rm
;•*■
'.a
mi -
<msC
■ CCC C*C C
lï^ki c c < c<< <X C «£<C<jc
&T&UA
c. <: < <? <r
ace r
i
<~ CCC ' C
I < c < I
C<?CC C
SÊSm&ç*
CC C<
cc<z ^
<CCCc
4j^<j
BjCQCS ^ OC
AS
'*:<<"<'<
U.« ^ Cr.CC
C C<«
t c C.
ce
<a< ç.^^y .
<cr c c coc
s ce ce ce: c
(C ce ce c
*c ce
</' ce f4T
fé C c< C cXCC c/C CaC
c Cér /^Jl
C (C< ■■< C Ce
^S^:
<X
■ Q£Sis
'<&( ce < <0
i;ll
?5s -
* vfJSMSK'% €^
^C O: ce C c<
^-!§^^Ë£ :
C cr <T <r<^
S^
•m*r c c
&Çi
-JTc ï CCê
.->S."-T-
£33£V
c. ^ <x ce
« éCC
S^
5<cccc
iKc
Vv^-v
_<^r
.< if
Y' ç <?
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE NANTES
1879
BULLETIN
DE LA
f f
SOCIETE ARCHEOLOGIQUE
DE NANTES
ET DU DÉPARTEMENT DE LÀ LOIRE-INFERIEURE.
TOME DIX-HUITIÈME.
Année 1879.
NANTES,
IMPRIMERIE DE VINCENT FOREST 5c EMILE GRIMA UD,
PLACE DU COMMERCE, A.
1879
™EGETTYCêNTER
IWRARV
EXTRAITS
DES
PKOCÈS-VERBAUX DES SÉANCES
Séance du 7 Janvier 1879.
Présidence de M. le baron de Wismes.
Présents : MM. le baron de Wismes, De l'Isle, Maître, Van Iseghem père,
R. Blanchard, R. Menard, Evellin, Perthuis et Lemeignen.
Sont déposés sur le bureau les ouvrages suivants :
lo Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie. 1 vol. in-8°,
1878;
2° Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie. Année 1878,
n° 3, br. in-8° ;
3° Mémoires de V Académie du Gard. Année 1876, 1 vol. in-8°.
M. Le Coy de la Marche, archiviste-paléographe, professeur d'histoire à
l'Université catholique, 79, rue du Bac, à Paris, qui se propose de publier
une Fie de saint Martin de Tours, prie toute personne qui aurait quelque
renseignement sur la vie du saint, les légendes locales, les monuments, etc.,
de les lui communiquer.
M. Boiselle, curé de Sainte-Alpaïs, par Saint-Julien du Saulx (Yonne),
demande des renseignements analogues sur la vie de sainte Alpaïs, ber-
gère de Cadot.
La Société a reçu un buste de M&r Fournier, modelé par M. E. Etienne,
son parent. M. le président a déjà remercié M. Etienne de son gracieux
envoi, et la Société ne peut que se joindre à son président. Elle est heu-
reuse de placer dans son musée celui qui présida si souvent nos séances,
avec quelle distinction ! chacun le sait 1
. 6 —
Le dépouillement du scrutin pour la nomination d'un bibliothécaire et
de deux membres du comité, donne la majorité des suffrages à M. Blan-
chard, qui est proclamé bibliothécaire, et à MM. Van Iseghem et Ch. Seid-
ler, qui sont nommés membres du comité central.
M. l'abbé Berthaud, curé de Basse-Goulaine, est décédé le 7 décembre
1878, à l'âge de 56 ans. Il faisait partie de notre Société, et se montra
toujours des plus bienveillants pour elle.
Nous avons perdu encore M. le docteur Mahot, un des médecins les plus
distingués de Nantes, et qui fut avec MM. Bonamy et Bataille, l'un des
meilleurs élèves du docteur Fouré.
Enfin, la Société peut regretter aussi, bien qu'il ne fût plus sociétaire, la
perte de M. Hubin de la Bairie, un des plus fins connaisseurs, surtout en
art grec, de notre cité ^ il avait formé une jolie collection dont il dut se
séparer peu à peu. Plusieurs beaux objets, qui lui avaient appartenu, enri-
chissent aujourd'hui notre musée.
M. Garnier, présenté par MM. de l'Isle et Lemeignen, et M. Fr. Bou-
gouin, présenté par MM. Pître de l'Isle et B. Menard, sont ensuite procla-
més membres de la Société.
Puis il est décidé que dorénavant toutes les séances de la Société et du
comité auront lieu à quatre heures moins le quart précis. C'est une heure
adoptée par les sociétés savantes de Paris et qui paraît de nature à satis-
faire le plus grand nombre de nos adhérents.
L'ordre du jour appelle ensuite le compte-rendu de l'Exposition à la salle
d'Anthropologie au Trocadéro.
M. le baron deWismes a déposé sur la table du bureau un coffret de
tournure séculaire, contenant les diverses pièces envoyées par lui a l'Expo-
sition.
Au moment de lever le couvercle qui pèse sur ces divinités fragiles, ré-
duites à l'état de demi-dieux par l'injure des temps, M. le président jette
un coup d'œil de regret sur l'auditoire très clairsemé.
Après avoir décidé que cette exhibition serait remise à la prochaine
séance, on passe à la revue des différents ouvrages envoyés à la Société.
1° Société des Antiquaires de Picardie. — Cette revue comprend : les
sciences, l'histoire et la littérature. Les deux derniers volumes contiennenl
un dictionnaire topographique, par M. L. Garnier, secrétaire perpétuel.
Malgré l'étendue de ce recueil, les détails y font défaut et les localités
y sont analysées d'une façon un peu brève.
1o Mémoires de l'Académie du Gard, année 4876, contenant :
1° Un très beau travail sur les voies romaines, par M. Auguste Aunez,
membre résident. De savantes recherches ont permis a M. Aunez d'étudier
un grand nombre d'inscriptions et de bornes milliaires, recueillies non seu-
— 7 —
lement dans les musées et les collections, mais aussi dans les châteaux et,
les localités de son département. Des plans et de nombreuses gravures
accompagnent le texte.
2° Notice sur le peintre A. Collin, élève de Girodet. M. le baron de
Wismes, si compétent en pareille matière, nous retrace en quelques traits
les principales qualités de ce peintre.
Collin était né à Nîmes, en Très lié avec Delacroix, Gericault et
Bonington, il fut nommé directeur de l'école de sa ville natale après 1830. Il
eut une certaine célébrité, éclipsée toutefois par les grands noms de ses amis.
Ses compositions ont un grand charme de coloris, de l'esprit, de la finesse,
mais le style lui a manqué. Ses aquarelles, un peu dans la manière de
Boninglon, sont encore estimées, bien que son nom commence a être oublié.
M. Van Iseghem père ajoute à ce compte-rendu quelques renseignements
sur Collin avec qui il a été en rapport et qui a fait son portrait. Lorsque
parut le Naufrage de la Méduse, Collin fut un des plus zélés partisans de
ce chef-d'œuvre, alors très contesté. Il en publia une lithographie qui
contribua au succès de ce tableau.
3° Découvertes archéologiques en 1873.
M. le baron de Wismes passe en revue les divers noms énumérés dans ce
travail :
Ceux de Senocondus, Solibilis et Soliceine, par leur physionomie celtique
appellent son attention.
Le mot : utriculaires (petites outres), rappelle ces confréries si répandues
autrefois dans le Midi de la France.
4° Un dernier travail Néologisme est consacré aux mots nouveaux
introduits par nos romanciers, et dont la meilleure part revient à
Mme Sand.
La séance est levée à 9 heures 1/2.
Le Secrétaire général,
Henri Lemeignen.
Le Secrétaire du Comité,
PlTRR DE L'ISLE DU DrÉNEUF.
Séance du 21 Janvier 1879.
Présidence de M. le baron de fVismes.
Étaient présents: MM. le baron de Wismes, Marionneau, Maître, Petit,
abbé Gallard, Huette, Bertrand- Duplessix, A. Garnier, Van Iseghem père,
Merland, de Brémond d'Ars et Lemeignen.
Sont déposés sur le bureau les ouvrages suivants :
— 8 —
io Rapport sur la Paléontologie. Période néolithique ou de la pierre
polie, par M. Em. Carthaillac, une brochure in-8°;
2° Société archéologique de Bordeaux. T. III, 1er fascicule, mars 1876,
in-8° ;
3° Déposé par M. Petit. — Plusieurs livraisons des publications archéo-
logiques sur le Gatinais, par M. Michel, de Fonlenay-sur-Loing, don de
l'auteur.
M. le baron de Wismes fait un rapport succint sur l'historique des expo-
sitions anthropologiques et quelque peu gallo-romaines aux salles du Tro-
cadéro et à celles, plus spéciales, qui leur avaient été consacrées sur le quai
de Billy. Il rappelle les noms des principaux membres qui y ont exposé. Il
cite entre autres parmi nos Nantais, M. Charles Seidler, dont l'exposition
était une des plus belles, puis MM. Parenteau et Marionneau. Il signale les
principaux objets qui ont fixé l'attention du public nombreux qui s'est
porté vers ces salles pendant plusieurs mois, et passe ensuite à la descrip-
tion succincte de sa propre exposition, exposition qu'il nous a apportée en
entier.
Dans cette première séance, car le temps ne lui permettait pas d'achever
de montrer et surtout de décrire tous ces objets, dont un des plus grands
intérêts est d'avoir été, pour la plupart, trouvés dans les fouilles nantaises,
M. de Wismes nous fait surtout voir :
1° Une des plus belles épées en bronze que l'on connaisse. Elle est
mince, pas très longue, assez pointue et coupe des deux côtés comme un
rasoir. M. de Wismes la pense gauloise, mais de l'époque oii les Gaulois
avaient appris des Romains l'art de tremper solidement le bronze. Toute-
fois, il n'ose rien affirmer. — Cette épée a été trouvée dans les marais ou
prairies qui bordent l'Achenau, alors qu'on établit le pont de Pilon sur cette
petite rivière, et a été donnée à notre président par son parent et ami le
comte de Lautrec, du château de Briord. — Les débris d'une voie antique
gauloise ou romaine existent en ce lieu, ou des fouilles feraient probable-
ment découvrir d'autres objets curieux, et il suffit de jeter un coup d'oeil
sur une carte pour voir qu'en effet une voie venant du Bas-Poitou par la
Garnache, Machecoul et Sainte-Pazanne, devait naturellement passer
à Pilon pour aboutir soit au Pellerin, soit à Buzay, soit dans ces deux
localités, pour de là poursuivre en Bretagne, de l'autre côté du fleuve,
dans la direction de Blain et de Rennes, et probablement aussi dans celle
de Vannes;
2° Une très belle statuette en poterie blanche, probablement des fabriques
de l'Allier, représentant une femme tenant une patère. Elle a été trouvée
devant le Mont-de-Piété;
3° Quatre objets trouvés ensemble et se rapportant, trois surtout sans
— 9 —
contestation, au culte d'Isis, savoir : une tête de l'Isis Egyptienne avec deux
cornes recourbées en forme de croissant; un prêtre Egyptien, et un animal
de la race bovine ou l'on peut voir soit la vache Io, soit son cousin le bœuf
Apis; le quatrième objet est une charmante petite lampe. Tous ces objets
sont en terre blanche.
Une médaille d'Antonin a été recueillie tout près dans le même terrain,
par M. de Wismes. — Or, on sait justement que voyant les dogmes de la
religion païenne de Rome s'effacer d'année en année devant les progrès du
christianisme, Adrien, Antonin, Marc-Aurèle firent un effort très vif pour
opposer à ce culte nouveau les cultes étrangers qui le rappelaient davan-
tage. L'Isis d'Egypte et le Mythras de Perse, dont les mystères se célébraient
d'ailleurs à Rome déjà depuis longtemps, leur parurent le plus propres à
remplir ce but, et c'est sous ces empereurs qu'ils se répandirent le plus. Il
y a donc ici concordance frappante des faits avec les notions de l'histoire.
Ces objets ont été trouvés rue Saint-Denis, au coin de la rue de Château-
dun, tout contre l'ancienne église Saint-Denis. Serait-il impossible que la
déesse Isis eût eu sur son emplacement un sanctuaire vénéré comme elle
en avait un, croit-on, à ou près Paris, et que l'Eglise, selon un usage dont
on connaît plus d'un exemple, eût choisi Saint-Denis dont le nom se rap-
prochait de celui de la déesse Egyptienne, pour faire plus vite oublier aux
habitants cette déesse et son culte? M. de Wismes n'émet du reste cette
pensée que comme une hypothèse très vague, mais qui ne serait pas inac-
ceptable.— Il pense aussi que ces objets peuvent simplement provenir d'un
modeste laraire, élevé en ce lieu par des troupes égyptiennes employées
dans la garnison, mise par les Romains ;
4° Un curieux fragment de verrerie, avec application d'or, trouvé dans les
mêmes passages.
Sur un fond de verre assez épais on a étendu une feuille d'or de la
forme et de la grandeur d'une case de damier. On a recouvert cette feuille
d'or avec du verre pilé très fin lié avec une gomme quelconque,
puis on a remis le tout au feu, la poudre de verre a fondue et a formé sur
la feuille d'or comme un vernis translucide. C'est à peu près le procédé
des verreries des Catacombes, mais le moine Théophile le décrit comme
encore employé au XIe siècle, et M. de Wismes est porté a considérer ce
curieux fragment comme de cette époque. Peut-être a-t-il fait partie d'un
autel ou d'une châsse de l'église.
M. Parenteau possède un autre fragment non semblable, mais aua-
logue, venant des mêmes fouilles. Ce sont les seuls qu'on ait trouvés h
Nantes ;
5° Un petit peigne en ivoire trouvé près du Raptistère, qu'on découvrit,
il y a quelques années, dans la cour de l'Évêché;
— 40 -
6° Un grand nombre de fragments d'urnes funéraires. Il n'est pas inutile
de rappeler dans quelles circonstances on les a mises au jour. La ville de
Nantes, autrefois Condivicnum, était située le long de la Loire. Un chemin
sortait de la ville, a peu près vers l'endroit oii se trouve aujourd'hui la rue
de Strasbourg, se dirigeant vers la route de Rennes. M. le président qui a
suivi les démolitions nécessitées pour la percée de la rue de Strasbourg, y
a rencontré un grand nombre de débris de tombeaux. C'était en effet l'ha-
bitude romaine d'enterrer les morts hors des villes, le long des chemins,
des grandes voies.
Sur ces poteries, on remarque des sujets assez peu variés du reste, des
chasses, des combats, des fleurs. Un fragment montre une barque, sujet
qu'on n'a peut-être encore jamais rencontré jusqu'ici. Une urne porte
cette inscription : METIGGA. Sur d'autres, on lit la signature du potier qui
les fabriqua.
M. de Wismes remet à la prochaine séance la suite de ses communica-
tions, et la parole est donnée à M. Petit, pour une note accompagnée d'un
dessin sur une tombe gallo-romaine en grandes briques, récemment trou-
vée à Saint-Donatien dans les fouilles nécessitées pour l'achèvement de
l'église. Cette note curieuse paraîtra en entier dans notre Bulletin et sera
accompagnée de la gravure du tombeau.
Eu égard à l'heure avancée, la lecture du travail de M. Maître est remise
à la prochaine séance.
Le Secrétaire général,
Henri Lemeignrn.
Séance du 4 Février 1879.
Présidence de M. le baron de ÏPismes.
Furent présents : MM. le baron de Wismes, de la Laurencie, de Brémond
d'Ars, L. Maître, L. Petit, abbé Gallard, Van Iseghem père, de Béjarry,
Blanchard, Arthur de la Borderie, A. Perthuis-Laurant, Arthur Garnier,
Louis Viaud, Baoul de Rochebrune.
M. Maître lit un aveu rendu par les potiers d'Herbignac au seigneur de
Kerolivier, ou les dimensions des vases sont fixées d'une façon très précise.
M. de la Borderie, présent à la séance, dit que ses recherches lui ont per-
mis de constater que les potiers de Bieux et ceux de Chartres, près Rennes,
étaient également réunis en corporations. Ce sont les seules qu'il connaisse
en Bretagne. L'acte lu par M. Maître se rapporte exclusivement aux droits
de réglementation exercés par le seigneur de Kerolivier, pour la terre que
les potiers prenaient sur sa seigneurie. Ces droits, d'après cet acte, dont
— 11 —
M. Maître nous donnera la copie entière pour être imprimée dans nos Bulle-
tins, existaient de toute antiquité.
Au sujet de, ces communications, et prenant acte de l'intérêt avec lequel
on le9 a écoutées, le président engage tous les membres de la Société à
bien se pénétrer de cette pensée : que nous ne sommes pas seulement une
Société d'archéologie monumentale, mais que tous les documents qui à un
titre quelconque intéressent l'histoire, les mœurs des anciens temps, les
usages des localités, l'histoire des familles, des corporations, des métiers,
des états, des municipalités, etc., etc., ont de l'intérêt pour nous, et droit à
nous être apportés et communiqués en original ou en copie 5 et il pense qu'il
n'est presque pas un des membres de la Société qui ne pût nous apporter
des documents de cette sorte. Des communications d'imprimés rares, de
gravures rares, etc., peuvent aussi avoir un grand intérêt 5 il engage a ne
pas avoir à l'égard de ces communications de fausse timidité ; outre leur
intérêt en elles-mêmes, elles peuvent donner lieu à d'intéressants entre-
tiens, et ne fussent-elles parfois que d'agréables distractions à des sujets
plus sévères, elles seront toujours accueillies avec reconnaissance.
M. le baron de Wismes continue et termine l'exhibition de son exposition
aux salles d'anthropologie du quai de Billy, près le Trocadéro. Pour plus de
clarté à travers la description même très sommaire de tant d'objets divers,
nous poursuivrons l'ordre de numération commencé dans notre précédent
procès-verbal :
7° Sorties d'eau de vases fins gallo-romaines en poteries rouges (fouilles
de Nantes). Ces sorties d'eau ou d'un liquide quelconque ne sont pas très
rares, mais il est difficile d'en rencontrer de plus belles que celles que nous
montre notre confrère et qui consistent en une tête de lion, une tête de
loup (?) et un fleuve couché, le bras droit recourbé sur sa tête, et envelop-
pant du bras gauche son urne par où s'épanchait l'eau ^ ce dernier motif
n'avait pas jusqu'ici, à la connaissance de M. de Wismes, encore été
rencontré dans ce genre d'objets. M. de Wismes ajoute au sujet de ces
sortes de vases, que comme usage pour la sortie d'un liquide, si ce
n'est pour le cas d'un trop plein, elles devaient être fort incommodes ? il
est d'ailleurs porté à croire qu'en général les poteries rouges, dites sa-
miennes, servaient peu dans les usages familiers et avaient le plus souvent
une destination pieuse ou funéraire. La grande quantité qui a été trouvée
de ces poteries dans les tombes du cimetière gallo-romain, dit de M. Lan-
deau, près du Val-de-Grâce, fouillé en 1878, tombes parfaitement intactes,
vient appuyer sa pensée. Il croit aussi que les vases dont proviennent les
trois beaux fragments qu'il nous présente, ont dû plus d'une fois avoir servi
à répandre des libations en l'honneur des dieux ou des défunts, puis être
renfermés dans les tombes. Les vases étaient plus ou moins riches, selon la
— 12 —
qualité et la fortune du défunt. C'est ainsi que ceux du cimetière Landeau,
cimetière que M. de Wismes pense avoir été celui d'une petite population
rurale suburbaine, sont en général très simples, tout en étant très purs de
formes.
8° Pendant que nous en sommes aux poteries rouges, achevons de suite
|a mention de celles que notre confrère nous présente. — Deux charmants
génies ailés, le genou droit en terre, répandent des libations, évidemment
avec l'idée d'une tombe dans l'intention de l'artiste et répondent bien à
l'idée de M. de Wismes. Ces figures ont une telle grâce que les ouvriers
les prenaient pour des anges. C'était probablement un type reçu et consa-
cré, car ils ne sortent pas de la mémo matrice.
9° Un homme avec un grand couteau de chasse qui ressemble presque
à un cimeterre attaquant un sanglier. Ce sujet est peu commun et très
bien traité.
10° Un magnifique fragment offrant, outre des chevaux qui semblent
avoir succombé dans une lutte quelconque, un homme nu sur un cheval
au galop -, cet homme semble frapper ou menacer de la droite, et de la
gauche il tient un bouclier rond. Est-ce une scène de guerre, une scène
de cirque ? Noire confrère penche pour ce dernier avis. C'est un des beaux
morceaux qui aient été rencontrés à Nantes.
11° Un fragment sur lequel se trouve un navire ^ la droite est occupée
par des rameurs assis, dont on ne voit que les têtes ^ — à gauche, en avant
du navire, est un guerrier casqué tenant sa lance de la main gauche. Ce
navire a une grande voile au vent. — Notre confrère ne croit pas qu'on eût
encore rencontré de navire sur des vases samiens ; — de savoir s'il faut voir
ici l'image de quelque César, tel qu'Auguste à Actium, ou plutôt un sujet
grec, tel que Jason à la conquête de la Toison d'or; notre confrère penche
pour cette dernière idée, et il n'est pas difficile de trouver dans le navire
fendant les flots, surtout chez les anciens, si amateurs de l'allégorie, c'est-
à-dire de la pensée exprimée sous une forme sensible, une image frappante
du passage de la vie terrestre à la demeure des morts.
12° Autre fragment avec Hercule tuant l'hydre de Lerne, près Argos.
Notre confrère nous fait observer qu'autant sont communes les représenta-
tions d'Hercule au repos et isolé, autant sont rares les images du héros
accomplissant ses douze fameux travaux. Le premier de ces travaux fut
l'étranglement du lion de Némée, dont il revêtit et porta toujours depuis
la peau, — aussi l'y voit-on déjà la portant sur son bras lorsqu'il tue
l'hydre, ce qui fut son second travail. Cet hydre avait sept têtes, dont une
seule immortelle, qu'Hercule fut obligé d'enterrer sous un énorme rocher.
Quelquefois, comme dans la poterie de notre confrère, l'hydre est réduite à
cette seule tête. — Ce sujet herculéen est presque le seul qui se soit en-
— 13 -
core trouvé sur les poteries rouges. M. de Wismes en connaît au moins
une représentation identique à la sienne.
13° Pan, jouant de la flûte, le bras étendu, comme pour la prendre sous
sa protection, sur une femme nue tenant une écharpe des deux mains for-
mant cercle à la hauteur de ses genoux. — M. de Wismes possède un vase
entier ou le môme sujet traité avec quelques différences est représenté plu-
sieurs fois. — Par une circonstance singulière, ce vase est complètement
traité dans le style du fameux orfèvre ornemaniste du XVIIa siècle, Jean
Berain.
14° Un personnage vêtu d'une courte robe serrée à la taille par une
ceinture, et portant des braies ou pantalons; — on dirait un prêtre ou
druide. C'est une représentation fort rare.
15° Un morceau d'une grande finesse sur lequel se voient : Silène, ivre,
supporté par un de ses compagnons; Vénus tout-à-fait dans l'attitude de
la déesse de Médicis, une autre déesse vue de dos et un jeune dieu.
16° Un masque d'homme barbu, la barbe tressée à la façon asiatique. —
On sait que les masques ont été assez souvent employés comme sujets
d'ornementation sur les vases samiens, mais la plupart diffèrent l'un de
l'autre et leur représentation y a toujours de l'intérêt. Les masques
d'hommes se voient plus souvent que ceux de femmes.
17° Une fort belle signature en barbotine, c'est-à-dire dans la matière
rouge fluide elle-même dont on enduisait le vase. — Cette signature
CETTVS est dès lors, selon toute vraisemblance, celle de l'artiste, auteur
du vase et non celle du fabricant potier. — Ce nom n'a encore été ren-
contré que deux fois. (Voir Schwermans, Sigles figulins.) Malheureusement
presque tout le vase manque à notre confrère.
18° Il en est de même pour un autre fragment sur lequel on lit égale-
ment en barbotine sur la panse du vase, la signature non moins rare de
ÏUSSA.
19° Une collection très remarquable et rarissime représentant une Vénus
couchée sur un lit, et trois petits génies nus, ailés, portant l'un un lièvre,
un autre un arc, etc. — Ces sculptures d'un style aussi large qu'artistique
devaient orner des petites tasses, dont M. de Wismes, faute d'en avoir ren-
contré dans aucun musée, ignore la forme complète. C'est une des parties
de sa collection dont il fait le plus de cas. Il possède encore quelques autres
sujets, tels qu'un Ganymède enlevé par Jupiter, et un cerf qui ont orné des
tasses du même genre.
20° Une portion considérable d'un petit vase orné de ceps de vignes et
d'oiseaux, d'un style et d'une élégance vraiment admirables; dans ces
oiseaux on croit reconnaître des hirondelles. Cette poterie est signée sur sa
panse du nom de TIGRAWES en creux. Ce nom, encore ici celui d'un ar-
- 14 —
tiste, n'avait été trouvé qu'en Allemagne, et même d'une façon in-
complète. C'est la première fois qu'il se rencontre en France. 11 rappelle
immédiatement les fameux rois d'Arménie dont plusieurs firent la guerre
aux Romains. Il n'est pas impossible de penser que les Romains ayant sou-
vent, comme on sait, la coutume d'envoyer servir loin de leur pays natal
les soldats des pays qu'ils se soumettaient, et ces soldats s'étant souvent,
eux ou leurs enfants, établis dans les pays loin de Rome où ils devenaient
non moins colons que militaires, ce nom de Tigranes était bien en effet
celui d'un arménien. — Cette poterie vient de Rezé et a été acquise par
M. de Wismes, de M. Hubin de la Rairie, qui la considérait comme un mor-
ceau de choix.
21° Non moins remarquable et plus fin encore est un autre fragment
orné aussi de pampres et d'oiseaux, venant également de Rezé et de
W. Hubin.
22° Enfin, provenant encore des même origines, une charmante signa-
ture dans laquelle le nom EROS est en tout petit renfermé dans un H.
Hermeros était apparemment le nom du gallo-romain qui imprima cette
signature sur la poterie avec le chaton de sa bague.
Au sujet de ces trois dernières poteries, M. de Wismes nous dit que
M. Hubin, entre les mains duquel avaient passé tant d'objets venant les
uns de Nantes, les autres de Rezé, considérait la civilisation de cette der-
nière cité comme ayant été plus raffinée que celle de Nantes. Sans être
opposé à cette opinion, M. de Wismes la regarde cependant comme assez
hypothétique.
23° Fragments de diverses espèces de poteries peintes, les unes proba-
blement gallo-romaines et les autres mérovingiennes. Ces fragments se sont
montrés rares à Nantes.
24° Rracelets de femmes, incomplets, les uns en verre vert, les autres en
verre bleu, variés de formes, mais simples. Ils proviennent probablement
de tombes soit purement gallo-romaines, soit enjambant sur l'époque mé-
rovingienne. L'usage de ces bracelets paraît avoir été assez répandu dans
notre ville. Leur fragilité les rendait un bon objet de commerce pour le
marchand.
25° Tête très bien exécutée et revêtue d'un enduit jaunâtre, d'un jeune
enfant rieur. Est-ce le débris d'un joujou de baby gallo-romain, dans la tombe
duquel ses parents désolés avaient renfermé les objets qui avaient fait ses
innocentes joies? M. de Wismes le pense, tout en admettant que cette tête
a pu représenter le dieu Rire, sur lequel il y a dans l'âne d'or d'Apulée des
pages si amusantes. — Un buste du même type, mais beaucoup moins bien
exécuté, est reproduit dans l'ouvrage de M. Tudot sur les poteries de l'Al-
lier. — M. de Wismes en possède lui-même un autre exemplaire, mais mal
conservé.
— 15 -
26° Petite tête de femme en terre cuite d'un blanc tirant sur le gris.
Elle est d'une exécution très nue et fort supérieure aux figures du Bourbon-
nais, dont elle diffère d'ailleurs par la qualité et la dureté de la pâte. Cette
tête, partie supérieure d'une statuette dont le reste est bien regrettable,
porte une coiffure très élégante surmontée d'un diadème. Elle ne peut
être que celle d'une déesse ou d'une impératrice. Son type est celui d'une
Junon ^ elle a été trouvée vers le commencement des fouilles, sur la place
Saint-Pierre, près de l'entrée de la rue Royale.
27° Parmi diverses poteries du Bourbonnais, notre président avait choisi un
bélier accroupi, sujet fort rare, dont le cou porte peut-être une inscription,
et un des plus jolis échantillons trouvés à Nantes de la Vénus tenant sa
longue chevelure de la main droite et sa draperie de la main gauche. Il
remarque a ce sujet que les mains de cette statuette peu rare de type, mais
produit de quantité de moules différents, offrent cette particularité, avec un
ensemble corporel souvent très bien exécuté, de demeurer assez giossières,
ce qui semble un trait commun à la plupart des déesses hindoues. Ces
mains sont toujours vues par le dehors, ce qui paraît un trait hiératique et
voulu.
28» Fragment fort curieux d'une poterie noire fort rare. On y voit la par-
tie antérieure d'un chien au museau pointu, et au cou très fort, garni d'un
collier. M. de Wismes ne serait pas éloigné d'y voir la représentation de
certains dogues que les Gaulois, au dire de Strabon, rapporté par Dom
Pelloutier dans son Histoire des Celtes (2e éd. 1771, 2 vol. in-4°, tome Icr?
p. 236), tiraient de la Grande-Bretagne, et qui étaient excellents à la
chasse, en même temps qu'ils leur rendaient service à la guerre.
29° Flûtes (ou sifflets) des morts. — M. de Wismes, tout en reconnais-
sant que les flûtes ou sifflets, comme on voudra les appeler, assez peu
rares, mais dont il exhibe une collection très variée, ont dû servir aussi aux
vivants, pense que la plupart de celles qu'on rencontre dans nos vieilles
cités gallo-romaines proviennent de tombes, à titre soit de souvenirs
comme instruments ayant servi aux défunts, soit de symboles de l'extinc-
tion de la voix et de la vie.
(A cette occasion, un des membres présents ayant dit qu'on tirait encore
un son éclatant de ces flûtes en fermant les deux extrémités avec les
doigts, et ayant démontré son dire par des sons qu'il tire de deux de
ces flûtes et qui remplissent toute la salle, ajoute qu'en effet elles lais-
sent dans la bouche comme un goût, et dans le nez comme une odeur de
cadavre, aussi personne n'est-il tenté de recommencer l'épreuve).
30° Crâne frappé au front d'une blessure demi- circulaire exactement
semblable a celle que formerait une hache de pierre de nos dolmens. Ce
crâne fut donné à M. de Wismes, il y a longtemps, a Tramecourt, en Picar-
— 16 —
die, comme provenant d'une tombe romaine, mais il lui paraît plus vrai-
semblable qu'il vient, en effet, comme l'indique le genre et la forme de la
blessure, d'un monument mégalithique. L'os paraît reformé en arrière de la
blessure, et il va sans dire en ce cas, que l'individu aurait survécu à ce coup
quelque violent qu'il ait été.
31° Trois os affectant la forme d'un losange, percés d'un trou à leur
extrémité et dont l'un a été uni artificiellement sur les côtés. Ils ont été
trouvés place Saint-Pierre et rue Royale. Ce genre d'objets, évidemment
d'une destination ornementale, n'avait encore été rencontré ou du moins
signalé nulle part, d'après tous ceux qui les ont vus. Il est probable qu'ils
proviennent de tombes gallo-romaines. On les regarde comme des os de
tortue.
32° Un petit peigne d'ivoire ou d'os, de l'époque mérovingienne, portant
à sa partie médiane des ornements composés de cercles concentriques. Il
vient de la cour de l'Evêché et probablement du baptistère du temps
d'Evehmerus et de saint Félix, ce qui le fait remonter au VIe siècle. Il peut
aussi provenir d'une tombe d'ecclésiastique; le peigne, en effet, à l'époque
que nous citons, faisait partie du meuble des prêtres qui étaient obligés
avant de célébrer la messe de se laver les mains et d'arranger leurs
cheveux, aussi en mettait-on souvent dans leurs sépulcres. (Millin, Diction-
naire des Beaux-Arts, au mot peigne). Cet objet fort rare est, malgré sa
petitesse, un des plus curieux trouvés dans les fouilles nantaises.
33° Poteries chrétiennes mérovingiennes de quatre sortes différentes.
Notre confrère renvoie pour trois de ces sortes de poteries à la lettre qu'il
a écrite a leur sujet dans le beau et curieux catalogue de l'exposition archéo-
logique à Nantes, en 1872, dû à M. Parenteau. Cette lettre accompagnée de
dessins n'a paru que dans le tirage à part et augmenté, tiré a 100 exem-
plaires. — Depuis lors, M. de Wismes a reconnu au monogramme de Saint-
Félix, une croix pattée latine surmontée d'un ro ,• toute une autre série de
poteries comme étant aussi de la même époque. — Toute cette portion de
l'exposition de notre confrère est examiné par l'assemblée avec le plus vif
intérêt. Nous regrettons de ne pouvoir nous y étendre davantage.
34° Il en est de même d'une collection de poids gallo-romains en bronze
avec incrustations d'argent, et en pierre, tous trouvés à Nantes, et qui for-
ment peut-être la série la plus complète qu'on en ait encore rencontré dans
nos cités gallo-romaines. Nous nous bornons à dire que la livre, dont on se
servait à Nantes et dont M. de Wismes possède un très bel échantillon en
bronze, pesait juste 330 grammes. — Ce poids porte incrustés un grand A
et un grand lambda pointé. — L'A est la lettre qui signifiait un chez les
Grecs, et le lambda est l'abbréviation de Litra qui signifiait livre. M. de
Wismes fait remarquer à ce sujet la fréquence des caractères grecs chez
— 17 -
les Gaulois, et ajoute qu'il doit cette explication et plusieurs autres sur ses
poids à M. Robert Mowat, le savant épigraphiste.
35° Un beau fragment de poterie noire sur lequel on lit en assez grands
caractères cursifs le nom de Meticca — C'est un des plus beaux graffites de
nos fouilles. Il provient d'une tombe du cimetière gallo-romain, dont notre
confrère dit avoir constaté l'existence au moins depuis la Grand'Rue, a
l'angle de la rue de Strasbourg, jusqu'à la place Saint-Jean. Il ignore si ce
nom, probablement de femme, et qu'il croit plutôt gaulois, avait déjà été
trouvé en France.
36° Divers beaux objets en bronze, tels que bracelets, casse-tête, fibules,
cuillère, haut d'enseigne, etc., soit gaulois, soit gallo-romains, mais l'ori-
gine de tous n'est pas nantaise.
37° Enfin, trois outils, dont deux ébaucboirs, en os, gallo-romains et un
petit compas en bronze avec quelques ornements qui semblent le reporter
jusqu'à l'époque romaine. Il a été trouvé au haut de la rue Royale, près do
la cathédrale, à plusieurs pieds de profondeur. — Cet objet est d'intérêt
pour les discussions qui se sont déjà élevées sur l'origine de cet outil si
précieux, le compas.
En terminant cette sorte de conférence qui, par sa variété, ne pouvait
qu'intéresser la Société qui l'en a remercié, notre président ajoute que tout
en sentant mieux que personne tout ce que ses explications ont pu offrir
d'imparfait, il s'est efforcé néanmoins de justifier les deux pensées de
Goethe qu'il a choisies pour devises de ses collections :
« On ne possède point ce qu'on ne comprend pas. »
« Une différence qui ne donne rien à l'intelligence n'est point une différence. »
SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1879.
Présidence de M. le baron de JVismes.
Membres présents : MM. F. Parenteau, Arth. Garnier, R. de Rochebrune,
abbé Grégoire, Alex. Perthuis, Evelin, Van Iseghem père, Ch. Seidler, de
Rrémond d'Ars.
M. le président donne lecture d'un document émanant du ministère de
Tinstruction publique, relatif à la réunion (17me) des délégués des Sociétés
savantes.
M. Charles Seidler exhibe une collection d'objets préhistoriques du Da-
nemark.
(Il en doit donner une description technique et détaillée.)
M. F. Parenteau mentionne des objets trouvés à la Louisiane, rapportés
1879 2
- 18 —
par des missionnaires catholiques, qui ont identité de forme avec des
haches celtiques trouvées a Pornic.
11 donne quelques renseignements sur l'oppidum de Vue. Il a fait intro-
duire au musée 100 kilog. de fiches en fer qui en proviennent.
M. de Wismes lit son compte rendu sur les ouvrages parvenus à la
Société.
La séance est levée.
Par absence du Secrétaire,
A. Perthuis-Laurant.
Séance du 4 Mars 1879.
Présidence de M. le baron de IFismes.
Étaient présents: MM. le haron de Wismes, Maître, Petit, Parenteau,
abbé Gallard, P. de Plsle du Dréneuf, R. Blanchard, Merland, Viaud, de
Béjarry, de la Bretesche, Raoul de Rochebrune et Lemeignen.
Est déposé sur le bureau l'ouvrage suivant :
Edouard Richer, par M. C. Merlaud. — 1 broch. in-8°. Tirage à part
du Bulletin de la Société académique de Nantes, offert par l'auteur.
M. Le Ghauff de Kerguénec, présenté par MM. l'abbé Gallard et Léon
Maître, est élu membre de la Société.
La parole est donnée à M. de Béjarry, qui lit une description de pierres
gravées et grossièrement sculptées, trouvées dans la commune de Saint-
Aubin de Baubigné (Deux-Sèvres). — Ce travail intéressant figurera au
Bulletin avec des dessins que M. de Béjarry a relevé avec un soin minu-
tieux. On y remarque des croix, des chevaux, des personnages qui repré-
sentent peut-être Adam et Eve, etc., M. le président dit que les dessins
signalés et décrits sont peut-être l'œuvre de quelque solitaire des premiers
siècles de l'Église. 11 fait remarquer la similitude qui existe entre l'un de
ces dessins et notre brique de Verlou. Cette opinion serait volontiers adop-
tée par M. Parenteau. On a dit souvent en effet que les moines des premiers
âges, couvraient de signes chrétiens les pierres de toute nature et spéciale-
ment les autels et pierres druidiques. Toutefois, il est bon de rappeler que
la croix figure souvent, même avant le Christianisme, sur des monnaies, sur
des monuments mégalithiques, etc. Il ne faut donc pas se hâter et adopter
une conclusion prématurée, dans l'espèce actuelle qui mérite d'être plus
complètement étudiée.
M. Parenteau présente un vase de bronze du XIV0 siècle, à double gar-
gouille, trouvé à Plouarel (Gôtes-du-Nord). — Ces vases à panse arrondie
— 49 -
servaient soit à donner à laver, soit à offrir des rafraîchisssemcnts. Quel-
ques-uns ont dit qu'ils remontent aux Croisades et sont d'origine orientale.
Ce n'est pas l'opinion de M. Parenteau, qui fait remarquer leur forme rap-
pelant tout à fait celle de nos marmites, forme connue et usitée dans nos
pays depuis la plus haute antiquité.
M. Parenteau a vu dernièrement chez un armurier une épée en bronze,
trouvée en Loire, dans la partie qui porte le nom de canal Saint-Félix.
Cette trouvaille démontrerait, suivant M. Parenteau, l'existence d'un cours
d'eau, de tourbière ou marais a l'endroit précis oii la légende place le
travail du célèbre évêque de Nantes.
Enfin, M. Parenteau présente à la Société une croix en cristal de roche,
de grande dimension, qu'il vient d'acheter pour le Musée. D'après les indi-
cations assez obscures fournies par le brocanteur qui l'a vendue, cette croix
aurait été trouvée dans le pays situé entre Vannes et Guérande. — Or nous
savons qu'un bloc en cristal de roche de 3 mètres cubes environ fut signalé,
il y a quelques années, dans les environs de Guérande, par M. Huette. —
Est-ce a ce bloc que fut empruntée jadis la matière de ce curieux objet
d'art?
M. le baron de Wismes prend la parole pour sa communication sur un
bas-relief manichéen, trouvé dans les fouilles faites à Nantes dans les démo-
litions de la place Saint-Pierre. M. le président rappelle les hérésies qui
essayèrent de dénaturer la religion chrétienne aux premiers âges. Parmi
les plus fameux hérésiarques se fit remarquer Manès, dont les opinions ont
reçu le nom de Manichéisme. Manès, dont la doctrine fut parfaitement
exposée par saint Augustin, croyait qu'il y avait deux Dieux, le Dieu du bien
et le Dieu du mal... Sa doctrine se répandit dans les Gaules, et nous
savons que le roi Robert le Pieux fit brûler treize manichéens à Orléans. Le
Midi en était infecté. Le manichéisme parvint-il jusqu'à Nantes? cela est
plus que probable. M. de Wismes a trouvé le bas-relief qui fait l'objet de sa
communication dans les démolitions de la place Saint-Pierre, à l'entrée de
la rue Royale, à peu près dans l'endroit ou existait l'ancien magasin de
M. Mazeau. — La couche de débris dans lequel on le rencontra portait à
croire, qu'il avait été enfoui là et à la hâte, par quelque hérésiarque dési-
reux d'échapper à une persécution imminente, et s'empressant de cacher
les objets qui révéleraient son culte, quitte à les retrouver étales faire repa-
raître après le danger passé. Quoi qu'il en soit, l'objet mis par M. le baron
de Wismes sous les yeux de la Société est des plus curieux. C'est une sorte
de petit pupitre en ivoire très finement gravé, sur lequel se remarquent
des dessins et figures qu'on ne peut attribuer qu'au culle manichéen. M. le
baron de Wismes se propose du reste de faire sur ce bas-relief un mémoire
qu'il doit lire à la Sorbonne, au Congrès annuel des Sociétés savantes, et
— 20 —
dous devons espérer que ce travail orné de dessins, qui le rendront double-
ment intéressant, ne sera pas perdu pour notre Bulletin.
L;i séance est levée a f> heures.
Le Secrétaire général,
Henri Lemeignen.
Séance du 1er Avbil 1879.
Présidence de 31. le baron de Wismes.
Étaient présents : MM. le baron de Wismes, Verger, Van Iséghem père.
Petit, R. de Rochebrune, de Béjarry, Leroux, Maître, Pertbuis, de la Nicol-
lière et Lemeignen.
Assiste à la séance, M. P. Marchegay, membre correspondant, qui offre à
la Société le Catalogue des diverses Chartes, composant le Cartulaire géné-
ral de Saint-Florent, près Saumur, soit le recueil des Chartes de cette
abbaye, antérieures au XIHe siècle (718-1200).
Sont déposés sur le bureau :
1° Catalogues de l'Exposition universelle de 1818 à Paris, section an-
glaise, section des beaux-arts, section des Indes et Colonies, etc., 5 vol.
in-8° et in-12, brochés $
2° Bulletin d'archéologie chrétienne: 1877, Nos 3 et 4. — 1878, Nos 1
et 2 5 en tout 2 vol. in-8°, br. ;
3° Société archéologique de Bordeaux, juillet 1877. 1 vol. in-8°.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. Petit a la parole pour une communication relative à la Ché/ine :
« Il y a quelques mois déjà, le propriétaire de la briqueterie de Grillaud
« faisait extraire la glaise dans un terrain exploité depuis plusieurs années,
« au sud de l'avenue qui descend du haut Grillaud au chemin des Derval-
« lières. A quelques mètres au-delà du pont sous lequel court la Chézine
« et à deux mètres de la perpendiculaire du mur de soutènement élevé, il
« y a onze ans, pour le nivellement de l'avenue, on a trouvé sous la couche
« de glaise épaisse de 2m 40, la moitié d'un tronc d'arbre, long de quatre
« mètres, horizontalement posé (essence de chêne, a-t-il été affirmé par
« quelques charpentiers). Cette moitié d'un gros arbre avait certainement
« été placée la pour faire passerelle sur le ruisseau ^ la partie ronde en
« dessous, en dessus la surface plate, large de 41 centimètres et permet-
« tant passage facile.
« A l'époque fort reculée ou celte passerelle fut établie, la Chézine cou-
« lait, comme à présent, entre deux bords très rapprochés, et elle ne dé-
« bitait point, alors, un volume d'eau plus considérable que celui de nos
— 21 —
« jours. Les crues survenues, et l'inondation permanente depuis quatre
« mois, n'ont pas permis à M. Petit de continuer ses observations. Il se
« propose de revenir sur ce sujet, n'ayant autre but, aujourd'hui, que de
« faire enregistrer la découverte. »
M. Maître donne lecture d'une Charte par laquelle Charles de Blois donne
à l'emplacement nécessaire pour y édifier une chapelle et
une maison destinée à héberger.
C'est bien là la fondation des anciennes chapelle et aumônerie de Tous-
saint, et la Charte citée est suivant M. Maître une réponse catégorique à
l'objection qu'on tire quelquefois d'un teste rapporté par Travers, dans
lequel il est raconté que Charles de Blois passant un jour sur les ponts de
Nantes, fit l'aumône à des pauvres qui sortaient d'un certain hôpital exis-
tant dans les environs: Cet hôpital, dit-on, c'est l'aumônerie de Toussaint ;
donc, Charles de Blois n'est pas son fondateur. — Mais M. Maître croit que
le texte cité par Travers se rapporte à l'ancienne chapelle de la Madeleine,
très ancienne et antérieure certainement à Charles de Blois, mais non pas
à l'aumônerie de Toussaint, fondée par ce prince. M. Maître veut bien pro-
mettre cette Charte a notre Bulletin .• il y joindra d'autres pièces intéres-
santes et inédites, relatives à la même aumônerie de Toussaint.
M. Petit ne partage pas l'opinion de M. Maître, il rappelle le texte même
cité par Travers : « Semel cum transiret Dux Carolus equitans super
pontes Nannetenses , pauperes cujusdam hospitalis suprà dictos pontes
exislentis ab ipso eltemosinam petierunt. Le manuscrit de Travers dit ;
suprà dictos pontes existentes ; mais il faut lire : existentis, ajoute M. Pe-
tit, le qualificatif étant commandé par cujusdam hospitalis. Si les titres
présentés par M. Maître semblent indiscutables, il n'en promet pas moins
de communiquer, en séance prochaine, notes et dessins des restes de cette
ancienne chapelle de Toussaint, dans lesquels on retrouve deux anciennes
constructions superposées qu'on peut croire antérieures au XIVe siècle. »
(Voir Procès- Fer bal de la séance du 10 juin.)
M. le baron de Wismes dépose sur le bureau trois médailles creuses.
Deux sont des médailles allemandes du XVIII" siècle, qui probablement se
donnaient en présent le jour du mariage. Elles sont en forme de petites
boîtes plates en argent, s'ouvrent par le milieu et renferment une série de
petites enluminures sur papier se repliant sur elles-mêmes, très curieuses
et très fines. La troisième est datée de 1848; elle se vendait en France à
cette époque et contient les portraits du comte de Chambord et de sa fa-
mille.
M. de Wismes fait encore passer sous les yeux des membres présents un
très rare volume bien connu des Bibliophiles, le Recueil des plus illustres
proverbes, mis en lumière par Jacques Lagniet. Paris, 1657-1663, ( vol.
— 22 —
in -4°, orné de curieuses gravures très intéressantes pour l'histoire du Cos-
tume.
Ces objets sont examinés avec intérêt par les assistants, et l'ordre du
jour étant épuisé, la séance est levée à 6 heures.
Le Secrétaire général,
Henri Lemeignen.
Séance du 6 Mai 1879.
Présidence de M. de la Laurencie.
Présents : MM. Blanchard, Petit, Parenteau, Merland père, Van Iseghem
père, de Bremond d'Ars, de Béjarry, d'Izarn, abbé Cahour et Maître.
En l'absence du secrétaire général, la lecture du procès-verbal de la der-
nière séance est ajournée.
M. l'abbé Cahour informe la Société que son correspondant d'Angers lui
a fait part des fouilles intéressantes entreprises pendant l'hiver dernier, sur
la place du Ralliement de cette ville. On a mis à découvert les ruines de
deux basiliques juxtaposées dans le voisinage d'un établissement de bains,
et tout près une cuve octogone, qu'on prendrait volontiers pour un baptis-
tère. Les archéologues d'Angers n'ont pu se mettre d'accord sur la destina-
tion possible de ces restes de l'époque gallo-romaine. M. Parenteau rappelle
que les fouilles de Rezé ont une certaine analogie avec celles d'Angers, et
sa conviction est que les tuyaux appartenaient à un hypocauste construit
pour des bains publics ou pour une maison particulière.
Le même membre, dont l'attention ne sommeille jamais quand il s'agit
des progrès de la science archéologique, a suivi de près les excavations pra-
tiquées à la place du Change pour la construction d'une nouvelle maison.
Les ouvriers avertis ont apporté au conservateur de notre Musée dé-
partemental, plusieurs fragments de poterie rouge intéressants, dont l'un
porte la représentation de la Vénus de Wédicis, et une brique conique qui
ressemble, dit M. Parenteau, aux poids de brique suspendus aux filets
égyptiens dans les dessins hiéroglyphiques.
Après cette communication, M. Blanchard, percepteur à Nozay et aupa-
ravant à Herbignac, offre à la Société la suite de ses études sur les popu-
lations de la presqu'île Guérandaise. Le chapitre dont il donne lecture est
consacré à démontrer que la domination des Vénèles dans ce pays laisse
des traces non seulement dans les mœurs, comme il l'a prouvé antérieure-
ment, mais encore dans le langage, et les appellations. Les noms des lieux
qu'il interprète avec beaucoup de sagacité à l'aide des meilleurs glossaires
— 23 —
bretons lui viennent en aide abondamment, dans le développement de sa
thèse. Par les nombreux exemples qu'il emprunte aux répertoires les plus
autorisés, il fait voir que les désinences des mots ont fléchi dans le pays de
Guérande de la même manière que dans le Morbihan. M. de Brémond d'Ars,
auquel les locutions principales de la langue bretonne sont familières,
ajoute quelques observations à celles de M. Blanchard, et la séance est
levée à 9 heures.
Le Secrétaire par intérim,
Léon Maître.
Séance du 10 Juin 1879.
Présidence de M. de la Laurencie, vice-président.
Étaient présents : MM. Seidler, Merland père, Leroux, Mercier, abbé
Cahour, Pitre de l'Isle, Bousse, Perthuis-Laurant, abbé Gallard, Montfort,
Van Iseghem père, Linyer, Lemeignen, L. Petit et de la Nicollière-Tei-
jeiro.
Ce dernier est prié par M. le président de remplir les fonctions de secré-
taire, en l'absence de MM. Lemeignen et de l'Isle, qui ne viennent qu'après
l'ouverture de la séance.
Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance du 6 mai,
rédigé par M. Léon Maître, M. l'abbé Cahour, au sujet des découvertes de
substructions, récemment mises à jour à Angers, dit qu'il a visité ces
ruines, lesquelles n'ont aucun rapport avec le baptistère de la cour de
l'Évêché de Nantes, décrit par lui. Il a véritablement rencontré les restes
d'un baptistère, tandis qu'à Angers, suivant la lettre qui lui a été adressée,
c'est une simple cuve que de petits piliers assez rapprochés, désignent
positivement comme ayant fait partie d'un hypocausle gallo-romain.
A ce propos, M. Van Iseghem rappelle les substructions également
gallo-romaines, déblayées par ses soins à sa propriété de la Caillère, en
Bouguenais, et visitées par le Congrès de la Société française de M. de
Caumont, pendant la session tenue à Nantes en 18. .
M. Parenteau, inscrit a l'ordre du jour, étant absent, mais ayant adressé
sa communication a M. le président, celui-ci en renvoie la lecture a la fin
de la séance, et MM. Lemeignen et Linyer, inscrits en second lieu, n'étant
pas encore arrivés, la parole est à M. Petit, pour son exhibition de dessins
du vieux Nantes.
Douze dessins fort intéressants, faits avec le soin et l'exactitude qui ca-
ractérisent les productions de notre aimable confrère, passent successive-
ment sous les yeux des assistants :
_ 21 —
t° Vue des restes de l'ancienne aumônerie de Saint-Jean, et un coin du
couvent des Cordelicrs;
2° Rue du Vieil-Hôpital ;
3° Rue Noire (ancienne entrée de la route de Rennes à Nantes, sur le
côté nord de laquelle sont les restes de l'aumônerie de Saint-Lazare. — En
dernier plan, le couvent des Capucins;
4° Petite rue Notre-Dame ;
5° Carrefour de la Casserie. Maisons démolies en 1842, 1809, 1879;
0" Tour de l'horloge du Rouffay; carrefour de la rue de la Poulaillerie et
de la rue de la Rôtisserie ;
7° Aux Quatre-Vents. — Rrasserie, tannerie derrière Grande-Riesse.—
Partie du fleuve aujourd'hui comblée. (Aval);
8° Arche de Grande-Riesse, en amont ;
9° De l'arche de Grande-Riesse, vue d'aval ;
10° Chapelle de Toussaint, intérieur;
11° Détails indiquant les diverses constructions superposées;
12° Pont, chapelle et restes de l'ancienne aumônerie de Toussaint, par-
tie détachée du panorama des vieux ponts de Nantes, des murs du Bouffa y
à Pillemil.
A l'occasion de ces trois dernières vues, M. Petit, revient sur la fonda-
tion de l'aumônerie attribuée a Charles de Blois et que l'abbé Travers dit
positivement avoir existé avant ce prince (*). « Semel cum transiret, D. Ca-
rolus equitans super pontes Nannetenses pauperes cujusdam hospitalis
supra dictos pontes existentes, ab ipso eleemosinam petierunt. » (Enquête
pour la canonisation de Charles de Rlois en 1371.) Ce texte est précis; et,
soit qu'on modifie le mot existentes, en y voyant le génitif existentis, qui
s'accorderait alors avec cujusdam hospitalis, comme l'indique M. Petit;
soit qu'on laisse le texte même existentes, s'accordant avec pauperes, ce
qui, ainsi que le dit M. Mercier, ne constitue aucune faute en bas-latin ni
de rédaction, la mention de l'hôpital antérieure à la traversée du duc sur
les ponts de Nantes, n'en est pas moins démontrée.
Toutefois la même enquête contient encore les détails suivants : Item
inter villam Nannet. et villam de Pillemil super pontes Nannetenses unum
hospitale incepit in honore omnium sanctorum, et fundum ad dictum hos-
pitale non perfecit.... et dictus D. Carolus primarium lapidem ibidem
possuit. Celte dernière citation semble infirmer jusqu'à un certain point la
première, et M. Maître en nous donnant dernièrement une analyse de la
charte de fondation de Toussaint, dont une copie relativement moderne,
(») Histoire îles évêques de Nantes, t. I, p. 435 et 436.
- 25 —
mais authentique, a été récemment trouvée par lui, vient aussi combattre
l'opinion de Travers.
Mais le dessin N° 11, présenté par M. Petit •. « Détails indiquant les di-
verses constructions superposées et qu'on voit encore,» nous montre des
arcatures plein-cintre dans les parties basses de murs refaits plus tard sur
ces substruclions primitives. Or, le plein-cintre fut-il employé au XIV*
siècle?... De plus, personne. n'ignore que nombre d'établissements ruinés,
ont été rétablis, relevés, surtout augmentés par des personnages que la
reconnaissance décora avec juste raison du litre de fondateur !... L'asser-
tion de l'abbé Travers, bon localiste et fort au fait des traditions nantaises,
appuyée surtout par la démonstration des dessins de M. Petit, peut,
croyons- nous, être parfaitement soutenue et admise.
Selon l'ordre du jour, la parole est ensuite donnée à M. Lemeignen, ins-
crit avec M. Linyer, a l'ordre du jour, pour une communication sur un
gisement gallo-romain.
La lettre de convocation, dit M. Lemeignen, contient un oubli regret-
table a l'égard de M. Pître de l'Isle, qui, a bien juste titre, devrait y figu-
rer, car c'est à lui principalement que sont dus les objets les plus mar-
quants de la découverte dont il va dire un mot, afin de prendre date 5 se
réservant d'y revenir plus tard après de nouvelles explorations.
MM. Linyer et Lemeignen, se promenant dans une propriété, à Saint-
Vincent-sur-Jard (Vendée), vieille paroisse située non loin de Talmont et
dans le bourg de laquelle M. Benjamin Fillon croit pouvoir placer Beccia-
Cum, avisèrent un monticule formé de pierres mêlées à de nombreux
fragments de briques à rebords. Ils questionnèrent les habitants, et appri-
rent que souvent des pierres pour construction étaient prises à cet endroit.
Quelques sondages préliminaires mirent à jour des subslructions portant
des enduits peints, des traces certaines du petit appareil, un hypocauste
tout-a-fait analogue h celui qui vient d'être découvert a Angers sur la place
du Ralliement, et dont il a été question au début de la séance, ainsi qu'à la
séance du 6 mai. On lait passer sous les yeux des assistants un fer de lance
d'une très belle conservation, trouvé dans les décombres ; et encore plu-
sieurs dessins représentant le plan, l'aspect des murs mis a jour et un
fragment de la décoration muralle. Aux vacances prochaines, les fouilles
seront, continuées et récompenseront amplement, nous le souhaitons, le
zèle de nos explorateurs.
M. le président dépose sur le bureau les ouvrages offerts à la Société •.
1° Le comte d'Hector, lieutenant général de la marine, par M. C. Mer-
land, Nantes, 1879, in-8° de 60 pages, extrait de la Revue de Bretagne et de
Vendée, don de l'auteur 5
2° Bulletin d'archéologie chrétienne, de M. le commandeur J.-B. de Rossi,
Belley, 1878 ^ troisième série, troisième année, numéros 3 et 4 ^
— 26 —
3° Notice sur les émaux peints anciens et modernes. L'atelier d'émail-
lerie de M. Bourdery à Limoges, mémoire présenté à la Société archéolo-
gique et historique du Limousin, par M. Camille Jouhanneaudeau, Limoges,
1879, in-8°, 16 pages.
Suivant l'ordre du jour, la parole est donnée a M. l'abbé Cahour pour
lire le testament de N... Reverdy, sieur de la Berhaudière, en la paroisse
de Villepot, document du XII0 siècle. Cette pièce, pendant longtemps con-
servée dans les archives de la fabrique de Noyal-sur-Bruce, est datée de
11 10, et a disparu, mais il en reste une copie faite au XVIe siècle par un
ecclésiastique. C'est de cette copie que M. l'abbé Cahour donne lecture.
Mais, dès les premières lignes, il est facile de reconnaître que ni la copie,
ni surtout l'original ne remontent à une époque aussi reculée. Ce testa-
ment peut remonter, au plus, au règne de Louis XV.
A la suite d'une discussion, à laquelle prennent part tous les membres
présents et M. Mercier, l'éminent philologue, unanimes dans cette dernière
appréciation de date, la séance est levée à 9 heures.
Le Secrétaire par intérim,
S. DE LA NiCOLLIÈRE-TEIJEIRO.
Séance du 2 Juillet 1879.
Présidence de M. le baron de JVismes.
Étaient présents : MM. l'abbé Cahour, l'abbé Callard, Van Iseghem père,
Le Chauff, L. Maître, Mercier, A. Perthuis.
La Société approuve le vote fait dans la séance du Comité du 29 avril
1879, sur la proposition de M. de la Laurencie, d'accorder :
1° A M. de Wismes, 150 francs, pour fouilles à Pornic;
2° A M. J. Foulon, 100 francs, pour les fouilles à Penchâteau, qu'il n'a
pu exécuter l'année dernière.
La Société fixe une séance à la mi-juillet, et décide qu'elle prendra en-
suite ses vacances jusqu'au 4 novembre.
M. L. Maître lit une étude sur les lieux dits : la Madeleine et la Mala-
drie. Il fait remarquer qu'il y a identité complète entre ces deux termes.
Les nombreuses citations qu'il apporte à l'appui de sa thèse, démontrent
bien que la majorité des léproseries étaient sous l'invocation de sainte
Madeleine.
Ses descriptions, pleines de détails topographiques, tendent h prouver
que les hôpitaux peuvent servir de jalons pour le tracé des anciennes voies
romaines.
— 27 —
M. Maître se réserve de revenir plus tard sur ce fait, quand il aura
achevé ses recherches : l'importance du but n'échappe à personne.
Les volumes déposés sur le bureau sont :
1° Le Bulletin de la Société des antiquaires ;
1° Le Bulletin de la Société académique de Brest ,■
3° Le Bulletin de la Société des antiquaires de VOuest.
Il en est lu quelques passages intéressants signalés par M. le président, et
la séance est levée à 6 heures.
Pour le Secrétaire absent,
A. Perthuis-Laurent.
Séance du 15 Juillet 1879.
Présidence de M. le baron de Wismes.
Furent présents: MM. le baron de Wismes, de la Nicollière-Teijeiro,
Parenteau, Seidler, R. Blanchard, Leroux, Mercier, Huette, Rousse, abbé
Gallard, Le Chauff de Kerguénec et Lemeignen.
Le procès -verbal de la dernière séance est lu et adopté.
Sont déposés sur le bureau :
1° Mémoires et documents, publiés par la Société archéologique de Ram-
bouillet, tome IV, 1877-1878, 1 vol. in-8°5
2° Dictionnaire patois français du département de l'Aveyron, par feu
l'abbé Vayssier, publié par la Société des Lettres, Sciences et Arts de
l'Aveyron. Rodez, 1879, 1 vol. in-4°;
3° Bévue archéologique et historique du Maine, 1870.
M. Parenteau, à propos de la découverte faite a Saint-Vincent-sur-Jart,
par MM. Linyer et Lemeignen, et dont le procès-verbal vient de faire men-
tion, rappelle les pages si curieuses et si intéressantes consacrées par
M. B. Fillon, dans son bel ouvrage Poitou et Vendée, à cette côte pleine de
débris gaulois et romains. — Il dit qu'il est regrettable qu'on n'ait pas parlé
à cette occasion de la découverte si remarquable de M. de Rochebrune,
dans le bourg de Jart.
M. Lemeignen répond qu'en résumant brièvement devant la Société à la
séance du 10 juin 1879, les fouilles que M. Linyer et lui commencèrent à
Pâques dernier, a Saint-Vincent-sur-Jart, il n'a eu garde d'oublier la mer-
veilleuse trouvaille de M. de Rochebrune \ qu'il prit soin bien au contraire
de rappeler que la villa gallo-romaine de Saint-Vincent, n'est pas distante
de plus de trois kilomètres du lieu oii fut trouvé l'armement complet du
légionnaire romain qu'on peut admirer aujourd'hui chez notre zélé col-
lègue : Qu'il fit remarquer soigneusement qu'à une lieue plus au nord on
- 28 —
trouva le Fàllan, ou le hasard fit découvrir en 1856, un trésor romain
tellement important, que quelques-uns ont voulu y voir le butin de toute
une légion romaine, qui, surprise par l'ennemi, aurait pratiqué à la hâte
une cachette, que les hasards de la guerre ne lui permirent pas de retrouver
plus tard : — Qu'il a signalé dans les vignes qui entourent le Feillon, une
tonnelle tout à fait semblable à celles d'Angles et de Moricq, décrites dans
l'ouvrage de MM. Fillon et 0. de Rochebrune, et de très nombreux débris
gallo-romains ; qu'il ne croit donc pas être téméraire, en affirmant que
toute la côte depuis les Sables- d'Olonne, fut autrefois, à l'époque gauloise
et à l'époque gallo-romaine, couverte d'habitations. D'autre part, il faut
noter que Saint-Vincent-sur-Jart est tout voisin du pays oit M. l'abbé
Baudry, curé du Bernnrd, découvre ses curieux puits funéraires. Quand les
découvertes seront plus avancées, il y aura lieu d'essayer de les relier en-
semble et d'en tirer des conséquences.
M. le baron de Wismes analyse rapidement quelques articles intéressants
du Bulletin de la Société archéologique de Rambouillet, tome IV, 1877-
1878, très spécialement diverses Chartes faisant partie des Cartulaires de
Saint-Thomas d'Épernon et de Notre-Dame de Maintenon, prieurés dé-
pendant de l'abbaye de Noirmoutier et relatives à certaines redevances des
plus curieuses. (Voir les pièces Clll bis, CXI, CXX11I et CXXXIII.) — Puis
une description de l'église paroissiale de Montfort-l'Amaury (Seine- et-
Oise),ou existent des vitraux d'une rare perfection que l'auteur de la notice
attribue à Jean Cousin et à Pinaigrier. L'un de ces vitraux, et c'est un point
curieux à noter pour nous Bretons, reproduit la vie de saint Yves Hélori,
patron des avocats. — Enfin, une curieuse légende intitulée : les trois pen-
daisons de Jean Chagrin, nous fait connaître les incidents d'un conflit de
juridiction au XVI0 siècle.
M. Seidler donne lecture de la traduction de V exposé-programme d'un
journal de philologie germanique et romane, par le professeur Cari
Bartsch. A ce programme, traduit par M. Grimm, professeur d'allemand,
M. Mercier veut bien ajouter quelques observations sur M. Bartsch, l'un
des professeurs les plus connus de l'Allemagne, qui a publié divers ou-
vrages de philologie fort appréciés au-delà du Rhin.
M. Parenteau s'était procuré, il y a quelques années, une curieuse mon-
naie trouvée ii Clisson. C'était un trois-quart de statère d'or gaulois, au
type de la Bécasse placée sous le Sphinx. Depuis, M. Parenteau en décou-
vrit un second à Machecoul; enfin, un troisième exemplaire vient de tom-
ber entre ses mains à Nantes. La rencontre de ces monnaies a une impor-
tance capitale, si on la rapproche de la découverte du temple d'Apollon,
auquel le Sphinx était consacré, et qui fut un des dieux incontestablement
les plus honorés dans nos contrées.
— 29 -
M. Parenteau fait passer sous les yeux des assistants, une très jolie cuiller
en argent du Ve siècle, à manche cannelé, ciselée, émaillée noir et vairée
(dorée par parties). Il la rapproche de la cuiller chrétienne que possède le
Musée de Bordeaux, et des nombreuses cuillers trouvées en Italie, portant
des noms et des emblèmes chrétiens, qu'on retrouve gravées dans l'ouvrage
de M. le Commandeur J.-B. Rossi. [Bulletin, 3e série, 3e année, n° 3.
Planche VIII«, 1878. — Crema, Ruines de Porto.)
Il représente encore un vase en bronze du XIVe siècle, avec goulot bi-
furqué : chaque branche ressemblant a une gargouille. Ce vase est sup-
porté par trois pieds ^ la panse est malheureusement fragmentée et l'anse
manque. Il fut trouvé en Bretagne dans un jardin à Plonaret, près Lannion
(hauteur 0,29 c.) — M. Parenteau a eu en sa possession deux vases de
même nature et même forme, sauf les deux gargouilles, l'un trouvé à Niort
(Deux-Sèvres), le second trouvé près du lac de Grand-Lieu.— En Angle-
terre, ces vases sont communs et assez nombreux. Us appartenaient h
l'aristocratie normande, et souvent ils portent des légendes en langue fran-
çaise. Ainsi, au château de Warwick, on en trouve un du XIVe siècle, por-
tant ces mots : Je suis pot de grant honneur, viende à fère de bon saveur.
— Sur un autre de même époque, on peut lire : Je suis Lawz Gilbert ki
m'emblera mal ildebert (mal lui en adviendra) . Mais tous ces vases n'ont
qu'un goulot, et jusqu'ici, aucun vase à double gargouille n'avait été ren-
contré, sauf celui qui est représenté et un autre beaucoup plus petit, mais
mieux conservé, qu'on trouva dans le puits de la cour du château de Pou-
zauges.
M. Parenteau vient de faire entrer au Musée un plomb très curieux, base
d'un épi de la charpente d'un des bâtiments du Sanitat. Ce plomb qui
porte quatre têtes de lions doit dater de la fin du XVIe, ou du commence-
ment du XVIIe siècle.
La séance est levée et la Société s'ajourne au 4 novembre prochain.
Le Secrétaire général,
Henri Lemeignen.
Séance du i Décembre 1879.
Présidence de M. le baron de TVismes.
Étaient présents ■. MM. le baron de Wismes, Van Iseghem père, A. Per-
thuis, Parenteau, Blanchard, bibliothécaire ^ Blanchard (d'Herbigoac) \ de
la Nicollière, l'abbé Gallard, Maître, docteur Lehoux, Seidler, Petit, etc.
Après quelques mots de M. le président qui pense avec l'assentiment de
tous les membres, que notre Société plus spécialement dévouée à l'archéo-
logie, mais dévouée aussi à tous les travaux de l'intelligence, doit se féiici-
- 30 -
ter de la nomination de M. Elie Delaunay, comme membre de l'Académie
des Beaux-Arts, succès d'autant plus flatteur pour M. Delaunay, qu'il avait
un concurrent redoutable dans la personne de l'illustre M. Bonnat, la pa-
role est donnée à M. Gustave Blanchard (d'Herbignac), percepteur à
Nozay, pour la lecture de la première partie de son travail sur le Dialecte
breton de Faunes au pays de Guérande.
Cette importante étude de notre érudit confrère est digne de ses précé-
dents travaux ; il faudrait pour ainsi dire la citer tout entière pour l'analy-
ser, mais elle sera insérée intégralement dans notre Bulletin oii nous en
recommandons la lecture.
M. Fortuné Parenteau, notre si dévoué conservateur du Musée, se lève
ensuite et verbalement il nous donne des détails accompagnés des rappro-
chements les plus curieux, les plus neufs, parfois les plus inattendus, la
plupart certains et tous très plausibles sur des poteries, des silex, et autres
objets pleins d'intérêt placés devant lui et dont plusieurs vont enrichir le
Musée. — Mais la multiplicité même des détails dans lesquels entre M. Pa-
renteau ne nous permet pas d'en prendre note, avides que nous sommes de
suivre sa parole. Nous espérons qu'il voudra bien lui-même nous donner
pour le Bulletin un résumé de sa savante causerie dans quelques-unes de
ces bonnes pages nourries de faits et d'aperçus qui appellent la réflexion,
comme il sait les faire et qui sont si appréciées de tous.
M. le président prend ensuite la parole, il instruit l'assemblée que le vo-
lume de notre Bulletin pour 1878 sera achevé d'imprimer sous peu de
jours, et qu'il a pensé être agréable à la Société en envoyant à notre impri-
meur pour terminer ce volume un extrait d'un intéressant article du Bulle-
tin Monumental, dû à M. Jules de Sausière, de Tours, sur la chapelle
Saint-Yves des Bretons à Borne; puis, avant de lever la séance, le prési-
dent engage, de nouveau, les membres de la Société à apporter à nos
séances les objets capables de nous intéresser : tels que anciens parche-
mins, documents, généalogies, manuscrits, mémoires inédits, livres rares,
brochures curieuses, gravures, objets d'art ou d'archéologie, tels que pote-
ries, armes, bronzes, sculptures, monnaies, médailles, etc., etc. ; il n'est,
dit-il, presque pas un de nous qui ne possède une ou plusieurs de ces
choses. Pourquoi nous en apporte-t-on si rarement? Nous n'obligeons en
aucune façon à faire des mémoires au sujet des objets présentés; quelques
mots d'explication, suffisent, et souvent, au sujet de ces exhibitions, des
conversations s'engagent, des discussions instructives et de bon goût s'ani-
ment et donnent à nos séances un mouvement qui a son charme particulier
et de l'attrait pour tous.
La séance est levée à 9 heures et demie.
LES TROUVÈRES GUERRANDAIS"
EN LA FÊTE DE SAINT NICOLAS, AU XIV SIÈCLE
PREMIER ARTICLE
CHRONIQUE FUMÉE INÉDITE
I
Saint -Nicolas de Myre, dont la vie appartient à la première
moitié du quatrième siècle, fut toujours, depuis sa mort, très
célèbre en Orient, sans être inconnu en Occident ; mais son
culte n'acquit une grande importance chez les Latins qu'à partir
de l'enlèvement de ses reliques et de leur translation, de Syrie en
Italie, de Myre à Bari, par des marchands de cette dernière
ville, en 1087. Le jour propre de la fête du saint, le 6 décembre,
se vit négligé pour la mémoire du 9 mai, anniversaire d'une
translation qui remua profondément les populations latines (2) ;
et c'est dans cette fête printanière, autrefois si populaire, que
nous nous plaçons. Le nouveau thaumaturge de Bari provoqua,
dans le cours du moyen âge, les manifestations de piété les plus
éclatantes, parmi lesquelles nous citerons une confrérie guer-
(!) Nous rejetons, surtout d'une étude du moyen âge, l'orthographe
beaucoup trop moderne : Guérande, Guérandais. Bizeul (de Blain) peut
nous servir d'excuse, comme il nous sert d'exemple.
(2) Voir Rhorbacher, 1. 66 (t. 14).
— 32 —
landaise, qui s'intitulait la très ancienne, noble et dévote
confrérie de Saint-Nicolas.
Il
Nous ne pouvons nous arrêter à l'étudier après les savants
articles publiés par M. Jégou dans la Revue de Bretagne et de
Vendée (1864-1865). Il y aurait, il est vrai, quelques réserves à
faire sur ces articles. Notre Société archéologique n'a point oublié
la solide argumentation de son secrétaire général, M. Léon Maître,
contre cette double thèse : Que les Templiers avaient apporté en
Occident le culte de saint Nicolas, et avaient fondé à Guerrande la
confrérie de ce saint. Sa conclusion est que le premier point
n'est pas admissible, et que le second n'est pas prouvé. Dans
l'ignorance où nous sommes de la vraie origine de la confrérie
guerranclaisc, il faut s'en tenir à la date de 1350, qui est celle
d'une meilleure organisation et de la rédaction des statuts, dont
le recueil commence ainsi :
« C'est l'establissement de la confrarie de Mons S. Nicholas...
lequel établissement fut accordé de tous les frères et escript en
cest papier (mis) en quaier le lundi amprès la translacion, l'an
mil trois cenz cinquante. »
Suivent les statuts, dont un surtout doit nous occuper. Après
avoir réglé ce qui concerne le service religieux de la confrérie,
ils en viennent à la maison, où les membres doivent se réunir
annuellement : c'est la maison même du chapelain. Nous citons.
« La meson de la chapellanie, sise en la ville de Guerrande
près de la porte S. -Michel... doit estre subjette et obligée ès-
dits frères... pour lour digner (de la fêle du 9 mai), et y devent
auxi faire lez chapitre l'andemain du dit jour. »
« Item devent les dits frères aler touz à cheval par chacun an
à malin amprès la messe le jour de la diie feslc hors la ville, le
plus coitement (') que ils pourront ot retourner en la ville o (a),
(') Du latin quielej tranquillement.
(-) Pour au, abrogé d'avec.
- 33 -
branches de foilles et de flours, et faire hystoires d'aucunes
choussez (*) pour esbatement avant aler digner. »
« Item celui qui fera les rimmes de l'istoire aura son escuelle
quitte (de l'écot exigé de chacun). »
Après cela on peut se demander s'il n'y avait pas dans la cité
bretonne, dans sa confrérie, une académie en germe. Ou sait
que les palinods de Normandie sont sortis des confréries de
rimmacuiée-Conception. A quoi tint-il que pareille société lit-
téraire n'ait pas brillé à Guerrande? C'est toujours l'honneur
de cette ville d'avoir su allumer à son foyer religieux l'inesti-
mable flambeau des lettres.
Nous avons entendu l'invitation faite avec prime aux trouvères
du pays pour le 9 mai, ou plutôt l'injonction aux membres de la
confrérie eux-mêmes de faire histoire d'aucunes choses pour
l'esbatement commun, et partant de fournir quelque conteur,
quelque rimeur, qui donnât ce complément à la fête. Des
statuts, si favorables à la culture de l'histoire et des vers, ont-ils
trouvé de l'écho dans le pays ? Nous le croyons. Si nos preuves
ne sont pas jugées péremptoires, on nous accordera que ce sont
de forts indices d'un appel entendu, et cela nous suffira. Nous
les puisons à deux sources, qui sont deux chroniques rimées,
l'une connue et publiée , que nous réservons pour la faire
valoir à loisir, l'autre inédite, que nous présentons aujourd'hui.
m
Nous la tirons du recueil des actes de la confrérie, embrassant
la durée de quatre siècles, de l'an 1350, où cette confrérie rédige
ses statuts, à l'an 1751, où elle est supprimée en vertu d'un
arrêt dicté par un nouvel esprit qui soufflait sur la société. Ce
précieux cartulaire se compose de quatre volumes de papier vélin
fort bien conservés. Propriété de la fabrique de la paroisse de
(J) Du latin caussœ, ou plutôt caussas. On sait que notre mot choses
vient de l'accusatif causas.
1879 3
- 34 —
Saint-Aubin, il est déposé au presbytère, où M. le curé, l'abbé
Plormel, non moins ami de la science qu'il est le nôtre, nous a
permis de prendre tous les renseignements que nous désirions.
La chronique que nous y avons copiée est écrite au dos d'un
cahier, qui cousu avec d'autres, forme le premier des quatre
registres mentionnés. Cachée dans un dix-septième feuillet, entre
les procès-verbaux des délibérations annuelles, elle est très courte,
composée de huit lignes. L'écriture assez serrée est soignée et
régulière, sans être sortie de la même main. On reconnaît facile-
ment deux scribes successifs, auteurs de quatre lignes chacun. II
y a, en deux endroits, des ratures qui rendent plusieurs mots illi-
sibles et qui proviennent d'un grattage, dont nous rechercherons
la raison, en tâchant aussi de retrouver les mots effacés.
Si la pièce se dérobe aux premiers regards, entre d'autres qui
lui sont tout à fait étrangères, sa forme versifiée s'y dérobe en-
core davantage, grâce à la dissimulation des vers tant par des
dates écrites, généralement en chiffres, que par l'ancienne méthode
de renfermer dans la même ligne les deux parties consonnantes
ou rimant ensemble.
Cette méthode, qu'on peut s'étonner de trouver encore en
Guerrande vers la fin du XIVe siècle, s'explique par l'origine de
notre vers français, sorti du vers latin dit léonin, dont les hé-
mistiches consonnants formaient une seule et même ligne, comme
dans ce vers de Martial :
Sint Maecenates, non deerunt, Flacce, Marones.
On sait que cette répétition de sons, employée, sans être
recherchée toutefois par les poètes de Rome, fut mise en crédit,
au XIIe siècle, par un chanoine de Paris du nom de Léon. Aujour-
d'hui et depuis bien longtemps, la rime ne divise plus le vers,
mais le termine, par suite de la séparation et de la superposition
des deux hémistiches de notre vers primitif. Cette manière, qui
compte autant de vers et de lignes que de rimes, nous est
imposée par l'usage, et nous devrons nous y conformer. Nous
compterons donc, dans notre pièce rimée, seize vers au lieu de
— 35 -
huit; chacun était de seize syllabes : nous donnerons huit
syllabes à chacun. Si la quantité syllabique ne paraissait pas
exacte, qu'on se souvienne de cette règle de notre ancienne
versification, que l'e muet final d'un mot faisait ou ne faisait pas
compte, à la volonté du poète. Gela dit, nous copions :
L'an mil trois cent quarante un an,
Se morit le bon duc Jahan.
L'an mil trois cent quarante et dous
Fut ars Guerrande des Espaigoouls.
L'an mil trois cent soixante et quatre
Vint monsour Charlles se combattre,
Qui tué fut en la bataille
Par Bretons, gens (de rien qui vaille).
L'an mil trois cent soixante et dous
Alèrent plusours à repous.
L'an mil trois cent (et) deux fois quarante
Fust Guerrande.
L'an mil trois cent quatre vins et un
Furent François (et) Bretons à un (*),
La pez fut feste en Guerrande :
Mariz en furent gens de Yrlande.
Si nous avons intercalé deux fois la conjonction eh ce n'est
que pour une clarté plus grande.
Nous avons parlé de deux ratures et de notre intention d'y
suppléer autant que possible. Pour la première, à l'aide de quel-
ques linéaments demeurés des lettres effacées, nous avons cru
pouvoir lire :
Bretons, gens de rien qui vaille,
en parlant des vainqueurs, prétendus meurtriers du prince Charles.
C'était bien dur pour ce parti d'être ainsi traité. On comprend
que l'injure ne pouvait subsister, dès que le registre passerait aux
mains d'un partisan du comte de Blois ou du roi de France.
Elle a donc disparu sous le grattoir, probablement lorsque les
(J) Ad unum, car la paix fut faite
— 36 —
Français reprirent leur influence en Bretagne, après la paix du
duc Jean IV avec le roi Charles VI, en 1381. Nous croyons pou-
voir expliquer l'autre rature d'une manière analogue. Il faut
préalablement retrouver la lecture de ce qui a été raturé, ce qui
n'est pas facile, lorsque les mots ont été aussi intégralement que
rudement grattés. Mais nous avons une date, 1380, et le lieu,
Guerrande. Il s'agit d'y encadrer quelque fait notable qui s'y
rapporte. Nous n'en trouvons pas d'autre que les vives hostilités
entre les Guerrandais et le fameux compagnon d'armes de Du-
guesclin, Olivier de Clisson, qui entreprit, sous ses ordres, de
soumettre leur ville a Charles V. « Ils se défendirent si bien, dit
D. Morice, qu'ils l'obligèrent à lever le siège. Ils ne se conten-
tèrent pas de cet avantage : ils allèrent encore ravager toutes les
terres que le sire de Clisson tenait dans le diocèse de Nantes. »
Ces exploits ne méritaient-ils pas d'être consignés dans les an-
nales guerrandaises? Le scribe de la confrérie de Saint-Nicolas
s'empressa d'inscrire la victoire de ses compatriotes. Mais c'était
trop d'empressement. Dès l'année suivante la paix se faisait entre
le duc de Bretagne et le nouveau roi de France, Charles VI;
Olivier de Clisson était reçu à Guerrande en ami ; l'importante
confrérie de Saint-Nicolas lui ouvrit ses rangs, et le nom tfOli-
verius de Cliczon figura en tête d'une liste des membres qui fut
dressée vers ce temps. Mais comment laisser subsister sur le même
registre le souvenir de l'humiliation du grand capitaine, déjà
successeur de Duguesclin dans la charge de connétable de France?
Il fallut de nouveau se hâter d'effacer ce qu'il y avait d'offensant
pour son honneur militaire. L'effacement fut si bien opéré qu'on
ne peut s'aider d'aucun trait pour former une lettre, composer un
mot. On est réduit à deviner ce mot, qui, la mesure du vers ne
s'y opposant pas, pourrait bien être victorieuse ou victoriouse.
En attendant meilleur avis, nous intercalerons entre fust et Guer-
rande ce dérivé de victoire, et nous rétablirons ainsi le distique
mutilé :
L'an mil trois cent deux fois quarante,
Fust victorieuse Guerrande.
- 37 -
Vers le milieu de notre chronique rimée, s'ouvre un grand es-
pace blanc. Qu'en penser? Nous pensons qu'il était destiné à rece-
voir d'autres rimes, d'autres dates d'événements. Entre 1364 et
1381, il y avait des faits à inscrire, à commencer par le premier
traité de Guerrande, qui mit fin à la guerre de succession, en 1365,
et qui avait bien l'importance du second. Comment expliquer
la lacune signalée ? Plusieurs suppositions sont possibles. Avant
tout, il convient de rechercher quel était le but de la pièce.
Ce n'était pas de procurer un esbatemenl aux confrères entre la
chevauchée du matin et le dîner de la Porte-Saint-Michel. La
pièce en question a trop peu d'étendue pour cela. Ajoutez qu'elle
n'est pas tout entière de la môme année: la première partie est
de 1379, et l'autre est, au plus tôt, de 1381, comme nous lo
montrerons en finissant.
Entre les hypothèses qui peuvent être faites, nous nous arrê-
tons à celle-ci, comme à la plus vraisemblable. Le confrère à qui
la plume aura été remise pour la rédaction du procès-verbal
de la délibération du 10 mai 1379, aura eu la fantaisie de se
livrer à son goût pour les vers historiques, peut-être au souvenir
de ceux qu'il avait entendus la veille. De là une ébauche de chro-
nique rimée. Cette tablette chronologique ne pouvait être poussée
bien loin. Le registre de la Confrérie s'ouvrait rarement et no
pouvait guère se retrouver dans les mêmes mains, par suite du
renouvellement annuel des procureurs qui l'avaient en garde.
IV
Nous avons, selon notre pouvoir, déterminé l'origine de notre
chronique guerrandaise. S'il fallait juger cette pièce, en dehors de
la Confrérie et de la fête de Saint-Nicolas et dans le détail, il y
aurait lieu de l'examiner au point de vue de la langue et des vers,
des événements politiques et des opinions nationales qui les
accompagnaient nécessairement : ce qui nous montrerait dans un
petit cadre un tableau très intéressant, parce qu'il serait vrai, de la
Bretagne ou d'un de ses principaux cantons dans la dernière
- 38 —
moitié du XIV0 siècle. Qu'il nous soit permis de toucher ces dif-
férents points de vue dans quelques remarques.
Nous observons d'abord que Dom Lobineau nous montre dans
un français un peu plus avancé les mêmes termes qu'emploie
la Chronique guerrandaise, lorsqu'il nous fait cette citation de la
Chronique du château de Nantes : « En 1341 ne furent pas Bre-
tons à un, quand mourut le bon duc Jehan. » Jahan fut usité
pour Jean à Guerrande, au moins jusqu'à l'union de la Bretagne
à la France. Vlusours alèrent à repous (ad repositum ou repo-
sitionem). Nous dirions : Beaucoup trépassèrent ou reposent en
paix. Vers la fin du même siècle, on trouve dans la liste des
confrères dont le décès est ordinairement indiqué par le mot
mort: Legentil repouz (repositus). La basse latinité avait donné
repositum pour repositio, repos, et repositus pour depositus,
déposé et reposant en terre. Dernière observation grammaticale :
la diphthongue ou règne a la place de la diphthongue ewv que le
français du nord ne tardera pas à faire prédominer. Nous avons
déjà parlé du vers, dont l'art simple et sans prétention ne saurait
nous arrêter. Hâtons-nous de passer aux faits historiques d'une
période de quarante ans, qui s'écoula entre la mort de Jean III
et la paix de Jean IV avec la France, faits consignés dans notre
chronique au nombre de cinq ou six.
1er fait : Mort de Jean III. Nommé le bon duc par son peuple
qui avait pu l'apprécier pendant un règne de près de 30 ans
(312-341), il a bien droit d'être dit Jean-le-Bon dans l'histoire,
justifiée, remarquons-le, par notre chroniqueur.
2e fait: Incendie de Guerrande. Philippe de Valois avait nommé
le prince La Cerda, plus connu sous le nom de Louis d'Espagne,
amiral de sa flotte, après la perte du combat de l'Ecluse contre
les Anglais, par la mésintelligence des deux amiraux français.
Leur successeur se jeta en Bretagne avec une armée composée
d'Espagnols, de Génois et de Français, mais surtout tfEspain-
gnoulx. « Il se dirigea a (vec) tout son ost, comme parle Froissard,
devers une moult grosse ville, séant sur la mer que on appelait
- 39 —
Guerrande et l'assiégea par terre... (Elle) fut assez tôt gagnée et
robée (pillée) et mise à l'épée, sans merci, hommes et femmes et
enfants, et cinq églises arses et violées, dont messire Louis fut
durement courroucé. Si fit tantôt pour ce pendre 24 de ceux qui
ce avaient fait. » Voilà des détails précis ; mais un fait principal,
l'incendie général de la ville se dérobe chez l'auteur, comme
chez les historiens subséquents. C'est notre chronique locale qui
le signale. Ce n'est pas sans conséquence. Jusqu'ici l'histoire por-
tait à croire que le feu fut mis préférablement, exclusivement,
aux églises guerrandaises, par une armée de soldats catholiques,
mais peu dignes de ce nom. Cet excès d'impiété, déjà invraisem-
blable, devient inadmissible, lorsque la combustion des cinq
églises nous apparaît comme le résultat plus ou moins naturel et
nécessaire de l'incendie général d'une ville prise d'assaut. Nous
ne voulons pas dire pour cela que Louis d'Espagne n'ait pas eu,
dans ce désastre, de bonnes raisons de sévir contre plusieurs des
siens. Richer, dans son Histoire de Bretagne^ vient un peu tard
nous apprendre que la population guerrandaise s'étant réfugiée
« dans l'église de Saint-Aubin, les soldats mirent le feu à l'édifice,
et la voûte en pierre s'écroula sur les malheureux. » A la vérité,
les murs et les piliers de la nef de cette ancienne collégiale mon-
trent beaucoup de pierres noircies et calcinées ; mais la voûte
en pierre n'a jamais existé : c'est un point, aujourd'hui, hors de
doute.
3& fait : Mort de Charles de Blois. On s'est toujours demandé
par qui le meurtre du comte de Blois avait été commis lors de la
bataille d'Auray. Notre chronique affirme que les meurtriers
furent des Bretons, en les qualifiant d'une manière flétrissante,
devenue illisible, mais que nous croyons avoir retrouvée. L'inju-
rieuse qualification, due à un partisan des droits politiques de
la victime, fut postérieurement effacée, grattée profondément
par un adversaire attaché à la cause du duc régnant; mais le
nom national est resté : la vérité le maintenait en dépit du
patriotisme breton, qui aurait préféré accuser les Anglais, s'il
y avait eu lieu. Le prince fut donc tué en la bataille par Bre-
— 40 —
tons, non par un seul, mais par un corps de combattants, dirigé,
si Ton veut, par le capitaine anglais Hue de Gaverley, qui déter-
mina la victoire en faveur de Jean IV, à Auray, mais qui ne
pourra plus être accusé du coup mortel porté à l'infortuné rival de
ce duc. Il ne faudra pas davantage accuser un seigneur parti-
culier du pays de Guerrande, Pierre de Lesnérac, contre lequel,
du reste, l'histoire n'a jamais osé prononcer.
4e fait .- Paix de Guerrande. La date de 1381 ne permet pas
de confondre cette paix avec celle de 1365, qui mit fin à la
longue et sanglante guerre de succession. Celle dont nous voulons
parler, conclue à Paris le 15 janvier par les plénipotentiaires de
Charles VI et de Jean IV, fut jurée le même jour à Vincennes par
le roi de France , et par le duc de Bretagne à Guerrande le
6 avril, dimanche des Rameaux.
Mariz en furent gens de Yrlande.
Il n'y a pas de difficulté pour reconnaître dans les Irlandais les
Anglais eux-mêmes, dont le souverain, Edouard III, s'intitulait
seigneur d'Irlande en même temps que roi d'Angleterre et de
France, et dont le dépit éclata, lorsqu'il fallut en conséquence
du traité, évacuer le sol de la Bretagne.
Il nous reste à examiner un 5e fait, étranger aux faits poli-
tiques entre lesquels il se trouve néanmoins consigné en ces
termes :
L'an rail trois cent soixante et dous,
Alèrent plusours a repous.
On ne peut guère voir ici qu'une épidémie meurtrière, qu'une
de ces invasions de la peste noire qui fit de si grands ravages en
Europe vers le milieu du XIVe siècle. La Bretagne, le comté de
Nantes ne furent pas épargnés. Il est étonnant que notre chroni-
queur ne cite que l'invasion de 1362, lorsqu'on eu connaît deux
autres peu antérieures (en 1348 et 1356), et probablement
plus meurtrières, La plus récente aura effacé chez lui la mémoire
des deux autres. Du reste, l'omission a été réparée, sinon par sa
main, du moins par celle d'un contemporain, compatriote et con-
— 41 —
frère de dévotion et de métier poétique, puisque le supplément
que nous allons présenter se trouve rimé dans le même cahier
avec tous les caractères du XIVe siècle. Dans les feuillets d'enve-
loppe de ce cahier se cachent six vers, où l'invasion pestilen-
tielle de 1356 est décrite dans les termes les plus expressifs et les
plus lamentables :
L'an mil trois cent cinquante six,
Courout un mal à maint pays (J),
Huchent, crient comme chiens vis,
Plusours doloint de leurs amis
Et eux joignaint à la pierre.
De tel mal nous guart (garde) Dieux le Père!
Dans ce morceau trois vers ont peut-être besoin d'explication.
Le mot le plus étrange est vis, qui est purement latin : c'est la
locution abrégée de vis magna ou maxima hominum, grande
multitude. Nous tirons en conséquence :
Force gens huchent, crient comme des chiens.
Le distique suivant exprime le trait de sentiment le plus tou-
chant. Nous l'entendons ainsi :
Plusieurs se douloient, se désolaient de la perte de leurs amis,
et bientôt joignaient eux à la pierre sépulcrale de ces amis, en
succombant au même mal.
La Chronique du château de Nantes va suppléer à une lacune de
nos annales guerrandaises, au silence gardé par les rimeurs de la
confrérie de Saint-Nicolas sur la première invasion de l'effroyable
fléau de la peste noire. L'auteur de cette chronique, qui paraît
avoir eu aussi ça et là l'intention de rimer, nous dit dans les
Preuves de D. Lobineau :
L'an mil trois cent quarante neuf,
Fut la bosse grosse comme un œuf
Et grande mortalité.
(0 Dans le texte original, ces deux vers n'en forment qu'un, vers léonin
comme les précédents. Le rimeur, se ravisant tout à coup, abandonne ce
grand vers, qui perdait apparemment de sa vogue, pour prendre notre vers
usité de huit syllabes. Nous avons la une transition curieuse du vers léonin
de seize syllabes au vers de huit, si commun depuis.
- 42 —
L'abbé Manet, dans son histoire de Bretagne, nous explique la
bosse en question. « La cruelle maladie fut nommée en Bretagne
la bosse, parce que son dernier degré de malignité s'annonçait
par des bubons gros comme un œuf. » Venue du fond de l'Asie,
elle éclata, nous apprend-il, au mois d'août 1348 sur l'Europe, et
ravagea particulièrement la Bretagne l'année suivante. Ainsi voilà
trois coups du plus effroyable fléau qui frappent à intervalles de
7 ans une partie considérable du monde jusque sur notre bord
océanien. Ce retour périodique de la terrible contagion ne nous
paraît pas avoir été signalé. Travers nous parle assez vaguement
du ravage qu'elle exerça dans le comté de Nantes.
Mais revenons à notre chronique guerrandaise de 1380 ou en-
viron pour en chercher l'auteur.
V
Il s'agit de trouver le nom du plus ancien peut-être de nos
trouvères bretons qui s'exercèrent à manier le grand vers fran-
çais. L'auteur est double, à en juger par l'écriture. Mais nous
croyons que le nom de famille est le même. Selon toute apparence,
nous avons devant nous le père et le fils, Guillaume et Nicolas
Le Corre, qui se partageraient par moitié, ou à peu près, la com-
position des 16 vers étudiés. Dom Guillaume Le Corre, en latin
Dominus Guillelmus Nanus, comme traduit le fils, avait en main
le registre de la confrérie de Saint-Nicolas, en qualité de procu-
reur de cette confrérie, de mai 1378 à mai 1379. Il aura passé
la plume à son fils Nicolas, qui la tenait certainement en 1381
comme secrétaire officieux, sinon attitré d'une société qui n'en
élisait point encore. On voit ce dernier dresser alors une liste de
cent confrères, au bout de laquelle il s'inscrit d'une manière
aussi originale que modeste. Il écrit à rebours : Dictus Le Corre
Nicolaus, au lieu d'écrire conformément à l'usage : Nicolaus Le
Corre dictus (latine Nanus). Nanus, laissé en blanc, équivalait à
niliil dans la pensée du signataire, qui exigerait un peu, par
humilité sans doute, le sens de son nom propre en se réduisant à
rien.
— 43 —
Le père et le fils ne laissaient pas d'être des personnages.
Celui-là figure parmi les trois premiers procureurs connus de la
confrérie, puis au centre d'un groupe de Domini dans la liste gé-
nérale des frères. Si nous ne pouvons assigner à l'autre quelque
titre ou dignité, c'était toujours un habile homme, à n'en juger
que par ce long catalogue qu'il a dressé. Sans parler de sa belle
écriture carrée, il traduisait fort bien les noms personnels du pays
en latin, à commencer par le sien. Ainsi il se gardait d'introduire
h dans Nicolaus, il connaissait l'équivalence de Corre et de Nain
ou Nanus et de beaucoup d'autres semblables ; mais il se permet-
tait trop facilement de substituer le nom vulgaire au nom latin
correspondant, ce qui cause quelquefois trop d'embarras pour re-
trouver le premier. Nous ignorerions même quel est notre écrivain,
si une main contemporaine n'avait eu l'attention, pour qu'on s'y
reconnût, d'ajouter à Nanus les mots : aliàs Corre, et à Nicolaus,
ces autres mots : filius Guillelmi. C'est ainsi que se découvre, à
Guerrande, entre les feuillets du cartulaire de la confrérie de
Saint-Nicolas, une famille de trouvères franco-bretons, qui nous
invite à en chercher d'autres.
Abbé Gallard.
(A continuer).
LA CORPORATION DES POTIERS D'HERBIGNAC
Les touristes qui ont parcouru la presqu'île guérandaise, parti-
culièrement les stations balnéaires du Pouliguen, du bourg de
Batz et du Croisic, n'ont pas été sans remarquer la forme insolite
des vases qui servent dans cette contrée à conserver l'eau fraîche.
Ce sont d'énormes pots très ventrus, plus larges que hauts, munis
d'une anse et d'un petit goulot dont la pâte en terre rouge semble
poreuse. Il y en a de grands et de petits, mais toujours leurs
lignes correctes sont les mêmes. Les connaisseurs qui les ont
observés prétendent que leur forme doit avoir été inspirée par
l'art grec; le fait est qu'en voyant une femme du pays revenir de
la fontaine avec l'un de ces pots sur la tête, je pensais involon-
tairement à l'Orient. Ce qu'il y a aussi de singulier, c'est que
l'usage de cette poterie, pourtant très commode, ne s'est pas
étendu au delà des communes qui entourent la Grande-Brière.
C'est un trait de plus à noter dans cette contrée où les mœurs,
le sol et la langue présentent tant de caractères curieux. La
poterie, dont nous parlons, se fabrique depuis des siècles autour
d'Herbignac par des artisans qui ont conservé les mêmes tradi-
tions, grâce au contrôle qu'exerçait sur eux l'un des seigneurs
du pays, celui de Kerolivier. Ce domaine de Kerolivier situé dans
la commune d'Herbignac contient une carrière d'argile où les
potiers vont encore puiser aujourd'hui. L'aveu que nous publions
plus loin nous apprend que ces ouvriers potiers formaient une
corporation, comme ceux des villes, avant 1790. Les ouvriers
potiers de Chartres et de Rieux étaient également organisés de la
- 45 —
même manière. Suivant le témoignage de M. de la Borderie, dont
la vaste érudition ne laisse rien échapper, les corporations rurales
étaient peu communes en Bretagne ; ces trois exemples sont les
seuls connus.
Le jour delà saint Barnabe, les potiers allaient chercher le sei-
gneur de Kerolivier en procession, musique en tête et le condui
saient à la messe, tantôt à Herbignac, tantôt à Saint- Lyphard. Après
la cérémonie, ils lui offraient un repas, suivi d'airs champêtres, et
lui payaient une redevance. Les délégués delà corporation étaient
élus non par leurs pairs, mais désignés par le seigneur, et chaque,
ouvrier était obligé d'observer dans la fabrication des règles qui
sont formellement prescrites dans la déclaration. En outre, l'acte
indique qu'elles étaient les amendes imposées aux contrevenants,
les conditions d'admission et les noms de tous les potiers qui
exerçaient en 1750. Ce sont des faits qu'il est intéressant de re-
cueillir pour l'histoire de l'industrie en Bretagne.
HOMMAGE DES POTIERS A M. DE TRÉVELEC.
« L'onzième jour de juin, mil sept cens cinquante et quatre,
par devant nous, notaires soussignans du marquisat d'Assérac,
avec soumission et prorogation de jurisdiction y promises et
jurées, ont en personne comparu Jacques Annezo, René
Grusson, Michel Hougard, Jan Trigodet, Pierre Léa, René Bernier,
Simon Mouraud, René Bernard, Noël Bernard, René Bizeul,
François Hallier, Michel Trigodet, René Julio, Noël Trigodet
le jeune, Claude Moyon, René Mouraud, Jan Moyon, Michel
Mouraud, Jacques Huet, Guillaume Mouraud, Vincent Lenué,
Jacques Lenué, Yves Moyon, François Hougard et Noël Trigodet
l'aîné, tous potiers et habitans de la frairie et village de Hosca,
paroisse d'Herbignac , Jan Gicquel de Kergas et Jonjulio du
Drezet, aussi potiers et paroissiens de Férel, lesquels ont reconnu
et confessé, reconnaissent et confessent, à messire Jan -Marie
de Trévelec, chevalier seigneur dudit lieu de Querollivier, la
Desnerie, Saint-Donatien en Nantes et autres lieux, ancien con-
— 46 —
seiller du roi en son parlement de Bretagne, demeurant à son
hôtel, place Saint-Pierre, à Nantes, en la personne d'écuyer
Vincent-Louis du Bourgneuf pour ledit seigneur de Trévelec,
présent et acceptant, que de tout tems immémorial, le jour et fête
de saint Barnabe, apôtre, de chacun an, tous et chacun les
potiers tant de cette paroisse d'Herbignac, que de Saint-Liphard,
et autres paroisses circonvoisines , sont tenus et sujets ayant
chacun d'eux un rameau qu'ils pourront prendre dans les bois de
ladite maison de Trévelec , aller quérir le seigneur dudit lieu
en sa maison de Trévelec avec sonneur de hautbois et l'assister,
conduire et accompagner à venir à la messe soit en l'église parois-
siale d'Herbignac, ou en celle de Saint-Liphard, savoir : deux
années consécutives audit Herbignac, et l'autre année à Saint-
Liphard, puis à l'issue de la messe luy donner, et à ceux qu'il
luy plaira prier et convier à dîner selon sa qualité et à leurs
frais, et après le dîner feront lesdits potiers ausdits sonneurs
jouer de leurs instruments le reste de la journée, comme aussy
confessent que ledit seigneur de Kerollivier avec eux peut choisir
et nommer deux desdits potiers le jour Saint-Barnabe, et yceux
changer d'an en an pour faire visiter chez- les autres potiers, les
pots qu'ils feront, afin de savoir s'ils sont faits selon l'ordre
observé entre lesdits potiers pour la grandeur des pots, la teneur
duquel ordre ensuit, savoir :
« Que le pot de cinq, tiendra depuis la poitrine jusqu'au jable un
empan, le pot de quatre, depuis le jable jusqu'au bréchet, tien-
dra un empan, deux doigts; le pot de trois, tiendra un empan
trois doigts, depuis le jable jusqu'au bréchet, et le pot de six,
tiendra un empan, depuis le jable jusqu'au col. Lequel ordre tous
et chacun lesdits potiers sus-nommés promettent continuer et
entretenir à l'avenir, à peine de trois sols quatre deniers monnoye
d'amende à chacun contrevenant qui tournera au profit dudit
seigneur de Trévelec ; pour le payement de laquelle amende il
pourra faire exécuter les débiteurs d'icelle par deux potiers com-
missaires qui pourront prendre et exécuter et vendre la roue
desdits contrevenans d'heure à autre, sans aucune forme ni
— 47 —
ministère de justice. Confessans pareillement lesdits potiers
qu'aux fins de leur ancien ordre ils ne peuvent et ne pourront
montrer ni faire apprendre ledit métier de potier à aucunes per-
sonnes s'ils ne sont fils de potiers ou mariés avec filles de
potiers, et au cas qu'il y eût quelques autres personnes que les
fils de potiers ou ceux mariés avec filles de potiers qui voudroient
aprendre ledit métier de potier, chacun aprentif doit et payera
audit seigneur de Trevelec, Kerollivier, la somme de dix livres
monnoye dès le commencement de leur apprentissage, et si ledit
potier aprentif n'a moyen en meubles de payer ladite somme,
celuy qui luy montrera et aura montré ledit métier sera tenu et
contraint par exécution et vente de ses biens payer audit seigneur
de Trevelec, Kerollivier, ladite somme de dix livres monnoye,
sauf à lui faire rembourser dudit aprentif, ainsi qu'il verra.
Et quant aux fils de potiers ou ceux mariés à filles de potiers qui
apprendront ledit métier, devront et seront tenus payer la pre-
mière année de leur apprentissage au jour saint Barnabe, la par-
celle de cinq sols monnoye d'eux audit seigneur de Kerrollivier
Trevelec, à faute de quoy ils y seront contraints par les voyes
ci-dessus dites, et au regard des défaillais qui sont Jean Grusson,
Julien Broussard, Jacques Grusson, François Pédron , Jean
Annezo, René Le Roux de Hosca, Jacques Trigodet de Morlai,
Claude Grusson de Langâtre, Jan Gadiet de Sapillon, Jacques
Trigodet d'Arbourg, Jan Audrain, Jan Bernard, Cir David, René
Grusson, Jacques Anger, Guillaume Audrain, Yves et Jan San-
terre de Lauvergnac et Kererné, François David de Kercou-
ret, Louis Quitté, Jan et Jacques Grusson de Boya, François
Hervoche dit Grand François de Tréman, Jacques Goquard,
aussi de Tréman, Jan David l'aîné, autre Jan David dit
Grossac, Gir, René et Marc David, Yves Dalino, Michel
Hougard, Guillaume Audrain de Landieule, Pierre Porcher
de Kernava, Claude Léa, dit grand Guy de Kerhors, Claude
Gouret, François Hervoche, Jan Hervoche, Jan Durand, Jan
Baptiste David, Yves Durand de Kerbitet, Joseph Trigodet de
Quelaud, paroisse d'Herbignac, François Boidrefaut de Trélidan
— 48 -
en Ferel, qui se sont absentés et ne se sont trouvés ce jour sui-
vant les assignations et publications faites aux prônes de messe,
et ceux qui manqueront de se trouver et comparaître audit lieu
de Trevelec, quérir et assister ledit seigneur de Trevelec et ses
successeurs, et le conduire en cette ville d'Herbignac ou audit
saint Liphar ledit jour de saint Barnabe, à ouïr et entendre la
messe que lesdits potiers feront dire, payeront chacun d'eux
audit seigneur de Trevelec, la parcelle de cinq sols monnoye et
en défaut de payement, ledit seigneur les y pourra faire con-
traindre par lesdits deux potiers commissaires et avouent lesdits
potiers lesdits devoirs être dûs audit seigneur de Trevelec, et que
ses auteurs ont été en possession d'iceux droits de tout temps im-
mémorial. Et pour commissaires afin de faire exécuter de point en
point l'ancien ordre et coutume desdits potiers, a été par ledit
seigneur du Bourgneuf pour ledit seigneur de Trevelec et les sus
nommés potiers, nommé et choisi François Hougard et René
Grusson Trigodet, et René Mouraud, lesquels prendront pour assis-
tans tous autres qu'ils verront, seront tenus à la prochaine fêle de
saint Barnabe, faire leur raport des contraventions à ce que des-
sus à la tenue des plaids que lesdits potiers tiendront ledit jour
par entr'eux dans la maison où sera assigné le dîner en présence
dudit seigneur de Trevelec, ses successeurs ou autre de sa part,
et a ledit seigneur du Bourgneuf audit nom déclaré avoir été sa-
tisfait cedit jour desdits droits par les présens pour l'an et tenue
de ce jour, et a réservé de faire contraindre et exécuter les dé-
faillans. Ce que dessus a été par lesdites parties présentes, ainsi
voulu et consenti, juré et promis, tenir et accomplir sans y con-
trevenir, pourquoy nousdits notaires soussignés les y avons de
leur consentement jugées et condamnées, les y jugeons et con-
damnons.
Fait et passé en la ville d'Herbignac au raport de Crespel,
notaire. »
Léon Maître.
ni
»5
ce
?7'T°l?.lJp S'Uuirf g y g
S^>
^
t.
■S
-a
5
■?
o
cq
X
o
i — i
o
PIERRES GRAVÉES
Trouvées dans la commune de Saint-Auliiii-de-Bauliipé (Deux-Sèvres).
Un jeune chasseur, parcourant il y a trois ans une ferme située
dans la commune de Saint-Aubin et appartenant a M. le marquis
de la Rochejaquelein, remarqua sur de nombreuses pierres grani-
tiques des signes et des figures de différentes sortes. Il fit part
de sa découverte a plusieurs de ses amis, et l'un d'eux, M. le
marquis de la Bretesche, nous indiqua ces singuliers monu-
ments.
A l'automne dernier j'ai voulu les voir à mon tour. Un court
séjour dans la contrée m'en a fourni l'occasion.
Je ne suis pas assez savant en de pareilles matières, pour appré-
cier la valeur de cette découverte. Mais j'ai pensé qu'il vous
serait agréable d'en recevoir quelques spécimens et que peut-
être ils donneraient à d'autres, plus habiles, l'idée d'étudier plus
complètement ces curieux restes d'un autre âge.
J'ai donc relevé les dessins que je viens vous présenter. Mon
procédé a été un décalquage, grossier peut-être, mais qui a le
mérite d'une exactitude complète.
Voici en quelques mots le récit et le résultat de mon voyage :
A cinq ou six kilomètres de la station de Ghâtillon-sur-Sèvres,
sur la roule qui conduit de Saint- Aubin aux Aubiers, a une faible
distance du premier de ces bourgs, on aperçoit sur la gauche, à
400 mètres environ, un groupe de maisons situé sur un mame-
lon qui s'avance dans une double vallée. Ce groupe s'appelle le
Veau ou plutôt les Veaux, car il y a deux fermes, le grand et le
1879 4
- 50 -
petit Veau. J'écris le Veau (vitulus), et pourtant la situation sem-
blerait indiquer une autre orthographe.
Le nom de toutes les localités situées de môme façon s'écrit
partout le Vaux ou le Vaulx : cette désignation indique toujours
un vallonement quelconque ; mais l'usage du pays, confirmé par
toutes les cartes géographiques à partir de celle de Cassini, main-
tient l'autre appellation. Pourquoi cette localité porte-t-elle le
nom de l'animal qui devient plus tard le taureau ? Je constate sans
chercher à expliquer.
Quoi qu'il en soit, je découvris, dès mon arrivée, les traces que
je cherchais. Les dessins sont bizarres, grossiers, mais nette-
ment accusés, et la profondeur du trait semble avoir été obtenue
au moyen d'une pointe solide et acérée. Aussi sont-ils très appa-
rents. Les premières pierres que j'observai et que j'ai relevées,
ont été employées à une époque assez ancienne à la construction
des bâtiments, et l'ouvrier semble avoir pris soin de mettre à
parement les faces qui portent les figures. On les distingue au
premier coup d'œil.
Les huit premiers numéros des dessins que j'ai recueillis ont
tous été empruntés à ces murailles ; elles en présentent d'autres,
dont quelques-uns sont trop frustes pour être relevés.
Au milieu de la cour de la ferme, une masse de granit, res-
semblant à un bloc erratique, porte sur sa surface visible les
figures Nos 10 et 10 bis.
Cette surface, peu régulière, mesure plus d'un mètre carré.
L'autre face a-t-elle des dessins ? Je ne le crois pas ; car la
pierre semble n'avoir été remuée à aucune époque.
En revenant sur mes pas, sur le bord du chemin, un autre
bloc m'a donné le calque N° 11.
Enfin dans le champ que traverse le chemin et qui est attenant
à la route, au milieu d'un fourré d'ajoncs, parmi des pierres,
plus ou moins remuées, mais qui n'accusent aucune trace de
construction, j'ai trouvé les trois dessins formant les numéros 12,
13 et 14.
Echelle à -375
/
11. Grande pierre dix chemin
12: Pierre du champ d
amp a ajoncs
13. Pierre, du champ d'ajoncs
14. Partie d'une pierre brisée
au champ d'ajoncs.
— 51 —
Les copies que je vous présente, étant décalquées, donnent les
figures dans leur sens naturel.
Un séjour plus prolongé m'eût permis de multiplier ces copies,
car on affirme que les pierres, ainsi sculptées, se comptent par
centaines sur la seule ferme du Grand-Veau. J'ai dû, dans ma
précipitation, en négliger plusieurs que j'ai entrevues. On m'avait
assuré qu'il y avait un rocher dont la superficie, mesurant plu-
sieurs mètres carrés, était couverte de dessins. Le fermier n'a pu
me l'indiquer et je n'ai pas eu le temps de le rechercher.
4 février 1879.
A. de Béjarry.
L'ABBAYE DE NOTRE-DAME DE LA CHAUME
*
PRÈS MAGHEGOUL
1055-1792
AVANT-PROPOS
vant 1789, le diocèse de Nantes comptait neuf abbayes
d'hommes, dont six reconnaissaient Notre-Dame pour
patronne.
La première en date était l'antique abbaye de Verlou, devenue
dans la suite des âges la prévôté de ce nom, dont il reste à peine
quelques traces dans l'enceinte du presbytère de ce chef-lieu de
canton (l) ;
2° Celle de Saint-Gildas- des-Bois, fondée en 1026. Les bâti-
ments plusieurs fois vendus, passèrent en 1828 entre les mains
des religieuses de l'instruction chrétienne, dites Dames de Saint-
Gildas. L'abbatiale bien conservée, sert d'église paroissiale ;
3° Notre-Dame de la Chaume, 1055;
(>) Mentionnons aussi l'abbaye d'Aindre (Basse-Indre), fondée par saint
Hermeland vers 605, et détruite pendant les invasions normandes.
— 53 —
4° Notre-Dame de Buzay, fondée en 1135, par le duc Conan.
Celle-ci, la plus riche incontestablement des abbayes du diocèse,
a légué aux archives départementales un fonds des plus pré-
cieux. Son magnifique autel, de la fin du xvin6 siècle, est le plus
bel ornement de l'église de Paimbœuf ; sa haute tour, dominant
encore, de sa masse noircie et percée à jour, les fertiles prairies
qui l'environnent, sert de point de repère aux navigateurs de la
Loire;
S0 Notre-Dame de la Meilleraye, fondée en 1145 ; restaurée et
occupée depuis 1817 par les trappistes ;
6° La Madeleine de Geneston, fondée en 1148, par Bernard,
évêque de Nantes, et dont nous avons publié le nécrologe et les
chartes d'après la Collection des Blancs-Manteaux (') ;
7° Notre-Dame de Blanche-Couronne, fondée vers 1160, et
dont les archives, moins abondantes que celles de Buzay, existent
cependant presque complètes dans le dépôt de la préfecture de
la Loire-Inférieure. En 1767, elle fut réunie au prieuré de Saint-
Jacques de Pirmil ;
8° Notre-Dame de Villeneuve, fondée en 1201, aujourd'hui
propriété particulière. Les Blancs-Manteaux renferment un certain
nombre de chartes qui la concernent. Les voûtes de sa chapelle
recouvraient le magnifique tombeau émaillé de la duchesse
Constance et de sa fille, la duchesse Alix, femme de Pierre de
Dreux, et les dalles funéraires de son pavé représentaient les
images des sires et des dames de Machecoul, des seigneurs et
des châtelaines du Chaffault, recueillies avec soin dans la collec-
tion Gaignières;
9° Sainte-Marie de Pornic, fondée au commencement du
xme siècle.
De ces neuf abbayes, celle de la Chaume fut la plus pauvre et
(!) Bulletin de la Société archéologique de Nantes, t. xn, 1873,
pp. 141-158.
— 54 —
la plus obscure. Son nom survit à peine à la perte complète des
actes qui témoignaient de son existence et de l'authenticité de
ses possessions. Que pouvaient fournir d'intéressant, à l'archéo- ,
logue ou au paléographe, les annales de ce petit monastère, que
ne signalent aucun événement remarquable, dont on ne connaît
que l'acte de fondation, et dont la notoriété dépasse à peine les
étroites limites de la ville de Machecoul près de laquelle il était
situé. La poésie n'eut point à chanter les beautés de son sanc-
tuaire, l'éclat de ses vitraux, la splendeur de ses arceaux romans,
la richesse ou la puissance de ses bienfaiteurs. Son cloître, ses
bâtiments claustraux, affectaient la plus modeste simplicité. En
interrogeant les anciens de la contrée, nous n'avons pu recueillir
que l'attestation du peu d'importance attaché à la silencieuse
retraite, pour ainsi dire inaperçue et oubliée dans notre histoire.
Quels motifs ont donc déterminé ce choix, et fait naître le
désir de ne pas s'arrêter aux difficultés qui semblaient tout
d'abord en détourner l'attention?
Enfant, j'ai joué et couru dans ces ruines, et la dénomination
d'Abbaye exerçait parfois ma jeune imagination. Presque chaque
année, j'allais passer quelques jours à Machecoul, chez une sœur
de mon père, aimable tante, douce, prévenante, attentionnée
pour ses neveux qu'elle gâtait en les appelant mes petits-fils.
Elle m'avait fait cadeau d'une ou deux pièces de Louis XIV, de
Louis XV, de Louis XVI, de la Méthode du blason du Père
Menestrier, et de YHistoire de Bretagne, par E. Gaschignard,
maître ès-arts de l'Université de Nantes, et principal du collège
de Machecoul. Je lisais ces deux volumes, de préférence aux
ennuyeux classiques grecs et latins, éprouvant une bien plus
grande sympathie pour Alain Barbe-Torte, Nominoë, Jean IV, la
reine Anne, que pour Achille, Thémistocle, Romulus, Giucinnatus,
Lucrèce et Cornélie.
Dessiner les créneaux inclinés du vieux donjon des sires de
Rays, escalader les salles ruinées pour en copier les clefs de
voûte ornées de l'écu des Chauvigny, monter sur la butte de
Sainte-Croix, aller rêver à la Chaume, tel était souvent l'emploi
-;
^
•^
■O"
N
.
(y
UJ
<
<
ffi
^
o
-'
<
|
M
§
w
S
Q
"
UJ
^
^
PQ
<3
m
*3
S3
^
^s
■S
^
ï
k
^
ft,
g
<
^
^
— 55 —
des matinées de vacances. Or, par une belle journée de septembre
1841, je me trouvai sur l'emplacement de la Chaume. Des
moellons épars, des restes de subsiructions affleurant à peine le
sol, indiquaient encore à peu près les lignes principales des
contours de l'enceinte déjà effacée du vieux monastère. Une
réflexion me suggéra l'idée de les relever. Je dessinais comme
on dessinait alors au collège, estompant assez bien une bosse, ou
une académie, mais n'ayant pas le moindre principe du dessin
linéaire, ou du levé des plans. Depuis, l'enseignement a changé,
ce n'est pas un mal.
Le lendemain je retournai, muni d'un crayon et de plusieurs
feuilles de papier- écolier. Tant bien que mal, à la troisième ou
quatrième reprise, un mauvais tracé fut esquissé, puis le soir
passé à l'encre sur la table boiteuse de ma chambre. En 1878,
ouvrant fortuitement un cahier de mon cours d'Histoire de
France de 1842, la feuille jaunie de 1841 me tomba sous la
main. Tout informe que soit ce tracé, auquel dans mon inexpé-
rience je n'avais pas même songé à donner une échelle de pro-
portions, je le revis avec plaisir. C'est, en effet, comme le pre-
mier jalon, le point de départ de mes recherches sur le pays de
Rays et Machecoul, aux archives de Nantes, d'Angers, de Rennes,
à la Bibliothèque nationale et au précieux dépôt de la rue de
Rambuteau.
La trouvaille de ce chiffon m'inspira la pensée de l'utiliser,
en y joignant quelques données historiques. Cependant j'eus re-
cours aux cartes de l'administration du cadastre, et bien que j'y
trouvai la preuve que pour un débutant je n'avais pas commis de
trop grosses erreurs, je préfère à tous égards reproduire le plan
administratif, plus régulier et surtout revêtu d'un caractère
officiel. (Voir PL IL)
L'abbé Travers, dans son Histoire des évêques de Nantes, parle
deux ou trois fois de la Chaume ; dans les six volumes manus-
crits de son Histoire des Conciles de la province de Tours, il
donne des titres relatifs aux abbayes de Pornic, Saint-Gildas,
Villeneuve, etc., et pour la Chaume ne cite qu'une lettre cm-
— 56 -
pruntée nu trésor des ducs de Bretagne (Arch. départ, de la
Loire-Infrc). A part l'acte de fondation, le Cartulaire de Redon
et les Preuves des Histoires de Bretagne ne fournissent aucune
indication.
M. A. de la Borderie a bien voulu me communiquer un histo-
rique de l'abbaye de la Chaume, tiré du fonds de Saint-Germain,
Monaslicon Bcncdklinum, vu, c, manuscrit de la Bibliothèque
nationale. C'est la pièce la plus importante que je connaisse sur
ce sujet et elle est publiée presque entièrement, sauf en ce qui re-
garde les origines de l'abbaye assez peu étudiées dans ce docu-
ment. Mes notes, mes recherches ont fait le reste.
II
LES FONDATEURS, SIRES DE SAINTE-CROIX, BARONS DE RAYS
^u milieu du xie siècle, le sire de Sainte-Croix,
seigneur de Rays, « Senior provincie Radesia-
rum » , possédait toute la partie sud-ouest du
comté nantais d'outre-Loire, le climat ou doyenné de Rays,
l'ancien Pagus Ratiatensis. La tradition rattache celte puissante
dynastie féodale a Lambert II, comte de Nantes (843-846, con-
temporain de Charles-le-Chauve) , qui, disent nos chroqueurs,
inféoda certaines parties du territoire nantais à ses trois neveux:
les Mauges a Ramaire, Tiffauges a Girard, Herbauges à Hunfroy (*).
« De cestuy-cy, par succession de temps et représentation de
personnes, sont issus les autres barons de Raiz, comme il est à
croire, lesquels s'appelèrent anciennement de Sainte-Croix, à
cause d'un ancien château, maintenant ruiné, duquel pour toutes
(') Lambertus.,.. Comilatum Nannelicum invadens rnilitibus suis dislri-
bwit, scilicet Gunferio, oepoti suo regionem Uerbadillam, Rainerio
Metallium, Girardo Theofalgiam, quœ omnia jure heredilario concessit.
Chronicon ISannetenst, D. Morice, Pr. I, col. 138.
— 57 -
marques et vestiges, il ne reste qu'une motte près l'église paro-
chialle de Sainte-Croix (4). »
C'est sur cette tradition que s'appuyait, sans nul doute, la
prétention des sires de Rays, à être considérés comme les doyens
des neuf barons de Bretagne. Cette prétention n'a jamais été bien
définie, ni reconnue môme par les grandes familles du comté
nantais. Ainsi, pour l'entrée de l'évoque de Nantes, le baron de
Rays vient après celui de Pontcbâteau ; et dans les vers que cite
dom Morice, il est placé après le baron d'Avaugour, qui jouit en
paix du titre de doyen, ceux de Vitré et de Fougères, puis est
encore primé par le seigneur de Ciiàteaubriant :
Lilia hinc aurea cum colore rubea ;
Postea Crux nigrata, aureo compilata ^
Aquila nigra volans, in aureo terminans ;
Castrum super Ligeris, qui nuncupatur Ancenis (2).
Dom Lobineau, Histoire généalogique des barons de Bretagne,
manuscrit déposé a la Bibliothèque de Rennes, indique comme
seigneur de Rays le vicomte Gestin, qui signe en qualité de pre-
mier témoin laïc, immédiatement au-dessous des évêques, la
fondation du prieuré de Ratz faite par le duc Alain-Barbetorte,
en 952 (3). L'abbé Travers (4), rapportant aussi ce même acte,
met en note : Jestinus vicecomes Radesiarum.
La manière de voir des deux auteurs bretons, qui semble reposer
sur la similitude du prénom et l'analogie frappante de la position des
personnages, est parfaitement acceptable. En effet, la généalogie
(') Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, par
Fr. Aug. Du Paz. Hist. gen des seigneurs barons de Raiz, p. 203.
Ce nom de Sainte-Croix, supplanté bientôt par celui de Machecoul, ainsi
que le blason : d'or à la croix de sable, qui s'y rattache, proviennent
sans doute de quelque relique insigne rapportée dans les pieux pèlerinages
qui précédèrent les croisades. La piété des premiers suzerains en appliqua
le vocable a Yoppidum dans lequel ils faisaient leur demeure.
(s) D. Taillandier, t. II, supp. aux Preuves, col, CLXX.
(3) D. Morice, Pr. I, col. 345.
(4) Histoire des Conciles de la province de Tours.
— 58 —
de la première dynastie des sires de Rays démontre l'usage per-
sistant de donner au petit-fils le nom de l'aïeul, ainsi que le
prouve la table suivante :
Gestio I, avant 1038.
Harscoid I, fondateur de la Chaume, épousa Ulgarde.
Gestin II, Urvoid, Hilaire, Auldroen, plusieurs filles.
Garsine I Raoul, Joscelin Agnès.
Epousa Béatrix.
Harscoid II, Raoul I Garsire Agnès la vicomtesse
Ep. Marie Talvaz.
Harscoid III Gestin de Prigny Bernard de Machecoul.
Ep. Etiennetle de Montfort.
Gestin, Garsire H, Olivier, Olive, Aaliz
Harscoid, Raoul II, Thiphaine, Aliz
Eustache
Epouse Girard Chabot (').
Remarquons encore qu'au moment où les actes commencent à
devenir plus communs, c'est-à-dire au milieu du xie siècle, nous
retrouvons les sires de Sainte-Croix signant immédiatement après
les grands dignitaires ecclésiastiques, comme le vicomte Gestin
en 952, par conséquent dans une situation politique et civile
absolument identique.
Ainsi, les deux premières signatures, apposées au bas de la
charte de don du monastère de Saint-Cyr de Nantes à l'abbaye
du Ronceray d'Angers, par le comte Mathias, comprise entre les
années 1038-1041, sont: signum -f- Rodaldi, vicecomitis ; si-
gnum f Arscuti (s). L'accord passé vers la môme date, entre le
comte Budic et l'abbé de Redon Catuallon , nous présente ,
(») Ce tableau généalogique est le résumé de l'excellent travail inédit de
M. A. de la Borderie, sur la première maison de Rays. Il constate d'une
façon péremptoire l'usage du prénom de Gestin pendant deux siècles.
(2) D. Morice, Pr. I, col. 382. — Cartularium Monasterii Heatœ. Mariât
Caritatis Andegavensis, par M. P. Marchegay, s. 1. n. d. ln-8", p. 258.
— 59 —
aussitôt après le seing de l'abbé, celui de : Harscoid de sancta
Cruce.
Parmi les seigneurs qui accompagnèrent le duc Gonan dans le
voyage qu'il fit, vers 1058, à la cour de Thibaud de Champagne,
son oncle, figure un Ascol (Harscoid), filio Rodaldi vicecomitis
Namnetis (*). Or ce Rouaud, vicomte de Nantes, est incontesta-
blement le vicomte de Donges. De grandes affinités de parentés,
de possessions et d'alliances unissaient les vicomtes de Donges
aux sires de Rays. Seraient-ils de la môme race?... Formeraient-
ils deux branches de la même famille?... Ne pourrions-nous pas
voir dans cette grande maison, d'origine essentiellement nantaise,
les sentinelles avancées, gardiennes de l'ordre et des intérêts du
pays, par opposition aux nombreux chefs des hordes normandes
échelonnés sur les bords de la Loire, au Pèlerin, au Migron, à la
Garnache et ailleurs. Les vicomtes de Donges, placés en faction
sur la rive droite, les sires de Sainte-Croix ou de Rays en dedans
de la rive gauche. Ce n'est pas un simple jeu du hasard que ce
rapprochement, qui nous montre Alain-Barbetorte relevant le
sanctuaire de Sainte-Marie de Nantes, en action de grâces de sa
victoire sur les barbares du Nord, et un siècle après les petits-fils
de son compagnon, le vicomte Gestin, érigeant en monastère
l'église de Sainte-Marie, située en vue de leur demeure féodale,
ante oppidum Sancte Crucis, cum cimiterio sibi diviso, avec
un cimetière particulier, preuve de son existence antérieure ; et,
presque en même temps, le vicomte de Donges instituant, près de
son castel, le prieuré de Notre-Dame.
Quoi qu'il en soit de cette déduction basée sur l'étude sérieuse
et approfondie des chartes du milieu du xie siècle, possible, pro-
bable si l'on veut, mais non démontrée, revenons à la Chaume.
0) D. Morice, Pr. I, col. 409. — Bien entendu cet Harscoid de Donges
n'est pas le même qu'Harscoid de Sainte-Croix, mais ce n'est pas la seule
fois que des noms identiques se retrouvent chez les membres de ces deux
familles.
— 60 —
III
LA FONDATION
,'acte de fondation de la Chaume, ou mieux de
Sainte-Marie de MachccouL est bien connu. Il a
été publié dans les Preuves des histoires de Bretagne de D. Lo-
bineau et de D. Morice, puis dans le Cartulaire de Redon. Il est
donc inutile de le reproduire ici. La qualification de nobilissimus
vin qui suit le nom d'Harscoid, désigne un personnage des plus
considérables de l'époque. Ce donateur y paraît avec son épouse
Ulgarde, ses quatre fils Gestin, Urvoid, Hilaire, Aldroen, offrant
son aumône pour le salut de l'âme de son père et de sa mère, la
santé de ses fils, de ses filles qui ne sont pas nommées, et la
stabilité de son honneur. Les deux chapelles de Sainte-Marie et
Saint-Jean, avec leur cimetière spécial, une borderie, le tiers de
la Chaume, terlia parte Chamariae, le quart d'un arpent de
vignes, un pré, un moulin, telles sont les choses que le sire de
Sainte-Croix abandonne sans aucune réverve. C'est un don pur
et simple, une pieuse largesse, un acte de chrétien accompli,
sans la moindre mention de violences à effacer, de crime à expier,
de fautes à réparer, comme on le remarque parfois dans les
actes analogues. La date est celle-ci : Acta est hœc donalio,
feria quinta, in eodem loco Sancte Marie , pridie nonas Julii,
luna VIII*, anno ab incamatione Domini nullesimo quinqua-
gesimo qicinto ,• ce qui revient au jeudi 6 juillet 1055 (1).
Le Père Du Pas (a) a publié, lui aussi, d'après le Cartulaire de
Redon, duquel, dit-il, il « a pris copie audit an 1595, » une
charte de fondation, bien plus longue que la précédente, diffé-
rente au point de vue de la rédaction et des détails, et qu'il est
(') Cartul. de Bedon, p. 204. — D. Lobineau, Pr., col. 172. — D. Morice,
Pr. t. I, col. 406.
(2) Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne,
Ilist. gén. des seigneurs barons de Raiz, pp. 204-207.
— 61 —
inutile de chercher aujourd'hui dans le Cartulaire édité avec tant
de soin par M. A. de Courson. Les frères de Sainte-Marthe repro-
duisent également ce même acte comme celui de la fondation de
la Chaume, mais M. de Brequigny le regarde avec raison comme
suspect.
La date est la même : Patatra denique sunt hec, feria quinla,
in basilica Béate Marie nomini dicata, pridie nonas Julii, lunâ
octava, anno ab incarnatiane Domini, milesimo quinquagcsimo
quinto, Monarchiam Regni Francorum Philippo gubernanle,
Vresulatum vero Nannelicoe sedis Quiriaco providentia régente,
et tam donum quam conventionem sigillo proprie authoritalis
roborante. Les témoins sont aussi les mêmes.
Les mots de la fin et tam donum quam conventionem, semblent
nous permettre de penser qu'il y eut, le 6 juin 1055, deux actes
au sujet de la Chaume. Le premier, donum, l'acte par conséquent
essentiel de la fondation ; le second, conventionem, la convention,
la sanction ecclésiastique donnée par le chef du diocèse. On y
retrouve, en effet, l'influence de l'évêque qui détermine le choix
du pieux baron en faveur de l'abbaye de Redon, qui sanctionne
le don des deux oratoires (Sainte-Marie de la Chaume et Saint -
Jean), soumet le nouvel établissement à Saint-Sauveur. Il ordonne
que si plus lard la Chaume est digne d'avoir un abbé, celui,
ci soit béni par l'abbé de Redon, et obligé de visiter l'église
de Redon deux fois chaque année, le jour de la fête de saint Mar-
cellin, pape et martyr, et le jour de la translation de ses reliques
en y montant en chaire, célébrant la messe et traitant splendi-
dement ses frères à table (').
(') .... Ut si locus Me divitiis et possessionibus adeo creverit, ut pnstor
ibi proefwi debeat, ex capitule» Rotonensi, electione abbatis et conventus
assumalur, et ut obediens Mi monaslerio, tanquam proprius ipsorum mo-
nachus semper existât Singulis etiam auras ex jure visitare Rolo~
nensem ecclesiam secundo volumus, in natilicio scilicet beati Marcellini
Pàpœ et marlyris, sedet translations ejusdem cum sacra corporis ejus
plaça occidenlalis suscipere meruit, ut his tantum diebus, singulari privi-
legio, verbo doctrinœ insistât, Missas celebret, mensas etiam fratrum splen-
- 62 -
Toutefois, l'indication du règne de Philippe Ier, roi de France,
soulève une grande difficulté, que doni Mabillon signala plus tard
sans la résoudre. La date de cette charte, dit-il, n'est pas 1055,
comme on l'a éditée, car Philippe n'était pas encore roi. Elle doit
être reportée à 1066, année dans laquelle la cinquième férié
tombe au second jour des nones de juillet, coïncidence qui n'ar-
riva que cette fois dans l'espace de temps écoulé entre le décès
du père de Philippe, et celui de l'évoque Quiriac en 1075 (').
La rectification proposée n'est pas heureuse^ car l'abbé de
Redon Pérennes, présent à la rédaction de l'acte, étant mort au
plus tard en 1061, exclut d'une façon absolue la date de 1066.
Le savant bénédictin, préoccupé seulement de l'irrégularité de
la date, a proposé l'année 1066, parce que c'est la première du
règne de Philippe Ier dans laquelle le 6 juillet tombait un jeudi ;
tandis qu'il ne lui est pas venu à l'idée que la mention du roi
de France devait être le fait d'une interpolation commise à une
époque de beaucoup postérieure au xr siècle.
En résumé, la fondation d'Harscoid de Rays, telle qu'elle se
trouve au Cartulairc de Redon, présente tous les caractères d'une
authenticité incontestable ; la confirmation ou la sanction de Qui-
riac peut, à la rigueur, n'être pas fausse, mais les amplifications
ajoutées au texte et la date fautive justifient pleinement l'opinion
de M. de Brequigny. Ce document peut fort bien avoir été rema-
dide procurare studeat. ... — Cet acte se trouve en abrégé au Cartulaire
de Redon, § Monasterii benefactores prœcipui, p. 445.
Le choix de ces deux solennités paraît tout naturel, lorsqu'on sait que
les reliques du saint Pape martyr avaient été données a saint Conwoyon,
premier abbé de Redon, par le Pape Léon IV, 847-855. Dès lors, c'était en
effet un privilège, qu'exercèrent longtemps les abbés de la Chaume, ainsi
que le dit le R. P. Jousseaume dans son mémoire.
(*) Quœ notez chronicœ non ad annum ML F, ut id editis, quo Philippus
needum rex erat, sed ad annum MLXFI, referendœ sunt, quo anno feria,
quinta in secundum nonas Julii incidebat. Quod a morte Henricis régis
Philippi patris, usque ad annum MLXXF, quo decessit Quiriacus epis-
copus, non nisi semel, scilicet predicto anno MLXVI contigit. — Annales
Ordinis Sancti JBenedicti, t. IV, pp. 676, 677.
o
P
PQ
<
l
- 63 —
nié au XVe siècle dans l'intérêt des ducs de Bretagne , ou au
XVIe pour appuyer les protections du parlement et du roi de
France à la nomination des abbés, contre les droits imprescrip-
tibles des barons de Rays.
IV
l'abbaye
'abbaye de Notre-Dame de la Chaume (') s'élevait
dans la plaine qui s'étend au Nord-Ouest de
.l'ancien faubourg de Sainte-Croix, aux rivages
de l'Océan, voisins de l'Isle de Bouin. Lorsque les seigneurs aban-
donnèrent leur résidence primitive de Sainte-Croix pour l'im-
posant château de Machecoul, la petite ville, chef-lieu de leur
vaste et riche baronnie, se trouva en quelque sorte encadrée à
l'Est par la demeure féodale, et à un kilomètre à l'Ouest, par le
monastère.
La construction des bâtiments, dit 0gée(2), eut lieu en 1063.
L'aspect des ruines, que nous avons pu reproduire d'après un
dessin très imparfait donné à la Société archéologique par M. le
docteur Leray, ne paraît pas infirmer cette date (3). Le Musée de
l'Oratoire possède un fragment de crédence romane, seul débris
de la Chaume, dont l'élégante sculpture dénote qu'un soin tout
particulier avait été apporté dans l'ornementation des diverses
parties des bâtiments (*).
Une pièce importante est celle de la donation de Renaud de
(i) Culma, la Chaume, les Chaumes, dénomination qui s'appliquait
autrefois aux champs dépouillés de la moisson, qui gardaient seulement la
partie inférieure de la tige des épis, et dans lesquels les bestiaux allaient
alors pacager. — Calmense vel Calmariense monasterium sic dictum a
Calmaria vico Nanneticoe dioecesis. Biblioth. nationale, MM. latin 12664.
(2) Dictionnaire hist. et géog. de la Bretagne, art. Machecoul.
(3) Voir la planche 1.
(*) Catalogue du Musée archéol. de Nantes, n° . Ce fragment, re-
cueilli sur l'emplacement même de la Chaume, a été donné par M. l'abbé
Rousteau.
— 64 —
Mortesticr, souscrite entre 1081 et 1083, alors que Justin II,
sire de Rays, succédait à son père Justino Radesii dominatum
jure paterno obtinenle^).
Ce Renaud avait mené une vie assez irrégulière. Sentant la
mort approcher, il se convertit, pria les moines de venir vers
lui, de le recevoir parmi eux, et du consentement de son seigneur
Justin, confirma la cession de l'île Candelaman précédemment
faite par ses ancêtres. Il y ajouta tout ce qu'il possédait dans la
paroisse de Saint -Même, à titre d'héritage paternel (*). Trois jours
après avoir reçu l'habit monastique il mourut, et fut inhume dans
le cimetière de Sainte-Marie. Justin de Rays et plusieurs autres
témoins signèrent cet acte. Parmi ceux-ci, remarquons : Justin,
chargé de l'obédience de Sainte-Marie, c'est-à-dire prieur;
GHemmarôc, qui bientôt allait ouvrir la série abbatiale; les moines,
Payen, Etienne, Robert, Hato, Jarnogon, de Tréal, dont deux
arrières- neveux devaient être abbés, et Goessin. En tout neuf
religieux, nombre rarement dépassé, et qui viendrait, jusqu'à un
certain point, infirmer l'assertion de divers auteurs qui avancent
que l'abbaye n'avait été fondée que pour quatre religieux. Ce
dernier chiffre, il est vrai, resta souvent au-dessous du complet,
surtout à partir du xvie siècle. Mais personne n'ignore que parfois
les revenus des abbayes furent détournés de leur destination, par
les seigneurs et par les abbés eux-mêmes.
Justin est donc le plus ancien prieur connu de la Chaume. De
1092 à 1104, le siège abbatial de Redon fut occupé par un reli-
gieux du nom de Justin, vraisemblablement le même personnage.
Cette conjecture semble d'autant plus admissible, que c'est
cet abbé qui, réalisant le vœu d'Harscoid de Sainte-Croix, érigea
(') ... Monachos Sanclis Salvatoris, qui erant in aecclesia Sanctae Marine
de Culrrio, ad se, venire fecit, et se momehum fieri poslulavit... - Cartulaire
di- l'abbaye de Redon, p. 245.
L'Ile de Candelaman, plus tard nommée lîremefen, et dans laquelle se
rend il immédiatement le. moine Robert, devint un prieuré, que nous verrons
en 1450 échangé contre le litre d'abbé de la Chaume.
('•*) Telle est l'origine du Prieuré, situé sur la rive droite du Tenu, un
peu plus haut 411e le bourg de Saini Même.
- 65 —
un abbaye régulière le simple prieuré qu'il avait vu établir, puis
construire et prospérer par ses soins.
Cette érection doit être pincée en 1099, ou tout au plus tard
vers les premiers mois de 1100. Toutefois elle ne se fit pas sans
difficultés. Lors du Concile, tenu à Poitiers en 1106, les moines
de Tournus adressèrent au légat du pape une protestation contre
l'abbé de Redon qui, malgré leur vive opposition et leurs instantes
réclamations, leur avait enlevé les églises de Machecoul, près la
Chaume, pour y établir un abbé('). Il est impossible de connaître
les raisons sur lesquelles s'appuyaient ces religieux, qui avaient
bien tardé pour discuter une fondation remontant à quarante-
cinq ans au moins. Dans tous les cas, le nouvel abbé fut maintenu
dans sa dignité et tous ses droits.
Par la grandeur de ses œuvres et la régularité de ses religieux,
qui suivaient d'une façon exemplaire les préceptes et la règle cénobi-
tiques tracés par saint Benoît, la Chaume, jusqu'au commencement
du xive siècle, brilla d'un éclat presque aussi beau que celui qui en-
tourait sa maison-mère, la grande abbaye de Redon. C'est ce que
nous apprend une trop courte citation des lettres données, vers
1310, par le pape Clément V, en faveur de notre abbaye, lettres au-
jourd'hui perdues et dont le texte eût été si utile pour son his-
toire (*).
Pendant le xve siècle, ces belles traditions étaient toujours en
honneur à la Chaume, dont l'existence calme et paisible se révé-
(!) .... Iidem quoque fratres ( TornucensesJ proclamaverunt ad nos, super
abbatem Bodonensem ( JustinumJ qui ecclesias de Calma apud castrun
Machicol cis aufert, in quibus, eis calumniantibus et contradicentibus
abbatem constituit... — Recueil des historiens des Gaules et de la France,
t. XIV, 1806, p. 8!0. — Nouvelle histoire de l'Abbaye royale et collégiale de
Saint- Filibert et de la ville de Tonnais, etc.. Dijon, 1733, preuves,
p. 138
(!) ... flotonensis itaque monaslerii cella, non minus sanctilate quant
rerum copia nobilis evasit Calmana, quam liotonenses ascetae , Bene-
diclam edocti regulam ; eremeticum sectantes vivendi genus ad annum fere
{310 incoluerunt, id docent Clementis V, ponlificis litterae.... Monasticon
BenedicL, latin 12664, p. 4, Biblioth. nationale, mm.
1879 5
— 66 —
lait de temps à autre, à la cour de Bretagne, lors de la nomination
des abbés. Les ducs, en effet, voyaient avec peine le beau privi-
lège dont jouissaient les barons, et cherchèrent peu à peu à les
en dépouiller, en leur adressant des lettres de recommandation
pour un candidat de leur choix, ordre déguisé sous une appa-
rence de prière, auquel les seigneurs de Rays ne pouvaient se
soustraire.
Une assez longue lacune, dans la liste des abbés, signale la fin
de ce siècle. En 1460, le plus ancien aveu connu de la baronnie,
rendu par René de Rays au jeune duc François II, ne fait aucune
mention du monastère et de la haute prérogative qui y était
attachée (').
Aux Etats, ou parlement général, solennellement ouverts à
Vannes le 14 juin 1462, assista l'abbé de la Chaume (a).
Le 9 mars 1483, l'abbé de la Chaume, qui n'est pas nommé,
assista conjointement avec l'abbé de Villeneuve, à la bénédiction
de frère Jehan Goheau, célébrée par Pierre de Chaffault, évêque
de Nantes (3).
Dans les premières années du xvie siècle, le long et orageux
procès qui surgit entre les divers héritiers d'André de Chauvigny,
mort en 1502, au sujet de la baronnie de Rays, eut de fâcheuses
conséquences pour l'abbaye, à laquelle les prétendants nommaient
chacun leur créature. Elle retrouva un peu de repos sous la
paternelle administration de Jacques de la Porte, que remplaça le
premier abbé commendataire, Olivier de Montauban, nommé par
le roi de France, auquel allaient bientôt succéder les Gondi, qui
n'attachèrent qu'une importance purement nominale à la posses-
sion de ce mince bénéfice.
Albert de Gondi, comte et premier duc de Retz, se montra
(') Arch. départ, de la Loire-Infre, série E. Aveux de Retz.
(2) L'Histoire de IJretaigne, par d'Argentré. Paris, 1604, fol. 673, v°. —
C'est la seule mention de la Chaume qui se trouve dans le vieil historien
breton. Au folio 57, en énumérant les neuf ahbuyes du diocèse de Nantes,
il ne nomme pas noire monastère.
(3) Travers, Uist. des évêques de Nantes, t. II, p. 183.
— 67 —
d'abord jaloux de ses privilèges ; et un grand procès s'engagea
entre le Parlement et lui au sujet de la mouvance des abbayes et
prieurés de ses domaines.
En 1573 et 1574, il remit à la Chambre des Comptes de
Nantes un mémoire concluant « à ce que les abbayes et prieurés
« sont de fondation et dotation de lui et de ses prédécesseurs
« comtes barons de Retz, à ce qu'il soit par ladite Chambre or-
« donné qu'ils seront renvoyés absous des fins et conclusions
« prises par ledit procureur général, leur faisant, en cas de
« saisie, pleine et entière mainlevée du revenu temporel de leurs
« dits bénéfices ('). »
A la date du 15 décembre 1580, les plaidoiries duraient
encore, comme le prouve la mention suivante : « Veu la requeste
« présentée de la part de Mre Albert de Gondy, doyen baron de
« Retz, maréchal de France et chevalier des deux ordres, re-
« monstrant que par cy devant il auroit produyt par davant nous
« contre le procureur général du Roy à la Chambre, ou procès
« pendant entre eux touchant les adveuz et dénombrement des
« abbayes et prieurés de ladite baronnye, et que son sac auroit
« esté distribué entre les mains de divers rapporteurs, qui n'en
o nuroient encore fait leur rapport, suppliant luy en donner
« bonne et bresve expédition ; la Chambre a ordonné et ordonne
(0 Arch. départ, de la Loire-Infre. Extrait des Registres de la Chambre
des Comptes. Les pièces de ce procès n'existent plus. — Les abbayes
étaient celle de la Chaume et celle du Bourg-Notre-Dame, Sainte-Marie
de Pornic, qui chacune avaient fourni cinq aveux ^ les prieurés, de Saint-
Ladre ou Saint-Lazare, Saint-Martin de Machecoul, de Quinquenavant, de
Saint-Thomas près Machecoul, du Haut-Perche, de Saint-Biaise, alias
Saint-Philbert de Machecoul, le prieuré de Cheméré, le prieuré de Saint-
André de Pornic, ceux de Sept-Faux et du Loc, le prieuré de Saint- Viau,
de Saint-Léonard de Quiniau et de la Péranche « la prieure de Notre-
Dame de Valdemorière, » les prieurés de Saint-Michel de l'Isle, de Saint-
Jacques de Prigny, de Saint-Nicolas de Prigny et de « Nostre-Dame-du-
Bourg-des-Moutiers, » de Saint-Pierre de Cahouet, de Saint-Etienne-de-
Corcoué, etc.
L'abbaye de Blanche-Couronne comptait aussi les sires de Rays parmi
ses principaux bienfaiteurs.
- 68 -
« que Me Raoul Boutin, conseiller et maître rapporteur du procès,
« se trouve prest du procès pour en faire rapport au premier
« jour après les prochaines festes de Nouel. Ainsi signé Verge
« Charreton('). »
Malgré les droits acquis et incontestables, Albert de Gondi
perdit sa cause, et le roi nomma désormais les abbés, qui durent
lui prêter serment de fidélité et rendre aveu à la Chambre des
Comptes. Depuis longtemps déjà l'abbaye de Redon n'était plus
consultée, et ce fut le pape qui délivra les bulles au nouvel élu,
obligé d'acquitter en cour de Rome la somme de soixante-six
florins d'or et deux tiers d'un florin.
L'aveu rendu au Roi, le 19 août 1675, par Pierre de Gondi,
duc de Retz, entre autres détails sur la Chaume donne le sui-
vant :
« Item sont tenus, ledit doyen (le doyen de Retz, curé de la
Trinité de Machecoul), l'abbé de l'abbaye de la Chaulme, les
prieurs des prieurés de Saint-Biaise, Saint-Martin, Saint-Pierre
de Cahouet, Saint-Michel de l'Isle, et l'aumosnerie de Saint-Nico-
las, le tout situé en ladite ville et faubourgs, proche et es envi-
rons, de se trouver aux quatre festes annuelles de chacun an, a
la fin du disner dudit seigneur duc, estant en présence en son dit
chasteau, pour luy dire grâces et distribuer aux pauvres ce qu'il
luy plaira donner, et ensuite le conduire à vespres, lesquelles ils
sont tenus chanter, et à la fin un libéra ou De profundis, avecq
l'antiphone et oraison, et est ledit seigneur fondateur patron de
tous lesdits bénéfices... (a) ».
Le mémoire adressé par le Frère Jousseaume à un religieux
de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, lorsque l'ordre de Bénédic-
tins conçut le projet de publier l'histoire de de ses différents éta-
blissements en France, vient compléter ces notes trop sommaires.
(•) Arch. départ., série B, 1311, 1578-1581, Registre des Plumitifs,
fol. 367.
('-') Arch. départ. ; Aveu, déclaration et dénombrement du pays, terre et
duché de Rais, pairie de France, etc.. Série E. Aveux.
— 69 —
Il donne sur les bienfaiteurs de l'abbaye, sa juridiction, ses pos-
sessions, son aspect et plusieurs usages, des détails d'autant plus
intéressants que sans lui ils seraient complètement perdus et
ignorés. Bien qu'il renferme des répétitions et des longueurs,
autant que possible le style et la forme en ont été conservés.
« Mon Révérend Père,
J'ay tasché de m'acquitter le plus exactement qu'il m'a esté
possible de la commission que m'a donnée le Révérend Père
Prieur de la Chaume, qui m'a envoyé les lettres que Vostre Révé-
rence lui avoit escrites pour estre instruit des choses les plus
considérables de cette petite maison, pour les insérer dans l'His-
toire des monastères de la Congrégation. J'adresse à V. R. ce
que ma mémoire m'a peu fournir.
Je n'y parle point de la feste de la Dédicace de l'Eglise, parce
qu'elle n'en a point de particulière.
Je n'y parle non plus des saintes reliques, parce que il y en a
si peu qu'elles ne sont pas considérables. L'on croit seulement
qu'il y a une petite partye de la vraye Croix, qui est au pied de la
croix d'argent doré qu'on met au grand autel les bonnes fêtes. Il
y a aussi une petite particule du chef de saint Guy, martir, qui
est dans un petit reliquaire d'argent doré. Les prestres séculiers
qui desservaient il y a quelque temps l'abbaye de l'Isle-Chauvet,
dédiée à saint André, aposlre, nous firent présent d'une petite
particule des reliques de ce saint, trouvée dans la sacristie de cette
abbaye, présentement occupée par les Pères Camaldulesf). Il y a
grande dévotion dans notre église, le jour de Saint-André, à
cause d'un autel qui lui est dédié, où l'on expose cette reliquo
(i) L'abbaye de l'Isle-Chauvet, située à deux lieues Est de la Chaume,
sur les limites du diocèse de Nantes et de celui de Luçon,dont elle relevait.
A la suite de l'incendie qu'elle éprouva en 1588, pendant les guerres reli-
gieuses, elle fut desservie par des prêtres réguliers, auxquels succédèrent
en 1679 les Ermites Camaldules appelés par Me Maupas du Tour, évêque
d'Evreux, abbé commandataire.
- 70 -
que l'on a fait enchâsser dans une petite statue du saint, qui est
de bois doré.
Je ne parle point non plus de notre introduction, car la Société
de Bretagne y ayant esté introduite en 1618, et cette Société
ayant esté incorporée dans notre Congrégation, nous leur avons
succédé après leur mort, sans faire d'autre concordat.
C'est la Congrégation qui a mis les lieux réguliers dans Testât
ou ils sont aujourd'huy. Le cloistre est tout neuf avec des piliers
de belle pierre de grès. Ils ne sont point voûtez, mais ils sont
fort gais. L'on a changé les dortoirs qui étaient au Nord, et on
les a mis dans le logis abbatial qui estoit au Levant. On y a fait
neuf chambres, qui sont fort belles, spacieuses, et ont vue sur
un très beau jardin qui est celui que M. le cardinal de Retz leur
a cédé avec son logis. Il y a encore un autre grand jardin qui est
à côté de l'église. On y va du jardin de Monsieur l'abbé, qui est
au pied du dortoir. Il y a de 1res belles allées couvertes et bor-
dées de grands buis, qui ont plus de trente pieds de hault. Il y a
un beau verger, rempli de très bons arbres fruitiers, et un très
beau vivier d'eau de source, mais qu'on ne peut faire couler ; il a
plus de trente pieds de large et plus de cent de long. Il y a aussi
des douves, dans lesquelles l'eau de ce vivier communique par
une voûte qui sert de pont. Le poisson y vit très bien et devient
très bon ; le mal est qu'on a de la peine à le pescher dans le
vivier. Il y a un grand pré au bout du jardin, que les douves
enferment. Il y a de très beaux et bons espaliers autour d'une
bonne partie de ce jardin qui est tout enclos. L'église est petite,
la nef éclairée d'un très beau vitrail placé au bas de l'église est,
entre deux petits collatéraux, le chœur est au fond. Il y a deux
autels aux deux costés de la nef, dont l'un dédié à sainte Emérence
a été construit par les Pères de la Société ; il est fait de très
belles pierres de Combour. Si celui qui lui est opposé était fait
de môme, l'église en serait mieux ornée. Le chœur est lambrissé
comme l'église, mais le lambris du chœur est peint à l'huile,
aussi bien que les murailles, où nos mystères peints et représentés
font un bel effet a la vue. On a fait venir de Paris un très beau
— 71 —
soleil et une belle croix processionnelle avec son baston d'argent.
Ils ont fait faire aussi depuis peu trois chappes de ces nouvelles
étoffes de soie avec des chasubles et deux dalmatiques.
Je ne parle point de la bulle de Clément V (1305-1313), par ce
que je ne l'ai jamais vue, et je me persuade que le Révérend Père
prieur de la Chaume aura soin de la demander à Redon.
Je n'ai pu non plus découvrir en quel temps la Chaume s'est
séparée de Redon. Je me souviens seulement d'avoir lu quelque
vieille pancarte qui m'apprit que l'abbé de la Chaume se devait
trouver aux deux solemnités de saint Marcellin pour y officier et
y prescher, et traiter ensuite la Communauté de Redon à ses
dépens.
Pour ce qui est des autres points de la lettre de Votre Révé-
rence, je tasche d'y satisfaire. Les noms des bienfaiteurs de la
Chaume, se trouvent dans les adveus qui ont esté rendus aux
suzerains ou seigneurs de Bourgneuf, de Pornic et de Mache-
coul, que j'envoyai à Paris, il y a neuf ou dix ans, pour les
produire au procès contre Madame la duchesse, et qu'on a
perdu faute de s'estre servi des titres qui ruinoient entière-
ment les deffenses dont Madame la duchesse de Retz se servoit
contre nous ; ce qui m'a obligé de faire un petit manifeste pour
l'instruction de l'advocat, chargé de cette affaire pour la plaider,
en conséquence de la requeste civile obtenue à ce sujet. Je prie
V. R. de mettre cette pièce entre les mains du Très Révérend
Père supérieur général avec celle incluse.
En attendant un petit mot de responce que je vous demande
avec instance, et après m'ètre recommandé à vos saints sacrifices,
je demeure,
Mon Révérend Père,
Votre très humble et très affectionné confrère,
Fr. Jacques Jousseaume, m. b.
A St-Florent-le-Vieil, ce 25' novembre 88 (1688).
Adresse : Au Révérend Père dom Michel Germain, Bénédictin
de l'abbaye de S* Germain des Prez. A Paris.
- 72 —
L'abbaye de Notre-Dame de la Chaume n'estoit, dans son prin-
cipe, qu'une simple chapelle de dévotion située dans les Chaumes
de Machecoul , que le vulgaire appellent anciennement les
Chaumes de Notre Dame ; et depuis elle s'est appellée Nostre-
Dame de la Chaume, de Calma ou Calmaria. Ce dernier nom
n'est plus en usage, mais bien le premier, Domina de Calma, à
cause que celte chapelle éloit dédiée à la Vierge et que Dieu y
opéroit d'insignes miracles qui attiroient les peuples de tous
costez pour y rendre leurs vœux.
Et chascun souhaittant de se faire enterrer auprès de ce sanc-
tuaire, l'on fist, a la suite des temps, enclore une pièce de terre,
pour y servir de cimetière où les seigneurs et dames se faisoient
enterrer avec le menu peuple, pour la dévotion qu'ils portaient à
ce saint lieu, dans lequel sont présentement les jardins du monas-
tère, où l'on descouvre tous les jours de très beaux tombeaux,
de pierre très blanche et bien polie, remplis d'ossements consi-
dérables par leur grandeur.
Ce nom de Notre-Dame de la Chaume étoit anciennement en
si grande vénération, que tous les seigneurs qui voulaient
favoriser cette maison et augmenter ses domaines de leurs
liberalitez, à l'imitation de ses fondateurs, donnaient le nom de
fief de la Chaume aux terres et dépendances qu'ils énervoient de
leurs domaines pour leur en faire donaison. Et c'est pour ce
sujet qu'outre les seigneurs de Machecoul, elle reconnaissoit
encore trois autres suserains qu'elle met au nombre de ses bien-
faiteurs , sçavoir : les vicomtes de Loyaux, les seigneurs de
Bourgneuf et ceux de Pornic.
Ces premiers énervèrent deux dépendances considérables des
domaines de leur vicomte, qui est présentement le domaine du
Roy, situées en deux paroisses de ladite vicomte, appelées, l'une,
N.-D. de Fresnay, et l'autre Sainte-Pazanne ; lesquelles se dis-
tinguent et se font connoislre par ce nom de fief de la Chaume
en la paroisse de Fresnay, et l'autre le fief de la Chaume en la
paroisse de Sainte-Pazanne. Lesquelles dépendances consistent
en quelques pièces de terre labourables et de prés, appelez pour
- 73 -
ce sujet les prés aux Moines, et le reste consiste en droits de
terrage, à la sixiesme gerbe et les droits de dîmes a la dixiesme
sur toute sorte de grains. Les religieux se sont maintenus en la
jouissance et possession desdites dépendances et de tous leurs
droits par le moyen des adveux que les anciens abbés et reli-
gieux ont rendu de temps en temps à la Chambre des Comptes
de -Nantes, qui les inféodent envers le Roy de tout ferme droit de
haute, moyenne et basse juridiction sur tous les hommes et
sujets desdites dépendances qui ne reconnaissent point d'autres
seigneurs que l'abbé et les religieux, et point d'autres juges que
ceux qui exercent leur juridiction dans la paroisse de Fresnay au
nom desdits abbés et religieux, qui sont reconnus pour seigneurs
suserains dans l'étendue desdites deux dépendances, sur lesquelles
ils lèvent et appartiennent tous droits seigneuriaux de retraits féo-
daux, de lods et ventes, de rachapt, quand le cas y eschet, etc (*).
Les seigneurs de Bourgneuf et de Pornic (fiefs qui appartien-
nent présentement à Madame la duchesse de Lesdiguières et de
Retz), donnèrent autrefois à l'abbaye de la Chaume, sçavoir : les
seigneurs de Bourgneuf une dépendance considérable, appelée
présentement et de tout temps le fief de la Chaume en Saint-Cyr
et Bourgneuf, qui contient les deux parts de ladite paroisse de
Saint-Cyr. Dans laquelle dépendance, les anciens seigneurs de
Bourgneuf ont maintenus les abbés et religieux dans tous les
droits de ladite dépendance sous le nom de fief de la Chaume,
comme il appert par les adveux que les anciens abbés et religieux
ont rendus à la juridiction desdits seigneurs de Bourgneuf, qui
les inféodent de tout ferme droit de juridiction sur tous leurs
hommes et sujets dudit fief de la Chaume qui n'en reconnoissent
point d'autre que celle que lesdits abbés et religieux faisoient
(') Le fief de la Chaume en Fresnay, cédé par les religieux moyennant
une renie annuelle de 95 boisseaux de seigle, fut uni, en 1681, à la terre
delà Salle, érigée en chatelainie pour Henri de Bastelard.
Dans la déclaration des biens ecclésiastiques de la paroisse de Fresnay,
fournie en 1791, les rentes en froment dues à l'abbaye de la Chaume, dont
étaient titulaires les Bénédictins de Vertou, étaient évaluées h 190 livres de
revenus.
- 74 —
exercer par leurs officiers dans le faubourg de Sainte-Croix de
Machecoul, qui relevé prochement desdits abbés et religieux,
ainsi qu'il appert par les anciens registres de ladite juridiction et
par les anciennes déclarations que les sujets de ce fief de la
Chaume, aussi bien que des autres fiefs sous ce nom de la
Chaume, ont rendus aux abbés et religieux les reconnaissant pour
leurs propres seigneurs et leur juridiction comme leur propre
barre. Et quand il y avoit appel des sentences de ladite juridic-
tion, un chacun en appelait aux juges des suserains d'où relevaient
lesdites dépendances de l'abbaye sous la baronnie de Rets ;
sçavoir : à Machecoul, ou à Bourgneuf ou à Pornic ; car pour ce
qui est de la juridiction des fiefs de la Chaume en Fresnay et en
Sainte-Pazanne, on en appelle au Présidial de Nantes, comme
au suzerain desdits fiefs (*).
Les seigneurs de Pornic firent aussi paroistre le respect qu'ils
avoient à Nostre-Dame de la Chaume, en lui consacrant aussi
une partie de leur domaine qui porte le nom de fief de la Chaume
en Pornic, comme il appert par les adveuz que les abbez et reli-
gieux rendoient auxdits seigneurs leurs suzerains et bienfaiteurs
qui les ont toujours maintenus dans la jouissance du fief de la
Chaume en Pornic, avec tout droit de juridiction sur les hommes
et sujets dudit fief(2).
Il ne reste plus qu'à parler des seigneurs des Grandes et Petites
Aubrays, qui eurent tant de vénération pour la Chaume, qu'ils la
choisirent pour leur sépulture, laquelle se remarque par une
petite tombe eslevée à deux pieds de terre sous une petite voûte
0) Jean de Machecoul, fils d'Olivier de Bretagne dit de Machecoul et de
sa première femme, mort en 1308, est le premier que nous voyons avec le
titre de seigneur de Bourgneuf. C'est vraisemblablement à cette époque
que le bourg neuf remplaça Saint-Cyr, sanctus Cyricius Radesiarum, et
devint le siège de cette importante seigneurie. Elle fut réunie de nouveau
ii la baronnie, en 1403, par le mariage de Marie de Graon avec Guy de
Laval, dit de Bays, après avoir été possédée pendant 125 ans environ par
des seigneurs du nom de Machecoul.
(2) Pornic, au XIe et XIIe siècle, eut ses seigneurs particuliers, avant
d'être possédé par les sires de Bays.
- 75-
qui est dans la muraille, sous le degré qui descend du dortoir à
l'église. Il n'y a aucune épitaphe dessus ladite tombe, formée par
une grosse pierre d'ardoise. Ils ont chargé leur seigneurie des
Aubrayes de plusieurs rentes et devoirs envers l'abbaye pour sa-
tisfaire aux trois services de trois grand- messes chantées, avec
les vigiles chaque année par les religieux qui s'acquittent régu-
lièrement de ces services et de trois messes de fondation chaque
semaine(*).
L'abbaye n'a aucune prééminence sur les églises de Mache-
coul, sinon à la cérémonie qui se fait le dimanche des Rameaux,
pour l'adoration de la Croix dans le grand cimetière commun,
situé dans les Chaumes de Machecoul, et dans le fief de l'abbaye,
où les deux paroisses se trouvent avec tout le clergé et le peuple ;
les religieux y vont aussi processionnellement, le supérieur revêtu
de son aube avec une chappe violette, accompagnée d'un diacre
en dalmatique, de deux chantres en chappe et d'un thuriféraire ;
où estans arrivez ils se placent entre le clergé des deux paroisses,
tenans le milieu. Le diacre, ayant fait bénir l'encens au supérieur,
après avoir pris sa bénédiction , chante l'évangile de la béné-
diction des Rameaux, à la fin duquel il porte le livre à baiser
au supérieur qu'il encense trois fois. Alors les chantres religieux
commencent le répons : Collegerunt, que tout le clergé pour-
suit jusqu'au verset, que les chantres de la Trinité antonnent,
et ceux de la paroisse de Sainte -Croix chantent la reprise du
répons. Cela étant fini, le supérieur baise la croix du cimetière,
le premier, les religieux après, puis tout le clergé ; ensuite
(') Il est assez difficile de connaître aujourd'hui les noms des seigneurs
des Aubrays inhumés dans l'église de la Chaume.
Vers le milieu du XVe siècle, les Grandes Aubrays appartenaient à Rol-
land de Lannion, chambellan du duc, capitaine du Croisic et deGuérande,
du chef de sa femme Guyonne deGrezy, dame des Aubrays, fille de Scvislrc
de Grezy.
Les Petites Aubrays, a la même époque, faisaient partie des domaines de la
famille Gouy, vieille maison du pays de Rays, possessionnée en Machecoul,
Saint-Même, Sainte-Pazanne. etc., qui a donné un abbé au monastère de
Villeneuve en 1441, dans la personne de Nicolas Gouy du Branday.
— 76 —
chacun s'en retourne en son église pour y chanter la grand messe.
Ce qui est encore à remarquer en cette petite abbaye, c'est
qu'outre toutes les dépendances situées dans les paroisses de la
Trinité et de Sainte-Croix de Machecoul, de Saint-Môme, de Saint-
Pierre do Paulx, de Saint-Etienne-de-Bois-de-Céné, de Bourgneuf
et de Pornic, de Fresnay et de Sainte-Pazanne, sous le nom de
Fiefs de la Chaume, que les seigneurs fondateurs et bienfaiteurs
leur ont donné, non seulement pour immortaliser la mémoire de
leurs fondations et de leurs libéralités, mais aussi pour empêcher
les contestations à naître entre leurs successeurs et les religieux,
au sujet des bornes, limites et autres droits de ces dépendances,
et pour en éternaliser la jouissance et possession, sous ce véné-
rable nom de Fief de la Chaume, les religieux étaient encore, à
la mort de leur dernier abbé régulier, arrivée en 1594, dans la
jouissance et possession de la troisième partie des rentes et
revenus annuels d'un fief appelle vulgairement le Fief Commun,
situé dans les marais salans du Pont de la Roche, paroisse de
Sainte-Croix de Machecoul, ainsi nommé Commun, parce que tout
ce qui lui appartient et en provient se partageait autrefois entre
les seigneurs de Machecoul, les abbés et religieux de la Chaume,
et les seigneurs de la Cour du Bois (*), qui en faisaient la recette
et en devaient compte comme sergents féodés dudit fief.
Enfin cette petite abbaye ne possède aucune pièce de terre qui
ne soit noble et exempte de tout devoir, même du droit de dîmes
aux curés des paroisses dans lesquelles elles sont situées ; et
tous ceux auxquels on les afferme ne sont sujets à aucun fouage
ni à aucun subeide à raison des terres do l'abbaye qu'ils font
valloir. »
Peu de faits signalent la longue possession du titre abbatial par
les Gondi pendant le XVIIe siècle. Dans le cours du XVIIIe sur-
girent quelques procès sur lesquels nous n'avons pour ainsi dire
aucun renseignement, mais qui indiquent l'amoindrissement de
(>) Le Bois, en Sainte-Croix de Machecoul, appartenait en 1447 à Jean
du Tiercent.
— 77 —
plus en plus sensible des revenus absorbés en grande partie par
les abbés commendataires, dont plusieurs ne daignèrent pas
môme visiter une fois leur bénéfice.
Faute d'entretien, les bâtiments négligés devinrent inhabitables.
La manse des moines, insuffisante et obérée par divers emprunts,
fut supprimée et réunie à la prévôté de Vertou en 1767. Les
ornements de la chapelle, la bibliothèque, les archives composées
de cinq liasses formant un total de 804 pièces, y furent transpor-
tées. Ce fonds, si intéressant pour l'histoire du pays de Rays, a
disparu pendant la Révolution (*).
La maison de la Chaume, lisons-nous dans la déclaration des
biens ecclésiastiques, « consistant en bâtiments, cloîtres, anciens
jardins, cours et ménageries, colombier, verger, le tout conte-
nant quatre journaux, est affermée avec 80 journaux de prés, une
métairie, moulins, dîmes et terrages, à M. Raimbaud, par bail
commencé le 1er janvier 1789, trois mille sept cents francs. »
Quatre journaux, voilà donc la mesure, des terrains occupés
par les bâtiments et la clôture.
« Ce ne sont plus que des ruines, à peu près sans intérêt. On
y remarque trois enceintes distinctes, closes de leurs murs. Dans
la première étaient renfermés les bâtiments et l'église ; dans la
seconde était compris le jardin, et la troisième formait la tenue
ou la culture pour les besoins de la maison. Ces deux dernières
sont labourées.
« Les murs du couvent encore debout avec les ouvertures du
(J) Arch. Départ., série G, Déclarations ecclésiastiques.
« Lors de sa réunion à Vertou, la Chaume avait cinq constituts. Celte
dernière maison en a remboursé deux, savoir: 1,500 # à l'hôpital le 10 juin
1778, un autre de 1,500 * à Mllc Couturier, le 30 mars 1779.
« Comme la réunion de l'abbaye est susceptible de retour, on eut mieux
fait de les laisser courir.
« Par contrat du 6 septembre 1751, au rapport de Mongin, les religieux
avaient emprunté au chapitre de la cathédrale, une somme de 4,000 *
dont les intérêts, au denier vingt, furent payés jusqu'en 1788. » — Arch.
Départ, Titres de Vertou, cahier... chapitre de Nantes, art. 3, Notre-Dame
de la Chaume.
— 78 -
rez-de-chaussée et du premier étage ont encore de cinq à six
mètres de hauteur. On reconnaît a peine l'emplacement qu'occu-
pait l'église. Mais aux pierres travaillées qu'on voit ça et là, on
pense qu'elle datait du XIVe au XVe siècle. On retrouve des
caveaux voûtés sous les murs. Le seul objet bien conservé est la
fuie, près la porte d'entrée (*). »
A notre époque, M. Orieux écrivait : « Les ruines de l'église
présentent des murailles d'un mètre de hauteur ; la forme des
contreforts et l'appareil d'un oculus, nous font présumer que ces
restes appartenaient à l'église primitive (*) ». Nous sommes com-
plètement de l'avis de notre honorable et laborieux confrère, les
restes de l'église indiquaient l'époque romane.
Nous aurons tout dit, en ajoutant qu'une grande cause de
l'anéantissement des derniers vestiges de la Chaume, fut l'exploi-
tation à laquelle les livra M. Paimparay, qui en vendit les pierres
comme matériaux de construction. La nouvelle église paroissiale
de Fresnay est presque entièrement élevée avec les débris des
anciens bâtiments du moustiers des sires de Rays. M. Guimber-
teau, petit-fils de M. Paimparay, vendit a M. V. Ecomard, de
Sainte-Pazanne, la métairie de la Ghetiverie, sur laquelle se trou-
vait la Chaume ; et c'est de ce dernier que l'a acquise M. l'abbé
Blanchard, ancien supérieur du collège de Machecoul, aujourd'hui
chanoine honoraire, supérieur du petit séminaire des Couëts.
(*) Verger, t. II, arrond1 de Nantes, art. Machecoul, mm. de la Biblio-
thèque de Nantes. M. Verger, qui écrivait ses noies vers 1830, se trompe
en indiquant le XIVe et le XVe siècle.
(-) Études archéologiques dans la Loire- Inférieure, par M. Orieux, Agent-
Voyer-Inspecteur. Nantes, 1865, p. 70.
TTTl
mm m
m
/
cT
. V ^ .A,."'A
'^■•» >»J >-ï >v
—
lililM'
/>
/L'
/;
/tf
/ 7
Imp. dcL'Oi,
AUME ET ARMOIRIES DES ABBÉS.
ABBÉS DE LA CHAUME
1100-1792
om Taillandier (*) a le premier dressé une série des
abbés de la Chaume, en même temps qu'il éditait un
travail semblable sur tous les monastères de la pro-
<> vince de Bretagne. Il n'est donc pas étonnant qu'elle
présente d'assez grandes lacunes et quelques erreurs.
M. l'abbé Tresvaux (') s'est borné à la reproduire, en y joi-
gnant seulement les deux ou trois abbés nommés postérieure-
ment.
M. Haureau (3) n'a pas ajouté grand chose aux citations de ses
devanciers. Il a négligé de consulter les riches archives départe-
mentales, qui lui eussent fourni pour ses séries abbatiales d'inté-
ressants documents. En effet si, à l'égard d'un monastère dont
tous les titres ont été anéantis, nous avons pu donner deux ou
trois noms nouveaux, préciser quelques dates et formuler d'assez
importantes rectifications, ce résultat, quelque minime qu'il soit,
démontre qu'il ne faut plus se borner à recopier les noms donnés
par Dom Taillandier, mais que son travail peut être amplement
modifié.
Afin d'éviter à cette sèche et aride énumération, la monotonie
que présente la liste de ces personnages la plupart peu connus,
j'ai indiqué les faits extraits des actes qui me sont passés sous les
(!) Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, \r. II, pp. ex et CXI.
(2) L'Eglise de Bretagne, p. 471.
(3) Gallia CHRISTIANA, in provincias ecclesiasticas distributa, tomum
quartum decimum ubi de provincia Turonensi agitur, condidit Bartholo-
meeus Haureau, Parisiis 1856, col. 851, 852, 853.
— 80 -
yeux, et qui fournissent des détails historiques sur l'antique
moustier des Sires de Rays.
Le sceau de l'Abbaye portait au centre un écusson d'azur
chargé d'une croix d'or, légère variante, ou peut-être simple
altération du blason des seigneurs de Sainte-Croix ; et autour la
légende : Sceau de l'abbaye N.-D. de la Chaume (j).
GLEMAROCH
Glemaroch, successeur de Justin, comme prieur, devint le pre-
mier abbé de la Chaume.
Il signa la fondation du prieuré de Frossay, faite vers 1100,
par le clerc Urvoid, fils du prêtre Rivallon : « Glemarochus, abbas
Sanctœ-Mariœ de Machicol (2) ». Sa souscription est encore ap-
posée, en 1104, au bas de la donation faite à l'abbaye de Redon,
par le môme Urvoid, alors revêtu de l'ordre de la prêtrise (J).
TANGUY
Il signa : « Tangico, abbatc de Culmo », le chirographe conte-
nant l'accord définitif passé, de 1107 à 1110, entre les abbayes
de Marmoutier et de Redon, au sujet du prieuré de Réré (4).
GAUTIER
« GautcriOj Machicolensi abbate », assista à la réconciliation
de l'église de Redon, faite le 23 octobre 1127, par l'archevêque
de Tours, Hildebert, en présence du duc Conan, de sa mère
Ermengarde, et d'une imposante assemblée de la noblesse et du
clergé breton (5). « Gauterius, abbas de Machicol », souscrivit
la donation, faite à Redon, le lendemain 24, par Olivier de Pont-
chaleau (6). Sa signature se trouve encore au bas de la donation
(i) Armoriai, général de d'1/ozier,- Bibliothèque Nationale, sect. des ma-
nuscrits, pi. III, N° 1.
(2) Cartul. de l'Abbaye de liedon, p. 166- - D. Morice, l'r. I, col 504.
(3) Cartul. de l'Abbaye de liedon, p. 250.
(4) Arch. dôp. de la Loire-Inférieure i Titres du prieuré de liéré. —
D. Morice, l'r. I, col. 4*22.
(') Cartul. de l'Abbaye de liedon, p. 399. — D. Morice, l'r. I, col. 557.
(6) Cartul. de V Abbaye de liedon, Apptndtx, p. 392. — D. Morice, l'r. I,
col. 553. La date 1126 donnée par D. Morice est erronée.
— 84 -
faite, en février 1133 (1134 N. S.), au même monastère, par
Guegon de Blain (*).
ALFRED
Alfredus, qui, encore simple religieux en 1131, signa avec
plusieurs des moines de l'abbé de Redon, la donation faite à
cette abbaye par Olivier de Pontchâteau (a), succéda au précé-
dent.
Alfred ne nous est connu que par l'acte d'association dans
lequel Hervé, abbé de Saint-Serge d'Angers, lui accorde le béné-
fice des prières de son église, et l'inscription de son nom au
martyrologe après son décès. Cette pièce est antérieure au 31
mai 1150, date de la mort d'Hervé (3).
ROBERT
« Robertus, abbas de Chalma » , assista à la dédicace de l'é-
glise de la Benâte, faite par Bernard, évêque de Nantes, en pré-
sence des abbés d'Orbestier, de Breuil-Arbaud et de Nieul, entre
les années 1150 et 1155 (4).
PHILIPPE
Philippe était abbé en 1184, suivant la charte que nous repro-
duisons en entier, parce qu'elle sert à rectifier plusieurs erreurs.
Carta Bemardi de Machecollio de prato Marescautiœ et terris
apud Vaux et Machecollium.
Notum sit omnibus, tam futuris quam presentibus, quod ego
Bernardus de Machecollio, divine pietatis intuitu et amore Gau-
(i) Carlul. de l'Abbaye de Redon, Appendix, p. 396. — D. Morice, Pr. I,
col. 554.
(2) Carlul. de l'Abbaye de Redon, Appendix, p. 395.
(3) « Domno Aufredo abbati Béate Marie de Calma, concessit D. abbas
Herveus in gênerait capitulo beneficium ecclesie nostre, et ad finem suum
martirologium pro anniversaria commemoratione. Ex obit. Mon. S. Sergii. »
Biblioth. Nat., Dom Housseau, t. XIII, N° 10,046.
(4) Arch. départ., Titres de Buzay, boîte A, liasse 7, N° 37. Don fait à
l'Abbaye de Buzay, par Renaud Agnel de la Benâte, croisé.
1879 6
— 82 —
fridi Mengui, concessi, ad faciendam filiara suam sanctimonialem,
ecclesie Dei et S. Marie Andegavensis, pratum de Marescautia et
unam sextariam terre in saltibus de Paux et aliam in territorio
Machecolli, in terra videlicet Radulfi Corsodii, eo concedente et
fratribus Gaufridi Mengui concedentibus, scilicet Guillermo et
Guerrivo : Salvo tamen meo et ipsius Radulfi jure in perpetuurn
habendum, videlicet duabus partibus décime, et terragio salvo
in terra Radulfi, et in terra mea tota décima salva et terragio ;
quas sextarias supradictas Gaufridus Mengui sibi acquisierat. Ne
quis concessionem meam infirmare valeat, litteris annotare feci et
sigillo meo corroboravi. Hujus rei testes sunt : Ego Bernardus
Machecolli dominus, Rollandus Radiensis decanus, Radulfus de
Gorsot, Guillermus Mengui et frater ejus Guerriz, Raginaldus Ser.
pant, Raginaldus Tedet, Guillermus Menart, Aalar Cornilles,
Raginaldus Gornillel, Philippus abbas Calme, Agnes priorissa de
Monasteriis Prugné et alii multi. Hec carta facta (est) et recitata
ante me in capitulo S. Marie de Calma, secundo die Natalis Do-
mini, anno ab incarnatione Domini mgviii0 iiii° ('). R. 6, C. 23.
La date, « in capitulo S. Mariœ de Calma, secundo die Natalis
Domini, anno ab incarnatione Domini m. c. viii0 hii° », mal in-
terprétée, par Dom Taillandier et ses copistes, a donné 1112.
Mais Bernard de Machecoul, fils puîné de Raoul sire de Rays,
qui figure parmi les chevaliers bannerets de Philippe Auguste en
1204, vivait incontestablement a la fin du XIIe et au commence-
ment du XIII0 siècle. Il n'a donc pu signer une charte en 1112.
Dom Mabillon ne s'y est pas trompé, et cite la date exacte,
octuagesimo quarto, 1184.
Dom Taillandier et les autres, y compris M. Hauréau, disent :
que le savant Bénédictin ne connaît pas d'abbé de la Chaume
plus ancien que ce Philippe. Mais Dom Mabillon, ne voulait ni
Taire une liste, ni môme émettre le sentiment qu'on lui prête. Il
(») Melius MCLXXXIV0.
(2) Cartularium monasterii Bealœ Mariœ Caritatis Andegavensis. In-8°,
280 pp., s. n. d. ni 1. ni d., p. 278. cdxliv.
- 85 —
constatait seulement un fait : dans la suite des temps, le monas-
tère de la Chaume fut érigé en abbaye, et la signature de l'un de
ses abbés se trouve au bas d'une charte, etc.. « Processu tem-
poris hoc monasterium erectum est in abbatiam, cujus abbas
Philippus inscriptus occurrit in quadam charta, etc. ('). »
De plus, ce n'est pas, comme il a toujours été dit, une consti-
tution de dot, accordée par Bernard à sa fille, prenant le voile
dans l'abbaye du Ronceray, mais un don fait par ce haut baron,
pour l'affection qu'il portait à Geoffroi Maingui, dont la fille se
faisait religieuse.
Philippe gouverna l'abbaye fort longtemps.
HAMON
« HaimOs abbas Calme », signa deux actes, peu différents l'un
de l'autre, par lesquels Bernard, seigneur de Machecoul, permet
aux religieux du prieuré de Saint-Martin, de bâtir un bourg et
d'y tenir une foire. Ces actes durent être passés vers 1213 ou
1214 (a).
( Lacune pendant le XIIIe siècle presque entier.)
PIERRE LOUYS (s)
Cet abbé reconnut les droits féodaux et judiciaires du sire de
Rays sur son monastère, ainsi qu'il résulte de la mention de l'In-
ventaire du Trésor des chartes « Copie soubz le sceau royal de la
ville de Saint-Jehan-d'Angely, d'une sentence donnée par Phi-
lippe de Beaumanoir, chevalier, baillif de Touraine, entre Monsieur
Girard Chabot, chevalier, sieur de Rays et de Machecoul d'une
(») Annales Ordinis Sancti Benedicti, t. IV, p. 677.
(2) Arch. départ., série H, Prieurés dépendant de Marmoutier. — L'un
de ces actes a été publié par D. Morice, Pr„ 1. 1, col. 541, qui a eu le tort
de le placer vers 1120, c'est-à-dire presque un siècle avant sa date réelle,
ainsi que le fait également remarquer M. A. de la Borderie dans l'Inven-
taire analytique des titres des Prieurés de Marmoutier situés dans l'Evêché
de Nantes, p. 72.
(3) Il existait en Bretagne, plusieurs familles de ce nom ; mais nous ne
savons à laquelle appartenait cet abbé.
— 84 -
part et Pierre Louys, abbé de la Chaulme, au nom de luy et de
ladite abbaye d'autre, lequel baillif avait été spécialement com-
mis par le roy, et envoyé à Nantes, pour connaître des appella-
tions pendantes entre lesdites parties en la cour dudit seigneur
Roy. Et après que ledit abbé au nom dudit couvent, se départit
de l'appellation qu'ilz avoient fait de la cour du comte de Bre-
tagne, à la cour dudit sieur Roy, il ordonna que le jugement fait
en ladite cour dudit comte pour ledit Monsieur Girard, sortirait
son effect. Et est l'acte du jugement donné par ledit sieur comte
de Bretagne inséré, par lequel jugement est dit que lesdits reli-
gieux et hommes de ladite abbaye, demeureront en la garde
justice et obéissance dudit Girard et tiendront de luy tous les
fiefz et arrière fiefz et temporalité de ladite abbaye. Ledit juge-
ment dudit comte daté du lundy après la feste de saint Berthele-
my apostre (24 août) l'an 1292 ; et la sentence dudit baillif de
Touraine, le vendredy après ladite feste saint Berthelemy, audit
an; et ledit Vidimus du 24e de septembre 1446. Signé Vallée.
V. C. de Feuz (4). »
L'abbé Pierre, mourut probablement deux ans après ce règle-
ment ; du moins la vacance du siège abbatial est constatée en ces
termes par « autre vidimus soubz le seel royal de la dite ville de
Saint- Jehan-d'Angely, des lettres escriptes par Jehan, abbé de
Redon, à Monsieur Gérard Chabot, chevalier, seigneur de Rays et
de Machecoul, par laquelle ledit abbé luy mande, que comme il
est de coustume que quand l'abbaye de la Chaulme vaque, de
nommer troys moynes de ladite abbaye de Redon, desquels ledit
abbé de Redon en doit eslire ung s'il est suffisant et capable,
pour estre abbé de la Chaulme, et que nagueres ledit sr de Rays
avoit envoyé à Redon aulcuns de ses gens, pour faire ladite no-
(') Arclnv. départ., Inventaire du Trésor des Chartes 5 Ann. V. cass. D.
N° 3. — Le Cartulaire des Sires de liays, publié par M. P. Marchegay,
donne sous le N° 113, un acte qui est le même que celui-ci \ le siège de la
juridiction seigneuriale était fixé à Machecoul, ou dans le périmètre d'une
lieue.
- 85 —
mination, lesquelz ne furent bien advisez; et pour cela la chose
feut prolongée jusqu'à ce qu'il eut fait parler audit sieur de Raiz,
lequel ledit abbé prie de bien adviser sur ce fait, et nommer
preudes gens et luy en escripre sa volunté. Laditte lettre dattée
du jour de la Magdelaine (22 juillet), l'an 1294 ; et ledit vidimus
du 24 septembre 1446. Signé Vallée, le Filz (*). ©
A la suite de cette citation assez diffuse de l'article de l'Inven-
taire, il est utile de reproduire la lettre même de l'abbé de
Redon ; document « aussi curieux comme orthographe que char-
mant par le style et par son écriture », dit avec raison M. P. Mar-
chegay, qui nous a fait connaître ce texte intéressant pour la
philologie de la langue française au XIIIe siècle.
« A noble home, son ami e seignor, monsor girard chaboz, cher,
seignor de reis e de machecou, frère johan, humble abbe de
redon, saluz e lui tôt.
« Sire, corne vous ayez de costume, quant labaye de la Chaume
vaque, de nomer de nostre abbaye treis moynes, e nos devons
eslere un diceux, si il y est renable, a estre abbe de la Chaume ;
e, Sire, corne vos eussez lautrier envoyé a Redon aucuns de voz
gens pour fere icelle nomee, les queux nestayent mie moût bien
avisez sus ce, si corne len nos feseit entendre, e por ce, Sire, nos
feirnes tant o eux que la chouse fut porloignee juque nos eussons
parle ou fet parler o vous, quar nos avons grant fiance que il vos
plese que la chouse ange en meillore manière que a nul de voz
genz. Por quey, Sire, nos vos requérons en soppleyant, corne ami
e seignor, que il vos plese vos aviser sur ce, e nomer prodegent
por que nous peussons porveir a la povre abbaye de un prodome,
quar grant mester en a.
E, Sire, ceste chouse aureit mester a fere brevement, quar les
chouses ne vont pas bien. Por lamor Nostre Seignor, plese vous
de ce tant fere que vos y eyez henor e le povre moustier prou,
e que Nostre Seignor vous en sache gre. Vostre nomee, Sire,
vous plese nous rescrire, e les nos enveyer par le portor de ceste
(i) Archiv. départ., Invent, du Trésor des Chartes. V. D. N° 7.
- 86 —
lettres, ou par autre si vos veez que raeauz seit. E, Sire, a ceste
supplicacion e requeste vos fere, e a vostre volante en oir, nos
establissons frère Jame, nostre moyne, priou de Seint Nicholas,
e le priou de Frocay, nos alloez, ou un diceus dous si ame-
dous ni poayent estre.
Ce fut donc le jor de lundi avant la feste de la Magdalene, en
l'an de grâce mil e dous cenz e quatre vinz e quatorze (l). »
Original en parchemin^ jadis scellé sur simple queue.
NICOLAS DE TRÉAL
Cet abbé, que les catalogues disent avoir été tuteur des enfants
d'Olivier Le Roux en 1322, et vivant encore en 1324, appartenait
à une ancienne maison de Bretagne, possessionnée dans les
évêchés de Saint-Malo, Nantes et Vannes, portant pour armoiries :
de gueules au croissant burelé d'argent et d'azur. (PI. III, N° 2.)
Proche parent de Raoul de Tréal, évêque de Rennes en 1364,
Nicolas eut pour successeur sur le siège abbatial, un membre de
sa famille ; et, déjà parmi les religieux de la Chaume cités plus
haut 1081-1085, se trouve un de Tréal.
Nous avons deux actes, ayant rapport à lui.
« Sachent tous que nous, Girard Chabot, sire de Rais et de
Machecou, avons baillé et baillons nostre garanne de conniz dudit
Machecou et la Chaume à religieux homme et honneste frère, Ni-
cholas de Treal, aabé de la Chaume, à tenir garder et explec-
ter à sa vollonté, sans vendre, tant comme il vivra aabé de la
Chaume, tant seulement en la manière que nous pouron aie jouer
quand nous plaira ou ceux de nostre compaignie, et aussy nostre
principal hair, o arcz, o chiens et bastons, sans autres garne-
mens, par quoy ladite garanne soit grevée. Et doit ladite garanne
tourner à nous o tout son amandement, tel comme pourra avoir
(») Revue de Bretagne et de Vendée; avril 1879, « Vingt lettres missives
originales et inédites du chartrier de Thouars », p. 264.
Frossay, canton de Saint-Père-en-Retz, arrondissement de Paimbœuf.
Le prieur de Saint-Nicolas était vraisemblablement celui de Saint-Nicolas
de Redon, relevant directement de cette abbaye.
- 87 -
fait ledit Nicholas, quitement, sans débat, après son décès ou
son département de la Chaume ; et des maintenant à ladicte ga-
ranne, tant que ledict Nicholas la tendra, reservons à nous la
justice a fere et les grousses amandes, tant seulement o toute
nostre seignourye. Et ces convenances volons promettons tenir et
garder en bonne foy pour nous et pour les nostres sans venir
encontre, donné tesmoing Nostre sceau; et requérons que le
sceau des contratz de Nantes soit exposé a ces lettres en grei-
gnour tesmoing. De tout ce nous Jacques Souboys, garde dudit
sceau des contractz, a la requeste dudit seignour, avons a ceste
lettre ledict sceau des contractz appousé. Ce fut faict et donné le
jeudy après la saint Micheau en Montegargane l'an de grâce mil.
troys cens vingt et ung. »
On sait combien le droit de chasse était prisé par les seigneurs
du moyen âge, jaloux de se livrer seuls à ce plaisir défendu sous
les peines les plus sévères à leurs vassaux. Cette concession est
donc une preuve des bonnes relations et de l'amitié qui existait
entre le châtelain et le supérieur des religieux. Les garennes bien
moins étendues que les forêts, n'étaient en général peuplées que
de petits animaux, tels que lièvres, lapins, perdrix, faisans.
Cependant une charte d'Edouard III, roi d'Angleterre 1326-
1377, décide que le chevreuil est un animal de garenne et non
de forêt ('j.
De son côté, l'abbé reconnut la bienveillance de son seigneur
par l'acte suivant :
« Comme Noble Homme, Monsour Girart Chabot, seignour de
Rais et de Machecol, par son don et par sa grâce aet volu et
veus-je que Messire Nicholas de Tréal, en celui temps aabé de la
Chaume, eusse gardasse et esplectasse à ma volonté, sens vendre,
sa garanne d'entre Machecou et la Chaume, non pas comme aabé
m en nom de ladite Abbaye, durant le cours de ma vie tant
(i) Les eaux courantes, par Lucas Charapionnièro, p. 64. « Fidetur tamen
justiciariis et consilio domini régis, quod caprioli sunt bestiœ de Warenna
et non de foresta. »
- 88 —
seulement comme je demoure abbé de la Chaume tant seule-
ment. Sachent tous que je ny puis ne doy, ne autre en nom ne
par raison de ceste baillée ni de ladite abbaie rien demander
après ma mort ou mon département de la Chaume, ne empescher
que lui doit retourner quitement et senz nul delay à la main et a
la sezine doudit seignour, o tôt son fet et son amendement, et
si aucun en y avoit fait après mon décès ou mon département de
la Chaume. Et sy ledit seignour reserve en povoir aler jouer o
ceux de sa compaignie, o chiens et bastons et arez et auxi son
principal héritier, senz a nos garnemez qui puissent ladite
garanne grever. Item a réservé ledit seigneur la justice a faire
des mesfessans et les grosses amandes de ceux qui sont accusez
ou prix par moy ou par mes gens durant le temps dessus divisé.
Et en tesmoing de ce, ge ay donné a Monseignour dessusdict,
cestes lettres scellées dou sceau dont len use a la Chaume, pour
abbé et couvent, o l'assentement de mes compaignons. Et a plus
grand fermeté, ge soupley et requiers que le sceau des contraclz
de Nantes, soit en tesmoing de cette chouse a cestes lettres
appousé ('). »
Nicolas de Tréal, jouit pendant sept ans seulement du droit de
chasse dans la garenne de Machecoul, car en 1328, il fut trans-
féré sur le siège abbatial de Saint-Melaine de Rennes, où il mourut
en 1357.
MICHEL DE TRÉAL
Michel de Tréal, parent et peut-être frère du précédent, lui
succéda en 1328, et était encore abbé en 1336.
JEAN DE TAILLEFER (2)
Cet abbé appartenait à une très honorable famille de Dol et de
(•) Ces deux pièces sont empruntées à un vidimus de l'an 1667, d'après
les originaux déposés a la Chambre des Comptes, aujourd'hui Archives
départementales île la Loire-Inférieure, faisant partie du fonds Bizeul à lu
Ribliothèque de Nantes.
('-') Avant cet ahbé, tous les catalogues placent un Pierre Totjyac, « qui
- 89 -
Saint-Malo, portant pour armes : de gueules à trois fers de lances
d'or (PL III, N° 3), il occupa le siège abbatial de 1351 à 1374 et
peut-être plus longtemps.
THOMAS RUFFIER
Thomas Ruffier, abbé de la Chaume en 1386, appartenait a
une famille ancienne des évêchôs de Saint-Bricuc, Saint-Malo et
Dol, portant : d'azur semé de billettes d'argent au lambel de
même (PI. III, N° 4).
Geoffroy Ruffier, de la même famille, « bien amé et féal es-
cuyer » duduc François II, était, en 1486, lieutenant de Nantes,
aux gages de « cent livres monnoye par chacun an (*). »
JEAN LARCHER
Jean Larcher, régit l'abbaye de 1391 à 1402, suivant les cata-
logues, et eut pour successeur le suivant, qui de même que lui
n'a laissé à l'histoire que le souvenir de son nom.
ANDRÉ LARCHER
André Larcher tint la crosse abbatiale de 1402 à 1411.
Ces deux abbés, très proches parents l'un de l'autre, sans qu'il
soit possible cependant de savoir au juste à quel degré, apparte-
naient à une vieille famille bretonne, portant pour armoiries : de
gueules à 3 flèches tombantes d'argent 2, 1. Devise : Le coup
n'en fatjlt (PI. III, N° 5).
En 1171, Pierre l'Archier ou l'Archer, l'un des vaillants cheva-
liers du duc Conan IV, fut tué en défendant la ville de Fougères
plaidait, comme abbé de la Chaume, contre Girard Chabot, sire de Rays,
en 1346, suivant une sentence rendue sur cette affaire, par Philippe de
Beaumanoir, chevalier, bailli de Touraine, le 24 septembre. » Or, c'est tout
simplement une mauvaise interprétation de la date de l'acte de 1292, relatif
fc l'abbé Pierre Louys, dont un copiste étourdi a mal lu le nom et copié la
date du vidimus, pour celle de l'acte môme. D'ailleurs, Philippe de Beau-
manoir fut bailli de Touraine à la fin du XIIIe siècle et non au milieu du
XIVe. Il faut donc nécessairement rayer ce nom de Pierre Touyac.
(!) Archiv. municip., série EE, carton, capitaines et lieutenants.
- 90 -
contre les Anglais. Jean-Chrysostome l'Archer, comte de Tou-
raille, mestre de camp de cavalerie, chevalier de Saint-Louis, eut
entre autres enfants : Isidore-François l'Archer, né le 12 maj
1740, enseigne de vaisseau, tué en 1759, sur la frégate la
Calypso, en défendant l'entrée de la rivière de Brest contre les
Anglais (').
ANDRÉ DE LORME
André de Lorme, fut nommé en 1413, par le sire de Rays Guy
de Laval, ainsi que le prouve l'analyse qui suit :
« Acte fait par Raoul abbé de S. Sauveur de Redon et du cou-
vent de ladite abbaye, par lequel il atteste et confesse que toutes-
fois et quantes que l'abbaye de nostre Dame de la Chaulme,
membre dépendant de Rhedon, est vacante, il appartient au sei-
gneur de Rays de nommer et présenter audit abbé de Rhedon
trois relligieux profes de ladite abbaye, affin que iuu deux au
choix et élection dudit abbé de Rhedon, avec le conseil du cou-
vent, soit institué et ordonné abbé de la Chaulme, et que lesdits
seigneurs de Rays sont en possession paisible dudit droit, et que
le dernier, pénultième et antépénultième abbé de la Chaulme ont
été receuz par ses prédécesseurs abbez de Rhedon, à la présen-
tation et nomination des seigneurs de Rays, qui ont estes pour ce
temps ; et que ayant nagueres ladite abbaye de la Chaulme vac-
quée par le décès de frère André Larcher, ledit abbé de Redon,
auroit élu et pourvu à la nomination et présentation de Guy, lors
seigneur de Rays, frère André de Lorme. Datte du 5 aoust 1413
et scellé de deux sceaulx (2). »
Nous n'avons aucun détail sur cet abbé, qui peut-être apparte-
nait à une famille du comté nantais, parmi les membres de
laquelle figurent : Pierre de Lorme, vivant en 1388, seigneur de
(J) Dictionnaire de la noblesse, par M. de la ChesDaye-Desbois^ etc.,
(2) Arch. départ., Arm. V, Cass. D, JN° 6.
— 91 -
la terre de la Mauguitonnière en Maisdon, et Marguerite de Lorme
dame de Liancé, en Orvault, en 1475.
GUILLAUME
Abbé en 1418.
DENIS
Abbé en 1421.
Nous n'avons rien sur ces deux abbés.
JEAN GROILARD, OU GIRESART
Le catalogue de D. Taillandier indique ici un Jean abbé de la
Chaume en 1428 et 1436. Ainsi que M. Hauréau, nous sommes
porté à croire que c'est Jean Giresart.
Un acte du 2 mars 1449 (1450 V. S.), inséré au Gartulaire des
sires de Rays, nous apprend que Jean Giresart, abbé de la
Chaume, échangea son bénéfice, pour le prieuré de l'île Brème-
sen, avec Alain Loret. L'abbé de Redon conféra à celui-ci la
dignité abbatiale, mais seulement après avoir constaté que le sei-
gneur de Rays, Prégent de Coëtivy, amiral de France, avait
approuvé cette permutation dès le 9 février précédent.
Cet acte, parfaitement explicite, obligerait donc à rayer du
catalogue, Nicolas de Tréal en 1446, Jean-Louis Le Roux en
1448 et Jacques Rousseau en 1453, sur lesquels, du reste, les
catalogues ne donnent aucun détail.
ALAIN LORET
Alain Loret, encore abbé de la Chaume en 1456, était fils de
Pierre Loret, conseiller du duc Jean V et sénéchal de Broerec en
1418, et de son épouse Jeanne de Neuville. Il portait pour armes :
d'argent au sanglier rampant de sable (PI. III, N° 6) (*).
(*) Un Alain Loret était abbé du monastère de Plle-Chauvet, au diocèse
de Luçon en 1468. Comme dans les documents suivants, il est seulement
question de la vacance de l'abbaye de la Chaume, sans mention de la mort
de l'abbé, peut-être pourrait-on en inférer que c'est le même personnage
qui avait échangé son abbaye ?....
- 92 —
GUILLAUME JEHANNO
Les Archives départementales possédaient jadis un acte du 25
juillet 1456, signé par Yves le Seneschal, abbé de Redon, et dont
nous n'avons plus que la mention analytique portée à l'Inven-
taire (')• L'abbé « déclare que le seigneur de Rays, suivant le
droit de patronnaige qui lui appartenoit, en l'abbaye de la
Chaume, toutesfoiz qu'elle est vacante, il luy auroit présenté trois
des religieux de ladite abbaye de Redon, afin d'en pourvoir celui
qui serait le plus proffitable : scavoir frère Yves le Mercier,
prieur du bourg des Moustiers, Jacques Ruaigier, prieur de l'Isle
et Yves le Pourceau secretain de ladite abbaye de la Ghaulme ; et
néanmoins ladite présentation, n'auroit encores pourveu à la col-
lation de ladite abbaye, auroit différé de ce faire, en partye pour
ce que l'ung desdits religieux nommés en icelle présentation,
estoit au voyage de saint Jacques eu Galice (2). »
Cette présentation n'eut pas de suite ainsi que le constate la
lettre de Pierre II, duc de Bretagne, à André de Laval, sire de
Loheac, baron de Rays.
« De par le duc,
« Très cher et très amé cousin et féal, nous avons sceu com-
ment en faveur de nous, vous avez présenté a beau cousin le
légat, notre bien amé et féal conseiller, maistre Guillaume
Jehanno, secretain de Redon, a l'abbaye de la Chaume, obtenir,
dont de vous suymes très contans, et vous en mercyons. Si vous
(!) Arch. départ., série E 243 (registre).— Le même dépôt, série E 247,
cassette 108, contient: « l'Inventaire de divers titres extraits du Trésor des
Chartes à la requête d'Albert de Gondy, duc de Retz. Le N° 524 de ce
dernier inventaire donne la note suivante, qui se rapporte évidemment a
la nomination de Jehanno : « Une nomynation et présentation faicte par
André de Laval, sire de Rays, et de Machecoul, h l'abbé de Redon, de
l'abbaye et moustier de Notre-Dame de la Chaume, le 21 avril 1456, atta-
chées a une provision et institution faite par ledit abbé de Redon d'icelle
abbaye de la Chaume a la présentation susdite, en date du 9 mai 1457. >»
(2) Arch. départ., arm. V, cass. D, N° 2. — Cet acte était signé : Y. abbé
de Redon et scellé.
- 93 —
prions que a maire fermeté, icelui maistre Guillaume veillez pré-
senter a l'abbé de Redon, affin que, sur icelle abbaye de la
Chaulme, nulli ne puisse donner audit maistre Guillaume aucun
empeschement. Et ce faisant vous nous ferez singulier plaisir.
Très cher et très ame cousin, le sainct esprit soit garde de vous.
Escript en nostre ville de Nantes le xxvje jour de juillet.
Pierre (*). »
Il y avait, on le voit, de graves compétitions, et les plus puis-
santes influences étaient mises en jeu pour obtenir la crosse
abbatiale. Guillaume Jehanno, qui est cité dans les Conclusions
du Chapitre de l'Eglise cathédrale de Nantes, à la date des 27
janvier et 7 février 1457 (1458 N. S.), avait été également
chargé des intérêts de l'abbé et du monastère de Redon, à ren-
contre du chapitre de la Collégiale de Notre-Dame, lors de la
translation du prieuré de Toutes-Joies dans la rue de la Petite-
Notre-Dame. Il ne jouit pas longtemps de sa dignité, car il mou-
rut cette même année 1458.
Guillaume Jehanno portait pour armoiries : d'argent à la croix
fleurdelisée de sable soutenue par deux lions affrontés de même
(PI. III, N° 7).
JEAN DE SAINT-GUEDAS
La famille ducale, jalouse sans doute de la haute prérogative
des puissants barons, semblait chercher à s'immiscer dans le
choix du sujet, en intervenant par ses recommandations. C'est
du moins la pensée que fait naître la lettre d'Artur de Bretagne,
comte de Richemont, dont il ne reste plus que la mention analy-
tique, trop succincte, inscrite à l'Inventaire, et par laquelle ce
prince « remercie le sieur de Raiz de ce qu'il avoit présenté
(') Cette lettre missive, porte pour adresse : « A notre très cher et très
amé cousin et féal le sr de Loheac maréchal de France. » Arch. départ.,
série E, 77, cassette 29.— Elle donne seulement ù G. Jehanno la qualité de
sccretain de Redon, ce qui nous fait croire que la désignation de secrétaire
du roi, portée dans les listes de D. Taillandier, Uauréau et Tresvaux, est
fautive.
- 94 -
Jehan de Saint-Guedas, avecques autres pour être pourveu de
l'abbaye de la Chaulme, par l'abbé de Redon, et le prie tenir la
main que ledit Saint-Guedas en soit pourveu nonobstant la
poursuite que en faisoit pour son neveu ledit abbé. Ecrit à
Redon, le septième jour d'avril non millésimé (1458?). Signé
Artur ('). »
Nous ne savons rien de plus sur cet abbé qui appartenait à
une famille du diocèse de Saint-Brieuc, portant pour armoiries :
de sable à 12 étoiles d'or, 4.4.4 (PI. III, N° 8).
(Lacune pendant la fin du XVe siècle.)
RAOUL GESLIN
Frère Raoul Geslin était issu d'une maison d'ancienne cheva-
lerie du diocèse de Saint-Brieuc, portant pour blason : d'or à 6
merlettes de sable, 3.2.1 (PI. III, N° 9).
Il fut maintenu en possession de son abbaye, malgré les dé-
marches de son compétiteur frère Mathurin de Ghauvigny, proche
parent d'André de Ghauvigny, baron de Rays, mort en 1502,
essaya de le supplanter et en appella au Conseil de Bretagne, qui
à la date du 4 septembre de la même année, rendit l'arrêt sui-
vant :
« Mandement dirigé aux Juges de Nantes, impétré de la part
du procureur général, contre Me Mathurin de Chauvigny, non
originaire de ce dit pays, et suppozant que par les indulz de cedit
pays, n'est loisible ne permis aux alienigènes tenir bénéfice en
cedit pays, sans tout premier en avoir congié et licence du
prince, et pareillement treicter les subgectz en icelluy, en autre
lieu que cedit pays, en matière possessoire après y avoir esté in-
tentée ; et que néanmoins ledit de Ghauvigny en y contrevenant
a fait convenir en court de Romme, frère Raoul Geslin, originaire
de cedit pays touchant labaye de la Ghaulme, néanmoins le pro-
ceix intenté en conseil par avant ces heures. Sur quoy a esté
deffendu audit de Ghauvigny, de non le trecter en cour de
(•) Cet acte portait le N° 5, de la Cassette D de l'Armoire V.
- 95 -
Romme, a peine de dix mil escuz et autres peines arbitrages,
avecques prandre de corps ledit de Chauvigny, et celui qui fist
savoir ladite citation en cour de Romme (4). »
JEAN DU PLEISSEIX
Ce religieux était abbé en 1506, mais il fut débouté l'année
suivante.
JEAN COUTELIER
Jean Coutelier prend le titre d'abbé en 1507.
LOUIS DE SAIGES
Louis de Saiges ou d'Aiges tenait la crosse abbatiale en 1513.
L'abbaye de la Chaume ressentait alors les fâcheux effets pro-
duits par la mort du baron de Rays, André de Chauvigny, en
1502. Ce riche et puissant seigneur étant décédé sans enfants,
nombre de prétendants surgirent pour entrer en possession de la
Baronnie. Parmi eux figurent les de la Tremoille, le sire du
Plessis-Guérif, les de la Lande-Machecoul, etc.. De longs et rui-
neux procès furent entamés, les archives du château enlevées et
pillées par chacun des prétendants, qui voulant faire acte de pos-
session nommait ses adhérents. C'est ce qui explique les compé-
titions et les nominations qui eurent lieu pendant le premier
quart du XVIe siècle.
JACQUES DE LA PORTE.
Frère Jacques de la Porte, présenté par le baron de Rays, à la
nomination de l'abbé de Redon, le 1er octobre 1519, ne fut pas
agréé de ce dernier, qui lui opposa frère Antoine Geoffroy, élu
en 1516 et maintenu postérieurement par lettres de la Chancel-
lerie du 18 juillet 1522.
Mais Jacques de la Porte appella de cette décision au Conseil,
le 23 juillet, et gagna sa cause (9).
(*) Arch. départ., série B., reg. de la Chancellerie, 1502, fol. 111.
(*) ffist. de Bret. — D. Lob. Pr. II col. 1622. « Présentation par Tanguy
Sauvaige, baron de Rais, seigneur du Plessis-Guérif et de Machecou, de la
- 96 —
Le 15 octobre 1543, « humbles religieux et dévotz orateurs,
a Révérend père en Dieu frère Jacques de la Porte, humble abbé
« de ladite abbaye du benoist moustier de Nostre-Dame de la
« Chauhne, frère Jaroceau, secrétaire d'icelle, frère François
« Cyphye, recepveur de ladite abbaye, frère Thomas Hurtin,
« frère Jean Picard, les tous prebstres et religieux de ladite
« abbaye », réunis en chapitre dans leur couvent, rédigèrent
l'aveu et dénombrement des terres, rentes et héritages qu'ils te-
naient « prochement et noblement de Monseigneur le Daulphin
de Viennois, duc de Bretagne, en et soubz sa court et juridic-
tion de Loyaulx », pour le présenter à la Chambre des Comptes (*).
Le 13 novembre de la même année, l'abbé de la Porte prêta
« serment de fidélité au Roy pour cause du temporel de son
abbaye (2) ».
Le 20 janvier 1555, Me Nicolas Chatellier, docteur en droits,
délégué par l'archidiacre de Nantes, pour visiter les églises du
climat ou doyenné de Rays, constatait que l'abbaye, alors sous
saisie et fort mal menée, devait compter dans son personnel cinq
religieux prêtres et un novice (3).
Le 22 mai 1556, Jacques de la Porte rendit aveu pour son
monastère et son église à Jean d'Annebaut, baron de Rays (4) ;
et vers les premiers jours de juin « renouvella au Roy son ser-
personne de frère Jacques de la Porte, pour être pourvu de l'abbaye de la
Cliaulme, à notre Saint P6re le Pape et à l'abbé de Redon, duquel dépend
l'abbaye. — Les registres de Chancellerie, auxquelles historiens bretons
ont emprunté ces citations, manquent aujourd'hui dans l'intéressante série
conservée aux Arch. départ, de la Loire-Inférieure.
(') Arch. Départ, do la Loire-Inférieure; Domaines ecclésiastiques. Aveux
de l'abbaye de la Chaume.
(2) Arch. Départ, de la Loire-Inférieure ; Reg. des hommages, R 1008,
fol. 52; R 1009, fol. 58.
(:') Arch. Dép. de la Loire-Inférieure; Visite du climat de Rays ; Mache-
coul, « Calma; retulerunt dicli monachi quod deberent esse quinque pru-
biteri et unus novicius. Dicta abbatia est in saesina et maie tractalur ».
(/() Arch. Départ.; Aveu du pays, terre et duché de Rays, par Messire
Pierre de Gondy, rendu le 19 août 1675, magnifique manuscrit in-folio,
relié en velours vert.
— 97 —
ment de fidélité, par Messire Olivier de Montauban, son procureur
spécial, pour raison du revenu et temporel de ladite abbaye tenu
prochement en fief admorty à devoir de prières et oraisons (') ».
La Chaume, dit frère Jousseaume, est très redevable à cet abbé
qui la gouverna pendant quarante ans et maintint toujours avec
fermeté les droits que lui contestaient les seigneurs de Rays. Il
les obligea de recevoir ses aveux, d'admettre et de reconnaître
sa haute, moyenne et basse juridiction sur tous les hommes et
sujets relevant des fiefs de la Chaume.
Jacques de la Porte fut le dernier abbé nommé par les barons
de Rays; il mourut à Nantes pendant les troubles suscités par les
protestants et sa mort, continue notre auteur, fut celée à ses reli-
gieux, afin de les empêcher de procéder à une élection (2).
Jacques de la Porte appartenait à une famille originaire du Poi-
tou et bien connue en Bretagne, de laquelle est issu le maréchal
duc de la Meilleraye, et portait pour armoiries : de gueules au
croissant d'hermines (PI. III, N° 10).
OLIVIER DE MONTAUBAN
D'après D. Taillandier, cet abbé fut député vers la cour de
France par les Etats de Bretagne tenus en 1567. Le 27 avril 1558,
il prêta au roi son serment de fidélité, renouvelé le 10 juin 1560,
et dont voici la mention : « Révérend père en Dieu, Messire
Ollivier de Montauban, abbé de Notre-Dame de laChaulme, éves-
ché de Nantes, fait au roy le serment de fidélité pour raison du
revenu et temporel de ladite abbaye, sans préjudicier au seigneur
baron de Rays, dont il dict ladite abbaye estre prochement tenue,
à prières et oraisons, en fyé amorty dont il a esté pourveu, par le
(!) Arch. Départ.? Reg. des hommages, B 1010, fol. 177.
(2) Frère Jousseaume, dans son historique, donne la date de 1563 comme
celle de la mort de l'abbé. Mais il y a là certainement une erreur, puisqu'il
lui accorde quarante ans de prélature à partir de 1519, ce qui nous conduit
à 1559 ou 1560, date exacte que confirme le serment de fidélité de son suc-
cesseur, prêté cette même année.
1879 11
— 98 —
roy, puis deux ans derniers, et sans préjudice du procès pendant
entre ledit baron de Rays et ledit de Montauban (*) ».
Gomme on le voit, c'était le roi de France qui avait nommé,
se substituant ainsi pleinement aux droits réels des représentants
du fondateur. Le 19 décembre 1564, Olivier renouvela son ser-
ment à peu près dans les mêmes termes ; et l'article suivant d'un
des registres plumitifs de la Chambre des Comptes donne la date
de sa mort : « La saesie est apposée sur les fruits temporels et
revenus de l'abbaie de la Chaulme, au diocèse de Nantes, vac-
cante par le déceix de deffunt Me Olivier de Montauban dernier
abbé ; et pour régir les fruits, la Chambre a commis Me Michel
Loriot, à présent fermier du domaine de Nantes. Du 13 juin
1569 (a) ».
Monsieur de Montauban, archidiacre de la cathédrale de Nantes,
nous dit frère Jousseaume, obtint l'abbaye en cour de Rome, per
obitum. Il en afferma le temporel à un marchand de Machecoul,
auquel il abandonna les droits de lods et ventes sous la condition
qu'il paierait les gages des officiers de la juridiction pour en
continuer l'exercice.
Le 22 mai 1561, l'abbaye de la Chaume était visitée par Tous-
saint de Laval, vicaire général d'Antoine de Crequi, évêque de
Nantes, qui rapporte en ces termes le procès-verbal de sa visite :
« Nobilis et circumspectus vir Dominus Olivérius de Montau-
ban, abbas commendatarius, abbatie de Calma, abest.
« Nomine cujus coraparuit frater Johannes Datin, sacrista, qui
dixit eumdem dominum abbatem teneri adintegrum officium sin-
gulis diebus diurnum et nocturnum.
« Frater Franciscus Syphie.
« Frater Julianus Le Flave, dyaconus, qui interrogatus confes-
sus fuit se antea religiosus fuisse monasteris de Bourgneuff, nul-
lamque obtinuisse dispensasionem pro commutatione voti.
(») Arch. Départ. Reg. des hommages. Série B. N° 1009, fol. 91 et
101 ; B 1010, fol. 182 et 191.
(*) Arch. Départ. Série B. 1300, 1568-1569. Reg. plumitifs de la Chambre,
fol. IIe XXXIII.
— 99 -
« Johannes Brechard, presbiter.
« PetrusRemaud, presbiter.
« Mathurinus Jollain, clericus.
« Legatum en eadern ecclesia per defunctum N... Pellerin,
de una mina in hebdoniada, in plena dispositione dicti abbatis
obtinet et desservit dictus Syphie.
« Retulit nobis dictus Syphie debere esse quinque monachi in
eadem abbatia ex antiqua ibndatione, présentes sunt tantum duo,
et duo presbitari seculares (*) ».
Cette visite du 22 mai 1561 et la date du décès d'Olivier, anté-
rieure seulement de quelques jours au 13 juin 1569, indiquent
positivement que le serment de fidélité prêté au roi le 19 avril
1561, par un Louis de Montauban, est le fait d'une erreur de
copiste, qu'il faut lire Olivier et rayer ce Louis de Montauban (2).
Pendant la régence de cet abbé eurent lieu les deux faits
suivants.
Chacun sait qu'avant la patriotique institution de l'Hôtel des
Invalides, par Louis XIV, les vieux soldats blessés ou amputés
étaient envoyés dans les abbayes et monastères. Mais, presque
toujours, ces hommes, considérés comme une charge inutile et
gênante, n'obtenaient ni les soins ni les égards dus a leur position
honorable et malheureuse.
C'est ce qui arriva, en 1565, à Rolland Papin, « religieux et
(*) Arch. Départ., g. 43. Liber visitationis R. In G. P. D. D. Antonii, Dei
gracia episcopus Nannetensis, in Climate Ultraligeris, fol. 42 et 48. L'abaye
de la Chaulme :, anno Domini 1561, die vero vigesima secunda maii, etc....
(2) Le registre des hommages B 1008, fol. 89, Arch. Départ., dit : « Révé-
rend Père en Dieu Messire Louis de Montauban, abbé de N.-D. de la Chaul-
me, fait au Roy le serment de fidélité qu'il doibt et luy est tenu faire pour
raison des revenus et temporel de ladite abbaye qu'il tient à prières et orai-
sons, en fief amorty sous la juridiction de Nantes, et sans préjudicier aux
droits du seigneur d'Annebaut, baron de Rays. 19 avril 1561.»
Les registres de la même série B 1009, fol. 104 et B 1010, fol. 194 repro-
duisent une mention identique. Mais en présence de nos deux dates 22 mai
1561 et 13 juin 1569, il n'y a qu'une explication possible, celle de la subs
titution, par un copiste étourdi ou maladroit, du nom de Louis à celui
d'Olivier, et par conséquent il faut rayer Louis de Montauban.
— 100 -
frère lay ou oblat de la Chaume », suivant lettres du roi, et
obligé d'intenter un procès à l'abbé pour être admis dans le
couvent.
Après maints et maints exploits qui s'échangèrent, depuis 1565
jusqu'en 1576, c'est-à-dire pendant l'espace de onze ans, l'abbé
fut condamné a payer et continuer de solder à l'invalide tant
qu'il vivrait « quatre solz par jour. »
L'abbé étant décédé, Papin, qui ne savait à qui s'adresser, eut
recours au fermier de l'abbaye, appelé Francisque. Nouveau pro-
cès, à la suite duquel celui-ci, condamné à payer par le présidial
de Nantes la pension et les arrérages depuis sept ans et sept
mois, fit intervenir le nouvel abbé, qui à son tour appela de
cette sentence.
Papin, soutenait-il, devait montrer trois choses pour être moine
lay: 1° la fondation royale ducale, ou comtale; 2° les lettres à lui
expédiées sous le grand sceau ; 3° qu'il « a esté rendu estropiât,
et reçeu playes en guerre pour le service du Roy. » Que d'abord
l'abbaye de la Chaume n'est ni de fondation royale ou ducale,
mais bien des barons de Rais ; qu'ensuite, le poursuivant n'a pas
de lettres du roi, mais seulement un titre de provision qui dit
qu'il en a, et en troisième lieu, qu'il « n'appert qu'il soit aussi blécé. »
Le malheureux soldat répondait à ces subtilités « que ladite
abbaye est fondation royale, et que le Roy a ce droit de régale
de pouvoir pourvoir d'un moine et frère oblat. Qu'il avait des
lettres, mais qu'il les a perdues, et que la sentence de provision
dont est cas, donnée par le substitut du procureur général du
Roy, est fondée sur les dites lettres; quant aux plaies, il montre
sa personne qui en porte témoignage. » Le baron de Retz inter-
vint également. La sentence du présidial fut maintenue, 29 sep-
tembre 1577, sans préjudice de ses droits, et un conseiller reçut
l'ordre de descendre à la Chaume, pour savoir combien elle ren-
fermait de religieux et comment s'y faisait le service divin (*).
(') Mémoires recueillis et extraits des plus notables et solennels arrêts
du Parlement de Bretagne, par du Fail. Rennes, 1579, p. 186.
- 401 —
Le second fait arrivé pendant la prélature d'Olivier de Mon-
tauban, qui vraisemblablement, de même que ses prédécesseurs
et successeurs, ne résidait guère à son abbaye, est relatif à la dé-
gradation d'un prêtre. Il n'y avait pas d'exemple à Nantes d'une
exécution semblable depuis Pierre Mauclerc, c'est-à-dire au moins
depuis trois siècles et demi, dit l'abbé Travers ('), auquel nous
empruntons les détails qu'il nous a transmis à ce sujet.
Le 26 janvier 1568, l'évêque de Nantes, Philippe du Bec, as-
sisté de l'évêque de Luçon, Jean-Baptiste Tiescelin, et du doyen
de Nantes, Antoine de Saint-Marsal, les deux premiers en habits
pontificaux, le dernier en costume de ehanoine, procédèrent,
dans la salle de l'évêché, où le présidial de Nantes avait fait con-
duire le coupable, à la dégradation de frère Jean d'Astin, prêtre
religieux, sacriste de l'abbaye de la Chaume. Le greffier criminel
du présidial lut d'abord l'arrêt du Parlement du 19 janvier 1568,
qui ordonnait la dégradation et confirmait la sentence du prési-
dial du 24 décembre 1567.
« L'évêque commença la cérémonie par une exhortation au
coupable, qui était à genoux et revêtu des habits sacerdotaux. Il
les lui ôta l'un après l'autre et le déclara dégradé et déposé ab
officio et beneficio par les canons pour toujours. L'évêque déchar-
gea sa conscience de la procédure criminelle contre d'Astin, et
en chargea le parlement ; il livra ensuite le coupable aux juges
présidiaux, en leur recommandant d'user de clémence à son
égard.
« La sentence fut exécutée le même jour ; d'Astin fit amende
honorable, audience tenante, en chemise, tête nue, une torche
ardente de trois livres à la main ; il fut ensuite tenaillé aux deux
mamelles, conduit sur l'échafaud en la place du Bouffay, où il fut
tenaillé de nouveau en quatre autres endroits de son corps, mis
à la torture d'escarpins, pendu, étranglé et son corps brûlé. Ce
misérable, avec d'autres complices, avait abusé d'un jeune homme,
(i) Histoire des Evêques de Nantes, t. II, p. 401. — Le registre de l'évê-
ché, duquel Travers a extrait cette curieuse procédure, n'existe plus.
— 102 —
et pour en avoir le consentement et l'obliger au secret l'avait tel-
lement brûlé par tisons de feu, ou fers rouges, qu'il en était mort
quatre jours après. Astin demanda son renvoi à la Cour qui lui
fut refusé ; il en appela ensuite au Parlement qui confirma entiè-
rement la sentence du Présidial de Nantes. »
Olivier de Montauban appartenait à une branche cadette de
cette puissante famille bretonne dont une branche était fixée
dans le comté nantais. Olivier possédait les seigneuries du Goust,
le Mas, le Port-Durand, Rochefort-sur-Sèvre, etc.. Elle portait
pour armes : de gueules à 7 macles d'or, 3.3.1. au lambel d'ar-
gent de 4 pendants (PI. III, N° 11).
HENRY DE RASTELLI
Au décès de leur abbé, nous apprend frère Jousseaumo, « les
religieux s'estant assemblés esleurent le vénérable frère Henry de
Raslelly, lequel soustint les droits de son abbaye avec beaucoup
de vigueur, jusques à sa mort qui arriva en 1594. Il laissa par
son testament plus de seize cent escuz d'or, dont il destinoit une
partie à la construction de son mausolée. Mais, ayant nommé
pour exécuteur de son testament l'intendant du seigneur Albert
de Gondy, premier duc de Rets, ledit seigneur s'empara de tout
l'or, l'argent, les meubles du deffunt, et le mausolée est demeuré
à faire. On a seulement mis une tombe de pierre commune sur
son corps qui est au pied du balustre du grand autel ».
Dom Taillandier indique Henri de Rastelli comme abbé de la
Chaume en 1579, d'après un acte de l'église de Quimper, et nous
n'avons sur lui aucun autre renseignement. Sa famille cependant
ne devait pas être étrangère au comté nantais, car parmi les cha-
noines de la collégiale de Notre-Dame de Nantes, se trouve, de
1411 à 1416, Jean Rastelli.
Henri mourut au commencement de l'année 1594, après avoir
occupé le siège abbatial pendant vingt-deux ans (l).
(') Le véritable manifeste de la fondation de l'abbaye de la Chaume,
Biblioth. uat., Mss. (latin 12680), p. 9.
— 103 —
PIERRE DE GONDI («j
Frère Jousseaume nous apprend que les religieux de la
Chaume furent « empeschez de s'assembler pour procéder à
l'élection d'un abbé ». Le cardinal Pierre de Gondi, comte de
Joigny, seigneur de Villepreux, et évêque de Paris, frère d'Albert
de Gondi, duc de Retz, obtint l'abbaye en cour de Rome et en
prit aussitôt possession.
Pierre de Gondi congédia les juges de la juridiction de la
Chaume, et en confia l'exercice aux officiers de la juridiction de
Machecoul, complètement à la discrétion du duc de Retz (a). Cette
mesure porta le plus grand préjudice au monastère, et lui causa
par la suite une perte de plus de cinq cents livres de rente
annuelle ; elle fut l'origine du procès intenté à la duchesse de
Lesdiguières, dont il sera parlé plus loin.
Le Cardinal voulut imposer aux religieux des règlements que
ceux-ci refusèrent d'accepter ; et plutôt que de s'y soumettre, ils
quittèrent l'abbaye, dans laquelle ils furent remplacés par « six
séculiers, tant prêtres que clercs, qui servaient de chapelains au
duc de Retz, et vinrent s'établir dans le logis abbatial ». Il affer-
ma tout le temporel de l'abbaye, se réservant le casuel, dont il
confia la recette au receveur du duc de Retz, qui la fit toujours
depuis cette époque. De sorte, ajoute Frère Jousseaume, « que
Madame la duchesse s'est imaginé que cette recette a toujours
été faite au nom des seigneurs de Machecoul, ses prédécesseurs,
et non point au nom des quatre abbez, ses oncles, qui se sont
succédés les uns après Jes autres à ladite abbaye. »
Le cardinal Pierre de Gondi, fils d'Antoine de Gondi, seigneur
(*) Les Catalogues placent ici un Claude-Etienne Nouvellet, abbé en
1594, qu'il faut nécessairement rayer, d'après les documents nouveaux et
inédits que nous avons sous les yeux.
(2) La juridiction de la Chaume s'exerçait publiquement dans une des
maisons du marché de la ville de Machecoul nommée le Porche. (Monas-
ticon Bénédictinum, latin 12680, mm. Biblioth. nationale).
- 104 -
du Perron, et de Marie de Pierrevive, gouvernante des enfants de
France, naquit à Lyon en 1533 et mourut à Paris le 17 février
1616, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Il tenait en commende les
abbayes de Saint-Jean des Vignes, de Saint-Crespin de Soissons,
de Saint-Aubin d'Angers, de Saint-Martin de Pontoise, de Sainte-
Marie de Champagne et de Lespau au diocèse du Mans (*).
La maison de Gondi, originaire de Florence, avait pour armoi-
ries : d'or à 2 masses d'armes de sable, posées en sautoir, liées de
gueules. (PI. 111, N° 12).
M. Hauréau omet à tort Pierre de Gondi dans sa liste des abbés
de la Chaume. Corbinelli et le Père Anselme ne citent pas non
plus ce monastère au nombre des riches bénéfices possédés par le
cardinal, qui en eut cependant la jouissance depuis 1594 jusqu'en
1616, et non 1606, comme le disent D. Taillandier et l'abbé
Tresvaux, ce qui nous oblige à rayer encore Olivier de Montauban,
second du nom, inscrit comme abbé en 1615, par ces deux der-
niers auteurs.
HENRI DE GONDI
Henri de Gondi, fils d'Albert de Gondi, premier duc de Retz,
pair et maréchal de France, général des galères, et de Claude -Ca-
therine de Clcrmont-Vivonne (*), succéda à son oncle Pie/re de
Gondi en 1616. Il laissa les choses dans l'état où il les trouva, et
confirma la commission donnée aux receveurs du duc son père
pour la perception des droits féodaux de son abbaye.
En 1618, deux ans après sa prise de possession, il rétablit dans
(!) Histoire généalogique de la maison de Gondi, par M. de Corbinelli ;
Histoire des grands-officiers de la couronne, par le P. Anselme, t. III, etc.
(2) Claude-Catherine de Clermont-Vivonne, une des femmes les plus
spirituelles et les plus accomplies do son temps, avait épousé en premières
noces Jean d'Annebaul , baron de Retz, du la Hunaudayc. etc., (ils de
Claude d'Annebaut, maréchal de France, et de Françoise de Tournemine.
A la mort de son mari, die reçut a litre de dou;iire la pleine propriété de
la kiroimir de Retz qu'elle apporta en dol à Albert de Gondi, en faveur
duquel cette terre fut érigée en duché-pairie en 1581.
- 105 -
le monastère de la Chaume la règle de saint Benoît en y introdui-
sant des religieux de la société de Bretagne, et congédia les prê-
tres que son oncle y avait placés. 11 régla les pensions de ces reli-
gieux sur le chiffre du revenu temporel, et, désireux de les faire
participer au casuel, il donna ordre au receveur de son père,
chargé de cette recette, de compter aux moines la somme
annuelle de trente livres, qui fut régulièrement payée depuis
1618 jusqu'en 1675, date du refus fait par les officiers de la
duchesse de Lesdiguières de continuer à servir cette rente.
Henri de Gondi ne figure ni sur la liste de D. Taillandier, ni
sur celle de l'abbé Tresvaux. M. Hauréau l'indique comme abbé
depuis 1596 jusqu'en 1622, c'est-à dire pendant vingt-six ans. En
réalité, il ne jouit du titre d'abbé de la Chaume que pendant six
ans, de 1616 à 1622, date de son décès, arrivé au camp du roi
devant Béziers, le 13 août de cette dernière année. Il était alors
âgé de cinquante ans, évêque de Paris, cardinal depuis 1618, et
possédait en commende les abbayes de Buzay et de Saint Jean des
Vignes de Soissons.
JEAN- FRANÇOIS DE GONDI
Jean-François de Gondi, frère puîné du précédent et premier
archevêque de Paris, eut également l'abbaye de la Chaume en
commende, et ne changea rien au mode de perception des reve-
nus de sa communauté qu'il posséda pendant trente-deux ans. Il
mourut à Paris le 21 mars 1654, âgé de soixante-et-onze ans, titu-
laire des abbayes de Saint-Aubin d'Angers, de Saint-Martin de
Pontoise, prieur de Montlean et d'Aulnay.
JEAN-FRANÇOIS-PAUL DE GONDI
Jean-François Paul de Gondi, damoiseau souverain de Com-
mercy, prince d'Euville, fils de Philippe-Emmanuel de Gondi,
comte de Joigny, général des galères, et de Françoise-Marguerite
de Silly, naquit en octobre 1614, et était neveu des deux abbés
précédents. Bien connu sous le nom d'archevêque de Corinthe et
- 106 —
de coadjuteur de Paris, il fut promu au cardinalat en 1652 et
mourut le 24 août 1679, âgé de soixante-cinq ans. Il possédait
en commende les deux abbayes bretonnes de Buzay, Quimperlé,
et s'était démis en 1671 de celle de la Chaume, qu'il avait gardée
pendant seize ans.
Ce fut lui qui laissa aux religieux la jouissance du jardin et du
logis abbatial dans lequel ces derniers construisirent « neuf
chambres fort raisonnables et belles du dortoir, dans la longueur
et la largeur dudit logis, qui ont l'aspect du côté de l'Orient et du
jardin qui est carré et fort grand. Il donna mille écus pour aider
à refondre les quatre cloches et refaire le clocher pour les
mettre (*) ».
C'est ici que doit prendre place l'incident du long procès, en-
gagé par l'abbaye contre la duchesse de Lesdiguières, au sujet des
lods et ventes et de la rente de trente livres dont il a été parlé. La
duchesse invoqua la possession immémoriale des officiers de la
seigueurie, et les religieux, malgré leur bon droit incontestable,
perdirent leur cause et furent condamnés aux dépens. La Biblio-
thèque nationale possède la copie d'un long factum, probablement
rédigé par frère Jousseaume et dont nous citerons seulement les
dernières pages qui résument assez bien l'ensemble de ce
mémoire (') :
« On aurait pu répondre que ce temps immémorial ne
pouvait être véritable, puisqu'il commença dès l'an 1594, que
ceite illustre famille des Gondi entra en jouissance de l'abbaye
de la Chaume, dont elle demeura maîtresse pendant l'espace de
soixante-seize années, pendant lesquelles les seigneurs abbez de
ladite famille en ont eu la possession. Le premier desdits sei-
gneurs abbés, après en avoir pris possession, fit cesser, de son
autorité, l'exercice de la juridiction de l'abbaye, en congédiant
(•) Mémoire de frère Jousseaume.
(2) Le véritable manifeste de la fondation de l'abbaye de Notre-Dame de
la Chaume et des devoirs et droits seigneuriaux qui y sont affectés par son
fondateur. Monasticon lienedictinum, latin 12680, mm.
— 107 —
les officiers établis par les abbés réguliers ses prédécesseurs, et
en obligeant ses sujets à reconnaître la juridiction de Monsei-
gneur le duc de Retz son frère. C'est ce qu'on appelle maintenant
temps immémorial, moyen dont se sont servis les seigneur et
dame de Retz pour faire débouter les religieux de ce droit de
juridiction.
« Ce fut ce même seigneur cardinal abbé qui entra en jouis-
sance des droits de lods et ventes, à la manière qu'en avaient joui
ses prédécesseurs abbés ; mais ne pouvant en faire lui-même la
recette, il en chargea le receveur du duc de Retz son frère,
nommé Danisy. Cette commission se prouve par les acquits qu'il
a donnés des sommes versées pour ledit droit de lods et ventes,
au nom dudit seigneur cardinal abbé. Cette commission ayant été
approuvée par chacun des trois seigneurs abbés, ses neveux, qui
lui ont succédé dans ladite abbaye, les uns après les autres, il
s'ensuit que cette recette a dû être faite au nom desdits trois
seigneurs abbés, et non point au nom des seigneurs de Mache-
coul qui ont succédé à Monseigneur Albert de Gondi, premier
duc de Retz, qui avait trouvé bon que le sieur Danisy, son rece-
veur générai, fit la recette en particulier de ce droit de lods et
ventes au nom du seigneur cardinal Pierre de Gondi son frère,
et de Monseigneur le cardinal de Retz son fils, qui lui succéda
immédiatement après sa mort, et entra en la même jouissance de
ce droit de lods et ventes. Cette jouissance se prouve par le
commandement qu'il fit au receveur, de payer annuellement sur
les deniers de cette recette la somme de trente livres aux reli-
gieux de la Chaume, qui leur fut régulièrement payée pendant six
ans, que ledit seigneur cardinal fut abbé. Cette somme de trente
livres continua d'être payée par les receveurs des seigneurs de
Machecoul, pendant trente-deux ans que Monseigneur Jean-Fran-
çois de Gondi, archevêque de Paris, son frère, en eut la jouis-
sance, laquelle ayant passé à Monseigneur le cardinal de Retz,
son neveu, il eut la bonté de ratifier tout ce que ses deux prédé-
cesseurs avaient ordonné au sujet du paiement de cette rente de
trente livres, provenant de la recette des droits de lods et ventes
— 108 —
que continuaient de faire les officiers des seigneurs et dames de
Mnchccoul, en vertu de la première commission que leur en avait
donnée Monseigneur le cardinal Pierre de Gondi, abbé en l'an
mil cinq cent quatre-vingt-quatorze. Laquelle commission ayant
été ratifiée, comme il a été dit, par chacun de ses trois succes-
seurs abbés, à leur entrée en ladite abbaye, il s'ensuit, par
une conséquence incontestable, que la recette de ce droit de
lods et ventes a dû être faite au nom desdits seigneurs abbés,
et non au nom des seigneurs de Machecoul, puisque la conti-
nuation du paiement des trente livres s'est toujours faite sans
interruption depuis mil six cent dix-huit jusqu'en mil six cent
soixante-dix-sept, des deniers de ladite recette et non point
des deniers desdits seigneurs et dames de Machecoul , qui
n'auraient point approuvé que les seigneurs abbés de la Chaume
eussent chargé leur recette du paiement annuel de ladite
somme de trente livres ; ce qui est encore une preuve certaine
que lesdits seigneurs et dames de Lesdiguieres ont été abusés par
leurs officiers, qui leur ont persuadé que l'abbaye de la Chaume
n'avait jamais eu aucun droit de juridiction sur les hommes et
sujets de l'abbaye, puisque de temps immémorial les sujets les
reconnaissaient pour leurs propres seigneurs, et la juridiction
de Machecoul comme leur propre barre, et par conséquent que
les droits de lods et ventes qu'on recevait sur les dépendances de
ladite abbaye leur appartenaient légitimement, et non point aux
abbés et religieux de la Chaume qui n'ont aucun droit de juri-
diction sur les suites des dépendances de l'abbaye.
« Voilà la croyance dans laquelle étoit feue Madame la duchesse
de Retz, lorsqu'elle déffendit à ses officiers de continuer le paie-
ment de ladite somme de trente livres, attendu qu'elle étoit per-
suadée que c'étoit une charité, et non pas un droit, qu'on avoit
toujours fait aux religieux de la Chaume, qui, s'en pouvant passer
présentement, ne leur devoit point être continué.
« Mais Madame ayant été désabusée de cette erreur par le
raisonnement que je lui fis de la vérité de ce droit de lods et
ventes et du paiement de ladite somme de trente livres, qui leur
— 409 —
avait été continuée depuis mil six cent dix-huit jusqu'à la mort
de Monseigneur le cardinal, en mil six cent soixante-dix-sept;
elle me demanda si j'avais des actes authentiques concernant
les preuves de tout ce que je lui avais avancé au sujet de la
jouissance et possession du droit de lods et ventes que nous pré-
tendions appartenir à l'abbaye de la Chaume, et au sujet du droit
de juridiction que nous prétendions avoir sur les hommes et
sujets des dépendances de l'abbaye. Luy ayant répondu que nos
archives en étaient remplies, ce fut pour lors qu'elle me dit
agréablement, en me mettant la main sur l'épaule : « Soyez per-
suadé, Père Procureur, que je ne veux point mourir avec du bien
de l'Église, ny laisser à ma famille un bien qui ne m'appartient
pas. Je vous demande seulement que vous me fassiez connaître la
vérité sur ce droit de lods et ventes, et la création de cette rente
annuelle de trente livres que mes officiers vous ont payée depuis
un si longtemps, suivant leurs journaux de mises. » Et en me
congédiant elle eut la bonté de m'exhorter à y travailler au
plus tôt.
« Mais mon travail a été inutile. La mort nous enleva cette
pieuse et généreuse princesse pour la récompenser de ces saintes
intentions de nous rétablir dans la jouissance des droits de notre
abbaye, dans lesquels ses prédécesseurs, les anciens barons de
Retz, et même Monseigneur Albert de Gondy, son grand-père,
nous avaient maintenus, pendant plus de soixante années qu'il
avait vécu, puisqu'il trouva bon que son receveur général fit la
recette particulière de ce droit de lods et ventes au nom de Mon-
seigneur le cardinal Pierre de Gondy, qui avait succédé au dernier
abbé régulier de l'abbaye.
« Mais j'ai lieu d'espérer que Madame la duchesse de Lesdi-
guières, qui jouit présentement de ce droit, entrera dans les
sentiments de feue Madame la duchesse sa mère, après avoir
reconnu la vérité que ce droit appartient légitimement à l'abbaye
de la Chaume, et qu'elle ne voudra pas engager sa conscience
pour un bien qui ne lui appartient pas ».
Les dernières lignes laissent deviner l'issue de ce procès. La
- 110 —
duchesse de Lesdiguières résida fort peu au château de Mache-
coul, démantelé pnr ordre de Louis XIV. Dans ses mains, comme
dans celles des de Villeroy, le duché de Retz ne fut plus qu'une
terre régie par un intendant, et les religieux ne purent opposer
aucune entrave à l'usurpation commise par les officiers de la juri-
diction ducale.
GUY DE LOPRIAC
Nomme sur la démission du précédent, Messire Guy de Lopriac
de Coëtmadeuc prit possession du siège abbatial en 1670. « Il
est très honneste homme, écrivait F. Jousseaume, et passe pour
docte ; aussi est-il docteur de Sorbonne et chantre de la cathé-
drale de Quemper-Gorentin. Il fait beaucoup d'estime des reli-
gieux de son abbaye ; c'est aussi tout ce qu'ils peuvent espérer de
lui ».
Celui-ci, clerc tonsuré du diocèse de Rennes, reçut donc des
bulles de nomination du Pape. Le 17 avril 1671, il nomma pour
son procureur spécial, écuyer Jean Bourdin, conseiller du roi,
auditeur de la Chambre des Comptes de Bretagne, qui le 31 mai
se rendit dans la salle du chapitre de la Chaume. Là, « en présence
des Révérends frères Jean Hermier, prieur ; Gilles Le Moulnier,
sous-prieur ; Corisante Cormier et Félix de Renusson, les tous
religieux, » il lut les lettres apostoliques, et prit possession de
l'abbaye au nom du nouveau dignitaire (*).
Le 17 septembre de la même année, il prêta au roi son serment
de fidélité « pour raison du temporel de ladite abbaye avecq ses
appartenances et dépendances, qu'il tient et relevé prochement
du roy en fief amorty à debvoir de prières et oraisons, sous la
jurisdiction de Nantes (2) ».
Messire Guy de Lopriac de Coëtmadeuc, conseiller et aumônier
de la reine, docteur en Sorbonne, abbé perpétuel et commenda-
(') Arch. de l'Evêché. Rcg. dos Insinuations, du 20 février 1670 au 18
août 1678.
(2) Arch. Départ. Rcg. B. 1008, fol. 379.
— 111 —
taire de l'abbaye de Notre-Dame de la Chaulme, ordre de Saint-
Benoît, rendit aveu au roi le 23 juillet 1678, pour tout ce que
l'abbaye possède sous la vicomte de Loyaulx (4).
Le procès-verbal des visites faites au climat de Retz, par l'ar-
chidiacre de Nantes, en 1689, contient, au sujet de notre monas-
tère, l'intéressante mention que voici (2) :
« Notre Dame de la Chaume, de l'ordre de Saint-Benoît, en la
nomination du Roy, sise à un quart de lieue de la ville de Mache-
cou, en allant d'icelle à Fresnay, consistant en une grosse maison
conventuelle, dans laquelle il y a un prieur, sous-prieur, un pro-
cureur et quatre religieux reformés dudit ordre, et en une belle
église, cours, jardins. Plus en fiefs, juridictions et rentes, plus en
trois métairies en cette paroisse, prés, marais salants ; et en dix-
mes en cette paroisse, celles de la Trinité, de Saint- Cyr, de
Fresnay, de Sainte-Marie de Pornid, de Sainte-Pazanne, de
Saint-Mesme et du Bois de Gêné, tant pour l'abbé que pour les
religieux, pouvant valoir cinq mille livres ; dont on a dit que la
part de l'abbé étoit affermée 1500 livres à un fermier qui payoit
outre ladite somme les décimes ordinaires et les aumosnes. Et
que ladite abbaye estoit chargée de tout l'office ordinaire des
Abbayes, et d'une aumône annuelle de 158 boisseaux de bled,
seigle, jarosse ut feuves mesure de Machecou ; laquelle aumosne
se paioit aux receveurs du Bureau des pauvres des deux paroisses
de Machecou ...»
Guy de Lopriac, fils de Guy de Lopriac sr de Kermassonnet,
conseiller à la cour du parlement de Bretagne, et de Julienne
Grignon, était frère de René de Lopriac en faveur duquel la sei-
gneurie de Coëtmadeuc fut érigée en baronnie en 1637. Cette
ancienne famille du comté de Vannes, qui posséda dans le comté
(!) Arch. Départ, de la Loire-Inférieure. Domaines ecclésiastiques, aveux
de la Chaume.
(2) Arch. Départ, de la Loire-Inférieure. Procès-verbaux des visites faites
aux églises du climat de Retz par V. et D. Mro Antoine Binet, abbé de
Meilleray.et grand archidiacre de Nantes en 1689. Fol. 44.
— 142 —
nantais la vicomte de Donges et la seigneurie d'Assérac, portait :
de sable au chef d'argent chargé de trois coquilles de gueules.
(PI. III, n° 13).
M6r TURPIN DE CRISSÉ DE SANSAY
Christophe- Louis Turpin de Crissé de Sansay, nommé évêque
de Rennes, le 15 octobre 1712, fut transféré sur le siège de
Nantes en 1723.
Le roi le nomma à l'abbaye de la Chaume, vacante par le décos
de M. de Coëtmadeuc le 21 mai 1725 (*). Les bulles données
à Rome, à Sainte-Marie Majeure le 4 des nones d'août
1725, furent contrôlées à Paris le 1er octobre; et le 9 du même
mois M. Meslier, curé de la Trinité de Machecoul et doyen de
Retz, prenait possession de l'abbaye au nom du prélat nantais, en
présence d'une nombreuse assistance, ainsi que de Dom Louis-
Jacques de Chiré, prieur ; frère Isaac Hugonier, sous-prieur; frère
Léonard Colomb (a).
Msr Turpin de Crissé de Sansay mourut le 29 mars 1746. Ses
armes étaient un écu losange d'argent et de gueules. (PI. III,
n° 14).
M. DE POLY DE SAINT- THIÉBAULT
Gaspard de Poly de Saint-Thiébault, prêtre du diocèse de
Besançon, licencié en théologie, fui nommé abbé eommendataire
de la Chaume par brevet du roi daté de Versailles le 17 avril 1746.
Ses bulles, contrôlées à Paris le 17 juin, sont datées de Castel-
Gandolfo, le 11 des calendes de juin.
(i) Dora Taillandier dit donc à tort qu'il fut pourvu en 1723 « des
abbayes de Quimperlé et de la Chaume, en place du doyenné de Saint-
Martin de Tours qu'il avait remis au roi ». Lors de sa nomination a l'évêché
de Rennes, Mi;r Turpin avait dû résigner sa dignité de doyen du chapitre
de Tours. L'abbé Tresvaux commet aussi une erreur en disant qu'il fut
pourvu de l'abbaye, « étant évéque de Rennes s.
('•>) Arch. de l'Evêché de Nantes. Reg. des Insiu., du 12 mai 1724 au 24
novembre 1729, fol. 44, verso.
— 113 —
Après la nomination du Roi, el avant l'investiture, les titulaires
des bénéfices prêtaient au souverain pontife un serment dont la
formule était la même pour tous. Voici le texte de celui prêté par
le nouvel abbé ; la date fautive (1125) est évidemment celle qui
a rapport à Msr Turpin de Crissé de Sansay :
Forma juramenti. Ego Gaspardus de Poly de Sainl-ïhiébaull,
perpetuus commendatarius Monasterii Sanclas Marias de Calma,
ordinis sancti Benedicti, Nannetensis diœcesis, ab hac horà in
antea fidelis et obediens ero Beato Petro sanctasque Apostolicas
Romanas ecclesias et domino nostro domino Benedicto decimo
quarto, ejusque successoribus canonice intrantibus non ero in
consilio aut consensu vel facto ut vitam perdant et membrum,
seu capiantur aut in eos violenter manus quomodo libet ingeran-
tur, vel injurias aliquas inferantur, quovis quassito colore consi-
lium vero quod mihi credituri sunt per se aut nuncios super lit-
teras ad eorum danmurn me sciente nemini pendam ; Papotum
Homanum et Piegalia sancti Pétri adjutor ejus ero ad relinendum
et defendendum contra omnem hominem ; legatum apostolicas se-
dis in eundo et redeundo honorifice tractabo et in suis necessita-
tibus adjuvabo; jura honores privilégia et authoritatem Romanas
Ecclesias Domini nostri Papas et successorum predictorum conser-
vare, defendere, augere et promovere curabo ; nec ero in consilio
vel facto seu in tractatu in quibus contra ipsum Dominum nos-
trum vel Eamdem Romanam Ecclesiam aliqua sinistra vel preju-
dicialia personnarum, juris, honoris, status et potestatis eorum
machinentur, et si lalia a quibuscumque tractari novero vel
procurari impediam hoc pro posse, et quanto citius potero com-
mode significabo eidem domino nostro vel alteri per quem ad
ipsius notitiam polerit pervenirc ; régulas Sanctorum Patrum,
décréta, ordinationes, sentenlias, provisiones, disposiliones, re-
servationes et mandata apostolica totis viribus observabo et
faciam ab aliis observari ; hasreticos, schismaticos et rebelles
Domino nostro vel successoribus prasdictis pro posse persequar
et impugnabo. Vocatus ad sinodum veniam, nisi praspedilus fuero,
canonica praspeditionc. Possessiones vero ad Mensam meam per-
1879 8
— 444 —
tinentes nequc vcndam, neque donabo, noque impigncrabo, ne-
que de novo infeodabo, vcl aliquo modo alieuabo, etiam cum
consensu conventus et Monasterii mei, incousulto Romano Ponli-
fice et eonstitutionem super prohibitione investiturarum bonorum
jurisdictionalium ad ecclesias inferiores spectantium.
Dalum anno Domini 1725. Editam servabo, sic me Deus
adjuvet et haec sancta Dei Evangelia. Brunet (*).
A la suite de cet acte, nous donnons en entier le procès-verbal
de prise de possession de l'abbaye de la Chaume le 1er juillet 1746,
qui présente un certain intérêt par les détails qu'on y trouve :
« En vertu du Bref du Roy portant nomination de l'abbaye de
Notre-Dame de la Chaume, ordre de Saint-Benoît, diocèze de
Nantes, a Messire Gaspard de Poly de Saint-Thiébault, prêtre du
diocèse de Bezançon, licentié en théologie de la faculté de Paris,
de la maison de Sorbonne, demeurant à Paris en la maison de
Sorbonne, paroisse de Saint-Benoist, donné à Versailles le dix-
sept avril de la présente année 1746, signé Louis, et plus bas,
Phelipeaux ; des Bulles de Cour de Rome, données par le pape
Benoist XIV, au château Gandulphe, diocèze d'Albe, le 11 des
calendes de juin dernier l'an sixième du Pontificat de Benoît XIV,
impétrées en cour de Rome, par Brunet et Baudry, banquiers ex-
péditionnaires de la cour de Rome, vérifiées à Paris par Tournay
et Marchand, expéditionnaires banquiers de ladite cour, le dix-
sept dudit mois de juin, demeurants à Paris, controllées audit
lieu ledit jour par ledit Marchand ; de la forme de prestation de
serment envoyée de ladite cour de Rome, signée Brunet; de
l'attestation portant que ledit sieur Poly de Saint-Thiébault a
signé le formulaire de foy dressé en exécution des constitu-
tions de Nos Saints Pères les Pape Alexandre sept et Innocent
dix, des 31 mai 1653 et 16 octobre 1656, contre la doctrine
des cinq propositions de Cornélius Jansenius contenues dans
son livre intitulé Augustinus, donné à Paris le 18 dudit mois
de juin, signé de la Tousche, secrétaire de l'Archevêque de
(*) Arch. de PEvêché. Reg. des Insin., fol. 161 verso.
— 115 —
Paris; de l'acte de fulminution desdites Bulies, par M. François
de Ramaceul, prêtre, chanoine de l'Eglise cathédrale de Nantes,
docteur en théologie et officiai de l'cvêché de Nantes, le siège
épiscopal vaquant, en date du 2Û2 du même mois de juin, signé
au délivré de Mandato Dni officialis J. Bahon, canon. -secré-
taire, scellé du sceau du chapitre de la cathédrale, et de la pro-
curation consentie par ledit sieur de Poly de Saint-Thiébault
à N. et D. Messire Pierre-Mathurin Sohier, prêtre, chanoine de
l'église cathédrale de Nantes, etc., pour lui et en son nom,
prendre possession de ladite abbaye de Notre-Dame de la
Chaume, et requérir tous actes ce concernant, donnée à Paris le-
dit jour dix-sept dudit mois de juin, signée dudit sieur de Poly
de Saint-Thiébault, Desmeure et son collègue notaires au Ghâtelet
de Paris, laquelle procuration signée en marge Sohier, reste
annexée aux présentes pour y avoir recours en cas de besoin :
Nous soussigné René Deluen, notaire royal apostolique de la
cour et diocèze de Nantes, reçu au Présidial dudit lieu, résident
en la ville de Machecoul, à la réquisition et de compagnie dudit
sieur Sohier, demeurant au Palais Episcopal dudit Nantes,
paroisse de Saint-Jean en Saint-Pierre, et de présent en cette
ville logé à l'auberge des Trois Roys, sommes transportés à ladite
abbaye de la Chaume, seize paroisse de Sainte-Croix de Mache-
coul, où étants arrivés et entrés au monastère de ladite
abbaye, y aurions trouvé les Révérends Pères, Dom Louis Le
Roy, sous-prieur, Dom Louis Vincent, procureur, et Dom
Pierre Cherpentier, tous prêtres et religieux, à ladite abbaye
et y demeurants, auxquels ledit sieur Sohier, en qualité de pro-
cureur général et spécial dudit sieur de Poly de Saint-Thié-
bault, ayant déclaré son transport et le sujet de sa commission,
ont dit n'avoir aucun moyen empêchant la prise de possession
dont est cas, au contraire être prest d'y assister, toutes fois
cependant sous la réserve de leurs droits et sans qu'icelle y puisse
préjudicier.
« A l'instant lesdits religieux ont fait ouverture de la porte de
l'église de ladite abbaye de Notre-Dame de la Chaume, et ledit
- 116 -
sieur Sohier, audit nom, en conséquence desdits Bref, Huiles, pres-
tation de serment, attestation, fulminalion et procuration, ci-des-
sus dattes et référés, (Haut revêtu de soutane, surplis cl étoile,
serait entré dans ladite église, aurait pris de l'eau bénite qui lui
auroit été présentée par ledit Révérend Père Dom Louis Le Roy,
auroit monté au haut de l'église, se seroit agenouillé, devant le
Saint-Sacrement, auroit fait prières et oraisons, se seroit levé et
monté à l'autel qu'il auroit baisé, ensuite descendu fait génuflexion
devant le Saint-Sacrement, auroit ensuite été conduit, par le révé-
rend Père Dom Louis Le Roy, en le chœur de ladite église, dans
la première stalle du côté droit, désignée à l'abbé, s'}' seroit assis
et auroit levé ladite stalle, sonne les cloches et fait tous actes de
bonne et valable possession.
« Sortis à la porte de ladite église, nous avons lu cl publié tout
ce que dessus, et la présente prise de possession à haute et intel-
ligible voix, a ce que personne n'en ignore. Ce fait sommes allés
dans le chapitre de ladite abbaye, où ledit sieur Sohier, en ladite
qualité, a pris place, aurions ensuite été conduits dans une
grange aparlenante à l'abbé, où ledit sieur Sohier est aussi entré,
ouvert et fermé les portes et le portai d'icelle, et dans la cour
y a arraché herbes, fait émotion de terre, et généralement fait et
observé toutes les formalités requises et nécessaires pour une bonne
et valable possession, prendre et acquérir audit sieur de Poly de
Saint-Thiébault, de ladite abbaye de la Chaume, et de ses droits,
appartenances et dépendances sans aucun trouble ni opposition
de personne quelconque. De tout quoi ledit sieur Sohier, audit
nom, nous a requis lui rapporter le présent acte, ce que nous lui
avons accordé pour valoir et servir audit sieur de Poly de Saint-
Thiébault, ce que de raison. Le tout fait eu présence de Messire
Jean -Baptiste Galipaud, prêtre vicaire de la Trinité de Machecoul,
demeurant au doyenné dudit lieu, et de N. II. François Moquard,
docteur en médecine, demeurant en la ville de Machecoul, Grande-
Rue, dite paroisse de la Trinité, témoins à ce requis et appelles
suivant Pédit, qui ont signés avec ledit sieur Sohier et lesdits ré-
vérends Pères Dom Louis Le Roy, Vincent Cherpentier et Messire
— 117 —
François-Pierre de Saint-Aubin, a ce présent, l'an 1746, le
premier juillet, environ les onze heures du malin.
« Signé sur la minute: Sohier ; J.-B. Galipaud, prêtre vicaire;
F. Moquard D. M.; de Saint-Aubin ; fr. Louis Le Roy ; fr. Louis
Vincent; IV. Pierre Charpentier, et Deluen notaire royal aposto-
lique qui a ladite minute.
Contrôlé a Machecoul le 2 juillet 1746, par de Lamotte, qui a
reçu six livres. Deluen notaire royal apostolique (*). »
M. de Poly de Saint-Thiébault portait pour armoiries : d'azur
à la f'nscc d'or chargée d'une quinlefeuille d'azur. (PI. ni, n° 16).
M. DU CLUZEL.
Pierre-François du Cluzel appartenait à une ancienne famille
du Périgord, qui porte pour armes : d'or au pin de sinople au cerf
passant de gueules sur une terrasse de sinople,- supports deux
lions (PI. III, n° 16). Il était chantre et doyen de la cathédrale de
Tours, lorsque par bulles signées à Rome le 12 décembre 1778,
contrôlées a Paris le 2 janvier 1779, il obtint l'abbaye de la
Chaume, de laquelle il fit prendre possession le 11 janvier par
M.Simon Blanchard, recteur de Sainte-Croix de Machecoul (2).
M. du Cluzel mourut au mois de mai 1782.
MESLÉ DE GRANDCLOS.
Julien-Jacques Meslé de Grandclos, vicaire général du diocèse
de Saint-Malo, fut nommé le 4 août 1782, par brevet du roi, dont
voici la teneur:
« Aujourdliuy quatrième jour du mois d'aoust mil sept cent qua-
tre vingt deux, le Roy étant à Versailles, bien informé des
bonnes vie, mœurs, piété, suffisance, capacités et autres vertueu-
ses qualités du sieur Jacques-Julien Meslé de Grandclos, vicaire-
(i) Arch. (le PEvêché. Reg. des Insin., du 8 juillet 1745 au 7 novembre
1747. Fol. 165 verso et 166.
{-) Arch. de l'Evêché. Ueg. des Insinuations, du '.) janvier 1775 au
22 juillet 177'J.
— 148 —
général de Saint-Malo, et voulant par ces considérations le grati-
fier et le traiter favorablement, Sa Majesté lui a accordé et fait
don de l'abbaye de la Chaume, ordre de Saint-Benoît, diocèse de
Nantes, qui vaque à présent par le décès du sieur du Cluzel, der-
nier titulaire, à la charge de sept cent soixante livres de pensions
annuelles et viagères, que sa Majesté veut être dorénavant payées
et livrées sur les fruits et revenus de ladite abbaye, scavoir: quatre
cent vingt livres au sieur Boisseau, aumônier du régiment de
Grenoble, artillerie ; cent soixante dix livres au sieur Le Grand
d'Arcantère, chantre de l'église de Varry, diocèse d'Auxerre, et
cent soixante dix livres au sieur Pignot, curé de ia Roche, diocèse
de (blanc). Lesdites pensions payables, tant par ledit sieur de
Grandclos, que par ceux qui posséderont après lui laditte abbaye ;
m'ayant Sa Majesté commandé d'expédier toutes lettres et dépê-
ches nécessaires en cour de Rome, pour l'obtention des Bulles et
provisions apostoliques de ladite abbaye, et cependant pour assu-
rance de sa volonté, le présent brevet qu'elle a signé de sa main,
et fait contre signer par moi, conseiller secrétaire d'état et de ses
commandements et finances. Signé Louis.
Et plus bas, Amelot(1)».
Les bulles, datées de Rome, 1782, furent contrôlées à Paris le
27 décembre. La prise de possession du monastère abandonné
eut lieu suivant la forme usitée, le 8 octobre de la môme année,
par Messire Julien Genevoy, prêtre recteur de la Chevrolière, as-
sisté du doyen de Retz, M. Hervé de la Bauche.
M. de Grandclos était fils de M. Jacques Meslé de Grandclos et
de Madame Thomase-Marie Gouasson. M. de Grandclos, très
riche armateur, avait obtenu du roi Louis XV des lettres de no-
blesse, dont les considérants fort honorables méritent d'être
reproduits, pour montrer la faveur avec laquelle le gouvernement
traitait alors Je commerce, aujourd'hui abandonné et qui de plus
en plus tend à s'anéantir et disparaître.
(') Arcli. de l'Evêché. Reg. des lnsin., du 24 IV-vricr 1781 au 27 janvier
1783. Folio 2U0 vo.
— 449 —
o, ... Notre cher et bien amé le sieur Pierre-Jacques Meslé de
Grandclos, négociant-armateur à Saint-Malo, étant un des négo-
ciants de notre royaume qui ont le plus contribué à le rendre
florissant, Nous Nous sommes déterminés à lui conférer la no-
blesse comme une juste récompense de ses travaux. Issu d'une
ancienne famille de négociants-armateurs, petit-neveu du sieur de
Lépine D'Anican, qui mérita d'être annobly par le feu Roy notre
très honoré seigneur et bisayeul, Nous sommes instruits que
formé par les leçons et par les exemples de Jacques Meslé de
Grandclos, son père, il s'est livré à la navigation dès sa plus ten-
dre jeunesse, et qu'il a suivi cette carrière avec tant d'intelligence
et de succès, que son père l'ayant ensuite associé à son commerce
et à ses armements, il les a dirigés jusqu'à ce que l'âge de son
père l'ayant déterminé à se retirer, il est resté seul à la teste de
son commerce, qu'il a même considérablement augmenté;
qu'après avoir donné des preuves multipliées de son zèle pour
l'Etat, par les différents armements qu'il a faits en course pendant
la guerre, il a repris les entreprises maritimes aussitôt que le
retour de la paix le lui a permis, et qu'il les a continuées jusqu'à
ce moment ; qu'il est propriétaire de neuf grands navires, qui
sont dans une activité continuelle sur les différentes mers, et de
plusieurs autres bâtiments d'un rang inférieur, pour le service
desquels il entretient plusieurs milliers de matelots et d'ouvriers
de tout genre ; que quelques-uns de ses navires ont été employés
pour Notre service, et qu'il est propriétaire d'une manufacture de
cordages et agrès, où notre marine a trouvé quelques fois des se-
cours utiles ; A ces Causes . . .
A Versailles au mois d'avril 1768. .
D'azur à un vaisseau d'or, ayant pavillon français, allant à
pleines voiles sur une mer de sinople mouvante de la pointe de
reçu, et dirigé d'un pôle à l'autre par une étoile d'argent posée
à l'angle droit du chef. (PI. III, N° 17).
Enregistré à la G. des G. le °2\ juin 1768 (*) ».
(*) Arch. départ. Série B. Chambre des Comptes, Livre des mnnd19 54
1766-1770.
— 120 —
M. de Grandclos, qui clôt la liste des abbés de la Chaume, fut
dépouillé de son bénéfice en 1792. Il avait l'habitude d'abandon-
ner aux pauvres les revenus de ses bénéfices et partie de sa for-
tune particulière. Il rendit d'éminents services aux prêtres émigrés
en Angleterre, et revint après la révolution à Saint-Malo, où il est
décédé le six mars 1812, âgé de près de 82 ans, chanoine hono-
raire et vicaire général de l'évèché de Rennes.
LE DIALECTE BRETON DE VANNES
AU PAYS DE GUÉRANDE
IX (suite).
Je m'étais arrêté, Messieurs, aux Gros-Fossés de Saint-Lyphard,
et je vous disais : « Tous les noms de lieux circonvoisins se rap-
portent à ces travaux de défense qui ont laissé un souvenir
profond dans le pays. » Nous allons en juger.
Le rempart, allant de l'est à l'ouest, servait de limite à une
vaste lande, aujourd'hui défrichée. Un peu en arrière du point
où le fossé forme une courbe pour remonter vers Pompas, est
bâti le Pengrain. Aucun nom ne pouvait mieux convenir à ce vil-
lage, le substantif penn, qui caractérise la tète, la pointe du rem-
part, ayant pour qualificatif l'adjectif cren avec le sens de forti-
fié, ou l'adjectif crenn, avec le sens de gros et arrondi (4).
Un hameau moderne, construit sur les débris du retranche-
ment, se nomme les Gros-Fossés. Tout auprès, s'élève un antique
village, qui semble un faubourg du chef-lieu communal : il a
nom le Fozart. Ce mot dérive clairement du breton foz qui, en
vannetais, veut dire exclusivement tranchée, — pour un fossé
ordinaire on se sert d'un autre mot (2), — et de arz, qui signifie
obstacle, défense.
A quelques pas, plus à l'est, dans la direction du rempart, est
(') Le même nom de Pengrin désigne, dans la commune de Pénestin,
une pointe sur la Vilaine, qui, sans doute, était autrefois fortifiée.
D'après de Rostrenen, Le Gonidec et Troude, l'adjectif cren, fort, se pro-
nonçait, en vannetais, avec un son nasal, comme s'il se fflt écrit crenv.
(2) Gillart, aux mots fossé et tranchée.
- 422 -
1b village de Kerloumet. Voici encore un nom bien facile à
décomposer : Kerlou mez, les circuits, les pourtours de la
plaine, c'est-à-dire le fossé qui en ferme l'enceinte. Kerl, pluriel
archaïque kerlou, est vannetais, et signifie cercle, circuit, circon-
férence, — dans les autres dialectes on dit kelch ('), — et mez,
qui le plus souvent ailleurs se prononce méaz ou maez, a en
Vannes le sens exclusif de plaine, campagne, étendue de pays.
A partir des Gros fossés, et des deux côtés du chemin n° 47,
d'IIerbignac à Saint-Nazsire, s'étendent vers le midi, presque
sans discontinuité, le Fozart, Saint-Lyphard, Kervily et le Petto.
Que veut dire Petto en breton? Ce mot n'est autre que le compa-
ratif de l'adverbe pett : pelloc'h, plus loin, qui se prononce
pelloh, en Vannes (2). Mais dans quel sens faut-il le prendre?
Plus loin que le bourg dont ce village n'est a vrai dire qu'une
extension ? Cela n'est guère admissible ; il faut donc croire que
les Gros-Fossés servent de point de départ à ce degré d'éloigne-
ment.
Voilà plus loin encore, au midi, le hameau de Trécrelin. Il a
reçu son nom des terres du Grand et du Petit- Crèlin, situées
entre ses maisons et le rempart. Il n'est pas nécessaire de tor-
turer les mots de ce composé pour en faire ressortir le sens
exact. Les lexicographes donnent au mot crû les significations
suivantes: fort, lieu fortifié, forteresse, fortification, citadelle (s).
L'adjectif lein, terme exclusivement vannetais, car ailleurs on dit
leûn (4), signifie plein, rempli entièrement, sans vide. N'est-ce
pas là, en deux mots, la description de notre massif rempart en
terre?
(') Cillart, de Rostrenen, Troude. — Le Gonidec au mot kelc'h.
(a) Gillart, au mot loin.
(3) De Rostrenen. Le Gonidec. — Le dictionnaire de Cillart ne donne
que le mot casiel pour forteresse, et des périphrases pour fort ci fortifica-
tion ^ mais le radical cré y apparaît dans creihuat, fortifier, et dans créan
et creihuë pour l'adjectif fort.
(4) Cillart, de Rostrenen, Le Gonidec et Troude. Impossible ici d'inter-
préter lit mot lein dans le sens de lenn, étang, attendu qu'il n'y en a pas
dans Le voisinage.
- 123 —
Le nom de Crémeur, le grand fort, le grand rempart, corres-
pond au même ordre d'idées, et une terre de Crémeur, en Sainl-
Lyphard, nommée en 1427, se rapporte peut-être aux mêmes
travaux de défense.
On comptait encore au XVe siècle deux autres terres du même
nom en Guérande, Tune au Crémeur actuel qu'on nommait
Crémeur- en-Grémeur et l'autre près de Glis, appelée Carné ou
Crémeur-en-Clis (*). Tous ces noms, comme tant d'autres que
nous avons vus, ou que nous verrons encore, donnent à penser
quels mouvements de terre, quelles luttes acharnées eurent lieu
jadis au pays guérandais.
Avant de quitter Saint-Lyphard, nommons encore, en passant,
Kervernet — ker vernec — situé dans un bas-fond, le village
marécageux; le Pont-Bihain, le petit pont; Kerlô, le lieu de
l'ermitage dont le Pennelô indique les limites.
X
Dans la commune de Saint-Molf, tous les points saillants de
ce pays accidenté ont un nom significatif. Ici Kerhaut — ker
ros — le village du Tertre; là Kerhué — ker huel — comme
ses homonymes du Morbihan et de la presqu'île, le hameau sur
la hauteur ; ailleurs Monpignat — mont pignat — le mont à
gravir (s); plus loin, Pennemont , dernier point culminant qui
domine les paluds, le sommet de la montée.
Sur la pente du coteau que couronne Kerhaut, voici Trébré-
san, dont le nom mérite bien de nous arrêter un instant. Suivant
M. de Courson, « le mot tré> trev, tref, signifie, en breton, vil-
(«) De Comulier, Dictionnaire des terres du Comté nantais.
(2) En vannetais, pignein, gravir, fait aussi a l'infinitif pignat (Gillart).
Le mot mont, qui ne figure pas dans les dictionnaires, avait cours pour-
tant dans la langue bretonne. Il est employé dans un poème breton du
XVe siècle, intitulé le Trépas de Madame la Vierge Marie. (De la Ville-
marqué, Poèmes bretons du moyen âge. JNanles, 1879, p. 54.)
_ m —
« lnge, réunion d'un petit nombre de maisons. Ce mot précède,
« dans les deux Bretagnes, le nom des petites succursales des
c paroisses ('). » Rien de mieux, pour les hameaux situés au
milieu des terres ; mais quand il s'agit de lieux placés près des
ruisseaux ou des rivières, il faut donner au mot irë, dans le
Morbihan comme ici, un tout autre sens, et y voir le vannetais
trch, — ailleurs on dit treiz — qui signifie passage sur un cours
d'eau. Ainsi doit-il en être pour Trêbrésan, en Saint-Molf. Ce
mot voudrait donc dire : le Passage de la Butte-du-Canal.
De temps immémorial, il existe à l'entrée des marais, du côté
de Saint-Molf, un pont en bois, jeté sur un des bras de l'étier de
Pont-d'Armes, et connu dans le pays sous le nom de Planche de
Trêbrésan. Ce passage, situé près de la curieuse Butte-anx-
Cerfs, monticule artificiel que tout archéologue, explorant le
pays, est tenu de visiter, ne se bornait pas autrefois à une
simple passerelle, et donnait accès à une route pratiquée au tra-
vers des paluds, laquelle n'était sans doute que le prolongement
de la voie romaine qui coupe les landes du Binguet, venant des
environs de Guérande. Construite sur des terrains baignés par
les grandes marées, et susceptibles d'affaissement, cette chaussée
reposait sur un profond statumen de pierres parfaitement agen-
cées. De chaussée aujourd'hui plus guère de traces, et elle a dû
servir aux remblais des marais voisins; mais les coupures prati-
quées à ses flancs par l'excavation des douves latérales, limites
des héritages, ont mis a découvert, sur une longueur d'une cen-
taine de mètres, ses larges et solides assises. Tout autour, le
sol est jonché de fragments de briques et de tuiles à rebords, qui
ne laissent aucun doute sur le caractère gallo-romain de ce beau
travail.
Voilà donc trois choses importantes résumées par le nom de
Trêbrésan : irè, c'est le pont et la chaussée, c'est-à-dire le pas-
sage; hré, la Butte-aux-Cerfs, et san, l'étier de Pont-d'Armes.
Le vocable de la paroisse de Saint-Molf ferait supposer, ai-je
(') De Courson, Hist. des Peuples bretons, i, p. 46.
- 125 —
dit, que des bretons insulaires étaient venus y réchauffer la foi,
et durent parfois y modifier la langue. Toutefois si Kervocadé
vient ùaker bochadec, « le village où l'on se donne des soufflets »,
les prédications de l'évangile n'avaient pas dompté tous les
caractères. Boc'had, d'où bochadec, est un mot léonais, étranger
au dialecte de Vannes.
Il en est de même pour le nom de hameau du Cahotais.
Caol, choux, pluriel de caolen, et son dérivé caolec, lieu planté
de choux, sont propres au pays de Léon ; partout ailleurs on
emploie col, colen, et colec (*). Aussi ces derniers noms entrent-
ils seuls dans la composition des noms de. lieux morbiliannais.
Les lieux-dits de nos cadastres affectent également la forme van-
netaise, comme le Côlé, en Herbignac (son H), les Galets (son F)
et le Colessa (son G), en Saint-Lyphard.
Les vieillards du pays prétendent que les côtes de Péneslin et
de Penhé, où des parcs se sont récemment établis, produisaient
autrefois des huîtres en abondance, au point qu'on en trouvait
jusqu'à l'extrémité de la baie, à l'embouchure de l'éticr de Pont-
d'Armes. L'énorme quantité d'écaillés, enfouies dans les sables et
dans les terres voisines de la côte, suffirait pour leur donner
raison. Mais un nom de lieu vient renforcer encore cette affir-
mation. Le château de Quifistre, en Saint- Molf, situé au bord des
marais salants, près de l'endroit où l'etier se jette dans le trait
de Mesquer, doit son nom à celle particularité qu'un banc
d'huîtres existait dans son voisinage. L'élymologio n'en semble
guère contestable : quef dans les autres dialectes, quifou q/icf,
indifféremment en vannetais, souche, bnnc(s), et istr, pluriel de
istrenn, huîtres (3).
(») Le Gonidec et Troude. — Lagadeuc, le plus ancien de nos lexico-
graphes, donne caul et caulenn comme des mots du dialecte de Trëguier.
Cillart traduit un pied de chou par cauleenn et un choutier, c'est le mot
dont il se sert, par caulec. Les noms du Morhihan concordent parfaitement
avec ces données II suffit de citer les hameaux suivants : le Col, CÔlais,
Collée, Colé, Colin, sans compter tous les composés.
(s) Cillart, au mot souche.
(3) Peut-être ohjectera-t-on que dans les armoriaux, les De Qui/istre,
— 126 -
De Quifistrc à Penerf, dans le Morbihan, nos cotes rivalisaient
sans doute avec celles de Tréguier, de Cancale et de Grandville,
pour fournir aux conquérants romains ces précieux mollusques
qu'au dire d'Ausone ils avaient en si haute estime :
Sunt et Armorici qui laudent ostrea ponti (*).
Mesquer, — Mes kaër — le joli Mes, nom qui lui vient, sup-
pose-t-on, du ruisseau du Mes qui se jette dans le trait (a),
compte au nombre de ses villages : Penhouet, comme son homo-
nyme do Saint-Nazaire, nom qui équivaut à notre dénomination
française Bout-de-bois ; Rostu, le côté du Tertre ; Pennelan, le
Bout de la lande ; Kerguilloté, le lieu abondant en herbes, du
vannetais guiautec (5) , qui ailleurs se prononce guëauiec ;
Kervarin, village bâti sur une pointe qui s'avance dans le trait
de Mesquer, le village de la Barre, — le mot barren, d'après
Gillart, est usité, en vannetais, pour signifier une pointe de sable
ou de rochers avancée en mer (4) ; Kerlagadec, la demeure de
l'homme aux gros yeux, et Kerdandec celle de l'homme aux
grandes dents ; Kenabellec, le village de l'alouette. Le breton
cabellec n'a cours qu'en vannetais avec le sens d'alouette (s), et
qui étaient seigneurs de Kerleau, en Elven, sont le plus souvent nommés
Quilftitre. Gela ne change rien, du reste, a l'élymologie, puisque, selon
Le Gonidcc, quelf et quef, — et conséquemment quilf et quif, — ont
absolument le même sens. Mais le vrai nom semblerait Quifistre, a en juger
par deux anciennes inscriptions de l'église d'Elven, où sont nommés des
membres de cette famille, vivant au commencement du XVIe siècle, les
deux frères Bertrand et Guy de Quifistre, successivement recteurs d'Elven,
et chanoines de Vannes. (Bull, de la Société polym. du Morbihan,
1877. p. 45).
(J) Ausone. Ep. xi, v. 55.
("-) C'est l'interprétation de M. de Francheville. (Dict. d'Ogée, 1845, art.
Mesquer). 11 faut dire pourtant que le cours d'eau du Mes n'est point
connu sous ce nom dans le pays. On ne l'appelle que l'étier de Pont-
d'Armes.
(3) Cillart, au mot herbe. — De Rostrenen.
(4) Cillart, au mot barre.
(*) « KabelLec, alouette; c'est sans doute l'alouette huppée.». Ce mot,
est du dialecte de Vannes. » Le Gonidec. — Cf. Gillart.
- 127 —
certes !e lieu est bien nommé, car ces oiseaux sont toujours en
grand nombre sur les grèves de Kercabellec et sur le promontoire
de Penbé.
Voici un village, Fonlainebras, la grande fontaine, qui porte
un nom mi-français, mi-breton. Si dans sa composition fut entré
le léonais feuntun, ou le trégorrois f'antan, il est probable que la
dénomination première eût été conservée. Mais il existe un tel
rapport entre le vannetais feten et le substantif français corres-
pondant, que partout, dans nos cadastres, le nom primitif a été
francisé., tandis que son qualificatif est resté breton. C'est ainsi
qu'en Herbignac il y a la Fontaine-aran, la fontaine de la gre-
nouille, et la Fontaine-isé (pour isel), la fontaine basse.
Citons encore, en Mesquer, Kervagué — ker vaguer — la
demeure du batelier. On voit qu'ici nous ne sommes pas loin
des bords de la mer. Le radical bag, bateau, entre également
dans la composition du nom de Kervagaré, corps de garde de la
commune de Piriac.
Cette côte tourmentée de Piriac, si curieuse à voir, avec ses
rochers gigantesques et ses grottes creusées par le flot, a été
l'objet de descriptions nombreuses. « La pointe sur laquelle est
« situé le tombeau d'Almanzor, dit Edouard Richor, offre une
« étymologie... remarquable. Elle est appelée la pointe ou le cap
« de Penharang, ce qui traduit du celtique (?) signifie le cap aux
« harangues... Le cap, d'où les druides, rassemblés dans des
« sacrifices augustes, haranguaient le peuple, aura gardé jusqu'à
« nous sa dénomination primitive (*).»
Celte étymologie nous semble bien risquée et quelque peu
lointaine. Le lieu d'ailleurs se prêtait mal aux effets oratoires.
Ce n'est point aux bords de la mer, où le vent souffle, où la
grande voix des flots domine tout, qu'il faut venir haranguer les
foules. Aussi l'auteur du Voyageait Croisic se ravise-t-il, quand
il ajoute : « Il ne manquerait plus, pour désenchanter tout à fait,
(*) Ed. Richer. Poyage au Croisic, p. 28.
— 428 -
« que do changer le cap aux harangues en celui des harengs, qui
« se pèchent, comme on sait, assez communément sur cette cote. »
Cette seconde version est moins poétique, assurément, mais
peut-être plus juste: harancq, pour harang, étant un mol vanne-
tais qui se prononce harincq dans les aulres dialectes.
En la commune de Piriac se trouvent encore Kergobé — ker
ijobcd — le village de la Godelée, « ijobcd, petite mesure pour les
grains ; ce mot, dit Le Gonidec, est du dialecte de Vannes » ;
et MéliniaCj le quartier des moulins, formé du substantif
mélin. Dans les autres dialectes, affirment les auteurs, pour
moulin on dit milin et par abréviation mil, en Vannes seulement
on prononce mélin et mel. Des noms que nous avons vus jusqu'ici,
c'est même sans contredit un des plus franchement vannetais,
car il existe dans le Morbihan une foule de hameaux portant le
nom de Mel, Mellûj Mélin, avec ou sans préfixe, tandis qu'on
peut dire que mil et milin n'y apparaissent nulle part (').
La même étymologie s'applique à Trémelu, en Saint-Lyphard,
appelé aussi parfois Trémeleuc au XVe siècle ; c'est le hameau
des Moulins, que le nom dérive de l'adjectif mélcuc ou du pluriel
mcllou.
L'institution féodale devait naturellement laisser des traces de
son organisation dans la presqu'île guérandaise. Les noms de
lieux qui la rappellent ne manquent pas en effet : en Guérande,
Kermarais — ker marec — la demeure du chevalier ; en Piriac,
Kerascouédé — ker a scoëder — l'habitation de l'écuyer, et
Kergentilj celle du gentilhomme ; en Herbignac, Kcrsénêchal, la
maison du sénéchal. D'après le P. deRostrenen, on disait sénes-
sal dans les aulres dialectes, el chénéchal en Vannes. Aussi nos
laboureurs ne prononcent-ils jamais autrement que Kerchénéchal.
Au même ordre de choses se rattache le nom patronymique
11 ■ — ' ■■■■■■! MIMUll H.—^— ^ I JM — ^— ■— — — I '■'»■■ ■ — !■ ' «■■■■■! ■ — ■ ■
(J) Sauf dans Coël- Milin, en Saint-Tugdual, et dans Gohviline, en
Plœmeur. Encore faut-il remarquer que ces communes ont dû* subir l'in-
fluence de la Gornouaille à laquelle elles confinent En revanche, ou pour-
rait citer plus d'une centaine de noms de hameaux morbihannais dans la
composition desquels entrent les mots Mel et Mélin.
— 429 —
de Le Floch — en français nous dirions Le Page — répandu
dans plusieurs eoinmunes de la presqu'île, nom qu'on écrit bien
Le Floch, mais qu'on prononce Le Floh, à la façon vannetaise.
XI
La commune d'Assérno compte au nombre de ses villages
Kergô — ker gô — la maison du forgeron (*); Kergéro — ker zéro
— la Ville- aux-chênes (2); KeriavalAa Gormier(3); Barzin, peut-
être la demeure des bardes, du breton barz ; Cabemo, juché sur
un coteau d'où l'on découvre un splendide panorama, dérivé de
cabj tête, sommet ; Kerscoul, le hameau du milan ; Pradelan —
prat lann — le pré de la lande ; Kersaffa — ker saffar — le
hameau du vacarme. En Herbignac, le village de la Sajfardière,
et le Clos Saffard (son Q), dérivent du même mot breton.
Puis-je négliger celte baie de Penbé, qui a peut-être vu échouer
sur ses grèves les derniers vaisseaux de la flotte venète ? Le nom
de Penbé offre au premier abord une étymologie saisissante : il
voudrait dire la pointe du tombeau, le breton bez, tombeau,
s'étant changé en bé dans le dialecte de Vannes. Touletois cette
interprétation me semble devoir être rejetée, par le motif que
les plus anciennes chartes où ce nom de lieu est cité l'eussent
écrit, dans ce cas, Penbez, tandis qu'elles s'accordent pour écrire
Penbec (*).
Bec est un mot breton, et je puis dire gaulois, passé dans
notre langue. Lagadeuc, et quatorze cents ans avant lui un
auteur romain l'ont traduit par le latin rostrum. Au premier
siècle de notre ère, le mot bec avait déjà cours dans la langue
gauloise : cela ressort clairement d'un texte de Suétone. Le
général entre les mains duquel tomba Vitellius, Antonius Primus,
(») Du hreton goff, qui fait gô en Vaunes.
(2) Zéro pour dèro, pluriel de derv, chêne, par suite de la permutation.
(3) C'est le sens donné à ce mol par M. de la Villemarqué, dans sa tra-
duction des Poèmes bretons du VIe siècle, p. 200.
(<) Cart. de Bedon, p. 258, 340 et 389.
1879 9
— 130 -
natif de Toulouse, y avait reçu, dans son enfance, le surnom de
Becco, ce qui veut dire, ajoute rhistorien des Césars, bec de coq:
id valet gallinacei rostrum (♦).
Cillart nous apprend qu'en breton on appelle plus spécialement
bec, une langue de terre qui s'avance dans la mer (2) ; et, en effet,
ce mot sert à désigner une foule de pointes sur l'océan, depuis
le bec d'Ambez, dans la Gironde, jusqu'au bec du Raz, aux ex-
trémités de la Bretagne (s). Le nom de Penbec caractérise parfai-
tement d'ailleurs ce promontoire qui s'avance comme une
gigantesque proue entre les deux baies. Son territoire resta long-
temps inhabité. La chapelle, dont on y voit encore les ruines, ne
fut élevée qu'à la fin du XIe siècle, dans des circonstances toutes
particulières, et la légende, que le carlulaire de Redon nous a
conservée, donne à son érection un parfum de simplicité si tou-
chante que je ne puis résister au désir de vous en faire le récit.
Je me bornerai d'ailleurs à traduire le texte latin, de peur de le
déflorer.
Les premières lignes de la charte manquent, mais il est facile
de voir qu'il s'agit d'étrangers jetés à la côte par une tempête,
et réfugiés sur les hauteurs de Penbé. « De là, ajoute le narrateur,
ils regardaient, comme d'un observatoire, si le vent était favorable
ou non, pour pouvoir retourner dans leur pays. L'un d'eux souf-
frait violemment d'une maladie. Diverses révélations et ses
compagnons eux-mêmes l'engagèrent à attendre là, au milieu du
sommeil, le secours de Dieu, comme cela était arrivé à beaucoup
de saints. S'étant donc endormi, il se réveilla parfaitement guéri
et bien portant, disant comme le patriarche : « vraiment le
Seigneur est dans ce lieu et je l'ignorais ». Les patrons du
navire, rendant de grandes grâces à Dieu, élevèrent un autel en
l'honneur de sa sainte Mère, et aussitôt un vent favorable enflant
leurs voiles, ils fendirent les vagues et regagnèrent leur pays.
(*) Suétone. Fie de Vitellius, dernier alinéa.
(2) Cillart, aux mots langue de terre.
(3) Dans le Morbihan notamment, le mot bec entre dans la composition
d'un grand nombre de noms de pointes situées sur l'océan.
— 131 -
« Trois habitants du domaine de Misquiric ('), sortis de la
même famille, Juhel Goquard, Jarnogon Leroux, et Normandeau
(Normandellus), qui s'étaient partagé leurs biens, mais avaient
laissé indivise entre eux la pointe (de Penbec), parce qu'elle était
improductive et stérile, voyant le Tout-Puissant opérer de telles
merveilles sur leur terrain, engagèrent, du consentement du
seigneur de Misquiric, un homme pieux, nommé Aluehen, à y
élever, avec leur concours, un oratoire pour servir la Vierge
Immaculée, promettant d'y attacher une fondation de dix novales.
Aluehen refusa d'abord, objectant l'aridité du lieu, si exposé aux
vents et aux tempêtes; il y consentit enfin, mais à la condition
qu'il pût, à son gré, disposer, en faveur de telle ou telle abbaye,
des terres qu'on lui offrait. Ce qui fut accepté volontiers par
es donateurs, et ratifié par leur seigneur, Frédor, fils de Ri-
chard.
« Quand l'homme de Dieu eut bâti son oratoire, il alla à Redon
et concéda à l'abbé Justin et au couvent de Saint-Sauveur, pour
participer aux prières de la Communauté, le lieu précité avec la
chapelle et les terrains annexés. Puis prenant la bure, il revint
à son ermitage avec l'abbé et obtint aisément de Frédor, fils de
Richard, de Frédor, fils de Daniel, seigneur d'Acérac (a), ainsi
que des donateurs, que pour le salut de leurs âmes, l'abbaye de
Redon fut constituée héritière des dites possessions. Et cela en
présence et avec le consentement de Benoît, évêque de Nantes,
invité à venir bénir le sanctuaire. Par égard pour l'abbé, et dans
l'intérêt de la fondation, les trois habitants de Misquiric, auto-
risés par leur seigneur Frédor, fils de Richard, déclarèrent de
plus que si quelques-uns de leurs héritiers voulaient faire, de leur
propre fonds, une donation à l'oratoire, eux, les donateurs,
acquitteraient les droits dus au seigneur de Misquiric. Et ils leur
(i) C'est le village de Mesquéry près de Penbé, en face de Mesquer
dont il est séparé par le trait. Le diminutif ic, qui termine son nom, semble
lui donner le sens de Petit Mesquer.
(2) « Aceraci Domino. »
132 -
enjoignirent de ne jamais rien demander aux moines (de Penbec),
sinon Jésus-Christ (*). m
Une observation se dégage de la lecture de cette charte. Nous
n'y trouvons plus les noms propres bretons avec lesquels nous
étions familiarisés. Ce ne sont ici que des noms d'une autre
langue, Coquard, Normandeau, Frédor, Daniel, Richard, qui
dénotent une origine normande et une occupation fortement
organisée. Le seigneur d'Acérac, d'après les chartes de l'époque,
paraît relever lui- même de Bernard, encore un autre Normand^),
dont l'aïeul avait donné son nom à la Roche-Bernard.
Les cadastres du quartier témoignent à leur tour de cette occu-
pation. Il y a des terrains nommés la Noë-du-Normand, en Saint-
Molf (Son H), le Clos-Normand, en Mesquer (SonE), le Ponl-
Normand, en Assérac (Son C).
Par contre, nos noms de lieux, Assérac, Penbé, Mesquéry ont
bien peu varié depuis huit siècles. Il est aussi question, dans une
• C1) Cart. de Bedon, p. 387.
(s) Un des frères de ce Bernard porte le nom de Normand, « Norman-
dus » dans une charte du XIe siècle (Cart., p. 314), et 1rs annales de
l'abbaye de Redon désignent l'aïeul sour le nom de Bernard, le Normand,
« Bernardus Normannus ». (Ibid., p. 441.)
Les premiers fondateurs de la puissante baronnie de la Roche-Bernard
étaient donc bien de race normande.
Un lien de parenté, en même temps que de vassalité, rattachait- il les
seigneurs d'Assérac et de Mesquéry au seigneur de la Boche ? On le croi-
raii, quand on lit dans les annales du monastère (Cart., p. 445), que
Simon, fils de Bernard de la Roche et d'autres toparques de cette race,
a aliique stirpis illius toparchœ, » enrichirent de leurs dons le sanctuaire
de Penbé. N'est-ce pas nommer les Frédor, seigneurs d'Assérac et de Mes-
quéry, et Rioc, fils de ce dernier, qui furent les bienfaiteurs de l'oratoire?
Ces Frédor ou Fréor tournent dans l'orbite du seigneur de la Roche. Ils
a?ssistent, comme témoins, aux actes de sa maison, et à l'air dominateur
que prend Bernard vis-à-vis des siens, s'intitulant « leur seigneur, le sou-
verain seigneur d'eux tous, » on sent bien que cette supériorité s'affirme
sur tous ceux qui l'entourent. (Ibid., p. 315.) Prend-il une décision impor-
Lante, du consentement de ses fils et et de tous ses parents, « consensu
prolis, ntc non lotius consanguinilatis, » à la suit*; des noms de ses enfants
viennent immédiatement s'inscrire les noms des deux Frédor. (Ibid.,
p. 340).
- 133 —
autre donation se rapportant au môme oratoire, du petit hameau
du Blanc, qui, si la lecture a été exacte, était appelé* « villula
Blane » au commencement du XII0 siècle (').
C'est au monastère de Penbé, et aux autres chapelles existant
dans le voisinage, que le village de Trélago, en Assérac, doit
son nom : on l'avait nommé, pour ce motif, le quartier des ora-
toires. Loc, pluriel logo.
XII
P.,ur aller d' Assérac a Herbignac, nous passons le ruisseau de
Kerhougas, limite des deux communes, sur le pont de Jurement
— trémen, passage — qui a donné son nom au village voisin.
Sur la hauteur prochaine s'élève Kerhéraut, le hameau du Tertre,
ou le hameau du Rocher, selon qu'on doive écrire Ker er ros, ou
Ker er roh.
Avant d'arriver au bourg d'Herbignac , nous trouvons
Ponnement, que les habitants prononcent Podeman, — pont
men — le pont de pierres. Le ruisseau sur lequel ce pont
est jeté déverse à quatre cents mètres de là, dans la fosse
de Govelin, le trop plein des eaux du lavoir de Ponnement. Il est
à remarquer que le même nom de Govelin a été donné égale-
ment à un autre bas-fond, placé dans des conditions identiques,
au bas du coteau de Bilon, à trois kilomètres plus au nord. Il y
a aussi le Clos-Govelin, en Péneslin (Son F). Ce nom de Gove-
lin, — goh vélin, pour goh mélin, le moulin en ruines, ici encore
notre vannetais mélin, — est l'indice que des moulins à eau exis-
taient autrefois en ces lieux. Le Morbihan compte également plu-
sieurs écarts du nom de Coh vélin, Goh-vélin, et Er-Goh-vélin,
situés sur des cours d'eau et se rapportant à des moulins.
Au milieu des terres, les noms d'arbres jouent naturellement
un rôle important dans la désignation des lieux. En Herbignac,
(») Cartul. de Redon, p. 389.
- 134 —
nous avons Kergestin — ker guesten — le hameau des châ-
taignes, couché comme autrefois, à l'ombre des vieux châtai-
gners, — questen le plus souvent en vannetais, parfois quisten,
partout ailleurs quistin (l) ; Kerlibérin — ker hilibéren — le
village du Cormier ; le Guernais, comme nous dirions en français
l'Auuaie, de guernec, lieu planté d'aunes (2); Couëpras — couët
prat — le pré du bois ; la Ville-Drain , la ville aux épines ;
Couetbouc, qu'on prononce dans le pays Couetbou, le bois du
bouc (3) ; Couetcaret, le bois du charron, ou le bois du rocher,
selon qu'on écrira carrer, ou carrée (*).
Il faut citer encore dans la commune d'Herbignac : Kergoche,
— pour ker goz, — le vieux village ; Kerchus, — pour ker zu,
— le village enfumé, à la lettre le village noir ; le Rohello, forme
plurielle du vannetais rohel, les Roches ; le Fozo, pluriel de foz,
les Tranchées, nom commun aux moulins du Fozo, et à la mé-
tairie de la Ville-Fozo, bâtis sur les anciennes landes du Fozo
que traverse une voie romaine.
Ramoné, avons-nous dit, veut dire le lot du roi. Ranlais,
terre noble, qui faisait partie du domaine de Ranroué, mérita,
par son importance, d'être appelé le lot de la Cour — Ran lès(h).
(*) De Rostrenen et Le Gonidec : châtaignes, pi. quistin, en Vannes
questen. — Cillart : quislen.
(2) En creusant les marais situés à peu de distance du Guernais,
on ne trouve guère dans la tourbe que deux essences d'arbres, des aunes
et des saules.
(3) Actuellement bouc se dit boh en Vannes \ mais du temps du P. de
Rostrenen (1732) et de l'abbé Cillart (1744), les vannetais prononçaient
bouh.
(4) Cette dernière version est la plus naturelle. Le breton carrée, qui
dans les autres dialectes ne signifie plus que «rocher a fleur d'eau, écueil, »
garde encore en vannetais le sens primitif de « roche, rocher» en général,
le sens que lui donnaient les bardes du VIe siècle. Quand le centenaire
Liwarc'h-henn s'écrie dans ses angoisses: «La salle de Kendelan est triste
cette nuit, au sommet du rocher d'Hodnct! » il emploie le mot carrée.
De la Villemarqué. Notice des principaux manuscrits des anciens Bre-
tons. Paris, 1856, p. 1 1. - Cf. Cillart, aux mots roc, roche et rocher.
(r>) Le mire des terres, de M. de Cornulier, mentionne : « Raulet,
1679, m marquis d'Assérac » } c'est une orthographe défectueuse, car les
— 135 -
Le château de Ranroué, ou de Ranrouet, comme on l'écrit le
plus souvent, était, avant la Révolution, le siège du marquisat
d'Assérac, et plusieurs actes des registres paroissiaux d'Herbignac
font connaître que, dans le XVIIe siècle et nu commencement du
XVIIIe siècle, les seigneurs y faisaient souvent leur résidence.
Mais bien avant la création du marquisat le château existait. La
barbacane destinée à défendre le pont-levis, la porte d'entrée avec
son arche à plein cintre, certaines parties inférieures des tours et
des remparts dénotent une construction du XIIe ou du XIIIe siècle.
Encore est-il permis de supposer que ce château, comme tant
d'autres châteaux-forts, s'est superposé à quelque construction
gallo-romaine, utilisée à l'époque normande (*).
Nos habitants donnent d'ordinaire à leurs nouvelles construc-
tions le nom breton des champs sur lesquels elles sont bâties,
usage qui ne contribue pas peu à conserver les anciennes dési-
gnations cadastrales. On ne voit pas souvent des gens de la
force de ce bon laboureur qui, du prénom de sa femme, avec
une teinte de couleur locale, a décoré sa maison neuve, en Her-
bignac, du nom pompeux de Kerjulienne.
A deux kilomètres au nord du bourg d'Herbignac, sur le bord
de la route départementale n° 9, de Guérande à la Roche-Bernard,
est le hameau moderne de Duret, qui a reçu son nom des par-
registres paroissiaux d'Herbignac, antérieurs ou contemporains à cette date,
écrivent toujours Ranlais, comme on le fait de nos jours.
(') Nous venons de voir que les premiers seigneurs connus d'Assérac
paraissent d'origine normande.
On a trouvé aux environs du château de Ranroué un statère gaulois, en
or, qui est en la possession de M. Chômait de Kerdavy, propriétaire à Her-
bignac. Voici la description de cette monnaie -. Droit fruste, tête imberbe,
à droite, entourée de cordons perlés ; $. Cheval androcéphale, marchant à
droite, conduit par un aurige. Devant la tête du cheval, le vexillum à
bandes verticales que M. Hucher attribue en propre aux Venetes (Y Art
gaulois, H, p. 17). Sous le cheval, génie couché.
Remarquons que ce n'est plus ici le génie debout, aux bras étendus, qui
semble particulier aux Wamnètes. Sur la plupart des statères trouvés récem-
ment dans le Morbihan et dans la presqu'île guérandaise, le génie ailé et
couché alterne avec la roue, au revers des monnaies.
- 136 —
celles qui l'avoisineut. Bâti près du Vont- de-Dur et, à l'extrémité
septentrionale de l'ancien étang de Ranroué, aujourd'hui dessé-
ché, il confine au Pré de Duret (*), un bas-fond où tombent les
ruisseaux qui descendent des coteaux voisins. Voilà un lieu-dit qui
mérite bien son nom, car deur, en vannetais, signifie eau, d'où
deur rct, eau rapide, ou deurec, baigné par les eaux. Et comme
pour mieux accentuer cette dénomination, les parcelles limi-
trophes, situées en la commune de Férel, s'appellent les Cam-
belles de Duret (s).
Ce nom rappelle à la mémoire la ville de Durétie de la carte
de Peutinger. M. de Closmadeuc, dans un article plein d'aperçus
judicieux, publié en 1866, dans le Bulletin de la Société Poly-
mathique du Morbihan, place cette station, avec une grande
apparence de vérité, à l'isle, enMar/an, sur la rive droite de la
Vilaine. A ce compte, notre hameau d'Herbignac n'en serait dis-
tant que de sept kilomètres à peine. Ce détail a bien son intérêt.
Car étant admis que Durétie fût située sur la Vilaine , cette
concordance de noms entre l'antique station et nos parcelles
cadastrales donne à penser que la langue des Vcnètes était la
nôtre, et que certains mots de la presqu'île se sont conservés
jusqu'à nos jours sans altération.
Et cette coïncidence n'est point une simple ressemblance de
hasard, car le mot de Duret se retrouve encore dans le nom du
hameau de Kerdurel, en la commune de Saint-Lyphard.
(*) Cadastre d'Herbignac. Soa D, n° 2106.
(2) Cadastre de Férel. S°n E, n° 570.
Le mot cambelle ou combelle, usité dans le pays pour exprimer un bas-
fond, une petite vallée, semble dériver du celtique comù, vallée.
Dans plusieurs mots bretons, la terminaison el est venue s'ajouter à un
radical beaucoup plus ancien qui a disparu de la langue, du moins avec
le sens primitif : comme camel, charnier, reliquaire, dérivé de cam ,• cru-
guel, butte, monticule, dérivé de crue. Il en serait ainsi de notre mot
combel. Pour beaucoup d'autres noms, les deux formes existent simultané-
ment en breton : roh, rohel, prad, pradel, loc, loijuel, etc., el dans ce
dernier cas, le suffixe el donne toujours un diminutif du radical, règle qui
dès le principe a dû être générale.
— 137 —
Les pestes qui sévirent pendant le moyen âge, semblent rappe-
lées par certains noms de lieux du pays. Ou sait combien la lèpre
était commune en Bretagne. Je crois en trouver un souvenir dans
le nom des hameaux de Lauvergnac, en Herbignac et en Gué-
rande. Louvr et lovr, en breton signifient lépreux ; au pays de
Vannes on prononce lovr, et lèpre s'y traduit par lovréréah (*). Je
ferai remarquer que nos laboureurs prononcent encore Lôvrignâ,
en dépit de l'orthographe usuelle, conservant obstinément à ce
mot son radical vannetais. Qu'on ne s'étonne pas d'ailleurs de
voir un pareil nom porté par des hameaux qui devinrent plus
tard chefs-lieux de juridictions seigneuriales. Le Gonidec donne
une semblable étymologie au Louvre : « Je pense, dit-il, qu'il ne
faut pas chercher ailleurs l'origine et l'étymologie du mot Louvre
que porte le palais de nos rois, ainsi que quelques villages de
France (s). »
En Camoël, le village du Bocéno présente un sens analogue.
Bocenn, dans tous les dialectes, veut dire peste, et bocéno en est
la forme plurielle. Il existe aussi, dans la presqu'île guérandaise,
des familles portant le nom de Bocéno, soit qu'elles tirent leur
origine de ce village, soit qu'au contraire quelqu'un de leurs
ancêtres ait fondé le Bocéno. Mais assurément ce nom a dû être
donné, dans le principe, a des pestiférés, ou à un quartier frappé
de la contagion.
J'ai dit, au commencement de cette étude, qu'un nom de lieu,
en Herbignac, pourrait bien, par exception, ne pas appartenir au
dialecte vannetais : c'est celui de Kercoudry, — le hameau du
Colombier. « Si j'osais, fait observer Le Gonidec, je dirais que le
« mot kouldriest composé, par contraction, de koulm, colombe,
« pigeon, et de ti, maison; je croirais même être d'autant plus
« fondé à lui donner cette origine, qu'en Vannes on dit klomdi, pour
« exprimer la môme chose. » Et au mot koulm, colombe, Le
(') Cillart, aux mots ladre et ladrerie. — Vh final suppose, comme nous
l'avons vu, une forme antérieure lovrereacli.
(-) Le Gonidec au mot lovrez.
— 138 -
Gonidec ajoute : « on vannetais, on dit klom ». Toutefois, l'au-
teur du Dictionnaire français-breton du dialecte de Vannes, anté-
rieur de quatre-vingts ans a Le Gonidec, traduit colombe par
coulom, colom et clom ('). Or, dès lorsqu'on disait coûta, en
Vannes, la syncope donnait aussi bien coulm que clom. Coulm
semblerait même avoir été partout le mot primitif, puisque Saint-
Golomban était appelé Saint-Coulm dans toute la Bretagne ; ce
qui fait dire a M. de Gourson que coulm signifie colombe dans
tous les dialectes bretons (2).
Kercoudry, ferme voisine et dépendante du château de Kero-
bert, était certainement autrefois la fuie du manoir. Le village
de Coulement, en Missillac, puise aussi son étymologie à la même
source : Coulm men, la pierre de la Colombe.
J'ai nommé Kerobert. On se tromperait, selon moi, si l'on
voulait voir dans ce composé le préfixe ker suivi d'un nom
propre. Je l'expliquerais plutôt par le substantif breton ober,
œuvre, exploit, haut fait. Kerobert serait « le lieu de l'exploit ».
Son étymologie lui vient, à n'en pas douter, d'un lieu -dit voisin
du château, appelé la Pierre-Obert. A quelques pas plus loin,
d'autres cantons de terre sont nommés les Roches-louses, c'est-
à-dire les roches maudites : louz, impur, infâme (3). 11 est pro-
bable que toutes ces pierres étaient des mégalithes qui auront
été détruits (*), et auxquels se rattachait quelque vieille légende
aujourd'hui disparue.
Un corrigan malin en aurait-il été le héros ou la victime ? Le
village de Coroberl, bâti non loin de la Pierre Obert, le donne-
rait à penser, avec son préfixe cor, qui n'est point assurément
une altération de ker, deux hameaux aussi distincts que Kerobert
et Corobert ne pouvant porter le même nom. Or, le mot corr,
(') Gillart, aux mots colombe et pigeon.
{-) De Gourson. Hist. des peuples bretons, I, p. 292.
(3) La Pierre Obert porte au cadastre le n° 550 de la Son C, et les
Roches-louses les nos 564 et suivants.
(*) Il existe encore un mégalithe en ruines, à peu de distance de Là,
sur la commune de Missillac.
- 139 —
en breton, sert exclusivement à désigner ces esprits folâtres qui
étaient les sylphes de nos pères.
« Les Armoricains, dit M. l'abbé Mouillard, ont les corri-
« gued, corrigans, guérionnets, boudigued, boudiguets, poulpi-
« quets, poulpiquans, esprits des eaux de la terre et des bois,
« apparaissant sous la forme de nains qui se retirent dans les
« cavernes ou dans le creux des rochers, et dansent la nuit , au
« clair de lune, autour des pierres consacrées (*). »
Mais voici une étrange coïncidence. Il existe, cantonnées dans
la partie septentrionale de la commune d'Herbignac, à Gorobcrt,
à Kercoudry, à la Ville-Guervé, et aux hameaux circonvoisins, de
nombreuses familles portant le nom de Bodiguel. N'est-ce pas là
le nom à peine modifié de nos nains bretons ? Et ne peut-on pas
supposer qu'autour de ces Roches-louses, flétries sans doute par
le christianisme , corrigans et boudigued venaient danser leurs
rondes nocturnes, et qu'un événement imprévu, rappelé par la
Pierre-Oberl, y vint brusquement mettre fin ? Toujours est-il que
la croyance de nos pères à ces malins esprits a laissé des traces
dans les noms de lieux comme dans les superstitions du pays. Le
village de Boudicois, en Piriac, n'a pas d'autre origine : boudic
couët, le bois de la Sorcière ; et tous les touristes qui ont visité
nos côtes entre Batz et le Groisic connaissent la Grotte du Cor-
rigan. Le nom patronymique de Le Corre, qui existe dans la pres-
qu'île, provient encore de la même étymologie.
Les démons prirent plus tard, dans les imaginations, la place
des nains celtiques. Témoin le village de Landieul, en Herbignac :
lan diaul, le territoire du diable (2) ; diaoul, démon, en Léon, et
diaul en Vannes. A Saille, il y a le champ du Biaulet, un lieu
hanté par les démons (s), et en Camoël, les landes de Mendiol,
— la Pierre du diable. Sans compter les dénominations françaises
[}) Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, année 1859.
En breton, corr, corric, corrigan, boudic, et boudigued, désignent égale-
ment les génies femelles.
(2) On ta lande du diable, du breton lann.
(3) Soit que ce|nom de Biaulet doive être considéré comme le pluriel
- 140 -
entrées depuis dans nos cadastres, comme le Trou du diable, le
Vertus du diable , etc., etc.
XIII
Férel, ancienne trêve d'Herbignac, apporte aussi son contingent
de mots significatifs, et on peut reconnaître le terrain propre à
telle ou telle essence d'arbres par le nom du village voisin. C'est
Keralais — ker halec — la Ville-aux-Saules ; Quelnais — qué-
lennec — la Houssaie, le lieu où le houx abonde; le Guernais,
comme en Herbignac, le terrain planté d'aunes; Drézet —
drëzec — le quartier aux ronces. Ajoutons-y Kerrabin, le village
de l'Avenue, et Couëlcouron — couët curun — le bois de la
foudre.
Le lin, non plus, ne pouvait être oublié dans un pays où sa
culture était en faveur. Voici Quesloubin — ker slouben — le
village des étoupes.
Quelques noms plus importants pour l'histoire locale méritent
d'être relevés. Deux voies romaines, après un long parcours dans
notre département, traversent la commune de Férel pour aboutir
au passage de la rivière, et se diriger sur Vannes. L'une décrite
par le président de Robien, puis par MM. Bizeul, de Glosmadeuc
et Desmars, semble la grande voie de Vannes à Angers, avec
bifurcation sur Nantes ; l'autre entrevue seulement par M. Bi-
zeul ('), et qui porte encore, dans nos cadastres, le nom de
Grande route de Saint-Nazaire, venait des environs de Méans,
de Brivates-Portus probablement, en contournant la Grande-
Brière, traversait les communes de Saint- Lyphard et d'Herbignac,
où elle est encore visible en maint endroit, et formait un angle
de diaul, qui fait diaulet, en Vannes, soit qu'il vienne par corruption du
vannetais, diaulecs avec le sens de diabolique. L'aspiration finale ayant dis-
paru, il devient souvent difficile de préciser le sens rigoureux.
(') Bizeul -. Mémoire sur les voies romaines de la Bretagne et en parti-
culier de celles du Morbihan. Gaen, 1843, p. 56.
- 141 —
presque droit avec Ja première, à leur point de jonction, vers
Ylsle, en Férel.
Le passage du Gué-de-1'Isle sur la Vilaine avait donc, par les
voies qui venaient y aboutir, une importance bien autre que celui
de Tréhiguier, en Pénestin. Serait-ce à ce degré d'infériorité que
ce dernier village doit son nom vannetais de Tréhiguier — tra-
hie guer — le hameau du petit passage (')?
Il fallait des castella pour surveiller les voies convergeant vers
le Gué de-l'Isle, et peut-être à proximité de Durélie. Le vieux
manoir de Couëlcaslel, le fort du bois, était un de ces points
fortifiés. Car, selon l'opinion des archéologues, les noms dans la
composition desquels entre le mot castel désignent fréquem-
ment un campement romain, et même, suivant M. Bizeul, tou-
jours (a).
Non loin de là, se trouve la terre de Trégraïn, ancienne juri-
diction seigneuriale, où existait un château fort dont les douves
sont encore visibles en certains endroits. Ce nom de Trégrain,
comme celui du Pengraln, implique une idée de retranchements,
de travaux défensifs (3), et la dénomination d'un village voisin,
Kcrboulard — ker boulouard — semble garder le souvenir d'an-
ciennes fortifications (4).
Plus au nord, à proximité de l'Isle, en Férel, des lieux- dits
appelés les Champs de la chaussée (Son M), signalent le passage
| de la voie romaine. Tout auprès, s'élève le hameau du Gastre,
dont le nom (castrum) emprunté au latin, comme celui de Castel,
(») Dans les chartes du moyen âge, le nom de ce petit port figure sous
les formes les plus variées, mais impliquant toutes un sens de passage.
(2) Bizeul, ouvrage précité, p. 39.
(3) Formé du substantif tré et de l'adjectif cren, Trégrain voudrait dire
château fort, lieu fortifié.
(*) « Boulouard, boulevard, rempart, bastion. Ce mot s'il est breton, dit
« Le Gonidec, doit venir de Poull, fosse ou fossé, et de gward, garde,
« défense. »
A Kcrboulard, en Saint-Nolff, dans le Morbihan, on voit les traces dun
ancien retranchement. — Rosenzweig. Répertoire arch. du Morbihan.
- 142 —
dénote l'existence d'un ancien camp dans cet endroit ('), indi-
cation accentuée par un lieu-dit voisin : le Toulart (3) — toul
arz — la fosse de la défense. Ici encore des retranchements,
des tranchées, comme nous l'avons vu à l'occasion du Fozo.
Et puisque je parle de travaux de défense, je dois mentionner
aussi, dans la commune de Pénestin, des terrains appelés le Clais
brass^ le Grand fossé (s), d'abord parce qu'ils nous rappellent
probablement les anciennes luttes de notre pays, comme les Gros
Fossés de Saint-Lyphard, puis parée que le mot clé est essentielle-
ment vanuetais, les autres dialectes employant une forme diffé-
rente (*).
Gamoël nous offre des idées plus riantes avec le village et les
landes de Corollais — corollec, le lieu où l'on danse : soit que
jeunes gens et jeunes filles du pays allassent y développer leurs
rondes champêtres, soit que corrigans et sorcières y vinssent
danser la nuit, au clair de lune, autour des dolmens. Ce mot
de coroll, danse, qui, selon le P. de Rostrenen, n'est plus
usité qu'en vannetais et dans une partie de la Cornouaille, est
ancien dans la langue bretonne, et son radical corr fait supposer
qu'il exprima d'abord les rondes nocturnes menées par les cor-
rigans (s).
Le nom du village de Kermadet vient appuyer ce que j'avan-
çais au commencement de cette étude et dont nous avons
depuis vu de nombreux exemples : la consonnance finale du mot
breton a presque toujours disparu dans les noms de la presqu'île.
Si les nombreux homonymes qu'a Kermadet dans le Morbihan se
prononcent tous Kermadec ou Kervadec, c'est que dans les com-
(») Le village de langâtre, en Herbignac, — le territoire du Camp —
procède de la môme étymologie.
(2) Cadastre de Férel. — Son M, n° 1110.
(5) Cadastre de Pénestin. S™ A, n°s 813-859.
(4) Pour fossé, en Léon, on dit cleuz, en Tréguier cleu, en Cornouaille
cleun, en Vannes clé. — Cf. Lagadeuc, Gillart, de Rostrenen, Le Gonidec et
Troude.
(») Il y a aussi en Férel des terres Dommées le Corollo (S»n D). C'est le
pluriel de coroll.
- 143 —
mimes où ils se trouvent les habitants, parlant la langue bre-
tonne, savent que madec veut dire riche et fertile, et n'ont garde
de dénaturer l'expression. Mais nos laboureurs qui conservent le
nom sans le comprendre, par tradition, parce que c'est le nom de
leurs villages et de leurs champs, devaient fatalement en arriver
à supprimer des aspirations si peu en rapport avec la phonétique
de notre langue.
Au fond des terres, et près de l'Océan est couché Pénestin —
penn e sten — la Pointe de l'étain : stéan, étain, en Léon, sten
en Vannes. Les mines de ce métal y sont inexploitées depuis
longtemps, mais il est permis de croire qu'à l'époque de la puis-
sance des Venètes, elles étaient, avec celles de Piriac, une des
sources les plus lucratives de leur commerce.
En 1813, le monde scientifique fut mis en émoi par la décou-
verte du minerai d'étain sur la côte de Piriac. Jusque-là, aucune
mine de ce métal n'était connue en France (*), quoique, d'après
Strabon, l'étain se trouvât au delà des Lusitaniens, ce qui sem-
blait s'appliquer parfaitement à la Gauie (2j. On constata, à Piriac,
l'existence de deux filons parallèles courant est-ouest, et abou-
tissant à un troisième filon courant au nord (3). On trouva du
minerai à la superficie du sol, comme dans les rochers et les
cailloux, depuis Poulbran, près de la Turballe, jusqu'à Mesquer.
Des indices en furent également suivis jusqu'à Pompas, dans la
commune d'Herbignac. « A Mesquer, dit M. de Franchevillo, on
« trouve dans les rochers de la côte un étain oxidé pareil à celui
« de Piriac (4). »
Nul doute qu'en poussant plus loin les investigations, on ne
fût arrivé à reconnaître que les filons stannifères embrassaient
toutes les côtes de la presqu'île, de la Turballe à Pénestin, car
avec Mesquer et Pompas nous voici bien rapprochés de la Vilaine.
(') Roget de Belloguet. Le Génie gaulois, p. 487.
(2) Strabon. Paris, 1620. m, p. 147.
(3) Richer. Voyage au Croisic, p. 33. — Morlenl. Précis historique sur
Guérande, le Croisic et leurs environs, p. 154.
(*) Ogée. Nouvelle édition, art. Mesquer.
_ 144 -
Pénestin, par son étymologie, n'est pas seul, d'ailleurs, à nous
révéler l'existence de l'étain dans ces parages. Le même radical
sten, insolite ailleurs, apparaît dans la composition de plusieurs
noms de lieux. Je citerai notamment, en Camoël, le Leslin, qui
voudrait dire ou le lieu de l'étain, — leac'h, lech, lieu, ailleurs,
leh, en Vannes, — ou la Pierre d'étain, avec le breton lech,
pierre, qui a servi à former le mot cromlech, et changé en Ich
par la prononciation vannetaise. Je nommerai encore, dans la
commune de Férel, le village de Kerostcn, dont le sens, en
vannetais, ne paraît guère douteux : ker roh sien, le village du
rocher d'étain.
Ce n'est point là d'ailleurs une consonnance fortuite. L'étain
existe dans la commune de Pénestin, comme sur les autres points
précités de la presqu'île. M. le comte de Limur a consacré à ce
gisement un intéressant article dont je détache les lignes sui-
vantes :
« A partir de la pointe de Pénestin, après avoir passé, sur la
« côte, non loin des gros rochers appelés les Demoiselles, on
« marche sur une bande de sable noir contenant une quantité
« importante d'oxyde d'étain granuliforrne. Cette bande est une
« alluvion maritime que le flux et le reflux de la mer apportent
« et laissent à la côte. Enlevez ce sable, il s'en déposera d'autre
« tout semblable à la prochaine grande marée; c'est ce dont
« nous nous sommes assurés, un conducteur des ponts et
« chaussées et nous.
« Ce phénomène nous induit à penser que très probablement
« ii est le résultat de la destruction des roches sous-marines du
« voisinage de la côte; charriés et rejetés par les courants qui
« portent justement sur ce point, les sables viennent déposer et
« former une alluvion maritime ('). »
Les lieux- dits de ce quartier autorisent à croire que, comme à
Piriac, le iilon stannifère se prolongeait dans les terres, et que
l'Alain existait dans les roches émergeant du sol, comme dans les
(') /luUctinde la Société polymalhique du Morbihan, année 1878, p. 125-
- 145 —
roches sous-marines de la côte. Seulement les premières ont pu
aisément être exploitées, à rencontre des autres qui sont proté-
gées par le flot.
Si je parcours les hautes falaises du rivage, je vois à l'embou-
chure de la Vilaine la Pointe du Haliguen, la pointe du Saule, —
breton haléguen (*) ; au sud les deux pointes de Loscolo et de
Golumer dont les noms feraient supposer que des feux y étaient
allumés, soit pour éclairer les basses de l'Océan, soit pour facili-
ter la surveillance des garde-côtes. Car golou et golo, qui se pro-
noncent actuellement goleu en Vannes, signifient lumière (a) ;
Golumer — golou mer — serait donc le grand feu, la graude
lumière. Quant à Loscolo, composé du même substantif golo et du
breton losq, « état d'une chose qui brûle, » il présente le sens
d'un phare à feu fixe.
Près de ces pointes où des corps de garde étaient établis,
s'étend la côte de Lanchale que baigne la mer à la marée haute.
Lan,, avons-nous vu, est employé dans la composition pour ter-
ritoire, et chale veut dire le flux de la mer, le flot, la marée
montante. Selon Le Gonidec, ce dernier mot appartient exclusive-
ment au dialecte de Vannes.
Est-il surprenant d'ailleurs qu'on se heurte si fréquemment à
des termes vannetais quand il est constant que comme le reste
de la presqu'île, comme Guérande où, selon l'opinion de D.
Lobineau, Guérech avait sa résidence ordinaire, le quartier de
Péneslin faisait partie du territoire de ce Broérec ou Broivérec, —
le pays de Guerech, — auquel le farouche breton avait donné son
nom. Ce ne sont point de simples probabilités, c'est un texte
précis qui nous l'apprend. Un recensement de la fin du XIe siècle,
où ne figurent que les paroisses vannetaises les plus rapprochées
(') 11 est a remarquer que la forme haliguen apparaît bien plus fré-
quemment que haléguen dans la composition des noms de lieu vannetais.
On compte dans le Morbihan une quinzaine de hameaux ou lieux-dits
appelés Haliguen, Kerhaliguen, Keraliguen, Kernaliguen, Rohaliguen,
Féten- Haliguen, contre trois seulement nommés Haléguen et A'ernaléguen.
(2) Cillart, au mot luminaire.
1879 10
— 146 —
de nous, Noyal-Muzillac, Gaden, Marzan, Béganne, Allaire,
Malensac, classe l'église de Tréhiguier, en Pénestin, parmi les
possessions que comptait le monastère de Redon dans le
Browérec ('). Et cela, un siècle et demi après que notre pres-
qu'île eût été rattachée officiellement au diocèse de Nantes !
Gomme au temps des Venètes, c'était donc toujours le même
peuple que celui de Vannes, et lorsqu'on y parlait encore la langue
bretonne, ce ne pouvait être qu'un dialecte commun au reste de
la contrée, c'est-à-dire le dialecte vannetais.
Il y a un rapprochement curieux à faire. Qu'on prenne le
Dictionnaire des lieux habités de la Loire-Inférieure , et le Dic-
tionnaire lopographique du Morbihan, et que l'on compare les
noms des hameaux de la presqu'île guérandaise avec ceux du
département voisin : on sera frappé de la quantité d'homonymes
qui existent dans ces deux pays. Et si l'on considère qu'ailleurs
on ne trouve point, de commune a commune, des noms semblables
aussi nombreux, il faudra bien reconnaître qu'il y a dans ces
ressemblances multipliées la preuve non seulement d'une simili-
tude de langage, mais encore de relations permanentes et d'une
affinité de race.
L'examen des noms de famille de la presqu'île guérandaise ne
fera que nous confirmer dans cette conviction. C'est par là que
je veux finir et je n'en dirai que quelques mots, pour ne pas
abuser de votre bienveillante attention.
XIV
J'ai cité dans le cours de cette élude plusieurs noms patrony-
miques du paysguérandais: Eon, Mahé, Lefioch, Bocéno, LeCorre,
Bodiguel. Beaucoup d'autres mériteraient également d'être men-
tionnés.
Les invasions successives survenues dans la presqu'île y
(») Cart. de Redon, p. 284
— 147 -
laissèrent des étrangers qui finirent par s'y acclimater et se per-
dirent dans la masse. Telle est l'origine du nom iïAdvenard,
fort répandu en Saint-Lyphard et en Guérande, mot qui paraît
venir du latin advena, étranger, et remonterait à l'époque gallo-
romaine. Telle est aussi celle du nom tfAnézo, en Herbignac. Le
breton anézo correspond au pronom démonstratif pluriel ceux-ci.,
eux; ceux qu'on désignait ainsi étaient donc des étrangers,
des inconnus pour le reste de la population.
Dénigo, nom assez commun en Herbignac, en Saint-Lyphard
et en Guérande, est le pluriel de dénie, petit homme, diminutif de
dm. Il a dû être donné, dans le principe, à des gens de taille
exceptionnellement petite. Faudrait-il y voir les descendants de
cette race ligure qui visita autrefois nos contrées et y construisit
peut-être nos dolmens (*) ?
Du reste, beaucoup d'autres noms ont été attribués, dans l'ori-
gine, à l'occasion de la taille ou de la conformation physique.
C'est ainsi que Le Bihain, en Saint-Lyphard et en Guérande, veut
dire Le Petit ; que le nom de Créno, en Camoël, pluriel de l'ad-
jectif crenn, a été donné à des hommes courtauds et replets.
Le lierre, nom fort commun dans la presqu'île, répond à notre
nom français Le Court (2) ; Rouzic, en Herbignac, c'est le petit
roux — Rousseau ; — et Borgny, en Assérac, le petit borgne.
Par contre, le nom de Gouret, répandu dans nos cantons,
équivaut à Le Long; littéralement homme de longueur. «Je pense
« comme le P. de Rostrenen, dit Le Gonidec, que ce mot vient
« de gour, homme, et de lied, longueur. » Avec une construc-
tion semblable, le nom de Torlay, en Assérac, voudrait dire
l'homme au gros ventre, du vannetais tôr, panse, gros ventre,
qui se dit teûr dans les autres dialectes (3), et de led, largeur :
mot à mot, ventre de largeur. De même, Denaire, en Herbignac,
(*) Roget de Belloguet. Elhnogénie gauloise.
(2) Dans beaucoup de noms propres, l'article français précède le mot
breton, remarque commune à tous les quartiers de la Bretagne oii la langue
française a prévalu.
(3) Le Gonidec, au mot teûr.
— 148 —
signifierait l'homme agile, — den err — à la lettre l'homme de
rapidité.
Le nom de Haspot, en Saint-Lyphard, a été donné tout d'abord
à quelque chef de famille gratifié de grands pieds et de grandes
mains. Ce mot est formé de la particule as qui, dans les compo-
ses, sert à marquer le redoublement, et du vannetais pô, en Léon
pao, qui dans le style familier se dit d'un grand pied et d'une
grande main, — vulgairement grandes pattes (').
Des gens trapus reçurent le nom de Bily.
Un laboureur boiteux — camm arer — a donné son nom aux
familles Camaret, nombreuses en Assérac (2).
La vigueur de quelques-uns les a fait nommer, dans celle
commune, Quellais, en breton quellec, c'est notre nom français
Le Masle ; ou par une exagération de la même idée Lasquellec,
comme en Gamoël.
La longue chevelure des autres leur a valu le nom de Blouet,
chevelu, que les habitants prononcent Bléouet. C'est le vannetais
bléouec qui se dit blévec en Léon (3). Voilà des bretons qui sont
bien les descendants des Celtes de la Gaule chevelue.
Souvent aussi leurs défauts ou leurs qualités morales ont servi,
dans le principe, à désigner les individus. Un caractère pointu,
peu endurant, s'était attiré le nom de Drëno — drénoc — ce que
nous dirions en français Lépine. Celui-là pouvait avoir bon cœur
mais assurément mauvaise tête, qui le premier, en Assérac, fut
appelé Grenapin — gren a penn — mot à mot vif de la tête.
Mais ils étaient encore plus prompts à s'emporter ceux que dans
la même commune on désigna sous le nom de Chasscrio. Nos
aïeux étaient parfois goguenards et il leur restait un bon fonds
de sel gaulois. Certaines gens se cherchaient noise sans doute à
tout propos, et on les avait surnommés les chiens en querelle,
chass è riot.
(*) Le Gonidec, au mol pao.
(2) Toutefois, la consonnance finale ayant disparu dans la presqu'île,
Camaret pourrait venir également de camm marec, le chevalier boiteux.
(3) Le Gonidec, au mot blévec.
— 149 -
Mieux eût valu pour ces disputeurs s'inspirer des exemples de
ceux qu'en Herbignac on nommait Le Fur, c'est-à-dire Le Sage.
C'est une qualité aussi, la fidélité, la constance qui mérita à
quelques habitants de Pénestin le nom de Postée, en français
Constant. Conduite aussi louable que l'était peu celle de ces
galants du nom de Poquet, en Herbignac, — breton poquer —
qui comme le papillon voltigeaient de fleur en fleur.
Le nom de Guilloitry, en Camoël, semble avoir eu pour origine
chez les premiers qui l'ont porté, un penchant à la gourmandise.
Si j'en crois D. Le Pelletier, guilliouri, mot disparu de la langue
bretonne, voulait dire être friand, rechercher les bons morceaux.
Un défaut d'intelligence, un esprit lourd et émoussé a fait
donner à d'autres, en Herbignac, les noms de Souchet et de Sou-
quet, car soucliet, en breton, a le sens d'obtus (*).
Toutes les professions, tous les métiers sont représentés par
des noms de famille :
Les marchands par des Marhadour, en Pénestin, mot qui est
la forme vannetaise.
Les fripiers, les revendeurs par des Taconnct, en Herbignac,
— breton taconner (2).
Les cordonniers par des Le Querré, sur la côte de Portnichet,
en Saint-Nazaire.
Les tailleurs par des Le Quimener, en Mesquer; en breton
quéméner, couturier.
Les forgerons par des Le Goff, en la Chapelle-des-Marais; et
quoique ce nom s'écrive par deux f, il se prononce Le Gô, dans
les villages, à la façon vannetaise.
Les métayers, par des Mêler en Pénestin. Hors de Vannes, le
t se remplace par un r, et on dit mérer ou mëreur.
(i) Il y a dans le Morbihan, commune de Cléguérec, un écart nommé
Ty-Souquet, la maison de Souquet.
(2) Dans tous nos noms terminés en et, comme Poquet, Gamaret, Marquet,
Blouet, T;iconnet, Souquet, etc., le t ne se fait pas sentir et la dernière
syllabe se prononce comme si elle finissait par un e ouvert.
- 150 —
Les ménagers, les chefs de ménage par des Le Thiec, en Herbi-
gnac, — breton tiec.
Les journaliers par des Gonidec, en Guérande.
Les tisserands par des Tesséro, en Pénestin, forme plurielle
archaïque du vannetais tesser (*).
Les bouviers par des Bercegeay, en Herbignac et en Assérac,
substantif formé du breton berz qui, selon Le Gonidec, a le sens
de commandement, et de éjenn, bœufs.
A l'origine, tous les noms propres furent des sobriquets. Plu-
sieurs chefs de maison empruntèrent leurs surnoms soit à des
animaux avec lesquels les malins du temps avaient cru remarquer
une ressemblance physique ou morale, soit, même à des objets
inanimés.
C'est ainsi qu'en Férel nous avons des Logodin, mot qui en
français veut dire souris ; en Saint-Lyphard, des Le Marre, c'est-
à-dire Cheval, — mark pour cheval en Vannes, mardi ailleurs ;
en Herbignac et en Assérac, des Hébel, c'est-à-dire Poulain. Hors
du Morbihan, au lieu de hébel, on prononce hébeul ou heu-
beul{3).
Et ce qui accentue mieux U sens de ces mots vannnetais, c'est
qu'on Saint-Lyphard, à côté des Le Marre, il y a des gens
nommés Cheval, et auprès des Hébel, 'en Herbignac, d'autres
habitants nommés Poulain. Ici le nom breton, là la traduction
française.
Parmi les noms de famille de la presqu'île je pourrais citer
encore : Rastel, Râteau ; Lescop, Lévesque (') ; Ver son, Curé ;
Nédelé — nédellec — Noël ; Guével, Jumeau ; Cabeldu, Chaperon
noir; Prié — pried — qui répond à notre nom français Mary,
(!) Cillart. — D'après le P. de Rostrenen, ce mot n'appartient qu'au dia-
lecte de Vannes.
C-2) Cillart. — Le Gonidec, au mot ébeul.
(3) Quoique d'origine latine, le mot escob est fort ancien dans la langue
bretonne, puisqu'on lit dans une charte du xie siècle à l'occasion d'Escou-
blac: Ecclesia Jipiscojn lacus, quant lingua" Britannica Escoblac nominant.
— 151 —
et Chatal qui veut dire bétail. Par exception, ce mot diffère
du substantif vannetais qui se prononce chétal.
Le nom de Quistreberl, en Assérac, désigne une famille dont
le chef était sans doute venu de Questembert; car ce bourg
s'appelle Quistreberh en breton de Vannes (d).
Certains noms patronymiques affectent la forme plurielle, et
durent être attribués à toute une classe d'individus : nous en
avons vu déjà plusieurs exemples, entre autres les Gréno, les
Dénigo, les Tesséro. Il y a lieu de faire à ce sujet une curieuse
remarque : presque tous les noms propres, même ceux dont le
pluriel est actuellement irrégulier ou d'une terminaison différente,
le forment régulièrement par l'addition d'un o, soit qu'à l'époque
où les noms ont été donnés ce fût un principe généralement
admis et modifié plus tard, soit plutôt que nos laboureurs se
préoccupassent peu de toutes ces subtilités grammaticales.
En Herbignac, des gens violents et emportés furent appelés
Bouillo, du vannetais bouill, irascible.
Dans la même commune, plusieurs reçurent le nom de
Maguéro, pour avoir recueilli quelque orphelin, ou parce qu'ils
répandaient l'instruction autour d'eux. Car maguer, en breton, a
les deux sens : au propre, il signifie nourricier, mari de la nour-
rice, et au figuré précepteur.
En Piriac, il y a des familles nommées Mabo, mot qui n'est
qu'une forme plurielle régulière du breton mab, qui veut dire
fils.
De même, en Gamoël, le nom de Bellégo, les prêtres, n'est
autre que le pluriel régulier du breton bellec.
Des malheureux, des misérables, furent appelés Quesso, nom
assez commun en Saint-Lyphard et en Guérande. Souvent le
singulier fait queaz ailleurs, mais toujours quess en Vannes. De
là dérive aussi la dénomination d'un village de Saint- And ré-des-
Eaux, Kerquesso, la demeure des misérables.
Il faut citer d'une manière toute spéciale les noms de Le Guen,
(i) Gillart,,au mot Quintembert.
— d52 —
et de Guennec en Assérac, et celui de Guénégo en Guérande,
mot qui n'est que le pluriel de guennec, soit qu'on doive y voir
un souvenir de nos anciens Venètes, soit qu'on ne veuille consi-
dérer ces termes que comme des qualificatifs se rapportant au
teint blanc de ceux qui les reçurent. Mais voilà du moins un
mot, guen, blanc, qui est bien d'origine gauloise.
Pour quelques noms de nos chartes bretonnes, la particule wr
ou gour, homme, qui entre dans leur composition, a été changée,
lors de l'introduction de la langue française, en l'article déter-
minatif le, article que nous avons vu, dans beaucoup de cas,
précéder le mot breton. Wrbien, l'homme petit, Wrgual ,
l'homme étranger, Wrguen, l'homme blanc ou venète, sont
devenus Le Bihain, Le Gai, Le Guen. Dans d'autres noms gué-
randais, le préfixe wr a disparu, comme dans Wrbïli et Wrhucar
qui se sont changés en Bily et en Hougard. Toutefois on retrouve
également la forme primitive Wrbili dans le nom propre GourbiL
La suppression facultative du préfixe se remarque de même
dans le gaulois, où le mot ver, identique de wr, disparaît dans
quelques noms propres. C'est ainsi que nous voyons à la fois Ver-
cingetorix et Cingetorix, Vercassivelaunus et Cassivelaunus.
Un mot encore propre au dialecte de Vannes est le nom de
Braire, porté par des familles de Saint-Molf, et équivalent à celui
de Lefrère qui existe en Saint-Lyphard. Au cadastre d'Herbignac
figure aussi une parcelle appelée la Lande-du-Braire, la lande
du frère (Son A). Cette expression brer, usitée en vannetais, avait
donc cours dans notre pays, à l'exclusion du mot breur, employé
dans tous les autres dialectes.
XV
Je me proposais d'abord, Messieurs, de compléter cette étude
par un examen approfondi des lieux-dits de nos cadastres où les
preuves n'eussent pas manqué non plus à l'appui de ma thèse.
Mais les développements auxquels je me suis laissé entraîner ont
duré déjà trop longtemps, et il faut savoir se borneri
— 153 —
Une courte observation seulement avant de finir.
J'ai cherché autant que possible, en toutes circonstances, à ne
présenter que des mots dont le sens me parût clair, faisant de la
traduction beaucoup plus que de l'étymologie. Encore ai-je tou-
jours eu soin d'appuyer mon opinion de renvois indiquant mes
sources. J'ai pu néanmoins me tromper parfois, d'autant plus
que, comme je n'ai cessé de le répéter, la suppression de l'aspi-
ration finale rend, dans certains cas, la signification douteuse.
Mais quelques interprétations contestables ne peuvent infirmer
l'ensemble des preuves que j'ai produites.
La plupart des noms de lieux guérandais ont pour ceux qui
connaissent la langue bretonne un sens aussi précis qu'ailleurs les
dénominations françaises. Est-ce que, par exemple, Kergadoué,
Kerrabin, Mérionnec, Rohello, Penhouët, Gohvélin, ou Mendiol
sont moins faciles a comprendre que la Chaise, V Avenue, la
Fromière, les Rochers, Bout-de-Bois, le Vieux- Moulin ou la
Pierre-du-Diable ? Est-ce que d'autre part des noms patrony-
miques comme Le Guen, Braire, Postée Dénigo, Eébel ou
Logodin n'évoquent pas une idée aussi nette que les noms fran-
çais Leblanc, Lefrère, Constant, Petiteau, Poulain ou Lerat ?
Est-ce que ces termes étrangers répandus en si notable propor-
tion dans notre langage vulgaire ne sont pas des mots bretons
conservant encore leur sens primitif?
Mais en même temps une autre remarque s'impose. Quand
telle ou telle expression bretonne revêt, selon les dialectes, une
forme différente, ce qui se voit souvent, nos noms de lieux, nos
noms de famille, la langue de nos laboureurs s'accordent pour
démontrer, dans le choix de la variante, la prédominance de
l'élément vannetais.
C'est cette particularité frappante que je me suis efforcé de
mettre en relief, et de tous les exemples cités dans le cours de
cette étude, je crois être foudé à conclure et je conclus que le
dialecte breton de Vannes est celui qui avait cours autrefois dans
la presqu'île guérandaise.
UN REGISTRE DU PRÉSIDIAL
Voici un vieil invalide, mutilé, défiguré, en quelque sorte mé-
connaissable, réduit à peine au tiers de ses folios. Sur la couver-
ture qui le protégeait jadis, et n'a pu le défendre contre les
ravages d'une main indifférente et malheureuse, se lit encore :
1 609
LIVRE DES DÉLIBÉRATIONS
DE MESSIEURS DU SIÈGE PRÉSIDIAL DE NANTES (').
Les Archives de l'ancien Présidial, c'est-à-dire du Tribunal civil
antérieurement a 1793 existent au Greffe, où elles forment, malgré
de grandes lacunes, une collection importante. Un volume de
plus ou de moins n'est donc pas une chose bien digne d'atten-
tion. Cependant celui-ci, consacré spécialement aux Délibéra-
tions de la Compagnie, était en quelque sorte le Cérémonial, sur
lequel, à côté de faits plus ou moins étrangers, on inscrivait
successivement le récit des diverses cérémonies auxquelles assis-
taient les membres du Tribunal. Il est ainsi facile de se rendre I
compte de l'intérêt que ce pauvre Registre, bien conservé, eût
présenté pour les annales de Nantes, et surtout pour celles di
1 La Société archéologique, comprenant l'intérêt que présente ce registre,
a remercié M. de Bremond d'Ars, et a décidé de publier, dans le Bulletin,
un certain nombre des articles qu'il renferme.
- 155 -
corps judiciaire nantais, antérieur à 1793, dont l'histoire est en-
core à faire.
Tel qu'il est, cependant, il offre des renseignements sur un
certain nombre d'événements accomplis dans la seconde moitié
du XVIIIe siècle et plus ou moins connus. Il donne, au sujet des
futiles questions de préséances, alors si souvent soulevées et dé-
battues, de minutieuses remarques, à l'égard, par exemple, des
chaises drapées ou non, des fauteuils, des bancs, des places dans
les cérémonies publiques. Malheureusement il s'arrête en 1789, a
la convocation des États-Généraux.
Il commence au folio 160, et continue jusqu'au folio 216 dont
les numéros sont portés sur le recto, tandis qu'à partir du folio
217 jusqu'au 278e, les chiffres sont portés au verso. Avec 12 fo-
lios non numérotés, cela forme un total de 139 folios.
Il nous a été communiqué par notre confrère, M. de Bremond
d'Ars, qui le tient d'une parente de Mme de Bremond d'Ars,
Mme Dreux, décédée à Nantes en 1874, veuve de M. Charles
Dreux, mort en 1834, âgé de soixante-dix ans, à la Chapelle-
Heulin, et fils de René-Charles Dreux, reçu conseiller au Prési-
dial le 10 janvier 1776. M. Charles Dreux, sous la Terreur, avait
été du nombre des 132 Nantais ; il ne dut qu'à son extrême jeu-
nesse, dit-on, d'échapper au sort qui attendait ses compagnons.
Comme son père, M. Dreux avait été destiné à la magistrature.
Il était avocat. Sa femme était nièce du courageux écrivain
royaliste M. Peltier, le collaborateur de Rivarol pour la rédaction
des Actes des Apôtres.
Le 4 août 1775, M. le sénéchal informait le Conseil que
M. Dreux, « qui remplissoit cy-devant les fonctions d'avocat du
« roy à l'amirauté, s'étoit présenté chez lui, pour le prier d'en-
« gager la Compagnie de lui donner son agrément, pour traiter
« de la charge de conseiller en ce siège, que possedoit feu M. de
« la Haye-Moricaud. Qu'à cette fin il lui avoit remis son extrait
« d'âge, celui de son père et de sa mère, qu'il a, à l'endroit,
« représenté. Sur tout quoi la Compagnie délibérant par scrutin,
« après avoir examiné les extraits d'âge qui lui ont été présentés,
— 156 —
« elle les a trouvés suffisants. En conséquence elle a donné son
« agrément au sieur Dreux, pour traiter comme il le jugera con-
« venable, de l'office de conseiller que possedoit feu M. d« la
« Baye-Moricaud, et a engagé M. le procureur du Koy a lui déli-
« vrer le certificat de non parenté et d'alliance, nécessaire pour
« obtenir la dite provision. Arrêté le dit jour et an que dessus.
Signé: Bellabre ; Richard; de la Ville, doyen ; Gallot; Marcé;
« LeLasst'ur; Le Lasseur de Ranzay; Mahot ; par approbation,
« Jamont. »
Ce volume n'est point une copie, c'est l'original lui-même, et
chaque délibération est approuvée par les signatures authentiques
des juges, parmi lesquelles figurent nombre de noms bien connus
de nos familles nantaises.
La feuille de garde de la fin du volume porte diverses
remarques écrites a contre-sens, nous en détachons les deux
suivantes :
« Ce jour sixiesme de novembre 1614, Me.... Rubion, demeu-
« rant en la pnroisse de Couffé, a esté condamné en trente livres
« d'amende pour avoir proposé de frivoles récusations contre tout
« le siège, la sentence par escript mise entre les mains de Josse,
« commis au greffe. »
« Le xxij jour de may 1624, a esté arresté que l'on n'entre
« point par picqueures la sepmaine de la Pentecoste, et néan-
« moins s'il se trouve nombre de juges, ils pourront tenir les
« Audiances. »
— 157 —
SOUSCRIPTION POUR LE COURS DES ÉTATS.
Du 16 décembre 1763. En la Chambre du Conseil du Prési-
dial de Nantes, où présidoit M. le Sénéchal. Présens : MM. L'Alloué,
juge criminel ; Ertault, Drouet, Adam, de la Ville, Le Lasseur,
Jamont, Deguer, Monnier, Gallot, conseillers, et La Brosse, avo-
cat du Roi.
A été représenté par M. le Sénéchal, que M. le duc d'Aiguillon
venoit de lui faire remettre, par le sieur Pazumeau, son premier
secrétaire, le projet de souscription d'une somme de 36,000 livres,
pour parvenir à mettre le cours des Etats dans sa dernière perfec-
tion. Les souscriptions étant de cinquante livres chacune; celte
somme de 36,000 livres, remboursable par la communauté de
ville, dans six ans, par forme de lotterie, qui commencera au
1er janvier 1765.
M. le duc d'Aiguillon, ayant fait dire que plusieurs Compagnies
de cette ville et personnes de considération avoient pris des sous-
criptions, qu'il nous invitoit, autant que nous le jugerions conve-
nable, à vouloir bien y concourir :
Sur tout quoi, la Compagnie ayant délibéré, a arrêté que M. le
Sénéchal prendrait en son nom six souscriptions, montant à la
somme de trois cents livres, laquelle somme seroit payée par le
receveur de ses épices, sur ses deniers, provenans de la bourse
commune, et au cas qu'il n'y aurait pas deniers à suffire sur
ceux provenans de la buvette, laquelle somme sera passée en
i compte au receveur des épices, en représentant par lui la quit-
tance du receveur de la communauté de cette ville.
Bellabre.
Du 17 décembre 1763. M. le Sénéchal a fait raport à la Compagnie,
qu'en conséquence de la délibération du jour d'hyer, il avoit signé pour
six souscriptions ^ qu'ayant reporté la feuille à M. le duc d'Aiguillon, il
jen avoil paru satisfait, et l'avoit prié de faire ses remercirm'iis a la Com-
pagnie.
158 -
DÉPUTATION PROPOSÉE DE M. JOUSSE, POUR LES PRIVILEGES DES
PRÉSIDIAUX.
Du 9 février 1764. En la Chambre du Conseil de Nantes, où
présidoit M. le Sénéchal. Présens : MM. L'Alloué, Ertault, Drouet,
Adam, de la Ville, Le Lasseur, de la Haye-Moricaud, Jamont,
Deguer, Monnier et Gallot, conseillers, et Goullin de la Brosse,
avocat du Roy.
Il a été fait lecture d'une lettre circulaire de MM. du Présidial
de la ville de Tours, tendante à engager tous les Présidiaux du
royaume à envoyer un député en Cour, qui soit membre d'un
Présidial, pour solliciter une décision favorable sur les privilèges
qu'on nous fait espérer depuis longtems ; qu'il paroissoit conve-
nable que chaque Présidial donnât à ce député 200 livres, ce qui
feroit une somme de vingt mille livres, pour paroistre avec
décence et subvenir à tous les autres frais inséparables de cette
députation ; qu'ils avoient jette les yeux sur le célèbre M. Jousse,
conseiller au Présidial d'Orléans, connu par ses ouvrages ; que
connaissant mieux que personne la jurisdietion des Présidiaux, il
seroit plus en état de faire valloir leurs droits.
Surtout quoy, délibérant, il a été arresté que la Compagnie
écriroil à M. Jousse, pour le prier d'accepter la députation ; qu'on
écriroit pareillement à MM. du Présidial de Tours pour leur en
donner avis, comme aussi qu'il seroit pris sur la bourse com-
mune, une somme de deux cens livres, pour estre remise au
Greffe civil d'Orléans, sur le premier avis que MM. de Tours don-
neroient de faire passer cette somme, laquelle pourroit estre
retirée une autre année, si l'affaire n'étoit pas consommée dans
la première. Il a pareillement été arresté qu'on écriroil les deux
lettres par le premier ordinaire. Que coppies d'ycelles seroient
écrites sur le Livre de Délibération, pour y avoir recours au
besoin; que celles de B1M. de Tours resteroient attachées au
môme livre, pour servir de mémoire arresté desdits jour et an. I
- 159 -
Suit la teneur desdites lettres. .
Messieurs et honorés Confrères,
Nous n'avons reçu que depuis deux jours la lettre que vous
nous avez fait l'honneur de nous écrire, du 28 du mois passé,
nous nous empressons d'y répondre; il y a longtems que nous
sentons la nécessité d'avoir un député en Cour; il ne nous
restoit que de trouver ce point d'union pour le choix de ce député.
Vous l'avez trouvé, Messieurs, nous ne serons jamais des derniers
à nous prester à ce qui sera nécessaire, pour relever les Prési-
diaux de l'avilissement dans lequel ils sont tombés ; le moment
est d'autant plus critique que nous sommes instruits qu'on tra-
vaille sérieusement au Bureau de Législation, à mettre la dernière
main à cette grande et importante affaire.
Le choix que vous nous proposez, Messieurs, du célèbre
M. Jousse pour notre député est bien de notre goût. Ses talens
ses lumières supérieures connues de toutte la France, le mettent
plus en état que personne de faire valoir nos intérests communs.
Nous sommes si persuadés que tous les Présidiaux du royaume
penseront comme nous, que nous n'estimons pas nécessaire que
nous leur écrivions. Le moment est instant, il faut éviter tout ce
qui pourroit éloigner notre objet ; d'ailleurs, Messieurs, votre
lettre circulaire à tous les Présidiaux les mettra comme nous en
état de ne pas hésiter un instant sur le choix de M. Jousse.
Pour accélérer et répondre en cela à vos vues, nous écrirons ce
jour à M. Jousse, pour le prier d'accepter la députation, sans lui
parler d'honoraires, de crainte de blesser sa délicatesse; bien
déterminés à faire passer, dès que vous nous le marquerez, par
la voye que vous nous indiquerez, les deux cens livres auxquelles
vous jugez que chaque Présidial doit contribuer pour le présent;
somme que nous ne trouvons nullement trop forte, étant conve-
nable (comme vous l'observez, Messieurs), qu'un député qui
représente tous les Présidiaux du royaume soit en état de ne rien
— 460 —
épargner pour la réussite. Nous connoissons le païs qu'il habi-
tera ; il est dispendieux à tous égards.
Gomme nous sommes plus jaloux d'honneurs et du bien
public que de toutte autre chose, nous désirons baucoup qu'on
puisse nous assimiler à la noblesse militaire, et que les premier
et second chef de l'édit des Présidiaux soient augmentés. Au
surplus, lorsque le Bureau de correspondance sera établi (et il
ne peut l'estre que dans le cabinet de notre député), nous lui
erons passer un extrait des mémoires réitérés que nous avons
fait passer à M. le Chancelier.
Il ne nous reste, Messieurs, qu'à vous remercier des bons avis
que vous nous donnez par votre lettre et de vous prier de nous
faire part des réponses que vous recevrez des autres Présidiaux.
Nous avons l'honneur d'estre, avec un respectueux attache-
ment, Messieurs et très honorés confrères,
Vos très humbles et très obéissans serviteurs,
Les Officiers du Présidial de Nantes.
Nantes, 11 février 1764.
Monsieur et très honoré Confrère,
ÏM. du Présidial de la ville de Tours viennent de nous faire
part du projet qu'ils ont formé d'engager tous les Présidiaux à
nommer un député en Cour, pour y solliciter, tant auprès de
M. le Vice-Chancelier que du Bureau de Législation, une décision
favorable sur les privilèges qu'on nous fait espérer depuis long-
lems.
Si les titres d'honneur qui doivent faire l'ambition de tous les
Présidiaux, servent à les décorer et à les tirer de l'espèce d'au-
néantissement et de discrédit dans lesquels ils sont tombés, ils
ne seront pas moins utiles au public si on ajoute à ces privilèges
- 161 —
une augmentation de jurisdiction sur le premier et le second
chef de l'édit.
Qui peut mieux que vous, Monsieur, faire valoir tous les mé-
moires que nous n'avons cessé depuis plusieurs années d'envoyer
sur cette matière ; qui connoît mieux que vous la jurisdiction des
Présidiaux ? Quelles obligations ne vous devons nous pas de ce
traité et de ces savans ouvrages qui ont été si bien accueillis du
public ? Ce sont des monumens qui resteront pour jamais gravés
dans les fastes de la magistrature.
MM. du Présidial de Tours estiment, avec raison, qu'il vous
étoit réservé d'estre notre deffenseur et notre député général ;
nous pensons comme eux, Monsieur, nous vous prions d'agréer
ces titres; nous sommes persuadés que plusieurs Présidiaux vous
en ont déjà prié, et que l'unanimité ne tardera pas à se mani-
fester. Nous sommes d'ailleurs informes que le Bureau de Légis-
lation travaille à mettre la dernière main à ce grand ouvrage;
nous vous invitons à vous rendre à Paris le plus tôt que vous
pourrez. Nous mettons touttc notre confiance en vous ; votre
présence, votre réputation et vos lumières abrégeront bien des
difficultés presqu'inévitables dans un aussy vaste projet. Nous
vous prions, Monsieur, par avance, d'estre bien convaincu de
tous les sentimens de reconnoissance et de respect avec lesquels
nous avons l'honneur d'estre
Vos très humbles et très obéissans serviteurs,
Les Officiers du Présidial de Nantes.
MARCHE DU PRÉSIDIAL A LA FESTE-DIEU ET A LA MI-AOUST.
Si les conseillers qui sont en même tems éckevins doivent marcher
avec le Présidial ou l'Hôtel-de-Ville.
Du 14 aoust 1764 : En la Chambre du Conseil où présidait
M. le Sénéchal. Présents : MM. L'Alloué, Drouet, Adam, Le Las-
1879 H
— 162 -
seur, Moricaud, Deguer, Monuier, Gallot, Le Lasseur de Ranzay,
conseillers; Goullin de la Brosse, avocat du Roy.
MM. Guérin de Baumont, procureur du Roy, et Jamont, con-
seiller au siège, tous deux échevins actuellement en exercice,
ont représenté que la religion du Roy a été surprise par un
exposé aussi malin qu'il est calomnieux, imputant à ceux des
Officiers du Présidial que les suffrages des citoyens appellent à
l'échevinage, de se dispenser avec affectation d'assister aux festes
et cérémonies du corps de ville. Qu'en conséquence, M. de Saint-
Florentin, par sa lettre du 26 juillet dernier, a fait scavoir que
l'intention du Roy étoit qu'ils se rendissent à l'avenir assidus à
ces cérémonies, et comme ils crainderaient d'encourir quelques
disgrâces, s'ils manquaient de se joindre demain au corps de
ville pour la procession de la mi-aoust, ils ont recours aux
lumières de la Compagnie pour régler leurs démarches dans la
circonstance présente, résolus de se conformer à la sagesse de
ses viies; eux retirés :
La Compagnie délibérant, et considérant que la cérémonie de
la procession de mi-aoust est commune avec les Officiers du
Présidial, que l'usage d'y assister n'a été interrompu de leur part
qu'à l'occasion d'un trouble fait à leur possession de la part des
Officiers municipaux, qui ont prétendu intervertir l'ordre de la
marche au préjudice d'un usage immémorial, au sujet de quoi il
y a instance pendante au Conseil, à laquelle est même jointe
l'Université pour défendre avec le siège leurs droits communs
contre les nouveautés du corps de ville ;
Considérant encore que le siège a répondu dès le 4 de ce mois,
à la lettre de M. de Saint-Florentin, pour lui faire connaistre la
surprise faitte à la religion du Roy et pour engager le ministre à
s'entremettre auprès de Sa Majesté aux fins de faire rétablir les
anciens usages; que cette lettre étant restée sans réponse et
sans nouveaux ordres, il y a lieu de présumer que le Roy est
satisfait : Tout considéré, la Compagnie estime que MM. Guérin de
Baumont et Jamont ne pourraient, sans compromettre les droits
- 163 —
du siège, se joindre au corps de viile pour la cérémonie de ia
procession de mi-aoust et qu'ils doivent s'en abstenir.
Bellabre, Jego, Drouet, Adam, Le Lasseur,
Moricaud, Deguer, Monnier, Galloz,
Le Lasseur de Ranzay.
Goullin de la Brosse, Par approbation : Par approbation :
Avocat du Roy. Bourgoing. Delaville.
BATISSE SUR L'EMPLACEMENT DU PRÉ L'ÉVÊQUE POUR LE SANITAT.
Réformes proposées pour cette maison.
Du 20 juin 1765: En la Chambre du Conseil du siège Présidial
de Nantes où présidoit M. le Sénéchal. Présens : MM. Adam, de
la Ville, Le Lasseur, Moricaud, Jamont, Deguer, Gallot, et Le
Lasseur de Ranzay, conseillers, et MM. les gens du Roy.
MM. de la Ville, Deguer et le procureur du Roy ont dit qu'en
conséquence de la délibération du huit may dernier, ils se sont
transportés, en qualité de commissaires de la Compagnie, au
Bureau de l'administration de l'hôpital général, dit Sanitat,
de cette ville, pour prendre connoissance de l'état actuel de cette
maison et pour examiner les comptes rendus par les deux derniers
trésoriers ; que par l'examen qu'ils ont fait des registres qui leur
ont été présentés, ils ont vu qu'il est aujourd'huy dû à M. de
Sénicourt Grou, précédent trésorier, une somme de trente mille
six cens quarante-sept livres sept sols six deniers.
Que par les détails où ils sont entrés, ils ont remarqué que
l'on pourroit diminuer la dépense de la maison et en augmenter
les revenus.
1° Que l'on pourroit se dispenser d'avoir dans cette maison une
— 164 -
supérieure externe, à laquelle on paye des appointemcns oulre
les commodités superflues et dispendieuses qu'elle s'accorde;
qu'il conviendroit beaucoup mieux d'élire de trois ans en trois
ans, pour supérieure, à la pluralité des suffrages, comme il se
pratique à l'IIôtel-Dieu, l'une des sœurs de la maison, dans
laquelle on appercevroit le plus de talens pour remplir cette place
avec l'exactitude et la bonne économie qu'elle exige, et qui, ayant
passé par tous les employs, seroit plus en état de les faire remplir
par les autres sœurs; qu'à ce moyen, on encourageroit les sœurs
à redoubler de zèle pour le bien des pauvres, on rétabliroit
l'union parmi elles, on exciteroit l'émulation et l'on se procureroit
par la suite de bons sujets qui se trouveroient animés par l'espé-
rance de parvenir à la supériorité.
2° Qu'il conviendroit de n'acheter de denrées et grosses provi-
sions que dans des tems heureux et favorables, et qu'autant qu'il
en seroit nécessaire pour la nourriture et consommation de la
maison, dans la crainte qu'on ne se trouvât obligé au premier
cas d'en acheter au renchérissement, et dans le second, d'en
perdre et d'en jetter dehors.
3° Que les mêmes provisions, étant confiées à des sœurs que
leur cage met hors d'état de les faire par elles-mêmes et qui s'en
rapportent à des valets mercenaires et peu capables, il convien-
droit que ces emplettes ne fussent faittes que par une sœur en
état d'y travailler par elle-même, et en cas d'absence par une
autre sœur qui la suppléeroit, de manière que cet employ ne fut
jamais confié à des domestiques.
4° Qu'il seroit bon que chaque ouvrier tel que le boulanger,
le boucher, le menuisier, le jardinier, le fabriquant, le muletier,
etc., eut sous lui un ou plusieurs élèves de la maison, parce que
ces gens une fois instruits, déchargeroient ladministration de
personnes à qui l'on est obligé de payer de gros gages, sans y
comprendre leur nourriture et entretien.
5° Qu'il seroit très à propos de ne plus recevoir à l'avenir au-
cuns pensionnaires qui ne fussent en état de frayer au moins à
leur dépense, et de n'écouter à ce sujet la sollicitation de per-
- 165 —
sonne, parce qu'il est d'expérience que des gens qui payent dix
écus ou cinquante francs coûtent gros à la maison, étant beau-
coup mieux nourris que le commun des pauvres.
6° Qu'il est étonnant que dans une maison aussi nombreuse,
on prenne du dehors des journalières comme blanchisseuses et
lingères; qu'il conviendroit de faire des élèves qui déchargeaient
la maison de cette dépense.
7» Que pour augmenter les revenus du Sanitat, il conviendroit
de faire travailler les jeunes filles des ouvroirs, au moins deux
heures de plus par jour, parce qu'on est instruit que depuis le
souper jusqu'au coucher, ces filles travaillent pour leur proffit
particulier et pour le dehors, ce qui fait qu'elles s'épargnent le
jour pour travailler le soir avec plus de courage et d'ardeur.
8° Que la maison tireroit quelque avantage si l'on occupoit les
vieillards et les imbécilles, autant que leur situation le pourroit
comporter, et ainsy qu'il est d'usage a l'hôpital de Rennes et
autres hôpitaux de la province, à de petits ouvrages, comme à
défiler de vieux cordages, éplucher du coton, etc., du moins on
les tireroit de l'oisiveté.
9* Que les sœurs sont dans l'usage de prendre chez un apo-
thicaire les remèdes les plus simples dont elles ont besoin pour
elles-mêmes, ce qui se monte à des sommes considérables, et que,
pour remédier à cet abus, il est à propos qu'elles achètent les
drogues chez un droguiste, afin de composer elles-mêmes leurs
remèdes, comme il est d'usage dans bien des maisons de cette
ville; qu'il seroit même à souhaiter que lorsqu'il y aura quelque
place vacante parmy les sœurs on s'en procurât une qui sçut la
pharmacie.
Finalement, MM. les commissaires ont donné lecture d'une
lettre écrite à la Compagnie par MM. les administrateurs du
Sanitat, accompagnée d'un projet en forme de mémoire, ladite
lettre ayant pour objet de vendre l'emplacement que la maison
possède sur le terrain du prél'Ëvêque pour en compter le produit
audit de S^mcourt Grou, à compte de ce qui lui est dû, ou de
conserver cet emplacement pour y bâtir suivant ledit projet, en
- 166 —
consentant audit sieur Grou un contrat constitut de ce qui lui
est dû sans retenue des impositions royales.
Sur quoy, délibérant, la Compagnie est d'avis que pour libérer
et rétablir la maison, il est à propos :
En premier lieu, que la supérieure actuelle soit remerciée et
qu'il soit procédé incessament et sans délai a l'élection d'une
nouvelle supérieure prise parmi les sœurs de la maison, dont
l'employ durera trois ans, après lequel tems il sera fait une nou-
velle élection, conformément à ce qui se pratique à l'Hôtel-Dieu.
En second lieu, qu'on ait attention de ne faire de grosses
provisions que dans des tems favorables, et qu'autant qu'il en
sera nécessaire pour la consommation de la maison.
En troisième lieu, que l'emplette des menues provisions ne soit
faitte que par une sœur en état d'y vacquer par elle-même, et en
cas d'absence par une autre sœur qui la suppléera, de manière
que cet employ ne soit jamais confié à des domestiques.
En quatrième lieu, qu'il soit enjoint à chaque ouvrier, tel que
le boulanger, le boucher, le menuisier, le jardinier, le fabriquant,
le muletier, etc., de former un ou plusieurs élèves de la maison
pour les remplacer au besoin.
En cinquième lieu, qu'à l'avenir, il ne soit reçu aucun pen-
sionnaire qui ne soit en état de frayer par la somme qu'il don-
nera à sa nourriture et à son entretien.
En sixième lieu, qu'il ne soit pris de journalières du dehors que
dans les cas urgens dont le Bureau sera instruit et jusqu'à ce
qu'on ait eu le tems de former des élèves.
En septième lieu, que l'on prolonge le travail des jeunes filles
au moins de deux heures par jour, en sorte que leur travail
tourne au seul profit de la maison.
En huitième lieu, que l'on occupe les vieillards et les imbé-
cilles, autant que leur situation le pourra permettre, à de légers
travaux.
En neuvième lieu, que les sœurs soient tenues d'acheter chez
un droguiste les drogues pour composer elles-mêmes les remèdes
dont elles ont besoin, et qu'au surplus il seroit à propos que
- 467 —
lorsqu'il y aura une place vacante, on se procurât une sœur qui
sçût la pharmacie.
En dixième lieu, que comme les différens articles de réforme,
cy-dessus mentionnés, produiront chaque année des sommes de
réserve pour rembourser le contrat de constitut, proposé en
faveur du sieur de Sénicourt Grou, il est à propos par cette
considération seulement et lesdites réformes préalablement faittes,
de consentir audit sieur de Sénicourt Grou le contrat en question
pour la somme de trente mille livres, au denier vingt, en lui
payant comptant six cens quarante-sept livres sept sols et six
deniers pour solde de ce qu'il réclame, plutôt que de vendre
l'emplacement du pré l'Évêque, a la charge néantmoins que ledit
contrat de constitution pourra estre remboursé par payemens de
cinq mille livres chacun, et à condition que ledit sieur de Séni-
court Grou consentira que les impositions royalles soient retenues
sur les arrérages qui lui en seront payés, étant juste à tous
égards qu'il ne tire pas plus d'intérest de son argent, vis-à-vis des
pauvres, qu'il n'en tireroit d'un particulier ; faute duquel con-
sentement de la part du sieur de Sénicourt Grou, l'avis de la
Compagnie sur le présent article sera comme non avenu et ne
pourra préjudicier aux droits de l'hôpital.
En onzième lieu, qu'il est convenable de suivre le projet pro-
posé pour la bâtisse de l'emplacement du pré l'Evêque, par forme
de souscription, en observant néantmoins qu'au lieu de faire ce
bâtiment par économie ou par adjudication, il seroit plus profi-
table de choisir un architecte capable et connu par sa probité
et la solidité de ses ouvrages, avec qui on feroit un marché le
plus avantageux et le plus circonstancié qu'il seroit possible; qu'à
ce moyen, on éviteroit les inconvéniens qui résultent presque
toujours des bâtimens entrepris par économie ou par adjudi-
cation.
En douzième lieu, la Compagnie invite MM. les administrateurs
à observer exactement l'article xi des lettres patentes du mois de
février 1760, et pour ne laisser rien à désirer lorsque les com-
missaires se disposeront à recevoir les comptes, ils seront tenus
— 168 -
de déclarer au Bureau assemblé le jour auquel ils entendent y
procéder, afin que chacun des administrateurs puisse y assister,
si bon lui semble.
Finalement, la Compagnie a arresté que copie de la présente
sera délivrée à M. Gallot, son député audit hôpital général, dit
Sanitat, pour estre remise à MM. les administrateurs pour leur
servir de tout pouvoir. Arresté lesdits jour et an.
SERVICE POUR MKr LE DAUPHIN, MORT A FONTAINEBLEAU, LE
20 DÉCEMBRE 1765.
Il fut enterré dans l'église de Sens, et son cœur porté à
Saint-Denis.
Du 7 janvier 1766: La Compagnie reçut une lettre de S. A. S.
M«r le duc de Penthièvre, gouverneur de Bretagne, dattée du 4,
avec une copie imprimée de celle que le Roy lui avoit écrite le
24 décembre précédent, portant invitation a tous les officiers de
justice des villes de son département, de se trouver au service
qu'il avoit ordonné de faire faire dans touttes les cathédrales.
Du 11 janvier 1766 : M. l'abbé de la Tullaye, grand vicaire de
M. l'Evêque de Nantes, est venu de sa part, chez M. le Sénéchal,
pour le prier de lui donner jour, pour inviter la Compagnie à se
trouver au service qui devoit se faire le 14, dans l'église cathé-
drale, pour le repos de l'âme de feu M^r le Dauphin. M. le Séné-
chal ayant dit à M. l'abbé de la Tullaye, qu'il pouvoit venir à la
Chambre du Conseil le lundy 13 du mois, à dix heures du
matin, que la Compagnie s'y trouveroit assemblée pour y rece-
voir l'invitation :
Du 13 janvier : En la Chambre du Conseil du Présidial de
Nantes où présidoit M. le Sénéchal. Présens : MM. Jego, de la
Blottierre Alloué, et Richard lieutenant, et MM. Drouet, de la
Ville, Le Lasseur l'aîné, Jamont, de la Haye-Moricaud, Deguer,
Monnier, Gallot et Le Lasseur de Ranzay, conseillers; MM. Da-
— 169 —
chon et Goullin de la Brosse, avocats du Roy, et Guérin de Beau-
mont, procureur du Roy.
Est entré en la Chambre, suivant l'usage, M. l'abbé de la
Tullaye, qui ayant pris place dans un fauteuil à bras au bas du
Bureau, a fait un discours pour annoncer la perte qu'on venoit
de faire de M*r le Dauphin, et a fini par inviter la Compagnie à se
trouver le mardy 14 du mois, en l'église cathédrale, pour assister
au service. M. le Sénéchal a répondu par un autre discours que
la Compagnie étoit pénétrée de douleur de la perte qu'on venoit
de faire, qu'elle ne manqueroit pas de se trouver à l'invitation
qu'on venoit de lui faire.
Du 14 janvier : Environ les neuf heures du matin, la Compa-
gnie étant assemblée comme le jour précédent, ayant ses greffiers
et huissiers, est partie en robes et bonnets pour se rendre à la
cathédrale où, étant arrivée, elle s'est placée dans son banc ordi-
naire ; la Chambre des Comptes dans le sien, la communauté de
ville également; l'université au bas de la nef, le recleur étant
assis sur une chaise à dos, sans bras, et un coussin seulement à
ses pies pour se mettre a genoux, n'ayant point de prie-dieu
devant lui, tous les membres de l'Université étant à sa droite et
à sa gauche, assis sur des chaises de bois foncées de paille.
Il est à observer que le Consulat n'étant point ordinairement
convoqué à ces sortes de cérémonies, ils avoient député quelques
jours auparavant deux d'entre eux, vers M. l'Évoque, pour le
prier de vouloir bien les faire inviter, à quoy ledit l'Évêque voulut
bien se rendre, en leur disant qu'il enverroit seulement son secré-
taire chez ieur grand juge, pour les inviter de se trouver à la
cérémonie, ce qu'ils firent, étant placés dans un banc derrière et
au bas de celui du présidial, et attendu que ledit banc n'étoit
pas assez grand pour les contenir tous, plusieurs étoient assis sur
des chaises de paille.
Il est encore d'usage que l'université n'est point convoquée
par un grand vicaire, mais seulement par le secrétaire de
M. l'Évêque.
MM. du Chapitre avoient fait dresser un autel dans la grande
— 170 -
grille f» l'entrée du chœur, les deux côtés de la grille tendus de
noir, ainsy que les deux petits autels, dans la nef, étoit seulement
une fausse châsse couverte d'un drap mortuaire de velours avec
des bandes d'argent, avec six cierges de chaque côté. Il n'y avoit
aucune tenture dans l'église, non plus que dans la nef. Ce fut
M. l'abbé de l'Aubrière, doyen, qui officia; M. delà Musanchère,
pour lors évêque, n'ayant pu le faire, étant malade, il assista
cependant à la cérémonie, en habit de chanoine, à la teste de tout
le chapitre qui étoit placé entre les deux grilles, et ayant celui de
la collégiale derrière lui, de chaque côté. Le bas chœur étoit placé
dans la nef, ainsy que toutte la musique et le clergé, tant séculier
que régulier de la ville. Les Compagnies défilèrent et se retirèrent
sans observer aucun ordre, n'étant pas d'usage en pareille céré-
monie, de jetter d'eau bénite.
Le banc du château, qui est à la teste de celui du présidial, étoit
occupé par M. de Livernière, major, et quelques officiers mi-
litaires du château. Il y avoit plusieurs gentilshommes de la ville
et personnes de considération, tant en hommes que femmes, qui
se placèrent indifféremment dans la nef sur des chaises.
SERVICE POUR LE DAUPHIN.
Du 22 janvier : En la Chambre du Conseil où présidoit M. le
Sénéchal. Présens: MM. L'Alloué, le lieutenant, MM. Drouet, de
la Ville, Le Lasseur l'aîné, Moricaud, Jamont, Deguer, Monnier,
Gallot et Le Lasseur de Ranzay, conseillers, et MM. les gens du
Roy. M. Guérin de Beaumont, procureur du Roy, a dit qu'en
qualité de marguillier en charge de la paroisse de Sainte-Croix, il
étoit chargé d'inviter la Compagnie de se trouver au service que
le général doit faire célébrer pour M8r le Dauphin, vcndredy pro-
chain, 24 du présent.
En conséquence, le 24 novembre 1766, la Compagnie s'est
— 471 —
rendue à l'issue de l'audience en ladite église de Sainte-Croix, et
a assisté au service qui a été célébré pour Msr le Dauphin. Toutte
la nef étoit tendue de noir; il y avoit une représentation très bien
illuminée.
Nota. — La Compagnie étoit placée dans le chœur a droite et a gauche,
dans les bancs des fabriqueurs.
PROCÈS-VERBAL DES DÉPUTÉS A L'HÔTEL -DE -VILLE , AU SUJET
DES DROITS DE LA COMPAGNIE.
Le 31 may 1768, en la Chambre du Conseil du Présidial de
Nantes, où présidoit M. le Sénéchal. Présents : MM. le juge
criminel, le lieutenant, de la Ville, doyen, Le Lasseur, l'aîné,
Jamont, Déguer, Monier, Gallot, Le Lasseur de Ranzay et Tur-
quetil, conseillers. Présents : MM. Goulin de la Brosse, avocat du
Roy, Guérin de Beaumont, procureur du Roy, et Felonneau,
avocat du Roy.
A été fait rapport par MM. les députés que le dimanche premier
de ce mois, ils se rendirent, environ les quatre heures, à l'Hôtel-
de-Ville dans la salle du procureur du Roy sindic, où étant, on
vint les avertir qu'on les attendoit dans la grande salle, qu'ils s'y
rendirent, précédés de la trompette et de quatre valets de ville;
qu'arrivés au bas de l'escalier ils y furent reçus par deux éche-
vins, et qu'étant montés ils y trouvèrent deux autres échevins
qui les accompagnèrent dans la ditte grande salle, qu'ils se
placèrent sur deux chaises bourrées qui étoient à gauche en
entrant, et qu'avant l'ouverture de la pique ils avoient déclaré à
MM. du bureau qu'ils assistoient à l'assemblée sans que leur pré
sence pût nuire ni préjudicier aux droits que la Compagnie pré-
tendoit avoir, d'y faire présider par son chef ou tout autre officier
qui pût le représenter, desquelles réservations ils avoient deman-
dé acte. Lequel M. le maire, après avoir pris les avis du bureau,
leur décerna, sans toutefois préjudicier aux droits respectifs des
— 172 —
parties. Après quoy M. le maire, tenant la plume, reçut les suf-
frages du peuple, fit ensuite passer les listes aux officiers de sa
milice bourgeoise, qui après avoir piqué les rémirent au procu-
reur du roy sindic, et aux anciens maires et échevins, qui ayant
volé, présentèrent la plumeaux députés de la Compagnie qui,
après avoir donné leurs suffrages, la donnèrent à MM. les dépu-
tés du chapitre qui la rendirent à M. le maire, qui suffragea le
dernier. Que le 24, sur la semonce faite à la Compagnie d'envoier
ses députés pour l'ouverture des paquets, ils s'y rendirent et
furent reçus avec le même cérémonial que cy dessus ; que les
officiers choisis par Sa Majesté ayant été nommés, il fut arresté
par MM. du bureau que leur installation se feroit le 30, qu'à cette
fin MM. les députés voudroiunt bien se trouver le dit jour, qu'en
conséquence étant dans la salle du procureur du Roy sindic, on
vint les quérir ainsi, et de la manière que les deux précédentes
fois ; qu'après la prestation de serment des deux échevins entre
les mains du maire, l'assemblée se leva et descendit dans la cour
où le dit maire fit reconnoistre par les officiers de la milice bour-
geoise le nouveau lieutenant colonel qui, après avoir été reçu, fit
pareillement reconnoistre les nouveaux officiers. Ce qu'étant fait,
les habitants qui étoient sous les armes défilèrent et se tinrent en
haye sur ta place des Cordeliers. Qu'ensuite, MM. du bureau et
les députés du Présidial seulement, ceux du Chapitre et de la
Chambre des Comptes n'y étant point, s'étant mis en marche
pour aller à la messe du Saint-Esprit, un de MM. les anciens
maires ayant voulu aller à la gauche et sur la même ligne que le
maire en exercice, ils s'y seroient opposés, prétendant que
c'étoit à eux à marcher de front et à la gauche du maire, laissant
toutefois entre luy et eux la place du commandant, ainsi que des
députés du chapitre et de la chambre, sur lesquelles contesta-
tions, le bureau remonta, et on y décida que les prétentions des
députés de la Compagnie étoient fondées sur le droit et l'ancien
usage. En conséquence de quoy, on se rendit aux Cordeliers,
M. le maire a la droite et MM. les députés du Présidial à la
gauche du dit maire et sur la même ligne, laissant entre eux et
- 173 —
luy les places du commandant et des députés du Chapitre, et
MM. les anciens maire et échevins suivirent; qu'étant arrivés à
l'église ils se placèrent dans les deux stalles à gauches en entrant
dans le chœur, et le corps de ville entre le sanctuaire et le
chœur ; que, pendant la messe, deux valets de ville leur appor-
tèrent deux guillarés dans le même temps qu'on en donnoit au
maire; qu'après la messe on s'en retourna à l'Hôtel- de-Ville
dans le même ordre qu'on en étoit sorti; qu'on entra dans la salle
basse ; qu'ensuite ils se retirèrent.
SERVICE POUR LA REINE.
Du 4 aoust 1768: La Compagnie reçut une lettre de S. A. S. M&r
le duc de Penthièvre, gouverneur de Bretagne, dattée du 11, avec
une copie imprimée de celle que le Roy luy avoit écritte le
25 juin précédent. Msr le duc de Penthièvre y disoit qu'il avoit
marqué aux Officiers municipaux de se concerter avec la Com-
pagnie pour se trouver au service que Sa Majesté avoit ordonné
de faire faire dans toutes les cathédrales du royaume pour la
Reine morte le 4 juin 1768.
Du 2 aoust 1768: M. l'abbé de la Tullaye, grand-vicaire de
M. l'Evêque de Nantes, étant allé chez M. le Sénéchal pour le
prier de luy donner jour pour inviter la Compagnie à se trouver
au service qui devoit se faire le 9 aoust, dans l'église cathédrale,
pour le repos de l'âme de la feue Reine; M. le Sénéchal luy dit
qu'il pouvoit venir à la Chambre du Conseil le jeudi 4 du mois, à
10 heures du matin, que la Compagnie s'y trouveroit assemblée
pour y recevoir l'invitation.
Du 4 aoust 1768: En la Chambre du Conseil du Présidial de
Nantes où présidoit M. le Sénéchal. Présents : MM. le lieutenant,
de Laville, Le Lasseur l'aîné, Jamont, Deguer, Monnier, Galtot,
Le Lasseur de Ranzay et Félonneau, avocat du Roy.
- 174 —
Est entré en la Chambre, suivant l'usage , M. l'abbé de la
Tullaye, grand vicaire de M. l'Évêque de Nantes, qui, ayant pris
place dans un fauteuil à bras au bas du bureau, a fait un dis-
cours où, après un court éloge de la feue reine, il a dit que le
mardi 9 du mois, à 10 heures du matin, il seroit célébré dans
l'église cathédrale un service pour le repos de son àme; qu'il
invitoit la Compagnie à se trouver à l'invitation qu'il venoit de
luy faire.
Le 9 aoust suivant : La Compagnie étant assemblée, environ
les 9 heures du matin, en la Chambre du Conseil où présidoit
M. le Sénéchal. Présents: MM. le lieutenant, de la Ville, Le
Lasseur l'aîné, Jamont, Deguer, Monnier, Gallot, Le Las-
seur de Ranzay et Turquetil, conseillers; Goulin de la Brosse,
avocat du Roy, Guérin de Beaumont, procureur du Roy, et
Félonneau, avocat du Roy, ayant ses greffiers et huissiers, est
partie sur les 10 heures, en robbes et bonnets, pour se rendre
à la cathédrale, où étant arrivée elle s'est placée dans son banc
ordinaire, la Chambre des Comptes et la Communauté de ville
étoient aussi dans leurs bancs, l'Université formoit un demi cercle
au bas de la nef, le recteur étoit assis sur une chaise à dos saus
bras, avec un coussin à ses pieds; les autres membres de l'Uni-
versité étant à sa droite et à sa gauche sur des chaises de bois
foncées de paille ; elle avoit été convoquée suivant l'usage par le
secrétaire de M. l'Évêque.
Le Consulat n'assista point à la cérémonie, n'ayant point été
convoqué.
M. de Livernière, major, et représentant en cette qualité le
commandant, étoit assis sur une chaise rembourée, et avoit à
côté de luy et au devant du banc du château les officiers de la
milice bourgeoise sur des chaises de bois foncées de paille.
Il est à observer que M. Phelippon, chanoine de la cathédrale
et intendant de fabrice pour la cérémonie, vint à trois fois diffé-
rentes représenter aux officiers de milice bourgeoise qu'ils
n'étoient pas à leur place, celle qu'ils occupoient ayant été réser-
vée pour la noblesse, à quoy ces officiers répondirent qu'ils
- 175 —
accompagnoient le commandant; réponse qui fut appuyée par le
sieur de Livernière, de sorte qu'ils restèrent en la même place
pendant toute la cérémonie.
Il est encore à observer que le sieur de Livernière avoit engagé
la noblesse de venir l'accompagner, ce que n'ayant voulu faire,
il s'étoit fait assister par la milice bourgeoise ; il avoit aussi fait
demander au Chapitre un fauteuil et un coussin, et le chapitre
n'ayant pas voulu le lui accorder, il avoit fait porter luy même la
chaise rembourée sur laquelle il étoit assis.
MM. du Chapitre de la cathédrale étoient assis sur des chaises
de paille entre les deux grilles, revêtus de surplis et leur
aumusse sur le bras ; derrière eux, à droite et à gauche, les cha-
noines de la Collégiale, aussi en surplis et aurausses; le clergé
séculier et régulier étoit rangé dans la nef, sur des chaises placées
le long des bancs des Compagnies.
L'autel avoit été adossé à la porte de la grande grille du chœur,
avec un dais au dessus; cette grille et les autels de la Vierge et
de S. Charles étoient tendus de noir avec des pilastres semées de
larmes, et des croix entre les deux formées de carton représen-
tant des têtes de morts ; l'autel étoit garni de six cierges accom-
pagnés de deux autres sur les crédances et quatre autres sur
chacun des autels collatéraux ; la représentation étoit formée
d'une fausse chasse couverte d'un drap mortuaire de velours noir
dont la croix étoit brodée en larmes or et argent. Le tout envi-
ronné de deux rangs de cierges.
La musique étoit placée entre cette représentation et la petite
grille.
La messe, chantée en musique et plain chant, fut célébrée par
M. l'abbé de l'Aubrière, qui officia en l'absence de M. de la
Muzanchère, évêque de Nantes.
La cérémonie finie, les Compagnies se retirèrent, sans garder
aucun ordre entre elles, n'étant pas d'usage de jetter de l'eau
bénite.
La Compagnie assista également au service que fit célébrer le général
de la paroisse de Sainte-Croix, en ayant été invitée par deux marguilliers
- 176 -
qui furent reçus par le Bureau 5 M. le Doyen entre eux deux et portant
la parole. On avoit fait préparer les baucs des fabriqueurs pour la Com-
pagnie.
RAPPORT DE LA DEPUTATION A LA COMPAGNIE.
Te Deum, et autres réjouissances faites par la Compagnie pour
le rappel du Parlement.
Du vendredi 21 juillet 1769: En la Chambre du Conseil où
présidoit M. le Sénéchal. Présens : MM. le lieutenant, de la Ville,
Le Lasseur, Jaraont, Deguer, Monnier, Gallot, Le Lasseur de
Ranzay et Turquetil, conseillers; Goullin de la Brosse, avocat du
Roy, et Guériu de Beaumont, procureur du Roy.
MM. le lieutenant, Gallot, Turquetil et Guérin de Beaumont qui
avoient été députés vers le Parlement, par la délibération de la
Compagnie du 13 juillet présent mois, ont fait le rapport de leur
députation ainsi qu'il suit :
Nous fûmes admis, lundi dernier, 17 de ce mois, à dix heures
du matin, à saluer la Cour qui étoit rentrée le samedi 15 ; nous
témoignâmes aux Chambres assemblées la joye que vous ressen-
tiez du rappel du Parlement, et nous insinuâmes les espérances
que vous partagez avec tout le public sur le retour de MM. les
procureurs généraux.
M. le premier président, au nom de la Cour, fit une réponse
honeste et flatteuse pour la Compagnie.
En sortant du Parlement, nous nous rendîmes, suivant vos
ordres, chez M. le duc de Duras, auquel nous marquâmes voire
reconnoissance du service essentiel qu'il vient de rendre à toute
la province et à la magistrature en particulier.
M. le duc nous répondit qu'il étoit bien sensible à l'attention
de la Compagnie et qu'il l'en remercioit.
Vers les cinq heures du soir du même jour, nous crûmes
- 477 —
devoir aller saluer Mme la duchesse de Duras pour la remercier
de l'interrest qu'elle a pris au succez des affaires de la Bretagne;
cette dame parut sensible à notre compliment.
Nous assistâmes mercredi 19 de ce mois, à un Te Deum, que le
Présidial de Rennes a fait chanter en action de grâces du rappel
du Parlement, et auquel nous avions été invités la veille par
M. le doyen des conseillers ; les députés des deux autres Prési-
diaux y assistèrent comme nous ; M. le Sénéchal de Rennes pré-
sidoit toute la cérémonie ; à côté de luy marchoit M. le lieute-
nant, votre député, et ils étoient suivis immédiatement de
MM. Gallot, Turquetil et Guérin de Beaumont, vos trois autres
députés; après eux marchoient les députés du Présidial de
Vannes, qui étoient suivis de ceux de Quimper. Le corps du Pré-
sidial de Rennes marchoit ensuite, ayant le lieutenant à sa teste.
On retourna après le Te Deum, dans le même ordre, à la Chambre
du Conseil ; cette marche fut ainsi réglée relativement au rang
que les Présidiaux de la province tiennent entre eux, et non par
l'ordre de réception des officiers qui composoient les députations,
parce que l'on considéra que chaque députation représentoit la
Compagnie et devoit en tenir la place.
Après lequel rapport, M. le Sénéchal, au nom de la Compa-
gnie, a remercié MM. le lieutenant, Gallot, Turquetil et Guérin
de Beaumont, et a approuvé tout ce qu'ils ont fait en son nom.
M. le Sénéchal a ensuite représenté qu'il seroit convenable
dans une occasion aussi intéressante que celle où la province se
trouve, et qu'on peut dire unique, de donner des marques écla-
tantes de la joye de la Compagnie, en faisant chanter un Te Deum,
allumer un feu de joye et illuminer la façade do palais ; sur quoy
ayant été délibéré, la Compagnie a arresté unanimement de faire
chanter un Te Deum dans l'église de Sainte-Croix, lundi prochain,
24 du présent mois, auquel le corps des avocats et la Commu-
nauté des procureurs seront invités de marcher ù la suite de la
Compagnie ; qu'à 1'isstie du Te Deum il sera allumé un feu de
joye sur la place du Bouffay, et que le soir on illuminera la façade
du palais au dessus du grand escalier. En conséquence, la Com-
1879 12
— 478 —
pagnie a prié MM. de la Ville, Deguer, Gallot et Le Lasseur de
Ranzay, de voulloir bien se donner les soins nécessaires pour
l'exécution delà présente délibération.
En conséquence de la délibération du 21 juillet 1769, la Com-
pagnie se rendit le lundi 24 du même mois, sur les sept heures
du soir, en l'église de Sainte-Croix qui avoit été tapissée et illu-
minée à cet effet. La Compagnie étoit précédée de ses greffiers
et huissiers, le corps des avocats suivoit immédiatement, ayant à
sa teste M. Goullin de la Brosse, avocat du Roy; la Communauté
des procureurs marchoit ensuite. On avoit préparé les bancs des
anciens fabriqueurs pour la Compagnie -, ceux du haut de l'église,
immédiatement après le chœur, de part et d'autre, étoient cou-
verts de tapis et gardés par des invalides du Château pour les
avocats et procureurs. M. le recteur de Sainte-Croix vint avec
tous ses prestres revêtus de leurs chappes, recevoir au bas de
l'église la Compagnie et luy présenter l'eau bénite ; il se rendit
dans le même ordre à la fin de la cérémonie pour saluer la Com-
pagnie à la porte de l'église. Le Te Deum fut chanté par les
musiciens de la cathédrale et de la ville, au nombre de quarentev
placés dans le lutrin au bas de l'église, au dessus de la grande
porte. Toutes les jurisdictions, la noblesse, le corps de ville, les
autres corps, et générallement tous les honestes gens avoient été
invités par des billets imprimés qu'on avoit fait distribuer. A l'issue
du Te Deum la Compagnie, précédée de ses greffiers et huissiers,
suivie du corps des avocats et de la Communauté des procureurs,
se rendit sur la place du Bouffay où le feu de joye fut allumé
par M. le Sénéchal et M. le juge criminel.
Le soir du même jour, une partie de la façade du palais fut
illuminée ; la décoration étoit surmontée d'un fronton chargé de
l'inscription: Vive le Roy et M. le duc de Duras ; au centre étoit
une autre inscription portant ces mots : Senatu resliluto. Deux
devises accompagnoient ces pilastres illuminés, l'une, dont le
corps étoit un phœnix renaissant de ses cendres et l'âme post
f'ala resurgo, relative au parlement; l'autre, dont le corps étoit
une lune touchant à son plein et l'âme jamjam nil décrit, relative
— 479 —
aux procureurs généraux ; on fit couler deux fontaines de vin,
des tembours et des fiffres invitoient lu peuple à se joindre à la
Compagnie pour témoigner sa joye; on dansa sur la place une
partie de la nuit ; la feste fut terminée par un souper que M. le
Sénéchal donna à la Compagnie, où le doyen des avocats et le
sindic des procureurs furent invités et se trouvèrent.
La Communauté des procureurs avoit fait chanter une messe
et un Te Deum dans l'église des Jacobins, le vendredi 21. La
Compagnie, qui y fut invitée, y marcha précédée de ses greffiers
et huissiers, et suivie de la Communauté des procureurs. On lui
avoit préparé des fauteuils dans le sanctuaire, et les procureurs
occupoient les stales du chœur. Arresté ledit jour et an que
dessus.
DECLARATION POUR LA LIQUIDATION DES OFFICES DU PRESIDIAL
Du 20 novembre 1771 : En la Chambre du Conseil du Présidial
de Nantes où présidoit M. Bellabre, sénéchal. Présens : MM. Huet
de Coetlisan, juge criminel; Richard, lieutenant; Delaville,
doyen ; Le Lasseur l'aîné, Jamont, Deguer, Monnier, Gallot,
Le Lasseur de Ranzay, Turquetil, Marcé et Mahot, conseillers, et
Fellonneau, avocat du Roy.
A été proposé par un des Messieurs do procéder à l'évaluation
des offices du siège, conformément à l'édit du mois de février
1771. Sur quoi, délibérant, nous Officiers susdits, déclarons que
le siège est composé d'un grand bailli de pié dont l'office est
possédé par le sieur Binet de Jasson.
De deux offices de présidents-Présidial et d'un office de Séné-
chal, possédés ensemble par le sieur Bellabre.
D'un office d'Alloué, lieutenant-général, vacant par la mort du
sieur Jego de la Blottière.
De celui du juge magistrat criminel, possédé par le sieur Huet
de Coetlisan.
— 180 —
De celui de lieutenant particulier civil et criminel, possédé par
le sieur Richard.
De onze offices de conseillers, dont un est vacant par la mort
du sieur de la Haye-Moricaud, et les autres possédés par les sieurs
Delaville, doyen; Le Lasseur l'aîné, Jamont, Deguer, Monnier,
Gallot, Le Lasseur de Ranzay, Turquetil, Macé et Mahot.
De deux offices d'avocats du Roy, possédés par les sieurs
Goullin de la Brosse, absent, et Fellonneau.
D'un office de procureur du Roy, possédé par le sieur Bade-
reau, absent.
Et, procédant à l'évaluation des susdits offices, a été dit par
le Sénéchal que, malgré la bonne volonté qu'il auroit de satisfaire
à l'édit du mois de février dernier, il ne lui est pas possible de
le faire quant à présent, étant propriétaire et titulaire de deux
offices de présidents-présidial ; ces offices se trouvent supprimés,
et, par les dispositions de cet édit, l'un de ces offices se trouve
réuni à celui de juge criminel ; que pour s'y conformer, il auroit
fait sa démission en faveur de M. Huet de Coetlisau, juge criminel
actuel, par acte rapporté par Me Girard, notaire royol, le 26 août
dernier; qui auroit été notifié le 28 du même mois; que par l'ar-
ticle six de l'édit, n'ayant pas pu parvenir à traiter à l'amiable
avec mon dit sieur le juge criminel, il a été forcé de se pourvoir
au Conseil pour faire liquider les dites deux charges de président,
dont l'une doit lui être remboursée par le juge criminel, et l'autre
annexée à la charge de Sénéchal, dont il est titulaire; que jusqu'à
ce que cette liquidation soit failte au Conseil, il ne peut donner
de valeur certaine à son office de Sénéchal, auquel se trouvera
jointe une des charges de président; qu'il en auroit même
donné avis à M. le Contrôleur général par lettre qu'il lui a écrite
le 31 octobre dernier, dont il n'a point encore eu de réponse.
Par M. le juge criminel a été dit que, pour satisfaire au susdit
édit, il déclare évaluer la finance de son office à la somme de
trente mille livres, montant du prix de l'acquisition qu'il en a
faitte. Dans laquelle somme, il ne comprend point 3,900 livres de
provisions, observant que, quoique par l'édit de création de son
- 181 -
office, il lui soit attribué des gages, il est cependant constant
que ses deux derniers prédécesseurs, ni lui, n'en ont point tou-
ché jusqu'à présent.
Par M. le lieutenant, a été dit qu'il évalue la finance de son
office à la somme de 15,000 livres, montant du prix d'aquisition
qu'il en a faite par acte passé devant Goisquaud et son confrère,
notaires royaux à Nantes, le 4 septembre 1764.
MM. les Conseillers ayant délibéré, ont estimé que chacun de
leurs offices vaudroit la somme de 24,000 livres, mais ils sont
chargés de 51,314 livres 6 sols 6 deniers de dettes, qu'ils ont été
obligés de contracter pour le remboursement forcé de différents
offices; cette somme divisée par onze fait pour chaque 4,665 livres,
pour lesquels ils ne touchent chacun que 41 livres 4 sols 9 deniers
de gages, qui sont même en arrière depuis quatre ans, ainsi que
leurs anciens gages de cent livres attribués à leur première
semaine.
Pour quoi ils déclarent fixer la valeur actuelle de leurs offices à
la somme de 9,335 livres, à l'exception du sieur Le Lasseur l'aîné,
qui l'évalue à celle de 9,735, à cause de vingt livres de gages qui
sont attribués de plus à son office.
Par M. Goullin de la Brosse, avocat du Roi, absent pour cause
de maladie, a été dit par M. le Sénéchal faisant et agissant pour
lui, qu'il évalue son office d'avocat du Roi à la somme de 9,000
livres.
Par M. Fellonneau, aussi avocat du Roi, a été dit qu'il évalue
son office à la même somme de 9,000 livres.
Fait et arrêté double, en la Chambre du Conseil, le dit jour et
an, pour en être envoyé un à M. le Contrôleur général et l'autre
demeurera déposé au Greffe du siège, conformément au dit édit.
Bellabre, Huet de Coetlisan, Richard, Delaville,
doyen ; Le Lasseur, Jamont, Deguer, Monnier,
Gallot, Turquetil, Marcé, Mahot, Le Lasseur
de Ranzay, Fellonneau, avocat du Roi.
Déposé au Greffe du Présidial de Nantes, le vingt novembre 1771.
DrjLlEPVBE.
— 182 —
TAPISSERIES POUR LA SALLE D AUDIANCE.
Du 11 avril 1772; : En la Chambre du Conseil du siège Prési-
dial de Nantes où présidoit M. le Sénéchal. Présens : MM. de la
Ville, doyen; Le Lasseur, Jamonl, Deguer, Monnier, Gallot, Le
Lasseur de Ranzay, Turquetil et Marcé, conseillers.
M. Le Lasseur de Ranzay a présenté un plan de tapisseries
pour la salle d'audiance, qu'il a, conjointement avec M. le lieute-
nant, fait dessiner par le sieur Henon, conformément à la délibé-
ration du 7 septembre dernier, qui les a chargés de faire faire les-
dittes tapisseries ; et il a fait état en même tems des propositions
faittes par le sieur d'Arlige, manufacturier d'Aubusson, de présent
en cette ville de Nantes pour l'exécution dudit plan.
Sur quoy, la Compagnie délibérant a adopté le plan de tapis-
series dont il s'agit, représentant sur différentes pièces, la religion,
la justice, la prudence, la force, la jurisprudence et la paix avec
des trophées relatifs et des vues de différens édifices de cette ville,
aussi y relatifs ; en conséquence, la Compagnie a prié MM. le
lieutenant et Le Lasseur de Ranzay de faire exécuter ledit plan
de tapisseries par ledit sieur d'Artige, dans la qualité conforme à
un trumeau qui a été présenté et sera déposé dans l'armoire de
la Chambre du Conseil pour échantillon, parce que néantrnoins les
bordures seront entièrement en laine, et pour la somme de deux
mille quatre cens livres, payables savoir, huit cens livres d'avance
sous le cautionnement du sieur Barreau, marchand tapissier de
cette ville, tant pour laditte somme que pour l'exécution du plan,
huit cens livres lors de la livraison desdittes tapisseries, et les
huit cens livres restans dans un an après laditte livraison ; et au
surplus la Compagnie a autorisés mesdits sieurs le lieutenant et
Le Lasseur de Ranzay à régler ainsy qu'ils le verront convenable
sur ce qu'il sera nécessaire de payer au dessinateur, au tapissier
qui posera et aux autres ouvriers qu'il sera nécessaire d'employer,
ainsy que sur tous autres faux frais, s'en rapportant à leur pru-
— 183 —
dence et approuvant dès à présent, comme pour lors, tout ce
qu'ils feront à cet égard. Arresté en la Chambre du Conseil, les-
dits jour et an.
Bellabre, Delaville, Le Lasseur, Jamont,
Deguer, Monnier, Gallot, Le Lasseur
de Ranzay, Turquetil, Marce, Mahot,
par approbation.
Du 7 janvier 1773: En la Chambre du Conseil où présidoit
M. le Sénéchal. Présens: MM. le lieutenant, Le Lasseur l'aîné,
Jamont, Gallot, Le Lasseur de Ranzay, Turquetil, Marcé et Mahot,
conseillers, Fellonneau, avocat du Roy et Badereau, procureur
du Roy. Le sieur d'Artige, le jeune, manufacturier à Feuilletin,
ayant livré les tapisseries dont il s'étoit chargé, en conséquence
de la délibération du 11 avril 1772, et du marché fait en consé-
quence, le 13 du même mois, par MM. le lieutenant et Le Lasseur
de Ranzay, commissaires nommés par ladite délibération, à l'ex-
ception des tapis des sièges qu'il a assuré devoir arriver inces-
samment; et MM. le lieutenant et Le Lasseur de Ranzay lui ayant
fait payer deux mille cent livres, à valloir sur la somme de deux
mille quatre cens trente livres, montant de son marché ; la Com-
pagnie, très satisfaitte de l'exécution de laditte tapisserie, a arresté
d'ajouter à la somme de trois cens trente livres qui lui reste due,
celle de cent soixante-dix livres de gratification, au moyen de
quoy il sera payé audit sieur d'Artige le jeune la somme de cinq
cens livres, pour solde du prix des tapisseries livrées et des tapis
des sièges qu'il fournira, et ce, sur les premiers fonds qui ren-
treront par le droit des adjudications affecté aux réparations de
l'auditoire.
Bellabre , Richard , Le Lasseur , Jamont ,
Gallot, Le Lasseur de Ranzay, Turquetil,
Marcé, Mahot.
— 184 -
RÈGLEMENT ENTRE LE SÉNÉCHAL ET LES AUTRES JUGES.
Du 12 décembre 1774 : En la Chambre du Conseil où présidoit
M. le Sénéchal. Présens : MM. le lieutenant, de la Ville, doyen,
Le Lasseur l'aîné, Jamont, Deguer, Gallot, Le Lasseur de Ranzay,
Turquetil, Marcé et Mahot, conseillers.
M. le Sénéchal, et MM. Le Lasseur de Ranzay et Marcé, nommés
par MM. les conseiller», leurs confrères, pour les représenter
par le compromis du 20 juin 1772, inséré au présent registre,
folio 193, verso, pour parvenir à un règlement sur les fonctions
respectives, ont dit, qu'ayant aux fins dudit compromis fourni
de part et d'autre leurs demandes et réponses et produit leurs
pièces devant MM. les arbitres, il parut convenable avant que
ces Messieurs en entamassent l'examen, de chercher à se rappro-
cher sur les articles qui souffriroient le moins de difficultés,
même de transiger sur le tout s'il étoit possible, la matière
paroissant suffisament éclairée sur tous les points ; qu'en consé-
quence, ils avoient eu différentes conférences chez M. Heullin de
la Martinais, conseil de M. le Sénéchal, et y étoient convenu d'un
projet de règlement général ; lequel, ayant été lu à la Com-
pagnie, après y avoir fait quelques changemens et additions qui
ont paru nécessaires, il a été unanimement convenu et arresté
ainsy qu'il suit :
Règlement entre M. le Sénéchal, M. le lieutenant et MM. les
Conseillers du Présidial de Nantes.
Article premier.
Il ne pourra sous quelque prétexte que ce soit estre tenu d'au-
diance par aucun des Officiers du Présidial seul, si ce n'est dans
les cas portés aux articles 9, 10 et 12, fors dans le tems des
vacances, où il continuera d'en estre tenu une par ceux des Offi-
-185 —
ciers qui se trouveront en ville, même par un seul s'il ne s'en
trouve pas d'autres, et ce pour les matières qui requièrent célé-
rité.
Article 2.
Le Sénéchal continuera néantmoins d'exercer seul la jurisdic-
tion volontaire appellée d'office, et en son absence l'Alloué, le
lieutenant ou l'ancien conseiller suivant l'ordre du tableau ; c'est
à savoir qu'il fera seul les tutelles, curatelles, émancipations,
décrets de mariage, ordonnera la collocation des deniers des
mineurs, homologuera les avis de parens à fin de vente des biens
des mineurs, expédiera les requestes à fin de séquestre de
meubles, donnera mainlevée des successions, les paréatis, rece-
vra les sermens des commis à la marque, fera les légalisations,
chiffrature des registres de toute espèce, donnera les certificats
de vie, fera les procédures pour parvenir à l'interdiction des ma-
jeurs, aux réformes et rectifications sur les registres de baptêmes,
mariages et sépultures, et les informations de vie et mœurs pour
parvenir à la réception des officiers des jurisdictions du ressort
et des officiers inférieurs du siège ; sans néantmoins que les sen-
tences sur lesdittes interdictions et rectifications de registres
puissent estre prononcées, et que lesdittes réceptions d'officiers
des jurisdictions du ressort et d'officiers inférieurs du siège
puissent estre faittes qu'au corps du siège.
Article 3.
Dans tous les cas cy-dessus, s'il parvient quelques contesta-
tions de quelque nature qu'elles soient, le Sénéchal ou celui qui le
remplacera en son absence sera tenu de les renvoyer au corps du
siège pour y estre jugées à l'audiance, si faire se peut, ou sur
délibéré , sinon appointées, et en cas d'appointement, le rapport
entrer en distribution, et après le jugement, qui sera rendu, estre
procédé en exécution en la forme ordinaire.
- 186 —
Article 4.
Au Sénéchal seul appartiendra la police des prisons, la récep-
tion des geôliers et greffiers desdites prisons et la chiffrature des
registres de la geôle, sans que néantmoins, conformément aux
lettres patentes du 6 février 1753, il puisse estre interdit aux
juge criminel, lieutenant et autres juges, de faire la visitte parti-
culière des prisonniers, dont les causes ou procès seroient pen-
dant par devant eux, ni pareillement le droit d'empescher la
communication desdits prisonniers avec d'autres personnes, ou
de leur donner un conseil ou de statuer sur leur liberté provi-
soire ou définitive, et sans que pareillement le Sénéchal puisse
exercer aucun acte de jurisdiction criminelle soit pour bris de
prison ou autrement.
Article 5.
Touttes contestations et affaires renvoyées et attribuées par le
Roy ou par les cours, soit au Sénéchal, soit aux officiers du Pré-
sidial ou de la Sénéchaussée, seront instruites et jugées en la
manière en laquelle les affaires de pareille nature et qualité
doivent estre instruites et jugées audit siège ; et le Sénéchal et
autres officiers y exécuteront chacun à leur égard les fonctions
qui leur appartiennent, le tout suivant la nature et qualité des
affaires, et à ce qui est porté par le présent règlement.
Article 6.
A l'égard des commissions qui seront données au Sénéchal
pour faire informations et enqucstes, dresser procès- verbaux et
faire toutte autre procédure et instruction du ministère d'un seul
officier, elles seront exécutées par ledit Sénéchal ; et si elles
étoient adressées à la Sénéchaussée ou au Présidiai, elles seront
faittes par les Commissaires en mois.
— 487 -
Article 7.
Touttes affaires autres que celles dont la connaissance appar-
tiendroit au Sénéchal seul, aux termes des articles 9, 10 et 12,
soit qu'elles soient ordinaires, présidialles, d'appel ou bénéfi-
ciables, soit qu'elles concernent le domaine, les fouagcs, les éco-
nomats et généralement touttes matières quelles qu'elles soient,
autres que celles portées auxdits articles 9, 10 et 12, seront por-
tées à l'audiance du siège où elles seront appellées à tour de
rolle ; à l'effet de quoy il sera fait deux rolles, l'un des causes
ordinaires et l'autre des causes d'appel. Le premier sera appelle
les mardys et mercredis, et l'autre les jeudys et vendredys ; sans
que l'ordre desdits rolles puisse estre interverti, et qu'aucune
cause en puisse estre exceptée, si ce n'est celles qui requièrent
célérité et où il y auroit péril en la demeure, lesquelles seront
jugées sur un simple acte pour venir plaider dans la première
demie heure de l'audiance ordinaire; et seront lesdits rolles faits
sur papier timbré, chiffrés et millésimés par le Sénéchal ou autre
qui présidera en son absence, a l'effet de quoy les procureurs
seront tenus de remettre aux mains du premier huissier les
qualités des causes qui seront de nature à estre employées dans
lesdits rolles, et en estât d'estre plaidées; lequel sera tenu de les
enroller suivant l'ancienneté des dattes des présentations; et au
cas que quelqu'unes desdittes causes soient renvoyées, conser-
vées ou rayées de l'avis des juges, il en sera fait notte à la marge
dudit rolle a l'endroit de la cause.
Article 8.
A la même audiance publique du siège seront faittes touttes
ventes et adjudications judiciaires de biens, les demandes de
compte, publications et réceptions d'aveux et impunissement
d'iceux,les déshérences, aubaines, bâtardises, épaves, les demandes
de fouages, lods et ventes et rachapts et autres de pareille nature
— 488 —
dus au domaine du Roy; sans que dans aucun cas, autres que
ceux portés aux articles 1, 9, 10 et 12, le Sénéchal ou aucun
autre officier du siège puisse tenir seul des audiances et juger
seul des causes sous prétexte de célérité ou autrement.
Article 9.
Le Sénéchal connoistra seul des causes concernant les devoirs
de la province, droits d'impôts et billots et contravention aux
ordonnances du Roy et bail des États ; et ce, dans les cas seule-
ment où il s'agira de faire rentrer dans les mains du fermier des
sommes dues par autres que par les sous-fermiers, commis et
employés ; et quant aux contestations des fermiers entre eux, ou
d'entre les fermiers, sous-fermiers, cautions, commis ou em-
ployés, la connoissance en appartiendra au corps du siège.
A l'égard des inscriptions de faux dans les mêmes affaires des
devoirs, elles ne pourront estre jugées par le Sénéchal que dans
le cas où le fermier sera partie dans lesdittes inscriptions de
faux; lequel cas cessant, elles seront jugées au corps du siège de
la même manière que les autres affaires, et après avoir été dis-
tribuées. Il en sera de même si les inscriptions de faux dans
lesdittes matières des devoirs, sont instruites par recollement et
confrontation, quoique le fermier y soit partie, auquel cas , et
dans tous les autres où la voye extraordinaire sera suivie, le
règlement à l'extraordinaire et les suites qu'il conviendra de faire
seront renvoyées et jugées au corps du siège, au rapport du
Sénéchal, qui en continuera l'instruction et aura deux parts dans
les épices, comme dans tous les cas où il est rapporteur né, et
les autres officiers auront chacun une part ; et si le fermier n'est
point partie dans lesdittes instances, elles seront dans tous les cas
instruites, distribuées et jugées au corps du siège, soit qu'elles
soient suivies criminellement ou civilement; enfin le Sénéchal ne
pourra connoistre seul des plegemens, arrests, saisies, bénéfices
d'inventaire et autres instances où le fermier interviendra pour le
- 189 —
payement des condamnations énoncées à son profit, non plus que
des contestations entre des particuliers, pour contribution et
rapport, dommages et intérests à raison des condamnations
énoncées au proffit du fermier des devoirs, lesquelles seront por-
tées au corps du siège, ainsy que les plegements et arrests
aux mains du fermier, ses directeurs et receveurs sur les sommes
par lui dues aux commis employés ou autres qui seront ins-
truites, distribués ou jugés par le corps du siège, en la forme
ordinaire.
Article 10.
Le Sénéchal recevra les baux judiciaires, conversions des
baux conventionnels en baux judiciaires, ventes de fruits, connoî-
tra des droits d'entrée, octrois, pancarte et autres droits dé-
pareille nature dus au domaine du Roy ; parce que néantmoins il
ne pourra juger seul lesdittes affaires, que lorsque le fond du droit
ne sera pas contesté ou que celui à qui il sera demandé ne pré-
tendra pas estre exemt, soit à raison d'une exeration ou d'un
privilège personnel, soit à raison de la qualité et nature des mar-
chandises et matières qu'on prétendroit estre soumises aux
droits; et seront lesdits procès portés au corps du siège, ainsy
que tous autres de même nature, ou qui pourroient s'élever entre
le fermier des octrois pour raison de son bail avec ses associés,
commis, officiers municipaux ou entre les receveurs des droits
cy-dessus, pour y estre jugés à l'audiance si faire se peut ou sur
délibéré, sinon appointés, et le rapport entrer en distribution.
Article 11.
En cas de rébellion, attaque ou mauvais traitemens faits aux
commis et autres employés des devoirs ou des octrois dans le
cours de leurs fonctions, qui donneroient lieu à une procédure
extraordinaire par recollement et confrontation, la connoissance
en appartiendra au corps du siège et l'instruction et le rapport en
— 190 -
seront faits par le Sénéchal; et à l'égard des demandes de dom-
mages-intérests et des procédures criminelles suivies contre les
employés pour excès, mauvais traitemens ou autres délits par
eux commis sous prétexte de vérifier des fraudes, elles seront
portées au corps du siège pour estre l'instruction faitte comme
des autres affaires dudit siège, et le rapport entrer en distribution
s'il y échoit.
Article 12.
Les plaids généraux continueront d'estre tenus à commencer
aux premiers lundys d'après les vingt novembre, vingt mars et
vingt juin, en la même forme et manière que les autres audiances
publiques; et si quelque cause appellée a l'audiance desdits plaids
tombe en appointement, elles entreront en distribution; et quant
aux appropriemens, ils se feront aux mêmes jours à une audiance
de relevée tenue à cet effet seulement par le Sénéchal seul.
Article 13.
Touttes les affaires, de quelque nature, importance et qualité
qu'elles puissent estre, autres que celles qui appartiendroient au
Sénéchal seul, aux termes des articles 9, 10 et 12, seront jugées
par l'avis des juges et conseillers qui assisteront à l'audience ou
sur délibéré, ou vu au bureau ou appointées; et sera tenu, celui
qui présidera, de prononcer, à la pluralité des voix, encore qu'il
fut d'avis contraire, sans pour le retarder ou remettre, le jugement
des affaires.
Article 14.
Le greffier ou commis aura un plumitif sur lequel, à chaque
audiance, il portera par extrait les qualités des parties, les noms
des avocats et procureurs, l'énoncé de chaque jugement d'au-
diance, les noms des juges qui y auront assisté et de ceux qui se
seront déportés à l'endroit de chaque cause ; lequel plumitif il
- 191 —
représentera à l'issue de l'audience, à la Chambre du Conseil
pour estre arresté par celui qui aura présidé.
Article 15.
Le rapport des délibérés et vus au bureau sera fait par le
Sénéchal, ou celui qui aura présidé en son absence à l'audience
où ils auront été ordonnés.
Article 16.
Dans les affaires non appointées, même dans celles qui le
seront, mais qui n'auront pas été distribuées, les requestes seront
expédiées par celui des juges auquel elles seront présentées; et
à l'égard des requestes qui seront présentées dans les procès
appointés, elles seront expédiées par le rapporteur, à l'effet de
quoy, les procureurs mettront en marge de chaque requesle le
nom du rapporteur.
Article 17.
Touttes les affaires, de quelque nature et qualité qu'elles soient,
qui seront appointées en droit, au Conseil à écrire et produire à
mettre ou sur simple induction ou autrement ensemble, les
requestes à fin d'homologation de traités entre des créanciers,
les requestes pour réformes et rectifications de registres de bap-
têmes, mariages et sépultures, homologation d'arrentement de
bénéfice, enregistrement de lettres patentes et autres lettres
royaux, et généralement toutes requestes autres que celles men-
tionnées dans l'article °2 du présent , seront rapportées et
jugées en la Chambre du Conseil, sans que le Sénéchal puisse sous
aucun prétexte juger seul aucune affaire appointée en droit, au
Conseil à écrire et produire à mettre sur simple induction ou
autrement ; ni rendre seul aucune ordonnance sur les requestes
susmentionnées.
- 192 -
Article 18.
En conséquence, touttes affaires appointées, de quelque espèce
et qualité qu'elles soient, entreront en distribution, a l'exception
néantmoins des cas portés aux articles 9, 11 et 31, et des inter-
dictions, séparations et des requestes pour réformes ou rectifica-
tions de registres et autres qui doivent estre rapportées et jugées
à la Chambre du Conseil, aux termes de l'article précédent, dont
le Sénéchal continuera d'estre le rapporteur né, conformément
à la délibération du 27 janvier 1757.
Article 19.
La distribution des affaires au-dessus des chefs de l'édit
appointées en droit au conseil à écrire et produire, se fera de
quinzaine en quinzaine, le samedy de relevée, par le Sénéchal
ou autre premier juge, ou ancien conseiller en son absence, en
présence des deux commissaires en mois qui pourront y assister,
conformément à l'arrest de 1734, parce qu'à chaque distribution,
le Sénéchal ou autre par qui elle sera faite en son absence, pré-
lèvera un procès pour son préciput, et le surplus des procès sera
distribué également entre lui et les autres juges et conseillers,
suivant le mérite et capacité d'un chacun, de manière que le
Sénéchal, après son préciput levé, n'ait pas plus de procès qu'au-
cun autre officier, et que s'il ne s'en trouvoit pas suffisament
pour égaler tous les officiers, ceux qui ne l'auroient pas été, le
soient à la distribution suivante, avant que le Sénéchal puisse
prendre de nouveau préciput. A la ditte distribution, pourra
assister l'Alloué, et en son absence, le lieutenant ou l'ancien con-
seiller.
Article 20.
La distribution des procès sous les chefs de l'édit, ensemble
de touttes autres affaires appointées à mettre, ou sur simple in-
— 193 -
duction, se fera de jour à autre dans la même forme portée par
l'article précédent, à l'effet de quoy il y aura un registre parti-
culier pour lesdittes affaires.
Article 21.
En cas de décès, démission ou départ des rapporteurs, les
procès dont ils étoient chargés seront remis à la distribution
et distribués également entre tous les autres officiers et sans
préciput, en observant néantmoins de faire une distribution
particulière des procès appointés à mettre ou sur simple induc-
tion et affaires présidialles.
Article 22.
Les incidens des affaires appointées, brefs, états et autres de
même nature, appartiendront aux rapporteurs, qui en feront
rapport à la Chambre du Conseil, sans qu'ils puissent leur tenir
lieu de distribution.
Article 23.
Le greffier sera tenu, dans trois jours après la distribution, de
faire remplir les récépissés des sacs pour en charger les rappor-
teurs, et de mettre un double du registre de chaque distribution
à la Chambre du Conseil, à l'effet que l'article qui contiendra la
nomination du rapporteur, puisse estrc vu en laditte Chambre,
avant que le rapport soit commencé et l'ordonnance de distribu-
tion sera employée dans le vu de la sentence.
Article 24.
Le greffier ny les commis ne donneront avant la -distribution
les sacs à visiter à aucun des officiers du siège, et ne retiendront
aucun procès, pour les mettre à la distribution suivante, sous les
1879 13
- 194 -
peines portées par les édits, savoir, de cinquante livres d'amende
pour la première fois, cent livres pour la seconde, et de suspen-
sion ou privation de l'exercice de leur greffe pour la troisième
fois.
Article 25.
La taxe des épices sera délibérée par ceux qui auront assisté
au jugement et marquée par celui qui y aura présidé.
Article 26.
Dans les affaires distribuées, les rapporteurs continueront,
d'avoir le tiers des épices et les deux autres tiers seront partagés
également entre lesdits rapporteurs et les autres juges qui auront
assisté au jugement ou ne s'en seront absentés que pour cause
de départ, récusation ou autre légitime empeschernent admis par
la Compagnie; et à l'égard des épices, des interdictions, sépara-
tions, homologations de traités, requestes à fin de lief d'erreur
sur les registres de baptêmes, mariages et sépultures, et autres
requestes qui doivent estre portées à la Chambre du Conseil, aux
termes des articles 17 et 18, et des cas portés aux articles 9, 11
et 81. Le Sénéchal en aura deux parts â lui seul, et chacun des
autres juges une part, conformément à la délibération du 27 jan-
vier 1757.
Article 27.
Les euquestes continueront d'estre faittes par les deux commis-
saires en mois et les émolumens en seront partagés, savoir deux
parts au Sénéchal, et aux autres officiers chacun une part, confor-
mément à la délibération du 27 janvier 1757, à l'exception
néantmoins des enquestes qui seroicnt faittes en exécution des
sentences de rapport, lesquelles seront faittes par le rapporteur
qui en percevra les émolumens en entier.
— 195 -
Article 28.
Les exécutions des sentences, le jet et calcul des dépens et les
Commissions ordonnées dans les procès appointés ou distribués,
appartiendront aux rapporteurs, quand môme les parties se pour-
voiraient à l'audiance pour parvenir à laditte exécution, et les
rapporteurs en percevront seuls les émolumens, à l'exception
toutesfois des descentes qui seront distribuées à l'ordre du tableau,
entre tous les officiers qui auront assistés au rapport, conformé-
ment à l'article 3 du titre xxi, de l'ordonnance de 1667, et des
présentations de compte ordonnées par rapport, lesquelles seront
distribuées en la forme ordinaire, entre tous les juges, à l'ex-
ception du rapporteur, conformément à l'article 5 du titre xxix de
l'ordonnance de 1667.
Article 29.
Les exécutions des sentences d'audiance, autres que les en-
questes, appartiendront au Sénéchal seul ou autre premier juge,
ou ancien conseiller qui présidera en son absence.
Article 30.
Les jurisdictions subalternes tombées en rachapt ou régale
dans le ressort du siège, seront exercées par le Sénéchal, qui
seul pourra en prononcer la vacance, et dans le cas où il ne
jugeroit pas à propos de les exercer lui-même, elles le seront par
l'Alloué, le lieutenant ou premier conseiller à l'ordre du tableau,
parce que néantmoins les deux tiers des émolumens de la juris-
diction des Reguaires, et la moitié seulement de ceux des autres
jurisdictions en appartiendront dans ce cas au Sénéchal, et l'autre
tiers ou moitié à celui qui exercera ; et dans le cas où aucun des
officiers du siège ne jugeroit à propos d'accepter l'exercice, des-
dittes jurisdictions, il sera décerné commission par le Sénéchal
— 190 -
pour ledit exercice, à tel officier ou gradué et aux conditions que
bon lui semblera.
Article 81.
Le Sénéchal recevra seul les notaires royaux et sergents, tant
royaux qu'ameneurs, parce qu'en cas de contestation, laditte
contestation sera jugée par le corps du siège, et à l'égard des
officiers et des juridictions, du ressort du siège, des greffiers et
commis du greffe, procureurs et huissiers de la Sénéchaussée
et Présidial et jurisdietions y réunies, le Sénéchal fera l'informa-
tion de vie et mœurs sur les requesles qu'ils présenteront à ce!
effet au corps du siège, pour à son rapport estre reçus, s'il y échet
à la pluralité des voix et prester serment au siège; et. les épices
desdittes réceptions faittes au siège seront partagées, savoir deux
parts au Sénéchal, et aux autres officiers chacun une part ; et
quant aux vacations de l'information de vie et mœurs, elles
appartiendront au Sénéchal seul, conformément à l'article 2.
Article 32.
Touttes les délibérations de la Compagnie et nominations de
commissaires et députés, soit pour les affaires de la Compagnie,
soit aux Bureaux d'administration des hôpitaux ou autrement,
seront failles à la pluralité des voix et signées de sept officiers
au moins, à faute de quoy elles seront nulles et aucun membre
de la Compagnie ne pourra refuser de signer lorsque l'avis
contraire au sien aura prévalu.
Article 38.
Le Sénéchal ou celui qui présidera en sou absence, arreslera
en présence de la Compagnie, au nombre de sept au moins et à
la pluralité des voix, les comptes concernant les affaires com-
munes, les mémoires de dépenses et recettes de toute nature,
- 197 —
chiffrera les feuilles des épices et picques, figurera les ordon-
nances de payernens pour les nécessités du Présidial; et lesdits
comptes et mémoires ainsy arrestés, réglés et signés du Séné-
chal et de tous ceux qui y auront assisté, comme aussi tous les
registres et délibérations de la Compagnie seront mis aux archives
communes, desquelles il y aura trois clefs, dont une sera remise
au Sénéchal et les deux autres à deux officiers choisis par la
Compagnie.
Article 34.
Les affaires qui sont actuellement pendantes devant le Séné-
chal et qui suivant ce qui est porté cy-dessus, ne sont point de
sa compétence privative, seront par lui renvoyées au corps du
siège.
Article 35.
En cas d'absence, départ, récusation ou autre légitime empes-
chement, les fondions attribuées au Sénéchal seront remplies par
l'Alloué, le lieutenant ou l'ancien conseiller, qui percevront les
mêmes émolumens que percevroit le Sénéchal; parce que néant-
moins dans les cas où il est attribué deux parts au Sénéchal, des
épices des affaires dont il est rapporteur né, et des vacations des
enquestes , lesdits Alloué, lieutenant ou ancien conseiller, n'au-
ront qu'une part comme les autres officiers, lesdittes deux parts
restantes au Sénéchal, fors en cas de décès où elles tomberont à
la masse , ainsy que dans tout autre cas de valance de l'office de
Sénéchal, et qu'ils ne pourront prononcer la vacance des juris-
dictions en rachapt ou régale, qu'en cas que l'office de Sénéchal
fut vacant.
Article 36.
Tous les articles du présent règlement seront exécutés à peine
de nullité.
— 198 —
Article 37.
La présente transaction sera homologuée au Conseil, ainsy qu'il
est porté en l'acte de compromis et publiée à l'audience du Pré-
sidial et partout où besoin sera, avec deffenses à tous les officiers
et avocats, greffiers et procureurs, huissiers et sergens, d'y con-
trevenir sous les peines qui échéent.
La Compagnie, délibérant sur tous les articles de règlement,
cy-dessus, les a approuvés et unanimement adoptés pour estre
homologués au Conseil du Roy, conformément au compromis du
20 juin 1772 et à l'article 37 dudit règlement, aux frais de M. le
Sénéchal pour moitié, et de MM. les conseillers par l'autre moitié,
et néantmoins exécuté provisoirement, à compter de ce jour.
Bellabre, sénéchal; Richard, lieutenant civil
et criminel ; de la Ville, doyen ; Le Lasseur,
Jamont, Deguer, Gallot, Le Lasseur de
Ranzay, Turquetil, Marcé, Monnier, Mahot,
par approbation.
Par approbation le 8 avril 1775:
Orry de Réveillon, Alloué.
Pour approbation le 8 janvier 1776 :
R. Dreux.
Te Deum pour le sacre et couronnement du roi ; et procès-
verbal sur la nouvelle prétention du bureau de ville.
Du 25 juin 1775: En la Chambre du Conseil du Présidial de
Nantes, nous, soussignés, officiers de la Sénéchaussée, siège
Présidial de Nantes, rapportons que nous étant rendus ce jour
en l'église cathédrale de cette ville, suivant l'invitation de
MM. les grands vicaires , en conséquence des ordres du Roy,
pour y assister au Te Deum qui y a été chanté en actions de
- 199 -
grâces du sacre et couronnement de S. M. Louis XVI, et nous y
étant placés dans notre banc ordinaire, le sieur de la Ville, maire
actuel de la Communauté de ville, et eu cette qualité, colonel de
la milice bourgeoise, auroit quitté la tête du bureau de ville, qu'il
possédoit, en habit noir et se seroit placé sur le banc du Gouver-
nement, vacant par l'absence du commandant, lequel est en tête
de notre dit banc et sur ce que nous aurions appris qu'il s'y étoit
placé à dessein, et lui ayant vu mettre quelques momens après un
hausse col ; la Compagnie a prié M. le Sénéchal de demander
audit sieur de la Ville qu'il eut à déclarer de quel droit et en
quelle qualité il avoit pris cette place ; à quoi le dit sieur de la
Ville a répondu que c'étoit en qualité de commandant ; sur la-
quelle réponse la compagnie, voulant éviter l'éclat d'une contesta-
tion plus longue dans le lieu saint, et au moment d'une cérémonie,
dont l'objet, si cher à tous les sujets de S. M., occupoit tous les
esprits, a réservé de rapporter à l'issue le présent procès-verbal,
contre une entreprise sans exemple et d'autant plus extraordinaire
que, dans le cas où le maire remplit quelque fonction du com-
mandant, en son absence, il ne quitte jamais sa place pour
prendre celle du commandant, n'ayant aucune fonction qu'en sa
ditte qualité de maire, protestant contre laditte entreprise, et de
se pourvoir, ainsy qu'il sera vu appartenir. Fait et arresté en la
Chambre du Conseil du Présidial de Nantes, lesdits jour et an
que devant.
Bellabre, Orry de Réveillon, Le Lasseur,
Monnier, Gallot, Le Lasseur de Ranzaï,
Turquetil, Marcé, Mahot.
arrivée pour la première fois de m. de cornullier,
président a mortier.
Le 12 décembre 1775, M. de Cornullier, président à mortier
du Parlement de Bretagne, étant arrivé pour la première fois
— 200 —
dans cette ville, la Compagnie a député MM. Le Lasseur l'aîné,
Marcé et Mahot, conseillers, pour le saluer.
Du 29 avril 1777 : MM. Turquetil et Mahot, conseillers, ont
été nommés par la Compagnie, députés, pour assister à la pique,
pour l'élection des nouveaux échevins. La Compagnie les a char-
gés de faire les protestations ordinaires, relativement au droit de
présidence à ladite assemblée.
ARRIVÉE DE M. LE COMTE D'ARTOIS, FRÈRE DE LOUIS XVI.
Du vendredi 23 mai 1777 : Mer le comte d'Artois, l'un des
frères du Roi, étant arrivé en cette ville, à cinq heures et demie
de l'après-midi, et s'étant rendu au château, la Compagnie, qui
s'étoit assemblée, a chargé M. le procureur du Roi d'aller, et il
est allé scavoir l'heure à laquelle il plairoit au prince de recevoir
les respects de la Compagnie. M. le procureur du Roi, de retour,
ayant rapporté que le prince recevroit en ce moment la Compa-
gnie à lui rendre ses hommages, tous Messieurs en robes et bon-
nets, ayant M. le Sénéchal à leur tête, en robe rouge, précédés
et suivis des greffiers et huissiers, se sont rendus au château, et
étant entrés dans l'une des salles, ils ont été présentés à S. A. R.
par M. le comte de Rourbon-Busset, premier gentilhomme de la
Chambre. M. le Sénéchal a fait, au nom de la Compagnie, un
compliment au prince, qui étoit debout et découvert, et a fini
par lui demander sa protection, à quoi S. A. R. a répondu que la
Compagnie pouvoit y compter. Ce fait, tous Messieurs se sont reti-
rés, dans l'ordre qu'ils avoient été.
ARRIVÉE DE L'EMPEREUR JOSEPH.
Le 14 juin 1777, l'Empereur, voyageant en France, sous le
nom de comte de Falkeinstein, est arrivé en cette ville, où ayant
201
voulu garder comme dans les autres villes du royaume, un parfait
incognito, il n'a été complimenté par aucune Compagnie. Il a logé
dans une hôtellerie tenue rue de Gorges, et est parti le lende-
main de son arrivée.
INTERVENTION PAR LA PRESIDENCE AUX ASSEMBLEES DE VILLE.
Du 11 juillet 1777 : En la Chambre du Conseil, où présidoit
M. l'Alloué. Présens : MM. de la Ville, doyen ; Le Lasseur
l'aîné, Deguer, Gallot, Le Lasseur de Kanzay, Turquetil, Marcé,
Mahot, Dreux, conseillers, et Fellonneau, avocat du Roi.
M. l'Alloué a dit qu'aucun des membres de la Compagnie n'igno-
roit l'instance introduite au Conseil entre M. le Sénéchal et les
officiers municipaux, au sujet de la présidence aux assemblées
générales de l'Hôtel-de-Ville, que cette présidence intéressoit la
Compagnie, tant parce que les honneurs attribués a son chef ne
peuvent manquer de rejaillir sur elle, que parce que cette préro-
gative est moins un attribut de l'office de M. le Sénéchal que de
la Compagnie elle-même, puisqu'il n'en jouit qu'à raison de ce
qu'il la préside, et qu'en son absence elle passe à tous les officiers
du siège successivement, jusqu'au dernier reçu, selon l'ordre du ta-
bleau ; que, par ces motifs, la Compagnie avoit toujours pris un inté-
rêt sensible à tout ce qui s'étoit passé précédemment, h cet égard,
soit en n'envoyant point ses députés aux assemblées générales,
soit lorsqu'elle en a envoyé, en les chargeant de faire insérer sur
le registre des assemblées, ses protestations; que si elle n'a point
paru jusqu'à présent nommément dans l'instance, c'est parce que
M. le Sénéchal étoit censé faire pour tous et que, dans le fait, ses
demandes sont dirigées à ce que le droit soit rétabli, non seule-
ment pour lui, mais pour tout autre membre de la Compagnie qui
se trouvera dans le cas de le remplacer, selon l'ordre du tableau,
ce qui suffiroit sans doute pour l'économie de la procédure, niais
que, dans une affaire aussi importante, il semble qu'on ne doit
rien négliger, pour marquer de plus en plus combien la Compa-
— 202 —
gnie est unanime sur la demande formée par M. le Sénéchal ; que
l'on voit, par l'imprimé d'un arrêt du Conseil du Roi, du 10 mars
1776, qui vient déjuger la même question, en laveur des officiers
delà justice seigneuriale de Pontivy, contre les maire et échevins
de cette viile; que les juges de cette jurisdiction ont suivi la
même marche et ont paru en nom dans l'instance avec le Séné-
chal, et que si des juges seigneuriaux ont obtenu cette décision,
on doit l'attendre avec bien plus de raison de la justice du Roi,
en faveur d'un des premiers Présidiaux du royaume.
Sur quoi, la Compagnie délibérant, a arrêté d'intervenir dans
l'instance dont il s'agit, et qu'il sera écrit, à cet effet, à M. Mon-
ceau, avocat aux Conseils du Roi, pour le charger de mettre la
requête d'intervention et faire les autres suites nécessaires.
De la Ville, Le Lasseur, Deguer, Gallot,
Orry de Réveillon, Le Lasseur de Ranzay,
TURQUETIL, MaRCÉ, MAHOT, R. DREUX ,
Fellonneau, avocat du Roi.
PROJET D'UNE RETRAITE A NANTES.
Du 6 mars 1778 : En la Chambre du Conseil du Présidial de
Nantes, où présidoit M. Bellabre, sénéchal. Présens : MM. Orry de
Réveillon, Alloué, lieutenant général ; de la Ville, lieutenant civil
et criminel ; de la Ville, doyen ; Le Lasseur, Deguer, Monnier,
Gallot, Le Lasseur de Ranzay, Turquetil, Marcé et Dreux, conseil-
lers ; Goullin de la Brosse, avocat du Roi ; Badereau, procureur
du Roi, et Fellonneau, avocat du Roi.
M. le Sénéchal a dit que le sieur abbé de Mélient ayant acquis pour
6,100 livres la maison où se faisoient autrefois les retraites des
femmes, dirigées par les ci-devant Jésuites, a obtenu des lettres
patentes, qui lui permettent de faire don de cette maison au dio-
cèse de Nantes, pour servir à des retraites de l'un et l'autre sexe,
sous l'inspection et les ordres de l'Évêque et de ses successeurs,
-203-
qui sont autorisés à y faire tels règlemens qu'ils jugeront conve-
nables ; que, par ces mêmes lettres, les Évêques de Nantes sont
également autorisés à faire diriger ces retraites par tel prêtre sé-
culier, qu'ils jugeront à propos, pourvu qu'il ne soit poiut attaché
à une Communauté régulière, avec pouvoir à ce directeur de se
choisir tel nombre qu'il voudra de coopérateurs. M. le Sénéchal
a ajouté que le sieur abbé de Mélient s' étant pourvu au Parlement
de cette province pour obtenir l'enregistrement de ses lettres
patentes, il a été rendu arrest qui a ordonné que la requeste et
les pièces y attachées seroient communiquées à la Compagnie,
pour y répondre, et le tout rapporté à la Cour et communiqué à
M. le procureur général, être, sur les conclusions, statué ce qui
seroit vu appartenir. Il a été en conséquence pris lecture, tant
dudit arrest du 7 février dernier, que des lettres patentes du mois
de may 1777, requête à fins d'enregistrement du 4 décembre
suivant, imprimé sur lettres patentes, pour la vente des biens des
cy-devant Jésuites, du 14 juin 1763, contrat d'association à l'ac-
quisition faite par la veuve Gherol, consenti par ladite veuve audit
abbé de Mélient, le 22 février 1777, bannies à fin d'approprie-
ment, du 12 avril de la même année, arrest de la Cour ordonnant
la communication à la Communauté de ville, du 9 décembre suivant,
réponse de ladite Communauté de ville, du 27 du même mois,
requeste en réplique, du sieur abbé de Mélient, du 28 janvier
dernier, collationné de délibération prise par la Communauté de
ville, le 9 décembre 1733, au sujet d'une augmentation des
retraites dirigées par les cy- devants Jésuites, et collationné;
d'arrest du Conseil, conforme aux modifications portées dans
ladite délibération, en date du 13 mars 1734.
Sur quoi, la Compagnie délibérant, a observé que les retraites
projetées ayant, comme tous les autres établissemens humains,
des avantages et des inconvéniens, ce n'est qu'après avoir appré-
cié et balancé les uns et les autres qu'on peut se décider avec
justice à concourir où à s'opposer au nouveau projet.
Les avantages exposés dans la requête, sur laquelle ont été
expédiées les lettres patentes, sont de prévenir la dépravation des
- 204 —
mœurs et du maintenir les principes du christianisme. On a cru
voir ces heureux effets se produire dans les retraites dirigées par
les ci-devants Jésuites : mais, comme elles ont cessé avec la
Régence, dont elles étoient soumises, on se propose de les réta-
blir avec d'autant plus de raison que, dans une ville comme
Nantes, l'affluence d'étrangers que le commerce y attire peut
contribuer a altérer la relision des habitans.
Des motifs aussi purs sont dignes du zèle et de la sollicitude
pastorale du prélat respectable qui gouverne l'Eglise de Nantes;
ils font l'éloge du pieux ecclésiastique qui poursuit l'établissement
projette; si la nouvelle retraite doit opérer à la fois la réforme
des secours et le maintien du christianisme, qui pourroit balancer
sur un établissement aussi désirable? Les magistrats protecteurs
des mœurs publiques et défenseurs de la religion doivent s'em-
presser d'y concourir.
Mais plus ces espérances qu'on se forme de la retraite propo-
sée, sont imposans, plus il importe d'en approfondir la réalité,
ou d'en dissiper le prestige. Une première raison de douter
résulte du principe si connu, que les institutions spirituelles ou
civiles se conservent par les mômes moyens qui les ont établies,
et que pour empêcher le relâchement de s'y introduire et y remé-
dier quand il s'est introduit, il faut les ramener à l'esprit de leurs
premiers instituteurs. Or on ne trouvera pas dans la discipline de
la primitive Église ces assemblées particulières d'une portion du
troupeau, dans un lieu fermé aux autres fidèles qui ne s'y
scroient pas aggrégés ; l'histoire ecclésiastique nous apprend au
contraire que, pendant une longue suite de siècles, on n'a connu
d'aulre lieu d'instruction et de prière que l'église de l'Evêque et
celles des curés, où ces pasteurs exerçoient eux-mêmes en public
leur ministère, a l'exemple de leur maître; eyopalàm locutus sum
mundo : cyo semper docui in synagoyd et in templo quo omnes
Judcei conveniunt, et in occulto locutus sum nïhil. Ce n'est que
dans les derniers temps qu'on a imaginé de former sous les noms
de retraites de femmes, de retraites d'hommes, de congrégations
des artisans, de congrégations des messieurs, ces petits troupeaux
- 205 -
d'élite, où une société justement proscrite par l'Eglise et par
l'État, soulfloit son esprit et fômentoit ces divisions funestes que
la piété éclairée de deux grands papes et la sagesse du feu Roy
sont parvenus à étouffer. Il est vrai qu'on n'a pas à craindre que
cette société se rétablisse jamais; mais a-t-on bien pris les pré-
cautions nécessaires pour que la retraite proposée ne tombe pas
dans les mains de quelques congrégations où le même esprit
pourroit s'introduire? Les lettres patentes n'excluent que les
Communautés régulières: elles n'appellent point en particulier
les ecclésiastiques du diocèse : elles laissent au contraire à
l'Évêque la liberté la plus indéfinie d'employer tous les ecclésias-
tiques qu'il voudra. Il a donc la faculté d'y placer des étrangers
et des congrégations composées d'étrangers. Peut-être que dans
les premières années, il pourra faire tomber son choix sur des
prêtres de son diocèse : mais deux raisons frapautes doivent
porter à croire qu'il en sera bientôt autrement.
La première se tire de ce qui se passe actuellement, par rap-
port à la Communauté de Saint-Clément. Dirigée dans son prin-
cipe par des ecclésiastiques libres, elle a été depuis affectée, par
un évêque de Nantes, à la congrégation des Sulpiciens, et l'Évêque
actuel soutient au Conseil cette congrégation, contre une partie
des curés de son diocèse. Ce qui s'est fait pour la Communauté
de Saint-Clément peut bien se faire encore pour la retraite pro-
jettée, puisque tout y paroît dispose, par la liberté indéfinie
laissée au prélat d'employer, pour la direction de cet établisse-
ment, tous autres que des réguliers.
La seconde raison vient à l'appui de la première. Il y a long-
tems qu'on se plaint de la disette des ecclésiastiques du diocèse:
on prétend même que leur nombre peut a peine suffire pour
fournir des vicaires aux différentes paroisses. Il n'en restera donc
point sans emploi et qu'on puisse occuper a la direction du
nouvel établissement. On trouvera peut-être encore qu'ils y sont
aussi peu propres qu'à la direction de la Communauté de Saint-
Clément, et jamais prétexte plus plausible ne pourra se présenter
pour appellcr à leur secours une congrégation.
— 206 —
On pourroit ajouter, au sujet de l'affluence des étrangers à
Nantes, qu'il n'est peut-être pas aussi à craindre qu'on l'annonce,
qu'elle altère la religion des habitants. Le plus grand nombre de
ces étrangers sont des Irlandais, des Flamands et des Espagnols,
dont on connoît l'attachement aux principes de la religion catho-
lique. Si parmi les Allemands qui vivent à Nantes, il se rencontre
des protestants, personne n'ignore l'attention scrupuleuse qu'ils
marquent à exiger de leurs domestiques la plus grande exacti-
tude aux devoirs de la religion, et l'on ne voit pas au surplus
comment les retraites pourroient empêcher l'altération des prin-
cipes de la religion plus efficacement que les instructions pu-
bliques des églises paroissiales où tous les fidèles sont admis.
Quant à la dépravation des mœurs que l'on attribue à la cessa-
tion des retraites à Nantes, c'est une allégation hazardée bien
légèrement. Il semble au contraire qu'à mesure que les funestes
divisions qui troubloient l'Eglise, se sont assoupies, la solide
piété, qui ne subsiste qu'avec la charité et la paix, s'est accrue
dans les classes de cytoyens où l'on a quelque respect pour la
religion, si l'on n'en peut pas dire autant d'autres classes où la
piété est presqu'un ridicule, il ne faut pas l'attribuer au défaut
des retraites, que ces personnes ne fréquentoient jamais ; c'est au
progrès de ce luxe dévorant que les richesses d'une longue paix
ont étendu partout et qui multiplie les passions en leur fournis-
sant sans cesse de nouveaux alimens. Ainsi l'on peut conclure,
malgré les apparences spécieuses du bien de la religion et des
mœurs, que les avantages des retraites sont bien incertains.
Mais, quand on supposeroit ces avantages réels en eux-mêmes,
il resteroit encore à examiner quelles personnes pourront en pro-
fiter. Ce ne sera pas la mère de famille, dont la vraie retraite est
dans l'intérieur de son ménage et dont la vie active fait toute sa
gloire ; consideravit semitas domus suœ, et panem otiosa non
comedit. Ce sera encore moins la jeune fille, dont la place est
auprès de sa mère et qui ne doit jamais quitter cette gardienne
nécessaire de son inexpérience. Sera-ce la fille âgée qui vit dans
le célibat ? Mais ces personnes ont, pour satisfaire leur piété, les
— 207 —
pensions des couvents, la retraite de Saint-Charles. Elles ont mille
œuvres de charité à faire dans le sein de leur famille, auprès des
pauvres des paroisses et des hôpitaux. Si tout cela ne suffit pas
pour occuper les âmes pieuses, il est si aisé de multiplier les ins-
tructions dans les paroisses, où les occasions d'assembler les
fidèles sont bien plus fréquentes et à la portée de tous. Ce ne
sont point encore des marchands et des artisans qu'il faut porter
à quitter leur commerce et leurs travaux, pour se livrer pendant
huit jours entiers à la vie contemplative d'une retraite. Tout ce
qui contredit et tend à détruire l'habitude des devoirs de l'Etat,
où la Providence nous a placé, ne peut être dans l'ordre. Mais,
ce qui forme un vrai désordre dans l'Eglise et dans l'Etat, c'est
de voir des paisans quitter la campagne, arracher à leur famille
une somme nécessaire à sa subsistance pour la payer à la retraite
et ne faire ce sacrifice immense pour eux, que dans la seule vue
de trouver un confesseur plus facile et de se soustraire à la con-
duite de leur pasteur plus à lieu de les connoître et de les corri-
ger. On pourroit citer plusieurs exemples de ces malheureux
abusés, morts dans leurs désordres, en laissant leur famille dans
la plus affreuse misère. Les seuls qui pourroient peut-être retirer
quelque fruit des retraites, seroient quelques marins, qui s'y ren-
draient par compagnie ou par désœuvrement : mais outre que
ce cas est infiniment rare, nous laissons à juger aux ecclésias-
tiques remplis des vrais principes de l'Eglise, si ces réconcilia-
tions précipitées sont bien conformes à son esprit et si l'on doit
y compter ; d'ailleurs cet objet est d'avance rempli par les retraites
qui se font dans les maisons religieuses. Les femmes, comme on
l'a déjà observé, ont celles de Saint-Charles; les hommes vont
chez les Récollets, les Capucins : ils ont, dans ces maisons,
l'exemple de la piété et du renoncement à soi-même plus persua-
sif que les paroles, et l'on n'y trouve point à beaucoup près tous
les inconvéniens qu'on va détailler.
Il faut d'abord observer qu'il s'agit réellement ici d'un nouvel
établissement. La maison qu'on y destine étoit restée dans le
commerce, par la vente faite au profit des créanciers des ci- de-
— 208 -
vant Jésuites, et les bannies d'appropriement, jointes à la requête
du sieur abbé de Mélient, ont rendu irrévocable ce retour,
regardé comme si favorable par nos loix. D'ailleurs, les retraites
des ci-devants Jésuites faisoient tellement partie de leur politique,
étoient si intimement adoptées à l'esprit de leur régime, qu'on ne
peut supposer que ce soient précisément ces retraites qu'on se
propose de rétablir. S'il en étoit ainsi, il nefaudroit pas chercher
d'autres raisons de les proscrire, mais on doit rendre justice aux
auteurs du projet. C'est un nouvel établissement qu'ils se pro-
posent, quoiqu'il y ait lieu de craindre qu'il ne soit calqué sur
les précédons.
Ainsi, c'est un premier inconvénient à opposer que la nou-
veauté de l'établissement. Lorsque l'Église universelle, assemblée
aux Conciles généraux de Latran et de Lyon, défendit d'établir
de nouveaux ordres, elle prescrivit à ceux qu'animeroit le désir
de la perfection chrétienne, de se retirer dans les ordres déjà
subsistans. On serait donc entré dans l'esprit de l'Église, si, au
lieu de former le projet d'une nouvelle retraite, on se fût borné à
perfectionner celles qui se font à Saint-Charles, aux Récollets,
aux Capucins, à la Communauté de Saint-Clément. Il est vrai que
jamais défense ne fut si mal observée que celle des Conciles qu'on
a indiqués. Les Ordres réguliers se sont multipliés depuis ; ensuite
les congrégations de toutes espèces pour les prêtres, et les re-
traites pour les laïcs. Le relâchement des premières institutions
cl le prétexte de quelque nouveau bien ont sans cesse servi d'ali-
incnl à la piété ou à l'ambition de quelque fondateur. Au lieu de
réformer les anciens élablissemens, de les rappellera leur premier
esprit, on n'a seu l'a in4, autre chose que d'en former sans cesse de
nouveaux, contre la défense de l'Eglise universelle si manifeste-
ment déclarée. De son côté, le Gouvernement civil n'a rien né-
glige, pour la faire exécuter. En publiant l'édit de 1749, le légis-
lateur semble ne s'être réservé qu'à regret le pouvoir qu'il ne
pouvoit s'ôter, de déroger à sa loi. Les formalités des communi-
cations à divers corps ont été réunies à dessein de prévenir les
surprises, et pour lui lier en quelque sorte les mains,- et l'on a
— 209 —
ajouté au défaut des formalités de ces communications la peine de
nullité, signe manifeste de défaveur, dans l'esprit de nos loix. Cet
édit est l'ouvrage d'un magistrat, M. le chancelier d'Aguesseau,
connu par son zèle éclairé pour la religion et sa piété solide. On
ne lui supposera pas des motifs que le christianisme désavoue.
Le second inconvénient des retraites est d'inspirer et de fo-
menter l'esprit particulier. On l'a déjà observé, dans les beaux
siècles de l'Eglise, toute assemblée particulière, sous la direction
d'un autre prêtre que le pasteur établi par l'Eglise, dans l'ordre
hiérarchique, eût paru rompre l'unité. C'est dans l'assemblée
générale des fidèles que la religion paroît vraiment grande et
imposante, par la majesté du lieu, la pompe des cérémonies, la
publicité des instructions. C'est dans cette assemblée qu'elle est
vraiment touchante, par l'accord des vœux réunis de tout sexe,
de tout âge et de toute condition. Au bien de la religion se joint
encore celui de l'Etat et des mœurs. Dans l'enceinte de l'église
paroissiale, les liens de la société civile se resserrent, par la parti-
cipation habituelle aux mêmes sacremens. C'est là que les enfans
sous les yeux de leurs parens, les domestiques sous ceux de leurs
maîtres, les grands et les petits ne forment qu'un seul troupeau sous
la conduite du même pasteur, plus à portée de connoître leurs
besoins, que des ministres qui ne les verroient qu'en passant.
Mais l'inconvénient de l'esprit particulier devient bien plus
sensible encore, si les retraites tombent sous la direction d'une
congrégation d'ecclésiastiques étrangers et dont on ne peut espé-
rer cette unité de vues avec les curés, si nécessaire pour opérer
quelque bien et ne pas causer les plus grands maux. Or, ne peut-
on pas prédire avec une espèce de certitude, que cela arrivera,
comme on l'a déjà observé, tant par l'exemple frappant de la
Communauté de Saint-Clément, ôtée à des ecclésiastiques libres,
pour être donnée à la congrégation des Sulpiciens, qu'à raison de
la disette des ecclésiastiques dans le diocèse.
Un troisième inconvénient d'une importance encore bien plus
grave, ce sont les instructions à portes closes, qui se font dans
les retraites. Outre que cet usage est contraire à l'esprit de
1879 U
- 210 —
l'Eglise, qui veut que le lieu de l'instruction et de la prière soit
ouvert en tout tems et à tous, elles sont extrêmement dange-
reuses, par deux considérations :
Premièrement, pour le sexe que l'on y isole et devant qui l'on
se permet des instructions secrètes, que les missionnaires croient
nécessaires sur certains sujets délicats, mais qui instruisent
plutôt du mal qu'elles n'apprennent à s'en préserver ; instruc-
tions d'ailleurs qui, pour être utiles à quelques personnes du
sexe, nuisent au plus grand nombre dont elles réveillent l'imagi-
nation, que le silence de l'éducation domestique, et la réserve
sévère de l'instruction publique eussent laissé dans une ignorance
plus favorable aux mœurs.
Deuxièmement, pour le repos de l'Eglise et de l'Etat, dans des
circonstances critiques, où des semences de division sont prêtes
à germer de toutes parts. Un prédicateur qui se borneroit à des
généralités devant un auditoire, où peuvent se trouver bien des
gens capables de le contrôler, où même chargés par état de cette
censure publique, ce prédicateur se donnera carrière aux portes
fermées, devant un troupeau choisi, et de la docilité duquel il
croit être sûr. De là, les esprits s'échauffent et des divisions
funestes défigurent l'Église et l'État. Peut-être est-ce à la cessa-
tion des retraites à Nantes qu'on doit attribuer la révolution sin-
gulière qui s'y est opérée relativement aux disputes de l'Église et
à l'esprit de trouble et de schisme, dont naguère on voyoit par-
tout des effets scandaleux.
C'est encore un grand inconvénient des retraites, que de dis-
traire les cytoyens des occupations de leur état, pour se livrer au
repos de la vie contemplative, pendant huit jours entiers et con-
sécutifs. C'est contredire d'une manière frappante les vues des
sages prélats qui ont supprimé des fêtes dans leurs diocèses,
quoiqu'elles eussent des effets moins sensibles, n'étant répandues
que par intervalles et de loin en loin, dans le cours de toute
l'année; mais, lorsqu'après une semaine entière d'inaction, perdue
pour la subsistance de la famille, sans compter la dépense ex-
traordinaire, on reviendra à l'exercice de sa profession, y por-
— 211 —
tera-t-on la même ardeur et la môme activité? Ne faudra-t-il pas
encore un certain intervalle, pour détruire l'habitude de la paresse,
si naturelle à l'homme et si dangereuse pour l'intérêt civil, comme
pour celui de la religion.
Cette inaction continuée pendant une semaine entière aura des
effets bien plus dangereux encore sur, les femmes ; après s'être
livrées sans réserve à ce repos des facultés corporelles, auquel la
foiblesse de leurs organes les fait tendre avec tant d'attrait, elles ne
reprendront pas avec plaisir les soins multipliés du ménage et le
mouvement continuel qu'il exige d'elles. Après avoir goûté la
tranquillité de la retraite, elles souffriront avec moins de patience
les jeux bruyans, ies pleurs et les cris des enfans, les contradic-
tions domestiques : elles seront moins frappées de mille autres
désagrémens, que l'habitude de les supporter avoit rendu moins
sensibles à leurs yeux. Ne seront-elles pas portées, comme malgré
elles, à faire des comparaisons ? Et dès que l'imagination d'une
femme se monte sur ces objets, l'union du mariage est perdue sans
retour, l'éducation des enfants en souffre, et le public retentit
bientôt des plus scandaleuses divisions.
On n'aura pas, à la vérité, ces malheurs à craindre pour les
filles âgées et les veuves sans enfans, qui fréquenteront les
retraites ; mais il est des inconvéniens d'un autre genre pour
elles; plusieurs absorberont dans la bonne œuvre les effets de
leur charité, qui est néanmoins si utile dans leurs familles, auprès
des pauvres des paroisses et ceux des hôpitaux. On les verra
dépouiller de leurs biens leurs légitimes héritiers, et se dépouiller
elles-mêmes de leur vivant. Ces craintes ne sont point frivoles ;
les pièces jointes à la requête prouvent combien elles sont fon-
dées. On voit dans ce contrat d'association du sieur abbé de
Mélient, la preuve de ces libéralités excessives des personnes du
sexe; entr'autres d'une demoiselle Mare qui, d'une fortune consi-
dérable, fût tombée dans les horreurs de l'indigence, si la Cour
n'étoit venue à son secours par son arrest du 9 décembre 1763.
D'ailleurs on doit prévoir que l'établissement des retraites se
conservera et s'augmentera par les mêmes moyens qui lui donnent
l'existence. Car, quoiqu'il soit porté, dans la requête insérée aux
— 212 -
lettres patentes, que le sieur abbé de Mélient donne la maison
destinée aux retraites, il sera permis de douter qu'un cadet d'une
fortune médiocre soit en état de faire un don de 61,000 livres, et
l'on pourroit aisément constater, si on le vouloit, que c'est dans
la bourse des cytoyens, tant ecclésiastiques que laïques, qu'il a
puisé; or il est bien sensible qu'on ne s'en tiendra pas à ces
premières contributions ; les constructions annoncées dans les
lettres patentes en exigeront bien d'autres, et les charités si
nécessaires aux pauvres des paroisses et des hôpitaux en seront
diminuées.
L'espèce de subreption qui vient d'être remarquée dans les
lettres patentes, par rapport au don du sieur abbé de Mélient,
n'est pas le seul défaut qui s'y trouve. On peut aussi leur repro-
cher le vice d'obreption, et c'est encore dans les pièces jointes à
la requête qu'on en voit la preuve. En effet, on y lit une délibé-
ration de la Communauté de ville, prise le 9 décembre 1733,
lorsque les ci-devant Jésuites voulurent augmenter les logemens
de leurs retraites, en acquerrant les bàtimens voisins, et suivant
laquelle il devoit être réservé, pour le logement des habitans,
140 pieds de face sur 32 pieds de profondeur, qui seroient cou-
verts de bàtimens construits à cet effet. On lit ensuite un arrest
du Conseil du 10 mars 1734, qui adopta une demande aussi
sage, malgré les efforts des ci -devant Jésuites, en ordonnant
l'exécution de celte délibération. Le même arrêt décida que les
bàtimens destinés aux retraites, ne pourroient être employés à
autre chose qu'à loger des habitans, si les retraites venoient à
cesser. Or, il ne paroît pas qu'on ait donné connoissance à Sa
Majesté de cet arrest du Conseil, lorsqu'on a sollicité les lettres
patentes. Elles ne contiennent rien de pareil. S'il y est parlé de
louages d'appartemens, ce n'est que pour dispenser, dans ce cas,
d'obtenir de nouvelles lettres patentes. Mais elles laissent la
liberté la plus entière d'employer aux retraites la totalité des
bàtimens déjà construits et ceux qu'elles autorisent à construire;
elles ne disent point non plus ce que deviendront ces bàtimens,
si les retraites viennent à cesser.
Il étoit cependant plus important aujourd'huy qu'en 1734, de
— 213 -
s'occuper d'un objet de cette considération. Ces constructions
anciennes, qui, dans un espace resserré, contenoient un peuple
immense, ont fait place aux bâtimens modernes, où chaque fa-
mille occupe de vastes appartemens. Deslà les logemens sont
devenus extrêmement rares à Nantes, et l'on a vu dans ces der-
niers lerns, des étrangers qui arrivoient, obligés de remonter la
Loire jusqu'à Angers, à Tours et à Orléans pour s'y loger. Dix-
huit capités (?), dont plusieurs ont femmes et enfans, occupent
actuellement les bâtimens qu'on destine à la nouvelle retraite.
Outre l'expulsion d'un nombre aussi considérable tte cytoyens,
on perd l'expectative des bâtimens, fort étendus, qui restent à
construire, et qui ne pourront manquer de l'être bientôt, sur un
terrain qui devient de plus en plus précieux, par les embellisse-
mens que la Communauté de ville a fait faire, et ceux qu'elle se
propose encore. Le nombre des contribuables aux taxes publiques
en sera diminué, à la surcharge des autres cytoyens.
Mais une autre surcharge encore plus sensible sera celle des
vingtièmes, auxquels les maisons , vendues au profit des créan-
ciers de ci-devant Jésuites, étoient redevenues sujettes. Il seroit
aisé de prouver que la maison, que le sieur abbé de Mélient paroît
donner, supporteroit aux moins 150 livres à cette taxe, et c'étoit
un dédommagement bien légitime, pour une infinité de taux
perdus, par la destruction sans retour de plusieurs bâtimens, qui
embarassoient les quais, les places et beaucoup d'autres endroits
ordinaires ou public.
Par toutes ces considérations, la Compagnie n'est point d'avis
que les lettres patentes du mois de mai 1777, dont il s'agit, soient
enregistrées, et croit devoir au contraire supplier la Cour de faire
au Roi, pour en obtenir le retrait, telles remontrances que sa
sagesse et ses lumières supérieures lui inspireront.
Bellabre , sénéchal ; Orry de Réveillon ,
de la Ville, lieutenant; de la Ville, doyen,
Le Lasseur, Deguer, Monnier, Gallot,
Le Lasseur de Ranzay, Turquetil, Bade-
reau, Marcé, Mahot, Fkllonneau, avocat
du roi ; Dreux.
— 2U —
ADHÉSION A UNE DEMANDE DES PROPRIÉTAIRES DES VIGNOBLES AUX
ÉTATS DE BRETAGNE.
Du 3 avril 1778 : En la Chambre du Conseil, où présidoit
M. Bellabre, sénéchal. Présens : MM. Orry de Réveillon, Alloué,
lieutenant général; de la Ville, lieutenant civil et criminel; de la
Ville, doyen ; Le Lasseur, Deguer, Monuier, Gallot, Le Lasseur de
Ranzay, Turquetil, Marcé, Mahot et Dreux, conseillers ; Fellon-
neau, avocat du Roi, et Badereau, procureur du Roi.
M. le Sénéchal a fait lecture d'un mémoire signé des princi-
paux propriétaires des vignobles du comté nantois et destiné à
être présenté aux États, dans leur prochaine assemblée, à l'effet
d'obtenir une modération sur les droits, auxquels les productions
des vignobles sont assujetties, beaucoup au delà de ce qu'ils
peuvent supporter ; ce que l'on y prouve, en faisant voir :
Premièrement, par des relevés des registres de recette et dé-
pense des plus grands vignobles du comté nantois, dont on cer-
tifie l'exactitude, suppliant les États d'en faire faire la vérification
par des commissaires nommés à cet effet, que, dans les vingt
dernières années, le produit des vignes a considérablement dimi-
nué, tant par les hyvers rigoureux qu'on a essuyés, que par le
renchérissement de la main-d'œuvre, qui a suivi l'augmentation
du prix des grains et autres denrées, tandis que les autres es-
pèces de biens ont à peu près doublé de revenu, pendant les
mêmes vingt années ;
Deuxièmement, que la perte des propriétaires et colons des
vignes ne peut qu'augmenter progressivement, par la faculté lais-
sée aux fermiers des devoirs de tirer leurs vins des provinces
étrangères, et notamment depuis que, dans la dernière tenue, la
consommation de ces vins a été si favorisée, par la permis-
sion donnée à ces fermiers de diminuer les droits sur les vins
étrangers, en les laissant subsister, dans toute leur étendue sur
le vin du comté nantois, qui, par la, ne jouit plus de la préfé-
rence, que toutes les nations commerçantes ont tant d'attention
de conserver aux denrées de leur cru ;
— 215 —
Troisièmement, qu'au lieu de rétablir la juste proportion, en
diminuant les impositions .des vignobles, au prorata de leur dépé-
rissement et de l'augmentation des autres biens , non seulement
on a laissé subsister, à leur égard, les impositions générales, mais
on leur a encore fait supporter seuls le fardeau d'une imposition
qui devroit être commune à toutes les espèces de biens de la
province, en prenant par augmentation et rétablissement de droit
sur les vins, le fonds de l'emprunt, pour les 4 fr. pour livre de la
capitation demandée en 1748 et continuée depuis, et pour rem-
plir le déficit du casernement ;
Quatrièmement, qu'outre les augmentations précédentes, on a
encore mis, en 1772, les 4 fr. pour livre en sus des droits sur les
vins, ce qui les a augmentés d'un cinquième, et il a été établi un
nouveau droit de méage ; de manière qu'en prenant la masse de
ces droits sur les mêmes registres, dont on offre la vérification,
et la réunissant aux vingtièmes que l'on paye pour les vignes,
suivant la proportion établie avant leur dépérissement et l'aug-
mentation des autres biens, elle triple cette taxe, dans un tems
qu'il auroit été juste de la diminuer considérablement.
Sur quoi, l'assemblée délibérant, après avoir reconnu la vérité
des faits exposés dans le mémoire dont il s'agit, par le rapport de
plusieurs de ses membres qui possèdent des vignes dans le comté
nantois, et considérant qu'indépendamment des raisons de justice
et d'impartialité qui animent les Etats, et suffisent seules pour les
porter à faire cesser la disproportion énorme qui existe, par rap-
port aux taxes entre les vignobles et les autres natures de biens,
on doit ajouter qu'il est de l'essence d'une administration pater-
nelle comme la leur, de ne pas écraser une culture, qui nécessite
et entretient une population quadruple au moins de ce qu'elle
seroit, si on y substituoit un autre genre de production ; qu'il
est en même tems conforme aux premiers principes de l'œcono-
mie politique de protéger des propriétaires et cultivateurs, qui
en répandant des salaires journellement multipliés dans le sein
des individus les plus pauvres de la société, tirent, au moyen de
ces avances énormes, des valeurs proportionnées sur des terres
- 216 -
graveleuses et souvent sur des rochers stériles pour toute autre
espèce de fruits. Par toutes ces raisons, la Compagnie est d'avis
d'adhérer audit mémoire et de se joindre à ceux qui l'ont signé,
pour obtenir des États les diminutions de droits y mentionnés,
ensemble l'intervention des États au sujet du nouveau droit de
méage et de l'extension qu'on lui donne aux vins du bas de la
rivière de Loire, qu'on décharge à Nantes pour les arméniens et
pour la mer, et, à cet effet, il sera délivré copie de la présente
délibération à M. de Maubreuil qui a communiqué ledit mémoire
et auquel il a été rendu.
Bellabre, Orry de Réveillon, de la Ville,
lieutenant; de la Ville, doyen; Le Lasseur
de Ranzay, Gallot, Deguer, Mahot, Marcé,
Dreux.
Du 28 avril 1778 : MM. Gallot et Dreux, conseillers, ont été
nommés par la Compagnie, députés pour assister à la pique, pour
l'élection de nouveaux officiers municipaux. La Compagnie les a
chargés de faire les protestations ordinaires, touchant le droit de
présidence à l'assemblée de ville, pour la pique.
Bellabre, Orry de Réveillon, de la Ville,
doyen; Deguer, Marcé, Mahot, Dreux.
PONT DE L'ILE FEYDEAU A L'iLE GLORIETTE.
Du 29 avril 1778 : En la Chambre du Conseil, où présidoit
M. le Sénéchal. Assistans : MM. Orry de Réveillon, Alloué, de la
Ville, lieutenant; de la Ville, doyen; Le Lasseur, Deguer, Mon-
nier, Le Lasseur du Ranzay, Turquetil, Mahot et Dreux, conseil-
lers, et Badereau, procureur du Roi.
M. Mahot, député de la Compagnie au Bureau de l'Hôtel-Dieu,
a présenté et lu un mémoire, des administrateurs de celte maison,
— 217 -
par lequel ils exposent qu'ils ont appris que les propriétaires de
l'île Gloriette ont formé le dessein de faire construire, pour le
passage des gens de pied seulement, un pont qui doit traverser
la rivière de Loire, à prendre depuis la calle de la maison Lau-
rencin, jusqu'à celle de la maison Villestreux ; que ce pont pro-
cureroit à la vérité, une commodité de passage aux habitans de
ce quartier, mais que, d'un autre côté, il seroit très-préjudiciable
à l'Hôtel-Dieu, à qui appartient la majeure partie des maisons et
magasins, au dessus ce pont, qui, à ce moyen, deviendroienl de
peu de valeur et ne seroient affermés qua très-difficilement, parce
que les barques, gabarres pontées et autres grands bâtimens,
qu'il n'est pas possible de démâter, ne pourroient plus venir
charger et décharger des marchandises au quay de l'Hôpital i
pourquoi les administrateurs, attentifs à veiller à l'intérêt des
pauvres, ont cru devoir faire part à la Compagnie de la construc-
tion du pont dont il s'agit, et la prier de délibérer s'ils s'y oppo-
seront.
Sur quoi, la Compagnie, après avoir délibéré, a été d'avis que
les administrateurs de l'Hôtel-Dieu ne doivent pas s'opposer à la
construction du pont projettée par les propriétaires du quartier
de l'île Gloriette, pourvu que, pour obvier au préjudice qui pour-
roi t résulter, pour cette maison, de l'interruption de la naviga-
tion, le pont dont est question soit construit de manière à laisser
un libre passage aux barques, gabarres pontées et autres embar-
quations.
Bellabre, Orry de Réveillon, de la Ville,
lieutenant; de la Ville, doyen; Deguer,
Le Lasseur de Ranzay, Mahot, Dreux.
LETTRE DE M. LE GARDE DES SCEAUX SUR LA PRESIDIALITK.
Du 12 novembre 1778 : En la Chambre du Conseil du siège
Présidial de Nantes, où présidoit MM. Orry de Réveillon, Alloué.
— 218 —
Assistants : MM. Bourgoing, juge criminel ; de la Ville, lieute-
nant; de la Ville, doyen ; Deguer, Gallot, Le Lasseur de Ranzay,
Turque til, Marcé, Mahot et Dreux, conseillers, et Fellonneau,
avocat du Roi.
A été donné lecture d'une lettre écrite à la Compagnie, par
M. le garde des sceaux, le 29 octobre dernier, au sujet de l'édit
du mois d'août 1777, concernant la jurisdiction présidiale, et la
Compagnie a arrêté de faire registre de ladite lettre, dont la
teneur suit :
Messieurs,
J'ai mis sous les yeux du Roi les représentations qui m'ont été
adressées par plusieurs Présidiaux, au sujet de l'édit du mois
d'août 1777. S. M. a été fort mécontente de la conduite de
quelques-uns des officiers de ces sièges, surtout de la publicité
qu'ils ont donnée à leurs démarches, en faisant imprimer des
représentations qui dévoient demeurer secrètes ; mais ce mécon-
tentement particulier n'a pas empêché S. M. de prendre en con-
sidération les objets de ces représentations, qui lui ont paru
mériter son attention. Elle a eu la bonté d'excuser la forme, en
faveur des motifs, et elle n'a pas hézité d'avoir égard à celles de
ces observations qui, sans attaquer la substance de son édit, lui
ont paru les plus capables d'assurer de plus en plus le maintien
de la jurisdiction des Présidiaux et de procurer plus de facilité
et moins de frais à ceux de ses sujets, qui sont dans le cas d'y
recourir.
C'est dans ces principes qu'a été rédigée la déclaration, que
S. M. vient d'adresser à ses Parlemens. Vous y reconnoîtrez
l'esprit de justice et de sagesse qui dirige toutes ses décisions. Je
ne doute pas que vous ne vous y conformiés, avec le respect et
la soumission dont les magistrats doivent l'exemple.
Je n'aurois point d'autres réponses à faire à toutes les repré-
sentations que j'ai reçues sur ce même édit, si je n'avois remar-
quée qu'il y en avoit plusieurs qui n'étoient fondées que sur le
— 249 —
peu d'attention que l'on a donné au véritable sens de quelques
articles.
C'est ce qui est arrivé, par rapport à l'article 3, dans lequel il
est aisé de reconnoître :
1° Qu'en ne permettant aux Présidiaux de connoîtreen dernier
ressort, que jusqu'à 80 livres de rente, le législateur n'a entendu
parler que des rentes foncières qui n'ont point de capital, et qu'à
l'égard des rentes constituées, c'est le capital et non la rente, qui
doit déterminer la compétence ;
2° Que le capital des rentes constituées ne doit-être cumulé
avec les arrérages, que lorsqu'il est contesté, mais que, dans le
cas où il n'y a pas de contestation sur le capital, le Présidial peut
connoitre des arrérages, à moins que ce qui en est échu, avant
la demande, n'excède la somme de deux mille livres ;
8° Que les arrérages, échus, depuis la demande, ne doivent
être regardés, ainsi que les dommages et intérêts et les dépens,
que comme l'accessoire de la demande principale.
Je ne crois pas devoir m'arrêter aux réflexions que l'on a pro-
posées sur l'art. 6. Les édits de 1551 permettoient aux défen-
deurs de rembourser les charges foncières que le demandeur
avoit évaluées, mais, comme ils laissoient de l'incertitude sur le
tems pendant lequel le débiteur pourroit se libérer, il étoit néces-
saire d'y pourvoir, et le terme de cinq années a paru également
favorable au débiteur et au créancier.
Les doutes, que l'on a élevés sur la disposition de l'art. 9,
par lequel S. M. a excepté de la Présidialité les affaires concer-
nant l'administration des fabriques et des hôpitaux, ne sont pas
même fondés.
Les termes de cet article annoncent très clairement que cette
exception ne peut s'appliquer qu'à ce qui regarde le régime et
l'administration, et qu'elle ne peut s'étendre aux contestations
concernant leurs biens et revenus.
On n'auroit pas insisté si fortement sur les dispositions des
art. 12 et 13, si l'on avoit considéré que la Présidialité n'ayant
pas été établie en faveur des officiers, mais en faveur des justi-
— 220 —
niables, le bénéfice de cette loi doit être réclamé, et que, si toutes
les parties s'accordent à refuser d'en profiter, les juges n'ont pas
le droit de les y contraindre. En ce qui concerne la nécessité
d'un jugement de compétence, on ne dovoit pas oublier que celte
obligation n'étoit pas nouvelle, qu'elle étoit conforme, non seu-
lement à l'esprit, mais a la lettre des édits de 1551, et que
c'étoit en effet le seul moyen de prévenir les appels, tant comme
de juges incompétens qu'autrement. Il a paru d'autant plus né-
cessaire de les prévenir, que les parties n'auroient pas manqué
d'abuser de cette ressource, pour éterniser les affaires, en con-
fondant les moyens d'incompétence, avec les moyens de fond,
ce qui auroit anéanti ou du moins affoibli, en bien des cas, la
jurisdiction des Présidiaux.
L'art. 18 n'auroit pas donné lieu à des observations, si on
l'avoit lu avec attention. Il n'oblige pas les parties à soutenir un
appel de compétence, qu'elles croyent devoir abandonner; il ne
leur défend pas d'acquiescer au jugement de compétence; après
en avoir interjette appel, il enjoint seulement aux juges, si les
parties les obligent à prononcer, de n'avoir aucun égard à leurs
acquiescemens, et de s'en tenir aux règles, comme on doit tou-
jours le faire, en matière de compétence.
Je n'ai pu m'empêcher d'être étonné de ce que l'on a regardé
la disposition concernant les épices, comme capable de faire
douter de la confiance dont S. M. honore les officiers des sièges
Présidiaux. Ils ne doivent pas ignorer que les ordonnances, tant
anciennes que nouvelles, contiennent un nombre infini de dis-
positions pareilles, non seulement à l'égard des taxes des premiers
officiers des Bailliages et Sénéchaussées, mais même par rapport
aux épices et taxations des cours supérieurs.
Ces réflexions ne m'ont point empêché de proposer à S. M. de
donner une nouvelle marque de sa confiance aux officiers de ses
Présidiaux, en ordonnant qu'il seroit sursis à l'exécution de cette
disposition, et de celle qui regarde l'ordre du service.
Telles sont les réflexions, dont j'ai bien voulu vous faire part,
en vous assurant que vous me trouvères toujours disposé à faire
— 221 -
valoir vos services auprès de S. M., et à vous procurer des
inarques de sa bienveillance et de sa protection, Je suis, Messieurs,
votre affectionné à vous servir, signé : Miroménil.
Bellabre, Orry de Réveillon, de la Ville,
lieutenant; de la Ville, doyen; Deguer,
Gallot, Le Lasseur de Ranzay, Turquetil,
Marcé, Marot, Dreux.
OCTROIS ANCIENS DE NANTES ET NOUVEL OCTROI POUR UNE BALISE
ET DEUX MÔLES.
Du 21 juillet 1780 : En la Chambre du Conseil du siège
Présidial et de la Sénéchaussée de Nantes, où présidoit M. le Sé-
néchal. Présens : MM. Orry de Réveillon, Alloué, de la Ville,
lieutenant; Le Lasseur, Deguer, Monnier, Le Lasseur de Ranzay,
Turquetil et Dreux, conseillers; Fellonneau, avocat du Roi, et
Baco de la Chapelle, procureur du Roi.
M. le Sénéchal a présenté à la Compagnie un arrêt de la Cour
du 3 juin dernier, portant que la requête des maire et échevins
et procureur sindic de la ville et Communauté de Nantes, à fin
d'enregistrement des lettres patentes du Roy sur arrêt de son
Conseil, données à Versailles, le 23 mai précédent, et autres
pièces y jointes, seroit communiquée à la Compagnie et à la
Chambre du Commerce de Nantes, pour y donner leurs avis,
dans quinzaine, et le tout rapporté à la Cour, être, sur les con-
clusions de M. le procureur général du Roy, statué ce qui seroit
vu appartenir.
La Compagnie désirant répondre à la marque de confiance que
la Cour a bien voulu lui donner, et remplir eu même lems ce
qu'exige d'elle son attachement au maintien de la justice et à
l'intérêt de ses justiciables, après avoir pris lecture dudit arrêt et
des pièces y jointes, notament d'un arrêt du Conseil du 18 jan-
vier 1780, rendu sur requête des officiers municipaux de Nantes,
— 222 —
des lettres patentes sur icelui du 23 mai suivant, portant proro-
gation, pour cinq ans, des anciens octrois, avec des changemens
et ampliations aux dispositions des précédentes lettres sur même
objet, et d'autres lettres patentes du 18 avril 1780, accordant un
nouvel octroi à la Communauté de ville de Nantes, pour le pro-
duit être employée des ouvrages projettes au port de Paimbœuf,
avec attribution à M. l'intendant pour recevoir les comptes de ce
nouvel octroi, le tout mûrement examiné, ainsi que les différens
arrêts du conseil, sentences de la Sénéchaussée et autres pièces
mentionnées, tant dans lesdites lettres patentes que dans la
requête des maire et échevins insérés dans l'arrêt du 18 janvier
1780, est d'avis que, dans le nombre des changemens et exten-
sions que contiennent les lettres patentes, portant prorogation des
anciens octrois, elle doit principalement s'attacher à ceux qui
intéressent l'ordre public des jurisdictions et les propriétés des
habitans de son ressort, s'en référant sur d'autres articles qui
concernent plus particulièrement les droits sur les marchandises
et leur circulation, à ce que pourra dire la Chambre du Commerce
plus instruite de ces matières.
Le premier objet et le plus important est l'addition faite à la
fin des lettres patentes, d'une disposition que l'on chercheroit
en vain dans les précédentes de 1769, 1750 et 1741, qui ont été
imprimées. Elle porte : « Enjoignons au sieur intendant et com-
missaire départi pour l'exécution de nos ordres, de tenir la main
à l'exécution des présentes. » Jusqu'à présent cette disposition
n'avoit été mise que dans les arrêts du Conseil qui, avant d'être
revêtus de lettres patentes, ne peuvent effectivement être adressés
aux tribunaux de justice, ni reconnus par eux : mais l'innovation,
introduite par les dernières lettres, est d'une conséquence d'au-
tant plus grande pour l'ordre public des jurisdictions, que, depuis
quelque tems, tout retentit des évocations et attributions à
l'intendance et au Conseil ; que les maire et échevins ne cessent
de demander coup sur coup, pour dépouiller les jurisdictions
ordinaires et ravir à leurs concytoyens le privilège des Bretons,
tant de fois reconnu et confirmé par nos souverains, depuis
— 223 —
l'union de la province à la France, de ne pouvoir être traduits
en justice hors de leur ressort. C'est ce que Jean V, duc de Bre-
tagne, dans ses lettres patentes du 18 février 1424, données sur
les requête et supplications des prédécesseurs des maire et
échevins, traitoit de peine et oppression dont on vexoit et travail-
lait son peuple, hommes et subjets et qu'il désiroit leur eschever.
La Cour est suppliée de se rappeller, à cette occasion, l'arrêt du
Conseil du 9 juin 1778 et les motifs sur lesquels il a été rendu.
Les maire et échevins avoient obtenu, le 22 avril 1755, un arrêt
du Conseil qui approuvoit un plan d'embélissement de la ville de-
Nantes, où l'on inséra la clause d'attribution à l'intendance et au
Conseil ; mais cet arrêt ne fut ni revêtu de lettres patentes, ni
enregistré, et le cours de la justice continua dans la même forme
qu'auparavant. Cependant, sur une rectification du plan d'embé-
lissement, les maire et échevins obtinrent le 19 mars 1766, un
nouvel arrêt du Conseil, où la clause d'attribution fut omise,
l'arrêt se bornant à celle d'injonction au commissaire départi, de
tenir la main à l'exécution, et cette clause d'ailleurs ne fut pas
répétée dans les lettres patentes obtenues sur ce dernier arrêt, le
7 mai 1766. Elles furent adressées purement et simplement à la
Cour. Mais, comme ces lettres patentes, qui furent enregistrées,
ordonnoient l'exécution de l'arrêt de 1755, en ce qui n'y étoit
point dérogé, par le nouvel arrêt de 1766, les maire et échevins
ont prétendu, dix ans après, que la Cour avoit adopté, par cet
enregistrement, l'attribution portée par l'arrêt de 1755, quoique
non enregistré, et qu'elle avoit dépouillé par là les tribunaux de
leur jurisdiction et les Bretons de leur privilège. Ils ont en con-
séquence proposé des déclinatoires, toutes les fois que l'occasion
s'en est présentée et ils sont parvenus à faire adopter leur sis-
tême, par l'arrêt du Conseil du 9 juin 1778, qui n'est point
encore révoqué. L'abus qu'on a fait de l'enregistrement pur et
simple de la Cour, dans un cas où les lettres patentes lui étoient
adressées, sans aucune mention du commissaire départi, doit
faire sentir combien il est essentiel qu'elle modifie son enregis-
trement dans une circonstance où les lettres patentes contiennent
— 224 —
une disposition absolument insolite à cet égard et dont on ne
manqueroit pas de tirer des inductions.
Pour bien entendre le second objet qui fixe L'attention de la
Compagnie, il faut se rappeller que, dès 1712, les fermiers des
devoirs de la province ayant entrepris d'assujétir aux droits les
vins gâtés destinés à faire des vinaigres, le Conseil, par son arrest
du 19 septembre 1713, donna main-levée des saisies qui avoient
été faites à ce sujet, et ordonna aux fermiers de rendre les choses
saisies, avec défenses d'exiger à l'avenir les droits pour les vins
gâtés destinés au vinaigre, à peine de 500 livres d'amende et
de tous dépens, dommages et intérêts. Mais une décision aussi
péremptoire n'arrêta pas pour toujours l'esprit financier, qui ne
dort jamais. Une nouvelle tentative fut réprimée, par une délibé-
tion des Etats de la province, du 26 novembre 1748, qui permit
au surplus aux commis de mettre quatre pots de vinaigre dans
chaque barrique de vin trouvée chez le vinaigrier; en 1778,
l'abondance des vins uantois et le défaut de débouché par la
mer que la guerre a fermée, les ayant fait tomber à un très bas
prix, on n'eut d'autre ressource que de les destiner aux vinaigres
pour Orléans et Paris. Les demandes, qui furent immenses, four-
nirent l'occasion d'une nouvelle entreprise, de la part du direc-
teur des octrois de Nantes. Il forma le projet d'assujétir aux
droits ces vins destinés au vinaigre ; il força même une grande
quantité de particuliers de payer par provision ce qu'il exigeoit,
pour avoir leurs expéditions. Les fermiers des devoirs suivirent
sou exemple et les fermiers généraux auroient vraisemblablement
suivi la même marche, ce qui eut totalement détruit une branche
de commerce devenue la ressource des vignobles du pais. Mais
les États de la province, par leur délibération du 17 janvier 1779,
renouvelleront celle qu'ils avoient prise, le 26 novembre 1748, et
ordonnèrent la restitution des sommes perçues par les fermiers
des devoirs. La même restitution fut prononcée contre le direc-
teur des octrois, par sentence contradictoire, de la Sénéchaussée
de Nantes, du 24 juillet 1779, dont les maire et échevins ne
paroissent pas avoir interjette d'appel. C'est après ces décisions
— 225 -
géminées que les maire et échevins ont encore eu le courage de
suspendre au Conseil cette disposition de l'arrêt et des lettres
patentes, où, après avoir établi leur droit de huit sous par pipe
de vin nantois, il est ajouté même ceux qui auroient été convertis
en vinaigre. En réfléchissant sur ce qu'on vient de dire, on ne
sçait ce qu'on doit admirer le plus, ou de la sagesse du Conseil et
des États de Bretagne qui, du millieu des grands objets qui les
occupent pour l'administration du royaume et d'une de ses prin-
cipales provinces, n'ont point perdu de vue les intérêts légitimes
d'un district particulier, ou de l'obstination condamnable des maire
et échevins à sacrifier, pour une mince extension de finance, la
production presque unique et la branche principale de commerce
intérieur d'un territoire, dont les intérêts leur sont principale-
ment confiés : car on ne doit pas douter que si le droit d'octroy
se perçoit sur les vins destinés au vinaigre, ceux des devoirs et
des fermes n'ayent aussi infailliblement lieu ; pareequ'il u'y a pas
plus de raisons d'exemptions pour les uns que pour les autres,
et, par là, le comté nantois perdra sans ressource un débouché
absolument nécessaire dans les lems d'abondance. Il faudra
arracher une grande partie des vignes et laisser incultes des
terrains qui ne sont propres qu'à cette espèce de production, sur
laquelle sont fondés les principaux revenus des États de la pro-
vince.
Avant de quitter ce second objet, nous observerons que les
arrêts du Conseil du 14 novembre 1741 et 2 juin 1750 excep-
toient du droit mentionné les vivres destinés pour ravitaillement
des vaissaux, que celles du 15 février 1769, sur l'arrest du
6 décembre précédent ne répétèrent point, à la vérité, explicite-
ment cette exemption, mais qu'elles confirmèrent les arrêts des
14 novembre 1741 et °2 juin 1750, ce qui remportait implicite-
ment; ainsi l'on a continué d'eu jouir; or, les nouvelles lettres
patentes du 23 mai 1780 n'en parlent ni explicitement, ni impli-
citement, elles ne font nulle mention des arrêts des 14 novembre
1741 et 2 juin 1750, et elles assujétissent généralement tous les
vins au droit. Elles semblent donc abroger l'exception portée par
1879 15
- -226 —
cet arrêt de 1750, qu'il seroit dès là fort intéressant que la Cour
voulut bien rappeller dans une de ses modifications.
Un troisième objet, qui mérite l'attention la plus sérieuse, c'est
la faculté accordée, par les nouvelles lettres patentes, aux maire
et échevins d'avancer ou reculer, pour la facilité et l'intérêt de la
régie, les bureaux d'entrée actuellement existants et d'en établir
de nouveaux partout où il en sera besoin, desquels lieux, où les
bureaux seront établis, commencera, soit pour l'entrée, soit pour
la sortie, la prescription des droits. Ainsi les maire et échevins
pourront étendre le territoire de leur perception, autant que des
employés avides leur persuaderont qu'il est nécessaire de le faire.
Des parties de banlieue qui paient les droits de campagne et sont
assujéties aux charges et corvées dont les parties de ville sont
exemptes, se trouveroient par là assujéties aux droits de ville,
dont ils n'ont pas les privilèges. Il est aisé de sentir l'injustice de
ces extensions et combien il est important que la Cour modifie
cet article, en disant que les maire et échevins ne pourront user
de la faculté qui leur est donnée, pour l'avantage et la commo-
dité de leur régie, qu'à la charge de ne pouvoir étendre leurs
perceptions sur des parties qui auroient joui jusqu'à présent de
la franchise des droits d'octrois.
Le quatrième objet d'observation de la Compagnie concerne la
cassation d'une sentence de la Sénéchaussée du 7 septembre
1753, en faveur des corroyeurs. Cette sentence a été rendue, en
conséquence de deux autres des 27 février 1744 et 21 mai 1749,
au profit des teinturiers, bonnetiers, blanconniers, chamoiseurs,
couverturiers et tisserands de la ville de Nantes. Elles permettent
les unes et les autres à ces différons ouvriers de faire sortir de la
ville leurs marchandises, pour leur donner les perfections que
chaque art exige, aux moulins à foulons, blanchisseries et tanne-
ries, et de les rentrer en ville, pour payer les droits de sortie et
d'entrée; parce qu'ils seront tenus d'en faire des déclarations sur
un registre tenu par les commis aux octrois, dont il leur sera dé-
livré des copies qu'ils feront viser, lors de la rentrée de leurs
marchandises et qu'ils retiendront pour leur servir de décharge,
.._ 227 -
etc. Les deux premières sentences avoient été adoptées par l'ar-
rest et les lettres patentes des u2 juin et 1er aoust 1750 ; mais
cela n'a pas empêché les maire et échevins d'en demander la cas-
sation en même tems que de celle du 7 septembre 1753, absolu-
ment semblable et rendue dans le même esprit ; mais, par une
singularité, dont il n'est pas aisé de deviner les motifs, les deux
sentences de 1744 et 1749 sont laissées dans toute leur force, et
celle de 1753 qui en est la suite et parfaitement calquée sur elles,
est cassée et annullée par l'arrêt du 18 janvier et par les lettres
patentes du 23 may 1780; de manière que les corroyeurs et tan-
neurs sont soumis aux droits de sortie et d'entrée, pour les mar-
chandises qu'ils portent à leurs tanneries et qu'ils en rapportent,
tandis que tous les autres manufacturiers, mentionnés dans les
sentences de 1744 et 1749, continuent d'être exempts dans les
mêmes cas.
La Cour est encore suppliée d'observer la manière dont les
maire et échevins se pourvoyent contre les sentences qui sont
rendues conlr'eux par les premiers juges, au lieu de suivre,
comme l'indiquent toutes les loix, l'ordre des jurisdictions, en
interjettant appel à la Cour, lorsqu'ils croyent avoir à se plaindre
des sentences rendues contre eux, on voit qu'ils vont de plein vol
au Conseil, pour faire casser, sur requête non communiquée des
sentences rendues contradictoirement, et faire condamner leurs
parties adversaires, sans qu'elles ayent été entendues dans leurs
moyens de défenses.
La Chambre du Commerce ne manquera pas de s'expliquer
beaucoup mieux que la Compagnie ne pourroit le faire, sur un
cinquième objet qui est celui du passe debout. Les maire et
échevins ont porté, à cet égard, leur extension au delà de ce
qu'ont jamais imaginé les traitants. Ils ont surpris au Conseil
l'abolition entière du passe debout pour les marchandises venant
par mer; et, à l'égard de celles venant par terre et par la rivière,
ils ont fait réduire le tems du séjour à vingt-quatre heures, pour
les premières, et trois jours pour les secondes ; nous laissons à
la Chambre du Commerce le soin de démontrer l'extrême rigueur
— 228 —
de cette disposition et même l'impossibilité de la pratiquer dans
une infinité de circonstances, comme celles des glaces, des inon-
dations où des basses eaux, etc.
Nous offrirons à la Cour un sixième objet d'observations dans
la clause qui règle Femploy du produit des deniers, d'octrois et
patrimoniaux de la ville et Communauté de Nantes, pour le paye-
ment des charges ordinaires et extraordinaires, et le surplus au
remboursement des dettes de la Communauté, sur les délibéra-
tions prises à cet effet, par les maire et échevins en exercice. Ces
deux derniers mots que nous ne voyons point dans les lettres
patentes imprimées de 1741, 1750 et 1769, pourroient donner
lieu d'induire par la suite, de l'enregistrement pur et simple de
la Cour, à cet égard, qu'elle auroit revêtu de cette forme respec-
table la concentration qui s'est opérée depuis un certain nombre
d'années de toute l'autorité de l'administration dans le bureau
servant, en réduisant l'assemblée générale de la Communauté à
une vaine montre de cérémonial, pour les processions, la récep-
tion des grands et les installations des nouveaux membres, que
l'on restraint même de jour en jour. Il en étoit autrement autres
fois : ainsi, par le règlement du Conseil du 18 juillet 1681, il étoit
défendu aux maire et échevins et sindic, d'intenter aucun procès
que par l'avis et délibération de la Communauté assemblée en la
maison de ville et en présence des créanciers domiciliés. Un autre
règlement du 21 février 1690 contenoit des défenses aux sindics
et chefs des villes et communautés de la province, de faire au-
cunes dépenses extraordinaires non contenues dans les arrêts et
réglemens, pour en avoir obtenu le consentement des habitans
dans une assemblée, en la forme ordinaire : mais on voit, dans
un recueil, imprimé en 1729, une lettre du 6 juillet de la même
année, où il déclare qu'on ne doit convoquer aucune assemblée
générale ou extraordinaire, sans sa permission où celle du com-
mandant et qu'il n'accorderoit jamais de pareille permission,
sans avoir été informé par un mémoire exact des affaires qu'on
se proposoit d'y traiter. On trouve, dans le même recueil, à la
date du 22 juin précédent, une délibération qui porte « que
- 229 —
» depuis l'établissement de la Communauté, il avoit toujours été
« d'usage que l'ancien bureau et toutes les Compagnies de la ville
« fussent consultées sur toutes les affaires importantes ; que cet
« usage avoit été interrompu, depuis quelques années, quoiqu'il
« fût plus nécessaire que jamais qu'ils s'assemblassent à ce sujet
« que non seulement toutes les Compagnies et corps de la ville
« le désiroient avec empressement, mais qu'il seroit même d'une
« nécessité indispensable, pour le bien et l'utilité du public,
« qu'ils prissent connoissance de plusieurs affaires qui les regar-
« doient et qu'il seroit à propos de. supplier MM. les gouverneurs,
« commandants et intendants, de rétablir un usage si utile el si
« nécessaire et d'ordonner qu'à l'avenir il seroit exactement
« observé; surtout quoy l'assemblée délibérant, prit, d'une voix
« unanime, un arrêté conforme, et pria M. le comte de Menou,
« présent à l'assemblée, d'en adresser copie à MM. les gouver-
« neur et commandant, et de l'appuyer de ses bons offices ; ce
« qu'il accepta ; mais le même recueil imprimé porte qu'à la
« marge de ia délibération ci-dessus, est écrite une ordonnance
« de M. de Latour, commissaire départi, en date du 4 septembre
« 1729, qui ordonne qu'elle sera rayée et biffée sur le registre,
« avec défenses d'en prendre de pareilles à l'avenir, ce qui fut
« exécuté. Ce motif est que ces assemblées sont contraires à
« l'usage et ne paroissent causer que du trouble et du préjudice
« au bien du service. Nous laissons à la sagesse de la Cour
« d'apprécier ces motifs et de juger si elle doit les confirmer en
« quelque sorte, par le sceau de son enregistrement. »
Nous joindrons, pour septième objet d'observations ; sur les
lettres patentes du 23 mai 1780, qu'à l'article 35, concernant les
boutiques adossées à l'échelle du palais et réunies, aiusi que
plusieurs rentes aux revenus patrimoniaux de la Communauté,
par arrêt du 3 juillet 1742, il seroit convenable d'ajouter que c'est
aux charges portées par ledit arrêt et notamment de toutes les
réparations grosses et menues du palais et des prisons et de
l'entretien d'iceux.
Nous pourrions encore former un huitième objet de quelques
- 230 -
erreurs qui se sont glissées dans l'énuméralion des deniers patri-
moniaux, soit en omettant quelques articles qui se trouvoient dans
les précédentes lettres, soit en en portant d'autres a des sommes
au-dessous des anciennes, mais cet objet concernant particulière-
ment la comptabilité, la Compagnie ne croit pas devoir entrer
dans cet examen.
Quant aux lettres du 18 avril 1780, qui accordent à la Com-
munauté de ville de. Nantes, un nouvel octroy pendant cinq ans,
pour le produit être employé aux réparations de l'ancien môle
de Paimbœuf, à la construction d'un nouveau et à l'établissement
d'une balise, la Compagnie se réfère à l'avis que la Chambre du
Commerce pourra donner, tant sur l'utilité des travaux projettes,
que sur la nécessité et la juste proportion du nouvel octroy; mais
la Compagnie ne peut dissimuler ses inquiétudes, sur la nouvelle
attribution accordée par ces lettres patentes à M. l'intendant, au
préjudice d'une cour, chargée jusqu'à présent de recevoir tous
les comptes des villes. Cette innovation, par rapport à la comp-
tabilité, est d'un bien dangereux exemple et elle dérive sans doute
du môme esprit 4m porte les maire et échevins à dépouiller
chaque jour les tribunaux de la connoissance de tout ce qui peut
avoir quelque rapport à leur administration. Ces entreprises, si
persévérament répétées, semblent annoncer un système profon-
dément conçu, et dont les conséquences sont effrayantes pour
tout homme généreusement attaché aux principes de la législation
françoise et aux véritables intérêts des citoyens.
Bellabre, Orry de Réveillon, de la Ville,
Le Lasseur, Deguer, Le Lasseur de Ranzay,
Turquetil, Mahot, Dreux.
231
MÉMOIRE AUX ÉTATS POUR LES VIGNOBLES.
Du 1er septembre 1780: En la Chambre du Conseil où pré-
sidoitM. le Sénéchal. Présents: MM. Orry de Réveillon, Alloué,
Bourgoing, juge criminel; de la Ville, lieutenant; Le Lasseur
l'aîné, Deguer, Monnier, Gallot, Le Lasseur de Ranzay, Tur-
quetil, Marcé, Mahot, Dreux, conseillers ; Baco de la Chapelle,
procureur du Roy, et Fellonneau, avocat du Roy.
M. le Sénéchal a fait part à la Compagnie d'un mémoire des-
tiné à être présenté à l'assemblée prochaine des Etats de province
pour les propriétaires des vignobles du comté nantois par lequel,
après avoir rendu hommage aux principes établis dans les rap-
ports faits aux États à leur dernière assemblée par la Commission
des vignobles, on fait voir que MM. les commissaires ont été
trompés sur les faits dont on donne le développement et les
preuves écrites, destructives de toutes les assertions contenues
auxdits rapports ; concluant par ces motifs à ce qu'une délibéra-
tion des États du 30 avril 1748 soit rapportée et qu'en consé-
quence les droits sur les boissons soient remis sur le même pied
qu'ils étoient en 1723, lors de l'abonnement.
La Compagnie délibérant et considérant qu'il résulte dudit
mémoire et des pièces y attachées que par l'état de choses intro-
duit en 1748, les propriétaires des vignobles fournissent seuls le
prix d'abonnement faits pour des droits qui regardent la généra-
lité de la province ; qu'ils payent pour ces objets baucoup plus
qu'ils n'auroient fait si les droits étoient restés entre les mains des
traitans et n'avoient point été abonnés par les États ; qu'enfin
l'inégalité très considérable que cette surcharge opère entre eux
et les autres cytoyens a encore été augmentée par les nouveaux
soldes pour livre établis en 1772, ce qui ne peut s'accorder avec
les principes constans de l'administration paternelle des Etats et
n'a dû être l'effet que d'une erreur involontaire de leur part,
- 232 -
qu'ils s'empresseront de rectifier dès qu'elle leur sera aussi
évidemment connue, a arresté de persister en tant que de besoin
dans sa délibération du 3 avril 1778, sur le même objet, et d'ad-
hérer à la réclamation portée audit mémoire ; et qu'au surplus il
sera délivré une expédition de la présente à MM. les fondés de
procuration des propriétaires, dénominés en la précédente déli-
bération de la Compagnie et en la procuration du 11 mars 1780,
attachée audit mémoire. Arresté à la Chambre du Conseil, lesdits
jour et an.
Bellabre, Orry de Réveillon, de la Ville,
Le Lasseur, Deguer, Le Lasseur de Ranzay,
TURQUETIL, MARCÉ, DREUX, MaHOT.
DÉPÔT AUX ARCHIVES D'UNE LETTRE CONCERNANT LA BRIÈRE.
Du 25 juin 1785 : M. le Sénéchal a donné lecture a la Compa-
gnie d'une lettre adressée au siège et envoyée avec un exemplaire
des lettres patentes qu'il a plû au Roi accorder aux habitans des
paroisses voisines de la Brière pour les maintenir dans la posses-
sion de cette tourbière commune. Sur quoi, la Compagnie a
arrêté que l'exemplaire et la lettre en question seroient déposés
dans ses archives.
AVIS DONNÉ AUX PASTEURS POUR FERMER LA PRAIRIE DE MAUVES
AU 1er MARS.
Du 4 mars 1786 : En la Chambre du Conseil du siège Prési-
dial de Nantes, où présifloit M. le Sénéchal. Présens : MM. L'AI-
— 233 —
loué, le lieutenant, Deguer, Le Lasseur de Ranzay, Turquetil,
Mareé, Mahot et Dreux, conseillers ; Fellonneau et Giraud, avo-
cats du Roy.
Il a été fait lecture d'un arrêt de la Cour du 18 février der-
nier, qui ordonne la communication au siège d'une requête des
généraux et propriétaires des paroisses de Sainte-Luce, Doulon
et Saint-Donatien et des délibérations y jointes, à l'effet qu'il plût
à la Cour faire défenses à tous particuliers de quelque qualité
qu'ils puissent être, de laisser paître à l'avenir, aucune espèce de
bestiaux sur la prairie de Mauves, près Nantes, depuis le 1er mars
de chaque année, jusqu'à l'époque de la fête de la Madeleine,
jour ordinaire de la clôture de cette prairie, sous peine de vingt
sous d'amende par chaque cheval ou autre bétail qui seront pris
sur ladite prairie, après ledit jour 1er mars, appliquantes au paye-
ment du garde ou forêtier qui sera établi pour la garde de ladite
prairie, pendant le tems fixé.
Sur quoi l'assemblée, après avoir délibéré, est d'avis que le
séjour des bestiaux, suivant l'ancien usage, sur la prairie de
Mauves, après le 1er mars et jusqu'au 25 de ce mois, est très
préjudiciable à la production de l'herbe et à la multiplication des
fourages devenus si intéressants pour les propriétaires et pour le
public, tant pareequ'à cette époque, l'herbe qui commence déjà
à pousser est considérablement retardée par la dent des bestiaux
qui la broutent et ne peut ensuite acquérir jusqu'au tems des
chaleurs et de sa maturité , toute la h.'-uteur qu'elle auroit pu
avoir, que pareeque, dans des prairies basses, comme celle de
Mauves, qui sont le plus souvent inondées, pendant l'hiver, les
pieds des bestiaux qu'on y met avant qu'elles se soient consolidées
par le tems, en détruisent l'herbe, en l'écrasant, et forment des
trous qui en rendent la fauchaison très difficile et moins profitable;
que c'est, par ces motifs sans doute que, dans les vallées du bas
de la Loire, où l'on met les bestiaux, après la faux, il est d'usage
de les en retirer au 1er mars, qu'il paroît aussi que c'est, par les
mêmes motifs que l'intérêt particulier, pius éclairé en général sur
ses avantages que les administrations communes, a introduit
- 234 —
l'usage général de fixer le terme des fermes des prés au 2 de
février, près d'un mois avant celui que l'on demande à la Cour
de régler ; qu'enfin cette demande étant formée par les proprié-
taires et fermiers de la prairie, dont il est question, qu'elle
concerne véritablement, et appuyée par les généraux des
paroisses voisines , la solidité de ces motifs en acquiert une
nouvelle force, qui doit faire espérer qu'elle sera accueillie de la
Cour.
TOMBE GALLO-ROMAINE
CIMETIERE DE SAINT-DONATIEN
Messieurs,
Au mois de novembre 1873, je vous donnais le procès-verbal
des fouilles faites à Saint-Donatien, dans le courant de la même
année ; aujourd'hui je viens vous entretenir d'une découverte
récente, faite dans le même cimetière. Je ne doute point que, des
conclusions de ce très court et rapide entretien, comme moi,
vous admettrez que les fidèles des premiers siècles qui ne se
refusaient point à utiliser, pour leurs monuments, les œuvres
figurées de l'art grec et de l'art romain, durent utiliser les tuiles
romaines pour leurs sépultures, jusqu'au moment où l'usage
des tombes monolithes devint à peu près général.
Si les tombes en tuiles ont été, rarement, rencontrées en-
tières (*), la cause peut en être attribuée à la disposition même
(*) A l'Exposition de 1878, une tombe lectiforme, en tuiles a rebords et
tuiles faîtières, trouvée dans les environs de Nice, avait été reconstituée
dans la salle de l'exposition des sciences anthropologiques. Admise comme
une des rares découvertes faites jusqu'à ce jour, elle devra être rétablie,
au musée de Saint-Germain, auquel elle a été donnée, aussitôt que les
salles destinées à recevoir les antiquités romaines seront disposées.
— 236 —
donnée aux tuiles pour abriter les corps, soit qu'elle fût tecti-
forme, acumïnatum, soit qu'elle fût celle de la tombe découverte
à Saint-Donatien, operimentum. Elle ne présentait point une ré-
sistance suffisante à l'action des siècles, et l'affaissement s'est
produit avec celui des terres, à la suite des infiltrations des eaux
et sous l'influence d'événements inconnus.
Si l'on n'a pas reconnu des tombes, dans les nombreuses ren-
contres d'ossements et de tuiles romaines, faites parfois loin de
tous vestiges d'anciennes constructions, souvent a peu de dis-
tance, c'est que ces tuiles ne présentaient plus, çà et là, que des
amas sans formes appréciables; mais les unes ou les autres pou-
vaient être des restes de sépultures chrétiennes.
A Lillebonne, en 1871, en suivant le chemin de la vallée qui
conduit de Lillebonne à Alvimare, non loin d'une sorte d'abside
en hémicycle encore imparfaitement dégagée, on trouva cà et là
des fragments de tuiles à rebords, de faîtières. On n'en tira
aucuue déduction ; mais la tradition de Lillebonne veut qu'il y
ait eu, très anciennement dans cet endroit, une église et un
cimetière.
v Vers 1864, M. l'instituteur Oger, autorisé à prendre son do-
« micile et à ouvrir son école dans la chapelle abandonnée de la
« Madeleine, en Guérande, et voulant créer un jardin le long du
« côté nord du vieux bâtiment, fit défoncer les terres. Il trouva
« de nombreux ossements humains dans des compartiments so-
ft lides en briques romaines. Ces tombes avaient-elles été cou-
« vertes par d'autres tuiles, c'est probable ; mais les couvercles
« avaient dû disparaître depuis longtemps. »
Ces renseignements ont été donnés par M. Oger lui-môme, à
M. l'abbé Gallard qui s'est empressé de me les communiquer ;
je lui en renouvelle mes remerciements.
Ici aucun doute ; ce sont des tombes, des tombes sous la
gouttière, comme on l'a dit, pour indiquer des sépultures chré-
tiennes au pied des murs des églises.
y M >
1
V,
'îj(r
*'a
g
w m
^
o
- 237 —
La tombe dont je vous présente le dessin, fut découverte, le 6
août 1878, à l'ouest de l'église nouvelle de Saint-Donatien, au
point où s'élève aujourd'hui la sacristie.
Je dois à l'obligeance de M. l'abbé Hillereau et à celle de
notre bon collègue M. l'abbé Cahour, qu'd m'ait été possible d'en
prendre un croquis et d'en relever tous les détails.
L'ensemble de cette tombe était formé par des tuiles à rebords.
Cinq tuiles placées en travers, dans le sens de leur plus grande
dimension, en faisaient le fond ; juxtaposées avec soin, le rebord
en dessous, elles présentaient une surface très plane à l'intérieur.
Toutes n'étaient point d'égale proportion ; celles de tête mesu-
raient 0,37 sur 0,28; celles du pied n'avaient que 0,35 sur 0,27 ;
elles donnaient à la tombe une longueur totale d'un mètre qua-
rante centimètres : lm40.
Les tuiles qui faisaient côtés, mesuraient 0,37 x 0,27. Elles
étaient appuyées, à la base, contre l'épaisseur de celles du fond,
et par suite de cette position, la profondeur de la tombe était
réduite à 0,245 m/m : vingt-quatre centimètres et demi. Elles
étaient imbriquées de dedans en dehors et alternativement dis-
posées, quant au rebord qui avait été supprimé, de 7 à 9 centi-
mètres, à quatre de ces tuiles des côtés, afin qu'elles pussent
être mieux apposées les unes contre les autres. La première
avant son rebord en dehors était intacte.
Fermée, en tête, par une tuile un peu plus grande et légère-
ment cintrée dans le sens de sa longueur, — le rebord sur la face
convexe, — la tombe était couverte par des tuiles régulières dans
leur forme, mais aussi un peu plus grandes que celles des côtés :
elles mesuraient de 0,38 à 0,40. Celles de la tête étaient brisées;
elles étaient tombées dans l'intérieur, et la terre à laquelle leur
effondrement avait ouvert passage, avait pénétré dans toutes les
parties, y ayant été successivement entraînée par les eaux filtrant
là depuis des siècles.
Nous ne trouvâmes qu'un crâne à peu près intact et quelques
menus restes d'ossements friables au toucher. Le petit dévelop-
pement de ce crâne et les dimensions de la tombe indiquaient
— 238 -
suffisamment que nous étions en présence de la sépulture d'un
adolescent.
Nous devons regretter que l'empressement des ouvriers ne
nous ait pas permis de recueillir toutes les tuiles de cette tombe
que, bien certainement, nous eussions pu rétablir en son entier,
c'est-à-dire, dans l'état où elle avait été découverte.
Quand, au matin, elle avait été signalée, M. l'abbé Hillereau
avait recommandé, aussitôt, qu'elle fut respectée et que le travail
se continuât à l'entour, bien qu'on fût pressé, très pressé de
niveler le terrain. « On y reviendra, avait-il dit, alors et seule-
ment après qu'un dessin aura été pris, — aujourd'hui même pro-
bablement. » — Celte recommandation était trop précise.
Rentré à la cure afin de retracer les cotes que, sous une pluie
de brouillard, j'avais relevées avec le concours de nos collègues,
j'en sortais moins de dix minutes après, et j'eus à déplorer que
le zèle des terrassiers eût bien maladroitement interprété la pa-
role de M. le curé. Tout était renversé et les tuiles, à l'exception
de trois ou quatre, n'étaient plus que des morceaux : — La tombe
avait été dessinée.
Cette tombe avait été enfouie jusqu'à sa partie supérieure, dans
la couche d'argile jaune rougeàtre, au-dessus de laquelle était un
terrain de compositions diverses, couches dont, antérieurement,
nous avions constaté la présence, dans toutes les parties fouillées.
Ce n'est point la seule qui ait été rencontrée sur ce point ;
déjà, en 1873, et à une époque antérieure, beaucoup d'autres y
furent trouvées, comme je vais le rappeler.
Lors des fouilles de 1873, accompagné de M. Kerviler, nous
avons vu, au côté est de l'église (*), une tombe en tuiles dont
les dispositions étaient très différentes de celles de la tombe
trouvée, à l'ouest, en 1878. Elle était formée en grande partie
par des briques plates et quelques tuiles à rebords. Assises sur
(') Fouilles de Saint- Donatien. — Rapport de M. Kerviler, p. VJ. —
Rapport de M. L. Petit, p. 46. — Bulletin de la Société archéologique,
t. XIII.
- 239 —
une couche terreuse et de graviers, et superposées à plat, elles
donnaient une épaisseur de 25 centimètres aux côtés. La largeur
intérieure était de 50 centimètres, le fond étant formé par deux
briques de 0,25, placées côte à côte, deux à deux dans toute la
longueur; ces dimensions laissaient croire qu'elle avait été occu-
pée par un corps de forte stature. Le mur latéral de la plus an-
cienne église avait été élevé sur cette tombe et l'enveloppait
complètement.
On ne répugnait point, en ces temps, à édifier sur des tom-
beaux; un autre mur avait été élevé sur des sarcophages voisins
de cette tombe en tuiles. A Sainl-Lupien de Rezé, nous avons vu
plusieurs sarcophages placés en travers sous les murs des deux
chapelles (*)•
Plusieurs tombes en tuiles ont existé, très probablement, près
de celles que je viens de décrire ; l'une à l'est, sous la muraille
même, l'autre à l'ouest, au pied d'un mur de construction plus
récente. Elles durent disparaître dans les travaux de tranchées
ouvertes pour les fondations des deux églises qui se dévelop-
pèrent, successivement, sur une étendue de beaucoup supérieure
à celle de la plus ancienne dont nous avons reconnu l'abside (*).
En 1808, dans le jardin du sieur Litoux, situé derrière le
chevet de l'ég'ise et au joignant du cimetière, on trouva une
très grande quantité de tombeaux en pierre calcaire coquillère,
rangés parallèlement, dont plusieurs étaient couverts avec des
planches d'ardoise. P. Fournier y vit, aussi, des cercueils en terre
cuite, ce jardin en contenait un nombre infini. (Bulletin de la
Société archéologique, 1. 1, p. 556.)
Ses rapports manquent parfois de précision, le mot employé
n'est pas toujours juste, et Fournier s'est exprimé, ici encore, de
manière à faire voyager l'imagination des plus savants archéo-
logues.
(*) Aspect des fouilles. — Bulletin de la Société archéologique, p. 80,
t. XVII.
(*) Voir plan des églises, par M. Kerviler, P. I.
— 240 —
De l'expression, cercueils en terre cuite, M. Bizeul a pensé
qu'on pourrait y voir « des canaux en terre cuite, des caniveaux
« à fond plat ; puis il avoue que malgré le dessin donné, il n'a
« jamais pu reconnaître cet objet de céramique qu'il n'a rencon-
« tré nulle part... 11 serait peu difficile, je pense, continue-t-il,
« de s'en procurer un exemplaire, et fort intéressant de l'obser-
« ver avec un peu plus de critique que ne paraît l'avoir fait Four-
« nier. On pourrait le comparer avec les tuyaux d'aqueduc,
« venant de Tentegenac en Auvergne, mentionnés par Montfau-
o cou, qui d'après la forme donnée par le dessin, me paraissent
« avoir une grande analogie avec ceux de Saint-Donatien. »
(Bulletin de la Société archéologique, t. I, p. 555-56.)
Voici tout le chemin que l'omission de trois ou quatre traits
parallèles, et le peu de critique de Fournier ont fait parcourir à
à M. Bizeul.
Pour moi, je n'irai point aussi loin, je reste au chevet de
l'église, avec un léger bagage : une copie très exacte du dessin
de Fournier, et un crayon à la main. Je trace à distance régu-
lière quelques lignes perpendiculaires, et j'ai la représentation
précise de plusieurs briques à rebords juxtaposées, épaisseur
contre épaisseur — ici elles ne sont point imbriquées — et
l'extrémité du cercueil représenté à laquelle je n'ajoute pas un
point, est une brique à rebords bien indiquée par le dessin de
Fournier. Celle-ci placée en travers et enfouie de moitié, plus bas
que les autres, pouvait, dans cette position, servir de contrefort
et faire serrage sur celles des côtés. Je ne veux point omettre
de dire que le dessin ne représente aucune brique faisant cou-
vercle.
Si quelque doute existait sur les cercueils en terre cuite, vus
en grande quantité par Fournier et rencontrés en nombre infini
par le maître jardinier Litoux, dans l'ancien cimetière chrétien ,
ce doute s'efface en présence de la tombe dont un dessin accom-
pagne ces pages. Cette tombe est indiscutable : nous y avons
trouvé les restes d'un corps ; c'était une tombe chrétienne : le
lieu où elle a été trouvée l'affirme.
— 241 -
Ramoné sur le terrain de Saint-Donatien, par la trouvaille du
6 août dernier, j'en prends occasion d'ajouter des renseignements
nouveaux à ceux que j'ai donnés dans mon rapport des fouilles
faites en 1873, sur des tombeaux monolithes remarquables par
leur forme inconnue jusqu'alors.
Je disais avoir signalé à l'attention de mes collègues, — au
cours des fouilles, le 14 août, — une tombe de forme carrée-
longue qui se trouvait près de la pompe de la cure. Tous ceux
que je questionnai, et les plus anciens, l'avaient toujours connue
là, mais aucun n'avait souvenir de l'avoir vu mettre en place.
Elle devait y être depuis 1808, date à laquelle autres sarcophages
en pierre calcaire avaient aussi été trouvés au même lieu. Sa
forme carrée-longue fut sans doute la cause de la préférence
accordée pour la place qu'elle occupait, soixante-cinq ans après,
car on peut croire que sans cette distinction de forme elle n'au-
rait point été mieux appréciée que les autres ; mais ne récrimi-
nons pas sur la préférence qu'elle lui a value, si nous lui devons
sa conservation.
Pendant une partie de la durée de la construction de l'église
nouvelle, cette tombe était restée enveloppée dans un tiers de sa
longueur, par une muraille de pierres de démolition ; position
aussi peu accessible que celle dans laquelle nous l'avions vue, une
première fois. Vint enfin le moment de son déplacement, et il
m'a été possible de contrôler l'exactitude des dimensions que j'en
avais données.
Sa longueur est 2m10
La largeur aux deux extrémités (*) 0.75
Hauteur, de la base à la gorge 0 . 70
Hauteur de la gorge sur laquelle s'emboîtait le couvercle. 0 05
(!) Une faute que nous n'avions pas redressée, répétant 0,70, chiffres de
la hauteur, attribuait cette dimension à l'un des bouts ; nous la rectifions
ici.
1879 16
— 242 —
Trois des côtés ont 10 centimètres d'épaisseur ; celle du qua-
trième, l'un des petits côtés, est de 13 centimètres, ce qui réduit
la longueur intérieure à 1 mètre 87 centimètres au sommet ; le
fond de la cuvette, aux deux bouts, se relevant par une courbe
légère vers les parois.
Lorsque je donnai procès-verbal des fouilles, j'avais complète-
ment oublié ce que M. Bizeul avait écrit à l'occasion de cette
tombe, notes que j'avais pu lire, treize ou quatorze ans aupara-
vant. Je les transcris ici, parce qu'elles établissent tout l'intérêt
qui se rattache à ce sarcophage dont la forme n'a point été ren-
contrée dans aucun autre des cimetières fouillés, et qui paraît
être, comme je l'ai dit, toute particulière à Nantes où se trouvent
eucore deux sarcophages semblables, en granit : l'un dans la cour
de l'Évêché, l'autre à Saint-Donatien, ce dernier en partie cassé
et sans gorge pour recevoir le couvercle.
Ayant rappelé ce que Fouruier a rapporté du sarcophage en
granit, a que par sa capacité il devait être destiné à contenir les
« corps d'une même famille ; que les angles intérieurs en sont
« consolidés et qu'il était clos d'un couvercle qui s'engageait
« dans une gorge pratiquée dans l'épaisseur du haut de la
« cuvette. » M. Bizeul écrivait :
« J'ai vu plusieurs cercueils en granit, fort rares dans les pays
« caloaires, mais assez communs dans le pays nantais, au nord
« de la Loire où le granit ne manque pas ; mais aucun ne m'a
« présenté la forme carrée-longue et je ne sache pas qu'on en ait
« trouvé d'autres. Aussi pour dire toute ma pensée, je ne puis
« prendre pour un monument funéraire l'auge de la cour de
« l'Évêché. »
M. Bizeul eût certainement exprimé une autre pensée s'il eut
connu les sarcophages de Saint-Donatien.
Quant à l'opinion émise par Fournier, que ce sacorphage ait
pu contenir les membres d'une même famille, elle nous semble
quelque peu exagérée, en raison de la profondeur et des disposi-
tions de l'intérieur.
- 243 —
Voici ses proportions :
Longueur de dehors en dehors. lm93 Intérieure. lm74
Largeur 0.76 — 0.57
Hauteur ..(?)... 0.55(4) — 0.33
La profondeur n'est, ainsi que je le répète, que de 0,33 et
l'épaisseur du fond est relativement très forte, les côtés ayant
moins de 10 centimètres.
La gorge qui bordait la cuvette pour recevoir le couvercle
qui s'y emboitait, a disparu ; mais les traces n'en sont pas moins
très apparentes.
L'intérieur est fort rétréci aux deux extrémités, par les arêtes
arrondies, de 0,17 de rayon, qui s'élèvent à chacun des quatre
angles jusqu'à 04e du bord de la cuvette, ne laissant entre elles
qu'un espace vide de 0,23 pour recevoir la tête et les pieds du
mort. Cette double disposition est une particularité qui n'a point
été rencontrée, que je sache, par M. l'abbé Cochet, dans ses
nombreuses fouilles, et par M. de Caumont qui n'a signalé que
de petites colonnettes de 3 à 5 centimètres, telles que nous les
avons vues aux qutre angles du sarcophage, N° 4 de la planche
VIII.
« Dans son zèle archéologique, — ajoutait M. Bizeul, — Four-
« nier faisait quelquefois trotter assez vite la folle du logis, et
« souvent, avec lui, on est obligé de se tenir sur ses gardes. Ainsi
« il fit, toujours dans les mêmes temps, la découverte fort impor-
« tante d'un vaste cercueil en marbre grossier. Le couvercle en
« était brisé. Il avait la forme convexe, et était orné d'une bande
« dans sa longueur et de cinq bandes transversales. Il fermait le
« cercueil en s'engageant dans une gorge à la cuvette. Le cer-
« cueil en marbre, même grossier, est encore une rareté dans
(!) Le terraiD est en pente, et pour régulariser l'assise du sarcophage,
des pierres ont été placées dessous et maçonnées ; le ciment appliqué sur
le sarcophage en cache la base; néanmoins je considère l'indication 0,55
comme exacte.
_ 244 —
« nos départements de l'Ouest, même dans ceux où cette roche
« se rencontre, tels que la Mayenne et la Sarthe. Il est fort à
« regretter qu'on n'ait pas recueilli ce monument. »
Depuis cinq ans, vous saviez tous, Messieurs, que ce tombeau
est resté à Saint -Donatien; aujourd'hui, je puis ajouter aux ren-
seignements connus, que ce n'est point un marbre grossier extrait
de quelque carrière voisine de notre département. Ayant détaché
un très petit morceau de la gorge de la cuvette (0,07e), je l'ai fait
polir et vous pouvez reconnaître que ce sarcophage a été taillé
dans un bloc d'un très joli marbre, teinte feuille de pêcher mar-
queté de points blancs, dont la composition présente toutes
les particularités du gisement jurassique. Son similaire se retrou-
verait encore, sous une teinte moins vive, dans la carrière de
Sampans.
Toutes les recherches que nous avons faites pour découvrir le
couvercle, ou une partie même minime du couvercle, sont restées
sans résultat. Un fragment de 0,40e sur 0,20e nous aurait permis
de reconnaître la disposition de son ornementation ; je ne crois
pas à l'exactitude du dessin qu'en a laissé Fournier.
Notre collègue, M. Gahour, nous a appris {Bulletin de la So-
ciété archéologique, t. XIII, p. 96-97) que de la fin du VIIIe au
Xe siècle, quatre évêques ont été enterrés a Saint-Donatien, dans
des tombeaux de marbre ; mais il ne nous est pas possible d'attri-
buer plutôt à l'un qu'à l'autre le tombeau retrouvé au XIXe siècle,
celui-ci étant sans inscription, comme tous ceux que nous ont
fournis les fouilles de ce cimetière.
Nous ne sommes point renseigné sur la place qu'il a occupé et
nous n'osons émettre l'opinion qu'il se trouvait au rang de ceux
qui entouraient la petite abside et qui furent exhumés en notre
présence, en 1873.
Lorsque Fouruier écrivait, en 1808 : « Dans les excavations
« qu'on vient de faire pour la reconstruction de l'église, on a
« retiré un vaste sarcophage en marbre grossier, commun... » Il
y avait quatre ans que la reconstruction de l'église avait été com-
mencée, et il est plus exact de dire : la reconstruction d'une
— 245 —
partie de l'église, puisque la façade et le clocher étaient restés
debout. Or on peut croire que Fournier a répété, bien ou mal, ce
qui lui aura été appris sur la rencontre de ce tombeau. N'aurait-
il point été trouvé sous les murailles démolies ?
Si je me hasarde à présenter cette hypothèse, j'y suis conduit
par le texte du rapport de la visite que fit à l'église de Saint-
Donatien, en 1686, le grand-archidiacre Binet. « Estant allés visi-
« ter la sacristie, nous avons vu qu'il y a au dedans une grande
« tombe de grison élevée en l'air touchant d'un bout la muraille
« du grand autel, qu'on nous a dit estre celle où les corps des
cf SS. Donatien et Rogatien auraient été mis; de laquelle ayant
« fait ouverture nous n'y aurions rien trouvé. »
Il est vrai qu'il est écrit : une grande tombe en grison ; mais
le grand-archidiacre a pu être trompé par l'aspect du manteau de
vétusté dont sept ou huit siècles l'avaient recouverte.
Dans les remaniements partiels de reconstruction exécutés
postérieurement à 1686, cette grande tombe toujours respectée
ne dut point être repoussée hors de l'église ; elle y dut rester
jusqu'au moment où les murs furent renversés durant les jours
troublés de la Révolution.
Quelle que soit la place qu'occupa le sarcophage en marbre,
on doit croire qu'il fut le tombeau de l'un des quatre évêques
qui furent inhumés à Saint-Donatien du VIIIe au Xe siècle, et qui
nous ont été indiqués par notre collègue M. l'abbé Cahour.
Un des savants membres correspondants de notre Société a
pensé que l'un des deux sarcophages trouvés en 1872, à Sainl-
Lupien, et desquels j'avais cru devoir donner dessin, au pied de
la PI. VIII des fouilles de Saint-Donatien, était semblable à un
sarcophage trouvé à Dieppe (l), en 1848, par M. l'abbé Cochet;
je dois indiquer la différence qui existe entre les deux.
La tombe découverte à Dieppe a, comme celle trouvée à Saint-
Lupien, les côtés inclinés et ces côtés sont à surface plane. Celle
(!) Le dessin en a été reproduit, à la page 240, du Bulletin de la Com-
mission des antiquaires de la Seine- Inférieure, année 1871.
- 246 —
dont j'ai donné le dessin a les côtés inclinés, et ils sont légère-
ment recourbés de dedans en dehors. Je l'avais ainsi décrite :
auge évasée en cuvette avec bords renversés ; cette description
était insuffisante.
Dans ses recherches archéologiques et hagiographiques sur
Saint-Lupien de Rezé, (t. XVII), M. l'abbé Gahour a rappelé qu'un
grand nombre de sarcophages furent trouvés, tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur de la chapelle; je lui demande la permission de
dire, ici, quelques mots qui doivent expliquer l'exactitude du
dessin donné : Aspect des fouilles, p. 80.
Tous les sarcophages , sans exception , étaient sans couvercle ,
et leur exiguité très remarquable avait attiré l'attention des
membres de la Commission qui visitèrent les fouilles de cette cha-
pelle, une première fois, le 20 novembre 1872. — Deux exceptés,
placés l'un près de l'autre sous un des murs intérieurs , —
tous les sarcophages n'étaient profonds que de 16 à 18 centi-
mètres. Cette petite profondeur ne peut s'expliquer que si l'on
suppose que les couvercles étaient évidés.
Mais qu'étaient devenus tous les couvercles ? Nous n'en trou-
vâmes nulle trace. Les murs de la chapelle, dont l'intérieur était
dans un état de dévastation considérable, étaient sans restes de
crépis, et ceux des constructions contiguës présentaient leurs
pierres au vif. Nous cherchâmes, mais en vain, si quelques frag-
ments de ces couvercles n'apparaissaient point dans ces murs.
En supposant que tous les couvercles auraient été brisés et
employés, lors de la construction de la première chapelle, tous
auraient-ils disparu dans la démolition de celle-ci, sans qu'un
morceau ait pu reparaître dans les murs de la seconde ? ou, tous
les débris de ces couvercles supposés d'une certaine épaisseur, en
raison de la forme évidée qu'ils devaient avoir, auraient-ils trouvé
place dans le gros des murailles ? cela paraît peu probable ; les
surfaces planes sont ordinairement employées pour le parement
des murs.
Notre inspection se porta également sur les restes des murs
primitifs sous lesquels apparaissaient quelques sarcophages ; ces
- 247 -
vieux restes ne nous montrèrent rien de plus que ceux d'une
époque moins ancienne.
A Saint-Donatien, nous avons vu des murs assis sur les cou-
vercles mômes de gros sarcophages, hauts de 50 et 55 centi-
mètres. A Saint-Lupien pas un seul couvercle, et les murs n'en-
dommageaient parfois que la partie indispensable à leur tracé,
respectant le corps déposé dans l'auge, ainsi que l'a dit notre
savant collègue.
Dans les cercueils faits de pierres juxtaposées de champ, pour
les côtés, à plat, pour le couvercle, et fixées à l'aide de mortier,
on n'a jamais, ou presque jamais, trouvé de pierre pour former
le fond, les corps étant posés sur la terre. On peut dire avec cer-
titude que ce sont des cercueils sans fond.
Mais l'incertitude reste, devant tous ces sarcophages trouvés
sans couvercle ; on ne peut affirmer qu'ils en aient toujours
manqué.
L. Petit.
21 janvier 1879.
BIBLIOGRAPHIE
Inventaire archéologique, par F. Parenteau, conservateur du
Musée archéologique «le Nantes. Iu-4° de 14*2 p. et 62 planches gravées.
Édité chez Vincent Forest et Emile Grimaud, Nantes.
La revue des Matériaux pour l'histoire primitive de l'homme (Toulouse
1880), a publié sur l'Inventaire archéologique de M. Parenteau la note sui-
vante. En la reproduisant ici, nous regrettons de ne pouvoir la compléter,
en passant en revue les nombreuses pièces historiques décrites et figurées
dans ce travail, et qui n'ont pu être analysées daas la revue préhistorique
de Toulouse.
Mais Y Inventaire de M. Parenteau intéresse trop directement l'archéolo-
gie de notre département, pour que nous n'y revenions pas, dans un de
nos prochains Bulletins.
Le temps est aux inventaires ; de tous les points de la France
nous voyons paraître des répertoires, des catalogues, des som-
maires archéologiques. Cette tendance à classer les différentes
découvertes de chaque contrée présente certainement de très
grands avantages; peu à peu, Tordre s'établit dans les études
d'ensemble, on voit sur chaque point les modifications, les déve-
loppements particuliers des mêmes industries, et, enfin, beaucoup
de monuments et d'objets pourront disparaître sans être tout à
fait perdus pour la science.
Si accentué que soit ce mouvement d'étude, je doute que son
impulsion ait provoqué le nouvel ouvrage que nous signalons ici.
M. Parenteau n'est pas homme à se laisser entraîner par les cou-
rants ; il les remonte, les traverse, ou les dépasse au gré de son
inspiration. Aussi l'inventaire qu'il vient de publier, tout en étant
- 249 —
d'accord par son titre avec le goût actuel, diffère complètement
des ouvrages de même genre pour le fond et pour la forme.
Ce n'est point une simple analyse des objets recueillis dans le
département de la Loire-Inférieure, c'est un catalogue parlant.
Chacune des trouvailles indiquées dans ce recueil raconte son
histoire ou à défaut de mieux sa légende. Des rapprochements
ingénieux, des comparaisons imprévues éclairent chaque objet et
leur donnent un attrait piquant. Tout cela est très étendu comme
vue ; c'est une excursion à travers les peuples et les siècles, et
cependant le tour de chaque indication est si vif, les aperçus sont
jetés avec une vivacité si soudaine que l'intérêt s'éveille à chaque
note. Il semble que pour nous conduire au milieu de tous ces
trésors, notre excellent guide ait je ne sais quelle mystérieuse
lanterne dont la lumière vient tour à tour éclairer les objets et
les fait énergiquement ressortir.
Pour rendre plus saisissante encore cette exhibition, de nom-
breux dessins accompagnent le texte. Soixante-deux eaux-fortes
dues au talent d'un jeune graveur, M. Th. Thomas, font passer
sous nos yeux plus de six cents pièces, reproduites avec une fidé-
lité parfaite. M. 0. de Rochebrune a également prêté son mer-
veilleux talent pour enrichir cette œuvre. En somme, le catalogue
est digne de la collection, et nous ne pouvons que souhaiter de
voir l'exemple donné par M. Parenteau suivi par beaucoup d'ar-
chéologues.
Parmi toutes les curieuses trouvailles que nous devons au zèle
de notre excellent conservateur, je signalerai la découverte de
Saint-Père-en-Retz (Loire- Inférieure) : collier et bijoux en or
trouvés dans un dolmen avec deux hachettes en bronze, plates et
rugueuses, identiques de forme a certaines de nos haches en dio-
rite. — Des objets en pierre polie, gouges, pendeloques, hachettes
d'un fini admirable et d'une grande beauté de matière. — Une
épée de bronze surmontée d'un pommeau en forme d'olive per-
cée de quatre trous pour recevoir des rivets. — Les objets gau-
lois provenant des fouilles de M. Parenteau, à Pouzauges : des
rouelles en serpentine percées d'un trou pour servir de bouton,
— 25Ô -
des dés, des lampions en terre cuite avec leurs bobèches, de
curieuses briques ornées de dessins sur les deux laces et percées
de trous; la base de ces briques s'élargit pour se fixer plus soli-
dement. M. Parenteau émet l'opinion que ces grandes feuilles
ajourées ont pu servir de fenêtres aux huttes gauloises du Vicus
de Pouzauges. — Un éperon gaulois, un bracelet en électrum. —
Des objets très primitifs en fer, accompagnés d'intéressants
détails sur les forges ou bas-foyers gallo-romains.
Tous ces précieux objets dont la conquête a coûté tant de
recherches et tant de travail sont étudiés avec un soin passionné
qui en rehausse encore la valeur. Mais si M. Parenteau parle en
amoureux des beaux yeux de sa cassette, ce sentiment n'est pas
égoïste; on sent à chaque ligne que l'heureux possesseur de
toutes ces richesses aime avant tout à communiquer les jouis-
sances qu'il a trouvées dans ses études. En publiant ainsi sa col-
lection, il l'abandonne aux mains de tous, avec le fruit de son
travail et de son savoir. Bien mieux, il la donne réellement, et le
Musée de l'Oratoire s'enrichira un jour de tout ce que son conser-
vateur a su recueillir dans ses infatigables recherches.
P. DE LlSLE.
LES LIMITES DO BRETON ET DU FRANÇAIS
ET LES LIMITES DES DIALECTES BRETONS (')
La langue bretonne a été parlée dans la plus grande partie de
rille-et-Vilaine et dans la totalité du département des Côtes-du-
Nord, jusqu'à une époque assez moderne : au onzième siècle, le
breton était encore en usage aux environs de Redou ; au seizième
siècle, la plus grande partie de l'arrondissement de Loudéac ne
parlait pas français. Toutefois, considérée dans son ensemble, la
ligne de démarcation de la Bretagne bretonnante et du pays gai-
lot, a peu varié depuis deux siècles ; c'est à peine si, sur cette
longue ligne qui va de l'extrémité de la baie de Saint-Brieuc à
l'embouchure de la Vilaine, la langue française a pu avancer de
quelques kilomètres.
Voici la limite des deux langues, telle que je l'ai indiquée dans
une carte linguistique de la Bretagne exposée actuellement à la
section anthropologique au Trocadéro.
Je me suis servi des documents les plus récemment publiés sur
ce sujet. J'ai reçu des communications de plusieurs correspon-
dants, parmi lesquels je dois citer M. Luzel (de Morlaix) et
M. Léon Bureau (de Nantes).
Le département d'Ille- et- Vilaine est entièrement français : sa
partie la plus rapprochée du pays bretonnant (Redon) en est
éloignée d'environ 30 kilomètres.
(i) Cet article a déjà été publié par un journal de notre ville, V Espérance
du Peuple; mais son importance a déterminé la Société a le reproduire
dans son ftuiletin.
— 252 -
Dans les Côtcs-du-Nord, sur quarante-huit cantons, vingt-quatre
parlent exclusivement français; dans les vingt-quatre autres, la
langue bretonne est d'un usage général dans la campagne.
La limite des deux langues est marquée par une ligne allant du
nord au sud. Elle part de la commune de Plouha, située sur le
bord de la mer, et passe par Pléguien, Tréguidel, Bringolo,
Plouagal, Lanrodec, Senven-Lehart, Saint-Connan, Saint-Gilles-
Pligeaux, Ganihuel, le Haut-Corlay, Saint-Mayeux, Gaurel, Mûr et
Saint-Gonnec. Dans toutes ces communes, la langue française est
généralement parlée concurremment avec la langue bretonne;
cependant, les habitants entre eux se servent plus volontiers du
breton que du français, et les vieillards ne comprennent que cette
dernière langue. (Gaultier du Mottay, Vivier et Rousselot, Géogra-
phie des Côtes -du-Nord; Ogée, Dictionnaire de Bretagne, nou-
velle édition.)
Dans l'arrondissement de Saint-Brieuc, 71 communes, peuplées
de 131,000 habitants, ne parlent que le français ; 21, peuplées de
35,000 habitants, ne parlent que le breton; 4 communes, comp-
tant environ 10,000 habitants, parlent indifféremment les deux
langues.
Les 120,600 habitants de l'arrondissement de Dinan ne se ser-
vent que du français.
Par contre, dans l'arrondissement de Lannion (112,000 habi-
tants), on parle breton partout ; le français n'est guère usité et
même compris que dans les villes et sur le littoral.
Sauf 7 communes, peuplées de 10,000 habitants, et qui sont
sur la limite des deux langues, l'arrondissement de Guingamp
(126,709 habitants), ne parle que le breton.
Dans celui de Loudéac, 73,000 habitants parlent français, 5
communes des cantons de Mûr et de Gorlaix, peuplées de 6,881
habitants, se servent des deux langues; 9 communes, peuplées de
9,000 habitants, ne parlent que le breton.
En résumé, le français est le langage exclusif de 324,000 habi-
tants, environ 27,000 parlent les deux langues, 278,000 ne se
servent que du breton.
- 253 —
Voici la limite du breton et du français dans le Morbihan, en
allant du nord au sud-est : Croixanvec, Noyal-Pontivy, Gueltas,
Kerfourn, Naizin, Moréac, Sainl-Allouestre, Saint-Jean-Brévelay,
Monterblanc, Elven, Sulniac, Berrie, Lausach, Muzillac, Billiers
(Mahé, Essai sur les antiquités du Morbihan, 1825). D'après
M. Guyot-Jomard, auteur de la Vetite Géographie du Morbihan
(1867), cette délimitation n'a pas cessé d'être exacte ; cependant
le français gagne du terrain à Billiers, Muzillac, Berrie, Elven,
Gueltas, où le breton tend à disparaître.
Communes ou l'on parle : 1» le français.
Vannes 39 c. 57.000 h.
Lorient 2 24-000
Pontivy..... ... 1 1.000
Ploërmel 68 88-000
110 170.000
Communes où 2° le français 3°
l'on parle : et le breton. le breton.
Vannes.. 4 c. 7.850 h. 36 c 69.760 h.
Lorient. » » 50 149.000
Pontivy.. 5 6.682 39 96.470
Ploërmel. » » 3 6.000
9 14 532 128 321.203
La Loire-Inférieure parle français, sauf quelques villages du
canton de Guérande, tous situés dans la commune de Batz, qui
forment un îlot breton composé d'environ 1,200 habitants.
Départements. Français. Breton.
Gôles-du-Nord 324.000 278.000
Finistère 50.000 550.000
Ille-et-Vilaine 602.700
Loire-Inférieure ..... 601 . 000 »
Morbihan.... 170.000 321.000
1.747.700 1149.000
- 254 -
PopulatioD
Départemeat9. Mixte. totale.
Gôtes-du-Nord 27 . 000 629 . 000
Finistère '. 40.000 640.000
Ille-et-Vilaine » 602.700
Loire-Inférieure 1 . 200 602 . 200
Morbihan 14 . 000 505 . 532
82.732 2.979.432
Pour nous résumer, nous dirons que le français est la langue
exclusive de 1,747,700 individus, 1,149,000 ne se servent que
du breton.
Parmi les populations rurales, 82,782 individus se servent des
deux langues.
Comme en pays breton, la population des villes, même petites,
comprend les deux langues, il convient d'ajouter à ce chiffre de
population mixte celle des villes et des chefs-lieux de canton, soit
150,000 personnes pour les trois départements bretonnants. On
arrive ainsi à un total de 232,000 personnes parlant indifférem-
ment les deux langues.
Si l'on ajoute aux 1,149,000 individus bretonnants la population
rurale mixte, 82,732, qui se sert des deux langues, on voit que
1,232,000 individus, en chiffres ronds, parlent ou entendent le
breton.
La limite des dialectes bretons entre eux est déterminée d'une
manière moins précise : sur ma carte je ne l'ai indiquée que par
grandes lignes, d'après le travail de M. Hamonnic qui figure
dans la préface du Dictionnaire breton de M. Troude, publié a
Brest en 1869. M. Luzel, très versé en ces matières, m'a dit qu'il
n'existait pas à sa connaissance de travail plus complet.
Les dialectes bretons correspondent assez exactement à l'an-
cienne limite des évêchés, le dialecte de Tréguier a pour limite à
l'est le pays français ou gallot, au nord la Manche, au sud le
massif des montagnes du Mené, à l'ouest la rivière de Morlaix et
une ligne droite menée de Morlaix au Cloître : il comprend toute
- 355 -
la partie de l'arrondissement de Saint-Brieuc qui parle breton, la
plus grande partie de l'arrondissement de Guingamp, et trois
cantons du Finistère situés dans l'arrondissement de Morlaix.
Le dialecte de Léon est limité au nord et à l'ouest par la mer;
au sud-ouest, par une ligne qui part de la rade de Brest, passe
entre Plougastel et Daouias, et entre Landerneau et la Martyre ;
au sud, la limite correspond à peu près à la ligne du chemin de
fer de Paris à Brest ; à l'est, la limite est la rivière de Morlaix et
une ligne allant de Morlaix au Cloître.
La rivière de l'Aber-Benoît sépare le Bas-Léon du Haut -Léon.
La plus grande partie de l'arrondissement de Brest, sauf la ville
elle-même, qui est un îlot français, et une grande partie de l'ar-
rondissement de Morlaix, parlent ce dialecte.
D'après M. Luzel, les habitants d'Ouessantse servent d'un dia-
lecte qui a une plus grande parenté avec celui de Tréguier
qu'avec le dialecte de Léon, dont ils sont cependant plus rap-
prochés.
Ces deux dialectes, qui sont les plus purs de la langue bretonne,
ne s'éloignent pas beaucoup de la mer, ainsi qu'on le voit en
jetant les yeux sur la carte ; c'est dans le dialecte de Tréguier
qu'on trouve le pays le plus éloigné de la mer, et il n'en est
guère distant que de 40 à 45 kilomètres.
Il est possible que ces deux dialectes doivent leur pureté rela-
tive à l'émigration des Bretons insulaires qui a eu lieu à deux
reprises différentes, et qui s'est arrêtée presque partout aux
approches des montagnes.
Le dialecte de Cornouailles, le plus étendu de tous, comprend
les arrondissements entiers de Châteaulin, de Quimper et de
Quimperlé, la partie sud des arrondissements de Brest et de
Morlaix ; il est en outre parlé dans les Gôtes-du-Nord par quelques
cantons des arrondissements de Guingamp et de Loudéac; dans
le Morbihan, le canton de Faouet et celui de Gourin parlent un
dialecte teinté fortement de vannetais, mais qui se rapproche
encore plus du dialecte de Cornouailles.
Le dialecte de Cornouailles est limité à l'ouest par la mer, au
— 256 -
sud par la mer et par une ligne qui suit à peu près la limite du
Morbihan et du Finistère; à l'ouest la séparation et la rivière de
Quimperlé, et la limite des cantons d'Arzano, de Gourin et de
Faouet, et, après une ligne sud déjà indiquée qui correspond à
la limite du Morbihan et des Côtes-du-Nord, il est limité par la
partie française ou gallot de l'arrondissement de Loudéac.
Au nord la limite est la même que la limite au sud de Léon et
de Tréguier, c'est-à-dire une ligne correspondant aux massifs
montagneux du Mené et des monts d'Arrée et venant aboutir à
la rade de Brest entre Plougastel et Daoulas.
Le dialecte de Vannes n'est pas parlé que dans le Morbihan :
c'est le moins pur et le plus mélangé de gallicismes des quatre
dialectes bretons ; il est limité à l'est par le pays gallot, sud par
la mer, à l'ouest par une ligne partant de l'embouchure de l'Ellé,
et passant près Arzano, qui est du dialecte de Cornouailles, et
suivant la limite des cantons de Gourin et du Faouet jusqu'à la
séparation du Morbihan et des Côtes- du-Nord, qui forme la
limite du nord.
L'enclave bretonne de la Loire-Inférieure se compose de sept
villages, peuplés d'environ l,û200 habitants ; ceux-ci comprennent
les deux langues, et se servent entre eux plus volontiers du bre-
ton que du français.
Il existait, en outre, une colonie Bretonnante à Trelazé (Maine-
et-Loire), petite ville située à quelques kilomètres d'Angers. Elle
se compose d'ouvriers ardoisiers originaires de la Bretagne et
principalement de l'arrondissement de Ghâteaulin ; cette émigra-
tion remonte à quelques années seulement et tient à des causes
économiques et industrielles.
Enfin, au Havre, les Bretons bretonnants sont assez nombreux;
ils ont môme une chapelle où un prêtre leur fait des sermons en
breton, ils habitent un quartier spécial. (Communication de
M. Luzel.)
Dans toutes les villes situées en pays breton, on parle les deux
langues, sauf dans les faubourgs, où le breton domine ; dans
presque tous les chefs-lieux de canton, dans toutes les agglomé-
— 257 —
rations on entend les deux langues. Il en sera de même pour les
campagnes du Finistère dans un temps assez peu éloigné. On
enseigne dans la plupart des écoles à la fois le français et le
breton. Celui-ci ne disparaîtra pas; mais on arrivera presque par-
tout à pouvoir parler les deux langues.
Le langage parlé dans le pays gallot ou français est un dialecte
du français, qui a des affinités avec les dialectes des pays voisins,
surtout avec l'angevin, le tourangeau et le bas-normand ; il
coutient un grand nombre de vieux mots, un très petit nombre
de mots empruntés au breton, et est, sauf des expressions locales
assez nombreuses, mais à tournures françaises, très facile à
comprendre.
Paul Sebillot.
1879 i7
PLACEMENT DES GRAVURES
Pierres gravées de Saint- Aubin (lre de 1 à 10) 49
__ _ (2me de 11 à 14) 50
Abbaye de la Chaume Plan 55
— Ruines 79
— Armoiries 79
Tombe gallo-romaine 237
TABLE DES MATIÈRES
PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE ET TABLE ANALYTIQUE
DES PROCÈS-VERBAUX
ANNÉE 1879
Abbaye de Notre-Dame de la Chaume 52
Arrivée de M. le comte d'Artois (1777) 200
Arrivée de l'empereur Joseph 200
Assemblées de ville 201
Bibliographie 218
Brière. (Une lettre concernant la) 232
* Changes. (Fouilles à la place des) 22
* Chapelle de Toussaint , 21 -24
* Charles de Blois 21-24
* Chézine. (La) 20
Corporation des potiers d'Herbignac 44
Cours des États. 157
Délibérations de MM. du Présidial. (Voir Livre) 154
Dialecte breton de Vannes au pays de Guérande 121
* Dessins inédits du vieux Nantes 23
* Hôpitaux pouvant servir de tracé pour les voies ro-
maines 26
* Hypocauste découvert à Saint- Vincent-sur-Jard 25-27
Ile Faydeau (Pont de 1') à l'île Gloriette 216
Inventaire archéologique de M. Parenteau, compte rendu. 218
Les limites du breton et du français et les limites du dia-
lecte breton 251
Livre des délibérations de MM. du Présidial de Nantes . . . 154
Arrivée de M. le comte d'Artois 200
— de l'empereur Joseph 200
— de M. de Cornulier, président à mortier . . . 199
Assemblées de ville. (Intervention de la présidence
aux) 201
Brière. (Une lettre concernant la) 232
— 260 -
Ile Faydeau (Pont de V) à l'île Gloriette 216
Lettre du Garde des Sceaux à la Présidialité 217
Marche du Présidial à la Fête-Dieu 161
Mauves. (Prairie de) Avis donné aux pasteurs de la. 232
Mémoire aux États pour les vignobles 231
Octrois anciens de Nantes 221
Octroi pour une balise et deux môles 221
Offices du Présidial. (Liquidation des) 179
Pré l'Évêque. (Bâtisse sur le) 163
Rappel du Parlement. (Réjouissances à l'occa-
sion du) 176
Règlement entre le Sénéchal et les autres juges. . . 184
Retraite à Nantes. (Projet d'une) 203
Sanitat. (Réformes proposées pour la maison du).. . 163
Service pour le Dauphin 168-170
pour la Reine ... 173
Tapisseries de la salle d'audience du Présidial 182
Vignobles. (Adhésion à une demande des proprié-
taires dets) , 214
Vignobles. (Mémoire aux États pour les) 231
* Madeleine (La) et la Maladrie. — Identité entre les deux
termes 26
Nantes. — Changes. (Fouilles à la place des) 22
Chapelle de Toussaint 21-24
Charles de Blois 21
Dessins inédits du vieux Nantes 23
Saint-Donatien 8
* Objets trouvés à Nantes 8-11-12-13-14-15-16-19-27
Pierres gravées de Saint-Aubin de Baubigné 49
Potiers d'Herbignac 44
Saint-Aubin de Baubigné. (Pierres gravées de) 49
* Saint-Vincent-sur-Jard 25-27
* Statère d'or au type de la bécasse 28
Tombe gallo-romaine 235
Trouvères guérandais 31
* Vases à double goulot 29
Les articles précèdes d'un astérisque se trouvent aux
procès - verbaux.
TABLE DES MATIÈRES
PAR NOMS D'AUTEURS
ANNEE 1870
De Béjarry. — Pierres gravées de Saint- Aubin de
Baubignë 49
Blanchard (G). — Dialecte breton de Vannes au pays de
Guérande 121
Gallard. — Les trouvères guérandais 31
Pitre de l'Isle. — Inventaire archéologique de M. Pa-
renteau, compte rendu — 218
Maître. — Les potiers d'HerMgnac 44
De la Nicollière. — L'abbaye de la Chaume 52
Petit. — Tombe gallo-romaine 235
Sebillot. — Les limites du breton et du français 251
Nantes. — Imp. Vincent Ferest et Emile Grimaud, plate 4» Commerce, 4,
> A^
>>>
-J3? r
Or>
V ' '
^2*
"">» > -v
\
"'3> » >
^*^^?'^
:$T^
* > > >
V.V >
SUD
^ ^
T> 3>S
s ?»
V^T> 3^>
W -? S»
> )
) i
' >> 3Tf>S '■>> ""
2
.-> J
• .-> ? - -» J
m
> .9 :> ^ '.,
p^
' g ?^>^
' V
■^~ iif
9 > ■ > > > >
> > > » >:
î^S
> ^ i^>*. ^v -^r^»
3
3
> > •>.
j*
' ■ .^ ^ ^
>
>
> >3> S ->
S i OrSSh--
» ^> >y>79 > > >
>> ?
>» j>
^» ;> >> ->^>
^">^5^ >>
■ 3*.."&
3 i>
S^.J '
*^ > > » > -=*^
i ■>.&>
K$>
>^^
:-£S>» .
î£> dvd >>s>y ^
' > ->
;> :> >
»:»>>
y xi >
"* >
5 .>>>
» "> > >>
s> »3
> > *
i*^>
s>? j *>
^^t> *
^>
-? os>
3ETTY CENTER LIBRARY
II
3 3125 00700 2997
-v>
>
£ ''vs
) ->>
» ">>
J
ftP
* — ■» ^
- > } >
'^ > > > •*>
_■■
/
•
Bf fi"j
**Ti
tiÉ
• =■"•*
^
'
au
V45
jwf
\JÉr