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CALCUL DES CHANCES
PHILOSOPHIE
LA BOURSE
Paris.— Impr. Pilloy, boulevard Pigale, 50.
CALCUL DES CHANGES
ET
PHILOSOPHIE
DE
LA BOURSE
Jules REGNAULT
O quam bonus et suavis est, Domine, spiriiiis tuus
in omnibus! omnia in mensurâ, et numéro et
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INTRODUCTION
La Bourse est le temple de la société moderne : c'est là
que sont destinés à venir converg-er tous les grands inté-
rêts d'un siècle éminemment positif et industriel ; mais
la Bourse est aussi le sanctuaire officiel du jeu, et c'est là
que viennent s'engloutir des fortunes et des existences.
Nous croyons rendre service à la société tout entière en
essayant d'en analyser les cliances, démontrer les dangers
du jeu, en même temps que découvrir le but que doit se
proposer la Spéculation.
La morale, sous toutes ses formes, n'a pas manqué,
jusqu'à présent, pour attaquer les abus de la spéculation
et essayer de les corriger ; mais la morale, pour persuader,
doit apporter la conviction. L'iiomme, esclave de ses
passions, indifférent à tout ce qui ne le touche pas, n'est
porté au bien ou au mal qu'en raison même de son inté-
rêt ; ce n'est point par des déclamations abstraites et
oiseuses, des mots vides de sens qu'on peut espérer de
— 2 —
réformer ses mauvais instincts ; les vérités qui forcent la
conviction doivent être évidentes, irréfutables.
Ne vaut-il pas mieux démontrer au joueur comment le
cours naturel des choses veut qu'il soit inévitablement
ruiné à tel jour donné, que de lui faire sentir que s'il
s'enrichit, ce ne peut être qu'en dépouillant son sem-
blable?
Or, cette vérité peut lui être prouvée, parce qu'elle peut
être prévue. Rien dans la nature n'est disposé arbitraire-
ment et n'arrive qui n'ait été préparé par quelque cause
antérieure, que nous la connaissions ou ne la connaissions
pas. Si nous étions bien pénétrés de cette vérité si simple,
nous nous laisserions moins séduire par le merveilleux,
nous sacrifierions moins à l'imprévu et à ce que nous
sommes convenus d'appeler le hasard. Il n'y a point de
hasard, mais il y a notre ignorance qui en tient lieu ; (') c'est
l'ignorance qui, en nous faisant méconnaître la liaison
nécessaire de tous les effets, berce nos illusions et nos
erreurs, est la cause première de tous nos débordements,
de toutes nos passions, de tous nos malheurs.
Il est très- vrai que nous ne pouvons jamais arriver k la
connaissance entière de toutes les causes, et que la plu-
part nous échappent dans l'estimation d'un fait; mais
s'il n'y a que peu ou point de prévision à avoir quand il
s'agit d'un fait isolé, il y a souvent une certitude à peu
près complète pour ou contre, quand il s'agit d'un en-
semble de faits, et les limites du doute, entre lesquelles
(') rhough ihere be no stich thing m chance in the world, our igno-
rance of the real cause of anp cocnt lias the same influence on the
understan ding . (Ho me) .
peut varier notre appréciation ou la quantité d'erreur
qui peut l'affecter, tend à diminuer dans des rapports
assignables avec l'augmentation des faits, parce que les
causes particulières qui ag-issent sur chaque fait isolé-
ment s'annulent dans un grand nombre pour ne laisser
ressortir que les lois générales; c'est ainsi qu'on ne peut
nullement prédire avec quelque certitude, même en con-
naissant sa constitution, 1 âge auquel une personne doit
mourir, tandis que sur un grand nombre de personnes,
on peut dire, à très-peu près, combien atteindront ou
n'atteindront pas à un âge donné.
Bien fin celui qui, à la Bourse, en voyant s'engager
une opération, pourrait prédire si elle rapportera du bé-
néfice ou de la perte ; mais il n'est pas besoin d'être devin
pour prédire ce qui doit arriver dans une suite continuelle
d'opérations.
Les événements particuliers peuvent tromper nos pré-
visions, mais il faut savoir s'élever au-dessus de la con-
sidération de ces événements pour ne voir que l'ensemble
des résultats derniers, qui ne peuvent jamais tromper.
C'est à J. Bernoulli que l'on doit la démonstration de ce
beau théorème qu'il considérait avec raison plus impor-
tant et plus utile que la découverte de la quadrature du
cercle.
« En multipliant indéfiniment les observations et les
expériences, le rapport des événements de diverses natures
qui doivent arriver, approche de celui de leurs possibilités
respectives dans des limites dont l'intervalle se resserre
de plus en plus et devient moindre qu'aucune quantité
assignable. »
C'est là un pliénomène bien remarquable de voir les
événements qui semblent le plus dépendre de causes in-
connues, inappréciables, présenter, en se multipliant et
se combinant à l'infini sous nos yeux, une tendance à se
rapprocher de rapports fixes, déterminables, dételle sorte
que si l'on conçoit de part et d'autre de chacun de ces
rapports un intervalle aussi petit que l'on veut, la proba-
bilité que le résultat moyen des observations tombe dans
cet intervalle, finit par ne différer de la certitude que
d'une quantité au-dessous de toute grandeur voulue.
Tous les nombres présentés par la tliéorie des probabi-
lités ne présentent jamais qu'un état final, oscillent dans
une suite de vibrations continuelles autour de l'état natu-
rel, eu diminuantprogTessivementcesvibrations à mesure
qu'ils s'étendent autour d'un plus grand nombre de faits,
et deviennent rigoureusement exacts dès qu'on en sup-
pose le nombre infiniment g-rand. Nous saurions donc
l'avenir, si nous avions l'expérience de l'Infini.
C'est cette idée de l'Infini, finalement évoquée, qui fait
que toute théorie mathématique est nécessairement mo-
rale et philosophique, et que, pour en comprendre la vé-
ritable portée, il faut se dégager des influences spéciales,
des considérations mesquines ou passagères.
Toute la science des hasards se réduit en dernier lieu à
déterminer d'une manière générale tous les événements
du même genre, à les grouper et réduire en un certain
nombre limité de faits, d'événements distincts parfaite-
ments définis, tous également possibles. Etchaquegroupe
d'événements du même genre étant nettement circonscrit,
il reste à déterminer soit par la nature de leur production,
soit par l'appréciation attentive des faits accomplis anté-
rieurement dans chaque ordre d'événements, le nombre
des chances favorables ou contraires à la venue de cha-
cun.
Une fois que tous ces rapports sont bien établis, que par
une analyse exacte on a déterminé le nomlre des chances
de chacun des événements possibles, le dernier mot de la
science humaine est prononcé, et il n'y a rien de plus à
apprendre. La nature se charge d'ag-ir et de démontrer
irrémissiblement par ses effets l'exactitude de ces rapports.
Beaucoup d'esprits d'ailleurs très-éclairés, s'indignent
qu'on ose faire entrer le calcul dans des questions qu'on
peut considérer de l'ordre moral ; mais le monde moral ne
se gouverne pas par d'autres lois que le monde physique :
toutes nos volontés, toutes nos déterminations, toutes
nos entreprises, ne se dirigent pas au hasard, mais ne
sont basées que sur une énumération des chances favo-
rables ou défavorables, car tous nous aspirons au bon-
heur et à la réussite, etpour cela nous ne pouvons jamais
nous décider que sur des probabilités, mais comme nous
ne sommes pas tous ég-alement instruits, nous suivons
chacun des routes différentes, et le vice est la route de
l'erreur, malheureusement trop fréquentée. Le calcul ne
peut rien indiquer que l'homme raisonnable ne sache
déjà, mais c'est parce que le bon sens et la réflexion ne
suffisent pas toujours à énumérer exactement toutes les
chances possibles, que le calcul est quelquefois nécessaire.
N'est-il pas vrai que si on disait : « Voici une urne qui
contient une boule blanche et cent boules noires, vous
allez en retirer une, si elle est blanche, vous doublerez
— 6 —
votre fortune, mais si elle est noire, vous serez ruiné ;
n'est-il pas vrai qu'il n'y aurait pas au monde un seul
homme, à moins de le supposer complètement fou, qui
voulût d'une telle convention? Eh bien ! nous démontrons
d'une manière irréfutable , que dans la plupart des
conditions du jeu à la Bourse, l'urne du sort, pour une
boule blanche, renferme plus de cent milliards de boules
noires.
Quelques mots sur la division de l'ouvrage. Nous l'a-
vons divisé en deux parties et subdivisé en paragraphes.
Dans la première partie, nous ne nous occupons que du
Jeu. Nous cherchons quels sont les motifs qui, en faisant
croire à l'arrivée d'un événement plutôt que d'un autre,
donne au joueur une conviction pour la hausse ou pour la
baisse, et nous cherchons si cette conviction est fondée.
Nous démontrons ensuite que le droit de courtage étant,
sinon la seule , du moins la principale et la seule cause
appréciable de l'inégalité des chances, peut aug-menter
indéfiniment le désavantage du joueur et la certitude de
sa ruine, et que d'après la connaissance de certains élé-
ments, il est possible de mesurer à tout instant l'augmen-
tation ou la diminution des chances défavorables au
joueur.
Dans la seconde partie , nous commençons par établir
une distinction entre les deux spéculations, la fausse re-
présentée par le Jeu, la véritable représentée par le Ca-
pital, qui n'est autre chose qu'une accumulation des fruits
du Travail ; nous indiquons les tendances de chacune , et
après avoir établi que, s'il n'y a pas de prix absolu, le
prix relatif des valeurs peut cependant être resserré dans
— 7 —
des limites do plus en plus étroites, nous donnons les règles
de la véritable spéculation.
Par la Théorie des Ecarts, les lois nouvelles des varia-
tions de la Bourse sont enlîn fixées, et il devient évident
que les lois du monde social ne sont ni plus difficiles, ni
plus compliquées que celle du monde céleste. Tout dans la
nature est soumis à des lois communes, générales et
immuables, en dehors desquelles aucune chose, aucun
phénomène ne pourrait se produire ou se maintenir, et
les lois les plus générales sont aussi les plus simples.
« Tous les événements, dit Laplace au début de son
Essai pJbilosopJdq^ue, ceux mêmes qui, parleur petitesse,
semblent ne pas tenir aux grandes lois de la nature en
sont une suite aussi nécessaire que les révolutions du So-
leil. Dans l'ignorance des liens qui les unissent au sys-
tème entier de l'univers, on les a fait dépendre des cau-
ses finales ou du hasard, suivant qu'ils arrivaient et se
succédaient avec régularité ou sans ordre apparent ; mais
ces causes imaginaires ont été successivement reculées
avec les bornes de nos connaissances et disparaissent en-
tièrement devant la saine philosophie, qui ne voit en elle
que l'expression de l'ignorance où nous sommes des vé-
ritables causes. »
Les variations de la Bourse, tout aussi bien que la Terre
dans la courbe qu'elle décrit autour du Soleil, sont sou-
mises aux lois de l'attraction universelle; dans certaines
conditions, le capitaliste peut être assuré de réaliser des
bénéfices proportionnels avec autant de certitude qu'il
attend le retour régulier des saisons.
Toutes ces idées, qui un jour paraîtront si simples, peu-
— 8 —
vent passer pour de Ici hardiesse aujourd'hui ; espérons
cependant que nous aurons convaincu le lecteur attentif.
Puisse ce livre, malgré ses imperfections, répondre
à l'idée qui l'a conçu et servir utilement le ]iarti de la
vérité.
PREMIÈRE PARTIE
l'UEMlÈUE PARTIE
1 . — Toutes les causes qui concoureut h la formation
d'un événement quelconque, se partagent en deux grandes
catégories : constantes et accidentelles.
Les causes constantes sont celles dont l'action est
continue et régulière, dirigée dans un même sens et avec
une intensité toujours égale.
On comprend, sous le nom de causes accidentelles,
toutes celles dont l'action n'est ni continue ni régulière,
qui se produisent sans aucune loi apparente, et fortuite-
ment, dans un sens ou dans l'autre.
Par rapport à l'éloignement qui sépare la cause de
l'effet et qui lui donne plus ou moins de force pour agir,
on peut encore diviser chacune de ces deux catégories
en deux nouvelles : causes générales et spéciales.
Les causes générales, comme étant les plus nombreuses
et les plus variées, seront aussi les moins importantes,
— \i —
tandis (jue les causes spéciales auront une influence plus
directe et plus immédiate.
En exprimant par les chiffres 1 et 2 le degré de puis-
sance de chacune de ces espèces de causes pour concourir
à un moment donné à la production d'un effet ou d'un
événement quelconque, de manière à avoir :
Pour les causes constantes 1
id. accidentelles .... 2
id. générales 1
id. spéciales 2
on pourra former, par la combinaison des diverses causes
possibles, les quatre produits suivants :
Causes constantes et générales. ... 1
id. spéciales. ... 2
accidentelles et générales, ... 2
id. spéciales. ... 4
On arriverait à un plus grand degré de précision sur
la relation que les diverses causes ont entre elles, si on
formait de nouvelles catégories intermédiaires, telles que
causes variables, dont l'arrivée est au moins irrégulière,
mais dont la durée possède une certaine constcxnce ; causes
'particulières prises dans un ordre de faits secondaire, et
n'ayant qu'un demi-caractère de généralité; mais la clas-
sification précédente nous donne cependant dès à 2)ré-
sent une idée suffisante de la force des causes et du rap-
port qu'elles ont entre elles.
2. — Si je jette un sou en l'air, je sais que la cause qui
le fera retomber de préférence sur l'une des deux faces est,
— iô —
avant V événement^ exprimée par -; si je jette un dé sur
une table, je sais que la cause qui doit amener l'as, aune
valeur de -; cette probabilité est certaine, évidente, et
personne n'essaiera de la contester ; mais les chances
d'un événement ne sont pas toujours en nombre déterminé
et assignables a po^ioTi; et, dans tous les cas, où cette
connaissance fait défaut par la nature même des choses,
on est forcé de s'en rapporter à V observation des èténe-
mcnts passés.
Il existe certaines règles qui déterminent exactement le
deg'ré de confiance que l'on doit ajouter aux observations,
lorsque celles-ci ont un même poids ou sont également
bien faites ; bornons-nous à énoncer les suivantes ;
1" Lorsqu'on a observé un événement qui s'est réguliè-
rement produit un certain nombre de fois, la probabilité
qu'il se reproduira une nouvelle fois peut être exprimée
par une fraction dont le numérateur est le nombre des
observations, augmenté d'une unité, et le dénominateur,
ce même nombre, aug-menté de deux unités.
Si, par exemple, j'avais retiré successivement dix
boules blanches d'une urne remplie d'un grand nombre
de boules dont j'ignorerais la couleur, je pourrais parier
J|, ou 11 contre 1, que je retirerai encore une boule blan-
che la prochaine fois.
Si les événements observés sont contradictoires, il faut,
pour obtenir la possibilité du retour de chacun de ces
événements, prendre le nombre de fois que chacun d'eux
a été observé, ajouter une unité et diviser par le nombre
des observations totales, augmenté d'autant d'unités qu'il
V a d'événements différents.
Si, par exemple, j'avais retiré de l'anic dix boules
blanches et trois noires, l'arrivée d'une boule bl;tnclie au
prochain tirage aurait une probabilité de -^ et celle d'une
boule noire, -.
2° Za probaHIilé d'un événement futur est la somme
des produits de la prolaWité de cliaque cause, tirée de
révénement observé, par la probabilité que cette cause
existant^ V événement futur aura lieu.
Exemple : On nous apprend que l'urne qui jusqu'à pré-
sent renfermait un nombre de boules indéterminé et
supposé très-g-rand, n'en renferme que trois ; nous tirons
successivement, et en les remettant chaque fois, trois
boules qui se sont trouvées blanches, que devons-nous
penser d'un nouveau tirage ?
Il y a trois causes h l'événement observé :
1» Toutes les boules sont blanches.
2^ Il y en a deux blanches et une noire.
S^ Il j en a une blanche et deux noires.
La probabilité de chaque cause, tirée de l'événement
observé, est ég'ale à
I ou la certitude pour la première.
'- ou |j pour la seconde.
q-. ou ^ pour la troisième.
C'est-à-dire qu'elles sont dans le rapport des nombres
27, 8 et 1, et que l'ensemble de ces trois causes étant égal
à la certitude, la probabilité de la première est -, de la
seconde -, de la troisième i.
36 36
II s'agit de multiplier chacune de ces dernières valeurs
par la probabilité que la cause existant, l'événement futur
aura lieu.
— 15 —
Or, si la première cause existe, l'événement est cer-
tain. ?-^ X 1 - - ou ^.
36 36 1(18
Si la seconde existe, l'événement a la probabilité
36 '^ 3 11 8
Si la troisième cause existe, l'événement a la proba-
bilité. 1 X ' = -.
36 ^3 108
Faisant la somme de ces trois produits, — -, nous
1 . 98 49
obtenons — ou -.
108 5*
Il y aurait donc 49 à parier contre 5 qu'on retirera en-
core une boule blanche au prochain tirag-e.
3. — A la Bourse, tous les événements possibles ne
peuvent déterminer que deux effets contradictoires qui
sont la /musse et la baisse.
La meilleure manière de calculer les chances de la
hausse ou de la baisse qui doit résulter d'une situation
donnée, serait de dégager convenablement les causes in-
dépendantes les unes des autres, de les classer suivant
leur degré présumé d'influence, et d'après une méthode
d'observations antérieures bien précises, d'assig'uer à cha-
cune le degré de probabilité de son arrivée, ainsi que ce-
lui de son effet présumé : en faisant le produit de ces deux
probabilités, on obtiendrait la valeur de la hausse ou de
la baisse probable.
Prenons un exemple que nous ferons le plus simple et
le plus dégagé possible :
Je vois dans la situation présente les deux causes sui-
vantes, de nature à influer sur le cours des actions d'une
compagnie industrielle quelconque :
— Ifi —
P La Banque réduit son escompte.
2" Il est question d'une concession à obtenir par la sus-
dite compag-nie.
Je n'hésite pas à envisager ces deux causes comme fa-
vorables, parce que dans toutes les circonstances où il
m'a été permis d'observer par moi-même ou par le témoi-
gnage d'autrui, des causes de cette nature ont toujours
produit un effet favorable.
Comme on le voit, je commence par tout rapporter à
V observation, le raisonnement ne pouvant jamais indiquer
en dernier ressort que des effets qui sont toujours présen-
tés par une observation quelconque, si simples que soient
ces effets ; quelquefois un événement se produit si rare-
ment, qu'il n'a été donné de l'observer qu'une ou deux
fois peut-être, mais si ses effets ont été considérables, ils
ont laissé des souvenirs beaucoup plus vivaces, et son ar-
rivée une nouvelle fois, ne laisse pas plus de doute à l'es-
prit que d'autres événements beaucoup plus souvent ré-
pétés.
J'ai eu de plus, relativement à la première cause, l'oc-
casion d'observer que chaque fois que la Banque rédui-
sait son escompte, l'effet produit était en moyenne une
hausse de 10 fr, sur la valeur.
Or, cette cause, réduction de l'escompte par la Banque,
est, de sa nature, une de celles que nous devons classer
dans la catégorie des causes accidentelles et générales ;
la seconde peut être regardée aussi comme accidentelle,
mais spéciale; je pourrais donc, rien que par le rapport
qui les unit, même sans savoir au juste l'effet qu'elle a pro-
duit, conclure que la seconde doit amener un effet supé-
— 17 —
rieur, du double, ainsi que nous l'avons établi en com-
mençant, et produire une hausse probable de 20 fr.
Mais pour la première cause, la probabilité d'arrivée
est remplacée par la certitude; pour la seconde, la de-
mande de concession est, je suppose, soumissionnée con-
curremment par une compagnie rivale, et il est douteux
qui obtiendra l'adjudication, des deux compagnies péti-
tionnaires; ici, la probabilité d'arrivée est-.
Si cbacun de ces deux faits, réduction de l'escompte,
augmentation de concession, a été observé par exemple,
dans trois occasions à peu près identiques, la probabilité
d'effet est de - pour chacune.
5 '■
J'aurai donc :
10 X - ^ 8 pour la hausse probable résultant de la
première cause;
20 X - X - =" 8 pour la hausse probable résultant de
la seconde cause,
et je serai fondé à attendre une hausse de 16 fr. comme
résultat des deux causes précitées.
Qu'il y ait maintenant dans la situation une cause dé-
favorable quelconque, je lui attribuerai son degré d'im-
portance, ses probabilités d'arrivée et d'effet, j'obtiendrai
son produit probable et je le ferai venir en déduction du
produit précédent.
4. — Mais pour arriver à une détermination si nette et
si précise, il aura fallu :
1° Etudier attentivement toutes les causes qui peuvent
avoir quelque influence, les classer méthodiquement pour
-^ 18 -
ne pas donner à l'une yur l'autre une importance qu'elle
n'aurait pas, et pour cela, nous avons di\ les considérer
séparément, une à une, par rapport à leur durée et la
manière dont elle se manifestent, et par rapport à l'action
qu'elles peuvent produire pour amener l'effet attendu.
2" Examiner la probabilité de l'arrivée de chacune des
causes, en remontant à des causes premières ou anté-
rieures, recueillant l'ensemble des faits qui doivent les
amener et en nous décidant sur le plus ou moins de
chances qu'elles ont de se présenter.
3" Examiner la probabilité de l'effet qu'elles produiront,
en recueillant dans nos souvenirs et nos observations les
effets produits par les mêmes causes, et calculer d'après
cela le degré de probabilité d'un nouvel effet.
Tous nos calculs ne peuvent avoir d'autre base que
V observation personnelle.
Mais nous pouvons avoir donné une importance exa-
g'érée à une cause dont la valeur est presque nulle, avoir
négligé une autre cause dont la valeur est considérable,
avoir faussé le rapport des causes ou mal jugé des eft'ets,
prenant un effet favorable pour défavorable, et tice Ter sa;
les avoir observées précédemment un trop petit nombre
de fois pour être bien édifié sur les effets qu'elles ont pro-
duits, avoir négligé de décomposer ou de faire entrer
dans les éléments de l'effet que nous leur avons supposé
toute autre cause qui y aurait également concouru ou
l'aurait modifié ; enfin, nous pouvons n'être que très-im-
parfaitement renseignés sur la nature des événements et
des causes primitives, et par suite sur le degré de prob.-i-
bililé de l'arrivée même de la cause.
— I'.) —
On peut jug'tii' de la diftieulté dont sont entourées des
estimations aussi multiples, aussi délicates, qui ne repo-
sent absolument que sur une certaine similitude des
événements, qui en réalité ne se représentent jamais deux
fois de suite dans les mêmes conditions, et dont l'observa-
tion est toujours plus ou moins bornée; il nous faut assi-
miler complètement des causes, du moment qu'elles sont
à peu près pareilles, et présag*er des effets semblables,
lorsque les différences ne sont pas très-choquantes, bien
qu'une différence imperceptible et insensible doive amener
par sa répétition une erreur notable sur le résultat du
calcul.
A moins d'être doués d'un jugement supérieur que ne
comporte pas la nature humaine, il est impossible que par
sentiment ou par préjugé, nous n'ayons point exagéré
les probabilités des chances favorables ou celles des
chances contraires.
5. — Le joueur qui se lance dans une opération quelcon-
que, à la hausse ou à la baisse, n'a pas pris la peine d'ana-
lyser préalablement et aussi minutieusement les diverses
probabilités ^o?^r et contre ; au lieu de commencer par ob-
server, comparer et calculer mathématiquement pour
décider alors en toute connaissance de cause dans quel
sens il doit tourner et diriger son opération, il obéit et se
laisse guider purement par son instinct; s'il apprécie les
faits, il les commente plutôt et les explique dans le sens
qu'il a d'abord adopté; si cependant, changeant de mé-
thode, il remontait des effets supposés aux causes, comme
— 20 —
son appréciation serait entièrement relative et se modifie-
rait selon ses vues, en se moulant en quelque sorte sur
elles, il arriverait très-certainement à des estimations de
probabilités qui ne changeraient nullement sa manière
d'agir, et ne feraient que l'affirmer avec une nouvelle
force : arrivant tous les deux au même résultat, il n'y
aurait cette différence entre le matliématicien et le joueur,
que le premier aurait soumis ses opérations au calcul, et
le second, ses calculs à ses opérations.
Laquelle de ces deux méthodes est la plus exacte? Nous
ne le savons pas, car enfin, si l'un s'est servi de l'analyse,
en allant du connu à l'inconnu, et l'autre de la synthèse,
en suivant une marche directement opposée, la voie des
sensations et des impressions, qui est la même pour tous
deux, et peut seule, en définitive, fournir des éléments
d'appréciation, amène leur rencontre au même point;
mais, et ceci est la conséquence, si le joueur n'explique
pas par des chiffres le- degré de probabilité qu'il attribue
aux événements, ces probabilités n'en existent pas moins
d'une manière très-réelle pour lui, et il peut discuter avec
une égale raison des causes et des effets, et des chances
plus ou moins probables de leur arrivée.
Non-seulement il n'est pas un seul spéculateur qui, sans
toujours s'en rendre un cxDmpte exact, n'ait une opinion
plus ou moins nette au sujet des probabilités qu'il accorde
à tel ou tel événement, mais il n'en est peut-être pas deux
sur mille qui aient une même opinion sur l'ensemble des
causes et de leurs effets.
— 21 —
0. — Si les hommes sont si éloignés de s'entendre sur
les sujets mêmes qu'il leur importerait le plus de bien con-
naître, c'est parce que chacun donne aux mots dont il se
sert dans le discours une signification particulière qui
comprend un certain nombre d'idées simples ou pre-
mières, qui diffèrent d'autant plus que ces idées sont plus
abstraites ou plus composées : le mot maison peut avoir
une sig-nifîcation à peu près identique pour tous les ha-
bitants d'une même 7ille ; il n'en est pas de même des
mots droit ^ vertu, etc.
Dans l'estimation des causes et de leurs effets, chaque
homme puisant les motifs de son jug-ement dans un en-
semble d'observations personnelles, qui n'ont pas été les
mêmes pour tous, trouve dans le résultat de ses recher-
ches plus ou moins d'exemples et de raisons de croire ou
ne pas croire à un même effet, d'après la quantité plus ou
moins g-rande de faits analogues qu'il aura pu observer.
Si deux personnes, qui se font une idée différente d'une
même probabilité, avaient vécu dans un même milieu,
dans des circonstances exactement pareilles, et avaient
observé le même nombre de causes suivies des mêmes
effets, il n'y aurait nécessairement aucune dissidence
entre elles sur l'opinion qu'elles se font de l'arrivée ou
futurition d'un événement, et la fraction qui exprime sa
probabilité serait la même pour tous deux ; tandis que si,
au contraire, dans une supposition plus conforme à la
réalité, elles n'ont jamais vécu ensemble, sont d'âges, de
pays, de classes différentes, elle auront observé des faits
différents, en inégales quantités, suivis d'effets plus ou
moins dissemblables; leur opinion variera dès lors sur la
— 22 —
nature des causes et la probabilité des effets d'une ma-
nière d'autant plus sensible que tontes ces circonstances
antérieures seront elles-mêmes plus variables.
Les événements de nature à produire des variations de
hausse ou de baisse à la Bourse sont tellement nombreux,
dans des ordres si divers, et dépendent de causes si com-
pliquées, qu'il n'est pas étonnant que les opinions les plus
extrêmes puissent se produire au sujet de leurs effets
probables.
C'est justement la diversité d'appréciation des mêmes
causes, par chacun en particulier, qui rend les affaires
possibles (au moins pour celles de jeu), en faisant que
celui-ci opère dans un sens et celui-là dans le sens op-
posé ; car si tout le monde avait les mêmes idées et ap-
préciait ég'alement les mêmes causes, il n'y aurait plus
de contreparties possibles, l'aclieteur ne trouverait plus
de vendeur, ni le vendeur d'acheteur, et les variations
seraient nulles par conséquent.
7, — Pour voir comment agit cette diversité d'opinions,
supposons qu'on annonce à l'instant un événement dont
l'importance est décisive et favorable à la fois aux yeux
de tout le monde, tel qu'une paix soudaine qui termine
tout à coup une longue guerre ; personne ne songera à
interpréter cet événement comme un signe de baisse,
mais encore que de divergences d'opinions à ce sujet sur
ses conséquences probables et sur l'étendue du mouve-
ment de hausse qui doit se produire ! L'annonce de cette
nouvelle élèvera les cours brusquement et sans transition
— 23 —
à un niveau plus ou moins élevé, et après cetaines oscil-
lations, conséquences nécessaires de la surprise et de l'in-
décision, une fois que l'opinion se sera formée, que l'é-
vénement sera bien jugé, les cours s'arrêteront à] une
certaine limite et y prendront leur assiette ; cependant le
cours ne représentera pas une valeur universellement
adoptée. Tous ceux qui verront des résultats favorables
moindres seront naturellement les vendeurs, tous ceux
qui croiront à des résultats favorables supérieurs seront
les acheteurs. Les quantités étant nécessairement égales,
puisque toute vente suppose un achat et réciproquement,
le cours sera l'expression moyenne de toutes les appré-
ciations, si différentes qu'elles soient. Bien entendu que
nous faisons abstraction des personnes et ne faisons en-
trer en ligne de compte que les opérations mêmes ; toute
demande ou toute offre n'agit qu'en raison proportion-
nelle à sa quantité, et quand elle ne s'exprime pas, elle
est nulle sur la détermination du prix.
Le cours n'est pas toujours uniquement déterminé par
les circonstances présentes ; il comprend encore toutes les
espérances légitimes qui peuvent être renfermées dans
cette situation. Ainsi, le lendemain d'une guerre terminée
par une paix soudaine, la richesse du pays n'est pas sen-
siblement différente de ce qu'elle était la veille , mais la
hausse qui se déclare sur-le-champ représente toutes les
améliorations futures qui ne sont encore qu'en germe
dans la situation. Les travaux repris, les impôts diminués,
la dette amortie, la confiance rétablie, toutes ces consé-
quences que l'on n'aperçoit encore qu'en perspective,
agissent comme si elles étaient présentes et sont sur-le-
— 24 —
champ escomptées^ selon le terme en usage à la Bourse.
Toutes les données dont chacun dispose sont ici les
mêmes, il n'y a de différence que dans la manière de les
interpréter. Que l'on fasse un pari avec une personne
mal renseignée au sujet d'un fait sur lequel on n'a aucun
doute, le bénéfice est certain. Mais en est-il de même à la
Bourse ?
Voici cinq à six mille spéculateurs : chacun d'eux n'a
d'autre passion que de gagner de l'argeoit, parce qu'à ses
yeux, l'argent est le moyen le plus sûr de satisfaire toutes
ses autres passions; toutes ses facultés sont absorbées
vers ce but. Y a-t-il au monde un stimulant plus énergi-
que pour arriver à la découverte de la vérité ?
Si les observations individuelles les plus étendues et les
mieux étudiées sont nécessairement bornées, quelle pro-
digieuse quantité d'observations qui se contrôlent et se
complètent les unes par les autres dans un ensemble aussi
imposant que celui d'une société tout entière qui surveille
et dirige ces intérêts ?
On dit souvent : La Bourse est le thermomètre de l'opi-
nion publique. Il y a là quelque chose de trop général,
car il n'y a personne qui n'ait une idée et une opinion
quelconque au sujet des événements qui intéressent la
société tout entière, et que de gens dont l'opinion est très-
respectable n'ont jamais d'occasion de l'exprimer à la
Bourse? N a-t-on pas vu souvent la Bourse aller au
rebours de l'opinion publique ? Mais qu'il s'agisse d'appré-
cier les conséquences plus ou moins favorables qu'un
événement aura pour les intérêts matériels, alors quelle
sagacité pour les deviner et les interpréter : si les cour
ont monté à l'annonce de la défaite de Waterloo, on ne
croira jamais, en France, que la Bourse fût alors l'inter-
prète de l'opinion publique; mais elle a toujours été et
sera toujours en raison de l'importance de chacun des
joueurs et spéculateurs, un thermomètre des plus sûrs de
l'opinion du public qui la fréquente.
8. — On peut se faire une idée juste de ce qui se passe
dans le cas où un événement quelconque est annoncé, en
observant ce qui arriverait si un grand nombre de per-
sonnes, placées à une certaine distance d'un édifice élevé
dont elles ne pourraient approcher, étaient chargées de
mesurer approximativement de l'œil la hauteur de la base
au sommet. Entre autres propriétés remarquables four-
nies par l'ensemble des observations, il est démontré :
P Qu'en additionnant toutes les évaluations obtenues,
et en divisant par le nombre des observateurs, on aura
une liauleur moyenne^ ne différant de la véritable hauteur
que d'un écart moyen, qui sera d'autant moindre que le
nombre des observations augmentera, et diminuera en
raison de la racine carrée de cette augmentation.
2'' Les nombres donnés par chacun des observateurs ne
se présenteront pas au hasard et sans ordre, mais se grou-
peront, en vertu d'une certaine loi, de la manière la plus
symétrique des deux côtés de la valeur moyenne ; si on
divisait en parties ég'ales la distance qui s'étend de cette
valeur aux termes extrêmes, la valeur numérique de cha-
que groupe irait sans cesse en diminuant progressive-
ment à mesure qu'on s'éloignerait de la valeur moyenne.
— 26 —
Ces résultats sont bien faits pour étonner les personnes
absolument étrangères à ces sortes de questions. Com-
ment croire qu'un ordre quelconque puisse rég-ner parmi
des éléments tous pris au liasard. Comme cette donnée a
de l'importance, nous essayerons en quelques mots de
faire -comprendre comment cet ordre peut exister.
Si une personne entreprend une série d'observations,
une série de mesures, s'il s'agit de distances, qu'elle
n'obéit à aucune idée systématique qui pourrait fausser
tous les résultats dans un même sens, qu'il n'y a pas enfin
de cause constante d'erreur dans sa manière d'opérer, et
que toutes les observations ou les expériences sont égale-
ment bien faites, chaque mesure, chaque appréciation,
isolément, est susceptible d'une certaine erreur g^i phùS ou
en moins. Or, dans un grand nombre de mesures, toutes
les combinaisons de ces erreurs positives ou nég-atives se
présentent en quantités bien inégales, eu égard au nom-
bre de chacune. Pour prendre le cas le plus simple, s'il y
a deux mesures, soit «, l'erreur positive, et 5, l'erreur
négative, on aura les combinaisons suivantes également
possibles : aa, ab^ la, II, et l'on voit qu'il y en a deux où
les erreurs se font compensation ; s'il y a trois mesures,
on aura : (naa, aab, aba, laa, hla^ lai, all^ lll, et, sauf
les deux combinaisons extrêmes, toutes les autres don-
nent une compensation entre deux erreurs du sens opposé;
on trouverait ainsi, en continuant, que les combinaisons
les plus nombreuses sont toujours celles oi^i les erreurs
positives et négatives se font équilibre ; de sorte que sur
un grand nombre de chances croissant d'une manière
géométrique avec le nombre des mesures, il n'y en aura
— -27 -
jamais qu'une pour que tous les résultats soient faussés
dans le sens de l'une ou de l'autre erreur exclusivement ;
ce sont les coefficients dans le développement du binôme
(<ï+^)'", où « et ^ représentent les deux sortes d'erreurs,
m le nombre des observations, qui indiquent le nombre
des cliances de chaque combinaison.
Ce que l'on conçoit d'une personne mesurant cent fois,
mille fois, la même distance, peut se comprendre de cent
ou mille personnes qui mesureraient chacune ime fois
avec les mêmes moyens, une distance, une hauteur, un
édifice.
9. — Muni des données précédentes, et n'ayant nul au-
tre moyen de connaître au juste la hauteur de l'édifice
ainsi mesuré, il serait complètement oiseux de se perdre
à ce sujet en calculs ou en supputations arbitraires : nous
ressemblerions à un homme qui, parce que le thermomè-
tre ne donne pas une évaluation absolument vraie de la
température, aimerait mieux s'en rapporter aux impres-
sions présentes et passagères qu'il ressent du chaud et du
froid, mille fois plus inconstantes et incertaines.
Si cependant, après que chacun a fait une estimation
différente de la hauteur de l'édifice, ces divers observa-
teurs étaient assez ignorants ou assez fous pour trouver
là matière à spéculation, n'est-il pas clair que, selon que
chacun pariera pour ou contre une certaine hauteur, il
s'établiera bientôt deux camps opposés, également nom-
breux, que la hauteur moyenne qui formera la limite de
l'appréciation de ces deux partis deviendra le sujet com-
inun du pari, pour ou contre, que chacun de ceux qui au-
ront fait une estimation mc-dessous^ aura pour tenant un
de ceux qui ont fait une estimation aii-dessus, et qu'on
aura deux factions qui se distingueront par des noms dif-
férents, tels que ceux de Caissiers et haussiers ?
Au milieu de tout cela, que fera l'iiomme sensé? Lui
qui se sait sujet à l'erreur, se trouvera heureux d'avoir à
sa disposition un moyen d'approcher de la vérité autant
que possible, et reconnaîtra sans difficulté que l'appré-
ciation sur laquelle roule tout le débat, est par la force et
la nature même des choses, la plus approchante et la plus
exacte qu'il puisse se procurer.
Au lieu d'une mesure phj^sique ou extérieure, on a dans
l'estimation de tout événement, une mesure morale prise
du sens intime : nous n'avons pas l'intention de dévelop-
per ici cette idée que les rapports du physique et du mo-
ral sont plus intimes qu'on ne croit (') : qu'il nous suffise
d'indiquer que tous les événements de l'ordre moral, ceux
même où la libre volonté de l'homme joue le principal
rôle, sont tout aussi bien prévus, déterminés d'avance
dans de certaines limites par la statistique, que les évé-
nements amenés par le destin le plus aveugle : dans la
question présente, tous les phénomènes de l'ordre phy-
sique se représentent, quoique plus difficiles à constater :
qu'un événement futur et incertain d'où doit dépendre un
fort mouvement dans les cours soit le produit de cent
causes différentes, et que chaque observateur, au sujet de
(') Le moral n'est que le physique considéré sous certains points,
de vue plus particîdicrs. (Cabanis).
— 2y —
cliacune de ces causes sur l'événement puisse avoir à vo-
lonté une opinion exacte ou fausse, bonne ou mauvaise,
on peut être certain que la compensation se fera de la
même manière que s'il s'ag-issait pour chacun de répéter
cent fois une même opération mécanique ; si l'un amoin-
drit les conséquences des faits, l'autre se plaît à les exa-
gérer ; mais tandis que les appréciations les plus extrêmes
sont aussi les plus rares, la masse jug-e avec plus de calme
et de netteté ; quand nous accusons l'opinion publique,
nous nous accusons nous-mêmes, car en définitive, sur-
tout quand il s'agit d'intérêts matériels, le public est son
meilleur juge.
Pourquoi donc consent-on volontiers à reconnaître son
erreur dans certains cas, où il s'agit d'une mesure physi-
que, est-il au contraire si difficile de la reconnaître dans
d'autres où l'évaluation est toute mortile? C'est que cha-
cun veut bien laisser mettre en question la justesse de
son coup-d'œil, et que personne n'entend discuter sur la
justesse de son esprit.
10. — En achetant ou vendant dans l'espoir que les cours
iront en s'élevantous'abaissant, le joueur entend par là que
les cours sont au-dessous ou au-dessus de leur véritable m-
leur : car il faut pour le déterminer qu'il aperçoive dans
la situation présente une cause de hausse ou de baisse dont
il n'est pas tenu compte en ce moment. En vain préten-
drait-il que ce n'est que dans des conséquences futures et
lointaines qu'il voit ces motifs de hausse ou de baisse ;
nous savons que ces conséquences, si elles existent, sont
— 30 —
contenues dans le cours actuel ; or, si on réfléchit à ce
que veut dire le mot taleur, on verra que la valeur est et
ne peut être déterminée que par le cours même, qu'il ne
peut donc y avoir deux sortes de valeurs, une véritable,
et une qui ne le serait pas, que par conséquent cette opi-
nion si souvent exprimée, que les cours sont au-dessus ou
au-dessous de leur valeur n'a, le plus souvent, aucune si-
gnification, et revient à cette autre proposition^ évidem-
ment absurde, que ce qui est n'est pas.
Il faut cesser de ramener des faits qui ne nous trom-
pent pas, à de pures hypothèses en dehors de la réalité,
qui ne reposent que sur des impressions plus ou moins
fugitives et décevantes.
Cependant, n'est-il pas possible que tout le monde se
trompe en même temps? Mais alors où prendre la mesure
infaillible, le critérium qui décidera de l'erreur? Ne voit-
un pas que si dans toute estimation physique, les causes
d'erreur si nombreuses font qu'à vrai dire il n'existe au-
cune mesure ahsolue, il en est encore bien moins dans une
appréciation morale qui dépend d'une si grande quantité
de causes physiques ?
Nous pouvons cependant admettre cette supposition
comme possible. Dans l'exemple qui précède, nous avons
pris un certain nombre d'observateurs au hasard, chez les-
quels par conséquent il n'existe aucune prédisposition à
l'erreur, tenant d'une cause constante et commune : ce-
pendant l'expérience nous prouve que les mêmes objets
peuvent nous paraître plus ou moins grands selon le point
de vue où nous nous plaçons ; ainsi un précipice profond
ne nous donnera jamais une idée de distance égale à celle
M -
d'un édifice élevé, bien que l;i profondeur de l'un et la
hauteurdel'autre comprennentle même nombre de mètres;
une population de montagnards, habituée à jug-er des
distances par les profondeurs, donnerait donc une esti-
mation erronée de la hauteur de l'édifice, et de beaucoup
supérieure à la véritable ; et un habitant des plaines don-
nerait une estimation qui, bien qu'éloignée de la moyenne^
serait cependant beaucoup plus probable.
De même qu'il y a des préjugés de l'esprit qui obscur-
cissent les principes les plus abstraits de la morale, il ptut
se rencontrer dans la conformation des sens ou dans
l'emploi habituel qu'on en fait, certains défauts qui dé-
naturent les faits les plus matériels et les plus vulgaires.
11. — Certes, nous ne croyons pas que les opinions
de la foule soient si respectables qu'il faille s'y sou-
mettre aveuglément et sans conteste ; mais si ceux-là qui
ont le courage de heurter de front les préjug'és du vul-
gaire et devancent l'humanité dans la voie du prog-rès,
sont quelquefois honorés longtemps après leur mort, , ils
font de leur vivant, l'histoire le prouve abondamment, de
très-mauvaises affaires au point de vue de la spéculation.
C'est que les préjugés sont lents à déraciner. Quelle récom-
pense pourrait donc attendre le joueur qui ne travaille pas,
que noue sachions, pour la postérité, quand même il lui
serait prouvé que son jugement est supérieur à celui de
tout le monde ?
La question, pour lui, se réduit à savoir si son compte
de liquidation sera créditeur, et bien moins d'être assuré
— :n —
(|ue tous les événements qu'il prévoit se réaliseront de
point en point, que d'être assuré que l'arrivée de ces évé-
nements produira sur les cours l'effet auquel il s'attend, et
c'est faute de bien faire cette distinction qu'il s'expose à
tant de mécomptes ; de ce qu'un fait a produit un effet
moindre ou opposé à celui qu'il attendait , il en conclut
que les conséquences de ce fait produiront l'effet même
auquel il s'attend. Mais de deux choses l'une ; ou il s'a-
buse sur les conséquences du fait, ou sur ce que produi-
ront ces conséquences, et l'écart de jugement qui l'a fait
agir ne diminuant pas pour cela, son opinion sera dans
un état constant de parallélisme avec l'opinion générale
dans toutes ses expressions ; c'est pourquoi les faux juge-
ments dépendant presque toujours de causes générales
qui en vicient l'ensemble plutôt dans un même sens, le
joueur est instinctivement am.ené à se classer en peu de
temps dans une des deux grandes catégories, haussiers
et baissiers. Alors, quelque logiques que soient toutes
ses conclusions, il ressemble à un tireur qui, sous l'in-
fluence d'une déviation constante de son arme, enver-
rait toujours sa balle à un mètre au-dessus ou au-dessous
du but ; il serait très-adroit , et cependant on ne lui dé-
cernerait pas le prix.
Or, les préjugés qui dirigent l'esprit du vulg'aire ne se
modifient qu'avec une extrême lenteur, puisqu'ils peu-
vent persister pendant des siècles. Les erreurs en politique
ou en finances sont lentes à déraciner, parce que l'éduca-
tion d'un pays ne se refait pas d'un jour à l'autre. Certes,
l'esprit public se trompait lorsqu'ignorant les forces et
les ressources de notre crédit naissant il cotait à 10 fr.
— 33 -
les consolidés 5 "/^ ; il se trompe toutes les fois qu'il se
laisse entraîner aux exag-érations puériles de la crainte
ou de l'espérance ; mais comme c'est là une disposition
qui existe, il ne sert à rien delà méconnaître ; si l'on veut
réussir, il faut suivre le courant du vulg-aire.
« Pourquoi, dit Pascal, suit-on la pluralité? est-ce
à cause qu'ils ont plus de raison ? Non, mais plus de
force (*). »
La force est toute puissante à la Bourse, et il est dan-
g'ereux d'y avoir raison contre tous.
Cependant, si les principes vrais ou faux qui dirigent
l'économie sociale en matière de crédit public peuvent
être, dans la pratique de la spéculation au jour le jour,
regardés comme immuables, ces principes se modifiant
lentement et toujours progressivement, il doit arriver que
le même événement, dans des circonstances exactement
semblables, mais à des intervalles de temps très-éloignés,
ne produira plus le même effet; de même qu'il produirait
à la fois des effets dissemblables sur le crédit de deux pays
différents; d'où nous tirons dès à présent la notion de
deux sortes de mouvements très-distincts dans les varia-
tions de la valeur : le premier, résultant de la mobilité
perpétuelle des événements présents, le second, résultant
de circonstances beaucoup moins actives ; le premier, sous
l'effet de causes purement accidentelles, le second, sous
l'effet de causes constantes. Cette distinction nous sera
très-nécessaire par la suite.
(') Pensées, art. 5, paragr. ;j.
— 34 —
12. — A la Bourse, tout le mécanisme du jeu se résume
donc en deux chances contraires : la Tiausse et la baisse.
L'une et l'autre peuvent toujours se présenter avec une
égale facilité.
Car si l'une des deux chances se présentait plus facile-
ment ou plus souvent que l'autre, on verrait le cours de
toutes les valeurs, sollicité dans un même sens, aug-menter
ou diminuer indéfiniment, tandis que l'on voit en général
la moyenne des cours rester sensiblement la même, et la
valeur, dans ses variations, graviter autour d'un certain
centre presque invariable, tantôt au-dessus, tantôt au-
dessous.
A quelque moment que ce soit, il n'y a jamais plus
d'avantages pour une chance que pour une autre ; et,
dansTig-norance où nous sommes de l'effet futur, il est
absolument indifférent de parier poicr ou contre^ de se
placer dans un sens plutôt que dans un autre, d'acheter
plutôt que de vendre, de vendre plutôt qu'acheter.
Jouer à la hausse ou à la baisse revient donc à jouer à
pile ou/ace.
Toute la différence consiste en ce que les chances sont
déterminées àjjriori au jeu de pile ou face, ce qui fait
qu'on n'y voit jamais par avance "une plus grande pos-
sibilité d'amener l'un ou l'autre côté de la pièce.
Mais on pourrait très-bien remplacer la pièce de mon-
naie qui sert au jeu par une urne remplie de boules blan-
ches ou noires en égales quantités, oîi les boules tirées
seraient remises pour que les conditions restassent les
mêmes à tout coup.
N'est-il pas évident que la composition de l'urne n'é-
— 3ri -
tant connue que par la succession des tirages, on peut
toujours supposer une certaine inégalité entre les deux
couleurs, malgré le grand nombre de boules tirées et
l'égalité presque parfaite des couleurs entre ces boules?
Il est une catég'orie de joueurs qui n'ont pas plus de
prédilection pour telle variété de jeu que pour telle autre.
Le trente et quarante et la roulette étant supprimés,
ceux-là se sont rabattus sur la Bourse; la hausse et la
baisse ont remplacé pour eux la roiige et la noire, et ils
ne se livrent pas en général à de liantes combinaisons
pour spéculer.
Ce qui rend la Bourse si séduisante et si perfide, c'est
que presque toujours le joueur est convaincu que l'état
d'égalité des cbances n'y est pas absolu, que son habileté
ou son expérience ont plus de part que le hasard aux dé-
cisions du sort ; tous les intérêts si élevés qui touchent à
la fortune publique et à ses variations sont d'ailleurs un
sujet d'étude agréable que chacun se flatte de connaître
et d'apprécier mieux que personne; le joueur fait mieux
qu'exprimer une opinion, il la traduit dans le langage des
faits; rien ne l'empêche de se croire une puissance dans
l'Etat.
C'est pourquoi il n'est personne, du plus grand au plus
mince spéculateur, qui ne se croie en état de prophétiser
à tout moment la hausse ou la baisse, de donner en toute
occasion un avis important et dogmatique. Quelqu'un qui
n'aurait aucun sentiment au sujet de la hausse ou de la
baisse à venir le lendemain et ferait profession de dou-
ter, donnerait aux habitués de la Bourse une triste opinion
de son esprit.
— 36 —
Si on réfléchit à la facilité avec laquelle l'homme est
porté à s'excuser de ses erreurs, à tirer vanité de ses suc-
cès, à se tromper sur des efiFets qu'il confond, on ne peut
être surpris de la persistance de certains préjugés qui tou-
chent à r amour-propre.
Combien attribuent à de savantes combinaisons le suc-
cès qui n'est que l'œuvre du hasard ! Combien échouent ,
au contraire, malgré toutes les qualités d'observation qui,
dans un meilleur emploi, les feraient réussir partout
ailleurs !
13. Toutes les illusions si persistantes des joueurs à ce
sujet peuvent se rapporter à deux espèces de causes prin-
cipales :
P L'énumération inexacte ovi incomplète de toutes les
chances.
Le cours d'une valeur étant nécessairement déterminé
par un certain nombre de causes agissantes, l'imagina-
tion du joueur donne de l'exagération à une cause et en
amoindrit une autre ; change par conséquent les rapports
qui unissent les causes entre elles, en découvre de nou-
velles ou en néglig-e complètement quelques-unes, par
ignorance ou défaut de jugement.
Nous trouvons dans Laplace (*) un exemple qui fera
comprendre ce genre d'illusion.
« Une urne renferme quatre boules noires ou blanches,
mais qui ne sont pas toutes de la même couleur. On a
extrait une de ces boules, dont la couleur est blanche, et
(1) Essai philosophique Sîir les probabilités, édit. 1810, page 203.
— 3-/ —
que l'on a remise dans l'urne pour procéder encore à de
semblables tirages. On demande la probabilité de n'ex-
traire que des boules noires dans les quatre tirages sui-
vants. »
Avant le tirage, comme on peut admettre égalité entre
les couleurs, c'est-à-dire deux boules blanches et deux
boules noires, supposition parfaitement légitime dans
l'ignorance oii. l'on est de la véritable composition de
l'urne, il doit y avoir une probabilité de - pour l'extrac-
tion d'une boule noire et de - ou - pour l'extraction
de quatre boules noires successivement.
Le tirage d'une boule blanche nous indique une supé-
riorité dans le nombre des boules blanches de l'urne ; il
semble donc que le tirage de quatre boules noires succes-
sivement doive avoir une probabilité inférieure à -.
Cependant il n'en est pas ainsi, car si on énumère les
différentes hypothèses et qu'on fasse le produit de la pro-
babilité de chacune par la probabilité que si elle existe
l'événement futur aura lieu (parag. 2), on trouve la pro-
babilité d'amener quatre boules noires de suite plus
grande qu'un quatorzième.
Ce paradoxe s'explique en considérant que d'après l'é-
noncé du problème, si on a retiré une boule blanche, l'hy-
pothèse que les trois boules restantes sont blanches de-
vient impossible, et que celle que ces trois boules sont
noires subsiste toujours , et , bien que peu probable ,
elle augmente néanmoins la probabilité d'amener de suite
quatre boules noires.
2' L'indépendance prise pour la dépendance des
causes.
Il est certain que quand je joue à pile ou face, chaque
coup est complètement indépendant des précédents, ou
du moins n'a pas de dépendance appréciable ; de sorte
que si j'avais amené face trois ou quatre fois de suite, il
n'y aurait jamais qu'une probabilité égale d'amener pile
au coup suivant; cependant, l'esprit du joueur, sous le
coup des événements qui viennent de le frapper, tend à
amener une dépendance entre tous les coups qui se sui-
vent et croira d'avantage à l'arrivée de pile après un
certain nombre de coups qui auront donné face ; tandis
que l'on démontrerait facilement que s'il y a quelque iné-
galité dans les cliances, cette inégalité, au contraire, est
favorable à l'arrivée de face une nouvelle fois au coup
suivant.
De même à la Bourse, le joueur est toujours tenté de
conjecturer ce qui doit arriver d'après ce qui est arrivé,
de sorte qu'après trois ou quatre jours de baisse, il croira
plus volontiers à la hausse le jour suivant, ou d'autres
fois y verra, au contraire, un motif pour la continuation
du mouvement, bien qu'après tout il y ait complète indé-
pendance entre ces divers effets.
14. — Dans tout jeu égal, le joueur, quelque système
qu'il suive, ne peut jamais acquérir une probabilité plus
forte de g-ain qu'à la condition de diminuer son g*ain;
par contre, iln'3 peut augmenter l'importance de son gain
éventuel qu'à la condition de diminuer ses chances de
gain, le produit qu'on obtient en multiplant le gain pos-
sible par la probabilité du gain devant toujours être égal
— 39 —
à celui qu'on obtient en multipliant la perte possible par
la probabilité de la perte.
Si le jeu est inég-al, les produits de la perte et du gain
par leurs probabilités, doivent de même toujours être
identiques. Tout ce que le joueur peut faire, c'est de
changer le rapport des termes, c'est d'accroître à volonté
l'un des facteurs de chaque produit constant aux dépens
de l'autre facteur. Toute progression montante ou des-
cendante dans le montant des mises, toute combinaison
pour l'entrée ou la sortie au jeu, n'ont jamais le pouvoir
de changer les conditions primitives d'un jeu.
Certain auteur (') soutient que la principale, la plus
importante maxime à observer pour gagner de l'argent à
la Bourse est de savoir réaliser une inerte, c'est-à-dire de
liquider immédiatement une opération dès qu'on s'aper-
çoit qu'elle est mal eng*agée. N'est-il pas évident que si,
par ce système, on liquide des pertes dix fois moindres,
on en liquidera dix fois plus ? et que le seul résultat aura
été de payer dix fois plus de courtages ?
A la Bourse, il n'y a aucune théorie absolue que celle
qui se contente de rester à l'état de théorie pure ; il n'est
pas plus juste de dire que le grand secret est d'acheter
en baisse et de vendre en hausse, car la hausse et
la baisse sont entièrement relatives , et le secret , si
simple qu'il paraisse , restera toujours un problème
difficile à résoudre; peu importe pour le joueur cette
vérité vulg-aire qu'avec de la patience tous les cours se re-
voient, car il faut qu'ils se revoient à temps ; l'essentiel
(I) M. Calemard de la Fayette, Guide du client à la Bourse.
— 40 ~
n'est pas de savoir si on peut gagner, mais si l'on gagne.
Ceux-ci, haussier ou baissier systématiques, ont pour
principe de se faire des moyennes ou des communes f-qu on
baisse sur un premier achat, le haussier continuera d'a-
cheter sans relâche; qu'on monte sur une première vente,
le baissier vendra dix fois de suite s'il le faut ; mais s'ils
gagnent chacun un léger bénéfice sur la dernière affaire,
ils perdent sur toutes les précédentes ; celui-là a pour sys-
tème les arbitrages : il achète une valeur et en vend une
autre au même instant ; le bénéfice réalisé d'un côté est
absorbé par la perte essuyée de l'autre côté; celui-ci m^ïr-
tingale, il double toujours ses opérations sur un bénéfice
acquis; cet autre emploie le même système, mais en sens
inverse : il achète, la baisse arrive, vite il se retourne
et vend le double ; qu'on vienne à remonter, il rachètera
au quadruple ; l'un ne saura qu'acheter des primes, un
autre en vendra toujours ; celui-ci attendra toujours pour
acheter qu'un mouvement de hausse se soit déjà pro-
duit, celui-là se mettra, au contraire, en travers du mou-
vement, etc.
Toutes les combinaisons les mieux raisonnées, toutes
les théories les plus savantes, tous les traités les mieux
écrits sur l'art de guider le joueur à la Bourse ne pourront
jamais assurer un centime de bénéfice au joueur.
Le jeu n'a rien à démêler avec la connaissance du cœur
humain et des lois économiques qui régissent une so-
ciété (') ; ce n'est pas l'art de ravir au hasard tout ce qu'il
est possible de lui enlever, à moins que cette expression
(1) Des 02H'rations de Bourse, par Courtois, i/age 67.
— M —
lie soit un euphémisme pour signifier des moyens frau-
duleux et illicites.
Toutes ces déclamations pompeuses sur le rôle de la
spéculation, sur ses prétendus services, en tant qu'elles
s'appliquent au jeu, ne sont que billevesées et lieux com-
muns destinés ou à caresser la crédulité des nris, ou à
masquer la supercherie des autres.
15. Il n'y a qu'une seule manière de réaliser des béné-
fices certains à la Bourse : c'est de n'opérer que sur des
données sûres et inconnues du public, de posséder le
secret de certains événements assez importants pour
exercer une influence considérable sur les cours. Mais
pour l'immense majorité du public, qui ne dispose d'aucun
de ces renseignements accessibles au petit nombre, qui
n'est admis dans aucun de ces cénacles où s'élaborent les
grandes décisions politiques et financières, c'est là une
première cause d'inégalité toute à son préjudice à laquelle
il lui est impossible de se soustraire par aucun mo3^en.
Dans tous les jeux de hasard qui comprennent deux
chances contraires, l'égalité relative résulte précisément
de la faculté pour le joueur de choisir l'une ou l'autre
chance à volonté : ces deux conditions sont d'ailleurs in-
dissolubles, car si une des deux chances offrait un peu plus
d'avantage que l'autre, c'est celle-là que l'on choisirait à
tout coup.
A la Bourse, il n'y a aussi que deux chances con-
traires; et de ce que l'on croit en soi à un libre arbitre
qui permet de choisir indistinctement l'une ou l'autre, on
— 42 -
eu conclut à la parité des chances ; cependant, l'action
d'acheter ou de vendre est toujours déterminée par cer-
tains mobiles que l'on peut nier, parce qu'ils sont souvent
comme insensibles, mais qui n'en existent pas moins.
Est-ce que si les trois ou quatre mille personnes qui fré-
quentent journellement la Bourse y venaient toutes un
jour avec la ferme volonté d'acheter, la chose ne serait
pas matériellement impossible ? Pour acheter, il faut des
vendeurs. On dira que le changement des cours, que la
hausse qui résultera nécessairement d'une telle situation
changeront la résolution d'une partie des spéculateurs qui
étaient venus avec l'intention d'acheter : ce sont-là juste-
ment les principaux mobiles qui modifieront la résolution
primitive de chacun, mais il faudra forcément qu'une
partie des acheteurs élève de plus en plus le niveau des
demandes, que d'autres, ne voulant pas monter jusqu'à
ce niveau, ne le trouvant pas d'ailleurs suffisant pour
vendre, s'abstienne de toute action, enfin, que d'autres
se constituent vendeurs.
Cependant, les mobiles qui agissent en cette circons-
tance sur la volonté de chacun ne sont pas les mêmes, car
si dans l'hypothèse même qui nous sert de point de départ,
quelques-uns des spéculateurs qui sont venus dans l'inten-
tion d'acheter, ont, à l'insu de tous les autres, la connais-
sance d'une nouvelle qui doit amener une hausse consi-
dérable, cette raison principale triomphera indubitable-
ment de toutes les raisons secondaires qui déterminent
une certaine partie des spéculateurs à se constituer ven-
deurs.
Voilà donc une partie que l'on croyait égale, qui très-
— 43 —
souvent n'est tenue que si elle doit être désavantageuse.
Les théoriciens de la Bourse raisonnent très-habile-
ment dans leurs systèmes, parce que, en théorie, toutes
opérations sont possibles sans contreparties, mais à la
Bourse, il }' a loin de la théorie à l'exécution.
Qui n'a jamais fait cette remarque si simple, que sur
cinquante ordres qui n'ont pas été exécutés comme im-
possibles, il n'en est peut-être pas un seul qui, exécuté,
n'eût produit du bénéfice, et qui par conséquent n'eût été
exécuté s'il eût dû produire de la perte?
16. — A la Bourse, il ne suffit donc pas de donner un
ordre et dire en reg-ardant la cote : j'achète ou je vends
à tel cours, ainsi qu'on dirait au trente-et-quarante : je
pose sur la rouge , ou je pose sur la noire : il arrive très-
souvent que le joueur est forcé de manquer son opération,
dans le cas où elle serait bonne, ou enfin de payer un prix
trop élevé, de donner h un prix trop bas, s'il tient à la
conclure ; ce qui , bien que l'opération ne soit pas tou-
jours liquidée avec perte, n'en constitue pas moins une
perte très-réelle.
Le dommage qui résulte de cette situation pour le
joueur est évidemment en raison de l'importance de cette
petite minorité influente qui le trompe, ou plutôt delà
quantité de ses opérations , par rapport à la masse totale.
Toutes choses égales d'ailleurs, les chances défavora-
bles sont donc beaucoup moindres dans un marché très-
large, dont le courant d'aftaires est très-étendu, et elles
augmentent en proportion dans un marché restreint, et
surtout impressionnable.
Il serait assez difficile d'estimer dans un cas particulier
quelle peut être la part prélevée de cette manière sur le
public ; mais si on remarque que le nombre de ces opéra-
tions, faites dans le but d'exploiter la connaissance d'une
cause précise, encore inconnue du public, doit être en
raison directe de l'importance de cette cause, on peut
admettre que la part est à peu près la même dans tous les
cas, et que c'est là en quelque sorte un impôt obligé,
proportionnel à la totalité des transactions de chacun,
une espèce de courtage occulte qui grève les affaires.
Rigoureusement, il est toujours possible d'acheter et
de vendre à la Bourse, en élevant le prix des demandes
ou abaissant celui des offres ; mais la différence entre les
prix déterminés par une concurrence loyale et une con-
currence déloyale est aussi toujours au préjudice du spé-
culateur.
L'illusion des joueurs au sujet de cette cause certaine
d'inégalité n'est pas facile à dissiper ; cela tient surtout,
croyons-nous, à ce que l'effet n'est pas toujours produit
dans le même sens, que c'est tantôt dans l'un, tantôt dans
l'autre, que les probabilités de perte deviennent plus con-
sidérables.
Mais cette illusion ressemble à celle du joueur qui,
ayant affaire à un adversaire muni d'une pièce différente
dans chacune de ses poches , dont l'une serait préparée
pour retomber ^wv^ile^ et l'autre pour retomber ^uvface^
ne s'apercevrait que d'une chose, c'est qu'il lui est loisible
— /i.H —
(le choisir indifféremment pile ou face, et se verrait perdre
à tout coup, sans pouvoir en deviner la cause.
Malheureusement, à la Bourse, on ne connait jamais
son adversaire, et quand on perd de cette façon, on ne
peut s'en prendre à personne.
Le fonctionnaire qui trafique de sa position et des se-
crets de l'Etat, l'administrateur qui trouve moyen de
dérober aux actionnaires plus que l'intérêt qu'il leur paye,
toutes les turpitudes sont à couvert sous ce voile com-
mode et mystérieux de l'anonyme, qu'on qualifie de secret
nécessaire, de garantie indispensable des transactions.
17. — Cette première cause d'inégalité dans des chan-
ces que l'on croirait égales, n'est cependant ni la seule,
ni la plus importante : ce qui contribue surtout à établir
l'inégalité, c'est le droit de transmission ou de courtage
prélevé sur toute opération.
Dans l'impossibilité de donner une estimation même
approximative de ce que représente la première de ces
deux causes, comme elle n'est jamais que supposée et non
certaine, nous n'aurons égard, dans ce qui va suivre, qu'à
la seconde, dont les effets sont autrement évidents.
Il n'y a pas un seul jeu de hasard qui ne présente dès
le principe quelque inégalité résultant d'un droit fixe et
déterminé payé au banqider ; puisque les affaires de jeu
n'ont jamais été officiellement reconnues à la Bourse, le
droit de courtage, prélevé par des agents officiels, consi-
déré comme la commission d'une transmission réelle de
valeurs, devait, ce nous semble, être le même dans toutes
— 46 —
]es circonstances ; mais, chose étrange, pour se plier aux
habitudes dçs joueurs, pour leur permettre d'opérer plus
souvent, ce droit a été abaissé sur la rente, et fixé à 20 fr.
par 1 500 de r^^ : on a fait la concession d'un courtage
pour les affaires liquidées dans une même bourse, quel-
quefois des remises. Le courtage est, avant tout, le droit
d'une simple banque de jeu.
Tous les événements qui se succèdent au jeu et, en fin
de compte, la balance des pertes et des gains sont, à la
Bourse comme à tous les jeux de hasard, la conséquence
unique du développement des chances favorables et défa-
vorables, déterminées par le droit de banque. Il est donc
très-important de fixer le rapport de ces chances, et pour
une somme que l'on peut gag-ner, quelle est la somme
correspondante que l'on risque de perdre.
Lorsque Sauveur donna en 1679 l'analyse et le rapport
des chances du jeu alors à la mode, la bassette, beaucoup
de personnes qui jusque là avaient été persuadées que ce
jeu était celui qui leur offrait le plus d'avantages, le dé-
laissèrent aussitôt, ou en choisirent d'autres où le bé-
néfice du banquier leur portait moins de préjudice. Ce que
le gouvernement avait essa^^é inutilement par une foule
de décrets, se trouva résolu, et si le jeu ne fut pas détruit,
il fit moins de victimes. Cette étude est donc intéressante,
quand ce ne serait que pour montrer aux joueurs quel est
le jeu qui leur présente le moins de désavantage.
A la roulette, au trente-et- quarante, dans une foule de
jeux de hasard aujourd'hui tombés en désuétude pour la
plupart, le rapport des chances a pu être assez facilement
déterminé, parce qu'il est constant et ne varie jamais ; ce
— 47 -
(|ui disting'ue la Bourse, c'est que le rapport des chances
du jeu y est essentiellement variable.
Le droit de courtage qui modifie ces cliances, est tantôt
fixe comme sur la rente, tantôt variable en raison du capi-
tal des valeurs négociées; ensuite ce capital est presque
entièrement fictif. En réalité, tout se réduit pour le joueur
à une diférence entre un prix d'achat et un prix de vente :
c'est cette différence qui forme le véritable enjeu qu'il se
propose de perdre ou gagner, augmenté ou réduit du
courtage selon l'un ou l'autre cas. Or, il n'y a aucun rap-
port apparent entre le courtage tel qu'il est prélevé et la
différence de gain ou de perte qu'une opération peut pré-
senter.
Il ne serait pas impossible de prélever le courtage sur
la différence réalisée entre l'acliat et la vente, en le fixant
par exemple à 20 p. "/o de cette différence, ce qui, tout en
paraissant énorme, correspondrait assez bien au droit ac-
tuel quant à son produit ; il est vrai qu'un droit prélevé
de la sorte serait profondément immoral, puisque tout en
donnant une sanction officielle aux affaires de jeu, il se-
rait pris au détriment de ceux qui font peu d'affaires au
profit de ceux qui en font journellement, et n'aurait d'au-
tre effet que de surexciter au dernier point la spéculation
à terme, mais il aurait du moins l'avantage de simplifier
singulièrement la science de la Bourse.
18. — Après y avoir mûrement réfléchi, nous avons
reconnu l'impossibilité de prendre un rapport unique en-
tre le gain et la perte que présentent les opérations de
Bourse, et c'est dans les différentes manières dont se li-
quide le spéculateur, dans le temps qu'il consacre habi-
tuellement à la liquidation de ses affaires, que nous avons
enfin trouvé une base certaine pour fixer le rapport des
pertes et des gains que ses spéculations doivent inévita-
blement présenter.
Expliquons-nous : lorsqu'un spéculateur eng-age une
affaire, il n'est, le plus souvent, nullement décidé à la li-
quider précisément à tel jour et à telle heure ; ce qui l'in-
fluence surtout, c'est le bénéfice ou la perte que l'opération
présentera à un moment quelconque, toujours indéterminé
d'avance ; selon son caractère et ses habitudes, il se con-
tentera de réaliser à peu près tel bénéfice, et il suffira de
telle perte pour le déterminer à se liquider. Mais bien
qu'en agissant de la sorte, il puisse rester plus ou moins
longtemps sans engager d'affaires, qu'il n'y ait aucune
régularité apparente dans les espaces de temps nécessai-
res à amener l'écart de liquidation qui lui convient, il
serait indifférent pour lui de remplacer l'écart fixe, qu'il
recherche entre ses prix d'achat ou de vente, par un
certain temps ég'al entre chacune de ses opérations et
sa liquidation, bien que, de cette manière, il n'ait plus
que des différences irrégulières, tantôt plus fortes, tantôt
plus faibles.
Il y a donc une certaine relation entre la différence pré-
sentée par une opération lorsqu'elle se liquide, et le tem'ps
donné à sa liquidation. Mais quelle est cette relation ?
C'est ce que nous allons chercher.
~ 49 —
19. — Si ou suit attentivement les variations de la
Bourse pendant une très-longue période de temps, en
commençant par relever le cours d'une valeur à un très-
grand nombre de dates prises indifféremment, en calcu-
lant ensuite l'écart de prix entre ces cours et les cours
correspondants à une époque ég*alement éloignée de cha-
cune de ces dates, à un mois de distance, par exemple,
qu'on recommence plusieurs fois de suite la même expé-
rience, on obtiendra toujours des sommes d'écarts ou des
moyennes sensiblement ég-ales. De sorte que différents
spéculateurs qui se seraient invariablement conformés h
ce principe, de toujours mettre un mois, ou en général un
intervalle de temps égal entre cliacune de leurs affaires et
sa liquidation, et qui auraient spéculé très -longtemps,
chacun de son côté, seraient tous arrivés au même résultat,
auraient obtenu en moyenne des différences ég-ales entre
leurs prix d' achats et leurs prix de ventes. On peut en
conclure que les écarts sont égatùx j^oitr des ternes égaux.
Si, en second lieu, on suit les différences ou les écarts
entre deux périodes plus rapprochées, comme à quinze
jours de distance, on s'aperçoit que la moyenne de ces nou-
veaux écarts est plus faible que la première.
Si on suit les écarts à une période encore plus rappro-
chée, comme tous les huit jours, la moyenne est encore
plus faible que la seconde.
En diminuant les périodes de temps, comme à 5 jours,
3 jours, 2 jours de distance, ouenlîn d'une bourse sur l'au-
tre, les moyennes d'écart vont constamment en diminuant.
Par conséquent, les écarts ront en diminuant pour des
4
temps plies rapprochés^ en augmentant pour des temps plus
éloignés.
Enfin, si on cherche quel est le rapport qui peut unir
ces différents écarts aux différents temps dans lesquels ils
se sont produits, on peut constater que pour une période
moitié moindre, l'écart diminue, non pas de moitié, mais
dans une proportion qui est sensiblement à la première
comme 1 esta 1,41 ; pour une période trois fois moindre,
l'écart diminue dans un rapport qui est comme 1 à 1,73,
pour une période de temps quatre fois moindre, dans le
rapport 1 à 2.
Il existe donc une loi mathématique qui règle les varia-
tions et l'écart moyen des cours de la Bourse, et cette loi,
qui ne paraît pas avoirjamais été soupçonnée jusqu'à pré-
sent, nous la formulons ici pour la première fois :
L'ÉCART DES COURS EST EN RAISON DIRECTE
DE LA RACINE CARRÉE DES TEMPS.
De sorte que le spéculateur qui veut se liquider avec des
écarts doubles, c'est-à-dire des différences deux fois plus
grandes entre ses prix d'achat et de vente, doit attendre
quatre fois plus longtemps ; s'il veut se liquider avec des
différences triples, neuf îoi& plus longtemps et ainsi de
suite, en multipliant les temps par les carrés des écarts.
Celui qui ne met, par exemple, qu'unjour d'intervalle
entre ses liquidations, se liquidera avec un écart moitié
moindre que celui qui se liquide tous les quatre jours,
trois fois moindre que celui qui se liquide tous les neuf
jours, etc., en divisant les écarts par les racines carrées
des temps.
n -
Il faut du reste un nombre assez considérable d'opéra-
tions pour faire ressortir clairement ces rapports qui de-
viennent rigoureusement exacts quand le nombre des opé-
rations est excessivement grand.
20. — Essayons de comprendre la raison de cette loi si
remarquable :
La valeur, dans ses variations, est toujours à la recher-
che de son véritable prix, ou d'un prix absolu, que l'on
peut se figurer comme le centre d'un cercle dont le rayon
représentera l'écart qui peut se porter indifféremment dans
l'un ou l'autre sens et sur tous les points de la surfiice,
dans un temps égal par conséquent à cette surface, et
dont tous les points de la circonférence représenteront les
limites d'écart. Dans toutes ses variations, la valeur ne
fait jamais que s'éloigner ou se rapprocher du centre, et
les premières notions de la géométrie nous indiquent que
les rayons ou les écarts sont proportionnels aux racines
carrées des superficies ou des temps.
Pourquoi est-ce la loi inverse qui se produit dans la
pesanteur ou les oscillations du pendule, oîi les espaces
parcourus et les écarts d'oscillations sont en raison des
carrés des temps? C'est uniquement parce que les corps,
dans leur chute, se dirigent de la circonférence au centre,
tandis que la valeur, dans ses plus grands écarts, est re-
poussée du centre à la circonférence.
Quel sujet d'étonnement et d'admiration nous offrent
les vues de la Providence, quelles réflexions nous suggère
l'ordre merveilleux qui préside aux moindres détails des
— 52 -
événements les plus cachés ! Quoi ! les variations de la
Bourse sont soumises à des lois mathématiques immua-
bles ! Des événements qui sont le produit du caprice des
hommes, des secousses les plus imprévues du mouvement
politique, des combinaisons financières les plus savam-
ment étudiées, le résultat d'une multitude d'événements
qui n'ont aucune relation entre eux, tous ces effets se
combinent dans un ensemble admirable, et le Jiasard n'est
plus qu'un mot vide de sens! Et maintenant, apprenez et
soyez humbles, princes delà terre qui, dans votre orgueil,
rêvez tenir dans vos mains les destinées des peuples, rois
de la finance qui disposez des richesses et du crédit des
Etats, vous n'êtes que de frêles et dociles instruments dans
la main de Celui qui embrasse toutes les causes et tous les
effets dans un même ordre, qui, selon l'expression de la
Bible, a tout mesuré, tout compté, tout pesé, tout distri-
bué dans un ordre parfait.
L'homme s'agite. Dieu le mène.
21. — Il suffisait de connaître l'écart de liquidation
d'une certaine période de temps, pour qu'au moyen de
cette loi, on pût reconstruire l'écart d'une période de
temps quelconque.
D'après les observations faites jusqu'à ces derniers
temps sur les variations de la rente 3p. '^/o depuis sa créa-
tion, Y écart moyen des cours, dans l'espace d'un mois ,
peut êtrg fixé à 1 fr. 55 c.
U écart probable, à 1 fr. 10 c.
C'est-à-dire que si un spéculateur engageait pendant
— 53 —
très-longtemps des affaires qu'il liquiderait régulièrement
tous les mois, l'écart moyen entre ses cours d'achats et de
ventes, ou la somme des différences dirisée par le nombre
des opérations, serait environ de 1 fr. 55 c., et que sur
le nombre total de ses opératione, il y en aurait la moitié
qui se seraient liquidées avec un écart supérieur à
1 fr. 10 c. et la moitié avec un écart moindre.
Nous noterons en passant le rapport remarquable qui
unit l'écart probable à l'écart moyen, à peu près égal à
^, rapport qu'on retrouve fréquemment, qui est celui, par
exemple, qui relie la vie probable à la vie moyenne.
Ce rapport n'est d'ailleurs pas invariable , il sert à
donner la mesure de la régularité du mouvement des
cours, et selon que ce mouvement obéit à des secousses
moins violentes, à des élans moins discontinus, l'écart
probable se rapproche de l'écart moyen ; il pourrait même
se confondre avec lui si le mouvement des cours était
parfaitement régulier, entièrement continu.
Et comme la tendance de la vie probable à se rappro-
cher de la vie moyenne est un indice des progrès du bien-
être et de la civilisation dans un pays, ainsi le rapport
des écarts pour les cours, qui tend à se rapprocher de l'u-
nité sans pouvoir jamais y parvenir complètement, est
une mesure exacte de la moralité de la spéculation et de
la fermeté du crédit.
On peut tirer l'écart probable et l'écart moyen des cours
l'un de l'autre, en les multipliant ou divisant par 1,41, ou
par le rapport 1 ,4,qui a l'avantage d'être très-simple, et que
nous employerons toujours, ne pouvant exiger d'ailleurs
une précision rigoureuse dans des rapports variables.
— m —
22. — Le spéculateur qui liquiderait ses affaires tous
les mois, au commencement et à la fin, de manière à
éviter tous reports, opérant avec un écart moyen de 1 fr.
55 c. , la différence produite par cette variation sur
1500 fr. de rente, ce qui est la plus petite quantité
négociable à terme, serait 775 fr., et comme il aurait
deux courtages de 20 fr. à payer, un pour l'achat et un
pour la vente, son bénéfice serait en moyenne de 775-40
ou 735 fr. tandis que sa perte s'élèverait à 775+40, ou
815 fr. Le rapport de son bénéfice et de sa perte, ou de ses
chances favorables et défavorables, serait 147 et 163 ou
1 et 1,109 environ.
Voulons-nous savoir maintenant quel sera le nouveau
rapport des chances de ce même spéculateur, si au lieu de
ne faire qu'une opération tous les mois, il en fait une tous
les quinze jours? Nous diviserons la différence 775 par
1/2 = 1,414, ce qui donnera une différence moyenne
de 548 fr., qui, en cas de gain, se réduit à 508, et en cas
de perte, s'élève h 588 ; le rapport cherché est celui de ces
deux nombres, ou plus simplement, comme 1 à 1,1575.
Nous pouvons enfin, connaissant le rapport qui unit
tous les écarts, dresser le tableau suivant, pour une
moyennede liquidation jour par jour, depuis le joueur qui
se liquiderait dans la même bourse jusqu'à celui qui ne
se liquiderait que tous les mois.
Bien qu'il n'y ait que vingt-cinq ou vingt-six jours de
bourse dans le mois, les choses se passent comme s'il y
en avait trente, et l'écart' du samedi au lundi est généra-
lement plus fort que celui qui sépare deux jours consé-
cutifs de la semaine.
— 55 —
TEMPS
MOYEN
de liquld.
(jouis\
'A
ÉCARTS
DIFF.Btcs
aar
1500 R'«
DIFF. NETTES
Le gain= 1
La pcrle=
l'rob.
0,14
Moyen.
en gain
en perle
0,2001
100,05
80,05
120,05
1,4997 1
1
0,20
0,2830
141,50
101,50
181,50
1,7882
2
0,28
0,4002
200,10
160,10
240,10
1,4997
3
0,35
0,4902
245,10
205,10
285,10
1,3900
4
0,40
0,5660
283
243
323
1,3292
5
0,45
0,6328
316,40
276,40
356,40
1,2894
6
0,49
0,6932
346,60
306,60
386,60
1,2609
7
0,53
0,7487
374,35
334,35
414,35
1,2392
8
0,57
0,8004
400,20
360,20
440,20
1,2221
9
0,60
0,8490
424,50
384,50
464,50
1,2081
10
0,63
0,8949
447,45
40X45
487,45
1,1963
11
0,07
0,9386
469,30
429,30
509,30
1,1864
12
0,70
0,9803
490,15
450,15
530,15
1,1777
13
0,72
1,0203
510,15
470,15
550,15
1,1702
14
0,75
1,0588
529,40
489,40
569,40
1,1635
15
0,78
1,0960
548
508
588
1,1575
16
0,80
1,1320
566
528
606
1,1521
17
0,83
1,1668
583,40
543,40
623,40
1,1472
18
0,85
1,2006
600,30
560.30
640,30
1,1428
19
0,87
1,2335
616,75
576,75
656.75
1,1387
20
0,90
1,2656
632,80
592,80
672,80
1,1350
21
0,92
1,2968
648,40
608,40
688,40
1,1315
22
0,94
1,3274
663,70
623,70
703,70
1,1283
23
0,96
1,3572 678,60
638,60
718,60
1,1253
24
0,98
1,3863
693,15
653,15
733,15
1,1225
25
1
1,4149
707,45
667,45
747,45
1,1199
26
1,02
1,4430
721,50
681,50
761,50
1,1174
27
1,04
i,4705
735,25
695,25
775,25
1,1151
28
1,06
1,4974
748,70
708,70
788,70
1,1129
29
1,08
1,5240
762
722
802
1,1108
30 1,10
1,5500 775
735
815
1,1088
— 56 —
2'S. — La méthode de formation de ce tableau n'e^^t pas
difficile à saisir. Pour obtenir l'écart moyen de liquida-
tion d'un nombre quelconque de jours, nous commençons
par diviser le nombre des jours d'un mois, 30, par ce
nombre de jours ; nous avons ainsi le rapport des temps ;
nous prenons la racine carrée de ce rapport, et nous di-
visons l'écart moyen du mois, 1,55, par cette racine car-
rée. Pour l'écart moyen de liquidation d'un jour au sui-
vant, nous trouvons 0, 28 cent. ; pour l'écart de deux jours,
0,40 cent.; pour l'écart de trois jours, 0,49 cent, etc.... En
considérant que les écarts d'une bourse représentent les
écarts d'un jour, et que se liquider dans une même bourse
revient à une liquidation moyenne d'un demi-jour, nous
trouvons que l'écart moyen de liquidation dans une même
bourse est de 0, 20 cent. Afin de donner plus d'exactitude
aux calculs qui vont suivre, nous avons pris quatre déci-
males. L'écart probable se forme de l'écart moyen en di-
visant celui-ci par 1,4 : nous nous sommes borné aux
centimes, n'ayant pas besoin d'une plus grande approxi-
mation.
Les écarts n'établissent pas ici de distinction entre le
comptant et le terme : les opérations peuvent en effet être
tout aussi nombreuses et revêtir le même caractère au
comptant qu'à terme ; mais les courtages ne pouvaient
que se rapporter exclusivement aux opérations à terme,
et ce sont du reste les moins élevés et les plus favora-
bles au joueur.
La différence brute présentée par chacun des écarts
mofens sur 1 500 fr. de rente est de — ou 500 fois cet
écart : cette différeaice se réduit des courtag-es d'achat et
— 57 —
de vente en cari de gain, elle s'aug-inente du montant de
ces courtig-es en cas de perte.
Pour trouver le rapport de la perte au g-ain, en repré-
sentant toujours le g*ain par l'unité, nous divisons la dif-
férence en cas de perte par la différence en cas de gain.
La loi qui détermine les différences brutes est très-
simple à comprendre. Selon qu'on se liquide habituelle-
ment à des époques plus ou moins longues, la différence
présentée par l'opération est plus ou moins grande, et elle
est en raison directe de la racine carrée du temps; si le
temps est double, la différence s'augmente dans le rap-
port de 1 à 1/2, et il faut un temps quadruple pour que
cette différence s'augmente du double.
Si maintenant, detoutes.ces différences ainsi obtenues,
on retranche ou si on ajoute une même somme, telle que
le courtage qui est invariable, on obtient deux différences
nettes, une en gain, l'autre en perte, dont le rapport ex-
primé par la dernière colonne du tableau, est soumis à
une certaine loi de décroissance qui est un rapport de
puissances ou géométrique inverse du rapport aritliméti-
que des écarts.
Par exemple, l'écart moyen de liquidation de 4 jours
donnant une différence brute double de la différence pré-
sentée par l'écart d'un jour, le rapport des différences
nettes après prélèvement du courtage, pour une moyenne
de 4 jours est de 1,3292, et devrait être la racine carrée
du rapport pour un jour, qui est 1,7882.
Mais il se trouve que c'est entre 1,3372 et 1,3373 qu'est
la racine carrée de 1,7882, et cette loi n'est donc pas
rigoureusement exacte. Elle ne le devient que théorique-
58 —
ment sur des différences très-grandes, à mesure que di-
minue le rapport du courtage à la différence.
24. — Les mêmes lois de formation se continueraient
d'ailleurs pour un temps au-delà de 30 jours, ou pour des
fractions de jours, identiquement de la même manière.
Seulement, dans le cas où l'écart de liquidation dépasse
un mois, pour les opérations à terme et à découvert, il
faut nécessairement tenir compte du courtage des reports.
Assez souvent même, une afiFaire liquidée à moins d'un
mois de date, subit un report; et le report, considéré
comme une opération simultanée d'achat et vente à deux
liquidations différentes, est soumis à un courtage de
20 fr. ; il faudrait donc dans ce cas, ajouter ou retrancher
de la différence brute, une somme de 40 + 20, ou 60 fr.
de courtages. Si une opération est reportée sur dix, cela
revient à augmenter d'un vingtième le courtag'e de cha-
que opération.
Celui qui se liquide le jour même, n'a qu'un seul cour-
tage à payer pour les deux opérations d'achat et de vente.
Il se trouve dans la position de celui qui se liquiderait
tous les deux jours : l'avantage de ne payer qu'un cour-
tage revient ici à celui d'avoir un écart double, pour le
rapport de la perte au gain ; si celui qui se liquide le jour
même, n'opérait jamais qu'au commencement et à la fin
de chaque bourse, il se trouverait dans une situation pres-
que aussi favorable que celui qui se liquiderait tous les
quatre jours. Le joueur qui liquiderait toutes ses opéra-
- 89 -
tioiis du jour au lendemain, serait dans la position la plus
désavantageuse de toutes.
La moyenne des temps de liquidation ne se calcule pas
comme la moyenne des écarts. Les temps sont des surfa-
ces, les écarts sont des lignes. Celui qui se liquiderait,
par exemple, régulièrement, tantôt tous les deux jours,
tantôt tous les huit jours, ayant d'abord 0,40 cent, d'é-
cart moyen, et en second lieu 0,80 cent.; celui qui se li-
quiderait tous les cinq jours, c'est-à-dire dans un temps
également distant de deux et de huit jours, aurait plus de
0,63 c. (voir au tableau). Pour trouver le tem/ps moyen qui
correspond à l'écart moyen de 0,60 cent., il faut prendre
la mo3^enne des racines carrées des temps, et l'élever au
carré. Ici, on aurait J/ô + 1/8, o^^ 1,414 et 2,828, dont
la moyenne, 2,121, élevée au carrée, donne 4,498. Celui
qui se liquiderait tous les quatre jours et demi environ,
serait dans la même position que celui qui se liquiderait
tantôt tous les deux jours, et tantôt tous les huit jours.
Dans une suite d'opérations continuelle, le moyen d'ob-
tenir d'égales différences dans un temps moindre, ou de
plus grandes différences dans un temps égal, d'opérer par
conséquent avec le moins de désavantage possible, ce
serait de toujours laisser un temps égal employé à la liqui-
dation de chacune de ses affaires. En effet, d'après ce que
l'on vient de voir, les écarts doivent toujours augmenter
à mesure que diminue l'irrégularité des temps. Dans tou-
tes ses leçons, la nature nous enseigne que la situation la
plus avantageuse est toujours la plus égale, et celle dont
l'action se maintient entre de plus étroites limites.
— 60 —
25. — • On conclut souvent des paris sur le cours probable
des valeurs à un moment donné, et comme ils ne sont
soumis h d'autres règles que le caprice des joueurs, ceux-
ci ne se doutent pas que le pari n'est presque jamais
équitable, puisque, dès le principe, ils ont chacun des
chances très-inégales de le gagner.
C'est ce qu'il nous deviendra facile de vérifier à l'a-
venir.
Exemple : Supposons que la Rente soit aujourd'hui à
75 francs, et qu'il s'agisse de savoir ce qu'elle fera dans
un mois, cours d'une même liquidation.
Elle a autant de chances d'être au-dessus qn'au-dessoîcs
de ce cours, avec un écsivt plus petit ou phcs grand que
1 fr. 10 c. en hausse ou en baisse.
Ou pourrait donc parier îm contre im pour la hausse
ou pour la baisse à volonté, ou pour un cours compris
entre, ou ne dépassant pas les prix de 73 fr. 90 et 76 fr. 10,
limites extrêmes de l'écart probable.
A trois mois de distance, comme l'écart probable est
de 1,10 VT, — 1,90, il faudrait prendre les limites
de 73 fr. 10 et 76 fr. 90.
A six mois de distance, comme l'écart probable est de
1,10 1/6, := 2,70, il faudrait prendre les limites de
72 fr. 30 et 77 fr. 70.
A un an de distance, comme l'écart probable est de
1,10 |/l2, = 3,80, on prendrait pour limites les cours
de 71 fr. 20 et 78 fr. 80.
Mais si l'on voulait parier, par exemple pour un cours en
hausse, comme il y aurait une probabilité- pour la hausse,
et .;pour un écart plus petit ou plus grand que 1 fr. 10,
— 61 -
il ne taudmit tloimei' que , uu un contre trois pour le cours
de 76 fr. 10, et il y aurait désavantage si le cours devait
dépasser cette limite.
A mesure que l'écart devrait aug-menter dans un même
temps, la probabilité diminuerait en raison du carré de
l'écart.
Ainsi, on ne pourrait parier tout au plus que - ou un
contre quatre, que le cours atteindra 1,10 i/ 1, 25 = 1,23?
ou 76 fr. 23.
ou 1 sur 10 pour 1,10 1/2^ =1,74 ou 76 fr. 74
1,10 l/3;75-2,13 » 77 13
1,10 yir=^2AQ .) 77 46
1,10 1/6^^2,75
1,10 k' 72:5 =3,89
1,10 l/2r"=5,50
Dans des circonstances ordinaires, il y aurait donc dé-
savantage à parier, par exemple, 1 contre 24 que la Rente
au bout d'un mois sera à un prix quelconque, mais supé-
rieur à 77 fr. 75, ou de parier 24 contre 1 qu'elle sera
au-dessous de ce même prix, et il y aurait avantage de
tenir les paris contraires.
Même chose pour les écarts en moins et pour les écarts
en baisse.
Tous ces cours sont à une même liquidation, c'est-à-
dire qu'ils ne subissent pas l'influence du report ou de
l'intérêt.
26. — Comme les écarts ne doivent être produits que
par l'effet des seules causes accidentelles, il faudrait, si
»
15
»
20
»
25
»
50
»
100
77
75
78
89
80
50
— 62 -
les cours étaient à des termes différents ou au comptant,
tenir compte du report, de l'intérêt semestriel, ou du dé-
tachement du coupon.
Exemple : La Rente étant aujourd'hui à 75 fr., au comp-
tant, dans quelles limites son cours sera-t-il probable-
ment contenu dans deux mois d'ici, jour pour jour, et au
comptant ?
Il faut voir si le détachement du coupon se fait dans
l'intervalle.
S'il ne se fait pas, il ne faut tenir compte que de l'intérêt
semestriel ; or, cet intérêt représentant exactement 0,50 c.
pour deux mois, j'ajoute cet intérêt au prix de 75 fr., et
j'ai 75 fr. 50. Je calcule l'écart probable pour deux mois,
il est de 1,10 ^^2" = 1,55 à 1,56; j'ai par conséquent les
limites de 73 fr. 94 et 77 fr. 06, entre lesquelles il y a une
probabilité égale à - que le cours sera contenu.
Si le détachement du coupon a lieu dans l'intervalle de
ces deux mois, j'observe que, indépendamment de l'in-
térêt, le détachement du coupon, qui est de 0,75 cent. ('),
doit diminuer d'autant le prix, et que ces deux causes
réunies donnent une baisse de 0.25 cent. Je retranche
0,25 cent, du cours de 75 fr., et j'opère comme ci-dessus,
ce qui me donne les limites de 73 fr. 19 et 76 fr. 31.
Tous les trois mois, la Rente se retrouvant dans des
conditions identiques, l'écart doit toujours se calculer
directement pour des échéances de trois mois, six mois,
un an, ou multiples de trois mois.
(^) Depuis la conversion du 4 1/2 en 3 0/0, l'inttirêt delà rente est
devenu trimestriel, et le coujjon se dctnche à la Bourse le 16 des mois de
mars, juin, septembre et dt'comhre.
— 63 —
27. — Jusqu'ici, nous nous sommes occupé exclusive-
ment de la Rente, parce que c'est la valeur de prédilection
de la spéculation, et cette préférence, elle la doit à
l'étendue de son marché et aux facilités de négociation
qu'elle présente ; cependant le jeu ne s'exerce pas unique-
ment sur la Rente.
Ici se présente naturellement la question de savoir si
les chances ne sont pas plus avantageuses sur quelqu'une
de ces autres valeurs de spéculation.
Pour en faire la comparaison, il faut remarquer :
1° Que le courtage est plus élevé sur ces valeurs, et au
lieu d'être fixe, est proportionnel aux prix d'achat et de
vente.
2° Que les écarts moyens sont, selon la valeur, plus ou
moins grands pour un même espace de temps.
Commençons par constater, à propos de la différence
des courtages, qu'il y a toujours une certaine relation
entre le temps moyen de liquidation d'une affaire et le
taux du courtage qu'elle supporte. Combien de joueurs
liquident une opération dans la bourse du même jour, au
lieu d'attendre au lendemain, uniquement pour n'avoir
qu'un seul courtage à payer ! Qui sait si tel qui reste huit
jours sur une affaire ne la liquiderait pas au bout de deux
jours, si on réduisait les courtages de moitié?
Toute diminution de courtage doit amener, chez le
joueur, une liquidation plus active de ses opérations ; la
moyenne dehquidation devait être autrefois, dans la cou-
lisse, inférieure à celle du parquet; ce qui le prouve, c'est
que les cours cotés s'y fractionnaient; le parquet lui-
même, pour avoir réduit le courtage de la Rente de 25 à
-- (i
20 fr., a dCi descendre la cote des cours de cinq à deux
centimes et demi.
Ce qui serait gagné d'un côté, serait donc perdu de
l'autre.
Lorsque sur des valeurs différentes, le courtage n'est
pas le même, il s'établit dans la manière dont se liquident
les opérations sur chacune, une certaine compensation
qui tend à rétablir l'équilibre.
On pourrait en dire autant de la grandeur des écarts.
Les opérations faites sur le Crédit Mobilier se liquident
beaucoup plus rapidement, à des intervalles de temps
beaucoup plus rapprochés que les opérations sur le Midi,
le Nord, l'Ouest, et toutes ces autres valeurs pour les-
quelles les variations sont relativement faibles.
Il n'y aurait d'avantage relatif à spéculer sur le Mobi-
lier plutôt que sur la Rente ou toute autre valeur, que si
le joueur qui garde ses positions un certain temps sur la
Rente-, les conservait un temps égal sur le Mobilier.
Mais au lieu de faire une opération tous les jours sur le
Mobilier, qui empêche le joueur de n'en faire une que tous
les deux jours sur la Rente?
On répondra qu'il faut des émotions vives et variées au
joueur, des différences de perte et de gain se produisant
rapidement, la fortune ou la ruine dans le moins de temps
possible, et que rien n'est long comme l'attente. C'est
aussi ce raisonnement qui porte instinctivement le joueur
sur les valeurs qui, par la nature de leur constitution,
l'incertitude de leurs produits, offrent le plus de part à
l'incertain et présentent de plus grandes différences dans
un même temps.
— 65 -
Mais sur la Rente, comme sur le Mobilier, comme sur
toutes les autres valeurs, le spéculateur est toujours libre
de /aire son jeic, de choisir à sa g*uise le rapport des
chances favorables et contraires. La seule chose que le
joueur ne puisse jamais faire, c'est de rendre ces chances
égales. On pourrait, pour toutes les valeurs de spécula-
tion autres que la Rente, établir des tableaux d'écarts
comme celui que nous avons donné plus haut (parag\ 21),
et, parleur comparaison, enverrait clairement que si, en
opérant sur des quantités ég-ales ou équivalentes, eu ég-ard
au montant des capitaux, le rapport des chances est diffé-
rent pour un même temps, tout se réduit, pour rendre les
chances identiques, à choisir convenablement un l'apport
de temps dans la moyenne de liquidation.
28. — Une autre considération qui se présente au sujet
de la grandeur et de la fixité des écarts, c'est que les
marcMs affiriie, offrent le moj'en de faire des opérations
avec des écarts beaucoup plus grands que pour les affaires
fermes. 11 est nécessaire d'ex})liquer succinctement ce qui
a donné naissance à ces opérations, et en quoi elles con-
sistent.
A la Bourse, dans les opérations ordinaires, la perte ou
le gain possibles sont complètement indéterminés. C'est
là un trait distinctif des autres jeux, qui est loin d'être ici
à l'avantage du joueur. On sait bien qu'en opérant sur
1 500, on risque moitié moins que sur 3 000, mais on ignore
encore ses risques. Qui dit, lorsque le joueur se promet
de liquider au-dessous de telle perte, qu'il en aura le
— 66 — =
temps avant que cette perte soit décuplée? C'est pour pa-
rer à cet inconvénient que l'on a imaginé le système des
opérations à prime, où cependant il n'y a que l'un des
deux contractants qui puisse limiter sa perte.
La Eente est à tel prix. Je veux acheter, mais en même
temps me prémunir contre une baisse qui dépasserait
toutes mes prévisions; je stipule alors que, à une époque
fixée d'avance, j'annulerai mon marché moyennant l'a-
bandon d'une certaine somme, si cela me convient; la
somme que je peux perdre s'appelle prime^ et c'est à
l'époque fixée que se fera la réponse des primes.
Cet avantage, on le comprend, doit être payé par quel-
que chose, et la rente que j'achèterai dans ces conditions,
sera toujours plus chère que la rente ordinaire ; l'aug-men-
tation du prix dépendra de deux circonstances : le mon-
tant de la prime et l'époque de la réponse.
Les primes en usage sur la rente 3 %, sont de 1 fr.
0,50 cent., 0,25 cent, et 0,10 cent, du prix de la rente, à
multiplier par conséquent par le tiers des quotités sur
lesquelles on opère : sur les actions, la prime est de 10 fr.
par action.
La réponse a lieu à la fin de chaque mois pour toutes
les valeurs ; mais il y a encore une réponse au 15 pour
les actions, et les primes de 0,10 cent, sur la rente se ré-
pondent du jour au lendemain ou au surlendemain, etc.
Les primes donnent lieu à une foule de combinaisons, où
se vantent d'exceller les habiles, d'opérations à primes
contre primes , de primes contre ferme, pour des primes
de différentes espèces et de différentes quotités.
29. — Au point de vue du calcul des chances , le mar-
ché à prime, tel qu'il est en usage à la Bourse ('), est une
affaire dans laquelle l'un des deux contractants, l'ache-
teur , limite sa perte , et l'autre , le vendeur , limite son
bénéfice , en aug-mentant les probabilités de perte ou de
bénéfice. De là vient que plus la prime est petite, c'est-
à-dire, plus la perte ou le bénéfice sont limités, plus elle
est chère, c'est-à-dire, plus les probabilités de perte ou de
bénéfice sont augmentées ; plus la réponse est éloignée
et permet d'espérer ou de craindre un plus g-rand écart
qui augmente le bénéfice ou la perte, plus encore la prime
sera chère.
Dans l'affaire à prime le joueur fait donc varier un des
facteurs qui exprime la perte ou le gain, en faisant varier
proportionnellement l'autre facteur qui exprime la pro-
babilité de cette perte ou de ce gain ; mais les produits
decesdeuxfacteursdoiventtoujoursêtreégaux(parag. 14).
Le cours des primes est surtout influencé par l'état présent
du marché qui laisse entrevoir de plus ou moins grandes
variations dans un temps rapproché ; mais comme ce
cours n'est déterminé en définitive, comme celui du
ferme, que par l'offre et la demande régulières , l'ég-alité
relative n'est pas altérée, et il ne peut jamais y avoir
d'avantage absolu à opérer sur primes.
Si l'acheteur à prime limite sa perte , il en augmente
(1) Au Stock-Exchange de Londres il se négocie encore des primes
{options) qui engagent raclicteur à recevoir livraison du vendeur (put): le
montant de l'écart est alors à diminuer du prix ferme; ou qui permettent
d'exiger la livraison ou le paiement à volonté d'une cert-iine quantité de
rentes à un prix déterminé [inU and call).
— 68 —
les cliduces, et s'il réalise parfois un bénéfice de quelque
importance, ce bénéfice est toujours payé par l'abandon
de plusieurs primes ; le vendeur, par contre, en aug-men-
tant ses chances de bénéfice, les limite dans une égale
proportion.
Les primes n'ont d'autre utilité que de varier un peu les
combinaisons trop arides du jeu simple à la hausse ou à
la baisse.
Mais le prix des primes n'est pas seulement déterminé
par la probabilité mathématique , il est encore influencé
par un élément entièrement étranger au calcul, qu'on pour-
rait a\^])e\eY moral, surtout s'il se produisait dans un meil-
leur but, qui est la certitude pour l'acheteur que sa perte
ne dépasserajamaisun certain taux, certitude qui n'existe
nullement dans les opérations ordinaires.
Si la Rente étant à 75 fr., j'achète dans des circon-
stances ordinaires à 76 prime dont un, à un mois de date,
je puis voir assez exactement que, en cas de baisse,
c'est-à-dire dans le cas où le prix serait au-dessous de
celui de 75 fr, au moment de la réponse, je perds ma
prime, 1 fr.; en cas de hausse, l'écart moyen de la
rente étant 1,55, je gagme 1,55 — 1, ou 0,55 : je gagne de
plus tout ce que je pourrai sauver de ma prime, ce qui
est représenté par la probabilité que la rente se trouvera
entre 75 et 76 fr., au moment de la réponse, à un certain
écart moyen de 75 fr., et qui me donnera approximative-
ment 0,30 cent. ; j'achète donc un peu plus cher que je
ne devrais, je paie 1 fr. ce qui ne vaut mathémati-
quement que 0,85 cent, environ ; mais qui peut pré-
ciser en francs et centimes ce que vaut la tranquillité
— 69 —
d'esprit morale, dont je jouirai dans le courant du mois,
en présence des plus brusques variations de la valeur,
conservant presque toutes les émotions du gain, et ayant
détruit d'avance celles de la perte, parle sacrifice anticipé
de la prime ?
Voilà donc une cause constante qui tend à élever le
prix des primes au-dessus de sa valeur mathématique,
de telle sorte que le joueur qui n'achèterait jamais que
des primes, tout en réalisant parfois des gains assez con-
sidérables, et en tout cas infiniment i)lns calme et moins
tourmenté que le vendeur qui, pour un petit gain, s'ex-
pose à une perte considérable, doit cependant, en dehors
des courtages qui suffiraient toujours à le constituer en
perte, se trouver inévitablement en déficit au bout d'un
grand nombre d'opérations.
Cette même cause fait encore qu'une petite prime est
relativement plus chère qu'une grande, et qu'une prime
à quinze jours, par exemple, est relativement moins chère
qu'une prime à un mois.
30. — En dehors de ces restrictions, quelquefois assez
légères, la loi qui gouverne les écarts des primes, ou la
différence entre leurs prix et ceux du ferme, est bien évi-
demment une loi analogue à celle qui régit les écarts du
ferme.
Par rapport à une autre, et à une même réponse, Vè~
cart d'une prime est en raison inverse des racines carrées
des deux primes.
Une prime de 1 fr. valant 1 fr. d'écart, une prime de
— 70 —
0,50 c. vaudra uwpeicphis de ^2" ou 1,40 'd'écart, une
prime de 0,25 c. un peu plus de j/ï" ou 2 fr. d'écart;
une prime de 0,10 c. un peu plus de [/ÏÔ, ou 3,16 d'é-
1
cart; une prime de 2 fr. aurait un peu moins de j~r= ou
de 0,70 c. d'écart.
Par rapport à elle-même, V écart cVune prime est en
raison directe de la racine carrée des temps qui la sépo.-
rent de la réponse.
Une prime de 1 fr. valant 1 fr. d'écart à un mois de date,
vaudra, dans les mêmes circonstances, îin peu moins de
1
ou 0,91 c. d'écart à 25 jours de date.
1/1,2
t
1
Vf
1
» 0,82 » à 20
>) 0,71 » à 15
» 0,58 » à 10
y> 0,41 » à 5
1/6
Dans ce dernier cas, la diminution est vraisemblable-
ment proportionnelle au temps, c'est-à-dire que si on peut
établir que la différence entre l'écart mathématique et
l'écart réel est primitivement de 0,30 c, cette différence
ne sera que de 0,25 c. à 25 jours, 20 c. à 20 jours, 15 c.
à 15 jours, etc.
En définitive, un joueur qui n'opérerait jamais que sur
les primes, à la condition cependant de vendre et acheter
ég'alement, et un autre qui n'opérerait jamais que sur le
ferme, obtiendraient au bout de l'année des résultats iden-
- 71 —
tiques, puisque les deux g-enres d'opérations sont g-revées
des mêmes droits de courtages. Toute la différence serait
que la compensation se ferait pour ce dernier entre de
plus grandes sommes, et pour le joueur à prime entre de
plus petites sommes de gains et de pertes.
Comme il serait indifférent à celui qui achète ou vend
à prime, d'acheter ou vendre ferme pour le résultat der-
nier de ses opérations, dans un grand nombre de coups,
il doit être indifférent, dans l'estimation des chances, de
confondre également les deux opérations en une seule.
31. — Lorsqu'il existe une inégalité quelconque dans
les conditions initiales d'un jeu, cette inégalité s'accroît
rapidement et dans d'énormes proportions par la fré-
quence ou la répétition des coups ; c'est cet accroisse-
ment qui amène infailliblement, dans un temps donné,
la ndne du joueur.
Pour rendre cette démonstration sensible, nous choisi-
rons un joueur n'opérant que sur 1 500 fr. de rente, et se
liquidant avec un écart constant de 0,40 c, c'est-à-dire
réalisant sa perte ou son bénéfice chaque fois avec une
différence de 0,40 centre ses prix d'achats et de ventes.
Nous supposons que toute opération d'achat ou de vente
paie courtage.
Chaque fois qu'il sera en bénéfice, il recevra 1(50 fr.;
chaque fois qu'il sera en perte, il aura à débourser 240 fr.
Ces deux nombres sont dans le rapport de 2 à 3.
Ce joueur peut se considérer comme ayant affaire à un
adversaire invisible dont les chances de gain et de perte
— 72 —
sont l'inverse des siennes ; chaque fois qu'il gagne 2 ou
qu'il perd 3, son adversaire perd 2 ou gagne 3 ; rien
n'empêche ces deux joueurs de rétablir l'égalité des mises
et de stipuler que chacun d'eux gagnera à l'avenir une
somme ég-ale, en faisant varier les chances de la gagner
dans la proportion de 2 à 3, les conditions du jeu laissant
chacun dans une situation aussi favorable ou défavorable
qu'auparavant.
Les probabilités - de gagner 2 ou de perdre 3 sont
mathématiquement égales aux probabilités - contre ^
de gagner ou perdre une même somme représentée
par ?— t^ 2 '/2. En effet, les produits du gain et de la
perte sont égaux dans les deux cas.
Nous pourrons, par ce moyen, nous rendre compte des
chances qu'aurait un individu de perdre ou de gagner
une même somme déterminée d'avance, de se ndner ou
de douhler seulement sa fortune à la Bourse, cliances qui
doivent toujours être égales dans un jeu égal.
Le joueur qui opère sur 1 500 fr. de rente avec un écart
constant de 0,40 c. est dans la même position que s'il
jouait une mise de 200 fr. à perdre ou à gagner à chaque
coup, avec une chance de la gagner et une chance et demie
de la perdre.
Si chacun ne risque que 200 fr., les chances de g-ain
et de perte seront indiquées par ce rapport, et si long-
temps que le jeu se prolonge, les chances, à chaque partie
isolément., resteront dans le rapport primitif.
Mais ce serait une grande erreur de penser que
— 73 —
si le jeu se continue, les chances de chacun pour gagner
un certain nombre de mises, de ruiner son adversaire, si
le jeu se continue indéfiniment, resteront dans le rapport
des chances à chaque partie.
Si l'enjeu dont chacun dispose est de 400 fr., ou s'il
s'agit seulement d'avoir deux parties de plus pour ter-
miner le jeu, il peut se faire que plusieurs parties soient
jouées avant que le jeu soit terminé; mais rejetant toutes
celles qui font une balance de perte et de gain, et qui ne
servent qu'à prolonger la partie, il suffit, pour se rendre
compte des probabilités de chacun, de comparer les
chances qu'a chacun de gagner deux parties de suite. Or,
les chances étant l'unité pour le premier, et 1,5 pour le
second, en multipliant ces chances par elles-mêmes, on
a toujours l'unité pour le premier, et 1,5 au carré ou 2,25
pour le second.
Le gain étant toujours exprimé par une chance, parce
que 1, élevé à n'importe quelle puissance, donne tou-
jours 1, les chances de perte du joueur défavorisé seront
donc successivement, si chacun dispose de :
1 000 fr. 1,5 % ou 7 à 8
2 000 » 1,5% 57 à 58
3 000 » l,5'^ 438
4 000 » 1,5^ ....... 3325
5 000 « 1,5^ ,25251
6 000 » 1,5^«, 191750
7 000 . 1,5^ 1456100
8 000 y> l,5^ 11057 000
9 000 » 1,5^ 83966000
10 000 » 1,5='-', ..... 637620000
— 7.i —
Tandis que le joueur favorisé n'ayant jamais qu'une
chance de perte, ses chances de gain seront évidemment
données par les chances de perte de son adversaire.
Il est facile de voir que chacun de ces nombres se forme
du précédent en le multipliant par un facteur constant
qui est ég-al au premier nombre, c'est-à-dire que les
chances de perdre 1 000 fr. étant données, les chances
de perdre un certain nombre de fois 1 000 fr. sont le pro-
duit du nombre des chances de perdre 1 000 fr. multiplié
successivement autant de fois par lui-même.
En général, les chances de deux joueurs, pour gagner
un même nombre de mises, sont dans le rapport des
chances primitives de chacun élevées à la puissance re-
présentée par le nombre des mises (').
33. — Il devient évident dès lors que la probabilité de
se ruiner, comparée à celle de doubler seulement sa for-
tune, dans un jeu inégal, dépend essentiellement du
rapport de la mise, à chaque coup, à la fortune totale.
Celui qui, possédant seulement 1000 fr., n'opérerait
jamais que sur 1500 fr. de rente, avec un écart constant
de 0,40 c. à perdre ou à gagner, aurait une chance pour
gagner contre 1,5^ chances pour perdre, c'est-à-dire
qu'on pourrait parier de 7 à 8 contre 1 qu'il se ruinera
avant d'avoir doublé son capital.
Le résultat ne changerait pas pour celui qui, avec un
{^) Voir la solution du 5« problème d'Huygliens, parBcrnouUi, Montmort,
Moivre, etc.
- 75 -
capital de 2000fi'., opérerait sur 3 000 fr. de rente, avec
un capital de 4000 fr., opérerait sur C 000, ou avec un
capital de 10 000 fr. opérerait sur 15 000.
Mais si celui qui ne possède que 1 000 fr, faisait une
seule opération sur 7 500, ses chances deviendraient dans
le rapport des différences nettes, 800 et 1 200, ou comme
1 àl,5, tandis que si celui qui possède seulement 10 000 fr.
n'opérait que sur 1500 fr. de rente dans les mêmes con-
ditions, il aurait, pour une chance de doubler son capital,
1,5^°, ou plus de 637 millions de chances de se ruiner.
Ainsi, pour un même écart de liquidation, en augmen-
tant et faisant varier le rapport de la somme risquée à la
fortune totale, soit qu'on diminue les quotités d'opéra-
tions, soit qu'on considère des fortunes de plus en plus
grandes, soit enfin qu'on combine ces deux causes, la
probabilité de se ruiner, comparée à celle de doubler sa
fortune, peut prendre des proportions de plus en plus
faibles ou de plus en plus considérables.
Si l'on considère des quotités égales d'opérations,
on peut rendre les probabilités aussi grandes ou aussi
petites que l'on veut, en faisant varier les écarts de liqui-
dation et les fortunes, ou les sommes qu'il s'agit de
perdre ou gagner.
Exemple : Supposons un joueur n'opérant jamais que
sur 3 000.
Pour rendre ses chances de perte les plus petites possi-
ble, on diminuera indéfiniment les sommes qu'il s'agit de
perdre ou g-agner, et on augmentera les écarts.
S'il ne faut seulement que gagner 2000 fr. en opérant
avec un écart de 2 fr., les chances sont dans le rapport
— Io-
des différences présentées par une opération unique,
comme 1 920 à 2 080, ou 1 à 1,083.
Pour rendre les chances de perte les plus grandes pos-
sible, on augmentera les sommes qu'il s'agit de perdre
ou gagner, et on diminuera les écarts.
S'il faut gagner ou perdre 40000 fr., en opérant avec
des écarts de 0,40 c, on a déjà un nombre de chances de
perte égal à 1,5'°", ou composé de 18 chiffres.
Si l'on considère des sommes ou des fortunes égales, on
peut rendre de même les probabilités aussi grandes ou
aussi petites que l'on veut, en faisant varier les écarts
de liquidation et les quotités moyennes d'opérations.
34 — Les calculs précédents se rapportent à un écart
de liquidation constant, restant toujours le même. Mais,
en réalité, on ne trouve peut-être pas de joueur qui se li-
quide constamment avec un écart invariable de perte ou
de bénéfice; quand même il le voudrait, il ne serait em-
pêché par l'irrégularité des cours.
L'écart de liquidation est donc essentiellement va-
riable.
Si cependant cet écart ne variait que d'une manière
parfaitement régulière et continue, ce qui ne pourrait
avoir lieu que si l'écart probable et l'écart moyen se
confondaient entièrement (parag. 21), toute différence
dans un écart serait rigoureusement compensée par une
différence opposée ; les probabilités, variables pour cha-
que affaire isolément, seraient ramenées à l'équilibre sur
un ensemble d'opérations.
On doit comprendre que c'est le raffort de l'éccUt pro-
bable à l'écart moyen qui modifie ces probabilités.
En effet, si le mouvement des cours est irrégulier, la
compensation des écarts fortuits ne se fera plus aussi bien,
et ils auront une tendance à se manifester toujours du
même côté, circonstance qui est à l'avantage du joueur,
puisque les différences que ses opérations peuvent pré-
senter seront d'autant plus grandes que la compensation
des écarts se fera moins bien.
Pour deux différences égales et indépendantes, il n'y a
jamais qu'une probabilité \ de les voir se rencontrer dans
le même sens ; mais si, pour une différence nulle, le mon-
tant de deux différences se rencontre à coup sûr du même
côté, si l'écart probable est moitié de l'écart moyen, les
chances du joueur, beaucoup moins défavorables pour
une même somme, redeviennent cependant les mêmes
que si l'écart était régulier, dès qu'on suppose doublée la
somme qu'il s'agit de perdre ou gagner.
On pourra toujours tomber sur les mêmes probabilités,
quelle que soit l'inégalité des cours, en multiplùuit les
premières sommes par le rapport des écarts.
35. — A la Bourse, nous le savons, le rapport des écarts
est de 1 à 1 ,4.
Le tableau suivant présentera donc les chances de per-
dre ou gagner un capital de 10 000 fr. à la Bourse, en sup-
posant des écarts constamment égaux aux écarts moyens,
de perdre ou gagner en réalité ime même somme qui, jwo-
hahïement^ ne dépassera pas 14 000 fr.
CHANCES DE PERDRE OU
UNE MÊME SOMME, d'uNE
14 000
Temps DioyfB
DIFFÉRENCfî
G; in ^ !
Pour me chance de
de liqiiid.
sur
nombres suivants^ suivant
(jours).
1500 fr. Rt<^
Terle =^
1,500
100,05
1,4997
390 000 000 000 000 000
1
141,50
1,7882
689 000 000 000 000 000
2
200,10
1,4997
625 000 000
3
245,10
1,3900
684 000
4
283
1,3292
23 300
5
316,40
1,2894
3 083
6
346,60
1.2609
803
7
374,35
1,2392
308
8
400,20
1,2221
150
9
424,50
1,2081
86
10
447,45
1,1963
55
11
469,30
1,1864
38
12
490,15
1,1777
28
13
510,15
1,1702
22
14
529,40
1,1635
17
15
548
1,1575
14
16
566
1,1521
12
17
583,40
1,1472
10,50
18
600,30
1,1428
9,24
19
616,75
1,1387
8,21
20
632,80
1,1350
7,38
21
648,40
1,1315
6,72
22
663,70
1,1283
6,16
23
678,60
1,1253
5,69
24
693,15
1,1225
5,30
25
707,45
1,1199
4,95
26
721,50
1,1174
4,68
27
735,25
1,1151
4,40
28
748,70
1,1129
4,17
29
762
1,1108
3,97
30
775
1,1088
3,79
— 19
GAGfJER, A LA BOURSE
VALEUR PUOBABLE DE
FRANCS.
r.nin, les chances de Perte sont représentées par les
qu'on opère sur des quotités moyennes de :
3,000 I 6,000 I 12,000
158
170
13
5,36
3,52
2,73
2,31
2,05
1,87
1,74
1,65
1,57
1,52
1,47
1,43
1,39
1,37
1,34
1,32
1,30
1,28
1,27
1,26
1,24
1,23
1,22
1,21
1,20
1,196
1,188
1,181
625 000 000
25 000
830 000 000
28 800
25 000
158
827
29
153
12
56
7,45
28
5,32
18
4,19
12
3,50
9,27
3,04
7,39
2,72
6,16
2,48
5,30
2,30
4,66
2,10
4,18
2,04
3,78
1,95
3,49
1,87
3,24
1,80
3,04
1,74
2,86
1,69
2,72
1,65
2,59
1,61
2,48
1,58
2,39
1,54
2,30
1,52
2,22
1,49
2,16
1,47
2,10
1,45
2,04
1,43
1,98
1,41
1,95
1,40
30,000
7,58
7,80
2,75
1,96
1,65
1,49
1,40
1,33
1,28
1,25
1,22
1,20
1,18
1,17
1,15
1,14
1,13
1,125
1,117
1,111
1,105
1,100
1,095
1,091
1,087
1,083
1,080
1,077
1,074
1,071
1,069
— 80 —
86. — Les trois colonnes de gauche présentent : la pre-
mière, le temps mo3^en de liquidation ; la seconde, la dif-
férence brute sur J 500 fr, de rente; la troisième, le rap-
port de la perte ou gain sur cette difîerence : ces trois
colonnes sont la reproduction des première, quatrième et
dernière colonnes du tableau des différences (parag. 22).
Pour trouver les nombres de la colonne qui suit, expri-
mant le nombre des chances de perte pour une de gain,
en n'opérant jamais que sur 1 500, on divise la somme
qu'il s agit de perdre ou gagner, 14 000, d'abord par 1,4,
ce qui donne constamment 10 000, puis on divise 10 000
par les nombres de la seconde colonne, et le quotient in-
dique le nombre probable d'opérations ou de coups qu'il
faudra jouer; on élève ensuite la chance de perte à cha-
que coup à la puissance re}!résentée par le nombre total
des coups, et comme la chance de gain reste toujours l'u-
nité, qui élevée à quelque puissance que ce soit, est tou-
jours l'unité, le dernier nombre obtenu indique, pour une
chance de gain, quel est le nombre définitif des chances
de perte.
Pour trouver le nombre des chances de perte, si on
opère sur des quotités moyennes de 3000 fr., 6 000 fr.,
12 000 fr., 30000 fr. de rente, etc., on multiplie les nom-
bres de la seconde colonne par 2, par 4, par 8, par 20,
puisque 1 500 est compris autant de fois dans ces diverses
quotités, et on opère sur les produits comme précédem-
ment.
La colonne qui donne le nombre des chances de perte
quand on opère sur 1 500, pour une somm.e de 14 000 fr.
donnera ép-alement les chances de perte, si on opère
— 81 —
Sur 3 000, pour une somme de 28 000 fr.
» 6 000, » 56 000
» 12000, » 112000
» 30 000, » 280 000
ou sur des quantités directement proportionnelles aux
sommes qu'il s'agit de gagner.
Les chances de perte pour une somme de 1 4 000 f r.
quand on opère sur 3 000, seront les mêmes
Sur 1500, pour une somme de 7000 fr.
» 6 000, » 28000
.) 12 000 )) 56 000
» 30 000 » 140000
Les chances de perte pour une somme de 14 000 fr.
quand on opère sur 6 000, seront les mêmes
Sur 1500, pour une somme de 8500 fr.
» 3000 » 7000
» 12 000 » 28000
» 30 000 » 70 000
Les chances de perte pour une somme de 14 000 fr.
quand on opère sur 12 000, seront les mêmes,
Sur 1 500, pour une somme de 1 750 fr.
» 3 000 » 3500
,) 6 000 » 7 000
., 30 000 » 35 000
Les chances de perte pour une somme de 14000 fr.
quand on opère sur 30 000, seront les mêmes,
Sur 1 500, pour une somme de 700 fr.
» 3 000 » 1400
» 6 000 » 2800
« 12 000 » 5 600
6
— 82 —
37. — Le joueur qui n'opérerait jamais que sur 1 500
fr. de rente, et liquiderait chacune de ses opérations dans
la même bourse, pour une chance de gain qu'il aurait de
gagner une somme probable de 14 000 fr., aurait un
nombre de chances de perte exprimé par dix-Jmit chiffres.
Celui qui, n'opérant jamais que sur 1 500, liquiderait
toujours le lendemain chacune de ses opérations, aurait
un nombre de chances de perte exprimé par le même
nombre de chiffres, mais encore plus considérable,
689 000 000 000 000 000, approximativement.
Ce dernier nombre est compris entre la 59'' et la 60^ puis-
sance de 2.
La probabilité qu'il y aurait de gagner seulement
14 000 francs dans ces conditions, est plus faible que la
probabilité qu'il y aurait de retirer une à une, d'une urne
composée d'une iniînité de boules blanches et noires en
quantités égales, 59 boules blanches de suite.
Ce sont là de véritables impossibilités.
Quand même on pourrait faire dix mille expériences
ou dix mille tirages par jour, un événement de ce genre
ne se présenterait pas une fois en un milliard de siècles.
Les chances de gain et de perte sur une même somme
restant constamment les mêmes, la somme qu'il s'agit de
gagner ou perdre, égale à 14 000 fr. environ dans des
circonstances ordinaires, peut varier dans des limites
très-étendues qui dépendent principalement des condi-
tions exceptionnelles de la spéculation.
Ainsi, dans les moments de marasme et de stagnation,
alors que les variations dans les cours sont insignifiantes,
cette somme sera nécessairement moindre, et si les varia-
— s:\ —
tions diminuent, par exemple, de moitié, les mêmes pro-
babilités se présenteront sur une somme quatre fois
moindre.
Au contraire, dans les moments où la spéculation sera
beaucoup plus active, et les variations plus grandes, cette
somme devra être plus élevée, et si les variations aug-
mentent du double, les mêmes probabilités ne se présen-
teront que sur des sommes quatre fois plus grandes, en
divisant ou multipliant toujours les sommes par les car-
rés du nouveau rapport des variations.
Quelque g-randes et quelque irrégulières que soient les
variations, non-seulement ou pourra toujours trouver des
sommes assez fortes pour rétablir le rapport des chances,
mais on j)OîLrTa toicjours trouver des sommes assez fortes
'pour que, dans tous lescas^ les chances de perte deviennent
infiniment grandes.
Il n'est pas inutile de faire observer que l'intérêt per-
manent du joueur est de voir augmenter l'écart des va-
riations, et en même temps de voir augmenter le rapport
qui lie l'écart probable à l'écart moyen : ces deux condi-
tions dans lesquelles il diminue le plus ses chances de
perte, sont précisément celles qui apportent le plus de
trouble aux affaires et qui nuisent le plus aux véritables
transactions.
38. — La fortune d'un joueur étant donnée, ainsi que
ses quotités moyennes d'opérations et son écart moyen
de liquidation, il devient possible maintenant de déter-
miner ses chances de perte et de gain, et ce que l'on
— 84 —
pourrait parier qu'il perdra une certaine somme avant de
la gagner, qu'il se ruinera avant d'avoir doublé sa fortune.
Il faut pour cela :
1° Calculer la différence produite par l'écart de liqui-
dation sur la quotité moyenne d'opérations.
2° Diviser par 1,4 le montant de la fortune totale, ou
la somme qu'il s'agit de perdre ou gagner, et diviser le
quotient par cette différence.
3" Elever le rapport de la perte à l'unité pour gain, à
chaque opération, à la puissance donnée par le dernier
quotient, ce qui devient très-facile avec une table do
logarithmes.
Exemple : Un joueur possède 70 000 fr; il opère tou-
jours sur 15 000, ou sur des quotités qui donnent 15 000 fr.
de rente pour la moyenne de chaque opération, et il se
liquide dans des temps qui donnent 0,40 c. pour l'écart
moyen de chacune.
L'écart de liquidation donne une différence de 2 000 fr.
pour 15 000 de rente.
S'il ne s'agit que de gagner 10 000 fr., je divise 10000
par 1 ,4, ce qui donne 7 143, et je divise cette dernière
somme par 2000, ce qui donne 3,5715.
En cas de gain, la différence 2 000 se réduit de 400 fr.
de courtages, et devient 1 600 ; en cas de perte, elle s'aug-
mente d'autant, et devient 2400.
Le rapport de la perte au gain pour unité étant ^^ ou
1,5, j'élève ce rapporta la puissance 3,5715, ce qui donne
4,25.
On pourrait parier plus de 4 contre un que le joueur
perdra 10 000 fr. avant de les gagner.
— 85 -
On trouverait de la même manière que l'on peut parier :
18, 10, ou plus de 18 contre 1 qu'il perdra 20 000 fr. avant
de les gag-ner.
159 contre 1 qu'il perdra 35 000 fr. avant de les gagner.
1395 contre un qu'il perdra 50 000 fr. avant de les ga-
gner.
25 251 contre 1 qu'il sera complètement ruiné avant
d'avoir doublé sa fortune.
Tous ces nombres pourraient encore se déduire les uns
des autres, en élevant chacun à la puissance représentée
par le rapport de l'augmentation des sommes.
39. — On trouve certainement peu de joueurs qui
observent une si grande régularité dans leur jeu, qu'ils
n'opèrent que sur des quotités égales, encore moins avec
des écarts égaux ; mais quelque variées que soient leurs
opérations et leurs écarts, elles sont toujours ramenées
d'une manière très-simple aux moyennes que représen -
tent toutes les quantités, et il serait complètement indif-
férent aux joueurs, surtout sur un grand nombre d'opé-
rations, d'opérer exclusivement sur ces moyennes ; le
contraire supposerait que les plus grands écarts s'appli-
queront toujours aux plus fortes quantités, ou toujours
aux plus faibles, ce qui formerait un système préconçu
que rien ne peut motiver, et nullement admissible.
Toutes les combinaisons imaginées par un joueur con-
sistant à aug*menter ou diminuer la quotité de ses opéra-
tions, à augmenter ou diminuer le temps de liquidation
de ses affaires et ses écarts, à opérer sur telle ou telle
— 86 —
valeur, ont pour effet de faire varier incessamment ses
chances de gain et de jperte, de les augmenter ou dimi-
nuer dans des rapports variables, mais seulement en
raison de la somme dont il dispose pour alimenter son jeu,
et ces rapports ne font qu'osciller autour des rapports
fixes déterminés de la manière qui précède.
Pour connaître ces moyennes, dont la détermination est
la seule chose importante, le plus simple est de remonter
à l'observation des opérations antérieures, et rien n'est
plus facile que de calculer sur les comptes d'un joueur les
moyennes des écarts et des quotités de ses opérations;
seulement il faut observer que, pour que l'on puisse
compter deux courtages sur les moyennes obtenues, il
faut, pour toutes les opérations où il n'y a qu'un cour-
tage à payer, doubler les écarts, et diminuer de moitié la
quotité des opérations, ce qui revient à peu près à multi-
plier les écarts par I/2".
Souvent un joueur systématique se trace un plan dont
il ne s'écartera pas pour la conduite de ses opérations ;
dans ce cas, il lui est possible de calculer exactement ses
chances avant d'avoir engagé une seule affaire.
40. — Beaucoup d'autres questions, du genre de la pré-
cédente (parag. 38), pourraient être résolues, mais elles
sont plutôt du ressort de la théorie que d'une application
suivie.
On pourrait, par exemple, demander ce qu'il y a à parier
qu'un joueur sera ruiné avant d'avoir gagné telle somme
déterminée d'avance.
— 87 —
On pourrait encore demander quelle somme on peut
parier, à ég-alité de chances, qu'un joueur g-agnera ou
ne g'agnera pas avant d'avoir perdu telle autre somme
déterminée d'avance.
Comme la démonstration des règles au moyen des-
quelles on peut résoudre ces calculs est longue et labo-
rieuse, qu'elle nous écarterait du plan que nous nous
sommes tracé, nous laissons à la pénétration du lecteur
le soin de les découvrir, et nous nous bornerons à énoncer
les résultats dans un cas précisé , celui que nous venons
de prendre, d'un joueur qui, possesseur de 70 000 fr.,
opère sur 15 000 avec un écart moyen de 0,40 cent.
Au sujet de la première question, on pourrait parier :
3,25, ou plus de 3 contre 1 que ce joueur sera ruiné
avant d'avoir gagné 10 000 fr.
17,11 , ou plus de 17 contre 1 qu'il sera ruiné avant
d'avoir gagné 20 000 fr.
158 contre un qu'il sera ruiné avant d'avoir gagné
35000fr.
1 394 contre un qu'il sera ruiné avant d'avoir gagné
50 000 fr.
41. — Au sujet de la seconde question, on pourrait
parier un contre un ou à égalité de chances :
Qu'avant d'avoir perdu 10 000 fr. , ce joueur n'aura
pas gagné une somme dépassant 3 925 fr.
Qu'avant d'avoir perdu 20 000 fr., il n'aura pas gagné
une somme dépassant 4 591 fr.
— 8S —
Qu'avant d'avoir perdu 35 000 fr. , il n'aura pas g'ag-né
une somme dépassant 4 769_fr.
Qu'avant d'avoir perdu 50 000 fr., il n'aura pas ^agné
une somme dépassant 4 784 fr.
Enfin, qu'avant d'être ruiné, il n'aura pas gagné une
.somme de plus de 4 787 fr.
Toute la fortune du joueur qui opère dans ces condi-
tions, est l'équivalent d'une somme de 4 787 fr.
Dans cette question, les sommes que peut posséder le
joueur n'augmentent plus sensiblement au-delà d'un cer-
tain chiffre, les probabilités qu'il peut avoir de gagner
une somme déterminée ; car dans l'exemple présent,
quand même il posséderait 100 millions, on pourrait en-
core parier un contre un qu'il ne sera jamais en gain de
plus de 4 788 fr.
Les quotités d'opérations ag-issent dans une mesure
plus étendue et plus uniforme sur ses gains probables, et
si avec une fortune de 70 000 fr. et des écarts moyens de
0,40 cent. , il quadruplait les quotités sur lesquelles il
opère en les élevant à 60 000, on ne pourrait pas pa-
rier plus de 1 contre 1, que ses gains ne dépasseront pas
18 832 fr.
Mais c'est surtout l'augmentation des écarts qui favo-
riserait le joueur : et s'il quadruplait les siens, en opé-
rant sur 15000, avec 1 fr. 60 d'écart, ou ne pourrait
pas parier plus de 1 contre 1 que ses gains ne dépasse-
ront pas 42 784 fr.
42. — Dans tout jeu inégal, la répétition des coups
— 89 —
augmente très-rapidement, et dans des proportions véri-
tablement incroyables, les probabilités de perte du joueur
défavorisé; à la Bourse, cette augmentation prend un
accroissement encore plus rapide, parce que les deux
causes principales qui établissent l'inégalité, s'ajoutent
dans leur combinaison.
La première est la répétition même des coups néces-
saires pour arriver à gagner une même somme, lorsque
l'écart de liquidation ou le montant des différences dimi-
nue, et que l'inégalité reste constante.
Dans tous les jeux de basard, le droit de la banque
l'esté toujours proportionnel à la somme risquée ; l'iné-
galité est alors constante : ce droit est de tant pour cent
de la mise, et si les banques établissaient une distinction
quant au montant des mises, ce serait bien certainement
sur les plus fortes qu'elles prélèveraient les droits les plus
élevés.
A la Bourse, c'est tout le contraire : le droit étant in-
variable, quelle que soit la différence de gain ou de perte
réalisée, c'est sur les petites différences, sur les plus fai-
bles enjeux, que le droit est relativement le plus élevé, le
plus onéreux.
Vous engagez une opération quelconque, sur 3 000 fr.
de rente, par exemple; comme le droit de courtage
est indépendant de la différence que l'opération pourra
vous présenter, si cette différence est de 1 000 fr.,
les droits d'acbat et de vente, invariablement de 80 fr.
représenteront 8 «/o ; si la différence est de 500 fr., ces
droits représenteront 16 "/o ; si la diff'érence est de 100 fr.,
ces droits représenteront 80 °/o. Enfin, si la différence est
— 90 —
de 80 fr., les droits absorberont toute la mise, et vous ne
pourrez jamais g-ag-ner ; si la différence est moindre, les
droits absorberont au-delà de la mise, et vous ne pourrez
jamais que perdre !
C'est la plus ironique antithèse de Vimpôt progressif.
Si on ne considérait que l'inégalité primitive résultant
de ces conditions, entre les chances favorables et défavo-
rables, on serait fondé, au milieu de cette innombrable
variété de jeux de hasard auxquels les hommes se sont
livrés de tous temps, à regarder le jeu à la Bourse, comme
le plus désastreux, comme le plus détestable que la pas-
sion ait pu inventer.
Ce qui diminue un peu cette inégalité, c'est l'impossi-
bilité presque absolue de jouer un très-grand nombre de
coups en peu de temps, car tandis qu'à la roulette, on
peut jouer facilement quatre et cinq cents coups par jour,
le boursier le plus obstiné est souvent forcé de rester un ou
deux jours dans l'inaction, s'il ne trouve pas à se liquider
convenablement. La grande inégalité des chances à la
Bourse est, en partie, compensée parle plus petit nombre
des coups que l'on peut y jouer.
43. — De quelque manière que l'on opère, les chances
de gain et de perte ne peuvent jamais être égales, et les
dernières sont toujours les plus fortes ; le gain ayant
constamment îme chance pour lui, l'augmentation des
chances de perte est nettement déterminée par trois
éléments qui font suivre une même loi à cette aug-
mentation.
— 01 —
1" Les sommes risquées.
Les chances de perte s'élèvenô à la puissance donnée par
le rapport direct des fortunes. Toutes clioses égales d'ail-
leurs, pour des sommes ou des fortunes doubles, triples,
quadruples, le nombre des chances de perte s'élève à la
seconde, à la troisième, à la quatrième puissance , s'il
s'agit de gagner une somme égale à la fortune.
2" La quotité des opérations moyennes.
Les cJiances de perte s'élèvent à la pîmsance donnée par
le ra'pport inverse des qiootités. Celui qui n'opère que sur
30 000 fr. de rente ayant un nombre déterminé de chan-
ces de perte, celui qui n'opère que sur la moitié, 15000,
a pour chances de perte le carré du premier nombre, etc.
Le désavantage présenté par la petitesse des opérations
n'est réel, il faut bien le remarquer, que s'il s'agit de ga-
gner une même somme. Ce désavantage serait nul s'il ne
s'agissait que de gagner des sommes proportionnelles.
Mais du moment que le jeu est continué indéfiniment, le
joueur qui préfère de petites opérations à de plus grandes,
fait un très-mauvais calcul. Gagner peu pour perdre 'pei^,
est un aphorisme qui n'est vrai tout au plus que si les
chances du jeu sont égales.
44. — B*' Le temps de liquidation, et par suite l'écart.
LES CHANCES DE PERTE S'ÉLÈVENT A LA
PUISSANCE DONNÉE PAR LE RAPPORT INVERSE
DES TEMPS.
Ainsi, celui qui se liquide dans uu temps moitié moiu-
— 92 —
dre, élève le nombre de ses chances de perte au carré,
celui qui se liquide dans un temps trois, quatre, ou cinq
fois, moindre, les élève au cube, à la quatrième, cin-
quième puissance, etc.
Si le temps diminue dans le rapport de 7 à 10, qui ne
donne pas un nombre entier, il faut élever le nombre des
chances de perte à la puissance — ou 1,42857.
Si le temps augmente, on a toujours des puissances
fractionnaires moindres que l'unité, ce qui veut dire qu'il
faut extraire une racine.
Cette loi se trouve modifiée dans une certaine mesure
pour des espaces de temps très-courts, parce qu'alors les
chances de perte à chaque coup ne sont pas tout à fait
dans le rapport énoncé (parag. 23). Mais cette différence
augmente encore les chances de perte du joueur qui se
liquide dans un temps moindre.
Par suite de la similitude de ces lois et de leur combi-
naison, on peut, pour une même somme, augmenter ou
diminuer à volonté la quotité moyenne de ses opérations
en diminuant ou augmentant par contre, dans les mêmes
proportions, le temps moyen employé à sa liquidation,
sans faire varier sensiblement ses chances de perte. Celui
qui ferait une opération tous les cinq jours sur 3 000,
ayant, pour gagner 14 000 fr., 56 chances de perte contre
une de gain, celui qui ferait une opération tous les dix
jours sur 1 500, aurait 55 chances de perte, ou seulement
une de moins que le premier. (Voir au tableau.)
Le rapport de la mise à la somme totale, déterminé par
les deux premiers éléments, est la seule cause agissante
dans tous les jeux de hasard où le droit, déterminé d'à-
93 —
vance, est de tant pour cent de la somme risquée. La der-
nière cause, Vaction dio temps, pour modifier les chances,
la plus remarquable et la plus caractéristique, est toute
particulière au jeu qui s'exerce à la Bourse.
45. — En résumé, pour comparer exactement le plus
ou moins de chances qu'il y a de perdre ou gagner h la
Bourse, il faut considérer trois éléments.
\^ Plus le jeu est continué longtemps, ou en d'autre?
termes, plus les sommes à perdre ou à gagner sont
grandes ;
2° Plus les quotités sur lesquelles on opère sont petites;
3° Plus le temps moyen de liquidation est court.
Et plus les chances de perte sont nombreuses.
Au contraire :
1° Plus les sommes à perdre ou à gagner sont petites;
}i° Plus les quotités sur lesquelles on opère sont grandes,-
S^ Plus le temps moyen de liquidation est éloigné,
Et moins les chances de perte sont nombreuses.
La probabilité de perte étant dans tous les cas supé-
rieure à - , peut passer, lorsque l'on fait varier ces trois
éléments, et qu'on les combine convenablement, par tous
les degrés voulus compris entre ' et l'unité, depuis le
doute jusqu'à la certitude presque absolus.
Pour l'augmentation ou la diminution que l'on peut
faire subir à chacun de ces éléments, la loi de variation
des chances de perte est toujours celle de l'extraction des
racines, ou de l'élévation aux puissances.
— U —
4G. — Ainsi que nous l'avons déjà énoncé (par. 14), il n'est
aucune méthode de gagner plus ou moins sure au jeu, ou
de gagner sûrement une somme si jîetite qu'elle soit, les
probabilités premières restant invariablement les mêmes,
à chaque partie isolément, et laissant toujours subsister
l'inégalité, lorsqu'elle résulte des conditions primitives du
jeu; la conduite la plus simple à tenir, dictée à la fois par
l'expérience et le bon sens, serait donc de ne jamais s'ex-
poser au jeu, et quand on a eu le malheur de se laisser
aller à ses séductions trompeuses , il est toujours
temps de s'arrêter sur la pente de sa propre ruine ;
mais il y aurait une manière certaine et qui résulte claire-
ment de la théorie même du jeu, de diminuer autant que
possible ses chances de perte, si une fois qu'on s'est mis
au jeu, on était bien décidé à ne plus le quitter tant qu'on
pourra le tenir : ce serait évidemment de jouer le moins
de coups possible, de risquer immédiatement tout l'enjeu
dont on dispose, de livrer en une seule fois sa fortune
toute entière aux hasards du sort, de ne faire enfin quîme
seule opération , mais de la faire la plus forte pos-
sible.
Si le jeu est incessamment répété, s'il doit être prolongé
indéfiniment, comment voulez-vous, ô joueurs, qu'ilfinisse
autrement que par votre ruine ? Quand même vous arri-
veriez à doubler, tripler votre fortune, vous n'avez rien
terminé, et cet adversaire invisible, mystérieux, qui tient
votre partie à la Bourse, doit être considéré, par rapport à
vous, comme possédant une fortune infiniment gTande ;
or, sachez-le bien, dans ce cas, si petite que soit l'inég-a-
lité bien plus, quand même les chances seraient stricte-
05
ment égales, vous auriez toujours une CERTITUDE AB-
SOLUE d'être ruinés.
47. — Il est même possible de prévoir le moment où
s'effectuera la ruine du joueur ; car en ne faisant consister
l'inégalité que dans le courtag-e, si on admet, comme la
supposition la plus vraisemblable, que les gains et les
pertes se balancent, le montant des courtages, à lui seul,
doit nécessairement absorber à un moment donné la coîi-
vertuo'e du joueur.
La règle tirée de cette supposition, sera d'autant plus
précise que le courtage sera une partie plus notable de la
différence ; s'il n'en était qu'une faible partie, les fluctua-
tions de perte ou de gain pourraient encore avancer con-
sidérablement ce moment.
Le droit de courtage est généralement de ^'g pour o/°, ou
— pour les affaires de jeu comme pour les affaires sérieu-
ses ; mais pour ces dernières, le droit est pris sur un ca-
pital réel; pour les premières, le droit est pris sur un ca-
pital presque entièrement ^c^ï/.
Il en résulte que si la couverture du joueur ou la somme
qu'il peut perdre représente, par exemple, le vingtième
des capitaux sur lesquels il opère chaque fois, le droit de
courtage à ^\^ pour "/o représente pour lui, en réalité,
vingt fois plus, ou deux et demi pour cent.
Par conséquent, la perte et le gain se balançant, il ne
faudra pas plus de quarante opérations en moyenne pour
absorber la couverture du joueur ou faire qu'il ne lui reste
rien.
- or> -
Sur la rente cependant, le courtage ne représentant
pour les opérations à terme que ~^ pour cent au cours de
64 francs, i au cours de 72, et 1 au cours de 80, il fau-
18 20
drait entre ces cours, un peu plus du double d'aflFaires, de
80 à 100 tout au plus, pour absorber la couverture.
Si le joueur met, par exemple, deux jours entre cha-
cune de ses affaires et sa liquidation, il faudra, dans le
premier cas, 40 X 2 ou 80 jours; dans le second cas, de
80 X 2 à 100 X 2, ou de 160 à 200 jours, pour consom-
mer sa ruine.
C'est le rapport du capital sur lequel ses opérations
sont engagées, ou que réprésente la moyenne des quoti-
tés sur lesquelles il opère, au montant de la couverture
ou du capital réel dont dispose le joueur, qui, multiplié
par la moyenne des jours qu'il laisse entre chacune de ses
opérations, déterminera le nombre total des jours ou le
temps dans lequel il y a chances égales qu'il sera ou ne
sera pas ruiné.
Le droit de courtage est insignifiant pour le spécula-
teur qui n'opère qu'au comptant ou avec les capitaux en
mains, ce droit est énorme, onéreux, il est fatalement rui-
neux pour le joueur qui n'opère que sur des capitaux
fictifs.
48. — Les quelques fortunes qui se sont faites et se
font encore à la Bourse, nous l'avons déjà dit, sont dues
uniquement à la position personnelle ou aux relations
sociales de leurs possesseurs qui sont à même de péné-
trer le secret d'événements dont l'annonce doit influer sur
— 97 -
les cours, et qui ne se servent que trop souvent de leur
position pour jouer presqu'à coup sur. Par exemple, un
administrateur qui connaît k fond la situation de la com-
pagnie dont les intérêts lui sont confiés, à la veille de dé-
créter une mesure qui aura pour effet de produire une
forte hausse ou une forte baisse, hésitera-t-il souvent à
placer l'intérêt personnel au-dessous de celui de ses com-
mettants, quand cela lui est si facile sans être connu?...
Mais à la Bourse comme ailleurs, on peut appliquer le
proverbe, tricher n'esl pas jouer, et l'origine impure de
pareilles fortunes est plutôt une preuve éclatante qu'un
démenti, de l'impossibilité dejamais acquérir une fortune
honnête par le jeu.
Quand vous entendrez dire parfois qu'un tel a fait
une fortune à la Bourse, tâchez de pénétrer exactement
dans toutes les causes, et votre surprise ne sera jamais de
longue durée.
Il est encore un moyen de gagner à coup sûr, mais à
la portée de peu de monde : c'est d'avoir assez de crédit
pour engager des sommes d'opérations tellement impor-
tantes, qu'elles exercent une véritable influence sur le
marché. Non parce que de fortes quantités de ventes et
d'achats produisent par elles-mêmes un mouvement pro-
noncé, car l'action produite dans un sens serait annulée
par la réaction contraire ; mais parce que dès que l'on est
assez fort pour ébranler le marché, la tombe inquiète et
moutonnière des petits spéculateurs se met aveuglément
à la remorque et continue le mouvement commencé.
Parfois encore, un joueur aussi audacieux, mais plus
coupable, lancera traîtreusement dans l'ombre l'annonce
— 98 —
d'une fausse nouvelle qui, ne pouvant être vérifiée sur-le-
champ, aura pour effet d'occasionner une panique géné-
rale au milieu du troupeau ; la vérité sera connue le len-
demain, mais trop tard, et le tour serajoué.
Quant aux joueurs honnêtes, qui ne sont qu'abusés, et
qui rougiraient d'employer des moyens illicites, si quel-
ques-uns parviennent à se soutenir momentanément à la
Bourse, ce ne peut être, ainsi que nous l'avons démontré,
que dans certaines conditions, dont la principale est
d'opérer rarement : le petit spéculateur, avide et peureux,
qui ne quitte pas d'une minute la corbeille de la Bourse,
à laquelle il paraît accroché, à la fois dupe et victime, ne
peut manquer d être un peu plus tôt ou un peu plus taid,
dépouillé jusqu'à son dernier sou.
Le joueur sait cependant bien, en général, par l'exemple
journalier des désastres de la Bourse, qu'il s'expose à
consommer sa ruine ; malheureusement il fait une esti-
mation fausse et beaucoup trop faible de ce risque, et il se
flatte d'échapper où tous les autres ont péri. N'est-ce pas
leur faute après tout, et n'apporte-t-il pas un système
raisonné qu'il saura conduire avec prudence et habileté,
en se gardant de toutes les défaillances de la crainte, de
tous les enivrements de l'espoir ? Il a tout étudié, tout
prévu, il connaît à fond les ressources, les détours, les
finesses de la spéculation. Hélas ! pourquoi ne sait-il pas
que sa ruine prochaine, aussi bien prévue que les révo-
lutions des planètes dans leurs orbites, est un effet inévi-
table, nécessaire, des chances et de leurs combinaisons !
SECONDE PARTIE
SECONDE PARTIE
49. — Si cinquante personnes, réunies autour d'un ta-
pis vert, jouent entre elles toute une nuit sur la "rouge et
la noire, toutes en se retirant le matin auront plus ou
moins d'argent qu'en commençant le jeu ; il y aura eu
échange, circulation, par conséquent spéculation, mais
une spéculation entièrement improductive, car à la somme
d'argent qu'elles possédaient toutes en commun, il n'aura
été ajouté aucune utilité réelle, aucune augmentation de
valeur.
Comme toute marchandise, les fonds publics, valeurs
industrielles, sont soumis aux variations de l'offi-e et de
la demande, en raison de la demande ou de l'offre des ca-
pitaux : dans le premier cas, il y a baisse, dans le second
cas, il y a hausse. Tant que ces oscillations ont une cause
réelle dans l'état du crédit et le mouvement inverse et cor-
respondant d'une partie des capitaux disponibles ou de
— \01i —
capitaux dont le gage est assuré, la spéculation est ce
qu'elle doit être dans son usage modéré.
Quand ces diverses variations n'ont pour cause qu'une
variété du jeu, et pour résultat qu'un déplacement stérile
d'une certaine somme ou enjeu d'une main dans une au-
tre, alors commence l'agiotage ou l'abus de la spécula-
tion.
Il y a donc deux espèces ou variétés de spéculations :
l'une, et ce n'est pas la moins connue ni la moins répan-
due, qui ose en usurper le nom, n'est que l'abus et le pa-
rasite de la véritable spéculation, n'a en vue que l'appât
du gain, opère sans ressources, crédit ni capitaux, ou ne
possède du moins que les capitaux strictement nécessaires
au règlement des différences sur lesquelles elle s'exerce ;
elle prend toutes les formes, s'attache à la Production sans
repos ni trêve ; pour exercer ses odieuses manœuvres, tout
prétexte lui est bon; elle repose sur l'ignorance, la cu-
pidité, la satisfaction des appétits brutaux, toutes pas-
sions qui engendrent et caractérisent le jeu; elle est une
honte et une souillure.
L'autre, qui mérite seule le nom de spéculation, pos-
sède le talent de créer, édifier, transformer, en se propo-
sant pour but l'utilité commune ; elle corrige les mouve-
ments exagérés qu'une confiance aveugle ou une panique
insensée produirait dans les cours, et sert le crédit en en-
tretenant un équilibre constant entre les diverses valeurs
d'après leur utilité et leurs produits, en tenant un marché
toujours ouvert à la Bourse, où acheteur et vendeur sont
assurés de trouver une contre-partie, un placement avan-
tageux et un débouché certain : c'est celle qui opère au
— 103 —
moyen des capitaux, et (•clle-là no saurait être trop louée
et encouragée par tous les gouvernemeuts, car elle est la
véritable source du crédit public.
La spéculation abusive demande aux émotions du jeu,
aux chances instantanées du hasard, une fortune acquise
aveuglément, sans peine, sans travail.
La spéculation utile, honnête, se contente de légers
gains ; elle ne demande pas la fortune en un jour, sans
labeur et sans peine ; il lui suffit des produits du travail
et des intérêts de ses capitaux ; ses bénéfices, s'ils sont
lents, sont certains, parce qu'ils reposent sur une base so-
lide, et qu'ils sont le fruit accumulé du Travail, de l'E-
pargne et de la Production.
Tandis que le joueur n'arrive jamais qu'à la ruine et au
déshonneur, par la spéculation utile, l'entrepreneur, le
commerçant, l'ouvrier, sont assurés d'arriver à la fortune
ou du moins à l'aisance qui suffit au bonheur.
Quels sont les traits qui les distinguent l'une de l'autre,
la séparation qui les fait reconnaître, le point précis où
finit la spéculation utile et où commence l'abus de la spé-
culation ? Elles se tiennent malheureusement si bien qu'il
n'y a aucune solution de continuité entre elles, ni de bar-
rières pour en marquer les limites. Il n'y a pas de distinc-
tion précise à établir, il ne peut y avoir que des nuances
presque insensibles, et ici, comme en toutes choses,
l'excès tient toujours de très-près à l'usage modéré.
Comment déterminer le point où l'exagération du bien
est le commencement du mal'f A quel moment la foi se
change-t-elle en crédulité et superstition, l'économie en
avarice, la dépense en prodigalité? Boire et manger sont
— 104 —
cIjs actions indispensables au soutien de la vie, et bonnes
en elles-mêmes, mais à quel moment précis l'action de
manger ou de boire se cliange-t-elle en g-ourmandise ou
ivrognerie?
La limite qui détermine la séparation entre l'utile et
l'abusif, n'est guère plus facile à indiquer dans les spécu-
lations de Bourse.
50. — La Spéculation en général se traduit par deux
espèces de négociations : à terme ou au comptant.
On a l'habitude de considérer toutes les opérations à
terme comme affaires de jeu, toutes les opérations au
comptant comme affaires sérieuses; c'est un tort, beau-
coup d'opérations à terme sont sérieuses, beaucoup d'au-
tres au comptant ne sont qu'affaires de jeu.
Les affaires à terme offrent certainement beaucoup
])lus de facilités au joueur, parce qu'elles lui permettent
de retarder presque indéfiniment le règlement de ses opé-
rations et qu'elles se font sur des quotités fixes dont la
négociation est des plus courantes, tandis que les affaires
au comptant demandent quelques capitaux et se règlent
dans les quelques jours qui suivent le marché; cependant,
à cause même des petites différences que présentent des
opérations faites sur des quotités minimes de valeurs, ou
sur des valeurs qui, parla vilité de leurs prix, présentent,
sur de petits capitaux, de très-fortes variations, il s'est
toujours attaché aux opérations du comptant une sorte
de petite spéculation peureuse et de bas étage, composée
— 10b -
d'éléments liétérog-ènes recueillis dans les dernières cou-
ches de la société.
Spéculer à terme sans moj^en actuels de lever ou livrer
ne constitue pas le jeu, mais sans moyens présumés de
prendre ou donner livraison de la chose achetée ou vendue
au terme du marché, et c'est l'intention seule qui pour-
rait établir ici une distinction.
Mais nous croyons que, même dans tous les cas où le
spéculateur a la possibilité de prendre ou donner livrai-
son, à terme comme au comptant, la fréquence des opéra-
tions constiim Valus ; et l'unique mobile de tout échang-e
étant et devant être V utilité, toutes les fois que l'uti-
lité disparaît, il y a erreur ou mauvais usage ; nous pou-
vons partir de cette donnée pour tracer une ligne de dé-
marcation entre l'agiotage et la spéculation.
Lors même qu'il présente des chances égales, le jeu est
immoral, puisqu'il est une perturbation violente des for-
tunes lentement amassées ; mais au moins on n'y risque
rien qu'on ne soit en droit de gagner, quelque prolongé
qu'il soit.
Si l'échange était entièrement gratuit, s'il n'absorbait
ni l'argent, ni le temps, ni la pensée du joueur, les opé-
rations de Bourse ne seraient qu'un vain passe-temps qui
pourrait se prolonger et se répéter souvent sans de grands
inconvénients.
La question du courtage est la plus importante mesure
pour estimer le plus ou moins d'opportunité des affaires
en général ; elles peuvent impunément être d'autant plus
nombreuses que le courtage est moindre; mais, l'achat et
le placement sur toute valeur n'ayant d'autre but que de
— 106 —
faire rapporter un certain intérêt aux capitaux, et le cour-
tage représentant une partie de cet intérêt, s'il arrive que
les négociations deviennent trop nombreuses, les frais de
courtage dépassent le taux d'intérêt, et le capital, au lieu
de s'accroître, s'amoindrit : le but est manqué ; accrois-
sement ou diminution du capital, richesse ou pauvreté,
voilà, ce nous semble, les deux fins, les deux pôles de
toute spéculation, en raison de sa répétition, et ce qui
peut servir à distinguer l'usage de l'abus ; ainsi, qu'un
capitaliste ait en portefeuille des titres, rentes, actions eu
obligations, lui rapportant un revenu moyen de 3 "/o, il
peut facilement augmenter son capital ou son revenu, s'il
a soin de n'engager aucune opération que dans le cas où
il y aurait bénéfice réel, sur la revente ou le rachat,
s'il ne cherche un intérêt plus élevé qu'en demandant d'é-
gales garanties ; mais ces opérations ne pourront jamais
être très-nombreuses ; au contraire, s'il vend, rachète, ou
fait des arbitrages systématiquement et sans mesure,
comme à chaque fois le courtage est de Ve pour cent, il
suffit de vingt- quatre opérations dans l'année pour dé-
vorer l'intérêt ; par conséquent, ne peut-on pas dire que
l'action de négocier ses valeurs plus d'une fois en quinze
jours constitue une mauvaise entente de ses intérêts, un
abus de la spéculation ?
Le spéculateur, dans ces conditions, est sur la pente
insensible de sa ruine, et il se met volontairement dans
la position d'un marchand qui, ne pouvant parvenir à
équilibrer ses frais et ses recettes, verrait toujours croître
son déficit.
— lOT —
51. — Mciiri le véi'itablo joueiir, celui dont riiifliieiice
est la plus pernicieuse pour le crédit d'un pays, c'est le
spéculateur à décoicvert^ qui ne se contente pas de spécu-
ler à toute heure, à tout instant, mais qui ne possède ja-
mais les mo^'ens de lever ou livrer ce qu'il achète ou ce
qu'il vend.
Si fréquentes que soient ses spéculations, si funestes
qu'elles soient pour lui-même, l'influence, sur le marché,
du spéculateur, qui peut lever ou livrer, est toujours lé-
gitime; celle du joueur à découvert n'est jamais que fac-
tice, immorale, illég'itime.
Les spéculations à découvert sont toujours mêlées aux
spéculations sérieuses d'une manière indissoluble qui
empêche de bien se rendre compte des effets de chacune ;
on ne peut les saisir qu'en imaginant ce qui adviendrait
si elles étaient les unes et les autres abandonnées entiè-
rement à elles-mêmes, s'il n'y avait entre elles aucune
relation, aucun alliage possible.
Or, si les négociations qui ont lieu sur une valeur
quelconque se passaient toutes entre des spéculateurs
opérant exclusivement à découvert, si les joueurs, livrés
rien qu'à eux-mêmes, ne pouvaient engager aucuns rap-
ports avec la classe des spéculateurs couverts et nantis
des titres et des capitaux, qu'arriverait-il?
Le vendeur à découvert, mis en mesure de livrer
au terme du marché le titre de la valeur vendue, ne
le possédant pas, se verrait forcé de racheter d'un nou-
veau vendeur qui, dans la même position, serait égale-
ment forcé de le racheter d'un troisième, celui-ci d'un
quatrième, et ainsi de suite ; c'est ce que l'on voit par les
— 108 —
escomptes^ lorsqu'il y a du découvert parmi les vendeurs ;
la hausse serait indéfinie, parce que l'objet vendu, ne se
trouvant nulle part, sa valeur serait elle-même indéfinie ;
si le prix du diamant n'est aussi élevé qu'en raison de sa
rareté, le prix du diamant serait au-delà de toute estima-
sion s'il était impossible de s'en procurer.
Mais cette impossibilité même de s'en procurer éloi-
gnerait toute demande, car la demande d'un tel objet
serait déraisonnable, et la valeur serait par conséquent
aussi bien nulle qu'indéfinie.
C'est pourquoi les acheteurs ne pouvant exiger la li-
vraison des titres, ne pouvant à leur tour être mis par les
vendeurs dans l'alternative de lever les titres, l'effet serait
nul ou se produirait indéfiniment dans le sens opposé ;
les reports, qui sont destinés à prolonger une opération
ou présentant un emploi d'argent temporaire, n'auraient
aucune raison d'être.
On aurait donc deux effets, aboutissant l'un et l'autre
à l'indéfini, ne pouvant se rapprocher en aucun point,
s'iinnulant d'eux-mêmes.
C'est-à-dire qu'il n'y aurait aucune estimation de va-
leur possible, aucune apparence de cours quelconque, et
qu'un pareil marché ne serait rien qu'une fiction, ou le
rêve d'une imagination désordonnée.
Qu'importeraient au pays les variations fantastiques
de ce marché fantôme, s'il pouvait se maintenir quelques
moments ? La hausse et la baisse n'auraient pas plus de
signification que le détail des pertes réalisées autour d'un
tapis vert dans quelque tripot, la cote journalière de la
fortune publique n'en serait nullement affectée ; ce qui
— 109 —
serait gagné par Tiin serait toujours perdu par l'autre,
et il n'y aurait pas un centime ajouté à la masse des ri-
chesses.
52. — Ce qui fait que les cours de la Bourse représen-
tent quelque chose, c'est qu'à tel moment, à tel cours, il
se présentera un acheteur qui pourra exiger la livraison
du titre contre son capital, un vendeur qui ])0urra exiger
le paiement du capital contre son titre, et qui, chang-eant
tous les deux les conditions du jeu, tels que nous venons
de les dépeindre, arrêteront la continuation indéfinie de
la baisse ou de la hausse.
La hausse n'est plus alors une simple manifestation,
vaine et sans résultat, car elle a pour effet direct d'accor-
der une plus-value à l'ensemble de tous les titres existants
dans la circulation, tandis que la baisse, au contraire, leur
enlève une certaine portion de valeur. Il est vrai que la
hausse n'a pas créé un seul titre, ni ajouté un centime à
l'actif social, elle a fait mieux, elle a créé une valeur ^;zo-
rrt/e qu'on nomme confiance ou crédit, parfaitement sus-
ceptible d'une appréciation chiffrée, comme léseraient des
richesses palpables et matérielles ; les richesses morales
sont de vraies richesses ; le phénomène de la hausse et de
la baisse en serait au besoin la plus saisissante démons-
tration.
C'est V argent et le titre qui, après avoir donné la vie à
la spéculation, puisque sans eux elle était impossible et
n'avait aucune raison d'être, en répriment les écarts exa-
gérés et la maintiennent dans de certaines limites déter-
— HO —
minées, par leur intervention aux moments opportuns.
Il existe une démonstration bien simple des effets pro-
duits par les deux sortes de spéculations; bien que toutes
les affaires à terme ne soient pas à découvert, que quel-
ques affaires au comptant puissent être de jeu, on accor-
dera volontiers que les cours à terme sont l'expression la
plus fidèle des mouvements produits par le découvert, et
les cours du comptant l'expression principale du mouve-
ment des capitaux ; or, quoiqu'il y ait une dépendance né-
cessaire entre les variations des cours du terme et du
comptant, que les reports et les déports ne leur permet-
tent jamais d'être soumis à une action complètement libre,
il ne faut que consulter quelques cotes de bourse pour
acquérir la preuve que les plus grands écarts dans les
cours sont toujours produits par le terme, les plus faibles
écarts par le comptant.
Ainsi, c'est en définitive le jeu naturel de la demande
et de l'offre qui, après avoir été le principe premier, es-
sentiel de la variation des cours, assigne une limite aux
écarts indéfinis de cette variation et de cette mobilité.
53. — Nous avons partagé en deux catég-ories toutes
les causes qui agissent sur le prix de la valeur :
Causes constantes et causes accidentelles.
Les causes constantes agissent seules d'une manière
continue et régulière ; par conséquent ce sont les seules
pour lesquelles on puisse déduire quelques règ-les certai-
nes ; les causes constantes elles-mêmes se divisent :
1° En causes constantes générales.
— Ml —
Ce sont celles qui embrassent l'ensemble d'une situa-
tion politique, commerciale et financière, élèvent ou
abaissent le taux de l'intérêt général, ou influent indi-
rectement sur les prix par des droits d'impôts, de muta-
tions, de courtages ou toutes mesures financières a^^aiit
pour principal effet d'accélérer ou ralentir la circulation
des valeurs.
2" les causes constantes spéciales.
Ce sont celles qui constituent les conditions d'existence
particulière à chaque nature de valeurs et qui restent in-
variables, telles que :
Le nombre d'actions, les sommes versées ou restant à
verser, le taux et le mode de remboursement, le taux
de g-arantie d'intérêt, la durée de la concession, l'intérêt
de la valeur considéré par rapport aux variations dont il
est susceptible pour les valeurs à intérêt variable.
Toutes ces diverses circonstances, dont chacune a son
influence spéciale, doivent présenter par leur concours le
prix véritable de la valeur, sans pouvoir jamais le déter-
miner d'une manière absolue.
Le^jn'iîîdes choses résulte de plusieurs éléments; c'est
le trmail qui en est la mesure réelle et la plus appro-
chante, mais cette mesure elle-même est soumise à toutes
les variations résultant du rapport entre la quantité de
travail offerte et demandée, rapport qui varie selon les
temps et les lieux ; de plus, il est difficile de déterminer
une proportion entre deux différentes quantités de tra-
vail, car un travail d'une heure peut être plus utile, par
conséquent valoir plus qu'un autre de dix heures ; il faut
tenir compte de l'apprentissage, de l'habileté, des dangers,
~ lia —
de la fatig-iie, etc., toutes choses qui ne peuvent se
régler par une mesure exacte; le prix fixé par l'échange
n'est jamais que le résultat d'un débat entre le vendeur
qui exige et l'acheteur qui marchande, et qui se décident
tous deux d'après cette espèce d'égalité approximative
établie par la convenance de chacun, qui suffit dans toutes
les transactions ordinaires de la vie.
Dans l'impossibilité de comparer le bénéfice tout à la
fois moral et physique de chacun des contractants dans
toute opération d'échange, on ne peut exiger qu'il soit
rigoureusement égal pour tous les deux, et il suffit que
chacun y trouve un certain bénéfice.
54. — En thécrie, la quantité des demandes doit croître
en raison inverse du carré du prix, de sorte que si une
marchandise trouve un certain nombre de consommateurs
au prix de 20 fr., elle en trouvera quatre fois plus au prix
de 1 0 fr. et seize fois plus au prix de 5 fr. D'après ce prin-
cipe, si une marchandise, une valeur ne coûtaient qu'un
prix infinimentpetit, il y aurait une quantité de demandes
infiniment grande. Mais en pratique, c'est autre chose;
plusieurs causes s'opposent à ce que le prix de la valeur
puisse tomber au-dessous d'une certaine limite ou ac-
quérir une valeur indéfiniment grande ; la quantité des
produits est presque toujours subordonnée à la quantité
des demandes, en nombre plus ou moins limité, tout pro-
duit ne s'adressant jamais qu'à un nombre fini, quelque-
fois à une seule classe de consommateurs, et la produc-
tion s'arrête du moment que le bénéfice du producteur
— 113 -
devient insuffisant. Aus.si le prix est toujours assez élevé
pour laisser un certain bénéfice au i)roducteur ou au mar-
chand, et c'est uniquement à trouver le plus grand pro-
duit qui puisse résulter en multipliant ce bénéfice par le
nombre des consommateurs que s'étudie le marchand.
Elevant son bénéfice, il peut trop diminuer le nombre
des consommateurs ; le diminuant , ne pas augmenter
assez ce nombre, et dans les deux cas obtenir un produit
moindre.
Quelques auteurs ont prétendu donner des règles inva-
riables pour la détermination du point précis où doit se
fixer ce bénéfice ; mais il est aisé de voir qu'en se basant
sur des données supposées quant au nombre et à la con-
venance des consommateurs, ils ont pris des hypothèses
pour des réalités, et que sans cela, il y a toujours une in-
connue qui ne permet pas de résoudre Téquation.
On ne peut pas davantage déterminer d'une manière
certaine la nouvelle valeur résultant pour un produit
d'une augmentation de sa quantité. On sait seulement en
général, que tout produit diminue ou augmente de valeur
selon sa plus ou moins grande abondance; mais les limi-
tes sont très-étendues ; car un produit qui double en quan-
tité pourra tomber jusqu'à la moitié de sa première va-
leur, si le nombre des consommateurs ou des demandes
reste le même, c'est-à-dire baisser en raison directe de son
augmentation, il pourra ne subir aucune dépréciation, si
le nombre des demandes s'élève proportionnellement à
l'augmentation du produit.
Il ne peut donc y avoir de mesure exacte, absolue, du
prix des valeurs, et c'est en cela que réside le principe des
— 114 —
Vciriations discontinues de leurs cours. On chercherait en
vain à fixer une limite quelconque, à réprimer cette mo-
bilité perpétuelle, sans s'attaquer au principe même qui
fait la vie des transactions. On calcule souvent le prix de
la valeur par le taux d'intérêt, mais l'intérêt n'est pas da-
vantag-e la mesure exacte de la valeur, que le temps n'est
celle du travail ; ce n'est jamais qu'un moyen de compa-
raison qui peut aider à obtenir des résultats approximatifs,
mais dont on ne doit pas abuser ; on peut, on doit souvent
préférer 3 ^/o d'intérêt à 7, à 8 et 10 o/o; non-seulement
cette différence doit varier selon la nature des valeurs,
mais selon une foule de circonstances dont l'appréciation
est multiple, selon les temps, les lieux, etc.
Toute mesure fixe, invariable des valeurs est une pure
chimère, parce qu'on ne peut mesurer des valeurs que par
des valeurs, c'est-à-dire des quantités variables par d'au-
tres quantités également variables. En physique, on ne
peut pas davantage fixer la chaleur des corps, et le ther-
momètre n'en donne qu'une mesure relative; il ne s'en-
suit pas que les degrés de chaleur et la valeur des choses
soient des quantités chimériques ou arbitraires.
55. — Le degré du crédit de l'emprunteur, la valeur
donnée à son titre sur la place, sont mesurés à l'origine
même et dans toutes les circonstances où il se crée de nou-
veaux eng-agements, par le taux de Yemiwunt^ en tout
temps par le taux de V Intérêt.
Lorsque l'Etat ou les compagnies émettent un emprunt,
soit en titres de rentes, actions ou obligations, parmi les
— 113 —
conditions de cet emprunt, les plus importantes sont le
montant même de l'emprunt et le taux d'émission; c'est
la grande loi de l'offre et de la demande, que nous retrou-
vons dans toutes les transactions, qui régit cette première
opération et qui doit en déterminer toutes les clauses ;
l'offre faite par l'emprunteur ne trouvera la demande équi-
valente qu'en augmentant successivement les avantages
offerts au prêteur, en diminuant le taux d'émission, en
aug*mentant le taux de l'intérêt; c'est à trouver le prix au-
quel la quantité des demandes comblera la quantité des
offres, que doit s'appliquer toute la science de l'emprun-
teur, car à un prix supérieur, l'emprunt ne sera pas rem-
pli, et à un prix inférieur il y aura dommage, tout en pré-
sentant une quantité de demandes superflue; c'est ainsi
que le gouvernement, dans ses divers emprunts par voie
de souscription publique, en offrant de grands avantag-es
aux souscripteurs, auraitpu recueillir jusqu'à dix fois plus
d'argent qu'il n'en demandait , ce qui prouve qu'il aurait
pu emprunter à des conditions moins onéreuses ; mais
souvent un grand intérêt moral peut compenser l'intérêt
pécuniaire.
L'emprunteur se trouve exactement dans le cas du
marchand qui clierche à placer sa marchandise le plus
avantageusement possible ; mais il n'est pas plus facile
de déterminer au juste, quel que soit le chiffre de l'em-
prunt et si connu que soit le crédit de l'emprunteur, le
taux précis de l'émission de ses titres, que le prix de vente
du premier ; il est tout aussi difficile de fixer le nouveau
prix que donne à la rente déjà existante une nouvelle
émission de rentes.
— H6 —
La baisse qui précède toujours l'émission d'un emprunt
doit se faire sentir sur toutes les valeurs en général, parce
qu'il y a entre elles toutes une certaine solidarité, mais
principalement sur les titres déjà existants, soit de l'Etat,
soit de la compagnie qui emprunte, jusqu'au moment où
cette diminution de la valeur du titre sera suffisante pour
motiver un déclassement des capitaux étrangers qui
trouveront, dans le nouveau placement, un intérêt plus
élevé ou mieux garanti. Il y a là une loi qui a de l'analo-
gie avec celle des fluides, et c'est parce que le déclasse-
ment s'opérera plus naturellement de la part des anciens
prêteurs qui, par leur positon même, se trouvent les pre-
miers dispensateurs du crédit de l'emprunteur, que le
titre déjà circulant de celui-ci baissera le premier.
56. — Pour apprécier convenablement l'effet que doit
produire l'annonce d'un nouvel emprunt et en déterminer
le plus avantageusement possible le prix d'émission, il
faut calculer la plus ou moins grande facilité des capitaux
à se porter d'une valeur à une autre , d'un jDlacement
immobilier à un placement mobilier, des entreprises
d'un pays à celles des pays voisins, car tout dépend de
cette facilité de circulation ou de déplacement des valeurs,
et par là nous entendons aussi bien les facilités morales
résultant des richesses, des goiits et des penchants des
populations, que des facilités purement matérielles.
En effet, si ce déclassement, qui peut être comparé au
frottement des rouages dans une machine, offrait par im-
possible une résistance complètement nulle, l'effet serait
— in —
nul, de même que le mouvement pourrait se transmettre
indéfiniment et, ne diminuant jamais dans la machine, si
tout frottement était nul, n'enlèverait rien à la force pre-
mière; au contraire, si cette facilité n'existait pas, si le
déclassement ne pouvait s'opérer, l'effet retomberait tout
entier sur l'emprunteur seul, et son crédit diminuant en
raison directe de ses besoins, tout nouvel emprunt devien-
drait inutile, et n'ajouterait rien à ses ressources.
On peut reg'arder comme une règle générale qui ne
souffre pas d'exceptions, que la facilité d'emprunter est
la plus grande, où la circulation de la richesse est la plus
facile. Tout impôt sur les transactions qui frappe la cir-
culation réelle des titres va directement contre son but,
parce qu'il diminue rapidement cette circulation qui est
la base même de son produit; de plus, il est inapplicable
aux opérations de jeu, où le mouvement des titres est en-
tièrement fictif. Telle est la loi de 1857, qui prélève un
droit de timbre sur tous les effets au porteur.
Tout nouvel emprunt produira d'autant moins de per-
turbation dans la richesse générale et le cours des valeurs
que la circulation des valeurs sera plus grande. Les va-
riations relatives seront, par conséquent, d'autant plus
faibles, bien que la somme de ces variations puisse rester
la même; c'est ce qui se passerait pour un corps dont
toutes les parties seraient repoussées par une force égale
et qui se maintiendrait sans aucune altération, tandis que
l'équilibre serait violemment rompu si la force était toute
concentrée sur un même point sans se communiquer
également aux autres parties.
Sous l'influence de la spéculation à découvert, l'an-
— 118 —
nonce d'un nouvel emprunt produit toujours de brusques
mouvements et une baisse considérable qui se change
quelquefois en une véritable panique. Certaine d'être sou-
tenue cette fois par des livraisons de titres, la spéculation
vend, vend sans cesse, et force l'Etat à emprunter à des
conditions difficiles ou onéreuses. Les agioteurs sont les
pires ennemis de l'Etat. Mais l'emprunt n'est pas plutôt
souscrit, que l'on voit la réaction se produire, les cours
reprendre leur niveau , et en définitive le bénéfice réalisé
au détriment de l'Etat, est passé presque tout entier dans
les mains de quelques banquiers influents ou d'une coterie
de spéculateurs audacieux.
Le g-ouvernement ne pourrait que gagner à exposer
clairement sa situation, ses actes et ses intentions. La
publication mensuelle du bilan du Trésor, donnerait à
tout le monde le moyen d'estimer exactement l'état de
son crédit, de ses ressources, et on ne s'eifrayerait plus
à l'annonce inattendue d'un emprunt dont l'urgence et
l'emploi ne sont pas toujours clairement démontrés.
57. — La quantité de titres ou d'actions dont se com-
pose le fonds social d'une compagnie, serait très-peu
importante au point de vue des variations de la valeur,
dans l'hypothèse que toutes les opérations qui se con-
cluent sur cette valeur, seront sérieuses et nullement fic-
tives. D'un autre côté, si le rapport de ces opérations
aux affaires de jeu était le même sur chacune des valeurs
négociables , cette distinction entre les deux genres
d'opérations, bonne pour juger de l'étendue absolue des
— 1 i '.) —
variations, serait eiicurc inutile ]iour estimer la g-randeur
des variations relatives, et la probabilité que pour un
mouvement déterminé sur une valeur, le même mouve-
ment se produira sur toute autre valeur. Mais à la Bourse,
on le sait, le jeu se répartit très-inégalement, par rapport
à la quantité réelle des titres de chacune des difi'érentes
valeurs. Il n'est pas rare de voir l'agiotag-e s'exercer
beaucoup plus fortement sur les titres de telle compagnie
au capital de 18 à 20 millions, que sur telle autre au
capital de quatre ou cinq cents millions. Nous pouvons
établir que les opérations sérieuses agissent seules sur le
cours de la valeur d'une manière absolue, entièrement
indépendante de la quantité des titres. En effet, si la baisse
résulte de la quantité même des actions qui se trouve
plus considérable , la hausse doit résulter de la quantité
même des demandes qui doit forcément se proportionner
à la quantité des titres, pour maintenir l'équilibre entre
deux valeurs également bonnes.
Si, en même temps, le jeu se porte de préférence sur la
première valeur, ou s'y porte exclusivement, à moins de
supposer que les demandes et les off'res de cette nature
ne se fassent constamment équilibre, ce qui doit arriver
au moins très-rarement, il y aura toujours une certaine
quantité de demandes ou d'offi'es sur la première valeur
de plus que sur la seconde, de sorte que les variations re-
latives seront plus fortes sur l'une que sur l'autre.
11 ne serait pas difficile de prouver, d'après les faits, que
cette nouvelle force se produira presque toujours dans le
sens de lapremière, de manière à exagérer le mouvement,
soit en hausse, soit en baisse, au lieu de l'atténuer.
— iiO —
Plits les opérations de jeu sont nombreuses sur une
valeur, en raison du nombre de titres et de la circulation
de ces titres , plus aussi , à part toute autre cause, les
oscillations des cours doivent être fortes et étendues.
Dans l'impossibilité de pouvoir fixer d'une manière
certaine une proportion quelconque entre les opérations
réelles et les opérations fictives, de rendre en même temps
cette proportion invariable , il y a un danger réel et per-
manent pour les capitaux de s'aventurer dans les entre-
prises dont le capital est peu considérable, parce qu'il est
naturel de supposer qu'elles seront proportionnellement
plus exposées aux manœuvres, aux menées de l'agiotage;
non pas que les chances de perte ne puissent, dans ces
circonstances, être souvent compensées parles chances de
gain, mais parce que cet état constitue de plus grands
risques, et que la grandeîCT des risques suffit déjà pour
établir un dang*er ; par contre, il y a constamment avan-
tage réel pour les capitaux, à rechercher de préférence les
placements sur les fonds de l'Etat , sur ceux des grandes
entreprises dont le capital est très-considérable, et qui,
par cela même, présentent des conditions mieux définies,
moins obscures, et d'autant moins de prise à l'action per^
nicieuse de l'agiotage.
58. — Le taux à' intérêt est l'élément le plus important
de la constitution d'une valeur, celui qui domine tous les
autres dans l'estimation du titre en circulation.
L'intérêt peut être i^ariahle (m fixe.
Le taux d'intérêt fixe ou constant est sans contredit la
— 121 —
nieilleuro ganintio de la bonne tenue d'une valeur. Il
permet d'en apprécier aussi exactement que possible le
prix moyen, de resserrer davantage les fluctuations au-
tour de ce prix, de restreindre les baisses et les hausses
subites ; aussi toute valeur qui rapporte un intérêt fixe
doit -elle généralement être préférée à toute autre
qui rapporterait un intérêt un peu plus fort , mais va-
riable.
Les obligations de chemins de fer, quoique rapportant
un peu moins que les actions, forment un placement plus
sûr et mieux entendu, surtout par cette raison que leur
intérêt est fixe, et que celui des actions est variable.
Ce n'est pas que l'intérêt fixe ne puisse offrir, dans des
temps différents, plus ou moins de garantie, de sécurité aux
porteurs, qu'il ne soit lui-même sujet à une certaine varia-
bilité qui se manifeste par la mobilité des cours : cette
instabilité incessante, perpétuelle, est une propriété né-
cessaire qui forme d'ailleurs l'essence même de la valeur,
tout comme le mouvement est la manifestation de la vie ;
mais avec le système de la fixité du taux de l'intérêt , il
est possible d'amasser, dans les années d'abondance, pour
parer aux années de disette ; il reste moins de part à l'im-
prévu, et dès-lors, par une espèce de compensation dans
les mouvements extrêmes , tout événement de nature à
porter quelque grave perturbation dans les conditions
générales de la société, produit un dérangement moins
sensible dans les cours.
Comme cause agissante, l'intérêt fixe est la plus égale,
lu plus constante de toutes ; elle n'a aucune raison de se
produire dans un moment plutôt que dans tel autre , et
— 1-22 —
elle doit élever le prix de la valeur d'une manière essen-
tiellement continue, dans l'intervalle compris entre le
détachement de deux coupons, du montant exact du
coupon à détacher. C'est donc un faux calcul que de
spéculer sur l'approche d'un coupon d'intérêt, lorsque cet
intérêt est fixe et parfaitement connu, d'acheter quelques
jours avant son détachement pour revendre quelques
jours après, dans cette idée qu'on se plait à répéter si
souvent, que les valeurs regagnent toujours leurs cou-
pons. Toute hausse qui se produirait de la sorte ne serait
nullement motivée et n'aurait aucune consistance.
L'incertitude sur le chiffre du prochain dividende, la
difficulté d'estimer un revenu moyen un peu certain,
laissent une très- grande latitude aux mouvements sur la
valeur à intérêt variable. Comme on a l'habitude d'esti-
mer le revenu d'un titre, principalement d'après les pro-
duits de la dernière année ou de l'année courante, et que
le porteur recherche presque toujours un revenu au moins
égal au dernier, l'annonce de toute modification dans le
taux d'intérêt, si petite qu'elle soit, doit occasionner dans
les cours un mouvement proportionnel à celui que subit
l'intérêt, et si cet intérêt est à 5 °/o, il suffit d'une diminu-
tion de 5 fr., sur le revenu annuel, que l'annonce en soit
vraie ou fausse, pour opérer une baisse d'une centaine de
francs sur la valeur du titre.
A l'exception des rentes sur l'Etat, qui trouvent dans
les fluctuations de la politique de quoi alimenter la spé-
culation, le jeu s'est toujours porté de préférence sur les
valeurs à intérêt variable, qui trouvent dans cette condi-
tion le principal élément des brusques revirements qui se
— 123 -
font remarquer sur leurs cours. Il est facile d'effrayer le
porteur du titre en lui i)résentant sans cesse une diminu-
tion de recettes dans l'exploitation, en laissant toujours
suspendue la menace d'une réduction possible d'intérêt;
aussi quel prétexte plus commode pour tous ces faiseurs
de fausses nouvelles qui n'ont d'autre métier que de pê-
cher en eau trouble !
C'est là un puissant motif de dépréciation pour la va-
leur, car, règle générale, les capitaux doivent fuir tous
placements sur des valeurs livrées aux pratiques de l'a-
o-iotao-e.
59. — Lors même qu'il y aurait autant de chances de
gagner que de perdre, la grandeur des risques, amsi que
nous l'avons déjà dit, bien que donnant des sommes ma-
thématiquement égales de pertes et de gains, suffit pour
constituer un danger que l'on doit toujours éviter; il est
reconnu, en effet, que le gain ne nous donne jamais au-
tant de satisfaction que la perte nous cause de peine,
parce que le gain ne donne jamais à un capital un accrois-
sement relatif à la fortune totale aussi considérable qu'une
perte équivalente y apporte de diminution; il est donc
préférable de risquer un contre un que deux contre deux,
ou trois contre trois, et le plus grand tort qu'un homme
puisse se faire dans cette théorie morale, est de risquer
toute sa fortune dans l'espérance de la doubler.
Ce principe doit engager le spéculateur qui recherche
un placement, à éviter avec soin les risques trop grands
qui pourraient compromettre son capital, et à préférer
— I2't —
souvent les valeurs qui rapportent un intérêt moindre à
celles qui rapportent un intérêt plus élevé.
L'intérêt, on le sait, est la représentation du risque
couru par le capital ; par conséquent, et c'est là une des
lois fondamentales de l'économie politique, il est essen-
tiellement variable et en raison des risques courus.
A une entreprise qui court des risques deux fois plus
nombreux, on ne demandera jamais que des produits
doubles, et bientôt la considération même des risques
finira par disparaître, et on n'aura plus égard qu'à une
seule chose, la différence des profits et des intérêts ; de là
une tendance g'énérale à rechercher les placements qui
rapportent de gros intérêts.
Si deux valeurs rapportent, l'une 3%, l'autre 6 Yo d'in-
térêt, par ce seul fait que les risques sur la seconde sont
le double des risques sur la première, bientôt la seconde
finira par ne plus rapporter que 5 "/q au prix d'achat,
parce que, pour la multitude imprudente et aveugle des
spéculateurs, la comparaison simple des deux intérêts, en
dehors de toute autre prévision, sera toute à l'avantage
de la valeur qui rapporte six.
Que d'entreprises véreuses servent des dividendes que
rien ne justifie, souvent prélevés sur le capital, comme
un appât trompeur destiné à égarer la spéculation!
Le petit rentier, qui ne vit que difficilement avec deux
ou trois mille francs de revenu, est seul excusable jusqu'à
un certain point de chercher une augmentation de rentes
dans un taux plus élevé d'intérêt ; pour celui qui trouve
dans ses revenus de quoi subvenir largement à ses dé-
penses, c'est une imprudence coupable, c'est une folie de
Mo -
risquer le capital pour une augmentation d'intérêt su-
perflue.
60. — Il y a donc deux raisons qui doivent en général
engager le spéculateur sérieux à préférer toute valeur à
intérêt modique, à celle d'un intérêt plus élevé, à reclier-
cher par exemple un placement à 3 "/o , plutôt qu'un pla-
cement à 6 Vo.
D'abord, il profite de toute la différence, de tout l'écart
qui existe entre la valeur mathématique et la valeur mo-
rale de la moitié des risques courus sur le second place-
ment. S'il emploie toute sa fortune dans une entreprise
qui lui rapporte 6 °/o au lieu de 3 ^/o ^ à la condition de
courir des chances de perte doubles, si petite que soit la
probabilité de la perte totale sur le placement à 3, elle est
le double sur le placement à 6, et la différence déterminée
par l'élément moral entre les deux probabilités, si petite
qu'elle soit, acquiert une valeur nécessairement très-
grande si on la multiplie par une quantité telle que la
valeur de la fortune engagée, si elle l'était en totalité. En
second lieu, si par suite d'une concurrence mal entendue,
la valeur qui rapportait 6, en raison du nombre double de
risques courus, vient à ne plus donner que 5 ^jo, il béné-
ficie encore de % pour cent d'intérêt, en achetant une va-
leur qui rapporte 3, au lieu de 2 '/s qu'elle devrait seule-
ment rapporter, si la diminution d'intérêt qui s'est fait
sentir sur la seconde valeur avait eu lieu proportionne-
ment sur la première.
Quand une valeur quelconque rapporte un intérêt de
— 126 —
3 Yo7 toute antre valeur sur laquelle les risques courus
sont doubles, devrait rapporter, en raison de la probabi-
lité de ces différents risques, probabilité qui peut être très-
variable, mais qui ne peut jamais être supposée nulle,
non pas seulement 6 7o , niais 7, 8, 10 ou 15 Yo- — Au
lieu de cela, la valeur sur laquelle les risques seront dou-
bles, ne rapportera le plus souvent que 5 y^, 5, 4 V^ pour
cent, et quelquefois moins.
On doit au contraire préférer une valeur qui rapporte
un intérêt plus fort à celle qui rapporte un intérêt moin-
dre, lorsque cette diminution d'intérêt est remplacée par
une loterie, ou le tirag-e au sort de lots semestriels ou tri-
mestriels, parce que si cette amorce est des plus sédui-
santes pour le public, elle est aussi des plus fallacieuses,
et par un calcul très-simple, on trouve que si la probabilité
des lots répond à V^pour cent d'intérêt aléatoire, par con-
tre on perd souvent 2 ou 3 Y,j d'intérêt réel .
Si tout le monde était tellement pénétré de la vérité de
ces observations, qu'elles en devinssent vulgaires et su-
perflues, si chacun possédait au même degré l'esprit de
calcul et de prévoyance, il est certain que les choses ne
se passeraient pas ainsi; toute fausse idée et tout engoue-
ment ayant disparus, l'élément moral ayant conquis la
place qu'il devrait occuper dans les estimations de chacun,
il n'y aurait alors aucune recommandcition à faire à ce su-
jet, parce que l'équilibre se produirait si bien qu'il de-
viendrait absolument inutile d'établir aucune distinction
et de rechercher tel placement de préférence à tel autre ;
la prévoyance individuelle ne dépasserait plus le niveau
de la prévoyance commune ; c'est parce que la prévoyance
— 12- —
cuininune est iuiii d'être arrivée à sou apogée, qu'il faut
que l'homme prudent se pénètre du sentiment de certaines
vérités qui ne seront jamais l'apanage de la foule.
61. — La dhisioii des risques est encore un moyen
certain de les diminuer.
De même qu'il est plus prudent, pour lui faire passer
la mer, de partager une fortune sur plusieurs vaisseaux
qui, bien que courant des chances égales, incertaines et
périlleuses, courent chacun des chances différentes de
naufrag'e, le spéculateur qui recherche un placement, au
lieu de mettre tous ses fonds dans une seule entreprise
qui peut faire faillite et engloutir en une fois la totalité
de sa fortune, doit de préférence placer ses fonds sur plu-
sieurs entreprises différentes. Ce principe répond à un
sentiment vulgaire et instinctif qui se traduit par ce pro-
verbe un peu trivial : M ne faut pas mettre tous ses œufs
dans le même panier.
Cette division de la fortune entre plusieurs emplois qui,
en théorie, pourraitêtrepoussée indéfiniment, aussiloin que
le permettrait la quantité d'entreprises et de valeurs de
toute nature, apour limites en pratique certaines considéra-
tions dont il faut tenir compte, et dont les principales sont :
1° la difficulté d'être exactement renseigné sur une trop
grande quantité d'entreprises différentes, sur le compte
desquelles une connaissance seulement superficielle est
insuffisante, si l'on veut bien diriger ses intérêts et éviter
au capital les pertes qui pourraient résulter d'une situa-
tion mal connue ; 2*^ la perte de soins et de temps, qui cor-
— 128 —
respond par le fait à une perte d'argent, résultant de l'o-
bligation d'opérer des versements et toucher des intérêts
à des époques différentes de l'année dans des endroits
quelquefois fort éloignés. C'est surtout pour les person-
nes de province et de la campagne, obligées à des dé-
marches personnelles ou à des transports continuels de
titres et de fonds, que cette considération est importante.
Dans les villes de quelque importance, la création d'une
caisse centrale, instituée par un syndicat des compa-
gnies, à laquelle on pourrait opérer tous dépôts de
titres, tous versements, recevoir tous coupons, rendrait
d'utiles services ; cette institution n'est remplacée, jus-
qu'à présent, que dans une mesure trop restreinte par
quelques maisons de banque, et à Paris par les grands
établissements de crédit qui ne fonctionnent qu'au profit
de leurs actionnaires ou demandent une commission trop
forte ; or, toute commission pour ce service réj^ond à une
diminution de l'intérêt du titre.
Sans prétendre donner aucune règle absolue, et en
laissant chacun juge de l'opportunité du fractionnement
de son capital, on peut cependant admettre que cette di-
vision est utile et conforme aux lois de la prudence, sur-
tout nécessaire pour les grandes fortunes, qu'elle doit se
proportionner à la nature des entreprises dont les chances
de réussite sont plus ou moins certaines, depuis les fonds
publics de l'Etat jusqu'aux entreprises les moins connues
et les moins sûres, et que dans tous les cas elle peut, en
pratique, se réduire à un petit nombre restreint de va-
leurs de différente nature.
— 129 —
62. — Nous avons précédemment (par. 51) émis la
supposition de deux marchés distincts et séparés , l'un où
toutes les opérations seraient purement fictives, l'autre
où toutes les opérations seraient sérieuses ; la Bourse re-
présente un marché mixte, où ces deux sortes d'opéra-
tions sont unies dans des proportions variables, les pre-
mières y entrant cependant de beaucoup pour la plus
grande partie.
Les reports qui offrent un placement productif d'inté-
rêts aux capitaux engag-és dans la spéculation, donnent en
même temps la mesure précise des relations que ces deux
marchés sont forcés d'entretenir et de leur dépendance
réciproque. Commençons par définir le report.
Le report est la différence qui existe à un même mo-
ment entre les cours du comptant et ceux du terme, ou
entre les cours de deux liquidations successives.
Un spéculateur qui achèterait une valeur au comptant
et la revendrait immédiatement à terme, en profitant de
la différence des cours, ferait un report indirect.
Le report direct, celui dont il est toujours question
lorsque le mot report est employé seul, est une opération
unique, qui comprend implicitement les deux opérations
de l'achat et de la vente, et qui ne peut être scindée.
Celui qui, par l'opération du report, se trouve acheteur
au comptant et vendeur à terme, reporte ; celui qui se
trouve vendeur au comptant et acheteur à terme, se/ait
reporter.
On dit qu'il y a déport lorsque la valeur est plus chère
au comptant qu'à terme; le déport n'est autre chose que
le report négatif.
^ - <^o -
Lorsque les prix sont les mêmes, on dit que le report
est mo pair.
Les reports peuvent être :
Ou un emploi de capital, argent ou titre;
Ou la continuation d'une affaire antérieure.
Pour expliquer ceci, il faut se représenter la situation
respective des spéculateurs au moyen des trois groupes
suivants :
1° L'aeheteur à découvert ;
2" Le vendeur à découvert ;
3" Le vendeur qui livre (ou l'acheteur qui prend li-
vraison).
Si l'acheteur et le vendeur à découvert n'tivaient affaire
qu'entre eux, si le vendeur qui livre avait affaire à un ache-
teur en état de lever, l'équilibre serait maintenu entre les
diverses parties, et on n'aurait pas l'explication des sin-
gulières variations du report ; il est nécessaire de suppo-
ser que si les deux vendeurs , l'un à découvert, l'autre
qui livre, ont vendu chacun 1 500, l'acheteur à décou-
vert aura acheté 3 000.
La liquidation venue, et chacun ayant conservé sa po-
sition respective, il y aura 1 500 à livrer .^ 1 500 à repoo'ter
et 3 000 h faire reporter.
L'acheteur, mis en mesure de lever 1 500, ne possé-
dant pas le capital, et ne trouvant pas de contre -partie
dans l'état du marché, est forcé, s'il veut continuer son
opération à la hausse, de s'entendre avec un capitaliste
qui, étranger à toute négociation antérieure, ne se déci-
dera à prêter les fonds nécessaires que s'il y trouve un
certain bénéfice dans un taux élevé de report.
— 131 -
Pour les 1 500 restants, l'aclieteur ,-^'enteiid avec le
vendeur comme lui à découvert.
Ce second report n'est qu'une opération feinte destinée
à masquer une opération antérieure, qui ne présentera
qu'une différence minime entre deux cours de compen-
sations ; le taux en est nécessairement subordonné au
premier ; il est l'effet d'une convention et non d'un débat.
Si en retournant les positions, c'eût été le vendeur qui
manquât du titre, il aurait fait appel à un détenteur de
ce titre.
A la Bourse, l'argent et le titre sont considérés comme
deux marchandises qui peuvent se prêter moyennant une
primo qui varie selon que l'une ou l'autre est plus de-
mandée ou qu'elle est plus rare.
63. — Si toutes les opérations étaient sérieuses à la
Bourse, le report n'y dépasserait jamais le taux d'intérêt
g'énéral ou ne tomberait jamais au-dessous.
L'effet serait encore maintenu si toutes les opérations
fictives ou sérieuses, engagées dans le sens de la hausse
ou de la baisse, se faisaient parfaitement équilibre, parce
qu'il y aurait une complète indépendance entre les deux
marchés.
Mais si l'équilibre n'est pas complet, selon que la ba-
lance penche de l'un ou l'autre côté, il est nécessaire
que le découvert, s'il veut continuer ses opérations à la
hausse ou à la baisse, s'adresse aux détenteurs de capi-
taux ou de titres, et comme la concurrence de ces der-
niers se trouve limitée par les ressources présentes du
— 132 —
marché, le taux du report s'élève au-dessus ou s'abaisse
an-dessous du taux d'intérêt g-énéral.
C'est uniquement la spéculation à découvert qui exa-
gère et fausse les limites du report, en donnant parfois le
scandale d'intérêts usuraires à 20 et 25 %, ou présentant
ce curieux spectacle d'intérêts négatifs au moyen de pri-
mes sur prêts de titres ; c'est surtout aux approclies et
dans le cours d'une liquidation que se font ressentir les
plus grandes fluctuations du report.
Chaque fois que le report dépasse le taux d'intérêt des
valeurs courantes , chaque fois qu'il est au-dessous, l'in-
fluence du jeu est manifeste; on peut savoir à n'en pas
douter de quel côté penche le découvert, et ce que recèle
la situation du marché.
Les reports élevés signifient toujours découvert à la
hausse; les reports bas, les déports, signifient toujours
découvert à la baisse.
Dans le premier cas, le vendeur possesseur du titre,
momentanément débordé par le découvert qui élève les
cours, trouve la facilité de retarder la conclusion du mar-
ché ou la livraison des titres, au moyen de reports élevés ;
si la spéculation à découvert est à la baisse, l'acheteur en
possession du capital peut se consoler de voir baisser
temporairement sa valeur, en ne payant que peu ou point
d'intérêt, en recevant même une prime de déport ; comme
il est très-rare que le déport existe à la fois sur toutes les
valeurs, rien n'empêche encore l'acheteur ou le prêteur
de titres de placer leurs fonds en reports sur une autre
valeur , et de recevoir des deux côtés à la fois.
Le vendeur possesseur du titre, qui vient en réclamer
— 133 —
le paiement à l'échéance du marché à terme, force l'ache-
teur à découvert à emprunter d'abord le capital, et à payer
un gros intérêt au capitaliste, en fin de compte, à trouver
un acheteur sérieux qui prenne sa place ; car si longtemps
que le report se continue, une opération à découvert, lors-
qu'elle est mise en face d'une opération sérieuse, ne peut
jamais se terminer autrement que par le paiement ou la
livraison obligés du titre.
Dans ces conditions, il n'est pas difficile de deviner
qui doit l'emporter, du découvert ou des capitaux.
64. — Les reports tournent toujours au préjudice des
joueurs, et toujours au bénéfice des spéculateurs, posses-
seurs de titres ou de capitaux.
Lorsque les titres ou les capitaux répondent aux appels
du découvert, ils réalisent des bénéfices certains qui
peuvent être considérés comme une avance, comme un
intérêt des bénéfices futurs qu'il leur serait permis d'ail-
leurs de réaliser sur-le-champ ; en effet, il dépendrait ex-
clusivement des spéculateurs nantis des capitaux et des
titres, qui possèdent le dernier mot de la situation, d'ame-
ner instantanément une liquidation générale du découvert,
ou du moins de rétablir la balance entre haussiers et bais-
siers à découvert, si les capitaux se refusaient aux avan-
tages des reports élevés, si les titres méprisaient les
séductions de la prime ; car alors acheteurs et ven-
deurs à découvert, forcés de traiter entre eux pour une
partie de leurs opérations, celle où les achats et les ventes
peuvent se compenser, et ne trouvant plus la contre-par-
— 134 —
tie qui leur manque pour tout ce qui excéderait cette
compensation, n'auraient d'autre ressource que de se li-
quider et de ramener de suite les cours où ils les auraient
trouvés, à leur valeur véritable.
On peut se souvenir des déports qui furent payés aux ac-
tionnaires de certaine compagnie, dont le capital était du
reste très-peu considérable, ce qui expliquait la rareté des
titres; ces actionnaires se consolaient de la baisse de leurs
titres en touchant des déports qui, en moins d'unan, au-
raient suffi à doubler leur capital. Si cependant, au lieu
de se faire bénévolement les complices de la spéculation
à la baisse sur leurs propres titres, ces porteurs avaient
compris qu'il était plus adroit de se refuser à un pareil
manège, ils seraient probablement arrivés en une seule
liquidation au résultat qu'ils convoitaient, par la hausse
considérable que le découvert aurait forcément amenée.
Si le capital se refusait aux reports élevés, il amènerait
la cessation d'une hausse factice , et pourrait entrer
résolument dans les valeurs; si le titre se refusait aux dé-
ports, il accroîtrait sa plus-value en amenant la hausse.
Il faut que le capital sache bien que lorsqu'il entre dans
les opérations de reports et déports, lorsqu'il pactise avec
le jeu, il ag'it contre ses propres intérêts.
'L'escompte^ qui n'est autre chose que la faculté pour l'a-
cheteur à terme, d'après le contrat implicite du marché à
terme, d'avancer la liquidation en exig-eant livraison im-
médiate du titre, ne peut jamais produire grand effet sur
la place, tant que le vendeur à découvert conserve la res-
source d'emprunter n'importe à quelles conditions le titre
qui lui fait défaut. Aussi, contrairement à l'effet naturel
— 13^) -
qu'on a l'habitude de leur supposer, on ne voit jamais les
escomptes être suivis de la hausse, mais ils amènent
promptement du déport.
65. — C'est le Je^o, c'est-à-dire la spéculation avec tous
ses abus, qui représente la force expansive, indéfinie du
mouvement des cours.
C'est le Capital^ c'est-à-dire la spéculation utile, qui,
seul et véritable principe de ce mouvement, en représente
la force restrictive et définie.
Tous les efforts du Jeu tendent à accroître les écarts de
la variation des cours.
Tous les efforts du Capital tendent au contraire à les
resserrer.
Quelle que soit la question que l'on étudie, quel que
soit le point de vue où l'on se place, toujours, partout, les
mêmes causes reproduisent les mêmes effets.
On le voit donc, et il serait facile de le prévoir quand
même le raisonnement ne nous l'apprendrait pas, c'est le
jeu seul qui trouble l'économie de la spéculation, qui, par
ses pratiques et son action dissolvante, tend sans cesse, au
lieu de le ramener vers le centre, à élarg-ir le cercle dans
lequel se meut et s'agite la spéculation, et cela au g-rand
détriment de la solidité des fortunes, de la moralité de ses
principes.
Dans cette lutte constante entre le Jeu et le Capital,
l'avantage doit en définitive rester au dernier. Si une
hausse qui, sous la seule influence des capitaux, eût été
de 10 francs sur le prix d'une action, s'est exag-érée sous
— 136 —
l'iiilliience du jeu en une hausse artificielle de 30 francs,
il faut que tôt ou tard il y aitforcément et par ce seul fait,
un mouvement rétrograde qui, faisant baisser la valeur
de 20 francs, ne laissera acquise que la hausse naturelle
due aux capitaux. Et si le jeu, agissant en sens contraire,
a pu amener une baisse de 30 francs, il faut absolument
que tôt ou tard, il y ait une réaction en hausse de 40 fr.
La somme de réaction, toujours ég*ale à la somme d'ac-
tion dans l'ensemble des eflFets de la nature, doit l'être
aussi dans l'ensemble des résultats fournis exclusivement
par le jeu, parce que l'effet de vendre ou acheter à décou-
vert appelle toujours l'effet contraire.
La réaction qui se déclare toujours après un mouvement
considérable, plus ou moins vive, plus ou moins prompte,
en raison des causes qui ont amené le mouvement, ne
peut jamais être égale à l'action sur le moment même,
parce que la cause première n'est pas détruite ; pour que
la réaction soit complète, il faut que la cause n'existe
plus.
Ceci n'est d'ailleurs qu'une affaire de temps. La réac-
tion serait obtenue dans l'intervalle d'une seule liquida-
tion, si acheteur et vendeur à découvert n'avaient la
facilité de continuer indéfiniment leurs opérations fictives,
au moyen des reports.
L'erreur la plus déplorable que l'on pourrait commettre,
serait de s'abuser sur la prétendue puissance du jeu, de lui
attribuer la moindre efficacité, de s'imaginer qu'elle peut
opérer dans un sens, sans une réaction forcée dans l'autre
sens. Les gouvernements peuvent tolérer l'agiotag-e lors-
que, par ujie hausse factice des fonds publics, ils espèrent
— 137 -
assurer pour un moment le succès de leur politique, ils
n'empêclieront jamais, et rien au monde ne pourra empê-
cher un juste retour des clioses, retour d'autant plus fu-
neste que l'illusion aura été plu s grande et aura duré plus
longtemps.
Il n'y a de richesse possible que celle qui est le produit
du travail; toute autre est pure chimère, ou n'est qu'un
déplacement de richesse qui, pour en enrichir quelques-
uns, en appauvrit nécessairement d'autres; dans l'estima-
tion de la richesse publique il.'n'y a de hausse durable que
celle qui résulte du concours des capitaux; toute hausse,
toute baisse factices, en dehors du jeu régulier de l'offre
et de la demande sérieuses, en ayant pour unique effet de
ruiner quelques individus au profit de quelques autres, ne
diminue pas, n'ajoute pas un atome à la somme de cette
richesse.
Qu'on le sache donc. Le petit spéculateur qui achète
un millier de francs de rentes, qui les paie et les serre dans
son portefeuille , fait plus pour le succès définitif de la
hausse, que le joueur audacieux qui vend cent mille
francs de rentes qu'il ne possède pas, ne peut faire pour
assurer la baisse. Aussi , entre eux deux , le résultat de
la lutte, s'il se fait attendre, ne saurait être douteux.
66. — Tout en reconnaissant les abus du Jeu, on croit eu
g'énéral que ses intérêts sont communs à ceux du Capital.
Ses intérêts, ses tendances, sont au contraire, directement
opposés.
Le Jeu ne peut donner la moindre réalité au marché
— 138 -
OÙ toutes les opérations en porteraient le caractère en-
tièrement exclusif. Le Jeu, c'est la chaîne sans fin qui
revient toujours au même point, le roclier de Sisyphe qui
retombe toujours à la même place, la meule qui tourne a
vide, selon l'expression pittoresque de J. B. Say.
Le Capital, qui seul peut créer et vivifier le marché,
suffit parfaitement à en entretenir le mouvement sans le
concours d'aucune force étrangère ; il représente une
force restrictive, mais qui ne peut jamais devenir com-
plètement nulle.
Il faudrait, pour annuler toute variation, tout mouve-
ment, que les causes si nombreuses qui influent sur les
cours fussent identiques, fixes et constantes ; mais au-
cune cause ne peut avoir ce caractère de fixité, parce
qu'elle-même est soumise à nue infinité d'influences
multiples qui n'ont pas ce caractère. Aucune cause n'étant
essentiellement constante, les causes dites constantes ne
sont en réalité que les moins irrégulières, et celles dont
les probabilités de retour sont les plus fortes.
Il faudrait encore faire abstraction du principe indivi-
duel et admettre, ce qui est impossible, qu'aucune diver-
gence ne séparant jamais les hommes, ils n'auront plus
qu'une seule manière de voir et d'apprécier les causes, les
mêmes penchants, les mêmes besoins.
Mais, sans espérer pour les rentes de l'Etat et les va-
leurs publiques dont toutes les conditions d'existence sont
le plus clairement déterminées, pas plus que pour les au-
tres valeurs d'entreprises particulières moins bien défi-
nies, qu'il puisse jamais s'établir une estimation de prix
invariable et incontestable, universellement acceptée, de
— 139 —
manière à enlever tout aliment, tout prétexte à la spécu-
lation, on doit s'attendre néanmoins à voir se resserrer
de plus en plus les écarts de la spéculation.
Cette tendance est un effet et un signe certains de la
marche du progrès et de l'aspiration à la perfectibilité;
c'est un moyen infaillible de mesurer l'état d'avancement
d'un pa3^s ; on peut affirmer sans crainte que là, oii les li-
mites d'écarts sont les plus grandes, le crédit est le plus
arriérée ; que là, au contraire, oii les limites d'écarts sont
les moins étendues, la confiance est la plus grande, le cré-
dit le mieux assis , la puissance d'association la plus
forte.
C'est une opinion presque générale et une erreur fort
accréditée, que la mobilité des cours est un indice de la
facilité des transactions, que par conséquent, la spécula-
tion, malgré ses abus, rend d'utiles services en permet-
tant de vendre et acheter à tous cours, à tous moments ;
on feint de croire que sans le jeu, l'offre et la demande ne
trouveraient pas toujours de contre-parties et que le mar-
ché s'éteindrait ; le jeu peut bien donner une animation
factice aux transactions lorsqu'elles sont rares, peu en-
couragées par les lois ou par l'opinion, mais il ne les crée
pas, et il vivifie le crédit à peu près comme la chaux vi-
vifie l'arbre; rien ne s'oppose à ce que, dans un cercle de
variations très-restreint, les transactions ne puissent
s'opérer avec la plus grande facilité, et cela ne dépend
que des conditions de la circulation et de l'étendue du
marché. S'il est impossible d'annuler toutes variations,
on doit désirer de les restreindre le plus possible, de
même que tout dans la nature doit tendre sans cesse au
— liU —
centre du cercle qui représente la vériié absolue, en s'ef-
forçant d'y arriver le plus près possible. Soutenir la doc-
trine des grandes variations, par les avantages supposés
qu'elle offrirait, c'est faire fausse route, c'est prendre le
trouble pour le repos, la fièvre pour la santé, le délire
pour la raison, l'erreur pour la vérité, s'éloigner du cen-
tre en croyant s'en rapprocher.
67. — La connaissance, ou plutôt l'intuition des faits
à venir, cette précieuse faculté qui a pu faire regarder
comme des êtres surnaturels des hommes qui la possé-
daient au suprême degré, et qui s'est prétentieusement ap-
pelée divination^ quand son véritable nom est expérience,
cette faculté n'est rien autre que le fruit de l'observation,
de l'étude attentive des faits passés : c'est làime de ces vé-
rités qui ne sauraient être répétées trop souvent. Le futur
découle fatalement du passé, comme l'effet dérive inva-
riablement de la cause.
La découverte de l'avenir a toujours eu le plus grand
attrait pour les hommes, parce qu'en leur enseignant à di-
riger leurs actions dans le sens des événements attendus,
elle est la voie qui mène à la sagesse et qui doit leur don-
ner la plus grande somme de calme et de bonheur, dont
la possession est la tendance de toute la nature : c'est sur-
tout lorsqu'il s'agit d'une augmentation de fortune comme
instrument réel ou supposé de ce bonheur, que cette dis-
position se change en un désir ardent de science et d'ins-
truction, et une des manières les plus rapides d'augmen-
ter sa fortune, consiste à lui donner la meilleure direction
— lil —
dans quelqne.s-unos des spéculations plus ou moins sûres
dont la Bourse est le principal théâtre.
Toute spéculation, depuis celle du joueur qui achète
aujourd'hui pour revendre demain un peu plus cher, jus-
qu'à celle du capitaliste qui place ses fonds dans l'espoir
d'une augmentation future de capital peut-être très-éloi-
gnée, toute spéculation, disons-nous, n'est que la recher-
che plus ou moins intellig-ente des causes qui, dans le
passé, sont la source et le fondement des lois de l'a-
venir.
Cette découverte à la Bourse serait complète si l'on pou-
vait connaître le prix alsoJu de la valeur. En effet, il suf-
firait d'acheter au-dessous, comme de vendre au-dessus
de ce prix, pour être certain de pouvoir toujours, dans
un temps donné, réaliser un bénéfice quelconque sur l'o-
pération.
Mais nous savons que, quand bien même l'observation
du passé ne serait pas forcément limitée à un petit nombre
de faits, eu égard à l'ensemble infini de tous les faits, il ne
peut y avoir de prix absolu pour une valeur quelconque :
cette recherche est donc aussi chimérique que celle de la
quadrature du cercle ; mais si on ne peut arriver à ce ré-
sultat si recherché, si ce prix absolu est introuvable, on
peut du moins circonscrire ses écarts et les limites dans
lesquelles il se produit, on peut enfin en approcher aussi
près que possible, et ce résultat est bien assez considéra-
ble pour que l'on s'en contente.
On entend journellement employer ces expressions dans
le public : La Rente n'est pas à son prix, la Rente est au-
dessus de son prix, telle valeur est bon marché, telle autre
— 142 —
est trop chère; d'où les conséquences en pratique sont
qu'il faut acheter ou i\u'i\/(mt vendre.
Presque toujours, les gens qui donnent ces avis avec le
plus d'assurance, seraient bien embarrassés de dire sur
quoi ils se fondent; ou les raisons qu'ils emploient sont
bien insig-nifiantes.
Non, on ne peut jamais être assuré que telle valeur est
trop clière ou trop bon marché : mais ne pourrait- on pas
au moins en acquérir une probabilité voisine de la certi-
tude?
La question que nous avons à résoudre est celle-ci :
Tel cours étant donné, est-il préf érable d'acheter ou de
vendre à ce cours ?
Si t n effet il est une règle pour acheter et vendre à pro-
pos, on sent de quelle importance est sa découverte ; elle
ne ferait pas seulement la fortune des premiers qui s'en
serviraient, elle serait encore un puissant moyen de don-
ner plus de consistance à la richesse générale, d'affermir
le crédit en restreignant les variations des valeurs pu-
bliques.
Avant de passer à la solution, quelques explications
sont indispensables.
68. — Lorsque l'on étudie les lois naturelles du mou-
vement, en mécanique, physique, astronomie, etc., on
ne tarde pas à s'apercevoir que le mouvement obéit à des
lois qui sont toujours le composé de deux mouvements
simples, distincts et primordiaux.
Un projectile lancé décrit une parabole , c'est-à-dire
— 143 -
qu'il rie meut horizontalement sou.s l'action de la projec-
tion, et verticalement sous l'action de lu force centripète.
Une sphère, boule, roue, cerceau, rencontrés par un
corps mû dans l'espace, prennent un mouvement de rota-
tion en même temps qu'un mouvement de translation.
L'aig-uille aimantée, sous l'influence de la force ma-
gnétique, se dirige suivant les lois de Vinclinaison et de
la déclinaison.
La Terre, dans sa course à travers l'espace, est animée
de deux mouvements bien distincts ;
L'un sur elle-même, en un jour ;
L'autre autour du Soleil, en une année.
Pour rendre compte du mouvement composé de ces di-
vers corps, il est indispensable d'étudier séparément, de
décomposer les deux mouvements simples qui le consti-
tuent.
Cette méthode est celle que nous suivons.
Les variations de la Bourse, soumises comme la Terre
dans ses mouvements, aux lois de la gravitation univer-
selle, peuvent aussi se décomposer en :
Diurnes et annuels,
c'est-à-dire, à courte et à longue période.
Quand on étudie les lois de la hausse et de la baisse, il
est indispensable de distinguer les deux principes du
mouvement des cours :
Le premier, produit des causes accidentelles :
Le second, produit des causes constantes.
A l'égard du premier, il n'est aucune prévision pos-
sible ; les causes accidentelles arrivent sans ordre, indif-
féremment favorables ou contraires; par conséquent, dans
— 144 —
ce premier ordre d'idées, il est absolument indifférent de
Y^avier pour ou contre, d'acheter plutôt que de vendre, de
vendre plutôt qu'acheter, à quelque moment que ce soit,
et la 'valeur n'est jamais déterminée que par le coîirs du
titre (par. 10, U, 12, 13,14).
La spéculation qui a pour objet la prévision des causes
accidentelles s'appelle Jeu; nous l'avons étudiée suffisam-
ment dans la première partie de cet ouvrage.
A l'égard du second principe de la variation des cours,
les prévisions sont, non seulement permises, mais cer-
taines ; les causes constantes présentent dans leurs effets
un caractère de retour et de régularité admirables ; à ce
nouveau point de vue, dans ce nouvel ordre d'idées , on
peut toujours parier plus ou moins pour que contre, et
dans telle circonstance donnée, on doit acheter plutôt que
vendre, ou vendre plutôt qu'acheter.
C'est cette nouvelle étude qui forme principalement le
sujet de cette seconde partie : c'est la recherche et la con-
naissance des lois constantes de la variation des cours
que se propose la véritable Spéculation.
Cette contradiction supposée entre les deux parties,
n'est que le développement logique et complet de l'en-
semble d'un tout indissoluble.
69. — Le joueur ne peut opérer que sur des différences
assez considérables se produisant rapidement; car s'il
continuait longtemps une opération, les frais de reports
et les courtages le ruineraient à eux seuls.
Le spéculateur qui garde les titres peut attendre indé-
— 145 —
finimeiit; loin de payer des reports et des courtages, il
touclie rég'ulièrement aux échéances des intérêts qui, à la
rigueur, pourraient le dédommager de la baisse du ca-
pital.
Aussi, à la Bourse, les causes accidentelles ont une
importance unique; les causes constantes y sont complè-
tement nég'ligées.
C'est que les premières présentent des différences très-
fortes eu peu de temps ; les secondes ne donnent que des
différences minimes dans un temps fort éloigné.
Une simple note de deux lignes dans le Monitettr peut,
en une minute, faire perdre à la Rente l'intérêt de six
mois.
L'unique objet du jeu étant d'obtenir des résultats ra-
pides en peu de temps, l'influence des causes accidentelles
s'élèvera d'autant plus que la spéculation sera plus tour-
mentée de l'esprit du jeu; tout alors, jusqu'au moindre
fait, donnera lieu à des interprétations passionnées dont
l'exagération se traduira par des mouvements saccadés
dans les cours, et au milieu de cette excitation, les causes
constantes pourront être ou complètement nég-ligées,
ou considérées comme des faits accidentels, et en vue de
résultats présents qu'elles ne comportent pas. C'est le
contraire qui devrait avoir lieu.
Sur la Rente, par exemple, l'intérêt étant fixe, il est fa-
cile d'apprécier l'effet de cette cause, essentiellement con-
stante.
Cet intérêt est de 8 fr. par an; si l'intérêt est payable
par semestre, la rente doit donc valoir, au moment du
paiement de son coupon, 1 fr. 50 de plus, et si l'intérêt
— 146 -
est payable par trimestre, doit valoir U,75 cent, de plus
que le lendemain de ce paiement; cette plus-value doit se
faire d'une inanière continue et régulière; elle doit être
de 0,25 c. d'un mois sur l'autre, et de 0,008 */,, un peu
plus de Imit dixièmes de ce^itime par jour.
Parce que, dans les diverses causes de variations quel-
quefois très-importantes d'une bourse à la suivante, cette
cause minime d'une hausse de moins de un centime n'ap-
paraît pas se dégager distinctement, croit-on qu'elle n'en
existe pas moins, et peut-elle être négligée à cause de son
peu d'importance ?
Si, après n'en avoir pas tenu compte pendant long-
temps, on vient tout à coup à se la rappeler la veille du
coupon, en achetant sans mesure et sans raison, ne se
jette-t-on pas dans l'excès contraire, en prenant pour ac-
cidentelle une cause constante et réo-ulière ?
70. — Pour celui qui ne borne pas son attention
aux agitations infîmes, aux préoccupations mesquines de
chaque jour, mais s'élève plus haut et cherche le résultat
final de toutes choses, les causes accidentelles n'exis-
tent pas.
Il sait qu'elles doivent se détruire les unes par les au-
tres au bout d'un certain temps.
Pour comprendre comment ces causes peuvent se dé-
truire et disparaître, il n'est besoin que de se rappeler les
résultats fournis par l'inégalité qui ressort d'une cause
aussi faible que le courtage, et en général, ])ar toute iné-
galité, si petite qu'elle soit.
— 147 -
Selon que les résultats du jeu, dans une suite de ])ar-
ties, se ])ruduisent d'une ou d'autre manière, ils sont
soumis à deux ordres d'influences toutes différentes ; sous
l'effet des causes accidentelles, le joueur tantôt gag-ne,
tantôt perd ; et comme cette succession de g*ains et de
pertes se produit sans ordre apparent, une personne qui
ne verrait jouer que quelques parties ne pourrait soup-
çonner l'inég'alité. Cependant, sous l'empire d'une cause
constante, bien que très-faible, d'inégalité, la ruine ar-
rive, d'un pas lent, mais mesuré ; sa probabilité aug-
mente à tout instant jusqu'à devenir une certitude, parce
que les pertes et les gains accidentels, finissant par se
faire compensation, font ressortir de plus en plus la cause
primitive et constante d'inég'alité.
Les causes constantes étant connues et exactement
estimées, si on admet, ce qui n'est que probable pour
un petit nombre, mais devient rigoureusement vrai,
dès que l'on admet un assez grand nombre de cas, si on
admet que les causes accidentelles et imprévues peuvent
se produire aussi bien j;o?^r que contre, dans un sens fa-
vorable que défavorable, de sorte que l'on n'ait aucun
compte à tenir de cette espèce de causes dans une longue
série d'observations, on aura, dans la continuité cons-
tante des autres, une base certaine qui se dégagera de
toutes les obscurités et les inconséquences supposées.
C'est ce qui, mieux que par toutes les hypothèses, va
se trouver clairement exposé dans le tableau qui suit, des
cours de la Rente 3 "/o au comptant, par plus haut et plus
bas cours de chaque mois, depuis l'époque de sa création,
en mai 1825.
VARIATIONS 1
Mois par mo
Années
1825
1826
1827
1828
1829
1830
1831
1832
1833
1831
1835
1836
1837
1838
1839
1840
184l
18^2
1843
1844
1845
1846
1847
1848
1849
1850
1851
1852
1853
1854
1855
1836
1857
1858
1859
1860
1861
1862
Moyennes
Prix moyens
Janvier I Février
liâul pl.tas
68.70
68.60
70.40
73. 4o
85.35
63
67.60
77.30
76.20
77.75
81.50
80
79.80
79.20
81. (r5
77.80
79. 40
79.90
82.9)
85.40
83.83
80.30
74.80
46.83
58.05
38
72.25
81.15
72.95
69.50
71.50
68.30
70.13
72. 50
69 15
68.10
71.45
63.60
66.25
66. 80
73 95
83.30
60.50
62
70
74.75
76.75
8!l.13
79.30
78.83
78.50
80.43
76. 4o
78.15
78 70
81.93
84.95
82.95
77. 40
73,21
44. 70
56. 40
56.20
64
77.80
68.23
65.23
61. 85
66.30
68.30
67.80
07.33
66.80
67.45
73.68 71.07
72,37
2,61
67.40
69. 4o
73.70
77.20
84.85
61 .30
67.60
80.50
76.30
79.60
81.13
79.9)
79.83
78.80
82.50
77.13
80. 4o
80.63
82.65
83.15
85
78.65
74.80
51.90
58.65
58.50
66.15
80.90
70.20
68.50
73.50
70,20
70.20
68.90
08, 4o
68.75
71.35
63
68.25
68.60
75 55
83.70
55.25
64.75
76
75.15
77.80
80
79.10
79.45
77.80
8 1.93
75.60
79.60
79.60
81. SO
84,70
83.65
77.30
73.70
43.25
57.20
37.60
63.90
78. 4o
63.80
65.60
72
67.55
68.70
66,60
67.10
67.65
69. 4o
73.72 71.72
72,72
2.
Mars
65.80
70.20
69. 4o
79.55
84.23
35.30
71
79.15
78.75
81.23
81.60
79.75
80.35
80.23
83.75
77.70
8 1.70
82.65
83.40
85.83
85
79.33
38
38
58.20
58.03
71.90
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67.15
71.50
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79.50
78.90
82.35
76.40
80
80.70
82.23
85
83.65
77.40
38
50 50
54.25
57.70
65.50
77.90
62 . 05
08.60
71.60
70.15
68.73
67.25
67.65
67.65
69.40
73.85 71.00
72,46
2,79
Avril
Mai
Juin
p. haut
pl.k
p, haut
pi. bas
p. haut
pLha
„
„
75.30
74.55
76.10
74.5
66.05
64.10
63.95
63.75
67.10
6-). 6
71.20
70.15
70.70
69.55
71
69.3
70.30
68.30
70.50
69.80
72.70
69.9
80
78.50
80
76. 40
80.55
78.5
84.33
83.30
83.40
80. 4o
80.20
76.1
60.50
46
66.70
59.20
67.50
58.1
71
68
70.85
67.45
70.50
67.2
78.15
76.60
80
77.25
80.45
77.4
78.75
77.65
80
78.63
79.55
77.7
82.23
80.73
82.35
78.50
79.60
76.8
82.20
81.63
82.13
81.50
81.90
79.9
79.20
78.53
79.6)
78.65
80
77.7
81.13
80.20
81. 4o
80.65
81.65
79.8
81.55
79.95
81. 9 J
80.90
81.30
79.1
84,35
83.23
85.10
84.15
86.15
84.3
79.50
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82.25
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84.60
81.9
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85.50
86.40
84.50
86.03
83.5
84.80
83.60
84.25
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78.75
77.75
78.75
77.60
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77.2
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43.73
48.50
43
57.35
53.40
58. 50
46.75
53
48.7
53.95
34
37.33
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58.80
53.7
57.70
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36.60
35.20
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71
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67.50
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74.50
72.60
75.40
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70
70.15
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7(1. G5
69.55
71
70
70.45
68.1
73.79 71.35
74.25 71.86
74.12 71.1
72,57
73,05
72,64
(2) (3)
73.39 71.8
2,
44
2,
39
2,
dl
Valeur moyenne = 72,48. — Ecart mensuel mo;y
(1) Les prix donl les chiffres ressorlent sont Xeaplns haut et plus bas de rannéc — (:
UENTE ô V
>iiâs9 sa création.
Juillet
Août
Scpicmbre
Octobre
1
Novembre
Décembre
Écarts
annuels
laut
pi. bas
piaut
pi. ks
p. haut
pi. bas
p.liaut
72.05
pi. bas
71 30
p. haut
pi. bas
p. haut
pi. bas
T
75
7.''>.7S
75.80
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71.90
73.70
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71.30
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72.85
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78
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80.75
82.85
86.10
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66.50
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76.25
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76.40
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73.75
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74.20
78.90
77.30
79
77
78.13
76.20
60
77.95
79.25
78.30
81
79.05
82.35
81.13
81.70
80.50
80.60
78.20
5,60
5,3b
3,70
65
80.10
80.50
79.60
80.10
76.85
79.25
77.50
79.45
78.45
80.20
78.65
30
78.75
79.50
79
79.73
78. 8j
81.15
79.63
81.45
80.35
80.73
78.50
05
80
81
80. S5
81
80.50
81.50
80.70
82. 20
81.45
81.63
78.15
4,05
4,70
20,75
10
78.90
81.03
80.15
81.30
80.30
81.85
81
82. lit
81.70
82.50
80.30
is
81.30
82.80
77.30
80.10
68.50
76.90
65.90
80.35
76.20
79.05
76.05
u5
76.30
77.75
76.80
79.55
76.95
79.90
79
80. 60
79.90
80.20
78.10
S
5,65
4,50
5,90
5,50
4,60
5,65
42,30
13,80
76.60
79. 4o
77.70
80.30
79.10
80.25
79.75
80.60
79.90
80.80
78.10
45
79.55
81.60
80.13
82.80
81.50
82
81.30
82.05
81.55
82.43
80.43
20
81.50
82
79.75
82.25
80.10
82. 4o
81.60
83.65
81.90
85. 65
83.20
75
82.90
84.55
83.65
84. 4o
83.25
83.75
82.20
82.90
81.50
83.20
80. 90
45
83
83.80
83.20
84.45
82.50
83
82.45
82.80
81
82.40
80.40
10
77.20
77.30
76. 40
76.80
74.65
76.23
74.90
77.30
76
77.35
74.90
44.50
46
4l.75
46
43.50
44.75
43.70
43.90
39.25
48.30
4l.l5
75
52.70
55.40
53.20
36.75
33.13
56.30
54.90
37.30
55.10
57.70
55.95
60
56.40
58.65
57.95
58.35
57.55
58
56.30
38.25
56
58.80
56.23
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22,10
50
55.75
57.50
56.10
56.60
55.33
56.35
55.20
56.90
55.70
67
54.73
20
70.70
76.75
74. 4o
78.35
75.70
82
77.80
86
81.50
84
80.90
.10
74.60
81
77
79.20
74.50
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73
76.15
73.45
10,45
4o
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70.75
75.13
73.25
76. 35
73.30
73
69.10
72.70
66.03
■14,85
90
03.80
67.50
66.15
G7.80
65
65.50
63. 50
66.10
64
66.73
64.10
8
.30
70.05
71.10
70.20
71
67.40
68.10
65.9 1
69
66
69.73
66
13,55
66.60
67.10
06.80
68.25
66.50
68.50
66.55
67. 4o
6G.15
67.70
65.85
5,25
.45
68
70.90
68.25
73.50
71.20
74.05
72.80
74.95
72.80
74. 4o
72.70
7,45
.70
63.10
70.25
68. 4o
69.70
68.23
70
69.05
70.60
69.70
71.33
63.95
12
.10
67.75
68.50
67.80
68.70
67.75
69.50
68.55
70.60
69.23
70.60
67. 4u
4,30
.90
67.45
69
67.80
09.40
68.60
68.50
67.70
70.15
68
69.30
67
3,35
.95
67.90
69.20
67.85
70.30
68.70
72.85
70.10
vi'5,40
.38 71.21
73.32 71.17
73.39 71
73.25 71.18
73.86 71.42
74. C2 70.71
72,30
72,25
72,20
72.22
72,64
72,37
(2) (3)
73.12 71.62
2,17
2,15
2,39 1 2,07
2,44
3,31
2,48. — Ecart annuel moyen = 10,50.
du délachcmenl du coupon.— (s) Le jour de son délachemenl.— (4) Au ler Novembre 1862
— loO —
71, — En parcourant ce tableau, on peut s'apercevoir
de suite que les variations de la Rente se sont produites
entre des limites très-étendues, puisqu'elle oscille du prix
de 86 fr. 65, en juillet 1840, à celui de 32 fr. 50, en
avril 1848, avec un écart de 54 fr. 15 entre les deux
prix.
Les révolutions qui modifient et changent la face
de l'ordre' social, les fléaux qui désolent l'humanité, les
bouleversements, les crises de toute nature qui déran-
gent la marche régulière des événements, paraissent se
produire sans aucun ordre visible et ne devraient, semble-
t-il, ne laisser aucune place à l'appréciation raisonnée
des choses dont l'économie s'est vue troublée par des
chocs si rudes, si imprévus. Cependant, et c'est là le fait
important sur lequel nous appelons l'attention, bien que
les causes accidentelles qui ont fait éprouver d'aussi
énormes variations aux cours de la Rente soient considé-
rées comme l'œuvre d'un hasard aveugle et n'aient entre
elles aucune relation suivie, que leurs effets aient été
tellement puissants qu'on soit tenté de néglig-er toutes les
causes secondaires, cependant, dès que l'on étend un peu
le champ de ses observations, il est aisé de s'apercevoir
que toutes ces anomalies fortuites finissent bientôt par se
compenser et se détruire les unes par les autres, s'an-
nihiler et s'effacer presque entièrement pour ne laisser
ressortir que les seules causes faibles, mais d'un caractère
constant.
C'est l'emploi des moyennes qui nous donne la démons-
tration de ce fait.
Quand nous comparons plusieurs choses dissemblables.
- «51 —
nous n'avons que des idées confuses si nous ne les rat-
tachons pas à une unité commune ; quand nous mesurons
une môme longueur et que nous trouvons des résultats
différents, nous n'avons qu'une idée vague de la distance,
et nous ne savons encore quelle mesure est la bonne si
nous ne prenons un terme milieu entre les diverses me-
sures. De même, si au lieu de nous donner un prix unique
et courant pour l'estimation d'une valeur quelconque,
rente ou marchandise, on nous présente un grand nombre
de prix différents, nous ne sommes fixés qu'en prenant
une moyenne entre tous les prix.
La meilleure manière de se rendre compte du prix de la
Rente dans le courant d'une année quelconque, est de
prendre la moyenne, sinon entre tous, du moins entre un
assez grand nombre de prix ; et pour se rendre compte de
la marche g-énérale des prix dans l'année commune, de
prendre la moyenne entre plusieurs époques à égale dis-
tance dans un grand nombre d'années.
D'une année à la suivante, les moyennes présenteraient
des différences considérables, parce que les causes qui ont
produit de grandes variations dans certaines années ne se
sont neutralisées que plus tard, mais les différences de-
viennent presque insensibles d'un mois sur l'autre, comme
le prouve la ligne horizontale au bas du tableau, qui
donne le prix moyen de chaque mois sur un ensemble de
trente-sept années et demie.
Pour trouver ces moyennes qui figurent au bas du ta-
bleau {^Hx moyens et ècoA'U moyens), il nous a suffi de
diviser la somme des prix de chaque colonne par le nombre
des années qui ont concouru aux observations, et de
— 152 —
prendre ensuite le prix intermédiaire, ainsi que l'écart de
prix, entre les deux moyennes de chaque mois.
Pour le moment, ne nous occupons que au prix moyen.
La moyenne varie depuis 72,20 au plus bas, jusqu'à
73,05 au plus haut, avec un écart de 0,85 c. seulement
entre les deux prix.
La moyenne générale, prise entre ces quantités, donne
le prix de 72,48.
Ainsi, dans une période relativement courte, qui n'em-
brasse encore que trente-sept à trente-huit années, du-
rant laquelle les variations se sont produites chaque an-
née d'une manière toute différente dans le courant de
chaque mois, les résultats se présentent déjà avec une
évidence frappante.
72 — Les deux mois où la moyenne est la plus élevée
sont Mai et Novembre, et cela se conçoit, si l'on fait at-
tention que le coupon s'est détaché au commencement
des mois suivants, et que dans ces deux prix de 73,05 et
72,64, se trouve compris le montant de l'intérêt semes-
triel, 1 fr. 50.
Les deux mois où la moyenne est la plus basse, sont
Juin et Décembre, dans lesquels s'est opéré le détache-
ment du coupon.
LemaMmum des prix de la Rente s'est trouvé être, jus-
qu'à présent, à la veille du coupon de juin (6 juin) ; le
minimum, le jour de son détachement en décembre (7 dé-
cembre) .
Voici d'ailleurs, pour rendre les choses plus sensibles,
— 155 —
le diagramme que figure la marche décrite par la Rente,
dans l'année moyenne :
73.25
73
72.73
72.5'1
72. 2o
72
71.70
Janvier
72.37
Féïïier
72.72
Mars
72.46
Avril
72. S7
Mai
73.05
Juin Juillet
72.64 72.30
Août
72.25
Sept.
72.2)
Ocf. Nov.
72.22 72.64
Dec.
72.37
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y
M
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^
Dans l'intervalle compris entre le détachement de deux
coupons, les cours devraient, sous l'influence de l'intérêt,
s'élever régulièrement, en figurant une ligne parfaite-
ment droite, ainsi qu'on le voit sur la figure. Cependant,
on trouve un moment de recul au mois de Mars, et une
réaction assez persistante de Juillet en Octobre, sans
qu'on puisse assigner immédiatement de véritable motif
à ces mouvements rétrogrades.
On pourrait en trouver l'explication dans le ralentisse-
ment général des affaires, très-sensible à la Bourse, pen-
dant les mois d'été ; ce serait là une cause de langueur
qui tiendrait les cours un peu plus bas dans cette période
de l'année ; la réaction du mois de Mars pourrait être at-
tribuée aux réalisations de bénéfices dans le cours d'un
mouvement de hausse non interrompu, et particulière-
ment accentué dans les deux mois précédents.
— <34 —
Des observations ultérieures pourront donner plus de
probabilité à ces deuxliypotlièses,en présentant les mêmes
résultats, ou effaceront ces lég-ères différences (celle de
Mars particulièrement), si elles n'ont aucune cause sé-
rieuse.
73. — Le prix de la Rente, au milieu des variations les
plus capricieuses, reste donc, en dernier lieu, uniquement
influencé par les causes constantes, dont la principale,
nettement définie, et dont l'existence ne laisse aucun
doute, est le montant de Y intérêt; cette cause si faible en
apparence, doit finir par avoir raison de toutes les autres,
par triompher de toutes les résistances ; c'est la goutte
d'eau qui creuse les rochers les plus durs ; les causes se-
condaires sont moins positives, mais se reproduisant tous
les ans à pareille époque, elles auraient par cela même
un caractère de fixité qui permettrait de les considérer
comme constantes et de leur attribuer une influence réelle.
Les causes accidentelles ont totalement disparu, et en
général, si puissants que soient leurs efi'ets, si bizarres, si
irrégulières que soient leurs apparitions, elles finiront
toujours par s'annuler presque complètement au bout d'un
certain temps, pour ne laisser en évidence que l'efi'et des
causes régulières et constantes, si faible que soit cet eflfet.
Supposons, pour donner un nouvel exemple de cette
importante vérité, un climat, de ceux qu'en météorologie
on appelle constants., où la différence entre les tempéra-
tures extrêmes de l'année ne soit que de dix degrés, ainsi
que cela se présente pour certains pays situés dans
— 155 —
l'écliptique , cuinniu Surincim (Amérique Sud). Cette
différence normale, causée par l'action constante du mou-
vement du soleil dans sa course annuelle, disparaîtra tout
à fait sous l'action d'une grande quantité de causes ac-
cidentelles , comme les cliangements de vents, le plus
ou moins de nuages répandus dans le ciel, l'humidité de
l'air, les pluies et tous ces phénomènes qui diversifient
la surface du globe; la température sera donc très-iné-
gale pour tout le courant de l'année. Mais qu'on rassem-
ble les observations d'un grand nombre d'années jour par
jour, et les causes accidentelles se trouvant tout à fait
détruites, laisseront apercevoir une marche des plus ré-
gulières entre les limites normales d'écart de dix degrés,
entre la plus haute et la plus basse température, pour
chacun des jours de l'année.
74. — C'est en appliquant à l'ordre social ce principe de
la permanence des mêmes faits sous l'empire des mêmes
causes, que l'on a établi la plupart des spéculations qui,
ayant pour but de prévoir et prévenir autant que possible
les éventualités de l'avenir, rendent tous les jours de si
grands services à la cause du progrès. Citons d'abord les
sociétés d'assurances sur la vie, de caisses de retraite et de
tontines. Les tables de mortalité qu'on a dressées à cet
effet, dont les données n'avaient aucune certitude pour
un seul ou un petit nombre d'individus, donnant des
résultats positifs dès qu'on les appliquait à un grand
nombre de personnes, il devenait possible à une société
qui n'avait aucuns risques à courir, et pouvait d'avance
- 15() ~
calculer ses bénéfices, d'établir sur une large échelle une
spéculation à cet effet de compenser le gain des uns par
la perte des autres. De là encore les assurances contre
les incendies, les grêles, les sinistres maritimes, et tous
ces accidents qui par leur nature semblent échapper à
l'analyse et à toute prévision, et qui cependant se repro-
duisent presque constamment dans les mêmes proportions
chaque année, de sorte qu'on peut en prévenir et en cir-
conscrire assez nettement la marche future.
La statistique puise de précieux secours à cette source.
Elle est parvenue à soumettre à ses lois , non pas seule-
ment les sujets matériels, dont la marche pourrait jusqu'à
un certain point appartenir au domaine de la mécanique,
mais bien plus, elle a renfermé dans uu système tout
aussi rigoureux, les faits d'ordre moral, ceux même en
apparence les moins susceptibles d'être rattachés à un
état stable ou normal. Les naissances, les mariages, les
maladies, les suicides, les crimes, etc., pourront subir
des altérations d'une année à l'autre sous l'influence de
causes accidentelles , mais sur une série d'années un peu
longue, se succéderont de la manière la plus régulière:
c'est au point qu'on pourrait à l'avance classer les con-
tingents par pays, par professions, par âges, par catégo-
ries, sans craindre de s'éloigner sensiblement de la vérité.
Ce qui pourra surprendre encore davantage, c'est que
nos erreurs, nos distractions, nos préjugés, nos caprices
mêmes soient assujettis à la loi des probabilités. Quoi de
plus insaisissable, de plus incoercible que la pensée hu-
maine ? Et cependant, les phénomènes qui la produisent,
les manifestations qu'elle enfante, s'accomplissent encore
— 157 -
plus régulièrement que les phénomènes physiques, quand
les hommes agissent librement, c'est-à-dire sans être mus
dans un sens détourné par des causes privées d'intérêt
personnel (') .
Les causes constantes finissent toujours par îiser les
causes accidentelles, par se dégager complètement de
leur action, et ce sont les seules qui, produisant tous ces
phénomènes, exercent une action réelle et définitive.
C'est à reconnaître cette action, à en prévenir les effets
que consiste surtout la prévoyance humaine ; c'est elle
qui est le principe de tout ordre et de toute activité.
Qui voudrait se donner la peine de travailler, d'épar-
gner, de réprimer ses passions, si une suite d'actions
constamment remplies par le travail, l'intelligence, l'or-
dre, la retenue, la persévérance, n'étaient pas toujours
suivies de la richesse, du contentement moral, de la santé
physique? Serait-ce la peine de semer, si la récolte, qui
est l'acte subséquent et nécessaire, était subordonnée au
seul caprice du hasard ?
Le travailleur pourra essuyer des revers, mais, avec de
la patience, il se relèvera toujours ; la récolte pourra
manquer une année, mais attendez, elle vous rapportera
double produit l'année suivante.
Sans cette inexorable Fatalité qui préside aux lois du
monde physique et moral, ne serait-il pas plus commode
et plus sûr d'attendre dans une facile oisiveté l'arrivée
des biens répartis arbitrairement sur tous, sur l'oisif
comme sur le travailleur?
(1) Quotclet, Théorie des probabilités, Druxellcs, in-12, Jaiiiar, édit.
page 9*.
— lo8 -
Si les mêmes causes n'étaient pas toujours suivies des
mêmes effets, s'il n'y avait pas une liaison nécessaire en-
tre la cause et l'effet, l'expérience ne serait qu'un vain
mot, et le vieillard n'en saurait jamais plus que l'enfant
au berceau.
75. — Revenant aux résultats fournis en particulier
sur les cours de la Rente par la théorie des moj-ennes,
nous sommes fondés à considérer jusqu'à présent le cours
de 72,48 comme le terme le plus exact, le plus approchant
de la 'mlmiT du 3 Vo- Cependant comme il est impor-
tant d'obtenir ici une grande exactitude, nous allons nous
assurer si ce cours ne serait pas susceptible de certaines
modifications et d'une plus g-rande approximation.
L'idée qui se présente la première à l'esprit pour obte-
nir la moyenne du prix de la Rente, consiste à prendre le
prix intermédiaire entre les deux prix extrêmes; on s'as-
surerait ainsi que le cours le plus élevé a été celui de
86,65 (22 juillet 1840), le cours le plus bas, celui de 32,50
(5 avril 1848), ce qui mettrait la moyenne à 59,57 '/j-
Mais on s'aperçoit bien vite que cette moyenne donne
une valeur beaucoup trop basse, parce qu'en comparant
les cours de 32,50 et 86,65, on suppose, ce qui est évi-
demment contre les faits, que les négociations se sont ré-
gulièrement échelonnées dans l'intervalle qui sépare ces
deux cours, ont été aussi nombreuses des deux côtés de
la moyenne.
Pour arriver à un degré d'exactitude que le chiffre pré-
cédent ne comporte pas, il faut donc élargir le champ de
— 159 —
l'observatiuii, et un dresse une liste des cours les plus bas
et les plus élevés pour chaque année séparément; on ob-
tient ainsi une mo3'enne particulière pour chaque année,
et pour moyenne g-énérale, le prix de 72 fr. environ.
Ce prix, beaucoup plus exact que le premier, n'est lui-
même qu'approximatif, parce que l'objection qui s'est
présentée pour le prix de 59,57 '/a se représente pour clia-
cune des moyennes annuelles séparément.
En dressant, ainsi que nous l'avons fait, un tableau des
cours les plus élevés et les plus bas de chaque mois de
l'année isolément, nous avons obtenu pour moyenne gé-
nérale le prix de 72,48, encore plus élevé que le précé-
dent, aussi plus exact puisque le nombre des observa-
tions qui ont concouru à le former est plus considérable.
Il semble qu'on ne puisse arriver au véritable prix
moyen qu'en faisant minutieusement le relevé, pour
chacun des jours de l'année, des cours moyens, déter-
minés par le plus haut et le plus bas cours du comptant à
la fin de chaque bourse. Ce relevé, qui comprendrait plus
de 11 000 nombres, nous donnerait un prix qui serait
situé aux environs de 73 fr., encore plus approchant que
les précédents, mais qui n'est pas encore le véritable prix
delà Rente.
En effet, le cours moyen relevé 'àito fin de chaque
bourse, en prenant le cours intermédiaire entre le plus
haut et le plus bas cours cotés au comptant, n'est pas
encore entièrement exact, et n'est tout au plus qu'ap-
proximatif. Il ne serait exact que si toutes les négocia-
tions faites dans le courant de la bourse étaient aussi
nombreuses au-dessous qu'au-dessus de ce prix, ég*ales
— 160
enfin de part et d'autre, ce qui est presque impossible,
surtout si le chiffre des négociations totales est assez fort.
76. — Cependant, si nous ne pouvons arriver di-
rectement au calcul du véritable prix, il nous reste un
procédé indirect qui nous permet d'en approclier le plus
possible, celui de Terreur pro^aàle d'un certain nombre
d'observations. Du moment que nous avons obtenu un
résultat moyen quelconque, dont l'exactitude est en raison
du nombre des observations qui ont concouru à le former,
il est toujours possible de calculer l'erreur ou la diffé-
rence probable qui sépare ce résultat du résultat véritable
que l'on clierclie, en se basant sur le nombre même des
observations dont on s'est servi.
Les observations n'étant judicieuses qu'à la condition
de ne pas accorder une même autorité à des choses très-
inégales, reste à savoir s'il faut donner à toutes les an-
nées le même poids dans la balance des négociations. Les
premières années du développement de notre crédit pu-
blic ont, aux yeux de l'observateur, une importance bien
minime, et on se tromperait en faisant entrer les cours de
cette époque dans l'estimation d'une moyenne; mais en
ne remontant pas plus haut que la création du trois, on
trouve une marche assez régulière dans l'ensemble des
négociations aux différentes époques, ce qui permet d'ac-
corder une valeur égale à toutes les quantités qui entrent
dans le tableau des prix de la Rente 3 %•
Acceptant cette égalité, et en nous bornant à l'emploi
de la moyenne qui résulte du relevé des plus hauts et des
— Kil —
plus bas cours de chaque mois, nous pouvons établir,
d'après une formule importante que nous ne pouvons
qu'indiquer ici, que l'erreur probable de la moyenne, en
raison des 900 prix ou observations qui ont concouru à
laformer, est une quantité représentée par 7^^= X 0,67,
ou par la fraction 0,0223 qui, sur l'écart total de 54,15,
compris entre les deux limites extrêmes du plus haut
et du plus bas cours, représente 1,20. C'est là l'erreur
probable de notre moyenne.
77. — Parmi les quantités qui admettent une moyenne
dans leurs variations accidentelles, il y en a quelques-
unes qui accusent une tendance à produire des écarts
plus grands d'un côté de la moyenne que de l'autre.
Les fluctuations dans le prix des fonds publics donnent
des quantités variables qui, dans leurs écarts extraordi-
naires, ont une tendance prononcée à descendre au-des-
soîcs de la moyenne beaucoup plus qu'elles ne la dépas-
sent.
On peut, d'après cela, regarder l'état de hausse comme
normal, plutôt que l'état de baisse; ce que la baisse gagne
en vivacité, elle doit nécessairement le perdre en durée, et
cette condition est indispensable pour rétablir l'équilibre
et l'égalité absolue des deux espèces d'états.
En d'autres termes, les causes qui produisent la baisse
sont moins nombreuses que les causes qui produisent la
hausse, mais ce qu'elles perdent en nomlre^ elles le rega-
g-nent ç,'\i force; de sorte qu'en multipliant les nombres
par les forces on obtiendrait des produits égaux.
— 162 —
Le haussier doit, par conséquent, se trouver plus sou-
vent en bénéfice que le baissier ; mais les bénéfices de ce
dernier doivent être plus forts, et assez forts pour réta-
blir une compensation parfaite avec ceux du haussier; de
sorte qu'il serait indifférent, dans une longue suite d'af-
faires, d'être toujours à la hausse ou toujours à la
baisse.
Les grands écarts devraient être plutôt, semble-t-il, au-
dessus qu'au-dessous de la moj^enne , car la baisse a tou-
jours une certaine limite dans le prix fini de la chose ou
de la valeur, tandis que les limites de la hausse sont moins
sensibles et paraissent indéfinies. C'est ce qui arrive aussi
le plus souvent. Les fluctuations dans le prix du blé , par
exemple , présentent des écarts au-dessus de la moyenne,
qui s'en éloignent beaucoup plus que les écarts au-dessous.
En estimant le prix moyen du kilog. de pain (!•'*' qualité)
de 0,35 à 0,40 cent.., on peut regarder comme les limites
extrêmes des variations, le prix de 0,30 cent, seulement
pour minimum, tandis que le prix maximum s'élèverait
jusqu'à 0,60 cent.
L'intensité des écarts en hausse, environ trois fois plus
g-rande que celle des écarts en baisse, correspond ici
exactement à celle des écarts en baisse pour les fonds
publics.
Il n'est pas difficile de se rendre compte des circon-
stances qui produisent plus rarement la cherté que le bon
marché relatif pour le blé , aussi bien que du sentiment
public qui, ftiisant regarder comme l'état normal celui
qui se rapproche le plus de l'état moyen ou ordinaire,
donne une toute autre signification à la baisse des g-rains
- 103 -
et denrées d'cilimentatiun qu'à la dépréciation de.^ fonds
publics.
La mortalité, dans ses variations, produit aussi déplus
grands écarts au-dessus qu'au-dessous de la moyenne.
Les causes cjui diminuent la mortalité n'agissent que
bien faiblement en proportion de toutes celles qui l'aug-
mentent, telles que les guerres ou les épidémies.
Si nous cherclious la raison pour laquelle les plus
gTauds écarts sont tantôt au-dessus, tantôt au-dessous
de la moyenne, nous trouvons que tout écart plus grand
d'un côté de la moyenne, peut toîij ouo'S s,e tTaduire par
ces mots : gêne, appauvrissement , misère ou douleur.
C'est pour cela que sur les fonds publics les plus grands
écarts sont en baisse ; que sur les grains, les blés, la mor-
talité, etc., les plus grands écarts sont en Musse.
Il semble que la nature ait voulu nous montrer que tout
écart est funeste, et que le bonheur des sociétés comme
des individus, consiste dans un état stable et tranquille.
78. — Pour les variations des fonds publics, cette dis-
position que nous venons de signaler, à produire les plus
grands écarts au-dessous de la mo^^cnne, fait que cette
valeur moyenne va en augmentant sans cesse , à mesure
que l'on étend le nombre des quantités observées; la va-
leur 'prohahie, qui oscille autour de la valeur moyenne,
quand les variations se portent également des deux côtés,
la surpasse ici constamment et s'en éloigne d'une quan-
tité qui, sur le montant de l'erreur probable, est en raison
inverse de l'énergie des écarts.
— J64 —
Or, l'intervalle qui sépare les limites extrêmes de la
moyenne obtenue jusqu'à présent , est presque trois fois
plus considérable au-dessous delà moyenne qu'au-dessus ;
il faut donc ajouter environ les V* de la différence proba-
ble 1,20, au cours de 72,48, pour avoir le prix probable
de la Rente , aussi approché qu'il est possible, eu égard
au nombre d'observations qui nous ont servi.
On arrive ainsi à trouver pour ce prix une valeur très-
approchée du cours de 73,40.
A mesure que le nombre des observations d'après les-
quelles est formée la moyenne, est augmenté, l'intervalle
qui sépare les deux valeurs va toujours en diminuant, et
la valeur moyenne tend à se rapprocher de plus en plus
de la valeur probable, sans cependant pouvoir jamais l'at-
teindre.
C'est ainsi que l'on voit l'intervalle qui sépare l'âge
d'une personne adulte , de l'âge probable qu'elle doit
vivre, diminuer sans cesse, sans qu'ils puissent jamais
s'atteindre l'un et l'autre.
79. — La valeur moyenne et la valeur probable ne
peuvent plus se confondre ; l'une et l'autre ont mainte-
nant une signification déterminée.
La valeur moyenne est la résultante obtenue par la
fusion d'un certain nombre d'opérations à différents prix
en une seule à un prix unique.
La n^\qmv proiahU est le prix qui séparerait le nombre
de ces mêmes opérations en deux parties ég-ales, l'une
au-dessus, l'autre au-dessous de ce prix.
— i6o —
Qu'un certain nombre d'opérations, par exemple, aient
été faites aux cours suivants :
70, — 70.40, — 70,60, — 70,75, — 71.
Admettons, pour simplifier, la même quantité d'opéra-
tions sur chacun de ces cours. La valeur moyenne sera
donnée par l'addition de ces cinq nombres, divisée en-
suite par 5 ; ce sera le cours de 70,55. La valeur probable
sera précisément le cours de 70,60, qui partage la somme
des opérations en deux parties égales. Il y aurait autant
à parier 'pour que contre qu'une opération quelconque,
faite dans le courant d'une bourse, dans les circonstances
supposées, sera faite au-dessîcs ou au-dessous de 70,60,
et à un prix qui ne s'écartera pas davantage en plus ou
en moins du. cours de 70,55, D'après le système qui a tou-
jours été en usage à la Bourse, le coîco'S moyen serait celui
de 70,50, également distant du plus haut et du plus bas,
qui ne représente cependant, comme on le voit, ni la va-
leur moyenne, ni la valeur probable.
Pour déterminer le cours moj^en avec une exactitude
rigoureuse, il faudrait commencer par connaître l'impor-
tance ou la somme de toutes les opérations engagées sur
chacun des cours du comptant isolément.
Devant les difficultés d'exécution qui rendent presque
impossible un tel travail, il serait cependant très-facile,
très-pratique, de déterminer le cours moyen avec un peu
plus d'exactitude, en prenant la moyenne de tous les
cours cotés au comptant. Tel qu'il est, en raison du grand
nombre d'opérations qui se traitent au cours moyen, et
— IGG ~
de la facilité qu'on trouve à le modifier, le falsifier dans
un sens voulu par quelque opération simulée, il ne donne
lieu qu'à un trop grand nombre de fraudes et d'abus.
80. — C'est autour de ce prix de 73,40 que s'agitent les
évolutions de la Rente, non pas cependant au hasard et
sans ordre, mais dans une certaine disposition dont la
régularité est la conséquence des propriétés curieuses de
la théorie des écarts, qui complète celle des moyennes. Ce
n'est pas assez que, sous l'influence de causes pertur-
batrices, un événement varie de la manière la plus régu-
lière , l'ordre de succession dans lequel cet événement se
présente est soumis également aux lois certaines des com-
binaisons. Le plus g-rand nombre de ses retours se trouve
situé autour de la moyenne, en décroissant ensuite symé-
triquement des deux côtés, à mesure que l'écart augmente.
Le même phénomène se représente toujours avec des mo-
difications qui tiennent principalement à la nature intime
des choses ou des événements.
Si on prend un grand nombre de cours sur la Rente à
différentes époques séparées entre elles par un même
intervalle de temps, en faisant un relevé de tous ces cours
par ordre , du plus bas au plus haut, on s'aperçoit que les
négociations ont dû être plus ou moins fréquentes sur les
différents prix, en observant un certain ordre, et se g-rou-
pant de préférence sur quelques-uns des cours ; c'est cette
disposition bien constatée des cours à se mouvoir autour
d'un certain état d'équilibre que nous avons traduit par
la figure ci-contre :
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— 168 —
81. — La somme des négociations conclues sur chacun
des cours de la Rente depuis sa création, est relativement
équivalente à la portion de l'aire que ce cours embrasse
entre les ordonnées parallèles qui s'élèvent de la base. Le
premier fait qui ressort de l'inspection de la figure, c'est
que les négociations se sont régulièrement groupées au-
tour de quatre centres ou axes d'action :
1° Le cours de 46 fr. en 1848.
2° Le cours de 57 fr. en 1830 et 1831, de 1849 à 1851.
3° Le cours de 70 fr. depuis la création de la Rente jus-
qu'en 1830, en 1832, et depuis 1854 jusqu'à l'époque ac-
tuelle.
4'' Le cours de 80 fr. depuis 1833 jusqu'en 1847 et du-
rant les années 1852 et 1853.
Si on élevait une parallèle sur le cours de 73,40, qui
représente la vaIquv 2')Tolahle^ elle séparerait toute la sur-
face en deux portions équivalentes, puisqu'il y a eu au-
tant de négociations au-dessous qu'au-dessus de ce prix.
Certes, il est déjà bien étonnant de s'apercevoir que les
fluctuations si capricieuses des fonds publics, qui parais-
sent s'agiter confusément au gré de l'inconstance des
événements les plus divers et les plus imprévus, se meu-
vent au contraire avec une admirable symétrie autour de
certains axes d'attraction ou de gravité, obéissant du
reste en cela aux lois universelles qui régissent le monde;
mais cette régularité, déjà si remarquable, serait encore
bien plus grande, en ce sens qu'elle serait contenue entre
de plus étroites limites, dans un état prospère, calme, à
l'abri de toutes les secousses, de tous les bouleversements
qui en troublent le repos ; l'état d'une société est soumis
— 169 -
aux mêmes lois physiques qui rég-issent les corps orga-
nisés ; lorsqu'un grand ébranlement en a distendu toutes
les parties , et que cette société est profondément re-
muée, il ne faut pas espérer de voir les oscillations s'ar-
rêter tout à coup et le calme renaître à l'instant; ce n'est
que peu à peu que l'ordre renaîtra de manière à recons-
tituer un état normal, rarement troublé, dans lequel la
succession des événements sera soumise à des règles de
plus en plus simples.
Nous avons ici quatre centres d'actions différents; mais
l'un d'eux, le moins important et aussi le plus éloigné du
centre commun, est le produit des événements de 1848,
qui firent tomber la Rente à son minimicni et pivoter pen-
dant une année autour du cours de 45 fr. ; le second est
le produit de deux périodes, dont la première comprend
les années 1830 et 1831, la seconde les années 1849,
1850, 1851, périodes qui ont accompagné ou directement
suivi deux révolutions politiques. Si l'on ne tient pas
compte de ces deux déviations, d'ordre secondaire, résul-
tats de violentes secousses dans l'ordre social, et qui cons-
tituent un état tout à fait anormal, exceptionnel, il ne
reste que deux états essentiels à considérer :
Le premier est celui qui donne à la Rente le cours de
70 fr. comme centre d'attraction, et le second le cours
de 80 fr.
Le premier a subsisté pendant les années comprises
entre la création de la Rente et la révolution de 1830, a
servi, en l'année 1832, de transition au grand mouve-
ment industriel et commercial qui porta la Rente à son
apogée dans les années suivantes, et depuis 1854, sous
170 —
l'influence de la guerre d'Orient, s'est continué jusqu'à
l'époque actuelle (fin 1862). Il représente un état normal,
mais non stable.
Le second mouvement, qui donne le prix de 80 fr.
comme centre de gravité, a subsisté pendant une très-
longue période qui s'étend de 1833 à 1847. A peine un
moment, en 1840, la crainte d'une guerre imminente
avec l'Ang-leterre a-t-elle rejeté la Rente à 68 fr., elle
s'est rapidement relevée à ses anciens prix. Enfin, les an-
nées 1852 et 1853 ont vu, sous l'influence d'un mouve-
ment commercial et industriel sans précédents, la Rente
recouvrer un instant son ancienne splendeur.
82. — Le mouvement qui se produit fiutour du prix
de 70 fr. peut être reg-ardé comme constituant l'état de
laisse normale^ celui qui s'attache an prix de 80 fr.
comme constituant l'état de hausse normale. L'un et
l'autre ont une certaine durée qui ne permet pas de les
regarder comme de simples accidents.
Les cours de 67, 68, 69, 70 et 71 fr. représentent tous,
plus ou moins, un état stationnaire qui peut conserver
une très -longue durée, les prix n'éprouvant alors au-
cunes variations ou se contentant d'osciller de l'un à
l'autre de ces cours.
On pourrait en dire autant des cours de 77, 78, 79, 80,
81 et 82 fr. lorsque la Rente est à l'état de bausse nor-
male.
Les cours de 60, 61 et 62 fr., 73 et 74 fr. sont des cours
entièrement de transUion; quand la Rente est à ces prix,
— m —
ou eu est du moins très -rapprochée, ou peut assurer
qu'elle n'y restera pas très-longtemps ; il faut qu'elle
monte ou descende, et on est à la veille d'un mouvement
considérable de hausse ou de baisse.
Tous les autres cours de la Rente représentent, à diffé-
rents degrés, un état intermédiaire ou exceptionnel.
Nul doute que dans des circonstances parfiiites d'ordre
et de stabilité, les variations de la Rente ne puissent avoir
qu'un seul pivot, que ses écarts ne puissent se resserrer
dans des limites de plus en plus étroites. Mais il n'est
nullement nécessaire qu'il n'y ait qu'un seul pivot, un
seul centre d'attraction ; dans des conditions de trouble
et d'irrégularité, il y en aura plusieurs, et dans des con-
ditions d'ordre très-sufiîsantes au développement d'une
société, à l'exercice calme et régulier de ses fonctions, il
n'y en aura généralement quedeus) qui seront comme les
deux jjôles du mouvement.
C'est ce qui arrive en physique, où la force magnéti-
que, au lieu de se manifester avec une ég*ale intensité sur
tous les points de la surface d'un aimant, ou de se con-
centrer en un seul point, se porte ordinairement sur deux
portions de cette surface, et quelquefois même davan-
tage, que l'on nomme, à cause de cela, les, pôles de V ai-
mant.
83. — L'écart de 10 fr. qui sépare ces deux prix : 70 et
80 fr., peut être regardé comme V écart normal des prix
de la Rente. Il serait donné par l'équation parfaite de la
superficie que ces deux cours embrassent dans la figure,
— Î7i —
à la moitié de la superficie totale, ou directement par la
somme de la moitié des termes du tableau des variations
de la Rente, également compris au-dessus et au-dessous
de la valeur probable. On peut dire en général, quand il
s'agit de donner une estimation indépendante de cir-
constances accessoires ou particulières, présentes ou fu-
tures, que la Rente 3 "/o Française tmit de 70 à 80 fr. La
moitié environ des opérations qui se sont conclues sur la
Rente depuis sa création, l'ont été entre ces deux cours
qui ne sont séparés que par un écart cinq fois moindre
que l'écart accidentel des prix extrêmes : si cette appré-
ciation laisse encore beaucoup de vague, cela tient uni-
quement à l'élasticité naturelle de la valeur.
h'écao't qui se produit dans le courant d'une année
entre les cours extrêmes est très-variable, puisqu'il oscille
de8,35à42,30(par,70, tab). La croissance ou décroissance
des écarts s'opère graduellementautour des w.<ïa;*^«. Ainsi,
l'année 1825 débute par un écart de 16,95, dii à la nou-
veauté et l'incertitude du nouveau fonds, écart qui va
s'afFaiblissant dans les deux années suivantes, et aug--
mente prog-ressivement dans les trois années qui suivent,
pour arriver à un écart de 30,35 en 1830. L'écart indique
ensuite une tendance à décroître jusqu'en 1837, où il
n'est plus que de 3,70, et revient, en 1840, à 20,75. Il
n'offre pas de variations bien sensibles jusqu'en 1848, où
il acquiert son maximum, 42,30. Il se groupe ensuite au-
tour des principaux écarts des années 1852, 1854, 1856
et 1859, dont chacune est la date d'un événement remar-
quable :
1852, proclamation de l'Empire; — 1854, guerre
Janvier
•^61
Février
2
Mars
2,79
Avril
2,44
Mai
2,39
Juin
2,97
— 173 —
d'Orient; — 185G, la paix;— 1859, guerre d'Italie. L'écart
est à son minimtcm, 3,35, en 1861.
La moyenne de l'écart extrême que ces nombreuses
variations donnent à l'année commune est de 10 fr. 50 c.
Ensuite, par trimestre et pour chacun des mois de
l'année, l'écart moyen se répartit ainsi :
^.mensuel, d. Irimestiiel. é. mensuel, é. trimestriel.
Juillet 2,17
5,77 Août 2,15 J 4,47
Septembre 2,39
Octobre 2,07
4,90 Novembre 2,44 ) 4,82
Décembre 3,31
Les écarts trimestriels que nous donnons ici peuvent
se prendre sur un relevé spécial, ainsi que nous l'avons
fait, en choisissant, dans le tableau des écarts mensuels,
le plus haut et le plus bas cours tous les trimestres.
On remarquera que les plus grands écarts appartien-
nent aux mois où la spéculation et le jeu se portent de
préférence sur la Rente et les valeurs de bourse. L'écart le
plus faible est en Février, mais c'est aussi le mois le plus
court de l'année; aux mois de Juin et Décembre, une cer-
taine partie de l'écart, qu'on peut porter au cinquième,
est due au détachement des coupons.
L'écart moyen trimestriel est égal à 4,99.
L'écart moyen mensuel est égal à 2,48.
84. — Les écarts suivent encore ici, dans leurs varia-
tions extrêmes, la grande loi mathématique des écarts
- 174 —
directs donnés par la différence immédiate des cours d'un
temps à un avitre : la grandeur des écarts est en raison
directe de la racine carrée des temps.
Ainsi, en pratique , d'après l'expérience que nous
venons d'en faire, l'écart moyen est :
Pour un mois, de 2,48.
» un trimestre, de 4,99.
» un an, de 10,50.
Mais, pour les comparer, il faut observer que :
1» Dans ces écarts est compris le montant de l'intérêt.
Le coupon s'étant détaché tous les six mois, n'a pu
compter que pour 1 fr. 50 dans les variations de l'année,
mais est entré pour 0,75 c. dans les variations du trimes-
tre, et 0,25 c. dans celles du mois.
2*^ Ces écarts sont ceux du comptant.
Les écarts du comptant, il est facile de s'en assurer par
l'expérience , sont toujours moins grands que ceux
du terme ; mais cette différence entre les écarts du comp-
tant et du terme, ne peut jamais être proportionnelle à
leur grandeur, et elle doit être constamment déterminée
par le taux des reports qui rattachent toujours forcément
les deux genres de négociation : or, les reports ou dé-
ports ne sont jamais plus tendus que dans les variations
extrêmes de hausse ou de baisse.
Ne tenons pas compte du report normal, puisqu'il n'est
que la représentation de l'intérêt, mais seulement des
variations du report, au-dessus ou au-dessous du taux
normal, dans les variations extrêmes; cette variation
moyenne du report, au - delà du taux normal , est au
moins égale à l'intérêt même, 0,25 c.
— 175 —
Ainsi, en dehors de la question d'intérêt, lorsque les
cours descendent au plus bas dans le courant d'un mois,
on peut estimer que les cours du comptant sont alors à
0,25 c. au-dessus de ceux du terme ; lorsque les cours
montent au plus haut, les cours du comptant sont alors
à 0,25 c. au-dessoîis de ceux du terme ; de même pour
les variations de toute période plus ou moins longue,
comme un trimestre ou une année.
Il suit de là que les écarts du terme, qui entraînent tou-
jours ceux du comptant, sauf à subir plus tard la réac-
tion contraire, sont proportionnellement plus grands que
ceux du comptant pour une période plus courte ; que
si on en excepte la question de l'intérêt, ils n'ont à subir
aucune correction pour répondre à la loi mathématique
des écarts, et que pour le comptant, il faut ajouter à
tous les écarts une quantité constante qu'on peut ég-aler
à 0,50 c.
Nous arrivons ainsi à obtenir définitivement :
Pour un mois 2,48 — 0,% + 0,50 = 2,73.
« un trimestre 4,99 — 0,75 -f 0,50 = 4,74.
>) un an 10,50 — 1,50 + 0,50 = 9,50.
Or, l'écart moyen mensuel 2,73, multiplié par la racine
carrée de 3, qui est 1,73, donne 4,73 pour l'écart tliéo-
Hque d'un trimestre; et multiplié par la racine carrée de
12, qui est 3,46, donne 9,45 pour l'écart tliéoriqice d'une
année.
Est-il un exemple plus frappant d'un accord entre la
théorie et l'expérience !
— 176 —
85. — L'écart probable et direct des cours de la Rente
pour un mois étant estimé à 1,10 (par. 21), l'écart 'pro-
lahle entre les plus haut et plus bas cours d'un mois est,
en tliéorie, de 1 fr. 73 c. environ, avec une différence de
moins de 22 centièmes de centime ; nous verrons bientôt
comment il est possible d'obtenir une telle précision ;
il conserve avec l'écart moyen le rapport approché de
2 à 3.
On pourrait parier à ég-alité de chances nn contre un
qu'il n'y aura pas plus de 1 fr. 70 à 1 fr. 75 c. d'écart
entre les prix extrêmes dans le courant d'un mois.
A trois mois de distance, comme l'écart probable est
de 1,73 1/3 = 3, on pourrait parier un contre un qu'il
n'y aura pas plus de 3 fr. d'écart entre le plus haut et le
plus bas cours.
A six mois de distance, comme l'écart probable est
de 1,73 1/6 = 4,24, on pourrait parier un contre un
qu'il n'y aura pas plus de 4 fr. 24 c. d'écart entre le plus
haut et le plus bas cours.
A un an de distance , comme l'écart probable est
de 1,73 1/Ï2 = 6, on pourrait parier un contre un qu'il
n'y aura pas plus de 6 fr. d'écart entre le plus haut et le
plus bas cours de Tannée.
86. — Si la Rente étant à un cours déterminé, l'écart
devait se porter exclusivement, soit au-dessus, soit au-
dessous de ce cours, on ne pourrait continuer à parier
dans les mêmes conditions que pour la moitié de l'écart
probable.
— n* —
Si la Rente est aujourd'hui, par exemple, h 75 fr., on
peut pcirier un contre un :
Que dans tout le courant du mois son cours ne dépas-
sera pas 75,86 '/a, ou le cours actuel aug-menté de la moitié
de l'écart probable ;
Ou que son cours ne tombera pas au-dessous de 74, 13 '/s,
ou le cours actuel diminué de la moitié de l'écart proba-
ble, cet événement étant indépendant du premier.
Que, dans l'espace de trois mois, le cours ne dépassera
pas 76,50 ;
Ou ne tombera pas au-dessous de 73,50.
Que, dans l'espace de six mois, le cours ne dépassera
pas 77,12;
Ou ne tombera pas au-dessous de 72,88.
Que, dansl'espace d'un an, le cours ne dépassera pas 78;
Ou ne tombera pas au-dessous de 72.
Ces deux événements étant toujours indépendants l'un
de l'autre.
87. — Pour un même temps ^ les probabilités varient en
raison directe des carrés des écarts.
Ainsi, à un mois de distance, et du cours de 75 fr., on
aurait une probabilité d'écart de :
1 sur 10 pour 0,865 |/Î(F == 2,73 tu 77fr. 73
» 0,865 ^j5~=:3,35 » 78 35
» 0,865 i/2Ô~ =^ 3,87 » 78 87
» 0,865 1/^5- -4,32 » 79 32
» 0,865 1/5^ r:.6,12 » 81 12
» 0,865 1/7^ = 8,65 » 83 65
12
15
20
25
50
»
100
— ns —
On pourrait donc parier à égalité de chances, par
exemple, 1 contre 24, ou 24 contre 1, que la Rente étant
au cours de 75 fr. sera ou ne sera |M5 cotée à 79,32 dans
l'intervalle d'un mois.
Pour un écart moindre que l'écart probable, on aurait
à diviser par une racine carrée.
Ainsi, pour une année, on aurait les probabilités :
3
9 sur 10 pour y^\^^= 0,95 ou 75 fr. 95
3
24 » 25 » "j72g~ ~ 0,60 » 75 60
3
49 .. 50 » 171^ = 0,42 » 75 42
3
99 » 100 » |/îôô = 0,30 » 75 30
Il y aurait donc 99 contre 1 à parier que la Rente fera
75,30, avec un écart de 0,30 c. dans le courant d'une année.
On calculerait de même les écarts en baisse.
88. — Tous ces écarts se produisent sous la seule in-
fluence des causes accidentelles.
Si les cours étaient au comptant ou à des liquidations
différentes, il faudrait donc tenir compte des intérêts ou
des coupons qui augmenteraient ces écarts.
Comme l'intérêt ou le report agissent en raison des
temps, et l'écart en raison des racines carrées des temp.',
on est obligé de toujours distinguer le mode d'action dif-
férent de ces deux causes, dans l'estimation de l'écart réel.
Voici comment on devrait s'y prendre pour séparer les
deux causes dans le calcul des écarts ;
— 170 —
Je suppose que la Rente étant aujourd'hui à 75 tV. au
comptant, on parie un contre un que d'ici à deux mois,
elle n'atteindra ou ne dépassera pas le prix de 76,22 ; le
pari est équitable.
Il faut commencer par considérer si le coupon doit être
détaché dans l'intervalle de ces deux mois. Admettons
d'abord qu'il ne le soit pas.
Si la Rente n'atteint jamais le prix de 76,22, il ne peut
y avoir doute ou contestation ; mais supposons que, juste
au bout d'un mois, elle vienne à être cotée 76,45 ; comme
l'intérêt pour un mois représente exactement 0,25 c. il
faudra déduire 0,25 du prix de 76,45, ce qui mettra en-
core le cours au-dessous de la limite à atteindre pour que
le pari soit perdu.
Si le coupon avait été détaché dans l'intervalle de ce
premier mois, c'est alors 0,75 c. moins 0,25 c. ou 0,50 c.
qu'il aurait fallu retirer du cours, et le cours de 75,72
au bout d'un mois, aurait fait perdre le pari.
89. — Vécart direct, qui sépare les cours au commen-
cement et à la fin d'une période de temps quelconque, et
Y écart extrême^ qui sépare le plus haut et le plus bas cours
dans cette même période de temps, obéissant tous les
deux à la même loi mathématique de l'augmentation pro-
portionnelle aux racines carrées des temps, il doit y avoir
un certain ra'p'port fixe entre ces deux genres d'écarts.
Ce rapport, au moyen duquel nous avons déjà déter-
miné théoriquement les écarts extrêmes et probables des
variations de la Rente (par, 85), est égal à 1,57.
— 180
Ce nombre 1,57 est la moitié du o'cijjpoH de la circon-
férence audiamUre.
De sorte que dans la figure suivante :
j B
AB= 1.
ACB= 1,5707963
Le diamètre AB représentant l'unité d'écart ou de
différence des cours d'un moment à un autre, du com-
mencement à la fin d'une période de temps quelconque;
la ligne ACB, demi-circonférence de cercle, représentera
l'écart entre les cours extrêmes, plus haut et plus bas,
dans toute la durée de cette même période de temps.
Si, par exemple, on nous apprenait qu'il y a eu sur la
Rente une différence de 1 fr. entre le cours d'un jour et le
cours d'un autre jour, nous pourrions regarder comme
égale à 1 fr. 57 c. la diff'érence entre le plus haut et le
plus bas cours cotés dans l'intervalle.
Si l'on nous apprenait que la différence qui existe entre
le plus haut et le plus bas de tous les cours cotés dans un
intervalle de temps quelconque est de 1 fr. 57 c, nous
pourrions regarder comme égale à 1 fr. la différence en-
tre le premier et le dernier cours cotés.
En général, connaissant la différence qui existe entre
— 181
le premier et le dernier cours d'une période quelconque,
on obtiendra la différence probable entre le plus haut et
le plus bas de tous les cours cotés dans la même période,
en multipliant cette première différence par 1,57.
Réciproquement, connaissant la différence qui s'est
produite entre le plus haut et le plus bas cours, on ob-
tiendra la différence probable entre le premier et le der-
nier cours, en divisant cette première différence par 1,57.
90. —Pour comprendre cette relation si remarquable, il
faut nous rappeler que la circonférence représente les li-
mites (L'écart (par. 20) ou les écarts extrêmes. Si la Rente est
à 74 fr. le l^"" Janvier et à 76 fr. le l*''" Février, on peut, du
cours intermédiaire de 75 fr. choisi comme centre, décrire
une circonférence dont le diamètre sera l'écart direct de
2 fr. entre les cours de 74 et 76. Mais le cours de 75 fr.
peut être également le centre d'une variation égale en
sens inverse, ce qui arriverait si, au lieu de 2 francs de
hausse, on avait fait 2 francs de baisse, si les cours avaient
été 76 fr. le 1" Janvier et 74 fr. le V" Février. C'est pour
cela que la circonférence entière représentant les limites
d'écart pour une variation dans les deux sens, c'est la
moitié de la circonférence qui représente les limites d'é-
cart pour une variation dans un des sens, et c'est le cas
de toute variation qui doit être, soit en hausse, soit en
baisse.
L'écart direct pourrait encore s'appeler diar/iétral.
L'écart extrême pourrait encore s'appeler semi-circu-
laire.
— 182 -
Quel que soit l'écart des ccairs, le rapport ne cliaiige
jamais entre l'écart direct et l'écart extrême; on sait en
effet que les diamètres et les circonférences de cercles,
ou les écarts, restent toujours dans le même rapport, tous
deux s'augmentant en raison des racines carrées des sur-
faces, ou des temps.
91. — L'écart direct ne peut jamais être plus grand que
l'écart extrême, mais il peut lui êt:e égal, et c'est ce qui
arrive toutes les fois que le mouvement a été continuelle-
ment en hausse ou en baisse sans éprouver de réactions,
ou quand les réactions se sont entièrement annulées
d'elles-mêmes. Au contraire, cet écart peut être nul si la
réaction a été complète et que les cours soient revenus au
même point, bien que la différence des cours extrêmes
dans l'intervalle ait pu être considérable.
Dans des limites aussi étendues, lorsque le rapport
constant qui lie les deux genres d'écarts peut passer par
toutes les valeurs comprises entre l'unité et l'infini, il est
souvent difficile de découvrir la relation véritable sur
chaque cas en particulier ou sur un petit nombre d'exem-
ples ; mais il en est de ce principe comme de tous les au-
tres, les limites d'erreur ne se resserrent assez pour faire
nettement ressortir les rapports des quantités que sur nn
grand nombre d'exemples et lorsque toutes les causes
constantes d'erreur ont disparu.
La vérification du rapport entre les écarts directs et
extrêmes va nous fournir un singulier procédé, d'un genre
tout nouveau et dont personne ne s'est encore avisé, de
— 183 —
déterminer le rapport de la circonférence au diamètre.
On sait que la cote officielle de la Bourse donne pour le
comptant tous les cours, tels qu'ils se sont suivis, et que
pour les cours à terme, elle est divisée en quatre colonnes
ainsi désignées : Premier cours, plus haut, plus bas, der-
nier cours. La différence des cours de la première et de la
dernière colonne donne l'écart direct, la différence des
cours des deux c'olonnes intermédiaires donne l'écart
extrême pour chaque jour de bourse.
Que l'on prenne cinquante ou soixante cotes de bourse,
peu importe qu'elles se suivent ou qu'elles soient prises
au hasard; le nombre n'importe pas absolument, mais plus
l'expérience sera poussée loin et moins l'erreur à craindre
sera grande.
Que l'on établisse sur une feuille de papier quatre co-
lonnes ; au-dessus des deux premières on écrira : comp-
tant; au-dessus des deux dernières : terme; au-dessus
des première et troisième : écart direct; au-dessus des
deuxième et quatrième : écart extrême.
La marche à suivre est toute indiquée ; dans la première
colonne, on posera la différence entre le premier et le der-
nier cours, et dans la seconde colonne, la différence entre
le plus haut et le plus bas cours de la Rente au comptant;
dans la troisième colonne, la différence entre le premier et
le dernier cours, et dans la quatrième colonne, la diffé-
rence entre le plus haut et le plus bas cours de la Rente à
terme. Lorsqu'on aura terminé ce travail pour chaque
jour de bourse, on tirera des barres au-dessous de chaque
colonne et on fera les additions de chacune.
Lorsque la cote, dans l'estimation du prix de la Rente,
— 184 —
établit une distinction nécessaire entre les cours du comp-
tant et les cours du terme, il faut s'attendre à ce que les
cours du terme fourniront de plus grands écarts que les
cours du comptant, ainsi que nous l'avons déjà fait re-
marquer (par. 52 et 84) ; non-seulement les écarts directs
et extrêmes du terme dépasseront toujours ceux du comp-
tant, mais le rap'port des deux écarts du terme sera encore
supérieur à celui du comptant ; par conséquent, ces écarts
dépasseront les rapports moyens et uniques, ceux qui for-
meraient véritablement la mesure des écarts de la valeur,
d'autant que les écarts du comptant resteront en deçà;
l'équilibre ne sera rétabli que de cette manière ; cette dif-
férence qui serait à peine sensible pour une assez longue
période de temps, l'est davantage sur les variations d'une
journée ou d'une courte période.
Donc, si on cherche le rapport qui existe pour les deux
écarts du comptant, ce qu'on aura en divisant l'addition
de la seconde colonne par celle de la première, on trou-
vera un rapport moindre que 1,57; mais si on cherche le
rapport qui existe entre les écarts du terme, on le trou-
vera supérieur à 1,57, et le dépassant d'autant que le pre-
mier lui reste inférieur; en faisant l'addition de.ces deux
rapports, celui du comptant et celui du terme, on trou-
vera le rapport approché de la circonférence au dia-
mètre 3,1415926
92. — Le rapport le plus ordinaire des écarts est de
1,40 pour ceux du comptant, et 1,74 environ pour ceux
du terme ; mais ces rapports varient selon le rôle-différent
— 185 —
que joue la spéculation au comptant ou la spéculation à
terme. Si les négociations au comptant sont rares et dif-
ficiles, et que la spéculation à terme reste très-active, le
rapport diminue pour le comptant, et il augmente pour
le terme. Dans la situation contraire, ils suivent une pro-
gression inverse. On trouve généralement une erreur en
phcs dans le premier cas, une erreur en moins dans le
second.
Quand l'expérience se fait pour une époque dans la-
quelle s'est produit un mouvement prononcé et continu
en hausse ou en baisse, ou pour une valeur sujette à de
brusques variations au-delà ou en deçà de la valeur
moyenne, le rapport peut diminuer sensiblement, parce
qu'alors les variations figurent une ellipse plus ou moins
allongée, dont le grand axe représente l'écart direct, dont
la courbe représente l'écart extrême.
Mais sur un ensemble un peu considérable de négocia-
tions sur une ou sur plusieurs valeurs, toutes les iné-
galités accidentelles pouvant mieux se compenser, on
apercevra toujours, dans le rapport des écarts, une ten-
dance manifeste à se rapprocher, ou ne pas s'éloigner, du
rapport de la circonférence au diamètre.
Pareil phénomène se réaliserait-il si les cours étaient
l'œuvre du hasard, si leur marche n'était réglée d'avance
et n'obéissait pas à des lois supérieures et providentielles?
Au lieu de trouver constamment le même rapport, ne
trouverait-on pas chaque fois des rapports diâ^érents et
n'ayant aucune ressemblance entre eux ? Au lieu de ce
rapport célèbre et admirable, celui de la circonférence
au diamètre, ne trouverait-on pas mille autres rap-
— lo(i — ■*
ports différents de celui-là? Supposons une personne
chargée de rédiger des cotes imaginaires : non-seule-
ment elle ne s'en acquittera jamais si bien que l'aveu-
gle hasard, mais il sera très -facile de vérifier que
les cours établis de cette manière ne répondent à rien et
l'ont été arbitrairement. L'homme n'a jamais à prétendre
qu'il dirige le cours des événements; ils se dirigent
beaucoup mieux qu'il ne pourrait lui-même, et la nature
se charge de veiller sans lui à ce que l'ordre qui préside à
ses moindres manifestations ne soit jamais troublé.
93. — D'après le calcul (par. 86 et 87), on aurait une
probabilité : 1 contre 70, que la Rente étant cotée 75 fr.,
atteindra le pair, c'est-à-dire, sera cotée à 100 fr. dans
le courant d'une année révolue.
Ou 1 contre 1 qu'elle atteindra ou n'atteindra pas
le pair avant 70 ans.
Le premier de ces deux événements est assez extraor-
dinaire pour que l'on soit tenté de regarder comme trop
forte la probabilité - ; mais il est une considération im-
portante qu'on ne doit jamais perdre de vue : c'est qu'en
prenant un cours déterminé, quel qu'il soit , on ne consi-
dère jamais qu'un cas particulier de la question ; le cours
de 75 fr. ne vient ici que pour rendre la démonstration
plus sensible, plus matérielle.
Si par suite d'une révolution politique, la Rente venait
à tomber au cours de 50 fr., les mêmes probabilités sub-
sisteraient à l'égard du cours de 75 fr., et on serait natu-
rellement tenté de les regarder alors comme trop faibles.
— IS7 —
Le seofjiul événement paraît moins improbable, parce
que le taux moyen des valeurs n'étant pas invariable,
mais tendant à s'élever progressivement avec la marche
du crédit dans tous les pays, cette valeur moyenne peut
être, dans soixante-dix ans, soit à 80, soit à 85 fr., et
alors le prix de 100 fr. ne représenterait plus qu'un écart
accidentel moindre, puisqu'il s'éloignerait moins de la
nouvelle valeur moyenne.
Les 'proiahiliiés des écarts sont entièrement indépen-
dantes des cours et de leur distance à la valeur moyenne ;
elles sont indépendantes de la valeur moyenne elle-même.
Il y a, en effet, deux lois distinctes qui régissent toutes
les variations des cours (par. 68) et on ne peut presque
jamais faire abstraction complète de l'une des deux.
La première de ces deux lois : les écarts sont en raison
directe de la racine carrée des temps, serait la seule que
l'on eût à considérer, si la valeur se trouvant à son prix
moyen, ou du moins peu éloignée de ce prix, n'était pas
sollicitée dans un sens plutôt que dans un autre.
Mais à mesure que les variations de hausse ou de baisse
se produisent, le prix s'écarte plus ou moins de la valeur
moyenne, au-dessus ou au-dessous, et alors les variations
obéissent à une seconde loi qui est celle-ci :
Za valeur^ dans tous ses écarts, est sans cesse attirée
vers son prix moyen, en raison directe du carré de son
éloignement.
Si, comme il arrive presque toujours, la valeur a plu-
sieurs axes d'attraction (par. 82), le prix moyen représente
le centre de gravité de tous \z& axes.
Ainsi, en vertu d'une première loi, quand le prix de lu
— 188 —
Rente est à une certaine distance au-dessous de la valeur
moyenne, les variations peuvent se porter indifféremment
au-dessus ou au-dessousde son prix, dans des conditions
parfaitement déterminées.
En vertu d'une seconde loi, les variations sont sollici-
tées dans le sens de la hausse, pour revenir à la valeur
moyenne. Quelle est la mesure de cette force, et à quel
moment doit-elle se manifester? Nous l'ignorons, mais
nous connaissons d'une manière certaine l'existence de
cette force et les effets qu'elle produit.
Qu'au lieu de revenir à la valeur moyenne, le prix s'en
écarte davantage et àoulle la distance qui l'en séparait la
première fois, la première loi n'éprouve aucune modifica-
tion, la seconde loi lui donne quatre îois plus de force pour
remonter.
Pourquoi, lorsque la Rente tomba au prix de 32,50, en
1848, reprit-elle en si peu de temps et avec autant d'élan,
tandis qu'elle put rester cotée plusieurs années aux prix
extrêmes de 85 et 86 ?
C'est parce que , à cause de sa distance à la valeur
moyenne, trois fois plus grande dans le premier cas, la
Rente, à ces deux prix extrêmes, avait neufiois plus de
force pour remonter qu'elle n'en avait pour redescendre.
94. — Résumons ici brièvement la Théorie des Écarts et
des variations de la Bourse, telle qu'elle est répandue
dans les deux parties de l'ouvrage.
Nous avons distingué deux sortes d'écarts : l'écart di-
rect, ou la différence entre le premier et le dernier cours
— 189 -
cotés clans un espace de temps quelconque ; l'écart extrême^
ou la différence entre le plus haut et le plus bas de tous
les cours cotés.
Chacun de ces deux genres d'écarts se divise en pro-
bable et moyen.
L'écart probable est donné par la limite qui sépare la
somme des écarts, du plus petit au plus g-rand, en deux
parties égales.
L'écart moyen est donné par la compensation de toutes
les quantités, ou la somme des écarts divisée par leur
nombre.
Les écarts sont en raison directe de la racine carrée des
temps.
Pour les cours de primes, les écarts s'augmentent d'une
quantité constante et indéterminable.
La spéculation à découvert agrandit les écarts, la spé-
culation nantie des capitaux ou des titres les resserre.
Les écarts sont plus grands à terme qu'au comp-
tant; cette différence n'est pas proportionnelle, et elle
est toujours limitée par les reports.
Les écarts sont encore plus grands dans certains mois
de l'année, oii la spéculation à terme est plus active,
doivent être plus grands encore, en raison de cette acti-
vité, dans certaines périodes de temps indéfinies.
Les écarts se groupent symétriquement autour de cer-
tains axes d'attraction.
Les écarts sont moins fréquents en baisse qu'en hausse,
mais ils sont aussi plus grands : tous les écarts en hausse
ou en baisse, au-dessus ou au-dessous de la vdhur pro-
bable., doivent se compenser au bout d'un certain temps.
— 190 -
La xaleiiT est sans cesse attirée à son prix moyen^
centre de gravité, oi^ foyer d'attraction^ en raison directe
du carré de l'èloignement.
I] faut toujours éliminer les causes constantes dans l'es-
timation des écarts.
Le rapport variable^ qui lie les écarts probables aux
écarts moyens, est, pour la Rente française, environ de
là 1,4.
Le rapport intariahle, qui lie les écarts directs aux
écarts extrêmes, est de 1 à 1,57....
Au moyen de la connaissance de la loi des écarts et de
leurs rapports, il suffît, pour une valeur quelconque, de
connaître le rapport de ses écarts, et une difi'érence nor-
male entre deux prix, dans un temps donné, pour re-
constituer tout son système d'écarts.
Que l'on se représente un cercle :
Le centre sera le prix ahsohc de la valeur, tous deux
incommensurables.
Le rayon, ou le diamètre, sera V écart direct; le qua-
drant, ou la demi-circonférence, sera Y écart extrême.
Le cercle, ou la surface, sera le temps.
Cette expression, le cercle des variations, n'est donc
plus une image figurée, c'est une réalité des plus con-
crètes, puisque tous les rapports des variations sont ceux
du cercle géométrique.
95. — Voici maintenant, pour la Rente française,
indépendamment de la distance à sa valeur moyenne, le
tableau résumé des éccirts, depuis un jour jusqu'à un an :
Talileaii des Ëcai-ts du 5 "/
/"
DE UN JOUR A UN MOIS
DE UN A DEUX MOIS
Nombre
É. DIRECTS
il EXTIiKMES
Nombre
É. DIRECTS
É. EXTRÊMES
joÎrs
Piobaile
Mojea
PrèSiT
Moyen
joÎrs
Probable
Moyen
Probable
Moyen
1
0,20
0,28
0,32
0,44
31
1,12
1,57
1,75
2,48
2
0,28
0,40
0,45
0,63
32
1,14
1,60
1,78
2,52
3
0,35
0,49
0,55
0,77
33
1,15
1,63
1,81
2,56
4
0,40
0,57
0,63
0,89
34
i,n
1,65
1,84
2,59
5
0,45
0,63
0,70
0,99
35
1,19
1,67
1,87
2,63
6
0,49
0,69
0,77
1,09
36
1,20
1,70
1,89
2,67
7
0,53
0,75
0,83
1,18;
37
1,22 1,72
1,92
2,71
8
0,57
0,80
0,89
1,26
3S
1,24
1,74
1,94
2,74
9
0,60
0,85
0,95
1,33
39
1,25
1,77
1,97
2,78
10
0,63
0,89
1
1,40
40
1,27
1,79
2
2,81
11
0,67
0,94
1,05
1,47
41
1,29
1,81
2,02
2,85
12
0,70
0,98
1,09
1,54
42
1,30
1,83
2,04
2,88
13
0,72
1,02
1,14
1,60
43
1,32
1,86
2,07
2,92
14
0,75
1,06
1,18
1,66
44
1,33
1,88
2,09
2,95
15
0,78
1,10
1,22
1,72
45
1,35
1,90
2,12
2,99
16
0,80
1,13
1,26
1,78
46
1,37
1,92
2,14
3,02
17
0,83
1,17
1,30
1,83
47
1,39
1,94
2,17
3,05
18
0,85
1,20
1,34
1,89
48
1,40
1,96
2,19
3,08
19
0,87
1,23
1,37
1,94
49
1,41
1,88
2,2.1
3,11
20
0,90
1,27
1,41
1,99
50
1,42 '2
2,23
3,14
21
0,92
1,30
1,45
2,04
51
1,44 '2,02
2,25
3,18
22
0,94
1,33
1,48
2,08
52
1,45; 2,04
2,27
3,21
23
0,96
1,36
1,51
2,13
53
1,46
2,06
2,30
3,24
24
0,98
1,39
1,55
2,18
54
1,47
2,08
2,32
3,27
25
1
1,41
1,58
2,22
55
1,49
2,10
2,34
3,30
26
1,02
1,44
1,61
2,27
56
1,50
2,12
2,36
3,33
27
1,04
1,47
1,64
2,31
57
1,5212,14
2,38
3,36
28
1,06
1,50
1,67
2,35
58
1,53
2,16
2,40
3,38
29
1,08
1,52
1,70
2,39
59
1,54
2,18
2,42
3,41
30
1,10
1,55
1,73
2,44
60
1,55
2 19
2,44
3,43
^ntie dsE TiiStiieasB dei^ Écarts.
D£. DEOX A SEPï M0Ï3 DE SEPT MOïS & UN AM
Nombre
É. DIRECTS
É. IviTHÉMES
Nombre
É. ÎJll'.EC'IS
É. EXTRÊMES 1
•IoÎTiS
Probable
Mojen
Probable
^lojeiij
DE
JOllliS
Probable
ilojen
Probable
Mojeri
65
1,62
2,28
2,54
3,58
215
2,95
4,15
4,63
6,53
70
1,68
2,37
2,64
3,72
220
2,98
4,20
4,68
6,60
75
1,74
2,45
2,73
3,85
225
3,02
4,25
4,73
6,68
80
1,80
2,53
2,82
3,97
230
3,05
4,29
4,78
6,75
85
1,85
2,61
2,91
4,10
235
3,08
4,34
4,84
6,82
90
1,90
2,68
3
4,22
240
3,11
4,38
4,89
6,89
95
1,96
2,76
3,08
4,33
245
3,15
4,43
4,94
6,96
100
2,01
2,83
3,16
4,44
250
3,18
4,47
4,99
7,03
105
2,06
2,90
3,24
4,56
255
3,21
4,52
5,04
7,10
110
2,11
2,97
3,31
4,67
260
3,24
4,56
5,09
7,17
115
2,15
3,03
3,39
4,77
265
3,27
4,61
5,14
7,24
120
2,20
3,10
3,46
4,87
270
3,30
4,65
5,18
7,31
125
2,25
3,17
3,53
4,97
275
3,33
4,70
5,23
7,38
130
2,29
3,23
3,60
5,07
280
3,36
4,74
5,28
7,44
135
2,33
3,29
3,67
5,17
285
3,39
4,78
5,33
7,51
140
2,37
3,35
3,73
5,26
290
3,42
4,82
5,37
7,58
145
2,42
3,41
3,80
5,36
295
3,45
4,86
5,42
7,64
150
2,46
3,47
3,87
5,45
300
3,48
4,90
5,46
7,70
155
2,50
3,53
3,93
5,54
305
3,51
4,94
5,51
7,77
160
2,54
3,58
3,99
5,63
310
3,54
4,98
5,55
7,83
165
2,58
3,64
4,05
5,72
315
3,57
5,02
5,60
7,90 i
170
2,62
3,69
4,11
5,80
320
3,59
5,06
5,64
7,96
175
2,66
3,75
4,17
5,89
325
3,62
5,10
5,69
8,02
180
2,70
3,80
4,23
5,97
330
3,65
5,14
5,73
8,08
185
2,73
3,85
4,29
6,05
335
3,07
5,18
5,78
8,14
190
2,77
3,90
4,35
6,13
340
3,70
5,22
5,82
8.20
195
2,80
3,95
4,41
6,21
1 345
3,73
5,26
5,86
8,28'
200
2,84
4
4,46
6,29
350
3,76
5,29
5,90
8,32
205
2,88
4,05
4,52
6,37
355
3,78
5,33
5,95
8,39
210
2,91
4,10
4,57
6,45
360
3.80
i 5,36
6
8,45 \
— I'.);! —
Les écarts sont (k'iinés depuis un jour jiis(prà dcMix
mois, jour ])ar jour, et depuis doux mois jusqu'à un an,
par cinq juurs.
On a déjà trouvé, pour le premier mois, dans le tableau
du par. 22, les écarts directs, proljable et moyen, ces der-
niers avec quatre décimales.
Les écarts ne pouvant être rigoureusement ramenés à
un état fixe, ],uisqu'ils ont une tendance continnelL^ à di-
minuer, nous avons calculé, à dessein, les écarts un peu
moins grands que ceux qui résultent d'une observation
directe et très-rigoureuse, et ils se ra})procberaient plu-
tôt des écarts réels du comptant que de ceux du terme,
bien Cjue ce soit à ceux du terme qu'il faille toujours se
rapporter en tbéorie.
96. — Il suffit, pour mettre en évidence l'énormité des
variations de la Rente Française, et juger du discrédit
qu'un tel état fait éprouver à sa valeur intrinsèque, de
comparer les Vciriations des Consolidés Anglais 3 "/„ de-
puis leur création en 1731.
Le plus bas cours des Consolidés a été 47 %, en 17'J8;
le plus haut cours, 107, en 1787.
Si on ne remonte pas plus haut que 1825, on trouve
pour plus haut cours 101 ''4, en 1852; pour plus bas
cours 73 'g, en 182G.
Les plus grands écarts de la Rente Anglaise ont été :
24 ^/4 de différence entre les cours extrêmes de l'année
1792, 24 en 17G2, 22 '/, en 1803, 22', en 1817. 22
en !761.
— J94 —
Les plus faibles écarts ont été de 1 seulement de diffé-
rence dans les années 1771 et 1773, de 2 en 1737, 1753,
1754, 1756, de 2^4 en 1841.
Le rapport de l'écart probable à l'écart mo^^en des
variations est comme 1 à 1,10.
La Rente Anglaise a deux pôles, qui sont les cours de
65 et 90 ; elle a oscillé autour du premier depuis 1778
(gnie T3 d'Amérique), jii qu'en 1820 environ (consolida-
tion de la paix eurc"-POiT.c .
Si on en excepte cet 'nte. valle de quarante-deux an-
nées, elle a toujours oscillé, depuis sa création, autour du
principal axe qui est le cours de 90.
Avant 1825, la valeur moyenne de la Rente Anglaise
est environ 79 '/a, l'écart annuel moyen, 8 '/o.
A partir de l'année 1825, la valeur moyenne s'est élevée
à 90 %! tandis que par une conséquence naturelle, l'écart
moyen est tombé à 7 Ve ; en comparant la Rente Française
et la Rente Anglaise depuis cette époque, le rapport des
écarts est environ de 1,40 à 1, le rapport des valeurs
1 à 1,25, le rapport des valeurs étant, par conséquent,
inverse de celui des écarts.
L'augmentation de la valeur d'un fonds est une consé-
quence économique, rigoureuse, de la diminution des
écarts ou variations de la valeur, et représente la dimi-
nution d'intérêt causée par l'amoindrissement des risques.
Le cercle d'action d'une valeur est la mesure précise des
risques courus.
195
LA RENTE FRANÇAISE ET LA RENTE ANGLALSE.
AMPLITUDES RELATIVES DE LEURS ECARTS.
Rente Anglaise, 1.
Rente Française, 1,40.
MESURES RELATIVES DE LEURS VALEURS.
1
Rente Française, 1.
Rente Anglaise, 1,25.
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108
106
107
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CONCLUSIONS
Les conclusions vont se déduire d'elles-mêmes des idées
qui précèdent :
h'intérêt est la seule cause qui, par sa constance, finisse
par donner des résultats certains et positifs. Or, le méca-
nisme des opérations à terme rend cette cause complète-
ment nulle pour le joueur. L'intérêt est une pure fiction
pour le joueur à terme. Chaque fois qu'un coupon est
payé et détaché à la Bourse, sur la Rente comme sur toute
autre valeur, il en est bien tenu compte, au moyen d'un
solde, à chacun des deux contractants, et le vendeur en
est débité au profit de l'acheteur ; mais cet intérêt est di-
rectement compensé par les reports que celui-ci paie au
vendeur, et s'il peut rester une différence, elle n'est que
le résultat de la balance des opérations à découvert, qui
tourne précisément au désavantage du joueur (par. 64).
Il ne peut donc venir à l'idée d'unjoueur à découvert, d'a-
cheter dans le but de toucher des dividendes imaginaires,
de vendra pour utiliser un capital fictif. Le joueur, qui ne
— lys — .
voit rien au-delà d'une liquidation, achète ou vend tou-
jours en vue des événements présents et pour profiter d'un
mouvement accidentel de hausse ou de baisse.
Le véritable spéculateur, le capitaliste, achète en vue
des intérêts, et c'est moins sur les circonstances présentes
qu'il doit tourner son attention que sur un avenir plus ou
moins éloigné. Certes, il ne dédaignera pas une aug-men-
tation rapide de capital, mais ce ne sera jamais là le but
unique et immédiat de son opération. Si les événements
le favorisent, et qu'il puisse réaliser un bénéfice en peu
de temps, il aura raison de le faire ; mais dans le cas con-
traire, il se sera mis en mesure de pouvoir dire : j'atten-
drai. En effet, tout est dans ce seul mot. Il faut pouvoir
ATTENDRE.
Cependant, il ne suffît pas au spéculateur sérieux de
placer étourdiment ses fonds, à n'importe quel moment,
dans n'importe quelles conditions, sous prétexte qu'il
peut attendre ; il faut encore qu'il puisse, sinon être as-
suré, du moins avoir une probabilité très-forte ou suffi-
sante de revoir ses cours ; c'est un principe trop facilement
reçu, qu'à la Bourse o% retoit toujours ses cours; les cours
reviennent plus ou moins souvent les uns que les autres,
et le talent du spéculateur doit consister à prévoir quels
sont ceux qui reviendront le plus souvent.
A quelque cours, si élevé qu'il soit, il est clair que le
spéculateur qui achète au comptant peut presque toujours,
avec de la patience, reconstituer son capital primitif, au
moyen de l'accumulation des intérêts; mais cela revient
alors au même que si son capital avait été inactif, et de
cette façon, il jjerd^ en réalité, tous les intérêts que ce ca-
— 190 —
pittil lui a produite. Il suffit encore au capitaliste de n'es-
suyer aucune réduction de capital dans la réalisation,
pour trouver à la rigueur un bénéfice dans le montant des
intérêts touchés. Faisons donc abstraction de cette ques-
tion de l'intérêt, et bornons-nous à formuler pour le ca-
pitaliste, le spéculateur sérieux, le moyen de réaliser une
augmentation de capital, ou du moins de n'avoir pas de
diminution à redouter.
Les premières règles de la prudence commandent de ne
jamais s'eng-ager dans une entreprise quelconque, que
les probabilités de bénéfice ne soient supérieures aux
probabilités de perte. Un placement n'est sage et oppor-
tun qu'à condition de présenter plus de certitude de voir
le capital augmenter que diminuer.
L'estimation du degré de chacune de ces deux probabi-
lités et leur comparaison, n'est plus chose illusoire et peut
être ramenée à des règles précises. Si le joueur croit trop
facilement ce qu'il espère, ce n'est pas une raison pour
se livrer à un scepticisme universel et pour rejeter les
conseils de l'expérience. L'appréciation du passé peut
mener, il est vrai, à de faux résultats, dès qu'au lieu de
g'énéraliser, on tombe dans des dounées particulières, dès
qu'on veut y soumettre certaines affaires industrielles et
privées qui ont pu jusqu'alors présenter des résultats bril-
lants, mais dont les conditions d'existence ne sont pas
clairement définies^ dont la gestion est mal dirigée ; c'est
surtout quand il s'agit d'entreprises dont les bases sont
étroites, qui ne peuvent couvrir les mauvaises chances
par un grand nombre d'affaires, que ces craintes sont fon-
dées ; mais quand on se tourne sur les vastes entrepri-
— '200 —
ses d'un pays tout entier, quand il s'ag-it surtout du cré-
dit d'un grand peuple, l'enseignement du passé peut être
une sûre garantie pour l'avenir. Un peuple ne périt pas.
C'est à dessein que, dans la théorie des variations de la
valeur, nous avons toujours pris pour exemple et pour type,
la Rente Française 3 y,, qui, par sa nature, doit présenter
les plus solides éléments pour une appréciation raisonnée,
qui, depuis la conversion du quatre et demi, a en quel-
que sorte élargi les bases sur lesquelles elle repose, en
devenant, dans un avenir prochain, le fonds unique de la
Dette Nationale.
Les variations accidentelles et momentanées de hausse
ou de baisse ne peuvent, pour la Rente Française, affecter
sensiblement ses valeurs moyenne et probable.
Que Li Rente soit aujourd'hui à 70 fr. et demain à 80 fr. ,
pour le public, pour le joueur, elle aura monté de 10 fr.;
pour le sage, pour le véritable spécitlat'ucr, elle ne vau-
dra ni un centime de plus, ni un centime de moins.
Po'ir le joueur, une opération n'est jamais bonne ou
mauvaise en elle-même ; tout dépend de la manière dont
elle se liquidera.
Pour le spéculateur, une opération doit être bonne ou
mauvaise dès le principe^ et sa moindre inquiétude, de
savoir comment elle se liquidera; car, bien qu'il puisse
liquider une opération avec perte, plusieurs opérations
bien engagées dès le principe ne peuvent jamais que lui
rapporter du b énélice.
Or, il ressort de la définition même delà xûquv proba-
ble, qu'il suffit à' acheter au dessous de cette valeur, ou de
vendre au-dessus, pour acquérir une probabilité supé-
— 201 -
rieure à !, ou plus que suffisante, de réaliser un bénéfice
sur l'opération : la valeur probable est celle qui fixe la li-
mite d'une complète ég-alité de chances. Si, par consé-
quent, une opération d'achat ou de vente qui doit se li-
quider dans l'avenir par une opération inverse de vente
ou d'achat, est exécutée au cours même qui représente
cette valeur, la probabilité du bénéfice est ég-ale à-, c'est-
à-dire qu'elle est douteuse, et l'opération pourra aussi
bien présenter de la perte que du bénéfice ; si l'opération
est exécutée plus avantageusement, au-dessous ou au-
dessus de ce cours, la probabilité du bénéfice surpasse
*- et peut s'élever en s'approchant indéfiniment de la cer-
titude.
La loi de cette croissance, qui est celle d'une augmen-
tation de probabilité proportionnelle au carré de l'éloi-
g'nement, donne l'équivalent de la certitude pour des
cours très-éloig-nés de la valeur probable, et dans tous les
cas, accroît cette probabilité beaucoup plus rapidement
que les cours ne s'éloignent de cette valeur.
Tout ceci est de la dernière évidence, si, mettant de
côté tous préjug'és, toutes influences du moment, on se
rend bien compte de cette vérité que le prix j^rohabh
n'est autre chose qu'un pivot autour duquel se produisent
les variations de la valeur, que les circonstances acciden-
telles portent tantôt au-dessus, tantôt au-dessous, mais
que la constance des événements tend infailliblement à
faire revenir dans un t3mps plus ou moins éloigné.
La valeur moyenne ou probable d'une marchandise,
d'une rente, n'est cependant pas absolument invariable.
Cette valeur })eut éprouver et éprouve en efîet, sur une
— 202 —
échelle de durée plus grande encore que celle qui sert de
base à sa détermination, des variations absolues, de même
qu'en astronomie, on reconnaît des variations sécîtlaires,
indépendamment des variations périodiques.
Ces variations de la valeur moyenne, produites par un
grand nombre de causes qui ne laissent apercevoir en der-
nier lieu que les lois constantes du progrès, tendent à
donner une plus grande valeur aux rentes par la diminu-
tion successive du taux d'intérêt. On doit se représenter
une société comme une immense machine où tous les res-
sorts sont liés les uns aux autres; le crédit est le fonction-
nement de ces ressorts, et le taux général d'intérêt au-
quel on trouve à emprunter dans cette société, représente
assez bien la perte de force vive causée par le jeu de la
machine ; plus le mécanisme sera parfait, plus cette perte
devra nécessairement s'amoindrir.
Pour continuer la comparaison, on trouverait que la
gratuité du crédit, rêvée par quelques réformateurs, n'est
qu'une utopie semblable à celle du m.ou.\em.eTit perpétuel^
sans nulle déperdition de forces ; l'inconvénient d'une
société basée sur le crédit gratuit, c'est que tout le monde
voudrait emprunter, et que personne ne s'offrirait à prêter.
L'histoire du crédit est celle de la civilisation ; il ne
faudrait pour s'en convaincre qu'étudier la marche qu'a
suivie chez nous le taux d'intérêt depuis la création de la
dette consolidée, en 17U7. Or, s'il est vrai que le progrès
tende au développement matériel et moral des sociétés,
aussi bien qu'à la perfection et à la simplification des
rouages qui les font mouvoir, il est certain que le taux
d'intérêt doit diminuer par l'élévation progressive de la
— 203 —
valoiii" moyenne des rentes. Qui peut dire ce que sera la
valeur normale de la Rente Française dans cinquante ans,
dans un siècle d'ici? Pourquoi n'arriverait-elle pas un
jour à la valeur actuelle des Consolidés Anglais ? La Rente
3 pour cent, comme son nom l'indique, ne peut être rem-
boursée qu'au prix de cent francs. Tant qu'elle est au-
dessous, le g-ouvernement ne peut amortir la dette que
par voie de rachat; c'est là une circonstance qui, tan-
dis qu'elle comprimait l'essor des anciennes rentes cinq
et quatre et demi, n'agit aujourd'hui que dans un sens,
et sous un g-ouvernement économe, tend à élever le prix
de la Rente, en ne lui assignant d'autres limites que le
pair.
Mais, quand nous disons qu'au-dessus ou au-dessous
de la valeur probable, la probabilité de bénéfice surpasse
- , il faut s'entendre :
A quelque cours que ce soit, la probabilité de réaliser
un bénéfice iiQntjamais^an moment même d'une opération,
supérieure à - .
Au-dessous de la valeur probable, pour toutes les opé-
rations d'achats, au-dessus pour les ventes, il n a :
1° Une probabilité égale pour toutes, de réaliser un
hénéûce proportionnel à l'écart qui sépare le cours d'achat
ou de vente de la valeur probable.
Si on se reporte dans un avenir peu éloigné, on peut
regarder le cours de 75 ir. comme le prix normal^ répon-
dant à la valeur probable du 3 °/o; par conséquent, une
opération d'achat qui sera faite, par exemple, au cours de
C5 fr. , et une opération de vente qui sera faite au cours
de 80 fr.. c'est-à-dire à 10 fr. au-dessous et à 5 fr. au-
- ?04 —
dessus de la valeui' probable, auront toutes les deux une
probabilité égale à ce qu'elles puissent, dans un temps
donné, être liquidées avec un bénéfice sur les cours d'a-
chat et de vente, de 10 fr. pour la première, de 5 fr. pour
la seconde.
Si deux opérations dans le même sens, achats ou ven-
tes, étaient faites à ces deux cours, le bénéfice de l'une se-
rait probablement double, ou moitié, de la perte de l'autre.
2** Une probabilité difèrente pour chacune de réaliser
un bénéfice égal, en raison de la distance qui sépare le
cours d'achat ou de vente de la valeur probable.
Ainsi, dans l'exemple précédent, l'opération d'achat se
trouvant à une distance deux fois plus grande que l'opé-
ration de vente, de la valeur probable, il y a, au-dessus
de - , une probabilité quatre fois plus forte sur la première
que sur la seconde, à ce qu'elles puissent être toutes les
deux liquidées avec un bénéfice quelconque, mais égal.
Les probabilités de bénéfice ou de perte, towjotirs égales
à ~^au moment même de V opération, prennent un accrois-
ment insensible, mais régulier, en proportion du temps
écoulé, sans jamais cependant pouvoir atteindre l'unité
ou la certitude.
C'est cette propriété curieuse que figurent en géométrie
certaines lignes, comme Y asymptote , qui indéfiniment
prolongées, se rapprochent de plus en plus d'une autre
ligne donnée, qu'elles ne rencontrent jamais.
Quelle est au moins la raison de l'accroissement , et la
quantité de temps nécessaire pour que la probabilité ait
acquis telle valeur donnée, c'est ce que les plus grands
mathématiciens ne pourront jamais résoudre. Il manque
— 205 —
ici une inconnue. Les causes accidentelles échappent par
leur nature à toute analyse rigoureuse, par la multipli-
cité et l'ignorance où nous sommes des causes qui les
produisent. Nul ne peut en prédire exactement l'arrivée
et la durée. Tout ce que l'on peut affirmer sans crainte de
se tromper, c'est qu'elles finiront toujours par se détruire
et disparaître sous l'action incessante du temps.
Le TEMPS, voilà la condition essentielle, indispen-
sable, mais infaillible, du succès de toute opération bien
commencée.
C'est par le seul effet du Temps, qu'un capitaliste peut
voir doubler son capital :
En 23 ans \, s'il a été placé à 3 Vo
» 18 ans » 4 «/o
» 14 ans » 5 Yo
Que le capital placé à 5 % se trouve triplé en 23 ans,
quadruplé en 29 ans, décuplé en 47 ans, et rendu deux
millions de fois plus considérable en moins de trois siècles.
Un Etat qui veut se servir utilement des ressources que
crée l'accroissement prodig'ieux de l'intérêt, pour amortir
sa dette publique, consacre au rachat des effets publics
un fonds annuel dit caisse d'amortissement ^ sans cesse
accru de l'intérêt des rentes rachetées. Il peut ainsi à la
longue absorber une grande partie de la dette, sans effort:^
et par la seule action du Temps,
Time is r/ioney^ le Temps, c'est de l'argent, rien n'est
plus vrai.
Enfin, c'est' le Temps qui se charge de ramener les
cours à leur véritable valeur et de corriger les écarts de
la spéculation.
— 206 -
Il n'est donné à personne de mesurer jusqu'où iront les
cours dans leurs écarts de hausse ou de baisse, ni quand
se produira la réaction, mais l'écart s'arrêtera, et la réac-
tion se produira; cette succession alternative d'effets
contraires est tout aussi certaine que celle du flux et du
reflux.
Les cours, dans leurs plus grands écarts, sont toujours
à la reclierclie de leur équilibre, comme la mièr !
La doctrine des Compensations sans cesse rétablies par
le mouvement à la reclierclie de son équilibre, est la pre-
mière loi naturelle ; en nous apprenant ce que valent au
juste ces honneurs, ces richesses qui éblouissent la foule,
elle doit nous délivrer de l'envie, de la haine, etde toutes
les passions violentes ; elle doit nous engager à ne jamais
nous réjouir au-delà de certaines limites de notre bon-
heur, comme à ne jamais nous désoler outre mesure du
mal qui nous arrive : toute joie est suivie d'une douleur,
toute douleur est suivie d'une joie.
C'est la doctrine des Compensations qui nous indique
avec plus de certitude et d'autorité que ne pourraient tous
les meilleurs traités de morale, que le vice et l'ignorance
sont suivis de la misère, le crime, du remords, l'intempé-
rance, de la maladie, et que si la vertu est difficile, elle
porte avec elle sa meilleure, sinon sa seule récomp'ense.
Le devoir, la vertu, ne sont qu'affaires d'intérêt et de
calcul bien compris. 11 avait raison, ce penseur qui a écrit :
« Préférer le vice à la vertu, c'est visiblement mal
juger (')».
(>) Locke, de VEntmâeraent humain, tom. Il, cli. XXI, par. 7J.
— 207 —
En résumé, et pour revenir à notre sujet, il est par-
faitement indifférent d'acheter ou vendre à tel moment
que ce soit, une valeur à la Bourse, pour réaliser un bé-
néfice instantané; chercher de bonne fui des règles, des
lois quelconques, pour diriger ses opérations dans ce but,
c'est aussi insensé que la recherche de l'absolu.
C'est rarement un bénéfice immédiat, instantané que
l'on demande; on sait qu'un certain temps est toujours
nécessaire au succès de quelque opération que ce soit ;
mais lorsque le temps jugé nécessaire est très-court, lors-
qu'il n'est, comme dans la plupart des opérations à terme,
qu'une moyenne de un, deux, trois, dix ou quinze jours
tout au plus, l'accroissement des probabilités favorables
peut être tellement faible qu'il est inutile de s'en préoc-
cuper, en raison des circonstances accidentelles qui le
font disparaître. Un homme doit-il s'inquiéter de quel-
ques centimes quand toute sa fortune est en jeu?
Cependant, ainsi que nous avons essaj'é de le faire
comprendre, on peut toujours, à la Bourse, acquérir un
degré de probabilité, quelquefois presque égal à la certi-
tude, de réaliser des bénéfices éloignés, et (Sautant i)lus
prohahUs quiïs seront plus éloignés.
Toute l'intelligence, toute la compréhension de la
Bourse, toute sa PHILOSOPHIE sont contenues dans
ces deux idées, si simples quand on les examine séparé-
ment, et dont la réunion ne peut présenter quelque chose
de complexe ou de contradictoire pour quiconque admet
cette vérité que la valeur future ne réside pas dans l'objet
même, mais dans la seule action produite par les progrès
du temps.
— 208 —
Il y a une grande différence entre une probabilité fu-
ture et une probabilité présente.
La certitude même de gagner une grosse somme dans
un avenir très-éloigné, peut ne valoir qu'une probabilité
très-petite de posséder cette somme à l'instant.
Le bénéfice que doit rapporter une opération bien diri-
gée suit exactement la marche constante et régulière,
mais lente, de l'intérêt. C'est une aussi grande folie de
tenter d'escompter ce bénéfice par le jeu, que ce serait de
payer une rente le double de sa valeur présente, par
la seule raison qu'au baut d'un certain nombre d'an-
nées, la valeur de cette rente se trouvera certainement
doublée.
C'est ce que le joueur ne veut pas comprendre.
Rien d^ plus tristement curieux qu'un groupe de bour-
siers discutant sur la hausse ou sur la baisse probable du
lendemain, les uns donnant, les antres accueillant des
conseils ; on ne sait ce qu'on doit le plus admirer, le plus
plaindre, de la présomption des uns, ou de la niaiserie des
autres.
Le spéculateur prudent doit peu s'inquiéter de ce qu'on
fera le lendemain ; sans crainte, sans soucis, on peut dire
sans hyperbole que le bien lui vient en dormant.
Le joueur n'opère qu'en vue des résultats présents ; le
spéculateur n'opère qu'en vue des résultats futurs.
Le spéculateur sème pour recueillir, le joueur veut re-
cueillir sans semer.
Il n'est d'ailleurs aucune séparation précise qui indique
où commence le joueur, où finit le spéculateur, pas plus
que sur l'immense échelle qui sépare le possible de l'im-
— io\) —
possible, on ne peut dire où finit le doute, où commence la
certitude.
Que de déclamations sonores n'a-t-on pas faites pour
ou contre la Spéculation! Pour l'un, tout jeu est spécu-
lation, pour un autre, toute spéculation est jeu.
Le commerce aussi est un jeu, soit; mais avec cette
différence que les chances favorables y surpassent géné-
ralement les chances défavorables.
Si la Spéculation à la Bourse peut , en raison de son
caractère, présenter des résultats diamétralement opposés,
ruiner les uns, enrichir les autres, c'est que pour le joueur,
il j a dans le courtage une cause constante d'inégalité à
son désavantage ; pour le capitaliste, en dehors même de
toute opération, il y a dans Y intérêt une cause constante
d'inégalité, mais cette fois, l'inégalité est toute à son
avantag-e.
Le Jeu est l'abus de la Spéculation, mais il lui est indis-
solublement lié ; toute mesure, tous coups portés contre
le Jeu réagissent donc plus ou moins fort sur la véritable
spéculation , qui ne mérite que louanges et encourage-
ments.
Le Jeu est le parasite obligé de la Spéculation ; c'est
lui qui exagère tous les mouvements des cours, qui
fausse le prix des éléments constitutifs de la richesse
publique, abusant en même temps la spéculation honnête
qu'il remorque dans ses plus grands écarts.
C'est contre ses illusions trompeuses et ses men-
songes que l'opinion doit se prémunir; c'est contre ses
influences malsaines, ses excès, que l'esprit public doit
réag'ir.
H
— 210 —
La Bourse est l'expression du Crédit public.
Le Crédit public est l'expression de l'état d'avancement
d'une société.
Dans notre époque si matérielle et si progressive, tout
doit venir converger à la Bourse. C'est, comme dans un
grand corps, le C(Bî^t qui reçoit la vie et en opère la diffu-
sion à travers tous les membres.
Quand le cœur a des mouvements inégaux et convul-
sifs, l'homme et la société sont malades.
La moralité des individus consiste à savoir garder en
toutes circonstances un juste milieu; les vertus ne sont
autre chose que l'état d'équilibre de nos facultés, et nos
qualités elles-mêmes, dans leurs plus grands écarts, ne
produisent que des vices.
Les peuples n'avancent en civilisation, en moralité, en
bien-être, qu'à mesure que les éléments sociaux sujets à
varier oscillent entre de plus étroites limites ; que le calme
politique s'affermissant, les grandes commotions dispa-
raissent ; alors la confiance grandit, et avec elle la puis-
sance de l'Association et du Crédit,
Les choses extrêmes sont toujours fatales, aux peuples
comme aux individus.
FIN.
SOMMAIRE
ÎMTRODUCTION 1
PREMIERE PARTIE.
ï. — Des causes et de leurs degrés d'i.ctioD présumée \\
2. — Probabilité des événements à posteriori, c'esl-k-dire dé-
duite de l'observation des événements passés 12
3. — Application vulgaire aux événements qui, à la Bourse, influent
sur les cours 15
à. — Des causes d'erreur dans l'estimation de la probabililé des évé-
ments 17
5. — A son point de vue particulier, le joueur est un profond ma-
thématicien 19
6. — De la diversité des opinions qui changent le point de vue de
chacun 21
7. — Comment se déterminent et se fixent les cours 22
8. — Ce qui arriverait si un certain nombre de personnes étaient
chargées d'effectuer la mesure d'une hauteur ou d'une distance, 25
9. — La mesure morale d'un fait est soumise aux mêmes lois phy-
siques 27
— 212 —
pa^es
10. — Le cours ne oeut-il pas êlre une fausse expression de la va-
leur du titre? . . . . ' 29
31. — Quand môme cela serait prouvé, quelle utilité en retirerait le
joueur? 31
Î2, — En résumé, qu'est-ce que le jeu à la Bourse? .... 34
13. — Principales causes des illusions du joueur 36
14. — Existe--t-il un système qui ait le pouvoir de modifier les con-
ditions primitives d'un jeu de hasard? 38
15. — Peut-on toujours acheter et vendre à volonté, à la Bourse? 41
16. — Première cause d'inégalité 43
17. — Le courtage, seconde et principale cause d'inégalité. H n'y a
aucun rapport fixe entre une différence de jeu et le courtage
prélevé sur cette différence 43
!8. — Sur quelle base nous pourrons déterminer une relation. . . 47
19. — Loi des écarts. Rapport entre V écart ^présenté par une opéra-
tion, et le /ewîjjs employé à sa liquidation 49
20. — Explicaticin de la loi des écarts 51
21. — L'écart se divise ^aprohable it moyen. Quels sont-ils sur la
Rente 3 %? 52
22. — Tableau des différences 55
23 et 24. — Explications relatives au tableau 56
25 et 26. — De l'écart probable, et de l'égalité des paris sur les
variations des cours 60
27. — Les conditions du jeu sont-elles plus favorables sur une va-
leur que sur une autre ? 63
28 à 30. — Sont- elles pins favorables sur les primes? Théorie ma-
thématique des prinies 65
31. — Les chances égales de perdre ou gagner des sommes différentes,
ramenées à des chances inégales de perdre ou gagner une même
somme. 71
32. — Comment s'accroît l'inégalité dans une suite de parties. . . 72
33. — Pour un même écart, des quotités égales, et des sommes égales,
on peut faire varier à sa guise le nombre des chances de perte
du joueur 7 4
24, — Comment l'irrégularité des variations profite au joueur, et ce
qu'il faut faire pour rétablir les chances dans leurs rapports
avec des écarts constants 76
— '213 —
payes
35. — Tableau présentant les chances de perdre ou gagner 1 4,000 fr.
à la Bourse 78
36 et 37. — Explications relatives au tableau 80
38. — Calculer gciiiéralemcnt les chances d'un joueur, dtant donné le
chiflre de sa fortune, les quotités moyennes et les écarts
moyens de ses opérations 83
39, — Quelque irrégularité qu'un joueur mette dans son jeu, on
peut toujours en trouver les véritables éléments par la con-
sidération des moyennes 85
40 et 41. — Solution de deux genres de questions dont la démons-
tration n'est pas donnée 86
42. — Pourquoi les chances de perle augmentent-elles beaucoup plus
rapidement à la Bourse que dans tous les jeux de hasard connus? 88
43 et 44. — Les trois éléments nécessaires pour calculer les chances
de perte d'un joueur, font toutes suivre à ces chances la même
progression ' 90
45. — Comnienl le nombre des chances de perte peut devenir le plus
grand ou le plus petit possible 93
46. — Du jeu prolongé indéfiuimenl 94
47. — Temps dans lequel s'effectue la ruine probable du joueur. . . 95
48. — En forme de conclusion 96
SECONDE PARTIE.
49. — Distinction des deux genres de spéculation. Où commence l'a-
bus, où finit l'usage? 101
50. — C'est le résultat xitile qui permet de tracer une ligne de dé-
marcation 104
51. — Quel est l'effet produit sur les cours par ciiacune des deux
spéculations? Que serait la Bourse, si toutes ses opérations se
passaient à découvert? 107
52. — Quelle est la véritable signification des variations de la Bourse? 109
53. — Comment se détermine le prix des choses 110
54. — Existe-t-ii une mesure absolue des valeurs? 112
55 et 56. — Comment l'emprunt afiecte le prix des valeurs. . . . H 4
57. ~ Comment la quantité des titres d'une valeur affecte son prix. 118
63. — De l'intérêt variable et de l'intérêt fixe 120
— i>14 —
59 et 60. — Considération des risques. Du taux plus ou moins élevé
de l'intérêt, et ce qu'il faut penser des valeurs qui rapportent
de très-forts intérêts 123
6î. — De la division des capitaux, comme moyen d'aiténuerles risques. 127
62. — Théorie des reports et déports 129
63. — Comment le jeu élève les reports, ou peut amener du déport. 131
64. — Qu'arriverait- il si les capitaux et les titres se refusaient à ve-
nir en aide au découvert? 133
65. — L'influence du jeu est-elle durable ? L'action toujours égale à
la réaeiion 135
66. — Les tendances du Jeu, opposées à celle du Capital. Peut -on
encore prétendre que le jeu tempère les écarts de lu spéculation?
Où est l'erreur, où est la vérité ? 137
67. — De quelle utilité serait la mesure du jifix ahsoht, des valeurs. 140
68. — Toutes les variations de la Bourse sont le produit de deux
mouvements simples 1 42
69. — Des causes constantes. A-t-on raison de considérer leur in-
fluence comme nulle ? 1 44
70. — Tableau des variations de la Rente Françaises %, plus haut et
plus bas de chaque mois, depuis sa création 148
72. — De l'iniluence des causes constantes, et comment ce sont les
seules qui finissent par prévaloir 1 50
72. — Marche des prix de la Rente dans l'année commune. . . . 152
73 et 74. — Exemples nouveaux de l'influence des causes constantes,
même dans l'ordre moral, sur un certain nombre d'observalions
ou de données 454
75. — Comment déterminer le véritable prix moyen de la Rente
Française? 158
76. — Erreur probable du résultat 160
77. — Des plus grands écarts d'un côté de la moyenne. En quel sens
se produisent-ils à la Bourse? 161
78. — Détermination du prix probable, représentant la valeur la plus
approchée de la Rente • 163
79. — Des valeurs moyenne et probable. Est-ce que le cours de la
Bourse, dit »2o|/e», représente quelque chose? 164
80. — Comment, dans leurs écarts, les prix se groupent toujours sy-
métriquement autour de certains axes on foyers d'altraction.
Exemple pour la Rente Francise 166
- 215 -
83. — Quels sonl les axes de la Rente, et coninieiit ils se sont
produits 168
82. — Chaque cours de la Rente a plus ou moins de chances de durée. 170
^3. — fomnicnt les écarts se distribuent annuellement, par mois et
par trimestres, et de l'intluence des saisons sur les variations
des cours i71
8«. — Accord de l'expérience et de la théorie <73
85 à 88. — Lois des écarts extrêmes, et de l'égalité des paris sur les
variations extrêmes HG
89. — Du rapport enlre les écarts direcis et les écarts extrêmes. . 179
30. — Explication de ce rappoit 181
91 et S2. — Comment, avec quelques cotes de bourse, on peut trou-
ver le rapport de la circonférence au diamfctre 182
93. — Accord des deux lois de la variation des cours 186
94. — Résumé de la Théoiie des Écarts 188
95. — Tableau des écarts de la Rente Française 191
96. — Comparaison des écarts et des prix de la Rente Française et
de la Rente Anglaise 193
Conclusions 197
FIN DE LA TABLE.
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