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CAMBRONNE
L'auteur déclare réserver ses droits de traduction et de repro-
duction à l'étranger.
Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (section de
la librairie) en Décembre 1893.
Nantes, Imp. 6. Scbwob st Fils, rub Scbibb, 6
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CAMBRONNE
Sa Vie Civile, Politique et Militaire
ÉCRITE D'APRÈS LES DOCUMENTS INÉDITS
des Archives Nationales
des Archives du Ministère de la Guerre
Léon Brunschvigg
Ouvrage orné de deux portraits et d'un dessin
en trois couleurs.
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NANTES
Vve VI ER i <3-. SCHTATOB & FILS
Libraire - Éditeur /f^ Imprimeurs
1894
Tous droits réservés
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PREFACE
Mon cher ami,
Vous êtes venu me trouver dans ma retraite et me confier la
mission de présenter à vos lecteurs le livre que voiis avez écrit sur
Cambronne.
Alors que tant de plumes sérieuses se seraient fait un plaisir de
vous rendre cet office, c'est de votre part une aberration dont je ne
puis trouver l'explication ailleurs que dans nos liens d'amitié, ou
dans le souvenir d'une collaboration d'antan. Si j'accepte de le
faire — à vos i isques et périls — c'est que je suis heureux de
déclarer à vos lecteurs qu'en écrivant ce livre, vous avez fait boiine
œuvre. Dans les temps relâchés où nous vivons, il est bon, il est
sain que des écrivains se dévouent à faire ressortir des caractères
semblables à celui de l'homme que vous avez choisi, et à retremper
les défaillances par de tels exemples, qu'en opposition à la formule
moderne je pourrais qualifier de « commencement de siècle » .
Cambronnne, dont vous retracez la vie dans ses plus petits
détails, détails appuyés de pièces des plus authentiques, est une
figure caractérislique au milieu de cette pléiade de généraux et de
maréchaux titrés qui a servi d'auréole à l'Empereur. S'il est
demeuré général de brigade à un âge où, l'avancement n'avait pas
VI
alors de limites, c'est qu'il a été avant tout un soldat — disons
j)lutôt « le soldat » — dont un haut commandement aurait dérouté
les habitudes de discipline. Et il partage en cela le sort de bien des
héros obscurs, dont les noms n'ont pu trouver place dans cette
étonnante épopée, et que les gloires les plus illustres ont peut-être
égalés, mais non dépassés.
Son histoire peut se résumer dans ces trois mots : bravoure,
fidélité et modestie.
Bravoure : car ses états de service sont tels que peu furent
plus brillants à une époque de batailles successives et de campagnes
sans trêve. Et cette bravoure était tellement innée chez lui qu'elle
se retrouve au même degré en dehors de sa carrièi e militaire :
témoin son attitude devant ses juges, lorsque les passions politiques
l'amenèrent devant un tribunal d'où pouvait, devait même sortir
une condamnation à mort.
Fidélité : pendant toute la durée de l'Empire, il fut le serviteur
aveugle du drapeau et de l'homme qui le personnifiait alors. Si, lors
de la Restauration, il accepta de rentrer dans l'armée, c'est qu'il
avait été nettement dégagé de ses serments par l'homme, et qu'il lui
semblait impossible d' abandonner le drapeau, quelle que fût sa
couleur. Pensée qu'il exprimait naïvement dans sa correspondance,
en disant qu'il ne saurait se figurer autrement que revêtu de
l'uniforme français.
Modestie : poussée à l'extrême et d'autant plus méritoire que,
même à cette époque, l'ambition fiorissait comme de nos jours. Sa
correspondance prouve qu'il dépendait de lui de rendre encore plus
brillants ses états de service, en ne laissant pas ignorés certains
faits qu'il était seul, ou à peu près, à connatt'^e. L'homme modeste
n'est-il pas peint, d'ailleurs, dans l'anecdote de ce carrosse pour
lequel il esquissait de ses mains le modèle d'armoiries dont le
fac simile figure dans cet ouvrage, et qu'il laissait sous la remise,
en continuant à se faire transporter par une simple prolonge
d'artillerie ?
Cambronne n'appartient pas seulement à notre région : il
VII
appartient à la France. Autant et plus que bien d'autres il méri-
tait qu'une plume fouilleuse vînt tirer sa mémoire de l'oubli et
l'inscrire au Panthéon des gloires militaires Françaises. Par les
recherches que vous avez poursuivies avec tant de zèle, par les
documents curieux dont vous avez su vous entourer, vous avez fait
revivre, mon cher ami, une personnalité qu'il est bon de faire
mieux connaître.
Il fallait qu'on sût bien que Cambronne avait d'autres titres au
jugement de la postérité et à la trompette de la Renommée que ceux
qui reposaient sur un seul mot : sur ce mot peut-être vrai, peut-
être apocryphe, à coup sûr contesté ; sur ce mot grâce auquel notre
grand poète Hugo a donné au général de Waterloo un regain de
popularité ; sur ce mot enfin dans lequel — ainsi que le disait
récemment un de nos plus spirituels chroniqueurs de la presse
parisienne, — le peuple Français a embaumé le souvenir de
Cambronne.
P. CHAUVET
Nantes, 15 décembre 1893.
CAMBRONNE
V
Sa Vie Civile, Politique et Militaire
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CHAPITRE P^
LA FAMILLE DE CAMBRONNE
Il existe dans le département de la Somme, non loin
d'Abbeville, une vieille commune du nom de Cambron,
célèbre par une vieille église du XVI« siècle, du style
gothique flamboyant et que les manuscrits d'autrefois
appellent Camberone et Camberonium.
Dans l'Oise, deux communes portent le nom de Gam-
bronne : l'une (arrondissement de Compiègne, canton de
Ribécourt) était au moyen âge le chef-lieu d'une seigneurie
considérable dont les possesseurs avaient pris le titre,
mais qui, à partir du XV® siècle, passa en d'autres mains.
Les familles de Vandeuil, de Blécourt, d'Aumalle, de
Montmorency, de Montguiot et Poulletier en occupèrent
tour à tour le château plus tard détruit et remplacé en
1762 par une construction nouvelle. La nef de la vieille
église romane remonte au XIV*' siècle.
L'autre commune, Cambronne les-Clermont, est située
dans l'arrondissement dont nous venons d'écrire le nom
et fait partie du canton de Mouy. Eglise vénérable là
aussi par son antiquité, puisqu'elle fut consacrée en 1239.
- 2 -
C'est vraisemblablement d'une de ces communes que
la famille du général Gambronne a dû, à une époque qu'il
est difficile de préciser, emprunter le nom qu'il a illustré
et, ce qui permet de le croire, c'est qu'elle est certainement
originaire de Picardie.
Dans une notice intéressante, M. de la Nicollière-Teijeiro,
archiviste de la ville de Nantes, a reconstitué la généalogie
des parents et des grands-parents de Gambronne, d'après les
registres des actes de baptême et des actes de l'état-civil.
Nous la reproduisons à notre tour, en nous réservant de
la compléter et de la rectifier sur certains points.
Jean-Louis Gambronne, courtier de toiles, marié à
Marie-Anne Blondel, qui habitait Saint-Quentin au com-
mencement du XVIII® siècle^ eut trois enfants, deux fils
Jean et Louis-Marie et une fille Françoise. Laissons de
côté cette fille qui épousa en 1736 Pierre-Alexis Saugnier,
dont le père avait exercé les fonctions de consul —
quelque chose comme membre de la Ghambre de Gommerce
— et revenons au fils Louis-Marie qui se maria à Saint-
Quentin, le 9 juillet 1731, avec Marie-Anne Reneuve.
Louis-Marie eut au moins sept enfants, cinq fils, André,
Louis- Jacques-Nicolas, Pierre - Gharles , Marie-Antoine-
Alexis et Nicolas-François, que nous n'inscrivons peut-
être pas dans l'ordre de primogéniture, e deux filles,
Marie-Anne, qui se maria dans la suite à Louis Roger,
marchand apprêteur de toile, à Saint-Quentin et Jeanne-
Françoise-Véronique, qui épousa à Saint-Quentin un de
ses cousins, Quentin-Corneil Gambronne.
Nous donnerons à la fin de ce livre, aussi exactement
que faire se pourra, l'arbre généalogique de la famille
Gambronne. Revenons pour l'instant à Louis-Jacques-
Nicolas qui se marie à Nantes en l'église Sainte-Croix le
— 3 —
42 décembre 1763 avec la fille cadette d'un négociant
nantais alors décédé, Thérèse Daller. Il en eut l'année
suivante deux jumeaux, garçon et fille, qui ne vécurent
pas et moururent au lendemain de leur naissance (17 nov.
1764), un fils Louis-Charles-François, né le 22 mai 1766,
mort le 9 juillet 1792 et un autre fils Pierre-Félix, baptisé,
le 9 février 1768.
Sa sœur, Jeanne-Françoise-Véronique née le 16 octobre
1737 et baptisée le même jour à la paroisse Saint-Jacques
de Saint-Quentin, mourut jeune encore en 1760. Elle
avait épousé, le 30 mai 1756, son cousin, Quentin-Corneil
Cambronne, marchand brasseur. Leur mariage fut célébré
par l'abbé André Cambronne, « chanoine de l'église collé-
giale de Nesle, frère de l'épouse », mais il dura peu,
puisque quatre ans après, il était dissous par la mort de
la femme.
Elle laissait deux filles qui épousèrent l'une M. Lefeb-
vre de Saint-Quentin, l'autre M. Viéville, Resté veuf,
Quentin Corneil Cambronne se remaria avec Anne-Fran-
çoise Adan dont il eut six enfants. Leur descendance vit
encore à Saint-Quentin, Ay, Arras, Lille et Paris.
Mais des enfants de Louis Cambronne, celui qui doit
nous intéresser le plus directement, c'est Pierre-Charles
Cambronne, né le 25 décembre 1738 à Saint-Quentin. Il
avait dû assister au mariage de son frère aîné et être
séduit par les bonnes manières de Charlotte Daller, la
sœur aînée de sa belle-sœur. Il la demanda en mariage,
et l'épousa à Nantes, le 28 janvier 1765, à la chapelle de
la Madeleine (paroisse Sainte-Croix) qui s'élevait alors à
l'angle de la chaussée de ce nom et du quai des Fumiers
(depuis quai Magellan) ; mais si cette union fut heureuse,
elle ne le fut pas longtemps. Le 5 janvier 1767, Charlotte
accouchait comme sa sœur Thérèse de deux jumeaux
morts-nés, hélas! elle ne leur survécut guère, et le 2o du
même mois, elle succombait elle-même à l'âge de trente
ans seulement.
Son mari ne resta veuf que deux ans et, le 31 janvier
4769, il épousait à l'église Saint-Martin de Noyon Fran-
çoise-Adélaïde Druon, fille de Charles Druon, licencié ès-
lois, conseiller du roi en l'élection de Noyon, lequel n'avait
pas moins de huit enfants.
Nous avons sous les yeux le contrat de mariage de
Pierre-Charles Cambronne passé le 30 janvier 1769 par
devant les « notaires royaux gardes-nottes héréditaires et
tabellions au baillage de Noyon », Caillet et Sauvel. Il
«onstate le régime de la communauté « en tous biens,
meubles, acquêts, conquets, immeubles » suivant la cou-
tume de Noyon, que les époux y habitent ou non. Le
futur apportait en meubles, marchandises et argent une
valeur de quinze mille livres. Les parents de la future lui
constituaient en dot une somme de dix mille livres payés
comptant.
Chacun des époux mettait dans la communauté deux
mille livres, outre leurs habits et linges ; le reste de leur
apport leur demeurait propre. De plus, le futur douait la
future, si mieux elle n'aimait prendre le douaire coutumier,
de la somme de quatre cents livres de rente viagère et
annuelle.
Le contrat réglait également ce qui adviendrait en cas
de décès ou de dissolution de communauté, sans décès.
Mais ce qui n'est pas moins intéressant que les condi-
tions du contrat, c'est la liste de ceux qui furent témoins,
accompagnée de l'indication de leur parenté avec les
futurs époux.
— 5 —
Du côté de Pierre-Charles Cambronne, c'est d'abord son
père Louis; son frère Marie-Antoine-Alexis, « garçon
majeur » ; sa sœur Marie-Anne, épouse Louis Roger,
alors consul en exercice à Saint-Quentin ; son beau-frère,
Quentin-Gorneil Cambronne, mari de sa sœur Jeanne-
Françoise-Véronique, qualifié de « marchand , ancien
consul »; François Reneufve, ancien maire de Noyon ;
ses cousins Jacques Christophe Reneufve, « garçon ma-
jeur », Claude-Nicolas Reneufve, conseiller du Roy,
« grenetier au grenier à scel » (sic) de Noyon et Jacques-
Maurice Reneufve, « garçon majeur ».
Du côté de l'épouse, c'est son père Charles Druon, licen-
cié-ès-loix, conseiller du Roy, élu en l'élection de Noyon,
sa mère, dame Marie-Louise Frassens ; son frère. M"
Charles-Louis Druon, avocat en parlement, conseiller du
Roy et son procureur en la Maîtrise des Eaux et Forêts
de Noyon, Péronne et Roye ; sa sœur Marie-Thérèse-Al-
degonde Druon, fille majeure ; son beau-frère M« Jeanf-
Charles-MarieMargerin, conseiller du Roy, garde-marteau
en la maîtrise de Noyon, et la femme de ce dernier, sœur
de la future, Marie-Catherine-Louise Druon.
Pierre-Charles Cambronne avait alors trente ans et sa
seconde femme vingt-sept. Leur union ne laissa pas que
d'être féconde, puisque, suivant l'exemple de sa mère,
madame Cambronne eut également huit enfants.
1» Adélaïde-Marguerite, baptisée. le 23 janvier 1770,
morte le 7 juin 4786 et que Rogeron de la Vallée, au-
teur d'une Vie de Cambronne sur laquelle nous aurons à
dire notre sentiment, donne à tort comme épouse de
François Lemerle.
2» Pierre-Jacques-Etienne, le futur général, né le 26
décembre 1770, à qui ce livre est consacré.
— 6 —
3° Amable-Gharles-François, né le 30 mai 1772.
4° Constant, baptisé le 4 avril 1773.
5° Stanislas-Louis, baptisé le 18 juin 1776, décédé le
23 février 1781.
6° Constant-Louis-François, né le 15 août 1778, mort
glorieusement à Austerlitz à l'âge de vingt-huit ans,
comme sous-lieutenant au 46« régiment d'infanterie de
ligne, dans la compagnie même où avait servi La Tour
d'Auvergne.
1° Justine Cambronne, baptisée le 10 novembre 1780,
qui épousa en premières noces Armand-Pierre Lemerle,
commis au bureau des contributions directes à Nantes, et
en second mariage Jacques -Philippe Ferro, capitaine en
retraite, chevalier de la Légion d'honneur et de St-Louis,
De son premier mariage, Justine Cambronne avait eu
huit enfants :
(a) François Lemerle, qui figurait sur le testament de
la générale Cambronne, avec l'indication de la profession
d'artiste, mais qui mourut avant elle, comme nous l'ap-
prend l'inventaire dressé à la mort de cette dernière, le
5 janvier 1853, à Paris;
(b) Armande-Justine Lemerle, qui portait les prénoms
de son père et de sa mère et devint la femme de Jean-
Louis Cabanne. Nous la voyons figurer en 1863, comme
veuve sans enfants, dans un acte notarié. Elle était rentière
et habitait Saint-Jean-Bonnefonds (Loire) ;
(c) Marie-Rachel Lemerle, née le 16 Septembre 1808,
qui épousa à Nantes, le 31 décembre 1825, M. Philippe-
Jacob Vincent, rentier. Elle demeurait en 1863 à Paris,
23, route de Choisy.
— 7 —
(d) Joseph-Silas Lemerle , raffineur , domicilié à
l'époque que nous venons d'indiquer à Paris, 69, rue de
Flandres, avec sa femme Célina-Augustine-Fanny Pres-
sensé. Cette dernière, aujourd'hui veuve, vit encore. Elle
demeure à Porte-Chaise, en Saint-Sébastien près Nantes
et porte gaillardement ses quatre-vingts ans. Elle est née
à Nantes le 4 mars 1813. C'est à elle que nous devons
une partie des renseignements qui précèdent.
(e) Gertrude Lemerle, née à Nantes, en 1813.
(f) Caleb Lemerle, né le 3 mai 1815 à Nantes.
(g) Claudine -Dauphan Lemerle qui épousa Pierre-
François Lhéritier, docteur en médecine.
(h) Enfin Noëmie-Thérèse Lemerle, qui mourut à Nantes
le 23 janvier 1829.
Justine Cambronne mourut à Angoulème, faubourg
Labussatte, rue Montlogis, 70, le 22 juin 1861, à l'âge de
plus de quatre-vingts ans, et son second mari, M. Ferro,
la suivait quelques mois après, le 27 septembre, dans la
tombe, sans postérité, laissant par testament sa fortune
aux trois enfants encore vivants de sa femme.
8° Enfin Lucie, baptisée le 3 juin 1782.
De cette grande et belle famille, qu'est-il advenu?
Adélaïde-Marguerite, l'aînée, meurt à l'âge de seize ans;
nous ignorons le sort d'Amable-Charles-François, de Cons-
tant, de Stanislas-Louis, de Lucie; nous suivons un peu
plus longtemps dans la vie Justine, dont nous retrouvons
la présence aux principaux actes civils de l'existence de
son illustre frère, nous connaissons la mort glorieuse de
€onstant-Louis-François, dont M. de la Nicollière a retrouvé
dans les registres de l'état-civil de la mairie de Nantes
— 8 —
(an XIV, 1806, 2« division, folio i54) l'acte de décès bien
digne des honneurs de la reproduction :
Extrait du registre de l'état-civil au 46^ régiment d'infanterie
de ligne
Conformément à l'instruction du Ministre de la Guerre, en date
du 24 brumaire an xii, sont comparus devant moi soussigné
officier payeur du 46^ régiment de ligne, les nommés Dorothé
Merens, sous-lieutenant à la Ire compagnie du 2e bataillon, Jean
Richard, sergent-major et Pierre Noblet, caporal fourrier à la
compagnie de grenadiers du 2^, tous trois du dit régiment, pour
y déclarer ce qui suit :
Le onze frimaire an quatorze, a été tué, en notre présence, sur
le champ de bataille, à Austerlitz, le sieur Constant Gambronne,
sous-lieutenant à la compagnie de grenadiers du 2e bataillon,
fds de... et de..., né le seize aoust mil sept cent soixante-dix-huit,
à Nantes, département de la Loire-Inférieure, que nous avons
parfaitement connu.
Delaquelle déclaration nous avons pris acte que les témoins
ont signé avec nous à Austerlitz, les jour, mois et an que dessus.
Signé: Merens, sous-lieutenant; Richard, sergent-major; Noblet,
fourrier, et Le Tellier, officier-payeur.
Certifié par le colonel du dit régiment, G. Latrille.
Fellonneau.
En marge est écrit: N» 16, acte constatant le décès du nommé
Constant Cambronne, sous-lieutenant aux grenadiers du 2e ba-
taillon, signalé au registre des officiers, sous le no...
Il appert, suivant l'acte de naissance du défunt qu'il se nom-
mait Constant-Louis-François Cambronne, et qu'il était fils du
sieur Pierre-Charles Cambronne, négociant, et de dame Françoise-
Adélaïde Druon.
Il ne nous reste plus qu'à parler de Pierre-Jacques-
Etienne Cambronne, mais auparavant disons que son
père mourut le 6 octobre 1784, âgé de quarante-cinq ans
— 9 —
seulement. Bien que qualifié de négociant, terme élastique
qui comprend au besoin le plus humble commerce, le
père Gambronne passait pour n'avoir qu'une position de
fortune fort modeste. Nous le voyons exempté, sur sa
requête, du logement des gens de guerre, par délibération
de la ville et communauté de Nantes du 30 mai 1778,
comme garde-magasin des poudres et salpêtres (1). Quand
il mourut dans la paroisse de Sainte-Croix, il laissait à sa
veuve qui n'avait alors que quarante-deux ans, la charge
de jeunes enfants dont Taînée n'était Agée que de quatorze
ans et la plus jeune de deux ans seulement. Nous avons
sous les yeux l'inventaire des meubles, effets et marchan-
dises fait au décès de Pierre-Charles Cambronne, par
Noiron, commis-greffier au présidial de Nantes , avec
l'aide de Pierre Gox, msLÎire/rippier, Haute-Grande-Rue.
Nous en donnerons en annexe quelques passages curieux
pour les modes du temps, ce que nous pouvons dire dès
ici, c'est que Cambronne, marchand de bois du Nord,
laissait une fortune prisée 140.447 livres 2 sols 9 deniers,
somme assez considérable pour l'époque. Mais il fallait un
homme pour conduire un pareil négoce et ce n'était pas
trop de toute la vaillance de la mère de famille pour
mener à bien l'œuvre que lui laissait la mort prématurée
du chef frappé dans la fleur de l'âge.
(1) Archives municipales de Nantes. Administration communale
BB 106, fol. 13.
CHAPITRE II
ENFANCE DE CAMBRONNE
Pierre-Jacques-Etienne Cambronne naquit le 26 décembre
1770, à Nantes, et non pas à Saint-Sébastien, comme l'ont
imprimé à tort tant de notices biographiques (1).
Avant les modifications qu'a subies le quai de l'Hôpital
pour faciliter la création des squares de l'Hôtel-Dieu, oa
montrait encore, parmi les maisons voisines du pont de
la Belle-Croix, celle où Cambronne reçut le jour. La vue
daguerréotype, publiée par Forest, et intitulée : Nantes,
vue prise du quai de l'Hôpital, donne à droite la façade
de la maison dont nous parlons. C'était la seconde en
partant du pont, et la famille de Cambronne en occupait,
dit-on, le deuxième étage (2). Voici le texte de son acte
de naissance, ou plutôt de baptême — c'était alors la même
chose — qui, pour avoir reçu déjà les honneurs de la
publicité, n'en mérite pas moins d'être reproduit dans cet
ouvrage :
Le vingt-sept décembre mil sept cent soixante-dix a été baptisé
t*ierre-Jacques-Etienne Cambronne, né hier, du légitime mariage
de N, H. (c'est-à-dire noble homme) Pierre-Charles Cambronne,
(1) C. D. Vie militaire de Cambronne, Paris, 1822, dit qu'il naquit
à Saint-Sébastien, près Nantes; Levot, Biographies bretonnes, dans
la banlieue de Nantes, paroisse de Saint-Sébastien ; Larousse, à Saint-
Sébastien; les Ephe'mérides nantaises reproduisent la même erreur.
(2) Cambronne, par S. de La NicoUière-Teijeiro, 1892.
— n —
négociant, et de dame Françoise-Adélaïde Druon, son épouse.
Ont été parrain le sieur Jacques Honorati et marraine Thérèse
Dhaler, épouse de N. H. Jacques-Nicolas Cambronne, tante de
l'enfant.
Thérèse Dhaler; Honorati; Cambronne; Delaville, vicaire (1).
A son père, Cambronne avait pris le prénom de Pierre ;
à son parrain, qu'avec son emphase ordinaire, Rogeron
de la Vallée appelle « le plus vertueux des Italiens », et
peut-être aussi à son oncle, le mari de sa marraine, il
emprunte celui de Jacques; enfin le saint dont l'Eglise
célébrait ce jour-là la fête^ Etienne, lui valait son troi-
sième prénom. Lequel des trois préférait-il ? Comment sa
mère l'appelait-elle, quand il était petit, comment ses
camarades, lorsqu'il jouait avec eux dans la cour de
l'école, l'interpellaient-ils ? De ce qu'à l'un des registres
relatant son acte de mariage civil, il a signé E. baron
Cambronne, M. de la Nicollière a conclu peut-être un
peu vite qu'Etienne était son prénom usuel. L'autre
registre porte seulement le baron Cambronne, sans autre
indication.
Notons par contre ce détail significatif qu'à leur contrat
de mariage, que nous analysons plus loin, chacun des
époux indique la marque à laquelle se reconnaîtront le
linge et l'argenterie qui lui appartiendront lors de la dis-
solution du mariage. Or, la marque de Cambronne était
P. C.j ce qui signifie Pierre Cambronne et répond à l'argu-
ment tiré de la signature d'un acte de l'état-civil isolé.
Cambronne, en effet, faisait précéder son nom plus
volontiers de son titre que de ses prénoms. Son contrat
de mariage, son acte de mariage religieux portent comme
(1) Archives municipales de Nantes. Série GG. Cultes, registre de
Sainte-Croix 1770, folio 129.
— 42 -
signature : Le baron Cambronne, sans aucune initiale ;
et quand, plus tard, la Restauration eut fait de lui un
vicomte, il signait tantôt de ce titre nouveau, tantôt et
même plus souvent L. V. Cambronne, ce qu'il fallait
traduire ainsi : Le Vicomte Cambronne.
Ce qui nous donnerait plutôt lieu de penser que ses
amis l'appelaient habituellement Pierre, c'est que plus
tard, entre intimes, faisant allusion à ses campagnes
en Espagne où s'il s'était battu pendant quatre ans (1808,
1840, 4844, 4842) ils ne se gênaient pas pour le traiter
avec une familiarité tout amicale et à titre de plaisanterie,
bien entendu, de Pierre le Cruel.
Dans un document public daté de Chateaubriant, que
nous donnerons à sa place, il déclare se nommer Pierre.
Cambronne grandit rapidement. A l'âge de neuf ans
c'était déjà un petit homme, et sa taille svelte lui donnait
les apparences d'un garçon de treize à quatorze ans. Il
aimait beaucoup sa mère, qui exerça toujours sur lui une
grande et heureuse influence et pour laquelle il professait
un véritable culte fait tout à la fois de respect et
d'affection.
Mais il ne pouvait pas indéfiniment passer sa vie à
dénicher des merles. II fallut songer à son instruction, à
son éducation, et son père, qui voulait faire de lui un
négociant, comme il l'était lui-même, le fit entrer au
collège de l'Oratoire, qui comptait alors comme supérieur
le père Latyl, appelé à quelques années de là, à siéger à
la Constituante parmi les représentants les plus libéraux
et les plus distingués de la sénéchaussée de Nantes.
Il devait y trouver aussi Fouché, du Pellerin, que la
destinée allait conduire à la Convention avant d'en faire
un duc d'Otrante et un ministre de la Restauration.
— 13 —
Cambronne entra chez les Oratoriens, mais seulement à
titre d'externe, le 2 janvier 1781.
Nous ne possédons pas les notes qui devaient être
consacrées, là comme partout, aux progrès et aux
aptitudes des élèves. Il aurait été curieux de connaître
quels pronostics les maîtres du jeune Cambronne avaient
portés sur lui, sur ses dispositions, sur son avenir.
D'après un de ses biographes, la littérature le laissait
assez froid et, en dehors de l'histoire, de la géographie
et du dessin, il ne fallait pas lui demander grand'chose.
Mais, s'agissait-il d'organiser dans les cours du collège
quelques jeux exigeant de l'audace ou de l'adresse,
quelques divertissements violents, le simulacre de combats,
par exemple, auxquels de tout temps les enfants se sont
plu, alors Cambronne était un boute-en-train sans égal,
et, dans ces petites guerres pour rire, il pouvait passer
pour l'organisateur de la victoire. On cite de lui des traits
d'une hardiesse peu commune, dont voici peut-être le
plus caractéristique ;
C'était en 1784, en plein hiver, la veille de la fête de Noël,
Cambronne avait obtenu d'aller à la messe de minuit,
mais sa mère inquiète lui avait surtout recommandé, à
la sortie de l'église, de rester à Nantes et de ne venir la
retrouver que le lendemain, à la petite propriété de
La Treille qu'elle occupait sur la côte de Saint-Sébastien.
Recommandation vaine. La messe achevée, l'enfant,
malgré le froid, malgré la nuit, se met en route pour
rejoindre sa mère, mais par quel chemin ? par la Loire
alors prise, à l'aide de patins qui glissent péniblement sur
la glace inégale et sans souci comme sans crainte de
s'enfoncer dans quelque crevasse inaperçue. Il arriva
enfin à destination au milieu de la nuit, après une
— 14 —
expédition dont le souvenir suffisait à donner à la pauvre
maman plus- d'un frisson rétrospectif, en songeant aux
dangers que son fils avait ainsi courus.
A la mort de son père, Cambronne devint pensionnaire
et, comme si cet événement l'eût rendu plus sérieux et
plus sage, il se disciplina davantage et essaya même de
mordre aux racines amères des sciences pour lesquelles il
avait manifesté jusque-là le plus de répulsion, sans grand-
succès d'ailleurs, malgré ses efforts et sa bonne volonté.
La rhétorique ne fut jamais son fort, et la philosophie ne
fut jamais son faible. Quand, aux vacances de 1788, il
quitta l'Oratoire pour n'y plus revenir, il n'avait fait que
des études fort incomplètes et si le baccalauréat eût existé
de son temps comme du nôtre, nul doute que les examina-
teurs ne l'eussent ajourné sans pitié à la prochaine session.
Ceux qui n'ont connu Cambronne que vers la fin de sa
vie et qui avaient conservé de lui, comme 3Ionselet, le
souvenir d'un homme laid, ne l'auraient jamais deviné
dans ce portrait à la plume, sans doute quelque peu
embelli, qu'en traçait en 1853, sur les indications de sa
veuve, Rogeron de la Vallée :
» Cambronne n'avait alors que dix-huit ans ; ses traits
» étaient ceux de sa mère. De beaux yeux largement
» ouverts, aussi limpides qu'éblouissants, des sourcils
» longs et épais, un front large et arrondi, une tète
» rayonnante d'intelligence, des chevei^x blond châtain,
» soyeux et frisés comme ceux du noir américain ; un nez
» plus aquilin qu'ordinaire, les narines légèrement renflées
» où palpitaient les émotions, signe de courage; une
» bouche grande, des dents éclatantes de blancheur, les
» lèvres minces et les joues bombées, couleur d'une rose
» fraîchement épanouie; le tour du visage presque rond,
— 45 —
» une physionomie expressive, passionnée ; une peau
» fine, une carnation riche, la taille élevée, la poitrine
» grasse, tout le reste du corps bien proportionné ;
» l'attitude . timide, mais la marche assurée ; enfin la
» beauté d'Alcibiade dans la force de Goriolan. »
Rabattons-en un peu de ce portrait par trop dithyram-
bique, il n'en restera pas moins établi qu'à dix-huit ans,
Cambronne était ce que nous sommes convenus d'appeler
« un beau garçon ».
Qu'allait-il devenir ? Né à toute autre époque, Cambronne
eût sans doute été amener à auner du drap dans quelque
boutique de la rue de la Poissonnerie ou à s'engager
comme commis marchand sur le quai de la Fosse. Sa
bonne étoile voulut que l'heure où allait s'affirmer sa
vocation fût précisément celle qui marquait les débuts de
l'épopée révolutionnaire et qu'il comptât au nombre de
ceux que l'ère nouvelle allait mettre en relief. Cambronne
avait dix-huit ans à la veille de 1789. Il était de ceux
dont Voltaire avait dit quelques années auparavant : —
Nos enfants sont bien heureux, ils verront de grandes
choses.
Cambronne les a vues, il a même été un peu de ceux
qui les ont faites.
CHAPITRE III
AU DÉBUT DE LA RÉVOLUTION
Il importe de ne pas oublier que, pour être né à Nantes,
Cambronne avait du sang picard dans les veines. Son
père était de Saint-Quentin, sa mère de Noyon ; c'est dire
qu'il appartenait par ses origines à une des provinces de
France qui partageaient, avec la Bretagne, |le privilège
d'un profond amour de la liberté et de la patrie.
Aussi fut-il des premiers, parmi la jeunesse nantaise, à
saluer la Révolution à son aurore. Nous n'avons pas la
pensée de reprendre ici par le menu le récit des événe-
ments qui marquèrent en Bretagne le début de cette ère
nouvelle, l'envoi dès le l^'^ novembre 1788 d'une requête
des habitants de Nantes au roi pour réclamer le vote par
tète et non par ordre et l'abolition des corvées, la protes-
tation des députés de Nantes aux Etats de Bretagne quand
le roi en prononça la dissolution et l'ajournement à l'année
suivante, l'irritation du peuple de Rennes, les conflits
sanglants qu'elle provoqua, les arrêts du Parlement
condamnant au feu certains écrits libéraux et interdisant
le droit de réunion et enfin la grande démonstration du
29 janvier 1789.
Voici quelle en fut la cause :
A la suite de la suspension des Etats de Bretagne que
la noblesse et le clergé avaient sollicitée du roi, la ville
de Rennes fut le théâtre de démonstrations violentes.
D'une part les étudiants de l'école de droit, ayant à leur
tête Moreau, le futur général, qui devait ternir une vie
— 17 —
glorieuse par une mort honteuse dans les rangs des
ennemis de la France, de l'autre les nobles qui avaient
équipé, pour les soutenir, une bande de valets. Au cours
d'une collision, il y eut des blessés et des tués. La jeu-
nesse libérale de Rennes fit appel, pour résister, à celle
du reste de la Bretagne et de l'Anjou. Le député qui vint
à Nantes s'appelait Omnes Omnibus. Il devait ce second
nom qui était venu s'accoler au sien à un acte de dévoue-
ment : il avait sauvé la vie à deux personnes qui se
noyaient. Louis XVI lui avait fait don d'une médaille en
or avec cette inscription flatteuse : Omnes omnibus.
Cette appellation honorable entre toutes lui resta.
Dans la nuit du 27 au 28 janvier, les jeunes gens de
Nantes se réunirent à la Bourse pour recevoir et entendre
leur camarade de Rennes. Au discours passionné d'Omnes
répondit une énergique et fraternelle protestation souvent
publiée, mais presque toujours tronquée et que nous
donnons ici dans son entier :
Protestation et Arrêté des Jeunes Gens de Nantes
(du 28 Janvier 1789)
Frémissant d'horreur à la nouvelle de l'assassinat commis à
Rennes, à l'instigation de plusieurs membres de la noblesse ;
convoqués par le cri général de la vengeance et de l'indignation ;
reconnaissant que les dispositions bienfaisantes de notre auguste
roi, pour affranchir ses fidèles et dévoués sujets de l'ordre du
Tiers, de l'esclavage où ils gémissent depuis tant de siècles,
ne trouvent d'obstacles que dans cet ordre dont l'égoïsme forcené
ne voit, dans la misère et les larmes des malheureux, qu'un
tribut odieux qu'ils voudraient étendre jusque sur les races
futures.
D'après le sentiment de nos propres forces, et voulant rompre
le dernier anneau de la chaîne qui nous lie, jugeant d'après la
— 18 —
barbarie des moyens qu'emploient nos ennemis pour éterniser
notre oppression, que nous avons tout à craindre de l'aristocratie
qu'ils voudraient ériger en principe constitutionnel, nous nous
en affranchissons dès ce jour, sous la protection d'un second
Henri IV et d'un nouveau Sully.
Un ordre, dans sa protestation, ose apposer son opinion à celle
de son roi^ à celle de l'Europe, à celle du patriote et vertueux
Necker, solide et seul appui d'un royaume prêt à s'écrouler I
Mortel adorable dont l'héroïsme est au-dessus du sang et des
vains préjugés ; ô toi, qu'on ne peut mieux louer qu'en t'acccor-
dant le nom d'homme, nom que toi seul peux rendre encore
respectable, puisque tous tes travaux n'ont d'autre objet que de
lui rendre sa dignité première, et de le remettre à la place que
lui fixa la nature, et que lui conserveront toujours et les bonnes
lois, et les bons rois, ô Necker, accepte ici l'hommage que l'ordre
du Tiers rend à tes vertus ; si le bronze et le marbre n'offrent
point encore dans nos villes^ à nos yeux attendris, tes traits
révérés, tous nos cœurs sont autant d'autels où l'encens de la
reconnaissance se mêlera sans cesse à nos vœux ardents pour
la conservation de tes jours précieux et pour que tu jouisses du
bonheur que tu veux donner à vingt-trois millions de Français.
L'insurrection de la liberté et de l'égalité intéressant tout bon
citoyen de l'ordre du Tiers, tous doivent la favoriser de tout
leur pouvoir par une inébranlable et indivisible adhésion ; mais
principalement les jeunes gens, classe heureuse à qui le ciel ac-
corda de naître assez tard pour pouvoir espérer de jouir, sous un
monarque chéri, des fruits qu'ont enfin fait naître en France et
la philosophie du dix-huitième siècle et l'ascendant de l'immortel
Necker !
Que le cri de la vengeance retentisse jusqu'au pied du trône 1
que les yeux du monarque voient couler le sang de nos frères :
son cœur paternel sera glacé d'horreur et son auguste main fera
étinceler le glaive des lois sur les vils moteurs d'un aussi lâche
assassinat et d'un complot que nous, n'osons même pénétrer.
Jurons tous, au nom de l'humanité et de la liberté, d'élever un
- 19 —
rempart aux efforts de nos ennemis ; d'opposer à leur rage san-
guinaire le calme et la persévérance des paisibles vertus. Elevons
un tombeau aux deux martyrs de la cause de la liberté et pleu-
rons sur leurs cendres jusqu'à ce qu'elles soient apaisées par le
sang de leurs bourreaux et l'éclatante justice que nous attendons
de notre souverain, chef suprême des lois, qui seul peut, sans
être homicide, venger l'humanité, punir les forfaits.
Avons arrêté, nous soussignés jeunes gens de toute profes-
sion, de partir en nombre suffisant pour en imposer aux vils
exécuteurs des fanatiques aristocrates et pour demander à ceux
qui doivent être les dispensateurs de lajusticOj la réparation du
délit commis à Rennes.
Que comme plusieurs d'entre nous peuvent être retenus par
des places qu'ils craindraient de perdre, nous regarderons comme
infâmes et déshonorés à jamais ceux qui auraient la bassesse de
postuler ou même d'accepter les places des absents.
Tous ceux qui partiront seront soumis aux commissaires
nommés par acclamation, pour la police et ordre qu'il convien-
dra d'observer pendant le voyage et le séjour à Rennes.
Protestons d'avance contre tous arrêts qui pourront nous
déclarer séditieux, lorsque nous n'avons que des intentions
pures et inaltérables. Jurons tous, au nom de l'honneur et de la
patrie, qu'au cas qu'un tribunal injuste (car nous nous mettons
sous la sauvegarde du conseil de Sa Majesté) parvînt à s'empa-
rer de quelqu'un de nous, et qu'il osât, par un de ces actes que
la politique appelle de vigueur, et qui ne sont en effet que des
actes de despotisme, le sacrifier sans observer les formes et les
délais prescrits par la loi, jurons de faire ce que la nature, le
courage et le désespoir inspirent pour sa propre conservation.
Arrêté à Nantes, dans la salle de l'hôtel de la Bourse, ce 28
janvier 1789.
Si Gambronne ne tint pas la plume pour rédiger cette
vigoureuse protestation écrite dans le style à panache du
temps, il en fu^ du moins un des signataires.
— 20 —
Son nom y figure après celui des commissaires et des
chefs de correspondance, entre celui de Baudichon jeune
et de Bonnement, non loin de celui de Lafont, dont il
resta toujours l'ami (1).
On ne dormit guère cette nuit-là et dès le lendemain
29 janvier, quatre cents jeunes gens, dont Cambronne,
prenaient la route de Rennes. Quand ils y arrivèrent, le
calme s'était quelque peu rétabli dans les esprits, mais ils
profitèrent de leur séjour pour cimenter l'union de la
bourgeoisie des deux villes. Douze jours après, ils ren-
traient à Nantes, chargés de couronnes et de fleurs et
tout fiers de l'œuvre fraternelle à laquelle ils venaient de
prêter leur concours.
Les détails de ce voyage consigné dans un Journal de
Route qui fut condamné depuis par le Parlement de Paris,
excitèrent dans toute la Bretagne un enthousiasme indes-
criptible qui mit en relief la générosité et la bravoure de
la jeunesse nantaise.
Voilà qui n'était pas fait pour détourner Cambronne de
la seule vocation où il trouvait le moyen de satisfaire sa
passion pour le métier des armes. Quelque affectueux qu'il
ait toujours été pour sa mère, il joignait aux qualités du
cœur une grande fermeté, quelque chose de l'obstination,
de l'entêtement breton et toutes les prières furent impuis-
santes à le détourner de la résolution qu'il avait prise : il
serait soldat.
(1) Une plaquette petit in-8° de huit pages, sans nom d'imprimeur,
avec iR "date en touteslettres.de mil sept cent quatre-vingt-neuf,
consacra le souvenir de ces mémorables événements. Elle est devenue
très rare. La bibliothèque publique de Nantes la possède sous le n»
50.387.
Lafont était le grand-père de M. Georges Lafont, architecte à
Nantes.
— 21 —
Fit-il partie, un des premiers, d'une milice de jeunes
volontaires qui fut créée à Nantes ? Montait-il la gardft
pendant la nuit, après avoir travaillé toute la journée chez
un négociant? Se prépara-t-il ainsi, de 1789 à 1792, au
rude apprentissage des armes? C'est possible, c'est même
fort vraisemblable, bien qu'aucun document n'ait été pro-
duit à l'appui de ces assertions et qu'elles ne soient venues
jusqu'à nous que par une sorte de tradition qui n'a pas
rencontré de contradicteur.
Il faut en arriver à la déclaration de guerre faite à la
France par l'Europe coalisée, à l'insolent manifeste du duc
de Brunswick, à l'heure solennelle où l'assemblée législa-
tive fit retentir ces paroles célèbres : « La patrie est en
danger! » pour assister à l'enrôlement de Cambronne en
qualité de grenadier, dans le premier bataillon de Maine-
et-Loire — certains documents disent de la Mayenne,
d'autres de Mayenne et Loire.
C'était le 27 juillet 1792. A partir de ce jour, Cambronne"
ne s'appartient plus, il appartient tout entier à la France,
à l'armée et pendant près de vingt-trois ans, il ne quittera
plus l'uniforme qu'il saura couvrir de gloire.
CHAPITRE IV
CAMBRONNE A LA LÉGION NANTAISE
Et pourtant, malgré cette existence vouée à la patrie,
malgré ces campagnes qui le menaient de l'Ebre au
Danube, des côtes de l'Océan aux montagnes saxonnes,
malgré des états de services qui suffiraient à illustrer plus
d'un officier supérieur, nous ne connaissons pas grand'
chose de la vie militaire de Gambronne. Il avait dû cepen-
dant, au cours des guerres qui le tinrent presque con-
stamment éloigné de Nantes, écrire aussi souvent que
possible à sa mère, la mettre au courant des batailles
auxquelles il prenait part, des incidents multiples de cette
vie mouvementée, des épisodes qui signalaient la prome-
nade des aigles impériales à travers l'Europe. D'Espagne
surtout, où il se battit pendant quatre ans, et plus tard de
l'île d'Elbe oià il n'avait pas grande besogne à faire et
même de la prison d'Ashburton où les Anglais l'enfer-
mèrent après Waterloo, il n'est pas admissible qu'il n'ait
pas correspondu avec ses parents, ses amis de France.
A la mort de M"^* Gambronne mère, il dut retrouver ses
lettres ; à sa mort à lui, sa veuve dut à son tour les garder,
puisque l'inventaire du 14 janvier 1854 fait après son décès
note, parmi les pièces cotées, « les états de service et
u autres papiers relatifs à la personne du général Gam-
» bronne. »
Que sont devenus ces documents et bien d'autres ?*Est-
ce parce-que l'Etat finit par recueillir la belle fortune du
général que les archives familiales de Gambronne ont
disparu de Nantes? Ges papiers précieux à tant d'égards,
— 23 —
sont-ils irrémédiablement détruits? ou sommeillent-ils
dans quelque coin perdu d'archives ignorées oiî les vers
les dévoreront avant qu'une main curieuse ^it venue
troubler leur œuvre de destruction?
Ce sont là des points d'interrogation que nous voulons
pour l'instant nous borner à poser, sans perdre l'espoir
d'arriver à y répondre un jour, tant nous avons déjà
découvert de renseignements inédits depuis que nous nous
sommes mis au travail.
Aussi bien, avant Waterloo, avant son procès devant le
conseil de guerre, Cambronne, d'une modestie exemplaire
comme sa bravoure et son dévouement, s'était-il toujours
volontairement tenu à l'écart. « On connaît peu de détails
sur la vie du général Cambronne », dit la préface d'une
brochure publiée, dès 1816, sur son procès (1). Aussi tout
ce que nous aurons trouvé sur sa vie militaire n'en
acquerra-t-il que plus de prix.
Et tout d'abord, donnons ici ses états de service. M. de
La Nicollière les a publiés pour la première fois, en en
faisant demander la copie au ministère de la guerre en
4886, de la part du général Mellinet, par l'entremise du
général Vanson. Il les aurait trouvés presque aussi com-
plets, dans le dossier de la Statue de Cambronne, joints
à une lettre du général Pelet que nous analyserons à sa
place. Bien que ces deux copies aient été puisées à la
même source, elles comportent pourtant sur certains points
et sur certaines dates des différences que nous indique-
rons.
(1) Procès du général Cambronne, commandant de la Légion d'hon-
neur. Imprimerie de Fain, place de l'Odéon, Paris, 1816. (Brochure
rare, que ne possède pas la Bibliothèque Nationale et que nous avons
découverte à Londres, au British Muséum).
— 24 —
Nous reproduisons les états de service transmis à M. le
général Mellinet. Les variantes sont empruntées à l'exem-
plaire déposé depuis 1844 aux archives de la mairie de
Nantes.
MINISTÈRE DE LA GDERRE ^^. ' ^.
— Vicomte Cambronne (Pierre-
DIRECTION Marie -Etienne), fils de Pierre-
DU / ' ./
Contrôle et de la Comptabilité Charles et de Françoise-Adelaïde
— Druon, né le 26 décembre 1770,
BUREAU •■ 1 .r^ ■ .r^^r. . 1, r
jes marie le 10 mai 1820 a Marie
Archives Administratives Osburn, veuVS SvOOrd.
Grenadier au 1er bataillon de Mayenne et
Loire (1) 27 juillet 1792.
Sergent à la 2* Légion nantaise (2) 17 juin 1793.
Il sauva le 20 juin 1793, à l'affaire de Sa-
lonay, un caisson que les charretiers
avaient abandonné au pouvoir de l'en-
nemi (3)
Sergent-major (4) 1er juillet 1793.
Lieutenant. 10 septembre 1793.
Capitaine de carabiniers à la 2e Légion
des Francs (5) 6 octobre 1794.
Passé à la 46e demi-brigade de ligne (6).. 22 octobre 1796.
Membre de la Légion d'honneur (7) 14 juin 1804.
Chef de bataillon au 88e de ligne (8) 29 août 1805.
(1) Variante. — Grenadier au le"* bataillon de la Mayenne.
(2) Variante. — 17 juillet 1793.
(3) Variante. — Le 20 juin 1793, il sauva un caisson que les char-
retiers avaient abandonné à l'ennemi dans l'affaire de Launay, en
Vendée.
(4) Variante. — Juillet 1793, sans date du jour.
(5) Variante. — Le 15 vendémiaire an III (5 octobre 1794).
(6) Variante. — Le l""" brumaire an V (22 octobre 1796).
(7) Variante. — Légionnaire, le 26 prairial an XII (15 juin 1804).
(8) Variante. — Chef de bataillon au 88« régiment, le 12 fructidor
an XIII (30 août 1805).
— 25 —
OfBcier de la Légion d'honneur 46 janvier 1807.
Dotation de 2.000 francs sur le départe-
ment de Trasimène 19 mars 1808.
Passé au 1er régiment de tirailleurs-chas-
seurs (devenu 1er Je voltigeurs de la
Garde-Impériale) (1) 11 avril 1809.
Baron de l'Empire
Colonel-major du 3e régiment de voltigeurs 6 août 1811 .
Dotation de 4.000 francs sur l'IUyrie ler janvier 1812.
Commandant de la Légion d'honneur (2).. 6 avril 1813.
Passé au 2e régiment de chasseurs à pied. 14 septembre 1813.
Général de brigade-major du 1er régiment
de chasseurs à pied 20 novembre 1813.
Commandant la 2e brigade de la Ire divi-
sion de Vieille-Garde 21 décembre 1813.
Coup de feu à la cuisse à la bataille de
Bar-sur-Aube 27 février 4814.
Coup de mitraille à la cuisse, coup de feu
au bras gauche, coup de feu au côté
gauche, contusion au côté droit, à la ba-
taille de Craonne 6 mars 1814.
Coup de feu à la cuisse droite et contusion
au jarret gauche à la bataille de Paris.. 30 mars 1814.
Major du bataillon Napoléon, à l'île d'Elbe.. 13 avril 1814.
Rentré en France 1er mars 1815.
Grand officier de la Légion d'honneur 1er avril 1815.
Major du 1er régiment de chasseurs à pied
de la garde impériale 13 avril 1815.
Prisonnier de guerre 18 juin 1815.
Compris dans l'ordonnance du 24 juillet 1815.
Rentré de captivité 17 décembre 1815.
(1) Variante — Passé avec son grade dans les chasseurs à pied de
la Garde Impériale le H avril 1809. Placé dans le 1" régiment des
voltigeurs de la Garde.
(2) Variante. — Commandant de la Légion d'honneur (8 avril 1813).
— 26 —
Ecroué à l'Abbaye 19 décembre 181S.
Acquitté par le 1er conseil de guerre de la
Ire division militaire 26 avril 1816.
Mis en liberté et considéré comme réformé
sans traitement 14 mai 1816.
Admis au traitement de non-activité 1er juillet 1818.
Commandant la Ire subdivision (Nord) de
la 16e division militaire 21 avril 1820.
Vicomte 17 août 1822.
Remplacé sur sa demande 2 octobre 1822,
Retraité par ordonnance IS janvier 1823.
Décédé. 29 janvier 1842.
CAMPAGNES
1792-1801 Armées des Ardennes, du Nord, des côtes de
Brestj des côtes de Cherbourg, de l'Ouest,
de Rhin et Moselle, d'Angleterre, du
Danube et du Rhin.
1804-180S Armée des côtes de l'Océan.
1806-1807 Grande Armée.
1808 Armée d'Espagne.
180Ô Armée d'Allemagne.
1810, 1811, 1812 Espagne.
1813 Saxe.
1814 France.
1815 Armée du Nord.
Quelques-uns des documents que nous avons consultés
au ministère de la guerre portent en outre les indications
suivantes des généraux sous les ordres de qui servit
Cambronne, au cours de ces diverses campagnes :
Armée des Ardennes Lafayette et Luckner.
Armée du Nord Dumouriez
Armée des côtes de Brest Canclaux, Léchelle
Armée des côtes de Cherbourg Rossignol, Canclaux, Hoche.
Armée de l'Ouest Hoche.
Armée de Rhin et Moselle Moreau, Augereau.
— 27 —
Armée d'Angleterre Bonaparte.
Armée du Danube Jourdan, Masséna.
Armée du Rhin Masséna, Moreau.
Armée des côtes de l'Océan Soult.
Armée d'Espagne (4810, d8H, 1812) Duc d'Istrie et Comte
d'Orsenne.
Comme on l'a dit avec raison, d'aussi beaux états de
service se passent de tout commentaire. Leur éloquente
concision énumère les nombreux traits de bravoure de
Cambronne qui sut immortaliser son nom au milieu de la
pléiade de généraux illustres des premières années de ce
siècle.
Nous allons maintenant reprendre par le détail les princi-
paux faits que résument les états de service de Cambronne.
C'est le 27 juillet, en qualité de grenadier, qu'il s'engage
dans le premier bataillon de Mayenne-et-Loire (1). De
gros souliers avec une épaisse semelle garnie d'un triple
rang de clous; des guêtres étroites d'étoffe noire, bouton-
nées jusqu'au genou; une culotte de toile blanche; un
habit dont les revers de drap rouge formaient comme une
large tache de sang sur chaque sein et dont les longues
basques battaient sur les mollets ; deux courroies de cuir
jaune se croisant sur la poitrine et soutenant l'une la
giberne sur les reins, l'autre le sabre sur le flanc gauche;
sur le dos, le sac de peau de chèvre du soldat, la moustache
naissante et frisée, les cheveux longs, poudrés et séparés
au sommet de la tête, pendants sur les oreilles et noués
par derrière avec un cordon de soie; pour coiffure, un
bonnet de fourrure au milieu duquel luisait une plaque de
(1) L'Histoire du l^' bataillon des Volontaires de Maine-et-Loire
(1791-1796), par François Grille (Paris, Amyot, 1850, 4 vol. in-S»),
ne mentionne pourtant pas le nom de Cambronne.
— 28 —
cuivre argenté portant le numéro du bataillon ; enfin pour
arme, indépendamment du sabre, un lourd fusil à un seul
tube, au bout duquel s'ajustait la terrible bayonnette, tel
était le costume de Cambronne quand le l»"" août 1792 il
prit congé de sa mère pour rejoindre son corps avec cinq
autres volontaires de Saint-Sébastien.
Quand ils arrivèrent à Angers, leur bataillon était parti.
Ils n'atteignirent Paris que le 13 et y restèrent quinze
jours, avant de se remettre en route pour Verdun, mais
ils n'y pénétrèrent pas et ce n'est que le 15 septembre,
après Dieu sait combien de marches et de contre-marches,
qu'ils finirent par rencontrer à Clermont-en-Argonne les
volontaires angevins encore tout émus de la mort de leur
commandant Beaurepaire.
Le 6 novembre, Cambronne reçoit à Jemmapes le bap-
tême du feu et il assiste, ébloui, à la conquête de la Bel-
gique. C'est à Anvers qu'il se trouvait dans les premiers
jours de 1793, quand la Convention victorieuse licencia,
faute de ressources, ceux de ses défenseurs qui aspiraient
à revoir leur famille. Il regagna Paris, puis Orléans et
c'est dans cette ville, qu'il s'embarqua sur la Loire, à bord
du bateau du marinier Jacques Malivet que ne mit pas moins
d'un grand mois pour le déposersur la cale du Port-Maillard.
Il trouva Nantes en proie à l'agitation la plus vive. La
ville toute dévouée au nouvel ordre de choses avait à
lutter contre la résistance de la noblesse et du clergé qui
entraînaient à leur suite les campagnes fanatisées. D'une
extrême bienveillance même pour ceux dont il ne parta-
geait pas les opinions politiques et religieuses, il avait déjà
l'année précédente, avant son départ pour l'armée, sauvé
les jours de l'abbé Duménil, devenu depuis curé de Ville-
l'Evêque, près d'Angers, en lui donnant un asile chez sa
— 29 —
mère pendant deux mois, et cet acte d'humanité ne sera
pas le seul que nous aurons à enregistrer à l'actif de
Cambronne. Mais il n'en était pas moins foncièrement
attaché à la Révolution et, quand Nantes fut menacé par
l'armée catholique et royale, il fut inscrit comme sergent,
le 17 juin 1793, dans les rangs de cette fameuse Légion
Nantaise, recrutée, jusqu'à concurrence de huit cents
hommes, dans l'élite de la jeunesse et qui s'immortalisa
par sa générosité, sa bravoure et ses exploits.
Trois jours après, Cambronne se distinguait déjà au
village de la Louée, où la mort de Goëslin avait démoralisé
les soldats républicains qui battaient en retraite. Les
charretiers avaient abandonné aux mains des Vendéens
un caisson de munitions qu'il s'agissait de leur reprendre.
Cambronne s'élance à la tête de sa compagnie et parvient,
après avoir égorgé l'escorte ennemie, à ramener le caisson
dans les rangs des bleus étonnés de tant d'audace et de
bonheur (1).
Au mémorable siège de Nantes, la Légion Nantaise se
tenait à la porte de Vannes. Le poste desTrois-Moulins est
emporté par les troupes royalistes et les gardes nationaux
qui le défendaient, se replient sur la ville, écrasés par le
nombre. Le capitaine Touchard, sous les ordres de qui
servait Cambronne, les secourt, les ramène au combat et
refoule les Vendéens, mais sans parvenir à reprendre le
premier poste perdu. Il ne fallut pas moins que la mort
de Cathelineau, tué par un cordonnier de la place Viar-
(1) Les états de service de Cambronne parlent suivant les copies
plus ou moins lisibles qui ont été faites, soit de Salonay, soit de
Launay. Ce sont des inexactitudes manifestes : il n'y a pas eu de
rencontres de ce nom et c'est de La Louée, orthographiée quelquefois
Lalouay, qu'il s'agit.
— 30 —
mes, pour jeter le désordre et la panique parmi les assail-
lants et les contraindre à la retraite. Cambronne, qui
s'était multiplié dans cette journée sans laquelle Nantes et
la République étaient perdus, obtint, pour prix de sa
bravoure, le grade de sergent-major.
Nous le retrouvons, le 20 août, à Paimbœuf où sa com-
pagnie débarque, malgré la fusillade des royalistes qui
reculent devant le courage des légionnaires nantais. On
rapporte que, muni d'un billet de logement, Cambronne
refusa d'en profiter à cause de la misère extrême des
malheureux qui lui devaient place au feu et à la chan-
delle. II abandonna môme à la pauvre famille, aux enfants
affamés son pain de munition et s'en fut dormir dans la
rue, la tête sur son sac, entre deux bornes.
Le 25 août, Cambronne était de retour à Nantes et dès
lors il ne se passa peut-être pas de jour sans qu'il fût
appelé à quelque reconnaissance dans la campagne, à
quelque escarmouche contre les chouans. Charette atta-
qua le 7 septembre le camp des Naudières où Beysser
commandait. La Légion Nantaise contribua vaillamment
à repousser cette attaque. Le camp de La Balinière . fut
à son tour assailli dans la même journée, mais également
défendu par l'invincible Légion. Toujours en tète de sa
compagnie, Cambronne se fit remarquer parmi les plus
méritants et, à cette époque où l'avancement était rapide,
il fut nommé le 8 septembre lieutenant de sa compa-
gnie (1).
(1) Mellinet (Lo Commune et la Milice de Nantes, tome 8. p. 91)
donne le rapport du général Canclaux sur cette double défense. Il se
termine par l'ordre du jour suivant :
« Au nom de la République, le général en chef remercie et félicite
« les généraux, son état-major, les officiiers, sous-officiers, volontaires
— 31 —
Le lendemain soir, 9 septembre, il occupe le château
d'Aux, que M. de Ghataigner cherche à surprendre à la
faveur de la nuit. Mais les royalistes sont repoussés et
quelques-uns d'entre eux faits prisonniers. Pourquoi n'a-
jouterions-nous pas foi à un certificat servi en 1816,
pendant son procès, et d'après lequel Gambronne aurait
à cette date sauvé la vie à deux de ces prisonniers, M.
Yves Ghataigner et un rennais, du nom de Joseph ? Ges
marques de générosité n'étaient pas surprenantes de la
part de notre jeune lieutenant.
Vers le mois de janvier 1794, la Légion nantaise est
détachée en partie au Groisic, Gambronne s'y trouvait.
S'il faut en croire la tradition, les officiers de la Légion
auraient été dénoncés à Fouquet, un des séides de Garrier,
comme coupables d'incivisme pour s'être installés, en
guise de caserne, dans un vieil hôtel dont les tapisseries
portaient encore des fleurs de lys et des médaillons à
l'effigie de Louis XVL Tout au plus, est-il permis de penser
que c'était là un des griefs invoqués par Fouquet, mais il
y en avait certainement d'autres, vrais ou faux, en tous
cas moins ridicules. Fouquet, qui avait le titre d'adjudant-
commandant, vint au Groisic et voulut faire procéder à
l'arrestation des officiers et sous-officiers inculpés, au
nombre de quarante, mais il ne trouva personne parmi
les soldats et moins encore parmi les habitants, pour exé-
cuter ses ordres et il dut quitter honteusement le Groisic,
« et soldats de toute l'armée, de leur brave et généreuse conduite et
« de leurs succès. »
Cette journée dans laquelle les chefs de la basse Vendée virent
échouer tous leurs projets facilita sans doute la marche rapide de
l'armée de Canclaux dans le pays.
— 3^ —
heureux encore de n'avoir pas subi le sort qu'il réservait
à ses adversaires.
Du Croisic à Guérande la distance était trop courte pour
n'être pas souvent franchie par les officiers de la Légion
Nantaise. Une délibération du conseil général de la com-
mune de Guérande du 5 août 4793 ordonne de préparer
des logements à 200 hommes du bataillon de Seine-et-
Oise commandée par Bizet et à plusieurs autres officiers,
au nombre desquels figure Cambronne. Nous ne savons
s'il y vint à cette date, s'il y resta et pendant combien de
temps, mais nous l'y retrouvons le 5 floréal, an II (24
avril 1794) ainsi qu'en témoigne le très curieux procès-
verbal inédit dont nous devons le texte à l'obligeance de
M. Emmanuel de Boceret :
Du 5 Floréal de Van II de la République Française
une et indivisible
Assemblée publique du Conseil municipal de la Commune de
Guérande, tenue en la Maison Commune dudit lieu, où présidait
le Citoyen Retel, premier Officier municipal.
Présent le Citoyen Le Borgne, agent national provisoire.
A l'endroit le Citoyen Moysen, Maire, a dit :
Citoyens^
Ce jour, dans votre absence environ les 3 heures de l'après-
midi, s'est présenté à la Maison Commune le Citoyen Cambrone,
Officier des Grenadiers de la Légion Nantaise en garnison dans
cette Ville, qui outre les insultes qu'il n'a cessé de me' faire, m'a
en outre menacé. J'ai cru devoir, par respect pour la place dont
je suis honoré, rapporter procès-verbal du tout et sur lequel je
vous prie de délibérer.
Signé ; Chies Moysen, maire.
La municipalité, après s'être fait donner lecture, par le Secré-
taire Greffier du procès-verbal rapporté ce jour, par le Citoyen
Moysen, Maire, contre le citoyen Cambrone, Officier des Gre-
— 33 —
nadiers de la Légion Nantaise en garnison dans cette ville, et
après avoir délibéré sur le tout, considérant combien est répré-
hensible et même punissable le Citoyen Cambrone pour la
conduite qu'il a tenue envers le citoyen Maire, autrement le
fonctionnaire publie serait sans sûreté à son poste et ne pourrait
remplir avec toute la tranquillité qui convient à son caractère,
les pénibles mais honorables fonctions dont il est chargé.
Ouï l'agent national provisoire, déclare louer et approuver la
conduite du Citoyen Maire dans le refus qu'il a fait de mettre
de suite en arrestation la citoyenne Dory, parce que seul il ne
le pouvait pas sans consulter et avoir l'avis de la majorité des
membres qui lui sont associés.
Et attendu que la citoyenne Dory a été trouvée sans cocarde,
la condamne à garder la prison pendant huit jours conformément
à la loi du 21 septembre 4793.
Arrête en outre que le procès-verbal susdit restera déposé
au Greffe de cette Commune, qu'expédition de celui-ci, ainsi
qu'une du présent seront envoyées au citoyen Normand, Com-
mandant de la dite Légion, qui est requis par le présent d'ap-
pliquer ou de faire appliquer par qui de droit contre le dit
Cambrone, la peine que la loi prononce en pareil cas.
Signé: Belliotte le jeune, Noize, Le Dorguet agent, Gautier,
Gagouart et Retcl.
Ce qui s'était passé se devine sans peine. Gambronne
avait rencontré dans les rues la citoyenne Dory, fille du
fournisseur des étapes, sans cocarde et, par suite, en
contravention avec la loi du 21 septembre 1793 (1). Peut-
(1) Ces prescriptions n'étaient pas moins strictement appliquées à
Nantes. Témoin cet avis, du 8 pluviôse an IV, de l'administration
municipale de Nantes à ses concitoyens :
« Citoyens,
» Vos administrateurs s'apperçoi vent avec douleur que plusieurs
personnes, et particulièrement les femmes, négligent de porter la
cocarde tricolore, ce-signe de ralliement des Républicains français.
» Plusieurs lois font une obligation formelle à tous les citoyens de
3
— 34 —
être avait-il eu à se plaindre pour ses hommes de quelque»
distributions insuffisantes ou de mauvaise qualité.
Toujours est-il qu'il fit des observations au maire en l'in-
vitant à faire arrêter séance tenante la coupable. Et
comme le maire n'allait pas assez vite au gré de ses désirs,
il l'injuria et le menaça.
De là réunion du Conseil, qui demande la punition de
Cambronne, ce qui ne l'empêche pas, en attendant, d'infli-
ger huit jours de prison à la citoyenne Dory. Le 8 floréal,
c'est-à-dire trois jours après, toute cette grande colère
s'était apaisée, soit par peur des soldats, soit par bonté
d'âme ; et un nouveau procès-verbal, curieux aussi dans
le libellé de ses motifs, venait annuler le premier.
Voici ce document :
La Municipalité,
« Considérant que le citoyen Cambronne est un franc et loyal'
républicain,
» Que sa bravoure est connue par tous ses compagnons d'ar-
mes qui, en difTérentes occasions, ont été témoins do sa valeur
et de la haine implacable qu'il porte aux tyrans ;
» Considérant que si ledit Cambronne s'est écarté du respect
que tout citoyen doit aux représentants du peuple, ce n'est qu'un
oubli involontaire auquel l'a porté sa tête éprise par le vin.
» Qu'un pareil oubli, quand il n'a pas pour principe la méchan-
ceté appuyée de l'incivisme, doit être repris, sans doute, mais
l'un et l'autre sexe de s'en décorer et prontDncent des peines contre
ceux qui paroissent en public sans l'avoir.
» Celle du 21 septembre 1793 (vieux style) enjoint positivement aux
femmes de la porter ; elle punit cMles qui ne le font pas, la première
fois de huit jours de prison, et en cas de récidive, elles sont réputées,
suspectes. Quant à celles qui arracheraient à l'autre ou profaneraient
la cocarde nationale, elles seront punies de six ans de réclusion ».
Suivait l'injonction d'avoir à porter la cocarde nationale, avec les
signatures de Beaufranchet, liaudaudinf» Lecadre, Fourny, Couprie,.
Ogier et Dorvo,
— 35 —
que l'auteur ne doit pas subir la peine que mériterait celui qui
serait dans le cas contraire ;
» Ouï l'agent national provisoire ;
» Arrête que le citoyen Normand, commandant la Légion
Nantaise, en garnison dans cette ville, sera invité à vouloir
bien, sur les procès-verbaux et l'arrêté de cette municipalité qui
lui ont été envoyés, ne faire punir le dit Cambronne que par la
police de son corps.
Cambronne dut être modérément puni, si même il le
fut. D'après la tradition, Cambronne et ses soldats rem-
plissaient Guérande de tumulte et faisaient mille dégâts
aux alentours. On trouve trace de ces incartades dans
quelques délibérations des pouvoirs publics, une fois entre
autres, où le sentiment général leur reprochait de taillader
à coups de sabre les jeunes arbres des promenades, de
tirer à la cible dans les branches et les troncs et de dété-
riorer les marais salants, en y allant à la pêche. Il fut
même question de la profanation d'un christ, mais rien
n'établit une part quelconque prise par Cambronne dans
ces faits et il n'est pas désigné nommément dans les déli-
bérations relatives aux dégâts commis sur les promenades
et dans les marais salants.
Cambronne séjourna aussi quelque temps à la Roche-
Bernard, où il fut logé par réquisition chez une dame de
Boceret, qui n'avait pas émigré. M. Emmanuel de Boceret,
neveu de cette dame, duquel nous tenons ces détails, a
entendu dire dans sa famille que Cambronne s'était battu
en duel en pleine rue, à côté de l'hôtel-de-ville de La
Roche-Bernard, il est vrai qu'il était trois heures du
matin. Blessé au bras, Cambronne alla se coucher, sans
souffler mot, mais le lendemain, son lit ensanglanté le
trahit. Toutefois, il ne voulut fournir aucun renseigne-
ment et aux questions qui lui furent faites par M"^* de
— 36 — ^
Boceret, qu'il estimait beaucoup malgré l'antagonisme de
leurs idées, il répondait seulement: — Ce n'est rien,
Madame, ce n'est rien.
Peut-être ne s'agissait-il même pas d'un duel, mais d'une
simple rixe, dont nous avons trouvé le récit dans un
volume devenu fort rare aujourd'hui, Souvenirs et Anec-
dotes sur la Révolution française ou plutôt contre elle,
publiés par M. G. Audiger , d'un style ampoulé et
médiocre (1). Voici ce récit qui figure à la page 54 de la
seconde édition et que nous reproduisons sans en garantir
l'authenticité et sans en approuver l'esprit :
La Ville de La Roche-Bernard avait aussi sa société populaire
et, un jour que celle-ci tenait sa séance, et qu'un de ses naembres
était à la tribune, prononçant un discours qui sentait furieuse-
ment le gibet, le capitaine Cambrone, aujourd'hui maréchal de
camp et qui commandait alors la Légion Nantaise, se présenta
au club avec plusieurs de ses amis, tous jeunes officiers qui
s'égayèrent hautement aux dépens des clubistes et surtout de
l'orateur qui occupait la chaire aux harangues.
La gent sans-culottide ne s'amusa pas de leurs plaisanteries
et les invita très-grossièrement à quitter la séance; Cambrone
dissimula son mécontentement et dédaigna de corriger l'insolence
de ces frères et amis et sans imaginer qu'il fut possible de
jamais manquer d'égards envers des gens aussi incivils, il va
d'un pas assuré allumer sa pipe au flambeau qui éclairait le pré-
sident, vrai président à mortier, car c'était un maître maçon qui,
choqué d'une familiarité qui semble insulter à sa dignité, se
plaint amèrement de la licence que prend le Capitaine. Celui-ci
(1) La couverture porte ces mots : A Paris, chez les principaux
libraires, 1832.
On lit sur la première pap:e : Paris, Audin, quai des Augustins,
Delaunay et Levavasseur, Palais-Royal, 1831. Imprimerie de Guiraudet,
rue Saint-Honoré, 313. C'est un in-16.
37 —
qui faisait profession de mépriser très souverainement les
Jacobins, ne voulut même pas s'excuser et, au lieu d'opposer
quelque raisonnement aux invectives du président sans-culotte,
en vrai militaire, Cambrone lui appliqua sur la figure la plus
énergique paire de soufflets qu'on ait jamais reçus. Le président
quoiqu'étourdi de la colaphisation républicaine du Capitaine, cria;
Assassin et tout le tripot patriotique est en émoi. On entoure
le chef des bonnets rouges qui, armé de son étourdissante
clochette, sonne à tour de bras son appel au peuple.
On charge l'ennemi, et alors chaises et bancs sont lancés
sur lui, flamberge au vent nos jeunes gens d'estoc et de taille
se défendent courageusement, évitent en partie l'atteinte du
mobilier de la société populaire dont les sociétaires clopin
dopant, prennent bravement au large en battant en retraite par
les fenêtres, et laissant Cambrone et ses amis maîtres du champ
de bataille.
Le lendemain le Comité Révolutionnaire s'assembla et tandis
qu'il délibérait sérieusement sur les soufflets dont le président
Jacobin avait été gratifié, la Légion Nantaise battait aux champs
et les officiers fauteurs du délit riaient de l'aventure.
L'affaire n'eut pas d'autre suite que celle qu'éprouva certain
gascon qui racontant à quelqu'un qu'on lui avait donné un soufflet,
répondit à celui qui lui demandait si l'affaire avait eu des suites :
— Oui sans doute elle en eut car ma joue fut très-enflée.
Gomme tous les corps d'élite, qui ne se recrutaient que
dans une classe spéciale de citoyens, la Légion Nantaise
fraternisait peu avec les troupes de la République. Le
général Hoche comprit que le seul remède à un pareil
état de choses, c'était l'embrigadement de l'armée, autre-
ment dit la fusion des bataillons de ligne dans les batail-
lons de volontaires : de là la création d'un nouveau corps
sous le nom de deuxième Légion des Francs. Cambronne
y fut nommé le 6 octobre 1794, capitaine de la compagnie
— 38 —
des carabiniers. C'est à ce titre que nous le retrouvons
l'année suivante à Ghâteaubriant où ils se trouva mêlé à
l'incident que voici. Le 48 floréal an III (7 mai 1795),
un sieur Jacques Aulnette, maréchal-taillandier, demeu-
rant faubourg de la Barre, à Ghâteaubriant, monta sur la
tour du four à l'aide d'un grappin et y encloua trois
canons,
Cambronne qui l'avait surpris, vint avec la garde et le
fit arrêter. Le surlendemain 20 floréal, il fut cité comme
témoin et voici sa déclaration :
Pierre (1) Cambronne, capitaine au premier Bon d'Infanterie
légère, en garnison à Ghâteaubriant, âgé d'environ vingt-cinq ans,
a dit n'être parent, alié, serviteur ni domestique de ceux dont il
vat parler.
Déclare que le dix-huit de ce mois environ les deux heures de
l'après-midi il alla avec la garde à la tour du four. Ayant regardé
à travers la porte il apperçut un particulier à lui inconnu qui
étoit monté sur une pièce de canon, que quand la porte fut
ouverte la garde se saisit de ce particulier et le conduisit au
corps-de-garde, que le déclarant remarqua que les trois canons
qui étoient sur la tour du four avoient été encloiiés. Et n'a autre
connoissance.
A signé la ditte déclaration après lecture.
CAMBRONNE
Gapne
L'enquête démontra qu'Aulnette ne jouissait pas de ses
facultés mentales.
Cambronne, appelé par ses chefs là où sa présence
semble nécessaire, se distingue dans tous les combats
qui se livrent en Bretagne , spécialement à Quiberon.
^1) C'était donc bien, parmi les prénoms de Cambronne, celui de
Pierre qu'il préférait, comme nous l'indiquions plus haut.
— 39 --
Nous n'avons pas à refaire ici l'histoire de la descente
des armées royales sous le commandement de Puisaye
et de Sombreuil. Cambronne fit son devoir, mais, une
fois la lutte terminée, il s'efforça de rendre aux pri-
sonniers le plus de services qu'il put. Quelques-uns
l'ont attesté depuis (1). C'est ainsi qu'il protégea
M. Rado-Dumatz, capitaine des grenadiers, qu'il avait
eu comme camarade aux Oratoriens , et quelques-uns
de ses compagnons d'armes. Il leur procura même les
moyens de s'évader du fort Penthièvre et s'occupa encore
d'eux quand^ repris par un corps d'observation, ils eurent
été transférés aux prisons d'Auray. Il leur venait en aide
de sa bourse. Il s'efforça d'en faire autant pour M. Pavon
de Faymoreau, officier au régiment de Rohan-Soubise,
qu'il ne dépendit pas de lui de soustraire à la mort.
Désormais, Cambronne ne connaîtra plus, comme sol-
dat, les tristesses de la guerre civile dont il cherchait à
atténuer les horreurs. C'est contre les ennemis de la
France qu'il se battra, et contre eux seulement, avec une
bravoure qui n'a jamais subi un moment d'hésitation ou
de faiblesse.
C'est le 16 décembre 1796 que le général Hoche quitta
le port de Brest pour l'expédition d'Irlande. La deuxième
Légion des Francs, où Cambronne était capitaine de cara-
biniers depuis le 15 vendémiaire an III, faisait partie de
(i) Ces faits ne sont cennus que par des certificats produits en 1816
dans le procès intenté à Cambronne. C'est à cette date seulement qu'il
songea, pour sa défense, et sans dolite sur les conseils de son illustre
avocat, à se faire délivrer des attestations qui, eu égard au long
temps écoulé depuis les événements qu'elles affirment, manquent à
coup sûr de précision dans les dates et dans les détails. Elles n'en
sont pas moins l'expression de lu vérité et à ce titre, nous les avons
notées ici.
— 40 —
l'expédition. La flotille française comprenait quinze vais-
seaux de haut bord, vingt frégates, six gabarres, cinquante
bâtiments de transport, que montaient vingt-deux mille
hommes. Que fût-il advenu de l'Angleterre, le seul pays
où les armées de la Révolution et de l'Empire n'aient
jamais réussi à pénétrer, si une violente tempête n'eût, le
soir même, dispersé notre escadre ? Un vaisseau sombra ;
un autre, après une défense héroïque, fut pris par l'en-
nemi, et c'est miracle si le reste de la flotte put regagner
les côtes de la France.
Le général Bigarré, dans ses piquants Mémoires, a
donné d'intéressants détails sur cette tentative. Il y
parle de la Légion des Francs et s'il ne nomme pas
Cambronne, nul doute que ces deux vaillants Bretons se
soient plus d'une fois rencontrés à ce moment-là, comme
depuis.
Pour témoigner à Hoche sa reconnaissance et lui prou-
ver que l'insuccès de l'expédition d'Irlande n'avait diminué
la confiance de personne dans son dévouement et son
courage, le Directoire l'appela au commandement de l'ar-
mée de Sambre-et-Meuse. La plupart des troupes qui
avaient formé sous ses ordres l'armée des côtes d'Angle-
terre, le suivirent sur les bords du Rhin. C'est ainsi que le
1" brumaire an V (22 octobre 1796) Cambronne fut nom-
mé capitaine à la 46» demi-brigade.
CHAPITRE V
DE ZURICH A HOHENLINDEN
Sous la première République , trois corps qui n'ont
rien de commun entre eux portèrent successivement le
numéro 46.
C'était d'abord le 46« de ligne, ancien régiment de Bre-
tagne, dans lequel débuta Desaix. Les bataillons de ce
régiment se fondirent, après la campagne d'Alsace, en
1793, avec des bataillons de volontaires pour former la
91^ et la 92^ demi-brigade de bataille.
En second lieu, ce fut la 46« demi-brigade de bataille,
formée en 1794 (le 3 ventôse an II) à l'armée 4'Italie,
qu'elle quitta en 1796, après Montenotte, pour être versée
dans la 39^ demi-brigade de ligne.
Ce fut enfin la 46« demi-brigade de ligne, celle de
La Tour d'Auvergne et de Cambronne, qui se forma en
l'an V en Bretagne avec les anciennes. 17» et 107« de
bataille, le 2*^ bataillon du 9® de ligne (ci-devant Nor-
mandie) et les deux bataillons du 39^ de ligne (ci-devant
Ile-de-France). Cette brigade n'avait pas trois mois d'exis-
tence que les bommes furent versés en totalité dans
l'artillerie de la marine à Brest. C'est là que le corps fut
reconstitué avec les cadres qu'il avait conservés et la
Légion des Francs, où Cambronne était capitaine de cara-
biniers, et qui elle-même se composait de détachements
de vingt hommes tirés de chacun des corps de l'armée de
l'Ouest.
— 42 —
Cambronne, en se rendant à son nouveau poste, s'arrêta
quelques jours à Nantes, où il embrassa sa mère, puis il
se mit en route pour Cologne où se tenait alors le quartier
général de Hoche. C'est là qu'il prit pour la première fois
le commandement d'une des compagnies du bataillon des
grenadiers de la 46« demi-brigade d'infanterie de ligne,
où il devait s'illustrer pendant près de neuf années. La
campagne fut tout d'abord de courte durée. Le sanglant
combat de Neuwied, l'entrée de l'armée de Sambre-et-
Meuse à Francfort, étaient les préliminaires de succès
plus éclatants encore que vint interrompre le traité de
Leoben.
La paix n'était, à cette époque, qu'une trêve armée.
Quand Bonaparte, songeant à une nouvelle invasion de
l'Angleterre, mit en mouvement vers la Manche les troupes
disséminées sur les bords du Rhin, ce n'était plus Hoche
qui les commandait. Le vaillant général était mort le
18 septembre 1797, au camp de Wetzlar, trop tôt, hélas !
pour la France, pour l'armée et pour la République. C'est
Augereau qui lui avait succédé, mais sans le remplacer.
L'armée d'Allemagne, divisée en plusieurs corps, se
répartit en diverses garnisons. C'est la petite ville de
Bruges qui reçut les grenadiers de la 46^ demi-brigade
jusqu'au printemps de l'année suivante. Un jour, le 19 mai
1798, le commandant de Bruges, Keller, les rassemble, il
s'agit de se porter en toute hâte au secours d'Ostende dont
le général anglais Coote menace la faible, mais héroïque
garnison. Les grenadiers de la 46« marchent pendant
toute la nuit, leur troupe se grossit chemin faisant et le
lendemain ces braves tombent sur les Anglais retranchés
dans les dunes, en tuent plus de deux cents et font les
autres prisonniers.
— 43 —
Augereau^ en disgrâce aupi'ès du Directoire, ne com-
mandait déjà plus, l'armée de Sambre-et-Meuse qui se
partagea, sous de nouvelles dénominations, entre trois
autres généraux, Jourdan (armée du Danube), Bernadotte
(armée du Rhin), et Masséna (armée d'Helvétie). Après
avoir t-mu garnison successivement à Anvers, à Giessen,
à Strasbourg, à Mayence, la A6'^ demi-brigade fut placée
à l'armée du Danube (division Ferino).
Toujours capitaine de sa compagnie, Cambronne passa,
vers la fin de 1798, de Flandre en Suisse, d'abord dans la
division du centre aux ordres du général Mesnard, puis
après la retraite de Jourdan, vaincu à Stokach, une fois
l'armée d'Helvétie fondue dans celle du Danube, dans la
sixième division, toujours aux ordres du même général.
On sait combien fut longue et pénible la campagne
d'Helvétie. Que celui qui veut s'en rendre compte, feuil-
lette les rapports de Masséna, publiés au Moniteur Uni-
versel, efdont la concision toute militaire constitue une
des plus belles pages de nos annales. H n'est pas une af-
faire importante où Cambronne ne se soit signalé par son
intrépidité et son sang-froid dans la bataille.
Souwarofï avait concentré ses principales forces dans
Zurich, d'où Masséna avait résolu de le débusquer. Le 25
-septembre 1799 , la division du général Lorge et une
partie de celle du général Mesnard avaient, de grand ma-
tin, traversé la Limmath sur un pont de bateaux. Les
grenadiers de la 46^ demi-brigade marchaient en tète de
cette seconde division qui s'était emparée du petit camp
de Hong et des hauteurs d'où l'on domine la ville de
Zurich sur la grande route de Winterthur.
Dès l'aurore, l'action commençait avec d'autant plus
d'acharnement que les Russes n'avaient pas d'autre che-
— 44 ~
min pour sortir de Zurich. Korsakoff se défend avec une
rare opiniâtreté, mais ses troupes, coupées en deux tron-
çons par les brigades Lorges et Mesnard, sont culbutées
et forcées de rentrer dans la ville.
Nos grenadiers les y suivent et... Mais laissons ici la
parole au général Masséna lui-même dans le rapport qu'il
adressa au Directoire exécutif, comme commandant en chef
de l'armée du Danube, sur les opérations de cette armée du
3 au 18 vendémiaire an VIII :
« ... Je fis de suite, dit-il, resserrer la place de Zurich;
» l'ennemi s'y défendait encore pour protéger sa sortie
» par la porte de Rapperschwill qu'il tenait et par laquelle
» il espérait encore retirer ses troupes et ses équipages ;
» mais le général Oudinot, qui déjà s'était emparé du
» faubourg de Zurich, marchait sur le corps de la place
» avec la 37®, un bataillon de la 46«, la Légion Helvéti-
» que, un escadron du 9'^ hussards et une compagnie
» d'artillerie légère. Le chef de brigade Lacroix, à la
» tête de la colonne, enfonce à coups de canon la porte
» de Baden, égorge tout le poste russe qui la défendait et
» entre dans la ville, faisant un carnage horrible de tout
» ce qui entreprenait de se défendre. » (1)
Voilà pour la prise de Zurich, mais les exploits de la
46* demi-brigade ne s'en tinrent pas là et nous emprun-
tons au même rapport de Masséna, dans les pages sui-
vantes, les détails suivants sur le combat de Paradis :
« Le 14 vendémiaire, le général Molitor se replia sans
» pouvoir être entamé sur les points de Mollis et de
» JNœfels où, soutenu très à propos par la division Gazan
» qui arrivait à peine, il s'était maintenu et avait conservé
n) Moniteur Universel, du H brumaire an VIII, p. lo7-lo9.
— 45 —
» le pont de Nœfels, six fois pris par les Russes et autant
». de fois repris par nos troupes, ce qui nous laissait
» maîtres des deux rives de la Linth.
» .. Je dirigeai sur Stein etDissenhofen la division Lorge,
» sur Paradis et la tête du pont de Bussingen le général
» Mesnard et sur Wintherthur et Audelfingen la réserve
» de grenadiers ; je me rendis moi-même avec mon chef
» d'état-major à Frauenfeld et de là à Audelfingen.
» Le 15, dès la pointe du jour, les divisions firent leur
» dernière marche pour se porter sur le point d'attaque.
» Celles de Gazan et de Lorge avaient, pour arriver à
» leur destination, beaucoup plus de chemin à faire que
» celle de Mesnard ; et quoique, à cause de cette différence,
» la division Mesnard fût partie plus tard, elle n'eût pas
» plutôt commencé son mouvement sur Paradis qu'elle
» trouva Korsakow, marchant à sa rencontre avec un
» corps de 12000 Russes ou Bavarois. L'engagement fut
» très vif, mais la supériorité du nombre des ennemis
» arrêtait déjà notre mouvement, lorsque la réserve des
» grenadiers arrivant, le combat changea bientôt de face.
» L'ennemi fut attaqué avec la plus grande vigueur, le
» champ de bataille fut bientôt jonché de morts et les
» bavaro-russes ne trouvèrent leur salut que dans une
)i fuite précipitée et en se jetant en désordre dans la tête
» de Bussingen ».
Cambronne n'est pas désigné dans ce rapport, mais le
général Masséna n'y a pas nommé beaucoup de scg
subordonnés. « Tous, écrit-il, généraux, officiers, soldats,
» ont parfaitement rempli leur devoir, je regrette de ne
» pouvoir les nommer individuellement. » (1)
(1) Moniteur Universel du 15 brumaire an VIII, p. 173.
— 46 —
Toutefois les états de service de Cambronne relatent
par une note spéciale, son rôle dans cette chaude journée.
Voici cette note :
« A la prise de Zurich, le capitaine Cambronne enleva à
» la bayonnette avec.sa compagnie deux pièces de canon
» qui faisaient feu dans la ville, sous une fausse porte,
» contre le bataillon dont il faisait partie. Il prit sur lui
» cette manœuvre qu'il exécuta avec une telle vivacité
» qu'il empêcha les canonniers de faire une seconde
» décharge. »
Faut-il ajouter quelques détails à ces lignes trop
concises ? On se fusillait, on se canonnait presque à bout
portant. Plusieurs pièces russes, favorablement placées,
mitraillaient les assaillants. Cambronne comprend aus-
sitôt que ces canons peuvent décider du succès.
— Grenadiers, s'écrie-t-il, c'est là qu'il faut frapper. En
avant et à la baïonnette I
Il s'élance le premier sur les pièces. Une volée de mi-
traille renverse les hommes qui l'entourent, mais ceux
qui restent debout, redoublent d'ardeur. Ils arrivent enfuj
et tuent les canonniers russes sur leurs pièces. Cambronne
fait alors tourner ces pièces contre l'ennemi. Après une
résistance acharnée des Russes qui essaient de les
reprendre, les grenadiers chargent de nouveau à la baïon-
nette, mettent l'ennemi en déroute et lui font douze cents
prisonniers. Il n'en fallait pas moins pour achever la
défaite de Korsakoff. Elle était d'ailleurs complète.
Huit mille hommes tués ou blessés, cinq mille prison-
nierSj une partie de la cavalerie, les bagages, cent pièces
de canon enlevées, quinze drapeaux, le trésor, la chancel-
lerie, la chapelle même de l'armée russe, tombés entre
nos mains, voilà quel était le bilan de la journée du 2ft
— 47 —
septembre 1799 qui devait sauver la France républicaine
de l'invasion moscovite.
Restait pourtant Souwaroff qui arrivait d'Italie, la rage
au cœur et impatient de venger la défaite de son lieute-
nant, Souwarotr, l'invincible qui cherche à tout prix à se
frayer un passage vers le Rhin. II a devant lui le général
Molitor, mais, malgré toute la bravoure des Français,
comment avec trois bataillons seulement, résister à une
armée de douze mille Russes? On a vu comment, au
combat de Paradis, nos troupes vinrent à bout de la supé-
riorité numérique de l'ennemi.
Tant de valeur méritait bien une récompense. Masséna
la donna à la 46'' demi-brigade sous la forme d'un ordre
du jour spécial où il la félicitait de s'être distinguée à
l'affaire du 15 vendémiaire an VIII (7 octobre 1799) et
d'avoir pris aux Russes cinq drapeaux et deux pièces de
canon :
Braves soldats,
Quelle part brillante n'avcz-vous pas eue dans les mémorables
événements qui viennent de se passer! Partout l'ennemi vous a
vus lui présentant un front inexpugnable ou l'enfonçant avec une
ardeur sans exemple, partout vous avez semé au milieu de lui la
niort et l'épouvante! Qui oubliera surtout que, sur le Rtiin, vous
avez hâté sa défaite en enlevant son artillerie et ses drapeaux!
Quel exemple de bravoure et de dévoùment vous avez donné tout
à la fois ! Vous avez confirmé cette grande vérité que rien n'est
au-dessus du courage des soldats républicains. Que l'idée de
votre conduite brillante vive au milieu de vous 1 elle entretiendra
cet enthousiasme généreux qui forme les héros !
Soldats de la 46e demi-brigade, toute l'armée a fait son devoir,
mais j'ai remarqué encore que vous aviez parfaitement rempli le
vôtre,
Masséna.
Cambronne pouvait prendre sa grande part de ces
éloges, le souvenir de sa conduite à Paradis était resté
dans la mémoire de ses supérieurs et dix-sept ans plus
tard en prononçant pour lui devant le conseil de guerre
une de ses plus belles plaidoiries, Berryer pouvait évoquer,
à juste titre, la journée du 7 octobre 1799 comme une de
celles où Cambronne s'était le plus héroïquement comporté,
à côté de Zurich, d'Iéna et de Waterloo, personne ne se
fut levé pour le contredire.
« Toutes les fois, s'écriait-il, qu'une ardeur française
« vous emporta au fort du péril, au foyer des combats,
« vous avez rencontré, vous avez admiré le général
« Cambronne. Soit que, dans les rues de Zurich, à la tète
« d'une seule compagnie de grenadiers, il emporte à
« l'ennemi plusieurs pièces de canon et douze cents pri-
« sonniers; soit qu'à Paradis, avec quatre-vingts hommes,
« il parvienne à culbuter trois mille Russes, partout
« éclatent à la fois et sa bravoure et sa volonté ferme de
« remplir les ordres de ses chefs. »
Qui donc aurait pu contester d'aussi glorieux sou-
venirs ?
Pendant la campagne de 1800, la 46« demi-brigade fit
partie de l'armée du Danube sous les ordres du général
Moreau et fut placée au corps de réserve que commandait
le général en chef en personne (division Delmas). Cam-
bronne y commandait la 3« compagnie de grenadiers,
c'est-à-dire les grenadiers du 3^ bataillon. C'est à Bâle
que la demi-brigade passa le Rhin le 25 avril, pour prendre
le 3 mai une part glorieuse à la bataille d'Engen. A la
tète de ses hommes, Cambronne est de ceux qui enlèvent
à la baïonnette les bois et le pic de Hohenhewen défendus
par huit bataillons autrichiens, qu'il précipite dans la
— 49 —
vallée. Deux jours après, nous le retrouvons à la bataille
de Mœskirch où, en prenant position entre les divisions
Delmas et Lorges, la 46® demi-brigade repousse les
attaques tentées par l'ennemi pour couper ces deux divi-
sions.
Pendant les opérations autour d'Ulm, elle assiste avec le
corps de réserve à la fin de la bataille d'Hochstedt et
tandis que le l«r bataillon poursuit l'ennemi et s'empare
de Donauwerth le 23 juin et du château de Wurbourg le
24, les deux autres bataillons poussent jusqu'à Nordlingen.
Nous la retrouvons tout entière le 27 juin à Neubourg où
la brigade Montrichard accablée par des forces supérieures,
risquait d'être anéantie. La 46", conduite par le capitaine
du génie Rogniat, accourt au pas de course de Rhain et
arrive sur le champ de bataille à la tombée de la nuit.
-Des masses de ulhans la chargent aussitôt avec rage, elle
les reçoit, sans tirer un coup de fusil, sur le fer de ses
baïonnettes. Ce fut, une fois la nuit complète, une terrible
mêlée à l'arme blanche où l'on ne se connaissait plus que
de près, à l'uniforme qu'on portait, à la langue qu'on
parlait. A dix heures, la bataille continuait encore. Enfin
les Autrichiens cédèrent les premiers et nous laissèrent
maîtres du terrain. Mais à quel prix? La Tour d'Auvergne,
le premier grenadier de France, avait été mortellement
atteint d'un coup de lance au cœur et le chef de brigade
Forty fut retrouvé percé de vingt-cinq coups de sabre. Ce
combat fut le dernier de la campagne d'été sur le Danube,
auquel prit part la 46® demi-brigade.
On s'est demandé s'il était vrai qu'après avoir élevé à la
La Tour d'Auvergne un monument laissé sous la sauve-
garde des braves de tous les pays, l'armée eût proclamé
pour son successeur dans le beau titre de « premier
A
— 50 —
grenadier de France » le capitaine Cambronne, son compa-
triote et son ami. Cambronne s'en est toujours défendu.
Lorsque vers la fin de sa vie, le docteur Priou lui donna
lecture d'une biographie encore manuscrite de La Tour
d'Auvergne où il faisait allusion au titre dont il avait ainsi
hérité, Cambronne l'interrompit : — Mon cher monsieur,
lui dit-il, cela n'est pas exact, et je désire que ce passage
soit supprimé de votre écrit.
Cette attitude était conforme à celle qu'il avait eue
suivant certains de ses biographes (1), au moment même
où ses compagnons d'armes lui offraient la succession de
La Tour d'Auvergne.
— Mes amis, souffrez que je refuse cet honneur que je
ne crois pas avoir suffisamment mérité. Il n'en est pas un
parmi vous qui n'en ait fait autant que moi; marchons
donc ensemble sur les traces du brave qui vient d'expirer
et laissons-lui la gloire de n'avoir pas trouvé de succes-
geur.
Etait-ce pure modestie? Cambronne en était assurément
capable. Mais voici qui constitue un argument plus
sérieux :
Quand, après sa mort, il fut question de lui élever une
statue à Nantes, on se préoccupa des inscriptions qui
figureraient sur le piédestal et l'on songea à y graver ces
mots: Premier Grenadier de France. Mais, en présence
des opinions diverses qui circulaient sur ce point, le maire
de Nantes s'adressa, pour en avoir le cœur net, au minis-
tère de la guerre.
Des recherches minutieuses furent faites alors, sans
(1) Histoire du général Cambronne. Paris, chez les marchands de
nouveautés, 1846.
— 51 —
rien prorluire qui pût donner quelque fondement à l'as-
sertion des biographes. Cette circonstance si importante
n'est pas mentionnée aux états de service du général
€ambronne et pourtant il est hors de doute que, s'il eût
^té salué d'un titre aussi honorable^ on eût trouvé une
inscription quelconque sur le registre des officiers de la
46® demi-brigade.
D'ailleurs l'ordre du jour de l'armée du 12 messidor an
VIII (l^"" juillet 1800) annonçant la mort glorieuse de
La Tour d'Auvergne, porte qu'il ne sera pas remplacé dans
la compagnie dont il avait fait choix et qu'elle n'aura plus
que 82 hommes au lieu de 83. Et de fait, La Tour d'Au-
vergne continua à être compris comme grenadier à la
2" compagnie dont il faisait partie, tandis queCambronne,
comme nous l'avons dit plus haut, comptait à la 3°.
Les hostilités ne reprirent que vers la fin de novembre.
La 46® demi-brigade, toujours attachée à la m^me divi-
sion, sous les ordres du général Grandjean, se porta sur
Wasserbourg et assista le l^r décembre au combat
d'Ampfing, puis le lendemain elle prit position dans la
petite plaine de Hohenlinden, à droite du village de ce
nom et de la route. C'est là que, vingt-quatre heures plus
tard, devait se livrer la grande bataille où s'illustra le
général Moreau,
Qui depuis... Rome alors estimait ses vertus.
Derrière la droite de la lOS® qui était déployée en pre-
mière ligne, la 46<' se forma en colonne serrée et quand
le premier choc se fut produit entre la 108e et le jeune
archiduc Jean qui avait donné l'ordre à huit bataillons
hongrois de filer sous bois et de chercher à tourner la
droite de cette demi-brigade, la 46^ accourut, engagea.
— 52 —
au milieu des sapins une lutte corps à corps avec les
hongrois et "demeura victorieuse. Au même instant, le
mouvement du général Richepanse commençait à se faire
sentir dans l'intérieur de la forêt, la 46« se porta alors en
avant, poursuivit l'ennemi la baïonnette dans les reins et
lui fit de nombreux prisonniers.
Après cette mémorable victoire, Moreau passant suc-
cessivement les divers affluents du Danube, arriva jus-
qu'aux portes de Vienne comme pour y arracher à l'in-
fortuné François II, la promesse de la paix qui se signait
bientôt à Thionville.
La 46« demi-brigade fut alors dirigée sur Spire et de là
sur Dunkerque où elle arriva le 28 mai 1801. Après
quelques mois d'exercices et de manœuvres, des détache-
ments, parmi lesquels celui que commandait Gambronne,
furent embarqués à bord de la flotillé et eurent le 17 août
notamment quelques engagements avec les Anglais qui,
mécontents, se décidèrent le 25 mars 1802 à signer le
traité d'Amiens, le plus beau que la France ait jamais
obtenu.
Mais la paix, à cette époque, n'était jamais de bien lon-
gue durée. Quand la guerre éclata de nouveau, les deux
bataillons de guerre de la 46« devenue en 1803 le 46®
régiment de ligne furent envoyés à Boulogne et placés
dans le corps du maréchal Soult (division Vandamme),
Au camp de Saint-Omer, Gambronne continue à se distin-
guer par son assiduité et sa bravoure, qu'il soit occupé
sur la grève à protéger les ouvriers contre les bombes,
dans le port à diriger leurs travaux ou sur les péniches
à poursuivre les croisières ennemies. Le 26 prairial an XII
(15 juin 1804) il fut nommé membre de la Légion d'Hon-
neur et, comme pour prouver que jamais distinction ne
— 53 —
fut mieux justifiée, à quelques jours de là, il accomplis-
sait un nouvel acte de courage.
Une péniche percée de boulets anglais, coulait à fond.
Cambronne monte avec quelques soldats dans un canot
pour tâcher de sauver ceux qui la montaient. Il arrive
trop tard, seul un matelot se débattait encore. Cambronne
n'hésite pas, il se jette à la mer, est assez heureux pour le
saisir et le ramener sain et sauf à la cote. Il reçut les
félicitations du colonel du génie, Pascal Vallongue, qui
informa le ministre de ce nouveau trait d'héroïsme par la
leitre suivante :
Boulogne, ce 8 thermidor an 42.
DES COTES
Grand Etat-Major Le colonel du génie P. Vallongue, charge
GÉNÉRAL ''^^ <^^^î des détails du Grand Etat-Major
~ Général des camps et armées des Côtes.
A l'honneur d'exposer au Ministre de la Guerre que
le capitaine des Grenadiers Cambrone, du 46^ régiment,
s'étant jeté à la nage et arrivant trop tard pour secourir
une péniche qui allait être submergée, sauva néanmoins
un matelot de la Garde Impériale.
Il propose à Monsieur le Maréchal d'accorder à cet
officier, membre de la Légion d'honneur, un mois de
solde.
P. Vallongue.
Ce fut le 29 août 1805 que la 46® partit de Boulogne
pour combattre la troisième coalition et faire campagne
contre l'Autriche et la Russie. Le même jour, Cambronne,
— 54 —
promu au grade de chef de bataillon au 88«, quittait le
46^ régiment dont il emportait tous les regrets (1).
A quelques semaines de là, le 4 octobre suivant, (2) les
officiers du 46« signaient au bivouac la pièce élogieuse-
que voici :
Les officiers du 46« régiment d'infanterie saisissent avec
empressement l'occasion que leur offre la promotion de M. Cam-
bronne, capitaine, membre de la Légion d'honneur, au grade de
chef de bataillon dans le 88e régiment, pour lui donner un nou-
veau témoignage d'estime et d'amitié, en attestant que depuis
la formation du corps, sa conduite militaire et privée, l'aménité
de son caractère, la délicatesse et la loyauté de ses procédés-le-
firent toujours distinguer sous les rapports qui caractérisent un
officier d'honneur dont l'éloignement exciterait chez nous les plus-
vifs regrets, s'il n'était occasionné par suite des marques d'intérêt
qu'il a plu à Sa Majesté de vouloir bien lui donner en l'appelant
à un grade supérieur.
Au bivouac, ce 42 Vendémiaire an XIV.
Latrille, colonel; Legros, chef de bataillon; Menu, chef du
service: Sucré, adjudant-major; Trupel, lieutenant; Salmon^
lieutenant; Masson, lieutenant; Delamarre, sous-lieutenant;.
A. Dillon, sous-lieutenant, etc.
(1) Voici le texte du décret (Archives nationales, Minutes des décrets-
A F. IV. 176, plaquette 1103 n» 14),
Au Camp Impérial de Boulogne, le 12 Fructidor au 13.
Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie,
Décrète ce qui suit :
Art. 6. — Le sieur Cambronne, Capitaine des carabiniers du 46»
régiment d'infanterie de ligne, est nommé chef de bataillon du 88«
régiment d'infanterie de ligne, en remplacement du sieur Longchamp^
nommé chef de bataillon des Grenadiers de la Garde.
NAPOLÉON.
(2) Le catalogue d'autographes de M. Gauthier-Lachapeile (Paris.
J. Charavay aîné 1872) signale une lettre de Cambronne, datée de
Halle le 12 vendémiaire an XIV c'est-;\-dire du 4 octobre et adressée
à Berlhier. Elle est, dit-il, relative à sa nomination comme chef de-
bataillon au 88».
^ 55 —
Mais le nom de Cambronne ne disparaissait pas tout à
fait du 46^ régiment^ il y restait encore un sous-lieutenant
qui fut tué à Austerlitz et qui était le frère de celui dont
nous écrivons l'histoire, (1) et, quand en 1815 Cambronne
revint en France avec Napoléon il avait laissé de si bons
souvenirs au 46^ de ligne que le gouvernement évita
d'envoyer contre l'empereur un régiment qui aurait pu
faire trop facilement défection (2).
Cette lettre figurait à la vente d'autographes Eugène
Charavay, faite le 21 février 1891 : le catalogue l'attri-
buait au futur général Cambronne, mais l'officier dont
elle parle n'était que sous-lieutenant et c'est le jeune frère
de notre héros qu'elle concernait, puisque Cambronne
aîné était capitaine depuis plusieurs années déjà et à la
veille de passer chef de bataillon.
(1) Ce frère avait donné sa démission, mais l'empereur l'avait
refusée. Une lettre du maréchal Berthier du 14 germinal an XIII au
colonel Cavaignac annonce le refus de Napoléon. « L'intention de
» Sa Majesté, dit-elle, est que tout individu faisant partie des corps
» employés dans les camps, reste sous les drapeaux ; l'honneur en
» fait un devoir à tous les militaires français et particulièrement
» aux officiers ».
(2) Nous en donnerons les preuves plus loin.
CHAPITRE VI
D'AUSTERLITZ A PULTUSK
Le 88*^ de ligne, dans les rangs duquel Gambronne allait
se distinguer, avait déjà de magnifiques états de service.
Il avait fait de 1798 à 1801, la campagne d'Egypte sous
Bonaparte et comptait au nombre des régiments que
quarante siècles avaient contemplés du haut des Pyra-
mides. Il s'était battu à Alexandrie, aux Pyramides, à
Sédiman, dans la Haute-Egypte, sous les ordres des géné-
raux Desaix, Friant et Belliard et, comme il n'y avait
guère plus de quatre ans qu'il était revenu en France, on
pouvait admirer encore six cents hommes au moins du
régiment qui portaient sur leurs figures bronzées les stig-
mates glorieux du soleil d'Afrique.
Il avait alors pour colonel le baron Gurial et était fort
de 1595 hommes (1). Classons-le, pendant que nous y
sommes; il faisait partie du 5e corps d'armée, maréchal
Lannes, division Suchet, brigade Glaparède.
(1) CURIAL (Philibert- Jean -Baptiste -François -Joseph, comte),
général français, 1776-1829, entra comme volontaire dans la Légion
des AUobroges, fit les campagnes d'Italie et d'Egypte, se distingua à
Austerlitz, devint colonel-major des fusiliers de la Garde, général
de brigade pour sa conduite à Eylau et à Friedland, général de
^division à Essling. A Hanau (1813), avec quatre bataillons de la
Vieille Garde, il cubutta les Bavarois commandés par Wrède. Il se
signala dans la campagne de France, notamment à Vauchamps et à
Craonne. Après l'abdication de l'Empereur, il fit adhésion au gou-
vernement de Louis XVIII, revint, pendant les Cent-Jours, sous les
drapeaux de Napoléon et combattit à Waterloo. li rentra en grâce
à la deuxième Restauration, siégea à la Chambre des Pairs, fit la
guerre d'Espagne (1823), et mourut d'une chute faite au sacre de
Charles X.
— 57 —
La campagne de 1805 est restée mémorable entre toutes.
Cambronne assista à la capitulation d'Ulm, et le 2 dé-
cembre suivant, il voyait se lever le soleil d'Austerlitz. Le
corps de Lannes était placé à la gauche de la ligne fran-
çaise, à cheval sur la route de Brûnn, en face de l'aile
droite de l'armée austro-russe commandée par Bagration,
à cheval sur la route d'Olmûtz.
Tandis que, suivant les ordres de l'empereur, les divi-
sions de Soult enfoncent le centre ennemi et cherchent à
prendre à revers les colonnes de gauche aux ordres de
Buxhowden, le S*' corps, après avoir vicorieusement sou-
tenu les attaques redoublées de la cavalerie de Bagration,
avait à son tour marché en avant, appuyé par la cavalerie
de Murât. Une charge brillante de cuirassiers et de dragons
culbute l'ennemi; le village de Blazowitz, défendu par
1200 Russes, est enlevé par l'infanterie de Lannes, et
Bagration bat en retraite sur Olmiitz. Il n'était qu'onze
heures du matin et le sort de la journée était déjà décidé
en notre faveur.
Cambronne, qui s'y était admirablement battu, y perdit
son frère Constant , sous-lieutenant au 46^ de ligne , tué
sur le champ de bataille. Ce sont là les inévitables dou-
leurs de la guerre, bella matribus detestata.
Une lettre inédite de Cambronne, qui nous a été
obligeamment communiquée par M. Lefebure d'Ay, petit-
fils du destinataire, trouve ici sa place. Elle est curieuse
à plus d'un titre. L'enveloppe, qui fait corps avec la lettre,
porte cette mention :
GRANDE ARMÉE. A Monsieur,
Monsieur Lefebure-Cambronne, fils,
à Saint-Quentin.
— 58 —
Voici le texte de la lettre avec son orthographe :
Gambronne, chef de Bataillon au 88e régiment,
Membre de la Légion d'honneur.
Je suis on ne peut plus reconnaissant de l'intérêt que vous
montrez pour moi, ainsi que tous mes parents : ce souvenir me
sera éternel ; si je suis assez heureux en revenant de Paris me
rendant à Boulogne, de passer dans votre voisinage, je compte
aller vous en remercier de bouche. Je désire non seulement faire
votre connoissance, mais encore pouvoir acquérir votre amitié.
Dites mille choses honnêtes à tous nos parents, assurez-les de
mes respects.
J'ai eu le malheur de perdre mon frère dans cette campagne,
il a été tué à la tête de sa compagnie de grenadiers, le courage des
officiers français ne leur permet pas de rester à leur place, c'est
où il y a le plus de dangers qu'ils se portent et c'est ce qui me
fait en ce moment verser des pleurs.
Quand à moi, je me porte bien ; j'ai eu, à la bataille d'Austerlitz,
une balle morte à la fesse et mon cheval tué d'un boulet de
canon, il y a eu peu d'affaires dans cette guerre, mais toutes ont
presque été pareilles, décisifs et meurtrières. Je no me suis battu
que 2 fois ; il y a des régiments qui ne l'ont pas fait du tout, et
il n'y en pas qui l'aient fait 4. Notre armée étoit un torrent à qui
rien ne pouvoit résister. Malgré les brigandages qu'ont fait nos
traînards, vu nos marches forcées, nous avons été mieux vu que
les Russes qui généralement pillaient et brûlaient tout ; les
habitants disoient que nous ne leur faisions pas tant de mal que
leurs alliés. Cela n'est pas étonnant, ces soldats sont plutôt des
sauvages que des hommes, c'est une leçon pour l'Autriche qu'elle
paye cher, mais qui, je crois, pourra au moins nous laisser
tranquilles 6 ans.
Embrassez vos père et mère pour moi, n'oubliez pas mesjolies
cousines, j'envie le plaisir que vous devez goûter en leur donnant
ces baisers.
Croyez à mon attachement.
Votre Cousin ,
GAMBRONNE, Chef de Bataillon.
Leonfelden, le 24 janvier, lieu où nous devons encore resterlS
jours après lesquels nous devons partir pour France , nous
désirons que ce soit plutôt.
— 59 —
On sait quelles furent les conséquences de la bataille
d'Austerlitz; les Autrichiens se retirèrent de la coalition et
conclurent avec nous le 27 décembre suivant la paix de
Presbourg. La grande armée s'en vint camper dans les
plaines boisées de la Franconie : le corps de Lannes s'éta-
blit aux environs de Cobourg, jolie petite ville, capitale
du duché de Saxe-Cobourg-Gotha, célèbre par le séjour
qu'y fit Luther en 1530 et par le siège qu'elle soutint en
1635 contre les Impériaux. Cambronne n'y tint garnison
que peu de mois. La Prusse avait provoqué l'empereur et
la guerre recommençait. Nous retrouvons Cambronne
toujours à la tête du 1^'' bataillon duSS'^ de ligne, toujours
dans le 5« corps de la Grande Armée, d'abord au combat
de Saalfeld, le 10 octobre 1806 et quelques jours après,
le 14, sur le champ de bataille d'Iéna, en face de l'armée
du prince de Hohenlohe.
Commencée à sept heures du matin, l'action durait déjà
depuis six heures, sans résultat appréciable, elle était
engagée sur toute la ligne, quand Napoléon, qui voulait
en finir avant la nuit, fit avancer toutes les troupes qui
occupaient le centre de sa ligne de bataille. Là se
trouvait Cambronne à la tête de son bataillon, il s'élance
au pas de course sous une véritable pluie de mitraille pour
prendre position sur un plateau, mais le feu de l'ennemi
devient alors de plus en plus meurtrier, les grenadiers
n'avancent plus qu'en marchant sur des monceaux d^
cadavres et bientôt enveloppé dans un brouillard
qu'épaissit la fumée de l'artillerie, décimé par les forces
dix fois supérieures de l'armée prussienne, il semble que
le bataillon chancelle, recule et soit prêt à se débander.
Cambronne comprend le danger :
— En avant! s'écrie-t-il, suivez-moi ou j'irai me faire
tuer tout seul là haut.
— 60 —
Et il place son chapeau sur la pointe de son épée et
l'agite en signe de ralliement. Le bataillon électrisé reprend
sa marche en avant, il serre les rangs et tombe à la
baïonnette sur les Prussiens qui plient à leur tour, se
débandent et nous abandonnent le plateau. Témoin de ce
haut fait d'armes, Napoléon tint à féliciter en personne
l'intrépide chef de bataillon.
— Vous êtes un brave officier, lui dit-il, et je n'oublierai
jamais ce que je vous ai vu accomplir.
L'armée tout entière ne l'oublia pas davantage et quand,
en 1816, Berryer rappelait la belle conduite de Cambronne
à la bataille de Zurich, il disait aux juges militaires, com-
pétents entre tous, qui allaient statuer sur son sort:
« Vous avez admiré le général Cambronne, quand dans
« les plaines d'Iéna, voulant raffermir contre le danger
« ses gens qui chancelaient, il s'élance seul sur le plateau,
« sous un feu effroyable d'artillerie et de mousqueterie et
« rallie la troupe par ce froid courage, en faisant éclater
« à la fois et sa bravoure et sa volonté ferme de remplir
« les ordres de ses chefs. »
Après un repos bien gagné de trois jours sur le champ
de bataille, Cambronne, à la tète de son bataillon, parcourt
l'Allemagne avec une rapidité extraordinaire. Nous le
voyons le 18 octobre à Halle, le 20 à Dessau, puis il tra-
verse Postdam, Spandau, Prentzlau et il arrive à Stettin
où il est de ceux qui font des premiers entendre le cri de :
Vive l'empereur d'Occident ! Remis de ses fatigues, il
franchit la sablonneuse et stérile Poméranie et, en passant
par Stargard et Bromberg, il remonte la Vistule jusqu'à
Varsovie où il fait son entrée le l^"" décembre suivant.
Comme de raison, cette marche triomphale était signalée
par autant de combats heureux. Le combat de Halle fut
une des plus brillantes affaires de la campagne de 1806 :
— 61 —
Napoléon, à la vue de cette redoutable position fortifiée,
disait qu'il aurait hésité, s'il l'avait connue, à attaquer
cette ville avec cent mille hommes. A Prentzlau le 25
octobre, c'est le prince de Hohenlohe qui se rend prison-
nier avec une vingtaine de mille hommes devant les dra-
gons de Murât et les fantassins du maréchal Lannes qui
ont suivi tous les mouvements de notre cavalerie, marchant
jour et nuit, sans repos, s'arrêtant à peine pour manger.
Il semblait qu'en détachant par avance une partie de la,
Grande-Armée du côté de la Pologne, Napoléon eût prévu
que la Russie allait de nouveau lui déclarer la guerre. A
l'heure même oii Tempereur quittait Berlin (28 novembre
1806) pour épargner aux Russes la moitié du chemin, la
cavalerie de Murât entrait à Varsovie, bientôt suivie de
nos vaillants fantassins. L'empereur y arrivait le 16 dé-
cembre. Son but était de couper l'armée russe de la mer,
pour l'isoler des secours anglais et des Prussiens encore
maîtres de Dantzig et de Kœnigsberg. Un dégel inattendu
qui survint dans la nuit du 25 décembre, gêna beaucoup
les mouvements de l'armée qui s'épuisa en marches lentes
et pénibles dans les boues de Pultusk. Enfin, le 26 au
matin, les troupes de Lannes débouchent de la forêt de
Pultusk et aperçoivent l'armée de Benningsen rangée en
bataille contre la ville de ce nom et appuyée par une
nombreuse artillerie. Lannes n'a avec lui que quelques
pièces de petit calibre traînées avec des efforts inouïs par
les chemins partout défoncés. La lutte s'engagea avec un
acharnement sauvage ; tout à coup, au milieu d'une
bourrasque de neige, le premier bataillon du 88^ de ligne,
commandant Cambronne, surpris par la cavalerie russe,
avant d'avoir pu se mettre en carré, est rompu et renversé ;
mais bientôt rallié par son chef, il se relève et, profitant à
— 62 —
son tour des embarras de la cavalerie russe, tue à coups
de baïonnette ces cavaliers plongés, comme nos propres
fantassins, dans une mer de boue.
Voici dans le rapport du maréchal Lannes à l'Empereur,
la partie qui a trait au 88^ :
Pultusk, le 27 décembre 1806.
Sire, je suis arrivé hier avec mon corps d'armée devant Pultusk
vers iO heures. J'ai trouvé l'ennemi établi sur la plaine devant
tiette ville ; son avant-garde était composée d'environ .^).000
hommes de cavalerie et de quelques mille Cosaques. J'ai placé
la division Suchot sur deux lignes, et celle du général Gazan en
arrière, aussi sur deux lignes. Dès que j'ai été formé, j'ai fait
attaquer l'avant-gardo ennemie par le i7e léger et le 88e. Après
quelques charges que nos troupes ont reçues avec beaucoup de
sang-froid l'ennemi s'est replié sur son corps de bataille...
L'ennemi a fait porter environ 8.000 hommes d'infanterie et 3
régiments de cavalerie sur ma droite, cherchant à me déborder.
Alors j'ai fait marcher sur le pont de droite le restant du 64e et
tout le 88e pour lui couper la retraite sur le pont... L'ennemi a
été culbuté et est revenu sur le pont dans le plus grand désordre.
Si un bataillon du 88e qui a été chargé par la cavalerie, n'eût
pas plié, toute cotte colonne était prisonnière de guerre.
... Nous nous sommes battus depuis 10 heures du matin
jusqu'à 6 heures du soir dans la boue jusqu'à mi-cuisse. Il a
fallu toute la force et le courage de nos soldats pour résister.
Votre Majesté a vu la journée qu'il a fait, le vent et la grêle
. renversaient nos soldats...
Toute l'infanterie a supérieurement servi (1), et si une partie
d'un bataillon du 88» a cédé un instant, c'est que la pluie et le
mauvais temps l'ont empêché de voir assez tôt le mouvement de
la cavalerie qui Va surpris... Je puis assurer à Votre Majesté que
(1) Le 88' sourfrit beaucoup le 26 décembre. D'après la situation
au 30 décembre, il y avait à cette date 94"; hommes dfe troupe présents
au corps, mais il faut compter aussi quelque fort détacliement, sans
quoi il aurait eu 800 hommes hors de combat ce Jour-là.
— 63 —
depuis que je fais la guerre, je n'ai pas vu de combat aussi
acharné que celui d'hier. Nos baïonnettes se sont croisées
plusieurs fois avec celles de l'ennemi (1).
D'autre part^ voici ce que disent de la même bataille
les Mémoires du chancelier Pasquier (Tome 1, p. 297) :
« Ce n'était qu'après des combats sanglants qu'il avait
» été possible de s'établir sur la rive droite de la Vistule ;
» l'affaire de Pultusk surtout avait été fort acharnée ;
» l'armée française y avait éprouvé des pertes considé-
» râbles ; elle s'était pour la première fois trouvée aux
» prises en même temps avec les glaces et avec les
» soldats du nord, et il avait fallu toute la vigueur des
» maréchaux Lannes et Davout pour un succès qui n'était
> guère constaté que par la retraite de l'ennemi, retraite
» opérée pendant la nuit ».
Il fallut suspendre les opérations devant l'impratica-
bilité du terrain et tandis que l'ennemi battait en retraite
sur le Pregel, prendre ses quartiers d'hiver à Varsovie.
Le 1" janvier 1807, Napoléon y rentre avec sa garde,
furieuse de cette courte campagne où, contrairement à leurs
habitudes, ces vieux soldats n'ont pas brûlé une seule
amorce. C'est alors que l'empereur leur décerna le pitto-
resque sobriquet de grognards qui leur est resté depuis.
Cambronne s'était trop distingué pour ne pas obtenir
la juste récompense de ses services. « Par décret rendu au
» camp impérial de Varsovie le 16 janvier 1807, S. M.
» nommait officier dans la Légion d'Honneur, M. Cam-
(1) .Nous empruntons ce rapport à l'intéressante Campagne de
Pologne en 1806 du capitaine P. Foucarl, du 26"^ bataillon de chas-
seurs à pied.
— 64 —
» bronne, chef de bataillon au SS^ de régiment d'infan-
» terie » (1).
Bientôt la campagne de Pologne recommence, illustrée
par les batailles glorieuses, mais sanglantes d'Eylau et de
Friedland, Cambronne n'y assista pas, il était campé sur
les bords de la Narew, un des affluents de la Vistule, mais
qui sait s'il n'eût pas préféré les hasards des combats aux
souffrances inouïes de cette première partie de la cam-
pagne de Pologne. Vivre pendant près de quatre mois,
sans se déshabiller, au milieu de la neige et de la boue,
sans vin, sans eau-de-vie, parfois sans pain, ne se nour-
rissant que de viande et de pommes de terre, et il n'y en
avait pas tous les jours, faisant des marches et des contre-
marches inutiles, harcelés par de continuelles escar-
mouches, telle fut l'existence du 88« de ligne jusqu'à la
paix de Tilsitt (25 JuÈ. 4807).
Depuis cette époque jusqu'en septembre 1808, c'est-à-
dire pendant plus d'un an, le5« corps de la Grande-Armée
occupa les environs de Breslau, capitale de la Haute-Silé-
sie, sans que nous ayons rien de spécial à noter concernant
Cambronne.
Nous devons à l'obligeance de M. Gustave Bord, com-
munication d'une lettre du conseil d'administration du
88e de ligne au pied de laquelle figure la signature de
Cambronne et qui porte la date de Trebnitz en Silésie
4 juin 1808. Elle a trait aux difficultés de change du
billon. C'est une lettre purement administrative et qui
n'offre d'intéressant que les indications de date et de lieu.
(1) Moniteur Universel du 16 mars 1807, page 292.
La minute du décret figure aux archives nationales A F IV 235,
placiuette 1570.
CHAPITRE Vil
VIENNE, DRESDE, LEIPZIG, HANAU
Au mois de septembre, Napoléon appela le 5^ corps en
Espagne où nous combattions depuis un an sans avoir
fait de sérieux progrès et il se retrouvait le 19 dé-
cembre devant Sarragosse après avoir traversé l'Alle-
magne et la France, du Rhin aux Pyrénées avec une
étonnante rapidité. Jusqu'aux derliers jours de ce siège
mémorable (21 février 1809), Cambronne se distingua, à la
tète de son bataillon, soit que, sur la rive droite de l'Ebre.
il repoussât dans leurs murs les assiégés qui voulaient
tenter des sorties, soit que, en pleine campagne, il disper-
sât les bandes de paysans qui essayaient de porter secours
à leurs compatriotes.
Le 88^ se dirigea quelques jours après vers la vieille
Gastille. Tandis que l'Espagne épuisée se reposait un
instant, l'Autriche humiliée par la paix de Presbourg
reprenait l'offensive. Pour la réduire à l'obéissance.
Napoléon forma la Jeune Garde Impériale de tout ce que
l'armée comptait de plus brave et de plus irréprochable
et, comme il fallait donner à ces nouveaux régiments des
chefs dignes de les commander, il nomma le 11 avril
1809 Cambronne avec son grade au 1" régiment de tirail-
leurs-chasseurs, devenu depuis le l*''" voltigeurs de la
5
— 66 —
Garde Impériale (1). Mais il fallait gagner immédiatement
son poste : après avoir encore une fois traversé la France,
cette fois des Pyrénées au Rhin, Cambronne arriva à
Ratisbonne le 24 avril. Dès lors, il ne quitte plus l'empe-
reur, il entre avec lui à Landshut emporté de haute lutte
par le général Mouton, et le iO mai, il arrive aux portes
de Vienne que l'archiduc Maximilien semble disposé à
défendre à outrance.
Mais Vienne ne résista que trois jours. Nous faut-il
rendre compte longuement de la sanglante bataille
d'Essling oiî la jeune garde faillit se laisser démoraliser par
l'effroyable feu de l'ennemi et ne reprit son sangfroid
que grâce à l'énergie de Bessières et de la bataille de
Wagram (6 juillet 1809) que devaient suivre de près l'armi-
stice de Znaïm et le traité de Vienne ? Témoin de la vail-
lance de Cambronne, ^'empereur lui oiîrit le grade de
colonel.
— Sire , répondit-il modestement , permettez que
j'acquière ce qui me manque pour bien commander un
régiment.
— Voilà un vrai et noble soldat, s'écria Napoléon, que
ne ferait-on pas avec de tels hommes ?
(1) Voici le texte du décret tel qu'il figure aux minutes qui sont
conservées aux Archives Nationales A F. IV. 375 plaquette 2749.
DÉCRET DU 11 AVRIL 1809
Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de
la coni'édération du Rhin, Nous avons décrété et décrétons
ce qui suit :
... Le sieur Cambronne, chef de bataillon du 88<= régiment d'in-
fanterie de ligne, est nommé chef de bataillon dans les chasseurs à
pied de notre Garde.
Notre Ministre de la guerre est chargé de l'exécution de notre
présent décret.
NAPOLÉON.
— 67 —
Le jour même de la signature du traité de Vienne
(14 octobre 1809), Gambronne qui, depuis le mois de
juillet, occupait avec la garde le palais de Schœnbrûnn^
avait quitté la capitale de l'empire d'Autriche et repris la
route de Paris, où il arriva le mois suivant. Il y passa
l'hiver dans les fêtes données à l'occasion du mariage de
Napoléon et de Marie-Louise. L'empereur avait déjà beau-
coup fait pour lui. Après sa promotion comme officier de
la Légion d'honneur, il l'avait inscrit par décret du 19 mars
1808, pour une dotation de 2.000 fr. sur le département
du Trasimène. C'était une sorte de rente que l'empereur
créait au profit de certains de ses sujets, notamment au
profit de l'armée, et dont il imposait la charge aux pays
vaincus, en faisant administrer leurs biens par un syndic
que désignaient les donataires eux.-jnêmes. Les dotations
étaient garanties surtout par le produit des mines et les
décrets impériaux ne manquent pas pour réglementer la
matière (1).
Napoléon fit plus et par lettres-patentes datées de Saint-
Cloud le 4 juin 1810, il conféra à Gambronne le titre d&
baron de l'Empire. Voici ce document inédit qui fut enté-
riné le 16 avril 1811 par le tribunal civil de Nantes;
Napoléon, par la grâce de Dieu, Empereur des Français, Roi
d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, médiateur de la
confédération suisse.
A tous présents et à venir, Salut :
Par l'article treize du premier statut du premier mars mil huit
cent huit, nous nous sommes réservé la faculté d'accorder des
titres que nous jugerions convenables à ceux de nos sujets qui
(1) Nous publions en annexe ce décret qui figure aux Archives-
Nationales A F IV. 301. plaquette 2154 (Minutes des décrets).
— es-
se seront distingués par les services rendus à l'Etat et à nous,
la connaissance que nous avons du zèle et de la fidélité que notre
cher et amé le sieur Cambronne a manifestés pour notre service,
nous a déterminé à faire usage en sa faveur de cette disposition,
dans cette vue, nous avons nommé par notre Décret du quinze
mars mil huit cent dix notre cher et amé le sieur Cambronne,
Baron.
En conséquence et en vertu de ce Décret, ledit sieur Cambronne
s'étant retiré par devant notre Cousin le Prince Archi Chancelier
de l'Empire à l'effet d'obtenir de notre Grâce les lettres patentes
qui lui sont nécessaires pour jouir de son titre, nous avons, par
ces présentes, signées de notre main, conféré et conférons à
notre cher et amé, le sieur Pierre-Jacques-Etienne Cambronne,
Lieutenant-Colonel au premier Bataillon du premier régiment des
Tirailleurs de notre Garde, officier de la Légion d'Honneur, né
à Nantes le vingt-six décembre mil sept cent soixante dix le titre
de Baron de notre Empire, le dit fitre sera transmissible à sa
descendance directe, légitime, naturelle ou adoptive de mâle en
mâle, par ordre de primogéniture après qu'il se sera conformé
aux dispositions contenues en l'article six de notre premier
statut du premier mars mil huit cent huit.
Permettons au dit sieur Cambronne de se dire et qualifier
Baron de notre Empire dans tous actes et contrats, tant en juge-
ment que dehors, voulons qu'il soit reconnu par tout en ladite
qualité, qu'il jouisse des honneurs attachés à ce titre, après qu'il
aura prêté le serment prescrit en l'article trente-sept de notre
second statut, devant celui ou ceux par nous délégués à cet effet,
qu'il puisse porter en tous lieux les armoiries telles qu'elles sont
figurées aux présentes : d'azur au lion d'or en abime à l'orle de
dix grenades d'argent, allumées du même, franc quartier des
Barons tirés de l'armée; pour livrée, bleu, jaune, blanc (1).
(1) Archives Nationales.
Ces armoiries diffèrent peu de celles indiquées par VA7'morial
général de l'Empire Français de Fleury Simon (Paris, 1812, 2 vol.
— 69 —
Chargeons notre Cousin le Prince Archi Chancelier de l'Empire
de donner communication des présentes au Sénat et de les faire
transcrire sur ses Registres ; car tel est notre plaisir et afin que
ce soit chose ferme et stable à toujours notre Cousin le Prince
Archi Chancelier de l'Empire y a fait apposer, par nos ordres,
notre grand sceau en présence du Conseil du sceau des titres.
Donné en notre Palais de Saint-Cloud le quatre du mois de Juin
de l'an de grâce mil huit cent dix.
Signé : NAPOLEON.
Scellé le huit Juin 1810
Le Prince Archichancelier de l'Empire
Signé: CAMBACÉRÈS.
Quelques jours après, il reprenait le chemin de l'Es-
pagne où il devait rester pendant près de trois ans, guer-
royant constamment contre les héroïques populations de
la Biscaye et de la Galice. II servit d'abord de juin 1810
à juillet 1811 sous les ordres de Bessières, duc d'Istrie, qui
commandait alors l'armée du Nord. A cette époque, il fut
élevé le 6 août 1811 au grade de colonel-major du 3^ ré-
giment de voltigeurs de la Jeune Garde, grade que cette
fois il ne crut pas devoir refuser (1). Il n'en paraissait pour
tant pas autrement ravi, si nous en croyons une lettre qu'il
écrivait à Sophie Gorbizé et que nous reproduisons plus
loin : « J'ai été obligé, lui écrit-il, d'accepter la place de
» colonel malgré moi ; des douleurs continuelles me
in-fo, t. 1, pi. 36, p. 39). Ce dernier a ajouté: de gueules à l'épée
haute d'argent et n'a pas indiqué les couleurs de la livrée : bleu,
jaune, blanc.
Les lettres patentes qualifient Cambronne de « Lieutenant-Colo-
nel » , titre qui ne figure pas à ses états de service , mais le
gcade de chef de bataillon dans la Garde Impériale était con-
sidéré comme l'équivalent de celui de lieutenant-colonel.
(1) Le décret, daté de Saint-Cloud, figure aux Minutes des Archives
Nationales, AF. IV. S72, plaquette 4505.
— 70 —
» forceront à quitter le service. Je ne voulais donc pas
» d'une place que ma santé ne me permettait pas d'occuper,
» On n'a rien écouté, et maintenant, je commande le 3»
» régiment de voltigeurs de la Garde en Espagne. »
Cette lettre est datée de Léon, le 14 décembre 1811.
Bessières fut remplacé par Dorsenne (juillet 1811 à mai
1812) puis ce dernier par le général Gaffarelli (mai 1812
à avril 1813). Ce n'étaient plus des batailles rangées comme
en Allemagne, mais une guerre de montagnes, une guerre
de partisans, comme jadis en Vendée, et, s'il n'y connut
pas la gloire qui s'acquiert sur les champs de bataille
d'Austerlitz, d'Iéna ou de Wagram, du moins il fut
constammeijt exposé à tous les dangers de la lutte contre
les guérillas.
Le 1" janvier 1812, il fut compris pour une nouvelle
dotation de 4.000 francs à prendre sur les revenus des
provinces illyriennes (1).
La campagne de Saxe s'ouvrit le 29 avril 1813. C'était
le corollaire de la funeste retraite de Russie : la coalition
s'était reformée contre nous et Napoléon i^^, contre qui se
levait l'Europe entière, faisait un suprême appel aux forces
vives de la nation. Promu commandant de la Légion
d'Honneur le 6 avril (2), Cambronne avait été rappelé
(! ) Voir aux annexes le texte de ce décret qui figure aux Archives
nationales AF. IV, 614, plaquette 4860.
(2). On disait alors commandant et non pas commandeur. Le
décret (Archives nationales, AF. IV, Toi, plaquette 6.066) est daté du
Palais de l'Elysée : il accorde la même distinction au général Michel
qui fut tué à Waterloo et dont nous parlerons longuement plus loin
€t au général Mouton-Duvernet.
C'était un honneur pour Cambronne qui n'était pas encore général,
d'obtenir cette haute* dignité dans la Légion, en même tem]ps -que
deux de ses supérieurs.
— 71 —
d'Espagne pour prendre part aux opérations de la Grande
Armée.
Le 2 mai, Cambronne est à Lutzen où la Jeune Garde
commandée par le général Dumoustier, qu'il avait connu
en Espagne et qu'il devait retrouver plus tard, décida de
la victoire. Nos jeunes soldats luttent contre les vétérans
de l'armée russe, corps à corps, à l'arme blanche et
pendant la nuit, éveillés aux bivouacs, ce sont encore
eux qui repousent le retour offensif de la cavalerie de
Blûcher.
A Bautzen, le 21, même gloire pour la Jeune Garde qui
ne prit de repos que pendant le fatal armistice de Plesswitz.
Il ne dura que trois mois çt, une fois rompu le congrès de
Prague, Cambronne reprend sa place dans les rangs de la
Grande Armée pour la défense de Dresde. La Jeune Garde
est là, formant qnatre belles divisions de huit à neuf mille
hommes chacune. Il était temps qu'elle arrivât pour tenir
tête aux armées coalisées qui poussent déjà le cri pro-
phétique : « A Paris ! à Paris ! » et s'apprêtent à forcer
la porte de Plauen et de Pirna.
» Les ennemis mal renseignés croyaient encore n'avoir
» affaire qu'au seul corps de Gouvion Saint-Cyr et c'est ce
» qui explique l'impétuosité avec laquelle ils enlevèrent
)) plusieurs redoutes. Au moment oii ils essayaient d'en-
» foncer la porte du faubourg de Pirna, par ordre de l'em-
» pereur, cette porte s'ouvrit tout à coup et donna passage
» à une colonne d'infanterie de la Garde Impériale, dont la
» première brigade était commandée par Cambronne». Ce
fut, disent les Mémoires du général de Marbot auxquels
nous empruntons ces quelques lignes, comme l'apparition
de la tête de Méduse I L'ennemi recula épouvanté, son
— 72 —
artillerie fut enlevée au pas de course et les canonniers
tués sur leurs affûts.
De toutes les portes de Dresde, de pareilles sorties
avaient été faites simultanément avec le même résultat.
L'ennemi perdit 5.000 hommes mis hors de combat, sans
compter 3.000 prisonniers ; nous avions eu 2,500 hommes
tués ou blessés, dont cinq généraux (1).
C'était le 26 août 1813.
Pour récompenser Cambronne de la bravoure qu'il avait
témoignée, l'empereur le nomma, par décret du 14 sep-
tembre, colonel-major du 2» régiment des chasseurs à
pied de la Vieille Garde et il inaugura ce nouveau titre à
la bataille de Leipzig, dans cette journée que les Allemands
ont appelée la bataille des Nations et où cent quatre-
vingt-dix mille Français soutinrent l'attaque furieuse de
trois cent trente mille hommes.
Jamais la Vieille-Garde ne combattit plus vaillamment
que ne le firent les deux divisions des grenadiers et des
chasseurs de la Vieille-Garde sous les ordres des généraux
Priant et Curial. Il n'en fallut pas moins battre en re-
traite.
La Grande-Armée , ravitaillée dans les magasins
d'Hanau, reprenait le chemin de Mayence, suivie de très
(1) Voici comment le même fait d'armes est raconté dans l'Histoire
des Armées françaises de terre et de mer de 1792 à 1837 par A.
Hugo, ancien officier d'état-major (Paris, Delloye, 1838).
« Cette porte (la porte de Pirna) s'ouvrit, ce fut comme l'é-
» ruption d'un volcan. Les. bataillons de la Garde Impériale com-
» mandés par Tyndal, par Cambronne et dirigés par le général Du-
» moustier, s'élancèrent ; le feu des murs crénelés soutint leur sortie ;
» celui des redoutes prit à revers les batteries autrichiennes, de
» toutes parts, une grêle de balles et de boulets couvrit la plaine.
» L'ennemi recula épouvanté. »
— 73 —
loin par les alliés, mais il était écrit qu'aucune amertume
ne nous serait épargnée.
C'est un de nos alliés qui nous ont si lâchement aban-
donnés, le général bavarois, comte de Wrède, comblé
pourtant de bienfaits par l'empereur, qui songe à ar-
rêter l'armée française et peut être même venir à bout de
Napoléon. Il a pris position à Hanau avec 60.000 Austro-
Bavarois.
Le 30 octobre 1813, l'empereur arrive devant la po-
sition ennemie dont il reconnaît sans peine les défec-
tuosités. Devant Hanau, s'étend un bois profond et épais
où le général de Wrède, croyant nos troupes en débandade,
a commis la faute de placer ses troupes légères, tandis
qu'il a pris position par derrière, adossé à la rivière de la
Kintzig.
Le plan d'attaque est bien vite préparé^ bien que Na-
poléon n'ait sous la main que dix mille hommes. La Vieille
Garde est là, avec ses grenadiers et ses chasseurs au
nombre de quatre mille. C'est plus qu'il n'en faut pour
tout tenter. L'empereur se portant devant sa Garde, or-
donne à trois compagnies du 2« régiment des chasseurs à
pied de marcher en avant, pour éclairer le mouvement et
pénétrer dans le bois,
Cambronne les commande^ on le sait, depuis le 13 sep-
tembre précédent.
— N'oubliez pas, dit alors l'empereur, que sous Louis
XIV les Gardes-Françaises ont été Jjattues à cette place.
C'est à nous qu'il appartient de les venger.
En même temps, il donne ses ordres à Drouot.
Guidées par leur colonel Cambronne et leur lieutenant-
— 74 —
colonel Teissière, les trois compagnies de chasseurs
s'engagent en tirailleurs dans le bois que défendent
quatre bataillons bavarois. La fusillade s'engage aussitôt,
les balles sifflent à travers les branches. Etonnés de ce
mouvement imprévu, trois de ces bataillons battent en
retraite, tandis que le quatrième se laisse dépasser et
menace les derrières de notre petite troupe. Gambronne
songe à le tourner et emmène cent hommes ; mais, sans
demander son reste, ce bataillon prend la luite comme les
trois autres.
Il ne faut pas qu'une aussi belle proie nous échappe.
Gambronne se précipite à sa poursuite, quand à dix pas
des fuyards, il s'aperçoit que trois chasseurs seulement
ont pu le suivre. Il ne s'émeut pas pour si peu et tandis
qu'un de ses compagnons, le caporal Paroume, s'empare
du fanion d'un guide, Gambronne crie à l'ennemi de se
rendre (1). Les bavarois hésitent, leurs officiers cherchent
à coups de plat de sabre à les retenir, mais finalement ils
quittent le bois en débandade et ne se sentent à l'abri des
chasseurs qu'une fois hors de la lisière de la forêt, sous
la protection d'une formidable infanterie.
Quarante mille Bavarois sont là, protégés par quatre-
vingts bouches à feu.
Gambronne prend alors la tête du mouvement, et
débouche dans la plaine, avec ses intrépides soldats, la
baïonnette au bout du fusil. Au milieu de la fumée, l'en-
nemi ignore à quelles forces il a affaire. N'est-ce pas
l'armée française tout entière qui s'avance ? en tout
(1) Le nom de Paroume est cité dans les Victoires et Conquêtes
(tome XXVI'=) comme celui d'un des trois soldats avec lesquels
Gambronne somma l'ennemi de se rendre.
— 75 —
cas, ce sont les bonnets à poil bien connus de la Vieille
Garde.
Les trois compagnies se déploient, mais comme Gam-
bronne en parcourt le front, il est démonté par un boulet
et se trouve engagé sous son cheval. Un de ses officiers,
le capitaine Barbier, accourt à son aide et le relève, mais
cette chute n'a pas laissé que de produire une forte con-
tusion. Cambronne, momentanément hors de combat,
laisse le commandement au lieutenant-colonel Teissère
qui fit pendant cette journée des prodiges de valeur.
Mais déjà la bataille se dessine avantageusement pour
nous. Drouot accourt avec son artillerie et, bientôt soutenu
par les chasseurs de la Vieille Garde, il parvient à éloigner
la cavalerie bavaroise qui menaçait ses canonniers. On
connaît l'issue de cette bataille qui, de l'avis même de
l'empereur, fut moins une victoire qu'une trouée san-
glante. L'ennemi comptait de dix à onze mille hommes
tués ou blessés, nous en avions trois mille de notre côté,
mais la route vers le Rhin se trouvait dégagée et le 7 no-
vembre, l'empereur arrivait à Paris.
Quelques jours après, il appelait enfin Cambronne au
commandement d'un régiment, en le nommant par décret
du 20 novembre 4813, général de brigade-major du l^""
régiment de chasseurs à pied de la Vieille Garde (1). C'est
désormais avec ce titre bien mérité qu'il défendra le ter-
ritoire contre l'invasion étrangère.
(1) Voir aux annexes le texte du décret qui figure aux Arcliives
Nationales A F IV 828, plaquette 6646.
CHAPITRE VIII
CAMPAGNE DE FRANCE (1814)
Les soldats de la Sainte-Alliance ont franchi le Rhin
et inondé les plaines de l'Aube et de la Marne. De Paris,
l'Empereur prépare sa campagne et distribue à chacun
ses fonctions, comme on peut en juger par la pièce
suivante (1) :
Au Palais des Thuiieries, le 21 décembre 4813.
ORDRE
L'Etat-Major de l'infanterie de la Garde sera composé ainsi
qu'il suit :
Article premier. — Vieille Garde.
Les deux Divisions de la Vieille Garde seront commandées par
le Général de division comte Priant.
ire Division.
Général de division Commandant : le comte Priant, Colonel
des Grenadiers à pied.
Chef d'Etat-Major : le Chef d'escadron Priant.
/ Petit, Major du icr régiment de
\ Grenadiers à pied.
Généraux de brigade, MM. /
] Cambronne, d° du ler régiment
( de Chasseurs à pied.
NAPOLÉON.
Ces ordres furent transmis à qui de droit. A la même
époque nous trouvons Cambronne à Namur avec Mortier
duc de Trévise, qui commande la division de la Garde^
(1) Archives Nationales, AF. IV. 839, plaquette 6742. (Minutes des-
décrets).
— 11 —
puis à Reims le 25 décembre, à Charleville le 31 (1), à
Langres le 12 janvier 1814, il.se replie le 16 à Chaumont
devant les forces autrichiennes et le 20, à Bar-sur-Aube.
Le 24, le prince de Schwarzenberg paraît aux portes
de la petite cité avec plus de trente mille hommes, mais
la Vieille Garde est là sous les ordres de Mortier et de
Friant et, malgré son infériorité numérique, elle n'hésite
pas à commencer l'attaque par une décharge à mitraille.
Deux fois ncus repoussons les Autrichiens du village de
Fontaines, deux fois ils y reviennent avec des renforts.
Cambronne, à la tête de son régiment, fait des prodiges
de valeur : une balle le blesse à la cuisse droite. Il continue
(1) Une pièce de la richissime collection d'autographes Labouchère
(Bibliothèque publique de Nantes, tome 7, page 60)) nous permet de
fixer cette date. C'est une lettre de Cambronne au duc de Feltre.
En voici le texte inédit jusqu'ici:
« A Son Excellence le duc de Feltre,
» Monseigneur, ,
» Je vous prie d'avoir la bonté de vouloir bien me faire envoyer
les cartes topographiques du pays où la Garde est susceptible de se
porter dans cette guerre.
>) Si j'avais pu me les procurer à Paris, je ne me serais pas permis
de vous importuner.
» J'ai l'honneur d'être, avec le plus profond respect, Monseigneur,
Le Général de brigade.
Le Baron CAMBRONNE.
Major du l»"" régiment de chasseurs à pied
de la Vieille Garde.
» Charlesville, le 31 décembre 1813 ».
La lettre fut enregistrée sous le numéro 21, visée et il y fut donné
suite, à en juger par la mention suivante, écrite en marge :
« Renvoyé à M. Lépine pour rendre compte et donner l'empire, les
étapes, carte générale de Ferrari, les postes de Hollande et d'Aile-,
mage en deux feuilles ».
Croyait-on donc avoir encore besoin des cartes d'Allemagne et de
Hollande ?
— 78 —
pourtant la charge commencée, mais la douleur l'arrête,
il tombe et deux de ses hommes l'emportent hors du
champ de bataille. Le soir, il fait panser sa blessure à
Troyes.
Le voilà ^our quelques semaines éloigné des champs
de bataille où Napoléon semble avoir ramené la victoire
avec lui. Vainqueur à Saint-Dizier, à Champ-Aubert, à
Montmirail, à Vaux-Champs, à Montereau, à Méry, qui
sait s'il n'eût pas culbuté l'étranger hors du territoire,
sans la stupide capitulation du général 3Ioreauà Soissons.
Il court à Craonne ressaisir la fortune. Nous sommes au
7 mars. Cette fois, Cambronne, à peine remis de sa bles-
sure^ est des nôtres. Contre 50.000 alliés, nous n'avons
que trente mille hommes, dont les deux tiers sont des
recrues à peine instruites. La gauche est prise d'une pa-
nique que la voix puissante de Ney ne parvient pas à
arrêter ; la droite, sous les ordres de Victor, tient bon, ce
ne sont pourtant que des conscrits de la veille, des « Ma-
rie-Louise », comme on les appelait. Mais ne finiront-ils
pas par céder devant cette pluie de mitraille ? et ne leur
viendra-t-on pas en aide ?
Napoléon l'a compris : il fait alors avancer la Vieille
Garde commandée par Priant au secours des deux ailes
qui menacent de plier sous les efforts de la division russe
de Winzingerode. Elle l'aborde à la baïonnette, la serre
de près et déjà la refoule, quand à son tour l'ennemi
reçoit des renforts.
Le général Cambronne qui jusque là a guidé l'attaque
avec le plus grand succès, ne se sent pas effrayé de ce
nouveau déploiement de forces : « Tenez bon, dit-il au
capitaine Heuillet placé en extrême avant-garde avec
deux compagnies du 2® régiment des chasseurs à pied de
— vo-
la Vieille-Garde, tenez bon, nous ne pouvons pas tarder à
recevoir du renfort d'ailleurs ; en attendant^ restez où
vous êtes et n'allez pas plus loin ».
Au même instant, toutes les masses ennemies se pré-
cipitent sur nos grognards. Le capitaine Heuillet, qui fait
le coup de feu comme ses soldats, tombe frappé d'une
balle qui lui traverse le corps. Cambronne, dans la mêlée,
a reçu deux blessures, l'une à la cuisse droite, l'autre au
côté gauche. Il se relève, une balle lui traverse le bras
gauche. Le capitaine et le général arrivent en même
temps à l'ambulance, mais Cambronne repousse le chi-
rurgien-major qui s'empressait autour de lui : — Je ne
suis pas pressé, major, lui dit-il, pansez d'abord le capi-
taine Heuillet, il mérite d'être secouru avant moi.
Belle parole qui honore à la fois Cambronne et le
capitaine Heuillet f
Notre artillerie réussit enfin à nous assurer le succès.
L'infanterie russe de Sacken et de Woronzow nous aban-
donne le terrain.
Telle fut la sanglante bataille de Craonne où personne
ne fit de prisonniers et où le maréchal Victor, les gé-
néraux Grôuchy, Laferrière, Cambronne, Bigarré, Boyer,
Sparre, Ilozier et le capitaine Heuillet furent blessés, où
il n'y eut pas moins de douze mille hommes mis hors de
combat.
Paris était le but suprême que visaient les alliés, mais
les glorieux débris de la Grande-Armée s'étaient promis
de tout faire, pour le défendre jusqu'à la mort. Mortier
occupe l,es hauteurs de Montmartre : Cambronne est au-
près de lui, à la tête de ses intrépides chasseurs et, le 30
mars, la bataille s'engage avec une ardeur, une rage
nouvelle de part et d'autre. A peine remis de ses blessures
— 80 —
reçues à Craonne, Cambronne est atteint de nouveau d'un
coup de feu à la cuisse droite. Il lutte pourtant encore
jusqu'à l'heure oii il faut bien en arriver à ligner, le dé-
sespoir au cœur, la capitulation de Paris.
Les généraux, le cœur navré, se retirent ensuite vers
la dernière retraite de l'empereur, vers Fontainebleau.
Rien de désolant comme le récit de ces .dernières pages
d'une grande histoire. Tout s'écroule, tout s'effondre à la
fois ; à côté des dévouements rares et qui se consument en
efforts impuissants, que de défections, que d'ingratitudes
lamentables f II semble que l'idée de patrie, de défense
nationale, incarnée encore et quand même par l'Empe-
reur malgré ses fautes, ait déserté les cœurs les plus
braves et les meilleurs esprits, et que la France épuisée
par vingt ans de guerres, se soit affaissée à la porte de
Glichy et sur les hauteurs de Montmartre, pour ne plus se
relever.
Heureusement, quelques officiers, quelques poignées de
soldats n'ont pas abandonné le glorieux chef d'hier et ils
sont demeurés dans nos annales comme le symbole de la
fidélité à la cause des vaincus.
CHAPITRE IX
A L'ILE D'ELBE
Napoléon P"" vaincu par la coalition, s'était résigné à
une amère abdication. Le 13 avril, celui qui avait été
empereur des Français, roi d'Italie, médiateur de la con-
fédération germanique, consentait à échanger ces titres
glorieux contre la petite principauté de l'île d'Elbe, comme
si, à la fin de sa carrière, il se fût réfugié non loin de sa
terre natale dans une île méditerranéenne, plus infime
encore que la Corse.
Cambronne qui l'avait suivi, était alors étendu sur son
lit de douleur dans un hôtel de Fontainebleau, souffrant
des blessures reçues à Graonne et sous les murs de Paris.
Il ne s'attendait pas à la décision à laquelle l'empereur
avait souscrite, mais il n'hésita pas à demander à le suivre
dans ce dur exil.
« On m'a toujours choisi, écrit-il au général Drouot,
« pour aller au combat, on doit me choisir pour suivre
« mon souverain, un refus serait pour moi la plus mortelle
« injure. »
Les amis qui restent fidèles dans l'infortune sont trop
rares pour être écartés. Napoléon fit droit à la requête de
Cambronne et l'inscrivit le troisième sur la liste de ceux
qui sollicitaient l'honneur de partager désormais sa des-
tinée. Les rédacteurs du traité du 11 avril lui avaient
assuré une dotation de deux millions avec le droit d'en
disposer à son gré. Cambronne y fut, sur le papier du
6
— 82 —
moins, compris pour cinquante mille francs que la Restau-
ration peu honteuse de laisser protester sa signature,
négligea tout-à-fait de verser à leur bénéficiaire. Mais une
autre joie lui était réservée, c'est à lui que Napoléon, la
veille de son départ, confia le commandement du bataillon
qu'il emmenait à l'île d'Elbe.
Us ne partirent pas ensemble, du moins pour faire tout
le voyage. Après avoir prononcé le fameux discours
d'adieux à la Garde impériale, Napoléon s'élança dans sa
voiture au fond de laquelle le général Bertrand avait
déjà prié place. Le général Drouot, Cambronne, Foureau
de Beauregard, médecin, Rathery, secrétaire de l'Empe-
reur, Bouillon et Deschamps, fourriers du palais et Pey-
russe montèrent dans les voitures suivantes qui prirent la
route de Lyon (1). Mais la conduite ne fut pas bien longue
pour Cambronne et tandis qu'une malle-poste emportait
à grandes journées le monarque déchu, les quatre cents
grenadiers de Cambronne voyageaient par étapes. Il
y avait , dans cet attachement inébranlable de ces
braves gens à une cause perdue, tant de générosité
désintéressée qu'en traversant la France, la garde reçut
partout des témoignages d'admiration et de respect, non
seulement de la part de la population, mais même de la
part des étrangers qui occupaient le territoire.
Dans toutes les villes où le bataillon s'arrêtait, on envo-
yait bivouaquer les soldats autrichiens logés chez les
bourgeois et c'était aux braves de la garde qu'étaient
réservées les meilleures places. A table avec les sous-
officiers , les officiers impériaux eux-mêmes exigaient
. (1) Bibliothèque de Carcassonne (manuscrits), Collection A. Peyrusse
256 (8539). Campagne de France en 1814.
— 83 —
qu'on servît toujours les grenadiers français avant leurs
propres soldats.
Une seule fois, un vieux major autrichien ne voulut pas
céder ses logements à la garde. Son refus était proféré
sur un ton insultant et provocateur : — Tu te conduis
ainsi, lui dit le général Cambronne, eh bien fais placer
tes soldats d'un côté, je vais mettre les miens de l'autre,
et nous verrons alors à qui les logements resteront.
En face de cette attitude énergique le vieux major
n'insista pas. (1)
Cambronne et ses hommes ne débarquèrent à l'tle d'Elbe
que le 26 mai 4814, vingt-trois jours après Napoléon.
Avant même l'arrivée de ses fidèles compagnons, l'empereur
s'était préoccupé de l'organisation militaire de son nouveau
royaume et parmi, les ordres qu'il signait, nous trouvons
le suivant en date de Porto-Ferrajo, le 10 mai :
Organisation Militaire
Gouverneur, le général Drouot,
Commandant de Porto-Ferrajo, ie général Cambronne.
avec cette mention significative , sous la plume d'un
homme désormais obligé de compter avec l'exiguité de
ses ressources :
Le général Drouot et le général Cambronne prendront des
aides-de-camp parmi les oflBciers du bataillon de la Garde de
manière que cela ne forme pas une dépense (2).
Ainsi, voilà Cambronne commandant de la place de
(1) Une année de la vie de l'empereur Napoléon ou Préeis histo-
rique de tout ee qui s'est passé depuis le i*"" avril 1814 jusqu'au
21 mars 1815 relativement à S. M. et aux braves qui l'ont accom-
pagnée par A. D. B. M***, lieutenant de grenadiers (Paris, Eymery,
1815, in-80).
(2) Correspondance de Napoléon, n» 21368.
— 84 —
Porto-Ferrajo, chargé de la police militaire et de l'ins-
truction des Corses organisés en bataillons. Ce fut un repos
de dix mois. Nous avions espéré que les archives munici-
pales de cette ville contiendraient quelque trace du passage
de Cambronne. Il semble que non. S'il s'y trouve des
correspondances de Rusca, de Morand, de Durutte, de
Cailler, de Dazémar, de Dalesme, de Drouot, de Lapi,
de Bertrand, qui furent mêlés soit avant, soit après 1814
à l'histoire de l'île, rien, nous écrit le syndic de Porto-
Ferrajo, ne rappelle aux archives le souvenir du général
Cambronne.
Parmi les ordres donnés plus tard au général Drouot,
notons celui-ci (1).
Porto-Ferrajo, 19 janvier 1815.
Le général Cambronne accompagné d'un officier d'artillerie,
passera en revue toutes les batteries de l'ile, au moins deux fois
par an.
Un ordre du 29 mai qui figure au registre manuscrit
de correspondances et d'ordres écrits à l'île d'Elbe par
Rathery, secrétaire de Napoléon (2), nous fait connaître
mieux encore les attributiçns de Cambronne. Il est ainsi
conçu :
ORDRE DU 29 MAI
— Le Général Cambronne aura le commandement de la place
de Porto-Ferrajo. Il aura également le commandement de
(laissé en blanc) (3); Il sera chargé : lo d'arrêter le service de
la place et de veiller à ce qu'il se fasse avec la plus grande
(1) Correspondance de Napoléon, n" 21669.
(2). Bibliothèque de Carcassonne. Catalogue des manuscrits, 260
(8338). Nous devons cette pièce et bien d'autres encore à l'obligeance
de .M. Izard, bibliothécaire, qui les a cherchées et copiées pour nous.
(3). Longone, sans doute.
— 85 —
régularité ; — 2» il présidera le Conseil de santé afin de veiller
à ce que les lois de santé pour les bâtiments qui sont en quaran-
taine, soient exécutées ; — 3o il veillera à tout ce qui est police
et sûreté ; en conséquence, aucun individu ne débarquera à
Porto-F. qu'il n'ait une carte de sûreté de lui, qu'il n'ait fait
visiter, et qu'il ne connaisse ce qui le conduit dans l'île ; enfin
il sera chargé de tout ce qui est relatif à l'administration de la
Garde.
Il sera fait choix d'un Capitaine de la Garde pour faire les
fonctions de commandant d'armes. Ce choix sera soumis à mon
approbation. Le général Cambronne rendra compte de tout au
Gouvernement. Le capitaine Raoul fera les fonctions do Directeur
du Génie.
Les soldats avaient conservé l'uniforme français, mais
ils avaient pris la cocarde elboise, blanche et rouge, semée
d'abeilles d'or. Napoléon avait adopté pour ses nouvelles
armes un ancien écusson de l'île, datant de Cosme I^^ :
d'argent à la bande de gueules chargée de trois abeilles
d'or.
La petite armée était forte d'environ 1600 hommes.
Aux termes de l'art. XVII du traité de Fontainebleau,
Napoléon n'avait été autorisé à emmener dans sa nouvelle
résidence que 400 hommes de bonne volonté. Mais les
grenadiers et chasseurs s'étant présentés en plus grand
nombre, les généraux Petit et Cambronne avaient cédé à
leurs prières et les avaient désignés pour partir (1).
Par ailleurs, que faisait Cambronne? Il correspondait
avec sa mère, s'inquiétant de sa santé qui laissait souvent
à désirer, recevant d'elle des détails sur l'administration
de sa petite fortune qu'elle gérait en son absence, lui
parlant de sa sœur Justine et songeant au jour où il la
reverrait, où il reverrait la France. Comme s'il avait eu le
(1) 1815, par Henri Houssaye, page 148.
— 86 —
pressentiment que plus tard il aurait à s'assurer la protec-
tion de ses anciens chefs, de ses compagnons d'armes, il
écrivait au comte Curial qui commandait à Nancy une
lettre où il se réclamait de sa bienveillance, dans le cas où
il quitterait le service de Napoléon, afin d'obtenir la per-
mission de rentrer à Nantes et d'aller passer auprès de sa
vieille mère le restant de ses jours.
Gomme on l'a vu, c'est à lui que l'Empereur avait
confié la surveillance de la police :
— Cambronne, lui dit-il un jour, tu m'es dévoué, veille
dans l'île à notre conservation ; tu n'es pas courtisan, tu
ne me cacheras rien. — Sire, je n'en inventerai pas de
nouvelles pour vous en donner, mais je promets de vous
dire tout ce que je saurai, ne fût-ce pas même agréable à
savoir. — C'est ainsi que je le veux, répondit Napoléon (1).
Les renseignements sur Cambronne pendant son séjour
à Porto-Ferrajo sont trop rares pour que nous n'emprun-
tions pas à V Histoire de Napoléon à l'île d'Elbe par Pons
de l'Hérault, encore inédite dans les manuscrits de la
bibliothèque de Carcassonne (2) les lignes suivantes :
Un jour un vaisseau de guerre napolitain qui était dans le
voisinage de l'ile, envoya des officiers à terre pour saluer l'Em-
pereur et pour demander des ordres. Ce vaisseau allait à Naples.
Le général Cambronne, ce brave qui est le modèle de l'honneur
et de la fidélité, et dont nos derniers neveux conserveront encore
le souvenir des paroles qui consacrent l'un des plus mémorables
traits de la bataille de Waterloo, La Garde meurt et ne serendpas,
le général Cambronne qui ne peut point supporter même l'idée
d'une trahison, reçut assez mal ces envoyés et les fit repartir de
(1) Le Breton du 22 juillet 1848.
(2) Bibliothèque de Carcassonne. Section des manuscrits. Papiers de
Mahul, n» 288.
suite. S. M. blâma la vivacité du général et voulut réparer soft
peu de courtoisie en envoyant à bord du vaisseau, mais il n'était
plus temps et il fut impossible de les atteindre.
Une autre fois, c'était la Saint-Napoléon qu'il s'agissait
de célébrer sur la place d'armes de Porto-Ferrajo où une
superbe salle de danse avait été installée. Le 15 août
arrivé, des salves d'artillerie sont tirées pendant le dis-
cours fait par le curé, qui 'n'en était pas plus content.
Un banquet avait été préparé, on attendait l'Empereur
qui tinalement fit dire par un officier d'ordonnance
de comnagncer sans lui. Non seulement on commença
sans lui, mais on finit avant qu'il fût arrivé. Au dessert^
Bertrand porta une santé à l'honneur et à la fidélité de
Napoléon, grand guerrier; Drouot but aux braves et
fidèles Grenadiers de Sa Majesté ; Cambronne porta « une
santé à l'honneur de vaincre ou mourir pour Sa Majesté »
et, détail piquant, le grand vicaire en fît autant.
L'Empereur arriva comme les toasts finissaient. Point
n'est besoin de dire si on cria : Vive Napoléon ! (1)
On s'efforçait d'ailleurs de se distraire autant que
possible.
En janvier et en février 1815 il y eut six grands bals,
dont trois masqués, au Palais et au Théâtre. L'Empereur
avait réglé lui-même l'ordonnance de ces réceptions,
dans les plus petits détails.
Madame mère, puis la princesse Pauline avaient rejoint
l'Empereur, la première le 2 août 1814, la seconde le 30
octobre. Ces deux princesses, le grand-maréchal et m'a-
(1) Nous empruntons ces détails à un curieux manuscrit que pos-
sède la bibliothèque de Carcassonne (n" 294-140) ; il est intitulé La
Vie de Napoléon pendant son séjour à l'ile d'Elbe, par Labadie,,
adjudant-major de place à Porto-Ferrajo.
-- 88 —
dame Bertrand, Drouot, Gambronne, le colonel Mallet, le
major Jermanowski, le directeur des domaines, Lapi et
sir Neil Campbell formaient la société habituelle de Napo-
léon.
Le colonel Campbell, que nous retrouverons plus tard
sur le champ de bataille de Waterloo, était admis dans
l'intimité de l'Empereur. Cet officier, l'un des quatre com-
missaires chargés de conduire Napoléon de Fontainebleau
à Fréjus^ avait été spécialement désigné^ avec le général
autrichien Koller, pour le suivre jusqu'à l'ile d'Elbe « afin
de lui faciliter les moyens d'installation ». KoIIer quitta
l'île d'Elbe le 14 mai. Une dizaine de jours après^ Camp-
bell fit savoir au grand-maréchal qu'il était prêt à partir
« si Napoléon ou tout autre attribuait son séjour dans
l'île à quelque motif inavoué ». Aux termes du traité de
Fontainebleau^, l'Empereur devait être libre et maître
dans son île, et Campbell n'avait point pour mission —
du moins pour mission officielle — de le surveiller. Ber-
trand ayant répondu à Campbell que l'Empereur « croyait
sa présence encore utile, indispensable même et toujours
agréable », le commissaire anglais ne se contenta pas de
ces paroles. Il exigea un écrit. En conséquence, Bertrand
lui adressa le 27 mai une note se terminant par ces mots :
« Je ne puis que réitérer au colonel Campbell combien sa
personne et sa présence sont agréables à l'Empereur
Napoléon. » C'est ainsi que Campbell resta à l'île d'Elbe
où, désormais assuré de n'être plus suspect à Napoléon,
il ne manqua pas d'informer le Foreign-Office avec la
plus grande conscience de toutes ses actions et de toutes
ses paroles. (1)
(1). 1815. par Henri Houssaye, pages lo4-156.
— 89 —
On connaît les événements qui marquèrent les premières
semaines de l'année 1815. Napoléon qui étouffait dans le
cercle de l'île d'Elbe trop étroite pour son ambition, était
tenu au courant de l'opposition que rencontrait le gouver-
nement antipathique des Bourbons. Il résolut d'en tirer
parti et à la conquête de l'Europe, il rêva d'ajouter la
conquête de la France.
Trois jours avant de quitter l'île d'Elbe, il ordonne à
Cambronne de se tenir prêt à partir, et, comme pour lui
laîsserdeviner ses desseins : — Où allons-nous, Cambronne?
lui dit-il. Cambronne n'avait jamais cherché à pénétrer
les secrets de son souverain, il ne demanda pas à l'em-
pereui où il allait, il lui répéta seulement qu'il le suivrait
en soldat dévoué, mais il devait se douter que quelque
chose de grave se préparait.
En effet, le 25 février 1815, contre son habitude. Napo-
léon resta enfermé au palais. Il s'occupait de rédiger trois
proclamations, les deux premières adressées par lui au
Peuple français et à l'Armée, la troisième prétendument
adressée par la Garde impériale aux généraux, officiers et
soldats de l'armée. Les trois pièces furent imprimées
secrètement dans la soirée ou dans la nuit. Dans la
Correspondance, ces proclamations prétendues impro-
visées pendant la traversée et prétendues imprimées pour
la première fois à Gap le 6 mars, portent : golfe Jouan
1" mars. Or, M. Henri Iloussaye rapporte dans son
intéressant volume sur 1815 qu'il a découvert aux Archives
des Affaires étrangères (Papiers des Bonaparte 1801) les
premiers exemplaires imprimés de ces trois proclama-
tions. Ils ne portent pas la mention de golfe Jouan ni de
\^^ mars, et on lit au bas : A Porto-Ferrajo chez Broglia
imprimeur du Gouvernement.
— 90 —
Le lendemain 26 février (qui était un dimanche) vers
onze heures, Cambronne avertit les adjudants-majors que
les troupes mangeraient la soupe à 4 heures et s'embar-
queraient à 5. A midi, le bataillon franc et la garde
nationale relevèrent les postes occupés par la vieille
garde.
Le soir même, le bataillon des grenadiers s'embar-
quait à bord de l'Inconstant qui portait César et sa for-
tune. La traversée dura trois jours que Napoléon mit à
profit en dictant ses proclamations. La plus célèbre est
celle qui est datée du golfe Juan et du l^'' mars. Bien
qu'elle ne porte pas la signature de l'empereur, il n'est pas
douteux qu'elle soit son œuvre. Fleury de Ghaboulon (1) la
lui attribue dans ses Mémoires sur les cent Jours et
Napoléon lui-même ne l'a pas désavouée dans ses annota-
tions critiques sur cet ouvrage.
La vérité, c'est que sur le vaisseau, qui les ramenait en
France, l'empereur avait fait signer à ses lieutenants un
appel à l'armée pour engager leurs anciens soldats à se
ranger encore une fois sous les aigles impériales. Puis, les
signatures obtenues. Napoléon avait changé les termes de
la proclamation, en y introduisant des injures contre les
Bourbons, des allusions violentes contre les hommes que
poursuivait son ressentiment et c'est pourtant la pièce
ainsi modifiée, nous devrions dire falsifiée, qui fut publiée
(1) Auditeur au Conseil d'Etat, sous-préfet de Château-Salins
jusqu'en janvier 1814, puis nommé sous-préfet de Reims quand cette
ville fut reprise aux Russes, Fleury de Chaboulon avait donné sa
démission au retour des Bourbons. Resté fervent admirateur de
Napoléon, il résolut, au commencement de 181o, d'aller à l'iledElbei
sans peut-être avoir d'abord d'autre pensée que de revoir son
ancien souverain ou d'être employé auprès de lui. Ses Mémoires sur
les Cent Jours sont intéressants.
- 91 —
au Moniteur avec la signature des officiers qui n'auraient
peut-être pas consenti à accepter cette rédaction nouvelle.
En voici le texte, avec l'indication des additions et des
changements faits par l'empereur.
Les généraux, officiers et soldats de la Garde Impé-
riale aux généraux, officiers et soldats de l'armée :
"Soldats et camarades,
Nous vous avons conservé votre Empereur malgré les nom-
breuses embûches qu'on lui a tendues ; nous vous le ramenons
au travers des mers, au milieu de mille dangers. Nous avons
abordé sur la terre sacrée de la patrie avec la cocarde nationale
et l'aigle impériale.
Foulez aux pieds la cocarde blanche ; elle est le signe de la
honte et du joug imposé par l'étranger et la trahison. Nous
aurions inutilement versé notre sang si nous souffrions que les
vaincus nous donnassent la loi ! !
Depuis le peu de mois que les Bourbons régnent, ils vous ont
convaincus qu'ils n'ont rien oublié ni rien appris. Ils sont tou-
jours gouvernés par les préjugés ennemis de nos droits et de
ceux du peuple.
Ceux qui ont porté les armes contre leur pays, contre nous,
sont des héros ! Vous, vous êtes des rebelles à qui l'on veut bien
pardonner jusqu'à ce que l'on soit assez consolidé par la forma-
tion d'un corps d'armée d'émigrés, par l'introduction à Paris
d'une garde. suisse et par le remplacement successif de nouveaux
oflBciers dans vos rangs. Alors il faudra avoir porté les armes
contre la patrie pour pouvoir prétendre aux honneurs et aux
récompenses ; il faudra avoir une naissance conforme à leurs
préjugés pour être officier; le soldat devra toujours être soldat :
le peuple aura les charges et eux les honneurs.
Un Viomesnil insulte au vainqueur de Zurich, en se naturali-
sant français, lui qui avait besoin de trouver dans la clémence de
— 92 —
la loi pardon et amnistie. Un Brulart, chouan sicaire de Georges,
commande nos légions (1).
En attendant le moment où ils oseraient détruire la Légion
d'honneur, ils l'ont donnée à tous les traîtres et l'ont prodiguée
pour l'avilir. Ils lui ont ôté toutes les prérogatives politiques
que nous avions gagnées au prix de notre sang.
Les 400 millions du domaine extraordinaire, sur lesquels
étaient assignées nos dotations, qui étaient le patrimoine de
l'armée et le prix de nos succèSjjiïVs les ont fait porter en Angle-
terre (2).
Soldats de la grande nation, soldats du grand Napoléon ! con-
tinuerez-vous à être les soldats d'un monarque (3) qui vingt ans
fut l'ennemi de la France, et qui se vante de devoir son trône à
un prince régent d'Angleterre ?
Tout ce qui a été fait sans le consentement du peuple et le
nôtre, et sans nous avoir consultés, est illégitime.
Soldats, la générale bat et nous marchons, courez aux armes,
venez vous joindre à votre Empereur et à nos aigles tricolores;
et si ces hommes, aujourd'hui si arrogants et qui ont toujours fui
à l'aspect de nos armes, osent nous attendre, quelle plus belle
occasion de verser notre sang et de chanter l'hymne de la Victoire !
Soldats des 7^, 8^ et Î9^ divisions militaires, garnisons d'An-
tibes, de Toulon, de Marseille (4), officiers en retraite, vétérans
de nos armées, vous êtes appelés à l'honneur de donner le premier
exemple (S). Venez avec nous conquérir ce trône, palladium de
(1) Cette phrase que nous itahquons fut ajoutée par l'empereur.
Quand les juges militaires de Drouot lui présentèrent la proclamation
insérée au Journal officiel, l'intègre général la désavoua : « Ce n'est pas
» cette proclamation que j'ai signée, avait-il dit; elle ne contenait ni
» provocations personnelles, ni mille autres choses qui s'y trouvent. »
Cambronne dut en faire autant, comme on le verra plus loin.
(2) Un autre texte porte : ... le prix de nos sueurs, ils se les sont
appropriés.
(3) Variante : — Consenlirez-vous à l'être d'un prince qui. . .
(4) et (5) Les lignes italiquêes comptent au nombre de celles qui
ont été ajoutées par l'empereur.
— 93 —
nos droits et que la postérité dise un jour : « Les étrangers,
» secondés par des traîtres, avaient imposé un joug honteux à
» la France ; les braves se sont levés, et les ennemis du peuple,
» de l'armée, ont disparu et sont rentrés dans le néant. »
L'original portait comme signature : « le général de
» brigade baron Cambronne, major du premier régiment
» des chasseurs de la garde. »
Le 28 février, le rétablissement de la cocarde tricolore
fut célébré joyeusement à bord. La Garde avait épuisé
ses approvisionnements particuliers, mais l'Empereur vint
à son secours en donnant l'ordre à ïourtain, son maître
d'hôtel, d'étaler toutes les provisions du voyage qu'il se
fit un plaisir de distribuer lui-même à ses braves. « Sa
» Majesté n'avait pas déjeuné, » raconte Pons de l'Hérault,
dans le document que nous avons déjà cité, « nous n'avions
» pas déjeuné non plus. Le preux Cambronne lui en
» fit l'observation. L'Empereur se mit à rire et, se
» tournant vers les grenadiers, il leur dit : Messieurs les
» grognards, le soleil luit également pour tout le monde ;
» il faut que chacun mange et boive.
» Il y eut un nouveau partage . »
CHAPITRE X
LES CENT JOURS
Le !*•■ mars, l'empereur débarque au golfe Juan.
— Cambronne, dit-il en s'adressant à son fidèle soldat,
je vous confie l'avant-garde de ma plus belle campagne,
vous ne tirerez pas un seul coup de fusil, partout vous ne
trouverez que des amis, songez que je veux reprendre
ma couronne sans répandre une seule goutte de sang.
A cinq beures, le débarquement était terminé.
Napoléon envoya Cambronne à la tête d'une avant-
garde à Cannes pour commander des vivres et acheter
des chevaux ; et, sachant que, pour attirer les gens, il ne
faut pas commencer par froisser leurs intérêts, il fit tout
payer argent comptant. Les vivres furent en effet pré-
parés et quelques mulets, quelques chevaux achetés.
Malgré l'ordre de ne laisser sortir personne de Cannes,
surtout par la route qui menait à Toulon, un officier de
gendarmerie, auquel Cambronne avait proposé d'acheter
des chevaux et qui avait feint de vouloir les céder,
s'échappa au galop pour aller à Draguignan donner avis
au préfet du Var du grand événement qui venait de. s'ac-
complir. Heureusement pour Napoléon, cet officier ayant
remarqué que l'artillerie qu'on avait débarquée était
placée sur la route de Toulon, s'en fia aux premières
apparences, et alla répandre la nouvelle que l'expédition
se dirigeait vers la Provence, c'est-à-dire vers Toulon et
Marseille. Il n'en était rien.
— 95 —
Vers le soir, Napoléon s'était approché de Cannes et
on lui amena à son bivouac, par suite de l'ordre qu'il
avait donné d'arrêter toutes les voitures , le duc de
Valentinois , prince de Monaco., passé, comme tant
d'hommes du temps, d'un culte à l'autre, de l'Empire à
la Restauration. Cambronne, fidèle à la consigne donnée,
l'avait obligé de descendre de sa berline armoriée, au
débouché de la route d'Aix et l'avait consigné provisoi-
rement à VHôtel de la Poste. L'empereur le fit relâcher
sur le champ, l'accueillit avec gaieté et lui demanda où
il allait : — Je retourne chez moi, fit le prince. — Et
moi aussi, répliqua Napoléon (1).
A ce récit, pourquoi n'ajouterions-nous pas ceux de
M. Peyrusse et de M. Pons de l'Hérault, témoins oculaires
et dont les mémoires n'ont pas encore été publiés ? Voici
ce que raconte M. Peyrusse :
fer mars. — Le général Cambronne avec un détachenaent de
grenadiers et de polonais avait été lancé en avant pour inter-
cepter les communications et faire préparer les vivres pour
(1) Une lettre du préfet maritime de Toulon, en date du 5 mars,
reproduite au Moniteur Universel du jeudi 9 mars 1813, page 271,
ajoute les détails suivants à ceux qui sont déjà connus :
« Le détachement qui a occupé Cannes était de 80 hommes, y com-
» pris 3 officiers et un tambour. Il arriva ensuite un général nommé
» Cambrone, qui se tint constamment à la tête du détachement
1) posté à Saint- Pierre, porte de France... Le général Cambrone fit
') arrêter le prince de Monaco qui se trouvait à Cannes, lors du
» débarquement, et qui se rendait dans sa principauté. Il lui déclara
» qu'il était son prisonnier et le fit conduire à son auberge, où il fut
M gardé par un caporal, ayant un factionnaire à sa porte. Il fit ensuite
)> des réquisitions de vivres et ordonna d'illuminer le devant des
>> maisons. Toute la ville était sur pied, toutes les rues encombrées ;
» quelques questions que fissent le général et ses officiers sur les
» dispositions des habitans à l'égard de Bonaparte, le plus morne
» silence fut gardé. »
— 96 —
3,000 hommes, et d'annoncer que S. M. et le Roi de Naples
entraient par Toulon avec un gros de troupes.
Arrivé à Cannes où la nouvelle de notre débarquement n'était
pas parvenue, le premier acte du général est de faire venir sur la
route tout le pain et toute la viande qu'il put se procurer, et de
mettre embargo sur tous les chevaux de la poste.
Un épisode amusant signale sa marche. Le général trouva, à
VHôtel de la Poste, le duc de Valentinois, prince de Monaco,
pour qui l'on faisait les apprêts de son entrée dans sa princi-
pauté de Monaco. Il fut consigné dans son logement jusqu'à
l'arrivée de sa Majesté, et tous les chevaux de la poste mis en
réquisition pour le service de l'expédition. Le Prince était nmcl
d'étonnçiment, il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il était momen-
tanément prisonnier.
M. Pons de l'Hérault entre dans plus de renseigne-
ments :
A deux heures après-midi, nous jetâmes l'ancre dans le golfe
Juan. Le convoi s'était heureusement réuni ; le débarquement
commença de suite ; à cinq heures il était achevé. L'on débarqua
aux magasins de la commune de Valauri. Le vent, qui avait été
favorable pendant toute la traversée, changea tout à coup ds
direction. Cela favorisait extrêmement l'Empereur qui fit repartir
sur le champ les bâtiments qui nous avaient transportés.
S. M. appela le général Cambronne. « Cambronne, lui dit-
elle, commandez l'avant-gardo ; elle sera composée de -40 honr-
mes d'élite que vous choisirez vous-mêmes ; organisez-là ; partez
de suite et allez prendre position sur la grande route en avant
de Cannes, du côté de Fréjus. -Vous ne permettrez à personne
de passer en delà de votre ligne ; vous laisserez libre tout ce
qui viendra en deçà. » Dans cinq minutes le brave général
Cambronne était à même d'exécuter les ordres de S. M. Il se
rendit au poste qui lui était assigné.
. Le général Cambronne est d'un caractère extrêmement violent,
et il y avait à craindre que quelque contrariété n'excitât son
emportement naturel ; mais telle est la force do son dévouement
à l'Empereur, qu'il était devenu d'une douceur extraordinaire.
— 97 —
et ce n'est pas un des traits les moins remarquables de l'influence
de S. M.
...S. M. n'avait aucun rapport du général Gambronne. Le
général avait dû voir la municipalité de Cannes et faire quelques
dispositions pour les transports. L'Empereur m'ordonna de me
rendre à Cannes, d'examiner ce qui s'y passait et de lui conduire
les magistrats municipaux ; j'arrivai à Cannes, j'y trouvai la
population en mouvement. Cambronne ne s'était point arrêté, il
avait seulement traversé la ville pour aller droit au poste où il
devait placer son avant-garde. Personne ne savait que Napoléon
était au golfe Juan. Les habitants étaient tout étonnés et de
l'apparition des cocardes tricolores et des coups de canon qu'ils
avaient entendus dans leur voisinage. C'est dans cet état d'éton-
nementqueje les trouvai, je me rendis à la maison commune.
Le général Cambronne y vint presque aussitôt, et j'en fus bien
aise. Nous annonçâmes le retour de l'Empereur; le peuple
parut content. M. le Maire, vieillard d'un aspect respectable,
nous observa que S. M. se trouvant sur le territoire do Valauri,
ce n'était point la municipalité do Cannes qui devait aller à sa
rencontre. Nous nous contentâmes de cette raison, et je retournai
auprès de l'Empereur.
A quelques jours de là, le colonel Campbell passait à
son tour au iÈ,olfe Juan. Il a consigné ce qu'il y apprit
dans un Journal inédit qui fait également partie sous le
n» 259 (8536) des manuscrits de la bibliothèque de Car-
cassonne. Voici les passages relatifs à Gambronne :
11 mars. — Au golfe Juan, le lieutenant de douanes et le
commissaire me racontèrent l'histoire du débarquement de
Napoléon. Il descendit à terre le 1er mars vers 3 heures de
l'après-midi Pendant l'après-midi la musique joua fréquemment
l'air : Où peut-on être mieux qu'au sein de aa famille. Il se pro-
menait sous les arbres Le général Bertrand était cons-
tamment avec lui.
Le général Cambronne s'avança à cheval sur la route de
Cannes, à 3 ou i milles environ. 11 donna à entendre qu'il avait
3,000 hommes avec lui et qu'un corps important, d'accord avec
7
— 98 —
les alliés, était venu par mer à Toulon et à Marseille. Des déta-
chements furent placés de droite et do gauche sur l'espace d'un
mille pour empocher personne do passer.
La nouvelle du dél)arqueinent avait iini par se répan-
dre.
Un homme envoyé de Grasse aux nouvelles à Cannes
rencontre l'avant-garde à mi-chemin. Cambronne, devi-
nant un espion, Tinterpella : — « Vous m'avez l'air bien
fatigué^ mon ami. N'allez pas plus loin. Je vais vous dire
tout ce que vous cherchez à savoir. » (^ela fait, le général
pressa le pas, et, devançant son peloton, entra tout seul
à Grasse. On se mit aux fenêtres; quinze cents per-
sonnes — « beaucoup de vieilles tètes et de rubans
blancs », dit pittoresquement Cambronne dans un de ses
interrogatoires — furent bientôt réunies sur le cours et
sur la place du Clavecin (1).
C'était le 2 mars , Cambronne trouva la population
sympathique. Il demanda des vivres à la municipalité.
— Au nom de quel souverain, faites-vous vos réquisi-
tions? interrogea le mau'e.
— Au nom de l'empereur, souverain de l'fle d'Elbe,^
répondit vivement Cambronne.
— Nous avons aussi un souverain que nous aimons,-
reprit le maire.
— Je ne me mêle pas de politiq^ue, fit encore le géné-
ral ; je ne viens pas demander si la France a un roi et si
elle doit l'aimer, je ne veux que des vivres.
Le général Gazan, que Cambronne connaissait beau-
coup, était à Grasse, mais il ne voulut pas recevoir
Cambronne qui avait demandé à lui parler, et avait
(1^ iSlo par Henri Koussayo. ji. 21 i.
— 99 -
môme fui, comme à l'approche d'une bande de pesti-
férés (1).
Le 3 mars, entre dix heures et midi, l'Empereur arriva
à Castellane. Les autorités avaient été prévenues le matin
par une lettre du maire de Sernon qui annonçait la pré-
sence dans sa commune « de l'Empereur Bonaparte (sic)
avec une armée » et par ce laconique billet de Cambronne
au sous-préfet :
« Monsieur,
» Je vous prie de donner des ordres pour fournir de
» suite 5000 rations de pain, 5,000 de viande, 5,000 de
» vin, 40 charrettes à quatre colliers ou 200 mulets de
» bât. S. M. sera à dix heures à Castellane.
» Baron Cambronne, général de brigade,
» 3Iajor de la garde impériale. » (2)
Le sous-préfet et le maire crurent devoir satisfaire à
cette réquisition. Ils se mirent en mesun; de fournir les
cinq mille rations et le plus grand nombre possible de
mulets et de charrettes.
Le 5 mars, le général Cambronne se présenta devant
Sisteron, à la tète de cent hommes, suivant les uns, de
quarante seulement, d'après les autres. Là encore, il dut
parlementer avec le maire qui lui refusait les 6.000 ra-
(1) GAZAN de La Peyrière (Honoré-Théophile-Maxime, comte),
général trançais, né à Grasse (Var) en 1765, mort en 18i4, entra au
service à 15 ans. Chef de bataillon en 1794, il défendit le col de Tende
c<j«tre 1,500 Croates. Sa carrière militaire ne finit qu'avec Waterloo.
11 reçut le grade de général de division en 1799, le titre de comte en
1808, la pairie en 1831.
Cambronne avait combattu sous ses ordres à Zurich.
(2) Cambronne au sous-préfet de Castellane, 2 mars. Archives de ta
guerre.
— 400 —
tiens qu'il demandait, sous prétexte qu'il n'avait derrière
lui que douze cents hommes.
— Et que savez- vous ? répliqua le général si les gar-
nisons que j'ai laissées derrière moi, ne me suivront pas ?
Et, en disant ces mots, il jeta au maire une bourse de
trois mille francs. — Payez-vous. Il rougit et répondit :
— Reprenez votre bourse.
Les habitants de Sisteron s'empressèrent de fournir
plus de vivres que Gambronne n'en avait demandé.
Le maire et le sous-préfet se crurent même obligés
d'aller à la rencontre de Napoléon qui arriva à midi.
Quand l'Empereur quitta Sisteron, une ouvrière s'appro-
cha de lui et lui remit un drapeau tricolore qu'elle avait
confectionné en moins d'une heure (1).
Le 6, Gambronne alla coucher à la Mûre, tandis que
Napoléon était venu passer la nuit au bourg de Gorps,
après s'être emparé des défilés entre Gap et Grenoble.
Il les avait franchis heureusement et s'avançait avec
confiance, en voyant l'esprit des populations se manifester
autour de lui par des cris continuels de « Vive l'Empe-
reur f » Pourtant il savait bien que le lendemain serait le
jour décisif, car il rencontrerait pour la première fois un
rassemblement de troupes et, de la conduite que tiendrait
ce rassemblement^ dépendrait le sort de son aventureuse
expédition. Tandis qu'il se préparait à prendre quelques
heures de repos à Corps, il avait eu soin d'envoyer Cam-
(1) Interrog. de Gambronne (Procès de Gambronne). Fabry
(Itinéraire de Bonaparte de l'île d'Elbe k Sainte-Hélène), 39-43. Ce
dernier, très partial dans ses commentaires, dit (jue le sous-préfet
avait été contraint par Cainbroime d'aller au-derant de l'Empereur;
que ce fut « une populace soudoyée » qui acclama Napoléon, et que
la femme avait confectionné le drapeau par ordre.
— 101 —
bronne, avec une avant-garde de 200 hommes, pour s'as-
surer du pont de la Bonne et en empêcher la destruction.
Les lanciers polonais, pourvus de chevaux depuis qu'on
avait pénétré dans l'intérieur, avaient devancé Cam-
bronne, et franchissant la Bonne étaient venus demander
des logements au maire de La Mure. A cette heure, c'est
à dire, vers minuit arrivait le bataillon du 5«. Bientôt on
se mêla et les lanciers cherchant à fraterniser avec les
soldats du 5®, les trouvèrent bien disposés mais gênés par
la présence de leurs officiers. Néanmoins il s'établit entre
eux de nombreux entretiens et déjà les soldats du 5' in-
clinaient visiblement vers les lanciers, lorsque le chef de
bataillon Lessard survenu presque aussitôt et redoutant
pour sa troupe le contact des soldats de l'île d'Elbe résolut
de la faire rétrogader et de rebrousser jusqu'au village
de La Frey.
De son côté, Gambronne arrivé aussi à La Mure, crai-
gnant qu'au milieu de ces pourpalers, un homme pris de
vin ne provoquât une collision, ce que Napoléon lui avait
recommandé d'éviter, alla chercher ses gens pour ainsi
dire un à un, afin de les ramener en deçà de Ponthaut.
Ainsi de part et d'autre on abandonna spontanément La
Mure. Toutefois le pont de Ponthaut resta au pouvoir de
Gambronne.
La nuit se passa de la sorte, l'anxiété la plus vive ré-
gnant chez ceux qui étaient chargés d'arrêter Napoléon,
comme chez ceux qui le suivaient.
Napoléon lui même qui avait couché à Gorps était venu
à La Mure où il avait laissé à sa troupe le temps de manger
la soupe et s'était ensuite dirigé sur la position où on lui
disait que se trouvait un bataillon du 5« de ligne, avec
quelques troupes d'artillerie et du génie, dans l'attitude
— 402 —
de gens prêts à se défendre. Les lanciers qui s'étaient
repliés lui avaient dit que les officiers semblaient disposés
à résister, mais que probablement les soldats ne feraient
pas feu. Napoléon regarda quelques temps avec sa lunette
la troupe qui était devant lui pour observer sa conte-
nance et sa position. Dans ce moment, survinrent des
officiers à la demi-solde, déguisés en bourgeois, qui lui
donnèrent des détails sur les sentiments de la troupe
chargée de lui barrer le chemin. — L'artillerie et le génie
ne tireraient pas^ assuraient-ils. Quant à l'infanterie, l'of-
ficier qui la commandait, ordonnerait certainement le
feu, mais on doutait qu'il fût obéi. — Napoléon après
avoir entendu ce rapport, résolut de marcher en avant et
de trancher par un acte d'audace une question qui ne
pouvait plus être décidée autrement. Il rangea sur la
gauche de la route l'avant-garde de Cambronne, sur la
droite le gros de sa colonne et en avant la cinquantaine
de cavaliers qu'il était parvenu à monter. Puis d'une voix
distincte il commanda à ses soldats de mettre l'arme sous
le bras gauche, la pointe en bas, et il prescrivit à l'un de
ses aides de camp de se porter sur le front du o«, de lui
dire qu'il allait s'avancer, et que ceux qui tireraient ré-
pondraient à la France et à la postérité des événements
qu'ils auraient amenés (1).
Ses ordres donnés, il ébranla sa colonne et marcha en
tête, suivi de Cambronne, Drouot et Bertrand. L'aide de
camp envoyé en avant aborda le bataillon, lui répéta les
(1) » Il avait raison, ht-ias ! » rcrit M. Thiers à qui nous emprun-
tons les quelques lignes qni précèdent, « et ceux qu'il interpellait
» ainsi, allaient décider si Waterloo serait inscrit ou non sur les
-> pages sanglantes de notre histoire ! »
— 103 —
paroles de l'Empereur et le lui montra de la main qui
s'approchait. A cet aspect les soldats du 5« furent saisis
d'une anxiété extraordinaire et regardant tantôt Napoléon,
tantôt leur chef, semblaient implorer ce dernier pour
qu'il ne leur imposât pas un devoir impossible à remplir.
Le chef de bataillon les voyant troublés, éperdus, devina
bien qu'ils étaient incapables de tenir devant leur ancien
maître et d'une voix ferme, ordonna de battre en retraite.
— Que voulez vous que je fasse ? dit-il à un aide de camp
du général Marchand qui était en mission auprès de lui ;
ils sont pâles comme la mort et tremblent à l'idée de faire
feu sur cet homme.
C'est ainsi que le 6 mars, à onze heures du soir, l'empe-
reur entra à Grenoble, après avoir fait en six jours
quatre-vingts lieues au travers d'un pays de montagnes
très difficile, accomplissant ainsi une des marches les
plus prodigieuses dont l'histoire porte mention.
Le 7 mars, à 2 heures, l'Empereur passa la revue de
toutes les troupes, alors au nombre de 7,000 hommes.
Une avant-garde de 4,000 hommes fut formée. Gam-
foronne, en en prenant le commandement, demanda des
cartouches.
— Vous n'en aurez pas besoin, général, lui dit l'Empe-
reur, vous ne trouverez que des amis sur toute votre
route.
Le 8 mars, après un jour de repos à Grenoble, la petite
armée, grossie de la garnison qui s'était jointe à elle,
marchait sur Lyon. Cambronne avait pris le commande-
ment du 7« de ligne (colonel Labedoyère) et du 4^ hus-
sards et le 10, Lyon ouvrait ses portes à l'empereur.
Ce fut un enthousiasme indescriptible. Les soldats (dit
le récit de M. Peyrusse) s'embrassent avec transport;
— 404 —
plus de 20.000 citoyens sont rangés sur le quai du Rhône
et sur le cours Napoléon. Tous les officiers et soldats du
24e, du 20" et du 13e de dragons crient : Vive l'Empe-
reur! Bientôt il paraît sur le pont de La Guillotière,
entouré des généraux Bertrand, Drouot et Gambronne,
et l'air retentit de mille vivats sur leur passage.
A partir de ce jour, Cambronne n'exerça plus de com-
mandement effectif, il était à la disposition de Napoléon,
que tantôt il accompagnait, que tantôt il précédait.
Le 13 mars, nous le trouvons à Mâcon, donnant l'ordre
à M. Magol, inspecteur du télégraphe, de suivre l'armée
de l'empereur, pour se porter au besoin sur la ligne
télégraphique et intercepter toute communication avec
Lyon. (1)
Le 17, il est à Auxerre, où Napoléon prépare sa marche
définitive sur Paris. Le soir, à la table du préfet et dans
un cercle plus étroit, composé de Drouot, de Bertrand, de
Cambronne, du préfet de l'Yonne, l'empereur parla de son
audacieuse entreprise.
— J'ai laissé, dit-il, répandre autour de moi que j'étais
d'accord avec les puissances. Il n'en est rien. Je ne suis
d'accord avec personne, pas même avec ceux qu'on accuse
de conspirer à Paris pour ma cause. J'ai vu de l'île d'Elbe
les fautes que l'on commettait et j'ai résolu d'en profiter.
Mon entreprise a toutes les apparences d'un acte d'audace
extraordinaire, et elle n'est en réalité qu'un acte de raison.
C'est de là que, rejoint par le maréchal Ney, l'empereur
(1) Cet ordre (1 p. in-4») est signalé dans le catalogue des autogra-
phes de M. le marquis de Z, vendus le 24 novembre iSoG (Paris, Gha-
ravay, 18o(i in-S") C'est la pièce 02 du catalogue: elle est signée.
La bibliothèque publique de Nantes possède ce catalogue sous le
n» r)8169.
— 105 —
se dirigea sur Fontainebleau. II y passait en revue dans
la cour du palais un régiment de lanciers, quand la garde
de l'île d'Elbe et une partie de son armée, embarquées à
Auxerre sur des bateaux qui les avaient conduites à
Fûssart, arrivèrent pleines d'entrain.
Bien que Cambronne n'eût pas la renommée retentis-
sante de la plupart des généraux de l'empire, le gouver-
nement de Louis XVIII ne s'était pas moins préoccupé
de l'influence qu'il pourrait exercer sur les troupes
envoyées contre l'usurpateur. Les chefs de corps s'en
inquiétaient ; c'est ainsi que le colonel du 43« de ligne
écrivait au ministre de la guerre le maréchal duc de
Trévise, la lettre inédite que voici (1) :
17 mars 1815.
Monsieur le maréchal, le général Cambronne qui est venu de
l'île d'Elbe avec Bonaparte, a servi autrefois dans le ci devant
46e régiment, devenu aujourd'hui 43e, qui est en garnison à
Arras. Quoique Votre Excellence n'ait rien tiré de ce corps, j'ai
cru devoir toujours lui donner cet avis, pour qu'en aucun cas il
ne soit mis en contact avec les troupes de Bonaparte et pour
qu'il soit mis à l'abri de l'influence que le générai Cambronne
pourrait y avoir conservée.
Il en avait été de même de l'ancien 88® de ligne, devenu
le 75«. Un des bataillons de ce régiment était envoyé à
Châlons, mais ordre avait été donné, à cause de Cam-
bronne, « de ne pas le mettre en contact avec les troupes
» de Bonaparte et de veiller plus particulièrement aux
» manœuvres qui pourraient être employées pour le
» corrampre. »
Mais déjà Louis XVIII s'apprêtait à reprendre le chemin
de l'exil.
(1) Archives de la guerre.
— 106 —
Nous n'avons pas à raconter Thistoire bien connue de
l'entrée de l'empereur à Paris dans la soirée du 20 mars.
Dès le lendemain, Napoléon passsa la revue de toutes les
troupes qui composaient alors la garnison de la capitale,
au milieu d'un enthousiasme indescriptible. C'est pendant
cette revue que le général Gambronne et des officiers de la
garde du bataillon de l'île d'Elbe parurent avec les an-
©iennes aigles de la garde.
— Voilà, s'écria l'empereur, voilà les officiers du
bataillon qui m'a accompagné dans mon malheur. Ils sont
tous mes amis. Ils étaient chers à mon cœur I Toutes les
fois que je les voyais, ils me représentaient les différents
régiments de l'armée, car dans ces six cents braves, il y a
des hommes de tous les régiments... En les aimant, c'est
vous tous, soldats de toute l'armée française, que j'aimais.
Ils vous rapportent ces aigles ! qu'elles vous servent de
point de ralliement ! En les donnant à la garde, je les
donne à toute l'armée.
La trahison et des circonstances malheureuses les avaient
couvertes d'un voile funèbre ; mais, grâce au peuple
français et à vous, elles reparaissent resplendissantes de
toute leur gloire. Jurez qu'elles se trouveront toujours et
partout où l'intérêt de la patrie les appellera ; que les
traîtres et ceux qui voudraient envahir notre territoire
n'en puissent jamais soutenir les regards.
Nous le jurons, s'écrièrent avec enthousiasme tous les
soldats.
Est-il vrai, comme l'ont prétendu quelques écrivains,
que Napoléon se montra peu reconnaisant envers ses
anciens compagnons de l'île d'Elbe ? Il n'en serait rien,
en tout cas, du moins quant à Gambronne, qui fut alors
comblé d'honneurs.
— 107 —
Par décret du l^'' avril signé au palais des Tuileries, il
avait été nommé comte de TEmpire (1). Par autre décret
du même jour, il était promu grand officier de la Légion
d'honneur (2). Quelques jours après, le 10 avril, nouveau
décret accordant sur le domaine extraordinaire de l'Em-
pereur aux officiers qui l'ont accompagné à l'isle d'Elbe,
des dotations transraissiblcs à leurs enfants. Camhronne
est le seul qui y ligure pour une dotation de -i.OOO fr.,
tandis (jue les autres dotations varient de 500 à 2,000 fr.
(3). Le 13, pour faire suite au décret d'organisation de la
garde impériale, nouveau décret qui nomme Cambronne
major aux chasseurs à pied (l^' régiment) (4).
Le même jour, 13 avril 1815, Drouot écrivait à Cam-
bronne que TEmpereur avait décidé qu'il avait droit aux
trois mois de gratification accordée à la garde venue de
l'île d'Elbe. C'était une somme de trois mille francs, ainsi
-qu'il résulte de l'état qui en fut dressé quelques jours
après et dont voici le texte même :
Nous, commissairo dos guerres, faisant fonctions de sous-
inspecteur do la gardo impériale venant de l'isle d'Elbe, avons
arrêté le présent état à la somme do trois mille francs, montant
•de la gratification accordée à M. le général Cambronne.
Paris, le 18 avril 18Io.
La Cour.
Ces distinctions honorifiques lui furent reprochées au
cours de son procès.
(1) Arcliives nationales (minutes (les décrets). AF IV. 8;i9-8, pla-
quette fiOfii.
(2) Même dépôt, même plaquette.
(3) Même dépôt 8:i9-9, plaquette 6970.
(4) Même dépôt 8;i9-9, plaquette 6973.
— 108 —
Reprenons ici cette partie de l'interrogatoire de Cam-
bronne :
D. — Combien de temps après son arrivée, Bonaparte vous
donna-t-il ces preuves de sa reconnaissance ?
R. — Je ne peux pas vous le dire, car je n'ai jamais fait
attention à ces choses-là.
D. — En supposant que vous n'y mettiez pas beaucoup d'im-
portance, vous devez vous en rappeler l'époque ?
Vous avez reçu des brevets ?
R. — Je vous donne ma parole d'honneur que je ne me 1©
rappelle pas. Je ne garde jamais de papiers.
D. — Combien de temps à peu près, après votre arrivée,
avez-vous été nommé pair ?
R. — Très longtemps après, je n'ai même pas pu assister à la
première séance.
D. — Quels sont les motifs du refus que vous avez fait du
grade de lieutenant général?
R. — Je me crois dans le cas de commander une division,
quand je suis seul; mais quand on marche avec d'autres... Vous
l'avez vu à Waterloo, nous avions un capitaine très renommé,
eh bien, il n'a pas pu parvenir à mettre tout en ordre. Il y a tant
de jaloux ! on aurait dit que c'était un passe-droit. Les maré-
chaux-de-camp auraient trouvé que j'étais trop jeune lieutenant-
général; on m'aurait laissé dans l'embarras et je ne voulais pas
compromettre le salut de l'armée.
Cette modestie est un des traits caractéristiques du tem-
pérament de Cambronne. C'est encore une marque de
courage que d'oser refuser un honneur dont on craint de
ne p3,s être assez digne. Aux instances réitérées de l'empe-
reur, Cambronne répondait que le salut de l'armée lui
dictait sa résolution : — « Si je suis forcé d'accepter, je
déclare à Votre Majesté que je prendrai ma retraite. » Il
resta donc maréchal-de-camp, major du !«■■ régiment de
— 109 —
chasseurs de la garde impériale dont il avait d'ailleurs
repris le commandement dès l'arrivée de ce corps à Paris.
Enfin, pour qu'aucune distinction ne lui fit défaut, il
fut promu à la pairie (1). Le décret porte :
Au Palais de l'Elysée, le 2 juin 181S.
Sont nommés membres de la Chambre des Pairs... Le lieute-
nant-général comte Gambronne.
D'ailleurs, il semblait si peu se soucier d'être comte
que c'est le titre de baron qu'il déclina lors de sa compa-
rution devant le conseil de guerre.
Quant à la pairie, il n'en exerça jamais les fonctions, il
n'en revendiqua jamais les prérogatives, et à l'heure même
oii le Moniteur enregistrait sa nomination, il partait à
marches forcées pour Avesnes.
La seule distinction qui dut lui tenir à cœur, ce fut sa
promotion comme grand-offîcier de la Légion d'honneur^
faite à la date du l®"" avril et que naturellement le gouver-
nement de la Restauration refusa de ratifier. Il lui fallut
attendre l'avènement de Louis-Philippe pour obtenir, non
sans peine, satisfaction sur ce point.
C'est d'Avesnes que Napoléon l^r lança le 14 juin sa
fameuse proclamation oii il rappelait le glorieux anni-
versaire de Marengo.
La dernière campagne de l'Empire commençait.
(1) Moniteur Universel du mardi 6 juin 1815. p. 6.37. La minute du
décret est aux Archives Nationales AF IV 859 25, plaquette 7067.
CHAPITRE XI
WATERLOO
Dans la journée du 16 juin, Napoléon fit attaquer le
village de Ligny sous Fleurus qui fut emporté, Cambronne
y combattit avec audace; l'ennemi battu partout, ayant
son centre enfoncé et sa droite tournée au delà de Saint-
Amand par la division Girard, abandonna le champ de
bataille et se mit en retraite dans plusieurs directions.
L'armée française se dirigea sur Bruxelles en deux
colonnes, l'une commandée par Napoléon qui devait se
réunir au corps du maréchal Ney, l'autre sous les ordre».
de Grouchy (1).
C'est dans ce trajet qu'elle se heurta aux troupes enne-
mies dans cette immense plaine comprise entre le village
de Waterloo, Braine-L'Alleud et la longue chaussée pavée
qui conduit de Tun à Tautre en passant par Mont-Saint-
Jean.
Nous .n'avons pas la prétention de raconter ici ce que
fut la bataille de Waterloo, cette tentative suprême de
Napoléon contre l'Europe coalisée, cette poussée formi-
dable, ce choc monstrueux de milliers d'hommes contre
des milliers d'hommes bien fait pour inspirer aux sur-
vivants l'horreur profonde de la guerre. Si l'empereur
l'eût emporté^ que fût-il advenu du sort du monde ?
Mais, quelque opinion qu'on professe sur cette terrible
(1) Vie militaire de Cambronne par C. D. (Paris 1822 chez Locart
et Davi) pages 22 et 23.
—111 —
journée qui allait clore dans le sang vingt-cinq années
de conquêtes, quoi qu'on pense du génie de Napoléon
mal servi par son étoile, de la vigueur du duc de Wel-
lington, de la chance dé Blficher, qu'on impute ou non au
maréchal de Grouchy l'issue fatale de la bataille, que les
stratégistes diflerent d'opinion sur les causes du succès
des alliés et de la défaite de l'empereur, il est un point
sur lequel tous ceux qui ont écril, l'histoire de AVatcrloo
et tous ceux qui l'ont faite se sont rencontrés, sans dis-
tinction de nationalités , c'est l'hommage rendu à la
bravoure indomptable des troupes en présence, spéciale-
ment de cette phalange d'élite, sorte de légion sacrée,
qu'on avait nommée hors de pair, quand on avait dit : —
La Garde.
Cambronne en commandait une partie vers la fin de
la journée. Ici à notre récit nous ne saurions mieux faire
que de substituer le dernier épisode de la bataille de
Waterloo, raconté par M. ïhicrs, avec une émotion qui
ne lui est pas habituelle, dans son vingtième volume de
l'Histoire du Consulat et de l'Empire.
L'histoire n'a que quelques désespoirs sublimes ù raconter, et
elle doit les retracer pour rétornel honneur des martyrs de notre
gloire, pour la punition de ceux qui prodiguent sans raison le
sang des hommes ! Les débris des bataillons de la Garde, poussés
pêle-mêle dans le vallon, se battent toujours sans vouloir se
rendre. A ce moment, on entend ce mot qui traverse les siècles
proféré selon les uns par le général (Tambroniiej selon les autres
par le général JMichel : « La Garde meurt et ne se rend pas. »
Cambronne blessé presque mortellement, reste étendu sur le
terrain, ne voulant pas que ces soldats quittent leurs rangs pour
l'emporter. Le 2e bataillon du 3e de grenadiers, demeuré dans
le vallon, réduit de .'iOO à 300 hommes, ayant sous ses pieds ses
propres camarades, devant lui des centaines de cavaliers abattus.
— 112 —
refuse de mettre bas les armes et s'obstine à combattre. Serrant
toujours ses rangs à mesure qu'ils s'éclaircissent, il attend une
dernière attaque et, assailli sur ses quatres faces à la fois, fait une
décharge terrible qui renverse des centaines de cavaliers. Fu-
rieux, l'ennemi amène de l'artillerie et tire à outrance sur les
quatre angles du carré. Les membres de cette forteresse vivante
abattus, le carré se resserre ne présentant plus qu'une forme
irrégulière, mais résistante. Il dédouble ses rangs pour occuper
plus d'espace et protéger ainsi les blessés qui ont cherché asile
dans son sein. Chargé encore une fois, il demeure debout, abat-
tant par son feu de nouveaux ennemis. Trop peu nombreux pour
rester en carré, il profite d'un répit afin de prendre une forme
nouvelle et se réduit à un triangle tourné vers l'ennemi, de ma-
nière à sauver en rétrogradant tout ce qui s'est réfugié derrière
ses baïonnettes. Il est bientôt assailli de nouveau. Ne nous ren-
dons pas î s'écrient ces braves gens qui ne sont plus que cent
cinquante. Tous alors, après avoir tiré une dernière fois, se
précipitent sur la cavalerie acharnée à les poursuivre et avec
leurs baïonnettes, tuent des hommes et des chevaux jusqu'à ce
qu'enfin ils succombent dans ce sublime et dernier effort. Dé-
vouement admirable et que rien ne surpasse dans l'histoire des
siècles !
Cette merveilleuse résistance ifétait-elle qu'un acte
sublime d'inutile, mais admirable bravoure ? N'avftit-elle
pas au contraire un but déterminé qu'elle réussit à at-
teindre ? Un intéressant document trouvé par M. de La
Nicollière aux archives de Nantes et publié depuis peu
in extenso {i),]eiie un jour nouveau sur le dernier épisode
de Waterloo. Il s'agissait de sauver l'Empereur qui allait
Cette lettre de M. Dalidet avait été citée en partie en juillet 1848
au cours d'une polémique qui s'était élevée à propos de Cambroime,
quelques jours après l'inauguration de sa statue entre le Breton et le
National de l'Ouest, journaux de Nantes.
— 113 —
tomber au pouvoir de l'ennemi et M. Dalidet, ami intime
de Cambronne, a enregistré le récit que le général lui en
fit en toute sincérité :
Il n'a point existé de pourpalers entre rennemi et moi ; aucune
sommation d'avoir à me rendre prisonnier n'a été osée ; l'ardeur
du combat s'y opposait d'ailleurs.
Le général Poret de Morvan et moi, nous étions à la tête de
deux régiments de la Garde Impériale, en réserve, au pied du
mont Saint-Jean. Un aide de camp vint à moi, comme plus an-
cien en grade que Poret de Morvan, m'ordonner, de par l'Em-
pereur, d'aller en avant.
— Où faut-il aller, M. l'aide-de-camp ?
— Sur le plateau, mon général.
Aussitôt je prescrivis à Poret de Morvan de mettre les deux
régiments en colonne serrée par division ; je courus en avant
examiner les dispositions de l'ennemi, et voir sur quel point il
serait possible de l'entamer.
En arrivant sur le champ de bataille, je trouvai le corps d'ar-
mée du maréchal Ney foudroyé par l'artillerie ennemie et mis
complètement en route.
A cette narration de Cambronne, s'ajoute celle du gé-
néral Poret de Morvan que M. Dalidet résume ainsi :
Les colonnes anglaises s'étendaient avec une promptitude telld
que Cambronne jugea qu'avant quelques instants l'Empereur
pouvait être enveloppé si, par un grand efifort, on n'arrêtait
l'élan de ses adversaires. 11 descend du plateau et court vers
Poret de Morvan, en lui exprimant, par des paroles énergiques,
son étonnement de le voir l'arme au bras alors qu'un si grand
danger les menace.
Poret de Morvan répond que l'Empereur lui a fait défense
d'avancer.
— Mais l'Empereur ne sait pas. dit alors Cambronne, qu'ils
vont tous nous prendre comme des moutens, lui le premier! ....
8
— H4 —
Allons et mourons plutôt que de nous rendre ; tant que nous nous
exterminerons les uns les autres, il aura le temps de se sauver.
Ainsi les deux régiments atteignirent le plateau.
L'ennemi, voyant une colonne nouvelle et formidable dirigea
sur elle le feu de son artillerie. La première décharge ébrécha
l'angle droit de la colonne. Elle se reforma sans perdre de temps,
mais à la seconde décharge, le général Cambronne fut atteint à
la tète et tomba ; un sergent an filais le releva et reçut pour ré-
compense la bourse du prisonnier.
Le général Poret de Morvan rallia les débris de sa colonne et
sauva du désastre ce qu'il put de ses hommes.
Au dire de M. Dalidet, ce récit des généraux Cambronne
et Poret de Morvan lui a été confirmé en plusieurs occa-
sions par le général Dumoustier qui s'était retiré sur la fin
de sa vie, à Saint-Sébastien, auprès du héros de ce livre.
En apprenant que Cambronne était tombé grièvement
blessé, Napoléon se rappela les ordres qu'il avait donnés :
— Ah 1 le brave ! s'écria-t-il ; il avait bien dit que la
garde mourait et ne se rendait pas.
Quoi qu'il en soit de cette phrase célèbre sur laquelle
nous nous expliquerons plus loin, il reste acquis que la
Garde Impériale commandée par Cambronne se «ouvrit
dans cette journée d'une gloire immortelle.
Il ne nous aurait pas été difficile d'emprunter à d'autres
écrivains, romanciers, stratégistes, historiens, quelque
aussi intéressante citation que celle de Thiers, depuis le
livre du colonel Charras sur la campagne de 1815 jusqu'à
la Chartreuse de Parme de Stendhal et la Foire aux
Vanités du célèbre littérateur anglais Thackeray.
Mais des nombreux documents que nous avons consultés
sur la bataille de Waterloo, nous ne reproduirons que les
passages suivants d'ouvrages anglais, persuadé que nous
— 115 —
ne pouvons mieux faire que de demander à nos ennemis
d'alors déjuger l'admirable conduite de nos soldats. Dans
un livre intitulé Booth's battle of Waterloo qui, publié
dès 1816 à Londres par l'éditeur Booth, renfermait des
appréciations encore toutes vibrantes du champ de bataille,
voici comment était raconté l'épisode du dernier carré:
Thèse vétéran warriors so long esteemed the first troops in
Europe, advanced cross the plain a\ hich divided the two armies,
with a firmness which nothing could exceed ; and though our
grape and canister shot made dreadful havock in their ranks,
they were never disconcerted for a single moment. Our infantry
remained firm in their position until the enemy's front line was
nearly in contact with Ihem, when, with the usual sainte of a
well directed voUey and a British cheer, they rushed on to the
charge with bayonets. This charge cven the Impérial Guard
could not stand against and those undaunted troops, who at one
time considered themselves the conqucrors of Iho \\ orld, were
obliged to give way. In this attack, the british and french Guards
were, for the first time, I believe, fairly opposed to cach other.
The shock for a moment was dreadful. The enemy refused to
take or givo quarter and the carnage was horrible. (1)
Traduction
Ces vieux soldats, si longtemps regardés comme les premières
troupes de l'Europe, s'avançaient à travers la plaine qui séparait
les doux armées avec une solidité que rien ne pouvait surpasser,
et quoique notre artillerie, avec ses boites à mitraille, fit de
terribles ravages dans leurs rangs, ils n'en furent pas un seul
instant troublés. Notre infanterie resta immobile dans ses posi-
tions jusqu'à ce que le premier rang de l'ennemi fût presqu'en
contact avec elle. Alors, soutenu par le salut habituel d'une salve
d'artillerie bien dirigée et avec une joyeuse acclamation britan-
(1) Booth's battle of Waterloo, London, 1816, p. 103.
— 116 —
nique, nos soldats se précipitèrent à la charge, la baïonnette an
canon. Cette charge, la garde impériale elle-même n'y put résister
et ces soldats invincibles qui à un moment s'étaient considérés
comme les maîtres du monde, durent plier. Cette attaque fut, je
crois, la première où la garde française et la garde anglaise
furent vraiment opposées l'une à l'autre. Le choc pendant un
instant fut épouvantable. L'ennemi refusait tout quartier pour
nous et pour lui-même. Ce fut un horrible massacre.
Un autre ouvrage, de môme origine, mais de date plus
récente, précise mieux encore la belle défense de la garde
impériale (1).
Four squares of the old impérial guard yet remained. With
thèse Napoléon endeavoured to cover his retreat which was now
inévitable ; but they were embarrassed and borne away by the
crowd of fugitives and unablc to resist the overwhelming force
of English and Prussians which no\\ pressed upon them. They
defended themselves with a gallantry which excited the admira-
tion of Iheir foes. The Duke of Wellington would hâve prevented
the useless sacrifice of their lives and summoned them to sur-
rendei-. But, with a high sensé of military honour which we are
compelled to regard with respect and vénération, though we
think that it was hère erroneous and overstrained, they refused
to \ icld and slowly retreating inch by imch, w ère almost entirely
annihilated.
Thaduciion
Quatre carrés de la Vieille Garde impériale tenaient toujours.
Avec leur aide Napoléon s'efforçait de couvrir sa retraite devenue
désormais inévitable, mais ils étaient embarrassés et emportés
par la foule des fuyards, par suite incapables de résister aux force»
(1) A Sketch of the buttle of Waterloo to which are added officiai
desi)atcht;s of fielri niarshal tho duke of Wellington, field marchai
prince Blucher and reflexions by gênerai Muffling. Brussels, Pratt and
Darry, 1833, in-12» (pages 42 et 43).
— 447 —
accablantes des Anglais et des Prussiens qui à présent fondaient
sur eux. Ils se défendaient avec une bravoure qui excitait
l'admiration de leurs ennemis. Le duc de Wellington, désiréiiï
de prévenir cet inutile sacrifice de leurs vies, les fit sommer de
se rendre. Mais, obéissant à un noble sentiment d'honneur
militaire que nous sommes obligés de considérer avec une respec-
tueuse vénération, tout en le trouvant erroné et excessif, ils
refusèrent de céder et battant lentement, pied à pied, en retraite,
ils furent tués presque jusqu'au dernier.
Nous ne connaissons pas beaucoup de pages chez nos
écrivains nationaux, qui vaillent ce magnifique éloge
tombe volontairement de la plume d'un ennemi. Le général
Garabronne avait sa grande part dans l'expression de ces
sentiments d'admiration. Gomme le raconte M. Thiers,
blessé presque mortellement, il reste étendu sur le terrain,
refusant l'aide de ses soldats qui s'apprêtent à quitter les
rangs pour l'emporter. Ses blessures étaient graves. Une
balle lui avait ouvert le crâne au-dessus de l'œil gauche.
Le bras droit, le côté droit, la jambe droite étaient marqués
de plusieurs coups de sabre ou de mitraille; un coup de
baïonnette lui avait fracassé le petit doigt de la main
droite. Tout couvert de sang, les vêtements déchirés, il
était couché évanoui, à demi-mort au milieu de ceux qui
l'étaient tout-à-fait, quand, la bataille terminée, des
soldats anglais qui avaient reconnu sa qualité à son
uniforme, l'entourent et le font prisonnier.
Ge fut une grande joie qu'une pareille capture dans
l'état-major des armées victorieuses. Le duc de Wellington
écrivait dès le lendemain 19 juin 4845 de Bruxelles au
comte Bathurst :
Hâve 5000 prisoners, above 2000 more coming in to-morrow.
Among the prisoners are the comte de Lobau who commandée
— H8 —
tho 6 t'» corps and Gen. Cambrone who commandée! a division
of the Guards. Propose to send the whole to England by Os-
tond. (1)
De son côté, le feld maréchal Blûcher, dans son récit
olTiciel des opérations de l'armée prussienne, dont nous
avons eu la traduction anglaise en mains notait la prise
du général Gambronne : (2)
We hâve not yet any exact account of the eneniy's loss ;
it is enough to kno^^ that t\\ o Ihirds of tho whole were killcd,
Avounded or prisoners, among the lattcr are gênerais Mouton,
Duhesrae and Gambronne. (3)
Enfin le général Miguel Alava, ministre plénipotentiaire
d'Espagne auprès du roi des Pays-Bas, qui avait assisté
auprès du duc de Wellington à la bataille de Waterloo, en
adressait dès le 20 juin, de Bruxelles, un compte-rendu à
son ministre don Pedro Gevallos.
Le nombre des prisonniers, écrit-il, ne peut pas encore être
établi, car il en arrive en grand nombre à toute heure. 11 y a
beaucoup de généraux parmi eux, entr'autres le comte de Lobau,
aide de camp de Bonaparte et Gambronne qui raccompagnait à
nie d'Elbe.
Ici nous ouvrons une large parenthèse.
(1) Nous avons 5000 prisonniers, phis de 2000 autres arriveront
demain. Parmi les prisonniers, figurent It; comte de Lobau qui com-
mandait le 6"= corps et le général Qmibronne qui commandait une
division de la Garde. Je me propose de les envoyer tous en Angle-
terre par Ostende.
(2) Marslial Ulucher's officiai reporlof tho opérations of the prussian
army of the Lower Rhine, subscribed hy gênerai Gneisenau, i»p. 70,
11 et ss.
(3) Nous n'avons pas encoi-o le compte exact des pertes de l'ennemi :
il suffit de savoir que les deux tiers de cette armée sont morts, blessés
ou prisonniers. Parmi ces derniers, figurent les généraux Mouton,
Duhesme et Gambronne.
CHAPITRE XII
LE MOT DE CAMBRONNE
C'est maintenant en effet que se pose la question si
souvent discutée, si diversement résolue et que la voix
du peuple a tranchée en faveur du héros de cette histoire :
A-t-il été prononcé un mot, une phrase mémorable sur
le champ de bataille de Waterloo ?
Cette phrase, quelle était-elle ?
Et qui l'a prononcée ? le général Michel ou le général
Cambronne ou tous les deux peut-être?
Ce mot que les héritiers du général Michel n'ont jamais
revendiqué, ce mot bien senti dont la grossièreté habituelle
disparaît presque au milieu de la surexcitation d'une
admirable résistance, Cambronne l'a-t-il jeté à la face de
l'ennemi ?
Nous nous proposons, sur cette curieuse question
d'histoire contemporaine, de mettre sous les yeux du
lecteur, tous les documents que nous avons pu réunir,
toutes les confidences que nous avons reçues d'hommes
de bonne foi à qui Cambronne avait parlé et nous donne-
rons ensuite notre avis personnel.
La garde meurt et ne se rend pas.
Oui, ce cri de la lutte à outrance, ce désaveu du sauve
qui peut qui se faisait entendre pour la première fois
dans les rangs de la grande armée, cette phrase de
bravoure, de désespoir, de rage qui était comme le testa-
— 120 —
ment de la vieille garde, a été proférée à la fin de la
sanglante journée de Waterloo.
Le devoir qui commandait de mourir plutôt que de
lâcher pied, plutôt que de capituler, était trop profondé-
ment ancré au cœur de ces hommes qui avaient fait les
campagnes de la République du Consultât et de l'Empire
pour qu'il pût venir à l'esprit d'aucun d'entr'eux d'y
manquer alors surtout qu'ils voyaient que tout était perdu,
fort l'honneur. Ils avaient si souvent consenti au sacrifice
de leur vie qu'ils ne tenaient vraiment pas à la conserver
au prix d'une forfaiture envers l'empereur et la patrie,
Libre aux jeunes recrues épouvantées devant ces
batailles de géants de se sentir déconcertées, démoralisées
et de songer avant tout à la fuite pour l'existence, à la
soumission devant la supériorité numérique de l'ennemi.
La vieille garde, sans peur et sans reproche, fût morte
jusqu'au dernier homme et ce n'est de la faute de personne
si quelques-uns ont survécu.
La page émouvante autant qu'émue que M. Thiers a
consacrée à ce dernier épisode et que nous avons repro-
duite, affirme le cri mémorable, en hésitant à qui en
attribuer l'honneur.
Pour l'historien des batailles de l'Empire, point de
doute. Oui, la phrase: La garde meurt et ne se rend pas,
a été prononcée à Waterloo et comment hésiterait-on à le
croire quand, quelques jours après, elle était consignée
par un journal de Paris, V Indépendant, le bisaïeul du
Constitutionnel, reproduite immédiatement par le /ourna/
général et le Journal de Paris et portée ainsi, par la voie
de la presse, à la connaissance de la France entière.
Le mois suivant, Casimir Delavigne, dans sa Messénienne
— 121 —
sur la bataille de Waterloo, enregistrait, à son tour, ce
cri fameux :
Parmi des tourbillons de flamme et de fumée,
0 douleur! quel spectacle à mes yeux vient s'offrir?
Le bataillon sacré, seul devant tme armée.
S'arrête pour mourir.
C'est en vain que, surpris d'une vertu si rare.
Les vainqueurs dans leurs mains retiennent le trépas;
Fier de la conquérir, il y court, s'en empare :
La garde, avait-il dit, meurt et ne se rend pas.
On dit qu'en les voyant couchés dans la poussière.
D'un respect douloureux frappé par tant d 'exploits,
L'ennemi, l'œil fixé sur leur face guerrière.
Les regarda sans peur pour la première fois.
Citons encore une autre oeuvre de la même époque,
publiée dans le dernier volume des Victoires et Conquêtes,
signée : M. Lefèvre, de Rouen et qui, elle aussi, met en
vede-tte ;dans le refrain de ses trois strophes, la phrase
dont nous parlons :
Dernier cri de la garde impériale
Ils ne sont plus, les fils de la victoire!
Mars a trahi leurs efforts et nos vœux.
Pleurez, Français! L'appui de votre gloire
Est descendu dans la tombe avec eux.
A leur valeur, l'Anglais rendant hommage
Voulut en vain les soustraire au trépas ;
es preux ont dit en volant au carnage :
« La garde meurt, elle ne se rend pas. »
Toi qui deux fois leur dus le diadème.
Toi qui sans eux eus gémi dans les fers.
Napoléon, à cette heure suprême.
Te verra-t-on partager leurs revers ?
422
Ils sont tombés, les hi'ros de la Franci',
Et toi, tu fuis du milieu des combats:
Tu fuis donc, sourd à ce cri de vaillance :
« La garde meurt, elle ne se rend pas. »
Dix Rois ligués ont fait fléchir ta tête,
Fratirais trop fier de les avoir vaincus;
Pour t' affranchir du joug de leur conquête,
Tu tenterais des efforts superflus :
Mais si jamais l 'heure de la vengeance
Vient à sonner, magnanimes soldats.
Ralliez-vous à ce cri de vaillance:
« La garde meurt, elle ne se rend pas. »
L'opinion publique était alors unanime à attribuer aw
général Cambronne cette sublime protestation, bien qu'avec-
sa modestie il s'en défendît fort toutes les fois qu'on
l'interrogeait sur ce point et qu'il se plût à en fairft
rejaillir l'honneur sur la vieille garde tout entière..
Comment a-t-il donc pu se reproduire une rcclamation
véritablement passionnée dans l'intérêt du général Michel?'
Cet ofticier avait été tué à Waterloo et pendant de longues
années, personne ne songea à revendiquer à son profit
une phrase que les publicistes!, écho fidèle du sentiment
unanime, avaient toujours inscrite à l'actif de Cam-
bronne (1). Ce n'est que trente ans plus tard, en 18-45,.
nous pourrions presque dire qu'il y avait prescription,.
qu'à la date du 11 août, M. le comte Michel, capitaine am
45« de ligne, en garnison à Bordeaux et M. le baron Michel,.
(1) Dans ses Soîivenirs intimes du temps de l'Empire publiés e».
1841, Emile Marco de Saint-Ililaire, parlant dos sublimes paroles,,
disait :
i< Appartiennent-elles à Cambronne, déjà grièvement blessé ou à
Dorsenne ou à Michel, tous deux tués en môme temps?... Peut-être,,
car celui qui les prononça ne dut pas leur survivre. »
— 123 —
auditeur au Conseil d'Etat, sous-préfet de Bar-sur-Aube,
tous deux fils du général, s'avisèrent d'envoyer une som-
mation par voie d'huissier au maire de Nantes pour lui
défendre expressément de faire graver ces mots: La garde
meurt et ne se rend pas sur le monument que cette ville
était en train d'élever au général Cambronne.
Les fils du général Michel avaient pris leur temps.
Depuis 1815, ils étaient restés inactifs, alors que rien ne
les empêchait de procéder auprès des survivants de la
grande armée à une enquête minutieuse et contradictoire
et ils avaient cru devoir attendre la mort de Cambronne
pour se donner la tâche de lui ravir sa sublime protes*
tation de Waterloo.
La sommation judiciaire lancée au maire de Nantes est
à la date du 11 août 1845, comme nous venons de le dire,
mais déjà, au lendemain de l'ordonnance royale du
8 décembre 1842 qui autorisait l'érection d'un monument
à la gloire de Cambronne, les fils du général Michel
s'étaient mis en campagne pour recueillir des documents
et revendiquer exclusivement au profit de leur père une
gloire qui ne lui revenait pas du tout ou du moins qu'il lui
appartenait de partager avec le héros nantais.
Que citaient-ils, à l'appui de leurs prétentions, dans
leur requête au Conseil d'Etat? D'abord quelques historiens
contemporains et quelques écrivains militaires dont les
uns n'attribuaient pas expressément à Cambronne la
réponse en litige, dont les autres l'attribuaient au contraire
au général Michel. C'était V Univers (Annales historiques
de la France tome 2, p. 642) qui reporte à la garde
impériale tout entière la phrase mémorable ; la Biographie
des Contemporains de Rabbe (tome l*"^, page 736) d'après
laquelle Cambronne ne prononça pas les mots qu'on lui
attribue généralement : « La garde meurt et ne se rend
pas »; le Dictionnaire biographique des morts et des
vivants par Fliniaux (tome 7, page 718) qui emprunte
l'opinion de la Biographie des Hommes vivants de
Michaud (article Gambronne) qui constate qu'aucun rapport
officiel ne fait mention des paroles en question, mais que
les journaux les ont rapportées à l'honneur de Cambronne.
Ces témoignages sans date, sans signature sont, on
l'avouera, bien peu probants. Que des revues biographiques
qui se pillent, d'ordinaire sans se contrôler, affirment ou
contestent l'exactitude d'un fait, cela ne prouve guère
qu'il soit vrai ou qu'il soit faux.
Il faut autre chose et les fils du général Michel l'ont
bien compris, en faisant intervenir des déclarations plus
intéressantes et plus personnelles. Un témoin dont ils
n'ont pas donné le nom, mais dont les dires auraient été
corroborés par M. Gordier, député du Jura sous Louis-
Philippe, a, disaient-ils, raconté ce qui suit :
« J'habitais Dunkerque à l'époque où le général Gam-
» bronne commandant le département du Nord, fit
» plusieurs voyages à Dunkerque.
» M. Gordier, alors directeur ingénieur en chef à Lille,
» se trouvait toujours à Dunkerque, quand le préfet et le
)) général Gambronne s'y transportaient en conseil de
» révision. Lui, comme moi^ nous avons entendu plusieurs
» fois le général se défendre de la manière la plus posi-
» tive d'avoir tenu les paroles sublimes qu'on lui attri-
» buait. »
Que vaut la déclaration de M. Maurice Duval, pair de
France en 1845, mais ancien préfet de la Loire-Inférieure,
que le débat historique soulevé entre le général Gambronne
et le général Michel préoccupait aussi : « Parlant à Nantes,
— 125 —
» dit-il, avec le général Gambronne de la bataille de
» Waterloo et de la réponse que la voix publique lui
» ttribue, il m'a répondu que ces paroles héroïques ne
» lui appartenaient pas plus qu'à la garde impériale qui
» tout entière les a scellés de son sang... J'ai invité M. le
» maire de Nantes à ne pas donner lieu à un débat dont
» le résultat ne pourrait Hve aussi complet qu'il voudrait
» l'obtenir, car j'ai reconnu à Nantes même beaucoup
» d'incertitude excitée par le général Gambronne lui-
» même. »
G'est là chose très-possible, étant donnée l'extrême
réserve du général qui n'aimait pas les compliments et qui
se défendait fort de les mériter, même au détriment de la
vérité. G'est ce qu'il est facile de lire dans un autre docu-
ment dont les enfants du général Michel se sont servis
dans leur mémoire au Gonseil d'Etat, mais en commettant
la faute de le tronquer et de n'en pas citer les lignes
défavorables à leur système. Il s'agissait d'une lettre
confidentielle du maire de Nantes, 31. Ferdinand Favre,
au préfet, à la date du 24 novembre 1843 :
« Le général dont chacun connaît la simplicité antique
t et l'extrême modestie, s"en est toujours défendu person-
» nellement, à la vérité disant que c'était le cri de
» l'armée tout entière, mais sans que jamais dans ses
» épanchements les plus intimes il ait jamais proféré le
» nom du général Michel ou de tout autre. »
Mais M. Ferdinand Favre ajoutait (et c'est là ce que les
enfants du général Michel se gardaient bien de repro-
duire) :
« Pour tous ceux qui l'ont entendu, il résultait de son
» embarras et de la manière un peu gauche dont sa
— 126 —
» franchise habituelle niait la chose que la voix publique
» avait eu raison de lui en attribuer l'honneur.
» Voilà ce que pourront vous certifier les personnes
» qui ont été honorées de l'amitié du brave Cambronne,
» notamment M. Mathurin Gheguillaume, mon premier
» adjoint, qui a longtemps vécu dans son intimité. »
Avec ce commentaire, la déclaration du maire de
Nantes prend une importance considérable, mais dans un
tout autre sens et nous verrons dans un instant s'il
n'avait pas absolument raison. Mais allons jusqu'au bout
et voyons ce que valent les derniers témoignages invoqués
en faveur du général Michel.
C'est d'abord celui de M. Pons (de l'Hérault) qui
s'exprime ainsi :
« Le général Michel avait fait former le carré à la jeune
» garde qu'il commandait. Un autre carré qui était près
» du sien, venait d'être enfoncé et le péril était imminent.
> Alors le général Michel réunit les officiers en cercle, il
» les harangua brièvement, énergiquement et il termina
» sa harangue par ces mots d'éternelle mémoire : La
« garde meurt et ne se rend pas. »
Fâcheux témoignage que celui-là pour le général
Michel, parce qu'à force de vouloir préciser, il finit par
ne rien prouver du tout, ou plutôt par prouver le con-
traire de ce qu'il prétendait.
M. Pons (de l'Hérault) dans le certificat délivré avec
trop de complaisance peut-être aux fils du général
Michel, reconnaît qu'il tient ses renseignements de « plu-
sieurs officiers honorables ». W aurait mieux fait de les
nommer, pour permettre de contrôler auprès d'eux un
témoignage qui risquait d'être tronqué en passant par
trop de bouches.
— 127 —
Ce n'est plus à l'ennemi, en réponse à une sommation
de se rendre, que le général Michel aurait jeté cette fière
jparole : c'est à ses officiers, à ses soldats rangés en cercle
autour de lui. Tous pourtant ne moururent pas à Waterloo
auprès de leur général : d'où vient que pas un seul n'ait
depuis 1815 reproduit, sous sa signature, le récit absolu-
ment nouveau de M. Pons que les derniers témoins
favorables au général Michel ne confirment pas?
D'ailleurs, comme on l'a vu plus haut, Pons attribue,
dans son Histoire de Napoléon, la môme phrase à
Cambronne. Il aurait dû alors en conclure que les deux
généraux l'avaient également prononcée.
Un vétéran de l'armée, le baron Martenot, resté, à son
témoignage, le dernier sur le champ de bataille avec le
^« bataillon du le"" régiment' de grenadiers de la vieille
garde, certifie, il est vrai, que les paroles attribuées à
Cambronne ont été prononcées par le général Michel et il
croit que son ami, le généralHarlé, encore vivant en 1845,
Ternit la même déclaration. Mais les héritiers du général
Michel n'ont pas interrogé le général Harlé ou n'en ont
rien obtenu de bon pour leur cause et les dires du baron
"Martenot qui ne précisent aucune des circonstances dans
lesquelles ces mots auraient été proférés, sont tellement
vagues et indécis qu'il est bien difficile d'y ajouter foi.
Il ne resterait qu'une dernière déclaration : celle du
général Bertrand qui ne lui a pas donné la forme d'une
lettre, mais l'a consignée sur une pierre détachée du
tombeau de l'empereur à Sainte-Hélène. Le général y
aurait écrit :
« A la comtesse Michel, veuve du général Michel tué à
Waterloo, oii il répondit aux sommations de l'ennemi
— 128 —
par ces paroles sublimes : « La garde meurt et ne se rend
pas! »
Nous aurions bien voulu voir ce dernier document
autrement que dans la requête au Conseil d'Etat et en
vérifier l'authenticité de plus près. Au surplus nous no
pensons pas que ces pièces sollicitées par les intéressés au
moment même où ils voulaient intenter un procès à la
ville de Nantes, auprès de vieux soldats dont les souvenirs
avaient pu s'affaiblir près de trente ans après ces événe-
ments, puissent être mises en comparaison avec les
témoignages qui militent en faveur de Cambronne.
Le premier de tous qu'aucun historiographe du général
n'a mis en vedette, et qui, s'il ne constitue pas un rapport
officiel de la bataille, date du mois de juin 1815, c'est-à-
dire des jours qui l'ont suivie, c'est le compte-rendu de la
séance de la chambre des représentants du 28 juin, tenue
sous la présidence du comte Lanjuinais. Malgré l'effon-
drement du gouvernement impérial et l'imminence du
retour des Bourbons, la Chambre avait cru devoir, en face
de l'invasion étrangère, saluer respectueusement les morts
glorieux de Waterloo. Cette séance mérite d'être lue
tout entière, comme une consolation de la conduite de
ceux qui se prosternèrent lâchement aux pieds des vain-
queurs. Voici la partie qui intéresse notre récit :
Chambre des Représentants
Présidence de M. le comte Lanjuinais
Séance du 28 juin
M. Dumolard. — Je demande qu'il soit déclaré que les bravés
qui ont péri à Fleurus et à Mont-Saint-Jean ont bien mérité de
la patrie. Je demande que le gouvernement soit chargé de vous
— 129 —
faire connaître l'état des familles de ces braves et quels témoi-
gnages de la reconnaissance publique la patrie peut encore leur
prodiguer.
M. Garât. — J'appuie la motion de notre collègue Dumolard.
L'armée a acquis de nouveaux titres de gloire dans ces champs
de bataille où sont tombés tant de milliers de braves. Ces traits
doivent être recueillis, et peut-être devraient-ils seuls composer
toute l'adresse à l'armée que propose M. Jay. L'exemple est le
plus bel encouragement qu'on puisse donner au soldat. Je voudrais
qu'on n'en perdît aucun^ que l'on consacrât ce mot d'un soldat
qui dit : L'on meurt ^ et l'on ne se rend pas. Je demande que les
généraux et les autres membres militaires de cette assemblée se
réunissent pour les citer.
M. Pénières — Le nom de l'officier qui a prononcé ces paroles
ne doit point être ignoré; c'est le brave Cambronne. On lui dit
de se rendre. La garde, répond-il, menrt et ne se rend pas.
On demande de toutes parts le renvoi à une commission.
Le renvoi est adopté.
La commission est composée des généraux Raimond, Mouton-
Duvernet, et MM. Jay, Garât et Dupont (de l'Eure).
Voilà vraisemblement la pièce officielle à laquelle les
journaux empruntèrent la phrase et le nom de Cambronne.
Le dictionnaire Larousse qui cite une demi-douzaine de
feuilles plus ou moins connues comme ayant mentionné
ou reproduit ces belles paroles, a négligé de consulter le
Moniteur Universel. (1)
Qui donc protesta à cette époque contre l'attribution
qui venait d'être faite à Cambronne par le représentant
Pénières, député de la Corrèze? Personne, absolument
personne, parmi les survivants de Waterloo, parmi ces
brigands de la Loire que la Restauration allait casser
(1) Moniteur Universel du jeudi 29 juin 1813, page 747.
9
— 430 —
aux gages et traiter en ennemis de la France pour laquelle,
ils avaient avec tant de désintéressement prodigué leur
sang.
Au moment où Napoléon montait sur le Bellérophon
et quittait la France pour s'asseoir au singulier foyer que
lui préparait l'hospitalité britannique, c'est-à-dire dès
1815 le pamphlétaire royaliste Martainville publiait chez
Dentu un violent libelle: Buonaparte ou l'abus de l'abdi-
cation, pièce historico-romantico-héroïco-boufîpnne en
cinq actes, où les sarcasmes n'étaient épargnés ni à
l'empereur, ni aux généraux qui lui étaient restés fidèles.
Au second acte, qui se passe à Lyon, place Bellecour,
sont en scène Cambrone (sic), Bertrand, Urouot, Lemar-
chand, Lefevre-Desnouettes, Brayer, Buonapayte.
Ce dernier passe la garde nationale en revue et le
silence n'est interrompu (nous copions textuellement) que
par un pet de cheval.
Cambrone (furieux). — Quelle insolence! Quoi! au nez de
Sa Majesté ! ■
Un citoyen (avec sang-froid). — C'est un cheval.
Un officier. — Où est-il ? Il faut un exemple...
Buonaparte. — Calmez-vous, je n'ai rien entendu... Trop
d'innocents seraient frappés pour un coupable...
La garde nationale à cheval. — Vive la violette !
Cambronne ne joue plus qu'un rôle muet ou insignifiant
dans le reste de l'acte, mais nous le retrouvons à l'acte
troisième, scène VI, dans le cabinet de l'empereur et à
l'acte quatrième, scène XI, à Waterloo. A'oici les quelques
lignes qui nous intéressent :
ACTE III, SCÈNE VI. — Le Cabinet de l'Empereur
Lefevre-Desnoettes. — Nous nous battrons comme des déter-
minés.
— 131 —
Cambrone. — L'ennemi n'aura pas un seul de nous vivant.
Nous vaincrons ou nous mourrons... comme vous^ sire.
Buonaparte. — Mon cher Cambrone, ces choses-là se promettent
sans condition.
ACTE IV, SCÈNE XL — Waterloo
Un aide de camp. — La garde est taillée en pièces.
Buonaparte. — Diable!
L'aide-de-camp. — Elle s'est précipitée avec trop d'aveuglement
et s'est fait envelopper. Rendez- vous, braves gens, rendez-vous,
leur criait-on do tous côtés. « La garde meurt et ne se rend pas »,
répond fièrement le' général Cambrone ; et la garde n'existe plus.
Buonaparte. — Comme cela, Cambrone est mort.
L'aide-de-camp. — Non, sire, il s'est rendu.
Buonaparte. — Comment, après avoir dit que la garde mourait
et ne se rendait pas.
L'aide-de-camp. — Sire, il était blessé!
Buonaparte. — Belle excuse!...
Ainsi, dans ce pamphlet hostile à Gambronne, puisque
l'auteur lui fait un reproche de n'être pas mort et de
s'être rendu, comme si, couvert de blessure», ramassé
sur un monceau de cadavres, Gambronne n'avait pas
vaillamment tenu sa parole, la belle phrase dont nous
recherchons la paternité, lui est formellement attribuée
et pourtant Martainville, au point de vue de sa polémique
avait plutôt à lui à en contester le mérite. Et c'était en
1815, c'est-à-dire au lendemain même de Waterloo, alors
que les témoins ne manquaient pas pour protester s'il y
avait lieu I
Un autre ouvrage de la même époque. Précis des
Journées des i5, i6, ly et i8 Juin 1815 ou Jin de da vie
politique de Napoléon Bonaparte, par Giraud (Paris,
Alexis Eymery, libraire, 1815) constate aussi que cette
— 132 —
belle réponse est généralement attribuée à Cambronne.
Il ajoute que pour être vrai en tout, il faut remarquer
que quelques personnes la révoquent en doute. C'est là
encore un livre hostile au régime déchu !
Dans la préface d'une brochure que nous avons déjà
citée (1) et qui parut — notons bien cette date — en 1816
au lendemain du procès, l'auteur anonyme écrit :
« Aurait-elle craint de se lever dans le sanctuaire, cette
» tête couverte de cicatrices et de lauriers ? et cette voix
» pouvait-elle trembler, en demandant une réparation de
» l'honneur, qui, du milieu de nos rangs, criait aux
» Anglais, dans la journée de Waterloo : « La garde
» meurt et ne se rend pas ? »
Deux ans après, vers la fin de 1818, à propos d'un vers
de Bélisaire de M. de Jouy, quelques gazettes se dispu-
taient sur l'authencité de la phrase attribuée au général
Cambronne ; La garde meurt et ne se rend pas. Le Journal
des Débats, alors tout acquis à la dynastie des Bourbons
ne l'oublions pas, contesta non seulement le mérite du
général, mais même l'authenticité de la phrase (2);
Persuadé, disait l'auteur du feuilleton qui no signait que d'un
V majuscule, qu'on peut disputer l'honneur d'une phrase ron-
flante au générai Cambrone (sic) sans rien ôter à sa réputation
militaire, nous nous faisons un devoir de déclarer que tout Paris
a pu savoir de la bouche du général Cambrone lui-môme qu'il
avait appris cette exclamation monumentale par la gazette, et
qu'il ne se souvenait nullement d'avoir rien dit qui en approchât.
Il est donc juste d'en restituer la gloire à qui elle appartient,
c'est-à-dire à un rédacteur du Journal Général qui l'a proférée,
trois jours après l'affaire, à la tête d'une des colonnes... de ce
journal, auquel le sobriquet de Journal Militaire en est resté.
(1) Procès du général Cambronne (voir la note de la page 23).
(2) Journal des DébaU du 16 Décembre 1818.
— 133 —
Tout Paris ne fut pas de l'avis du Journal des Débats
et l'exemplaire suivant de la Minerve, une revue libérale
que Benjamin Constant et ses amis publiaient alors, non
sans mille difficultés avec la censure, contenait une réplique
chaleureuse, quelque peu emphatique du général Berton
qui revendiquait pour Cambronne l'honneur de l'héroïque
réponse. Berton, le futur conspirateur de Saumur, avait
été nommé général de brigade en 1813 à peu près en même
temps que Cambronne. A Waterloo, c'est lui qui comman-
dait les dragons d'Excelmans et depuis il a écrit l'histoire
de la terrible bataille (1). Il avait retrouvé son compagnon
d'armes en prison, à l'Abbaye, vers la fin de 1815.
Cambronne y attendait son jugement, Berton qui y
demeura une année tout entière sans que le gouvernement
lui eût jamais donné le motif de son incarcération et qui
en sortit sans le connaître, attendait tranquillement sa
mise en liberté. Ainsi rapprochés par la même infortune,
les deux généraux durent échanger plus d'une confidence,
durent parler plus d'une fois de la journée qui vit la chute
de l'Empereur, et c'est ce qui donne à la lettre de Berton
que Cambronne ne démentit pas, qu'il avait peut-être
inspirée, une importance incontestable (2). La voici dans
son entier :
AUX AUTEURS DE LA MINERVE.
Paris, 18 Décembre 1818.
Messieurs,
Je vous prie de vouloir bien me permettre d'adresser, par
l'intermédiaire de la Minerve, des remerciements au rédacteur du
(1) Précis historique, militaire et critique des batailles de Fleurus
et de Waterloo, dans la campagne de Flandres en juin 1815. (Paris,
Delaunay, 1818, 1 vol. in-8o br. avec une carte coloriée.)
(2) La Minerve.
— 434 —
Journal du Commerce et à celui du Journal général de France,
pour la défense du général Cambronne, mon ami, qu'ils ont bien
voulu prendre {15 et 17 décembre) contre des rédacteurs de
feuilles ennemies de la gloire française.
Quels sont donc les infâmes qui cherchent sans cesse à ravaler
cette gloire nationale commune à tous les amis de la patrie^ de
quelque opinion qu'ils puissent être ?
Dans un pamphlet apocryphe, à propos d'un vers de Béltsatre,
trouvé mauvais parce qu'il rappelle ces nobles paroles de Cam-
bronne : La garde meurt elle ne se rend pas, l'écrivain anonyme
dit : Il n'est pas mort, il s'est rendu ; et, comme de raison, ses
deux satellites quotidiens, dans leurs feuilles du 14 et du 16
décembre, ont fait écho.
Si de pareils hommes avaient osé regarder en face l'illustre
guerrier qu'ils outragent, ils auraient vu sur son front cette noble
cicatrice d'un plomb ennemi qui le fit tomber sans connaissance
à la tête des grenadiers qu'il commandait ; ceux-ci, le croyant
mort, se firent un devoir d'enlever son épée pour la soustraire
aux vainqueurs. Le carré que commandait Cambronne s'était
douloureusement éloigné de son chef ; le courage de cet intré-
pide guerrier ranima ses forces que la douleur et une perte
abondante de sang n'avaient que momentanément abattues ; il
essayait de se relever, en tournant ses regards vers les siens,
lorsqu'un officier anglais aecourut sur lui, l'épée à la main, en
lui criant : Vous êtes prisonnier, général, comment vous appelez-
vous? Il prononça son nom et il fut accueilli avec respect parmi
les ennemis de la France.
Cambronne, détenu en Angleterre, apprend qu'il est porté sur
la première liste de l'ordonnance du 24 juillet, et que son respec-
table chef, le général Drouot, est venu se constituer prisonnier;
il obtient la permission de suivre un si bel exemple et en homme
sans peur et sans reproche, il accourt à Paris. Vils détracteurs,
dont les efforts impuissants tendent à déprécier ce modèle de
l'honneur, seriez-vous capables d'un tel dévouement? Il est venu
— 135 —
affronter votre rage, que la justice qu'on lui a rendue, n'a fait
qu'augmenter.
Pour la première et dernière fois, messieurs, soufl'rez que les
noms du Publiciste, de la Quotidienne et du Journal des Débats
soient prononcés dans la Minerve, car il faut, plus que jamais,
vouer au mépris et à la honte ces écrivains indignes du nom
français.
Le carré que commandait Cambronne était pressé et attaqué de
toutes parts ; on lui criait : Rendez-oous, braves grenadiers ! La
réponse de leur digne chef : La garde meurt, elle ne se rend pas !
fut prononcée et eut son effet. Beaucoup moururent et aucun ne
se rendit volontairement. Le Journal des Débats (16 décembre)
prétend, dans son feuilleton « que tout Paris a pu savoir de la
» bouche du général Cambronne lui-môme, qu'il avait appris
» cette exclamation monumentale par la gazette et qu'il ne se
» souvenait nullement d'avoir rien dit qui en approchât. »
J'ai partagé pendant près de cinq mois la prison de Cambronne
et je puis afiirmer que ce rédacteur antifrançais ajoute l'impos-
ture à l'infamie : elle appartient à Cambronne, cette exclama-
tion ! elle appartient à la France !
Personne, comme le dit le Journal général de France, a-t-il
contesté au brave capitaine d'Assas, ce mot que lui rendit Vol-
taire : Auvergne, à moi, ce sont les ennemis f Dans des temps de
trouble et de terreur, les plus forcenés révolutionnaires ont-ils
nié ces belles paroles attribuées au confesseur d'une illustre
victime : Fils de saint Louis, montez au ciel !
Tous les hommes d'honneur, tous les Français attesteront
également l'héroïque exclamation de Cambronne que ses compa-
gnons d'armes et les ennemis ont entendue.
Recevez, etc.
Le général BERTON.
Ainsi, dès la première heure, en dépit de contestations
que la haine politique inspirait, Cambronne trouvait,
parmi les publicistes hostiles au nouveau régime, parmi
— 136 -
ses compagnons d'armes, les plus énergiques et les plus
désintéressés défenseurs. Le Journal Général, qui aurait
inventé et lancé la fameuse phrase dans la circulation,
donnait un démenti aux Débats, le Journal du Commerce
en faisait autant et le général Berton apportait son témoi-
gnage bien net et bien précis à l'appui. Il en est un autre,
non moins intéressant, celui du maréchal Soult, qui,
attaqué en 1843 ou 18-44, comme ministre de la guerre
sous Louis-Philippe, sur sa conduite politique lors des
Cent-Jours, s'élança à la tribune et s'écria : « J'étais à
» côté deCambronne, à Waterloo, lorsqu'il prononça ces
» mémorables paroles : La garde meurt et ne se rend
» pas. »
Que subsiste-t-il, dès lors, des certificats obtenus par les
fils du général Michel ? L'un d'eux, capitaine au 45* de
ligne, à Bar-le-Duc, avait essayé, par une lettre du
26 février 1843, d'obtenir une attestation d'un des intimes
amis de Gambronne, M. Dalidet, de Bordeaux. Voici quelle
fut la réponse de M. Dalidet, communiquée depuis par lui
à M""^ Gambronne et par elle à la commission de sa statue,
et qui figure encore — pièce jusqu'à présent inédite — au
dossier du général dans les Archives municipales de
Aantes :
Bordeaux, 7 mars 1845.
Monsieur,
J'ai été honoré de la réception de votre lettre du 24 février, à
laquelle je viens répondre.
Je désirerais pouvoir jeter quelque lumière sur les derniers
actes de courage qui signalèrent, à la bataille de Waterloo, la
fin glorieuse du général Michel, votre père, je m'y prêterais
avec empressement, parce que, à mon avis, toutes les gloires
doivent trouver appui chez les hommes qui aiment par dessus
tout leur patrie et les grandes actions. Mais le fait que vous tenez
— 137 —
à constater ne saurait être le môme que celui dont le général
Cambronne est l'objet; ils ont eu lieu sur deux points différents
et à quelques heures de distance.
Si des récits que je tiens de personnes dignes de foi et qui
vous portent un intérêt réel sont exacts, le général Michel était
déjà tombé, lorsque Cambronne, revenant du plateau d'où il
avait envisagé l'imminence du danger qui menaçait l'Empereur
et sa réserve, dit au général Poret de Morvan ces paroles mémo-
rables :
« Pourquoi n'es-tu pas venu sur mes pas avec notre colonne,
ainsi que je te l'avais prescrit, d'après les ordres de l'aide de-
camp de l'Empereur? — C'est que l'Empereur m'en a fait la
défense, répondit Poret. — Mais il n'a pas vu l'état des choses
là-haut, dit Cambronne, mourons plutôt que de nous rendre, car
avant peu, si nous restons inactifs, on nous prendra tous comme
des moutons, lui le premier. »
De cette héroïque détermination, comme chacun sait, il résulta
que Cambronne tomba blessé et que Poret de Morvan rallia avec
son courage habituel les débris des deux régiments de la garde,
foudroyés par l'artillerie anglaise et couvrit la retraite.
Mais, dira-t-on, qui a pu donner aux expressions de Cambronne
tant de retentissement, alors qu'il était renversé, privé de ses
sens^ et que, d'ailleurs, par la nature de son caractère, il visait
peu à la célébrité par ses paroles?
La voix qui a voulu que ce grand acte de courage passât à la
postérité et que, par cela, il fut bien entendu que dans les armées
françaises on mourait plutôt que de lâcher pied ou de se rendre,
est la voix de l'empereur.
Que chacun s'incline religieusement devant la magie de ces
paroles : elles furent cent fois le synonime de la victoire !
Napoléon vient d'être instruit que Cambronne est tombé :
« Ah ! s'écrie-t-il avec émotion, le brave ! Il avait bien dit que la
garde mourait et ne se rendait pas. »
Voilà des faits confirmés devant moi par le général Poret de
— 138 —
Morvan et plus tard par le général Dumoustier. Quels commen-
taires élever après de pareils témoignages ?
Je crois avoir eu l'honneur de vous dire qu'un compatriote du
général Cambronne me pressa vivement pour que j'adressasse à
la Commission de Nantes, les diverses particularités que je savais
sur cet épisode.
Je fus retenu par un sentiment de convenance pour sa veuve,
il me semblait que je ne devais engager aucune polémique sur le
général Cambronne sans l'autorisation de cette dame, et par cette
considération, je lui adressai directement mes notes pour qu'elle
les communiquât, si elle le croyait nécessaire ; j'ignore quelle a
été sa détermination sur ce point.
Si vous croyez utile de les avoir, pour aider à constater que ce
qu'a dit le général Cambronne n'est point ce que proclama le
général Michel, veuillez l'inviter à vous les adresser ou qu'elle
m'autorise à vous en livrer une copie ; et tout aussitôt, vous me
trouverez disposé à faire ce qui vous sera agréable et à madame
la vicomtesse Cambronne.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, le témoignage de la consi-
dération distinguée que vous porte votre dévoué serviteur.
DALIDET.
M. Dalidet avait en effet, dès le 28 août 1844, adressé
à madame Cambronne une longue lettre où il développait
presque dans les mêmes termes, son opinion sur la con-
troverse qui passionnait alors le monde militaire. C'est de
la bouche même de Cambronne qu'il avait recueilli ces
confidences, c'est de sa main qu'il avait reçu, comme gage
de son amitié, le ruban de la Légion d'honneur qui décorait
sa poitrine à Waterloo, c'est sous ses yeux, avec son
approbation, que fut rédigée la légende suivante destinée
à donner à ce souvenir un caractère d'indiscutable authen-
cité.
— 139 —
Insigne de valeur et de gloire, confié à l'Amitié
Le général Cambronne à son ami Dalidet, en 1849
Honneur,
Patrie
Il était sur son sein aux champs de Waterloo, 1815
La garde mourut et ne se rendit pas.
Cette légende ne dit pas que ce fut Cambronne qui
prononça cette phrase au présent, mais Cambronne, en
1819, savait qu'elle lui était attribuée et dans son extrême
modestie, il n'eût pas souffert, par son silence, qu'elle fût
inscrite au-dessous de son nom, s'il n'avait pas considéré
qu'elle lui appartenait en légitime propriété pour l'avoir
bien et dûment prononcée sur le champ de bataille de
Waterloo.
A partir de la mort de Cambronne et de l'inauguration
de sa statue, le débat sommeillait quand, quelques jours
après l'apparition des Misérables de Victor Hugo, un
rédacteur des Débats, M. Cuvillier-Fleury, choqué de la
crudité de l'expression mise par le romancier dans la
bouche du général, demanda une enquête.
C'est dans le numéro des Débats du 22 juin 1862 que
M. Cuvillier-Fleury publia le premier et le plus important
des quatre articles qu'il consacra au mot de Cambronne
et qui, en réalité, visaient bien plutôt les procédés litté-
raires de Victor Hugo qu'ils ne cherchaient la vérité
historique sur ce point de détail de la bataille de Wa-
terloo (1).
Ce fut pour la presse une occasion de reprendre la
discussion éteinte d'autrefois. Toutefois quelques éléments
(1) Les articles de M. Cuvillier-Fleury ont été depuis reproduits
dans l'appendice de son livre Etudes et Portraits (Michel Lévy, 1865,
Paris).
— 140 —
nouveaux vinrent s'y joindre. Un journal de Lille ^
l'Esprit public, avait déniché dans une petite commune
du département du Nord un vieux de la vieille (1), Antoine
Deleau, qui s'était battu à Waterloo et qui, naturellement,
avait fait partie du bataillon de Gambronne et du dernier
carré. Le préfet du Nord le fit venir à la préfecture et,
à quelques jours de là, l'archiviste du département, rece-
vait la lettre et le procès-verbal suivants :
Lille, le 12 juillet 1862.
Monsieur l'Archiviste,
Un article de journal ayant révélé récemment qu'un ancien
grenadier de la Garde Impériale, habitant le département du
Nord, avait conservé le souvenir exact des paroles prononcées,
à la bataille de Waterloo^ par le général Gambronne, sur l'invi-
tation de M. le ministre de l'Intérieur, j'ai mandé à Lille ce vieux
soldat, le sieur Deleau et ses récits m' ayant paru être empreints
d'un caractère frappant de vérité, j'ai dressé, en présence da
M. le Maréchal commandant le 2e corps d'armée^ du général de
division, M. Maissiat et de M. le colonel d'état-major Borel, un
procès-verbal des déclarations du sieur Deleau, lesquelles éta-
blissent que le général Gambronne a réellement prononcé les
paroles mémorables : « La garde meurt et ne se rend pas. »
(1) A propos de vieux de la vieille, nous avons découvert au Havre
chez un marchand de vieux livres et d'estampes, M. Junca, pendant
que nous rédigions ces pages, un livre d'une respectable épaisseur,
intitulé : De Waterloo à Sainte-Hélène, poème épique, par A. Charles.
Baudoin, médaillé de Sainte Hélène et imprimé à Paris chez Dentu à.
la date de 1861.
C'est une épopée d'une lecture indigeste accompagnée de notes.
A la page 139, nous avons remarqué ce vers qui nous fixe sur l'opi-
nion de l'auteur :
« On meurt, répond Cambronne, et l'on ne se rend pas. »
La notice en prose, relative à Cambronne, qui figure aux annexes
de ce poème, est d'ailleurs assez inexacte. Mais sur la question de la
phrase célèbre, le médaillé de Sainte Hélène Baudouin est de l'avis.
du grenadier Deleau.
— 141 —
Ce document, signé par le vieux soldat et les témoins de sa
narration, me parait d'une importance historique trop élevée
pour que l'une des trois expéditions qui en ont été faites ne soit
pas déposée aux archives du département et, c'est dans ce but,
que j'ai l'honneur de vous adresser ci-joint cette pièce, dont je
vous prie de m'accuscr réception.
Agréez, Monsieur l'Archiviste, etc.
Le Préfet du No7'd,
WALLON.
Nous Préfet du Nord etc.,
Une publication récente du journal hebdomadaire l'Esprit
public, insérée dans plusieurs journaux, relatant que le sieur
Deleau (Antoine-Joseph), de la commune de Vicq, canton de
Condé, arrondissement de Valenciennes, département du Nord,
ancien soldat de la Garde Impériale, avait conservé notion
certa-ino du fait mémorable auquel il a pris part à la bataille de
Waterloo et des paroles attribuées à Cambronnc et son Exe.
M. le Ministre do l'Intérieur nous ayant chargé, par lettre du
27 juin courant, d'approfondir la question, nous avons fait appeler
ledit sieur Deleau; né à Vicq le 2 avril 1792 et aujourd'hui encore
adjoint au maire de ladite commune de Vicq.
Ses souvenirs militaires ont paru être, en effet, de la plus
grande précision et empreints d'autant de calme que de bonne foi.
Nous avons prié le sieur Deleau de venir avec nous dans le
cabinet de S. Exe. M. le Maréchal de Mac Mahon, duc de
Magenta, à son quartier général, à Lille, où étaient M. le général
■de division Maissiat. commandant la 3e division militaire et M. le
colonel d'Etat-Major Borel, i«r aide de camp de S. Exe. le
Maréchal.
Le sieur Deleau s'est exprimé en ces termes:
« J'étais à Waterloo dans le carré de la Garde^ au premier
« rang, en raison de ma grande taille; j'appartenais à la jeune
« garde, n'ayant encore que 28 ans, mais on sait, que la jeune
« garde avait été appelée à combler alors les cadres de la vieille.
« L'artillerie anglaise nous foudroyait et nous répondions à
« chaque décharge par une fusillade de moins en moins nourrie.
« Entre deux décharges, le général anglais nous cria: « Grena-
« diers, rendez-vous ». — Le général Cambronne répondit (je
— 142 —
« l'ai parfaitement entendu, ainsi que tous mes camarades)
« La garde meurt et ne se rend pas ». — Feu, dit immédiatement
« le général anglais.
« Nous serrâmes le carré et nous ripostâmes avec nos fusils. —
« Grenadiers, rendez-vous, vous serez traités comme les
« premiers soldats du monde ! » reprit d'une voix affectée le
« général anglais. — « La garde meurt et ne se rend pas »
« répondit encore Cambronne, et, sur toute la ligne les officiers
« et soldats répétèrent avec lui : La Garde meurt et ne se rend
« pas ! — Je me souviens parfaitement de l'avoir dit comme les
« autres.
« Nous essuyâmes une nouvelle décharge et nous y répon-
« dîmes par la nôtre. — « Rendez-vous^ grenadiers, rcndez-
« vous ! » crièrent en masse les anglais qui nous enveloppaient
« de tous côtés ; Cambronne répondit à cette dernière sommation
a par un geste de colère accompagné de paroles que je n'entendis
« plus, atteint en ce moment d'un boulet qui m'enleva mon
« bonnet à poil et me renversa sur un tas de cadavres.
« Je déclare donc avoir entendu prononcer par le général
« Cambronne, à deux reprises : « La garde meurt et ne se rend
« pas ! » et ne pas lui avoir entendu dire autre chose. »
Cette précision circonstanciée de souvenirs au sujet d'un fait
historique de haute importance et le caractère honorable du
témoin nous ont déterminé, en conséquence, à rédiger le présent
procès-verbal que ledit sieur Deleau a signé avec nous.
A Lille le trente juin mil huit cent soixante deux.
DELEAU Ant.,
Grenadier de la Vieille Garde,
2e régiment.
Le Maréchal de France, . Commandant
le 2^ corps d'armée.
Mal DE MAG-MAHON, Duc de Magenta.
Le Préfet du Nord,
WALLON. Le Général de Division, commandant
5e division militaire,
A. MAISSIAT.
Le Colonel d' Etat-Major, aide de camp,
BOREL.
— 143 —
A cette attestation, s'en joignirent d'autres qui, pour
n'avoir reçu jusqu'ici aucune publicité, ne méritent pas
moins d'être signalées. C'est ainsi que M. Victor Roussin
nous a communiqué une lettre qu'il reçut à l'époque d'un
sieur Salles qui, dans une forme naïve et malgré quelques
erreurs, confirme la déclaration de Deleau :
Argentac, le 14 juillet 1862.
Monsieur,
Moi qui ne m'occupe nullement de la politique, j'ai vu der-
nièrement dans l'Echo de Vezoue un article concernant le général
Cambronne pour des paroles prononcées au moment de la plus
forte action à Waterloo, lorsque le général anglais nous som-
mait de nous rendre. Je pouvais bien le connaître puisqu'il com-
mandait le 2" régiment de chasseurs de la vieille garde impériale.
Avant l'engagement de la bataille, il était en face de la 3* com-
pagnie donlje faisais partie, faisant alors fonctions de fourrier. Il
se tourna vers nous, il nous dit : — « Mes amis, dans une demi-
heure la bataille va être à nous, puisque les ennemis commencent
à battre en retraite sur Bruxelles. »
Sa confiance fut trompée par l'arrivée du corps d'armée du
général Wellington qui établit une batterie sur un plateau en
avant d'un moulin à vent, en face des colonnes de la garde, sur le
flanc en arrière de nos colonnes d'attaque, ce qui donna l'épou-
vante sur toute la ligne de nos colonnes qui avaient déjà enlevé
plusieurs positions à l'ennemi.
De suite, le généi-al donna l'ordre de renvoyer des tirailleurs
de bonne volonté afin de se porter à la rencontre des tirailleurs
ennemis. On forme de suite des carrés et nous fûmes dirigés sur
le village de Waterloo. C'est là où l'engagement fut le plus
sérieux. C'est à ce moment jue l'on faisait signe avec les dra-
peaux ennemis de nous rendre, même par des cris à haute voix
de quelques généraux anglais. C'est à ce moment que le général
répondit : — La garde meurt et ne se rend pas.
Si j'avais connu plutôt ce fait historique concernant l'honneur
de la famille de M général Cambronne, je me serais un devoir
de vous en donne détail dont j'avais garde un pieux sou-
venir.
— 144 —
L'affaire étant jugée par la déclaration du sieur Antoine Deleau
je m'abstiens de plus longs détails.
Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
Salles,
Ancien chasseur à pied de la vieille garde impériale
Argentac (Gorrèzc).
Cette fois encore, comme vingt ans auparavant, la
famille du général Michel qui n'avait pas donné suite au
procès projeté en 1845, protesta. L'ancien sous-préfct de
Bar-sur-Aube était devenu préfet de la Charente et d'An-
goulême, le l'^ juillet 1863, il écrivait au rédacteur en
chef de VEsprit public pour contester les dires du vieux
grenadier Deleau.
« Je suis trop fier, disait-il, de la gloire de mon père
» pour laisser passer sans y répondre une pareille affîr-
» mation et pour ne pas hautement revendiquer pour le
» général comte Michel l'honneur d'avoir prononcé ces
» sublimes paroles (et non d'autres) sur le champ de
» bataille de Waterloo. »
Suivaient trois déclarations, les deux premières du
maire de Nantes et du général Bertrand, que nous avons
données plus haut et que M. le comte Michel n'avait fait
que reprendre dans le dossier de 1845, la troisième de la
même époque, de M, Magnant, lieutenant-colonel en
retraite à Vernon (Eure) et qui se trouvait insérée dans
une lettre adressée au général Harlé :
« Mon général, au reçu de votre lettre, je m'empresse
» de vous mettre à même de répondre de suite à M™* la
» comtesse Michel ; vous pouvez assurer à cette dame
» qu'étant en garnison à Lille (en 1821), où commandait
» alors le général Cambronne, je le complimentai sur les
» sublimes paroles qu'on disait qu'il avait prononcées sur
— 145 —
» le champ de bataille de Waterloo ; il affirma ne les avoir
» jamais prononcées, ni entendues; que sûrement elles
» avaient été dites par un autre de ses camarades ; qu'il
» voudrait le connaître pour lui faire rendre l'honneur
» qu'elles devaient lui mériter. »
A coup sûr^ ce n'est pas ce témoignage-là qui devait
faire triompher la cause du général Michel, de môme que
nous n'oserions rien affirmer en faveur de Cambronne s'il
n'y avait à son actif que le procès-verbal du 30 juin 1862.
Comme le dit fort justement l'excellent article consacré à
cette question par le dictionnaire Larousse, tout le monde
sait à quoi s'en tenir sur l'authenticité des prouesses per-
sonnelles narrées par nos vieux grognards : c'est un lau-
rier qu'ils ont planté, qu'ils ont vu naître, qu'ils ont
arrosé, rafraîchi — Dieu seul sait combien de fois ! — de
leurs mains victorieuses ; il a poussé dans leur mémoire
de si profondes racines que Polyphonie lui-même serait
impuissant à l'en arracher.
Mais ce n'est là qu'une attestation tardive, exagérée peut-
être, qui vient s'ajouter à beaucoup d'autres déjà plus que
suffisantes pour former la conviction. L'auteur de l'article
du dictionnaire Larousse aurait voulu le témoignage
authentique de Cambronne lui-même, et il croyait même
l'avoir trouvé, ou tout au moins avoir en main le fil
d'Ariane qui assurerait cette découverte :
» Quelques jours après la révolution de 1830, la ville
» de Nantes fôta, dans un banquet, le retour aux idées
» libérales et elle appela à la présidence de c-ette réunion
» patriotique son grand citoyen qui, depuis 1822, vivait
» dans un des faubourgs, au milieu de la plus profonde
» retraite. « Là, dit M. Levot (Biographie bretonne)
» aujourd'hui archiviste de la marine à Brest, Cambronne
10
— 146 —
» désavoua formellement les célèbres paroles qu'on hii
» attribuait. »
« Il s'agit maintenant de mettre la main sur un journal
» de Nantes, année 1830, où figure certainement, le
» compte-rendu du banquet. Il est plus que probable que
» la circonstance en question y est relatée. La Bibliothèque
» impériale ne renferme que des collections incomplètes,
» et ce n'est qu'à Nantes même que le nœud gordien peut
» être tranché. »
La chose n'est pas si facile que le pense l'auteur du
Larousse. Celui qui écrit ces lignes, mis en éveil par la
note.de la Biographie bretonne, de Levot, et par l'invi-
tation de fouiller les vieilles gazettes nantaises, s'est livré
à cette recherche. Hélas 1 les collections des journaux
locaux n'est guère plus complète à Nantes qu'à Paris.
Pour l'année 1830, VAmi de la Charte, le plus important
de tous, manque ou a disparu dans un des trop nombreux
déménagements qu'a subis la bibliothèque de Nantes
depuis un quart de siècle. Le Breton existe, il relate
effectivement les nombreux banquets libéraux qui suivirent
la chute de Charles X, mais aucun de ces banquets n'a été
présidé par Cambronne, sa présence n'est môme pas
signalée, aucun toast, aucun discours ne lui est attribué.
Nous notons des toasts pertes par un de ses amis intimes,
M. Wack, sous-officier de la compagnie d'artillerie de la
garde nationale, au banquet du 19 septembre 1830, offert
aux gardes nationaux d'Angers et aux officiers de la gar-
nison de Nantes, et au banquet du 6 novembre suivant,
offert par la garde nationale de Nantes à celle des rives
de la Loire et des départements voisins.
Il est vraisemblable que c'est à l'un de ces banquets que
Cambronne assista, si le renseignement de Levot est exact,
— 447 —
mais nous n'avons pas pu découvrir de document signé
de Cambronne, désavouant des paroles qu'il ne rejetait
que pour se débarrasser de compliments fastidieux et
contraires à la modestie de son caractère.
Notre opinion est faite de la façon la plus catégorique.
C'est Cambronne qui, sur le champ de bataille de
Waterloo, a dit : La garde meurt et ne se rend pas.
Voilà un premier point élucidé, nous l'espérons du
moins, mais il en est un autre :
Cambronne n'a-t-il dit que cette phrase ? ne l'a-t-il pas
plutôt synthétisée dans un mot énergique et malsonnant
Que Stendhal estimait comme une rime h. perde?
ou bien, joignant le vulgaire au sublime, n'a t-il pas
accentué par une injure triviale l'héroïsme de sa déclara-
tion que la garde mourait, mais ne se rendait pas ?
Comme chacun le sait, c'est Victor Hugo qui, dans le
récit de la bataille de Waterloo, des Misérables, merveil-
leux hors-d'œuvre ajouté à l'action principale, a osé
imprimer en toutes lettres — il n'y en a d'ailleurs que
cinq — ce que le populaire a depuis appelé « le mot de
Cambronne. » Voici cette page qui est un trop magnifique
hommage rendu au vaillant général pour que nous hési-
tions à le reproduire :
Le dernier carré
Quelques carrés de la Garde, immobiles dans le ruissellement
de la déroute comme des rochers dans de l'eau qui coule, tinrent
jusqu'à la nuit. La nuit venant, et la mort aussi, ils attendirent
cette ombre double, et inébranlables, s'en laissèrent envelopper.
Chaque régiment, isolé des autres et n'ayant plus de lien avec
l'armée rompue do toutes parts, mourait pour son compte. Ils
avaient pris possession pour faire cette dernière action les uns,
— 148 —
sur les hauteurs de Rossomme, les autres, dans la plaine de
Mont-Saint-Jean. Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés
sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, léna,
Friedland mouraient en eux.
Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau
de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au
pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée main-
tenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de
l'artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densité do
projectiles, ce carré luttait. II était commandé par un officier
obscur nommé Gambronne. A chaque décharge, le carré dimi-
nuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade,
rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards,
s'arrètant par moment essoufflés, écoutaient dans les ténèbres
ce sombre tonnerre décroissant.
Quand cette légion ne fut plus qu'une poignée, quand leurs
fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le
tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut
parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour do ces
mourants sublimes et l'artillerie anglaise, reprenant haleine, fit
silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient au-
tour d'eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes
d'hommes h cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu
à travers les roues et les affûts ; la colossale tète de mort que
les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la ba-
taille, s'avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre
dans Tombre crépusculaire qu'on chargeait les pièces, les mèches
allumées pareilles à des yeux de tigres dans la nuit firent un
cercle autour de leurs tètes, tous les boute-feu des batteries
anglaises s'approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la
minute suprême suspendue au-dessus do ces hommes, un gé-
néral anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres,
leur cria : Braves français, rendez vous ! Cambronne répondit :
Merde !
— 149 —
Cambronne
Le lecteur français voulant être respecté, le plus beau mot
peut-être qu'un français ait jamais dit, ne peut lui être répété.
Défense de déposer du sublime dans l'histoire.
A nos risques et périls, nous enfreignons cette défense. Donc,
parmi ces géants, il y eut un titan, Cambronne. Dire ce mot, et
mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c'est mourir que de le
vouloir, et ce n'est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a
survécu.
L'homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n'est pas
Napoléon en déroute, ce n'est pas Wellington pliant à quatre
heures, désespéré à cinq, ce n'est pas Blûcher qui ne s'est pas
battu ; l'homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c'est Cam-
bronne.
Foudroyer d'un tel mot le tonnerre qui vous tue, c'est vaincre.
Faire cette réponse à la catastrophe, dire cela au destin, donner
cette base au lion futur, jeter cette réplique à la pluie de la nuit,
au mur traître de Hougomont, au creux d'Ohain, au retard de
Grouchy, à l'arrivée de Bliicher, être l'ironie dans le sépulcre,
faire en sorte de rester debout après, qu'on sera tombé, noyer
dans deux syllabes la coalition européenne, offrir aux rois ces
latrines déjà connues des Césars, faire du dernier des mots le
premier en y mêlant l'éclair de la France, clore insolemment
Waterloo par le mardi gras, compléter Léonidas par Rabelais,
résumer cette victoire par une parole suprême impossible à
prononcer, perdre le terrain et garder l'histoire, après ce carnage,
avoir pour soi les rieurs, c'est imme use.
C'est l'insulte à la foudre. Cela atteint la grandeur eschylicnne.
Le mot de Cambronne fait l'effet d'une fracture. C'est la frac-
ture d'une poitrine par le dédain ; c'est le trop plein de l'agonie
qui fait explosion. Qui a vaincu ? Est-ce Wellington ? Non. Sans
Bliicher, il était perdu. Est-ce Bliicher ? Non. Si Wellington
n'eût pas commencé, Bliicher n'aurait pu finir. Ce Cambronne,
ce passant de la dernière heure, ce soldat ignoré, cet infiniment
-- 150 —
petit de la guerre, sent qu'il y a là un mensonge, un mensonge
dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment où
il en éclate de rage, on lui offre cette dérision, la vie 1 Comment
ne pas bondir? Ils sont là tous les rois de l'Europe, les généraux
heureux, les Jupiters tonnants, ils ont cent mille soldats victo-
rieux et derrière les cent mille, un million, leurs canons, mèche
allumée, sont béants, ils ont sous leurs talons la Garde impériale
et la Grande Armée, ils viennent d'écraser Napoléon et il ne
reste plus que Cambronne ; il n'y a plus pour protester que ce
ver de terre. Il protestera. Alors il cherche un mot comme on
cherche une épée. Il lui vient de l'écume, et cette écume, c'est
le mot. Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant
cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en
subit l'énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que
cracher sur elle ; et, sous l'accablement du nombre, de la force
et de la matière, il trouve à l'âme une expression, l'excrément.
Nous le répétons, dire cela, faire cela, trouver cela, c'est être le
vainqueur.
L'esprit des grands jours entra dans cet homme inconnu à
cette minute fatale. Cambronne trouve le mot de Waterloo,
comme Rouget de l'Isle trouve la Marseillaise, par Visitation du
souffle d'en haut. Un effluve de l'ouragan divin se détache et
vient passer à travers ces hommes, et ils tressaillent, et l'un
chante le chant suprême et l'autre pousse le cri terrible. Cette
parole du dédain titanique, Cambronne ne la jette pas seulement
à l'Europe au nom de l'Empire, ce serait peu ; il la jette au passé
au nom de la révolution. On l'entend et l'on reconnaît dans
Cambronne la vieille âme des géants. 11 semble que c'est Danton
qui parle et Kléber qui rugit.
Au mot de Cambronne, la voix anglaise répondit : feu I les
batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches
d'airain sortit un dernier vomissement de mitraille, épouvantable ;
une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula
et quand la fumée se dissipa, il n"\ avait plus rien.
Ce reste formidable était anéanti, la Garde était morte. Les
— 151 —
quatre murs de la redoute vivante gisaient, à peine distinguait-on
çà et là un tressaillement parmi les cadavres ; et c'est ainsi que
les légions françaises, plus grandes que les légions romaines,
expirèrent à Mont-Samt-Jean sur la terre mouillée de pluie et de
sang, dans les blés sombres, à l'endroit où passse maintenant à
quatre heures du matin^ en sifflant et en fouettant gaiement son
cheval^ Joseph, qui fait le service de la malle-poste de Nivelles.
Mais si Victor Hugo a contribué à donner à ce mot une
immense publicité, ce n'est pas lui, tant s'en faut, qui
l'éditait pour la première fois et d'autres avant lui
l'avaient déjà laissé deviner. La Biographie des Contem-
porains déjà citée plus haut s'exprime ainsi : « Ce fut
« alors que, manquant de cartouches, Cambronne sommé
« de se rendre, répondit d'une manière très-énergique, »
et le Dictionnaire biographique des morts et des vivants,
plus précis : « Cambronne, sommé de se rendre, répondit
« en termes énergiques que nous ne pouvons transcrire
« ici et que l'on a traduits par ses mots devenus célèbres:
a La garde meurt et ne se rend pas. »
Un autre ouvrage, intitulé : Nouvelles biographiques
générales dit encure : « Quant à la réponse de Cambronne,
« elle fut plus brève, plus en rapport avec les circons-
« tances et non moins énergique. »
Dans son ouvrage, VHistoire des deux Restaurations,
M. de Vaulabelle adhère au mot de Cambronne :
« Quelques hommes de ce bataillon laissés pour morts
« sur le champ de bataille et recueillis le lendemain par
« les habitants du pays, furent sauvés. Cambronne se
« trouva du nombre; on a pu l'interroger. Les mots:
« La garde meurt et ne se rend pas, » mis à cette occasion
« dans sa bouche, reproduisent le sens exact de son éner-
« gique réponse aux sommations des officiers anglais. »
— 152 —
M. Cuvillier-Fleury lui-môme cite l'opinion de quelques
-historiens qui laissent entendre que la réponse de Gam-
bronne se résuma en deux syllabes, pas davantage, et
qu'elle fut depuis modifiée à l'usage de l'histoire : c'est
d'abord M. Edgard Quinet : « D'après les Souvenirs d'un
» officier, on a entendu Gambronne revenu à Nante?,
» répéter lui-même ses paroles : « Des gens comme nous
» ne se rendent pas. » La première version s'est iinposée
» à l'histoire. Il ne serait plus possible de revenir à la
» vérité nue, sans paraître l'altérer. » (1)
« Refus sublime dans son cynisme soldatesque, dit le
)) colonel Charras et que la légende a traduit par les mots :
» La Garde meurt et ne se rend pas. » (2)
» Une de ces trivialités sublimes de sens, cyniques
» d'expression, dit M. de Lamartine, que le soldat com-
» prend et que les historiens traduisent plus tard en
» phrases de parades, puériles légendes quand l'héroïsme
» est dans l'acte et non dans le mot. » (3j
Mais il y a controverse sur ce point. Ainsi M. de Viel
Gastel, de l'Académie française, voulut à un moment
donné, se faire une opinion sur la question et, comme on
dirait aujourd'hui, il alla interviewer un officier supérieur
qui, dans sa jeunesse, avait été très lié avec Gambronne,
le général Mellinet.
— Vous qui avez connu le général Gambronne, savez-
vous s'il est vrai qu'aux dernières heures de Waterloo il
ait répondu, par le mot que lui prête Victor Hugo, aux
(1) Histoire de la Campagne de 181o, p. 273 (cliez Michel Lévy).
(2) Waterloo, p. 303
(3) Journal des Débats, 22 juin 1862.
— 153 —
offres de capitulation que lui apportaient soit le général
Maitland, soit le général Colville?
Le général Mellinet se prit à sourire, en haussant les
épaules :
— Go fameux mot n'a pas été prononcé, je peux vous l'affirmer,
car le général Cambronne me l'a nié h moi-même. Sa famille
et la mienne étaient très liées; elle habitaient la ville de Nantes;
mon père et le général Cambronne partirent ensemble pour
l'armée; pendant tout le cours de leur carrière militaire, ils ne
se perdirent pas de vue et ils ne cessèrent d'entretenir des
relations fort amicales. De retour dans ses foyers, après 481S,
le général Cambronne, en l'absence de mon père qui était
exilé, devint mon tuteur; il avait pour moi une grande affection
et ce fut lui qui me décida à entrer au service dès l'àgc de
quinze ans.
Le général Cambronne, contrairement à ce que quelques
écrivains ont affirmé, n'était ni un homme vulgaire, ni un soldat
illustre; il avait fait de fortes études, et tous ceux qui ont vécu
avec lui dans une certaine intimité savent qu'il passait pour un
latiniste distingué.
Un jour, pendant un de mes congés, le général et moi, nous
nous baignions dans la Loire, et je dois dire que je n'ai jamais
vu un corps humain plus couturé de blessures, coups de mitraille,
coups de feu, coups de lance, coups de sabre et coups de
baïonnette, il en était complètement tatoué.
En nageant près de lui, l'idée me vint de lui demander s'il
avait, comme le prétendaient dès cette époque quelques précur-
seurs de Victor Hugo, prononcé le fameux mot.
Le général Cambronne me répondit, en me tutoyant, comme
il en avait l'habitude :
— Tu me connais, ce mot-là ne me ressemble pas; peux tu
t'imaginer qu'il soit sorti de ma bouche? Non, je ne l'ai pas
prononcé. Ce qui est vrai, c'est que chaque fois que la proposition
de mettre bas les armes nous fut faite, je m'avançai en tête de
— 154 —
mes carrés, et levant mon sabre, je cria de ma voix la plus
vibrante : « Grenadiers, en avant i. Bientôt je fus blessé et je
perdis connaissance ; lorsque je revins à moi, mes pauvres carrés
de grenadiers jonchaient le terrain et j'étais prisonnier.
Ainsi, si M. de Viel Castel a fidèlement traduit les
déclarations du général Mellinet et si celui-ci à non moins
fidèlement rapporté les dires de Cambronne, le héros de
Waterloo n'aurait dit ni le mot, ni la phrase et tout se
serait borné à un simple : Grenadiers, en avant.
Nous avons fait vérifier auprès du vénérable doyen de
l'armée française l'exactitude du récit de M. de Viel Castel
et M. le général Mellinet déclare aujourd'hui que ses
paroles et sa pensée ont été également mal interprétées.
Que reste-t-il encore ? M. Victor Roussin qui épousa
en 4836 la fille adoptive du général Cambronne (nous en
parlerons plus loin) est pour la phrase et contre le mot.
D'une lettre qu'il nous a écrite, nous extrayons ce qui
suit :
« Cambronne était un homme bien élevé dans toute la
« force du terme. Jamais il n'eût proféré l'expression
(c ordurière que Victor Hugo a cru devoir mettre dans
« sa bouche.
a Quant à Cambronne, s'il était interrogé à ce sujet, il
« déclarait ne se souvenir de rien et ne pas se rappeler
« ce qu'il avait pu dire. Cela se conçoit parfaitement, car,
« dans l'animation de la lutte, les paroles étaient peu de
« chose, auprès des actes. Ce qu'il fit alors, ce fut de
« résister jusqu'à la mort. »
Un de nos amis, M. Paul Chauvet, qui avait assisté dans
sa jeunesse à un déjeuner donné par le général de Bréa,
l'entendit raconter que Cambronne, sans pouvoir préciser
de quels termes il s'était servi à Waterloo, avait envoyé
— 155 -
faire f.... les Anglais par quelque expression bien sentie.
Le général de Bréa tenait ce renseignement de Cambronne
lui-môme.
Tel était aussi le souvenir recueilli par M. Gheguillaume,
ancien ingénieur en chef des ponts et chaussées à Nantes,
de la bouche de son père:
« Mon père a souvent entendu raconter au général
« l'histoire de Waterloo. Il ne se rappelait pas avoir pro-
« nonce le mot historique, mais, ajoutait-il, c'est fort
« possible, car j'étais dans un état d'esprit à le dire. »
Enfin, le livre écrit sur Cambronne par Rogeron de
La Vallée en quelque sorte sous la surveillance de la veuve
de Cambronne et sur les renseignements qu'elle fournissait
à l'auteur — premier clerc chez son propre notaire et
chargé de ses intérêts — , enregistre comme hors de doute
le mot dont Cambronne officiellement ne voulait pas se
souvenir :
« Rendez-vous! s'écrient les Anglais. Une négation
« énergique fut la réponse de Cambronne, et, avec ce
« mot immortel que l'histoire n'ose redire, mais que
« tout le monde sait, Cambronne s'élance à la tète de ses
« intrépides grenadiers. »
Que conclure de là? c'est que Cambronne, à la phrase
sublime : La garde meurt et ne se rend pas ! a fort bien
pu ajouter, dans la surexcitation de la mêlée, soit immé-
diatement, soit à une nouvelle sommation, oubliant un
moment ses habitudes d'homme bien élevé, le mot
soldatesque que nul ne lui reprocherait d'avoir, à Waterloo,
lancé à la face de l'ennemi.
Et maintenant, fermons cette immense parenthèse et
reprenons notre récit, là où nous l'avons laissé I
CHAPITRE XIII
PRISONNIER EN ANGLETERRE
On ignorait ce qu'était devenu Ney. On savait les
généraux Friant, Gambronne, Mouton, Duhesme, Durutte
blessés et on était inquiet de leur sort, car les Prussiens
égorgeaient tous ceux qui leur tombaient dans les mains.
Fleury de Chaboulon qui assista à la bataille de Waterloo,
s'est exprimé comme suit, dans ses Mémoires sur la cruau-
té exceptionnelle des soldats de Bliicher:
« Les Prussiens acharnés à notre poursuite, traitaient avec
une barbarie sans exemple les malheureux qu'ils pouvaient
atteindre. A l'exception de quelques vieuîTsoldatsimpertubables,
la plupart des autres avaien'. jeté leurs armes et se trouvaient
sans défense, ils n'en étaient pas moins impitoyablement massa-
crés. Quatre Prussiens tuèrent do sang froid le général..., après
lui avoir arraché ses armes (i); un autre général dont le nom
n'est pas non plus présent à ma mémoire, se rendit à un officier
et cet officier eut la lâcheté encore plus que la cruauté, de lui
passer son sabre, au travers du corps. Un colonel, pour ne point
tomber entre leurs mains, se brûla la cervelle. Vingt autres offi-
ciers de tous grades imitèrent cet exemple. Un officier de cuiras-
siers les voyant arriver, dit: « Ils n'auront ni mon cheval, ni
moi». D'un coup de pistolet, il renverse son cheval, de l'autre,
il se tjue. Mille actes de désespoir non moins héroïques illustrè-
rent cette fatale journée ».
Les Anglais, (pourquoi ne pas leur rendre cette justice?)
sansconserver dans cette guerre acharnée toute l'humanité
(1) C'était le général Duhesme.
— 157 —
que se doivent entre elles des nations civilisées, étaient
les seuls qui respectassent les blessés. Des soldats anglais
avaient relevé Cambronnc atteint des blessures les plus
graves et l'avaient conduit au quartier général de Wel-
lington. En le voyant, l'amiral Peymour s'emporta en
injures contre Napoléon vaincu; malgré sa captivité,
Cambronne sut rappeler l'insolent vainqueur au respect
que méritait le courage malheureux. L'amiral Seymour
revint à de meilleurs sentiments et offrit même à Cam-
bronne de lui prêter de l'argent, s'il s'en faisait besoin.
Si nous en croyons les souvenirs personnels de M. Ilous-
sin, qui épousa en 1836 la fdle adoptive de M. et Mn^»
Cambronne, le général laissé pour mort sur le champ de
bataille n'avait pas tardé d'être complètement dépouillé
par les vainqueurs qui le laissèrent, disait-il nu comme
un petit Saint-Jean. Tout lui avait été enlevé, ses papiers
et les valeurs qu'il avait sur lui et qui devaient être assez
considérables, . puisqu'il avait converti en diamants tout
ce qu'il possédait, afin que ce fût plus facile à porter.
Il trouva un ennemi plus généreux dans la personne
du colonel Campbell qu'il avait connu à l'île d'Elbe et qui
lui fit rendre les honneurs dûs à sa bravoure. C'est lui qui
le conduisit de Waterloo à Bruxelles, soit environ quatre
lieues, le confia aux soins de la faculté et ne l'abandonna
qu'après avoir fait d'inutiles efforts pour lui éviter le
voyage d'Angleterre. Cambronne, à peine débarqué^ fut
mis à bord d'un ponton, c'est-à-dire d'une de ces atroces
maisons flottantes dont Napoléon avait dit dans sa procla-
mation d'Avesnes du 14 juin 1815: «Que ceux d'entre vous
qui ont été prisonniers des Anglais, vous fassent le récit
de leurs pontons et des maux atl'reux qu'ils ont soufferts ».
Mais il n'y resta que deux heures et fut, en compagnie du
— 158 —
comte de Lobau, envoyé dans les prisons d'Ashburton
où il devait pendant près de six mois expier sa fidélité à
la cause vaincue.
Pourtant l'abdication définitive de Napoléon et son dé-
part pour Saint-Hélène avaient dégagé ses anciens servi-
teurs du serment qu'ils lui avaient jadis prêté. Cambronne
redevenu libre de disposer de sa personne, redemanda son
régiment qui était devenu pour lui comme une seconde
famille et, du fond de son cachot, il écrivit le 20 juillet
1815 à Louis XVIII la lettre suivante :
Sire,
Major au premier régiment de chasseurs à pied de la Garde,
le traité de Fontainebleau m'imposa le devoir de suivre l'Empe-
reur à l'île d'Elbe. N'existant plus, j'ai l'honneur de prier Votre
Majesté de recevoir ma soumission et mon serment de fidélité.
Si ma vie, que je crois sans reproche^ me donne des droits à
votre confiance, je demande mon régiment ; en cas contraire,
mes blessures m'en donnent à la retraite qu'alors je solliciterai
regrettant d'être privé de servir ma patrie.
Ashburton, 20 juillet 181S.
CAMBRONNE.
Cette lettre d'un style médiocre, mais empreinte des
sentiments du patriotisme le plus élevé, trouva Louis XVIII
en train de signer la fameuse ordonnance du 24 juillet qui
prescrivait l'arrestation et le renvoi devant les conseils de
guerre compétents des généraux et officiers « qui avaient
« trahi le Roi avant le 23 mars ou attaqué la France et le
« gouvernement à main armée ou qui, par violence,
« s'étaient emparés du pouvoir ». Cambronne y figurait à
côté de Ney et de Labédoyère.
L'ordonnance datée de Paris, au château des Tuileries,
portait le contre-seing de Fouché, duc d'Otrantc, ministre
— 159 —
de la police générale — un des anciens condisciples de
Cambronne à l'Oratoire !
Cambronne ne broncha pas devant cette décision qui
menaçait sa tête et le 10 octobre, il annonça, en ces
termes,, son prochain retour au ministre de la guerre,
Clarke, duc de Feltre :
Monseigneur,
Apprenant que la paix est prochaine, que les prisonniers de
guerre doivent s'atten Ire à rentrer en France, j'ai l'honneur de
prier Votre Excellence d'avoir la bonté d'ordonner au chef de la
police où l'on me débarquera, do me donner une feuille de
route pour me rendre à Paris dans le délai que vous jugerez
convenable, y enjoignant personnellement ce que vous voudrez,
pour que je me présente à telle autorité qu'il vous plaira, ce qui
m'éviterait d'être conduit par la gendarmerie.
Mon intention n'est pas de me soustraire à l'ordonnance du
roi, au contraire, de me constituer prisonnier à Paris le plus tôt
que je pourrai.
Je vous donne ma parole d'honneur de me conformer à vos
ordres; et si vous pouvez acquiescer à ma demande, sans vous
compromettre, je vous en aurai une éternelle reconnaissance.
CAMBRONNE.
Cette lettre resta sans réponse, mais les préfets des
départements bretons, ceux du Pas-de-Calais, de la
Somme, de la Seine-Inférieure et de la Manche, furent
avisés des intentions manifestées par le général et reçu-
rent l'ordre formel de l'arrêter au débarquement. Voici la
Gorrespondance inédite que nous avons trouvée à ce sujet
aux Archives départementales de la Loire-Inférieure :
MINISTÈRE Paris, le 3 novembre 1815.
DE LA POLICR GENERALE
Bureau particulier
N" i Monsieur le Préfet,
Le général Cambronne, retenu prisonnier
à Asburthon en Angleterre, est compris dans l'ordonnance du 24
— 160 —
juillet dernier. Aux termes de l'article ler^ il doit être mis en
jugement et c'est à Paris, conformément à une ordonnance plus
récente (2 août), que ce jugement doit être prononcé par un
Conseil de guerre permanent.
C'est donc à Paris qu'il conviendra de faire transférer le
général Cambronne lorsqu'il sera débarqué sur vos côtes. 11 a
déclaré, je le sais, que son intention était de se présenter lui-
même et de se constituer prisonnier dans la capitale. Cette
faculté ne peut lui être accordée. Il faut d'autres garanties et
d'autres mesures Vous recommanderez seulement, dans le cas
où ce général aborderait dans l'un des ports de votre juridiction,
de concilier en sa faveur les égards que paraîtra mériter sa
conduite avec la rigueur dont l'exécution des ordonnances royales
impose l'obligation.
Il sera nécessaire que les fonctionnaires civils se concertent
en conséquence avec l'autorité militaire, et il ne le sera pas
moins qu'ils me fassent parvenir directement et sans aucun
retard l'avis de l'arrivée du général Cambronne en France.
Agréez, Monsieur le préfet, l'assurance de ma considération
distinguée.
Le ministre secrétaire d'Etal au (lépaflciuciit de la
police générale, 1)kc.\zes.
De Rouen, dès le 4 novembre, de Vannes dès le 10, et
sans doute des chefs -lieux des autres départements limi-
trophes des cotes à des dates voisines, accuse de réception
des ordres ministériels avait été envoyé à Paris. Mais
c'est surtout à Nantes que les mesures furent prises avec
énergie. Le préfet, comte de Brosses, ne se souciait peut-
être pas autrement de procéder à cette arrestation, par
contre il avait auprès de lui des agents ultra-royalistes
qui ne demandaient qu'à se distinguer. Il transmit hiérar-
chiquement la lettre du ministre Decazes au général
Dufresse, au commissaire spécial de police, au capitaine
de la gendarmerie, au commissaire spécial de la marine,
aux sous-préfets de Paimbuiuf et de Savenay.
— 161 —
Parmi les réponses de ces fonctionnaires au préfet,
signalons deux lettres de M. Giraud, commissaire prin-
cipal, chef du service de la marine, qui faisait du zèle
pour mettre la main sur le général Cambronne et se créer
ainsi des titres à la reconnaissance du gouvernement :
Monsieur le comte de Brosses, préfet de la Loire-Inférieure,
Nantes.
Monsieur le comte.
Nantes, le H novembre 1813.
Je n'ai reçu qu'hier au soir la lettre que vous m'avez fait l'hon-
neur de m'écrire le 9, relativement à l'arrestation du général
Cambronne, s'il aborde dans un des ports de mon sous-arrondis-
sement.
Je vous informe que vous seriez dans l'erreur si vous croyiez
que les officiers d'administration et agens de la marine pourraient
exécuter un pareil ordre sur les points où ce général aborderait.
Ils y sont sans force ni moyen de répression, leur concours ne
peut être ctlicace que dans l'avertissement qu'ils pourront donner
aux autorités locales militaires et civiles aussitôt qu'ils seront
eux-mêmes informés de l'arrivée de cet oflicier général.
Les lieux de mon sous-arrondissement où il peut être débarqué
sont Le Croisic et Saint-Nazaire. Il importerait donc, que vous
voulussiez bien donner des ordres aux autorités civiles et mili-
taires de ces lieux de se concerter avec les agents de la marine
pour cette arrestation.
On aura peut-être à craindre que cet officier une fois dans la
rade ou le port du lieu où il abordera, ne cherche à se soustraire
à l'arrestation avant que la mesure puisse être mise à exécution ;
il y a un moyen de prévenir C3t événement, celui d'ordonner
que le bâtiment porteur du général Cambronne soit mis en qua-
rantaine jusqu'à ce qu'on ait pu se saisir de sa personne, mais
encore dans cette position peut-on affirmer qu'il ne violera pas
la quarantaine?
Saint-Nazaire est le lieu présumable où le navire abordera
si ce général vient dans votre département, c'est directemen
l'endroit où la marine est le plus dépourvue de moyens de re-
pression. Il faudrait donc, Monsieur le comte, que vous en fassiez
11
— 162 —
mcUrc à la disposition du maire en lui traçant sa conduite pour
cette arrestation.
J'écris confidentiellement aujourd'hui au commissaire du
Croisic et au sieur Blanchard, conservateur do santé à Saint-
Nazaire, pour lui faire connaître vos intentions. Je vous envoie
copie de ma lettre à ce dernier avec lequel je suis entré dans
plus do détails afin de prévoir le cas où le bâtiment violant la
quarantaine franchirait la rade sans attendre la visite. Cette der-
nière circonstance rend nécessaire que le commissaire de Paim-
bœuf soit informé de ces dispositions et c'est ce que je vais faire
en lui recommandant comme aux autres le plus grand secret et
le rendant responsable de la moindre négligence dans l'exécu-
tion des mesures prescrites.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Le Commissaire principal chef maritime,
GiRAUD.
A M. Blanchard, conservateur de santé à Saint-Nazaire.
Conftdentielle.
— Nantes, le 6 novembre 18iS.
Monsieur, la copie ci-jointe d'une lettre de M. le préfet de la
Loire-Inférieure vous fera connaître les ordres donnés pour l'ar-
restation du général Camhronne, s'il aborde dans un des ports
de mon sous-arrondissement.
Comme il est présumabie que ce débarquement a;ira lieu à
Saint-Nazaire, il convient que les mesures suivantes soient
prises pour s'assurer de la personne du général.
Dans toutes les visites que vous ferez à bord des bàtimens
étrangers, particulièrement de ceux venant d'Angleterre, vous
vous ferez représenter le rôle d'équipage et vous examinerez les
passagers. Si le général se trouve du nombre, vous mettrez lo
bâtiment en quarantaine (en ayanl grand soin de ne point laisser
soupçonner le véritable motif de cette mesure) et vous en don-
nerezde suite avis à M. le maire avec lequel d'ailleurs vous vous
concerterez à l'avance pour les dispositions préparatoires, M. le
préfet doit lui donner des ordres en conséquence.
Dans le cas où le bâtiment franchirait la rade sans s'arrêter
ou violerait la quarantaine imposée, pour monter à Paimbœuf,
— 463 —
vous le suivrez dans votre chaloupe et vous ferez exécuter à
Paimbœuf les mesures prescrites en vous concertant avec M. le
sous-commissaire de la marine que j'informe de ces dispositions
et M. le sous-préfet qui le sera par M. le préfet.
Pour plus de sûreté et pour détourner les soupçons, vous
pouvez, Monsieur, sous le prétexte d'avis récemment donnés
sur des craintes sérieuses de maladies contagieuses, répondre
que vous avez des précautions plus rigides à observer et partir
de là pour renouveler l'ordre aux pilotes de ne point se dispenser
90US les peines les plus sévères de mouiller sur la rade de Saint-
Nazaire les bâtiments introduits.
Vous sentez, Monsieur, toute l'importance de la mesure dont
je viens de vous entretenir. Je compte trop sur votre bonne
volonté et sur votre dévouement pour croire nécessaire de
m'appesantir sur le danger qui résulterait pour votre personne
non seulement de la négligence, mais même de la tiédeur que
vous pourriez apporter dans son exécution dont le succès
demande le plus grand mistère. {sic).
Le Commissaire principal de marine,
GIRAUD.
Mais le fonctionnaire le plus enragé était un certain
vicomte de Gardaillac que nous retrouverons plus loin,
commissaire spécial de police, capable d'inventer des
complots pour le plaisir de dénoncer ensuite quelques
patriotes et qui, correspondant directement avec le
ministre^ en profitait pour étaler son dévouement à la
dynastie des Bourbons. Il venait de prendre possession de
son poste à Nantes, quand il écrivit à son supérieur
hiérarchique la lettre que voici (1) :
Nantes, le 12 novembre 1815.
A Son Excellence le Ministre de la Police Générale.
Monseigneur,
J'ai appris à mon arrivée que le général Camhronne retenu
prisonnier à Asburthon en Angleterre, et compris dans l'article
(1) Archives nationales.
— 164 —
1er (le l'ordonnance de Sa Majesté du 24 juillet dernier, et
qui, au terme de l'ordonnance du 2 août doit être mis en
jugement à Paris, a manifesté l'intention de débarquer dans un
des ports du département de la Loire-Inférieure. J'ai pris
aussitôt les mesures qui m'ont été possibles pour arrêter ce traître
à son apparition ; sa famille habite à Nantes et a des liaisons
intimes avec tout ce qu'il y a de mauvais dans la ville et surtout
avec la maison Petit-Pierre, qui me donnera beaucoup de mal.
J'espère, Monseigneur, que ce général ne s'introduira pas à
Nantes sans y être arrêté, mais je ne puis de même répondre des
autres points du département ; je n'ai pas d'agents dans plu-
sieurs endroits où j'en aurais îin besoin urgent. Les postes de
gendarmerie, comme j'ai eu l'honneur de l'exposer à Votre
Excellence, par ma lettre du 11, ne sont pas assez nombreux.
Je joints ici, Monseigneur, les renseignements que j'ai pu me
me procurer sur le signalement du général Cambronne.
Il est âgé de 44 à 4o ans ;
Taille de S pieds o h 6 pouces ;
Figure maigre, carrée, air dur, marqué de petite vérole ;
Teint vivement coloré ;
Yeux bleus, petits, vits et renfoncés ;
Cheveux blonds ;
Favoris grands ;
On dit qu'il a été blessé h Waterloo, on le croit boiteux et
couturé de coups de sabre au visage.
Je suis avec le plus profond respect, Monseigneur, de Votre
Excellence, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le vie DK Cardaillac.
Le ministre crut devoir calmer tant de zèle et répondit
comme suit :
POLICE GÉNÉRALE — CABINET
Le 19 novembre 181o.
Monsieur, j'ai reçu votre lettre du 12 de ce mois avec le
signalement du général Cambronne, je vous en remercie.
Ce général n'a point manifesté l'intention de se soustraire à
la surveillance de la police lors do son retour en France, mais
il voudrait en éluder l'action et se rendre librement à Paris.
Cette prétention ne saurait être admise.
Cependant Cambronne s'impatientait d'attendre vaine-
ment la réponse du ministre de la guerre à sa lettre du
10 octobre. Le temps lui paraissait long dans sa prison
d'Ashburton, petite ville du Devonshire, sur les bords de
Dortmoor ; il demanda à rentrer en France sans attendre
les conventions générales relatives au rapatriement des
prisonniers de guerre.
Nous avions espéré trouver aux archives de l'Amirauté
anglaise — département qui administrait alors les
pontons — quelques documents intéressants, mais le
classement n'en est pas fait ; les livres d' « Ashburton
Prison » ne sont complets que jusqu'à l'année 1797.
Toutefois, grâce à l'obligeance de M. John O'Neill, nous
pouvons donner trois lettres enfouies au « Public Record
Office » et qui concernent Cambronne :
Transport office, 6th Dec 181S.
[To] J. W. Croker, Esq., Admiralty.
Sir, you will be pleased to lay beforc the Right Honourable
the Lords commissioners of Ihe Admiralty the enclosed copy
of a letter from M''. J. Gribble, the agent for prisoncrs of war
at Ashburton, preferring the request of gênerai Cambronne and
three olher French prisoners ofwar(l)atthat place to bepermit-
ted to return to France by way of Dover, withoutwaiting for the
gênerai arrangement and \ve request that you will slgnify to us
their Lordships' directions thcreupon. We are, Sir, your most
obedient and humble servants,
R. G. — J. H. — J. F. [Ce sont les
« Commissioners for transports » ]
<l) C'étaient MM. dti Saint-Hilaire et les lieutenants-colonels
DenneboFK et Rennebersr.
— 466 —
7th Decr 1815.
[To] "W. Hamilton, esq.
Sir, I am commanded by my Lords commissioners of the
Admiralty to send herewith copy of a letfer from M^ Joseph
Gribble. agent for prisoners of war at Ashburton, preferring
the request of gênerai Cambronne and three othcr French prisoners
to be permitted to return to France at their own expense by
■way of Dover, without waiting for the gênerai arrrangeraent ;
andto request what answerLord Castlereagh would suggestas fit
to be given to the application in question, or to any othcr of a
similar nature. I am etc.) J. B.
18"' Dec/ 1815.
[To] Major gênerai Sir H. Bunbury.
Sir, with refer^ence to Lord Bathurst's communication to my
Lords Commissioners of the Admiralty, of the 16 th inst.,
relative to the release of the French prisoners of war, I hâve it
in commandto acquaint you, for the information of his Lordship,
that they hâve issued a warrant to the commissioners for
Transports immediately to send ail French prisoners of war to
the ports of Cherburg, Havre, or Morlaix, as may be most
convenient ; and to caution the parole of other prisoners, who
may be allowed to find their own way home, from landing at
Calais. I am etc., J. B.
Cambronne eût été rapatrié à Cherbourg, au Havre où
à Morlaix s'il eût suivi le sort commun des autres prison-
niers de guerre ; comme il offrait de se rendre en France
à ses frais, il obtint l'autorisation de débarquer à Calais.
Avant de partir, Cambronne prit soin de se munir d'un
certificat du docteur Loran qui l'avait soigné pendant son
séjour en Angleterre et qui lui délivra la pièce suivante :
Je certifie avoir eu soin de la blessure de M. le général Cam-
brun, reçue à Waterloo et dont j'ai tiré six esquilles.
Ashburton, 13 décembre 1815.
LORAN.
— 167 —
Le 11101110 jour, il prévenait son cousin, M. Waubert,
^négociant^ rue Meslay à Paris de son retour :
Mon cher cousin.
Je pars ce jour pour France, j'espère donc sous peu avoir le
plaisir de vous voir et de vous embrasser, ainsi que votre épouse
et vos enfants.
Amitié pour la vie,
Le Baron Cambronne.
Il écrivit aussi une nouvelle lettre (1) au ministre de la
guerre, toujours à la même date :
Monseigneur,
J'ai l'honneur de prévenir Votre Excellence que je pars au-
jourd'hui pour me rendre à Paris, pour y être jugé conformé-
ment à l'ordonnance du Roi. Je passe par Calais, où je compte
descendre.
En etîet, il débarqua le 17 décembre à Calais, se fit
conduire chez le commandant de la place qui le mit sous
la garde d'un capitaine en demi-solde, M. Cresson, du ci-
devant 1^'" léger, avec mission de l'escorter jusqu'à Paris.
Tout en confiant ce soin à cet officier, le colonel lieute-
nant du roi à Calais s'en excusait auprès du commandant
de la 16e division militaire^ le marquis de Jumilhac. Il
n'avait en tout à sa disposition que cinq gendarmes conti-
nuellement en courses pour les réquisitions et c'est pour-
quoi il avait fait choix du capitaine Cresson, sur lequel il
croyait pouvoir compter.
D'ailleurs cette arrivée avait provoqué dans le monde
officiel une vive émotion. Le maire de Calais en avait
avisé directement le ministre de la police générale ; le
{{) Cette lettre transmise par le Transport-Office au ministre de la
•marine et par le ministre de la marine à son collègue de la guerre,
ne parvint à destination que le 28 décembre suivant:
La bureaucratie n'a guère changé de système depuis.
— 168 —
sous-préfet de Boulogne, prévenu du débarquement de
Cambronne^ de M. de Saint-Hilaire et des lieutenants-
colonels Denneberg et Renneberg, en avait fait autant,
non sans signaler qu'arrivé à trois heures da matin,
Gambronne ne s'était présenté chez le lieutenant du roi
qu'à une heure de l'après-midi.
C'était sur le paquebot le Modeste, capitaine Grandin,
que Gambronne avait fait la traversée. Il avait dormi, puis
à son réveil, écrit à sa mère qu'il partait pour Paris et
qu'il l'engageait à n'avoir aucune crainte à son sujet.
Au lieutenant du roi, Louis-François Magnier^ cheva-
lier de Baina, il donna sa parole d'honneur qu'il se
conformerait aux instructions données au capitaine
Gresson et que, dès ce moment, il se regardait comme son
prisonnier.
Le préfet du Pas-de-Calais avisa le ministre de la
police le 19 décembre seulement ; enfin, le lendemain, le
marquis de Jumilhac écrivait au ministre de la guerre :
Monseigneur,
J'ai l'honneur de rendre compte à Votre Excellence de l'arrivée
du général Gambronne à Calais : des ordres ont été donnés do
suite pour que le général soit conduit à Paris et remis à M. le
comte de Rochouard. Il a été confié à M. Cresson, capitaine au
ci-devant 1«>" léger, qui est chargé de sa garde.
Le marquis de Jumh.hac,
Lieutenant général commandant la 16^ division militaire.
Lille, le 20 décembre 181o.
Mais cette lettre officielle n'était plus que de pure
forme ; à l'heure même où elle était écrite, Gambronne
s'était déjà présenté au général Despinois et avait été
écroué à l'Abbaye, où d'autre officiers généraux atten-
daient également qu'il eût été statué sur leur sort.
CHAPITRE XIV
AU CONSEIL DE GUERRE
Gambronne avait exprimé, dès le premier jour de son
emprisonnement, le désir que l'instruction de son procès
ne traînât pas en longueur. Il venait de passer près de six
mois dans les cachots d'Angleterre, il ne tenait pas à subir
en France, dans son propre pays, une aussi interminable
détention. Il figure au dossier une lettre de lui sollicitant,
comme une faveur, la prompte expédition de l'affaire et
le ministre de la guerre se rencontrait avec lui pour trans-
mettre au parquet du conseil de guerre la même recom-
mandation.
Néanmoins, une inconcevable lenteur présidait à l'exa-
men du dossier. Les semaines succédaient aux semaines,
les mois aux mois, sans que l'instruction parût avancer
beaucoup. Le moindre document nécessaire aux pour-
suites demandait des jours de recherches avant de par-
venir au rapporteur, le chef de bataillon Delon. Les exem-
plaires de la fameuse proclamation du !«'" mars 1815
étaient introuvables : il n'y en avait pas un seul, même en
placard, dans les bureaux de la police générale qui, pour-
tant^ lors des Gent-Jours, en avait ordonné la réimpres-
sion et l'affichage. Lottin, l'imprimeur ordinaire de la
Préfecture de police, n'avait pas été chargé de ce travail
tout de confiance. C'était l'Imprimerie royale qui avait
reproduit cette proclamation dont un seul exemplaire fut
retrouvé et annexé au dossier de Gambronne, après une
— 170 —
interminable correspondance entre le parquet du Conseil
de guerre et les différents services publics. (1).
Mêmes difficultés et mêmes lenteurs pour vérifier si,
comme il l'affirmait^ Cambronne avait effectivement
annoncé aux ministres de la guerre et de la marine son
intention de donner au roi une preuve de sa soumission
en se présentant de lui-même devant les juges qui lui
désignés et si, en octobre 1814, il avait écrit au lieute-
nant-colonel comte Curial pour lui demander sa bienveil-
lance au cas où par un motif quelconque il viendrait à
quitter l'île d'Elbe et le service de Napoléon. (2)
Pendant ce temps, Cambronne préparait lui aussi sa
sa défense. Sur les conseils de son avocat, il faisait appel
au souvenir de ceux auxquels il avait pu rendre service
au cours de sa carrière, en ayant soin de les choisir
surtout parmi les hommes dévoués à la dynastie des
Bourbons. C'est ainsi que les certificats de l'abbé Dumenil,
curé de Ville-l'Evèque, d'Yves Châtaignier, de M. Rado
Dumatz, du baron Deurbroucq, etc., datent de janvier et
de février 1816.
(1) Archives Nationales F 7 6679. Lettre du rapporteur Delon au
Ministre de la Police Générale en date du 19 février 1816. — Lettre
du préfet du police du 22 février 1816 au secrétaire général du
Ministère de la Police. — Lettre du secrétaire général du Ministère
de la Police à M. Anisson-Duperron, directeur de l'Imprimerie
Royale. — Lettre du directeur de l'Imprimerie Royale au ministre
de la police, en date du 24 février 1816. — Lettre du ministre de la
police (sans date) au rapporteur Delon.
(2). Archives Nationales F 7 6679. Lettre du rapporteur Delon au
ministre delà Police Générale en date du 20 février 1816. — Lettre
du ministre de la Police en réponse, le 21 février. — Lettre du rap-
porteur Delon au ministre de la police générale, le 8 avril 1816. —
Réponse du bureau particulier de la police générale, en date du 17
avril 1816.
— 171 —
Dans un autre ordre d'idées, il se fit remettre un certi-
ficat médical destiné à tranquilliser le gouvernement de
Louis XVIII sur ses prétentions éventuelles à reprendre
du service militaire. Il s'était adressé dans ce but, au
docteur Gochenet, qui avait été chirurgien-major du l^""
régiment de chasseurs à pied de la Vieille Garde qu'il
avait commandé (1) et voici la pièce intéressante qui lui
fut remise (2) :
Je soussigné, docteur en médecine, membre de la Légion
d'honneur et chirurgien de l'ex-premier régiment des chasseurs
à pied de la Vieille Garde, certifie que M. le baron Cambronne,
■commandant le dit régiment, a reçu cinq coups de feu :
4») Une balle qui est entrée à la partie externe inférieure du
bras gauche et sortie à celle moyenne interne de cette extrémité,
a produit une blessure de six pouces de long, d'où résultent des
cicatrices profondes et adhérentes, faiblesse et gêne dans toute
l'extrémité pectorale gauche, particulièrement des mouvements
du doigt auriculaire. Il ne se sert de ce bras qu'avec beaucoup
de peine.
2o) Une autre cicatrice au côté gauche de la poitrine, suite
d'un coup de feu.
3o) Deux coups de feu à la partie supérieure antérieure de la
cuisse droite et un autre coup de mitraille à la même extrémité
pelvienne, voisine des deux autres.
Il résulte de ces trois blessures un engorgement considérable
à cette partie, raideur et gêne dans la progression.
(1) D'une note qui figure aux archives du ministère de la guerre,
il résulte que depuis le 19 juin 1813, c'est-à-dire dès le lendemain
de Waterloo, Cambronne n'avait été compté que pour mémoire
dans les revues de corps de son ancien régiment. Il avait été rayé
définitivement des contrôles le 11 octobre 1815 par suite du licen-
ciement du l^i" régiment de chasseurs à pied de l'ex-garde.
C'est sans doute à ce moment que le docteur Cochenet quitta ses
fonctions de chirurgien-major et alla s'établir à Metz pour y exercer
la médecine.
(2) Archives du ministère de la guerre.
— 172 —
J'estime que l'ensemble de ces graves blessures mettent M. le
général Cambronne hors d'état de pouvoir continuer son service
militaire.
Fait à Metz, le -21 janvier 1816.
COCHENET
D. M.
Il correspondait avec le dehors, avec sa mère notam-
ment (1) et charmait du mieux qu'il pouvait, en compa-
gnie du général Drouot dont il partageait la chambre, du
général Berton, d'autres encore, enfermés comme lui à
la prison de l'Abbaye, les ennuis d'une interminable
captivité. Mais, môme là, ils étaient l'objet d'une surveil-
lance policière dont nous retrouvons les traces dans la
note suivante qui porte la date du 24 janvier 1816 et qui
était destinée au ministre de la police générale (2) :
Une personne qui est allée voir hier le général Cambronne à
Labbaye, m'a raconté, qu'il était dans la même chambre du
général Drouot, qu'il les y avoit vus rians et fumans leurs pipes,
qu'ils l'avoiont beaucoup questionné sur l'oppinion publique, que
Cambronne avoit demandé des nouvelles d'un régiment dont il
n'est resté que 200 hommes après la bataille du mont Saint-
Jean, et s'il était à Paris, je ne me rappel pas du n» de ce
régiment ; la personne m'a dit avoir observé que d'après ses
gestes et quelques mots entrecoupés, que ce régiment lui étoit
dévoué.
Il s'attend, a-t-il-dit, d'être condamné ; et il prépare une
(1) Le catalogue de lettres autographes vendues le 2o mai 18:i2
(Paris, Laverdt't, 1852, in-S"), qui figure sous le n° 08179 de la
Bibliothcque publique de Nantes, porte cete mention au nom de
notre héros :
« Cambronne. Lettre autogr. Signée à M. 3 janvier 1816.
» 1 p. in-4'' n. mss.
» Envoi de ses états de service avec des rectifications sur sa prise
» à Waterloo, sa blessure, sa rentrée en France, etc.
Il serait intéressant de savoir entre quelles mains i.e trouN-e
aujourd'hui cette lettre et de pouvoir la publier.
(2) Archives nationales, F 7 6679.
— 173 —
défense, qui aura plutôt pour but d'exciter les soldats à la révolte
que pour sa justiffication.
Le chef de bataillon Delon, rapporteur, — ce quiéquivaut
aux fonctions de juge d'instruction en matière civile —
lui fit subir quatre interrogatoires, le 29 janvier 1816, le
15 février, le 2 avril, puis le 20 et c'est le 2G qu'il compa-
raissait enfin devant le premier conseil de guerre de la
première division militaire de la Seine.
L'histoire s'est déjà prononcée sur le caractère honteux
etodieuxdesprocôsquelaUestaurationintentaaux officiers
généraux qui, pendant les Cent-Jours, s'étaient laissés
aller à suivre la fortune de Napoléon. Quelle qu'ait été
leur attitude ou du moins l'attitude de quelques-uns
d'entre eux à l'égard du gouvernement déchu, il était
impossible de ne pas se souvenir de la gloire qu'ils avaient
conquise à l'armée et à la France elle-même pendant les
guerres de la République, du Consulat et de l'Empire, il
fallait se rappeler qu'au cours de cette dernière et désas-
treuse campagne, c'était contre la coalition anglo-prus-
sienne qu'ils s'étaient battus dans les plaines de AVaterloo
et le roi de France se fût honoré en oubliant la trahison
dont il se prétendait victime, l'attaque à main armée
dirigée contre un régime qui ne s'était même pas défendu,
et en n'évoquant que l'image puissante de cette résistance
suprême cà l'envahisseur. Mais il y avait trop de rancune
dans le cœur de ces émigrés qui revenaient en France
assoiffés de vengeance, pour espérer de leur part une
générositéqu'ils auraient considérée comme de la faiblesse.
L'exécution de Ney, de Labédoyère, de Mouton-Duvernet,
restera à la charge de cette restauration, justement
qualifiée de Terreur blanche, comme une tache que rien
ne saurait effacer.
— 174 —
Mais si l'on arrive encore à s'expliquer l'irritation de
Louis XVIII contre les généraux qui lui avaient prêté
serment de fidélité et qui, après avoir accepté de lui le
commandement de ses troupes, n'avaient pu résister à
l'entrainement universel et s'étaient mis au service de
l'empereur qu'ils avaient reçu mission de combattre, il
est au contraire difficile de comprendre comment des
hommes qui n'avaient rien promis au nouveau régime
purent, comme Drouot et Cambronne, être l'objet d'un
ressentiment que rien ne justifiait.
C'est là ce qui rendait le procès intenté à Cambronne
particulièrement répugnant et il semble que ce soit ce
sentiment qui ait dominé, môme parmi les partisans les
plus dévoués de la monarchie légitime. Nous en avons un
premier témoignage dans la difficulté que rencontra le
lieutenant-général Despinois pour constituer le conseil de
guerre et surtout pour en désigner le président.
M. de Foissac-Latour, maréchal-de-camp, qui faisait
partie de la garde royale, protesta vivement contre sa
nomination. Il invoqua divers motifs tirés de sa situation
militaire et des règles de la hiérarchie et de la discipline
pour se soustraire à cette douloureuse obligation^ des
lettres furent échangées entre lui et ses chefs et finalement
il n'obéit qu'à un ordre si formel qu'aucune réplique
n'était plus possible.
Il en fut de môme du comte Edmond de Périgord qui,
lui aussi, fit d'inutiles efforts pour ne pas siéger. A l'un et
à l'autre, le ministre de la guerre fit répondre entr'autres
arguments, que c'était à l'accusé qu'il appartenait de
contester, si bon lui semblait, la régularité de la compo-
sition du conseil, mais qu'ils ne pouvaient prendre
— 175 —
les devants et refuser de déférer à un service com-
mandé (1).
Le Conseil comprenait donc, comme président, 31. de
Foissac-Latour, et comme juges MM. Edmond de Périgord,
et Aymé de la Chevalerie, maréchauxde-camp, Moulin,
colonel, de Pons et Louis de Vergennes, chefs d'escadron
et de Gouy, capitaine.
Le chef de bataillon Delon était rapporteur ; le capitaine
Dutuit, procureur du roi. Les fonctions de greffier étaient
remplies par M. Boudin.
On sait combien sont émouvants d'habitude les débats
devant le conseil de guerre, où l'appareil déjà imposant
de la justice ordinaire emprunte un caractère plus
solennel encore à l'uniforme des juges militaires, surtout
quand c'est un officier supérieur qui est l'objet de
l'accusation. Mais ce n'était pas seulement un vulgaire
sentiment de curiosité qui avait attiré dans la salle
d'audience une foule considérable, c'était un mouvement
d'inexprimable sympathie pour celui qui, dans des jours
de deuil et de découragement, avait incarné en quelque
sorte en sa personne le cri suprême de la Grande Armée.
Il n'avait d'ailleurs qu'à paraître pour que, rien qu'à sa
vue, il en portât l'admirable et vivant témoignage.
N'avait-il pas encore, au-dessus de l'œil gauche, la cicatrice
profonde d'une des blessures qu'il avait reçues à Waterloo?
Auprès de lui est assis son avocat, un jeune homme de
vingt-cinq ans, qui jusqu'à présent n'a fait qu'assister son
père dans la défenre du maréchal Ney et plaider pour le
général Debelle mais que l'acquittement de Cambronne
va mettre en relief et qui, à partir de cette date, étonnera
(i) Archives du ministère de la guerre.
— 176 —
le monde par la merveilleuse puissance de son talent, la
noblesse de ses sentiments et la loyauté de son caractère.
Il s'appelle Berryer.
C'est un royaliste convaincu et pourtant il a accepté de
défendre Gambronne, un des fidèles partisans de l'usurpa-
teur, infligeant ainsi au régime qui lui est cher un blâme
implicite que l'opinion ratifiera. Dès à présent, avant
même qu'il se soit levé à la barre, on sait que, parmi les
défenseurs les plus énergiques du trône et de l'autel, il
s'en trouve qui osent regretter les rigueurs dirigées
contre les serviteurs de Napoléon et consacrer leur talent
à la noble défense des vaincus. •
L'interrogatoire commence, reproduisant presque tex-
tuellement ceux que Gambronne a déjà subis à l'instruc-
tion. Rarement défense plus simple, plus énergique, plus
loyale fût présentée. Gambronne qui n'était qu'un soldat
ignorant les subtils détours de la parole, sut, rien que par
la force même de son courage civique, trouver les plus
heureuses formules de l'éloquence. Pas un seul instant il
ne renia son dévouement absolu à la cause vaincue et de-
vant ses juges qui portaient tous la cocarde blanche au
chapeau comme au cœur, il n'hésita pas à proclamer qu'il
avait tout fait pour lui substituer la cocarde tricolore. Il
fut héroïque devant ses juges comme il l'avait été sur le
champ de bataille et cette page doit compter, suivant
nous parmi les plus belles de l'histoire de Gambronne:
suivant l'usage, le greffier commença par donner lecture
des interrogatoires du général qui constitueraient en quel-
que sorte le rapport de l'affaire, et qu'il est indispensable
de reproduire ici :
— 177 —
PREMIER INTERROGATOIRE
D. — M. le général, à quelle époque, dans quel lieu et pour
quel motif avez vous été arrêté? — R. Je n'ai point été arrêté;
j'étais prisonnier de guerre en Angleterre. Ayant eu ma liberté
par suite du traité de paix, et connaissant l'ordonnance du Roi
du 24 juillet dernier^ je m'empressai d'écrire à Son Excellence, le
ministre de la police générale pour lui faire part que j'allais
embarquer pour rentrer en France, dans l'intention de donner
une preuve de ma soumission à S. M. en me présentant devant
les juges qu'on désignerait. Je demandais seulement de ne point
être arrêté lors de mon débarquement, et de pouvoir me rendre
libremejit à Paris. Arrivé à Calais, je me présentai, le 17 décem-
bre dernier, au commandant de la place, et le même jour je
partis pour Paris, accompagné d'un ofïicier à demi solde qui me
fut donné par le commandant. ]M'étant présenté en cette dernière
ville à M. le lieutenant général Despinois, commandant la divi-
sion, il me fit conduire par un adjudant de place à l'Abbaye (1).
D. Quelles étaient vos fonctions au ier mars 1814 ?
R. J'étais général de brigade, commandant le 1er régiment
de chasseurs à pied de l'ex-vieille garde.
D. Où vous trouviez-vous lors de l'abdication de Napoléon,
en avril de la môme année ?
R. J'étais à Fontainebleau, retenu dans mon lit par suite des
blessures que j'avais reçues à la bataille de Craone et sous les
murs de Paris.
D. A cette époque, la France est restée sous le gouvernement
de ses légitimes souverains ; l'armée française en masse et
individuellement a donné son adhésion ; elle a reconnu S. M.
Louis XVIII pour son légitime souverain ; elle a prêté serment
d'obéissance et de fidélité. Avez-vous suivi son exemple ?
R. Le traité du 11 avril 1814 ayant accordé à Napoléon la souve-
(1) Lors de la lecture de cet interrogatoire à l'audience, le rappor-
teur fit savoir qu'à sa demande de renseignement, le ministre de la
police avait répondu en lui transmettant deux lettres du général
Cambronne, l'une du 10 octobre 1815 annonçant son retour prochain
en France, l'autre du 13 du même mois annonçant son arrivée immi-
nente à Calais.
12
— 178 —
raincté de l'île d'Elbe, avec le titre d'empereur, avec, en outre,
l'autorisation d'emmener quatre cents hommes de troupe, je me
suis fait un devoir de partager le sort de mon ancien souverain,
et j'ai accepté le commandement de ces troupes, qui me fut
donné la veille de leur départ de Fontainebleau. N'ayant pas
quitté mon ancien souverain, je me suis considéré comme n'étant
plus sujet français. J'ai pensé que je n'étais astreint à aucun
serment envers S. M. Louis XVIII. Je n'en ai donc prêté d'aucune
nature, ni fait aucun acte d'adhésion (I).
D. Où étiez-vous au ier mars 181S ?
R. Parti de l'île d'Elbe avec Napoléon, je suis débarqué, avec
lui et ses troupes, sur les côtes de Provence, et le ler mars nous
étions au golfe Juan. •
D. Qu'avez-vous fait dul^rau 20 mars ?
R. J'ai commandé l'avant-garde des troupes de Napoléon
jusqu'à 3 heures avant l'arrivée à Lyon. Depuis cette époque,
j'ai cessé d'avoir un commandement, et je l'ai précédé ou suivi
jusqu'à son arrivée à Paris.
D. Qu'ôtes-vous devenu depuis le 20 mars dernier, jusqu'au
jour de votre rentrée en France, venant d'Angleterre ?
R. J'ai repris le commandement du 1er régiment des chasseurs
à pied de la garde, à l'arrivée de ce corps à Paris. Quelque
temps après, je fus promu au grade de lieutenant-général, que je
refusai d'accepter, en annonçant que, dans le cas où l'on me
forcerait d'accepter, je prendrais ma retraite. Je quittai Paris
avec la garde lorsqu'elle partit pour l'armée. Blessé et laissé
pour mort à la bataille du 18 juin, je fus fait prisonnier par les
Anglais ot conduit en Angleterre, d'où je suis revenu, comme je
l'ai dit plus haut.
D. Quelles étaient vos fonctions à l'île d'Elbe ?
R. J'étais commandant de la place de Porto-Ferrajo.
D. Postérieurement au H avril 1814, avant d'avoir quitté la
Franco, depuis votre arrivée à l'île d'Elbe, pendant le séjour
que vous y avez fait et depuis votre débarquement en France,
(1) A ce moment, le rapporteur donna lecture d'une copie du
traité de Fontainebleau du il avril 1814 que le ministre de la guerre
lui avait envoyé sur sa demande.
— 179 —
n'avoz-vous adressé au Roi ou à ses ministres aucun HCte de
soumission ? N'avez-vous fait enfin, ni démarches, ni actes, ni
demandes, ayant pour but votre rentrée en France pour y vivre
en fidèle sujet de S. M. Louis XVIII ?
R Me considérant comme sujet d'un prince étranger, je ne
me suis point cru dans l'obligation de faire ni démarches, ni
actes do cette nature envers le Roi de France ou ses ministres.
Je me suis borné, pendant mon séjour à l'île d'Elbe, à une
époque dont je no me rappelle plus, d'écrire à M. le lieutenant-
général comte Curial, pour l'inviter à me conserver sa bien-
veillance, et lui faire part de mon désir d'employer son crédit,
dans le cas où la mort do Napoléon me laisserait libre pour
rentrer en France, et reprendre ma qualité et mes droits de
citoyen français. Je n'ai point reçu de réponse (1).
DEUXIÈME INTERROGATOIRE
D. Depuis votre sortie de France, ou pendant votre séjour à
l'île d'Elbe, n'avez vous pas reçu des ordres du Roi ou de ses
ministres, annulant l'autorisation qui avait pu vous être donnée
de passer à un service étranger, et vous enjoignant de rentrer
en France sur le champ, ou dans un délai déterminé?
R. Je n'ai jamais reçu d'ordres semblables.
D. Quelles étaient vos occupations à l'ile d'Elbe?
R. J'étais commandant de place à Porto-Ferrajo, chargé de la
police militaire et de l'instruction des corps organisés en ba-
taillons.
D. A quelle époque avez vous eu connaissance du projet de
Napoléon de quitter l'île d'Elbe pour tenter une invasion en
Franco ?
R. Trois jours avant l'embarquement, Napoléon me donna
l'ordre de me tenir prêt à partir sans me faire connaître ses pro-
jets et notre destination, et en me donnant également l'ordre de
(1) Informations prises par le rapporteur auprès du ministre de la
guerre, il n'existait en effet aucun acte de soumission du général
Cambronne au roi, avant le 20 juillet 1815. Ce renseignement fut,
lors de la lecture de ce passage de l'interroga'.oire, fourni par le
rapporteur aux membres du conseil de guerre.
— 480 —
ne faire connaître ce départ à qui que ce soit. Ce n'est qu'à bord
du bâtiment, le deuxième ou troisième jour de la traversée, qu'il
parut sur le pont avec la cocarde tricolore au chapeau, et nous
dit que nous allions en France.
D. Ne fites vous aucune observation?
R. Les troupes poussèrent des vivats ; soldat et sujet de Napo-
léon, je crus n'avoir qu'à obéir.
R. Antérieurement au départ de l'île d'Elbe, n'avez vous pas
fait de voyage en France, soit pour vos affaires particulières,
soit pour remplir quelque mission qui vous aurait été donnée
par Napoléon?
R. Je n'ai jamais quitté l'ile d'Elbe qu'au moment de l'embar-
quement général.
D. Si vous n'avez pas fait de voyages en France, ayant pour
but de préparer la réussite de l'invasion de Napoléon, du moins
avez vous entretenu quelque correspondance à cet égard, soit
avec vos amis particuliers, soit avec les partisans de Napoléon,
Gt les ennemis de la France et de son légitime souverain
Louis XVIII ?
R. Jamais je n'ai eu de correspondances politiques; entière-
ment militaire, je ne m'occupais que de mon état et des soldats
sous mes ordres. Pendant mon séjour à l'île d'Elbe, je n'ai écrit
qu'à ma mère qui habite Saint-Sébastien près do Nantes, et une
fois à M, le lieutenant général comte Curial, pour le prévenir
qu'en cas que, pour un motif quelconque, je me décidasse à
quitter le service de Napoléon, j'aurais recours à sa protection
pour obtenir la permission de rentrer en France, et d'y vivre
tranquillement au sein de ma famille (1).
D. Puisque vous n'aviez accompagné Napoléon à l'ile d'Elbe
que par suite du traité du 11 avril 1814, et d'après l'autorisation
(1) Le général Curial avait été sollicité par le rapporteur de pro-
duire cette lettre, mais il l'avait déjà envoyée, quelque insignifiante
qu'elle iûtcommepotitique,audirecteurgénéral de la police qui ne par-
vint pas à la retrouver dans les bureaux de son ministère. Le sens en
était conforme à celui qu'avait indiqué Cambronne.
Le rapporteur, à défaut de la lettre même, fournit ces renseigne-
ments au conseiL'
— 181 —
accordée par ce traité, vous n'aviez pas besoin d'avoir recours à
la protection de qui que ce soie pour obtenir votre rentrée en
France, l'article 18 de ce traité vous laissait, pendant trois ans,
la faculté d'y rentrer sans vous soumettre à aucune démarche,
ni à aucune formalité.
R. Ayant accepté les fonctions do commandant de Porto-
Ferrajo, ayant suivi Napoléon, devenu souverain de l'ile d'Elbe,
peu au fait de ce qui constitue les droits politiques, je me regar-
dais comme ayant perdu tous mes droits de citoyen français,
comme étant devenu étranger à la France, et par conséquent
comme ne pouvant y rentrer qu'après en avoir demandé et
obtenu l'autorisation.
D. Vou:: prétendez n'avoir agi, en portant les armes contre la
France, que comme étranger et sujet d'un souverain étranger ;
je dois vous observer qu'en admettant môme que Napoléon fût
réellement un souverain étranger, autorisé par le droit des
nations à faire la guerre à la France, vous ne pouviez, dans
cette hypothèse, vous considérer que comme un Français autorisé
à servir une puissance étrangère ; et dans cette position, vous
sentez que les lois et l'honneur vous prohibaient de porter les
armes contre la France.
R. Passé au service du Prince Souverain de l'île d'Elbe, non
par une simple autorisation du Roi de France, mais par suite
des conditions stipulées dans le traité du H avril 1814, j'ai cru,
puisque par ce traité je restais sujet de Napoléon, sans aucune
restriction ni condition, que les liens qui m'attachaient à la
France étaient entièrement rompus, et que je devais aveugle
obéissance au Souverain auquel j'obéissais depuis si longtemps,
et que j'avais cru ne pas devoir abandonner, par cela même
qu'il était malheureux.
D Je dois vous faire observer que, d'après le sens des art. 17
et 18 du traité dont vous excipez, vous ne perdiez, en suivant
Napoléon, la qualité de Français qu'au bout de trois ans et
qu'en conséquence, vous n'étiez délié qu'après ces trois ans des
obligations et des devoirs de citoyen français.
R. Je me suis considéré comme sujet d'un souverain étranger
du moment où, par suite du traité déjà cité, Napoléon a été
reconnu souverain de l'île d'Elbe, et voilà pourquoi je n'ai fait
— 182 —
aucun acte d'adhésion au Gouvernement provisoire, ni n'ai prêté^
aucun serment de fidélité à S. M. Louis XVIII jusqu'au 20 juillet
dernier^ que, dégagé de mes serments par la seconde abdicatioa
de Napoléon, j'ai adressé d'Angleterre, où j'étais prisonnier, à
Son Excellence le ministre, mon adhésion au gouvernement royal,
en le priant de mettre sous les yeux de S. M. mon serment de
fidélité, serment qu'on ne doit pas craindre de me voir trahir. (1)
J'ai considéré l'article 18 comme seulement facultatif, et accor-
dant aux Français qui auraient suivi Napoléon, la faveur de
reprendre, par leur simple retour en France, leurs droits de
citoyen français, dans le cas où ils voudraient prendre ce parti.
Voilà pourquoi, et dans quel sens, j'avais écrit à M. le lieutenant-
général, comte Curial, en profitant du motif que me donnait lo
besoin de régulariser ma comptabilité pour objet de service, avant
mon départ de France, mon désir étant de rentrer dans mon
ancienne patrie, si un événement ou des circonstances quelcon-
ques m'avaient décidé à quitter l'ile d'Elbe et le service de
Napoléon.
TROISIÈME INTERROGATOIRE
D. Vous avez déclaré, dans un de vos interrogatoires précé-
dents, que Napoléon, trois jours avant de quitter l'île d'Elbe, vous
donna l'ordre de vous tenir prêt à partir, sans vous faire con-
naître pour quelle destination, et que ce ne fut que le deuxième
ou le troisième jour de la traversée que vous fûtes instruit,
ainsi que la troupe, que vous alliez en France. Comment croire
que Napoléon, qui avait fait connaître, avant son départ, son
projet aux généraux Bertrand et Drouot, n'ait pas eu en vous la
même confiance, vous, comme eux officier général, vous, sur le
dévouement duquel il n'avait probablement aucun doute ?
R. Napoléon, après m'avoir donné l'ordre de me tenir prêt à
partir, s'adressant à moi, m'interpella en me disant : Cambronne^
où allons-nous? Je lui répondis: Je n'ai jamais cherché à péné-
trer les secrets de mon souverain, je vous suis tout dévoué. Napo-
(1) Nous avons donné cette lettre à sa date. Elle l'ut lue au conseil
de guerre par le rapporteur à qui elle avait été transmise par le-
commandant de la l""' division militaire.
— 183 —
léon n'ajoutant rien de plus, je me bornai effectivement à me
tenir prùt à obéir à ses ordres, sans chercher à savoir où nous
devions aller, ni par quel motif il m'en faisait part.
D. Une fois instruit que les projets de Napoléon, en quittant
l'île d'Elbe, avaient pour but une invasion en France et le projet
de détrôner le légitime souverain, n'avez-vous pas réfléchi sur la
déloyauté de cette entreprise, ses difficultés, ses dangers et les
malheurs qu'elle devait nécessairement attirer sur la France ?
R. Soldat et sujet, je ne pouvais abandonner mon souverain
sans lâcheté, j'ai rejeté toute réflexion, mon devoir l'a emporté.
D. Vous ne vous considériez sujet deNapsléon comme souve-
rain étranger, et lui devant à cet effet pleine et entière obéis-
sance que par suite du traité du H avril 1814, d'après lequel
Napoléon avait renoncé à toute domination sur la France et
l'Italie. Lorsque vous avez eu connaissance que, contre la foi des
traités, Napoléon attaquait le Roi de France et prenait la qualité
d'Empereur des Français, ne deviez- vous pas vous considérer
comme dégagé de vos devoirs envers Napoléon, et des serments
que vous pouviez lui avoir prêtés par suite de ce traité dont il
violait les premières et principales conditions? En n'agissant
pas ainsi, et favorisant de tous vos moyens l'invasion, ne vous
ètes-vous pas exposé à ce qu'on ne voie en vous que le complice
de l'auteur de l'attentat, et non le sujet d'un souverain étranger
qui combat avec honneur les ennemis de son prince ?
R. Le traité de Fontainebleau m'avait imposé des obligations
envers Napoléon. Ne me considérant pas comme Français, j'ai dû
lui obéir passivement : les titres qu'a pris Napoléon à son arrivée
en France, ne lui ôtaient pas ceux de souverain de Tile d'Elbe ;
c'étaient donc toujours les mômes devoirs qui me liaient à lui,
c'étaient les mômes principes qui me faisaient agir.
D. Avez-vous eu connaissance de l'ordonnance de S. M. du
6 mars de l'année dernière ?
R. Je n'ai pas eu connaissance de cette ordonnance.
D. Cette ordonnance ayant eu la publicité que l'on donne à
toutes les lois émanées de l'autorité souveraine ou législative,
tous les habitants de la France sont censés, de droit ou de fait,
en avoir la connaissance, et étaient tenus d'y obéir. Cette ordon-
nance était impérative ; elle traçait leur devoir à tous les Fran-
— 18-4 —
çais qui, séduits ou égarés, avaient pu s'être réunis à Napoléon ;
pourquoi n'avez-vous pas obéi ?
R. Je puis vous assurer de nouveau, et avec vérité, que je n'ai
euconnaisancedecette ordonnance que depuis que je suis détenu ;
mais j'en aurais eu connaissance dès mon débarquement, ou
avant mon arrivée à Paris avec Napoléon que . ne me regardant
pas comme Français, étant au contraire sujet d'un souverain
étranger, je n'aurais pas cru être dans l'obligation de m'y sou-
mettre.
D. N'avez-vous pas signé une proclamation sous la date du
1er mars et du golfe Juan, ladite proclamation faite au nom des
troupes de la Garde de Napoléon, et par laquelle les Français, et
surtout l'armée, étaient invités à quitter leur légitime souverain,
pour se réunir sous les drapeaux do Napoléon ?
R. J'ai signé, il est vrai, une proclamation sous cette date, elle
avait été rédigée par Napoléon lui-même, et d'après ses ordres,
elle a été signée par tous les militaires qui savaient écrire,
n'importe leur grade.
D. Vous n'êtes donc ni l'auteur, ni l'un des rédacteurs de cette
proclamation ?
R. Non, Monsieur.
D. Pourquoi signer une proclamation aussi incendiaire, et dont
les principes étaient si contraires au droit des gens, en admet-
tant môme que Napoléon fût un souverain étranger, et qu'en
cette qualité il fil la guerre au Roi de France?
R. Sujet de Napoléon, je lui devais obéissance et faire ce
qu'il m'ordonnait.
D. Je vous représente une proclamation insérée dans le Moni-
teur, du 21 mars de l'année dernière, portant la date du golfe
Juan, 1er dudit mois et qui, faite au nom des généraux, officiers
et soldats de l'ex-garde^ est adressée à l'armée et parait avoir été
revêtue de votre signature. Reconnaissez-vous celte proclamation
pour celle dont il est question, et, en foi de cette reconnaissanc,
voulez-vous signer et parapher en marge de cet imprimé, ainsi
que nous l'avons fait avec le greffier?
R. La proclamation que vous me représentez n'est point celle
que j'ai signée; elle ne contenait pas les personnalités qui se
trouvent dans celle insérée au Moniteur. Cette dernière n'étant
— 185 —
»
pas copie de celle à laquelle j'ai, par ordre de Napoléon, apposé
ma signature, comme tous les autres militaires, je ne crois pas
devoir, ni pouvoir la signer, ainsi que vous m'en faites l'invi-
tation. (1)
D. Vous ne reconnaissez point la proclamation insérée dans le
Moniteur pour être celle que vous avez signée Je vous en pré-
sente une en placard, portant la date susdite et qui paraît égale-
ment revêtue de vocre signature : la reconnaissez- vous pour être
celle dont il est question? et voulez-vous, en foi de cette recon-
naissance, la signer et parapher, ainsi que nous l'avons déjà fait
avec le greffier ?
R. Cette proclamation, quoique différente de celle que vous
venez de me représenter, n'est pas encore la copie exacte de celle
signifiée par Napoléon. Je ne crois pas, en conséquence, devoir
ni pouvoir la signer, ainsi que vons m'y invitez.
D. Puisque vous ne reconnaissez aucune de ces deux procla-
mations pour être la véritable, pourriez-vous nous représenter
l'original ou la copie manuscrite ou imprimée de cette proclama-
tion ?
R. Napoléon, qui a fait cette proclamation, ne l'a pas laissée
entre nos mains ; je ne l'ai lue qu'une fois, et je n'en ai jamais
possédé de copie manuscrite ou imprimée.
D. Puisque vous ne pouvez représenter ni l'original, ni copie
de cette proclamation, dites-nous dans quel sens et dans quel
esprit elle était rédigée ?
R. On invitait les troupes à se ranger sous les drapeaux de
Napoléon.
D. A cette invitation de se réunir sous les drapeaux de
Napoléon, n'avait-on pas joint des personnalités injurieuses
contre le Roi et son auguste famille ? N'ordonnait-on pas d'arra-
cher et de fouler aux pieds la cocarde blanche et les drapeaux à
l<a couleur de la famille royate ?
R. Je crois bien me rappeler qu'en invitant les troupes à se
(1) A 1 audience, quand le greffier en fut arrivé à ce passage de la
lecture des pièces, il commença à lire cette proclamation. Le prési-
dent l'arrêta en lui faisant observer que la méconnaissance du docu-
ment en rendait la lecture inutile.
— 186 —
réunir à celles de Napoléon, on les invitait en môme temps de
substituer à la cocarde blanche celle tricolore : mais il n'y avait
point d'ordre de fouler aux pieds les signes de la royauté ; il n'y
avait non plus aucunes personnalités injurieuses pour S. M.
et la famille royale.
D. Par suite d'un arrêté pris à la fin du mois de juin dernier
par la commission du gouvernement provisoire, le ministre de
la guerre a ordonné que les généraux Bertrand et Drouot seraient
payés de leurs appointements depuis leur départ pour l'île
d'Elbe, et pour tout le temps de leur séjour dans l'île ; vos
appointements pour ce même temps ne vous auraient-ils pas été
payés par suite d'un pareil arrêté ou de toute autre décision.
R. Non, Monsieur, et je vous remets en preuve deux certificats
délivrés à cet effet par MM. les quartiers-maîtres Chaillou et
Lanouy, certifiés par M. le sous-inspecteur aux revues Latrobe (4).
QUATRIÈME INTERROGATOIRE
D. Dans un de vos interrogatoires précédents, vous avez dit,
à l'appui de l'opinion où vous étiez, d'être devenu totalement
étranger à la îYance, que prévoyant le moment où pour un motif
quelconque, vous vous décideriez à quitter l'île d'Elbe et le
service de Napoléon pour rentrer en France et y vivre dans vos
foyers, vous aviez écrit à M. le lieutenant-général comte Curial
pour lui demander si vous pouviez compter sur sa protection,
pour vous faire obtenir la permission de rentrer en France, dans
le cas où vous vous décideriez effectivement à quitter l'île d'Elbe.
Vous avez réclamé que cette lettre fût jointe aux pièces de la
(1) Le rapporteur interrompit à cet endroit la lecture des interro-
gatoires pour faire connaître la teneur de ces certificats. Il ajouta
que, pour plus de certitude, il s'était adressé au ministère de la
guerre d'où il lui avait été répondu qu'il n'existait dans les bureaux
aucun acte constatant, au profit du général Cambronne, un rappel du
traitement d'activité de son grade du !«■■ avril 1814, jour où il avait
cessé d'être porté sur les contrôles jusqu'au 1" mars 1813.
Et comme le président demandait si Cambronne n'avait pas été
compris dans l'arrêté du gouvernement provisoire qui rappelait
Drouot, le rapporteur répondit négativement ajoutant que cet arrêté
ne visait que les généraux Bertrand et Drouot.
— 187 —
procédure. Malgré mes recherches pour me la procurer, je n'ai
pu l'obtenir. Je vous présente une lettre qui m'a été adressée par
M. le lieutenant-général comte Curial, dites-nous si les expressions
qui y sont relatées sont celles qui étaient consignées dans la
lettre que a^gus lui aviez écrite, et dont vous aviez réclamé
l'insertion au procès? — M. le maréchal-de-camp Cambronne
ayant pris lecture de la lettre à nous adressée, le 21 mars
dernier, par M. le comte Curial, commençant par ces mots : Il
est très vrai que, sans pouvoir préciser, et finissant par ceux :
est parfaitement d'accord avec sa déclaration, a déclaré que le
paragraphe qui le concernait et qui relatait sa demande de la
protection de M. le général, dans le cas oîi il désirerait rentrer
en France, était bien ce qu'il avait écrit à ce général.
D. Depuis que vous avez quitté la France poursuivre Napoléon
dans l'île d'Elbe, vous prétendez n'avoir agi que comme sujetd'un
souverain étranger, et avoir ainsi renoncé à la qualité de citoyen
français : pourquoi et comment avez-vous accepté la qualité de
pair de France, dans la chambre créée par Napoléon, et pourquoi
avez-vous siégé dans cette chambre ?
R. Avant que Napoléon ait été mis par le fait à la tète du
gouvernement en France, j'ai agi en l'accompagnant comme sujet
d'un souverain étranger. Lorsque Napoléon est redevenu le chef
du gouvernement de la France^ toutes les causes qui m'avaient
fait renoncer à la qualité de Français ont cessé. Leur effet a
cessé de môme, et je suis redevenu Français, d'autant que
j'étais dans le délai prescrit par le traité du 11 avril.
D. Puisque vous croyiez vous devoir en entier à Napoléon,
pourquoi ne l'avez-vous pas suivi à i'ile Sainte-Hélène ? ou au
moins pourquoi n'avez-vous pas demandé à suivre celui que
vous regardiez comme votre souverain ?
R. Les circonstances avaient changé ; il ne lui était plus
accordé de troupes ; il n'était plus reconnu souverain ; il m'avait
délié de mes serments par sa deuxième abdication. J'ai donc cru
pouvoir et devoir me soumettre à S. M. Louis XVIII ; et à cet
effet j'ai écrit à S. Exe le ministre de la guerre, le 20 juillet
dernier, pour le prier de mettre au pied du trône mon acte de
soumission et mon serment de fidélité à S. M. ; et c'est par
suite de cet acte qu'ayant appris en Angleterre, où j'étais pri-
— 188 —
sonnier de guerre, que j'étais porté sur la liste de l'ordonnance
du Roi, du 24 juillet dernier, je me suis empressé de donner une
preuve de respect et de soumission au souverain auquel j'avais
adressé mon serment d'obéissance et de fidélité, et à cet effet,
j'ai écrit à S. Exe. le ministre de la police générale, pour lui
faire part qu'aussitôt que je serais libre, je m'empresserais de
me rendre en France pour me présenter devant le tribunal
appelé à prononcer sur mon sort : résolution que j'ai mise à
exécution aussitôt que la paix est venue briser les liens qui me
retenaient en Angleterre.
D. Je vous représente une lettre signée le baron Cambronne,
datée d'Alhburton, (sic) le 10 octobre 1815, ne portant aucune
suscription, commençant par ces mots : apprenant que la paix
est prochaine et finissant par ceux-ci, dont je vous aurai une
éternelle reconnaissance. Reconnaissez-vous cette lettre pour celle
que vous avez écrite à S. Exe. le minii^tre de la police générale,
et mentionnée dans votre réponse précédente ? En foi de la
reconnaissance que vous pouvez en faire, voulez-vous la signer
et parapher, ainsi que nous faisons avec notre grefïier ?
R. Je reconnais cette lettre pour être celle mentionnée dans
ma précédente réponse ; je veux bien la signer et la parapher,
ainsi que vous m'y invitez.
D. Nous vous représentons l'acte de soumission au Roi et la
lettre d'envoi de celte pièce au ministre de la guerre, datés
d'Alhburton, le 20 juillet dernier, et dont vous avez parlé dans
vos précédents interrogatoires, reconnaissez-vous ces deux
pièces ?
R. Jeles reconnais parfaitement pour être celles que j'adressai
dans le temps à S. Exe.
D. M. le général, vous êtes traduit au premier conseil de
guerre permanent de la première division militaire, prévenu des
délits spécifiés en l'article l^'' de l'ordonnance du Roi, du 24
juillet dernier, savoir : 1" de trahison envers le Roi, avant le
23 mars 181S ; 2" d'avoir attaqué, h main armée, la France et le
gouvernement, et S® d'avoir usurpé le pouvoir par violence.
Avez-vous quelques moyens de justification à ajouter ;\ ceux
déjà consignés dans vos précédents interrogatoires?
R. J'avais prêté serment de fidélité à Napoléon, autorisé par
— 189 —
un traité ; jo l'ai suivi quand il a quitté la France pour l'ile
d'Elbe. Sa deuxième abdication m'ayant dégagé de mes devoirs
et de mes serments envers lui, j'ai envoyé, le 20 juillet dernier,
mon acte de soumission et mon serment de fidélié à S. M.
Louis XVIII ; je ne pouvais donc trahir le Roi avant cette
époque ; et depuis, loin de me rendre coupable d'un pareil crime,
j'ai donné des preuves de mon obéissance et de ma fidélité
puisque, lorsque j'ai eu connaissance de l'ordonnance du Roi^
du 24 juillet, me trouvant en pays étranger et libre de ne pas
revenir en France, je n'ai pas balancé à venir me constituer
prisonnier, lorsque j'en ai ou la faculté par suite du traité de
paix. Je n'ai pas non plus, en aucune manière, usurpé le pouvoir
par violence, et lorsque j'ai suivi Napoléon, à son départ de
l'ile d'Elbe, et que j'ai obéi à ses ordres, j'ai toujours agi de
bonne foi et avec la conviction que j'étais son sujet entièrement
étranger à la France. Je me regarde donc comme très innocent
des crimes dont je suis accusé; certain de l'impartiale équité de
mes juges, j'attends, avec une respectueuse confiance, qu'ils
prononcent sur mon sort.
Lecture est également donnée de diverses lettres de
Cambronne, des certificats qui prouvaient son humanité
(1) et de la lettre qui en accompagnait l'envoi:
Colonel,
J"ai l'honneur de vous envoyer quatre certificats que je vous
prie de joindre à la procédure, afin que l'on voie que je ne fis
jamais la guerre à l'opinion, mais seulement sur le champ de
bataille et encore quand la victoire était déclarée^ je faisais ce
que l'humanité commande.
Le baron Cambronne.
Ce n'étaient là que les préliminaires des débats. L'inter-
rogatoire de Cambronne commence ensuite, reproduisant
nécessairement le fond de ceux qu'il a subis à l'instruction,
en différant cependant sur plus d'un point et empruntant
à divers incidents d'audience un caractère de vivacité et
(1) Nous les donnons plus loin en annexe.
— 190 —
d'énergie qui nous amène à le donner, sauf quelques
passages déjà publiés par nous en d'autres pages de ce
livre :
D. Quels sont vos noms, prénoms, âge et qualités?
R. Je me nomme Pierre-Jacques-Etienne Cambronne ; je suia
né le 26 décembre 1770, à Nantes; je suis commandeur de la
Légion d'Honneur, maréchal de camp et baron.
D. Lorsque Bonaparte débarqua en France, vous aviez un
commandement dans ses troupes?
R. Oui, général.
D. Quand, à Lyon, vous quittâtes ce commandement, vous
donna-t-il une autre mission?
R. Napoléon ncmedonnaqu'unordre. (Le général tire un papier
de. sa poche et lit d'une voix animée) « Cambronne, je vous
confie le plan de ma plus belle campagne; tous les Français
m'attendent avec impatience ; vous ne trouverez partout que des
amis; je ne veux pas que ma couronne coûte une seule goutte
de sang aux Français ».
D. Mais Bonaparte ne vous retira ce commandement que pour
vous en donner un plus important?
R. Non, général; je suis revenu comme un particulier, seul, à
cheval, tantôt en avant, tantôt à côté de Napoléon.
D, Cependant vous aviez une mission quelconque?
R. Aucune.
D. Comment se fait-il que Bonaparte vous ait ôté votre com-
mandement sans vous en donner un autre?
R. Ne devait-il pas avoir confiance en tous les généraux qui
se joignaient à lui? leurs troupes, échelonnées sur la route,
allaient beaucoup plus vite que les nôtres.
D. Lorsque vous quittâtes votre troupe, vous reçûtes proba-
blement des ordres pour la prétendue campagne que Napoléon
voulait faire?
R. J'ai répondu à cette question dans mes précédents interro-
gatoires; j'ai dit que, deux ou trois jours après notre embarque-
ment. Napoléon parut sur le pont, la cocarde tricolore au chapeau;
qu'il nous déclara son projet et qu'il fut accueilli par les acclama-
tions de ses soldats.
— i91 —
D. Je vous demande seulement à quelle époque il vous retira
votre commandement?
R. Je crois que c'est le deuxième jour après le débarquement.
D. Qui vous donna cet ordre?
R. Napoléon lui-même.
D. Vous avez pris alors un autre commandement ?
R. Oui, général.
D. Qui vous transmettait les ordres ?
R. Les généraux ou Napoléon lui-même .
D. N'y avait-il pas une personne spécialement chargée de cette
affaire ?
R. C'était ordinairement le grand-maréchal du palais. (1)
D. Ces ordres étaient-ils écrits? En avez-vous conservé quel-
ques uns ?
R. Non, ils étaient toujours verbaux; ils se réduisaient à ceux
ci: « Vous vous arrêterez à tel endroit, vous coucherez à tel
autre, vous irez en avant ».
D. Dans le cas où vous auriez trouvé de la résistance, Bona-
parte vous avait-il donné des instructions ?
R. 11 ne s'en est pas trouvé.
D. Mais il pouvait y en avoir?
R. Napoléon nous avait dit que nous ne trouverions que des
amis, ce qui est arrivé,
D. Vous marchiez militairement?
R. Nous allions le plus vite possible.
Ici, survient ce qui s'appelle un incident d'audience.
Le procureur du roi et le rapporteur ne s'étaient pas
entendus pendant l'instruction, le rapporteur était hostile
aux poursuites, le procureur du roi y mettait au contraire
un acharnement dont il espérait sans doute qu'il lui
serait tenu compte, et cette opposition de vues devait
amener entre eux quelque conflit au cours des débats,
surtout s'ils semblaient tourner à l'avantage de Gam-
bronne.
(1) G'est-à-dire Bertrand.
— 192 —
M. le Procureur du Roi : J'ai lieu d'être surpris qu'on
n'ait assigné aucun témoin, le général Cambronne a demandé des
réquisitions ; le duc de Valentinois et le maire de Cannes
auraient pu nous donner des détails précieux sur cette affaire ;
il est fâcheux que M. le rapporteur n'ait pas cru devoir les
entendre. Leurs dépositions nous auraient appris quel titre on
prenait lorsqu'on débarquait en France, et l'on no viendrait pas
nous dire qu'on s'est cru étranger.
M. le Rapporteur ; On aurait dû me désigner les témoins qu'il
fallait entendre; quelque individu, animé, du désir de faire con-
naître la vérité, aurait dû m'informer des personnes dont les
dépositions auraient pu servir à la cause. J'ai écrit au ministre
qui ne m'en a point indiqué. Si j'avais appelé le maire de
Cannes, seulement comme maire de Cannes, il n'y avait pas de
raison pour que je n'appelasse pas également les maires des
villes et villages qui se trouvent depuis le golfe de Juan jusqu'à
Paris. Puisque M. le Procureur du Roi est si bien instruit, il eût
été à désirer qu'il vînt au secours de mon inexpérience.
L'interrogatoire reprend ensuite.
D. La troupe de Napoléon avait du être organisée militaire-
ment?
R. Sans doute. Napoléon m'avait dit de plus qu'il fallait
entrer dans le Dauphiné et marcher le plus vite possible,
D. Vous avez dit que vous vous étiez cru sujet de Ronoparte,
et, par conséquent, étranger à la France. Sur, quels motifs se
fonde celte opinion ?
R. Lors du traité de Fontainebleau, en 1811, on permit à
Napoléon d'emmener 400 hommes de troupe et de se retirer à
l'Ile d'Elbe. J'étais alors malade des blessures que j'avais reçues
dans le cours de la campagne. Je ne découvris point mon projet
à des officiers qui vinrent me prévenir do cette nouvelle, mais
je réfléchis que j'étais le plus ancien major. J'écrivis au général
Drouot que l'on m'avait toujours choisi quand il fallait marcher
à l'ennemi, que je regarderais comme la plus mortelle injure le
refus que l'on me ferait de me laisser suivre mon souverain.
D. Vous pouviez avoir vos raisons, mais d'autres officiers qui
n'ont pas manqué à l'honneur, sont restés en France.
Portrait de Cambronne en i8i6
Loripinal de cette miniature dont lauteur est sans doute le peintre
Muln.er, appartient à M. Victor Roussin, mari de la fille adoptive
de M. et M'" Cambronne.
Phototy]). Loiiv, Nantes.
— 193 —
R. Quant à moi, c'était différent. J'étais dans la garde : c'était
mon uniforme, c'était ma doublure.
Ici nouvelle intervention du procureur du roi qui pose
cette question.
D. Qui vous a forcé de suivre Bonaparte? D'autres devoirs
vous appelaient?
R. Eh ! Messieurs, ne connaissez-vous pas les devoirs d'un
militaire? N'avons-nous point de devoirs dans notre état?
Le général Gambronne avait prononcé ces dernières
paroles du ton le plus animé. Le procureur du roi insista
et fit une autre demande :
— Je prie M. le Président de demander à l'accusé s'il n'a
point fait de réquisitions.
R. J'en avais besoin, j'avais le droit d'en demander. Napoléon
m'avait chargé de demander des vivres pour deux jours, parce
que nous avions des montagnes à traverser. Mes Corses seuls
en ont eu pour deux jours, la garde n'en eut que pour un seul.
M. le Rapporteur. — Il me semble qu'il n'est pas bien impor-
tant de constater le fait dont il s'agit ; le général est descendu
en France, voilà tout le délit.
M. le Président. — Gela est vrai, je ne fais cette question que
pour satisfaire M. le Procureur du Roi (s'adressant directement
à l'accusé) : Il est certain que vous traitiez la France en pays
ennemi ; il me semble même que, dans l'hypothèse où vous vous
seriez cru étranger^ il devait être bien douloureux pour vous de
vous conduire de la sorte.
R. Nous n'avons pas tiré un coup de fusil. Pour répondre à
la question de M. le Procureur du Roi, je vous dirai qu'à
Sisteron, je demandai 6,000 rations que le maire me refusa,
disantque je n'avais que 1,200 hommes. « Que savez vous, lui
dis-jOj si les garnisons que j'ai laissées derrière moi, ne me
suivront pas? » Je tirai de ma poche une bourse de 3,000 fr.
que je lui jetai en lui disant de se payer. Il rougit et ne voulut
pas la prendre. Si nous avions tiré un seul coup de fusil, nous
aurions agi en ennemis, mais loin d'être regardé comme tel, je
13
— i94 —
me suis trouvé seul à Grasse, au milieu de qtiinze cents bomr-
geois, do toute la population.
Nouvel incident à ce moment, mais plus vif que les
précédents. A peine Cambronne avait-il rappelé raccueil
sympathique qu'il avait reçu à Grasse que le procureur du
roi se lève et s'écrie, accusant un officier général qui
n'était pas là pour se défendre :
— Cela n'est pas étonnant, vous aviez là le général Gazan qui
était dans vos intérêts ?
R. Le général Gazan ! J'ai demandé à lui parler, je n'ai pu
parvenir jusqu'à lui.
M. le procureur du roi se lève pour faire une autre
question. Cette fois c'est M. de Foissac-Latour lui-même
qui intervient d'un ton sec :
— Vous n'avez de remarques à faire que sur les formes
à observer, et vous ne pouvez parler qu'après me l'avoir
demandé.
M. le procureur du roi, humilié de cette riposte à
laquelle il ne s'attendait pas, se borna à murmurer quel-
ques mots inintelligibles et se rassit, muet jusqu'à la fin
des débats.
M. le Président (à Cambronne) : Je vous disais qu'il devait
être bien douloureux pour vous d'agir contre votre patrie?
N'avez-vous épi'ouvé ni chagrins, ni regrets ?
R. Un ami du Roi pouvait me poignarder à Gras>e; j'étais
seul, la résistance était facile. Ce n'est pas le tout de dire qu'on
aime son Roi, il faut encore le prouver.
D. En parlant de troupes considérables, vous effrayiez la
population ?
R. Non, nous ne dissimulions pas notre faiblesse. Prés de
Grasse, j'ai rencontré un espion; il était couvert de sueur : Vous
paraissez bien fatigué, lui ai-jc dit; je lui proposai de se rafraîchir
o! lui avouai ce qu'il en était.
D. En 1814, vous avez écrit au comte Curial pour lui
— 495 —
, demander sa protection, dans le cas où vous voudriez rentrer en
France ?
R. Je me OToyais étranger; mais je voulais recouvrer ma
qualité de Français dans le cas de la mort de Napoléon. Les
sauvages eux-mêmes aiment le pays natal ; comment n'aurais-je
pas désiré de revenir dans ma patrie, le plus beau sol du monde ?
D. Aux termes du traité, vous aviez trois ans pour y rentrer
et pour cela vous n'aviez besoin de la protection de personne ?
R. Je le savais, mais j'étais commandant de Porto-Ferrajo, ce
qui m'ôtait cette faculté ; j'étais l'une des trois premières têtes
de l'ile d'Elbe, et par conséquent, je devais craindre une
exception.
D. Est-ce en arrivant à l'ile d'Elbe que vous avez été nommé
commandant de Porto-Ferrajo?
R. Non, quinze jours après.
D. Le général Drouot était gouverneur de l'île d'Elbe ?
R. Oui, tous les jours je lui portais mes rapports,
D. Pendant la campagne prit-il le commandement de l'armée
de Napoléon ?
R. Je n'en ai reçu que des ordres verbaux.
D. Vous étiez donc sous ses ordres ?
R. Les ordres d'un souverain, pourvu qu'ils soient transmis
par un de ses officiers, on est obligé de les exécuter ; et comme
je connaissais le général Drouot, comme je savais qu'il était un
serviteur de Napoléon, je devais lui obéir.
D. Le commandant de l'armée de Bonaparte devait être cons-
titué, puisque déjà il prenait le titre de souverain?
R. Je me suis jamais mêlé de cela.
D. Vous vous êtes mclé de savoir si vous aviez un chef ou
non?
R. J'allais à l'ordre ; une fois que j'avais dit : Quoi de nou-
veau ! qu'on m'avait répondu : Rien; je m'en allais. Je n'aime
pas à faire la cour,
D. Je vous demande si le général Drouot avait le commande-
ment de l'armée ?
R. Non, c'était l'Empereur.
D. Cependant Drouot no se bornait pas à vous transmettre
— 196 —
des ordres, il vous en donnait directement? Etait-ce en chef ou
comme majoi'-général de la garde ?
R. Il était lieutenant-général, je devais lui obéir.
D. A qui faisiez-vous vos rapports?
R. Quand je savais quelque chose, je le disais au major-
général.
D. Quel était le major-général ?
R. Bertrand.
D. Etait-ce plutôt à Bertrand qu'à Drouot ?
R. Plutôt à Bertrand.
D. C'était donc Bertrand qui commandait comme major-
général ? .
R. Il a toujours commandé.
D. Dans quelle forme avez- vous fait vos réquisitions? Au nom
de qui ?
R, Au nom de l'Empereur, commandant de l'ile d'Elbe. Etant
arrivé dans la ville de Grasse, je trouvai réunie une municipalité
nombreuse, beaucoup de vieilles têtes et de rubans. J'étais
suivi de plus de six mille âmes ; le maire me demanda au nom
de quel souverain je faisais mes réquisitions. — Au nom de
Napoléon, souverain de l'île d'Elbe. Il me dit : Nous avons
aussi notre souverain, nous l'aimons ; je lui répondis que je ne
venais pas faire de la politique avec lui, mais pour demander
des rations, parce que ma colonne allait arriver.
D. Vous n'avez pas conservé vos registres de correspondance ?
R. Je n'ai jamais conservé aucune lettre de correspondance ?
D. C'est cependant l'usage. Quel litre prenait Napoléon lors-
qu'il est débarqué ?
R. Je ne l'ai entendu parler avec qui que ce soit. Est-ce des
titres qu'il a pris dans sa proclamation dont vous voulez parler ?
Vous les avez lus.
D. Dans ses proclamations ou dans ses ordres?
R. Il n'y avait pas d'ordres transmis ; on me disait : Allez-là.
D. Quel titre prenait Bonaparte dans la proclamatton que
vous avez signée ?
R. Je vous assure que je ne me le rappelle pas.
D. Il est étonnant que vous ayez donné votre signature pour une
chose si importante, sans savoir ce qu'elle contenait ?
— 197 —
R. Je ne l'ai lue qu'une seule fois.
D. Cela suffit pour répondre à la question que je vous fais.
Dans la guerre de souverain à souverain, vous n'avez pas vu
Bonaparte, à l'époque oîi il il était reconnu comme empereur,
prendi'e le titre du souverain qu'il attaquait ; il devait donc vous
être démontré que le titre qu'il prenait était usurpé?
R. Quand nous faisions la guerre, prenions-nous le titre
d'armée d'Angleterre, du Danube? Tout cela ne me regardait
pas ; car s'il prenait tel ou tel titre, cela ne lui ôtait pas celui de
souverain de l'île d'Elbe. Je ne réponds pas do ce qu'a fait
Bonaparte, je ne réponds que de ce que j'ai fait.
D. Vous êtes arrivé à une époque où vous ne pouviez pas
douter que Bonaparte prenait un titre usurpé ?
R. Je ne dis pas le contraire. Nous étions alors à Paris, il
était maître de dire tout ce qu'il voulait ; mais il ne m'a pas dit
qu'il n'était plus souverain de l'île d'Elbe. Il ne m'a pas dit :
Tu es sujet du roi de France, va-t-en avec lui.
Cambronne en terminant s'était expliqué sur le refus
qu'il avait fait du grade de lieutenant-général. Tl redou-
tait son inexpérience, la jalousie des autres maréchaux-de-
camp et ne voulait pas compromettre le salut de l'armée.
Cet interrogatoire avait duré près d'une heure. A chaque
question du président, habile dans sa modération, l'audi-
toire avait tremblé ; chaque réponse de Cambronne l'avait
étonné et rassuré en même temps, non pas que sa rude
franchise n'allât parfois jusqu'à la témérité, tant elle
respirait un dévouement profond à la cause de l'usurpa-
teur, mais parce que les juges eux-mêmes, quelque pré-
venus qu'ils fussent contre lui, retrouvaient dans son
attitude cette loyauté militaire qu'ils étaient, mieux que
personne, en état de comprendre et d'apprécier.
Le rapporteur était le chef de bataillon Delon que
Berryer avait déjà rencontré, comme adversaire, dans la
dramatique affaire Serres de Saint-Clair qu'il avait plaidée
— 198 —
devant le conseil de guerre l'année précédente. Malgré
les différents assez vifs qu'ils avaient eus alors, ils avaient
conservé de cette première lutte oratoire d'excellentes
relations qui ne pouvaient que se resserrer dans une af-
faire où ils allaient conclure l'un et l'autre à l'acquitte-
ment du général Cambronne.
On sait, en effet, sur quelle argumentation juridique
l'accusé fondait sa défense. Il s'appuyait sur le traité du
11 avril 1814 qui, en accordant à Napoléon la souveraineté
de l'île d'Elbe, avec le titre d'empereur, lui avait donné
l'autorisation d'emmener quatre cents hommes de troupes.
Du moment où Cambronne faisait partie de ces quatre
cents homrmes qu'il commandait^ il était devenu sujet
du souverain de l'île d'Elbe, et comme on ne peut servir
deux maîtres à la fois, il ne s'était plus considéré comme
sujet du roi de France à qui il n'avait pas prêté serment
de fidélité. Qu'avait-il fait ? Il avait obéi à son souverain.
Pouvait-il agir autrement ?
Déjà la même thèse avait été soutenue en faveur du
général Drouot, son compagnon d'armes à l'île d'Elbe et
elle avait été accueillie par le rapporteur, par le Conseil
de guerre, par le roi lui-même qui avait défendu tout
pourvoi contre l'acquittement. Aussi fallait-il s'attendre à
la voir se produire dans l'affaire du général Cambronne.
Mais les exaltés de l'époque accusaient la modération
du commandant Delon, ils lui intimaient d'avance l'in-
jonction de conclure contre Cambronne (1) Sans se laisser
(1) Nous empruntons ce passage ;\ l'intéressante élude de M.
Charles de Lacombe sur les Premières années de Berryer, publiée
dans le Correspondant de 1886 (livraison du 10 avril, pages 66 et
suivantes) et que l'auteur reproduira tout entière dans un livre en
préparation sur l'illustre orateur.
— 199 —
émouvoir par ces violences, le commandât Delon tint à
bien déterminer, au début même de son rapport, les
devoirs et les droits attachés à sa charge. Il établit, con-
trairement aux propos répandus par l'esprit de parti, que
les conseils de guerre permanents n'étaient pas des tri-
bunaux d'exception, mais des tribunaux ordinaires où
l'accusé devait jouir de toutes les garanties assurées par
les lois. Il ajouta que les membres qui composaient les
conseils de guerre étaient à la fois « juges et jurés » et
que le rapporteur, cumulant les fonctions de juge d'ins-
truction et celles de ministère public, devait recueillir les
faits favorables à l'accusé aussi bien que ceux qui lui.
étaient contraires, pour les présenter tous au tribunal avec
une impartialité dont il déduisit les principes en termes
dignes d'être médités par les juges de tout ordre. « S'il
» en était autrement, disait-il, la tâche de rapporteur
» serait purement arbitraire et de rigueur ; la justice ne
» l'aurait armé que pour frapper aveuglément, et il ne
» serait qu'un instrument de vengeance et de réproba^
» tion. »
Le rapporteur avait pour lui une grande autorité qu'il
ne manqua pas d'invoquer, celle du roi qui avait reçu en
audience particulière le général Drouot :
En proclamant naguère l'innocence du lieutenant-général
Drouot, disait-il, je remplissais non seulement mon devoir, mais
je m'associais à la pensée, à la volonté de notre bien-aimé
Souverain. Je ne le cacherai point, je suis fier d'avoir ainsi
deviné le cœur de Sa Majesté, d'être allé au-devant de ses inten-
tions. Cette approbation de Sa Majesté pénètre mon cœur, je la
regarde comme une récompense aussi douce qu'honorable de ma
conduite. Gloire soit rendue au monarque qui fait oublier ce
temps de désastreuse mémoire, où le crime était assis sur le
siège du magistrat, où l'esprit de parti dictait ses sanguinaires
— 200 —
arrêts ; gloire soit rendue au monarque qui veut régner sur les
cours, et les rallier autour de son trône paternel.
Ce réquisitoire ou plutôt ce rapport empreint d'une rare
élévation de sentiments devait être le dernier du comman-
dant Delon. L'auditoire, les juges même, à coup sûr
l'accusé en avaient été profondément émus. Avant de
donner la parole au défenseur de Gambronne, le président
déclara que la séance était suspendue, et tandis que les
membres du conseil se retiraient dans la salle de leurs
délibérations, le public manifestait hautement son appro-
bation. Quelques amis du général vinrent lui serrer la
main et lui donner un peu de l'espoir que peut-être ils
ne partageaient pas. Avoir pour soi les conclusions du
ministère public, n'était-ce pas une forte chance de
salut?
A deux heures, après une demi-heure de suspension, le
conseil de guerre rentre en séance au milieu du cérémo-
nial accoutumé et la parole est donnée à l'avocat que Gam-
bronne avait choisi.
Berryer sut faire de cette défense non pas l'exposé
timide de circonstances atténuantes adroitement déve-
loppées, mais un véritable éloge de son client. Non seule-
ment il n'est pas coupable, mais il a droit à l'approba-
tion de tous, pour avoir su, à une époque qui voyait
tant de compromissions, demeurer fidèle à la cause
vaincue.
Son exorde est célèbre :
« En ces temps où l'insubordination et la perfidie, où le
mépris de la foi jurée, où l'oubli des promesses les plus solen-
nelles et la violation des serments les plus sacrés ont enfanté de
si grands maux et fait connaître tant de coupables, n'est-ce pas
un spectacle étrange que de voir un homme généreux, conduit
— 201 —
par son attachement à ses chefs, par son respect pour ses ser-
ments, sur ce siège honteux, où de justes vengeances appellent
les parjures et les conspirateurs ? N'ètes-vous pas encore plus
étonnés que nous, vous, Messieurs, qui avez vécu dans nos
camps ? Vous le connaissez, cet homme qu'on vient de tirer d'une
obscure prison pour le faire asseoir devant vous sur le banc des
accusés ! »
Berryer rappelle alors les plus glorieux faits d'armes
de la vie de Gambronne et en arrive au départ de Gam-
bronne pour l'île d'Elbe. Et, appréciant hardiment cet
acte honorable, il s'exprime ainsi :
« Le général partit sans avoir cessé un seul instant de vivre
sous les lois du souverain qui avait dominé la Franco, sans avoir
été relevé de ses serments, sans avoir fait aucun acte de sou-
mission au gouvernement provisoire ou à la royale famille qui
recouvrait alors son légitime empire. Sans doute, ce départ ne
fut pas un crime; qu'ai-je dit? ce sacrifice était la marque cer"
taine d'une âme loyale et généreuse. Le général Cambronne re-
nonçait au charme de la patrie, à de brillantes espérances, aux
hommages de ses concitoyens, et cette renonciation de sa part
fut entière et sans arrière pensée. Bien loin de lui l'idée d'un
aussi fatal retour !
» Cependant Napoléon rentre en France, sans l'avoir annoncé
h ses troupes, sans môme le leur avoir laissé pressentir. Que
pouvait faire Cambronne ? Que devait-il faire ? Il obéit avec la
soumission d'un soldat, mais avec un absolu désintéressement,
ne demandant ni argent ni dignités, les repoussant môme, refu-
sant le grade de lieutenant-général, étranger en quelque sorte au
milieu de ses concitoyens et ne semblant prendre part aux évé-
nements que le jour oii le territoire français est menacé par
l'Europe en armes. »
Berryer trace ici le rôle de Cambronne dans cette der-
nière et mémorable campagne de 1815 :
Bonaparte sembla, dans les champs de Waterloo (ce n'est
point ici le général Cambronne qui parle par ma bouche), Bona-
parte, dis-je, sembla avoir perdu l'art de la guerre et cotte auda-
— 202 —
cieuse tactique qu'il déploya dans un grand nombre de batailles,
ou plutôt Dieu l'abandonnant à ses ignorances, l'aveuglait, lo
précipitait et le confondait par lui-même. Sentant le besoin de
s'assurer des réserves considérables, espérant que l'impétuosité
belliqueuse des Français briserait les forces immenses des alliés,
il ne lançait contre l'ennemi que des masses peu nombreuses qui
soudain étaient renversées par l'épouvantable feu de son artille-
rie; l'étranger, effrayé dans son admiration, raconte qu'il eût
voulu sauver ces braves; ses offres furent rejetées. Le général
Cambronne, après avoir été exposé au feu durant tout le jour,
vers le soir, à la tôte d'un seul bataillon, attendait encore de
pied ferme le choc de l'armée ennemi; il est frappé alors... Il
tombe confondu au milieu des morts!... Grand et malheureux
courage dont le souvenir fera toujours battre les cœurs
français !
C'est ensuite le tableau de sa captivité, de sa soumis-
sion au roi après le départ de Napoléon pour Saint-Hélène,
de sa constitution volontaire comme prisonnier, démarche
qui, suivant le mot du commandant Delon, n'était pas
une preuve irrécusable d'innocence, mais qui ne pouvait
être faite que par un homme déterminé à mettre son
espoir dans son innocence et dans l'impartiale équité de
ses juges. Mais Berryer ne veut pas borner sa défense au
récit des nobles actions de son client, il veut discuter le
droit et il pose la discussion sur le terrain juridique. Les
faits sont avérés, mais l'accusé est-il coupable pour en
être l'auteur? peut-il être puni?
La loi, pour venger l'attaque à main armée du territoire, n'en-
visage comme coupable et ne frappe que des Français. Or,
Cambronne était-il Français encore en mars 1815?
On peut le nier. Un traité le fit passer avec son chef militaire
dans une souveraineté nouvelle et indépendante : là, il vécut sous
un nouveau drapeau que les puissances, par le traité du li avril,
avaient promis de respecter. A la vérité, il avait la faculté pen-
dant trois ans de rentrer dans son pays, mais il était libre d'user
— 203 —
ou de ne pas user de cette faculté. Toutefois, dès ce jour, il per-
dit l'exercice des droits civils et politiques attachés à la qualité
de Français ; il fut rayé des états militaires, il ne toucha aucun
traitement.
La preuve que le général Cambronne ne se considérait plus
comme Français, ne résulte-t-elle pas de la lettre qu'il a écrite
au général Gurial pour réclamer sa bienveillance lorsque les
circonstances lui auraient permis de redevenir Français ?
Oui, Cambronne était devenu étranger à sa patrie; par l'effet
des bouleversements politiques, son prince avait changé d'Etat et,
en le suivant dans sa nouvelle souveraineté, toutes les lois lui
imposaient l'obligation de continuer à lui obéir sans réserve.
Ajoutons que Bonaparte était à la fois souverain et général;
que, sous cette qualité, le général Cambronne était soumis à une
discipline sévère et contraint à une obéissance plus stricte, plus
nécessaire qui permettait moins les réflexions.
Berryer rappelle alors les principes de notre droit
criminel d'après lesquels il n'y a ni crime ni délit, quand
il n'y a pas libre volonté d'agir, quand l'on a obéi aux
ordres d'un supérieur hiérarchique. Peu importait que
Bonaparte ne fût qu'un vil usurpateur: le serment de
Cambronne n'en était pas moins inviolable.
C'était d'ailleurs ce que venait de déclarer le ministère
public lui-même. Comment Cambronne pouvait-il être
déclaré coupable, lui le subalterne, lui qui n'avait rien su
d'avance, alors que son chef, le général Drouot, avait été
acquitté par le môme conseil de guerre ?
Enfin dans une émouvante péroraison, Berryer sup-
pliait le conseil de guerre de ne pas porter atteinte à la
chose jugée pour frapper d'un supplice honteux son loyal
client.
Ah I conservez au roi un sujet qui peut être si précieux •
craignez, par la perte d'un homme digne d'estime, comme il
serait digne de regrets, de flatter les honteuses espérances de
— 204 —
ceux qui, cultivant nos dissensions comme leur fonds et leur
propre héritage, s'efforcent d'immortaliser les passions, les
querelles et les fureurs.
N'appliquez point une loi terrible à ce brave qui, dans les
temps les plus désastreux quand la terreur planait de toutes
parts, osa, au péril de sa vie, soustraire au supplice et des
victimes de Quiberon et des ministres de Dieu que des juges
d'enfer allaient égorger. C'est le moment pour lui de recevoir le
prix de ses généreuses actions. Voyez au pied du tribunal ceux
qu'il a arrachés à la mort vous demander sa vie ; que la voix de
ceux qui périrent, malgré tous ses efi'orts, s'élève jusqu'à vous
et pénètre votre âme !
Ah ! surtout, ne perdez point le souvenir ! Comment, lorsque
les vastes mers étaient ouvertes à sa fuite, soumis aux volontés
de son nouveau roi, il les a traversées pour se livrer lui-même à
lajusticede son pays ! Déclarerez-vous rebelle celui qui sait ainsi
obéir au péril de sa vie ! Quel cœur français aurait le courage de
laisser tomber un si cruel arrêt sur cette tète sillonnée par tant
de cicatrices ! Non, la main d'un bourreau n'achèvera pas
ignominieusement cette mort que mille ennemis ont si glorietise-
ment commencée. Enfin, pour emprunter aux livres sacrés une
expression qui convient admirablement à notre sujet : « Non,
vous n'immolerez point ce lion qui est venu s'oflrir comme une
victime obéissante. »
Mais qu'ai-jo dit, messieurs ? J'ai trahi la cause qui m'était
confiée... Ce n'est point par des considérations touchantes que
mon client prétend déterminer vos esprits ; il demande justice...
Cambronne l'inflexible s'est toujours imposé à lui-même des lois
sévères, c'est d'après ces lois qu'il veut être jugé...
Les débats allaient être clos après cette émouvante
plaidoirie, déjà Cambronne interpellé conformément à la
loi avait déclaré qu'il n'avait rien à ajouter pour sa
défense, quand uu des juges, le capitaine Gouy, qui avait
le grade inférieur (ce sont là quelquefois les plus sévères)
demande à poser une dernière question à l'accusé :
— Dans la proclamation que vous avez signée, y avait-
— 205 —
il une invitation aux troupes du roi de passer sous les
drapeaux de l'usurpateur ?
Cambronne était libre de faire à cette demande la
réponse la plus favorable à ses intérêts. La proclamation
n'était pas représentée, il avait dénié celle que l'empereur
avait remaniée avant de la livrer à la publicité. Il n'en
répliqua pas moins avec une franchise que ses amis
considérèrent presque comme sa condamnation ;
— Il y avait, dit-il, une invitation de s'unir à Napoléon
et de quitter la cocarde blanche pour la cocarde tricolore.
Les juges se retirent pour délibérer, tandis que,
reconduit dans sa prison, Cambronne, résolu, en cas de
condamnation, à ne pas se pourvoir en révision, à ne pas
signer de recours en grâce, écrit au général comte
Despinois pour réclamer de son humanité l'exécution
immédiate de la sentence capitale.
A six heures du soir, la séance est reprise, (la délibé-
ration avait duré trois heures) et debout, en présence
dune assistance haletante, le président donne lecture du
jugement qui suit :
De par le Roi,
Le Conseil délibérant à huis-clos, en présence seulement de
M. le procureur du roi, le président a posé les questions
suivantes :
Ciimbranno (Pierre-Jacques-Etienne) est-il coupable :
lo D'avoir trahi le Roi avant le 23 mars 181.") ?
2o D'avoir attaqué à main armée le gouvernement légitime des
Français ?
3o D'avoir usurpé le pouvoir par violence ?
Les voix recueillies séparément en commençant par le grade
inférieur, le président ayant émis son opinion le dernier, le
Conseil déclare :
Sur la première question, à l'unanimité, non, l'accusé n'est
pas coupable,
— 206 —
Sur la deuxième question, à la majorité de six voix contre
une, non, l'accusé n'est pas coupable.
Sur la troisième question, à la majorité de cinq voix contre
deux, non, l'accusé n'est pas coupable.
En vertu de ce jugement , le président du conseil
déclarait le général Gambronne acquitté des accusations
dirigées contre lui et ordonnait sa mise en liberté vingt-
quatre heures après le jugement, suivant le délai réclamé
par le procureur du roi pour se pourvoir contre cette
sentence.
Gomme on le sait, devant les Gonseils de guerre, l'ac-
cusé n'est pas présent à la lecture de son jugement.
Gambronne avait été reconduit en prison et c'est en son
absence que l'auditoire avait accueilli aux cris de : Vive
le Roi ! l'acquittement prononcé en sa faveur.
D'après une note de la police politique^ ce n'est pas
seulement l'auditoire qui avait manifesté sa satisfaction,
les légions départementales qui faisaient le service avaient
montré une joie démesurée. « On a, ajoutait cette note (1),
» quelques notions qui prouvent que les chefs ne peuvent
» trop surveiller les soldats et faire punir sévèrement le
» moindre propos. »
Au reçu de cet avis, une enquête fut prescrite par le
ministre de la police générale qui demanda le nom de
cette légion « pour faire établir envers les militaires qui la
« composaient les mesures convenables de surveillance. »
« Celte circonstance, disait la lettre du 30 avril, du
ministre Dccazes au lieutenant-général commandant la
l'<^ division militaire, « et quelques autres qui sont éga-
» lement à ma connaissance feraient croire que cette
» légion n'est point animée d'un bon esprit. » (1)
■ ■— .1 1,1-. ■ I ■ I II I » I
(1) Archives Nationales, F 7 6679.
— â07 —
Il fallut fournir des explications minutieuses au mi-
nistre de la police générale pour calmer l'irritation des
ultra et nous les trouvons dans la lettre suivante (1) :
Ire DIVISION MILITAIRE. — ÉTAT -MAJOR- GÉNÉRAL
A S. E. le Comte Decazes, Ministre de la Police Générale.
Paris, le 3 mai 1816
Monseigneur,
En réponse à votre lettre du 30 avril dernier, j'ai l'honneui de
vous adresser ci-joint l'élat de composition de la garde de police
auprès du l«r Conseil de guerre permanent de la Division, dans
la journée du 26 du môme mois.
Sur les témoignages de satisfaction, ou les éclats de joie qu'on
a laissé échapper lors du prononcé et à l'issue du jugement du
général Cambronne, je crois pouvoir assurer à Votre Excellence,
d'après le rapport contradictoire des officiers de l'Etat-Major de
la Division présens à la séance et des deux commandants de la
troupe, qu'il y a bien eu, en effet, de pareilles manifestations de
la part des assistans dans l'auditoii'e (officiers en demi-solde) et
qu'elles ont même été poussées jusqu'au scandale, mais qu'aucun
sous-officier ni soldat de la gai-de ne s'en est mêlé.
L'opinion très connue des Légions de la Seine et de l'Indre,
l'excellent esprit des officiers qui la dirigent, les gages que le
plus grand nombre ont donnés de leurs dévouement au Roi, ne
laissent guère là-dessus de doute, et semblent, du moins , écarter
les préventions qui s'élèveraient contre les deux corps.
Agréez, Monseigneur, les assurances de mon respect.
Le Lieutenan-Gal Comt la l'e Doa Mre,
Signé : Cie D'Espinois.
Suivait l'état de composition de la garde de police le
26 avril :
Légion de l'Indre, casernée à Popincourt.
M. Durandeau, sous-lieutenant.
1 sergent, 1 caporal, 12 fusiliers, 1 tambour.
(1) Archives Nationales, F 7 C679.
— 208 —
Légion de la Seine, caserne'e à la Courtille.
M. Darbouville, sous-lieulenant.
1 sergent, 2 caporaux, 12 fusiliers, 1 tambour.
Gambronne lui-même s'attendait à peine à son acquitte-
ment, puisque de retour à l'Abbaye, il avait, en vue d'une
condamnation possible, préparé comme nous l'avons dit,
pour le général Despinois, commandant la place de Paris,
une lettre où il sollicitait de « son humanité » une
prompte exécution. Cette lettre ne partit pas : Berryer,
tout joyeux, était accouru pour apporter l'heureuse nou-
velle à son client. Bientôt la prison s'emplit de parents,
d'amis, de quelques uns des frères d'armes du général,
accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants et qui
pleuraient de plaisir, en le félicitant.
Mais cette sentence n'avait pas fait que des heureux.
Au dehors, suivant l'énergique expression de M. Charles
de Lacombe, « rugissait l'esprit de réaction et de ven-
geance. » Déjà le procureur du Roi, le capitaine Duthuit
qui avait fait rage au cours des débats, avait obtenu que
la mise en liberté de Gambronne fût ajournée de vingt-
quatre heures. Ne lui fallait-il pas le temps de formaliser
un pourvoi en révision, s'il réussissait à s'en faire donner
l'ordre, ce qu'il n'avait pas obtenu lors de l'acquittement
de Drouot ? Les journaux royalistes prirent à partie
l'accusé et son défenseur avec tant de violence que, par
ordre du ministère, un pourvoi fut formé contre le
jugement.
Encore importait-il qu'il fût signé dans les vingt-
quatre heures pour être valable. Le jugement avait été
prononcé le 26 avril à six heures du soir ; le 27, à six
heures dix minutes, Berryer se présente, accompagné
d'un parent de Gambronne, Margerin, au greffe du
— 209 —
conseil de guerre et demande à prendre connaissance du
pourvoi, s'il en a été formé un. Le greffier hésite, balbu-
tie et finit par répondre que le procureur du Roi est en
train de le terminer dans la pièce voisine. Protestation
énergique du jeune défenseur qui fait constater que les
vingt-quatre heures sont expirées depuis dix minutes et
que, si le pourvoi n'est pas signé, il est trop tard. Le
bruit de la discussion attire le procureur du Roi et la
scène recommence de plus belle. Berryer prend à témoin
le greffier Boudin, Margerin qui l'avait accompagné,
Portiez, greffier du conseil de révision et le concierge du
conseil de guerre et, comme, en dépit de ces explications,
le procureur avait, après plus d'une heure de débats,
déclaré qu'il maintenait son pourvoi, Berryer écrivit sa
protestation sur la minute même du document.
Naturellement, l'incident avait fait grand bruit et pour
parer à tout événement, la note suivante (1), inédite
jusqu'à présent, fut transmise dès le lendemain 28 avril
au ministère de la guerre pour justifier la validité du
pourvoi dans la forme :
L'avocat de l'acquitté, à la suite d'uuc violente discussion, qui
a eu lieu hier, au greffe du iei- Conseil de Guerre permanent,
entre lui et le commissaire du Roi, a protesté contre le pourvoi
en révision du Ministère public, sur ce que l'acte constituant le
même pourvoi, n'avait point été signifié et déposé au greffe,
dans le délai de i24 heures, prescrit par la loi, mais d'abord il
est à observer que par rapport à ce laps de temps, ou à la
manière de supputer les 24 heures, il y a ici, de la part de
l'avocat, erreur de calcul et erreur de principes.
Erreur de calcul, parce qu'en admettant que le laps de 24 heures,
soit également fatal pour le commissaire du Roi, comme pour la
partie, aux termes de l'art. 8 de la loi du 15 brumaire an 6,
(1) Archives de la Guerre.
14
— 210 —
le délai de 24 heures ne commence à courir que de la lecture du
jugement par le rapporteui" à l'accusé, et non du prononcé du
jugement par le président, séance tenante, or la protostation
contre la validité du pourvoi se fonde sur ce qu'il est signé
tardivement à 6 heures lo minutes, et le jugement n'a été lu à
l'acquitté qu'à 8 heures du soir, d'où il suit que dans les termes
les plus rigoureux de la loi, et en supposant toujours que l'art. 11
de la loi du 18 vendémiaire an 6, doive être pris littéralement,
le commissaire du Roi, avait encore 1 heure 4o minutes pour se
pourvoir.
Erreur de principes, parce qu'en substituant le droit écrit à
toutes ces hypothèses, les art. 8 et 9 de la loi du 15 brumaire
an 6, postérieure par conséquent, à la loi du 18 vendémiaire,
ont déterminé de la manière la plus précise et la plus positive,
comment les délais pour se pourvoir en révision devaient courir
et profiter, soit en faveur de la partie^ soit pour le commissaire
du pouvoir exécutif, sans aucune exception de cas, et qu'à
l'égard du Ministère public, l'art. 9 de la dite loi du 15 brumaire
an 6, conçu ainsi qu'il suit : « Le commissaire du pouvoir exé-
» cutif n'a également que 24 heures, pour se pouvoir d'office,
» après le délai accordé à l'accusé » dispose par ces termes,
que le délai de 24 heures accox'dé au commissaire du Roi, est
bien réellement de 48 heures, quant à la mesure et au laps de
temps, puisqu'il ne commence à courir, pour le Ministère public,
qu'après le premier délai de 24 heures accordé à la partie.
Ainsi l'avocat du général Cambronne n'est pas plus fondé en
droit qu'en raison^ et le pourvoi du commissaire du Roi, a tous
les caractères essentiels pour la validité.
Si le pourvoi était recevable dans la forme, que valait-
il au fond ? et de quels vices de procédure pouvait-on donc
se prévaloir ? Le procureur du roi prétendait les trouver
dans les trois points suivants que laissaient du reste
pressentir ses interpellations au cours des débats :
1» Le maire de Cannes et le commandant de cette ville
où le général Cambronne avait exercé des actes d'auto-
rité, n'avaient pas été entendus comme témoins ;
— 211 —
2° L'imprimeur de Digne des presses de qui étaient
censément sorties les proclamations méconnues ou
arguées de faux, n'avait pas été non plus appelé en
témoignage ; sa déposition et celle de ses ouvriers était
nécessaire au cas où Gambronne aurait fait en personne
la commande de ces impressions ;
3° Enfin l'arrestation du duc de Valentinois avait été
omise, comme à dessein, par le rapporteur et constituait
un délit de plus à la charge de Cambronne.
Tout cela était bien faible comme argumentation.
Comment faire à Cambronne ou à ses juges un grief des
erreurs ou des omissions d'une instruction qui avait duré
assez longtemps pour qu'il fût permis de penser qu'elle
était complète? Il y avait une autre réplique, d'ordre
essentiellement juridique et que, dans un rapport spécial
au ministre de la guerre en date du 30 mai 4816, le bureau
de la justice militaire mit en pleine lumière avec une
impartialité des plus louables.
Comme le disait avec raison le rédacteur de ce rapport,
Arnous, ancien juge au tribunal civil de Versailles, que
signifie un pourvoi contre un acquittement ? Si le pourvoi
était admis, y aurait-il de nouveaux débats, ou seulement
cassation dans l'intérêt de la loi ? De nouveaux débats
seraient contraires à la jurisprudence d'après laquelle le
bénéfice de l'acquittement reste acquis à l'accusé et la
cassation dans l'intérêt tout platonique de la loi méritait-
elle le bruit qui se faisait autour de ce procès ?
Malgré ce rapport, le pourvoi suivit son cours. Cam-
bronne, c'est-à-dire Berryer, rédigea aussitôt un mémoire
tendant à sa mise en liberté, mais il n'y fut pas donné
suite, tant fut rapide le renvoi du général devant le
conseil de révision, qui se réunit dès le 4 mai sous la
■- 212 —
présidence du maréchal-de-camp baron de Conchy. C'était
M. Derby, commissaire des guerres, qui remplissait les
fonctions de procureur général du roi et naturellement
c'était Berryer qui prêtait encore une fois à Cambronne
l'appui de sa parole.
La discussion fut intéressante. Si Berryer vit écarter
deux fins de non recevoir préjudicielles qu'il avait tour à
tour élevées, il eut du moins la satisfaction d'entendre le
procureur général faire lui-même justice des moyens si
pauvrement présentés par l'ofiicier public qui avait rédigé
le pourvoi. Mais il en avait soulevé d'autres auxquels
Berryer dut répondre sans en avoir eu communication
préalable, sans avoir pu en conférer avec son client. Il
n'en trouva pas moins d'éloquentes paroles pour discuter
les théories de son adversaire.
D'après Berryer, le délai de vingt-quatre heures était
de rigueur, en ce sens que la loi était faite dans l'intérêt
de l'accusé et que le ministère public devait être le
premier à en observer les prescriptions.
S'agit-il de ce que les pièces à conviction n'ont pas été
représentées^ c'est qu'il n'y en avait pas, à moins qu'on
ne qualifie de ce nom les proclamations de Bonaparte,
mois Cambronne ne les a pas signées et ne saurait en
être responsable.
Fallait-il entendre des témoins ? En était-il besoin ?
« Eh 1 Messieurs, vingt-trois millions d'hommes ont été
« témoins de cette audacieuse entreprise; fallait-il assigner
« ces vingt-trois millions d'homme ? » En tous cas, ce
n'était pas à Cambronne qu'il appartenait d'indiquer à
l'accusation les témoins qu'elle devait faire entendre
contre lui.
— 213 —
A cette argumentation serrée, Berryer ajouta une
touchante péroraison :
Cambronne apprend que le roi a rendu une ordonnance qui
menace sa tète ; il a juré d'obéir, il obéit, il part pour se livrer
à la justice de son ])ays, il s'enferme dans des cachots ; il paraît
enfin devant le tribunal qui doit décider de son sort ; il voit des
officiers dont les bons sentiments sont chaque jour prouvés, des
officiers au service du roi, proclamer son innocence. Il espère
être enfin rendu à la société et briser les liens qui le retenaient
prisonnier. Vain espoir ! Un nouvel événement menace de
rappeler sur sa tête les coups qui avaient été détournés par les
premiers juges. C'est assez avoir obéi. Si, malgré le texte de la
loi, malgré le peu de fondement des moyens sur lesquels repose
cette nouvelle attaque, un jugement lui faisait courir de nouveaux
périls, il sera muet désormais, il a répondu aux accusations
comme son devoir l'exigeait ; il courbera son front obéissant,
sans plainte, sans mui-mure et nous-mème, nous ne ferons plus,
pour sauver sa tète, des efforts qui seraient encore infructueux.
Berryer n'eut pas à tenir cet engagement. Le conseil
de révision, à la majorité d'une voix seulement, c'est-à-
dire par trois voix contre deux, rejeta le pourvoi et
ordonna la mise en liberté du général Cambronne,
II y avait près d'un an déjà qu'il avait été fait pri-
sonnier sur le champ de bataille de Waterloo.
CHAPITRE XV
sous LA SURVEILLANCE DE LA HAUTE POLIC?E
Enfin, Gambronne était libre. Il n'était pas trop tôt.
Depuis près d'une année, il avait été tour à tour le
prisonnier des ennemis de la France et le prisonnier des
Français et ce n'était pas l'Angleterre qui lui avait témoi-
gné le plus de rigueur.
Le dimanche de son départ de Paris, il avait tenu à
revoir son jeune et dévoué défenseur et à lui remettre une
preuve de sa reconnaissance. Berryer refusa avec le plus
complet désintéressement. Le seul gage qu'il fut possible
de lui faire accepter, ce fut un petit portrait qui
appartient aujourd'hui à M. Georges Berryer, avocat à
la Gour d'appel de Paris et neveu de l'illustre orateur. Au
dos de ce tableautin sont écrits ces mots de la main de
Berryer : « Gc portrait du général Gambronne m'a été
» remis de sa part, le 5 mai 4816, lendemain du jour où
» son jugement a été confirmé au conseil de révision.
» Berryer fils » (1).
Mais, d'honoraires, l'éminent avocat ne voulut pas
pas entendre parler. Il se borna à dire à Gambronne, en
présence de plusieurs témoins : — Pour toute récompense
de mes services, j'exige de vous la promesse que, dans
aucune circonstance, vous ne prendrez part à rien de ce
(1) Grâce à l'obligeance de M. Georges Berryer, nous avons pu
donner ce portrait en tête de ce livre.
— 215 —
qui pourrait nuire aux intérêts du roi, et qu'au contraire
vous serez toujours prêt à le servir aussi bien que vous le
pouvez faire encore. — Je vous le promets, répondit le
général, je sais trop bien que, par suite de ma soumission
et de mes serments, ma vie appartient au roi et à ma
patrie (1).
Mais, en dépit de la publicité donnée à ce nouveau
serment, les feuilles royalistes attaquaient violemment la
théorie juridique développée par Berryer dans l'intérêt de
Gambronne. Le Journal des Débats, le Journal général
prirent à partie le défenseur et son client et, détail plus
significatif encore, les organes anglais firent chorus.
Le Times et le Courrier de Londres s'élevèrent avec
force contre les principes et la doctrine professés dans
les affaires de Drouot et de Gambronne et qui tendaient à
établir que tout individu peut changer de pays et de
souverain comme il lui plaît, et qu'après avoir ainsi
brisé ses liens, il est libre de combattre contre son ancien
pays et son ancien souverain.
Cette monstrueuse doctrine, disaient-ils, a été proclamée par
les Etats-Unis d'Amérique, lorsqu'ils soutenaient qu'un marin
anglais n'avait qu'à passer vingt-quatre heures sur le sol améri-
cain, se faire donner un brevet de citoyen américain, et puis
s'embarquer à bord d'un vaisseau des Etats-Unis pour combattre
contre sa véritable patrie et son ancien souverain. Mais cette
doctrine ne fut pas approuvée parles publicistes de l'Europe, et
les anglais, quand ils faisaient prisonnier un de ces prétendus
américains de nouvelle fabrique, le pendaient au haut du mât,
comme traître et rebelle, avec son brevet de citoyen dans sa
poche ou autour de son cou. Nous pensons qu'on réfléchira deux
(1) Lettre écrite au Journal de Paris (n" du 10 mai 1816) par M.
Margerin, « partnt, conseil et fondé de pi ^curation du général
Gambronne » qu'il avait assisté dans son procès.
— 216 —
fois au danger d'une pareille doctrine et que ceux qui, mal à
propos, l'ont renouvelée pour défendre Drouot et Cambronne,
seront eux-mêmes effrayés des conséquences auxquelles elle doit
conduire.
Le Journal de Nantes et de la Loire- Inférieure, à l'heure
presque où Gambronne allait reprendre sa place parmi
ses concitoyens, avait la gracieuseté de reproduire suc-
cessivement les diatribes des Débats (1), les critiques des
journaux anglais (2), enfin un article non moins acerbe
du Journal général (3).
Ce n'était pas tout. De l'Oise et de la Loire-Inférieure,
c'est-à-dire des deux départements où Gambronne avait
des relations de famille ou des intérêts territoriaux,
parvenaient au ministère des rapports plus ou moins
sincères sur l'effet déplorable, disait-on, qu'avait produit
Tacquittement du général.
Le préfet de l'Oise écrivait à la date du 30 avril la
lettre désolée que voici au ministre Decazes (4) :
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE L'OISE
A. S. E. Le Ministre de la Police Générale
Beau vais, le 30 avril 1816.
Monseigneur,
Il est de mon devoir de ne pas vous laisser ignorer l'effet
fâcheux que produisent sur l'esprit public les jugements rendus
en faveur des généraux Drouot et Gambronne.
A cette question, le général Gambronne est-il coupable d'avoir
(1) Le Journal de Nantes et de la Loire- Inférieure du lundi 6 mai
1816, n» 938.
(2) Même journal du samedi 11 mai 1810, n" 943.
(3) Même journal du dimanche 12 mai 1816, n" 944.
(4) Archives nationales.
— 217 —
attaquée la France et son gouvernement à main armée, le conseil
de guerre a répondu non ; mais tout le monde répond oui.
Les militaires peu attachés au Roi, et le nombre en est grand,
ne pensent pas que ce jugement, qui les satisfait cependant, soit
une preuve de l'équité ou de l'indulgence du gouvernement, ils
supposent que c'est de la part du conseil de gtiorre un acte
généreux par lequel, en s'affranchissant des suggestions du
gouvernement, il a eu le courage de poser en principe que les
braves qui ont débarqué en France avec Bonaparte n'ont pas
démérité de la patrie. Ils imaginent que par là le gouvernement
a été déçu dans son projet bien caractérisé, selon eux, de perdre
ou d'avilir successivement par des procédures,, les plus illustres
chefs de l'armée. On ne tarit pas sur les éloges mérités par le
conseil de guerre. Cette apparence de leçon faite au Roi et aux
Ministres relève de bien coupables espérances.
Tous les serviteurs du Roi sont indignés, beaucoup sont
effrayés. Le scandale que ces jugemens leur ont causé ne s'effacera
pas de longtemps. C'est à leurs yeux la sentence d'absolution
de Bonaparte ; ils ne peuvent concilier la jurisprudence du
conseil de guerre avec l'ordonnance du Roi du 6 mars qui déclare
traîtres et rebelles les militaires et les employés de tout grade,
qui auraient accompagné ou suivi Bonaparte dans son invasion
du territoire français, les plus modérés s'abstiennent d'appel(?r
sur les généraux Drouot etCambronno toute la sévérité des loix ;
qu'on les laisse vivre en liberté, si l'on veut, mais qu'on ne les
produise pas sur un théâtre pour les absoudre solemnellement
par un jugement fondé sur des subtilités qui répugnent au bon
sens, et jettent de nouveaux doutes sur la grande question de
la légitimité.
Il me serait facile. Monseigneur, de donner de plus grands
développements à des réflexions qui sont le résultat des rapports
journaliers que je reçois, mais il me suffit d'avoir fait part à
Votre Excellence de ces principales variations de l'opinion pu-
blique, dont les conséquences ne sont peut-être pas à négliger.
Je suis avec respect. Monseigneur, de Votre Excellence, le
très humble et très obéissant serviteur,
Le Préfet de l'Oise.
— 218 -
Du cabinet ministériel, il fut répondu par la lettre
modérée que voici :
8 mai 1816.
Monsieur le Préfet, vous me rendez compte des impressions
que paraissent avoir produites sur vos administrés les jugements
prononcés en faveur des généraux Cambronne et Drouot. J'appré-
cie la sagesse des considérations dans lesquelles vous entrez,
mais vous observerez vous-même que l'opinion publique se
compose de bien des éléments divers, qu'elle se modifie suivant
les localités et les intérêts souvent contraires. S'il est utile de la
consulter pour agir, la rectifier ou la diriger est ce qui reste à
faire à l'administrateur, du moment que les opérations sont
terminées. Vous entendrez tour à tour, Monsieur, blâmer la
clémence et la sévérité, accuser la justice, prescrire à l'autorité
supérieure telle ou telle mesure. Le gouvernement doit être lui-
même et bien se garder de céder à des impulsions aussi diver-
gentes.
Continuez, je vous prie^ à me rendre compte, et à vous servir
de tout l'ascendant de vos fonctions et de votre caractère pour
concilier aux actes du gouvernement et aux arrêts de la justice
le respect qui leur est dû.
De Nantes, deux lettres étaient parties le 30 avril à
l'adresse du ministre de la police. L'une émanait du
préfet, comte de Brosses, l'autre du vicomte de Cardaillac,
commissaire spécial de police (1) ; elles témoignaient de
craintes sérieuses pour l'ordre public, si Cambronne re-
venait à Nantes et demandaient que le séjour de sa ville
natale fût interdit au général :
(1) Voici ce que Guépin écrivait au sujet de ce Cardaillac :
« Le 5 novembre 1813, la restauration envoya le vicomte de Car-
daillac à Nantes, avec mission d'imposer silence aux vaincus. Il fut
bientôt entouré de tous ceux qui sentaient le besoin d'une terreur et
de ces gens qui, sous tous les régimes, trafiquent de délations et de
provocations, comme pour prouver qu'il est nécessaire que tout le
monde vive. »
— 219 —
PRÉFECTURE DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
Paris, le 30 avril 1816.
A Son Excellence le Ministre de la Police Générale.
Monseigneur,
Le Généi-al Cambronne vient d'être acquitté, c'est un homme
exalté, enclin h l'ivrognerie et capable de se porter à tous les
excès, quand il est pris de vin. Il est déjà attendu avec impa-
tience par un certain nombre de jeunes gens avec lesquels il a
eu des liaisons et qui sont également très-exaltés. Sa présence
dans ce département peut avoir de graves inconvénients et
compromettre la tranquillité publique : je souhaiterais donc que
Votre Excellence voulût bien lui interdire de s'j rendre, sa mère
qui demeure dans une commune rurale voisine de Nantes,
pourra aller le voir dans l'endroit qui lui sera assigné pour
résidence.
Je suis avec respect, Monseigneur, de Votre Excellence, le
très-humble et très-obéissant serviteur.
Le Préfet de la Loire-Inférieure.
Comte de Brosses.
Nantes, le 30 avril 1816.
A Son Excellence, Monseigneur le Ministre de la Police générale.
Monseigneur,
Le Général Cambronne vient d'écrire à un de ses amis de
cette ville que le premier usage qu'il feroit de sa liberté seroit
de venir se montrer à Nantes. Je prie Votre Excellence de
vouloir bien considérer que la présence de ce général peut être
très dangereuse dans cette ville.
Les fédérés et chasseurs vendéens sont en grand nombre, ils
sont tranquilles en ce moment, et n'osent point remuer, mais
s'ils ont bien pris un air de satisfaction quand le général Travot
a obtenu sa grâce, que sera-ce lorsqu'ils verront au milieu d'eux
un des plus zélés partisans de Bonaparte et qu'ils se flatteront
de le voir marcher à leur tête, si malheureusement il y avoit
quelque mouvement.
— 220 —
Je supplie Votre Excellence de prendre mes observations en
considération, et de vouloir bien ne pas exposer la tranquillité
de ce département.
Je suis avec un profond respect. Monseigneur, de Votre
Excellence, le très-humble et très-obéissant serviteur,
Vte de Cardailhac.
Le ministre de la police générale tint compte de ces
observations et le 6 mai il invitait le préfet de police à
refuser à Cambronne un passe-port pour Nantes. Cet ordre
arriva trop tard à son adresse.
Mis en liberté le 4 mai dès que la décision du conseil
de révision avait été connue, Cambronne s'était présenté
en personne, en grand uniforme, dans les bureaux de la
préfecture de police. Il était porteur d'un ordre du général
Despinois qui lui enjoignait de se rendre à Nantes et de
partir de suite^ sans doute pour éviter quelque manifesta-
tion tumultueuse à Paris. Sur le vu de cet ordre, un
passe-port lui avait été délivré.
On courut bien après lui pour lui retirer ce passe-port,
au cas où il n'eût pas encore quitté Paris, mais c'était
chose faite et il ne restait au Gouvernement que la
ressource de donner de nouvelles instructions pour faire
diriger le général sur un autre point. (1)
Le ministre de la police n'alla pas jusque-là, mais
comme Cambronne devait d'après les injonctions du
général Despinois se présenter, dès son arrivée à Nantes,
devant les autorités civiles et militaires, il se borna à
inviter le préfet de la Loire-Inférieure h observer la
conduite ultérieure du général Cambronne :
(1) Archives Nationales. Lettre du 7 mai 181C de la préfecture de
ta prélecture de police au comte Decazes, ministre de la police
générale.
— 221 —
Vous ne négligerez pas de lui insinuer d'ailleurs de quel inté-
rêt il est pour sa tranquillité personnelle comme pour celle du
département où il a fixé son domicile, de mériter par une réserve
extrême, qu'on voye en lui, sans regret, un exemple de l'impar-
lité, de la justice sous le règne des Bourbons.
Vous aurez occasion sans doute de lui faire remarquer la dis-
crétion et la modestie de la conduite du général Drouot, retiré à
Nancy; vous lui ferez sentir enfin que lorsqu'il a annoncé l'in-
tention de se montrer à Nantes^ il n'a dû concevoir de projet que
celui d'y paraître comme pour y attester la justice et la clémence
du Roi.
Vous voudrez bien me communiquer, M. le Préfet^ le résultat
des observations auxquelles la conduite du général Cambronne
donnera lieu de votre part et de l'effet produit sur l'opinion
publique par sou re'.,our dans votre département.
La présence du général Drouot a produit un excellent
effet à Nancy; son exemple, ses excellons propos ont ramené au
Roi plusieurs officiers mécontens. M. le général Despinois est
convaincu que le général Cambronne tiendr.a la même conduite et
aura un égal succès ; s'il en était autrement vous lui donneriez
une autre destination.
Cambronne arriva à Nantes le 9 mai, non pour s'y fixer,
mais pour se rendre auprès de sa mère, à Saint-Sébastien.
En descendant de la diligence, il trouva le commissaire
spécial de police qui ne l'attendait guère, persuadé que le
général avait été dirigé vers une autre ville et qui rendit
compte dans les termes suivants de son entrevue avec
lui:
Nantes, le 10 mai 1816. "
A Son Excellence, Monseigneur Le Ministre de la Police Générale.
Monseigneur,
D'après la lettre de Votre Excellence en date du 6 de ce mois,
j'avois espéré que le général Cambronne ne viendrait pas à
Nantes, cependant il est an ivé hier.
Je lui ai dit tout ce que les circonstances présentes et la place
que j'occupe me faisoit un devoir de lui dire. 1 m'a promis la
— 222 —
plus grande retraite et surtout la plus grande soumission, mais je
n'y crois guères; et je pense qu'il est très impolitique qu'un
homme de ce caractère soit revenu dans ce pays ; car la joie est
peinte sur les visages de tous les partisans d'une nouvelle
révolution.
La très grande majorité des habitans de ce département pense
très bien ; cependant il s'y trouve, et surtout dans la ville de Nantes
un grand nombre d'incorrigibles, qui ne soupirent qu'après un
nouveau bouleversement; et il a été facile de les reconnaître ces
jours derniers, où ils avaient conçu de coupables espérances.
L'arrivée du général Cambronne qu'ils regardent comme une
victime échappée au fer des persécuteurs, ranime leurs esprits
abattus, et ils espèrent en faire un chef prêt à marcher à leur
tète au besoin; de leur côté les honnêtes gens, depuis le premier
administrateur jusqu'au dernier citoyen, regardent son retour
comme une calamité.
Je puis assurer Votre Excellence que je mettrai tous mes soins
à le faire surveiller. Il sera difficile peut-être d'empêcher les
conciliabules qui pourront se tenir chez lui, car son habitation
est à une petite demi-lieue de la ville, sur les bords de la Loire,
et on peut y arriver par divers chemins ; déjà toutes les personnes
notées par leur mauvaise opinion sont en mouvement pour aller
le féliciter. Quoi qu'il en soit, je le suivrai de près, et je ferai
part à Votre Excellence de tout ce que je découvrirai, qui pourra
intéresser la sûreté de l'Etat, et la tranquillité de ce département.
Je désire me tromper, mais il m'est difficile de croire que
celui qui quelques jours avant la bataille de Waterloo avoit solli-
cité et obtenu le titre de Comte de Nantes, puisse se résigner à
vivre dans la retraite.
J'ai l'honneur d'être avec respect, etc.
Le Vicomte de Gardaill.vc.
Cette correspondance révélait par elle-même l'esprit
d'exagération de celui qui l'échangeait avec le comte
Decazes. Jamais Cambronne, créé comte par l'empereur
pendant les Cent Jours, n'avait porté ce titre, c'est dire
qu'il n'avait pas dà songer à se faire donner celui de
— 223 —
« comte de Nantes » et sa seule préoccupation en deman-
dant un passeport pour sa ville natale, avait été de pou-
voir, après une longue absence, serrer sa vieille mère
bien-aimée dans ses bras. Nous n'avons pas besoin d'ajou-
ter qu'il fut l'objet de la part de ses concitoyens, sans
distinction d'opinion, de l'empressement le plus sympa-
thique et d'une curiosité affectueuse mêlée d'admiration.
Selon un de ses biographes, « la foule se portait toujours
longtemps d'avance sur la route qu'il devait suivre, dans
la rue ou sur la place qu'il devait traverser ; et, du plus
loin qu'elle l'avait aperçu, elle courait au-devant de lui^
l'entourait et le saluait de ses acclamations. Tout le monde
désirait non seulement le voir, mais chacun voulait en-
core l'entendre et le toucher. Les ouvriers quittaient leurs
travaux pour accourir sur son passage. 11 s'arrêtait quel-
quefois au milieu d'eux, causait avec celui-ci, riait avec
celui-là et témoignait à tous la même atTabilité. »
Nous craignons que ce récit ne soit empreint, lui aussi,
d'exagération dans un sens contraire aux rapports du
vicomte de Gardaillac. Les faits que mentionne llogeron
de la Vallée d'après le récit de M™* veuve Gambronne
(car il était trop jeune pour en avoir été personnellement
le témoin) ne sont pas signalés par le commissaire spécial
de police, du moins sous cette forme tapageuse.
Il ne fallait d'ailleurs pas grand chose, nous le recon-
naissons, pour éveiller la sollicitude toujours inquiète de
la police secrète qui ne rêvait que conspirations bonapar-
tistes et y affiliait naturellement les anciens soldats de
Napoléon. Gambronne, qui n'était pas sans le savoir ou du
moins sans le pressentir, vivait seul, avec sa mère, dans
sa maison de la cote Saint-Sébastien, loin du bruit et des
manifestations et dans la plus grande simplicité. Ses pas
— 224 —
et démarches n'en sont pas moins surveillés. Mais tandis
que le commissaire spécial de police continue à faire des
montagnes de tout et de rien, le préfet, revenu des émo-
tions de sa lettre du 30 avril, rassure le ministre qui
rassure à son tour son agent secret à Nantes (1).
Voici cette correspondance :
. . . Cambronne se conduit sagement, il y a eu de l'exagération
dans les rapports faits au commissaire spécial à son sujet, j'es-
père en faire un instrument utile (2).
Paris, le 31 mai 1816.
A Monsieur le Préfet de la Loire-Inférieure.
Monsieur le Préfet, dans une lettre que m'a adressée M. de
Cardaillac, ce fontionnaire se plaint de la conduite du géné-
ral Cambronne et en redoute les suites, soit pour la tranquil-
lité du département, soit pour cet officier général lui-même.
Il résulterait de son rapport ^^^e le général Cambronne
recevrait habituellement chez lui les individus de Nantes et des
environs le plus notoirement connus pour leur opposition au
gouvernement actuel, et que l'habitude où il serait de porter
constamment l'uniforme de son grade produirait dans l'esprit du
peuple un mécontentement général et très prononcé. Votre si-
lence seul me persuade que ces renseignements ne sont point
sans exagération. Je vous invite cependant à les vérifier ; per-
sonne mieux que vous ne pourrait faire, s'il en était besoin, des
représentations fermes et sévères au général Cambronne qui
s'empresserait sans doute de s'y conformer. Si, au contraire, la
conduite de ce général n'offre rien de repréhensibb, je vous en-
gage à calmer les craintes de M. de Cardaillac, et à l'exhoi-ler à
moins consulter ses propres impressions que la vérité dans les
rapports de la même nature qu'il aura occasion de m'adrosser.
(1) Archives Nationales, F 7 G679.
(2) Extrait d'une I^'ttre du Préfet de la Luiro-Iiiférieure en date du
17 mai 1816.
- 225 —
Nantes, le 21 mai 1816.
A son Excellence Monseigneur le Ministre de la Police générale
Monseigneur,
J"ai eu l'honneur d'instruire Votre Excellence par ma lettre du
10 do ce mois, du mauvais effet qu'avait produit dans ce pays
le retour de l'ex-général Cambronne. Votre Excellente par sa
lettre du 7 courant m'engage à une grande surveillance, et à lui
faire part du résultat de mes observations.
Dès son arrivée, cet ex-général se présenta chez moi, m'assura
de son amour pour le Roi, et me promit qu'il ne verroit personne.
11 fit la même promesse à M. le Préfet, cependant il a reçu chez
lui beaucoup de personnes très mal famées.
Ce qui me déplaît le plus, c'est de le voir se promener toujours
en uniforme dans les communes environnantes de celle qu'il
habite. Le peuple s'en indigne ; les amis du trouble et de
l'anarchie en prennent l'air insolent, je lui avais cependant fait
flire par M. le Maire de Saint-Sébastien, commune qu'il habite,
que je désirois qu'il fût en simple bourgeois, et surtout lorsqu'il
vient à Nantes. Sa campagne d'ailleurs est si près de Nantes
que les coquins ont toute facilité pour aller le visiter.
Dans la commune qu'il habite se trouvent beaucoup de pavsans
qui ont fait toutes les guerres de la Vendée et qui ne le voyent
qu'avec beaucoup de peine, et si tous ceux qui ne veulent que le
trouble continuent à l'aller voir aussi fréquemment, s'il a
l'arrogance de se montrer toujours avec l'habit de son grade, je
ne pourrai répondre de sa vie.
Tout le monde dit et répète ; puisque ce général a été absous
comme étranger à la France, pourquoi vient-il habiter ici comme
Français ? et pourquoi surtout i)Orfe-t-il l'uniforme de maréchal
de camp français ? Tous les bons bretons sont indignés de cette
impudence.
Je supplie Votre Excellence de prendre mes observations en
considération, et de croire qu'aucun moyen de surveillance ne
sera négligé et qua je ferai tous mes efforts pour arrêter les
projets des malveillans, s'ils étaient assez hardis pour vouloir
troubler l'ordre public.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Vicomte de Caruailhac
15
— 226 —
PRÉFECTURE DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
Nantes, le 3 juin 1816.
A Son Excellence, Monsieur le Ministre de la Police générale.
Monseigneur,
D'après les rapports fréquens que je reçois sur la conduite que
tient dans ce pays, le général Cambronne, et notamment d'après
celui que j'ai reçu ce matin môme, il me paraît que les rensei-
gnemcns qui ont été transmis à Votre Excellence sur cet officier,
ne sont pas entièrement exacts.
Le général Cambronne s'est effectivement montré en uniforme
dans la commune de Saint-Sébastien où il j-éside, mais il n'a
jamais paru ainsi à Nantes où il vient très rarement. On l'a
néanmoins engagé à ne pas porter cet habit dans le canton qu'il
habite. Il vit fort retiré, et quoiqu'il eût été sans doute désirable
qu'on lui eût assigné une autre résidence que celle de son propre
pays où il se trouve le point de ralliement naturel des malveil-
lans, il est vrai de dire cependant qu'il n'a donné lieu jusqu'ici
à aucun soupçon fondé.
Au reste, Monseigneur, j'aurai soin de suivre les instructions
qui terminent la lettre de Votre Excellence.
•le suis avec respect, etc.
Le Préfet, Comte de Brosses.
Nantes, le 4 juin 1816,
A Son Excellence, Monseigneur le Ministre de la Police générale,
Monseigneur,
J'ai eu l'honneur d'écrire plusieurs fois à Votre Excellence au
sujet du général Cambronne, pour la prévenir des inquiétudes
({ue me donnoit dans une ville où il y a un grand nombre de
fédérés, la présence d'un général qui s'est rendu célèbre par son
attachement à l'usurpateur.
Je dois lui rendre cette justice que, quoique les malveillans le
regardent comme un point de ralliement, il paroit cependant ne
s'y pas prêter, et que sa conduite jusqu'à présent a été assez
réservée.
Un autre motif me fait parler aujourd'hui à Votre Excellence,
— 227 —
les habitans des campagnes ont vu avec peine revenir au milieu •
d'eux ce général acquitté comme étranger, et peut-être ses jours
ne sont pas en sûreté, du moins c'est ce ^ue m'apprennent des
rapports secrets. Je prie cependant Votre Excellence de croire
que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour protéger sa vie.
J'ai l'honneur d'être avec respect, etc
Le vicomte dk Gardaillac.
La réponse du ministre ne se fit pas attendre :
10 juin 1816.
Au Commissaire de police à Nantes,
J'ai reçu, Monsieur, la lettre dans laquelle vous m'entretenez
du général Cambronne, et j'espère que sa conduite réservée ne
se démentira pas ; mais je suis loin de partager les craintes que
vous me manifestez pour sa vie ; vous ne les motivez en aucune
manière. Les habitans de la campagne ont pu le voir avec
quelque peine revenir au milieu d'eux, mais il y a loin de là à
des projets d'assassinat, des provocations ont-elles été faites ?
Avez-vous été averti par des menaces ou par cette espèce d'agi-
tation sourde qui précède toujours les excès de cette nature ?
non, sans doute, vous m'en auriez parlé.
Je compte assez, Monsieur, sur votre prudence et sur votre
fermeté pour croire la vie du général Cambronne très en sûreté,
et je suis persuadé qu'aucun attentat de ce genre surtout lorsque
vous l'aurez prévu, ne sera commis par des royalistes dans le
département où vous êtes appelé à exercer votre surveillance.
M. de Gardaillac se le tint pour dit et à compter de
cette date, nous ne retrouvons plus de rapport de lui
contre Cambronne qui songeait à se faire restituer son
traitement de général. Il le réclama, quelques jours après
son retour, par la lettre suivante (1) :
(1) Cette lettre figure dans le Cabinet historique (tome VIII,
année 1862.)
— 228 —
• A Son Excellence, Monseigneur le duc de Feltre, Ministre de
la Guerre.
Monseigneur,
J'ai l'honneur d'exposer h Votre Excellence, que j'aurais droit
de réclamer de sa justice : 1" 3,000 fr. qui me sont dus pour le
deuxiènie semestre de l'an 1814 et toute l'année 181S, comme
commandant de la légion d'honneur ; 2" 2,000 fr. pour entrée en
campagne, li,600 fr. dont vous avez les pièces en vos bureaux
pour les indemnités en Espagne et S0,000 fr. par suite du traité
de Fontainebleau. Mais mon devoir bien sincère étant de con-
vamcre Sa Majesté de la franchise de ma soumission et de la
sincérité de mon dévouement ; bien déterminé d'ailleurs à dimi-
nuer et à réparer par tous les moyens qui sont en mon pouvoir
les malheurs de ma patrie et mes erreurs passées, j'ai l'honneur
de vous supplier très humblement do faire agréer à Sa Majesté,
ma renonciation bien formelle à tous mes droits à ces diverses
sommes.
Ce serait pour moi un grand bonheur que de pouvoir joindre
à ce sacrifice, celui du traitement que je sollicite de Votre
Excellence, par une autre lettre de ce jour. Je n'ai jamais spéculé
sur mes services et je me féliciterais de pouvoir renoncer à toute
récompense ; mais le délabrement de la fortune de ma famille
par les événements de la révolution me contraint h solliciter le
nécessaire ; et comme je le trouverai dans le traitement que
j'attends de votre justice, je renonce bien volontiers à tous autres
avantages.
J'ai l'honneur d'ôLre, avec le plus profond respect, do Votre
Excellence, le très humble et obéissant serviteur.
Le baron Cambkonne,
Maréchal de camp.
A Saint-Sébastien, près Nantes, le 20 juin 1816.
Mais Gambronne n'obtenait pas aisément ce qu'il récla-
mait ; il y avait toujours en haut lieu, dans les bureaux
du ministère de la guerre, des royalistes ardents qui
machinaient toutes sortes de manœuvres contre les géné-
raux de l'empire, tant et si bien qu'à leur suggestion, le
— 229 —
gouvernement se posa même la question de savoir si
Cambronne n'avait pas perdu la qualité de français
comme il l'avait fait ou laissé plaider. Le ministre de la
guerre consulta le ministre de la justice et il ne fallut rien
moins qu'une réponse catégorique de ce dernier pour que
le héros de Waterloo ne fût pas traité comme le dernier
des cosaques, de ceux-là mêmes contre qui il avait en
1814 défendu les portes de Paris. Voici cette lettre (1) :
Paris, le 3 décembre 1846.
Monsieur le Maréchal , par la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrira le 18 octobre^ vous m'avez consulté sur la question
de savoir si M. le baron Cambronne qui a été absous pï»r juge-
ment d'un conseil de guerre de la prévention d'avoir attaqué la
France à main armée, doit être considéré comme Français, ou
s'il n'est pas censé avoir perdu cette qualité par suite du sys-
tème de défense qu'il a adopté devant ce conseil de guerre.
Dans l'état de notre législation, la qualité de citoyen français
ne se perd que dans les cas prévus par les articles 17 et 21 du
Code civil on par une condamnation à une peine afflictive ou
infamante. Le système de défense qu'a embrassé le général
Cambronne ne peut pas le placer dans la première de ces caté-
gories, attendu que, d'après le traité de Fontainebleau du 11
avril 1814, dont je joins ici un extrait, il ne peut pas être consi-
déré comme ayant accepté des fonctions à l'étranger sans auto-
risation, et qu'il pouvait rentrer en France dans le terme de
'A ans. 11 me paraît doue évident que ce général n'a pas perdu sa
qualité de français.
Recevez, Monsieur le Maréchal, l'assurance, etc.
Le Chancelier de France, chargé du Portefeuille
du Ministère de la Justice,
Dambray.
Cette consultation catégorique mit fin à l'incertitude qui
pesait sur Cambronne lequel obtint, dès la fin de l'année,
(1) Archives du ministère de la guerre.
— 230 —
le renouvellement de son brevet de commandeur de la
Légion d'honneur. Il en fait part, peu de temps après, à
un de ses amis, le chevalier Denelle, dans une lettre où
percent ses véritables sentiments sur la Restauration.
Elle est également intéressante par les renseignements
qu'elle contient sur quelques-uns des compagnons d'armes
du général (1). La voici tout entière :
A Monsieur le chevalier Denelle,
propriétaire au mas d'Agenais, département de Lot-
et-Garonne, par Bordeaux et Tonneins.
Mon cher Denelle, (2)
Je vous suis reconnaissant de l'empressement que vous
renouveliez à apprendre de mes nouvelles, mais comme je sais
que vous vous intéressez réellement à moi, j'attendois la décision
de mes affaires pour vous en informer : n'étant pas terminée, je
ne vous dirai que où j'en suis.
S. M. m'a fait donner mon brevet de commandeur de la
légion, en jouissant de tout ce qui est accordé à ce titre ; on m'y
porte avec la dénomination de maréchal de camp et le titre de
baron : j'ai donc l'espoir qu'au l*r jour on m'accordera ma
pension de retraite, que mes blessures m'authorisent à réclamer;
plus les lettres de baron auxquelles je tiens peu, vous savez
comme j'ai toujours pensé à ce sujet, si l'orgueil des anciens
n'avoit pas l'air de discuter en paroles en mon absence ce que
j'ai gagné à mon corps défendant et pour l'honneur de la patrie.
Enfin, n'importe, comme ils voudront me voir, ils savent bien
que je ne les crains pas et qu'ils me trouveront toujours prêt à
leur répondre.
Quand mes affaires seront achevées, j'aurai le plaisir de vous
en faire part. Je vous remercie de vos offres honnêtes pour
(1) Cette lettre inédite fait partie de la collection de M. Lotz-Bris-
sonneau, de Nantes, qui a bien voulu nous la communiquer.
(2) DENELLE, destinataire de cette lettre, était un ancien lieutenant
du 26» d'infanterie légère, fait chevalier de la légion d'honneur le 14
avril 1807 au camp impérial de Finkenstein {Moniteur du 26 mai).
— 231 —
avoir le plaisir d'aller vous voir, croyez qu'il m'est impossible
dans ce moment de le faire. Faites agréer à votre dame ma
reconnaissance de ce qu'elle veuille bien me permettre d'avoir
l'honneur de faire sa connaissance. Il faut toutes les raisons que
j'ai pour rester où je suis qui puisse m'empccher de me rendre
à d'aussi agréables et honôtes invitations. Soyez donc mon
interprète prés Mde votre épouse et soyez persuadés que nôtre
ancienne amitié existe entre nous avec le plaisir que nous goûtions
lorsque nous jouissions d'être ensemble.
Gomme vous paraissez vouloir des nouvelles de nos anciens
camarades, je vais entrer dans ce que je crois en connoître, sans
bien vous assurer du tout :
Robert est maréchal de camp demeurant à Paris, je le crois à
la 1/2 solde (1), Lenchantin est mort (2), Menu (3) est colonel,
retiré chez lui, en retraite ou 1/2 solde, il avait été maréchal de
camp, mais sa nomination annulée ; KcU est colonel à 1/2
solde, Guiilemain, major à demi-solde (4) ; il est devenu son
(1) ROBERT (Simon, baron) né en 1762 à Nevers, mort à Paris en
1827, avait connu Cambronne, quand il avait passé comme capitaine
le 5 thermidor an IV dans la 2« légion des Francs devenue depuis
la 46« demi-brigade. Promu chef de bataillon le l'^'" vendémiaire an
V, Robert se distingua à la bataille de Paradis (Suisse). Tour à tour
major du 36e de ligne (an XII), colonel de la G» demi-brigade provi-
soire (1809), baron de l'empire (1810), maréchal de camp (181i),
Robert fut mis en demi-solde le 1" août 1813 et admis à la retraite
le 21 octobre 1818.
11 avait signé, au retour de l'île d'Elbe, une adresse de fidélité à Vem-
Y>ereur {Moniteur du 23 avril 1813). La seconde Restauration le disgracia.
(2) LENCHANTIN, ancien colonel du 46" de ligne où il fut remplacé
par Latrille, avait été nommé général de brigade le 1<='' février 1803
{Moniteur du 13 pluviôse an 13).
(3) MENU, colonel en 1813, avait été chef de bataillon, puis major
du 46« de ligne, l'ancien régiment de Cambronne {Moniteur du 3
avril 1807 et du 28 janvier 1813).
(4) Le major GUILLEMAIN fut à côté du prince d'Ekmûhl un des
signataires d'une violente protestation datée du camp de la ViUette,
le 30 juin 1813 et dirigée contre les Bourbons {Moniteur du 2 juillet
1815). La Chambre des représentants en avait voté l'impression à
20,000 exemplaires.
— 232 —
neveu envers et contre tous, enfin il a jolie femme et des enfants,
il demeure à Paris à 1/2 solde. Dutrieu étoitchez lui, il y adeux
ans, il était chef de bataillon. Levasseur étoit revenu du Sénégal,
je le vis à Paris, on le disait riche, mais il étoit lancé dans les
coquines, je crois bien qu'il se sera ruinée malgré tous les
conseils que je lui ai donné pi" ne pas le faire.
Leroy est en Normandie retiré, marié et à son aise (1).
Innocent Bonnefoy étoit le seul restant au régiment à la b"e
de Waterloo ; il étoit chef de bataillon, il devoit se marrier à
Amiens ou Arras, mais quelques ennemis dirent à sa prétendue
belle-mère qu'il étoit impuissant; défendant sa fille, malgré tous
les certificats de chirurgien, il n'a pu obtenir l'objet de sa flame,
et il est sûrement à i/2 solde chez lui. Renaud est en retraite,
Audebault est délivré, je le vis bourgeois à Paris il y a deux
ans 4/2 ; Muret est marchand de vin, il paraissoit à son aise.
Voilà, mon cher Denelle, tous les vivants que je connois ;
prisonnier en Angleterre, j'étois avec 20 officiers du 'k6° qui
m'ont instruit de quelques-uns de ces détails.
Faites agréer mes respects à Madame et croyez-moi pour la
vie Votre ami.
Le 16 mars. Le baron Cambronne.
Le vrai ami Gerodias étoit il y a trois ans et demi adjudant-
major des marins de la garde, nous étions souvent ensemble,
presque tous les jours ; je le crois à la 1/2 solde à Nanci ou Paris
peut-être à Brest, car il est amphibie, tantôt marin, tantôt
canonier-marin, autrefois fantassin, souvent il m'a ])arlé de
vous (2).
Le temps s'écoulait ainsi quand Cambronne re^solut un.
jour, au commencement de l'été 1817, à aller à Noyon où
(1) LEROY (François) né le lo aovU 1709, le môme jour que l'em-
pereur, à Beuzeville (Eure), mort le 28 décembre 1838, passa comme,
sous-lioutenant le !<='• brumaire an V à la -iG» demi-brigade, se
trouva à Zurich, à Engen, à Hochstifdt, a Hoiienlindcn. Il prit sa
sa retraite le 1" juillet I8i.-J.
(2) GEIIODIAS (Joseph) lieutenant de vaisseau, uliicier de la Légion
d'honneur, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis
[Moniteur du 18 mars 1800 et du 2o septembre 1814).
— 233 —
l'appelaient des affaires de famille et d'intérêt et il de-
manda au maire de Saint-Sébastien, un passe-port pour
<îette ville. Le maire écrit au préfet, le préfet écrit le 20
juin au ministre une lettre dont voici un passage : (1)
Je n'ai pas cru moi-mùme devoir autoriser la délivrance de ce
passe-port avant d'avoir pris les ordres de Votre Excellence à
cet égard, en raison do la position particulière où se trouve le
sieur Cambronne, quoique sa conduite n'ait donné lieu à aucun
reproche, depuis qu'il habite la commune de Saint-Sébastien. Il
vit à la campagne avec sa mère, reçoit fort peu de monde et se
montre très réservé dans ses propos.
Le ministre répondit par la lettre suivante :
Paris, le 25 juin 1817.
M . le préfet du département de la Loire-Inférieure,
Je ne vois point d'inconvénient. Monsieur, à ce qu'un passe-
port soit délivré pour Noyon (Oise) à M. le Général Cambronne
dont la conduite soumise à votre surveillance pendant son séjour
à Saint-Sébastien, ne vous a rien otfert de rep>^éhensible. Je
préviens M. le préfet de l'Oise de sa prochaine arrivée dans ce
déparlement, en lui adressant les mêmes instructions que vou.s
aviez reçues de moi à son égard.
Recevez, Monsieur le préfet, etc.
Pour le ministre secrétaire d'Etat au département
de la police générale et par son ordre.
Le Maître des requêtes, secrétaire général du ministère,
MiRBEL.
Ainsi, le préfet de la Loire-Inférieure avait précédem-
ment reçu des instructions relatives à Cambronne (elles
n'ont point été conservées aux archives du département)
et le préfet de l'Oise allait recevoir les mêmes. Les voici
(1) Archives départementales de la Loire- Inférieure. Dossier des
suspects sous la Restauration : Cambronne.
- 234 —
en effet telles qu'elles figurent aux archives de l'Oise
(série M. Police générale et administrative) où nous avons
eu la bonne fortune de les retrouver :
Paris, le 27 juin 1817.
M. le Préfet du département de l'Oise,
Je viens, Monsieur, d'autoriser Monsieur votre collègue de la
Loire-Inférieure^ à faire délivrer au général Cambronne domi-
cilié à Saint-Sébastien, dans son département, un passe-port
pour Noyon, où il est appelé par des affaires personnelles.
Vous jugerez que la position de cet officier général réclame de
votre part une attention suivie, sans être ostensible, sur ses dé-
marches et ses relations. Sa conduite à Saint-Sébastien, où il est
^etiré depuis plus d'un an, n'a rien offert de repréhensible. Vous
me rendrez compte du résultat de vos observations s'il y a
lieu.
Recevez, Monsieur le Préfet, etc.
Le Maître des requêtes, secrétaire général du Ministère,
MlRBEL.
Comme de juste, le préfet de l'Oise envoya très con-
fidentiellement copie de cette lettre au capitaine de
gendarmerie de Beauvais, avec mission de la recomman-
der au brigadier de Noyon qui devait à son tour faire
toutes les semaines un rapport particulier :
Confidentielle.
— Le30 juin 1817.
A Monsieur le Capitaine de gendarmerie à Beauvais.
M. le Capitaine,
Je vous transmets ci-joint la copie d'une lettre de Son Excel-
lence le ministre de la police relative à la surveillance secrète
dont le général Cambronne doit être l'objet à Noyon, où il trans-
fère son domicile. Vous sentez que cette communication est très
confidentielle. Vous voudrez bien donner des ordres très précis,
pour que ce général soit très étroitement surveillé, quoique d'une
— 235 —
manière non ostensible, et vous vous ferez rendre compte chaque
semaine de ses démarches, de ses liaisons et de l'ensemble de sa
conduite. Vous aurez soin de m'envoyer le rapport particulier
qui devra vous être adressé à cet égard.
Recevez, etc.
L'accusé de réception du capitaine de gendarmerie de
l'Oise, M. Paal, chevalier de l'ordre royal et militaire de
Saint-Louis et de la légion d'honneur à M. le comte de
Germiny, préfet de l'Oise, mérite d'être signalé :
2e LÉGION ROYAUME DE FRANCE
Compagnie de l'Oise
_ Beauvais, le 2 juillet 1817.
Police Secrète ^ Monsieur le Comte de Germiny, préfet
de l'Oise à Beauvais.
Monsieur le Comte,
Conformément à vos intentions, j'ai donné les ordres néces-
saires pour surveiller le général Cambronne pendant son séjour
dans ce département avec autant de vigilance que de circons-
pection.
Il existe dans la ville de Noyon une société d'officiers en
retraite qui sont connus pour leurs mauvaises opinions, etc..
Agréez, Monsieur le Comte, etc.
Paàl.
Le préfet, comme l'indique une note marginale, écrivit
au ministre qu'il avait pris toutes les précautions vou-
lues et le gouvernement de la Restauration put dormir
en paix, d'autant plus aisément, d'ailleurs, qu'en dépit
du passeport demandé et obtenu Cambronne renonça à
son voyage.
Nous retrouvons d'intéressantes explications, sincères
ou de commande, au sujet de son attitude, dans une lettre
que son parent Margerin écrivait en son nom, le 8 oc-
tobre 1817, au ministre de la guerre en lui rappelant une
— 236 —
première demande égarée dans les bureaux une quinzaine
de jours auparavant. (1)
A Son Excellence Monseigneur le Ministre de la Guerre,
MONSEIGNFX'R,
Ayant eu l'honneur de présenter à Votre Excellence le 24
septembre dernier, une nouvelle réclamation au nom du général
Gambronne, et m'étant assuré, que, le mercredi 1er de ce mois,.
elle n'était pas dans vos bureaux, j'ai tout lieu de craindre qu'elle
ne soit pas parvenue à Votre Excellence, et je prends la liberté
de lui en adresser une seconde copie à laquelle j'ajouterai
quelques observations que les circonstances ont rendues néces-
saires.
Copie de la réclamation adressée à Son Excellence le 24 septembre
En songeant à l'avis donné à tous les créanciers de votre
département, sous la date du 30 août dernier et en lisant les
journaux du 11 septembre, dans lesquels je vois un nouvel avis
adressé par le Gouvernement à tous les créanciers de l'Etat de
présenter leurs réclamations et leurs titres avant le 27 septembre,
je crois devoir, comme fondé de procuration, comme parent„
comme ami du général Gambronne, adresser à Votre Excellence
une nouvelle réclamation au nom do ce général, pour lequel je
sollicite vainement depuis près de 18 mois, une décision qui
détermine enfin son sort.
.Je ne puis expliquer l'inutilité de mes démarches jusqu'à ce
jour qu'on l'attribuant à quelques fâcheuses préventions qui
seraient restées sur le compte de cet oflicicr général ; cependant
il me semble que le serment qu'il a volontairement prêté au Roï
et la conduite qu'il a tenue depuis son acquittement sont des
garanties suffisantes de ses sentiments. Il m'est permis de pré-
sumer que Sa Majesté elle-même ne serait pas éloignée
d'accorder au général Gambronne la confiance que je désirerais
qu'il obtînt de Vo're Excellence.
Je fonde celte espérance sur le brevet de commandeur de la
Légion d'honneur que Sa Majesté a daigné lui renouveler le 3Qv
(1) .\rcluves du Ministère do la Guerre.
décembre dernier pour prendre rang parmi les commandeurs à
compter du 6 avril 1813.
Ce brevet, signé Louis, est accordé au baron Pierre-Jacques-
Etienne Cambronne, maréchal de camp de nos armées.
Quoi, le maréchal de camp Cambronne a été renvoyé à ses
fonctions par un jugement. Il est admis au nombre des comman-
deurs de la Légion d'honneur. Il est qualifié de maréchal de
camp dans le nouveau brevet que le roi a daigné lui accorder et
il ne pourrait obtenir le renouvellement du brevet qui lui assure
ce grade, ainsi que les avantages et prérogatives qui y sont
attachés. Je crois cependant que le général Cambronne, après
avoir servi pendant 25 ans, ayant sur le corps plus de blessures
que d'années de service, ne peut être étranger à l'armée, et qu'il
n'en peut faire partie qu'avec le grade qu'il a si bien acquis.
J'ose donc espérer qu'un nouvel examen et de nouvelles ré-
flexions feront enfin cesser l'anxiété trop prolongée dans laquelle
il reste depuis si longtemps et que votre Excellence voudra bien
avoir égard à sa situation présente qui me fait une loi de solli-
citer pour lui des moyens d'existence.
Le général Cambronne est né avec de la fortune, mais il avait
perdu son père peu de temps avant la Révolution et cette Révo-
lution a enlevé à sa mère la presque totalité de ses biens.
Réduite à vivre dans une petite campagne qui lui est restée à
une lieue de Nantes, c'est là qu'elle a maintenant à sa charge un
fils qui devrait aujourd'hui lui apporter des secours. Mais le
général Cambronne, qui croyait trouver une existence assurée
dans ses longs services, a toujours sacrifié au bien de ses subor-
donnés les profits qui auraient pu lui donne, des ressources pour
l'avenir. Que de circonstances je pourrais citer où ce général
donna des preuves de son désintéressement et de son humanité,
mais je me contenterai de parler d'une seule.
A sou retour d'Espagne, tous les soldats du régiment que com-
uiandait Cambronne manquaient de capotes ; il épuisa toutes ses
ressources particulières pour leur en donner à ses frais ; ce fait,
qui peut être affirmé à votre Excellence par tous les anciens
compagnons d'armes de ce général, qui étaient avec lui en Es-
pagne, n'est pas, comme je l'ai déjà dit, le seul de ce genre,
suais il doit suffire pour établir votrj opinion sur son caractère et
— 238 —
doit vous donner en même temps la mesure des besoins que doit
éprouver ce général, qui n'a rien louché depuis son acquittement
qui date de 18 mois, et qui avait été précédé de trois mois de
détention à l'Abbaye et de trois mois de prison en Angleterre.
Quels que soient les nombreux arguments que je pourrais
employer en faveur du général Cambronne, je n'ajouterai rien à
cette réclamation déjà trop longue. Telle quelle est, elle suffira
sans doute pour appeler toute la sollicitude de Votre Excellence
et la déterminer à statuer promptement sur le sort d'un ofllcier
général sur le dévouement et la fidélité duquel Votre Excellence
pourra toujours compter autant que sur le très humble, etc,etc...
C'est ainsi, Monseigneur, que je m'exprimais pour le général
Cambronne le 24 du mois dernier, avec l'espérance de dissiper
entièrement jusqu'aux moindres préventions que Votre Excel-
lence aurait pu conserver contre l'honneur et la fidélité de ce
général. Mais par suite de la fatalité qui semble le poursuivre,
un nouvel incidentauraitpu paraître justifier les préventions que
je croyais si facile de détruire.
Le Journal des Débats, du 30 septembre, en rendant compte
d'une des séances du procès relatif à la conspiration de l'Epingle-
Noire, s'exprime ainsi :
« On a découvert chez Contremoulin un livret contenant, par
» ordre alphabétique., cent-vingt-huit noms, parmi lesquels se
» trouvaient ceux d'Exelmans, Ameilh et Cambronne. »
Ainsi, quoique tous les accusés de la conspiration dite de
l'Epingle-Noire aient été acquittés, peut-être pourrait-on con-
server quelques préventions à leur égard et, par suite, à l'égard
du général Cambronne dont le nom se trouve, sans que je puisse
m'en expliquer le motif, accolé à deux hommes condamnés et
proscrits.
Je crois devoir certifier à Votre Excellence, que si, en effet, le-
nom du général Cambronne s'est trouvé sur la liste contenant
128 noms, M. Contremoulin l'y a compris sans sa participation
et sans lui en avoir donné connaissance.
J'ai à ma disposition une lettre du général Cambronne, datée
du 2i mai 1816, et portant le timbre de la poste du 27 du même
mois, dans laquelle il m'annonçait qu'il était sous la surveillance
de la haute police, et comme il présumait, sans doute, que je
— 239 —
pourrais réclamer contre une disposition dont l'arrêt qui l'avait
acquitté et renvoyé à ses fonctions, devait l'affranchir, il m'an-
nonçait que loin que cette disposition lui causât la moindre con-
trariété, il s'en félicitait parce que c'était pour lui le plus sûr
moyen d'avoir des garants de sa conduite.
Dans une autre lettre, portant le timbre du 20 juillet dernier et
que je me suis empressé de communiquer à M. le chef du Bureau
de votre Département qui en devait connaître, à son audience du
mercredi premier de ce mois, le général Cambronne m'annon-
çait qu'ayant eu l'intention d'aller dans le département de l'Oise,
où se trouve une grande partie de sa famille, il avait sollicité et
obtenu de son Excellence le Ministre de la police générale un
passeport qui l'autorisait à faire ce voyage, mais à celte époque
la cherté des grains avait occasionné do troubles dans plusieurs
départements et le général Cambronne redoutant que son voyage
ne fût mal interprété par la malveillance, s'expi'ime ainsi dans la
lettre que j'ai à ma disposition :
« Les différents bruits sur divers points m'ordonnent de ne
» pas sortir d'ici, car on pourrait croire que j'ai des intentions
» que je n'aurai jamais. »
Certes, Monseigneur, vous serez bien convaincu que celui qui
se félicite d'être placé sous la surveillance de la haute police
afin d'avoir des témoins de sa conduite et qui se prive, par
prudence, d'un voyage projeté et désiré, dans le dessein de ne
donner prétexte à aucune interprétation défavorable, ne peut
avoir mérité de voir son nom figurer sur une liste d'individus
soupçonnés ou convaincus de conspiration contre l'Etat. Vous
serez, comme moi, persuadé que dans celte circonstance le
général Cambronne est à plaindre et non à blâmer, et vous ne
prendrez, à son égard, aucune impression fâcheuse. C'est dans
cette confiance que je sollicite de nouveau de Votre Excellence
une prompte justice et que je vous prie d'agréer l'assurance du
très profond respect avec lequel j'ai l'honneur, Monseigneur, de
Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur.
B. Margerin,
Avocat, rue des Champs-Elysées, no 8.
Paris, ce 8 octobre 1817.
— 240 —
Gomme on le voit par cette lettre, Louis XVIII avait
renouvelé, dès le 30 décembre 1816, le brevet de comman-
deur de la Légion d'honneur que Gambronne avait déjà
depuis le 6 avril 1813. Il le traitait de « maréchal de
camp de nos armées » : qu'attendait-il pour lui rendre son
traitement et pour le rappeler à une haute fonction mili-
taire ? Tel était le but évident de la lettre de Margerin,
écrite avec l'assentiment de Gambronne. Mieux eût valu,
sans doute, une attitude moins humble à l'égard de ceux
qui ne lui pardonnaient pas son attachement à l'empereur.
En vain les ministres de la guerre se succédaient, aucun
d'eux ne semblait se soucier d'un ancien compagnon
d'armes et le maréchal Gouvion Saint-Gyr ne restait pas
moins sourd que le duc Glarke de Feltre aux appels réité-
rés de Margerin. Une nouvelle lettre du 21 novembre 1817
contient le passage significatif que voici : (1)
« Gelui qui, pendant vingt-cinq années de ser-
vices consécutifs, s'est toujours occupé de ses devoirs et
jamais de ses intérêts, doit au moins recueillir le fruit de
ses honorables services et je suis autorisé à vous affirmer
de sa part que son plus sincère désir serait d'en rendre de
nouveaux et de prouver ainsi sa fidélité au serment qu'il
a prêté à Sa Majesté, mais en attendant, le général Gam-
bronne ne jouit d'aucun traitement et se trouve exposé à
un état de détresse dont ses longs services et son grade
doivent le garantir.
« J'ose donc solliciter et espérer de Votre Excellence
qu'elle daigne s'occuper très prochainement de fixei" enfin
le sort du général Gambronne et de faire ainsi cesser
l'anxiété dans laquelle il est depuis longtemps. »
(1) Archives du Ministère de la Guerre.
CHAPITRE XVI
LE VOYAGE A BORDEAUX
Tandis que Cambronne multipliait les démarches pour
rentrer en grâce auprès du gouvernement, comme
l'avaient fait plus vite que lui un si grand nombre de ses
anciens compagnons d'armes, sans être plus mal vus de
leurs contemporains, un nouvel incident surgissait à son
insu, qui pouvait être interprété contre ses propres senti-
, ments. Nous en trouvons l'exposé dans une curieuse
lettre du préfet de la Loire-Inférieure au Ministre de la
police générale. (1)
PRÉFECTURE DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
A Son Ex. le Ministre de la Police générale
Nantes, le IS octobre 1817.
Monseigneur,
Le Commissaire de police de Nantes chargé dos fonctions
d'inspecteur do l'imprimerie et de la librairie vient do me faire
connaître qu'ayant remarqué chez un marchand d'estampes de
cette ville, le portrait gravé du général Drouot et ayant reconnu
qu'il ne portait aucune indication annonçant son dépôt à la
direction générale, formalité exigée par l'art. 10 de la loi du
24 otobre 18U, il a défendu au marchand d'exposer cette gra-
gravure jusqu'à ce qu'il se soit mis en régie sous ce rapport.
L'exposition du portrait du général Drouot a fait peu d'effet à
Nantes, et il s'en est vendu un très petit nombre. Mais il n'en*
est pas de môme de celui du général Cambronne, mis également
(1) Archives Nationales F^ 68o4.
16
— 242 —
en vente dans cette ville depuis quelques semaines, sur lequel
est relatés la date de la bataille de Waterloo, et qui a pour
épigraphe les paroles attribuées^ avec ou sans raison, à cet
officier général à cette bataille : La Garde meurt et ne se rend
pas. Plusieurs personnes ont cru voir dans l'exposition publique
de l'image du général dans la ville qu'il habite, un hommage
rendu à sa conduite et une nouvelle manœuvre de la malveillance.
Elles sont venues se plaindre à moi de la tolérance de la police
à cet égard, et m'engager à interdire la vente de cette gravure.
J'ai dû répondre à toutes ces plaintes que les formalités pres-
crites ayant été remplies, il ne m'appartenait pas de donner de
tels ordres, et j'étais d'ailleurs convaincu que prendre une
mesure prohibitive dans cette occasion, c'eût été donner à cet
ouvrage une importance qu'il n'avait pas encore, et aux ennemis
du gouvernement, le désir de se le procurer. C'est avec ces
réflexions que des personnes sages sont parvenues faire aban-
donner à plusieurs officiers sémestriers récemment arrivés à*
Nantes, le projet formé par eux d'enlever et de déchirer tous les
portraits de Gambronne qui se trouvent ici. Cependant depuis
cette époque, il s'en est vendu un nombre beaucoup plus consi-
dérable, et presque tous les marchands d'estampes de cette ville
en ont aujourd'hui plusieurs en étalage.
J'espère que reflet produit par cette circonstance qui ne me
paraît avoir d'autre importance que celle qu'on s'est plu à y
attacher, no tardera pas s'effacer, et je ne néglige rien pour par-
venir à ce but. Cependant j'ai cru qu'il était de mon devoir de
vous donner connaissance. Monseigneur, de l'espèce d'agitation
qui en a été la suite.
Je dois ajouter que tous les portraits des généraux Drouot et
Cambronne qui paraissent à Nantes, y sont expédiés par Banse,
libraire de Paris.
Je terminerai, Monseigneur, en vous priant de me donner sur
l'exécution de l'art. 10 de la loi précitée, l'explication suivante :
.Doit-on exiger que les gravures exposées en vente, portent l'in-
dication du dépôt qui en a été fait à la direction générale de
l'imprimerie, ou bien suffit-il que le marchand produise le
certificat ou une copie du certificat constatant que cette formalité
a été remplie à l'égard de la gravure qu'il expose? Dans ce
— 243 —
dernier cas quelle est la forme de cette pièce et par quelle
autorité doit elle être délivrée ?
Je désire, Monseigneur, que Votre Excellence veuille bien
m'adresser le plus promptement possible la solution de ces
questions.
Je suis avec respect, etc.
Pour le préfet en congé, le conseiller de préfecture délégué,
P. DUFORT.
Voici la réponse du ministre :
A Monsieur le Préfet de la Loire-Inférieure
Monsieur, d'après l'article -10 de l'ordonnance du 2't octobre
d814, aucune estampe ou planche gravée ne peut cire publiée et
mise en vente avant le dépôt de 5 épreuves, constaté par un
récépissé délivré en vertu de l'article 9 de la même ordonnance;
mais on n'exige point que les estampes portent l'indication du
dépôt parce que cette indication pourrait être mise, sans que le
dépôt eût été réellement effectué. Paris est à peu près la seule
ville où il se fait des gravures et le récépissé y est fourni et
signé, au moment du dépôt, et d'après mon autorisation, par M.
Pages, chef du premier bureau de la division littéraire de mon
ministère, c'est cette pièce qui doit être produite, soit en
original, soit en copie authentique pour prouver la légalité du
dépôt ; mais il est une précaution plus sûre et propre à prévenir
toute surprise ; c'est de consulter le journal de la librairie, et
si la gravure n'y est pas mentionnée, de ne point en permettre
la publication.
Ces explications répondent aux questions contenues dans la
lettre que vous m'avez écrite, le 15 de ce mois, relativement au
portrait gravé du général Drouotetà celui du général Cambronne,
mis en vente chez plusieurs marchands de la ville de Nantes.
J'apprécie d'ailleurs, la sagesse des réflexions que vous me
soumettez à cet égard ; on ne saurait être trop circonspect à
interdire ce qui peut être légitime ou indifférent en soi, une
contradiction irréfléchie n'aboutit quelquefois qu'à donner aux
choses une importance qu'elles ne méritaient pas et peut encore
avoir l'inconvénient de porter à la désobéissance ou au moins de
provoquer des irritations. Vous avez montré dans cette circons-
— 244 —
tance toute la réserve qu'on devait attendre d'un administrateur
éclairé, et si les circonstances l'exigeaient, s'il devenait néces-
saire de prévenir des provocations et des rixes, vous sauriez, je
n'en doute pas, agir avec le môme discernement, pour obtenir,
soit par la persuasion, soit par la fermeté, un sacrifice com-
mandé par l'intérêt de la tranquillité publique, auquel ne se
refuseraient pas, j'aime à le croire, les marchands possesseurs
de ces deux portraits.
P. S. — Il faut distinguer la mise en vente de l'exposition ;
celle-ci peut-être empêchée par l'autorité lorsqu'il y a incon-
vénient.
Il ne semble d'ailleurs pas que cette affaire ait eu d'au-
tre retentissement. Les adversaires du gouvernement, en
se procurant le portrait de Gambronne, donnaient à leur
acquisition un caractère séditieux que le général eût été
bien loin d'approuver, puisqu'à la même époque il était
dans un état d'esprit voisin de la soumission.
Il s'y trouvait encore quand, le 3 décembre 1817, le duc
d'Angoulême fit son entrée à Nantes. Le jour même, le
général lui fut présenté avec d'autres officiers supérieurs
et reçut du prince cet accueil bienveillant, mais banal,
que les grands personnages en tournée réservent indiffé-
remment à tous ceux qui viennent les saluer (1). A la vé-
rité, une ordonnance du 20 mai 1818, en le réadmettant
sur les contrôles de l'armée, lui accorda, à partir du
l"^ juillet, la jouissance du traitement de non-activité,
c'est à dire la demi-solde de son grade, tandis qu'il avait
été, lors de sa mise en liberté, le 14 mai 1816, considéré
(1) Voici (^e qu'on lit dans le supplément au Journal de Nantes et
du département de la Loire-Inférieure du 8 novembre 1817, que
publiait alors Mellinet-Malassis :
« On a remarqué avec plaisir le général Gambronne parmi l&s
» ofliciers généraux qui ont désiré présenter leurs honmiages au
» au Prince et le bon accueil que cet officier a reai de S. A. R. »
— 245 —
comme réformé sans traitement. Mais il n'en demeurait
pas moins suspect, et nous en trouvons la trace dans la
correspondance administrative qui s'échangea à son
sujet. Témoin, la lettre suivante du maire de Saint-Sébas-
tien au préfet de la Loire-Inférieure (1) :
St-Sébastien, 2 septembre 1818.
Monsieur le préfet.
J'ai l'honneur de vous prévenir que j'ai délivré hier un passe-
port pour Paris, Noyon et Bordeaux au baron de Cambronne,
mon administré.
J'ai l'honneur d'être avec considération, Monsieur le préfet,
votre très humble trùs obéissant serviteur.
Francis Herbert.
Le 9 septembre, sans doute après en avoir conféré avec
le ministre de la police, le préfet répond au maire « qu'il
n'aurait pas dû délivrer ce passe-port pour plusieurs des-
tinations ».
Quelques jours auparavant, le 48 août 1818, le comte de
Labesse colonel commandant la légion de la Loire-Infé-
rieure et commandant militaire de Nantes et des cotes,
écrivait au ministre de la guerre une lettre qui signalait
Cambronne à la clémence du roi :
Il ne regrette, disait cette lettre, que l'indigence à laquelle il
est réduit que parce qu'elle est une preuve que son amour pour
l'auguste sauveur de notre patrie est méconnu et mis en
doute. (2)
Mais peu à peu, il rentrait en grâce; par lettres-paten-
tés du 17 décembre de la même année, le roi le confirmait
dans son titre de baron ; il sollicita, avec la recommanda-
(1) Archives du département de la Loire-Inférieure. Dossier des
suspects sous la Restauration : Général Cambronne. N» 674 11 2.
(2) Archives du ministère de la guerre.
tion du duc d'Angoulême, la croix de Saint-Louis (4) et
l'obtint le 18 août 1819, ce qui entraînait sa prestation
de serment comme chevalier de cet ordre royal et
militaire.
Voici en quels termes le Journal de Nantes rendit
compte le 14 septembre de cette cérémonie qui avait eu
lieu l'avant veille. (2)
Un grand nombre d'officiers de différentes armes, tous les
chefs des administrations militaires et M. le comte des Brosses,
préfet de ce département, se sont réunis avant hier chez M. le
général baron Rougé, commandant la division en l'absence de
M. le lieutenant général baron Pécheux, et la réception de M. le
maréchal de camp baron Cambronne comme chevalier de l'ordre
royal et militaire de Saint-Louis a eu lieu en présence de cette
brillante réunion.
M. le baron Rougé, à l'occasion de cette cérémonie, a adressé
quelques mots au général Cambronne, dans lesquels il a dit qu'il
s'estimait heureux, comme l'un de ses anciens compagnons d'ar-
mes, d'avoir été choisi pour le recevoir chevalier d'un ordre qui
a toujours compté, parmi ses membres, d'illustres guerriers dé-
fenseurs du trône et de la patrie « Cette réception exige un ser-
« ment, a-t-il dit en terminant, et vous avez montré à l'Europe
« entière comment vous savez les tenir ».
A quelques semaines delà, il partit pour les Basses-
Pyrénées aiin d'y prendre les eaux. A Pau, la ville se porta
sur son passage et on rappela ses exploits dans une chanson
que nous trouvons dans les pièces annexées au livre de
Rogeron de la Vallée :
CHANT FRANÇAIS
DÉDIÉ AU GÉNÉRAL CaMBRONNE
Paroles de M. Loustaneau, lieutenant dans les chasseurs à
(1) Archives du ministère de la guerre.
(2) Le Moniteur universel du dimanche 19 septembre 1819 p.
1231, reproduisit ce récit.
— 247 —
cheval de l'ex-garde, musique de M. Moniot, élève du Conserva-
toire et musicien de l'ex-garde.
l*"" Couplet
Peuple français, si la gloire t'appelle.
S'il faut encor signaler ta valeur
Prends au combat la devise immortelle
De tes héros morts aux champs de l'honneur.
Vaincre ou mourir était leur noble envie ;
Ce chant guidait leur valeur au combat.
Comme eux encor redis à la patrie :
« Le Français meurt, mais il ne se rend pas. » (bis)
2e Couplet
Vois les lauriers qu'agite la victoire ;
C'est le seul prix digne du nom français.
Vois tes neveux au temple de mémoire
D'un saint respect honorer tes succès-
La mort est belle au cri de la patrie.
C'est une vie au-delà du trépas ;
Qu'à cette voix un peuple entier s' écrie :
« Le Français meurt, mais il ne se rend pas. » (bis)
3e Couplet
Choisis pour guide un héroïque zèle ;
Que tes remparts soient ta seule valeur.
Et que partout l'honneur en sentinelle
Te trouve armé de son glaive vengeur.
Oppose au nombre un courage intrépide
Pour le héros la mort a des appas;
Il meurt, chantant dans l'ardeur qui le guide :
« Le Français meurt, mais il ne se rend pas. » (bis)
Lors de son retour, il voulut s'arrêter à Bordeaux. N'y
avait-il pas, entre autres liaisons, son ami intime Dali-
det ? et n'est-ce pas précisément, lors de ce voyage de
1819, qu'il lui remit la décoration qu'il portait à Waterloo
« comme un insigne de valeur et de gloire confié à
— 248 —
l'amitié? » Eh bien ! là encore, il eut à subir les ovations
de là foule et les tracasseries de la police. Dans sa lettre
dont nous parlons plus haut (1), Dalidet y fait allusion
quand il écrit à madame Cambronne : « Vous avez connu,
» Madame, avant même de porter son nom et dans des
» temps ovi il y avait quelque courage à braver la surveil-
» lance d'une police si tyrannique à son égard, quelle fut
» notre intimité. »
Que se passait-il donc à Bordeaux ? Demandons-le aux
journaux du temps.
Le Moniteur universel publiait le lundi 8 novembre
1819 la note suivante :
On nous écrit de Bordeaux que le général Cambronne ne
paraît point au spectacle et qu'il cherche à éviter les applaudis-
sements que lui prodiguent quelques personnes avec une
affectation que l'on pourrait allribuer à l'esprit de parti.
Le lendemain, nouvel entrefilet :
M. le général Cambronne a continué à se dérober à Bordeaux
aux hommages qu'un grand nombre d'habitans lui avaient
préparés au moment de son départ.
Il est parti le 2 de ce mois par une route sur laquelle il n'était
point attendu cl a repris le chemin où il retourne dans le sein
de sa famille.
C'était là une note officielle, volontairement sèche et
froide. L'enthousiasme avait été au comble d'après
V Indicateur Bordelais, journal libéral, qui publia sur le
séjour de Cambronne les articles enflammés que voici :
EXTRAIT DE L'INDICATEUR BORDELAIS
Bordeaux, le 28 octobre 1819,
Le brave des braves, le général Cambrdnne, est un do ces
voyageurs dont la réputation trahit le modeste incognito. Que
(1) Lettre du 28 août 1844.
— 249 —
celui qui fit i^etentir à l'oreille de nos ennemis le dernier cri do
la valeur expirante, nous pardonne d'oser aujourd'hui révéler
le secret de son passage dans les murs de notre ville, ou
plulùt qu'il s'en prenne h l'éclat de son nom qui le précédera
partout.
On assure que le héros de mont Saint-Jean séjournera quelque
temps dans Bordeaux, mais au sein do l'amitié, loin des suffrages
jablics et du tribut d'éloges que mérite son noble caractère.
Ah ! poui(}uoi voudrait-il se dérober à sa gloire ? qu'il apprenne
que ses relations ne sauraient plus être privées, et que ses
vertus qui déjà appartiennent à l'histoire réclament un théâtre
plus vaste, et les applaudissements de notre population tout
entière : quel exemple pour nos jeunes militaires, s'il daignait
pendant plusieurs jours présider à leur cercle, les enflammer du
récit de ses actions guerrières, leur communiquer ce feu sacré du
patriotisme, qu'il est si digne de leur transmettre, qu'ils sont si
dignes de recevoir.
Le général Cambronne n'a pu se soustraire aux hommages de
ses concitoyens reconnaissants ; arrivé à 3 heures du soir, à peine
les bons Français ont-ils su quel hôte illustre ils avaient le
bonheur de posséder dans leurs murs, que son nom a volé de
bouche en bouche. La musique du Grand-Théâtre a exécuté
à M heures plusieurs chants de triomphe sous les fenêtres du
Jbrave.
Bordeaux, le 30 octobre.
Tout ce qui regarde Cambronne mérite d'être publié. Jamais
général au retour d'une victoire n'obtint plus d'hommages que
le bravp dont la constance triompha dans les revers et fut l'inter-
prète de l'honneur français. Avant-hier à il heures du soir,
tandis qu'on exécutait des chants de triomphe sous les fenêtres
du héros, il y avait un concours de plus de 2,000 personnes,
femmes, enfants, vieillards, militaires de tout grade et de toute
arme. C'était à qui jouirait le premier de la vue de Cambronne,
et malgré l'obscurité de la nuit, on devinait les traits du digne
successeur de La Tour-d'Auvergne, do celui qui aurait sauvé
l'armée, si l'armée avait pu être sauvée.
Hier à la Bourse, sur les allées de Tourny, partout, on s'occu-
pait de Cambronne, partout on volait à sa rencontre, toutes les
— 250 —
fois que s'tarrôtait le chef de la vieille garde. C'était pour lui
comme autant de poses triomphales, la simplicité de son extérieur
et de son cortège ne pouvait dérober le secret de sa marche, et
c'est alors qu'on aurait pu appliquer à Cambronne, comme à
Turenne, ces paroles de l'orateur français : il marche seul, mais
sa réputation le précède, et plus il est grand, plus il est
modeste...
Le général a répondu avec son affabilité ordinaire aux com-
pliments des oflBciers à demi-solde, qui ont cru faire une visite
de corps à ce parfait modèle de l'héroïsme. Mes amis, leur a-t-il
dit, dans l'effusion de son cœur, notre sort est commun ; comme
vous, je suis en non-activité... — Tant mieux, général, ont-ils
répliqué tous à la fois, au jour ou la patrie aura besoin de nos
services, nous serons tous en activité, trop heureux d'avoir à
notre tête l'intrépide Cambronne.
Bordeaux, le 30 octobre 1819.
A Monsieur le Rédacteur de Tlndicateur,
Monsieur,
Vous avez rendu compte dans votre feuille du 29, de la
sérénade que plusieurs personnnes de cette ville firent donner
par les musiciens du Grand- Théâtre au général Cambronne, j'y
assistais et j'eus lieu de remarquer que les instruments étaient
moins d'accord que les cœurs qui s'étaient réunis pour fêter un
brave; j'espérois au moins être dédommagé par le choix des
airs, de la discordance des sons, mais à 2 ou 3 marches guer-
rières près, on ne joua que des airs à l'eau de rose.
Vainement réclama-t-on des airs plus patriotiques, et qui
convinssent mieux à la circonstance, les musiciens furent ce
que les spectateurs regrettèrent quelquefois do ne pas être en
les écoutant, c'est-à-dire sourds. On disait même, je n'en crois
rien, que la police exerçait son influence sur cette sérénade et
qu'elle craignait qu'on ne jouât des airs séditieux. Est-ce que
Mourir pour sa Patrie ne serait pas un chant français ? Nos
magistrats, en ce cas, seraient plus scrupuleux que nos mission-
naires, car ceux-ci font chanter sans difficultés ;\ de jeunes filles,
le Triomphe dî la religion, sur l'air de La République nous
— 251 —
appelle et le cantique de La Communion, sur l'air du pas
redoublé.
Je me plais donc à croire qu'elle n'était pour rien dans le choix
des morceaux qu'on a joué.
Si le général Cambronne est flatté des hommes publics qu'il
reçoit, il ne doit l'être pas moins des hommages dont il est
l'objet, j'ai entendu chanter quelques couplets qui lui ont été
adressés, et pour terminer mon épitre^ je vous citerai le dernier
que je crois bien retenu.
Le guerrier qui par sa vaillance
Rendit plus grand le nom français
Doit trouver par toute la France
Pour le fêter des cœurs tout prêts.
La fête n'en est que plus belle.
Lorsque l'on voit un peuple entier
Donner de concert l'immortalité
A qui moissonna le laurier.
J'ai bien l'honneur de vous saluer.
Un de vos abonnés.
Lundi 2 et mardi 3 novembre
Le général Cambronne a quitté hier notre ville, pour retrou-
ner au sein de sa famille, goûter le repos du brave qui sait tour
à tour honorer le nom français dans les revers, et se livrer à
l'exercice de toutes les vertus privées et domestiques.
A l'allégresse que venait d'exciter sa présence parmi les
habitants de Bordeaux, l'illustre guerrier aurait pu se croire au
milieu des siens. Cependant les besoins du cœur et la dette
sacrée de la nature sollicitaient son départ ; il a fallu se rendre
à cet appel. Celui que nous ne pouvions posséder plus longtemps a
voulu du moins adoucir l'amertume de nos regrets en se déro-
bant aux nouvelles fêtes qu'on lui préparait à la Bastide lors de
son passage.
Il a pris la route de Lormont, accompagné des parents de
l'ami intime chez lequel il venait de faire dans Bordeaux un
séjour trop peu prolongé selon nos souhaits. La voiture est venue
— 252 —
le prendre au Carbon-Blanc où il s'élait rendu à pied, n'ayant
que l'amitié pour suite, mais là, des hommages encore plus déli-
cats l'attendaient, il a reçu la députation, composée des plus
belles femmes du lieu, avec cette galanterie chevaleresque d'un
héros qui sait unir le myrthe au laurier. Cambronne a demandé
et obtenu le baiser d'adieu de l'aimable interprète des sentiments
de ses concitoyens, et celte récompense n'était pas la moins
douce pour un français.
Le matin les cris de l'enthousiasme avaient salué son départ,
mais des paroles de regrets venaient se mêler aux acclamations
qui retentissaient sur le rivage; et Cambronne a pu se convaincre
de l'esprit qui anime la population de cette honorable cité.
Avant-hier au soir, les musiciens amateurs de la ville se sont
surpassés dans le choix des airs qui composaient la dernière
sérénade. Pour cette fois, ce n'était que des chants français, des
allusions ingénieuses à la valeur nationale, au plaisir que nous
causait la présence du digne héritier des titres et des vertus de
l'intrépide et du modeste Latour-d' Auvergne.
Il semblait que le ciel môme voulut ajouter encore un nouvel
éclat à la célébration de cette fête de famille, la beauté du temps
fournissait des traits d'inspirations au concours immense de spec-
tateurs qui remplissaient la rue du Palais, la place du Palais, la
rue des Argentiers, etc.
On a remarqué dans la foule plusieurs individus attachés à la
police, ils ont pu s'assurer par leurs propres yeux, que nos
transports n'avaient rien d'équivoque, et que le cœur seul fesait
les frais de la joie publique.
. Le général Cambronne ne veut être couronné que sur le champ
de bataille, il a donc cru devoir se soustraire aux palmes que lui
préparaient nos théâtres.
Dernier trait de modestie bien digne du héros qui sut toujours
allier l'humanité à la valeur, et qui du même bras dont il terras-
sait ren:..:mi de la France, protégeait à Quiberon les malheureux
émigrés, contre la fureur des partis.
Il n'en fallait certes pas tant pour que le ministre
s'inquiétAt de ces manifestations qui provoquaient la
— 233 —
polémique en sens divers de la presse et le préfet de la
Loire-Inférieure reçut la lettre suivante du comte Decaze :
MINISTÈRE Pai-is^ 12 novembre 1819.
DE L INTÉRIEUR
„ ,,7". . Monsieur le Préfet de la Loirc-
56 Division T r- •
Iiileneure,
Monsieur le Comte, vous aurez remarqué
dans les jouriiaux le parti que quelques individus ont cherché à
tirer, à Bordeaux, de la présence momentanée du général
Cambronne dans cette ville ; en ce moment, il doit être de retour
à Nantes. Si cette circonstance, sans doute très étrangère à la
volonté d'un officier aussi ami de l'ordre et de la discipline
donnait lieu à quelque nouvelle particularité, je vous serai très
obligé de m'en instruire conlidentiellcment. Je n'ai pas besoin
de vous recommander de prévenir ou de réprimer toute espèce
d'écart scandaleux.
Agréez, Monsieur le comte, l'assurance de ma considération
distinguée.
Le comte Decaze.
Les préoccupations du ministère ne furent pas de bien
longue durée, car dès le 15 novembre, le préfet rassurait
son supérieur hiéj^archique par la lettre que voici et qui
innocentait absolument Cambronne de toute participation
à ces manifestations où l'opposition prenait une sorte de
revanche :
io novembre 1819.
Au ministre de rinlérieur,
.J'ai revu la lettre que V. Exe. m'a fait l'honneur de m'écrire
le 1:2 de ce mois relativement au général Cambronne.
Il y a environ deux mois que je fus informé par M. le maire
de Saint- Sébastien dans la commune duquel ce général fait sa
résidence, qu'il lui avait demandé un passe-port et qu'il allait
s'absenter pour quelque temps. Depuis cette époque, je n'avais
eu aucune information sur le but de son voyage et ce n'est que
— 254 —
par les journaux que j'ai appris les détails de son séjour à
Bordeaux (1). J'ai été informé en même temps que cet ofiBcier
général, loin d'encourager les démonstrations publiques et les
hommages affectés de certains individus, avait abrégé le séjour
qu'il devait faire à Bordeaux afin de s'y soustraire. J'ai su,
depuis, que M. le général Cambronne avait quitté Nantes avec
un négociant de Bordeaux qui l'avait engagé à faire ce voyage.
Au reste le retour à Nantes de cet officier général n'a donné
lieu à aucune nouvelle particularité. Il a repris son genre de vie
et ses habitudes ordinaires, c'est-à-dire qu'il continue à habiter
la campagne, ne voyant que fort peu de monde et paraissant ne
rien tant désirer que de vivre ignoré et d'occuper le moins
possible.
Cette fois, le gouvernement était définitivement tran-
quillisé et à partir de ce moment-là, il semble que la
surveillance dont Cambronne avait été l'objet ait diminué
et peut-être même cessé tout à fait. On avait enfin compris
que ce n'était pas un homme dangereux pour l'ordre
social, mais on avait mis le temps à s'en apercevoir.
(1) Ici le préfet avait écrit tout d'abord : et4es hommages publics
qu'il y recevait de la part d'individus d'un eertain parti Puis, à la
réflexion, il avait biffé ces mots pour y substituer le texte que nous
donnons ci-dessus.
CHAPITRE XVII
AMOURS ET MARIAGE DE CAMBRONNE
Bien qu'il n'y eût pas, dans les journaux du début de
■ce siècle, de colonne spécialement réservée à ce que nous
appelons aujourd'hui le carnet mondain, on pouvait lire
dans le Moniteur Universel du 22 janvier 1819 les lignes
suivantes :
« Le Journal Général annonce que M. le lieutenant-
général Cambronne épouse à Nantes une héritière qui lui
apporte une fortune considérable. »
De quelle héritière s'agissait-il ? A quelle fortune faisait-
on allusion ? Nous ne le savons pas. Ce que nous savons,
c'est que Cambronne avait eu longtemps au cœur d'autres
attaches. Sans parler de ces liaisons passagères qui for-
ment en quelque sorte partie de la rançon du pays con-
quis, il s'était épris, à Dunkerque ou à Boulogne, en l'an
XII, tandis qu'il était capitaine au 46* de ligne, d'une
jeune fille, Augustine-Sophie Corbizé, à laquelle il resta
sincèrement uni par les liens d'une rare constance. Nous
en avons la preuve dans une très curieuse correspondance
de Cambronne, dont nous devons la communication à
M. Gustave Bord qui n'a jamais su refuser à personne le
secours de sa richissime collection d'autographes et que
nous remercions vivement ici de son obligeance. Voici
la première de ces lettres qui donneront uae idée exacte
des sentiments de Cambronne pour cette jeune fille :
— 256 —
Secret.
Sophie,
Puisque tout ce que j'ai pu t'écrire n'a pu me faire regagner
ton cœur, il ne me reste plus qu'une dernière ressource à em-
ployer. Tu respectes avec raison les auteurs de les jours ; fais
leur voir mes lettres, dis leur comme nous nous sommes vus, ne
leur cache rien, tes fautes, les miennes, fais leur voir mes onze
dernières lettres. S'ils te conseillent de rompre avec moi, je te
laisserai tranquille, je ne t'écrirai qu'autant qu'il me faudra pour
savoir de tes nouvelles de temps en temps, jusqu'au temps où j'ai
fixé que tu m'appartiendras. Ce que je vais te marquer icy et
signer, va te prouver combien je t'aime. Je m'engage à ne pas
me marier d'ici que tu aies trente ans accomplis. Si je le faisais
avant, je m'engage à t'ètre redevable de mille écus. Je ne te
demande point de ton côté aucune promesse, c'est ton cœur q^î
doit tout faire : je ne veux point le contraindre^ j'ai su lo gagner
une fois, je le ferai encore. Tu as 5 ans 1/2 pour réfléchir. Me
voilà engagé avec toi, quelle preuve voulais-tu plus grande d'un
attachement éternel ? Je te prie de ne faire voir celte lettre k
personne qu'à ton père et à ta mère. Ede pourrait me nuire près
de mes parents et à mon avancement. A compter d'aujourd'hui
une conduite réglée va me faire expier ma seule faute très grave
que je commis avec toi. Du secret, je l'en conjure, c'est pour ton
bien, c'est pour le mien qu'il faut que tu contraignes tes pensées,
tu ne dois pas avoir de meilleurs amis que tes père et mère, ce
n'est donc qu'à eux qu'il faut s'adreser. Si cela venait à trans-
pirer, personne que moi ne le sait, le présent serait de nulle
valeur.
Aux souhaits d'un avenir heureux tel que tu mériles de
partager.
Camuronne.-
Boulogne, le 28 fructidor an 12.
La correspondance continue fort tendre de la part de
Cambronne, toujours en garnison à Boulogne. Les parents
de la jeune fille ne la lisent vraisemblablement pas, mais
ils la reçoivent, car c"est au nom de madame Corbisez ài
Nieuport, tantôt poste restante, tantôt cbez le général
— 257 —
Joba, commandant de la Légion d'honneur (1) que les
.lettres sont adressées.
Ma chère Augusline,
Mon amour, mon attachement pour toi, sont si grands, que je
ne puis m'cmpôcher de vouloir ce qui te fait plaisir, c'est donc
te donner mon assentiment pour ce que tu as fait faire à mon
|)ortrait et toutes les meilleures raisons que je pourrais t'objecter
ne vaudraient pas mieux que les plus mauvaises, puisque c'est
une chose faite ; je m'en console aisément d'ailleurs, les motifs
qui t'ont fait agir me sont trop chers pour n'être pas content, que
tu aies suivi ton caprice.
Tu m'avais promis de ne me rien faire cadeau à la foire,
d'après ce que je t'écrivais. Tu n'as pas tenu parole, tu m'as
donné un habit neuf et tu ne veux rien recevoir de moi, j'espère
que tu reviendras de cette décision et que tu me diras que tu
acceptes aussi le mien, ainsi je veux donc une réponse.
Sais tu que tu agis un peu militairement dans tes actions ?
Tu fais ce que tu veux et tu dis : « c'est fait », comme on ne
peut que désirer d'être en paix avec toi on en passe par ce que
:tu as décidé. C'est assez montrer ta force et ma faiblesse, elle est
(1) JOBA (Dominique), général français, né à Corny (Moselle), en
1759, tué devant Girone, en Espagne, en 1809.
Il faisait partie de l'armée française lorsque, surpris au moment
où il dessinait le plan de la forteresse de Luxembourg (1776), il dut,
pour échapper à la rigueur des lois militaires, entrer au service de
l'Autriche, fut chargé défaire le siège de Blokuts en Silésie (1778), de
■diriger les travaux de fortification sur l'Escaut (1783), et servit
comme ingénieur au siège de Belgrade.
Lorsqu'éclata la Révoludon, Joba revint en France, reçut le grade
de chef de bataillon, fit les campagnes de Belgique et de Vendée, fut
promu chef de brigade (1793) pour sa belle conduite lors de la prise
de Parthenay, se signala par de brillants faits d'armes et devint gé-
Tiéral de brigade en 1794.
Comme il était connu pour un républicain sincère, il fut tenu à
J'écart par Napoléon devenu empereur. Toutefois, en 1808, il reçut un
commandement en Espagne et périt l'année suivante en faisant le
siège de Girone.
17
— 2.j8 —
trop naturelle, mon anîie, c'est pour une jolie, aimable, adorable,,
enfin parfaite femme, je n'en rougis donc pas et me trouve trop-
heureux de pouvoir conserver une aussi chère maîtresse que toi
à ce prix. Je t'embrasse et suis pour la vie non seulement toa
constant, mais même fidèle amant.
C. A.
Une autre fois, il s'inquiète de sa santé, elle est excel-
lente cavalière, mais elle n'en a pas moins fait une chute
de clieval qui a failli la défigurer et il l'engage à veiller
sur des jours qui lui sont précieux. Voici cette lettre tout
entière (1) :
Ma chère Augustinc,
.Je souhaite que la belle saison te ramène ta santé, promène-
toi beaucoup, jouis de l'air nouveau et sain qu'elle nous procure^
reprends tes belles couleurs de roses que tant de fois j'admirais^
fais comme elles, donne-moi l'espoir que quand j'aurai le bon-
heur de te voir elles seront reparues. Conserve-les, ne fais plus
des folies. Qu'elles ne te mettent plus dans le cas de nous
priver de co qui nous est le plus cher. Tu es assez jolie, assez
belle, quand même tu n'aurais pas toutes les autres qualités,
pour rendre une femme adorable, pour ne plus tomber dans
dos extrêmes qui pouvaient t'ètre funestes ; tu pouvais te casser
bras ou jand)es; tu ne sais donc pas que les meilleurs postillons
se les disloquent quelquefois avec les mauvais chevaux que l'oii
fournit dans les postes, tu vois donc que tu as couru de grands
dangers. Tu es cavalière, je le sais par la renommée que tu as
acquise k Dunkerque, mais pas assez pour monter des cassc-coIs
sur lesquels les incilleurs écuyers souvent font séparation.
Quels plaisirs je goûterai, quand apprenant ta guérison, je
1^011 rrai inc livrer en entier aux illusions auxquelles mon àme
se |)ortcrait ; en entendant l'accord des oiseaox se choisissant
leur compagne, se becqueter, que j'envie leur bonheur ! Quand,
Ti Cc'tle lettre, toujours écrite de Boulopie-sur-Mer, mais sans
(lalf, est adressée, comme la précédente, à Madanie Curl^isez, chez le
pctu rai Joba, général de brigade, à Nieuport.
— 259 —
hélas ! serons-nous unis de même ?, Quand pourrais-je- prendre
sur tes lèvres vermeilles tous les baisers que tu me permettais
continuellement de poser. J'en ai le souvenir pour consolation et
plus encore, quand je serai le maître pour toujours. Ces réflexions
continuelles sont bien nécessaires à mon repos , car sans elles j&
ne pourrais vivre sans toi. Ne te fâche donc pas si je suis quel-
quefois impatient quand je suis quelques jours sans recevoir de
tes nouvelles, surtout quand je sais que tu n'es pas bien por-
tante. Je ne t'aimerais pas comme tu le mérites si mon cœur ne
se montrait triste à tous tes maux. Crois un amant aimé et digne
de l'être par la fidélité qu'il te garde. La majeure partie des
hommes me condamneront, me jugeront sans tempérament, peu
m'importe leur décision. |ls ne connaissent pas, comme moi, tous
tes charmes, ta beauté, ton amabilité, je m'en félicite, car je
serais en guerre continuelle, tandis que tu me fais jouir de la
paix digne de vrais amants. Dis-moi si la lettre que j'ai écrite
chez toi t'est revenue, tu verras qu'en tous temps, qu'en tous
lieux, mon Augustine m'est aussi précieuse que l'air que je res-
pire .
Je voudrais être à tes côtés pour t'égayer et te donner des
consolations que deux cœurs aimants sont naturellement forcés
de se prodiguer. Je t'embrasse d'âme et de cœur _ et dis que
sans toi je cesserais d'exister.
C. A.
J'attends ta réponse pour reprendre ton ancienne adresse,
craignant que celle-ci ne plaise pas. Si j'ai tort, il est pardon-
nable par les raisons que j'alléguais.
C'est encore de Boulogne que vient la lettre suivante,
mais, ainsi que le laisse prévoir le post-scriptum de la
précédente, Cambronne a repris l'ancienne adresse de
son amie, et c'est poste restante à Nieuport qu'il écrit
toujours sous le couvert de Madame Corbisez. Elle vou-
lait venir le voir, il l'en dissuada. En revenant de Dun-
kerque, il a attrapé une maladie peu dangereuse mais
contagieuse, la gale, dont il n'a encore pu se débar
rasser.
— 260 —
Amante chérie.
Oui ! chère amie, oui je te le jure qu'il n'y a que la mort qui
puisse nous séparer. Persuade toi de cette vérité, tu dois t'en
rapporter à la parole d'un honnête homme, de celui qui ne te
trompa jamais, ne te mets donc pas de chimères en tète et songe
que je te serai toujours fidel (sic), et c'est ce que j'attends en
réciprocité de toi, je te prie que tu m'accordes ta confiance. Juge
en par le passé, je dois l'avoir gagnée et la mériter, il n'y aurait
rien au monde que je ne fisse pour atteindre à ce but, si tu
avais la barbiirie d'en douter ; parle et tu verras combien je suis
soumis à tes volontés.
Je le rajoute de nouvelles raisons pour te conformer à mon
invitation de ne pas venir me voir. Tu sais que je t'écrivis qu'en
revenant de Dunkerque, j'avais attrappé la gale, je n'ai pu
encore m'en guérir, j'attends le mois de may pour le faire, je
me mettrai au lait pour parvenir à une entière guérison. Cette
contagieuse maladie est répandue dans notre armée d'une ma-
nière effrayante, on a été obligé de relover sept régiments de
l'embarquement pour les traiter, le nôtre malheureusement est
du nombre, vois quel cadeau je te ferais^ tu connais ma délica.
tesse k ne. pas vouloir qu'aucune femme puisse jamais me
reprocher que je sois l'auteur de n'importe quelle souffrance
que je pourrais lui donner dans l'état où je suis. Que serait ce
<loncpour ma bonne amie, mon amante, ma maîtresse, ne se voir
que des yeux, tandis que nos cœurs désireraient tant de se
rapprocher, de se confondre, la raisonne serait rien, j'en juge
par ton amour, et la mienne pourrait bien n'être plus la maîtresse
de se souvenir do la sagesse. Ne me retarde pas la longueur du
plaisir que j'envie de partager avec toi h la fête pendant lo jours.
Je dis longueur quoique ce sera bien court. J'envie avec tant de
plaisir ce bonheur que maintenant que je l'attends et qu'il y a si
longtemps que j'en suis privé que, je le juge ainsi au moment
do nous quitter qu'il en sera autrement. Que de chagrin j'aurai
pour un si court bonheur. Réponse à tout, ma douce amie, con-
fiance à ton amant de qui tu l'as toute entière. Je t'embrasse avec
un cœur brûlant toujours du feu éternel qui ne peut s'éteindre
qu'avec la vie.
— 261 —
Nous sommes toujours en l'an XII, c'est à dire en 1804,
pendant que s'expédie cette correspondance^ signée G. A.,
ce qu'il faut lire Gambronne aîné, initiales qui s'expli-
quent si l'on songe que le jeune frère de notre amoureux
fait partie du même régiment que lui. Les lettres durent
continuer longtemps, à en juger par celle qui figure en-
suite dans la collection de M. Bord et qui est écrite sept
ans plus tard. Gambronne n'est plus un simple capitaine,
il est baron et vient d'être promu colonel-major ; il guer-
roie en Espagne et c'est de Léon que cette lettre est datée.
La voici :
Léon, le 14 décembre 1811.
Ma chère Sophie.
Si ton amant n'interrompait pas toujours ton silence, tu l'ou-
blierais aisément; tu sais cependant qu'il t'aimera toujours, qu'il
te l'a juré, que cette pensée fait son bonheur : il ne lui reste
pour qu'il soit parfait que de savoir que tu songes toujours à lui^
alors rien au monde ne peut égaler sa félicité ; donne-lui en
donc des preuves : écris-moi souvent, dans cet ennuyeux pays
que j'occupe, ce serait une grande consolation.
Tu sauras que j'ai été obligé d'accepter la place de colonel
malgré-moi ; des douleurs continuelles me forceront ù quitter le
service, je ne voulais donc pas d'une place que ma santé ne me
permettait pas d'occuper, on n'a rien écouté et maintenant je
commande le 3me régiment de voltigeurs de la garde en Espagne.
Cette place me met à même de t'ctre plus utile que j'ai toujours
cherché à te l'être ; ne refuse pas si tu as quelque besoin, songe
à ton ami et au plaisir que tu lui feras d'accepter.
Amour pour l'a vie.
Le baron G...., colonel major.
Reçois pour la nouvelle année tous les souhaits d'un ami
sincère.
— 262 —
La suscription est ainsi conçue :
ARMÉE FRANÇAISE A Monsieur
EN ESPAGNE Monsïeur Corbizé-Mortier,
demeurant fauxbourg Danzin, àValenciennes
pour remettre à M'ie Augustine Corbizé,
Valenciennes,
Bien que la lettre commence par ces mots : Ma chère
Sophie, l'adresse l'indique comme destinée à M'i« Augus-
tine Corbizé, ce qui permet de conclure qu'il ne s'agit que
d'une seule et même personne portant ce double prénom,
et nullement de deux sœurs que Cambronne aurait cour-
tisées à la fois. Rien d'ailleurs, dans ces lettres, ne le
donne à penser.
Une autre lettre n'a ni date, ni suscription, ni lieu d'o-
rigine, il en manque même la moitié inférieure et si nous
la classons à cette place, c'est qu'elle nous a semblé mar-
quer un ralentissement dans la fougue première de la
correspondance :
Comment as-tu pu m'écrire une telle lettre à ta dernière,
peux-tu t'imagiuer que ton constant amant t'oublie jamais, que
tu es cruelle, barbare, injuste^, tu ne sais pas combien tu m'es
chère ; je crois deviner la passe où tu te trouves. Je puis prendre
patience, puisque je vois que tu prends ce qui t'est le plus avan-
tageux, tu as raison d'en agir ainsi, je t'aime trop pour ne pas
être content que tu sois heureuse, dans toutes mes actions, tous
mes procédés avec toi ont toujours eu pour but ton bonheur. Si
tu en jouis, je ne serai malheureux que de ne pouvoir te le
procurer moi-même : mais pourquoi vouloir cesser de correspon-
dre avec moi? tu veux donc cesser de m'aimer. Si je n'ai plus le
titre d'amant, conserve moi celui d'ami, l'un et l'autre me seraient
indispensables; mais puisqu'il faut faire des sacrifices, ne m'ôte
pas tout à la fois; viens m'ôtor la vie, sans ton amitié elle ne
m'est rien. Tout change dans la vie, tu me le prouves. Si tu de-
venais malheureuse, tu sais que tu peux t'adresser à moi, tout
— 263 —
^ce que je posséderai sera toujours à ton service, jamais tu n'au-
Tas de reproche, je serai toujours trop heureux lorsque je pour-
rai t'ètre utile, je vais mémo souhaiter que tu sois obligée
<d'avoirrecoursàmoi. Aquoitume forces? à souhaiter ton malheur
pour reconnaître le seul homme à qui tu dois appartenir: bien
aimée maîtresse, si tu me voyais en ce moment, les pleurs qui
■coulent de mes yeux te feraient bien vite changer ta décision, que
de reproches tu te ferais de causer tant de
Je t'ai toujours connu trop d'àme pour eux pour que ton amour
filial les laisse dans l'inquiétude de savoir où tu seras, ils savent
•ce que je pense pour toi, ils ne pourront donc avoir de secret
peur moi : tu m'offres de me renvoyer mes billets, tu as tort car
je serais à la mort que si je possède un sou je te le donnerai, je
n'aime et n'aimerai jamais que toi, telle décision tu prennes à
mon égard. Je t'embrasse de cœur en attendant de le faire de
bouche, nous produirons ensemble l'effet de l'aimant dès que
nous nous reverrons.
Ton constant amant jusqu'à la mort,
Cambuonne.
La dernière lettre de la collection de M. Bord et sans doute
la dernière que Cambronne écrivit n'est pas datée, mais
elle vient de Nantes et elle porte, par un détail, l'indication
du temps où elle a été écrite. Le roi vient de faire payera
Cambronne sa solde de non activité (ordonnance du 20
mai 4818), nous sommes donc dans les jours qui suivent,
puisqu'il parle d'aller en aoiit ou septembre en Picardie.
Voici d'ailleurs ce billet adressé à Madame Corbiset,
qualifiée de marchande de dentelles, (probablement de
■dentelles de Valenciennes où elle avait précédemment
Jiabité) et qui se trouvait alors à Laval, hôtel du Louvre :
Amie bien aimée,
Ta leitre m'a fait grand plaisir. Je te remercie d'avoir la bonté
de venir me voir : tu sais combien je suis content ; mais je ne
pourrai pas plus te faire que lorsque tu passas ici. Ainsi ne fais
— 264 —
pas cette folie. Peut-être en août ou septembre irai-jeen Picardie^
si cela était, à présent que j'ai ta nouvelle adresse, je te l'écrirais,
pour t'embrasser en passant à Paris où je ne resterais que 24 à,.
48 heures.
Je suis toujours garçon et je le serai encore longtemps, ma
cruelle me refuse tout ; tant mieux d'une façon, mais tant pis de
l'autre, le temps nous apprendra davantage.
Le Roi me fait payer en non activité depuis quelque temps, si
on m'avait donné mon arriéré je serais au dessus de mes affaires
mais malheureusement maintenant je n'ai pas le sou; sans cela je
t'aurais offert de t'aider ; patience et crois que je t'aime autant
que tu le mérites.
Ton amant pour la vie.
Nous disons que cette lettre fut une des dernières,,
sinon la dernière, car si Gambronne était encore céliba-
taire, si Augustine Corbizet refusait son consentement à
un mariage, il ne devait pas tarder à prendre femme. Sa
mère qu'il aimait beaucoup, lui avait fait promettre, sur son
lit de douleurs, d'épouser une veuve de ses voisines et
quand M^^ veuve Gambronne eût le 2 février 1819 rendu
le dernier soupir, il laissa s'écouler l'année de deuil, puis
se mit en devoir de tenir la parole donnée à celle qui
n'était plus.
Pourquoi, devenu son maître, n'épousa-t-il pas Augus-
tine Gorbizet? Nous ne le savons pas : était-elle encore
libre ? La mort n'avait-elle pas rompu les liens qui les
unissaient depuis plus de quinze ans ? Qui donc nous le
dira ?
Gambronne était entré dans sa cinquantième année.
Celle à laquelle il allait donner son nom n'était pas non
plus de la première jeunesse. Mary Osburn, fille de Robert
Osburn et de Mary Fife, était née à Glasgow le 27 décem-
bre 1773, trois ans jour pour jour après le baptême de
— 265 —
Cambronne et non le 27 novembre, comme l'indique à
tort l'acte de mariage civil. Son père était manufacturier
d'indiennes. Elle avait été déjà mariée deux fois, d'abord
avec M. Samuel Able dont elle n'avait pas eu d'enfants,
puis avec M. John Sword, à qui elle n'en avait pas donné
non plus. C'est avec ce dernier qu'elle était venue se fixer
à Saint-Sébastien, dans le domaine de La Baugerie. Ils y
vivaient depuis une dizaine d'années déjà, quand le 2
décembre 1813, 31. Sword mourut. L'acte de décès dressé
le lendemain devant M. François Herbert, maire de
Saint-Sébastien donne sur son compte les indications
suivantes :
« John Sword, propriétaire, âgé d'environ soixante-
» huit ans, originaire de Philadelphie (Etats-Unis d'Amé-
» rique), fils de défunts James Sword et d'Anne Steel, en
» son vivant époux en second mariage de dame Marie
» Osborein. »
C'est vraisemblablement par suite de relations de
voisinage que M'"^ Sword eut occasion de lier connais-
sance avec la mère de Cambronne, dont elle resta, malgré
la différence d'âge, la compagne fidèle. Elle dut partager
ses angoisses pour ce fils qu'elle ne connut qu'après
l'acquittement prononcé au conseil de guerre et se faire
du général un idéal autrement séduisant que celui de son
second mari qui n'avait pas moins de vingt-huit ans de
plus qu'elle. Les qualités personnelles de Cambronne firent
le reste.
Il avait conservé le certificat du conseil d'administra-
tion du l^rpégiment des chasseurs à pied de l'ex-garde,
son ancien régiment, délivré à Montargis, le 26 janvier
1816, attestant qu'il n'avait contracté aucun engagement
— 266 —
de mariage parvenu à la connaissance du corps (1). Il y
joignit la permission du ministre de la guerre (2) accordée,
conformément au décret du 16 juin 1808, d'après les
renseignements recueillis sur la famille et la personne de
la future épouse (3) et le 10 mai 1820, le maire de Saint-
Sébastien procédait à la célébration du mariage civil du
général Gambronne et de Mary Osburn.
La veille, M^ Chaillou et son collègue, M« Citerne,
notaires à Nantes, avaient dressé, à La Baugerie même,
le contrat de mariage des futurs époux.
L'assistance était nombreuse. C'était la sœur de Cam-
bronne, Mi"^ Lemerle,. et son mari; M. Mathurin-Jean
Cheguillaume, négociant, rue de Briord, M. Wack, agent
de change, et son fils ; M. François Bastard, receveur des
contributions, M. Gornau, M'"^ Agnès Osburn, sœur de la
mariée, M"^ Justine Lemerle, nièce de Cambronne, M.
Félix Bureau, M. Cheguillaume père, M. Wilson, M»"»
Meneust, plusieurs dames appartenant à la famille Che-
guillaume, etc.
Détail piquant, Francheteau aîné, notaire, assistait à ce
contrat qu'il n'avait pas dressé et qui porte sa signature
comme ami du futur. Il s'attendait à eh être le rédacteur.
La lettre suivante de Cambronne explique à la fois sa
mauvaise humeur et sa présence :
Monsieur et Ami,
Je vois avec peine que votre amour-propre est blessé, je crois
pouvoir vous assurer que vous n'en avez pas le motif; sortant de
(1 et 2) Archives du preHe du tribunal civil de Nantes. Etat-civil.
Commune de Saint-Sébastien, année 1820.
(6) Nous donnons en annexe ces renseignements qui constatent,
entr'autres choses, la naturalisation comme française de M™' Sword
et la fortune personnelle qu'elle se constituait en dot.
— 267 —
chez vous, je fis voir votre projet de contrat à M"ie Svoord, qui
avait consenti à ce que ce soit vous qui le dressiez. Vous ne
l'avez pas fait, voici les raisons.
Elle fut le montrer à M. Wack, qui lui dit qu'il ne connais-
soit rien à ce qu'il y avoit à faire ; elle lui dit d'en parler à
Me Chaillou, qui a rendu le grand service à Mme Svoord, de
débrouiller son procès. D'après ce, elle lui avoit les plus grandes
obligations. M. Wack lui dit ; Il est impossible de lui ddmander
son avis sans lui dire de le faire ; Mme Svoord vint chez moi, à
Nantes, me demander mon avis. Je lui dis, que vous connais-
sant pour mon vrai ami, comme vous me l'avez prouvé depuis
que j'ai l'honneur de vous connoître,. vous ne vous fâcheriez pas.
C'est donc moi qui ai commis la faute, si je n'ai pas cru pouvoir
agir avec vous comme ami. D'après ce, Mme Svoord compte sur
vous demain ou serait au désespoir de ma maladresse.
Amitié éternelle.
Le Baron Cambronne.
Le 9 mai 1820.
Devant d'aussi franches explications, il était impossible
àMeFrancheteau de garder rancune soit à Canibronne, soit
à sa femme et il le prouva en assistant non pas le lende-
main à la cérémonie du mariage civil, mais le jour même
au contrat de mariage dressé par ses confrères. On ne
pouvait s'exécuter plus galamment.
Les conventions matrimoniales arrêtées entre Cam-
bronne et sa femme sont curieuses en ce sens que les
époux se mariaient sous le régime de la séparation de
biens. Madame Cambronne conservait l'administration de
sa fortune, la libre jouissance de ses revenus et, par
avance, son mari lui donnait les pouvoirs les plus étendus,
l'autorisation la plus générale pour cette gestion. Ils éva-
luaient les meubles meublants, linge, argenterie et usten-
siles de ménage qu'ils possédaient respectivement à la
somme de six mille francs. Toute nouvelle acquisition
— 268 —
devait être justifiée par facture : néanmoins, le linge à lO)
marque de chacun d'eux^ l'argent portant son chiffre, les>
bijoux à usage personnel d'homme ou de femme étaient
réputés appartenir de plein droit à l'un ou l'autre des
époux. Leur marque était P. C. pour Pierre Gambronne,.
M. S. pour Mnie Cambronne (Mary Sword).
Le contrat contenait, comme preuve de l'attachement
des époux, une donation entre vifs, mutuelle et irrévo-
cable « en la meilleure forme que donation puisse valoir»^
de l'usufruit de tous leurs biens, meubles et immeubles,
avec dispense de caution^ d'inventaire, etc., « chacun de&
futurs, dit l'acte, s'en rapportant sur ce point à l'honneur -
de l'autre. »
Nous rie croyons pas devoir reproduire ici l'acte de
mariage extrait des registres de l'état-civil de la commune
de Saint-Sébastien qui a été déjà publié. Quelques noms y
sont écorchés : on n'y constate pas que la future était
veuve en secondes noces, son dernier mari, John Sword,.
y est appelé Joseph, sa mère, Marie Fisse au lieu de MaFie.
Fife ; mais ce ne sont que des erreurs de scribe, comme ili
ne s'en commettait que trop alors dans la tenue de ces
registres.
Notons que Cambronne y est indiqué comme demeu-
rant à la Tullaye, sur la côte Saint-Sébastien, et sa future;
à la Baugerie, même endroit ; que le mariage fut célébré-
par René Meneust, adjoint au maire de la commune; que:
les témoins étaient : pour Cambronne, M. Jean-Gabriek
Cheguillaume, propriétaire, âgé de soixante et-un ans^
demeurant 15, rue Crébillon, 5, Nantes et M. Matluirin-
Jean Cheguillaume, négociant, demeurant à Nantes, 13,.
rue de Briord ; pour Madame Cambronne : M. François;
Bastard, receveur des contributions, demeurant à la Bec,.
— 269 —
«ommune de Saint-Sébatien et M. Jean-Frédéric Wack,
-agent de change, demeurant à Nantes, 23, rue de la
Fosse; qu'enfin, l'acte porte, outre les signatures de
i'adjoint, des époux et des témoins réglementaires, celles
de M. et M'"^ Lemerle, de J.-B. Cornau, de Ghaillou, no-
taire, de J.-M. Gheguillaume, d'E. Wack fds et d'Agnès
jOsburn, sœur de la mariée.
Cambronne était au comble de ses vœux. L'avant-
"veille, 8 mai 1820, il écrivait au général comte de Latour-
Maubourg, ministre de la guerre, pour s'excuser de
^n'avoir pas encore pris possession de son poste de gouver-
aieur de Lille, auquel le roi venait de l'appeler et il ne se
faisait pas manque d'invoquer son mariage comme cir-
«ïonstance atténuante :
« La passe extraordinaire dans laquelle je suis, disait-il, où
l'on aime à se trouver une seule fois dans sa vie pour son l)onheur,
zuG cause un retard ; mon zèle, mon dévouement et mes devoirs
.jiour le service du roi vous prouveront par la suite qu'il n'arri-
■vera plus et que j'exécuterai tout ce que vous voudrés bien
an'ordonneravecla vivacité et la ponctualité qu'exige notre état. »
Il était sans doute tellement préoccupé de regagner
Lille, chef-lieu de son commandement militaire, qu"il ne
prit pas le temj)s d'attendre à Nantes les dispenses reli-
.gieuses qu'il avait sollicitées, à raison de la diversité des
-cultes, pour épouser une protestante et ce n'est que plus
de deux mois après qu'il fit consacrer son mariage à la
cathédrale de Noyon — d'oiî sa mère était originaire et oij
il avait lui-môme conservé des relations de famille et des
intérêts (1). La cérémonie fut célébrée par un de ses oncles
{!) Les Archives du ministère de la guerre conservent la periais-
.•sioa de huit jours qui fut accordée à Cambronne pour aller se marier
il >»o\o.i.
— 270 —
.maternels, Beaudoin-François Druon, docteur en théo-
logie de la maison et société de Sorbonne et ancien cha-
noine de la cathédrale de Noyon, qui en dressa l'intéres-
sant acte que voici et dont nous devons la communication
à l'obligeance de M. le curé de cette ville :
L'an mil huit cent vingt, le vingt-deuxième jour de juillet,
en vertu de l'induit apostolique en date du six juin dernier, en
faveur des pardes ci-après dénommées, concernant l'empêche-
ment de la disparité de culte et la dispense de toutes les forma-
lités non absolument requises à la validité du sacrement de
mariage, lequel induit a été fulminé à l'ofTicialilé de Nantes, le
quatre du courant^ signé Bodinier, vie. gén., Officiai et Angebaut,
chanoine secrétaire, vu la délégation pour l'exécution dudit
induit à nous adressée, par Monsieur Blanchet, recteur de la
paroiso de Saint-Sébastien, canton de Nantes, domicile des dites
parties, en date du six juillet. Nous soussigné, Me Beaudoin,
François Druon, docteur en théologie do la maison et société de
Sorbonne, et ancien chanoine do l'église cathédrale de Noyon,
avons donné en présence et du consentement de M. le Curé de
cette paroisse, la bénédiction nuptiale selon les rites de la Sainte-
Eglise, à .M. Pierre-Jacques-Etienne Cambronne, baron, maré-
chal de camp des armées du Roi, commandeur de l'ordre ro\al
do la légion d'honneur, chevalier de Saint-Louis, commandant
pour le Roi la subdivision du département du Nord, fds majeur
des défunts M. Pierre-Charles Cambronne. négociant et de dame
Françoise-Adélaïde Druon, son épouse, domiciliés à La Tullaye,
de la paroisse de Saint-Sébastien, d'une part, et à dame Marie
Osburn, rentière, née à Glascow en Ecosse, veuve de M. John
Sword, propriétaire, d'autre part, tous deux domiciliés en la dite
commune de Saint-Sébastien, ou ils ont été unis civilement le
dix mai dernier, ainsi qu'il appert par l'extrait qui nous a été
représenté. Les témoins de ce mariage ont été Mj\L Henri Wau-
bert, négociant à Paris, cousin do l'époux, Charlcs-Antoine-
Valentin Sézille, maire de celte ville, François-Louis Margerin
du Boulloiro, adjoint ;\ la mairie et membre de la commission do
bienfaisance, et Charles-Louis de Forceville, propriétaire i^i
— 271 —
Novon, amis des. époux, qui ont tous signé avec nous. Fait
double les jour et an susdits.
Signé : Druon, Saturne, curé de Noyon, Marie Osburn, femme
Canibronne, le baron Cambronne, Margerin, Sézille, Forccviile.
Waubert.
Les témoins sont M. Henri Waubert, négociant à Paris,
cousin de Tépoux (1), le maire et l'adjoint au maire de la
ville de Noyon et un autre ami des époux, M. de Force-
ville. Nous avions déjà rencontré le nom de M. Margerin,
mais ce n'est pas le même, dans les protestations adres-
sées au Journal de Paris à la faute de l'acquittement de
Cambronne et au ministre de la guerre en diverses autres
circonstances. Une tante maternelle de Cambronne,
Marie-Louise-Catherine Druon, sœur aînée de sa mère,
s'était mariée le 15 février 1757, avec Jean-Charles-Marie
Margerin, conseiller du Roi, garde-marteau en la maî-
trise des eaux et forêts de Noyon. Ce Margerin était fils
de François Margerin qui avait exercé les mêmes fonctions
et de Marie-Jeanne Waubert.
Cambronne avait^ comme on l'a vu, signé de son titre
de baron, son acte de mariage. C'est qu'en elfet le roi lui
avait accordé, le 17 décembre 1819, des lettres de confir-
mation de son titre de baron (2). Quand, le 17 février sui-
vant, le tribunal civil de Nantes se réunit pour recevoir
son serment, l'émotion publique était à son comble en
France : le duc de Berry venait d'être assassiné par
Louvel. Le procureur du lloi, M. Bernard père, fit, dans
ses réquisitions, allusion à ce grave événement :
.(1) Nous donnons aux annexes la parenté de Cambronne avec la
faniille de Waubert de Genlis.
(2) Archives du greffe du tribunal civil de Nanles : audience du 17
février 1820.
— 272 —
Général, dit-il, le sang royal coule... lorsque vous venez dans
ce jour de douleur, prêter serment de fidélité au Roi^ c'est jurer
avec nous, avec tous les vrais Français, de défendre et de
venger ce sang auguste. La valeur dont vous avez fait preuve
dans les combats, la sagesse que vous avez montrée depuis dans
vos foyers, la loyauté de votre caractère nous sont de sûrs ga-
rants que vous saurez remplir ce serment sacré...
A la suite de ce réquisitoire, Cambronne prononça le
serment prescrit, puis ajouta : Mon honneur et mes de-
voirs en sont garants (1).
Le général Cambronne regagna avec sa femme son
commandement de Lille^ où nous allons le retrouver. Il
devait vivre plus de vingt ans encore en parfaite commu-
nion d'idées et de sentiments avec la compagne qui
s'enorgueillissait de la gloire de son époux.
iX) Moniteur Universel du 23 février 1820. p. 220.
AÏ^MOIÏ^IE^
DU Général Cambronni-:
d'après un dessin colorié fait par lui-même
pour décorer sa voiture
(Collection L. Brunschvicg)
CHAPITRE XVIII
CAMBRONNE A LILLE
C'est le 24 avril 1820 que parut au Moniteur universel
le décret nommant le "général Cambronne au commande-
ment de la l'f® subdivision de la 16^ division militaire, à
Lille, non loin de la frontière et de ce champ de bataille de
Waterloo où il s'était si vaillamment conduit.
La lettre par laquelle Cambronne témoigna sa gratitude
à Louis XVIII n'indique pas, aussi nettement qu'on l'a
prétendu, si c'est sur sa demande que le commandement
de la place de Lille lui fut confié, mais, alors que presque
tous les généraux du premier Empire avaient accepté du
service sous la Restauration, faut-il tenir rigueur à
Cambronne d'avoir imité l'exemple de ses compagnons
d'armes ?
Voici cette lettre (1) :
Sire,
Vous m'avez accordé votre confiance, en me faisant employer ;
mes actions y répondront en combattant vos ennemis. L'honneur
et la fidélité prouveront que mes serments sont inviolables.
J'ai l'honneur d'être, avec le plus profond respect, de Votre
Majesté le très humble et très obéiss^int serviteur et sujet.
Le baron Gajiibron.ne.
Lille, le %y août 1820.
(1) Le supplément <lu Journal du 29 octobre 1892 a publié un
curieux article de M. Evariste Mangin avec le fac-similé de cette lettre
de Cambronne dont l'original est entre les mains de l'ancien directeur
du Phare de la Loire.
18
— 274 —
Nous ne possédons que peu de détails sur le séjour de
près de deux années qu'il fit dans le département du
Nord. Il visitait souvent les garnisons de son ressort. Il
aimait surtout revoir Dunkerque où il avait été envoyé en
mars 1801, vingt ans auparavant, avec la 46*^ demi-bri-
gade, oiî il avait connu Augustine Corbizet et c'est là que
le 22 octobre 1820 il eut l'idée de faire constater par le
docteur Zandick, un vieux soldat comme lui, les blessures
glorieuses dont son corps portait les marques et qui
•étaient le témoignage éloquent de sa bravoure.
Yoici ce curieux document :
Je soussigné, docteur en médecine, ancien chirurgien de
Tarmée des chasseurs à pied de l'ex-garde, certifie que M. le
maréchal de camp Cambronno présente les blessures suivantes :
Une cicatrice profonde avec perte de substance osseuse^
située au-dessus de l'œil gauche et répondant à la partie externe
et supérieure de l'arcade orbitaire du coronal. Cette blessure,-
résultat d'un coup de feu reçu à la bataille de Waterloo, occa-
sionne dos céphalalgies intenses qui screnouvellent à des époques
très rapj)rochécs.
^0 Une cicatrice à la partie externe de l'articulation scapulo-
humérale du côté droit, suite d'un coup de sabre.
;i° Deux cicatrices à la partie externe de l'articulation cubito-
humérale du bras droit, suite, comme la précédente, de coup
d'arme blanche et qui gênent légèrement les mouvements de
cette extrémité.
4o Un coup de bayonnetle près de l'articulation du doigt
iiuriculaire de la main droite avec le dernier os du. métacarpe.
^)0 Un coup de feu à la partie inférieure du bras gauche, dont
la balle, en traversant cette extrémité de sa partie externe à sa
partie interne, a fortement contus l'humérus, il résulte de cette
grave blessure deux cicatrices longues et adhérente:^ qui em-
pêchent la libre exécution des mouvements de cette extrémité, et
•déterminent la flexion permanente des doigts annulaire et
auriculaire de la main, lorsque le bras est dans l'extension.
()" Une cicatrice au côté gauche de la poitrine, suite du même
— 275 —
•coup de feu qui a occasionné les lésions dont nous venons de
parler.
70 Plusieurs cicatrices à la cuisse droite, dont trois très
étendues et adhérentes. Ces blessures, suite de deux coups de
balle qui ont traversé la cuisse de part en part et de l'action des-
tructive de quelques fragments de mitraille, sont restées le siège
de douleurs plus ou moins vives et subordonnées aux variations
de l'atmosphère, lesquelles, en les exaspérant j empêchent
absolument les mouvements de progression.
80 Trois cicatrices à la partie externe de la jambe droite, dont
deux adhérentes ; l'une d'elles, placée à la partie externe do
l'articulation libio-fémorale, en gène les mouvements et devient
douloureuse à la moindre fatigue, la seconde également adhé-
rente, est située cà la partie moyenne et externe de la jambe et
concourent avec la cicatrice que l'on remarque pjus bas, au-
dessous de la maléole, à former un obstacle à la liberté de la
marche (1).
C'est à Lille que Cambronne apprit la mort de l'empe-
reur Napoléon. Malgré sa nouvelle fortune, ce ne dut pas
ctre sans un profond serrement de cœur qu'il reçut cette
nouvelle. Bien qu'il eût consenti à reprendre du service
sous les Bourbons, il est permis de penser que ses sym-
pathies intimes allaient ailleurs. Il avait été profondément
attaché à la cause de celui qui venait de mourir à Sainte-
Hélène et c'est, bien ainsi que le considérait l'empereur,
en l'inscrivant sur son testament au nombre de ses plus
fidèles servi teurs .
Rappelons seulement ici les quelques lignes de ce
fameux testament, qui concernent Cambronne :
lo avril 1821, à Longwood^ ile de Sainte-Hélène.
... Je lègue au général Cambronne cent mille francs...
Ces sommes seront prises sur les six millions que j'ai placés
(1) Comparer ce certificat à celui du docteur Cochenet ([ue nous
avons publié plus haut page 171.
— 276 —
en partant de Paris en 181o et sur les intérêts à raison de o O/o
depuis juillet ISlo.
Tout ce que ce placement produira au-delà de la somme de
S,600, 000.fr. dont il a été disposé ci-dessus sera distribué en
gratifications aux blessés de Waterloo et aux ofïiciers et soldats
du bataillon de l'ile d'Elbe sur un état arrêté par Montholon,
Bertrand, Drouot, Cambronc et le chirurgien Larrey.
Le codicille du 24 avril 1821 ramenait encore le nom
de Cambronne sous la plume de Napoléon agonisant :
Sur la liquidation de ma liste civile d'Italie, je dispose de
deux millions que je lègue à mes plus fidèles serviteurs.
Sur ces deux millions, je lègue
... Au général Gambrone, ^0,000 francs.
Le général dut être vivement touché de cette marque
d'affection que lui donnait l'empereur sur son lit de mort.
Peut-être regretta-t-il alors de s'être laissé aller aussi
facilement à accepter de reprendre du service sous la
Restauration et de ne pas s'être tenu, comme tant d'autres,
dans une retraite absolue sinon dans une opposition irré-
conciliable. Il n'en continua pas moins à servir avec une
scrupuleuse fidélité le gouvernement auquel il s'était
rallié, mais il devait songer déjà sans doute au jour
prochain où il se démettrait de ses fonctions. En attendant,
il restait respectueux observateur du serment qu'il lui
prêté. En voici u«e preuve curieuse et peu connue :
Le l^' février 1822, le général Cambronne recevait un
paquet renfermant un livre séditieux par son contenu,
par les emblèmes que portait sa couverture et par son
titre môme ; Les perfidies dévoilées et justice rendue à
Napoléon le Grand. Le but de l'expéditeur n'était pas
douteux, il espérait provoquer un soulèvement militaire
contre le gouvernement royal et il avait compté sur le
concours actif ou tout au moins sur la complicité morale
— 277 —
de Cambronne qui ne pouvait qu'être disposé à voir rendre
justice à l'empereur défunt. Mais le général fit parvenir
l'ouvrage délictueux aux mains de l'autorité, en lui
fournissant les indications nécessaires pour découvrir
l'auteur de l'envoi. C'était un ancien payeur employé aux
armées, nommé Jean-Baptiste Delaly, domicilié à Dun-
kerque qui était l'auteur du libelle. La correspondance
suivante fait d'ailleurs exactement connaître les circons-
tances de cette étrange affaire (1) :
PRÉFECTURE DU NORD Lille, 4 février 1822.
CABINET
— A Son Excellence le Ministre de
l'Intérieur,
Monseigneur,
J'ai l'honneur d'informer Votre Excellence d'un fait qui a de
l'importance et qui mérite toute votre attention. Un individu
s'est présenté chez M. le général Cambronne pour lui remettre
un paquet cacheté, le général le reçut, ne l'ouvrit point en sa
présence, et dit au porteur de ce paquet de revenir le lendemain ;
le général l'ayant ouvert y trouva un livre qu'il s'empressa de
-déposer entre les mains de monsieur le lieutenant général
«ommandant la Division. Un carton vert couvre ce livre et
représente une aigle couronnée avec ces mots : l'Empereur est
mort, vive l'Empereur ; il a pour titre : Les perfidies dévoilées et
justice rendue à Napoléon le Grand par D... il est dédié à
la nation française et à Sa Majesté Napoléon II, Empereur des
Français ; vis-à-vis ce titre est le portrait de Napoléon 1er
mourant, pour marquer les pages de ce livre, il y a trois liserets
bleu, blanc et rouge ; l'auteur écrit à Napoléon II. Sa dédicace
-est ainsi conçue :
Sire,
« L'âme navrée par la perte du plus grand et du plus beau
« des monarques. Votre Auguste Père, permettez à un faible
« mais fidèle sujet, de faire hommage à Votre Majesté de tout
(1) Archives nationales F 7 G919.
— 278 —
« ce qui devra, il le sent, accroître toutes ses peines, en lui
« rappelant des souvenirs douloureux et cruels, mais qui est
« fait aussi pour accroître son courage, avec d'autant plus de-
« raison qu'EUe a à venger ce Père qui la chérissait et qui ne-
« l'a point oubliée à son dernier soupir.
« En dédiant cet ouvrage à Votre Majesté, si j'ai fait participer
« la nation française à cette dédicace, c'est que ses intérêts sont
« inséparables de ceux de son Souverain.
u Lorsque j'ai conçu l'idée de cet écrit, comme je n'ai en
« d'autre motif que celui que j'énonce à la fin de mon introdue-
« tion, qui a été d'assurer aux Français l'éloge le plus beau que-
ce l'on ait pu faire du plus magnanime des Empereurs qu'ils ont
« regretté trop tard, j'ose espérer que Votre Majesté daignera
« l'accueillir favorablement. C'est dans cet espoir et pénétré
« des sentiments du dévouement le plus parlait que je suis.
Sire, de Votre Majesté, le très-humble, très-obéissant et
fidèle sujet,
D... »
Il est vraisemblable que l'individu qui a remis cet ouvrage à
M. le général Cambronne ignorait le secret de sa conmiission,
car ce général l'ayant invité à revenir le lendemain, il revint,,
on ignore encore par qui ce livre est parvenu à celui qui s'est
trouvé chargé de le porter à M. le général Cambronne. On sait
seulement qu'il lui a été remis à Dunkerque, on cherche à
connaître ce premier entremetteur. J'aurai l'honneur d'informer
Votre Excellence de tout ce qui sera découvert relativement à:
ce message mystérieux.
Je suis avec respect, etc.
Le préfet du Nord.
Ce fut d'abord un commerçant de Dunkerque nommé
Dury, « connu, disent les rapports de police, par les plus
mauvaises opinions ^^, qui fut soupçonné d'avoir remis la
brochure séditieuse an commissionnaire dont le général
Gambionnc avait recula visite {i). Dury fut môme mis à
(1) Archives Nationales. Lettre du préfet du Nord, du 7 février
1822, au ministre de l'intérieur.
— 279 —
la disposition du procureur du roi. Mais on ne tarda pas
à découvrir quels étaient les véritables auteurs de cette
aventure. Une nouvelle lettre du préfet du Nord nous ren-
seigne à ce sujet. La voici :
PRÉFECTURE DU NORD Lille, le 14 février 1822.
CABINET
— A Son Exe. le Ministre Secrétaire d'Etat
de l'IntérieHr, à Paris.
Monseigneur,
J'ai l'honneur de transmettre à Votre Excellence les rensei-
gnements qui m'ont été donnés par M. le sous-préfet de Dun-
kerque sur les sieurs i)e?;ms eiMinart, le premier ayant, adressé
à M. le général Cambronne le livre séditieux que j"ai dénoncé à
Votre Excellence, et le second ayant été chargé de lui porter.
Le commissaire de police de Dunkerque a procédé le 7 à
l'arrestation de ces deux individus, et à une visite domiciliaire
chez eux, pour y faire la recherche de toute correspondance ou
papiers suspects. L'un d'eux, le sieur Minart, a étémisen liberté
dans la soirée du 7, mais les charges étant plus graves contrôle
sieur Devries, il est resté sous la main de la justice.
Le libelle remis à M. le maréchal de camp Cambronne par le
sieur Minart, qui ignorait le contenu du paquet que lui avait
confié le sieur Devries, avait été expédié à ce dernier de la Bel-
gique par un nommé Delaly, expulsé de Dunkerque en 1816
pour cause d'opinion, et qui, d'après la déclaration du prévenu
Devries, est en ce moment en Angleterre C'est aussi ce même
Delaly qui a signé la lettre qui accompagnait le libelle déposé au
greffe du tribunal.
Le, sieur Devries a été attaché au service de la Trésorerie à
l'armée, avant la Restauration, il est difficile d'avoir des rensei-
gnemens sur la conduite qu'il a tenue antérieurement à cette
époque, mais à son retour dans ses foyers, il a constamment ma-
nifesté les principes les plus condamnables.
Le maire de Dunkerque a toujours eu l'anl ouvert sur sa con-
duite et SOS démarches ; mais cette surveillance active n'a pro-
duit aucune révélation propre à donner des inquiétudes. Il
— 280 —
appartient à une famille honnête qui n'a pu le ramener à de
meilleurs sentiments.
J'aurai l'honneur d'informer Votre Excellence de tout ce qui
viendra à ma connaissance sur les suites de cette affaire.
Je suis avec respect, de Votre Excellence, le très humble et
obéissant serviteur.
Le Préfet du Nord,
(Illisible).
Delaly fut poursuivi, en même temps qu'Antoine-Jac-
ques-Simon Devries, sous la prévention de provocation au
crime de lèse-majesté.
Delaly considéra qu'il était plus prudent de rester en
Angleterre et l'instruction suivit par défaut contre lui.
Devriès resta en liberté sous caution.
L'affaire fut évoquée devant le tribunal de Dunkerque,
à la date du 4 mai 1822, mais ce jour-là deux témoins
importants, le général Cambronne et Minart, ne se pré-
sentèrent pas à l'audience. Une condamnation à cent francs
d'amende fut prononcée contre chacun des témoins défail-
lants. A la huitaine suivante, ils se présentèrent, et grâce
à la légitimité de leurs excuses, ils obtinrent décharge de
l'amende et purent faire leur déposition (1).
Le substitut du procureur du roi donna lecture des pas-
sages les plus graves de l'ouvrage incriminé et requit
l'application de la loi.
Devriès, fut défendu par M^ Duval, avoué prés le tribunal
de Dunkerque, qui obtint l'acquittement de son client,
tandis que Delaly était condamné avec sévérité par le
jugement suivant (2) :
(1) Nous aurions aimé à donner les pièces de ce procès, mais ni
les archives du grefic de Dunkerque ni les archives du département
du Nord ne possèdent ce dossier. Seul le texte du jugement a survécu.
(2) Archives du grefïe du tribunal correctionnel de Dunkerque.
— 281 —
•Le tribunal, après en avoir délibéré en chambre du conseil,
confonnément à la loi,
Considérant que do l'instruction et des débats qui ont eu lieu
-â la présente audience il résulte que le délit imputé à Devrics
jû'est pas sutTisamment justifié.
L'acquitte à la majorité de l'action intentée à sa charge sans
-dépens,
Ordonne, en conséquence, que sa mise en liberté provisoire
est et demeure définitive, le décharge du cautionnement par lui
fourni, ordonne que remise lui sera faite de la somme de douze
cents francs qu'il a versée au bureau de la caisse des dépôts et
consignations de cet arrondissement.
Et à l'égard du nommé Jean-Baptiste Delaly fils, défaillant,
Considérant qu'il résulte suffisamment de l'instruction de
-la dite pr océdure qu'il s'est rendu coupable de provocation au
crime, en attaquant formellement, dans un imprimé qu'il a
distribué et qui a pour titre : Les perfidies dévoilées et justice
rendue à Napoléon le Grand, l'inviolabilité du roi et l'ordre de
successibilité au trône ;
Que de plus il résulte suffisamment qu'il s'est rendu coupable
•d'offenses envers la personne du roi et les membres de sa famille
dans ce même imprimé qu'il a distribué,
Vu les articles 1, 2, 4, 9, dO do la loi du 17 mai 1819 et 194 du
code d'instruction criminelle.
Condamne le dit Delaly en cinq années d'emprisonnement et
par corps en six mille francs d'amende et aux frais liquidés à
46 fr. 30,
Ainsi jugé et prononcé publiquement à l'audience du 11 mai
-i822 par MM. Bouly de Lesdain, président, Fourdinier, Buffin et
Tiffret, juges.
C'est sans doute pour récompenser Cambronne de cette
preuve de dévouement que Louis XVIII lui accorda le
17 août suivant des lettres de vicomte, titre dont le général
.signera désormais sa correspondance. Le baron de
— 282 —
l'Empire a désormais fait place au vicomte de la Restau-
ration (1).
Néanmoins Cambronne songeait à donner sa démission
de ses fonctions. Il profita d'une maladie grave de sa
belle-sœur, Agnès Osburn, pour demander sa mise à la
retraite dans la lettre que voici et dont le brouillon noua
a été obligeamment communiqué par M. Henri Ghe-
guillaume :
A Son Excellence le Ministre de la Guerre, secrétaire d'Etat,
maréchal de France, le duc de Bellune.
Monseigneur,
Mes blessures et mes infirmités me forcent à une vie et à un
régime réglés que je ne puis suivre dans un service de vraie
activité.
J'ai l'honneur de vous demander ma retraite. J'ai attendu mes
30 années de services, vu les diverses passes où je me suis
trouvé. Sans cela je l'aurais fait plutôt (sic).
Des affaires majeures de famille m'appellent de suite à Nantes.
Si vous ne pouviez me faire donner ma retraite, je demande ma
démission que je vous serai obligé de m'envoyer courier par
courier (sic).
Je vous prie d'obtenir l'un ou l'autre de Sa Majesté le roi en
lui témoignant tous mes regrets de quitter son service surtout
dans un moment où il vient de nio donner des litres de sa
satisfaction.
(1) Nous voulions donner lu texte de ces lettres-patentes, mais
nous n'avons pu en obtenir l'expédition de la chancellerie, qui ne
délivre de copies qu'aux membres de la famille du premier titulaire
et seulement à l'aîné de la famille ; encore lui faut-il prouver que
les lettres-patentes constitutives de titre ont été perdues ou brûlées.
Mais si la famille est éteinte ! Alors la diancellerie ne délivrera
plus jamais ses documents à personne.
0 ()ureaucratie, voilà bien de tes coups !
— 283 —
J'ai l'honneur d'être, avec le plus profond respect, de Votre
Excellence le très humble et très obéissant serviteur.
Cambronne.
Lille, le 16 septembre 1822.
Il est vraisembable que la première réponse fut un
refus, car le 19 septembre 1822, il écrivait à l'un des
généraux sous les ordres de qui il servait, une lettre où
il le priait de transmettre au ministre de la guerre la
nouvelle demande qu'il lui adressait pour obtenir sa
démission (1). Il y parlait de la maladie de la sœur de sa
femme.
Si Sa Majesté, ajoutait-il, dans sa munificence m'accordait ma
retraite, je ne la voudrais qu'honoraire, vu que l'on y a compté
mes services lorsque j'étais à l'île d'Elbe.
Le 24, nouvelle correspondance (2) où il remercie le
ministre de lui permettre d'aller à Nantes. Il rappelle sa
demande précédente :
Je ne liens h ma retraite, disait-il, que pour porter mon uni-
forme et pour prouver au Roi ma fidélité en toutes circontanees.
Cette fois, il réussit et le 2o septembre^ le lieutenant-
général, marquis de Jumilhac, commandant la 16^ division
militaire, publiait l'ordre du jour suivant :
« La division est prévenue que M. le Maréchal de camp,
vicomte Cambronne, ayant prié S. Exe. le ministre de la guerre
de lui faire obtenir sa retraite des bontés du Roi, elle l'a auto-
risé à se rendre à Nantes, lieu de son domicile^ pour y attendre
que sa pension puisse lui être accordée et liquidée. » (3)
Par ordonnance royale du 2 octobre, Cambronne fut
mis à la retraite avec une pension de quatre mille francs.
(1) et (2) Archives du ministre de la guerre.
(3j Moniteur Universel du 29 sept. 1822.
— 284 —
Quelques jours plus tard, le 5 novembre 1822, en
audience solennelle du tribunal civil de Nantes, présidée
par M. Baron (c'était l'audience de rentrée) Cambronne
prêta le serment d'usage à raison de la nouvelle distinc-
tion qui venait de lui être accordée (1).
— Vous jurez, lui dit le président, fidélité au Roi,
obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du
royaume, et de vous comporter comme doit le faire un
bon et loyal vicomte du royaume.
— Je le jure.
Avant de recevoir le serment de Cambronne, le prési-
dent l'avait complimenté de cette nouvelle faveur qui
récompensait sa fidélité à remplir ses devoirs (2). Cam-
bronne se retira une fois ce cérémonial achevé.
Il avait définitivement dit adieu à la vie publique et ce
n'est pour ainsi dire plus que de l'homme privé que nous
allons désormais nous occuper.
(1) Archives du greffe du tribunal civil de Nantes. Minutes des
jugements. Audience du 5 novembre 1822. En marge de l'enregistre-
ment des lettres patentes figure cette mention : « Ce serment étant
purement politique, est dispensé de l'enregistrement. »
(2) Moniteur Universel du mercredi 13 nov. 1822, p. loT6.
CHAPITRE XIX
LA RETRAITE A SAINT-SÉBASTIEN
C'est peut-être ici le moment de faire un retour ea
arrière et de se rendre compte du rôle que la mère de
Gambronne avait rempli pour la sauvegarde de ses
intérêts, pendant qu'il était retenu aux armées. C'est
ainsi que nous la voyons figurer, comme mandataire de
son fds dans un certain nombre d'actes notariés, notam-
ment le 28 août 1811 dans un acte au rapport de M*' Morin
d'Yvonière, qui constatait un prêt de 5,208 fr. 75 c.
consenti à Joseph-Jacques Vallin^ ancien receveur-général
du département de la Loire-Inférieure avec affectation
hypothécaire sur la maison de la Haute Forêt et ses
dépendances^ devenues célèbres depuis par le séjour que
l'historien Michelet y fit en 1852.
Quand Cambronne revint s'installer à la côte Saint-
Sébastien, il ne cessa de témoigner à sa mère devenue
souffrante les marques de la plus vive tendresse. Il
semblait qu'il voulût lui rendre à son tour la sollicitude
qu'elle lui avait autrefois prodiguée quand il était enfant-
La collection d'autographes de M, Cheguillaume contient
d<es lettres trop intimes pour être publiées, mais qui sont
la preuve vivante des sentiments de Cambronne. Sa mère
se plaignait-elle de la moindre indisposition, vite il
écrivait au docteur Fouré qui jouissait à Nantes d'une
— 286 —
véritable célébrité, lui donnant les détails les plus
minutieux sur les symptômes extérieurs de la maladie et
lui demandant jusqu'au moment de sa' visite, les remèdes
nécessaires pour calmer les douleurs qu'éprouvait la
pauvre maman. Ces attentions toutes filiales, M"^^ Cam-
bronne dut s'y montrer d'autant plus sensible qu'elle ne
trouvait pas de la part de sa fille Justine Lemerle brouillée
avec elle les mêmes témoignages de tendresse.
Quand elle mourut le 2 février 1819, (1) la maison de
la Treille fut mise en vente.
Il faut croire que cette maison était avantagement
située, car dès les premiers jours les acquéreurs se présen-
tèrent assez nombreux à l'étude de M^ Francheteau,
notaire. M. Pesneau, rue Grétry, revint jusqu'à trois fois
à la charge, offrant tour à tour 6,000, puis 8,050 francs,
enfin 9,000 fr. de l'immeuble qui fut vendu à M. René
François Tuai, propriétaire, quai Turenne, n'^ 7, pour le
prix de 10,000 fr. dont 3,000 fr. versés à titre d'arrbes et
7,000 fr. portés à l'acte.
Les époux Lemerle touchèrent leur part comptant ;
Cambronne accepta un billet payable le l^»" mars 1821.
L'acte de vente porte la date du l^"" mars 1819.
C'est à cette vente que se rapportent les quelques
(1) Actes de l'état-civil de la commune de Saiiit-Sél)astieu. Registre
des décès de 1819.
<( Du 3 févFi«r déclaration de 4ècès par François Bastard, rece-
veur des contributions directes à La Bée et Jean Audigand, cultivateur
à La Savarière, non parents de la défunte, de Françoise Adélaïde
Druon, âgée de 78 ans, originaire de la ville de Noyon, département
de l'Oise, fille de feu Charles Druon et de feue dame Marie-Louise
Frassens, veuve de feu Pierre Charles Cambronne, négociant à
Nantes, morte le jour d'hier à 10 heures du soir en sa demeure au
bourg. »
— 287 —
lettres d'atïaires conservées à la Bibliothèque publique de
Nantes et qui n'offrent qu'un intérêt des plus doux. Dans
l'une d'elles où il invite son notaire à déjeuner, relevons
cette pbrasc amusante : (1)
Je ne vous offrirai que du gras, mon curé me l'a permis tout
le carême, mais ne pouvant se la donner à lui-même, je n'ose
pas lui faire enfreindre cette règle qui les fait tant vénérer.
La vente de cette maison donna lieu à une difficulté.
Les latrines de la maison étaient placées d'une façon
assez singulière, moitié sur le terrain de la: Treille, moitié
sur un terrain voisin. De là des explications que le nou-
vel acquéreur, M. ïual, sollicita du général Gambronne
qui lui répondit par le billet suivant (2) :
Monsieur,
Les latrines ont toujours existées (sic). Je n'ai aucun titre à ce
sujet.
Recevez, Monsieur, mes civilités.
Cambronxe.
Gambronne et sa femme continuèrent à recourir fré-
quemment aux conseils des notaires pour leurs divers
placements. C'est ainsi que la rédaction de prêts hypothé-
caires, de main-levée d'inscription, de quittances, etc., les
y amenait assez souvent. Presque tous les notaires de
Nantes firent des actes pour eux : celui du. général était
Me Franchcteau, celui de M"^^- Gambronne était M« Chaillou
(1) Bil)liothèque publique de Nantes. Autograplies de Gambronne
Lettre du 27 février 1819.
(2) L'orif,nnal de ce billet figure aux archives de la tabrique de
Saint-Sébastien, ce qui s'explique parce que la propriété de la Treille
est devenue le presbytère actuel.
— 288 —
qui avait rédigé son contrat de mariagie (i) ; parfois
même ils employaient M® Barailler (2).
Auprès de Cambronne vivait la sœur de sa femme^
Agnès Osburn, dont l'état de santé précaire avait fourni,,
en 1822, au général le prétexte qu'il cherchait peut-être
pour être admis à la retraite. Agnès Osburn, qui était
effectivement très malade à ce moment, avait fait son-
testament olographe à Saint-Sébastien, le 4<"" septembre
1822. Elle y instituait son héritière universelle « Madame
la vicomtesse Cambronne, sa chère sœur ». Elle ne mou-
rut que deux ans et demi plus tard, le 3 février 1825,.
rue Riicine, 3, à Nantes (3), ne laisssant d'ailleurs rien.
C'est vers la fm de la même année, le 31 décembre
1825, que se mariait une des nièces de Cambronne, Marie-
llachel Lemerle, née le 16 septembre 1808 (4). Elle épou-
sait un étranger, Philippe-Jacob Vincent, né le 5 jui».
(1) Actes passés le 13 mai 1820 (procuration), le 31 mai 1820 (radia-
tion d'hypothèque), le 12 juillet 1820 (procuration donnée par M™*^
Cambronne), le 9 juillet 1821 (obligation consentie par M™" Cam-
bronne), le 6 février 1822 (quittance donnée par M™« Cambronne), le-
30 mai 1828 (radiation consentie par M"i« Cambronne). Ces divers-
actes figurent au rang des minutes de M« Chaillou, notaire, dont le-
successeur actuel est M° Ertaud.
(2) Le 2o mai 1824, vente, par acte au rapport de M" Barailler, no-
taire ù Nantes, par Jean Vaillant, cultivateur et Pei'rine Denou, so»
épouse, à la Louziniero, en Saint-Etienne-de-Mont-Luc, à M"" lu
vicomtesse Cambronne d'une métairie à la Louzinière (maison et jar-
din, pièce de terre à labour, vignes et prairies), moyennant le pri.v de
6,000 francs.
(3) L'acte de décès lui donne i^JG ans: il constate qu'elle est l'épouse-
d'Alin Pollock, négociant, domicilié à Glascow. Un des témoins de la
déclaration de décès est François Guidon, cocher de M"*" Cambronne,
(4) Son acte de naissance donne à son père, Armand-Pierre
Lemerle, qui devint plus tard employé des contributions directes, la-
profession, piquante... ù noter, de marchand de moutarde.
— 289 —
1798 à Fœlz (Bavière), mais le général, brouillé alors avec
sa sœur, n'assista pas au mariage.
Autant Cambronne semblait alors mal disposé pour sa
propre famille, autant il témoignait d'affection à sa
femme qui le lui rendait bien. C'est à la réciprocité de
ces sentiments qu'il faut attribuer la rédaction des testa-
ments qu'ils se firent l'année suivante.
• Celui du général, reru par M^ Barailler le 29 avril 182G,
s'exprime ainsi :
Je révoque tous autres testaments et codicilles que je pour-
rais avoir faits, voulant que celui que je vais dicter soit seul
exécuté comme contenant l'expression de ma dernière volonté.
J'institue^ ma légataire universelle M'ne Marie Cambronne,
mon épouse, demeurant avec moi, voulant qu'elle jouisse et dis-
pose en pleine propriété de tous les biens meubles et immeubles
qui se trouveront m'ap])artenir et composer ma succession, en
quoique le tout puisse consister, soit dû ou situé sans exception
ni réserve aucune.
Le testament de M"»*' Cambronne, également authen-
tique au rapport du même notaire, est à la date du 31
mai 182G. Cambronne y était institué son légataire uni-
versel.
Pourquoi Cambronne eut-il des craintes quant à la
validité du testament que nous venons de rapporter?
nuus ne savons, toujours est-il qu'en 1835, il en fit un
second olographe enregistré le 20 octobre de cette année
et qui n'était au surplus que la confirmation du premier
daas ses dispositions :
Ceci est mon testament :
J Institue mon iiérilière universelle de tous les biens meubles
et immeubles que je délaisserai, ma femme la vicomtesse Cam-
bronne, je veux qu'au moment de mon décès elle soit saisie de
toute ma succession.
19
— 290 —
Le présent est fait en cas que le testament fait devant M.
Barailler, notaire l'an dix-huit-cent-vingt-six, le vingt neuf avril,
ait quoique difficulté ou quelque chose contestable; sans cela je
no l'aurais pas fait^ ne voulant pas le détruire, au contraire lui
donner plus de force.
Tous testaments ou donations faits avant ce temps sont nuls,
c'est-à-dire ceux faits avant celui de M. Barailler. Le tout est
écrit de nia main.
L. V. Cambronne,
ou le Vicomte Cambronne.
M. et M"»' Cambronne n'avaient pas d'enfants et n'étaient
guère destinés à en avoir, à l'âge déjà avancé auquel ils
avaient contracté mariage. Ils avaient désiré en adopter
un, de préférence une fille et s'étaient adressés tout
d'abord à leur propre famille. M"»' Lemerle pressentie
avait refusé cette proposition, delà la brouille que nous-
signalions plus haut, puis ils frappèrent, alors qu'ils habi-
taient Lille, à la porte de Marc Cambronne^ un des cousins
germains' du général, qui s'était fixé vers 1810 dans cette
ville et qui avait une fille Louise alors âgée de quatorze
ans. Même refus de ce côté ainsi que de la part d'un autre
cousin, Pierre Viéville dont la fille Adèle — de qui nous
tenons ces détails — vit encore aujourd'hui à Arras.
C'est alors que M. et M"»e Cambronne durent chercher
en dehors de leur famille. Il y avait à cette époque à
Lille une famille Adamson, d'origine anglaise, dont la
mère était venue s'établir en France pour compléter
l'instruction et l'éducation "de ses enfants. Rappelée
brusquement en Angleterre, M™« Adamson se trouva fort
embarrassée ; sa plus jeune enfant, alors âgée de deux
ans à peine, était atteinte de la coqueluche et tout
déplacement pouvait être dangereux pour la santé et
— 291 —
même pour la vie de cette fillette. M^^ Gambronne offrit
de la garder provisoirement, ce qui fut accepté, mais
elle s'attacha bien vite à l'enfant et c'est ainsi que le
provisoire devint définitif. Le général habitait alors à
Lille, rue des Tours, 12, il se fixa plus tard rue de l'Hôpi-
tal-Militaire, où était le quartier général.
La jeune Sophie-Catherine Adamson grandit et en
1836, au mois de mai, elle épousait à Nantes M. Victor-
Marie Roussin, alors avocat, dont le père était directeur
des domaines. L'acte de mariage porte que la jeune
mariée^ née le 14 août 1818, à Lambeth (Angleterre) —
elle n'avait donc pas encore dix-huit ans — est fille de
M. John Adamson, négociant et de dame Elisabeth-
Catherine Weber, son épouse.
En témoignage de leur tendre affection pour la future
qu'ils avaient élevée et qu'ils manifestaient l'intention
d'adopter dans la forme légale dès qu'elle aurait atteint
sa majorité, M. et M™« Gambronne lui faisaient don, pour
en jouir au décès du dernier d'entr'eux, de leur propriété
de La Baugerie et d'une somme de 20,000 fr. à prendre
sur la succession de M'»^ Cambonne. D'autres donations
éventuelles lui étaient également faites dans le contrat
de mariage.
M. et M°ie Roussin vivent encore dans leur beau
manoir de Keraval en Plomelin, sur les bords de l'Odet,
à quelques kilomètres au-dessous de Quimper. Nous avon&
eu la bonne fortune d'être reçu par eux avec une extrême
bienveillance et de recueillir de leur bouche plus d'un
renseignement, dont nous avons fait usage au cours de
ce volume. Point n'est besoin de dire qu'ils ont conservé
le souvenir le plus touchant du général Gambronne et de
sa femme, et que plus d'un objet leur rappelle cons-
— 292 —
tamment la mémoire de ceux que M^^ lloussin n'hésite
pas à considérer comme son père et sa mère. C'est ainsi
qu'elle les traite quand la conversation revient sur eux,
et elle n'en parle jamais sans une émotion communica-
tive. Là se gardent encore .comme autant de précieux
souvenirs, des lettres intimes de M. et M^^ Cambronne,
les épaulettes de général de brigade de Cambronne, son
crachat de commandeur de la légion d'honneur, sa
croix d'officier, sa croix de chevalier de Saint-Louis,
reliques précieuses, les mèches blanches de ses cheveux
bouclés, son buste d'après Amédée Ménard, là se gardait
;;ussi une épée de parade offerte depuis par M. lloussin,
à la ville de Nantes, déposée au musée départemental
d'archéologie, mais que Cambronne n'a jamais portée à
Waterloo, contrairement à l'indication du catalogue de
ce musée.
CHAPITRE XX
CARACTÈRE DE ÇAMBRONNE
Du caractère de Gambronne, il est permis de dire que
la bravoure et la franchise en furent les traits principaux.
Il était foncièrement bon, disposé à obliger les gens, veil-
lant pourtant de près à ses intérêts. Etait-il violent et
enclin à l'ivrognerie, comme le prétendaient, dans un
esprit de parti, les rapports policiers du vicomte de Car-
daillac, sous la Restauration? Rien ne l'établit. La lé-
gende, ce chiendent de l'histoire, veut qu'étant chef de
bataillon, un soir de banquet, sous l'influence de quelques
verres de vin de trop, Gambronne se soit pris de querelle
avec son colonel,
« La dispute s'échauffe, dit Rogeronde La Vallée qui recueille
l'anecdote comme véfidique, on se provoque, on tire l'épée ; les
deux adversaires s'alignent, se battent; le colonel tombe percé
au sein gauche : Gambronne le croit mort. Alors, dans sa tête
s'opère une soudaine révolution. Il se désole, il verse des larmes,
et-rendu à la raison, il jure de se passer de vin pendant quatre
ans et de ne boire de liqueurs de sa vie. Cependant son ami
guérit de ses blessures, mais Gambronne, fidèle à son serment,
n'en resta pas moins pendant nenf ans sans boire autre chose que
de l'eau, et jamais depuis il n'a goûté de liqueurs. »
A ce récit d'un duel étrange entre un colonel et l'un de
ses chefs de bataillon, contraire à toutes les règles de la
discipline et que l'empereur n'eût pas toléré sans répres-
sion, nous avons à opposer une enquête édifiée par le
•— 294 —
ministre de la guerre (1), lorsqu'à la mort de Cambronne
des admirateurs du général, préoccupés ajuste titre de ce
reproche d'ivrognerie, voulurent tirer le fait au clair.
Les uns racontaient les choses comme Rogeron de La
Yallée, les autres y ajoutaient une histoire de conseil de
guerre, une condamnation à mort de Cambronne qui
avait porté la main sur un de ses supérieurs, puis la grâce
de la peine prononcée contre lui et, à la suite de cette
grâce, le serment de ne plus jamais boire de vins et de
iiqueurs.
De l'enquête ouverte alors, il résulta que jamais il
n'avait comparu devant un conseil de guerre, que jamais
il ne s'était battu en duel avec un de ses chefs et qu'il n'y
avait là qu'une de ces inventions qui ont trop souvent des
racines indestructibles. A l'exception de sa querelle avec
le maire de Guérande — affaire d'ailleurs sans grande
portée — nous n'avons rien découvert qui pût donner
quelque fondement à ce singulier reproche.
Peut-être était-il violent et colère : encore faudrait-il
«avoir si les motifs qui le poussaient à cette irritation
n'étaient pas de nature à l'atténuer.
« D'une extrême exactitude, dit le docteur Priou, dans
l'accomplissement de ses devoirs, d'une grande rigidité
pour la discipline, sans laquelle l'existence d'une armée
m'est pas plus possible que celle d'un gouvernement sans
lois, Cambronne exigeait toujours une grande ponctualité
dans le service. Il avait le plus grand soin des soldats au
bivouac ou dans les expéditions. Jamais, quand on arri-
vait au terme de la course on ne le vit, non pas se mettre
à table ou se coucher, mais même s'asseoir, avant d'être
(1) Archives du Ministère de la guerre.
— 295 —
allé s'assurer par lui-même si les distributions (quand il
y en avait) étaient faites, si le soldat avait du bois, de la
paille, etc. Aussi, les militaires qui le voyaient partager
leurs fatigues, ne murmuraient pas. Combien de fois mit-
il pied à terre pour monter une colline un peu raide afin
que le soldat, harrassé, n'eut pas à se plaindre de l'obli-
gation de la franchir avec peine tandis que le chef se
transportait à cheval.
» Le caractère de Gambronne se composait, comme on
l'a fait remarquer, de deux éléments qui,, d'abord, sem-
blent incompatibles mais qu'on trouve souvent réunis
dans la même personne : c'est une brusquerie, un empor-
tement quelquefois extrême joints à une sensibilité
profonde.
» Gambronne se laissait facilement emportera la colère.
Il frappait même promptement et à plusieurs reprises,
des soldats traînards et raisonneurs. « Des coups de plat
de sabre, disait-il, ne déshonorent pas ; mais jamais je ne
frapperai d'un bâton un homme vêtu de l'uniforme. »
» Incorruptible, on ne vit jamais Gambronne transiger
avec son devoir pour des poignées d'or, ainsi que tant
d'autres le faisaient et comme l'exemple du chef est tout
puissant, ses officiers ne se permettaient aucune exaction,
aucune capitulation de conscience. »
Nous trouvons ce qui suit dans la lettre du docteur
Gaultier de Glagny, qui servit pendant quatre ans en
Espagne, en qualité de chirurgien-major, dans le régiment
commandé par Gambronne :
Dans la triste et déplorable guerre do la Vendée, sous la
Convention, le brave nantais était lieutenant d'une compagnie de
grenadiers, des bleus, comme le disaient les paysans. Dans une
retraite où l'armée était vivement poussée et où tous les traînards
— 296 —
étaient égorgés sans pitié, Cambronne faisait partie de l'arrière-
garde. Epuisé de besoin, lo sentiment de la conservation céda
chez lui à la nécessité du repos et de la réfection alimentaire. Il
s'arrêta dans une auberge et se fit servir à manger.
Bientôt l'arrivée des éclaireurs vendéens fit fuir les derniers
soldats arrêtés dans l'auberge. Cambronne, averti de l'approche
do l'ennemi, répondit : Advienne que pourra! Je meurs do
faim, je suis las, je m'arrête et je mange.
Bientôt il est seul et loin des derniers bleus. Bientôt aussi
arrive une petite troupe d'officiers et de soldats vendéens qui
s'étonnent de voir un officier de bleus assis à une table. Cam-
bronne, sans s'émouvoir, leur dit ; Je n'ai pas peur de votre
arrivée. De braves gens n'égorgent pas un soldat sans défense.
D'ailleurs je suis Cambronne et j'ai eu confiance en vous. Buvons
ensemble. Il ne les avait pas mal jugés. Ces vendéens burent
avec lui, admirèrent son courage tranquille et se hâtèrent de le
reconduire aux avant-postes, avant l'arrivée du gros de leur
troupe. Cambronne, en me racontant cette circonstance de sa vie,
n'en tirait point vanité ; il avait pour but de prouver que, dans
les guerres civiles, il y a un sentiment de fraternité entre les
braves. Et quand il me racontait ce fait, il y avait dans notre
régiment d'anciens officiers qui en avaient une connaissance
entière.
Sa modestie était extrême, il ne s'en croyait pas et
c'est ainsi qu'il fallut lui forcer la main pour l'obliger à
accepter un avancement auquel il prétendait n'avoir pas
autant de droits que tel autre de ses camarades. C'est
dans le même ordre d'idées qu'il fut toujours si difficile
d'obtenir de lui une déclaration nette sur les paroles de
Waterloo. En les avouant, il craignait de faire montre
d'une pointe d'orgueil qui lui répugnait au-delà de tout.
Rentré dans la vie civile, il redevint plus que jamais
l'homme simple que nous cherchons à dépeindre. Il était
fort lié avec la famille Gheguillaume qui tenait un maga-
sin de draps rue de la Poissonnerie à Nantes, avant d'aller
— 297 —
s'installer rue de Briord. Cambronne cousinait avec les
Cheguillaiime. Il y dînait souvent, assaisonnant le repas
de plaisanteries qu'il ne dédaignait pas. Ecrivait-il pour
accepter une invitation, il commençait ainsi sa lettre :
« Monsieur le jardinier commandeur », faisant allusion à
l'acquisition par M. Cheguillaume d'une propriété dite La
Clochette en Doulon et il signait à la Cincinnatus : « L. V.
Cambronne, agriculteur » (1). Une autre fois, il envoya à
« sa chère parente », M^^ Cheguillaume « les verds
» pourris dont sa demoiselle a besoin pour faire les pieds
» de ses fleurs. »
Fait-il un marché avec un fournisseur quelconque,
c'est lui qui rédige les sous-seings sur timbre pour que
toutes choses soient en règle. Nous avons sous les yeux
des doubles d'un marché, daté du 28 avril 1840 et passé
pour des barriques neuves avec Touplain, tonnelier au
bourg de Saint-Sébatien. Il est de la main de Cambronne
qui, détail piquant, s'y qualifie de sieur : « M. Touplain
vend au sieur Cambronne ».... « Le sieur Cambronne
indiquera l'époque de la livraison », et le sieur Cambronne
signe le vicomte Cambronne.
A Saint-Sébastien, il voisinait avec un de ses anciens
compagnons d'armes, le général Dumoustier. Les deux
héros avaient abandonné le sabre pour l'aiguille et se
distrayaient à faire de la tapisserie, à broder au canevas.
Nous avons trouvé dans un des salons du château de
Keraval, un ameublement, chaises et canapé en acajou,
style empire, dont la tapisserie est l'œuvre du général.
A droite et à gauche du canapé, des bouquets de fleurs ;
au centre les deux initiales C. S (Cambronne Sword) en-
(1) Lettre autograpiie du 14 juin 1833 (collection Cheguillaume)-
— 298 —
trelacées, à moins encore qu'il n'ait fait ce travail pour sa
fille adoptive qui le possède toujours et qu'il ne faille
plutôt lire ces deux lettres autrement S. C. (Sophie
Cambronne).
C'est une tradition inébranlable à Saint-Sébastien, que
lorsque les enfants du bourg revenaient de l'école, il les
arrêtait, tirait de sa poche une poignée de sous, les leur
jetait et se divertissait de voir lequel serait le plus agile et
le plus adroit. Il avait d'ailleurs des consolations pour les
vaincus. Parfois au lieu de lancer les sous sur la route,
il les jetait dans une mare peu profonde et c'était à qui
barboterait le mieux pour cette pêche d'un nouveau
genre. Il le faisait dans le but de dresser les enfants à
n'avoir peur de rien. Un jour, un brave homme se plaignait
de voir son fils grimper dans des arbres. « Laissez le, répon-
dit-il, c'est ainsi qu'on apprend à bien monter à l'assaut. »
Il était heureux de pouvoir rendre service. Nous avons
entendu raconter par M. Garreau, l'entrepreneur de tia-
vaux publics bien connu, plus que nonagénaire aujour-
d'hui, un curieux détail au sujet de l'immeuble à cent
jours qu'il a construit à l'angle de la rue Piron et de la
rue de l'Héronnière. Il n'était pas riche alors et suffisait
à peine à payer les ouvriers au fur et à mesure que les
travaux avançaient. Il s'en fut trouver le général Cam-
bronne qui venait de toucher le legs à lui fait par
Napoléon et qui prêta 20,000 francs de la main à la main
au jeune entrepreneur. Plus tard, la maison achevée,
uae dame espagnole en acquit le rez-de-chaussée, juste
le prix de 20,000 francs, qui servirent à rembourser le
général (1).
(1) Souvenirs d'un vieux nantais, p. 178.
— 299 —
Tout le monde a entendu parler du livre de comptes
que tenait Cambronne vers la fin de sa vie et dont un
feuillet a été reproduit dans V Autographe {xi° 22, 15 oc-
tobre 1864). Ce qu'il offre de curieux, c'est qu'à côté de
chaque article et en regard du chiffre le général a esquissé
sommairement le dessin de l'objet acheté. Il fait l'em-
plette de 350 bouteilles, il inscrit le prix total, 65 francs
et dessine ensuite trois grandes bouteilles portant chacune
le nombre 100 et une plus petite avec le nombre 50. Il
paie la cuisinière, ci 50 francs et se paie la tête de
Marie avec sa coiffe et un sac d'écus à la main. Nous
retrouvons plus loin un fromage de gruyère où les ijeux
ne sont pas oubliés, un pantalon à pont pour Joseph,
une robe de soie pour Madame, une échelle double, une
vache (135 fr.) et jusqu'à deux pots de chambre à 1 fr. 75
chaque - c'est ainsi que le général, qui n'a jamais craint
d'employer le mot propre, qualifie ces lacrymatoires noc-
turnes.
Ces livres de comptes sont aujourd'hui aux mains de
M. Victor Roussin, mais quand, à la mort de madame
Cambronne, il en obtint la remise, ils étaient restés pen-
dant quelque temps à la disposition du premier venu et
il en manquait déjà plusieurs feuillets. On se les arrachait
comme des reliques : celui qui avait la chance d'en possé-
der une page la découpait en lanières pour en donner
des morceaux à ses amis. Un certain nombre de Nantais
doivent en posséder. Nous en devons un demi-feuillet à la
gracieuseté de M. le docteur Poisson.
Nous possédons également un autre dessin du général
Cambronne, mais plus soigné- et plus intéressant. C'est
celui des 'armoiries qu'il avait commandées à son carros-
sier, M. Lafont, pour mettre sur la portière de sa voiture.
- 300 —
Elles ne reproduisent pas ses armes officielles telles
qu'elles figurent à ses lettres patentes,
L'écu est écartelé au l»"" d'argent à deux roses de
gueules, boutonnées de môme, tigées et feuillées de si-
nople ; au 2" d'azur au cheval gai, d'argent ; au 3^ de
gueule à l'épée haute d'argent, quartier des barons de
l'Empire ; au 4® d'argent, portant au centre un écu ovale
chargé d'une étoile, timbré d'un casque de face, deux dra-
peaux passés en sautoir derrière l'écu, le tout de sable
accompagné en chef de deux étoiles d'azur.
Ces armoiries sont timbrées d une toque de velours à
triple panache d'argent et portent en pointe la croix de la
Légion d'honneur.
Nous les reproduisons dans ce volume.
CHAPITRE XXI
DERNIERS ACTES DE LA VIE PUBLIQUE
Tant que dura la monarchie légitime, Cambronne
demeura étranger à toute manifestation publique. Même,
quand les trois glorieuses firent de nouveau flotter en
France le drapeau tricolore, le vieux général qui ne se
considérait peut être pas comme délié de ses obligations
envers les Bourbons de la branche aînée par l'avènement
de Louis-Philippe, persista à se tenir dans un isolement
absolu. D'après les renseignements de M. Victor Roussin,
alors que la lutte se prolongeait dans les rues de Nantes,
on vint le chercher à sa campagne pour le mettre à la
tète du mouvement, mais il refusa énergiquement pour
ne pas violer le serment qu'il avait prêté à la royauté
tombée, et c'est ce qui nous donne à penser que Levot a
dû faire erreur, quand il nous le montre pérorant à l'un
des nouijjreux. banquets patriotiques qui s'organisaient
alors.
Toutefois, s'il s'obstina à demeurer en dehors du
mouvement politique d'alors, comme l'avaient fait
d'aulros illustrations de la révolution et de l'empire, il
piolita des bonnes dispositions du gouvernement de
juillet pour réclamer le 29 septembre 1831, la croix de
grand olïicier de la légion d'honneur, que Napoléon lui
avait donnée pendant les Cent jours et que la restauration
malgré sa bienveillance pour lui n'avait jamais voulu
reCvKiiiailre.
- 302 —
Le 28 novembre suivant, le Roi le confirmait dans son
grade
Cinq ans plus tard, Louis Philippe fit plus et mieux. Il
ordonna de graver le nom de Gambronne sur la partie
nord de l'arc de triomphe de TEtoile, et le 15 décembre
1836, il lui fit écrire la lettre suivante :
Monsieur le Maréchal de camp,
J'ai fhonneur de vous envoyer deux exemplaires, l'un en
argent, l'autre en bronze, de la médaille frappée à l'occasion der
l'inauguration de l'arc de triomphe de l'Etoile.
Ce souvenir d'une grande époque vous était dû.
Il vous rappellera à la fois de glorieux événements et la part
illustre que vous y avez prise.
Si Gambronne se montra touché de ce souvenir offert
avec tant de délicatesse, il fut par contre très sensible à
l'oubli qu'on fit de lui, lorsqu'il s'agit d'aller chercher les
restes de l'empereur à Sainte-Hélène, mais il ne crut pas
de sa dignité de solliciter l'honneur de faire partie de
l'expédition.
Déjà, s'il faut en croire les confidences de son ami
Dalidet, Gambronne, prisonnier et malade en Angleterre,
avait supplié l'empereur de l'admettre auprès de lui sur
le Bellérophon. Napoléon fut sur le point de céder, puis
il se ravisa pour ne pas augmenter inutilement le nombre
de ceux à qui il allait faire partager sa misérable existence
et adressa un ■souvenir au général.
Il ne devait donc ni accompagner l'empereur à Saint-
Hélène, ni aller l'y chercher. Toutefois, de retour de ce
long exil, le maréchal Bertrand envoya au général Gam-
bronne un fragment de pierre du tombeau de Napoléon,
avec cette épigraphe : Au général Gambronne, comman-
dant la garde à l'île d'Elbe et la lettre suivante :
— 303 —
Châteauroux, le 31 juillet 1841.
Mon cher général,
J'ai reçu de vos nouvelles avec le plus grand plaisir, par votre
lettre du 28 juin.
Vous deviez nécessairement êti'e compris dans l'envoi que j'ai
fait de quelques souvenirs de Sainte-Hélène, vous, notre bon
camarade de l'isle d'Elbe.
Le pauvre Drouot est bien infirme, de corps, c'est à dire ; car
le cœur et la tête sont les mômes chez lui.
Recevez, mon cher général, l'expression de mes sentiments
affectueux et de considération affectueuse.
Bertrand.
Nous avons vu cette lettre, cette pierre et une branche
du saule qui ombrageait le tombeau de l'empereur. Elles
sont gardées avec un soin pieux par la famille Roussin
ainsi que la longue-vue de Cambronne, dont l'empereur,
au retour de l'île d'Elbe, se servit pour découvrir les côtes
de France.
S'il faut en croire M. Adolphe Orain, l'écrirain rennais
bien connu, le 24 février 1840, au soir, le maire de Bain-
de-Bretagne reçut la visite d'un étranger exténué de
fatigue et qui semblait en même temps dénué de ressources.
Il venait de Neufchâtel et voyageait avec un passe-port
délivré par le consul français de cette ville à un officier
polonais. «
Pendant que le maire parcourait les papiers de l'étran-
ger qui sollicitait un billet de logement, celui-ci aperçut
sur la muraille, entre une giberne et un sabre, le portrait
de Napoléon P^
— Vous avez militaire ? dit-il à M. Blandin.
— Vingt-deux ans, répondit le maire. Je suis parti, en
4793, et j'ai fini sous NapoIéon-le- Grand.
— Vous l'aimiez bien votre empereur ?
— 304 —
— Ah ! si je l'aimais, soupira le vieux soldat, dont les
yeux se remplirent de larmes.
— Alors, apprenez qui je suis : Vous avez devant vous,
Louis-Napoléon, fils du roi de Hollande.
A cette déclaration, M. Blandin fut saisi d"une sorte de
tremblement nerveux. (Juoi ? s'écria-t-il en regardant
lixement le jeune homme étranger, j'aurais chez moi un
neveu du Grand Empereur, de mon ancien général. Ah !
c'est là un bonheur que je payerais de mon sang.
— Eh bien ! si c'est là pour vous un bonheur, vous
pouvez vous en assurer.
Le jeune prince, car c'était lui, mit sous les yeux du
maire divers papiers de famille et lui donna quelques
explications qui dissipèrent les doutes qu'il aurait pu
avoir.
Louis-Napoléon venait de voir sa mère mourante à
Neufchàtel. N'ayant pu obtenir du Gouvernement la
permission de traverser la France, il avait demandé un
passe-port de réfugié polonais, qui lui avait été délivré,
et c'était sous ce titre qu'il voyageait, afin d'aller
s'embarquer au plus prochain port de mer.
Le maire lui demanda la permission de l'embrasser et
voulut le garder à souper et coucher.
Le prince n'accepta pas l'hospitalité qui lui était offerte
et réclama seulement un billet de logement.
M. Blandin ne pouvant vaincre sa résistance, l'envoya
àrhùtel de la Croix-Verte en lui offrant quelque argent.
— Il me reste cinq francs, répondit Louis-Napoléon,
et cela me suffit pour me rendre à Nantes, où Gambronne
me donnera ce qu'il me faut.
Avant de preadre congé du maire, il s'informa s'il
avait été récompensé de ses longs services militaires. Sur
— 305 —
la réponse négative de ce dernier, le prince ajouta : « Si
la Providence m'appelle au trône de Napoléon I^r, dont je
suis l'héritier, je n'oublierai pas les anciens militaires. »
Il prit ensuite congé du maire et se rendit à l'hôtel de
la Croix-Verte, où il soupa, dans la cuisine, de pommes
de terre frites arrosées d'un verre de cidre.
M, Blandin alla faire part de la visite qu'il avait reçue
au curé de Bain, et tous les deux décidèrent que le
lendemain ils iraient prendre le prince pour l'inviter à
déjeuner. C'est ce qu'ils firent, en effet ; mais ils arrivèrent
trop tard, le voyageur était parti à pied, au lever du
jour, pour se rendre à Nantes.
Si tant est que le récit qui précède soit de toute exacti-
tude, nous ne sachions pas que Louis-Napoléon ait réalisé
ce projet en ce qui concerne Gambronne qui lui-même
n'en a non plus jamais rien su.
Le 27 juin 1841, Gambronne était allé à Garhaix pour
y assister à l'érection de la statue de La ïour-d'Auvergne
et il y avait entendu célébrer, dans la langue bretonne,
ses exploits en même temps que ceux de son ancien
compagnon d'armes du 46« de ligne.
Ge fut la dernière fois qu'il participa à une manifestation
publique.
20
CHAPITRE XXII
MORT DE CAMBRONNE
L'hiver de 1842 devait être fatal à Gambronne. Il était
entré dans sa soixante-douzième année. Son corps, jadis
si droit, s'était quelque peu courbé sous le poids des ans
et des douleurs. Le 20 janvier il se mit au lit pour ne plus
se relever.
Quand il se sentit atteint plus gravement, il fit deman-
der le curé de Saint-Sébastien, mais il reçut aussi la visite
spontanée de l'évoque de Nantes, M. de Hercé, qui avait été
colonel d'état-major et qui avait, avant d'entrer dans les
ordres, fait campagne en même temps que Gambronne.
La veille de sa mort il s'eatretenait encore avec ]\pe Gla-
vier, aujourd'hui M"i« V^'« Thomas, de qui nous tenons ce
détail : « Ah ! mademoiselle, lui diUl, on considère
l'homme comme quelque chose, l'homme n'est rien !
S'il fallait en croire une plaquette intitulée La Croix à
Guérande (Nantes, 1873, impr. Bourgeois) et dont l'au-
teur est, dit-on, M. l'abbé Sottin, Gambronne aurait, au
cours de sa dernière maladie, évoqué le souvenir « des
iniquités et des folies » commises en 1794 à Guérande et
dans les environs par la Légion Nantaise. Mais l'abbé
î^ottin ne fait pas connaître l'origine de ces renseigne-
ments, il n'en permet pas le contrôle ci, jusqu'à plus am-
ples informé, nous faisons toutes réserves sur ce repentir
fcirdif que le héros de Waterloo aurait manifesté sur son
lit de mort.
— 307 —
Dans la nuit du 28 au 29 janvier, Cambronne expirait.
Ce fut un véritable deuil dans la population qui l'avait
peut-être oublié vivant, qui, une fois mort, se rappela
avec complaisance les traits les plus remarquables, comme
aussi les épisodes les plus insignifiants de son existence.
Des lettres de faire-part furent envoyées de tous côtés.
En voici le texte :
M
Vous êtes prié d'assister demain, 30 du courant, au Convoi
funèbre de M. le Vicomte Pierre-Etienne CAMBRONNE,
Général en retraite, Grand Officier de la Légion d'honneur, décé-
dé ce jour à l'âge de 71 ans, en sa demeure, rue Jean-Jacques
Rousseau, n" ?>, où le deuil s'assemblera à 1 heure très précise.
Nantes, le 29 janvier 1842.
Lith. de Charpentier, Nantes.
Il y en eut d'autres qui commençaient ainsi :
Madame la Vicomtesse Cambronne, M. et Madame Victor
Roussin, M. François Lemerle ont la douleur..., etc.
"Les autres membres de la famille de Cambronne, avec
qui il avait vécu brouillé, avaiâ«it été volontairement
omis sur cette lettre de part.
Les journaux donnèrent des notes nécrologiques. Le
colonel de la garde nationale Desperrois publia, avec
l'approbation du maire de Nantes, l'ordre suivant :
GARDE NATIONALE DE NANTES
Ordre du jour du 29 janvier 1842
Le général Cambronne est mort !
Ses obsèques auront lieu demain, 30 courant, à une heure
précise du soir,
M. le Colonel, ayant pensé que les gardes nationaux ses
compatriotes, seraient empressés d'accompagner cette haute
iîluBtration militaire à sa dernière demeure, a pris les disposi-
— 308 —
lions suivantes, après en avoir obtenu l'autorisation de M. le
Maire.
Il sera formé une escorte en grande tenue, commandée par un
chef de bataillon et composée de détachements de tous les corps
de la garde nationale.
Les officiers -et gardes nationaux de toutes a^jmes sont invités
à se réunir au cortège qui s'assemblera à la mairie à midi et
demie, en petite tenue et sabre au côté.
Le colonel Desperrois.
Tout en constatant que les obsèques de Cambronne
avaient eu lieu avec une grande solennité, le National
de l'Ouest n'en rendit compte qu'en douze lignes, sans
même dire par qui les discours avaient été prononcés :
« Nous regrettons que l'abondance des matières nous prive
de donner une notice sur la vie militaire du général Cambronne
qui s'est éteinte après la bataille de Waterloo. Depuis cette
époque, Cambronne s'était effacé et a survécu en quelque sorte
à lui-même ; mais sa vie militaire est si belle et si pleine que
son nom restera inscrit au milieu des illustrations de la glorieuse
époque de l'empire. »
C'était maigre assurément, comme éloge funèbre et
Cambronne méritait mieux. Par contre, d'autres journaux,
le Breton surtout, consacrèrent de longs comptes-rendus
à ces obsèques :
Dans la foule point de pleurs dit le Breton du 31 janvier
1842, elle ne pouvait séparer l'immortalité de la vie de son
héros !... point de pleurs, sinon chez quelques vieux soldats
qui, disséminés dans cette foule, mais reconnus à quelque reste
de vêtement militaire et à leur front dégarni, avaient vécu sous
la tonte avcô Cambronne et qui furtivement essuyaient laurs
yeux mouillés par la reconnaissance.
La cérémonie religieuse fut célébrée à l'église Saint-
Nicolas, trop étroite pour contenir ceux qui avaient la
garde du cénotaphe
— 309 —
Le cortège, commandé militairement par le général
Gémeau, ami et compagnon d'armes de Cambronne et
conduit par le chef d'escadron d'état-major Faulchier,
était ouvert et fermé par deux détachements de cavalerie,
l'un de la garde nationale à cheval, l'autre du 8^ lanciers.
L'escorte se composait d'un bataillon armée des diverses
armes de la garde nationale, d'un détachement de gen-
darmerie, d'un détachement des canonniers vétérans et
de deux bataillons du 21^ léger ; mais les officiers de ces
divers corps et un nombre considérable de gardes natio-
naux s'étaient joints au convoi, répondant ainsi avec
empressement à l'ordre du jour de leur colonel. La garde
nationale ne pouvait oublier que Cambronne sortait de
ses rangs.
Les honneurs militaires lui furent rendus comme à un
lieutenant général, à cause de son grade dans la légion
d'honneur, dont il était grand officier.
Le corps était porté par des sapeurs de la garde natio-
nale et du 21« léger^ et les cordons du poêle étaient tenus
par MM. Portier, commissaire général de la marine au
port de Nantes, de La Vigne, intendant militaire, Des-
perrois, colonel de la garde nationale de Nantes, par le
colonel de Bréa, chef d'état-major de la division, par M.
Genot. colonel du génie et par M. Phélippeaux, colonel
du 21* léger. Le général d'Erlon assistait aux obsèques,
ainsi que M. Chaper, préfet de la Loire-Inférieure.
Au cimetière de Miséricorde, le général Gémeau, pro-
nonça un discours dont le fond valait sans doute mieux
que la forme; en voici les passages les plus saillants :
Messieurs, la tombe s'est ouverte pour recevoir une de nos
grandes célébrités militaires, Cambronne n'est plus. La mort que
tant de fois il a regardée en face sur les champs de bataille, la
— 310 —
mort, que l'on pourrait croire qu'il a su faire reculer devant son
audace guerrière, la mort vient de le frapper.
... Honneur à toi, Cambronne ! à toi. soldat intrépide et
modeste, à toi, dont le nom va se placer glorieusement à côté de
celui de La Tour-d'Auvergne ! honneur à toi, Cambronne, à toi,
citoyen généreux ; à toi, qui ne voyant plus d'ennemis à visage
découvert, as voulu risquer une popularité militaire européenne,
dans l'espoir de contribuer au repos et au bonheur de ton pays l
Honneur à toi toujours ; car, même du fond de cette tombe, tu
serviras encore ta patrie : cette terre qui va te couvrir, cette
terre de France est désormais inviolable et sacrée, et l'étranger
lui-même ne voudra pas, sans crainte de s'en repentir, mécon-
naître cette vérité sainte.
Adieu, brave Cambronne, ou plutôt au revoir ; car tu es mort
en chrétien ; tu vas donc nous attendre, et, après tout, nous
faisons tous ce voyage difficile qu'on appelle la vie. Eh bien ! tu
es noblement ai'rivé; et nous, nous marchons.
M. le sous-intendant Collette, lié intimement avec
Cambronne aurait pu prononcer une allocution touchante,
il ne sortit pas des banalités emphatiques exprimées dans
un style lourd et grotesque, dont, à titre de curiosité,
voici un échantillon :
Après l'éloge que nous venons d'entendre, véritable écho des
traditions que, dès longtemps, l'histoire a inscrites au centre de
l'auréole de gloire dont le nom de Cambronne brillera dans la
postérité la plus reculée, je sens trop mon insuffisance à faire
résonner la trompettede la renommée aussi haut que l'exigeraient
les innombrables traits de courage et de haute valeur à la guerre,
qui ne fiiillircnt jamais à celui dont la tombe va recouvrir la
dépouille mortelle; mais je crois pouvoir élever ici ma faible
voix pour manifester une opinion que j'ai été longtemps à même
de méditer comme me paraissant résumer toutes celles qu'inspire
ce nom si éminemment héroïque, c'est que, dans l'énergie de
son âme, comme dans la pureté de son cœur, le général
Cambronne confondait avec son existence cette ardeur du
dévouement sans limite au bonheur de l'hunuinilé et j\ la gloire
de notre chère patrie»
— 311 —
Il concentrait toutes ses facultés dans l'unique jouissance
d'étendre une généreuse bienveillance, non seulement sur tout
ce qui l'entourait immédiatement, mais encore sur tous ceux que
leurs adversités lui rendaient si recommandables : aussi a-t-il
pu, à ces derniers moments, former cette consolante pensée que,-
du haut de l'éternité où Dieu vient de l'appeler, il entendra les
bénédictions et les regrets intarissables de sa respectable
épouse, de toute sa famille, des malheureux dont il était l'appui..
et de nous tous.
Il n'y eut que le discours simplement écrit de M. Wack^
capitaine dans l'artillerie nantaise et grand ami de Gam-
bronne, qui puisse aujourd'hui supporter la lecture :
Messieurs, a-t-il dit, la dépouille mortelle que nous venons de
rendre à la terre renfermait une de ces âmes fortement trempées,
vieilles gloires de l'Empire, qui disparaissent tour à tour de la
scène du monde, mais qui vivront éternellement dans la posté-^
rite.
Pierre-Jacques-Etienne Cambronne commença sa carrière mili-
taire dans cette Légion Nantaise, de glorieuse mémoire^ où sa
bravoure et son caractère de franchise et de patriotisme le firent
bientôt distinguer.
... Après nos désastres de Waterloo, où il s'immortalisa plus
encore par ses hauts faits que par un mot devenu à jamais cé-
lèbre, fait prisonnier par les Anglais, il ne put obtenir de suivre
à Sainte-Hélène celui que ses ennemis, tant de fois vaincus, en-
voyaient à une mort lente, mais certaine.
Et, faisant allusion aux sentiments de Cambronne pour
sa femme, il ajoutait :
Dans les courts instants de lucidité de sa pénible agonie^ il n'a
cessé de lui témoigner, ainsi qu'à ceux qui l'entouraient, une ten-
dresse et une affection que son cœur ressentait encore plus vive-
ment qu'il ne pouvait l'exprimer.
L'assistance était en proie à une sincère douleur. Le
maire ne pouvait contenir ses larmes et le colonel du
— 312
21e léger éprouva une telle émotion qu'il ne put parler et
dut transmettre aux journaux un discours qu'il n'avait pas
prononcé.
Aujourd'hui, après plus d'un demi-siècle, le tombeau
de Cambronne, toujours visité, produit encore une réelle
impression, par son caractère même. C'est un bloc de
granit, sans surcharge d'ornements, carré par la base,
comme le héros dont il couvre les restes. En avant, une
épée nue en bronze qui traverse une couronne de laurier
et ce seul mot : Cambronne, au-dessus d'une croix de
Malte.
Derrière, ces deux dates : Nantes, 26 décembre 1770 et
29 janvier 1842 et les armes de Cambronne, une épce,
marque du commandement, un lion héraldique, signe de
la bravoure et huit grenades, qui rappellent à tous que
Cambronne avait commandé les grenadiers de la Vieille
garde. Plus bas, sa croix de la Légion d'honneur.
C'est à la fois simple et émouvant.
CHAPITRE XXIII
LA STATUE DE CAMBRONNE
Cambronne était mort le 29 janvier 4842. Presque
aussitôt, un grand mouvement se produisait dans la
population, pour consacrer le souvenir du vaillant
général en lui érigeant une statue. Les procès-verbaux
fort sommaires alors des séances du conseil municipal,
nous révèlent cet état des esprits :
SÉANCE DU CONSEIL MUNICIPAL
« Du 7 février 1842
Présidence do M. Ferdinand Favre
Monument à la mémoire du général Cambronne
M. le Maire entretient le conseil du désir qui lui a été mani-
îcsté par un grand nombre de Nantais, de voir élever un
monument à la mémoire du général Cambronne.
Le conseil invite M. le Maire à faire faire par M. l'architecte
voyer des études sur l'emplacement et la forme convenables à
donner à ce monument et il décide^ à l'unanimité, que la
commune contribuera en tout ou partie aux frais de cette
érection, suivant ses ressources financières et suivant l'impor-
tance qui sera définitivement donnée à cette œuvre de recon-
naissance pour les glorieux services rendus à la France, par le
héros que la cité nantaise s'honore de compter au nombre de
ses enfants.
A peine cette décision avait-elle été rendue publique
<iue la municipalité recevait des propositions de la part
<l'un certain nombre d'artistes qui faisaient valoir leurs
titres spéciaux à être chargés de cette œuvre importante.
— 314 —
C'était M. Lanno, sculpteur rennais d'origine, qui, dès
le 27 mars, offrait, non sans rappeler ses nombreux tra-
vaux, de faire une statue de Cambronne de 2 mètres 40
de hauteur, pour le prix de 16,000 francs, exécution fonte
ou bronze, emballage et transport, le tout parachevé dans
un délai de dix-huit mois.
Venait' ensuite Suc, l'éminent artiste nantais. Il était,
disait-il « l'artiste désigné par la famille de l'illustre
général, pour faire revivre ses traits. » Du reste n'était-
il pas un de ceux dont on avait parlé pour le monument
de La ïour-d 'Auvergne ? Il aimerait faire la statue du
« deuxième grenadier de France », comme il songeait à
faire celle du « premier. »
Sa lettre se terminait ainsi :
« Dans peu de jours, je pars pour Paris, où le buste du
général Cambronne est déjà soumis aux observations de cette
haute critique, sans laquelle les œuvres de l'art manquent de
perfection. »
Suc avait été effectivement autorisé par M™» Cam-
bronne à prendre un moulage sur la figure du mort,
mais le buste qu'il en fit, qu'il ait plu ou non à la critique
parisienne, ne parut pas à la famille d'une ressemblance
frappante. La meilleure preuve, c'est qu'elle s'adressa au
sculpteur Amédée Ménard qui, à l'aide d'indications de la
veuve, de portraits et de ses souvenirs personnels, réussit
à faire un buste en terre, de grandeur naturelle, qui
appartient encore aujourd'hui à M. Roussin et qui
rappelle admirablement la physionomie du général.
Justement fier d'une pareille commande, Amédée
Ménard, que la ville de Nantes s'enorgueillit de compter
au nombre de ses artistes les plus distingués, sollicita lui
aussi l'honneur de faire la statue de Cambronne. Il invo-
— Bis-
quait son titre de compatriote du défunt, ses succès
antérieurs comme statuaire et le buste du général dont
il venait de terminer une copie « sur la demande de la
famille. »
Enfin, le sculpteur De Bay, un nantais également, dont
le nom est bien connu, écrivait le 15 mars 1842, au
maire de Nantes, une lettre dont voici les principaux
passages :
A... Né à Nantis, élevé dans son sein, je suis le premier et
jusqu'à ce jour le seul parmi les Nantais qui se sont adonnés à
l'étude de la sculpture, qui ait remporté tous les prix de l'Ecole
Royale de Paris et enfin le grand prix de Rome.
A mon retour d'Italie, les études que j'avais faites dans cette
terre classique, exposées à l'exposition de Paris, m'ont valu la
grande médaille d'or de !«■« classe.
' J'ai pour la ressemblance de la statue une garantie que nul
autre ne peut offrir désormais. Mon père a fait en 1813 d'après
le général Cambronne qui venait poser chez lui, un buste em-
preint d'une ressemblance frappante et de ce beau caractère que
mon père sait si bien mettre à sa sculpture. Ce buste, mon père
me l'abandonne. Avec un si précieux document, je puis presque
assurer le succès de la statue.
Mais, si les demandes des artistes arrivèrent prompte-
ment, les réponses se firent longtemps attendre, puisque
l'année suivante, le 11 juillet 1843, De Bay insistait dans
les termes suivants :
Je suis seul dépositaire du buste généralement admiré fait
d'après nature en 1815 par mon père.
La famille unanime sur le mérite de ce buste, unique
portrait fait du vivant du général, le seul qui le rappelle à
l'époque la plus glorieuse de sa vie, appuie de tous ses vœux une
décision conforme à celle que je sollicite.
M. De Bay ajoutait qu'il était appuyé par M. Cave,
directeur des beaux-arts au ministère de l'intérieur. Il
— 316 —
rappelait aussi la décoration faite par lui du passage
Pommeraye,
Que s'était-il donc passé à la municipalité qui avait
retardé à ce point une décision définitive ?
Le conseil municipal qui, le 7 février, s'était occupé
pour la première fois de l'affaire^ se réunit le 2 juin sui-
vant pour prendre une résolution pratique :
Séance du 2 juin 4842
Présidence de M. Ferdinand Favre
M. Dérivas donne lecture de l'exposé de l'administration
concernant l'érection d'un monument à la mémoire du général
Gambronne, puis du rapport rédigé par M. Jégou, au nom de la
commission chargée do l'examen préalable du projet présenté
par M. DrioUet, architecte voyer.
Le Conseil après en avoir délibéré,
Sans se prononcer sur le plus ou moins de mérite dudit projet
qui devra être ultérieurement étudié sous le rapport de l'art et
du mode d'exécution par des hommes compétents choisis à cet
effet,
Mais considérant que, pour obtenir l'approbation de l'autorité
supérieui-e, il importe de lui soumettre un projet indicatif du
monument à ériger, accompagné d'un devis de la dépense pré-
sumée.
Adopte en principe le projet présenté dont le devis s'élève à
TO.OOO fr. et arrête à l'unanimité, conformément aux conclusions
de la commission :
lo Qu'une statue en bronze du général Cambronne sera élevée
sur une des places principales de la ville de Nantes;
2o Que ce monument sera national et établi au moyen de
souscriptions ouvertes dans toute la France et que la ville de
Nantes sera inscrite en tête do la souscription pour une somme
de 10.000 fr.;
3o Que le bronze nécessaire à l'érection du monument sera
demandé au gouvernement.
M. le maire est invité à faire toutes les diligences pour obtenir
la sanction royale laquelle doit précéder nécessairement la
— 317 —
formation d'une haute commission qui devra être chargée de
recueillir les souscriptions, d'arrêter définitivement, le pro-
gramme de monument et d'en diriger l'exécution, avec le
concours du Conseil municipal et sous l'approbation de l'autorité
supérieure.
Ainsi, la ville votait un premier crédit de 10,000 francs
et arrêtait la formation d'une commission supérieure
chargée de rédiger un programme et de recueillir les
souscriptions. Cette commission, qui subit d'assez fré-
quentes additions ou modifications, comprenait au début :
MM. Trézel, lieutenant-général, commandant la 12^ divi-
sion militaire, président ; A. Chaper, préfet de la Loire-
Inférieure, vice-président ; Gémeau, maréchal de camp,
commandant la subdivision; Ferdinand Fabre, maire de
Nantes; Desperrois colonel de la Garde nationale; Bignon,
député de la Loire-Inférieure ; Jollan, ancien député de la
Loire-Inférieure ; Dechaille, membre du conseil général ;
A. Garnier, membre du conseil général ; Le Cour, membre
de la chambre de commerce ; Chenantais, Jégou, Henry,
Thébaud, menlijres du conseil municipal ; Fontenillat,
receveur général des finances, trésorier, et St.-Félix
Seheultj conseiller municipal, secrétaire.
La question de l'emplacement préoccupa vivement la
population, ainsi qu'en témoignent les propositions sou-
vent extraordinaires reçue par la commission et conser-
vées aux Archives de la mairie. (Dossier de la statue de
Cambronne.)
On avait pensé à la place du Boutfay (rejetée à cause du.
marché), à la place Gincinnatus, aujourd'hui Duchesse-
Anne (écrasée par Le cours Saint-Pierre), à la place
Pirmil (irrégulière, insuffisante et excentrique), à la place
Delorme, voisine du cours du Peuple où les compagnons
— 318 —
d'armes de Cambronne assistaient à de fréquentes réunions
militaires (trop exiguë et trop éloignée du centre), à la
place Royale (dont les immeubles écraseraient la statue).
Il y eut même une lettre de M. A. Goëau-Brissonnière
qui proposait une pile du milieu du pont de la Bourse. Il
demandait également l'apposition d'une plaque de marbre
à l'endroit où le général était né et une autre sur la mai-
son où il était mort — ce qui ne s'est pas encore fait à
l'heure actuelle^ mais ce qui serait désirable.
D'autre part, une pétition d'habitants du quartier de
Launay — dont le promoteur était l'infatigable J.-B.
Goullin — demandait la statue sur la place de Launay.
Les gens de ce quartier avaient même souscrit 1,800 fr.,
mais à cette condition-là. La place de Launay était trop
excentrique et cette proposition fut écartée, comme celle
de se servir de la plateforme où s'élevait jadis la tour du
pont de Pirmil.
Bref, après de longues discussions, la commission
adopta, dans sa séance du 20 octobre 4843, le centre de
la place Graslin ; le monument devait regarder la salle de
spectacle.
C'était une fâcheuse idée, d'abord parce que l'éclairage
de la statue devait, avec l'orientation de la place, être
des plus défectueux, ensuite parce qu'à cette époque où
le chemin de fer n'existait pas encore, c'était là que se
trouvaient les deux bureaux de messageries et que la
place n'était pas trop grande pour un pareil va-et-vient,
sans aller l'encombrer d'un monument central.
La commission décida également de charger Jean De
Bay de l'exécution de la figure en bronze du général et
des accessoires qui s'y rattachaient, mais, pour ne
pas évincer deux autres artistes nantais qui avaient droit
— 319 —
aussi à sa bienveillance, elle partagea entre Suc et
Amédée Ménard les quatre bas-reliefs du piédestal. Suc
devait faire Zurich et léna, Ménard était chargé de Sara-
gosse et de Waterloo.
Jean De Bay se mit aussitôt à l'œuvre. Le 27 décembre
de la même année, il chargeait son beau-frère, Félix
Crucy, architecte, de communiquer à la commission l'es-
quisse du monument. Il lui écrivait en même temps
comment il l'avait conçu : •
J'ai pensé que l'illustre soldat devait cire représenté affrontant
la mitraille et prononçant les immortelles paroles : La Garde
meurt et ne se rend pas, et, pour rendre cette action palpable à
tous les yeux, à toutes les intelligences, il m'a semblé que le
drapeau dont Cambvonne sauvait l'honneur devait jouer un rôle
dans celte composition... J'ai donc pensé que Gambronne couvert
d'un drapeau déchiré, percé, criblé par le feu ennemi, enveloppé
dessous en quelque sorte comme sous un linceul, résistant tou-
jours quoique blessé (car je lui ferai sa noble blessui'e saignante)
rendrait assez bien la chaleur de l'action.
Mais à partir de ce moment, les difficultés abondèrent.
Le ministre de la guerre refusait le bronze, « attendu,
» disait-il, que le bronze existant dans les arsenaux doit
» être exclusivement affecté au service de la guerre ». La
souscription n'avançait que péniblement et traîna pendant
plusieurs années. Le roi avait souscrit sur sa liste civile
pour 300 fr., le conseil général de la Loire-Inférieure
avait donné 1000 fr., le ministre de l'intérieur avait dis-
trait 3000 fr., sur les fonds de son département. Bref, au
25 août 1847, les souscriptions, y compris les 10.000 fr.
de la Ville de Nantes, n'arrivaient qu'à un total de
20,412 fr. 97 et encore fallait-il y compter un don de
3,000 fr. dû à la générosité de M""' V^e Cambronne.
Or^ la statue coûtait 18,000 fr., le piédestal était éva-
— 320 —
lue à 13,000 fr., plus pour imprévu 300 fr., au total,
31,300 fr. Il manquait donc 10,887 fr. 03 pour achever la
statue .
Au point de vue artistique, les choses n'avaient pas non
plus marché toutes seules. De Bay, qui avait exposé sa statue
au salon de 1846, n'avait pas eu une bonne presse.
Gustave Planche qui faisait autorité, l'avait malmené
dans le salon de la Revue des Deux Mondes {¥ livraison^
15 mai 1846) :
La statue de Cambronne de M. De Bay, est une eri'eur que j'ai
peine à m'expliquer. De quelque côté, en effet, qu'on regarde
cette statue, il est impossible de trouver un ensemble de lignes
satisfaisant. Il y a dans l'attitude et la physionomie du général
une emphase théâtrale qui peut convenir au Cirque Olympique,
mais dont la statuaire ne saurait s'accommoder. La bravoure et
l'énergie de Cambronne, pour se manifester clairement, n'ont
pas besoin de cette pantomime exagérée. Si nous laissons de côté
la composition pour nous occuper de l'exécution des morceaux,
nous ne pouvons nous montrer moins sévère. Sa tête, les mains
et le vêtement sont restés à l'état d'ébauche. Si cette statue doit
être coulée en bronze pour la Ville de Nantes, l'auteur fera bien,
avant de la livrer au fondeur, do donner à la pantomime do sa
figure un peu plus de simplicité. Quant à l'exécution de la tète-
et des mains, je suppose qu'il ne la considère pas comme
définitive.
La commission s'émut de ces critiques. De Bay promit
des retouches, les fit et le 18 septembre suivant, il en-
voyait H Nantes une épreuve dagucrréotypée de la statue
modifiée, non sans solliciter l'examen définitif de membres,
de l'Institut.
L'épreuve plut, nviis, pour dégager sa responsabilité, I»
commission pria l'Académie de désigner trois de ses
membres en vue dun dernier examen, avant que la sta-
tue fût couléo' en bronze. Ce furent Nanteuil, Petitot et
— 321 —
Dumont, statuaires, que l'Académie investit de cette mis-
sion délicate. De Bay avait repris entièrement la figure
et, d'après les experts, les changements considérables
qu'il y avait apportés, l'avaient fort améliorée.
Le général Trezel qui avait autrefois présidé la com-
mission de Nantes, était au cours des années qui s'écou-
laient, devenu ministre de la guerre. Il avait connu Cam-
bronne, il alla voir dans l'atelier de De Bay la statue
rectifiée et il écrivit à la commission pour la tranquilliser
tout à fait.
C'est une belle œuvre, lui disait-il.
Plusieurs artistes de l'enom, entr'autrcs Horace Vernet^ font
grande estime du talent qu'a montré M. De Bay dans cette statue
<iu général Cambronne.
Il n'y avait plus qu'à en terminer. On fit, par raison
d'économie, un piédestal plus modeste, on supprima
d'abord deux des bas-reliefs promis à Suc et àMénard, puis
on les supprima tous quatre et c'est ainsi qu'on parvint à
joindre les deux bouts. Il est même probable que la
municipalité frappa encore à la porte de M"»® Cambronne.
Enfin, le 4 novembre 1847, le bronze arrivait à Nantes
par bateau à vapeur et, avec les moyens de déchargement
et de transport un peu primitifs de l'époque, il prenait le
chemin du cours Henri IV. La commission avait en effet
heureusement renoncé à l'emplacement choisi par elle.
Elle laissait la place Graslin libre et se décidait à ériger
la statue, non loin de là, au milieu du cours^ tournant le
dos au théâtre et aux visiteurs qui entrent par cette
porte du jardin, mais par contre en belle lumière et le
visage dirigé vers l'ouest, c'est-à-dire vers l'Angleterre,
face à l'ennemi que Cambronne avait combattu à
Waterloo,
21
— 322 —
Il ne restait plus qu'à attendre les beaux jours pour inau-
gurer la statue.
Le 4 mars 1848, séance extraordinaire du Conseil
municipal qui se réunissait à la suite de la chute de la
monarchie de juillet ; nous en détachons les lignes
suivantes :
Présidence de M. Ferdinand Favre
L'administration demande au Conseil de donner son approba-
tion aux plans adoptés par la commission pour le monument de
Cdmbronne ; cctto formalité est nécessaire afin que les sommes
dues aux entrepreneurs puissent être ordonnancées.
Celte approbation est votée par le Conseil.
Les travaux d'installation avançaient.
Une plaque de cuivre renfermée entre deux lames de
plomb avait été incrustée dans la première pierre des
fondations du monument du général Cambronne. Elle
portait cette inscription :
L'an 4847, sous le règne de Louis-Philippe 1er, cette première
pierre a été posée pour érection d'un monument national élevé
à la gloire du général Cambronne.
Etaient membres de la Commission de haut patronage chargée
de l'érection de ce monument, MM. :
De Bar, lieutenant-général, commandant la i2e division
militaire, président ;
Roulleaux-Dugage, préfet de la Loire-Inférieure, vice-prési-
dent ;
De Bréa, maréchal de camp, commandant le département ;
Ferdinand Favre, maire de Nantes.
L'inauguration du monument fut fixée au 23 juillet
1848. La municipalité invita les membres de la commis-
sion, les anciens volontaires de 1792 et de 1793 qui
avaient été les premiers compagnons d'armes de Cam-
bronne, M. Driollet, architecte-voyer, auteur du projet
— 323 —
du monument, M. Fouquet, ancien officier des armées
impériales, le doctem' Guépin, l'illustre Berryer qui avait
défendu Cambronne en 1816, le sculpteur De Bay, le
docteur Priou, enfin la veuve de Cambronne.
Malheureusement les graves événements politiques qui
venaient de se passer à Paris, absorbaient l'attention
publique. On inaugura quand même la statue, au jour
convenu, mais on pensait à autre chose et la mort du
général de Bréa qui venait d'être frappé à Paris, préoccu-
pait bien plus les esprits que le général Cambronne.
Néanmoins une grande revue de la garde nationale et
des troupes de la garnison fut passée sur le quai de la
Fosse, puis les autorités civiles et militaires, suivies
d'une foulô immense, se dirigèrent vers le cours où la
statue s'élevait, encore recouverte de son voile.
Le préfet s'adressa surtout aux chefs de corps et aux
officiers, non sans évoquer les journées de juin et la mort
du général de Bréa :
« L'intrépide guerrier dit-il, dont vous allez saluer tout à
l'heure l'image, plus heureux que le général de Bréa, finit pai-
siblement ses jours entouré de sa famille et de ses amis, et s'il
versa son sang pour la patrie, ce ne furent au moins ni des
armes, ni des mains françaises qui le firent couler. »
Le défilé commence et les différents corps se massent
autour de la statue. Le voile est enlevé, et le maire prie
le lieutenant-colonel de remettre aux vétérans de la
garde nationale, le drapeau que les volontaires ont reçu
de leurs frères de Paris.
Le maire, M. Evariste Colombel, s'avance alors au pied
de la statue. Lui aussi fait dans son discours un rap-
— 324 —
prochement tout indiqué entre le général de Bréa et
Gambronne.
Ce bronze, ajoutc-t-il, c'est l'image de ce soldat sans reproche,
qui prit sa large et digne part dans la grande épopée révolu-
tionnaire et impériale, c'est l'imago de ce guerrier qui fut entre
les mains de la providence, un des mille instruments de cette
propagande intellectuelle, dans laquelle chaque mousquet portait
avec sa balle une idée française. Avoir défendu son pays, c'est
li\ la gloire de Cambronne, c'est là la base de notre reconnais-
sance, base plus solide que le granit sur lequel sa statue
repose....
Si jamais les jours de danger revenaient, s'il fallait comme
Cambronne défendre son pays contre la guerre civile et contre
l'étranger, que le détachement qui partira porteur de ce drapeau,
se rappelle cette solennité ; qu'il parte avec le souvenir de
l'œuvre due à l'habile ciseau du citoyen De Bay ; la victoire lui
est assurée, car il saura comment on reçoit un drapeau, comment
on le défend, comment on l'étreint sur sa poitrine sans jamais
le rendre à l'ennemi. Vive la République !
C'est aux cris de vive la République ! vive Cambronne !
que s'acheva la cérémonie, non sans force félicitations au
sculpteur De Bay.
A l'heure où nous écrivons^ ce monument est un de
ceux qui comptent parmi les plus intéressants de Nantes.
Tète nue, foulant aux pieds des éclats de bombe, Cam-
bronne tient de la main droite sonépée nue ; de la gauche,
il serre sur sa poitrine l'aigle impériale, dont la hampe
s'est brisée dans la lutte. Sur ces lèvres, un sourire plein
d'amertume et d'ironie. II jette à la face des Anglais cette
parole de résistance et de défi, dont l'histoire a enveloppé
la triviale énergie dans une antithèse immortelle.
Nous serions incomplet si nous ne donnions les quatre
inscriptions gravées sur les cotes du piédestal de granit :
— 325 ~
Sur la face antérieure :
Names a l'Armék
Inauguré le 23 juillet i848
Sur la face postérieure :
La garde meurt et ne se rend pas
A Gambronne
Sur les deux faces latérales :
Volontaire nantais en iyg2
Waterloo i8i5
Une grillé de fonte, dont les angles sont surmontés
d'aigles entoure le piédestal.
CHAPITRE XXIV
HOMMAGES A CAMBRONNE
Il nous a paru intéressant de rechercher quels avaient
été, depuis lamortdeCambronne, les témoignages publics
ou privés de gratitude et d'admiration qui lui avaient été
décernés à diverses époques.
Nous consacrons des chapitres spéciaux à la bibliogra-
phie et à l'iconographie du général nantais, mais en
dehors des écrits et des images, peinture, gravure ou
sculpture, qui rappellent sa vie ou ses traits, il est d'autres
souvenirs qui méritent aussi une mention .
C'est ainsi que dès 1845, le nom de Cambronne fut
attribué par la municipalité de Nantes à une rue qui
s'amorçait au cours Henri IV et qui, élargie considérable-
ment et continuée depuis jusqu'à la rue de Flandres, est
digne de celui dont elle remémore les exploits.
Le cours Henri IV lui-même, devenue sous l'Empire
cours Napoléon et depuis 1870, cours de la République,
n'est en réalité jamais désigné par les habitants de Nantes,
malgré les plaques officielles, que sous le nom de cours
Cambronne bien justifié par la statue du général qui
occupe le point central de cette promenade.
Lorsqu'il y a quelques années, une décision du ministre
de la guerre donna aux casernes le nom des généraux qui
avaient illustré à la fois la France et leur ville natale, la
principale caserne de Nantes, connue jusque-là sous
— 327 —
l'appelation de caserne de Barbin à raison du quartier oij
elle était située, reçut le nom de caserne Gambronne.
C'est là qu'est installé le 60" régiment d'infanterie de
ligne.
A Paris, dans le XV^ arrondissement (Vaugirard), il n'y
a pas moins de trois voies publiques qui ont reçu le nom
de Gambronne :
La rue Gambronne ;
La place Gambronne ;
L'impasse Gambronme.
La rue, assez longue, puisqu'elle compte 127 numéros,
qui va de la place Gambronne à la rue de Vaugirard 230-
232 et la place qui se dessine à la rencontre des rues
Gambronne, Groix-Nivert, Frémicourt et de l'avenue
Lowendal, ont reçu leur dénomination par un décret
impérial daté de Saint-Gloud le 24 août 1864.
L'impasse doit la sienne à un arrêté préfectorar du 1"
février 1877.
Dans le Recueil des Lettres-Patentes, ordonnances
royales^ décrets et arrêtés préfectoraux concernant les
voies publiques, page 352, on lit :
Napoléon, etc.,
Sur le rapport do notre ministre, secrétaire d'Etat au départe-
ment de l'intérieur ;
Vu la délibération du Conseil municipal de Paris, en date du
20 mars 1863, relative à la révision de la nomenclature des voies
publiques connues sous les mêmes dénominations ;
Vu l'ordonnance du 40 juillet 1816 ;
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article premier. — Les voies publiques ci-après désignées de
la ville de Paris recevront les nouvelles dénominations portées
au tableau suivant :
(Suivent 196 changements do noms de voies publiques).
— 328 —
Au Xye arrondissement, la rue de l'Ecole devient la
rue Cambronne et la place de l'Ancienne Barrière de
l'Ecole devient la place Cambronne.
D'autre part, dans Xa. Nomenclature des voies publiques
et privées de Paris (4^ édition 1891, page 105), on trouve
que la rue Cambronne est ainsi appelée en mémoire du
« vicomte Pierre-Jacques-Etienne Cambronne, lieutenant-
général, 1770-1842 » et que le nom de Cambronne a été
donné à cet endroit, à cause du « voisinage de l'Ecole
Militaire. »
L'arrêté préfectoral du l^i' février 1877, signé Ferdinand
Duval qui dénomme l'impasse Cambronne, s'appuie aussi
sur le besoin d'éviter les confusions occasionnées par les
répétitions de noms. L'impasse Cambronne joint naturel-
lement la rue Cambronne.
Nous pensions que quelque rue de Noyon pouvait porter
le nom du général. Il n'en est rien, mais le maire de cette
ville songe à le donner à l'une des voies d'accès qui con-
duiront à une caserne en construction.
Des navires ont porté à plusieurs reprises le nom de
Cambronne. Nous en connaissons deux pour notre part,
le Cambronne, armateurs 3IM. Braheix frères, que com-
mandait en 1858 le capitaine Ravilly, et le Cambronne,
armateur M. Bâtard.
On distribua môme à Nantes il y a quelques années le-
prospectus d'un journal « fantaisiste et artistique » doat
la première fantaisie avait été de s'intituler : le Cam-
bronne. Peut-être en parut-il un ou deux numéros.
Cambronne était une physionomie trop populaire pour
ne pas inspirer quelque auteur dramatique. Sans parler
des pièces militaires relatives au premier Empire et dans
— 329 —
lesquelles il figure au second plan (1), nous connaissons
deux drames qui lui ont été exclusivement consacrés.
C'est d'abord Cambronne, drame en cinq actes et neuf
tableaux, dont l'auteur était M. Gaston de Riberprey.
Cette pièce au cinquième tableau de laquelle avait été
intercalé un pas de deux, la Dunkerquoise dansé par
M. Domingie et M"« Guichard, fut jouée pour la première
fois au théâtre Graslin, à Nantes^, le 22 janvier 1860. Le
héros eut plus de succès que la pièce, s'il faut en croire
le compte-rendu qu'en donna le lendemain le Phare de la
Loire et dont voici quelques lignes :
Le Grand-Théâtre adonné hier la première représentation d'un
nouvel ouvrage inédit en 5 actes et 9 tableaux, intitulé Cnm-
bronne. Les spectateurs avaient répondu en grand nombre à
l'appel de l'affiche et il s'en trouvait parmi eux plus d'un pour
qui le héros de la pièce était une connaissance personnelle et les
événements auxquels il allait cire mêlé des souvenirs. Le titre
du drame aussi bien que ceux dea tableaux annonçaient une
biographie dramatique du soldat dont la statue en bronze figure
depuis quelques années sur notre cours Napoléon ; l'attente a
été un peu trompée.
Cambronne n'apparaît le plus souvent que d'une façon épiso-
dique dans l'action laquelle n'est d'ailleurs par elle-mùmc qu'une
succession d'épisodes, plutôt que la chaîne fortement nouée
d'événements tendant à cette unité scénique sans laquelle il
n'existe pas au théâtre de véritable intérêt.
L'auteur nous montre Cambronne simple volontaire, puis
lieutenant, puis colonel et enfin général, traversant ainsi, mon-
tant de grade en grade, la période de 1792 à 181S. Pendant cette
carrière militaire, Cambronne est constitué pi'otecteur d'ua
(1) A l'heure même où paraît ce livre, une épopée militaire intitulée
Napoléon fait courir tout Paris à la Porte-Saint-Martin.
Le clou de cette pièce est précisément la Défense du Dernier
Carré. L'acteur chargé du rôle de Cambronne y crache le fameux
mot à la figure des Anglais.
— 330 —
jeune homme, soldat comme lui et d'une jeune fille opprimée
par un scélérat de la plus laide espèce. Voleur et assassin, ce
misérable joue, en outre, avec un subalterne, son complice,
lequel ne lui cède en rien, un rôle de traître consommé. A
Jemmapes, en Espagne, à Waterloo, l'un et l'autre se prodiguent
pour amener le triomphe de l'étranger et la défaite de la France.
... Les tambours, les clairons et la fusillade font un tel bruit
dans Cambronne qu'ils ont empêché à la fin d'entendre la fameuse
phrase : « La garde meurt mais ne se rend pas » que la postérité a
euphémiquement substituée au mot historique par lequel le général
répondit à la sommation de l'ennemi. Cette phrase était cepen-
dant le dénouement de l'ouvrage qui a paru n'en pas avoir.
Les deux premiers tableaux sont les mieux faits de Cambronne.
L'action s'égare après, sans qu'on puisse dire si elle suit le
héros ou si c'est le héros qui la suit. On voit bien s'agiter les
personnages du drame, mais on ne sait pas trop par quelle
puissance supérieure ils sont menés...
En 1884, nouvelle tentative dramatique pendant la
saison d'été. Un des artistes de la troupe, M. Champagne,
brossa en deux temps et trois mouvements, Cambronne
ou le héros nantais, pièce historique à grand spectacle,
en trois époques et deux tableaux dont voici quelle était
la distribution :
Cambronne MM . Dorn
Le Nantais Champagne
Esaii E. Lassalle
Coco l'Amour Tony
Pitanchu Praud
Baco Desban
Bernadette Bricaire
Carrier Bonis
Masséna Bristol
Porhouet Bresset
La Tour d'Auvergne Bandés
Le comte Nerestaud
Le marquis Lebat
Le major Hortais
Lord Seymour Jamain
Mraes Dorn-Geslin
~ 331 -
Le général russe MM. Carreau
Un paysan Souis
Un sectionnaire Lebat
Un soldat Poncha
Un breton Nerestaud
Un vendéen Bresset
Un général Hortais
Mme Gambronne
La France. .
La comtesse d'Aulnay Mass
Simonette Tony
Marie Gautier de Lonele
Marguerite Bonis
Marthe Carreau
Ir* femme du peuple Brionne
2e femme du peuple Adrienne
Cette fois, les tambours, les clairons, la fusillade ne
firent pas un bruit tel que le mot historique ne pût être
entendu. L'auteur chargé du rôle de Çambronne le lança
à bout portant aux troupes anglaises, mais la pièce était
si faible comme intérêt et comme action qu'elle ne tint
pas longtemps l'affiche.
Qui le croirait? Gambronne a enrichi la langue fran-
çaise. Dans une notice publiée sur lui, le Cabinet histo-
rique se sert quelque part de l'adjectif : cambronien
comme il se fût servi de cornélien, pour indiquer un acte
digne de Gambronne et vous trouverez à la page 60 des
Locutions nantaises de Paul Eudel (Nantes, 1884, Morel,
éditeur)^ ces deux lignes significatives :
Encambronner. — Allusion au mot fameux du général
nantais. « Tu m'encambronnes. »
Ce vocable facile à traduire, nous rappelle la définition
un peu grasse, mais amusante, que nous avons un jour
entendu faire devant nous de Gambronne .•
— Célèbre général français qui, heureusement pour
lui, ne mâchait pas ses mots.
CHAPITRE XXV
LA SUCCESSION DE M">e CAMBRONNE
Le général Gambronne était mort sans héritier à réserve^
Ce fut donc sa veuve qui, en qualité de légataire univer-
selle, entra en possession de ses biens dont nous trouvons
l'analyse dans la déclaration de succession qu'elle fit en
personne et dont voici la substance :
Mobilier à M. Cambronne 4,7S0fr.
Armes et vêtements 500
Prorata de pension militaire 320
Créances hypothécaires sur divers et intérêts 82,806,43
Prorata d'immeubles à Noyon 100
88,476,43
Elle avait du reste fait les choses en règle, dépôt des
testaments de 1826 et de 1835, notoriété, certificat de
propriété pour la pension militaire etc. (1)
Mais il fallait aussi que M™® Gambronne songeât à re-
commencer son testament, puisque son mari l'avait pré-
cédée dans la tombe. G'est ce qu'elle fit par un acte
olographe dont le modèle lui avait été sans doute fourni
par quelque homme d'affaires et qui porte la date du 22
février 1843, En voici le libellé dont nous avons tenu à
respecter l'orthographe:
MES DERNIÈRES VOLONTÉES
Comme il n'y a rien d'aussi certain que la mort et d'aussi in-
certain que le moment où elle doit venir, je veux dès à présont
(1) Actes au rapport de M<^ Chaillou, notaire à Nantes, 4, 12, 16, 26
février, 10 mai, 9 juin 1842, dont les minutes sont conservées en
l'étude de M* Ertaud, titulaire actuel de cette charge.
— 333 —
et par pure prévoyance de l'avenir disposer de mon avoir pour
le temps où je n'existerai plus.
En conséquence je donne et lègue aux enfants des deux filles
de feu mon mari John Sword de Glasgow en Ecosse, l'aînée
Marguerite Sword, mariée à M. Stuart, d'Overton près de
Glasgow, la plus jeune mariée à M. Stuart, de Carfm aussi près
de Glasgow, la somme de quatre vingt mille francs qui seront
également partagés entre les enfants des dites deux filles de feu
mon mari John Sword.
Je lègue à M. François Lemerle, neveu du général Cambronne,
artiste, de présent h Paris, la propriété de Dives située près de
Noyon, ainsi que le portrait de la mère du général Cambronne.
La nue propriété de la Baugerie située sur la côte St-Sébastien
a été donnée par contrat de mariage à M">e Roussin, mais le vin
et tout le mobdicr qui pourront s'y trouver à mon décès m'ap-
partenant devront en être retirés et vendus.
Je donne à Louis Pasquet, mon jardinier la somme de deux
mille francs net.
Je donne à Marie Odigan, ma cuisinière également deux mille
francs net.
Jo donne à Mario Chopin, ma vachère, aussi une somme de
doux mille francs nel. Ma succession suportera les droits et frais
que pourront occasionner ces trois legs^ ce que je laisse ci-dessus
à mes trois domestiques ne leur reviendra bien entendu qu'au-
tant qu'ils seront restés à mon service lors de mon décès autre-
ment ils n'auront droit à rien.
Je donne à M. François Bui'eau, commis de M. Wack, une
somme de deux mille francs net.
Je donne à M. Emile Wack, coui'tier, agent de change que je
aiommc et institue mon exécuteur testamentaire la grande pendule
qui est dans mon salon avec les candélabres, une somme de six
mille francs pour l'indemniser des peines et soins que lui cause-
ra les commissions dont je le prie de se charger pour faii'c exé-
cuter mes dernières volontés. Ceci n'est qu'un faible témoignage
de la haute estime que le général et moi avons toujours conçue
pour lui.
Je donne et lègue à M'ie Elise Collet, une somme de dix mille
— 334 —
francs, comme étant la fille de l'homme le plus honnête et le
plus estimable que je connaisse.
Je donne à Mme Chauvot Clavier, ma garde-robe et mon por-
trait en souvenir de toutes les bonnes attentions qu'elle a cons-
tamment eues pour moi, qu'elle en trouve ici toute la reconnais-
sance d'un cœur qui a bien su l'apprécier.
Je donne à l'école protestante de cette ville une somme de
trois mille francs qui sera emploiée par M. Rousselet, ministre
protestant en acquisition d'une rente pour l'usage de la dite école
Telles sont mes dernières veloutées. Fait à Nantes, le 22 février
1843.
Veuve CambronnEj née Osburn.
M™e Gambronne mourut le 4 janvier 1854, sans avoir
remanié son testament. François Lemerle, neveu du gé-
néral, qui y était porté, était mort l'année précédente.
Le portrait de M»»* Gambronne mère qui lui avait été légué
resta la propriété de la famille Koussin, qui le possède
toujours.
On ne connaissait pas d'héritier à Mni« Gambronne. La
succession fut donc déclarée vacante par jugement du
tribunal civil de Nantes du 23 mai suivant. Un autre juge-
ment du 15 juin nomma M. Brindejonc, avoué, comme
administrateur de cette importante succession qui avait
fait, entre temps, l'objet d'une demande d'envoi en poses-
sion provisoire de la part de l'administration des
Domaines.
Cependant un inventaire avait été dressé presque au
lendemain du décès par les soins de M« Boiscourbeau,
notaire, commis par justice. (1)
Nous avons extrait de ce document les articles suivants
qui nous ont paru curieux à divers titres, comme se rap-
portant plus spécialement au général :
(1) Cet inventaire porte la date des 11-13 janvier 1834.
— 335 —
Mobilier trouvé au domicile de ilfme veuve Cambronne.
Deux pistolets à pierre, estimés 12 fr.
Le portrait du général Dumoustier, celui de Robert Gra-
hamine et le daguerréotype de la statue du général Cambronne
sur le cours Napoléon, estimés 10 fr. *
Armes d'honneur, décorations et objets divers ayant apparte-
nu au général Cambronne.
Deux bustes, l'un du général Cambronne par Suc, et l'autre
du général Dumoustier, un portrait gravé du général Cambronne,
deux épaulettes en argent doré, un chapeau galonné, une épée,
un sabre, une boite de pistolets, un crachat, quatre croix, un
petit lot de rubans rouges, deux médailles de bronze et un
double poignard, le tout estimé 100 fr.
Mobilier trouvé à La Baugerie.
Unfusil simple à répercussion, garni en argent, estimé IS fr.
Papiers de famille.
Titres de la propriété de Dives, près de Noyon et le portrait
de la mère du général Cambronne, légués à Fx-ançois Lemerle,
neveu du général.
Contrat de mariage.
Acte du mariage civil du 10 mai 1820.
Acte du mariage religieux, célébré à Noyon, le 22 juillet
1820, à l'église catholique de cette ville.
Testaments du Général.
Testament du 2o septembre 183S, au rapport de M« Barailler,
notaire.
Testament olographe du 1er janvier 1832, conçu en termes
identiques à celui de 1833.
Trois autres testaments en date de Lille, le 11 septembre
1821, le 1er janvier 1822, le 14 mai 1822, dans lesquels Mme
Cambronne était instituée légataire universelle de son mari.
Testament de Mme PoUock, sœur de Mme Cambronne, par
acte du 8 mars 1823, au rapport de Me Barailler, notaire à
Nantes.
— 336 —
Titres de propriété'.
Titres de la propriété de Bussy, commune de Bussy, arron-
dissement de Compiège, suivant acte de vente à M. et M^e
Cambronne, moyennant 30,000 francs payés comptant, par acte
da 12 novembre 1820, au rapport do M^ Richartet son collègue,
notaires à Noyon.
Titres de la propriété de Dives, commune de ce nom, suivant
acte de vente à M. et M"'^ Cambronne, moyennant 4,730 francs
payés comptant, par acte du 3 juin 1821, par M^e Justine
Cambronne, épouse autorisée d'Armand-Pierre Le Merle, qui
était propriétaire de la moitié indivise de cette propriété trou-
vée dans la succession de Mme Druon, veuve Cambronne.
Titres de la métairie de la Louzinière, communes de Saint-
Etienne-de-Mont-Luc et de Couëron, acte du 25 mai 4824, de
6,000 francs au rapport de Me Barailler.
Bail de l'appartement de Mme veuve Cambronne, moyennant
9S0 francs.
Pension viagère sur l'Etat de 1,000 francs, à Mme veuve
Cambronne.
Etats de service et autres papiers relatifs à la personne du
général Cambronne.
Pièces relatives au tombeau du général Cambronne et à
l'érection de sa statue sur le cours Napoléon
Pièces relatives au legs de l'empereur Napoléon, au profit du
général Cambronne.
Nous avons rendu visite à M. Boiscourbeau, ancien
notaire, rédacteur de cet inventaire, mais il n'a pu nous
dire, vu le long temps écoulé depuis 1854, ce qu'étaient
devenus les papiers mentionnés dans ce document. Nous,
aurions été curieux de connaître les pièces relatives à la
personne du général Cambronne, au legs que lui avait
consenti l'empereur Napoléon à son tombeau, à Térection
de sa statue.
Où sont ces papiers de famille ?
Cependant les légataires institués par le testament de
— 337 —
1843 se présentaient à radministrateur de la succession.
C'était pour le legs de 80.000 fr. fait aux enfants des deux
filles de M. John Sword, précédent mari de la testatrice :
lo Mme Marie Stewart, épouse de James Sword, écuyer
autrefois à Werthhown , propriétaire à Edimbourg ;
2° Robert Stewart de Garfm, propriétaire à Swerbword,
comté de Linbithgow (Ecosse) ; 3° John-Henry Stewart,
écuyer, demeurant à Edimbourg, Norton-place, n» 2 ;
4.0 ]viine 3iary-Anne Sword, veuve du docteur James-Fré-
déric Stewart, en son vivant chirurgien au Bengale,
demeurant à Edimbourg, Dean-Terrace, n» 13, agissant
comme tutrice légale de d'ie Constance Stewart, sa fille
mineure.
C'était pour un legs de 10.000 fr., M'"e Elise Collet,
devenue épouse de M. Valéry Chenel-Lagarde, architecte
à Paris.
jyjme veuve Chauveau, née Marguerite-Louise-Claude
Clavier, réclama la garde-robe de Mme veuve Cambronne,
qui lui fut remise. M"*« Chauveau était la petite-fille de
Clavier, receveur d'enregistrement sous la Révolution et
de Lory qui prit part, comme délégué de Nantes, à la fête
de la Fédération le 14 juillet 1790. L'un était son aïeul
paternel, l'autre son aïeul maternel. Elle avait épousé
Chauveau, officier de marine, qui ne fut marié que quel-
ques mois et mourut dans un naufrage sur le rocher du
Chien, en vue de Noirmoutier. M"^'^ Ïhomas-Lory, nièce
de M™« Chauveau, demeurant à la Montagne près Nantes,
possède encore une mèche de cheveux du général et les
dent€lles données par Cambronne à sa femme à l'occasion
de leur mariage.
M. Paul-Emile Wack avait droit, comme exécuteur
22
— 338 —
testamentaire à 6.000 fr. et à une pendule avec ses can-
délabres.
Le Conseil presbytéral de l'Eglise réformée de Nantes
réclama les 3.000 fr. qui lui avaient été légués.
Il fut fait droit à ces diverses demandes en délivrance
de legs qui allaient à un chiffre total de près de deux cent
mille francs, puis l'Etat mit la main sur le reste, sauf
à l'administrer pendant trente ans pour permettre aux
revendications même les moins probables de se produire
Qui le croirait? Il s'en produisit de la part d'une héri-
tière prétendue de M^e veuve Cambronne.
Un long procès s'engagea au sujet de cette réclamation
devant le tribunal civil de Nantes qui statua finalement le
ISavril 1872parunjugement curieux aux termes duquel la
demande était repoussée. C'était une dame Christina
Osburn, veuve Daniel Wright, demeurant à Glasgow qui
«e disait parent« au cinquième degré de M'"^ Cambronne,
mais des actes de naissance et de baptême produits pour
établir l'arbre généalogique, plus encore de l'absence de
certaines pièces, notamment de' l'acte de naissance de
M'"^ Cambronne, le tribunal inféra que la parenté légitime
entre la défunte et sa prétendue héritière n'était pas
établie.
Me Coquebert avait plaidé pour M^» Wright, M^ Wal-
deck-Rousseau pour l'Etat qui gagna son procès et
demeura en possession de toute cette fortune jusqu'au 4
(1) Actes au rapport de M* Boiscourl>eau, notaire à Nantes — 12
juillet, 12 aortt, 31 août, 16 et 12 septembre 18:j4, 8 février, 8 mars,
23 et 28 juin, 4 juillet 183o.
La Baugerie fut vendue moyennant 40.000 fr. à M. llippolyte
Roques et à dame Julie Babin, son épouse.
— 339 —
janvier 1884, date à laquelle ses droits se trouvèrent
consolidés par l'échéance des trente ans écoulés depuis la
mort de M™^ Cambronne.
A cette époque, le compte fut arrêté par l'administra-
tion des domaines aux chiffres suivants :
Recettes 110.571 fr. 35
Dépenses , 8.093 48
C'était donc un héritage de plus de 100.000 fr. nets
qui revenait à l'Etat.
Détail curieux, malgré l'affection que M. et M™^ Cam-
bronne éprouvaient l'un pour l'autre ils ne reposent pas
dans le même tombeau. Elle est ensevelie pourtant comme
lui au cimetière de Miséricorde^ mais dans l'enclos réservé
au culte protestant. Le monument sans caractère qui
recouvre ses restes mortels porte l'inscription suivante :
A LA MÉMOIRE
DE MADAME LA VICOMTESSE CAMBRONNE
NÉE MARIE OSBURN
Veuve du général de la Garde Impériale
de Napoléon /*"",
Décédée le 4 janvier i854
C. A. P. no 3.417.
CHAPITRE XXVI
BIBLIOGRAPHIE
Procès du général Cambronne, commandant de la
légion d'honneur, contenant toutes les pièces, interroga-
toires, débats, rapports, plaidoyers de la procédure.
In-8°. Paris 1816. Impr. Fain, place de l'Odéon. Se
vend chez L'huillier, libraire, rue des Maçons-Sorbonne,
1, chez Delaunay, libraire, Palais-Royal et chez Pillet,
libraire-imprimeur, rue Christine, 5.
Le compte-rendu du procès est le compte-rendu offîcieL
Il y a une préface intéressante.
Ce livre se trouve au British Muséum de Londres, il est.
catalogué comme suit : Waterloo 282. i, 19.
D'après une note bibliographique d'OEttinger (1866)
l'auteur de cette brochure serait Evariste Dumoulin.
Procès du maréchal de camp baron Cambronne^
précédé d'une notice histerique sur cet officier général.
Paris, Doublet. 1816, in-8«, 80 pp.
Ce livre se trouve à la Bibliothèque publique de Nantes.
Il est catalogué tome VI, no 57.504.
Procès du maréchal de camp, baron Cambronne,
précédé d'une notice historique très détaillée sur la vie et
le caractère de cet officier général, par L. Th'*M816.
Cet ouvrage contient les interrogatoires, les pièces du
procès, les débats, le discours du rapporteur, le plaidoyer
entier de M^ Berryer, le jugement et le pourvoi.
— 341 —
A Paris : chez Plancher, éditeur, rue Serpente n" 14;
Eymery, libraire, rue Mazarinen» 30 ; Delaunay, libraire,
.au Palais-Royal.
A Bruxelles, chez Lecharlier, libraire.
Plaquette de 20 c/ s/12 contenant 80 pages ; c'est un
în-16. La dernière porte cette mention : De l'imprimerie
de Doublet, rue Gît-le-Cœur, n** 7.
L'auteur en est Léon ïhiessé.
Procès du général Cambronne, commandant de la
Légion d'honneur (Paris 1816 in-8o) par Henri de La-
touche,
Il en parut une seconde édition en 1822.
Mémoire pour le maréchal de camp Cambronne.
Paris, sans date (probablement 1816). Porthmann, in-
40 (1 page),
Ce document devrait figurer à la bibliothèque du minis-
tère de la guerre. Il est mentionné au n» 273 du volume
V du catalogue du dépôt de la guerre, v° Sciences histo-
riques, au chapitre intitulé ; Mélanges historiques, mais
il a été égaré ou emprunté par un lecteur qui a négligé
de le rendre.
La vie militaire de Cambronne, maréchal de cam (sic)
contenant la relation de ses campagnes, en Allemagne et
en Suisse, de son action mémorable à la bataille de
Waterloo, suivie de son procès devant le Conseil de
guerre de la l''*' division militaire du département de la
Seine, avec le jugement qui le renvoie absous et ordonne
son élargissement, par CD. — Paris, Locart et Davi,
I822. in-i2, portrait, lo^ pp.
Ce livre figure à la Bibliothèque nationale no 3.457 et
à la Bibliothèque publique de Nantes n^ 57. 505.
— 342 —
La Bibliothèque nationale en possède une autre édition
de 1827, sortant de la même imprimerie.
Réception et adieux des braves habitants de Bordeaux
au brave général Cambronne.
Toulouse, imprimerie Beniehet aîné, rue de la Pomme,
22, s. d., pièce in-S".
Cette pièce qui n'est qu'un extrait de l'Indicateur
Bordelais fut sans doute imprimée vers 1818 lors du
voyage de Cambronne à Bordeaux.
Elle figure à la Bibliothèque nationale, nous l'avons
reproduite au cours de ce récit.
Histoire du Général Cambronne, commandant de la
Légion d'honneur.
Paris, chez les marchands de nouveautés, 1845. Impr.
de P. Baudouin, r. des Boucheries-Saint-Germain. In-18°,
104 p.
Il y eut de cette plaquette une seconde édition absolu-
ment identique, en 1846. Elle figure à la Bibliothèque
Nationale sous le n** 3458.
Une mauvaise gravure sur bois, assez curieuse du reste,
orne le verso de la page de titre.
Au Roi, en son Conseil d'Etat. Requête pour M. le
comte Michel, capitaine au 45« de ligne, en garnison à
Bordeaux, et M. le baron Michel, auditeur au Conseil
d'Etat, sous-préfet de l'arrondissement de Bar-sur-Aube,
contre une ordonnance royale du 5 décembre dernier qui
autorise la ville de Nantes à ériger un monument au
général Cambronne et à faire graver les mémorables
paroles : La Garde meurt et ne se rend pas (Signé A.
Labot, avocat).
Paris, imp. de Locquin (1845), '\n-¥. Pièce.
— 343 —
Ce document figure à la Bibliothèque Nationale sous le
Bo 34o9.
Il en fut fait en 1852 une seconde édition, (impr. de
veuve Dondey-Dupré), sans doute pour la satisfaction de la
famille du général Michel, car la cause était entendue.
La Bibliothèque Nationale possède aussi un spécimen de
cette seconde édition.
Enfin, les Archives de la Mairie de Nantes (dossier de la
statue de Cambronne) possèdent le même document (grand
in-4°, 8 pp. sans date), mais autographié chez Denize et
Capitaine, plaint Saint-Germain-l'Auxerrois, 31, à Paris.
C'est la pièce qui faisait partie du dossier de la Ville.
Souscription nationale pour l'érection d'un monument
à la mémoire du général Cambronne.
Nantes (1845) s. date ni nom d'imprimeur. Grand in-4».
C'est le spécimen des listes de souscription, précédé
d'un appel chaleureux aux patriotes français, qui furent
imprimées à Nantes par les soins de la municipalité et
répandues dans le public. Les archives de la mairie de
Nantes en possèdent un exemplaire.
Notice sur le général Cambronne, à l'occasion de
l'inauguration de sa statue sur le cours Napoléon, à
Nantes, par le D"" Priou.
Nantes, impr. W. Busseuil, juillet 1848, in-ÂP, 5 pp.
avec la statue de Debay, lithogr., par A. Meuret, gravée
par Charpentier.
Le texte est imprimé sur deux colonnes : la page 5 est
imprimée sur le recto intérieur de la couverture rose. La
brochure datée comme suit : 22 juillet 1848 et signée :
Priou, médecin, contient des détails intéressants sur la
vie intime de Cambronne ainsi que quelques anecdotes
— 344 —
que l'auteur avait recueillies de la bouche même du gé-
néral.
La Bibliothèque Nationale (sous len» 3,460) et la Biblio-
thèque publique de Nantes (sous le n» 57,506) possèdent
un exemplaire de cette plaquette, qui se vendait 25 cen-
times au profit des pauvres.
Vie de Cambronne, par Frédéric Rogeron de La Vallée,
avec cet exergue : « Il fut bon fils, bon époux et versa
son sang pour la patrie. »
Nantes, impr. Charpentier, 1853, gr. in-S", portrait
dessiné et lith. chez Charpentier, 240 pp.
La Bibliothèque Nationale (n» 3,461), la Bibliothèque
publique de Nantes (n» 57,507)^ le British Muséum de
Londres possèdent ce livre qui se fait rare.
Ce livre — dont les 17 premières pages sont, on ne
sait trop pourquoi, consacrées à une défense du prince
Louis-Napoléon, que l'auteur avait déjà publiée au Mans,
le 2 décembre 1848, et qu'il crut bon de rééditer en 1853
— est dédié à Madame la vicomtesse veuve Cambronne.
L'auteur Frédéric-René Rogeron, né à Blaison (Maine-
et-Loire), n'avait que vingt-cinq ans quand il écrivit cet
ouvrage. Il était alors premier clerc dans l'étude de Me
Joiion, notaire à Nantes, à qui M^e Cambronne confiait la
gestion de sa fortune. C'est dire qu'il se trouvait en
rapports constants avec elle et qu'elle dut relire les
épreuves du livre avant le bon à tirer peur vérifier
l'exactitude du récit. C'est ce qui nous donne à penser
que les faits y sont généralement vrais, malgré d'indis-
cutables erreurs.
Mais l'ouvrage aurait été plus intéressant encore, d'une
part si l'auteur avait consulté et publié tous les papiers
- 345 -
■du général Cambronne, alors aux mains de sa veuve,
puisqu'ils furent inventoriés l'année suivante (1854),
quand elle mourut à son tour, de l'autre s'il n'avait pas
prodigué au général des flatteries ridicules et empha-
tiques.
Cambronne, notes et documents inédits par S. de la
jSficollière-Teijeiro, archiviste de la ville de Nantes.
Vannes, librairie Lafolye, 1892, gr. in-8o 32 pp., avec
vignette représentant les armes de Cambronne et photo-
graphie hors texte, reproduisant des armoiries dessinées
par lui.
Cette brochure renferme différents documents inédits
-que nous avons indiqués au cours de notre ouvrage.
. Nous ne comptons que pour mémoire les très nom-
breux articles publiés sur Cambronne dans les journaux,
les dictionnaires et revues encyclopédiques, les livres
jnème, mais concurremment avec autre chose. Nous
n'avons voulu signaler que les écrits qui avaient été
consacrés au héros nantais, mais à lui seul, sans le mêler
-à d'autres personnages de la même épopée.
CHAPITRE XXVIl
ICONOGRAPHIE
il nous a paru intéressant d'ajouter à cette histoire
une revue iconographique destinée à noter les nombreux
portraits, dessins, gravures, tableaux où le général Gam-
bronne a été représenté. Nous avons emprunté, pour
vingt-sept de ces portraits, les renseignements que nous
a fournis V Iconographie Bretonne du marquis de Granges
de Surgères (1), en les complétant sur quelques points de
détail, mais nous avons eu la bonne fortune de pouvoir
ajouter à cette nomenclature d'autres pièces qui font
monter au chiffre de 63 (et encore n'avons nous pas la
prétention d'avoir tout enregistré) le nombre de portraits
du général Gambronne.
Rien ne saurait mieux témoigner suivant nous, de sa
popularité.
Gravure, Peinture, Dessin.
LE GÉNÉRAL SEUL
Portraits in-folio
1. — N (Mi'« Mayer). A Paris, chez l'auteur, rue des
Francs-Rourgeois Saint-Michel, n» 6. Médaillon rond
dans un encadrement carré. De 3/4 à gauche. Gravure
au pointillé.
2. — M. de Surgères signale une épreuve de même
format et de même édition, mais presque de face et dont
il possède, dans sa collection, une épreuve coloriée.
(1) Rennes, J. Plihon et L. Hervé 1888, p. 93.
— 347 —
3. — H. Grevedan 4826. — Lith. de Senefelder. Claire-
voie de 3/4 à gauche.
4. — Chez Roiné et Dumoutier, fabricants de cartes à
jouer, de dominoterie, de pain d'autel et de pain à
cacheter, pont d'Erdre à Nantes : in-folio. Le « baron de
Cambronne », debout, nu-tête, en tunique bleue, en
culotte de peau, botté, l'épée au clair dans la main droite,
la gauche en l'air, comme s'il criait : en avant ! Quelques
grenadiers au second plan ; au fond, un anglais, un habit
rouge blessé ; plus loin encore quelques accessoires mili-
taires ; un canon, des boulets empiléS;, une redoute (1).
La notice qui accompagne cette image est ainsi conçue :
Lorsqu'à Waterloo la mitraille ennemie moissonnait partout
nos braves, le général Cambronne s'étant avancé avec quelques
uns des siens, fut sommé de se rendre.
— La garde meurt, elle ne se rend pas, répondit-il, et ce cri
immortel fut répété dans tous les rangs. Ils ne pouvaient plus
vaincre, ils marchèrent à la mort.
A droite et à gauche est imprimé le document que
voici :
Chanson nouvelle
Air : Plaignez mon existence.
L'on rappelle à jamais les hauts faits
Des guerriers pour toujours célèbres dans l'histoire.
L'avenir aura peine à le croire.
Ce que firent nos braves français.
Ne voulant ni fuir, ni se rendre.
Etant aux portes du trépas.
Aux Anglais ils firent tous entendre :
La garde meurt et ne se rend pas.
{i) Nous connaissons un bel exemplaire de cette image qui appar-
tient à M™« Vaugeois et figura en 1886 à l'exposition rétrospective
du cours Saint-André, à Nantes et en 1893, au musée du Centenaire
de la Révolution de cette même ville.
— 348 —
Au Mont-Saint -Jenn, cette grande bataille
Que Von surnomme Waterloo,
Où l'on vit cette vieille garde
Affronter des dangers nouveaux.
Ne voulant ni fuir, ni se rendre
Etant aux portes du trépas.
Aux Anglais ils firent tous entendre :
Li garde meurt et ne se rend pas.
Etant au milieu du carnage,
Cambronne s'écria : — Soldats,
Imitez-tnoi pour le courage,
Bisons : « Mourons et ne nous rendons pas »
Ils se sont écriés tous ensemble :
Oui, nous subirons le trépas,
L'Anglais entend cette voix touchante :
La garde meurt et ne se rend pas.
Wellington, surpris de leur courage
Leur envoie dire : — Braves soldats
Evitez-moi pour le carnage,
Rendez- vous, vous ne pourrez mieux faire
Venez à moi, car je vous tends les bras,
L'Anglais entend cette voix tendre et fière :
La garde meurt et ne se rend pas.
Le lendemain de la bataille
On voit nos guerriers expirés
■ Hachés, criblés par la mitraille.
Entourés de nouveaux lauriers,
Ces guerriers embrassant leurs armes
Semblent jurer qu'ils ne les rendront pas.
Anglais, ici pour l'honneur des armes
La garde meurt et ne se rend pas.
5. — Martinet del. A Paris, chez Gharon, graveur.
Buste in-12, sur un socle, dans une pièce carrée en lar-
geur. Lavis.
— 349 —
6. — Carrière 1834. Lith. de Uopter. Claire voie 3/4 à
gauche.
7. — Maurin. I.-Lith. de Delpech. Belle lithographie
que la bibliothèque publique de Nantes possède dans ia
collection Labouchère. Cambronne y est représenté jeune
encore ou du moins sans rides, ce qui donne à sa physio-
nomie un air de bienveillance et de beauté que ne rendent
pas ses autres portraits. Nous en possédons un bel
exemplaire.
8. — M. de Surgères signale, comme sortie de la fa-
brique de Pellerin, à Epinal, une image en couleurs dans
la collection de la Gloire de la France. Il ajoute que ce
portrait est très laid.
9. — Gloire Nationale. Le g»* Cambrone (sic) B. Thié-
bault sculpsit. De la fabrique de Lacour et C'** à Nancy.
Image coloriée de 56 s/36. Le cadre est une sorte de
passe-partout comprenant en haut un aigle tenant entre
les serres la couronne impériale avec accompagnement de
lauriers, de foudres et de clairons et sur les côtés deux
colonnes surmontées d'une Renommée et ornées de pano-
plies et de drapeaux avec les noms suivants : Dego, Mil-
lésime, Mondovi, Lodi, Wagram, Arcole, Rivoli, Marengo,
ïéna, d'une part, et de l'autre : Vigo, Montenot (sic),
Lonato, Lutzen, Austerlitz, Hanau, Dresde, MontmiraM et
Ligny.
Au bas, la môme notice qu'au numéro 4.
Cambronne est debout, très ressemblant, la figure
tournée à gauche. ïunique bleue, culotte blanche, bottes,
en uniforme de général. La main gauche tendue, la droite
baissée tenant un sabre au clair. Au fond, les grenadiers
français en bleu, les anglais en rouge : (piclques soldats
français blessés ou morts.
— 350 —
Nous possédons un bel exemplaire de cette image.
10. — Le général Cambronne né à Nantes le 26 dé-
cembre 1770. A Paris, chez Martin, Palais de Justice,
no 4. Déposé, — Cambronne est vu de face. (Collection
A. Dortel, Nantes).
11. — Sehira sculpsit. — Portrait in-folio (collection
Kerviler).
Portraits in-4^
12. Mulnier fils pinx. Bosselman sculp. Ovale.
Bon portrait avec la mention suivante : P. J. Etienne
Cambronne, né à Nantes, le 26 décembre 1770, et une
épée nue entourée d'une couronne dans un rayonnement
lumineux.
Plus bas : A Paris, chez Daudet l'aîné, rue du Petit-
Lion-Saint-Sauveur, n° 19, et à Nantes chez Mulnier fds,
peintre et professeur de dessin. — Déposé au Bureau des
Estampes. Imprimé par Bocourt,
13. — Même portrait, même format, mais le nom, les
prénoms, les indications de lieu et de date de naissance
de Cambronne, le nom et l'adresse de Mulnier, le nom de
Bocourt, l'imprimeur, ne figurent pas. Epreuve avant la
lettre.
14. — Alfred D. 1823. Claire-voie dirigé à gauche.
15. — N. Lith. de Villain. Dirigé à droite.
16. — N. Lith. de Ducarme. Claire-voie : de 3/4 à
gauche, dans la Galefie universelle de Blaisot.
*W. — A. Meuret del, d'après Debay. Lith. Chapentier,
à Nantes.
C'est la reproduction de la statue érigée en 1848 sur le
cours de la République à la mémoire de Cambronne et qui
figure, hors texte, dans la Notice sur le général Cam-
— 351 —
bronne à l'occasion de l'inauguration de sa statue sur
le cours Napoléon, à I\antes, par le docteur Priou.
Au verso de la première page de la couverture, se trouve
cette mention :
EXPLICATION DE LA GRAVURE
Le général Gambronne est représenté pressant sur son
cœur un drapeau, dans une attitude de défense, à cet ins-
tant solennel où, sur le champ de bataille de Waterloo, la
garde impériale fit entendre, par sa bouche, sa dernière
parole : La garde meurt et ne se rend pas.
P.-J.-E. Gambronne
(1770-1842)
Portraits in-8°
18. — Forestier, sculp. Ambroise Tardieu, direxit.
Glaire-voie de face.
19. — Lith. de J. de Sandobal. Dans un encadrement
ovale.
20. — I. Lith. de Delpech. Reproduction du numéro
précédent.
Dessiné et lith. chez Charpentier, à Nantes, 1853. Glaire-
voie; regarde de face.
Gambronne porte en sautoir les insignes de comman-
deur de la Légion d'honneur. Ge portrait figure dans
l'ouvrage de Rogeron de La Vallée.
21. - G. Staal del. Geoffroy père se. Garré avec fond,
en pied à droite.
Portrait dans un cadre rond, regarde à droite. En bas
cette mention :
Pierre- Jacques-Etienne Gambronne, (baron de), maréchal de
camp, Tun des commandants de l'ordre royal de la Légioa
— 352 —
d'honneur. Né le 26 décembre 1770;, à Nantes, départcmenL de la.
Loire-Inférieure.
« La garde meurt et ne se rend pas ».
Bataille de Waterloo, 17 juin 1815.
Déposé à la Direction, A Paris, chez l'auteur, rue des Francs-
Bourgcois-Saint-Michel, no 6.
22. — Le même, tirage en brun, porte en tête le n»
141, ce qui indiquerait qu'il fait partie d'une série- de-
personnages militaires.
23. — Le même, comme légende, mais de face.
24. — Le même que le n" 20, tirage en couleur (collec-
tion A. Dortel).
Portraits in-12
23. — Cambronne. Claire-voie ; dirigé à droite, litho-
graphie exécutée en 1833,
26. — Cambrone (sic) M"i''Benoistsc. Le col de l'habit
de général est ouvert et laisse voir roulée autour dvt
cou, la cravate de soie noire et le cordon de la Légion
d'honneur. Bon et curieux portrait.
27. — Reproduction de la statue De Debay. Bois dans
V Illustration vol. IX (1847) p. 403.
28. — Cambronne. Duc del. Couché sculp. Mauvaise
reproduction en réduction du portrait gravé par M"'^ Hti-
noist.
29. — Cambronne, par M. Maurin, Lith. de Lemercier,
JdH portrait figurant au milieu d'une gravure plus
grande qui forme le numéro 20 d'une Histoire de Napo-
léon publiée par Jcannin, 20, rue du Croissant à Paris.
Cette gravure comprend le retour de l'île d'Elbe, l'entrée
à Grenoble, l'arrivée à Paris, le Champ de Mai, Fleurus,
Ligny, Waterloo et les portraits de Labédoyère et de
Cambronne.
— 353 —
30. — Portrait au crayon du général Cambroone offert
par lui à Berryer, son défenseur, au lendemain de sa
mise en liberté et appartenant à M. Georges Berryer,
neveu de l'illustre avocat et inscrit lui-même au barreau
de Paris, C'est celui que nous reproduisons en tête de ce
livre.
31. — Miniature appartenant à M. Victor Roussin,
faite après Waterloo et portant la cicatrice au-dessus de
l'œil gauche. La signature est devenue illisible.
C'est le portrait que nous reproduisons au cours de ce
volume.
GAMBllONNE AVEC D'AUTRES PERSONNAGES
Portraits in-f^
32. — A Paris chez Esbrard. — A Waterloo; carré, au
lavis.
32 bis. — Aubry pinx. Charon seul. — Cambrone (sic) à
Waterloo, manière noire.
Le sabre abaissé dans la main droite, la main gauche
levée, Cambronne est en grand uniforme de général,
culotte de peau à pont, bottes et éperons. A ses pieds,
des boulets, des shakos, des affûts brisés. Au fond les
grenadiers luttent dans la fumée de la bataille contre
des Anglais et des highlanders. Le général est seul au
premier plan.
33. — Chez Genty. Carré, à cheval dans la mêlée.
Dirigé à gauche. Aquu-tinte.
34. — A l'Immortalité (A Paris, chez Jean, rue Saint-
Jean-de-Beauvais n° 10) aquatinte.
Rien dans cette gravure n'indiquerait qu'il s'agit de
Cambronne et de Waterloo sans la légende rlu bas : La
garde meurt et ne se rend pas. Un officier anglais à pied
23
— 354 —
s'avance en tète de sa colonne, l'épée abaissée. Sur un
monticule, un général à pied, tête nue, sabre en l'air, lui
répond.
La gravure est mal dessinée, mais curieuse. Elle semble
d'origine allemande. Le nom des batailles dans le cadre
qui l'entoure est orthographié ainsi : JENA, ELAU.
35. — A l'Immortalité. — Le même que le précédent,
mais tirage en couleurs.
36. — Leroy. Carré : vu de face dans la mêlée.
36 bis. — A Paris, chez Cléricettij rué Galande, n" 47.
Carré, à l'aqua-tinte. Debout en pied, le sabre dégainé et
abaissé (collection Perthuy Laurent).
37. — Battaglia di Monte san Giovanni detta dt
Waterloo il 18 Giiignio i8l5. — Couche figlio dis. Corsi
inc. Carré long. 41 centim. sur 30, tirage en noir.
C'est un tableau général de la bataille, Cambronne y
est difficilement reconnaissable.
38. — Bataille de Waterloo.
A Paris, chez J. Brianchon, libraire, quai des Augustins,
Ponthieu, libraire, cour du Palais-Royal numéro 4, et
chez tous les libraires.
Belle gravure en couleurs, représentant Cambronne
monté sur un cheval blanc, en uniforme de général,
tunique bleue, pantalon long, qui se tient, le sabre levé, à
la tète de ses grenadiers. La cavalerie anglaise se jette sur
le dernier carré.
C'est un véritable tableau, bien dessiné et très-mouve-
nicnté d'allure.
Au bas, cette légende :
Enfin, ces vieux enfants do la victoire s'ébranlent. A leur tète
on voyait les vainqueurs de l'Egypte, de l'Allemagne, de l'Italie.
Des légions de 'héros qui avaient triomphé dans cent batailles^
— 355 —
marchaient, les uns comme chefs, les autres comme soldats. A
des colonnes aussi imposantes succédèrent d'autres colonnes. Le
Bayard moderne, Cambrone, s'étant avancé avec quelques-uns des
siens, fut sommé de se rendre. La garde meurt, elle ne se rend
pas, dit-il, et ce cri immortel fut répété dans tous les rangs. Ils
ne pouvaient plus vaincre, ils marchèrent à la mort (journée de
Mont Saint-Jean).
39. — E. Delahaye. Gambronne à Waterloo.
Tableau ayant figuré au Salon de 1891, à Paris, acheté
par la ville de Bruxelles. (65 centimètres sur 55).
Gambronne, enveloppé de son manteau, montre le
poing aux Anglais, sans doute en leur crachant à la
figure le mot que l'on sait. Ses grenadiers l'environnent.
L'ensemble est d'un bon mouvement, mais la ressem-
blance de Gambronne est nulle.
40. — E; Delahaye. Esquisse du tableau précédent
(26 centimètres sur 35), propriété de l'auteur, 1, cité
Gaillard à Paris.
41. — E. Delahaye. Reproduction dans le supplément
illustré du Petit Journal du 6 juin 1891 du tableau de
M. Delahaye. (Imprimé sur la machine chromo-typo de
Marinoni).
Ge numéro peut être rangé dans l'imagerie populaire
déjà représentée par quelques numéros précédents.
42. — Gambronne à Waterloo. — Gollection de cahiers
scolaires de la maison Leclanché frères. G'est une repro-
duction moins ressemblante encore du tableau de M.
Delahaye.
Au dos du cahier, une notice sur Gambronne.
43. — Fastes de la gloire (tome l^r page 17). Le baron
Gambronne, maréchal de camp. « La garde meurt et ne
»e rend pas. »
Ghasselat del. Ad. Godefroy direxit.
- 356 —
Un officier anglais à cheval, sabre abaissé, s'avance
vers Cambronne à pied qui de la main gauche fait un
geste de refus. On voit au fond l'artillerie anglaise prête
à faire feu.
44. — Cambronne. (Lith. Mendouze, peint par Ludovic)
chez l'éditeur rue Saint-Pierre-Montmartre, 10.
Gravure de 20 centimètres de hauteur sur 16 1/2 de
largeur.
Cambronne debout, un grenadier mort à ses pieds,
serre de la main gauche la garde de son épée sur sa
poitrine et, la main droite étendue, prononce les paroles
que l'on sait.
A droite, son cheval blessé ; à gauche un obus qui
éclate. Dans le lointain^ des grenadiers se battent dans la
fumée.
M. deLaNicollièrepossèdeun exemplaire de cette gravure.
45. — Lith. de Mendouze. Pièce in-4'' portant le titre :
Cambronne blessé et vengé.
46. — Le retour de l'tle d'Elbe, du peintre allemand
baron de Steuben, le tableau que la gravure a popularisé.
Cambronne, d'une extrême resssemblance, y figure à
droite, portant un drapeau.
47. — La bataille de Waterloo, du même peintre,
lequel appartient du reste à l'école française.
C'est l'épisode du dernier carré : Cambronne y apparaît
très reconnaissable au second plan derrière le cheval de
l'empereur.
48. — Vue de la statue de Cambronne.
Gravure en couleur faite au lendemain de l'inauguration
de la statue. Le costume des promeneurs et l'enseigne ;
Café des Messageries nationales indiquent sulïisamment
une date voisine de 1850.
— 357 —
49. — Le tombeau des Braves. Cette pièce ne donne
pas un portrait de Gambronne, elle représente un céno-
taphe avec cette inscription qui rappelle le héros de
Waterloo :
Aux braves morts le 18 juin 4815
La garde meurt
Elle ne se rend pas
En tête, se trouve la musique de la romance signalée
plus haut : Ils ne sont plus, les fils de la victoire.
50. — Le Manuel des braves, biographie héroïque,
par MM. Ilegnault de Warin, Z***, P. de P. et plusieurs
gens de lettres et militaires français (Paris, chez Plan-
cher, 1818), contient en tète de volume le portrait de
Gambronne dans un cadre ovale. (Biblioth. publ. de Nantes
no 56.423). En bas ces vers :
Soldats, dont l'immortelle gloire
Malgré la faulx du Temps doit survivre au Trépas
Vos hauts faits sont gravés au Temple de mémoire
Avec ces mots fameux, orgueil do notre histoire:
La garde meurt, elle no se rond pas ! ! !
51 . — Gambronne, vu de face, mauvaise gravure mise en
tète de la Vie militaire de Gambronne, par E. D. (Paris,
chez Locart et Davi, 1822, in-12o) (Bibliothèque publique
de Nantes n*^ 57.505).
52. — Gambronne, vu de trois quarts, le regard tourné
à gauche, gravure figurant dans la France militaire de
A. Hugo, tome V p. 228 (Bibliothèque publique de Nantes
no 46.317).
53. — M. Ghrétien, ancien lieutenant-colonel en retraite,
propriétaire au château de Varesnes (Oise), de la famille
du général, possède un portrait frappant de ressemblance,
qui fut fait par un artiste polonais, tandis que Gambronne
— 358 —
se trouvait en villégiature là. La cicatrice au front est
visible.
34. — Miniature de la mère du général Gambronne,
par le peintre Ducarrey vers 1812. Ses traits sont em-
preints à la fois de distinction et de bonté. Le costume est
celui des femmes âgées de la fin de l'Empire et de la
Restauration, bonnet blanc surmonté d'un nœ.ud de
rubans de satin bleu de ciel, fichu blanc sur une robe noire.
Cette miniature appartient à M. Roussin. Nous en
possédons une excellente reproduction à la mine de plomb.
55. — Job et de Marthold. Le Grand Napoléon des
petits enfants (1893, Pion, Nourrit et C'^ Paris).
La planche 44 représente l'épisode du dernier carré.
Gambronne, assez ressemblant, campé dans une pose
énergique^ crache à la face d'un officier anglais un mot
sur le caractère duquel il est impossible de se méprendre,
à en juger par la réplique qu'il provoque : Shoking, est
censé reprendre l'habit rouge.
Ge dessin colorié est fort réussi dans son genre satirique
qui frise la charge... contre l'ennemi.
Sculpture
56. — Jean De Bay père. — Buste fait, d'après nature,
en 1815, sans doute pendant les quelques semaines que
Gambronne passa à Paris, au retour de l'île d'Elbe.
Ge buste est mentionné dans la correspondance de
De Bay fils avec la municipalité de Nantes en 4842.
57. — Suc. — Buste fait en 1842, d'après un moulage
pris sur la figure du général.
La famille ne le trouvait pas très ressemblant.
58. — Ménard (Amédée). — Buste en terre, grandeur
naturelle^ fait en 1842.
— 359 —
Ce buste appartient à M. Victor Roussin, propriétaire
à Keraval, en Plomelin, près de Quimper, qui a épousé
en 1836, M'^^ Adamson, fille adoptive de Cambronne.
59. — Jean De Bay fils. — Statue du général Cam-
bronne, érigée en 1848, sur le cours de la République à
Nantes. (Nous avons consacré un chapitre spécial à cette
statue).
60. — Jean De Bay fils. — Maquette en plâtre de la
statue du général Cambronne.
Cette maquette qui appartient à M'"® Delbarre De Bay,
fille du sculpteur, fut exposée en 1893, par les soins de
31. Georges Lafont, architecte, au Musée du Centenaire de
la Révolution, à Nantes.
61. — Grootaërs. — Buste du général, figurant sur
l'immeuble dit : Maison- des Enfants i\antais, à l'angle
de la place du Change et de la rue de la Poisonnerie.
62. — Suc. — Portrait du général Cambronne, buste
plâtre; haut 8™79, grandeur naturelle. Tète nue, tournée
à droite, avec indication d'une forme et de manteau mili-
taire. Signé : « Suc fecit 1848 ».
Don de l'auteur, déposé au musée départemental d'ar-
chéologie de Nantes, mais non porté au catalogue de cet
établissement. Mentionné dans l'inventaire général des
richesses d'art de la France (Musée de Nantes) par Olivier
Merson.
63. — Tabatière en étain , oblongue : le couvercle
représente le général Cambronne dont le nom ressort en
relief dans la partie supérieure.
En bas sa réponse aux Anglais : La garde meurt et ne se
rend pas.
Cette pièce rarissime appartient à M. Armand Lévy,
libraire, à Nantes.
ANNEXES
CHAPITRE I
ANNEXE A (page 2)
Cambronne est une vieille famille du Ponthieu; elle
était « seigneur du dit lieu >, c'est-à-dire de Cambronne.
On trouve ses armoiries dans les vieux manuscrits et dans
trois auteurs renommés : Palliot, Pierre-Sainte et Degoing.
Elle portait, ou mieux elle porte : Fascé d'or et de gueules
de huit pièces, ou bien : Burlé d'or et de gueules de huit
pièces, ou bien encore ; dix pièces au lieu de huit.
[Intermédiaire des chercheurs et curieux,
tome xxur, 583).
M. de Cambronne, capitaine au régiment du Roi en 1758,
est Denis-Joseph-Thomas de Ruyant, chevalier, seigneur
de Cambronne, né en 1723, à Douai, où il se retira en
1775. Il est devenu brigadier des armées du Roi en 1780.
(Même recueil, tome xxiv. 77).
ANNEXE B (page 9)
Extrait de l'inventaire des tneubles, effets et marchan-
dises de la succession du feu sieur Cambronne, négo-
ciant, isle Gloriette, paroisse Sainte-Croix.
(L'inventaire dura les 25, 26, 27, 29, 30 novembre, 1er, 2, 3,
4, 6, T décembre 1784).
— 361 —
En voici quelques détails curieux :
GARDE-ROBE DUDIT FEU SIEUR CAMBRONNE
Un habit de drap couleur carmélite, doublé de croisé blanc,
veste de satin blanc et une culotte de drap de soie, prisés 110
livres.
Un habit, veste et culotte de drap puce, doublé de croisé rouge,
prisés 20 livres.
Un habit, veste et culotte do drap vert pomme, prisés 12
livres.
Un habit d'éternelle, couleur houe de Paris, une veste fond
argent et une culotte de prunelle noire, prisés 22 livres.
Un habit, veste et culotte d'étamine noire, prisés 6 livres.
Un habit de drap bleu galonné en or et une veste fond argent
brodée en or, le tout prisé 18 livres.
Une roquelaure et une veste de calmouc couleur carmélite et
une culotte de velours noir, prisés 22 livres.
Un habit, veste et culotte de soie couleur merdoie, doublé de
soie blanche, prisés 24 livres.
Une robe de chambre de gros do Tours, fond brun à fleur
doublée de soie gris de lin et une grande culotte de cotonnade
l'ouge, prisés 10 livres.
Une veste de tricot de soie galonné en or, une veste de pru-
nelle noire et trois culottes aussi de prunelle noire, le tout prisé
20 livres.
Une veste de satin blanc brodée en soie, prisée 30 sols.
Ailleurs, nous notons dans l'inventaire :
Une garniture de tapisserie de haute lisse, prisée 80 livres. '
Un trumeau avec son attique, prisé 72 livres.
ARGENTERIE
Quatre flambeaux, une cuiller à elle, une caff"eticre de dix
tasses, une autre petite catfetière, deux cuillers à ragoût, dix-neuf
couverts à filets, moins une cuiller, onze cuillers à caff'é, quatre
cocassiers, un moutardier avec sa cuiller, une cuiller à sucre,
six sallières, un porte-huillicr, une garniture de boutons petits
et grands.
— 362 —
Le tout pesé s'est trouvé monter à 41 marcs 2 onces 6 gros à
52 livres le marc, soit 2,149 livres 17 sols 6 deniers.
Parmi les papiers inventoriés :
Un contrat d'acquêt d'une maison appellée La Treille « sittuée»
en la paroisse de Saint-Sébastien, passé devant Briand fils et
Vrien, notaires rojaux à Nantes, le 26 novembre 1783.
L'inventaire se termine ainsi :
livres. s. d.
Meubles et effets tant en ville qu'en campagne. 8.979 13 6
Marchandises (Bois du Nord) 67 .884 9 3
Créances 63 . S83
140.447 2 9
CHAPITRE IV
ANNEXE C (page 38)
Aulnette fut poursuivi devant le tribunal criminel de
la Loire-Inférieure, comme prévenu d'avoir encloué des
canons appartenant à la nation.
Nous avons retrouvé mention de cette poursuite aux
registres du tribunal criminel de l'an III conservés au
greffe du tribunal civil de Nantes. (Audience du 16 ther-
midor an 3, folio 175 v»). Mais l'affaire fut renvoyée à
une prochaine session, les témoins, dont Gambronne, ne
s'étant pas présentés, à cause de l'interception des routes
par les insurgés.
Il est probable qu'elle ne vint pas du tout, car nous n'en
voyons plus trace. Aulnette mourut ou devint fou.
La procédure figure à la date du 20 floréal an 2, aux
archives du tribunal de Chàteaubriant.
— 363 —
CHAPITRE VII
ANNEXE D (page 67)
Au Palais des Tuileries, le 19 mars 1808, Napoléon, empereur
des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin,
avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
Sur les six millions huit cent mille francs de revenu net pro-
venant des biens qui sont à notre disposition dans le royaume de
Westphalie, nous avons disposé et disposons d'un capital pro-
duisant un revenu annuel de douze cent mille francs pour être
réparti entre les ofificiers de nos armées, conformément à l'état
annexé au présont décret, en récompense des services qu'ils nous
ont rendus dans le cours des dernières campagnes.
ARTICLE 2
Les individus qui y sont portés jouiront des revenus desdits
biens à dater du 1er janvier 1808.
Ces biens ne pourront être vendus sans notre autorisation spé-
ciale, et les fonds qui en proviendront ne pourront être employés
qu'en actions de notre Banque impériale et en achats de terre
dans l'intérieur de notre Empire, en suivant les formes prescrites
par nos statuts.
ARTICLE 3
Notre Ministre des finances, notre major général et notre in-
tendant général de la grande armée sont chargés, chacun en ce
qui les concerne, de l'exécution du présent décret.
NAPOLÉON.
Noms des individus
Dans l'état qui suit, on relève la mention suivante rela-
tive à Cambronne :
Montant de la rente.
Le chef de bataillon Chambronne (sic)
du 88e de ligne 2000 fr.
— 364 —
ANNEXE E (page 69)
A Saint-Cloud, le 6 août 1811.
Napoléon empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la.
confédération du Rhin, avons décrété et décrétons:
ARTICLE PREMIER
Le sieur Cambronnc est nommé major du 3c régiment de vol-
tigeurs de notre garde.
ARTICLE 2
Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du pré^
sent décret.
NAPOLÉON.
Annexe F (page 70).
Au Palais des Tuileries, le 1er janvier 1812. Napoléon,
empereur des français, roi d'Italie, protecteur de la confédération^
du Rhin, médiateur de la confédération suisse, etc.
Nous avons décrété et décrétons :
Article Premier.
Les 300,000 francs de revenus appartenant à notre domaine
extraordinaire en domaines, situés dans les provinces illyrienne»
et les 500,000 francs de revenus, provenant de la vente de
domaines de l'empire à notre domaine extraordinaire, formeront
un fonds de dotation sur lequel seront prélevées les dotations
distribuées dans l'état ci-joint, montant à 884,000 francs de
revenus.
Art. 2.
Los dites dotations distribuées dans l'état ci-joint seront
assujetties pour la possession et la transmission à tous les
règlements établis par nos décrets sur les majorats.
Art. 3.
Les donataires entreront en jouissance des revenus, à dater du.
lei- janvier 1812.
— 365 —
Art. 4.
iS'otre ministre d'Etat, intendant général du domaine extraor-
dinaire, nous présentera incessamment le travail pour la répar-
tition des fonds et la composition des lots affectés auxdits
tîolalions.
Art. 5.
Les dotations données aux femmes seront transmissibles à
ceux de leurs enfans mùlcs qu'elles désigneront et à leur descen-
dance par ordre de primogéniture.
Art. 6.
Notre cousin rarchi-chancclicr, notre intendant général et
notre trésorier général du domaine extraordinaire sont chargés,
«hacun en ce qui lo concerne, de l'exécution du présent décret.
Napoléon.
Mtatdes dotations pour être annexé au décret du l«i" janvier 1812.
Sur cet état, on lit, au no 94.
94. Le major Cambronne, du 3^ régiment des voltigeurs do
5a garde 4,000 fr.
An^kxe g (page 70)
Au Palais do l'Eh T,ée, le 6 avril 1813. Napoléon, empereur
-des français, toi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin,
Article Premier.
Sont nommés commandants de la légion d'honneur :
JNlichel, général de brigade, major des grenadiers à pied de
•notre garde, officier de la légion d'honneur.
Mouton-Duvernet, général de brigade, adjudant général de
notre garde^ officier de la légion d'honneur.
Cambronne, major du 3e régiment de voltigeurs Je notre
.gai-de, officier de la légion d'honneur.
Art. 4.
Notre grand chancelier do la légion d'honneur est chargé de
l'exécution du présent décret.
Napoléon.
— 366 —
Annexe H (page 75)
Au Palais Impérial de Saint-Cloud, le 20 novembre d813.
Napoléon, Empereur des Français, Roi d'Italie,
protecteur de la Confédération du Rhin, média-
teur de la Confédération Suisse, etc., etc.,
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article premier.
Sont nommés Généraux de Division :
MM. Michel, général de brigade.
Rothembourg, d"
Boyer de Rebeval, d»
Article 3.
Le sieur Gambronne, Colonel major du 2e régiment de Chas-
seurs à pied de notre Garde, est nommé Général de brigade
major du I^r régiment, môme arme.
Article 5.
Notre Ministre de la Guerre est chargé de l'exécution du
présent décret.
Napoléon.
CHAPITRE X
Annexe I (page 107).
Au Palais des Tuileries, le 1er avril 1815,
Napoléon, empereur des Français,
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier.
Le général Gambronne est nommé Comte de l'Empire.
Aut. 2.
Notre cousin Farehi-chancelicr do l'Empire est chargé de
l'exécution du présent décret.
Napoléon,
— 367 —
Annexe J (page 107).
Au Palais des Tuileries, le l^r avril 1815.
Napoléon, empereur des Français,
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier.
Le maréchal de camp Cambronne est nommé grand officier de
la légion d'honneur.
Art. 2.
Notre grand chancelier de la légion d'honneur est chargé de
l'exécution du présent décret.
Napoléon .
Annexe K (page 107).
Au Palais des Tuileries, le 10 avril 181 S.
Napoléon, empereur des Français,
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article Premier,
Il est accordé, sur notre domaine extraordinaire, uae dotation,
transmissible à leurs enfans, à chacun des officiers ci-après
désignés qui nous ont accompagné dans l'isle d'Elbe :
Au maréchal de camp comte Cambronne, une dotation
de 4,000 fr.
(Suit une liste de noms d'officiers ; Cambronne est le
seul à avoir une dotation de 4,000 francs ; les autres
dotations varient de 500 à 2,000 francs).
Art. 2.
Notre intendant général de la couronne, chargé du domaine
extraordinaire, est chargé de l'exécution du présent décret.
Napoléon.
Annexe L (page 107).
Napoléon, empereur des Français,
Vu le décret d'organisation de notre gardG| en date du 8 de
ce mois.
Nous avons décrété ot décrétons ce qui suit :
— 368 —
Art. 2.
Le maréchal de camp Cambronne est nommé major aux chas-
seurs à pied (1er régt).
Art. s.
Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du
présent décret.
Napoléon.
Annexe M (page 109).
Au Palais de l'Elisée, le 2 juin 1815.
Sont nommés membres de la chambre des pairs :
36.... Le lieutenant général comte Cambronne.
Napoléon.
Par l'empereur, le prince archi-chancelier de l'empire.
Cambagérès.
CHAPITRE XII
ANNEXE N (page 152)
Ce n'est pas M. de Viel-Gastel, de l'x^cadémie Française,
mais son frère, qui s'entretint avec le général Mellinet et
rapporta de la façon la plus inexacte ses déclarations.
Jamais Cambronne n'a été le tuteur du général Mellinet.
Le reste n'est pas plus exact, le général Mellinet nous
l'a fait savoir, sur le vu des épreuves de ce livre, à la date
du 9 décembre 1893.
annexe 0 (pag^e 154)
M. le lieutenant-colonel en retraite Chrétien, parent de
Cambronne, nous a fourni sur le mot de Waterloo de
curieux renseignements qui confirment pleinement notre
opinion et que nous résumons comme suit, en regrettant
qu'ils nous soient parvenus trop tard pour trouver place
dans le corps môme du chapitre XII.
- 369 —
Lorsque Cambronne venait à Noyon, nous écrit-il^ il descendait
chez son oncle, l'abbé Druon de Brumeau, qui l'amenait passer
quelques jours à Varcsnes, au château de sa tante Waubert de
Genlis, née Julie Druon de Brumeau. Cambronne ne mettait
qu'une condition à sa visite, c'est que sa cousine germaine, un
peu taquine, ne lui parlerait pas de M'aterloo. On obéissait à
l'abbé, mais plus tard on l'interrogeait, en lui demandant une
confidence en échange do la discrétion gardée. Le bonhomme
répondait : « Mon neveu m'a dit la vérité sur ce qu'il a dit aux
» Anglais, mais je me suis engagé à ne pas le répéter. Ce qu'il y
» do certain cependant, c'est que, dans ces moments-là, on n'a
» pas le temps de faire des phrases. »
Ma grand'mèrc, ma mère et mon père tenaient pour certain que
Victor Hugo, dans les Misérables, ne s'est pas trompé, malgré
l'enquête faite en 1862 par le maréchal de Mac-Mahon.
Cette retenue du général Cambronne s'explique :
Cambronne, qui se piquait d'une excellente éducation, et qui
revenait à tout propos sur les mauvaises manières et le peu d'ins-
truction des généraux de l'Empire, était engagé par là même à
ne pas se reconnaître le père du fameux mot.
CHAPITRE XIII
A>'XEXE P (page 158)
M. le lieutenant-colonel Chrétien, petit-cousin de Cam-
bronne, nous communique une curieuse lettre écrite par
le général, alors prisonnier à Ashburton, à son oncle,
M. (le Waubert de Genlis. Cette lettre est revêtue du
cachet d'affranchissement spécial aux correspondances des
prisonniers de guerre.
Voici cette lettre :
Ashbîirton, le 23 juillet 1815.
Mon cher Parent,
J'ai l'honneur do vous envoyer une lettre que je vous prie'de
remettre vous-même au lieutenant-général le comte Curial. ou à
son épouse, pour lui envoyer s'il n'était pas à Paris: s'il y est,
24
— 370 —
vous me direz en réponse s'il veut bien m'ètre utile et lui don-
nerez mon état de services qui est chez vous ; il serait bon d'en
faire avant une copie, car je crains qu'on me les ait perdus avec
mes effets, vous le garderiez ou l'original.
Je suis prisonnier en Angleterre, à Ashburton ; à la bataille de
Waterloo, j'ai été blessé d'une balle à la tête et suis tombé de
cheval sans connaissance au pouvoir de l'ennemi, dans IS jours
j'espère être guéri.
Faites agréer mon amitié à M<ie votre épouse et à toute votre
famille. Je vous embrasse et salue amicalement.
Le baron Cambronne,
Maréchal de camp.
C'est M. de Waubert qui se chargea plus tard des dé-
marches, d'abord pour lui éviter, si possible, le conseil de
guerre, ensuite pour lui trouver un défenseur. Il s'em-
pressa aussi de vendre le cheval du général, Cosaque,
mais sous un autre nom que le véritable qui aurait pu
«xciter les susceptibilités des alliés, maîtres de Paris, en
pleine Terreur blanche.
CHAPITRE XIV
ANNEXE O (page 189)
Nous, curé do Villc-l'Evêque, diocèse d'Angers, département
do Maine-et-Loire, soussigné, certifions que l'an 179:2, au mois
do juin, étant poursuivi par les révolutionnaires à Nantes, et ne
sachant où me réfugier , le sieur Cambronne, devenu depuis
général de l'usurpateur, vint me trouver dans le lieu de ma
retraite, et me conduisit chez madame sa mère, en la priant de
mo donner chez elle un asile où je serais en sûreté, en ajoutant
que, quoique sa façort de penser ne fût pas conforme à la
mienne, il était d'un bon cœur de sauver un malheureux. J'ai
demeuré deux mois chez niadarao sa mère ; il ne m'est arrivé
aucun désagrément et il s'occupait do moi. En foi de quoi j'ai
— 371 —
délivré le présent certificat pour servir et valoir ce que de
raison.
Ville-l'Evêque, ce 18 février 1816.
DUMÉNIL.
ANNEXE R (page 189)
Je soussigné, ancien commandant-général des gardes natio-
nales du district de Nantes, ancien adjudant-général, chevalier
de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, officier de la légion
d'honneur, ex-membre de la Chambre des députés.
Certifie avoir eu connaissance que lors de la descente à
Quiberon, M. le général Cambroune, alors officier dans la légion
nantaise, s'empressa do rendre h mon neveu, M. Pavon de Fay-
moreau, officier au régiment de Rohan-Soubise qui avait été
fait prisonnier, tous les services qui dépendaient de lui. On
m'assura, dans le temps, que mon neveu eût été sauvé par ses
soins, sans un événement malheureux que M. Cambronne ne
pouvait prévoir.
En foi de quoi, etc.
Le 23 janvier 1816.
Le baron d'Eurbroucq.
ANNEXE S (page 189)
Devant Me Francheteau, notaire (1),
Est comparu Yves Châtaignier, marinier, demeurant à Nantes,
pont de la Magdeleine, ledit Yves Châtaignier déclare qu'en
1793, lors de la première guerre de la Vendée dont il faisait
partie, il se présenta avec une division de l'armée royale dans
les environs du château d'Aux, sur la rive gauche de la Loire ;
que les troupes républicaines qui étaient en garnison dans le
château, firent une sortie de nuit ; que lui déclarant fut fait
prisonnier avec onze autres personnes ; qu'ils furent tous douze
conduits devant une commission organisée par le Comité l'évo-
(1) Cet acte dressé en brevet, est à la date du 24 janvier 1816.
avec enregistrement du même jour. Nous en avons trouvé la mention
au répertoire de M« Pinault, notaire, successeur médiat de M» Fran-
cheteau.
— 37i2 ~
lutionnaire do Nantes, alors en vigueur ; que M. Cambronne,
alors ofFicicr dans la légion nantaise, fit tout ce qui dépendait de
lui pour sauver ces douze prisonniers ; qu'il ne put parvenir,
malgré tous ses efforts qu'à sauver lui déclarant et un nommé
Joseph, natif de Rennes, mais dont le déclarant ne se rappelle
pas le nom de famille : qu'il est à sa connaissance que, pour
le sauver, M. Cambronne le fit sortir, de sa propre autorité,
d'une chambre où il était avec les autres prisonniers et que
ce fut en le prenant sous sa protection et en en répondant sur
sa tête qu'il parvint à lui sauver la vie, en le recommandant aux
chefs qui commandaient au château d'Aux. Le déclarant ajoute
que ce qui intéressa particulièrement Cambronne en sa faveur,
c'était son jeune âge.
De laquelle déclaration, nous avons rapporté acte.
ANNEXE ï (page 189)
Je soussigné, Joseph Rado-Dumatz, maire de la commune de
Béganne(l), certifie et atteste que lors de la descente des armées
royales à la presqu'.ile de Quiboron, en 1795, commandées par
MM. les généraux de Puisaye et Sombreuil, faisant partie de la
dite arrivée en qualité de capitaine de Grenadiers, qu'à cette
malheureuse affaire de Quiboron, je fus fait prisonnier, qu'un
instant api'cs ce combat, je rencontrai M. le général Cambronne
duquel je réclamai la protection pour moi et mes camarades
d'infortune, comme l'ayant connu aut)efois. 11 servait à cette
époque dans la légion nantaise, je crois, en qualité de capitaine
do carabiniers. Il est à ma connaissance qu'il fit sous ses efforts
pour rappeler les soldats dans l'ordre et les empêcher de se por-
ter à des excès envers de malheureux prisonniers ; que M. le
général Cambronne, arrivé au fort Penthièvre, à Quiboron, me
procura ainsi qu'à plusieurs de mes camarades, les moyens de
sortir du fort, espérant que peut être nous eussions été assez
heureux pour gagner les campagnes et nous échapper du danger.
Nous fûmes arrêtés peu d'instants après notre fuite par un corps
(1) Les biographies de Cambronne qui donnent cette pièce disent:
maire de Liégoune Cette commune n'existe pas et c'est Béganne
qu'il faut lire.
— 373 —
d'observation et redevenus prisonniers, il est en outre à ma con-
naissance que, rendus dans les prisons d'Auray, M. le général
Cambronne y parut souvent. Sa généreuse humanité le porta à
nous pi'ocurer des secours dont nous avions besoin et qui quel-
quefois nous étaient refusés. Il compatissait à notre sort : lui
môme me proposa des moyens de sortir des prisons, ce qui ne
put avoir lieu, ayant été presque aussitôt tranféré dans les prisons
de Vannes.
En foi de quoi,
Rado-Dumatz.
A]N\\EXE U (page 189)
Nous, anciens officiers, sous-officiers et soldats de la Légion
Nantaise, demeurant à Nantes,
Certifions qu'étant en garnison au Croisic, on 1793, M. le
général Cambronne, alors lieutenant dans ladite Légion Nantaise,
fut désigné au nombre dos quarante officiers et sous-officiers
qui devaient être arrêtés lors du voyage de l'adjudant-comman-
dant Fouquot, dans la dite ville du Croisic, par ordre du Comité
Révolutionnaire.
Qu'un des chefs d'accusation contre ces officiers était qu'ils
couchaient dans une chambre où existait une tapisserie de papier
couverte de médaillons représentant le portrait de Louis XVI.
Qu'il y eut un projet de se défaire de cet adjudant; que
M. Cambronne s'y opposa, on démontrant que cet homme n'avaii
point de troupes pour exécuter son entreprise.
Qu'on etïc^t, ce Fouquot fut chassé honteusement par M. le
général Cambray^ et guillotiné douze ou quinze jours après à
Nantes.
(Suivent les signcttures).
CHAPITRE XVII
ANNEXE V (page 266)
Mairie de Saint-Sébastien.
Nous, René-Jean Meneust, adjoint au Maire do la commune de
Saint-Sébastien, canton de Nantes, départements de la Loire-
Inférieure, certifions qu'il résulte des renseignements exacts que
— 374 —
nous nous sommes procurés, que Madame Marie Osberein, veuve
de Monsieur John Sword, et fille de Monsieur Osborein, manu-
facturier en indienne, originaire de Glascouw, en Ecosse, ren-
tière, demeurant à sa terre de la Baugerie, en cette commune
et y domiciliée depuis environ dix-sept ans, jouit d'une bonne
réputation et mérite à tous égards l'estime de tous ceux qui la
connaissent; elle .est naturalisée française depuis sept ans. Sa
fortune consiste comme suit :
l» Dans sa terre de la Baugerie, en cette commune, estimée
trente mille francs ;
2o En divers prêts en argent qu'elle a faits sur la place, mon-
tant à trente mille francs, lui rapportant dix-huit cents francs ;
3o Un contrat sur un particulier en Ecosse, qui lui sert une
rente de douze cents francs, pour prêt :
40 En divers crédits ponr prêts faits à divers particuliers l'ési-
dant en Ecosse et dont le total monte à la somme de cinquante-
cinq mille francs, lui produisant deux mille sept cents cinquante
francs de rente à o pour cent ;
50 Le général Cambronne nous a déclaré vouloir lui donner
pendant sa vie durant, une somme de trois mille francs do rente.
En foi de quoi, et sur la demande qui nous a été faite par la
dite dame Sword et le général Cambronne, nous leur avons dé-
livré le présent.
En Mairie, à Saint-Sébastien, le 47 avril mil huit cent vingt.
Par délégation spéciale et en l'absence du Maire,
R. Meneust, adjoint.
GÉNÉALOGIE
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TABLE DES MATIÈRES
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Préface V à VU
I . La famille do Cambronne 1
II . Enfance de Cambronne 9
III. Au début de la Révolulion iO
IV. Cambronne à la Légion nantaise 22
V. De Zurich à Hohenlinden 41
VI . D'Austorlitz à Pultusk 56
VII . Vienne, Dresde, Leipzig, Hanau 6o
VIII . Campagne de France (1814) 76
IX. A l'île d'Elbe 81
X . Les Ccnt-Jours 94-
XI. Waterloo 110
XII . Le mot de Cambronne 119
XIII . Prisonnier eu Angleterre 1S6
XIV. Au Conseil de guerre 169
XV. Sous la surveillance de la haute police 214
XVI . Le voyage à Bordeaux 241
XVII . Amours et mariage de Cambronne 2o5
XVIII. Cambronne à Lille 278
XIX . La retraite à Saint-Sébastien 28S
XX. Caractère de Cambronne 293
XXI . Derniers actes de sa vie publique 301
XXII. Mort de Cambronne 306
XXIII . La statue de Cambronne 313
XXIV. Hommages à Cambronne 3'26
XXV. La succession de Mi'" Cambronne 332
XXVI . Bibliographie 340
XXVII . Iconographie 346
XXVIII. Annexes 360
XXIX. Généalogie 375
Nantes, Imp. G. Schwob et Fils, rue Scribe, 6.
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Brunschviof^, Léon, law:j.^er
Cambronne
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