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Full text of "Cambo et ses alentours"

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CAMBO 



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CAMBO 



ET 



SES ALENTOURS 



C. OUVOI8IN. 



BAYOHNE, 

Bue Pont.lbjmi, 8». 
1858. 



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LmPARY 



PRÉFACE. 



La première édition de Cambo et ses alentours 
avait paru à la fin de Tannée 1852 : elle re- 
çut alors un si favorable accueil du publie, 
qu'au bout de quelques mois elle fut com- 
plètement épuisée. Cependant ce livre, fort 
modeste par lui-même , mais indispensable 
à ceux qui désirent connaître bien nos Pyré- 
nées, ne cessait pas d'être demandé ; et , à 
chaque demande, on était réduit à répondre 
qu'il ne se trouvait plus dans le commerce 
de la librairie. C est ce qui nous a décidé à 
le livrer, cette fois encore, à l'impression. 

Mais l'accueil même qu'il avait reçu lors 
de son apparition, nous imposait le devoir 
de le rendre aussi digne que possible de la 
faveur dont il avait été l'objet. D'ailleurs, 
nous comprenions d'autant mieux la néces- 
sité d'accorder de nouveaux soins à cette 
seconde édition , que cet ouvrage avait été 

1 



— VI — 

écrit sans aucune prétention, avec tout 
l'abandon et la rapidité d'une correspon- 
dance ordinaire. Nous avons donc revu le 
texte tout entier, vérifié chaque fait histo- 
rique ou anecdotique , rectifié quelques 
inexactitudes, ajouté des développements 
considérables auxquels le défaut de temps 
nous avait obligé de renoncer en 1852. 

Quant à l'exécution matérielle du livre, 
nous la croyons propre à satisfaire des goûts 
même difiiciles : caractères neufs et fondus 
exprès, choix d'un bon papier, impression 
soignée , rien n'a été épargné pour aller au 
devant de toutes les exigences. 

Puissions -nous avoir donné à cette nou- 
velle édition de Cambo et ses alentours tous les 
perfectionnements dont elle était suscepti- 
ble! Si ce livre est destiné à instruire et à 
guider le touriste, le voyageur, qui visitent 
nos Pyrénées, il a également pour but de 
les délasser et de les récréer. Heureux se- 
rions-nous, si nous avions réussi à procurer 
à ceux qui le liront un passe-temps à la fois 
agréable et utile. CD. 



CAMBO. 

COUP D'OEIL GÉNÉRAL. 

Cahbo, le 11 Septembre 1852. 

Mon cher Théodore, 

C'est hier seulement que je suis arrivé à 
Cambo. Quel admirable pays I Nulle part la 
campagne n'est plus riante et plus gaie, l'air 
plus pur et plus sain. Tout y respire la fraîcheur, 
tout contribue à dérider l'imagination , tout in- 
vite à une douce joie et à la sérénité d'esprit. Tci 
la nature se montre vraiment prodigue de ses 
trésors et de ses bienfaits. Elle a répandu par- 
tout, avec une sorte de profusion , les sites les 
plus pittoresques et les plus délicieux. Il n'est 
pas jusqu'au cimetière du village , placé tout à 
l'entour de l'église , qui ne présente un aspect 
charmant. Cultivé , paré comme un jardin , il 
cache la terre des morts sous un manteau de 
verdure et de fleurs , et rappelle bien plutôt à 
l'âme les pures jouissances du ciel que les tris- 
tes horreurs du trépas. 



— 2 — 

De ma chambre , j'aperçois un joli vallon tout 
entrecoupé de champs fertiles et de vertes prai- 
ries. Des collines couronnées d'habitations, d'ar- 
bres et de vignes le protègent , au Inord et au 
midi, contre l'effort des vents violents qui s'élè- 
vent quelquefois. Il est baigné à l'une de ses 
extrémités par la Nive , gentille rivière aux flots 
purs et limpides, qui descend avec rapidité des 
montagnes de la Navarre, et roule en grondant 
sur un lit rocailleux. Arrivée à Cambo , la Nive 
passe sous un ignoble pont de bois , sous lequel 
elle paraît toute honteuse de faire couler ses 
eaux transparentes , et loin duquel on dirait 
qu'elle se hâte de s'enfuir. Mais , pénétrant dans 
le vallon , elle ralentit tout à coup l'impétuosité 
de ses flots comme pour contempler à loisir ces 
bords enchantés, et ce n'est qu'avec lenteur et 
en serpentant le long des collines, qu'elle s'éloi- 
gne pour reprendre bientôt sa course rapide, et 
se précipiter vers l'Océan. A l'extrémité opposée 
du vallon, de nombreuses maisons blanches s'é- 
lèvent, parsemées de hauts peupliers: jetées 
çà et là sans ordre et comme au hasard , elles ne 
pouvaient être mieux placées pour attirer et 
charmer les regards. Ce groupe de maisons 
forme ce qu'on appelle le Bas-Cambo, lieu qu'en- 
richissaient autrefois l'industrie des fers et celle 
des cuirs , mais devenu bien pauvre , depuis que 
le malheur des temps les a fait disparaître toutes 
deux. 



msm 



— 3 — 

Le Haut-Cambo a moins d'étendue et plus 
d'importance que le Bas-Cambo. Il est situé sur 
un plateau d'une admirable fertilité , où l'on ren- 
contre plusieurs jolis domaines parfaitement 
cultivés et dont les produits sont magnifiques. 
Le Haut-Cambo est le séjour favori des étran- 
gers qui viennent faire usage des bains ou des 
eaux minérales. C'est là qu'ils sont sûrs de trou- 
ver des maisons toujours propres, des logements 
commodes , un accueil affable et prévenant ; et 
vous savez que rien ne remplace ces avantages 
pour l'étranger qui est venu de loin chercher la 
santé ou simplement le plaisir. Et puis , on y 
jouit de la plus délicieuse vue du monde. Voici 
ce que j'ai entendu dire dernièrement à un 
homme qui a beaucoup voyagé : « J'ai parcouru 
« bien des contrées, j'ai contemplé les plus belles 
« perspectives de la Suisse , je n'ai rien trouvé, 
« nulle part, d'aussi enchanteur que Cambo. » 
Y avait-il quelque exagération dans les paroles 
de ce voyageur? je l'ignore. Mais ce que je sais 
bien, c'est qu'en 1728 Marie-Anne de Neubourg, 
reine douairière d'Espagne , étant venue prendre 
les eaux de Cambo, voulut y retourner l'année 
suivante ; qu'elle aimait à multiplier ses prome- 
nades dans tous les environs ; qu'elle se plaisait 
surtout à admirer la belle perspective qu'on 
décogvre du salon du presbytère , d'où les 
regards plongent avec délices sur le charmant 
vallon dont je vous ai déjà fait la description. 



Que n'êtes-vous ici pour partager avec moi le 
Wen-être que l'on ressent en ce pays ! Comme 
nous jouirions bien mieux à d^x , que je ne 
saurais le faire tout seul ! 

Adieu, mon cher Théodore, dans ma prochaine 
lettre je vous parlerai des eaux minérales de 
Cambo et de leurs effets. 

Tout à vous. Jules. 



JV. B. Nous croyons que Tétymotogie du mot Gandio 
n'est poÎBt basque ; il nous parait dériv«r plutôt âe 
Campus qui, en terme de basse latinité, signifie camp. 



LES EAUX MINERALES. 



Cambo, le 12 Septembre 1852 

Je VOUS ai promis , mon cher Théodore , de 
vous parler des eaux minérales de Cambo. Elles 
ne sont éloignées du village que d'environ l'es- 
pace d'un kilomètre. J'y suis allé ce matin au 
moment où baigneurs et baigneuses, buveurs 
et buveuses d'eaux s'y rendaient par petits 
groupes ou isolément ; mais quand je suis arrivé 
au point culminant , d'où l'on découvre l'établis- 
sement des bains dans un creux vallon arrosé 
par la Nive , de quel magnifique spectacle n'ai- 
je pas été frappé I Le soleil se levait dans toute 
sa splendeur derrière le monticule appelé la 
Montagne des Dajnes, Sous ses rayons, les 
gouttes de rosée étincelaient comme des milliers 
de perles et de diamants , qu'une main puissante 
aurait semés sur les feuilles des arbres et le 
gazon des prairies. Les eaux argentées de la 
Nive reflétaient avec force ses feux éblouissants, 
et, mugissantes, se prêciptaient à travers le 
vallon, comme indignées de voir la vitesse de 
leur cours retardée par les cailloux et les blocs 



.— 6 — 

de rocher. Des vapeurs légères, se dégageant de 
la rivière et des prés humides, montaient len- 
tement vers le ciel; et, à mesure qu'elles ap- 
prochaient du soleil, elles s'évaporaient et s'ef- 
façaient sous l'action croissante de la chaleur. 
En même temps mille oiseaux divers , cachés et 
muets durant ces derniers jours sombres, 
étaient sortis de leurs retraites; et, voltigeant 
d'arbre en arbre , de rameau en rameau , ils fai- 
saient retentir l'air de leurs chants joyeux. On 
aurait dit que , dans un élan de reconnaissance , 
ils voulaient célébrer par ce concert matinal le 
retour du soleil et du beau temps. Cependant 
l'astre du jour, s'élevant au-dessus de l'horizon, 
inondait le vallon des flots de sa lumière , tan- 
dis que les collines circonvoisines , avec les chê- 
nes touffus , les superbes peupliers et les plata- 
nes aux larges feuilles , semblaient lui disputer 
l'empire de ces lieux en projetant au loin leur 
ombre. Jamais la nature ne m'était apparue en- 
tourée de plus de grâces et d'attraits. Jugez, 
mon cher Théodore , comme ce spectacle devait 
remuer délicieusement un malheureux habitant 
des villes , condamné à ne respirer le plus sou- 
vent qu'un air épais et lourd , à ne contempler 
que des rues étroites, où des maisons, invaria- 
blement rangées sur deux lignes , arrêtent sans 
cesse les regards. Je m'arrachai avec peine au 
magique tableau que j'avais sous les yeux , et je 
descendis lentement aux bains en regrettant que 



— 7 — 

les esprits mélancoliques et les imaginations as- 
sombries ne vinssent pas de tous côtés à Cambo 
pour se retremper en quelque sorte au sein de 
la nature et y puiser des idées fraîches et serei- 
nes. 

Les deux sources d'eaux minérales, situéçs 
dans un pays boisé (1), inconnu, éloigné des 
grands centres de population, et où Ton n'a- 
boutissait qu'à travers des chemins presque im- 
praticables , se sont trouvées par là même dans 
des conditions qui ne leur permettaient point 
d'étendre leur renommée. Aussi , bien qu'elles 
aient attiré de loin en loin quelques person- 
nages célèbres , tels que la reine d'Espagne , 
Marie-Anne de Neubourg , l'abbé de Montesquiou, 
Richer-Serizy, le fameux général espagnol Mina, 
etc., pendant longtemps elles n'ont guère été vi- 
sitées que par les habitants de la Basse-Navarre, 
du Labourd et des provinces d'Espagne limitro- 
phes de la partie sud-est de la France. C'est de- 
puis qu'une route départementale en a rendu 
l'accès plus facile et plus commode, que les 
étrangers ont véritablement commencé d'y af- 
fluer. 

Dans le dernier siècle, Raulin, Théophile 
Bordeu , l'un des plus illustres enfants du Béarn, 
Laborde,, médecin militaire d'un haut mérite, 



(1) Tout ce pays était couvert de bois jusqu'en 1814. 



— 8 — 

ont parlé avec éloge des eaux de Cambo. De- 
puis, le D' Alibert, de Paris, en a plus d'une 
fois conseillé l'usage. Don Ramon Robiralta et 
Don Vicente Asuero , professeurs de la Faculté 
de Médecine de Madrid , qui en ont constaté par 
eux-mêmes les salutaires effets , ne cessent pas 
encore d'y envoyer des malades. Le D' Ducasse, 
homme d'une science incontestable, M. Salai- 
gnac, chimiste distingué, le D** Délissalde, 
inspecteur de ces eaux , ont publié des consi- 
dérations pleines d'intérêt tant sur leurs pro- 
priétés et leur emploi que sur les substances qui 
les composent. Plusieurs essais pour déterminer 
la température des eaux dé Cambo ont été faits , 
notamment par M. Salaignac, dans différentes 
saisons et à diverses heures du jour. Il en est 
résulté qtf on a reconnu que celle dé Fean sul- 
fureuse varie de 22 à 23 degrés centigrades , et 
celle de l'eau ferrugineuse de 15 à 16 degré» 
centigrades. Le D"" Délissalde assure , dans son 
opuscule sur les Eaux minérales de Cawbo, que 
la température de l'eau sulfureuse peut s'élever 
jusqu'à 35« centigrades, sans perdre ses pro- 
priétés hydro-sulfuriques. Je ne veux pas vous 
eflÈiroucher, mon cher Théodore , par d'autres 
détails scientifiques. Maïs si vous me demandez 
quelles sont les vertus des eaux de Cambo, je 
vous répondrai que j'ai entendu émettre là-des- 
sus trois opinions différentes. Quelques braves 
gens croient, de ta meilleure foi du monde. 



— 9 — 

qu'elles sont elHcaces pour guérir à peu près 
tous les maux imaginables; d'autres soutien- 
nent, au contraire, que leurs effets sont fort 
peu sensibles ; mais les hommes de l'art et les 
esprits sérieux disent simplement que leur ac- 
tion est très-puissante en certains cas, bien 
qu'elle ne le soit pas en tous. Quant à moi, com- 
me je ne vois nul inconvénient à suivre les hom- 
mes de savoir et d'expérience , je me range vo- 
lontiers de leur avis. N'êtes-vous pas aussi de ce 
sentiment? D'ailleurs plusieurs sels, employés 
par la médecine , sont contenus dans les eaux 
minérales de Cambo. Pourquoi , puisés dans le 
laboratoire de la nature, n'auraient-ils pas la 
même vertu que pris chez le pharmacien ? C'est 
la réflexion du D' Délissalde ; et je la crois fort 
juste. J'ajouterai que Cambo me paraît être dans 
d'excellentes conditions pour la guérison des 
malades. Un air toujours pur, un climat doux et 
tempéré , une belle et brillante nature , le voisi- 
nage de deux sources , l'une sulfureuse , l'autre 
ferrugineuse, rare et précieux privilège, qui 
permet au médecin de rendre ses chances de 
succès plus nombreuses et plus sûres , tout , en 
un mot , semble avoir été réuni à Cambo par la 
main libérale de la Providence pour le rétablis- 
sement des santés délabrées. 

Adieu, cher Théodore. Je vous suis dévoué de 
loin comme de près. 

Jules. 



LA BERGERIE. 



Gambo, le 14 Septembre 18ô2. 

Bien que je ne sois point touriste pour mon 
plaisir, mais uniquement par déférence aux pres- 
criptions du médecin , la vie que je mène , mon 
cher Théodore , est loin de m'étre désagréable. 
Beau temps , bons soins , bon logement ,J)onne 
compagnie ne me manquent point; et n'est-ce 
pas déjà quelque chose ? n'est-ce pas même beau- 
coup? Et puis , ne suis-je pas dans le plus déli- 
cieux canton peut-être des Pyrénées, qui en ont 
de si riants et en si grand nombre ? Hier, avant- 
hier j'ai exploré , tout en me promenant , les en- 
virons du village thermal. Plus je les connais , 
plus j'admire la charmante et prodigieuse variété 
de sites dont la nature semble avoir pris plai- 
sir à doter ce pays privilégié. Quelle source de 
douces jouissances pour qui a la faculté d'user de 
ses jambes et qui sait apprécier les beautés de la 
campagne I 

Aujourd'hui je suis monté à la Bergerie ; c'est 
ainsi qu'on appelle une colline qui domine le Haut- 



— 12 — 

Cambo , et qui emprunte son nom d'une berge- 
rie entourée d'arbres , sous lesquels les prome- 
neurs aiment à se reposer, après avoir gravi le 
sentier qui y conduit. 

La Bergerie est ici un des premiers buts 
de promenade vers lequel se dirigent les 
buveurs d'eau après leur arrivée ; et ils ont 
raison. De ce point on jouit d'une vue véritable- 
ment ravissante : on a devant soi le Haut-Cambo 
qui éparpille ses blanches maisons sur le bord 
des coteaux au pied desquels serpente la Nive en 
baignant de ses flots argentés la riche plaine du 
Bas-Cambo. Sur la droite paraît l'établisse- 
ment thermal avec ses grandes et belles allées 
d'arbres. D'un autre côté , le regard suit au loin 
le cours précipité de la rivière, qu'on dirait em- 
pressée d'arriver à Bayonne pour confondre ses 
eaux avec celles de l'Adour. On distingue un 
grand nombre de maisons et plusieurs clochers 
disséminés sur ses deux' rives; ce sont les villa- 
ges de Halsou, de Larressore, de Jatsou, d'Usta- 
ritz , de Villefranque avec leurs églises. Voilà le 
Séminaire de Larressore assis dans une position 
pittoresque sur le penchant d'un coteau , puis le 
château de Saint-Martin non moins heureusement 
situé , celui de Haïtze sur la hauteur d'Ustaritz ; 
la colline de Sainte-Barbe tout isolée et ombra- 
gée d'arbres; et, dans le lointain, le superbe 
bosquet qui s'élève derrière le château de M. Mi- 
guel d' Arcangues comme pour le protéger contre 



— 13 — 

le souffle des vents de l'hiver. En se tournant 
vers le midi, on voit un spectacle plus grandiose ; 
c'est la longue chaîne des Pyrénées , qui pousse 
ses cimes vers le ciel, et qui, se dentelant à 
l'horizon, affecte les silhouettes les plus bizarres. 

Au retour de cette charmante promenade , j'ai 
relrouvé ma compagnie habituelle , dont je ne 
vous ai pas encore parlé. Elle se compose du che- 
valier de CiBuma, ancien capitaine d'état-major, et 
^'un juge de paix des Landes, qui tous deux sont 
venus comme moi prendre les eaux de Cambo. 
Ils ne m'ont précédé ici que de deux ou trois 
jours, et ils se trouvent logés dans la même mai- 
son que moi : ces deux circonstances m'ont aidé 
à établir, dès mon arrivée , des rapports avec 
eux, et je dois bien m'en féliciter. 

Le chevalier de Cauna est un homme qui a fait 
la guerre pendant bon nombre d'années et qui 
porte plusieurs décorations. Il a beaucoup lu, 
beaucoup vu, beaucoup étudié, beaucoup observé; 
ce qui lui a donné une instruction à la fois solide 
et variée. Son langage a quelque chose de bref 
et d'incisif comme celui de la plupart des hommes 
de guerre. Ses manières sopt polies , son carac- 
tère franc et loyal, sa ponctualité toute militaire : 
c'est à la même heure que le chevalier de Cauna 
se couche chaque soir et se lève chaque matin ; 
à la même heure qu'il descend à l'établissement 
pour prendre son bain et ses eaux ; qu'il remonte 
pour déjeûner, qu'il fait ses autres repas, seslec- 



— 14 — 

tures, ses promenades. II serait bien aisé qœ le 
juge de paix , qu*il connaît beaucoup et miqud 
fl est affectionné, adoptât comme lui un genre de 
vie un peu régulier. Mais celui-ci n'est nullement 
ami de la discipline , et il ne le fut jamais » dit-il , 
pas même sur les bancs de l'école : c'est ce que 
je n'ai pas de peine à croire : car il me fait bien 
voir chaque jour que sa première règle est de 
n'en avoir aucune. 

Le chevalier de Cauna fut malade il y a quel- 
ques années ; il vint à Cambo , y trouva la gué- 
rison, et se promit bien d'y revenir chaque au- 
tomne passer un mois entier. Depuis , il n'a jamais 
failli à cette promesse qui est pour lui comme 
une sorte d'engagement d'honneur. (1) 

Quant au juge de paix , c'est pour la première 
fois qu'il use des eaux minérales de Cambo. 
Aimant passionnément la chasse, se livrant, pour 
satisfaire son goût , à des fatigues excessives , 
tantôt nageant dans des sueurs abondantes , 
tantôt marchant au milieu d'étangs et de maré- 
cages presque glacés à la poursuite du gibier , il 
a contracté des fièvres intermittentes dont il ne 



(1) Le chevalier Xavier de Cauna retourna encore à 
Cambo Tannée suivante, mais ce fut pour la dernière fois. 
U mourut le 13 novembre 1854^ regretté de tous ceux 
qui le connurent , et ne laissant qu'une fille unique , ma- 
riée à M . le baron de Navailles . 



— 15 — 

tpeot plus se défaire. La médecine «t la pharma^ 
cie ont épuisé, pour l'en débarrasser, toutes les 
ressources dont elles disposent : mais les fièvres 
ont tenu toujours bon ; on dirait qu'elles s'opi- 
riiàtrent à vouloir prendre racine dans le corps 
du malheureux juge de paix. En désespoir àe 
cause, il est venu demander aux eaux êe 
Cambo la guérison que la médecine et la pliar- 
macie réunies n'ont pu réussir à lui donner. Oe 
pauvre fiévreux ne s'est pourtant pas d'âbortf 
très-bien trouvé des eaux. En ayant parfaite- 
ment (figéré un premier verre, il avait cru qu'il 
en serait ainsi , lors màïie qu'il en boirait plu- 
sieurs coup sur coup ; et dès le second jouî» , 
sans consulter le médecin-inspectetir de l'ét^ 
blissement , il ingéra je ne sais quelle étonnante 
quantité d'eau minérale dans son estomac mala- 
de : de là une violente colique et des déchire- 
ments d'entrailles qui lui firent presque croire 
qu'il allait rendre l'àme. La leçon était rude : elle 
le fit tout d'abord pester pendant plusieurs jours 
contre les eaux de Cambo ; mais ielle a eu potùr 
résultât de le rendre plus prudent dans l'usa^ 
qu'il en doit faire , ce qui probablement am^era 
sa guérison. 

Du reste, ce juge de paix est un homme d'es- 
prit et qui paraît avoir fait de bonnes études 
littéraires ; sa conversation est pleine de vivacité 
gasconne et de saillies charmantes qui partent 
comme autant de fusées ; elle contraste singu- 

2 



— 16 — 

lièrement avec la parole toujours élégante , tou- 
jours mêlée de sel attique, mais toujours un peu 
sérieuse, du chevalier de Cauna. 

En finissant, je vous dirai, mon cher Théodo- 
re, que j'ai remarqué parmi les buveurs d'eau, 
un homme dont les allures et la physionomie 
m'ont beaucoup frappé : sans doute il est tout à 
fait étranger à ce pays ; car il ne paraît avoir ici 
ni ami, ni connaissance. Il peut avoir 50 à 55 
ans; sa taille est élevée, son visage mâle, ses 
traits fortement dessinés; je le vois souvent 
seul et dans des endroits isolés se promener à 
pas lents avec un air tout rêveur. Je vous avoue 
que je serais curieux de le connaître et de savoir 
quelles sont les préoccupations dont il semble 
obsédé. 

Vous me demandez, mon ami, s'il reste à 
Cambo aucun souvenir, aucune trace du séjour 
de la reine d'Espagne, Marie- Anne de Neubourg, 
Je ne doute pas qu'il ne s'en soit conservé ; j'au- 
rai soin de m'en informer, puisque vous vous 
y intéressez ; et même je vous promets, s'il y a ' 
lieu, d'en faire la matière d'une prochaine lettre. 

A demain, cher Théodore ; puisque mes épî- 
tres ont le don de vous plaire, je vous en écri- 
rai une qui vous rendra compte de ma première 
excursion hors du territoire de Cambo ; vous 
voyez bien que je tiens à vous être agréable et à 
me montrer toujours votre ami. 

Jules. 



LE PASDE-ROLAND. 



Cambo, le 15 Septembre 1852. 
Mon cher Théodore , 

J'ai jdonc fait l'excursion que je vous annon- 
çais dans ma lettre d'hier. C'est du pied des mon- 
tagnes que je reviens très-las, très-fatigué , et 
cependant enchanté de ma course. Je suis allé au 
Pas - de - Roland , à 4 kilomètres de distance de 
Cambo. Il fallait qu'elle fût bien profonde , l'im- 
pression produite par le neveu de Charlemagne, 
pour que son souvenir soit ainsi resté vivant dans 
toutes les Pyrénées. Un tel nom était fait pour 
m'inspirer le désir de visiter le lieu qui le porte. 
Aussi c'est vers ce point que j'ai dirigé mes pre- 
miers pas. 

Après avoir quitté les sites si pittoresques qui 
abondent dans ce joli pays de Cambo , nous 
sommes arrivés au village d'Itsassou, où des 
paysages plus agrestes annoncent évidemment 
l'approche des montagnes. Bientôt nous avons 
pénétré dans un défilé fort étroit , où la Nive a 
creusé son lit entre deux monts escarpés. Un 



— 18 — 

méchant sentier, large seulement d'un à deux 
mètres et bordé d'un côté par la rivière et de 
l'autre par la montagne d'Atharry (1) conduit au 
Pas-de-Roland. Point d'autre chenrtn ; il faut né- 
cessairement, pour y aboutir, marcher assez 
longtemps dans ce sentier inégal et pierreux , 
ayant sans cesse la Nive à ses pieds comme un 
gouffre béant, et, au-dessus de sa tête, des mas- 
ses effrayantes de rochers qui semblent menacer 
le voyageur de leur chute prochaîne. 

Durant l'hiver, la neige , en se fondant , s'in- 
filtre dans les fissures des rochers , et en détache 
))arfois d'énormes Wocs qui se précipitent avec 
fracas et encombrent la rivière de leurs débris. 
Il y a quelques années, un de ces accidents ar- 
riva un dimanche matin, au moment où les 
paysans et les pasteurs se rendaient à l'église dii 
village pour entendre la messe. Tout à coup, un 
quartier de roche d'une prodigieuse grosseur se 
sépare de sa base, fond avec impétuosité du haut 
de la montagne, passe entre deux groupes d'hom- 
mes et de femmes sans toucher personne , et , 
tombant dans la Nive , en fait bondir au loin les 
oïides frémissantes. Il n'y eut d'atteint qu'un 
vieux chêne, qui s'éfevait sur le bord même de 
la rivière. Les passants effrayés s'imaginaient 
qu'il devait être brisé ou déraciné par la violence 



(l) Ce mot, en basque, signifie Porte de pierre. 






— 19 — 

du cboc. Mais Tarbre avsàt tenu bon ; il en fut 
<)uitte pour une large écorchure, dont il montre 
encore la cicatrice comme une preuve glorieuse 
de sa force et de sa résistance. Quant à nous, nous 
cfaemiaions lestes et joyeux dans Fétroit sentiar» 
61 cependant nous ne pouvions nous empêcher de 
sentir de temps en temps un léger frisson par- 
courir nos membres, en considérant sur nos tètes 
ces rocs immenses, prêts en apparence à fon-* 
dre sur nous. Nous apercevions çà et là , parmi 
les< montagnes et les rochers, des brebis ou des 
chèvres qui broutaient Therbe tranquillemeiU; ,. 
et qui , paraissant suspendues dans le lointain^ 
nous rappelaient le fameux vers de Virgile : 

Dmmsà pendere procul de rupe videbo. 

Enfiif, après une marehe assez^ fatigante,, nousi 
nous trouvâmes en face d'une roche creusée ea, 
arceau que le célèbre paladin, pour donner pas- 
sage à l'armée de Charlemagne, ouvrit , dit-on ^ 
avec la pointe de sa vaillante épée , ou „ selon 
d'autres., d'un coup de sa puissante botte. Vous 
me pardonnerez ,. mon cher Théodore , si je ne 
m'iarrête pas à discuter la valeur historique de» 
ces deux assertions différentes. C'était le Pas-de- 
Rpland. Cette espèce de brèche est le seul points 
dmis cette gorge prqfonde , qui permette, aux. 
habitants des deux côtés de la montagne d'ayoir 
entr'eux des communicatic»is. Mais , après qu'oa 
Va traversée» voilà que tout à coup les monta- 



— 90 — 

gnes s'éloignent , Thorizon s'élargit , le pays se 
découvre , et Ton aperçoit dans la campagne de 
blanches maisons dont Faspect réjouit la vue , 
quand on vient de quitter, comme nous, une 
nature âpre et sauvage. Là , ni les vertes pelou- 
ses, ni les sources fraîches, ni une hospitalité 
cordiale ne manquent aux visiteurs du Pas-de- 
Roland , qui ont pensé à se donner, au bout de 
leur excursion , les agréments d'un repas cham- 
pêtre. 

Si jamais vous venez , mon cher Théodore , à 
explorer les alentours de Cambo , je ne saurais 
trop vous engager à vous faire accompagner de 
Julien. Mais qu'est-ce que ce Julien? me deman- 
derez- vous. Julien est tout ce que vous vou-» 
drez : barbier , cordonnier, peintre , sculpteur, 
musicien et au besoin laquais ou chef de cuisine, 
que sais-je? Mais surtout il est officieux, préve- 
nant , toujouré prêt à tout et fort bon compagnon 
de route. 

On m'a parlé d'une partie fine , exécutée , il y 
a deux mois, par une nombreuse société, qui est 
allée voir le Pas-de-RoIand. Les amateurs , au 
nombre de quinze , Français, Anglais, Espagnols, 
avaient placé comme guide l'excellent Julien, à 
leur têt^; et, déplus, ils l'avaient chargé de 
pourvoir aux apprêts d'un dîner, sur lequel ils 
comptaient pour renouveler leur forces épuisées 
par le trajet. Vous le voyez , il y allait de l'hon- 
neur de Julien ; aussi avait-il à cœur de justifier 



— 21 — 

la haute confiance dont il était investi. Il prévit 
tout, disposa tout d'avance, et il fit bien. A peine 
la joyeuse compagnie fut-elle arrivée au Pas* 
de-Roland et lui eut - elle accordé quelques re- 
gards d'admiration ou de curiosité , que les plus 
jieunes de ces étrangers commencent à crier fa- 
mine, disant que la longueur du trajet , Tair de 
la montagne a profondément creusé leurs en* 
trailles. Mien les invite à le suivre dans la cam- 
pagne , et voilà que tout à coup apparaît comme 
par enchantement un superbe festin , parfaite- 
ment ordonnancé , dont la vue fait pousser une 
exclamation de surprise et de joie à toute la 
bande. Le linge était d'une exquise propreté, lès 
mets abondants et bien préparés. Les voyageurs 
furent dans l'admiration , dans le ravissement/ 
Mais ce qui mit le comble à la gloire de Julien , 
c'est qu'il eut l'ingénieuse pensée, l'excellent 
goût de présenter à chacun des convives espa- 
gnols ou anglais un plat particulier préparé à la 
mode de leur pays. 

En revenant du Pas-de-Roland , nous sommes 
entrés dans l'église d'itsassou, elle est assez 
grande et n'a rien de remarquable. Les habitants 
de ce village déployèrent pendant la Révolution 
française une grande énergie , pour résister au 
schisme qui se mit dans l'Église de France, et re- 
fusèrent de recevoir le curé intrus qu'on voulut 
leur imposer. 

De l'église, nous montâmes au presbytère 



— ^- 

BPur voir les ornements et vases sacrés , dont 
te ^lage dltsassou est d'autant plus fier qu*il les. 
^it à la munificence d*jun de ses en&nts. L*homme 
généreux , qui Ta si richement doté , s'appelait 
Don Pedro Etchegaray. Jeune , dénué des biens 
de la fortune , mais plein de courage et d'éner* 
gie , il se confie à Dieu , s'embarque pour la ville 
de Cadix en Espagne , qui , depuis la mémorable 
découverte du Nouveau-Monde, voyait affluer 
dans son sein la plus grande partie des richesses 
de rinde et de TÂmérique, pour de là les répân^ 
dre dans le reste de l'Europe. il va chercher dmis 
mie contrée éloignée , inconnue , un bien-être 
que lui refuse le pays qui lui donna le jour. La 
Providence accuei]lit sans doute avec intérêt la 
prière du jeune homme pariant ainsi seul pour la* 
terre étrangère et lointaine. Après quelque» 
années de bonne conduite et de travail assidu, il 
revient dans sa patrie posses3eur d'immenses ri-» 
cbesses. Reconnaissant envers le ciel qui l'avak 
protégé , Don Pedro Etchegaray s'empresse dor 
faire hommage à l'église de sa paroisse natale 
d'un calice , d'un ciboire, d'un ostensoir et d'une 
croix dont le travail , quoique beau , n'annonce, 
jput-étre pas un goût très - exercé , mais doal 
la matière est incontestablement d'un grand 
prix. 

En 91. afin de soustraire ces objets vénérés et 
la rapacité des révolutionnaires , on les cachât 
^i^Aeusemeut ; et le secret du lieu^ qui les re- 



— 2S — 

oelait, ne fat confié qu'à trois Eleheeojauns , ou 
proprii^ires de domaine, • 

L'un d'eux vint à rtiourir bientôt après, et légua 
le précieux secret à son fils , Pierre Iharur, âgé . 
seulement de 18 ans. Celui-ci, malgré sa jeu- 
nesse , était digne d'une telle confiance , et il 
ne tarda pas d'avoir occasion de le prouver. En 
effet, une bande de brigands avait eu vent de ce 
qui s'était passé , et soupçonna, je ne sais sur 
qpels motifs , que le jeune Iharur pouvait bien 
être assez instruit de cette affaire, pour leur 
donner tous les renseignements désirables , afin 
de s'emparer des riches trésors de l'église d'Itsas- 
sou. Ils pénétrent pendant la nuit dans sa maison, 
sie .saisissent de sa personne, l'accablent de me- 
naces et de coups , pour l'obliger à dévoiler son 
secret. 

Ni les menaces, ni les mauvais traitements, ni: 
la vue des armes prêtes à lui ôter la vie, riea- 
a'ébranle Tintrépide jeuD[.e homme. Outrés de 
fureur, les brigands décident qu'on le fera passer 
psor le supplice du feu. Pendant qu'une partie de 
la bande se livre aux plus actives recherches', 
pour découvrir le trésor caché , l'auta^e s'occuper 
de recueillir du combustible , d'entretenir le feu „ 
de tenir les pied& de l'enfant plongés dans un. 
bjrasier ardent. Mais n'importe ;, malgré l'activité: 
dévorante de la flamme, Pierre Iharur reste ton-. 
jçurs mgiHpe de lui-même et de son secret. Un 
ib8taoi toutefois il frémil. en son cœur; c& fut' 



— 24 — 

quand ces bandits, cherchant partout, sondant 
partout, arrivèrent presque jusqu'à toucher de 
leurs mains sacrilèges la cachette qui dérobait à 
leurs yeux l'objet de leur convoitise. II ne se 
sentit soulagé que lorsqu'il les vit s'éloigner 
pour continuer ailleurs leurs investigations. Dé- 
sespérant enfin de rien découvrir , les brigands 
prirent le parti de se retirer, et laissèrent le jeune 
et infortuné Iharur les pieds horriblement brûlés, 
mais toujours possesseur de son terrible secret. 

Plus tard , lorsque des jours tranquilles vin- 
rent luire sur la France , la croix, le calice, le 
ciboire et -l'ostensoir brillèrent de nouveau dans 
l'église d'Itsassou , aux yeux ravis des monta- 
gnards. La commune accorda une gratification 
au courageux Pierre Iharur pour son action géné- 
reuse, et la fabrique le nomma sacristain de l'é- 
glise. C'est dans ces modestes fonctions qu'il a 
vécu jusqu'à un âge fort avancé ; il est mort le 
30 octobre 1844, entouré de l'estime de ses con- 
citoyens. 

Depuis cette époque, les curieux qui vont au 
Pas-de-Roland se nourrir des souvenirs du fa- 
meux paladin, ne manquent guère d'aller voir 
aussi les beaux vases sacrés donnés à l'église 
d'Itsassou par la pieuse reconnaissance de Don 
Pedro Etchegaray, et conservés par l'héroïsme 
chrétien de Kerre Iharur. 

Il est temps , mon cher Théodore , que je 
termine cette longue lettre. Je n'ai ici qu'un seul 



— 25 — 

regret , qui est d'être séparé de vous ; c'est vous 
dire que je suis toujours votre fidèle ami. 

Jules. 



N. B, Tsu, que d'autres écrivent xa, est une termi- 
naison basque qui exprime une idée d'abondance , à peu 
près comme certains adjectifs français terminés en eux : 
Urtsu, aqueux ; urtteu, pluvieux ; harritm, pierreux, etc. 
Cette terminaison se rencontre dans plusieurs noms pro- 
pres de lieu : Hcdtsu, Yatsu, Itsatsu ; Hartsu , pour 
Harritm, nom de maison ; Urtsuia, la montagne aqueu- 
se. On écrit en français : Halsou , Jatsou , Itsatsou ou 
It8assou,etc. ïtsatsa et Fafsa appartiehneut à deux dia. 
lectes basques différents ; ils signifient tous les deux 
Vhoulque, plante dont on se sert pour faire des balais. 



LA REINE D'ESPAGNE A CAIRBO. 



CUmbo, le 17 Septembre 18&3. 

Oui, mon cher Théodore, on a conservé à 
Cambo des souvenirs du séjour de la reine d!Es- 
pagne ; on y trouve même plus d'une marque 
encore subsistante de sa munificence royale. II en 
-est que j'ai vues de mes yeux , il en est d'autres 
dont j'ai trouvé la trace dans quelques extraits 
des archives de Bayonne que l'on a bien voulu 
me confier, et surtout dans deux relations écri- 
tes par Martin d'Urbère, alors curé de Cambo, 
et qui ont été consignées par kûnnéme dans les 
registres de son église. Martin d'Urbère était 
*un bon vieillard, presque octogénaire, qui pas- 
^t en son temps pour un homme de mérite, 
mais évidemment plus versé dans la théologie 
que dans la littérature» et, au demeurant, fort 
aimé de son peuple. Ses relations, empreintes de 
bonhomie et de naïveté, ne manquent, malgré 
une certaine incorrection de style, ni de diarme 
ni d'intérêt ; vous en jugerez vous-même , car je 
les transcris ici pour vous les envoyer : , 



— 28 — 

«DU 7 OCTOBRE 1728. 

« RELATION DU PRBMIKR TOTAGB DE LA RSm DWAGNE. 
« Notez , notez , notez : 

« Que le septième octobre mil sept cent vingt- 
« huict, Madame Marie- Anne, première reyne 
« douairière d'Espagne, est arrivée à Cambo, et 
« Sa Majesté a été pour se loger dans la maison 
« neuve, noble Infançonne de Courouchague, où 
« son palais a été, et elle a commencée à boire 
« des eaux minérales de la présente paroisse, le 
« dimanche dix-septième du même mois et a con- 
« tinué de les prendre pendant quinze jours, et Sa 
« Majesté, qui est d'une piété toute singulière, a 
« reçu en notre église une fois et deux fois par 
« chaque semaine la bénédiction du Saint-Sacre- 
« ment pendant quarante jours qu'elle y a restée. 
« Elle a encore reçu deux fois la même bénédic- 
« tion dans l'église de la paroisse d'Itsatsou, et 
« une fois en celle d'Espelette, et lè jeudi vingt- 
« unième du dit mois , après avoir reçu la dite 
« bénédiction, Sa Majesté me fit l'honneur de ve- 
« nir chez moy en ma maison presbitéralle, et moy 
« j'eus encore celuy de m'entretenir avec elle 
« pendant une heure passée, avec Messieurs de 
« Sorhainde, cy devant chanoine doyen de l'église 
« cathédralle de Bayonne, Bertrand Délissalde, 



— 29 — 

« chanoine de la même église, commendeur 
€ de Tordre Saint-Lazare , ancien grand-vicaire 
« et curé de la ville de Bayonne , et Sauvé 
« de Saint-Pé , aussi chanoine de la dite ca- 
« thédralle, et nous quatre avions eii Thonneur 
« de la conversation de cette aymable reyne pen- 
« dant le dit tems, dans la chambre basse du cotté 
« de la rivière, toute sa belle suite s'étant rettirée 
« dans les autres chambres. 

« Cette reyne toute charitable a enrichi notre 
« église de Cambo des ornements magnifiques, à 
. « savoir d'un plurîal, chasuble, dalmatiques, deux 
« étoles et trois manipules et d'un devant d'autel, 
« le tout garni de galon d'or, de deux charpes 
« l'une plus belle que l'autre , avec des franges 
« d'or aux deux bouts, et ce présent est d'une si 
« grande considération et de prix que je doute 
« qu'il y en aye d'aussi beaux à Bayonne ; même 
« plus, la même reyne a donnée aux églises 
« d'Itsatsou , d'Espelette , Larressore et d'Usta- 
« ritz à chaqune cent livres. 

« Cette illustre reyne , qui était venue icy à 
« Cambo, le septième d'octobre, en partit le dix- 
« septième novembre de l'année mil sept cent 
« vingt-huict, pour se rendre dans son palais de 
« Bayonne i 

« Cette reyne magnifique , qui a le plaisir et 
« le don de faire des présens à beaucoup de 
« monde, dix ou douze jours après qu'elle fut 
« icy à Cambo, eut la bonté de m'envoyer envi- 



— 30 — 

ron une douzaine de livres de chocolat et deux 
livres de tabac en poudre , et la veiile de son 
départ elle m'honnora à peu près d'un sem- 
blable présent et d'une tasse de porcelene avec 
son assiette pour prendre le chocolat, que 
Monsieur d'Estandeau , son médecin, avait pris 
la peine de me porter le tout , et le soir du 
même jour de son départ, la même reyne 
m'envoya une très -belle tabaquière et une 
semblable à Monsieur le curé de Bayonne. Mesr- 
sieurs Harambillet, curé d'Itsatsou , Martin de 
Beherein , vicaire et mon nevù , Martin de Pé- 
ruertéguy, sieur ancien de la maison noble de 
Lure, ont eu aussy l'honneur de recevoir de la 
dite reyne de belles tabaquières différentes 
pourtant de la mienne. Madame de Harader, 
de la paroisse d'Itsatsou , qui a été fort cares- 
sée de la même reyne, a reçu d'elle deux taba- 
quières , la dernière semblable à la mienne, 
un anneau d'or pour son petit-fils et un autre 
de grand prix pour elle, et une espèce de mou- 
choir pour son col ; elle a aussy honoré d'autres 
de semblables présens et autres , et j'ai écrit 
ici, tout ce dessus, pour faire savoir à ceux qui 
viendront après nous ce qui s'est passé à Cambo 
quand nous avons eu l'honneur de posséder icy 
à Cambo cette grande reyne. En foye de quoy 
et de tout le contenu cy dessus, j'ai cy sygné 
le vingt-neufvième du moys de novembre mil 
sept cent vingt-huict. « D'Urbère , Curé. » 



.armmmmfÊm 



— 31 — 

« Et cette même reyne a donné à la demoiselle 
« veuve maîtresse de la dite maison de .Coiirou- 
« chague, pour l'honneur que la dite reyne lui a 
« fait de faire de sa maison son palais, une belle 
« tabaquière et douze cent livres en argent ; à 
« Monsieur Décombès , capitene et commandant 
« de trente grenadiers qui étaient des gardes de 
« cette même reyne une tabaquière, une montre 
« d'or et une belle épée, et autant à Monsieur son 
« lieutenant , hormis que sa montre est d'argent. 
« D'Urbêre , Curé. » 

On lit encore sur la marge du même registre : 
« Notez : 

« Que cette grande reyne a 62 ans accomplis à 
« la fête de Saint Simon et de Saint Jude de la 
« présente année 1728. 

« Notez aussy que la même reyne a fait faire 
« une belle statue de Saint Léon , patron du 
« présent diocèse, qu'elle a fait poser dans une ni- 
« che à la fontene des eaux minérales de Cambo, 
« dans l'année 1728. » 

Voici quelques autres renseignements, mon 
cher Théodore , pour compléter la naïve relation 
' de Martin d'Urbère. Marie-Anne de Neubourg , 
reine douairière d'Espagne, veuve du roi Charles 
II , était arrivée à Cambo accompagnée du duc 
de Fernandine , son majordome major ou grand- 
maître d'hôtel , et de M. d'Estandau, son premier 

• 3 



— 32 — 

médecin, et emmenant avec elle une suite brillan- 
te. Elle était escortée en outre d'une compagnie de 
cadets et de trente grenadiers de sa garde com- 
mandés parle capitaine Décombès. Jamais Cambo 
û'eut un aspect aussi animé que durant les deux 
séjours qu'y fit la Reine ; jamais on ne vit y affluer 
an aussi grand nombre de visiteurs. La ville de 
fiayonne, où cette princesse se faisait chérir de 
:toute la population, envoya plusieurs députations 
à Cambo pour la complimenter officiellement. Les 
députés étaient toujours choisis parmi les éche- 
vins, les jurats, tout ce qu'il y avait de plus no- 
table dans la cité. Une délibération du corps de 
ville , relative à l'une d'entr'elles , est conçue 
dans les termes suivants : 

« Il a été délibéré qu'il sera fait compliment à 
« la reine douairière d'Espagne qui est à Cambo, 
« de la part de la ville et de la communauté, sur 
« la joie qu'on a d'apprendre que les eaux opè- 
« rentbien fsicj et que Sa Majesté est en bonne 
« santé. » 

Ceci ne vous rappelle-t-il pas, mon cher Théo- 
dore, que M"« de Sévigné, étant aHée aussi boire 
les eaux, non pas précisément à Cambo, mais 
B Vichy, écrivait un jour à M"« de Grignan : 

« On tourne, on va, on vient, on se promène, 
« on entend la messe , on rend ses eaux; on 
•« parle coufidentiellement de la manière dont on 



-33- 

« les rend; il n'est questimi qiie de cela jus- 
« qu'à midi. » 

Voulez -vous savoir, mon cher ami, de quel 
bienveillant accueil la Reine d'Espagne honorait 
ces députations des Bayonnais? Eh bien ! je vais 
vous rendre compte d'une de ces réceptions qui 
eurent lieu de temps en temps durant le séjour 
de cette princesse à Cambo ; cela vous donnera 
en même temps une idée de ce qu'était l'étiquette 
de la cour en Espagne. 

La Reine devait accomplir sa soixante-deuxième 
année le 28 octobre , fête de Saint Simon et de 
Saint Jude. Les Bayonnais ne manquèrent pas 
de lui envoyer une députation pour la compli- 
menter à cette occasion; elle se composait de 
quatre des principau3{ habitants de la ville, 
MM. de Beaulieu , de Pincquevéer, Joseph Duli- 
vier et Louis Da vantés. Ces quatre députés parti- 
rent pour Cambo dès la veille. Prévenue de leur 
arrivée, la Reine envoya un de ses carrosses au 
devant d'eux pour les prendre et les conduire au 
logement qu'on leur avait préparé dans la maison 
de M. Darancette, notaire. Comme ils s'y ren- 
daient, voilà qu'ils rencontrent S. M. qui passait 
en voiture dans le bois d'Assance , abattu depuis 
pendant la guerre de 1814 et converti aujour- 
d'hui en terres labourables. L'étiquette leur ii>- 
terdisait de s'arrêter pour parler à la Reine, et 3 
cette princesse même de leur adresser la parole 
avant de les avoir reçus en audience. S. M. vou- 



— 34 — 

lut leur donner néanmoins un témoignage de sa 
bonté en faisant détourner son carrosse pour le 
faire passer près de celui qui les portait. Quand 
les députés se furent reposés, ils allèrent trouver 
le duc de Fernandine , afln de le prier de de- 
mander audience pour eux à la Reine. Ce sei- 
gneur, bien qu'il connût d'avance Tobjet de la 
députation , leur répondit , toujours conformé- 
ment à l'étiquette, qu'il informerait Sa Majesté 
de leur demande , et qu'il leur communiquerait 
la réponse le lendemain. Les députés se présentè- 
rent ensuite auprès du premier médecin, M. d'Es- 
tandau, qui était leur compatriote. C'est là qu'ils 
apprirent que M. d'Estandau avait ordre de les 
retenir à souper, et que le lendemain ils dîne- 
raient au palais de Sa Majesté. 

Le lendemain matin, à huit heures, la Reine eut 
la bonté d'envoyer un de ses valets pour s'infor- 
mer de leur santé; il était chargé en même 
temps de leur annoncer qu'ils dîneraient au palais 
et qu'ils seraient reçus en audience à trois heures. 
Les députés , après avoir entendu la messe , se 
rendirent donc au palais, où ils dînèrent avec le 
contrôleur de la maison, un écuyer, le comman- 
dant des cadets et les officiers des troupes de 
garde. La table fut abondamment et magnifique- 
ment servie. C'est après le repas que les députés 
furent introduits auprès de la» Reine et qu'ils lui 
firent, par l'organe de M. de Beaulieu, le compli- 
ment qu'ils avaient à lui adresser au nom de la ville 



— 35 — 

et communauté de Bayonne : après quoi, ils se re- 
tirèrent immédiatement. Le soir ils retournèrent 
au palais pour faire leur cour à S. M., qui les entre- 
tint pendant une demi-heure avec beaucoup d'af- 
fabilité ; elle leur dit combien elle était sensible à 
l'attention des Rayonnais ; qu'elle était vivement 
touchée de leur empressement; et qu'elle priait 
MM. les députés d'assurer leurs concitoyens de 
sa bonne volonté à leur être agréable en toute 
circonstance. 

Enfin Marie-Anne de Neubourg, reine douai- 
rière d'Espagne, quitta Cambo le 17 novembre 
pour retourner dans son palais de la rue Montaut, à 
Bayonne. La nouvelle de sa prochaine arrivée rem- 
plit d'allégresse toute la ville ; on résolut de lui 
faire la plus brillante réception possible. 

Un grand nombre de bourgeois montent à che- 
val pour aller au devant d'elle ayant à leur tête deux 
magistrats et deux notables ; ils s'avancent jusqu'à 
l'extrémité de la banlieue pour attendre son car- 
rosse et lui servir d'escorte. Tous les autres ma- 
gistrats, revêtus de leurs robes de cérémonie, se 
rendent en corps à la porte Saint-Léon, tandis 
que le peuple accourt en foule pour être témoin 
de l'entrée de la Reine. C'est là que M. de Beau- 
lieu lui adi'essa une courte harangue dans la- 
quelle il exprimait Jes sentiments de respect et 
d'affection des habitants de Bayonne à son égard. 
Le soir, toutes les maisons furent illuminées pour 
célébrer le retour de cette princesse qui , bien 



— 36 — 

qu'étrangère à la cité, avait su conquérir Faffec- 
tion de toute la population bayonnaise. 

L'année suivante, la reine Marie-Anne de Neu- 
bourg revint à Cambo; mais elle avait à cette 
époque cessé d'habiter la ville de Bayonne pour 
aller demeurer au château de Lissague, à Saint- 
Pierre d'irube ; il en résulta que les Rayonnais ne 
lui envoyèrent plus cette année ces députations 
officielles qui étaient allées plusieurs fois la com- 
plimenter l'année précédente. 

L'excellent curé de Cambo, Martin d'Urbère, 
n'a pas manqué de nous laisser la relation de ce 
second séjour de la Reine d'Espagne. Je vous 
l'envoie , mon cher Théodore , telle qu'elle est 
écrite dans l'original : 

c RELATION DU SECOND Y0YA6E DE LA RETNE D'ESPAGNE. 
« Notez, notez, notez : 

« Madame Marie-Anne, reyne douairière d'Es- 
« pagne, arriva à Cambo, le trentième septembre 

• 1729, et Sa Majesté vint en droiteureen notre 
« église pour y recevoir la bénédiction du Saint- 
« Sacrement ; mais avant d'y entrer, j'eus l'hon- 

• neur de faire un compliment à Sa Majesté et 
« elle me fit celuy de m'écouter favorablement : 
« et ensuite elle se retira à midy, dans son pa- 
« lais de Coorouchague , où elle a fait faire des 
« réparations considérables et même pour ac- 
« commoder les chemins : et elle a beû par après 
« de nos eaux minérales pendant seize jours , et 



— 37 — 

« s'en est bien trouvée. Cette illustre reyne est 
« d'une générosité toute singulière , et je crois 
« qu'elle a plus de plaisir de donner que les au- 
« très à recevoir ses dons ; sa piété toute sincère 
« et. solide nous sert d'exemple et nous presse 
« pour tacher de l'imiter. Deux et trois fois la 

• semaine , Sa Majesté s'est présentée en notre 
« église pour y recevoir la bénédiction avec une 
« humilité profonde et digne d'elle ; elle a été à 
« Rsatsou, à Espelette et à Larressore le jour 
« de St-Martin patron , pour y recevoir la même 

• bénédiction : elle a donné à M. le curé d'Espe- 

• lette une belle tabaquière , et une autre à 
« M. son frère cy-devant curé, à M. de Haroste- 
« gui , curé de Sare , un goubelet d'argent doré , 

• une cuillière, forgette d'argent et couteau 
« dans un étuit , et autant au sieur de Beherein , 
« vicaire et mon nevù , qui a eu l'honneur de lui 
« servir quelquefois d'aumônier, à Monsieur de 
« Latsalde, vicaire, une tabaquière, au sieurd'Ur- 
« bère, vicaire de Larressore, une tabaquière; 
« elle a encore fait présent aux églises d'Itsatsou, 
« Espelette, Larressore, Ustaritz et à la nôtre, à 
« chacune cent livres. Sa Majesté est partie de 
« Cambo le cinquième décembre 1729 pour se 
« rendre à son palais proche de Bayonne, et avant 
« son départ. Madame Daguerre de Harader, 
« de la paroisse d'Itsatsou, a été très-particuliè- 

• rement caressée et gracieusée de cette respec- 

• table reyne, et elle lui a donné des présens 



— 38 — 

« considérables, comme une bague d'or de prix 
« et une tabaquière de même, une jupe brodée 
« d'or, un manchon des plus beaux , une pièce 
« ronde toute garnie de diamans, qui se met au 
« devant des cheveux, et quelques paires de 
« gans; à son petit-fils héritier un chapeau et 
« une petite jolie tabaquière, et encore à Ma- 
« dame sa mère, une belle palatine ; mais, pour 
« moy, j'estime au-dessus de tous ces présens, 
« l'honneur qu'elle a reçu de la visite de cette 
« illustre reyne , qui a été chez elle expressé- 
« ment pour la voir ; elle aussi, dans cette occa- 
« sion d'honneur, a donné une collation magni- 
« fique à toute sa suitte aussy belle que nom- 
« breuse, et la reyne même y mangea quelque 
« peu de chose, et beiit un coup d'eau avecquel- 
« ques gouttes de vin : tout cela nous fait corn- 
« prendre que la dite Madame de Harader a beau- 
« coup de mérite , puisqu'elle a su captiver les 
« bonnes grâces de Sa Majesté et qu'elle est dans 
« sa cour avec tous les agrémens possibles. La 
« reyne a fait donner à la veuve dame de Cou- 
« rouchague, comnie auparavant, douze cents 
« livres, du chocolat, une tabaquière et quatre 
« jupes pour elle et pour sa famille ; à nos deux 
« benoîtes de l'église, comme dans l'année 1728, 
« quatre-vingts livres. Au commencement que 
« ladite reyne arriva à Cambo dans l'année 1729, 
« elle eût la bonté de nous envoyer, à Monsieur 
♦ le curé de Bayonne et à moy, du chocolat et du 



— 39 — 

« tabac ; et la veille de son départ , Sa Majesté 
« bienfaisante me fit Thonneur de m'envoyer une 
« boite de plonc fermée, remplie du tabac de Se- 
« ville, du chocolat, et une tabaquière plus belle 
« que celle d'auparavant : enfin cette aymable 
« Majesté a fait un présent considérable digne 
« d'elle à notre église et au-dessus de la valeur 
« des magnifiques ornemens qu'elle avait déjà 
« donnés à la même église , d'un beau soleil 
« entouré de diamans , et un gros rubis en bas 
« et diamans, pour donner la bénédiction du St- 
« Sacrement dont nous ne pouvons pas évaluer 
« le prix : cecy pour nos successeurs. 
« Fait à Cambo, le 1«^ février 1730. 

« D'Urbère , Curé. » 

Les voilà, mon cher Théodore , les deux rela- 
tions du bon curé Martin d'Urbère. Si leur lec- 
ture doit vous faire plaisir, tant mieux certes ; 
je m'en réjouis d'avance et pour vous et pour 
moi. 

J'ajouterai, en terminant, que les ornements 
donnés à l'église de Cambo par la Reine d'Espa- 
gne n'ont point disparu de cette église, et qu'ils 
y figurent encore avantageusement aux jours de 
grande solennité. On y voyait en outre une autre 
pièce fort curieuse ; c'était une grande croix qui 
datait de 1243, et qui fut volée, croit-on, par des 
étrangers, dont le premier soin fut de s^enfuir 
immédiatement en Espagne. On lit dans les régis- 



— 40 — 

très de Féglise les lignes suivantes relativement 
à ce vol sacrilège : 

« La nuit du 1 Octobre 1788, on 'nous a en- 
« levé de la sacristie la grande croix qui faisait 
« le plus bel ornement de notre église, et qui, 
« par sa façon et son élégance , éclipsait toutes 
« celles du diocèse , à l'exception de celle de la 
« cathédrale qui est plus riche. Elle avait été faite 
« en 1243. 

« En foy de quoy. Diharce , Curé, » 

Adieu, cher Théodore. Bien que vous n'ayez 
pas besoin que je vous le dise pour le savoir, 
j'aime à vous répéter que je suis votre meilleur 
ami. Jules. 



LARRESSORE 



(1) 



Cambo, le 20 Septembre 1852. 

La fnatinée a été charmante, mon cher Théo- 
dore ; dès l'aube du jour, le ciel était serein , 
rhorizon vermeil ; tous les vents se taisaient , et 
une brise légère venait seule , par interv^alles , 
agiter en se jouant le feuUlage des arbres. J'ai 
profité de ce beau temps pour faire une prome- 
nade solitaire à Larressore , petit village près de 
Cambo, qui a des paysages charmants. Là, on ne 
se trouve pas, comme à Itsassou , parmi des ber- 
gers et des montagnards , mais bien au milieu 
d'une population toute composée de tuiliers. La 
jeunesse est nombreuse , belle , robuste , labo- 
rieuse. Les hommes ne passent dans leurs foyers 
que l'hiver et le commencement du printemps ; 
ils font les travaux les plus rudes et les plus pé- 
nibles de la campagne , abandonnent le reste au 
soin des femmes et des enfants; et, dès que re- 
viennent les beaux jours, fls disent adieu à leurs 



(1) Ce mot D'est autre que le mot basque Larre-Sorhot 
qui signifie lande-prairie. 



— 42 — 

familles et au clocher de leur village , et se diri- 
gent presque tous vers l'Espagne. C'est là qu'ils 
resteront pendant sept ou huit mois de l'année, 
se levant à trois ou quatre heures du matin, tra- 
vaillant jusqu'au soir, piochant et pétrissant l'ar- 
gile, lui donnant dans des moules la forme de bri- 
ques ou de tuiles , la faisant sécher au soleil et 
cuire dans des fours ardents, enfin ne couchant 
que sur la dure et ne se nourrissant que d'ali- 
ments grossiers. Mais aussi quel n'est pas leur 
bonheur, lorsqu'à la fin de l'été ils peuvent se 
dire que la campagne a été bonne I Quelle n'est 
pas surtout leur joie au moment où, de retour au 
sein de leurs familles , ils font briller aux yeux 
ébahis de leurs parents, de leurs femmes, de 
leurs enfants , de leurs jeunes frères et de leurs 
sœurs, les quelques onces d'or qu'ils ont gagnées 
au prix de bien des fatigues et des sueurs. 

Au commencement du dernier siècle, un de ces 
tuiliers, nommé Martin Harriet, jeune garçon de 
16 ans, tout fraîchement revenu d'Espagne, eut 
occasion d'assister à un contrat par-devant no- 
taire. Après la rédaction de la pièce notariée, 
voyant deux ou trois beaux écus de six livres 
passer en droite ligne dans la poche de l'écrivain 
public : « — Comment , dit-il en se tournant vers 
« son père, est-ce que ces écus sont déjà gagnés ? 
« — Sans doute, mon fils, lui fut-il répondu. — 
« En ce cas, reprit-il, père, ne m'envoyez plus 
« faire des tuiles en Espagne ; désormais je veux 



— 43 — 

« aussi être notaire. » Les désirs du jeune tuilier 
ne tardèrent pas à s'accomplir. Peu de jours 
après, Martin, accompagné de son père, s'ache- 
minait vers la ville de Bayonne, où il allait com- 
mencer ses études de latinité ; et quelques an- 
nées plus tard, il était connu sous le nom de Mon- 
sieur Harriet, notaire royal à Larressore, greffier 
de la communauté, et, de plus, auteur d'une Gram- 
maire basque, devenue fort rare aujourd'hui. 

J'ai reçu , au Séminaire de Larressore, le meil- 
leur et le plus aimable accueil du monde. Très- 
heureusement pour moi , bien que les vacances 
soient ouvertes depuis plusieurs semaines, il s'y 
trouvait encore quelques professeurs ; ce qui m'a 
procuré le plaisir d'avoir avec eux un assez long 
entretien sur le système d'éducation suivi dans 
l'établissement. Tout ce que j'ai entendu dans 
cette intéressante conversation m'a convaincu 
que ce sont là des hommes vraiment instruits et 
qui doivent être fort dévoués au bien de leurs 
élèves. L'établissement est placé dans des condi- 
tions hygiéniques si heureuses, qu'il serait à dé- 
sirer que toutes les maisons d'éducation pussent 
les réunir. Atmosphère piire , circulation facile 
de l'air dans les salles , source d'eau excellente 
dans la maison même , cours spacieuses et com- 
modes, position topographique qui domine une 
fraîche vallée fertilisée par les eaux de la Nive , 
une nourriture saine et abondante, des Sœurs re- 
ligieuses pour veiller sur l'infirmerie, sur la cui- 



— 44 — 

sine et sur la propreté en général, rien n'y man- 
que de ce qui peut contribuer à la bonne santé 
des élèves. 

Le Séminaire de Larressore a été , depuis sa 
fondation jusqu'en 93, un véritable foyer de ci- 
vilisation chrétienne. Il devait son existence à 
M. Jean Daguerre, fils d'un notaire de ce village. 
Esprit essentiellement organisateur, M. Daguerre 
entreprit de régénérer le Pays Basque en proie à 
l'ignorance de l'esprit et à la corruption des 
mœurs ; et, dans ce but, il fonda, outre le Sémi- 
naire , une maison de Missionnaires et un cou- 
vent pour l'éducation des jeunes filles ; ces trois 
établissements disparurent durant la tourmente 
révolutionnaire. Mais le Séminaire de Larressorç 
se releva de ses ruines en 1820 ; et, depuis cette 
époque, il n'a point cessé de rendre des services 
inappréciables aux familles aisées du pays. Au- 
jourd'hui encore, les bonnes études continua 
d'y fleurir sous l'habile direction que leur imfw'ime 
un nouveau supérieur, qui a su s'environner de 
professeurs d'élite. 

Au delà de la Nive , en face du Séminaire, on 
aperçoit échelonnée sur une éminenee une longue 
rangée de maiscms ; c'est le village de Halsou. Au- 
trefois Halsou n'était qu'un simple quartier de Lar- 
ressore, dont il était séparé par la rivière. Un jour 
(c'était en 1506) , les eaux de la Nive avaient été 
grossies par des pluies abondantes, le courant était 
rapide et violent : néanmoins, la noble famille qui 



— 45 — 

habitait le château d'Uhalde à Ilalsou, s'était mise 
en devoir de traverser la rivière, afin de se rendre 
à réglise paroissiale pour assister à la messe du 
dimanche. Durant le trajet, une jeune demoiselle 
appartenant à la famille tombe tout à coup dans 
Teau, disparaît aux regards avant qu'on puisse 
lui porter secours, et se noie misérablement. Qn 
ne saurait peindre la désolation de Martin d'Uhalde 
et de Marie de Haïtze, son père et sa mère, d'avoir 
perdu d'une manière si déplorable une fille ché- 
rie à la fleur de son âge. Dans leur affliction, ils 
demandèrent à Bertrand de Lahet , évéque de 
Bayonne, la permission de fonder près de leur 
château une chapelle particulière dédiée à la 
Sainte Vierge , ce qui leur fut accordé. Six ans 
après, en 1512, <;ette chapelle fut érigée en église 
paroissiale avec l'autorisation de ce même prélat 
et du consentement de M. de Saint-Martin, curé 
de Larressore et en même temps abbé du couvent 
d'Urdache ; c'est de là que date la séparation deB 
deux paroisses. (1) 

(1) Martin d'Uhalde assista à rassemblée générale qui 
se tint, le 29 octobre 1513, à Thôtel de ville de Bayonne, 
pour réduire en un corps les coutunoes particulières de 
cette ville et de tout le Labourd. Quant à Bertrand de 
Lahet , qui avait été chanoine de la cathédrale et vicaire- 
général capitulaire, il fut le dernier évéque de Bayonne qui 
eût été porté à Tépiscopat par les suffrages de ses collè- 
gues; son élection avait eu lieu le 15 juillet 1504, dans la 
salle ordinaire du chapitre. 



— 46 — 

En sortant du Sénainaire, je suis allé au château 
de Saint-Martin, où l'on est toujours sûr dç trou- 
ver une gracieuse hospitalité auprès des familles 
Diesse et Dominique Sescosse, qui n'en font plus 
qu'une. Ce château jouit d'une des plus magnifi- 
ques perspectives de ce pays si riche en beaux 
points de vue. La famille Diesse l'avait acquis, à 
la fin du dernier siècle , de Henri de Lafutzun , 
baron de Lacarre, à qui il était échu par son ma- 
riage avec Françoise-Henriette de Saint-Martin , 
fille et héritière de Charles de St-Martin, mestre- 
de-camp de cavalerie , dernier rejeton mâle des 
sieurs de St-Martin , de Larressore. (1) 

Je ne peux terminer cette lettre, mon cher 
Théodore, sans vous raconter une aventure assez 
plaisante arrivée à ce baron de Lacarre, et dont 
je vous garantis l'authenticité. 

L'abbé Garât, depuis curé de Saint -Pierre 
d'Irube, fut un jour rencontré, près du Sémi- 
naire de Larressore, par une bonne vieille femme, 
et retenu quelques moments par ^Ue dans un che- 
min creux, bordé des deux côtés par de longues 
murailles. Au même instant survient le baron de 
Lacarre, monté sur un jeune cheval bien vif et 
bien fringant. Le cheval marchait vite, et ni l'abbé 
Garât ni la vieille femme n'avaient assez de temps 



(1) Ce mariage eut lieu le 3 février 17 39 ; le baron de 
LacaFre était capitaine au régiment de Foix. 



-- 47 — 

et d'espace sur cet étroit chemin pour laisser le 
passage libre au cavalier. L'abbé Garât cria dona 
à rétourdi baron de vouloir bien modérer Tardeur 
de son coursier, sans quoi un malheur paraissait 
inévitable. Celui-ci ferme Toreille à cette sagere- 
présentation , et continue de pousser en avant. 
L'abbé , ne sachant que faire en cette extrémité, 
lève soudain sa canne , et en frappe un coup vi- 
goureux sur le museau du cheval qui se cabre, 
renverse son cavalier, et s'enfuit au loin de toute- 
la vitesse de ses jambes. Le baron, de son côté, 
ne se sentant point blessé , se relève furieux, met. 
l'épée à la main, et court à la poursuite,. non, 
point du cheval, mais du prêtre , qui entrait pré- 
cipitamment dans le Séminaire où il disparut. Il 
pénètre dans les cours , se lance à travers l'une 
des vingt portes qui sont devant lui, parvient à 
la cuisine , y trouve tout seul un jeune homme 
de vingt ans, M. Celhay, de Cambo, et lui de- 
mande, en brandissant son épée, où est ce prê- 
tre , cet insolent , cette canaille , qui l'a insulté. 
A cette interpellation un peu vive , M. Celhay, 
jeune , fort , courageux , trouvant sous sa main 
une grande broche de cuisine , la saisit brusque- 
ment , en applique la pointe sur la poitrine du 
baron, et, le tenant à distance, lui déclare qu'il 
ait à vider promptement les lieux, s'il ne veut être 
enfilé sur l'heure ni plus ni moins qu'une pièce 
de gibier. Le ton et l'expression de visage de son 
adversaire faisaient présager au baron qu'ici la 

4 



— 48 — 

menace pourrait bien n'être pas tout à fait vaine. 
Aussi prit-il le sage parti de se radoucir et de 
battre en retraite ; il sortit du Séminaire, toujours 
suivi de Fintrépide Celhay, qui raccompagna jus- 
qu'à la porte armé de la redoutable broche. Or ce 
M. Celhay, devenu dans la suite prêtre et mis- 
sionnaire, était oncle de l'honorable abbé Celhay, 
aujourd'hui aumônier de l'hospice militaire de 
Bayonne , chanoine honoraire de l'église cathé- 
drale , et chevalier de la Légion d'Honneur. 

Je vous quitte, mon cher Théodore., mais non 
sans vous dire que je vous aime et vous embrasse 
de cœur. Jules. 



MM. ORFILA ET BÉRARD A CAMBO. 



Cambo, le 22 Septembre 1852. 

Que ne suis-je journaliste , mon cher Théodore! 
Je vous annoncerais que Cambo vient d'avoir son 
événement du jour, et qu'une nouvelle inatten- 
due a mis en émoi le village tout entier. Mais 
comme je ne jouis pas d'un tel honneur, je me 
contenterai de vous dire tout uniment que nous 
avons reçu aujourd'hui la visite de deux de nos 
célébrités contemporaines ; seulement, je serais 
tenté de vous donner à deviner leurs noms , et, 
à l'exemple de M"»» de Sévigné, de vous faire 
jeter votre langue aux chiens. Cependant, un 
peu moins impitoyable que la spirituelle mar- 
quise, je ne veux pas mettre votre patience à 
une trop rude épreuve, et je me hâte de vous 
dire que ces deux personnages n'étaient autres 
que le fameux professeur de chiçiie médicale , 
l'ancien doyen de la Faculté de Médecine de Pa- 
ris, M. Orfila, et M. Bérard , doyen actuel et pro-- 
fesseur de chimie médicale de la Faculté de Mé- 
decine de Montpellier. 

Voici quelle a été l'occasion de leur visite. 
Vous avez sans doute appris , mon cher Théo* 



— 50 — 

dore, que M. Orfila, frère de Tillustre professeur, 
est devenu propriétaire du beau domaine de 
Montchoisy, à Saint-Martia-de-Seignanx , et qae 
son fite vient de se marier avec M"« Bérard. Or, 
après le mariage, quia été célébré à Montpellier, 
on s'est rendu à Saint-Martin; et là, il s'est formé 
autour des jeunes époux une véritable société 
d'élite. C'est au milieu de cette société que la re- 
nommée a fait voler le nom de Cambo, comme 
celui du but le plus agréable de promenade qu'on 
puisse trouver. Aussitôt les imaginations sont en 
mouvement ; on veut contempler de près le pays 
dont on entend vanter les charmes; la partie 
s'organise, et l'on arrive à Cambo par un très- 
beau soleil de septembre. Personne assurément 
ne se doutait ici de la qualité des honorables 
voyageurs; et ils seraient probablement restés 
dans leur incognito, si une heureuse circonstance 
na les avait fait découvrir. 

M. Fagalde, pharmacien, a été autrefois élève 
dlOrflla, et par un louable sentiment de recon- 
naissance et de vénération, il conserve le portrait 
de son ancien maître dans un lieu apparent de sa 
pharmacie. La yue de ce portrait a frappé M. Or- 
fila, un sourire a effleuré ses lèvres, et il s'est 
approché de M. Fagalde qui Ta reconnu sur-le- 
ch^mp et* salué par son nom. 

Bientôt après , on ne parlait à Cambo que de 
MM. Orfila et Bérard et de l'aventure qui les 
a fait reconnaître. 



— 51 — 

Munis d'un thermomètre et de quelques réac - 
tifs, tous les trois se sont rendus aux eaux. Ils 
ont trouvé que la température, soit de l'eau sul- 
fureuse , soit de l'eau ferrugineuse , est exacte- 
ment la même que je vous ai indiquée dons une 
-précédente lettre. MM. Orfila et Bérard ont ob- 
servé que l'eau sulfureuse est claire , limpide , 
qu'elle répand une odeur de soufre prononcée , 
et qu'elle a dans le goût beaucoup d'analogie 
avec les eaux de Bonnes. Ils ont déclaré que l'eau 
ferrugineuse est bien carbonatisée, et qu'elle dé- 
pose du peroxyde de fer avec abondance. L'éta- 
blissement des bains leur a paru bien conditionné, 
bien tenu, et les.douches placées à des hauteurs 
qui ne laissent rien à désirer. Honneur à M. Fa- 
galde père , dont l'intelligente activité dote cha- 
que année Cambo de quelque amélioration nou- 
velle ! Honneur à lui, surtout parce que ces amé- 
liorations ont pour but principal de venir au 
secours de l'humanité infirme et souffrante ! 

MM. Orfila et Bérard étaient ravis d'admiration 
à l'aspect des beautés et des richesses que la 
nature déployait à leurs yeux ; ils ne se lassaient 
point de les contempler et ne pouvaient en détaf- 
cher leurs regards. « En vérité, la Providence a 
été bien prodigue envers vous » , disait M. Or- 
fila à M. Fagalde; puis s'adressant à M. Bé- 
rard : — « Quelle fraîcheur de végétation, mon 
cher Bérard! Je considère Cambo comme le 
pays le plus riant, le plus pittoresque que j'aie 



— 52 — 

parcouru dans ma vie. Avec les chemins de fer, 
je le crois destiné à devenir avant longtemps le 
pays par excellence, pour le monde qui vit dans 
la grande ville. Je me ferai un devoir de parler 
de Cambo dans mes leçons à la Faculté de Méde- 
cine; et chaque année, à Tépoque où des senti- 
ments de fraternité me rapprocheront de ces con- 
trées , Cambo recevra aussi ma visite. » 

Au moment de leur départ, MM. Orfila et Bé- 
rard ont prié M. Fagalde et M. le docteur Délis- 
salde, qui était venu les joindre, de leur expé- 
dier dix bouteilles d'eaux minérales. «Veuillez, 
leur dirent-Us, nous envoyer à Paris les extraits 
d'évaporation de vos eaux, et vous aurez de nos 
nouvelles. » 

Prévenu un peu trop tard de la présence des 
deux illustres voyageurs à Cambo, je n'ai pu 
que leur adresser un simple salut. Je vous avoue, 
mon cher Théodore, que j'en ai ressenti un vif 
regret; j'aurais été heureux d'être moi-même 
lémoin de leurs impressions, et de recueillir de 
leur bouche l'expression des sentiments qu'ils 
iproqvaicnt. Mais quoique je n'aie pojnt eu cet 
avantage, vous pouvez compter sur l'exactitude 
■de mon récit, que je tiens des personnes mêmes 
qui ont eu l'honneur de les entretenir. 

Ne vous semble-t-il pas, mon ami, qu'une sem- 
blable visite, accompagnée des circonstances que 
je viens de vous raconter, soit de bon augure 
pour l'avenir de Cambo ? Lorsque d'un côté Don 



— 53 — 

Ramon Robiralta et Don Vicente Azuero, pro- 
fesseurs de la Faculté de Médecine de Madrid, 
et de l'autre des hommes d'un mérite aussi in- 
contestable que MM. Orfila et Bérard, se pronon- 
cent sans hésiter en faveur de ses eaux , ne se- 
rait-il point par trop présomptueux de chercher 
à les rabaisser en contestant leurs propriétés 
bienfaisantes ? M. de Jouy, de son côté, dans son 
ouvrage intitulé : L'Hermile en province, ou ob- 
servations sur les mœurs et les usages français 
au commencement du XIX^ siècle, avait affirmé 
déjà que, quoique moins renommées, elles sont 
tout aussi bonnes que celles de Bagnères et de 
Barèges. L'empereur Napoléon lui-même résolut 
de fonder à Cambo une succursale de Barèges et 
affecta une somme de 150,000 fr. à l'exécution de 
ce projet, que les grands événements, qui chan- 
gèrent la face de l'Europe , ne tardèrent pas de 
faire échouer. Telle est pourtant l'inconséquence 
de notre pauvre nature humaine , que je ne dé- 
sespère pas de rencontrer encore quelques-uns 
de ces esprits bizarres et chagrins qui ne man- 
queront pas de fouler aux pieds , à la première 
occasion , et l'opinion de tous ces hommes émi- 
nents, et les preuves fournies par une expérience 
journalière. Quant à moi, je suis trop reconnais- 
sant envers Cambo de la bonne santé que j'y 
retrouve , pour me ranger jamais au nombre de 
ses détracteurs. 
Passons à autre chose. Vous souvient-il, mon 



— 54 — 

cher Théodore, de ce promeneur solitaire dont je 
vous ai parlé dans une de mes dernières lettres, et 
qui* m'avait paru plus étranger ici qu'aucun au- 
tre parmi tant d'autres étrangers qu'on y voit? Eh 
bien ! voulez-vous savoir ce qu'il est? Je l'ai ap- 
pris hier de sa propre bouche. Nous étant ren- 
contrés tous deux dans un étroit passage où il ne 
nous était guères possible de nous éviter, j'ai bra- 
trement engagé la conversation, à laquelle volon- 
tiers il a donné suite. 

Vous saurez donc que ce personnage n'est au- 
tre que M. M... B..., ancien représentant du peo- 
ple , et avocat distingué dans un chef-lieu d'un 
^e nos départements du Centre. Un travail trop 
'assidu, une contention d'esprit excessive, ont 
provoqué chez lui une gastrite, contre laquelle 
il a voulu d'abord se roidir ; mais le mal, plus fort 
'^e sa Volonté, a fini par l'obliger à rendre lesîir- 
mes, et il s'est vu contraint,- à son grand regret, 
de renoncer à ses affaires pour se mettre entre 
les mains de la Faculté. Celle-ci, après quelques 
tentatives inutiles pour le guérir, n'a rien trouvé 
de mieux à faire que de l'envoyer aux bains de 
mer. 

Vous n'êtes pas à ne savoir point, mon ami, 
qu'à l'époque de progrès où nous vivons, les 
bains de mer sont devenus la panacée univer- 
selle, qui doit guérir tous les maux imaginables,. 
passés ^présents, futurs. Voilà donc notre avocat 
qui part pour Royan, où chaque matin il se met 



~ 55 — 

à se tremper le plus consciencieusement du 
monde dans la grande baignoire de l'Océan. Mais, 
hélas ! cet exercice ne lui profite guères ; c'est là 
tout simplement de la peine perdue : le mal, au 
lieu de diminuer d'intensité, s'aggrave toujours, 
et le malade naturellement s'en inquiète. De là nou- 
veau recours à la Faculté. En entendant que 
M. M... B... a pris des bains de mer froids, celle- 
ci devient rouge de colère ; et vite de se récrier 
contre une telle imprudence. — Comment a-t-on 
pu comprendre si mal ses prescriptions? Corn- 
ifnent a-t-on pu avoir l'entendement ainsi à l'en- 
vers ? Ce ne sont point des bains froids qu'elle a 
prescrits, mais bien des bains d'eau de mer 
chauffée ; voilà ce qu'elle a voulu dire, ce qu'elle 
a dit, ce qu'elle a ordonné ; voilà où il fallait en ve- 
nir, et où il faut en venir encore. — Et notre ma- 
lade, envieux de guérison , d'accepter la mercu- 
riale, quoiqu'on sourcillant un peu, et de s'incli- 
ner docilement devant la docte sentence; il s'em- 
presse de commander des bains d'eau de mer 
chauffée, et chaque jour il s'y plonge régulière- 
ment tout entier. Il espère que pour le coup l'or- 
donnance sera suivie du succès; il l'espère, il s'y 
attend; mais il a beau espérer et attendre, le suc- 
cès n'arrive pas, ne se montre nulle part. Déses- 
péré , hors de lui-même , il tombe dans un pro- 
fond découragement, veut abandonner tout-à-fait 
la partie, et sans trop savoir où il va, s'enfuit en 
toute hâte loin de Royan et de la Faculté. 



— 56 — 

C'est dons cette disposition d'esprit et de corps 
que M. M... B..., accompagné de sa dame, arrive 
à Bordeaux. Là, il sent ses forces tellement épui- 
sées, qu'il est réduit à se condamner pendant 
trois jours à un repos absolu. Au bout de ce 
temps, il se remet en route, dans la pensée de se 
rendre au plus vite à Biarritz, dont la vogue va 
toujours croissant. 

A Bayonne, il descende Y Hôtel du Commerce; 
et c'est là, dans cet hôtel, que va poindre l'idée 
lumineuse qui le conduira aux eaux de Cambo, 
pour le délivrer de cette horrible gastrite dont 
la pensée suffit à le tourmenter. En efifet, 
M™* M... B... s'ouvre , en arrivant, à M"»« Tein- 
turier, maîtresse de l'hôtel, sur l'état de son mari, 
et réclame de sa bienveillance quelques soins 
particuliers en faveur du malade. M»« Teinturier, 
excellente femme, valétudinaire elle-même, et 
connaissant tout le prix d'une bonne santé, écoute 
fort au long le récit des diverses phases de la 
maladie et des traitements qui ont été appliqués, 
et finit par dire à M. et àM™« M... B... : « Vous 
« voulez aller à Biarritz ? Eh bien I qu'y trouve- 
« rez-vous ? De l'eau salée comme à Royan, un 
« peu plus battue peut-être, voilà tout. Croyez- 
« moi , ce n'est pas là ce qu'il vous faut. Malheu- 
« reusement j'ai été obligée par le fâcheux état 
« de ma santé d'acquérir un peu d'expérience en 
« cette matière : je suis sûre que ce qui vous 
« convient le mieux , c'est Cambo. — Cambo ? 



— 57 — 

«{ mais qu'est-ce que cela? s*écrient les deux 
« époux à la fois. » M«»« Teinturier parle alors 
avec une chaleureuse conviction des eaux miné- 
rales de Cambo et de leurs vertus, taudis que 
les deux étrangers Técoutent avec un intérêt 
marqué ; elle fait glisser dans leur âme la per- 
suasion dont la sienne est remplie. 

Dès le lendemain de cet entretien, M. et M"« M.. . 
B. . . avaient quitté Bayonne, et se trouvaient instal- 
lés à Cambo chez Marguerite Hiriart, tout proche 
de rétablissement thermal. Il y a trois ou quatre 
semaines de cela, M. M... B... après avoir conféré 
avecM.Délissalde, médecin-inspecteur, s'était mis 
immédiatement au régime des eaux. Il n'a pas tar- 
dé, m'a-t-il dit, de se ressentir de l'action bienfai- 
sante qu'elles exercent : l'appétit est revenu ; les 
fonctions digestives s'accomplissent beaucoup 
mieux, et en même temps les forces augmentent 
chaque jour. Cet homme, qui ne pouvait naguère 
ni boire ni manger, ni presque faire un pas, au- 
jourd'hui mange, boit, se promène, et sent un 
bien-être qui lui était depuis longtemps inconnu. 
Mais il veut absolument se retirer de Cambo de- 
main ou après-demain au plus tard. D'après moi, 
il se hâte un peu trop : je me suis permis de le 
lui dire ; je l'ai même pressé de prolonger son 
séjour pour achever d'affermir une santé qui lui 
a tant coûté à recouvrer. A cela, voici sa réponse : 
« Songez donc. Monsieur, que, depuis six mois, 
« je suis hors de mon étude, que mes affaires et 



— ^S8 — 

« celles de mes clients chôment depuis long-^ 
« temps, qu'elles réclament à hauts cris ma pré- 
« sence. » J'ai compris que son parti est irrévo- 
cablement arrêté, et je n'ai pas insisté davan- 
tage. Je vous avoue, mon ami, que je ne vois 
pas sans regret M. M... B... brusquer ainsi son 
départ ; je désire qu'il n'ait pas à s'en repentir 
quelque jour. 

Adieu, mon cher Théodore, vou& savez à quel 
point je vous suis dévoué. 

JtLES. 



23 Septembre. 

Ma lettre n'était pas close encore, que j'ai fait 
de nouveau la rencontre de l'ancien représentant 
•du peuple; il était chez le régisseur de l'établisse- 
ment thermal , où il était allé demander qu'on lui 
emballât je ne sais quelle quantité d'eaux minéra- 
les qu'il compte emporter avec lui. M. M... B... 
part définitivement demain. « Je me félicite, m'a- 
« t-il dit , d'être venu à Cambo ; ma santé est 
« sensiblement meilleure, et j'emporte une caisse 
« pleine d'eaux minérales que je continuerai de 
^« boire tout en vaquant à mes occupations. » 

La précaution n'est pas mauvaise; je doute 
néanmoins, quant à moi, qu'au sein de son tra- 
vail, qui est fort considérable, il retire de ces 
eaux le même bien qu'il en aurait retiré ici : il 



— 59 — 

me semble qu'il n'y aurait rien de plus raisonna- 
ble à cet égard, que de se soumettre à la recom- 
mandation adressée aux buveurs d'eau par le 
D' Alibert : 

« Laissez à la porte toutes les passions qui ont 
« agité votre àme , toutes les affaires qui ont si 
« longtemps tourmenté votre esprit. » 

Est-il possible de suivre cette recommandation 
sans quitter son chez soi ? 

Quoi qu'il en soit, M. M... B..., l'ancien re- 
présentant du peuple, m'a vivement serré la 
main en signe d'amitié , et puis nous nous som- 
mes séparés , probablement pour ne nous revoir 
jamais plus. 

Adieu encore. 

Jules. 



HASPARREN. (') 

Caubo, le 1«' Octobre 1852. 

Mon cher Théodore , 

J'ai eu le bonheur de faire connaissance à 
Cambo avec M. A..., jeune magistrat d'un esprit 
vif et cultivé. Nous avions résolu d'aller mardi 
dernier à Hasparren, où Ton voit, dit-on, le plus 
beau marché du Pays Basque. Mais à peine avions- 
nous formé ce projet, qu'il nous a fallu y renon- 
cer; car tout les chevaux du pays avaient été re- 
tenus d'avance par d'autres étrangers non moins 
curieux et plus avisés que nous , et les chemins 
sont impraticables aux voitures pendant l'espace 
au moins de trois kilomètres (2). C'était pour 
nous une véritable contrariété : mais il fallait en 
prendre son parti ; et c'est hier seulement que 



(1) Haritz-barren ou HaritZ'bamey d'où le mot jETas- 
parren est dérivé, veut dire lieu situé au milieu des chênes, 

(2) On travaille en ce moment à relier Cambo à Has- 
parren au moyen d'une voie de grande communication, 
que Ton espère voir terminée bientôt. 



— 62 — 

nous avons pu mettre notre dessein à exécution. 
Dès le matin , montés tous les deux sur d'excel- 
lents petits chevaux navarrais, au pied sur, à la 
vive allure, à la jambe fine et nerveuse, nous 
chevauchions gaiement de compagnie sur la 
route qui conduit à Ilasparren. A mesure que 
nous avancions, mon compagnon ne se lassait 
pas d'exprimer son admiration à la vue des beau- 
tés champêtres qui se déroulaient sans cesse de- 
vant nous. A vrai dire, je crois qu'il est difficile 
de trouver une plus belle campagne que celle 
que nous avons parcourue de Cambo à Haspar- 
ren. Elle est parsemée, adroite et à gauche de la 
route, d'une multitude de maisons de laboureurs, 
toutes bien blanches , toutes de l'aspect le pl«s 
propre, et environnées de champs, de vepgers> 
de prairies, de vignes et de bosquets : quelques- 
unes, situées dans de creux vallons, semblent s'y 
<;aeher comme dans le fond d'un nid de verdure ; 
mais la plupart, bâties sur le penchant ou au 
sommet des collines, paraissent perchées sur ces 
hauteurs, tout exprès pour mieux contempler le 
-délicieux paysage qui s'étend autour d'elles. 

Bien que considéré comme un simple bourg , 
Hasparren est plus grand, plus riche, plus peu- 
plé que beaucoup de villes de France et d'Italie. 
La population, comprise dans son territoire, est 
de cinq à six mille âmes. La plupart des habitants 
se livrent à l'agriculture ; ce qui ne les empêche 
pas de s'adonner en même temps à quelque bran- 



— 63 — 

che d'industrie, pour accroître leurs moyens 
d'existence. Aussi compte-t-on à Hasparren en- 
viron douze cents cordonniers, sept à huit cents 
ouvriers en laine, des corroyeurs, des chocola- 
tiers qui presque tous allient les travaux agrico- 
les à leur industrie particulière. C'est à Haspar- 
ren et dans ses environs que se fabriquent les 
grosses étoffes, connues dans le commerce sous 
le nom de marrègues; on les expédie pour le 
nord de la France et la Belgique, où les gens du 
peuple et surtout les postillons et voituriers s'en 
servent pour se garantir du froid et du mauvais 
temps. 

Nous sommes allés visiter l'église de Hasparren 
et la fameuse inscription trouvée en 1660 dans les 
fondements du maître-autel. Un jeune vicaire, du 
caractère le plus aflfable et le plus prévenant , a 
bien voulu nous servir de cicérone. « L'église, 
« nous dit-il, bien que fort spacieuse, comme 
« vous le voyez , est insuffisante à contenir les 
« flots de ce peuple plein de foi qui accourt en 
« foule à toutes les solennités religieuses.» Il 
Dous montra reléguée dans un grenier la véné- 
rable inscription latine, qui est ainsi conçue : 



Flamen, item duumvir, quoestor pagique magister, 
Verus ad Augustum, legato munere functus, 
Pro novem optinuit populis sejungere Gallos, 
Urbe redux, Geniopagi hanc dedicat aram. 

5 



-* 64 — 

a VéruSy grand-prétre, duumvir» questeur et gouvér<^ 
a near du pays^ envoyé vers Auguste, ôbtiat la sépara*- 
« tion de la Novempopulame du reste des Gaules { revenu 
« de Rome, il dédie cet autel au Génie du pays. » 

L'abbé Veillet , théologal de la cathédrale de 
Bayonne , écrivit une dissertation pour prouver 
que ce Vérus , mentionné dans cette inscriptioû^ 
était le même personnage que Vérus, qui fut fa- 
vori de l'empereur Adrien, et dont le fils régna 
BOUS le nom de Lucius-Aurélius Vérus. Il trouva 
un contradicteur dans un savant religieux de son 
temps. Mais les journalistes de Trévoux prirent 
parti en sa faveur, et lui donnèrent raison. 

On a le projet d'abattre le clocher de l'église 
de Hasparren, pour en construire un nouveau. Il 
avait été déjà renversé une première fois» à la fin 
du dernier siècle; voici à quelle occasion. 

C'était le 3 octobre 1784. Le bruit s'était ré- 
pandu dans Hasparren que l'impôt de la gabelle, 
dont le pays avait été jusques-là exempt, allait 
être établi, et ce bruit n'était que trop fondé ; on 
avait obtenu pour cela un arrêt du conseil du 
Roi, daté du 29 septembre précédent. On ajou- 
tait que M. de Néville, intendant de la province, 
ne tarderait pas d'arriver avec la force armée 
pour assurer la perception de l'impôt fatal et 
châtier ceux qui se montreraient récalcitrants. 

Aussitôt l'alarme pénètre, non-seulement dans 
le bourg de Hasparren, mais encore dans les cam- 



— 65 — 

pagnes circonvoisines ; le tocsin carrillonne avec 
violence, et de tous les côtés on voit accourir, 
pour repousser les exécuteurs de la loi, des ban- 
des nombreuses de femmes armées de broches, 
de faulx, de fourches, et précédées de trois ou 
quatre d'entr'elles battant le tambour. 

Ce ne fut que trois jours après, le 6 octobre, 
que parut l'intçndant; il était accompagné du 
marquis de Caupenne, lieutenant du roi (1) à 
Bayonne, à la tête de 150 grenadiers et de cinq 
brigades de cavaliers de la maréchaussée ; c'était 
trop pour ne pas exaspérer encore davantage 
cette population déjà irritée, trop fièu pour Tintî- 
mider et la réduire sans effusion de sang. MM. de 
Néville et de Caupenne s'avancent à cheval, et, se 
plaçant en face du cimeti^'e où la troupe sédi- 
tieuse se tenait serrée , ils veulent entrer en pour- 
parleravec elle. Mais comment se faire entendre, 
comment faire agréer des explications, des paro- 
les de conciliation et de paix au mUieu de cette 
cohue , au milieu des cris et du tumiilte? « Elles 
« sont plus de deux nrille, disaient quelques ca- 
t valiers. Ce sont des furies , disaient quelques 
« autres. Ne dirait-on pas, reprenait un troisiè- 
* me, qu'elles sont prêtes à une attaque sérieu- 



(1) Le marquis d'Amou était lieutenant du roi à Baron- 
ne; son fils, le marquis de Caupenne, avait été nonraié 
lieutenant-adjoint . 



• — 66 — 

« se, » Effectivement, les propos les plus mena- 
çants partaient du milieu de la troupe féminine, 
tantôt contre l'intendant, tantôt contre le mar- 
quis de Çaupenne, tantôt contre tous les employés 
des fermes, tous les fauteurs de la gabelle. Dieu 
sait à quelles extrémités on se serait peut-être 
porté sans l'intervention d'un homme qui apparut 
en ce moment comme un envoyé du ciel : un 
ipot , un geste auraient pu faire verser des tor- 
rents de sang. M. Haramboure , curé de la pa- 
roisse, était retenu dans son lit par une maladie. 
A peine les cris de menace, mêlés au son alar- 
ipantdu tocsin, ont-ils frappé son oreille, qu'il 
3e lève, qu'il accourt au milieu de cette masse 
furieuse. Il veut parler: le tocsin cesse, les cris 
s'apaisent; et sa parole douce, insinuante, coule 
ainsi qu'un baume célestç dans les cœurs em- 
brasés par la colère ; elle y fait descendre le 
calme, y amène la persuasion, et empêche que le 
sang ne commence à couler. 

Cependant MM. de Néville et de Çaupenne s'é- 
taient retirés dans une maison avec quelques 
ofiîciers et magistrats ; et là , ayant formé un 
conseil, ils avaient mis en délibération si l'on 
ferait donner les troupes sur les femmes ameu- 
tées. Cette mesure violente pouvait amener les 
plus terribles malheurs. Tout à coup la porte de 
l'appartement s'ouvre : c'est M. Haramboure ac- 
compagné d'un de ses vicaires. Il apprend le su- 
jet de la délibération , et , apercevant d'un coup 



-^ 67 - 

d'œil toute retendue des désastres qui se prépa- 
prent , il laisse échapper de son cœur ému leâ 
plus chaleureux accents ; il représente avec forcé 
tout ce qu'il y aurait de déshonorant , pour deâ 
soldats français, de livrer ainsi une bataille con- 
tre une troupe de malheureuses femme§ ; il re-- 
présente que d'ailleurs un grand nombre d'en- 
tr'elles ne sont qu'entraînées, qu'elles ne se sont 
jointes aux autres que sous l'empire d'une con- 
trainte morale ; que , dans tous les cas , on ne 
saurait, sans une souveraine injustice, confondre 
les innocents et les coupables, et faire couler in- 
distinctement le sang de tout le monde. 

Les paroles éloquentes de l'excellent curé por- 
tèrent leurs fruits. On renonça au projet qui 
avait été mis en délibération ; MM. de Néville et 
de Caupenne rentrèrent ce jour-là même à Ba- 
yonne avec les troupes qu'ils avaient amenées ; 
et bientôt l'attroupement féminin se dissipa sans 
aocutte intervention de la force armée. 
. Mai» ce n'était pas tout. Lorsque le calme eut 
commencé à renaître dans les esprits, les habitants 
deHasparren envisagèrent avec effroi les châti- 
ments qui ne pouvaient manquer de fondre sur 
eux. Leur frayeur fut plus grande encore, quand 
ils apprirent que plusieurs de leurs concitoyens, 
qui se rendaient à Bayonne pour leurs affaires , 
avaient été arrêtés aux portes de la ville et jetés 
en prison ; qu'en outre , l'intendant avait provo'-: 
que dès ordres sévères de la cour contre les. 
communautés rebelles. 



— 68 — 

Ici encore M. Haramboure fut Tange qui détour^ 
lia le coup dont on se voyait menacé. Touché de 
la désolation générale, le bon pasteur s'empresse 
d'accourir auprès de l'intendant irrité, et d'implo- 
rer sa clémence en faveur de son troupeau plus 
égaré que coupable. Il vient à bout de le fléchir 
et obtient pour son peuple le pardon entier de sa 
faute à des ccMiditions qui diâ^ent être pénibles 
aux habitants de Hasparren , mais bien douces 
néanmoins eu égard aux mesures violentes que se 
proposait de i»rendre l'intendant qui était d'ac- 
cord là-dessus avec le marquis de Caup^ne, 
commandant les forces mflitaires. (1) 

Celle qui dut leur paraitre la plus dure, Ait 
<i*étre obligés à descendre les clodies et à abat- 
tre eux-mêmes le clocher de l'église. Cette me- 
sure fut exécutée le 2 novembre. On ne saurait 
dire avec quelle douleur dans l'àme les maiheu- 



{1) M. de NévUle avait déjà incMidé le pays de troupes , 
il y avait envoyé un régiment de diasseurs à cbeval, le 
régiment de Languedoc et le régiment suisse de Gourtea. 
En outre, il avait écrit à la cour pour demander d'autres 
troupes ; il proposait même un plan de campagne comme 
8^1 s'était agi de combattre l'ennemi et de lui enlever 
des postes de vive force. M. de Galonné , alors contrô- 
leur-général, lui répondît par une lettre pleine de sa- 
gesse, dans kqueUe il cherchait à calmer sa bouUIante 
«féewr et Teiigageall à venoiicer k «es violentes mesures, 
4|Di lui yarrtgsaiettt dangereuses; 



reux habitants de H^sparren 3'oecupèrent de 
€ette triste opération; ils eurent grand besoin 
d'être soutenus par las paroles encourageantes 
de leur pasteur, et par la pensée des maux qu*ils 
avaient à craindre, Le clocher resta donc ainsi 
abattu pendant plu9 de 30 ans; il n^ fut relevé 
que loDgt^n^ps après, ep 1816 ou 1817, 

Quelques mois s'étaient à pm^e écoulés ie* 
pm& ces tristes événements, que Hasparren ^ut 
à déplorer une perte bien cruellf), Soit que tou» 
tes c^ fatigues, toutes ces émotions eii^s«çnt 
afibevé de ruiner la »anté du vàiérable M. Harapw 
boure, soit quelque autre cause, ee digne curé 
ne tmla pas à monrir, et il fut pleuré par son 
peuple comme on a coutume de pleuner m pare. 
C'était un prêtre de beaucoup de mérita Qt de 
«avoir. NaUf de Jatsou, i| avait été directeur 
€$, pnotoseur (te thé^te^ie m SéPHn&ir^ d^^ 
Larressore, secrétaire de Guillaup^e d* Arche, 
évêque de Bayowe, curé d'Ahetïfi et d'Arbon- 
ne, et enfin il avait été nommé en 177^ curé d^ 
la paroisfie de Hasparren, 

Je ne peux m*empêcher de vous ^ter ici, nwi 
cher Théodore, un trait qui fait bonnew au carac^ 
tère loyal des habitants de Hasparren ; ehpse singu- 
lière I Je le trouve dans un mémoire composé m 
faveur de M. de Néville, qui certes fut loin de se 
montrer disposé à les ménager dans toute cette 
affaire. « Il n*esi pas indifférent, est^ildit dans ce 
« mémoire d'ailleurs as^ez peuîmparttd; il n'est 



— 70 — 

pas indifférent de rapporter ici une anecdote 
particulière de la journée du 8 octobre, qui ca- 
ractérise le cœur de la nation. Trois cavaliers 
de la maréchaussée, traversant un canton de 
Hasparren assez loin du bourg, rencontrent un 
détachement de femmes : elles leur demandent 
où ils vont; les cavaliers répondent qu'ils vont 
à Labastide : Ce n'est pas votre chemin; mais 
venez, leur dit-on. Un peu plus avant un pe- 
loton d'hommes se présente devant les cava- 
liers : même question, même réponse. Les Bas- 
ques offrent de les guider et marchent devant. 
Les cavaliers demandent une auberge, on les 
mène à la première habitation ; les cavaliers 
descendent, déjeunent et veulent .payer. On 
leur dit qu'il n'y a rien à payer ; ils remontent 
sur leurs chevaux, on les accompagne, on les 
met sur la route de Labastide, et on leur sou-» 
haite bon voyage. » 

Ce trait suffit à prouver que les habitants dé 
Hasparren n'avaient pas des intentions très-hos- 
tiles ; il n'était assurément pas besoin de recou- 
rir contr'eux à un déploiement extraordinaire de 
forces militaires, ni à des rigueurs excessives. 

Hasparren a donné naissance à l'abbé Diharce 
de Bidassouet, écrivain (1) plus remarquable pai^ 



(1) Son livre est intitulé : V Histoire dès Cantabres ou 
des premiers œlons de V Europe. 



— 71 — 

ses opinions singulières et paradoxales que par 
sa science et son talent, et au colonel d'artHlerie 
Etchegoyen, auteur du livre de \ Unité, ouvrage 
empreint d'une vive foi et d'une haute philoso- 
phie. 

En revenant de Hasparren, nous avons passé 
par Urcuray, l'un de ses principaux quartiers. 
C'est là que naquirent les trois frères Harriet qui, 
entrés presque en même temps au service, par- 
vinrent tous les trois aux grades supérieurs de 
l'armée. L'un d'eux, qui avait cessé de figurer 
sur les rôles de l'armée, se présente un jour 
devant l'état-major général , et , s'adressant au 
prince de Neufchâtel : « Mettez-moi quelque part, 
« lui dit-il, où je puisse mourir pour la patrie. » 
Envoyé d'abord dans une forteresse de la Prusse, 
le capitaine Harriet est appelé bientôt à se mettre 
à la tête d'un régiment, sur le lieu même où de- 
vait se livrer la terrible bataille de Wagram. A 
peine arrivé, il charge et reçoit une balle au 
front. Sans interrompre son mouvement, il bande 
sa blessure avec son mouchoir, charge de nou- 
veau ; et, tout couvert de sang, il rentre en ligne 
aux acclamations des braves qui l'entourent. 
Dans la seconde journée de cette mémorable ba- 
taille, il fallait emporter de vive force une batte- 
rie de canons. Le colonel Harriet, à la tête de son 
régiment, exécute dans ce but une manœuvre 
pleine d'audace. En ce moment un boulet vient 
le frapper à la poitrine et l'ensevelit dans son 
triomphe. 



_ 72 — 

Je vous quitte, mon cher Théodore. M. A 

et moi , nous avons été fort contents de notre 
excursion» je désire que vous le soyez autant de 
mon récit. 

Personne ne vous est plus dévoué que votre 
ami. 



ESPELETTE. (» 



Caxbo, le 6 Octobre 1852. 

La journée s'est très-mal annoncée ce matin , 
mon cher Théodore; la pluie tombait à torrents, 
et m'obligeait à me tenir .claquemuré dans ma 
chambre; ce qui n'est jamais fort réjouissant, 
mais bien moins encore quand on vient de tout 
quitter exprès pour se donner quelque distrac- 
tion et fortifier une santé chancelante. Cependant 
le temps s'est relevé vers midi, et vite j'ai pris 
mes dispositions pour aller jusqu'à Espelette. Ce 
bourg est le centre d'un petit commerce de laines 
avec l'intérieur de la France. Il s'y tient tous les 
quinze jours un marché considérable, où se 
vendent beaucoup de bestiaux et tous les objets 
utiles ou nécessaires aux paysans basques. C'est 
là que les habitants des villages voisins ont cou- 
tume d'aller faire presque tous leurs approvision- 
nements. Le fromage blanc » le chocolat et les 



(1) Ezpekia, litu aboodani m bute. 



— 74 — 

légumes d'Espetette jouissent d'une réputation 
qui paraît être bien méritée. Le pain, qui ressem- 
ble à ce qu'on appelle communément pain de 
ménage j y est d'une saveur çxquise; beaucoup 
d'étrangers à Cambo en usent de préférence au 
pain de boulanger. 

Je suis allé voir l'antique château des barons 
d'Espelette. Je n'y ai trouvé ni armoiries, ni tours 
féodales, ni vieux bastions, ni fossés, ni pont-le- 
vis ; tout a disparu. Les fondements de deux tours, 
quelques débris de rempart, un grand corps de 
bâtiment d'un aspect disgracieux, voilà tout ce 
qui reste de sa grandeur passée. C'est là que 
dans ces derniers temps on a réuni sous un même 
toit le preçbytère, l'école et la mairie du village. 
Est-ce que l'on aurait songé par hasard que ce. 
sont trois puissances qui, animées par une com- 
mune pensée de bien , peuvent concourir avec 
efficacité au bonheur de toute une population ? Je 
l'ignore: mais l'idée serait d'une haute portée 
philosophique. 

Les barons d'Espelette se qualifiaient de sei- 
gneurs d'Espelette, de Gostoro, de Souraïde et 
d'Àmotz. Leur maison était une des plus ancien- 
nes du Pays Basque, et dès l'an 1 170 elle donnait 
un évêque à la ville de Bayonne dans la personne 
de messire Bertrand d'Espelette. 

Sous la domination anglaise, en 1416, le comte 
de Dorcester, prince d'Angleterre et lieutenant- 
général en Guienne , rendit une sentence par la- 



— 75 — 

quelle il justifia que Âuger, seigneur ctEspeletie, 
ses aniécesseurs et descendants avaient eu, avaient 
etauraieni la justice audit lieu dEspektte, et que 
les baillis de Lapord ne pourraient entrer dans 
ses terres pour y prendre les décrétés, même les 
étrangers, sans demander et obtenir permission 
avoidits et desdits seigneurs. Louis XI, en 1463, 
érigea Espelette en baronnie à haute, basse et 
moyenne justice, en faveur de Jean d'Espelette, 
à qui il fit en outre une pension de 400 livres, 
somme considérable pour cette époque. Dans des 
temps postérieurs, les barons d'Espelette se re- 
tirèrent en Espagne ainsi que d'autres familles 
nobles du Pays Basque, telles que celle d'Armen- 
daritz, qui a fourni plusieurs généraux à sa pa- 
trie adoptive, et celle de Jasso, qui a eu la gloire 
de donner au monde l'illustre François-Xavier, 
apôtre des Indes et du Japon. 

Vous serez bien aise peut-être, mon cher 
Théodore, de recevoir quelques détails sur les 
usines d'Espelette. Sans doute vous savez déjà 
qu'on y prépai»e une assez grande quantité de 
matières premières pour fabriquer de la porce- 
laine. Il faut commencer, pour cette fabrication, 
par faire une pâte composée de kaolin et de felds- 
path quartzeux ou pétunzé (1). Le kaolin est la 



(1) Les mots kaolin et pétunsé sont emprunté» du 
chinois. 



— 76 — 

partie argileuse, liante, infiisible et opaque de la 
pâte. Le feldspath quartzeux, désigné dans les 
arts céramiques sous la dénomination de pétunzé, 
est la partie qui sert de fondant et de vernis» 
et qui donne par conséquent à la masse sa 
fusibilité et sa demi-transparence. Ces matières 
bien mélangées forment la pâte préparatoire 
pour la fabrication de la porcelaine. Eh bien , 
c'est à la préparation de ces deux éléments que 
sont destinées les usines d'Espelette. On y lave, 
ou bien, en terme de céramique, on y décante le 
kaolin extrait de la carrière, afin de le dégager 
des corps étrangers. On y calcine aussi le pétun- 
té, afin de le rendre friable, puis on le pile sous 
des brocards, et on le broie en poudre fine pour 
l'ajouter au kaolin. Les procédés mécaniques dont 
on se sert pour ces diverses opérations, sont très- 
ingénieux et curieux à étudier. Je crois, mon 
cher Théodore , que vous éprouveriez une vive 
satisfaction à les examiner de près. 

Le fondateur de Tune de ces usines avait élevé 
aussi une manufecture de porcelaine à St-Étienne- 
d'Arribe près de Bayonne. Il avait enfoui des 
sommes considérables dans ces deux établisse* 
ments. Mais il n'y a trouvé qu'une prompte rui- 
ne. Ils ont été vendus tous les deux, pour une 
somme fort modique, à une compagnie qui s'est 
mise sur-le-champ à démolir pièce à pièce la fa- 
brique de porcelaine, afin d'éviter, dit-on, jus- 
qu'à la possibilité d'une concurrence à d'autres 



— 77 — 

manufactures qu'elle possède déjà. Il est à rè*> 
gretter que de si grands et si beaux ^travaux» 
qui auraient assuré à nos contrées une impoN 
tante branche d'industrie, aient ainsi péri niisé» 
rablem^t, et que des capitalistes, hommes de tête 
et de cœur, n'aient point repris en sousnoeuvre^ 
pour la continuer, une si utUe entreprise. 

J'ai vu dans l'autre usine M. Potel » qui en est 
propriétaire. Nous en avons reçu, moi et les deux 
personnes qui m'accompagnaient, un excellent 
accueil; il a bien voulu nous faire visiter lui- 
même toutes ses machines et nous en expliquer 
le mécanisme. 

M. Potel a sondé les différents terrains d'alen- 
tour ; et , dans le cours de ces explorations, il a 
découvert une mine de fer qui a été exploitée 
dans des temps fort éloignés de nous* Les calculs 
les plus probables font remonter à 600 ans au 
moins l'époque de cette exploitation. Les ancien- 
nes galeries sont encore dans un état de conser- 
vation parfaite. On reconnaît, à l'inspection des 
lieux, que les travaux devaient être poussés avec 
activité au moment même où ils furent interrom- 
pus. On a trouvé en dehors des souterrains une 
grande quantité d'ancien minerai qui était tout 
recouvert de terre et de plantes sauvages; mais 
il y en a surtout à l'intérieur des approvisionne- 
ments fort considérables, qui font voir que cette 
exploitation avait une grande importance. Sans 
doute quelque guerre désastreuse, quelque catas- 



— 78 — 

trophe imminente vint troubler mineurs et en- 
trepreneurs au milieu de leurs travaux, les força 
de s'éloigner pour un temps, et les empêcha de 
revenir dans la suite. Car Torifice des souter- 
rains fut soigneusiement fermé par une épaisse 
muraille; et, pour le dérober à tous les regards, 
on cacha cette muraille avec d'énormes amas de 
terre transportée. 

Ce minerai fournit du fer carbonate , vulgaire- 
ment fer spaJthique, qui est de bonne qualité , et 
qui souvent se convertit de lui-même en acier. 
C'est ce fer qu'on rencontre le plus abondamment 
dans la Styrie, le Hartz, la Hongrie et la France, 
surtout à Baïgorry et à Allevard. 

Le soqvenir de cette mine et de plusieurs au- 
tres s'était conservé traditionnellement dans le 
pays; seulement on prétendait qu'elles étaient 
d'or ou d'argent. Aussi faisait-on de temps en 
temps, pour les découvrir, des recherches que 
l'extrême ignorance des explorateurs rendaient 
nécessairement infructueuses. J'ai entendu par- 
ler surtout d'une tentative de ce genre essayée 
il y a quelques soixante ou quatre-vingts ans, et 
qui fut accompagnée de circonstances singuliè- 
res; le fait est historique. 

Trois individus avaient résolu de s'enrichir par 
la découverte de quelqu'une de ces mines d'or ou 
d'argent. C'étaient des gens de la dernière classe 
du peuple; et leurs investigations, faites sans in- 
telligence et sans aucune notion géologique . 



— 79 — 

n'aboutirent à aucun résultat favorable. Mais, dé- 
terminés à réussir à tout prix , ils se décidèrent à 
recourir aux ressources de là magie ou de la sor- 
cellerie. Or il y avait à cette époque en Espagne 
deux magiciens qui ne manquaient pas d'une cer- 
taine célébrité dans l'art de la divination. C'est à 
eux que l'on s'adressa , et on les fit venir en 
France par l'appât d'une récompense qui^levait 
être proportionnée à leurs services. Il n'y avait 
plus qu'une seule difficulté ; c'est que les magi- 
ciens ne voulaient répondre du suf ces qu'autant 
qu'il seraient mis en mesure d'offrir au diable une 
victime humaine. On jeta les yeux sur un ancien 
soldat, connu sous le nom de Pichon à Ainhoa 
où il demeurait, et dont la disparition devait 
faire moins de bruit et de sensation que celle de 
toute autre personne , attendu qu'il était étranger 
au pays. Pichon, à qui l'on fit entrevoir la pos- 
sibilité d'acquérir tout d'un coup d'immenses ri- 
chesses, prit part , sans se douter du rôle qui lui 
était réservé, à une réunion nocturne où Ton 
arrêta les dernières dispositions. Heureusement, 
prévenu par l'un des trois associés que sa vie 
pouvait bien n'être pas en sûreté , il disparut su- . 
bitement, bien résolu à n'avoir aucune participa- 
tion à cette affaire, dut-il végéter toute sa vie au 
sein de la pauvreté. On tourna donc les regards 
vers un vieux mendiant espagnol , qui rôdait 
depuis quelque temps dans la contrée, et on l'at- 
tira sans peine dans le piège. Un smr, lorsque 

6 



— so- 
les ombres eurent enveloppé les montagnes et 
les vallées, les trois associés et les magiciens 
se dirigent à pas furtifs avec le mendiant vers 
des lieux solitaires et montueux qui recelaient, 
disait-on, les précieux trésors, objet de leur cri- 
minelle convoitise. Vers Theure de minuit les 
deux magiciens se mettent à Tœuvre et commen- 
cent leurs enchantements et leurs évocations. 
Mais voilà que tout à coup les éclairs sillonnent 
l'espace, les éclats de la foudre ébranlent la 
montagne , le ciel paraît tout en feu, et un orage 
. épouvantable se déclare accompagné de torrents 
de pluie. Ces hommes, réunis par Tespoir d'un 
gain coupable, sont frappés de terreur, et ils 
prennent la fuite dans toutes les directions. Re- 
nonçant à l'exécution de leur projet, le^ trois 
associés regagnent en tremblant chacun leur de- 
meure, et les magiciens, de leur côté, retour- 
nent en Espagne. Quant au vieux mendiant espa- 
gnol, rentra4-il aussi dans sa patrie ? Nul ne le 
sait. Mais on ne l'a jamais revu dans le pays, et 
personne n'en a plus entendu parler. 

Je serais heureux, mon cher Théodore, de vi- 
siter un jour avec vous les galeries souterraines 
retrouvées par M. PoteU et de faire aussi une as- 
cension sur le Mondarrain , montagne remarqua- 
ble qui domine le village d'Espelette, et dont la 
crête est couronnée par les débris d'un vieux 
chàteau-fort. 

Tout à vous de cœur. Jules. 



ENCORE CAMBO. 



GAtfBO, le 8 Octobre 1852. 

Vous désirez, me dites -vous, mon cher 
Théodore , que je complète les renseignements 
que je vous ai donnés sur Cambo. Me voici donc 
tout à vous; je tiens trop à vous faire plaisir 
pour ne pas mettre de l'empressement à vous 
satisfaire. 

Je dois néanmoins commencer par vous dire 
qu'on ignore complètement à quelle époque re- 
monte l'usage des eaux de Cambo. Les proprié- 
tés bienfaisantes en étaient-elles connues dans 
l'antiquité, ou bien ne le sont-elles que depuis 
quelques siècles seulement ? C'est là un point sur 
lequel ni la tradition orale ni les documents écrits 
n'enseignent absolument rien. Si cependant les 
Romains , comme on le prétend , sont venus dans 
ce pays , il est probable que ce peuple , qui avait 
une prédilection marquée pour les bains et qui a 
mis en honneur plusieurs sources minérales dont 
la réputation se soutient encore de nos jours, 
n'aurait pas manqué de rechercher, ici comme 



— 82 — 

partout ailleurs , *Ies moyens de se donner cette 
jouissance qui était devenue un de ses premiers 
besoins. Dans ce cas, qu'y aurait-il d'étonnant à ce 
que Ton eût usé des eaux de ejunt» même dans 
des temps fort éloignés de nous, bien qu'elles 
n'aient peut - être pas obtenu toujours la faveur 
qu'elles méritent et qui tend à croître chaque 
année ? 

Tout ce que je sais, c'est qu'en 1585, vous 
voyez que nous sommes bien loin des Romains , 
François de Noailles , évêque de Dax, était venu 
à Cambo dans l'espérance d'arrêter les progrès 
d'un mal cruel dont il était tourmenté. Ce n'étatt 
pas un homme ordinaire, mon cher Théodore, que 
ce François de Noailles : il était au contraire dis- 
tingué par de grandes qualités jointes à beaucoup 
de vertus , et la France lui doit de la reconnais-, 
sance pour les services qu'elle en a reçus. Le roi 
Henri II apprécia ses talents et son habileté dans 
les aÊFaires , l'attira à la cour, l'admit dans ses 
conseils et lui confia diverses négociations. Il 
l'envoya en Angleterre , à Venise , et jusqu'à 
Constantinople : partout François de Noailles sut 
défendre les intérêts de la France et se montrer 
habile diplomate: Durant son ambassade près de 
la Porte - Ottomane , il visita les Saints Lieux , 
parcourut la Syrie , explora FEgypte : ses cour- 
ses profitèrent à sa patrie. Ses libéralités, jointes 
à une conduite noble et ferme, réveillèrent, 
parmi les populations chrétiennes qu'il traversa. 



— sa- 
les sympathies pour le nom français qu'avaient 
fait naître les Croisades. Nous lui devons en 
grande partie la prééminence que nous avons 
jusqu'à ce jour possédée en Orient sur les autres 
nations de TEurope. 

Cependant Thérésie protestante avait fait inva- 
sion dans le diocèse de Dax , et commençait à y 
étendre ses ravages. A cette nouvelle, François 
de Noailles accourt au mileu de son troupeau et 
lui prodigue pendant quelques années tous les 
soins d'un pasteur actif et vigilant. Ce furent ces 
nouveaux travaux qui développèrent la cruelle 
maladie qui le conduisit à Cambo et dont il por- 
tait le germe depuis quelque temps : on avait 
espéré que les eaux minérales arrêteraient le 
mal; mais il était trop tard; Part, les remèdes, 
les eaux furent impuissants. Le prélat , sentant 
approcher sa fin , se fit transporter à Bayonne, 
où il mourut le 15 septembre 1585. (1) 

En fait d'archéologie, je ne connais ici, mon 
cher Théodore, que ce qu'on appelle le Camp de 
César et quelques tiimulL Ceux-ci sont assez 
éloignés du Haut-Cambo et proche du domaine 
de Hégoin. Situés dans un endroit écarté, incon- 
nus aux archéologues, vous comprenez qu'ils 
n'ont du être jamais explorés. Une légère exca- 
vation que présente l'un d'entr'eux , indiquerait 



(1) Hhtoire dt la Gascogne, par Monlezan. 



— 84 — 

peut-être le point par où il conviendrait de com- 
mencer le déblaiement du terrain. J'avais formé, 
avec quelques amateurs, le dessein d'y faire des 
fouilles. Mais le temps est fort pluvieux. Bientôt 
il me faudra quitter Cambo; et je crains beaucoup 
que notre projet ne reçoive même pas un com- 
mencement d'exécution. Au reste, il existe égale- 
ment des tumuli entre le village d'Itsassou et ce- 
lui de Cambo. 

Bien que j'aie visité autrefois le Camp d/* César, 
j'ai tenu à le revoir, afin de ne vous donner que 
des renseignements exacts. Je suis donc monté 
à cheval avec un de mes amis qui a voulu m'ac- 
compagner. En y allant , nous nous sommes dé- 
tournés un peu de notre route, afin de passer 
par la Bergerie , ce joli point de vue, chéri des 
étrangers ; et là , nous nous sommes donné le 
plaisir de contempler à notre aise le charmant 
diorama qu'on voit de cette hauteur. Puis nous 
sommes descendus vers le Catnp de César, et, 
au bout de 15 ou 20 minutes , nous étions dans 
l'enceinte de ces vieilles fortifications. Mais ici 
nulle trace du passage des Romains : j'avais beau 
promener mes regards de tous les côtés, je ne 
retrouvais au milieu de tous ces grands travaux 
ni la position élevée de leurs camps, ni la régu- 
larité de leurs lignes. Des bas-fonds, des forêts 
épaisses, des ravins étroits, des coupures habile- 
ment ménagées dans les terres, de nombreuses 
sinuosités, des terrassements considérables, une 



— 85 — 

source vive et un ruisseau pour étancher la soif, 
tout semble avoir été autrefois disposé par la na- 
ture et par Tart pour mettre à l'abri des ennemis 
les enfants, les femmes , les vieillards, les trou- 
peaux , les richesses ; tout , en un mot , annonce 
évidemment un camp de défense construit par les 
indigènes. Telle ju'a toujours paru Topinion la 
plus probable; c'est aussi celle du chevalier de 
Cauna , ancien officier d'état-major et de cavale- 
rie, homme d'un esprit ferme et judicieux, dont 
je vous ai déjà pfrlé et qui a visité le terrain plus 
d'une fois. J'ajouterai qu'à une autre époque j'a- 
vais profité des témoignages d'affectueuse sym- 
pathie que voulait bien me donner le général 
Noguès, commandant de la première brigade de 
la division des Pyrénéen-Occidentales, pour lui 
demander son sentiment à cet égard. Ce géné- 
ral, ancien aide de camp et compagnon de gloire 
du maréchal Lannes, et qui, sous la tente et au 
bivouac, avait longtemps étudié l'histoire straté- 
gique de l'Europe, m'assura qu'après avoir exa- 
miné attentivement la configuration et le système 
de défense de ce lieu , il n'avait su y voir qu'un 
camp des Aborigènes, et non point des Romains. 
Je suis bien fâché, mon bon Théodore, de ne pou- 
voir donc vous apprendre qu'il ait existé à Cambo 
un véritable Cmnp de César; ce qui flatterait as- 
surément bien plus l'imagination que le souvenir 
d'un camp de BarbareS. Mais que puis-je y faire? 
Arnicas Plalo, sed magis arnica veritas. Que 



— 86 — 

Cambo s'en console cependant : les vieilles lia- 
bitudes sont tenaces; et, en dépit de la vérité, ce 
lieu n'en continuera pas moins de porter le nom 
de Camp de César, 

Quant aux différentes industries, toutes sont 
également tombées , à l'exception de celle du 
chocolat. Celle-ci, au contraire, a une importance 
réelle et tend à prendre tous les jours plus de 
développement, d'abord à cause de l'excellence 
de la fabricatji»n, et puis parce que le chocolat a 
donné la solution d'un problème fort difficile à ré- 
soudre, celui de renfermer sous tm petit volume 
de facile digestion une grande quantité de subs- 
tance niUritive.l>epuh le rapport fait par un mem- 
bre de l'Institut sur les falsifications auxquelles 
cette branche d'industrie est exposée, l'opinion 
publique se méfie des chocolats fabriqués à Paris. 
On sait qu'il y a des fabricants peu scrupuleux qui 
enlèvent au cacao le beurre ou la matière grasse 
qu'il contient pour le vendre à part, et y substi- 
tuent l'huile d'olive ou d'amandes douces ; que 
d'autres remplacent la cannelle par divers aroma- 
tes tels que les storax, calamité, baume du Pé- 
rou, etc. ; que quelques autres mélangent avec 
le cacao des motières farineuses, des gi^aisses 
animales, des semences évulsives, afin d'avoir 
des produits à vendre à tous prix. Heureusement 
ces honteuses sophistications n'ont que peu ou 
point pénétré parmi les chocolats de nos con- 
trées, qui ont acquis une si juste renommée sous 



f^gf ^ i - v. 9''^ j^j iii f * jum « M, t xii.nMsms A 



— 87 — 

le nom de Chocolats de Baymtne, Notamment la 
fabrique de MM. Fagalde père et fils à Cambo 
jouit d'une confiance générale et méritée. In 
choix rigoureux des matières premières, une fa- 
brication habile, une réputation de probité qui ne 
s'est jamais démentie, lui ont conquis les suffra- 
ges des amateurs de chocolat, et les fins con- 
naisseurs louent l'agréable parfum et l'exquise 
délicatesse de ses produits. Les pastilles qu'elle 
fait, pralinéesou à la crème, sont fort recher- 
chées des daines. 

Voici à cette occasion, une petite anecdote ar- 
rivée tout dernièrement. Le juge de paix des 
Landes, qui est venu à Cambo pour se défaire des 
fièvres intermittentes, et avec lequel j'ai de fré- 
quentes relations, se trouve, comme le chevalier 
de Cauna et moi, logé chez les MM. Fagalde. 
Ayant eu connaissance du rapport dont je vous 
ai parlé plus haut, il nourrissait de fortes pré- 
ventions contre cette substance alimentaire. 
Aussi avait-il soin de se rendre journellement 
dans la fabrique, afin de s'assurer par lui-même 
de la nattire des matières employées et des pro- 
cédés en usage. Après qu'il se fut parfaitement 
éclaffé sur ce qui s'y passait : — « Je suis , me 
« dit-il un jour, tout à fait converti au chocolat. 
« — Comment ? est-ce que vous ne l'étiez pas 
« déjà ? — Oh I non , tant s'en faut , je vous Tas- 
« sure; mais je vois ici une honnêteté de fabrica- 
« tion vraiment admirable , et que je n'aurais 



— 88 — 

« jamais supposée. » Ces dernièpes paroles n>e 
frappèrent, et je vous les rapporte textuellement. 

Au reste, le juge de paix, qui est en même 
temps membre du conseil, général des Landes, 
et qui a appris, à ses dépens, à user avec modé- 
ration des eaux minérales, n'a plus d'accès . dé 
fièvre ; il se flatte d'avoir réussi à se débarrasser 
complètement de l'ennemi domestique qui lui 
minait la santé; je désire bien qu'il soit en effet 
désormais à Tabri de ses attaques. 

Il y a un petit nombre d'années que Cambo a 
vu s'éteindre une de ces familles anciennes et 
honorables, qui exercèrent longtemps une heu- 
reuse influence au milieu de leurs concitoyens : 
c'est la famille de Sorhainde, dont plusieurs mem- 
bres occupèrent avec distinction divers emplois 
ecclésiastiques et civils. L'un d'eux, Pierre de 
Sorhainde, fut conseiller du roi et lieutenant en 
la mairie de Bayonne ; un autre, premier échevin 
de la ville, tenant lieu de maire; un autre, doyen 
du chapitre de la cathédrale ; un autre enfin , 
maire de Bayonne, de 1768 à 1770. 

Deux des derniers rejetons de cette famille ont 
laissé dans leur pays des souvenirs bien diffé- 
rents; Jean-Pierre de Sorhainde et son frère 
l'abbé de Sorhainde. Peut-être n'ignorez-vous 
pas, mon ami, que, parmi les Basques, les El- 
checojaunSj ou propriétaires de domaines , pren- 
nent le nom du domaine même sur lequel ils ha- 
bitent. Voilà pourquoi Jean-Pierre de Sorhainde 



— 89 — . 

fot beaucoup plus connu sous le nom d'Azanza 
que sous son propre nom. C'était un des héros 
de la balle, de ce noble jeu qui fait les délices des 
Basques : un seul rival pouvait lui être opposé 
avec quelque chance de succès, le fameux Per- 
kain, des Aldudes. Mais tous les deux réunis eus- 
sent été invincibles; ils n'auraient point trouvé de 
champion assez téméraire pour oser entrer en lice 
avec eux. Leurs combats attirèrent souvent des 
milliers de spectateurs sur les places de Cambo, 
de Saint-Palais, de Saint-Jean-de-Luz; et plus 
d'une fois leurs victoires produisirent autant d'en- 
thousiasme au milieu des populations basques que 
celles des vainqueurs des jeux olympiques en 
excitèrent jadis parmi les peuples de la Grèce. 
Aussi bien que les héros de Pindare, Azanza et 
Perkaîn trouvèrent des chantres dignes d'eux 
pour exalter leurs exploits ; et leurs hauts faits, 
célébrés en ieaux vers basques par les poètes 
contemporains, furent'chantés du fond des val- 
lées de la Soûle jusques au sommet des monta- 
gnes de la Biscaye et de la Navarre. 

Tels ne sont pas, mon cher Théodore, les sou- 
venirs qui se rattachent à la mémoire de l'abbé 
de Sorhainde. Lui aussi parut sur une place pu- 
blique, mais non point comme son frère, comme 
Perkain, pour vaincre des rivaux de gloire et re- 
cevoir les applaudissements passagers de la foule : 
il y parut pour triompher du trépas lui-même et 
cueillir les palmes immortelles du martyre. C'é- 



— do- 
tait pendant les plus mauvais jours de la Révo- 
lution française. L'abbé de Sorhainde avait refusé 
de prêter le seraient sacrilège qu'on exigeait des 
{«•êtres et que repoussait sa conscience. Il fut 
donc poursuivi, traqué comme une bête fauve, 
arrêté enfin, et dirigé vers Bayonne sous l'escorte 
de deux gendarmes à cheval et d'un garde na- 
tional à pied. Durant le trajet, une négligence 
apparemment calculée des gendarmes fournit au 
prisonnier l'oôcasion de s'échapper; il franchit 
une clôture, pénètre dans une vigne, arrive à 
une seconde clôture qu'il franchit encore, et se 
jette dans un bois taillis; il se croyait sauvé. Mal- 
heureusement, il tombe et donne au garde na- 
tional qui le serrait de près, le temps de l'attein- 
dre et de le saisir. Conduit à Bayonne , il résiste 
à toutes les instances qu'on lui fait de nouveau 
pour l'engager à prêter le serment impie. Son 
procès fut vite instruit : on le condamna à 
mourir. 

L'abbé de Sorhainde monta d'un pas ferme sur 
l'échafaud et s'écria d'une voix forte : Vive la foi^ 
vive la religion t Aussitôt sa tète tomba sous le 
tranchant du fer ; mais son àme monta au ciel 
pour recevoir la couronne des vainqueurs. 

Quant au garde national, dont le zèle intem- 
pestif avait coûté la vie au héros chrétien , il fut 
blessé à la figure pendant la poursuite par une 
branche de vigne et perdit un œil à la suite de 
cette blessure. Pendant plusieurs années encore. 



~ 91 — 

il porta sur le cœur le remords de son crime; et, 
quand arriva le terme de sa vie, ses derniers 
moments furent terribles; ils glacèrent d'épou- 
vante tous Ceux qui en furent les tristes témoins. 
Adieu, bien cher Théodore. J'aimerais mieux 
vous dire de vive voix que par écrite quel point 
je vous suis affectionné. 

Jules. 



LA GROTTE D'ISTURITZ. (<> 

Cambo, le 12 Octobre 1852. 
Mon cher Théodore , 

J'ai interrompu mes excursions depuis quel- 
ques jours, pour les reprendre demain ou après- 
demain. Mais en attendant que je vous écrive ce 
que j'aurai vu moi-même, voici la relation d'une 
visite faite par des amateurs à la grotte d'Isturitz ; 
elle m'a paru assez curieuse pour vous être en- 
voyée, et je pense que vous la lirez avec le même 
plaisir que moi. Je la tiens de l'un des visiteurs, 
qui a eu l'excellente idée de me l'adresser : 

« Nous trouvâmes au delà de Hasparren une 
belle vallée , que nous traversâmes fort joyeuse- 
ment , car nous étions nombreux et tous de 
bonne humeur. Nous suivîmes assez longtemps 
la grand'route de Saint-Palais ; puis , nous nous 
engageâmes dans un pays très-accidenté, et 
arrivâmes enfin au village d'Isturitz. 



(1) Ce Dom Tient des mots ichlil , boue, et urritz , 
coudrier, qui entrent dans la composition de plusieurs 
noms propres, comme Ichtilart, Urritzburu, Urritzaga. 



— 94 — 

« En face de nous se dressait un monticule , 
surmonté d'une vieille tour (1) au-dessous de 
laquelle se trouve la fameuse grotte^ but de notre 
pérégrination. Nous gravîmes jusque-là par un 
sentier étroit et rocailleux. En entrant dans la 
grotte , nous allumâmes une dizaine de bougies 
et deux torches de paille pour nous guider dans 
le labyrinthe et en voir les curiosités. 

« La montagne est pleine de boursoufflures et 
de cavités intérieures qui lui donnent une éton- 
nante sonorité : c'est un amas de rochers , cou- 
chés sans ordre les uns sur les autres ; le cal- 
caire y domine; les eaux pluviales s'infiltrent au 
travers de toutes les fissures, de tous les inters- ' 
tices ; elles se chargent , dans leur passage , de 
carbonate de chaux , qui s'attache aux parois de 
la grotte ou tombe à terre en formant Ici des sta- 
lagmites, et là des stalactites, dont les dessins 
bizarres excitent l'admiration des touristes. Bien 
que l'imagination nous peignît d'avance le spec- 
tacle qui allait se déployer à nos yeux, nous ne 
pûmes néanmoins nous empêcher de pousser des 
exclamations de surprise à la vue d'une foule 
d'objets curieux, qui semblaient se multipUer de 
tous côtés comme par enchantement. Ici c'était 

(1) Près de cette tour, il en existait deux autres, qui 
ont disparu ; et toutes trois étaient environnées de murs 
solides dont on aperçoH encore les fondements. 

( Note de V Auteur. ) 



— 95 — 

cfrie €ol(mne ornée d'hiérogïyphes encadrés dawi 
des arabesques errant sur le fût de la colonne : 
là (î'était une chaire qui semblait attendre Tora- 
teuf . Je m'y précipitai par un mouvement natu- 
rel , et am lieu d'entamer un beau discours sur 
les merveilles de la nature , je poussai le cri na- 
tional des Basques , cri auquel tous mes compa- 
gnons répondirent à Tenvi ; et ces intonations 
gutturales si diverses, répétées par les mille 
échos souterrains de la montagne , se prolongè- 
rent pendant plusieurs minutes avec les efifets 
d'acoustique les plus singuliers. Nous écoutâmes 
longtemps; et le bruit avait cessé, que nos oreilles 
restaient encore attentives, comme si quelque 
chose d'extraordinaire devait se manifester autour 
de nous. Mais ni les fées ni les génies d^ la mon- 
tagne ne s^émurent, et nous partîmes tout à coup 
d'un rire homérique dont les éclats allèrent se 
perdre dans les profondeurs de la montagne. 

« S'agit-il d'intérêt, de calcul , de combinaisons, 
l'homme s'isole, de^^ient méfiant, égoïste. Mais 
qu'une réunion d'individus se trouve placée sous 
le même courant électrique de la joie ou du 
malheur, elle n'a plus qu'un sentiment commun 
à tous, elle n'agit plus que par sympathie. Et 
c'était bien notre cas. Les effets de cette sympa- 
thie sont si réels , qu'après le bruyant éclat de 
rire dont j'ai parlé, quatre *de mes compagnons 
firent jouer en même temps les ressorts de leurs 
carabines, comme s'ils eussent obéi à une consi- 

7 



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gne secrète, et une quadruple détonation sembla 
ébranler la montagne sur sa base de rochers. A 
un assourdissement complet succédèrent de longs 
tintements d*oreilles ; nous restâmes un instant 
sous l'empire d'une terreur secrète qui, nous 
rendant à nous-mêmes, nous fit trop tard songer 
au danger d'une pareille action. Et en efifet, sans 
parler des ricochets, une commotion aussi forte 
que celle causée par quatre armes à feu déton- 
nant à la fois, n'était-elle pas capable de causer 
la chute de nombreuses stalactites suspendues 
au-dessus de nos têtes? C'est ce que nous nous 
dîmes sur un ton fort bas. 

c Mais si les stalactites, fort heureusement pour 
nous , ne bougèrent point , une foule innombra- 
ble de chauve-souris prit l'alarme que nos pre- 
mières clameurs n'avaient pu leur donner ; elles 
s'enfuirent du dôme obscur et élevé où elles ha- 
bitaient en société et voltigèrent en tout sens, en 
poussant des cris aigus. Leur nombre est si con- 
sidérable dans cette grotte, qu'elles ont formé en 
divers endroits des gisements de guano. Un agri- 
culteur des environs a eu l'idée de transporter 
cet engrais sur ses terres; mais il n'a pas, dit-on, 
obtenu l'effet prolifique du guano du Pérou. 

« Nous visitâmes les conduits et les détours de 
la grotte, marchant, tantôt droits et la têt^ 
haute, tantôt baissé» sur nos genoux, et tantôt 
rampant sur la terre comme des lézards. C'éèaient 
partout des œuvres ébauchées , telles qu'on en 



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trouve dans Tatelier abandonné d*un statuaire. 
€e qui nous arrêta le plus de temps» ce fut une 
draperie qui se détachait en ronde - bosse d'une 
des parois de la grotte : Teau carbonatée, suin- 
tant au travers des feuillures régulières d'un roc 
immense, puis , tournant en demi-cercle , tantôt 
à droite, tantôt à gauche, avait formé le dessin 
d'une draperie relevée d'une exquise élégance. 
Je ne sais si l'éponge de Protogène produisit 
réellement ce bel eSet de l'écume tombant de la - 
gueule du chien de Jalise ; mais j'ai vu, de mes 
yeux vu, des draperies dues au hasard et dont les 
replis moelleux semblaient défier le ciseau du 
plus habile sculpteur. Mais là, comme ailleurs, 
tout change : la colonne, dont vous avez admiré 
l'élégante désinvolture, n'est plus, après quelque 
temps, qu'une masse informe et sans vie; ces 
feuillages, ces animaux fantastiques dont vous 
avez envié la possession , sont effiicés, détruits 
par le carbonate , sous une couche nouvelle dé- 
pourvue d'agréments. D'autres objets non moins 
curieux se montrent, il est vrai, bientôt à leur 
place ; mais le même sort les attend... Tout passe, 
hélas 1 ici bas; et nous aussi nous passons , et 
d'autres nous succéderont qui passeront tout 
comme nous. 

« La fraîcheur nous avait saisis; la grotte, 
d'ailleurs , avait saturé notre curiosité du specta- 
cle de ses merveilles ; nous sentîmes encore plus 
vivement le besoin de sortir des entrailles de la 



terre, que nousTi'-avions éprouvé d'ardeur à y pé- 
jiétrer pour leur dérober leurs secrets. La luiasière 
des flambeaux nous était devenue odieuse ; c'est 
avec une sorte d'impatîeïice que nous nous élanç&- 
maes impétueusement m dehors. Quel bonheur de 
mous retrouver sous les chauds rayons du soleil I 
Un de mes compagnons jeta de toute la vigueur 
de son bras au pied de la laontagne la bougie 
qu'il tenait à la main. Noos mous assîmes un in^ 
tant sur des qiKirtiers de rocher ; nous causions 
H noas nous laissions pénétrer avec volupté de 
ia douce chaleur des rayons solaires. Enfin nous 
gravîmes jusqu'à îa petite lour isolée, qui sem- 
blait placée là pour veiller à la sûreté des chau- 
irà^es de la vallée. Des %uiers plantés çà et là 
entre les rochers par la main ^e Dieu , offraient 
des fruits magnifiques mx oiseauic du del , qiai 
les 4)ecqcietaient à cœur-joie. INous eûmes JaaonaQ- 
vjâse pensée de les leur disputer. Nousenvahî- 
«ïes l'arbre le plus rapproché; mais quelle dé- 
-ceptionl elles étaient d'une hOTrîble amertume; 
^ nous nous empressâmes «de jeter bien loin de 
BOUS les fruitâ trompeurs. 

« La tour est «une petite fortificaik)n de for^aoe 
r^nde « qui pouvait contenir au plus une dizaine 
de défenseurs, mais qui devait avoir tout autoor 
des fossés et des logements pour un plus grand 
nombre <de soldats. 11 est d'uss^e de faire remosi- 
ter aux Romains, ou pour le moins aux Maures , 
4es vieilles constructions que l'on rencontre ainsi 



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dans Içs lieux déserts. Toutefois nous avouerona 
qm la tovu* d'Isturitz ne porte point le cachet d'une 
antiquité aussi reculée ; nous pensons plutôt que 
sa construction date du temps des guerres de 
religion, lorsque le comte de Luxe ei le seigneuir 
de Don)ezain sowtenaieilt , à la tète des Basques» 
le parti catholique en Navarre contre les violen- 
ces de Jeanne d'Albret. Les Basques du Labourd, 
par esprit de confraternité et par attachement à 
la religion catholique, pourvoyaient à l'entretien 
du corps d'armée Bas-Navarrais , et lui fournis- 
saient aussi des volontaires. La tour d'Isturitz , 
postée aux confins des deux cantons, semble 
indiquer qu'elle n'était là que pour conserver les 
communications entre le Labourd et la Navarre. 

« Au pied du monticule, nous vîmes une chose 
assez rare : la petite rivière d'Arberoue , qui est 
un des affluents de la Bidouze , pénètre du côté 
du midi dans les flancs de la montagne , qu'elle 
traverse par un canal souterrain pour aller res- 
sortir du côté du nord. Près de là, sur ce même 
cours d'eau , se trouve une petite scierie de mar- 
bre, dont l'exploitation est aujourd'hui abandon- 
née. 

•c Nous descendîmes dans un bosquet de chênes 
magnifiques, pour nous étendre à leur ombre et 
vider nos paniers de provisions. Nous ne fûmes 
pas peu surpris d'y trouver pour hôtes deux ou 
trois cents papillons de nuit, aux couleurs écla- 
tantes. C'est une espèce qui serait recherchée, si 



— 100 — 

elle était plus rare, car elle est fort belle. Nous 
nous gardâmes bien de déranger ces hôtes bril- 
lants des bois; nous nous estimions heiH^eux 
d'être leurs voisins, et nous jouissions trop de les 
voir jouer ensemble. Après nous être suffisam- 
ment reposés et restaurée, nous rentrâmes aussi 
joyeusement que nous étions partis. » 

Ici se termine la relation qui m'a été envoyée. 
Je serais charmé d'apprendre , mon cher Théo- 
dore , que la lecture vous en a intéressé. 

Je suis toujours de cœur votre dévoué ami. 

Jules. 



T7- 



U CHAPELLE ET L'ERMITE D'AINflOA. 



Gahbo, le 11 Octobre 1852. 
Mon cher Théodore , 

Je vous annonçais dans ma dernière lettre que 
j'allais recommencer mes courses interrompues. 
Hier, je suis monté à la chapelle d'Âinboa, qu'on 
m'avait signalée comme un des plus jolis points 
de vue du pays ; je n'ai point été trompé. Pour y 
aller, on passe à Espelette, et puis on gravit un 
monticule à travers des sentiers qui sont presque 
impraticables en hiver.. Peu d'instants avant d'ar- 
river à la chapelle nous avons remarqué une 
roche, le long de laquelle descendent plusieurs 
filets d'eau, et qui était toute tapissée de gras- 
settes à grande fleur (1). Cette roche doit étrej 
d'un aspect ravissant, lorsque mille fleurs, por- 
tées sur des hampes fineâ et légères, viennent, 
au retour du printemps, l'émailler comme à l'envi 
des tendres couleurs de leurs larges corolles 
bleues. Une dame d'Espelette employait avec 

(1) Pinguicula grandi flora. 



~ 102 — 

succès la grassette , pour guérir les enfants du 
peuple de l'horrible maladie de la teigne. Aujour- 
d'hui qu'elle n'est plus, l'usage de son remède 
rfa" pas été oublié, et €►» ne manque pas d'y re* 
courir, dès qu'il se manifeste un cas qui en de- 
mande l'emploi. 

La chapelle d'Ainhoa, dédiée, comme celle 
d'Aranzazu, à Notre-Dame de l'Aubépine, attire en 
foule les populations d'alentour en certains jours 
de féto et dans les temps de calamité ; et, malgré 
cette dévotion , elle ne laisse pas que d'être bien 
paiTvre, et d^appeler à grands cris une prompte 
restauration. Elle est située sur l'un des flancs du 
mont Axulay, qui s'aplatit vers la moitié de sa 
hauteur pour former une espèce de plate-forme, 
«ur laquelle elfe est construite. Quel délicieux 
tableau la nature présente aux regards de ceux 
qui veulent bien visiter la «lodeste chapelle 
d'Ainhoa et son humble ermitage I Ici la vue ne 
va point se perdre dans un lointain vague et con- 
fus ; mais les objets apparaissent d'une manière 
assez distincte , pour qu'on puisse les reconnaî- 
tre, les contempler, et en jouir. Devant soi, on 
voit au loin l'Océan comme une large bande azu- 
rée qui termine l'horizon ; puis, ce sont les côtes 
de la mer, Saint- Jean-de-Luz et le fort Socoa , 
Ciboure avec la hauteur de Bordagain veuve de 
sa chapelle, Biarritz avec son phare, Bayonne e^ 
sa cathédrale^ les flots confondus de TAdour et 
de la Nive qui longent les sables du Blanc-Pi- 



— 103 — 

gnon ; one foide de villages, plus ou moins rap- 
proches les uns des autres, sont dispersés çà el 
là dans toute la campagne ; on aperçoit à ses 
pieds Ainhoa avec son joli groupe de maisons et 
îson clocher élancé ; il paraît là , planté au milieu 
des terres cultivées comme au milieu d'un fer- 
tile jardin. A. gauche , le village espagnol d'Ur- 
dach se trouve encaissé par des montagnes ver- 
doyantes» et ne laisse voir que les quartiers de 
Landibar et d'Acuerdy avec la chapelle de San 
Estevan. Un peu plus loin, sur la lisière des Py- 
rénées, s'étend un autre village navarrais ; c'est 
Zugarramurdy, patrie du banquier espagnol 
Fagoaga ; le dialecte qu'on y parie est aussi 
noble et aussi beau que celui de Sare. Enfin, 
pour que rien ne manque à ce magnifique 
tableau, on a derrière soi la chaîne des monts 
Pyrénées, qui se prolongent majestueusement 
jusques sur les bords de TOcéan. 

Nous sommes descendus à Ainhoa par une 
pente rapide. On n'y trouve qu'une seule rue , 
mais large et spacieuse, à travers laquelle passe 
le grand chemin qui conduit à Pampelune. Des 
écrivains distingués ont raconté avec tout l'en* 
thousiasme de l'admiration que les Chinois ont 
inventé l'art de couper les collines en fornoe 
d'amphithéâtre pour les mettre en état de cultu- 
re. Que ne sont-ils venus à Ainhoa ? et que n'ont- 
ils jeté un coup d'œil observateur sur les champs 
situés derrière le village ? Ils auraient reconnu 



!»"LAW-5L''Ji." V^WJÊHrm 



— 104 — 

qu*il n*était pas besoin d*aller aussi loin que la 
Chine pour trouver des inventeurs de cette mé- 
thode , tout ingénieuse qu'elle est. 

La mine de fer, découverte par M. Potel , est 
sur un terrain qui appartient à Âinhoa. Proche 
de cet endroit, on rencontre des restes de vieil- 
les murailles cachés en partie par les bruyères 
et les buissons sauvages; ce sont les débris d*une 
forge considérable que l'on y avait élevée dans- 
les siècles passés. On dit que Ton y travaillait 
non-seulement le fer, mais encore le cuivre et 
l 'argent ; ce qu'il y a de sûr, c'est que le cuivre ne 
manque pas dans les mines des environs, et que 
M. Potel a extrait quelques gouttes d'argent d'un 
morceau de minerai. Hélas I là où l'on voyait au- 
trefois de vastes édifices et de nombreux ou- 
vriers; là où retentissaient et les cris des hom- 
mes et le bruit continuel des marteaux , il n'y a 
plus que des ruines, la solitude, et un silence de 
mort. Ainsi périssent tôt au tard les œuvres sor- 
ties de la main de l'homme, quelque solides et 
durables qu'elles paraissent. 

Ainhoa a donné le jour à MM. Labartette et 
Pérochéguy, l'un qui fut évêque de Véren et vi- 
caire-apostolique de la Cochinchine , ami et co- 
adjuteur du célèbre évêque d'Adran; l'autre qui 
devint lieutenant provincial d'artillerie et com- 
mandant de J'artillerie du royaume de Navarre. 
Les lettres écrites par M. Labartette ont été pu- 
bliées en partie dans le recueil intitulé : Nouvelles 



— 105 — 

lettres e'difiantes et curieuses ; elles renferment 
des détails fort intéressants sur les lointaines 
contrées qu'il était allé habiter. Jean de Péroché- 
guy, qui vivait vers le milieu de Tavant-dernier 
siècle, servit l'Espagne pendant plus de cin- 
quante ans. Il est auteur d'un livre qui a pour 
titre : L'Origine de la nation Basquaise^ et de sa 
langue, de laquelle sont issues les monarchies 
française, espagnole, et la république de Venise. 
Voilà bien un titre , mon ami , qui promet beau- 
coup, hélas I beaucoup plus qu'il ne saurait tenir. 
Si vous aviez pu visiter Ainhoa, mon cher 
Théodore, il y a trente ou quarante ans, vous 
auriez peut-être rencontré , humblement monté 
sur un âne , un petit vieillard à l'œil vif et au 
front serein , tout de noir vêtu de la tête aux 
pieds , ridé , mais non point courbé par l'âge ; 
son large surtout, taillé et boutonné jusqu'en 
bas en forme de soutane, était fait d'étofie gros- 
sière; et le chapeau, qui couvrait sa tête, déno- 
tait évidemment qu'il était du prix le plus infime: 
N'importe qu'il s'arrêtât devant une simple ferme 
ou devant la maison d'un riche Etchecojaun, la 
porte s'ouvrait incontinent pour le recevoir. Ren- 
contrait-il sur sa route homme, femme ou enfant, 
un visage épanoui montrait combien on était heu- 
reux de le voir : on s'empressait de le saluer, et 
lui, savait toujours puiser dans son excellent 
cœur, pour les leur adresser, des paroles bien- 
veillantes et affectueuses qui allaient droit à l'âme 



-.iAlt,Ul!S5LJl^ l J. V.JnJU» 



Il Ti ■ T ' ~>W»^T' 



— 106 — 

de ces braves gens. Ce petit vieillard était ÎEr- 
mite d'Ainhoa ; c'est ainsi qu'on l'appelait géné- 
ralement, quoiqu'étant né à Ainhoa même, on 
sjùt bien que son vrai nom était Jean-Baptiste 
Béhérèche. Or, Jean-Baptiste Béhérèche , encore 
enfant, avait été souvent témoin du concours des 
fidèles à la chapelle de Notre-Dame de l'Aubépine; 
son jeune cœur s'était plus d'une fois ému à la vue 
des pieux hommages que l'on y rendait à la Reine 
du ciel et de la terre, et alors il s'était senti for- 
tement' inspiré de consacrer sa vie tout entière à 
l'honorer. 

Un ancien ermitage existait adossé à la chapelle 
de Notre-Dame ; c'est là que , renonçant à tout, 
il se retira à peine âgé de dix-sept ans, et qu'il 
se voua pour toujours au service de la Sainte 
Vierge. 11 partagea dès lors tout son temps en- 
tre les soins qu'il donnait à la chapelle, le travail 
des mains, et la prière ; le seul délassement qu'il 
se permît, était de chanter les louanges de Marie ; 
il aimait à célébrer dans des cantiques pleins 
d'une naïveté touchante ses vertus, sa puissance, 
ses bienfaits et les merveilles qu'elle avait opé- 
rées. Bientôt , remarquant l'ignorance dans la- 
quelle croupissaient les petits pâtres et les petits 
paysans de son voisinage, il ouvrit dans son er- 
mitage une école gratuite^où ils accoururent de 
tous les côtés, et où il leur distribuait une ins- 
truction proportionnée à leurs besoins. Là, sur 
le flanc nu et un peu sauvage du mont Axulay, 



— 107 — 

il leur enseignait, lui le pauvre Ermite, une mo- 
rale infiniment plus sublime que celle que, dans 
Athènes, enseigna le divin Platon sous les porti- 
ques et les délicipux ombrages des jardins d'A- 
<îadémus. Il leur apprenait à aimer Dieu et te 
prochain, à honorer leurs parents, à être bons, 
sobres et laborieux; c'était, en un mot , la mo- 
rale que le fils de Dieu avait apportée à la terre, 
«qu'il inoculait dans ces cœurs tout neufs et en- 
core ignorants du mal. Après les enfants, vin- 
rent les pères et les mères. L'ascendant que 
l'Ermite d'Ainhoa exerçait sur les premiers, passa 
naturellement jusques sur les seconds. Il s'en 
servit pour leur inspirer en toute circonstance 
des paisées qui tendaient sans cesse vers te 
bien. Que de consolations, d'encouragements, de 
salaires conseils ne leur prodigua-t-il prfnt du- 
rant sa longue vie ! Et combien lui-même, à soft 
tour, ne recueillit-il pas de reconnaissance et de 
bénédictions de leur part! Deux événwnents vin- 
rent seuls troubler cette paisible et pure exis- 
tence durant l>space de 70 ans. La Révolution 
française, qui avait forcé la plupart des prêtres à 
fuir de leurs églises, n'avait pu détacher l'Ermite 
d'Ainhoa de la chapelle de Notre-Dame de TAu- 
bépine. Grâce à lui, elle était toujours restée 
ouverte à la dévotion des fidèles. Mais par suite 
de la guerre qui éclata entre la France et l'Espa- 
gne, elle vint à être renversée et détruite. H est 
impossible de dire l'affliction du îpauvre Ermite à 



mnm^mrm/'^**' 



^SR 



— 108 — 

la vue d'un tel spectacle. Dès que la guerre fut 
terminée, il s'arme de courage, se met à parcou- 
rir toute la contrée, recueille partout des offran- 
des, et vient à bout de rétablir sa chapelle bien- 
aimée. Hélas î vingt annés s'étaient à peine écou- 
lées, qu'elle fut démolie une seconde fois. C'est 
en 1814 que les Français l'abattirent de nouveau 
pour établir à sa place une batterie de canons. 
L'infortuné vieillard, alors âgé de 80 ans, en eut 
l'àme percée de douleur. Il surmonta néanmoins 
son chagrin , et aussitôt après la cessation de la 
guerre, lui, qui était trop pauvre pour posséder 
un cheval, monte modestement sur un âne, il se 
transporte de maison en maison , de village en 
village , demandant partout quelques pièces de 
monnaie au nom de Dieu et de Notre-Dame de 
l'Aubépine. Qui aurait pu repousser sa demande? 
Il se trouve bientôt en possession d'une faible 
somme qu'il juge suffisante pour l'exécution de 
son dessein, se met à l'œuvre, et a la consolation 
de voir, avant de mourir, sa chapelle chérie se 
relever de ses ruines. Alors il réunit encore 
dans son Ermitage les petits pâtres et les petits 
paysans d'alentour, reprend pour eux le cours 
de ses leçons, et donne plus d'une fois à leurs 
parents d'utile? et sages conseils ; il se plaisait, 
malgré son gi^and âge, à chanter encore, de sa 
voix devenue vieille et chevrotante, les. mêmes 
cantiques qu'autrefois il avait aimé à chanter en 
l'honneur de Notre-Dame de l'Aubépine. Ainsi 



pssa 



— 109 — 

vécut avec la réputation d'un très-saint homme, 
Jean-Baptiste Béhérèche, qui fut plus connu 
pendant 71 ans de sa vie sous le nom populaire 
diErrmte dAinhoa, Il mourut en 1822, âgé de 
88 ans, et emporta dans la tombe également les 
regrets du riche et du pauvre. 

Je finis brusquement mon interminable lettre. 
Adieu, cher Théodore. Tout à vous de cœur. 

Jules. 



USTftRITZ. (') 



CAUBOy le 16 Octobre 1852.. 

Voici ma dernière lettre, mon cher Théodore. 
Dans deux jours je quitte Cambo, et ces riantes 
campagneâ que J'aimais tant à parcourir, et ces 
eaux qui m'ont fait tant de bien. Je serai donc 
bientôt près de vous , et alors nous causerons 
os ad os des mille choses que nous n'avons pu 
nous dire de si loin. 

En ce moment j'arrive d'Ustaritz , gros bourg 
situé sur la rive gauche de la Nive, entre Cambo 
et Bayonne. C'est là que j'ai terminé le cours de 
mes pérégrinations. J'ai commencé par visit(^ 



(1) Ce nom vient des deux mots uzta, moisson, et ha- 
ritz, chêne. Si Topinion qui le fait dériver de usU-haritz, 
jugement sous les chênes, parait avoir quelque chose de 
plus poétique , des hommes, très-versés dans la langue 
basque, la regardent, non àans raison > comme peu con^ 
forme au génie de cette langue. 

8 



— 11-2 — 

son église , qui est sans contredit une des plus 
anciennes du Labowd. Bien que son architecture 
soit des plus simples, elle n'est pourtant pas telle- 
ment dépourvue de caractères architectoniques, 
qu'on ne puisse, avec quelque certitude, la faire- 
dater du xni® siècle. C'est, comme vousle voyez, 
la belle époque de l'architecture religieuse, c^lle 
où l'on travaillait à la construction de la cathé- 
drale de Bayonne. L'église d'Ustaritz dessine un 
plan rectangulaire qui se termine à pans coupés. 
Ses murs sont construits en pierres d'appareil et 
renforcés, de distance en distance, par des con- 
treforts à retraits. Les portes ogivales, ornées de . 
plusieurs voussures, et les fenêtres à. lancettes 
de l'abside sont les principaux caractères qui 
permettent de fixer l'âge du monument. Toutes 
les dispositions intérieures sont d'une date bien 
récente, comparativement à celle de la construc- 
tion. Cette église réclame d'urgentes répara- 
tions ; il suffit , pour s'en convaincre, de jeter un 
coup d'oeil sur les lézardes qui sillonnent les 
murs, et de vérifier l'état déplorable des lambris 
de la voûte. 

De là, je suis monté au château de Haïtze, où 
réside , entourée de respect , la famille de La- 
borde-Noguez. Il est placé dans un site"^ magnifi- 
que. On trouve dans ses salons plusieurs por- 
traits remarquables , entr'autres ceux du fameux 
abbé de Saint-Cyran et de son neveu l'abbé de 
Barcos. C'est au château de Haïtze que Ja véné- 



— 113 — 

rabliî m^éctele Exe)mans , après la catastrophe 
qui iu! a enlevé son mari, s'est retirée auprès de 
sa fllle et de son gendre. 

Près de ce château , on voit encore Tantique 
bois de chênes , où se réunissaient jadis les États 
du Labourd. Cette réunion s'appelait , en langue 
basque , èïlçar ou assemblée des anciens, L'éty- 
mologie du mot bilçar est exactement la même 
que celle du mot latin senatus, senum cœtus. 
C'est au bois de Haïtze que se rendaient les pro- 
priétaires, les chefs de famille , pour régler les 
affaires administratives de toutes les communes 
()p Labourd. Là , debout , adossés à des chênes 
séculaires, appuyés sur leurs bâtons de néflier, 
ils discutaient , ils délibéraient en liberté , et ils 
rendaient des décisions qui ont fait plus d'une 
fois plier la volonté des rois de France et de Na- 
varre en vertu, des ftieros ou privilèges du pays. 
Deux blocs de rocher servaient de sièges au pré- 
sident et au secrétaire ; un autre bloc, dont la 
surface avait été grossièrement polie , était la ta- 
ble sur laquelle s'inscrivaient les délibérations et 
les arrêtés pris par l'assemblée. L'origine du bil- 
çar se perd dans la nuit des temps ; on la croit 
antérieure à l'établissement du christianisme 
parmi les Basques. Ce, qui donne beaucoup de 
fondement à cette opinion , c'est que les prêtres 
s'en trouvaient exclus, bien que le pays fût pro- 
fondément religieux; sans doute qu'on n'avait 
pas cru. devoir toucher à la constitution primi- 



— 1 14 — 

lîve, qui réglait l'administrUtion des affaires pu- 
bliques. 

Ustaritz , dans ses beaux jours , a été le siège 
d'un grand tribunal de justice civile et criminelle 
et l'entrepôt d'un commerce de laines entre l'Es- 
pagne et la France. Mais, depuis un demi-siècle, 
biiçar, tribunal de justic^., entrepôt de commerce, 
tout a disparu ; les maisons elles-mêmes tom- 
baient en ruines ; les progrès de la décadence 
devenaient d'une effrayante rapidité, lorsque 
quelques-uns de ses enfants ont entrepris de loi 
rendre une partie de son ancien lustre. Parmi eux 
on compte plusieurs de ceux que les Basques ap- 
pellent des hidiens; ce sont des hommes qui, étant 
allés chercher au delà des mers une fortune qui 
leur faisait défaut dans leur patrie, sont revenus 
plus tard jouir tranquillement de biens amassés au 
loin par leur industrieuse activité. Aussi Ustaritz 
prend-il depuis quelque temps un aspect tout nou- 
veau. Une grande route et un pont récemment 
construit , des maisons ou neuves ou refaites à 
neuf, une foule d'autres travaux d'amélioration 
exécutés depuis peu, ont commencé à lui donner 
un air de vie et de jeunesse qu'il avait complète- 
ment perdu. Il est même question en ce moment de 
restaurer son église si vénérable par son anti- 
quité, ou bien d'en bâtir une autre qui serait d*un 
beau style gothique. 

On voit à Ustaritz les ruines d'une ancienne 
chapelle , qui rappellent les plus touchants sou- 



— 115 — 

venirs. Lorsque les incursions répétées des Suè- 
ves, des Alains et des Goths eurent déraciné dans 
toute cçtte contrée la religion catholique, le petit 
nombre des fidèles qui échaj^èrent à leur fureuï% 
s'assemblaient, d'après une constante tradition, 
dans cette chapelle , dédiée à sainte Madeleine. 
C'est là, dans la profondeur des forêts et dans 
renfoncement d'un étroit vallon, qu'ils venaient 
«(hresser à Dieu leurs prières et confier leurs 
morts à une terre sainte ; c'est encore là que 
saint Léon , se rendant dans la Navarre pour 
évangéliser les habitants de ce pays, vint s'age- 
noUller et recommander à EHeu le succès dé sa 
mission. On a fait dernièrement les plus louables 
efforts pour conserver à ce lieu vénérable sa 
destination religieuse en y fondant un couvent 
de la Trappe. Mais , hélas ! ils n'ont pas été cou- 
ronnés de succès. Peut-être voudra-t-on les re- 
nouveler avant longtemps. En. ce cas, je forme 
des vœux ardents pour que cette fois ils soient 
plus efficaces qu'ils ne l'ont été jusqu'ici. 

Ustaritz a produit plusieurs hommes remarqua- 
bles. Ce sont d'abord deux frères, Louis et Mar- 
tin Duhalde , tous deux directeurs au SéminaiFé 
de Larressore , tous deux morts curés de Saint- 
André à Bayonne. Louis Duhalde était , d'après 
le témoignage de ses contemporains , un profond 
théologien ; il fiit avant la RévoluticHO supérieur 
du grand et du petit Séminaires de Larressore. 
Martin » doué d'une imagination brillante , poesé- 



~ lié — 

dant également bien les auteurs fronçais, lattes 
et grecs, s'était fait une grande réputation cémme 
orateur chrétien. Un jour, une grande partie des 
ecclésiastiques du diocèse de Rayonne étaient 
réunis pour assister à une retraite. Voilà que le 
prédicateur, que Ton avait appelé de bien loin 
pour la prêcher, tombe malade et se trouve dans 
l'impossibilité de continuer ses prédications. M. de 
la Ferronnays, évéque de Bayonne, qui étak pré* 
sent , ne sachant que faire , s'adresse à Martin 
Duhalde, et l'engage à remplacer l'orateur ma- 
lade. Prédicateur improvisé de la retraite, cehii-ci 
monte en chaire plusieurs fois par jour pendit 
près d'une semaine, étonne et charme son atrai- 
toire par des discours où l'on trouve à la fois 
l'instruction la plus variée et les mouvements 
aratoires les plus chaleureux. Cependant le pré- 
dicateur étranger avait plutôt éprouvé une in- 
disposition qu'une maladie ; il put écouter les 
derniers discours de Martin Duhalde, et fat ravi 
d'admiration : « En vérité, dit-il à M. de la Fer- 
« ronnays, quand on a chez soi de semblables 
* orateurs, je ne comprends pas qu'on aille en 
« chercher au dehors.» Martin Duhalde est au- 
teur d'un li\Te basque fort estimé, qui est in- 
titulé : ifed/tocione A«wdiflc. 

Nous citerons ensuite Dominique , Domkâque- 
Josèph et Léon Garât, trois frères encore, tbus 
les trois avocats; les deux premiers a» parle- 
ment de Bordeaux, le troisième au triiandl 



— 117 — 

<drt[$taritz. Etominique et Dominique-Joseph fu- 
rent en outre députés aux États-Généraux; mais 
te j^remier se retira de la vie publique aussitôt 
îrprès la clôture de la session^ tandis que le se- 
vxmd continua longtemps d'y figurer comme ora- 
teur, législateur, homme d'Etat, professeur, 
écrivain politique. Quant à Léon Garât , la célé- 
brité ne lui manqua point dans son pays, qu'il ne 
voulut jamais quitter. C'était un homme d'un es- 
prit lucide , d'un jugement sain , d'une raison 
très-ferme. On connaît l'anecdote rapportée à son 
siget par M. de Jouy : 

« Un jour, au milieu d'un jeu de paume où il 
était acteur, un de ses clients vient le prendre 
par le bras ; — // faut absolument que vous me 
« fassiez une requête, lui dit-il ; si je ne la donne 
^pas ce soir, je suis perdu. » Léon se fait appor- 
ter une écritoire , écrit la requête sur la pierre 
qui servait de butoir, et gagne la partie de paume 
et le procès. » 

Aux trois frères Garât , il faut joindre un des 
(ils de Dominique , Pierre-Jean Garât, le célèbre 
chanteur, dont la voix n'était ni un ténor, ni une 
basse , ni une haute-contre, ni un baryton, mais 
xm concordant , c'est-à-dire un résumé de toutes 
hs voix, un composé de tous les registres. Joi- 
goant 812 talent le plus admirable une ridicule 
ihtuité , il fiii à la fois le type de Yineroyable et 
le chef de l'école musicdie française qu'il sut con- 
effier avec l'école italienne. 



— 118 — 

Il s'était déclaré l'adversaire de la lettre R, et 
l'avait impitoyablement bannie de son langage. 
Lsipaole dhrnneu de Gaal^i fortune dans les cer- 
cles de Paris. Il se présenta un jour citez M. liai- 
souet , marchand drapier à Bayonne , lui den^an- 
dant du da noi. — Qu'entendez-vous par là ? lui 
dit M. Halsouet. — Buda noi, du da noi, répé- 
tait Garât; vous ne savez donc pas ce que c'esH 
que du da noi? et il montraii un pan de son tia- 
bit de drap noir en criant : en voilà du da noi ! 

Enfin, Ustaritz a vu naître M. l'abbé Dassance, 
l'un des [littérateurs les plus distingués de notre 
époque. M. Dassance est du petit nombre des 
écrivains modernes qui sont restés fidèles m\ 
bonnes traditions littéraires. Dans son style tou- 
jours pur, clair, élégant, il y a comnoe un parfum 
du dix-septième siècle. (1) 

C'est encore de ce village qu'est sorti, dit-on , 
un des plus fameux économistes de l'Espagne , 
don Hilario de Ustariz. Son principal livre , qui 
â pour titre : Théorie du commerce et de lama- 
rinê, est fort estimé ; il a été traduit en français 
par Forbonnais. 

Je suis donc arrivé , mon cher Théodore , à la 
lin de mes récits comme au terme de mon séjour 
à Cambo. Croiriei-vous bien que pour moi main- 



(1} M. Nérce Dassance est mort le 2C janvier 1868^ 
ehanoine de la^cathédrale de Bayonne. 



— 119 — 

tenant la pensée d'un prochain départ n'est pas 
sans quelque regret ? A vrai dire , je serais cou- 
pable d'ingratitude , si je méconnaissais ce que 
je dois à Cambo , où j'ai trouvé à la fois plaisir et 
santé. Aussi , comme je ne tiens nullement à pas- 
ser dans le monde pour un ingrat , je pars avec 
la résolution de revenir dans ce charmant pays 
dès que le printemps l'aura de nouveau paré des 
mille attraits dont il a coutume de l'embellir. 
Adieu , cher Théodore ; je vous dirai bientôt , 
tète-à-tète , que je suis le plus dévoué de vos 

amis. 

Jules. 



A GAMBO. 



CAMBO EN I8S$. 



-»*• 



Cambo, le 10 Juin 1858. 

Me voici donc de nouveau à Cambo, mon cher 
Théodore ; j'y suis depuis presque une semaine , 
fort disposé comme toujours à reprendre ma cor- 
respondance avec vous. Les lettres des amis ne 
sont - elles pas un dédommagement à leur ab- 
sence? Oui, elles le sont, je le sens bien, et je 
ne doute pas que vous ne le sentiez aussi. Mais 
puisqu'il fallait nous dire adieu pour un grand 
mois, je ne saurais au moins être fâché d'être 
venu ici en ce moment ; car si ce pays est joli 
toujours, il l'est surtout dans la saison où nous 
sommes. C'est à présent, plutôt qu'en aucun 
autre temps de l'année , que l'on peut voir Cambo 
dans ses plus beaux atours. On dirait que le 
printemps s'est complu à y répandre tous ses 
charmes les plus séduisants. Oh! que la nature 
s'y montre belle avec son grand manteau de 
verdure tout émaillé de milliers de fleurs ! On 
respire ici comme un air de fraîcheur et de jeu- 
nesse ; il y a comme une sève vivifiante qui sem- 
ble circuler autour de vous et dons vous. Je ne 



suis pas surpris que bien des malades, sous une 
influence pareille , renaissent à l'espérance, ni 
qu'ils reviennent à des idées d'avenir, à des im*o- 
jets depuis longtemps abandonnés : c'est qu'ils 
sentent toutes leurs fonctions acquérir une acti- . 
vite plus grande, et que la vie se manifeste en 
eux avec plus d'énergie. 

Cambo , mon cher Théodore , a fait plus .d'un 
progrès depuis les dernières lettres que je vous 
ai adressées, et il est en voie d'en faire de plus 
grands encore. L'établissement thermal a reçu 
un développement important par une nouvelle 
construction qui s'est élevée tout à côté ; il y a 
gagné bon nombre de chambres de bains, chose 
indisï)ensable vu l'encombrement des baigneurs 
et la difficulté de les satisfaire durant une partie 
de la saison. On a creusé derrière ce nouveau 
bâtiment une piscine commune ; c'est là une très- 
heureuse innovation; elle tournera au profit des 
pauvres gens qui pourront dorénavant se procu- 
rer des bains sulfureux à des prix très-modérés. 
J'ai aussi remarqué avec satisfaction qu'on a ni- 
velé le terrain aux environs de l'établissement ; 
on y a fait des déblais et remblais considérables. 
De sorte qu'aujourd'hui on se promène avec infi- 
niment d'agrément sous les délicieux ombrages 
des eaux. 

Ce n'est pas tout. Un travail bien plus impor- 
tant et plus coûteux vient d'être exécute. Jusqu'à 
présent il n'y avait sur ce point aucun pont pour 



— 125 — 

traverser la Nive , ni , une fois qu'on l'avait tra- 
versée sur un méchant bateau, aucun chemin 
pour arriver à un but quelconque. Les prome- 
neurs étaient condamnés à parcourir sans cesse 
la rive gauche de la rivière, sans pouvoir se don- 
ner la licence de toucher à la rive droite, à moins 
d'aller chercher fort loin le pont de bois qui unit 
entr'eux le Haut et le Bas-Cambo. Il n'en sera 
plus ainsi désormais. Un élégant pont suspendu a 
été construit sur la Nive tout proche de l'établisse- 
ment thermal; et de là un chemin de récente 
création vous conduit dans les hauts quartiers de 
Cambo et jusqu'à la route impériale qui les relie 
avec HaspaiTCn et l'arrondissement de Mauléon. 
Aussi les promenades sont-elles plus nombreuses, 
plus variées; et les amateurs d'excursions ont-ils 
de nouvelles facilités pour satisfaire leur goût. 

Il serait fort heureux que l'administration des 
ponts et chaussées s'occupât également de réta- 
blir le pont qui se trouvait autrefois entre Cambo 
et Espelette, et qui a été enlevé par une inonda- 
tion. Il y a déjà plusieurs années qu'il n'existe 
plus ; et rien n'annonce qu'on songe à le rempla- 
cer proehaipcment. L'absence de ce pont n'est 
cependant pas sans des inconvénients assez gra- 
ves. Depuis que Ton en est privé, la distance en 
voiture est presque doublée entre ces deux loca- 
lités, qui ne peuvent user de cette voie pour com- 
muniquer entr'elles qu'au moyen d'un énorme 
circuit. Or on sait combien les étrangers aiment 



— 126 — 

à aller voir le marché d'EspeleUe, qai prèaèrite^ 
un aspect des plus pittoresques à quiconque ne 
connaît pas les marchés du Pays Basque. Rare- 
ment se retirent-ils sans avoir satisfait la fontaiâié 
d'y faire quelque petite emplette. Les voilà donc fort 
embarrassés toutes les fois que, ne se fiant pofot 
à leurs jambes d« malades ou de convalescents » 
ils désirent recourir à des voitures pour se don- 
ner l'innocent plaisir de cette excursion. Ils le 
sont bien plus encore, quand ils veulent pousser^ 
la pointe jusqu'au village d'Urdacheen Espagne. 
La pïivation de ce même pont les oblige à allon- 
ger beaucoup un trajet qui est déjà passablement 
long par lui-même. J'aime à croire , aussi bien 
dans l'intérêt des habitants du pays que dans ce- 
lui des étrangers, que ce fâcheux état des choses 
cessera d'exister dans un avenir prochain. 

Maintenant . mon cher Théodore, nous allons , 
s'il vous plaît , remonter au Haut - Cambo. Là 
aussi, je trouve diverses améliorations de date 
récente. Ainsi plusieurs maisons ont été bâties à 
neuf et offrent à l'étranger toutes les commodités 
qu'D peut désirer. En ce moment encore on s'oc- 
cupe activement d'élever un nouvel hôtel , dont 
le plan me parait parfaitement conçu, et qui est 
destiné , selon toutes les apparences , à jouir 
d'une véritable vogue. On vient d'établir dans ce 
quartier une voie de communication qui n'exis- 
tait pas jusqu'à ces derniers temps ; c'est un che- 
min qui coupe à peu près par le milieu le terrain 



— 127 — 

par lequel la rue de Cambo se trouve séparée de 
layo^t^ départementale ; par ce moyen on a rendu 
plus, ifiieiles les relations entre cette route et la 
rue» qui sont deux des principaux lieux où circu- 
lent soit les étrangers, soit les habitants du pays, 

Quelques bonnes mesurés de police ont produit 
des améliorations d'une autre sorte : celles-ci ne 
paraissent pas , au premier coup d'œil , avoir le 
même degré d'importance ; et cependant elles 
n'en sont pas moins d'une utilité positive et jour- 
nalière : car il est à remarquer que nulle part 
l'action d'une police sage et vigilante ne se fait 
sentir avec plus d'avantage que dans les localités 
qui possèdent des établissements thermaux, à 
cause du grand nombre d'étrangers qu'elles ont 
coutume d'attirer. 

L'industrie n'est pas restée non plus en arrière 
à Cambo ; j'entends parler de l'industrie du cho- 
colat, qui est aujourd'hui à peu près la seule que 
l'on y voie. L'étranger, qui passe quelque temps 
en ce pays, ne doit point le quitter sans avoir fait 
une visite à la fabrique de M. Fagalde. Parmi les 
nombreux établissements de ce genre qui exis- 
tent dans l'arrondissement de Bayonne, c'est le 
seul qui travaille sur une grande échelle ; c'est 
aussi le seul qui ait su mettre à profit la force 
motrice si puissante de la vapeur ; c'est lui égale- 
ment qui a principalement contribué à étendiuî, 
tout en la consolidant, la réputation déjà fort an- 
cieimc et toujours croissante des chocolats diî 

9 



— 128 — 

Bayonne. L'esprit d*initiative et de progrès qui 
distingue la maison Fagalde, le soin attentif avec 
lequel elle surveille le choix des matières pre- 
mières et la fabrication de ses produits, devaient 
forcément amener un pareil résultat. Aussi n'est* 
il nullement étonnant que sa clientèle , qui est 
disséminée dans la France entière et jusques dans 
l'étranger, se compose généralement de familles 
très-haut placées dans la société. 

Ce n'est pas sans un vif intérêt que j'ai exa- 
miné cette usine dans tous ses détails. En outre 
de ce que je vous ai déjà dit, la rapidité et 
la perfection du .broyage ; le peu de temps que 
le cacao reste en contact avec le calorique , ce 
qui lui permet de conserver son arôme et ses ver- 
tus ; remploi de cylindres , pilons et mortiers de 
granit préférablement à ceux de métal ; l'exquise 
propreté qui préside à tout dans la fabrique, ne 
peuvent manquer de fixer l'attention de l'obser- 
vateur et de justifier à ses yeux la confiance gé- 
nérale dont la maison Fagalde est devenue l'objet. 

Quoi qu'il en soit, mon cher Théodore , je suis 
convaincu qu'en fait de chocolats , les produits 
de nos industriels parisiens , qui aiment tant à 
s'appuyer sur l'annonce et la réclame , ne sont 
pas près de détrôner l'antique et juste renommée 
des Chocolats de Bayonne. 

Quant aux améliorations qui ^se préparent, 
l'heure n'est pas encore venue de vous en parler; 
laissons agir le temps et les hommes, et l'on 



— 121) — 

pourra vous dire, j'espère, bientôt, que plusieurs 
des utiles projets, qui ne sont maintenant que sur 
le papier, auront été heureusement exécutés. 

Je me propose , mon cher Théodore , de faire 
prochainement quelques excursions au Mondar- 
rain, à Louhossoa , à Urdache, tous Heux que je 
ne connais pas encore. Soyez assuré que j'aurai 
soin de vous en rendre un compte détaillé. N'est- 
il pas juste de se dédommager, par une agréable 
correspondance , de l'absence de ses amis ? C'est 
à peu près la pensée que j'exprimais au commen- 
cement de cette lettre ; et je la trouve fort bonne 
à être mise en pratique entre vous et moi. 

Adieu , cher ami. Au défaut de la voix, j'aime 
à me servir de la plume pour vous répéter que 
nul ue vous est plus affectionné que votre dé- 
voué, 

.Iules. 



-*'KSr:^^->e 



LE MONDARRAIN. 



Cambo, le 16 Juin 1858. 



Hier, toute une caravane de buveurs d'eau par- 
tait pour le Mondarrain sous la conduite de deux 
guides qui connaissent parfaitement le pays. La 
course était trop attrayante et l'occasion trop 
belle, comme vous le voyez bien, mon cher 
Théodore , pour que je voulusse manquer la par- 
tie. J'eus donc soin de me procurer un cheval , 
chose essentielle en cette circonstance , attendu 
qu'il s'agissait de faire une véritable cavalcade. 
En effet , le Mondarrain , bien que taillé en pain 
de sucre , offre sur ses larges flancs des sentiers 
qui permettent aux chevaux de monter jusqu'au 
dessous des rochers dont sa cime est couronnée. 
Les chênes, les châtaigniers, les noyers abon- 
daient sur notre chemin ; mais nous avons sur- 
tout remarqué un grand nombre de cerisiers, 
chargés de fruits mûrs ou près de mûrir, dont les 
vives couleurs charmaient les regards. Çà et là 
des hommes, des femmes, des enfants étaient oc- 



— 132 — 

cupés à cueillir les cerises, que Ton transporte 
chaque jour à pleines corbeilles à Bayonne. On 
nous a assuré que ce petit commerce enrichît 
toutes les années le viHage d'Itsassou de plusieurs 
milliers do francs, et je n'ai pas de |3eine à la 
croire à en juger par la grande quantité de ces 
fruits que nous avons vue. 

Cette excursion est sans contredit une des plus 
agréables que j'ai faites. La compagnie était nom- 
breuse et gaie : dès sept heures du matin nous 
avions dit adieu à Cambo, et nous (chevauchions 
joyeusement à travers un pays entrecoupé de bos- 
quets où les oiseaux saluaient notre passage de 
leurs plus jolis chants. Le chemin, quoique étroit, 
fui assez bon jusqu'au delà de la bom^gade d'Itsas' 
sou. Mais là, la montée devint plus difficile, et nos 
chevaux, pendant quelque temps, ne purent grim- 
per qu'avec peine. Nous ne rencontrions plus ni 
m*bres ni ombrage : devant nous s'étendaient de 
vastes nappesde fougères qui couvraient les flancs 
de la montagne ; pas une créature humaine ne se 
montrait nulle part ; c'étaient partout la solitude 
et le silence ; seulement, de temps en temps nous 
entendions le bourdonnement des insectes cachés 
sous la bruyère, ou le bélanent de quelques bre- 
bis qui poissaJent çà et là sans chien ni pasteur. 
Au milieu de notre ascension un de nos guides 
8*arrèta tout à coup et nous pria de rattenchpe : il 
voulait nous faire goûter d^une eau ferrugineuse 
qu*il roniKiissoit. Elle jaillit d'un roc près d'un 



— 133 — 

seiiiiei' escarpé qui se trouvait sur notre droite ; 
iJ nous en apporta ; elle nous parut d'une odeur 
et d'un goût de fer très*prononeés. 

l\ y avait plus de deux heures que nous étions 
à.eheval , et nous allions toucher au but de notre 
excursion , lorsque mon oreille fut frappée d'un 
bruit pareil à celui du vol d'une troupe d'oiseaux 
s'enfuyant devant les chasseurs. C'étaient deux 
perdrix que notre approche avait effrayées, et 
qui s'éloignaient à tire - d'ailes ; elles allèrent 
s'abattre un peu plus bas dans la ni^ntagne. Elles 
n'avaient pourtant rien à craindre, les innocentes 
bêtes : car aucun de nous n'ctvait, ^ngé à se 
pourvoir d'armes et de munitions ; mais elles oc- 
easionnèreni une explosion de grands regrets 
plus ou moins sincères de la part de plusieurs de 
nos cavaliers qui se posèrent soudain en vérita- 
bles Neinrods : à les entejidre, on les aurait jugés 
capables de dépeupler de gibier et la plaine et la 
montagne. Qui sait pourtant quelle mine eussept 
montrée quelques-uns d'entr'eux , si par hasard 
quelque malin personnage avait pu venir en ce 
moment leur offrir de prendre en main un fusil ? 

Nous parlions encore de cet incident, lorsque 
le sentier disparaît à peu près devant nous, le 
terrain devient plus escarpé, et nous nous déci- 
dons à mettre pied à terre. Nos guides s'empres- 
sent de débrider les chevaux , et , à notre grand 
élonnemcnt , ils les làdi^^ dans la montagne , 
afin de les laisser paître en liberté l'herbe assez 



— 134 — 

rare qu'avait épargnée la dent des troupeaux. II 
parait que c'est Tusage en ces sortes d'occasions. 

Nous f imes donc à pied cette dernière partie de 
l'ascension ; elle fut la plus pénible ; mais heureu- 
sement elle ne fut pas longue. Â neuf heures et 
demie nous étions tous réunis sur la crête du 
Mondarrain. Qu'il est admirable, le panoroma que 
l'on découvre de cette position élevée I De belles 
et riches campagnes se déroulaient devant nous 
depuis la base du Mondarrain jusques aux bords 
de l'Océan. Voici presque à nos pieds Espelette et 
Cambo; un peu plus loin Souraïde d'un côté, Lar- 
ressore de l'autre. De village en village, de ha- 
meau en hameau > nous touchons aux portes de 
Rayonne ; nous reconnaissons le fleuve del'Adour 
qui vient de se grossir des eaux de la Nive ; la 
butte de Blancpignon , le phare de Biarritz ; Bi- 
dart, Guéthary, St-Jean-de-Luz avec son église ; 
Ciboure , le fort de Socoa, et ce golfe de Gasco- 
gne si orageux , et témoin chaque année de si 
tristes naufrages pour n'avoir pas un refuge à 
offrir aux navires en péril. 

Vers notre gauche apparaissent les premières 
habitations de la frontière espagnole; disper- 
sées au pied et sur le penchant des Pyrénées . 
elles produisent un effet des plus pittoresques ; 
ces maisons appartiennent aux villages d'Urda- 
che et de Zugarramurdy. En avançant vers la 
mer, c'est la Rhune en France , les Trois-Cou- 
ronnes en Espagne , les deux plus hautes monta- 



— 136 — 

gDesde ce côté des deux États limitrophes. En se 
tournant vers un point opposé , on voit sur la 
droite comme un long serpent aux écailles argen- 
tées briller d'un éclat éblouisssant au milieu d'un 
vallon entre des collines couvertes de bois et de 
rochers ; c'est la Nive qui reflète avec force les 
rayons du soleil , et qui , suî* son passage , va 
répandre la vie et la richesse dans la vallée 
d'Harnabar , à l'extrémité du village de Louhos- 
soa. 

Nous contemplions avec trop de bonheur ce 
magnifique spectacle pour songer, dans le pre- 
mier moment de notre enthousiasme , que ce sol 
que nous foulions avec insouciance de nos pas, 
maintenant désert et silencieux , avait eu autre- 
fois ses habitants ; qu'il avait longtemps retenti 
du bruit des armes et des cris des guerriers. Et 
cependant nous étions là sur l'emplacement d'une 
antique citadelle; nos lunettes d'approche po- 
saient , pour être plus fej^mes , sur les restes en- 
core debout de ses vieilles fortifications ; nous 
avions devant nous des murailles à moitié détrui- 
tes, formées de blocs de pierres arrachés aux ro- 
chers mêmes sur lesquelles elles furent élevées , 
travail grossier, mais solide et très-propre à une 
vigoureuse défense; ces murailles n'ont pas 
moins d'un mètre soixante-dix centimètres d'épais- 
seur. Au milieu de l'enceinte, qui a fort peu 
d'étendue , on remarque des traces d'un esca- 
lier qui conduisait à des souterrains, destinés à 
recevoir les munitions de guerre et de bouche. 



— 136 — 

Evidemment cette forteresse avait été cans-, 
truite par les habitants du pays pour s'opposer 
aux incursions des ennemis qui de Tautre CQté 
des Pyrénées voudraient , à travers les gorges 
des montagnes , essayer de les surprendre ; elle 
devait avoir alors une très-grande importance 
militaire. Là , en effet , un petit corps de troupes 
pouvait arrêter aisément une armée entière, ou 
même la faire périr. 11 était du reste d'autant plus 
essentiel d'avoir en cet endroit un poste fortifié, 
qu'il dominait un passage qui , tout mauvais qu'il 
était , offrait à peu près l'unique voie de commu- 
nication possible entre la France et l'Espagne 
dans cette partie des Pyrénées. Aussi est-il indu- 
bitable que les environs de la petite fo]*teresse du 
Mondarrain furent autrefois le théâtre de plus 
d'un sanglant combat; et aujourd'hui encore le 
défilé , situé un peu auKlessous du fort du côté 
du Baztan , porte le nom bien significatif de Coi 
des Ossements (en basque, Hezurrelaco Lepça), 
seul nom par lequel le désignent les pasteurs de 
ces contrées : c'est que ce défilé sans doute a été 
le tombeau d'un grand nombre de guerriers qui 
ont péri en cet endroit par le fer de l'ennemi. 

Maintenant le Mondarrain n'a plus ni citadelle 
ni soldats pour la défendre ; de loin en loin la 
voix des bergers ou de quelques rares visiteurs , 
l'aboiement d'un chien qui suit son troupeau , le 
cri des animaux sauvages troublent ^euls le si- 
lence qui l'environne. Néannwins, son impor- 



— 137 — 

tance comme position militaire ne paraît pas eom- 
[détément perdue. En 1813, lorsqu'on se vit me- 
nacé d'une invasion étrangère du côté de l'Espa- 
gne , ce poste fut occupé par un corps de trou- 
pes françaises qui traîna jusqu'au haut de la mon- 
tagne deux pièces de quatre et un obusier. Il n'y 
eut toutefois alors aucun engagement avec l'en- 
nemi sur ce point. Quand les alliés pénétrèrent 
en France , le détachement qui était sur le Mon- 
darrain reçut ordre de se replier vers Cambo , 
et il se retira en bon ordre devant les troupes du 
général Mina, en ' abandonnant F obusier, mais 
emmenant les deux pièces de quatre qu'on fit 
descendre à force de bras jusqu'au pied de la 
montagne. Plus tard (c'était en 1816), un sous- 
préfet de Bayonne , M. Poublan-Serres, écrivit à 
M. David, maire d'itsassou, pour réclamer l'obu- 
sier: prompt à obéira l'injonction du sous-préfet, 
M. David se met en mouvement pour découvrir 
-cette pièce dans la montagne. Mais il arrivait 
trop tard : des individus , qui la voyaient depuis 
longtemps sans propriétaire connu, avaient jugé 
dans leur sagesse que c'était là un bien aban- 
donné, et qui par conséquent devait appartenir 
au pifemier occupant, c'est-à-dire, à eux-mêmes ; 
ils l'avaient coupée en morceaux et emportée aux 
forges d'Urdache , où elle avait été fondue à leur 
profit. 

H faut que je vous apf^'enne, mon cher Théo-- 
dore , que l'histoire de ce petit canton de la Fraft- 



-~ 138 — 

ce , dans lequel je me trouve et qu'on nomme 
Labourd, est enveloppée de la plus complète 
obscurité. Diriez-vous.que ce pays, avec ses États, 
ses coutumes particulières, sa langue qui ne res- 
semble à aucune autre , s'est tenu constamment 
jusqu'à la Révolution de 93 en dehors de tout le 
reste du royaume, conservant sans cesse comme 
une sorte de nationalité à lui ? H en est récité 
que les divers événements, qui l'ont agité jusqu'à 
ces derniers temps , ne sont point entrés dans lé 
domaine des historiens français ou étrangers ; de 
là il s'ensuit encore que l'époque de la fondation • 
et de la ruine du château de Mondarrain est en- 
tièrement ignorée ; qu'on ne connaît rien, abso- 
lument rien des faits d'armes qui ont dû s'y pas- 
ser jadis. Le seul écrivain , que je sache avoir 
mentionné son nom , est le P. Moret , jésuite, au- 
teur des Annales de Navarre; il cite dans son 
savant ouvrage une forteresse qui , en l'année 
1294, se trouvait en la possession d'un seigneur, > 
nommé Pierre de Lalanne, et qu'il croit être celle 
de Mondarrain, située, dit -il, aux confins du 
Baztan , dans le pays de Labourd. 

Mais laissons de côté cette sèche digression 
historique, qui peut n'avoir pas un grand charme 
pour vous. J'aime mieux vous dire.que l'admira- 
tion qui nous avait d'abord saisis à la vue du 
grand et beau spectacle que Ton voit de la cime 
du Mondarrain , fit place peu à peu à une sensa- 
tion non moins forte : c'était celle d'un violent 



— 139 — 

appédt qui avait été éveillé par notre course ma- 
tinale et Tair vif des montagnes. Il se montrait 
fcH*t impérieux et demandait hautement à être 
satisfait. Nous nous assîmes donc , qui sur une 
ruine, qui sur la pelouse, et chacun se mit à ex- 
hiber ses provisions particulières qu'on étala par 
tetre sur du linge d'une blancheur remarquable, 
et qui furent converties en biens communs à 
Tusage de tous. Bon pain, bons vins, pâtisseries 
et viandes froides en abondance , une excellente 
eau fraîche puisée à une source voisine, tout 
cela assaisonné par la faim et la gaieté, nous fit 
trouver le repas délicieux ; je vous assure que 
nous ne l'aurions pas échangé contre les meil- 
leurs dîners de Chevet ou des Frères Proven- 
çaux. 

Mais ce qui nous divertit singulièrement, ce fut 
l'appétit dont nos deux guides firent preuve en 
cette circonstance. Certes, si leurs jambes s'é- 
taient montrées élastiques et vigoureuses pen- 
dant l'ascension, leur appétit fut tout à fait exem- 
plaire tant que dura le repas. Admis à la table 
commune et au partage de nos provisions, ils 
déployèrent une puissance d'absorption éton- 
nante , faisant disparaître sans façon dans leur 
estomac une énorme quantité de mets, et ne s'of- 
fensant nullement de l'hilarité qui en résultait 
parmi nous. Ils trouvaient, j'imagine, les pauvres 
gens, ces mets un peu plus succulents que ceux 
dont ils ont coutume de se nourrir. 



— 140 — 

Après le repas, qui fut assez confortable et 
surtout fort gai , nous voulûmes contempler en- 
core une fois le beau tableau que nous avions 
déjà tant admiré; et diacun, armé de sa lunette , 
promena un dernier regard sur ce brillant pano> 
rama. Nous n'aurions pas encore quitté la place, 
si nos guides, qui étaient allés à la recherche de 
nos chevaux, ne nous avaient crié que tout était 
prêt pour le départ. Il nous fallut donc les rejoin«- 
dre , abandonnant de nouveau la vieille citadelle 
du Mondarrain à la solitude et au silence d'où no- 
tre présence et nos bruyants propos l'avaient re- 
tirée un instant. 

Nos guides nous conseillèrent de descendre 
par un autre coté que celui par où nous étions 
arrivés; c'est l'avis que nous suivîmes. Une 
grande partie de la descente se fit à pied, ce qui 
nous parut tout aussi commode et moins dang^ 
reux que de la faire à cheval. Nous ne remonta^ 
mes sur nos coursiers qu'en touchant aux pr^ 
mières maisons d'un quartier d'Espelette qu'on 
nomme Basseboure ; nous traversâmes bientôt te 
village même d'Espelette , et à quatre heures 
nous rentrions à Ganibo , emportant dans notre 
esprit le meilleur souvenir de notre excursion au 
Mondarrain. 

Je regrette toujours, mon cher Théodore, de 
ne pouvoir partager avec vous mes plaisirs. Je 
suis tout à vous de cœur. 

Jules. 



LOUHOSSOA. 

Cambo, le 20 Juin 1858. 

Mon cher Théodore , 

Quel plaisir de parcourir la campagne par une 
belle matinée de printemps ! C'est la jouissance 
que j^ai voulu me donner aujourd'hui , et certes 
je n'ai pas trop mal réussi, quoiqu'en partant 
j'eusse vu poindre à l'horizon un petit nuage 
blanc qui semblait me menacer d'un orage. J'ai 
d'abord marché paisiblement dans la route d'It- 
sassou, tout en respirant avec délices un air 
frais tout parfumé de Fodeur balsamique que les 
plantes avaient exhalée pendant la nuit. Laissant 
ensuite à droite la voie charretière qui mène à ce 
village , j'ai continué de suivre la grande route , 
me dirigeant vers Louhossoa, dont je désirais 
visiter les usines; celles-ci sont destinées à la 
préparation du kaolin, que l'on rencontre en 
grande quantité dans ce pays. C'est par une pente 
douce que je suis descendu dans un joli petit val- 
lon qui va expirer sur les bords de la Nive. Cette 



mmmÊm 



— 142 — 

rivière , en s'échappant du Pas-de-Rolând , ar- 
rose d'un coté ce vallon, et de l'autre rouîè le 
long du mont Harrocagaray ou ffatUe-Roche^ qui' 
se termine d'une manière assez remarquable par 
une pointe en forme de pignon , que l'on nomme 
Mercury, Est-ce donc que le dieu Mercure aurait 
jamais été connu en ce pays-là ? On traverse la 
Nive sur un pont suspendu , dont je ne conteste 
pas la solidité , mais qui n'a pas l'élégance de ce- 
lui qu'on vient de construire près de l'étiablisse- 
ment thermal de Cambo. On y lève un droit de 
passage, qui est de cinq centimes par piéton, et 
de sept centimes et demi par chaque cavalier. 

Au delà du pont, le chemin pénètre dans 
une gorge de montagnes qui termine le terri- 
toire d'Itsassou, et aboutit à celui de Louhossoa; 
c'est dans la continuation de cette même gorge 
que se trouve ce dernier village. Il est tout en- 
tier encaissé entre des monticules qui s'avancent 
des deux côtés parallèlement à la suite les uns 
des autres. Cette situation doit y rendre le froid 
plus rigoureux durant l'hiver, et la chaleur plus 
intense pendant l'été. 

On trouve à Louhossoa d'excellent kaolin en 
abondance : il n'est point caillouteux ni maigre 
au toucher, ce qui l'empêcherait de faire facile- 
ment pâte avec l'eau : il est au contraire argileux, 
doux, onctueux au toucher, et fait avec l'eau une 
pâte liante ; ce sont ceux de cette dernière caté- 
gorie qui passent pour les plus parfaits au point 



— m — 

de vue 4e Findustrie oérai^ique. Il y a fdusieur» 
usines dans lesquelles on broie et on décante 
cette matière, afin de Texpédier à des fabriques 
où elle est convertie en porcelaine. Malheureu- 
sement les frais d'extraction et de transport lui 
donnent un grand désavantage comparativeipent 
aux kaolins anglais, qui se vendent à des prix in- 
férieurs. Néanmoins ses qualités supérieures la 
font toiyours rechercher des fabricants, qui la 
mélangent avec les matières provenant de TAn- 
gleterre. J'ai visité avec le plus grand intérêt 
l'usine de M. Plantié; elle est sans contredit la plus 
importante de toutes. Elle avait été établie par 
uae compagnie , qui s'était formée en 1837 pour 
l'exploitation du kaolin de Louhossoa. Malheureu- ^ 
sèment cette première tentative ne fut pas cou- 
ronnée de succès. L'entreprise marcha mal, ne 
donna que de fâcheux résultats à la compagnie, 
et les actionnaires découragés mirent en vente 
l'usine avec les carrières destinées à l'alimenter. 
On vit alors un exemple de ce que peut l'intel- 
ligence d'un homme, unie à l'énergie de la vo- 
lonté. Parmi les actionnaires se ti^ouvait M. Plan- 
tié, de Bayonne; il comprit que, malgré le 
mauvais succès de cette affaire , il pouvait se ren- 
contrer là-dedans un fort bel avenir. Il se rendit 
donc acquéreur des carrières de kaolin , de l'usi- 
ne, des machines et des instruments servant à 
l'exploitation ; il releva l'établissement de ses rui- 
nes , et chercha des débouchés pour les matières 

. 10 



— 144 — 

premières destinées à la fabrication de la porce- 
laine. Les espérances de M. Plantié ne furent pas 
déçues; et aujourd'hui le kaolin de Louèossoa, 
connu et apprécié dans l'industrie de la cérami- 
que, est souvent demandé, non-seulement par 
les fabriques de France , mais encore par celles 
d'Espagne et d'Italie. 

Au reste M. Plantié est un de ces hommes qui 
savent que de la tête d'un simple ouvrier peut fort 
bien jaillir une idée lumineuse , une idée d'une 
utilité pratique qui échappe à la science des théo- 
riciens. Loin de la dédaigner, il l'examine, et, 
s'il la croit bonne , il tache de la mettre à profit. 
C'est cette disposition d'esprit qui lui a fait distin- 
guer parmi Iqs hommes qu'il emploie , un certain 
,lean Béhéran, dont, m'a-t41 dit, il apprécie beau- 
coup les services. Ce Jean Béhéran était un tout 
jeune homme, exerçant le métier de charpentier, 
lorsqu'il fut atteint par le sort, et obligé de par- 
tir pour le service. 11 regretta vivement sa famil- 
le , ses compagnons d'enfance et le clocher de son 
village ; il dit adieu à tout ce qu'il aimait , et se 
rendit au corps qu'il avait reçu ordre d'aller join- 
dre. Absent du foyer domestique et soumis à la 
discipline de l'armée, le jeune soldat, loin de 
prendre en dégoût ses nouveaux devoirs, s'y 
applique de grand cœur, gagne l'aflFection de ses 
chefs , acquiert de l'instruction , et parvient au 
grade de sous-officier. Cependant son régiment 
est commandé pour aller tenir garnison dans Pa- 



— 145 — 

ris. Là, lesei*gent Béhéran, entraîné comme par 
un penchant irrésistible , visite plusieurs ateliers, 
et ne tarde pas à s'apercevoir qu'il est loin de pos- 
séder toute l'habileté désirable pour l'exercice de 
son ancienne profession de charpentier. C'est 
pourtant cette profession qu'il compte reprendre, 
dès qu'un congé définitif lui aura donné la liberté 
de vivre dans le pays qui l'a vu naître. Aussi 
éprouve-t-il un vif désir de s'y perfectionner en 
utilisant pour cela tous ses loisirs. Mais comment 
faire ? Sa qualité de sous-officier est elle-même 
un obstacle à la réalisation de ses vœux; le res- 
pect qu'il doit à son grade lui défend d'aller tra- 
vailler en simple ouvrier dans un atelier d'arti- 
san. Eh bien I son parti en est pris , il renonce à 
son grade , dépose les galons qu'il a honorable- 
ment portés jusques-là , conquiert ainsi le droit 
de reprendre ses occupations d'ouvrier dans les 
heures laissées libres par le service, et déploie 
dans l'exécution de mille travaux ingénieux une 
habileté dont il n'avait nulle idée autrefois. 

Que dites-vous d'une telle conduite, mon cher 
Théodore? Ne vous semble-t-elle pas aussi noble 
et digne d'éloges que celle de beaucoup d'autres? 

Enfin le temps du service militaire expira pour 
Béhéran. Dieu sait avec quel bonheur il revit sa 
famille, ses amis, son clocher et ses montagnes. 
Il se garda bien de se livrer, à l'exemple de plu- 
sieurs anciens soldats, à une vie oisive et inutile. 
11 embrassa au contraire le travail avec courage. 



— 146 — , 

^i mil m service de &e8 eompatrtotçs 1q lalent 
qu'il avait perfecUonoé à Paris. Ëotré dans Tusine 
de M. Plantié, rancien sergent Béhéran crut re- 
marquer qu'une partie des machines pouvait su- 
bir d'utiles modificaiiob^ ; il s'occupa sérieuse- 
loent de les opérer; et réussit au gré de ses 
désirs. Aussi M. Plàntjé aime-t^l à lui rendre 
complète justice là-dessus; et c'est de la boucke 
môme de celui-ci que je tiens le récit que je viens 
de vous fsôre. 

Loidiossoa, mon cher Tliéodore, est le plus 
jeune des villages qui ont pris naissance dans les 
alentotn^s de Cambo< Au commencement du xvn« 
siëcie, ce pays n'était encore qu'on désert cou- 
vert de bois et de pâturages , où l'on ne rencon- 
trait que quelques bergers conduisant leurs trou- 
peaux ; il appartenait par indivis aux habitants de 
Ifecaye et de Mendionde. Peu à peu on cultiva 
des terres , on bâtit des maisons, qui d'abord fo- 
rent partagées d'un commun accord entre ces 
deux villages. Mais bientôt le nombre des habi- 
tations vient à s'accroître , la population augmen- 
te , et , à mesure qoe se fait ce double accrwsse- 
ment , on sent plus vivement la peine d'être éloi- 
gné de toute église, privé de tout secours reli- 
gieux. On s'arme donc de courage , on met en 
oeuvre les minces ressources dost on dispose, 
on vient à bout de construire une jolie église 
non loin do château des vicoistes de Macaye, 
et on obtient même qu'elle soit érigée en jia- 
roissc. 



- M — 

C'était beaucoup sang doute pour LouhoBSoa; 
mais ce n'était pag tout, bien s*eo faut. Cette 
population, placée à une très-grande distance, 
soit àe Mendionde, soit de Macaye, dont eHe 
relevait cependant, voyait avec ehagrii) que, 
dans ces deux localités, on songeait fort peu à elle 
et à ce qui la concernait ; elle sentait le besoin 
d'acquérir une indépendance qui h»- donnât le 
droit et la facilité de s'occuper de ses intérêls par* 
ticuliers , et tourna désormais tous ses soins de 
ce côté. Ses efforts ne furent pas inlroctueiix ; et, 
après plusieiffs procès soutenus devant le parie* 
ment de Guienne , Louhossoa SM^quit enfin , en 
1691 , une existence propre et indépendante , quf 
kii permit, non-seulement de traiter de ses affai- 
res sans le concours de Macaye et de Mendtonde » 
mais encore d'envoyer son maire ou abbé avec 
voix délibérative à Fassenablée des États du La^ 
boiml. 

Par suite de rarrangement qui eut alors lieu 
entre les parties contendantes , il arriva une 
chose qui peut-être, mon cher Théodwe , vous 
paraîtra assez étrange au fNremier coup d'œil : 
c'est que des habitations enclavées dans le terri- 
toire de Louhossoa, situées naéme dans le voèi- 
nage de son église , ne firent point partie de ce 
village, mais continuèrent d'appartenir à Macaye; 
et, qui plus est, cette disposition subsiste encore 
de nos jours. Voici la r»son de cette espèce d'a- 
nomalie. L'église de Louhossoa, ainsi que je vous 



— 148 — 

Tai déjà dit , avait été construite tout proche du 
château des vicomtes de Macaye ; ce qui leur fut 
naturellement fort agréable dans le principe. 
Mais comme ils tenaient au village qui avait don- 
né son nom à leur famflle , ils usèrent de toute 
leur influence pour n'en être pas séparés, lors- 
que cette affaire fut réglée ; et leur château avec 
ses dépendances resta uni à la communauté de 
Macaye. 

Je n'ai pas manqué de visiter ce château dont 
j'avais souvent entendu parler. Mais je vous 
avoue , mon cher Théodore , que je ne me faisais 
aucune idée de ce que cela pouvait être. Je m'at- 
tendais à y trouver un manoir féodal avec ses 
tourelles , ses remparts , ses fossés , que sais-je ? 
peut-être avec des créneaux et des mâchicoulis. 
Ma déception a été complète. Comme j'entrais 
dans la cour d'honneur, voilà que j'aperçois de- 
vant moi une espèce de grande ferme, qui assu- 
rément n'a rien de seigneurial. Je pensai que je 
m'étais trompé et que le château était plus loin ; 
j'avance donc, je cherche, je regarde partout, et 
ne vois nulle part de château. Seulement, der- 
rière la ferme et adossée à elle, s'élève une tour 
carrée, fort lourde et sans aucune élégance; 
c'est la seule marque qui vous fasse reconnaître 
l'ancienne résidence seigneuriale des vicomtes 
de Macaye. 

La jeunesse de Louhossoa passe pour être ar- 
dente aux jeux et aux divertissements; elle les 



— 149 -^ ' 

aime singulièrement comme elle d autrefois aimé 
et pratiqué la contrebande. On dit qu'elle a con- 
servé intactes et dans leur pureté primitive tou- 
tes les danses des anciens Basques ; ces danses 
si originales , qui exercent le corps sans rien 
avoir d'efféminé comme la plupart des danses 
usitées en France aujourd'hui. 

La place de LouhossQa a été longtemps célèbre 
par les belles parties de paume qui s'y sont 
jouées; les Perkain, les Sorhainde, les Domingo 
Joli s'y sont plus d'une fois couverts de gloire. 

Je me hâte de vous dire que la contrebande, à 
laquelle les habitants de Louhossoa ont été fort 
adonnés, n'impliquait aucune idée déshonorante 
dans le pays, et qu'elle ne les empêchait pas d'ê- 
tre de très-honnêtes gens. En effet, pendant bien 
des siècles, les Basques avaient vécu en vertu 
de leurs faeros ou privilèges, sans connaître ni 
-lois prohibitives ni lignes de douanes. Aussi fu- 
rent-ils surpris, lorsque, vers la fin du dernier 
siècle , on vouhit leur imposer et les unes et les 
autres. Ils se prétendirent lésés dans leurs droits, 
et opposèrent d'abord une vive résistance à l'exé- 
cution de ces mesures. Mais, forcés de céder, ils 
s'en dédommagèrent en se livTant avec activité 
à la contrebande et en jouant force tours adroits 
et malins aux agents du gouvernement. 

En voici un qui m'a été raconté par l'un des 
acteurs luinnéme. Un jour, ou plutôt une nuit, 
une troupe de contrebandiers avait à faire passer 



— 150 — 

4*Es|)agne m France xme grande qoantfté deri^ 
ehes marchasidises. Ils arrivent sans encombre 
jusques sur les confins du territoire espagnol. 
Mais, au moment de ^'engager sur la frontière 
fraïiçaiBe» ils sont prévenus par des éclaâ*t»urs 
que toutes les issues sont gardées , que chaque 
petit sentier a son embuscade particulière, et que, 
s'ils avancent, ils ne peuvent manquer de tomber 
entre les mdins des douaniers. Ceux-ci en effist 
avait cuvent thi prochain passage de la ban- 
de , et en surveillaient tous les mouvements dans 
l'espoir d'une riche capture. Les contrebandiers 
virent bien qu'ils étaient découverts , et que les 
employés des douanes ne désempareraient pas de 
leurs postes, fallût-il y rester 1^ semaines et les 
mois entiers. Le cas était des plus embairassants. 
Que faire d<mc en cette circonstance? Failait^fl 
sacrifier une partie dès marchandises pour sau- 
ver lereste ? C'était chose fort peu agrés^le, et ce- 
pendant, après mûre délibération , ce fut le parti 
anquel ils parurent s'arrêter. Ils choisissent par- 
mi eux cinq ou six des plus agiles et des plus 
intelligents, leur font prendre un ballot à ctiacun 
sur le dos , et les expédient sur le terrîtwre fran- 
çais après être convenus ensemble de la dii^ec- 
tion qu'ils suivraient. Ces jeunes gens se metttaït 
en marche , s'avancent avec précaution et com- 
me ^n tapinois et ne tardent pas à tondber éms 
une embuscade de douaniers. ffaU&^làf s'écrient 
ceux-ci en fondant sur eux. A ce cri, ils s'enfuient 



à tomes j^^nibe^, et aUîreiit kiH*s eHoeims sur 
leiii?^ triM^ed , saoe touiefoiç se laisser joindre par 
eux; les employés tirent des eoups de fusils, 
poussent de grands cris pour avertir leurs cama- 
rades de venir à leur secours et de fermer le 
cbemin aux fuyards. Les autre» douaniers, en 
entendant ce signal, délogent de leurs embusca- 
des, s^éiancent vers le lieu d'où part le bruit, 
et laissent tout ouverts les passages qu'ils occu* 
paient. La bande des contrebandiers n'attendait 
que ce moment pour mardier. Vite elle se jette 
dans les sentiers devenus libres, s'avance rapi* 
dément et en .silence , franchit la première ligne 
des douanes, traverse la seconde, parvient au 
delà de TAdour, et dépose en lieu de sûreté tous 
les ballots sans qu'il en manque un seul; les 
riches marchandises étaient sauvées. 

Cependant qu'étaient devenus les cinq ou six 
''jeunes gens, poursuivis par les douaniers? ils 
fuient, ils fuient toujours; descendant dans les 
ravins, gravissant les hauteurs, se précipitant à 
,travers les rochers, poursuivis avec ardeur, mais 
jamais atteints , ils réussissent à écarter les em- 
ployés loin des lieux que traverse la bande. Mais 
quand ils jugent que toute celle-ci a passé, qu'elle 
est hors de toute atteinte , ils jettent à bas leurs 
ballots, et, agiles comme des chevreuils, ils dispa- 
raissent dans les montagnes. Les douaniers, écra- 
sés de fatigues , mais heureux et flers de leur 
j^uccès , s'emparent des ballots , et les emportent 



— 152 — 

vers le bureau le plus rapproché, où on doit les 
ouvrir. Ils arrivent à Espelette à Taube du jour, 
déchargent leurs carabines en signe de réjouis- 
sance y et mettent en émoi toute la population. A 
l'ouverture du bureau , on procède par devant le 
receveur des douanes à la vérification des bal- 
lots. Que contiennent-ils? que va-t-on découvrir? 
Tous les yeux s'écarquillent pour mieux regar- 
der. Et que voit-on ? que trouve-t-on ? Quelques 
pierres soigneusement enveloppées dans de la 
fougère bien fraîche et bien verte. Le désappoin- 
tement fut des plus grands qu'on puisse s'ima- 
giner. 

Au reste, la contrebande est à peu près nulle 
aujourd'hui; depuis l'abaissement du tarif des 
douanes, elle a presque entièrement disparu du 
pays. 

Adieu, mon cher Théodore. Toujours, vous 
le savez, votre ami dévoué. 

Jules. 



SURE. 

Cambo, le ?.9 Juin 1858. 

Mon cher Théodore , 

La chaleur qui s'est déclarée et quelques pluies 
d'orage m'empêchent d'étendre mes promenades 
au delà des limites de Cambo. Aussi , au lieu de 
vous rendre compte de quelque nouvelle excur- 
sion, je vais vous envoyer aujourd'hui le récit de 
celle que je fis à une autre époque à la palom- 
bière de Sare ; puisse-t-il être de votre goût I 

On nx'avait parlé comme d'une chose curieuse 
et digne d'intérêt de la chasse aux palombes qui 
a lieu toutes les années en cet endroit. Elle s'ou- 
vre le 29 septembre, à la Saint Michel, et se 
ferme au l^»* novembre. Vous savez , mon cher 
Théodore , qu'à l'approche des premiers froids , 
les palombes, comme beaucoup d'autres oiseaux, 
cherchant des pays plus chauds , prennent leur 
essor vers les parties méridionales de l'Europe. 
Elles passent ici par bandes nombreuses. A 
peine leur apparition est-elle signalée , que les 
chasseurs se mettent en campagne et leur livrent 



— 154 — 

une gueri'e impitoyable. Pour cela ils font (f abord 
sur quelque arbre élevé ce iqu'ils appellent une 
cabane, s'y tiennent cachés une grande partie du 
jour, attirent, au moyen <r appeaux, les innocen- 
tes bétes a la portée de leurs fusils , et les abat- 
tent en grand nombre. 

Mais ceci regarde les chasseurs ordinaires. Ce 
n'est pas ainsi que les choses se passent à la palom- 
bière de Sare ; la chasse s'y pratique dans des 
proportions plus considérables et d'une manière 
qui réclame de la part des chasseurs beaucoup 
d'intelligence et d'ensemble. Vous n'ignorez peut- 
être pas que les palombes n'aiment point à s'en- 
gager dans les hautes montagnes; aussi ont-elles 
coutume de traverser la chaîne de nos Pyrénées 
dans ses parties les plus basses. Il en résulte 
qu'en arrivant à Sare, elles laissent à droite la 
montagne de la Rhune dont la cime monte fort 
haut, et sont amenées naturellement à suivre la 
direction d'Echelar, qui leur offre plus de fecilîté 
pour leur passage. On appelle Echelar le premier 
village d'Espagne que l'on trouve dans cette par- 
tie de la frontière ; ce village possède également 
une palombière en arrière de celle de Sare, éta- 
blie absolument d'après le même système que 
celle-ci; j'ai poussé jusques-là ma pointe, sans 
autre avantage que celui de pouvoir dire que j'a- 
vais mis les pieds sur le sol espagnol. 

La palombière de Sare est placée derrière une 
vaste clairière, par où a lieu le principal passage 



— 155 — 

de3.{>alombes. Là,. on a hissé avec des poulies 
quatre énormes fijets, qui sont tendus comme des 
voiles aux branches de cinq grands arl^res. Quel- 
q<ie&*uos des chasseurs sont toujours proche des 
filets, prêts à lâcher lescordes qui les retiennent, 
dès que le gibier se présente ; mais en même 
temps ils imt soin de se mettre hors de sa vue, 
de peur d'effaroucher la palombe» qui est défiante 
et soupçonneuse de sa nature. D'autres sont pla- 
4>é& à différentes distances, qui sur un chêne, qui 
Min la cime d'un roc; armés d'un petit bâton sur- 
monté, d'un morceau d'étoffe blanche, ils sont 
chargés d'effrayer, l'oiseau et de l'obliger à se 
jeter dans la direction des filets. En terme de 
chasse, on les appelle /ropicr*; ce sont de jeu- 
nes garçons de 10 à 16 ans, qui déploient d'ordi- 
naire dans leur fonction une habileté singulière; 
il leur faut un regard attentif, un coup d'oeil sûr, 
afin de saisir les mouvements du gibier, et le di- 
riger vers le point voulu en agitant à propos le 
petit drapeau blanc dont ils sont porteurs. Enfin, 
sur un chêne fort élevé se tierft, dans une sorte 
de cage, celui qu'on appelle le capitaine de la 
chasse : il est l'àme de tout ; il a l'œil à tout ; il 
voit au loin l'oiseau qui avance, il le signale aux 
trapiers, il gourmande ceux-ci, s'ils manquent de 
vigilance, s'ils laissent le volatile s'égarer, s'ils 
n'exécutent pas à propos les mouvements à faire 
avec leur drapeau blanc. Cest lui aussi qui, au 
moment décisif, lance Vépci'vier, et détermine le 
succès. 



— 156 — 

Peut-être ignorez-vous, mon chw Théodore, 
ce que j'entends par ces mots : lancer Npervier. 
En voici Fexplication. Tout le monde sait que Té- 
pervier est un ennemi déclaré des palombes, qui 
en ont une très-grande frayeur. Eh bien ! on 
taille pour cette chasse un morceau de bois, vxx- 
quel on donne à peu près la forme de cet oiseau 
carnassier, on le revêt d'une couleur blanchâtre, 
et alors ce morceau de bois blanchi et grossière- 
ment travaillé devient, entre les mains du capi- 
taine de la chasse, une arme terrible contre les 
timides ramiers. Enfin, lorsqu'une compagnie de 
ces oiseaux est poussée vers les filets par les tra- 
piers, et qu'elle arrive près du capitaine, celui-ci 
lance soudain son épervier de bois sur la troupe 
voyageuse; les palombes, saisies de frayeur à 
l'aspect du pirate des airs qu'elles croient voir 
fondre sur elles, baissent leur vol jusqu'à raser la 
terre et donnent avec violence dans les filets, qui 
s'abattent sur elles et les retiennent captives. Vite 
les chasseurs leur courent sus, les enlèvent 
promptement de dessous les mailles, et les jettent 
dans des paniers, d'où elles ne sortiront que pour 
périr immédiatement ou pour être vendues. 

Mais si le capitaine de la chasse lance trop tôt 
l'épervier, les palombes, après avoir incontinent 
baissé leur vol, se relèvent bientôt, passent par 
dessus les filets, et s'enfuient à tire-d'ailes. Aussi 
considère-t-on les fonctions de capitaine de la 
chasse comme fort importantes; on ne les confie 



— 157 — 

qu'à un chasseur expérimenté.qui a déjà donné des 
preuves de vigilance, d'adresse et de sang-froid. 

Il faut aussi que les chasseurs, chargés des û- 
lets, soient bien exercés à les lâcher juste à l'ins- 
tant inème de Tarrivée du gibier; sans quoi, ren- 
contrant les mailles et y trouvant delà résistan- 
ce, le gibier, tantôt recule, tantôt, prenant un vol 
élevé, suit sa première direction. On ne saurait 
dire avec quelle rapidité volent les palombes qu'a 
effrayées l'épervier du capitaine ; elles tombent 
quelquefois avec une telle roideur dans les filets, 
qu'elles rompent les mailles , passent au travers 
des trous et s'enfuient loin des chasseurs désap- 
pointés. 

C'est un moment fort intéressant que celui où 
toute une compagnie de palombes vient se jeter 
dans les filets. Le bruit que font leurs ailes en 
fendant les airs, les cris du capitaine de la chas- 
se, la chute des filets , toutes ces pauvres bêtes 
se débattant sous les mailles, les chasseurs et 
quelquefois les spectateurs tombant sur elles 
comme sur une proie , tout cela ne laisse pas 
que d'avoir quelque chose de saisissant, et qui 
émeut l'àme. Il y avait à peine une demi-heure 
que je me trouvais sur les lieux, qu'on m'avertit 
de me cacher au plus vite derrière une haie de 
branchages : on venait de signaler l'approche 
d'une bande de palombes ; en effet, les filets tom- 
bèrent tout à coup et en retinrent prisonnières 
une vingtaine. Le coup de filet, disait-on, n'était 



^v 



— 158 — 

fm mauvais. Quelquefois il passe isoiémesii mïi 
àgéx ou trois ramiers : on ne les dédaigne pas 
pMr leur petit nombre, et on ne manque pas de 
ihSre égakînem pour eux le coup de filet. Il y a 
des jours où il paraît fort peu de palombes ; on 
eoRçoit que la chasse soit alors assez insipide. 

Les chasseurs tiennent dans une cabane du vin 
d'Espagne fort épais et très-chargé en couleur, 
quHs appellent Nafarra. Ils noas firent la galan* 
terie de nous en offrir, et nous eûmes celle d'en 
accepter. Mais quel vin ! Il avait retenu à un de- 
gré éminent le goût de l'outre dans laquelle il fut 
transporté d'Espagne en France ; nous le bûmes 
en faisant un peu la grimace, et nous le payâmes 
généreusement, moyennant quoi les chasseurs 
restèrent enchantés de nos personnes. 

Diriez-vous, mon chef Théodore, que Sare, ce 
village basque, lelégué à l'extrémité de la France 
aux pieds des Pyrénées, possède des armoiries ? 
Et certes, il les tient, me paraît-il, d'assez bonne 
souche. C'était à l'époque de la troisième de ces 
quatre grandes guerres, qui signalèrent le règne 
de Louis XiV. La lïWlande, le Brandebourg, 
l'Allemagne, la Savoie, l'Espagne, TAngleterre, 
avaient formé la coalition la plus formidable (Wt 
l'Europe eût été encore témoin, et la France se 
voyait attaquée simultanément sur toutes ses 
frontières. 

L'Espagne, selon sa coutume, avait eu recours 
aux Miquelets, corps de troupes composé d'hom- 



— 159 — 

mes deim-brigaiids , demi-soldats , sans aucune 
discipline régulière; elle les avait échelonnés suf 
seis frontières du Nord, d'où ils faisaient de fré- 
quentes incursions sur le territoire français, pfl- 
lant et saccageant tout, partout où ils se présen- 
taient. Les habitants de Sare avaient été plus 
d'une fois victimes de leurs brigandages; plus 
d'une fois ils avaient vu leur pays envahi, ran- 
çonné par ces redoutables bandes de Miquelets; 
et, déjà réduits presque à la misère, ils sentaient 
qu'ils ne pouvaient tarder d'être complètement 
ruinés. Désolés des maux qu'ils ont à souffrir, ils 
se décident à faire parvenir leurs plaintes à la 
cour, et à lui demander secours et protection. 
Mais, à cette époque^ que pouvaient en leur faveur 
les ministres du Roi? Obligée de soutenir une 
lutte terrible contre l'Europe entière, épuisée 
d'hommes et d'argent, la France avait assez à 
faire ailleurs ; évidemment elle était impuissante 
à secourir les malheureux habitants de Sare. 
Ceux-ci comprirent qu'ils n'avaient rien à espérer 
de ce côté. Dans cette extrémité, ils prennent 
une résolution courageuse, presque téméraire ; 
voyant qu'ils ne peuvent compter que sur eux- 
mêmes, ils se déterminent à se lever tous en ar- 
mes et à fafre expier de leurs propres mains aux 
Miquelets leurs pillages et leurs rapines. Les 
bandits s'étaient cantonnés en grand nombre 
dans le village espagnol de Vera, d'où ils avaient 
la facilité de se porter à l'improviste tantôt sur 

11 



— 160 — 

un point, tantôt sur un autre du territoire fran- 
çais. Les habitants de Sare, qui faisaient surveil- 
ler leurs mouvements, apprennent qu'ils se dis- 
posent à fondre de nouveau sur leur pays, afin 
de le mettre encore à contribution. A cette nou- 
velle, hommes et femmes, animés de la même 
ardeur, veulent marcher au combat ; ils s'arment 
à la hâte de fusils, de sabres, de faux , de four- 
ches, de tout ce qui leur tombe sous la main, et 
courent s'embusquer au milieu d'une forêt, dans 
la gorge de Vera. Bientôt ils voient paraître les 
MiquelelSj qui, étant accoutumés à ne rencontrer 
de résistance nulle part, s'avancent sans aucune 
précaution : ils se laissent dépasser de quelques 
pas; puis tout à coup, à un signal convenu, ils se 
lancent sur eux comme un ouragan, les enfoncent, 
les culbutent, égorgent les uns, dispersent les au- 
tres, et remportent une victoire complète. Les vain- 
queurs s'emparent des armes et des bagages de 
leurs ennemis ; ils les emportent en triomphe et 
les déposent comme un trophée dans la Maison 
Commune de Sare, où ils sont restés jusqu'à la 
Révolution Française comme une preuve perma- 
nente de ce glorieux fait d'armes. 

Le chef des Miquelets avait péri dans le com- 
bat : son corps fut transporté à Sare, et y reçut 
les honneurs de la sépulture. J'ai visité sa pierre 
tumulaire, qui est placée à l'entréade la petite 
porte de l'église ; malheureusement l'inscription 
qu'on y grava, effacée par la main du temps, est 
illisible aujourd'hui. 



— 161 — 

Voici les armoiries de Sare, elles me paraissent 
aussi belles que bien méritées : 

Au milieu d'un écu une cuirasse à l'antique cou- 
vrant tout le corps, surmontée d'un casque; trois 
fleurs de lys, l'une au bas de la cuirasse, les deux 
autres au haut de l'écu sur les deux côtés du cas- 
que; l'écu lui-même orné des trophées de la vic- 
toire, savoir : d'un tambour, d'une bannière, d'un 
gros bâton, d'une pique et d'une hallebarde. Ces 
armoiries ont figuré sur la porte de la Maison 
Commune jusqu'en 93. Alors elles furent brisées, 
et la place qu'elles occupaient fut badigeonnée. 
Ce n'est qu'en 1844, lorsqu'on a restauré la Mai- 
son Commune et reconstruit le mur de la façade, 
que l'on a retrouvé la pierre sur laquelle elles 
avaient été gravées ; au-dessous de cette pierre 
on en avait placé une autre que l'on a conservée 
à la Mairie, et sur laquelle j'ai recueilli l'inscrip- 
tion suivante, que je vous transmets sans rien 
changer à l'orthographe : 

Séwart balhorearen eta leyaltassimarm Saria 
émana Luis XIV, 1693. 
Traduction : 

Récompense du courage et de la fidélité, don- 
née à Sare par Louis XIV, 1693. 

Si le courage guerrier parait être naturel aux 
habitants de Sare, je pense, mon cher Théodore, 
que le courage moral ne leur est pas moins famil- 
lier;du moins en ont-ils beaucoup montré pendant 
la Révolution Française. En effet, dès qu'ils virent 



— 162 — 

(|u'on Voulait mettre à exécution parmi eux la 
Conslilution civile du clergé^ ils s'y opposèrent 
avec énergie ; ils refosèrent de recevoir le eacé 
intrus, et il fallut qu'un Commissaire -du gdavtEa*»- 
nement, frère de ce curé, vint procéder (à S(«i 
installation, accompagné dç la ilbrce armée. Mais 
aussi dès lors ils eurent mille vexations à subir; 
on mit des soldats en garnison dans leurs mai- 
sons, on les saisit, on les amena violen^nent 
dans l'église pour les faire assister à des cêrémo»- 
nies sacrilèges ; plusieurs d'entr'eux furent jetés 
en prison, et, lorsque la municipalité adressa des 
réclamations aux représentants du peuple Pinet 
et Cavaignac sur ces actes d'un arbitraire révcrf- 
tant, pour toute réponse la commune de Salre fut 
déclarée infâme avec celles d' Itsasou et d'Ascain 
par un arrêté du 4 Ventôse, an II , 22 Février 
1794, et, de plus, tous les habitants furent sou- 
mis à l'internat, c'est-à-dire, condamnés à être 
enlevés de leurs domiciles et conduits dans les 
départements intérieurs , à une distance de 20 
lieues au moins des frontières. 

11 faudrait vous écrire un volume, mon cher 
Théodore, pour vous dire toutes les souffrances 
que ces infortunés eurent à endurer, et le cou- 
rage dont ils firent preuve dans ces déplora- 
bles circonstances. Mais je dois me borner, de 
peur de vous fatiguer par un trop long récit. Je 
ne peux toutefois m'empêcher de vous citer un 
trait de grandeur d'âme et de vertu, qui me sem- 



— 168 — 

ble d'autaat plus beau, qu'il appartient à une sim- 
ple jeune lUle du peuple. 

lie& hâbitaDts deSare, privés de kurs prètrea, 
sereudaient quelquefois secrètement dans les vil- 
lages espagnols des environs pour accomplii* 
leurs devoç^s religieux. C'était» on le conçoit, à 
cette époque un crime tellement grand, qu*oi^ ne 
pouvait l'expier qu'en portant sa tète sur réoba- 
feud , cotmme si une messe, une confession avait 
mis en danger la patrie entière. Or, une jeune 
6Ue de Sare, nommée Magdeleine liarralde, çtait 
partie un jour pour Ëchelar, daus le but , e^te 
aussi, de satisfaire sa dévotion. Une fois son pieux 
devoir rempli, elle reprend le chemin de son viUsi- 
ge , comptant arriver sans encombre dans sa mai- 
son à travers des sentiers à elle connus. Malheu- 
reusement, dans l'intervalle les troupes françaises 
avaient fait un mouvement en «avajDt pour entrer 
sur les terres d'Espagne; et voilà que la jeuqe 
fille tombe dans les avant-postes de l'armée : 
on la saisit, on la traite d'espion, on la conduit 
devant l'oiBcier français qui coounandait en c^ 
endroit. Celm-ci la questionne, et Magdelei^e ré- 
pond sans balancer qu'elle revient de se copfes- 
ser à Echelar : c'était son arrêt de mort qu'elle 
avait prononcé ; elle le savait, l'oflacier le savait 
aussi. Ce dernier cependant, touché de sa jeunes£)e 
et de se9 nobles sentiments, veut trouver un 
moyen de la sauver, et l'engage à dire qu^elle a 
pris la fuite vers l'Espagne, poussée par la frayeur 



— 164 — 

que lui avaient causée les mouvements de Tar-* 
mée. Mais il a beau la presser, la solliciter; la 
jeune fille déclare que la loi de Dieu lui interdit 
le mensonge, et qu'elle aime m^ux perdre la 
vie que de la conserver par un si triste moyen. 
Magdeleine Larralde fut donc retenue prisonnière, 
conduite à St-Jean-de-Luz, jugée et condamnée 
à périr par la guillotine. La cruelle et inique sen- 
tence des juges ne fit pas fléchir le cœur de la 
jeune fille ; la vue même de Féchafaudne lui ins- 
pira aucune frayeur ; on la vit sur la place de St- 
Jean-de-Luz marcher au supplice avec un admi- 
rable courage en chantant le Salve Regma, et, 
lorsque sa tète tomba sous le couteau sanglant , 
plusieurs des spectateurs versaient des larmes, et 
l'on disait dans la foule qu'une vierge, une mar- 
tyre venait de monter au ciel. 

J'ai visité l'église de Sare qui est grande, mais 
dont l'architecture n'a rien de bien remarquable. 
On voit dans le chœur les tombeaux des deux 
Axular, oncle et neveu, dont l'un succéda à l'au- 
tre dans la cure de Sare. L'oncle, Pierre d'Axu- 
lar, qui mourut en 1644, est auteur d'un livre 
basque, intitulé Gueroco guerOy dans lequel il a 
répandu une prodigieuse érudition. 

On trouve dans cette église trois bons tableaux 
qui avaient été donnés par le duc d'Orléans, aïeul 
de Philippe-Égalité, à M. Daguerre, supérieur du 
Séminaire de Larressore. Ces tableaux furent 
vendus à vil prix pendant la Révolution à unhom- 



-- 165 — 

me du peuple, nommé Jean Egosqué-Etchebe3te, 
de qui M. IHthurbide, maire de Sare, en fit Tac- 
quisition dans la crainte qu'ils ne vinssent à s'é- 
garer ou à se détruire. Mais lorsqu'il fut question 
de les enlever, voilà qu'il se forme un attroupe- 
ment de femmes, à la tète duquel marche le maire 
de Larressore, pour empêcher qu'on ne les em- 
porte. De là réclamation et pétition, qui tournè- 
rent au prof» de l'église de Sare, à qui M. Dithur- 
bide,dans des temps meilleurs, céda les tableaux^ 

J'ai pris copie d'une lettre écrite à cette occa- 
sion par ce Jean Egosqué-Etchebeste; je vous 
l'envoie, mon cher Théodore, comme pièce cu- 
rieuse, en conservant religieusement l'orthogra- 
phe de l'auteur : 

« De Bayonne, le 23 Novembre, vieux estillé. 
« Monsieur Dithurbide, 

« Je présenté la pétition devent le sous préfet 
« au sujets de tablaux que je vous ai vendu, le 
« sous préfet à dont écrit au maire Delârres- 
« sore qui donne ses ressens De l'oppossion quil 
« à fait avec un attroupement de fammes contre 

* le tablaux que je vous ai vendu. 

« Le sous préfet il aten la réponse Du dit 
« maire pour dessider la chosse comme il sera 
« juste. Sytot que je serois autorissé par le sous 
« préfet pour délibérer le dit tablaux je vous 

• avertiré sens aucun retart. 

« Je suis votre serviteur. 
« Signé — Jn Egosqué-Etchebeste. » 



— 166 — 

Je comptais ne pas quitter ces lieux sans avoir 
visité la lombe du comte Alfred de Stolberg,, qui 
mourut à Sare le 9 Novembre 1834. Mais c'est en 
vain que je la cherchai près du porche de l'église 
où elle avmt été placée ; eHe n'existait déjà plus, 
et ii me fut impossible d'en retrouver une seule 
pierre. Je ne pusm'empécher d'en gémûr en moi- 
ifiéme tout en déplorant l'acte de vandalisme qui 
l'avait détruite. Je me réserve dep vous parler 
dans une prochaine lettre de ce jeune seignew, 
si distingué par sa naissance et son esprit, qui 
vint ainsi mourir misérablement loin de sa patrie 
et de tous les siens. 

Je teriniiie par quelques mots sur le docteur 
Jean d'Etcheberry, natif de Sare. Il fut médecin 
attitré de la ville d'Ascoïtia, et composa différents 
ouvrages. Le P. Larramendi parle avec éloges de 
son dictionnaire quadrilingue, Basque, Espagnol, 
Français et Latin. Il déclare même avec simpli- 
cité que cet ouvrage ne lui a pas été inutile pour 
ia composition de son grand dictionnaire. Du 
reste, le docteur Jean d'Etcheberry était un hom- 
me fort savant et profondémait religieux, com- 
me ses livres en font foi. 

Adieu, cher Théodore, je vous suis toujours 
également dévoué de cœur. 

Jules. 



LE COMTE ALFRED DE STOLBERG. 

Caiibo, le 7 Juillet 1858. 
Mon cheb Théodore , 

Je vais FeH>plir aujourd'hui la promesse que je 
vous ai faite de vous donner quelques détails svir 
le comte de Stolberg, ce jeune seigneur étranger, 
qui vint mourir à Sare en 1834. J'entre donc im- 
Koédiatement en matière. « 

Le 28 Octobre 1834 , sept ou huit Basques , 
jeunes et vigoureux, traversaient les Pyrénées , 
d'Espagne en France, s'avançant pénibiement 
dans les sentiers des montagnes. Ils étaient char- 
gés d'un brancard, qu'ils portaient tantôt sur les 
épaules, tantôt avec les mains, en se relayant 
de temps en temps les uns les autres, fis mar- 
chs^nt avec précaution : car sur le brancard était 
étendu un malade qui paraissait souffrir beau^ 
coup, et qui était en proie à une fièvre ardente. 
Ces jeunes gens se dirigeaient vers le village de 
Sare. 



— 168 — 

Déjà la course avait été longue , et néanmoins 
ils étaient encore loin du lieu de leur destination, 
lorsqu'ils virent le soleil décliner vers l'horizon 
et l'ombre des montagnes s'^longer rapidement 
devant eux. Ils devinrent inquiets, et auraient 
voulu presser davantage le pas. Mais ils avaient 
à marcher avec leur fardeau dans des sentiers 
étroits, raboteux, souvent escarpés; et d'ailleurs, 
ils étaient retenus par la crainte de faire éprouver 
de fortes secousses à ce pauvre malade qui s'était 
confié à eux, et qu'on leur avait dit être un prin- 
ce allemand. Cependant les derniers rayons du 
jour finirent par disparaître , et nos jeunes Bas- 
ques se trouvèrent totalement environnés des 
ténèbres de la nuit. Ce contre- temps, quelque 
fâcheux qu'il fût, ne les découragea pas toutefois. 
L'intérêt que leur inspirait ce malade , jeune en- 
core comme eux, le désir de le sauver, l'espoir 
peut-être d'une récompense, animaient sans cesse 
leur cœur. Les difficultés étaient devenues plus 
grandes ; mais elles ne servirent qu'à redoubler 
leur vigilance et leurs précautions. 

Enfin, après plus d'une heure d'une marche 
des plus pénibles à travers l'obscurifé, ils furent 
assez heureux pour atteindre le bourg de Sare 
sans aucun accident. Ce fut alors seulement qu'ils 
commencèrent à respirer et à se sentir un peu 
tranquilles; le malade lui-même se crut sauvé, 
quand il apprit qu'il se trouvait au milieu d'un 
village français. Ils n'étaient pourtant pas arrivés 



— 169 — 

encore au terme de leurs embarras. En effel, il 
faisait nuit, et toutes les habitations étaient fer- 
mées en ce moment. Cependant nos jeunes Bas- 
ques, connaissant bien le caractère hospitalier de 
leur nation , ne doutèrent pas qu'il ne leur fut 
facile de trouver un logement convenable, et ils 
allèrent Irapper à plusieurs maisons. Hélas I ils 
se trompaient. A peine avait-on ouvert une porte, 
qu'à leur grande surprise , on la refermait soudaine- 
ment sur eux en entendant qu'ils arrivaient d'Es- 
pagne avec un »malade. C'est que le bruit venait de 
se répandre à Sare que le choléra-morbus avait 
fait invasion sur la frontière espagnole; et cette 
nouvelle avait placé toute la population sous l'im- 
pression d'une terreur difficile à décrire. Chacun 
craignait donc de recevoir un cholérique chez soi, 
eton croyait être fort sage en barricadant sa porte. 
On ne saurait dire quelle fut pendant près d'une de- 
mi-heure l'anxiété du malade et de ses compagnons. 
Heureusement pour eux, le bruit de ce qui se pas- 
sait ne tarda pas à parvenir aux oreilles d'un jeu- 
ne ecclésiastique, qui exerçait à Sare les fonctions 
de vicaire. Il accourt aussitôt, il s'informe de tout, 
et va heurter à la porte d'une maison de chétive 
apparence. Une femme parait sur le seuil, et il la 
conjure, au nom du Dieu de miséricorde, d'ouvrir 
un asile chez elle au pauvre malade repoussé de 
tous. A la voix du prêtre, Marie-Baptiste Dargaitz 
(c'est le nom de cette femme charitable) s'em- 
presse d'offrir non-seulement un appartement, 



— 170 -~ 

mais encore,sa personne et tous les services qui 
dépendront d'elle. Cet appartement n'était, à vrai 
dire, qu'une ehambrette, bien petite, bien modes- 
tement, ou plutôt bien pauvrement meublée, mais 
c'était tout ce qu'elle avait ; du reste elle était 
luisante de propreté, et Je linge y était d'une 
blancheur exquise. C'est là, dans cette hued))e 
demeure, que fut porté pour y mourir Ferdinaml- 
Alfred, comte de Stolberg-Stolberg. 

Ce jeune seigneur était flls du célèbre Frédéric- 
Léopold de Stolberg, qui se convertit au catholi- 
cisme en 1800, et dont la conversion fit tant de 
bruit en Allemagne (1). Son père avait été gen- 
tilhomme d^ la chambre du roi de Danemark, mi- 
nistre de Lubeck à Copenhague, grand-iwaîtrede 
la cour du duc de Holstein-Eutin, et, en 1789, 
ambassadeur de Danemark en Prusse. Son nom, 
son rang» ses talents, ses écrits, son âge, sa ju^te 
réputation d'honneur et de loyauté, avaient donné 
beaucoup d'éclat à sa démarche, et les protestants 
eurent peine à se consoler d'une défection que 
Tonne pouvait attribuer a aucun motif humain. La 
Providence sembla vouloir récompenser le comte 
de Stolberg d'avoir courageusement triomphé des 

(1) Accueilli à la cour du duc de Saxe-Weimar par 
cette apostrophe : c Je n'aime pas les personnes qui 
« changent de religion. — Ni moi non plus, répondit le 
« comte de Stolberg i car, même après trois cents ansî, 
« elles obligent leurs descendants à en changer encore. » 



- Î71 -^ 

iniUe obstades qu'il avait eus à vaincre p^r 
embrasser le catholicisme;. Moins de trois mois 
après; il devenait père de ce même Ferdinand- 
Alfred, que nous venons de voir entrer tout ma- 
lade dans la pauvre habitation occupée par Marie- 
Baptiste Dargaitz; et, chose remarquable, de tous 
les nombraax enfants du comte, ce fils fut pré- 
cisément celui à qui le ciel accorda les plus belles 
et les plus heureuses qualités. C'est de lui que la 
■ comtesse Sophie de Stolberg, sa mère, écrivait, 
peu de temps ajMrès l'avoir perdu : « Sous le rap- 
« port du génie et de l'esprit, comme du carac- 
« tère, il avait de la ressemblance avec son 
« admirable père ainsi que pour les traits et la 
« figure. » Elle ajoutait dans la même lettre, 
que j'aime à citer, parce qu'il n'y a rien de tel 
que l'œil d'une mère pour pénétrer dans l'âme 
d'un fils et le connaître à fond : 

« Alliped avait la conception extrêmement 
« prompte et une grande facilité pour apprendre 
« les langues. Aussi n'avait-il par tardé à deve- 
« nir versé dans les langues anciennes et mo- 
« dernes ; il comprenait sans la moindre peine 
« totis les livres classiques ainsi que les auteurs 
« français, espagnols, italiens. Il s'était beau- 
« coup livré à la lecture, ce qui lui avait permis 
« de joindre une vaste érudition à la connaissance 
« de ces langues. Une malheureuse disposition à 
« une argumentation captieuse, un certain esprit 
« d-oppo^tion, des circonstances fâcheuses, tout 



— 172 — 

« cela, joint à ses moyens, à ses qualités peu 
« communes, devint pour lui un écueil funeste : 
« il perdit la foi avant d*avoir quitté la maison 
« paternelle. Son caractère, qui se montra si 
« doux depuis, était, à cette époque, altier et in- 
« domptable. » 

Treize ans se passèrent ainsi. Cependant Alfred 
entreprit en Autriche une carrière civile qu'il ne 
continua pas, se mit à voyager en 1826, parcou- 
rut l'Allemagne, la Russie, l'Italie, et revint de 
temps en temps auprès de la comtesse de Stol- 
berg se reposer de ses fatigues. Cette excellente 
mère, pareille à une autre Monique, ne cessait de 
demander à Dieu avec des larmes qu'il voulût bien 
toucher le cœur de son fils et le retirer de son 
égarement. Ses vœux furent exaucés, lorsqu'elle 
osait l'espérer le moins. Ce fut la lecture des Pères 
de l'Église qui opéra cette conversion inattendue 
au mois d'octobre 1831. Alfred se trouvait alors 
en Saxe ; il s'empressa d'écrire à sa mère une let- 
tre touchante pour lui faire part de son change- 
ment. Dès lors il arrêta dans sa pensée la réso- 
lution de consacrer à Dieu toutes les forces de 
son intelligence et de son corps. En l'attendant 
qu'il pût réaliser son projet, il s'appliqua à se ren- 
dre maître de lui-même, affable et bienveillant 
envers les autres. Il y réussit à merveille. Il wait 
six frères et six sœurs, dont il se fit extrêmement 
aimer par les rares et précieuses qualités de son 
cœur et de son esprit. Les étrangers aussi trou- 



— 173 — 

vaient dans son commerce un charme particulier, 
qui le rendait cher à tous ceux qui avaient occa- 
sion de le connaître. 

Mais tandis qu'il faisait le bonheur de ceux avec 
qui il avait à vivre, il était sans cesse agité lui- 
même par une inquiétude intérieure; il sentait au 
fond de son àme un besoin extrême d'action et 
de dévouement. C'était l'époque où l'Espagne, 
divisée entre les Christinos et les Carlistes, était 
déchirée par une guerre civile des plus cruelles. 
Alfred se trouvait depuis le mois d'avril 1834 au- 
près de sa mère, autour de qui s'étaient réunis 
presque tous ses frères et sœurs. C'est là qu'il 
prit le parti d'aller soutenir la cause de D. Car- 
los, qui, dans sa conviction, était la cause de Dieu 
et de la justice. Mû par un noble et pur dévoue- 
ment, il dit adieu à sa famUle, à sa mère qu'il ne 
devait plus revoir, et le 2 du mois d'Août il quit- 
tait la Saxe pour se rendre en Espagne. Il n'avait 
confié le secret de son départ qu'à la comtesse de 
Stolberg. 

A son arrivée, le comte Alfred fut parfaitement 
accueilli dans le parti auquel il venait apporter 
son appui ; il paraît même qu'il devint pres- 
qu'aussitôt membre de la junte générale. Plus 
d'une fois alors il fut témoin de la bravoure et de 
la constance de ces bataillons Basques et Navar- 
rais, qui savaient marcher au feu avec le courage 
des lions, et supporter, après la bataille, la faim, 
la soif, la fatigue et tous les genres de misères; 



— 174 — 
il ne put leur refuser un profond sentiment d'ad- 
miration, non plus qu'à ces ehefe intrq)ides qui 
s'étaient levés avec eux pour la défense de te mê- 
me cause. Mais d'un autre côté, avec quel cha- 
grin ne vit-il pas les jalousies, les rivalités, les 
dissensions, les intrigues qui rongeaient le cœur 
du parti? Celot pour lui le sujet d'une déc^[)tion 
des plus amères. Là où il croyait ne rencontrer 
que la générosité , le dévouement , l'abnégation , 
il voyait s'agiter l'égoïsme , l'intérêt personnel, 
la passion de domina. D'une part, de grands et 
beaux sentiments dans ceux qui combattaient; de 
l'autre, des cœurs étroits et bas dans ceux qui, 
kMn du péril, exerçaient leur influence de cuma' 
rilla et gaspillaient les trésors de l'armée. 

A ce spectacle, le noble cœur d'Alfred fut na- 
vré de douleur, ses idées s'assombrirent, et la 
tristesse s'empara de lui. Tout cela, joint à des 
fatigues excessives auxquelles il lui fallut se 
livrer, échauffa son sang, et il fut pris d'une 
fièvre ardente. C'était précisément dans un de 
ces moments critiques où l'armée carliste se 
voyait forcée de reculer devant les troupes chris- 
tines. Dangereusement malade , incapable ni de 
marcher ni de se tenir à cheval, le jeune c(»nte 
de Stolberg fut abandonné dans la Uweme d'un 
des villages de la frontière espagnole. Quand il 
se vit ainsi seul, délaissé de tous, loin de tout se- 
cours, il pensa à sortir de la terre d'Espagne et à 
se faire transporter sur le sol français, dans l'es- 
pérance d'y trouver un asile hospitalier. 



~ 175 — 

Telles furent les circonstances qui amenèrent 
le comte Alfred de Stolberg au village de Sare, 
le premier de ceux que Ton rencontre dans cette 
partie des confins de la France. J'ai déjà dit de 
quelle manière le vicaire de la paroisse lui avait 
fait ouvrir la porte de la maisonnette habitée par 
une sainte femme appelée Marie-Baptiste Dargaitz. 
Si jusque-là le comte avait eu à supporter les dé- 
ceptions, la maladie, le délaissement , du moins 
ni les soins ni les secours ne liii manquèrent dès 
l'instant qu'il fut reçu dans la modeste chambrette 
de Marie-Baptiste. En effet, le jeune ecclésiasti- 
que qui s'était tout d'abord intéressé à lui, ne se 
contenta point de lui rendre de fréquentes visi- 
tes; il alla chercher lui-même et lui amena le 
docteur Dornalèche, auquel son savoir médical 
et sa longue expérience avaient acquis une juste 
renommée dans toute cette contrée. Le curé de 
la paroisse, à son tour, se fit un devoir d'aller le 
voir souvent et de lui apporter des paroles d'en- 
couragement et de consolation. Un officier fran- 
çais, qui commandait deux compagnies de sol- 
dats cantonnées à Sare, voulut également être in- 
troduit auprès du comte Stolberg, et, depuis ce 
moment, il ne l'abandonna presque plus, lui pro- 
diguant les témoignages de l'affection la plus cor- 
diale et la plus fraternelle. Mais la personne 
qu'Alfred distingua parmi toutes les autres, à 
cause des tendres soins qu'il en reçut, fut sans 
contredit Marie-Baptiste Dargaitz. Aussitôt qu'elle 

13 



— 176 — 

Tavait vu logé sous son humble toit, cette excel- 
lente femme s'était constituée sa fidèle et charita- 
ble gardienne : désormais elle ne voulut plus le 
quitter un seul instant ; jour et nuit elle veillait 
sur son cher malade avec la plus vive sollicitude ; 
sans cesse elle cherchait quelque nouveau moyen 
d'adoucir ses souffrances, de soulager la peine 
que devait lui causer l'absence des siens, et, 
quand les autres resssources venaient à lui man- 
quer, elle savait au moins toujours trouver pour 
lui les douces consolations du cœur. 11 y avait, 
dans les soins de cette pauvre femme si simple 
et si bonne, tant de prévenance, d'affection, de 
dévouement, que le comte de Stolberg, profon- 
dément touché, non-seulement lui accorda toute sa 
confiance, mais finit par lui donner le nom même 
de mère. Hélas ! tout cela devait être inutile pour 
la guérison d'Alfred. Ni la science du médecin, nr 
les encouragements des deux ecclésiastiques, ni 
les marques d'amitié de l'oflHcier commandant, ni 
le tendre dévouement de Marie-Baptiste Dargaitz, 
ne pouvaient rien contre les ravages que le mal 
avait déjà faits en lui. 

Toutefois les bons soins dont il se voyait l'ob- 
jet et deux ou trois jours de repos donnèrent un 
peu de tranquillité à son esprit, lien profita pour 
écrire, le 31 octobre, à la comtesse sa mère, qu'il 
supposait devoir être foH inquiète sur son compte. 
Mais ce n'étaient que quelques lignes, tracées 
d'une main presque mourante et à peine recon- 



— 177 — 

jaaissable. Dans cette lettre , qui fut jetée à la 
1)ogte à Bayonne, il lui disait qu'il avait été vive- 
ment affligé d'être obligé de prendre la fuite ; 
qu'il était malade, mais qu'il lui donnait l'assu- 
rance qu'il n'était pas néanmoins en danger; en- 
fin qu'il la conjurait de lui écrire sur-le-champ. 

Le 4 novembre suivant, c'était le jour de la 
naissance de sa mère, il avait le désir de lui écrire 
de nouveau. Mais le mal avait déjà fait beaucoup 
de progrès : il se sentit trop faible, et fut réduit à 
prier le vicaire de Sare d'écrire sous sa dictée ; 
encore dut-il se borner à ne lui dicter que quel- 
ques lignes. On voyait évidemment que la mala- 
die marchait avec rapidité, et que le dénouement 
final ne pouvait tarder d'arriver. 

11 allait donc mourir, le comte de Stolberg, ce 
jeune seigneur si riche d'avenir, orné de tant de 
qualités brillantes ! 11 allait mourir sur le sol étran- 
ger, dans une pauvre demeure, sans entendre 
une parole amie de quelqu'un des siens, sans pou- 
v(Mr adresser à un seul d'entr'eux un dernier mot 
d'adieu ! Oui, ce n'était que trop vrai : il lui fallait 
ainsi mourir à la fleur de ses années, loin de tous 
les siens, loin de sa mère, de ses amis, de sa pa- 
trie. Le comte le comprit lui-même ; il sentit que 
la mort approchait vers lui à grands pas, qu'elle 
allait bientôt saisir sa proie. Mais, à son approche, 
il ne se troubla point, il ne se livra ni gu déses- 
poir, ni aux plaintes, ni aux regrets. Seulement, 
en songeant que ses jours étaient comptés, qu'il 



— 178 — 

ne lui en restait que bien peu à vivre sur la terre, 
il résolut de prendre toutes les meilleures dispo- 
sitions pour bien faire le grand voyage du temps 
à réternité. Il commença par s'aboucher, à cet 
effet, avec le curé de la paroisse, puis il reçut 
tous les sacrements de TÉglise avec une vive foi 
et une résignation profonde aux ordres du Ciel. 
Quand cet acte solennel fut accompli , son âme 
parut jouir d'une parfaite sérénité ; on aurait cru 
voir comme un rayon céleste se refléter sur son 
front tranquille et pur, quoique penché sous le 
coup de la mort. Il ne vécut que fort peu de temps 
après avoir rempli ce dernier devoir de sa vie, et 
il expira doucement, le 9 novembre, à huit heures 
du soir. Ainsi mourut à Sare, au sein des conso- 
lations de la religion, entouré de personnes dé- 
vouées bien qu'étrangères, Ferdinand- Alfred , 
comte de Stolberg-Stolberg; il était âgé d'envi- 
ron 34 ans. 

Cependant sa famille était dans les incertitudes 
les plus désolantes sur son sort. Qu'était devenu 
le comte Alfred! En quel lieu se trouvait-il? 
Était-il malade? Était-il déjà mort? Pouvait-on 
espérer de le revoir? Devait-on le compter 
encore au nombre des vivants? Privée depuis 
longtemps de ses nouvelles, elle s'abandonnait 
aux plus tristes conjectures sur son compte. En 
effet, la Jettre qu'il avait écrite d'une main mou- 
rante, le 31 octobre, était restée, on ne sait com- 
ment, jusqu'au 2 décembre à la poste de Bayon- 



— 179 — 

ne, et elle n'arriva que longtemps après à sa des- 
tination. Quant aux lignes qu'il dicta quelques 
jours après au vicaire de Sare, elles ne purent 
non plus parvenir que tardivement à sa famille , 
attendu que sa mère, à qui elles étaient adressées, 
était alors loin de ses enfants, à Munster, en West- 
phalie. 

Pendant qu'on était ainsi livré aux justes in- 
quiétudes que faisait naître le long silence d'Al- 
fred, les journaux français publièrent qu'un comte 
de Stolberg venait de mourir dans le village de 
Sare, aux pieds des Pyrénées, en revenant 
d'Espagne. Quelle révélation pour sa famille! 
Elle ne put douter que le personnage, dont 
parlaient les feuilles publiques , ne fut le comte 
Alfred lui-même. Sur-le-champ elle prit des 
informations pour s'en assurer , et acquit la 
triste certitude qu'elle ne s'était pas trompée 
dans ses conjectures. Qu'on juge de l'afflic- 
tion qu'elle ressentit d'une si cruelle perte;, il 
faudrait pour la bien apprécier avoir lu les let- 
tres que plusieurs membres de cette famille écri- 
virent alors dans notre pays. Cette correspon- 
dance passa sous mes yeux à cette époque ; elle 
avait principalement pour but d'obtenir tous les 
détails relatifs aux derniers jours d'Alfred et de 
faire élever un monument à sa mémoire dans le 
village de Sare. 

Vous comprenez, mon cher Théodore, que je 
me suis fait un pieux devoir de ne pas revenir de 



— 180 — 

mon excursion à Sare sans avoir visité ce mono* 
ment funèbre. Je me rendis donc à l'endroit où 
l'infortuné comte de Stolberg avait été enseveli, 
proche de l'entrée septentrionale du porche de l'é- 
glise. Mais, hélas ! quelles furent ma surprise et 
ma peine I Je n'y vis ni monument, ni aucune tra* 
ce de monument, ni même rien qui put me faire 
soupçonner que là, un jour, le corps d'un chré- 
tien eût été confié à la terre : tout avait dispa* 
ru. Douloureusement affecté, je me tournai vers 
le maire de la commune qui m'accompagnait, et 
je lui demandai ce qu'était devenu le tombeau de 
marbre sous lequel devait reposer le comte de 
Stolberg. De vrais Vandales, me dit-il, l'avaient 
brisé, détruit, profané, pendant une nuit obscure; 
c'étaient, ajouta-t-il, deschristinos qui, d'aprèâ 
l'opinion générale, avaient commis cet acte de 
barbarie en haine du parti carliste que le comte 
Alfred avait servi pendant deux mois. Et person- 
ne depuis ne s'était mis en peine de réparer l'ou- 
trage fait à un illustre mort et à sa noble famille. 
Je voulus reconnaître au moins quelques-unes 
des pierres qui avaient appartenu au monumeol 
détruit : ce fut en vain; je ne pus en retrouver 
une seule ; et je me retirai en gémissant sur les 
excès qu'engendrent parmi les hommes les dis- 
cordes civiles. 

Depuis, mon cher Théodore, deux membres d& 
la famille de Stolberg sont venus dans notre pays, 
conduits par le souvenir, toujours vivant dans leur 



— 181 — 

cœur, ée celui qu'ils avaient perdu ; il y a de cela 
deux ans environ. Je ne vous dirai pas comme 
leur àme a été déchirée en ne trouvant aucun 
vestige delà tombe du comte Alfred de Stolb«*g 
et en entendant la profanation dont elle avait été 
l'objet. Us ont fait élever un monument nouveau 
pour protéger les cendres de ce frère chéri; et 
on y a gravé l'inscription suivante que l'on avait 
également gravée sur le premier : 

ICI REPOSE 

LA DÉPOUILLE MORTELLE DE FERDINAND - ALFRED , 

COMTE DE StOLBERG -StOLBERG , 

NÉ A EUTIN DANS LE HOLSTEIN, LE 12 AOUT 1800. 

Je suis la résurrectimi et la vie. Celui qui croit en moif 
((uand il serait mort, vivra. (St-Jbai», XI, 25, R. J. P. 

CONCESSION A PERPETUITE. 

Le récit de la mort du comte Alfred de Stolberg 
m'a entraîné, mon cher Théodore, beaucoup plus 
loin que je ne pensais. Je repousse néannK)ins 
l'idée qu'il ait pu vous fatiguer. 



Je me disposais à partir de Sare, quand on m'a 
parlé d'une grotte remarquable dont j'ignorais 
l'existence, et qu'on voit au pied d'une montagne 
taillée à pic. 11 était trop tard, pour penser à l'aller 



— 182 — 

visiter. Son entrée, m'a-ton dit, est en forme d'arc 
surbaissé d'environ vingt mètres de haut, sur 
quarante à quarante-cinq de large. Il en sort un 
petit ruisseau, qui se hâte d'aller porter ses eaux 
dans le lit d'un autre ruisseau, son voisin. Cette 
grotte a plus de 4 kilomètres de longueur : on a 
beau s'armer de torches et de flambeaux ; en dépit 
de la lumière qu'ils donnent, on se sent environné 
de ténèbres épaisses qui se prolongent dans le 
lointain. On rencontre çà et là d'énormes colon- 
nes de stalactites qui semblent avoir été posées 
là tout exprès pour soutenir la voûte immense 
qui couvre ces cavités profondes. De cette voûte 
tombent des gouttes d'eau, dont la chute forme 
un bruit régulier et monotone, qui porte la tris- 
tesse dans l'àmc au sein de l'obscurité. Là, com- 
me dans la grotte d'Isturitz , on trouve un nom- 
bre incroyable de chauve-souris : elles sont ac- 
crochées à la voûte par les pattes, et se tiennent 
ainsi suspendues la tête en bas ; elles paraissent 
engourdies par la fraîcheur de l'air intérieur. 

Je regrette , mon cher Théodore , de n'avoir 
pu pénétrer dans une grotte si curieuse à voii^; je 
vous en aurais fait une description plus détaillée. 

Adieu, mon ami, je vous embrasse de bien bon 
cœur. 

Jules. 



- -'- 



EXCURSIOR ER ESPAGRE. 



Cambo, le 15 Juillet 1858. 

Ma journée d'hier a été , mon cher Théodore , 
une des mieux employées depuis mon arrivée aux 
eaux. Quand on est à Cambo^ on se trouve trop 
près de l'Espagne, pour ne pas éprouver quelque 
désir de pousser une pointe dans ce pays. C'était 
précisément mon cas. J'avais formé depuis plu- 
sieurs jours le projet de franchir la frontière et 
de me rendre au plus prochain village du terri- 
toire espagnol ; il s'appelle Urdache. La route est 
belle presque partout, et la distance n'est que de 
16 à 17 kilomètres. Au reste , les circonstances 
m'ont servi à merveille dans cette occasion. Ainsi, 
j'avais rencontré dimanche au soir un vérifica- 
teur de la douane d'Ainhoa , où se trouve le der- 
nier bureau de ce côté de la France. Je m'infor- 
mai auprès de lui des formalités à remplir pour 
passer la frontière avec mon cheval ; et il m'as- 
sura qu'elles se réduisaient à fort peu de chose, 
que je n'avais qu'à me présenter et qu'on me 
donnerait toutes les facilités désirables. 

Je suis donc parti hier matin pour Urdache par 



— 184 — 

un temps délicieux. Le soleil brillait de tout son 
éclat au milieu d*un ciel d*azur, et une légère 
brise tempérait l'ardeur de ses rayons. A peine 
ai-je passe le bourg d'Espelette, que je me suis 
trouvé au milieu d'un admirable paysage : c'é- 
taient partout, le long delà route, des habitations, 
de vertes prairies, des bois de chênes et de châ- 
taigniers, des ruisseaux murmurants, des champs 
couverts de riches moissons. Je voyais à ma 
droite le village de Souraïde, dont la blanche 
église m'apparaissait près d'un gi*aupe de mai- 
sons, au sein d'une campagne fort bien cultivée. 
Pendant l'espace d'environ 3 kilomètres, le 
chemin, qui conduit d'Espelette à Ainhoa, monte 
en serpentant sur le flanc des collines; et durant 
tout le temps qu'on met à le parcourir, le pre- 
mier de ces deux bourgs, dès que vous vous re- 
tournez, se montre à vous dans une position 
charmante. Mais lorsque vous avez atteint le point 
culminant de la route, il faut lui dire adieu en le 
saluant d'un dernier regard; et vos yeux aper- 
çoivent presqu'aussitôt le joli village d' Ainhoa, 
vers lequel vous descendez pendant à peu près 
3 autres kilomètres. Presque toutes les maisons, 
qui te composent, sont agglomérées en un seul 
groupe, et l'église, qui les domine, semble s'éle- 
ver au-dessus d'elles comme pour les protégé. 
Les alentours du village sont cultivés avec beau- 
coup de soin et d'întellig^ce ; ce sont des terres 
remarquables par la beauté de leurs produits. 



— 185 — 

EU arrivanl au village , je suis descendu 
chez M. Martin Hiriart, un de ces hommes 
chez qui on est toujours sur de rencontrer une 
aimaWe et cordiale hospitalité. L'ainée de ses 
demoiselles se disposait à se retirer des eaux de 
Cambo précisément quand j*y suis venu. Elle 
avait été atteinte d'une affection de la poitrine 
très-grave, et les hommes de Fart avaient mani- 
festé de vives inquiétudes sur son état. La jeune 
malade toutefois ne désespérait pas de la con- 
servation de sa vie ; elle manifesta un extrême 
désir de recevoir la visite d'un des médecins le 
plus en renom de nos contrées, qui demeure à 
Bayonne. Le docteur consentit à se rendre à 
Ainhoa, indiqua le traitement à suivre, et, au bout 
de quelque temps, M"« Hiriart se sentit en état de 
se lever de la triste couche où elle était étendue 
depuis près de deux ans. Quand ses forces com- 
mencèrent à revenir, elle fut envoyée par le 
docteur aux eaux de Cambo. C'était à la fin de 
l'automne dernier. Elle y resta un mois entier, 
jusqu'au moment où les premiers froids annoncè- 
rent l'approche de l'hiver. On ne peut dire la 
transformation qui s'opéra en elle durant ce court 
espace de temps. Cette jeune personne était de- 
venue méconnaissable, mangeant, buvant, riant, 
marchant, faisant d'assez longues promenades; 
elle était au comble de la joie, et sa famille avec 
elle; il semblait à celle-ci que ce fut comme une 
résurrection de la mort à la vie. C'est pour con- 



— 186-^ 

solider le rétablissement de sa santé, qu'après 
avoir, passé doucement Thiver, M"« Hiriart est 
allée de nouveau à Cambo durant ce printemps; 
elle attend l'automne prochain pour y retourner 
encore. 

Pendant que je me réjouissais de sa guérison 
avec elle et sa famille, M. Hiriart s'occupait des 
formalités à remplir au bureau de la douane, et il 
faisait préparer un cheval pour m'accompagner 
lui-même à Urdache. Bientôt après nous chemi- 
nions côte à côte sur la route d'Espagne, qui est 
assurément l'une des plus pittoresques et des plus 
agréables que j'ai parcourues. Un pont de pierre, 
jeté sur un gros ruisseau, sert de limite aux deux 
États; c'est ce qu'on appelle le Pont de Dmic}ia- 
ria. Ce ruisseau prend sa source en France, va 
joindre au-dessous du pont un autre ruisseau qui 
vient d'Espagne, et tous les deux réunis forment 
une petite rivière, que l'on nomme la Nivelle. 
Celle-ci longe le territoire d'Ainhoa, baigne celui 
de Sare, traverse la commune de StrPé recueil- 
lant çà et là divers courants d'eau sur son pas- 
sage, commence à porter bateau à Ascain, et se 
jette à la mer dans la ville de St-Jean-de-Luz, à 
qui elle prête son lit pour en faire un port. Ces deux 
ruisseaux sont très-poissonneux ainsi que la Ni- 
velle; ils fournissent surtout une grande quan- 
tité d'excellentes truites. La nuit précédente, m'a 
dit M. Hiriart, avait été très-favorable aux pê- 
cheurs, parce qu'elle avait été fort claire avec un 



— 187 — 

ciel bien étoile ; la pèche avait été abondante, et, 
à notre retour à Ainhoa, nous trouverions sur 
notre table de bonnes et fraîches truites. 11 ne se 
trompait pas, comme je l'ai bien reconnu quelques 
heures plus tard. 

Le bureau de la douane française était, il y a 
quelques années, à l'avancée près du pont de Dan- 
charia. Mais la crainte de quelque coup de main 
hardi, et le peu de commodités qu'offre ce lieu 
isolé, ont déterminé l'administration à le faire re- 
culer jusqu'au bourg d' Ainhoa, où on l'avait placé 
dans l'origine. Au delà du pont se trouve un poste 
de carabineros ou douaniers espagnols. Au bruit 
des pas de nos chevaux, ils sont tous sortis "à la 
fois de leur corps-de -garde pour nous voir pas- 
ser; ils ne portaient point de carabine dans 
les mains pour nous coucher en joue; mais 
en revanche ils étaient armés de l'immanquable 
guittare espagnole , qui leur sert à charmer 
les ennuis de leur âolitude par la musique et la 
danse. Ils se sont au reste comportés en fort 
honnêtes gens envers nous. Afin d'éviter toute 
question superflue de leur part, nous leur 
avons adressé les premiers la parole, et nous leur 
avons dit que nous allions jusqu'à Urdache, d'où 
nous serions de retour au bout de deux heures. 
— Bien, bien, Senores, biien paseo. — Bien, bien, 
Messieurs, bonne promenade. Nous avons accepté 
le souhait des carabineros qui nous a paru d'heu- 
reux augure, et nous avons poussé joyeusement 
en avant. 



— 188 — 

Nous venions d'entrer dans la magnifique route 
qae b province de Navarre a fait percer à travers 
la chaîne des Pyrénées, pour aller de Pampelune 
en France. Elle est bien construite , Wen entre- 
tenue, et bordée des deux côtés de jeunes arbres 
d'une belle venue. A un kilomètre et demi de la 
frontière, elle s'écarte du chemin d'Urdache, com- 
mence à s'élever avec la montagne d'Oxondo, va 
toujours en montant pendant au moins une heure 
et demie pour atteindre son sommet, puis redes- 
cend jusqu'à sa base, où elle pénètre dans la ri- 
che vallée du Baztan, qu'elle parcourt dans toute 
sa longueur. Les ingénieurs, chargés des études 
pour la construction de cette route, avaient voulu 
la faire passer par Urdache, ce qui l'eut rendue 
moins rude à monter. Mais les habitants s'y op- 
posèrent avec une énergie qui l'emporta sur la 
volonté des ingénieurs ; et ce chemin prit la di- 
rection assez pénible d'Oxondo. 

Comme nous passions près d'une petite maison 
située sur le bord de la route, un homme en sor- 
tit pour nous inviter à payer le droit de la chaîne, 
ou de la cadena^ comme disent les Espagnols. 
C'est une contribution qu'on lève sur tous les 
passants à l'exception des habitants du pays, et qui 
devient plus considérable pour ceux qui ont che- 
val ou voiture. Le chemin est toujours libre, taiît 
que dure le jour; mais pendant la nuit on étend 
en travers une grosse chaîne de fer, qui arrête la 
circulation et empêche qu'on ne passe sans avoir 



— 189 — 

acquitté le droit. C'est cette chaîne de fer qui a 
donné son nom à la contribution dont je parie. II 
y en a, m'a-t-on dit, jusqu'à sept dans la Navar- 
re : elles doivent faire entrer de fortes sommes 
d'argent dans la caisse de la province, si c'est là 
dedans que sont versées, comme on me l'a assuré, 
toutes celles qui sont perçues par cette voie. Le 
droit de la cadena n'est pas du reste un droit fort 
élevé; nous n'avons eu à débourser que dix cen- 
times chacun pour l'aller et autant pour le retour. 
Un peu plus loin, M. Hiriart m'a montré un 
vieux chêne rabougri qui porte encore les mar- 
ques presque effacées d'une croix, que l'on grava 
jadis sur son tronc rugueux; et, en me le nton- 
trant, il m'a cité un usage qui rappelle bien la 
foi religieuse si vive encore de la catholique Es- 
pagne. Ce chêne, ainsi marqué d'une croix, se 
trouve planté à l'endroit d'où l'on commence à 
apercevoir l'église du village. Aucun habitant du 
pays ne passe près de l'arbre sans le toucher do 
la main et sans se signer: c'est le salut de l'arri- 
vant au Dieu qui, du temple rustique, veille sur 
les habitations d'alentour. Pas un d'entr'eux qui, 
«'éloignant vers la France, ne s'arrête en ce lieu 
pour se retourner vers l'église et se signer en- 
core de la main qui a touché l'arbre : c'est, dans la 
pensée de ces braves gens , comme le dernier 
adieu du voyageur, qui demande au Tout-Puis- 
sant aide et protection pour le temps du voyage 
et pour l'heureux retour. Quoi de plus touchant 



— 190 — 

que cet usage si simple et si naïf, qui élève l'hom- 
Oie, cette fragile et chétive créature, jusqu'à son 
Dieu et le met en communication avec lui? 

Une longue colonne d'une fumée épaisse, que 
nous voyions à notre droite monter vers le ciel, 
semblait vouloir nous indiquer dans le fond d'un 
vallon la maison où naquit ce Pierre Axular, dont 
je vous ai entretenu précédemment; elle porte 
encore, comme il y a trois cents ans, le nom 
d'Axularréa, Nous distinguions son toit rouge par- 
mi ceux de quelques autres habitations qui en 
sont voisines. Ce n'était pas le désir, mais le temps 
qui nous manquait, pour visiter le lieu où s'écoula 
l'enfance du savant moraliste basque. Nous nous 
sommes contentés de le saluer de loin , et nous 
avons poursuivi notre route vers Urdache, où 
nous descendions de cheval à dix heures du matin. 

Le village est situé dans un vallon au pied 
d'une montagne taillée presque à pic, que les 
uns appellent Azcar, ce qui, en langue basque, 
veut dire Robuste, et les autres Gazleluco-harria, 
mot composé, qui signifie la Pierre ou le Rocher 
dît Château, Le sommet de la montagne paraît 
avoir été aplani par la main de l'homme, pour re- 
cevoir quelque édifice. Cette particularité, jointe 
à la dénomination de Pierre ou Rocher du Chdr 
teaUy me fait penser qu'il a dû exister autrefois 
en cet endroit un chàteau-fort pour la défense de 
la contrée. A la suite de cette montagne, s'élè- 
vent plusieurs autres , qui , rangées en forme de 



— !91 — 

defni-eercle, protègent le village contre toos les 
vents, ne laissant le passage ISbre qu'à celm dû 
Nord, qui envoie son souffle pendant Télé p£Hït 
rafraîchir Tatmosphère embrasée par les rayons 
brûlants du soleil. C'est sans doute cette dernièï^ 
circonstance qui a donné naissance à un diciton 
vulgiaire bien connu dans ce pays : Ce que k 
Français nous envoie de meUleur, c'est le souf- 
fle du Nord (1). Il ne me semble pa», mon cher 
Théodore, que le dicton soit très-flatleur pour no- 
tre patrie. MaÎB quan4 oiv song^ que, durant i^ 
guerres de la République, les Français incendiè- 
rent le malheureux village (fUrdache, et qu'à 
peu près toutes les maisons devinrent la proie 
des flammes, on comprend que les habitants ne 
se montrent pas très-satisfaits de nous. Bon nom- 
bre d'habitations sont agglonaérées auprès de 
Féglise et de l'ancien couvent des Prémontrés 
dont une grande partie est encore debout; les 
autres sont disséminées çà et là dans le vallon, 
qui est très-fertile et produit chaque année de 
riches moissons en froment et en blé d'Inde. La 
population de ce petit village ne s'élève qu'envi- 
ron à 700 âmes. 

Il y avait autrefois à Urdache beaucoup de vie 
et d'animation : c'était à l'époque où la grande 



(!) Francesac igcrUan darokun gauzctrio oôet'éWéi, 
ifmra dngu, 

13 



— 192-^ 

route du Baztan n'était pas encore construite. 
L'unique chemin, qui de Pampelune menait à 
Bayonne, traversait cette localité. Alors on voyait 
presque journellement de longues files de mu- 
lets, attachés à la suite les uns des autres, des- 
cendre des montagnes de la Navarre, conduits 
par ces muletiers espagnols que Ton nomme ar- 
rieros, pour porter en France des balles de lai- 
ne , des réglisses , et quantité d'autres marchan- 
dises. Or, bien souvent, ces arrieros s'arrêtaient, 
soit en allant, soit en revenant, dans les auberges 
du village , où les habitants trouvaient un facile 
.emploi de leurs denrées et de beaucoup d'autres 
produits, ce qui les aidait à vivre dans une douce 
aisance avec leurs familles. Ce furent les beaux 
jours d'Urdache. Mais depuis, la grande route du 
Baztan , en prenant la direction de la montagne 
d'Oxondo, a détourné vers un autre point le cou- 
rant des voyageurs et des marchandises; et Ur- 
dache est aujourd'hui complètement privé de vie; 
on n'y trouve même pas un simple bureau de 
douane. Et, chose singulière, ce sont les habi- 
tants eux-mêmes, qui ont procuré un si fatal ré- 
sultat, en s'opposant, ainsi que je vous l'ai dit, à 
ce que la grande route passât au milieu d'eux. 
' Voilà pourtant où conduit une idée fausse, 
quand on s'y abandonne. En effet, les habitants 
d'Urdache, en entendant qu'uneroute allait couper 
en deux leur joli vallon, et leurs fertiles champs, 
et leurs vertes prairies, ne purent supporter 



— m — 

une telle pensée : leur esprit se révolte à la seule 
idée qu'elle va prendre de leurs terres la largeur 
de quelques mètres; et tout aussitôt ils se met- 
tent à pousser une clameur si haute , a faire des 
démarches si actives, qu'ils obtiennent que le 
projet soit abandonné, qu'un autre plan soit dres- 
sé ; enfin que l'on porte plus loin le malencon- 
treux chemin. Ils réussissent donc au gré de leurs 
désirs. Mais aussi dès le jour où la nouvelle route 
est livrée à la circulation, la source, qui jusques- 
là avait vivifié tout le village, se trouve subite- 
ment tarie. Plus d'arrieroSy plus de longues 
files de mulets chargés de marchandises, plus de 
facilité pour l'écoulement des produits , partant 
plus de bénéfices ni de douce aisance , ni par 
conséquent d'abondance dans les familles. C'est 
alors seulement que l'on reconnut la faute qu'on 
avait commise. Aujourd'hui on travaille à la ré- 
parer, et on espère en venir à bout> non pas 
entièrement, c'est impossible , mais au moins en 
partie. On se propose pour cela de créer un em- 
branchement qui mettrait Urdache en communi- 
cation avec la grande route, et y attirerait un 
certain courant d'affaires et de voyageurs. 

Ce village, comme beaucoup d'autres villes et 
villages d'Europe, doit son existence à un cou- 
vent de moines. On sait que là où les moines 
allaient fonder un monastère et une église, on 
voyait bientôt s'élever des maisons , se former 
des paroisses, quelquefois des cités florissantes. Ce 



fvureiU, mVtxon dit» deux disciples de saint Nor- 
bert, qui viweot j^ter les foodements <te Tabbeye 
tf Urdache. Certes ils ne posaient dioisir un ett- 
droit plus retiré niplw propre au recueilleinent: 
il était tout environné de boi^ ^ de montagnes ; 
le pays lui-même ptait généralement fort, mal 
peuplé, les habitations très-éloignéesles unes des 
'autres. Une fois établis en ce lieu» ils se mir^t à 
abâitre les arbres, à ctdtiver le sol , à te couvrir 
de pâturages ei de raoisaons. Bs entretinrent avœ 
le plus grand soin dans les environs d*imnian- 
ses forêts, tandis que presque pmrtout on tendait à 
les détruire sans inteUigenoe. Mais en même temps 
Us songèrent à utiliser le combustible qu'ils pos- 
sédsôent. Uœ forge considérable fut bâtie , et tes 
bois soauHâ i des eoupes réglées pour le service 
de Tusine. La fabrication a été très-active dans 
cette forge pendant ptasieiirs siècles. On deman- 
dait aux excellentfs mines de ter de b Biscaye de 
graodes qua^tâtés de minerai, que ks urnssems. 
Hmrehaods veoaîeofft débarquer an port de Saîru- 
Jean-^de-Lua. De là, des beteaux, quiremoDÉafent 
la Nivelle, les apportaient à Ascain, où des bou- 
viers allaient les prendre pour les transporter 
jusqu'à la f^rge. Ao resite ceiunerdi, converli en 
1er, n'était pas seulement destiné à fournir Unia- 
cbe ec tes liecalités cinconvojsines d'inslruoiaics 
^ labourage et d'autres ustensiles; mais encore, 
après l'avmr réduit en barres, on es expédiait 
de nombreuses cbarrottiea chargées pmr ia viHe 



— 105 — 

de Bayonne, où on le travailfeil dans les irteBers 
pour être livré au cammcarce de détail et servira 
l'approvisionnement du pays. 

L'abbaye- d'Urdaehe était crossée et mitrèe , 
c'est-à-dire, que Tabbé, dans une procession, 
avait le droit de faire porter une crosse devant 
lui, et de mardier une mitre en tête. II avait sous 
sa juridiction plusieurs paroisses, dans lesquelles 
il envoyait ses religieux pour y remplir les fonc- 
tions de curé , quoiqu'il ne portassent que le litre 
de vicaire. Quelques-unes de ces paroisses, telles 
que Cambo, Ainhoa, Larressore, étaient sur le 
territoire français ; elles ne furent soustraites à 
son autorité spirituelle qu'à l'époque où Philippe II, 
guidé par des vues politiques, trouva moyen d*en- 
lever au diocèse de Bayonne, poui' la donner à ce- 
lui de Pampelune, la partie de ce m^e diocèse 
qui se trouvait en Espagne. L'abbé de ce couvent 
assista en 1370 à la conclusion de l'alliancô offeû" 
sive et défensive qui f^t faite cAti>e le& rois de . 
Navarre et d'Aragon contre celui de Casiille, ei; 
il jura , ainsi que plusieurs* autres seigneurs et 
prélats, rcJ)servâition de ce tjraité; ce qui ma 
donne lieu de penser que dès lei^a il jouifisaiè 
d'une grande prééœioeaee. 

Il y a vingt-cinq, ans environ , mon . cher 
Théodore, que j'allai pour la première fcis au mo- 
nastère dUrdache. Je conserverai toute ma vie 
le souvenir de l'hospitalité affectueuse et ton- 



— 196 — 

chante que j'y trouvai auprès du P. Elizalde (1), 
qui en a été le dernier abbé.^Tout vêtu de blanc 
des pieds à la tête, assez petit de taille, une phy- 
sionomie aimable, quoique sérieuse, des yeux fa- 
tigués par le travail au point de devoir les abriter 
sous des lunettes, des manières simples et pres- 
que timides, tel était à l'extérieur le P. Elizalde. 
Mais sous cet extérieur assez peu remarquable , 
quels trésors ne cachait-il pas ? Théologien pro- 
fond, excellent casuiste, possédant la plupart 
des langues de l'Europe , sans cesse au courant 
du mouvement philosophique et littéraire , le 
P. Elizalde était un vrai puits de science. Et 
cependant, avec tant de savoir, il était d'une 
humilité à confondre les esprits les plus in- 
trépides. De quel sentiment d'admiration n'étais- 
je pas pénétré, lorsque, dans les deux jours que 
je passai à Urdache , je Tentendaîs discuter les 
questions les plus relevées avec autant de mo- 
destie et de simplicité que d'érudition et de logi- 
que ! Il me semble le voir encore debout à côté 
de moi, les yeux baissés, élevant à peine la voix, 
et s'exprimant sur toute chose avec une justesse 
d'idées et une modération de langage, qui rehaus- 
saient infiniment son mérite à mes yeux, 
La vieillese du P. Elizalde devait être éprou- 

(1) C'était ainsi que rappelaient généralement les Fran- 
çais, tandis que les Espagnols le nommaient simplement 
I). Elizalde. 



— 197 — 

vée par un bien cruel événement. Le gouverne- 
ment espagnol prononça Tabolition des couvents 
d'hommes, et certes celui d'Urdache ne pouvait pas 
plus échapper que les autres au coup fatal qui les 
frappait tous à la fois. L'antique abbaye fut donc 
confisquée, la plupart des religieux forcés de 
quitter le monastère, et les biens, mis à l'encan , 
furent vendus à vil prix. Le vénérable vieillard 
assista, le cœur navré de douleur, aux scènes 
désolantes qui se passèrent alors; et, quand il vit 
ses religieux sur le point de se disperser, il en 
retint trois auprès de lui , et resta pour continuer 
avec leur assistance de donner les secours reli- 
gieux aux habitants d'Urdacbe. Mais, lorsque ses 
forces vinrent à l'abandonner, alors, accablé d'an- 
nées et de tristesse, il se retira des lieux où il 
avait si longtemps vécu et alla mourir au sein de 
sa famille. Ses trois compagnons l'ont suivi suc- 
cessivement dans la tombe. Le dernier d'entr'eux, 
D. Erizé, est mort durant le printemps de cette 
année , û a été le dernier représentant de l'anti- 
que abbaye des Prémontrés d'Urdache. 

Je viens de visiter, mon cher Théodore, ce 
couvent jadis si florissant. Une partie sert de lo- 
gement à des employés d'administration ; une au- 
tre a été réservée pour celui du curé, et enfin, 
une trx)isième a été détruite. Mais où sont ces re- 
ligieux que j'y ai vus autrefois ? Où est ce P. Éli- 
zalde, si affable, si simple, et en même temps si 
instruit ? Tous dispersés, tous morts les uns après 



les aoUrea, Et ces feriiies jardifis» si fiches m 
hemx prodoHs, qu'ils sont différents de œ qu'ils 
fureatl Et ce cimetière, qui recevait les eorps 
des religieux trépassés, si bien entreftenu, sibia» 
aroé de fleurs, vivantes images de la cooroom 
du Ciel ? Hélas 1 tout envahi par les herbes sa^tva^ 
ges« du milieu desquelles s'élèvent ^skoh quel-> 
ques rosiers fleuris, quidisparaitront comme tout 
le i^este. £t cette forge, ou régnaient ractivité, le 
ti'^ait, qui^donuatt le pain à plusieurs famiOes? 
Fermée, solitaire, toixibauten ruines. Et les habi* 
tants d'Urdaehe et des localités voisines en soat^ 
ils plus heureux n)aij;y.enant? Ëux-«mémes savent 
bien que non; et ils ne Taunient pas su, que ces 
dernières années de disette le leur auraient sirfS- 
siamment appris. Du temps des laoînes, Fouvrier 
pauvre, l'indigent, étaient assurés de trouver 
toujours auprès d'eux^ outre de bons conseils et 
des encouragements, le pain nécessaire à leurs 
familles. Ai\|ourd'bui ils n'ont plus où recourir. 
Les hommes qui font la guerre aux couvents au 
nom delà pbilantcicpie et du progrès, croyez^e 
bien, mon cher Théodore, ne sont pas aussi amis 
du progrès et de rhumanité qu'ils iM*é(€sv}eat 
l'être. 

J'ai revu l'église du couvent, devenue aujour»- 
d'hui église de la paroisse. On se pré|)are à y exé* 
cuter de grands travaux d'embellissement. Celui 
des religieux Prémontrés, qui a survécu à tous 
les autres, D. Erizé, a laissé pour cela des fonds 



— 19» — 

afifiez i;9£m)érsd)les à ia disposition de D. Martin 
Fdgoûga, frôre da beoqoier ; c^eBi xjm dsrwève 
nwarq^e d'affection qu'il a désiré donner m mou* 
rant à Véf^ÉBG àa couvrit auquel il avait appar- 
tefiu. • 

Le curé du village a bien voulu m'acconiqaagner 
dans cette visite; ii est to«t jeune, ne se trouvait 
dans sa paroisse que depuis le commencement de la 
semaine, et paraissait fort content de sa nouvelle 
position. Ce jour-là trois ou quatre ecclésiastiques 
des environs étaient arrivés pour lui souhaiter la 
bienvenue, et quelques habitants du lieu, s'étant 
réunis sur la place qui est attenante à l'église, on 
avait organisé un partie de paume. Tous ces Mes- 
sieurs nous avaient accueilli, M. Hiriart et moi, 
avec la plus grande affabilité ; il y en a eu même 
qui nous ont pressé de dîner avec eux. Comment 
aurions-nous pu 'accepter leur invitation, mon 
cher Théodore, quelque honnête qu'elle fut, puis- 
que M. Hiriart m'avait déjà prévenu que d'excel- 
lentes truites nous attendaient à Ainhoa. Il parait 
au reste qu'on en mange de non moins bonnes 
à Urdache. 

Au sortir de l'église, nous avons considéré quel- 
ques instants avec intérêt la partie de paume qui 
se jouait. Puis, accompagné du curé et de M. Hi- 
riart, j'ai fait une visite plus courte que je n'au- 
rais voulu, à Fexcellente M"»« liîarra , d'Elizondo, 
qui se trouvait par hasard à Urdache, et que j'a- 
vais connue pendant son émigration en France, 



— 200 — 

lorsqu'elle n*était encore que W^* Marie-Louise 
de Echenique. L'heure nous pressait de partir; 
nous sommes remontés à cheval^après avoir serré 
la main au nouveau curé, et au bout de trois 
quarts d'heure nous étions de retour à Ainhoa. 
Je vous la serre aussi bien cordialement , mon 
cher Théodore, et suis tout à vous. 

Jules. 



BAYONNE. 



Cahbo, le 19 Juillet 1858. 

Voulez-vous connaître , mon cher Théodore , 
une des plus délicieuses villes de France ? Allez à 
Bayonne : parcourez la ville , parcourez-en les 
environs, rendez-vous compte de tout ce qu'on y 
rencontre d'agréments et de commodités, et vous 
verrez si je n'ai pas raison de vous dire que c'est 
là quelque chose de vraiment délicieux. Yous 
comprendrez alors pourquoi les étrangers aiment 
le séjour de Bayonne, pourquoi bien des officiers, 
qui ont passé par tant de garnisons, le choisissent 
de préférence à beaucoup d'autres, pour y venir, 
suivant leur expression , manger leur retraite. 

Bien que place forte de premier ordre, bien 
qu'entourée , à ce titre , de fortifications considé- 
rables, Bayonne ne ressemble ni à Lille ni à St- 
Omer, ni à aucune de toutes ces places de guerre 
emprisonnées par d'affreux terrassements qui ar- 
rêtent tout court les regards de chacun, et leur in- 
terdisent de s'étendre plus loin. On ne s'y sent 



— 202 — 

ni étouffé ni comprimé comme ailleurs. Au con- 
traire, les poumons s'y dilatent volontiers, on y 
aspire à Taise Tair pur qui circule partout. C'est 
que Rayonne, assise sur deux rivières, l'Adour et 
la Nire, se trouve par là même iotée de plusieurs 
larges ouvertures, que l'art des Vaubans, anciens 
et modernes, li'a pu songer à boucher. On ne 
saurait ni lui enlever la vue des beaux paysages 
qui l'environnent, ni empêcher la mer de lui en- 
voyer ses brises rafraîchissantes, ni défendre à 
ces deux rivières de lui apporter l'haleine parfu- 
mée des matinées du printenops. De pltis, 1^ rues 
sont d'une remarquaWe pre^ïreté, les maisons, 
sans avoir un grand caractère architectural, d'un 
a^eet agréable. Mais, surtout, lîen de pins 
animé que l'intérieur de la cité : gens de la vilte 
et de la campagne, ouvriers, bourgeois» soldats, 
marins, hommes, femmes et enfants de tootes les^ 
classes, de tous les âges,, se croisent sans cesse 
sur les quais, sur les places, dans toutes les rues. 
Vous entendez parler autour de vous je ne sais 
combien de langues ou de didlectes à la fois. Fran- 
çais, Basque, Béarnais, Gascon, Espagnol, voira 
même assez souvent Anglais et Bas-Breion. 

Lft vie n'est pas chère à Bayonne,. et la taftle y 
est bonne. Gibier de pimne et de montagne,, pois- 
son de mer, poisson d'eau douce y abondent éga- 
lement. Les légumes, qui lui viennent de Notre»- 
Dame et de St-Etienne, sont exceHents; le beurm 
de Notre-Dame est fort recherché des amateurs* 



— 203 — 

Hasparren, Suies, RoneeTaux, les montagnes de 
la Soule, loi fournissent du mouton de première 
qoafité. Quant aux flfHiils, nulte part îl ne sont 
plus safVoureiTx. Guîche et Itsassou lui envoient 
leurs cerises ; Farroncfissement de Dax, ses déli- 
cieuses pêches ; Capbreton, ses raisins ; Souraïde, 
St-Pê, Sare, teurs pommes et leurs beaux mar- 
rons; les Pyrénées, leurs fraises un peu petites, 
maïs fines et parfumées ; FEspagne, outre ses fa- 
meux vins, ses oranges, ses cftrons, ses oiives , 
ses amandes , ses figues et ses raisins secs. Je 
n'ai pas besoin de metitionner les jambons et les 
chocolats de Rayonne dont îa réputation est ré- 
pandue dans toute l'Europe. 

L'origine de la ville ée Bayonne remonte aune 
haute antiquité. Mais on ne connaît ni Fépotjue 
de sa fondation ni les hommes qui ïa fondèrent. 
Tout ce que Ton saft, c'est qu'elle a été longtemps 
soumise à la donrinatîon des Romains, qui îuî don- 
naient le nom de Lapurdum. Ce nom paraît être 
wie dérivation du mot Lapurdi par lequel les 
Basques de nos jours désignent encore le pays de 
Lcfeourd, dont cette ville lut autrefois la capitale. 
(Test plusieurs siècles après qu'on Tappela Bayon- 
ne , en basque Bdiona, rivfère bonne. H existe 
B«r les côtes du golfe Cantabrique ou de Gasco- 
gne , un petit port qui est connu sous ce même 
nom. 

n ne s'est presque pas conservé de vestiges du 
séjour des Romams à Bayonne. Tout ce qu'on en 



— 204 — 

voit aujourd'hui , se réduit à quelques pans de 
murailles, débris d'un ancien temple dédié, d'a- 
près la tradition, au Dieu Mars, et à quelques res- 
tes du mur d'enceinte de la place. Ce temple était 
demeuré debout jusques dans les commencements 
du dernier siècle , tant la construction en était 
solide : il était situé à la rue Poissonnerie près de 
la petite rue Ste-Catherine , et contenait les ma- 
gasins des marchandes de poisson salé. Depuiç, il 
est tombé en ruines ; mais les murs, qui en res- 
tent, sont d'une solidité et d'une épaisseur remar- 
quables. De nouvelles constructions se sont éle- 
vées sur son emplacement , et rien ne dénote au 
dehors que là fut autrefois un édifice consacré à 
l'une des divinités du Paganisme. Une vaste mai- 
son, bâtie sur ses débris, porte le numéro 11 ins- 
crit sur sa façade. Mais, en dépit du numéro, le 
peuple , par une vieille habitude , continue à ne 
vouloir*donner à cette maison que la dénomi- 
nation de Temple. 

Quant aux murs d'enceinte construits jadis par 
les Romains, il n'en existe plus que quelques fai- 
bles portions. Détruites presque partout, blanchies 
ailleurs au lait de chaux, on ne distingue guères 
ces murailles que le long d'une petite partie du 
rempart Lachepaillet, à partir de la rue d'Espagne. 
Mais là elles sont faciles à reconnaître : formées 
de moellens cubiques de quelques centimètres, 
placés par assises et divisés horizontalement par 
des zones de briques posées à plat, on voit du pre- 



— 205 — 

mîer coup d'œil qu'elles appartiennent à l'époque 
gallo-romaine. Elles sont flanquées de distance 
en distance de tours cylindriques, dont plusieurs 
ont évidemment subi des réparations qui les ont 
dépouillées de leur caractère primitif. 

Telles sont , mon cher Théodore , les seules 
traces qu'aient laissées de leur passage à Bayonne 
ceux qui furent pendant plusieurs siècles les niaî- 
tres du monde. Encore ces rares vestiges ten- 
dent-ils à disparaître tout à fait. Depuis bien des 
années, divers propriétaires , qui ont rebâti ou 
Restauré des maisons sur ces débris d'un autre 
âge, n'ont rien trouvé de plus convenable que de 
démolir ces vieux murs qui leur paraissaient oc- 
cuper trop d'espace, et les privaient de donner 
un ou deux pieds de plus en longueur à leurs ha- 
bitations. J'ai assisté moi-même, il y a quelques 
dix ou douze ans, à une de ces barbares démoli- 
tions, et je me demandais en gémissant comment 
une municipalité pouvait permettre un acte de 
vandalisme, qui enlevait à l'antique cité de Bayon- 
ne, précisément la seule marque d'antiquité qu'elle 
porte encore sur son front. Je fais des vœux sin- 
cères, mon cher Théodore, pour qu'une adminis- 
tration plus éclairée prenne des mesures effica- 
ces, afin d'empêcher qu'on n'achève de dépouiller 
cette ville de ces vieilles constructions romaines, 
qui , en consacrant son ancienneté , lui donnent 
un caractère beaucoup plus vénérable qu'elle ne 
pourrait l'avoir sans cela. 



— ÎQ6 — 

L*Adour et la Nhre partagent la cHé en tiHns 
quartiers, le GraDd-Bayoïme, qui est situé eor h 
rivB gauche de la Mve et du Ba&-Adoi2r«. le fetil^ 
Baymne entre les deux rivières» et S4hlSgprit sur 
la rive droite de FAdour. Jueques dans ces def'- 
fiiers temps,. SUËsprit a fati partie du dqïarte- 
meol des Landes ; c'est la loi du d Mal 18&7 (pii 
Fen a aèparé pour te réiiûir à la viliedl Bayoïme. 
Ces tnxs quartiers sont défeodua, le pteBôer per 
ce qu'on appelle ie Châteaux- Yièux, le second 
par le Cbàteau-Neuf , le (roisièine par une cite- 
delle, ouvrage de Vauban. 

Le Châteaux- Vieux fat bàiï, dilHO», au xii^^aiè- 
<Ae par GmlIauine^RaTmond de Sauk , deamidr 
vicomte de Bayonne. Ses fortifications furent aug- 
mentées au xv« siècle par la eonstruciii»! des 
qcBtre tours roodes qu'on y voit encore. Aujour- 
d'hui son importance est à peu près nulle pour la 
défense de la piace ; il sert de logement à uoe 
partie de rétat-major, et contient le dépôt d»s 
archives de la guerre, qui ne remontenl qu'aux 
temps de la Réptdalique et de l'Empire. 

Le Château-Neuf» comme l'indique son nom, 
^8t d'une époque plus récente, U n'a été achevé 
q^en 14fi9 sous le règne de Charles VilL II y a 
quelqttes aonées qu'en démdissant une. petite 
fortificaticM» qui eas &isatt partie» on a découvert 
daâa les fondeesients une noédaille portani le &A- 
lésinae de 1480 avec lies mt»es et la devise de 
Bayonne, Nunquàm PoUtda, 



— 207 -- 

La citadelle est placée sur une hauteur fort 
peu distante de FAdour d'où elle domine^lâ 
ville ainsi que la rade et le pont. Louis XIV la fit 
construire à la suite de quelques démonstrations 
hostiles faites en 1674 devant Bayonne par la 
flotte hollandaise, avec laquelle la flotte espagnole 
devait combiner ses mouvements. C'est un carré 
régulier, flanqué de quatre bastions et accompa- 
gné de demi-lunes et de contre-gardes, le tout 
environné de fossés profonds avec de bons che- 
mins couverts. On a ajouté dans ces dernières 
années, du côté opposé à l'Adour, d'importants 
ouvrages qui ont considérablement augmenté la 
force de cette citadelle, et qui, au dire des ingé- 
nieurs, la rendent presque inexpugnable. 

Le Grand-Bayonne et le Petit-Bayonne sont 
entourés d'une enceinte bastionnée, couverte de 
larges fossés. Ces fortifications, faites sur les plans 
du fameux maréchal de Vauban , ont été beau- 
coup améliorées depuis 1830. La ville a gagné, à 
l'exécution de ces derniers travaux , un espace 
considérable, où se trouvent aujourd'hui la place 
d'Armes, un vaste bâtiment contenant à la fois la 
Sous-Préfecture, la Mairie, la Douane et le Théâ- 
tre, et d'autres belles constructions qui donnent 
à ce quartier de Bayonne un aspect de grandeur 
et de beauté remarquable. On doit regretter tou- 
tefois de n'avoir pas profité de cette circonstance 
pour gagner encore plus de terrain, en poussant 
plus loin les fortifications ; ce qui eût été facile 
alors. ^ 14 



— 208 — 

En revanche il se fait en ce moment même 
d'autres travaux destinés soit à embellir la ville de 
Bayonne déjà si agréable, soit à en agrandir Ten- 
ceinte. II faut compter parmi ces travaux la con^ 
truction d'un église du style gothique dans le 
Petit-Bayonne, le nivellement du vaste terrain 
qui Tenvironne, le comblement dans les Allées-de- 
Boufflers d'un long et large fossé, qui, joint à ces 
allées, formera un grand et beau quartier avec 
rues, place et quai magnifique sur l'Adour. 

Bayonne n'est pas riche en beaux monuments. 
Ce qu'on y voit de plus remarquable , c'est la 
cathédrale, qui est dédiée à la Sainte Vierge. Sa 
fondation remonte à l'an 1 140. Mais cet édifice ayant 
été incendié moins d'un siècle après, on travailla 
à élever l'église actuelle, dont la construction fut 
commencée vers l'année 1213. On fit alors le 
chœur avec son abside et ses chapelles, ainsi que 
la partie inférieure des deux transepts avec leurs 
porches. Depuis, les travaux furent interrompus 
et repris à différentes époques. Le pavillon qui 
couvre le clocher ne fut placé qu'en 1605 sous 
répiscopat de messire Bertrand d'Echàux, plus 
tard archevêque de Tours. 

La cathédrale de Bayonne a 78 mètres de lon- 
gueur sur 28 mètres de largeur, non compris 
les chapelles. On admire avec raison la grandeur 
de ses proportions et l'harmonie de ses formes. 
La lumière y est bien ménagée par un demi-jour 
qui invite au recueillement et à la prière. Cette 



— 209 — 

église est partagée eo trois nefs par deux rangées 
die pUiers carrés, taillés en colonnettes et ornés . 
de chapiteaux à la hauteur du plan d'imposte des 
chapelles. Les rosaces des deux bras de la croix 
sont dignes de l'attention des visiteurs. 11 faut 
aussi voir la belle galerie qui règne le long des 
murs intérieurs tant autour du chœur que de la 
grande nef. Les vitraux coloriés, dont les fenê- 
tres étaient autrefois décorées, ont été singuliè- 
rement maltraités ; beaucoup même ont disparu. 
Ceux de la chapelle St-Jérôme ont été restaurés 
par MM. Steinheil et Coffetier. Un autre beau 
vitrail, placé au fond de la chapelle de la Vierge, 
est l'œuvre de Henri Gérente, qu'une mort pré- 
maturée a enlevé aux arts. 

M. Jacques*Taurin Lormand, ancien membre du 
Parlement de Navarre, et député sous la Restaura- 
tion , avait laissé par testament pour la cathédrale de 
Bayonne une rente de 40,000 fr. , qui est descen- 
due à 35,000 fr. par suite de la réduction de la 
rente. Elle est destinée, d'après les intentions du 
testateur, à la restauration de l'intérieur de l'é- 
glise , à la construction de chapelles correspon- 
dantes à celles qui existent sur le côté nord, à 
celle d'une sacristie et aux autres besoins de la 
fabrique. Les sommes, qui en sont provenues, 
ont servi à exécuter déjà beaucoup de travaux : 
on s'occupe actuellement de construire la sacris- 
tie, et, vu rimpossibilité d'établir une série de cha- 
pelles sur le côté méridional de la cathédrale, on 



— 210 — 

en construit une seulement qui sera paroissiale 
et qui aura des dimensions considérables. On se 
prépare aussi à placer au-dessus du maître-autel 
un ciborium que Ton dit être d'un travail fini. 

Voulez-vous, mon cher Théodore, jouir d'un su- 
perbe panorama ? Montez au clocher de la ca- 
thédrale, ou bien, si vous Faimez mieux, au haut 
d'un des bastions de la citadelle. Je suis sur que 
vous descendrez ravi, enchanté de ce que vous 
aurez vu. . 

Quiconque vient à Bayonne, doit une visite aux 
Allées-Marines. C'est ainsi que l'on nomme une 
des plus belles promenades que l'on trouve en 
Europe, et qui est située aux portes mêmes de 
Bayonne ; elle s'étend sur la rive gauche de l'A- 
dour à plus d'un kilomètre de la ville. De magni- 
fiques ombrages, des paysages charmants, une 
brise continuelle, la vue des embarcations qui 
sillonnent presque sans cesse la rivière, rendent 
cet endroit délicieux. Plus loin on rencontre le 
Blanc-Pignon; puis on pénètre dans les pigna- 
dars, vrai jardin d'hiver de Bayonne, comme on 
l'a dit; et enfin, après avoir parcouru un espace 
de 6 kilomètres, on se trouve sur les bords de 
l'Océan , où l'Adour va perdre son nom et ses 
eaux. 

Il est à craindre, mon cher Théodore, que ces 
l)elles Allées-Marines ne subissent très-prochai- 
nement une bien déplorable transformation ; ou 
plutôt la transformation a déjà commencé. Ainsi, 



— 211 — 

au lieu de pouvoir se porter partout sur de riants 
paysages, désormais les regards des promeneurs 
seront arrêtés sur tout un côté par des construc- 
tions, qu'on s'est mis à élever au bord même des 
Allées. Loin donc de posséder une des plus 
rares et des plus renommées promenades de 
France, la ville de Bayonne n'aura plus que 
quelques six ou sept rangées d'arbres étranglées 
entre l'Adour et des maisons de toutes hauteur^ 
et de toutes couleurs, comme on en voit dans le 
monde entier. Pourquoi, dès Tinstant de l'exoné- 
ration de ce terrain, n'avoir pas dressé un plan 
d'alignement général ? En écartant davantage les 
habitations , il aurait empêché que chacun n'eût 
la liberté de venir gâter, suivant sa fantaisie, ces 
magnifiques Allées-Marines, qui font l'admiration 
des étrangers et la gloire de Bayonne? Tel est 
le mauvais effet produit par ces malencontreuses 
constructions, qu'il est des personnes qui sou- 
tiennent que l'administration municipale, qui a 
fait d'énormes sacrifices, pour la disparition de 
quelques méchantes échoppes à l'entrée de cette 
promenade, devrait, avec plus de raison encore, 
se mettre en frais pour faire disparaître au plus tôt 
ces nouveaux édifices , loin d'en laisser augmen- 
ter le nombre; et je crois, quant à moi, que si 
elle le fait, l'administration aura bien mérité de la 
ville et de tout le public. 

Bayonne est la seule ville de France qui soit 
assise sur deux rivières ayant flux et reflux. Son 



— 212 — 

port est admirablement situé au fond du golfe 
Cantabriqueou de Gascogne. L'Empereur, dont le 
coup d'œil est si juste, avait vite reconnu l'impor- 
tance de ce port. Il a ordonné de U*ès-grands tra- 
vaux pouren faciliter Tentréeaux vaisseaux, et tout 
porte à croire que le succès répondra parfaitement 
à ses intentions. Une fois la barre franchie, les na- 
vires, de quelque tonnage qu'ils soient, se trou- 
vent en pleines eaux dans l' Adour, fleuve profond, 
spacieux , magnifique ; ils peuvent flotter jusques 
devant la ville, et même bien au delà. Bayonne 
est une place essentiellement maritime et com- 
merciale. Aussi l'industrie de la construction des 
bâtiments de mer est à peu près la seule qu'on y 
ait vu fleurir. Charpentiers, cordiers, voiliers, cal- 
fats, gréeurs, etc. , y sont d'une habileté peu com- 
mune. On a fermé, il y a quelques années, l'Arse- 
nal maritime. C'est un vrai malheur, au dire de 
tous les hommes experts en cette matière. 

Leâ Bayonnais ne sont pas seulement de bons 
marins; ils sont encore de bons soldats. Les fem- 
mes même, chez eux, on déployé plus d'une 
fois un courage viril. Ce furent elles qui inven- 
tèrent hbayonnette au siège de 1523, où elles 
se battirent comme de vieux guerriers. 

Je peindrai les effets de cette anne cruelle , 
Qu'inventa dans Bayonne une fureur nouvelle, 
Qui , du fer et du feu réunissant Teffort, 
Aux yeux épouvantés ofifre une double mort. 
{Poème de VArt de la Guerre, par Frédéric II , ch. I»^.) 



— 213 — 

Que n'aurafe-je pas , mon cher Théodore , à 
vous dire encore de Bayonne ? Je ne le peux pour 
le moment. Â une autre fois donc. Je vous em- 
brasse avec toute Taffection du meilleur de vos 
amis. 

JULBS. 



BIARRITZ. (') 



Cambo, le 23 Juillet 1858. 

Il faut , mon cher Théodore , qu'avant de quit- 
ter Cambo , un buveur d'eau fasse une excursion 
à Biarritz; la chose me paraît être de rigueur. Le 
trajet n'est d'ailleurs ni long ni difficile. Parti de 
Cambo par les diligences du matin, vous êtes dès 
huit heures rendu à Bayonne, d'où il vous est loisi- 
ble de repartir immédiatement pour Biarritz, qui 
n'en est distant que de 7 kilomètres, à moins que 
vous n'aimiez mieux faire d'abord un déjeuner 
confortable dans quelqu'un des bons hôtels de la 
ville. Bâti à quarante mètres au-dessus du niveau 
de la mer, ce village est un des plus pittoresques 
que l'on puisse voir. Ses nombreuses maisons 
blaiiches, jetées çà et là sans ordre et comme au 
hasard sur le rivage, lui donnent un aspect riant 
et un air presque coquet. Le climat y est beau , 
la température douce, les vagues magnifiques et 
le fracas qu'elles font tout à fait étourdissant. 



(1) Nom dérivé de Bi HaritZj qui en basque signifie 
deux chênes. 



— 216 — 

On y trouve trois plages fort commodes et fort 
agréables pour les bains. La plus fréquentée des 
trois est une petite anse qu'on nomme le Port- 
Vieux. C'est là que la plupart des baigneurs ai^ 
ment à prendre leurs ébats , soit en se livrant à 
rexercice de la natation, soit en s'abandonnant au 
ballottement des ondes sur lesquelles on les voit 
se balancer mollement. 

Si du Port-Vieux on se dirige du côté de Saint- 
Jean-de-Luz, on marche quelque temps par des 
sentiers habilement ménagés qui serpentent à 
travers les falaises, et on arrive à la côte des Bas- 
ques : mais on n'est pas encore sur le bord de la 
mer ; il faut descendre par un escalier étroit et 
escarpé pour atteindre le rivage. Cette plage est 
celle qui attire le moins d'étrangers. Ceux qui s'y 
baignent sont en général des Basques , dont la 
plupart ne passent à Biarritz qu'une semaine, 
quelquefois deux, mais seulement lorsque la Fa- 
culté le leur a impérieusement prescrit. 

En allant du Port- Vieux vers la Villa Eugénie, 
on rencontre près de la résidence impériale une 
plage découverte où l'on descend par des pentes 
gazonnées d'un très-joli effet. On l'appelait jus- 
qu'à présent la Côte du Moulin ; mais ce nom , 
quelque peu prosaïque, vient d'être changé en 
celui de Côte de l'Impératrice, qui sonne mieux 
à l'oreille et à l'imagination. Cette côte est cou- 
verte d'un sable fin, uni, moelleux, qui caresse 
agréablement les piedsdes baigneurs. 



— 217 — 

La mer est plus houleuse aux deux côtes qu'au 
Port-Vieux ; les lames y sont plus fortes, et s'y 
succèdent avec plus de rapidité. Mais on n'y court 
pas plus de dangers pour cela. Car il existe à 
Biarritz une Société de Sauvetage, qui établit 
chaque année un service de surveillance parfaite- 
tement organisé ; ce service a l'œil sans cesse 
ouvert sur les mouvements des baigneurs, et, à 
la moindre alerte, vole au secours de ceux qui 
sont près de devenir victimes de quelque acci- 
dent ou de leur propre imprudence. 

M. le docteur Affre , médecin-inspecteur des 
bains de Biarritz, fait observer, dans son Manuel 
des Baigneurs, que l'action de ces bains est très- 
énergique, et que tous les ifidividus ne peuvent 
pas les prendre indifféremment, sans s'exposer 
à être trop excités. Cependant il est utile de dire, 
ajoute-t-il , que les bains de la côte des Basques 
offrent un degré intermédiaire entre les bains du 
Port-Vieux et ceux de la Côte du Moulin. 

Plus loin que la Villa Eugénie, sur la pointe 
de St-Martin, le Phare, svelte et hardi, s'élance 
comme une flèche vers le Ciel. Tandis que, pen- 
dant le jour, il excite l'admiration par l'élégance 
et la légèreté de ses formes, il fournit, durant la 
nuit, au navire aventureux sa bienfaisante lumière 
pour le guider dans sa course. 

Commencé en 1830, le Phare de Biarritz fut 
terminé en 1834. Ses fondements, tout en pierres 
de taille, sont assis sur le roc qu'ils sont allés 



— 218 — 

chercher à 10 mètres de profondeur. Son éléva- 
tion est de 73 mètres au-dessus du niveau de la 
mer. La lanterne, qui surmonte la colonne, con- 
tient un feu tournant, dont les éclipses se succè- 
dent de demi-minute en demi-minute, et dont la 
portée est de vingt milles marins (sept lieues). 
En temps ordinaire, les éclipses ne paraissent to- 
tales qu'au delà d'une distance de trois lieues. 
Une clôture, formant mur et grille, a complété, 
depuis quelques années, ce bel ouvrage. 

Durant les nuits nébuleuses, le gardien du 
Phare fait une chasse à la fois facile et lucrative. 
Un grand nombre d'oiseaux , fascinés par la lu- 
mière de la lanterne, se précipitent avec force 
vers le point lumineux. Telle est la violence de 
leur élan, que souvent les malheureux volatiles, 
en heurtant contre les verres, tombent et restent 
morts sur la place ; Je gardien n'a plus que la 
peine de les ramasser. On en trouve parfois qui 
sont d'une espèce assez rare. 

C'est à l'extrémité septentrionale de la côte du 
Moulin , aujourd'hui côte de l'Impératrice , que 
s'élève la Villa Eugénie, Elle est bâtie sur un ro- 
cher qui domine la plage de 12 à 14 mètres. La 
façade , tournée vers la mer, est charmante ; la 
terrasse et les pavillons, qui sont de ce côté, re- 
çoivent une brise qui se fait délicieusement sentir 
à l'époque des grandes chaleurs. Le bâtiment, 
construit en briques rouges avec chaînes en pier- 
res blanches, n'a qu'un rez-de-chaussée et un éta- 



— 219 — 

ge. Il est accompagné à ses deux extrémités de 
deux ailes formant une cour qui est ouverte du 
côté de la route impériale. 

On a fait des déblais et remblais considérables, 
pour doter la Villa Eugénie d'un vaste jardin. Ces 
travaux ont été dirigés avec beaucoup d'intelli- 
gence. Un coup d'œil suffit pour voir avec quelle 
habileté oiît été ménagés des accidents de terrain 
et à quel point tous les dessins sont bien enten- 
dus. Mais ce jardin, malgré ses girandes pièces 
toutes gazonnéeSb est trop exposé aux vents d'hi- 
ver qui soufflent avec force sur ces parages, pour 
que la culture des arbres et des fleurs y devienne 
prospère. Cependant les plantations qu'on y a fai- 
tes de pins et d'autres arbres résineux, abritées 
par des claies de paille, donnent aujourd'hui de 
bonnes espérances. Les jeunes tamarins, que l'on 
a également plantés à l'entour du domaine ex- 
cepté du côté de la mer, promettent aussi une 
jolie et verte clôture. 

La chapelle Sainte-Eugénie , à laquelle on a 
voulu donner, par un sentiment de reconnaissan- 
ce, le nom de l'Impératrice des Français , est un 
joli édifice dans le style roman. Elle n'est achevée 
que depuis bientôt deux ans; et déjà on en re- 
connaît l'insuffisance. On n'a pas songé, en la 
construisant, à lui donner des dimensions assez 
étendues pour contenir tout le monde qu'elle était 
destinée à recevoir durant la saison des bains. 

Soit du Port- Vieux, soit du Port des Pêcheurs, 



— 220 — 

des sentiers pittoresques conduisent les prome- 
neurs sur le promontoire de F Ata'aye, dont les sou- 
venirs se rattachent aux incursions des pirates 
Normands, et d'où s'élevait un petit chàteau-fort, 
dont les ruines subsistent encore, et d'où l'on sur- 
veillait les mouvements de ces redoutables enne- 
mis. Atalay, dans la langue basque, signifie ab- 
servatoirej lieu où F on se tient en vedeUe. Plu- 
sieurs maisons du pays Basque, situées sur des 
hauteurs, portent le même nom A'Atahnf. Ce pro* 
montoire offre un des plus délicieux points de vue 
de cette partie du littoral. 

Biarritz , une fois la belle saison venue , de- 
vient un des lieux les plus fréquentés par les 
étrangers ; et je n'en suis pas surpris, mon cher 
Théodore. La mode, cette aveugle de naissance 
qui fait tant d'incroyables bévues, ici ne s'est 
point trompée. Quelle est en effet la plage qui 
offre, avec une latitude plus douce , un air plus 
pur et plus frais, une lame pltj^ puissante à cette 
portion de l'humanité qui va demander chaque 
année à la mer les moyens de guérir ou de pré- 
venir les mille maux dont elle peut avoir à souf- 
frir? Aussi Biarritz a-t-il pris faveur comme éta- 
bh'ssement de bains de mer, dès l'instant qu'il a 
été connu. Depuis surtout que l'Empereur et l'Im- 
pératrice y viennent régulièrement séjourner 
quelque temps chaque année, la vogue, dont il 
jouissait déjà, s'est considérablement accrue. On 
y voit tous les ans, au milieu de la foule des per- 



— 221 -r 

soDfiages plus ou moins obscurs qui s*y heurtent 
et s'y croisent , un bon nombre d'illustrations 
contemporaines et de sommités sociales. II n'y a 
guères de peuple grand ou petit en Europe, qui 
ne lui envoie quelques échantillons de sa nationa- 
lité. Mais ce qui donne une physionomie particu- 
lière et piquante à Biarritz , c'est ce mélange con- 
tinuel de Français et d'Espagnols que l'on y voit. 
La France et l'Espagne s*y rencontrent, s'y re- 
connaissent partout: au milieu de cette agglomé- 
ration d'hommes, de femmes, d'enfants de tout 
pays et de toute langue, c'est là toujours le fonds 
qui domine. Quant au toilettes , elles se distin- 
guent, d'après les connaisseurs, par autant de 
luxe, autant d'étalage, par autant de ridicule qu'à 
Paris. 

Il existe à Biarritz plitsieurs établissements de 
bains de mer chauds ; ils ne laissent rien à désirer 
ni pour les commodités ni pour l'élégance. On y 
trouve aussi des ^bains de vapeur, toute espèce 
de bains médicinaux, de fumigations et de dou- 
ches. Le premier établissement de ce genre fut 
fondé en 1839 au Port- Vieux par un étranger, 
M. Wiel, ancien médecin d'ambassade. Vous vous 
souvenez peut-être, mgn cher Théodore, que je 
publiai à cette occasion, dans un recueil périodi- 
que, un article qui fut assez reproduit; peut-être 
même trouverez-vous dans ma lettre d'aujour- 
d'hui quelques réminiscences de cet article. Que 
voulez-vous ? Il est bien difficile d'oublier complé- 
ment ce que l'on a pensé et écrit soi-même. 



_ 22-2 — ' 

Il n'y avait pas de Casino à Biarritz jusqu'à pré- 
. sent; on vient d'en construire un., qui n'a été 
ouvert que depuis peu de jours au public. 

Le village de Biarritz est demeuré pendant fort 
longtemps à peu près ignoré du monde entier ; 
il n'était guères visité que par les habitiants de 
Bayonne. Il fut cependant tiré de son. calme et de 
son silônce habituels par une visite que !'on rap- 
porte généralement à 1808 ou 1809, mais qui eut 
lieu en 1807, d'après le médecin Thore qui faisait 
\ imprimer en 1810 sa Promenade sur les côtes du 
golfe de Gascogne, Voici comment il s'exprime 
là-dessus : 

« S. M. la Reine de Hollande se rendit à Biar- 

* ritz en 1807, époque à laquelle elle honora 
« Bayonne de sa présence. Cette promenade fera 

. « époque dans les fastes de cette commune , et 

y. . « les Biarrottes , reconnaissantes de toutes les 

« bontés dont S. M. daigna les l|pnorer, en feront 

. « part à leurs enfants, pour quç ceux-ci en trans- 

* mettent à leur tour le souvenir à ceux qui leur 
« survivront , et afin que d'âge en âge on répète : 
« Hortense-Eugénie, épouse de Louis-Napoléanj, 
« frère de l'Empereur des Français et Roi de 
« Hollande, daigna honorer Biarritz de sa pré- 
« sence, en 1807, et combla de ses faveurs les 
« habitants de cette commune. » 

Adieu, mon cher Téodore. Je jouis d'avance du 
plaisir d'aller vous revoir et vous embrasser. C'est 
de tout cœur que je suis bien votre affectionné. 

Jules. 



RENSEIGNEMENTS. 



Distances pour les Excursions. 
ItsassoUj à 5 kilomètres de Cambo. 
Pas-de-RoUmd, à 6 kilomètres , trf. 
Larressore, à 3 kilomètres, id, 
EspeleUe, à 5 kilomètres, id. 
Hasparrm, à 10 kilomètres, id. 
Izturitz, à 19 kilomètres, id. 
Ainhoa, à 11 kilomètres, id. 
Ustarilz, à 6 kilomètres , id, 
Louhossoa, à 9 kilomètres, id. 
Urdache, à 15 kilomètres, id. 
Sare, à 20 kilomètres, id. 
Mcmdarrain, à 12 kilomètres, id. 
Bayonne, à 20 kilomètres, id. 
Biarritz, à 27 kilomètres , id. 



Arrivée du courrier à Cambo à 8 heures du mat. 
Départ pour Bayonne à raidi. 

(^Le courrêr porte des voyageurs.) 

Départs des Voitures publiques de Cambo 

pour Bayonne. 
Entreprise ânatol , ) chaque malin pendant 
Entreprise Domingo, i toute tannée. 

Retour, le soir. 

Dans la Saison des Eaux: 

Départ de Bayonne pour Cambo , chaque matin; 

Retour le soir. 

Anatol. — Chemin de Fer. — Poste. 



PRINCIPAUX HOTELS 
de Cambo, Bayonne et Biarritz. 

CAMBO. 

Hôtel fie VÈtablhsmnenî, Marguerite ÎIiriart. 

— des Éirangers, Ed. LefèVre. 

— des Princes y N*** 



BAYOJViVfi. 
Hôtel du Conumî^e. 

— du Grand d'Espagne. 

— de la Providence, 

— Saml'Élienne. 

— Saint' Marlin. 
Fonda de la Bilbmna, 

Principaux Cafés. — dt Bûrdmnx. 

— "— de la Comédie. 

— ' — du Commerce. 

— — Famiè. % 

— — du Grand'Balcoti. 
"— — du Port 



BIARRITZ. 
Principaux Hôtels. — des Ambassadeurs 

— — d'Angleterre. 

— — de VEurope. 

— — de France. 

— — dts Pr'mccs. 



TABLE DES MATIÈRES. 



PAGES. 

Préface r. v 

Cambo : Coup d'œil général. 1 

La Bergerie 1 i 

Le Pas-de-RoIand 17 

La Reine d'Espagne à Cainbo 27 

Larressore 41 

MM. Orfila et Bérard à Cambo 49 

Hasparren .• 61 

Ëspelette 73 

Encore Cainbo 81 

La Grotte d'Isturit|k 93 

La Chapelle et FErmite d'Ainhoa 102 

Ustaritz 112 

Cambo ea 1858 123 

Le Mondarrain 131 

Louhossoa 141 

Sare 153 

Le Comte Alfred de Stolberg 167 

Excursion en Espagne 183 

Bayonne 201 

Biarritz 215 

Renseignements. 



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