Moyenne. . . 184.57 198 186 206.5 169
Maximum . . 240 240 240 230 210
Minimum. . . 145 145 145 176 145
millimètres.
Donc, d'une manière absolue, la deuxième intersection
remonte plus haut, au-dessus du pubis, à droite qu'à gau-
che, comme le prouve la moyenne générale de race. En effet,
cette moyenne à droite a 9 millimètres de plus qu'à gauche.
Mais le reste du tableau ne se comporte pas de cette manière.
Ainsi, la moyenne des femmes noires s'abaisse de 8 millimè-
tres à gauche, et celle de la race blanche de 33 millimètres;
au contraire, la moyenne des noirs du sexe masculin s'élève
de 9 millimètres.
Le maximum est invariable à l'exception du maximum des
blancs qui est nettement diminué. Le minimum est plus élevé
TH. CHUDZ1XSKI. — GRAND DROIT DE L'ABDOMEN 535
à gauche qu'à droite ; il est aussi diminué dans la race
blanche.
En somme, la deuxième intersection tendineuse du grand
droit de l'abdomen s'élève davantage au-dessus du pubis à
droite qu'à gauche.
Troisième intersection. — est située au-dessus du pubis:
Dans les races Race noire Race
en général Série H. F. blanche Race jauno
Moyenne.. 259 288 287.5 289 250 2 Nous n'avons que ces
Maximum. 393 393 393 310 340 ^re-TooTïs?
Minimum . 184? 217 217 250 148? millimètres.
Ces chiffres montrent clairement la situation très élevée de
la troisième intersection, au-dessus du pubis dans la race
noire et cela dans les deux sexes, car leurs moyennes sont
égales. La race blanche se distingue de la race noire par un
abaissement considérable de sa moyenne; cette moyenne est
égale au minimum des femmes de la race noire, elle est de
9 millimètres au-dessous de la moyenne des races, et de 39
au-dessous de celle de la race noire, et pourtant son maximum
est assez considérable.
La troisième intersection diffère dans sa situation à gauche et
à droite :
A droite
Dans les i
races
Race noire
Race
en général Série
' ït
F.
blanche
Moyenne . .
260
285
284
287
266
Maximum. .
340
340
310
310
340
Minimum . .
235
250
A gauche
250
230
230
Dans les
races en général
Race noire
Race blanche
Moyenne. .
■ •
291.5
264
313
Maximum .
* . •
393
340
393
Minimum .
• • •
217
217
269
536 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
On voit, d'après ce tableau, que la moyenne générale des
races aurait en plus 32 millimètres, par conséquent la troi-
sième intersection du droit de l'abdomen à gauche remonte en
haut de 32 millimètres en plus que son congénère du côté
droit. Cette différence est encore plus remarquable dans la
race blanche; elle a 47 millimètres de plus pour le côté
gauche.
A droite, c'est la race noire qui lient le premier rang; à
gauche, c'est la race blanche et dans les proportions bien plus
supérieures. Seulement, comme nos séries sont très petites,
ces chiffres n'ont d'autres valeurs que des documents pour
les recherches ultérieures. Nous n'avons pas donné des chif-
fres de la hauteur gauche de la troisième intersection des
femmes de la race noire, car nous n'avions que deux chiffres
disponibles : 310 et 230. La cause de ce manque de chiffres,
est l'autopsie qui a lacéré ce côté, ensuite, une de ces femmes
(Fatalarie manquait de la troisième intersection à gaucbe, car
il n'en avait que deux seulement en tout).
Quatrième intersection. — S'élève au-dessus du pubis dans
l'ordre suivant :
La raco jaune est re-
présentée par ces deux
nombres : 368 et !238.
C'est encore dans la race noire que la quatrième intersec-
tion monte plus haut au-dessus du pubis. La moyenne est
supérieure a la moyenne de race de 13 millimètres et même
chez les hommes de la race noire de 22 millimètres. La
moyenne des femmes de la race noire est égale à la moyenne
générale des races. Chez les individus blancs, la moyenne de
la quatrième intersection diffère de la moyenne de 12 mil-
limètres et 34 par rapport à la moyenne de noirs du sexe mas-
culin. Le maximum est très fort dans la race noire; le mini-
mum ne présente pas de différences notables.
Dans les races
R;
Série
jce noire
Race
en général
"lt
F.
bancho
Moyenne. . 315
329.5
337
315
303
Maximum . 408
408
408
380
344
Minimum . 270
275
280
275
270
TH. CHUDZlXSKf. — ÛRAND DROIT DE L'ABDOMEN
537
La situation à droite et à gauche de la quatrième intersec-
tion est celle-ci :
A droite
Dans les races
Race noire
Race
en
général
Série
" ît "
F.
blanche
Moyenne .
« ,
325
319
325
296
308
Maximum.
. .
408
408
408
310
334
Minimum .
,
275
275
300
275
270
A gauche
Moyenne. .
Maximum .
Minimum .
Dans les races
on général Race noire H. Raco blancho
322
379
270
343.5
293
379
310
280
270
Chez les femmes de la race noire nous avons a noter ces
deux chiffres et seulement pour le côté gauche : 380 et 340 mil-
limètres.
Donc la moyenne générale du côté gauche est inférieure à
celle du côté droit de 3 millimètres. Chez les individus, de la
race noire, les hommes, elle est de 19 millimètres moindre
du côté droit. Dans la race blanche, entre les côtés droit et
gauche, il y a 9 millimètres à l'avantage du côté droit. Gela
veut dire que, d'une manière générale, la quatrième intersec-
tion est plus haut placée à droite qu'à gauche. Seulement son
maximum est très variable, peut-être à cause de la fai-
blesse de nos séries.
Cinquième intersection. — Nous avons déjà remarqué, plus
haut, que la cinquième intersection du grand droit de l'ab-
domen manquait chez les individus des races blanche et
jaune. Dans la race noire nous l'avons observé deux fois seu-
lement. Dans un de ces deux cas, elle était située a 430 milli-
mètres au-dessus du même point.
Il nous reste, maintenant, peu de chose à ajouter à l'étude
du grand droit de l'abdomen ; cependant, avant de terminer
t. vi (4° série). 33
Î38
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
ce travail, nous examinerons encore la hauteur des intersec-
tions tendineuses et leur correspondance avec la côte voisine.
La hauteur de chaque intersection tendineuse dans les
races, est la suivante :
Dans la race blanche
\'0
90
:^o
40
Moyenne . . .
10
14
16
13
)
Maximum . . .
23
20
25
25
\ millimètres
Minimum . . .
4
9
10
6
j
Moyenne .
Maximum.
Minimum.
Dans la race noire
\ '0 2° 3°
Sério H. F. Série H. F. Série H. F.
13 12 14 19 20 21 17 19 12
24 22 24 30 35 40 29 29 17
445557779
Moyenne .
Maximum
Minimum.
4o intersection
Série H.
F.
9 10
4
25 25
11
1 1
1
Dans la race jaune, la première intersection a 20 millimè-
tres de hauteur, la deuxième 28, la troisième 25 et la qua-
trième 4 millimètres.
En résumé : la hauteur de la première intersection du
grand droit de l'abdomen est un peu moindre chez les blancs
que celle de la race noire. Cependant nous avons écarté de
la série de femmes noires la hauteur de la première intersec-
tion de la négresse d'Egypte nommée Fatalarie. Cette né-
gresse n'avait que deux intersections à doite et trois à gau-
che. Or ,1a première intersection droite est haute de 49 milli-
mètres, celle du coté gauche de 47 millimètres.
TH. GHUDZINSKl. — GRAND DROIT OE l'aBDOMEX 539
La deuxième intersection tendineuse a peu de hauteur
dans la race blanche, mais cette hauteur est considérable
chez les femmes de la race noire ; chez ces dernières la hau-
teur est de 40 millimètres au maximum. Enfin la hauteur de
la deuxième intersection des blancs est moindre que celle de
la première.
La hauteur de la troisième intersection est plus faible chez
les blancs que chez les noirs, mais seulement quand on com-
pare les individus des sexes masculins de ces deux races ; au
contraire, cette hauteur est plus forte chez les blancs que celle
des femmes de la race noire.
La hauteur de la quatrième intersection est faible chez les
femmes de la race noire, elle est égale chez les individus des
races noire et blanche du sexe masculin.
Enfin nous finirons par l'examen de la correspondance des
intersections tendineuses avec les côtes voisines.
Nous remarquerons que cette correspondance est absolu-
ment la même dans toutes les races. Les écarts individuels
sont aussi les mêmes.
La première intersection tendineuse du grand droit de
l'abdomen est placée, dans la majorité des cas, sur le trajet de
ladouxième cote. Chez la négresse Eatalarie, elle était située
au-dessous de la douzième côte.
La seconde intersection suit la direction de la onzième
côte, quatre fois seulement nous l'avons vu sur le trajet de
la dixième côte et une seule fois sur le trajet de la neuvième
côte, chez un blanc.
La troisième intersection se place, le plus souvent sur le
trajet de la dixième côte, 2 fois sur le trajet de la neuvième
et une seule fois de la huitième côte, chez les nègres... Chez
les blancs son trajet est irrégulier, tantôt sur le trajet de la
dixième, tantôt de la neuvième ou même de la huitième et une
seule fois, nous l'avons vu, sur le trajet de la septième côte.
La quatrième intersection suit fréquemment le trajet de la
septième côte ou la huitième et seulement par exception la
neuvième côte.
540 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
La cinquième intersection, quand elle existe, correspond à
la sixième côte.
Nous avons terminé cette longue et un peu aride étude du
grand droit de l'abdomen. Cependant cette étude, quelque aride
qu'elle soit, est, selon nous, de quelque utilité ; elle complète
des connaissances acquises sur ce muscle, dans les traités
d'anatomie descriptive.
Maintenant, nous récapitulons les faits principaux de la
constitution du muscle droit de l'abdomen.
1° La plus grande largeur du grand droit de l'abdomen, est
presque égale dans toutes les races humaines par sa
moyenne ; mais le maximum et le minimum sont plus forts
dans la race blanche. Dans la race jaune la largeur de ce
muscle parait être relativement moins considérable.
2° Les irrégularités dans la forme, trajet, direction et l'or-
dre des intersections tendineuses du droit antérieur de l'abdo-
men, sont plus fréquentes dans les races de couleur.
3° Les intersections sous-ombilicales sont moins rares ;
dans les races de couleur elles montent plus haut au-dessus
de l'ombilic dans la race noire, et surtout chez les femmes
de cette race.
4° Pour la plupart du temps, les intersections du côté gau-
che s'élèvent davantage au-dessus de pubis que celle du côté
droit.
5° Enfin la hauteur de chaque intersection est plus grande
dans la race noire, surtout chez les femmes.
Malformations congénitales multiples et héréditaires des
doigts et des orteils.
Fusion de la première et de la deuxième phalanges
Par MM. Moutard Martin, médecin de l'hôpital de la Charité
et II. Pissavy, interne dos Hôpitaux.
Nous avons observé, chez un malade mort de tuberculose
pulmonaire, une malformation assez rare des mains et des
MOUTARD-MARTIN ET I'ISSAVY. MALFORMATIONS 541
pieds. Tandis que les pouces et les gros orteils étaient nor-
maux, tous les autres doigts paraissaient n'avoir que deux
phalanges, la première et la troisième. Mais, en regardant de
plus près, on pouvait se rendre compte qu'il existait un rudi-
ment de phalangine, ainsi que l'a montré plus tard l'examen
microscopique.
M. Pasteau, aide d'anatomie à la Faculté, a bien voulu se
charger de disséquer et de dessiner le médius de la main
droite et le deuxième orteil droit, seules pièces que nous
ayons pu nous procurer, et nous avons fait exécuter un mou-
lage de la main droite.
Nous allons étudier successivement l'anatomie patholo-
gique de la difformité qui nous occupe et l'influence de l'hé-
rédité sur son apparition.
1° Médius de la main droite. — Comme tous les autres
doigts, sauf le pouce, le médius est, dans son ensemble, un
peu raccourci. Il le serait bien davantage si la première pha-
lange ne présentait un allongement notable qui compense un
peu la brièveté extrême du rudiment de la phalangine. Celle-
ci n'est représentée que par une masse osseuse irrégulière
située à l'extrémité antérieure de la première phalange. Celte
masse osseuse, en effet, ne saurait être autre chose que la
phalangine atrophiée, car la configuration extérieure de
l'os, les insertions musculaires, les insertions ligamenteuses
et l'aspect de la coupe concourent à le démontrer.
A) Configuration extérieure de l'os. — La première phalange
(fig. 1 et 2) est facilement reconnaissable, et si nous suppri-
mons par la pensée les irrégularités osseuses qu'elle porte à
son extrémité antérieure, elle se trouve ramenée au type
ordinaire des phalanges. Son extrémité supérieure est nor-
malement conformée; son corps ne présente d'autre anomalie
qu'une longueur un peu trop grande (26 millimètres au lieu
de 19 millimètres trouvés sur le squelette d'un homme de
taille moyenne); son extrémité inférieure, enfin, devient elle-
même régulière si, après avoir détaché le prolongement osseux
542 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
qu'elle supporte, nous creusons sur la surface de section une
poulie articulaire.
Mais ce prolongement osseux, que nous supposons sec-
tionné, rappelle., lui aussi, dans une certaine mesure, la
forme des phalanges normales. C'est une phalange très
réduite sans doute, mais sur laquelle nous retrouvons néan-
moins un corps et deux extrémités. Le corps n'est plus repré-
senté que par une dépression circulaire et sépare l'une de
l'autre l'extrémité supérieure voisine du plan de section, et
l'extrémité inférieure voisine de la phalangette avec laquelle
elle s'articule. Quant à la troisième phalange, elle ne pré-
sente pas d'anomalie.
Ainsi, l'aspect seul des pièces osseuses nous permet déjà
d'affirmer la présence d'une phalangine rudimentaire soudée
à la première phalange. Mais nous trouvons dans l'étude des
insertions musculaires un argument plus ferme et plus pré-
cis puisque nous allons voir les tendons qui s'attachent nor-
malement à la deuxième phalange, venir se fixer sur la masse
osseuse irrégulière qui, pour nous, la représente.
B) Insertions musculaires. — Sur cette masse osseuse, en
effet (fig. 1), nous trouvons à la face dorsale, l'insertion de
la languette médiane de l'extenseur commun (E); à la
face palmaire l'insertion du fléchisseur superficiel (F-). Or,
à l'état normal l'extenseur commun s'attache par sa lan-
guette médiane à l'extrémité supérieure de la deuxième pha-
lange, et le fléchisseur superficiel, aux bords latéraux du
corps de cette même phalange.
La phalange unguéale porte à la face dorsale les insertions
régulières des deux languettes latérales de l'extenseur com-
mun réunies en un seul tendon, et à la face palmaire les
insertions du lléchisseur profond des doigts.
C) Insertions ligamenteuses. — Chez les individus sains, les
articulations des phalanges entre elles et celles des premières
phalanges avec les métacarpiens à la main, avec les métatar-
siens au pied, présentent toutes la même disposition. L'ar-
ticulation métatarso-phalangienne conservée sur la fig. 3 étant
MOUTARD-MARTIN ET l'ISSAVY. — MALFORMATIONS
543
parfaitement régulière, pourra nous servir de point de com-
paraison : nous allons la décrire en quelques mots. Il existe
pjg. i. _ 3« doigt de la main droite disséqué pour montrer les
insertions des tendons.
Pi, tIC phalange — P3, 3* phalange.— E, tendon de l'extenseur
s'insérant sur P3 et envoyant une expansion E' sur ce qui corres-
pond à la 2e phalange. — F1, fléchisseur perforant (profond) s'in-
sérant sur P3. — F-, fléchisseur perforé (superficiel) s'insérant sur
la 2e phalange. — L, faisceau phalangien du ligament latéral de
l'articulation phalango-phalanginienne. — L', fibres les plus supé-
rieures de la capsule de l'articulation phalango-phalanginienne.
au niveau de cette articulation deux sortes de ligaments : un
ligament capsulaire dont les fibres, horizontalement dirigées,
se voient à la face dorsale, et deux ligaments latéraux : l'un
interne et l'autre externe. Chacun de ces ligaments latéraux
comprend lui-même deux faisceaux : un faisceau oblique en
bas et en avant : faisceau métatarso-phalangien et un fais-
ceau vertical qui passe comme une sangle sous la tète du
métatarsien pour aller se continuer avec celui du cùté opposé ;
faisceau métatarso-glenoïdien. — Or, si nous revenons main-
tenant à la main, nous trouvons à l'extrémité antérieure de la
544 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
première phalange : un grand ligament latéral oblique en bas
et en avant, s'étendant de la première à la troisième phalan-
ge, et au-dessus de lui quelques fibres horizontales qui ne
franchissent pasl'interligne articulaire. Ces fibres horizontales
représentent évidemment le ligament capsulaire de l'articula-
tion qui devrait exister entre la première et la deuxième pha-
lange. Quant au grand ligament latéral, il est formé, croyons-
nous, de deux ligaments réunis bout à bout : le ligament
latéral de l'articulation phalango-phalanginienne et le liga-
ment latéral de l'articulation phalangino-phalangctticnne.
D) Aspect de la coupe. — L'aspect de la coupe enfin vient
fournir à notre opinion un dernier et sérieux appui, ainsi
qu'il est facile de s'en rendre compte par un simple coup
d'oeil jeté sur les pièces ou sur les dessins.
Nous constatons tout d'abord (fig. 2) que l'extrémité supé-
rieure (P1) est normalement conformée avec sa masse spon-
gieuse à aréoles étroites recouverte d'une couche de tissu
If jjpël^* [
Fig. II. — Même doigt que sur la fig. I.
La pièce a été coupée dans sa longueur sur la ligne médiane. —
On peut étudier l'architecture des os; les insertions musculaires
ont été gardées en partie..
P', lre phalange soudée avec — P*, 2e phalange. — P3, 3e pha-
lange. — E, tendon de l'extenseur s'insérant sur P3 et envoyant une
expansion E' sur P*. — F', fléchisseur profond s'insérant sur P3.
— F-, fléchisseur superficiel s'insérant sur P2.
MOUTARD-MARTIN ET PISSAVY. — MALFORMATIONS 543
compact. Le corps, sauf sa longueur exagérée, ne présente
pas non plus d'irrégularité de structure : le canal médullaire
existe et le tissu compact qui l'entoure a son épaisseur ordi-
naire.
Au niveau de l'extrémité inférieure, le tissu compact se
continue sans ligne de démarcation bien nette avec celui de
l'extrémité supérieure de la phalangine (P2), Mais dans la
partie qui correspond au corps de cette deuxième phalange,
les aréoles osseuses s'agrandissent et il existe en somme une
ébauche de canal médullaire. Vers l'extrémité inférieure, les
aréoles se rétrécissent de nouveau pour reprendre le même
aspect qu'à l'extrémité supérieure.
Deuxième orteil du pied droit. — Les malformations de cet
orteil ressemblent beaucoup à celles du médius, et la confi-
guration extérieure de l'os, les insertions musculaires et liga-
menteuses, l'aspect de la coupe, enfin, sont, comme nous
allons le voir, très remarquables.
A) Configuration extérieure de l'os. — Le squelette est formé
comme au doigt par deux pièces seulement : l'une qui repré-
sente les deux premières phalanges réunies, l'autre qui repré-
sente la troisième phalange régulièrement conformée. Ce
squelette est dans son ensemble notablement raccourci (30
millimètres au lieu de 50 millimètres trouvés sur le squelette
d'un individu de taille moyenne), mais le raccourcissement
ne porte que sur les deux premières phalanges. La première
(fig.3 et 4, P')dont l'extrémité supérieure est bien conformée
mais dont le corps n'a que quelques millimètres de longueur,
se confond par son extrémité inférieure avec l'extrémité
supérieure de la deuxième. Au point de réunion se trouve,
sur la face plantaire, un tubercule assez volumineux, qui
semble appartenir en propre à la deuxième phalange, ainsi
que le montrera l'étude des insertions musculaires. Le corps
de cette deuxième phalange est uniquement représenté par
une dépression circulaire au-delà de laquelle on voit l'extré-
mité inférieure avec la poulie destinée à recevoir la phalan-
gette.
546
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
B) Insertions musculaires. — A l'état normal, le tendon du
long extenseur commun des orteils, s'insère par une lan-
Fig. III. — 2' orteil (enlevé avec la plus grande partie du méta-
tarsien correspondant et disséqué.
M, 2e métatarsien, — P3, 3° phalange. — E, tendon de l'exten-
seur s'insérant sur P3 et sur ce qui correspond à la 2° phalange. —
F1, tendon du long fléchisseur s'insérant sur P3. — F-, tendon du
court fléchisseur plantaire s'insérant sur les bords de la 2e pha-
lange atrophiée. — I, 2e inlerosseux (dorsal) s'insérant sur la
1° phalange (côté externe de l'extrémité postérieure»). — L, lig.
latéral de l'articulation phalango-phalanginienne.
guette médiane à la deuxième phalange et par deux autres
languettes réunies à la phalange unguéale. 11 fournit, en
outre, une expansion fibreuse à la première phalange1.
Sur nos pièces, nous retrouvons l'expansion fibreuse
(fig. 3-E) pour la première phalange, l'insertion de la lan-
guette médiane à l'union de la première et de la deuxième
phalanges, et enfin, l'insertion sur la phalange unguéale des
deux languettes latérales réunies en un seul tendon.
Du côté de la face plantaire, le tendon du long fléchisseur
Beacnis et Bouchard, Anatomic descriptive.
MOUTARD-MARTIN ET PISSAVY. — MALFORMATIONS 547
commun (fig. 3. F1), s'insère comme d'ordinaire à la base
de la phalange unguéale. Le tendon du court fléchisseur (F2)
qui, habituellement, s'attache aux bords de la deuxième pha-
lange, vient se fixer, sur la pièce que nous présentons, au
tubercule de la deuxième phalange dont nous avons parlé
plus haut.
Signalons enfin, au niveau de la première phalange, l'in-
sertion du deuxième interosseux dorsal. On sait que les inter-
osseux du pied « s'insèrent au côté externe des premières
phalanges, et nullement au bord des tendons des muscles
extenseurs » l.
C) Insertions ligamenteuses. — Nous pourrions reproduire
ici textuellement la description que nous avons déjà donnée
pour la main. Nous nous contentons d'y renvoyer afin d'évi-
ter des redites inutiles.
D) Aspect de la coupe. — La première phalange (fig. 4-P1),
qui est, comme nous l'avons vu, très courte, se trouve cons-
tituée par une masse spongieuse dont les aréoles présentent
partout la même grandeur. Il n'existe donc pas de trace ap-
préciable de canal médullaire. Cette masse spongieuse se
continue avec celle de la deuxième phalange ; cependant, au
point où se fait la fusion, le tissu osseux paraît un peu plus
dense. Un manchon de tissu compact revêt les deux pha-
langes réunies.
L'extrémité supérieure de la première phalange s'unit par
une articulation normale au deuxième métatarsien.
A l'extrémité inférieure de la deuxième phalange (P2), nous
trouvons la poulie articulaire destinée à recevoir la phalan-
gette. Cette dernière, comme au médius, a une disposition et
une structure régulières.
En résumé, nous nous trouvons en présence d'une malfor-
mation qui frappe tous les doigts, sauf le pouce et le gros
orteil, et qui consiste en une fusion entre la phalange et la
phalangine.
' Cruveilher, Anatomic descriptive, t. I, p. 781,
548 séance du 17 octobre 1895
D'après les renseignements fournis par le malade, cette
difformité est héréditaire dans sa famille depuis quatre généra-
Fig. IV. — Même orteil que sur la fig. III.
(Coupe longitudinale médiane. — Les ligaments sont conservés.)
M, mélatarsien. — P1, 1° phalange soudée à P2, 2" phalange. —
P3( 3e phalange. — E, tendon de l'extenseur s'insérant sur P3 et
pî# — Fi, tendon du long fléchisseur commun s'insérant sur P3.
— F2, tendon du court fléchisseur plantaire s'insérant sur P"2.
tions, mais elle ne frappe pas tous les individus. Le grand-
père paternel et le père la présentaient ; celui-ci a eu cinq
enfants, deux filles et trois fds. Les deux filles sont bien con-
formées, elles n'ont pas d'enfants. Le second fds est bien
conformé également, ainsi que ses deux enfants. Mais notre
malade et son frère aîné sont atteints de la malformation.
Ce frère aine a eu un fds, mort à 17 ans, qui présentait la
malformation, trois fdles normalement constituées et deux
garçons jumeaux dont l'un était indemne, tandis que l'autre
était atteint de la difformité. — Notre malade, enfin, a eu
deux filles toutes deux frappées. L'une est morte, l'autre en-
core vivante, actuellement âgée de neuf ans, a pu être exa-
minée. On a constaté chez elle que la malformation est beau-
coup moins prononcée que chez son père. A chaque main,
deux doigts seulement sont atteints, l'index et le médius.
Aux index même les trois phalanges sont bien nettes et d'une
MOUTARD-MARTIN ET PISSAVY. — MALFORMATIONS 5-i9
mobilité manifeste quoique très limitée. Aux médius, les
trois phalanges sont beaucoup moins facilement détermi-
nables et la mobilité est à peu près nulle entre la première
et la deuxième phalange. Les orteils ne paraissent présenter
que deux phalanges.
M. le docteur Walther a présenté à la Société Anatomique '
des pièces qui offrent plusieurs points de ressemblance avec
les nôtres. L'analogie n'est pourtant pas complète, mais les
différences ont une importance secondaire, car le mécanisme
de la malformation est le même dans les deux cas. « Il s'agit,
dans la présentation de M. Walther, d'une brachydactylie
nettement produite à l'annulaire et probablement aussi à
l'auriculaire de la main droite par la soudure de la phalan-
gine et de la phalangette. Cette soudure est accusée par la
configuration extérieure de l'os et par l'aspect de la coupe.
Sur la coupe de l'annulaire, on voit, en effet, une interrup-
tion d'un canal médullaire rudimentaire au niveau de la
deuxième pièce osseuse du squelette. Cette réunion des deux
phalanges est douteuse à l'index. Au médius, on ne trouve
qu'une seule tige osseuse formée par la soudure de deux
pièces primitives bien distinctes : les traces de la phalangine
font complètement défaut. » — La main gauche et les pieds
sont normaux.
La grande analogie qui existe entre cette observation et la
nôtre est que la malformation consiste, dans les deux cas, en
une soudure de pièces osseuses. Cette soudure, sur les pièces
de M. Walther, atteint son plus haut degré au niveau du
médius, où les trois segments se sont réunis en un seul, et
son degré le plus faible à l'annulaire, dont les trois phalanges
restent encore très visibles.
Vanatomie comparée nous apprend qu'un certain nombre
d'os normaux du squelette humain résultent de la réunion
de pièces qui demeurent isolées chez des vertébrés moins
i Bull. Soc. Anat., octobre 1886.
550 SÉANCE DU 17 OCTOBRE i 89o
parfaits : le mécanisme d'après lequel s'est produite la dif-
formité qui nous occupe n'a donc rien d'exceptionnel.
On pouvait se demander si l'anomalie que nous avons ob-
servée ne représentait pas une disposition normale chez des
vertébrés moins parfaits que l'homme' dans la série animale.
Nous avons trouvé, en effet, que chez les chauves-souris, « les
doigts de la main qui sont dépourvus de griffes ne possèdent
pas plus de deux phalanges1 ». Mais cette disposition dans
une espèce isolée a trop peu d'importance pour permettre un
rapprochement.
Nous avons vu que l'évolution vicieuse des cellules desti-
nées à produire le squelette des doigts reconnaissait pour
cause dans notre cas, la seule influence de l'hérédité. Il y a
là une sorte de maladie familiale analogue à celles qui ont
été décrites dans la pathologie du système nerveux. Certains
auteurs s'étaient même demande si les difformités de même
ordre que celle que nous étudions n'étaient point dues à une
lésion des centres nerveux. Cette opinion reposait sur la
constatation, dans plusieurs autopsies, d'altérations du né-
vraxe coïncidant avec la malformation. Mais dans un certain
nombre d'autres cas, le système nerveux central a été trouvé
parfaitement sain. Son influence ne saurait donc être légiti-
mement invoquée1.
Nous pouvons rapprocher de notre observation, deux au-
tres faits à peu près semblables dans lesquels l'influence de
l'hérédité est tout aussi évidente.
Le premier est celui d'un soldat russe qui n'avait que deux
phalanges aux doitgs et aux orteils. Le raccourcissement
devait être peu marqué, car le conseil de re vision ne vit pas
la malformation et incorpora l'homme. Elle ne fut reconnue
que plus tard et le soldat raconta que son père et ses frères
avaient aux doigts la même difformité que lui -.
i Huxley, Eléments d'anatomie comparée.
i Derodr, Th. de Lille, août 1888.
MOL'TARD-MARTIN ET PISSAVY. — MALFORMATIONS 551
Le second a été publié en 1852 par M. Mercier alors interne
des hôpitaux.1. Il s'agit d'un malade de 22 ans, entré pour
bronchite, à l'hùpital de la Charité. Ce malade n'a que deux
phalanges à chaque doigt. La première a le double de la lon-
gueur des phalanges ordinaires. La phalange unguéale est
normale sous le rapport de sa forme et de ses dimensions.
Il en résulte que les doigts n'ont que trois ou quatre lignes
de moins que ceux d'une autre personne, et sont d'ailleurs
bien proportionnés entre eux. Les pouces ont deux phalan-
ges mais pas de métacarpiens 2. Les orteils n'ont également
que deux phalanges et sont raccourcis. — Le grand-père du
malade avait la même difformité. Il a eu trois enfants, qui
la présentaient également. L'ainé de ceux-ci eut trois garçons,
qui tous manquaient d'une phalange aux doigts et aux orteils,
ces trois garçons n'ont pas encore d'enfants. — Le second,
du sexe féminin a eu quatre enfants : deux filles qui ont trois
phalanges et deux garçons qui n'en ont que deux. — Le troi-
sième, père du malade sujet de l'observation, a eu onze en-
fants : cinq filles normalement conformées et six garçons aux-
quels il manquait, à tous, une phalange aux doigts et aux
orteils. La mère du malade a fait en outre deux fausses cou-
ches : les deux fœtus du sexe masculin avaient, paraît-il, une
phalange en moins.
Nous avons résumé dans les deux tableaux suivants l'hé-
rédité du malade de M. Mercier et celle de notre malade.
2 Mirabel. Th. de Paris, août 1873.
' Mercier, Bull. Soc. anat., 1852.
2 Notre malade présentait des métacarpiens et des métatarsiens
normaux à tous les doigts. Sa fille n'offre pas non plus d'anomalie
sous ce rapport.
552
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
Tableau de l'hékédité chez le malade de M. Mercier.
La lettre D indique l'existence de la difformité.
La lettre N la conformation normale.
Le sexe est indiqué par les lettres F (fille) et G (garçon).
4" génération.
Grand-père paternel.
D
2° génération.
S' génération.
F
D
G G F F
D D N N
G
D
G G G
D D D
G G G G G
D D D D D
G (père du malade)
D
F F F F F G G
N N N N N D D
jumeaux
Tableau de l'hérédité chez notre malade.
/" génération.
Grand-père paternel
D
2e génération.
3' génération.
F F
N N
G (père du malade)
D
G G
D N
G (malade)
D
4' génération.
G F F F G G
D N N N N D
mort à 17 ans
G G
N N
jumeaux
F F
D D
De l'observation de M. Mercier et d'un certain nombre d'au-
tres, M. Mirabel conclut dans sa thèse, que les malformations
héréditaires reviennent, du moins dans l'espèce humaine, au
type normal et régulier après un temps plus ou moins long.
Cette tendance vers le type régulier se montre aussi dans
notre cas. Le grand-père difforme engendre un fils difforme
également, mais celui-ci, sur cinq enfants, en a trois qui sont
indemnes. De ces trois descendants normaux, un seul a des
enfants, ces enfants sont bien constitués. Les deux descen-
L.MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPE 353
dants difformes, notre malade et son frère aîné, ont l'un et
l'autre des enfants. Ceux, de notre malade présentent la mal-
formation, mais nous avons constaté que chez sa fdle aînée,
la seule encore vivante, elle était en voie de décroissance.
Enfin parmi les six enfants du frère aîné, quatre sont déjà
revenus au type normal.
Mais ce qui nous frappe surtout, aussi bien dans l'observation
de M. Mercier que dans la nôtre, c'est de voir que la diffor-
mité tend à disparaître d'abord chez les filles et persiste plus long-
temps chez les garçons, c'est-à-dire chez les descendants de même
sexe que le générateur qui Va transmise. Si cette première im-
pression était confirmée par un certain nombre d'observations
nouvelles, il deviendrait légitime de conclure que l'influence
héréditaire se manifeste surtout chez les descendants de
même sexe que l'individu primitivement atteint. Or, les faits
analogues à celui que nous venons de rapporter sont particu-
lièrement favorables à l'étude de l'hérédité en général et de
l'hérédité pathologique en particulier, car son influence appa-
raît dégagée de toutes les circonstances extérieures (conta-
gion, traumatismes, etc.) qui viennent trop souvent l'obs-
curcir.
Deuxième étude sur le « Pithecantliropus ereetus » comme
précurseur présumé de l'homme.
Par L. Manouvrier.
J'ai déjà présenté (en janvier 1895) un travail sur ce sujet1.
Ce travail consistait en un examen de l'excellent mémoire
du Dr Eug. Dubois d'après les dessins, photographies et
chiffres publiés par l'auteur.
J'exprimai l'opinion que les trois pièces squelettiques ne
pouvaient pas être considérées avec certitude comme prove-
1 Discussion du « Pithrcanthropus crectus » comme précurseur
présumé de V homme. Bulletin 1895.
T. vi (Ie série). 36
554 SÉANCE DU 47 OCTOBRE 1895
nant d'un même individu ni d'une même espèce, mais qu'il
n'y avait pourtant à cela aucune impossibilité théorique. La
conclusion fut qu'il était aussi impossible de démontrer l'ori-
gine humaine de ces pièces que leur origine simienne. Par
conséquent, l'hypothèse de M. Dubois, sans être démontrée,
me paraissait légitime en tant qu'hypothèse, et la question
devait être considérée comme pendante.
Cette manière de voir se trouva fortement corroborée par
les opinions, contradictoires entre elles, émises peu après par
plusieurs anatomistes anthropologistes des plus éminents de
l'Europe. Pendant que les uns affirmaient l'origine humaine
du crâne de Java, les autres affirmaient non moins catégo-
riquement son origine simienne. La divergence de ces opi-
nions est d'autant plus instructive qu'elles furent exprimées
isolément avant que chaque auteur eût pu être iniluencé par
les avis et arguments des autres.
Quant au fémur de Java, il fut unanimement déclaré hu-
main. Je restai seul, sur ce point, à faire des réserves en
faveur de Fhypoibèse de M. Dubois, car, tout en reconnais-
sant que ce fémur ne différait d'un fémur humain par aucun
caractère, la réserve me fut imposée : 1° par sa découverte à
quelques mètres d'un crâne et d'une dent dont la détermina-
lion spécifique était embarrassante; 2° par des considérations
théoriques d'après lesquelles il me semblait possible et même
probable que le fémur ait été, morphologiquement, en avance
sur le crâne dans une espèce intermédiaire entre les anthro-
poïdes et l'homme.
La question fut portée au Congrès zoologique international
de Leyde (septembre 1895), où M. Eug. Dubois présenta les
pièces de son Pithecanthropus à un certain nombre d'anato-
mistes. D'après les renseignements indirects qui me sont par-
venus, l'opinion générale aurait été moins tranchante que
primitivement. En outre, M. le Professeur Kollmann a bien
voulu m'écrire, après avoir pris connaissance de mon mé-
moire et après avoir reçu la visite de M. Virchow revenant
de Leyde, que la question ne lui paraissait pas avoir été
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 35o
résolue au Congrès et que de nouvelles recherches, notam-
ment sur le fémur, étaient nécessaires.
Quelque temps avant le Congrès, M. Dubois m'écrivit à
propos de mon mémoire et me demanda si je pourrais lui
montrer un fémur humain semblable à celui de Trinil. Je
trouvai seulement quelques fémurs plus ou moins approchants,
mais assez peu différents pour permettre de croire que l'on
trouverait sûrement des fémurs humains semblables si l'on
possédait des collections moins pauvres où toutes les races
humaines seraient représentées par de nombreux spécimens.
J'espérais seulement voir les moulages des pièces contro-
versées lorsque, le 31 octobre, M. Dubois vint à Paris et eut
l'obligeance de me montrer les pièces elles-mêmes. Cette com-
munication a modifié ma manière de voir assez sensiblement
pour que je me croie obligé de le dire et d'en indiquer les
raisons.
L'examen des ossements du Pilhecanthropus a produit sur
moi une impression très différente de celle produite par la
vue des dessins, photogravures et par les descriptions, pour-
tant exactes, de M. Dubois.
Tout d'abord j'ai été frappé par l'état de fossilisation com-
plète des os. Jusqu'alors on parlait d'ossements humains fos-
siles autant parce qu'ils appartenaient à des gisements recon-
nus comme très anciens que parce qu'ils étaient réellement
fossilisés. Les squelettes de Spy, appartenant à la formation
quaternaire la plus ancienne, n'en ont pas moins conservé
un aspect peu différent de celui des squelettes enfouis dans la
terre depuis les temps néolithiques. Il en est autrement des
os de Java. J'ai voulu peser le fémur comparativement avec
un fémur momifié des Canaries et avec un fémur néolithi-
que de Chàlons, tous deux d'un volume supérieur. Ces deux
derniers, quoique parfaitement conservés et 1res solides,
n'atteignaient pas le poids de 350 grammes, tandis que le
fémur du Pitbecanthropus ne pèse pas moins de 1 kilogramme.
Sans doute, le degré de fossilisation ne dépend pas unique-
ment de la durée du séjour dans la terre. Il dépend aussi de
556 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
la nature du terrain et delà facilité avec laquelle les éléments
minéraux de celui-ci s'incorporent et se substituent aux élé-
ments osseux. Mais comme nous n'avons jamais vu d'osse-
ments humains fossilisés à un si haut degré, quelles que fussent
leur ancienneté et la nature très variée des terrains dans
lesquels ils se sont conservés; comme la fossilisation extrême
des os de Java leur donne un aspect identique à celui des
ossements fossiles de l'époque tertiaire en général; comme,
d'autre part, c'est dans une même couche tertiaire qu'ils ont
été trouvés avec d'autres ossements fossiles représentant une
faune tertiaire, il faudrait, pour n'être pas influencé de prime
abord par ces faits, ou bien avoir un préjugé, ou bien con-
naître des faits contradictoires qui, je crois, font jusqu'à pré-
sent défaut.
En outre, M. Eug. Dubois qui, dans son premier mémoire,
fut peut-être un peu trop sobre de renseignements au sujet
de la faune contemporaine des os en question et au sujet
de la couche géologique du gisement, est aujourd'hui en
mesure d'émettre des affirmations précises qu'il publiera dans
un prochain ouvrage. Par des fouilles méthodiques poursui-
vies pendant plusieurs années consécutives dans la région,
il a acquis une connaissance approfondie de la couche géolo-
gique dont il s'agit et de la faune qu'elle contient. Cette
faune, dont il a rapporté en Hollande une énorme quantité
d'ossements fossiles, se composait d'animaux dont les espèces
ont disparu pour la plupart ; elle caractérise, affirme-t-il, le
pliocène supérieur, et il n'y aurait pas à douter de sa contem-
poranéité avec les os du « Pithecanthropus ». Je ne puis que
reproduire ici les affirmations orales de M. Dubois, en atten-
dant qu'il les répète et les justifie lui-même. J'ajouterai seu-
lement que les assertions d'un investigateur aussi compétent
et consciencieux me paraissent dignes d'une grande confiance.
Dans ces conditions je puis avouer la profonde impression
produite sur moi par la vue des ossements de Trinil et je
crois pouvoir dire que leur degré de fossilisation n'a pas
impressionné moins fortement les diverses personnes compé-
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE MJR LE PITHECANTHROPUS 557
tentes qui ont examiné ces os en ma présence. M. Boule,
particulièrement expert sur ce point, en sa qualité de géolo-
gue-paléontologiste, a été frappé, comme nous, par la fossi-
lisation du crâne, du fémur et des dents qui lui a paru, à
première vue, absolument semblable à celle d'ossements
de l'époque tertiaire.
Les deux dents (car une 2e molaire accompagne maintenant
la 3e primitivement décrite), ont un aspect siliceux que
M. Boule a déclaré caractéristique de la fossilisation. Enfin les
quatre pièces ont été trouvées enveloppées dans une gangue
terreuse, de composition identique, dont l'intérieur de la
calotte crânienne n'a pu être débarrassé dans la crainte de
détériorer les os du crâne. M. Dubois se propose de soumettre
cette gangue à l'analyse chimique. Je pense qu'il ne devra pas
hésiter à sacrifier un fragment du fémur, lorsque cet os aura
été une fois moulé, pour en faire connaître également la com-
position chimique comparée à celle d'ossements moins anciens
et à celle d'ossements d'animaux d'espèces disparues trouvés
à coté de ceux du Pithecanthropus.
En somme, l'état de la fossilisation des quatre pièces
de Trinil fait disparaître les cloutes que l'on pouvait avoir
au sujet de leur ancienneté et de leur contemporanéité.
Par cela même on est conduit à partager la conviction de
M. Dubois sur ces deux points que la simple description
n'éclairait point suffisamment. Dès lors on est conduit à par-
tager également sa conviction en ce qui concerne l'attribution
des quatre pièces à une seule et même espèce, car il serait
trop étrange que le hasard eût réuni dans un espace de ter-
rain si petit deux ou trois espèces différentes, toutes très rap-
prochées de l'espèce humaine. Enfin, ces diverses pièces ne
présentant aucune incompatibilité au point de vue des corré-
lations, une raison analogue à la précédente porte a croire
qu'elles proviennent, selon toutes les probabilités, à un même
individu.
L'examen direct de ces pièces m'ayant ainsi convaincu de
leur haute importance et m'ayant édifié sur plusieurs détails
558 SÉANCE DU 17 OCT-BUB 1895
morphologiques imparfaitement rendus par les dessins et les
chiffres, je vais compléter, sur divers points, ma première
étude et rectifier ma précédente opinion.
FÉMUR.
J'ai dit que, d'après mes tableaux pour la détermination de
la taille d'après les grands os des membres (Mém. de la Soc.
d'Antkr., 2e série, t. IV), la longueur fémorale donnée par
M. Dubois correspondrait à une taille de lm657. Il est superflu
de dire que ce chiffre ne représente qu'une moyenne et une
simple probabilité. Dans le mémoire ci-dessus, j'ai fait obser-
ver qu'il y aurait lieu d'élever ou d'abaisser les coefficients de
reconstitution de la taille lorsque les os mesurés sont très gros
ou très minces relativement à leur longueur, car, dans le pre-
mier cas l'on a affaire à des individus dont les membres sont,
en général, courts par rapport à la taille totale, à des indi-
vidus trapus, à des microshèles, tandis que, dans le second
cas, les individus sont plutôt petits par rapport à la longueur
de leurs membres; ce sont des macroskèles dont la constitution
est ordinairement moins robuste. Tel était le cas de l'individu
de Trinil si l'on en juge d'après la gracilité, non excessive
pourtant, de son fémur. Il y a donc lieu de penser, en le
jugeant d'après nos notions sur l'espèce humaine, que sa
. taille a pu être un peu exagérée par nos estimations basées
sur des moyennes, qu'il n'avait peut-être pas une taille supé-
rieure à lm60 et qu'il avait le tronc plutôt court relativement
à ses membres.
En ce qui concerne les excroissances anormales de la région
sous-trochantérienne postérieure du fémur de Trinil, je les
avais considérées, et le professeur Turner aussi, comme résul-
tant de russification des aponévroses d'insertion de plusieurs
muscles fessiers. Or, d'après la similitude de ces excroissances
avec celles qu'on a trouvées à Berlin sur deux fémurs prove-
nant d'individus atteints de carie vertébrale et d'abcès dits par
congestion. M. Virchow a émis, au congrès de Leyde, l'opi-
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SVl\ LE PITHtCANTHROPUS 559
nion qu'il s'agit ici d'un cas du même genre. Je n'ai qu'à
m'incliner devant ces faits et devant une aussi haute compé-
tence en anatomie pathologique.
D'après cette interprétation, il est permis de présumer que
l'individu de Trinil fut impotent pendant une assez grande
partie de sa vie. Sa fonction de locomotion fut sérieusement
gênée par la lésion vertéhrale, par la lésion fémorale, par les
troubles généraux consécutifs et peut-être aussi antérieurs k
ces deux lésions. Tout cela peut avoir exercé une influence
indirecte sur la forme du fémur et j'exposerai plus loin un
autre motif qui me porte à le croire.
Une seconde particularité anormale existe sur le fémur de
Trinil. Elle consiste en une apophyse assez saillante située
sur le bord supérieur et externe du condyle externe vers l'in-
sertion du muscle jumeau externe. C'est là une anomalie
inconnue jusqu'à présent ou tout au moins très rare dans l'es-
pèce humaine.
Sans pouvoir me prononcer sur la signification de cette
apophyse, je pense que sa présence sur le fémur de Trinil ne
doit pas être négligée, car on est bien obligé de reconnaître
qu'une particularité rencontrée sur le seul fémur connu d'une
race était probablement moins rare dans cette race qu'elle ne
l'est dans les races où on ne rencontre cette particularité
qu'une fois sur 100, 1,000 ou 10,000 individus. L'apophyse
en question serait d'autant plus intéressante ici qu'elle peut
n'être pas une formation pathologique.
Dans l'hypothèse suivant laquelle le fémur de Trinil appar-
tiendrait à une espèce particulière, il est permis de supposer
que cette apophyse correspondait à une disposition muscu-
laire normale dans cette espèce, d'attribuer ainsi une valeur
morphologique à sa réapparition rare dans l'espèce humaine.
Quoi qu'il en soit de ces particularités, dont la valeur est
minime, du moins pour le moment, dans la question de
détermination spécifique qu'il s'agit de trancher, le fémur
de Trinil présente d'autres caractères intéressants, signalés
par M. Dubois dans son mémoire.
5))0 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
En ce qui concerne l'extrémité supérieure, je n'ai
pas à revenir sur mes premières appréciations. L'examen
direct de l'os m'autorise même à les répéter. Je n'ai rien pu
trouver sur cette portion ni sur les trois quarts supérieurs
du corps du fémur de Trinil qui puisse servir à différencier
ce fémur d'un fémur humain. J'ai pu montrer à M. Dubois
des fémurs humains sur lesquels la crête intertrochantérienne
est semblable à celle du fémur de Java.
En ce qui concerne l'indice pilastrique, j'ai montré que,
d'après mes recherches exposées dans un travail antérieur1,
et cela d'accord avec l'opinion de M Dubois, cet indice, sans
être aussi élevé que chez beaucoup d'hommes, s'écarte consi-
dérablement du maximum observé chez les anthropoïdes
grimpeurs et atteste péremptoirement l'attitude bipède.
Mais le caractère sur lequel je suis obligé de revenir, c'est
la forme presque cylindrique du fémur signalée par M. Du-
bois au niveau de la région poplitée.
Indice poplité. — D'après les mesures de M. Dubois, le fémur
de Trinil présente, li 4 centimètres au-dessus du bord anté-
rieur et supérieur de la surface articulaire condylienne, les
dimensions suivantes :
Diamètre transversal 33mm
antéro-postérieur 32
ce dernier diamètre étant mesuré suivant le plan médian de
l'os. M. Dubois ajoute qu'il n'a jamais vu un fémur humain
aussi arrondi à ce niveau.
Ayant examiné à ce point de vue plusieurs centaines de
fémurs de diverses races, je trouvai sur presque tous une
ditïérence beaucoup plus grande entre les deux diamètres.
Cependant je suis parvenu à trouver quelques fémurs qui, à
ne considérer que le rapport des deux diamètres en question,
font disparaître l'isolement du fémur de Trinil. Pour abréger
< Étude sur les variations morphol. du fémur dans l'esp. humaine
{Bull. Soc. d'Anthr. de Paris, 1893).
52
36
69.2
33
23
69.7
33
32
97.0
33
29
87.9
40
36
90.0
25
25
100.0
26
30
115.3
3G
29
80.6
33
27
81.8
38.5
31
87.5
32
28
87.5
L. MANOUVR1ER., — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 561
les désignations,. car j'aurai à revenir sur plusieurs de ces
os, j'attribuerai k chacun d'eux une lettre (A, B, G...).
Tableau I
Diamètres fémoraux à 4cm au dessus des condyles.
Transv. Ant.-P. Tr. -100
Fémur de forme vulgaire, très large . . .
— — — peu large ....
Fémur de Trinil (E. Dubois) 33
A Canarien ancien n° 17 (Soc. d'Anthr.).
B — — n° 20 —
C Iles Philippines. Coll. Marche (Muséum).
U Canaries, Ténériffe ( Volantin). —
E Venezuela pré-Colombien. 1 Soc.d'Anl.
G Néolithique o* de Nanteuil (Aisne)
II Parisien ancien. Saint-Marcel n° 58 . .
Il n'est question, ici, que de fémurs parfaitement normaux.
Un parlera plus loin des cas pathologiques.
La liste ci-dessus semble donc démontrer que certains
fémurs, dans des races très diverses, peuvent atteindre et
même dépasser, sous le rapport dont il s'agit, le fémur de
Trinil. J'ai cru d'abord qu'il en était ainsi avant d'avoir exa-
miné de visu ce dernier fémur. Mais, en réalité, le diamètre
antéro-postérieur des fémurs G et D n'est pas exactement
comparable, n'est pas homologue au diamètre mesuré par
M. Dubois.
En voyant le fémur de Trinil, je me suis aperçu que les
mesures prises par M. Dubois et par moi étaient insuffisantes
pour caractériser la forme de la section transversale en ques-
tion à tel point que les fémurs G et D se rapprochent beau-
coup moins du fémur de Trinil que les fémurs B, E, F, G, II.
D'abord, la comparaison des deux diamètres antéro-posté-
rieur et transverse est insuffisante parce que c'est tantôt des
variations de largeur et tantôt des variations d'épaisseur que
>62
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
résulte la grandeur ou la brièveté du diamètre antéro-pos-
térieur par rapport au diamètre transverse.
En outre, la longueur du diamètre antéro-postérieur maxi-
mum est influencée par le renflement antérieur et postérieur
Fig. 1.
Trois fémurs sectionnés à 4 cm. au-dessus des condyles et \ us
en raccourci.
La longueur totale est supposée la même pour ces trois fémurs
et la ligne âpre GC commence au même niveau, supérieurement.
0. Partie supérieure de la surface d'insertion du crural. — F.
Crète fessière.
IV° 1. — Fémur à platymèrie sous-trochantérienne transversale
et à surface poplitée large.
N° 2. — Fémur à platymèrie sous-trochantérienne ordinaire ou
antéro-postérieure et à prolongement pilastrique inférieur très
saillant. (Type du Canarien, n° 17).
N° 3. -- Fémur du type de Trinil et du type BFFGH (tableau I).
npi. Face postérieure, i. Face interne.
L. MANOUVMEtt. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 563
de l'os du coté externe. Le renflement postérieur atteint son
maximum sur le prolongement inférieur du pilastre fémoral,
décrit k tort comme prolongement de la ligne âpre. (Op. cit.) Le
pilastre est encore très saillant à ce niveau sur beaucoup de
fémurs, de sorte que la face postérieure de l'os se renfle de
plus en plus depuis son bord interne jusqu'à son bord ex-
terne, formé par le prolongement en question (2, fig. 1).
11 en est ainsi sur les fémurs A, G, D, dont le point le plus
saillant en arrière n'est pas le point médian p de la face posté-
rieure, mais bien le bord postérieur latéral n du prolongement
pilastrique C'n.
Sur le fémur de Trinil, au contraire, c'est sur le plan
médian mn que la face postérieure est le plus renflée au lieu de
se renfler de plus en plus à partir de ce plan jusqu'à la ren-
contre du bord pilastrique, pourtant très apparent. Celui-ci
occupe donc un plan transversal moins reculé en arrière que
le point médian. Contrairement à ce qui a lieu sur les autres
fémurs, ce n'est donc point pour rejoindre la saillie externe
formée par le prolongement pilastrique que la face postérieure
de l'os se renfle au niveau du plan médian, puisqu'elle est
plus renflée à ce niveau qu'au niveau du prolongement pilas-
trique situé plus en dehors (3 fig. 1).
11 y a donc, sur le fémur de Trinil, un renflement médian
de la région poplitée qui n'est pas complètement analogue au
renflement externe des fémurs sur lesquels j'ai trouvé le dia-
mètre antéro-postérieur égal ou supérieur au diamètre trans-
verse.
Sous ce rapport et d'après mes recherches, le fémur de
Trinil resterait isolé si l'on mesurait le diamètre antéro-posté-
rieur exactement sur le plan médian de l'os, en évitant de
faire intervenir le renflement externe produit par le prolon-
gement pilastrique. Il y aurait seulement quelques rares
fémurs normaux se rapprochant du fémur de Trinil sans l'at-
teindre. Celui-ci présente donc sous ce rapport, jusqu'à plus
ample informé, un caractère limite. A supposer que sur un
fémur du type2 (fig. 1 ) à prolongement pilastrique extrêmement
564 SÉANGK DU 17 OCTOBRE 1895
saillant, le point médian postérieur arrive à être porté assez
loin en arrière pour que le diamètre aboutissant à ce point
médian arrive à égaler le diamètre transverse, un tel fémur
n'aurait, de ce fait, qu'une ressemblance trompeuse avec le
fémur de Trinil. Il donnerait toujours .mn ^> mp, tandis que
le fémur de Trinil donne mn < mp.
Autrement dit, ce dernier n'est pas seulement remarquable
par la brièveté de son diamètre antéro-postérieur; il est
remarquable en même temps parce que son point médian
postérieur p est plus saillant que son point latéral n situé sur
le prolongement pilastrique.
Nous avons donc à rechercher ce second caractère mn
<^ mp dans l'espèce humaine comme nous avons recherché
le premier.
Renflement poplité médian ou forme arrondie de la région popli-
tée (mn <^ mp). — J'ai trouvé ce caractère sur 5 fémurs
humains normaux parmi les mille, environ, que j'ai pu exa-
miner à Paris. Il sera question, plus loin, des fémurs patho-
logiques. Les 5 fémurs dont il est question en ce moment
sont normaux, et le caractère dont il s'agit se rattache à la
forme ordinaire par des transitions graduelles.
Ces 5 fémurs, sans être aussi remarquables que celui de
Trinil sous le rapport du rétrécissement transversal de la
région poplitée dont on a parlé plus haut, présentent ce rétré-
cissement à un degré très prononcé, assez pour pouvoir être
rangés dans le type de Trinil. Ils figurent dans le tableau 1
concernant le rapport du diamètre antéro-postérieur au
transverse = 100. Il ne reste donc plus qu'à les examiner au
point de vue mn << mp.
Ces deux diamètres antéro-postérieurs mn et mp doivent
partir, en avant, du point m qui est externe par rapport au
plan médian et qui occupe la portion la. plus renflée de la
région. Ce point m doit être choisi de préférence au point A
(fig. 2) parce que le diamètre An serait trop influencé par son
obliquité en rapport avec la largeur transversale de l'os.
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHRÛPUS 565
Tableau II
Fémurs analogxics au fémur de Trinil :
Indice poplité mégasème et mn <^ m p.
Désignation 1 B E F G H
Longueur totale (proj.).... 460 442 408 457 430
Diamètre de la tête fémor.. 50 46.5 42? 51 44
Diam. sous-trochantér. :
Transverse 38 32 30 31 31
Antéro-postérieur 25 23 22 24 23
Indice de platyméric 65.7 71.8 73.3 77 4 74.2
Diam. portion moyenne :
ïransvei se 26 24 23 26 25
Antéro-postérieur 30 :J5 27 315 26
Indice pilastrique 115 104 117 121 104
Indice poplité 90 80.6 818 80.5 87.5
Larg. poplitée à 4cm (*) 40 36 33 38.5 32
Larg. bicondyl. max. (m)... 85 81 90 78
u = 100. i = 47 44 43 41
Dist. deligneàpreauxcond. 106 117 106 125 117
mp 36 30 27 31 28
mn 35 26 25 5 28.5 27
Aucun desfémursB,E,F, G, H n'atteint, par l'indice poplité,
le fémur de Trinil, mais tous s'en rapprochent sous ce rapport,
comme on l'a vu plus haut. Ils s'en rapprochent en même temps
au point de vue du rapport des deux diamètres antéro-posté-
rieurs mn et mp. Peut-être môme le fémur de Trinil est-il un
peu dépassé à ce point de vue par les fémurs E et G. En tout
cas, les deux caractères en question se trouvant réunis sur ces
divers fémurs, peu importequ'ils existent exactement au même
degré que chez le Pithecanthropus. Quand bien même ce
dernier serait un peu dépassé sous l'un ou l'autre rapport par
quelques rares fémurs humains, il n'en resterait pas moins
vrai qu'il présente un caractère limite dans l'espèce humaine,
caractère double que nous pouvons maintenant définir :
i Pour la désignation plus complète de ces fémurs, voir le Ta-
bleau I.
566 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
Ptatymèrie transversale poplitée avec renflement postérieur médian.
Ce caractère est-il rare dans toutes les races humaines,
sans exception? Nous l'ignorons évidemment, puisque nous
ne possédons pas de grandes séries de fémurs de toutes les
races existantes. Mais il s'éloigne au plus haut degré de la
forme moyenne dans toutes les séries ethniques où j'ai pu le
trouver, et, d'autre part, j'ai constaté la forme opposée,
c'est-à-dire aplatie, de la région poplitée sur tous les spéci-
mens rares ou uniques des races anciennes et actuelles les
plus pauvrement représentées dans nos collections : Austra-
liens, Négritos, Esquimaux, Européens paléolithiques, etc.
Les séries dans lesquelles j'ai rencontré ce caractère à
l'état isolé, sont des séries relativement fortes.
Le fémur B : série de 350 canariens anciens (Soc. d'Anthr. et
Muséum). — Le fémur II : série de 156 parisiens du moyen-âge.
— Les fémurs E, F, série de 30 indiens pré Colombiens du
Venezuela. Ici, la rareté du caractère n'est pas énorme, mais
il est encore manifestement une exception. — Le fémur G :
collection d'une centaine de fémurs néolithiques trouvés dans
diverses stations françaises.
Je n'ai pas rencontré une seule fois le caractère en ques-
tion sur une centaine de fémurs français modernes, ni sur
une soixantaine de fémurs nègres.
J'ai rencontré sur plusieurs, fémurs normaux comme les
précédents, les deux diamètres mn et mp égaux avec une
platymèrie poplitée plus ou moins accentuée, à savoir :
Sur deux fémurs canariens (Guanches) ; sur un fémur véné-
zélien (pré-Colombien, coll. Marcano); sur un fémur péruvien
(moderne); sur un fémur parisien ancien.
Ces différents cas se rattachent à la forme vulgaire par
des cas intermédiaires ; ils rattachent, en même temps, cette
forme à la forme de Trinil par des transitions graduelles.
L'examen de ces transitions rend vraisemblable la parfaite
régularité de la formation du caractère morphologique en
question, mais dans des conditions plus ou moins rares, et
la possibilité de sa formation sporadique dans des races quel-
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 567
conques. Ce caractère n'en est pas moins très exceptionnel
dans toutes les races connues.
Analyse et interprétation. — L'hypothèse du Pithecanthro-
pus ne trouve aucun obstacle dans le fait que des fémurs
humains ressemblent à celui de cet ancêtre présumé qui re-
présenterait une véritable race humaine plus ancienne que
toutes les races connues jusqu'à présent. Il serait logique
d'admettre que si des causes dont l'association est deve-
nue plus ou moins rare aboutissent à la formation d'une
platymèrie poplitée, avec renflement médian, chez des indi-
vidus appartenant à des races humaines très diverses, ces
mêmes causes ont pu s'associer aussi plus fréquemment ou
même ordinairement dans une race ancestrale qui possédait
l'attitude bipède. On peut renverser l'ordre de ce raisonne-
ment et, sans même faire intervenir l'atavisme trop souvent
invoqué mal à propos, dire que les conditions d'où est résulté
le caractère en question, dans une race ancestrale déjà
bipède, peuvent fort bien se rencontrer encore chez un cer-
tain nombre d'individus dans les races actuelles. Y eût-il une
race humaine actuelle dans laquelle ce caractère serait vul-
gaire, cela ne gênerait en rien l'hypothèse du Pithecanth.ro-
pus.
En tous cas, le caractère en question devient particulière-
ment intéressant; c'est pourquoi j'ai cherché à l'expliquer en
suivant la méthode ordinaire de l'anatomie comparative.
Pour atteindre complètement ce but, il faudrait des recher-
ches très étendues que je n'ai pas eu le loisir d'entrepren-
dre. Cependant, mes études antérieures sur les variations du
corps du fémur dans l'espèce humaine m'ont permis d'abou-
tir tout au moins à un commencement d'interprétation.
Ayant réuni, d'une part, les fémurs mentionnés plus haut
qui présentent le même caractère que le fémur de Trinil,
ainsi que plusieurs autres fémurs presque semblables, —
d'autre part, un certain nombre de fémurs présentant une
forme franchement opposée, c'est-à-dire, une surface poplitée
568 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
très large et aplatie ou concave, j'ai observé les faits sui-
vants sur les premiers fémurs par contraste avec les der-
niers :
1° Tous les fémurs analogues au fémur de Trinil, même le
fémur parisien H, présentent une plat-ymèrie sous-trochanté-
rienne plus ou moins prononcée. Je rappelle que cette pla-
tymèrie consiste en un aplatissement antéro-postérieur, avec
élargissement transversal de la région sous-trochantérienne;
2° Sur ces mêmes fémurs, l'empreinte concave du muscle
crural, continuée en bas par l'empreinte du vaste externe,
commence en haut seulement au-dessous de la région apla-
tie, c'est-à-dire, au-dessous de l'insertion fessière rejetée en
dehors. La face externe du fémur à ce niveau étant conver-
tie en un bord, le faisceau externe du crural n'y trouve
point place, de sorte que son empreinte concave commence à
un niveau plus inférieur;
3° Par suite, cette empreinte se prolonge plus loin, infé-
rieurement, de telle sorte que si l'on regarde l'os du coté
externe, et si l'on considère l'ensemble de l'empreinte con-
cave qui descend jusque vers le milieu de la région poplitée,
on voit que le centre de cette empreinte ou son maximum de
profondeur est situé au-dessous du milieu de la diaphyse
fémorale. Dans mes recherches antérieures, j'avais déjà noté
cette tendance à l'abaissement du centre de l'empreinte cru-
rale sur les fémurs platymères, et la figure 3 du mémoire
cité plus haut représente ce caractère:
4° J'ai montré, dans le même mémoire, que le pilastre
fémoral résulte de ce que le muscle crural, dont les fibres
s'insèrent directement sur l'os, détermine un agrandissement
de la face externe dans le sens antéro-postérieur et dans la
mesure de ses besoins, de sorte que le pilastre se forme de la
même façon que la crête sagittale du gorille pour les besoins
d'insertion du muscle temporal. Dès lors, le pilastre est d'au-
tant plus saillant que le muscle crural est plus développé par
rapport au volume de la diaphyse. Et si la portion externe du
crural, commençant moins haut, par suite de la platymèrie
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 569
antéro-postérieure, descend plus bas, elle détermine en bas
un prolongement pilaslrique aux dépens de l'épaisseur trans-
versale, de sorte que la diaphyse tend à conserver, jusqu'à la
région poplitée, la forme cylindrique qu'elle possède tou-
jours au niveau de la bifurcation inférieure de la ligne âpre.
Voilà des traits communs à tous les fémurs sur lesquels
j'ai trouvé un diamètre antéro-postérieur très peu différent
du diamètre transverse à la région poplitée, comme sur le
fémur de Trinil (tableaux I et II).
Mais parmi ces fémurs, nous avons vu qu'il y a deux varié-
tés bien distinctes : l'une (fémurs A, D) qui présente mn > mp,
l'autre qui, au contraire, présente mn <^ mp, comme le fémur
de Trinil (fémurs B, E, F, G, II).
Or ces deux variétés diffèrent l'une de l'autre en ceci : que,
dans la première, les muscles sont plus développés relative-
ment au volume de l'os. De là est résultée la différence dont il
s'agit :
Dans les deux variétés l'abaissement et la prolongation
inférieure de l'empreinte crurale externe ont déterminé le
rétrécissement tranversal et le renflement postérieur de la
région poplitée. Mais, dans le type A, D, il est résulté du
grand développement des faisceaux inférieurs et externes du
crural et du vaste externe un prolongement pilastrique poussé
jusqu'au voisinage du condyle et une saillie externe tellement
grande à ce niveau qu'elle arrive parfois à conserver, à
4 centimètres au-dessus des condyles, l'épaisseur maximum
qu'elle avait au niveau de la ligne âpre. C'est alors que l'on
observe la déclivité de la face postérieure représentée dans le
n° 2 de la fig. 1 — et que l'on trouve mn > mp.
Dans le type de Trinil, au contraire (fémurs B, E, F, (1, H)
les faisceaux musculaires externes (crural -\- vaste externe)
après avoir poussé le prolongement pilastrique jusqu'à la
région poplitée et déterminé ainsi la platymèrie transversale
de cette région, en raison de leur situation basse sur la
diapbyse, n'ont pas été assez développés pour pousser plus
loin le prolongement pilastrique jusqu'à 4 centimètres du
T. VI (4° SÉRIE). 37
570
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
condyle. Après avoir abaissé plus ou moins le point de bifur-
cation de la ligne Apre, de façon a produire la platymèrie
poplitée, l'empreinte crurale s'est effacée rapidement ; la bran-
che externe de bifurcation de la ligne âpre, au lieu de faire
une forte saillie postérieure, s'est inclinée en avant et s'est à
peine maintenue sous la forme d'une ligne peu accentuée sur
la face externe de l'os, si bien qu'à -4 centimètres au-dessus
des condyles cette ligne est devenue parfois à peine visible
sur la face externe arrondie à ce niveau (n° 3 de la fig. 1).
Fig. 2.
Section transversale du fémur à 4 centim. au-dessus des con-
dyles.
Ei. Axe transversal. Ap. Axe antéro-poslérieur.
mA, no. Lignes perpendiculaires à Ap entre lesquelles a été
mesuré le diamètre antéro-post. (Tableau I.)
n. n'. n". Section du prolongement pilastrique ou branche externe
de la ligne âpre en des situations diverses.
C'est alors qu'on obtient mn < mp comme sur le fémur de
Trinil. La fig. 1 schématise ces faits et ces explications.
La fig. 2 les schématise sous une autre forme en mon-
trant les deux positions n et n de la branche externe de la
ligne Apre par rapport au point médian p sur deux fémurs
L. MANOUVRIER. - DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 571
np letn'pl. La type de Trinil peut être considéré comme
étant le type canarien A, D dont la portion n'np aurait été
supprimée par suite de l'affaissement du prolongement pilas-
trique au niveau de la région poplitée.
Le point n" représente une exagération de cet affaissement
sur quelques fémurs à empreintes musculaires très peu mar-
quées et sur lesquels un léger renflement médian S peut dé-
terminer mn" <^ ou = ms. J'ai rencontré plusieurs de ces
fémurs qui différent complètement du type de Trinil, ci-des-
sus décrit, par leur grande largeur transversale.
L'explication qui précède rattache, en résumé, la forme de
Trinil : 1° à la platymérie antéro-postérieure sous-trochanté-
rienne qui existait probablement sur le fémur de Trinil
comme elle existe sur les cinq fémurs analogues du tableau II ;
2° à l'abaissement consécutif de l'empreinte crurale d'où
serait résulté un prolongement pilastrique suffisant pour
déterminer la prolongation de la ligne âpre et la conserva-
tion delà forme cylindrique de la diaphyse jusqu'à la région
poplitée; 3° à un faible développement musculaire relative-
ment au volume de l'os, au moins dans la région inférieure
de la cuisse, d'où serait résulté, à la région poplitée, un affais-
sement de la saillie pilastrique avec conservation du renfle-
ment antéro-postérieur médian.
On voit que cette explication repose sur l'accommodation
morphologique des os aux besoins des muscles qui s'insèrent
directement sur eux par leurs fibres charnues. Une explica-
tion plus simple pourrait être tirée de l'accommodation mor-
phologique des os aux nécessités mécaniques de la résistance
à la flexion et à la rupture, accommodation particulièrement
nécessaire pour le membre inférieur sur lequel agit le poids
du corps multiplié par une vitesse considérable dans beaucoup
de mouvements. J'ai étudié cette cause de modification mor-
phologique principalement à propos de la platycnémie qui
renforce incontestablement le tibia dans le sens antéro-posté-
rieur où il est le plus exposé à la llexion ; mais en présence
de cas très probants d'après lesquels il est manifeste que la
572 séance du 17 ocroonE 4895
platycnémie résulte d'une accommodation du tibia à l'agran-
dissement du muscle tibial postérieur, j'ai adopté cette der-
nière interprétation, sans nier pour cela que l'accommodation
mécanique intervienne avec plus ou moins d'efficacité dans
certains cas, soit isolément, soit concurremment et syner-
giquement avec la première sorte d'accommodation fonction-
nelle.
De même, pour l'interprétation des divers genres de pla-
tymèrie, les deux sortes d'accommodation peuvent être invo-
quées, mais ici encore des cas très probants m'ont paru militer
en faveur de l'accommodation du corps du fémur aux besoins
du crural et notamment, pour les portions moyenne et infé-
rieure de la diaphyse, aux besoins de la portion externe de ce
muscle mêlé en bas avec le vaste externe. Ici encore, toute-
fois, il est certain que les particularités morphologiques du
fémur produites sous l'influence des insertions musculaires
directes sont avantageuses en même temps à la résistance de
l'os dans la direction des forces qui tendent à le courber.
Dans certains cas, notamment pour les fémurs du type A et
D (tableau I, n° 2, fig. 1) dont la forme diapbysaire est re-
marquablement influencée par les insertions du crural, le
rôle modificateur de ces insertions direc'.es est trop évident
pour qu'on en cherche un autre. Mais dans les cas analogues
à celui du fémur de Trinil, où les insertions externes du cru-
ral n'indiquent pas un grand développement de ce muscle
par rapport au volume de l'os, si l'on ne trouve pas dans
l'abaissement de ses insertions et dans le prolongement
pilastrique consécutif une cause suffisante de la persistance
de la forme cylindrique jusqu'au milieu de la région poplitée,
peut-être serait-il légitime de faire intervenir, pour aider l'in-
terprétation cherchée, un renforcement antéro-postérieur de
cette région aux dépens de sa largeur, déterminé par l'ac-
commodation morphologique du fémur ù ses besoins de ré-
sistance dans le sens où il est le plus exposé à se rompre.
Mais, en vérité, l'explication donnée plus haut me paraît
mieux justifiée par l'examen comparatif auquel je me suis
L. MA.NOUVRIER. DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHItOPUS 573
livré, d'autant mieux qu'il ne manque pas de fémurs très
minces et fragiles dont la région poplitée n'en est pas moins
restée très aplatie dans le sens antéro-postérieur.
Il me reste à ajouter, sur ce chapitre, deux indications
relatives à la recherche des fémurs du type de Trinil.
1° Les diamètres de la région poplitée ayant été mesurés,
sur le fémur du Pithecanthropus à quatre centimètres au-
dessus de la limite supérieure des condyles, il y a lieu d'aug-
menter ou de diminuer un peu cette distance pour les fémurs
très longs et les fémurs très courts pour opérer toujours sur
des sections homologues.
2° Le point n étant pris, pour le fémur de Trinil, sur le
prolongement externe de la ligne âpre et celui-ci étant par-
fois à peine marqué au niveau du point de repère, on doit
éviter de confondre ce prolongement avec une petite saillie
linéaire qui semble parfois continuer jusqu'au condyle ex-
terne le prolongement en question, mais qui, d'autres fois se
trouve un peu en avant de lui sur la face externe; de sorte
que si l'on plaçait la pointe du compas sur cette saillie linéaire
lorsqu'elle est plus visible que le prolongement réel de la ligne
âpre, on obtiendrait indûment un diamètre mn<^mp.
La saillie linéaire dont il s'agit est étrangère aux insertions
musculaires de la cuisse; elle sert à l'insertion du plantaire
grêle, mais n'est pas constante, car on sait que ce muscle
peut s'insérer sur la coque condylienne 1 sur divers autres
points, ou manquer totalement (Hyrtl, Macalister, Chud-
zinski, Testut.)
La figure 3 représente trois dispositions de l'insertion fé-
morale du plantaire grêle (t) par rapport à la terminaison du
prolongement de la ligne âpre o. Le n° i représente un fémur
canarien sur lequel on trouve mn < mp ou mn > mp suivant
que l'on prend le point n sur la ligne i ou sur le prolonge-
ment de la ligne o. Sur le n° 2 les deux lignes i et o se termi-
ment au même niveau; c'est un cas analogue à celui où les
-e<
1 Poirier. Traité d'Anat. hum., t. II, p. 260.
574
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1893
deux lignes se confondent; c'est le cas du fémur II du tableau
II. Sur le n°3 la ligne i est absente; c'est le cas des fémurs
B, E, G, II.
^mmwémm,
%
Fig. 3.
Portion inférieure et postérieure de la face 'externe de trois
fémurs sur lesquels on voit trois différents mode de terminaison de
la branche externe de la ligne âpre dans les cas où l'on trouve
inn < mp.
C. Condjle externe. — P. Prolongement pilastrique.
0. Terminaison de la branche externe de la ligne âpre,
i. Crète d'insertion du muscle plantaire grêle.
a. Niveau auquel on mesure les diamètres de la section poplitée
(4 cm. au dessus des condyles).
Point de vue pathologique. — 11 n'a été question jusqu'ici que
des fémurs normaux, quoique rares, sur lesquels la platy-
mèrie poplitée avec renflement postérieur médian constitue
un caractère lié à la forme vulgaire par des transitions
insensibles, en même temps que rien n'indique la ^moindre
altération morbide de ces fémurs dans toutes leurs J parties,
ni un développement anormal des membres.
Les cinq fémurs qui ont fait l'objet du précédent chapitre
détruisent l'isolement du fémur de Trinil, sans infirmer pour
cela l'hypothèse d'un Pithecanthropus. Ils éloignent l'idée
d'une déformation pathologique de la région poplitée. D'autre
L. MA.NOUVRIER. — DEUXIÈME ETUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 575
part, cette petite collection de fémurs humains présentant le
caractère le plus tranché qui eût pu différencier le fémur de
Trinil du fémur humain et servir d'argument contre l'hypo-
thèse d'une parenté entre le P. E. et l'homme, cette petite collec-
tion, dis-je, comble d'avance l'abîme que d'aucuns pourraient
encore trouver entre les deux espèces voisines : le P. E. et
Y Homo sapiens. Elle montre, d'après l'interprétation exposée
plus haut, qu'il s'agit d'un caractère incapable, a lui seul,
de différencier deux espèces et même deux races l'une de
l'autre.
Par le fait que ce caractère fémoral existe sur l'unique spéci-
men connu de P. E., on est porté à considérer comme probable
qu'il s'agit d'une forme constante ou tout au moins fréquente
dans cette espèce. Mais il n'y aurait rien d'étonnant, étant
donnée la variabilité des caractères fémoraux de l'espèce
humaine, à ce que l'on trouvât d'autres spécimens de l'espèce
P. E. exempts des caractères fémoraux remarqués sur le seul
exemplaire connu jusqu'à présent.
Le fémur que nous connaissons est mince par rapport à sa
longueur; cela indique une faible carrure relativement a la
taille. Bien que ce fémur ait un pilastre suffisant pour attester
l'attitude bipède, sa saillie pilastrique est faible, plus faible
que ne l'indique l'indice pilastrique, trop influencé par la
largeur absolue de la diaphyse. L'empreinte crurale se pro-
longe en bas suffisamment pour donner lieu à la platymèrie
poplitée mais elle s'efface assez rapidement pour donner lieu
au caractère mn < mp. Sur les cinq fémurs humains
ainsi conformés que j'ai trouvés, trois sont également
minces et indiquent une musculature féminine. Ils ont en
même temps une courbure diaphysaire très faible, autre
caractère très remarquable chez notre spécimen de P. E.
et qui indique, avec les caractères précédents, une activité
locomotrice modérée. Il est plus que probable que, sous ce
rapport, tous les individus de l'espèce P. E. ne se ressem-
blaient pas, à moins que leur genre de vie (peut-être la
conservation partielle de l'usage des membres supérieurs
576 séance du 17 octobre 1895
pour la locomotion en forêt) ait généralisé dans toute la race
un usage peu intensif des muscles fémoraux.
Il y a pourtant lieu de prendre en considération l'altéra-
tion pathologique présentée parle fémur de Trinil. Les énor-
mes végétations osseuses de ce fémur se sont certainement
formées à l'âge adulte; mais ces végétations, et surtout la
maladie grave et longue dont elles seraient le signe, n'en
ont pas moins été capables de nuire plus ou moins ;i la
locomotion, et peut-être pendant une grande partie de la vie
du sujet.
Un doute s'impose donc déjà sur la valeur spécifique des di-
vers caractères par lesquels le fémur de Trinil se différencie
du fémur humain puisque, sans être pathologiques en eux-
mêmes, ces caractères peuvent, d'après les faits et l'inter-
prétation exposés plus haut, être en rapport avec une paresse
fonctionnelle relative d'origine pathologique dont les causes
sont ici palpables.
Ce n'est pas la rectitude ni la platymèrie poplitée extraordi-
naires du fémur de Trinil qui seraient pathologiques : mais
ces caractères appartenant de préférence, dans l'espèce hu-
maine, li des individus peu musclés, il est possible que leur
existence chez l'individu de Trinil soit une conséquence, mor-
phologiquement normale, de la diminution fonctionnelle
occasionnée par les lésions véritables, tant fémorale que ver-
tébrale.
Il est possible, autrement dit, que les caractères relevés sur
le fémur de Trinil ne représentent pas l'état moyen du fémur
dans la race ou l'espèce dite P. E. Cette hypothèse me paraît
légitimée par la lésion fémorale existante sur le fémur de
Trinil et par son accord avec l'interprétation précédente des
autres caractères, bien que cette interprétation n'implique pas
nécessairement une faiblesse musculaire morbide.
Les fémurs humains pathologiques sur lesquels j'ai rencon-
tré un renflement antéro-postérieur de la région poplitée sont
au nombre de quatre. Trois de ces fémurs (deux Canariens et
un Maori du Muséum) présentent une exostose volumineuse
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 577
précisément au milieu de la surface poplitée. Mais il s'agit
manifestement de tumeurs; la surface poplitée de ces fémurs
est large, et il faudrait considérer aveuglément les mesures
des diamètres mn et mp pour assimiler ces fémurs à celui de
Trinil. Sur le fémur Maori (droit) on a mn = 33 < mp = 38,
mais la tumeur poplitée en cause n'est pas niable et le fémur
gauche, qui en est exempt, présente des diamètres ordinai-
res. Inutile d'insister sur ces cas, sans analogie réelle avec le
fémur de Trinil ni avec les fémurs similaires dont on a parlé
plus haut, où le renflement de la région poplitée ne peut pas
môme èlre soupçonné d'être dû directement à une formation
morbide.
Le 4e fémur, dont il me reste à parler, est beaucoup plus
intéressant. C'est le n° 111 de la série de Saint-Germain-des-
Prés (Parisiens du Moyen-Age). Sa tète est complètement
déformée, aplatie dans le sens de l'axe du col, éburnée super-
ficiellement et usée par frottement dans la cavité cotyloïde,
bordée enfin de végétations arthritiques à sa partie inférieure
et en haut. Ces lésions me paraissent indiquer une coxalgie
survenue pendant l'adolescence et guérie, mais suivie d'ar-
thrite ayant rendu les mouvements de la tête fémorale diffi-
ciles et pénibles.
Ce fémur présente, en outre, une courbure très exagérée,
une platymèrie sous-trochantérienne transversale et un pilas-
tre extrêmement saillant. Enfin, il est très étroit et complète-
ment cylindrique à la région poplitée où il présente une ana-
logie complète avec le fémur de Trinil.
Il s'agit ici, précisément, d'un cas où la diaphyse tout
entière présente des caractères morphologiques exceptionnels
que l'on peut attribuer à l'influence indirecte d'une maladie
évidente de l'articulation coxo-fémorale et de lésions de la
tète du fémur.
Voici les mesures de l'os en question complètement isolé
sous tous les rapports de la série des fémurs de Saint-Germain-
des-Prés à laquelle il appartient :
Longueur = 438.
578 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
Inclinaison de la diaphyse = 2°.
Angle du col avec la diaphyse = 130°.
Diam. sous-trochanter. : Transv. = 21.5. Ant.-post. = 27.
Indice de platymèrie = 125.5 (P. transversale).
Diam. partie moyenne : Transv. = 2'2. Ant.-post. = 32.
Indice pilastrique = 145.4.
Diamètres poplités : Transverse — 32. Ant.-post. = 31.
mp = 31 ; mn = 30.
Largeur bicondylienne max. = 76.
Courbure ant.-post. très forte (Flèche max. = 68 mm. en
comprenant l'épaisseur de l'os).
Ce fémur, dont la région poplitée est si manifestement dif-
férente de celle des fémurs parisiens doit, sans cloute, les
caractères qui le rapprochent du fémur de Trinil à une accom-
modation commandée par la maladie coxo -fémorale.
J'ai dit précédemment que ces caractères peuvent résulter
d'un grand développement musculaire relativement au volume
de l'os, mais qu'ils pourraient être expliqués, dans certains
cas, par une simple accommodation morphologique de l'os a
des nécessités mécaniques en vue de la résistance aux forces
qui tendent à le fléchir clans le sens antéro-postérieur. Si je
me suis décidé pour la première interprétation à propos des
fémurs préhistoriques dont tous les caractères dénotent un
parfait développement musculaire, la seconde interprétation
me semble, au contraire, plus justifiée clans le cas particulier
dont il s'agit, d'abord parce qu'il est difficile d'admettre que
le malade auquel a appartenu ce fémur d'un faible volume
ait eu des muscbs très développés, ensuite parce que la por-
tion externe de son muscle crural ne parait pas avoir profité
de la grande surface qui lui était offerte par l'agrandissement
de la saillie pilastrique, enfin parce que, contrairement aux
fémurs préhistoriques dont je me suis occupé, sa platymèrie
sous-trochantérienne n'est pas antéro-postérieure, mais trans-
versale et que cet aplatissement formé aux dépens de la lar-
geur se continue d'un bout à l'autre de la diaphyse.
On doit remarquer, il est vrai, que si le fémur de Trinil est
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PI THECANTHROPUS 579
cylindrique à la région poplitée comme ce fémur de coxal-
gique, il en diffère complètement par son absence de cour-
bure, par sa faible saillie pilastrique et par sa platymèrie
sous-trochantérienne qui semble avoir été antéro-postérieure.
Mais ces différences pourraient être expliquées avec vraisem-
blance en considérant que, pour le sujet parisien, la coxalgie
a dû survenir pendant l'adolescence, à un Age où le fémur,
en voie de croissance, pouvait s'adapter facilement en vue
de la résistance aux causes de flexion de la diaphyse et
qu'en raison même de la maladie coxo-fémorale, le fémur
était d'autant plus exposé a la flexion qui, d'ailleurs, s'est
produite à un haut degré.
La maladie du sujet de Trinil, au contraire, s'il s'agissait,
comme le pense Virchow, d'un abcès par congestion d'origine
vertébrale, a pu affecter celui-ci alors qu'il avait atteint son
complet développement et réalisé déjà ses principaux carac-
tères. La rectitude remarquable du fémur de Trinil ferait
alors supposer que la maladie vertébrale a placé le sujet dans
un état d'impotence locomotrice relative qui aurait modéré
l'activité des muscles de la cuisse et du fémur lui-même
avant, pendant et après l'atteinte subie par cet os.
L'inactivité fémorale relative du sujet de Trinil était déjà
rendue probable par l'interprétation que j'ai donnée plus haut
de la forme cylindrique de la région poplitée, abstraction
faite de toute cause pathologique.
Cette probabilité augmente si l'on considère que, dans
une nombreuse collection de fémurs parisiens, le seul fémur
dont la région poplitée ressemble à celle du fémur de Trinil
provient d'un individu coxalgique et impotent.
L'explication pathologique, pour hypothétique qu'elle soit,
me parait être plausible et tout au moins justifiée de toutes
façons.
Il ne faut pourtant pas oublier que j'ai trouvé cinq fémurs
humains normaux arrondis à la région poplitée. Parmi ces
cinq fémurs deux sont masculins, assez robustes, et présen-
tent des empreintes musculaires assez fortes.
580 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
En somme, un doute s'impose dans l'interprétation des
caractères du fémur de Java. On peut soupçonner, mais
non affirmer, que ces caractères sont purement individuels
et indirectement liés à la maladie grave attestée par les végé-
tations sous-trochantériennes.
Il n'est pas certain, mais il est probable que si l'on trouve
un second individu de la race de Trinil, ses fémurs ne pré-
senteront pas cette forme cylindrique de la région poplitée
qui, du reste, n'est pas plus simienne qu'humaine. Il est pro-
bable que la différence consistera en une accentuation des
caractères en rapport avec l'activité des membres inférieurs
et que, par conséquent, ce second fémur à trouver se rappro-
chera de la forme humaine plus encore que le premier.
Cela n'infirme en rien, je le répète, l'hypothèse d'un Pithe-
canthropus, mais cela nous engage à ne pas attacher trop
d'importance aux caractères fémoraux du spécimen existant
au point de vue de la caractérisation ethnique et de la déter-
mination spécifique.
En terminant ce chapitre, je rappelle la forme du fémur de
Spy trouvé par M. Fraipont. Ce fémur, vraisemblablement
moins ancien que le fémur de Trinil, est, à mon avis, beaucoup
plus remarquable par l'ensemble de ses caractères. En dehors
de son pilastre, qui est humain quoique peu saillant, ce fémur
fait songer au gorille plus encore que le fémur de Java ne fait
songer au gibbon. Et certes, pour le fémur de Spy, on n'est
pas tenté de faire intervenir la pathologie.
Dents.
D'après les mesures et les figures publiées par M. Dubois,
j'avais considéré la 3e molaire comme appartenant à une race
disparue, soit humaine, soit anthropoïdes. C'est, d'ailleurs, au
sujet de cette dent que les conclusions des anatomistes ont été
le plus réservées. Son examen direct n'a pas rendu pour moi
sa détermination spécifique moins embarrassante, car sa gran-
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 581
deur et le grand écartement de ses racines la placent hors delà
série humaine et, d'autre part, la forme de sa face triturante ne
permet guère de l'attribuer à l'une des espèces connues d'an-
thropoïdes.
Ce serait une dent atypique. Elle présente une sorte de
grande cuspide circulaire à surface lisse qui occupe tout le
pourtour de la couronne et circonscrit une dépression centrale
offrant un aspect analogue à celui d'une 3° molaire impar-
faitement développée. Peut-être s'agit-il effectivement d'une
3e molaire qui n'aurait pas atteint son développement nor-
mal. Ce ne serait point, en ce cas, à mon avis, une jeune
dent en voie de croissance, parce que la grande cuspide cir-
culaire n'occupe pas seulement le bord de la couronne,
comme il arrive en pareil cas, mais elle occupe la plus grande
partie de la face triturante et présente, en outre, une forme
régulière. De plus, on aperçoit clans la dépression centrale
une petite facette plate qui semble résulter d'un commence-
ment d'usure. D'après ces faits, je serais plutôt porté à consi-
dérer cette dent comme adulte, mais seulement comme
n'ayant pas eu un développement régulier et n'ayant pas
servi à la trituration des aliments au même degré que les
autres dents, par suite d'un contact imparfait avec la dent
opposée.
L'autre dent (2e molaire), contrairement à la précédente,
est très usée, de sorte que la face triturante est devenue con-
cave et en même temps polie comme le chaton d'une bague.
Cette usure serait plus en rapport avec l'âge certainement
adulte, sinon sénile du crâne. Elle n'atteste pas absolument la
sénilité, car il n'est pas rare de trouver des dents aussi usées
sur des crânes néolithiques nullement séniles. Loin d'être
en contradiction avec l'état de la 3e molaire, elle corroborerait
plutôt l'interprétation ci-dessus de la forme de cette dernière.
Il n'y a rien, non plus, de contradictoire entre le volume ab-
solu ou relatif des deux dents et l'opinion de M. Dubois qui
les attribue l'une et l'autre à un même individu, représenté
déjà par le crâne et le fémur de Trinil.
582 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1893
Ces dents, en effet, sont intermédiaires, l'une et l'autre,
par leur grandeur, entre celles des hommes et celles des
grands anthropoïdes connus. Elles ont donc appartenu à un
maxillaire de volume également intermédiaire, ce qui est par-
faitement en accord avec la situation des lignes courbes
temporales sur la calotte crânienne de Trinil.
Ces lignes sont beaucoup moins rapprochées de la ligne
médiane que chez les anthropoïdes, même femelles. Or elles
deviendraient certainement plus latérales chez ces animaux
s'ils avaient des dents moins volumineuses et une voûte crâ-
nienne plus développée, ce qui est précisément le cas du
Pitbecanthropus.
Si nous considérons, d'autre part, le volume de la dent
comparativement à la stature indiquée par le fémur, nous n'y
trouvons pas davantage un défaut de corrélation dans l'hy-
pothèse où le fémur et le crâne auraient appartenu à un
même individu. Cet individu, en effet, aurait eu une taille
humaine avec des dents relativement trop fortes pour sa taille
en le supposant homme, trop faibles, au contraire, en le sup-
posant anthropoïde. Il devait donc être intermédiaire, comme
l'indiquent les caractères du crâne.
Toutefois, il y a des crânes humains dont les lignes courbes
temporales se rappochent beaucoup plus de la ligne médiane
avec des dents moins volumineuses que celles de Trinil et
une capacité crânienne beaucoup plus grande. Tel est, par
exemple, un crâne du Turkestan de forme remarquablement
bestiale faisant partie de la collection de la Société d'Anthro-
pologie et figuré plus loin. Les dents de ce crâne ne sont
pas, cependant, aussi volumineuses que celle de Trinil. Par
conséquent si les deux dents de Trinil sont en parfaite har-
monie avec le crâne en regardant par le coté anthropoïde,
la corrélation n'est pas ausssi évidente si l'on regarde par
le coté humain. Ce serait là un argument en faveur de ceux
qui sont portés à rattacher le squelette de Trinil à la famille
des Anthropoïdes plutôt qu'au genre Homo.
Mais c'est là une question très secondaire à mon avis, et je
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE P1THECANTHROPUS 583
dirais presque oiseuse s'il était une fois admis qu'il s'agit
d'une espèce intermédiaire, crâniologiquement, entre les an-
thropoïdes connus et l'espèce humaine. Si lePithecanthropus
se rapproche plus des anthropoïdes que de l'homme au point
de vue de l'influence du volume des dents sur le rapproche-
ment des lignes courbes temporales, c'est un fait à noter. Il
n'en reste pas moins vrai que les dents de ïrinil trouvent
leur place sur le crâne de Trinil considéré comme un crâne
d'anthropoïde, et cela n'empêche pas ce crâne d'être plus
rapproché de l'espèce humaine que les crânes des espèces
connues d'anthropoïdes grimpeurs. Il n'est pas obligatoire,
pour un Pithecanthropus digne de ce nom, de se rapprocher
de l'homme au même degré sous tous les rapports.
J'ajouterai seulement que le volume des dents canines,
chez les anthropoïdes, exerce une influence prépondérante
sur le rapprochement des crêtes temporales. Au moment de
l'éruption des canines chez les anthropoïdes mâles, la voûte
crânienne a déjà atteint son étendue définitive et les crêtes
temporales sont encore écartées presque autant que chez
l'homme. Mais en même temps que les canines se dévelop-
pent, les crêtes temporales grimpent en quelque sorte rapi-
dement jusqu'à la ligne sagittale. On peut présumer, d'après
cela, que le crâne de Trinil appartenait soit à un sujet féminin,
soit àun mâle dont les canines étaient très faibles pour un an-
thropoïde. La première opinion est peu vraisemblable, à cause
de la grande étendue des sinus frontaux et, si l'on fait inter-
venir le fémur, à cause de la stature indiquée par cet os, sta-
ture qui serait extraordinaire pour un anthropoïde femelle
dans les plus grandes espèces connues.
Je conclus donc, au sujet des dents, que la 3° molaire est
probablement atypique; que la 2e a pu appartenir au même
sujet ; qu'il n'y â pas de défaut de corrélation entre ces deux
dents et le crâne, enfin qu'elles ont dû appartenir à un être in-
termédiaire, crAniologiquement, entre l'homme et les anthro-
poïdes.
584 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
Crâne
Capacité absolue et 7'elative. — Comparaison avec la race du
Néanderthal et de Spy. — On s'accorde généralement à évaluer
la capacité du crâne de Trinil à 1,000 ce. environ. L'erreur
possible ne me paraît pas dépasser 100 ce. et je crois que
cette erreur est plutôt en plus à cause de l'aplatissement
frontal et, en un mot, de l'exiguité relative de toutes les
régions du crâne non mesurées par les 3 diamètres qui ser-
vent au calcul de la capacité d'après l'indice cubique.
Le volume absolu de l'encéphale serait peu intéressant si
l'on ne pouvait évaluer approximativement sa grandeur rela-
tive par rapport à la masse générale du squelette, car un
homme de très petite taille pourrait avoir un volume encé-
phalique aussi faible sans que son intelligence put être consi-
dérée comme anormalement réduite pour une race sauvage.
En ce cas, le volume de l'encéphale est relativement grand
par rapport à la taille et cette supériorité se traduit par des
caractères morphologiques du crâne tendant à se rapprocher
des caractères féminins et des caractères de jeunesse. Or le
crâne de Trinil se trouve dans le cas diamétralement opposé.
Il est donc certain que ce crâne était très petit non seulement
d'une façon absolue, mais encore relativement à la taille.
C'est pourquoi le volume du fémur de Trinil, qui correspond
à peu près à une taille moyenne, présente une corrélation très
satisfaisante avec le crâne de Trinil, ainsi que je l'ai dit dans
mon précédent mémoire.
En dehors de la forme générale du crâne c'est-à-dire de la
forme endocrànienne, le volume relatif de l'encéphale est
indiqué par l'importance des saillies exocrâniennes. Sur le
crâne de Trinil, ces saillies confirment absolument l'indica-
tion précédente. Elles indiquent, sans qu'aucun doute soit
possible, un volume encéphalique relativement très faible par
rapport à la masse squelettique et, par conséquent, un fémur
à peu près tel que celui de Trinil.
La saillie la plus importante, ici, est celle de la visière sur-
L. MANOUVRIER. - DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECÀNTHROPUS 585
orbitaire, qui sem étudiée plus loin. Comme le grand intérêt
du crâne de Trinil consiste dans son infériorité morphologique
rapprochée de son ancienneté par rapport au cr^ne du Néaii-
derthal lui-même; comme, d'autre part il n'y a pas plus de
doute sur l'attitude bipède de la race de Trinil que sur celle
de la race du Néanderthâl, il importe surtout de comparer
ces deux races autant que possible sous le rapport du dé-
veloppement cérébral relatif, élément indispensable d'appré-
ciation du développement intellectuel.
L'individu de Trinil avait une masse squelettique très infé-
rieure à celle de l'homme du Néanderthâl et à celle de l'homme
de Spy dont on connait les fémurs. Si son développement
intellectuel était égal à celui de cette race, il devait donc
avoir un volume encéphalique relativement supérieur puisque,
à intelligence égale, le volume relatif du cerveau croît à
mesure que la taille diminue. En ce cas sa forme crânienne
devait être également supérieure à celle des hommes du Néan-
derthâl et de Spy, en vertu du rapport existant entre le
poids relatif du cerveau et la forme générale du crâne. Or
c'est le contraire qui a lieu : l'homme de Trinil est inférieur
à la fois par sa taille, par le volume cérébral absolu, par le
volume cérébral relatif et, consécutivement, par la forme du
crâne. Il était donc beaucoup plus arriéré au point de vue
de l'évolution humaine.
Si un attribue au Néanderthâl un diamètre basio-breg-
matique =z 125, et si l'on prend comme indice cubique 1.25,
coefficient très supérieur à celui que j'ai obtenu expérimen-
talement pour les crânes océaniens l, on trouve que la capa-
cité du Néanderthâl n'était pas inférieure à 1,500 ce, la
moyenne des Parisiens étant 1,560. Ce chiffre 1,500 est évi-
demment faible pour le volume athlétique du fémur du
Néanderthâl; mais il est encore très élevé par rapport à la
capacité du crâne de Trinil. Le fémur de Trinil est moins
robuste il est vrai, mais on ne peut imputer à la différence
1 Sur l'indice cubique du crû ne. (Assoc. française, lSSOj.
T. VI (i° série) ,!S
586 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
fémorale la différence de 500 ce. au moins existante entre les
deux crânes. G;est tout au plus si la moitié de cette différence
pourrait être attribuée à la différence squelettique et muscu-
laire. On peut en juger d'après la différence sexuelle de la
capacité crânienne qui, pour les Parisiens modernes, n'atteint
pas 200 ce. malgré une différence de poids fémoral d'environ
1/3.
L'homme du Néanderthal était donc beaucoup mieux doué
que celui de Trinil au point de vue de la capacité crânienne
et c'est là un point dé vue très important dès que l'on pos-
sède, d'après le volume fémoral, des renseignements sur la
masse squelettique.
La race de Trinil, autant que l'on en peut juger d'après un
seul individu, différait moins de la race du Néanderthal et de
Spy que des anthropoïdes sous le rapport du développement
cérébral, mais elle en différait cependant beaucoup; plus que
la race de Spy ne diffère des races actuelles européennes.
Visière frontale. — Malgré sa faible capacité, le crâne de
Trinil dépasse, par sa formation exocrânienne sus-orbitaire
ou pré-cérébrale, le Néanderthal lui-même.
Comparons, sous ce rapport, ces deux crânes entre eux et
à quelques autres crânes à capacité relative certainement
très faible. Le chimpanzé (mâle) approchait déjà de l'âge
adulte; ses canines sont .à moitié sorties. La crête sus-orbi-
taire est déjà très proéminente. Le crâne microcéphale est
celui de Margaretha Moehler (Vogt) (fig. 11).
1° Saillie mix. anléro-postérieure V de la visière frontale com-
parée au diamètre ant.-post. max. du crâne. D. A. p. = iOO.
D. A. p lu lice
Néanderthal
Chimpanzé adolescent.
Crâne de Trinil
Microcéphale M. M
Gorille adulte
30"""
204"""
14, G
23
140
18.4
30
180
10.0
20
128
20.3
40
170
23.5
L. MANOUYRIER. — DEUXIEME ETUDE SUR LE PITIIECAiNTUROI'US .j87
On voit que. la saillie sus-orbitaire est relativement plus
grande sur le crâne de Trinil que sur celui du Néanderthal.
Sous ce rapport, le crâne de Trinil atteint à peu près le niveau
d'un chimpanzé dont les canines sont sur le point de sortir.
.Mais il est dépassé par un microcéphale exceptionnel cl plus
encore par le gorille.
2° Saillie latérale Je la visière frontale.
Examinons maintenant la saillie latérale de la visière
frontale par rapport à la largeur frontale rétro-orbitaire. On
exprime plus exactement, par ce moyen, le développement
absolu de la saillie sus-orbitaire en même temps que son
développement relatif par rapport à la région antérieure
du crâne cérébral ainsi que la profondeur de la partie antéro-
supérieure de la fosse temporale. Ce dernier caractère fournit
une bonne indication sur le volume des maxillaires et des
dents dout nous aurons à nous occuper plus loin.
La série ci-dessous comprend des crânes provenant d'indi-
vidus bien caractérisés sous le rapport du volume relatif de
l'encéphale. Le Français supérieur n'est autre que Bertillon
père, dont la taille était petite et le cerveau volumineux. Le
crâne français inférieur provient des Catacombes; il cube
1 ,«i60 ce. (200 au-dessous de la moyenne), mais sa forme
indique la microcéphalie relativement à la taille, et sa région
frontale est d'une étroitesse extrême. Le crâne français
féminin est, au contraire, bien développé.
Le crâne du Turkestan provient certainement d'un colosse
à capacité crânienne ordinaire. Sa surface d'insertion tempo-
rale est extraordinaire (fig. 8).
Le Néanderthaloïde français est remarquable par l'impor-
tance des formations exocrâniennes. Les deux crânes néo-
calédoniens ont une forme très bestiale.
Le crâne de chimpanzé très jeune est celui dont le profil est
figuré plus loin (fig. 10).
588 SÉANCE DU 47 OCTOBRE 4895
Largeur frontale rétro-orbitaire F comparée à la largeur max'una
l V de la visière sus-orbitaire =? 100.
F. V Indice
Femme française 0*> 07 07. 9
Français sup. (A. B.) 08 101 97.0
Chimpanzé très jeune 77 84 91. G
Néanderlhal 110 124 88.7
Français néanderlhaloïde 08 112 87.4
Français inf 89 102 87.2
' fi il
Néo-calédonien (Vanikoro) 80 105 84 7
Crâne de Trinil 88 105 83.8
Néo-calédonien (Ile des Pins) 95 115 82. G
Crâne du Turkestan 101 124 81.4
Microcéphale 77 94.5 81.4
Microcéphale M. M 75 93 80. G
Chimpanzé adolescent 71 09 71.7
Gorille adulte 73 121 GO. 3
On voit que, sous ce rapport, le crâne de Trinil est inférieur
encore au Néanderlhal et se rapproche heaucoup des crânes
humains appartenant à des individus dont l'encéphale était
liés petit relativement à la taille, et la face très développée
relativement au crâne. L'homme de Trinil, et très probable-
ment sa race, présentait donc ce double caractère. Cela, joint
à la forme simienne de la voûte du crâne, autorise a affirmer
qu'il n'y a aucun défaut appréciable de corrélation anatomi-
que entre le crâne, le fémur et les dents fossiles de Trinil.
Mais, d'après l'ordre des indices ci-dessus, il semblerait que
li> crâne de Trinil soit supérieur, sous le- rapport envisagé,
aux deux crânes humains qui viennent après lui. Cela résulte
simplement de l'insuffisance des dimensions comparées êatoe
elles pour évaluer le caractère étudié. Il faudrait pouvoir
tenir compte en même temps de la largeur transversale de la
visière et de sa proéminence en avant du diamètre crânien
pour rendre le crâne de Trinil exactement comparable aux
crânes néo-calédoniens confrontés avec lui. L'angle formé
par le bord postérieur de la visière frontale avec la paroi
L. MANOLVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 589
latérale du -crâne est beaucoup plus ouvert sur le crâne de
Trinil que sur ces deux crânes océaniens, et plus ouvert même
que sur les crânes humains inférieurs compris dans la série
ci-dessus, de sorte qu'en tenant compte de ce fait on éloigne-
rait un peu plus le crâne de Trinil de celui du Néanderthal,
et il se trouverait placé très près du chimpanzé adolescent.
Pour la même raison, les indices des deux crânes microcé-
phales seraient notablement abaissés. Les chiffres ci-dessus
n'en montrent pas moins, quoique avec une certaine atténua-
tion, une infériorité importante du crâne de Trinil par rap-
port au crâne du Néandertbal.
L'angle dont je viens de parler ci-dessus est à considérer
séparément, car sa grandeur constitue l'un des caractères
simiens les plus remarquables du crâne de Trinil. Cet angle,
(T et V, iig. 4) formé par la paroi externe de l'os frontal et
l'apophyse orbitaire externe est presque aussi obtus que chez
les chimpanzés et les gorilles; il en résulte que le bord ex-
terne de l'ouverture orbitaire se trouve porté très en avant de
la limite antérieure du cerveau.
Largeur frontale. — L'indice frontal de Broca (rapport
du diamètre frontal minimum au transverse max. = 400) est
bas sut le crâne de Trinil ((H. G) et très inférieur à celui du
Néanderthal (73.8) parce que ce dernier crAne n'est nulle-
ment inférieur sous le rapport de la largeur frontale.
Son diamètre frontal minimum mesuré sur les crêtes fc 101)
d'après un moulage. Il dépasse donc très notablement la
moyenne des Européens modernes et c'est à cause de cette
grande largeur frontale que son indice frontal est très élevé,
car le diamètre transverse maximum = 450 mm. est très
satisfaisant pour un crâne aussi dolichocéphale. L'indice
frontal du crâne de Trinil, au contraire, est bas, et c'est bien
à cause de son étroitesse frontale (85 mm.).
On peut trouver assez facilement dans toutes les races
humaines, quoique exceptionnellement, une largeur frontale
moindre, mais ce n'est certes pas un caractère avantageux.
Un doit reci.nnailre que, sous ce rapport, le crâne du Van-
$90 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
derthal présente une compensation importante a l'infériorité
de ses autres dimensions frontales, à tel point qu'en somme,
on n'est pas en droit de placer ce crâne, sous ce rapport, au-
dessous de la moyenne des races sauvages actuelles, tandis
(|ue le crâne de Trinil atteint et franchit même, dans son
ensemble, la limite inférieure de l'écart normal dans les plus
inférieures des races humaines connues. On peut dire que
c'est un crâne humain limite, et s'il importe que l'on en
puisse trouver ou non de pareils dans les races actuelles,
c'est au point de vue du raccordement de la portion la plus
basse de l'espèce humaine telle que nous la connaissons à
la race pleistocène représentée par le crâne de Trinil.
La forme générale de ce crâne et la proéminence extrême
de sa visière frontale ne sont pas les seuls caractères crâniens
en rapport avec le faible développement relatif de l'encé-
phale. Il faut y joindre la grande largeur de la crête occipi-
tale et le caractère suivant :
Crête métopiqae. — Je nomme ainsi la saillie médio-frontale,
très prononcée, qui atteint son maximum d'épaisseur à la
région du bregma et reproduit, en ce point, la forme de la
frontanellebregmatique. Cette saillie représente le cas opposé
h celui où l'ossification crânienne est impuissante à recou-
vrir le cerveau lorsque la croissance de celui-ci est trop rapi-
de 2. L'existence même des fontanelles normales, ainsi que
leur longue persistance et celle de la suture métopique, ré-
sultent d'ailleurs de l'insuffisance relative momentanée de
l'ossification crânienne. Sur le crâne de Trinil, au contraire,
c'est le développement osseux qui a été surabondant, au
moins pour la région frontale.
La crête métopique ne se rencontre, je crois, que chez des
individus dont la masse squelettique est très développée
relativement a l'encéphale. Elle me parait résulter d'un excès
d'ossification par rapport à la surface à recouvrir. Mais cet
1 Mém. sur le développ. quantil. comparé de l'encéphale et de
diverses parties du squelette. (Bull.de la Soc. Zool. de Franc} 188L.
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PlTHECANTIIROl'US ij'Jl
excès se traduit; normalement, par une plus grande épaisseur
des os du crâne, épaisseur assez uniformément répartie pour
qu'aucune crête du genre de celle qui nous occupe ne se pro-
duise. Une telle crête pourrait donc indiquer une soudure
précoce de la suture métopique, c'est-à-dire une synostose
réalisée avant l'achèvement de la croissance des os du crâne
en épaisseur.
Cela autorise à soupçonner que le crâne de Trinil était in-
férieur à la moyenne de sa race quant au développement
frontal. En ce cas, il y aurait lieu de s'attendre à ce que de
nouvelles recherches à Java amènent au jour des spécimens
un peu plus rapprochés de la forme humaine et facilitent
ainsi le raccordement de la race fossile de Trinil avec l'espèce
humaine. Gela n'empêcherait pas la race pléistocène d'être
assez inférieure pour constituer un nouvel anneau de la chaîne
qui doit unir notre espèce aux anthropoïdes.
J'ai trouvé une crête métopique absolument analogue sur
un crâne parisien provenant des catacombes, crâne masculin
qui paraît provenir d'un individu assez vigoureux mais à
faible capacité (1360 ce). Le diamètre frontal minimum
(83.5) de ce crâne est exceptionnellement réduit par rapport
à la moyenne des Parisiens (100), en même temps que par rap-
port au diamètre transverse maximum du même crâne (143).
Sur ce crâne, très inférieur à la moyenne par l'insuffisance
de son développement frontal dans tous les sens, la crête méto-
pique ne se prolonge pas, cependant, de façon à occuper tout
l'emplacement de la fontanelle bregmatique. Sur le crâne de
Trinil, au contraire, la crête métopique dessine cette fonta-
nelle et montre ainsi qu'elle était assez étendue, contraire-
ment à ce qui a lieu chez les microcéphales et même chez des
nouveau-nés dont le développement encéphalique est sim-
plement médiocre. Ainsi, l'homme de Trinil possédait, à sa
naissance, un développement encéphalique normal. A sup-
poser que le développement ultérieur ait été inférieur à la
moyenne de sa race, l'arrêt se serait produit vers l'époque de
la synostose de la suture métopique, ôe qui aurait pu suffire
592 séance du 17 octokhe 1895
pour déterminer une submicrocéphalie frontale plus ou moins
accentuée par rapport au type ethnique.
Je, crois devoir mentionner ce soupçon; je ne m*y arrèic
point pourtant, parce que j'ai trouvé quelques crânes de
nègres sur lesquels la crête métopique existe sans que la
largeur frontale soit inférieure a la moyenne ethnique.
Il n'a été question, plus haut, que de l'étroitesse antérieure
du front, caractère important parce qu'il rappelle la forme
des anthropoïdes. Ordinairement, les crânes humains les
plus étroits présentent, en arrière de la paroi orbitaire
externe, un renflement plus ou moins prononcé, principale-
ment lorsqu'ils sont brachycéphales. Sur le crâne de Trinil,
ce renflement fait défaut, comme l'ont remarqué Dubois et
Virchow. C'est la un caractère simien qui n'est pas nécessai-
rement lié à l'exiguïté (Ju diamètre frontal minimum, comme
le montre la superposition des contours du crâne de Trinil,
d'un crâne de Vanicoro (Nouvelle-Calédonie) remarquable liai-
son étroitesse et du crâne parisien à crête métopique. Ce der-
nier est brachycéphale ; sa largeur pariétale dépasse celle du
crâne de Trinil, ce qui n'a pas empêché la paroi latérale du
frontal de se renfler pour son propre compte (fig. 4). La fai-
ble hauteur des lobes frontaux de l'homme de Trinil n'était
donc point compensée, comme chez l'homme duNéanderthal.
par un excès de largeur; ils étaient réduits, dans tons les
sens, à un degré qui. dans les races humaines actuelles, ne
s'observe qu'en cas d'arrêt de développement pathologique.
La figure i fait aussi ressortir un trait assez singulier du
crâne de Trinil, à savoir la proéminence des portions latérales
de la formation sus-orbilaire par rapport à la portion mé-
diane. Ce caractère a été, je crois, signalé par Ml Dubois,
dans son mémoire, et parait devoir être surtout utilisable au
point de vue de la recherche de la souche anthropoïde a la-
quelle se rattache la race de Trinil.
La figure -4 fait encore ressortir, par contraste, la plagiocé-
phalie du cranc de Trinil. Ce caractère paraît être beaucoup
plus fréquent dans l'espèce humaine que chez les anthrr-
L. MAXÙUVIUEIl. — DEUXIÈME ÉTUDE SLR LE PITIIK'IAM HROPUS 593
poïdes, mais il ne. me paraît pas avoir une fréquence supé-
rieure chez les microcéphales. On sait qu'il peut exister sur
des crânes très hien développés. Il ne peut guère servir, par
conséquent, a renforcer la probabilité de l'hypothèse plus
• tf'itfoi-
Fi", 4. Contours superposés d'un crâne de Vanikoro, d'un crâne fran-
çais également remarquable par sa faible largeur frontale et du crâne
ileTrinil. — Réduction à 1/3.
haut émise d'une infériorité du crâne de Trinil par rapport à
la moyenne de sa race.
Essai de reconstitution graphique. — Pour apprécier convena-
blement la forme du crAne de Trinil, on est obligé d'orienter
la voûte et de compléter imaginalivement celle-ci. (l'est là.
déjà, un essai de reconstitution, mais il aboutit à la formation
d'une image plus ou moins vague et flottante, qu'il est cer-
tainement avantageux de fixer graphiquement pour augmen-
ter la netteté des comparaisons. Il m'a paru possible d'établir
la situation des divers [points singuliers manquants, d'âpre
594
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1893
les indications existantes et dfaprès diverses corrélations per-
mettant de contrôler les résultats les uns par les autres. La
figure que j'ai obtenue et que j'ai d'abefrd tracée très laborieu-
sement, pour mon édification personnelle, m'a paru être assez
approximativement exacte pour faciliter les appréciations
morphologiques. Les inexactitudes commises ne peuvent pas
être assez grandes pour fausser gravement la physionomie
de cette figure.
Il ne s'agit donc pas d'une pure fantaisie ou d'une simple
traduction graphique d'idées préconçues. Cet essai est basé,
quant aux lignes et proportions importantes, sur des corré-
lations rééliéo et sur l'hypothèse très probable que la calotte
Fig. .'j. Essai do reconstitution du crâne du Pitbecanlliropus. — A.
Centre du méat aulitif. A', A", A'". Autres positions essayées de ce
rentre. — G. Crète occipitale. — pt, crèle pariétale inférieure ou teni-
poro-occipitale. — h, bregma. — \, lambda. — o. opistliion.— B basion.
Héductijn à 2 'i.
crânienne, les deux dents èl le fémur proviennent d'un
même individu
Voici d'ailleurs les données justificatives qui, indépendam-
ment d'un certain nombre de comparaisons avec divers
L. MANOUVRIÉR. — DEUXIÈME ÉTUDE SUB LE PÏTHECANTHBOPUS 595
erànes d'hommes et d'anthropoïdes, ont servi à déterminer
etiàqûé point.
Fig. G. Essai en prenant pour centre le point A' (abandonné) de la
fig. 5.
Fig. 7. Essai en prenant pour centre un point situé 1 cm. ;'i au-des-
sus du point A' <lc la fig. D et situé certainement trop haut.
598 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1893
Crèle temporo- occipitale. — L'un des caractères du c;il varia
de Trinil qui m'ont le plus éclairé dans ce travail, c'est
celui sur lequel j'ai attiré l'attention dans mon précédent
mémoire; la crête presque horizontale, qui est très bien
conservée sur le pariétal droit, et qui est très certainement
la limite inférieure et postérieure de la surface d'insertion du
muscle temporal. Comme je l'ai fait remarquer, cette saillie,
contrairement à ce qui a lieu presque toujours dans l'espèce
humaine, n'est pas située sur un plan plus élevé que la crèle
occipitale et semble être un prolongement de celle-ci. Elle es!
surmontée d'une légère dépression très visible, dont la direc-
tion devient légèrement oblique en arrière, où l'on voit la
saillie en question, à son point de jonction avec la crête oc-
cipitale, se continuer avec la portion la plus reculée de la
ligne courbe temporale. Cette crête n'est autre que la crête!
temporale sus-matoïdienne prolongée jusqu'à la rencontre de
la crête occipitale. Ce prolongement existe, du reste, norma-
lement sur tous les crânes humains dont la fosse temporale
est bien marquée, mais seulement à l'état de ligne à peine
visible, donnant insertion à l'aponévrose temporale et se rele-
vant pour former la ligne courbe temporale postérieure. Mais
il reste d'ordinaire un espace libre, plus ou moins large, entre
la crête pariétale inférieure et postérieure pi (fig.o) et la crête
occipitale, soit parce que celle-ci est située sur un plan plus
bas, soit parce que celle-là ne s'avance pas assez loin en ar-
rière.
Pour que soit réalisé le caractère décrit sur la calolle de
Trinil, il faut un développement exceptionnel du muscle tem-
poral et des muscles de la nuque, relativement au volume du
crâne. J'ajoute que ce caractère a d'autant plus de chances
de se former, à développement musculaire égal, que le crâne
est plus bas et le front plus fuyant, parce qu'alors le muscle
temporal et son aponévrose cherchent en bas et en arrière
la place qui leur manque en haut et en avant.
Sur le crAne de Trinil, les limites de la surface d'insertion
du muscle temporal sont suffisamment visibles dans toute
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHEGANTHROPUS 597
leur étendue. Elles, sont encore plus visibles sur un moulage
en platine donné par M. Dubois à la Société d'Anthropologie,
et dont tous les reliefs, invisibles sur l'original, se sont des-
sinés de mieux en mieux, à mesure que la poussière et les
frottements subis pendant trois mois d'étude en ont sali
davantage les plus fines aspérités. Seulement, l'on ne dis-
tingue pas l'une de l'autre les deux lignes courbes temporales.
Il est plus que probable que c'est seulement l'inférieure qui est
restée visible. En son point le plus rapproché de la ligne
médiane elle en est distante de 37 mm. Il n'est pas rare de
rencontrer dans les races nègres des distances plus faibles.
D'ailleurs, malgré son prolongement postérieur poussé
très loin , la surface d'insertion du muscle temporal n'est
grande, sur le crâne de Trinil, que relativement au calva-
ria. Absolument, elle est beaucoup moins grande que sur
de nombreux crânes humains, et il y aura lieu de revenir
plus loin sur ce fait, à propos des maxillaires.
Le point qu'il importe de fixer ici, c'est la continuité de la
crête occipitale et de la crête pariétale inférieure dont il a été
question plus haut. J'ai sous les yeux un crâne du Turkestan,
extrêmement remarquable par l'énorme développement de la
fosse temporale, qui présente une crête pariétale exactement
semblable et aussi en continuité avec la crête occipitale. La
similitude est tellement frappante qu'elle ne peut laisser
aucun doute. Sur ce crâne du Turkestan, la crête sus-mas-
toïdienne temporale coexiste avec la crête pt sans se confondre
avec elle (fi g. 8).
Dans mon précédent mémoire, j'avais signalé la continuité
de la crête pariétale dont je viens de parler, et de la crête
occipitale comme un caractère non humain, parce que j'avais
naturellement cherché ce caractère dans les races nègres
d'Afrique et d'Océanie et que je n'avais pu l'y rencontrer. Le
souvenir m'est ensuite venu du Turkestan, ici représenté, qui
est peut-être le seul crâne humain sur lequel on puisse obser-
ver les crêtes sagittale et occipitale du gorille, parfaitement
dessinées!,
598 SÉANCE DU 17 0CT01IRE 1895
Ce crâne, qui mériterait une description spéciale, aide
beaucoup à comprendre l'important caractère relevé sur le
crâne de ïrinil. Comme ce dernier, il présente sur une même
ligne, la crête occipitale G, la dépression surmontant la crête
pariétale pt, et le bord orbitaire supérieur. Sa protubérance
occipitale externe est remontée au-dessus de l'inion, poinl
correspondant à la protubérance interne qui marque la limite
inférieure du cerveau.
Sur le crâne du Turkestan, l'inion est situé à 2 cm. au-des-
sous de la protubérance occipitale externe. 11 n'en était pas
de même chez l'individu de Trinil bien que son cerveau dé-
passât de beaucoup, en arrière, le cervelet. C'est un caractère
humain que possèdent, à un degré moindre, les anthropoïdes;
Chez ces animaux, la situation élevée de la crête occipitale
externe, par rapport à l'inion, est un fait régulier, à cause
du grand développement des muscles de la nuque relative-
ment au volume du crâne et à cause de la situation reculée
du trou occipital. Dans l'espèce humaine, ce fait n'est pas
très rare, même dans les races européennes; mais il est
beaucoup moins rare de trouver l'inion au-dessus de la pro-
tubérance occipitale externe. On sait, [qu'en général, celle
protubérance correspond sensiblement à l'inion.
Ces différences de situation de l'inion par rapport à la pro-
tubérance occipitale externe sont très importantes autant que
faciles à expliquer. Elles doivent être prises en considération,
notamment lorsqu'on superpose les courbes sagittales de plu-
sieurs crânes dans le but d'apprécier le degré d'affaissement
de la voûte crânienne. La crête occipitale externe appar-
tient à l'exocràne, et la forme générale qu'il s'agit d'appré-
cier est essentiellement une forme endocrànienne commandée
par la forme de l'encéphale. Celle-ci est réalisée indépen-
damment des variations subies par la surface exocranienne,
les aspérités de celle-ci étant directement commandées en
arrière par les muscles occipitaux qui montent plus ou moins
haut suivant leurs propres besoins et sans s'occuper, pour
ainsi dire, de la situation des points singuliers de l*endocr;\-
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITIIECANTIIROPUS .j1»D
oe. Il arrive donc que si l'on superpose plusieurs lignes sagit-
tales sans connaître la situation véritable des inions et en
supposant que la crèle occipitale occupe sur les diverses
courbes superposées une même situation, on pourra super-
poser, en réalité, des points homologues au point de vue de
l'exocràne, mais nullement homologues au point de vue de
l'endocràne.
Sur un crâne de gorille adulte, la crête occipitale atteint un
niveau bien plus voisin du lambda, de telle sorte que la direc-
tion de la crête temporo-occipitale devient oblique de haut
en bas et d'arrière en avant.
Cette obliquité existe normalement chez l'homme, mais
avec cette différence, considérable : que, chez les singes, il y
a continuité entre la crête occipitale et la crête temporo-parié-
tale. Cette continuité existe sur le crâne de Trinil, mais la
direction des crêtes est ici horizontale et non pas oblique.
Enfin, chez l'homme, la crête C descendant au niveau de
l'inion, la crête tp reste isolée à un niveau supérieur.
Sous ce rapport, le crâne de Trinil est donc manifestement
intermédiaire entre la forme humaine normale et la formé
simienne.
Orientation. — Pour obtenir l'orientation, il faut que la ca-
lotte, étant posée sur un plan horizontal, son bord orbitaire
supérieur soit relevé jusqu'à ce que l'on obtienne entre lui
et le plan horizontal une distance suffisante pour compren-
dre la hauteur de la face. Afin de ne pas abandonner sans
nécessité absolue, dans cette opération délicate, la morpholo-
gie humaine, j'ai pris le parti d'inscrire la calotte de Trinil
dans une calotte humaine à face très développée, à front
fuyant, à glabelle très proéminente, à crête occipitale située
au-dessus de l'inion et se continuant avec la crête temporo-
pariétale. Ce crâne n'est autre que celui du Turkestan ici re-
présenté (fig. 8). La superposition des deux crânes a été faite
suivant la ligne qui joint l'inion au bord orbitaire supérieur,
c'est-à-dire à peu près suivant le plan inférieur du cerveau.
On peut voir sur la ligure 8 que l'orientation ainsi obte-
GOO
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
nue pour la calotte de Trinil est très satisfaisante si l'on
considère soit les diverses portions de la courbe sagittale, soit
la direction de la visière frontale, soit celle du bord orbitaire
supérieur. Si Ton veut essayer de placer la calotte de Trinil
dans une autre position, on se heurte, au contraire, à des
difficultés diverses. Si l'on relève, par exemple, l'occiput, on
rendra la courbe frontale moins fuyante, mais alors toute la
région postérieure du crâne prendra une orientation simiesque,
Veut-on abaisser davantage l'occiput? alors la courbe frontale
H'
Fig. 8. Profil d'un crâne du Turkestau de forme bestiale dans lequel
est inscrit en pointillé le profil de Trinil il'. La région sincipitale pré-
sente une mutilation par coup de satire. — Plan alvéolo- condylien.
— Dessin fait avec le stèréographe de Broca. — Réduction à 1/4.
devient tout à fait horizontale, la projection du bord orbi-
taire supérieur tend à devenir verticale et le prognathisme
s'exagère. Il est intéressant de voir qu'en donnant à chaque
partie du crâne à reconstituer une position et des dimensions
commandées par les corrélations connues, sans s'occuper du
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS GO 1
résultat, comme'je l'ai fait, on arrive à ceci : que toutes
les parties se raccordent aisément les unes aux autres et que
la direction donnée à la calotte crânienne ne peut être rendue
plus humaine en avant sans devenir plus simienne en arrière
cl vice versa.
Avec l'orientation donnée, le plan alvéolo-condylien peut
être sensiblemeut horizontal comme celui d'un crâne humain ;
l'arcade zygomatique est également horizontale comme dans
l'espèce humaine, la direction des orbites répond assez à l'ho-
rizontalité du regard; l'apophyse orbitaire de l'os jugal est
à peu près perpendiculaire à l'apophyse zygomatique comme
chez l'homme ; la direction du trou occipital est humaine,
la région cérébelleuse descend plus bas que ce trou comme
chez l'homme. Et malgré tout, la figure obtenue n'a pas l'appa-
rence humaine.
Mais continuons la justification de cette figure.
Bregma opisthion et basion. — Le bregma est parfaitement
visible sur le crâne.
La position de l'opisthion (o) est donnée très approxima-
tivement par la fossette médiane occipitale très bien con-
servée. Cette fossette, très fréquente dans l'espèce humaine
cl dans les races européennes, parfois aussi profonde que sur
le crâne de Trinil, est toujours située immédiatement en
arrière du trou occipital et en avant de la crête occipitale
inférieure. Elle est ordinairement divisée en deux parties par
Une petite crête médiane, mais celle-ci peut être absente ou
réduite à une saillie très faible qui, sur le crâne de Trinil,
peut avoir été détruite.
Le bord antérieur de cette fossette peut être distant de
Fopistbion de quelques millimètres. Gomme il est très pro-
bable que, sur le crâne de Trinil, le bord postérieur du trou
occipital a été usé, il est convenable d'accepter ici une dis-
tance de 5 à G mm. pour l'opisthion et d'admettre une in-
certitude égale pour la hauteur du point o, par rapport au
bord antérieur de la fossette. Ce bord se relève parfois un
peu avant d'atteindre le trou occipital .
t. vi (4° slme). 39
602 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
Comme nous n'avons aucune donnée permettant de connaî-
tre la longueur du trou occipital, la position du Basion se
trouve déterminée également avec une erreur possible de
quelques millimètres en admettant une longueur moyenne
pour le trou occipital.
Ces chances d'erreur sont évidemment insignifiantes
dans la question dont il s'agit, puisque notre but n'est pas
tant de reconstituer des caractères individuels que de recons-
tituer un type supposé spécifique comportant des écarts pour
le moins égaux aux erreurs possibles dans les déterminations
ci-dessus. Sur des crânes humains égaux en volume, l'opis-
tbion, le basion et tous les points singuliers du crâne peuvent
être déplacés de 5 ou (> mm. sans que cela puisse porter
une atteinte bien sérieuse au type de l'espèce et même de la
race.
Méat auditif. — En latitude, sa situation est déterminée
avec une très grande approximation, car il doit être immé-
diatement au-dessous de la crête temporo-pariétale, crête
parfaitement dessinée sur le crâne de Trinil et que nous sa-
vons avoir, en raison de sa saillie très forte et de sa conti-
nuité avec la crête occipitale, une direction à peu près hori-
zontale S3 continuant avec celle de l'arcade zygomatique. On
ne peut placer le méat auditif qu'immédiatement au-dessous
de cette crête, dans l'anfractuosité produite par la cassure du
crâne qui semble avoir précisément contourné la portion ré-
sistante constituée par le rocher. De même, la cassure du
crâne produit, un peu en arrière et au-dessous, une autre
anfractuosité qui semble marquer l'insertion de l'apophyse
mastoïde.
On remarquera la concordance de ces diverses indications
et en même temps la coordination très satisfaisante des dif-
férents points posés jusqu'ici. En plaçant le méat auditif où il
est, ce méat se trouve à une distance de 12 à 15 mm. du ba-
sion, distance parfaitement vraisemblable aussi bien pour un
homme que pour un anthropoïde.
Mais en a vu plus haut que le basion pourrait se trouver
L. MÀNOUVMER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS ()03
un peu plus en ayant ou plus en arrière. Ici, l'erreur possible
quoique absolument faible, est loin d'être indifférente, car
elle peut changer beaucoup la direction de la ligne BA, qui
joint le basion au centre du méat auriculaire. Or, cette ligne
aboutit normalement en arrière du bregma chez l'homme
et très en avant chez l'anthropoïde adulte. Pour le crâne de
Trinil nous obtenons une direction qui deviendrait simienne
Ou plus humaine si l'on déplaçait de 5 mm. en arrière ou en
avant, soit le centre auditif, soit le basion, soit de 3 ou 4 mm.
en sens contraires l'un et l'autre point. Ici la reconstitution
est donc insuffisante.
La longitude du méat auriculaire est déterminée par la
nécessité de le placer en arrière de la fosse temporale et,
d'autre part, assez en avant de l'opisthion pour laisser une
place raisonnable à la base de l'apophyse mastoïde ; mais
la situation adoptée a été nécessitée surtout par les rapports
des angles et rayons auriculaires. De plus, en plaçant le méat
auditif un peu plus en avant, il serait situé en avant du
basion, même en admettant pour celui-ci la position la plus
avancée possible. En ce cas, la ligne passant par le basion
et par le centre du méat auditif aboutirait très en avant du
bregma et prendrait une direction simienne. Mais cela consti-
tuerait une erreur.
En effet, cette direction antéro-postérieure de la ligne ba-
sio-auriculaire résulte de la situation de plus en plus reculée
du trou occipital à mesure que le singe s'approche davantage
de l'âge adulte. Par suite de l'allongement de l'apophyse ba-
silaire, ce trou qui avait, pendant le jeune âge, une situation
et une direction à peu près humaines, se trouve porté en ar-
rière sans que le méat auriculaire soit déplacé, et sa direc-
tion devient oblique par suite d'un redressement de la région
postérieure du crâne, dont j'ai montré ailleurs la cause et le
mécanisme l. Or, sur le crâne de Trinil, la situation du trou
1 Sur les modifie, du profil encéphalique et endo-crânien dans le
passage à l'état adulte chez les anthropoïdes. (Bull. Soc. d'Anthr. de
Bordeaux, I. 1884).
604 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
occipital n'est pas simienne, elle est un peu plus reculée que
chez l'homme, mais pas plus que chez un anthropoïde. Il n'est
donc pas possible de placer le méat auriculaire de telle sorte
que la ligne basio-auriculaire prendrait la direction frontale
comme chez les anthropoïdes adultes. *
Il importe de remarquer que la situation du méat auditif
sur le crâne de Trinil n'est pas reculée autant qu'elle le paraît
au premier abord. Si l'on fait abstraction de la visière
frontale, et si l'on tient compte de la brachycéphalie du
crâne abstraction faite de cette visière, on verra que le point
auriculaire est situé en réalité aussi en avant que dans l'es-
pèce humaine. Cela n'empêche pas de considérer la forme
du crâne de Trinil comme intermédiaire entre la forme hu-
maine et la forme simienne. C'est par l'ensemble de ses ca-
ractères que le crâne de Trinil se rapproche de la forme si-
mienne plus que tout autre crâne humain normal. Ce qu'il pré-
sente de plus simien, d'après la figure ici obtenue, c'est la
distance remarquablement faible du méat auditif à toute la
portion médiane de la voûte comprise entre les bosses fron-
tales et le lambda ainsi que la brièveté générale de la courbe
médiane dont nous allons nous occuper. En dépit des carac-
tères plutôt humains attribués ici à la région occipitale, l'as-
pect bestial de ce crâne est rendu encore plus frappant après
sa reconstitution.
Angles auriculaires. — 11 est intéressant de mesurer ces
angles sur notre dessin et de les comparer à quelques moyen-
nes ainsi qu'aux chiffres du Néanderthal. Les risques d'er-
reur ne sont pas assez grands pour enlever toute valeur à cet
examen comparatif, surtout en ce qui concerne les angles
frontal (Boc) cérébral total Boe et auriculaire total Bof. Le
premier exprime surtout l'abaissement de la région cérébrale
antérieure par rapport à la base du cerveau. Les deux der-
niers expriment le développement de la voûte par rapport à
la base du crâne en avant et en arrière. Ils dépendent du
degré d'extension de la voûte en avant par suite du dévelop-
pement frontal et de la situation plus ou moins reculée du
L. MANOUVRIER. — DEUXIEME ÉTUDE SUR LE PlTHECAiNTHRÛPUS 00.J
trou occipital. La figure 9 montre l'effet produit par la subs-
titution des rayons Ob et O/'à OB et OF.
-4.
J ^^\ ^ ^
\ I ^^ T \_>^
Ai--- F
Fig. 9. Angles et rayons auriculaires. Schéma.
A nyles au > ' icula ires .
BOA BOC COD DOE EOF BOh BOF
Front Cérébr. Total
2 Chimpanzés.. 56° 38° 50° 2o°5 34°5 119.5 154
7 Microcéph.... 52.5 41.2 59.3 36 5 35.7 138.5 174.2
3 Subm. (Paris). 53.5 50 61.3 34 33 5 145 178.5
43 Néo-caléd .... » 49 63 36 30 148 178
13 Néol. (France). 49.9 54 59.2 37.1 34.6 151.1 184.2
40 Parisiens 50.3 54.6 59.7 40.1 30.6 151.4 185
Cro-Magnon 44 54 59 37 40 150 190
Néanderlhal 60 50.5 60.5 88 26.5 149 175
Trinil 49 47 62 33 25 142 167
Point A' » 47-5 65.5 35 28 148 175
Point A" » 50 62 30.5 23.5 142.5 166
Point A'" » 46 63 34 26 143 169
Fig.",.. » 4* 7" 44 22 162 [84
liOG SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
Je donne les angles obtenus avec les points A' A" A"!
comme centres pour faciliter le contrôle, mais le point A est
le seul avec lequel j'aie pu obtenir des rapports exempts
d'impossibilités ou de trop grosses invraisemblances. J'ai
contrôlé la situation de ce point par des essais nombreux à
divers points de vue et je crois que l'on en trouvera difficile-
ment une meilleure.
La signification des divers angles auriculaires est trop
complexe pour que les chiffres qui précèdent puissent être
comparés un à un comme des échelons du progrès morpholo-
gique.
Ce qui est remarquable, c'est que par les angles frontal.
cérébral et cncépbalique total le crâne de Trinil est très supé-
rieur aux anthropoïdes, mais inférieur aux nègres océaniens
ainsi qu'au Néanderthal. Il est supérieur par les angles fron-
tal et pariétal aux microcéphales. Au contraire, les crânes de
l'époque néolithique ne se distinguent pas notablement des
crânes parisiens modernes.
En plaçant le centre des angles au point A' on relèverait le
crâne de Trinil à peu près au niveau des Néo-Calédoniens,
mais alors on l'abaisserait très au-dessous des anthropoïdes
sous le rapport des rayons auriculaires, comme on le verra
plus loin. Ce serait pis encore avec la figure 7.
Rayons auriculaires. — Ces rayons sont très bien appropriés
à la mesure des caractères les plus frappants du crâne de
Trinil, à savoir l'abaissement de l'ensemble de l'arc sagittal,
notamment des portions frontale et pariétale postérieure
de cet arc. Ici l'incertitude au sujet de la situation exacte de
divers points singuliers de la courbe sagittale n'est pas assez
grande pour influencer notablement les rapports obtenus, car
il n'y a pas de différence sensible entre les rayons auriculaires
aboutissant à des points de la voûte distants l'un de l'autre
de plusieurs millimètres. Les chiffres ci-dessous méritent
donc une sérieuse attention, d'autant plus que les rayons
auriculaires ont une signification moins complexe que celle
d !S angles. Aux rayons habituellement mesurés, j'ai joint :
I. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ETUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 607
1° un rayon frontal aboutissant à la courbure frontale, 2° un
rayon pariétal aboutissant à la courbure pariétale située a la
région de l'obélion, un peu en avant des trous pariétaux.
On peut lui donner le nom de rayon obélial. Les rayons
auriculaires mesurent évidemment le développement encépha-
lique dans les diverses directions et dans le plan médian. Ils
présentent, sur les diamètres antéro-postérieurs, l'avantage
d'être analytiques. Leur valeur absolue est déjà intéressante,
mais il est beaucoup plus instructif de les comparer tous à
l'un d'eux, au rayon de l'ophryon. Celui-ci, en effet, bien
qu'aboutissant à la région frontale, mesure la base du crâne à
peu près comme la ligne naso-basilaire, de sorte que les
autres rayons comparés à lui = 100 mesureront le degré de
développement de l'encéphale au-dessus de cette base dont la
longueur est la plus directement en rapport avec la taille.
La comparaison des rayons auriculaires au rayon de l'o-
phryon est donc éminemment propre à indiquer le dévelop-
pement relatif à l'encéphale qui, a taille égale, est en relation
intime avec le développement intellectuel.
Ce moyen d'investigation, toutefois, pourrait être perfec-
tionné, car le rayon auriculaire de l'ophryon est influencé
notablement par la longueur de la loge frontale du crâne
dont la signification est toute différente de celle de la partie
de ce rayon située en arrière de la gouttière optique. D'autre
part le rayon de l'ophryon ne mesure pas la portion de la
base de l'encéphale située entre le méat auriculaire et l'opis-
thion. Il faudrait donc remplacer ce rayon par une dimension
composée mesurant, d'une façon plus correcte, le dévelop-
pement de la base du crâne en arrière de la gouttière optique
et en même temps la largeur de cette base, puis comparer
cette dimension composée à d'autres dimensions composées
mesurant le développement cérébral au-dessus de la base
dans les diverses directions. Mais mes recherches sur cette
question n'étant pas suffisamment avancées, je me bornerai
a la première comparaison indiquée ci-dessus. fille place,
comme on va le voir, le crâne du Pithecanthropus r un rang
G08 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
extrêmement inférieur sans que l'on puisse attribuer ce fait
aux causes d'erreur mentionnées plus haut. Les rapports
calculés tendent, en effet, à avantager les brachycéphales. Or,
les crânes crue nous allons comparer à celui du Pithecanthro-
pus sont tous plus dolichocéphales que ce dernier, à l'excep-
tion du crAne d'Andaman.
Le crâne de ïrinil n'est dolichocéphale, en effet, que grâce
à sa visière frontale, car si l'on calcule l'indice céphalique
d'après le diamètre antéro-postérieur métopique et non d'a-
près le maximum, alors cet indice atteint 82, l'indice des Pari-
siens restant, en pareil cas, inférieur à 80.
Faute de temps, je n'ai pu comparer un grand nombre de
crânes exotiques à celui de ïrinil. Mais ceux qui figurent dans
le tableau ci-dessous n'ont pas été choisis suivant une idée
préconçue. J'ai simplement utilisé les dessins stéréographiés
que je possède. Le crâne de l'île Engineer et le Néo-Cal. sont
ceux qui sont figurés dans mon précédent mémoire; l'Austra-
lien, le Tasmanien, l'Andaman et le Fijien appartiennnent au
R. Coll. of surgeons de Londres. J'ai pris soin de m'assurer,
d'après les albums et les collections, que ces crânes représen-
tent normalement leurs races respectives sous le rapport envi-
sagé. Tous les dessins utilisés ici ont été faits^avec le stéréo-
graphe de Broca.
Les chiffres concernant les Parisiens sont empruntés à un
mémoire sous presse du Dr Papillault1 qui a bien voulu
mesurer pour moi, sur ses dessins stéréographiés, les rayons
auriculaires aboutissant à la courbure frontale.
Considérons d'abord les chiffres absolus :
Un peut d'abord remarquer en passant que le rayon alvéo-
laire dépasse tous les autres, excepté chez les Parisiens, et
que sous ce rapport, le crâne de Trinil s'éloignerail nota-
blement des anthropoïdes, mais aussi des crânes qui le sui-
vent dans notre tableau.
1 G. Papillault, Recherche sur la suture métopique et sur ses
rapports avec la morphologie crânienne. Sous presse. Paris. Mé-
moires de la Société d'Anthropologie.
L. MANOUVRIBR. — DEUXIÈME ÉTUDE SUK LE PITHECANTHROPUà 009
Si l'on compare #u rayon de l'ophryon 013 les rayons frontal
bregmatique, pré-obélial et du lambda, on voit que, jusqu'au
crâne du Néanderthal inclusivement, les rayons auriculaires
vont en décroissant d'avant en arrière à partir de l'ophryon. Il
y a une exception en faveur de l'un des 5 microcéphales Colin,
chez lequel existe une déformation consistant en une verticalité
remarquable de la région pariéto-occipitale. Au contraire,
pour les crânes qui terminent la liste, les rayons bregma-
tique et obélial sont plus longs que celui de l'ophryon.
Rayons auriculaires. (Longueur absolue).
OA
OB
oc
OD
OE
Alv.
Ophr.
Front.
Bregm.
Obéi.
Lamb.
nion
1 i >rang ....
139
80
80
79
72
68
—
1 Ghîmp. . . .
121
80
79
77
72
64.5
47
— J11C . . .
126
84
83
74
68
62
49
— J"e .
89
71
73
69
65
59
50
1 Microcéph.
88.5
75
74
71
67
60
39?
— (Dum).
97
78
79
78
10
65
50?
— (Vicl).
95.5
75
75
75.5
73
61
52
— (Colin)
96
85
88
93
ou
63
40
i A"
123
105
101
96.5
86
85
75
Trinil < A '
/ A"
1^5
H4
106
97
99
93
91
92
80
87
79
87
75
83
( A'"
124.
107
100
95-5
83
80
7i
Figure 7.
128
1 00
<Ji
84
73
75.
70
Néander . . .
111
110
111.5
108
106.5
100.5
87
Engineer
106
105
112
117.5
117
109.5
75
113
110
116
123
123
101
77
Auslr. (1053).
108
98
103
109.5
112
101
65
Tastn. (1082).
108.5
108
115
112
114.5
106
70
And. (1213)..
95
88.5
100
111
115
101
61
Fijien (1120).
108.5
108.5
122
124
124
108
—
Cro-Magnon.
121
120
133
124
121 5
107
80
Paris. 48 II..
96.2
100.7
113.3
117.2
120
105
79.7
— 30 F . .
91
95.3
109
110.2
115.7
104.5
80.1
Cela indiq
ue un
déveloi
)pemcn
t supérieur <l
e la r
îgion
fronto-pariétaje du crâne, au dessus du méat auriculaire.
610 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1893
De l'accroissement de l'encéphale par rapport a la taille,
représentée ici par le rayon de l'ophryon, résulte nécessaire-
ment le refoulement des points où aboutissent les autres
rayons. Beaucoup plus expressifs sont les rapports de ces
divers rayons entre eux.
Rayons auriculaires rapportés aa Hayon basial
île l'ophryon r= 100.
Alv. Front. Bi-egra. Obéi. Lamb. Inion
Orang 174 100 98.7 89.7 85
Chimpanzé 151 98.7 96.2 90 80.6 58.7
_ jno 150 98.8 88.1 80.9 73.8 58.3
_ Jno 125.3 102.8 97.2 91.5 83.1 70.4
Hicrocépfa 118.0 98.6 94.6 89.3 80.0 52.0?
— (Dura) 124.3 101.2 100 93.6 83.3 64.1?
_ (Vict) 127.3 100 100 6 97.3 85.3 69.3
_ (Colin) 112.9 103.5 109.4 105.8 74.1 57.6
I a 117.1 96.1 91.9 81.9 800 71.4
) A' 117.9 93-4 85.8 75.4 74.5 7o 7
Triml j A" 117. 5 95-8 94-8 89.7 89. 7 85.5
( A'" 115 8 034 89.2 7/6 74- 7 66.3
Figure 7. 128 91 84 73 75 7°
Néander 100.3 101.4 08.2 96 91.4 79.1
Engineer 100.1 106.6 111.9 111 104.3 71.4
Néo-Cal 103 105.4 112 112 91 8 70.0
Austral 110.2 105 111.7 114.2 103 0 66.3
Tasman 100.4 106.5 103.7 106 98.1 64.8
Andamaa 107.3 112.0 125.4 120 0 114.1 72 3
Fijien 100 112.4 114.2 114.2 99.5 -
Cro-Magnon 100.8 110.8 103 3 101.2 89.2 66.6
( H 05.5 112.5 110.3 119.1 104.2 70.1
Paris j F 95.4 114.3 115.6 121.4 109.6 84.0
Dans la colonne des rayons alvéolaires, l'élévation des
chiffres est en rapport avec le prognathisme. Sous ce rap-
port, le crâne de Trinil prendrait place parmi les microcé-
phales, assez loin au-dessous des races humaines océaniennes.
L. MANOUYRIElt. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS Cil
Dans les colonnes suivantes, principalement dans celles
qui concernent les rayons de la courbure frontale et de la
pariétale, l'élévation des chiffres, au contraire, est en rapport
général avec une supériorité morphologique consistant clans
le degré de refoulement de la voûte crânienne par l'encéphale
au-dessus de la hase du crâne, représentée ici par le rayon de
Tophryon = 100.
Il faut tenir compte ici, toutefois, d'une cause d'erreur in-
troduite par la hrachycéphalie, qui tend à diminuer la hase
d u crâne relativement aux rayons auriculaires. C'est pourquoi
le crâne Andaman occupe une place avantageuse dans notre
tableau. Les crânes parisiens doivent peut-être à la même
cause une partie de leur supériorité, bien que leur indice
moyen n'atteigne pas 80.0. J'ai dit déjà que le crâne du mi-
crocéphale Colin est extrêmement hrachycéphale, comme par
suite d'une déformation. Tous les autres crânes humains sont
plus dolichocéphales que le crâne de Trinil, de sorte que l'in-
fériorité de celui-ci aurait dû être plutôt atténuée par son in-
dice céphalique.
Par la valeur relative du rayon frontal, le crâne de Trinil
se place au-dessous des anthropoïdes eux-mêmes (jeunes, il
est vrai) et dont deux,l'orang et le troisième chimpanzé, sont
plus brachycéphales que lui. Il est au-dessous du Néander-
thal et des Océaniens.
Par le rayon du hregma, le crâne de Trinil est encore infé-
rieur aux microcéphales et aux anthropoïdes, excepté l'un
des chimpanzés dont la courbure frontale est presque nulle.
Il est très inférieur aux crânes océaniens.
Par le rayon obélial, qui exprime la courbure pariétale, le
crâne de Trinil n'a encore au-dessous de lui que l'un des
chimpanzés. Il est notablement inférieur aux trois autres an-
thropoïdes et aux microcéphales, très éloigné des crânes
océaniens. On voit que ces chiffres expriment très bien, en la
précisant, l'impression produite à première vue par le crâne
fossile de Java.
Par le rayon du lambda, le crâne de Trinil ne se distingue
612 SÉANCE DU 47 OCTOBRE 1895
pas nettement des anthropoïdes et des microcéphales; il est
encore très au-dessous duNéanderthal et des Océaniens.
Le rayon de l'inion ne fournit pas de différences Suffisam-
ment caractéristiques au point de vue qui nous occupe. •
En prenant comme centre des rayons auriculaires le point
A", ont obtient des rayons îîregmatique ohélial et lambda-
tique relativement plus élevés et dépassant ceux des anthro-
poïdes; mais, alors, le rayon iniaque dépasse en valeur rela-
tive celui des Parisiens eux-mêmes, ce qui est absolument
contradictoire avec l'ensemble des caractères crâniens. De
plus, si le point A" relève le crâne de Trinil, au point de vue
des rayons auriculaires, il donne a ce crûne un caractère ab-
solument simien, consistant en ce que la ligne basio-auricu-
laire B A" aboutit à plusieurs centimètres en avant du
bregma. Or, il ne parait pas possible d'avancer le basion, si
ce n'est par simple fantaisie, étant donnée la position à peu
près certaine de l'opisthion et la longueur de 31 mm. attri-
buée au trou occipital, chiffre déjà fort pour le volume du
crâne de Trinil.
D'ailleurs, il faut remarquer que l'aplatissement et la briè-
veté de la voûte crânienne fronto-pariétale exprimés par les
rapports ci-dessus sont des caractères très frappants à pre-
mière vue sur ce crâne, et que les courbures frontale et parié-
tale paraissent effectivement plus fortes sur la plupart des
crânes d'anthropoïdes jeunes que sur le crâne de Trinil, dont
l'arc frontal et l'arc pariétal médians sont presque des lignes
droites.
Les chiffres ci-dessus ne font donc que traduire et expri-
mer approximativement ces importants caractères morpholo-
giques par lesquels le crâne de Trinil reste placé au niveau
des singes, en dépit des caractères par lesquels il rentre
dans l'espèce humaine.
Ces caractères ressortent très bien dans la figure 10 où j'ai
rapproché quatre profils en superposant les centres auricu-
laires et en donnant au bord supérieur de l'arcade zygonïa-
tiqne ainsi qu'au plan alvéolo-condylien une direction à
L. MA.NOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPES 613
peu près horizontale. Dans diverses recherches, j'ai toujours
trouvé ce mode de superposition plus satisfaisant que tout
autre. Il en a été de même ici, car la direction en éventail des
lignes nn'n"n"' et F F' F" F'" se trouve ainsi parfaitement
conforme aux rapports du tahleau ci-dessus. En même temps
le changement de direction du bord externe des orbites
CHIMPMZE JnJ
' , , TRiNl'L
" N£/)NDERTH/\L ,
'" CRO- MAGNON
Fig. 10. Profils superposés après essai de reconstitution du crâne du
Néanderlhal n" d'après un moulage. — T, Courtour de l'écaillé tempo-
rale existant sur le moulage. — A, centre auriculaire commun aux 4
crânes. — o o' o" o'", bord orbitaire ext. — n ri n" ri", couburc parié-
lialc. — Profils dessinés avec le stéréographe de Broca.
oo*"o''o'" qui se produit dans la passage de la forme si-
mienne à la forme humaine se trouve fidèlement reproduit
dans notre figure sans qu'il y ait eu aucun artifice employé
614 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1893
dans ce but. Les profils du vieillard de Cro-Magnon et des
chimpanzés sont entièrement dessinés au stéréographe.
Pour le Néanderthal j'ai essayé une reconstitution d'après
un moulage et d'après quelques crânes français de type très
approchant. Quelques-uns trouveront- peut-être que j'ai attri-
bué à ce crâne un prognathisme trop faible. Mais ce n'est
qu'une apparence. J'ai simplement tenu compte en ceci du
fait sur lequel j'ai attiré autrefois l'attention : à savoir que la
proéminence du maxillaire en avant du cerveau peut être
très forte sans que la ligne faciale soit très oblique, lorsque
la proéminence de la portion faciale de l'os frontal et la
situation reculée des orbites par rapport à la glabelle assu-
rent déjà au maxillaire une place considérable en avant du
cerveau sans que la mâchoire ait besoin de proéminer beau-
coup en avant de la glabelle. Les lignes placées au bas de la
figure représentent d'ailleurs la projection de la face en avant
du cerveau pour les quatre crânes superposés, et l'on voit
qu'il s'en faut de peu que le prognathisme réel et absolu du
Néanderthal atteigne celui de Trinil.
Sur ce dernier crâne, le bord supérieur des orbites se rap-
proche de la glabelle beaucoup plus que sur le Néanderthal.
Ce caractère coïncidant avec une visière frontale très pro-
éminente contribue encore à rapprocher le crâne de Trinil de
celui des anthropoïdes. Bien plus : le bord orbitaire supé-
rieur du crâne de Trinil est plus proéminent que la glabelle
elle-même. Ce fait, déjà remarqué par MM. Dubois etVirchow,
est très important, car il indique, en même temps que la
situation très avancée de l'ouverture orbitaire une direction
verticale de la ligne sous-glabellaire, caractère qui est simien
lorsqu'il coïncide, comme c'est ici le cas, arec une grande visière
frontale, ce qui indique une direction oblique de la ligne naso-
alvéolaire.
Revenons maintenant à l'effacement des courbures frontale
et pariétale qui place le crâne de Trinil au-dessous de tous
les crânes humains normaux et au niveau des anthropoïdes.
Sous ce rapport, le Néanderthal n'est pas très haut placé
L. M.VNOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHTOPUS 615
dans notre série;. mais il s'éloigne cependant beaucoup des
anthropoïdes par ses courbures pariétale et occipitale supé-
rieure, tandis que celles-ci font défaut sur le crâne de Trinil.
L'absence de courbure ou de bosse occipitale sur ce dernier
est cause que l'extrémité postérieure du diamètre antéro-pos-
térieur maximum est située sur la crête occipitale, comme
chez les anthropoïdes.
Cela se produit dans l'espèce humaine en cas de brachycé-
phalie extrême, d'où résulte l'absence de bosse occipitale,
mais, en même temps, une courbure pariétale exagérée, c'est-
à-dire le contraire du crâne de Trinil. Ladolichocéphalietend
à diminuer la courbure pariétale au profit de saillie occipitale ;
mais le crâne de Trinil, abstraction faite de sa visière fron-
tale, est plutôt brachycéphale et sa bosse occipitale est nulle.
Il doit donc être rangé, d'après la forme de sa courbe médiane,
avec les anthropoïdes.
Et pourtant il s'éloigne beaucoup des anthropoïdes par la
forme de sa région occipitale et par sa capacité. Voila un dé-
saccord qui doit cacher quelque point important du problème
à résoudre.
Ce désaccord prouve, je crois, que la race de Trinil est issue
d'une race ou espèce de très petite taille.
En effet, l'accroissement de la taille détermine, si le déve-
loppement intellectuel reste station naire, un agrandissement
encéphalique qui porte principalement sur les parties infé-
rieures et centrales du cervenu et d'où résulte un agran-
dissement de la base du crâne (région basilaire notamment)
par rapport à la voûte. Or, si l'on compare la race de Trinil
aux grands anthropoïdes, on trouve dans cette race une capa-
cité crânienne indiquant un développement intellectuel très
supérieur, puisque cette capacité dépasse de beaucoup celle
de tous les anthropoïdes à taille égale.
Si la race de Trinil était issue d'une race anthropoïde de
même taille, son accroissement cérébral exclusivement corré-
latif, en ce cas, à l'accroissement intellectuel, eût déterminé
l'agrandissement de la voûte du crâne par rapport à sa base.
616 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 4893
Or cet agrandissement ne s'est pas produit, comme le démon-
tre la nullité des courbures frontale et pariétale. Le forme
de la yoûte crènienne est restée simienne malgré un accrois-
sement cérébral de 400 ce. au moins par rapport aux plus
grands anthropoïdes et lié, par conséquent, à un accroisse-
ment intellectuel. Il a donc fallu qu'un accroissement simul-
tané ou ultérieur de la taille, agrandissant la base du erâne,
ait fait équilibre à l'agrandissement de la yoûte de façon à
maintenir les caractères simiens ou à les rétablir.
Ainsi s'impose la conclusion que, si le crâne de Trinil est
un représentant normal de sa race, cette race doit être issue
d'une race de taille très inférieure. Et, dans le cas où cette
race ancestrale aurait réalisé d'abord son perfectionnement
intellectuel, elle a dû passer par une phase pendant laquelle
sa forme crânienne se rapprochait plus de la forme humaine
que celle du crâne de Trinil.
La possibilité générale d'une telle phase est prouvée, du
reste, par l'examen comparatif des races humaines entre elles,
car avec un développement intellectuel égal autant que nous
pouvons en juger, les races sauvages de très petite taille,
telles que les Négritos, l'emportent évidemment sur les races
sauvages de forte stature au point de vue du développement
de la voûte relativement à la base du cràvne. De même les es-
pèces simiennes de très petite taille l'emportent, au même
point de vue, sur les anthropoïdes.
Si la race de Trinil était issue d'une espèce de même taille
qu'elle, on ne s'expliquerait pas qu'un accroissement encépha-
lique de 400 ce, entièrement corrélatif, en ce cas, à un perfec-
tionnement intellectuel et doublant presque le volume encépha-
lique en rapport avec une pareille taille, n'ait pas modifié con-
sidérablement l'étendue relative de la voûte crânienne. Il faut
donc que cet accroissement encéphalique de 400 ce, en sus
de l'influence de la taille, ait été accompagné ou suivi d'un
accroissement de taille assez important pour maintenir l'ab-
sence des courbures frontale et pariétale du crâne. Le main-
tien de cette absence implique donc rigoureusement que la
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECA.NTUROPUS GIT
race anthropoïde, précurseur de la race anthropomorphe de
Trinil, était d'une taille très inférieure h celle des gorilles, des
orangs et même des chimpanzés, dont un accroissement encé-
phalique de 400 ce. (entièrement corrélatif à un accroisse-
ment intellectuel) élèverait nécessairement la forme crânienne
très au-dessus du crâne de Trinil.
Ainsi, non seulement la faible stature de toutes les espèces
connues, vivantes ou fossiles, du" genre Hylobates, ne s'op-
pose pas a ce que l'on cherche dans ce genre la souche du
pro-Pithecanthropus; mais encore cette faible stature devient
un argument de plus en faveur de la filiation de la race de
Trinil et d'une race d'Hylobates.
Arcade zygomatique . Hauteur des orbites et de la face. —
Le méat auditif une fois posé, on obtient par cela même la
direction générale de l'arcade zygomatique. Le bord supérieur
de cette arcade doit, en effet, être à peu près tangent au bord
supérieur du méat et aboutir en avant un peu au-dessous
du bord orbitaire inférieur.
Une autre indication est fournie, sur ce point, par la crête
temporo-pariétale pt surmontée d'une dépression qui pré-
sente une légère courbure à concavité supérieure. Si nous
continuons cette courbure en avant, nous devons obtenir
;i peu près le bord supérieur de l'arcade zygomatique et abou-
tir, à quelques millimètres près, au bord orbitaire inférieur
comme chez les anthropoïdes adultes et chez l'homme. On
est ainsi conduit à la certitude que la hauteur orbitaire
du crâne de Trinil ne dépassait pas la hauteur moyenne dans
l'espèce humaine. C'est donc cette hauteur qui a été admise,
avec une hauteur jugale et une hauteur nasale également
ordinaires.
La hauteur nasale a été, toutefois, subordonnée à la hauteur
de la face. Celle-ci n'excède pas la hauteur faciale de nom-
breux crânes humains; elle est la même que celle du crâne
du Turkestan dont il a été question; mais elle est grande
par rapport a la faible hauteur crânienne.
Cette hauteur ne dépasse la moyenne humaine que pour la
t. vi (4e série) 50
f)18 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
région alvéolaire de l'os maxillaire. Sur ce point j'ai tenu
compte du grand volume des deux, dents molaires trouvées à
Trinil auprès du crAne et qui lui appartenaient très vraisem-
blablement.
Os maxillaires. — Il a fallu tenir compte aussi du grand écar-
tement des racines de ces dents, qui comporte des dimensions
maxillaires postérieures notablement plus grandes que dans
l'espèce humaine. C'est pourquoi les deux mâchoires sont très
développées surnotre dessin. Elles ont été cependant réduites
au minimum acceptable. J'ai cru pouvoir prendre en considéra-
tion ce fait, indiqué dans mon précédent mémoire, que les
fausses molaires et les incisives sont souvent très petites chez
les Néo-Calédoniens relativement aux grosses molaires. D'au-
tre part j'ai été conduit à refuser au Pithecanthropus des
canines de combat qui occupent, chez les anthropoïdes maies,
avec le diastème qui les précède, une longueur égale à celle
des deux fausses molaires réunies. Dès lors la longueur des
mâchoires pourra paraître suffisante, une fois admise la
raison pour laquelle j'ai refusé au crâne de Trinil des canines
simiennes.
Cette raison est tirée de la faible étendue de la surface
d'insertion du muscle temporal. Sans doute, cette surface
est grande, relativement au volume du crâne, puisque nous
l'avons vue s'étendre très loin, en arrière du méat auditif,
jusqu'à la rencontre de la crête occipitale, en même temps
qu'elle s'avance en haut jusqu'à un distance assez faible
de la ligne médiane. Mais cela tend seulement à prou-
ver que la mandibule était très développée relalioement au
crâne. Quant au volume absolu de la mandibule, il doit être
en rapport avec la grandeur absolue de la surface d'inser-
tion du muscle temporal. Or, cette surface est trop petite, sur
le crâne de Trinil, pour être en rapport avec des maxillaires
simiens.
Sur beaucoup de crânes océaniens et surtout sur notre
crâne du Turkestan, la surface d'insertion temporale est
beaucoup plus grande, absolument, que sur le crâne de Tri-
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITIIECANTlIROPUS 619
nil ; et pourtant, les maxillaires de ces crânes ont une lon-
gueur notablement plus faible que celle que j'ai accordée au
crâne de Trinil. On pourrait même, d'après ces seules consi-
dérations, penser que les dimensions des maxillaires sont
très exagérées dans le dessin ci-dessus.
Mais il faut aussi considérer que, chez le chimpanzé et le
gorille femelles, les surfaces temporales n'atteignent pas,
sur le crâne, une étendue absolue aussi grande que chez
beaucoup d'hommes ; cela n'empêche pas ces animaux
d'avoir des maxillaires dont le volume dépasse de beaucoup
le maximum humain. C'est pourquoi, chez les anthropoïdes,
les insertions du muscle temporal trouvent en avant, derrière
la paroi externe de l'orbite, une surface très grande, de sorte
que la portion antérieure de ce muscle acquiert une épais-
seur énorme.
( )r il en est de même pour le crâne de Trinil : c'est en avant,
dans la fosse temporale proprement dite, que le muscle tem-
poral a pu atteindre une épaisseur en rapport avec les puis-
santes mâchoires que je lui ai attribuées. Gela est indiqué,
non seulement par la saillie latérale extraordinairement
grande de l'apophyse orbitaire externe, mais encore par la
grande ouverture de l'angle que forme cette apophyse avec
la paroi frontale externe.
La grande étendue de la fosse temporale proprement dite
autorise donc à attribuer au crâne de Trinil des dimensions
maxillaires supérieures aux dimensions humaines normales
et proportionnées au volume des deux molaires trouvées par
M. Dubois. Il serait permis peut-être d'aller jusqu'au volume
maxillaire du chimpanzé, à l'âge d'éruption des canines :
mais il faut reconnaître que, sur ce point, le chiffre de l'ap-
proximation atteinte est dillicile à déterminer k 1 cm. près.
Prognathisme. — Avec des dents aussi volumineuses que
celles de Trinil on eût pu prévoir, a priori, un prognathisme
tout a fait simien qui n'est pas réalisé dans notre figure. Le
prognathisme est très inférieur à celui d'un jeune chim-
panzé dont les maxillaires sunl à peine plus volumineux. Il
620 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
est aisé de comprendre que ce fait est dû à la grandeur du
crâne, très supérieure à celle d'un anthropoïde. Il y aune telle
distance horizontale entre la cavité glénoïde du temporal
et le plan vertical antérieur des orbites que la majeure partie
des mâchoires à trouvé place dans cette distance. De là et de
la réduction des canines qui jouent le plus grand rôle dans
la production de la proéminence maxillaire, il est résulté que
le prognathisme ne dépasse pas énormément le maximum des
Australiens.
Le prognathisme mandibulaire dépasse le maximum humain
tout en restant inférieur au minimun simien., Un rudiment
de menton a été admis, comme aussi un rudiment d'épine
nasale. Cela me paraît justifié d'après la théorie que j'ai
donnée sur la formation du menton '. Le menton résulte de
ce que la portion alvéolaire de la mandibule a un développe-
ment proportionel à celui des dents, tandis que la portion
située au-dessous du trou mentonnier est plus directement
proportionnée à la masse générale du squelette 2. Le men-
ton se forme donc par suite de la réduction du volume des
dents, par rapport à la taille. Ici nous avons une taille humaine
et des dents supérieures en volume à celles des Australiens
eux-mêmes; il doit donc y avoir un menton moins prononcé
que chez les Australiens. Mais la taille est forte et les dents
sont petites pour un singe de cette taille ; il doit donc y avoir
un menton plus prononcé que chez les singes. C'est pourquoi j'ai
admis une forme intermédiaire.
Pour un certain nombre de caractères, il n'est pas néces-
saire d'entrer ici dans des détails justificatifs. La hauteur de
la branche montante de la mandibule n'excède pas celle de
certains crânes humains. La largeur a dû être proportionnée
à la longueur du corps de la mandibule. Les points d'insertion
du massêter ont reçu une importance également en rapport
1 Dictionn. des sciences anlhropol. Art. Prognathisme.
- L. M. Sur le de'oelopp. quantit. comparé de l'encéphale cl de
diverses parties du squelette Bull. Soc. Zool. de France, 1881).
L. MÀNOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPOS 621
avec le volume de la mandibule. En corrélation avec le volume
du masséter j'ai admis une assez grande largeur pour les
apophyses et arcades zygomatiques. Enfin les apophyses mas-
toïdesontreçu un volume assez grand, en rapport avec la taille,
mais une longueur relativement faible pour rester un peu en
deçà de la forme humaine ordinaire.
Interprétation. — L'essai de reconstitution ici tenté a eu
pour but d'obtenir une figure quelconque uniquement com-
posée d'après des données crâniologiques. L'opinion très
réservée, soutenue dans mon premier mémoire, ayant été
que le crâne de Trinil présentait des caractères intermédiai-
res entre ceux de l'espèce humaine et ceux des anthropoïdes,
il ne m'eût été désagréable en rien d'aboutir à une figure plus
humaine ou plus simienne. J'avoue avoir été obligé de retou-
cher plusieurs fois certains traits, mais toujours pour des
raisons d'ordre anatomique. jamais pour satistaire une idée
préconçue.
Il n'en est pas moins vrai que la figure obtenue s accorde
complètement avec ma première opinion et la consolide par
conséquent. Ce n'est certainement point la une figure humaine,
et même en diminuant les maxillaires, en supprimant le pro-
gnathisme, on n'obtiendrait pas une physionomie humaine
acceptable étantdonnéelaformegénéraledelavoùte.Onobtien-
drait simplement un crâne bizarre, une forme aussi offensante
pour l'œil que difficilement justifiable. Cela est en faveur de
l'opinion primitivement soutenue par les anthropologistes
allemands qu'il s'agissait d'un singe.
Mais, d'un autre côté, l'opinion première des anthropolo-
oistres anglais qu'il s'agissait d'un homme trouve sa justifi-
cation dans des faits incontestables. Il n'y a pas d'anthro-
poïde adulte dont la capacité crânienne approche de celle
du crâne de Trinil. Il n'y a d'anthropoïde adulte dont le trou
occipital soit situé si avant sous l'occiput et si profondément
entre les deux saillies cérébelleuses. Sir W. Turner a pu
montrer sur divers crânes humains des caractères 1res rapt.ro-
G-22
SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
chés des caractères pithécoïdes du crâne de Trinil, tandis qu'il
eût été difficile aux anatomistes allemands de montrer sur
des crânes de singes adultes une situation approchante du
Fig. 11. Profil du crâne d'un 1res jeune chimpanzé. B. Tasion.
Opislhion, (Dessiné avec le stéréogr. de Broca.)
_ O
Fig. 12. Profil du crâne de Mar^arellia Mœhler, microcéphale décrite
par Cari Vogt (d'après un moulage). — Profils superposés de deux crâ-
nes parisiens féminins d'une belle conformation, l'un grand, l'autre
petit. Le centre auriculaire est le même pour les 3 crânes. Dessins au
stéréographe. Réduction à 1/3.
trou occipal et une capacité crânienne également approchante
de celle du crâne de Trinil.
L. M.VNOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LS PITIIECANTHROPUS 023
Je crois savoir, d'après une lettre de M. Eugène Dubois, que
l'opinion générale a été sensiblement modifiée par la vue
directe des pièces. Aussi bien je cherche simplement ici à mon-
trer, dans la divergence des affirmations premières d'anato-
mistes très éminents les uns et les autres, un argument de
plus en faveur de mon opinion ; c'est pourquoi je cherche a
mettre en relief les fortes raisons qui pouvaient inspirer des
conclusions aussi différentes.
Or, un fait me paraît propre a expliquer tout cela et à mettre
d'accord tout le monde : c'est que le crâne de Trinil est assimi-
lable, quant a sa for m1: y in 'raie, au crâne des jeunes anthro-
poïdes.
On sait qne les anthropoïdes jeunes ont un encéphale très
développé relativement a leur taille si on la compare aux adul-
tes ; on sait aussi que, sous le rapport de la situation et de la
direction du trou occipital, ils sont à peu près humains. A
mesure qu'ils avancent en âge la région basilaire allant de
de l'éphippium au trou occipital s'allonge en raison des pro-
grès de la taille et sans que la voûte crânienne s'allonge. Il
en résulte un recul du trou occipital, un refoulement proges-
sif de toute la région occipitalequi finit par regarder en arrièrre
au lieu de regarder en bas. Et comme les parties centrales du
cerveau croissent plus longtemps que le manteau, celui-ci
est refoulé latéralement et en haut, de sorte que le trou occi-
pital finit par occuper un plan plus inférieur que celui des
parties circonvoisines l.
Cela dit, supposons que le cerveau d'un certain anthro-
poïde X se développe suffisamment jusqu'à l'àgeadulte pour
atteindre le volume relatif existant chez les anthropoïdes jeu-
nes des espèces connues, alors le crâne de cet anthropoïde
adulte devra ressemblera celui des anthropoïdes jeunes des
autres espèces. Il revêtira, par conséquent, divers carac-
i'Cf mon mémoire sur les 'modifications du profil endocrânieri
dans le passage à Vétat adulte, etc [Bull. Soc. Anthr. de Bordeaux
t. I 1884.
P>24 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
tères humains, précisément ceux que présente le crâne de
Trinil ; mais il pourra conserver, néammoins, d'autre carac-
tères simiens plus ou moins atténués, ceux que l'on trouve
également sur le crâne de Trinil. La forme crânienne du pré-
curseur de l'homme était d'avance indiquée par la forme crâ-
nienne des jeunes anthropoïdes.
La figure que j'ai obtenue, si l'on met de coté les caractè-
res exclusivement en rapport avec l'Age adulte, me produit
l'impression d'un crâne de très jeune anthropoïde avec sa
forme presque humaine, mais cependantsimienneencore. C'est
ce qui donne une forme très rationnelle à la divergence des
appréciations rappelée plus haut.
Mais le crâne de Trinil est adulte ; il s'élève donc par sa
forme au-dessus de toutes les espèces connues d'anthropoï-
des en même temps qu'il les dépasse par son volume.
D'autre part, le crâne de Trinil reste encore éloigné du lype
humain aussi bien par sa grandeur que par sa forme. Si mis
ces deux rapports il représente un type intermédiaire aussi
parfaitement que possible.
Il n'est pas humain par sa grandeur, non parce qu'il est im-
possible de rencontrer une aussi faible capacité dans l'espèce
humaine, mais parce que, dans les races humaines les plus sau-
vages, les individus normauxde taille correspondante au fémur
de Trinil possèdent une capacité très supérieure. Jecrois pou-
voir maintenir sur ce point ce que j'ai dit dans mon précédent
mémoire. Pour un homme de taille moyenne la capacité du
crâne de Trinil indiquerait l'imbécilité. Elle serait compatible
avec une intelligence normale chez un pygmée ; mais elle
coexiste ici avec une forme générale et avec une visière fron-
tale indiquant tout autre chose qu'un pygmée Le nanisme
simple ne tend pas à bestialiser la forme du crâne; il tend,
au contraire, à rendre cette forme supérieure à la moyenne
de la race. Tout concourt à montrer que l'individu de Trinil
possédait une capacité crânienne très faible pour sa taille,
trop faible pour qu'il soit possible de lui attribuer une intelli-
gence humaine normale dans l'état actuel de l'espèce.
L. MAKOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 625
Si l'on veut admettre qu'il s'agit d'un imbécile anormal
pour sa race et rencontre à la faveur d'un hasard extraordi-
naire, je n'ai rien trouvé d'abord à objecter sinon l'étrangeté
de ce hasard. Mais j'objecte en outre, aujourd'hui, que si les
dents sont grosses relativement au crâne chez les microcéphales,
leur volume absolu n'a rien d'exagéré d'après tous les spéci-
mens connus. Le prétendu microcéphale de ïrinil aurait donc
appartenu à une race humaine qui possédait normalement
des dents et des mâchoires énormes, d'après les deux molaires
que l'on possède. Mais alors on serait ramené à admettre l'in-
fériorité de cette même race sous le rapport de la morpholo-
gie crânienne.
Il me paraît très satisfaisant de supposer que si une race
anthropoïde s'est élevée dans la direction humaine, elle a dû
atteindre tout d'abord, et conserver à l'Age adulte, le progrès
morphologique indiqué par une phase précédemment transi-
toire de son évolution cérébrale ontogénique.
L'existence de cette phase enfantine qui annoncerait ainsi
la direction du progrès cérébral à réaliser par une espèce, en
cas d'évolution progressive, peut paraître au premier abord
paradoxale au point de vue de la théorie même de l'évolution.
On sait, en effet, que les premières phases de l'évolution onto-
génique resssemblent plutôt à une sorte de récapitulation de
l'évolution phylogénique. C'est même à propos de l'encéphale
que Serres a mis en évidence, pour la première fois, je crois,
celte récapitulation.
On a remarqué depuis longtemps ce fait curieux : que les
jeunes anthropoïdes se rapprochent craniologiquement de
l'homme beaucoup plus pendant leur enfance qu'à l'Age
adulte. Quelques auteurs ont même cru pouvoir baser sur ce
fait l'opinion que les anthropoïdes seraient issus, par dégra-
dation, d'une souche morphologiquement supérieure: mais le
paradoxe dont il s'agit peut recevoir, d'après mes recherches,
une interprétation liés différente. Ce n'est pas seulement chez
les anthropoïdes jeunes que l'on observe un certain nombre
de caractères crâniens plus élevés que chez les adultes. J'ai
626 séance du 17 ocToimE 1895
constata des caractères de ce genre aussi bien dans l'espèce
humaine, chez d'autres primates et chez les carnassiers; et
je crois en avoir donné une explication satisfaisante appuyée
sur de nombreux faits parfaitement coordonnés entre eux.
11 ne s'agit pas ici des premières phases du développement
embryonnaire, phases réellement récapitulatives; il s'agit
d'une phase postérieure dans laquelle le développement onto-
génique de l'encéphale est très avancé quant aux parties les
plus indépendantes de la taille et par conséquent les plus
directement liées au fonctionnement intellectuel, relativement
aux parties dont le développement est plus étroitement en
rapport avec la taille. A mesure que l'animal grandit, ces
dernières parties croissent également et arrivent à prendre,
par rapport aux portions les plus étroitement intellectuelles
et à développement vite achevé, une importance d'autant
plus considérable que la masse des systèmes osseux et mus-
culaires devient plus grande. Ces dernières portions de l'encé-
phale étant les plus centrales et inférieures refoulent alors
en arrière et latéralement le manteau cérébral, de telle sorte
que le passage de la forme cérébrale enfantine à la forme
adulte trouve dans ce fait une explication complète.
J'ai donné comme complément de preuve, à ce sujet, le fait
que les races et les individus de très petite taille, aussi bien
dans l'espèce humaine que chez les chiens et chez les singes,
conservent en partie à l'âge adulte les caractères de supério-
rité morphologique de l'enfance. A la condition, bien entendu,
qu'avec l'infériorité de la taille, ne coexiste pas une infério-
rité intellectuelle très prononcée. Les divers caractères de
supériorité du crâne féminin doivent être interprétés ainsi,
de même que les caractères analogues des petits chiens hava-
nais comparés aux grands chiens, de certaines petites espèces
de singes comparées aux grandes espèces et des jeunes en
général comparés aux adultes. J'ai montré, toutefois, dans un
des mémoires déjà cités, que, dans l'espèce humaine ou tout
au moins dans les races européennes, la supériorité morpho-
logique du crâne enfantin disparait en partie à cause de la
L. MANOUVIUER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 027
continuation du développement frontal jusqu'à l'Age adulte.
Ces faits rappelés, je répète qu'il est rationnel de penser
qu'une espèce anthropoïde évaluant vers le type humain a dû
réaliser avant tout, à l'état adulte, en ce qui concerne le crâne,
les caractères de supériorité qu'elle possédait transitoirement
à l'état jeune avant cette évolution.
Les conditions de cette réalisation existeraient déjà en par-
tic dans une race d'anthropoïdes dont la taille resterait sta-
lionnaire à partir d'un très jeune âge, autrement dit dans
une race naine ou pygméenne, puisque nous venons de voir
que c'est l'accroissement de la taille qui détruit la supériorité
morphologique crânienne des anthropoïdes jeunes.
Tel n'a pas été, certainement, le cas de Pithecanthropus
dont la taille adulte, suffisamment indiquée par le fémur et
même par les caractères crâniens, était grande pour tous les
genres d'anthropoïdes.
Mais il y a d'autres conditions de réalisation de la supério-
rité dont il s'agit. Elle peut être maintenue jusqu'à l'âge
adulte si, contrairement à ce qui a lieu chez les anthropoïdes
à mesure que la taille accroît la longueur de la région basi-
laire et le volume des parties centrales du cerveau, le manteau
cérébral continue, lui aussi, à croître plus ou moins, en cor-
rélation avec le perfectionnement intellectuel.
Les choses semblent s'être passées ainsi. Le Pithecanthro-
pus représenterait cette phase inférieure de l'évolution humaine
dans laquelle le perfectionnement intellectuel et cérébral
auraient été suffisants juste assez pour que le développement
de la voûte du crâne ne restât pas plus en retard qu'il ne l'est
chez les jeunes anthropoïdes, par rapport au développement
basilaire corrélatif à l'accroissement de la taille.
Dans les races humaines actuelles les plus inférieures, ce
stade de l'évolution est largement dépassé pour les individus
normaux. A mesure que la région basilaire s'allonge, la voûte
du crâne s'agrandit proportionnellement davantage, assez.
pour que le progrès morphologique atteint par !<• Pithecan-
628 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
thropus soit largement dépassé, moins qu'il ne l'est toutefois
dans les races européennes.
POINT DE VUE TRANSFORMISTE.
Question d'origine. — Ces développements théoriques, ap-
puyés sur des faits certains, ont ici une place légitime, car
l'hypothèse à la vraisemblance de laquelle ils peuvent con-
tribuer, ;i savoir la qualité de précurseur attribuée par
M. Dubois à son P. E., repose sur un ensemble de faits assez
respectable pour exiger la plus sérieuse attention. En outre,
derrière cette hypothèse en surgit une autre aux yeux des
transformistes. Tout naturellement se pose la question de sa-
voir si le précurseur de Java était un ancêtre immédiat de
l'homme ou d'une partie de l'espèce humaine.
La qualification de précurseur peut être acceptée sans répu-
gnance indépendamment de la doctrine transformiste. Elle
place tout simplement une espèce intermédiaire entre les
anthropoïdes et l'espèce humaine et vient confirmer une fois
de plus le vieil adage : Natura non facit sallus. Elle exprime
une pure constatation. En faveur de cette hypothèse milite-
ront, d'une part, tous les arguments apportés pour démon-
trer qu'il s'agit d'une espèce anthropoïde véritablement
simienne jusqu'alors inconnue; — d'autre part, tous les ar-
guments apportés pour démontrer qu'il s'agit d'une race
humaine.
L'hypothèse d'un véritable ancêtre tirera profit de tous ces
arguments, car tous tendront à établir une filiation ininter-
rompue aux yeux des partisans du transformisme, c'est-à-
dire de ceux qui désirent et prétendent expliquer pourquoi
Natura non facit salins. En insistant sur les caractères simies-
ques, on appuiera volontairement ou non la filiation du
pithecanthropus avec les singes ; en insistant sur les carac-
tères humains, on rendra plus probable la filiation de l'espèce
intermédiaire avec l'espèce humaine.
L'événement scientifique dû aux. laborieuses et fructueuses
L. MANOUVniGK. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS G29
recherches de M. Eug. Dubois est de nature a réjouir tous les
amis de la science, mais il semble devoir être plus particu-
lièrement agréable aux transformistes. Pour ces derniers, la
question de savoir si le P. E. doit être rangé dans le genre
Homo sapiens ou dans un genre voisin dépend de la valeur
que l'on voudra attacher au mot sapiens, dont la valeur est
déjà très relative. Quant à la question d'espèce elle-même,
c'est, pour le transformiste, aussi bien que la précédente, une
simple question de différenciation morphologique.
Il n'en est pas moins intéressant de rechercher à quel
genre simien serait échu l'honneur de devenir souche hu-
maine, autrement dit à quel genre anthropoïde connu se
rattache l'intermédiaire P. E.
M. Dubois a pensé au genre Hylobates (Gibbon), non seule-
ment à cause de certains caractères crâniens et fémoraux,
mais encore à cause de considérations diverses et de faits
dont l'ensemble est assez imposant.
Je ferai quelques remarques seulement sur ce point.
Sur cinq caractères distinctifs de la colonne dorso-lombairc
des bipèdes, Broca en trouve, chez tous les anthropoïdes,
quatre qui font défaut chez tous les autres primates. Le cin-
quième caractère, d'une importance majeure, celui de la
courbure de la région lombaire, on le trouve, seulement un
pou moins prononcé que dans le type humain, chez les gib-
bons. Le rachis du gibbon siamang présente exactement les
trois courbures du type humain. Ces courbures se dégradent
peu à peu de l'homme au gibbon siamang, de celui-ci aux
autres gibbons, puis des gibbons au chimpanzé et enfin au
gorille1, de sorte que le genre gibbon était le mieux appro-
prié à l'équilibre vertical. On doit reconnaître, avec Broca,
que le gibbon, comme tous les anthropoïdes, est un bipède
imparfait, mais néanmoins un véritable bipède, différant
beaucoup moins de l'homme, sous ce rapport, que des autres
primates (ibid.,y. 2o).
1 P. Broca, L'ordre des Primates (Bull. Soc d'Anthr. de Paris,
1869, et Mémoires de Broca. t. III).
630 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
I. a fosse iliaque interne n'est pas aussi concave chez les
gibbons que chez les gorilles, mais n'est pas convexe comme
chez les singes quadrupèdes; elle est un peu concave chez le
gibbon agilis et plate chez le siamang (II. syndactylus). Sous
le rapport du nombre des pièces définitives du sternum, les
gibbons présentent exactement le type humain, contraire-
ment aux autres anthropoïdes (ibid,Y>. 41). Par l'angle de
torsion humorale, les gibbons sont notablement supérieurs
aux autres anthropoïdes, mais leur moyenne atteint pourtant
le minimum individuel rencontré sur des hommes bien con-
formés1. Le lobe azygos du poumon droit, dont la présence
parait être liée à l'attitude quadrupède, fait défaut chez les
anthropoïdes comme chez l'homme; il existe chez les gib-
bons, mais il est très petit et a peine distinct du lobe infé-
rieur, dont il parait n'être qu'un prolongement.
Les gibbons n'ont pas de sacs laryngers, mais 17/. syndac-
tylus a deux sacs sous-épigloltiques parfaitement distincts
(Broca, ibid., p. 119).
Sous le rapport de la forme générale du cerveau, les gib-
bons appartiennent au type humain, comme les autres an-
thropoïdes. Il est vrai que leur lobe frontal est plus étroit en
avant que celui des orangs, gorilles et chimpanzés, mais
c'est la une différence insignifiant»1 au point de vue qui nous
occupe, car elle est de celles dont on peut le plus facilement
admettre la disparition sous l'influence d'un perfectionnement
fonctionnel, tandis que c'est très difficile pour certains carac-
tères tels que, par exemple, l'absence de division du poumon
chez l'orang. À supposer que l'espèce du genre Ilylobates
d'où serait dérivée la notre, ait été inférieure cérébralement
aux grands anthropoïdes actuels, ce qui est très possible, elle
pourrait avoir facilement dépassé sous ce rapport ces der-
niers, grâce aux conditions de perfectionnement qui auraient
déterminé sa transformation dans le sens humain.
1 Cf. P. Broca. La torsion de l'humérus et le tropomèlrc, (Revue
d'Anthr., 1881, p. 570-583).
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ETUDE SUR LE F1THECANTHROPIS 631
Le type cérébral. des gibbons, d'après les deux spécimens
que je connais, me parait être assez complètement humain
déjà, dans ses caractères principaux, pour que les différences
de détail puissent être considérées toutes comme susceptibles
d'être effacées sous l'influence d'un accroissement de taille
et d'une transformation intellectuelle aussi considérable que
le comporte l'hypothèse ici examinée.
Telles sont, notamment, la brièveté des sillons, l'absence
d'incisures sur toutes les circonvolutions et la simplicité de
celles-ci. L'essentiel est que la disposition des plis soit la
même que chez l'homme, et, sous ce rapport, le cerveau du
gibbon ne laisse rien à désirer. Au sujet de la complexité
des plis cérébraux, aussi bien qu'au sujet du volume céré-
bral, on ne peut faire abstraction de la taille de l'individu.
Le cerveau de l'orang ressemble plus à celui de l'homme que
le cerveau du gibbon, c'est vrai, mais il est permis de croire
que l'infériorité de celui-ci disparaîtrait sous ce rapport aussi
bien que sous le rapport du volume dans une espèce de gib-
bon qui atteindrait la taille de l'orang.
Il faut enfin tenir compte, dans cette question, des nom-
breuses variations que présente la morphologie cérébrale
dans l'espèce humaine et ne point exiger, chez l'espèce ances-
trale cherchée, une perfection typique supérieure à celle de
nos microcéphales ordinaires.
Sans se placer au point de vue de la théorie transformiste,
Broca ne manqua point de faire ressortir que la différence
d'attitude existante entre les anthropoïdes et l'homme, quel-
que faible qu'elle fût, devait correspondre à une supériorité
psychologique énorme en faveur de ce dernier. Il fit obser-
ver « qu'un perfectionnement organique léger en soi peut
amener dos conséquences fonctionnelles diverses, nombreuses,
profondes, qu'il peut y avoir un défaut de proportion entre
un changement anatomique et un changement physiologique.
Voilà pourquoi, dit-il, dans le parallèle de l'homme et des
anthropoïdes, la comparaison des organes ne montre que des
différences légères, tandis que la comparaison des fondions
f>32 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
en révèle de beaucoup plus grandes » (loc. cit., p. 443).
Gomme beaucoup d'autres remarques de Broca, celle-ci est
de nature à corroborer la théorie transformiste, en montrant
que des changements organiques très légers ont pu être suf-
fisants pour modifier beaucoup les fonctions. Mais il faut
aller plus loin, et si l'on cherche la cause de ces légers chan-
gements organiques si importants en physiologie, c'est aux
modifications physiologiques elles-mêmes qu'il faut remon-
ter. Car celles-ci ont une cause modificatrice évidente dans
les actes imposés à l'organisme par les circonstances exté-
rieures; et c'est ainsi qu'elles peuvent influer sur les orga-
nes. Renversant les termes de la proposition de Broca, on
peut dire qu'une modification fonctionnelle légère, concer-
nant l'attitude, a suffi pour produire des modifications orga-
niques très considérables, importantes elles-mêmes au point
de vue fonctionnel, si bien que l'on peut expliquer par
le simple changement de l'attitude toutes les différences
anatomiques et physiologique^ capables de caractériser le
genre Homo, par rapport à la Famille des Anthropoïdes.
11 faut considérer, en effet, que les modifications fonction-
nelles liées comme causes et effets aux changements organi-
ques, réagissent les unes sur les autres de façon à expliquer
des changements qui, au premier abord, paraissent n'avoir
aucun lien avec les premiers. D'où il suit que si l'on veut
remonter, dans la série anthropomorphe, jusqu'à l'espèce
ancestrale dans laquelle s'est produite la modification de l'at-
titude, on peut s'attendre à trouver, dans cette espèce, des
caractères morphologiques trop différents des caractère-
humains pour que l'on soit actuellement en état d'expliquer,
de prime abord, le mécanisme propre de leur transforma-
tion.
Avant de récuser une espèce anthropoïde comme ayant pu
être le point initial de la lignée humaine, il faudrait donc
être certain que les caractères motivant la récusation sont de
ceux qui ne peuvent avoir été transformés sous l'influence
des multiples modifications dérivées directement ou indirec-
L. MASOUVUIEU. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PI?HECANTHROPUS 633
teraent de l'attitude bipède. En ce qui concerne le cerveau,
plus particulièrement, ces modifications peuvent avoir été
très grandes, puisque c'est dans le domaine des fonctions céré-
brales que l'espèce humaine a réalisé, par rapport aux an-
thropoïdes, son maximum de différenciation.
Il n'en est pas moins probable que la race anthropoïde
préhumaine était remarquable par une réunion de ces divers
caractères presque humain que nous observons diséminés
dans les différents genres d'anthropoïdes actuels. Mais aucun
de ces caractères n'empêcherait, je crois, de classer une telle
espèce dans le genre Hylobates qui présente, d'ailleurs, tel
qu'il est, des variations assez fortes.
Au sujet de la généalogie du P. E., il me semble que c'est
tout au plus, si l'on peut rattacher cette espèce au genre
Hylobates ou à un genre voisin, étant donnée la distance qui
•sépare encore le P. E. des anthropoïdes miocènes actuellement
connus et, surtout, l'insuffisance des restes squelettiques que
l'on en possède. Je maintiens pourtant que l'espèce d'où est
issu directement le P. E., a dû être très inférieure à lui, en
raison de la possibilité d'une transformation très rapide de
l'attitude et des conséquences multiples de cette transfor-
mation d'un caractère dominateur.
11 y a eu passage non seulement d'une espèce à une autre,
mais encore, en même temps, d'une famille à une autre et
sans que ce passage ait exigé « de la nature » de plus grands
efforts que beaucoup d'autres transformations moins impor-
tantes.
Question de classement. — On peut essayer de pourvoir le
P. E. d'ascendants hypothétiques, mais on peut le classer
d'une façon moins provisoire. Or, la place qui lui a été attri-
buée par M. Dubois entre les singes et les hommes, me sem-
ble suffisamment justifiée.
Pour ma part, j'avoue que je n'aurais pas hésité à placer
le P. E. dans la famille des Hominiens, car une espèce
jouissant de l'attitude verticale, de la marche bipède et d'un
volume cérébral au moins double de celui des anthropoïdes
T. VI (*c SÉIUE). '.I
034 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
à taille égale, sort complètement de la famille des Anthro-
poïdes et possède les caractères fondamentaux distinctifs de
la famille humaine.
Dans la famille des Hominiens, les caractères connus du
P. E., m'eussent paru suffisants pour légitimer la forma-
tion d'une espèce caractérisée par l'infériorité du volume et de
la forme du cerveau relativement à l'espèce humaine, ou
hien d'un genre, au cas où l'on voudrait distinguer parmi les
hommes actuels plusieurs espèces différentes.
Je trouverais seulement excessive la distinction faite par
M. Dubois d'une nouvelle famille, car il suffit de placer le
P. E. en dehors de la famille des Anthropoïdes, au-dessous
du genre Homo. On peut pourtant supposer que le P. E. ne
possédait pas l'un des caractères les plus précieux de l'huma-
nité, a savoir le langage articulé. L'étroitesse frontale, très
loin prolongée du crâne de Trinil, permet de douter que la
circonvolution de Broca ait été plus développée chez le P. E.
que chez les anthropoïdes. Ce dernier caractère, sur la réalité
duquel on discuterait vainement, suffirait-il pour justifier
la formation d'une nouvelle famille? C'est comme on le vou-
dra.
Sur le chapitre des appellations, c'est à M. Dubois que doit
être réservé l'honneur, bien mérité par lui, de choisir. Je me
borne à émettre un doute sur la nécessité de former une
nouvelle famille pour classer le P. E. Un nouveau genre
ajouté au genre Homo dans la famille des Hominiens eût lar-
gement suffi, et les doutes relatifs au développement de la
troisième circonvolution frontale eussent trouvé une place
suffisante dans la justification du genre pitlucjnlhropus.
D'ailleurs, tous ces termes : famille, genre, espèce, race
n'ont à mes yeux d'autre valeur que celle tirée de la subor-
dination des caractères et du degré de différenciation. Loin
de diminuer l'importance de la découverte de M. Dubois,
cette discussion ne fait que mettre davantage en relief la
qualité de précurseur de l'homme, attribuée par lui à son
P, E.
L. MÀNOUVIUER. — DEUXIEME ETUDE SUR LE PITIIECANTHROPl'S 633
Au-delà des temps quaternaires, la théorie transformiste
supposait l'existence de races morphologiquement infé-
rieures à celle du Néanderthal et de Spy, au point de vue de
l'évolution crânienne et céréhrale. Cette race était, d'ailleurs,
tout aussi manifestement humaine que nos races sauvages
actuelles; la théorie transformiste avait d'autant plus besoin
de trouver, dans les couches géologiques précédentes, une
race fossile qui méritât mieux l'épithète d'intermédiaire entre
les races actuelles les plus inférieures et les anthropoïdes.
Une couche pléistocène de Java nous a fourni cette race
assez inférieure, cette fois, pour soulever la question d'espèce,
de genre, de famille. Cette question de mots résulte de ce
qu'il y a vraiment quelque chose de nouveau à classer : l'un
des anneaux manquants de la chaîne ininterrompue qui doit,
selon la théorie transformiste, relier l'homme à une espèce
anthropoïde.
Or, l'anneau trouvé par M. Dubois est si bien placé au
milieu de la chaîne, qu'il suffit à indiquer l'état des anneaux
manquants en deçà de lui et au-delà. Et comme il ne s'agit,
entre l'espèce anthropoïde devenue bipède et l'homme, que
d'une question de pas successifs dans une même voie, il me
semble que le seul genre Pithecanthropus pourra comprendre
tous les degrés parcourus depuis la réalisation parfaite de
l'attitude et de la marche bipède jusqu'à l'état le plus infé-
rieur de l'humanité actuelle. On pourra si on le juge néces-
saire d'après les découvertes futures, distinguer dans ce genre
des espèces diverses, comme certains auteurs éprouvent le
besoin d'en établir dans le genre Homo tel que nous le con-
naissons.
L'établissement de ce nouveau genre me semble d'autant
plus suffisant que la dénomination de races a paru jusqu'il
présent suffisante pour désigner des groupes humains fort
divers et que l'on n'a pas formé, avec raison, une espèce parti-
culière pour la race du Néanderthal et de Spy. A fortiori n'ira-
t-on pas jusqu'au genre. En réservant donc le cadre espèce pour
les divisions futures du genre Homo, si tant est que le besoin
63§ SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
s en fasse senlir, le cadre genre sera suffisamment large pour
comprendre tous les intermédiaires possibles entre les Anthro-
poïdes et l'Homme. Un seul genre, même, sera suffisant; car
s'il y a eu plusieurs souches différentes intermédiaires entre
les singes et l'Homme, elles n'ont pas dû différer plus entre
elles que ne diffèrent les diverses races humaines qui en sont
issues et dont personne, certainement, ne voudrait faire des
genres, puisque c'est déjà hardi d'en faire des espèces.
Ainsi donc, en raison de l'importance très haute des carac-
tères intellectuels et de la prohabilité que l'espèce anthropo-
morphe de Trinil n'a pas dépassé, sous ce rapport, la moitié de
la distance qui sépare les anthropoïdes de l'homme, on peut
admettre pour cette espèce jugée indigne du nom de sapiens,
le nom d'erectus, excellent pour indiquer la cause de son ache-
minement vers un degré supérieur d'intelligence. On peut
même, pour marquer plus fortement l'importance des carac-
tères intellectuels, ranger cette espèce dans un genre nou-
veau Pilhecanthropus. Mais cela suffit. Le nouveau genre, pos-
sédant tous les attributs caractéristiques de la famille des
Hominiens, peut prendre place dans cette famille, à un rang
inférieur, et il pourra comprendre, sans difficulté, toutes les
espèces ou races intermédiaires qui ont pu exister entre l'es-
pèce jugée digne du nom d'Homo sapiens et l'espèce qui, la
première, sortit de la famille des Anthropoïdes en adoptant
l'attitude et la marche bipèdes, causes de la supériorité hu-
maine.
Questions de possibilité de la transformation. — Les motifs
du passage à la marche bipède ont dû être très impérieux,
car il est difficile de croire que, sans cela, une espèce de
grimpeurs eût pris spontanément l'audacieuse initiative de
renoncer à un mode de locomotion en rapport avec une
adaptation instinctivement et organiquement fixée.
Entre autres hypothèses à ce sujet, on peut supposer la
destruction plus ou moins complète des forêts dans une île
habitée par des anthropoïdes capables de prendre, au besoin,
l'attitude bipède. Un volcan aurait pu accomplir cette destruc-
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHRO PUS 637
tion et rendre nécessaire, sous peine de suppression de la
race, l'adoption de la marche bipède, d'ailleurs assez facile
pour une race du genre IJy lobâtes.
En refusant au P. E. la qualité d'ancêtre humain, on n'ex-
pliquerait pas plus facilement la disparition d'une espèce
anthropomorphe aussi supérieure à toutes le.s autres espèces
simiennes que l'était celle de l'individu fossile de Trinil, car
elle était de forte taille et cérébralement supérieure à toutes
les autres. Elle possédait donc de grandes chances de survie
dans la concurrence vitale. Dans l'hypothèse ici envisagée,
l'espèce Pithecanthropus erectus n'aurait pas disparu. Deve-
nue race humaine, elle ne pouvait pas rester en même temps
une race anthropoïde. Si le Pithecanthropus n'était qu'un
simple précurseur, il était assez supérieur aux autres ani-
maux pour survivre à l'état d'espèce, à moins que l'es'pèce
humaine surgissant tout à coup « du limon de la terre » ne se
soit empressée de faire disparaître ce concurrent dangereux,
Mais si le P. E. était un ancêtre, son espèce survit encore
dans sa descendauce humaine.
La différence est si faible entre le P. E. et l'homme actuel
qu'il n'y a pas lieu de chercher un chaînon intermédiaire.
Ce chaînon est suffisamment représenté par la portion la plus
arriérée de nos races sauvages, à preuve l'attribution du
crâne de Trinil lui-même à quelque race humaine.
Si l'on admet que, parmi plusieurs espèces fossiles de gib-
bons Gx, Gy, Gz, cette dernière espèce ait évolué vers le type
humain et soit devenue, en prenant l'attitude bipède, d'abord
un anthropomorphe marcheur == H°, puis le Pithecanthropus
Erectus = II1, puis que celle-ci, en vertu des conséquences
multiples de l'attitude bipède, soit devenue progressivement
1P, stade correspondant à la basse portion des races actuelles
les moins avancées, on obtient :
Gibbon x.
Gibbon y.
Gibbon,. --Il"- ■-«!'. g. -, II») — IH.
Il doit donc y avoir, dans la faune adurlK un bialus
038 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
formé par la transformation du Gibbon z en 11°, puis de 11°
en II1, puis de H1 en II2, de telle sorte que, dans cette faune
actuelle, l'espèce la plus rapprochée de H'2 doit être une espèce
très inférieure, issue du Gibbon x ou y. Le fossé doit être ici
d'autant plus grand qu'il ne s'agirait pas seulement de la
transformation d'un quadrupède en un autre quadrupède
conservant les caractères génériques de son ancêtre, mais
bien d'une transformation de l'attitude elle-même, entraînant
un changement radical de type et des modifications physio-
psychologiques très profondes.
On conçoit qu'une transformation aussi importante entraî-
née par des circonstances aussi impérieuses que celles indi-
quées plus haut ait dû être une condition sine quâ non de
survivance pour tous les individus de l'espèce transformée
qui se sont trouvés dans ces circonstances. Des grimpeurs
privés de leurs forêts et capables de marcher plus ou moins
bien ont dû devenir marcheurs quadrupèdes ou bipèdes sous
peine de mourir de faim. Ceux-là seuls qui ont évolué ont pu
perpétuer la race.
L'existence d'un hiatus entre deux espèces vivantes, voi-
sines l'une de l'autre, ne peut donc servir d'argument contre
la théorie transformiste. Ce hiatus, comme on vient de le
voir, peut être, au contraire, un résultat direct de la trans-
formation d'une espèce en une autre.
Bien que la transformation ici supposée ait été très pro-
fonde, de façon à donner naissance à un prétendu nouveau
règne, au règne humain, cette transformation aurait pu se
produire, selon l'hypothèse exposée ci-dessus, sans que la
nature ait été obligée de faire le moindre saut. Il se peut
qu'au point de vue purement zootaxique, on constate un
sallus véritable ; mais je viens de montrer que ce saltus a pu
être la conséquence graduelle d'une simple modification d'ha-
bitudes locomotrices dans une race de singes déjà capable de
prendre l'attitude bipède. Ce changement a pu être brusque-
ment motivé, mais il n'y a pas eu de saut anatomique du
gibbon s à l'homme actuel.
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 639
Ce qui a pu se produire brusquement, c'est la condition
extérieure d'où Serait résultée, pour une race anthropoïde
de grimpeurs, la nécessité d'adopter habituellement un mode
de locomotion qu'elle était apte à utiliser occasionnellement.
Mais il n'y aurait eu de brusque, au point de vue biologique,
qu'un simple accroissement de fréquence dans l'utilisation
d'une aptitude fonctionnelle déjà existante. Des modifications
anatomiques multiples et considérables peuvent avoir été
entraînées parce seul changement d'attitude habituelle, mais
elles ont dû se produire par degrés d'autant plus insensibles
que, déjà, les anthropoïdes se rapprochaient morphologique-
ment beaucoup plus de l'homme que des singes quadrupèdes
par leur conformation générale (Huxley, Broca).
S'il existe un fossé entre l'espèce humaine actuelle et le
précurseur, les restes fossiles des races intermédiaires n'en
doivent pas moins exister. Il doit y avoir des restes de 111,
dont les pièces trouvées par M. Dubois, seraient un premier
spécimen. Il doit y avoir aussi des restes fossiles du Gibbon z.
Ces derniers pourront être fort peu distincts des ossements
d'espèces connues du genre Hylobates puisqu'ils auront
appartenu, selon notre hypothèse, à une espèce non encore
transformée. Peut-être révèleront-ils une espèce remarquable
par sa stature et par une aptitude relativement supérieure à
la marche bipède? Cela n'est point théoriquement nécessaire:
les diverses espèces vivantes du genre Hylobates ont une
conformation qui leur permet de prendre facilement l'attitude
bipède; la taille a pu et a dît (v. p. 013) subir des variations
considérables après la transformation de l'attitude. Il est
enfin probable que le Gibbon z était une espèce plus rappro-
chée de l'homme sous certains rapports que les espèces du
genre Hylobates que nous connaissons.
En tout cas, si l'on admet que les pièces trouvées à Trinil
représentent réellement les restes d'un Pithecantbropus, et
si l'on admet que ce P. est un ancêtre de l'homme, il faut
trouver maintenant un ancêtre à ce Pithocanthropus, et il me
semble exigible que cet ancêtre no soit pas inférieur, au poiril
G40 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
de vue de l'attitude, aux anthropoïdes actuels. Il faut qu'il
ait été capable de prendre au besoin l'attitude bipède et qu'il
ait été conduit par sa conformation a prendre cette attitude
plutôt que l'attitude quadrupède. Tel serait certainement le
cas de tous les anthropoïdes connus..
Rappelons ici l'existence, à l'époque miocène, de plusieurs
espèces anthropoïdes telles que le Dryopithecus, le Pliopi-
thecus et l'Anthropopithecus Sivalensis. Comme l'a fait
remarquer M. Dubois, son P. E. ne risque pas, à son tour, de
manquer d'ascendance.
La transformation du mode habituel de locomotion a pu
être très rapide, mais les transformations 'morphologiques
consécutives ont dû demander beaucoup de temps et n'ont pu
être fixées héréditairement qu'après un grand nombre (le
générations. Des centaines peut-être, mais peut-être beaucoup
moins, car la sélection dans les conditions indiquées plus haut
a dû être des plus actives. En outre, la fixation des nouveaux
caractères a été assurée par leur existence dans les deux
sexes et par la continuité de la cause transformatrice chez
tous les individus pendant toute leur vie.
En ce qui concerne les conséquences morphologiques
directes de l'attitude bipède, on peut présumer que ces consé-
quences mécaniques ont dû se produire avec une grande
rapidité si l'on en juge d'après les multiples variations sque-
lettiques produites chez l'homme sous l'influence de varia-
lions fonctionnelles minimes relativement à celles que nous
envisageons ici.
Kn ce qui concerne l'accroissement cérébral, il se fait avec
une telle lenteur qu'à peine est-il constatable dans nos races
européennes depuis les temps préhistoriques. Or, le Pitheean-
lliropus. dont le poids encéphalique n'était certainement pas
inférieur à 700 gr. d'après sa capacité crânienne, dépassait de
300 gr. environ, sous ce rapport, les plus grands gorilles. 11
dépassait pour le moins autant son ancêtre Gibbon s, si
celui-ci était d'une taille égale à la sienne 4. C'est là une diffé-
1 Dans les évaluations faites à ce sujet, il faut évidemment
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE MHIECANTHROPUS 6il
rence énorme. Elje dépasse celle qui existe entre la moyenne
australienne el la moyenne des Français ou des Anglais. Elle
dépasse plus encore celle que l'on trouve, en Europe, entre
la moyenne d'une série d'hommes quelconques et une série
d'hommes distingués. Elle n'est pourtant pas trop embar-
rassante pour l'hypothèse que nous examinons.
Il faut considérer en effet que l'espèce humaine n'a jamais
réalisé, depuis qu'elle existe, un progrès comparable à celui
qu*1 représente le passage de l'état de grimpeur à l'état de
marcheur bipède. Ce passage représente une véritable libé-
ration des membres supérieurs, des mains précédemment em-
ployées comme organes dé locomotion au même titre que les
pieds. Car c'est à l'aide de ses mains que l'anthropoïde che-
mine dans les arbres ; c'est avec ses bras puissants qu'il se
lient suspendu avec l'aisance d'un petit enfant qui serait
muni de bras d'adulle. C'est par le mode de locomotion du
grimpeur que la main est devenue peu à peu apte à la fonc-
tion de préhension, puis à la fonction de manipulation; et
c'est grâce à l'émancipation complète du membre supé-
rieur par rapport à la locomotion que les fonctions de
préhension et de manipulation de la main ont pu acquérir
des appropriations plus variées. Le perfectionnement du
sens tactile a du être un résultat immédiat de cette émanci-
pation. Ce résultat a dû entraîner l'acquisition d'une foule
de notions nouvelles suggérant des mouvements nouveaux,
des actions nouvelles. D'où la multiplication des mouvements
des doigts et de leurs combinaisons, l'accroissement de
l'adresse manuelle et toutes les conséquences psychologiques,
réagissant les unes sur les autres, qui ont dû nécessairement
dériver de l'accroissement en variété et complexité des repré-
sentations sensorielles et motrices nouvellement acquises. Je
ne saurais mieux faire que de renvoyer le lecteur, sur ce sujet,
aux belles pages consacrées par Herbert Spencer au parallé-
ramenor le poids encéphalique à celai que comporte une taille
égale à celle du V. E.
642 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
lisme du perfectionnement sensoriel et moteur dans la série
animale et du perfectionnement intellectuel. '
Le passage suivant de Broca, doit être ici ('gaiement
rappelé :
« Aux conditions analomiques déjà réunies en eux (les anthro-
poïdes), ajoutez le peu qui leur manque pour devenir tout à fait
droits, pour èlre en parfait équilibre 'ur leurs deux pieds, sans fa-
tigue musculaire bien notable, et vous verrez aussitôt s'agrandir
presque indéfiniment les horizons de la vie. L'homme, car c'est de
lui que je parle à présent, pourra déployer et utiliser partout ses
forces. Il ne sera pas confiné dans la forêt, il pourra parcourir la
savane, traverser les steppes, habiter à son choix la plaine ou la
montagne, et devenir le conquérant de la planète entière. Sa main,
détachée du sol, ne sera plus qu'un merveilleux instrument du tra-
vail, instrument actif à l'aide duquel il pourra se créer des instru-
ments passifs, fabriquer et manier des outils, des armes offensives
et défensives. Capable de courir partout, il pourra poursuivre et
atteindre une proie vivante et ajouter à son régime végétal une
nourriture animale. ' ».
Il est impossible de dire approximativement à quelle aug-
mentation de poids cérébral peut correspondre la transforma-
tion dont il s'agit, mais il y a lieu de croire que cette
augmentation a dû être très forte, d'autant plus que
l'accroissement intellectuel en question aurait porté simulta-
nément sur les représentations sensorielles et motrices, sur
un ordre de sensations dont l'importance psychologique est
extrême, sur un ordre de mouvements (les mouvements des
doigts) très complexe et que nous savons être d'un grand
secours dans la fonction d'expression. Cette fonction est peut-
être la plus importante à considérer ici, parce que ses progrès
retentissent d'une façon capitale sur le développement intel-
lectuel et social. On a pu remarquer, chez divers peuples sau-
1 H. Spencer. Principes de Psycholoyie. Ed. française T. I.
p. 311 ss.
1 P. Broca. L'ordre des Primates. ()fc'm. T. III. p. 112).
L. MÀNOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUK LE PITHECANTHROPUS 643
vages, combien le. langage par gestes supplée aux imperfec-
tions du langage parlé; il est donc permis de supposer que
les mouvements des mains et des doigts figuraient pour une
large part parmi les moyens d'expression primitifs de l'homme
pliocène. Ces mouvements peuvent être assimilés, au point
de vue delà complexité du langage, à la parole rudimentaire.
Je ne crois pas que l'on puisse citer aucune cause ultérieure
de progrès psychologique et d'accroissement du poids céré-
bral comparable en puissance à l'émancipation des membres
supérieurs. Il est donc permis de ne point s'étonner de voir le
volume encéphalique du Pithecanthropus dépasser de 400 cen-
lim. cubes, à taille égale, celui des anthopoïdes grimpeurs. Le
perfectionnement du langage articulé a dû être, depuis, le
principal facteur survenu du progrès psychologique et céré-
bral, mais il est probable que ce dernier progrès, auquel
serait due en grande partie la supériorité des races actuelles
les plus inférieures par rapport au Pithecanthropus, a été
plus lentement progressif. 11 n'a pas été beaucoup moins im-
portant que le précédent dont il n'a été que la continuation
en ce qui concerne l'influence du langage. C'est que chaque
progrès réalisé dans une portion de l'intelligence devient lui-
même un nouvel élément de progrès intellectuel.
Voici quelques chiffres propres à fixer les idées sur la mar-
che de l'accroissement quantitatif de l'encéphale depuis l'an-
thropoïde précurseur jusqu'à l'homme sauvage actuel que nous
représenterons par la race australienne, dont la taille moyenne
ne paraît pas s'éloigner notablement de celle du Pithecan-
thropus.
Le poids encéphalique d'un gibbon a été trouvé = 103 gr.
(Chudzinski). Mais le gibbon supposé précurseur ayant dû
posséder ou acquérir une taille humaine, d'après le fémur de
Trinil, il faut, pour tenir compte de l'influence de la taille sur
le poids de l'encéphale, ramener ce dernier à un chiffre supé-
rieur à celui du chimpanzé qui est de 387 gr.1 Un chimpanzé
< V. mon mémoire sur Y Interprétation de la quantité dans l'en-
céphale, ch. I. (Mém. de la Soc. d'Anthr. de Paris, 2e série, t. 111).
64-4 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 189.')
qui aurait une taille humaine pourrait bien avoir un poids
encéphalique de 500 grammes environ. Pour le Pithecanlhro-
pus, en multipliant la capacité crânienne, évaluée ;i 1 ,000 ce,
par l'équivalent pondéral 0.87, on obtient 870 gr., soit une
différence en plus == 370. Pour la race australienne, on ob-
tient de la même façon, d'après la moyenne de la capacité
crânienne — 1347 ce. un poids encéphalique de 1,172 gr., ce
qui donne une supériorité de 300 gr. par rapport au Pithe-
canthropus, avec une taille moyenne qui peut être considérée
comme égale, étant donné le défaut de précision de nos éva-
luations. Continuant celles-ci et considérant la progression
humaine dans son ensemble, nous trouvons comme moyenne
des Français actuels, que nous pouvons désigner par 113 (l'Aus-
tralien étant H2 et le Pithecanthropus II1). 1,360 gr. Enfin, si
nous considérons la moyenne du poids encéphalique moyen
— 1,440 gr. environ des hommes européens distingués comme
représentant une phase évolutive supérieure Il\ nous obte-
nons la progression suivante :
Ancêtre anthropoïde (à taille égale).. .'500 gr. Différences
Pithecanthropus II1 870 — 370 gr.
Australien 11- 1170- 300 —
11' 1360 - 100 —
II1 » — 150 ' —
La capacité crânienne a taille égale peut être prise utile-
ment comme base d'estimation du progrès vers l'état humain
parfait au point de vue zootaxique, mais il serait illusoire d'y
chercher des indications chronométriques.
Il ne s'agit là que de la progression purement quantitative.
Elle a été accompagnée d'une progression dans la forme
générale du cerveau qui indiquerait un perfectionnement dans
la répartition des différences quantitatives. Ce perfectionne-
1 Pour ce dernier chiffre, voir mon Essai sur les qualités intellec-
tuelles considérées en fonction de la supériorité cérébrale quanti-
tative. (Bévue de l'École d'Anthr. de Paris, 1894, n° 3, p. 71.)
L. MÀNOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPUS 645
ment est déjà sensible chez le Pithecanthropus, mais cette
question est trop complexe pour être abordée ici avec les
développements nécessaires.
J'ajouterai seulement à ce qui a été dit sur ce sujet dans le
chapitre précédent que le progrès morphologique total dont i
s'agit semble avoir été à peu près parallèle au progrès quan-
titatif depuis l'anthropoïde précurseur jusqu'à l'homme civi-
lisé. Ici encore le changement le plus sensible a dû se pro-
duire au début de la transformation à cause de la corrélation
existante entre l'attitude du corps et la direction du trou oc-
cipital. La voûte crânienne, comme on l'a vu plus haut, n'en
a pas moins conservé jusqu'au Pithecanthropus une forme
passablement pithecoïde.
Recherches complémentaires. — 11 ne serait pas absurde de
tenter sur diverses espèces de gibbons une expérience con-
forme a nos hypothèses. Elle consisterait à placer une colonie
gibbons dans des conditions analogues à celles que nous
supposons avoir présidé à la transformation pithecanthro-
pique, pour voir simplement ce qui adviendrait des habi-
tudes locomotrices de ces gibbons. Les conditions de l'expé-
rience devraient être préalablement discutées avec soin.
En attendant, l'exécution de nouvelles fouilles aussi éten-
dues que possible à Java doit apparaître à »ous comme une
entreprise d'un haut intérêt.
Il y a environ une chance sur deux pour que l'unique et
très incomplet spécimen découvert à Trinil soit compris entre
les limites de Yécart probable par rapport à la moyenne de sa
race. Il y a donc une chance sur deux pour qu'un autre spé-
cimen sorte de ces limites et représente, soit un degré d'évo-
lution crânienne supérieur, soit un degré inférieur plus
rapproché de l'état simien. Mais quel que doive être le second
spécimen à découvrir, il sera sans doute représenté par quel-
ques pièces squelettiques manquantes à celui que nous avons
eu à étudier. Ce seraient des documents propres à diminuer
beaucoup la difficulté du problème à résoudre.
Comme forme intermédiaire entre l'homme et les singes, il
646 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
est difficile d'imaginer quelque chose de plus satisfaisant que
le crâne de Trinil. Si ce crâne, comme il est probable, n'est
pas exceptionnel pour sa race, on peut s'attendre à trouver
d'autres spécimens plus rapprochés encore, soit de l'homme,
soit du singe. Mais ce que la race de Trinil ne nous a pas
encore fourni, les races humaines les plus inférieures ne le
fournissent-elles pas surabondamment ? N'existe-t-il pas des
crânes humains, inférieurs par rapport à la moyenne de leur
race, qui nous montrent toutes les transitions théoriquement
désirables entre l'homme et le Pithecanthropus?
Tous les crânes humains inférieurs que l'on pourra mon-
trer comme se rapprochant de la forme de Trinil par certains
caractères suppléeront fort bien à l'absence des spécimens
élevés de la race de Pithecanthropus. Mais on trouvera diffi-
cilement, parmi les crânes humains normaux, des spécimens
aussi franchement et complètement pilhecoïdes. 11 est fré-
quent de voir tel ou tel caractère individuel rappelant un type
ancestral, car il est plus facile de descendre que de monter en
matière d'évolution; mais les arrêts pathologiques de déve-
loppement survenus pendant la vie embryonnaire sont seuls
capables de donner lieu à tout un ensemble de caractères rap-
pelant une phase lointaine de l'évolution phylogénique. Les
idiots microcéphales seuls, même dans les races humaines les
plus arriérées, présentent cet ensemble de caractères qui arrive
à réaliser un type morphologique inférieur li celui du Pithe-
canthropus lui-même.
La distance morphologique existante entre le Pithecan-
thropus et l'Homme normal doit être considérée comme un
résultat nécessaire au point de vue transformiste. C'est la
meilleure portion de la race intermédiaire qui a pu survivre
et former une race humaine inférieure. Celle-ci doit donc
présenter des caractères supérieurs à celle de la moyenne
ancestrale, même indépendamment des progrès physiologi-
quement acquis que cette race humaine a pu réaliser depuis
l'époque pliocène. L'existence de crânes humains présentant
en bloc l'ensemble des caractères crâniens du Pithecanthropus
L. MANOUVRIER. — DEUXIÈME ÉTUDE SUR LE PITIIECANTHROPUS 647
n'est pas encore démontrée, à moins qu'on ne fasse entrer en
ligne de compte la microcéphalie plus ou moins accentuée,
c'est-à-dire une véritable anomalie par arrêt de développe-
ment.
Mais on ne peut représenter une race par un crâne anormal
et l'on remarquera que, dans la question dont il s'agit, la
ressemblance existante entre des crânes humains plus ou
moins entachés de microcéphalie et le crâne de Trinil ne sau-
rait contrarier l'hypothèse d'après laquelle ce dernier crâne
représenterait une espèce ancestrale. Cette ressemblance, au
contraire, serait tout à fait conforme à la théorie transfor-
miste, et elle existe sans sortir même des races civilisées. On
sait que la microcéphalie complète ramène la forme crânienne
de l'homme au niveau des singes. C'est donc uniquement la
pauvreté de nos collections qui a empêché de trouver parmi
les races les plus arriérées des crânes aussi pithecoïdes que
celui de Trinil. Les crânes présentés par sir W. Turner
dans son très intéressant mémoire sur la question, ne s'en
rapprochent que partiellement. Il en est de même du crâne
Sambaqui que le professeur A. Nehring, de Berlin, vient de
confronter avec celui de Trinil1. Vu d'en haut, avec une
orientation appropriée à la circonstance, ce crâne ressemble
effectivement un peu à celui du Pithecanthropus, mais il en
diffère énormément si l'on considère les vues de profil.
On en trouvera certainement de plus rapprochés du crâne de
Trinil sous le double rapport de la forme et de capacité, mais
ce seront des crânes très inférieurs à la moyenne de leur race ;
ce seront des submicrocéphales, des anormaux. Supposons
que l'on arrive à former une série de crânes humains
normaux à l'extrémité inférieure de laquelle pourrait figurer
le crâne de Trinil ; rien ne serait plus propre à montrer que
l'espèce du Pithecanthropus et l'espèce humaine se pénètrent,
s'enchevêtrent mutuellement. L'enchevêtrement serait plus
1 Ein pithccanlliropos, âhnlichcr menschenschadel , etc. (Natur-
lOisscnschaftliche Wochenschrift, 17 nov. 1895).
048 SÉANCE DU 17 OCTOBRE 1895
complet encore si l'on trouvait un jour, grâce à l'opération
inverse, une série fossile de la race P. E. dont l'extrémité
supérieure se raccorderait morphologiquement avec l'état
moyen de nos races les plus arriérées.
Conclusion générale. — Pour infirmer sérieusement la légitime
et vraisemblable hypothèse de M. Dubois, il faudrait prouver
que le crâne de Trinil est une simple monstruosité sans signi-
fication ethnologique. Ce hasard serait mathématiquement
possible, puisque la race de Trinil doit avoir eu, comme les
autres, ses microcéphales; et c'est pour cela que l'opinion
opposée à celle de M. Dubois peut se prévaloir, jusqu'à plus
ample informé, d'une possibilité entre des milliers de possi-
bilités contraires. L'invraisemblance d'un cas de submicrocé-
phalie coïncidant avec une taille au moins moyenne me sembla
plus grande encore depuis que j'ai vu les deux molaires de
Trinil, car des dents trop grosses et trop grandes pour un
sauvage normalement développé attesteraient, en cas de mi-
crocéphalie humaine, une étrangeté de plus : une microcépba-
lie qui aurait exagéré non pas seulement le volume des dents
par rapport au crâne, mais encore le volume absolu des dents
au-delà du maximum ethnique.
L'hypothèse d'un cas de microcéphalie étant écartée, deux
autres restent en présence :
1° A l'époque pleistocène vivait, à Java, une race humaine
craniologiquement intermédiaire entre les plus inférieures
des races connnes et des anthropoïdes.
2° A l'époque pliocène vivait, à Java, une race anthropoïde
possédant l'attitude bipède et intermédiaire par son déve-
loppement cérébral entre les plus élevés des singes connus et
l'espèce humaine.
L'examen de ces deux hypothèses au point de vue de la
théorie transformiste permet de les fondre en une seule. Cet
examen permet de considérer avec une grande vraisemblance
la race en question comme une race précurseur, pour l'espèce
humaine et ancestrale au même titre que la race du Néander-
thal et de Spy.
L. MAXOUVRIER. — DEUXIEME ÉTUDE SUR LE PITHECANTHROPES G4î)
D'après le spécimen trouvé par M Dubois, cette race
anthropomorphe était assez rapprochée des races humaines
actuelles les plus inférieures et de la race de Spy d'une part,
assez peu éloignée des anthropoïdes d'autre part, pour cons-
tiuer de la façon la plus satisfaisante l'anneau jusqu'ici man-
quant de la chaîne ininterrompue théoriquement admise entre
l'homme et les singes.
Le crâne suffit, à lui seul, pour légitimer cette conclusion.
Il est possible qu'il soit inférieur à la moyenne de sa race,
mais il y a des chances à peu près égales pour qu'il soit, au
contraire, supérieur à cette moyenne et il n'existe aucune
raison valable pour le considérer comme un cas aberrant,
anormal.
Il n'y a d'ailleurs aucun défaut de corrélation anatomique
entre le crâne, les dents et le fémur de Trinil ; ces diverses
pièces concordent, au contraire, entre elles. Il y a des raisons
assez fortes pour croire que certains caractères du fémur sont
dépourvus de valeur ethnique, mais il n'y a aucun doute à
avoir au sujet des caractères fémoraux indiquant la marche
bipède et une stature voisine de la moyenne humaine, les
deux seuls points qui importent dans l'interprétation des
diverses pièces au point de vue de la théorie de l'évolution.
Jusqu'à preuve du contraire, on peut donc considérer
comme trouvé le « Missing Unie », et les faits acquis sont en
parfait accord, jusqu'à présent, avec la théorie transfor-
miste.
Il y a encore, dans tout cela, des hypothèses, je n'en dis-
conviens pas : l'anthropoïde par lequel a débuté la transfor-
mation dans la direction humaine est à trouver comme l'était
naguère le stade déjà très avancé que représente le P. E.
Mais l'attribution des pièces de Trinil à deux ou trois
espèces inconnues et voisines de l'homme ou à un simple
microcéphale, c'est là, aussi, de l'hypothèse.
Il s'agit donc de savoir quelle est l'hypothèse le plus pro-
pre à expliquer les faits directement en cause sans être en
contradiction avec les données de la science, et à éclaircir
t. vi (4° série). 42
650 SÉANCE DU \~ OCTOBRE 4895
cette question désormais imposée plus impérieusement que
jamais à notre examen : que pouvait être l'espèce humaine à
l'époque pliocène et comment a-t-elle pu prendre naissance?
On ne peut plus différée, maintenant, l'examen de cette ques-
tion dans toute sa largeur.
Les pièces fossiles de Trinil répondent que l'homme exis-
tait déià, qu'il possédait les attributs caractéristiques de la
famille humaine a un assez haut degré pour pouvoir être
rangé dans cette famille, mais qu'il était si peu éloigné, néan-
moins, de la famille des Anthropoïdes, par sa morphologie
crânienne que l'on peut d'ores et déjà se livrer à des conjec-
tures sérieuses sur le genre Anthropoïde auquel il se rat lâ-
che. La découverte de M. Dubois est donc 1res importante
pour l'Anthropologie et aussi pour la Philosophie qui entend
se baser sur des notions positives à l'exclusion de la Poésie
métaphysique.
Sans doute les pièces fossiles de Trinil n'apportent point
une preuve mathémathique de l'origine simienne de l'homme,
parce que la question ne comporte pas de preuve de ce genre.
Mais elles contribuent à donner à la r/enète transformiste un
degré de vraisemblance assez supérieur à celui des opinions
contraires pour entraîner la conviction. Dans cette question
comme dans les autres, la science ne consiste pas seulement
en un tas, mais bien en un enchaînement de faits. Pour dé-
couvrir cet enchaînement, l'hypothèse joue un rôle néces-
saire; et l'on accordera, je pense, que la théorie de l'évolu-
tion, ici comme ailleurs, s'élève quelque peu au-dessus de la
pure hypothèse.
Certains zoologistes supposent que l'espèce humaine n'a pas
eu d'ancêtres. Si cette hypothèse, dont la vraisemblance
n'est pas de premier ordre, leur paraît être scientifique et
féconde, l'hypothèse opposée peut se prévaloir de titres supé-
rieurs à notre croyance. Et si l'espèce humaine n'est pas
apparue par génération spontanée; si, d'autre part, les carac-
tères crâniens des hommes quaternaires trouvés en Europe
représentaient une phase évolutive peu éloignée de la phase
MALFORMATIONS HEREDITAIRES Ool
actuelle, il y ayq.it lieu de supposer que l'on trouverait dans
les couches pliocènes une race plus arriérée morphologique-
ment que celle'du Néandertral et de Spy. Or c'est précisément
ce qui est arrivé. La race de ïrinil présente des caractères
tels qu'elle pourrait être résultée directement de la transfor-
mation d'une race d'anthropoïdes grimpeurs. Dans ces con-
ditions, si le doute qui peut subsister au sujet de l'origine
simienne de l'homme est uniquement proportionné aux rai-
sons d'ordre scientifique capables de le motiver, il me parait
devoir être bien mince.
L'un des secrétaires : P. Raymond.
^-^o^ja^f^— »-
630e SÉANCE. — 7 novembre 1895.
Présidence de M. André Lefèvre.
A propos du procès-verbal.
Malformations congénitales.
M. Sanson. — Je ferai remarquer, d'abord, que le fait
intéressant communiqué par M. Moutard-Martin s'ajoute à
beaucoup d'autres déjà connus pour montrer que les mal-
formations congénitales se transmettent par hérédité. L'un
des plus remarquables, parmi ces faits, est celui qui a été
observé par M. Èedârt, sur une famille dans laquelle il avait
pu suivre, dans quatre générations, la transmission des
mains et des pieds dits en pince. Sa description détaillée
figure dans nos Bulletins. Depuis, il m'a personnellement fail
connaître l'existence, chez un sujet de la cinquième généra-
lion, de cette même malformation héréditaire. Je ne sache
pas qu'aucune autre ait été ainsi suivie durant aussi long-
temps et avec les mêmes garanties de ceEtidude'.
Cela m'amène à examiner, ensuite, l'idée formulée par
Tailleur qu'a rilé M. Muula -d-.Ma ri in et qui èsl relative à la
052 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
tendance au retour vers le type normal. Cette tendance n'est
pas douteuse. En zootechnie, nous en avons de nombreux
exemples. Mais les cas cités ici ne suffiraient point pour l'éta-
blir. En effet, dans ces cas, un seul des reproducteurs était
atteint de la malformation. Le produit avait, en principe,
autant de chances d'hériter de l'un que de l'autre. S'il naît
normal, on peut admettre qu*il a hérité de celui de ses pa-
rents qui était lui-même indemne. Le vrai phénomène de
réversion, c'est quand de deux procréateurs atteints de la
même malformation, naît un individu qui ne la présente à
aucun degré, comme l'exemple nous en a été fourni bien des
fois par l'ancienne variété des mérinos à laine soyeuse de
Mauchamp. On voyait, de temps à autre, réapparaître dans
le troupeau de l'Etat le lainage normal de la race. C'est
qu'alors l'atavisme de la race était plus puissant que l'ata-
visme de famille et que l'hérédité individuelle, ce qui, du
reste, est le cas ordinaire.
J'ai saisi au passage l'observation qu'un père atteint de
la malformation des mains et des pieds dont il est question
l'avait surtout transmise à ses fils. Cela me paraît pouvoir
s'interpréter aisément d'après les lois connues de l'hérédité.
Je suis de ceux qui pensent, avec Girou de Buzareingues, que
la transmission du sexe dépend de la puissance héréditaire
individuelle. S'il en est ainsi, et les faits ne permettent guère
d'en douter dans la plupart des cas, cette puissance hérédi-
taire individuelle doit aussi influer sur la transmission des
autres parties de l'organisme. Mais il s'agit là d'une chose
complexe, au sujet de laquelle il nous reste encore beaucoup
à apprendre. La preuve en est que dans le cas observé par
M. Moutard-Martin, la transmission s'est faite du père à la
fille. Dans ce cas, apparemment, il y a eu conflit des deux héré-
dités individuelles en présence, et peut-être aussi atavisme
de famille à l'égard de la malformation. L'état général de la
santé du père me paraîtrait fortement militer en faveur de la
dernière interprétation.
COMMUNICATIONS 653
Dimiuiitiou de la population de la France.
.M. Arsène Dumont communique la lettre suivante, qui lui a
été adressée par Mme Cl. Royer, à propos de son récent mé-
moire sur le mouvement de la population française en 1893 :
Monsieur et cher collègue,
Comme vous, je ne crois point qu'une Providence s'occupe
des affaires humaines; elles subissent l'empire d'une puis-
sance bien plus formidable : C'est la nécessité des choses et
l'inéluctabilité des lois naturelles et économiques, de ces lois
qu'il est de mode, aujourd'hui, de traiter de «vieille ren-
gaine. »
Loin d'exprimer la crainte du surpeuplement, j'ai dit que la
dépopulation de l'Europe est fatale, et que la France ne fait,
en cela, qu'ouvrir la marche.
Elle est fatale en France pour des causes multiples que
voici :
1° Chaque citoyen y naît débiteur de plus de mille francs,
en moyenne, et presque du double en comptant les dettes
des communes.
2° Chacun y supporte une moyenne d'impôt égale au
quotient du budget de l'État qui, augmenté de celui des
départements et des communes, approche de 5 milliards di-
visé par 36 millions d'habitants s'élève à 139 fr.
3" Chaque homme valide y est enlevé au travail à l'âge
»lu mariage, pour être encaserné dans les villes dont il prend
les habitudes et d'où il ne revient plus aux champs.
-4° La petite culture y est fatalement condamnée, parce que
le petit propriétaire ou le petit fermier ne peuvent vendre
assez de produits pour acheter ceux qu'ils ne peuvent pro-
duire et qui sont tous frappés par le fisc.
5o Tandis qtiè les grands propriétaires du sol prétendent
en maintenir la renie par des lois fiscales, on peut avoir pour
ïo,000 fr., dans l'Amérique du Sud, un kilomètre carré de
654 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
terres vierges pouvant donner dix ans de récoltes sans
fumure.
6° Les populations agricoles, ruinées, privées de travail
par les machines, refluent dans les villes et ne peuvent s'y
loger que dans des taudis qu'elles paient au minimum 10 fr.
le mètre superficiel, sous les toits.
7° L'industrie, découragée par la fiscalité, voit se fermer les
marchés étrangers, diminuer le marché national et ne peut
plus occuper les bras disponibles.
8° Le capital, effrayé des risque d'une industrie qui péri-
clite, reflue vers les fonds d'Etat et n'obtient plus qu'une
rente si minime qu'elle décourage l'épargne.
9° L'inégalité des fortunes, décroissant en même temps que
leur moyenne, supprime peu à peu les industries de luxe les
plus rémunératrices avec ceux qui en vivaient.
10° La culture intellectuelle s'égalisa nt comme les fortunes
avec un abaissement rapide delà moyenne, les besoins crois-
sent plus vite que la possibilité de les satisfaire. On veut jouir
davantage et on ne veut pas mettre au monde des enfants
voués à la misère ou du moins à la déchéance.
La carte que vous avez eu l'obligeance de m'envoyer
confirme tous ces faits et leurs conséquences.
Les seules populations qui donnent encore un nombre de
naissances égal à celui des décès, sont les populations arrié-
rées du plateau central et de la Bretagne, parce qu'elles ont
conservé encore quelque chose des habitudes de nos vieux
paysans, qui se nourrissaient de pain noir, de châtaignes, de
pommes de terre et de viande de porc. Partout où le paysan
mange du pain blanc el de la viande et boit du vin; partout
où les femmes ont quitté la robe de bure, lilée de la laine de
leurs moutons, pour les modes de Paris, la population décroît,
parce qu'on y est devenu plus prévoyant et plus égoïste à la
fois, et que les instincts y subissent la puissance inbibitoire
fie la volonté réfléchie'.
Chacun consulte son intérêt qui n'est jamais d'avoir beau-
coup d'enfants, dans l'intérêt même de ceux qu'on à,
CL. ROYKR. — DIMINUTION DE LA POPULATION 65S
Si, au Nord, vous avez un groupe de départements où la
population maintient ses rangs, c'est grâce à l'activité des
industries locales et à la basse moyenne intellectuelle de leurs
populations ouvrières. En Bretagne, l'industrie maritime
s'ajoute à la simplicité des mœurs agricoles du centre de la
péninsule pour maintenir la natalité, grande partout où règne
la grande propriété foncière.
Plus la propriété est divisée, plus est rapide la dépopula-
tion, parce que les héritages y ont atteint la limite de la divi-
sibilité, que les frais de partage en absorbent la plus grande
partie et que les héritiers ruinés sont chassés dans les
villes.
Pour remédier à tout cela, il ne faut rien moins qu'une
refonte générale de nos lois civiles et l'abandon total des vieux
principes du droit romain, qui est en train de nous tuer, comme
il a tué Rome et, mieux encore, grâce à ce qu'a pu y ajouter le
droit canon.
11 faut une nouvelle organisation de la famille qui l'élargisse.
L'unité sociale composée du père, de la mère et des enfants est
condamnée. Il faut l'héritage indivisible. Gomme l'homme se
soustrait de plus en plus aux charges de la famille, il faut
que l'héritage descende en ligne féminine exclusivement, sous
les garanties du régime dotal, afin que la vie des enfants soit
assurée avec celle de leur mère.
Le retour au matriarcat primitif s'impose.
11 faut fonder la. gens maternelle, la filiation du nom par les
femmes. Les enfants doivent grandir autour de l'aïeule, chef
de famille par droit de sénescence. Il faut que la vie doue-
tique reste commune entre la mère et ses lilles, dès lors libres
de s'adonner aux professions rémunératrices, et que leurs
enfants soient protégés plus efficacement que par leurs pères.
Vous semblez regretter que les gens riches aient peu d'en-
fants. 11 est heureux qu'il en soit ainsi pour qu'ils ne spienl
pas condamnés aux souffrances de la déchéance et ne pas
multiplier les déclassés; afin qu'il ivsle en haut de la pyra-
mide sociale assez de places vides pour enlrelenir chez les
G56 SÉANCE DU 7 NQVEMBBE 4895
basses classes l'émulation d'y monter, qui est la condition du
progrès ; et, enfin, pour retarder l'égalisation des fortunes,
dont le résultat immédiat est une diminution de la densité de
la population et son appauvrissement général.
En tout pays, le nombre des individus qui ont juste les
moyens de ne pas mourir, est à peu près constant et égal a
celui des sauvages primitifs qui occupaient le sol; tout le pro-
grès des civilisations consiste à multiplier les étages de la
pyramide sociale, dont la base reste constante et dont la hau-
teur seule peut augmenter.
Vous allez dire, Monsieur et cher collègue, que c'est un
nouveau traité que je vous envoie; mais, je crois, le déposer
en bonnes mains.
Dans vos savantes études de statistique locale, vous lui
ferez porter tous ses fruits; et, je vous serai obligée de com-
muniquer celle lettre à la Société quand vous y viendrez. J'ai
le regret, maintenant, de ne pouvoir y aller que rarement.
Agréez, etc.
OUVRAGES OFFERTS.
Georges et Chauvet. — Cachettes d'objets en bronze découvertes
à Venat, commune de Saint-Yrieix (Rapports extr. du Bull, de
la Soc. archéol. et kist. de la Ckarenle), in-8°, 288 p. avec fig.
et XXIV planches. Angoulème, 1893.
Guubieri (II.) et Masetti (E.). — Influenza del sesso e delV
età sut peso del cranio e délia mandibola (Ex.tr. de la Rivista spc-
rim. di freniatria e di medicina légale), in-8, 24 p. et planche.
Reggio-Emilia, 1895.
IIong-Tjyong ou. — Le Bois sec refleuri (roman coréen tra-
duit sur le texte original; in Annales du Musée Guimel, biblio-
thèque de vulgarisation, vol. VIII, in-18, 192 p. Paris, 1895.
Hepburn (Dr David). — The papillary ridgcs on the hands and
feel of monk>i;/i and men (Ext. de The scienlific transactions of
the royal Dublin Society), in-4°, 15 p. avec pi. Dublin, 1895.
HoBERTsoiN. — Kafiristjan and its people, in--4°, 104 p.
ELECTIONS 657
Souza-Gomkz (de): — Crimes a crimiuosos, in-8, 23 p. Bio de
Janeiro, 4895.
Yastrebov (VI.). — Pains de noces rituels en Ukraine (Extr.
de la Revue des Traditions populaires), in-8, 12 p. Paris, 1895.
périodiques (articles à signaler^
L'Anthropologie, 1896, n° 5. — M. Boule : La ballastière de
Tilloux; — R. Verneau : Ouolofs, Leybous et Sérères.
Bull, de la Société anatomique de Paris, 1895, nos 1 à 11. —
H. Morestin : Muscle ilio-rotulien surnuméraire; Anomalie de
l'angulaire de l'omoplate; Anomalie de l'accessoire du long
fléchisseur commun des orteils; Acromion formant un osselet
distinct articulé avec l'épine de l'omoplate; Le ligament
cunéo-métatarsien transverse chez les singes et chez l'homme ;
— Caracotchian : Urte anomalie de l'appendice cœcal ; — Mo-
restin : Osselet surnuméraire entre les hases du premier et
du deuxième métatarsiens; — Fromont : Anomalies muscu-
laires multiples de la main: — Grenet : Foie multilobulé.
C. H. de la Société de biologie, 1895, n° 28. — Ch. Féré : Note
sur la sensibilité de la pulpe des doigts.
Union géographique du Nord de la France, 1895, 2e trim. —
F. de Beaudière : Inventaire d'un colon français de Saint-
Domingue.
Journal of the anthropological Societg of Bombay, vol. Ht, n° 6.
— .Jivanji Jamsheji Modi : Charms or amulets for some
diseases of the Eye : — À few ancient beliefs about the éclipse
and a few superstitions based on those beliefs.
ÉLECTIONS.
M. Albert Colas, présenté par MM. Zaborowski, A. de Mor-
tillet et Mme Clémence Iloyer, est élu membre titulaire.
M. le D1' Paul Sérieux, membre associé national depuis 1891,
est élu membre titulaire.
(158 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
OBJETS OFFERTS
Moulages du crâne et des dents du Pitheeautliropus.
M. Manouvrier annonce a la Société que M. le Dr Eug. Dubois
a bien voulu apporter, à Paris, le 31 octobre, au Laboratoire
d'Anthropologie de l'Ecole des Hautes études, les pièces origi-
nales de son Pithecanthropus. Ces pièces ont pu être exami-
nées par plusieurs membres de la Société et par M. Marcelin
Boule, du Muséum. Leur examen, qui ne peut laisser aucun
doute sur la fossilisation parfaite de ces diverses pièces a pro-
duit sur tous une vive impression.
M. Dubois a laissé, pour être offerts à la Société, les mou-
lages du crâne et des deux dents de Trinil.
M. Manouvrier oxpose ensuite la modification de sa première
opinion concernant les pièces découvertes à Trinil et l'hypo-
thèse de M. Dubois, d'après laquelle ces pièces représente-
raient une espèce précurseur et ancestrale de l'espèce humaine.
11 avait conclu à la légitimité de cette hypothèse. Il conclut
maintenant à sa vraisemblance, très supérieure à celle des
hypothèses contraires et, par conséquent, à sa validité scien-
tifique jusqu'à présentation de preuves opposées ou d'une
autre hypothèse plus satisfaisante.
Le mémoire à l'appui de ces conclusions a été inséré, par
erreur, dans le bulletin de la séance du 17 octobre.
M. Verneau déclare qn'il se range à l'opinion de M. Manou-
vrier, mais que, toutefois, le fémur lui semble avoir appar-
tenu à un individu d'une taille supérieure à celle qu'indique-
rait le crâne.
M. Manouvrier fait observer que les caractères du crâne
indiquent une taille relativement très grande par rapport au
volume de l'encéphale et que, par conséquent, la grandeur du
fémur, par rapport au crâne, est au contraire une forte raison
en faveur de l'attribution des deux pièces à un même individu.
M. G. de Mortillet propose de décerner à M. Eug. Dubois
le litre de membre associé étranger.
EU. PIETTB. — K0U1LLKS FAITES A BHASSEMPOUY 659
Cette proposition est appuyée unanimement et inscrite sur
le registre des candidatures.
Ont signé la proposition : MM. G. de Mortillet, Manouvrier,
Letourneau, Verneau, Ph. Salmon, Collignon. Zaborowski,
Daveluy, Sanson, Mathias Duval, Olivier-Beauregard, Papil-
lault, Mahoudeau.
COMMUNICATIONS.
Fonillcs faites à Brasseinpoiiy e» 1895.
Par M. Edouard Piette.
Je viens de faire de nouvelles fouilles à Brassempouy. A
mon grand regret, M. de Laporterie n'a pu m'accompagner;
Mais j'ai travaillé sur des données que nous avions acquises
ensemble, et dans quelques mois nous retournerons tous deux
au gisement pour continuer notre œuvre commune.
La station se compose d'une grotte ramifiée et d'une avenue
qui part d'un chemin d'exploitation et aboutit à la caverne.
Mes investigations ont porté sur trois points différents :
1° J'ai voulu d'abord savoir si l'assise à statuettes se pro-
longe jusqu'au chemin. L'année dernière, M. de Laporterie et
moi nous l'avions suivie jusqu'au point où l'avenue cesse
d'être encaissée entre des calcaires abrupts. Là elle nous avait
semblé disparaître. Nous ne nous étions pas trompés. Le
rocher qui forme l'aire de la grotte, après s'être creusé légè-
rement dans l'allée, se relève en cet endroit, en sorte que
cette assise se trouve dans une cuvette peu profonde. Au-delà,
il y a encore des couches archéologiques; mais elles n'en
sont pas le prolongement; elles m'ont paru être la continua-
tion de celles qui la recouvrent. Assez épaisses et complexes,
elles sont dépourvues de foyers. Leurs éléments sont donc en
grande partie des éléments de rejet auxquels se sont ajoutés
ceux provenant de la présence momentanée des habitants
dans cette partie de l'avenue. Malgré cette origine, ces couches
sont stratifiées et Ton distingue, sans beaucoup de peine.
660 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
Gelles qui se sont formées k des époques différentes. Elles
affleurent dans l'ordre suivant, au-dessus du rocher qui forme
l'aire de l'allée :
A, 0 m. 30. à 0 m. 50. — Pierrailles reposant sur le rocher,
renfermant de nombreux débris de cheval, quelques dents
d'hyènes et des silex. Peut-être une partie de ces pierrailles
devrait elle être considérée comme correspondant à l'assise à
statuettes.
B, 0 m. 30 à 0 m. 40. — Couche à faune mostérienne,
contenant des silex taillés, des instruments en os et en ivoire
et quelques débris de sagaie en ramure de renne.
G, 0 m. 15. — Couche pareille à la précédente, caractérisée
par de nombreuses plaquettes d'ivoire sur lesquelles on à
tracé des traits au silex, comme si l'on s'était exercé à la gra-
vure. Je n'ai pu y reconnaître le dessin d'aucune forme ani-
male ou végétale. Je suis cependant disposé à penser que je
me suis trouvé en présence des premiers essais de gravure,
et que le mammouth gravé de la Madeleine provient d'une
couche semblable. Si cette hypothèse était exacte, l'assise
sous-jacente B correspondrait à celle de la sculpture en relief,
et ce serait à elle ou à son prolongement dans l'avenue et
dans la grotte qu'il faudrait rapporter les reliefs découverts
au cours des premières fouilles du comte de Poudenx. Ils
gisaient, a-t-on dit, au-dessous du niveau des flèches a cran.
Un ouvrier m'a assuré que pendant les fouilles de l'Association
française il avait recueilli dans la couche qui affleure au-dessus
de celle des statuettes un ivoire cylindrique couvert de sculp-
tures, et que la personne à laquelle il l'avait remis l'avait
qualifié de bâton de commandement. Ce mot de bâton de comman-
dement ne se serait pas trouvé dans la bouche de cet ouvriers'il
ne l'avait pas entendu prononcer; il est la preuve de sa sin-
cérité. 11 y a donc des raisons de penser que la couche B n'est
pas autre chose que l'assise des sculptures en relief. Cela n'est
pourtant pas complètement prouvé. A la partie supérieure
de la couche C, on rencontre de grandes lames en silex. M. de
Laporterie en avait déjà remarqué de semblables, au même
ED. PIETTE. — FOUILLES FAITES A BRASSEMPOUY 661
niveau, dans la grotte ; et j'en ai trouvé dans la même position
au Mas d'Azil, dans la salle supérieure de la rive droite.
D, 0 m. 80. — Amas de pierrailles, d'ossements mostériens
et de silex solutréens plus ou moins imparfaits ou cassés,
parmi lesquels il y a des pointes de flèche en forme de feuilles
de laurier ébauchées ou brisées et des flèches à cran presque
toutes ébréchéesou épointées. Cette accumulation de débrisa
été formée de rejets et d'éclats résultant de la taille du silex.
Elle est évidemment solutréenne.
2° Après m'ètre assuré ainsi de la disparition de l'assise à
statuettes dans le voisinage du chemin, j'ai porté mes inves-
tigations dans la grande galerie qui est le prolongement de
la grotte. L'assise archéologique y est réduite à une épaisseur
de 0 m. 15 à 0 m. 40. Elle consiste en un limon jaune dont
les éléments paraissent empruntés au loess. On y voit des
foyers à diverses hauteurs. Limons et foyers sont donc con-
temporains. J'y ai rencontré quelques gros morceaux d'ivoire
qui ne m'ont pas paru sculptés. Ils étaient si amollis par l'hu-
midité de la grotte qu'ils avaient la consistance du mastic et
qu'il m'a été impossible de les extraire. J'ai pu recueillir à
côté d'un foyer, dans la terre mêlée avec de la cendre, un
fragment de tète de sagaie en ivoire, orné d'un quadrillage
ponctué. A dix centimètres au-dessus de ce fragment, dans
le limon, était une tète de sagaie en silex, taillée en forme de
feuille de laurier. Dans les grottes des Pyrénées, les ivoires
pectines occupent ordinairement un même niveau à la partie
supérieure de l'étage équidien. J'en ai recueilli dans cette po-
sition à Gourdan, à Lorthet et au Mas-d'Azil. Les silex lauri-
formes sont, a Brassempouy, le couronnement de cet étage.
Ils peuvent descendre un peu plus bas, mais leur principal
gisement, dans la grotte du Pape, est au-dessus de celui des
sculptures. Ils manquent dans toutes les cavernes des Pyré-
nées que j'ai explorées, excepté à Gourdan. L'année dernière ;
M. de Laporterie et moi, nous avons recueilli dans la grande
galerie, un racloir mostérien, dans le bas de l'assise archéo-
logique, à trois mètres environ de l'endroit où je viens de
662 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 189o
rencontrer le silex, lauriforme. Cette assise paraît donc, mal-
gré sa faible épaisseur, résumer toutes les couches de la
grotte et en être le prolongement. Nous reprendrons, dans
quelques mois, l'exploration de cette galerie.
3° À quelques mètres de l'entrée principale de la caverne
au bord du chemin s'ouvre un corridor déjà signalé sous le
nom de repaire d'hyène. La voûte en est formée par un banc
de pierrailles, unies par un ciment calcaire. Un vide de trente
ou quarante centimètres la sépare d'une assise de limon jaune
<lans lequel se trouvent des foyers. Le vide a été produit évi-
demment par les eaux qui ont enlevé une couche formée
d'éléments meubles sur lesquels reposait là voûte. L'année
dernière, M. de Laporterie et moi, nous avions étudié cette
voûte, et nous avions conclu de l'examen des silex et de la
faune, qu'elle était l'équivalent de l'assise de Gorge d'Enfer et
de Cro-Magnon; M. Mascaraux nous avait confirmé dans cette
opinion en nous disant qu'il y avait recueilli une tète de
flèche losangique, en ramure de cervidé, du type qui caracté-
rise ces stations ; et depuis lors nous avions donné à ce cor-
ridor le nom de galerie de Cro-Magnon. J'y ai trouvé moi-
même cette année, dans le banc de pierrailles agglutinées qui
forme la voûte, une tète de flèche semblable, de nombreux
silex pareils à ceux de Gorge d'Enfer et des ossements de
cheval, d'aurochs, de renne. Ce banc est donc bien du même
âge que l'assise de ces stations.
L'assise limoneuse, à foyers, qui affleure dans le corridor
au-dessous du vide formé par les eaux, contient de très nom-
breux ossements de chevaux. M. de Laporterie et moi nous y
avions recueilli l'année dernière une dent de felis spelœus, et
M. Mascaraux une dent d'ursus spelœus. J'y ai trouvé cette
année des ossements de mammouth, de rhinocéros tichorinus,
des mâchoires d'hyène, une dent de la même espèce d'animal
ayant subi l'action du feu, des os de bos, de renne, etc. J'y ai
aussi rencontré un coprolithe d'hyène qui a pu se trouver
dans les intestinsd'une bêle dépecée et mangée dans la caverne,
mais qui a peut-être une autre origine, car des os rongés que
PAUL RAYMOND. — GISEMENTS MOUSTÉRIENÔ DANS LE GARD 663
j'ai recueillis prouvent que les habitants de la galerie la quit-
taient quelquefois et que les fauves s'y introduisaient en leur
absence. Les foyers et le limon où ils sont m'ont fourni des
silex taillés, divers instruments en os et en ivoire, notam-
ment un hameçon bifide en os et un très beau poinçon en
ivoire. Ces foyers à ossements de chevaux sont évidemment
assimilables à ceux de la grotte et de la grande galerie; mais
à quelle couche correspondent-ils? Il faut de nouvelles éludes
pour le savoir.
Dès maintenant, un fait certain se dégage de ces observa-
tions : L'assise de Cro-Magnon et de Gorge d'Enfer existe à
Brassempouy et se trouve au-dessus des foyers à ossements
de chevaux, c'est-à-dire au-dessus de l'étage équidien. C'est
la position qu'elle occupe aussi à Gourdan, sur la montagne
du Bouchet, où elle repose sur la couche à silex en forme de
feuilles de lauriers. Je l'ai nommée Vallinfernalienne, du nom
de Gorge d'Enfer où elle a été étudiée avec soin par MM. Mas-
sénat etGeraud. Ces auteurs en font la base de l'époque mag-
dalénienne. Je me rallie à leur opinion.
J'ai fait élargir à la mine l'entrée du corridor dit de Cro-
Magnon, préparant ainsi le gisement pour les fouilles que
M. de Laporterie et moi nous nous proposons d'y faire dans
quelques mois.
I. — Gisements moustérieus dans le Gard.
II. — Continuation de l'exploration de l'Aven de Ronze.
Par le Dr Paul Raymond.
I. — Le quaternaire supérieur est, on le sait, largement
représenté dans le Gard et depuis plusieurs années, j'ai
communiqué à la Société d'Anthropologie les résultats de mes
recherches dans les grottes magdaléniennes des rives de l'Ar-
dèche. En est-il de même pour le quaternaire moyen et à
l'époque du Moustier, celte région du Languedoc a-t-elle été
habitée? Certains palethnologues répondent négativement et
664 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
ils ne foui remonter qu'à l'époque de la Madeleine l'appari-
tion de l'homme dans cette partie de la France. Pour ma part,
je n'hésite pas à conclure par l'affirmative et j'apporte les
preuves du fait que j'avance.
Déjà, en 1893, je vous avais présenté des pièces qui prove-
naient d'une station à la surface du sol, la station de Salazac
dans l'arrondissement ct'Uzès 1. Les pointes et les racloirs
franchement moustériens, les disques et les gros éclats du
type Levallois, l'ensemble de la collection en un mot, per-
mettaient bien de faire remonter à l'époque moustérienne le
gisement en question, et de fait, n'y eut-il aucun doute dans
votre esprit. Mais il n'en fut pas de même parmi certains de
mes collègues de la Société d'étude des sciences naturelles de
Nîmes qui, il faut le reconnaître, n'avaient pas vu les pièces
et raisonnaient d'après ce que l'on trouve le plus souvent
dans le département du Gard, c'est-à-dire d'après les gise-
ments néolithiques. C'est ainsi que M. le Dr Delamare dans le
compte rendu qu'il présentait de ma note sur la station de Sala-
zac, se fondant sur ce que certains types appartenantaupaléo-
lithique ont franchi cette époque et se retrouvent dans la
pierre polie; sur ce que dans presque toutes les stations néolL
thiques on rencontre la facture d'outils et d'armes des âges
antérieurs; sur ce fait, fort juste d'ailleurs, que la forme des
objets trouvés ne paraît plus suffisante pour dater une décou-
verte et qu'il y avait lieu d'interroger la faune, les vestiges
céramiques, etc., M. Delamare, dis-je, se montrait plus disposé
à foire de la station de Salazac un atelier néolithique! A vrai
dire, j'avais répondu par avance aux objections de M. Dela-
mare. Le faciès de l'ensemble de la collection, tout d'abord,
était bien typique et si je présentais cette station comme
paléolithique, c'est qu'en la comparant à ce que je trouvais
dans des stations voisines mais franchement néolithiques, je
constatais des différences telles, que je ne pouvais hésiter.
Aujourd'hui', connaissant mieux encore le néolithique du
1 Bill, de la Soc. tVAnthr. 1893, p. 257.
PAUL RAYMOND. — GISEMENTS MOUSTÉRIENS DANS LE GARD 665
Gard, je ne puis douter un seul instant. Certes, l'objection
que certains types industriels paléolithiques se retrouvent
à la pierre polie et que dans les stations néolithiques on rencon-
tre la facture d'outils et d'armes des cages antérieurs, pourrait
être embarrassante : mais à tout prendre, cette objection est
spécieuse, et voici pourquoi. Je sais fort bien que la survi.
varice des types industriels est un fait banal, mais quelle
preuve a-t-on que des instruments de type paléolithique trou-
vés dans des stations néolithiques ne sont pas réellement paléo-
lithiques? Si cette station a été habitée, c'est qu'elle présentait
des avantages ; or, ces avantages existaient aussi bien avant
et après. Pourquoi dès lors cette station néolithique n'aurait-
elle pas été habitée aussi bien a l'époque paléolithique que
plus tard, à l'âge du bronze, du fer, ou a la période gallo-
romaine? Et de fait, c'est ce qui a lieu le plus souvent,
et les exemples abondent. De ce que j'eusse trouvé une mon-
naie gallo-romaine au milieu de ces silex, aurais-je été en
droit de conclure que c'étaient les Romains qui les avaient
taillés? Le même raisonnement serait-il moins juste s'il s'a-
gissait d'une poterie? A la surface du sol, tout se mêle, et il
est souvent impossible, si la station n'est pas très pure, de
faire le départ de ce qui revient à chaque époque, de ce qui
appartient aux générations nombreuses qui s'y sont succédé,
si bien encore une fois, que ce qu'il y a de mieux à faire,
c'est de se baser sur le faciès général de la station, sur l'en-
semble des pièces que l'on y a recueillies tout en reconnais-
sant que la morphologie de chacune d'elles, considérée isolé-
ment, n'a pas grande valeur.
Quant à la faune, heureux sont ceux qui découvrent un
ossement fossile à côté d'un silex taillé. Et d'ailleurs, cette
faune n'est pas toujours aussi démonstrative qu'on le croit.
Cette discussion n'a plus, d'ailleurs, qu'un intérêt rétrospec-
tif, car je crois avoir convaincu mon excellent confrère, le
l)r Delamarc, mais si je reviens sur ces objections, c'est pour
montrer combien il est parfois difficile de se faire un.' idée
d'un gisement quand on ne l'a pas visité et quand on ne con-
T. VI (1° SÉRIE). 't,i
060 SÉANCE DU 7 NÛVEMPRE 1895
naît les pièces que par une description non accompagnée
d'aucune représentation.
Quoi qu'il en fût d'ailleurs, j'assimilais la station de Sala-
zac aux stations quaternaires, nombreuses déjà, qui ont été
rencontrées à la surface du sol dans différentes parties de la
France ; je la considérais comme bien et dûment mousté-
rienne et j'attendais que mon opinion fût corroborée par
d'autres palethnologues. Grand fut donc mon plaisir, lorsque
visitant cette année même, la collection de M. le Frère
Sallustien à Uzès, je trouvai des pièces absolument sem-
blables à celles de Salazac, et qui d'ailleurs, étaient fort juste-
ment étiquetées moustériennes. Elles provenaient aussi d'une
station à l'air libre située dans la commune de Foissac,
encore dans l'arrondissement d'Uzès.
J'appris que cette station avait donné lieu aux mêmes dis-
cussions que ma station de Salazac, mais enfin, M. le Frère
Sallustien se basant, comme moi, sur l'ensemble de la collec-
tion et sur la morphologie bien particulière des pièces qu'il
avait recueillies, avait maintenu sa classification et, à mon
sens, il avail raison. Il s'agissait bien d'une deuxième sta-
tion moustérienne.
Je reconnaissais, néanmoins, que puisque le moustérien
n'avait pas été jusqu'ici signalé dans le Gard, le doute ne
serait véritablement levé que le jour où nous trouverions en
place, sur des alluvions quaternaires, par exemple, les ins-
truments de ce type moustérien. L'occasion ne devait pas
tarder à se présenter, et c'est dans de telles conditions qu'ont
été trouvées les pièces que j'ai l'honneur de vous communi-
quer : elles caractérisent le troisième gisement moustérien
trouvé dans le Gard, le gisement d'Aiguèze.
Un mot d'abord, sur la constitution géologique de la région :
Les plateaux néocomiens qui s'étendent sur toute la partie
nord-est du département, s'abaissent à mesure qu'ils se rap-
prochent du Rhône et ils se terminent sur le territoire de la
commune d'Aiguèze. Ils sont alors juxtaposés au Sud aux
terrains du Gault qui s'avancent un peu plus vers l'Est. Au
PAtIL RAYMOND. — GISEMENTS MOUSTÉRIENS DANS LE GARD 667
point précis où s'arrêtent les sédiments néocomiens, se mon-
trent entre leur base et la bordure du Gault, des alluvions
quaternaires qui se présentent en coupe de la façon suivante :
ire couche : terre végétale, 0,35 centimètres ;
2e couche : cailloux roulés (fragments de roche néocomienne,
provenant des plateaux voisins. Volume variable de ces frag-
ments unis et à angles arrondis. Les mômes cailloux se
retrouvent dans les deux couches suivantes). Epaisseur de
cette couche : \ mètre ;
3e couche : argilo calcaire avec des cailloux roulés, mais en
moins grand nombre que dans la précédente et la suivante.
Epaisseur : 0,40 centimètres;
4e couche : cailloux roulés, 0,50 centimètres.
Ce sont ces différentes couches que, l'année dernière, on
utilisa comme ballast, lors de la construction d'un pont sur
l'Ardèche, entre les communes d'Aiguèze et de Saint-Martin
d'Ardèche. On ouvrit alors, au milieu de ces alluvions ancien-
nes, une carrière d'environ 500 mètres de superficie et à
quelques pas du pont en construction, au lieudit le Blanchis-
sage. Un des jeunes gens qui m'accompagnent dans mes
fouilles annuelles, Louis Suau, était précisément employé
aux travaux du pont. C'est lui qui trouva ces silex : il les
rechercha ensuite avec soin et il me les réserva. S'ils ne sont
pas plus nombreux, c'est que les terrassiers, que n'intéres-
saient pas ces recherches scientifiques, ne prêtèrent aucune
attention à la découverte qui venait d'être faite et ainsi furent
vraisemblablement perdues plusieurs pièces.
Je ne m'attarderai pas à décrire ces lames et ces pointes
moustériennes : elles sont typiques et absolument semblables
à celles que nous recueillons chaque jour dans les ballastiôres
de la Seine, par exemple. Elles sont en silex lacustre de la
région ; elles ont, en général, 7 ou 8 centimètres de long sur
4 ou 5 de large; la plus longue atteint 10 centimètres. Deux
sont entièrement cacbolonnécs et nous en examinerons la rai-
son. Trois de ces pièces dilfèrent quelque peu des antres : ce
ne sonl plus les formes massives de l'éqiwpie mouslénenne
068 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
vraie : les lames sont plus allongées, plus fines : on sent que
le moustérien n'est pas loin de finir.
Ces différentes constatations nous amènent à parler des
couches au niveau desquelles ces pièces ont été trouvées.
L'étude stratigraphique que nous venons de faire, nous mon-
tre qu'une période de calme relatif, pendant laquelle une
argile ne renfermant que peu de cailloux, s'est déposée, est
intermédiaire à deux phases de courants violents qui n'ont
laissé déposer que des cailluux. Dans la plus inférieure de
ces couches, celle de la base de la ballastière, non plus que
dans la couche argileuse, il n'a été trouvé aucun silex. Toutes
les pièces ont été trouvées dans la deuxième couche et il est
vraisemblable que les pièces cacholonnées étaient celles qui se
trouvaient en contact avec la couche argileuse intermédiaire.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, la vraie couche industrielle, la
couche moustérienne est cette couche caillouteuse de 1 mètre
de puissance et dans toute son épaisseur, des pièces taillées
ont été rencontrées. Aucun ossement n'a été trouvé.
La couche inférieure caillouteuse date-t-elle de la même
époque, ou y trouverons-nous quelque pièce, un coup de
poing chelléen? Je ne sais. Le chelléen n'a pas encore été
signalé dans le Gard, d'une façon indiscutable, du moins : je
crois néanmoins, que nous l'y rencontrerons. L'existence du
moustérien y est en tout cas, dès à présent, nettement établie
et je n'ai que faire d'insister sur l'importance de ce gisement
d'Aiguèzc où les pièces moustérien nés les plus franches, trou-
vées en place au milieu d'alluvions quaternaires, viennent
témoigner de l'existence de l'homme à cette époque, dans
cette partie du Languedoc, nous permettant d'être, par com-
paraison, plus affirmatif encore que par le passé, sur l'épo-
que à laquelle remontent les premiers gisements que nous
avons signalés.
IL — J'ai continué, cette année, l'exploration de ce curieux
aven de Ronze dont je vous avais entretenus l'année der-
nière1. Nous y avons consacré dix-sept journées et j'estime que
1 Dul. de la Soc. d'Anlhr. 1894, p. 548.
PAUL- RAYMOND. — GISEMENTS MOUSTBRIENS DANS LK UAHD
669
nous avons exploré le tiers environ du gisement. 11 est donc
possible de s'en faire une idée générale, et c'est une vue d'en-
semble que je me suis proposé de vous présenter aujourd'hui.
Je ne reviens pas sur la topographie de l'aven de Ronze ayant
eu l'occasion d'y insister ici même dans une autre publica-
tion1, mais je désire relever une erreur que m'a fait commettre
une fausse interprétation de mes notes, .l'avais donné comme
profondeur totale de l'aven 96 mètres : c'est en réalité, le
second étage qui atteint cette profondeur : il faut ajouter la
hauteur du premier étage, de la cuvette proprement dite qui
est de 16 mètres, si bien que la profondeur totale de l'aven
est de 112 mètres. Fermant l'abri sous roche et dans le pro-
longement de l'a pic, j'ai trouvé un véritable mur en énormes
blocs calcaires disposés à la suite les uns des autres, mais
n'atteignant pas les parois latérales de la grotte : celle-ci res-
tait donc ouverte sur les [côtés. En arrière de ces blocs qui
ne s'élèvent, d'ailleurs, qu'à 0,60 centimètres environ, se
trouvait un foyer très étendu et de plus de 0,50 centimètres
d'épaisseur. C'est à environ 3 mètres de ce foyer que se trou-
vaient les parties les plus riches du gisement. Voici la liste
des pièces qui y ont été recueillies :
1<> Eclats : quantité considérable ;
2o Pièces à différents degrés de dégrossissement et rejetées
soit parce qu'elles ne venaient pas bien, soit parce qu'elles
s'étaient brisées pendant l'opération ;
30 Pointes de lances de dimensions variables, au nombre
de 7. L'une d'elles est brisée à la moitié environ de sa lon-
gueur et cette moitié mesure 0,11 centimètres. Un aatre
intacte! mesure 0,18 centimètres de long sur o de large;
40 pointes de flèches au nombre de 32.
Ces pointes dont la plus longue mesure 8 cent. 1/2 sur 3
et la plus petite 3 cent, sur 1 12 sont du type solutréen le
plus pur; allongées ou losangiques, elles sont absolument
semblait aux poinles feuilles de laurier de Solulré. Cer-
1 La Naluro.
670 SÉANCE DU 7 NOVEMBUE 1895
taines d'entrés elles sont de véritables œuvres d'art et il serait
difficile d'admettre qu'elles servissent;! des usages courants-
Si l'on songe, d'autre part, que ces pointes se retrouvent
dans les dolmens de la région, on peut dire qu'il s'agissait
plutôt de pointes votives et que cet atelier de Ronze faisait,
en quelque sorte, de ce genre de produits, sa spécialité. Ces
pointes sont en silex gris, brun ou rose. Elles sont bien dif-
férentes des précédentes qui sont bien moins finement exé-
cutées et n'avaient aucun caractère votif. On ne les trouve
pas, d'ailleurs, dans les dolmens de la région;
5° Deux pointes allongées de 5 cent, sur 1 1 2, pointes typi-
ques des dolmens, en silex gris;
6° Une pointe en cristal de roche de 0,02 centimètres sur
0,007 millimètres;
7° Ébauches des pièces précédentes en nombre indéterminé ;
8° Grattoirs, 9;
10° Uii fragment de haché polie en diorite;
11° Objets de parure ; une plaque en os rectangulaire, mesu-
rant 0,05 centimètres sur 4, perforée au centre; une défense
de sanglier et une dent de cerf partagées dans le sens de la
longueur, éléments d'un collier; une coquille de moule bri-
sée; une perle en bronze (c'est le seul vestige de bronze qui ait
été trouvé jusqu'à présent;; un moule de micraster;
12° Trois fusaïoles (dont une brisée) en terre cuite;
13° Nombreux fragments de poterie [1 s'agit de la poterie
néolithique avec ses caractères bien connus. De ces fragments,
les uns sont simples, les autres sont ornés, et ces dessins
représentent soit des cercles, soit des lignes droites ou se
coupant à angle droit ou aigu. D'autres présentent des clé-
pressions en coup d'ongle, des pastillages, des sinuosités sur
les bords dijs vases, etc. Toute une classification des types
céramiques à cette période de la pierre polie peut être écha-
faudée sur ces échantillons de l'aven de Ronze. De même,
l'histoire de l'anse et des transformations des moyens de sus-
pension des vases est écrite sur ces fragments. (Un travail
sera consacré à ces deux intéressantes questions.)
PAUL RAYMOND. — GI5KMENTS MOUSTÉR1ENS DANS LE GARD 671
Fragments d'un vase de 0,08 cent, de diamètre ;
Une tasse de 0,05 cent, de diamètre et de 0,04 1/2 de hau-
teur extérieure ;
14° Une série d'instruments en os ainsi constituée :
2 lissoirs;
1 gaîne en corne de cerf;
50 aiguilles ou poinçons;
1 aiguille à chas;
9 poinçons en cubitus de ruminant;
3 pointes de poignard (?) en andouiller de cerf ;
15° Deux meules en granit de 0 m. 28 sur 0 m. 18 ;
16° Six broyeurs ou percuteurs en silex ou quartzite;
17° Un instrument en forme de hache ou de casse-tête, en
silex, destiné à être emmanché ;
18° Faune : nombreux ossements intacts ou brisés apparte-
nant à la faune actuelle et que M. M. Boule avec son obli-
geance habituelle, a bien voulu déterminer. Ces ossements
appartiennent au bœuf (petit bœuf néolithique de Rutimcyer),
au chien, au sanglier, au cerf, au chevreuil, à la chèvre.
Ajoutons des ossements de rongeurs et d'oiseaux.
La récolte, on le voit, a été abondante et d'une importance
réelle. Les fouilles sont néanmoins d'exécution difficile, en
raison de ce fait que la couche industrielle n'est pas continue
et qu'on la perd aisément. Le gisement est un exemple aussi
parfait que possible de l'industrie de la fin du néolithique.
Discussion.
M. 0. Vauvillé. — Dans l'a séance de la Société, du 4 juil-
let dernier, j'ai présenté un certain nombre de pièces taillées
en feuille de laurier, du genre de celles provenant de milieux
dits solutréens. Cette présentation, de pièces recueillies sur
les territoires de Creysse et de Bergerac (l)ordogne), avait
pour but de prouver que certaines pièces taillées en feuille de
laurier, élaiml bien de l'époque néolithique.
672 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
Une assez vive discussion eut lieu, dans la dite séance,
pour chercher à combattre mes affirmations l.
La présentation par notre collègue, le Dr Raymond, d'ins-
truments provenant du département du Gard, vient bien
prouver, comme je l'affirmais à la séance du -4 juillet, qu'à
l'époque néolithique on a taillé des pièces, dites en feuille de
laurier, du genre de celles du solutréen.
Parmi les pièces qui nous sont présentées, il y en a d'admira-
blement retouchées, elles pourraient certainement être prises
comme étant de l'époque solutréenne, si elles n'avaient pas
été recueillies dans un gisement bien néolithique.
MM. A. de Mortillet et Collin prennent part à la discussion.
Le dolmen du ttrah' î\iol à Irzon (.Uorbihau), 10 août 1893
Par M. F. Gaillard.
Le dolmen du Giati' Niol est situé dans la parcelle du ca-
dastre de la commune d'Arzon, section B, n° 616, et tout à
proximité du bourg, à environ 300 mètres au Nord: il est sur
une hauteur, à l'entrée de l'un de ces promontoires si nom-
breux des rivages intérieurs du Morbihan. Sa situation, par
rapport aux autres monuments mégalithiques environnants,
le classe dans cette agglomération de grands monuments de
l'extrémité ouest de la presqu'île de Rhuys et des îles du
Morbihan.
De cette altitude, le regard les embrasse tous : au Nord,
l'île el le tumulus de Gavr'inis, plus bas l'îlot d'Er-Lannic,
dont le cromlech, le plus beau monument de ce genre qui
soit connu et qu'il faut s'étonner de ne pas voir déjà acquis
et restauré par l'État, apparaît dans son regrettable état de
ruines ; plus vers l'Est, l'île aux Moines et l'île d'Arz, avec
leurs dolmens sur les points. culminants; vers l'Est et se dé-
l. Dullolins, vol. I8i>5, page 469.
F. GAILLARD. — LE DOLMEN DU GRAH' NIOL A ARZON 673
lâchant d'une façon toute grandiose, le tumulus de Tumiac;
vers le Midi et au-delà du bourg, le tumulus du Petit-Mont,
sur son promontoire désert et avancé dans l'Océan ; à l'Ouest,
la hauteur du Moteno, qui masque celle de Bil-Groëz, où le
dolmen qui y exista est aujourd'hui totalement détruit; puis,
dans l'horizon lointain et encadrant cette perspective pitto-
resque et saisissante, Locmariaquer, dont le grand menhir,
s'il eût été relevé, eût fait un centre de tous ces monuments
indiqué par le plus exceptionnel des monolithes, visible
d'énormes distances; enfin le tumulus de Saint-Michel, à
Carnac, apparaît aussi par un temps clair dans l'horizon le
plus lointain.
La situation du dolmen du Grah' Niol est donc très remar-
quable ; ses dimensions, sa construction, le volume et la dis-
position des pierres qui le composent, le classent parmi nos
plus grands mégalithes ; les sculptures de quelques supports
le rangent également parmi ces monuments dont il est indis-
pensable d'assurer la conservation, car on ne saurait trop
posséder, pour pouvoir les étudier, ces intéressants dessins
sur pierres qu'on ne peut espérer déchiffrer et expliquer
qu'en les conservant. Ce sont les volumes d'une bibliothèque
d'études à poursuivre; comme les alignements de menhirs,
comme les cromlechs qui ne sont pas définis non plus, il est
de toute nécessité d'assurer la conservation pour les progrès
de l'avenir. Ce sont des mesures qui s'imposent logiquement,
car un intérêt scientifique s'attache aux progrès à acquérir.
Le nom du monument présente un autre intérêt relative-
ment caractérisé, étant donnés ceux de monuments voisins.
Le Grah' Niol doit se traduire par l'éminence ou la butte du
soleil ; or, dans les environs, on retrouve à Sarzeau, à la pointe
Saint-Jacques, un haut menhir isole, c'est le Men Niol, la
pierre du soleil; à l'Ile aux Moines, parmi les dolmens explo-
rés et décrits en 1877 à la Société polymathique par notre
honoré collègue, M. le Dr Mauricet, se trouvent le dolmen du
Niol et les deux dolmens de l'en Niol, la pointe du soleil. Ces
674 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
remarques, qui ne peuvent être, ni ne tendent à être une dé-
finition, sont néanmoins à signaler.
Ce dolmen a déjà subi des destructions, il n'y a nul sou-
venir de leur époque parmi les habitants du pays; personne,
même parmi les vieillards, n'a vu accomplir ce regrettable
vandalisme. Deux "tables de la galerie manquent et ont été
enlevées en même temps que plusieurs supports de la gale-
rie, d'un cabinet latéral et surtout de la chambre, où il n'en
reste qu'un seul, sur le sommet duquel s'appuie la table in-
clinée obliquement vers celle qui la précède.
Ce monument a une longueur intérieure de 11 m. 40, du
premier support de la galerie du coté du Nord' au menhir du
chevet de la chambre. Il a dû être encore plus développé,
car j'ai constaté que le dallage continuait jusqu'à 13 mètres,
et, au surplus, j'ai recueilli sur ce dallage de la calaïs à
12 m. 50, et de la poterie jusqu'à 12 mètres. Il y a donc lieu
de croire que les premiers supports d'entrée ont été enlevés;
du reste, sur le bord du sentier voisin et à 2 m. 50 vers le
Sud-Est, existe une table à plat sur le terrain qui, probable-
ment, fut la première de_la galerie de ce vaste dolmen. Sa
galerie a une largeur moyenne d'un mètre. Du côté du Midi
et précédant la chambre, existe un cabinet latéral recouvert,
en même temps, que la galerie, par une seule et énorme table
dont je parlerai plus loin. La profondeur est bien celle des
plus imposants dolmens : à l'entrée, 1 m. 90; sous la table
du cabinet latéral, 1 m. 70, et dans la chambre, 2 mètres.
11 existe deux tables en place sur leurs supports à l'entrée :
la première mesure 1 m. 60 sur 1 m. 35 et une épaisseur de
0 m. 25; la seconde 2 m. 70 sur 1 m. 80 et une épaisseur
moyenne de 0 m. 35. Deux tables qui devaient venir ensuite,
ainsi qu'on en peut juger par les distances, ont disparu; mais
à la suite il existe, en place, une autre table de dimension et
de forme si exceptionnelles, qu'il a fallu les fouilles que j'ai
exécutées et que j'ai l'honneur d'exposer ici, pour s'expliquer
son ingénieux emploi. Cette table a, en effet, la forme d'un
énorme triangle isocèle par sa superficie; le sommet le plus
F. GAILLARD. — LE DOLMEN DU GRAH' MOL A ARZON 675
allongé et le plus étroit recouvre la galerie sans la déborder
de beaucoup, elle se trouve alors dépasser les supports du
côté opposé par la base du triangle, et elle va s'élargissant
de telle façon que la largeur à cette base égale presque la
longueur de la table de la chambre. Le sommet de cette table
triangulaire est, du coté du Nord, sur la galerie; la base, du
côté du Midi, sur un cabinet latéral. Elle mesure en longueur,
c'est-à-dire du sommet du triangle qu'elle représente à la
base, 5 m. 50 ; sa largeur à la base est de 2 m. 90, et son
épaisseur moyenne de 0 m. 52.
La table de la chambre vient immédiatement après; en
s'inclinant quand on détruisit ses supports, elle a bien con-
servé sa position sur le menhir du chevet et sur lequel elle
repose, mais elle s'est naturellement éloignée de la table pré-
cédente. Il est facile de comprendre que, primitivement, dans
la position horizontale que lui donnaient les supports détruits,
elle se juxtaposait très bien avec la table qui la précède. Elle
mesure en longueur 2 m. 80, en largeur i mètres, et en épais-
seur 0 m. 50.
Les supports mesurent, en partant de l'entrée : du côté du
Nord, 1 mètre sur 0 m. 70, 1 m. 25 sur 1 mètre, 1 m. 20 sur
1 mètre, 1 m. 90 suri mètre; un cinquième, cassé dans sa
hauteur, 1 m. 40 sur 1 m. 20, 0 m. 80 sur 1 m. 10; du côté
du Sud, 1 m. 50 sur 1 m. 10, 1 m. 60 sur 0 m. 80, 1 m. 50
sur 0 m. 40, 1 m. 65 sur 0 m. 45; un cinquième est décou-
ronné dans sa hauteur; au cabinet latéral, 1 m. 40 sur 1 m. 20,
un autre en place, debout, ([ne le blocage ne permet pas de
mesurer exactement, un autre support renversé 1 m. 30 sur
0 ni. 50, plus deux autres qui obstruaient la galerie. Celu1
de la chambre a 2 mètres de bailleur, 0 m. 90 en largeur à
la base, et une épaisseur moyenne de 0 m. 70.
Il existe donc, actuellement, quatre tables : côté nord, sept
supports debout; côté sud, cinq ; cabinet latéral, trois; cham-
bre, un; au total, seize supports. En calculant les distances
moyennes, on peut conjecturer qu'il a du être détruit, dans
ce dolmen, seize ou dix-huit supports. Ce vandalisme est d'au-
676
SÉANCE DU 7 NOVEMBUE 1893
tant plus regrettable qu'il y a lieu de supposer que plusieurs
de ces supports devaient avoir des sculptures lapidaires,
comme il y en a sur quelques-uns de ceux qui restent. J'en
ai relevé trois ainsi : le premier, à l'entrée, est le quatrième
du côté nord. Vers le haut de ce support, la forme du sept qui
se rencontre en d'autres dolmens sculptés, notamment au
Mané Kerionod, à Carnac, quelques fois seul, d'autres plu-
sieurs fois en lui-même, répété sur le même support ou sur
des supports différents; plus bas, un autre signe en forme de
faucille ou plutôt, comme il n'en aurait pas une dimension
aussi grande, d'un point d'interrogation ou d'un cinq ren-
versé sur son ouverture. Je n'ai remarqué ce signe dans au-
cun autre dolmen du pays.
Le second support sculpté est beaucoup plus ricbe sous ce
rapport; c'est le quatrième du côté sud, et il présente, comme
les autres, les sculptures dont les croquis sont joints h ce rap"
port. J'y signale la forme de l'U dans sa position naturelle et
1T renversé, celle de la virgule ou l'apostrophe, la ligne bri-
sée répétée plusieurs fois parallèlement. Ces signes se retrou-
F. GAILLARD. — LE DOLMEN DU GRAïf NIOL A ARZON 677
vent auMané Lud, au dolmen des Marchands à Locmariaquer
et au Mané Karioned à Carnac.
Le troisième support sculpté est celui du chevet de la
chambre. Les dessins y sont bien plus grands que sur les au-
tres supports; ils semblent proportionnés à la hauteur,
2 mètres, de cette paroi. Deux signes seulement très caracté-
risés; en haut, l'U qui, je l'ai ait déjà, se rencontre en d'au-
tres dolmens, puis, un peu plus bas, un autre signe, un
cartouche un peu horizontal, surmonté de la virgule et au-
dessous d'un trait ondulé. Il y a lieu de remarquer ici que ce
même signe est reproduit sur le quatrième support sculpté
du Midi, avec cette seule variante que le cartouche est tourné
à gauche, tandis que sur celui-ci il est tourné à droite. Il
existait aussi sur le Petit-Mont1.
Une trouvaille très intéressante a été également faite au
cours de ces fouilles. Dans l'intérieur de la gaierie et dans
l'axe du cabinet latéral, nous avons recueilli deux pierres de
blocage, de ces pierres brutes que les constructeurs préhisto-
riques employaient, comme on en voit en beaucoup de dol-
mens, pour combler les ouvertures que présentaient souvent
les supports et les tables qui n'étaient pas toujours exacte-
ment juxtaposés. C'est bien là la preuve matérielle qu'ils ne
taillaient nullement leurs blocs et ne leur donnaient pas une
forme nécessaire ou cherchée. Ces deux pierres, qui sont
plus larges qu'épaisses et, au surplus, ainsi que l'exige leur
emploi comme blocage, mesurent : la première, en largeur,
0 m. 28 et 0 m. 38, et en épaisseur 0 m. 16; la deuxième,
0 m. 30 et 0 m. 20 sur 0 m. 14. Cette dernière a été cassée,
et nous n'en avons pas retrouvé l'autre partie, que nous eus-
sions facilement reconnue. Les carriers mutilateurs de ce
monument ont dû. l'employer ou la jeter ailleurs comme les
autres débris qu'ils faisaient. Chacune de ces pierres a une
surface plate sur un côté, et sur ce côté se trouve, sur cha-
1 Recueil des signes sculptes sur les monuments mégalithiques.
L. Davy de Cussé, 1865. I1'0 livraison.
GTS SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
cune d'elles, une hache sculptée en relief. La deuxième de
ces pierres en avait deux, l'une k la suite de l'autre, les tran-
chants en sens opposés, mais rapprochés, les talons en sens
contraire. La hache de la première pierre mesure 0 m. 48 en
longueur, et 0 m. 05 en largeur au tranchant; celle delà
deuxième, 0 m. 20 en longueur, et 0 m. 07 au tranchant. Du
côté où cette deuxième pierre est brisée existe la forme du
tranchant d'une seconde hache ; elle est séparée de l'autre,
qui existe tout entière, par 0 m. 04. On ne connaît encore,
jusqu'à présent, que la pierre de blocage du dolmen de Ga-
vr'inis, au-dessus de la sixième paroi de droite, qui ait une
sculpture de ce genre et qu'on a considéré, à tort ou à rai-
son, comme la représentation de la hache emmanchée. Ces
sculptures du Grah' Niol semblent devoir trancher la question
controversée jusqu'ici des moyens employés pour leur exécu-
tion. En les examinant, en effet, avec attention, il est facile
de se convaincre qu'elles ont été faites, non point par l'em-
ploi d'un outil quelconque en métal, mais uniquement par
l'usure et le frottement d'une pierre plus dure. Ces deux
pierres, ainsi que je l'ai dit, présentent une surface plate,
l'artiste préhistorique, pour y sculpter une hache en relief, a
simplement exécuté une rainure creuse par frottement ou
polissage dans la forme de la hache, et dès lors, celle-ci, sé-
parée du reste de la superficie, se trouve en relief; naturelle-
ment elle n'a ni ronde bosse, ni saillie autres que la surface
environnante. Ce fait me semble logiquement et matérielle-
ment concluant. Le creux dessinant la hache a 0 m. 02 en
largeur et 0 m. 005 en profondeur. Des photographies ci-
jointes de ces deux pierres permettent d'apprécier l'impor-
tance de cette trouvaille.
Le domen du Grah'Niol ne contenait que fort peu de silex,
je n'y ai receuilli qu'une pointe de flèche transversale, un
grattoir et une lame sur le dallage de l'entrée, mesurant 0 m. 09
de longueur sur 0 m. 035 de largeur, .l'ai également trouvé
dans le commencement de la galerie et à toute sa profondeur
une pierre ronde en quart/., d'un diamètre de 0 m. 10. Elle
F. GAILLAHD. — LE DOLMEN DU GIUH' NiOL A ARZo.N (579
ne porte aucune trace de percussion et j'incline à croire que
selon l'opinion de notre honoré collègue, M. Chauvet, de
Ruffec, elle constitua une pierre de jet. D'autres objets qui ne
se trouvent que dans les grands domens exceptionnels, y ont
été recueillis. Un grain de collier serpentine et huit autres
grains en calaïs; ces derniers en forme de fortes lentilles. La
calaïs présente des teintes variées depuis le gros vert jusqu'au
vert tendre et le vert jaspé. Il dût y avoir un collier tout entier
dans ce dolmen, car j'ai aussi recueilli à l'entrée une moitié
d'un grain de calaïs bien plus gros; iî avait un diamètre de
0 m. 013 et une épaisseur de 0 m. 008. Accompagnant ces
grains de collier, trois petits tubes en or, de la dimension
d'une tige de blé, longs chacun de deux centimètres, formés
d'une feuille d'or jaune natif, pareil à celui des autres objets
en ce métal que j'ai déjà recueillis au dolmen de Kerouaren
Plouhinec en 1884 et à celui recueilli par d'autres chercheurs.
Ces trois tubes ont dû servir à séparer des grains dans un
collier; ils sont tous trois du poids d'un gramme. Les grains
de collier étaient dispersés dans la galerie, depuis l'entrée
jusque et principalement dans l'axe du cabinet latéral. Les
trois petits tubes étaient aussi dans ce dernier endroit.
Dans ce même axe et contre les pierres gisant à plat, trois
haches en diorite; l'une tronquée au talon, mesure : longueur
0 m. 03, largeur au tranchant 0 m. 033; les deux autres,
dont le talon existe régulièrement, longueur 0 m. 053, lon-
gueur du tranchant 0 m. 033 et 0 m. 073 sur 0 m. 043.
La poterie offre des spécimens variés ; il n'y avait aucun
vase entier mais de nombreux fragments dont plusieurs orne-
mentations ont été relevées. De l'examen attentif de ces divers
fragments et des reconstitutions accomplies, il en résulte six
variétés de dessins sur des vases de couleur et de capacité
différentes. La première est celle d'un grand vase noirâtre à
l'extérieur et rougeâtre intérieurement. Les bordures recons-
tituées dénotent une ouverture d'un diamètre de 0 m. 030;
l'épaisseur en est d'un centimètre. L'ornementation, qui
existe du haut en bas, consiste en une série de lignes hori-
680 SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1895
zonlales parallèles, distantes les unes des autres d'un centi-
mètre; elles semblent avoir été faites par l'application d'une
petite corde sur la pâte tendre.
Le second type donne un diamètre d'ouverture de 0 m. 15,
l'épaisseur en est de 0 m. 004; la terre est rouge, lustrée à
l'extérieur comme à l'intérieur. L'ornementation consiste
en bandes horizontales alternées de 0 m. 012 de pointillés
réguliers dont l'inclinaison oblique est en sens inverse dans
chaque section. Ces bandes ornementées, qui existaient sur
toute la hauteur du vase sont séparées entre elles par une
bande lisse d'un centimètre. Ce vase devait être calici-
forme.
Le troisième type, également caliciforme, ornementé sur
toute sa superficie, est de même couleur rouge mais d'une
épaisseur de 0 m. 005. L'ornementation y est encore plus fine-
ment exécutée : elle consiste en une bande de pointillés, très
petits, très réguliers, de 0 m. 008 de largueur, séparée de
l'autre par trois lignes au trait de 0 m. 008. Ces traits,
comme pour le premier vase, ont dû être produits par l'em-
preinte d'une petite, ficelle ; les pointillés, obliquant en sens
inverse dans chaque bande sont tellement fins et réguliers
qu'on peut en conclure qu'ils ont été obtenus à l'aide d'une
molette.
Le quatrième, d'un vase caliciforme et de même couleur
rougeâtre, à une ornementation régulière du haut en bas de
traits circulaires, horizontalement espacés 0 m. 005.
Le cinquième, encore d'un vase caliciforme et de couleur
rouge à l'extérieur, mais plus foncé à l'intérieur, est ornementé
par des bandes alternatives au pointillé plus largement exé-
cuté, obliquant aussi en sens inverse, d'une largeur d'un cen-
timètre et séparées d'un centimètre les unes des autres.
Le sixième, caliciforme aussi, est ornementé au col du vase
de trois bandes de pointillés; la première supérieure de trian-
gles alternés et les deux autres de lignes an sens opposés. Ce
vase est de couleur brune à l'extérieur comme à l'intérieur et
lustré: son diamètre d'ouverture était de 0 m. 14.
T. GAILLARD: — LE DOLMEN DU GRAh' iNIOL A ARZON 681
Parmi les vases sans aucune ornementation, il faut en
signaler un de capacité assez grande ; diamètre d'ouverture
0 m. 27, épaisseur 0 m. 009, couleur rouge brique. La moitié
d'un petit vase en terre brune, apode, 0 m. 006 d'épaisseur,
bauteur 0 m. 04, qui a dû constituer l'un de ces récipients
où les préhistoriques conservaient les couleurs qui leur
servaient probablement à se tatouer.
Dans les reconstitutions à peu près complètes se trouvent
deux petits vases apodes. L'un, très (in, de couleur noire,
lustré et d'une infime épaisseur de 0 m. 002, a un diamètre
d'ouverture de 0 m. 055 et une profondeur de 0 m. 035; lf
second est à signaler tout spécialement. De couleur terre de
sienne, épaisseur de 0 m. 003 à 0 m. 004, son diamètre est de
0 m. 06 et sa profondeur de 0 m. 04. Il a un seul bouton
percé et ce qui le distingue particulièrement c'est qu'il pré-
sente à l'intérieur, au droit et à la perpendiculaire de ce bou-
ton, une sorte de petit récipient fait par la pression sur la
pâte tendre. Cette pression à dû être faite par un doigt de
femme. Je dois ici rappeler qu'au dolmen du Parc Nehué h
iliantec, dont la Société d'Anthropologie a publié le rapport en
1889, page 193, je lis même trouvaille d'un petit vase apode
avec récipient intérieur et un seul bouton du même côté. Dans
ce rapport je signalai aussi pareil résultat obtenu par l'un de
mes amis, M. Réveillère, d'Angers, à Baden et par Miln au
Mané etGragneux àCarnac; ce dernier vase figure au Musée
Miln sous le numéro 61 du catalogue. J'ai démontré que contrai-
rement à l'opinion de ce dernier le récipient intérieur ne peut
servir à soutenir une mèche de lampe puisque la combustion
eut atteint le lien de suspension ; il y a donc une autre raison
d'être de cette formation exceptionnelle et qui cependant, on
le voit, était assez pratiquée, car il faut admettre qu'elle a
dû exister dans beaucoup d'autres dolmens et qu'on a détruite
ou qu'on n'a nullement remarquée. Je n'hésite pas à en attri-
buer l'usage a une simple représentation emblématique ;
ainsi que certains vases ornementés présentent des dessins
aux traits identiques ou se rappi ueliant des lignes coneentri-
t. vi (4e série) 44
682 SÉANCE DL" 7 NOVEMBRE 189.J
ques ou ondulées du dolmen de Gavr'inis, ces récipients inté-
rieurs ont le même rapport et le même caractère. Le dolmen
de Gavr'inis, par ses sculptures hors de pair, dût évidem-
ment représenter une sépulture d'une importance considéra-
ble et des emblèmes répétés ailleurs. Or, il existe à la douzième
paroi et dans la chambre une cavité dont on n'a pu et on ne
pourra probablement jamais expliquer l'usage; il est néan-
moins permis de supposer qu'un creux pareil, très difficile à
exécuter par frottement ou polissage selon la méthode usitée
à cette époque, avait une haute importance dans les cérémo-
nies. Le dolmen de Gavr'inis lui-même, par ses nombreuses
et remarquabbles sculptures, semble avoir été un véritable
sanctuaire funéraire ; sans que nous puissions nous expliquer
aujourd'hui le sens des sculptures qui ornent ses parois, nous
en voyons reproduites en d'autres dolmens et sur certaines
poteries de ces monuments; j'en conclus que les récipients
intérieurs des vases que je signale ont le même caractère et
sont en rapport direct de la cavité du douzième support dans
la chambre de Gavr'inis.
Evidemment l'opinion que j'en émets ici peut être combat-
tue parce qu'on n'a pas eu lieu de l'expliquer ailleurs et en
général, il me suffira, je crois, de faire remarquer que, de
même que le dolmen de Gavr'inis est unique, ce qui ne peut
faire douter de son antiquité, ce que je relève et signale ici
n'a peut-être aussi qu'un caractère régional, au surplus
comme les sculptures elles-mêmes, comme la calais qu'on ne
recueille que dans nos dolmens de ce littoral du Morbihan.
Dans tous les cas cette opinion est basée sur des faits maté-
riels et, comme je l'écrivais en 1889, pourra se confirmer
par de nouveaux succès dans des observations de ce genre.
Il y avait enfin au Grah'Niol une quantité de débris, variés
en forme, épaisseur, couleur, qui indiquaient qu'un nombre
considérable de vases différents y avaient existé ; les uns apo-
des, les autres à fonds aplatis.
Tous ces fragments de poterie étaient dispersés dans le
même espace que les grains de collier. En quelques endroits
F. GAILLARD. — LE DOLMKN DU GRAh' NtOL A ARZON US:?
ils étaient plus agglomérés et leur ornementation indiquait
que les vases auxquels ils avaient appartenu avaient été bri-
sés à la place qu'ils occupaient. Sur toute la superficie, de
nombreux fragments de charbon et de la cendre; plusieurs
des débris de poterie en sont couverts intérieurement, indi-
quant ainsi que les vases dont ils proviennent en ont con-
tenu.
La chambre n'a rien donné et cela s'explique; les parois
ayant été enlevées, moins celle qui en reste, il a fallu pour
opérer cette destruction dégarnir ces supports jusqu'à la base
et naturellement le terrain enlevé, comme d'habitude, à la
pelle et transporté en tombereaux dans des champs incon-
nus, contenait un riche mobilier funéraire complètement
perdu pour les études scientifiques. Dans la galerie comme
dans le cabinet latéral où des supports manquent, il en a été
de même, mais dans une mesure moins totale. Ce qui le
prouve c'est que dans la chambre il n'y avait aucun dallage,
tandis que la galerie et le cabinet latéral en avaient conservé
des sections. On ne peut s'empêcher de déplorer un vanda-
lisme inconscient à une époque reculée et où les études de ces
monuments n'étaient nullement faites, d'autant qu'on peut
assurément avoir la ferme conviction que plusieurs des sup-
ports détruits durent être sculptés. Quoiqu'il en soit, ce grand
et profond dolmen du Grah'Niol mérite par son type d'être
conservé comme nos plus grands mégalithes. Les tables sont
à la surface du terrain et le monument, dans toute sa profon-
deur, est au-dessous du sol.
Je joins à tous ces détails le plan, la photographie de ce
monument, celle des pierres de blocage avec haches en relief,
le dessin à l'échelle des supports sculptés et la photograpbie
du vase apode à récipient intérieur.
Le dolmen du Grah'Niol ouvre au 100° degré de la bous-
sole, c'est-à-dire à l'Est dix degrés Sud.
684 SÉANCE DU 21 NOVEMBRE 1895
631e SÉANCE. — 21 novembre 1895
Présidence de M. Issaurat.
OUVRAGES OFFERTS.
Raye (baron de). — Note sur des bijoux barbares en forme de
mouches. (Ext. des Mém. Soc. nation, des antiquaires de France),
in-8°, 22 pag. et fig., Paris, 1895.
Boas (Franz). — Chinooktexts, in-8°, 278pag., Washington,
1894.
Caracache (Dr A.). — Présentation d'un fœtus monstrueux,
in-8°, 5 pag., Gonstantinople, 1895.
Fulcomer (D.). — Instruction in Sociology in Institution of
Learning, in-8°, 19 pag., Chicago, s. d.
Giacomini (Dr Carlo), — Annolazioni sopra Vanatomia del
negro, 5 mémoires in-8°, 40-80-96-24 48 pag. avec fig. et pi.,
Turin, 1878 à 1892.
Giacomini (Dr Carlo). — Contribulo allô studio délia microce-
falia, in-8°, 19 pag., Turin, s. d.
Giacomini (Dr Carlo). — Una microcefala. Osservazioni ana-
lomiche ed antropologiche, in-8°, 86 pag. et pi. Turin, 1876.
Giacomini (Dr Carlo). — I cervelli dei microcefali, in-8°, 331
pag., et pi., Turin, 1890. (Ouvrages présentés par M. Manœu-
vrier.)
Hamy (E.-T.). — Les races humaines de Madagascar. (Ext. de
la Revue Scientifique), in-8°. 26 pag., Paris, 1895.
Mooney (James). — The Siou an tribes of the east, in-8°, 100
pag., Washington, 1894.
Reclus (Elisée). — Nouvelle géographie universelle, 19 vol.
in-8° jésus avec fig. et cartes, Paris, 1876-1894 (Achat).
Reclus (Elisée). — Projet de construction d'un globe terrestre à
l'échelle du 1/100,000, in-8°, 15 pag., Bruxelles, 1895.
Vauchez (Emmanuel). — La banqueroute de la science et la
faillite de l'Instruction laique, in-18, 32 pag., Tarhes, 1895.
PÉRIODIQUES 685
Vauchez (Emmanuel). — L'éducation morale, in-18", 40 pag.,
Nevers, 1895.
Worms (R.). — Un laboratoire de sociologie. (Ext. de la Rev.
inlern. de sociologie), in-8°, 17 pag., Paris, 1895.
M. René Worms fait hommage de son étude intitulée : « Un
laboratoire de Sociologie ». Il s'est efforcé d'y prouver que la
Sociologie peut être constituée par des procédés de mesure
précis, tels que ceux qu'emploient déjà la psychologie expé-
rimentale et la statistique et analogues à ceux des sciences
naturelles et physiques.
M. Manouvrier dit que cela revient à affirmer la nécessité
évidente de constituer la Sociologie avec la Psychologie, la
Démographie, avec l'Anthropologie en général, en un mot
avec les sciences afférentes qui ont leurs laboratoires et leurs
procédés d'étude. Un laboratoire affecté spécialement à la
Sociologie en dehors de ces sciences devrait, pour mériter un
titre particulier, être consacré à des expériences directement
sociologiques. Son établissement ne serait pas irréalisable
avec de très larges moyens.
Autrement ce serait simplement un laboratoire de Psycho-
logie, ou d'Anthropologie ou de Statistique, etc.
périodiques (Articles à signaler).
Revue de l'Ecole d'Anthropologie, 1895, n° XI. — A. deMor-
tillet : Excursions de 1895; — L. Capitan : Une visite à la
JJalIastière de Tilloux.
G. R. de la Société de biologie, 1895, n° 30. — Charrin et
(iley : Difformités congénitales expérimentales.
Revue scientifique, 9 nov. 1895. — Zaborowski : la Russie
préhistorique et les relations de l'Europe avec l'Asie par la
Caspienne.
The American anthropologist, 1895, n° 3. — W. Hodge : The
early Navajo and Apache. — F. Ward : The relation ofsocio-
logy to anthropology. — G.-R. Putnam : A Yuma crémation.
— W. Me Gee : Some'principles of nomenclature.
686 SÉANCE DU 21 NOVEMBRE 1893
PRÉSENTATIONS.
Photographie d'un monunicut mégalithiiic.
Par M. le Baron de Baye.
M, le baron de Baye communique une lettre qu'il a reçue
de M. l'abbé Patriat, curé de Jully (Yonne), et la photogra-
phie d'une pierre sur laquelle il attire l'attention de ses
confrères. Il s'agit d'un bloc de granit, découvert dans le
Morvan, mesurant 1 m. 90 de largeur environ sur 1 m. 30 de
hauteur. La base est fracturée et tout le reste du pourtour est
taillé grossièrement en biseau. Ce bloc repose sur le flanc
d'un coteau à l'altitude de 380 mères (d'après la carte dressée
par l'état-major), le monolithe n'a jamais été ni remarqué ni
cité, il se trouve sur le territoire de Saint-Germain-des-
Champs, canton de Quarré-les-Tombes (Yonne), à 300 mètres
environ de la rivière Cure.
L'auteur de la découverte ne met pas en doute que les deux
rainures perpendiculaires soient dues au travail de l'homme.
L'examen de la photographie nous autorise à penser de
même. Ces rainures sont profondes et larges de deux à trois
centimètres environ. Quant à la rainure en rigole horizontale
et légèrement arquée qui affleure le bord du bloc, elle n'est
pas aussi nettement indiquée, surtout au milieu de sa cour-
bure. Du reste, elle est moins profonde que les deux autres.
Mais la partie la plus intéressante, selon moi, est l'angle
supérieur à droite de la pierre et, à la gauche, de celui qui la
regarde. Il y a là des lignes qui ont été considérées par les
personnes de la localité comme une grossière figuration d'une
tète de félin. L'auteur de la lettre hésite à y reconnaître les
traces de l'œuvre do l'homme. Pour nous, nous rangerons
celte sculpture sommaire dans la série, tous les jours plus
nombreuse, des monuments néolithiques, dont l'étude a été
inaugurée par la découverte de nos grottes du département
de la Marne.
COLLIGNON. — LA COULEUR ET LE CHEVEU DU NÈGRE NOUVEAU-NÉ 687
Le monument de Sàint-Germain-des-Champs mérite de
fixer l'attention de tous ceux qui s'intéressent à l'art des
hommes néolithiques.
Discussion.
M. G. de Mortillet, pense qu'il n'y a point trace de travail
humain.
M. Hervé dit qu'il a vu dans le Morvan, où ils sont fré-
quents, plusieurs de ces pseudo -monuments mégalithiques.
COMMUNICATIONS.
E<a couleur et le cheveu du nègre nouveau-né.
Par le D1' K. Collignon.
On peut lire dans tous les traités d'ethnographie ou d'an-
thropologie qu'au moment de sa naissance le négrillon est
blanc. Les téguments, sous l'influence de la lumière, se fonce-
raient rapidement et l'enfant atteindrait sa couleur défini-
tive en quelques jours.
Je n'ai nullement l'intention de faire l'historique de la
question, le fait ayant été observé pour ainsi dire par tout le
monde, et son existence ne pouvant être mise en doute, ni
pour les nègres d'Afrique, ni pour les noirs océaniens.
Mais ayant eu récemment l'occasion d'observer plusieurs
enfants nègres immédiatement après leur naissance, je puis
apporter au débat non plus des affirmations, mais des cons-
tatations exactes relevées a l'aide du Tableau chromatique de
Broca, autrement dit substituer des chiffres précis à des com-
paraisons vagues,
Les deux premières observations ont été recueillies au vil-
lage soudanais, créé au Champ-de-Mars cet été par MM. Bar-
bier. Nous savons tous a la Société d'anthropologie combien
ces messieurs ont mis de complaisance a favoriser nos re-
cherches sur Wiu< pensionnaires, et, je puis dire hautemenl
688 SÉANCE DU 21 NOVEMBRE 1895
que grâce à eux. nos connaissances sur l'ethnographie du
Sénégal auront fait un grand pas. Dans le cas présent, ils
mirent la plus extrême obligeance k me faire prévenir immé-
diatement chaque fois qu'il y eut un accouchement au vil-
lage. Malheureusement, je ne pus arriver à temps que trois
fois sur six. Voici ce que je pus constater.
Observation 1. — Le 19 septembre 1895, à 10 h. 10 du
matin, naît un enfant du sexe masculin, fils de père et de
mère ouolofs. J'arrive au moment où l'on venait de sectionner
le cordon et pendant qu'on lavait le bébé.
La couleur de celui-ci était difficile à définir. Sous une teinte
rose rougektre, plus claire que le n° 24 de l'échelle de Broca,
on voyait transparaître un fond de pigment disséminé qui
tendait à masquer cette teinte et donnait à l'œil la sensation
du lilas pâle, le lilas tel qu'on l'observe en fleurs. L'impres-
sion ne peut mieux se comparer qu'à celle que fournit une
barbe noire fraîchement rasée. Les oreilles, les seins, les or-
ganes génitaux étaient manifestement foncés, 28/29 environ.
Les pieds et les mains, au contraire, atteignaient un rose
franc, bien plus rose et bien plus clair que le 24 et d'une
teinte n'existant pas sur l'échelle.
Les cheveux, très abondants, étaient noirs, fins, souples, à
peine ondulés et longs de 3 centimètres.
Le lendemain 20 septembre, la peau a manifestement foncé,
29 dans l'ensemble, c'est-à-dire vieux cuir. Les pieds et les
mains sur leurs deux faces conservent une teinte rougeàtre
qui n'existe pas sur notre tableau. Celle-ci remonte environ
jusqu'il la moitié des avant-bras et des jambes, surtout sur
les faces palmaires des premiers, postérieures des seconds.
Les organes génitaux, les oreilles et les seins ont 28/35.
Le 21 septembre, même couleur, 29 sur le corps, 28/35 aux
régions foncées, rouge brique aux extrémités.
Du 22 au 2G, état stationnaire. L'enfant entre k l'hôpital
pour conjonctivite purulente. Je ne le revois que le 3 novem-
bre, 46 jours après la naissance.
A ma grande suprise, je constate que la couleur du bébé a
COLLIGNON. — LÀ COULEUR ET LE CHEVEU DU NÈGRE NOUVEAU-NÉ 680
plutôt légèrement pâlie, elle atteint à peine le 29 sur le corps,
le 32, c'est-à-dire le rose jaunâtre sur les deux faces des mains
et des pieds jusqu'aux poignets et aux malléoles, la teinte se
fondant doucement et passant graduellement au brun en re-
montant les membres.
Observation 2. — Le 28 septembre 1895, à 6 h. du soir, naît
un petit garçon d'un père et d'une mère ouolofs. Couleur du
père, 28 ; de la mère, 28/43 (c'est-à-dire le noir à peine
adouci et tirant sur le chocolat très foncé.)
Je vois l'enfant à 6 h. 10, à la lumière. Il est rougeàtre, in-
finiment plus clair comme nuance que ses parents, mais mani-
festement plus foncé que moi. Observant à la lumière d'une
bougie, il m'est impossible de noter la teinte précise. Cheveux
noirs, longs, doux et à peine ondulés, comme le précédent.
Revenu le lendemain matin, à la première heure, je trouve
l'enfant bien enveloppé, n'ayant pas vu la lumière du jour et
n'ayant pu encore en subir l'influence. Corps, teinte 30 (cuir
fauve.) Oreilles, organes génitaux, creux de l'aisselle foncés,
28/29. Extrémités rougeâtres comme chez le premier.
Le 30, l'état est stationnaire, nul changement.
Le 3 novembre, 36 jours après la naissance, la teinte at-
teint le 29 sur le corps; comme toujours, elle est plus foncée
aux points ci-dessus indiqués, rose aux extrémités.
Observation 3. — Le 26 septembre, à 5 heures du matin, je
suis appelé au village où je trouve une jeune fille de race
leybou qui venait d'expulser un fœtus de deux mois environ.
Celui-ci, que j'ai conservé, était rose franc de la couleur
de nos muqueuses, sans trace de pigmentation. Les caractères
de race étaient déjà accusés: le petit crâne était manifestement
dolichocéphale, et surtout le nez franchement platyrhinien,
épaté, avec des narines ouvertes transversalement comme celles
des noirs.
A ces 3 cas, vient s'en ajouter un quatrième, que je ne cite
que pour mémoire. A l'exposition de Bordeaux, M. Gravier
avait installé un village sénégalais et un village annamite
que j'ai pu visiter pendant 8 jours, avec quelques-uns de nos
(>90 SÉANCE DU 21 NOVEMBRE 1895
collègues, au moment du Congrès de l'Association française
pour l'avancement des sciences.
Pendant mon séjour, il y eut vers les 10 heures du matin
un accouchement. M. Cabanes, le conservateur du Muséum,
auquel j'avais signalé l'intérêt de constatations précises, avait
prié M. Gravier de l'avertir le plus tôt possible. Il put donc
arriver en temps utile. Malheureusement, il ne possédait pas
l'échelle chromatique de Broca. Prévenu moi-même vers midi,
deux heures après la naissance, je vis l'enfant qui déjà pré-
sentait une teinte relativement foncée et voisine en plus pâle
du 29. Comme toujours, les organes génitaux, les seins et
surtout les oreilles étaient plus foncés, les pieds et les mains
rougeùtres.
Rencontrant M. Cabanes vers 2 heures, il me dit avoir vu
l'enfant, et avoir constaté qu'il était blanc ou pour mieux dire
à peine plus foncé que l'Européen, mais dans un ton jaune
rougeàtre. Comme, un peu surpris, je lui faisais part de ma
constatation, nous retournâmes voir notre négrillon, et
M. Cabanes constata que sa teinte avait changé du tout au
tout en moins de 4 heures.
On doit donc conclure que la pigmentation se fait très vite,
puisque dans le cas présent elle était déjà manifeste au bout
de 2 heures. Il parait cependant que le fait n'est pas constant
et que suivant les individus le phénomène est plus ou moins
rapide. Certains enfants se fonceraient presque instantané-
ment; d'autres, au contraire, mettraient plusieurs jours avant
d'être nettement bruns. On peut voir du reste que même après
6 semaines nos autres négrillons étaient loin d'être aussi noirs
que leurs parents.
J'appellerai aussi l'attentiou sur deux points, parce que je
les crois importants et même très importants au point de vue
philosophique, et que je ne les ai vus signalés nulle part.
D'abord la nature du cheveu chez le nouveau-né. Chez les
3 petits bonshommes dont j'ai parlé plus haut et sur les autres
vus par moi, 3 à Paris, 1 à Bordeaux, dans les 8 jours après
leur naissance, j'ai constaté l'existence de cheveux abondants,
DISCUSSION 691
noirs, fins, souples, à peine ondulés et d'une longueur variant
entre 3 et 6 centimètres, cheveux ne ressemblant en rien à
ceux des adultes qui sont courts, rudes et assez frisés pour
rendre l'aspect en grains de poivre. D'où la conclusion que
Yancêtre inconnu du nègre n'avait pas les cheveux crépus,
mais un cheveu lisse comme nous. Ce caractère serait donc
acquis et relativement récent.
L'autre point ne touche plus qu'accessoirement à la question
qui nous occupe. Chacun sait que chez les noirs la paume des
mains et la plante des pieds sont plus clairs que l'ensemble
des téguments. Grosso modo, on dit que chez eux ces deux ré-
gions sont blanches. Le fait est exact, bien que soumis à des
variations considérables, car la couleur oscille, d'après mes
observations, entre 33 et 29, c'est-à-dire entre le jaune pâle
et un chocolat assez foncé, sans prendre jamais chez l'adulte
la teinte rose de la peau européenne. Mais ce que je n'avais
jamais lu nulle part et que j'ai pu constater à Bordeaux, dans
le village annamite, c'est que la même chose existe dans les
races jaunes, ou tout au moins chez les indigènes d'Annam
observés.
En effet, ceux-ci, franchement jaunes sur tout le corps, ont
la plante des pieds et la paume des mains roses et du rose
chair européen ; en sorte qu'on pourrait énoncer familière-
ment le phénomène en disant que les noirs ont ces régions
de la couleur des jaunes, et ceux-ci de celle des blancs.
Il me paraît superflu d'insister sur l'importance philoso-
pbique de ce fait, quelque minime qu'il semble de prime
abord, et sur les conclusions qu'on en peut tirer au point de
vue de la parenté des 3 grands troncs de l'humanité.
Discussion.
ML Arsène Dumont. — M. Collignon a observé chez plusieurs
négrillons que leur pigmentation était beaucoup moins pro-
noncée à leur naissance qu'elle n'est un peu plus tard. Je
puis ajouter que j'ai remarqué et fait remarquer, lors du con-
grès de Bordeaux, à plusieurs de nos collègues de la section
692 SÉANCE DU 21 NOVEMBRE 1895
d'anthropologie, et, j'y pense, à M. Collignon lui-même, un
très jeune enfant annamite qui, au lieu de présenter des che-
veux complètement noirs comme sa mère, les avait châtain
foncé. Ce caractère ne s'ohserve pas chez les nègres où dès
la naissance les cheveux sont complètement noirs — le rap-
procherait donc de nos races. Il me semhle que ce petit fait
forme groupe avec les précédents, en ce sens qu'il tend à éta-
blir que les enfants des diverses races humaines, soit nègres,
soit annamites, sont moins différents entre eux que les adul-
tes entre eux. On sait, d'autre part, que l'enfant gorille dif-
fère moins de l'enfant humain que le gorille adulte de l'homme
adulte. Tous ensemble, ces faits et les faits analogues que
l'on pourrait joindre militent en faveur d'une très ancienne
communauté d'origine.
Xote sur l'Hérédité morbide.
Par le Dr IlEiNRY Morau.
Bien que les faits sur lesquels je me permets d'attirer l'at-
tention de la Société ne se rattachent pas d'une façon directe
à l'objet habituel de nos études, les recherches anthropologi-
ques, je crois cependant utile et nécessaire de vous en faire
part, car ils peuvent jeter un certain jour sur les lois natu-
relles de l'hérédité et en particulier de l'hérédité morbide.
On sait que, depuis 1888, j'ai entrepris une série de recher-
ches sur l'inoculation et la transmissibilité des néoplasmes.
Opérant toujours sur des animaux de la même espèce (la sou-
ris blanche) et 'avec le même néoplasme (un epitheliome cy-
lindrique) je suis parvenu, en 1893, à montrer à l'Institut,
grâce au bienveillant concours de mon illustre et regretté
maître, le Pr Verneuil, l'inoculabilité de ces néoplasmes. Au-
jourd'hui le fait a été vérifié par de nombreux expérimenta-
teurs et il ne semble plus laisser de doute dans tout esprit
scientifique vraiment compétent. Dès le 3 juillet 1893, dans
ma note que communiquait à l'Institut le Pr Verneuil, je fai-
H. MOIUU. — NOTE SUR [/HÉRÉDITÉ MORDIDE 693
sais remarquer la facilité extrême que présentaient les ani-
maux nés de parents cancéreux à prendre, par inoculation
directe ou indirecte, le néoplasme de leurs ascendants. Depuis
cette époque, j'ai poursuivi et je poursuis encore ces recher-
ches, et j'ai été frappé du fait suivant, qui est l'objet de la
présente communication :
Des animaux A, sains, indemnes de toute néoplasie, sont
inoculés, suivant ma méthode ordinaire. Après un laps de
temps, qui varie entre trois et six mois, ils deviennent por-
teurs de néoplasmes, identiques au point de vue anatomique,
au néoplasme inoculé. Ces animaux A, croisent entre eux et
me fournissent des descendants B, héréditaires néoplasiques
de générateurs eux-mêmes néoplasiques. Ces animaux B sont,
à peu de chose près, identiques à leurs parents; aussi beaux
de poils, lustrés, peut-être un peu plus sensibles à la vie dure
des ménageries de laboratoire. Ils présentent, cependant, ce
fait particulier que nous connaissons déjà de par la clinique,
que, inoculés à leur tour, ils offrent un terrain éminemment
favorable à l'évolution du néoplasme. En 1893, j'ai pu faire
voir, à l'Institut, un de ces héréditaires inoculé vivant, qui,
avec une bonne santé apparente, était cependant porteur d'un
néoplasme représentant comme volume, les deux tiers de son
volume total. Dans ces cas, les faits expérimentaux viennent
corroborer ceux que nous fournissent quotidiennement l'ob-
servation clinique.
Mais dans les expériences ultérieures, nous voyons l'expé-
rimentation entrer en contradiction avec l'observation. Si, en
effet, ces animaux B, héréditaires cancéreux, inoculés eux-
mêmes avec le même néoplasme, viennent à croiser entre eux,
nous assistons aux phénomènes suivants :
1° D'une manière générale la gestation de ces animaux
n'arrive pas à son terme normal, les avortements ou les morts
des générateurs paravortement sont extrêmement fréquentes.
Sur 30 couples, j'ai pu observer 18 avortements.
2° Lorsque la gestation suit son cours normal, les petits,
C, sont généralement rachitiques, malingreux, à poils rares
694 SÉANCE DU 21 NOVEMBRE 189."l
et clairsemés. Sans avoir fait un pourcentage rigoureux, j'ai
remarqué cependant que le sexe féminin prédominait dans
cette série C d'héréditaires par 2e génération. Je signale le
fait sans y insister davantage.
3° Mais, ce sur quoi j'appelle toute votre attention, ce sont
les difformités que j'ai pu observer dans ces cas. Outre le ra-
chitisme, la mort fréquente dès les premières heures j'ai eu
dans un cas un fait de syndactylie, dans un autre une imper-
foration anale reconnue seulement à l'autopsie du sujet.
Ces faits expérimentaux, se rattachant uniquement à l'évo-
lution d'un néoplasme dans 'un organisme, évolution venant
entacher l'organisme jusque clans sa troisième descendance,
me semblent confirmer et corroborer les belles expériences
dont MM. Charrin et Gley viennent de communiquer les résul-
tats à l'Institut. Marchant dans des chemins différents nous
sommes arrivés, je crois, aux mêmes résultats. Ils ont cepen-
dant l'honneur de pouvoir indiquer d'une façon précise et
indiscutable l'agent même de la dégénérescence, tandis que
dans mes expériences je ne puis que signaler les faits sans
en donner aucune explication ou démonstration expérimen-
tale.
En effet, ces expérimentateurs, agissant avec le poison pyo-
cyanique, montrent les dégénérescences et les anomalies que
procure ce poison en évoluant à travers plusieurs organismes.
Mais dans mon cas, comment pourrai-je montrer le poison,
puisque nous ne le connaissons pas encore? Est-ce un pro-
duit de sécrétion de bactéries? Nous ne le croyons pas, puis-
que cette bactérie spécifique n'est pas encore isolée. Y a-t-il
là un agent de sécrétion cellulaire, je le penserai volontiers.
Et cependant l'animal, C, issu d'ascendants déjà pénétrés et
infectés par ce poison cellulaire devrait être, plus que tout
autre, apte à recevoir un nouveau germe morbide. Or, c'est là
justement que l'expérimentation est en contradiction avec
l'observation. Ces animaux héréditaires en 2e ligne ne sont
plus susceptibles d'être inoculés, ils sont toujours réfractaires
<à l'inoculation d'un néoplasme.
DISCUSSION <i!C)
Quel est donc l'agent de cette hérédité morbide ?
J'ai cherché dans les ovules de ces animaux, avec les réac-
tifs les plus sensibles dont dispose la technique histologique
moderne, et je n'ai rien trouvé d'analogue à ce qu'on trouve
dans les œufs de vers à soie dans les cas de flacherie ou de
pebrine. Dans les spermatozoïdes, quoi qu'ait pu dire au der-
nier Congrès de la Tuberculose, un observateur parisien, ces
recherches sont encore au-dessus de nos ressources scienti-
fiques actuelles.
Je me résume donc en signalant les faits tels qu'ils sont,
sans vouloir en tirer une conclusion. A l'heure actuelle, ces
questions, croyons-nous, ne sont pas encore assez mûries
pour pouvoir en donner de bonnes explications. Pour faire
œuvre vraiment scientifique, il faut accumuler les faits, mul-
tiplier les observations et laisser le temps faire son œuvre.
La lumière scientifique ne se faisant que lentement.
Discussion.
M. Arsène Dumont. — Je me permets d'insister sur un point
de la communication de M. Morau. Les souris, mâles et
femelles, affaiblies par le cancer, avortaient fréquemment et
produisaient beaucoup plus de femelles que de mâles. C'est
un fait de plus à l'appui de cette opinion que la morti-natalité
et l'abaissement de la masculinité sont deux effets jumeaux
de l'affaiblissement physiologique des géniteurs. Cette opi-
nion ne saurait être trop fortement motivée et il serait dési-
rable que M. Morau put nous donner la proportion des mâles
et des femelles. En effet, la démographie peut tirer parti de
ces faits pour distinguer, parmi les collectivités à faible nata-
lité, celles où la cause est volontaire et celles où l'on doit in-
voquer la cause physiologique.
Lorsque dans une collectivité à faible natalité, la masculi-
nité est très basse, comme ce dernier phénomène est certai-
nement involontaire, il y a tout lieu de croire que le p/emiar.
l'est également. C'est une règle de sociologie que j'ai plu-
696 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
sieurs fois formulée eu ces termes, je note avec plaisir tout
ce qui peut en fortifier les bases biologiques.
L'un des secrétaires : Dr P. Raymond.
638e SÉANCE. - - 5 décembre 1895.
Présidence de M. André Lefèvre.
OUVRAGES OFFERTS.
Ambrûsetti (J.-B.). — Sobre una coleccion de aljarerias mi-
nuanes. (Ext. du Bol. del Instituto geografico argenlino), in-8°,
26 pag. etfig., Buenos-Aires, 1893.
Ambrosetti (J.-B.). — Matérielles para el estudio del folk-lore
misionero. (Ext. du Rev. del Jardin zoologico) in-8°, 32 pag.,
Buenos-Aires, 1894.
Ambrosetti (J.-B.). — Apuntes para un folk lore argenlino
(Gaucho), in-8°, 21 pag., Buenos-Aires, s. d.
Ambrosetti (J.-B.). — Los paraderos precolombianos de Goya.
(Ext. du Bol. del Instituto geografico), in-8°, 22 pag.. et fig.,
Buenos-Aires, 1894.
Ambrosetti (J.-B.). — Los Indios Kaingangues de San Pedro,
con un vocabidario. (Ext. de Rev. del Jardin zoologico), in-8°,
81 pag. et fig., Buenos-Aires, 1895.
Ambrosetti (J.-B.). — Los Indios Caingua del Alto Parana.
(Ext. du Bol. del Instituto geografico), in-8°, 86 pag. et fig.,
Buenos-Aires, 1895.
Baye (baron dej. — Note sur l'époque des métaux en Ukraine.
(Ext. de l' Anthropologie), in-8°, 19 pag. et fig., Paris, 1896.
Brinton (D.-G.). — Report upon the collections exhibited al the
Columbian historical exposition, in-8°, 19 pag., Washington,
1895.
Brinton (D.-G.). — Address by — the retiring président of the
Am. assoc. for the adv. of se. august, 1895, in-8°, 17 pag., Sa-
lem, 1896.
PERlODKjUE:-
697
Garnault (de Paris) (Dr). — Peut-on tirer de la forme du
crâne des conclusions sur les dispositions anatomiques rendant plus
ou moins dangereuses les opérations sur le Rocher, in 8°, 36 pag.
et fig., Paris, 1895.
Justin (J.) — Les relations extérieures d'Haïti, in-8°,236pag.,
Paris, 1895.
Larrey (baron IL). — Discours prononcé le 18 octobre 1895
aux funérailles du — , in-8", 32 pag., Paris, 1895.
Leitner (Dr G.-W.). — New dangers and fresh wrongs. (Ext.
de Asialic quaterlg review, 1895), in-8°, 24 pag.
Marina (Dr Giuseppe) Ricerche antropobgiche ed etnographiche
suiRagazzi, in-8", 86 pag., Turin, 1896.
Regnault (Dr F .). — Anomalies du système pileux chez l'homme
in La Médecine Moderne du 6 nov. 1895.
Stephenson (Dr F.-B.). — The sijmbol of medicine in Roston
médical and Surgical Journal du 14 nov. 1895.
Terrier (F.) et Peraire (M.). — V opération du trépan, in-12,
283 pag. et 222 fig. Paris, 1895.
M. le Baron de Baye. — La première partie de l'ouvrage
que j'ai l'honneur d'offrir à la Société d'Anthropologie, de la
part des auteurs, est l'historique de cette opération depuis les
temps préhistoriques jusqu'à nos jours. Les chapitres consa-
crés aux trépanations néolithiques, chirurgicales et posthumes
donnent un résumé très complet de la question. Non moins
intéressants les chapitres suivants consacrés aux temps his-
toriques : le Trépan dans l'antiquité, au Moyen-Age, et pen-
dant les xvi, xvii, xvui, et xixe siècles.
Je me félicite d'avoir été chargé par les auteurs de présen-
ter à mes confrères un volume aussi savant que beau.
périodiques (articles à signaler).
Journal of the anthropologicd inditute, nov. 1895. — A.-W .
Buckland : Four, as a sacrednumber. — Myres : The miser's
doom : a modem greek morality. — Poh ath Kehelpannala :
Cérémonies observeJ l»y Ihe kandyans in Paddy cultivation.
T. VI (1° SÉRIE). ''■'
698 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
M. Kovalewsky : The lex barbarorum of the Daghestan.
— J. Kollmann : Pygmies in Europe. — J. Lewis : The Has-
tin°-s Kitchen Middens. — J. Lewis AbbotU: Notes on aremar-
kable Barrow at Sevenoacks; — Notes, on some specialised
and diminutive forms of flint implements from Hastings Kit-
chen Midden and Sevenoaks. — IL Mathews : The rock pain-
tings and carvings of the australian aborigines.
The american antiquarian , sept. 1895. — A. C. Fletcher :
Tbe sacred pôle of the Omaha tribe.
ÉLECTIONS.
M. le Dr P. IIaax, présenté par MM. d'Aultdu Mesnil, Saint-
Yves Ménard et Letourneau. — M. le D1' P. Lafontant, présenté
parMM.Manouvrier, Papillault et Letourneau; — M. Th. Volkov,
licencié ès-sciences, présenté par MM. Louet, Clément Rubbens
et A. de Mortillet, sont élus membres titulaires.
Renouvellement du bureau pour 18»6.
Le sort désigne comme scrutateurs pour le dépouillement
des listes MM. Delisle, A. de Mortillet, Vinchon, Fourdrignier
et Bloch.
Le scrutin donne les résultats suivants :
Nombre des votants : 59.
Sont élus :
Président : M. André Lefèvre, 58 v.
1er Vice-Président : M. Ollivier-Beauregard, 58 v.
2e — : M. G. Hervé, 56 v.
Secrétaire-général : M. Letourneau, 59 v.
Secrétaire-général adjoint : M. L. Manouvrier, 59 v.
Secret, des séances : MM. Raymond, 57 v. — A Viré, 56 v.
Conservateurs des collections : MM. A. de Mortillet, 57 v. —
Cuyer, 56 v.
Bibliothécaire : M. Zaborowski, 57 v.
PRESENTATION G'.H)
Trésorier : M. Daveluy, 58 v.
Commission de publication : MM. Salmon, 56 v. — Dareste,
58 v. — Issaurat, 58.
PRÉSENTATION.
Photographie «lui» taureau de Cîaîuée
M. André Sanson. — J'ai communiqué à la Société, il y ;i
quelque temps, des faits qui montraient que des Bovidés dont
la race est incontestablement originaire d'Asie et qui peuple
actuellement les steppes de la Russie méridionale et de la
Hongrie, se trouvent sur les plateaux de l'Afrique centrale,
dans la région des grands lacs. J'ai montré que ces Bovidés,
pris par Adametz pour des zébus, sont bien des taurins et
qu'ils étaient arrivés jusque là par l'Egypte, l'Abyssinie et le
pays des Gallas. La pbotographie que je présente aujourd'hui
et que je dois à l'obligeance de M. Jean Dybowski a été prise
dans le courant de cette année en Guinée française, sur les
bords de l'Ogoué. C'est celle d'un taureau qu'il est facile de
reconnaître, rien qu'à l'aspect de son cornage, comme appar-
tenant lui aussi à la même race que celle de la population des
plateaux dont je viens de parler, c'est-à-dire à la race asia-
tique.
En examinant dernièrement une série d'autres photogra-
pbies exécutées au Transwaal et dont quelques-unes repré-
sentent des attelages de bœufs, j'y ai reconnu également
l'existence d'individus appartenant, par leurs caractères, à
cette même race.
Il me paraît résulter de ces constatations que la race bovine
en question n'est pas seulement arrivée au centre de l'Afri-
que, mais qu'elle est parvenue jusqu'à la cote occidentale et
jusqu'au sud du Continent africain. Comme il n'y a pas
apparence qu'elle ait pu prendre cette extension de son pro-
pre mouvement, en passant d'Asie en Afrique, il me paraît
légitime d'en conclure qu'elle a été amenée par une popula-
tion humaine asiatique; et c'csl par Ih que mes communica-
700 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
tions sur ce sujet intéressent, je crois, l'Anthropologie. Elles
corroborent, me semble-t-il, l'idée de ceux qui considèrent
les Peuls d'Afrique comme étant d'origine asiatique. Mais je
ne veux pas davantage m'aventurer .sur ce domaine qui
n'est pas le mien. Je me borne à affirmer en toute certitude
que les Bovidés dont il s'agit sont bien, eux, originaires de
l'Asie.
Discussion.
M. Zarorowski. — Je demande à faire une réserve sur l'ori-
gine soi-disant asiatique attribuée aux Peuls, Pouls ou Foulbé.
Nous ne pouvons pas du tout les faire venir de si loin. Ce
sont des nomades pasteurs vivant de laitage, qui se sont im-
plantés à une époque relativement récente dans l'Afrique occi-
dentale. On a dit entre autres choses qu'ils descendaient d'une
tribu de Fellahs égyptiens. Ce n'est probablement pas tout à
fait exact. Leurs mœurs pastorales les distinguent autant des
Fellahs que des nègres du Soudan, qui sont tous agriculteurs.
Ils sont les propagateurs du mahométisme et en tout cas du
zébu, puisqu'ils se nourrissent du lait de cet animal et le zébu
appartient à la côte orientale de l'Afrique. Et comme leurs tradi-
tions elles-mêmes rappelées il y bien longtemps et par moi-même
en 1883 (Nouvelle Revue, Les peuples de l'Afrique), toutes leurs
babitudes de vie, leur matériel industriel, leurs maisons de
branchages, en forme de meule allongée, les rattachent aux
populations des régions arides de l'Afrique du nord-est. Cer-
tains de leurs traits rappellent indiscutablement la physio-
nomie égyptienne. Ce sont surtout leur fin nez, il est vrai
arqué, leurs yeux en amande que nos compatriotes du Séné-
gal ont distingués a première vue par le terme de « yeux de
Chinois », leurs membres maigres, leurs extrémités fines.
Leurs crânes auraient aussi les caractères de ceux des Egyp-
tiens anciens et modernes (V. Revue encyclopédique, 1er août
1895, p. 286. — Rullet- soc. d'Anthropologie. — Note sur les
photographies Marchi, 1895). De sorte que tout bien consi-
déré et eu égard à leurs mœurs comme à leurs caractères
PEULS 701
physiques, je crois pouvoir les rattachera un groupe très an-
cien, mêlé à l'histoire même de l'Egypte, et qui a traversé
hien des vicissitudes, celui des Bedjas qui occupe aujourd'hui
les rivages de la mer Rouge depuis le territoire des Danakils
et des Hababs jusqu'à l'horizon de Syène, mais les Bedjas mêlés
intimement aux Berabras nubiens de figure égyptienne et qu'ils
ont conquis et refoulés. Les Bedjas sont devenus musulmans
fanatiques pour la plupart, ce en quoi beaucoup de Pouls
s'identifient encore a eux. Et ils ont reçu du sang arabe. Mais
je ne connais aucune raison pour les faire venir d'Asie. Au
contraire ils me paraissent être avec les Berabras, les anciens
Egyptiens, les Berbères, un élément essentiellement autoch-
tone. Il faut d'ailleurs que j'ajoute qu'avant les migrations
des Pouls, l'Ouest et le centre de l'Afrique ont été mis en
relation avec la région nilotique et les côtes par d'autres
mouvements.
J'ai déjà rapproché cette curieuse peuplade des Sabangas
rencontrée par Dybowski sur l'Ombella affluent de l'Oubangui,
de ces mêmes Bedjas, « connus, disais-je, des anciens Egyp-
tiens avec lesquels ils ont des traits communs » (Plantes cul-
tivées dans l'Afrique noire, Ballet. 1893, p. 513). Car il y a
aujourd'hui encore des tribus Bedjas qui ne sont pas musul-
manes. Ces Sabangas seraient aujourd'hui des cultivateurs. Ils
seraient plus anciennement détachés du tronc commun que
les Pouls. Les peuplades nomades comme les Pouls peuvent-
elles être considérées comme ayant répandu la culture des
plantes orientales? C'est douteux. Cette culture existait dans
l'Afrique occidentale avant leur arrivée. Elle est indubitable-
ment antérieure à l'introduction du mahomélisme et peut-
être de beaucoup. Ce seraient donc les introducteurs de celle
culture qui auraient amené avec eux le bœuf de Guinée dont
la photographie nous est montrée?
J'ai l'honneur d'offrir un article déjà ancien, paru dans la
Revue encyclopédique (1er Aoùl 1893) sur les Soudaniens exposés
à Paris. [1 renferme entre autres le portrait d'un Poul noir
du Champ de Mars. Je lui trouve une physionomie identi-
702 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
que a celle du Bedja dont M. Hartmann a donné le portrait
dans son ouvrage sur les peuples de l'Afrique (p. 21).
M. Laborde présente plusieurs surmoulages du crâne du
pithecanthropus : l'un destinéà l'Ecole d'Anthropologie, l'au-
tre au Laboratoire, les autres à divers Musées. Ces pièces ont
été exécutées au Laboratoire d'Anthropologie par M. Flandi-
nette, d'après le moulage offert à la société par M. Dubois.
Note sur la démographie des Musulmans en Algérie.
Par M. Arsène Dumont.
Depuis l'année 1888, la statistique générale de l'Algérie donne
le mouvement de la population, mariages, divorces, nais-
sances et décès parmi les Musulmans de l'Algérie. Ces chif-
fres ont été relevés, d'après la méthode usitée en France, sur
les registres de l'état-civil des communes des deux territoires
et bien que les documents officiels avertissent expressément
de ne les considérer que comme approximatifs, ils révèlent
avec une certitude suffisante, un certain nombre de faits inté-
ressants.
D'abord, on sait par les recensements, que la population
musulmane d'Algérie est en progrès rapide.
Elle était de 2,850,866 habitants en 1881.
— de 3,262,849 en 1886.
de 3,557,063 en 1891.
Elle s'esl donc accrue de 726,197 individus en dix ans. Cet
accroissement énorme de 25,4 0 0 du chiffre initial, ne serait
pas dû, du moins, si les statistiques du mouvement de la
population sont exactes ,k l'excès des naissances sur les décès.
11 proviendrait soit de l'immigration de tribus étrangères,
venant profiter des bienfaits de la paix française, soit plus
vraisemblablement de recensements de moins en moins dé-
fectueux. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il se trouve en
A. DUMONT. — DÉMOGRAPHIE DES MUSULMANS EN ALGÉRIE 703
Algérie seulement, au moins trois millions et demi de Musul-
mans soumis à la domination française. Il est avantageux
pour eux et pour nous que leur état social soit connu le mieux
possible; et ce n'est pas moins profitable pour la sociologie.
Le laps de dix années que nous embrassons a été subdi-
visé en deux périodes triennales, 1888-1890 et 1891-1893, ce
qui permet de juger la valeur des moyennes d'après leur
constance et leur régularité.
Période 1888-1890.
Mariages, divorces, nuptialité. — On a compté chez les Mu-
sulmans de l'Algérie entière, pendant cette période, 111,317
mariages et 44,748 divorces. Ce qui donne 40,2 divorces pour
100 mariages.
Si on rapporte le nombre de ces mariages à la population
accusée par le recensement de 1886, on trouve que la nuptia-
lité s'élève à 1 1,3.
Naissances, masculinité, natalité, fécondité des mariages. — On
a relevé pendant la môme période, 228,914 naissances, dont
124,843 naissances masculines et 104,071 naissances fémini-
nes. La masculinité serait donc de 119,9. La natalité serait
seulement de 23,0, c'est-à-dire, très faible, et la fécondité de
ces mariages si nombreux serait seulement de deux nais-
sances en moyenne pour un mariage, c'est-à-dire, plus faible
qu'en France et qu'en aucun pays connu.
Décès, mortalité, excès des naissances sur les décès. — On a
relevé 241,359 décès de Musulmans pendant ces trois années
sur les registres de l'état-civil de toute l'Algérie, ce qui donne
une mortalité de 24,7 pour 1,000 habitants. Cette mortalité
n'est pas très élevée en elle-même, mais elle est supérieure à
la natalité et l'excès des décès sur les naissances est de 12,445,
pendant la période triennale.
Deuxième période, 1891-1893.
La période 1891-1893, présente moins de mariages, moins
de divorces et un peu plus de naissances.
704 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1805
Mariages, divorces, nuptialité. — On a relevé sur les regis-
tres de l'élat-civil pour les Musulmans de l'Algérie entière,
pendant cette période, 99,684 mariages et 37,874 divorces. Il
y a donc eu 37,8 divorces sur 100 mariages contractés, nom-
bre qui n'est pas sensiblement différent de celui de la période
antérieure et, qui, par conséquent, doit être regardé comme
exact ou du moins très voisin de la réalité. Les mariages rap-
portés au nombre total des Musulmans recensés, en 1891,
donnent une nuptialité de 9,2 seulement, sensiblement infé-
rieure à celle de la période précédente; mais encore très con-
sidérable.
Naissances, masculinité, natalité, fécondité des mariages. —On
a relevé pendant la période 1891-1893, sur les registres de
l'état-civil de l'Algérie entière parmi les Musulmans, 285,834
naissances, c'est-à-dire, 32,000 environ de plus que pendant
les trois années précédentes.
Sur ce nombre, il y a eu 149,798 naissances de garçons et
130,036 naissances de filles, ce qui donne comme expression
de la masculinité, le chiffre encore très élevé de 110,1.
La natalité se relève à 26,3 et la fécondité nuptiale à 2,87
naissances pour un mariage. Ces deux chiffres, bien que
supérieurs à ceux de la période antérieure sont encore très
faibles et probablement assez inexacts.
L'hypothèse probable est qu'un très grand nombre de nais-
sances n'ont pas été déclarées, dans la première période et
que les omissions ont porté principalement sur les naissances
féminines, considérées chez les Arabes, aussi bien que chez
beaucoup d'autres peuples, comme moins importantes ou
moins honorables que les naissances masculines. Dans la
seconde période, les Musulmans s'habituant aux formalités
de l'état-civil, auraient omis moins de déclarations, principa-
lement en ce qui concerne les naissances féminines, ce qui
expliquerait le relèvement de cette natalité d'une faiblesse
inattendue et surtout d'une infécondité des mariages qui,
poussée à ce point, est tout à fait invraisemblable, et enfin,
A. DUMONT. — DÉMOGRAPHIE DES MUSULMANS EN ALGÉRIE lOh
l'abaissement, dans une certaine mesure, d'une masculinité
excessive.
Décès, mortalité, excès des naissances sur les décès. — Les dé-
cès se sont élevés pendant ces trois années à 259,404.
La mortalité a donc été de 24,1 pour 1,000 Musulmans,
c'est-à-dire assez semblable à celle de la période 1888-1890.
L'excédent des naissances sur les décès a été de 26,430 en
trois années au lieu d'un excédent inverse de 12,445 décès
sur les naissances, pendant les trois années antérieures.
Il est probable que les Musulmans ont moins de répu-
gnance pour les déclarations de décès que pour les déclara-
tions de naissances, et que les omissions dans la déclaration
des naissances portent principalement sur les naissances d'en-
fants qui n'ont vécu que peu de jours ou de semaines.
C'est un fait qui se produit, paraît-il, aux États-Unis et
généralement dans tous les pays où les déclarations de nais-
sances ne se font pas très régulièrement dans les vingt-quatre
heures : l'enfant décédé avant la déclaration, ne figure pas
sur les registres de l'état-civil.
C'est par rapport à l'évolution du mariage et de la famille
que la démographie des Musulmans est surtout instructive.
Les données d'après lesquelles la nuptialité, la natalité et la
mortalité ont été établies sont, nous l'avons déjà dit, assez
peu sûres; mais elles ne peuvent, en tous cas, pécher que par
omissions, faute de déclaration des actes de l'état-civil. Car
la nuptialité constatée de 11,3 pendant la période triennale
1888-1890, et de 9,2 pendant la période 1891-1893, est déjà
par elle-même très considérable. Ou'on doive la majorer d'un
tiers, d'un quart ou seulement d'un cinquième pour la recti-
fier, 'son élévation n'en sera que plus accentuée. Nous sommes
donc autorisés à regarder, comme un fait acquis, que la nup-
tialité des polygames algériens est très élevée et supérieure
à ce qui s'observe chez toutes les nations européennes. C'est,
du reste, un résultai qui ne doit point surprendre, puisque
l'on sait que tous les musulmans se marient et que le mariage
706 SÉAMCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
parmi eux est extrêmement précoce. Les Arabes paraissent
avoir, sur ce point, un ensemble d'appréciations tellement dif-
férentes des nôtres, que nous ne sommes guère moins incapa-
bles de les comprendre qu'ils ne le sont de nous comprendre
nous-mêmes. Mais plus la chose est .difficile, plus elle est
digne d'être entreprise et plus elle peut devenir féconde en
aperçus nouveaux et utiles pour la sociologie.
Un chef arabe annonça un jour à un colon français qu'il
venait de marier son fils ;ïgé de quatorze ans. Le Français lui
répondit que c'était mutiler son fils, qu'en France, la loi ne
permettait pas le mariage aux jeunes hommes avant dix-huit
ans et que tout le monde s'accordait a trouver que c'était trop
tôt encore, qu'il était prouvé que ces mariages prématurés
étaient funestes.
— « Que veux-tu, lui répondit l'Arabe, il avait déjà un
cheval! ». Chacun des deux s'en alla en pensant que son
interlocuteur avait perdu le jugement. Quand deux manières
de penser et de sentir diffèrent à ce point, il semble qu'elles
soient aussi irréductibles que des différences de conformation
physiologique. Mais la supériorité appartient à celle des
deux races qui comprend l'autre, et qui est en possession
d'une méthode, lui permettant de juger ses mœurs d'après le
critérium de leurs effets.
Les observateurs, dont l'imagination n'est pas indignée par
la connaissance des chiffres, sont toujours portés à grossir les
faits exceptionnels qui les frappent. Ils ont souvent exagéré
la précocité du mariage chez les Musulmans et l'ont repré-
senté comme ayant lieu très fréquemment avant la puberté.
Voici à ce sujet des faits précis :
D'après le recensement de 1891, il n'y avait pas, dans toute
la population masculine de l'Algérie, un seul marié âgé de
moins de 14 ans.
Sur une population mâle de 35,056 individus de 14 à 15
ans, il y avait 1 seul marié.
Sur une population mâle de 37,790 individus de 15 à 16
ans, 660 étaient mariés une fois seulement, 10 avaient deux
A. DUMONT. — DÉMOGRAPHIE DES MUSULMANS EN ALGÉRIE TOT
ou plusieurs femmes, 4 étaient veufs et 4 étaient déjà
divorcés.
Sur une population mâle de 31,973 individus âgés de 16
à 17 ans, 574 étaient mariés une fois seulement, 33 avaient
deux ou plusieurs femmes, 2 étaient veufs et 2 étaient
divorcés.
Sur une population mâle de 33,542 individus ùgés de 17
à 18 ans, 905 étaient mariés une fois, 250 avaient deux ou
plusieurs femmes, 4 étaient veufs et 26 étaient divorcés.
Cela ne faisait, en somme, dans toute l'Algérie, pour les
âges antérieurs à celui où la loi française permet le mariage,
que 2,140 individus mariés une fois, 293 mariés deux ou plu-
sieurs fois, 10 veufs et 32 divorcés.
Il est vrai que les Arabes ne révèlent pas facilement leur
état civil et que sur la population totale de l'Algérie, 86,949
individus maies sont portés comme mariés une seule fois et
9,526 comme mariés plusieurs fois sans indication d'âge.
Dans ce groupe peuvent se trouver englobés des jeunes Musul-
mans mariés à un âge extrêmement prématuré et qui n'ont
pas cru devoir le déclarer.
Le mariage des jeunes hommes de 15 à 20 ans, en Algérie,
Européens et Musulmans compris (car le recensement ne per-
met pas la division) ne forme qu'une exception égale à 5,9
pour cent, tandis que 94 pour cent des individus de cet âge
sont encore célibataires, ou bien veufs et divorcés.
Dans le groupe d'âge de 20 à 24 ans accomplis, le rapport
des mariés du groupe total n'est encore que 37 pour cent.
( l'est seulement à partir de 25 ans que nous voyons les mariés
devenir plus nombreux que les célibataires, veufs et divorcés
réunis.
Si nous examinons de même le sexe féminin, nous remar-
quons que la précocité des mariages y est plus grande, bien
qu'elle soit encore très exceptionnelle.
Le recensement de 1891, nous révèle une mariée de 11 à
12 ans; 7 de 12 à 13; 166 de 13 à 14; 262 de 14 à 15. Ce ne
sont donc que des exceptions très rares.
708 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
Au-dessus de 15 ans, il est vrai, la proportion des mariées
augmente subitement. Ainsi :
Sur une population féminine de 15 à 16 ans de 40.867 per-
sonnes, européennes comprises, il faut toujours le remarquer,
10,538, plus du quart étaient déjà mariées, 108 étaient veu-
ves et 143 déjà divorcées.
Sur la population féminine de 16 à 17 ans, un tiers envi-
ron étaient mariées, veuves ou divorcées. Enfin, dans la popu-
lation féminine de 19 à 20 ans, le nombre des mariées
commence à dépasser celui des célibataires.
On peut donc dire, en résumé, pour le sexe féminin, le
mariage est beaucoup plus précoce en Algérie qu'en France,
mais les mariages tout à fait prématurés sont une exception
assez rare. Toutefois, il est nécessaire d'ajouter qui, comme
pour le sexe masculin, nous ne connaissons pas l'âge de tous
les mariages.
Pour 89,353 mariées dans l'Algérie entière, aucun âge n'a
été indiqué. Il est fort possible qu'un certain nombre de très
jeunes mariées soient comprises dans ce chiffre. Mais c'est
une simple possibilité et l'ignorance où nous sommes des faits
ne permet pas d'avancer que ce soit une probabilité.
Du recensement de 1891, il résulte que parmi les Musul-
mans âgés de plus de 25 ans, presque tous les hommes sont
mariés, veufs ou divorcés, les célibataires ne forment qu'une
exception très minime. Le mélange avec l'élément européen,
chez qui le célibat paraît être assez fréquent, ne permet pas
d'en connaître le nombre exact.
Parmi la population mâle de 25 ans à 60 qui s'élève à
1,009,320 individus, soit à peu près le quart de la population
totale de l'Algérie, on compte 701,198 hommes mariés, sur ce
nombre, 592,635, y compris les Européens, n'ont qu'une
femme, 108,563 ont deux ou un plus grand nombre de
femmes.
Ces polygames sont donc avec les monogames, de fait et de
droit, réunis dans la proportion de 15,3 0 0.
Ce chiffre exprime la fréquence de la polygamie en Algérie,
A. DUMONT. — DÉMOGRAPHIE DES MUSULMANS EN ALGÉRIE 709
car chacun sait que la grande majorité des Musulmans, bien
que pouvant avoir plusieurs femmes, n'en ont qu'une en réa-
lité. La polygamie, étant avant tout une question d'argent, se
rencontre surtout parmi les Musulmans riches, les chefs de tribu.
En somme que si les mariages tout à fait prématurés sont
rares surtout pour le sexe masculin, les mariages précoces
sont très communs et le célibat définitif est exceptionnel. Ces
faits, à eux seuls, suffiraient à déterminer la haute nuptialité
que nous avons constatée. Mais elle est encore augmentée
par les polygames de fait qui contractent chacun deux ou
plusieurs mariages et, enfin, par le grand nombre des
divorcés et divorcées qui ne tardent pas à contracter un
nouveau mariage.
En effet, la fréquence extrême des divorces est l'un des
traits les plus caractéristiques de la démographie des Musul-
mans algériens. Nous la voyons s'élever à 40,2 divorces pour
100 mariages en 1888-1890 et 37,8 en 1891-1893 atteint un
maximum inconnu en Europe et en Amérique l.
1 On ne voit que le Japon où les divorces soient presque aussi
fréquents. La nuptialité, intérieure à celle des Musulmans d'Algérie,
n'est que peu supérieure à celle des nations européennes. Elle varie
(empire entier, années 1887-1892) de 8,0 à 8,55, et la proportion
des divorces aux mariages contractés dans les mêmes années
oscille entre le minimum 31,5 en 1889 et le minimum 32,4 en 1891.
Dans le petit tableau ci dessous le nombre des divorces a été
rapporté, non au nombre des mariages existants, mais au nombre
des mariages célébrés dans l'année. Il fournit la réponse à cette
question, tandis qu'il se célèbre 100 mariages, combien s'en dis-
sout-il par
divorce?
Nombre de
Nombre
Nuptialité
Divorces
Divorces
Années
de
pr 1000
pr 1000
pMOO
mariages
divorces
hab.
hab.
mariages
1887
334.149
110.859
8,55
2,84
33,2
1888
330 246
109.175
8,34
2,76
33,0
1889
340.445
107.478
8,50
2,68
31,5
1890
325.141
109.088
8,04
2,70
33,5
1891
325 651
112.411
8,00
2,76
34,2
1892
346.489
113.498
8,48
2,76
.'{2,7
7 10 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 189.J
Le divorce est un phénomène démographique partout en
progrès chez les peuples de civilisation occidentale. Chez
ceux où il n'existait pas, on se voit obligé de l'établir et chez
ceux où il existait anciennement sa fréquence augmente avec
rapidité. Ce progrès est en rapport avec la diminution de
l'autorité paternelle et maritale, l'indépendance croissante des
enfants à l'égard du père, de la femme à l'égard du mari ;
c'est un cas particulier du progrès de l'individualisme qui
tend à affranchir la personne humaine de tout lien légal de
sujétion envers toute autre personne. Plus les peuples avan-
cent dans cette voie, plus nous voyons les divorces se multi-
plier aussi bien aux États-Unis que sur le vieux continent.
Mais telle n'est pas la cause de l'extrême fréquence des
divorces chez les Musulmans, tout au contraire, dans cette
société arriérée vivant encore en grand partie de la vie de
tribu et de la vie patriarcale, l'individualisme est très faible.
Si le divorce s'y produit aussi souvent, ce n'est pas dû à l'in-
suffisance de l'autorité paternelle ou maritale, mais bien à ce
que cette autorité est excessive. La femme ne compte pas, n'a
pas de droits ou n'a pas ki volonté de les faire respecter, de
sorte qu'elle est exposée à se voir congédier par son mari
comme un esclave qui a cessé de plaire.
Il est instructif de constater à des points fort éloignés de
l'évolution du mariage que l'extrême dépendance de la femme
a, pour effet, l'extrême fréquence des divorces: qu'une dépen-
dance modérée entraine leur diminution ou leur absence, et
qu'une indépendance très grande des femmes a, pour consé-
quence, de ramener à nouveau le relâchement progressif et
la rupture du lien conjugal.
Le troisième résultat et sans doute le plus inattendu de cette
étude est l'infécondité du mariage musulman. Quand même,
dans la seconde des deux périodes que nous avons embras-
sées, celle qui offre la natalité la plus haute, on supposerait
que un quart des naissances n'ont point été déclarées, la nata-
lité ne serait encore que de 32,9. C'est un chiffre élevé, mais
nullement phénoménal. Il est égalé par nos deux ou trois
A. DUMONT. — DÉMOGRAPHIE DES MUSULMANS EN ALGÉRIE 711
départements les plus féconds et grandement dépassé par plu-
sieurs nations européennes, notamment par la Hongrie et la
Russie. Or, comme la nuptialité véritable est vraisemblable-
ment de 11 ou 12 mariages annuels pour mille habitants, le
nombre moyen des naissances pour un mariage tombe, néces-
sairement, à 2,7 ou 3 tout au plus.
Si l'on se rappelle toutes les causes qui devaient à priori
faire prédire une grande fécondité des mariages : la grande
jeunesse des mariés des deux sexes, le peu d'effort des indi-
vidus vers leur développement personnel, l'état stagnant de
la civilisation et l'ignorance presque universelle, le régime de
la terre qui est la propriété collective, ce phénomène inattendu
doit exciter une vive curiosité de connaître les faits avec assez
de précision et de détail pour en pénétrer les causes d'ordre
ethnographique et démographique.
Tels sont les trois résultats de cette étude. Au point de vue
de la démographie descriptive, ils nous donnent des notions
plus précises sur les habitudes qui régissent l'union sexuelle
parmi l'élément musulman de l'Algérie, et ils ouvrent la porte
à des recherches que la science française a le devoir de pour-
suivre, d'étendre et de préciser encore. Puisque la France
a pris par la conquête la tâche de présider aux destinées des
Musulmans de l'Afrique du Nord, elle doit s acquitter de ce
devoir de tutelle non seulement avec une bienveillance qui
n'est que stricte justice; mais encore avec une pleine con-
naissance des faits.
Au point de vue de la démographie rationnelle, c'est-à-dire
du déterminisme des faits sociaux, il faudrait appliquer ici la
méthode qui s'impose toutes les fois que l'on veut procéder à
la recherche des causes de démographie et que j'ai exposée à
propos de la recherche des causes de l'abaissement de la
natalité en France, diviser la difficulté, étudier séparément
les Arabes et les Kabyles qui peuvent différer beaucoup au
point de vue démographique comme ils le font sous tant d'au-
tres rapports, choisir des circonscriptions peu étendues ou
quelqu'un des phénomènes dont l'on veut se rendre compte,
712 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
fréquence des divorces, élévation de la nuptialité, infécon-
dité des unions, se produit avec son maximum d'intensité,
puis aller le visiter faire une enquête méthodique sur place.
Une semblable étude convenablement conduite serait longue
et coûteuse ; mais elle serait féconde pour la science sociale et
présenterait en outre de précieux avantages pratiques. En
effet, on ne saurait trop le redire, la politique et l'adminis-
tration, pour devenir rationnelles, ne peuvent pas plus se
passer de la connaissance démographique des peuples que la
médecine ne peut se passer de la connaissance de l'anatomie
et de la physiologie. Puisse être prochain le jour où cette
grande vérité sera reconnue sans conteste.
Discussion.
M. Zaborowski. — Je ne peux me retenir d'exprimer mon
étonnement devant les résultats statistiques que vient de nous
faire connaître M. Dumont. Il fut un temps où nous crûmes
que les populations musulmanes de l'Algérie étaient en ra-
pide décroissance. « C'est un fait indiscutable, écrivait M. Ri-
coux (La démographie figurée de l'Algérie, 1880, p. 260), le
peuple arabe tend à disparaître d'une manière régulière et
rapide. » Au nombre de trois millions en 1830, les indigènes
n'étaient plus, en effet, en 1872, qu'au nombre de 2,125,051.
Ils se relevaient en 1870 à 2,462,930. Mais ces derniers chif-
fres, quoique officiels, ne méritaient qu'une créance limitée,
suivant M. Ricoux. En effet, en 1875, on ne comptait que
2,171,690 musulmans, explique-t-il : admettre qu'en l'espace
d'une année ils se soient accrus de près de 300,000 âmes, eux
qui ne se recrutent par aucune immigration, est une exagération
tellement monstrueuse qu'elle ne se discute pas. D'ailleurs, à
Constantine, où la population indigène est dense, en l'espace
de huit années, les décès ont presque doublé les naissances.
En écartant les décès de malades venus du dehors, M. Ricoux
a encore compté au moins 150 décès pour 100 naissances.
D'autres chiffres concordants avec celui-là, qui était très sûr,
M. Ricoux en concluait que, « loin de se relever depuis les
DÉMOGRAPHIE DES MUSULMANS EX ALGERIE 743
calamités de 1867-1871, les indigènes étaient menacés d'une
disparition inévitable prochaine ». Il ajoutait, entre autres :
« Le peuple arabe meurt de ses vices et de ses déprava-
tions. »
Ces prévisions ne se sont pas du tout réalisées. Et peu d'an-
nées après, nous apprenions que les indigènes, arabes et
autres, s'étaient, au contraire, continuellement accrus. Et voici
comment j'essayais d'expliquer ce phénomène dans mon mé-
moire sur les Disparités des races humaines (IXe Conférence,
Hroca. — Ballet. 1892, p. 050) : « Les nomades sont aux an-
tipodes de notre civilisation industrielle et bureaucratique.
Ils ne peuvent pas se laisser assujettir par elle sans changer
leur vie de fond en comble. Ils lui sont forcément restés re-
belles. Un grand nombre de leurs enfants ont été soumis a
l'éducation de nos établissements scolaires; ils ont acquis
quelque instruction ; il en est même qui ont pu obtenir des
diplômes de médecin. Presque tous, après cet effort, sont re-
tournés au milieu des leurs, dégagés de toute empreinte eu-
ropéenne reconnaissable. Ils n'ont rien changé aux mœurs
de leurs ancêtres, et, mariés à des femmes arabes, ont conti-
nué d'observer, vis-à-vis d'elles, les coutumes barbares de
claustration jalouse et absolue. Tout le côté intellectuel de
notre civilisation est au-dessus de leur portée... Mais la colo-
nisation n'a pas pu marcher assez vite pour précipiter leur
décadence, et leur climat (sans parler de leur soumission au
moins apparente) paraît bien les avoir sauvés; car, aujour-
d'hui, beaucoup de colons (où prendraient-ils la main-d'œuvre
dont ils ont besoin) regardent les indigènes comme devant
être des auxiliaires précieux dans leurs entreprises agricoles.
D'autre part, une grande partie du territoire algérien ne se
prête pas à la culture, et les indigènes seuls peuvent y vivre. »
L'augmentation signalée dans leur nombre pourrait être
due à un recensement meilleur de ceux qui nomadisent [dus
ou moins, ou à l'incorporation de nomades dans la popula-
tion sédentaire. Mais tout s'explique-t-il de la sorte'.' J'en
doute. Et alors il n'en est que plus surprenant de voir de telles
t. iv. (\' sébik). iG
"14 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
populations présenter une natalité des plus faibles. Cependant
une faible natalité est une conséquence presque forcée des
vices et des dépravations dont M. Ricoux reconnaissait déjà
la portée sociale. Tous ceux qui ont étudié la criminalité des
Arabes savent de quoi il s'agit. De plus, leur religion, leurs
mœurs autorisent des mariages extrêmement précoces, même
de fillettes de 7 ans. Et ce n'est pas tout. Il n'y a pas encore
longtemps, les Arabes du désert enterraient vifs les nouveau-
nés du sexe féminin. Ce n'était pas seulement un acte admis,
c'était presque un acte méritoire débarrassant la tribu de non-
valeurs, de bouches inutiles. Aujourd'hui encore, probable-
ment., les naissances féminines ne sont pas toutes déclarées,
et il y en a qui sont supprimées. La brutalité connue de cer-
tains usages arabes autorise à le croire.
M. le Dr II. Collignon. — J'estime, pour ma part, que les docu-
ments que vient de nous communiquer M. Dumont ne peuvent
pas être considérés comme définitifs. Il est probable qu'il a
raison lorsqu'il envisage comme un peu artificielle l'énorme
augmentation de plus de 700,000 âmes constatée dans le
nombre des musulmans recensés en 1881 et 1891. L'indigène
est méfiant; au début, le recensement ne lui disait rien qui
vaille et ne le rassure pas complètement encore aujourd'hui.
Pour lui, il ne peut être que synonyme d'impôts ou de cons-
cription. Je me souviens personnellement des difficultés qu'on
eut en pareille circonstance en Tunisie.
D'autre part, les femmes, les petites filles surtout, comp-
tent si peu dans ce pays, qu'on ne peut s'étonner de les voir
omises souvent; le père ne s'imagine pas, et de très bonne
foi, qu'on puisse avoir intérêt à connaître un fait de si minime
importance. Il y a certainement là, comme nous l'a si bien
exposé M. Dumont, une explication de la faible natalité et de
la haute masculinité dans les naissances. Et pourtant, en
rappelant mes souvenirs sur ce point, je serais aussi tenté
de croire à une faible natalité, au moins dans les villes. En
Tunisie, j'ai été, pendant trois ans, médecin des bureaux de
renseignements, à Garsa, à Tozeuf et à Sousse. J'ai, de la
DEMOGRAPHIE DES MUSULMANS EN ALGÉRIE 7 l .*i
sorte, pu pénétrer, très librement môme, dans la plupart des
maisons de la ville, causant avec les parents, voyant jouer
les enfants, soignant ceux-ci, demandant combien ils avaient
de frères et de sœurs. J'ai des souvenirs très précis encore
sur une douzaine de familles, et parmi elles je n'en trouve
qu'une ayant quatre enfants (trois fds, une fdle) ; dans une
autre, un fils unique qui avait alors 18 ans, etc., etc. Nulle
part je ne revois de familles énormes comprenant une dizaine
d'enfants. Mais ce n'est là qu'une impression, et rien n'est
plus trompeur. Attendons donc, pour nous prononcer en toute
certitude, la venue de documents absolument inattaquables.
M. Dumont envisageait aussi l'hypothèse d'immigrations
tunisiennes ou marocaines en Algérie. Je crois que ce phéno-
mène serait quantité négligeable; car, si des Tunisiens vont
en Algérie pour s'y fixer, il y a non moins d'Algériens en
Tunisie: les grandes villes de la Régence, Tunis, Sousse, Sfax
en regorgent.
J'en dirais autant, mais pour une autre cause, du fait que
nous signalait M. Thulié. Les très nombreuses caravanes qu'il
a vues au sud de Biskra sont formées, presque en totalité, de
Mzabites, c'est-à-dire d'une population comprise, elle aussi,
dans les chiffres du recensement, et dont les déplacements
ne peuvent influencer le total, mais qui, en outre, a des ha-
bitudes toutes spéciales. Les Mzabites sont les Auvergnats de
l'Algérie, comme les indigènes de Djerbah sont ceux de la
Tunisie. Commerçants, portefaix, garçons de bains, âniers,
etc., ils émigrent tous les ans vers les grandes villes de l'Al-
gérie, ramassent un petit pécule et retournent avec lui au
pays.
Ce trait de mœurs est, du reste, un vrai caractère moral
de race. Les indigènes du Mzab sont, en Algérie, ce que j'ap-
pelle des brachycéphales relatifs. Entourés de toutes parts de
populations très dolichocéphales et dont l'indice céphalique
moyen oscille entre 74 et 7o. ils le sont bien moins qu'eux
(ind. 7(> à 77); il en est de même en Tunisie des iiidigène9
de Djerbah. qui ont un indice de 81. à côté de leurs voisins
716 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
très dolichocéphales de Gabès, qui ont celui de 74. Les uns
comme les autres manifestent leur attachement au sol par la
tendance constante qu'ils ont a y revenir toujours, dès qu'ils
le peuvent. Tels, disais-je plus haut, nos Auvergnats, si bra-
ehycéphales, et tels, ajouterai-je en ne prenant que des
exemples connus de tous, les Savoyards, les Piémontais en
Europe, et surtout les Chinois en extrême Asie.
M. G. Lagneau. — Plusieurs des faits démographiques
d'apparences singulières s'expliqueront mieux en se modifiant
lorsque les documents statistiques seront de mieux en mieux
recueillis. Pour les naissances, la prédominance du sexe mas-
culin sur le sexe féminin chez les musulmans d'Algérie, me
rappelle qu'en 1882, lorsque je lus à l'Académie des Sciences
morales quelques remarques démographiques sur les catholi-
ques, les protestants et les israélites, je constatai parfois une
pareille prédominance de 111, de 128 garçons pour 100 fdles
chez les juifs d'Autriche, de Russie et des provinces Danubien-
nes. Un membre de l'Institut, M. Franck, lui-même israélite,
un médecin de Buccarest, M. Obédénare, paraissaient n'attri-
buer cette prédominance apparente du sexe masculin qu'aux
déclarations faites beaucoup plus exactement pour les garçons
que pour les fdles.
M. Thulié. — Cette augmentation de 726,197 musulmans
d'Algérie de 1881 à 1891, si peu en rapport avec la natalité
de cette population d'après les moyennes indiquées, ne peut-
elle s'expliquer aussi, au moins en partie, par le phénomène
que l'on peut constater actuellement en France et dans pres-
que tous les pays, c'est-à-dire l'absorption par les grandes
villes des populations rurales. J'ai été frappé l'année dernière
dans le trajet de Constantine à Biskra, par la fureur de dépla-
cement de la population musulmane. De même, d'ailleurs
que sur toutes les autres lignes d'Algérie que j'ai parcourues,
les trains de ce chemin de fer qui traverse des pays paraissant
morts, sans habitations et sans habitants, étaient, à l'aller
comme au retour, envahis par une foule compacte d'indigènes
qui s'entassaient dans les compartiments où pas une place ne
DENIKER. — CONCOURS POUR LE PRIX GODARD 717
restait vide. Pendant notre trajet, en allant, comme en revenant,
nous avons rencontré chaque fois plus de quarante caravanes
nombreuses qui suivaient la piste à peu près parallèle à la
li^ne ferrée et regagnaient les terres du Sud, c'était vers le
milieu du mois d'octobre. N'est-il pas probable que quelques-
uns de ces indigènes frappés par le contraste entre la tristesse
de leur vie pastorale et l'agitation, la vie intense, les facilités
commerciales de la grande ville, de Gonstantine par exemple,
dont le quartier arabe est un des coins les plus animés et les
plus grouillants qu'il m'ait été donné de voir, n'est-il pas
probable, dis-je, que quelques-uns laissent repartir la cara-
vane sans la suivre et se fixent dans un milieu qui les séduit.
D'ailleurs, plus les villes deviennent prospères, plus le com-
merce s'étend, plus les travaux s'y multiplient, plus les
ruraux qui ont l'ambition d'améliorer leur sort quittent la
campagne, et à fortiori le désert, pour s'y fixer pour tenter
fortune, ou tout au inoins pour vivre plus facilement.
MM. Hervé et Letourneau ont pris part à la discussion.
Rapport sur le coucoiirs pour le prix Godard, en 18!)5.
Par M. J. Deniker '.
La commission nommée par le Comité central a eu à exami-
ner quatre ouvrages dont voici les titres, par ordre alphabé-
tique de noms d'auteurs.
1. Atgier (D1), Anthropologie de la France; La Vienne. Etude,
suivie de la statistique ethnique de l'Indre; Angers, 1893,
manuscrit de 233 p. in-fol. avec cartes et tableaux.
2. ]{usciiA.N (Dr tieorg), Vorgeschichtliche Botanik derCiËttùr-
iiml Nutzpflartzen der alten Weld an/' Grand prnhistorisrhrr
Funde; Breslau, 1895, in-8°, xn-266 p.
3. Livi (Ur Ridolfô), Saggio dei risùltàti antropometrici otle-
1 Rapporteur du jury, composé de MM. GapitaQ, Ueniker, Ma-
nouvrier, A. de Moilillct et Papillault.
718 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1895
nuti dallo spoglio dei fogli sanitarii délie classi 1859-63; Roma,
1894, in -4°, 48 p., avec6 cartes.
4. Oloriz (Dr Don Federico), Distribution geografica del
indice cefalico en Espana deducida del examen de 8,368 rarones
adultos, Madrid; 1894, in-8°, 286 p., avec 2 cartes.
L'ouvrage de M. Oloriz, professeur d'anatomie à la Faculté
de médecine de Madrid, est connu de nous tous; une analyse
très détaillée, en a été publiée dans le Bulletin * par notre col-
lègue M. Azoulay. Mon appréciation personnelle vous la con-
naissez également; je l'ai exprimée en présentant cet ouvrage
à la Société au nom de l'auteur 2.
De l'avis unanime de la commission, c'est un travail remar-
quable, qui traite le sujet à tous les points de vue. On y trouve
des données précieuses sur la technique anthropométrique
en général, aussi bien que les éléments d'une ethnogénie de
l'Espagne ; des renseignements sur la répartition des races
dans ce pays, aussi bien que des considérations relatives à
l'influence du milieu sur l'indice céphalique, etc. L'auteur
épuise son sujet; c'est à peine s'il reste quelque chose à gla-
ner dans le vaste champs qu'il a exploré, par exemple à com-
pléter les observations dans certaines circonscriptions judi-
ciaires (division analogue à notre canton) où le nombre de
sujets mesurés par M. Oloriz est trop restreint (moins de 10).
Espérons que le savant professeur de Madrid, quia si brillam-
ment inauguré les études anthropométriques en Espagne ne
s'arrêtera pas en route, et nous donnera, comme il l'a pro-
mis, des monographies sur la taille, et sur plusieurs autres
caractères morpbologiques des Espagnols.
Le mémoire de M. Livi, médecin-major de lie classe «le
l'armée italienne est moins étendu que le livre de M. Oloriz.
C'est le premier «essai», comme le dit d'ailleurs le titre,
de la mise en œuvre de riches et importants matériaux an-
thropométriques recueillis par les médecins militaires ita-
liens sur les « feuilles sanitaires » depuis 1879. Le nombre de
1 Bulletin soc. d'Anthropologie, 1894, p. 520.
- Bull. sor. d'Anthropologie, 1895, p. 50.
DENIKEU. — CONCOURS POUR LE PRIX GODARD 719
sujets observés est de 300,000. Le travail de M. Livi, que
votre commission a examiné, est limité à la répartition de
« grandes » et de « petites tailles » (4 catégories) par « cir-
condari et monda/menti (divisions correspondants à nos arron-
dissements et cantons), et à la répartition des types « blond
et « brun » par circondari dans toute l'Italie. Mais ce n'est
qu'un commencement. M. Livi est en train en ce moment de
dépouiller les « feuilles sanitaires» concernant les autres carac-
tères anthropologiques : l'indice céphalique, le périmètre tho-
racique, etc. Les travaux importants publiés par ce savant,
il y a déjà plusieurs années, notamment le mémoire sur la
répartition géographique des tailles et des indices céphaliques
par circondari et par districts militaires (comprenant plusieurs
circondari)*, nous donnent le droit de supposer, presque d'af-
firmer, que son prochain mémoire dont l'apparition, si je suis
bien informé, est imminente, sera une œuvre magistrale pour
l'anthropologie physique des populations italiennes. Espérons
que nous y verrons également figurer, à côté des proportions
de « grands » et de « petits », les chiffres exprimant les tailles
moyennes, chiffres qui fixent plus facilement les idées sur les
différences des caractères, et qui font malheureusement défaut
dans le mémoire dont je viens de rendre compte.
Le travail de M. Atgier, médecin-major de 2e classe au
25e régiment de dragons, s'occupe d'un territoire beaucoup
plus restreint que ceux dont il est question dans les ouvrages
de MM. Oloriz et Livi. C'est une étude sur deux départements
français. L'auteur nous donne d'abord un aperçu détaillé du
préhistorique et de l'ethnographie historique du département
de la Vienne. Il énumère tous les monuments préhistoriques
de ce département et indique leurs emplacements sur les cro-
quis de cartes. Puis il nous retrace en abrégé l'ethnographie
de la Vienne pendant les périodes « kymrique », romaine,
Livi, SullaStatura, degli Ualiani ; Archivio per l'Antropoloijia,
etc., t. XIII, 1883, p. 243, av. une carte et tabl. — Du même, L'hi-
dice cofalico degli Italiani; même recueil, t. XVI, 1886, p. 223,
av. une carte et tableaux.
720 SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1896'
gothique, franque, et s'arrête sur les invasions arabes. Enfin,
il donne ses observations personnelles sur la taille, la couleur
des yeux et des cheveux ainsi que sur l'indice céphalique
des hommes de la classe de 1891 dans la Vienne (par can-
tons et arrondissements). Comme annexe, on trouve à la fin
de l'ouvrage, la statistique ethnique du département de
l'Indre, comprenant la répartition de « grandes » et de
« petites tailles », des « brachycépales » et des « dolichocé-
phales », par cantons et par arrondissements. L'absence
totale des moyennes clans l'ouvrage rend assez difficile l'o-
rientation au milieu des chiffres d'un grand intérêt. Aussi
pour mon édification personnelle, et pour faciliter l'étude du
mémoire de M. Atgier aux autres, ai-je calculé quelques
moyennes. Il ressortde ces calculs que les arrondissements les
plus dolichocépales,(arrond. de Civray avec l'ind. céph.moy.
79.9 dans la Vienne ; les arrond. du Blanc et de La Châtre avec
les ind. céph. moy. de 78.8 et de 79.9, dans l'Indre), sont pré-
cisément ceux qui se rapprochent le plus de la zone dolichocé-
phale si bien délimitée par mon collègue et ami M. Collignon
dans les départements voisins : Dordogne, Haute-Vienne et
Charente l. D'autres part, les arrondissements qui se trouvent
autour des trois précédents, ceux de Poitiers, de Montmoril-
lon et de Loudun dans la Vienne, ainsi que l'arrondissement
de Chàteauroux, dans l'Indre constituent une zone de passage
vers le territoire des brachycéphales. Les populations y sont
à peine sous-brachycéphales, les indices moyens variant entre
80. o et 80.7. Ce n'est que tout à fait dans le Nord du départe-
ment de la Vienne (dans l'arrondissement de Chàtellerault)
et dans le N.-Ë: du département de l'Indre (arrondissement
d'Issoudun)queles indices s'élèvent un peu, pour arriver à 81 et
81.3; L'indice moyen dans les deux départements eslsous-bra-
chycéphale (Vienne, 80. G, Indre 80.1); il est de deux unités
1 Arrondissements de l'érigueux, Ribérac, Nontron, Limoges,
Angoulème, Bnrbezieux, etc. Voy. pour plus de détails : le travail
de M. Collignon, dans les Mémoires de la soc. d'Anthropologie, t. I
(3e série), 3" fascicule, 1894.
DENIKKR. — CONCOURS POUR LE PRIX GODARD 721
inférieure à celui qu'indique la carte de notre collègue M. Côlli-
gnon (Vienne 82.4, Indre 82.3). La taille moyenne dans l'Indre,
d'après mon calcul, est de 1 m. 65, chiffre identique à celui du
tableau de recrutement donné par J. Bertillon ; mais la répar-
tition suivant les arrondissements est assez remarquable :
dans l'Ouest du département (arrondissements du Blanc et de
Chàteauroux) la taille est au-dessous de la moyenne, 1 m. 64;
tandis qu'elle est au-dessus de la moyenne dans l'Est (arron-
dissements d'Issoudun et de La Châtre) : \ m. 66 et I m. 67.
Sans entrer dans plus de détails, j'ajouterai enfin que l'examen
des tableaux de couleurs des yeux et des cheveux permet de
constater un fait intéressant : les bruns sont plus nombreux
dans le Nord du département de l'Indre que dans le Sud. De
même, la prédominence des bruns est manifeste dans la par-
tie ouest du département de la Vienne, tandis que les blonds
l'emportent a l'Est. Il serait désirable que M. Atgier conti-
nuât ses recherches dans les départements situés au Nord de
ceux qu'il a déjà si consciencieusement étudiés. Il pourrait ains1
relier ses propres observations, faites en 1886 dans le Mor-
bihan S ainsi que celles de M. Collignon, exécutées en Breta-
gne et en Normandie, à l'étude si intéressante des popula-
tions de la Vienne et de l'Indrequ'il vient de nous donner. Les
départements de l'Indre-et-Loire, du Maine-et-Loire, de la
Mayenne sont tout indiqués pour cette étude comparative.
Le quatrième ouvrage qu'avait à examiner votre commis-
sion est celui de M. Buschan, docteur en philosophie et en
médecine de l'Université de Breslau et membre correspon-
dant de notre Société. Il ne touche pas de si près aux sciences
anthropologiques que les travaux dont je viens de parler. Il
intéresse néanmoins autant les botanistes que les savants qui
étudient le préhistorique. L'auteur, que vous connaissez déjà
par une petite note sur la botanique préhistorique parue
dans notre Bulletin 2 et par ses nombreuses analyses des tra-
1 Voy. Archives de médecine et pharmacie militaires, t. VII,
1886. '
2 Bulletin, Soc Anthropol., 1893, p. 5UG.
722 SÉANCE DU 12 DÉCEMBRE 1895
vaux français dans les revues anthropologiques allemandes,
examine dans son livre et décrit en détail plus d'une centaine de
plantes, dont les graines et autres restes ont été trouvés dans
les stations préhistoriques de toutes les époques, mais princi-
palement dans les stations lacustres de l'époque robenhau-
sienne. Tout le long de l'ouvrage, l'auteur fait preuve
d'une vaste érudition et d'un soin méticuleux avec lequel il sait
réunir les matériaux épars clans tant de publications diffé-
rentes; son livre rendra certes un grand service à la science
préhistorique et prendra place à côté des ouvrages similaires
de De Candolle et de V. Hehn.
Tout en reconnaissant une haute valeur à chacun des quatre
ouvrages dont je viens de vous donner un aperçu, la commis-
sion, s'inspirant surtout de l'étendue du sujet traité et de la
somme de travail dépensée au profit des études anthropo-
logiques a proposé au comité central de partager le prix entre
MM. Livi et Oloriz, qui recevraient ainsi chacun la médaille
d'argent et la somme de 250 francs.
Elle a proposé en outre de donner une médaille d'argent à
chacun des autres concurrents, c'est-a-dire à M. Atgier et à
M. Buschan. Le comité central à approuvé cette proposition
de la commission.
L'un des secrétaires : A. Viré.
SÉANCE SOLENNELLE Dl 12 DÉCEMBRE 1895.
Présidence de M. André Lefèvre.
12 CONFÉRENCE ANNUELLE BROCA
Ijes Négrilles et les Ethiopiens.
Par M. R. Verneau.
(Le manuscrit n'a pas été remis au secrétariat).
PÉRIODIQUES "23
633° SÉANCE. — 19 décembre 1895.
Présidence de M. André Lefèvre
CORRESPONDANCE.
M. le Président annonce la mort de M. Ludwig Rutimeyer,
professeur à, l'Université de Bàle, membre associé étranger.
Il exprime les vifs regrets de la Société.
Lettre de M. le Ministre de l'Instruction publique invitant
la Société à prendre part au Congrès annuel des sociétés sa-
vantes, à la Sorbonne.
OUVRAGES OFFERTS.
Anton y Ferrandiz (D. Manuel). Razas y naciones de Europa
(Discurso), in-8°, 43 pag., Madrid, 1895.
Lafontant (Dr Peupignand). — De l'hygiène en Haïti, in-12,
224 pag., Paris, 1896.
Mercer (Henry C). — The hill-caves of Yucatan, in-8°, 183
pag. etfig. Philadelphie, 1896.
Quatrefages (A. de). — Darwin et ses précurseurs français,
in-8°, 294 pag., Paris, 1892. (Achat).
Quatrefages (A. de). — Les émules de Darwin, 2 vol. in-8°,
cxL-154-288 pag., Paris, 1894 (Achat).
Sébillot (Paul). — Légendes et curiosités des métiers, gr. in-8°,
648 pag. avec 228 gravures, Paris, 1895.
Meyer (A.-B.), Schadenberg (A.) und Foy (W.). — Die Man-
gianenschrift von Mindoro. (Ext. de Abh. u. Ber. d. K. Zool. u.
Anthr. — Ethn. muséums zu Dresden), in-4°, 34 pag. et plan-
ches, Berlin, 1895.
périodiques. (Articles à signaler).
Revue scientifique, 14 déc. 1895. — V. Turquan : Durée de
la génération humaine.
Nature, 5 déc. 1895. — Dr Dubois : Missing Link.
7:24 séa.nce du 19 décembre 1895
Revue de l'Ecole d'Anthropologie, 15 déc. 1895. — A. Lefèvre :
Les Dieux de la Gaule. — Salmon : Type crâniens néoliti-
ques.
OBJETS OFFERTS "
M. Gaillard offre quatre photographies du dolmen deGralv
niol (Morbihan).
M. Fourdrignier offre treize photographies dont sept repré-
sentent les trois microcéphales vivants que la Société a eu à
examiner.
M. J.-G. Davelouis offre deux photographies de types nor-
mands.
COMMUNICATIONS.
M. Manouvrier expose les résultats de son étude des crânes
et ossements humains recueillis dans la sépulture néolithique
de Chàlons-sur-Marne, étude faite avec la collaboration de
M. PûKROWSKY.
Le mémoire sera publié ultérieurement.
Sur l'existence de nègres relativement blonds dans la région
du Congo.
Par le Dr R. Collignon.
Dans une présentation faite le 7 juin 1894', M. Dybowsky
nous montrait les photographies de deux Akoas recueillies
par lui au cours de son voyage au Congo. Il signalait, entre
autres particularités intéressantes, que ces négrilles avaient
des cheveux d'une nuance relativement claire, châtains rous-
sètres et non plus noirs comme le sont ceux de l'ensemble
des nègres, et des yeux d'un ton jaune moyen clair par rap-
port aux yeux marrons foncés de ceux-ci.
M. Dybowsky n'ayant pas rédigé sa communication, il ne
1 Bullet. Soc. Anlhr., IVe série, t. V, p. 140.
VÀUVILLK. — ATELIERS NÉOLITHIQUES DE MERCIN ~'2o
reste malheureusement, dans nos bulletins, d'autre trace de
cette constatation curieuse que les quelques mots que j'avais
prononcés lors de la discussion.
Or, le hasard vient de me faire découvrir un passage ou-
blié de Walckenaer, où mention est faite de caractères ana-
logues chez des nègres du Congo, précisément dans la
région où M. Dybowsky vit et observa ses deux négrilles.
Je cite textuellement : « Les naturels de Congo, quoique
« noirs comme les nègres de Sénégambie, semblent former,
« cependant, une race différente et se rapprocher, par les
« traits, des Européens; ils ont quelquefois les cheveux d'un
« brun rougeâtre, et les yeux d'un verd foncé ou couleur de mer \ »
L'observation est précise; on ne saurait songer à une
teinture de la chevelure, puisque les yeux sont « verds ou
couleur de mer ». J'ai donc cru qu'il était bon de la signaler
à l'attention de nos collègues, ne fût-ce que pour retrouver
les sources auxquelles Walckenaer l'avait puisée, et pour
tenter d'obtenir de nos compatriotes résidant au Congo quel-
ques renseignements à cet égard.
Je n'ai pas besoin de faire remarquer combien, si le fait
est exact, il a d'importance au point de vue de la filiation
des races humaines, qu'il s'agisse de négrilles, comme dans
le cas de Dybowsky, ou de nègres ordinaires, comme le lais-
serait supposer le texte de Walckenaer.
fo L.'un des ateliers néolithiques de Mercin (Aisne) — 2° Sé-
pulture dite gauloise de l'époque niarnienne sur Mercin. —
3» Observations sur la dénomination de l'époque gauloise
dite Beuvraysienne.
Par M. Octave Vauvillk.-
L'un des ateliers néolithiques de Mercin (Aisne).
Sur le territoire de Mercin, canton de Soissons, les recher-
ches que j'ai faites, il y a quelques années, m'ont fait décou-
1 C.-A. Walckenaer. Cosmologie ou Description générale de la
Terre. Paris, 1816, p. 525.
726 séance du 19 décembre 1895
vrir, au lieu dit la Sablonnière, beaucoup de silex taillés, bien
caractéristiques de l'époque de la pierre polie. J'y ai recueilli
de nombreux éclats de silex, des percuteurs, des nucleus, de
nombreuses lames, dont un certain nombre très petites, des
grattoirs concaves et convexes, des retouchoirs, etc.
Les silex qui ont été employés sont très variés, comme on
peut le voir sur les divers nucleus que je vous présente, avec
un certain nombre d'autres pièces. Le grès aussi a été em-
ployé : voici un très beau grattoir convexe, et j'ai trouvé
quelques nucleus de roche.
Les silex taillés se trouvent principalement sur une partie
très siliceuse (comme l'indique le lieu dit la Sablonnière), for-
mant un monticule d'environ 65 mètres d'altitude, dominant
de 15 à 20 mètres les terrains environnants, sur les côtés
Nord, Sud et Ouest. Cet endroit est très sain, on a pu y séjour-
ner; tout près de là passe un petit cours d'eau, le ru de
Voisdon.
Lors de mes premières recherches j'avais remarqué quel-
ques fragments de crânes humains, ce fait me permit de
croire qu'il devait exister là d'anciennes sépultures.
Sépulture dite gauloise de l'époque marnienne, sur Mercin.
M. Bonant, propriétaire du terrain dit la Sablonnière, à qui
j'avais dit qu'il pourrrait être intéressant de fouiller sa pro-
priété, m'offrit de m'envoyer son jardinier pour faire des
recherches, si je voulais bien les diriger.
Le 21 septembre 1893, on fit d'abord quelques fouilles, sans
obtenir de résultat: mais ayant remarqué un grès qui était
très apparent au-dessus du sol, je le fis bien dégager; il me-
surait 80 centimètres de longueur, 55 centimètres de largeur
et 28 centimètres d'épaisseur; il était légèrement incliné vers
le Nord.
Ce grès était entouré de 15 autres et de 19 pierres en cal-
caire dur, de diverses grosseurs et de provenances différentes.
Le tout avait servi à recouvrir une cavité, formée aussi de
pierres et de grès, d'une longueur totale de 1 m. 70, de l'Est
à l'Ouest; la largeur était de 50 centimètres au milieu, à l'Est
VAUVILLE. — ATELIERS NÉOLITHIQUES DE MERCIN 727
elle était de 30 centimètres. La hauteur avait 30 centimèt. du
fond au-dessus des grès et des pierres formant la couverture.
Cette cavité, qui était un tombeau, renfermait un squelette
humain, les ossements étaient en très mauvais état de conser-
vation. Le côté Nord de la cavité était formé de 7 pierres,
ayant une longueur totale de 1 m. 70; le bout Est avait
2 pierres; le bout Ouest, où était la tète, était formé d'une
seule pierre; le côté Sud était formé de 5 pierres d'une lon-
gueur totale de 1 m. 27. L'extrémité Ouest n'en avait pas; il
s'}' trouvait, du côté droit cl à 15 centimètres de la tète,
3 vases en terre.
Deux de ces vases étaient l'un dans l'autre; le troisième, de
forme plate, recouvrait les deux premiers et avait un diamè-
tre de 19 centimètres avec un petit rebord relevé de 20 milli-
mètres de hauteur. Ces vases s'étaient brisés sous la pression
des pierres et de la terre. Le fond de la sépulture était sur le
sol naturel, à 75 centimètres de profondeur au-dessous du
niveau du sol actuel.
On fouilla avec soin et on découvrit les traces du squelette
complet.
La fouille, commencée à l'Est, du côté des pieds, fit d'abord
trouver deux petits anneaux de bronze (Voir Album Caranda,
nouvelle série, PL. 419, n° 6). Lorsqu'on arriva aux bras, on
découvrit un bracelet simple à chaque bras, le radius et le
cubitus étaient dans le bracelet.
Près de la tète, on trouva un beau torque à torsades en
bronze, du genre de ceux découverts par Frédéric Moreau
dans ses fouilles de Chassemy (Album Caranda, nouvelle sé-
rie, PL. 119, n° 2).
Voici l'un des bracelets et le torque que M. Bonant, auquel
j'avais remis tous les objets en bronze trouvés lors des fouilles,
a bien voulu me confier pour vous les présenter.
Les trois vases, comme je l'ai dit, étaient brisés, j'ai pu en
retirer plus de 75 fragments; en voici 20 débris, pouvant
donner une idée de leurs formes, de leur ornementation et de
leur fabrication.
728 SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 1895
Le vase de forme plate, qui recouvrait les autres, n'était
pas orné, les autres, au contraire, l'étaient de dessins variés,
lesquels sont très communs dans les sépultures gauloises
dites marniennes. Ces poteries paraissent avoir été faites sans
l'intervention du tour, leur pâte ne ressemble pas à celle des
poteries usuelles provenant des enceintes gauloises de l'Aisne
et de la Somme ! .
Si on compare les poteries provenant de la sépulture de
Mercin, lesquelles sont identiques à celles des sépultures dites
gauloises de la Marne et de celles de l'Aisne fouillées par
M. Frédéric Moreau, avec les 20 fragments de poteries que
voici , provenant d'habitations gauloises de l'enceinte de
Pommiers2, on est frappé de la différence qui existe entre
elles.
Les premières sont d'une fabrication qui parait primitive,
malgré l'élégance de forme et l'ornementation de l'un des
vases; la terre, qui a servi à leur fabrication, ne parait pas
avoir été préparée avec soin, comme le prouve les cavités de
ces poteries. Au contraire, les autres ont été extrêmement soi-
gnées sous tous les rapports.
Il y a là un contraste bien évident qui provient, soit de la
différence d'Age de fabrication entre les poteries des sépul-
tures et celles des poteries usuelles gauloises faites au tour ;
soit de celle résultant d'une autre fabrication, par une popu-
lation qui paraît s'être fixée dans les départements de la
Marne et de l'Aisne, jusqu'à Mercin où la sépulture dite mar-
nienne a été découverte.
Observations sur la dénomination de l'époque gauloise
dite Beurrai/ sienne.
Comme vous le savez, Messieurs, c'est à la suite de longues
•4 vives discussions qui ont suivi mes présentations de pote-
1 Bulletin de la Société d'Anthropologie de Paris, 1894, page 278.
- L'enceinte de Pommiers, l'ancien Noviodunum des Suessions,
ne se trouve pas à plus de 2,800 mètres de l'endroit de la sépul-
ture de Mercin.
VA1VILLK. — ÉPOQUE DITE BEUVRAYSIENNE 729
ries gauloises provenant des enceintes bien datées de l'Aisne
et de la Somme ', que notre très honoré maître, M. Gabriel de
Mortillet, après avoir bien reconnu que les poteries usuelles
gauloises avaient été faites au tour, a compris que sa classi-
fication était incomplète.
Pour combler la lacune, de la dernière période gauloise, où
les monnaies d'or, d'argent et de bronze sont nombreuses,
M. G. de Mortillet a, l'année dernière, désigné cette époque
sous le nom de Beuvraysienne2.
Comme je ne connaissais les objets recueillis au Mont Beu-
vray que par ce qu'il y a au musée de Saint-Germain, je me
suis rendu à Autun pour me renseigner sur l'ensemble de ce
qui existe au Musée de la Société Éduenne. Là, dans une très
belle salle, consacrée spécialement aux objets trouvés dans
l'ancien oppidum des Eduens, j'ai vu que le Beuvray ne repré-
sente que très peu l'époque gauloise d'avant la conquête, mais
qu'il comprend, au contraire, une bonne partie de l'époque
gallo-romaine, ou Lugdunienne, de la classification de M. G.
de Mortillet. En effet, voici ce que j'ai constaté :
D, E, F, et G 3. Des objets en fer, fibules à ressort, clefs
courbes, talons d'étendards, anneaux divers, marteaux, ha-
ches, clous divers, etc., identiques à ceux recueillis dans les
anceintes gauloises de l'Aisne.
.] et K. Des verres colorés et des bracelets en verre fili-
grannés *.
L. Fibules variées en bronze. Quelques unes sont gauloises,
mais il y en a certainement beaucoup cie l'époque gallo-
romaine.
M. Poteries fines rouges, indiquées comme provenant de la
1 Bulletin de la Société, volume 1894, pages 278 à 291.
2 Bulletin de la Société, volume 1894, page 619.
3 Les lettres indiquées sont celles des vitrines de la Société
Éduenne (Salle du Beuvray).
* La désignation des objets est généralement telle qu'elle est in-
diquée dans les vitrines.
t. vi (4* série). 47
730 SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 4895
haute Italie. Ces poteries sont incontestablement de l'époque
romaine.
N. Nombreuses monnaies gauloises en argent, en bronze
et en potin.
Les monnaies en potin, très nombreuses, prouvent bien que
ce numéraire a circulé bien après la conquête, car beaucoup
de ces pièces ont été coulées du temps de la domination
romaine '.
Q. Poteries peintes avec décorations géométriques. D'après
l'indication qui est dans la vitrine ces poteries seraient orien-
tales.
R. Céramique artistique.
S. Poteries noires, jaunes et grises, ornées de palmettes,
dessins de tissus, quadrillages, pointillés, grains de blé, ha-
chures, échancrures et empreintes rondes en forme d'œil.
Ces poteries, comme celles des séries M et R, doivent être
postérieures à la conquête romaine.
T. Céramique en terre noire. Ornements foi mes de chevrons
et empreintes diverses.
Y. Poteries grises et noires. Ornementation à lignes paral-
lèles à la griffe.
X. Marbres d'un temple païen.
Y. Monnaies romaines.
Comme on le voit, l'enceinte de Beuvray a fourni des objets
de deux époques bien distinctes : 1° de la fin de la période
gauloise; 2° de l'époque de la domination romaine. 11 y en
aurait même d'origine orientale, d'après l'indication de la
vitrine Q. Les objets postérieurs à la conquête sont 1res nom-
breux.
D'après ce qui existe au Musée de Saint-Germain, prove-
1 Si on consulte les Mémoires de la Société Éduenne, tome II,
nouvelle série (1873), pages 148 174, on voit, d'après M. Anatole de
Barthélémy, qu'en 1872 on avait trouvé dans l'oppidum de Beu-
vray 628 monnaies gauloises, dont 257 en potin et bronze coulées.
A la même époque, on avait aussi recueilli 47 monnaies romaines,
donl 12 postérieures à l'an 10 avant l'ère chrétienne.
VAUVILLÉ. — ÉI'OOUE DITE BEUVRAYSIKNNE 731
n.ml du Mont Beuvray, il est impossible de se rendre bien
compte de ce qui a été recueilli dans l'oppidum. Pour juger
de l'ensemble des découvertes, il faut voir les diverses séries
de la très intéressante salle du Beuvray de la Société Eduenne,
et, après examen sérieux, on est convaincu que la principale
occupation sédentaire de l'oppidum Éduen, est postérieure a
la conquête romaine.
Dans le très intéressant article intitulé : Étude sur les mon-
naies antiques recueillies au Mont Beuvray de 1867 à 1872 \
M. Anatole de Barthélémy, membre de l'Institut, qui est cer-
tainement très expert en numismatique gauloise, donne les
conclusions suivantes, après un examen raisonné et une lon-
gue dissertation sur l'époque d'émissions des monnaies gau-
loises2 :
« Si nous passons à l'examen des dates approximatives des
« monnaies cataloguées ci-dessus, nous constatons que le plus
u grand nombre semble être postérieur à l'an 61 ; avant cette
« limite, les plus anciennes ne remontent guère au-delà de
« l'an 65, date des deniers au cavalier, considérés par M. de
« Sauloy comme émis par une ligue formée des peuples gau-
« lois du Sud-Est pour résister à l'invasion des Germains
« d'Arioviste.
« Nous voyons, en effet, que les deux seules pièces d'or
« sont des exceptions; leur très bas titre indique qu'elles ap-
« partiennent à la dernière période du monnayage que nous
« savons se terminer par les statères au nom de Vercingé-
« torix. Nous notons, en outre, que ces deux pièces d'or sont
« belvètes, par conséquent étrangères au pays, et que, jus-
« qu'ici, le plateau du Beuvray n'a pas encore fourni une
« seule monnaie d'or éduenne. Le numéraire d'or n'avait
« donc plus cours usuel à l'époque que nous éludions.
« La conséquence de toutes ces observations, c'est que la
\ Mémoires de la Société Éduenne, tome II, nouvelle série (1873),
p:ige 148.
2 Mémoires de la Société Éduenne, tome II, nouvelle série (1873),
page loi*.
732 SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 1895
« population sédentaire du Mont Beuvray y a résidé depuis
« l'an S3 environ jusqu'à l'an 5 avant l'ère chrétienne. »
Il est donc bien certain, d'après les objets recueillis au
Mont Beuvray, qui sont au Musée de la Société Eduenne, et
d'après l'étude des monnaies gauloises, provenant de la même
enceinte, faite par M. Anatole de Barthélémy, que l'époque
d'occupation sédentaire du Mont Beuvray, a eu lieu après la
conquête romaine *.
L'industrie représentée dans l'oppidum des Eduens, est
donc en grande partie de l'époque dite Lugdunienne, et non de
l'époque gauloise d'avant la conquête, puisque d'après M. A.
de Barthélémy la population sédentaire y a résidée depuis
l'an 53 environ, jusqu'à l'an 5 avant l'ère chrétienne.
11 est bien regrettable que notre maître, M. Gabriel de Mor-
lillel, ait eu la pensée de prendre, pour désigner la dernière
époque de la période gauloise, pendant laquelle les monnaie
gauloises en or, en argent et en bronze étaient nombreuses,
le nom de Beuvraysienne ; en effet, l'époque du Beuvray repré-
sente une époque beaucoup plus récente que celle qu'il vou-
lait désigner, comprenant une durée d'environ 150 ans avant
la conquête 2. Je viens prier notre très honoré collègue el
maître de vouloir bien accepter, sans hésiter, de changer le
nom de Beuvraysien, avant que sa nouvelle classification ne
soit bien connue, puisque ce nom n'a été donné que l'année
dernière3, pour prendre celui d'époque des monnaies gauloises.
ou tout autre plus en rapport avec l'époque qu'il a voulu
désigner. Ce changement de nom aurait aussi l'avantage de
s'appliquer d'une manière générale aux nombreuses peu-
plades gauloises qui avaient leurs monnaies diverses, souvent
bien différentes les unes des autres.
Si ce changement de nom n'a pas lieu, on pourra, à partir
de maintenant, mettre sous le nom de Beuvraysien presque
i Cette contrée était déjà soumise aux Romains dès la première
campagne de César en 58 avant J.-C.
2 et o Bulletins de la Société d'Anthropologie de Paris, volume de
1894, page 'J2U.
VAU VILLE. — ÉPOQUE DITE BEUVRA YSIENNE 733
tout ce qui a rapport a une bonne partie du premier siècle de
l'époque dite Lugdunienne, qui commence avec César, d'après
Mj G. de Mortillet1 ; ce serait là une contradiction de classifi-
cation, qu'il est bon de chercher à éviter.
Discussion.
M. Vauvillé répond à une observation de M: Fourdrignier
que les poteries des sépultures dites marniennes paraissent
bien avoir été faites à la main, tandis que les poteries usuelles
gauloises, provenant des enceintes de l'Aisne, au contraire,
ont été faites à l'aide du tour; elles diffèrent donc bien, de
fabrication et même de forme, des poteries funéraires.
M. A. de Mortillet présente diverses observations.
M. Vauvillé. — Je me permettrai de dire à notre collègue
qu'il faudrait avoir vu attentivement tout ce qui existe dans
la salle dite de Beuvray, de la Société Éduenne, notamment
des poteries ornées identiques à celles que voici de l'époque
gallo-romaine, provenant du département de l'Allier; il y en
a même de tellement semblables qu'on pourrait se demander
si, dans celles du Beuvray, il n'y en aurait pas de ce dépar-
tement.
Beaucoup d'autres poteries sont aussi, incontestablement,
dé l'époque postérieure à la conquête; il en est de même pour
beaucoup d'objets du Beuvray.
Les monnaies sont également une preuve bien certaine de
toute la durée de l'occupation sédentaire de l'oppidum, les
nombreuses monnaies de potin prouvent bien l'occupation
postérieure à la conquête.
Contrairement à ce que dit M. A. de MorLillet, on a recueilli
des monnaies impériales romaines2; elles prouvent bien que
foceupation de l'enceinte a duré jusqu'à l'an 5 avant l'ère
chrétienne.
1 Bulletins de la Société d'Anthropologie de Paris, volume de
1804, page 620.
"-Mémoires de la Société Éduenne, tome 11 de 1873, pages 148
à 174.
734 SÉANCE DU 19 DÉCEMURE 1895
M. A. de Mortillet donne lecture d'un article du Diction-
naire des Antiquités gauloises.
M. Vauvillé. — De I article que vient de lire M. A. de Mor-
tillet, il ressort bien que l'oppidum des Eduens a été aban-
donné en l'an 5 avant notre ère. Nous sommes donc d'accord
puisque, dans mes conclusions, je disais que d'après les objets
recueillis au mont Beuvray, de même que d'après l'étude des
monnaies de l'enceinte, faite par M. Anatole de Barthélémy,
l'oppidum avait été occupé sédentairement de l'an 53 environ
à l'an 5 avant notre ère.
L'époque du Beuvraysien rentre dune bien dans l'époque
dite Lugdunienne, commençant avec César, d'après M. G. de
Mortillet, et non dans l'époque des monnaies gauloises en or,
en argent et en bronze, qui, d'après le même auteur, a pré-
cédé de 150 ans l'époque de la conquête par lesBomains.
Poterie eme et orisjiuc du tour.
Par MM, Lajard et Félix Begnallt f.
Nombreux sont les traités sur la poterie, mais tous se bor-
nent à en faire l'étude chez les peuples civilisés, Egyptiens,
Grecs, etc., sans remonter à l'origine chez les sauvages. Bien
que les ethnographes se soient livrés à ces recherches, le sujet
est loin d'être entièrement connu.
Il semble que la poterie crue ait précédé la cuite, et que
l'homme n'ait pas inventé d'emblée la cuisson de l'argile.
En Egypte et en Assyrie, les briques qui servaient à la bâtisse
étaient simplement séchées au soleil. Mais on ignore générale-
ment que la poterie crue est encore aujourd'hui d'un usage
fréquent en Egypte et dans l'Afrique du Nord.
M. Lajard a rapporté d'Egypte plusieurs photographies qui
montrent les divers emplois de poterie crue. Ce sont des
1 Première partie sur la poterie crue de M. Lajard, l'autre sur le
tour de M. liegnault.
L.UARD ET REGN'AULT. — POTERIE CRUE ET ORIGINE DU TOUR 735
vases en forme de jarre avec couvercle à bords denliculés,
comme une scie; d'énormes amphores munies d'un court
goulot, des écuelles, de larges coupes (fig. 1.)
Ces vases servent en général à conserver des grains, des
substances sèches: car les liquides s'enfuiraient.
D'autres fois avant la récolte, la basse-cour s'y réfugie. Telle
celte grande amphore (fig. 2), percée à sa base pour prendre
i^liTn 1 1 (I j/iIM A — *
Fis. 1
le grain"; d'un trou par lequel péttvenl également entrer
les poulets. Sur les loiis des maisons de longs vases en
736
SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 1805
terre crue (lig. 3), ayant la forme de cylindres allongés et
verticaux servent à faire nicher les pigeons. D'autres ont une
\
JÏS\f
Fig. S.
forme différente. Cette forme varie suivant les villages et
parait la même pour chaque bourg.
On fabrique encore avec l'argile crue des plateaux cylindri-
ques bas et ii surface plane sur laquelle les femmes travaillent
la pâte de farine pour faire le pain.
Enfin la capacité peut s'agrandir et on a de véritables
bâtisses formées d'argile crue grossièrement pétrie et séchée
au soleil. Ce sont des sortes d'abris ronds servant également
à serrer la provision de grains. Avant la récolte la basse-cour
s'y réfugie. A côté la demeure de l'homme est faite au moyen
de roseaux et forme un gourbi primitif. De sorte que sur une
photographie le bétail semble mieux logé que le propriétaire.
Toutes ces poteries sont faites de terre glaise pétrie à la
main, sans tour, simplement séchée au soleil.
LAJAIU) ET REGNAULT.
POTERIE CRIE ET ORIGINE DU TOUR
m
Rappelons que Mi Viré à signalé en Kabylie i'éxïstèiïce de
poteries crues {Bulletin Soc. Antltrop., 1893.)
.le présente en second lieu une série de chronophotographies
prises par l'appareil de M. Marey avec l'aide de son prépara-
teur M. Comte. Elle montre une négresse Ouolove de la der-
nière exposition du Champ île Mars faisant de la poterie. On
voit, grâce à la chronophotographie. les diverses phases de
cette opération (lig. i).
Pour faire ses vases, elle possède :
1° Une éeuelle creuse de vingt-cinq centimètres de diamè-
tre,, reposant par son centre sur la terre, et pouvant tourner
facilement sur elle-même par un simple mouvement demain.
2* De la poudre de sable noir qu'elle met dans l'écuelle pour
(lue l'argile ne s'y attache pas.
3° De l'argile dont elle prend un morceau et enlève les
paillettes.
Voici comment (die procède :
Elle pétrit la boule d'argile entre ses deux mains.
Elle la creuse avec ses mains avant de la placer sur l'écuelle.
Elle place la houle sur l'écuelle, et en récure le centre avec le
dos de l'arliculalion phalango-phalanginienne de la. main
738 SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 1895
droite ', les doigts sont repliés dans la paume de la main,
celle-ci est tenue verticalement. Pendant ce temps la main
gauche la face palmaire regardant l'écuelle, tourne celle-ci,
sous l'influence de ce mouvement de rotation et de la main
droite qui creuse, les bords du vase s'élèvent et frottant contre
la paume de la main gauche se façonnent.
Une fois les bords élevés la négresse termine la partie supé-
rieuredu vase en façonnant un boudin d'argile. Elle le tient de
la main droite et le fixe au bord supérieur du vase, en même
temps qu'elle continue à faire tourner l'écuclle de la main
gauche. Le vase est ainsi terminé.
dette pratique est bien spéciale, et n'a pas, à ma connais-
sance, été notée jusqu'à présent. Elle montre la transition
entre la poterie sans tour et au tour.
La poterie sans tour peut être faite en appliquant la terre
glaise sur une forme d'osier ou sur un fruit ou par moulage,
lu procédé spécial a été étudié chez les Galibis par M. Capi-
tal!. Ce sont des boudins d'argile successivement façonnés et
étages l'un sur l'autre.
M. Lajard a indiqué un procédé analogue aux îles Cana-
ries; Ici c'est un seul boudin qu'on enroule en spirale
(Soc. Anthrop., 19 nov. 1891). On ne fait pas tourner le vase.
La négresse au contraire au moyen de son écuelle fait
tourner le vase. Supposez cette écuelle montée sur un pivot
et nous avons le tour primitif usité autrefois chez les Egyptiens
et les Grecs, encore employé de nos jours en Orient notam-
ment chez les Indous.
C'est une roue horizontale, basse, tournant sur un pivot.
On l'actionne à la main, puis on pétrit la masse de terre
glaise placée dessus et qui tourne et on en façonne des vases.
Le tour mil parle pied employé de nos jours n'est venu que
bien plus tard.
1 Sur ce dessin, c'est la main gauche qui creuse, la droite qui
tourne; ce qui est rare. En général c'est comme nous décrivons la
gauche qui tourne la droite qui creuse.
LAJARD ET REGNAULT. — POTERIE CRL'E ZT ORIGINE DU TOUR Tli!)
J'ai voulu voir si quelque différence dans la forme, l'aspect,
le grain pouvait distinguer la poterie africaine ainsi façon-
née de la poterie d'Amérique faite sans tour ou d'Europe
faite avec tour. Je n'ai pu rien noter de caractéristique. Pour
affirmer à la vue de débris de poterie si celle-ci est faite avec
ou sans tour, il faut qu'elle soit ou très grossière outrés fine.
Mais dans les cas intermédiaires très nombreux, il convient, je
crois, souvent de rester dans le doute.
L'un des secrétaires : A. Viré.
TABLE DES DONS
A LA SOCIÉTÉ ET A ' L'ÉCOLE D'ANTHROPOLOGIE
Dons a la Société, 7, 47, 49, 50,
63, 73, 74, 104, 105, 139, 140,
141, 142, 150, 181». 190, 215,
209, 270, 271. 273, 320, 327,
386, 387, 388, 413, 414, 433,
434, 479, 480, 495. 497, 498,
514, 519, 540, 656, 657, 658,
684, 685, 696, 697, 702, 723,
724.
Dons a l'École d'Anthropologie,
519, 702.
Acy ((!"), 388, 479.
Ambrosetti (J.-B.), 696.
Anoutciiine (D.-N), 326.
Anton y Ferrandiz, 723.
Arnaud (F.), 73.
Ault du Mesnil (d'), 431.
Baya (de), 684, 696.
Benedikt (M.), 413.
Bernard et Féré, 7.
Boas (F.>, 684.
Bousrez, 74, 388.
BuiNTON (D.-G.), 73, 413, 696.
Buschan (G.), 104, 413, 479.
Capitan (L.),326.
Caracache (A.), 684.
Castelfranco (P.), 156.
Cazalis de Fondouce. 7.
Charencey (de), 7. 156.
Charles-Albert, 479.
Coghlan (T. -A.), 514.
Coha. (Guido), 139.
Darkste (G ), 51!). »
Davelocis (J.-G.), 724.
Delislk, 434.
Deniker (J.), 20!), 273.
Dévot (J.), 73.
Dubois (E.), 658.
T. VI (4e série)
Dumont(A.), 479.
Durand (de Gros), 514.
Duval (Mathias), 514.
Fourdrignier, 51!), 724.
Fraipont (J ), 51 1.
Fulcomer (D.), 684.
Gachon (P.). 101.
Gaillard (F.), 724.
Garnaud (de Paris), 097.
Georges et Chaiivet, 050.
Giacomini (C), 081.
Giltchenko (N.-V.), 495.
Gi.aumont, 63.
GuiTTONNEAU (P.) ET BONNEMÈRK
(L.), 47.
(ii MRiERi etMasetti, 650.
Guyot (Yves), 139.
Hamy (E.-T.), 684.
Hennuyer (A.), 270.
Hepburn (D.), 656.
IllRST (B.-C), 7.
IIodge (F.-W.), 413.
BOEDER (H.-V.),413.
Holmes (W.-II.), 414.
iiovelacque et hervé, 190.
Institut International de Socio-
logie, 480.
Iwanowski (Al.), 495.
Jacques (V.). 195.
Justin (J.), 697.
Koganéi, 190.
Kkopotkine (P.), 479.
Laboratoire d'Anthropologie ,
702.
Laeontant-Perpignand, 723.
Lagneau (G.), 139.
Lwirey (Famille da baron 11.),
697.
Lausiés, 19.
\ki
TABLE DES DONS
Lavroff (P.), 73.
Lefèvhb (A.), 215, 32(i.
Lehmann-Nitsche (R.), 495.
Leitner (G.-W.), 607.
Letourneau (Ch.j, 41)7.
Levier (E.), 49.
Livi (R.), 433.
Longraire (de), 190, 215.
Loris-Melikoff, 497.
Malvert, 320.
Marchi, 481.
Marchesetti (C), 433.
Marina (G.), 697.
Martel (E.-A.). 141.
Martel et Gaupillat, 111, 112.
Martel et Rivière, 142.
Mercer (H.-C), 723.
Meyer (A.-R.), 497, 723.
Meyer (H.), 414.
Mies (.1.), 104, 271.
Milne-Edwards , Deniker . DE
PûDSARGUES LT DeLISLE, 433.
Ministère des Travaux publics,
433.
Mooney (J.), 084.
Moutard-Martin et Pissavv, 540.
O-loriz (P.), 50, 186.
Pigorini (L.) 326, 386.
Poehl (A.), 414. .
Rambert (Aimé), 105.
Reber (B.), 498.
Reclus (Eliséey, 684.
Regalia (E.), 514.
Regnault (F.), 73, 140, 387,498,
697.
Rockhiï.l (W.), 327.
Rodiugues (N.), 498.
Rousselet et Hachette et C'°
414.
SCHLEICHER, 433.
Schurtz (H.), 156.
Sébillot (P.), 139, 723.
Sergi (G.), 104, 479.
Sérieux et Mathieu. 514.
Sherzer (W.-H.), 498.
Société de Géographie de Lis-
bonne, 480.
Souza-Gomez (de), 657.
Spalikowski (Edm.), 387, 498.
Stephenson (F.-B.), 156, 697.
T.er^ek (A.-v.), 480, 498.
Terrier et Péraire, 697.
Thomas Marancourt (Ed.), 433.
TURNER (W.), 215.
Vauchez (Emmanuel), 684, 685.
Worms (R.), 685.
Yastrebov (VI.), 657.
Zaborowski, 190, 498.
TABLE DES TRAVAUX ORIGINAUX
DES PRINCIPALES COMMUNICATIONS
ACY (E. d'). — Quelijuos observations relativement au gisement iuter-
glnciaîrc ilo Yillefraiiclie, 80.
ACY (E. il'). — La station dos Hoteaux, 388.
— Coupe et mobilier funéraire do la terrasse do; Ho-
teaux, 449.
BAYE (Baron do). — Photographie d'un mo:iumcut mégalithique,
G86.
BEDOT (Maurice). — Notes anthropologiques sur lo Valais, 486.
BONNEMÈBE (Lionel). — Le dolmen do l'Ethiau, 47.
— Los pierres gravées do la Nouvelle-Calédonie, 63
BONNET. — Habitations souterraines, 8.
CAl'ITAN. — A propos dos déformations crâniennes dans l'art an-
tique, 9.
CAPUS (G.). — Sur la taille en Bosnie, 90.
CHUDZINSKI (Théophile). — Sur los plis cérébraux, des lémuriens on
général ot du Loris grêle on particulier,
435.
— Quelques observations sur le grand droit
de l'abdomen dans les races humaines,
522.
COLLIGNON (R.). — La couleur et le cheveu du nègre nouveau-né,
687.
— Sur l'existence de nègres relativement blonds dans la
région du Cttngo, 72 i.
COLLIN (Emilo), REYNIER ot MOUTILLET (A. de). — Silex taillés des
tufs do la t'ellc-
sous- M o r e t
tSeine-ot - Marne),
820.
744 TRAVAUX ORIGINAUX ET PRINCIPALES COMMUNICATIONS
CUYER (Edouard). — Anatoinie des formes. Modelés déterminés par
l'expansion aponévrotiqne du muscle bi-
ceps brachial. Aspects différents du muscle
biceps lors do la supiuation et do la prona-
Uon,2l2.
Les expressions de la physionomie; leurs ori-
gines analomiques, 360.
DENIKER (J.). — Rapport sur le concours pour le prix Godard, en
4895, 747.
DUHOUSSET. — Echelle témoin pour les photographies anthropolo-
giques, 53.
DUMÛNT (Arscnoj. — Mouvemont de la population française en 4893,
395.
Note sur la démographie des Musulmans en
Algérie, 702.
DURAND (do Gros). — Coup d'oeil rétrospectif sur diverses questions an-
thropologiques, 157.
GAILLARD (F.). — Le dolmen de Grah' rViol, à Arzon (Morbihan), 672.
GLOTZ. — Los animaux inclus dans l'ambre et la littérature ancienne 351.
LAGNEAU (Gustave). — Influence des milieux sur la race, 443.
LAJARD et REGNAI' LT (Félix). — Poterie crue et origine du tour, 73i.
LALAYANTZ (Er.). — Les anciens chants historiques ot les traditions
populaires d'Arménie, 500.
LEFÈVRE (André). — Los Celtes orientaux, Hyperboréons, Celtes,
GalateSj Galli, 330.
LETOURNEAU (Ch.).— Une curieuse forme du commerce primitif, 267.
MANOUVRIER (L .). — Discussion du Pîthecanthropns erectus,
comme précurseur de l'homme, 12. 2° étu-
de sur le Pîthecasithroiiiis, 553.
— Obsorvation d'un microcéphale vivant ot do la
cause probable do sa monstruosité, 227.
— Lo T sincipital, curiouso mutilation crânienne
néolithique, 357.
— (Voir PERRIER DU CARNE).
MORAU (Henry). — Note sur l'hérédité morbide, 692.
MORTILLET (A. do). — (V. COLLIN Emile).
MORT1LLCT (G. do). — Photographies anthropologiques, 11.
— Terrasse inférieure de Yillefraiiehe - sur -
Saône. Industrie ot faune, 57.
— Animal gravé sur uno table do dolmen, 23t.
TRAVAUX ORIGINAUX ET PRINCIPALES COMMUNICATIONS 745
MOUTARD-MARTIN et PISSAVY. — Malformations congénitales mul-
tiples et héréditaires dos doigts ot dos
orteils, 540.
PALLARY (Paul). — Recherches palethcologiques, effectuées aux envi-
rons d'Oazidan, 87.
PERRIER DU CARNE ot MANQUVRIER (L.) — Le dolmen «de la Jus-
tice » d'Épone (Seine-
et-Oise). Mobilier fu-
néraire ot ossements
humains, 273.
PET1T0T (Abbé Emile). — Vestiges robenhausîens, 97.
PIETTE (Ed.). — Hiatus et lacune. Vestiges de la période do transition
dans la grotte du Mas-d'Azil, 235.
— Une sépulture dans l'assise à galets coloriés du Mas-
d'Vzil, '«85.
— Fouilles faites à Brasscmpouy en 1895, 659.
PISSAVY (II.). — (Voir MOUTARD-MARTIN).
RAYMOND (Paul). — Gisements moustériens dans lo Gard. Continua-
lion de l'exploration do l'Aven de Ronzo, 0(33.
REGNAULT (Félix). — Formo du crâne dans l'hydrocéphalie, 94.
— Déformations crâniennes dans l'art sino-
gaponais, 409.
— Une observation do ucevus généralisé, iî8.
REYMER. - (Voir COLLIN Emile).
ROBIN (Paul). — Dégénérescence do l'espèce humaine; causes ot
remèdes, 426.
HOCHET (Charles). — L'anthropologie des Beaux- Vils, 106.
ROYER (Clémence). — Diminution do la population do la Franc-, 653.
SANSON (André). — Cas do pentadactjlie chez un suidé, 416.
— Malformations congénitales, 651.
— Photographio d'un taureau do Guinée, 699.
SPALIKOWSKl (Edmond). — Los sujicrstitioits médicales nor-
mandes, 476.
TH1EULLEN (A.), - Poteries funéraires, ossements, crânes, etc.,
de l'époque mérovingienne, 328.
VAUV1LLÉ (Octave). — Quelques ateliers néolithiques do la Dordogne
où l'on trouve la feuille dite do laurier, 465.
— T L'un 1s ateliers néolithiques de Mercin
(Aisne); 2° Sépulture dite gauloise do l'époque
inarnieanc sur Mercin; ■">* Observations sur la
dénomination do l'époque gauloise dito
Bcuvraysieniie, 725.
74G TRAVAUX ORIGINAUX ET PRINCIPALES COMMUNICATIONS
VIRE (Armand). — Obsorvalions sur quelques animaux cavernicoles i!u
Jura, i72.
ZABOROWSKI. — Los Sauvages do riudo-Chiuc. Caractères et ori-
gines, 198.
— Du DnicAlrc à la Caspienne. Esquisse palolunolo-
giquo, 116, -2iH.
TABLE DES AUTEURS
Acy (E. d), 62, 80, 84, 388, 394, 419,
423. 425.
Ault du Mosnil (d'), 62.
Azoulay, 413, 493.
Baudolot, 495.
Raye (baron do), 686, 697.
Rodot (Maurice), 486.
Ronnomôro, 47, 63.
lîonnot, 8.
Rousroz, 387.
Capitan, 9, 522.
Capus (G.), 99.
Chudzinski (Théophilo), 134, 522.
Collignon (11.), 50, 117, 157, ài'2, 472,
687, 714, 724.
Cuyer (Edouard), 212, 360.
Dareste, 1.
Davoluy, 75.
Donikor, 50, 141, 217. 411,717.
Ihihoussot (colonol), 53, 350.
Dumont (Arsèno), 395, 519, 691, 635,
702.
Durand (do Gros), 157.
Duval (Mathias), 47, §14.
Eschonaucr, 1 14.
Fourdrïgnior, 197, 519.
Gaillard (F.), 672.
Glolz, 351,
Hatlé, 32 k
Hervé, 111, 151, 217, 424, 465, 687.
llovclacquo, 216.
Issaurat, 4.
Joussoauino, 48 4.
Labordo, 702.
Lagnoau (G.), 143, 150 153, 406, ]7I6.
Lajard. 734.
Lalayantz, 300.
Lapicquo, 211, 388.
Lofôvre (André), 197, 330.
Lotournoau (Cli.), 223, 267.
Longraire (do), 184.
Manouvrior (L), 12, 17, 111,116,
131, 153, 184, 216, 218, 227,
357, 465, 478, 496, 553, 658,
721.
Matignon, 269.
Maximilion-Gcorgcs, 190.
Morau (Henri), 692.
Morol (Léon), 223, 224.
Mortillot (A. do), 72, 197, 425,
733, 731.
Mortillet (G. do), 11, 47, 57, 81,
197, 231, 324, 326, 316, 392,
421, 638. 687.
Moutard-Martin, 510.
Ollivier-Boauregard, 388.
Pallary (Paul), 87.
Papillault, 478.
Porrior du Came, 273.
Potilot (abbé Emile), 97.
Piotlo (Ed.), 235, 485, 659.
Pissavy (H.), 540.
Raymond (Paul), 221, 226, 663.
Rognault (F), 10, 91, 140, 197,
Robin (Paul), 426.
Rochct (Charles), 106.
Royer (Mm0 Clémonco), 511, 653.
Salmon, 93.
Sanson, 47, 111, 111, 150,. 223,
519, 651, 699.
SéhillQt, 139.
Spalikowski, 476.
Tbioullen (A.), 197, 221, 328.
Tbulié, 716.
Vauvillé (O.), 197, 223, 330, 463,
475, 522. 67 1 , 725, 733, 734.
Vernoau, 72, 217, 658, 722.
Viré (Armand), 472.
Worms (Roné). 105, 180, 685.
Zaborowski, 114, 116, 151, 197,
220, 270, 297, 349, 578, 481,
700, 712.
141,
273,
685,
469,
1 53,
422,
109.
il«.
169,
198,
512,
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
des matières contenues dans ce volume;
Par M. Dure au
Âbyssinic. Infibulalion en — , 388.
Abyssins. Syphilis chez uno femmo
—, 484.
ADULTÈRE cliez les Habalis. 483.
AGE do pifrro, en Russie, 122. Solu-
tion do cont inutile cnlro 1' — polio
cl F — taillée, 236.
Ainnèze. Gisômont moustérien d' — ,
666.
Aknas, 724.
AlfonroMs. Cheveux, taille, système
musculaire clos — 19!).
Algérie. Démographio des musulmans
P'n _, 703.
Allemagne. Natalité de l' —, 399.
ALTITUDE. Influenco do 1' — sur la
race, 1 \\.
AMBRE. Animaux inclus dans 1' — ,
Soi : ornements d' et amulettes
(•liez lo< Romains, 355.
AMULETTES d'ambro chez les Ro-
mains. 358.
ANATOMIE dos formes, 212; appliquée
aax beaux arts, 212.
Angleterre. Natalité do Y — . 3.10.
ANIMAUX inclus dans l'ambre, 351 ;
— dos cavernes du Jura, 473.
Anjou. Dolmens et menhirs do 1' — ,
74.
ANTHROPOLOGIE des Roaux-Arts, 106.
Arménie. Chants historiques et tra-
ditions populaires d' — . 500.
ARMES et outils en pierre trouvés
près d'Oiizidan (Algério), 87.
ART antique. Déformations crâniennes
dans Y — ,9; — sino-japonais; dé-
formations ciàniennes dansl' — , i09.
Aryns. 161 .
Arznn (Morbihan). Dolmen d' — , 388.
ATELIERS néolithiques de la Dordo-
gno, 463; — néolithique do Mcrcin
(Aisne), 728.
ATTENTION. Théorie do 1' —, 413.
Autriche. Natalité do Y — , 399.
Avryron. Deux types de population
dans 1' — . 158.
Bahnars. Crânes des —, 208, 209;
cheveux dos — , 208.
Basques do France présentent plus
d'homogénéité et sont de race plus
puro quo ceux d'Espagne, 51, 188.
RATON DE COMMANDEMENT trouvé
dans la terrasso dos liotcaux (Ain),
39.1, 420.
Beauveou (Maino-el-Loire). Dolmen
de —, 388.
REAUX-ARTS. Anthropologie des —,
106; anatomio des formes appliquée
aux — , 212; modelés déterminés par
l'oxpansion aponévrolique du musclo
biceps brachial, 212.
Brdjas, 701.
Beuvray. Dénomination de l'époque
gauloiso dito Rouvraysicnno, 728;
poteries do —, 7 2!).
Belges, 341.
Itcson (E.)- Mort de M. — . 184.
BLONDS dolichocéphalos, do la Cas-
pienne, 307.
BOEUFS gnatos. Crânes do —, 519.
Bolgs ou Belges, 344.
Bosnie. Sur la taillo en -, 99.
BOVINE. Raco — , est parvenue d'Asie
en Afrique amenéo par uno popula-
i ion humaine asiatique 699.
Brasssempouy. Fouilles do — , 659.
Broc (Maine-et-Loire). Dolmen do — ,
388.
Çiispicnne. Blonds dolichocéphales de
la —, 307; sépultures à inhumation
do la —, 307, 320.
fABLE ANALYTIQUE ET ALPHABETIQUE
749
Caucase. Tombeaux -caisses du — ,
132.
CAVERNE dé Pa-Oro (Nouvelle-Calé-
donie), 63; — d'Ouzidan (Algérie),
89; —Jura, 473.
Celle-smis-Moret (Seino- et-Mame).
Silex taillés des tufs do la —, 520.
Celtes orientaux, 330, 333; — et
Galatrs identiques, 312.
CERVEAU. Plis cérébraux des lému-
riens et du Loris, 435.
CHANTS historiques do l'Arménie,
500.
CHEVEUX des Alfourous, 199; — dos
Rabnars, £08 ; — dos Mois, '20-2 ;
— dos Negrilos, 199; — dos Malais,
199; — du nouveau-né, 687.
Chigné (Maine-et-Loire). Dolmen do
- , 388.
Choroslkowo. Kourgane do —, et
objets qu'il contenait, 129.
Cimmériens ou Kymris, Origine dos
-, -126.
Ci&&iens ou Héléons, 512.
COMMERCE primitif. Une curiouse
formodu —, 267.
CONFERENCE ANNUELLE BROCA
(douzième), 722. , ,
CONGRÈS DE LA FEDERATION AR-
CHÉOLOGIQUE et historique de Bol-
eiquo on -1893, 269. , „
CONGRÈS DE LA SOCIETE FRAN-
ÇAISE D'ARCHEOLOGIE on 1893,
269.
CONGRÈS DE SOCIOLOGIE. Complo
rendu du —, do 1894, 490.
Corzè (Maino-ot-Loire), dolmen de—,
388.
Costa Rica. Fétiches gravés de —,
221.
CRANIOLOGIE. Généralités. Rap-
ports do la suture métopiquo avec la
morphologie crànionno, 478.
Cràniologie descriptive. Crâ-
nes : d'un Néo-Calédonicn do Ka-
nala, 18; — voûto crânienno du
crânodoNéanderthal, 22;— masculin
do l'ilo Enginecr (Nouvelle-Guinée),
28; — féminin do la mémo île, 36;
indice céphaliquo descrànos do l'Es-
pagno, 50, 186; —, trouvés dans les
Kourganos de la Russio, 123, 135;
ressemblent à ceux do la race néoli-
thique du nord do la Franco, 137;
— des Mois, 201; — du dolmen
d'Epone (Seine-et-Oise), 290 ; — dos
Rabnars, 208; - des Negritos, 199;
— provenant d'une tombo mérovin-
gienne, à Paris, 329; — dos habi-
tants du Valais, 489 ; — do la sépul-
ture néolithique do Châlons-sur-
Marno. 724; — de Néandorthal
comparé avec celui du Pithecan-
thropus ereclus, 584.
C'ràniologic pathologique. Dé-
formations crâniennes dans l'art an-
tique, 9. Crâne d'un microcéphale
adulte, 23; forme du — dans l'hy-
drocéphalie, 94; — des microcé-
phales, 140; curieuse mutilation
crânienne néolithique, 337; défor-
mations crâniennes dans l'art sino-
japonais, 409.
Cràniologic comparée. Crâne
du Pithecanlhropus erectus, 20.
31, 40, 216, 658; — d'un chimpanzé
non adulto, 26 ; — de bœufs gnatos,
519, 658.
Croix-des-Cnsaques. Sépulture néo-
litbiquo do la — , 49.
CROMLECH do Martigné-Briand, 388
Dahomey, 19/, 270; objets votifs
recueillis dans les tombeaux du — ,
197 ; idiomes du —, 271.
Danemark. Mortalité du —, 399.
Dayaks. Déformation artificielle du
lobo de l'oroille chez les —, 207 ;
brisure des dents incisives chez les
—, 207.
DÉFORMATIONS crâniennes dans l'art
antique, 9 ; — dans l'art sino-japo-
nais, 409; mutilation crânienno
néolithique, 357.
DÉMOGRAPHIE des musulmans en Al-
gérie, 703.
DENTS. Brisure dos incisives chez les
Peunongs et les Dayaks, 207 ; —
molaire du ï'ilhecanthropus erec-
tus, 17, 81, 41 ; — artificielles. Wa,
DÉPOPULATION de la Franco, 653.
Distré (Maino-et-Loiro). Dolmen de
-, 388.
DIVORCE. Fréquentchozles musulmans
algériens . 703 ; — au Japon, 709.
DOIGTS. Malformations congénitales
des —, 540.
DOLMENS : d'Etbiau (Maine-et-Loire).
47; —je l'Anjou, 74; animal gravé
sur le dolmen de Locmariaker, ap-
polé la Table dos Marchands, 231;
— « do la Justice », à Epone (Soine-
ot-Oiso), 273; —do Beauvoau, Broc,
Chigné, Cor/.é, Distré, Jarzé, Rou-
Marson, les Ul mes (Maine-et-Loire),
388; — du Grah' Niol, à Arxon
(Morbihan), 673.
Dordoqne. A tôliers néolithiques de
— 465.
750
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABETIQUE
ÉCHELLE témoin pour les photogra-
phies anthropologiques, 53.
Eichthal (Adolphe d'). Mort do M.—,
269.
ÉCOLE D'ANTHROPOLOGIE, dons,
510; d'un surmoulage du crâne de
Pithecanthropus, 702.
EMBRYON. Pathogénie de 1'—, 514.
Epone (Seine-ot-Oiso). Dolmen « de la
Justice» à — , 273; description de
la sépulture, 273; squelettes, cen-
dres, 275 : poterie, ornements, 276;
objets do pierre, 277 ; ossemonts, 278.
ÉPOQUE DU BRONZE. Sépultures à
inhumation de 1' — au voisinage de
la Caspienne, 307 ; kourganes de
1'— . 307.
ÉPOQUE GAULOISE. Dénomination de
1' — dite Beuvraysionno, 728.
Ercé (Morbihan), 439.
Espagne. Basques d' — présontont
moins d'homogénéité que les Basques
do Franco, 51 ; indice céphaliquo
on — , 50, 186, 718; plusiours races
do dolichocéphales bruns on — , 187 ;
Basques moins purs ou — qu'on
Franco, 188.
ESPÈCE. Filiation dos —, -166; dégé-
nérescence de 1' — humaine, 426.
Elhiau (Maino-ct-Loiro). Dolmen d' — ,
47.
Ethiopiens, 722.
Européens. Origine européenne des — ,
511.
EXPOSITION SOUDANAISE du Champ-
de-Mars, 479.
EXPRESSIONS. Étude des —, 360 ; —
do l'attention. 369 ; — do la réflexion,
373; — do l'agression, 375; — du
désappointement, 377 ; — du mé-
pris, 378; — du plourer, 380; —
duriro, 381, 383.
Fellahs, 700.
FEMME onterrée à cheval dans un
kourgane des Kirghizes, 323.
FÉMUR du Pithecanthropus erec-
tus ,44,31, 41, 216.
FÉTICHES gravés de Costa-Rica, 221.
FIÈVRES. Influeneo des — sur la race,
4 H.
Foissac. Station moustérienne do — ,
666.
Foulbé (Voyez Peuls).
France. Raco néolitique du Nord do
la — , 437; intluonco dos milieux
sur la raco, on — , 143; anthropolo-
gie du Sud-Ouost do la — , 457 ; —
Basquos de — plus purs quo coux
d'Espagne. 51, 488; mouvomont de
la population française en 4893 :
excès des décès sur les naissancos,
397, 403; nuptialité, divorces, fé-
condité des mariages, 400 ; natalité,
401, 402; mortalité, 396, 403; ex-
cès dosnaisssances sur les décès, 398,
406; faiblo excédant des naissances
dû aux étrangers immigrés, 396, 406 ;
dépopulation do la — , 653.
Fuégien. Idiome — , 270.
Galates, 336; Celtes ot — identiques,
342; — ou Celtes orientaux iden-
tiques, 342.
Gallia, 340.
Gard. Gisements moustériens dans lo
—, 663.
Gaulois, 334, 341.
GISEMENT de Villofrancho, 80; n'est
pas intorglaciairo, '84; opinion con-
traire, 83. 85 ; — moustériens dans
le Gard, 663 ; — quaternaires de la
valléo do la Charento, 522.
GOITRE. Influence du — sur la raco,
445, 453.
GRAINES trouvéos dans les stations
préhistoriquos, 722.
GROTTE du Mammouth, près Cracovio,
418; — du Mas d'Azil, 235; deux
gisements do l'époquo do transaction
dans la — , 239 ; stratigraphie do la —
et indication dos silex, débris d'os-
sements, otc, contenus dans los di-
verses assises, 239 et suiv.; — des
Hotoaux (Ain), sorait do l'époque du
ronne, 388, 391 ; opinion contraire.
390 : squoletto empâté d'ocro rouge
trouvé dans la — , 389; modo d'inhu-
mation de ce squelette, 391,394.
Guinée. Taureau de — , 699.
Hahahs. Mœurs dos — , 482; infibu-
lation, 482,484; adultèro, tatouage,
ornements, 483.
HABITATIONS souterrainos do l'épo-
quo mérovingienne dans los départe-
ments de l'Indro et de Loir-et-Cher, 8.
HÉBÉDITÉ MOBBIDE, 692.
Hétéens ou Cissiens, 542.
HOMME. Du Pithecanthropus erec-
tus, commo précursour présumé do
1' — ,12; — pluralité animale dans
1'— 161.
Hongrie. Natalité de la —, 399.
Horodnica. Fouilles faites dans —,
299 ; — Kourgano do — , 300.
HUMÉRUS. Torsion de 1' —, 166.
HYDROCÉPHALIE. Formo du crâne
dans 1' —, 94.
INDICE CÉPHALIQUE des crânes do
l'Espagne, 50,486,718; —des Mois,
201 ; — dos Malabarais, 205.
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABETIQUE
"■"> 1
Indo-Chine. Sauvagos do 1' — , 198.
Indre. Habitations souterraines dans
lo département do 1' —, 8.
INDUSTRIE. Origine de 1' —, et carac-
tères do la raco néolilhiquo du Dnies-
tro et du Dnièpro, -122; — influonco
des travaux industriels sur la race,
1 io, et de la sédontarité industriollo,
4 ï6 ; — paléolithique et néolithique
séparées par une époque intermé-
diaire, 236.
1NFIBULATION chez les Abvssins, 388;
— choz les Habahs, 482, 481.
Is-sur-Tille. Sépulture do l'époquo
marnienne trouvée à La-Combo-Ber-
nard, près d' — , 223.
Italie. Anthropologio physique des po-
pulations do 1' —, 718; lingots de
cuivro trouvés en — , 326; natalité
de T —, 399.
Japon. Divorce fréquent au — , 709.
Keltoï, 333.
Jarzé (Mainoot Loiro).Dolmon do —,
388.
Java. Piostos d'un squelotto trouvé
à — , 412 (Voir l'ithocanlhropus
oroctus).
Jura. Cavornos du — , 473.
Khà, 200.
Khàs, 210.
Khclas, 512.
KIP.GHIZES. Kourganos des —, 322.
Kobrynowa. Kouri;ancs de — , 126;
squelettes, poteries, outils en os,
chaînette on os percés trouvés à — ,
127.
Kotsiubinslsy. Sépulture on forme- de
tombeau-caisse do — , 130.
KOIT.GANES de l'àgo de la pierro en
Russie, 122, 124, 126; — do Kobry-
nowa, 126; — de Chorostkowo, 129;
— de l'époquo du bronze — do Horod-
nica,300 , 30î, 313 ; de la Caspienno,
— à catacombes, — Scythes, 307,
320; — des Kirghizes, 322; femme
enterrée à cheval dans un — , 323.
Kymris ou Cimmeriens. Origine dos
—, 126.
La Tourasse (Haute-Garonne). Sta-
tion do la — ; intermédiaire entre le
paléolithique et lo néolithique, 321.
LÉMURIENS. Plis cérébraux des —,
133.
Les Hoteaux (Ain). Mobilior funéraire
de la torrasso do — , 119; bâton do
commandement trouvé aux — , 399,
'/2tt; squelotto dos — , 121; silex,
120.
Ligures, 313, 330.
LINGOTS do cuivro découverlson Italie,
326.
LINGUISTIQUE. Fuégien,270; idiomos
du Dahomey, 271.
Lithuaniens. Origint dos — , 116.
Locmariaker. Dolmen «.!■•> — , 231.
Loir-et-Cher. Habitations souterrai-
nes dans lo département do — . 8.
LORIS. Plis cérébraux du —, 435.
Mac Carthy. Mort de M. — , 49.
Maine-et-Loire. Mégalithosdc — ,387.
Malais. Cheveux, yeux, couleur de la
peau, 199.
Malabarais, 205; indico céphalique
des —, 203; taillo, 206, 211.
MALFORMATIONS congénitales multi-
plos et héréditaires des doigts ot dos
ortoils, 540; — congénitales so trans-
mettent par hérédité, 651.
MAMMOUTH. Grolto du —, près Cra-
covie, 118; — Existonce du — dans
lo Sud-Est do la Russio ot son émi-
gration, 119.
Mareuil- Its-Meaux (Soino-ol-Oiso).
Vestiges robenhausions découverts à
— 9/.
Martigné-Briand. Cromlech do —,
388.
Mas-d'Azil. Grolto du —, 235.
MARIAGE dos musulmans en Algérie'
703; - peu féconds, 710.
MFXALITIIES du Maino-ot-Loiro, 387 ;
— do Saint-Martin-des-Champs, 687.
MENHIRS de l'Anjou, 74; — d'Artan-
nor, Chigné, Cuon, Echomeré, Fiof-
Sauvîn, Martigné-Briand, Montreuil-
Rellay, Saint-Martin-d'Arcé, Terneuil
(Maine-et-Loire), 388.
Mercin (Aisno). Atolier néolithique do
-, 7i?.
MICROCEPHALES, 140. Enfant —,227 ;
— cause do sa monstruosité, 230.
MILIEU. Influence dos — sur la raco,
•1 43 ; — influenco du — sur la taillo,
113, 147, loi.
MISÈRE. Influenco do la —sur la race,
113. 14Ï.
MIROIRS en bronze on Ukraine et au
Caucaso, 307.
MOEURS des Habahs, 482.
Mois, 200. Taillo dos —, 201 : iiulico
céphaliquo des — 201 ; cheveux, 202 ;
crànos, 201, 210; peau, 210.
MONSTRES. Sur les —, 511.
MORTALITÉ do la Franco, 396; —du
Danemark, 399 ; — do la Sùcdo, do la
Nonvègo, 100.
MUSCLES. Mololés détermines par
l'expansion aponévrotiquo du mus-
752
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
cle bicops brachial, 212; — grand
droit de l'abdomen, 522.
Musulmans en Algérie. Statistique,
702; mariage, divorce, nuptialité,
excédant des naissances sur les dé-
cès, 703 ; fréquence du divorce, 709 ;
infécondité du mariage, 710.
MUTILATION crânienne sur dos crânes
du dolmen d'Epono, 29i; — néoli-
thique, 357 ; — crânienne néolithi-
que 337.
Myszkow . Sépulture de l'âge du bronze
à —, 303.
NATALITÉ do la Franco, 396; — de
la Suisso, de la Suèdo, de la Belgi-
que do l'Italie, do l'Allemagne, de
la Saxe, du Wurtemberg, de l'Autri-
che, do la Hongrie, do l'Angleterre,
de la Russio, 399.
NÈGRE. Peau de nègre moins pigmen-
tée à la naissanoe. 691 ; — relative-
ment blonds dans la région du Congo,
724.
NÉGRILLES, 722.
NÉGRITOS. Cheveux, taille, syslèmo
musculaire, crâne, 199
NOEVUS. Observation de — généralisé,
118.
Normandie. Superstitions médicales
en —, 476; rebouteurs on — , 477.
Nnrwège. Mortalité de la — , 400.
Noureau-né. Couleur do la peau et
du cheveu du —, 687.
Nouvelle-Calédonie. Pierres gravéos
do la — , 63 ; caverne Pa-Oro, 63 ;
l'introduction do la roterie en —
n'est pas récente, 7 2.
OBJETS en bronze trouvés dans une
sépulturo ancienne de l'époquo mar-
monne, à Is-sur-Tille, 224; — on
silex trouvés dans les kourganes do
la Russie, 124: — en silex trouvés
dans les sépultures do Horodnica,
2. '9.
OBJETS VOTIFS trouvés dans los tom-
beaux du Dahomey, 197.
OREILLE. Déformafion artificielle du
lobe de 1' — chez les Peunongs et les
Davaks, 207.
ORNEMENTS d'ambre chez lesRomains
35S: — chez les Hababs, 483.
ORTEILS. Malformations dos —, 540.
OUTILS en os trouvés dans les kour-
ganes de Kobrynowa, 127; — on
silex trouvés à Mareuil-les-Meaux
(Seine-et-Oise), 98; — près d'Ouzi-
dan (Algérip), 87.
Ouzidan (Algérie). Recherches paléo-
olhnologiques dans les cavernes d' — ,
89.
Pa-Oro (Nouvello-Calédoniej, 63.
PEAU du nouveau-né, 687 ; — des
Malais, 199; — des Mois, 210; —
du nègre moins pigmentéo à la nais-
sance, 691.
PENTADACTYLIE chez un Suidé, 116.
Peuls. Origine dos —, 700, 701.
Peunrmgs, 200; crânes—, 207; dé-
formation artificielle dn lobo do
l'oreillo chez los — , 207 ; ebovoux
des — , 207; brisure des donts inci-
sives à l'époquo do la puberté, 207.
PHOTOGRAPHIES anthropologiques,
11 ; échelle témoin pour les — , 53.
PHYSIONOMIE. Expressions do la—,
360.
PIERRES gravées do la Nouvelle-Calé-
donie, 63.
PITIIECANTHROPUS ERECTUS. Du
— comme précurseur présumé do
l'homme, 12, 216, 553; fémur du
— , H; dent molaire du — , 17, 31,
41; visière frontale du — , 586;
largeur frontale, 583; crête métopi-
quo, 590; Bregma, opislhion et faa-
sion, 601 ; méat auditif, 602; anglos
auriculaires, 604; rayons auriculai-
res, 60S; moulages du cràno et des
donts du — , 658; — représente uno
ospèco précurseur et ancestralo de
l'ospcco humaine, 658.
Ploix (Cil.). Mort de M. —, 18 i.
POTERIE. L'introduction do la — en
Nouvellc-C .lédonie n'est pas récente,
72; — trouvées à Mareuil-les-Meaux
(Seino-et-Oisc), 98: — trouvées dans
los kourganes do la Russio, 124, 127
et suite; — faitos au tour en Gaule,
avant la conquête, 225; — dos sépul-
tures de Horodnica, 299; — do 1 épo-
que méroving enno trouvées dans uno
ancienne sépulturo à Paris, 328; —
de Bouvray, 729; — crue ot origino
du tour, 734.
Pouls (Voyez Pouls).
POLYZOISME, 161.
PRIX C.ODARD.Rapportsur le concours
de 1895, 717.
PROSOPOMETRIE, 108.
PROTOTYPE HUMAIN, 107.
RAGE. Influence dos milieux sur la — ,
143; misèro, 443; stérilité du sol,
altitude, fièvres, goitre, 115. 153;
efforts exagérés, travaux industriels.
1 15, I 46; sédentarités industrielle et
scolaire, 146; habitat urbain, HT;
attitude de repos dans los — humai-
nes, 195.
BEBOUTEURS on Normandie, 477.
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
733
REPOS. Altitudes do — dans les races
humaines, 495.
Romains. Amulottes et ornements
d'ambre chez les — , 355.
Iiolennons ou Lodannons, 512.
Rou Marson (Maino-ot-Loiro). Dol-
men de —, 388.
Russie. De la — quatornairo, -116;
existence du mammouth dans le Sud-
Est do la — , -119; kourganes de l'âge
de la pierre en —, 422, 124, -127 ;
origine de l'industrie et caractères
de la race néolithiquo du Dniestre et
du Dnièpre, 122; natalité de la —,
399.
Rutimeyer. Mort do M. —, 723.
Sabangas, 70 1.
Saint-Martin- des-Champs (Yonne).
Monument mégalithique do — . 6S7.
Salazac. Station moustérienne de — ,
66 4.
Saporla (G. de). Mort de M. —, 104.
SAUVAGES do l'Indo-Chino. Carac-
tères et origines, 198.
Saxe. Natalité de la —, 399.
Savoie. Augmentation do la laillo on
— , 451 ; causes de cetto augmenta-
tion, 152, 153, 455; causos do la
diminution, 153.
Schelas, 512.
Scythes. Sont des autochtones blonds
d'Europe, 512; kourganes — , 307,
320.
SÉDENTAR1TÉ scolaire. Influoncc do
la — sur la raco, 1 40.
SÉPULTURES néolithiques de la Croix-
dos Cosaques, M 9 ; — fou tombeaux-
caisses) do Kotsiubintb.y, de Uwisla
sont dos tombeaux sans tumulus,
430; do Nowy-Dwor, 133.
SÉPULTURES à incinération doWasyl-
kowee, 302; — do l'âge du bronzo à
Mysko\v,309, — do l'époquedu renno
dans la grotte des Holeaux(Ain),388;
— à inhumation do l'époque du bronzo
au voisinage de la Caspienne, 307 ;
— dans l'assise à galets coloriés du
Mas-d'Azil, 485; — néolithiquo de
Châlons-sur- Marne, 724; — dito gau-
loise do l'époque marnionno sur Mor-
cin, 726.
SIGNES gravés sur lo dolmon d'Ethiau
(Maino-ot-Loiro), il.
SILEX taillés-deViïlefranche-sur-Saône,
60; - taillés des tufs do la Collo-
sous-Mdrot (Seine-ot-Marne), 520; —
do la terrasse dos lloloaux (Ain), 420.
Skwiski. Kourganes du district do — ,
320.
SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE
PARIS : statuts, l; Règlement, V ;
Prix décernés par la Société :
dispositions réglementaires commu-
nes à tous les prix, XV ; prix Godard,
XV ; prix Rroca, XVI ; prix Rertillon,
XVI; prix Fauvelle, liste générale
des présidents de la Société, XVII;
secrétaire général de 1859 à 1889,
XVII; bureau de 1895, XVIII; instal-
lation du bureau, 1, comité central,
XVIII ; anciens présidents, XIX ; com-
mission do publication, XIX; comité
contentieux, XIX; liste des membres
de la Société, XXI; sociétés savantes
et recueils scientifiques avec lesquels
la Société éehango ses publications.
XL.
Cartes de missions remises à MM.
Rousroz, 73; Ch. Bonn, 142; do
, Brotto, 321.
Elections de MM. Despréaux, 7 ; 0.
Schmidt, 53; A. Jones, 105; Mars-
hall H. Saville, duc do Loubat. i81
Albert Colas, Paul Sérieux, 657 : P.
Haan, P. Lafontan, Th. Volkov, 698,
comme titulaires; — LaJayantz, 7;
Diego Ripocho y Torrens, 520, commo
correspondants étrangers; — Thom-
son, 7; E. Dubois, 659, comme as-
, sociés étrangers.
Election du bureau ot de la com-
mission do publication pour 1896,
698.
Rapport annuel sur les finances, 75:
— rapport do la commission du mu-
sée et do la bibliothèque 190; — do
la commission les finances, 226 ; —
rapport sur lo concours du prix Go-
dard on 1895, 717.
Dons d'un moulago d'un eroupo do
signes gravés sur le dolmen d'Ethiau
et de dessins (Maine-ot-Loire), 47 ;
— d'ossements gaulois ot ossements
provenant do la sépulturo néolithiquo
do la Croix-dos-Cosaques, 49; — do
dessins de pierres gravées do la Nou-
velle-Calédonie, 63; — d'uno serin
de photograhies des dolmens ot men-
hirs de l'Anjou, 7 4; — d'un crâno
trouvé dans une sablière près' Vichy,
405: — do statues rappelant l'art grec,
273; — d'ossements gallo-romains,
321; — do photographies do méga-
lithes de Maine-et-Loiro, 387; — do
photographies, 482; — de deux crâ-
nes do bœufs giatos, 819; — do pho-
tographies du menhir de Clamart, 131;
— do photographies d'un orang-ou-
tang, Î34; — moulages du crâne et
— - ,
TABLE ANALYTIQUE ET ALI'HABÉTlgUE
dos deux dents du Pithecanthropus,
658; — do quatre photographies du
dolmen do Grah'NioI (Morbihan), do
photographies do trois microcéphalos,
de deux photographies de types nor-
mands, 724.
Nécrologie : MM. O.Mac Carthy,49;
M. G. de Saporta, 104; E. Besson,
Ch. Ploix,184; Adolphe d'Eichlhal,
269; Karl V0gt, 321 ; Rutimever, 723.
SOCIOLOGIE. Importance de La—, 685.
SOL. Influence do la stérilité du — sur
la race, 144.
SOMMEIL. Théorie du —, 413.
Soudaniens, 701.
STATION des Hoteaux, 149, 388.
Suède. Natalité de la —, 399; morta-
lité de la—, 400.
SUIDÉS. Pentadactyliochezun— , 117,
Suisse. Natalité de la —, 399.
SUPERSTITIONS médicales normandes,
476.
SYPHILIS chez uno femme d'Abyssinie,
484.
SYSTÈME MUSCULAIRE des Alfourous,
199; —dos Négritos, 199.
TAILLE. Influence des milieux sur la
— , et relations avec la race, 143, 1 VI,
151; — plus élevée dans los pays de
montagnes, 144, 148; augmentation
do la — en Savoie, 151 ; — causes do
cotte augmentation, 152, 153, 155;
causes de la diminution, 155; sur la
— en Bosnie, 99; — des Alfourous,
dos Négritos, 199; —des Mois, 201 ;
— des Todas, 21 1 ; — de la popula-
tion des Reihengneber do la Bavière
méridionale, 495 ; — des Malabarais,
206, 211; - dos habitants du Va-
lais, 489.
TAUREAU do Guinéo, 699.
TATOUAGE chez les Habahs, 483.
Tectosages, 341.
TERRAMARE de Castellazzo do Fon-
tanellato, 336.
TERRASSE inférieure de Villofranche-
sur-Saône, industrie et fauno, 57;
— silex taillés de la — , 60.
TÊTE. Prototype de la —, 108.
Tilloux. Gisement de —, 522.
Todao. Taille des -, 211.
TOMBEAUX-Caissesdu Caucase, 132;
objets votifs trouvés dans los — du
Dahomey, 197.
TRADITIONS populaires do l'Arménie,
500.
TRÉPAN. Opération du —, 697.
TRANSFORMISME. Doctrine —, 361.
Tsiarns, 199.
Tourans, 161.
Ulmes (Maino-et-Loire). Dolmen des
—, 388.
l'uisla. Sépulturo do —, 130.
Valais. Anthropologie du —, 486 ;
crâne, taille, 489.
Vienne. Anthropologie de la — , 720.
Ville franche - sur- Saône. Terrasse
inférieure de —, industrie et faune.
57; silex taillés do — , 60.
Villes. Influence de l'habitat urbain
sur la race, 147.
Vogt (Cari). Mort do M. —, 323.
Votks ou Belges, 341.
Wasylkowce. Sépultures à incinéra-
tion de — , 302.
Wurtemberg. Natalité du —, 399.
Wysocko. Sépulture do l'àgo du
bronze do — , 309.
YEUX, dos Malais, 199.
ZAWADNIEC. Kourgane fouillé à —, et
objets qu'il contenait, 128.
lieongcncy — [mp. Laffray
GN
2
t. 6
Société d'anthropologie
de Paris
Bulletins et mémoires
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