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Full text of "Cambronne; sa vie civile, politique et militaire, écrite d'après les documents inédits des Archives nationales et des Archives du Ministère de la guerre. Ouvrage orné de deux portraits et d'un dessin en trois couleurs"

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CAMBRONNE 


L'auteur  déclare  réserver  ses  droits  de  traduction  et  de  repro- 
duction à  l'étranger. 

Ce  volume  a  été  déposé  au  Ministère  de  l'Intérieur  (section  de 
la  librairie)  en  Décembre  1893. 


Nantes,  Imp.  6.  Scbwob  st  Fils,  rub  Scbibb,  6 


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CAMBRONNE 

Sa  Vie  Civile,  Politique  et  Militaire 

ÉCRITE  D'APRÈS  LES  DOCUMENTS  INÉDITS 

des  Archives  Nationales 


des  Archives  du  Ministère  de  la  Guerre 


Léon  Brunschvigg 


Ouvrage  orné  de  deux  portraits  et  d'un  dessin 
en  trois  couleurs. 


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NANTES 

Vve    VI ER  i     <3-.   SCHTATOB  &  FILS 

Libraire  -  Éditeur        /f^  Imprimeurs 

1894 
Tous    droits    réservés 


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PREFACE 


Mon  cher  ami, 


Vous  êtes  venu  me  trouver  dans  ma  retraite  et  me  confier  la 
mission  de  présenter  à  vos  lecteurs  le  livre  que  voiis  avez  écrit  sur 
Cambronne. 

Alors  que  tant  de  plumes  sérieuses  se  seraient  fait  un  plaisir  de 
vous  rendre  cet  office,  c'est  de  votre  part  une  aberration  dont  je  ne 
puis  trouver  l'explication  ailleurs  que  dans  nos  liens  d'amitié,  ou 
dans  le  souvenir  d'une  collaboration  d'antan.  Si  j'accepte  de  le 
faire  —  à  vos  i  isques  et  périls  —  c'est  que  je  suis  heureux  de 
déclarer  à  vos  lecteurs  qu'en  écrivant  ce  livre,  vous  avez  fait  boiine 
œuvre.  Dans  les  temps  relâchés  où  nous  vivons,  il  est  bon,  il  est 
sain  que  des  écrivains  se  dévouent  à  faire  ressortir  des  caractères 
semblables  à  celui  de  l'homme  que  vous  avez  choisi,  et  à  retremper 
les  défaillances  par  de  tels  exemples,  qu'en  opposition  à  la  formule 
moderne  je  pourrais  qualifier  de  «  commencement  de  siècle  » . 

Cambronnne,  dont  vous  retracez  la  vie  dans  ses  plus  petits 
détails,  détails  appuyés  de  pièces  des  plus  authentiques,  est  une 
figure  caractérislique  au  milieu  de  cette  pléiade  de  généraux  et  de 
maréchaux  titrés  qui  a  servi  d'auréole  à  l'Empereur.  S'il  est 
demeuré  général  de  brigade  à  un  âge  où,  l'avancement  n'avait  pas 


VI 

alors  de  limites,  c'est  qu'il  a  été  avant  tout  un  soldat  —  disons 
j)lutôt  «  le  soldat  »  —  dont  un  haut  commandement  aurait  dérouté 
les  habitudes  de  discipline.  Et  il  partage  en  cela  le  sort  de  bien  des 
héros  obscurs,  dont  les  noms  n'ont  pu  trouver  place  dans  cette 
étonnante  épopée,  et  que  les  gloires  les  plus  illustres  ont  peut-être 
égalés,  mais  non  dépassés. 

Son  histoire  peut  se  résumer  dans  ces  trois  mots  :  bravoure, 
fidélité  et  modestie. 

Bravoure  :  car  ses  états  de  service  sont  tels  que  peu  furent 
plus  brillants  à  une  époque  de  batailles  successives  et  de  campagnes 
sans  trêve.  Et  cette  bravoure  était  tellement  innée  chez  lui  qu'elle 
se  retrouve  au  même  degré  en  dehors  de  sa  carrièi  e  militaire  : 
témoin  son  attitude  devant  ses  juges,  lorsque  les  passions  politiques 
l'amenèrent  devant  un  tribunal  d'où  pouvait,  devait  même  sortir 
une  condamnation  à  mort. 

Fidélité  :  pendant  toute  la  durée  de  l'Empire,  il  fut  le  serviteur 
aveugle  du  drapeau  et  de  l'homme  qui  le  personnifiait  alors.  Si,  lors 
de  la  Restauration,  il  accepta  de  rentrer  dans  l'armée,  c'est  qu'il 
avait  été  nettement  dégagé  de  ses  serments  par  l'homme,  et  qu'il  lui 
semblait  impossible  d' abandonner  le  drapeau,  quelle  que  fût  sa 
couleur.  Pensée  qu'il  exprimait  naïvement  dans  sa  correspondance, 
en  disant  qu'il  ne  saurait  se  figurer  autrement  que  revêtu  de 
l'uniforme  français. 

Modestie  :  poussée  à  l'extrême  et  d'autant  plus  méritoire  que, 
même  à  cette  époque,  l'ambition  fiorissait  comme  de  nos  jours.  Sa 
correspondance  prouve  qu'il  dépendait  de  lui  de  rendre  encore  plus 
brillants  ses  états  de  service,  en  ne  laissant  pas  ignorés  certains 
faits  qu'il  était  seul,  ou  à  peu  près,  à  connatt'^e.  L'homme  modeste 
n'est-il  pas  peint,  d'ailleurs,  dans  l'anecdote  de  ce  carrosse  pour 
lequel  il  esquissait  de  ses  mains  le  modèle  d'armoiries  dont  le 
fac  simile  figure  dans  cet  ouvrage,  et  qu'il  laissait  sous  la  remise, 
en  continuant  à  se  faire  transporter  par  une  simple  prolonge 
d'artillerie  ? 

Cambronne   n'appartient  pas  seulement    à   notre   région  :   il 


VII 

appartient  à  la  France.  Autant  et  plus  que  bien  d'autres  il  méri- 
tait qu'une  plume  fouilleuse  vînt  tirer  sa  mémoire  de  l'oubli  et 
l'inscrire  au  Panthéon  des  gloires  militaires  Françaises.  Par  les 
recherches  que  vous  avez  poursuivies  avec  tant  de  zèle,  par  les 
documents  curieux  dont  vous  avez  su  vous  entourer,  vous  avez  fait 
revivre,  mon  cher  ami,  une  personnalité  qu'il  est  bon  de  faire 
mieux  connaître. 

Il  fallait  qu'on  sût  bien  que  Cambronne  avait  d'autres  titres  au 
jugement  de  la  postérité  et  à  la  trompette  de  la  Renommée  que  ceux 
qui  reposaient  sur  un  seul  mot  :  sur  ce  mot  peut-être  vrai,  peut- 
être  apocryphe,  à  coup  sûr  contesté  ;  sur  ce  mot  grâce  auquel  notre 
grand  poète  Hugo  a  donné  au  général  de  Waterloo  un  regain  de 
popularité  ;  sur  ce  mot  enfin  dans  lequel  —  ainsi  que  le  disait 
récemment  un  de  nos  plus  spirituels  chroniqueurs  de  la  presse 
parisienne,  —  le  peuple  Français  a  embaumé  le  souvenir  de 
Cambronne. 

P.   CHAUVET 


Nantes,  15  décembre  1893. 


CAMBRONNE 

V 

Sa  Vie  Civile,  Politique  et  Militaire 


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CHAPITRE  P^ 

LA  FAMILLE  DE  CAMBRONNE 

Il  existe  dans  le  département  de  la  Somme,  non  loin 
d'Abbeville,  une  vieille  commune  du  nom  de  Cambron, 
célèbre  par  une  vieille  église  du  XVI«  siècle,  du  style 
gothique  flamboyant  et  que  les  manuscrits  d'autrefois 
appellent  Camberone  et  Camberonium. 

Dans  l'Oise,  deux  communes  portent  le  nom  de  Gam- 
bronne  :  l'une  (arrondissement  de  Compiègne,  canton  de 
Ribécourt)  était  au  moyen  âge  le  chef-lieu  d'une  seigneurie 
considérable  dont  les  possesseurs  avaient  pris  le  titre, 
mais  qui,  à  partir  du  XV®  siècle,  passa  en  d'autres  mains. 
Les  familles  de  Vandeuil,  de  Blécourt,  d'Aumalle,  de 
Montmorency,  de  Montguiot  et  Poulletier  en  occupèrent 
tour  à  tour  le  château  plus  tard  détruit  et  remplacé  en 
1762  par  une  construction  nouvelle.  La  nef  de  la  vieille 
église  romane  remonte  au  XIV*'  siècle. 

L'autre  commune,  Cambronne  les-Clermont,  est  située 
dans  l'arrondissement  dont  nous  venons  d'écrire  le  nom 
et  fait  partie  du  canton  de  Mouy.  Eglise  vénérable  là 
aussi  par  son  antiquité,  puisqu'elle  fut  consacrée  en  1239. 


-  2  - 

C'est  vraisemblablement  d'une  de  ces  communes  que 
la  famille  du  général  Gambronne  a  dû,  à  une  époque  qu'il 
est  difficile  de  préciser,  emprunter  le  nom  qu'il  a  illustré 
et,  ce  qui  permet  de  le  croire,  c'est  qu'elle  est  certainement 
originaire  de  Picardie. 

Dans  une  notice  intéressante,  M.  de  la  Nicollière-Teijeiro, 
archiviste  de  la  ville  de  Nantes,  a  reconstitué  la  généalogie 
des  parents  et  des  grands-parents  de  Gambronne,  d'après  les 
registres  des  actes  de  baptême  et  des  actes  de  l'état-civil. 
Nous  la  reproduisons  à  notre  tour,  en  nous  réservant  de 
la  compléter  et  de  la  rectifier  sur  certains  points. 

Jean-Louis  Gambronne,  courtier  de  toiles,  marié  à 
Marie-Anne  Blondel,  qui  habitait  Saint-Quentin  au  com- 
mencement du  XVIII®  siècle^  eut  trois  enfants,  deux  fils 
Jean  et  Louis-Marie  et  une  fille  Françoise.  Laissons  de 
côté  cette  fille  qui  épousa  en  1736  Pierre-Alexis  Saugnier, 
dont  le  père  avait  exercé  les  fonctions  de  consul  — 
quelque  chose  comme  membre  de  la  Ghambre  de  Gommerce 
—  et  revenons  au  fils  Louis-Marie  qui  se  maria  à  Saint- 
Quentin,  le  9  juillet  1731,  avec  Marie-Anne  Reneuve. 

Louis-Marie  eut  au  moins  sept  enfants,  cinq  fils,  André, 
Louis- Jacques-Nicolas,  Pierre  -  Gharles  ,  Marie-Antoine- 
Alexis  et  Nicolas-François,  que  nous  n'inscrivons  peut- 
être  pas  dans  l'ordre  de  primogéniture,  e  deux  filles, 
Marie-Anne,  qui  se  maria  dans  la  suite  à  Louis  Roger, 
marchand  apprêteur  de  toile,  à  Saint-Quentin  et  Jeanne- 
Françoise-Véronique,  qui  épousa  à  Saint-Quentin  un  de 
ses  cousins,  Quentin-Corneil  Gambronne. 

Nous  donnerons  à  la  fin  de  ce  livre,  aussi  exactement 
que  faire  se  pourra,  l'arbre  généalogique  de  la  famille 
Gambronne.  Revenons  pour  l'instant  à  Louis-Jacques- 
Nicolas  qui  se  marie  à  Nantes  en  l'église  Sainte-Croix  le 


—  3  — 

42  décembre  1763  avec  la  fille  cadette  d'un  négociant 
nantais  alors  décédé,  Thérèse  Daller.  Il  en  eut  l'année 
suivante  deux  jumeaux,  garçon  et  fille,  qui  ne  vécurent 
pas  et  moururent  au  lendemain  de  leur  naissance  (17  nov. 
1764),  un  fils  Louis-Charles-François,  né  le  22  mai  1766, 
mort  le  9  juillet  1792  et  un  autre  fils  Pierre-Félix,  baptisé, 
le  9  février  1768. 

Sa  sœur,  Jeanne-Françoise-Véronique  née  le  16  octobre 
1737  et  baptisée  le  même  jour  à  la  paroisse  Saint-Jacques 
de  Saint-Quentin,  mourut  jeune  encore  en  1760.  Elle 
avait  épousé,  le  30  mai  1756,  son  cousin,  Quentin-Corneil 
Cambronne,  marchand  brasseur.  Leur  mariage  fut  célébré 
par  l'abbé  André  Cambronne,  «  chanoine  de  l'église  collé- 
giale de  Nesle,  frère  de  l'épouse  »,  mais  il  dura  peu, 
puisque  quatre  ans  après,  il  était  dissous  par  la  mort  de 
la  femme. 

Elle  laissait  deux  filles  qui  épousèrent  l'une  M.  Lefeb- 
vre  de  Saint-Quentin,  l'autre  M.  Viéville,  Resté  veuf, 
Quentin  Corneil  Cambronne  se  remaria  avec  Anne-Fran- 
çoise Adan  dont  il  eut  six  enfants.  Leur  descendance  vit 
encore  à  Saint-Quentin,  Ay,  Arras,  Lille  et  Paris. 

Mais  des  enfants  de  Louis  Cambronne,  celui  qui  doit 
nous  intéresser  le  plus  directement,  c'est  Pierre-Charles 
Cambronne,  né  le  25  décembre  1738  à  Saint-Quentin.  Il 
avait  dû  assister  au  mariage  de  son  frère  aîné  et  être 
séduit  par  les  bonnes  manières  de  Charlotte  Daller,  la 
sœur  aînée  de  sa  belle-sœur.  Il  la  demanda  en  mariage, 
et  l'épousa  à  Nantes,  le  28  janvier  1765,  à  la  chapelle  de 
la  Madeleine  (paroisse  Sainte-Croix)  qui  s'élevait  alors  à 
l'angle  de  la  chaussée  de  ce  nom  et  du  quai  des  Fumiers 
(depuis  quai  Magellan)  ;  mais  si  cette  union  fut  heureuse, 
elle  ne  le  fut  pas  longtemps.  Le  5  janvier  1767,  Charlotte 


accouchait  comme  sa  sœur  Thérèse  de  deux  jumeaux 
morts-nés,  hélas!  elle  ne  leur  survécut  guère,  et  le  2o  du 
même  mois,  elle  succombait  elle-même  à  l'âge  de  trente 
ans  seulement. 

Son  mari  ne  resta  veuf  que  deux  ans  et,  le  31  janvier 
4769,  il  épousait  à  l'église  Saint-Martin  de  Noyon  Fran- 
çoise-Adélaïde Druon,  fille  de  Charles  Druon,  licencié  ès- 
lois,  conseiller  du  roi  en  l'élection  de  Noyon,  lequel  n'avait 
pas  moins  de  huit  enfants. 

Nous  avons  sous  les  yeux  le  contrat  de  mariage  de 
Pierre-Charles  Cambronne  passé  le  30  janvier  1769  par 
devant  les  «  notaires  royaux  gardes-nottes  héréditaires  et 
tabellions  au  baillage  de  Noyon  »,  Caillet  et  Sauvel.  Il 
«onstate  le  régime  de  la  communauté  «  en  tous  biens, 
meubles,  acquêts,  conquets,  immeubles  »  suivant  la  cou- 
tume de  Noyon,  que  les  époux  y  habitent  ou  non.  Le 
futur  apportait  en  meubles,  marchandises  et  argent  une 
valeur  de  quinze  mille  livres.  Les  parents  de  la  future  lui 
constituaient  en  dot  une  somme  de  dix  mille  livres  payés 
comptant. 

Chacun  des  époux  mettait  dans  la  communauté  deux 
mille  livres,  outre  leurs  habits  et  linges  ;  le  reste  de  leur 
apport  leur  demeurait  propre.  De  plus,  le  futur  douait  la 
future,  si  mieux  elle  n'aimait  prendre  le  douaire  coutumier, 
de  la  somme  de  quatre  cents  livres  de  rente  viagère  et 
annuelle. 

Le  contrat  réglait  également  ce  qui  adviendrait  en  cas 
de  décès  ou  de  dissolution  de  communauté,  sans  décès. 

Mais  ce  qui  n'est  pas  moins  intéressant  que  les  condi- 
tions du  contrat,  c'est  la  liste  de  ceux  qui  furent  témoins, 
accompagnée  de  l'indication  de  leur  parenté  avec  les 
futurs  époux. 


—  5  — 

Du  côté  de  Pierre-Charles  Cambronne,  c'est  d'abord  son 
père  Louis;  son  frère  Marie-Antoine-Alexis,  «  garçon 
majeur  »  ;  sa  sœur  Marie-Anne,  épouse  Louis  Roger, 
alors  consul  en  exercice  à  Saint-Quentin  ;  son  beau-frère, 
Quentin-Gorneil  Cambronne,  mari  de  sa  sœur  Jeanne- 
Françoise-Véronique,  qualifié  de  «  marchand ,  ancien 
consul  »;  François  Reneufve,  ancien  maire  de  Noyon  ; 
ses  cousins  Jacques  Christophe  Reneufve,  «  garçon  ma- 
jeur »,  Claude-Nicolas  Reneufve,  conseiller  du  Roy, 
«  grenetier  au  grenier  à  scel  »  (sic)  de  Noyon  et  Jacques- 
Maurice  Reneufve,  «  garçon  majeur  ». 

Du  côté  de  l'épouse,  c'est  son  père  Charles  Druon,  licen- 
cié-ès-loix,  conseiller  du  Roy,  élu  en  l'élection  de  Noyon, 
sa  mère,  dame  Marie-Louise  Frassens  ;  son  frère.  M" 
Charles-Louis  Druon,  avocat  en  parlement,  conseiller  du 
Roy  et  son  procureur  en  la  Maîtrise  des  Eaux  et  Forêts 
de  Noyon,  Péronne  et  Roye  ;  sa  sœur  Marie-Thérèse-Al- 
degonde  Druon,  fille  majeure  ;  son  beau-frère  M«  Jeanf- 
Charles-MarieMargerin,  conseiller  du  Roy,  garde-marteau 
en  la  maîtrise  de  Noyon,  et  la  femme  de  ce  dernier,  sœur 
de  la  future,  Marie-Catherine-Louise  Druon. 

Pierre-Charles  Cambronne  avait  alors  trente  ans  et  sa 
seconde  femme  vingt-sept.  Leur  union  ne  laissa  pas  que 
d'être  féconde,  puisque,  suivant  l'exemple  de  sa  mère, 
madame  Cambronne  eut  également  huit  enfants. 

1»  Adélaïde-Marguerite,  baptisée. le  23  janvier  1770, 
morte  le  7  juin  4786  et  que  Rogeron  de  la  Vallée,  au- 
teur d'une  Vie  de  Cambronne  sur  laquelle  nous  aurons  à 
dire  notre  sentiment,  donne  à  tort  comme  épouse  de 
François  Lemerle. 

2»  Pierre-Jacques-Etienne,  le  futur  général,  né  le  26 
décembre  1770,  à  qui  ce  livre  est  consacré. 


—  6  — 

3°  Amable-Gharles-François,  né  le  30  mai  1772. 

4°  Constant,  baptisé  le  4  avril  1773. 

5°  Stanislas-Louis,  baptisé  le  18  juin  1776,  décédé  le 
23  février  1781. 

6°  Constant-Louis-François,  né  le  15  août  1778,  mort 
glorieusement  à  Austerlitz  à  l'âge  de  vingt-huit  ans, 
comme  sous-lieutenant  au  46«  régiment  d'infanterie  de 
ligne,  dans  la  compagnie  même  où  avait  servi  La  Tour 
d'Auvergne. 

1°  Justine  Cambronne,  baptisée  le  10  novembre  1780, 
qui  épousa  en  premières  noces  Armand-Pierre  Lemerle, 
commis  au  bureau  des  contributions  directes  à  Nantes,  et 
en  second  mariage  Jacques -Philippe  Ferro,  capitaine  en 
retraite,  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  et  de  St-Louis, 

De  son  premier  mariage,  Justine  Cambronne  avait  eu 
huit  enfants  : 

(a)  François  Lemerle,  qui  figurait  sur  le  testament  de 
la  générale  Cambronne,  avec  l'indication  de  la  profession 
d'artiste,  mais  qui  mourut  avant  elle,  comme  nous  l'ap- 
prend l'inventaire  dressé  à  la  mort  de  cette  dernière,  le 
5  janvier  1853,  à  Paris; 

(b)  Armande-Justine  Lemerle,  qui  portait  les  prénoms 
de  son  père  et  de  sa  mère  et  devint  la  femme  de  Jean- 
Louis  Cabanne.  Nous  la  voyons  figurer  en  1863,  comme 
veuve  sans  enfants,  dans  un  acte  notarié.  Elle  était  rentière 
et  habitait  Saint-Jean-Bonnefonds  (Loire)  ; 

(c)  Marie-Rachel  Lemerle,  née  le  16  Septembre  1808, 
qui  épousa  à  Nantes,  le  31  décembre  1825,  M.  Philippe- 
Jacob  Vincent,  rentier.  Elle  demeurait  en  1863  à  Paris, 
23,  route  de  Choisy. 


—  7  — 

(d)  Joseph-Silas  Lemerle ,  raffineur ,  domicilié  à 
l'époque  que  nous  venons  d'indiquer  à  Paris,  69,  rue  de 
Flandres,  avec  sa  femme  Célina-Augustine-Fanny  Pres- 
sensé.  Cette  dernière,  aujourd'hui  veuve,  vit  encore.  Elle 
demeure  à  Porte-Chaise,  en  Saint-Sébastien  près  Nantes 
et  porte  gaillardement  ses  quatre-vingts  ans.  Elle  est  née 
à  Nantes  le  4  mars  1813.  C'est  à  elle  que  nous  devons 
une  partie  des  renseignements  qui  précèdent. 

(e)  Gertrude  Lemerle,  née  à  Nantes,  en  1813. 

(f)  Caleb  Lemerle,  né  le  3  mai  1815  à  Nantes. 

(g)  Claudine -Dauphan  Lemerle  qui  épousa  Pierre- 
François  Lhéritier,  docteur  en  médecine. 

(h)  Enfin  Noëmie-Thérèse  Lemerle,  qui  mourut  à  Nantes 
le  23  janvier  1829. 

Justine  Cambronne  mourut  à  Angoulème,  faubourg 
Labussatte,  rue  Montlogis,  70,  le  22  juin  1861,  à  l'âge  de 
plus  de  quatre-vingts  ans,  et  son  second  mari,  M.  Ferro, 
la  suivait  quelques  mois  après,  le  27  septembre,  dans  la 
tombe,  sans  postérité,  laissant  par  testament  sa  fortune 
aux  trois  enfants  encore  vivants  de  sa  femme. 

8°  Enfin  Lucie,  baptisée  le  3  juin  1782. 

De  cette  grande  et  belle  famille,  qu'est-il  advenu? 
Adélaïde-Marguerite,  l'aînée,  meurt  à  l'âge  de  seize  ans; 
nous  ignorons  le  sort  d'Amable-Charles-François,  de  Cons- 
tant, de  Stanislas-Louis,  de  Lucie;  nous  suivons  un  peu 
plus  longtemps  dans  la  vie  Justine,  dont  nous  retrouvons 
la  présence  aux  principaux  actes  civils  de  l'existence  de 
son  illustre  frère,  nous  connaissons  la  mort  glorieuse  de 
€onstant-Louis-François,  dont  M.  de  la  Nicollière  a  retrouvé 
dans  les  registres  de  l'état-civil  de  la  mairie  de  Nantes 


—  8  — 

(an  XIV,  1806,  2«  division,  folio  i54)  l'acte  de  décès  bien 
digne  des  honneurs  de  la  reproduction  : 

Extrait  du  registre  de  l'état-civil  au  46^  régiment  d'infanterie 
de  ligne 

Conformément  à  l'instruction  du  Ministre  de  la  Guerre,  en  date 
du  24  brumaire  an  xii,  sont  comparus  devant  moi  soussigné 
officier  payeur  du  46^  régiment  de  ligne,  les  nommés  Dorothé 
Merens,  sous-lieutenant  à  la  Ire  compagnie  du  2e  bataillon,  Jean 
Richard,  sergent-major  et  Pierre  Noblet,  caporal  fourrier  à  la 
compagnie  de  grenadiers  du  2^,  tous  trois  du  dit  régiment,  pour 
y  déclarer  ce  qui  suit  : 

Le  onze  frimaire  an  quatorze,  a  été  tué,  en  notre  présence,  sur 
le  champ  de  bataille,  à  Austerlitz,  le  sieur  Constant  Gambronne, 
sous-lieutenant  à  la  compagnie  de  grenadiers  du  2e  bataillon, 
fds  de...  et  de...,  né  le  seize  aoust  mil  sept  cent  soixante-dix-huit, 
à  Nantes,  département  de  la  Loire-Inférieure,  que  nous  avons 
parfaitement  connu. 

Delaquelle  déclaration  nous  avons  pris  acte  que  les  témoins 
ont  signé  avec  nous  à  Austerlitz,  les  jour,  mois  et  an  que  dessus. 
Signé:  Merens,  sous-lieutenant;  Richard,  sergent-major;  Noblet, 
fourrier,  et  Le  Tellier,  officier-payeur. 

Certifié  par  le  colonel  du  dit  régiment,  G.  Latrille. 

Fellonneau. 

En  marge  est  écrit:  N»  16,  acte  constatant  le  décès  du  nommé 
Constant  Cambronne,  sous-lieutenant  aux  grenadiers  du  2e  ba- 
taillon, signalé  au  registre  des  officiers,  sous  le  no... 

Il  appert,  suivant  l'acte  de  naissance  du  défunt  qu'il  se  nom- 
mait Constant-Louis-François  Cambronne,  et  qu'il  était  fils  du 
sieur  Pierre-Charles  Cambronne,  négociant,  et  de  dame  Françoise- 
Adélaïde  Druon. 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  parler  de  Pierre-Jacques- 
Etienne  Cambronne,  mais  auparavant  disons  que  son 
père  mourut  le  6  octobre  1784,  âgé  de  quarante-cinq  ans 


—  9  — 

seulement.  Bien  que  qualifié  de  négociant,  terme  élastique 
qui  comprend  au  besoin  le  plus  humble  commerce,  le 
père  Gambronne  passait  pour  n'avoir  qu'une  position  de 
fortune  fort  modeste.  Nous  le  voyons  exempté,  sur  sa 
requête,  du  logement  des  gens  de  guerre,  par  délibération 
de  la  ville  et  communauté  de  Nantes  du  30  mai  1778, 
comme  garde-magasin  des  poudres  et  salpêtres  (1).  Quand 
il  mourut  dans  la  paroisse  de  Sainte-Croix,  il  laissait  à  sa 
veuve  qui  n'avait  alors  que  quarante-deux  ans,  la  charge 
de  jeunes  enfants  dont  Taînée  n'était  Agée  que  de  quatorze 
ans  et  la  plus  jeune  de  deux  ans  seulement.  Nous  avons 
sous  les  yeux  l'inventaire  des  meubles,  effets  et  marchan- 
dises fait  au  décès  de  Pierre-Charles  Cambronne,  par 
Noiron,  commis-greffier  au  présidial  de  Nantes ,  avec 
l'aide  de  Pierre  Gox,  msLÎire/rippier,  Haute-Grande-Rue. 
Nous  en  donnerons  en  annexe  quelques  passages  curieux 
pour  les  modes  du  temps,  ce  que  nous  pouvons  dire  dès 
ici,  c'est  que  Cambronne,  marchand  de  bois  du  Nord, 
laissait  une  fortune  prisée  140.447  livres  2  sols  9  deniers, 
somme  assez  considérable  pour  l'époque.  Mais  il  fallait  un 
homme  pour  conduire  un  pareil  négoce  et  ce  n'était  pas 
trop  de  toute  la  vaillance  de  la  mère  de  famille  pour 
mener  à  bien  l'œuvre  que  lui  laissait  la  mort  prématurée 
du  chef  frappé  dans  la  fleur  de  l'âge. 


(1)  Archives  municipales  de  Nantes.  Administration  communale 
BB  106,  fol.  13. 


CHAPITRE  II 

ENFANCE  DE  CAMBRONNE 

Pierre-Jacques-Etienne  Cambronne  naquit  le  26  décembre 
1770,  à  Nantes,  et  non  pas  à  Saint-Sébastien,  comme  l'ont 
imprimé  à  tort  tant  de  notices  biographiques  (1). 

Avant  les  modifications  qu'a  subies  le  quai  de  l'Hôpital 
pour  faciliter  la  création  des  squares  de  l'Hôtel-Dieu,  oa 
montrait  encore,  parmi  les  maisons  voisines  du  pont  de 
la  Belle-Croix,  celle  où  Cambronne  reçut  le  jour.  La  vue 
daguerréotype,  publiée  par  Forest,  et  intitulée  :  Nantes, 
vue  prise  du  quai  de  l'Hôpital,  donne  à  droite  la  façade 
de  la  maison  dont  nous  parlons.  C'était  la  seconde  en 
partant  du  pont,  et  la  famille  de  Cambronne  en  occupait, 
dit-on,  le  deuxième  étage  (2).  Voici  le  texte  de  son  acte 
de  naissance,  ou  plutôt  de  baptême  —  c'était  alors  la  même 
chose  —  qui,  pour  avoir  reçu  déjà  les  honneurs  de  la 
publicité,  n'en  mérite  pas  moins  d'être  reproduit  dans  cet 
ouvrage  : 

Le  vingt-sept  décembre  mil  sept  cent  soixante-dix  a  été  baptisé 
t*ierre-Jacques-Etienne  Cambronne,  né  hier,  du  légitime  mariage 
de  N,  H.  (c'est-à-dire  noble  homme)  Pierre-Charles  Cambronne, 


(1)  C.  D.  Vie  militaire  de  Cambronne,  Paris,  1822,  dit  qu'il  naquit 
à  Saint-Sébastien,  près  Nantes;  Levot,  Biographies  bretonnes,  dans 
la  banlieue  de  Nantes,  paroisse  de  Saint-Sébastien  ;  Larousse,  à  Saint- 
Sébastien;  les  Ephe'mérides  nantaises  reproduisent  la  même  erreur. 

(2)  Cambronne,  par  S.  de  La  NicoUière-Teijeiro,  1892. 


—  n  — 

négociant,  et  de  dame  Françoise-Adélaïde  Druon,  son  épouse. 
Ont  été  parrain  le  sieur  Jacques  Honorati  et  marraine  Thérèse 
Dhaler,  épouse  de  N.  H.  Jacques-Nicolas  Cambronne,  tante  de 
l'enfant. 

Thérèse  Dhaler;  Honorati;  Cambronne;  Delaville,  vicaire  (1). 

A  son  père,  Cambronne  avait  pris  le  prénom  de  Pierre  ; 
à  son  parrain,  qu'avec  son  emphase  ordinaire,  Rogeron 
de  la  Vallée  appelle  «  le  plus  vertueux  des  Italiens  »,  et 
peut-être  aussi  à  son  oncle,  le  mari  de  sa  marraine,  il 
emprunte  celui  de  Jacques;  enfin  le  saint  dont  l'Eglise 
célébrait  ce  jour-là  la  fête^  Etienne,  lui  valait  son  troi- 
sième prénom.  Lequel  des  trois  préférait-il  ?  Comment  sa 
mère  l'appelait-elle,  quand  il  était  petit,  comment  ses 
camarades,  lorsqu'il  jouait  avec  eux  dans  la  cour  de 
l'école,  l'interpellaient-ils  ?  De  ce  qu'à  l'un  des  registres 
relatant  son  acte  de  mariage  civil,  il  a  signé  E.  baron 
Cambronne,  M.  de  la  Nicollière  a  conclu  peut-être  un 
peu  vite  qu'Etienne  était  son  prénom  usuel.  L'autre 
registre  porte  seulement  le  baron  Cambronne,  sans  autre 
indication. 

Notons  par  contre  ce  détail  significatif  qu'à  leur  contrat 
de  mariage,  que  nous  analysons  plus  loin,  chacun  des 
époux  indique  la  marque  à  laquelle  se  reconnaîtront  le 
linge  et  l'argenterie  qui  lui  appartiendront  lors  de  la  dis- 
solution du  mariage.  Or,  la  marque  de  Cambronne  était 
P.  C.j  ce  qui  signifie  Pierre  Cambronne  et  répond  à  l'argu- 
ment tiré  de  la  signature  d'un  acte  de  l'état-civil  isolé. 

Cambronne,  en  effet,  faisait  précéder  son  nom  plus 
volontiers  de  son  titre  que  de  ses  prénoms.  Son  contrat 
de  mariage,  son  acte  de  mariage  religieux  portent  comme 

(1)  Archives  municipales  de  Nantes.  Série  GG.  Cultes,  registre  de 
Sainte-Croix  1770,  folio  129. 


—  42  - 

signature  :  Le  baron  Cambronne,  sans  aucune  initiale  ; 
et  quand,  plus  tard,  la  Restauration  eut  fait  de  lui  un 
vicomte,  il  signait  tantôt  de  ce  titre  nouveau,  tantôt  et 
même  plus  souvent  L.  V.  Cambronne,  ce  qu'il  fallait 
traduire  ainsi  :  Le  Vicomte  Cambronne. 

Ce  qui  nous  donnerait  plutôt  lieu  de  penser  que  ses 
amis  l'appelaient  habituellement  Pierre,  c'est  que  plus 
tard,  entre  intimes,  faisant  allusion  à  ses  campagnes 
en  Espagne  où  s'il  s'était  battu  pendant  quatre  ans  (1808, 
1840,  4844,  4842)  ils  ne  se  gênaient  pas  pour  le  traiter 
avec  une  familiarité  tout  amicale  et  à  titre  de  plaisanterie, 
bien  entendu,  de  Pierre  le  Cruel. 

Dans  un  document  public  daté  de  Chateaubriant,  que 
nous  donnerons  à  sa  place,  il  déclare  se  nommer  Pierre. 

Cambronne  grandit  rapidement.  A  l'âge  de  neuf  ans 
c'était  déjà  un  petit  homme,  et  sa  taille  svelte  lui  donnait 
les  apparences  d'un  garçon  de  treize  à  quatorze  ans.  Il 
aimait  beaucoup  sa  mère,  qui  exerça  toujours  sur  lui  une 
grande  et  heureuse  influence  et  pour  laquelle  il  professait 
un  véritable  culte  fait  tout  à  la  fois  de  respect  et 
d'affection. 

Mais  il  ne  pouvait  pas  indéfiniment  passer  sa  vie  à 
dénicher  des  merles.  II  fallut  songer  à  son  instruction,  à 
son  éducation,  et  son  père,  qui  voulait  faire  de  lui  un 
négociant,  comme  il  l'était  lui-même,  le  fit  entrer  au 
collège  de  l'Oratoire,  qui  comptait  alors  comme  supérieur 
le  père  Latyl,  appelé  à  quelques  années  de  là,  à  siéger  à 
la  Constituante  parmi  les  représentants  les  plus  libéraux 
et  les  plus  distingués  de  la  sénéchaussée  de  Nantes. 
Il  devait  y  trouver  aussi  Fouché,  du  Pellerin,  que  la 
destinée  allait  conduire  à  la  Convention  avant  d'en  faire 
un   duc   d'Otrante  et  un    ministre  de   la   Restauration. 


—  13  — 

Cambronne  entra  chez  les  Oratoriens,  mais  seulement  à 
titre  d'externe,  le  2  janvier  1781. 

Nous  ne  possédons  pas  les  notes  qui  devaient  être 
consacrées,  là  comme  partout,  aux  progrès  et  aux 
aptitudes  des  élèves.  Il  aurait  été  curieux  de  connaître 
quels  pronostics  les  maîtres  du  jeune  Cambronne  avaient 
portés  sur  lui,  sur  ses  dispositions,  sur  son  avenir. 
D'après  un  de  ses  biographes,  la  littérature  le  laissait 
assez  froid  et,  en  dehors  de  l'histoire,  de  la  géographie 
et  du  dessin,  il  ne  fallait  pas  lui  demander  grand'chose. 
Mais,  s'agissait-il  d'organiser  dans  les  cours  du  collège 
quelques  jeux  exigeant  de  l'audace  ou  de  l'adresse, 
quelques  divertissements  violents,  le  simulacre  de  combats, 
par  exemple,  auxquels  de  tout  temps  les  enfants  se  sont 
plu,  alors  Cambronne  était  un  boute-en-train  sans  égal, 
et,  dans  ces  petites  guerres  pour  rire,  il  pouvait  passer 
pour  l'organisateur  de  la  victoire.  On  cite  de  lui  des  traits 
d'une  hardiesse  peu  commune,  dont  voici  peut-être  le 
plus  caractéristique  ; 

C'était  en  1784,  en  plein  hiver,  la  veille  de  la  fête  de  Noël, 
Cambronne  avait  obtenu  d'aller  à  la  messe  de  minuit, 
mais  sa  mère  inquiète  lui  avait  surtout  recommandé,  à 
la  sortie  de  l'église,  de  rester  à  Nantes  et  de  ne  venir  la 
retrouver  que  le  lendemain,  à  la  petite  propriété  de 
La  Treille  qu'elle  occupait  sur  la  côte  de  Saint-Sébastien. 
Recommandation  vaine.  La  messe  achevée,  l'enfant, 
malgré  le  froid,  malgré  la  nuit,  se  met  en  route  pour 
rejoindre  sa  mère,  mais  par  quel  chemin  ?  par  la  Loire 
alors  prise,  à  l'aide  de  patins  qui  glissent  péniblement  sur 
la  glace  inégale  et  sans  souci  comme  sans  crainte  de 
s'enfoncer  dans  quelque  crevasse  inaperçue.  Il  arriva 
enfin  à  destination  au   milieu    de    la    nuit,   après  une 


—  14  — 

expédition  dont  le  souvenir  suffisait  à  donner  à  la  pauvre 
maman  plus-  d'un  frisson  rétrospectif,  en  songeant  aux 
dangers  que  son  fils  avait  ainsi  courus. 

A  la  mort  de  son  père,  Cambronne  devint  pensionnaire 
et,  comme  si  cet  événement  l'eût  rendu  plus  sérieux  et 
plus  sage,  il  se  disciplina  davantage  et  essaya  même  de 
mordre  aux  racines  amères  des  sciences  pour  lesquelles  il 
avait  manifesté  jusque-là  le  plus  de  répulsion,  sans  grand- 
succès  d'ailleurs,  malgré  ses  efforts  et  sa  bonne  volonté. 
La  rhétorique  ne  fut  jamais  son  fort,  et  la  philosophie  ne 
fut  jamais  son  faible.  Quand,  aux  vacances  de  1788,  il 
quitta  l'Oratoire  pour  n'y  plus  revenir,  il  n'avait  fait  que 
des  études  fort  incomplètes  et  si  le  baccalauréat  eût  existé 
de  son  temps  comme  du  nôtre,  nul  doute  que  les  examina- 
teurs ne  l'eussent  ajourné  sans  pitié  à  la  prochaine  session. 

Ceux  qui  n'ont  connu  Cambronne  que  vers  la  fin  de  sa 
vie  et  qui  avaient  conservé  de  lui,  comme  3Ionselet,  le 
souvenir  d'un  homme  laid,  ne  l'auraient  jamais  deviné 
dans  ce  portrait  à  la  plume,  sans  doute  quelque  peu 
embelli,  qu'en  traçait  en  1853,  sur  les  indications  de  sa 
veuve,  Rogeron  de  la  Vallée  : 

»  Cambronne  n'avait  alors  que  dix-huit  ans  ;  ses  traits 
»  étaient  ceux  de  sa  mère.  De  beaux  yeux  largement 
»  ouverts,  aussi  limpides  qu'éblouissants,  des  sourcils 
»  longs  et  épais,  un  front  large  et  arrondi,  une  tète 
»  rayonnante  d'intelligence,  des  chevei^x  blond  châtain, 
»  soyeux  et  frisés  comme  ceux  du  noir  américain  ;  un  nez 
»  plus  aquilin  qu'ordinaire,  les  narines  légèrement  renflées 
»  où  palpitaient  les  émotions,  signe  de  courage;  une 
»  bouche  grande,  des  dents  éclatantes  de  blancheur,  les 
»  lèvres  minces  et  les  joues  bombées,  couleur  d'une  rose 
»  fraîchement  épanouie;  le  tour  du  visage  presque  rond, 


—  45  — 

»  une  physionomie  expressive,  passionnée  ;  une  peau 
»  fine,  une  carnation  riche,  la  taille  élevée,  la  poitrine 
»  grasse,  tout  le  reste  du  corps  bien  proportionné  ; 
»  l'attitude  .  timide,  mais  la  marche  assurée  ;  enfin  la 
»  beauté  d'Alcibiade  dans  la  force  de  Goriolan.  » 

Rabattons-en  un  peu  de  ce  portrait  par  trop  dithyram- 
bique, il  n'en  restera  pas  moins  établi  qu'à  dix-huit  ans, 
Cambronne  était  ce  que  nous  sommes  convenus  d'appeler 
«  un  beau  garçon  ». 

Qu'allait-il  devenir  ?  Né  à  toute  autre  époque,  Cambronne 
eût  sans  doute  été  amener  à  auner  du  drap  dans  quelque 
boutique  de  la  rue  de  la  Poissonnerie  ou  à  s'engager 
comme  commis  marchand  sur  le  quai  de  la  Fosse.  Sa 
bonne  étoile  voulut  que  l'heure  où  allait  s'affirmer  sa 
vocation  fût  précisément  celle  qui  marquait  les  débuts  de 
l'épopée  révolutionnaire  et  qu'il  comptât  au  nombre  de 
ceux  que  l'ère  nouvelle  allait  mettre  en  relief.  Cambronne 
avait  dix-huit  ans  à  la  veille  de  1789.  Il  était  de  ceux 
dont  Voltaire  avait  dit  quelques  années  auparavant  :  — 
Nos  enfants  sont  bien  heureux,  ils  verront  de  grandes 
choses. 

Cambronne  les  a  vues,  il  a  même  été  un  peu  de  ceux 
qui  les  ont  faites. 


CHAPITRE  III 

AU   DÉBUT  DE   LA   RÉVOLUTION 

Il  importe  de  ne  pas  oublier  que,  pour  être  né  à  Nantes, 
Cambronne  avait  du  sang  picard  dans  les  veines.  Son 
père  était  de  Saint-Quentin,  sa  mère  de  Noyon  ;  c'est  dire 
qu'il  appartenait  par  ses  origines  à  une  des  provinces  de 
France  qui  partageaient,  avec  la  Bretagne,  |le  privilège 
d'un  profond  amour  de  la  liberté  et  de  la  patrie. 

Aussi  fut-il  des  premiers,  parmi  la  jeunesse  nantaise,  à 
saluer  la  Révolution  à  son  aurore.  Nous  n'avons  pas  la 
pensée  de  reprendre  ici  par  le  menu  le  récit  des  événe- 
ments qui  marquèrent  en  Bretagne  le  début  de  cette  ère 
nouvelle,  l'envoi  dès  le  l^'^  novembre  1788  d'une  requête 
des  habitants  de  Nantes  au  roi  pour  réclamer  le  vote  par 
tète  et  non  par  ordre  et  l'abolition  des  corvées,  la  protes- 
tation des  députés  de  Nantes  aux  Etats  de  Bretagne  quand 
le  roi  en  prononça  la  dissolution  et  l'ajournement  à  l'année 
suivante,  l'irritation  du  peuple  de  Rennes,  les  conflits 
sanglants  qu'elle  provoqua,  les  arrêts  du  Parlement 
condamnant  au  feu  certains  écrits  libéraux  et  interdisant 
le  droit  de  réunion  et  enfin  la  grande  démonstration  du 
29  janvier  1789. 

Voici  quelle  en  fut  la  cause  : 

A  la  suite  de  la  suspension  des  Etats  de  Bretagne  que 
la  noblesse  et  le  clergé  avaient  sollicitée  du  roi,  la  ville 
de  Rennes  fut  le  théâtre  de  démonstrations  violentes. 
D'une  part  les  étudiants  de  l'école  de  droit,  ayant  à  leur 
tête  Moreau,  le  futur  général,  qui  devait  ternir  une  vie 


—  17  — 

glorieuse  par  une  mort  honteuse  dans  les  rangs  des 
ennemis  de  la  France,  de  l'autre  les  nobles  qui  avaient 
équipé,  pour  les  soutenir,  une  bande  de  valets.  Au  cours 
d'une  collision,  il  y  eut  des  blessés  et  des  tués.  La  jeu- 
nesse libérale  de  Rennes  fit  appel,  pour  résister,  à  celle 
du  reste  de  la  Bretagne  et  de  l'Anjou.  Le  député  qui  vint 
à  Nantes  s'appelait  Omnes  Omnibus.  Il  devait  ce  second 
nom  qui  était  venu  s'accoler  au  sien  à  un  acte  de  dévoue- 
ment :  il  avait  sauvé  la  vie  à  deux  personnes  qui  se 
noyaient.  Louis  XVI  lui  avait  fait  don  d'une  médaille  en 
or  avec  cette  inscription  flatteuse  :  Omnes  omnibus. 

Cette  appellation  honorable  entre  toutes  lui  resta. 

Dans  la  nuit  du  27  au  28  janvier,  les  jeunes  gens  de 
Nantes  se  réunirent  à  la  Bourse  pour  recevoir  et  entendre 
leur  camarade  de  Rennes.  Au  discours  passionné  d'Omnes 
répondit  une  énergique  et  fraternelle  protestation  souvent 
publiée,  mais  presque  toujours  tronquée  et  que  nous 
donnons  ici  dans  son  entier  : 

Protestation  et  Arrêté  des  Jeunes  Gens  de  Nantes 

(du  28  Janvier  1789) 

Frémissant  d'horreur  à  la  nouvelle  de  l'assassinat  commis  à 
Rennes,  à  l'instigation  de  plusieurs  membres  de  la  noblesse  ; 
convoqués  par  le  cri  général  de  la  vengeance  et  de  l'indignation  ; 
reconnaissant  que  les  dispositions  bienfaisantes  de  notre  auguste 
roi,  pour  affranchir  ses  fidèles  et  dévoués  sujets  de  l'ordre  du 
Tiers,  de  l'esclavage  où  ils  gémissent  depuis  tant  de  siècles, 
ne  trouvent  d'obstacles  que  dans  cet  ordre  dont  l'égoïsme  forcené 
ne  voit,  dans  la  misère  et  les  larmes  des  malheureux,  qu'un 
tribut  odieux  qu'ils  voudraient  étendre  jusque  sur  les  races 
futures. 

D'après  le  sentiment  de  nos  propres  forces,  et  voulant  rompre 
le  dernier  anneau  de  la  chaîne  qui  nous  lie,  jugeant  d'après  la 


—  18  — 

barbarie  des  moyens  qu'emploient  nos  ennemis  pour  éterniser 
notre  oppression,  que  nous  avons  tout  à  craindre  de  l'aristocratie 
qu'ils  voudraient  ériger  en  principe  constitutionnel,  nous  nous 
en  affranchissons  dès  ce  jour,  sous  la  protection  d'un  second 
Henri  IV  et  d'un  nouveau  Sully. 

Un  ordre,  dans  sa  protestation,  ose  apposer  son  opinion  à  celle 
de  son  roi^  à  celle  de  l'Europe,  à  celle  du  patriote  et  vertueux 
Necker,  solide  et  seul  appui  d'un  royaume  prêt  à  s'écrouler  I 
Mortel  adorable  dont  l'héroïsme  est  au-dessus  du  sang  et  des 
vains  préjugés  ;  ô  toi,  qu'on  ne  peut  mieux  louer  qu'en  t'acccor- 
dant  le  nom  d'homme,  nom  que  toi  seul  peux  rendre  encore 
respectable,  puisque  tous  tes  travaux  n'ont  d'autre  objet  que  de 
lui  rendre  sa  dignité  première,  et  de  le  remettre  à  la  place  que 
lui  fixa  la  nature,  et  que  lui  conserveront  toujours  et  les  bonnes 
lois,  et  les  bons  rois,  ô  Necker,  accepte  ici  l'hommage  que  l'ordre 
du  Tiers  rend  à  tes  vertus  ;  si  le  bronze  et  le  marbre  n'offrent 
point  encore  dans  nos  villes^  à  nos  yeux  attendris,  tes  traits 
révérés,  tous  nos  cœurs  sont  autant  d'autels  où  l'encens  de  la 
reconnaissance  se  mêlera  sans  cesse  à  nos  vœux  ardents  pour 
la  conservation  de  tes  jours  précieux  et  pour  que  tu  jouisses  du 
bonheur  que  tu  veux  donner  à  vingt-trois  millions  de  Français. 

L'insurrection  de  la  liberté  et  de  l'égalité  intéressant  tout  bon 
citoyen  de  l'ordre  du  Tiers,  tous  doivent  la  favoriser  de  tout 
leur  pouvoir  par  une  inébranlable  et  indivisible  adhésion  ;  mais 
principalement  les  jeunes  gens,  classe  heureuse  à  qui  le  ciel  ac- 
corda de  naître  assez  tard  pour  pouvoir  espérer  de  jouir,  sous  un 
monarque  chéri,  des  fruits  qu'ont  enfin  fait  naître  en  France  et 
la  philosophie  du  dix-huitième  siècle  et  l'ascendant  de  l'immortel 
Necker  ! 

Que  le  cri  de  la  vengeance  retentisse  jusqu'au  pied  du  trône  1 
que  les  yeux  du  monarque  voient  couler  le  sang  de  nos  frères  : 
son  cœur  paternel  sera  glacé  d'horreur  et  son  auguste  main  fera 
étinceler  le  glaive  des  lois  sur  les  vils  moteurs  d'un  aussi  lâche 
assassinat  et  d'un  complot  que  nous, n'osons  même  pénétrer. 

Jurons  tous,  au  nom  de  l'humanité  et  de  la  liberté,  d'élever  un 


-  19  — 

rempart  aux  efforts  de  nos  ennemis  ;  d'opposer  à  leur  rage  san- 
guinaire le  calme  et  la  persévérance  des  paisibles  vertus.  Elevons 
un  tombeau  aux  deux  martyrs  de  la  cause  de  la  liberté  et  pleu- 
rons sur  leurs  cendres  jusqu'à  ce  qu'elles  soient  apaisées  par  le 
sang  de  leurs  bourreaux  et  l'éclatante  justice  que  nous  attendons 
de  notre  souverain,  chef  suprême  des  lois,  qui  seul  peut,  sans 
être  homicide,  venger  l'humanité,  punir  les  forfaits. 

Avons  arrêté,  nous  soussignés  jeunes  gens  de  toute  profes- 
sion, de  partir  en  nombre  suffisant  pour  en  imposer  aux  vils 
exécuteurs  des  fanatiques  aristocrates  et  pour  demander  à  ceux 
qui  doivent  être  les  dispensateurs  de  lajusticOj  la  réparation  du 
délit  commis  à  Rennes. 

Que  comme  plusieurs  d'entre  nous  peuvent  être  retenus  par 
des  places  qu'ils  craindraient  de  perdre,  nous  regarderons  comme 
infâmes  et  déshonorés  à  jamais  ceux  qui  auraient  la  bassesse  de 
postuler  ou  même  d'accepter  les  places  des  absents. 

Tous  ceux  qui  partiront  seront  soumis  aux  commissaires 
nommés  par  acclamation,  pour  la  police  et  ordre  qu'il  convien- 
dra d'observer  pendant  le  voyage  et  le  séjour  à  Rennes. 

Protestons  d'avance  contre  tous  arrêts  qui  pourront  nous 
déclarer  séditieux,  lorsque  nous  n'avons  que  des  intentions 
pures  et  inaltérables.  Jurons  tous,  au  nom  de  l'honneur  et  de  la 
patrie,  qu'au  cas  qu'un  tribunal  injuste  (car  nous  nous  mettons 
sous  la  sauvegarde  du  conseil  de  Sa  Majesté)  parvînt  à  s'empa- 
rer de  quelqu'un  de  nous,  et  qu'il  osât,  par  un  de  ces  actes  que 
la  politique  appelle  de  vigueur,  et  qui  ne  sont  en  effet  que  des 
actes  de  despotisme,  le  sacrifier  sans  observer  les  formes  et  les 
délais  prescrits  par  la  loi,  jurons  de  faire  ce  que  la  nature,  le 
courage  et  le  désespoir  inspirent  pour  sa  propre  conservation. 

Arrêté  à  Nantes,  dans  la  salle  de  l'hôtel  de  la  Bourse,  ce  28 
janvier  1789. 

Si  Gambronne  ne  tint  pas  la  plume  pour  rédiger  cette 
vigoureuse  protestation  écrite  dans  le  style  à  panache  du 
temps,  il  en  fu^  du  moins  un  des  signataires. 


—  20  — 

Son  nom  y  figure  après  celui  des  commissaires  et  des 
chefs  de  correspondance,  entre  celui  de  Baudichon  jeune 
et  de  Bonnement,  non  loin  de  celui  de  Lafont,  dont  il 
resta  toujours  l'ami  (1). 

On  ne  dormit  guère  cette  nuit-là  et  dès  le  lendemain 
29  janvier,  quatre  cents  jeunes  gens,  dont  Cambronne, 
prenaient  la  route  de  Rennes.  Quand  ils  y  arrivèrent,  le 
calme  s'était  quelque  peu  rétabli  dans  les  esprits,  mais  ils 
profitèrent  de  leur  séjour  pour  cimenter  l'union  de  la 
bourgeoisie  des  deux  villes.  Douze  jours  après,  ils  ren- 
traient à  Nantes,  chargés  de  couronnes  et  de  fleurs  et 
tout  fiers  de  l'œuvre  fraternelle  à  laquelle  ils  venaient  de 
prêter  leur  concours. 

Les  détails  de  ce  voyage  consigné  dans  un  Journal  de 
Route  qui  fut  condamné  depuis  par  le  Parlement  de  Paris, 
excitèrent  dans  toute  la  Bretagne  un  enthousiasme  indes- 
criptible qui  mit  en  relief  la  générosité  et  la  bravoure  de 
la  jeunesse  nantaise. 

Voilà  qui  n'était  pas  fait  pour  détourner  Cambronne  de 
la  seule  vocation  où  il  trouvait  le  moyen  de  satisfaire  sa 
passion  pour  le  métier  des  armes.  Quelque  affectueux  qu'il 
ait  toujours  été  pour  sa  mère,  il  joignait  aux  qualités  du 
cœur  une  grande  fermeté,  quelque  chose  de  l'obstination, 
de  l'entêtement  breton  et  toutes  les  prières  furent  impuis- 
santes à  le  détourner  de  la  résolution  qu'il  avait  prise  :  il 
serait  soldat. 

(1)  Une  plaquette  petit  in-8°  de  huit  pages,  sans  nom  d'imprimeur, 
avec  iR  "date  en  touteslettres.de  mil  sept  cent  quatre-vingt-neuf, 
consacra  le  souvenir  de  ces  mémorables  événements.  Elle  est  devenue 
très  rare.  La  bibliothèque  publique  de  Nantes  la  possède  sous  le  n» 
50.387. 

Lafont  était  le  grand-père  de  M.  Georges  Lafont,  architecte  à 
Nantes. 


—  21  — 

Fit-il  partie,  un  des  premiers,  d'une  milice  de  jeunes 
volontaires  qui  fut  créée  à  Nantes  ?  Montait-il  la  gardft 
pendant  la  nuit,  après  avoir  travaillé  toute  la  journée  chez 
un  négociant?  Se  prépara-t-il  ainsi,  de  1789  à  1792,  au 
rude  apprentissage  des  armes?  C'est  possible,  c'est  même 
fort  vraisemblable,  bien  qu'aucun  document  n'ait  été  pro- 
duit à  l'appui  de  ces  assertions  et  qu'elles  ne  soient  venues 
jusqu'à  nous  que  par  une  sorte  de  tradition  qui  n'a  pas 
rencontré  de  contradicteur. 

Il  faut  en  arriver  à  la  déclaration  de  guerre  faite  à  la 
France  par  l'Europe  coalisée,  à  l'insolent  manifeste  du  duc 
de  Brunswick,  à  l'heure  solennelle  où  l'assemblée  législa- 
tive fit  retentir  ces  paroles  célèbres  :  «  La  patrie  est  en 
danger!  »  pour  assister  à  l'enrôlement  de  Cambronne  en 
qualité  de  grenadier,  dans  le  premier  bataillon  de  Maine- 
et-Loire  —  certains  documents  disent  de  la  Mayenne, 
d'autres  de  Mayenne  et  Loire. 

C'était  le  27  juillet  1792.  A  partir  de  ce  jour,  Cambronne" 
ne  s'appartient  plus,  il  appartient  tout  entier  à  la  France, 
à  l'armée  et  pendant  près  de  vingt-trois  ans,  il  ne  quittera 
plus  l'uniforme  qu'il  saura  couvrir  de  gloire. 


CHAPITRE  IV 

CAMBRONNE  A  LA  LÉGION  NANTAISE 

Et  pourtant,  malgré  cette  existence  vouée  à  la  patrie, 
malgré  ces  campagnes  qui  le  menaient  de  l'Ebre  au 
Danube,  des  côtes  de  l'Océan  aux  montagnes  saxonnes, 
malgré  des  états  de  services  qui  suffiraient  à  illustrer  plus 
d'un  officier  supérieur,  nous  ne  connaissons  pas  grand' 
chose  de  la  vie  militaire  de  Gambronne.  Il  avait  dû  cepen- 
dant, au  cours  des  guerres  qui  le  tinrent  presque  con- 
stamment éloigné  de  Nantes,  écrire  aussi  souvent  que 
possible  à  sa  mère,  la  mettre  au  courant  des  batailles 
auxquelles  il  prenait  part,  des  incidents  multiples  de  cette 
vie  mouvementée,  des  épisodes  qui  signalaient  la  prome- 
nade des  aigles  impériales  à  travers  l'Europe.  D'Espagne 
surtout,  où  il  se  battit  pendant  quatre  ans,  et  plus  tard  de 
l'île  d'Elbe  oià  il  n'avait  pas  grande  besogne  à  faire  et 
même  de  la  prison  d'Ashburton  où  les  Anglais  l'enfer- 
mèrent après  Waterloo,  il  n'est  pas  admissible  qu'il  n'ait 
pas  correspondu  avec  ses  parents,  ses  amis  de  France. 
A  la  mort  de  M"^*  Gambronne  mère,  il  dut  retrouver  ses 
lettres  ;  à  sa  mort  à  lui,  sa  veuve  dut  à  son  tour  les  garder, 
puisque  l'inventaire  du  14  janvier  1854  fait  après  son  décès 
note,  parmi  les  pièces  cotées,  «  les  états  de  service  et 
u  autres  papiers  relatifs  à  la  personne  du  général  Gam- 
»  bronne.  » 

Que  sont  devenus  ces  documents  et  bien  d'autres  ?*Est- 
ce  parce-que  l'Etat  finit  par  recueillir  la  belle  fortune  du 
général  que  les  archives  familiales  de  Gambronne  ont 
disparu  de  Nantes?  Ges  papiers  précieux  à  tant  d'égards, 


—  23  — 

sont-ils  irrémédiablement  détruits?  ou  sommeillent-ils 
dans  quelque  coin  perdu  d'archives  ignorées  oiî  les  vers 
les  dévoreront  avant  qu'une  main  curieuse  ^it  venue 
troubler  leur  œuvre  de  destruction? 

Ce  sont  là  des  points  d'interrogation  que  nous  voulons 
pour  l'instant  nous  borner  à  poser,  sans  perdre  l'espoir 
d'arriver  à  y  répondre  un  jour,  tant  nous  avons  déjà 
découvert  de  renseignements  inédits  depuis  que  nous  nous 
sommes  mis  au  travail. 

Aussi  bien,  avant  Waterloo,  avant  son  procès  devant  le 
conseil  de  guerre,  Cambronne,  d'une  modestie  exemplaire 
comme  sa  bravoure  et  son  dévouement,  s'était-il  toujours 
volontairement  tenu  à  l'écart.  «  On  connaît  peu  de  détails 
sur  la  vie  du  général  Cambronne  »,  dit  la  préface  d'une 
brochure  publiée,  dès  1816,  sur  son  procès  (1).  Aussi  tout 
ce  que  nous  aurons  trouvé  sur  sa  vie  militaire  n'en 
acquerra-t-il  que  plus  de  prix. 

Et  tout  d'abord,  donnons  ici  ses  états  de  service.  M.  de 
La  Nicollière  les  a  publiés  pour  la  première  fois,  en  en 
faisant  demander  la  copie  au  ministère  de  la  guerre  en 
4886,  de  la  part  du  général  Mellinet,  par  l'entremise  du 
général  Vanson.  Il  les  aurait  trouvés  presque  aussi  com- 
plets, dans  le  dossier  de  la  Statue  de  Cambronne,  joints 
à  une  lettre  du  général  Pelet  que  nous  analyserons  à  sa 
place.  Bien  que  ces  deux  copies  aient  été  puisées  à  la 
même  source,  elles  comportent  pourtant  sur  certains  points 
et  sur  certaines  dates  des  différences  que  nous  indique- 
rons. 

(1)  Procès  du  général  Cambronne,  commandant  de  la  Légion  d'hon- 
neur. Imprimerie  de  Fain,  place  de  l'Odéon,  Paris,  1816.  (Brochure 
rare,  que  ne  possède  pas  la  Bibliothèque  Nationale  et  que  nous  avons 
découverte  à  Londres,  au  British  Muséum). 


—  24  — 

Nous  reproduisons  les  états  de  service  transmis  à  M.  le 
général  Mellinet.  Les  variantes  sont  empruntées  à  l'exem- 
plaire déposé  depuis  1844  aux  archives  de  la  mairie  de 
Nantes. 

MINISTÈRE  DE  LA  GDERRE  ^^.  '  ^. 

—  Vicomte    Cambronne    (Pierre- 
DIRECTION           Marie -Etienne),    fils    de    Pierre- 

DU  /  '     ./ 

Contrôle  et  de  la  Comptabilité      Charles   et  de  Françoise-Adelaïde 

—  Druon,    né    le  26   décembre  1770, 

BUREAU  •■         1  .r^  ■         .r^^r.         .  1,  r 

jes  marie    le    10    mai    1820   a    Marie 

Archives  Administratives  Osburn,  veuVS  SvOOrd. 

Grenadier  au  1er  bataillon  de  Mayenne  et 
Loire  (1) 27  juillet  1792. 

Sergent  à  la  2*  Légion  nantaise  (2) 17  juin  1793. 

Il  sauva  le  20  juin  1793,  à  l'affaire  de  Sa- 
lonay,  un  caisson  que  les  charretiers 
avaient  abandonné  au  pouvoir  de  l'en- 
nemi (3) 

Sergent-major  (4) 1er  juillet  1793. 

Lieutenant. 10  septembre  1793. 

Capitaine  de  carabiniers  à  la  2e  Légion 
des  Francs  (5) 6  octobre  1794. 

Passé  à  la  46e  demi-brigade  de  ligne  (6)..     22  octobre  1796. 

Membre  de  la  Légion  d'honneur  (7) 14  juin  1804. 

Chef  de  bataillon  au  88e  de  ligne  (8) 29  août  1805. 

(1)  Variante.  —  Grenadier  au  le"*  bataillon  de  la  Mayenne. 

(2)  Variante.  —  17  juillet  1793. 

(3)  Variante.  —  Le  20  juin  1793,  il  sauva  un  caisson  que  les  char- 
retiers avaient  abandonné  à  l'ennemi  dans  l'affaire  de  Launay,  en 
Vendée. 

(4)  Variante.  —  Juillet  1793,  sans  date  du  jour. 

(5)  Variante.  —  Le  15  vendémiaire  an  III  (5  octobre  1794). 

(6)  Variante.  —  Le  l"""  brumaire  an  V  (22  octobre  1796). 

(7)  Variante.  —  Légionnaire,  le  26  prairial  an  XII  (15  juin  1804). 

(8)  Variante.  —  Chef  de  bataillon  au  88«  régiment,  le  12  fructidor 
an  XIII  (30  août  1805). 


—  25  — 

OfBcier  de  la  Légion  d'honneur 46  janvier  1807. 

Dotation  de  2.000  francs  sur  le  départe- 
ment de  Trasimène 19  mars  1808. 

Passé  au  1er  régiment  de  tirailleurs-chas- 
seurs (devenu  1er  Je  voltigeurs  de  la 
Garde-Impériale)  (1) 11  avril  1809. 

Baron  de  l'Empire 

Colonel-major  du  3e  régiment  de  voltigeurs      6  août  1811 . 

Dotation  de  4.000  francs  sur  l'IUyrie ler  janvier  1812. 

Commandant  de  la  Légion  d'honneur  (2)..       6  avril  1813. 

Passé  au  2e  régiment  de  chasseurs  à  pied.     14  septembre  1813. 

Général  de  brigade-major  du  1er  régiment 
de  chasseurs  à  pied 20   novembre    1813. 

Commandant  la  2e  brigade  de  la  Ire  divi- 
sion de  Vieille-Garde 21  décembre  1813. 

Coup  de  feu  à  la  cuisse  à  la  bataille  de 
Bar-sur-Aube 27  février  4814. 

Coup  de  mitraille  à  la  cuisse,  coup  de  feu 
au  bras  gauche,  coup  de  feu  au  côté 
gauche,  contusion  au  côté  droit,  à  la  ba- 
taille de  Craonne 6  mars  1814. 

Coup  de  feu  à  la  cuisse  droite  et  contusion 
au  jarret  gauche  à  la  bataille  de  Paris..     30  mars  1814. 

Major  du  bataillon  Napoléon,  à  l'île  d'Elbe..     13  avril  1814. 

Rentré  en  France 1er  mars  1815. 

Grand  officier  de  la  Légion  d'honneur 1er  avril  1815. 

Major  du  1er  régiment  de  chasseurs  à  pied 

de  la  garde  impériale 13  avril  1815. 

Prisonnier  de  guerre 18  juin  1815. 

Compris  dans  l'ordonnance  du 24  juillet  1815. 

Rentré  de  captivité 17   décembre   1815. 


(1)  Variante  —  Passé  avec  son  grade  dans  les  chasseurs  à  pied  de 
la  Garde  Impériale  le  H  avril  1809.  Placé  dans  le  1"  régiment  des 
voltigeurs  de  la  Garde. 

(2)  Variante.  —  Commandant  de  la  Légion  d'honneur  (8  avril  1813). 


—  26  — 

Ecroué  à  l'Abbaye 19   décembre   181S. 

Acquitté  par  le  1er  conseil  de  guerre  de  la 

Ire  division  militaire 26  avril  1816. 

Mis  en  liberté  et  considéré  comme  réformé 

sans  traitement 14  mai  1816. 

Admis  au  traitement  de  non-activité 1er  juillet  1818. 

Commandant  la  Ire  subdivision  (Nord)  de 

la  16e  division  militaire 21  avril  1820. 

Vicomte 17  août  1822. 

Remplacé  sur  sa  demande 2  octobre  1822, 

Retraité  par  ordonnance IS  janvier  1823. 

Décédé. 29  janvier  1842. 

CAMPAGNES 

1792-1801        Armées  des  Ardennes,  du  Nord,  des  côtes  de 
Brestj  des  côtes  de  Cherbourg,  de  l'Ouest, 
de    Rhin    et   Moselle,    d'Angleterre,    du 
Danube  et  du  Rhin. 
1804-180S        Armée  des  côtes  de  l'Océan. 
1806-1807        Grande  Armée. 
1808  Armée  d'Espagne. 

180Ô  Armée  d'Allemagne. 

1810,  1811,  1812  Espagne. 

1813  Saxe. 

1814  France. 

1815  Armée  du  Nord. 

Quelques-uns  des  documents  que  nous  avons  consultés 
au  ministère  de  la  guerre  portent  en  outre  les  indications 
suivantes  des  généraux  sous  les  ordres  de  qui  servit 
Cambronne,  au  cours  de  ces  diverses  campagnes  : 

Armée  des  Ardennes Lafayette  et  Luckner. 

Armée  du  Nord Dumouriez 

Armée  des  côtes  de  Brest Canclaux,  Léchelle 

Armée  des  côtes  de  Cherbourg Rossignol,  Canclaux,  Hoche. 

Armée  de  l'Ouest Hoche. 

Armée  de  Rhin  et  Moselle Moreau,  Augereau. 


—  27  — 

Armée  d'Angleterre Bonaparte. 

Armée  du  Danube Jourdan,  Masséna. 

Armée  du  Rhin Masséna,  Moreau. 

Armée  des  côtes  de  l'Océan Soult. 

Armée  d'Espagne (4810, d8H,  1812)    Duc    d'Istrie    et    Comte 

d'Orsenne. 

Comme  on  l'a  dit  avec  raison,  d'aussi  beaux  états  de 
service  se  passent  de  tout  commentaire.  Leur  éloquente 
concision  énumère  les  nombreux  traits  de  bravoure  de 
Cambronne  qui  sut  immortaliser  son  nom  au  milieu  de  la 
pléiade  de  généraux  illustres  des  premières  années  de  ce 
siècle. 

Nous  allons  maintenant  reprendre  par  le  détail  les  princi- 
paux faits  que  résument  les  états  de  service  de  Cambronne. 

C'est  le  27  juillet,  en  qualité  de  grenadier,  qu'il  s'engage 
dans  le  premier  bataillon  de  Mayenne-et-Loire  (1).  De 
gros  souliers  avec  une  épaisse  semelle  garnie  d'un  triple 
rang  de  clous;  des  guêtres  étroites  d'étoffe  noire,  bouton- 
nées jusqu'au  genou;  une  culotte  de  toile  blanche;  un 
habit  dont  les  revers  de  drap  rouge  formaient  comme  une 
large  tache  de  sang  sur  chaque  sein  et  dont  les  longues 
basques  battaient  sur  les  mollets  ;  deux  courroies  de  cuir 
jaune  se  croisant  sur  la  poitrine  et  soutenant  l'une  la 
giberne  sur  les  reins,  l'autre  le  sabre  sur  le  flanc  gauche; 
sur  le  dos,  le  sac  de  peau  de  chèvre  du  soldat,  la  moustache 
naissante  et  frisée,  les  cheveux  longs,  poudrés  et  séparés 
au  sommet  de  la  tête,  pendants  sur  les  oreilles  et  noués 
par  derrière  avec  un  cordon  de  soie;  pour  coiffure,  un 
bonnet  de  fourrure  au  milieu  duquel  luisait  une  plaque  de 


(1)  L'Histoire  du  l^'  bataillon  des  Volontaires  de  Maine-et-Loire 
(1791-1796),  par  François  Grille  (Paris,  Amyot,  1850,  4  vol.  in-S»), 
ne  mentionne  pourtant  pas  le  nom  de  Cambronne. 


—  28  — 

cuivre  argenté  portant  le  numéro  du  bataillon  ;  enfin  pour 
arme,  indépendamment  du  sabre,  un  lourd  fusil  à  un  seul 
tube,  au  bout  duquel  s'ajustait  la  terrible  bayonnette,  tel 
était  le  costume  de  Cambronne  quand  le  l»""  août  1792  il 
prit  congé  de  sa  mère  pour  rejoindre  son  corps  avec  cinq 
autres  volontaires  de  Saint-Sébastien. 

Quand  ils  arrivèrent  à  Angers,  leur  bataillon  était  parti. 
Ils  n'atteignirent  Paris  que  le  13  et  y  restèrent  quinze 
jours,  avant  de  se  remettre  en  route  pour  Verdun,  mais 
ils  n'y  pénétrèrent  pas  et  ce  n'est  que  le  15  septembre, 
après  Dieu  sait  combien  de  marches  et  de  contre-marches, 
qu'ils  finirent  par  rencontrer  à  Clermont-en-Argonne  les 
volontaires  angevins  encore  tout  émus  de  la  mort  de  leur 
commandant  Beaurepaire. 

Le  6  novembre,  Cambronne  reçoit  à  Jemmapes  le  bap- 
tême du  feu  et  il  assiste,  ébloui,  à  la  conquête  de  la  Bel- 
gique. C'est  à  Anvers  qu'il  se  trouvait  dans  les  premiers 
jours  de  1793,  quand  la  Convention  victorieuse  licencia, 
faute  de  ressources,  ceux  de  ses  défenseurs  qui  aspiraient 
à  revoir  leur  famille.  Il  regagna  Paris,  puis  Orléans  et 
c'est  dans  cette  ville, qu'il  s'embarqua  sur  la  Loire,  à  bord 
du  bateau  du  marinier  Jacques  Malivet  que  ne  mit  pas  moins 
d'un  grand  mois  pour  le  déposersur  la  cale  du  Port-Maillard. 

Il  trouva  Nantes  en  proie  à  l'agitation  la  plus  vive.  La 
ville  toute  dévouée  au  nouvel  ordre  de  choses  avait  à 
lutter  contre  la  résistance  de  la  noblesse  et  du  clergé  qui 
entraînaient  à  leur  suite  les  campagnes  fanatisées.  D'une 
extrême  bienveillance  même  pour  ceux  dont  il  ne  parta- 
geait pas  les  opinions  politiques  et  religieuses,  il  avait  déjà 
l'année  précédente,  avant  son  départ  pour  l'armée,  sauvé 
les  jours  de  l'abbé  Duménil,  devenu  depuis  curé  de  Ville- 
l'Evêque,  près  d'Angers,  en  lui  donnant  un  asile  chez  sa 


—  29  — 

mère  pendant  deux  mois,  et  cet  acte  d'humanité  ne  sera 
pas  le  seul  que  nous  aurons  à  enregistrer  à  l'actif  de 
Cambronne.  Mais  il  n'en  était  pas  moins  foncièrement 
attaché  à  la  Révolution  et,  quand  Nantes  fut  menacé  par 
l'armée  catholique  et  royale,  il  fut  inscrit  comme  sergent, 
le  17  juin  1793,  dans  les  rangs  de  cette  fameuse  Légion 
Nantaise,  recrutée,  jusqu'à  concurrence  de  huit  cents 
hommes,  dans  l'élite  de  la  jeunesse  et  qui  s'immortalisa 
par  sa  générosité,  sa  bravoure  et  ses  exploits. 

Trois  jours  après,  Cambronne  se  distinguait  déjà  au 
village  de  la  Louée,  où  la  mort  de  Goëslin  avait  démoralisé 
les  soldats  républicains  qui  battaient  en  retraite.  Les 
charretiers  avaient  abandonné  aux  mains  des  Vendéens 
un  caisson  de  munitions  qu'il  s'agissait  de  leur  reprendre. 
Cambronne  s'élance  à  la  tête  de  sa  compagnie  et  parvient, 
après  avoir  égorgé  l'escorte  ennemie,  à  ramener  le  caisson 
dans  les  rangs  des  bleus  étonnés  de  tant  d'audace  et  de 
bonheur  (1). 

Au  mémorable  siège  de  Nantes,  la  Légion  Nantaise  se 
tenait  à  la  porte  de  Vannes.  Le  poste  desTrois-Moulins  est 
emporté  par  les  troupes  royalistes  et  les  gardes  nationaux 
qui  le  défendaient,  se  replient  sur  la  ville,  écrasés  par  le 
nombre.  Le  capitaine  Touchard,  sous  les  ordres  de  qui 
servait  Cambronne,  les  secourt,  les  ramène  au  combat  et 
refoule  les  Vendéens,  mais  sans  parvenir  à  reprendre  le 
premier  poste  perdu.  Il  ne  fallut  pas  moins  que  la  mort 
de  Cathelineau,  tué  par  un  cordonnier  de  la  place  Viar- 


(1)  Les  états  de  service  de  Cambronne  parlent  suivant  les  copies 
plus  ou  moins  lisibles  qui  ont  été  faites,  soit  de  Salonay,  soit  de 
Launay.  Ce  sont  des  inexactitudes  manifestes  :  il  n'y  a  pas  eu  de 
rencontres  de  ce  nom  et  c'est  de  La  Louée,  orthographiée  quelquefois 
Lalouay,  qu'il  s'agit. 


—  30  — 

mes,  pour  jeter  le  désordre  et  la  panique  parmi  les  assail- 
lants et  les  contraindre  à  la  retraite.  Cambronne,  qui 
s'était  multiplié  dans  cette  journée  sans  laquelle  Nantes  et 
la  République  étaient  perdus,  obtint,  pour  prix  de  sa 
bravoure,  le  grade  de  sergent-major. 

Nous  le  retrouvons,  le  20  août,  à  Paimbœuf  où  sa  com- 
pagnie débarque,  malgré  la  fusillade  des  royalistes  qui 
reculent  devant  le  courage  des  légionnaires  nantais.  On 
rapporte  que,  muni  d'un  billet  de  logement,  Cambronne 
refusa  d'en  profiter  à  cause  de  la  misère  extrême  des 
malheureux  qui  lui  devaient  place  au  feu  et  à  la  chan- 
delle. II  abandonna  môme  à  la  pauvre  famille,  aux  enfants 
affamés  son  pain  de  munition  et  s'en  fut  dormir  dans  la 
rue,  la  tête  sur  son  sac,  entre  deux  bornes. 

Le  25  août,  Cambronne  était  de  retour  à  Nantes  et  dès 
lors  il  ne  se  passa  peut-être  pas  de  jour  sans  qu'il  fût 
appelé  à  quelque  reconnaissance  dans  la  campagne,  à 
quelque  escarmouche  contre  les  chouans.  Charette  atta- 
qua le  7  septembre  le  camp  des  Naudières  où  Beysser 
commandait.  La  Légion  Nantaise  contribua  vaillamment 
à  repousser  cette  attaque.  Le  camp  de  La  Balinière .  fut 
à  son  tour  assailli  dans  la  même  journée,  mais  également 
défendu  par  l'invincible  Légion.  Toujours  en  tète  de  sa 
compagnie,  Cambronne  se  fit  remarquer  parmi  les  plus 
méritants  et,  à  cette  époque  où  l'avancement  était  rapide, 
il  fut  nommé  le  8  septembre  lieutenant  de  sa  compa- 
gnie (1). 

(1)  Mellinet  (Lo  Commune  et  la  Milice  de  Nantes,  tome  8.  p.  91) 
donne  le  rapport  du  général  Canclaux  sur  cette  double  défense.  Il  se 
termine  par  l'ordre  du  jour  suivant  : 

«  Au  nom  de  la  République,  le  général  en  chef  remercie  et  félicite 
«  les  généraux,  son  état-major,  les  officiiers,  sous-officiers,  volontaires 


—  31  — 

Le  lendemain  soir,  9  septembre,  il  occupe  le  château 
d'Aux,  que  M.  de  Ghataigner  cherche  à  surprendre  à  la 
faveur  de  la  nuit.  Mais  les  royalistes  sont  repoussés  et 
quelques-uns  d'entre  eux  faits  prisonniers.  Pourquoi  n'a- 
jouterions-nous pas  foi  à  un  certificat  servi  en  1816, 
pendant  son  procès,  et  d'après  lequel  Gambronne  aurait 
à  cette  date  sauvé  la  vie  à  deux  de  ces  prisonniers,  M. 
Yves  Ghataigner  et  un  rennais,  du  nom  de  Joseph  ?  Ges 
marques  de  générosité  n'étaient  pas  surprenantes  de  la 
part  de  notre  jeune  lieutenant. 

Vers  le  mois  de  janvier  1794,  la  Légion  nantaise  est 
détachée  en  partie  au  Groisic,  Gambronne  s'y  trouvait. 
S'il  faut  en  croire  la  tradition,  les  officiers  de  la  Légion 
auraient  été  dénoncés  à  Fouquet,  un  des  séides  de  Garrier, 
comme  coupables  d'incivisme  pour  s'être  installés,  en 
guise  de  caserne,  dans  un  vieil  hôtel  dont  les  tapisseries 
portaient  encore  des  fleurs  de  lys  et  des  médaillons  à 
l'effigie  de  Louis  XVL  Tout  au  plus,  est-il  permis  de  penser 
que  c'était  là  un  des  griefs  invoqués  par  Fouquet,  mais  il 
y  en  avait  certainement  d'autres,  vrais  ou  faux,  en  tous 
cas  moins  ridicules.  Fouquet,  qui  avait  le  titre  d'adjudant- 
commandant,  vint  au  Groisic  et  voulut  faire  procéder  à 
l'arrestation  des  officiers  et  sous-officiers  inculpés,  au 
nombre  de  quarante,  mais  il  ne  trouva  personne  parmi 
les  soldats  et  moins  encore  parmi  les  habitants,  pour  exé- 
cuter ses  ordres  et  il  dut  quitter  honteusement  le  Groisic, 


«  et  soldats  de  toute  l'armée,  de  leur  brave  et  généreuse  conduite  et 
«  de  leurs  succès.  » 

Cette  journée  dans  laquelle  les  chefs  de  la  basse  Vendée  virent 
échouer  tous  leurs  projets  facilita  sans  doute  la  marche  rapide  de 
l'armée  de  Canclaux  dans  le  pays. 


—  3^  — 

heureux  encore  de  n'avoir  pas  subi  le  sort  qu'il  réservait 
à  ses  adversaires. 

Du  Croisic  à  Guérande  la  distance  était  trop  courte  pour 
n'être  pas  souvent  franchie  par  les  officiers  de  la  Légion 
Nantaise.  Une  délibération  du  conseil  général  de  la  com- 
mune de  Guérande  du  5  août  4793  ordonne  de  préparer 
des  logements  à  200  hommes  du  bataillon  de  Seine-et- 
Oise  commandée  par  Bizet  et  à  plusieurs  autres  officiers, 
au  nombre  desquels  figure  Cambronne.  Nous  ne  savons 
s'il  y  vint  à  cette  date,  s'il  y  resta  et  pendant  combien  de 
temps,  mais  nous  l'y  retrouvons  le  5  floréal,  an  II  (24 
avril  1794)  ainsi  qu'en  témoigne  le  très  curieux  procès- 
verbal  inédit  dont  nous  devons  le  texte  à  l'obligeance  de 
M.  Emmanuel  de  Boceret  : 

Du  5  Floréal  de  Van  II  de  la  République  Française 
une  et  indivisible 

Assemblée  publique  du  Conseil  municipal  de  la  Commune  de 
Guérande,  tenue  en  la  Maison  Commune  dudit  lieu,  où  présidait 
le  Citoyen  Retel,  premier  Officier  municipal. 

Présent  le  Citoyen  Le  Borgne,  agent  national  provisoire. 

A  l'endroit  le  Citoyen  Moysen,  Maire,  a  dit  : 

Citoyens^ 
Ce  jour,  dans  votre  absence  environ  les  3  heures  de  l'après- 
midi,  s'est  présenté  à  la  Maison  Commune  le  Citoyen  Cambrone, 
Officier  des  Grenadiers  de  la  Légion  Nantaise  en  garnison  dans 
cette  Ville,  qui  outre  les  insultes  qu'il  n'a  cessé  de  me'  faire,  m'a 
en  outre  menacé.  J'ai  cru  devoir,  par  respect  pour  la  place  dont 
je  suis  honoré,  rapporter  procès-verbal  du  tout  et  sur  lequel  je 

vous  prie  de  délibérer. 

Signé  ;  Chies  Moysen,  maire. 

La  municipalité,  après  s'être  fait  donner  lecture,  par  le  Secré- 
taire Greffier  du  procès-verbal  rapporté  ce  jour,  par  le  Citoyen 
Moysen,  Maire,  contre  le  citoyen  Cambrone,  Officier  des  Gre- 


—  33  — 

nadiers  de  la  Légion  Nantaise  en  garnison  dans  cette  ville,  et 
après  avoir  délibéré  sur  le  tout,  considérant  combien  est  répré- 
hensible  et  même  punissable  le  Citoyen  Cambrone  pour  la 
conduite  qu'il  a  tenue  envers  le  citoyen  Maire,  autrement  le 
fonctionnaire  publie  serait  sans  sûreté  à  son  poste  et  ne  pourrait 
remplir  avec  toute  la  tranquillité  qui  convient  à  son  caractère, 
les  pénibles  mais  honorables  fonctions  dont  il  est  chargé. 

Ouï  l'agent  national  provisoire,  déclare  louer  et  approuver  la 
conduite  du  Citoyen  Maire  dans  le  refus  qu'il  a  fait  de  mettre 
de  suite  en  arrestation  la  citoyenne  Dory,  parce  que  seul  il  ne 
le  pouvait  pas  sans  consulter  et  avoir  l'avis  de  la  majorité  des 
membres  qui  lui  sont  associés. 

Et  attendu  que  la  citoyenne  Dory  a  été  trouvée  sans  cocarde, 
la  condamne  à  garder  la  prison  pendant  huit  jours  conformément 
à  la  loi  du  21  septembre  4793. 

Arrête  en  outre  que  le  procès-verbal  susdit  restera  déposé 
au  Greffe  de  cette  Commune,  qu'expédition  de  celui-ci,  ainsi 
qu'une  du  présent  seront  envoyées  au  citoyen  Normand,  Com- 
mandant de  la  dite  Légion,  qui  est  requis  par  le  présent  d'ap- 
pliquer ou  de  faire  appliquer  par  qui  de  droit  contre  le  dit 
Cambrone,  la  peine  que  la  loi  prononce  en  pareil  cas. 

Signé:  Belliotte  le  jeune,  Noize,  Le  Dorguet  agent,  Gautier, 
Gagouart  et  Retcl. 

Ce  qui  s'était  passé  se  devine  sans  peine.  Gambronne 
avait  rencontré  dans  les  rues  la  citoyenne  Dory,  fille  du 
fournisseur  des  étapes,  sans  cocarde  et,  par  suite,  en 
contravention  avec  la  loi  du  21  septembre  1793  (1).  Peut- 

(1)  Ces  prescriptions  n'étaient  pas  moins  strictement  appliquées  à 
Nantes.  Témoin  cet  avis,  du  8    pluviôse  an  IV,    de  l'administration 
municipale  de  Nantes  à  ses  concitoyens  : 
«  Citoyens, 

»  Vos  administrateurs  s'apperçoi  vent  avec  douleur  que  plusieurs 
personnes,  et  particulièrement  les  femmes,  négligent  de  porter  la 
cocarde  tricolore,  ce-signe  de  ralliement  des  Républicains  français. 

»  Plusieurs  lois  font  une  obligation  formelle  à  tous  les  citoyens  de 

3 


—  34  — 

être  avait-il  eu  à  se  plaindre  pour  ses  hommes  de  quelque» 
distributions  insuffisantes  ou  de  mauvaise  qualité. 
Toujours  est-il  qu'il  fit  des  observations  au  maire  en  l'in- 
vitant à  faire  arrêter  séance  tenante  la  coupable.  Et 
comme  le  maire  n'allait  pas  assez  vite  au  gré  de  ses  désirs, 
il  l'injuria  et  le  menaça. 

De  là  réunion  du  Conseil,  qui  demande  la  punition  de 
Cambronne,  ce  qui  ne  l'empêche  pas,  en  attendant,  d'infli- 
ger huit  jours  de  prison  à  la  citoyenne  Dory.  Le  8  floréal, 
c'est-à-dire  trois  jours  après,  toute  cette  grande  colère 
s'était  apaisée,  soit  par  peur  des  soldats,  soit  par  bonté 
d'âme  ;  et  un  nouveau  procès-verbal,  curieux  aussi  dans 
le  libellé  de  ses  motifs,  venait  annuler  le  premier. 

Voici  ce  document  : 

La  Municipalité, 

«  Considérant  que  le  citoyen  Cambronne  est  un  franc  et  loyal' 
républicain, 

»  Que  sa  bravoure  est  connue  par  tous  ses  compagnons  d'ar- 
mes qui,  en  difTérentes  occasions,  ont  été  témoins  do  sa  valeur 
et  de  la  haine  implacable  qu'il  porte  aux  tyrans  ; 

»  Considérant  que  si  ledit  Cambronne  s'est  écarté  du  respect 
que  tout  citoyen  doit  aux  représentants  du  peuple,  ce  n'est  qu'un 
oubli  involontaire  auquel  l'a  porté  sa  tête  éprise  par  le  vin. 

»  Qu'un  pareil  oubli,  quand  il  n'a  pas  pour  principe  la  méchan- 
ceté appuyée  de  l'incivisme,  doit  être  repris,  sans  doute,  mais 

l'un  et  l'autre  sexe  de  s'en  décorer  et  prontDncent  des  peines  contre 
ceux  qui  paroissent  en  public  sans  l'avoir. 

»  Celle  du  21  septembre  1793  (vieux  style)  enjoint  positivement  aux 
femmes  de  la  porter  ;  elle  punit  cMles  qui  ne  le  font  pas,  la  première 
fois  de  huit  jours  de  prison,  et  en  cas  de  récidive,  elles  sont  réputées, 
suspectes.  Quant  à  celles  qui  arracheraient  à  l'autre  ou  profaneraient 
la  cocarde  nationale,  elles  seront  punies  de  six  ans  de  réclusion  ». 

Suivait  l'injonction  d'avoir  à  porter  la  cocarde  nationale,  avec  les 
signatures  de  Beaufranchet,  liaudaudinf»  Lecadre,  Fourny,  Couprie,. 
Ogier  et  Dorvo, 


—  35  — 

que  l'auteur  ne  doit  pas  subir  la  peine  que  mériterait  celui  qui 
serait  dans  le  cas  contraire  ; 

»  Ouï  l'agent  national  provisoire  ; 

»  Arrête  que  le  citoyen  Normand,  commandant  la  Légion 
Nantaise,  en  garnison  dans  cette  ville,  sera  invité  à  vouloir 
bien,  sur  les  procès-verbaux  et  l'arrêté  de  cette  municipalité  qui 
lui  ont  été  envoyés,  ne  faire  punir  le  dit  Cambronne  que  par  la 
police  de  son  corps. 

Cambronne  dut  être  modérément  puni,  si  même  il  le 
fut.  D'après  la  tradition,  Cambronne  et  ses  soldats  rem- 
plissaient Guérande  de  tumulte  et  faisaient  mille  dégâts 
aux  alentours.  On  trouve  trace  de  ces  incartades  dans 
quelques  délibérations  des  pouvoirs  publics,  une  fois  entre 
autres,  où  le  sentiment  général  leur  reprochait  de  taillader 
à  coups  de  sabre  les  jeunes  arbres  des  promenades,  de 
tirer  à  la  cible  dans  les  branches  et  les  troncs  et  de  dété- 
riorer les  marais  salants,  en  y  allant  à  la  pêche.  Il  fut 
même  question  de  la  profanation  d'un  christ,  mais  rien 
n'établit  une  part  quelconque  prise  par  Cambronne  dans 
ces  faits  et  il  n'est  pas  désigné  nommément  dans  les  déli- 
bérations relatives  aux  dégâts  commis  sur  les  promenades 
et  dans  les  marais  salants. 

Cambronne  séjourna  aussi  quelque  temps  à  la  Roche- 
Bernard,  où  il  fut  logé  par  réquisition  chez  une  dame  de 
Boceret,  qui  n'avait  pas  émigré.  M.  Emmanuel  de  Boceret, 
neveu  de  cette  dame,  duquel  nous  tenons  ces  détails,  a 
entendu  dire  dans  sa  famille  que  Cambronne  s'était  battu 
en  duel  en  pleine  rue,  à  côté  de  l'hôtel-de-ville  de  La 
Roche-Bernard,  il  est  vrai  qu'il  était  trois  heures  du 
matin.  Blessé  au  bras,  Cambronne  alla  se  coucher,  sans 
souffler  mot,  mais  le  lendemain,  son  lit  ensanglanté  le 
trahit.  Toutefois,  il  ne  voulut  fournir  aucun  renseigne- 
ment et  aux  questions  qui  lui   furent   faites  par  M"^*  de 


—  36  —  ^ 

Boceret,  qu'il  estimait  beaucoup  malgré  l'antagonisme  de 
leurs  idées,  il  répondait  seulement:  —  Ce  n'est  rien, 
Madame,  ce  n'est  rien. 

Peut-être  ne  s'agissait-il  même  pas  d'un  duel,  mais  d'une 
simple  rixe,  dont  nous  avons  trouvé  le  récit  dans  un 
volume  devenu  fort  rare  aujourd'hui,  Souvenirs  et  Anec- 
dotes sur  la  Révolution  française  ou  plutôt  contre  elle, 
publiés  par  M.  G.  Audiger ,  d'un  style  ampoulé  et 
médiocre  (1).  Voici  ce  récit  qui  figure  à  la  page  54  de  la 
seconde  édition  et  que  nous  reproduisons  sans  en  garantir 
l'authenticité  et  sans  en  approuver  l'esprit  : 

La  Ville  de  La  Roche-Bernard  avait  aussi  sa  société  populaire 
et,  un  jour  que  celle-ci  tenait  sa  séance,  et  qu'un  de  ses  naembres 
était  à  la  tribune,  prononçant  un  discours  qui  sentait  furieuse- 
ment le  gibet,  le  capitaine  Cambrone,  aujourd'hui  maréchal  de 
camp  et  qui  commandait  alors  la  Légion  Nantaise,  se  présenta 
au  club  avec  plusieurs  de  ses  amis,  tous  jeunes  officiers  qui 
s'égayèrent  hautement  aux  dépens  des  clubistes  et  surtout  de 
l'orateur  qui  occupait  la  chaire  aux  harangues. 

La  gent  sans-culottide  ne  s'amusa  pas  de  leurs  plaisanteries 
et  les  invita  très-grossièrement  à  quitter  la  séance;  Cambrone 
dissimula  son  mécontentement  et  dédaigna  de  corriger  l'insolence 
de  ces  frères  et  amis  et  sans  imaginer  qu'il  fut  possible  de 
jamais  manquer  d'égards  envers  des  gens  aussi  incivils,  il  va 
d'un  pas  assuré  allumer  sa  pipe  au  flambeau  qui  éclairait  le  pré- 
sident, vrai  président  à  mortier,  car  c'était  un  maître  maçon  qui, 
choqué  d'une  familiarité  qui  semble  insulter  à  sa  dignité,  se 
plaint  amèrement  de  la  licence  que  prend  le  Capitaine.  Celui-ci 


(1)  La  couverture  porte  ces  mots  :  A  Paris,  chez  les  principaux 
libraires,  1832. 

On  lit  sur  la  première  pap:e  :  Paris,  Audin,  quai  des  Augustins, 
Delaunay  et  Levavasseur,  Palais-Royal,  1831.  Imprimerie  de  Guiraudet, 
rue  Saint-Honoré,  313.  C'est  un  in-16. 


37  — 

qui  faisait  profession  de  mépriser  très  souverainement  les 
Jacobins,  ne  voulut  même  pas  s'excuser  et,  au  lieu  d'opposer 
quelque  raisonnement  aux  invectives  du  président  sans-culotte, 
en  vrai  militaire,  Cambrone  lui  appliqua  sur  la  figure  la  plus 
énergique  paire  de  soufflets  qu'on  ait  jamais  reçus.  Le  président 
quoiqu'étourdi  de  la  colaphisation  républicaine  du  Capitaine,  cria; 
Assassin  et  tout  le  tripot  patriotique  est  en  émoi.  On  entoure 
le  chef  des  bonnets  rouges  qui,  armé  de  son  étourdissante 
clochette,  sonne  à  tour  de  bras  son  appel  au  peuple. 

On  charge  l'ennemi,  et  alors  chaises  et  bancs  sont  lancés 
sur  lui,  flamberge  au  vent  nos  jeunes  gens  d'estoc  et  de  taille 
se  défendent  courageusement,  évitent  en  partie  l'atteinte  du 
mobilier  de  la  société  populaire  dont  les  sociétaires  clopin 
dopant,  prennent  bravement  au  large  en  battant  en  retraite  par 
les  fenêtres,  et  laissant  Cambrone  et  ses  amis  maîtres  du  champ 
de  bataille. 

Le  lendemain  le  Comité  Révolutionnaire  s'assembla  et  tandis 
qu'il  délibérait  sérieusement  sur  les  soufflets  dont  le  président 
Jacobin  avait  été  gratifié,  la  Légion  Nantaise  battait  aux  champs 
et  les  officiers  fauteurs  du  délit  riaient  de  l'aventure. 

L'affaire  n'eut  pas  d'autre  suite  que  celle  qu'éprouva  certain 
gascon  qui  racontant  à  quelqu'un  qu'on  lui  avait  donné  un  soufflet, 
répondit  à  celui  qui  lui  demandait  si  l'affaire  avait  eu  des  suites  : 
—  Oui  sans  doute  elle  en  eut car  ma  joue  fut  très-enflée. 

Gomme  tous  les  corps  d'élite,  qui  ne  se  recrutaient  que 
dans  une  classe  spéciale  de  citoyens,  la  Légion  Nantaise 
fraternisait  peu  avec  les  troupes  de  la  République.  Le 
général  Hoche  comprit  que  le  seul  remède  à  un  pareil 
état  de  choses,  c'était  l'embrigadement  de  l'armée,  autre- 
ment dit  la  fusion  des  bataillons  de  ligne  dans  les  batail- 
lons de  volontaires  :  de  là  la  création  d'un  nouveau  corps 
sous  le  nom  de  deuxième  Légion  des  Francs.  Cambronne 
y  fut  nommé  le  6  octobre  1794,  capitaine  de  la  compagnie 


—  38  — 

des  carabiniers.  C'est  à  ce  titre  que  nous  le  retrouvons 
l'année  suivante  à  Ghâteaubriant  où  ils  se  trouva  mêlé  à 
l'incident  que  voici.  Le  48  floréal  an  III  (7  mai  1795), 
un  sieur  Jacques  Aulnette,  maréchal-taillandier,  demeu- 
rant faubourg  de  la  Barre,  à  Ghâteaubriant,  monta  sur  la 
tour  du  four  à  l'aide  d'un  grappin  et  y  encloua  trois 
canons, 

Cambronne  qui  l'avait  surpris,  vint  avec  la  garde  et  le 
fit  arrêter.  Le  surlendemain  20  floréal,  il  fut  cité  comme 
témoin  et  voici  sa  déclaration  : 

Pierre  (1)  Cambronne,  capitaine  au  premier  Bon  d'Infanterie 
légère,  en  garnison  à  Ghâteaubriant,  âgé  d'environ  vingt-cinq  ans, 
a  dit  n'être  parent,  alié,  serviteur  ni  domestique  de  ceux  dont  il 
vat  parler. 

Déclare  que  le  dix-huit  de  ce  mois  environ  les  deux  heures  de 
l'après-midi  il  alla  avec  la  garde  à  la  tour  du  four.  Ayant  regardé 
à  travers  la  porte  il  apperçut  un  particulier  à  lui  inconnu  qui 
étoit  monté  sur  une  pièce  de  canon,  que  quand  la  porte  fut 
ouverte  la  garde  se  saisit  de  ce  particulier  et  le  conduisit  au 
corps-de-garde,  que  le  déclarant  remarqua  que  les  trois  canons 
qui  étoient  sur  la  tour  du  four  avoient  été  encloiiés.  Et  n'a  autre 
connoissance. 

A  signé  la  ditte  déclaration  après  lecture. 

CAMBRONNE 
Gapne 

L'enquête  démontra  qu'Aulnette  ne  jouissait  pas  de  ses 
facultés  mentales. 

Cambronne,  appelé  par  ses  chefs  là  où  sa  présence 
semble  nécessaire,  se  distingue  dans  tous  les  combats 
qui  se  livrent  en  Bretagne ,    spécialement  à  Quiberon. 


^1)  C'était  donc  bien,  parmi  les  prénoms  de  Cambronne,  celui  de 
Pierre  qu'il  préférait,  comme  nous  l'indiquions  plus  haut. 


—  39  -- 

Nous  n'avons  pas  à  refaire  ici  l'histoire  de  la  descente 
des  armées  royales  sous  le  commandement  de  Puisaye 
et  de  Sombreuil.  Cambronne  fit  son  devoir,  mais,  une 
fois  la  lutte  terminée,  il  s'efforça  de  rendre  aux  pri- 
sonniers le  plus  de  services  qu'il  put.  Quelques-uns 
l'ont  attesté  depuis  (1).  C'est  ainsi  qu'il  protégea 
M.  Rado-Dumatz,  capitaine  des  grenadiers,  qu'il  avait 
eu  comme  camarade  aux  Oratoriens ,  et  quelques-uns 
de  ses  compagnons  d'armes.  Il  leur  procura  même  les 
moyens  de  s'évader  du  fort  Penthièvre  et  s'occupa  encore 
d'eux  quand^  repris  par  un  corps  d'observation,  ils  eurent 
été  transférés  aux  prisons  d'Auray.  Il  leur  venait  en  aide 
de  sa  bourse.  Il  s'efforça  d'en  faire  autant  pour  M.  Pavon 
de  Faymoreau,  officier  au  régiment  de  Rohan-Soubise, 
qu'il  ne  dépendit  pas  de  lui  de  soustraire  à  la  mort. 

Désormais,  Cambronne  ne  connaîtra  plus,  comme  sol- 
dat, les  tristesses  de  la  guerre  civile  dont  il  cherchait  à 
atténuer  les  horreurs.  C'est  contre  les  ennemis  de  la 
France  qu'il  se  battra,  et  contre  eux  seulement,  avec  une 
bravoure  qui  n'a  jamais  subi  un  moment  d'hésitation  ou 
de  faiblesse. 

C'est  le  16  décembre  1796  que  le  général  Hoche  quitta 
le  port  de  Brest  pour  l'expédition  d'Irlande.  La  deuxième 
Légion  des  Francs,  où  Cambronne  était  capitaine  de  cara- 
biniers depuis  le  15  vendémiaire  an  III,  faisait  partie  de 

(i)  Ces  faits  ne  sont  cennus  que  par  des  certificats  produits  en  1816 
dans  le  procès  intenté  à  Cambronne.  C'est  à  cette  date  seulement  qu'il 
songea,  pour  sa  défense,  et  sans  dolite  sur  les  conseils  de  son  illustre 
avocat,  à  se  faire  délivrer  des  attestations  qui,  eu  égard  au  long 
temps  écoulé  depuis  les  événements  qu'elles  affirment,  manquent  à 
coup  sûr  de  précision  dans  les  dates  et  dans  les  détails.  Elles  n'en 
sont  pas  moins  l'expression  de  lu  vérité  et  à  ce  titre,  nous  les  avons 
notées  ici. 


—  40  — 

l'expédition.  La  flotille  française  comprenait  quinze  vais- 
seaux de  haut  bord,  vingt  frégates,  six  gabarres,  cinquante 
bâtiments  de  transport,  que  montaient  vingt-deux  mille 
hommes.  Que  fût-il  advenu  de  l'Angleterre,  le  seul  pays 
où  les  armées  de  la  Révolution  et  de  l'Empire  n'aient 
jamais  réussi  à  pénétrer,  si  une  violente  tempête  n'eût,  le 
soir  même,  dispersé  notre  escadre  ?  Un  vaisseau  sombra  ; 
un  autre,  après  une  défense  héroïque,  fut  pris  par  l'en- 
nemi, et  c'est  miracle  si  le  reste  de  la  flotte  put  regagner 
les  côtes  de  la  France. 

Le  général  Bigarré,  dans  ses  piquants  Mémoires,  a 
donné  d'intéressants  détails  sur  cette  tentative.  Il  y 
parle  de  la  Légion  des  Francs  et  s'il  ne  nomme  pas 
Cambronne,  nul  doute  que  ces  deux  vaillants  Bretons  se 
soient  plus  d'une  fois  rencontrés  à  ce  moment-là,  comme 
depuis. 

Pour  témoigner  à  Hoche  sa  reconnaissance  et  lui  prou- 
ver que  l'insuccès  de  l'expédition  d'Irlande  n'avait  diminué 
la  confiance  de  personne  dans  son  dévouement  et  son 
courage,  le  Directoire  l'appela  au  commandement  de  l'ar- 
mée de  Sambre-et-Meuse.  La  plupart  des  troupes  qui 
avaient  formé  sous  ses  ordres  l'armée  des  côtes  d'Angle- 
terre, le  suivirent  sur  les  bords  du  Rhin.  C'est  ainsi  que  le 
1"  brumaire  an  V  (22  octobre  1796)  Cambronne  fut  nom- 
mé capitaine  à  la  46»  demi-brigade. 


CHAPITRE  V 

DE  ZURICH  A  HOHENLINDEN 

Sous  la  première  République  ,  trois  corps  qui  n'ont 
rien  de  commun  entre  eux  portèrent  successivement  le 
numéro  46. 

C'était  d'abord  le  46«  de  ligne,  ancien  régiment  de  Bre- 
tagne, dans  lequel  débuta  Desaix.  Les  bataillons  de  ce 
régiment  se  fondirent,  après  la  campagne  d'Alsace,  en 
1793,  avec  des  bataillons  de  volontaires  pour  former  la 
91^  et  la  92^  demi-brigade  de  bataille. 

En  second  lieu,  ce  fut  la  46«  demi-brigade  de  bataille, 
formée  en  1794  (le  3  ventôse  an  II)  à  l'armée  4'Italie, 
qu'elle  quitta  en  1796,  après  Montenotte,  pour  être  versée 
dans  la  39^  demi-brigade  de  ligne. 

Ce  fut  enfin  la  46«  demi-brigade  de  ligne,  celle  de 
La  Tour  d'Auvergne  et  de  Cambronne,  qui  se  forma  en 
l'an  V  en  Bretagne  avec  les  anciennes.  17»  et  107«  de 
bataille,  le  2*^  bataillon  du  9®  de  ligne  (ci-devant  Nor- 
mandie) et  les  deux  bataillons  du  39^  de  ligne  (ci-devant 
Ile-de-France).  Cette  brigade  n'avait  pas  trois  mois  d'exis- 
tence que  les  bommes  furent  versés  en  totalité  dans 
l'artillerie  de  la  marine  à  Brest.  C'est  là  que  le  corps  fut 
reconstitué  avec  les  cadres  qu'il  avait  conservés  et  la 
Légion  des  Francs,  où  Cambronne  était  capitaine  de  cara- 
biniers, et  qui  elle-même  se  composait  de  détachements 
de  vingt  hommes  tirés  de  chacun  des  corps  de  l'armée  de 
l'Ouest. 


—  42  — 

Cambronne,  en  se  rendant  à  son  nouveau  poste,  s'arrêta 
quelques  jours  à  Nantes,  où  il  embrassa  sa  mère,  puis  il 
se  mit  en  route  pour  Cologne  où  se  tenait  alors  le  quartier 
général  de  Hoche.  C'est  là  qu'il  prit  pour  la  première  fois 
le  commandement  d'une  des  compagnies  du  bataillon  des 
grenadiers  de  la  46«  demi-brigade  d'infanterie  de  ligne, 
où  il  devait  s'illustrer  pendant  près  de  neuf  années.  La 
campagne  fut  tout  d'abord  de  courte  durée.  Le  sanglant 
combat  de  Neuwied,  l'entrée  de  l'armée  de  Sambre-et- 
Meuse  à  Francfort,  étaient  les  préliminaires  de  succès 
plus  éclatants  encore  que  vint  interrompre  le  traité  de 
Leoben. 

La  paix  n'était,  à  cette  époque,  qu'une  trêve  armée. 
Quand  Bonaparte,  songeant  à  une  nouvelle  invasion  de 
l'Angleterre,  mit  en  mouvement  vers  la  Manche  les  troupes 
disséminées  sur  les  bords  du  Rhin,  ce  n'était  plus  Hoche 
qui  les  commandait.  Le  vaillant  général  était  mort  le 
18  septembre  1797,  au  camp  de  Wetzlar,  trop  tôt,  hélas  ! 
pour  la  France,  pour  l'armée  et  pour  la  République.  C'est 
Augereau  qui  lui  avait  succédé,  mais  sans  le  remplacer. 

L'armée  d'Allemagne,  divisée  en  plusieurs  corps,  se 
répartit  en  diverses  garnisons.  C'est  la  petite  ville  de 
Bruges  qui  reçut  les  grenadiers  de  la  46^  demi-brigade 
jusqu'au  printemps  de  l'année  suivante.  Un  jour,  le  19  mai 
1798,  le  commandant  de  Bruges,  Keller,  les  rassemble,  il 
s'agit  de  se  porter  en  toute  hâte  au  secours  d'Ostende  dont 
le  général  anglais  Coote  menace  la  faible,  mais  héroïque 
garnison.  Les  grenadiers  de  la  46«  marchent  pendant 
toute  la  nuit,  leur  troupe  se  grossit  chemin  faisant  et  le 
lendemain  ces  braves  tombent  sur  les  Anglais  retranchés 
dans  les  dunes,  en  tuent  plus  de  deux  cents  et  font  les 
autres  prisonniers. 


—  43  — 

Augereau^  en  disgrâce  aupi'ès  du  Directoire,  ne  com- 
mandait déjà  plus,  l'armée  de  Sambre-et-Meuse  qui  se 
partagea,  sous  de  nouvelles  dénominations,  entre  trois 
autres  généraux,  Jourdan  (armée  du  Danube),  Bernadotte 
(armée  du  Rhin),  et  Masséna  (armée  d'Helvétie).  Après 
avoir  t-mu  garnison  successivement  à  Anvers,  à  Giessen, 
à  Strasbourg,  à  Mayence,  la  A6'^  demi-brigade  fut  placée 
à  l'armée  du  Danube  (division  Ferino). 

Toujours  capitaine  de  sa  compagnie,  Cambronne  passa, 
vers  la  fin  de  1798,  de  Flandre  en  Suisse,  d'abord  dans  la 
division  du  centre  aux  ordres  du  général  Mesnard,  puis 
après  la  retraite  de  Jourdan,  vaincu  à  Stokach,  une  fois 
l'armée  d'Helvétie  fondue  dans  celle  du  Danube,  dans  la 
sixième  division,  toujours  aux  ordres  du  même  général. 

On  sait  combien  fut  longue  et  pénible  la  campagne 
d'Helvétie.  Que  celui  qui  veut  s'en  rendre  compte,  feuil- 
lette les  rapports  de  Masséna,  publiés  au  Moniteur  Uni- 
versel, efdont  la  concision  toute  militaire  constitue  une 
des  plus  belles  pages  de  nos  annales.  H  n'est  pas  une  af- 
faire importante  où  Cambronne  ne  se  soit  signalé  par  son 
intrépidité  et  son  sang-froid  dans  la  bataille. 

Souwarofï  avait  concentré  ses  principales  forces  dans 
Zurich,  d'où  Masséna  avait  résolu  de  le  débusquer.  Le  25 
-septembre  1799  ,  la  division  du  général  Lorge  et  une 
partie  de  celle  du  général  Mesnard  avaient,  de  grand  ma- 
tin, traversé  la  Limmath  sur  un  pont  de  bateaux.  Les 
grenadiers  de  la  46^  demi-brigade  marchaient  en  tète  de 
cette  seconde  division  qui  s'était  emparée  du  petit  camp 
de  Hong  et  des  hauteurs  d'où  l'on  domine  la  ville  de 
Zurich  sur  la  grande  route  de  Winterthur. 

Dès  l'aurore,  l'action  commençait  avec  d'autant  plus 
d'acharnement  que  les  Russes  n'avaient  pas  d'autre  che- 


—  44  ~ 

min  pour  sortir  de  Zurich.  Korsakoff  se  défend  avec  une 
rare  opiniâtreté,  mais  ses  troupes,  coupées  en  deux  tron- 
çons par  les  brigades  Lorges  et  Mesnard,  sont  culbutées 
et  forcées  de  rentrer  dans  la  ville. 

Nos  grenadiers  les  y  suivent  et...  Mais  laissons  ici  la 
parole  au  général  Masséna  lui-même  dans  le  rapport  qu'il 
adressa  au  Directoire  exécutif,  comme  commandant  en  chef 
de  l'armée  du  Danube,  sur  les  opérations  de  cette  armée  du 
3  au  18  vendémiaire  an  VIII  : 

«  ...  Je  fis  de  suite,  dit-il,  resserrer  la  place  de  Zurich; 
»  l'ennemi  s'y  défendait  encore  pour  protéger  sa  sortie 
»  par  la  porte  de  Rapperschwill  qu'il  tenait  et  par  laquelle 
»  il  espérait  encore  retirer  ses  troupes  et  ses  équipages  ; 
»  mais  le  général  Oudinot,  qui  déjà  s'était  emparé  du 
»  faubourg  de  Zurich,  marchait  sur  le  corps  de  la  place 
»  avec  la  37®,  un  bataillon  de  la  46«,  la  Légion  Helvéti- 
»  que,  un  escadron  du  9'^  hussards  et  une  compagnie 
»  d'artillerie  légère.  Le  chef  de  brigade  Lacroix,  à  la 
»  tête  de  la  colonne,  enfonce  à  coups  de  canon  la  porte 
»  de  Baden,  égorge  tout  le  poste  russe  qui  la  défendait  et 
»  entre  dans  la  ville,  faisant  un  carnage  horrible  de  tout 
»  ce  qui  entreprenait  de  se  défendre.  »  (1) 

Voilà  pour  la  prise  de  Zurich,  mais  les  exploits  de  la 
46*  demi-brigade  ne  s'en  tinrent  pas  là  et  nous  emprun- 
tons au  même  rapport  de  Masséna,  dans  les  pages  sui- 
vantes, les  détails  suivants  sur  le  combat  de  Paradis  : 

«  Le  14  vendémiaire,  le  général  Molitor  se  replia  sans 
»  pouvoir  être  entamé  sur  les  points  de  Mollis  et  de 
»  JNœfels  où,  soutenu  très  à  propos  par  la  division  Gazan 
»  qui  arrivait  à  peine,  il  s'était  maintenu  et  avait  conservé 

n)  Moniteur  Universel,  du  H  brumaire  an  VIII,  p.  lo7-lo9. 


—  45  — 

»  le  pont  de  Nœfels,  six  fois  pris  par  les  Russes  et  autant 
».  de  fois  repris  par  nos  troupes,  ce  qui  nous  laissait 
»  maîtres  des  deux  rives  de  la  Linth. 

»  ..  Je  dirigeai  sur  Stein  etDissenhofen  la  division  Lorge, 
»  sur  Paradis  et  la  tête  du  pont  de  Bussingen  le  général 
»  Mesnard  et  sur  Wintherthur  et  Audelfingen  la  réserve 
»  de  grenadiers  ;  je  me  rendis  moi-même  avec  mon  chef 
»  d'état-major  à  Frauenfeld  et  de  là  à  Audelfingen. 

»  Le  15,  dès  la  pointe  du  jour,  les  divisions  firent  leur 
»  dernière  marche  pour  se  porter  sur  le  point  d'attaque. 
»  Celles  de  Gazan  et  de  Lorge  avaient,  pour  arriver  à 
»  leur  destination,  beaucoup  plus  de  chemin  à  faire  que 
»  celle  de  Mesnard  ;  et  quoique,  à  cause  de  cette  différence, 
»  la  division  Mesnard  fût  partie  plus  tard,  elle  n'eût  pas 
»  plutôt  commencé  son  mouvement  sur  Paradis  qu'elle 
»  trouva  Korsakow,  marchant  à  sa  rencontre  avec  un 
»  corps  de  12000  Russes  ou  Bavarois.  L'engagement  fut 
»  très  vif,  mais  la  supériorité  du  nombre  des  ennemis 
»  arrêtait  déjà  notre  mouvement,  lorsque  la  réserve  des 
»  grenadiers  arrivant,  le  combat  changea  bientôt  de  face. 
»  L'ennemi  fut  attaqué  avec  la  plus  grande  vigueur,  le 
»  champ  de  bataille  fut  bientôt  jonché  de  morts  et  les 
»  bavaro-russes  ne  trouvèrent  leur  salut  que  dans  une 
)i  fuite  précipitée  et  en  se  jetant  en  désordre  dans  la  tête 
»  de  Bussingen  ». 

Cambronne  n'est  pas  désigné  dans  ce  rapport,  mais  le 
général  Masséna  n'y  a  pas  nommé  beaucoup  de  scg 
subordonnés.  «  Tous,  écrit-il,  généraux,  officiers,  soldats, 
»  ont  parfaitement  rempli  leur  devoir,  je  regrette  de  ne 
»  pouvoir  les  nommer  individuellement.  »  (1) 

(1)  Moniteur  Universel  du  15  brumaire  an  VIII,  p.  173. 


—  46  — 

Toutefois  les  états  de  service  de  Cambronne  relatent 
par  une  note  spéciale,  son  rôle  dans  cette  chaude  journée. 
Voici  cette  note  : 

«  A  la  prise  de  Zurich,  le  capitaine  Cambronne  enleva  à 
»  la  bayonnette  avec.sa  compagnie  deux  pièces  de  canon 
»  qui  faisaient  feu  dans  la  ville,  sous  une  fausse  porte, 
»  contre  le  bataillon  dont  il  faisait  partie.  Il  prit  sur  lui 
»  cette  manœuvre  qu'il  exécuta  avec  une  telle  vivacité 
»  qu'il  empêcha  les  canonniers  de  faire  une  seconde 
»  décharge.  » 

Faut-il  ajouter  quelques  détails  à  ces  lignes  trop 
concises  ?  On  se  fusillait,  on  se  canonnait  presque  à  bout 
portant.  Plusieurs  pièces  russes,  favorablement  placées, 
mitraillaient  les  assaillants.  Cambronne  comprend  aus- 
sitôt que  ces  canons  peuvent  décider  du  succès. 

—  Grenadiers,  s'écrie-t-il,  c'est  là  qu'il  faut  frapper.  En 
avant  et  à  la  baïonnette  I 

Il  s'élance  le  premier  sur  les  pièces.  Une  volée  de  mi- 
traille renverse  les  hommes  qui  l'entourent,  mais  ceux 
qui  restent  debout,  redoublent  d'ardeur.  Ils  arrivent  enfuj 
et  tuent  les  canonniers  russes  sur  leurs  pièces.  Cambronne 
fait  alors  tourner  ces  pièces  contre  l'ennemi.  Après  une 
résistance  acharnée  des  Russes  qui  essaient  de  les 
reprendre,  les  grenadiers  chargent  de  nouveau  à  la  baïon- 
nette, mettent  l'ennemi  en  déroute  et  lui  font  douze  cents 
prisonniers.  Il  n'en  fallait  pas  moins  pour  achever  la 
défaite  de  Korsakoff.  Elle  était  d'ailleurs  complète. 

Huit  mille  hommes  tués  ou  blessés,  cinq  mille  prison- 
nierSj  une  partie  de  la  cavalerie,  les  bagages,  cent  pièces 
de  canon  enlevées,  quinze  drapeaux,  le  trésor,  la  chancel- 
lerie, la  chapelle  même  de  l'armée  russe,  tombés  entre 
nos  mains,  voilà  quel  était  le  bilan  de  la  journée  du  2ft 


—  47  — 

septembre  1799  qui  devait  sauver  la  France  républicaine 
de  l'invasion  moscovite. 

Restait  pourtant  Souwaroff  qui  arrivait  d'Italie,  la  rage 
au  cœur  et  impatient  de  venger  la  défaite  de  son  lieute- 
nant, Souwarotr,  l'invincible  qui  cherche  à  tout  prix  à  se 
frayer  un  passage  vers  le  Rhin.  II  a  devant  lui  le  général 
Molitor,  mais,  malgré  toute  la  bravoure  des  Français, 
comment  avec  trois  bataillons  seulement,  résister  à  une 
armée  de  douze  mille  Russes?  On  a  vu  comment,  au 
combat  de  Paradis,  nos  troupes  vinrent  à  bout  de  la  supé- 
riorité numérique  de  l'ennemi. 

Tant  de  valeur  méritait  bien  une  récompense.  Masséna 
la  donna  à  la  46''  demi-brigade  sous  la  forme  d'un  ordre 
du  jour  spécial  où  il  la  félicitait  de  s'être  distinguée  à 
l'affaire  du  15  vendémiaire  an  VIII  (7  octobre  1799)  et 
d'avoir  pris  aux  Russes  cinq  drapeaux  et  deux  pièces  de 
canon  : 

Braves  soldats, 

Quelle  part  brillante  n'avcz-vous  pas  eue  dans  les  mémorables 
événements  qui  viennent  de  se  passer!  Partout  l'ennemi  vous  a 
vus  lui  présentant  un  front  inexpugnable  ou  l'enfonçant  avec  une 
ardeur  sans  exemple,  partout  vous  avez  semé  au  milieu  de  lui  la 
niort  et  l'épouvante!  Qui  oubliera  surtout  que,  sur  le  Rtiin,  vous 
avez  hâté  sa  défaite  en  enlevant  son  artillerie  et  ses  drapeaux! 
Quel  exemple  de  bravoure  et  de  dévoùment  vous  avez  donné  tout 
à  la  fois  !  Vous  avez  confirmé  cette  grande  vérité  que  rien  n'est 
au-dessus  du  courage  des  soldats  républicains.  Que  l'idée  de 
votre  conduite  brillante  vive  au  milieu  de  vous  1  elle  entretiendra 
cet  enthousiasme  généreux  qui  forme  les  héros  ! 

Soldats  de  la  46e  demi-brigade,  toute  l'armée  a  fait  son  devoir, 
mais  j'ai  remarqué  encore  que  vous  aviez  parfaitement  rempli  le 
vôtre, 

Masséna. 


Cambronne  pouvait  prendre  sa  grande  part  de  ces 
éloges,  le  souvenir  de  sa  conduite  à  Paradis  était  resté 
dans  la  mémoire  de  ses  supérieurs  et  dix-sept  ans  plus 
tard  en  prononçant  pour  lui  devant  le  conseil  de  guerre 
une  de  ses  plus  belles  plaidoiries,  Berryer  pouvait  évoquer, 
à  juste  titre,  la  journée  du  7  octobre  1799  comme  une  de 
celles  où  Cambronne  s'était  le  plus  héroïquement  comporté, 
à  côté  de  Zurich,  d'Iéna  et  de  Waterloo,  personne  ne  se 
fut  levé  pour  le  contredire. 

«  Toutes  les  fois,  s'écriait-il,  qu'une  ardeur  française 
«  vous  emporta  au  fort  du  péril,  au  foyer  des  combats, 
«  vous  avez  rencontré,  vous  avez  admiré  le  général 
«  Cambronne.  Soit  que,  dans  les  rues  de  Zurich,  à  la  tète 
«  d'une  seule  compagnie  de  grenadiers,  il  emporte  à 
«  l'ennemi  plusieurs  pièces  de  canon  et  douze  cents  pri- 
«  sonniers;  soit  qu'à  Paradis,  avec  quatre-vingts  hommes, 
«  il  parvienne  à  culbuter  trois  mille  Russes,  partout 
«  éclatent  à  la  fois  et  sa  bravoure  et  sa  volonté  ferme  de 
«  remplir  les  ordres  de  ses  chefs.  » 

Qui  donc  aurait  pu  contester  d'aussi  glorieux  sou- 
venirs ? 

Pendant  la  campagne  de  1800,  la  46«  demi-brigade  fit 
partie  de  l'armée  du  Danube  sous  les  ordres  du  général 
Moreau  et  fut  placée  au  corps  de  réserve  que  commandait 
le  général  en  chef  en  personne  (division  Delmas).  Cam- 
bronne y  commandait  la  3«  compagnie  de  grenadiers, 
c'est-à-dire  les  grenadiers  du  3^  bataillon.  C'est  à  Bâle 
que  la  demi-brigade  passa  le  Rhin  le  25  avril,  pour  prendre 
le  3  mai  une  part  glorieuse  à  la  bataille  d'Engen.  A  la 
tète  de  ses  hommes,  Cambronne  est  de  ceux  qui  enlèvent 
à  la  baïonnette  les  bois  et  le  pic  de  Hohenhewen  défendus 
par  huit  bataillons  autrichiens,  qu'il  précipite  dans  la 


—  49  — 

vallée.  Deux  jours  après,  nous  le  retrouvons  à  la  bataille 
de  Mœskirch  où,  en  prenant  position  entre  les  divisions 
Delmas  et  Lorges,  la  46®  demi-brigade  repousse  les 
attaques  tentées  par  l'ennemi  pour  couper  ces  deux  divi- 
sions. 

Pendant  les  opérations  autour  d'Ulm,  elle  assiste  avec  le 
corps  de  réserve  à  la  fin  de  la  bataille  d'Hochstedt  et 
tandis  que  le  l«r  bataillon  poursuit  l'ennemi  et  s'empare 
de  Donauwerth  le  23  juin  et  du  château  de  Wurbourg  le 
24,  les  deux  autres  bataillons  poussent  jusqu'à  Nordlingen. 
Nous  la  retrouvons  tout  entière  le  27  juin  à  Neubourg  où 
la  brigade  Montrichard  accablée  par  des  forces  supérieures, 
risquait  d'être  anéantie.  La  46",  conduite  par  le  capitaine 
du  génie  Rogniat,  accourt  au  pas  de  course  de  Rhain  et 
arrive  sur  le  champ  de  bataille  à  la  tombée  de  la  nuit. 
-Des  masses  de  ulhans  la  chargent  aussitôt  avec  rage,  elle 
les  reçoit,  sans  tirer  un  coup  de  fusil,  sur  le  fer  de  ses 
baïonnettes.  Ce  fut,  une  fois  la  nuit  complète,  une  terrible 
mêlée  à  l'arme  blanche  où  l'on  ne  se  connaissait  plus  que 
de  près,  à  l'uniforme  qu'on  portait,  à  la  langue  qu'on 
parlait.  A  dix  heures,  la  bataille  continuait  encore.  Enfin 
les  Autrichiens  cédèrent  les  premiers  et  nous  laissèrent 
maîtres  du  terrain.  Mais  à  quel  prix?  La  Tour  d'Auvergne, 
le  premier  grenadier  de  France,  avait  été  mortellement 
atteint  d'un  coup  de  lance  au  cœur  et  le  chef  de  brigade 
Forty  fut  retrouvé  percé  de  vingt-cinq  coups  de  sabre.  Ce 
combat  fut  le  dernier  de  la  campagne  d'été  sur  le  Danube, 
auquel  prit  part  la  46®  demi-brigade. 

On  s'est  demandé  s'il  était  vrai  qu'après  avoir  élevé  à  la 
La  Tour  d'Auvergne  un  monument  laissé  sous  la  sauve- 
garde des  braves  de  tous  les  pays,  l'armée  eût  proclamé 
pour  son   successeur   dans  le  beau  titre  de    «  premier 

A 


—  50  — 

grenadier  de  France  »  le  capitaine  Cambronne,  son  compa- 
triote et  son  ami.  Cambronne  s'en  est  toujours  défendu. 
Lorsque  vers  la  fin  de  sa  vie,  le  docteur  Priou  lui  donna 
lecture  d'une  biographie  encore  manuscrite  de  La  Tour 
d'Auvergne  où  il  faisait  allusion  au  titre  dont  il  avait  ainsi 
hérité,  Cambronne  l'interrompit  :  —  Mon  cher  monsieur, 
lui  dit-il,  cela  n'est  pas  exact,  et  je  désire  que  ce  passage 
soit  supprimé  de  votre  écrit. 

Cette  attitude  était  conforme  à  celle  qu'il  avait  eue 
suivant  certains  de  ses  biographes  (1),  au  moment  même 
où  ses  compagnons  d'armes  lui  offraient  la  succession  de 
La  Tour  d'Auvergne. 

—  Mes  amis,  souffrez  que  je  refuse  cet  honneur  que  je 
ne  crois  pas  avoir  suffisamment  mérité.  Il  n'en  est  pas  un 
parmi  vous  qui  n'en  ait  fait  autant  que  moi;  marchons 
donc  ensemble  sur  les  traces  du  brave  qui  vient  d'expirer 
et  laissons-lui  la  gloire  de  n'avoir  pas  trouvé  de  succes- 
geur. 

Etait-ce  pure  modestie?  Cambronne  en  était  assurément 
capable.  Mais  voici  qui  constitue  un  argument  plus 
sérieux  : 

Quand,  après  sa  mort,  il  fut  question  de  lui  élever  une 
statue  à  Nantes,  on  se  préoccupa  des  inscriptions  qui 
figureraient  sur  le  piédestal  et  l'on  songea  à  y  graver  ces 
mots:  Premier  Grenadier  de  France.  Mais,  en  présence 
des  opinions  diverses  qui  circulaient  sur  ce  point,  le  maire 
de  Nantes  s'adressa,  pour  en  avoir  le  cœur  net,  au  minis- 
tère de  la  guerre. 

Des  recherches  minutieuses   furent  faites   alors,  sans 


(1)  Histoire  du  général  Cambronne.  Paris,  chez  les  marchands  de 
nouveautés,  1846. 


—  51  — 

rien  prorluire  qui  pût  donner  quelque  fondement  à  l'as- 
sertion des  biographes.  Cette  circonstance  si  importante 
n'est  pas  mentionnée  aux  états  de  service  du  général 
€ambronne  et  pourtant  il  est  hors  de  doute  que,  s'il  eût 
^té  salué  d'un  titre  aussi  honorable^  on  eût  trouvé  une 
inscription  quelconque  sur  le  registre  des  officiers  de  la 
46®  demi-brigade. 

D'ailleurs  l'ordre  du  jour  de  l'armée  du  12  messidor  an 
VIII  (l^""  juillet  1800)  annonçant  la  mort  glorieuse  de 
La  Tour  d'Auvergne,  porte  qu'il  ne  sera  pas  remplacé  dans 
la  compagnie  dont  il  avait  fait  choix  et  qu'elle  n'aura  plus 
que  82  hommes  au  lieu  de  83.  Et  de  fait,  La  Tour  d'Au- 
vergne continua  à  être  compris  comme  grenadier  à  la 
2"  compagnie  dont  il  faisait  partie,  tandis  queCambronne, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  comptait  à  la  3°. 

Les  hostilités  ne  reprirent  que  vers  la  fin  de  novembre. 
La  46®  demi-brigade,  toujours  attachée  à  la  m^me  divi- 
sion, sous  les  ordres  du  général  Grandjean,  se  porta  sur 
Wasserbourg  et  assista  le  l^r  décembre  au  combat 
d'Ampfing,  puis  le  lendemain  elle  prit  position  dans  la 
petite  plaine  de  Hohenlinden,  à  droite  du  village  de  ce 
nom  et  de  la  route.  C'est  là  que,  vingt-quatre  heures  plus 
tard,  devait  se  livrer  la  grande  bataille  où  s'illustra  le 
général  Moreau, 

Qui  depuis...  Rome  alors  estimait  ses  vertus. 

Derrière  la  droite  de  la  lOS®  qui  était  déployée  en  pre- 
mière ligne,  la  46<'  se  forma  en  colonne  serrée  et  quand 
le  premier  choc  se  fut  produit  entre  la  108e  et  le  jeune 
archiduc  Jean  qui  avait  donné  l'ordre  à  huit  bataillons 
hongrois  de  filer  sous  bois  et  de  chercher  à  tourner  la 
droite  de  cette  demi-brigade,  la  46^   accourut,  engagea. 


—  52  — 

au  milieu  des  sapins  une  lutte  corps  à  corps  avec  les 
hongrois  et  "demeura  victorieuse.  Au  même  instant,  le 
mouvement  du  général  Richepanse  commençait  à  se  faire 
sentir  dans  l'intérieur  de  la  forêt,  la  46«  se  porta  alors  en 
avant,  poursuivit  l'ennemi  la  baïonnette  dans  les  reins  et 
lui  fit  de  nombreux  prisonniers. 

Après  cette  mémorable  victoire,  Moreau  passant  suc- 
cessivement les  divers  affluents  du  Danube,  arriva  jus- 
qu'aux portes  de  Vienne  comme  pour  y  arracher  à  l'in- 
fortuné François  II,  la  promesse  de  la  paix  qui  se  signait 
bientôt  à  Thionville. 

La  46«  demi-brigade  fut  alors  dirigée  sur  Spire  et  de  là 
sur  Dunkerque  où  elle  arriva  le  28  mai  1801.  Après 
quelques  mois  d'exercices  et  de  manœuvres,  des  détache- 
ments, parmi  lesquels  celui  que  commandait  Gambronne, 
furent  embarqués  à  bord  de  la  flotillé  et  eurent  le  17  août 
notamment  quelques  engagements  avec  les  Anglais  qui, 
mécontents,  se  décidèrent  le  25  mars  1802  à  signer  le 
traité  d'Amiens,  le  plus  beau  que  la  France  ait  jamais 
obtenu. 

Mais  la  paix,  à  cette  époque,  n'était  jamais  de  bien  lon- 
gue durée.  Quand  la  guerre  éclata  de  nouveau,  les  deux 
bataillons  de  guerre  de  la  46«  devenue  en  1803  le  46® 
régiment  de  ligne  furent  envoyés  à  Boulogne  et  placés 
dans  le  corps  du  maréchal  Soult  (division  Vandamme), 
Au  camp  de  Saint-Omer,  Gambronne  continue  à  se  distin- 
guer par  son  assiduité  et  sa  bravoure,  qu'il  soit  occupé 
sur  la  grève  à  protéger  les  ouvriers  contre  les  bombes, 
dans  le  port  à  diriger  leurs  travaux  ou  sur  les  péniches 
à  poursuivre  les  croisières  ennemies.  Le  26  prairial  an  XII 
(15  juin  1804)  il  fut  nommé  membre  de  la  Légion  d'Hon- 
neur et,  comme  pour  prouver  que  jamais  distinction  ne 


—  53  — 

fut  mieux  justifiée,  à  quelques  jours  de  là,  il  accomplis- 
sait un  nouvel  acte  de  courage. 

Une  péniche  percée  de  boulets  anglais,  coulait  à  fond. 
Cambronne  monte  avec  quelques  soldats  dans  un  canot 
pour  tâcher  de  sauver  ceux  qui  la  montaient.  Il  arrive 
trop  tard,  seul  un  matelot  se  débattait  encore.  Cambronne 
n'hésite  pas,  il  se  jette  à  la  mer,  est  assez  heureux  pour  le 
saisir  et  le  ramener  sain  et  sauf  à  la  cote.  Il  reçut  les 
félicitations  du  colonel  du  génie,  Pascal  Vallongue,  qui 
informa  le  ministre  de  ce  nouveau  trait  d'héroïsme  par  la 
leitre  suivante  : 


Boulogne,  ce  8  thermidor  an  42. 


DES  COTES 


Grand  Etat-Major  Le  colonel  du  génie  P.  Vallongue,  charge 

GÉNÉRAL  ''^^  <^^^î  des  détails  du  Grand  Etat-Major 

~  Général  des  camps  et  armées  des  Côtes. 

A  l'honneur  d'exposer  au  Ministre  de  la  Guerre  que 
le  capitaine  des  Grenadiers  Cambrone,  du  46^  régiment, 
s'étant  jeté  à  la  nage  et  arrivant  trop  tard  pour  secourir 
une  péniche  qui  allait  être  submergée,  sauva  néanmoins 
un  matelot  de  la  Garde  Impériale. 

Il  propose  à  Monsieur  le  Maréchal  d'accorder  à  cet 
officier,  membre  de  la  Légion  d'honneur,  un  mois  de 
solde. 

P.  Vallongue. 

Ce  fut  le  29  août  1805  que  la  46®  partit  de  Boulogne 
pour  combattre  la  troisième  coalition  et  faire  campagne 
contre  l'Autriche  et  la  Russie.  Le  même  jour,  Cambronne, 


—  54  — 

promu  au  grade  de  chef  de  bataillon  au  88«,  quittait  le 
46^  régiment  dont  il  emportait  tous  les  regrets  (1). 

A  quelques  semaines  de  là,  le  4  octobre  suivant,  (2)  les 
officiers  du  46«  signaient  au  bivouac  la  pièce  élogieuse- 
que  voici  : 

Les  officiers  du  46«  régiment  d'infanterie  saisissent  avec 
empressement  l'occasion  que  leur  offre  la  promotion  de  M.  Cam- 
bronne,  capitaine,  membre  de  la  Légion  d'honneur,  au  grade  de 
chef  de  bataillon  dans  le  88e  régiment,  pour  lui  donner  un  nou- 
veau témoignage  d'estime  et  d'amitié,  en  attestant  que  depuis 
la  formation  du  corps,  sa  conduite  militaire  et  privée,  l'aménité 
de  son  caractère,  la  délicatesse  et  la  loyauté  de  ses  procédés-le- 
firent  toujours  distinguer  sous  les  rapports  qui  caractérisent  un 
officier  d'honneur  dont  l'éloignement  exciterait  chez  nous  les  plus- 
vifs  regrets,  s'il  n'était  occasionné  par  suite  des  marques  d'intérêt 
qu'il  a  plu  à  Sa  Majesté  de  vouloir  bien  lui  donner  en  l'appelant 
à  un  grade  supérieur. 

Au  bivouac,  ce  42  Vendémiaire  an  XIV. 

Latrille,  colonel;  Legros,  chef  de  bataillon;  Menu,  chef  du 
service:  Sucré,  adjudant-major;  Trupel,  lieutenant;  Salmon^ 
lieutenant;  Masson,  lieutenant;  Delamarre,  sous-lieutenant;. 
A.  Dillon,  sous-lieutenant,  etc. 

(1)  Voici  le  texte  du  décret  (Archives  nationales,  Minutes  des  décrets- 
A  F.  IV.  176,  plaquette  1103  n»  14), 

Au  Camp  Impérial  de  Boulogne,  le  12  Fructidor  au  13. 
Napoléon,  empereur  des  Français,  roi  d'Italie, 
Décrète  ce  qui  suit  : 
Art.  6.  —  Le  sieur  Cambronne,  Capitaine  des  carabiniers  du  46» 
régiment  d'infanterie  de  ligne,   est  nommé  chef  de  bataillon  du  88« 
régiment  d'infanterie  de  ligne,  en  remplacement  du  sieur  Longchamp^ 
nommé  chef  de  bataillon  des  Grenadiers  de  la  Garde. 

NAPOLÉON. 

(2)  Le  catalogue  d'autographes  de  M.  Gauthier-Lachapeile  (Paris. 
J.  Charavay  aîné  1872)  signale  une  lettre  de  Cambronne,  datée  de 
Halle  le  12  vendémiaire  an  XIV  c'est-;\-dire  du  4  octobre  et  adressée 
à  Berlhier.  Elle  est,  dit-il,  relative  à  sa  nomination  comme  chef  de- 
bataillon  au  88». 


^  55  — 

Mais  le  nom  de  Cambronne  ne  disparaissait  pas  tout  à 
fait  du  46^  régiment^  il  y  restait  encore  un  sous-lieutenant 
qui  fut  tué  à  Austerlitz  et  qui  était  le  frère  de  celui  dont 
nous  écrivons  l'histoire,  (1)  et,  quand  en  1815  Cambronne 
revint  en  France  avec  Napoléon  il  avait  laissé  de  si  bons 
souvenirs  au  46^  de  ligne  que  le  gouvernement  évita 
d'envoyer  contre  l'empereur  un  régiment  qui  aurait  pu 
faire  trop  facilement  défection  (2). 

Cette  lettre  figurait  à  la  vente  d'autographes  Eugène 
Charavay,  faite  le  21  février  1891  :  le  catalogue  l'attri- 
buait au  futur  général  Cambronne,  mais  l'officier  dont 
elle  parle  n'était  que  sous-lieutenant  et  c'est  le  jeune  frère 
de  notre  héros  qu'elle  concernait,  puisque  Cambronne 
aîné  était  capitaine  depuis  plusieurs  années  déjà  et  à  la 
veille  de  passer  chef  de  bataillon. 


(1)  Ce  frère  avait  donné  sa  démission,  mais  l'empereur  l'avait 
refusée.  Une  lettre  du  maréchal  Berthier  du  14  germinal  an  XIII  au 
colonel  Cavaignac  annonce  le  refus  de  Napoléon.  «  L'intention  de 
»  Sa  Majesté,  dit-elle,  est  que  tout  individu  faisant  partie  des  corps 
»  employés  dans  les  camps,  reste  sous  les  drapeaux  ;  l'honneur  en 
»  fait  un  devoir  à  tous  les  militaires  français  et  particulièrement 
»  aux  officiers  ». 

(2)  Nous  en  donnerons  les  preuves  plus  loin. 


CHAPITRE  VI 

D'AUSTERLITZ   A  PULTUSK 

Le  88*^  de  ligne,  dans  les  rangs  duquel  Gambronne  allait 
se  distinguer,  avait  déjà  de  magnifiques  états  de  service. 
Il  avait  fait  de  1798  à  1801,  la  campagne  d'Egypte  sous 
Bonaparte  et  comptait  au  nombre  des  régiments  que 
quarante  siècles  avaient  contemplés  du  haut  des  Pyra- 
mides. Il  s'était  battu  à  Alexandrie,  aux  Pyramides,  à 
Sédiman,  dans  la  Haute-Egypte,  sous  les  ordres  des  géné- 
raux Desaix,  Friant  et  Belliard  et,  comme  il  n'y  avait 
guère  plus  de  quatre  ans  qu'il  était  revenu  en  France,  on 
pouvait  admirer  encore  six  cents  hommes  au  moins  du 
régiment  qui  portaient  sur  leurs  figures  bronzées  les  stig- 
mates glorieux  du  soleil  d'Afrique. 

Il  avait  alors  pour  colonel  le  baron  Gurial  et  était  fort 
de  1595  hommes  (1).  Classons-le,  pendant  que  nous  y 
sommes;  il  faisait  partie  du  5e  corps  d'armée,  maréchal 
Lannes,  division  Suchet,  brigade  Glaparède. 

(1)  CURIAL  (Philibert- Jean -Baptiste -François -Joseph,  comte), 
général  français,  1776-1829,  entra  comme  volontaire  dans  la  Légion 
des  AUobroges,  fit  les  campagnes  d'Italie  et  d'Egypte,  se  distingua  à 
Austerlitz,  devint  colonel-major  des  fusiliers  de  la  Garde,  général 
de  brigade  pour  sa  conduite  à  Eylau  et  à  Friedland,  général  de 
^division  à  Essling.  A  Hanau  (1813),  avec  quatre  bataillons  de  la 
Vieille  Garde,  il  cubutta  les  Bavarois  commandés  par  Wrède.  Il  se 
signala  dans  la  campagne  de  France,  notamment  à  Vauchamps  et  à 
Craonne.  Après  l'abdication  de  l'Empereur,  il  fit  adhésion  au  gou- 
vernement de  Louis  XVIII,  revint,  pendant  les  Cent-Jours,  sous  les 
drapeaux  de  Napoléon  et  combattit  à  Waterloo.  li  rentra  en  grâce 
à  la  deuxième  Restauration,  siégea  à  la  Chambre  des  Pairs,  fit  la 
guerre  d'Espagne  (1823),  et  mourut  d'une  chute  faite  au  sacre  de 
Charles  X. 


—  57  — 

La  campagne  de  1805  est  restée  mémorable  entre  toutes. 
Cambronne  assista  à  la  capitulation  d'Ulm,  et  le  2  dé- 
cembre suivant,  il  voyait  se  lever  le  soleil  d'Austerlitz.  Le 
corps  de  Lannes  était  placé  à  la  gauche  de  la  ligne  fran- 
çaise, à  cheval  sur  la  route  de  Brûnn,  en  face  de  l'aile 
droite  de  l'armée  austro-russe  commandée  par  Bagration, 
à  cheval  sur  la  route  d'Olmûtz. 

Tandis  que,  suivant  les  ordres  de  l'empereur,  les  divi- 
sions de  Soult  enfoncent  le  centre  ennemi  et  cherchent  à 
prendre  à  revers  les  colonnes  de  gauche  aux  ordres  de 
Buxhowden,  le  S*'  corps,  après  avoir  vicorieusement  sou- 
tenu les  attaques  redoublées  de  la  cavalerie  de  Bagration, 
avait  à  son  tour  marché  en  avant,  appuyé  par  la  cavalerie 
de  Murât.  Une  charge  brillante  de  cuirassiers  et  de  dragons 
culbute  l'ennemi;  le  village  de  Blazowitz,  défendu  par 
1200  Russes,  est  enlevé  par  l'infanterie  de  Lannes,  et 
Bagration  bat  en  retraite  sur  Olmiitz.  Il  n'était  qu'onze 
heures  du  matin  et  le  sort  de  la  journée  était  déjà  décidé 
en  notre  faveur. 

Cambronne,  qui  s'y  était  admirablement  battu,  y  perdit 
son  frère  Constant ,  sous-lieutenant  au  46^  de  ligne ,  tué 
sur  le  champ  de  bataille.  Ce  sont  là  les  inévitables  dou- 
leurs de  la  guerre,  bella  matribus  detestata. 

Une  lettre  inédite  de  Cambronne,  qui  nous  a  été 
obligeamment  communiquée  par  M.  Lefebure  d'Ay,  petit- 
fils  du  destinataire,  trouve  ici  sa  place.  Elle  est  curieuse 
à  plus  d'un  titre.  L'enveloppe,  qui  fait  corps  avec  la  lettre, 
porte  cette  mention  : 

GRANDE  ARMÉE.  A  Monsieur, 

Monsieur  Lefebure-Cambronne,  fils, 
à  Saint-Quentin. 


—  58  — 

Voici  le  texte  de  la  lettre  avec  son  orthographe  : 

Gambronne,  chef  de  Bataillon  au  88e  régiment, 
Membre  de  la  Légion  d'honneur. 

Je  suis  on  ne  peut  plus  reconnaissant  de  l'intérêt  que  vous 
montrez  pour  moi,  ainsi  que  tous  mes  parents  :  ce  souvenir  me 
sera  éternel  ;  si  je  suis  assez  heureux  en  revenant  de  Paris  me 
rendant  à  Boulogne,  de  passer  dans  votre  voisinage,  je  compte 
aller  vous  en  remercier  de  bouche.  Je  désire  non  seulement  faire 
votre  connoissance,  mais  encore  pouvoir  acquérir  votre  amitié. 
Dites  mille  choses  honnêtes  à  tous  nos  parents,  assurez-les  de 
mes  respects. 

J'ai  eu  le  malheur  de  perdre  mon  frère  dans  cette  campagne, 
il  a  été  tué  à  la  tête  de  sa  compagnie  de  grenadiers,  le  courage  des 
officiers  français  ne  leur  permet  pas  de  rester  à  leur  place,  c'est 
où  il  y  a  le  plus  de  dangers  qu'ils  se  portent  et  c'est  ce  qui  me 
fait  en  ce  moment  verser  des  pleurs. 

Quand  à  moi,  je  me  porte  bien  ;  j'ai  eu,  à  la  bataille  d'Austerlitz, 
une  balle  morte  à  la  fesse  et  mon  cheval  tué  d'un  boulet  de 
canon,  il  y  a  eu  peu  d'affaires  dans  cette  guerre,  mais  toutes  ont 
presque  été  pareilles,  décisifs  et  meurtrières.  Je  no  me  suis  battu 
que  2  fois  ;  il  y  a  des  régiments  qui  ne  l'ont  pas  fait  du  tout,  et 
il  n'y  en  pas  qui  l'aient  fait  4.  Notre  armée  étoit  un  torrent  à  qui 
rien  ne  pouvoit  résister.  Malgré  les  brigandages  qu'ont  fait  nos 
traînards,  vu  nos  marches  forcées,  nous  avons  été  mieux  vu  que 
les  Russes  qui  généralement  pillaient  et  brûlaient  tout  ;  les 
habitants  disoient  que  nous  ne  leur  faisions  pas  tant  de  mal  que 
leurs  alliés.  Cela  n'est  pas  étonnant,  ces  soldats  sont  plutôt  des 
sauvages  que  des  hommes,  c'est  une  leçon  pour  l'Autriche  qu'elle 
paye  cher,  mais  qui,  je  crois,  pourra  au  moins  nous  laisser 
tranquilles  6  ans. 

Embrassez  vos  père  et  mère  pour  moi,  n'oubliez  pas  mesjolies 
cousines,  j'envie  le  plaisir  que  vous  devez  goûter  en  leur  donnant 

ces  baisers. 

Croyez  à  mon  attachement. 

Votre  Cousin , 
GAMBRONNE,  Chef  de  Bataillon. 
Leonfelden,  le  24  janvier,  lieu  où  nous  devons  encore  resterlS 
jours  après  lesquels  nous  devons  partir    pour   France ,    nous 
désirons  que  ce  soit  plutôt. 


—  59  — 

On  sait  quelles  furent  les  conséquences  de  la  bataille 
d'Austerlitz;  les  Autrichiens  se  retirèrent  de  la  coalition  et 
conclurent  avec  nous  le  27  décembre  suivant  la  paix  de 
Presbourg.  La  grande  armée  s'en  vint  camper  dans  les 
plaines  boisées  de  la  Franconie  :  le  corps  de  Lannes  s'éta- 
blit aux  environs  de  Cobourg,  jolie  petite  ville,  capitale 
du  duché  de  Saxe-Cobourg-Gotha,  célèbre  par  le  séjour 
qu'y  fit  Luther  en  1530  et  par  le  siège  qu'elle  soutint  en 
1635  contre  les  Impériaux.  Cambronne  n'y  tint  garnison 
que  peu  de  mois.  La  Prusse  avait  provoqué  l'empereur  et 
la  guerre  recommençait.  Nous  retrouvons  Cambronne 
toujours  à  la  tête  du  1^''  bataillon  duSS'^  de  ligne,  toujours 
dans  le  5«  corps  de  la  Grande  Armée,  d'abord  au  combat 
de  Saalfeld,  le  10  octobre  1806  et  quelques  jours  après, 
le  14,  sur  le  champ  de  bataille  d'Iéna,  en  face  de  l'armée 
du  prince  de  Hohenlohe. 

Commencée  à  sept  heures  du  matin,  l'action  durait  déjà 
depuis  six  heures,  sans  résultat  appréciable,  elle  était 
engagée  sur  toute  la  ligne,  quand  Napoléon,  qui  voulait 
en  finir  avant  la  nuit,  fit  avancer  toutes  les  troupes  qui 
occupaient  le  centre  de  sa  ligne  de  bataille.  Là  se 
trouvait  Cambronne  à  la  tête  de  son  bataillon,  il  s'élance 
au  pas  de  course  sous  une  véritable  pluie  de  mitraille  pour 
prendre  position  sur  un  plateau,  mais  le  feu  de  l'ennemi 
devient  alors  de  plus  en  plus  meurtrier,  les  grenadiers 
n'avancent  plus  qu'en  marchant  sur  des  monceaux  d^ 
cadavres  et  bientôt  enveloppé  dans  un  brouillard 
qu'épaissit  la  fumée  de  l'artillerie,  décimé  par  les  forces 
dix  fois  supérieures  de  l'armée  prussienne,  il  semble  que 
le  bataillon  chancelle,  recule  et  soit  prêt  à  se  débander. 
Cambronne  comprend  le  danger  : 

—  En  avant!  s'écrie-t-il,  suivez-moi  ou  j'irai  me  faire 
tuer  tout  seul  là  haut. 


—  60  — 

Et  il  place  son  chapeau  sur  la  pointe  de  son  épée  et 
l'agite  en  signe  de  ralliement.  Le  bataillon  électrisé  reprend 
sa  marche  en  avant,  il  serre  les  rangs  et  tombe  à  la 
baïonnette  sur  les  Prussiens  qui  plient  à  leur  tour,  se 
débandent  et  nous  abandonnent  le  plateau.  Témoin  de  ce 
haut  fait  d'armes,  Napoléon  tint  à  féliciter  en  personne 
l'intrépide  chef  de  bataillon. 

—  Vous  êtes  un  brave  officier,  lui  dit-il,  et  je  n'oublierai 
jamais  ce  que  je  vous  ai  vu  accomplir. 

L'armée  tout  entière  ne  l'oublia  pas  davantage  et  quand, 
en  1816,  Berryer  rappelait  la  belle  conduite  de  Cambronne 
à  la  bataille  de  Zurich,  il  disait  aux  juges  militaires,  com- 
pétents entre  tous,  qui  allaient  statuer  sur  son  sort: 

«  Vous  avez  admiré  le  général  Cambronne,  quand  dans 
«  les  plaines  d'Iéna,  voulant  raffermir  contre  le  danger 
«  ses  gens  qui  chancelaient,  il  s'élance  seul  sur  le  plateau, 
«  sous  un  feu  effroyable  d'artillerie  et  de  mousqueterie  et 
«  rallie  la  troupe  par  ce  froid  courage,  en  faisant  éclater 
«  à  la  fois  et  sa  bravoure  et  sa  volonté  ferme  de  remplir 
«  les  ordres  de  ses  chefs.  » 

Après  un  repos  bien  gagné  de  trois  jours  sur  le  champ 
de  bataille,  Cambronne,  à  la  tète  de  son  bataillon,  parcourt 
l'Allemagne  avec  une  rapidité  extraordinaire.  Nous  le 
voyons  le  18  octobre  à  Halle,  le  20  à  Dessau,  puis  il  tra- 
verse Postdam,  Spandau,  Prentzlau  et  il  arrive  à  Stettin 
où  il  est  de  ceux  qui  font  des  premiers  entendre  le  cri  de  : 
Vive  l'empereur  d'Occident  !  Remis  de  ses  fatigues,  il 
franchit  la  sablonneuse  et  stérile  Poméranie  et,  en  passant 
par  Stargard  et  Bromberg,  il  remonte  la  Vistule  jusqu'à 
Varsovie  où  il  fait  son  entrée  le  l^""  décembre  suivant. 
Comme  de  raison,  cette  marche  triomphale  était  signalée 
par  autant  de  combats  heureux.  Le  combat  de  Halle  fut 
une  des  plus  brillantes  affaires  de  la  campagne  de  1806  : 


—  61  — 

Napoléon,  à  la  vue  de  cette  redoutable  position  fortifiée, 
disait  qu'il  aurait  hésité,  s'il  l'avait  connue,  à  attaquer 
cette  ville  avec  cent  mille  hommes.  A  Prentzlau  le  25 
octobre,  c'est  le  prince  de  Hohenlohe  qui  se  rend  prison- 
nier avec  une  vingtaine  de  mille  hommes  devant  les  dra- 
gons de  Murât  et  les  fantassins  du  maréchal  Lannes  qui 
ont  suivi  tous  les  mouvements  de  notre  cavalerie,  marchant 
jour  et  nuit,  sans  repos,  s'arrêtant  à  peine  pour  manger. 
Il  semblait  qu'en  détachant  par  avance  une  partie  de  la, 
Grande-Armée  du  côté  de  la  Pologne,  Napoléon  eût  prévu 
que  la  Russie  allait  de  nouveau  lui  déclarer  la  guerre.  A 
l'heure  même  oii  Tempereur  quittait  Berlin  (28  novembre 
1806)  pour  épargner  aux  Russes  la  moitié  du  chemin,  la 
cavalerie  de  Murât  entrait  à  Varsovie,  bientôt  suivie  de 
nos  vaillants  fantassins.  L'empereur  y  arrivait  le  16  dé- 
cembre. Son  but  était  de  couper  l'armée  russe  de  la  mer, 
pour  l'isoler  des  secours  anglais  et  des  Prussiens  encore 
maîtres  de  Dantzig  et  de  Kœnigsberg.  Un  dégel  inattendu 
qui  survint  dans  la  nuit  du  25  décembre,  gêna  beaucoup 
les  mouvements  de  l'armée  qui  s'épuisa  en  marches  lentes 
et  pénibles  dans  les  boues  de  Pultusk.  Enfin,  le  26  au 
matin,  les  troupes  de  Lannes  débouchent  de  la  forêt  de 
Pultusk  et  aperçoivent  l'armée  de  Benningsen  rangée  en 
bataille  contre  la  ville  de  ce  nom  et  appuyée  par  une 
nombreuse  artillerie.  Lannes  n'a  avec  lui  que  quelques 
pièces  de  petit  calibre  traînées  avec  des  efforts  inouïs  par 
les  chemins  partout  défoncés.  La  lutte  s'engagea  avec  un 
acharnement  sauvage  ;  tout  à  coup,  au  milieu  d'une 
bourrasque  de  neige,  le  premier  bataillon  du  88^  de  ligne, 
commandant  Cambronne,  surpris  par  la  cavalerie  russe, 
avant  d'avoir  pu  se  mettre  en  carré,  est  rompu  et  renversé  ; 
mais  bientôt  rallié  par  son  chef,  il  se  relève  et,  profitant  à 


—  62  — 

son  tour  des  embarras  de  la  cavalerie  russe,  tue  à  coups 
de  baïonnette  ces  cavaliers  plongés,  comme  nos  propres 
fantassins,  dans  une  mer  de  boue. 

Voici  dans  le  rapport  du  maréchal  Lannes  à  l'Empereur, 
la  partie  qui  a  trait  au  88^  : 

Pultusk,  le  27  décembre  1806. 

Sire,  je  suis  arrivé  hier  avec  mon  corps  d'armée  devant  Pultusk 
vers  iO  heures.  J'ai  trouvé  l'ennemi  établi  sur  la  plaine  devant 
tiette  ville  ;  son  avant-garde  était  composée  d'environ  .^).000 
hommes  de  cavalerie  et  de  quelques  mille  Cosaques.  J'ai  placé 
la  division  Suchot  sur  deux  lignes,  et  celle  du  général  Gazan  en 
arrière,  aussi  sur  deux  lignes.  Dès  que  j'ai  été  formé,  j'ai  fait 
attaquer  l'avant-gardo  ennemie  par  le  i7e  léger  et  le  88e.  Après 
quelques  charges  que  nos  troupes  ont  reçues  avec  beaucoup  de 
sang-froid  l'ennemi  s'est  replié  sur  son  corps  de  bataille... 

L'ennemi  a  fait  porter  environ  8.000  hommes  d'infanterie  et  3 
régiments  de  cavalerie  sur  ma  droite,  cherchant  à  me  déborder. 
Alors  j'ai  fait  marcher  sur  le  pont  de  droite  le  restant  du  64e  et 
tout  le  88e  pour  lui  couper  la  retraite  sur  le  pont...  L'ennemi  a 
été  culbuté  et  est  revenu  sur  le  pont  dans  le  plus  grand  désordre. 
Si  un  bataillon  du  88e  qui  a  été  chargé  par  la  cavalerie,  n'eût 
pas  plié,  toute  cotte  colonne  était  prisonnière  de  guerre. 

...   Nous  nous    sommes  battus  depuis    10  heures   du  matin 

jusqu'à  6  heures  du  soir  dans  la  boue  jusqu'à  mi-cuisse.   Il  a 

fallu  toute  la  force  et  le  courage  de  nos  soldats  pour  résister. 

Votre  Majesté  a  vu  la  journée  qu'il  a  fait,  le  vent  et  la  grêle 

.  renversaient  nos  soldats... 

Toute  l'infanterie  a  supérieurement  servi  (1),  et  si  une  partie 
d'un  bataillon  du  88»  a  cédé  un  instant,  c'est  que  la  pluie  et  le 
mauvais  temps  l'ont  empêché  de  voir  assez  tôt  le  mouvement  de 
la  cavalerie  qui  Va  surpris...  Je  puis  assurer  à  Votre  Majesté  que 

(1)  Le  88'  sourfrit  beaucoup  le  26  décembre.  D'après  la  situation 
au  30  décembre,  il  y  avait  à  cette  date  94";  hommes  dfe  troupe  présents 
au  corps,  mais  il  faut  compter  aussi  quelque  fort  détacliement,  sans 
quoi  il  aurait  eu  800  hommes  hors  de  combat  ce  Jour-là. 


—  63  — 

depuis  que  je  fais  la  guerre,  je  n'ai  pas  vu  de  combat  aussi 
acharné  que  celui  d'hier.  Nos  baïonnettes  se  sont  croisées 
plusieurs  fois  avec  celles  de  l'ennemi  (1). 

D'autre  part^  voici  ce  que  disent  de  la  même  bataille 
les  Mémoires  du  chancelier  Pasquier  (Tome  1,  p.  297)  : 

«  Ce  n'était  qu'après  des  combats  sanglants  qu'il  avait 
»  été  possible  de  s'établir  sur  la  rive  droite  de  la  Vistule  ; 
»  l'affaire  de  Pultusk  surtout  avait  été  fort  acharnée  ; 
»  l'armée  française  y  avait  éprouvé  des  pertes  considé- 
»  râbles  ;  elle  s'était  pour  la  première  fois  trouvée  aux 
»  prises  en  même  temps  avec  les  glaces  et  avec  les 
»  soldats  du  nord,  et  il  avait  fallu  toute  la  vigueur  des 
»  maréchaux  Lannes  et  Davout  pour  un  succès  qui  n'était 
>  guère  constaté  que  par  la  retraite  de  l'ennemi,  retraite 
»  opérée  pendant  la  nuit  ». 

Il  fallut  suspendre  les  opérations  devant  l'impratica- 
bilité du  terrain  et  tandis  que  l'ennemi  battait  en  retraite 
sur  le  Pregel,  prendre  ses  quartiers  d'hiver  à  Varsovie. 
Le  1" janvier  1807,  Napoléon  y  rentre  avec  sa  garde, 
furieuse  de  cette  courte  campagne  où,  contrairement  à  leurs 
habitudes,  ces  vieux  soldats  n'ont  pas  brûlé  une  seule 
amorce.  C'est  alors  que  l'empereur  leur  décerna  le  pitto- 
resque sobriquet  de  grognards  qui  leur  est  resté  depuis. 

Cambronne  s'était  trop  distingué  pour  ne  pas  obtenir 
la  juste  récompense  de  ses  services.  «  Par  décret  rendu  au 
»  camp  impérial  de  Varsovie  le  16  janvier  1807,  S.  M. 
»  nommait  officier  dans  la  Légion  d'Honneur,  M.  Cam- 


(1)  .Nous  empruntons  ce  rapport  à  l'intéressante  Campagne  de 
Pologne  en  1806  du  capitaine  P.  Foucarl,  du  26"^  bataillon  de  chas- 
seurs à  pied. 


—  64  — 

»  bronne,  chef  de  bataillon  au  SS^  de  régiment  d'infan- 
»  terie  »  (1). 

Bientôt  la  campagne  de  Pologne  recommence,  illustrée 
par  les  batailles  glorieuses,  mais  sanglantes  d'Eylau  et  de 
Friedland,  Cambronne  n'y  assista  pas,  il  était  campé  sur 
les  bords  de  la  Narew,  un  des  affluents  de  la  Vistule,  mais 
qui  sait  s'il  n'eût  pas  préféré  les  hasards  des  combats  aux 
souffrances  inouïes  de  cette  première  partie  de  la  cam- 
pagne de  Pologne.  Vivre  pendant  près  de  quatre  mois, 
sans  se  déshabiller,  au  milieu  de  la  neige  et  de  la  boue, 
sans  vin,  sans  eau-de-vie,  parfois  sans  pain,  ne  se  nour- 
rissant que  de  viande  et  de  pommes  de  terre,  et  il  n'y  en 
avait  pas  tous  les  jours,  faisant  des  marches  et  des  contre- 
marches inutiles,  harcelés  par  de  continuelles  escar- 
mouches, telle  fut  l'existence  du  88«  de  ligne  jusqu'à  la 
paix  de  Tilsitt  (25  JuÈ.  4807). 

Depuis  cette  époque  jusqu'en  septembre  1808,  c'est-à- 
dire  pendant  plus  d'un  an,  le5«  corps  de  la  Grande-Armée 
occupa  les  environs  de  Breslau,  capitale  de  la  Haute-Silé- 
sie,  sans  que  nous  ayons  rien  de  spécial  à  noter  concernant 
Cambronne. 

Nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Gustave  Bord,  com- 
munication d'une  lettre  du  conseil  d'administration  du 
88e  de  ligne  au  pied  de  laquelle  figure  la  signature  de 
Cambronne  et  qui  porte  la  date  de  Trebnitz  en  Silésie 
4  juin  1808.  Elle  a  trait  aux  difficultés  de  change  du 
billon.  C'est  une  lettre  purement  administrative  et  qui 
n'offre  d'intéressant  que  les  indications  de  date  et  de  lieu. 


(1)  Moniteur  Universel  du  16  mars  1807,  page  292. 
La  minute  du  décret  figure  aux  archives  nationales  A  F  IV   235, 
placiuette  1570. 


CHAPITRE  Vil 

VIENNE,  DRESDE,  LEIPZIG,   HANAU 

Au  mois  de  septembre,  Napoléon  appela  le  5^  corps  en 
Espagne  où  nous  combattions  depuis  un  an  sans  avoir 
fait  de  sérieux  progrès  et  il  se  retrouvait  le  19  dé- 
cembre devant  Sarragosse  après  avoir  traversé  l'Alle- 
magne et  la  France,  du  Rhin  aux  Pyrénées  avec  une 
étonnante  rapidité.  Jusqu'aux  derliers  jours  de  ce  siège 
mémorable  (21  février  1809),  Cambronne  se  distingua,  à  la 
tète  de  son  bataillon,  soit  que,  sur  la  rive  droite  de  l'Ebre. 
il  repoussât  dans  leurs  murs  les  assiégés  qui  voulaient 
tenter  des  sorties,  soit  que,  en  pleine  campagne,  il  disper- 
sât les  bandes  de  paysans  qui  essayaient  de  porter  secours 
à  leurs  compatriotes. 

Le  88^  se  dirigea  quelques  jours  après  vers  la  vieille 
Gastille.  Tandis  que  l'Espagne  épuisée  se  reposait  un 
instant,  l'Autriche  humiliée  par  la  paix  de  Presbourg 
reprenait  l'offensive.  Pour  la  réduire  à  l'obéissance. 
Napoléon  forma  la  Jeune  Garde  Impériale  de  tout  ce  que 
l'armée  comptait  de  plus  brave  et  de  plus  irréprochable 
et,  comme  il  fallait  donner  à  ces  nouveaux  régiments  des 
chefs  dignes  de  les  commander,  il  nomma  le  11  avril 
1809  Cambronne  avec  son  grade  au  1"  régiment  de  tirail- 
leurs-chasseurs, devenu   depuis  le    l*''"  voltigeurs  de  la 

5 


—  66  — 

Garde  Impériale  (1).  Mais  il  fallait  gagner  immédiatement 
son  poste  :  après  avoir  encore  une  fois  traversé  la  France, 
cette  fois  des  Pyrénées  au  Rhin,  Cambronne  arriva  à 
Ratisbonne  le  24  avril.  Dès  lors,  il  ne  quitte  plus  l'empe- 
reur, il  entre  avec  lui  à  Landshut  emporté  de  haute  lutte 
par  le  général  Mouton,  et  le  iO  mai,  il  arrive  aux  portes 
de  Vienne  que  l'archiduc  Maximilien  semble  disposé  à 
défendre  à  outrance. 

Mais  Vienne  ne  résista  que  trois  jours.  Nous  faut-il 
rendre  compte  longuement  de  la  sanglante  bataille 
d'Essling  oiî  la  jeune  garde  faillit  se  laisser  démoraliser  par 
l'effroyable  feu  de  l'ennemi  et  ne  reprit  son  sangfroid 
que  grâce  à  l'énergie  de  Bessières  et  de  la  bataille  de 
Wagram  (6  juillet  1809)  que  devaient  suivre  de  près  l'armi- 
stice de  Znaïm  et  le  traité  de  Vienne  ?  Témoin  de  la  vail- 
lance de  Cambronne, ^'empereur  lui  oiîrit  le  grade  de 
colonel. 

—  Sire ,  répondit-il  modestement ,  permettez  que 
j'acquière  ce  qui  me  manque  pour  bien  commander  un 
régiment. 

—  Voilà  un  vrai  et  noble  soldat,  s'écria  Napoléon,  que 
ne  ferait-on  pas  avec  de  tels  hommes  ? 

(1)  Voici  le  texte  du  décret  tel  qu'il  figure  aux  minutes  qui  sont 
conservées  aux  Archives  Nationales  A  F.  IV.  375  plaquette  2749. 
DÉCRET  DU  11  AVRIL  1809 
Napoléon,  empereur  des  Français,  roi  d'Italie,  protecteur  de 
la  coni'édération  du  Rhin,  Nous  avons  décrété  et  décrétons 
ce  qui  suit  : 
...  Le  sieur  Cambronne,  chef  de  bataillon  du  88<=  régiment  d'in- 
fanterie de  ligne,  est  nommé  chef  de  bataillon  dans  les  chasseurs  à 
pied  de  notre  Garde. 
Notre  Ministre  de  la  guerre  est   chargé  de  l'exécution  de  notre 

présent  décret. 

NAPOLÉON. 


—  67  — 

Le  jour  même  de  la  signature  du  traité  de  Vienne 
(14  octobre  1809),  Gambronne  qui,  depuis  le  mois  de 
juillet,  occupait  avec  la  garde  le  palais  de  Schœnbrûnn^ 
avait  quitté  la  capitale  de  l'empire  d'Autriche  et  repris  la 
route  de  Paris,  où  il  arriva  le  mois  suivant.  Il  y  passa 
l'hiver  dans  les  fêtes  données  à  l'occasion  du  mariage  de 
Napoléon  et  de  Marie-Louise.  L'empereur  avait  déjà  beau- 
coup fait  pour  lui.  Après  sa  promotion  comme  officier  de 
la  Légion  d'honneur,  il  l'avait  inscrit  par  décret  du  19  mars 
1808,  pour  une  dotation  de  2.000  fr.  sur  le  département 
du  Trasimène.  C'était  une  sorte  de  rente  que  l'empereur 
créait  au  profit  de  certains  de  ses  sujets,  notamment  au 
profit  de  l'armée,  et  dont  il  imposait  la  charge  aux  pays 
vaincus,  en  faisant  administrer  leurs  biens  par  un  syndic 
que  désignaient  les  donataires  eux.-jnêmes.  Les  dotations 
étaient  garanties  surtout  par  le  produit  des  mines  et  les 
décrets  impériaux  ne  manquent  pas  pour  réglementer  la 
matière  (1). 

Napoléon  fit  plus  et  par  lettres-patentes  datées  de  Saint- 
Cloud  le  4  juin  1810,  il  conféra  à  Gambronne  le  titre  d& 
baron  de  l'Empire.  Voici  ce  document  inédit  qui  fut  enté- 
riné le  16  avril  1811  par  le  tribunal  civil  de  Nantes; 

Napoléon,  par  la  grâce  de  Dieu,  Empereur  des  Français,  Roi 
d'Italie,  protecteur  de  la  confédération  du  Rhin,  médiateur  de  la 
confédération  suisse. 

A  tous  présents  et  à  venir,  Salut  : 
Par  l'article  treize  du  premier  statut  du  premier  mars  mil  huit 
cent  huit,  nous  nous  sommes  réservé  la  faculté  d'accorder  des 
titres  que  nous  jugerions  convenables  à  ceux  de  nos  sujets  qui 

(1)  Nous  publions  en  annexe  ce  décret  qui  figure  aux  Archives- 
Nationales  A  F  IV.  301.  plaquette  2154  (Minutes  des  décrets). 


—  es- 
se seront  distingués  par  les  services  rendus  à  l'Etat  et  à  nous, 
la  connaissance  que  nous  avons  du  zèle  et  de  la  fidélité  que  notre 
cher  et  amé  le  sieur  Cambronne  a  manifestés  pour  notre  service, 
nous  a  déterminé  à  faire  usage  en  sa  faveur  de  cette  disposition, 
dans  cette  vue,  nous  avons  nommé  par  notre  Décret  du  quinze 
mars  mil  huit  cent  dix  notre  cher  et  amé  le  sieur  Cambronne, 
Baron. 

En  conséquence  et  en  vertu  de  ce  Décret,  ledit  sieur  Cambronne 
s'étant  retiré  par  devant  notre  Cousin  le  Prince  Archi  Chancelier 
de  l'Empire  à  l'effet  d'obtenir  de  notre  Grâce  les  lettres  patentes 
qui  lui  sont  nécessaires  pour  jouir  de  son  titre,  nous  avons,  par 
ces  présentes,  signées  de  notre  main,  conféré  et  conférons  à 
notre  cher  et  amé,  le  sieur  Pierre-Jacques-Etienne  Cambronne, 
Lieutenant-Colonel  au  premier  Bataillon  du  premier  régiment  des 
Tirailleurs  de  notre  Garde,  officier  de  la  Légion  d'Honneur,  né 
à  Nantes  le  vingt-six  décembre  mil  sept  cent  soixante  dix  le  titre 
de  Baron  de  notre  Empire,  le  dit  fitre  sera  transmissible  à  sa 
descendance  directe,  légitime,  naturelle  ou  adoptive  de  mâle  en 
mâle,  par  ordre  de  primogéniture  après  qu'il  se  sera  conformé 
aux  dispositions  contenues  en  l'article  six  de  notre  premier 
statut  du  premier  mars  mil  huit  cent  huit. 

Permettons  au  dit  sieur  Cambronne  de  se  dire  et  qualifier 
Baron  de  notre  Empire  dans  tous  actes  et  contrats,  tant  en  juge- 
ment que  dehors,  voulons  qu'il  soit  reconnu  par  tout  en  ladite 
qualité,  qu'il  jouisse  des  honneurs  attachés  à  ce  titre,  après  qu'il 
aura  prêté  le  serment  prescrit  en  l'article  trente-sept  de  notre 
second  statut,  devant  celui  ou  ceux  par  nous  délégués  à  cet  effet, 
qu'il  puisse  porter  en  tous  lieux  les  armoiries  telles  qu'elles  sont 
figurées  aux  présentes  :  d'azur  au  lion  d'or  en  abime  à  l'orle  de 
dix  grenades  d'argent,  allumées  du  même,  franc  quartier  des 
Barons  tirés  de  l'armée;  pour  livrée,  bleu,  jaune,  blanc  (1). 


(1)  Archives  Nationales. 

Ces  armoiries  diffèrent  peu  de   celles  indiquées   par    VA7'morial 
général   de  l'Empire  Français  de  Fleury  Simon  (Paris,  1812,  2  vol. 


—  69  — 

Chargeons  notre  Cousin  le  Prince  Archi  Chancelier  de  l'Empire 
de  donner  communication  des  présentes  au  Sénat  et  de  les  faire 
transcrire  sur  ses  Registres  ;  car  tel  est  notre  plaisir  et  afin  que 
ce  soit  chose  ferme  et  stable  à  toujours  notre  Cousin  le  Prince 
Archi  Chancelier  de  l'Empire  y  a  fait  apposer,  par  nos  ordres, 
notre  grand  sceau  en  présence  du  Conseil  du  sceau  des  titres. 

Donné  en  notre  Palais  de  Saint-Cloud  le  quatre  du  mois  de  Juin 

de  l'an  de  grâce  mil  huit  cent  dix. 

Signé  :  NAPOLEON. 

Scellé  le  huit  Juin  1810 

Le  Prince  Archichancelier  de  l'Empire 

Signé:  CAMBACÉRÈS. 

Quelques  jours  après,  il  reprenait  le  chemin  de  l'Es- 
pagne où  il  devait  rester  pendant  près  de  trois  ans,  guer- 
royant constamment  contre  les  héroïques  populations  de 
la  Biscaye  et  de  la  Galice.  II  servit  d'abord  de  juin  1810 
à  juillet  1811  sous  les  ordres  de  Bessières,  duc  d'Istrie,  qui 
commandait  alors  l'armée  du  Nord.  A  cette  époque,  il  fut 
élevé  le  6  août  1811  au  grade  de  colonel-major  du  3^  ré- 
giment de  voltigeurs  de  la  Jeune  Garde,  grade  que  cette 
fois  il  ne  crut  pas  devoir  refuser  (1).  Il  n'en  paraissait  pour 
tant  pas  autrement  ravi,  si  nous  en  croyons  une  lettre  qu'il 
écrivait  à  Sophie  Gorbizé  et  que  nous  reproduisons  plus 
loin  :  «  J'ai  été  obligé,  lui  écrit-il,  d'accepter  la  place  de 
»   colonel  malgré   moi  ;   des   douleurs   continuelles  me 

in-fo,  t.  1,  pi.  36,  p.  39).  Ce  dernier  a  ajouté:  de  gueules  à  l'épée 
haute  d'argent  et  n'a  pas  indiqué  les  couleurs  de  la  livrée  :  bleu, 
jaune,  blanc. 

Les  lettres  patentes  qualifient  Cambronne  de  «  Lieutenant-Colo- 
nel »  ,  titre  qui  ne  figure  pas  à  ses  états  de  service  ,  mais  le 
gcade  de  chef  de  bataillon  dans  la  Garde  Impériale  était  con- 
sidéré comme  l'équivalent  de  celui  de  lieutenant-colonel. 

(1)  Le  décret,  daté  de  Saint-Cloud,  figure  aux  Minutes  des  Archives 
Nationales,  AF.  IV.  S72,  plaquette  4505. 


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»  forceront  à  quitter  le  service.  Je  ne  voulais  donc  pas 
»  d'une  place  que  ma  santé  ne  me  permettait  pas  d'occuper, 
»  On  n'a  rien  écouté,  et  maintenant,  je  commande  le  3» 
»  régiment  de  voltigeurs  de  la  Garde  en  Espagne.  » 

Cette  lettre  est  datée  de  Léon,  le  14  décembre  1811. 
Bessières  fut  remplacé  par  Dorsenne  (juillet  1811  à  mai 
1812)  puis  ce  dernier  par  le  général  Gaffarelli  (mai  1812 
à  avril  1813).  Ce  n'étaient  plus  des  batailles  rangées  comme 
en  Allemagne,  mais  une  guerre  de  montagnes,  une  guerre 
de  partisans,  comme  jadis  en  Vendée,  et,  s'il  n'y  connut 
pas  la  gloire  qui  s'acquiert  sur  les  champs  de  bataille 
d'Austerlitz,  d'Iéna  ou  de  Wagram,  du  moins  il  fut 
constammeijt  exposé  à  tous  les  dangers  de  la  lutte  contre 
les  guérillas. 

Le  1"  janvier  1812,  il  fut  compris  pour  une  nouvelle 
dotation  de  4.000  francs  à  prendre  sur  les  revenus  des 
provinces  illyriennes  (1). 

La  campagne  de  Saxe  s'ouvrit  le  29  avril  1813.  C'était 
le  corollaire  de  la  funeste  retraite  de  Russie  :  la  coalition 
s'était  reformée  contre  nous  et  Napoléon  i^^,  contre  qui  se 
levait  l'Europe  entière,  faisait  un  suprême  appel  aux  forces 
vives  de  la  nation.  Promu  commandant  de  la  Légion 
d'Honneur  le  6  avril  (2),  Cambronne  avait  été  rappelé 


(!  )  Voir  aux  annexes  le  texte  de  ce  décret  qui  figure  aux  Archives 
nationales  AF.  IV,  614,  plaquette  4860. 

(2).  On  disait  alors  commandant  et  non  pas  commandeur.  Le 
décret  (Archives  nationales,  AF.  IV,  Toi,  plaquette  6.066)  est  daté  du 
Palais  de  l'Elysée  :  il  accorde  la  même  distinction  au  général  Michel 
qui  fut  tué  à  Waterloo  et  dont  nous  parlerons  longuement  plus  loin 
€t  au  général  Mouton-Duvernet. 

C'était  un  honneur  pour  Cambronne  qui  n'était  pas  encore  général, 
d'obtenir  cette  haute*  dignité  dans  la  Légion,  en  même  tem]ps  -que 
deux  de  ses  supérieurs. 


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d'Espagne  pour  prendre  part  aux  opérations  de  la  Grande 
Armée. 

Le  2  mai,  Cambronne  est  à  Lutzen  où  la  Jeune  Garde 
commandée  par  le  général  Dumoustier,  qu'il  avait  connu 
en  Espagne  et  qu'il  devait  retrouver  plus  tard,  décida  de 
la  victoire.  Nos  jeunes  soldats  luttent  contre  les  vétérans 
de  l'armée  russe,  corps  à  corps,  à  l'arme  blanche  et 
pendant  la  nuit,  éveillés  aux  bivouacs,  ce  sont  encore 
eux  qui  repousent  le  retour  offensif  de  la  cavalerie  de 
Blûcher. 

A  Bautzen,  le  21,  même  gloire  pour  la  Jeune  Garde  qui 
ne  prit  de  repos  que  pendant  le  fatal  armistice  de  Plesswitz. 
Il  ne  dura  que  trois  mois  çt,  une  fois  rompu  le  congrès  de 
Prague,  Cambronne  reprend  sa  place  dans  les  rangs  de  la 
Grande  Armée  pour  la  défense  de  Dresde.  La  Jeune  Garde 
est  là,  formant  qnatre  belles  divisions  de  huit  à  neuf  mille 
hommes  chacune.  Il  était  temps  qu'elle  arrivât  pour  tenir 
tête  aux  armées  coalisées  qui  poussent  déjà  le  cri  pro- 
phétique :  «  A  Paris  !  à  Paris  !  »  et  s'apprêtent  à  forcer 
la  porte  de  Plauen  et  de  Pirna. 

»  Les  ennemis  mal  renseignés  croyaient  encore  n'avoir 
»  affaire  qu'au  seul  corps  de  Gouvion  Saint-Cyr  et  c'est  ce 
»  qui  explique  l'impétuosité  avec  laquelle  ils  enlevèrent 
))  plusieurs  redoutes.  Au  moment  oii  ils  essayaient  d'en- 
»  foncer  la  porte  du  faubourg  de  Pirna,  par  ordre  de  l'em- 
»  pereur,  cette  porte  s'ouvrit  tout  à  coup  et  donna  passage 
»  à  une  colonne  d'infanterie  de  la  Garde  Impériale,  dont  la 
»  première  brigade  était  commandée  par  Cambronne».  Ce 
fut,  disent  les  Mémoires  du  général  de  Marbot  auxquels 
nous  empruntons  ces  quelques  lignes,  comme  l'apparition 
de  la  tête  de  Méduse  I   L'ennemi  recula  épouvanté,  son 


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artillerie  fut  enlevée  au  pas  de  course  et  les  canonniers 
tués  sur  leurs  affûts. 

De  toutes  les  portes  de  Dresde,  de  pareilles  sorties 
avaient  été  faites  simultanément  avec  le  même  résultat. 
L'ennemi  perdit  5.000  hommes  mis  hors  de  combat,  sans 
compter  3.000  prisonniers  ;  nous  avions  eu  2,500  hommes 
tués  ou  blessés,  dont  cinq  généraux  (1). 

C'était  le  26  août  1813. 

Pour  récompenser  Cambronne  de  la  bravoure  qu'il  avait 
témoignée,  l'empereur  le  nomma,  par  décret  du  14  sep- 
tembre, colonel-major  du  2»  régiment  des  chasseurs  à 
pied  de  la  Vieille  Garde  et  il  inaugura  ce  nouveau  titre  à 
la  bataille  de  Leipzig,  dans  cette  journée  que  les  Allemands 
ont  appelée  la  bataille  des  Nations  et  où  cent  quatre- 
vingt-dix  mille  Français  soutinrent  l'attaque  furieuse  de 
trois  cent  trente  mille  hommes. 

Jamais  la  Vieille-Garde  ne  combattit  plus  vaillamment 
que  ne  le  firent  les  deux  divisions  des  grenadiers  et  des 
chasseurs  de  la  Vieille-Garde  sous  les  ordres  des  généraux 
Priant  et  Curial.  Il  n'en  fallut  pas  moins  battre  en  re- 
traite. 

La  Grande-Armée ,  ravitaillée  dans  les  magasins 
d'Hanau,  reprenait  le  chemin  de  Mayence,  suivie  de  très 


(1)  Voici  comment  le  même  fait  d'armes  est  raconté  dans  l'Histoire 
des  Armées  françaises  de  terre  et  de  mer  de  1792  à  1837  par  A. 
Hugo,  ancien  officier  d'état-major  (Paris,  Delloye,  1838). 

«  Cette  porte  (la  porte  de  Pirna)  s'ouvrit,    ce  fut  comme  l'é- 

»  ruption  d'un  volcan.  Les.  bataillons  de  la  Garde  Impériale  com- 
»  mandés  par  Tyndal,  par  Cambronne  et  dirigés  par  le  général  Du- 
»  moustier,  s'élancèrent  ;  le  feu  des  murs  crénelés  soutint  leur  sortie  ; 
»  celui  des  redoutes  prit  à  revers  les  batteries  autrichiennes,  de 
»  toutes  parts,  une  grêle  de  balles  et  de  boulets  couvrit  la  plaine. 
»  L'ennemi  recula  épouvanté.  » 


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loin  par  les  alliés,  mais  il  était  écrit  qu'aucune  amertume 
ne  nous  serait  épargnée. 

C'est  un  de  nos  alliés  qui  nous  ont  si  lâchement  aban- 
donnés, le  général  bavarois,  comte  de  Wrède,  comblé 
pourtant  de  bienfaits  par  l'empereur,  qui  songe  à  ar- 
rêter l'armée  française  et  peut  être  même  venir  à  bout  de 
Napoléon.  Il  a  pris  position  à  Hanau  avec  60.000  Austro- 
Bavarois. 

Le  30  octobre  1813,  l'empereur  arrive  devant  la  po- 
sition ennemie  dont  il  reconnaît  sans  peine  les  défec- 
tuosités. Devant  Hanau,  s'étend  un  bois  profond  et  épais 
où  le  général  de  Wrède,  croyant  nos  troupes  en  débandade, 
a  commis  la  faute  de  placer  ses  troupes  légères,  tandis 
qu'il  a  pris  position  par  derrière,  adossé  à  la  rivière  de  la 
Kintzig. 

Le  plan  d'attaque  est  bien  vite  préparé^  bien  que  Na- 
poléon n'ait  sous  la  main  que  dix  mille  hommes.  La  Vieille 
Garde  est  là,  avec  ses  grenadiers  et  ses  chasseurs  au 
nombre  de  quatre  mille.  C'est  plus  qu'il  n'en  faut  pour 
tout  tenter.  L'empereur  se  portant  devant  sa  Garde,  or- 
donne à  trois  compagnies  du  2«  régiment  des  chasseurs  à 
pied  de  marcher  en  avant,  pour  éclairer  le  mouvement  et 
pénétrer  dans  le  bois, 

Cambronne  les  commande^  on  le  sait,  depuis  le  13  sep- 
tembre précédent. 

—  N'oubliez  pas,  dit  alors  l'empereur,  que  sous  Louis 
XIV  les  Gardes-Françaises  ont  été  Jjattues  à  cette  place. 
C'est  à  nous  qu'il  appartient  de  les  venger. 

En  même  temps,  il  donne  ses  ordres  à  Drouot. 

Guidées  par  leur  colonel  Cambronne  et  leur  lieutenant- 


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colonel  Teissière,  les  trois  compagnies  de  chasseurs 
s'engagent  en  tirailleurs  dans  le  bois  que  défendent 
quatre  bataillons  bavarois.  La  fusillade  s'engage  aussitôt, 
les  balles  sifflent  à  travers  les  branches.  Etonnés  de  ce 
mouvement  imprévu,  trois  de  ces  bataillons  battent  en 
retraite,  tandis  que  le  quatrième  se  laisse  dépasser  et 
menace  les  derrières  de  notre  petite  troupe.  Gambronne 
songe  à  le  tourner  et  emmène  cent  hommes  ;  mais,  sans 
demander  son  reste,  ce  bataillon  prend  la  luite  comme  les 
trois  autres. 

Il  ne  faut  pas  qu'une  aussi  belle  proie  nous  échappe. 
Gambronne  se  précipite  à  sa  poursuite,  quand  à  dix  pas 
des  fuyards,  il  s'aperçoit  que  trois  chasseurs  seulement 
ont  pu  le  suivre.  Il  ne  s'émeut  pas  pour  si  peu  et  tandis 
qu'un  de  ses  compagnons,  le  caporal  Paroume,  s'empare 
du  fanion  d'un  guide,  Gambronne  crie  à  l'ennemi  de  se 
rendre  (1).  Les  bavarois  hésitent,  leurs  officiers  cherchent 
à  coups  de  plat  de  sabre  à  les  retenir,  mais  finalement  ils 
quittent  le  bois  en  débandade  et  ne  se  sentent  à  l'abri  des 
chasseurs  qu'une  fois  hors  de  la  lisière  de  la  forêt,  sous 
la  protection  d'une  formidable  infanterie. 

Quarante  mille  Bavarois  sont  là,  protégés  par  quatre- 
vingts  bouches  à  feu. 

Gambronne  prend  alors  la  tête  du  mouvement,  et 
débouche  dans  la  plaine,  avec  ses  intrépides  soldats,  la 
baïonnette  au  bout  du  fusil.  Au  milieu  de  la  fumée,  l'en- 
nemi ignore  à  quelles  forces  il  a  affaire.  N'est-ce  pas 
l'armée  française    tout  entière   qui   s'avance  ?   en    tout 


(1)  Le  nom  de  Paroume  est  cité  dans  les  Victoires  et  Conquêtes 
(tome  XXVI'=)  comme  celui  d'un  des  trois  soldats  avec  lesquels 
Gambronne  somma  l'ennemi  de  se  rendre. 


—  75  — 

cas,  ce  sont  les  bonnets  à  poil  bien  connus  de  la  Vieille 
Garde. 

Les  trois  compagnies  se  déploient,  mais  comme  Gam- 
bronne  en  parcourt  le  front,  il  est  démonté  par  un  boulet 
et  se  trouve  engagé  sous  son  cheval.  Un  de  ses  officiers, 
le  capitaine  Barbier,  accourt  à  son  aide  et  le  relève,  mais 
cette  chute  n'a  pas  laissé  que  de  produire  une  forte  con- 
tusion. Cambronne,  momentanément  hors  de  combat, 
laisse  le  commandement  au  lieutenant-colonel  Teissère 
qui  fit  pendant  cette  journée  des  prodiges  de  valeur. 

Mais  déjà  la  bataille  se  dessine  avantageusement  pour 
nous.  Drouot  accourt  avec  son  artillerie  et,  bientôt  soutenu 
par  les  chasseurs  de  la  Vieille  Garde,  il  parvient  à  éloigner 
la  cavalerie  bavaroise  qui  menaçait  ses  canonniers.  On 
connaît  l'issue  de  cette  bataille  qui,  de  l'avis  même  de 
l'empereur,  fut  moins  une  victoire  qu'une  trouée  san- 
glante. L'ennemi  comptait  de  dix  à  onze  mille  hommes 
tués  ou  blessés,  nous  en  avions  trois  mille  de  notre  côté, 
mais  la  route  vers  le  Rhin  se  trouvait  dégagée  et  le  7  no- 
vembre, l'empereur  arrivait  à  Paris. 

Quelques  jours  après,  il  appelait  enfin  Cambronne  au 
commandement  d'un  régiment,  en  le  nommant  par  décret 
du  20  novembre  4813,  général  de  brigade-major  du  l^"" 
régiment  de  chasseurs  à  pied  de  la  Vieille  Garde  (1).  C'est 
désormais  avec  ce  titre  bien  mérité  qu'il  défendra  le  ter- 
ritoire contre  l'invasion  étrangère. 


(1)  Voir  aux  annexes  le  texte   du    décret  qui   figure  aux  Arcliives 
Nationales  A  F  IV  828,  plaquette  6646. 


CHAPITRE  VIII 

CAMPAGNE  DE  FRANCE  (1814) 

Les  soldats  de  la  Sainte-Alliance  ont  franchi  le  Rhin 
et  inondé  les  plaines  de  l'Aube  et  de  la  Marne.  De  Paris, 
l'Empereur  prépare  sa  campagne  et  distribue  à  chacun 
ses  fonctions,  comme  on  peut  en  juger  par  la  pièce 
suivante  (1)  : 

Au  Palais  des  Thuiieries,  le  21  décembre  4813. 

ORDRE 
L'Etat-Major  de  l'infanterie  de  la  Garde  sera  composé  ainsi 
qu'il  suit  : 

Article  premier.  —  Vieille  Garde. 
Les  deux  Divisions  de  la  Vieille  Garde  seront  commandées  par 
le  Général  de  division  comte  Priant. 

ire  Division. 
Général  de  division  Commandant  :  le  comte  Priant,  Colonel 

des  Grenadiers  à  pied. 
Chef  d'Etat-Major  :  le  Chef  d'escadron  Priant. 

/  Petit,  Major  du  icr  régiment  de 
\  Grenadiers  à  pied. 

Généraux  de  brigade,  MM.    / 

]  Cambronne,  d°  du  ler  régiment 
(  de  Chasseurs  à  pied. 

NAPOLÉON. 

Ces  ordres  furent  transmis  à  qui  de  droit.  A  la  même 
époque  nous  trouvons  Cambronne  à  Namur  avec  Mortier 
duc  de  Trévise,  qui  commande  la  division  de  la  Garde^ 

(1)  Archives  Nationales,  AF.  IV.  839,  plaquette  6742.  (Minutes  des- 
décrets). 


—  11  — 

puis  à  Reims  le  25  décembre,  à  Charleville  le  31  (1),  à 
Langres  le  12  janvier  1814,  il.se  replie  le  16  à  Chaumont 
devant  les  forces  autrichiennes  et  le  20,  à  Bar-sur-Aube. 

Le  24,  le  prince  de  Schwarzenberg  paraît  aux  portes 
de  la  petite  cité  avec  plus  de  trente  mille  hommes,  mais 
la  Vieille  Garde  est  là  sous  les  ordres  de  Mortier  et  de 
Friant  et,  malgré  son  infériorité  numérique,  elle  n'hésite 
pas  à  commencer  l'attaque  par  une  décharge  à  mitraille. 
Deux  fois  ncus  repoussons  les  Autrichiens  du  village  de 
Fontaines,  deux  fois  ils  y  reviennent  avec  des  renforts. 

Cambronne,  à  la  tête  de  son  régiment,  fait  des  prodiges 
de  valeur  :  une  balle  le  blesse  à  la  cuisse  droite.  Il  continue 

(1)  Une  pièce  de  la  richissime  collection  d'autographes  Labouchère 
(Bibliothèque  publique  de  Nantes,  tome  7,  page  60))  nous  permet  de 
fixer  cette  date.  C'est  une  lettre  de  Cambronne  au  duc  de  Feltre. 
En  voici  le  texte  inédit  jusqu'ici: 

«  A  Son  Excellence  le  duc  de  Feltre, 

»  Monseigneur,  , 

»  Je  vous  prie  d'avoir  la  bonté  de  vouloir  bien  me  faire  envoyer 
les  cartes  topographiques  du  pays  où  la  Garde  est  susceptible  de  se 
porter  dans  cette  guerre. 

>)  Si  j'avais  pu  me  les  procurer  à  Paris,  je  ne  me  serais  pas  permis 
de  vous  importuner. 
»  J'ai  l'honneur  d'être,  avec  le  plus  profond  respect,  Monseigneur, 

Le  Général  de  brigade. 
Le  Baron  CAMBRONNE. 
Major  du  l»""  régiment  de  chasseurs  à  pied 
de  la  Vieille  Garde. 
»  Charlesville,  le  31  décembre  1813  ». 

La  lettre  fut  enregistrée  sous  le  numéro  21,  visée  et  il  y  fut  donné 
suite,  à  en  juger  par  la  mention  suivante,  écrite  en  marge  : 

«  Renvoyé  à  M.  Lépine  pour  rendre  compte  et  donner  l'empire,  les 
étapes,  carte  générale  de  Ferrari,  les  postes  de  Hollande  et  d'Aile-, 
mage  en  deux  feuilles  ». 

Croyait-on  donc  avoir  encore  besoin  des  cartes  d'Allemagne  et  de 
Hollande  ? 


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pourtant  la  charge  commencée,  mais  la  douleur  l'arrête, 
il  tombe  et  deux  de  ses  hommes  l'emportent  hors  du 
champ  de  bataille.  Le  soir,  il  fait  panser  sa  blessure  à 
Troyes. 

Le  voilà  ^our  quelques  semaines  éloigné  des  champs 
de  bataille  où  Napoléon  semble  avoir  ramené  la  victoire 
avec  lui.  Vainqueur  à  Saint-Dizier,  à  Champ-Aubert,  à 
Montmirail,  à  Vaux-Champs,  à  Montereau,  à  Méry,  qui 
sait  s'il  n'eût  pas  culbuté  l'étranger  hors  du  territoire, 
sans  la  stupide  capitulation  du  général  3Ioreauà  Soissons. 
Il  court  à  Craonne  ressaisir  la  fortune.  Nous  sommes  au 
7  mars.  Cette  fois,  Cambronne,  à  peine  remis  de  sa  bles- 
sure^ est  des  nôtres.  Contre  50.000  alliés,  nous  n'avons 
que  trente  mille  hommes,  dont  les  deux  tiers  sont  des 
recrues  à  peine  instruites.  La  gauche  est  prise  d'une  pa- 
nique que  la  voix  puissante  de  Ney  ne  parvient  pas  à 
arrêter  ;  la  droite,  sous  les  ordres  de  Victor,  tient  bon,  ce 
ne  sont  pourtant  que  des  conscrits  de  la  veille,  des  «  Ma- 
rie-Louise »,  comme  on  les  appelait.  Mais  ne  finiront-ils 
pas  par  céder  devant  cette  pluie  de  mitraille  ?  et  ne  leur 
viendra-t-on  pas  en  aide  ? 

Napoléon  l'a  compris  :  il  fait  alors  avancer  la  Vieille 
Garde  commandée  par  Priant  au  secours  des  deux  ailes 
qui  menacent  de  plier  sous  les  efforts  de  la  division  russe 
de  Winzingerode.  Elle  l'aborde  à  la  baïonnette,  la  serre 
de  près  et  déjà  la  refoule,  quand  à  son  tour  l'ennemi 
reçoit  des  renforts. 

Le  général  Cambronne  qui  jusque  là  a  guidé  l'attaque 
avec  le  plus  grand  succès,  ne  se  sent  pas  effrayé  de  ce 
nouveau  déploiement  de  forces  :  «  Tenez  bon,  dit-il  au 
capitaine  Heuillet  placé  en  extrême  avant-garde  avec 
deux  compagnies  du  2®  régiment  des  chasseurs  à  pied  de 


—  vo- 
la Vieille-Garde,  tenez  bon,  nous  ne  pouvons  pas  tarder  à 
recevoir  du  renfort  d'ailleurs  ;    en   attendant^    restez  où 
vous  êtes  et  n'allez  pas  plus  loin  ». 

Au  même  instant,  toutes  les  masses  ennemies  se  pré- 
cipitent sur  nos  grognards.  Le  capitaine  Heuillet,  qui  fait 
le  coup  de  feu  comme  ses  soldats,  tombe  frappé  d'une 
balle  qui  lui  traverse  le  corps.  Cambronne,  dans  la  mêlée, 
a  reçu  deux  blessures,  l'une  à  la  cuisse  droite,  l'autre  au 
côté  gauche.  Il  se  relève,  une  balle  lui  traverse  le  bras 
gauche.  Le  capitaine  et  le  général  arrivent  en  même 
temps  à  l'ambulance,  mais  Cambronne  repousse  le  chi- 
rurgien-major qui  s'empressait  autour  de  lui  :  —  Je  ne 
suis  pas  pressé,  major,  lui  dit-il,  pansez  d'abord  le  capi- 
taine Heuillet,  il  mérite  d'être  secouru  avant  moi. 

Belle  parole  qui  honore  à  la  fois  Cambronne  et  le 
capitaine  Heuillet  f 

Notre  artillerie  réussit  enfin  à  nous  assurer  le  succès. 
L'infanterie  russe  de  Sacken  et  de  Woronzow  nous  aban- 
donne le  terrain. 

Telle  fut  la  sanglante  bataille  de  Craonne  où  personne 
ne  fit  de  prisonniers  et  où  le  maréchal  Victor,  les  gé- 
néraux Grôuchy,  Laferrière,  Cambronne,  Bigarré,  Boyer, 
Sparre,  Ilozier  et  le  capitaine  Heuillet  furent  blessés,  où 
il  n'y  eut  pas  moins  de  douze  mille  hommes  mis  hors  de 
combat. 

Paris  était  le  but  suprême  que  visaient  les  alliés,  mais 
les  glorieux  débris  de  la  Grande-Armée  s'étaient  promis 
de  tout  faire,  pour  le  défendre  jusqu'à  la  mort.  Mortier 
occupe  l,es  hauteurs  de  Montmartre  :  Cambronne  est  au- 
près de  lui,  à  la  tête  de  ses  intrépides  chasseurs  et,  le  30 
mars,  la  bataille  s'engage  avec  une  ardeur,  une  rage 
nouvelle  de  part  et  d'autre.  A  peine  remis  de  ses  blessures 


—  80  — 

reçues  à  Craonne,  Cambronne  est  atteint  de  nouveau  d'un 
coup  de  feu  à  la  cuisse  droite.  Il  lutte  pourtant  encore 
jusqu'à  l'heure  oii  il  faut  bien  en  arriver  à  ligner,  le  dé- 
sespoir au  cœur,  la  capitulation  de  Paris. 

Les  généraux,  le  cœur  navré,  se  retirent  ensuite  vers 
la  dernière  retraite  de  l'empereur,  vers  Fontainebleau. 

Rien  de  désolant  comme  le  récit  de  ces  .dernières  pages 
d'une  grande  histoire.  Tout  s'écroule,  tout  s'effondre  à  la 
fois  ;  à  côté  des  dévouements  rares  et  qui  se  consument  en 
efforts  impuissants,  que  de  défections,  que  d'ingratitudes 
lamentables  f  II  semble  que  l'idée  de  patrie,  de  défense 
nationale,  incarnée  encore  et  quand  même  par  l'Empe- 
reur malgré  ses  fautes,  ait  déserté  les  cœurs  les  plus 
braves  et  les  meilleurs  esprits,  et  que  la  France  épuisée 
par  vingt  ans  de  guerres,  se  soit  affaissée  à  la  porte  de 
Glichy  et  sur  les  hauteurs  de  Montmartre,  pour  ne  plus  se 
relever. 

Heureusement,  quelques  officiers,  quelques  poignées  de 
soldats  n'ont  pas  abandonné  le  glorieux  chef  d'hier  et  ils 
sont  demeurés  dans  nos  annales  comme  le  symbole  de  la 
fidélité  à  la  cause  des  vaincus. 


CHAPITRE  IX 

A     L'ILE     D'ELBE 

Napoléon  P""  vaincu  par  la  coalition,  s'était  résigné  à 
une  amère  abdication.  Le  13  avril,  celui  qui  avait  été 
empereur  des  Français,  roi  d'Italie,  médiateur  de  la  con- 
fédération germanique,  consentait  à  échanger  ces  titres 
glorieux  contre  la  petite  principauté  de  l'île  d'Elbe,  comme 
si,  à  la  fin  de  sa  carrière,  il  se  fût  réfugié  non  loin  de  sa 
terre  natale  dans  une  île  méditerranéenne,  plus  infime 
encore  que  la  Corse. 

Cambronne  qui  l'avait  suivi,  était  alors  étendu  sur  son 
lit  de  douleur  dans  un  hôtel  de  Fontainebleau,  souffrant 
des  blessures  reçues  à  Graonne  et  sous  les  murs  de  Paris. 
Il  ne  s'attendait  pas  à  la  décision  à  laquelle  l'empereur 
avait  souscrite,  mais  il  n'hésita  pas  à  demander  à  le  suivre 
dans  ce  dur  exil. 

«  On  m'a  toujours  choisi,  écrit-il  au  général  Drouot, 
«  pour  aller  au  combat,  on  doit  me  choisir  pour  suivre 
«  mon  souverain,  un  refus  serait  pour  moi  la  plus  mortelle 
«  injure.  » 

Les  amis  qui  restent  fidèles  dans  l'infortune  sont  trop 
rares  pour  être  écartés.  Napoléon  fit  droit  à  la  requête  de 
Cambronne  et  l'inscrivit  le  troisième  sur  la  liste  de  ceux 
qui  sollicitaient  l'honneur  de  partager  désormais  sa  des- 
tinée. Les  rédacteurs  du  traité  du  11  avril  lui  avaient 
assuré  une  dotation  de  deux  millions  avec  le  droit  d'en 
disposer  à  son  gré.  Cambronne  y  fut,  sur  le  papier  du 

6 


—  82  — 

moins,  compris  pour  cinquante  mille  francs  que  la  Restau- 
ration peu  honteuse  de  laisser  protester  sa  signature, 
négligea  tout-à-fait  de  verser  à  leur  bénéficiaire.  Mais  une 
autre  joie  lui  était  réservée,  c'est  à  lui  que  Napoléon,  la 
veille  de  son  départ,  confia  le  commandement  du  bataillon 
qu'il  emmenait  à  l'île  d'Elbe. 

Us  ne  partirent  pas  ensemble,  du  moins  pour  faire  tout 
le  voyage.  Après  avoir  prononcé  le  fameux  discours 
d'adieux  à  la  Garde  impériale,  Napoléon  s'élança  dans  sa 
voiture  au  fond  de  laquelle  le  général  Bertrand  avait 
déjà  prié  place.  Le  général  Drouot,  Cambronne,  Foureau 
de  Beauregard,  médecin,  Rathery,  secrétaire  de  l'Empe- 
reur, Bouillon  et  Deschamps,  fourriers  du  palais  et  Pey- 
russe  montèrent  dans  les  voitures  suivantes  qui  prirent  la 
route  de  Lyon  (1).  Mais  la  conduite  ne  fut  pas  bien  longue 
pour  Cambronne  et  tandis  qu'une  malle-poste  emportait 
à  grandes  journées  le  monarque  déchu,  les  quatre  cents 
grenadiers  de  Cambronne  voyageaient  par  étapes.  Il 
y  avait ,  dans  cet  attachement  inébranlable  de  ces 
braves  gens  à  une  cause  perdue,  tant  de  générosité 
désintéressée  qu'en  traversant  la  France,  la  garde  reçut 
partout  des  témoignages  d'admiration  et  de  respect,  non 
seulement  de  la  part  de  la  population,  mais  même  de  la 
part  des  étrangers  qui  occupaient  le  territoire. 

Dans  toutes  les  villes  où  le  bataillon  s'arrêtait,  on  envo- 
yait bivouaquer  les  soldats  autrichiens  logés  chez  les 
bourgeois  et  c'était  aux  braves  de  la  garde  qu'étaient 
réservées  les  meilleures  places.  A  table  avec  les  sous- 
officiers  ,    les   officiers   impériaux   eux-mêmes    exigaient 


.    (1)  Bibliothèque  de  Carcassonne  (manuscrits),  Collection  A.  Peyrusse 
256  (8539).  Campagne  de  France  en  1814. 


—  83  — 

qu'on  servît  toujours  les  grenadiers  français  avant  leurs 
propres  soldats. 

Une  seule  fois,  un  vieux  major  autrichien  ne  voulut  pas 
céder  ses  logements  à  la  garde.  Son  refus  était  proféré 
sur  un  ton  insultant  et  provocateur  :  —  Tu  te  conduis 
ainsi,  lui  dit  le  général  Cambronne,  eh  bien  fais  placer 
tes  soldats  d'un  côté,  je  vais  mettre  les  miens  de  l'autre, 
et  nous  verrons  alors  à  qui  les  logements  resteront. 

En  face  de  cette  attitude  énergique  le  vieux  major 
n'insista  pas.  (1) 

Cambronne  et  ses  hommes  ne  débarquèrent  à  l'tle  d'Elbe 
que  le  26  mai  4814,  vingt-trois  jours  après  Napoléon. 
Avant  même  l'arrivée  de  ses  fidèles  compagnons,  l'empereur 
s'était  préoccupé  de  l'organisation  militaire  de  son  nouveau 
royaume  et  parmi,  les  ordres  qu'il  signait,  nous  trouvons 
le  suivant  en  date  de  Porto-Ferrajo,  le  10  mai  : 

Organisation  Militaire 

Gouverneur,  le  général  Drouot, 
Commandant  de  Porto-Ferrajo,  ie  général  Cambronne. 

avec  cette  mention  significative ,  sous  la  plume  d'un 
homme  désormais  obligé  de  compter  avec  l'exiguité  de 
ses  ressources  : 

Le  général  Drouot  et  le  général  Cambronne  prendront  des 
aides-de-camp  parmi  les  oflBciers  du  bataillon  de  la  Garde  de 
manière  que  cela  ne  forme  pas  une  dépense  (2). 

Ainsi,  voilà  Cambronne  commandant  de  la  place  de 

(1)  Une  année  de  la  vie  de  l'empereur  Napoléon  ou  Préeis  histo- 
rique de  tout  ee  qui  s'est  passé  depuis  le  i*""  avril  1814  jusqu'au 
21  mars  1815  relativement  à  S.  M.  et  aux  braves  qui  l'ont  accom- 
pagnée par  A.  D.  B.  M***,  lieutenant  de  grenadiers  (Paris,  Eymery, 
1815,  in-80). 

(2)  Correspondance  de  Napoléon,  n»  21368. 


—  84  — 

Porto-Ferrajo,  chargé  de  la  police  militaire  et  de  l'ins- 
truction des  Corses  organisés  en  bataillons.  Ce  fut  un  repos 
de  dix  mois.  Nous  avions  espéré  que  les  archives  munici- 
pales de  cette  ville  contiendraient  quelque  trace  du  passage 
de  Cambronne.  Il  semble  que  non.  S'il  s'y  trouve  des 
correspondances  de  Rusca,  de  Morand,  de  Durutte,  de 
Cailler,  de  Dazémar,  de  Dalesme,  de  Drouot,  de  Lapi, 
de  Bertrand,  qui  furent  mêlés  soit  avant,  soit  après  1814 
à  l'histoire  de  l'île,  rien,  nous  écrit  le  syndic  de  Porto- 
Ferrajo,  ne  rappelle  aux  archives  le  souvenir  du  général 
Cambronne. 

Parmi  les  ordres  donnés  plus  tard  au  général  Drouot, 
notons  celui-ci  (1). 

Porto-Ferrajo,  19  janvier  1815. 

Le  général  Cambronne  accompagné  d'un  officier  d'artillerie, 
passera  en  revue  toutes  les  batteries  de  l'ile,  au  moins  deux  fois 
par  an. 

Un  ordre  du  29  mai  qui  figure  au  registre  manuscrit 
de  correspondances  et  d'ordres  écrits  à  l'île  d'Elbe  par 
Rathery,  secrétaire  de  Napoléon  (2),  nous  fait  connaître 
mieux  encore  les  attributiçns  de  Cambronne.  Il  est  ainsi 
conçu  : 

ORDRE  DU  29  MAI 

—  Le  Général  Cambronne  aura  le  commandement  de  la  place 
de  Porto-Ferrajo.  Il  aura  également  le  commandement  de 
(laissé  en  blanc)  (3);  Il   sera  chargé  :  lo  d'arrêter  le  service  de 
la  place  et  de  veiller  à  ce  qu'il  se  fasse  avec  la  plus  grande 

(1)  Correspondance  de  Napoléon,  n"  21669. 

(2).  Bibliothèque  de  Carcassonne.  Catalogue  des  manuscrits,  260 
(8338).  Nous  devons  cette  pièce  et  bien  d'autres  encore  à  l'obligeance 
de  .M.  Izard,  bibliothécaire,  qui  les  a  cherchées  et  copiées  pour  nous. 

(3).  Longone,  sans  doute. 


—  85  — 

régularité  ;  —  2»  il  présidera  le  Conseil  de  santé  afin  de  veiller 
à  ce  que  les  lois  de  santé  pour  les  bâtiments  qui  sont  en  quaran- 
taine, soient  exécutées  ;  —  3o  il  veillera  à  tout  ce  qui  est  police 
et  sûreté  ;  en  conséquence,  aucun  individu  ne  débarquera  à 
Porto-F.  qu'il  n'ait  une  carte  de  sûreté  de  lui,  qu'il  n'ait  fait 
visiter,  et  qu'il  ne  connaisse  ce  qui  le  conduit  dans  l'île  ;  enfin 
il  sera  chargé  de  tout  ce  qui  est  relatif  à  l'administration  de  la 
Garde. 

Il  sera  fait  choix  d'un  Capitaine  de  la  Garde  pour  faire  les 
fonctions  de  commandant  d'armes.  Ce  choix  sera  soumis  à  mon 
approbation.  Le  général  Cambronne  rendra  compte  de  tout  au 
Gouvernement.  Le  capitaine  Raoul  fera  les  fonctions  do  Directeur 
du  Génie. 

Les  soldats  avaient  conservé  l'uniforme  français,  mais 
ils  avaient  pris  la  cocarde  elboise,  blanche  et  rouge,  semée 
d'abeilles  d'or.  Napoléon  avait  adopté  pour  ses  nouvelles 
armes  un  ancien  écusson  de  l'île,  datant  de  Cosme  I^^  : 
d'argent  à  la  bande  de  gueules  chargée  de  trois  abeilles 
d'or. 

La  petite  armée  était  forte  d'environ  1600  hommes. 
Aux  termes  de  l'art.  XVII  du  traité  de  Fontainebleau, 
Napoléon  n'avait  été  autorisé  à  emmener  dans  sa  nouvelle 
résidence  que  400  hommes  de  bonne  volonté.  Mais  les 
grenadiers  et  chasseurs  s'étant  présentés  en  plus  grand 
nombre,  les  généraux  Petit  et  Cambronne  avaient  cédé  à 
leurs  prières  et  les  avaient  désignés  pour  partir  (1). 

Par  ailleurs,  que  faisait  Cambronne?  Il  correspondait 
avec  sa  mère,  s'inquiétant  de  sa  santé  qui  laissait  souvent 
à  désirer,  recevant  d'elle  des  détails  sur  l'administration 
de  sa  petite  fortune  qu'elle  gérait  en  son  absence,  lui 
parlant  de  sa  sœur  Justine  et  songeant  au  jour  où  il  la 
reverrait,  où  il  reverrait  la  France.  Comme  s'il  avait  eu  le 

(1)  1815,  par  Henri  Houssaye,  page  148. 


—  86  — 

pressentiment  que  plus  tard  il  aurait  à  s'assurer  la  protec- 
tion de  ses  anciens  chefs,  de  ses  compagnons  d'armes,  il 
écrivait  au  comte  Curial  qui  commandait  à  Nancy  une 
lettre  où  il  se  réclamait  de  sa  bienveillance,  dans  le  cas  où 
il  quitterait  le  service  de  Napoléon,  afin  d'obtenir  la  per- 
mission de  rentrer  à  Nantes  et  d'aller  passer  auprès  de  sa 
vieille  mère  le  restant  de  ses  jours. 

Gomme  on  l'a  vu,  c'est  à  lui  que  l'Empereur  avait 
confié  la  surveillance  de  la  police  : 

—  Cambronne,  lui  dit-il  un  jour,  tu  m'es  dévoué,  veille 
dans  l'île  à  notre  conservation  ;  tu  n'es  pas  courtisan,  tu 
ne  me  cacheras  rien.  —  Sire,  je  n'en  inventerai  pas  de 
nouvelles  pour  vous  en  donner,  mais  je  promets  de  vous 
dire  tout  ce  que  je  saurai,  ne  fût-ce  pas  même  agréable  à 
savoir.  —  C'est  ainsi  que  je  le  veux,  répondit  Napoléon  (1). 

Les  renseignements  sur  Cambronne  pendant  son  séjour 
à  Porto-Ferrajo  sont  trop  rares  pour  que  nous  n'emprun- 
tions pas  à  V Histoire  de  Napoléon  à  l'île  d'Elbe  par  Pons 
de  l'Hérault,  encore  inédite  dans  les  manuscrits  de  la 
bibliothèque  de  Carcassonne  (2)  les  lignes  suivantes  : 

Un  jour  un  vaisseau  de  guerre  napolitain  qui  était  dans  le 
voisinage  de  l'ile,  envoya  des  officiers  à  terre  pour  saluer  l'Em- 
pereur et  pour  demander  des  ordres.  Ce  vaisseau  allait  à  Naples. 
Le  général  Cambronne,  ce  brave  qui  est  le  modèle  de  l'honneur 
et  de  la  fidélité,  et  dont  nos  derniers  neveux  conserveront  encore 
le  souvenir  des  paroles  qui  consacrent  l'un  des  plus  mémorables 
traits  de  la  bataille  de  Waterloo,  La  Garde  meurt  et  ne  serendpas, 
le  général  Cambronne  qui  ne  peut  point  supporter  même  l'idée 
d'une  trahison,  reçut  assez  mal  ces  envoyés  et  les  fit  repartir  de 


(1)  Le  Breton  du  22  juillet  1848. 

(2)  Bibliothèque  de  Carcassonne.  Section  des  manuscrits.  Papiers  de 
Mahul,  n»  288. 


suite.  S.  M.  blâma  la  vivacité  du  général  et  voulut  réparer  soft 
peu  de  courtoisie  en  envoyant  à  bord  du  vaisseau,  mais  il  n'était 
plus  temps  et  il  fut  impossible  de  les  atteindre. 

Une  autre  fois,  c'était  la  Saint-Napoléon  qu'il  s'agissait 
de  célébrer  sur  la  place  d'armes  de  Porto-Ferrajo  où  une 
superbe  salle  de  danse  avait  été  installée.  Le  15  août 
arrivé,  des  salves  d'artillerie  sont  tirées  pendant  le  dis- 
cours fait  par  le  curé,  qui  'n'en  était  pas  plus  content. 
Un  banquet  avait  été  préparé,  on  attendait  l'Empereur 
qui  tinalement  fit  dire  par  un  officier  d'ordonnance 
de  comnagncer  sans  lui.  Non  seulement  on  commença 
sans  lui,  mais  on  finit  avant  qu'il  fût  arrivé.  Au  dessert^ 
Bertrand  porta  une  santé  à  l'honneur  et  à  la  fidélité  de 
Napoléon,  grand  guerrier;  Drouot  but  aux  braves  et 
fidèles  Grenadiers  de  Sa  Majesté  ;  Cambronne  porta  «  une 
santé  à  l'honneur  de  vaincre  ou  mourir  pour  Sa  Majesté  » 
et,  détail  piquant,  le  grand  vicaire  en  fît  autant. 

L'Empereur  arriva  comme  les  toasts  finissaient.  Point 
n'est  besoin  de  dire  si  on  cria  :  Vive  Napoléon  !  (1) 

On  s'efforçait  d'ailleurs  de  se  distraire  autant  que 
possible. 

En  janvier  et  en  février  1815  il  y  eut  six  grands  bals, 
dont  trois  masqués,  au  Palais  et  au  Théâtre.  L'Empereur 
avait  réglé  lui-même  l'ordonnance  de  ces  réceptions, 
dans  les  plus  petits  détails. 

Madame  mère,  puis  la  princesse  Pauline  avaient  rejoint 
l'Empereur,  la  première  le  2  août  1814,  la  seconde  le  30 
octobre.  Ces  deux  princesses,  le  grand-maréchal  et  m'a- 

(1)  Nous  empruntons  ces  détails  à  un  curieux  manuscrit  que  pos- 
sède la  bibliothèque  de  Carcassonne  (n"  294-140)  ;  il  est  intitulé  La 
Vie  de  Napoléon  pendant  son  séjour  à  l'ile  d'Elbe,  par  Labadie,, 
adjudant-major  de  place  à  Porto-Ferrajo. 


--  88  — 

dame  Bertrand,  Drouot,  Gambronne,  le  colonel  Mallet,  le 
major  Jermanowski,  le  directeur  des  domaines,  Lapi  et 
sir  Neil  Campbell  formaient  la  société  habituelle  de  Napo- 
léon. 

Le  colonel  Campbell,  que  nous  retrouverons  plus  tard 
sur  le  champ  de  bataille  de  Waterloo,  était  admis  dans 
l'intimité  de  l'Empereur.  Cet  officier,  l'un  des  quatre  com- 
missaires chargés  de  conduire  Napoléon  de  Fontainebleau 
à  Fréjus^  avait  été  spécialement  désigné^  avec  le  général 
autrichien  Koller,  pour  le  suivre  jusqu'à  l'ile  d'Elbe  «  afin 
de  lui  faciliter  les  moyens  d'installation  ».  KoIIer  quitta 
l'île  d'Elbe  le  14  mai.  Une  dizaine  de  jours  après^  Camp- 
bell fit  savoir  au  grand-maréchal  qu'il  était  prêt  à  partir 
«  si  Napoléon  ou  tout  autre  attribuait  son  séjour  dans 
l'île  à  quelque  motif  inavoué  ».  Aux  termes  du  traité  de 
Fontainebleau^,  l'Empereur  devait  être  libre  et  maître 
dans  son  île,  et  Campbell  n'avait  point  pour  mission  — 
du  moins  pour  mission  officielle  —  de  le  surveiller.  Ber- 
trand ayant  répondu  à  Campbell  que  l'Empereur  «  croyait 
sa  présence  encore  utile,  indispensable  même  et  toujours 
agréable  »,  le  commissaire  anglais  ne  se  contenta  pas  de 
ces  paroles.  Il  exigea  un  écrit.  En  conséquence,  Bertrand 
lui  adressa  le  27  mai  une  note  se  terminant  par  ces  mots  : 
«  Je  ne  puis  que  réitérer  au  colonel  Campbell  combien  sa 
personne  et  sa  présence  sont  agréables  à  l'Empereur 
Napoléon.  »  C'est  ainsi  que  Campbell  resta  à  l'île  d'Elbe 
où,  désormais  assuré  de  n'être  plus  suspect  à  Napoléon, 
il  ne  manqua  pas  d'informer  le  Foreign-Office  avec  la 
plus  grande  conscience  de  toutes  ses  actions  et  de  toutes 
ses  paroles.  (1) 

(1).  1815.  par  Henri  Houssaye,  pages  lo4-156. 


—  89  — 

On  connaît  les  événements  qui  marquèrent  les  premières 
semaines  de  l'année  1815.  Napoléon  qui  étouffait  dans  le 
cercle  de  l'île  d'Elbe  trop  étroite  pour  son  ambition,  était 
tenu  au  courant  de  l'opposition  que  rencontrait  le  gouver- 
nement antipathique  des  Bourbons.  Il  résolut  d'en  tirer 
parti  et  à  la  conquête  de  l'Europe,  il  rêva  d'ajouter  la 
conquête  de  la  France. 

Trois  jours  avant  de  quitter  l'île  d'Elbe,  il  ordonne  à 
Cambronne  de  se  tenir  prêt  à  partir,  et,  comme  pour  lui 
laîsserdeviner  ses  desseins  :  —  Où  allons-nous,  Cambronne? 
lui  dit-il.  Cambronne  n'avait  jamais  cherché  à  pénétrer 
les  secrets  de  son  souverain,  il  ne  demanda  pas  à  l'em- 
pereui  où  il  allait,  il  lui  répéta  seulement  qu'il  le  suivrait 
en  soldat  dévoué,  mais  il  devait  se  douter  que  quelque 
chose  de  grave  se  préparait. 

En  effet,  le  25  février  1815,  contre  son  habitude.  Napo- 
léon resta  enfermé  au  palais.  Il  s'occupait  de  rédiger  trois 
proclamations,  les  deux  premières  adressées  par  lui  au 
Peuple  français  et  à  l'Armée,  la  troisième  prétendument 
adressée  par  la  Garde  impériale  aux  généraux,  officiers  et 
soldats  de  l'armée.  Les  trois  pièces  furent  imprimées 
secrètement  dans  la  soirée  ou  dans  la  nuit.  Dans  la 
Correspondance,  ces  proclamations  prétendues  impro- 
visées pendant  la  traversée  et  prétendues  imprimées  pour 
la  première  fois  à  Gap  le  6  mars,  portent  :  golfe  Jouan 
1"  mars.  Or,  M.  Henri  Iloussaye  rapporte  dans  son 
intéressant  volume  sur  1815  qu'il  a  découvert  aux  Archives 
des  Affaires  étrangères  (Papiers  des  Bonaparte  1801)  les 
premiers  exemplaires  imprimés  de  ces  trois  proclama- 
tions. Ils  ne  portent  pas  la  mention  de  golfe  Jouan  ni  de 
\^^  mars,  et  on  lit  au  bas  :  A  Porto-Ferrajo  chez  Broglia 
imprimeur  du  Gouvernement. 


—  90  — 

Le  lendemain  26  février  (qui  était  un  dimanche)  vers 
onze  heures,  Cambronne  avertit  les  adjudants-majors  que 
les  troupes  mangeraient  la  soupe  à  4  heures  et  s'embar- 
queraient à  5.  A  midi,  le  bataillon  franc  et  la  garde 
nationale  relevèrent  les  postes  occupés  par  la  vieille 
garde. 

Le  soir  même,  le  bataillon  des  grenadiers  s'embar- 
quait à  bord  de  l'Inconstant  qui  portait  César  et  sa  for- 
tune. La  traversée  dura  trois  jours  que  Napoléon  mit  à 
profit  en  dictant  ses  proclamations.  La  plus  célèbre  est 
celle  qui  est  datée  du  golfe  Juan  et  du  l^''  mars.  Bien 
qu'elle  ne  porte  pas  la  signature  de  l'empereur,  il  n'est  pas 
douteux  qu'elle  soit  son  œuvre.  Fleury  de  Ghaboulon  (1)  la 
lui  attribue  dans  ses  Mémoires  sur  les  cent  Jours  et 
Napoléon  lui-même  ne  l'a  pas  désavouée  dans  ses  annota- 
tions critiques  sur  cet  ouvrage. 

La  vérité,  c'est  que  sur  le  vaisseau,  qui  les  ramenait  en 
France,  l'empereur  avait  fait  signer  à  ses  lieutenants  un 
appel  à  l'armée  pour  engager  leurs  anciens  soldats  à  se 
ranger  encore  une  fois  sous  les  aigles  impériales.  Puis,  les 
signatures  obtenues.  Napoléon  avait  changé  les  termes  de 
la  proclamation,  en  y  introduisant  des  injures  contre  les 
Bourbons,  des  allusions  violentes  contre  les  hommes  que 
poursuivait  son  ressentiment  et  c'est  pourtant  la  pièce 
ainsi  modifiée,  nous  devrions  dire  falsifiée,  qui  fut  publiée 

(1)  Auditeur  au  Conseil  d'Etat,  sous-préfet  de  Château-Salins 
jusqu'en  janvier  1814,  puis  nommé  sous-préfet  de  Reims  quand  cette 
ville  fut  reprise  aux  Russes,  Fleury  de  Chaboulon  avait  donné  sa 
démission  au  retour  des  Bourbons.  Resté  fervent  admirateur  de 
Napoléon,  il  résolut,  au  commencement  de  181o,  d'aller  à  l'iledElbei 
sans  peut-être  avoir  d'abord  d'autre  pensée  que  de  revoir  son 
ancien  souverain  ou  d'être  employé  auprès  de  lui.  Ses  Mémoires  sur 
les  Cent  Jours  sont  intéressants. 


-  91  — 

au  Moniteur  avec  la  signature  des  officiers  qui  n'auraient 
peut-être  pas  consenti  à  accepter  cette  rédaction  nouvelle. 

En  voici  le  texte,  avec  l'indication  des  additions  et  des 
changements  faits  par  l'empereur. 

Les   généraux,  officiers  et  soldats  de  la  Garde  Impé- 
riale aux  généraux,  officiers    et   soldats  de  l'armée  : 

"Soldats  et  camarades, 

Nous  vous  avons  conservé  votre  Empereur  malgré  les  nom- 
breuses embûches  qu'on  lui  a  tendues  ;  nous  vous  le  ramenons 
au  travers  des  mers,  au  milieu  de  mille  dangers.  Nous  avons 
abordé  sur  la  terre  sacrée  de  la  patrie  avec  la  cocarde  nationale 
et  l'aigle  impériale. 

Foulez  aux  pieds  la  cocarde  blanche  ;  elle  est  le  signe  de  la 
honte  et  du  joug  imposé  par  l'étranger  et  la  trahison.  Nous 
aurions  inutilement  versé  notre  sang  si  nous  souffrions  que  les 
vaincus  nous  donnassent  la  loi  !  ! 

Depuis  le  peu  de  mois  que  les  Bourbons  régnent,  ils  vous  ont 
convaincus  qu'ils  n'ont  rien  oublié  ni  rien  appris.  Ils  sont  tou- 
jours gouvernés  par  les  préjugés  ennemis  de  nos  droits  et  de 
ceux  du  peuple. 

Ceux  qui  ont  porté  les  armes  contre  leur  pays,  contre  nous, 
sont  des  héros  !  Vous,  vous  êtes  des  rebelles  à  qui  l'on  veut  bien 
pardonner  jusqu'à  ce  que  l'on  soit  assez  consolidé  par  la  forma- 
tion d'un  corps  d'armée  d'émigrés,  par  l'introduction  à  Paris 
d'une  garde. suisse  et  par  le  remplacement  successif  de  nouveaux 
oflBciers  dans  vos  rangs.  Alors  il  faudra  avoir  porté  les  armes 
contre  la  patrie  pour  pouvoir  prétendre  aux  honneurs  et  aux 
récompenses  ;  il  faudra  avoir  une  naissance  conforme  à  leurs 
préjugés  pour  être  officier;  le  soldat  devra  toujours  être  soldat  : 
le  peuple  aura  les  charges  et  eux  les  honneurs. 

Un  Viomesnil  insulte  au  vainqueur  de  Zurich,  en  se  naturali- 
sant français,  lui  qui  avait  besoin  de  trouver  dans  la  clémence  de 


—  92  — 

la  loi  pardon  et  amnistie.  Un  Brulart,  chouan  sicaire  de  Georges, 
commande  nos  légions  (1). 

En  attendant  le  moment  où  ils  oseraient  détruire  la  Légion 
d'honneur,  ils  l'ont  donnée  à  tous  les  traîtres  et  l'ont  prodiguée 
pour  l'avilir.  Ils  lui  ont  ôté  toutes  les  prérogatives  politiques 
que  nous  avions  gagnées  au  prix  de  notre  sang. 

Les  400  millions  du  domaine  extraordinaire,  sur  lesquels 
étaient  assignées  nos  dotations,  qui  étaient  le  patrimoine  de 
l'armée  et  le  prix  de  nos  succèSjjiïVs  les  ont  fait  porter  en  Angle- 
terre (2). 

Soldats  de  la  grande  nation,  soldats  du  grand  Napoléon  !  con- 
tinuerez-vous  à  être  les  soldats  d'un  monarque  (3)  qui  vingt  ans 
fut  l'ennemi  de  la  France,  et  qui  se  vante  de  devoir  son  trône  à 
un  prince  régent  d'Angleterre  ? 

Tout  ce  qui  a  été  fait  sans  le  consentement  du  peuple  et  le 
nôtre,  et  sans  nous  avoir  consultés,  est  illégitime. 

Soldats,  la  générale  bat  et  nous  marchons,  courez  aux  armes, 
venez  vous  joindre  à  votre  Empereur  et  à  nos  aigles  tricolores; 
et  si  ces  hommes,  aujourd'hui  si  arrogants  et  qui  ont  toujours  fui 
à  l'aspect  de  nos  armes,  osent  nous  attendre,  quelle  plus  belle 
occasion  de  verser  notre  sang  et  de  chanter  l'hymne  de  la  Victoire  ! 

Soldats  des  7^,  8^  et  Î9^  divisions  militaires,  garnisons  d'An- 
tibes,  de  Toulon,  de  Marseille  (4),  officiers  en  retraite,  vétérans 
de  nos  armées,  vous  êtes  appelés  à  l'honneur  de  donner  le  premier 
exemple  (S).  Venez  avec  nous  conquérir  ce  trône,  palladium  de 

(1)  Cette  phrase  que  nous  itahquons  fut  ajoutée  par  l'empereur. 
Quand  les  juges  militaires  de  Drouot  lui  présentèrent  la  proclamation 
insérée  au  Journal  officiel,  l'intègre  général  la  désavoua  :  «  Ce  n'est  pas 
»  cette  proclamation  que  j'ai  signée,  avait-il  dit;  elle  ne  contenait  ni 
»  provocations  personnelles,  ni  mille  autres  choses  qui  s'y  trouvent.  » 
Cambronne  dut  en  faire  autant,  comme  on  le  verra  plus  loin. 

(2)  Un  autre  texte  porte  :  ...  le  prix  de  nos  sueurs,  ils  se  les  sont 
appropriés. 

(3)  Variante  :  —  Consenlirez-vous  à  l'être  d'un  prince  qui. . . 

(4)  et  (5)  Les  lignes  italiquêes  comptent  au  nombre  de  celles  qui 
ont  été  ajoutées  par  l'empereur. 


—  93  — 

nos  droits  et  que  la  postérité  dise  un  jour  :  «  Les  étrangers, 
»  secondés  par  des  traîtres,  avaient  imposé  un  joug  honteux  à 
»  la  France  ;  les  braves  se  sont  levés,  et  les  ennemis  du  peuple, 
»  de  l'armée,  ont  disparu  et  sont  rentrés  dans  le  néant.  » 

L'original  portait  comme  signature  :  «  le  général  de 
»  brigade  baron  Cambronne,  major  du  premier  régiment 
»  des  chasseurs  de  la  garde.  » 

Le  28  février,  le  rétablissement  de  la  cocarde  tricolore 
fut  célébré  joyeusement  à  bord.  La  Garde  avait  épuisé 
ses  approvisionnements  particuliers,  mais  l'Empereur  vint 
à  son  secours  en  donnant  l'ordre  à  ïourtain,  son  maître 
d'hôtel,  d'étaler  toutes  les  provisions  du  voyage  qu'il  se 
fit  un  plaisir  de  distribuer  lui-même  à  ses  braves.  «  Sa 
»  Majesté  n'avait  pas  déjeuné,  »  raconte  Pons  de  l'Hérault, 
dans  le  document  que  nous  avons  déjà  cité,  «  nous  n'avions 
»  pas  déjeuné  non  plus.  Le  preux  Cambronne  lui  en 
»  fit  l'observation.  L'Empereur  se  mit  à  rire  et,  se 
»  tournant  vers  les  grenadiers,  il  leur  dit  :  Messieurs  les 
»  grognards,  le  soleil  luit  également  pour  tout  le  monde  ; 
»  il  faut  que  chacun  mange  et  boive. 

»  Il  y  eut  un  nouveau  partage .   » 


CHAPITRE  X 

LES    CENT    JOURS 

Le  !*•■  mars,  l'empereur  débarque  au  golfe  Juan. 

—  Cambronne,  dit-il  en  s'adressant  à  son  fidèle  soldat, 
je  vous  confie  l'avant-garde  de  ma  plus  belle  campagne, 
vous  ne  tirerez  pas  un  seul  coup  de  fusil,  partout  vous  ne 
trouverez  que  des  amis,  songez  que  je  veux  reprendre 
ma  couronne  sans  répandre  une  seule  goutte  de  sang. 

A  cinq  beures,  le  débarquement  était  terminé. 

Napoléon  envoya  Cambronne  à  la  tête  d'une  avant- 
garde  à  Cannes  pour  commander  des  vivres  et  acheter 
des  chevaux  ;  et,  sachant  que,  pour  attirer  les  gens,  il  ne 
faut  pas  commencer  par  froisser  leurs  intérêts,  il  fit  tout 
payer  argent  comptant.  Les  vivres  furent  en  effet  pré- 
parés et  quelques  mulets,  quelques  chevaux  achetés. 
Malgré  l'ordre  de  ne  laisser  sortir  personne  de  Cannes, 
surtout  par  la  route  qui  menait  à  Toulon,  un  officier  de 
gendarmerie,  auquel  Cambronne  avait  proposé  d'acheter 
des  chevaux  et  qui  avait  feint  de  vouloir  les  céder, 
s'échappa  au  galop  pour  aller  à  Draguignan  donner  avis 
au  préfet  du  Var  du  grand  événement  qui  venait  de.  s'ac- 
complir. Heureusement  pour  Napoléon,  cet  officier  ayant 
remarqué  que  l'artillerie  qu'on  avait  débarquée  était 
placée  sur  la  route  de  Toulon,  s'en  fia  aux  premières 
apparences,  et  alla  répandre  la  nouvelle  que  l'expédition 
se  dirigeait  vers  la  Provence,  c'est-à-dire  vers  Toulon  et 
Marseille.  Il  n'en  était  rien. 


—  95  — 

Vers  le  soir,  Napoléon  s'était  approché  de  Cannes  et 
on  lui  amena  à  son  bivouac,  par  suite  de  l'ordre  qu'il 
avait  donné  d'arrêter  toutes  les  voitures ,  le  duc  de 
Valentinois ,  prince  de  Monaco.,  passé,  comme  tant 
d'hommes  du  temps,  d'un  culte  à  l'autre,  de  l'Empire  à 
la  Restauration.  Cambronne,  fidèle  à  la  consigne  donnée, 
l'avait  obligé  de  descendre  de  sa  berline  armoriée,  au 
débouché  de  la  route  d'Aix  et  l'avait  consigné  provisoi- 
rement à  VHôtel  de  la  Poste.  L'empereur  le  fit  relâcher 
sur  le  champ,  l'accueillit  avec  gaieté  et  lui  demanda  où 
il  allait  :  —  Je  retourne  chez  moi,  fit  le  prince.  —  Et 
moi  aussi,  répliqua  Napoléon  (1). 

A  ce  récit,  pourquoi  n'ajouterions-nous  pas  ceux  de 
M.  Peyrusse  et  de  M.  Pons  de  l'Hérault,  témoins  oculaires 
et  dont  les  mémoires  n'ont  pas  encore  été  publiés  ?  Voici 
ce  que  raconte  M.  Peyrusse  : 

fer  mars.  —  Le  général  Cambronne  avec  un  détachenaent  de 
grenadiers  et  de  polonais  avait  été  lancé  en  avant  pour  inter- 
cepter les   communications  et  faire  préparer  les   vivres  pour 

(1)  Une  lettre  du  préfet  maritime  de  Toulon,  en  date  du  5  mars, 
reproduite  au  Moniteur  Universel  du  jeudi  9  mars  1813,  page  271, 
ajoute  les  détails  suivants  à  ceux  qui  sont  déjà  connus  : 

«  Le  détachement  qui  a  occupé  Cannes  était  de  80  hommes,  y  com- 
»  pris  3  officiers  et  un  tambour.  Il  arriva  ensuite  un  général  nommé 
»  Cambrone,  qui  se  tint  constamment  à  la  tête  du  détachement 
1)  posté  à  Saint- Pierre,  porte  de  France...  Le  général  Cambrone  fit 
')  arrêter  le  prince  de  Monaco  qui  se  trouvait  à  Cannes,  lors  du 
»  débarquement,  et  qui  se  rendait  dans  sa  principauté.  Il  lui  déclara 
»  qu'il  était  son  prisonnier  et  le  fit  conduire  à  son  auberge,  où  il  fut 
M  gardé  par  un  caporal,  ayant  un  factionnaire  à  sa  porte.  Il  fit  ensuite 
)>  des  réquisitions  de  vivres  et  ordonna  d'illuminer  le  devant  des 
>>  maisons.  Toute  la  ville  était  sur  pied,  toutes  les  rues  encombrées  ; 
»  quelques  questions  que  fissent  le  général  et  ses  officiers  sur  les 
»  dispositions  des  habitans  à  l'égard  de  Bonaparte,  le  plus  morne 
»  silence  fut  gardé.  » 


—  96  — 

3,000  hommes,  et  d'annoncer  que  S.  M.  et  le  Roi  de  Naples 
entraient  par  Toulon  avec  un  gros  de  troupes. 

Arrivé  à  Cannes  où  la  nouvelle  de  notre  débarquement  n'était 
pas  parvenue,  le  premier  acte  du  général  est  de  faire  venir  sur  la 
route  tout  le  pain  et  toute  la  viande  qu'il  put  se  procurer,  et  de 
mettre  embargo  sur  tous  les  chevaux  de  la  poste. 

Un  épisode  amusant  signale  sa  marche.  Le  général  trouva,  à 
VHôtel  de  la  Poste,  le  duc  de  Valentinois,  prince  de  Monaco, 
pour  qui  l'on  faisait  les  apprêts  de  son  entrée  dans  sa  princi- 
pauté de  Monaco.  Il  fut  consigné  dans  son  logement  jusqu'à 
l'arrivée  de  sa  Majesté,  et  tous  les  chevaux  de  la  poste  mis  en 
réquisition  pour  le  service  de  l'expédition.  Le  Prince  était  nmcl 
d'étonnçiment,  il  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  qu'il  était  momen- 
tanément prisonnier. 

M.  Pons  de  l'Hérault  entre  dans  plus  de  renseigne- 
ments : 

A  deux  heures  après-midi,  nous  jetâmes  l'ancre  dans  le  golfe 
Juan.  Le  convoi  s'était  heureusement  réuni  ;  le  débarquement 
commença  de  suite  ;  à  cinq  heures  il  était  achevé.  L'on  débarqua 
aux  magasins  de  la  commune  de  Valauri.  Le  vent,  qui  avait  été 
favorable  pendant  toute  la  traversée,  changea  tout  à  coup  ds 
direction.  Cela  favorisait  extrêmement  l'Empereur  qui  fit  repartir 
sur  le  champ  les  bâtiments  qui  nous  avaient  transportés. 

S.  M.  appela  le  général  Cambronne.  «  Cambronne,  lui  dit- 
elle,  commandez  l'avant-gardo  ;  elle  sera  composée  de  -40  honr- 
mes  d'élite  que  vous  choisirez  vous-mêmes  ;  organisez-là  ;  partez 
de  suite  et  allez  prendre  position  sur  la  grande  route  en  avant 
de  Cannes,  du  côté  de  Fréjus.  -Vous  ne  permettrez  à  personne 
de  passer  en  delà  de  votre  ligne  ;  vous  laisserez  libre  tout  ce 
qui  viendra  en  deçà.  »  Dans  cinq  minutes  le  brave  général 
Cambronne  était  à  même  d'exécuter  les  ordres  de  S.  M.  Il  se 
rendit  au  poste  qui  lui  était  assigné. 

.  Le  général  Cambronne  est  d'un  caractère  extrêmement  violent, 
et  il  y  avait  à  craindre  que  quelque  contrariété  n'excitât  son 
emportement  naturel  ;  mais  telle  est  la  force  do  son  dévouement 
à  l'Empereur,  qu'il  était  devenu  d'une   douceur  extraordinaire. 


—  97  — 

et  ce  n'est  pas  un  des  traits  les  moins  remarquables  de  l'influence 
de  S.  M. 

...S.  M.  n'avait  aucun  rapport  du  général  Gambronne.  Le 
général  avait  dû  voir  la  municipalité  de  Cannes  et  faire  quelques 
dispositions  pour  les  transports.  L'Empereur  m'ordonna  de  me 
rendre  à  Cannes,  d'examiner  ce  qui  s'y  passait  et  de  lui  conduire 
les  magistrats  municipaux  ;  j'arrivai  à  Cannes,  j'y  trouvai  la 
population  en  mouvement.  Cambronne  ne  s'était  point  arrêté,  il 
avait  seulement  traversé  la  ville  pour  aller  droit  au  poste  où  il 
devait  placer  son  avant-garde.  Personne  ne  savait  que  Napoléon 
était  au  golfe  Juan.  Les  habitants  étaient  tout  étonnés  et  de 
l'apparition  des  cocardes  tricolores  et  des  coups  de  canon  qu'ils 
avaient  entendus  dans  leur  voisinage.  C'est  dans  cet  état  d'éton- 
nementqueje  les  trouvai,  je  me  rendis  à  la  maison  commune. 
Le  général  Cambronne  y  vint  presque  aussitôt,  et  j'en  fus  bien 
aise.  Nous  annonçâmes  le  retour  de  l'Empereur;  le  peuple 
parut  content.  M.  le  Maire,  vieillard  d'un  aspect  respectable, 
nous  observa  que  S.  M.  se  trouvant  sur  le  territoire  do  Valauri, 
ce  n'était  point  la  municipalité  do  Cannes  qui  devait  aller  à  sa 
rencontre.  Nous  nous  contentâmes  de  cette  raison,  et  je  retournai 
auprès  de  l'Empereur. 

A  quelques  jours  de  là,  le  colonel  Campbell  passait  à 
son  tour  au  iÈ,olfe  Juan.  Il  a  consigné  ce  qu'il  y  apprit 
dans  un  Journal  inédit  qui  fait  également  partie  sous  le 
n»  259  (8536)  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Car- 
cassonne.  Voici  les  passages  relatifs  à  Gambronne  : 

11  mars.  —  Au  golfe  Juan,  le  lieutenant  de  douanes  et  le 
commissaire  me  racontèrent  l'histoire  du  débarquement  de 
Napoléon.  Il  descendit  à  terre  le  1er  mars  vers  3  heures  de 
l'après-midi  Pendant  l'après-midi  la  musique  joua  fréquemment 
l'air  :  Où  peut-on  être  mieux  qu'au  sein  de  aa  famille.  Il  se  pro- 
menait sous  les  arbres Le  général  Bertrand  était  cons- 
tamment avec  lui. 

Le  général  Cambronne  s'avança  à  cheval  sur  la  route  de 
Cannes,  à  3  ou  i  milles  environ.  11  donna  à  entendre  qu'il  avait 
3,000  hommes  avec  lui  et  qu'un  corps  important,  d'accord  avec 

7 


—  98  — 

les  alliés,  était  venu  par  mer  à  Toulon  et  à  Marseille.  Des  déta- 
chements furent  placés  de  droite  et  do  gauche  sur  l'espace  d'un 
mille  pour  empocher  personne  do  passer. 

La  nouvelle  du  dél)arqueinent  avait  iini  par  se  répan- 
dre. 

Un  homme  envoyé  de  Grasse  aux  nouvelles  à  Cannes 
rencontre  l'avant-garde  à  mi-chemin.  Cambronne,  devi- 
nant un  espion,  Tinterpella  :  —  «  Vous  m'avez  l'air  bien 
fatigué^  mon  ami.  N'allez  pas  plus  loin.  Je  vais  vous  dire 
tout  ce  que  vous  cherchez  à  savoir.  »  (^ela  fait,  le  général 
pressa  le  pas,  et,  devançant  son  peloton,  entra  tout  seul 
à  Grasse.  On  se  mit  aux  fenêtres;  quinze  cents  per- 
sonnes —  «  beaucoup  de  vieilles  tètes  et  de  rubans 
blancs  »,  dit  pittoresquement  Cambronne  dans  un  de  ses 
interrogatoires  —  furent  bientôt  réunies  sur  le  cours  et 
sur  la  place  du  Clavecin  (1). 

C'était  le  2  mars ,  Cambronne  trouva  la  population 
sympathique.  Il  demanda  des  vivres  à  la  municipalité. 

—  Au  nom  de  quel  souverain,  faites-vous  vos  réquisi- 
tions? interrogea  le  mau'e. 

—  Au  nom  de  l'empereur,  souverain  de  l'fle  d'Elbe,^ 
répondit  vivement  Cambronne. 

—  Nous  avons  aussi  un  souverain  que  nous  aimons,- 
reprit  le  maire. 

—  Je  ne  me  mêle  pas  de  politiq^ue,  fit  encore  le  géné- 
ral ;  je  ne  viens  pas  demander  si  la  France  a  un  roi  et  si 
elle  doit  l'aimer,  je  ne  veux  que  des  vivres. 

Le  général  Gazan,  que  Cambronne  connaissait  beau- 
coup, était  à  Grasse,  mais  il  ne  voulut  pas  recevoir 
Cambronne   qui  avait    demandé  à    lui  parler,   et  avait 

(1^  iSlo  par  Henri  Koussayo.  ji.  21  i. 


—  99  - 

môme  fui,  comme  à  l'approche  d'une  bande  de  pesti- 
férés (1). 

Le  3  mars,  entre  dix  heures  et  midi,  l'Empereur  arriva 
à  Castellane.  Les  autorités  avaient  été  prévenues  le  matin 
par  une  lettre  du  maire  de  Sernon  qui  annonçait  la  pré- 
sence dans  sa  commune  «  de  l'Empereur  Bonaparte  (sic) 
avec  une  armée  »  et  par  ce  laconique  billet  de  Cambronne 
au  sous-préfet  : 

«  Monsieur, 
»  Je  vous  prie  de  donner  des  ordres  pour  fournir   de 
»  suite  5000  rations  de  pain,   5,000  de  viande,  5,000  de 
»  vin,  40  charrettes  à   quatre  colliers  ou  200  mulets  de 
»  bât.  S.  M.  sera  à  dix  heures  à  Castellane. 

»  Baron  Cambronne,  général  de  brigade, 

»  3Iajor  de  la  garde  impériale.  »  (2) 

Le  sous-préfet  et  le  maire  crurent  devoir  satisfaire  à 
cette  réquisition.  Ils  se  mirent  en  mesun;  de  fournir  les 
cinq  mille  rations  et  le  plus  grand  nombre  possible  de 
mulets  et  de  charrettes. 

Le  5  mars,  le  général  Cambronne  se  présenta  devant 
Sisteron,  à  la  tète  de  cent  hommes,  suivant  les  uns,  de 
quarante  seulement,  d'après  les  autres.  Là  encore,  il  dut 
parlementer  avec  le  maire  qui  lui  refusait  les  6.000  ra- 

(1)  GAZAN  de  La  Peyrière  (Honoré-Théophile-Maxime,  comte), 
général  trançais,  né  à  Grasse  (Var)  en  1765,  mort  en  18i4,  entra  au 
service  à  15  ans.  Chef  de  bataillon  en  1794,  il  défendit  le  col  de  Tende 
c<j«tre  1,500  Croates.  Sa  carrière  militaire  ne  finit  qu'avec  Waterloo. 
11  reçut  le  grade  de  général  de  division  en  1799,  le  titre  de  comte  en 
1808,  la  pairie  en  1831. 

Cambronne  avait  combattu  sous  ses  ordres  à  Zurich. 

(2)  Cambronne  au  sous-préfet  de  Castellane,  2  mars.  Archives  de  ta 
guerre. 


—  400  — 

tiens  qu'il  demandait,  sous  prétexte  qu'il  n'avait  derrière 
lui  que  douze  cents  hommes. 

—  Et  que  savez- vous  ?  répliqua  le  général  si  les  gar- 
nisons que  j'ai  laissées  derrière  moi,  ne  me  suivront  pas  ? 

Et,  en  disant  ces  mots,  il  jeta  au  maire  une  bourse  de 
trois  mille  francs.  —  Payez-vous.  Il  rougit  et  répondit  : 
—  Reprenez  votre  bourse. 

Les  habitants  de  Sisteron  s'empressèrent  de  fournir 
plus  de  vivres  que  Gambronne  n'en  avait  demandé. 

Le  maire  et  le  sous-préfet  se  crurent  même  obligés 
d'aller  à  la  rencontre  de  Napoléon  qui  arriva  à  midi. 
Quand  l'Empereur  quitta  Sisteron,  une  ouvrière  s'appro- 
cha de  lui  et  lui  remit  un  drapeau  tricolore  qu'elle  avait 
confectionné  en  moins  d'une  heure  (1). 

Le  6,  Gambronne  alla  coucher  à  la  Mûre,  tandis  que 
Napoléon  était  venu  passer  la  nuit  au  bourg  de  Gorps, 
après  s'être  emparé  des  défilés  entre  Gap  et  Grenoble. 

Il  les  avait  franchis  heureusement  et  s'avançait  avec 
confiance,  en  voyant  l'esprit  des  populations  se  manifester 
autour  de  lui  par  des  cris  continuels  de  «  Vive  l'Empe- 
reur f  »  Pourtant  il  savait  bien  que  le  lendemain  serait  le 
jour  décisif,  car  il  rencontrerait  pour  la  première  fois  un 
rassemblement  de  troupes  et,  de  la  conduite  que  tiendrait 
ce  rassemblement^  dépendrait  le  sort  de  son  aventureuse 
expédition.  Tandis  qu'il  se  préparait  à  prendre  quelques 
heures  de  repos  à  Corps,  il  avait  eu  soin  d'envoyer  Cam- 


(1)  Interrog.  de  Gambronne  (Procès  de  Gambronne).  Fabry 
(Itinéraire  de  Bonaparte  de  l'île  d'Elbe  k  Sainte-Hélène),  39-43.  Ce 
dernier,  très  partial  dans  ses  commentaires,  dit  (jue  le  sous-préfet 
avait  été  contraint  par  Cainbroime  d'aller  au-derant  de  l'Empereur; 
que  ce  fut  «  une  populace  soudoyée  »  qui  acclama  Napoléon,  et  que 
la  femme  avait  confectionné  le  drapeau  par  ordre. 


—  101  — 

bronne,  avec  une  avant-garde  de  200  hommes,  pour  s'as- 
surer du  pont  de  la  Bonne  et  en  empêcher  la  destruction. 
Les  lanciers  polonais,  pourvus  de  chevaux  depuis  qu'on 
avait  pénétré  dans  l'intérieur,  avaient  devancé  Cam- 
bronne,  et  franchissant  la  Bonne  étaient  venus  demander 
des  logements  au  maire  de  La  Mure.  A  cette  heure,  c'est 
à  dire,  vers  minuit  arrivait  le  bataillon  du  5«.  Bientôt  on 
se  mêla  et  les  lanciers  cherchant  à  fraterniser  avec  les 
soldats  du  5®,  les  trouvèrent  bien  disposés  mais  gênés  par 
la  présence  de  leurs  officiers.  Néanmoins  il  s'établit  entre 
eux  de  nombreux  entretiens  et  déjà  les  soldats  du  5'  in- 
clinaient visiblement  vers  les  lanciers,  lorsque  le  chef  de 
bataillon  Lessard  survenu  presque  aussitôt  et  redoutant 
pour  sa  troupe  le  contact  des  soldats  de  l'île  d'Elbe  résolut 
de  la  faire  rétrogader  et  de  rebrousser  jusqu'au  village 
de  La  Frey. 

De  son  côté,  Gambronne  arrivé  aussi  à  La  Mure,  crai- 
gnant qu'au  milieu  de  ces  pourpalers,  un  homme  pris  de 
vin  ne  provoquât  une  collision,  ce  que  Napoléon  lui  avait 
recommandé  d'éviter,  alla  chercher  ses  gens  pour  ainsi 
dire  un  à  un,  afin  de  les  ramener  en  deçà  de  Ponthaut. 
Ainsi  de  part  et  d'autre  on  abandonna  spontanément  La 
Mure.  Toutefois  le  pont  de  Ponthaut  resta  au  pouvoir  de 
Gambronne. 

La  nuit  se  passa  de  la  sorte,  l'anxiété  la  plus  vive  ré- 
gnant chez  ceux  qui  étaient  chargés  d'arrêter  Napoléon, 
comme  chez  ceux  qui  le  suivaient. 

Napoléon  lui  même  qui  avait  couché  à  Gorps  était  venu 
à  La  Mure  où  il  avait  laissé  à  sa  troupe  le  temps  de  manger 
la  soupe  et  s'était  ensuite  dirigé  sur  la  position  où  on  lui 
disait  que  se  trouvait  un  bataillon  du  5«  de  ligne,  avec 
quelques  troupes  d'artillerie  et  du  génie,  dans  l'attitude 


—  402  — 

de  gens  prêts  à  se  défendre.  Les  lanciers  qui  s'étaient 
repliés  lui  avaient  dit  que  les  officiers  semblaient  disposés 
à  résister,  mais  que  probablement  les  soldats  ne  feraient 
pas  feu.  Napoléon  regarda  quelques  temps  avec  sa  lunette 
la  troupe  qui  était  devant  lui  pour  observer  sa  conte- 
nance et  sa  position.  Dans  ce  moment,  survinrent  des 
officiers  à  la  demi-solde,  déguisés  en  bourgeois,  qui  lui 
donnèrent  des  détails  sur  les  sentiments  de  la  troupe 
chargée  de  lui  barrer  le  chemin.  —  L'artillerie  et  le  génie 
ne  tireraient  pas^  assuraient-ils.  Quant  à  l'infanterie,  l'of- 
ficier qui  la  commandait,  ordonnerait  certainement  le 
feu,  mais  on  doutait  qu'il  fût  obéi.  —  Napoléon  après 
avoir  entendu  ce  rapport,  résolut  de  marcher  en  avant  et 
de  trancher  par  un  acte  d'audace  une  question  qui  ne 
pouvait  plus  être  décidée  autrement.  Il  rangea  sur  la 
gauche  de  la  route  l'avant-garde  de  Cambronne,  sur  la 
droite  le  gros  de  sa  colonne  et  en  avant  la  cinquantaine 
de  cavaliers  qu'il  était  parvenu  à  monter.  Puis  d'une  voix 
distincte  il  commanda  à  ses  soldats  de  mettre  l'arme  sous 
le  bras  gauche,  la  pointe  en  bas,  et  il  prescrivit  à  l'un  de 
ses  aides  de  camp  de  se  porter  sur  le  front  du  o«,  de  lui 
dire  qu'il  allait  s'avancer,  et  que  ceux  qui  tireraient  ré- 
pondraient à  la  France  et  à  la  postérité  des  événements 
qu'ils  auraient  amenés  (1). 

Ses  ordres  donnés,  il  ébranla  sa  colonne  et  marcha  en 
tête,  suivi  de  Cambronne,  Drouot  et  Bertrand.  L'aide  de 
camp  envoyé  en  avant  aborda  le  bataillon,  lui  répéta  les 


(1)  »  Il  avait  raison,  ht-ias  !  »  rcrit  M.  Thiers  à  qui  nous  emprun- 
tons les  quelques  lignes  qni  précèdent,  «  et  ceux  qu'il  interpellait 
»  ainsi,  allaient  décider  si  Waterloo  serait  inscrit  ou  non  sur  les 
->  pages  sanglantes  de  notre  histoire  !  » 


—  103  — 

paroles  de  l'Empereur  et  le  lui  montra  de  la  main  qui 
s'approchait.  A  cet  aspect  les  soldats  du  5«  furent  saisis 
d'une  anxiété  extraordinaire  et  regardant  tantôt  Napoléon, 
tantôt  leur  chef,  semblaient  implorer  ce  dernier  pour 
qu'il  ne  leur  imposât  pas  un  devoir  impossible  à  remplir. 
Le  chef  de  bataillon  les  voyant  troublés,  éperdus,  devina 
bien  qu'ils  étaient  incapables  de  tenir  devant  leur  ancien 
maître  et  d'une  voix  ferme,  ordonna  de  battre  en  retraite. 
—  Que  voulez  vous  que  je  fasse  ?  dit-il  à  un  aide  de  camp 
du  général  Marchand  qui  était  en  mission  auprès  de  lui  ; 
ils  sont  pâles  comme  la  mort  et  tremblent  à  l'idée  de  faire 
feu  sur  cet  homme. 

C'est  ainsi  que  le  6  mars,  à  onze  heures  du  soir,  l'empe- 
reur entra  à  Grenoble,  après  avoir  fait  en  six  jours 
quatre-vingts  lieues  au  travers  d'un  pays  de  montagnes 
très  difficile,  accomplissant  ainsi  une  des  marches  les 
plus  prodigieuses  dont  l'histoire  porte  mention. 

Le  7  mars,  à  2  heures,  l'Empereur  passa  la  revue  de 
toutes  les  troupes,  alors  au  nombre  de  7,000  hommes. 
Une  avant-garde  de  4,000  hommes  fut  formée.  Gam- 
foronne,  en  en  prenant  le  commandement,  demanda  des 
cartouches. 

—  Vous  n'en  aurez  pas  besoin,  général,  lui  dit  l'Empe- 
reur, vous  ne  trouverez  que  des  amis  sur  toute  votre 
route. 

Le  8  mars,  après  un  jour  de  repos  à  Grenoble,  la  petite 
armée,  grossie  de  la  garnison  qui  s'était  jointe  à  elle, 
marchait  sur  Lyon.  Cambronne  avait  pris  le  commande- 
ment du  7«  de  ligne  (colonel  Labedoyère)  et  du  4^  hus- 
sards et  le  10,  Lyon   ouvrait  ses   portes  à  l'empereur. 

Ce  fut  un  enthousiasme  indescriptible.  Les  soldats  (dit 
le  récit  de  M.  Peyrusse)   s'embrassent  avec  transport; 


—  404  — 

plus  de  20.000  citoyens  sont  rangés  sur  le  quai  du  Rhône 
et  sur  le  cours  Napoléon.  Tous  les  officiers  et  soldats  du 
24e,  du  20"  et  du  13e  de  dragons  crient  :  Vive  l'Empe- 
reur! Bientôt  il  paraît  sur  le  pont  de  La  Guillotière, 
entouré  des  généraux  Bertrand,  Drouot  et  Gambronne, 
et  l'air  retentit  de  mille  vivats  sur  leur  passage. 

A  partir  de  ce  jour,  Cambronne  n'exerça  plus  de  com- 
mandement effectif,  il  était  à  la  disposition  de  Napoléon, 
que  tantôt  il  accompagnait,  que  tantôt  il  précédait. 

Le  13  mars,  nous  le  trouvons  à  Mâcon,  donnant  l'ordre 
à  M.  Magol,  inspecteur  du  télégraphe,  de  suivre  l'armée 
de  l'empereur,  pour  se  porter  au  besoin  sur  la  ligne 
télégraphique  et  intercepter  toute  communication  avec 
Lyon.  (1) 

Le  17,  il  est  à  Auxerre,  où  Napoléon  prépare  sa  marche 
définitive  sur  Paris.  Le  soir,  à  la  table  du  préfet  et  dans 
un  cercle  plus  étroit,  composé  de  Drouot,  de  Bertrand,  de 
Cambronne,  du  préfet  de  l'Yonne,  l'empereur  parla  de  son 
audacieuse  entreprise. 

—  J'ai  laissé,  dit-il,  répandre  autour  de  moi  que  j'étais 
d'accord  avec  les  puissances.  Il  n'en  est  rien.  Je  ne  suis 
d'accord  avec  personne,  pas  même  avec  ceux  qu'on  accuse 
de  conspirer  à  Paris  pour  ma  cause.  J'ai  vu  de  l'île  d'Elbe 
les  fautes  que  l'on  commettait  et  j'ai  résolu  d'en  profiter. 
Mon  entreprise  a  toutes  les  apparences  d'un  acte  d'audace 
extraordinaire,  et  elle  n'est  en  réalité  qu'un  acte  de  raison. 

C'est  de  là  que,  rejoint  par  le  maréchal  Ney,  l'empereur 


(1)  Cet  ordre  (1  p.  in-4»)  est  signalé  dans  le  catalogue  des  autogra- 
phes de  M.  le  marquis  de  Z,  vendus  le  24  novembre  iSoG  (Paris,  Gha- 
ravay,  18o(i  in-S")  C'est  la  pièce  02  du  catalogue:  elle  est  signée. 

La  bibliothèque  publique  de  Nantes  possède  ce  catalogue  sous  le 
n»  r)8169. 


—  105  — 

se  dirigea  sur  Fontainebleau.  II  y  passait  en  revue  dans 
la  cour  du  palais  un  régiment  de  lanciers,  quand  la  garde 
de  l'île  d'Elbe  et  une  partie  de  son  armée,  embarquées  à 
Auxerre  sur  des  bateaux  qui  les  avaient  conduites  à 
Fûssart,  arrivèrent  pleines  d'entrain. 

Bien  que  Cambronne  n'eût  pas  la  renommée  retentis- 
sante de  la  plupart  des  généraux  de  l'empire,  le  gouver- 
nement de  Louis  XVIII  ne  s'était  pas  moins  préoccupé 
de  l'influence  qu'il  pourrait  exercer  sur  les  troupes 
envoyées  contre  l'usurpateur.  Les  chefs  de  corps  s'en 
inquiétaient  ;  c'est  ainsi  que  le  colonel  du  43«  de  ligne 
écrivait  au  ministre  de  la  guerre  le  maréchal  duc  de 
Trévise,  la  lettre  inédite  que  voici  (1)  : 

17  mars  1815. 

Monsieur  le  maréchal,  le  général  Cambronne  qui  est  venu  de 
l'île  d'Elbe  avec  Bonaparte,  a  servi  autrefois  dans  le  ci  devant 
46e  régiment,  devenu  aujourd'hui  43e,  qui  est  en  garnison  à 
Arras.  Quoique  Votre  Excellence  n'ait  rien  tiré  de  ce  corps,  j'ai 
cru  devoir  toujours  lui  donner  cet  avis,  pour  qu'en  aucun  cas  il 
ne  soit  mis  en  contact  avec  les  troupes  de  Bonaparte  et  pour 
qu'il  soit  mis  à  l'abri  de  l'influence  que  le  générai  Cambronne 
pourrait  y  avoir  conservée. 

Il  en  avait  été  de  même  de  l'ancien  88®  de  ligne,  devenu 
le  75«.  Un  des  bataillons  de  ce  régiment  était  envoyé  à 
Châlons,  mais  ordre  avait  été  donné,  à  cause  de  Cam- 
bronne, «  de  ne  pas  le  mettre  en  contact  avec  les  troupes 
»  de  Bonaparte  et  de  veiller  plus  particulièrement  aux 
»  manœuvres  qui  pourraient  être  employées  pour  le 
»  corrampre.  » 

Mais  déjà  Louis  XVIII  s'apprêtait  à  reprendre  le  chemin 
de  l'exil. 

(1)  Archives  de  la  guerre. 


—  106  — 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  Thistoire  bien  connue  de 
l'entrée  de  l'empereur  à  Paris  dans  la  soirée  du  20  mars. 
Dès  le  lendemain,  Napoléon  passsa  la  revue  de  toutes  les 
troupes  qui  composaient  alors  la  garnison  de  la  capitale, 
au  milieu  d'un  enthousiasme  indescriptible.  C'est  pendant 
cette  revue  que  le  général  Gambronne  et  des  officiers  de  la 
garde  du  bataillon  de  l'île  d'Elbe  parurent  avec  les  an- 
©iennes  aigles  de  la  garde. 

—  Voilà,  s'écria  l'empereur,  voilà  les  officiers  du 
bataillon  qui  m'a  accompagné  dans  mon  malheur.  Ils  sont 
tous  mes  amis.  Ils  étaient  chers  à  mon  cœur  I  Toutes  les 
fois  que  je  les  voyais,  ils  me  représentaient  les  différents 
régiments  de  l'armée,  car  dans  ces  six  cents  braves,  il  y  a 
des  hommes  de  tous  les  régiments...  En  les  aimant,  c'est 
vous  tous,  soldats  de  toute  l'armée  française,  que  j'aimais. 
Ils  vous  rapportent  ces  aigles  !  qu'elles  vous  servent  de 
point  de  ralliement  !  En  les  donnant  à  la  garde,  je  les 
donne  à  toute  l'armée. 

La  trahison  et  des  circonstances  malheureuses  les  avaient 
couvertes  d'un  voile  funèbre  ;  mais,  grâce  au  peuple 
français  et  à  vous,  elles  reparaissent  resplendissantes  de 
toute  leur  gloire.  Jurez  qu'elles  se  trouveront  toujours  et 
partout  où  l'intérêt  de  la  patrie  les  appellera  ;  que  les 
traîtres  et  ceux  qui  voudraient  envahir  notre  territoire 
n'en  puissent  jamais  soutenir  les  regards. 

Nous  le  jurons,  s'écrièrent  avec  enthousiasme  tous  les 
soldats. 

Est-il  vrai,  comme  l'ont  prétendu  quelques  écrivains, 
que  Napoléon  se  montra  peu  reconnaisant  envers  ses 
anciens  compagnons  de  l'île  d'Elbe  ?  Il  n'en  serait  rien, 
en  tout  cas,  du  moins  quant  à  Gambronne,  qui  fut  alors 
comblé  d'honneurs. 


—  107  — 

Par  décret  du  l^''  avril  signé  au  palais  des  Tuileries,  il 
avait  été  nommé  comte  de  TEmpire  (1).  Par  autre  décret 
du  même  jour,  il  était  promu  grand  officier  de  la  Légion 
d'honneur  (2).  Quelques  jours  après,  le  10  avril,  nouveau 
décret  accordant  sur  le  domaine  extraordinaire  de  l'Em- 
pereur aux  officiers  qui  l'ont  accompagné  à  l'isle  d'Elbe, 
des  dotations  transraissiblcs  à  leurs  enfants.  Camhronne 
est  le  seul  qui  y  ligure  pour  une  dotation  de  -i.OOO  fr., 
tandis  (jue  les  autres  dotations  varient  de  500  à  2,000  fr. 
(3).  Le  13,  pour  faire  suite  au  décret  d'organisation  de  la 
garde  impériale,  nouveau  décret  qui  nomme  Cambronne 
major  aux  chasseurs  à  pied  (l^'  régiment)  (4). 

Le  même  jour,  13  avril  1815,  Drouot  écrivait  à  Cam- 
bronne que  TEmpereur  avait  décidé  qu'il  avait  droit  aux 
trois  mois  de  gratification  accordée  à  la  garde  venue  de 
l'île  d'Elbe.  C'était  une  somme  de  trois  mille  francs,  ainsi 
-qu'il  résulte  de  l'état  qui  en  fut  dressé  quelques  jours 
après  et  dont  voici  le  texte  même  : 

Nous,  commissairo  dos  guerres,  faisant  fonctions  de  sous- 
inspecteur  do  la  gardo  impériale  venant  de  l'isle  d'Elbe,  avons 
arrêté  le  présent  état  à  la  somme  do  trois  mille  francs,  montant 
•de  la  gratification  accordée  à  M.  le  général  Cambronne. 

Paris,  le  18  avril  18Io. 

La  Cour. 

Ces  distinctions  honorifiques  lui  furent  reprochées  au 
cours  de  son  procès. 

(1)  Arcliives  nationales  (minutes  (les  décrets).  AF  IV.  8;i9-8,  pla- 
quette fiOfii. 

(2)  Même  dépôt,  même  plaquette. 

(3)  Même  dépôt  8:i9-9,  plaquette  6970. 

(4)  Même  dépôt  8;i9-9,  plaquette  6973. 


—  108  — 

Reprenons  ici  cette  partie  de  l'interrogatoire  de  Cam- 
bronne  : 

D.  —  Combien  de  temps  après  son  arrivée,  Bonaparte  vous 
donna-t-il  ces  preuves  de  sa  reconnaissance  ? 

R.  —  Je  ne  peux  pas  vous  le  dire,  car  je  n'ai  jamais  fait 
attention  à  ces  choses-là. 

D.  —  En  supposant  que  vous  n'y  mettiez  pas  beaucoup  d'im- 
portance, vous  devez  vous  en  rappeler  l'époque  ? 

Vous  avez  reçu  des  brevets  ? 

R.  —  Je  vous  donne  ma  parole  d'honneur  que  je  ne  me  1© 
rappelle  pas.  Je  ne  garde  jamais  de  papiers. 

D.  —  Combien  de  temps  à  peu  près,  après  votre  arrivée, 
avez-vous  été  nommé  pair  ? 

R.  —  Très  longtemps  après,  je  n'ai  même  pas  pu  assister  à  la 
première  séance. 

D.  —  Quels  sont  les  motifs  du  refus  que  vous  avez  fait  du 
grade  de  lieutenant  général? 

R.  —  Je  me  crois  dans  le  cas  de  commander  une  division, 
quand  je  suis  seul;  mais  quand  on  marche  avec  d'autres...  Vous 
l'avez  vu  à  Waterloo,  nous  avions  un  capitaine  très  renommé, 
eh  bien,  il  n'a  pas  pu  parvenir  à  mettre  tout  en  ordre.  Il  y  a  tant 
de  jaloux  !  on  aurait  dit  que  c'était  un  passe-droit.  Les  maré- 
chaux-de-camp auraient  trouvé  que  j'étais  trop  jeune  lieutenant- 
général;  on  m'aurait  laissé  dans  l'embarras  et  je  ne  voulais  pas 
compromettre  le  salut  de  l'armée. 

Cette  modestie  est  un  des  traits  caractéristiques  du  tem- 
pérament de  Cambronne.  C'est  encore  une  marque  de 
courage  que  d'oser  refuser  un  honneur  dont  on  craint  de 
ne  p3,s  être  assez  digne.  Aux  instances  réitérées  de  l'empe- 
reur, Cambronne  répondait  que  le  salut  de  l'armée  lui 
dictait  sa  résolution  :  —  «  Si  je  suis  forcé  d'accepter,  je 
déclare  à  Votre  Majesté  que  je  prendrai  ma  retraite.  »  Il 
resta  donc  maréchal-de-camp,  major  du  !«■■  régiment  de 


—  109  — 

chasseurs  de  la  garde  impériale  dont  il  avait  d'ailleurs 
repris  le  commandement  dès  l'arrivée  de  ce  corps  à  Paris. 
Enfin,  pour  qu'aucune  distinction  ne  lui  fit  défaut,  il 
fut  promu  à  la  pairie  (1).  Le  décret  porte  : 

Au  Palais  de  l'Elysée,  le  2  juin  181S. 

Sont  nommés  membres  de  la  Chambre  des  Pairs...  Le  lieute- 
nant-général comte  Gambronne. 

D'ailleurs,  il  semblait  si  peu  se  soucier  d'être  comte 
que  c'est  le  titre  de  baron  qu'il  déclina  lors  de  sa  compa- 
rution devant  le  conseil  de  guerre. 

Quant  à  la  pairie,  il  n'en  exerça  jamais  les  fonctions,  il 
n'en  revendiqua  jamais  les  prérogatives,  et  à  l'heure  même 
oii  le  Moniteur  enregistrait  sa  nomination,  il  partait  à 
marches  forcées  pour  Avesnes. 

La  seule  distinction  qui  dut  lui  tenir  à  cœur,  ce  fut  sa 
promotion  comme  grand-offîcier  de  la  Légion  d'honneur^ 
faite  à  la  date  du  l®""  avril  et  que  naturellement  le  gouver- 
nement de  la  Restauration  refusa  de  ratifier.  Il  lui  fallut 
attendre  l'avènement  de  Louis-Philippe  pour  obtenir,  non 
sans  peine,  satisfaction  sur  ce  point. 

C'est  d'Avesnes  que  Napoléon  l^r  lança  le  14  juin  sa 
fameuse  proclamation  oii  il  rappelait  le  glorieux  anni- 
versaire de  Marengo. 

La  dernière  campagne  de  l'Empire  commençait. 


(1)  Moniteur  Universel  du  mardi  6  juin  1815.  p.  6.37.  La  minute  du 
décret  est  aux  Archives  Nationales  AF  IV  859  25,  plaquette  7067. 


CHAPITRE  XI 

WATERLOO 

Dans  la  journée  du  16  juin,  Napoléon  fit  attaquer  le 
village  de  Ligny  sous  Fleurus  qui  fut  emporté,  Cambronne 
y  combattit  avec  audace;  l'ennemi  battu  partout,  ayant 
son  centre  enfoncé  et  sa  droite  tournée  au  delà  de  Saint- 
Amand  par  la  division  Girard,  abandonna  le  champ  de 
bataille  et  se  mit  en  retraite  dans  plusieurs  directions. 

L'armée  française  se  dirigea  sur  Bruxelles  en  deux 
colonnes,  l'une  commandée  par  Napoléon  qui  devait  se 
réunir  au  corps  du  maréchal  Ney,  l'autre  sous  les  ordre». 
de  Grouchy  (1). 

C'est  dans  ce  trajet  qu'elle  se  heurta  aux  troupes  enne- 
mies dans  cette  immense  plaine  comprise  entre  le  village 
de  Waterloo,  Braine-L'Alleud  et  la  longue  chaussée  pavée 
qui  conduit  de  Tun  à  Tautre  en  passant  par  Mont-Saint- 
Jean. 

Nous  .n'avons  pas  la  prétention  de  raconter  ici  ce  que 
fut  la  bataille  de  Waterloo,  cette  tentative  suprême  de 
Napoléon  contre  l'Europe  coalisée,  cette  poussée  formi- 
dable, ce  choc  monstrueux  de  milliers  d'hommes  contre 
des  milliers  d'hommes  bien  fait  pour  inspirer  aux  sur- 
vivants l'horreur  profonde  de  la  guerre.  Si  l'empereur 
l'eût  emporté^  que  fût-il  advenu  du  sort  du  monde  ? 

Mais,  quelque  opinion  qu'on  professe  sur   cette  terrible 


(1)  Vie  militaire  de  Cambronne  par  C.  D.  (Paris  1822  chez  Locart 
et  Davi)  pages  22  et  23. 


—111  — 

journée  qui  allait  clore  dans  le  sang  vingt-cinq  années 
de  conquêtes,  quoi  qu'on  pense  du  génie  de  Napoléon 
mal  servi  par  son  étoile,  de  la  vigueur  du  duc  de  Wel- 
lington, de  la  chance  dé  Blficher,  qu'on  impute  ou  non  au 
maréchal  de  Grouchy  l'issue  fatale  de  la  bataille,  que  les 
stratégistes  diflerent  d'opinion  sur  les  causes  du  succès 
des  alliés  et  de  la  défaite  de  l'empereur,  il  est  un  point 
sur  lequel  tous  ceux  qui  ont  écril,  l'histoire  de  AVatcrloo 
et  tous  ceux  qui  l'ont  faite  se  sont  rencontrés,  sans  dis- 
tinction de  nationalités ,  c'est  l'hommage  rendu  à  la 
bravoure  indomptable  des  troupes  en  présence,  spéciale- 
ment de  cette  phalange  d'élite,  sorte  de  légion  sacrée, 
qu'on  avait  nommée  hors  de  pair,  quand  on  avait  dit  :  — 
La  Garde. 

Cambronne  en  commandait  une  partie  vers  la  fin  de 
la  journée.  Ici  à  notre  récit  nous  ne  saurions  mieux  faire 
que  de  substituer  le  dernier  épisode  de  la  bataille  de 
Waterloo,  raconté  par  M.  ïhicrs,  avec  une  émotion  qui 
ne  lui  est  pas  habituelle,  dans  son  vingtième  volume  de 
l'Histoire  du  Consulat  et  de  l'Empire. 

L'histoire  n'a  que  quelques  désespoirs  sublimes  ù  raconter,  et 
elle  doit  les  retracer  pour  rétornel  honneur  des  martyrs  de  notre 
gloire,  pour  la  punition  de  ceux  qui  prodiguent  sans  raison  le 
sang  des  hommes  !  Les  débris  des  bataillons  de  la  Garde,  poussés 
pêle-mêle  dans  le  vallon,  se  battent  toujours  sans  vouloir  se 
rendre.  A  ce  moment,  on  entend  ce  mot  qui  traverse  les  siècles 
proféré  selon  les  uns  par  le  général  (Tambroniiej  selon  les  autres 
par  le  général  JMichel  :  «  La  Garde  meurt  et  ne  se  rend  pas.  » 

Cambronne  blessé  presque  mortellement,  reste  étendu  sur  le 
terrain,  ne  voulant  pas  que  ces  soldats  quittent  leurs  rangs  pour 
l'emporter.  Le  2e  bataillon  du  3e  de  grenadiers,  demeuré  dans 
le  vallon,  réduit  de  .'iOO  à  300  hommes,  ayant  sous  ses  pieds  ses 
propres  camarades,  devant  lui  des  centaines  de  cavaliers  abattus. 


—  112  — 

refuse  de  mettre  bas  les  armes  et  s'obstine  à  combattre.  Serrant 
toujours  ses  rangs  à  mesure  qu'ils  s'éclaircissent,  il  attend  une 
dernière  attaque  et,  assailli  sur  ses  quatres  faces  à  la  fois,  fait  une 
décharge  terrible  qui  renverse  des  centaines  de  cavaliers.  Fu- 
rieux, l'ennemi  amène  de  l'artillerie  et  tire  à  outrance  sur  les 
quatre  angles  du  carré.  Les  membres  de  cette  forteresse  vivante 
abattus,  le  carré  se  resserre  ne  présentant  plus  qu'une  forme 
irrégulière,  mais  résistante.  Il  dédouble  ses  rangs  pour  occuper 
plus  d'espace  et  protéger  ainsi  les  blessés  qui  ont  cherché  asile 
dans  son  sein.  Chargé  encore  une  fois,  il  demeure  debout,  abat- 
tant par  son  feu  de  nouveaux  ennemis.  Trop  peu  nombreux  pour 
rester  en  carré,  il  profite  d'un  répit  afin  de  prendre  une  forme 
nouvelle  et  se  réduit  à  un  triangle  tourné  vers  l'ennemi,  de  ma- 
nière à  sauver  en  rétrogradant  tout  ce  qui  s'est  réfugié  derrière 
ses  baïonnettes.  Il  est  bientôt  assailli  de  nouveau.  Ne  nous  ren- 
dons pas  î  s'écrient  ces  braves  gens  qui  ne  sont  plus  que  cent 
cinquante.  Tous  alors,  après  avoir  tiré  une  dernière  fois,  se 
précipitent  sur  la  cavalerie  acharnée  à  les  poursuivre  et  avec 
leurs  baïonnettes,  tuent  des  hommes  et  des  chevaux  jusqu'à  ce 
qu'enfin  ils  succombent  dans  ce  sublime  et  dernier  effort.  Dé- 
vouement admirable  et  que  rien  ne  surpasse  dans  l'histoire  des 
siècles  ! 

Cette  merveilleuse  résistance  ifétait-elle  qu'un  acte 
sublime  d'inutile,  mais  admirable  bravoure  ?  N'avftit-elle 
pas  au  contraire  un  but  déterminé  qu'elle  réussit  à  at- 
teindre ?  Un  intéressant  document  trouvé  par  M.  de  La 
Nicollière  aux  archives  de  Nantes  et  publié  depuis  peu 
in  extenso  {i),]eiie  un  jour  nouveau  sur  le  dernier  épisode 
de  Waterloo.  Il  s'agissait  de  sauver  l'Empereur  qui  allait 


Cette  lettre  de  M.  Dalidet  avait  été  citée  en  partie  en  juillet  1848 
au  cours  d'une  polémique  qui  s'était  élevée  à  propos  de  Cambroime, 
quelques  jours  après  l'inauguration  de  sa  statue  entre  le  Breton  et  le 
National  de  l'Ouest,  journaux  de  Nantes. 


—  113  — 

tomber  au  pouvoir  de  l'ennemi  et  M.  Dalidet,  ami  intime 
de  Cambronne,  a  enregistré  le  récit  que  le  général  lui  en 
fit  en  toute  sincérité  : 

Il  n'a  point  existé  de  pourpalers  entre  rennemi  et  moi  ;  aucune 
sommation  d'avoir  à  me  rendre  prisonnier  n'a  été  osée  ;  l'ardeur 
du  combat  s'y  opposait  d'ailleurs. 

Le  général  Poret  de  Morvan  et  moi,  nous  étions  à  la  tête  de 
deux  régiments  de  la  Garde  Impériale,  en  réserve,  au  pied  du 
mont  Saint-Jean.  Un  aide  de  camp  vint  à  moi,  comme  plus  an- 
cien en  grade  que  Poret  de  Morvan,  m'ordonner,  de  par  l'Em- 
pereur, d'aller  en  avant. 

—  Où  faut-il  aller,  M.  l'aide-de-camp  ? 

—  Sur  le  plateau,  mon  général. 

Aussitôt  je  prescrivis  à  Poret  de  Morvan  de  mettre  les  deux 
régiments  en  colonne  serrée  par  division  ;  je  courus  en  avant 
examiner  les  dispositions  de  l'ennemi,  et  voir  sur  quel  point  il 
serait  possible  de  l'entamer. 

En  arrivant  sur  le  champ  de  bataille,  je  trouvai  le  corps  d'ar- 
mée du  maréchal  Ney  foudroyé  par  l'artillerie  ennemie  et  mis 
complètement  en  route. 

A  cette  narration  de  Cambronne,  s'ajoute  celle  du  gé- 
néral Poret  de  Morvan  que  M.  Dalidet  résume  ainsi  : 

Les  colonnes  anglaises  s'étendaient  avec  une  promptitude  telld 
que  Cambronne  jugea  qu'avant  quelques  instants  l'Empereur 
pouvait  être  enveloppé  si,  par  un  grand  efifort,  on  n'arrêtait 
l'élan  de  ses  adversaires.  11  descend  du  plateau  et  court  vers 
Poret  de  Morvan,  en  lui  exprimant,  par  des  paroles  énergiques, 
son  étonnement  de  le  voir  l'arme  au  bras  alors  qu'un  si  grand 
danger  les  menace. 

Poret  de  Morvan  répond  que  l'Empereur  lui  a  fait  défense 
d'avancer. 

—  Mais  l'Empereur  ne  sait  pas.  dit  alors  Cambronne,  qu'ils 
vont  tous  nous  prendre  comme  des  moutens,  lui  le  premier! .... 

8 


—   H4  — 

Allons  et  mourons  plutôt  que  de  nous  rendre  ;  tant  que  nous  nous 
exterminerons  les  uns  les  autres,  il  aura  le  temps  de  se  sauver. 

Ainsi  les  deux  régiments  atteignirent  le  plateau. 

L'ennemi,  voyant  une  colonne  nouvelle  et  formidable  dirigea 
sur  elle  le  feu  de  son  artillerie.  La  première  décharge  ébrécha 
l'angle  droit  de  la  colonne.  Elle  se  reforma  sans  perdre  de  temps, 
mais  à  la  seconde  décharge,  le  général  Cambronne  fut  atteint  à 
la  tète  et  tomba  ;  un  sergent  an  filais  le  releva  et  reçut  pour  ré- 
compense la  bourse  du  prisonnier. 

Le  général  Poret  de  Morvan  rallia  les  débris  de  sa  colonne  et 
sauva  du  désastre  ce  qu'il  put  de  ses  hommes. 

Au  dire  de  M.  Dalidet,  ce  récit  des  généraux  Cambronne 
et  Poret  de  Morvan  lui  a  été  confirmé  en  plusieurs  occa- 
sions par  le  général  Dumoustier  qui  s'était  retiré  sur  la  fin 
de  sa  vie,  à  Saint-Sébastien,  auprès  du  héros  de  ce  livre. 
En  apprenant  que  Cambronne  était  tombé  grièvement 
blessé,  Napoléon  se  rappela  les  ordres  qu'il  avait  donnés  : 

—  Ah  1  le  brave  !  s'écria-t-il  ;  il  avait  bien  dit  que  la 
garde  mourait  et  ne  se  rendait  pas. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  phrase  célèbre  sur  laquelle 
nous  nous  expliquerons  plus  loin,  il  reste  acquis  que  la 
Garde  Impériale  commandée  par  Cambronne  se  «ouvrit 
dans  cette  journée  d'une  gloire  immortelle. 

Il  ne  nous  aurait  pas  été  difficile  d'emprunter  à  d'autres 
écrivains,  romanciers,  stratégistes,  historiens,  quelque 
aussi  intéressante  citation  que  celle  de  Thiers,  depuis  le 
livre  du  colonel  Charras  sur  la  campagne  de  1815  jusqu'à 
la  Chartreuse  de  Parme  de  Stendhal  et  la  Foire  aux 
Vanités  du  célèbre  littérateur  anglais  Thackeray. 

Mais  des  nombreux  documents  que  nous  avons  consultés 
sur  la  bataille  de  Waterloo,  nous  ne  reproduirons  que  les 
passages  suivants  d'ouvrages  anglais,  persuadé  que  nous 


—  115  — 

ne  pouvons  mieux  faire  que  de  demander  à  nos  ennemis 
d'alors  déjuger  l'admirable  conduite  de  nos  soldats.  Dans 
un  livre  intitulé  Booth's  battle  of  Waterloo  qui,  publié 
dès  1816  à  Londres  par  l'éditeur  Booth,  renfermait  des 
appréciations  encore  toutes  vibrantes  du  champ  de  bataille, 
voici  comment  était  raconté  l'épisode  du  dernier  carré: 

Thèse  vétéran  warriors  so  long  esteemed  the  first  troops  in 
Europe,  advanced  cross  the  plain  a\  hich  divided  the  two  armies, 
with  a  firmness  which  nothing  could  exceed  ;  and  though  our 
grape  and  canister  shot  made  dreadful  havock  in  their  ranks, 
they  were  never  disconcerted  for  a  single  moment.  Our  infantry 
remained  firm  in  their  position  until  the  enemy's  front  line  was 
nearly  in  contact  with  Ihem,  when,  with  the  usual  sainte  of  a 
well  directed  voUey  and  a  British  cheer,  they  rushed  on  to  the 
charge  with  bayonets.  This  charge  cven  the  Impérial  Guard 
could  not  stand  against  and  those  undaunted  troops,  who  at  one 
time  considered  themselves  the  conqucrors  of  Iho  \\ orld,  were 
obliged  to  give  way.  In  this  attack,  the  british  and  french  Guards 
were,  for  the  first  time,  I  believe,  fairly  opposed  to  cach  other. 
The  shock  for  a  moment  was  dreadful.  The  enemy  refused  to 
take  or  givo  quarter  and  the  carnage  was  horrible.  (1) 

Traduction 

Ces  vieux  soldats,  si  longtemps  regardés  comme  les  premières 
troupes  de  l'Europe,  s'avançaient  à  travers  la  plaine  qui  séparait 
les  doux  armées  avec  une  solidité  que  rien  ne  pouvait  surpasser, 
et  quoique  notre  artillerie,  avec  ses  boites  à  mitraille,  fit  de 
terribles  ravages  dans  leurs  rangs,  ils  n'en  furent  pas  un  seul 
instant  troublés.  Notre  infanterie  resta  immobile  dans  ses  posi- 
tions jusqu'à  ce  que  le  premier  rang  de  l'ennemi  fût  presqu'en 
contact  avec  elle.  Alors,  soutenu  par  le  salut  habituel  d'une  salve 
d'artillerie  bien  dirigée  et  avec  une  joyeuse  acclamation  britan- 

(1)  Booth's  battle  of  Waterloo,  London,  1816,  p.  103. 


—  116  — 

nique,  nos  soldats  se  précipitèrent  à  la  charge,  la  baïonnette  an 
canon.  Cette  charge,  la  garde  impériale  elle-même  n'y  put  résister 
et  ces  soldats  invincibles  qui  à  un  moment  s'étaient  considérés 
comme  les  maîtres  du  monde,  durent  plier.  Cette  attaque  fut,  je 
crois,  la  première  où  la  garde  française  et  la  garde  anglaise 
furent  vraiment  opposées  l'une  à  l'autre.  Le  choc  pendant  un 
instant  fut  épouvantable.  L'ennemi  refusait  tout  quartier  pour 
nous  et  pour  lui-même.  Ce  fut  un  horrible  massacre. 

Un  autre  ouvrage,  de  môme  origine,  mais  de  date  plus 
récente,  précise  mieux  encore  la  belle  défense  de  la  garde 
impériale  (1). 

Four  squares  of  the  old  impérial  guard  yet  remained.  With 
thèse  Napoléon  endeavoured  to  cover  his  retreat  which  was  now 
inévitable  ;  but  they  were  embarrassed  and  borne  away  by  the 
crowd  of  fugitives  and  unablc  to  resist  the  overwhelming  force 
of  English  and  Prussians  which  no\\  pressed  upon  them.  They 
defended  themselves  with  a  gallantry  which  excited  the  admira- 
tion of  Iheir  foes.  The  Duke  of  Wellington  would  hâve  prevented 
the  useless  sacrifice  of  their  lives  and  summoned  them  to  sur- 
rendei-.  But,  with  a  high  sensé  of  military  honour  which  we  are 
compelled  to  regard  with  respect  and  vénération,  though  we 
think  that  it  was  hère  erroneous  and  overstrained,  they  refused 
to  \  icld  and  slowly  retreating  inch  by  imch,  w  ère  almost  entirely 
annihilated. 

Thaduciion 

Quatre  carrés  de  la  Vieille  Garde  impériale  tenaient  toujours. 
Avec  leur  aide  Napoléon  s'efforçait  de  couvrir  sa  retraite  devenue 
désormais  inévitable,  mais  ils  étaient  embarrassés  et  emportés 
par  la  foule  des  fuyards,  par  suite  incapables  de  résister  aux  force» 

(1)  A  Sketch  of  the  buttle  of  Waterloo  to  which  are  added  officiai 
desi)atcht;s  of  fielri  niarshal  tho  duke  of  Wellington,  field  marchai 
prince  Blucher  and  reflexions  by  gênerai  Muffling.  Brussels,  Pratt  and 
Darry,  1833,  in-12»  (pages  42  et  43). 


—  447  — 

accablantes  des  Anglais  et  des  Prussiens  qui  à  présent  fondaient 
sur  eux.  Ils  se  défendaient  avec  une  bravoure  qui  excitait 
l'admiration  de  leurs  ennemis.  Le  duc  de  Wellington,  désiréiiï 
de  prévenir  cet  inutile  sacrifice  de  leurs  vies,  les  fit  sommer  de 
se  rendre.  Mais,  obéissant  à  un  noble  sentiment  d'honneur 
militaire  que  nous  sommes  obligés  de  considérer  avec  une  respec- 
tueuse vénération,  tout  en  le  trouvant  erroné  et  excessif,  ils 
refusèrent  de  céder  et  battant  lentement,  pied  à  pied,  en  retraite, 
ils  furent  tués  presque  jusqu'au  dernier. 

Nous  ne  connaissons  pas  beaucoup  de  pages  chez  nos 
écrivains  nationaux,  qui  vaillent  ce  magnifique  éloge 
tombe  volontairement  de  la  plume  d'un  ennemi.  Le  général 
Garabronne  avait  sa  grande  part  dans  l'expression  de  ces 
sentiments  d'admiration.  Gomme  le  raconte  M.  Thiers, 
blessé  presque  mortellement,  il  reste  étendu  sur  le  terrain, 
refusant  l'aide  de  ses  soldats  qui  s'apprêtent  à  quitter  les 
rangs  pour  l'emporter.  Ses  blessures  étaient  graves.  Une 
balle  lui  avait  ouvert  le  crâne  au-dessus  de  l'œil  gauche. 
Le  bras  droit,  le  côté  droit,  la  jambe  droite  étaient  marqués 
de  plusieurs  coups  de  sabre  ou  de  mitraille;  un  coup  de 
baïonnette  lui  avait  fracassé  le  petit  doigt  de  la  main 
droite.  Tout  couvert  de  sang,  les  vêtements  déchirés,  il 
était  couché  évanoui,  à  demi-mort  au  milieu  de  ceux  qui 
l'étaient  tout-à-fait,  quand,  la  bataille  terminée,  des 
soldats  anglais  qui  avaient  reconnu  sa  qualité  à  son 
uniforme,  l'entourent  et  le  font  prisonnier. 

Ge  fut  une  grande  joie  qu'une  pareille  capture  dans 
l'état-major  des  armées  victorieuses.  Le  duc  de  Wellington 
écrivait  dès  le  lendemain  19  juin  4845  de  Bruxelles  au 
comte  Bathurst  : 

Hâve  5000  prisoners,  above  2000  more  coming  in  to-morrow. 
Among  the  prisoners  are  the  comte  de  Lobau  who  commandée 


—  H8  — 

tho  6  t'»  corps  and  Gen.  Cambrone  who  commandée!  a  division 
of  the  Guards.  Propose  to  send  the  whole  to  England  by  Os- 
tond.  (1) 

De  son  côté,  le  feld  maréchal  Blûcher,  dans  son  récit 
olTiciel  des  opérations  de  l'armée  prussienne,  dont  nous 
avons  eu  la  traduction  anglaise  en  mains  notait  la  prise 
du  général  Gambronne  :  (2) 

We  hâve  not  yet  any  exact  account  of  the  eneniy's  loss  ; 
it  is  enough  to  kno^^  that  t\\  o  Ihirds  of  tho  whole  were  killcd, 
Avounded  or  prisoners,  among  the  lattcr  are  gênerais  Mouton, 
Duhesrae  and  Gambronne.  (3) 

Enfin  le  général  Miguel  Alava,  ministre  plénipotentiaire 
d'Espagne  auprès  du  roi  des  Pays-Bas,  qui  avait  assisté 
auprès  du  duc  de  Wellington  à  la  bataille  de  Waterloo,  en 
adressait  dès  le  20  juin,  de  Bruxelles,  un  compte-rendu  à 
son  ministre  don  Pedro  Gevallos. 

Le  nombre  des  prisonniers,  écrit-il,  ne  peut  pas  encore  être 
établi,  car  il  en  arrive  en  grand  nombre  à  toute  heure.  11  y  a 
beaucoup  de  généraux  parmi  eux,  entr'autres  le  comte  de  Lobau, 
aide  de  camp  de  Bonaparte  et  Gambronne  qui  raccompagnait  à 
nie  d'Elbe. 

Ici  nous  ouvrons  une  large  parenthèse. 

(1)  Nous  avons  5000  prisonniers,  phis  de  2000  autres  arriveront 
demain.  Parmi  les  prisonniers,  figurent  It;  comte  de  Lobau  qui  com- 
mandait le  6"=  corps  et  le  général  Qmibronne  qui  commandait  une 
division  de  la  Garde.  Je  me  propose  de  les  envoyer  tous  en  Angle- 
terre par  Ostende. 

(2)  Marslial  Ulucher's  officiai  reporlof  tho  opérations  of  the  prussian 
army  of  the  Lower  Rhine,  subscribed  hy  gênerai  Gneisenau,  i»p.  70, 
11  et  ss. 

(3)  Nous  n'avons  pas  encoi-o  le  compte  exact  des  pertes  de  l'ennemi  : 
il  suffit  de  savoir  que  les  deux  tiers  de  cette  armée  sont  morts,  blessés 
ou  prisonniers.  Parmi  ces  derniers,  figurent  les  généraux  Mouton, 
Duhesme  et  Gambronne. 


CHAPITRE  XII 

LE   MOT   DE    CAMBRONNE 

C'est  maintenant  en  effet  que  se  pose  la  question  si 
souvent  discutée,  si  diversement  résolue  et  que  la  voix 
du  peuple  a  tranchée  en  faveur  du  héros  de  cette  histoire  : 

A-t-il  été  prononcé  un  mot,  une  phrase  mémorable  sur 
le  champ  de  bataille  de  Waterloo  ? 

Cette  phrase,  quelle  était-elle  ? 

Et  qui  l'a  prononcée  ?  le  général  Michel  ou  le  général 
Cambronne  ou  tous  les  deux  peut-être? 

Ce  mot  que  les  héritiers  du  général  Michel  n'ont  jamais 
revendiqué,  ce  mot  bien  senti  dont  la  grossièreté  habituelle 
disparaît  presque  au  milieu  de  la  surexcitation  d'une 
admirable  résistance,  Cambronne  l'a-t-il  jeté  à  la  face  de 
l'ennemi  ? 

Nous  nous  proposons,  sur  cette  curieuse  question 
d'histoire  contemporaine,  de  mettre  sous  les  yeux  du 
lecteur,  tous  les  documents  que  nous  avons  pu  réunir, 
toutes  les  confidences  que  nous  avons  reçues  d'hommes 
de  bonne  foi  à  qui  Cambronne  avait  parlé  et  nous  donne- 
rons ensuite  notre  avis  personnel. 

La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

Oui,  ce  cri  de  la  lutte  à  outrance,  ce  désaveu  du  sauve 
qui  peut  qui  se  faisait  entendre  pour  la  première  fois 
dans  les  rangs  de  la  grande  armée,  cette  phrase  de 
bravoure,  de  désespoir,  de  rage  qui  était  comme  le  testa- 


—  120  — 

ment  de  la  vieille  garde,  a  été  proférée  à  la  fin  de  la 
sanglante  journée  de  Waterloo. 

Le  devoir  qui  commandait  de  mourir  plutôt  que  de 
lâcher  pied,  plutôt  que  de  capituler,  était  trop  profondé- 
ment ancré  au  cœur  de  ces  hommes  qui  avaient  fait  les 
campagnes  de  la  République  du  Consultât  et  de  l'Empire 
pour  qu'il  pût  venir  à  l'esprit  d'aucun  d'entr'eux  d'y 
manquer  alors  surtout  qu'ils  voyaient  que  tout  était  perdu, 
fort  l'honneur.  Ils  avaient  si  souvent  consenti  au  sacrifice 
de  leur  vie  qu'ils  ne  tenaient  vraiment  pas  à  la  conserver 
au  prix  d'une  forfaiture  envers  l'empereur  et  la  patrie, 

Libre  aux  jeunes  recrues  épouvantées  devant  ces 
batailles  de  géants  de  se  sentir  déconcertées,  démoralisées 
et  de  songer  avant  tout  à  la  fuite  pour  l'existence,  à  la 
soumission  devant  la  supériorité  numérique  de  l'ennemi. 
La  vieille  garde,  sans  peur  et  sans  reproche,  fût  morte 
jusqu'au  dernier  homme  et  ce  n'est  de  la  faute  de  personne 
si  quelques-uns  ont  survécu. 

La  page  émouvante  autant  qu'émue  que  M.  Thiers  a 
consacrée  à  ce  dernier  épisode  et  que  nous  avons  repro- 
duite, affirme  le  cri  mémorable,  en  hésitant  à  qui  en 
attribuer  l'honneur. 

Pour  l'historien  des  batailles  de  l'Empire,  point  de 
doute.  Oui,  la  phrase:  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas, 
a  été  prononcée  à  Waterloo  et  comment  hésiterait-on  à  le 
croire  quand,  quelques  jours  après,  elle  était  consignée 
par  un  journal  de  Paris,  V Indépendant,  le  bisaïeul  du 
Constitutionnel,  reproduite  immédiatement  par  le /ourna/ 
général  et  le  Journal  de  Paris  et  portée  ainsi,  par  la  voie 
de  la  presse,  à  la  connaissance  de  la  France  entière. 

Le  mois  suivant,  Casimir  Delavigne,  dans  sa  Messénienne 


—  121  — 

sur  la  bataille  de  Waterloo,  enregistrait,  à  son  tour,  ce 
cri  fameux  : 

Parmi  des  tourbillons  de  flamme  et  de  fumée, 
0  douleur!  quel  spectacle  à  mes  yeux  vient  s'offrir? 
Le  bataillon  sacré,  seul  devant  tme  armée. 
S'arrête  pour  mourir. 

C'est  en  vain  que,  surpris  d'une  vertu  si  rare. 
Les  vainqueurs  dans  leurs  mains  retiennent  le  trépas; 
Fier  de  la  conquérir,  il  y  court,  s'en  empare  : 
La  garde,  avait-il  dit,  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

On  dit  qu'en  les  voyant  couchés  dans  la  poussière. 
D'un  respect  douloureux  frappé  par  tant  d 'exploits, 
L'ennemi,  l'œil  fixé  sur  leur  face  guerrière. 
Les  regarda  sans  peur  pour  la  première  fois. 

Citons  encore  une  autre  oeuvre  de  la  même  époque, 
publiée  dans  le  dernier  volume  des  Victoires  et  Conquêtes, 
signée  :  M.  Lefèvre,  de  Rouen  et  qui,  elle  aussi,  met  en 
vede-tte  ;dans  le  refrain  de  ses  trois  strophes,  la  phrase 
dont   nous  parlons  : 

Dernier  cri  de  la  garde  impériale 

Ils  ne  sont  plus,  les  fils  de  la  victoire! 
Mars  a  trahi  leurs  efforts  et  nos  vœux. 
Pleurez,  Français!  L'appui  de  votre  gloire 
Est  descendu  dans  la  tombe  avec  eux. 
A  leur  valeur,  l'Anglais  rendant  hommage 
Voulut  en  vain  les  soustraire  au  trépas  ; 
es  preux  ont  dit  en  volant  au  carnage  : 
«  La  garde  meurt,  elle  ne  se  rend  pas.  » 

Toi  qui  deux  fois  leur  dus  le  diadème. 
Toi  qui  sans  eux  eus  gémi  dans  les  fers. 
Napoléon,  à  cette  heure  suprême. 
Te  verra-t-on  partager  leurs  revers  ? 


422  

Ils  sont  tombés,  les  hi'ros  de  la  Franci', 
Et  toi,  tu  fuis  du  milieu  des  combats: 
Tu  fuis  donc,  sourd  à  ce  cri  de  vaillance  : 
«  La  garde  meurt,  elle  ne  se  rend  pas.  » 

Dix  Rois  ligués  ont  fait  fléchir  ta  tête, 
Fratirais  trop  fier  de  les  avoir  vaincus; 
Pour  t' affranchir  du  joug  de  leur  conquête, 
Tu  tenterais  des  efforts  superflus  : 
Mais  si  jamais  l 'heure  de  la  vengeance 
Vient  à  sonner,  magnanimes  soldats. 
Ralliez-vous  à  ce  cri  de  vaillance: 
«  La  garde  meurt,  elle  ne  se  rend  pas.  » 

L'opinion  publique  était  alors  unanime  à  attribuer  aw 
général  Cambronne  cette  sublime  protestation,  bien  qu'avec- 
sa  modestie  il  s'en  défendît  fort  toutes  les  fois  qu'on 
l'interrogeait  sur  ce  point  et  qu'il  se  plût  à  en  fairft 
rejaillir  l'honneur  sur  la  vieille  garde  tout  entière.. 
Comment  a-t-il  donc  pu  se  reproduire  une  rcclamation 
véritablement  passionnée  dans  l'intérêt  du  général  Michel?' 
Cet  ofticier  avait  été  tué  à  Waterloo  et  pendant  de  longues 
années,  personne  ne  songea  à  revendiquer  à  son  profit 
une  phrase  que  les  publicistes!,  écho  fidèle  du  sentiment 
unanime,  avaient  toujours  inscrite  à  l'actif  de  Cam- 
bronne (1).  Ce  n'est  que  trente  ans  plus  tard,  en  18-45,. 
nous  pourrions  presque  dire  qu'il  y  avait  prescription,. 
qu'à  la  date  du  11  août,  M.  le  comte  Michel,  capitaine  am 
45«  de  ligne,  en  garnison  à  Bordeaux  et  M.  le  baron  Michel,. 

(1)  Dans  ses  Soîivenirs  intimes  du  temps  de  l'Empire  publiés  e». 
1841,  Emile  Marco  de  Saint-Ililaire,  parlant  dos  sublimes  paroles,, 
disait  : 

i<  Appartiennent-elles  à  Cambronne,  déjà  grièvement  blessé  ou  à 
Dorsenne  ou  à  Michel,  tous  deux  tués  en  môme  temps?...  Peut-être,, 
car  celui  qui  les  prononça  ne  dut  pas  leur  survivre.  » 


—  123  — 

auditeur  au  Conseil  d'Etat,  sous-préfet  de  Bar-sur-Aube, 
tous  deux  fils  du  général,  s'avisèrent  d'envoyer  une  som- 
mation par  voie  d'huissier  au  maire  de  Nantes  pour  lui 
défendre  expressément  de  faire  graver  ces  mots:  La  garde 
meurt  et  ne  se  rend  pas  sur  le  monument  que  cette  ville 
était  en  train  d'élever  au  général  Cambronne. 

Les  fils  du  général  Michel  avaient  pris  leur  temps. 
Depuis  1815,  ils  étaient  restés  inactifs,  alors  que  rien  ne 
les  empêchait  de  procéder  auprès  des  survivants  de  la 
grande  armée  à  une  enquête  minutieuse  et  contradictoire 
et  ils  avaient  cru  devoir  attendre  la  mort  de  Cambronne 
pour  se  donner  la  tâche  de  lui  ravir  sa  sublime  protes* 
tation  de  Waterloo. 

La  sommation  judiciaire  lancée  au  maire  de  Nantes  est 
à  la  date  du  11  août  1845,  comme  nous  venons  de  le  dire, 
mais  déjà,  au  lendemain  de  l'ordonnance  royale  du 
8  décembre  1842  qui  autorisait  l'érection  d'un  monument 
à  la  gloire  de  Cambronne,  les  fils  du  général  Michel 
s'étaient  mis  en  campagne  pour  recueillir  des  documents 
et  revendiquer  exclusivement  au  profit  de  leur  père  une 
gloire  qui  ne  lui  revenait  pas  du  tout  ou  du  moins  qu'il  lui 
appartenait  de  partager  avec  le  héros  nantais. 

Que  citaient-ils,  à  l'appui  de  leurs  prétentions,  dans 
leur  requête  au  Conseil  d'Etat?  D'abord  quelques  historiens 
contemporains  et  quelques  écrivains  militaires  dont  les 
uns  n'attribuaient  pas  expressément  à  Cambronne  la 
réponse  en  litige,  dont  les  autres  l'attribuaient  au  contraire 
au  général  Michel.  C'était  V Univers  (Annales  historiques 
de  la  France  tome  2,  p.  642)  qui  reporte  à  la  garde 
impériale  tout  entière  la  phrase  mémorable  ;  la  Biographie 
des  Contemporains  de  Rabbe  (tome  l*"^,  page  736)  d'après 
laquelle  Cambronne  ne  prononça  pas  les  mots  qu'on  lui 


attribue  généralement  :  «  La  garde  meurt  et  ne  se  rend 
pas  »;  le  Dictionnaire  biographique  des  morts  et  des 
vivants  par  Fliniaux  (tome  7,  page  718)  qui  emprunte 
l'opinion  de  la  Biographie  des  Hommes  vivants  de 
Michaud  (article  Gambronne)  qui  constate  qu'aucun  rapport 
officiel  ne  fait  mention  des  paroles  en  question,  mais  que 
les  journaux  les  ont  rapportées  à  l'honneur  de  Cambronne. 

Ces  témoignages  sans  date,  sans  signature  sont,  on 
l'avouera,  bien  peu  probants.  Que  des  revues  biographiques 
qui  se  pillent,  d'ordinaire  sans  se  contrôler,  affirment  ou 
contestent  l'exactitude  d'un  fait,  cela  ne  prouve  guère 
qu'il  soit  vrai  ou  qu'il  soit  faux. 

Il  faut  autre  chose  et  les  fils  du  général  Michel  l'ont 
bien  compris,  en  faisant  intervenir  des  déclarations  plus 
intéressantes  et  plus  personnelles.  Un  témoin  dont  ils 
n'ont  pas  donné  le  nom,  mais  dont  les  dires  auraient  été 
corroborés  par  M.  Gordier,  député  du  Jura  sous  Louis- 
Philippe,  a,  disaient-ils,  raconté  ce  qui  suit  : 

«  J'habitais  Dunkerque  à  l'époque  où  le  général  Gam- 
»  bronne  commandant  le  département  du  Nord,  fit 
»  plusieurs  voyages  à  Dunkerque. 

»  M.  Gordier,  alors  directeur  ingénieur  en  chef  à  Lille, 
»  se  trouvait  toujours  à  Dunkerque,  quand  le  préfet  et  le 
))  général  Gambronne  s'y  transportaient  en  conseil  de 
»  révision.  Lui,  comme  moi^  nous  avons  entendu  plusieurs 
»  fois  le  général  se  défendre  de  la  manière  la  plus  posi- 
»  tive  d'avoir  tenu  les  paroles  sublimes  qu'on  lui  attri- 
»  buait.  » 

Que  vaut  la  déclaration  de  M.  Maurice  Duval,  pair  de 
France  en  1845,  mais  ancien  préfet  de  la  Loire-Inférieure, 
que  le  débat  historique  soulevé  entre  le  général  Gambronne 
et  le  général  Michel  préoccupait  aussi  :  «  Parlant  à  Nantes, 


—  125  — 

»  dit-il,  avec  le  général  Gambronne  de  la  bataille  de 
»  Waterloo  et  de  la  réponse  que  la  voix  publique  lui 
»  ttribue,  il  m'a  répondu  que  ces  paroles  héroïques  ne 
»  lui  appartenaient  pas  plus  qu'à  la  garde  impériale  qui 
»  tout  entière  les  a  scellés  de  son  sang...  J'ai  invité  M.  le 
»  maire  de  Nantes  à  ne  pas  donner  lieu  à  un  débat  dont 
»  le  résultat  ne  pourrait  Hve  aussi  complet  qu'il  voudrait 
»  l'obtenir,  car  j'ai  reconnu  à  Nantes  même  beaucoup 
»  d'incertitude  excitée  par  le  général  Gambronne  lui- 
»  même.  » 

G'est  là  chose  très-possible,  étant  donnée  l'extrême 
réserve  du  général  qui  n'aimait  pas  les  compliments  et  qui 
se  défendait  fort  de  les  mériter,  même  au  détriment  de  la 
vérité.  G'est  ce  qu'il  est  facile  de  lire  dans  un  autre  docu- 
ment dont  les  enfants  du  général  Michel  se  sont  servis 
dans  leur  mémoire  au  Gonseil  d'Etat,  mais  en  commettant 
la  faute  de  le  tronquer  et  de  n'en  pas  citer  les  lignes 
défavorables  à  leur  système.  Il  s'agissait  d'une  lettre 
confidentielle  du  maire  de  Nantes,  31.  Ferdinand  Favre, 
au  préfet,  à  la  date  du  24  novembre  1843  : 

«  Le  général  dont  chacun  connaît  la  simplicité  antique 
t  et  l'extrême  modestie,  s"en  est  toujours  défendu  person- 
»  nellement,  à  la  vérité  disant  que  c'était  le  cri  de 
»  l'armée  tout  entière,  mais  sans  que  jamais  dans  ses 
»  épanchements  les  plus  intimes  il  ait  jamais  proféré  le 
»  nom  du  général  Michel  ou  de  tout  autre.  » 

Mais  M.  Ferdinand  Favre  ajoutait  (et  c'est  là  ce  que  les 
enfants  du  général  Michel  se  gardaient  bien  de  repro- 
duire) : 

«  Pour  tous  ceux  qui  l'ont  entendu,  il  résultait  de  son 
»  embarras  et  de  la   manière  un  peu  gauche  dont  sa 


—  126  — 

»  franchise  habituelle  niait  la  chose  que  la  voix  publique 
»  avait  eu  raison  de  lui  en  attribuer  l'honneur. 

»  Voilà  ce  que  pourront  vous  certifier  les  personnes 
»  qui  ont  été  honorées  de  l'amitié  du  brave  Cambronne, 
»  notamment  M.  Mathurin  Gheguillaume,  mon  premier 
»  adjoint,  qui  a  longtemps  vécu  dans  son  intimité.  » 

Avec  ce  commentaire,  la  déclaration  du  maire  de 
Nantes  prend  une  importance  considérable,  mais  dans  un 
tout  autre  sens  et  nous  verrons  dans  un  instant  s'il 
n'avait  pas  absolument  raison.  Mais  allons  jusqu'au  bout 
et  voyons  ce  que  valent  les  derniers  témoignages  invoqués 
en  faveur  du  général  Michel. 

C'est  d'abord  celui  de  M.  Pons  (de  l'Hérault)  qui 
s'exprime  ainsi  : 

«  Le  général  Michel  avait  fait  former  le  carré  à  la  jeune 
»  garde  qu'il  commandait.  Un  autre  carré  qui  était  près 
»  du  sien,  venait  d'être  enfoncé  et  le  péril  était  imminent. 
>  Alors  le  général  Michel  réunit  les  officiers  en  cercle,  il 
»  les  harangua  brièvement,  énergiquement  et  il  termina 
»  sa  harangue  par  ces  mots  d'éternelle  mémoire  :  La 
«  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas.  » 

Fâcheux  témoignage  que  celui-là  pour  le  général 
Michel,  parce  qu'à  force  de  vouloir  préciser,  il  finit  par 
ne  rien  prouver  du  tout,  ou  plutôt  par  prouver  le  con- 
traire de  ce  qu'il  prétendait. 

M.  Pons  (de  l'Hérault)  dans  le  certificat  délivré  avec 
trop  de  complaisance  peut-être  aux  fils  du  général 
Michel,  reconnaît  qu'il  tient  ses  renseignements  de  «  plu- 
sieurs officiers  honorables  ».  W  aurait  mieux  fait  de  les 
nommer,  pour  permettre  de  contrôler  auprès  d'eux  un 
témoignage  qui  risquait  d'être  tronqué  en  passant  par 
trop  de  bouches. 


—  127  — 

Ce  n'est  plus  à  l'ennemi,  en  réponse  à  une  sommation 
de  se  rendre,  que  le  général  Michel  aurait  jeté  cette  fière 
jparole  :  c'est  à  ses  officiers,  à  ses  soldats  rangés  en  cercle 
autour  de  lui.  Tous  pourtant  ne  moururent  pas  à  Waterloo 
auprès  de  leur  général  :  d'où  vient  que  pas  un  seul  n'ait 
depuis  1815  reproduit,  sous  sa  signature,  le  récit  absolu- 
ment nouveau  de  M.  Pons  que  les  derniers  témoins 
favorables  au  général  Michel  ne  confirment  pas? 

D'ailleurs,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  Pons  attribue, 
dans  son  Histoire  de  Napoléon,  la  môme  phrase  à 
Cambronne.  Il  aurait  dû  alors  en  conclure  que  les  deux 
généraux  l'avaient  également  prononcée. 

Un  vétéran  de  l'armée,  le  baron  Martenot,  resté,  à  son 
témoignage,  le  dernier  sur  le  champ  de  bataille  avec  le 
^«  bataillon  du  le""  régiment'  de  grenadiers  de  la  vieille 
garde,  certifie,  il  est  vrai,  que  les  paroles  attribuées  à 
Cambronne  ont  été  prononcées  par  le  général  Michel  et  il 
croit  que  son  ami,  le  généralHarlé,  encore  vivant  en  1845, 
Ternit  la  même  déclaration.  Mais  les  héritiers  du  général 
Michel  n'ont  pas  interrogé  le  général  Harlé  ou  n'en  ont 
rien  obtenu  de  bon  pour  leur  cause  et  les  dires  du  baron 
"Martenot  qui  ne  précisent  aucune  des  circonstances  dans 
lesquelles  ces  mots  auraient  été  proférés,  sont  tellement 
vagues  et  indécis  qu'il  est  bien  difficile  d'y  ajouter  foi. 

Il  ne  resterait  qu'une  dernière  déclaration  :  celle  du 
général  Bertrand  qui  ne  lui  a  pas  donné  la  forme  d'une 
lettre,  mais  l'a  consignée  sur  une  pierre  détachée  du 
tombeau  de  l'empereur  à  Sainte-Hélène.  Le  général  y 
aurait  écrit  : 

«  A  la  comtesse  Michel,  veuve  du  général  Michel  tué  à 
Waterloo,    oii  il  répondit  aux  sommations  de  l'ennemi 


—  128  — 

par  ces  paroles  sublimes  :  «  La  garde  meurt  et  ne  se  rend 
pas!  » 

Nous  aurions  bien  voulu  voir  ce  dernier  document 
autrement  que  dans  la  requête  au  Conseil  d'Etat  et  en 
vérifier  l'authenticité  de  plus  près.  Au  surplus  nous  no 
pensons  pas  que  ces  pièces  sollicitées  par  les  intéressés  au 
moment  même  où  ils  voulaient  intenter  un  procès  à  la 
ville  de  Nantes,  auprès  de  vieux  soldats  dont  les  souvenirs 
avaient  pu  s'affaiblir  près  de  trente  ans  après  ces  événe- 
ments, puissent  être  mises  en  comparaison  avec  les 
témoignages  qui  militent  en  faveur  de  Cambronne. 

Le  premier  de  tous  qu'aucun  historiographe  du  général 
n'a  mis  en  vedette,  et  qui,  s'il  ne  constitue  pas  un  rapport 
officiel  de  la  bataille,  date  du  mois  de  juin  1815,  c'est-à- 
dire  des  jours  qui  l'ont  suivie,  c'est  le  compte-rendu  de  la 
séance  de  la  chambre  des  représentants  du  28  juin,  tenue 
sous  la  présidence  du  comte  Lanjuinais.  Malgré  l'effon- 
drement du  gouvernement  impérial  et  l'imminence  du 
retour  des  Bourbons,  la  Chambre  avait  cru  devoir,  en  face 
de  l'invasion  étrangère,  saluer  respectueusement  les  morts 
glorieux  de  Waterloo.  Cette  séance  mérite  d'être  lue 
tout  entière,  comme  une  consolation  de  la  conduite  de 
ceux  qui  se  prosternèrent  lâchement  aux  pieds  des  vain- 
queurs. Voici  la  partie  qui  intéresse  notre  récit  : 

Chambre  des  Représentants 

Présidence   de  M.   le  comte   Lanjuinais 
Séance  du  28  juin 

M.  Dumolard.  —  Je  demande  qu'il  soit  déclaré  que  les  bravés 
qui  ont  péri  à  Fleurus  et  à  Mont-Saint-Jean  ont  bien  mérité  de 
la  patrie.  Je  demande  que  le  gouvernement  soit  chargé  de  vous 


—  129  — 

faire  connaître  l'état  des  familles  de  ces  braves  et  quels  témoi- 
gnages de  la  reconnaissance  publique  la  patrie  peut  encore  leur 
prodiguer. 

M.  Garât.  —  J'appuie  la  motion  de  notre  collègue  Dumolard. 
L'armée  a  acquis  de  nouveaux  titres  de  gloire  dans  ces  champs 
de  bataille  où  sont  tombés  tant  de  milliers  de  braves.  Ces  traits 
doivent  être  recueillis,  et  peut-être  devraient-ils  seuls  composer 
toute  l'adresse  à  l'armée  que  propose  M.  Jay.  L'exemple  est  le 
plus  bel  encouragement  qu'on  puisse  donner  au  soldat.  Je  voudrais 
qu'on  n'en  perdît  aucun^  que  l'on  consacrât  ce  mot  d'un  soldat 
qui  dit  :  L'on  meurt ^  et  l'on  ne  se  rend  pas.  Je  demande  que  les 
généraux  et  les  autres  membres  militaires  de  cette  assemblée  se 
réunissent  pour  les  citer. 

M.  Pénières  —  Le  nom  de  l'officier  qui  a  prononcé  ces  paroles 
ne  doit  point  être  ignoré;  c'est  le  brave  Cambronne.  On  lui  dit 
de  se  rendre.  La  garde,  répond-il,  menrt  et  ne  se  rend  pas. 

On  demande  de  toutes  parts  le  renvoi  à  une  commission. 

Le  renvoi  est  adopté. 

La  commission  est  composée  des  généraux  Raimond,  Mouton- 
Duvernet,  et  MM.  Jay,  Garât  et  Dupont  (de  l'Eure). 

Voilà  vraisemblement  la  pièce  officielle  à  laquelle  les 
journaux  empruntèrent  la  phrase  et  le  nom  de  Cambronne. 
Le  dictionnaire  Larousse  qui  cite  une  demi-douzaine  de 
feuilles  plus  ou  moins  connues  comme  ayant  mentionné 
ou  reproduit  ces  belles  paroles,  a  négligé  de  consulter  le 
Moniteur  Universel.  (1) 

Qui  donc  protesta  à  cette  époque  contre  l'attribution 
qui  venait  d'être  faite  à  Cambronne  par  le  représentant 
Pénières,  député  de  la  Corrèze?  Personne,  absolument 
personne,  parmi  les  survivants  de  Waterloo,  parmi  ces 
brigands  de  la  Loire  que  la  Restauration  allait  casser 

(1)  Moniteur  Universel  du  jeudi  29  juin  1813,  page  747. 

9 


—  430  — 

aux  gages  et  traiter  en  ennemis  de  la  France  pour  laquelle, 
ils  avaient  avec  tant  de  désintéressement  prodigué  leur 
sang. 

Au  moment  où  Napoléon  montait  sur  le  Bellérophon 
et  quittait  la  France  pour  s'asseoir  au  singulier  foyer  que 
lui  préparait  l'hospitalité  britannique,  c'est-à-dire  dès 
1815  le  pamphlétaire  royaliste  Martainville  publiait  chez 
Dentu  un  violent  libelle:  Buonaparte  ou  l'abus  de  l'abdi- 
cation, pièce  historico-romantico-héroïco-boufîpnne  en 
cinq  actes,  où  les  sarcasmes  n'étaient  épargnés  ni  à 
l'empereur,  ni  aux  généraux  qui  lui  étaient  restés  fidèles. 

Au  second  acte,  qui  se  passe  à  Lyon,  place  Bellecour, 
sont  en  scène  Cambrone  (sic),  Bertrand,  Urouot,  Lemar- 
chand,  Lefevre-Desnouettes,  Brayer,  Buonapayte. 

Ce  dernier  passe  la  garde  nationale  en  revue  et  le 
silence  n'est  interrompu  (nous  copions  textuellement)  que 
par  un  pet  de  cheval. 

Cambrone  (furieux).  —  Quelle  insolence!  Quoi!  au  nez  de 
Sa  Majesté  !  ■ 

Un  citoyen  (avec  sang-froid).  —  C'est  un  cheval. 

Un  officier.  —  Où  est-il  ?  Il  faut  un  exemple... 

Buonaparte.  —  Calmez-vous,  je  n'ai  rien  entendu...  Trop 
d'innocents  seraient  frappés  pour  un  coupable... 

La  garde  nationale  à  cheval.  —  Vive  la  violette  ! 

Cambronne  ne  joue  plus  qu'un  rôle  muet  ou  insignifiant 
dans  le  reste  de  l'acte,  mais  nous  le  retrouvons  à  l'acte 
troisième,  scène  VI,  dans  le  cabinet  de  l'empereur  et  à 
l'acte  quatrième,  scène  XI,  à  Waterloo.  A'oici  les  quelques 
lignes  qui  nous  intéressent  : 

ACTE  III,  SCÈNE  VI.  —  Le  Cabinet  de  l'Empereur 
Lefevre-Desnoettes.  —  Nous  nous  battrons  comme  des  déter- 
minés. 


—  131  — 

Cambrone.  —  L'ennemi  n'aura  pas  un  seul  de  nous  vivant. 
Nous  vaincrons  ou  nous  mourrons...  comme  vous^  sire. 

Buonaparte.  —  Mon  cher  Cambrone,  ces  choses-là  se  promettent 
sans  condition. 

ACTE  IV,  SCÈNE  XL  —  Waterloo 

Un  aide  de  camp.  —  La  garde  est  taillée  en  pièces. 

Buonaparte.  —  Diable! 

L'aide-de-camp.  —  Elle  s'est  précipitée  avec  trop  d'aveuglement 
et  s'est  fait  envelopper.  Rendez- vous,  braves  gens,  rendez-vous, 
leur  criait-on  do  tous  côtés.  «  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas  », 
répond  fièrement  le'  général  Cambrone  ;  et  la  garde  n'existe  plus. 

Buonaparte.  —  Comme  cela,  Cambrone  est  mort. 

L'aide-de-camp.  —  Non,  sire,  il  s'est  rendu. 

Buonaparte.  —  Comment,  après  avoir  dit  que  la  garde  mourait 
et  ne  se  rendait  pas. 

L'aide-de-camp.  —  Sire,  il  était  blessé! 

Buonaparte.  —  Belle  excuse!... 

Ainsi,  dans  ce  pamphlet  hostile  à  Gambronne,  puisque 
l'auteur  lui  fait  un  reproche  de  n'être  pas  mort  et  de 
s'être  rendu,  comme  si,  couvert  de  blessure»,  ramassé 
sur  un  monceau  de  cadavres,  Gambronne  n'avait  pas 
vaillamment  tenu  sa  parole,  la  belle  phrase  dont  nous 
recherchons  la  paternité,  lui  est  formellement  attribuée 
et  pourtant  Martainville,  au  point  de  vue  de  sa  polémique 
avait  plutôt  à  lui  à  en  contester  le  mérite.  Et  c'était  en 
1815,  c'est-à-dire  au  lendemain  même  de  Waterloo,  alors 
que  les  témoins  ne  manquaient  pas  pour  protester  s'il  y 
avait  lieu  I 

Un  autre  ouvrage  de  la  même  époque.  Précis  des 
Journées  des  i5,  i6,  ly  et  i8  Juin  1815  ou  Jin  de  da  vie 
politique  de  Napoléon  Bonaparte,  par  Giraud  (Paris, 
Alexis  Eymery,  libraire,  1815)  constate  aussi  que  cette 


—  132  — 

belle  réponse  est  généralement  attribuée  à  Cambronne. 
Il  ajoute  que  pour  être  vrai  en  tout,  il  faut  remarquer 
que  quelques  personnes  la  révoquent  en  doute.  C'est  là 
encore  un  livre  hostile  au  régime  déchu  ! 

Dans  la  préface  d'une  brochure  que  nous  avons  déjà 
citée  (1)  et  qui  parut  —  notons  bien  cette  date  —  en  1816 
au  lendemain  du  procès,  l'auteur  anonyme  écrit  : 

«  Aurait-elle  craint  de  se  lever  dans  le  sanctuaire,  cette 
»  tête  couverte  de  cicatrices  et  de  lauriers  ?  et  cette  voix 
»  pouvait-elle  trembler,  en  demandant  une  réparation  de 
»  l'honneur,  qui,  du  milieu  de  nos  rangs,  criait  aux 
»  Anglais,  dans  la  journée  de  Waterloo  :  «  La  garde 
»  meurt  et  ne  se  rend  pas  ?  » 

Deux  ans  après,  vers  la  fin  de  1818,  à  propos  d'un  vers 
de  Bélisaire  de  M.  de  Jouy,  quelques  gazettes  se  dispu- 
taient sur  l'authencité  de  la  phrase  attribuée  au  général 
Cambronne  ;  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas.  Le  Journal 
des  Débats,  alors  tout  acquis  à  la  dynastie  des  Bourbons 
ne  l'oublions  pas,  contesta  non  seulement  le  mérite  du 
général,  mais  même  l'authenticité  de  la  phrase  (2); 

Persuadé,  disait  l'auteur  du  feuilleton  qui  no  signait  que  d'un 
V  majuscule,  qu'on  peut  disputer  l'honneur  d'une  phrase  ron- 
flante au  générai  Cambrone  (sic)  sans  rien  ôter  à  sa  réputation 
militaire,  nous  nous  faisons  un  devoir  de  déclarer  que  tout  Paris 
a  pu  savoir  de  la  bouche  du  général  Cambrone  lui-môme  qu'il 
avait  appris  cette  exclamation  monumentale  par  la  gazette,  et 
qu'il  ne  se  souvenait  nullement  d'avoir  rien  dit  qui  en  approchât. 
Il  est  donc  juste  d'en  restituer  la  gloire  à  qui  elle  appartient, 
c'est-à-dire  à  un  rédacteur  du  Journal  Général  qui  l'a  proférée, 
trois  jours  après  l'affaire,  à  la  tête  d'une  des  colonnes...  de  ce 
journal,  auquel  le  sobriquet  de  Journal  Militaire  en  est  resté. 

(1)  Procès  du  général  Cambronne  (voir  la  note  de  la  page  23). 

(2)  Journal  des  DébaU  du  16  Décembre  1818. 


—  133  — 

Tout  Paris  ne  fut  pas  de  l'avis  du  Journal  des  Débats 
et  l'exemplaire  suivant  de  la  Minerve,  une  revue  libérale 
que  Benjamin  Constant  et  ses  amis  publiaient  alors,  non 
sans  mille  difficultés  avec  la  censure,  contenait  une  réplique 
chaleureuse,  quelque  peu  emphatique  du  général  Berton 
qui  revendiquait  pour  Cambronne  l'honneur  de  l'héroïque 
réponse.  Berton,  le  futur  conspirateur  de  Saumur,  avait 
été  nommé  général  de  brigade  en  1813  à  peu  près  en  même 
temps  que  Cambronne.  A  Waterloo,  c'est  lui  qui  comman- 
dait les  dragons  d'Excelmans  et  depuis  il  a  écrit  l'histoire 
de  la  terrible  bataille  (1).  Il  avait  retrouvé  son  compagnon 
d'armes  en  prison,  à  l'Abbaye,  vers  la  fin  de  1815. 
Cambronne  y  attendait  son  jugement,  Berton  qui  y 
demeura  une  année  tout  entière  sans  que  le  gouvernement 
lui  eût  jamais  donné  le  motif  de  son  incarcération  et  qui 
en  sortit  sans  le  connaître,  attendait  tranquillement  sa 
mise  en  liberté.  Ainsi  rapprochés  par  la  même  infortune, 
les  deux  généraux  durent  échanger  plus  d'une  confidence, 
durent  parler  plus  d'une  fois  de  la  journée  qui  vit  la  chute 
de  l'Empereur,  et  c'est  ce  qui  donne  à  la  lettre  de  Berton 
que  Cambronne  ne  démentit  pas,  qu'il  avait  peut-être 
inspirée,  une  importance  incontestable  (2).  La  voici  dans 
son  entier  : 

AUX  AUTEURS  DE  LA  MINERVE. 

Paris,  18  Décembre  1818. 
Messieurs, 

Je  vous  prie  de  vouloir  bien  me  permettre  d'adresser,  par 
l'intermédiaire  de  la  Minerve,  des  remerciements  au  rédacteur  du 

(1)  Précis  historique,  militaire  et  critique  des  batailles  de  Fleurus 
et  de  Waterloo,  dans  la  campagne  de  Flandres  en  juin  1815.  (Paris, 
Delaunay,  1818,  1  vol.  in-8o  br.  avec  une  carte  coloriée.) 

(2)  La  Minerve. 


—  434  — 

Journal  du  Commerce  et  à  celui  du  Journal  général  de  France, 
pour  la  défense  du  général  Cambronne,  mon  ami,  qu'ils  ont  bien 
voulu  prendre  {15  et  17  décembre)  contre  des  rédacteurs  de 
feuilles  ennemies  de  la  gloire  française. 

Quels  sont  donc  les  infâmes  qui  cherchent  sans  cesse  à  ravaler 
cette  gloire  nationale  commune  à  tous  les  amis  de  la  patrie^  de 
quelque  opinion  qu'ils  puissent  être  ? 

Dans  un  pamphlet  apocryphe,  à  propos  d'un  vers  de  Béltsatre, 
trouvé  mauvais  parce  qu'il  rappelle  ces  nobles  paroles  de  Cam- 
bronne :  La  garde  meurt  elle  ne  se  rend  pas,  l'écrivain  anonyme 
dit  :  Il  n'est  pas  mort,  il  s'est  rendu  ;  et,  comme  de  raison,  ses 
deux  satellites  quotidiens,  dans  leurs  feuilles  du  14  et  du  16 
décembre,  ont  fait  écho. 

Si  de  pareils  hommes  avaient  osé  regarder  en  face  l'illustre 
guerrier  qu'ils  outragent,  ils  auraient  vu  sur  son  front  cette  noble 
cicatrice  d'un  plomb  ennemi  qui  le  fit  tomber  sans  connaissance 
à  la  tête  des  grenadiers  qu'il  commandait  ;  ceux-ci,  le  croyant 
mort,  se  firent  un  devoir  d'enlever  son  épée  pour  la  soustraire 
aux  vainqueurs.  Le  carré  que  commandait  Cambronne  s'était 
douloureusement  éloigné  de  son  chef  ;  le  courage  de  cet  intré- 
pide guerrier  ranima  ses  forces  que  la  douleur  et  une  perte 
abondante  de  sang  n'avaient  que  momentanément  abattues  ;  il 
essayait  de  se  relever,  en  tournant  ses  regards  vers  les  siens, 
lorsqu'un  officier  anglais  aecourut  sur  lui,  l'épée  à  la  main,  en 
lui  criant  :  Vous  êtes  prisonnier,  général,  comment  vous  appelez- 
vous?  Il  prononça  son  nom  et  il  fut  accueilli  avec  respect  parmi 
les  ennemis  de  la  France. 

Cambronne,  détenu  en  Angleterre,  apprend  qu'il  est  porté  sur 
la  première  liste  de  l'ordonnance  du  24  juillet,  et  que  son  respec- 
table chef,  le  général  Drouot,  est  venu  se  constituer  prisonnier; 
il  obtient  la  permission  de  suivre  un  si  bel  exemple  et  en  homme 
sans  peur  et  sans  reproche,  il  accourt  à  Paris.  Vils  détracteurs, 
dont  les  efforts  impuissants  tendent  à  déprécier  ce  modèle  de 
l'honneur,  seriez-vous  capables  d'un  tel  dévouement?  Il  est  venu 


—  135  — 

affronter  votre  rage,  que  la  justice  qu'on  lui  a  rendue,  n'a  fait 
qu'augmenter. 

Pour  la  première  et  dernière  fois,  messieurs,  soufl'rez  que  les 
noms  du  Publiciste,  de  la  Quotidienne  et  du  Journal  des  Débats 
soient  prononcés  dans  la  Minerve,  car  il  faut,  plus  que  jamais, 
vouer  au  mépris  et  à  la  honte  ces  écrivains  indignes  du  nom 
français. 

Le  carré  que  commandait  Cambronne  était  pressé  et  attaqué  de 
toutes  parts  ;  on  lui  criait  :  Rendez-oous,  braves  grenadiers  !  La 
réponse  de  leur  digne  chef  :  La  garde  meurt,  elle  ne  se  rend  pas  ! 
fut  prononcée  et  eut  son  effet.  Beaucoup  moururent  et  aucun  ne 
se  rendit  volontairement.  Le  Journal  des  Débats  (16  décembre) 
prétend,  dans  son  feuilleton  «  que  tout  Paris  a  pu  savoir  de  la 
»  bouche  du  général  Cambronne  lui-môme,  qu'il  avait  appris 
»  cette  exclamation  monumentale  par  la  gazette  et  qu'il  ne  se 
»  souvenait  nullement  d'avoir  rien  dit  qui  en  approchât.  » 

J'ai  partagé  pendant  près  de  cinq  mois  la  prison  de  Cambronne 
et  je  puis  afiirmer  que  ce  rédacteur  antifrançais  ajoute  l'impos- 
ture à  l'infamie  :  elle  appartient  à  Cambronne,  cette  exclama- 
tion !  elle  appartient  à  la  France  ! 

Personne,  comme  le  dit  le  Journal  général  de  France,  a-t-il 
contesté  au  brave  capitaine  d'Assas,  ce  mot  que  lui  rendit  Vol- 
taire :  Auvergne,  à  moi,  ce  sont  les  ennemis  f  Dans  des  temps  de 
trouble  et  de  terreur,  les  plus  forcenés  révolutionnaires  ont-ils 
nié  ces  belles  paroles  attribuées  au  confesseur  d'une  illustre 
victime  :  Fils  de  saint  Louis,  montez  au  ciel  ! 

Tous  les  hommes  d'honneur,  tous  les  Français  attesteront 
également  l'héroïque  exclamation  de  Cambronne  que  ses  compa- 
gnons d'armes  et  les  ennemis  ont  entendue. 

Recevez,  etc. 

Le  général  BERTON. 

Ainsi,  dès  la  première  heure,  en  dépit  de  contestations 
que  la  haine  politique  inspirait,  Cambronne  trouvait, 
parmi  les  publicistes  hostiles  au  nouveau  régime,  parmi 


—  136  - 

ses  compagnons  d'armes,  les  plus  énergiques  et  les  plus 
désintéressés  défenseurs.  Le  Journal  Général,  qui  aurait 
inventé  et  lancé  la  fameuse  phrase  dans  la  circulation, 
donnait  un  démenti  aux  Débats,  le  Journal  du  Commerce 
en  faisait  autant  et  le  général  Berton  apportait  son  témoi- 
gnage bien  net  et  bien  précis  à  l'appui.  Il  en  est  un  autre, 
non  moins  intéressant,  celui  du  maréchal  Soult,  qui, 
attaqué  en  1843  ou  18-44,  comme  ministre  de  la  guerre 
sous  Louis-Philippe,  sur  sa  conduite  politique  lors  des 
Cent-Jours,  s'élança  à  la  tribune  et  s'écria  :  «  J'étais  à 
»  côté  deCambronne,  à  Waterloo,  lorsqu'il  prononça  ces 
»  mémorables  paroles  :  La  garde  meurt  et  ne  se  rend 
»  pas.  » 

Que  subsiste-t-il,  dès  lors,  des  certificats  obtenus  par  les 
fils  du  général  Michel  ?  L'un  d'eux,  capitaine  au  45*  de 
ligne,  à  Bar-le-Duc,  avait  essayé,  par  une  lettre  du 
26  février  1843,  d'obtenir  une  attestation  d'un  des  intimes 
amis  de  Gambronne,  M.  Dalidet,  de  Bordeaux.  Voici  quelle 
fut  la  réponse  de  M.  Dalidet,  communiquée  depuis  par  lui 
à  M""^  Gambronne  et  par  elle  à  la  commission  de  sa  statue, 
et  qui  figure  encore  —  pièce  jusqu'à  présent  inédite  —  au 
dossier  du  général  dans    les  Archives    municipales   de 

Aantes  : 

Bordeaux,  7  mars  1845. 

Monsieur, 

J'ai  été  honoré  de  la  réception  de  votre  lettre  du  24  février,  à 
laquelle  je  viens  répondre. 

Je  désirerais  pouvoir  jeter  quelque  lumière  sur  les  derniers 
actes  de  courage  qui  signalèrent,  à  la  bataille  de  Waterloo,  la 
fin  glorieuse  du  général  Michel,  votre  père,  je  m'y  prêterais 
avec  empressement,  parce  que,  à  mon  avis,  toutes  les  gloires 
doivent  trouver  appui  chez  les  hommes  qui  aiment  par  dessus 
tout  leur  patrie  et  les  grandes  actions.  Mais  le  fait  que  vous  tenez 


—  137  — 

à  constater  ne  saurait  être  le  môme  que  celui  dont  le  général 
Cambronne  est  l'objet;  ils  ont  eu  lieu  sur  deux  points  différents 
et  à  quelques  heures  de  distance. 

Si  des  récits  que  je  tiens  de  personnes  dignes  de  foi  et  qui 
vous  portent  un  intérêt  réel  sont  exacts,  le  général  Michel  était 
déjà  tombé,  lorsque  Cambronne,  revenant  du  plateau  d'où  il 
avait  envisagé  l'imminence  du  danger  qui  menaçait  l'Empereur 
et  sa  réserve,  dit  au  général  Poret  de  Morvan  ces  paroles  mémo- 
rables : 

«  Pourquoi  n'es-tu  pas  venu  sur  mes  pas  avec  notre  colonne, 
ainsi  que  je  te  l'avais  prescrit,  d'après  les  ordres  de  l'aide  de- 
camp  de  l'Empereur? — C'est  que  l'Empereur  m'en  a  fait  la 
défense,  répondit  Poret.  —  Mais  il  n'a  pas  vu  l'état  des  choses 
là-haut,  dit  Cambronne,  mourons  plutôt  que  de  nous  rendre,  car 
avant  peu,  si  nous  restons  inactifs,  on  nous  prendra  tous  comme 
des  moutons,  lui  le  premier.  » 

De  cette  héroïque  détermination,  comme  chacun  sait,  il  résulta 
que  Cambronne  tomba  blessé  et  que  Poret  de  Morvan  rallia  avec 
son  courage  habituel  les  débris  des  deux  régiments  de  la  garde, 
foudroyés  par  l'artillerie  anglaise  et  couvrit  la  retraite. 

Mais,  dira-t-on,  qui  a  pu  donner  aux  expressions  de  Cambronne 
tant  de  retentissement,  alors  qu'il  était  renversé,  privé  de  ses 
sens^  et  que,  d'ailleurs,  par  la  nature  de  son  caractère,  il  visait 
peu  à  la  célébrité  par  ses  paroles? 

La  voix  qui  a  voulu  que  ce  grand  acte  de  courage  passât  à  la 
postérité  et  que,  par  cela,  il  fut  bien  entendu  que  dans  les  armées 
françaises  on  mourait  plutôt  que  de  lâcher  pied  ou  de  se  rendre, 
est  la  voix  de  l'empereur. 

Que  chacun  s'incline  religieusement  devant  la  magie  de  ces 
paroles  :  elles  furent  cent  fois  le  synonime  de  la  victoire  ! 

Napoléon  vient  d'être  instruit  que  Cambronne  est  tombé  : 
«  Ah  !  s'écrie-t-il  avec  émotion,  le  brave  !  Il  avait  bien  dit  que  la 
garde  mourait  et  ne  se  rendait  pas.  » 

Voilà  des  faits  confirmés  devant  moi  par  le  général  Poret  de 


—  138  — 

Morvan  et  plus  tard  par  le  général  Dumoustier.  Quels  commen- 
taires élever  après  de  pareils  témoignages  ? 

Je  crois  avoir  eu  l'honneur  de  vous  dire  qu'un  compatriote  du 
général  Cambronne  me  pressa  vivement  pour  que  j'adressasse  à 
la  Commission  de  Nantes,  les  diverses  particularités  que  je  savais 
sur  cet  épisode. 

Je  fus  retenu  par  un  sentiment  de  convenance  pour  sa  veuve, 
il  me  semblait  que  je  ne  devais  engager  aucune  polémique  sur  le 
général  Cambronne  sans  l'autorisation  de  cette  dame,  et  par  cette 
considération,  je  lui  adressai  directement  mes  notes  pour  qu'elle 
les  communiquât,  si  elle  le  croyait  nécessaire  ;  j'ignore  quelle  a 
été  sa  détermination  sur  ce  point. 

Si  vous  croyez  utile  de  les  avoir,  pour  aider  à  constater  que  ce 
qu'a  dit  le  général  Cambronne  n'est  point  ce  que  proclama  le 
général  Michel,  veuillez  l'inviter  à  vous  les  adresser  ou  qu'elle 
m'autorise  à  vous  en  livrer  une  copie  ;  et  tout  aussitôt,  vous  me 
trouverez  disposé  à  faire  ce  qui  vous  sera  agréable  et  à  madame 
la  vicomtesse  Cambronne. 

Je  vous  prie  d'agréer,  Monsieur,  le  témoignage  de  la  consi- 
dération distinguée  que  vous  porte  votre  dévoué  serviteur. 

DALIDET. 

M.  Dalidet  avait  en  effet,  dès  le  28  août  1844,  adressé 
à  madame  Cambronne  une  longue  lettre  où  il  développait 
presque  dans  les  mêmes  termes,  son  opinion  sur  la  con- 
troverse qui  passionnait  alors  le  monde  militaire.  C'est  de 
la  bouche  même  de  Cambronne  qu'il  avait  recueilli  ces 
confidences,  c'est  de  sa  main  qu'il  avait  reçu,  comme  gage 
de  son  amitié,  le  ruban  de  la  Légion  d'honneur  qui  décorait 
sa  poitrine  à  Waterloo,  c'est  sous  ses  yeux,  avec  son 
approbation,  que  fut  rédigée  la  légende  suivante  destinée 
à  donner  à  ce  souvenir  un  caractère  d'indiscutable  authen- 
cité. 


—  139  — 

Insigne  de  valeur  et  de  gloire,  confié  à  l'Amitié 
Le  général  Cambronne  à  son  ami  Dalidet,  en  1849 

Honneur, 

Patrie 
Il  était  sur  son  sein  aux  champs  de  Waterloo,  1815 
La  garde  mourut  et  ne  se  rendit  pas. 

Cette  légende  ne  dit  pas  que  ce  fut  Cambronne  qui 
prononça  cette  phrase  au  présent,  mais  Cambronne,  en 
1819,  savait  qu'elle  lui  était  attribuée  et  dans  son  extrême 
modestie,  il  n'eût  pas  souffert,  par  son  silence,  qu'elle  fût 
inscrite  au-dessous  de  son  nom,  s'il  n'avait  pas  considéré 
qu'elle  lui  appartenait  en  légitime  propriété  pour  l'avoir 
bien  et  dûment  prononcée  sur  le  champ  de  bataille  de 
Waterloo. 

A  partir  de  la  mort  de  Cambronne  et  de  l'inauguration 
de  sa  statue,  le  débat  sommeillait  quand,  quelques  jours 
après  l'apparition  des  Misérables  de  Victor  Hugo,  un 
rédacteur  des  Débats,  M.  Cuvillier-Fleury,  choqué  de  la 
crudité  de  l'expression  mise  par  le  romancier  dans  la 
bouche  du  général,  demanda  une  enquête. 

C'est  dans  le  numéro  des  Débats  du  22  juin  1862  que 
M.  Cuvillier-Fleury  publia  le  premier  et  le  plus  important 
des  quatre  articles  qu'il  consacra  au  mot  de  Cambronne 
et  qui,  en  réalité,  visaient  bien  plutôt  les  procédés  litté- 
raires de  Victor  Hugo  qu'ils  ne  cherchaient  la  vérité 
historique  sur  ce  point  de  détail  de  la  bataille  de  Wa- 
terloo (1). 

Ce  fut  pour  la  presse  une  occasion  de  reprendre  la 
discussion  éteinte  d'autrefois.  Toutefois  quelques  éléments 


(1)  Les  articles  de  M.  Cuvillier-Fleury  ont  été  depuis  reproduits 
dans  l'appendice  de  son  livre  Etudes  et  Portraits  (Michel  Lévy,  1865, 
Paris). 


—  140  — 

nouveaux  vinrent  s'y  joindre.  Un  journal  de  Lille ^ 
l'Esprit  public,  avait  déniché  dans  une  petite  commune 
du  département  du  Nord  un  vieux  de  la  vieille  (1),  Antoine 
Deleau,  qui  s'était  battu  à  Waterloo  et  qui,  naturellement, 
avait  fait  partie  du  bataillon  de  Gambronne  et  du  dernier 
carré.  Le  préfet  du  Nord  le  fit  venir  à  la  préfecture  et, 
à  quelques  jours  de  là,  l'archiviste  du  département,  rece- 
vait la  lettre  et  le  procès-verbal  suivants  : 

Lille,  le  12  juillet  1862. 
Monsieur  l'Archiviste, 
Un  article  de  journal  ayant  révélé  récemment  qu'un  ancien 
grenadier  de  la  Garde  Impériale,  habitant  le  département  du 
Nord,  avait  conservé  le  souvenir  exact  des  paroles  prononcées, 
à  la  bataille  de  Waterloo^  par  le  général  Gambronne,  sur  l'invi- 
tation de  M.  le  ministre  de  l'Intérieur,  j'ai  mandé  à  Lille  ce  vieux 
soldat,  le  sieur  Deleau  et  ses  récits  m' ayant  paru  être  empreints 
d'un  caractère  frappant  de  vérité,  j'ai  dressé,  en  présence  da 
M.  le  Maréchal  commandant  le  2e  corps  d'armée^  du  général  de 
division,  M.  Maissiat  et  de  M.  le  colonel  d'état-major  Borel,  un 
procès-verbal  des  déclarations  du  sieur  Deleau,  lesquelles  éta- 
blissent que  le  général  Gambronne  a  réellement  prononcé  les 
paroles  mémorables  :  «  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas.  » 

(1)  A  propos  de  vieux  de  la  vieille,  nous  avons  découvert  au  Havre 
chez  un  marchand  de  vieux  livres  et  d'estampes,  M.  Junca,  pendant 
que  nous  rédigions  ces  pages,  un  livre  d'une  respectable  épaisseur, 
intitulé  :  De  Waterloo  à  Sainte-Hélène,  poème  épique,  par  A.  Charles. 
Baudoin,  médaillé  de  Sainte  Hélène  et  imprimé  à  Paris  chez  Dentu  à. 
la  date  de  1861. 

C'est  une  épopée  d'une  lecture  indigeste  accompagnée  de  notes. 
A  la  page  139,  nous  avons  remarqué  ce  vers  qui  nous  fixe  sur  l'opi- 
nion de  l'auteur  : 

«  On  meurt,  répond  Cambronne,  et  l'on  ne  se  rend  pas.  » 

La  notice  en  prose,  relative  à  Cambronne,  qui  figure  aux  annexes 
de  ce  poème,  est  d'ailleurs  assez  inexacte.  Mais  sur  la  question  de  la 
phrase  célèbre,  le  médaillé  de  Sainte  Hélène  Baudouin  est  de  l'avis. 
du  grenadier  Deleau. 


—  141  — 

Ce  document,  signé  par  le  vieux  soldat  et  les  témoins  de  sa 
narration,  me  parait  d'une  importance  historique  trop  élevée 
pour  que  l'une  des  trois  expéditions  qui  en  ont  été  faites  ne  soit 
pas  déposée  aux  archives  du  département  et,  c'est  dans  ce  but, 
que  j'ai  l'honneur  de  vous  adresser  ci-joint  cette  pièce,  dont  je 
vous  prie  de  m'accuscr  réception. 

Agréez,  Monsieur  l'Archiviste,  etc. 

Le  Préfet  du  No7'd, 
WALLON. 
Nous  Préfet  du  Nord  etc., 

Une  publication  récente  du  journal  hebdomadaire  l'Esprit 
public,  insérée  dans  plusieurs  journaux,  relatant  que  le  sieur 
Deleau  (Antoine-Joseph),  de  la  commune  de  Vicq,  canton  de 
Condé,  arrondissement  de  Valenciennes,  département  du  Nord, 
ancien  soldat  de  la  Garde  Impériale,  avait  conservé  notion 
certa-ino  du  fait  mémorable  auquel  il  a  pris  part  à  la  bataille  de 
Waterloo  et  des  paroles  attribuées  à  Cambronnc  et  son  Exe. 
M.  le  Ministre  do  l'Intérieur  nous  ayant  chargé,  par  lettre  du 
27  juin  courant,  d'approfondir  la  question,  nous  avons  fait  appeler 
ledit  sieur  Deleau;  né  à  Vicq  le  2  avril  1792  et  aujourd'hui  encore 
adjoint  au  maire  de  ladite  commune  de  Vicq. 

Ses  souvenirs  militaires  ont  paru  être,  en  effet,  de  la  plus 
grande  précision  et  empreints  d'autant  de  calme  que  de  bonne  foi. 

Nous  avons  prié  le  sieur  Deleau  de  venir  avec  nous  dans  le 
cabinet  de  S.  Exe.  M.  le  Maréchal  de  Mac  Mahon,  duc  de 
Magenta,  à  son  quartier  général,  à  Lille,  où  étaient  M.  le  général 
■de  division  Maissiat.  commandant  la  3e  division  militaire  et  M.  le 
colonel  d'Etat-Major  Borel,  i«r  aide  de  camp  de  S.  Exe.  le 
Maréchal. 

Le  sieur  Deleau  s'est  exprimé  en  ces  termes: 

«  J'étais  à  Waterloo  dans  le  carré  de  la  Garde^  au  premier 
«  rang,  en  raison  de  ma  grande  taille;  j'appartenais  à  la  jeune 
«  garde,  n'ayant  encore  que  28  ans,  mais  on  sait,  que  la  jeune 
«  garde  avait  été  appelée  à  combler  alors  les  cadres  de  la  vieille. 
«  L'artillerie  anglaise  nous  foudroyait  et  nous  répondions  à 
«  chaque  décharge  par  une  fusillade  de  moins  en  moins  nourrie. 

«  Entre  deux  décharges,  le  général  anglais  nous  cria:  «  Grena- 
«  diers,  rendez-vous  ».  —  Le  général  Cambronne  répondit  (je 


—  142  — 

«  l'ai  parfaitement  entendu,  ainsi  que  tous  mes  camarades) 
«  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas  ».  —  Feu,  dit  immédiatement 
«  le  général  anglais. 

«  Nous  serrâmes  le  carré  et  nous  ripostâmes  avec  nos  fusils. — 
«  Grenadiers,  rendez-vous,  vous  serez  traités  comme  les 
«  premiers  soldats  du  monde  !  »  reprit  d'une  voix  affectée  le 
«  général  anglais.  —  «  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas  » 
«  répondit  encore  Cambronne,  et,  sur  toute  la  ligne  les  officiers 
«  et  soldats  répétèrent  avec  lui  :  La  Garde  meurt  et  ne  se  rend 
«  pas  !  —  Je  me  souviens  parfaitement  de  l'avoir  dit  comme  les 
«  autres. 

«  Nous  essuyâmes  une  nouvelle  décharge  et  nous  y  répon- 
«  dîmes  par  la  nôtre.  —  «  Rendez-vous^  grenadiers,  rcndez- 
«  vous  !  »  crièrent  en  masse  les  anglais  qui  nous  enveloppaient 
«  de  tous  côtés  ;  Cambronne  répondit  à  cette  dernière  sommation 
a  par  un  geste  de  colère  accompagné  de  paroles  que  je  n'entendis 
«  plus,  atteint  en  ce  moment  d'un  boulet  qui  m'enleva  mon 
«  bonnet  à  poil  et  me  renversa  sur  un  tas  de  cadavres. 

«  Je  déclare  donc  avoir  entendu  prononcer  par  le  général 
«  Cambronne,  à  deux  reprises  :  «  La  garde  meurt  et  ne  se  rend 
«  pas  !  »  et  ne  pas  lui  avoir  entendu  dire  autre  chose.  » 

Cette  précision  circonstanciée  de  souvenirs  au  sujet  d'un  fait 
historique   de  haute  importance  et  le  caractère  honorable  du 
témoin  nous  ont  déterminé,  en  conséquence,  à  rédiger  le  présent 
procès-verbal  que  ledit  sieur  Deleau  a  signé  avec  nous. 
A  Lille  le  trente  juin  mil  huit  cent  soixante  deux. 
DELEAU  Ant., 
Grenadier  de  la  Vieille  Garde, 
2e  régiment. 

Le  Maréchal  de  France, .  Commandant 
le  2^  corps  d'armée. 
Mal  DE  MAG-MAHON,  Duc  de  Magenta. 
Le  Préfet  du  Nord, 

WALLON.  Le  Général  de  Division,  commandant 

5e  division  militaire, 

A.  MAISSIAT. 
Le  Colonel  d' Etat-Major,  aide  de  camp, 
BOREL. 


—  143  — 

A  cette  attestation,  s'en  joignirent  d'autres  qui,  pour 

n'avoir  reçu  jusqu'ici  aucune  publicité,   ne  méritent  pas 

moins  d'être  signalées.  C'est  ainsi  que  M.  Victor  Roussin 

nous  a  communiqué  une  lettre  qu'il  reçut  à  l'époque  d'un 

sieur  Salles  qui,  dans  une  forme  naïve  et  malgré  quelques 

erreurs,  confirme  la  déclaration  de  Deleau  : 

Argentac,  le  14  juillet  1862. 
Monsieur, 

Moi  qui  ne  m'occupe  nullement  de  la  politique,  j'ai  vu  der- 
nièrement dans  l'Echo  de  Vezoue  un  article  concernant  le  général 
Cambronne  pour  des  paroles  prononcées  au  moment  de  la  plus 
forte  action  à  Waterloo,  lorsque  le  général  anglais  nous  som- 
mait de  nous  rendre.  Je  pouvais  bien  le  connaître  puisqu'il  com- 
mandait le  2"  régiment  de  chasseurs  de  la  vieille  garde  impériale. 
Avant  l'engagement  de  la  bataille,  il  était  en  face  de  la  3*  com- 
pagnie donlje  faisais  partie,  faisant  alors  fonctions  de  fourrier.  Il 
se  tourna  vers  nous,  il  nous  dit  :  —  «  Mes  amis,  dans  une  demi- 
heure  la  bataille  va  être  à  nous,  puisque  les  ennemis  commencent 
à  battre  en  retraite  sur  Bruxelles.  » 

Sa  confiance  fut  trompée  par  l'arrivée  du  corps  d'armée  du 
général  Wellington  qui  établit  une  batterie  sur  un  plateau  en 
avant  d'un  moulin  à  vent,  en  face  des  colonnes  de  la  garde,  sur  le 
flanc  en  arrière  de  nos  colonnes  d'attaque,  ce  qui  donna  l'épou- 
vante sur  toute  la  ligne  de  nos  colonnes  qui  avaient  déjà  enlevé 
plusieurs  positions  à  l'ennemi. 

De  suite,  le  généi-al  donna  l'ordre  de  renvoyer  des  tirailleurs 
de  bonne  volonté  afin  de  se  porter  à  la  rencontre  des  tirailleurs 
ennemis.  On  forme  de  suite  des  carrés  et  nous  fûmes  dirigés  sur 
le  village  de  Waterloo.  C'est  là  où  l'engagement  fut  le  plus 
sérieux.  C'est  à  ce  moment  jue  l'on  faisait  signe  avec  les  dra- 
peaux ennemis  de  nous  rendre,  même  par  des  cris  à  haute  voix 
de  quelques  généraux  anglais.  C'est  à  ce  moment  que  le  général 
répondit  :  —  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

Si  j'avais  connu  plutôt  ce  fait  historique  concernant  l'honneur 
de  la  famille  de  M  général  Cambronne,  je  me  serais  un  devoir 
de  vous  en  donne  détail  dont  j'avais  garde  un  pieux  sou- 
venir. 


—  144  — 

L'affaire  étant  jugée  par  la  déclaration  du  sieur  Antoine  Deleau 
je  m'abstiens  de  plus  longs  détails. 

Je  suis  avec  respect,  Monsieur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 

Salles, 

Ancien  chasseur  à  pied  de  la  vieille  garde  impériale 

Argentac  (Gorrèzc). 

Cette  fois  encore,  comme  vingt  ans  auparavant,  la 
famille  du  général  Michel  qui  n'avait  pas  donné  suite  au 
procès  projeté  en  1845,  protesta.  L'ancien  sous-préfct  de 
Bar-sur-Aube  était  devenu  préfet  de  la  Charente  et  d'An- 
goulême,  le  l'^  juillet  1863,  il  écrivait  au  rédacteur  en 
chef  de  VEsprit  public  pour  contester  les  dires  du  vieux 
grenadier  Deleau. 

«  Je  suis  trop  fier,  disait-il,  de  la  gloire  de  mon  père 
»  pour  laisser  passer  sans  y  répondre  une  pareille  affîr- 
»  mation  et  pour  ne  pas  hautement  revendiquer  pour  le 
»  général  comte  Michel  l'honneur  d'avoir  prononcé  ces 
»  sublimes  paroles  (et  non  d'autres)  sur  le  champ  de 
»  bataille  de  Waterloo.  » 

Suivaient  trois  déclarations,  les  deux  premières  du 
maire  de  Nantes  et  du  général  Bertrand,  que  nous  avons 
données  plus  haut  et  que  M.  le  comte  Michel  n'avait  fait 
que  reprendre  dans  le  dossier  de  1845,  la  troisième  de  la 
même  époque,  de  M,  Magnant,  lieutenant-colonel  en 
retraite  à  Vernon  (Eure)  et  qui  se  trouvait  insérée  dans 
une  lettre  adressée  au  général  Harlé  : 

«  Mon  général,  au  reçu  de  votre  lettre,  je  m'empresse 
»  de  vous  mettre  à  même  de  répondre  de  suite  à  M™*  la 
»  comtesse  Michel  ;  vous  pouvez  assurer  à  cette  dame 
»  qu'étant  en  garnison  à  Lille  (en  1821),  où  commandait 
»  alors  le  général  Cambronne,  je  le  complimentai  sur  les 
»  sublimes  paroles  qu'on  disait  qu'il  avait  prononcées  sur 


—  145  — 

»  le  champ  de  bataille  de  Waterloo  ;  il  affirma  ne  les  avoir 
»  jamais  prononcées,  ni  entendues;  que  sûrement  elles 
»  avaient  été  dites  par  un  autre  de  ses  camarades  ;  qu'il 
»  voudrait  le  connaître  pour  lui  faire  rendre  l'honneur 
»  qu'elles  devaient  lui  mériter.  » 

A  coup  sûr^  ce  n'est  pas  ce  témoignage-là  qui  devait 
faire  triompher  la  cause  du  général  Michel,  de  môme  que 
nous  n'oserions  rien  affirmer  en  faveur  de  Cambronne  s'il 
n'y  avait  à  son  actif  que  le  procès-verbal  du  30  juin  1862. 
Comme  le  dit  fort  justement  l'excellent  article  consacré  à 
cette  question  par  le  dictionnaire  Larousse,  tout  le  monde 
sait  à  quoi  s'en  tenir  sur  l'authenticité  des  prouesses  per- 
sonnelles narrées  par  nos  vieux  grognards  :  c'est  un  lau- 
rier qu'ils  ont  planté,  qu'ils  ont  vu  naître,  qu'ils  ont 
arrosé,  rafraîchi  —  Dieu  seul  sait  combien  de  fois  !  —  de 
leurs  mains  victorieuses  ;  il  a  poussé  dans  leur  mémoire 
de  si  profondes  racines  que  Polyphonie  lui-même  serait 
impuissant  à  l'en  arracher. 

Mais  ce  n'est  là  qu'une  attestation  tardive,  exagérée  peut- 
être,  qui  vient  s'ajouter  à  beaucoup  d'autres  déjà  plus  que 
suffisantes  pour  former  la  conviction.  L'auteur  de  l'article 
du  dictionnaire  Larousse  aurait  voulu  le  témoignage 
authentique  de  Cambronne  lui-même,  et  il  croyait  même 
l'avoir  trouvé,  ou  tout  au  moins  avoir  en  main  le  fil 
d'Ariane  qui  assurerait  cette  découverte  : 

»  Quelques  jours  après  la  révolution  de  1830,  la  ville 
»  de  Nantes  fôta,  dans  un  banquet,  le  retour  aux  idées 
»  libérales  et  elle  appela  à  la  présidence  de  c-ette  réunion 
»  patriotique  son  grand  citoyen  qui,  depuis  1822,  vivait 
»  dans  un  des  faubourgs,  au  milieu  de  la  plus  profonde 
»  retraite.  «  Là,  dit  M.  Levot  (Biographie  bretonne) 
»  aujourd'hui  archiviste  de  la  marine  à  Brest,  Cambronne 

10 


—  146  — 

»  désavoua  formellement  les  célèbres  paroles  qu'on  hii 
»  attribuait.  » 

«  Il  s'agit  maintenant  de  mettre  la  main  sur  un  journal 
»  de  Nantes,  année  1830,  où  figure  certainement,  le 
»  compte-rendu  du  banquet.  Il  est  plus  que  probable  que 
»  la  circonstance  en  question  y  est  relatée.  La  Bibliothèque 
»  impériale  ne  renferme  que  des  collections  incomplètes, 
»  et  ce  n'est  qu'à  Nantes  même  que  le  nœud  gordien  peut 
»  être  tranché.  » 

La  chose  n'est  pas  si  facile  que  le  pense  l'auteur  du 
Larousse.  Celui  qui  écrit  ces  lignes,  mis  en  éveil  par  la 
note.de  la  Biographie  bretonne,  de  Levot,  et  par  l'invi- 
tation de  fouiller  les  vieilles  gazettes  nantaises,  s'est  livré 
à  cette  recherche.  Hélas  1  les  collections  des  journaux 
locaux  n'est  guère  plus  complète  à  Nantes  qu'à  Paris. 
Pour  l'année  1830,  VAmi  de  la  Charte,  le  plus  important 
de  tous,  manque  ou  a  disparu  dans  un  des  trop  nombreux 
déménagements  qu'a  subis  la  bibliothèque  de  Nantes 
depuis  un  quart  de  siècle.  Le  Breton  existe,  il  relate 
effectivement  les  nombreux  banquets  libéraux  qui  suivirent 
la  chute  de  Charles  X,  mais  aucun  de  ces  banquets  n'a  été 
présidé  par  Cambronne,  sa  présence  n'est  môme  pas 
signalée,  aucun  toast,  aucun  discours  ne  lui  est  attribué. 
Nous  notons  des  toasts  pertes  par  un  de  ses  amis  intimes, 
M.  Wack,  sous-officier  de  la  compagnie  d'artillerie  de  la 
garde  nationale,  au  banquet  du  19  septembre  1830,  offert 
aux  gardes  nationaux  d'Angers  et  aux  officiers  de  la  gar- 
nison de  Nantes,  et  au  banquet  du  6  novembre  suivant, 
offert  par  la  garde  nationale  de  Nantes  à  celle  des  rives 
de  la  Loire  et  des  départements  voisins. 

Il  est  vraisemblable  que  c'est  à  l'un  de  ces  banquets  que 
Cambronne  assista,  si  le  renseignement  de  Levot  est  exact, 


—  447  — 

mais  nous  n'avons  pas  pu  découvrir  de  document  signé 
de  Cambronne,  désavouant  des  paroles  qu'il  ne  rejetait 
que  pour  se  débarrasser  de  compliments  fastidieux  et 
contraires  à  la  modestie  de  son  caractère. 

Notre  opinion  est  faite  de  la  façon  la  plus  catégorique. 
C'est  Cambronne  qui,  sur  le  champ  de  bataille  de 
Waterloo,  a  dit  :  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

Voilà  un  premier  point  élucidé,  nous  l'espérons  du 
moins,  mais  il  en  est  un  autre  : 

Cambronne  n'a-t-il  dit  que  cette  phrase  ?  ne  l'a-t-il  pas 
plutôt  synthétisée  dans  un  mot  énergique  et  malsonnant 

Que  Stendhal  estimait  comme  une  rime  h.  perde? 

ou  bien,  joignant  le  vulgaire  au  sublime,  n'a  t-il  pas 
accentué  par  une  injure  triviale  l'héroïsme  de  sa  déclara- 
tion que  la  garde  mourait,  mais  ne  se  rendait  pas  ? 

Comme  chacun  le  sait,  c'est  Victor  Hugo  qui,  dans  le 
récit  de  la  bataille  de  Waterloo,  des  Misérables,  merveil- 
leux hors-d'œuvre  ajouté  à  l'action  principale,  a  osé 
imprimer  en  toutes  lettres  —  il  n'y  en  a  d'ailleurs  que 
cinq  —  ce  que  le  populaire  a  depuis  appelé  «  le  mot  de 
Cambronne.  »  Voici  cette  page  qui  est  un  trop  magnifique 
hommage  rendu  au  vaillant  général  pour  que  nous  hési- 
tions à  le  reproduire  : 

Le  dernier  carré 

Quelques  carrés  de  la  Garde,  immobiles  dans  le  ruissellement 
de  la  déroute  comme  des  rochers  dans  de  l'eau  qui  coule,  tinrent 
jusqu'à  la  nuit.  La  nuit  venant,  et  la  mort  aussi,  ils  attendirent 
cette  ombre  double,  et  inébranlables,  s'en  laissèrent  envelopper. 
Chaque  régiment,  isolé  des  autres  et  n'ayant  plus  de  lien  avec 
l'armée  rompue  do  toutes  parts,  mourait  pour  son  compte.  Ils 
avaient  pris  possession  pour  faire  cette  dernière  action  les  uns, 


—  148  — 

sur  les  hauteurs  de  Rossomme,  les  autres,  dans  la  plaine  de 
Mont-Saint-Jean.  Là,  abandonnés,  vaincus,  terribles,  ces  carrés 
sombres  agonisaient  formidablement.  Ulm,  Wagram,  léna, 
Friedland  mouraient  en  eux. 

Au  crépuscule,  vers  neuf  heures  du  soir,  au  bas  du  plateau 
de  Mont-Saint-Jean,  il  en  restait  un.  Dans  ce  vallon  funeste,  au 
pied  de  cette  pente  gravie  par  les  cuirassiers,  inondée  main- 
tenant par  les  masses  anglaises,  sous  les  feux  convergents  de 
l'artillerie  ennemie  victorieuse,  sous  une  effroyable  densité  do 
projectiles,  ce  carré  luttait.  II  était  commandé  par  un  officier 
obscur  nommé  Gambronne.  A  chaque  décharge,  le  carré  dimi- 
nuait, et  ripostait.  Il  répliquait  à  la  mitraille  par  la  fusillade, 
rétrécissant  continuellement  ses  quatre  murs.  De  loin  les  fuyards, 
s'arrètant  par  moment  essoufflés,  écoutaient  dans  les  ténèbres 
ce  sombre  tonnerre  décroissant. 

Quand  cette  légion  ne  fut  plus  qu'une  poignée,  quand  leurs 
fusils  épuisés  de  balles  ne  furent  plus  que  des  bâtons,  quand  le 
tas  de  cadavres  fut  plus  grand  que  le  groupe  vivant,  il  y  eut 
parmi  les  vainqueurs  une  sorte  de  terreur  sacrée  autour  do  ces 
mourants  sublimes  et  l'artillerie  anglaise,  reprenant  haleine,  fit 
silence.  Ce  fut  une  espèce  de  répit.  Ces  combattants  avaient  au- 
tour d'eux  comme  un  fourmillement  de  spectres,  des  silhouettes 
d'hommes  h  cheval,  le  profil  noir  des  canons,  le  ciel  blanc  aperçu 
à  travers  les  roues  et  les  affûts  ;  la  colossale  tète  de  mort  que 
les  héros  entrevoient  toujours  dans  la  fumée  au  fond  de  la  ba- 
taille, s'avançait  sur  eux  et  les  regardait.  Ils  purent  entendre 
dans  Tombre  crépusculaire  qu'on  chargeait  les  pièces,  les  mèches 
allumées  pareilles  à  des  yeux  de  tigres  dans  la  nuit  firent  un 
cercle  autour  de  leurs  tètes,  tous  les  boute-feu  des  batteries 
anglaises  s'approchèrent  des  canons,  et  alors,  ému,  tenant  la 
minute  suprême  suspendue  au-dessus  do  ces  hommes,  un  gé- 
néral anglais,  Colville  selon  les  uns,  Maitland  selon  les  autres, 
leur  cria  :  Braves  français,  rendez  vous  !  Cambronne  répondit  : 
Merde  ! 


—  149  — 

Cambronne 

Le  lecteur  français  voulant  être  respecté,  le  plus  beau  mot 
peut-être  qu'un  français  ait  jamais  dit,  ne  peut  lui  être  répété. 
Défense  de  déposer  du  sublime  dans  l'histoire. 

A  nos  risques  et  périls,  nous  enfreignons  cette  défense.  Donc, 
parmi  ces  géants,  il  y  eut  un  titan,  Cambronne.  Dire  ce  mot,  et 
mourir  ensuite,  quoi  de  plus  grand  ?  car  c'est  mourir  que  de  le 
vouloir,  et  ce  n'est  pas  la  faute  de  cet  homme,  si,  mitraillé,  il  a 
survécu. 

L'homme  qui  a  gagné  la  bataille  de  Waterloo,  ce  n'est  pas 
Napoléon  en  déroute,  ce  n'est  pas  Wellington  pliant  à  quatre 
heures,  désespéré  à  cinq,  ce  n'est  pas  Blûcher  qui  ne  s'est  pas 
battu  ;  l'homme  qui  a  gagné  la  bataille  de  Waterloo,  c'est  Cam- 
bronne. 

Foudroyer  d'un  tel  mot  le  tonnerre  qui  vous  tue,  c'est  vaincre. 

Faire  cette  réponse  à  la  catastrophe,  dire  cela  au  destin,  donner 
cette  base  au  lion  futur,  jeter  cette  réplique  à  la  pluie  de  la  nuit, 
au  mur  traître  de  Hougomont,  au  creux  d'Ohain,  au  retard  de 
Grouchy,  à  l'arrivée  de  Bliicher,  être  l'ironie  dans  le  sépulcre, 
faire  en  sorte  de  rester  debout  après,  qu'on  sera  tombé,  noyer 
dans  deux  syllabes  la  coalition  européenne,  offrir  aux  rois  ces 
latrines  déjà  connues  des  Césars,  faire  du  dernier  des  mots  le 
premier  en  y  mêlant  l'éclair  de  la  France,  clore  insolemment 
Waterloo  par  le  mardi  gras,  compléter  Léonidas  par  Rabelais, 
résumer  cette  victoire  par  une  parole  suprême  impossible  à 
prononcer,  perdre  le  terrain  et  garder  l'histoire,  après  ce  carnage, 
avoir  pour  soi  les  rieurs,  c'est  imme  use. 

C'est  l'insulte  à  la  foudre.  Cela  atteint  la  grandeur  eschylicnne. 

Le  mot  de  Cambronne  fait  l'effet  d'une  fracture.  C'est  la  frac- 
ture d'une  poitrine  par  le  dédain  ;  c'est  le  trop  plein  de  l'agonie 
qui  fait  explosion.  Qui  a  vaincu  ?  Est-ce  Wellington  ?  Non.  Sans 
Bliicher,  il  était  perdu.  Est-ce  Bliicher  ?  Non.  Si  Wellington 
n'eût  pas  commencé,  Bliicher  n'aurait  pu  finir.  Ce  Cambronne, 
ce  passant  de  la  dernière  heure,  ce  soldat  ignoré,  cet  infiniment 


--  150  — 

petit  de  la  guerre,  sent  qu'il  y  a  là  un  mensonge,  un  mensonge 
dans  une  catastrophe,  redoublement  poignant,  et,  au  moment  où 
il  en  éclate  de  rage,  on  lui  offre  cette  dérision,  la  vie  1  Comment 
ne  pas  bondir?  Ils  sont  là  tous  les  rois  de  l'Europe,  les  généraux 
heureux,  les  Jupiters  tonnants,  ils  ont  cent  mille  soldats  victo- 
rieux et  derrière  les  cent  mille,  un  million,  leurs  canons,  mèche 
allumée,  sont  béants,  ils  ont  sous  leurs  talons  la  Garde  impériale 
et  la  Grande  Armée,  ils  viennent  d'écraser  Napoléon  et  il  ne 
reste  plus  que  Cambronne  ;  il  n'y  a  plus  pour  protester  que  ce 
ver  de  terre.  Il  protestera.  Alors  il  cherche  un  mot  comme  on 
cherche  une  épée.  Il  lui  vient  de  l'écume,  et  cette  écume,  c'est 
le  mot.  Devant  cette  victoire  prodigieuse  et  médiocre,  devant 
cette  victoire  sans  victorieux,  ce  désespéré  se  redresse  ;  il  en 
subit  l'énormité,  mais  il  en  constate  le  néant  ;  et  il  fait  plus  que 
cracher  sur  elle  ;  et,  sous  l'accablement  du  nombre,  de  la  force 
et  de  la  matière,  il  trouve  à  l'âme  une  expression,  l'excrément. 
Nous  le  répétons,  dire  cela,  faire  cela,  trouver  cela,  c'est  être  le 
vainqueur. 

L'esprit  des  grands  jours  entra  dans  cet  homme  inconnu  à 
cette  minute  fatale.  Cambronne  trouve  le  mot  de  Waterloo, 
comme  Rouget  de  l'Isle  trouve  la  Marseillaise,  par  Visitation  du 
souffle  d'en  haut.  Un  effluve  de  l'ouragan  divin  se  détache  et 
vient  passer  à  travers  ces  hommes,  et  ils  tressaillent,  et  l'un 
chante  le  chant  suprême  et  l'autre  pousse  le  cri  terrible.  Cette 
parole  du  dédain  titanique,  Cambronne  ne  la  jette  pas  seulement 
à  l'Europe  au  nom  de  l'Empire,  ce  serait  peu  ;  il  la  jette  au  passé 
au  nom  de  la  révolution.  On  l'entend  et  l'on  reconnaît  dans 
Cambronne  la  vieille  âme  des  géants.  11  semble  que  c'est  Danton 
qui  parle  et  Kléber  qui  rugit. 

Au  mot  de  Cambronne,  la  voix  anglaise  répondit  :  feu  I  les 
batteries  flamboyèrent,  la  colline  trembla,  de  toutes  ces  bouches 
d'airain  sortit  un  dernier  vomissement  de  mitraille,  épouvantable  ; 
une  vaste  fumée,  vaguement  blanchie  du  lever  de  la  lune,  roula 
et  quand  la  fumée  se  dissipa,  il  n"\  avait  plus  rien. 

Ce  reste  formidable  était  anéanti,  la   Garde  était  morte.  Les 


—  151  — 

quatre  murs  de  la  redoute  vivante  gisaient,  à  peine  distinguait-on 
çà  et  là  un  tressaillement  parmi  les  cadavres  ;  et  c'est  ainsi  que 
les  légions  françaises,  plus  grandes  que  les  légions  romaines, 
expirèrent  à  Mont-Samt-Jean  sur  la  terre  mouillée  de  pluie  et  de 
sang,  dans  les  blés  sombres,  à  l'endroit  où  passse  maintenant  à 
quatre  heures  du  matin^  en  sifflant  et  en  fouettant  gaiement  son 
cheval^  Joseph,  qui  fait  le  service  de  la  malle-poste  de  Nivelles. 

Mais  si  Victor  Hugo  a  contribué  à  donner  à  ce  mot  une 
immense  publicité,  ce  n'est  pas  lui,  tant  s'en  faut,  qui 
l'éditait  pour  la  première  fois  et  d'autres  avant  lui 
l'avaient  déjà  laissé  deviner.  La  Biographie  des  Contem- 
porains déjà  citée  plus  haut  s'exprime  ainsi  :  «  Ce  fut 
«  alors  que,  manquant  de  cartouches,  Cambronne  sommé 
«  de  se  rendre,  répondit  d'une  manière  très-énergique,  » 
et  le  Dictionnaire  biographique  des  morts  et  des  vivants, 
plus  précis  :  «  Cambronne,  sommé  de  se  rendre,  répondit 
«  en  termes  énergiques  que  nous  ne  pouvons  transcrire 
«  ici  et  que  l'on  a  traduits  par  ses  mots  devenus  célèbres: 
a  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas.  » 

Un  autre  ouvrage,  intitulé  :  Nouvelles  biographiques 
générales  dit  encure  :  «  Quant  à  la  réponse  de  Cambronne, 
«  elle  fut  plus  brève,  plus  en  rapport  avec  les  circons- 
«  tances  et  non  moins  énergique.  » 

Dans  son  ouvrage,  VHistoire  des  deux  Restaurations, 
M.  de  Vaulabelle  adhère  au  mot  de  Cambronne  : 

«  Quelques  hommes  de  ce  bataillon  laissés  pour  morts 
«  sur  le  champ  de  bataille  et  recueillis  le  lendemain  par 
«  les  habitants  du  pays,  furent  sauvés.  Cambronne  se 
«  trouva  du  nombre;  on  a  pu  l'interroger.  Les  mots: 
«  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas,  »  mis  à  cette  occasion 
«  dans  sa  bouche,  reproduisent  le  sens  exact  de  son  éner- 
«  gique  réponse  aux  sommations  des  officiers  anglais.  » 


—  152  — 

M.  Cuvillier-Fleury  lui-môme  cite  l'opinion  de  quelques 
-historiens  qui  laissent  entendre  que  la  réponse  de  Gam- 
bronne  se  résuma  en  deux  syllabes,  pas  davantage,  et 
qu'elle  fut  depuis  modifiée  à  l'usage  de  l'histoire  :  c'est 
d'abord  M.  Edgard  Quinet  :  «  D'après  les  Souvenirs  d'un 
»  officier,  on  a  entendu  Gambronne  revenu  à  Nante?, 
»  répéter  lui-même  ses  paroles  :  «  Des  gens  comme  nous 
»  ne  se  rendent  pas.  »  La  première  version  s'est  iinposée 
»  à  l'histoire.  Il  ne  serait  plus  possible  de  revenir  à  la 
»  vérité  nue,  sans  paraître  l'altérer.  »  (1) 

«  Refus  sublime  dans  son  cynisme  soldatesque,  dit  le 
))  colonel  Charras  et  que  la  légende  a  traduit  par  les  mots  : 
»  La  Garde  meurt  et  ne  se  rend  pas.  »  (2) 

»  Une  de  ces  trivialités  sublimes  de  sens,  cyniques 
»  d'expression,  dit  M.  de  Lamartine,  que  le  soldat  com- 
»  prend  et  que  les  historiens  traduisent  plus  tard  en 
»  phrases  de  parades,  puériles  légendes  quand  l'héroïsme 
»  est  dans  l'acte  et  non  dans  le  mot.  »  (3j 

Mais  il  y  a  controverse  sur  ce  point.  Ainsi  M.  de  Viel 
Gastel,  de  l'Académie  française,  voulut  à  un  moment 
donné,  se  faire  une  opinion  sur  la  question  et,  comme  on 
dirait  aujourd'hui,  il  alla  interviewer  un  officier  supérieur 
qui,  dans  sa  jeunesse,  avait  été  très  lié  avec  Gambronne, 
le  général  Mellinet. 

—  Vous  qui  avez  connu  le  général  Gambronne,  savez- 
vous  s'il  est  vrai  qu'aux  dernières  heures  de  Waterloo  il 
ait  répondu,  par  le  mot  que  lui  prête  Victor  Hugo,  aux 


(1)  Histoire  de  la  Campagne  de  181o,  p.  273  (cliez  Michel  Lévy). 

(2)  Waterloo,  p.  303 

(3)  Journal  des  Débats,  22  juin  1862. 


—  153  — 

offres  de  capitulation  que  lui  apportaient  soit  le  général 
Maitland,  soit  le  général  Colville? 

Le  général  Mellinet  se  prit  à  sourire,  en  haussant  les 
épaules  : 

—  Go  fameux  mot  n'a  pas  été  prononcé,  je  peux  vous  l'affirmer, 
car  le  général  Cambronne  me  l'a  nié  h  moi-même.  Sa  famille 
et  la  mienne  étaient  très  liées;  elle  habitaient  la  ville  de  Nantes; 
mon  père  et  le  général  Cambronne  partirent  ensemble  pour 
l'armée;  pendant  tout  le  cours  de  leur  carrière  militaire,  ils  ne 
se  perdirent  pas  de  vue  et  ils  ne  cessèrent  d'entretenir  des 
relations  fort  amicales.  De  retour  dans  ses  foyers,  après  481S, 
le  général  Cambronne,  en  l'absence  de  mon  père  qui  était 
exilé,  devint  mon  tuteur;  il  avait  pour  moi  une  grande  affection 
et  ce  fut  lui  qui  me  décida  à  entrer  au  service  dès  l'àgc  de 
quinze  ans. 

Le  général  Cambronne,  contrairement  à  ce  que  quelques 
écrivains  ont  affirmé,  n'était  ni  un  homme  vulgaire,  ni  un  soldat 
illustre;  il  avait  fait  de  fortes  études,  et  tous  ceux  qui  ont  vécu 
avec  lui  dans  une  certaine  intimité  savent  qu'il  passait  pour  un 
latiniste  distingué. 

Un  jour,  pendant  un  de  mes  congés,  le  général  et  moi,  nous 
nous  baignions  dans  la  Loire,  et  je  dois  dire  que  je  n'ai  jamais 
vu  un  corps  humain  plus  couturé  de  blessures,  coups  de  mitraille, 
coups  de  feu,  coups  de  lance,  coups  de  sabre  et  coups  de 
baïonnette,  il  en  était  complètement  tatoué. 

En  nageant  près  de  lui,  l'idée  me  vint  de  lui  demander  s'il 
avait,  comme  le  prétendaient  dès  cette  époque  quelques  précur- 
seurs de  Victor  Hugo,  prononcé  le  fameux  mot. 

Le  général  Cambronne  me  répondit,  en  me  tutoyant,  comme 
il  en  avait  l'habitude  : 

—  Tu  me  connais,  ce  mot-là  ne  me  ressemble  pas;  peux  tu 
t'imaginer  qu'il  soit  sorti  de  ma  bouche?  Non,  je  ne  l'ai  pas 
prononcé.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  chaque  fois  que  la  proposition 
de  mettre  bas  les  armes  nous  fut  faite,  je  m'avançai  en  tête  de 


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mes  carrés,  et  levant  mon  sabre,  je  cria  de  ma  voix  la  plus 
vibrante  :  «  Grenadiers,  en  avant  i.  Bientôt  je  fus  blessé  et  je 
perdis  connaissance  ;  lorsque  je  revins  à  moi,  mes  pauvres  carrés 
de  grenadiers  jonchaient  le  terrain  et  j'étais  prisonnier. 

Ainsi,  si  M.  de  Viel  Castel  a  fidèlement  traduit  les 
déclarations  du  général  Mellinet  et  si  celui-ci  à  non  moins 
fidèlement  rapporté  les  dires  de  Cambronne,  le  héros  de 
Waterloo  n'aurait  dit  ni  le  mot,  ni  la  phrase  et  tout  se 
serait  borné  à  un  simple  :  Grenadiers,  en  avant. 

Nous  avons  fait  vérifier  auprès  du  vénérable  doyen  de 
l'armée  française  l'exactitude  du  récit  de  M.  de  Viel  Castel 
et  M.  le  général  Mellinet  déclare  aujourd'hui  que  ses 
paroles  et  sa  pensée  ont  été  également  mal  interprétées. 

Que  reste-t-il  encore  ?  M.  Victor  Roussin  qui  épousa 
en  4836  la  fille  adoptive  du  général  Cambronne  (nous  en 
parlerons  plus  loin)  est  pour  la  phrase  et  contre  le  mot. 
D'une  lettre  qu'il  nous  a  écrite,  nous  extrayons  ce  qui 
suit  : 

«  Cambronne  était  un  homme  bien  élevé  dans  toute  la 
«  force  du  terme.  Jamais  il  n'eût  proféré  l'expression 
(c  ordurière  que  Victor  Hugo  a  cru  devoir  mettre  dans 
«  sa  bouche. 

a  Quant  à  Cambronne,  s'il  était  interrogé  à  ce  sujet,  il 
«  déclarait  ne  se  souvenir  de  rien  et  ne  pas  se  rappeler 
«  ce  qu'il  avait  pu  dire.  Cela  se  conçoit  parfaitement,  car, 
«  dans  l'animation  de  la  lutte,  les  paroles  étaient  peu  de 
«  chose,  auprès  des  actes.  Ce  qu'il  fit  alors,  ce  fut  de 
«  résister  jusqu'à  la  mort.  » 

Un  de  nos  amis,  M.  Paul  Chauvet,  qui  avait  assisté  dans 
sa  jeunesse  à  un  déjeuner  donné  par  le  général  de  Bréa, 
l'entendit  raconter  que  Cambronne,  sans  pouvoir  préciser 
de  quels  termes  il  s'était  servi  à  Waterloo,  avait  envoyé 


—  155  - 

faire  f....  les  Anglais  par  quelque  expression  bien  sentie. 
Le  général  de  Bréa  tenait  ce  renseignement  de  Cambronne 
lui-môme. 

Tel  était  aussi  le  souvenir  recueilli  par  M.  Gheguillaume, 
ancien  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées  à  Nantes, 
de  la  bouche  de  son  père: 

«  Mon  père  a  souvent  entendu  raconter  au  général 
«  l'histoire  de  Waterloo.  Il  ne  se  rappelait  pas  avoir  pro- 
«  nonce  le  mot  historique,  mais,  ajoutait-il,  c'est  fort 
«  possible,  car  j'étais  dans  un  état  d'esprit  à  le  dire.  » 

Enfin,  le  livre  écrit  sur  Cambronne  par  Rogeron  de 
La  Vallée  en  quelque  sorte  sous  la  surveillance  de  la  veuve 
de  Cambronne  et  sur  les  renseignements  qu'elle  fournissait 
à  l'auteur  —  premier  clerc  chez  son  propre  notaire  et 
chargé  de  ses  intérêts  — ,  enregistre  comme  hors  de  doute 
le  mot  dont  Cambronne  officiellement  ne  voulait  pas  se 
souvenir  : 

«  Rendez-vous!  s'écrient  les  Anglais.  Une  négation 
«  énergique  fut  la  réponse  de  Cambronne,  et,  avec  ce 
«  mot  immortel  que  l'histoire  n'ose  redire,  mais  que 
«  tout  le  monde  sait,  Cambronne  s'élance  à  la  tète  de  ses 
«  intrépides  grenadiers.  » 

Que  conclure  de  là?  c'est  que  Cambronne,  à  la  phrase 
sublime  :  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas  !  a  fort  bien 
pu  ajouter,  dans  la  surexcitation  de  la  mêlée,  soit  immé- 
diatement, soit  à  une  nouvelle  sommation,  oubliant  un 
moment  ses  habitudes  d'homme  bien  élevé,  le  mot 
soldatesque  que  nul  ne  lui  reprocherait  d'avoir,  à  Waterloo, 
lancé  à  la  face  de  l'ennemi. 

Et  maintenant,  fermons  cette  immense  parenthèse  et 
reprenons  notre  récit,  là  où  nous  l'avons  laissé  I 


CHAPITRE  XIII 

PRISONNIER  EN  ANGLETERRE 

On  ignorait  ce  qu'était  devenu  Ney.  On  savait  les 
généraux  Friant,  Gambronne,  Mouton,  Duhesme,  Durutte 
blessés  et  on  était  inquiet  de  leur  sort,  car  les  Prussiens 
égorgeaient  tous  ceux  qui  leur  tombaient  dans  les  mains. 
Fleury  de  Chaboulon  qui  assista  à  la  bataille  de  Waterloo, 
s'est  exprimé  comme  suit,  dans  ses  Mémoires  sur  la  cruau- 
té exceptionnelle  des  soldats  de  Bliicher: 

«  Les  Prussiens  acharnés  à  notre  poursuite,  traitaient  avec 
une  barbarie  sans  exemple  les  malheureux  qu'ils  pouvaient 
atteindre.  A  l'exception  de  quelques  vieuîTsoldatsimpertubables, 
la  plupart  des  autres  avaien'.  jeté  leurs  armes  et  se  trouvaient 
sans  défense,  ils  n'en  étaient  pas  moins  impitoyablement  massa- 
crés. Quatre  Prussiens  tuèrent  do  sang  froid  le  général...,  après 
lui  avoir  arraché  ses  armes  (i);  un  autre  général  dont  le  nom 
n'est  pas  non  plus  présent  à  ma  mémoire,  se  rendit  à  un  officier 
et  cet  officier  eut  la  lâcheté  encore  plus  que  la  cruauté,  de  lui 
passer  son  sabre,  au  travers  du  corps.  Un  colonel,  pour  ne  point 
tomber  entre  leurs  mains,  se  brûla  la  cervelle.  Vingt  autres  offi- 
ciers de  tous  grades  imitèrent  cet  exemple.  Un  officier  de  cuiras- 
siers les  voyant  arriver,  dit:  «  Ils  n'auront  ni  mon  cheval,  ni 
moi».  D'un  coup  de  pistolet,  il  renverse  son  cheval,  de  l'autre, 
il  se  tjue.  Mille  actes  de  désespoir  non  moins  héroïques  illustrè- 
rent cette  fatale  journée  ». 

Les  Anglais,  (pourquoi  ne  pas  leur  rendre  cette  justice?) 
sansconserver  dans  cette  guerre  acharnée  toute  l'humanité 

(1)  C'était  le  général  Duhesme. 


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que  se  doivent  entre  elles  des  nations  civilisées,  étaient 
les  seuls  qui  respectassent  les  blessés.  Des  soldats  anglais 
avaient  relevé  Cambronnc  atteint  des  blessures  les  plus 
graves  et  l'avaient  conduit  au  quartier  général  de  Wel- 
lington. En  le  voyant,  l'amiral  Peymour  s'emporta  en 
injures  contre  Napoléon  vaincu;  malgré  sa  captivité, 
Cambronne  sut  rappeler  l'insolent  vainqueur  au  respect 
que  méritait  le  courage  malheureux.  L'amiral  Seymour 
revint  à  de  meilleurs  sentiments  et  offrit  même  à  Cam- 
bronne de  lui  prêter  de  l'argent,  s'il  s'en  faisait  besoin. 
Si  nous  en  croyons  les  souvenirs  personnels  de  M.  Ilous- 
sin,  qui  épousa  en  1836  la  fdle  adoptive  de  M.  et  Mn^» 
Cambronne,  le  général  laissé  pour  mort  sur  le  champ  de 
bataille  n'avait  pas  tardé  d'être  complètement  dépouillé 
par  les  vainqueurs  qui  le  laissèrent,  disait-il  nu  comme 
un  petit  Saint-Jean.  Tout  lui  avait  été  enlevé,  ses  papiers 
et  les  valeurs  qu'il  avait  sur  lui  et  qui  devaient  être  assez 
considérables, .  puisqu'il  avait  converti  en  diamants  tout 
ce  qu'il  possédait,  afin  que  ce  fût  plus  facile  à  porter. 

Il  trouva  un  ennemi  plus  généreux  dans  la  personne 
du  colonel  Campbell  qu'il  avait  connu  à  l'île  d'Elbe  et  qui 
lui  fit  rendre  les  honneurs  dûs  à  sa  bravoure.  C'est  lui  qui 
le  conduisit  de  Waterloo  à  Bruxelles,  soit  environ  quatre 
lieues,  le  confia  aux  soins  de  la  faculté  et  ne  l'abandonna 
qu'après  avoir  fait  d'inutiles  efforts  pour  lui  éviter  le 
voyage  d'Angleterre.  Cambronne,  à  peine  débarqué^  fut 
mis  à  bord  d'un  ponton,  c'est-à-dire  d'une  de  ces  atroces 
maisons  flottantes  dont  Napoléon  avait  dit  dans  sa  procla- 
mation d'Avesnes  du  14  juin  1815:  «Que  ceux  d'entre  vous 
qui  ont  été  prisonniers  des  Anglais,  vous  fassent  le  récit 
de  leurs  pontons  et  des  maux  atl'reux  qu'ils  ont  soufferts  ». 
Mais  il  n'y  resta  que  deux  heures  et  fut,  en  compagnie  du 


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comte  de  Lobau,  envoyé  dans  les  prisons  d'Ashburton 
où  il  devait  pendant  près  de  six  mois  expier  sa  fidélité  à 
la  cause  vaincue. 

Pourtant  l'abdication  définitive  de  Napoléon  et  son  dé- 
part pour  Saint-Hélène  avaient  dégagé  ses  anciens  servi- 
teurs du  serment  qu'ils  lui  avaient  jadis  prêté.  Cambronne 
redevenu  libre  de  disposer  de  sa  personne,  redemanda  son 
régiment  qui  était  devenu  pour  lui  comme  une  seconde 
famille  et,  du  fond  de  son  cachot,  il  écrivit  le  20  juillet 
1815  à  Louis  XVIII  la  lettre  suivante  : 

Sire, 

Major  au  premier  régiment  de  chasseurs  à  pied  de  la  Garde, 
le  traité  de  Fontainebleau  m'imposa  le  devoir  de  suivre  l'Empe- 
reur à  l'île  d'Elbe.  N'existant  plus,  j'ai  l'honneur  de  prier  Votre 
Majesté  de  recevoir  ma  soumission  et  mon  serment  de  fidélité. 

Si  ma  vie,  que  je  crois  sans  reproche^  me  donne  des  droits  à 
votre  confiance,  je  demande  mon  régiment  ;  en  cas  contraire, 
mes  blessures  m'en  donnent  à  la  retraite  qu'alors  je  solliciterai 
regrettant  d'être  privé  de  servir  ma  patrie. 

Ashburton,  20  juillet  181S. 

CAMBRONNE. 

Cette  lettre  d'un  style  médiocre,  mais  empreinte  des 
sentiments  du  patriotisme  le  plus  élevé,  trouva  Louis  XVIII 
en  train  de  signer  la  fameuse  ordonnance  du  24  juillet  qui 
prescrivait  l'arrestation  et  le  renvoi  devant  les  conseils  de 
guerre  compétents  des  généraux  et  officiers  «  qui  avaient 
«  trahi  le  Roi  avant  le  23  mars  ou  attaqué  la  France  et  le 
«  gouvernement  à  main  armée  ou  qui,  par  violence, 
«  s'étaient  emparés  du  pouvoir  ».  Cambronne  y  figurait  à 
côté  de  Ney  et  de  Labédoyère. 

L'ordonnance  datée  de  Paris,  au  château  des  Tuileries, 
portait  le  contre-seing  de  Fouché,  duc  d'Otrantc,  ministre 


—  159  — 

de  la  police  générale  —  un  des  anciens  condisciples  de 
Cambronne  à  l'Oratoire  ! 

Cambronne  ne  broncha  pas  devant  cette  décision  qui 
menaçait  sa  tête  et  le  10  octobre,  il  annonça,  en  ces 
termes,,  son  prochain  retour  au  ministre  de  la  guerre, 
Clarke,  duc  de  Feltre  : 

Monseigneur, 

Apprenant  que  la  paix  est  prochaine,  que  les  prisonniers  de 
guerre  doivent  s'atten  Ire  à  rentrer  en  France,  j'ai  l'honneur  de 
prier  Votre  Excellence  d'avoir  la  bonté  d'ordonner  au  chef  de  la 
police  où  l'on  me  débarquera,  do  me  donner  une  feuille  de 
route  pour  me  rendre  à  Paris  dans  le  délai  que  vous  jugerez 
convenable,  y  enjoignant  personnellement  ce  que  vous  voudrez, 
pour  que  je  me  présente  à  telle  autorité  qu'il  vous  plaira,  ce  qui 
m'éviterait  d'être  conduit  par  la  gendarmerie. 

Mon  intention  n'est  pas  de  me  soustraire  à  l'ordonnance  du 
roi,  au  contraire,  de  me  constituer  prisonnier  à  Paris  le  plus  tôt 
que  je  pourrai. 

Je  vous  donne  ma  parole  d'honneur  de  me  conformer  à  vos 
ordres;  et  si  vous  pouvez  acquiescer  à  ma  demande,  sans  vous 
compromettre,  je  vous  en  aurai  une  éternelle  reconnaissance. 

CAMBRONNE. 

Cette  lettre  resta  sans  réponse,  mais  les  préfets  des 
départements  bretons,  ceux  du  Pas-de-Calais,  de  la 
Somme,  de  la  Seine-Inférieure  et  de  la  Manche,  furent 
avisés  des  intentions  manifestées  par  le  général  et  reçu- 
rent l'ordre  formel  de  l'arrêter  au  débarquement.  Voici  la 
Gorrespondance  inédite  que  nous  avons  trouvée  à  ce  sujet 
aux  Archives  départementales  de  la  Loire-Inférieure  : 

MINISTÈRE  Paris,  le  3  novembre  1815. 

DE  LA  POLICR  GENERALE 
Bureau  particulier 

N"  i  Monsieur  le  Préfet, 

Le  général  Cambronne,  retenu  prisonnier 
à  Asburthon  en  Angleterre,  est  compris  dans  l'ordonnance  du  24 


—  160  — 

juillet  dernier.  Aux  termes  de  l'article  ler^  il  doit  être  mis  en 
jugement  et  c'est  à  Paris,  conformément  à  une  ordonnance  plus 
récente  (2  août),  que  ce  jugement  doit  être  prononcé  par  un 
Conseil  de  guerre  permanent. 

C'est  donc  à  Paris  qu'il  conviendra  de  faire  transférer  le 
général  Cambronne  lorsqu'il  sera  débarqué  sur  vos  côtes.  11  a 
déclaré,  je  le  sais,  que  son  intention  était  de  se  présenter  lui- 
même  et  de  se  constituer  prisonnier  dans  la  capitale.  Cette 
faculté  ne  peut  lui  être  accordée.  Il  faut  d'autres  garanties  et 
d'autres  mesures  Vous  recommanderez  seulement,  dans  le  cas 
où  ce  général  aborderait  dans  l'un  des  ports  de  votre  juridiction, 
de  concilier  en  sa  faveur  les  égards  que  paraîtra  mériter  sa 
conduite  avec  la  rigueur  dont  l'exécution  des  ordonnances  royales 
impose  l'obligation. 

Il  sera  nécessaire  que  les  fonctionnaires  civils  se  concertent 
en  conséquence  avec  l'autorité  militaire,  et  il  ne  le  sera  pas 
moins  qu'ils  me  fassent  parvenir  directement  et  sans  aucun 
retard  l'avis  de  l'arrivée  du  général  Cambronne  en  France. 

Agréez,  Monsieur  le  préfet,  l'assurance  de  ma  considération 
distinguée. 

Le  ministre  secrétaire   d'Etal  au  (lépaflciuciit  de  la 
police  générale,  1)kc.\zes. 

De  Rouen,  dès  le  4  novembre,  de  Vannes  dès  le  10,  et 
sans  doute  des  chefs -lieux  des  autres  départements  limi- 
trophes des  cotes  à  des  dates  voisines,  accuse  de  réception 
des  ordres  ministériels  avait  été  envoyé  à  Paris.  Mais 
c'est  surtout  à  Nantes  que  les  mesures  furent  prises  avec 
énergie.  Le  préfet,  comte  de  Brosses,  ne  se  souciait  peut- 
être  pas  autrement  de  procéder  à  cette  arrestation,  par 
contre  il  avait  auprès  de  lui  des  agents  ultra-royalistes 
qui  ne  demandaient  qu'à  se  distinguer.  Il  transmit  hiérar- 
chiquement la  lettre  du  ministre  Decazes  au  général 
Dufresse,  au  commissaire  spécial  de  police,  au  capitaine 
de  la  gendarmerie,  au  commissaire  spécial  de  la  marine, 
aux  sous-préfets  de  Paimbuiuf  et  de  Savenay. 


—  161  — 

Parmi  les  réponses  de  ces  fonctionnaires  au  préfet, 
signalons  deux  lettres  de  M.  Giraud,  commissaire  prin- 
cipal, chef  du  service  de  la  marine,  qui  faisait  du  zèle 
pour  mettre  la  main  sur  le  général  Cambronne  et  se  créer 
ainsi  des  titres  à  la  reconnaissance  du  gouvernement  : 

Monsieur  le  comte  de  Brosses,  préfet  de  la  Loire-Inférieure, 
Nantes. 
Monsieur  le  comte. 

Nantes,  le  H  novembre  1813. 

Je  n'ai  reçu  qu'hier  au  soir  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'hon- 
neur de  m'écrire  le  9,  relativement  à  l'arrestation  du  général 
Cambronne,  s'il  aborde  dans  un  des  ports  de  mon  sous-arrondis- 
sement. 

Je  vous  informe  que  vous  seriez  dans  l'erreur  si  vous  croyiez 
que  les  officiers  d'administration  et  agens  de  la  marine  pourraient 
exécuter  un  pareil  ordre  sur  les  points  où  ce  général  aborderait. 
Ils  y  sont  sans  force  ni  moyen  de  répression,  leur  concours  ne 
peut  être  ctlicace  que  dans  l'avertissement  qu'ils  pourront  donner 
aux  autorités  locales  militaires  et  civiles  aussitôt  qu'ils  seront 
eux-mêmes  informés  de  l'arrivée  de  cet  oflicier  général. 

Les  lieux  de  mon  sous-arrondissement  où  il  peut  être  débarqué 
sont  Le  Croisic  et  Saint-Nazaire.  Il  importerait  donc,  que  vous 
voulussiez  bien  donner  des  ordres  aux  autorités  civiles  et  mili- 
taires de  ces  lieux  de  se  concerter  avec  les  agents  de  la  marine 
pour  cette  arrestation. 

On  aura  peut-être  à  craindre  que  cet  officier  une  fois  dans  la 
rade  ou  le  port  du  lieu  où  il  abordera,  ne  cherche  à  se  soustraire 
à  l'arrestation  avant  que  la  mesure  puisse  être  mise  à  exécution  ; 
il  y  a  un  moyen  de  prévenir  C3t  événement,  celui  d'ordonner 
que  le  bâtiment  porteur  du  général  Cambronne  soit  mis  en  qua- 
rantaine jusqu'à  ce  qu'on  ait  pu  se  saisir  de  sa  personne,  mais 
encore  dans  cette  position  peut-on  affirmer  qu'il  ne  violera  pas 
la  quarantaine? 

Saint-Nazaire  est  le  lieu  présumable  où  le  navire  abordera 
si  ce  général  vient  dans  votre  département,  c'est  directemen 
l'endroit  où  la  marine  est  le  plus  dépourvue  de  moyens  de  re- 
pression. Il  faudrait  donc,  Monsieur  le  comte,  que  vous  en  fassiez 

11 


—  162  — 

mcUrc  à  la  disposition  du  maire  en  lui  traçant  sa  conduite  pour 
cette  arrestation. 

J'écris  confidentiellement  aujourd'hui  au  commissaire  du 
Croisic  et  au  sieur  Blanchard,  conservateur  do  santé  à  Saint- 
Nazaire,  pour  lui  faire  connaître  vos  intentions.  Je  vous  envoie 
copie  de  ma  lettre  à  ce  dernier  avec  lequel  je  suis  entré  dans 
plus  do  détails  afin  de  prévoir  le  cas  où  le  bâtiment  violant  la 
quarantaine  franchirait  la  rade  sans  attendre  la  visite.  Cette  der- 
nière circonstance  rend  nécessaire  que  le  commissaire  de  Paim- 
bœuf  soit  informé  de  ces  dispositions  et  c'est  ce  que  je  vais  faire 
en  lui  recommandant  comme  aux  autres  le  plus  grand  secret  et 
le  rendant  responsable  de  la  moindre  négligence  dans  l'exécu- 
tion des  mesures  prescrites. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

Le  Commissaire  principal  chef  maritime, 

GiRAUD. 

A  M.  Blanchard,  conservateur  de  santé  à  Saint-Nazaire. 

Conftdentielle. 

—  Nantes,  le  6  novembre  18iS. 

Monsieur,  la  copie  ci-jointe  d'une  lettre  de  M.  le  préfet  de  la 
Loire-Inférieure  vous  fera  connaître  les  ordres  donnés  pour  l'ar- 
restation du  général  Camhronne,  s'il  aborde  dans  un  des  ports 
de  mon  sous-arrondissement. 

Comme  il  est  présumabie  que  ce  débarquement  a;ira  lieu  à 
Saint-Nazaire,  il  convient  que  les  mesures  suivantes  soient 
prises  pour  s'assurer  de  la  personne  du  général. 

Dans  toutes  les  visites  que  vous  ferez  à  bord  des  bàtimens 
étrangers,  particulièrement  de  ceux  venant  d'Angleterre,  vous 
vous  ferez  représenter  le  rôle  d'équipage  et  vous  examinerez  les 
passagers.  Si  le  général  se  trouve  du  nombre,  vous  mettrez  lo 
bâtiment  en  quarantaine  (en  ayanl  grand  soin  de  ne  point  laisser 
soupçonner  le  véritable  motif  de  cette  mesure)  et  vous  en  don- 
nerezde  suite  avis  à  M.  le  maire  avec  lequel  d'ailleurs  vous  vous 
concerterez  à  l'avance  pour  les  dispositions  préparatoires,  M.  le 
préfet   doit  lui  donner  des  ordres  en  conséquence. 

Dans  le  cas  où  le  bâtiment  franchirait  la  rade  sans  s'arrêter 
ou  violerait  la  quarantaine  imposée,  pour  monter  à  Paimbœuf, 


—  463  — 

vous  le  suivrez  dans  votre  chaloupe  et  vous  ferez  exécuter  à 
Paimbœuf  les  mesures  prescrites  en  vous  concertant  avec  M.  le 
sous-commissaire  de  la  marine  que  j'informe  de  ces  dispositions 
et  M.  le  sous-préfet  qui  le  sera  par  M.  le  préfet. 

Pour  plus  de  sûreté  et  pour  détourner  les  soupçons,  vous 
pouvez,  Monsieur,  sous  le  prétexte  d'avis  récemment  donnés 
sur  des  craintes  sérieuses  de  maladies  contagieuses,  répondre 
que  vous  avez  des  précautions  plus  rigides  à  observer  et  partir 
de  là  pour  renouveler  l'ordre  aux  pilotes  de  ne  point  se  dispenser 
90US  les  peines  les  plus  sévères  de  mouiller  sur  la  rade  de  Saint- 
Nazaire  les  bâtiments  introduits. 

Vous  sentez,  Monsieur,  toute  l'importance  de  la  mesure  dont 
je  viens  de  vous  entretenir.  Je  compte  trop  sur  votre  bonne 
volonté  et  sur  votre  dévouement  pour  croire  nécessaire  de 
m'appesantir  sur  le  danger  qui  résulterait  pour  votre  personne 
non  seulement  de  la  négligence,  mais  même  de  la  tiédeur  que 
vous  pourriez  apporter  dans  son  exécution  dont  le  succès 
demande  le  plus  grand  mistère.  {sic). 

Le  Commissaire  principal  de  marine, 
GIRAUD. 

Mais  le  fonctionnaire  le  plus  enragé  était  un  certain 
vicomte  de  Gardaillac  que  nous  retrouverons  plus  loin, 
commissaire  spécial  de  police,  capable  d'inventer  des 
complots  pour  le  plaisir  de  dénoncer  ensuite  quelques 
patriotes  et  qui,  correspondant  directement  avec  le 
ministre^  en  profitait  pour  étaler  son  dévouement  à  la 
dynastie  des  Bourbons.  Il  venait  de  prendre  possession  de 
son  poste  à  Nantes,  quand  il  écrivit  à  son  supérieur 
hiérarchique  la  lettre  que  voici  (1)  : 

Nantes,  le  12  novembre  1815. 
A  Son  Excellence  le  Ministre  de  la  Police  Générale. 
Monseigneur, 
J'ai  appris  à  mon  arrivée   que   le  général  Camhronne  retenu 
prisonnier  à  Asburthon  en  Angleterre,  et  compris  dans  l'article 

(1)  Archives  nationales. 


—  164  — 

1er  (le  l'ordonnance  de  Sa  Majesté  du  24  juillet  dernier,  et 
qui,  au  terme  de  l'ordonnance  du  2  août  doit  être  mis  en 
jugement  à  Paris,  a  manifesté  l'intention  de  débarquer  dans  un 
des  ports  du  département  de  la  Loire-Inférieure.  J'ai  pris 
aussitôt  les  mesures  qui  m'ont  été  possibles  pour  arrêter  ce  traître 
à  son  apparition  ;  sa  famille  habite  à  Nantes  et  a  des  liaisons 
intimes  avec  tout  ce  qu'il  y  a  de  mauvais  dans  la  ville  et  surtout 
avec  la  maison  Petit-Pierre,  qui  me  donnera  beaucoup  de  mal. 
J'espère,  Monseigneur,  que  ce  général  ne  s'introduira  pas  à 
Nantes  sans  y  être  arrêté,  mais  je  ne  puis  de  même  répondre  des 
autres  points  du  département  ;  je  n'ai  pas  d'agents  dans  plu- 
sieurs endroits  où  j'en  aurais  îin  besoin  urgent.  Les  postes  de 
gendarmerie,  comme  j'ai  eu  l'honneur  de  l'exposer  à  Votre 
Excellence,  par  ma  lettre  du  11,  ne  sont  pas  assez  nombreux. 

Je  joints  ici,  Monseigneur,  les  renseignements  que  j'ai  pu  me 
me  procurer  sur  le  signalement  du  général  Cambronne. 

Il  est  âgé  de  44  à  4o  ans  ; 

Taille  de  S  pieds  o  h  6  pouces  ; 

Figure  maigre,  carrée,  air  dur,  marqué  de  petite  vérole  ; 

Teint  vivement  coloré  ; 

Yeux  bleus,  petits,  vits  et  renfoncés  ; 

Cheveux  blonds  ; 

Favoris  grands  ; 

On  dit  qu'il  a  été  blessé  h  Waterloo,  on  le  croit  boiteux  et 
couturé  de  coups  de  sabre  au  visage. 

Je  suis  avec  le  plus  profond  respect,  Monseigneur,  de  Votre 
Excellence,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

Le  vie  DK  Cardaillac. 

Le  ministre  crut  devoir  calmer  tant  de  zèle  et  répondit 
comme  suit  : 

POLICE  GÉNÉRALE  —  CABINET 

Le  19  novembre  181o. 

Monsieur,  j'ai  reçu  votre  lettre  du  12  de  ce  mois  avec  le 
signalement  du  général  Cambronne,  je  vous  en  remercie. 

Ce  général  n'a  point  manifesté  l'intention  de  se  soustraire  à 
la  surveillance  de  la  police  lors  do  son  retour  en  France,  mais 


il  voudrait  en  éluder  l'action   et  se  rendre  librement  à  Paris. 
Cette  prétention  ne  saurait  être  admise. 

Cependant  Cambronne  s'impatientait  d'attendre  vaine- 
ment la  réponse  du  ministre  de  la  guerre  à  sa  lettre  du 
10  octobre.  Le  temps  lui  paraissait  long  dans  sa  prison 
d'Ashburton,  petite  ville  du  Devonshire,  sur  les  bords  de 
Dortmoor  ;  il  demanda  à  rentrer  en  France  sans  attendre 
les  conventions  générales  relatives  au  rapatriement  des 
prisonniers  de  guerre. 

Nous  avions  espéré  trouver  aux  archives  de  l'Amirauté 
anglaise  —  département  qui  administrait  alors  les 
pontons  —  quelques  documents  intéressants,  mais  le 
classement  n'en  est  pas  fait  ;  les  livres  d'  «  Ashburton 
Prison  »  ne  sont  complets  que  jusqu'à  l'année  1797. 
Toutefois,  grâce  à  l'obligeance  de  M.  John  O'Neill,  nous 
pouvons  donner  trois  lettres  enfouies  au  «  Public  Record 
Office  »  et  qui  concernent  Cambronne  : 

Transport  office,  6th  Dec  181S. 

[To]  J.  W.  Croker,  Esq.,  Admiralty. 

Sir,  you  will  be  pleased  to  lay  beforc  the  Right  Honourable 
the  Lords  commissioners  of  Ihe  Admiralty  the  enclosed  copy 
of  a  letter  from  M''.  J.  Gribble,  the  agent  for  prisoncrs  of  war 
at  Ashburton,  preferring  the  request  of  gênerai  Cambronne  and 
three  olher  French  prisoners  ofwar(l)atthat  place  to  bepermit- 
ted  to  return  to  France  by  way  of  Dover,  withoutwaiting  for  the 
gênerai  arrangement  and  \ve  request  that  you  will  slgnify  to  us 
their  Lordships'  directions  thcreupon.  We  are,  Sir,  your  most 
obedient  and  humble  servants, 

R.  G.  —  J.  H.  —  J.  F.  [Ce  sont  les 

«  Commissioners  for  transports  »  ] 

<l)  C'étaient  MM.  dti  Saint-Hilaire  et  les  lieutenants-colonels 
DenneboFK  et  Rennebersr. 


—  466  — 

7th  Decr  1815. 
[To]  "W.  Hamilton,  esq. 

Sir,  I  am  commanded  by  my  Lords  commissioners  of  the 
Admiralty  to  send  herewith  copy  of  a  letfer  from  M^  Joseph 
Gribble.  agent  for  prisoners  of  war  at  Ashburton,  preferring 
the  request  of  gênerai  Cambronne  and  three  othcr  French  prisoners 
to  be  permitted  to  return  to  France  at  their  own  expense  by 
■way  of  Dover,  without  waiting  for  the  gênerai  arrrangeraent  ; 
andto  request  what  answerLord  Castlereagh  would  suggestas  fit 
to  be  given  to  the  application  in  question,  or  to  any  othcr  of  a 
similar nature.  I  am  etc.)  J.  B. 

18"'  Dec/  1815. 
[To]  Major  gênerai  Sir  H.  Bunbury. 

Sir,  with  refer^ence  to  Lord  Bathurst's  communication  to  my 
Lords  Commissioners  of  the  Admiralty,  of  the  16  th  inst., 
relative  to  the  release  of  the  French  prisoners  of  war,  I  hâve  it 
in  commandto  acquaint  you,  for  the  information  of  his  Lordship, 
that  they  hâve  issued  a  warrant  to  the  commissioners  for 
Transports  immediately  to  send  ail  French  prisoners  of  war  to 
the  ports  of  Cherburg,  Havre,  or  Morlaix,  as  may  be  most 
convenient  ;  and  to  caution  the  parole  of  other  prisoners,  who 
may  be  allowed  to  find  their  own  way  home,  from  landing  at 
Calais.  I  am  etc.,  J.  B. 

Cambronne  eût  été  rapatrié  à  Cherbourg,  au  Havre  où 
à  Morlaix  s'il  eût  suivi  le  sort  commun  des  autres  prison- 
niers de  guerre  ;  comme  il  offrait  de  se  rendre  en  France 
à  ses  frais,  il  obtint  l'autorisation  de  débarquer  à  Calais. 

Avant  de  partir,  Cambronne  prit  soin  de  se  munir  d'un 
certificat  du  docteur  Loran  qui  l'avait  soigné  pendant  son 
séjour  en  Angleterre  et  qui  lui  délivra  la  pièce  suivante  : 

Je  certifie  avoir  eu  soin  de  la  blessure  de  M.  le  général  Cam- 
brun,  reçue  à  Waterloo  et  dont  j'ai  tiré  six  esquilles. 

Ashburton,  13  décembre  1815. 

LORAN. 


—  167  — 

Le  11101110  jour,  il  prévenait  son  cousin,  M.  Waubert, 
^négociant^  rue  Meslay  à  Paris  de  son  retour  : 

Mon  cher  cousin. 
Je  pars  ce  jour  pour  France,  j'espère  donc  sous  peu  avoir  le 
plaisir  de  vous  voir  et  de  vous  embrasser,  ainsi  que  votre  épouse 

et  vos  enfants. 

Amitié  pour  la  vie, 

Le  Baron  Cambronne. 

Il  écrivit  aussi  une  nouvelle  lettre  (1)  au  ministre  de  la 
guerre,  toujours  à  la  même  date  : 

Monseigneur, 
J'ai  l'honneur  de  prévenir  Votre  Excellence  que  je  pars  au- 
jourd'hui pour  me  rendre  à  Paris,  pour  y  être  jugé  conformé- 
ment à  l'ordonnance  du  Roi.  Je  passe  par  Calais,  où  je  compte 
descendre. 

En  etîet,  il  débarqua  le  17  décembre  à  Calais,  se  fit 
conduire  chez  le  commandant  de  la  place  qui  le  mit  sous 
la  garde  d'un  capitaine  en  demi-solde,  M.  Cresson,  du  ci- 
devant  1^'"  léger,  avec  mission  de  l'escorter  jusqu'à  Paris. 
Tout  en  confiant  ce  soin  à  cet  officier,  le  colonel  lieute- 
nant du  roi  à  Calais  s'en  excusait  auprès  du  commandant 
de  la  16e  division  militaire^  le  marquis  de  Jumilhac.  Il 
n'avait  en  tout  à  sa  disposition  que  cinq  gendarmes  conti- 
nuellement en  courses  pour  les  réquisitions  et  c'est  pour- 
quoi il  avait  fait  choix  du  capitaine  Cresson,  sur  lequel  il 
croyait  pouvoir  compter. 

D'ailleurs  cette  arrivée  avait  provoqué  dans  le  monde 
officiel  une  vive  émotion.  Le  maire  de  Calais  en  avait 
avisé  directement  le  ministre  de  la  police  générale  ;  le 

{{)  Cette  lettre  transmise  par  le  Transport-Office  au  ministre  de  la 
•marine  et  par  le  ministre  de  la  marine  à  son  collègue  de  la  guerre, 
ne  parvint  à  destination  que  le  28  décembre  suivant: 

La  bureaucratie  n'a  guère  changé  de  système  depuis. 


—  168  — 

sous-préfet  de  Boulogne,  prévenu  du  débarquement  de 
Cambronne^  de  M.  de  Saint-Hilaire  et  des  lieutenants- 
colonels  Denneberg  et  Renneberg,  en  avait  fait  autant, 
non  sans  signaler  qu'arrivé  à  trois  heures  da  matin, 
Gambronne  ne  s'était  présenté  chez  le  lieutenant  du  roi 
qu'à  une  heure  de  l'après-midi. 

C'était  sur  le  paquebot  le  Modeste,  capitaine  Grandin, 
que  Gambronne  avait  fait  la  traversée.  Il  avait  dormi,  puis 
à  son  réveil,  écrit  à  sa  mère  qu'il  partait  pour  Paris  et 
qu'il  l'engageait  à  n'avoir  aucune  crainte  à  son  sujet. 

Au  lieutenant  du  roi,  Louis-François  Magnier^  cheva- 
lier de  Baina,  il  donna  sa  parole  d'honneur  qu'il  se 
conformerait  aux  instructions  données  au  capitaine 
Gresson  et  que,  dès  ce  moment,  il  se  regardait  comme  son 
prisonnier. 

Le  préfet  du  Pas-de-Calais  avisa  le  ministre  de  la 
police  le  19  décembre  seulement  ;  enfin,  le  lendemain,  le 
marquis  de  Jumilhac  écrivait  au  ministre  de  la  guerre  : 

Monseigneur, 

J'ai  l'honneur  de  rendre  compte  à  Votre  Excellence  de  l'arrivée 
du  général  Gambronne  à  Calais  :  des  ordres  ont  été  donnés  do 
suite  pour  que  le  général  soit  conduit  à  Paris  et  remis  à  M.  le 
comte  de  Rochouard.  Il  a  été  confié  à  M.  Cresson,  capitaine  au 
ci-devant  1«>"  léger,  qui  est  chargé  de  sa  garde. 
Le  marquis  de  Jumh.hac, 
Lieutenant  général  commandant  la  16^  division  militaire. 
Lille,  le  20  décembre  181o. 

Mais  cette  lettre  officielle  n'était  plus  que  de  pure 
forme  ;  à  l'heure  même  où  elle  était  écrite,  Gambronne 
s'était  déjà  présenté  au  général  Despinois  et  avait  été 
écroué  à  l'Abbaye,  où  d'autre  officiers  généraux  atten- 
daient également  qu'il  eût  été  statué  sur  leur  sort. 


CHAPITRE  XIV 

AU  CONSEIL  DE  GUERRE 

Gambronne  avait  exprimé,  dès  le  premier  jour  de  son 
emprisonnement,  le  désir  que  l'instruction  de  son  procès 
ne  traînât  pas  en  longueur.  Il  venait  de  passer  près  de  six 
mois  dans  les  cachots  d'Angleterre,  il  ne  tenait  pas  à  subir 
en  France,  dans  son  propre  pays,  une  aussi  interminable 
détention.  Il  figure  au  dossier  une  lettre  de  lui  sollicitant, 
comme  une  faveur,  la  prompte  expédition  de  l'affaire  et 
le  ministre  de  la  guerre  se  rencontrait  avec  lui  pour  trans- 
mettre au  parquet  du  conseil  de  guerre  la  même  recom- 
mandation. 

Néanmoins,  une  inconcevable  lenteur  présidait  à  l'exa- 
men du  dossier.  Les  semaines  succédaient  aux  semaines, 
les  mois  aux  mois,  sans  que  l'instruction  parût  avancer 
beaucoup.  Le  moindre  document  nécessaire  aux  pour- 
suites demandait  des  jours  de  recherches  avant  de  par- 
venir au  rapporteur,  le  chef  de  bataillon  Delon.  Les  exem- 
plaires de  la  fameuse  proclamation  du  !«'"  mars  1815 
étaient  introuvables  :  il  n'y  en  avait  pas  un  seul,  même  en 
placard,  dans  les  bureaux  de  la  police  générale  qui,  pour- 
tant^ lors  des  Gent-Jours,  en  avait  ordonné  la  réimpres- 
sion et  l'affichage.  Lottin,  l'imprimeur  ordinaire  de  la 
Préfecture  de  police,  n'avait  pas  été  chargé  de  ce  travail 
tout  de  confiance.  C'était  l'Imprimerie  royale  qui  avait 
reproduit  cette  proclamation  dont  un  seul  exemplaire  fut 
retrouvé  et  annexé  au  dossier  de  Gambronne,   après  une 


—  170  — 

interminable  correspondance  entre  le  parquet  du  Conseil 
de  guerre  et  les  différents  services  publics.  (1). 

Mêmes  difficultés  et  mêmes  lenteurs  pour  vérifier  si, 
comme  il  l'affirmait^  Cambronne  avait  effectivement 
annoncé  aux  ministres  de  la  guerre  et  de  la  marine  son 
intention  de  donner  au  roi  une  preuve  de  sa  soumission 
en  se  présentant  de  lui-même  devant  les  juges  qui  lui 
désignés  et  si,  en  octobre  1814,  il  avait  écrit  au  lieute- 
nant-colonel comte  Curial  pour  lui  demander  sa  bienveil- 
lance au  cas  où  par  un  motif  quelconque  il  viendrait  à 
quitter  l'île  d'Elbe  et  le  service  de  Napoléon.  (2) 

Pendant  ce  temps,  Cambronne  préparait  lui  aussi  sa 
sa  défense.  Sur  les  conseils  de  son  avocat,  il  faisait  appel 
au  souvenir  de  ceux  auxquels  il  avait  pu  rendre  service 
au  cours  de  sa  carrière,  en  ayant  soin  de  les  choisir 
surtout  parmi  les  hommes  dévoués  à  la  dynastie  des 
Bourbons.  C'est  ainsi  que  les  certificats  de  l'abbé  Dumenil, 
curé  de  Ville-l'Evèque,  d'Yves  Châtaignier,  de  M.  Rado 
Dumatz,  du  baron  Deurbroucq,  etc.,  datent  de  janvier  et 
de  février  1816. 


(1)  Archives  Nationales  F  7  6679.  Lettre  du  rapporteur  Delon  au 
Ministre  de  la  Police  Générale  en  date  du  19  février  1816.  —  Lettre 
du  préfet  du  police  du  22  février  1816  au  secrétaire  général  du 
Ministère  de  la  Police.  —  Lettre  du  secrétaire  général  du  Ministère 
de  la  Police  à  M.  Anisson-Duperron,  directeur  de  l'Imprimerie 
Royale.  —  Lettre  du  directeur  de  l'Imprimerie  Royale  au  ministre 
de  la  police,  en  date  du  24  février  1816.  —  Lettre  du  ministre  de  la 
police  (sans  date)  au  rapporteur  Delon. 

(2). Archives  Nationales  F  7  6679.  Lettre  du  rapporteur  Delon  au 
ministre  delà  Police  Générale  en  date  du  20  février  1816.  —  Lettre 
du  ministre  de  la  Police  en  réponse,  le  21  février.  —  Lettre  du  rap- 
porteur Delon  au  ministre  de  la  police  générale,  le  8  avril  1816.  — 
Réponse  du  bureau  particulier  de  la  police  générale,  en  date  du  17 
avril  1816. 


—  171  — 

Dans  un  autre  ordre  d'idées,  il  se  fit  remettre  un  certi- 
ficat médical  destiné  à  tranquilliser  le  gouvernement  de 
Louis  XVIII  sur  ses  prétentions  éventuelles  à  reprendre 
du  service  militaire.  Il  s'était  adressé  dans  ce  but,  au 
docteur  Gochenet,  qui  avait  été  chirurgien-major  du  l^"" 
régiment  de  chasseurs  à  pied  de  la  Vieille  Garde  qu'il 
avait  commandé  (1)  et  voici  la  pièce  intéressante  qui  lui 
fut  remise  (2)  : 

Je  soussigné,  docteur  en  médecine,  membre  de  la  Légion 
d'honneur  et  chirurgien  de  l'ex-premier  régiment  des  chasseurs 
à  pied  de  la  Vieille  Garde,  certifie  que  M.  le  baron  Cambronne, 
■commandant  le  dit  régiment,  a  reçu  cinq  coups  de  feu  : 

4»)  Une  balle  qui  est  entrée  à  la  partie  externe  inférieure  du 
bras  gauche  et  sortie  à  celle  moyenne  interne  de  cette  extrémité, 
a  produit  une  blessure  de  six  pouces  de  long,  d'où  résultent  des 
cicatrices  profondes  et  adhérentes,  faiblesse  et  gêne  dans  toute 
l'extrémité  pectorale  gauche,  particulièrement  des  mouvements 
du  doigt  auriculaire.  Il  ne  se  sert  de  ce  bras  qu'avec  beaucoup 
de  peine. 

2o)  Une  autre  cicatrice  au  côté  gauche  de  la  poitrine,  suite 
d'un  coup  de  feu. 

3o)  Deux  coups  de  feu  à  la  partie  supérieure  antérieure  de  la 
cuisse  droite  et  un  autre  coup  de  mitraille  à  la  même  extrémité 
pelvienne,  voisine  des  deux  autres. 

Il  résulte  de  ces  trois  blessures  un  engorgement  considérable 
à  cette  partie,  raideur  et  gêne  dans  la  progression. 

(1)  D'une  note  qui  figure  aux  archives  du  ministère  de  la  guerre, 
il  résulte  que  depuis  le  19  juin  1813,  c'est-à-dire  dès  le  lendemain 
de  Waterloo,  Cambronne  n'avait  été  compté  que  pour  mémoire 
dans  les  revues  de  corps  de  son  ancien  régiment.  Il  avait  été  rayé 
définitivement  des  contrôles  le  11  octobre  1815  par  suite  du  licen- 
ciement du  l^i"  régiment  de  chasseurs  à  pied  de  l'ex-garde. 

C'est  sans  doute  à  ce  moment  que  le  docteur  Cochenet  quitta  ses 
fonctions  de  chirurgien-major  et  alla  s'établir  à  Metz  pour  y  exercer 
la  médecine. 

(2)  Archives  du  ministère  de  la  guerre. 


—  172  — 

J'estime  que  l'ensemble  de  ces  graves  blessures  mettent  M.  le 
général  Cambronne  hors  d'état  de  pouvoir  continuer  son  service 
militaire. 

Fait  à  Metz,  le  -21  janvier  1816. 

COCHENET 

D.  M. 

Il  correspondait  avec  le  dehors,  avec  sa  mère  notam- 
ment (1)  et  charmait  du  mieux  qu'il  pouvait,  en  compa- 
gnie du  général  Drouot  dont  il  partageait  la  chambre,  du 
général  Berton,  d'autres  encore,  enfermés  comme  lui  à 
la  prison  de  l'Abbaye,  les  ennuis  d'une  interminable 
captivité.  Mais,  môme  là,  ils  étaient  l'objet  d'une  surveil- 
lance policière  dont  nous  retrouvons  les  traces  dans  la 
note  suivante  qui  porte  la  date  du  24  janvier  1816  et  qui 
était  destinée  au  ministre  de  la  police  générale  (2)  : 

Une  personne  qui  est  allée  voir  hier  le  général  Cambronne  à 
Labbaye,  m'a  raconté,  qu'il  était  dans  la  même  chambre  du 
général  Drouot,  qu'il  les  y  avoit  vus  rians  et  fumans  leurs  pipes, 
qu'ils  l'avoiont  beaucoup  questionné  sur  l'oppinion  publique,  que 
Cambronne  avoit  demandé  des  nouvelles  d'un  régiment  dont  il 
n'est  resté  que  200  hommes  après  la  bataille  du  mont  Saint- 
Jean,  et  s'il  était  à  Paris,  je  ne  me  rappel  pas  du  n»  de  ce 
régiment  ;  la  personne  m'a  dit  avoir  observé  que  d'après  ses 
gestes  et  quelques  mots  entrecoupés,  que  ce  régiment  lui  étoit 
dévoué. 

Il    s'attend,  a-t-il-dit,   d'être   condamné  ;   et   il   prépare  une 

(1)  Le  catalogue  de  lettres  autographes  vendues  le  2o  mai  18:i2 
(Paris,  Laverdt't,  1852,  in-S"),  qui  figure  sous  le  n°  08179  de  la 
Bibliothcque  publique  de  Nantes,  porte  cete  mention  au  nom  de 
notre  héros  : 

«  Cambronne.  Lettre  autogr.  Signée  à  M.  3  janvier  1816. 

»  1  p.  in-4''  n.  mss. 

»  Envoi  de  ses  états  de  service  avec  des  rectifications  sur  sa  prise 
»  à  Waterloo,  sa  blessure,  sa  rentrée  en  France,  etc. 

Il  serait  intéressant  de  savoir  entre  quelles  mains  i.e  trouN-e 
aujourd'hui  cette  lettre  et  de  pouvoir  la  publier. 

(2)  Archives  nationales,  F  7  6679. 


—  173  — 

défense,  qui  aura  plutôt  pour  but  d'exciter  les  soldats  à  la  révolte 
que  pour  sa  justiffication. 

Le  chef  de  bataillon  Delon,  rapporteur, —  ce  quiéquivaut 
aux  fonctions  de  juge  d'instruction  en  matière  civile  — 
lui  fit  subir  quatre  interrogatoires,  le  29  janvier  1816,  le 
15  février,  le  2  avril,  puis  le  20  et  c'est  le  2G  qu'il  compa- 
raissait enfin  devant  le  premier  conseil  de  guerre  de  la 
première  division  militaire  de  la  Seine. 

L'histoire  s'est  déjà  prononcée  sur  le  caractère  honteux 
etodieuxdesprocôsquelaUestaurationintentaaux  officiers 
généraux  qui,  pendant  les  Cent-Jours,  s'étaient  laissés 
aller  à  suivre  la  fortune  de  Napoléon.  Quelle  qu'ait  été 
leur  attitude  ou  du  moins  l'attitude  de  quelques-uns 
d'entre  eux  à  l'égard  du  gouvernement  déchu,  il  était 
impossible  de  ne  pas  se  souvenir  de  la  gloire  qu'ils  avaient 
conquise  à  l'armée  et  à  la  France  elle-même  pendant  les 
guerres  de  la  République,  du  Consulat  et  de  l'Empire,  il 
fallait  se  rappeler  qu'au  cours  de  cette  dernière  et  désas- 
treuse campagne,  c'était  contre  la  coalition  anglo-prus- 
sienne qu'ils  s'étaient  battus  dans  les  plaines  de  AVaterloo 
et  le  roi  de  France  se  fût  honoré  en  oubliant  la  trahison 
dont  il  se  prétendait  victime,  l'attaque  à  main  armée 
dirigée  contre  un  régime  qui  ne  s'était  même  pas  défendu, 
et  en  n'évoquant  que  l'image  puissante  de  cette  résistance 
suprême  cà  l'envahisseur.  Mais  il  y  avait  trop  de  rancune 
dans  le  cœur  de  ces  émigrés  qui  revenaient  en  France 
assoiffés  de  vengeance,  pour  espérer  de  leur  part  une 
générositéqu'ils  auraient  considérée  comme  de  la  faiblesse. 
L'exécution  de  Ney,  de  Labédoyère,  de  Mouton-Duvernet, 
restera  à  la  charge  de  cette  restauration,  justement 
qualifiée  de  Terreur  blanche,  comme  une  tache  que  rien 
ne  saurait  effacer. 


—  174  — 

Mais  si  l'on  arrive  encore  à  s'expliquer  l'irritation  de 
Louis  XVIII  contre  les  généraux  qui  lui  avaient  prêté 
serment  de  fidélité  et  qui,  après  avoir  accepté  de  lui  le 
commandement  de  ses  troupes,  n'avaient  pu  résister  à 
l'entrainement  universel  et  s'étaient  mis  au  service  de 
l'empereur  qu'ils  avaient  reçu  mission  de  combattre,  il 
est  au  contraire  difficile  de  comprendre  comment  des 
hommes  qui  n'avaient  rien  promis  au  nouveau  régime 
purent,  comme  Drouot  et  Cambronne,  être  l'objet  d'un 
ressentiment  que  rien  ne  justifiait. 

C'est  là  ce  qui  rendait  le  procès  intenté  à  Cambronne 
particulièrement  répugnant  et  il  semble  que  ce  soit  ce 
sentiment  qui  ait  dominé,  môme  parmi  les  partisans  les 
plus  dévoués  de  la  monarchie  légitime.  Nous  en  avons  un 
premier  témoignage  dans  la  difficulté  que  rencontra  le 
lieutenant-général  Despinois  pour  constituer  le  conseil  de 
guerre  et  surtout  pour  en  désigner  le  président. 

M.  de  Foissac-Latour,  maréchal-de-camp,  qui  faisait 
partie  de  la  garde  royale,  protesta  vivement  contre  sa 
nomination.  Il  invoqua  divers  motifs  tirés  de  sa  situation 
militaire  et  des  règles  de  la  hiérarchie  et  de  la  discipline 
pour  se  soustraire  à  cette  douloureuse  obligation^  des 
lettres  furent  échangées  entre  lui  et  ses  chefs  et  finalement 
il  n'obéit  qu'à  un  ordre  si  formel  qu'aucune  réplique 
n'était  plus  possible. 

Il  en  fut  de  môme  du  comte  Edmond  de  Périgord  qui, 
lui  aussi,  fit  d'inutiles  efforts  pour  ne  pas  siéger.  A  l'un  et 
à  l'autre,  le  ministre  de  la  guerre  fit  répondre  entr'autres 
arguments,  que  c'était  à  l'accusé  qu'il  appartenait  de 
contester,  si  bon  lui  semblait,  la  régularité  de  la  compo- 
sition   du   conseil,    mais  qu'ils    ne   pouvaient    prendre 


—  175  — 

les  devants  et  refuser  de  déférer  à  un  service  com- 
mandé (1). 

Le  Conseil  comprenait  donc,  comme  président,  31.  de 
Foissac-Latour,  et  comme  juges  MM.  Edmond  de  Périgord, 
et  Aymé  de  la  Chevalerie,  maréchauxde-camp,  Moulin, 
colonel,  de  Pons  et  Louis  de  Vergennes,  chefs  d'escadron 
et  de  Gouy,  capitaine. 

Le  chef  de  bataillon  Delon  était  rapporteur  ;  le  capitaine 
Dutuit,  procureur  du  roi.  Les  fonctions  de  greffier  étaient 
remplies  par  M.  Boudin. 

On  sait  combien  sont  émouvants  d'habitude  les  débats 
devant  le  conseil  de  guerre,  où  l'appareil  déjà  imposant 
de  la  justice  ordinaire  emprunte  un  caractère  plus 
solennel  encore  à  l'uniforme  des  juges  militaires,  surtout 
quand  c'est  un  officier  supérieur  qui  est  l'objet  de 
l'accusation.  Mais  ce  n'était  pas  seulement  un  vulgaire 
sentiment  de  curiosité  qui  avait  attiré  dans  la  salle 
d'audience  une  foule  considérable,  c'était  un  mouvement 
d'inexprimable  sympathie  pour  celui  qui,  dans  des  jours 
de  deuil  et  de  découragement,  avait  incarné  en  quelque 
sorte  en  sa  personne  le  cri  suprême  de  la  Grande  Armée. 
Il  n'avait  d'ailleurs  qu'à  paraître  pour  que,  rien  qu'à  sa 
vue,  il  en  portât  l'admirable  et  vivant  témoignage. 
N'avait-il  pas  encore,  au-dessus  de  l'œil  gauche,  la  cicatrice 
profonde  d'une  des  blessures  qu'il  avait  reçues  à  Waterloo? 

Auprès  de  lui  est  assis  son  avocat,  un  jeune  homme  de 
vingt-cinq  ans,  qui  jusqu'à  présent  n'a  fait  qu'assister  son 
père  dans  la  défenre  du  maréchal  Ney  et  plaider  pour  le 
général  Debelle  mais  que  l'acquittement  de  Cambronne 
va  mettre  en  relief  et  qui,  à  partir  de  cette  date,  étonnera 

(i)  Archives  du  ministère  de  la  guerre. 


—  176  — 

le  monde  par  la  merveilleuse  puissance  de  son  talent,  la 
noblesse  de  ses  sentiments  et  la  loyauté  de  son  caractère. 

Il  s'appelle  Berryer. 

C'est  un  royaliste  convaincu  et  pourtant  il  a  accepté  de 
défendre  Gambronne,  un  des  fidèles  partisans  de  l'usurpa- 
teur, infligeant  ainsi  au  régime  qui  lui  est  cher  un  blâme 
implicite  que  l'opinion  ratifiera.  Dès  à  présent,  avant 
même  qu'il  se  soit  levé  à  la  barre,  on  sait  que,  parmi  les 
défenseurs  les  plus  énergiques  du  trône  et  de  l'autel,  il 
s'en  trouve  qui  osent  regretter  les  rigueurs  dirigées 
contre  les  serviteurs  de  Napoléon  et  consacrer  leur  talent 
à  la  noble  défense  des  vaincus.  • 

L'interrogatoire  commence,  reproduisant  presque  tex- 
tuellement ceux  que  Gambronne  a  déjà  subis  à  l'instruc- 
tion. Rarement  défense  plus  simple,  plus  énergique,  plus 
loyale  fût  présentée.  Gambronne  qui  n'était  qu'un  soldat 
ignorant  les  subtils  détours  de  la  parole,  sut,  rien  que  par 
la  force  même  de  son  courage  civique,  trouver  les  plus 
heureuses  formules  de  l'éloquence.  Pas  un  seul  instant  il 
ne  renia  son  dévouement  absolu  à  la  cause  vaincue  et  de- 
vant ses  juges  qui  portaient  tous  la  cocarde  blanche  au 
chapeau  comme  au  cœur,  il  n'hésita  pas  à  proclamer  qu'il 
avait  tout  fait  pour  lui  substituer  la  cocarde  tricolore.  Il 
fut  héroïque  devant  ses  juges  comme  il  l'avait  été  sur  le 
champ  de  bataille  et  cette  page  doit  compter,  suivant 
nous  parmi  les  plus  belles  de  l'histoire  de  Gambronne: 
suivant  l'usage,  le  greffier  commença  par  donner  lecture 
des  interrogatoires  du  général  qui  constitueraient  en  quel- 
que sorte  le  rapport  de  l'affaire,  et  qu'il  est  indispensable 
de  reproduire  ici  : 


—  177  — 

PREMIER  INTERROGATOIRE 

D.  —  M.  le  général,  à  quelle  époque,  dans  quel  lieu  et  pour 
quel  motif  avez  vous  été  arrêté?  —  R.  Je  n'ai  point  été  arrêté; 
j'étais  prisonnier  de  guerre  en  Angleterre.  Ayant  eu  ma  liberté 
par  suite  du  traité  de  paix,  et  connaissant  l'ordonnance  du  Roi 
du  24  juillet  dernier^  je  m'empressai  d'écrire  à  Son  Excellence,  le 
ministre  de  la  police  générale  pour  lui  faire  part  que  j'allais 
embarquer  pour  rentrer  en  France,  dans  l'intention  de  donner 
une  preuve  de  ma  soumission  à  S.  M.  en  me  présentant  devant 
les  juges  qu'on  désignerait.  Je  demandais  seulement  de  ne  point 
être  arrêté  lors  de  mon  débarquement,  et  de  pouvoir  me  rendre 
libremejit  à  Paris.  Arrivé  à  Calais,  je  me  présentai,  le  17  décem- 
bre dernier,  au  commandant  de  la  place,  et  le  même  jour  je 
partis  pour  Paris,  accompagné  d'un  ofïicier  à  demi  solde  qui  me 
fut  donné  par  le  commandant.  ]M'étant  présenté  en  cette  dernière 
ville  à  M.  le  lieutenant  général  Despinois,  commandant  la  divi- 
sion, il  me  fit  conduire  par  un  adjudant  de  place  à  l'Abbaye  (1). 

D.  Quelles  étaient  vos  fonctions  au    ier  mars  1814  ? 

R.  J'étais  général  de  brigade,  commandant  le  1er  régiment 
de  chasseurs  à  pied  de  l'ex-vieille  garde. 

D.  Où  vous  trouviez-vous  lors  de  l'abdication  de  Napoléon, 
en  avril  de  la  môme  année  ? 

R.  J'étais  à  Fontainebleau,  retenu  dans  mon  lit  par  suite  des 
blessures  que  j'avais  reçues  à  la  bataille  de  Craone  et  sous  les 
murs  de  Paris. 

D.  A  cette  époque,  la  France  est  restée  sous  le  gouvernement 
de  ses  légitimes  souverains  ;  l'armée  française  en  masse  et 
individuellement  a  donné  son  adhésion  ;  elle  a  reconnu  S.  M. 
Louis  XVIII  pour  son  légitime  souverain  ;  elle  a  prêté  serment 
d'obéissance  et  de  fidélité.  Avez-vous  suivi  son  exemple  ? 

R.  Le  traité  du  11  avril  1814  ayant  accordé  à  Napoléon  la  souve- 

(1)  Lors  de  la  lecture  de  cet  interrogatoire  à  l'audience,  le  rappor- 
teur fit  savoir  qu'à  sa  demande  de  renseignement,  le  ministre  de  la 
police  avait  répondu  en  lui  transmettant  deux  lettres  du  général 
Cambronne,  l'une  du  10  octobre  1815  annonçant  son  retour  prochain 
en  France,  l'autre  du  13  du  même  mois  annonçant  son  arrivée  immi- 
nente à  Calais. 

12 


—  178  — 

raincté  de  l'île  d'Elbe,  avec  le  titre  d'empereur,  avec,  en  outre, 
l'autorisation  d'emmener  quatre  cents  hommes  de  troupe,  je  me 
suis  fait  un  devoir  de  partager  le  sort  de  mon  ancien  souverain, 
et  j'ai  accepté  le  commandement  de  ces  troupes,  qui  me  fut 
donné  la  veille  de  leur  départ  de  Fontainebleau.  N'ayant  pas 
quitté  mon  ancien  souverain,  je  me  suis  considéré  comme  n'étant 
plus  sujet  français.  J'ai  pensé  que  je  n'étais  astreint  à  aucun 
serment  envers  S.  M.  Louis  XVIII.  Je  n'en  ai  donc  prêté  d'aucune 
nature,  ni  fait  aucun  acte  d'adhésion  (I). 

D.  Où  étiez-vous  au  ier  mars  181S  ? 

R.  Parti  de  l'île  d'Elbe  avec  Napoléon,  je  suis  débarqué,  avec 
lui  et  ses  troupes,  sur  les  côtes  de  Provence,  et  le  ler  mars  nous 
étions  au  golfe  Juan.  • 

D.  Qu'avez-vous  fait  dul^rau  20  mars  ? 

R.  J'ai  commandé  l'avant-garde  des  troupes  de  Napoléon 
jusqu'à  3  heures  avant  l'arrivée  à  Lyon.  Depuis  cette  époque, 
j'ai  cessé  d'avoir  un  commandement,  et  je  l'ai  précédé  ou  suivi 
jusqu'à  son  arrivée  à  Paris. 

D.  Qu'ôtes-vous  devenu  depuis  le  20  mars  dernier,  jusqu'au 
jour  de  votre  rentrée  en  France,  venant  d'Angleterre  ? 

R.  J'ai  repris  le  commandement  du  1er  régiment  des  chasseurs 
à  pied  de  la  garde,  à  l'arrivée  de  ce  corps  à  Paris.  Quelque 
temps  après,  je  fus  promu  au  grade  de  lieutenant-général,  que  je 
refusai  d'accepter,  en  annonçant  que,  dans  le  cas  où  l'on  me 
forcerait  d'accepter,  je  prendrais  ma  retraite.  Je  quittai  Paris 
avec  la  garde  lorsqu'elle  partit  pour  l'armée.  Blessé  et  laissé 
pour  mort  à  la  bataille  du  18  juin,  je  fus  fait  prisonnier  par  les 
Anglais  ot  conduit  en  Angleterre,  d'où  je  suis  revenu,  comme  je 
l'ai  dit  plus  haut. 

D.  Quelles  étaient  vos  fonctions  à  l'île  d'Elbe  ? 

R.  J'étais  commandant  de  la  place  de  Porto-Ferrajo. 

D.  Postérieurement  au  H  avril  1814,  avant  d'avoir  quitté  la 
Franco,  depuis  votre  arrivée  à  l'île  d'Elbe,  pendant  le  séjour 
que  vous  y  avez  fait  et  depuis  votre  débarquement  en  France, 

(1)  A  ce  moment,  le  rapporteur  donna  lecture  d'une  copie  du 
traité  de  Fontainebleau  du  il  avril  1814  que  le  ministre  de  la  guerre 
lui  avait  envoyé  sur  sa  demande. 


—  179  — 

n'avoz-vous  adressé  au  Roi  ou  à  ses  ministres  aucun  HCte  de 
soumission  ?  N'avez-vous  fait  enfin,  ni  démarches,  ni  actes,  ni 
demandes,  ayant  pour  but  votre  rentrée  en  France  pour  y  vivre 
en  fidèle  sujet  de  S.  M.  Louis  XVIII  ? 

R  Me  considérant  comme  sujet  d'un  prince  étranger,  je  ne 
me  suis  point  cru  dans  l'obligation  de  faire  ni  démarches,  ni 
actes  do  cette  nature  envers  le  Roi  de  France  ou  ses  ministres. 
Je  me  suis  borné,  pendant  mon  séjour  à  l'île  d'Elbe,  à  une 
époque  dont  je  no  me  rappelle  plus,  d'écrire  à  M.  le  lieutenant- 
général  comte  Curial,  pour  l'inviter  à  me  conserver  sa  bien- 
veillance, et  lui  faire  part  de  mon  désir  d'employer  son  crédit, 
dans  le  cas  où  la  mort  do  Napoléon  me  laisserait  libre  pour 
rentrer  en  France,  et  reprendre  ma  qualité  et  mes  droits  de 
citoyen  français.  Je  n'ai  point  reçu  de  réponse  (1). 

DEUXIÈME  INTERROGATOIRE 

D.  Depuis  votre  sortie  de  France,  ou  pendant  votre  séjour  à 
l'île  d'Elbe,  n'avez  vous  pas  reçu  des  ordres  du  Roi  ou  de  ses 
ministres,  annulant  l'autorisation  qui  avait  pu  vous  être  donnée 
de  passer  à  un  service  étranger,  et  vous  enjoignant  de  rentrer 
en  France  sur  le  champ,  ou  dans  un  délai  déterminé? 

R.  Je  n'ai  jamais  reçu  d'ordres  semblables. 

D.  Quelles  étaient  vos  occupations  à  l'ile  d'Elbe? 

R.  J'étais  commandant  de  place  à  Porto-Ferrajo,  chargé  de  la 
police  militaire  et  de  l'instruction  des  corps  organisés  en  ba- 
taillons. 

D.  A  quelle  époque  avez  vous  eu  connaissance  du  projet  de 
Napoléon  de  quitter  l'île  d'Elbe  pour  tenter  une  invasion  en 
Franco  ? 

R.  Trois  jours  avant  l'embarquement,  Napoléon  me  donna 
l'ordre  de  me  tenir  prêt  à  partir  sans  me  faire  connaître  ses  pro- 
jets et  notre  destination,  et  en  me  donnant  également  l'ordre  de 

(1)  Informations  prises  par  le  rapporteur  auprès  du  ministre  de  la 
guerre,  il  n'existait  en  effet  aucun  acte  de  soumission  du  général 
Cambronne  au  roi,  avant  le  20  juillet  1815.  Ce  renseignement  fut, 
lors  de  la  lecture  de  ce  passage  de  l'interroga'.oire,  fourni  par  le 
rapporteur  aux  membres  du  conseil  de  guerre. 


—  480  — 

ne  faire  connaître  ce  départ  à  qui  que  ce  soit.  Ce  n'est  qu'à  bord 
du  bâtiment,  le  deuxième  ou  troisième  jour  de  la  traversée,  qu'il 
parut  sur  le  pont  avec  la  cocarde  tricolore  au  chapeau,  et  nous 
dit  que  nous  allions  en  France. 

D.  Ne  fites  vous  aucune  observation? 

R.  Les  troupes  poussèrent  des  vivats  ;  soldat  et  sujet  de  Napo- 
léon, je  crus  n'avoir  qu'à  obéir. 

R.  Antérieurement  au  départ  de  l'île  d'Elbe,  n'avez  vous  pas 
fait  de  voyage  en  France,  soit  pour  vos  affaires  particulières, 
soit  pour  remplir  quelque  mission  qui  vous  aurait  été  donnée 
par  Napoléon? 

R.  Je  n'ai  jamais  quitté  l'ile  d'Elbe  qu'au  moment  de  l'embar- 
quement général. 

D.  Si  vous  n'avez  pas  fait  de  voyages  en  France,  ayant  pour 
but  de  préparer  la  réussite  de  l'invasion  de  Napoléon,  du  moins 
avez  vous  entretenu  quelque  correspondance  à  cet  égard,  soit 
avec  vos  amis  particuliers,  soit  avec  les  partisans  de  Napoléon, 
Gt  les  ennemis  de  la  France  et  de  son  légitime  souverain 
Louis  XVIII  ? 

R.  Jamais  je  n'ai  eu  de  correspondances  politiques;  entière- 
ment militaire,  je  ne  m'occupais  que  de  mon  état  et  des  soldats 
sous  mes  ordres.  Pendant  mon  séjour  à  l'île  d'Elbe,  je  n'ai  écrit 
qu'à  ma  mère  qui  habite  Saint-Sébastien  près  do  Nantes,  et  une 
fois  à  M,  le  lieutenant  général  comte  Curial,  pour  le  prévenir 
qu'en  cas  que,  pour  un  motif  quelconque,  je  me  décidasse  à 
quitter  le  service  de  Napoléon,  j'aurais  recours  à  sa  protection 
pour  obtenir  la  permission  de  rentrer  en  France,  et  d'y  vivre 
tranquillement  au  sein  de  ma  famille  (1). 

D.  Puisque  vous  n'aviez  accompagné  Napoléon  à  l'ile  d'Elbe 
que  par  suite  du  traité  du  11  avril  1814,  et  d'après  l'autorisation 

(1)  Le  général  Curial  avait  été  sollicité  par  le  rapporteur  de  pro- 
duire cette  lettre,  mais  il  l'avait  déjà  envoyée,  quelque  insignifiante 
qu'elle  iûtcommepotitique,audirecteurgénéral  de  la  police  qui  ne  par- 
vint pas  à  la  retrouver  dans  les  bureaux  de  son  ministère.  Le  sens  en 
était  conforme  à  celui  qu'avait  indiqué  Cambronne. 

Le  rapporteur,  à  défaut  de  la  lettre  même,  fournit  ces  renseigne- 
ments au  conseiL' 


—  181  — 

accordée  par  ce  traité,  vous  n'aviez  pas  besoin  d'avoir  recours  à 
la  protection  de  qui  que  ce  soie  pour  obtenir  votre  rentrée  en 
France,  l'article  18  de  ce  traité  vous  laissait,  pendant  trois  ans, 
la  faculté  d'y  rentrer  sans  vous  soumettre  à  aucune  démarche, 
ni  à  aucune  formalité. 

R.  Ayant  accepté  les  fonctions  do  commandant  de  Porto- 
Ferrajo,  ayant  suivi  Napoléon,  devenu  souverain  de  l'ile  d'Elbe, 
peu  au  fait  de  ce  qui  constitue  les  droits  politiques,  je  me  regar- 
dais comme  ayant  perdu  tous  mes  droits  de  citoyen  français, 
comme  étant  devenu  étranger  à  la  France,  et  par  conséquent 
comme  ne  pouvant  y  rentrer  qu'après  en  avoir  demandé  et 
obtenu  l'autorisation. 

D.  Vou::  prétendez  n'avoir  agi,  en  portant  les  armes  contre  la 
France,  que  comme  étranger  et  sujet  d'un  souverain  étranger  ; 
je  dois  vous  observer  qu'en  admettant  môme  que  Napoléon  fût 
réellement  un  souverain  étranger,  autorisé  par  le  droit  des 
nations  à  faire  la  guerre  à  la  France,  vous  ne  pouviez,  dans 
cette  hypothèse,  vous  considérer  que  comme  un  Français  autorisé 
à  servir  une  puissance  étrangère  ;  et  dans  cette  position,  vous 
sentez  que  les  lois  et  l'honneur  vous  prohibaient  de  porter  les 
armes  contre  la  France. 

R.  Passé  au  service  du  Prince  Souverain  de  l'île  d'Elbe,  non 
par  une  simple  autorisation  du  Roi  de  France,  mais  par  suite 
des  conditions  stipulées  dans  le  traité  du  H  avril  1814,  j'ai  cru, 
puisque  par  ce  traité  je  restais  sujet  de  Napoléon,  sans  aucune 
restriction  ni  condition,  que  les  liens  qui  m'attachaient  à  la 
France  étaient  entièrement  rompus,  et  que  je  devais  aveugle 
obéissance  au  Souverain  auquel  j'obéissais  depuis  si  longtemps, 
et  que  j'avais  cru  ne  pas  devoir  abandonner,  par  cela  même 
qu'il  était  malheureux. 

D  Je  dois  vous  faire  observer  que,  d'après  le  sens  des  art.  17 
et  18  du  traité  dont  vous  excipez,  vous  ne  perdiez,  en  suivant 
Napoléon,  la  qualité  de  Français  qu'au  bout  de  trois  ans  et 
qu'en  conséquence,  vous  n'étiez  délié  qu'après  ces  trois  ans  des 
obligations  et  des  devoirs  de  citoyen  français. 

R.  Je  me  suis  considéré  comme  sujet  d'un  souverain  étranger 
du  moment  où,  par  suite  du  traité  déjà  cité,  Napoléon  a  été 
reconnu  souverain  de  l'île  d'Elbe,  et  voilà  pourquoi  je  n'ai  fait 


—  182  — 

aucun  acte  d'adhésion  au  Gouvernement  provisoire,  ni  n'ai  prêté^ 
aucun  serment  de  fidélité  à  S.  M.  Louis  XVIII  jusqu'au  20  juillet 
dernier^  que,  dégagé  de  mes  serments  par  la  seconde  abdicatioa 
de  Napoléon,  j'ai  adressé  d'Angleterre,  où  j'étais  prisonnier,  à 
Son  Excellence  le  ministre,  mon  adhésion  au  gouvernement  royal, 
en  le  priant  de  mettre  sous  les  yeux  de  S.  M.  mon  serment  de 
fidélité,  serment  qu'on  ne  doit  pas  craindre  de  me  voir  trahir.  (1) 
J'ai  considéré  l'article  18  comme  seulement  facultatif,  et  accor- 
dant aux  Français  qui  auraient  suivi  Napoléon,  la  faveur  de 
reprendre,  par  leur  simple  retour  en  France,  leurs  droits  de 
citoyen  français,  dans  le  cas  où  ils  voudraient  prendre  ce  parti. 
Voilà  pourquoi,  et  dans  quel  sens,  j'avais  écrit  à  M.  le  lieutenant- 
général,  comte  Curial,  en  profitant  du  motif  que  me  donnait  lo 
besoin  de  régulariser  ma  comptabilité  pour  objet  de  service,  avant 
mon  départ  de  France,  mon  désir  étant  de  rentrer  dans  mon 
ancienne  patrie,  si  un  événement  ou  des  circonstances  quelcon- 
ques m'avaient  décidé  à  quitter  l'ile  d'Elbe  et  le  service  de 
Napoléon. 

TROISIÈME  INTERROGATOIRE 

D.  Vous  avez  déclaré,  dans  un  de  vos  interrogatoires  précé- 
dents, que  Napoléon,  trois  jours  avant  de  quitter  l'île  d'Elbe,  vous 
donna  l'ordre  de  vous  tenir  prêt  à  partir,  sans  vous  faire  con- 
naître pour  quelle  destination,  et  que  ce  ne  fut  que  le  deuxième 
ou  le  troisième  jour  de  la  traversée  que  vous  fûtes  instruit, 
ainsi  que  la  troupe,  que  vous  alliez  en  France.  Comment  croire 
que  Napoléon,  qui  avait  fait  connaître,  avant  son  départ,  son 
projet  aux  généraux  Bertrand  et  Drouot,  n'ait  pas  eu  en  vous  la 
même  confiance,  vous,  comme  eux  officier  général,  vous,  sur  le 
dévouement  duquel  il  n'avait  probablement  aucun  doute  ? 

R.  Napoléon,  après  m'avoir  donné  l'ordre  de  me  tenir  prêt  à 
partir,  s'adressant  à  moi,  m'interpella  en  me  disant  :  Cambronne^ 
où  allons-nous?  Je  lui  répondis:  Je  n'ai  jamais  cherché  à  péné- 
trer les  secrets  de  mon  souverain,  je  vous  suis  tout  dévoué.   Napo- 

(1)  Nous  avons  donné  cette  lettre  à  sa  date.  Elle  l'ut  lue  au  conseil 
de  guerre  par  le  rapporteur  à  qui  elle  avait  été  transmise  par  le- 
commandant  de  la  l""'  division  militaire. 


—  183  — 

léon  n'ajoutant  rien  de  plus,  je  me  bornai  effectivement  à  me 
tenir  prùt  à  obéir  à  ses  ordres,  sans  chercher  à  savoir  où  nous 
devions  aller,  ni  par  quel  motif  il  m'en  faisait  part. 

D.  Une  fois  instruit  que  les  projets  de  Napoléon,  en  quittant 
l'île  d'Elbe,  avaient  pour  but  une  invasion  en  France  et  le  projet 
de  détrôner  le  légitime  souverain,  n'avez-vous  pas  réfléchi  sur  la 
déloyauté  de  cette  entreprise,  ses  difficultés,  ses  dangers  et  les 
malheurs  qu'elle  devait  nécessairement  attirer  sur  la  France  ? 

R.  Soldat  et  sujet,  je  ne  pouvais  abandonner  mon  souverain 
sans  lâcheté,  j'ai  rejeté  toute  réflexion,  mon  devoir  l'a  emporté. 

D.  Vous  ne  vous  considériez  sujet  deNapsléon  comme  souve- 
rain étranger,  et  lui  devant  à  cet  effet  pleine  et  entière  obéis- 
sance que  par  suite  du  traité  du  H  avril  1814,  d'après  lequel 
Napoléon  avait  renoncé  à  toute  domination  sur  la  France  et 
l'Italie.  Lorsque  vous  avez  eu  connaissance  que,  contre  la  foi  des 
traités,  Napoléon  attaquait  le  Roi  de  France  et  prenait  la  qualité 
d'Empereur  des  Français,  ne  deviez- vous  pas  vous  considérer 
comme  dégagé  de  vos  devoirs  envers  Napoléon,  et  des  serments 
que  vous  pouviez  lui  avoir  prêtés  par  suite  de  ce  traité  dont  il 
violait  les  premières  et  principales  conditions?  En  n'agissant 
pas  ainsi,  et  favorisant  de  tous  vos  moyens  l'invasion,  ne  vous 
ètes-vous  pas  exposé  à  ce  qu'on  ne  voie  en  vous  que  le  complice 
de  l'auteur  de  l'attentat,  et  non  le  sujet  d'un  souverain  étranger 
qui  combat  avec  honneur  les  ennemis  de  son  prince  ? 

R.  Le  traité  de  Fontainebleau  m'avait  imposé  des  obligations 
envers  Napoléon.  Ne  me  considérant  pas  comme  Français,  j'ai  dû 
lui  obéir  passivement  :  les  titres  qu'a  pris  Napoléon  à  son  arrivée 
en  France,  ne  lui  ôtaient  pas  ceux  de  souverain  de  Tile  d'Elbe  ; 
c'étaient  donc  toujours  les  mômes  devoirs  qui  me  liaient  à  lui, 
c'étaient  les  mômes  principes  qui  me  faisaient  agir. 

D.  Avez-vous  eu  connaissance  de  l'ordonnance  de  S.  M.  du 
6  mars  de  l'année  dernière  ? 

R.  Je  n'ai  pas  eu  connaissance  de  cette  ordonnance. 

D.  Cette  ordonnance  ayant  eu  la  publicité  que  l'on  donne  à 
toutes  les  lois  émanées  de  l'autorité  souveraine  ou  législative, 
tous  les  habitants  de  la  France  sont  censés,  de  droit  ou  de  fait, 
en  avoir  la  connaissance,  et  étaient  tenus  d'y  obéir.  Cette  ordon- 
nance était  impérative  ;  elle  traçait  leur  devoir  à  tous  les  Fran- 


—  18-4  — 

çais  qui,  séduits  ou  égarés,  avaient  pu  s'être  réunis  à  Napoléon  ; 
pourquoi  n'avez-vous  pas  obéi  ? 

R.  Je  puis  vous  assurer  de  nouveau,  et  avec  vérité,  que  je  n'ai 
euconnaisancedecette  ordonnance  que  depuis  que  je  suis  détenu  ; 
mais  j'en  aurais  eu  connaissance  dès  mon  débarquement,  ou 
avant  mon  arrivée  à  Paris  avec  Napoléon  que .  ne  me  regardant 
pas  comme  Français,  étant  au  contraire  sujet  d'un  souverain 
étranger,  je  n'aurais  pas  cru  être  dans  l'obligation  de  m'y  sou- 
mettre. 

D.  N'avez-vous  pas  signé  une  proclamation  sous  la  date  du 
1er  mars  et  du  golfe  Juan,  ladite  proclamation  faite  au  nom  des 
troupes  de  la  Garde  de  Napoléon,  et  par  laquelle  les  Français,  et 
surtout  l'armée,  étaient  invités  à  quitter  leur  légitime  souverain, 
pour  se  réunir  sous  les  drapeaux  do  Napoléon  ? 

R.  J'ai  signé,  il  est  vrai,  une  proclamation  sous  cette  date,  elle 
avait  été  rédigée  par  Napoléon  lui-même,  et  d'après  ses  ordres, 
elle  a  été  signée  par  tous  les  militaires  qui  savaient  écrire, 
n'importe  leur  grade. 

D.  Vous  n'êtes  donc  ni  l'auteur,  ni  l'un  des  rédacteurs  de  cette 
proclamation  ? 

R.  Non,  Monsieur. 

D.  Pourquoi  signer  une  proclamation  aussi  incendiaire,  et  dont 
les  principes  étaient  si  contraires  au  droit  des  gens,  en  admet- 
tant môme  que  Napoléon  fût  un  souverain  étranger,  et  qu'en 
cette  qualité  il  fil  la  guerre  au  Roi  de  France? 

R.  Sujet  de  Napoléon,  je  lui  devais  obéissance  et  faire  ce 
qu'il  m'ordonnait. 

D.  Je  vous  représente  une  proclamation  insérée  dans  le  Moni- 
teur, du  21  mars  de  l'année  dernière,  portant  la  date  du  golfe 
Juan,  1er  dudit  mois  et  qui,  faite  au  nom  des  généraux,  officiers 
et  soldats  de  l'ex-garde^  est  adressée  à  l'armée  et  parait  avoir  été 
revêtue  de  votre  signature.  Reconnaissez-vous  celte  proclamation 
pour  celle  dont  il  est  question,  et,  en  foi  de  cette  reconnaissanc, 
voulez-vous  signer  et  parapher  en  marge  de  cet  imprimé,  ainsi 
que  nous  l'avons  fait  avec  le  greffier? 

R.  La  proclamation  que  vous  me  représentez  n'est  point  celle 
que  j'ai  signée;  elle  ne  contenait  pas  les  personnalités  qui  se 
trouvent  dans  celle  insérée  au  Moniteur.  Cette  dernière  n'étant 


—  185  — 

» 
pas  copie  de  celle  à  laquelle  j'ai,  par  ordre  de  Napoléon,  apposé 

ma  signature,  comme  tous  les  autres  militaires,  je  ne  crois  pas 
devoir,  ni  pouvoir  la  signer,  ainsi  que  vous  m'en  faites  l'invi- 
tation. (1) 

D.  Vous  ne  reconnaissez  point  la  proclamation  insérée  dans  le 
Moniteur  pour  être  celle  que  vous  avez  signée  Je  vous  en  pré- 
sente une  en  placard,  portant  la  date  susdite  et  qui  paraît  égale- 
ment revêtue  de  vocre  signature  :  la  reconnaissez- vous  pour  être 
celle  dont  il  est  question?  et  voulez-vous,  en  foi  de  cette  recon- 
naissance, la  signer  et  parapher,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait 
avec  le  greffier  ? 

R.  Cette  proclamation,  quoique  différente  de  celle  que  vous 
venez  de  me  représenter,  n'est  pas  encore  la  copie  exacte  de  celle 
signifiée  par  Napoléon.  Je  ne  crois  pas,  en  conséquence,  devoir 
ni  pouvoir  la  signer,  ainsi  que  vons  m'y  invitez. 

D.  Puisque  vous  ne  reconnaissez  aucune  de  ces  deux  procla- 
mations pour  être  la  véritable,  pourriez-vous  nous  représenter 
l'original  ou  la  copie  manuscrite  ou  imprimée  de  cette  proclama- 
tion ? 

R.  Napoléon,  qui  a  fait  cette  proclamation,  ne  l'a  pas  laissée 
entre  nos  mains  ;  je  ne  l'ai  lue  qu'une  fois,  et  je  n'en  ai  jamais 
possédé  de  copie  manuscrite  ou  imprimée. 

D.  Puisque  vous  ne  pouvez  représenter  ni  l'original,  ni  copie 
de  cette  proclamation,  dites-nous  dans  quel  sens  et  dans  quel 
esprit  elle  était  rédigée  ? 

R.  On  invitait  les  troupes  à  se  ranger  sous  les  drapeaux  de 
Napoléon. 

D.  A  cette  invitation  de  se  réunir  sous  les  drapeaux  de 
Napoléon,  n'avait-on  pas  joint  des  personnalités  injurieuses 
contre  le  Roi  et  son  auguste  famille  ?  N'ordonnait-on  pas  d'arra- 
cher et  de  fouler  aux  pieds  la  cocarde  blanche  et  les  drapeaux  à 
l<a  couleur  de  la  famille  royate  ? 

R.  Je  crois  bien  me  rappeler  qu'en  invitant  les  troupes  à  se 


(1)  A  1  audience,  quand  le  greffier  en  fut  arrivé  à  ce  passage  de  la 
lecture  des  pièces,  il  commença  à  lire  cette  proclamation.  Le  prési- 
dent l'arrêta  en  lui  faisant  observer  que  la  méconnaissance  du  docu- 
ment en  rendait  la  lecture  inutile. 


—  186  — 

réunir  à  celles  de  Napoléon,  on  les  invitait  en  môme  temps  de 
substituer  à  la  cocarde  blanche  celle  tricolore  :  mais  il  n'y  avait 
point  d'ordre  de  fouler  aux  pieds  les  signes  de  la  royauté  ;  il  n'y 
avait  non  plus  aucunes  personnalités  injurieuses  pour  S.  M. 
et  la  famille  royale. 

D.  Par  suite  d'un  arrêté  pris  à  la  fin  du  mois  de  juin  dernier 
par  la  commission  du  gouvernement  provisoire,  le  ministre  de 
la  guerre  a  ordonné  que  les  généraux  Bertrand  et  Drouot  seraient 
payés  de  leurs  appointements  depuis  leur  départ  pour  l'île 
d'Elbe,  et  pour  tout  le  temps  de  leur  séjour  dans  l'île  ;  vos 
appointements  pour  ce  même  temps  ne  vous  auraient-ils  pas  été 
payés  par  suite  d'un  pareil  arrêté  ou  de  toute  autre  décision. 

R.  Non,  Monsieur,  et  je  vous  remets  en  preuve  deux  certificats 
délivrés  à  cet  effet  par  MM.  les  quartiers-maîtres  Chaillou  et 
Lanouy,  certifiés  par  M.  le  sous-inspecteur  aux  revues  Latrobe  (4). 

QUATRIÈME  INTERROGATOIRE 

D.  Dans  un  de  vos  interrogatoires  précédents,  vous  avez  dit, 
à  l'appui  de  l'opinion  où  vous  étiez,  d'être  devenu  totalement 
étranger  à  la  îYance,  que  prévoyant  le  moment  où  pour  un  motif 
quelconque,  vous  vous  décideriez  à  quitter  l'île  d'Elbe  et  le 
service  de  Napoléon  pour  rentrer  en  France  et  y  vivre  dans  vos 
foyers,  vous  aviez  écrit  à  M.  le  lieutenant-général  comte  Curial 
pour  lui  demander  si  vous  pouviez  compter  sur  sa  protection, 
pour  vous  faire  obtenir  la  permission  de  rentrer  en  France,  dans 
le  cas  où  vous  vous  décideriez  effectivement  à  quitter  l'île  d'Elbe. 
Vous  avez  réclamé   que  cette  lettre  fût  jointe  aux  pièces  de  la 

(1)  Le  rapporteur  interrompit  à  cet  endroit  la  lecture  des  interro- 
gatoires pour  faire  connaître  la  teneur  de  ces  certificats.  Il  ajouta 
que,  pour  plus  de  certitude,  il  s'était  adressé  au  ministère  de  la 
guerre  d'où  il  lui  avait  été  répondu  qu'il  n'existait  dans  les  bureaux 
aucun  acte  constatant,  au  profit  du  général  Cambronne,  un  rappel  du 
traitement  d'activité  de  son  grade  du  !«■■  avril  1814,  jour  où  il  avait 
cessé  d'être  porté  sur  les  contrôles  jusqu'au  1"  mars  1813. 

Et  comme  le  président  demandait  si  Cambronne  n'avait  pas  été 
compris  dans  l'arrêté  du  gouvernement  provisoire  qui  rappelait 
Drouot,  le  rapporteur  répondit  négativement  ajoutant  que  cet  arrêté 
ne  visait  que  les  généraux  Bertrand  et  Drouot. 


—  187  — 

procédure.  Malgré  mes  recherches  pour  me  la  procurer,  je  n'ai 
pu  l'obtenir.  Je  vous  présente  une  lettre  qui  m'a  été  adressée  par 
M.  le  lieutenant-général  comte  Curial,  dites-nous  si  les  expressions 
qui  y  sont  relatées  sont  celles  qui  étaient  consignées  dans  la 
lettre  que  a^gus  lui  aviez  écrite,  et  dont  vous  aviez  réclamé 
l'insertion  au  procès?  —  M.  le  maréchal-de-camp  Cambronne 
ayant  pris  lecture  de  la  lettre  à  nous  adressée,  le  21  mars 
dernier,  par  M.  le  comte  Curial,  commençant  par  ces  mots  :  Il 
est  très  vrai  que,  sans  pouvoir  préciser,  et  finissant  par  ceux  : 
est  parfaitement  d'accord  avec  sa  déclaration,  a  déclaré  que  le 
paragraphe  qui  le  concernait  et  qui  relatait  sa  demande  de  la 
protection  de  M.  le  général,  dans  le  cas  oîi  il  désirerait  rentrer 
en  France,  était  bien  ce  qu'il  avait  écrit  à  ce  général. 

D.  Depuis  que  vous  avez  quitté  la  France  poursuivre  Napoléon 
dans  l'île  d'Elbe,  vous  prétendez  n'avoir  agi  que  comme  sujetd'un 
souverain  étranger,  et  avoir  ainsi  renoncé  à  la  qualité  de  citoyen 
français  :  pourquoi  et  comment  avez-vous  accepté  la  qualité  de 
pair  de  France,  dans  la  chambre  créée  par  Napoléon,  et  pourquoi 
avez-vous  siégé  dans  cette  chambre  ? 

R.  Avant  que  Napoléon  ait  été  mis  par  le  fait  à  la  tète  du 
gouvernement  en  France,  j'ai  agi  en  l'accompagnant  comme  sujet 
d'un  souverain  étranger.  Lorsque  Napoléon  est  redevenu  le  chef 
du  gouvernement  de  la  France^  toutes  les  causes  qui  m'avaient 
fait  renoncer  à  la  qualité  de  Français  ont  cessé.  Leur  effet  a 
cessé  de  môme,  et  je  suis  redevenu  Français,  d'autant  que 
j'étais  dans  le  délai  prescrit  par  le  traité  du  11  avril. 

D.  Puisque  vous  croyiez  vous  devoir  en  entier  à  Napoléon, 
pourquoi  ne  l'avez-vous  pas  suivi  à  i'ile  Sainte-Hélène  ?  ou  au 
moins  pourquoi  n'avez-vous  pas  demandé  à  suivre  celui  que 
vous  regardiez  comme  votre  souverain  ? 

R.  Les  circonstances  avaient  changé  ;  il  ne  lui  était  plus 
accordé  de  troupes  ;  il  n'était  plus  reconnu  souverain  ;  il  m'avait 
délié  de  mes  serments  par  sa  deuxième  abdication.  J'ai  donc  cru 
pouvoir  et  devoir  me  soumettre  à  S.  M.  Louis  XVIII  ;  et  à  cet 
effet  j'ai  écrit  à  S.  Exe  le  ministre  de  la  guerre,  le  20  juillet 
dernier,  pour  le  prier  de  mettre  au  pied  du  trône  mon  acte  de 
soumission  et  mon  serment  de  fidélité  à  S.  M.  ;  et  c'est  par 
suite  de  cet  acte  qu'ayant  appris  en  Angleterre,  où  j'étais  pri- 


—  188  — 

sonnier  de  guerre,  que  j'étais  porté  sur  la  liste  de  l'ordonnance 
du  Roi,  du  24  juillet  dernier,  je  me  suis  empressé  de  donner  une 
preuve  de  respect  et  de  soumission  au  souverain  auquel  j'avais 
adressé  mon  serment  d'obéissance  et  de  fidélité,  et  à  cet  effet, 
j'ai  écrit  à  S.  Exe.  le  ministre  de  la  police  générale,  pour  lui 
faire  part  qu'aussitôt  que  je  serais  libre,  je  m'empresserais  de 
me  rendre  en  France  pour  me  présenter  devant  le  tribunal 
appelé  à  prononcer  sur  mon  sort  :  résolution  que  j'ai  mise  à 
exécution  aussitôt  que  la  paix  est  venue  briser  les  liens  qui  me 
retenaient  en  Angleterre. 

D.  Je  vous  représente  une  lettre  signée  le  baron  Cambronne, 
datée  d'Alhburton,  (sic)  le  10  octobre  1815,  ne  portant  aucune 
suscription,  commençant  par  ces  mots  :  apprenant  que  la  paix 
est  prochaine  et  finissant  par  ceux-ci,  dont  je  vous  aurai  une 
éternelle  reconnaissance.  Reconnaissez-vous  cette  lettre  pour  celle 
que  vous  avez  écrite  à  S.  Exe.  le  minii^tre  de  la  police  générale, 
et  mentionnée  dans  votre  réponse  précédente  ?  En  foi  de  la 
reconnaissance  que  vous  pouvez  en  faire,  voulez-vous  la  signer 
et  parapher,  ainsi  que  nous  faisons  avec  notre  grefïier  ? 

R.  Je  reconnais  cette  lettre  pour  être  celle  mentionnée  dans 
ma  précédente  réponse  ;  je  veux  bien  la  signer  et  la  parapher, 
ainsi  que  vous  m'y  invitez. 

D.  Nous  vous  représentons  l'acte  de  soumission  au  Roi  et  la 
lettre  d'envoi  de  celte  pièce  au  ministre  de  la  guerre,  datés 
d'Alhburton,  le  20  juillet  dernier,  et  dont  vous  avez  parlé  dans 
vos  précédents  interrogatoires,  reconnaissez-vous  ces  deux 
pièces  ? 

R.  Jeles  reconnais  parfaitement  pour  être  celles  que  j'adressai 
dans  le  temps  à  S.  Exe. 

D.  M.  le  général,  vous  êtes  traduit  au  premier  conseil  de 
guerre  permanent  de  la  première  division  militaire,  prévenu  des 
délits  spécifiés  en  l'article  l^''  de  l'ordonnance  du  Roi,  du  24 
juillet  dernier,  savoir  :  1"  de  trahison  envers  le  Roi,  avant  le 
23  mars  181S  ;  2"  d'avoir  attaqué,  h  main  armée,  la  France  et  le 
gouvernement,  et  S®  d'avoir  usurpé  le  pouvoir  par  violence. 
Avez-vous  quelques  moyens  de  justification  à  ajouter  ;\  ceux 
déjà  consignés  dans  vos  précédents  interrogatoires? 

R.  J'avais  prêté  serment  de  fidélité  à  Napoléon,  autorisé  par 


—  189  — 

un  traité  ;  jo  l'ai  suivi  quand  il  a  quitté  la  France  pour  l'ile 
d'Elbe.  Sa  deuxième  abdication  m'ayant  dégagé  de  mes  devoirs 
et  de  mes  serments  envers  lui,  j'ai  envoyé,  le  20  juillet  dernier, 
mon  acte  de  soumission  et  mon  serment  de  fidélié  à  S.  M. 
Louis  XVIII  ;  je  ne  pouvais  donc  trahir  le  Roi  avant  cette 
époque  ;  et  depuis,  loin  de  me  rendre  coupable  d'un  pareil  crime, 
j'ai  donné  des  preuves  de  mon  obéissance  et  de  ma  fidélité 
puisque,  lorsque  j'ai  eu  connaissance  de  l'ordonnance  du  Roi^ 
du  24  juillet,  me  trouvant  en  pays  étranger  et  libre  de  ne  pas 
revenir  en  France,  je  n'ai  pas  balancé  à  venir  me  constituer 
prisonnier,  lorsque  j'en  ai  ou  la  faculté  par  suite  du  traité  de 
paix.  Je  n'ai  pas  non  plus,  en  aucune  manière,  usurpé  le  pouvoir 
par  violence,  et  lorsque  j'ai  suivi  Napoléon,  à  son  départ  de 
l'ile  d'Elbe,  et  que  j'ai  obéi  à  ses  ordres,  j'ai  toujours  agi  de 
bonne  foi  et  avec  la  conviction  que  j'étais  son  sujet  entièrement 
étranger  à  la  France.  Je  me  regarde  donc  comme  très  innocent 
des  crimes  dont  je  suis  accusé;  certain  de  l'impartiale  équité  de 
mes  juges,  j'attends,  avec  une  respectueuse  confiance,  qu'ils 
prononcent  sur  mon  sort. 

Lecture  est  également  donnée  de  diverses  lettres  de 
Cambronne,  des  certificats  qui  prouvaient  son  humanité 
(1)  et  de  la  lettre  qui  en  accompagnait  l'envoi: 

Colonel, 

J"ai  l'honneur  de  vous  envoyer  quatre  certificats  que  je  vous 

prie  de  joindre  à  la  procédure,  afin  que  l'on  voie  que  je  ne  fis 

jamais  la  guerre  à  l'opinion,  mais  seulement  sur  le  champ  de 

bataille  et  encore  quand  la  victoire  était  déclarée^  je  faisais  ce 

que  l'humanité  commande. 

Le  baron  Cambronne. 

Ce  n'étaient  là  que  les  préliminaires  des  débats.  L'inter- 
rogatoire de  Cambronne  commence  ensuite,  reproduisant 
nécessairement  le  fond  de  ceux  qu'il  a  subis  à  l'instruction, 
en  différant  cependant  sur  plus  d'un  point  et  empruntant 
à  divers  incidents  d'audience  un  caractère  de  vivacité  et 

(1)  Nous  les  donnons  plus  loin  en  annexe. 


—  190  — 

d'énergie  qui  nous  amène  à  le  donner,  sauf  quelques 
passages  déjà  publiés  par  nous  en  d'autres  pages  de  ce 
livre  : 

D.  Quels  sont  vos  noms,  prénoms,  âge  et  qualités? 

R.  Je  me  nomme  Pierre-Jacques-Etienne  Cambronne  ;  je  suia 
né  le  26  décembre  1770,  à  Nantes;  je  suis  commandeur  de  la 
Légion  d'Honneur,  maréchal  de  camp  et  baron. 

D.  Lorsque  Bonaparte  débarqua  en  France,  vous  aviez  un 
commandement  dans  ses  troupes? 

R.  Oui,  général. 

D.  Quand,  à  Lyon,  vous  quittâtes  ce  commandement,  vous 
donna-t-il  une  autre  mission? 

R.  Napoléon  ncmedonnaqu'unordre.  (Le  général  tire  un  papier 
de.  sa  poche  et  lit  d'une  voix  animée)  «  Cambronne,  je  vous 
confie  le  plan  de  ma  plus  belle  campagne;  tous  les  Français 
m'attendent  avec  impatience  ;  vous  ne  trouverez  partout  que  des 
amis;  je  ne  veux  pas  que  ma  couronne  coûte  une  seule  goutte 
de  sang  aux  Français  ». 

D.  Mais  Bonaparte  ne  vous  retira  ce  commandement  que  pour 
vous  en  donner  un  plus  important? 

R.  Non,  général;  je  suis  revenu  comme  un  particulier,  seul,  à 
cheval,  tantôt  en  avant,  tantôt  à  côté  de  Napoléon. 

D,  Cependant  vous  aviez  une  mission  quelconque? 

R.  Aucune. 

D.  Comment  se  fait-il  que  Bonaparte  vous  ait  ôté  votre  com- 
mandement sans  vous  en  donner  un  autre? 

R.  Ne  devait-il  pas  avoir  confiance  en  tous  les  généraux  qui 
se  joignaient  à  lui?  leurs  troupes,  échelonnées  sur  la  route, 
allaient  beaucoup  plus  vite  que  les  nôtres. 

D.  Lorsque  vous  quittâtes  votre  troupe,  vous  reçûtes  proba- 
blement des  ordres  pour  la  prétendue  campagne  que  Napoléon 
voulait  faire? 

R.  J'ai  répondu  à  cette  question  dans  mes  précédents  interro- 
gatoires; j'ai  dit  que,  deux  ou  trois  jours  après  notre  embarque- 
ment. Napoléon  parut  sur  le  pont,  la  cocarde  tricolore  au  chapeau; 
qu'il  nous  déclara  son  projet  et  qu'il  fut  accueilli  par  les  acclama- 
tions de  ses  soldats. 


—  i91  — 

D.  Je  vous  demande  seulement  à  quelle  époque  il  vous  retira 
votre  commandement? 

R.  Je  crois  que  c'est  le  deuxième  jour  après  le  débarquement. 

D.  Qui  vous  donna  cet  ordre? 

R.  Napoléon  lui-même. 

D.  Vous  avez  pris  alors  un  autre  commandement  ? 

R.  Oui,  général. 

D.  Qui  vous  transmettait  les  ordres  ? 

R.  Les  généraux  ou  Napoléon  lui-même . 

D.  N'y  avait-il  pas  une  personne  spécialement  chargée  de  cette 
affaire  ? 

R.  C'était  ordinairement  le  grand-maréchal  du  palais.  (1) 

D.  Ces  ordres  étaient-ils  écrits?  En  avez-vous  conservé  quel- 
ques uns  ? 

R.  Non,  ils  étaient  toujours  verbaux;  ils  se  réduisaient  à  ceux 
ci:  «  Vous  vous  arrêterez  à  tel  endroit,  vous  coucherez  à  tel 
autre,  vous  irez  en  avant  ». 

D.  Dans  le  cas  où  vous  auriez  trouvé  de  la  résistance,  Bona- 
parte vous  avait-il  donné  des  instructions  ? 

R.  11  ne  s'en  est  pas  trouvé. 

D.  Mais  il  pouvait  y  en  avoir? 

R.  Napoléon  nous  avait  dit  que  nous  ne  trouverions  que  des 
amis,  ce  qui  est  arrivé, 

D.  Vous  marchiez  militairement? 

R.  Nous  allions  le  plus  vite  possible. 

Ici,  survient  ce  qui  s'appelle  un  incident  d'audience. 
Le  procureur  du  roi  et  le  rapporteur  ne  s'étaient  pas 
entendus  pendant  l'instruction,  le  rapporteur  était  hostile 
aux  poursuites,  le  procureur  du  roi  y  mettait  au  contraire 
un  acharnement  dont  il  espérait  sans  doute  qu'il  lui 
serait  tenu  compte,  et  cette  opposition  de  vues  devait 
amener  entre  eux  quelque  conflit  au  cours  des  débats, 
surtout  s'ils  semblaient  tourner  à  l'avantage  de  Gam- 
bronne. 

(1)  G'est-à-dire  Bertrand. 


—  192  — 

M.  le  Procureur  du  Roi  :  J'ai  lieu  d'être  surpris  qu'on 
n'ait  assigné  aucun  témoin,  le  général  Cambronne  a  demandé  des 
réquisitions  ;  le  duc  de  Valentinois  et  le  maire  de  Cannes 
auraient  pu  nous  donner  des  détails  précieux  sur  cette  affaire  ; 
il  est  fâcheux  que  M.  le  rapporteur  n'ait  pas  cru  devoir  les 
entendre.  Leurs  dépositions  nous  auraient  appris  quel  titre  on 
prenait  lorsqu'on  débarquait  en  France,  et  l'on  no  viendrait  pas 
nous  dire  qu'on  s'est  cru  étranger. 

M.  le  Rapporteur  ;  On  aurait  dû  me  désigner  les  témoins  qu'il 
fallait  entendre;  quelque  individu,  animé, du  désir  de  faire  con- 
naître la  vérité,  aurait  dû  m'informer  des  personnes  dont  les 
dépositions  auraient  pu  servir  à  la  cause.  J'ai  écrit  au  ministre 
qui  ne  m'en  a  point  indiqué.  Si  j'avais  appelé  le  maire  de 
Cannes,  seulement  comme  maire  de  Cannes,  il  n'y  avait  pas  de 
raison  pour  que  je  n'appelasse  pas  également  les  maires  des 
villes  et  villages  qui  se  trouvent  depuis  le  golfe  de  Juan  jusqu'à 
Paris.  Puisque  M.  le  Procureur  du  Roi  est  si  bien  instruit,  il  eût 
été  à  désirer  qu'il  vînt  au  secours  de  mon  inexpérience. 

L'interrogatoire  reprend  ensuite. 

D.  La  troupe  de  Napoléon  avait  du  être  organisée  militaire- 
ment? 

R.  Sans  doute.  Napoléon  m'avait  dit  de  plus  qu'il  fallait 
entrer  dans  le  Dauphiné  et  marcher  le  plus  vite  possible, 

D.  Vous  avez  dit  que  vous  vous  étiez  cru  sujet  de  Ronoparte, 
et,  par  conséquent,  étranger  à  la  France.  Sur,  quels  motifs  se 
fonde  celte  opinion  ? 

R.  Lors  du  traité  de  Fontainebleau,  en  1811,  on  permit  à 
Napoléon  d'emmener  400  hommes  de  troupe  et  de  se  retirer  à 
l'Ile  d'Elbe.  J'étais  alors  malade  des  blessures  que  j'avais  reçues 
dans  le  cours  de  la  campagne.  Je  ne  découvris  point  mon  projet 
à  des  officiers  qui  vinrent  me  prévenir  do  cette  nouvelle,  mais 
je  réfléchis  que  j'étais  le  plus  ancien  major.  J'écrivis  au  général 
Drouot  que  l'on  m'avait  toujours  choisi  quand  il  fallait  marcher 
à  l'ennemi,  que  je  regarderais  comme  la  plus  mortelle  injure  le 
refus  que  l'on  me  ferait  de  me  laisser  suivre  mon  souverain. 

D.  Vous  pouviez  avoir  vos  raisons,  mais  d'autres  officiers  qui 
n'ont  pas  manqué  à  l'honneur,  sont  restés  en  France. 


Portrait  de  Cambronne  en    i8i6 


Loripinal  de  cette  miniature  dont  lauteur  est  sans  doute  le  peintre 
Muln.er,  appartient    à  M.  Victor  Roussin,  mari  de  la  fille  adoptive 


de  M.  et  M'"  Cambronne. 


Phototy]).  Loiiv,  Nantes. 


—  193  — 

R.  Quant  à  moi,  c'était  différent.  J'étais  dans  la  garde  :  c'était 
mon  uniforme,  c'était  ma  doublure. 

Ici  nouvelle  intervention  du  procureur  du  roi  qui  pose 
cette  question. 

D.  Qui  vous  a  forcé  de  suivre  Bonaparte?  D'autres  devoirs 
vous  appelaient? 

R.  Eh  !  Messieurs,  ne  connaissez-vous  pas  les  devoirs  d'un 
militaire?  N'avons-nous  point  de  devoirs  dans  notre  état? 

Le  général  Gambronne  avait  prononcé  ces  dernières 
paroles  du  ton  le  plus  animé.  Le  procureur  du  roi  insista 
et  fit  une  autre  demande  : 

—  Je  prie  M.  le  Président  de  demander  à  l'accusé  s'il  n'a 
point  fait  de  réquisitions. 

R.  J'en  avais  besoin,  j'avais  le  droit  d'en  demander.  Napoléon 
m'avait  chargé  de  demander  des  vivres  pour  deux  jours,  parce 
que  nous  avions  des  montagnes  à  traverser.  Mes  Corses  seuls 
en  ont  eu  pour  deux  jours,  la  garde  n'en  eut  que  pour  un  seul. 

M.  le  Rapporteur.  —  Il  me  semble  qu'il  n'est  pas  bien  impor- 
tant de  constater  le  fait  dont  il  s'agit  ;  le  général  est  descendu 
en  France,  voilà  tout  le  délit. 

M.  le  Président.  —  Gela  est  vrai,  je  ne  fais  cette  question  que 
pour  satisfaire  M.  le  Procureur  du  Roi  (s'adressant  directement 
à  l'accusé)  :  Il  est  certain  que  vous  traitiez  la  France  en  pays 
ennemi  ;  il  me  semble  même  que,  dans  l'hypothèse  où  vous  vous 
seriez  cru  étranger^  il  devait  être  bien  douloureux  pour  vous  de 
vous  conduire  de  la  sorte. 

R.  Nous  n'avons  pas  tiré  un  coup  de  fusil.  Pour  répondre  à 
la  question  de  M.  le  Procureur  du  Roi,  je  vous  dirai  qu'à 
Sisteron,  je  demandai  6,000  rations  que  le  maire  me  refusa, 
disantque  je  n'avais  que  1,200  hommes.  «  Que  savez  vous,  lui 
dis-jOj  si  les  garnisons  que  j'ai  laissées  derrière  moi,  ne  me 
suivront  pas?  »  Je  tirai  de  ma  poche  une  bourse  de  3,000  fr. 
que  je  lui  jetai  en  lui  disant  de  se  payer.  Il  rougit  et  ne  voulut 
pas  la  prendre.  Si  nous  avions  tiré  un  seul  coup  de  fusil,  nous 
aurions  agi  en  ennemis,  mais  loin  d'être  regardé   comme  tel,  je 

13 


—  i94  — 

me  suis  trouvé  seul  à  Grasse,  au  milieu   de  qtiinze  cents  bomr- 
geois,  do  toute  la  population. 

Nouvel  incident  à  ce  moment,  mais  plus  vif  que  les 
précédents.  A  peine  Cambronne  avait-il  rappelé  raccueil 
sympathique  qu'il  avait  reçu  à  Grasse  que  le  procureur  du 
roi  se  lève  et  s'écrie,  accusant  un  officier  général  qui 
n'était  pas  là  pour  se  défendre  : 

—  Cela  n'est  pas  étonnant,  vous  aviez  là  le  général  Gazan  qui 
était  dans  vos  intérêts  ? 

R.  Le  général  Gazan  !  J'ai  demandé  à  lui  parler,  je  n'ai  pu 
parvenir  jusqu'à  lui. 

M.  le  procureur  du  roi  se  lève  pour  faire  une  autre 
question.  Cette  fois  c'est  M.  de  Foissac-Latour  lui-même 
qui  intervient  d'un  ton  sec  : 

—  Vous  n'avez  de  remarques  à  faire  que  sur  les  formes 
à  observer,  et  vous  ne  pouvez  parler  qu'après  me  l'avoir 
demandé. 

M.  le  procureur  du  roi,  humilié  de  cette  riposte  à 
laquelle  il  ne  s'attendait  pas,  se  borna  à  murmurer  quel- 
ques mots  inintelligibles  et  se  rassit,  muet  jusqu'à  la  fin 
des  débats. 

M.  le  Président  (à  Cambronne)  :  Je  vous  disais  qu'il  devait 
être  bien  douloureux  pour  vous  d'agir  contre  votre  patrie? 
N'avez-vous  épi'ouvé  ni  chagrins,  ni  regrets  ? 

R.  Un  ami  du  Roi  pouvait  me  poignarder  à  Gras>e;  j'étais 
seul,  la  résistance  était  facile.  Ce  n'est  pas  le  tout  de  dire  qu'on 
aime  son  Roi,  il  faut  encore  le  prouver. 

D.  En  parlant  de  troupes  considérables,  vous  effrayiez  la 
population  ? 

R.  Non,  nous  ne  dissimulions  pas  notre  faiblesse.  Prés  de 
Grasse,  j'ai  rencontré  un  espion;  il  était  couvert  de  sueur  :  Vous 
paraissez  bien  fatigué,  lui  ai-jc  dit;  je  lui  proposai  de  se  rafraîchir 
o!  lui  avouai  ce  qu'il  en  était. 

D.  En    1814,    vous    avez   écrit   au    comte    Curial    pour   lui 


—  495  — 

,  demander  sa  protection,  dans  le  cas  où  vous  voudriez  rentrer  en 
France  ? 

R.  Je  me  OToyais  étranger;  mais  je  voulais  recouvrer  ma 
qualité  de  Français  dans  le  cas  de  la  mort  de  Napoléon.  Les 
sauvages  eux-mêmes  aiment  le  pays  natal  ;  comment  n'aurais-je 
pas  désiré  de  revenir  dans  ma  patrie,  le  plus  beau  sol  du  monde  ? 

D.  Aux  termes  du  traité,  vous  aviez  trois  ans  pour  y  rentrer 
et  pour  cela  vous  n'aviez  besoin  de  la  protection  de  personne  ? 

R.  Je  le  savais,  mais  j'étais  commandant  de  Porto-Ferrajo,  ce 
qui  m'ôtait  cette  faculté  ;  j'étais  l'une  des  trois  premières  têtes 
de  l'ile  d'Elbe,  et  par  conséquent,  je  devais  craindre  une 
exception. 

D.  Est-ce  en  arrivant  à  l'ile  d'Elbe  que  vous  avez  été  nommé 
commandant  de  Porto-Ferrajo? 

R.  Non,  quinze  jours  après. 

D.  Le  général  Drouot  était  gouverneur  de  l'île  d'Elbe  ? 

R.  Oui,  tous  les  jours  je  lui  portais  mes  rapports, 

D.  Pendant  la  campagne  prit-il  le  commandement  de  l'armée 
de  Napoléon  ? 

R.  Je  n'en  ai  reçu  que  des  ordres  verbaux. 

D.  Vous  étiez  donc  sous  ses  ordres  ? 

R.  Les  ordres  d'un  souverain,  pourvu  qu'ils  soient  transmis 
par  un  de  ses  officiers,  on  est  obligé  de  les  exécuter  ;  et  comme 
je  connaissais  le  général  Drouot,  comme  je  savais  qu'il  était  un 
serviteur  de  Napoléon,  je  devais  lui  obéir. 

D.  Le  commandant  de  l'armée  de  Bonaparte  devait  être  cons- 
titué, puisque  déjà  il  prenait  le  titre  de  souverain? 

R.  Je  me  suis  jamais  mêlé  de  cela. 

D.  Vous  vous  êtes  mclé  de  savoir  si  vous  aviez  un  chef  ou 
non? 

R.  J'allais  à  l'ordre  ;  une  fois  que  j'avais  dit  :  Quoi  de  nou- 
veau !  qu'on  m'avait  répondu  :  Rien;  je  m'en  allais.  Je  n'aime 
pas  à  faire  la  cour, 

D.  Je  vous  demande  si  le  général  Drouot  avait  le  commande- 
ment de  l'armée  ? 

R.  Non,  c'était  l'Empereur. 

D.  Cependant  Drouot  no  se  bornait  pas  à  vous  transmettre 


—  196  — 

des  ordres,  il  vous  en  donnait  directement?  Etait-ce  en  chef  ou 
comme  majoi'-général  de  la  garde  ? 

R.  Il  était  lieutenant-général,  je  devais  lui  obéir. 

D.  A  qui  faisiez-vous  vos  rapports? 

R.  Quand  je  savais  quelque  chose,  je  le  disais  au  major- 
général. 

D.  Quel  était  le  major-général  ? 

R.  Bertrand. 

D.  Etait-ce  plutôt  à  Bertrand  qu'à  Drouot  ? 

R.  Plutôt  à  Bertrand. 

D.  C'était  donc  Bertrand  qui  commandait  comme  major- 
général  ?  . 

R.  Il  a  toujours  commandé. 

D.  Dans  quelle  forme  avez- vous  fait  vos  réquisitions?  Au  nom 
de  qui  ? 

R,  Au  nom  de  l'Empereur,  commandant  de  l'ile  d'Elbe.  Etant 
arrivé  dans  la  ville  de  Grasse,  je  trouvai  réunie  une  municipalité 
nombreuse,  beaucoup  de  vieilles  têtes  et  de  rubans.  J'étais 
suivi  de  plus  de  six  mille  âmes  ;  le  maire  me  demanda  au  nom 
de  quel  souverain  je  faisais  mes  réquisitions.  —  Au  nom  de 
Napoléon,  souverain  de  l'île  d'Elbe.  Il  me  dit  :  Nous  avons 
aussi  notre  souverain,  nous  l'aimons  ;  je  lui  répondis  que  je  ne 
venais  pas  faire  de  la  politique  avec  lui,  mais  pour  demander 
des  rations,  parce  que  ma  colonne  allait  arriver. 

D.  Vous  n'avez  pas  conservé  vos  registres  de  correspondance  ? 

R.  Je  n'ai  jamais  conservé  aucune  lettre  de  correspondance  ? 

D.  C'est  cependant  l'usage.  Quel  litre  prenait  Napoléon  lors- 
qu'il est  débarqué  ? 

R.  Je  ne  l'ai  entendu  parler  avec  qui  que  ce  soit.  Est-ce  des 
titres  qu'il  a  pris  dans  sa  proclamation  dont  vous  voulez  parler  ? 
Vous  les  avez  lus. 

D.  Dans  ses  proclamations  ou  dans  ses  ordres? 

R.  Il  n'y  avait  pas  d'ordres  transmis  ;  on  me  disait  :  Allez-là. 

D.  Quel  titre  prenait  Bonaparte  dans  la  proclamatton  que 
vous  avez  signée  ? 

R.  Je  vous  assure  que  je  ne  me  le  rappelle  pas. 

D.  Il  est  étonnant  que  vous  ayez  donné  votre  signature  pour  une 
chose  si  importante,  sans  savoir  ce  qu'elle  contenait  ? 


—  197  — 

R.  Je  ne  l'ai  lue  qu'une  seule  fois. 

D.  Cela  suffit  pour  répondre  à  la  question  que  je  vous  fais. 
Dans  la  guerre  de  souverain  à  souverain,  vous  n'avez  pas  vu 
Bonaparte,  à  l'époque  oîi  il  il  était  reconnu  comme  empereur, 
prendi'e  le  titre  du  souverain  qu'il  attaquait  ;  il  devait  donc  vous 
être  démontré  que  le  titre  qu'il  prenait  était  usurpé? 

R.  Quand  nous  faisions  la  guerre,  prenions-nous  le  titre 
d'armée  d'Angleterre,  du  Danube?  Tout  cela  ne  me  regardait 
pas  ;  car  s'il  prenait  tel  ou  tel  titre,  cela  ne  lui  ôtait  pas  celui  de 
souverain  de  l'île  d'Elbe.  Je  ne  réponds  pas  do  ce  qu'a  fait 
Bonaparte,  je  ne  réponds  que  de  ce  que  j'ai  fait. 

D.  Vous  êtes  arrivé  à  une  époque  où  vous  ne  pouviez  pas 
douter  que  Bonaparte  prenait  un  titre  usurpé  ? 

R.  Je  ne  dis  pas  le  contraire.  Nous  étions  alors  à  Paris,  il 
était  maître  de  dire  tout  ce  qu'il  voulait  ;  mais  il  ne  m'a  pas  dit 
qu'il  n'était  plus  souverain  de  l'île  d'Elbe.  Il  ne  m'a  pas  dit  : 
Tu  es  sujet  du  roi  de  France,  va-t-en  avec  lui. 

Cambronne  en  terminant  s'était  expliqué  sur  le  refus 
qu'il  avait  fait  du  grade  de  lieutenant-général.  Tl  redou- 
tait son  inexpérience,  la  jalousie  des  autres  maréchaux-de- 
camp  et  ne  voulait  pas  compromettre  le  salut  de  l'armée. 

Cet  interrogatoire  avait  duré  près  d'une  heure.  A  chaque 
question  du  président,  habile  dans  sa  modération,  l'audi- 
toire avait  tremblé  ;  chaque  réponse  de  Cambronne  l'avait 
étonné  et  rassuré  en  même  temps,  non  pas  que  sa  rude 
franchise  n'allât  parfois  jusqu'à  la  témérité,  tant  elle 
respirait  un  dévouement  profond  à  la  cause  de  l'usurpa- 
teur, mais  parce  que  les  juges  eux-mêmes,  quelque  pré- 
venus qu'ils  fussent  contre  lui,  retrouvaient  dans  son 
attitude  cette  loyauté  militaire  qu'ils  étaient,  mieux  que 
personne,  en  état  de  comprendre  et  d'apprécier. 

Le  rapporteur  était  le  chef  de  bataillon  Delon  que 
Berryer  avait  déjà  rencontré,  comme  adversaire,  dans  la 
dramatique  affaire  Serres  de  Saint-Clair  qu'il  avait  plaidée 


—  198  — 

devant  le  conseil  de  guerre  l'année  précédente.  Malgré 
les  différents  assez  vifs  qu'ils  avaient  eus  alors,  ils  avaient 
conservé  de  cette  première  lutte  oratoire  d'excellentes 
relations  qui  ne  pouvaient  que  se  resserrer  dans  une  af- 
faire où  ils  allaient  conclure  l'un  et  l'autre  à  l'acquitte- 
ment du  général  Cambronne. 

On  sait,  en  effet,  sur  quelle  argumentation  juridique 
l'accusé  fondait  sa  défense.  Il  s'appuyait  sur  le  traité  du 
11  avril  1814  qui,  en  accordant  à  Napoléon  la  souveraineté 
de  l'île  d'Elbe,  avec  le  titre  d'empereur,  lui  avait  donné 
l'autorisation  d'emmener  quatre  cents  hommes  de  troupes. 
Du  moment  où  Cambronne  faisait  partie  de  ces  quatre 
cents  homrmes  qu'il  commandait^  il  était  devenu  sujet 
du  souverain  de  l'île  d'Elbe,  et  comme  on  ne  peut  servir 
deux  maîtres  à  la  fois,  il  ne  s'était  plus  considéré  comme 
sujet  du  roi  de  France  à  qui  il  n'avait  pas  prêté  serment 
de  fidélité.  Qu'avait-il  fait  ?  Il  avait  obéi  à  son  souverain. 
Pouvait-il  agir  autrement  ? 

Déjà  la  même  thèse  avait  été  soutenue  en  faveur  du 
général  Drouot,  son  compagnon  d'armes  à  l'île  d'Elbe  et 
elle  avait  été  accueillie  par  le  rapporteur,  par  le  Conseil 
de  guerre,  par  le  roi  lui-même  qui  avait  défendu  tout 
pourvoi  contre  l'acquittement.  Aussi  fallait-il  s'attendre  à 
la  voir  se  produire  dans  l'affaire  du  général  Cambronne. 

Mais  les  exaltés  de  l'époque  accusaient  la  modération 
du  commandant  Delon,  ils  lui  intimaient  d'avance  l'in- 
jonction de  conclure  contre  Cambronne  (1)  Sans  se  laisser 

(1)  Nous  empruntons  ce  passage  ;\  l'intéressante  élude  de  M. 
Charles  de  Lacombe  sur  les  Premières  années  de  Berryer,  publiée 
dans  le  Correspondant  de  1886  (livraison  du  10  avril,  pages  66  et 
suivantes)  et  que  l'auteur  reproduira  tout  entière  dans  un  livre  en 
préparation  sur  l'illustre  orateur. 


—  199  — 

émouvoir  par  ces  violences,  le  commandât  Delon  tint  à 
bien  déterminer,  au  début  même  de  son  rapport,  les 
devoirs  et  les  droits  attachés  à  sa  charge.  Il  établit,  con- 
trairement aux  propos  répandus  par  l'esprit  de  parti,  que 
les  conseils  de  guerre  permanents  n'étaient  pas  des  tri- 
bunaux d'exception,  mais  des  tribunaux  ordinaires  où 
l'accusé  devait  jouir  de  toutes  les  garanties  assurées  par 
les  lois.  Il  ajouta  que  les  membres  qui  composaient  les 
conseils  de  guerre  étaient  à  la  fois  «  juges  et  jurés  »  et 
que  le  rapporteur,  cumulant  les  fonctions  de  juge  d'ins- 
truction et  celles  de  ministère  public,  devait  recueillir  les 
faits  favorables  à  l'accusé  aussi  bien  que  ceux  qui  lui. 
étaient  contraires,  pour  les  présenter  tous  au  tribunal  avec 
une  impartialité  dont  il  déduisit  les  principes  en  termes 
dignes  d'être  médités  par  les  juges  de  tout  ordre.  «  S'il 
»  en  était  autrement,  disait-il,  la  tâche  de  rapporteur 
»  serait  purement  arbitraire  et  de  rigueur  ;  la  justice  ne 
»  l'aurait  armé  que  pour  frapper  aveuglément,  et  il  ne 
»  serait  qu'un  instrument  de  vengeance  et  de  réproba^ 
»  tion.  » 

Le  rapporteur  avait  pour  lui  une  grande  autorité  qu'il 
ne  manqua  pas  d'invoquer,  celle  du  roi  qui  avait  reçu  en 
audience  particulière  le  général  Drouot  : 

En  proclamant  naguère  l'innocence  du  lieutenant-général 
Drouot,  disait-il,  je  remplissais  non  seulement  mon  devoir,  mais 
je  m'associais  à  la  pensée,  à  la  volonté  de  notre  bien-aimé 
Souverain.  Je  ne  le  cacherai  point,  je  suis  fier  d'avoir  ainsi 
deviné  le  cœur  de  Sa  Majesté,  d'être  allé  au-devant  de  ses  inten- 
tions. Cette  approbation  de  Sa  Majesté  pénètre  mon  cœur,  je  la 
regarde  comme  une  récompense  aussi  douce  qu'honorable  de  ma 
conduite.  Gloire  soit  rendue  au  monarque  qui  fait  oublier  ce 
temps  de  désastreuse  mémoire,  où  le  crime  était  assis  sur  le 
siège  du  magistrat,  où  l'esprit  de  parti  dictait  ses  sanguinaires 


—  200  — 

arrêts  ;  gloire  soit  rendue  au  monarque  qui  veut  régner  sur  les 
cours,  et  les  rallier  autour  de  son  trône  paternel. 

Ce  réquisitoire  ou  plutôt  ce  rapport  empreint  d'une  rare 
élévation  de  sentiments  devait  être  le  dernier  du  comman- 
dant Delon.  L'auditoire,  les  juges  même,  à  coup  sûr 
l'accusé  en  avaient  été  profondément  émus.  Avant  de 
donner  la  parole  au  défenseur  de  Gambronne,  le  président 
déclara  que  la  séance  était  suspendue,  et  tandis  que  les 
membres  du  conseil  se  retiraient  dans  la  salle  de  leurs 
délibérations,  le  public  manifestait  hautement  son  appro- 
bation. Quelques  amis  du  général  vinrent  lui  serrer  la 
main  et  lui  donner  un  peu  de  l'espoir  que  peut-être  ils 
ne  partageaient  pas.  Avoir  pour  soi  les  conclusions  du 
ministère  public,  n'était-ce  pas  une  forte  chance  de 
salut? 

A  deux  heures,  après  une  demi-heure  de  suspension,  le 
conseil  de  guerre  rentre  en  séance  au  milieu  du  cérémo- 
nial accoutumé  et  la  parole  est  donnée  à  l'avocat  que  Gam- 
bronne avait  choisi. 

Berryer  sut  faire  de  cette  défense  non  pas  l'exposé 
timide  de  circonstances  atténuantes  adroitement  déve- 
loppées, mais  un  véritable  éloge  de  son  client.  Non  seule- 
ment il  n'est  pas  coupable,  mais  il  a  droit  à  l'approba- 
tion de  tous,  pour  avoir  su,  à  une  époque  qui  voyait 
tant  de  compromissions,  demeurer  fidèle  à  la  cause 
vaincue. 

Son  exorde  est  célèbre  : 

«  En  ces  temps  où  l'insubordination  et  la  perfidie,  où  le 
mépris  de  la  foi  jurée,  où  l'oubli  des  promesses  les  plus  solen- 
nelles et  la  violation  des  serments  les  plus  sacrés  ont  enfanté  de 
si  grands  maux  et  fait  connaître  tant  de  coupables,  n'est-ce  pas 
un  spectacle  étrange  que  de  voir  un  homme  généreux,  conduit 


—  201  — 

par  son  attachement  à  ses  chefs,  par  son  respect  pour  ses  ser- 
ments, sur  ce  siège  honteux,  où  de  justes  vengeances  appellent 
les  parjures  et  les  conspirateurs  ?  N'ètes-vous  pas  encore  plus 
étonnés  que  nous,  vous,  Messieurs,  qui  avez  vécu  dans  nos 
camps  ?  Vous  le  connaissez,  cet  homme  qu'on  vient  de  tirer  d'une 
obscure  prison  pour  le  faire  asseoir  devant  vous  sur  le  banc  des 
accusés  !  » 

Berryer  rappelle  alors  les  plus  glorieux  faits  d'armes 
de  la  vie  de  Gambronne  et  en  arrive  au  départ  de  Gam- 
bronne  pour  l'île  d'Elbe.  Et,  appréciant  hardiment  cet 
acte  honorable,  il  s'exprime  ainsi  : 

«  Le  général  partit  sans  avoir  cessé  un  seul  instant  de  vivre 
sous  les  lois  du  souverain  qui  avait  dominé  la  Franco,  sans  avoir 
été  relevé  de  ses  serments,  sans  avoir  fait  aucun  acte  de  sou- 
mission au  gouvernement  provisoire  ou  à  la  royale  famille  qui 
recouvrait  alors  son  légitime  empire.  Sans  doute,  ce  départ  ne 
fut  pas  un  crime;  qu'ai-je  dit?  ce  sacrifice  était  la  marque  cer" 
taine  d'une  âme  loyale  et  généreuse.  Le  général  Cambronne  re- 
nonçait au  charme  de  la  patrie,  à  de  brillantes  espérances,  aux 
hommages  de  ses  concitoyens,  et  cette  renonciation  de  sa  part 
fut  entière  et  sans  arrière  pensée.  Bien  loin  de  lui  l'idée  d'un 
aussi  fatal  retour  ! 

»  Cependant  Napoléon  rentre  en  France,  sans  l'avoir  annoncé 
h  ses  troupes,  sans  môme  le  leur  avoir  laissé  pressentir.  Que 
pouvait  faire  Cambronne  ?  Que  devait-il  faire  ?  Il  obéit  avec  la 
soumission  d'un  soldat,  mais  avec  un  absolu  désintéressement, 
ne  demandant  ni  argent  ni  dignités,  les  repoussant  môme,  refu- 
sant le  grade  de  lieutenant-général,  étranger  en  quelque  sorte  au 
milieu  de  ses  concitoyens  et  ne  semblant  prendre  part  aux  évé- 
nements que  le  jour  oii  le  territoire  français  est  menacé  par 
l'Europe  en  armes.  » 

Berryer  trace  ici  le  rôle  de  Cambronne  dans  cette  der- 
nière et  mémorable  campagne  de  1815  : 

Bonaparte  sembla,  dans  les  champs  de  Waterloo  (ce  n'est 
point  ici  le  général  Cambronne  qui  parle  par  ma  bouche),  Bona- 
parte, dis-je,  sembla  avoir  perdu  l'art  de  la  guerre  et  cotte  auda- 


—  202  — 

cieuse  tactique  qu'il  déploya  dans  un  grand  nombre  de  batailles, 
ou  plutôt  Dieu  l'abandonnant  à  ses  ignorances,  l'aveuglait,  lo 
précipitait  et  le  confondait  par  lui-même.  Sentant  le  besoin  de 
s'assurer  des  réserves  considérables,  espérant  que  l'impétuosité 
belliqueuse  des  Français  briserait  les  forces  immenses  des  alliés, 
il  ne  lançait  contre  l'ennemi  que  des  masses  peu  nombreuses  qui 
soudain  étaient  renversées  par  l'épouvantable  feu  de  son  artille- 
rie; l'étranger,  effrayé  dans  son  admiration,  raconte  qu'il  eût 
voulu  sauver  ces  braves;  ses  offres  furent  rejetées.  Le  général 
Cambronne,  après  avoir  été  exposé  au  feu  durant  tout  le  jour, 
vers  le  soir,  à  la  tôte  d'un  seul  bataillon,  attendait  encore  de 
pied  ferme  le  choc  de  l'armée  ennemi;  il  est  frappé  alors...  Il 
tombe  confondu  au  milieu  des  morts!...  Grand  et  malheureux 
courage  dont  le  souvenir  fera  toujours  battre  les  cœurs 
français  ! 

C'est  ensuite  le  tableau  de  sa  captivité,  de  sa  soumis- 
sion au  roi  après  le  départ  de  Napoléon  pour  Saint-Hélène, 
de  sa  constitution  volontaire  comme  prisonnier,  démarche 
qui,  suivant  le  mot  du  commandant  Delon,  n'était  pas 
une  preuve  irrécusable  d'innocence,  mais  qui  ne  pouvait 
être  faite  que  par  un  homme  déterminé  à  mettre  son 
espoir  dans  son  innocence  et  dans  l'impartiale  équité  de 
ses  juges.  Mais  Berryer  ne  veut  pas  borner  sa  défense  au 
récit  des  nobles  actions  de  son  client,  il  veut  discuter  le 
droit  et  il  pose  la  discussion  sur  le  terrain  juridique.  Les 
faits  sont  avérés,  mais  l'accusé  est-il  coupable  pour  en 
être  l'auteur?  peut-il  être  puni? 

La  loi,  pour  venger  l'attaque  à  main  armée  du  territoire,  n'en- 
visage comme  coupable  et  ne  frappe  que  des  Français.  Or, 
Cambronne  était-il  Français  encore  en  mars  1815? 

On  peut  le  nier.  Un  traité  le  fit  passer  avec  son  chef  militaire 
dans  une  souveraineté  nouvelle  et  indépendante  :  là,  il  vécut  sous 
un  nouveau  drapeau  que  les  puissances,  par  le  traité  du  li  avril, 
avaient  promis  de  respecter.  A  la  vérité,  il  avait  la  faculté  pen- 
dant trois  ans  de  rentrer  dans  son  pays,  mais  il  était  libre  d'user 


—  203  — 

ou  de  ne  pas  user  de  cette  faculté.  Toutefois,  dès  ce  jour,  il  per- 
dit l'exercice  des  droits  civils  et  politiques  attachés  à  la  qualité 
de  Français  ;  il  fut  rayé  des  états  militaires,  il  ne  toucha  aucun 
traitement. 

La  preuve  que  le  général  Cambronne  ne  se  considérait  plus 
comme  Français,  ne  résulte-t-elle  pas  de  la  lettre  qu'il  a  écrite 
au  général  Gurial  pour  réclamer  sa  bienveillance  lorsque  les 
circonstances  lui  auraient  permis  de  redevenir  Français  ? 

Oui,  Cambronne  était  devenu  étranger  à  sa  patrie;  par  l'effet 
des  bouleversements  politiques,  son  prince  avait  changé  d'Etat  et, 
en  le  suivant  dans  sa  nouvelle  souveraineté,  toutes  les  lois  lui 
imposaient  l'obligation  de  continuer  à  lui  obéir  sans  réserve. 

Ajoutons  que  Bonaparte  était  à  la  fois  souverain  et  général; 
que,  sous  cette  qualité,  le  général  Cambronne  était  soumis  à  une 
discipline  sévère  et  contraint  à  une  obéissance  plus  stricte,  plus 
nécessaire  qui  permettait  moins  les  réflexions. 

Berryer  rappelle  alors  les  principes  de  notre  droit 
criminel  d'après  lesquels  il  n'y  a  ni  crime  ni  délit,  quand 
il  n'y  a  pas  libre  volonté  d'agir,  quand  l'on  a  obéi  aux 
ordres  d'un  supérieur  hiérarchique.  Peu  importait  que 
Bonaparte  ne  fût  qu'un  vil  usurpateur:  le  serment  de 
Cambronne  n'en  était  pas  moins  inviolable. 

C'était  d'ailleurs  ce  que  venait  de  déclarer  le  ministère 
public  lui-même.  Comment  Cambronne  pouvait-il  être 
déclaré  coupable,  lui  le  subalterne,  lui  qui  n'avait  rien  su 
d'avance,  alors  que  son  chef,  le  général  Drouot,  avait  été 
acquitté  par  le  môme  conseil  de  guerre  ? 

Enfin  dans  une  émouvante  péroraison,  Berryer  sup- 
pliait le  conseil  de  guerre  de  ne  pas  porter  atteinte  à  la 
chose  jugée  pour  frapper  d'un  supplice  honteux  son  loyal 
client. 

Ah  I  conservez  au  roi  un  sujet  qui  peut  être  si  précieux  • 
craignez,  par  la  perte  d'un  homme  digne  d'estime,  comme  il 
serait  digne  de  regrets,  de  flatter  les  honteuses  espérances  de 


—  204  — 

ceux  qui,  cultivant  nos  dissensions  comme  leur  fonds  et  leur 
propre  héritage,  s'efforcent  d'immortaliser  les  passions,  les 
querelles  et  les  fureurs. 

N'appliquez  point  une  loi  terrible  à  ce  brave  qui,  dans  les 
temps  les  plus  désastreux  quand  la  terreur  planait  de  toutes 
parts,  osa,  au  péril  de  sa  vie,  soustraire  au  supplice  et  des 
victimes  de  Quiberon  et  des  ministres  de  Dieu  que  des  juges 
d'enfer  allaient  égorger.  C'est  le  moment  pour  lui  de  recevoir  le 
prix  de  ses  généreuses  actions.  Voyez  au  pied  du  tribunal  ceux 
qu'il  a  arrachés  à  la  mort  vous  demander  sa  vie  ;  que  la  voix  de 
ceux  qui  périrent,  malgré  tous  ses  efi'orts,  s'élève  jusqu'à  vous 
et  pénètre  votre  âme  ! 

Ah  !  surtout,  ne  perdez  point  le  souvenir  !  Comment,  lorsque 
les  vastes  mers  étaient  ouvertes  à  sa  fuite,  soumis  aux  volontés 
de  son  nouveau  roi,  il  les  a  traversées  pour  se  livrer  lui-même  à 
lajusticede  son  pays  !  Déclarerez-vous  rebelle  celui  qui  sait  ainsi 
obéir  au  péril  de  sa  vie  !  Quel  cœur  français  aurait  le  courage  de 
laisser  tomber  un  si  cruel  arrêt  sur  cette  tète  sillonnée  par  tant 
de  cicatrices  !  Non,  la  main  d'un  bourreau  n'achèvera  pas 
ignominieusement  cette  mort  que  mille  ennemis  ont  si  glorietise- 
ment  commencée.  Enfin,  pour  emprunter  aux  livres  sacrés  une 
expression  qui  convient  admirablement  à  notre  sujet  :  «  Non, 
vous  n'immolerez  point  ce  lion  qui  est  venu  s'oflrir  comme  une 
victime  obéissante.  » 

Mais  qu'ai-jo  dit,  messieurs  ?  J'ai  trahi  la  cause  qui  m'était 
confiée...  Ce  n'est  point  par  des  considérations  touchantes  que 
mon  client  prétend  déterminer  vos  esprits  ;  il  demande  justice... 
Cambronne  l'inflexible  s'est  toujours  imposé  à  lui-même  des  lois 
sévères,  c'est  d'après  ces  lois  qu'il  veut  être  jugé... 

Les  débats  allaient  être  clos  après  cette  émouvante 
plaidoirie,  déjà  Cambronne  interpellé  conformément  à  la 
loi  avait  déclaré  qu'il  n'avait  rien  à  ajouter  pour  sa 
défense,  quand  uu  des  juges,  le  capitaine  Gouy,  qui  avait 
le  grade  inférieur  (ce  sont  là  quelquefois  les  plus  sévères) 
demande  à  poser  une  dernière  question  à  l'accusé  : 

—  Dans  la  proclamation  que  vous  avez  signée,  y  avait- 


—  205  — 

il  une  invitation  aux  troupes  du  roi  de  passer  sous  les 
drapeaux  de  l'usurpateur  ? 

Cambronne  était  libre  de  faire  à  cette  demande  la 
réponse  la  plus  favorable  à  ses  intérêts.  La  proclamation 
n'était  pas  représentée,  il  avait  dénié  celle  que  l'empereur 
avait  remaniée  avant  de  la  livrer  à  la  publicité.  Il  n'en 
répliqua  pas  moins  avec  une  franchise  que  ses  amis 
considérèrent  presque  comme  sa  condamnation  ; 

—  Il  y  avait,  dit-il,  une  invitation  de  s'unir  à  Napoléon 
et  de  quitter  la  cocarde  blanche  pour  la  cocarde  tricolore. 

Les  juges  se  retirent  pour  délibérer,  tandis  que, 
reconduit  dans  sa  prison,  Cambronne,  résolu,  en  cas  de 
condamnation,  à  ne  pas  se  pourvoir  en  révision,  à  ne  pas 
signer  de  recours  en  grâce,  écrit  au  général  comte 
Despinois  pour  réclamer  de  son  humanité  l'exécution 
immédiate  de  la  sentence  capitale. 

A  six  heures  du  soir,  la  séance  est  reprise,  (la  délibé- 
ration avait  duré  trois  heures)  et  debout,  en  présence 
dune  assistance  haletante,  le  président  donne  lecture  du 
jugement  qui  suit  : 

De  par  le  Roi, 

Le  Conseil  délibérant  à  huis-clos,  en  présence  seulement  de 
M.  le  procureur  du  roi,  le  président  a  posé  les  questions 
suivantes  : 

Ciimbranno  (Pierre-Jacques-Etienne)  est-il  coupable  : 

lo  D'avoir  trahi  le  Roi  avant  le  23  mars  181.")  ? 

2o  D'avoir  attaqué  à  main  armée  le  gouvernement  légitime  des 
Français  ? 

3o  D'avoir  usurpé  le  pouvoir  par  violence  ? 

Les  voix  recueillies  séparément  en  commençant  par  le  grade 
inférieur,  le  président  ayant  émis  son  opinion  le  dernier,  le 
Conseil  déclare  : 

Sur  la  première  question,  à  l'unanimité,  non,  l'accusé  n'est 
pas  coupable, 


—  206  — 

Sur  la  deuxième  question,  à  la  majorité  de  six  voix  contre 
une,  non,  l'accusé  n'est  pas  coupable. 

Sur  la  troisième  question,  à  la  majorité  de  cinq  voix  contre 
deux,  non,  l'accusé  n'est  pas  coupable. 

En  vertu  de  ce  jugement ,  le  président  du  conseil 
déclarait  le  général  Gambronne  acquitté  des  accusations 
dirigées  contre  lui  et  ordonnait  sa  mise  en  liberté  vingt- 
quatre  heures  après  le  jugement,  suivant  le  délai  réclamé 
par  le  procureur  du  roi  pour  se  pourvoir  contre  cette 
sentence. 

Gomme  on  le  sait,  devant  les  Gonseils  de  guerre,  l'ac- 
cusé n'est  pas  présent  à  la  lecture  de  son  jugement. 
Gambronne  avait  été  reconduit  en  prison  et  c'est  en  son 
absence  que  l'auditoire  avait  accueilli  aux  cris  de  :  Vive 
le  Roi  !  l'acquittement  prononcé  en  sa  faveur. 

D'après  une  note  de  la  police  politique^  ce  n'est  pas 
seulement  l'auditoire  qui  avait  manifesté  sa  satisfaction, 
les  légions  départementales  qui  faisaient  le  service  avaient 
montré  une  joie  démesurée.  «  On  a,  ajoutait  cette  note  (1), 
»  quelques  notions  qui  prouvent  que  les  chefs  ne  peuvent 
»  trop  surveiller  les  soldats  et  faire  punir  sévèrement  le 
»  moindre  propos.  » 

Au  reçu  de  cet  avis,  une  enquête  fut  prescrite  par  le 
ministre  de  la  police  générale  qui  demanda  le  nom  de 
cette  légion  «  pour  faire  établir  envers  les  militaires  qui  la 
«  composaient  les  mesures  convenables  de  surveillance.  » 

«  Celte  circonstance,  disait  la  lettre  du  30  avril,  du 
ministre  Dccazes  au  lieutenant-général  commandant  la 
l'<^  division  militaire,  «  et  quelques  autres  qui  sont  éga- 
»  lement  à  ma  connaissance  feraient  croire  que  cette 
»  légion  n'est  point  animée  d'un  bon  esprit.  »  (1) 

■  ■—  .1  1,1-.  ■      I    ■         I  II  I  »  I 

(1)  Archives  Nationales,  F  7  6679. 


—  â07  — 

Il  fallut  fournir  des  explications  minutieuses  au  mi- 
nistre de  la  police  générale  pour  calmer  l'irritation  des 
ultra  et  nous  les  trouvons  dans  la  lettre  suivante  (1)  : 

Ire  DIVISION   MILITAIRE.    —   ÉTAT -MAJOR- GÉNÉRAL 

A  S.  E.  le  Comte  Decazes,  Ministre  de  la  Police  Générale. 

Paris,  le  3  mai  1816 
Monseigneur, 

En  réponse  à  votre  lettre  du  30  avril  dernier,  j'ai  l'honneui  de 
vous  adresser  ci-joint  l'élat  de  composition  de  la  garde  de  police 
auprès  du  l«r  Conseil  de  guerre  permanent  de  la  Division,  dans 
la  journée  du  26  du  môme  mois. 

Sur  les  témoignages  de  satisfaction,  ou  les  éclats  de  joie  qu'on 
a  laissé  échapper  lors  du  prononcé  et  à  l'issue  du  jugement  du 
général  Cambronne,  je  crois  pouvoir  assurer  à  Votre  Excellence, 
d'après  le  rapport  contradictoire  des  officiers  de  l'Etat-Major  de 
la  Division  présens  à  la  séance  et  des  deux  commandants  de  la 
troupe,  qu'il  y  a  bien  eu,  en  effet,  de  pareilles  manifestations  de 
la  part  des  assistans  dans  l'auditoii'e  (officiers  en  demi-solde)  et 
qu'elles  ont  même  été  poussées  jusqu'au  scandale,  mais  qu'aucun 
sous-officier  ni  soldat  de  la  gai-de  ne  s'en  est  mêlé. 

L'opinion  très  connue  des  Légions  de  la  Seine  et  de  l'Indre, 
l'excellent  esprit  des  officiers  qui  la  dirigent,  les  gages  que  le 
plus  grand  nombre  ont  donnés  de  leurs  dévouement  au  Roi,  ne 
laissent  guère  là-dessus  de  doute,  et  semblent,  du  moins ,  écarter 
les  préventions  qui  s'élèveraient  contre  les  deux  corps. 

Agréez,  Monseigneur,  les  assurances  de  mon  respect. 

Le  Lieutenan-Gal  Comt  la  l'e  Doa  Mre, 
Signé  :  Cie  D'Espinois. 

Suivait  l'état  de  composition  de  la  garde  de  police  le 
26  avril  : 

Légion  de  l'Indre,  casernée  à  Popincourt. 
M.  Durandeau,  sous-lieutenant. 
1  sergent,  1  caporal,  12  fusiliers,  1  tambour. 

(1)  Archives  Nationales,  F  7  C679. 


—  208  — 

Légion  de  la  Seine,  caserne'e  à  la  Courtille. 
M.  Darbouville,  sous-lieulenant. 
1  sergent,  2  caporaux,  12  fusiliers,  1  tambour. 

Gambronne  lui-même  s'attendait  à  peine  à  son  acquitte- 
ment, puisque  de  retour  à  l'Abbaye,  il  avait,  en  vue  d'une 
condamnation  possible,  préparé  comme  nous  l'avons  dit, 
pour  le  général  Despinois,  commandant  la  place  de  Paris, 
une  lettre  où  il  sollicitait  de  «  son  humanité  »  une 
prompte  exécution.  Cette  lettre  ne  partit  pas  :  Berryer, 
tout  joyeux,  était  accouru  pour  apporter  l'heureuse  nou- 
velle à  son  client.  Bientôt  la  prison  s'emplit  de  parents, 
d'amis,  de  quelques  uns  des  frères  d'armes  du  général, 
accompagnés  de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants  et  qui 
pleuraient  de  plaisir,  en  le  félicitant. 

Mais  cette  sentence  n'avait  pas  fait  que  des  heureux. 
Au  dehors,  suivant  l'énergique  expression  de  M.  Charles 
de  Lacombe,  «  rugissait  l'esprit  de  réaction  et  de  ven- 
geance. »  Déjà  le  procureur  du  Roi,  le  capitaine  Duthuit 
qui  avait  fait  rage  au  cours  des  débats,  avait  obtenu  que 
la  mise  en  liberté  de  Gambronne  fût  ajournée  de  vingt- 
quatre  heures.  Ne  lui  fallait-il  pas  le  temps  de  formaliser 
un  pourvoi  en  révision,  s'il  réussissait  à  s'en  faire  donner 
l'ordre,  ce  qu'il  n'avait  pas  obtenu  lors  de  l'acquittement 
de  Drouot  ?  Les  journaux  royalistes  prirent  à  partie 
l'accusé  et  son  défenseur  avec  tant  de  violence  que,  par 
ordre  du  ministère,  un  pourvoi  fut  formé  contre  le 
jugement. 

Encore  importait-il  qu'il  fût  signé  dans  les  vingt- 
quatre  heures  pour  être  valable.  Le  jugement  avait  été 
prononcé  le  26  avril  à  six  heures  du  soir  ;  le  27,  à  six 
heures  dix  minutes,  Berryer  se  présente,  accompagné 
d'un    parent  de  Gambronne,    Margerin,    au    greffe  du 


—  209  — 

conseil  de  guerre  et  demande  à  prendre  connaissance  du 
pourvoi,  s'il  en  a  été  formé  un.  Le  greffier  hésite,  balbu- 
tie et  finit  par  répondre  que  le  procureur  du  Roi  est  en 
train  de  le  terminer  dans  la  pièce  voisine.  Protestation 
énergique  du  jeune  défenseur  qui  fait  constater  que  les 
vingt-quatre  heures  sont  expirées  depuis  dix  minutes  et 
que,  si  le  pourvoi  n'est  pas  signé,  il  est  trop  tard.  Le 
bruit  de  la  discussion  attire  le  procureur  du  Roi  et  la 
scène  recommence  de  plus  belle.  Berryer  prend  à  témoin 
le  greffier  Boudin,  Margerin  qui  l'avait  accompagné, 
Portiez,  greffier  du  conseil  de  révision  et  le  concierge  du 
conseil  de  guerre  et,  comme,  en  dépit  de  ces  explications, 
le  procureur  avait,  après  plus  d'une  heure  de  débats, 
déclaré  qu'il  maintenait  son  pourvoi,  Berryer  écrivit  sa 
protestation  sur  la  minute  même  du  document. 

Naturellement,  l'incident  avait  fait  grand  bruit  et  pour 
parer  à  tout  événement,  la  note  suivante  (1),  inédite 
jusqu'à  présent,  fut  transmise  dès  le  lendemain  28  avril 
au  ministère  de  la  guerre  pour  justifier  la  validité  du 
pourvoi  dans  la  forme  : 

L'avocat  de  l'acquitté,  à  la  suite  d'uuc  violente  discussion,  qui 
a  eu  lieu  hier,  au  greffe  du  iei-  Conseil  de  Guerre  permanent, 
entre  lui  et  le  commissaire  du  Roi,  a  protesté  contre  le  pourvoi 
en  révision  du  Ministère  public,  sur  ce  que  l'acte  constituant  le 
même  pourvoi,  n'avait  point  été  signifié  et  déposé  au  greffe, 
dans  le  délai  de  i24  heures,  prescrit  par  la  loi,  mais  d'abord  il 
est  à  observer  que  par  rapport  à  ce  laps  de  temps,  ou  à  la 
manière  de  supputer  les  24  heures,  il  y  a  ici,  de  la  part  de 
l'avocat,  erreur  de  calcul  et  erreur  de  principes. 

Erreur  de  calcul,  parce  qu'en  admettant  que  le  laps  de  24  heures, 
soit  également  fatal  pour  le  commissaire  du  Roi,  comme  pour  la 
partie,  aux  termes  de  l'art.   8  de  la  loi  du  15  brumaire  an  6, 

(1)  Archives  de  la  Guerre. 

14 


—  210  — 

le  délai  de  24  heures  ne  commence  à  courir  que  de  la  lecture  du 
jugement  par  le  rapporteui"  à  l'accusé,  et  non  du  prononcé  du 
jugement  par  le  président,  séance  tenante,  or  la  protostation 
contre  la  validité  du  pourvoi  se  fonde  sur  ce  qu'il  est  signé 
tardivement  à  6  heures  lo  minutes,  et  le  jugement  n'a  été  lu  à 
l'acquitté  qu'à  8  heures  du  soir,  d'où  il  suit  que  dans  les  termes 
les  plus  rigoureux  de  la  loi,  et  en  supposant  toujours  que  l'art.  11 
de  la  loi  du  18  vendémiaire  an  6,  doive  être  pris  littéralement, 
le  commissaire  du  Roi,  avait  encore  1  heure  4o  minutes  pour  se 
pourvoir. 

Erreur  de  principes,  parce  qu'en  substituant  le  droit  écrit  à 
toutes  ces  hypothèses,  les  art.  8  et  9  de  la  loi  du  15  brumaire 
an  6,  postérieure  par  conséquent,  à  la  loi  du  18  vendémiaire, 
ont  déterminé  de  la  manière  la  plus  précise  et  la  plus  positive, 
comment  les  délais  pour  se  pourvoir  en  révision  devaient  courir 
et  profiter,  soit  en  faveur  de  la  partie^  soit  pour  le  commissaire 
du  pouvoir  exécutif,  sans  aucune  exception  de  cas,  et  qu'à 
l'égard  du  Ministère  public,  l'art.  9  de  la  dite  loi  du  15  brumaire 
an  6,  conçu  ainsi  qu'il  suit  :  «  Le  commissaire  du  pouvoir  exé- 
»  cutif  n'a  également  que  24  heures,  pour  se  pouvoir  d'office, 
»  après  le  délai  accordé  à  l'accusé  »  dispose  par  ces  termes, 
que  le  délai  de  24  heures  accox'dé  au  commissaire  du  Roi,  est 
bien  réellement  de  48  heures,  quant  à  la  mesure  et  au  laps  de 
temps,  puisqu'il  ne  commence  à  courir,  pour  le  Ministère  public, 
qu'après  le  premier  délai  de  24  heures  accordé  à  la  partie. 

Ainsi  l'avocat  du  général  Cambronne  n'est  pas  plus  fondé  en 
droit  qu'en  raison^  et  le  pourvoi  du  commissaire  du  Roi,  a  tous 
les  caractères  essentiels  pour  la  validité. 

Si  le  pourvoi  était  recevable  dans  la  forme,  que  valait- 
il  au  fond  ?  et  de  quels  vices  de  procédure  pouvait-on  donc 
se  prévaloir  ?  Le  procureur  du  roi  prétendait  les  trouver 
dans  les  trois  points  suivants  que  laissaient  du  reste 
pressentir  ses  interpellations  au  cours  des  débats  : 

1»  Le  maire  de  Cannes  et  le  commandant  de  cette  ville 
où  le  général  Cambronne  avait  exercé  des  actes  d'auto- 
rité, n'avaient  pas  été  entendus  comme  témoins  ; 


—  211  — 

2°  L'imprimeur  de  Digne  des  presses  de  qui  étaient 
censément  sorties  les  proclamations  méconnues  ou 
arguées  de  faux,  n'avait  pas  été  non  plus  appelé  en 
témoignage  ;  sa  déposition  et  celle  de  ses  ouvriers  était 
nécessaire  au  cas  où  Gambronne  aurait  fait  en  personne 
la  commande  de  ces  impressions  ; 

3°  Enfin  l'arrestation  du  duc  de  Valentinois  avait  été 
omise,  comme  à  dessein,  par  le  rapporteur  et  constituait 
un  délit  de  plus  à  la  charge  de  Cambronne. 

Tout  cela  était  bien  faible  comme  argumentation. 
Comment  faire  à  Cambronne  ou  à  ses  juges  un  grief  des 
erreurs  ou  des  omissions  d'une  instruction  qui  avait  duré 
assez  longtemps  pour  qu'il  fût  permis  de  penser  qu'elle 
était  complète?  Il  y  avait  une  autre  réplique,  d'ordre 
essentiellement  juridique  et  que,  dans  un  rapport  spécial 
au  ministre  de  la  guerre  en  date  du  30  mai  4816,  le  bureau 
de  la  justice  militaire  mit  en  pleine  lumière  avec  une 
impartialité  des  plus  louables. 

Comme  le  disait  avec  raison  le  rédacteur  de  ce  rapport, 
Arnous,  ancien  juge  au  tribunal  civil  de  Versailles,  que 
signifie  un  pourvoi  contre  un  acquittement  ?  Si  le  pourvoi 
était  admis,  y  aurait-il  de  nouveaux  débats,  ou  seulement 
cassation  dans  l'intérêt  de  la  loi  ?  De  nouveaux  débats 
seraient  contraires  à  la  jurisprudence  d'après  laquelle  le 
bénéfice  de  l'acquittement  reste  acquis  à  l'accusé  et  la 
cassation  dans  l'intérêt  tout  platonique  de  la  loi  méritait- 
elle  le  bruit  qui  se  faisait  autour  de  ce  procès  ? 

Malgré  ce  rapport,  le  pourvoi  suivit  son  cours.  Cam- 
bronne, c'est-à-dire  Berryer,  rédigea  aussitôt  un  mémoire 
tendant  à  sa  mise  en  liberté,  mais  il  n'y  fut  pas  donné 
suite,  tant  fut  rapide  le  renvoi  du  général  devant  le 
conseil   de  révision,  qui   se  réunit  dès  le  4  mai  sous  la 


■-  212  — 

présidence  du  maréchal-de-camp  baron  de  Conchy.  C'était 
M.  Derby,  commissaire  des  guerres,  qui  remplissait  les 
fonctions  de  procureur  général  du  roi  et  naturellement 
c'était  Berryer  qui  prêtait  encore  une  fois  à  Cambronne 
l'appui  de  sa  parole. 

La  discussion  fut  intéressante.  Si  Berryer  vit  écarter 
deux  fins  de  non  recevoir  préjudicielles  qu'il  avait  tour  à 
tour  élevées,  il  eut  du  moins  la  satisfaction  d'entendre  le 
procureur  général  faire  lui-même  justice  des  moyens  si 
pauvrement  présentés  par  l'ofiicier  public  qui  avait  rédigé 
le  pourvoi.  Mais  il  en  avait  soulevé  d'autres  auxquels 
Berryer  dut  répondre  sans  en  avoir  eu  communication 
préalable,  sans  avoir  pu  en  conférer  avec  son  client.  Il 
n'en  trouva  pas  moins  d'éloquentes  paroles  pour  discuter 
les  théories  de  son  adversaire. 

D'après  Berryer,  le  délai  de  vingt-quatre  heures  était 
de  rigueur,  en  ce  sens  que  la  loi  était  faite  dans  l'intérêt 
de  l'accusé  et  que  le  ministère  public  devait  être  le 
premier  à  en  observer  les  prescriptions. 

S'agit-il  de  ce  que  les  pièces  à  conviction  n'ont  pas  été 
représentées^  c'est  qu'il  n'y  en  avait  pas,  à  moins  qu'on 
ne  qualifie  de  ce  nom  les  proclamations  de  Bonaparte, 
mois  Cambronne  ne  les  a  pas  signées  et  ne  saurait  en 
être  responsable. 

Fallait-il  entendre  des  témoins  ?  En  était-il  besoin  ? 
«  Eh  1  Messieurs,  vingt-trois  millions  d'hommes  ont  été 
«  témoins  de  cette  audacieuse  entreprise;  fallait-il  assigner 
«  ces  vingt-trois  millions  d'homme  ?  »  En  tous  cas,  ce 
n'était  pas  à  Cambronne  qu'il  appartenait  d'indiquer  à 
l'accusation  les  témoins  qu'elle  devait  faire  entendre 
contre  lui. 


—  213  — 

A  cette  argumentation  serrée,  Berryer  ajouta  une 
touchante  péroraison  : 

Cambronne  apprend  que  le  roi  a  rendu  une  ordonnance  qui 
menace  sa  tète  ;  il  a  juré  d'obéir,  il  obéit,  il  part  pour  se  livrer 
à  la  justice  de  son  ])ays,  il  s'enferme  dans  des  cachots  ;  il  paraît 
enfin  devant  le  tribunal  qui  doit  décider  de  son  sort  ;  il  voit  des 
officiers  dont  les  bons  sentiments  sont  chaque  jour  prouvés,  des 
officiers  au  service  du  roi,  proclamer  son  innocence.  Il  espère 
être  enfin  rendu  à  la  société  et  briser  les  liens  qui  le  retenaient 
prisonnier.  Vain  espoir  !  Un  nouvel  événement  menace  de 
rappeler  sur  sa  tête  les  coups  qui  avaient  été  détournés  par  les 
premiers  juges.  C'est  assez  avoir  obéi.  Si,  malgré  le  texte  de  la 
loi,  malgré  le  peu  de  fondement  des  moyens  sur  lesquels  repose 
cette  nouvelle  attaque,  un  jugement  lui  faisait  courir  de  nouveaux 
périls,  il  sera  muet  désormais,  il  a  répondu  aux  accusations 
comme  son  devoir  l'exigeait  ;  il  courbera  son  front  obéissant, 
sans  plainte,  sans  mui-mure  et  nous-mème,  nous  ne  ferons  plus, 
pour  sauver  sa  tète,  des  efforts  qui  seraient  encore  infructueux. 

Berryer  n'eut  pas  à  tenir  cet  engagement.  Le  conseil 
de  révision,  à  la  majorité  d'une  voix  seulement,  c'est-à- 
dire  par  trois  voix  contre  deux,  rejeta  le  pourvoi  et 
ordonna  la  mise  en  liberté  du  général  Cambronne, 

II  y  avait  près  d'un  an  déjà  qu'il  avait  été  fait  pri- 
sonnier sur  le  champ  de  bataille  de  Waterloo. 


CHAPITRE  XV 

sous  LA  SURVEILLANCE  DE  LA  HAUTE  POLIC?E 

Enfin,  Gambronne  était  libre.  Il  n'était  pas  trop  tôt. 
Depuis  près  d'une  année,  il  avait  été  tour  à  tour  le 
prisonnier  des  ennemis  de  la  France  et  le  prisonnier  des 
Français  et  ce  n'était  pas  l'Angleterre  qui  lui  avait  témoi- 
gné le  plus  de  rigueur. 

Le  dimanche  de  son  départ  de  Paris,  il  avait  tenu  à 
revoir  son  jeune  et  dévoué  défenseur  et  à  lui  remettre  une 
preuve  de  sa  reconnaissance.  Berryer  refusa  avec  le  plus 
complet  désintéressement.  Le  seul  gage  qu'il  fut  possible 
de  lui  faire  accepter,  ce  fut  un  petit  portrait  qui 
appartient  aujourd'hui  à  M.  Georges  Berryer,  avocat  à 
la  Gour  d'appel  de  Paris  et  neveu  de  l'illustre  orateur.  Au 
dos  de  ce  tableautin  sont  écrits  ces  mots  de  la  main  de 
Berryer  :  «  Gc  portrait  du  général  Gambronne  m'a  été 
»  remis  de  sa  part,  le  5  mai  4816,  lendemain  du  jour  où 
»  son  jugement  a  été  confirmé  au  conseil  de  révision. 
»  Berryer  fils  »  (1). 

Mais,  d'honoraires,  l'éminent  avocat  ne  voulut  pas 
pas  entendre  parler.  Il  se  borna  à  dire  à  Gambronne,  en 
présence  de  plusieurs  témoins  :  —  Pour  toute  récompense 
de  mes  services,  j'exige  de  vous  la  promesse  que,  dans 
aucune  circonstance,  vous  ne  prendrez  part  à  rien  de  ce 


(1)  Grâce    à  l'obligeance  de  M.  Georges  Berryer,  nous  avons  pu 
donner  ce  portrait  en  tête  de  ce  livre. 


—  215  — 

qui  pourrait  nuire  aux  intérêts  du  roi,  et  qu'au  contraire 
vous  serez  toujours  prêt  à  le  servir  aussi  bien  que  vous  le 
pouvez  faire  encore.  —  Je  vous  le  promets,  répondit  le 
général,  je  sais  trop  bien  que,  par  suite  de  ma  soumission 
et  de  mes  serments,  ma  vie  appartient  au  roi  et  à  ma 
patrie  (1). 

Mais,  en  dépit  de  la  publicité  donnée  à  ce  nouveau 
serment,  les  feuilles  royalistes  attaquaient  violemment  la 
théorie  juridique  développée  par  Berryer  dans  l'intérêt  de 
Gambronne.  Le  Journal  des  Débats,  le  Journal  général 
prirent  à  partie  le  défenseur  et  son  client  et,  détail  plus 
significatif  encore,  les  organes  anglais  firent  chorus. 

Le  Times  et  le  Courrier  de  Londres  s'élevèrent  avec 
force  contre  les  principes  et  la  doctrine  professés  dans 
les  affaires  de  Drouot  et  de  Gambronne  et  qui  tendaient  à 
établir  que  tout  individu  peut  changer  de  pays  et  de 
souverain  comme  il  lui  plaît,  et  qu'après  avoir  ainsi 
brisé  ses  liens,  il  est  libre  de  combattre  contre  son  ancien 
pays  et  son  ancien  souverain. 

Cette  monstrueuse  doctrine,  disaient-ils,  a  été  proclamée  par 
les  Etats-Unis  d'Amérique,  lorsqu'ils  soutenaient  qu'un  marin 
anglais  n'avait  qu'à  passer  vingt-quatre  heures  sur  le  sol  améri- 
cain, se  faire  donner  un  brevet  de  citoyen  américain,  et  puis 
s'embarquer  à  bord  d'un  vaisseau  des  Etats-Unis  pour  combattre 
contre  sa  véritable  patrie  et  son  ancien  souverain.  Mais  cette 
doctrine  ne  fut  pas  approuvée  parles  publicistes  de  l'Europe,  et 
les  anglais,  quand  ils  faisaient  prisonnier  un  de  ces  prétendus 
américains  de  nouvelle  fabrique,  le  pendaient  au  haut  du  mât, 
comme  traître  et  rebelle,  avec  son  brevet  de  citoyen  dans  sa 
poche  ou  autour  de  son  cou.  Nous  pensons  qu'on  réfléchira  deux 

(1)  Lettre  écrite  au  Journal  de  Paris  (n"  du  10  mai  1816)  par  M. 
Margerin,  «  partnt,  conseil  et  fondé  de  pi  ^curation  du  général 
Gambronne  »  qu'il  avait  assisté  dans  son  procès. 


—  216  — 

fois  au  danger  d'une  pareille  doctrine  et  que  ceux  qui,  mal  à 
propos,  l'ont  renouvelée  pour  défendre  Drouot  et  Cambronne, 
seront  eux-mêmes  effrayés  des  conséquences  auxquelles  elle  doit 
conduire. 

Le  Journal  de  Nantes  et  de  la  Loire- Inférieure,  à  l'heure 
presque  où  Gambronne  allait  reprendre  sa  place  parmi 
ses  concitoyens,  avait  la  gracieuseté  de  reproduire  suc- 
cessivement les  diatribes  des  Débats  (1),  les  critiques  des 
journaux  anglais  (2),  enfin  un  article  non  moins  acerbe 
du  Journal  général  (3). 

Ce  n'était  pas  tout.  De  l'Oise  et  de  la  Loire-Inférieure, 
c'est-à-dire  des  deux  départements  où  Gambronne  avait 
des  relations  de  famille  ou  des  intérêts  territoriaux, 
parvenaient  au  ministère  des  rapports  plus  ou  moins 
sincères  sur  l'effet  déplorable,  disait-on,  qu'avait  produit 
Tacquittement  du  général. 

Le  préfet  de  l'Oise  écrivait  à  la  date  du  30  avril  la 
lettre  désolée  que  voici  au  ministre  Decazes  (4)  : 

PRÉFECTURE  DU  DÉPARTEMENT  DE  L'OISE 
A.  S.  E.  Le  Ministre  de  la  Police  Générale 

Beau  vais,  le  30  avril  1816. 
Monseigneur, 

Il  est  de  mon  devoir  de  ne  pas  vous  laisser  ignorer  l'effet 
fâcheux  que  produisent  sur  l'esprit  public  les  jugements  rendus 
en  faveur  des  généraux  Drouot  et  Gambronne. 

A  cette  question,  le  général  Gambronne  est-il  coupable  d'avoir 


(1)  Le  Journal  de  Nantes  et  de  la  Loire- Inférieure  du  lundi  6  mai 
1816,  n»  938. 

(2)  Même  journal  du  samedi  11  mai  1810,  n"  943. 

(3)  Même  journal  du  dimanche  12  mai  1816,  n"  944. 

(4)  Archives  nationales. 


—  217  — 

attaquée  la  France  et  son  gouvernement  à  main  armée,  le  conseil 
de  guerre  a  répondu  non  ;  mais  tout  le  monde  répond  oui. 

Les  militaires  peu  attachés  au  Roi,  et  le  nombre  en  est  grand, 
ne  pensent  pas  que  ce  jugement,  qui  les  satisfait  cependant,  soit 
une  preuve  de  l'équité  ou  de  l'indulgence  du  gouvernement,  ils 
supposent  que  c'est  de  la  part  du  conseil  de  gtiorre  un  acte 
généreux  par  lequel,  en  s'affranchissant  des  suggestions  du 
gouvernement,  il  a  eu  le  courage  de  poser  en  principe  que  les 
braves  qui  ont  débarqué  en  France  avec  Bonaparte  n'ont  pas 
démérité  de  la  patrie.  Ils  imaginent  que  par  là  le  gouvernement 
a  été  déçu  dans  son  projet  bien  caractérisé,  selon  eux,  de  perdre 
ou  d'avilir  successivement  par  des  procédures,,  les  plus  illustres 
chefs  de  l'armée.  On  ne  tarit  pas  sur  les  éloges  mérités  par  le 
conseil  de  guerre.  Cette  apparence  de  leçon  faite  au  Roi  et  aux 
Ministres  relève  de  bien  coupables  espérances. 

Tous  les  serviteurs  du  Roi  sont  indignés,  beaucoup  sont 
effrayés.  Le  scandale  que  ces  jugemens  leur  ont  causé  ne  s'effacera 
pas  de  longtemps.  C'est  à  leurs  yeux  la  sentence  d'absolution 
de  Bonaparte  ;  ils  ne  peuvent  concilier  la  jurisprudence  du 
conseil  de  guerre  avec  l'ordonnance  du  Roi  du  6  mars  qui  déclare 
traîtres  et  rebelles  les  militaires  et  les  employés  de  tout  grade, 
qui  auraient  accompagné  ou  suivi  Bonaparte  dans  son  invasion 
du  territoire  français,  les  plus  modérés  s'abstiennent  d'appel(?r 
sur  les  généraux  Drouot  etCambronno  toute  la  sévérité  des  loix  ; 
qu'on  les  laisse  vivre  en  liberté,  si  l'on  veut,  mais  qu'on  ne  les 
produise  pas  sur  un  théâtre  pour  les  absoudre  solemnellement 
par  un  jugement  fondé  sur  des  subtilités  qui  répugnent  au  bon 
sens,  et  jettent  de  nouveaux  doutes  sur  la  grande  question  de 
la  légitimité. 

Il  me  serait  facile.  Monseigneur,  de  donner  de  plus  grands 
développements  à  des  réflexions  qui  sont  le  résultat  des  rapports 
journaliers  que  je  reçois,  mais  il  me  suffit  d'avoir  fait  part  à 
Votre  Excellence  de  ces  principales  variations  de  l'opinion  pu- 
blique, dont  les  conséquences  ne  sont  peut-être  pas  à  négliger. 

Je  suis  avec  respect.  Monseigneur,  de  Votre  Excellence,  le 
très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

Le  Préfet  de  l'Oise. 


—  218  - 

Du   cabinet  ministériel,   il  fut  répondu  par  la   lettre 

modérée  que  voici  : 

8  mai  1816. 

Monsieur  le  Préfet,  vous  me  rendez  compte  des  impressions 
que  paraissent  avoir  produites  sur  vos  administrés  les  jugements 
prononcés  en  faveur  des  généraux  Cambronne  et  Drouot.  J'appré- 
cie la  sagesse  des  considérations  dans  lesquelles  vous  entrez, 
mais  vous  observerez  vous-même  que  l'opinion  publique  se 
compose  de  bien  des  éléments  divers,  qu'elle  se  modifie  suivant 
les  localités  et  les  intérêts  souvent  contraires.  S'il  est  utile  de  la 
consulter  pour  agir,  la  rectifier  ou  la  diriger  est  ce  qui  reste  à 
faire  à  l'administrateur,  du  moment  que  les  opérations  sont 
terminées.  Vous  entendrez  tour  à  tour,  Monsieur,  blâmer  la 
clémence  et  la  sévérité,  accuser  la  justice,  prescrire  à  l'autorité 
supérieure  telle  ou  telle  mesure.  Le  gouvernement  doit  être  lui- 
même  et  bien  se  garder  de  céder  à  des  impulsions  aussi  diver- 
gentes. 

Continuez,  je  vous  prie^  à  me  rendre  compte,  et  à  vous  servir 
de  tout  l'ascendant  de  vos  fonctions  et  de  votre  caractère  pour 
concilier  aux  actes  du  gouvernement  et  aux  arrêts  de  la  justice 
le  respect  qui  leur  est  dû. 

De  Nantes,  deux  lettres  étaient  parties  le  30  avril  à 
l'adresse  du  ministre  de  la  police.  L'une  émanait  du 
préfet,  comte  de  Brosses,  l'autre  du  vicomte  de  Cardaillac, 
commissaire  spécial  de  police  (1)  ;  elles  témoignaient  de 
craintes  sérieuses  pour  l'ordre  public,  si  Cambronne  re- 
venait à  Nantes  et  demandaient  que  le  séjour  de  sa  ville 
natale  fût  interdit  au  général  : 

(1)  Voici  ce  que  Guépin  écrivait  au  sujet  de  ce  Cardaillac  : 
«  Le  5  novembre  1813,  la  restauration  envoya  le  vicomte  de  Car- 
daillac à  Nantes,  avec  mission  d'imposer  silence  aux  vaincus.  Il  fut 
bientôt  entouré  de  tous  ceux  qui  sentaient  le  besoin  d'une  terreur  et 
de  ces  gens  qui,  sous  tous  les  régimes,  trafiquent  de  délations  et  de 
provocations,  comme  pour  prouver  qu'il  est  nécessaire  que  tout  le 
monde  vive.  » 


—  219  — 

PRÉFECTURE  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 

Paris,  le  30  avril  1816. 
A  Son  Excellence  le  Ministre  de  la  Police  Générale. 

Monseigneur, 

Le  Généi-al  Cambronne  vient  d'être  acquitté,  c'est  un  homme 
exalté,  enclin  h  l'ivrognerie  et  capable  de  se  porter  à  tous  les 
excès,  quand  il  est  pris  de  vin.  Il  est  déjà  attendu  avec  impa- 
tience par  un  certain  nombre  de  jeunes  gens  avec  lesquels  il  a 
eu  des  liaisons  et  qui  sont  également  très-exaltés.  Sa  présence 
dans  ce  département  peut  avoir  de  graves  inconvénients  et 
compromettre  la  tranquillité  publique  :  je  souhaiterais  donc  que 
Votre  Excellence  voulût  bien  lui  interdire  de  s'j  rendre,  sa  mère 
qui  demeure  dans  une  commune  rurale  voisine  de  Nantes, 
pourra  aller  le  voir  dans  l'endroit  qui  lui  sera  assigné  pour 
résidence. 

Je  suis  avec  respect,  Monseigneur,  de  Votre  Excellence,  le 
très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Le  Préfet  de  la  Loire-Inférieure. 

Comte  de  Brosses. 

Nantes,  le  30  avril  1816. 
A  Son  Excellence,  Monseigneur  le  Ministre  de  la  Police  générale. 
Monseigneur, 

Le  Général  Cambronne  vient  d'écrire  à  un  de  ses  amis  de 
cette  ville  que  le  premier  usage  qu'il  feroit  de  sa  liberté  seroit 
de  venir  se  montrer  à  Nantes.  Je  prie  Votre  Excellence  de 
vouloir  bien  considérer  que  la  présence  de  ce  général  peut  être 
très  dangereuse  dans  cette  ville. 

Les  fédérés  et  chasseurs  vendéens  sont  en  grand  nombre,  ils 
sont  tranquilles  en  ce  moment,  et  n'osent  point  remuer,  mais 
s'ils  ont  bien  pris  un  air  de  satisfaction  quand  le  général  Travot 
a  obtenu  sa  grâce,  que  sera-ce  lorsqu'ils  verront  au  milieu  d'eux 
un  des  plus  zélés  partisans  de  Bonaparte  et  qu'ils  se  flatteront 
de  le  voir  marcher  à  leur  tête,  si  malheureusement  il  y  avoit 
quelque  mouvement. 


—  220  — 

Je  supplie  Votre  Excellence  de  prendre  mes  observations  en 
considération,  et  de  vouloir  bien  ne  pas  exposer  la  tranquillité 
de  ce  département. 

Je  suis  avec  un  profond  respect.  Monseigneur,  de  Votre 
Excellence,  le  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

Vte  de  Cardailhac. 

Le  ministre  de  la  police  générale  tint  compte  de  ces 
observations  et  le  6  mai  il  invitait  le  préfet  de  police  à 
refuser  à  Cambronne  un  passe-port  pour  Nantes.  Cet  ordre 
arriva  trop  tard  à  son  adresse. 

Mis  en  liberté  le  4  mai  dès  que  la  décision  du  conseil 
de  révision  avait  été  connue,  Cambronne  s'était  présenté 
en  personne,  en  grand  uniforme,  dans  les  bureaux  de  la 
préfecture  de  police.  Il  était  porteur  d'un  ordre  du  général 
Despinois  qui  lui  enjoignait  de  se  rendre  à  Nantes  et  de 
partir  de  suite^  sans  doute  pour  éviter  quelque  manifesta- 
tion tumultueuse  à  Paris.  Sur  le  vu  de  cet  ordre,  un 
passe-port  lui  avait  été  délivré. 

On  courut  bien  après  lui  pour  lui  retirer  ce  passe-port, 
au  cas  où  il  n'eût  pas  encore  quitté  Paris,  mais  c'était 
chose  faite  et  il  ne  restait  au  Gouvernement  que  la 
ressource  de  donner  de  nouvelles  instructions  pour  faire 
diriger  le  général  sur  un  autre  point.  (1) 

Le  ministre  de  la  police  n'alla  pas  jusque-là,  mais 
comme  Cambronne  devait  d'après  les  injonctions  du 
général  Despinois  se  présenter,  dès  son  arrivée  à  Nantes, 
devant  les  autorités  civiles  et  militaires,  il  se  borna  à 
inviter  le  préfet  de  la  Loire-Inférieure  h  observer  la 
conduite  ultérieure  du  général  Cambronne  : 

(1)  Archives  Nationales.  Lettre  du  7  mai  181C  de  la  préfecture  de 
ta  prélecture  de  police  au  comte  Decazes,  ministre  de  la  police 
générale. 


—  221  — 

Vous  ne  négligerez  pas  de  lui  insinuer  d'ailleurs  de  quel  inté- 
rêt il  est  pour  sa  tranquillité  personnelle  comme  pour  celle  du 
département  où  il  a  fixé  son  domicile,  de  mériter  par  une  réserve 
extrême,  qu'on  voye  en  lui,  sans  regret,  un  exemple  de  l'impar- 
lité,  de  la  justice  sous  le  règne  des  Bourbons. 

Vous  aurez  occasion  sans  doute  de  lui  faire  remarquer  la  dis- 
crétion et  la  modestie  de  la  conduite  du  général  Drouot,  retiré  à 
Nancy;  vous  lui  ferez  sentir  enfin  que  lorsqu'il  a  annoncé  l'in- 
tention de  se  montrer  à  Nantes^  il  n'a  dû  concevoir  de  projet  que 
celui  d'y  paraître  comme  pour  y  attester  la  justice  et  la  clémence 
du  Roi. 

Vous  voudrez  bien  me  communiquer,  M.  le  Préfet^  le  résultat 
des  observations  auxquelles  la  conduite  du  général  Cambronne 
donnera  lieu  de  votre  part  et  de  l'effet  produit  sur  l'opinion 
publique  par  sou  re'.,our  dans  votre  département. 

La  présence  du  général  Drouot    a  produit  un  excellent 

effet  à  Nancy;  son  exemple,  ses  excellons  propos  ont  ramené  au 
Roi  plusieurs  officiers  mécontens.  M.  le  général  Despinois  est 
convaincu  que  le  général  Cambronne  tiendr.a  la  même  conduite  et 
aura  un  égal  succès  ;  s'il  en  était  autrement  vous  lui  donneriez 
une  autre  destination. 

Cambronne  arriva  à  Nantes  le  9  mai,  non  pour  s'y  fixer, 

mais  pour  se  rendre  auprès  de  sa  mère,  à  Saint-Sébastien. 

En  descendant  de  la  diligence,  il  trouva  le  commissaire 

spécial  de  police  qui  ne  l'attendait  guère,  persuadé  que  le 

général  avait  été  dirigé  vers  une  autre  ville  et  qui  rendit 

compte  dans  les  termes  suivants  de  son  entrevue  avec 

lui: 

Nantes,  le  10  mai  1816.  " 

A  Son  Excellence,  Monseigneur  Le  Ministre  de  la  Police  Générale. 

Monseigneur, 

D'après  la  lettre  de  Votre  Excellence  en  date  du  6  de  ce  mois, 
j'avois  espéré  que  le  général  Cambronne  ne  viendrait  pas  à 
Nantes,  cependant  il  est  an  ivé  hier. 

Je  lui  ai  dit  tout  ce  que  les  circonstances  présentes  et  la  place 
que  j'occupe  me  faisoit  un  devoir  de  lui  dire.    1  m'a  promis  la 


—  222  — 

plus  grande  retraite  et  surtout  la  plus  grande  soumission,  mais  je 
n'y  crois  guères;  et  je  pense  qu'il  est  très  impolitique  qu'un 
homme  de  ce  caractère  soit  revenu  dans  ce  pays  ;  car  la  joie  est 
peinte  sur  les  visages  de  tous  les  partisans  d'une  nouvelle 
révolution. 

La  très  grande  majorité  des  habitans  de  ce  département  pense 
très  bien  ;  cependant  il  s'y  trouve,  et  surtout  dans  la  ville  de  Nantes 
un  grand  nombre  d'incorrigibles,  qui  ne  soupirent  qu'après  un 
nouveau  bouleversement;  et  il  a  été  facile  de  les  reconnaître  ces 
jours  derniers,  où  ils  avaient  conçu  de  coupables  espérances. 

L'arrivée  du  général  Cambronne  qu'ils  regardent  comme  une 
victime  échappée  au  fer  des  persécuteurs,  ranime  leurs  esprits 
abattus,  et  ils  espèrent  en  faire  un  chef  prêt  à  marcher  à  leur 
tète  au  besoin;  de  leur  côté  les  honnêtes  gens,  depuis  le  premier 
administrateur  jusqu'au  dernier  citoyen,  regardent  son  retour 
comme  une  calamité. 

Je  puis  assurer  Votre  Excellence  que  je  mettrai  tous  mes  soins 
à  le  faire  surveiller.  Il  sera  difficile  peut-être  d'empêcher  les 
conciliabules  qui  pourront  se  tenir  chez  lui,  car  son  habitation 
est  à  une  petite  demi-lieue  de  la  ville,  sur  les  bords  de  la  Loire, 
et  on  peut  y  arriver  par  divers  chemins  ;  déjà  toutes  les  personnes 
notées  par  leur  mauvaise  opinion  sont  en  mouvement  pour  aller 
le  féliciter.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  le  suivrai  de  près,  et  je  ferai 
part  à  Votre  Excellence  de  tout  ce  que  je  découvrirai,  qui  pourra 
intéresser  la  sûreté  de  l'Etat,  et  la  tranquillité  de  ce  département. 

Je  désire  me  tromper,  mais  il  m'est  difficile  de  croire  que 
celui  qui  quelques  jours  avant  la  bataille  de  Waterloo  avoit  solli- 
cité et  obtenu  le  titre  de  Comte  de  Nantes,  puisse  se  résigner  à 
vivre  dans  la  retraite. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect,  etc. 

Le  Vicomte  de  Gardaill.vc. 

Cette  correspondance  révélait  par  elle-même  l'esprit 
d'exagération  de  celui  qui  l'échangeait  avec  le  comte 
Decazes.  Jamais  Cambronne,  créé  comte  par  l'empereur 
pendant  les  Cent  Jours,  n'avait  porté  ce  titre,  c'est  dire 
qu'il    n'avait  pas  dà  songer  à  se  faire  donner  celui  de 


—  223  — 

«  comte  de  Nantes  »  et  sa  seule  préoccupation  en  deman- 
dant un  passeport  pour  sa  ville  natale,  avait  été  de  pou- 
voir, après  une  longue  absence,  serrer  sa  vieille  mère 
bien-aimée  dans  ses  bras.  Nous  n'avons  pas  besoin  d'ajou- 
ter qu'il  fut  l'objet  de  la  part  de  ses  concitoyens,  sans 
distinction  d'opinion,  de  l'empressement  le  plus  sympa- 
thique et  d'une  curiosité  affectueuse  mêlée  d'admiration. 
Selon  un  de  ses  biographes,  «  la  foule  se  portait  toujours 
longtemps  d'avance  sur  la  route  qu'il  devait  suivre,  dans 
la  rue  ou  sur  la  place  qu'il  devait  traverser  ;  et,  du  plus 
loin  qu'elle  l'avait  aperçu,  elle  courait  au-devant  de  lui^ 
l'entourait  et  le  saluait  de  ses  acclamations.  Tout  le  monde 
désirait  non  seulement  le  voir,  mais  chacun  voulait  en- 
core l'entendre  et  le  toucher.  Les  ouvriers  quittaient  leurs 
travaux  pour  accourir  sur  son  passage.  11  s'arrêtait  quel- 
quefois au  milieu  d'eux,  causait  avec  celui-ci,  riait  avec 
celui-là  et  témoignait  à  tous  la  même  atTabilité.  » 

Nous  craignons  que  ce  récit  ne  soit  empreint,  lui  aussi, 
d'exagération  dans  un  sens  contraire  aux  rapports  du 
vicomte  de  Gardaillac.  Les  faits  que  mentionne  llogeron 
de  la  Vallée  d'après  le  récit  de  M™*  veuve  Gambronne 
(car  il  était  trop  jeune  pour  en  avoir  été  personnellement 
le  témoin)  ne  sont  pas  signalés  par  le  commissaire  spécial 
de  police,  du  moins  sous  cette  forme  tapageuse. 

Il  ne  fallait  d'ailleurs  pas  grand  chose,  nous  le  recon- 
naissons, pour  éveiller  la  sollicitude  toujours  inquiète  de 
la  police  secrète  qui  ne  rêvait  que  conspirations  bonapar- 
tistes et  y  affiliait  naturellement  les  anciens  soldats  de 
Napoléon.  Gambronne,  qui  n'était  pas  sans  le  savoir  ou  du 
moins  sans  le  pressentir,  vivait  seul,  avec  sa  mère,  dans 
sa  maison  de  la  cote  Saint-Sébastien,  loin  du  bruit  et  des 
manifestations  et  dans  la  plus  grande  simplicité.    Ses  pas 


—  224  — 

et  démarches  n'en  sont  pas  moins  surveillés.  Mais  tandis 
que  le  commissaire  spécial  de  police  continue  à  faire  des 
montagnes  de  tout  et  de  rien,  le  préfet,  revenu  des  émo- 
tions de  sa  lettre  du  30  avril,  rassure  le  ministre  qui 
rassure  à  son  tour  son  agent  secret  à  Nantes  (1). 

Voici  cette  correspondance  : 

. . .  Cambronne  se  conduit  sagement,  il  y  a  eu  de  l'exagération 
dans  les  rapports  faits  au  commissaire  spécial  à  son  sujet,  j'es- 
père en  faire  un  instrument  utile  (2). 

Paris,  le  31  mai  1816. 

A  Monsieur  le  Préfet  de  la  Loire-Inférieure. 

Monsieur  le  Préfet,  dans  une  lettre  que  m'a  adressée  M.  de 
Cardaillac,  ce  fontionnaire  se  plaint  de  la  conduite  du  géné- 
ral Cambronne  et  en  redoute  les  suites,  soit  pour  la  tranquil- 
lité du  département,  soit  pour  cet  officier  général  lui-même. 
Il  résulterait  de  son  rapport  ^^^e  le  général  Cambronne 
recevrait  habituellement  chez  lui  les  individus  de  Nantes  et  des 
environs  le  plus  notoirement  connus  pour  leur  opposition  au 
gouvernement  actuel,  et  que  l'habitude  où  il  serait  de  porter 
constamment  l'uniforme  de  son  grade  produirait  dans  l'esprit  du 
peuple  un  mécontentement  général  et  très  prononcé.  Votre  si- 
lence seul  me  persuade  que  ces  renseignements  ne  sont  point 
sans  exagération.  Je  vous  invite  cependant  à  les  vérifier  ;  per- 
sonne mieux  que  vous  ne  pourrait  faire,  s'il  en  était  besoin,  des 
représentations  fermes  et  sévères  au  général  Cambronne  qui 
s'empresserait  sans  doute  de  s'y  conformer.  Si,  au  contraire,  la 
conduite  de  ce  général  n'offre  rien  de  repréhensibb,  je  vous  en- 
gage à  calmer  les  craintes  de  M.  de  Cardaillac,  et  à  l'exhoi-ler  à 
moins  consulter  ses  propres  impressions  que  la  vérité  dans  les 
rapports  de  la  même  nature  qu'il  aura  occasion  de  m'adrosser. 


(1)  Archives  Nationales,  F  7  G679. 

(2)  Extrait  d'une  I^'ttre  du  Préfet  de  la  Luiro-Iiiférieure  en  date  du 
17  mai  1816. 


-  225  — 

Nantes,  le  21  mai  1816. 

A  son  Excellence  Monseigneur   le  Ministre  de  la  Police  générale 

Monseigneur, 
J"ai  eu  l'honneur  d'instruire  Votre  Excellence  par  ma  lettre  du 

10  do  ce  mois,  du  mauvais  effet  qu'avait  produit  dans  ce  pays 
le  retour  de  l'ex-général  Cambronne.  Votre  Excellente  par  sa 
lettre  du  7  courant  m'engage  à  une  grande  surveillance,  et  à  lui 
faire  part  du  résultat  de  mes  observations. 

Dès  son  arrivée,  cet  ex-général  se  présenta  chez  moi,  m'assura 
de  son  amour  pour  le  Roi,  et  me  promit  qu'il  ne  verroit  personne. 

11  fit  la  même  promesse  à  M.  le  Préfet,  cependant  il  a  reçu  chez 
lui  beaucoup  de  personnes  très  mal  famées. 

Ce  qui  me  déplaît  le  plus,  c'est  de  le  voir  se  promener  toujours 
en  uniforme  dans  les  communes  environnantes  de  celle  qu'il 
habite.  Le  peuple  s'en  indigne  ;  les  amis  du  trouble  et  de 
l'anarchie  en  prennent  l'air  insolent,  je  lui  avais  cependant  fait 
flire  par  M.  le  Maire  de  Saint-Sébastien,  commune  qu'il  habite, 
que  je  désirois  qu'il  fût  en  simple  bourgeois,  et  surtout  lorsqu'il 
vient  à  Nantes.  Sa  campagne  d'ailleurs  est  si  près  de  Nantes 
que  les  coquins  ont  toute  facilité  pour  aller  le  visiter. 

Dans  la  commune  qu'il  habite  se  trouvent  beaucoup  de  pavsans 
qui  ont  fait  toutes  les  guerres  de  la  Vendée  et  qui  ne  le  voyent 
qu'avec  beaucoup  de  peine,  et  si  tous  ceux  qui  ne  veulent  que  le 
trouble  continuent  à  l'aller  voir  aussi  fréquemment,  s'il  a 
l'arrogance  de  se  montrer  toujours  avec  l'habit  de  son  grade,  je 
ne  pourrai  répondre  de  sa  vie. 

Tout  le  monde  dit  et  répète  ;  puisque  ce  général  a  été  absous 
comme  étranger  à  la  France,  pourquoi  vient-il  habiter  ici  comme 
Français  ?  et  pourquoi  surtout  i)Orfe-t-il  l'uniforme  de  maréchal 
de  camp  français  ?  Tous  les  bons  bretons  sont  indignés  de  cette 
impudence. 

Je  supplie  Votre  Excellence  de  prendre  mes  observations  en 
considération,  et  de  croire  qu'aucun  moyen  de  surveillance  ne 
sera  négligé  et  qua  je  ferai  tous  mes  efforts  pour  arrêter  les 
projets  des  malveillans,  s'ils  étaient  assez  hardis  pour  vouloir 
troubler  l'ordre  public. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

Vicomte  de  Caruailhac 

15 


—  226  — 

PRÉFECTURE  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 

Nantes,  le  3  juin  1816. 
A  Son  Excellence,  Monsieur  le  Ministre  de  la  Police  générale. 

Monseigneur, 

D'après  les  rapports  fréquens  que  je  reçois  sur  la  conduite  que 
tient  dans  ce  pays,  le  général  Cambronne,  et  notamment  d'après 
celui  que  j'ai  reçu  ce  matin  môme,  il  me  paraît  que  les  rensei- 
gnemcns  qui  ont  été  transmis  à  Votre  Excellence  sur  cet  officier, 
ne  sont  pas  entièrement  exacts. 

Le  général  Cambronne  s'est  effectivement  montré  en  uniforme 
dans  la  commune  de  Saint-Sébastien  où  il  j-éside,  mais  il  n'a 
jamais  paru  ainsi  à  Nantes  où  il  vient  très  rarement.  On  l'a 
néanmoins  engagé  à  ne  pas  porter  cet  habit  dans  le  canton  qu'il 
habite.  Il  vit  fort  retiré,  et  quoiqu'il  eût  été  sans  doute  désirable 
qu'on  lui  eût  assigné  une  autre  résidence  que  celle  de  son  propre 
pays  où  il  se  trouve  le  point  de  ralliement  naturel  des  malveil- 
lans,  il  est  vrai  de  dire  cependant  qu'il  n'a  donné  lieu  jusqu'ici 
à  aucun  soupçon  fondé. 

Au  reste,  Monseigneur,  j'aurai  soin  de  suivre  les  instructions 
qui  terminent  la  lettre  de  Votre  Excellence. 

•le  suis  avec  respect,  etc. 

Le  Préfet,  Comte  de  Brosses. 

Nantes,  le  4  juin  1816, 
A  Son  Excellence,  Monseigneur  le  Ministre  de  la  Police  générale, 

Monseigneur, 

J'ai  eu  l'honneur  d'écrire  plusieurs  fois  à  Votre  Excellence  au 
sujet  du  général  Cambronne,  pour  la  prévenir  des  inquiétudes 
({ue  me  donnoit  dans  une  ville  où  il  y  a  un  grand  nombre  de 
fédérés,  la  présence  d'un  général  qui  s'est  rendu  célèbre  par  son 
attachement  à  l'usurpateur. 

Je  dois  lui  rendre  cette  justice  que,  quoique  les  malveillans  le 
regardent  comme  un  point  de  ralliement,  il  paroit  cependant  ne 
s'y  pas  prêter,  et  que  sa  conduite  jusqu'à  présent  a  été  assez 
réservée. 

Un  autre  motif  me  fait  parler  aujourd'hui  à  Votre  Excellence, 


—  227  — 

les  habitans  des  campagnes  ont  vu  avec  peine  revenir  au  milieu  • 
d'eux  ce  général  acquitté  comme  étranger,  et  peut-être  ses  jours 
ne  sont  pas  en  sûreté,  du  moins  c'est  ce  ^ue  m'apprennent  des 
rapports  secrets.  Je  prie  cependant  Votre  Excellence  de  croire 
que  je  ferai  tout  ce  qui  dépendra  de  moi  pour  protéger  sa  vie. 
J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect,  etc 

Le  vicomte  dk  Gardaillac. 

La  réponse  du  ministre  ne  se  fit  pas  attendre  : 

10  juin  1816. 

Au  Commissaire  de  police  à  Nantes, 

J'ai  reçu,  Monsieur,  la  lettre  dans  laquelle  vous  m'entretenez 
du  général  Cambronne,  et  j'espère  que  sa  conduite  réservée  ne 
se  démentira  pas  ;  mais  je  suis  loin  de  partager  les  craintes  que 
vous  me  manifestez  pour  sa  vie  ;  vous  ne  les  motivez  en  aucune 
manière.  Les  habitans  de  la  campagne  ont  pu  le  voir  avec 
quelque  peine  revenir  au  milieu  d'eux,  mais  il  y  a  loin  de  là  à 
des  projets  d'assassinat,  des  provocations  ont-elles  été  faites  ? 
Avez-vous  été  averti  par  des  menaces  ou  par  cette  espèce  d'agi- 
tation sourde  qui  précède  toujours  les  excès  de  cette  nature  ? 
non,  sans  doute,  vous  m'en  auriez  parlé. 

Je  compte  assez,  Monsieur,  sur  votre  prudence  et  sur  votre 
fermeté  pour  croire  la  vie  du  général  Cambronne  très  en  sûreté, 
et  je  suis  persuadé  qu'aucun  attentat  de  ce  genre  surtout  lorsque 
vous  l'aurez  prévu,  ne  sera  commis  par  des  royalistes  dans  le 
département  où  vous  êtes  appelé  à  exercer  votre  surveillance. 

M.  de  Gardaillac  se  le  tint  pour  dit  et  à  compter  de 
cette  date,  nous  ne  retrouvons  plus  de  rapport  de  lui 
contre  Cambronne  qui  songeait  à  se  faire  restituer  son 
traitement  de  général.  Il  le  réclama,  quelques  jours  après 
son  retour,  par  la  lettre  suivante  (1)  : 


(1)  Cette  lettre   figure   dans    le   Cabinet  historique  (tome   VIII, 
année  1862.) 


—  228  — 

•  A  Son    Excellence,  Monseigneur  le   duc  de  Feltre,  Ministre    de 
la  Guerre. 
Monseigneur, 

J'ai  l'honneur  d'exposer  h  Votre  Excellence,  que  j'aurais  droit 
de  réclamer  de  sa  justice  :  1"  3,000  fr.  qui  me  sont  dus  pour  le 
deuxiènie  semestre  de  l'an  1814  et  toute  l'année  181S,  comme 
commandant  de  la  légion  d'honneur  ;  2"  2,000  fr.  pour  entrée  en 
campagne,  li,600  fr.  dont  vous  avez  les  pièces  en  vos  bureaux 
pour  les  indemnités  en  Espagne  et  S0,000  fr.  par  suite  du  traité 
de  Fontainebleau.  Mais  mon  devoir  bien  sincère  étant  de  con- 
vamcre  Sa  Majesté  de  la  franchise  de  ma  soumission  et  de  la 
sincérité  de  mon  dévouement  ;  bien  déterminé  d'ailleurs  à  dimi- 
nuer et  à  réparer  par  tous  les  moyens  qui  sont  en  mon  pouvoir 
les  malheurs  de  ma  patrie  et  mes  erreurs  passées,  j'ai  l'honneur 
de  vous  supplier  très  humblement  do  faire  agréer  à  Sa  Majesté, 
ma  renonciation  bien  formelle  à  tous  mes  droits  à  ces  diverses 
sommes. 

Ce  serait  pour  moi  un  grand  bonheur  que  de  pouvoir  joindre 
à  ce  sacrifice,  celui  du  traitement  que  je  sollicite  de  Votre 
Excellence,  par  une  autre  lettre  de  ce  jour.  Je  n'ai  jamais  spéculé 
sur  mes  services  et  je  me  féliciterais  de  pouvoir  renoncer  à  toute 
récompense  ;  mais  le  délabrement  de  la  fortune  de  ma  famille 
par  les  événements  de  la  révolution  me  contraint  h  solliciter  le 
nécessaire  ;  et  comme  je  le  trouverai  dans  le  traitement  que 
j'attends  de  votre  justice,  je  renonce  bien  volontiers  à  tous  autres 
avantages. 

J'ai  l'honneur  d'ôLre,  avec  le  plus  profond  respect,  do  Votre 
Excellence,  le  très  humble  et  obéissant  serviteur. 

Le  baron  Cambkonne, 
Maréchal  de  camp. 

A  Saint-Sébastien,  près  Nantes,  le  20  juin  1816. 

Mais  Gambronne  n'obtenait  pas  aisément  ce  qu'il  récla- 
mait ;  il  y  avait  toujours  en  haut  lieu,  dans  les  bureaux 
du  ministère  de  la  guerre,  des  royalistes  ardents  qui 
machinaient  toutes  sortes  de  manœuvres  contre  les  géné- 
raux de  l'empire,  tant  et  si  bien  qu'à  leur  suggestion,  le 


—  229  — 

gouvernement  se  posa  même  la  question  de  savoir  si 
Cambronne  n'avait  pas  perdu  la  qualité  de  français 
comme  il  l'avait  fait  ou  laissé  plaider.  Le  ministre  de  la 
guerre  consulta  le  ministre  de  la  justice  et  il  ne  fallut  rien 
moins  qu'une  réponse  catégorique  de  ce  dernier  pour  que 
le  héros  de  Waterloo  ne  fût  pas  traité  comme  le  dernier 
des  cosaques,  de  ceux-là  mêmes  contre  qui  il  avait  en 
1814  défendu  les  portes  de  Paris.  Voici  cette  lettre  (1)  : 

Paris,  le  3  décembre  1846. 

Monsieur  le  Maréchal ,  par  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrira  le  18  octobre^  vous  m'avez  consulté  sur  la  question 
de  savoir  si  M.  le  baron  Cambronne  qui  a  été  absous  pï»r  juge- 
ment d'un  conseil  de  guerre  de  la  prévention  d'avoir  attaqué  la 
France  à  main  armée,  doit  être  considéré  comme  Français,  ou 
s'il  n'est  pas  censé  avoir  perdu  cette  qualité  par  suite  du  sys- 
tème de  défense  qu'il  a  adopté  devant  ce  conseil  de  guerre. 

Dans  l'état  de  notre  législation,  la  qualité  de  citoyen  français 
ne  se  perd  que  dans  les  cas  prévus  par  les  articles  17  et  21  du 
Code  civil  on  par  une  condamnation  à  une  peine  afflictive  ou 
infamante.  Le  système  de  défense  qu'a  embrassé  le  général 
Cambronne  ne  peut  pas  le  placer  dans  la  première  de  ces  caté- 
gories, attendu  que,  d'après  le  traité  de  Fontainebleau  du  11 
avril  1814,  dont  je  joins  ici  un  extrait,  il  ne  peut  pas  être  consi- 
déré comme  ayant  accepté  des  fonctions  à  l'étranger  sans  auto- 
risation, et  qu'il  pouvait  rentrer  en  France  dans  le  terme  de 
'A  ans.  11  me  paraît  doue  évident  que  ce  général  n'a  pas  perdu  sa 
qualité  de  français. 

Recevez,  Monsieur  le  Maréchal,  l'assurance,  etc. 

Le  Chancelier  de  France,  chargé  du  Portefeuille 
du  Ministère  de  la  Justice, 

Dambray. 

Cette  consultation  catégorique  mit  fin  à  l'incertitude  qui 
pesait  sur  Cambronne  lequel  obtint,  dès  la  fin  de  l'année, 

(1)  Archives  du  ministère  de  la  guerre. 


—  230  — 

le  renouvellement  de  son  brevet  de  commandeur  de  la 
Légion  d'honneur.  Il  en  fait  part,  peu  de  temps  après,  à 
un  de  ses  amis,  le  chevalier  Denelle,  dans  une  lettre  où 
percent  ses  véritables  sentiments  sur  la  Restauration. 
Elle  est  également  intéressante  par  les  renseignements 
qu'elle  contient  sur  quelques-uns  des  compagnons  d'armes 
du  général  (1).  La  voici  tout  entière  : 

A  Monsieur  le  chevalier  Denelle, 

propriétaire  au  mas  d'Agenais,  département  de  Lot- 
et-Garonne,  par  Bordeaux  et  Tonneins. 

Mon  cher  Denelle,  (2) 

Je  vous  suis  reconnaissant  de  l'empressement  que  vous 
renouveliez  à  apprendre  de  mes  nouvelles,  mais  comme  je  sais 
que  vous  vous  intéressez  réellement  à  moi,  j'attendois  la  décision 
de  mes  affaires  pour  vous  en  informer  :  n'étant  pas  terminée,  je 
ne  vous  dirai  que  où  j'en  suis. 

S.  M.  m'a  fait  donner  mon  brevet  de  commandeur  de  la 
légion,  en  jouissant  de  tout  ce  qui  est  accordé  à  ce  titre  ;  on  m'y 
porte  avec  la  dénomination  de  maréchal  de  camp  et  le  titre  de 
baron  :  j'ai  donc  l'espoir  qu'au  l*r  jour  on  m'accordera  ma 
pension  de  retraite,  que  mes  blessures  m'authorisent  à  réclamer; 
plus  les  lettres  de  baron  auxquelles  je  tiens  peu,  vous  savez 
comme  j'ai  toujours  pensé  à  ce  sujet,  si  l'orgueil  des  anciens 
n'avoit  pas  l'air  de  discuter  en  paroles  en  mon  absence  ce  que 
j'ai  gagné  à  mon  corps  défendant  et  pour  l'honneur  de  la  patrie. 
Enfin,  n'importe,  comme  ils  voudront  me  voir,  ils  savent  bien 
que  je  ne  les  crains  pas  et  qu'ils  me  trouveront  toujours  prêt  à 
leur  répondre. 

Quand  mes  affaires  seront  achevées,  j'aurai  le  plaisir  de  vous 
en   faire  part.  Je  vous  remercie  de  vos   offres  honnêtes  pour 

(1)  Cette  lettre  inédite  fait  partie  de  la  collection  de  M.  Lotz-Bris- 
sonneau,  de  Nantes,  qui  a  bien  voulu  nous  la  communiquer. 

(2)  DENELLE,  destinataire  de  cette  lettre,  était  un  ancien  lieutenant 
du  26»  d'infanterie  légère,  fait  chevalier  de  la  légion  d'honneur  le  14 
avril  1807  au  camp  impérial  de  Finkenstein  {Moniteur  du  26  mai). 


—  231  — 

avoir  le  plaisir  d'aller  vous  voir,  croyez  qu'il  m'est  impossible 
dans  ce  moment  de  le  faire.  Faites  agréer  à  votre  dame  ma 
reconnaissance  de  ce  qu'elle  veuille  bien  me  permettre  d'avoir 
l'honneur  de  faire  sa  connaissance.  Il  faut  toutes  les  raisons  que 
j'ai  pour  rester  où  je  suis  qui  puisse  m'empccher  de  me  rendre 
à  d'aussi  agréables  et  honôtes  invitations.  Soyez  donc  mon 
interprète  prés  Mde  votre  épouse  et  soyez  persuadés  que  nôtre 
ancienne  amitié  existe  entre  nous  avec  le  plaisir  que  nous  goûtions 
lorsque  nous  jouissions  d'être  ensemble. 

Gomme  vous  paraissez  vouloir  des  nouvelles  de  nos  anciens 
camarades,  je  vais  entrer  dans  ce  que  je  crois  en  connoître,  sans 
bien  vous  assurer  du  tout  : 

Robert  est  maréchal  de  camp  demeurant  à  Paris,  je  le  crois  à 
la  1/2  solde  (1),  Lenchantin  est  mort  (2),  Menu  (3)  est  colonel, 
retiré  chez  lui,  en  retraite  ou  1/2  solde,  il  avait  été  maréchal  de 
camp,  mais  sa  nomination  annulée  ;  KcU  est  colonel  à  1/2 
solde,   Guiilemain,  major  à  demi-solde  (4)  ;  il   est   devenu  son 

(1)  ROBERT  (Simon,  baron)  né  en  1762  à  Nevers,  mort  à  Paris  en 
1827,  avait  connu  Cambronne,  quand  il  avait  passé  comme  capitaine 
le  5  thermidor  an  IV  dans  la  2«  légion  des  Francs  devenue  depuis 
la  46«  demi-brigade.  Promu  chef  de  bataillon  le  l'^'"  vendémiaire  an 
V,  Robert  se  distingua  à  la  bataille  de  Paradis  (Suisse).  Tour  à  tour 
major  du  36e  de  ligne  (an  XII),  colonel  de  la  G»  demi-brigade  provi- 
soire (1809),  baron  de  l'empire  (1810),  maréchal  de  camp  (181i), 
Robert  fut  mis  en  demi-solde  le  1"  août  1813  et  admis  à  la  retraite 
le  21  octobre  1818. 

11  avait  signé,  au  retour  de  l'île  d'Elbe,  une  adresse  de  fidélité  à  Vem- 
Y>ereur  {Moniteur  du  23  avril  1813).  La  seconde  Restauration  le  disgracia. 

(2)  LENCHANTIN,  ancien  colonel  du  46"  de  ligne  où  il  fut  remplacé 
par  Latrille,  avait  été  nommé  général  de  brigade  le  1<=''  février  1803 
{Moniteur  du  13  pluviôse  an  13). 

(3)  MENU,  colonel  en  1813,  avait  été  chef  de  bataillon,  puis  major 
du  46«  de  ligne,  l'ancien  régiment  de  Cambronne  {Moniteur  du  3 
avril  1807  et  du  28  janvier  1813). 

(4)  Le  major  GUILLEMAIN  fut  à  côté  du  prince  d'Ekmûhl  un  des 
signataires  d'une  violente  protestation  datée  du  camp  de  la  ViUette, 
le  30  juin  1813  et  dirigée  contre  les  Bourbons  {Moniteur  du  2  juillet 
1815).  La  Chambre  des  représentants  en  avait  voté  l'impression  à 
20,000  exemplaires. 


—  232  — 

neveu  envers  et  contre  tous,  enfin  il  a  jolie  femme  et  des  enfants, 
il  demeure  à  Paris  à  1/2  solde.  Dutrieu  étoitchez  lui,  il  y  adeux 
ans,  il  était  chef  de  bataillon.  Levasseur  étoit  revenu  du  Sénégal, 
je  le  vis  à  Paris,  on  le  disait  riche,  mais  il  étoit  lancé  dans  les 
coquines,  je  crois  bien  qu'il  se  sera  ruinée  malgré  tous  les 
conseils  que  je  lui  ai  donné  pi"  ne  pas  le  faire. 

Leroy  est  en  Normandie  retiré,  marié  et  à  son  aise  (1). 

Innocent  Bonnefoy  étoit  le  seul  restant  au  régiment  à  la  b"e 
de  Waterloo  ;  il  étoit  chef  de  bataillon,  il  devoit  se  marrier  à 
Amiens  ou  Arras,  mais  quelques  ennemis  dirent  à  sa  prétendue 
belle-mère  qu'il  étoit  impuissant;  défendant  sa  fille,  malgré  tous 
les  certificats  de  chirurgien,  il  n'a  pu  obtenir  l'objet  de  sa  flame, 
et  il  est  sûrement  à  i/2  solde  chez  lui.  Renaud  est  en  retraite, 
Audebault  est  délivré,  je  le  vis  bourgeois  à  Paris  il  y  a  deux 
ans  4/2  ;  Muret  est  marchand  de  vin,  il  paraissoit  à  son  aise. 

Voilà,  mon  cher  Denelle,  tous  les  vivants  que  je  connois  ; 
prisonnier  en  Angleterre,  j'étois  avec  20  officiers  du  'k6°  qui 
m'ont  instruit  de  quelques-uns  de  ces  détails. 

Faites  agréer  mes  respects  à  Madame  et  croyez-moi  pour  la 
vie  Votre  ami. 

Le  16  mars.  Le  baron  Cambronne. 

Le  vrai  ami  Gerodias  étoit  il  y  a  trois  ans  et  demi  adjudant- 
major  des  marins  de  la  garde,  nous  étions  souvent  ensemble, 
presque  tous  les  jours  ;  je  le  crois  à  la  1/2  solde  à  Nanci  ou  Paris 
peut-être  à  Brest,  car  il  est  amphibie,  tantôt  marin,  tantôt 
canonier-marin,  autrefois  fantassin,  souvent  il  m'a  ])arlé  de 
vous  (2). 

Le  temps  s'écoulait  ainsi  quand  Cambronne  re^solut  un. 
jour,  au  commencement  de  l'été  1817,  à  aller  à  Noyon  où 

(1)  LEROY  (François)  né  le  lo  aovU  1709,  le  môme  jour  que  l'em- 
pereur, à  Beuzeville  (Eure),  mort  le  28  décembre  1838,  passa  comme, 
sous-lioutenant  le  !<='•  brumaire  an  V  à  la  -iG»  demi-brigade,  se 
trouva  à  Zurich,  à  Engen,  à  Hochstifdt,  a  Hoiienlindcn.  Il  prit  sa 
sa  retraite  le  1"  juillet  I8i.-J. 

(2)  GEIIODIAS  (Joseph)  lieutenant  de  vaisseau,  uliicier  de  la  Légion 
d'honneur,  chevalier  de  l'ordre  royal  et  militaire  de  Saint-Louis 
[Moniteur  du  18  mars  1800  et  du  2o  septembre  1814). 


—  233  — 

l'appelaient  des  affaires  de  famille  et  d'intérêt  et  il  de- 
manda au  maire  de  Saint-Sébastien,  un  passe-port  pour 
<îette  ville.  Le  maire  écrit  au  préfet,  le  préfet  écrit  le  20 
juin  au  ministre  une  lettre  dont  voici  un  passage  :  (1) 

Je  n'ai  pas  cru  moi-mùme  devoir  autoriser  la  délivrance  de  ce 
passe-port  avant  d'avoir  pris  les  ordres  de  Votre  Excellence  à 
cet  égard,  en  raison  do  la  position  particulière  où  se  trouve  le 
sieur  Cambronne,  quoique  sa  conduite  n'ait  donné  lieu  à  aucun 
reproche,  depuis  qu'il  habite  la  commune  de  Saint-Sébastien.  Il 
vit  à  la  campagne  avec  sa  mère,  reçoit  fort  peu  de  monde  et  se 
montre  très  réservé  dans  ses  propos. 

Le  ministre  répondit  par  la  lettre  suivante  : 

Paris,  le  25  juin  1817. 

M .  le  préfet  du  département  de  la  Loire-Inférieure, 

Je  ne  vois  point  d'inconvénient.  Monsieur,  à  ce  qu'un  passe- 
port soit  délivré  pour  Noyon  (Oise)  à  M.  le  Général  Cambronne 
dont  la  conduite  soumise  à  votre  surveillance  pendant  son  séjour 
à  Saint-Sébastien,  ne  vous  a  rien  otfert  de  rep>^éhensible.  Je 
préviens  M.  le  préfet  de  l'Oise  de  sa  prochaine  arrivée  dans  ce 
déparlement,  en  lui  adressant  les  mêmes  instructions  que  vou.s 
aviez  reçues  de  moi  à  son  égard. 

Recevez,  Monsieur  le  préfet,  etc. 

Pour  le  ministre  secrétaire  d'Etat  au  département 
de  la  police  générale  et  par  son  ordre. 

Le  Maître  des  requêtes,  secrétaire  général  du  ministère, 

MiRBEL. 

Ainsi,  le  préfet  de  la  Loire-Inférieure  avait  précédem- 
ment reçu  des  instructions  relatives  à  Cambronne  (elles 
n'ont  point  été  conservées  aux  archives  du  département) 
et  le  préfet  de  l'Oise  allait  recevoir  les  mêmes.  Les  voici 

(1)  Archives  départementales  de  la  Loire- Inférieure.  Dossier  des 
suspects  sous  la  Restauration  :  Cambronne. 


-  234  — 

en  effet  telles  qu'elles  figurent  aux  archives  de  l'Oise 
(série  M.  Police  générale  et  administrative)  où  nous  avons 
eu  la  bonne  fortune  de  les  retrouver  : 

Paris,  le  27  juin  1817. 

M.  le  Préfet  du  département  de  l'Oise, 

Je  viens,  Monsieur,  d'autoriser  Monsieur  votre  collègue  de  la 
Loire-Inférieure^  à  faire  délivrer  au  général  Cambronne  domi- 
cilié à  Saint-Sébastien,  dans  son  département,  un  passe-port 
pour  Noyon,  où  il  est  appelé  par  des  affaires  personnelles. 
Vous  jugerez  que  la  position  de  cet  officier  général  réclame  de 
votre  part  une  attention  suivie,  sans  être  ostensible,  sur  ses  dé- 
marches et  ses  relations.  Sa  conduite  à  Saint-Sébastien,  où  il  est 
^etiré  depuis  plus  d'un  an,  n'a  rien  offert  de  repréhensible.  Vous 
me  rendrez  compte  du  résultat  de  vos  observations  s'il  y  a 
lieu. 

Recevez,  Monsieur  le  Préfet,  etc. 

Le  Maître  des  requêtes,  secrétaire  général  du  Ministère, 

MlRBEL. 

Comme  de  juste,  le  préfet  de  l'Oise  envoya  très  con- 
fidentiellement copie  de  cette  lettre  au  capitaine  de 
gendarmerie  de  Beauvais,  avec  mission  de  la  recomman- 
der au  brigadier  de  Noyon  qui  devait  à  son  tour  faire 
toutes  les  semaines  un  rapport  particulier  : 

Confidentielle. 

—  Le30  juin  1817. 

A  Monsieur  le  Capitaine  de  gendarmerie  à  Beauvais. 
M.  le  Capitaine, 
Je  vous  transmets  ci-joint  la  copie  d'une  lettre  de  Son  Excel- 
lence le  ministre  de  la  police  relative  à  la  surveillance  secrète 
dont  le  général  Cambronne  doit  être  l'objet  à  Noyon,  où  il  trans- 
fère son  domicile.  Vous  sentez  que  cette  communication  est  très 
confidentielle.  Vous  voudrez  bien  donner  des  ordres  très  précis, 
pour  que  ce  général  soit  très  étroitement  surveillé,  quoique  d'une 


—  235  — 

manière  non  ostensible,  et  vous  vous  ferez  rendre  compte  chaque 
semaine  de  ses  démarches,  de  ses  liaisons  et  de  l'ensemble  de  sa 
conduite.  Vous  aurez  soin  de  m'envoyer  le  rapport  particulier 
qui  devra  vous  être  adressé  à  cet  égard. 
Recevez,  etc. 

L'accusé  de  réception  du  capitaine  de  gendarmerie  de 
l'Oise,  M.  Paal,  chevalier  de  l'ordre  royal  et  militaire  de 
Saint-Louis  et  de  la  légion  d'honneur  à  M.  le  comte  de 
Germiny,  préfet  de  l'Oise,  mérite  d'être  signalé  : 

2e  LÉGION  ROYAUME    DE    FRANCE 

Compagnie   de   l'Oise 

_  Beauvais,  le  2  juillet  1817. 

Police  Secrète  ^  Monsieur  le  Comte  de  Germiny,  préfet 

de  l'Oise  à  Beauvais. 

Monsieur  le  Comte, 
Conformément  à  vos  intentions,  j'ai  donné  les   ordres  néces- 
saires pour  surveiller  le  général  Cambronne  pendant  son  séjour 
dans  ce  département  avec  autant  de  vigilance  que   de   circons- 
pection. 

Il  existe  dans   la  ville  de  Noyon  une   société  d'officiers  en 
retraite  qui  sont  connus  pour  leurs  mauvaises  opinions,  etc.. 
Agréez,    Monsieur   le  Comte,  etc. 

Paàl. 

Le  préfet,  comme  l'indique  une  note  marginale,  écrivit 
au  ministre  qu'il  avait  pris  toutes  les  précautions  vou- 
lues et  le  gouvernement  de  la  Restauration  put  dormir 
en  paix,  d'autant  plus  aisément,  d'ailleurs,  qu'en  dépit 
du  passeport  demandé  et  obtenu  Cambronne  renonça  à 
son  voyage. 

Nous  retrouvons  d'intéressantes  explications,  sincères 
ou  de  commande,  au  sujet  de  son  attitude,  dans  une  lettre 
que  son  parent  Margerin  écrivait  en  son  nom,  le  8  oc- 
tobre 1817,  au  ministre  de  la  guerre  en  lui  rappelant  une 


—  236  — 

première  demande  égarée  dans  les  bureaux  une  quinzaine 
de  jours  auparavant.  (1) 

A  Son  Excellence  Monseigneur  le  Ministre  de  la  Guerre, 

MONSEIGNFX'R, 

Ayant  eu  l'honneur  de  présenter  à  Votre  Excellence  le  24 
septembre  dernier,  une  nouvelle  réclamation  au  nom  du  général 
Gambronne,  et  m'étant  assuré,  que,  le  mercredi  1er  de  ce  mois,. 
elle  n'était  pas  dans  vos  bureaux,  j'ai  tout  lieu  de  craindre  qu'elle 
ne  soit  pas  parvenue  à  Votre  Excellence,  et  je  prends  la  liberté 
de  lui  en  adresser  une  seconde  copie  à  laquelle  j'ajouterai 
quelques  observations  que  les  circonstances  ont  rendues  néces- 
saires. 

Copie  de  la  réclamation  adressée  à  Son  Excellence  le  24  septembre 

En  songeant  à  l'avis  donné  à  tous  les  créanciers  de  votre 
département,  sous  la  date  du  30  août  dernier  et  en  lisant  les 
journaux  du  11  septembre,  dans  lesquels  je  vois  un  nouvel  avis 
adressé  par  le  Gouvernement  à  tous  les  créanciers  de  l'Etat  de 
présenter  leurs  réclamations  et  leurs  titres  avant  le  27  septembre, 
je  crois  devoir,  comme  fondé  de  procuration,  comme  parent„ 
comme  ami  du  général  Gambronne,  adresser  à  Votre  Excellence 
une  nouvelle  réclamation  au  nom  do  ce  général,  pour  lequel  je 
sollicite  vainement  depuis  près  de  18  mois,  une  décision  qui 
détermine  enfin  son  sort. 

.Je  ne  puis  expliquer  l'inutilité  de  mes  démarches  jusqu'à  ce 
jour  qu'on  l'attribuant  à  quelques  fâcheuses  préventions  qui 
seraient  restées  sur  le  compte  de  cet  oflicicr  général  ;  cependant 
il  me  semble  que  le  serment  qu'il  a  volontairement  prêté  au  Roï 
et  la  conduite  qu'il  a  tenue  depuis  son  acquittement  sont  des 
garanties  suffisantes  de  ses  sentiments.  Il  m'est  permis  de  pré- 
sumer que  Sa  Majesté  elle-même  ne  serait  pas  éloignée 
d'accorder  au  général  Gambronne  la  confiance  que  je  désirerais 
qu'il  obtînt  de  Vo're  Excellence. 

Je  fonde  celte  espérance  sur  le  brevet  de  commandeur  de  la 
Légion  d'honneur  que  Sa  Majesté  a  daigné  lui  renouveler  le  3Qv 

(1)  .\rcluves  du  Ministère  do  la  Guerre. 


décembre  dernier  pour  prendre  rang  parmi  les  commandeurs  à 
compter  du  6  avril  1813. 

Ce  brevet,  signé  Louis,  est  accordé  au  baron  Pierre-Jacques- 
Etienne  Cambronne,  maréchal  de  camp  de  nos  armées. 

Quoi,  le  maréchal  de  camp  Cambronne  a  été  renvoyé  à  ses 
fonctions  par  un  jugement.  Il  est  admis  au  nombre  des  comman- 
deurs de  la  Légion  d'honneur.  Il  est  qualifié  de  maréchal  de 
camp  dans  le  nouveau  brevet  que  le  roi  a  daigné  lui  accorder  et 
il  ne  pourrait  obtenir  le  renouvellement  du  brevet  qui  lui  assure 
ce  grade,  ainsi  que  les  avantages  et  prérogatives  qui  y  sont 
attachés.  Je  crois  cependant  que  le  général  Cambronne,  après 
avoir  servi  pendant  25  ans,  ayant  sur  le  corps  plus  de  blessures 
que  d'années  de  service,  ne  peut  être  étranger  à  l'armée,  et  qu'il 
n'en  peut  faire  partie  qu'avec  le  grade  qu'il  a  si  bien  acquis. 

J'ose  donc  espérer  qu'un  nouvel  examen  et  de  nouvelles  ré- 
flexions feront  enfin  cesser  l'anxiété  trop  prolongée  dans  laquelle 
il  reste  depuis  si  longtemps  et  que  votre  Excellence  voudra  bien 
avoir  égard  à  sa  situation  présente  qui  me  fait  une  loi  de  solli- 
citer pour  lui  des  moyens  d'existence. 

Le  général  Cambronne  est  né  avec  de  la  fortune,  mais  il  avait 
perdu  son  père  peu  de  temps  avant  la  Révolution  et  cette  Révo- 
lution a  enlevé  à  sa  mère  la  presque  totalité  de  ses  biens. 
Réduite  à  vivre  dans  une  petite  campagne  qui  lui  est  restée  à 
une  lieue  de  Nantes,  c'est  là  qu'elle  a  maintenant  à  sa  charge  un 
fils  qui  devrait  aujourd'hui  lui  apporter  des  secours.  Mais  le 
général  Cambronne,  qui  croyait  trouver  une  existence  assurée 
dans  ses  longs  services,  a  toujours  sacrifié  au  bien  de  ses  subor- 
donnés les  profits  qui  auraient  pu  lui  donne,  des  ressources  pour 
l'avenir.  Que  de  circonstances  je  pourrais  citer  où  ce  général 
donna  des  preuves  de  son  désintéressement  et  de  son  humanité, 
mais  je  me  contenterai  de  parler  d'une  seule. 

A  sou  retour  d'Espagne,  tous  les  soldats  du  régiment  que  com- 
uiandait  Cambronne  manquaient  de  capotes  ;  il  épuisa  toutes  ses 
ressources  particulières  pour  leur  en  donner  à  ses  frais  ;  ce  fait, 
qui  peut  être  affirmé  à  votre  Excellence  par  tous  les  anciens 
compagnons  d'armes  de  ce  général,  qui  étaient  avec  lui  en  Es- 
pagne, n'est  pas,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  le  seul  de  ce  genre, 
suais  il  doit  suffire  pour  établir  votrj  opinion  sur  son  caractère  et 


—  238  — 

doit  vous  donner  en  même  temps  la  mesure  des  besoins  que  doit 
éprouver  ce  général,  qui  n'a  rien  louché  depuis  son  acquittement 
qui  date  de  18  mois,  et  qui  avait  été  précédé  de  trois  mois  de 
détention  à  l'Abbaye  et  de  trois  mois  de  prison  en  Angleterre. 

Quels  que  soient  les  nombreux  arguments  que  je  pourrais 
employer  en  faveur  du  général  Cambronne,  je  n'ajouterai  rien  à 
cette  réclamation  déjà  trop  longue.  Telle  quelle  est,  elle  suffira 
sans  doute  pour  appeler  toute  la  sollicitude  de  Votre  Excellence 
et  la  déterminer  à  statuer  promptement  sur  le  sort  d'un  ofllcier 
général  sur  le  dévouement  et  la  fidélité  duquel  Votre  Excellence 
pourra  toujours  compter  autant  que  sur  le  très  humble,  etc,etc... 

C'est  ainsi,  Monseigneur,  que  je  m'exprimais  pour  le  général 
Cambronne  le  24  du  mois  dernier,  avec  l'espérance  de  dissiper 
entièrement  jusqu'aux  moindres  préventions  que  Votre  Excel- 
lence aurait  pu  conserver  contre  l'honneur  et  la  fidélité  de  ce 
général.  Mais  par  suite  de  la  fatalité  qui  semble  le  poursuivre, 
un  nouvel  incidentauraitpu  paraître  justifier  les  préventions  que 
je  croyais  si  facile  de  détruire. 

Le  Journal  des  Débats,  du  30  septembre,  en  rendant  compte 
d'une  des  séances  du  procès  relatif  à  la  conspiration  de  l'Epingle- 
Noire,  s'exprime  ainsi  : 

«  On  a  découvert  chez  Contremoulin  un  livret  contenant,  par 
»  ordre  alphabétique.,  cent-vingt-huit  noms,  parmi  lesquels  se 
»  trouvaient  ceux  d'Exelmans,  Ameilh  et  Cambronne.  » 

Ainsi,  quoique  tous  les  accusés  de  la  conspiration  dite  de 
l'Epingle-Noire  aient  été  acquittés,  peut-être  pourrait-on  con- 
server quelques  préventions  à  leur  égard  et,  par  suite,  à  l'égard 
du  général  Cambronne  dont  le  nom  se  trouve,  sans  que  je  puisse 
m'en  expliquer  le  motif,  accolé  à  deux  hommes  condamnés  et 
proscrits. 

Je  crois  devoir  certifier  à  Votre  Excellence,  que  si,  en  effet,  le- 
nom  du  général  Cambronne  s'est  trouvé  sur  la  liste  contenant 
128  noms,  M.  Contremoulin  l'y  a  compris  sans  sa  participation 
et  sans  lui  en  avoir  donné  connaissance. 

J'ai  à  ma  disposition  une  lettre  du  général  Cambronne,  datée 
du  2i  mai  1816,  et  portant  le  timbre  de  la  poste  du  27  du  même 
mois,  dans  laquelle  il  m'annonçait  qu'il  était  sous  la  surveillance 
de  la  haute  police,  et  comme  il  présumait,   sans  doute,   que  je 


—  239  — 

pourrais  réclamer  contre  une  disposition  dont  l'arrêt  qui  l'avait 
acquitté  et  renvoyé  à  ses  fonctions,  devait  l'affranchir,  il  m'an- 
nonçait que  loin  que  cette  disposition  lui  causât  la  moindre  con- 
trariété, il  s'en  félicitait  parce  que  c'était  pour  lui  le  plus  sûr 
moyen  d'avoir  des  garants  de  sa  conduite. 

Dans  une  autre  lettre,  portant  le  timbre  du  20  juillet  dernier  et 
que  je  me  suis  empressé  de  communiquer  à  M.  le  chef  du  Bureau 
de  votre  Département  qui  en  devait  connaître,  à  son  audience  du 
mercredi  premier  de  ce  mois,  le  général  Cambronne  m'annon- 
çait qu'ayant  eu  l'intention  d'aller  dans  le  département  de  l'Oise, 
où  se  trouve  une  grande  partie  de  sa  famille,  il  avait  sollicité  et 
obtenu  de  son  Excellence  le  Ministre  de  la  police  générale  un 
passeport  qui  l'autorisait  à  faire  ce  voyage,  mais  à  celte  époque 
la  cherté  des  grains  avait  occasionné  do  troubles  dans  plusieurs 
départements  et  le  général  Cambronne  redoutant  que  son  voyage 
ne  fût  mal  interprété  par  la  malveillance,  s'expi'ime  ainsi  dans  la 
lettre  que  j'ai  à  ma  disposition  : 

«  Les  différents  bruits  sur  divers  points  m'ordonnent  de  ne 
»  pas  sortir  d'ici,  car  on  pourrait  croire  que  j'ai  des  intentions 
»  que  je  n'aurai  jamais.  » 

Certes,  Monseigneur,  vous  serez  bien  convaincu  que  celui  qui 
se  félicite  d'être  placé  sous  la  surveillance  de  la  haute  police 
afin  d'avoir  des  témoins  de  sa  conduite  et  qui  se  prive,  par 
prudence,  d'un  voyage  projeté  et  désiré,  dans  le  dessein  de  ne 
donner  prétexte  à  aucune  interprétation  défavorable,  ne  peut 
avoir  mérité  de  voir  son  nom  figurer  sur  une  liste  d'individus 
soupçonnés  ou  convaincus  de  conspiration  contre  l'Etat.  Vous 
serez,  comme  moi,  persuadé  que  dans  celte  circonstance  le 
général  Cambronne  est  à  plaindre  et  non  à  blâmer,  et  vous  ne 
prendrez,  à  son  égard,  aucune  impression  fâcheuse.  C'est  dans 
cette  confiance  que  je  sollicite  de  nouveau  de  Votre  Excellence 
une  prompte  justice  et  que  je  vous  prie  d'agréer  l'assurance  du 
très  profond  respect  avec  lequel  j'ai  l'honneur,  Monseigneur,  de 
Votre  Excellence,  le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

B.  Margerin, 

Avocat,  rue  des  Champs-Elysées,  no  8. 

Paris,  ce  8  octobre  1817. 


—  240  — 

Gomme  on  le  voit  par  cette  lettre,  Louis  XVIII  avait 
renouvelé,  dès  le  30  décembre  1816,  le  brevet  de  comman- 
deur de  la  Légion  d'honneur  que  Gambronne  avait  déjà 
depuis  le  6  avril  1813.  Il  le  traitait  de  «  maréchal  de 
camp  de  nos  armées  »  :  qu'attendait-il  pour  lui  rendre  son 
traitement  et  pour  le  rappeler  à  une  haute  fonction  mili- 
taire ?  Tel  était  le  but  évident  de  la  lettre  de  Margerin, 
écrite  avec  l'assentiment  de  Gambronne.  Mieux  eût  valu, 
sans  doute,  une  attitude  moins  humble  à  l'égard  de  ceux 
qui  ne  lui  pardonnaient  pas  son  attachement  à  l'empereur. 

En  vain  les  ministres  de  la  guerre  se  succédaient,  aucun 
d'eux  ne  semblait  se  soucier  d'un  ancien  compagnon 
d'armes  et  le  maréchal  Gouvion  Saint-Gyr  ne  restait  pas 
moins  sourd  que  le  duc  Glarke  de  Feltre  aux  appels  réité- 
rés de  Margerin.  Une  nouvelle  lettre  du  21  novembre  1817 
contient  le  passage  significatif  que  voici  :  (1) 

« Gelui  qui,  pendant  vingt-cinq  années  de  ser- 
vices consécutifs,  s'est  toujours  occupé  de  ses  devoirs  et 
jamais  de  ses  intérêts,  doit  au  moins  recueillir  le  fruit  de 
ses  honorables  services  et  je  suis  autorisé  à  vous  affirmer 
de  sa  part  que  son  plus  sincère  désir  serait  d'en  rendre  de 
nouveaux  et  de  prouver  ainsi  sa  fidélité  au  serment  qu'il 
a  prêté  à  Sa  Majesté,  mais  en  attendant,  le  général  Gam- 
bronne ne  jouit  d'aucun  traitement  et  se  trouve  exposé  à 
un  état  de  détresse  dont  ses  longs  services  et  son  grade 
doivent  le  garantir. 

«  J'ose  donc  solliciter  et  espérer  de  Votre  Excellence 
qu'elle  daigne  s'occuper  très  prochainement  de  fixei"  enfin 
le  sort  du  général  Gambronne  et  de  faire  ainsi  cesser 
l'anxiété  dans  laquelle  il  est  depuis  longtemps.  » 

(1)  Archives  du  Ministère  de  la  Guerre. 


CHAPITRE  XVI 

LE  VOYAGE  A  BORDEAUX 

Tandis  que  Cambronne  multipliait  les  démarches  pour 
rentrer  en  grâce  auprès  du  gouvernement,  comme 
l'avaient  fait  plus  vite  que  lui  un  si  grand  nombre  de  ses 
anciens  compagnons  d'armes,  sans  être  plus  mal  vus  de 
leurs  contemporains,  un  nouvel  incident  surgissait  à  son 
insu,  qui  pouvait  être  interprété  contre  ses  propres  senti- 
,  ments.  Nous  en  trouvons  l'exposé  dans  une  curieuse 
lettre  du  préfet  de  la  Loire-Inférieure  au  Ministre  de  la 
police  générale.  (1) 

PRÉFECTURE    DE    LA    LOIRE-INFÉRIEURE 

A  Son  Ex.  le  Ministre  de  la  Police  générale 

Nantes,  le  IS  octobre  1817. 
Monseigneur, 

Le  Commissaire  de  police  de  Nantes  chargé  dos  fonctions 
d'inspecteur  do  l'imprimerie  et  de  la  librairie  vient  do  me  faire 
connaître  qu'ayant  remarqué  chez  un  marchand  d'estampes  de 
cette  ville,  le  portrait  gravé  du  général  Drouot  et  ayant  reconnu 
qu'il  ne  portait  aucune  indication  annonçant  son  dépôt  à  la 
direction  générale,  formalité  exigée  par  l'art.  10  de  la  loi  du 
24  otobre  18U,  il  a  défendu  au  marchand  d'exposer  cette  gra- 
gravure  jusqu'à  ce  qu'il  se  soit  mis  en  régie  sous  ce  rapport. 

L'exposition  du  portrait  du  général  Drouot  a  fait  peu  d'effet  à 
Nantes,  et  il  s'en  est  vendu  un  très  petit  nombre.  Mais  il  n'en* 
est  pas  de  môme  de  celui  du  général  Cambronne,  mis  également 

(1)  Archives  Nationales  F^  68o4. 

16 


—  242  — 

en  vente  dans  cette  ville  depuis  quelques  semaines,  sur  lequel 
est  relatés  la  date  de  la  bataille  de  Waterloo,  et  qui  a  pour 
épigraphe  les  paroles  attribuées^  avec  ou  sans  raison,  à  cet 
officier  général  à  cette  bataille  :  La  Garde  meurt  et  ne  se  rend 
pas.  Plusieurs  personnes  ont  cru  voir  dans  l'exposition  publique 
de  l'image  du  général  dans  la  ville  qu'il  habite,  un  hommage 
rendu  à  sa  conduite  et  une  nouvelle  manœuvre  de  la  malveillance. 
Elles  sont  venues  se  plaindre  à  moi  de  la  tolérance  de  la  police 
à  cet  égard,  et  m'engager  à  interdire  la  vente  de  cette  gravure. 
J'ai  dû  répondre  à  toutes  ces  plaintes  que  les  formalités  pres- 
crites ayant  été  remplies,  il  ne  m'appartenait  pas  de  donner  de 
tels  ordres,  et  j'étais  d'ailleurs  convaincu  que  prendre  une 
mesure  prohibitive  dans  cette  occasion,  c'eût  été  donner  à  cet 
ouvrage  une  importance  qu'il  n'avait  pas  encore,  et  aux  ennemis 
du  gouvernement,  le  désir  de  se  le  procurer.  C'est  avec  ces 
réflexions  que  des  personnes  sages  sont  parvenues  faire  aban- 
donner à  plusieurs  officiers  sémestriers  récemment  arrivés  à* 
Nantes,  le  projet  formé  par  eux  d'enlever  et  de  déchirer  tous  les 
portraits  de  Gambronne  qui  se  trouvent  ici.  Cependant  depuis 
cette  époque,  il  s'en  est  vendu  un  nombre  beaucoup  plus  consi- 
dérable, et  presque  tous  les  marchands  d'estampes  de  cette  ville 
en  ont  aujourd'hui  plusieurs  en  étalage. 

J'espère  que  reflet  produit  par  cette  circonstance  qui  ne  me 
paraît  avoir  d'autre  importance  que  celle  qu'on  s'est  plu  à  y 
attacher,  no  tardera  pas  s'effacer,  et  je  ne  néglige  rien  pour  par- 
venir à  ce  but.  Cependant  j'ai  cru  qu'il  était  de  mon  devoir  de 
vous  donner  connaissance.  Monseigneur,  de  l'espèce  d'agitation 
qui  en  a  été  la  suite. 

Je  dois  ajouter  que  tous  les  portraits  des  généraux  Drouot  et 
Cambronne  qui  paraissent  à  Nantes,  y  sont  expédiés  par  Banse, 
libraire  de  Paris. 

Je  terminerai,  Monseigneur,  en  vous  priant  de  me  donner  sur 
l'exécution  de  l'art.  10  de  la  loi  précitée,  l'explication  suivante  : 
.Doit-on  exiger  que  les  gravures  exposées  en  vente,  portent  l'in- 
dication du  dépôt  qui  en  a  été  fait  à  la  direction  générale  de 
l'imprimerie,  ou  bien  suffit-il  que  le  marchand  produise  le 
certificat  ou  une  copie  du  certificat  constatant  que  cette  formalité 
a  été  remplie  à  l'égard  de   la   gravure  qu'il   expose?  Dans  ce 


—  243  — 

dernier  cas  quelle  est  la  forme  de  cette  pièce  et  par  quelle 
autorité  doit  elle  être  délivrée  ? 

Je  désire,  Monseigneur,  que  Votre  Excellence  veuille  bien 
m'adresser  le  plus  promptement  possible  la  solution  de  ces 
questions. 

Je  suis  avec  respect,  etc. 

Pour  le  préfet  en  congé,  le  conseiller  de  préfecture  délégué, 

P.  DUFORT. 

Voici  la  réponse  du  ministre  : 

A  Monsieur  le  Préfet  de  la  Loire-Inférieure 

Monsieur,  d'après  l'article  -10  de  l'ordonnance  du  2't  octobre 
d814,  aucune  estampe  ou  planche  gravée  ne  peut  cire  publiée  et 
mise  en  vente  avant  le  dépôt  de  5  épreuves,  constaté  par  un 
récépissé  délivré  en  vertu  de  l'article  9  de  la  même  ordonnance; 
mais  on  n'exige  point  que  les  estampes  portent  l'indication  du 
dépôt  parce  que  cette  indication  pourrait  être  mise,  sans  que  le 
dépôt  eût  été  réellement  effectué.  Paris  est  à  peu  près  la  seule 
ville  où  il  se  fait  des  gravures  et  le  récépissé  y  est  fourni  et 
signé,  au  moment  du  dépôt,  et  d'après  mon  autorisation,  par  M. 
Pages,  chef  du  premier  bureau  de  la  division  littéraire  de  mon 
ministère,  c'est  cette  pièce  qui  doit  être  produite,  soit  en 
original,  soit  en  copie  authentique  pour  prouver  la  légalité  du 
dépôt  ;  mais  il  est  une  précaution  plus  sûre  et  propre  à  prévenir 
toute  surprise  ;  c'est  de  consulter  le  journal  de  la  librairie,  et 
si  la  gravure  n'y  est  pas  mentionnée,  de  ne  point  en  permettre 
la  publication. 

Ces  explications  répondent  aux  questions  contenues  dans  la 
lettre  que  vous  m'avez  écrite,  le  15  de  ce  mois,  relativement  au 
portrait  gravé  du  général  Drouotetà  celui  du  général  Cambronne, 
mis  en  vente  chez  plusieurs  marchands  de  la  ville  de  Nantes. 

J'apprécie  d'ailleurs,  la  sagesse  des  réflexions  que  vous  me 
soumettez  à  cet  égard  ;  on  ne  saurait  être  trop  circonspect  à 
interdire  ce  qui  peut  être  légitime  ou  indifférent  en  soi,  une 
contradiction  irréfléchie  n'aboutit  quelquefois  qu'à  donner  aux 
choses  une  importance  qu'elles  ne  méritaient  pas  et  peut  encore 
avoir  l'inconvénient  de  porter  à  la  désobéissance  ou  au  moins  de 
provoquer  des  irritations.  Vous  avez  montré  dans  cette  circons- 


—  244  — 

tance  toute  la  réserve  qu'on  devait  attendre  d'un  administrateur 
éclairé,  et  si  les  circonstances  l'exigeaient,  s'il  devenait  néces- 
saire de  prévenir  des  provocations  et  des  rixes,  vous  sauriez,  je 
n'en  doute  pas,  agir  avec  le  môme  discernement,  pour  obtenir, 
soit  par  la  persuasion,  soit  par  la  fermeté,  un  sacrifice  com- 
mandé par  l'intérêt  de  la  tranquillité  publique,  auquel  ne  se 
refuseraient  pas,  j'aime  à  le  croire,  les  marchands  possesseurs 
de  ces  deux  portraits. 

P.  S.  —  Il  faut  distinguer  la  mise  en  vente  de  l'exposition  ; 
celle-ci  peut-être  empêchée  par  l'autorité  lorsqu'il  y  a  incon- 
vénient. 

Il  ne  semble  d'ailleurs  pas  que  cette  affaire  ait  eu  d'au- 
tre retentissement.  Les  adversaires  du  gouvernement,  en 
se  procurant  le  portrait  de  Gambronne,  donnaient  à  leur 
acquisition  un  caractère  séditieux  que  le  général  eût  été 
bien  loin  d'approuver,  puisqu'à  la  même  époque  il  était 
dans  un  état  d'esprit  voisin  de  la  soumission. 

Il  s'y  trouvait  encore  quand,  le  3  décembre  1817,  le  duc 
d'Angoulême  fit  son  entrée  à  Nantes.  Le  jour  même,  le 
général  lui  fut  présenté  avec  d'autres  officiers  supérieurs 
et  reçut  du  prince  cet  accueil  bienveillant,  mais  banal, 
que  les  grands  personnages  en  tournée  réservent  indiffé- 
remment à  tous  ceux  qui  viennent  les  saluer  (1).  A  la  vé- 
rité, une  ordonnance  du  20  mai  1818,  en  le  réadmettant 
sur  les  contrôles  de  l'armée,  lui  accorda,  à  partir  du 
l"^  juillet,  la  jouissance  du  traitement  de  non-activité, 
c'est  à  dire  la  demi-solde  de  son  grade,  tandis  qu'il  avait 
été,  lors  de  sa  mise  en  liberté,  le  14  mai  1816,  considéré 

(1)  Voici  (^e  qu'on  lit  dans  le  supplément  au  Journal  de  Nantes  et 
du  département  de  la  Loire-Inférieure  du  8  novembre  1817,  que 
publiait  alors  Mellinet-Malassis  : 

«  On  a  remarqué  avec  plaisir  le  général  Gambronne  parmi  l&s 
»  ofliciers  généraux  qui  ont  désiré  présenter  leurs  honmiages  au 
»  au  Prince  et  le  bon  accueil  que  cet  officier  a  reai  de  S.  A.  R.  » 


—  245  — 

comme  réformé  sans  traitement.  Mais  il  n'en  demeurait 
pas  moins  suspect,  et  nous  en  trouvons  la  trace  dans  la 
correspondance  administrative  qui  s'échangea  à  son 
sujet.  Témoin,  la  lettre  suivante  du  maire  de  Saint-Sébas- 
tien au  préfet  de  la  Loire-Inférieure  (1)  : 

St-Sébastien,  2  septembre  1818. 
Monsieur  le  préfet. 

J'ai  l'honneur  de  vous  prévenir  que  j'ai  délivré  hier  un  passe- 
port pour  Paris,  Noyon  et  Bordeaux  au  baron  de  Cambronne, 
mon  administré. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  considération,  Monsieur  le  préfet, 
votre  très  humble  trùs  obéissant  serviteur. 

Francis  Herbert. 

Le  9  septembre,  sans  doute  après  en  avoir  conféré  avec 
le  ministre  de  la  police,  le  préfet  répond  au  maire  «  qu'il 
n'aurait  pas  dû  délivrer  ce  passe-port  pour  plusieurs  des- 
tinations ». 

Quelques  jours  auparavant,  le  48  août  1818,  le  comte  de 
Labesse  colonel  commandant  la  légion  de  la  Loire-Infé- 
rieure et  commandant  militaire  de  Nantes  et  des  cotes, 
écrivait  au  ministre  de  la  guerre  une  lettre  qui  signalait 
Cambronne  à  la  clémence  du  roi  : 

Il  ne  regrette,  disait  cette  lettre,  que  l'indigence  à  laquelle  il 
est  réduit  que  parce  qu'elle  est  une  preuve  que  son  amour  pour 
l'auguste  sauveur  de  notre  patrie  est  méconnu  et  mis  en 
doute.  (2) 

Mais  peu  à  peu,  il  rentrait  en  grâce;  par  lettres-paten- 
tés du  17  décembre  de  la  même  année,  le  roi  le  confirmait 
dans  son  titre  de  baron  ;  il  sollicita,  avec  la  recommanda- 

(1)  Archives  du  département  de  la  Loire-Inférieure.  Dossier  des 
suspects  sous  la  Restauration  :  Général  Cambronne.  N»  674  11  2. 

(2)  Archives  du  ministère  de  la  guerre. 


tion  du  duc  d'Angoulême,  la  croix  de  Saint-Louis  (4)  et 
l'obtint  le  18  août  1819,  ce  qui  entraînait  sa  prestation 
de  serment  comme  chevalier  de  cet  ordre  royal  et 
militaire. 

Voici  en  quels  termes  le  Journal  de  Nantes  rendit 
compte  le  14  septembre  de  cette  cérémonie  qui  avait  eu 
lieu  l'avant  veille.  (2) 

Un  grand  nombre  d'officiers  de  différentes  armes,  tous  les 
chefs  des  administrations  militaires  et  M.  le  comte  des  Brosses, 
préfet  de  ce  département,  se  sont  réunis  avant  hier  chez  M.  le 
général  baron  Rougé,  commandant  la  division  en  l'absence  de 
M.  le  lieutenant  général  baron  Pécheux,  et  la  réception  de  M.  le 
maréchal  de  camp  baron  Cambronne  comme  chevalier  de  l'ordre 
royal  et  militaire  de  Saint-Louis  a  eu  lieu  en  présence  de  cette 
brillante  réunion. 

M.  le  baron  Rougé,  à  l'occasion  de  cette  cérémonie,  a  adressé 
quelques  mots  au  général  Cambronne,  dans  lesquels  il  a  dit  qu'il 
s'estimait  heureux,  comme  l'un  de  ses  anciens  compagnons  d'ar- 
mes, d'avoir  été  choisi  pour  le  recevoir  chevalier  d'un  ordre  qui 
a  toujours  compté,  parmi  ses  membres,  d'illustres  guerriers  dé- 
fenseurs du  trône  et  de  la  patrie  «  Cette  réception  exige  un  ser- 
«  ment,  a-t-il  dit  en  terminant,  et  vous  avez  montré  à  l'Europe 
«  entière  comment  vous  savez  les  tenir  ». 

A  quelques  semaines  delà,  il  partit  pour  les  Basses- 
Pyrénées  aiin  d'y  prendre  les  eaux.  A  Pau,  la  ville  se  porta 
sur  son  passage  et  on  rappela  ses  exploits  dans  une  chanson 
que  nous  trouvons  dans  les  pièces  annexées  au  livre  de 
Rogeron  de  la  Vallée  : 

CHANT  FRANÇAIS 

DÉDIÉ    AU    GÉNÉRAL    CaMBRONNE 

Paroles  de  M.   Loustaneau,  lieutenant  dans  les  chasseurs  à 

(1)  Archives  du  ministère  de  la  guerre. 

(2)  Le  Moniteur  universel  du  dimanche  19  septembre  1819  p. 
1231,  reproduisit  ce  récit. 


—  247  — 

cheval  de  l'ex-garde,  musique  de  M.  Moniot,  élève  du  Conserva- 
toire et  musicien  de  l'ex-garde. 

l*""  Couplet 

Peuple  français,  si  la  gloire  t'appelle. 

S'il  faut  encor  signaler  ta  valeur 

Prends  au  combat  la  devise  immortelle 

De  tes  héros  morts  aux  champs  de  l'honneur. 

Vaincre  ou  mourir  était  leur  noble  envie  ; 

Ce  chant  guidait  leur  valeur  au  combat. 

Comme  eux  encor  redis  à  la  patrie  : 

«  Le  Français  meurt,  mais  il  ne  se  rend  pas.  »  (bis) 

2e  Couplet 

Vois  les  lauriers  qu'agite  la  victoire  ; 
C'est  le  seul  prix  digne  du  nom  français. 
Vois  tes  neveux  au  temple  de  mémoire 
D'un  saint  respect  honorer  tes  succès- 
La  mort  est  belle  au  cri  de  la  patrie. 
C'est  une  vie  au-delà  du  trépas  ; 
Qu'à  cette  voix  un  peuple  entier  s' écrie  : 
«  Le  Français  meurt,  mais  il  ne  se  rend  pas.  »  (bis) 

3e  Couplet 

Choisis  pour  guide  un  héroïque  zèle  ; 

Que  tes  remparts  soient  ta  seule  valeur. 

Et  que  partout  l'honneur  en  sentinelle 

Te  trouve  armé  de  son  glaive  vengeur. 

Oppose  au  nombre  un  courage  intrépide 

Pour  le  héros  la  mort  a  des  appas; 

Il  meurt,  chantant  dans  l'ardeur  qui  le  guide  : 

«  Le  Français  meurt,  mais  il  ne  se  rend  pas.  »  (bis) 

Lors  de  son  retour,  il  voulut  s'arrêter  à  Bordeaux.  N'y 
avait-il  pas,  entre  autres  liaisons,  son  ami  intime  Dali- 
det  ?  et  n'est-ce  pas  précisément,  lors  de  ce  voyage  de 
1819,  qu'il  lui  remit  la  décoration  qu'il  portait  à  Waterloo 
«  comme  un  insigne   de   valeur   et   de  gloire  confié  à 


—  248  — 

l'amitié?  »  Eh  bien  !  là  encore,  il  eut  à  subir  les  ovations 
de  là  foule  et  les  tracasseries  de  la  police.  Dans  sa  lettre 
dont  nous  parlons  plus  haut  (1),  Dalidet  y  fait  allusion 
quand  il  écrit  à  madame  Cambronne  :  «  Vous  avez  connu, 
»  Madame,  avant  même  de  porter  son  nom  et  dans  des 
»  temps  ovi  il  y  avait  quelque  courage  à  braver  la  surveil- 
»  lance  d'une  police  si  tyrannique  à  son  égard,  quelle  fut 
»  notre  intimité.  » 

Que  se  passait-il  donc  à  Bordeaux  ?  Demandons-le  aux 
journaux  du  temps. 

Le  Moniteur  universel  publiait  le  lundi  8  novembre 
1819  la  note  suivante  : 

On  nous  écrit  de  Bordeaux  que  le  général  Cambronne  ne 
paraît  point  au  spectacle  et  qu'il  cherche  à  éviter  les  applaudis- 
sements que  lui  prodiguent  quelques  personnes  avec  une 
affectation  que  l'on  pourrait  allribuer  à  l'esprit  de  parti. 

Le  lendemain,  nouvel  entrefilet  : 

M.  le  général  Cambronne  a  continué  à  se  dérober  à  Bordeaux 
aux  hommages  qu'un  grand  nombre  d'habitans  lui  avaient 
préparés  au  moment  de  son  départ. 

Il  est  parti  le  2  de  ce  mois  par  une  route  sur  laquelle  il  n'était 
point  attendu  cl  a  repris  le  chemin  où  il  retourne  dans  le  sein 
de  sa  famille. 

C'était  là  une  note  officielle,  volontairement  sèche  et 
froide.  L'enthousiasme  avait  été  au  comble  d'après 
V Indicateur  Bordelais,  journal  libéral,  qui  publia  sur  le 
séjour  de  Cambronne  les  articles  enflammés  que  voici  : 

EXTRAIT  DE  L'INDICATEUR  BORDELAIS 

Bordeaux,  le  28  octobre  1819, 
Le  brave  des  braves,  le  général  Cambrdnne,  est  un  do  ces 
voyageurs  dont  la  réputation   trahit   le  modeste   incognito.  Que 

(1)  Lettre  du  28  août  1844. 


—  249  — 

celui  qui  fit  i^etentir  à  l'oreille  de  nos  ennemis  le  dernier  cri  do 
la  valeur  expirante,  nous  pardonne  d'oser  aujourd'hui  révéler 
le  secret  de  son  passage  dans  les  murs  de  notre  ville,  ou 
plulùt  qu'il  s'en  prenne  h  l'éclat  de  son  nom  qui  le  précédera 
partout. 

On  assure  que  le  héros  de  mont  Saint-Jean  séjournera  quelque 
temps  dans  Bordeaux,  mais  au  sein  do  l'amitié,  loin  des  suffrages 
jablics  et  du  tribut  d'éloges  que  mérite  son  noble  caractère. 
Ah  !  poui(}uoi  voudrait-il  se  dérober  à  sa  gloire  ?  qu'il  apprenne 
que  ses  relations  ne  sauraient  plus  être  privées,  et  que  ses 
vertus  qui  déjà  appartiennent  à  l'histoire  réclament  un  théâtre 
plus  vaste,  et  les  applaudissements  de  notre  population  tout 
entière  :  quel  exemple  pour  nos  jeunes  militaires,  s'il  daignait 
pendant  plusieurs  jours  présider  à  leur  cercle,  les  enflammer  du 
récit  de  ses  actions  guerrières,  leur  communiquer  ce  feu  sacré  du 
patriotisme,  qu'il  est  si  digne  de  leur  transmettre,  qu'ils  sont  si 
dignes  de  recevoir. 

Le  général  Cambronne  n'a  pu  se  soustraire  aux  hommages  de 
ses  concitoyens  reconnaissants  ;  arrivé  à  3  heures  du  soir,  à  peine 
les  bons  Français  ont-ils  su  quel  hôte  illustre  ils  avaient  le 
bonheur  de  posséder  dans  leurs  murs,  que  son  nom  a  volé  de 
bouche  en  bouche.  La  musique  du  Grand-Théâtre  a  exécuté 
à  M  heures  plusieurs  chants  de  triomphe  sous  les  fenêtres  du 
Jbrave. 

Bordeaux,  le  30  octobre. 

Tout  ce  qui  regarde  Cambronne  mérite  d'être  publié.  Jamais 
général  au  retour  d'une  victoire  n'obtint  plus  d'hommages  que 
le  bravp  dont  la  constance  triompha  dans  les  revers  et  fut  l'inter- 
prète de  l'honneur  français.  Avant-hier  à  il  heures  du  soir, 
tandis  qu'on  exécutait  des  chants  de  triomphe  sous  les  fenêtres 
du  héros,  il  y  avait  un  concours  de  plus  de  2,000  personnes, 
femmes,  enfants,  vieillards,  militaires  de  tout  grade  et  de  toute 
arme.  C'était  à  qui  jouirait  le  premier  de  la  vue  de  Cambronne, 
et  malgré  l'obscurité  de  la  nuit,  on  devinait  les  traits  du  digne 
successeur  de  La  Tour-d'Auvergne,  do  celui  qui  aurait  sauvé 
l'armée,  si  l'armée  avait  pu  être  sauvée. 

Hier  à  la  Bourse,  sur  les  allées  de  Tourny,  partout,  on  s'occu- 
pait de  Cambronne,  partout  on  volait  à  sa  rencontre,  toutes  les 


—  250  — 

fois  que  s'tarrôtait  le  chef  de  la  vieille  garde.  C'était  pour  lui 
comme  autant  de  poses  triomphales,  la  simplicité  de  son  extérieur 
et  de  son  cortège  ne  pouvait  dérober  le  secret  de  sa  marche,  et 
c'est  alors  qu'on  aurait  pu  appliquer  à  Cambronne,  comme  à 
Turenne,  ces  paroles  de  l'orateur  français  :  il  marche  seul,  mais 
sa  réputation  le  précède,  et  plus  il  est  grand,  plus  il  est 
modeste... 

Le  général  a  répondu  avec  son  affabilité  ordinaire  aux  com- 
pliments des  oflBciers  à  demi-solde,  qui  ont  cru  faire  une  visite 
de  corps  à  ce  parfait  modèle  de  l'héroïsme.  Mes  amis,  leur  a-t-il 
dit,  dans  l'effusion  de  son  cœur,  notre  sort  est  commun  ;  comme 
vous,  je  suis  en  non-activité...  —  Tant  mieux,  général,  ont-ils 
répliqué  tous  à  la  fois,  au  jour  ou  la  patrie  aura  besoin  de  nos 
services,  nous  serons  tous  en  activité,  trop  heureux  d'avoir  à 
notre  tête  l'intrépide  Cambronne. 

Bordeaux,  le  30  octobre  1819. 

A   Monsieur  le  Rédacteur  de  Tlndicateur, 

Monsieur, 

Vous  avez  rendu  compte  dans  votre  feuille  du  29,  de  la 
sérénade  que  plusieurs  personnnes  de  cette  ville  firent  donner 
par  les  musiciens  du  Grand- Théâtre  au  général  Cambronne,  j'y 
assistais  et  j'eus  lieu  de  remarquer  que  les  instruments  étaient 
moins  d'accord  que  les  cœurs  qui  s'étaient  réunis  pour  fêter  un 
brave;  j'espérois  au  moins  être  dédommagé  par  le  choix  des 
airs,  de  la  discordance  des  sons,  mais  à  2  ou  3  marches  guer- 
rières près,  on  ne  joua  que  des  airs  à  l'eau  de  rose. 

Vainement  réclama-t-on  des  airs  plus  patriotiques,  et  qui 
convinssent  mieux  à  la  circonstance,  les  musiciens  furent  ce 
que  les  spectateurs  regrettèrent  quelquefois  do  ne  pas  être  en 
les  écoutant,  c'est-à-dire  sourds.  On  disait  même,  je  n'en  crois 
rien,  que  la  police  exerçait  son  influence  sur  cette  sérénade  et 
qu'elle  craignait  qu'on  ne  jouât  des  airs  séditieux.  Est-ce  que 
Mourir  pour  sa  Patrie  ne  serait  pas  un  chant  français  ?  Nos 
magistrats,  en  ce  cas,  seraient  plus  scrupuleux  que  nos  mission- 
naires, car  ceux-ci  font  chanter  sans  difficultés  ;\  de  jeunes  filles, 
le  Triomphe    dî   la   religion,   sur   l'air  de  La  République  nous 


—  251  — 

appelle  et  le  cantique  de  La  Communion,  sur  l'air  du  pas 
redoublé. 

Je  me  plais  donc  à  croire  qu'elle  n'était  pour  rien  dans  le  choix 
des  morceaux  qu'on  a  joué. 

Si  le  général  Cambronne  est  flatté  des  hommes  publics  qu'il 
reçoit,  il  ne  doit  l'être  pas  moins  des  hommages  dont  il  est 
l'objet,  j'ai  entendu  chanter  quelques  couplets  qui  lui  ont  été 
adressés,  et  pour  terminer  mon  épitre^  je  vous  citerai  le  dernier 
que  je  crois  bien  retenu. 

Le  guerrier  qui  par  sa  vaillance 
Rendit  plus  grand  le  nom  français 
Doit  trouver  par  toute  la  France 
Pour  le  fêter  des  cœurs  tout  prêts. 
La  fête  n'en  est  que  plus  belle. 
Lorsque  l'on  voit  un  peuple  entier 
Donner  de  concert  l'immortalité 
A  qui  moissonna  le  laurier. 

J'ai  bien  l'honneur  de  vous  saluer. 

Un  de  vos  abonnés. 

Lundi  2  et  mardi  3  novembre 

Le  général  Cambronne  a  quitté  hier  notre  ville,  pour  retrou- 
ner  au  sein  de  sa  famille,  goûter  le  repos  du  brave  qui  sait  tour 
à  tour  honorer  le  nom  français  dans  les  revers,  et  se  livrer  à 
l'exercice  de  toutes  les  vertus  privées  et  domestiques. 

A  l'allégresse  que  venait  d'exciter  sa  présence  parmi  les 
habitants  de  Bordeaux,  l'illustre  guerrier  aurait  pu  se  croire  au 
milieu  des  siens.  Cependant  les  besoins  du  cœur  et  la  dette 
sacrée  de  la  nature  sollicitaient  son  départ  ;  il  a  fallu  se  rendre 
à  cet  appel.  Celui  que  nous  ne  pouvions  posséder  plus  longtemps  a 
voulu  du  moins  adoucir  l'amertume  de  nos  regrets  en  se  déro- 
bant aux  nouvelles  fêtes  qu'on  lui  préparait  à  la  Bastide  lors  de 
son  passage. 

Il  a  pris  la  route  de  Lormont,  accompagné  des  parents  de 
l'ami  intime  chez  lequel  il  venait  de  faire  dans  Bordeaux  un 
séjour  trop  peu  prolongé  selon  nos  souhaits.  La  voiture  est  venue 


—  252  — 

le  prendre  au  Carbon-Blanc  où  il  s'élait  rendu  à  pied,  n'ayant 
que  l'amitié  pour  suite,  mais  là,  des  hommages  encore  plus  déli- 
cats l'attendaient,  il  a  reçu  la  députation,  composée  des  plus 
belles  femmes  du  lieu,  avec  cette  galanterie  chevaleresque  d'un 
héros  qui  sait  unir  le  myrthe  au  laurier.  Cambronne  a  demandé 
et  obtenu  le  baiser  d'adieu  de  l'aimable  interprète  des  sentiments 
de  ses  concitoyens,  et  celte  récompense  n'était  pas  la  moins 
douce  pour  un  français. 

Le  matin  les  cris  de  l'enthousiasme  avaient  salué  son  départ, 
mais  des  paroles  de  regrets  venaient  se  mêler  aux  acclamations 
qui  retentissaient  sur  le  rivage;  et  Cambronne  a  pu  se  convaincre 
de  l'esprit  qui  anime  la  population  de  cette  honorable  cité. 

Avant-hier  au  soir,  les  musiciens  amateurs  de  la  ville  se  sont 
surpassés  dans  le  choix  des  airs  qui  composaient  la  dernière 
sérénade.  Pour  cette  fois,  ce  n'était  que  des  chants  français,  des 
allusions  ingénieuses  à  la  valeur  nationale,  au  plaisir  que  nous 
causait  la  présence  du  digne  héritier  des  titres  et  des  vertus  de 
l'intrépide  et  du  modeste  Latour-d' Auvergne. 

Il  semblait  que  le  ciel  môme  voulut  ajouter  encore  un  nouvel 
éclat  à  la  célébration  de  cette  fête  de  famille,  la  beauté  du  temps 
fournissait  des  traits  d'inspirations  au  concours  immense  de  spec- 
tateurs qui  remplissaient  la  rue  du  Palais,  la  place  du  Palais,  la 
rue  des  Argentiers,  etc. 

On  a  remarqué  dans  la  foule  plusieurs  individus  attachés  à  la 
police,  ils  ont  pu  s'assurer  par  leurs  propres  yeux,  que  nos 
transports  n'avaient  rien  d'équivoque,  et  que  le  cœur  seul  fesait 
les  frais  de  la  joie  publique. 

.  Le  général  Cambronne  ne  veut  être  couronné  que  sur  le  champ 
de  bataille,  il  a  donc  cru  devoir  se  soustraire  aux  palmes  que  lui 
préparaient  nos  théâtres. 

Dernier  trait  de  modestie  bien  digne  du  héros  qui  sut  toujours 
allier  l'humanité  à  la  valeur,  et  qui  du  même  bras  dont  il  terras- 
sait ren:..:mi  de  la  France,  protégeait  à  Quiberon  les  malheureux 
émigrés,  contre  la  fureur  des  partis. 

Il  n'en  fallait  certes  pas  tant  pour  que  le  ministre 
s'inquiétAt   de   ces  manifestations   qui  provoquaient   la 


—  233  — 

polémique  en  sens  divers  de  la  presse  et  le  préfet  de  la 
Loire-Inférieure  reçut  la  lettre  suivante  du  comte  Decaze  : 

MINISTÈRE  Pai-is^  12  novembre  1819. 

DE     L  INTÉRIEUR 

„    ,,7".  .  Monsieur  le  Préfet  de  la  Loirc- 

56  Division  T  r-  • 

Iiileneure, 

Monsieur  le  Comte,  vous  aurez  remarqué 
dans  les  jouriiaux  le  parti  que  quelques  individus  ont  cherché  à 
tirer,  à  Bordeaux,  de  la  présence  momentanée  du  général 
Cambronne  dans  cette  ville  ;  en  ce  moment,  il  doit  être  de  retour 
à  Nantes.  Si  cette  circonstance,  sans  doute  très  étrangère  à  la 
volonté  d'un  officier  aussi  ami  de  l'ordre  et  de  la  discipline 
donnait  lieu  à  quelque  nouvelle  particularité,  je  vous  serai  très 
obligé  de  m'en  instruire  conlidentiellcment.  Je  n'ai  pas  besoin 
de  vous  recommander  de  prévenir  ou  de  réprimer  toute  espèce 
d'écart  scandaleux. 

Agréez,  Monsieur  le  comte,  l'assurance  de  ma  considération 
distinguée. 

Le  comte  Decaze. 

Les  préoccupations  du  ministère  ne  furent  pas  de  bien 
longue  durée,  car  dès  le  15  novembre,  le  préfet  rassurait 
son  supérieur  hiéj^archique  par  la  lettre  que  voici  et  qui 
innocentait  absolument  Cambronne  de  toute  participation 
à  ces  manifestations  où  l'opposition  prenait  une  sorte  de 
revanche  : 

io  novembre  1819. 
Au  ministre  de  rinlérieur, 

.J'ai  revu  la  lettre  que  V.  Exe.  m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire 
le  1:2  de  ce  mois  relativement  au  général  Cambronne. 

Il  y  a  environ  deux  mois  que  je  fus  informé  par  M.  le  maire 
de  Saint- Sébastien  dans  la  commune  duquel  ce  général  fait  sa 
résidence,  qu'il  lui  avait  demandé  un  passe-port  et  qu'il  allait 
s'absenter  pour  quelque  temps.  Depuis  cette  époque,  je  n'avais 
eu  aucune  information  sur  le  but  de  son  voyage  et  ce  n'est  que 


—  254  — 

par  les  journaux  que  j'ai  appris  les  détails  de  son  séjour  à 
Bordeaux  (1).  J'ai  été  informé  en  même  temps  que  cet  ofiBcier 
général,  loin  d'encourager  les  démonstrations  publiques  et  les 
hommages  affectés  de  certains  individus,  avait  abrégé  le  séjour 
qu'il  devait  faire  à  Bordeaux  afin  de  s'y  soustraire.  J'ai  su, 
depuis,  que  M.  le  général  Cambronne  avait  quitté  Nantes  avec 
un  négociant  de  Bordeaux  qui  l'avait  engagé  à  faire  ce  voyage. 
Au  reste  le  retour  à  Nantes  de  cet  officier  général  n'a  donné 
lieu  à  aucune  nouvelle  particularité.  Il  a  repris  son  genre  de  vie 
et  ses  habitudes  ordinaires,  c'est-à-dire  qu'il  continue  à  habiter 
la  campagne,  ne  voyant  que  fort  peu  de  monde  et  paraissant  ne 
rien  tant  désirer  que  de  vivre  ignoré  et  d'occuper  le  moins 
possible. 

Cette  fois,  le  gouvernement  était  définitivement  tran- 
quillisé et  à  partir  de  ce  moment-là,  il  semble  que  la 
surveillance  dont  Cambronne  avait  été  l'objet  ait  diminué 
et  peut-être  même  cessé  tout  à  fait.  On  avait  enfin  compris 
que  ce  n'était  pas  un  homme  dangereux  pour  l'ordre 
social,  mais  on  avait  mis  le  temps  à  s'en  apercevoir. 


(1)  Ici  le  préfet  avait  écrit  tout  d'abord  :  et4es  hommages  publics 
qu'il  y  recevait  de  la  part  d'individus  d'un  eertain  parti  Puis,  à  la 
réflexion,  il  avait  biffé  ces  mots  pour  y  substituer  le  texte  que  nous 
donnons  ci-dessus. 


CHAPITRE  XVII 

AMOURS  ET  MARIAGE  DE  CAMBRONNE 

Bien  qu'il  n'y  eût  pas,  dans  les  journaux  du  début  de 
■ce  siècle,  de  colonne  spécialement  réservée  à  ce  que  nous 
appelons  aujourd'hui  le  carnet  mondain,  on  pouvait  lire 
dans  le  Moniteur  Universel  du  22  janvier  1819  les  lignes 
suivantes  : 

«  Le  Journal  Général  annonce  que  M.  le  lieutenant- 
général  Cambronne  épouse  à  Nantes  une  héritière  qui  lui 
apporte  une  fortune  considérable.  » 

De  quelle  héritière  s'agissait-il  ?  A  quelle  fortune  faisait- 
on  allusion  ?  Nous  ne  le  savons  pas.  Ce  que  nous  savons, 
c'est  que  Cambronne  avait  eu  longtemps  au  cœur  d'autres 
attaches.  Sans  parler  de  ces  liaisons  passagères  qui  for- 
ment en  quelque  sorte  partie  de  la  rançon  du  pays  con- 
quis, il  s'était  épris,  à  Dunkerque  ou  à  Boulogne,  en  l'an 
XII,  tandis  qu'il  était  capitaine  au  46*  de  ligne,  d'une 
jeune  fille,  Augustine-Sophie  Corbizé,  à  laquelle  il  resta 
sincèrement  uni  par  les  liens  d'une  rare  constance.  Nous 
en  avons  la  preuve  dans  une  très  curieuse  correspondance 
de  Cambronne,  dont  nous  devons  la  communication  à 
M.  Gustave  Bord  qui  n'a  jamais  su  refuser  à  personne  le 
secours  de  sa  richissime  collection  d'autographes  et  que 
nous  remercions  vivement  ici  de  son  obligeance.  Voici 
la  première  de  ces  lettres  qui  donneront  uae  idée  exacte 
des  sentiments  de  Cambronne  pour  cette  jeune  fille  : 


—  256  — 

Secret. 

Sophie, 

Puisque  tout  ce  que  j'ai  pu  t'écrire  n'a  pu  me  faire  regagner 
ton  cœur,  il  ne  me  reste  plus  qu'une  dernière  ressource  à  em- 
ployer. Tu  respectes  avec  raison  les  auteurs  de  les  jours  ;  fais 
leur  voir  mes  lettres,  dis  leur  comme  nous  nous  sommes  vus,  ne 
leur  cache  rien,  tes  fautes,  les  miennes,  fais  leur  voir  mes  onze 
dernières  lettres.  S'ils  te  conseillent  de  rompre  avec  moi,  je  te 
laisserai  tranquille,  je  ne  t'écrirai  qu'autant  qu'il  me  faudra  pour 
savoir  de  tes  nouvelles  de  temps  en  temps,  jusqu'au  temps  où  j'ai 
fixé  que  tu  m'appartiendras.  Ce  que  je  vais  te  marquer  icy  et 
signer,  va  te  prouver  combien  je  t'aime.  Je  m'engage  à  ne  pas 
me  marier  d'ici  que  tu  aies  trente  ans  accomplis.  Si  je  le  faisais 
avant,  je  m'engage  à  t'ètre  redevable  de  mille  écus.  Je  ne  te 
demande  point  de  ton  côté  aucune  promesse,  c'est  ton  cœur  q^î 
doit  tout  faire  :  je  ne  veux  point  le  contraindre^  j'ai  su  lo  gagner 
une  fois,  je  le  ferai  encore.  Tu  as  5  ans  1/2  pour  réfléchir.  Me 
voilà  engagé  avec  toi,  quelle  preuve  voulais-tu  plus  grande  d'un 
attachement  éternel  ?  Je  te  prie  de  ne  faire  voir  celte  lettre  k 
personne  qu'à  ton  père  et  à  ta  mère.  Ede  pourrait  me  nuire  près 
de  mes  parents  et  à  mon  avancement.  A  compter  d'aujourd'hui 
une  conduite  réglée  va  me  faire  expier  ma  seule  faute  très  grave 
que  je  commis  avec  toi.  Du  secret,  je  l'en  conjure,  c'est  pour  ton 
bien,  c'est  pour  le  mien  qu'il  faut  que  tu  contraignes  tes  pensées, 
tu  ne  dois  pas  avoir  de  meilleurs  amis  que  tes  père  et  mère,  ce 
n'est  donc  qu'à  eux  qu'il  faut  s'adreser.  Si  cela  venait  à  trans- 
pirer, personne  que  moi  ne  le  sait,  le  présent  serait  de  nulle 
valeur. 

Aux  souhaits  d'un   avenir   heureux  tel   que   tu    mériles  de 

partager. 

Camuronne.- 
Boulogne,  le  28  fructidor  an  12. 

La  correspondance  continue  fort  tendre  de  la  part  de 
Cambronne,  toujours  en  garnison  à  Boulogne.  Les  parents 
de  la  jeune  fille  ne  la  lisent  vraisemblablement  pas,  mais 
ils  la  reçoivent,  car  c"est  au  nom  de  madame  Corbisez  ài 
Nieuport,  tantôt  poste  restante,   tantôt   cbez  le   général 


—  257  — 

Joba,  commandant  de  la  Légion  d'honneur  (1)  que  les 
.lettres  sont  adressées. 

Ma  chère  Augusline, 

Mon  amour,  mon  attachement  pour  toi,  sont  si  grands,  que  je 
ne  puis  m'cmpôcher  de  vouloir  ce  qui  te  fait  plaisir,  c'est  donc 
te  donner  mon  assentiment  pour  ce  que  tu  as  fait  faire  à  mon 
|)ortrait  et  toutes  les  meilleures  raisons  que  je  pourrais  t'objecter 
ne  vaudraient  pas  mieux  que  les  plus  mauvaises,  puisque  c'est 
une  chose  faite  ;  je  m'en  console  aisément  d'ailleurs,  les  motifs 
qui  t'ont  fait  agir  me  sont  trop  chers  pour  n'être  pas  content,  que 
tu  aies  suivi  ton  caprice. 

Tu  m'avais  promis  de  ne  me  rien  faire  cadeau  à  la  foire, 
d'après  ce  que  je  t'écrivais.  Tu  n'as  pas  tenu  parole,  tu  m'as 
donné  un  habit  neuf  et  tu  ne  veux  rien  recevoir  de  moi,  j'espère 
que  tu  reviendras  de  cette  décision  et  que  tu  me  diras  que  tu 
acceptes  aussi  le  mien,  ainsi  je  veux  donc  une  réponse. 

Sais  tu  que  tu  agis  un  peu  militairement  dans  tes  actions  ? 
Tu  fais  ce  que  tu  veux  et  tu  dis  :  «  c'est  fait  »,  comme  on  ne 
peut  que  désirer  d'être  en  paix  avec  toi  on  en  passe  par  ce  que 
:tu  as  décidé.  C'est  assez  montrer  ta  force  et  ma  faiblesse,  elle  est 

(1)  JOBA  (Dominique),  général  français,  né  à  Corny  (Moselle),  en 
1759,  tué  devant  Girone,  en  Espagne,  en  1809. 

Il  faisait  partie  de  l'armée  française  lorsque,  surpris  au  moment 
où  il  dessinait  le  plan  de  la  forteresse  de  Luxembourg  (1776),  il  dut, 
pour  échapper  à  la  rigueur  des  lois  militaires,  entrer  au  service  de 
l'Autriche,  fut  chargé  défaire  le  siège  de  Blokuts  en  Silésie  (1778),  de 
■diriger  les  travaux  de  fortification  sur  l'Escaut  (1783),  et  servit 
comme  ingénieur  au  siège  de  Belgrade. 

Lorsqu'éclata  la  Révoludon,  Joba  revint  en  France,  reçut  le  grade 
de  chef  de  bataillon,  fit  les  campagnes  de  Belgique  et  de  Vendée,  fut 
promu  chef  de  brigade  (1793)  pour  sa  belle  conduite  lors  de  la  prise 
de  Parthenay,  se  signala  par  de  brillants  faits  d'armes  et  devint  gé- 
Tiéral  de  brigade  en  1794. 

Comme  il  était  connu  pour  un  républicain  sincère,  il  fut  tenu  à 
J'écart  par  Napoléon  devenu  empereur.  Toutefois,  en  1808,  il  reçut  un 
commandement  en  Espagne  et  périt  l'année  suivante  en  faisant  le 
siège  de  Girone. 

17 


—  2.j8  — 

trop  naturelle,  mon  anîie,  c'est  pour  une  jolie,  aimable,  adorable,, 
enfin  parfaite  femme,  je  n'en  rougis  donc  pas  et  me  trouve  trop- 
heureux  de  pouvoir  conserver  une  aussi  chère  maîtresse  que  toi 
à  ce  prix.  Je  t'embrasse  et  suis  pour  la  vie  non  seulement  toa 
constant,  mais  même  fidèle  amant. 

C.  A. 

Une  autre  fois,  il  s'inquiète  de  sa  santé,  elle  est  excel- 
lente cavalière,  mais  elle  n'en  a  pas  moins  fait  une  chute 
de  clieval  qui  a  failli  la  défigurer  et  il  l'engage  à  veiller 
sur  des  jours  qui  lui  sont  précieux.  Voici  cette  lettre  tout 
entière  (1)  : 

Ma  chère  Augustinc, 

.Je  souhaite  que  la  belle  saison  te  ramène  ta  santé,  promène- 
toi  beaucoup,  jouis  de  l'air  nouveau  et  sain  qu'elle  nous  procure^ 
reprends  tes  belles  couleurs  de  roses  que  tant  de  fois  j'admirais^ 
fais  comme  elles,  donne-moi  l'espoir  que  quand  j'aurai  le  bon- 
heur de  te  voir  elles  seront  reparues.  Conserve-les,  ne  fais  plus 
des  folies.  Qu'elles  ne  te  mettent  plus  dans  le  cas  de  nous 
priver  de  co  qui  nous  est  le  plus  cher.  Tu  es  assez  jolie,  assez 
belle,  quand  même  tu  n'aurais  pas  toutes  les  autres  qualités, 
pour  rendre  une  femme  adorable,  pour  ne  plus  tomber  dans 
dos  extrêmes  qui  pouvaient  t'ètre  funestes  ;  tu  pouvais  te  casser 
bras  ou  jand)es;  tu  ne  sais  donc  pas  que  les  meilleurs  postillons 
se  les  disloquent  quelquefois  avec  les  mauvais  chevaux  que  l'oii 
fournit  dans  les  postes,  tu  vois  donc  que  tu  as  couru  de  grands 
dangers.  Tu  es  cavalière,  je  le  sais  par  la  renommée  que  tu  as 
acquise  k  Dunkerque,  mais  pas  assez  pour  monter  des  cassc-coIs 
sur  lesquels  les  incilleurs  écuyers  souvent  font  séparation. 

Quels  plaisirs  je  goûterai,  quand  apprenant  ta  guérison,  je 
1^011  rrai  inc  livrer  en  entier  aux  illusions  auxquelles  mon  àme 
se  |)ortcrait  ;  en  entendant  l'accord  des  oiseaox  se  choisissant 
leur  compagne,  se  becqueter,  que  j'envie  leur  bonheur  !    Quand, 

Ti  Cc'tle  lettre,  toujours  écrite  de  Boulopie-sur-Mer,  mais  sans 
(lalf,  est  adressée,  comme  la  précédente,  à  Madanie  Curl^isez,  chez  le 
pctu  rai  Joba,  général  de  brigade,  à  Nieuport. 


—  259  — 

hélas  !  serons-nous  unis  de  même  ?,  Quand  pourrais-je-  prendre 
sur  tes  lèvres  vermeilles  tous  les  baisers  que  tu  me  permettais 
continuellement  de  poser.  J'en  ai  le  souvenir  pour  consolation  et 
plus  encore,  quand  je  serai  le  maître  pour  toujours.  Ces  réflexions 
continuelles  sont  bien  nécessaires  à  mon  repos ,  car  sans  elles  j& 
ne  pourrais  vivre  sans  toi.  Ne  te  fâche  donc  pas  si  je  suis  quel- 
quefois impatient  quand  je  suis  quelques  jours  sans  recevoir  de 
tes  nouvelles,  surtout  quand  je  sais  que  tu  n'es  pas  bien  por- 
tante. Je  ne  t'aimerais  pas  comme  tu  le  mérites  si  mon  cœur  ne 
se  montrait  triste  à  tous  tes  maux.  Crois  un  amant  aimé  et  digne 
de  l'être  par  la  fidélité  qu'il  te  garde.  La  majeure  partie  des 
hommes  me  condamneront,  me  jugeront  sans  tempérament,  peu 
m'importe  leur  décision.  |ls  ne  connaissent  pas,  comme  moi,  tous 
tes  charmes,  ta  beauté,  ton  amabilité,  je  m'en  félicite,  car  je 
serais  en  guerre  continuelle,  tandis  que  tu  me  fais  jouir  de  la 
paix  digne  de  vrais  amants.  Dis-moi  si  la  lettre  que  j'ai  écrite 
chez  toi  t'est  revenue,  tu  verras  qu'en  tous  temps,  qu'en  tous 
lieux,  mon  Augustine  m'est  aussi  précieuse  que  l'air  que  je  res- 
pire . 

Je  voudrais  être  à  tes  côtés  pour  t'égayer  et  te  donner  des 
consolations  que  deux  cœurs  aimants  sont  naturellement  forcés 
de  se  prodiguer.  Je  t'embrasse  d'âme  et  de  cœur  _  et  dis  que 
sans  toi  je  cesserais  d'exister. 

C.  A. 

J'attends  ta  réponse  pour  reprendre  ton  ancienne  adresse, 
craignant  que  celle-ci  ne  plaise  pas.  Si  j'ai  tort,  il  est  pardon- 
nable par  les  raisons  que  j'alléguais. 

C'est  encore  de  Boulogne  que  vient  la  lettre  suivante, 
mais,  ainsi  que  le  laisse  prévoir  le  post-scriptum  de  la 
précédente,  Cambronne  a  repris  l'ancienne  adresse  de 
son  amie,  et  c'est  poste  restante  à  Nieuport  qu'il  écrit 
toujours  sous  le  couvert  de  Madame  Corbisez.  Elle  vou- 
lait venir  le  voir,  il  l'en  dissuada.  En  revenant  de  Dun- 
kerque,  il  a  attrapé  une  maladie  peu  dangereuse  mais 
contagieuse,  la  gale,  dont  il  n'a  encore  pu  se  débar 
rasser. 


—  260  — 

Amante  chérie. 

Oui  !  chère  amie,  oui  je  te  le  jure  qu'il  n'y  a  que  la  mort  qui 
puisse  nous  séparer.  Persuade  toi  de  cette  vérité,  tu  dois  t'en 
rapporter  à  la  parole  d'un  honnête  homme,  de  celui  qui  ne  te 
trompa  jamais,  ne  te  mets  donc  pas  de  chimères  en  tète  et  songe 
que  je  te  serai  toujours  fidel  (sic),  et  c'est  ce  que  j'attends  en 
réciprocité  de  toi,  je  te  prie  que  tu  m'accordes  ta  confiance.  Juge 
en  par  le  passé,  je  dois  l'avoir  gagnée  et  la  mériter,  il  n'y  aurait 
rien  au  monde  que  je  ne  fisse  pour  atteindre  à  ce  but,  si  tu 
avais  la  barbiirie  d'en  douter  ;  parle  et  tu  verras  combien  je  suis 
soumis  à  tes  volontés. 

Je  le  rajoute  de  nouvelles  raisons  pour  te  conformer  à  mon 
invitation  de  ne  pas  venir  me  voir.  Tu  sais  que  je  t'écrivis  qu'en 
revenant  de  Dunkerque,  j'avais  attrappé  la  gale,  je  n'ai  pu 
encore  m'en  guérir,  j'attends  le  mois  de  may  pour  le  faire,  je 
me  mettrai  au  lait  pour  parvenir  à  une  entière  guérison.  Cette 
contagieuse  maladie  est  répandue  dans  notre  armée  d'une  ma- 
nière effrayante,  on  a  été  obligé  de  relover  sept  régiments  de 
l'embarquement  pour  les  traiter,  le  nôtre  malheureusement  est 
du  nombre,  vois  quel  cadeau  je  te  ferais^  tu  connais  ma  délica. 
tesse  k  ne.  pas  vouloir  qu'aucune  femme  puisse  jamais  me 
reprocher  que  je  sois  l'auteur  de  n'importe  quelle  souffrance 
que  je  pourrais  lui  donner  dans  l'état  où  je  suis.  Que  serait  ce 
<loncpour  ma  bonne  amie,  mon  amante,  ma  maîtresse,  ne  se  voir 
que  des  yeux,  tandis  que  nos  cœurs  désireraient  tant  de  se 
rapprocher,  de  se  confondre,  la  raisonne  serait  rien,  j'en  juge 
par  ton  amour,  et  la  mienne  pourrait  bien  n'être  plus  la  maîtresse 
de  se  souvenir  do  la  sagesse.  Ne  me  retarde  pas  la  longueur  du 
plaisir  que  j'envie  de  partager  avec  toi  h  la  fête  pendant  lo  jours. 
Je  dis  longueur  quoique  ce  sera  bien  court.  J'envie  avec  tant  de 
plaisir  ce  bonheur  que  maintenant  que  je  l'attends  et  qu'il  y  a  si 
longtemps  que  j'en  suis  privé  que,  je  le  juge  ainsi  au  moment 
do  nous  quitter  qu'il  en  sera  autrement.  Que  de  chagrin  j'aurai 
pour  un  si  court  bonheur.  Réponse  à  tout,  ma  douce  amie,  con- 
fiance à  ton  amant  de  qui  tu  l'as  toute  entière.  Je  t'embrasse  avec 
un  cœur  brûlant  toujours  du  feu  éternel  qui  ne  peut  s'éteindre 
qu'avec  la  vie. 


—  261  — 

Nous  sommes  toujours  en  l'an  XII,  c'est  à  dire  en  1804, 
pendant  que  s'expédie  cette  correspondance^  signée  G.  A., 
ce  qu'il  faut  lire  Gambronne  aîné,  initiales  qui  s'expli- 
quent si  l'on  songe  que  le  jeune  frère  de  notre  amoureux 
fait  partie  du  même  régiment  que  lui.  Les  lettres  durent 
continuer  longtemps,  à  en  juger  par  celle  qui  figure  en- 
suite dans  la  collection  de  M.  Bord  et  qui  est  écrite  sept 
ans  plus  tard.  Gambronne  n'est  plus  un  simple  capitaine, 
il  est  baron  et  vient  d'être  promu  colonel-major  ;  il  guer- 
roie en  Espagne  et  c'est  de  Léon  que  cette  lettre  est  datée. 

La  voici  : 

Léon,  le  14  décembre  1811. 
Ma  chère  Sophie. 

Si  ton  amant  n'interrompait  pas  toujours  ton  silence,  tu  l'ou- 
blierais aisément;  tu  sais  cependant  qu'il  t'aimera  toujours,  qu'il 
te  l'a  juré,  que  cette  pensée  fait  son  bonheur  :  il  ne  lui  reste 
pour  qu'il  soit  parfait  que  de  savoir  que  tu  songes  toujours  à  lui^ 
alors  rien  au  monde  ne  peut  égaler  sa  félicité  ;  donne-lui  en 
donc  des  preuves  :  écris-moi  souvent,  dans  cet  ennuyeux  pays 
que  j'occupe,  ce  serait  une  grande  consolation. 

Tu  sauras  que  j'ai  été  obligé  d'accepter  la  place  de  colonel 
malgré-moi  ;  des  douleurs  continuelles  me  forceront  ù  quitter  le 
service,  je  ne  voulais  donc  pas  d'une  place  que  ma  santé  ne  me 
permettait  pas  d'occuper,  on  n'a  rien  écouté  et  maintenant  je 
commande  le  3me  régiment  de  voltigeurs  de  la  garde  en  Espagne. 
Cette  place  me  met  à  même  de  t'ctre  plus  utile  que  j'ai  toujours 
cherché  à  te  l'être  ;  ne  refuse  pas  si  tu  as  quelque  besoin,  songe 
à  ton  ami  et  au  plaisir  que  tu  lui  feras  d'accepter. 

Amour  pour  l'a  vie. 

Le  baron  G....,  colonel  major. 

Reçois  pour  la  nouvelle  année  tous  les  souhaits  d'un  ami 
sincère. 


—  262  — 

La  suscription  est  ainsi  conçue  : 

ARMÉE  FRANÇAISE  A  Monsieur 

EN  ESPAGNE  Monsïeur  Corbizé-Mortier, 

demeurant  fauxbourg  Danzin,  àValenciennes 
pour  remettre  à  M'ie  Augustine  Corbizé, 
Valenciennes, 

Bien  que  la  lettre  commence  par  ces  mots  :  Ma  chère 
Sophie,  l'adresse  l'indique  comme  destinée  à  M'i«  Augus- 
tine Corbizé,  ce  qui  permet  de  conclure  qu'il  ne  s'agit  que 
d'une  seule  et  même  personne  portant  ce  double  prénom, 
et  nullement  de  deux  sœurs  que  Cambronne  aurait  cour- 
tisées à  la  fois.  Rien  d'ailleurs,  dans  ces  lettres,  ne  le 
donne  à  penser. 

Une  autre  lettre  n'a  ni  date,  ni  suscription,  ni  lieu  d'o- 
rigine, il  en  manque  même  la  moitié  inférieure  et  si  nous 
la  classons  à  cette  place,  c'est  qu'elle  nous  a  semblé  mar- 
quer un  ralentissement  dans  la  fougue  première  de  la 
correspondance  : 

Comment  as-tu  pu  m'écrire  une  telle  lettre  à  ta  dernière, 
peux-tu  t'imagiuer  que  ton  constant  amant  t'oublie  jamais,  que 
tu  es  cruelle,  barbare,  injuste^,  tu  ne  sais  pas  combien  tu  m'es 
chère  ;  je  crois  deviner  la  passe  où  tu  te  trouves.  Je  puis  prendre 
patience,  puisque  je  vois  que  tu  prends  ce  qui  t'est  le  plus  avan- 
tageux, tu  as  raison  d'en  agir  ainsi,  je  t'aime  trop  pour  ne  pas 
être  content  que  tu  sois  heureuse,  dans  toutes  mes  actions,  tous 
mes  procédés  avec  toi  ont  toujours  eu  pour  but  ton  bonheur.  Si 
tu  en  jouis,  je  ne  serai  malheureux  que  de  ne  pouvoir  te  le 
procurer  moi-même  :  mais  pourquoi  vouloir  cesser  de  correspon- 
dre avec  moi?  tu  veux  donc  cesser  de  m'aimer.  Si  je  n'ai  plus  le 
titre  d'amant,  conserve  moi  celui  d'ami,  l'un  et  l'autre  me  seraient 
indispensables;  mais  puisqu'il  faut  faire  des  sacrifices,  ne  m'ôte 
pas  tout  à  la  fois;  viens  m'ôtor  la  vie,  sans  ton  amitié  elle  ne 
m'est  rien.  Tout  change  dans  la  vie,  tu  me  le  prouves.  Si  tu  de- 
venais malheureuse,  tu  sais  que  tu  peux  t'adresser  à  moi,  tout 


—  263  — 

^ce  que  je  posséderai  sera  toujours  à  ton  service,  jamais  tu  n'au- 
Tas  de  reproche,  je  serai  toujours  trop  heureux  lorsque  je  pour- 
rai t'ètre  utile,  je  vais  mémo  souhaiter  que  tu  sois  obligée 
<d'avoirrecoursàmoi.  Aquoitume  forces?  à  souhaiter  ton  malheur 
pour  reconnaître  le  seul  homme  à  qui  tu  dois  appartenir:  bien 
aimée  maîtresse,  si  tu  me  voyais  en  ce  moment,  les  pleurs  qui 
■coulent  de  mes  yeux  te  feraient  bien  vite  changer  ta  décision,  que 
de  reproches  tu  te  ferais  de  causer  tant  de 

Je  t'ai  toujours  connu  trop  d'àme  pour  eux  pour  que  ton  amour 
filial  les  laisse  dans  l'inquiétude  de  savoir  où  tu  seras,  ils  savent 
•ce  que  je  pense  pour  toi,  ils  ne  pourront  donc  avoir  de  secret 
peur  moi  :  tu  m'offres  de  me  renvoyer  mes  billets,  tu  as  tort  car 
je  serais  à  la  mort  que  si  je  possède  un  sou  je  te  le  donnerai,  je 
n'aime  et  n'aimerai  jamais  que  toi,  telle  décision  tu  prennes  à 
mon  égard.  Je  t'embrasse  de  cœur  en  attendant  de  le  faire  de 
bouche,  nous  produirons  ensemble  l'effet  de  l'aimant  dès  que 
nous  nous  reverrons. 

Ton  constant  amant  jusqu'à  la  mort, 

Cambuonne. 

La  dernière  lettre  de  la  collection  de  M.  Bord  et  sans  doute 
la  dernière  que  Cambronne  écrivit  n'est  pas  datée,  mais 
elle  vient  de  Nantes  et  elle  porte,  par  un  détail,  l'indication 
du  temps  où  elle  a  été  écrite.  Le  roi  vient  de  faire  payera 
Cambronne  sa  solde  de  non  activité  (ordonnance  du  20 
mai  4818),  nous  sommes  donc  dans  les  jours  qui  suivent, 
puisqu'il  parle  d'aller  en  aoiit  ou  septembre  en  Picardie. 

Voici  d'ailleurs  ce  billet  adressé  à  Madame  Corbiset, 
qualifiée  de  marchande  de  dentelles,  (probablement  de 
■dentelles  de  Valenciennes  où  elle  avait  précédemment 
Jiabité)  et  qui  se  trouvait  alors  à  Laval,  hôtel  du  Louvre  : 

Amie  bien  aimée, 

Ta  leitre  m'a  fait  grand  plaisir.  Je  te  remercie  d'avoir  la  bonté 
de  venir  me  voir  :  tu  sais  combien  je  suis  content  ;  mais  je  ne 
pourrai  pas  plus  te  faire  que  lorsque  tu  passas  ici.  Ainsi  ne  fais 


—  264  — 

pas  cette  folie.  Peut-être  en  août  ou  septembre  irai-jeen  Picardie^ 
si  cela  était,  à  présent  que  j'ai  ta  nouvelle  adresse,  je  te  l'écrirais, 
pour  t'embrasser  en  passant  à  Paris  où  je  ne  resterais  que  24  à,. 
48  heures. 

Je  suis  toujours  garçon  et  je  le  serai  encore  longtemps,  ma 
cruelle  me  refuse  tout  ;  tant  mieux  d'une  façon,  mais  tant  pis  de 
l'autre,  le  temps  nous  apprendra  davantage. 

Le  Roi  me  fait  payer  en  non  activité  depuis  quelque  temps,  si 

on  m'avait  donné  mon  arriéré  je  serais  au  dessus  de  mes  affaires 

mais  malheureusement  maintenant  je  n'ai  pas  le  sou;  sans  cela  je 

t'aurais  offert  de  t'aider  ;  patience  et  crois  que  je  t'aime  autant 

que  tu  le  mérites. 

Ton  amant  pour  la  vie. 

Nous  disons  que  cette  lettre  fut  une  des  dernières,, 
sinon  la  dernière,  car  si  Gambronne  était  encore  céliba- 
taire, si  Augustine  Corbizet  refusait  son  consentement  à 
un  mariage,  il  ne  devait  pas  tarder  à  prendre  femme.  Sa 
mère  qu'il  aimait  beaucoup,  lui  avait  fait  promettre,  sur  son 
lit  de  douleurs,  d'épouser  une  veuve  de  ses  voisines  et 
quand  M^^  veuve  Gambronne  eût  le  2  février  1819  rendu 
le  dernier  soupir,  il  laissa  s'écouler  l'année  de  deuil,  puis 
se  mit  en  devoir  de  tenir  la  parole  donnée  à  celle  qui 
n'était  plus. 

Pourquoi,  devenu  son  maître,  n'épousa-t-il  pas  Augus- 
tine Gorbizet?  Nous  ne  le  savons  pas  :  était-elle  encore 
libre  ?  La  mort  n'avait-elle  pas  rompu  les  liens  qui  les 
unissaient  depuis  plus  de  quinze  ans  ?  Qui  donc  nous  le 
dira  ? 

Gambronne  était  entré  dans  sa  cinquantième  année. 
Celle  à  laquelle  il  allait  donner  son  nom  n'était  pas  non 
plus  de  la  première  jeunesse.  Mary  Osburn,  fille  de  Robert 
Osburn  et  de  Mary  Fife,  était  née  à  Glasgow  le  27  décem- 
bre 1773,  trois  ans  jour  pour  jour  après  le  baptême  de 


—  265  — 

Cambronne  et  non  le  27  novembre,  comme  l'indique  à 
tort  l'acte  de  mariage  civil.  Son  père  était  manufacturier 
d'indiennes.  Elle  avait  été  déjà  mariée  deux  fois,  d'abord 
avec  M.  Samuel  Able  dont  elle  n'avait  pas  eu  d'enfants, 
puis  avec  M.  John  Sword,  à  qui  elle  n'en  avait  pas  donné 
non  plus.  C'est  avec  ce  dernier  qu'elle  était  venue  se  fixer 
à  Saint-Sébastien,  dans  le  domaine  de  La  Baugerie.  Ils  y 
vivaient  depuis  une  dizaine  d'années  déjà,  quand  le  2 
décembre  1813,  31.  Sword  mourut.  L'acte  de  décès  dressé 
le  lendemain  devant  M.  François  Herbert,  maire  de 
Saint-Sébastien  donne  sur  son  compte  les  indications 
suivantes  : 

«  John  Sword,  propriétaire,  âgé  d'environ  soixante- 
»  huit  ans,  originaire  de  Philadelphie  (Etats-Unis  d'Amé- 
»  rique),  fils  de  défunts  James  Sword  et  d'Anne  Steel,  en 
»  son  vivant  époux  en  second  mariage  de  dame  Marie 
»  Osborein.  » 

C'est  vraisemblablement  par  suite  de  relations  de 
voisinage  que  M'"^  Sword  eut  occasion  de  lier  connais- 
sance avec  la  mère  de  Cambronne,  dont  elle  resta,  malgré 
la  différence  d'âge,  la  compagne  fidèle.  Elle  dut  partager 
ses  angoisses  pour  ce  fils  qu'elle  ne  connut  qu'après 
l'acquittement  prononcé  au  conseil  de  guerre  et  se  faire 
du  général  un  idéal  autrement  séduisant  que  celui  de  son 
second  mari  qui  n'avait  pas  moins  de  vingt-huit  ans  de 
plus  qu'elle.  Les  qualités  personnelles  de  Cambronne  firent 
le  reste. 

Il  avait  conservé  le  certificat  du  conseil  d'administra- 
tion du  l^rpégiment  des  chasseurs  à  pied  de  l'ex-garde, 
son  ancien  régiment,  délivré  à  Montargis,  le  26  janvier 
1816,  attestant  qu'il  n'avait  contracté  aucun    engagement 


—  266  — 

de  mariage  parvenu  à  la  connaissance  du  corps  (1).  Il  y 
joignit  la  permission  du  ministre  de  la  guerre  (2)  accordée, 
conformément  au  décret  du  16  juin  1808,  d'après  les 
renseignements  recueillis  sur  la  famille  et  la  personne  de 
la  future  épouse  (3)  et  le  10  mai  1820,  le  maire  de  Saint- 
Sébastien  procédait  à  la  célébration  du  mariage  civil  du 
général  Gambronne  et  de  Mary  Osburn. 

La  veille,  M^  Chaillou  et  son  collègue,  M«  Citerne, 
notaires  à  Nantes,  avaient  dressé,  à  La  Baugerie  même, 
le  contrat  de  mariage  des  futurs  époux. 

L'assistance  était  nombreuse.  C'était  la  sœur  de  Cam- 
bronne,  Mi"^  Lemerle,.  et  son  mari;  M.  Mathurin-Jean 
Cheguillaume,  négociant,  rue  de  Briord,  M.  Wack,  agent 
de  change,  et  son  fils  ;  M.  François  Bastard,  receveur  des 
contributions,  M.  Gornau,  M'"^  Agnès  Osburn,  sœur  de  la 
mariée,  M"^  Justine  Lemerle,  nièce  de  Cambronne,  M. 
Félix  Bureau,  M.  Cheguillaume  père,  M.  Wilson,  M»"» 
Meneust,  plusieurs  dames  appartenant  à  la  famille  Che- 
guillaume, etc. 

Détail  piquant,  Francheteau  aîné,  notaire,  assistait  à  ce 
contrat  qu'il  n'avait  pas  dressé  et  qui  porte  sa  signature 
comme  ami  du  futur.  Il  s'attendait  à  eh  être  le  rédacteur. 
La  lettre  suivante  de  Cambronne  explique  à  la  fois  sa 
mauvaise  humeur  et  sa  présence  : 

Monsieur  et  Ami, 

Je  vois  avec  peine  que  votre  amour-propre  est  blessé,  je  crois 
pouvoir  vous  assurer  que  vous  n'en  avez  pas  le  motif;  sortant  de 

(1  et  2)  Archives  du  preHe  du  tribunal  civil  de  Nantes.  Etat-civil. 
Commune  de  Saint-Sébastien,  année  1820. 

(6)  Nous  donnons  en  annexe  ces  renseignements  qui  constatent, 
entr'autres  choses,  la  naturalisation  comme  française  de  M™'  Sword 
et  la  fortune  personnelle  qu'elle  se  constituait  en  dot. 


—  267  — 

chez  vous,  je  fis  voir  votre  projet  de  contrat  à  M"ie  Svoord,  qui 
avait  consenti  à  ce  que  ce  soit  vous  qui  le  dressiez.  Vous  ne 
l'avez  pas  fait,  voici  les  raisons. 

Elle  fut  le  montrer  à  M.  Wack,  qui  lui  dit  qu'il  ne  connais- 
soit  rien  à  ce  qu'il  y  avoit  à  faire  ;  elle  lui  dit  d'en  parler  à 
Me  Chaillou,  qui  a  rendu  le  grand  service  à  Mme  Svoord,  de 
débrouiller  son  procès.  D'après  ce,  elle  lui  avoit  les  plus  grandes 
obligations.  M.  Wack  lui  dit  ;  Il  est  impossible  de  lui  ddmander 
son  avis  sans  lui  dire  de  le  faire  ;  Mme  Svoord  vint  chez  moi,  à 
Nantes,  me  demander  mon  avis.  Je  lui  dis,  que  vous  connais- 
sant pour  mon  vrai  ami,  comme  vous  me  l'avez  prouvé  depuis 
que  j'ai  l'honneur  de  vous  connoître,.  vous  ne  vous  fâcheriez  pas. 
C'est  donc  moi  qui  ai  commis  la  faute,  si  je  n'ai  pas  cru  pouvoir 
agir  avec  vous  comme  ami.  D'après  ce,  Mme  Svoord  compte  sur 
vous  demain  ou  serait  au  désespoir  de  ma  maladresse. 

Amitié  éternelle. 

Le  Baron  Cambronne. 
Le  9  mai  1820. 

Devant  d'aussi  franches  explications,  il  était  impossible 
àMeFrancheteau  de  garder  rancune  soit  à  Canibronne,  soit 
à  sa  femme  et  il  le  prouva  en  assistant  non  pas  le  lende- 
main à  la  cérémonie  du  mariage  civil,  mais  le  jour  même 
au  contrat  de  mariage  dressé  par  ses  confrères.  On  ne 
pouvait  s'exécuter  plus  galamment. 

Les  conventions  matrimoniales  arrêtées  entre  Cam- 
bronne  et  sa  femme  sont  curieuses  en  ce  sens  que  les 
époux  se  mariaient  sous  le  régime  de  la  séparation  de 
biens.  Madame  Cambronne  conservait  l'administration  de 
sa  fortune,  la  libre  jouissance  de  ses  revenus  et,  par 
avance,  son  mari  lui  donnait  les  pouvoirs  les  plus  étendus, 
l'autorisation  la  plus  générale  pour  cette  gestion.  Ils  éva- 
luaient les  meubles  meublants,  linge,  argenterie  et  usten- 
siles de  ménage  qu'ils  possédaient  respectivement  à  la 
somme  de  six  mille  francs.   Toute  nouvelle  acquisition 


—  268  — 

devait  être  justifiée  par  facture  :  néanmoins,  le  linge  à  lO) 
marque  de  chacun  d'eux^  l'argent  portant  son  chiffre,  les> 
bijoux  à  usage  personnel  d'homme  ou  de  femme  étaient 
réputés  appartenir  de  plein  droit  à  l'un  ou  l'autre  des 
époux.  Leur  marque  était  P.  C.  pour  Pierre  Gambronne,. 
M.  S.  pour  Mnie  Cambronne  (Mary  Sword). 

Le  contrat  contenait,  comme  preuve  de  l'attachement 
des  époux,  une  donation  entre  vifs,  mutuelle  et  irrévo- 
cable «  en  la  meilleure  forme  que  donation  puisse  valoir»^ 
de  l'usufruit  de  tous  leurs  biens,  meubles  et  immeubles, 
avec  dispense  de  caution^  d'inventaire,  etc.,  «  chacun  de& 
futurs,  dit  l'acte,  s'en  rapportant  sur  ce  point  à  l'honneur - 
de  l'autre.  » 

Nous  rie  croyons  pas  devoir  reproduire  ici  l'acte  de 
mariage  extrait  des  registres  de  l'état-civil  de  la  commune 
de  Saint-Sébastien  qui  a  été  déjà  publié.  Quelques  noms  y 
sont  écorchés  :  on  n'y  constate  pas  que  la  future  était 
veuve  en  secondes  noces,  son  dernier  mari,  John  Sword,. 
y  est  appelé  Joseph,  sa  mère,  Marie  Fisse  au  lieu  de  MaFie. 
Fife  ;  mais  ce  ne  sont  que  des  erreurs  de  scribe,  comme  ili 
ne  s'en  commettait  que  trop  alors  dans  la  tenue  de  ces 
registres. 

Notons  que  Cambronne  y  est  indiqué  comme  demeu- 
rant à  la  Tullaye,  sur  la  côte  Saint-Sébastien,  et  sa  future; 
à  la  Baugerie,  même  endroit  ;  que  le  mariage  fut  célébré- 
par  René  Meneust,  adjoint  au  maire  de  la  commune;  que: 
les  témoins  étaient  :  pour  Cambronne,  M.  Jean-Gabriek 
Cheguillaume,  propriétaire,  âgé  de  soixante  et-un  ans^ 
demeurant  15,  rue  Crébillon,  5,  Nantes  et  M.  Matluirin- 
Jean  Cheguillaume,  négociant,  demeurant  à  Nantes,  13,. 
rue  de  Briord  ;  pour  Madame  Cambronne  :  M.  François; 
Bastard,  receveur  des  contributions,  demeurant  à  la  Bec,. 


—  269  — 

«ommune  de  Saint-Sébatien  et  M.  Jean-Frédéric  Wack, 
-agent  de  change,  demeurant  à  Nantes,  23,  rue  de  la 
Fosse;  qu'enfin,  l'acte  porte,  outre  les  signatures  de 
i'adjoint,  des  époux  et  des  témoins  réglementaires,  celles 
de  M.  et  M'"^  Lemerle,  de  J.-B.  Cornau,  de  Ghaillou,  no- 
taire, de  J.-M.  Gheguillaume,  d'E.  Wack  fds  et  d'Agnès 
jOsburn,  sœur  de  la  mariée. 

Cambronne  était  au  comble  de  ses  vœux.  L'avant- 
"veille,  8  mai  1820,  il  écrivait  au  général  comte  de  Latour- 
Maubourg,  ministre  de  la  guerre,  pour  s'excuser  de 
^n'avoir  pas  encore  pris  possession  de  son  poste  de  gouver- 
aieur  de  Lille,  auquel  le  roi  venait  de  l'appeler  et  il  ne  se 
faisait  pas  manque  d'invoquer  son  mariage  comme  cir- 
«ïonstance  atténuante  : 

«  La  passe  extraordinaire  dans  laquelle  je  suis,  disait-il,  où 
l'on  aime  à  se  trouver  une  seule  fois  dans  sa  vie  pour  son  l)onheur, 
zuG  cause  un  retard  ;  mon  zèle,  mon  dévouement  et  mes  devoirs 
.jiour  le  service  du  roi  vous  prouveront  par  la  suite  qu'il  n'arri- 
■vera  plus  et  que  j'exécuterai  tout  ce  que  vous  voudrés  bien 
an'ordonneravecla  vivacité  et  la  ponctualité  qu'exige  notre  état.  » 

Il  était  sans  doute  tellement  préoccupé  de  regagner 
Lille,  chef-lieu  de  son  commandement  militaire,  qu"il  ne 
prit  pas  le  temj)s  d'attendre  à  Nantes  les  dispenses  reli- 
.gieuses  qu'il  avait  sollicitées,  à  raison  de  la  diversité  des 
-cultes,  pour  épouser  une  protestante  et  ce  n'est  que  plus 
de  deux  mois  après  qu'il  fit  consacrer  son  mariage  à  la 
cathédrale  de  Noyon  —  d'oiî  sa  mère  était  originaire  et  oij 
il  avait  lui-môme  conservé  des  relations  de  famille  et  des 
intérêts  (1).  La  cérémonie  fut  célébrée  par  un  de  ses  oncles 

{!)  Les  Archives  du  ministère  de  la  guerre  conservent  la  periais- 
.•sioa  de  huit  jours  qui  fut  accordée  à  Cambronne  pour  aller  se  marier 
il  >»o\o.i. 


—  270  — 

.maternels,  Beaudoin-François  Druon,  docteur  en  théo- 
logie de  la  maison  et  société  de  Sorbonne  et  ancien  cha- 
noine de  la  cathédrale  de  Noyon,  qui  en  dressa  l'intéres- 
sant acte  que  voici  et  dont  nous  devons  la  communication 
à  l'obligeance  de  M.  le  curé  de  cette  ville  : 

L'an  mil  huit  cent  vingt,  le  vingt-deuxième  jour  de  juillet, 
en  vertu  de  l'induit  apostolique  en  date  du  six  juin  dernier,  en 
faveur  des  pardes  ci-après  dénommées,  concernant  l'empêche- 
ment de  la  disparité  de  culte  et  la  dispense  de  toutes  les  forma- 
lités non  absolument  requises  à  la  validité  du  sacrement  de 
mariage,  lequel  induit  a  été  fulminé  à  l'ofTicialilé  de  Nantes,  le 
quatre  du  courant^  signé  Bodinier,  vie.  gén.,  Officiai  et  Angebaut, 
chanoine  secrétaire,  vu  la  délégation  pour  l'exécution  dudit 
induit  à  nous  adressée,  par  Monsieur  Blanchet,  recteur  de  la 
paroiso  de  Saint-Sébastien,  canton  de  Nantes,  domicile  des  dites 
parties,  en  date  du  six  juillet.  Nous  soussigné,  Me  Beaudoin, 
François  Druon,  docteur  en  théologie  do  la  maison  et  société  de 
Sorbonne,  et  ancien  chanoine  do  l'église  cathédrale  de  Noyon, 
avons  donné  en  présence  et  du  consentement  de  M.  le  Curé  de 
cette  paroisse,  la  bénédiction  nuptiale  selon  les  rites  de  la  Sainte- 
Eglise,  à  .M.  Pierre-Jacques-Etienne  Cambronne,  baron,  maré- 
chal de  camp  des  armées  du  Roi,  commandeur  de  l'ordre  ro\al 
do  la  légion  d'honneur,  chevalier  de  Saint-Louis,  commandant 
pour  le  Roi  la  subdivision  du  département  du  Nord,  fds  majeur 
des  défunts  M.  Pierre-Charles  Cambronne.  négociant  et  de  dame 
Françoise-Adélaïde  Druon,  son  épouse,  domiciliés  à  La  Tullaye, 
de  la  paroisse  de  Saint-Sébastien,  d'une  part,  et  à  dame  Marie 
Osburn,  rentière,  née  à  Glascow  en  Ecosse,  veuve  de  M.  John 
Sword,  propriétaire,  d'autre  part,  tous  deux  domiciliés  en  la  dite 
commune  de  Saint-Sébastien,  ou  ils  ont  été  unis  civilement  le 
dix  mai  dernier,  ainsi  qu'il  appert  par  l'extrait  qui  nous  a  été 
représenté.  Les  témoins  de  ce  mariage  ont  été  Mj\L  Henri  Wau- 
bert,  négociant  à  Paris,  cousin  do  l'époux,  Charlcs-Antoine- 
Valentin  Sézille,  maire  de  celte  ville,  François-Louis  Margerin 
du  Boulloiro,  adjoint  ;\  la  mairie  et  membre  de  la  commission  do 
bienfaisance,   et  Charles-Louis  de    Forceville,     propriétaire   i^i 


—  271  — 

Novon,  amis   des.  époux,   qui  ont  tous     signé  avec   nous.  Fait 
double  les  jour  et  an  susdits. 

Signé  :  Druon,  Saturne,  curé  de  Noyon,  Marie  Osburn,  femme 
Canibronne,  le  baron  Cambronne,  Margerin,  Sézille,  Forccviile. 
Waubert. 

Les  témoins  sont  M.  Henri  Waubert,  négociant  à  Paris, 
cousin  de  Tépoux  (1),  le  maire  et  l'adjoint  au  maire  de  la 
ville  de  Noyon  et  un  autre  ami  des  époux,  M.  de  Force- 
ville.  Nous  avions  déjà  rencontré  le  nom  de  M.  Margerin, 
mais  ce  n'est  pas  le  même,  dans  les  protestations  adres- 
sées au  Journal  de  Paris  à  la  faute  de  l'acquittement  de 
Cambronne  et  au  ministre  de  la  guerre  en  diverses  autres 
circonstances.  Une  tante  maternelle  de  Cambronne, 
Marie-Louise-Catherine  Druon,  sœur  aînée  de  sa  mère, 
s'était  mariée  le  15  février  1757,  avec  Jean-Charles-Marie 
Margerin,  conseiller  du  Roi,  garde-marteau  en  la  maî- 
trise des  eaux  et  forêts  de  Noyon.  Ce  Margerin  était  fils 
de  François  Margerin  qui  avait  exercé  les  mêmes  fonctions 
et  de  Marie-Jeanne  Waubert. 

Cambronne  avait^  comme  on  l'a  vu,  signé  de  son  titre 
de  baron,  son  acte  de  mariage.  C'est  qu'en  elfet  le  roi  lui 
avait  accordé,  le  17  décembre  1819,  des  lettres  de  confir- 
mation de  son  titre  de  baron  (2).  Quand,  le  17  février  sui- 
vant, le  tribunal  civil  de  Nantes  se  réunit  pour  recevoir 
son  serment,  l'émotion  publique  était  à  son  comble  en 
France  :  le  duc  de  Berry  venait  d'être  assassiné  par 
Louvel.  Le  procureur  du  lloi,  M.  Bernard  père,  fit,  dans 
ses  réquisitions,  allusion  à  ce  grave  événement  : 

.(1)  Nous  donnons  aux  annexes  la  parenté  de   Cambronne  avec  la 
faniille  de  Waubert  de  Genlis. 

(2)  Archives  du  greffe  du  tribunal  civil  de  Nanles  :  audience  du  17 
février  1820. 


—  272   — 

Général,  dit-il,  le  sang  royal  coule...  lorsque  vous  venez  dans 
ce  jour  de  douleur,  prêter  serment  de  fidélité  au  Roi^  c'est  jurer 
avec  nous,  avec  tous  les  vrais  Français,  de  défendre  et  de 
venger  ce  sang  auguste.  La  valeur  dont  vous  avez  fait  preuve 
dans  les  combats,  la  sagesse  que  vous  avez  montrée  depuis  dans 
vos  foyers,  la  loyauté  de  votre  caractère  nous  sont  de  sûrs  ga- 
rants que  vous  saurez  remplir  ce  serment  sacré... 

A  la  suite  de  ce  réquisitoire,  Cambronne  prononça  le 
serment  prescrit,  puis  ajouta  :  Mon  honneur  et  mes  de- 
voirs en  sont  garants  (1). 

Le  général  Cambronne  regagna  avec  sa  femme  son 
commandement  de  Lille^  où  nous  allons  le  retrouver.  Il 
devait  vivre  plus  de  vingt  ans  encore  en  parfaite  commu- 
nion d'idées  et  de  sentiments  avec  la  compagne  qui 
s'enorgueillissait  de  la  gloire  de  son  époux. 


iX)  Moniteur  Universel  du  23  février  1820.  p.  220. 


AÏ^MOIÏ^IE^ 

DU   Général   Cambronni-: 

d'après   un    dessin   colorié   fait   par   lui-même 
pour   décorer  sa    voiture 


(Collection  L.  Brunschvicg) 


CHAPITRE  XVIII 

CAMBRONNE     A    LILLE 

C'est  le  24  avril  1820  que  parut  au  Moniteur  universel 
le  décret  nommant  le  "général  Cambronne  au  commande- 
ment de  la  l'f®  subdivision  de  la  16^  division  militaire,  à 
Lille,  non  loin  de  la  frontière  et  de  ce  champ  de  bataille  de 
Waterloo  où  il  s'était  si  vaillamment  conduit. 

La  lettre  par  laquelle  Cambronne  témoigna  sa  gratitude 
à  Louis  XVIII  n'indique  pas,  aussi  nettement  qu'on  l'a 
prétendu,  si  c'est  sur  sa  demande  que  le  commandement 
de  la  place  de  Lille  lui  fut  confié,  mais,  alors  que  presque 
tous  les  généraux  du  premier  Empire  avaient  accepté  du 
service  sous  la  Restauration,  faut-il  tenir  rigueur  à 
Cambronne  d'avoir  imité  l'exemple  de  ses  compagnons 
d'armes  ? 

Voici  cette  lettre  (1)  : 

Sire, 

Vous  m'avez  accordé  votre  confiance,  en  me  faisant  employer  ; 
mes  actions  y  répondront  en  combattant  vos  ennemis.  L'honneur 
et  la  fidélité  prouveront  que  mes  serments  sont  inviolables. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  le  plus  profond  respect,  de  Votre 

Majesté  le  très  humble  et  très  obéiss^int  serviteur  et  sujet. 

Le  baron  Gajiibron.ne. 
Lille,  le  %y  août  1820. 

(1)  Le  supplément  <lu  Journal  du  29  octobre  1892  a  publié  un 
curieux  article  de  M.  Evariste  Mangin  avec  le  fac-similé  de  cette  lettre 
de  Cambronne  dont  l'original  est  entre  les  mains  de  l'ancien  directeur 
du  Phare  de  la  Loire. 

18 


—  274  — 

Nous  ne  possédons  que  peu  de  détails  sur  le  séjour  de 
près  de  deux  années  qu'il  fit  dans  le  département  du 
Nord.  Il  visitait  souvent  les  garnisons  de  son  ressort.  Il 
aimait  surtout  revoir  Dunkerque  où  il  avait  été  envoyé  en 
mars  1801,  vingt  ans  auparavant,  avec  la  46*^  demi-bri- 
gade, oiî  il  avait  connu  Augustine  Corbizet  et  c'est  là  que 
le  22  octobre  1820  il  eut  l'idée  de  faire  constater  par  le 
docteur  Zandick,  un  vieux  soldat  comme  lui,  les  blessures 
glorieuses  dont  son  corps  portait  les  marques  et  qui 
•étaient  le  témoignage  éloquent  de  sa  bravoure. 

Yoici  ce  curieux  document  : 

Je  soussigné,  docteur  en  médecine,  ancien  chirurgien  de 
Tarmée  des  chasseurs  à  pied  de  l'ex-garde,  certifie  que  M.  le 
maréchal  de  camp  Cambronno  présente  les  blessures  suivantes  : 
Une  cicatrice  profonde  avec  perte  de  substance  osseuse^ 
située  au-dessus  de  l'œil  gauche  et  répondant  à  la  partie  externe 
et  supérieure  de  l'arcade  orbitaire  du  coronal.  Cette  blessure,- 
résultat  d'un  coup  de  feu  reçu  à  la  bataille  de  Waterloo,  occa- 
sionne dos  céphalalgies  intenses  qui  screnouvellent  à  des  époques 
très  rapj)rochécs. 

^0  Une  cicatrice  à  la  partie  externe  de  l'articulation  scapulo- 
humérale  du  côté  droit,  suite  d'un  coup  de  sabre. 

;i°  Deux  cicatrices  à  la  partie  externe  de  l'articulation  cubito- 
humérale  du  bras  droit,  suite,  comme  la  précédente,  de  coup 
d'arme  blanche  et  qui  gênent  légèrement  les  mouvements  de 
cette  extrémité. 

4o  Un  coup  de  bayonnetle  près  de  l'articulation  du  doigt 
iiuriculaire  de  la  main  droite  avec  le  dernier  os  du. métacarpe. 

^)0  Un  coup  de  feu  à  la  partie  inférieure  du  bras  gauche,  dont 
la  balle,  en  traversant  cette  extrémité  de  sa  partie  externe  à  sa 
partie  interne,  a  fortement  contus  l'humérus,  il  résulte  de  cette 
grave  blessure  deux  cicatrices  longues  et  adhérente:^  qui  em- 
pêchent la  libre  exécution  des  mouvements  de  cette  extrémité,  et 
•déterminent  la  flexion  permanente  des  doigts  annulaire  et 
auriculaire  de  la  main,  lorsque  le  bras  est  dans  l'extension. 

()"  Une  cicatrice  au  côté  gauche  de  la  poitrine,  suite  du  même 


—  275  — 

•coup  de  feu  qui  a  occasionné  les  lésions  dont  nous  venons  de 
parler. 

70  Plusieurs  cicatrices  à  la  cuisse  droite,  dont  trois  très 
étendues  et  adhérentes.  Ces  blessures,  suite  de  deux  coups  de 
balle  qui  ont  traversé  la  cuisse  de  part  en  part  et  de  l'action  des- 
tructive de  quelques  fragments  de  mitraille,  sont  restées  le  siège 
de  douleurs  plus  ou  moins  vives  et  subordonnées  aux  variations 
de  l'atmosphère,  lesquelles,  en  les  exaspérant j  empêchent 
absolument  les  mouvements  de  progression. 

80  Trois  cicatrices  à  la  partie  externe  de  la  jambe  droite,  dont 
deux  adhérentes  ;  l'une  d'elles,  placée  à  la  partie  externe  do 
l'articulation  libio-fémorale,  en  gène  les  mouvements  et  devient 
douloureuse  à  la  moindre  fatigue,  la  seconde  également  adhé- 
rente, est  située  cà  la  partie  moyenne  et  externe  de  la  jambe  et 
concourent  avec  la  cicatrice  que  l'on  remarque  pjus  bas,  au- 
dessous  de  la  maléole,  à  former  un  obstacle  à  la  liberté  de  la 
marche  (1). 

C'est  à  Lille  que  Cambronne  apprit  la  mort  de  l'empe- 
reur Napoléon.  Malgré  sa  nouvelle  fortune,  ce  ne  dut  pas 
ctre  sans  un  profond  serrement  de  cœur  qu'il  reçut  cette 
nouvelle.  Bien  qu'il  eût  consenti  à  reprendre  du  service 
sous  les  Bourbons,  il  est  permis  de  penser  que  ses  sym- 
pathies intimes  allaient  ailleurs.  Il  avait  été  profondément 
attaché  à  la  cause  de  celui  qui  venait  de  mourir  à  Sainte- 
Hélène  et  c'est,  bien  ainsi  que  le  considérait  l'empereur, 
en  l'inscrivant  sur  son  testament  au  nombre  de  ses  plus 
fidèles  servi  teurs . 

Rappelons  seulement  ici  les  quelques  lignes  de  ce 
fameux  testament,  qui  concernent  Cambronne  : 

lo  avril  1821,  à  Longwood^  ile  de  Sainte-Hélène. 
...  Je  lègue  au  général  Cambronne  cent  mille  francs... 
Ces  sommes  seront  prises  sur  les  six  millions  que  j'ai  placés 

(1)  Comparer  ce  certificat  à  celui  du  docteur  Cochenet  ([ue  nous 
avons  publié  plus  haut  page  171. 


—  276  — 

en  partant  de  Paris  en  181o  et  sur  les  intérêts  à  raison  de  o  O/o 
depuis  juillet  ISlo. 

Tout  ce  que  ce  placement  produira  au-delà  de  la  somme  de 
S,600, 000.fr.  dont  il  a  été  disposé  ci-dessus  sera  distribué  en 
gratifications  aux  blessés  de  Waterloo  et  aux  ofïiciers  et  soldats 
du  bataillon  de  l'ile  d'Elbe  sur  un  état  arrêté  par  Montholon, 
Bertrand,  Drouot,  Cambronc  et  le  chirurgien  Larrey. 

Le  codicille  du  24  avril  1821  ramenait  encore  le  nom 
de  Cambronne  sous  la  plume  de  Napoléon  agonisant  : 

Sur  la  liquidation  de  ma  liste  civile  d'Italie,  je  dispose  de 
deux  millions  que  je  lègue  à  mes  plus  fidèles  serviteurs. 
Sur  ces  deux  millions,  je  lègue 
...  Au  général  Gambrone,  ^0,000  francs. 

Le  général  dut  être  vivement  touché  de  cette  marque 
d'affection  que  lui  donnait  l'empereur  sur  son  lit  de  mort. 
Peut-être  regretta-t-il  alors  de  s'être  laissé  aller  aussi 
facilement  à  accepter  de  reprendre  du  service  sous  la 
Restauration  et  de  ne  pas  s'être  tenu,  comme  tant  d'autres, 
dans  une  retraite  absolue  sinon  dans  une  opposition  irré- 
conciliable. Il  n'en  continua  pas  moins  à  servir  avec  une 
scrupuleuse  fidélité  le  gouvernement  auquel  il  s'était 
rallié,  mais  il  devait  songer  déjà  sans  doute  au  jour 
prochain  où  il  se  démettrait  de  ses  fonctions.  En  attendant, 
il  restait  respectueux  observateur  du  serment  qu'il  lui 
prêté.  En  voici  u«e  preuve  curieuse  et  peu  connue  : 

Le  l^'  février  1822,  le  général  Cambronne  recevait  un 
paquet  renfermant  un  livre  séditieux  par  son  contenu, 
par  les  emblèmes  que  portait  sa  couverture  et  par  son 
titre  môme  ;  Les  perfidies  dévoilées  et  justice  rendue  à 
Napoléon  le  Grand.  Le  but  de  l'expéditeur  n'était  pas 
douteux,  il  espérait  provoquer  un  soulèvement  militaire 
contre  le  gouvernement  royal  et  il  avait  compté  sur  le 
concours  actif  ou  tout  au  moins  sur  la  complicité  morale 


—  277  — 

de  Cambronne  qui  ne  pouvait  qu'être  disposé  à  voir  rendre 
justice  à  l'empereur  défunt.  Mais  le  général  fit  parvenir 
l'ouvrage  délictueux  aux  mains  de  l'autorité,  en  lui 
fournissant  les  indications  nécessaires  pour  découvrir 
l'auteur  de  l'envoi.  C'était  un  ancien  payeur  employé  aux 
armées,  nommé  Jean-Baptiste  Delaly,  domicilié  à  Dun- 
kerque  qui  était  l'auteur  du  libelle.  La  correspondance 
suivante  fait  d'ailleurs  exactement  connaître  les  circons- 
tances de  cette  étrange  affaire  (1)  : 
PRÉFECTURE  DU  NORD  Lille,  4  février  1822. 

CABINET 

—  A  Son  Excellence  le  Ministre  de 

l'Intérieur, 
Monseigneur, 

J'ai  l'honneur  d'informer  Votre  Excellence  d'un  fait  qui  a  de 
l'importance  et  qui  mérite  toute  votre  attention.  Un  individu 
s'est  présenté  chez  M.  le  général  Cambronne  pour  lui  remettre 
un  paquet  cacheté,  le  général  le  reçut,  ne  l'ouvrit  point  en  sa 
présence,  et  dit  au  porteur  de  ce  paquet  de  revenir  le  lendemain  ; 
le  général  l'ayant  ouvert  y  trouva  un  livre  qu'il  s'empressa  de 
-déposer  entre  les  mains  de  monsieur  le  lieutenant  général 
«ommandant  la  Division.  Un  carton  vert  couvre  ce  livre  et 
représente  une  aigle  couronnée  avec  ces  mots  :  l'Empereur  est 
mort,  vive  l'Empereur  ;  il  a  pour  titre  :  Les  perfidies  dévoilées  et 
justice  rendue  à  Napoléon  le  Grand  par  D...  il  est  dédié  à 
la  nation  française  et  à  Sa  Majesté  Napoléon  II,  Empereur  des 
Français  ;  vis-à-vis  ce  titre  est  le  portrait  de  Napoléon  1er 
mourant,  pour  marquer  les  pages  de  ce  livre,  il  y  a  trois  liserets 
bleu,  blanc  et  rouge  ;  l'auteur  écrit  à  Napoléon  II.  Sa  dédicace 
-est  ainsi  conçue  : 
Sire, 

«  L'âme  navrée  par  la  perte  du  plus  grand  et  du  plus  beau 
«  des  monarques.  Votre  Auguste  Père,  permettez  à  un  faible 
«  mais  fidèle  sujet,  de  faire  hommage  à  Votre  Majesté  de  tout 

(1)  Archives  nationales  F  7  G919. 


—  278  — 

«  ce  qui  devra,  il  le  sent,  accroître  toutes  ses  peines,  en  lui 
«  rappelant  des  souvenirs  douloureux  et  cruels,  mais  qui  est 
«  fait  aussi  pour  accroître  son  courage,  avec  d'autant  plus  de- 
«  raison  qu'EUe  a  à  venger  ce  Père  qui  la  chérissait  et  qui  ne- 
«  l'a  point  oubliée  à  son  dernier  soupir. 

«  En  dédiant  cet  ouvrage  à  Votre  Majesté,  si  j'ai  fait  participer 
«  la  nation  française  à  cette  dédicace,  c'est  que  ses  intérêts  sont 
«  inséparables  de  ceux  de  son  Souverain. 

u  Lorsque  j'ai  conçu  l'idée  de  cet  écrit,  comme  je  n'ai  en 
«  d'autre  motif  que  celui  que  j'énonce  à  la  fin  de  mon  introdue- 
«  tion,  qui  a  été  d'assurer  aux  Français  l'éloge  le  plus  beau  que- 
ce  l'on  ait  pu  faire  du  plus  magnanime  des  Empereurs  qu'ils  ont 
«  regretté  trop  tard,  j'ose  espérer  que  Votre  Majesté  daignera 
«  l'accueillir  favorablement.  C'est  dans  cet  espoir  et  pénétré 
«  des  sentiments  du  dévouement  le  plus  parlait  que  je  suis. 
Sire,  de  Votre  Majesté,  le  très-humble,  très-obéissant  et 

fidèle  sujet, 

D...  » 

Il  est  vraisemblable  que  l'individu  qui  a  remis  cet  ouvrage  à 
M.  le  général  Cambronne  ignorait  le  secret  de  sa  conmiission, 
car  ce  général  l'ayant  invité  à  revenir  le  lendemain,  il  revint,, 
on  ignore  encore  par  qui  ce  livre  est  parvenu  à  celui  qui  s'est 
trouvé  chargé  de  le  porter  à  M.  le  général  Cambronne.  On  sait 
seulement  qu'il  lui  a  été  remis  à  Dunkerque,  on  cherche  à 
connaître  ce  premier  entremetteur.  J'aurai  l'honneur  d'informer 
Votre  Excellence  de  tout  ce  qui  sera  découvert  relativement  à: 
ce  message  mystérieux. 

Je  suis  avec  respect,  etc. 

Le  préfet  du  Nord. 

Ce  fut  d'abord  un  commerçant  de  Dunkerque  nommé 
Dury,  «  connu,  disent  les  rapports  de  police,  par  les  plus 
mauvaises  opinions  ^^,  qui  fut  soupçonné  d'avoir  remis  la 
brochure  séditieuse  an  commissionnaire  dont  le  général 
Gambionnc  avait  recula  visite  {i).  Dury  fut  môme  mis  à 

(1)  Archives  Nationales.  Lettre  du  préfet  du  Nord,  du  7  février 
1822,  au  ministre  de  l'intérieur. 


—  279  — 

la  disposition  du  procureur  du  roi.  Mais  on  ne  tarda  pas 
à  découvrir  quels  étaient  les  véritables  auteurs  de  cette 
aventure.  Une  nouvelle  lettre  du  préfet  du  Nord  nous  ren- 
seigne à  ce  sujet.  La  voici  : 

PRÉFECTURE  DU  NORD  Lille,  le  14  février  1822. 

CABINET 

—  A  Son  Exe.  le  Ministre  Secrétaire  d'Etat 

de  l'IntérieHr,  à  Paris. 
Monseigneur, 

J'ai  l'honneur  de  transmettre  à  Votre  Excellence  les  rensei- 
gnements qui  m'ont  été  donnés  par  M.  le  sous-préfet  de  Dun- 
kerque  sur  les  sieurs  i)e?;ms  eiMinart,  le  premier  ayant,  adressé 
à  M.  le  général  Cambronne  le  livre  séditieux  que  j"ai  dénoncé  à 
Votre  Excellence,  et  le  second  ayant  été  chargé  de  lui  porter. 

Le  commissaire  de  police  de  Dunkerque  a  procédé  le  7  à 
l'arrestation  de  ces  deux  individus,  et  à  une  visite  domiciliaire 
chez  eux,  pour  y  faire  la  recherche  de  toute  correspondance  ou 
papiers  suspects.  L'un  d'eux,  le  sieur  Minart,  a  étémisen  liberté 
dans  la  soirée  du  7,  mais  les  charges  étant  plus  graves  contrôle 
sieur  Devries,  il  est  resté  sous  la  main  de  la  justice. 

Le  libelle  remis  à  M.  le  maréchal  de  camp  Cambronne  par  le 
sieur  Minart,  qui  ignorait  le  contenu  du  paquet  que  lui  avait 
confié  le  sieur  Devries,  avait  été  expédié  à  ce  dernier  de  la  Bel- 
gique par  un  nommé  Delaly,  expulsé  de  Dunkerque  en  1816 
pour  cause  d'opinion,  et  qui,  d'après  la  déclaration  du  prévenu 
Devries,  est  en  ce  moment  en  Angleterre  C'est  aussi  ce  même 
Delaly  qui  a  signé  la  lettre  qui  accompagnait  le  libelle  déposé  au 
greffe  du  tribunal. 

Le, sieur  Devries  a  été  attaché  au  service  de  la  Trésorerie  à 
l'armée,  avant  la  Restauration,  il  est  difficile  d'avoir  des  rensei- 
gnemens  sur  la  conduite  qu'il  a  tenue  antérieurement  à  cette 
époque,  mais  à  son  retour  dans  ses  foyers,  il  a  constamment  ma- 
nifesté les  principes  les  plus  condamnables. 

Le  maire  de  Dunkerque  a  toujours  eu  l'anl  ouvert  sur  sa  con- 
duite et  SOS  démarches  ;  mais  cette  surveillance  active  n'a  pro- 
duit aucune  révélation  propre  à  donner  des   inquiétudes.    Il 


—  280  — 

appartient  à  une  famille  honnête  qui  n'a  pu  le  ramener  à  de 
meilleurs  sentiments. 

J'aurai  l'honneur  d'informer  Votre  Excellence  de  tout  ce  qui 
viendra  à  ma  connaissance  sur  les  suites  de  cette  affaire. 

Je  suis  avec  respect,  de  Votre  Excellence,  le  très  humble  et 
obéissant  serviteur. 

Le  Préfet  du  Nord, 

(Illisible). 

Delaly  fut  poursuivi,  en  même  temps  qu'Antoine-Jac- 
ques-Simon Devries,  sous  la  prévention  de  provocation  au 
crime  de  lèse-majesté. 

Delaly  considéra  qu'il  était  plus  prudent  de  rester  en 
Angleterre  et  l'instruction  suivit  par  défaut  contre  lui. 
Devriès  resta  en  liberté  sous  caution. 

L'affaire  fut  évoquée  devant  le  tribunal  de  Dunkerque, 
à  la  date  du  4  mai  1822,  mais  ce  jour-là  deux  témoins 
importants,  le  général  Cambronne  et  Minart,  ne  se  pré- 
sentèrent pas  à  l'audience.  Une  condamnation  à  cent  francs 
d'amende  fut  prononcée  contre  chacun  des  témoins  défail- 
lants. A  la  huitaine  suivante,  ils  se  présentèrent,  et  grâce 
à  la  légitimité  de  leurs  excuses,  ils  obtinrent  décharge  de 
l'amende  et  purent  faire  leur  déposition  (1). 

Le  substitut  du  procureur  du  roi  donna  lecture  des  pas- 
sages les  plus  graves  de  l'ouvrage  incriminé  et  requit 
l'application  de  la  loi. 

Devriès,  fut  défendu  par  M^  Duval,  avoué  prés  le  tribunal 
de  Dunkerque,  qui  obtint  l'acquittement  de  son  client, 
tandis  que  Delaly  était  condamné  avec  sévérité  par  le 
jugement  suivant  (2)  : 

(1)  Nous  aurions  aimé  à  donner  les  pièces  de  ce  procès,  mais  ni 
les  archives  du  grefic  de  Dunkerque  ni  les  archives  du  département 
du  Nord  ne  possèdent  ce  dossier.  Seul  le  texte  du  jugement  a  survécu. 

(2)  Archives  du  grefïe  du  tribunal  correctionnel  de  Dunkerque. 


—  281  — 

•Le  tribunal,  après  en  avoir  délibéré  en  chambre  du  conseil, 
confonnément  à  la  loi, 

Considérant  que  do  l'instruction  et  des  débats  qui  ont  eu  lieu 
-â  la  présente  audience  il  résulte  que  le  délit  imputé  à  Devrics 
jû'est  pas  sutTisamment  justifié. 

L'acquitte  à  la  majorité  de  l'action  intentée  à  sa  charge  sans 
-dépens, 

Ordonne,  en  conséquence,  que  sa  mise  en  liberté  provisoire 
est  et  demeure  définitive,  le  décharge  du  cautionnement  par  lui 
fourni,  ordonne  que  remise  lui  sera  faite  de  la  somme  de  douze 
cents  francs  qu'il  a  versée  au  bureau  de  la  caisse  des  dépôts  et 
consignations  de  cet  arrondissement. 

Et  à  l'égard  du  nommé  Jean-Baptiste  Delaly  fils,  défaillant, 

Considérant  qu'il  résulte  suffisamment  de  l'instruction  de 
-la  dite  pr  océdure  qu'il  s'est  rendu  coupable  de  provocation  au 
crime,  en  attaquant  formellement,  dans  un  imprimé  qu'il  a 
distribué  et  qui  a  pour  titre  :  Les  perfidies  dévoilées  et  justice 
rendue  à  Napoléon  le  Grand,  l'inviolabilité  du  roi  et  l'ordre  de 
successibilité  au  trône  ; 

Que  de  plus  il  résulte  suffisamment  qu'il  s'est  rendu  coupable 
•d'offenses  envers  la  personne  du  roi  et  les  membres  de  sa  famille 
dans  ce  même  imprimé  qu'il  a  distribué, 

Vu  les  articles  1,  2,  4,  9,  dO  do  la  loi  du  17  mai  1819  et  194  du 
code  d'instruction  criminelle. 

Condamne  le  dit  Delaly  en  cinq  années  d'emprisonnement  et 
par  corps  en  six  mille  francs  d'amende  et  aux  frais  liquidés  à 
46  fr.  30, 

Ainsi  jugé  et  prononcé  publiquement  à  l'audience  du  11  mai 
-i822  par  MM.  Bouly  de  Lesdain,  président,  Fourdinier,  Buffin  et 
Tiffret,  juges. 

C'est  sans  doute  pour  récompenser  Cambronne  de  cette 
preuve  de  dévouement  que  Louis  XVIII  lui  accorda  le 
17  août  suivant  des  lettres  de  vicomte,  titre  dont  le  général 
.signera    désormais  sa     correspondance.     Le    baron    de 


—  282  — 

l'Empire  a  désormais  fait  place  au  vicomte  de  la  Restau- 
ration (1). 

Néanmoins  Cambronne  songeait  à  donner  sa  démission 
de  ses  fonctions.  Il  profita  d'une  maladie  grave  de  sa 
belle-sœur,  Agnès  Osburn,  pour  demander  sa  mise  à  la 
retraite  dans  la  lettre  que  voici  et  dont  le  brouillon  noua 
a  été  obligeamment  communiqué  par  M.  Henri  Ghe- 
guillaume  : 

A  Son  Excellence  le  Ministre  de  la  Guerre,  secrétaire  d'Etat, 
maréchal  de  France,  le  duc  de  Bellune. 

Monseigneur, 

Mes  blessures  et  mes  infirmités  me  forcent  à  une  vie  et  à  un 
régime  réglés  que  je  ne  puis  suivre  dans  un  service  de  vraie 
activité. 

J'ai  l'honneur  de  vous  demander  ma  retraite.  J'ai  attendu  mes 
30  années  de  services,  vu  les  diverses  passes  où  je  me  suis 
trouvé.  Sans  cela  je  l'aurais  fait  plutôt  (sic). 

Des  affaires  majeures  de  famille  m'appellent  de  suite  à  Nantes. 
Si  vous  ne  pouviez  me  faire  donner  ma  retraite,  je  demande  ma 
démission  que  je  vous  serai  obligé  de  m'envoyer  courier  par 
courier  (sic). 

Je  vous  prie  d'obtenir  l'un  ou  l'autre  de  Sa  Majesté  le  roi  en 
lui  témoignant  tous  mes  regrets  de  quitter  son  service  surtout 
dans  un  moment  où  il  vient  de  nio  donner  des  litres  de  sa 
satisfaction. 


(1)  Nous  voulions  donner  lu  texte  de  ces  lettres-patentes,  mais 
nous  n'avons  pu  en  obtenir  l'expédition  de  la  chancellerie,  qui  ne 
délivre  de  copies  qu'aux  membres  de  la  famille  du  premier  titulaire 
et  seulement  à  l'aîné  de  la  famille  ;  encore  lui  faut-il  prouver  que 
les  lettres-patentes  constitutives  de  titre  ont  été  perdues  ou    brûlées. 

Mais  si  la  famille  est  éteinte  !  Alors  la  diancellerie  ne  délivrera 
plus  jamais  ses  documents  à  personne. 

0  ()ureaucratie,  voilà  bien  de  tes  coups  ! 


—  283  — 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  le  plus  profond  respect,  de  Votre 
Excellence  le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

Cambronne. 
Lille,  le  16  septembre  1822. 

Il  est  vraisembable  que  la  première  réponse  fut  un 
refus,  car  le  19  septembre  1822,  il  écrivait  à  l'un  des 
généraux  sous  les  ordres  de  qui  il  servait,  une  lettre  où 
il  le  priait  de  transmettre  au  ministre  de  la  guerre  la 
nouvelle  demande  qu'il  lui  adressait  pour  obtenir  sa 
démission  (1).  Il  y  parlait  de  la  maladie  de  la  sœur  de  sa 
femme. 

Si  Sa  Majesté,  ajoutait-il,  dans  sa  munificence  m'accordait  ma 
retraite,  je  ne  la  voudrais  qu'honoraire,  vu  que  l'on  y  a  compté 
mes  services  lorsque  j'étais  à  l'île  d'Elbe. 

Le  24,  nouvelle  correspondance  (2)  où  il  remercie  le 
ministre  de  lui  permettre  d'aller  à  Nantes.  Il  rappelle  sa 
demande  précédente  : 

Je  ne  liens  h  ma  retraite,  disait-il,  que  pour  porter  mon  uni- 
forme et  pour  prouver  au  Roi  ma  fidélité  en  toutes  circontanees. 

Cette  fois,  il  réussit  et  le  2o  septembre^  le  lieutenant- 
général,  marquis  de  Jumilhac,  commandant  la  16^  division 
militaire,  publiait  l'ordre  du  jour  suivant  : 

«  La  division  est  prévenue  que  M.  le  Maréchal  de  camp, 
vicomte  Cambronne,  ayant  prié  S.  Exe.  le  ministre  de  la  guerre 
de  lui  faire  obtenir  sa  retraite  des  bontés  du  Roi,  elle  l'a  auto- 
risé à  se  rendre  à  Nantes,  lieu  de  son  domicile^  pour  y  attendre 
que  sa  pension  puisse  lui  être  accordée  et  liquidée.  »  (3) 

Par  ordonnance  royale  du  2  octobre,  Cambronne  fut 
mis  à  la  retraite  avec  une  pension  de  quatre  mille  francs. 

(1)  et  (2)  Archives  du  ministre  de  la  guerre. 
(3j  Moniteur  Universel  du  29  sept.  1822. 


—  284  — 

Quelques  jours  plus  tard,  le  5  novembre  1822,  en 
audience  solennelle  du  tribunal  civil  de  Nantes,  présidée 
par  M.  Baron  (c'était  l'audience  de  rentrée)  Cambronne 
prêta  le  serment  d'usage  à  raison  de  la  nouvelle  distinc- 
tion qui  venait  de  lui  être  accordée  (1). 

—  Vous  jurez,  lui  dit  le  président,  fidélité  au  Roi, 
obéissance  à  la  charte  constitutionnelle  et  aux  lois  du 
royaume,  et  de  vous  comporter  comme  doit  le  faire  un 
bon  et  loyal  vicomte  du  royaume. 

—  Je  le  jure. 

Avant  de  recevoir  le  serment  de  Cambronne,  le  prési- 
dent l'avait  complimenté  de  cette  nouvelle  faveur  qui 
récompensait  sa  fidélité  à  remplir  ses  devoirs  (2).  Cam- 
bronne se  retira  une  fois  ce  cérémonial  achevé. 

Il  avait  définitivement  dit  adieu  à  la  vie  publique  et  ce 
n'est  pour  ainsi  dire  plus  que  de  l'homme  privé  que  nous 
allons  désormais  nous  occuper. 


(1)  Archives  du  greffe  du  tribunal  civil  de  Nantes.  Minutes  des 
jugements.  Audience  du  5  novembre  1822.  En  marge  de  l'enregistre- 
ment des  lettres  patentes  figure  cette  mention  :  «  Ce  serment  étant 
purement  politique,  est  dispensé  de  l'enregistrement.  » 

(2)  Moniteur  Universel  du  mercredi  13  nov.  1822,  p.  loT6. 


CHAPITRE  XIX 

LA   RETRAITE  A  SAINT-SÉBASTIEN 

C'est  peut-être  ici  le  moment  de  faire  un  retour  ea 
arrière  et  de  se  rendre  compte  du  rôle  que  la  mère  de 
Gambronne  avait  rempli  pour  la  sauvegarde  de  ses 
intérêts,  pendant  qu'il  était  retenu  aux  armées.  C'est 
ainsi  que  nous  la  voyons  figurer,  comme  mandataire  de 
son  fds  dans  un  certain  nombre  d'actes  notariés,  notam- 
ment le  28  août  1811  dans  un  acte  au  rapport  de  M*'  Morin 
d'Yvonière,  qui  constatait  un  prêt  de  5,208  fr.  75  c. 
consenti  à  Joseph-Jacques  Vallin^  ancien  receveur-général 
du  département  de  la  Loire-Inférieure  avec  affectation 
hypothécaire  sur  la  maison  de  la  Haute  Forêt  et  ses 
dépendances^  devenues  célèbres  depuis  par  le  séjour  que 
l'historien  Michelet  y  fit  en  1852. 

Quand  Cambronne  revint  s'installer  à  la  côte  Saint- 
Sébastien,  il  ne  cessa  de  témoigner  à  sa  mère  devenue 
souffrante  les  marques  de  la  plus  vive  tendresse.  Il 
semblait  qu'il  voulût  lui  rendre  à  son  tour  la  sollicitude 
qu'elle  lui  avait  autrefois  prodiguée  quand  il  était  enfant- 
La  collection  d'autographes  de  M,  Cheguillaume  contient 
d<es  lettres  trop  intimes  pour  être  publiées,  mais  qui  sont 
la  preuve  vivante  des  sentiments  de  Cambronne.  Sa  mère 
se  plaignait-elle  de  la  moindre  indisposition,  vite  il 
écrivait  au  docteur  Fouré  qui  jouissait  à  Nantes  d'une 


—  286  — 

véritable  célébrité,  lui  donnant  les  détails  les  plus 
minutieux  sur  les  symptômes  extérieurs  de  la  maladie  et 
lui  demandant  jusqu'au  moment  de  sa'  visite,  les  remèdes 
nécessaires  pour  calmer  les  douleurs  qu'éprouvait  la 
pauvre  maman.  Ces  attentions  toutes  filiales,  M"^^  Cam- 
bronne  dut  s'y  montrer  d'autant  plus  sensible  qu'elle  ne 
trouvait  pas  de  la  part  de  sa  fille  Justine  Lemerle  brouillée 
avec  elle  les  mêmes  témoignages  de  tendresse. 

Quand  elle  mourut  le  2  février  1819,  (1)  la  maison  de 
la  Treille  fut  mise  en  vente. 

Il  faut  croire  que  cette  maison  était  avantagement 
située,  car  dès  les  premiers  jours  les  acquéreurs  se  présen- 
tèrent assez  nombreux  à  l'étude  de  M^  Francheteau, 
notaire.  M.  Pesneau,  rue  Grétry,  revint  jusqu'à  trois  fois 
à  la  charge,  offrant  tour  à  tour  6,000,  puis  8,050  francs, 
enfin  9,000  fr.  de  l'immeuble  qui  fut  vendu  à  M.  René 
François  Tuai,  propriétaire,  quai  Turenne,  n'^  7,  pour  le 
prix  de  10,000  fr.  dont  3,000  fr.  versés  à  titre  d'arrbes  et 
7,000  fr.  portés  à  l'acte. 

Les  époux  Lemerle  touchèrent  leur  part  comptant  ; 
Cambronne  accepta  un  billet  payable  le  l^»"  mars  1821. 
L'acte  de  vente  porte  la  date  du  l^""  mars  1819. 

C'est  à  cette    vente    que   se    rapportent  les   quelques 


(1)  Actes  de  l'état-civil  de  la  commune  de  Saiiit-Sél)astieu.  Registre 
des  décès  de  1819. 

<(  Du  3  févFi«r  déclaration  de  4ècès  par  François  Bastard,  rece- 
veur des  contributions  directes  à  La  Bée  et  Jean  Audigand,  cultivateur 
à  La  Savarière,  non  parents  de  la  défunte,  de  Françoise  Adélaïde 
Druon,  âgée  de  78  ans,  originaire  de  la  ville  de  Noyon,  département 
de  l'Oise,  fille  de  feu  Charles  Druon  et  de  feue  dame  Marie-Louise 
Frassens,  veuve  de  feu  Pierre  Charles  Cambronne,  négociant  à 
Nantes,  morte  le  jour  d'hier  à  10  heures  du  soir  en  sa  demeure  au 
bourg.  » 


—  287  — 

lettres  d'atïaires  conservées  à  la  Bibliothèque  publique  de 
Nantes  et  qui  n'offrent  qu'un  intérêt  des  plus  doux.  Dans 
l'une  d'elles  où  il  invite  son  notaire  à  déjeuner,  relevons 
cette  pbrasc  amusante  :  (1) 

Je  ne  vous  offrirai  que  du  gras,  mon  curé  me  l'a  permis  tout 
le  carême,  mais  ne  pouvant  se  la  donner  à  lui-même,  je  n'ose 
pas  lui  faire  enfreindre  cette  règle  qui  les  fait  tant  vénérer. 

La  vente  de  cette  maison  donna  lieu  à  une  difficulté. 
Les  latrines  de  la  maison  étaient  placées  d'une  façon 
assez  singulière,  moitié  sur  le  terrain  de  la:  Treille,  moitié 
sur  un  terrain  voisin.  De  là  des  explications  que  le  nou- 
vel acquéreur,  M.  ïual,  sollicita  du  général  Gambronne 
qui  lui  répondit  par  le  billet  suivant  (2)  : 

Monsieur, 

Les  latrines  ont  toujours  existées  (sic).  Je  n'ai  aucun  titre  à  ce 
sujet. 

Recevez,  Monsieur,  mes  civilités. 

Cambronxe. 

Gambronne  et  sa  femme  continuèrent  à  recourir  fré- 
quemment aux  conseils  des  notaires  pour  leurs  divers 
placements.  C'est  ainsi  que  la  rédaction  de  prêts  hypothé- 
caires, de  main-levée  d'inscription,  de  quittances,  etc.,  les 
y  amenait  assez  souvent.  Presque  tous  les  notaires  de 
Nantes  firent  des  actes  pour  eux  :  celui  du. général  était 
Me  Franchcteau,  celui  de  M"^^-  Gambronne  était  M«  Chaillou 


(1)  Bil)liothèque  publique  de  Nantes.  Autograplies  de  Gambronne 
Lettre  du  27  février  1819. 

(2)  L'orif,nnal  de  ce  billet  figure  aux  archives  de  la  tabrique  de 
Saint-Sébastien,  ce  qui  s'explique  parce  que  la  propriété  de  la  Treille 
est  devenue  le  presbytère  actuel. 


—  288  — 

qui  avait  rédigé  son  contrat  de  mariagie  (i)  ;  parfois 
même  ils  employaient  M®  Barailler  (2). 

Auprès  de  Cambronne  vivait  la  sœur  de  sa  femme^ 
Agnès  Osburn,  dont  l'état  de  santé  précaire  avait  fourni,, 
en  1822,  au  général  le  prétexte  qu'il  cherchait  peut-être 
pour  être  admis  à  la  retraite.  Agnès  Osburn,  qui  était 
effectivement  très  malade  à  ce  moment,  avait  fait  son- 
testament  olographe  à  Saint-Sébastien,  le  4<""  septembre 
1822.  Elle  y  instituait  son  héritière  universelle  «  Madame 
la  vicomtesse  Cambronne,  sa  chère  sœur  ».  Elle  ne  mou- 
rut que  deux  ans  et  demi  plus  tard,  le  3  février  1825,. 
rue  Riicine,  3,  à  Nantes  (3),  ne  laisssant  d'ailleurs  rien. 

C'est  vers  la  fm  de  la  même  année,  le  31  décembre 
1825,  que  se  mariait  une  des  nièces  de  Cambronne,  Marie- 
llachel  Lemerle,  née  le  16  septembre  1808  (4).  Elle  épou- 
sait un   étranger,  Philippe-Jacob   Vincent,  né  le  5  jui». 

(1)  Actes  passés  le  13  mai  1820  (procuration),  le  31  mai  1820  (radia- 
tion d'hypothèque),  le  12  juillet  1820  (procuration  donnée  par  M™*^ 
Cambronne),  le  9  juillet  1821  (obligation  consentie  par  M™"  Cam- 
bronne), le  6  février  1822  (quittance  donnée  par  M™«  Cambronne),  le- 
30  mai  1828  (radiation  consentie  par  M"i«  Cambronne).  Ces  divers- 
actes  figurent  au  rang  des  minutes  de  M«  Chaillou,  notaire,  dont  le- 
successeur  actuel  est  M°  Ertaud. 

(2)  Le  2o  mai  1824,  vente,  par  acte  au  rapport  de  M"  Barailler,  no- 
taire ù  Nantes,  par  Jean  Vaillant,  cultivateur  et  Pei'rine  Denou,  so» 
épouse,  à  la  Louziniero,  en  Saint-Etienne-de-Mont-Luc,  à  M""  lu 
vicomtesse  Cambronne  d'une  métairie  à  la  Louzinière  (maison  et  jar- 
din, pièce  de  terre  à  labour,  vignes  et  prairies),  moyennant  le  pri.v  de 
6,000  francs. 

(3)  L'acte  de  décès  lui  donne  i^JG  ans:  il  constate  qu'elle  est l'épouse- 
d'Alin  Pollock,  négociant,  domicilié  à  Glascow.  Un  des  témoins  de  la 
déclaration  de  décès  est  François  Guidon,  cocher  de  M"*"  Cambronne, 

(4)  Son  acte  de  naissance  donne  à  son  père,  Armand-Pierre 
Lemerle,  qui  devint  plus  tard  employé  des  contributions  directes,  la- 
profession,  piquante...  ù  noter,  de  marchand  de  moutarde. 


—  289  — 

1798  à  Fœlz  (Bavière),  mais  le  général,  brouillé  alors  avec 
sa  sœur,  n'assista  pas  au  mariage. 

Autant  Cambronne  semblait  alors  mal  disposé  pour  sa 
propre  famille,  autant  il  témoignait  d'affection  à  sa 
femme  qui  le  lui  rendait  bien.  C'est  à  la  réciprocité  de 
ces  sentiments  qu'il  faut  attribuer  la  rédaction  des  testa- 
ments qu'ils  se  firent  l'année  suivante. 
•  Celui  du  général,  reru  par  M^  Barailler  le  29  avril  182G, 
s'exprime  ainsi  : 

Je  révoque  tous  autres  testaments  et  codicilles  que  je  pour- 
rais avoir  faits,  voulant  que  celui  que  je  vais  dicter  soit  seul 
exécuté  comme  contenant  l'expression  de  ma  dernière  volonté. 

J'institue^  ma  légataire  universelle  M'ne  Marie  Cambronne, 
mon  épouse,  demeurant  avec  moi,  voulant  qu'elle  jouisse  et  dis- 
pose en  pleine  propriété  de  tous  les  biens  meubles  et  immeubles 
qui  se  trouveront  m'ap])artenir  et  composer  ma  succession,  en 
quoique  le  tout  puisse  consister,  soit  dû  ou  situé  sans  exception 
ni  réserve  aucune. 

Le  testament  de  M"»*'  Cambronne,  également  authen- 
tique au  rapport  du  même  notaire,  est  à  la  date  du  31 
mai  182G.  Cambronne  y  était  institué  son  légataire  uni- 
versel. 

Pourquoi  Cambronne  eut-il  des  craintes  quant  à  la 
validité  du  testament  que  nous  venons  de  rapporter? 
nuus  ne  savons,  toujours  est-il  qu'en  1835,  il  en  fit  un 
second  olographe  enregistré  le  20  octobre  de  cette  année 
et  qui  n'était  au  surplus  que  la  confirmation  du  premier 
daas  ses  dispositions  : 

Ceci  est  mon  testament  : 

J  Institue  mon  iiérilière  universelle  de  tous  les  biens  meubles 
et  immeubles  que  je  délaisserai,  ma  femme  la  vicomtesse  Cam- 
bronne, je  veux  qu'au  moment  de  mon  décès  elle  soit  saisie  de 
toute  ma  succession. 

19 


—  290  — 

Le  présent  est  fait  en  cas  que  le  testament  fait  devant  M. 
Barailler,  notaire  l'an  dix-huit-cent-vingt-six,  le  vingt  neuf  avril, 
ait  quoique  difficulté  ou  quelque  chose  contestable;  sans  cela  je 
no  l'aurais  pas  fait^  ne  voulant  pas  le  détruire,  au  contraire  lui 
donner  plus  de  force. 

Tous  testaments  ou  donations  faits  avant  ce  temps  sont  nuls, 
c'est-à-dire  ceux  faits  avant  celui  de  M.  Barailler.  Le  tout  est 
écrit  de  nia  main. 

L.  V.  Cambronne, 

ou  le  Vicomte  Cambronne. 

M.  et  M"»'  Cambronne  n'avaient  pas  d'enfants  et  n'étaient 
guère  destinés  à  en  avoir,  à  l'âge  déjà  avancé  auquel  ils 
avaient  contracté  mariage.  Ils  avaient  désiré  en  adopter 
un,  de  préférence  une  fille  et  s'étaient  adressés  tout 
d'abord  à  leur  propre  famille.  M"»'  Lemerle  pressentie 
avait  refusé  cette  proposition,  delà  la  brouille  que  nous- 
signalions  plus  haut,  puis  ils  frappèrent,  alors  qu'ils  habi- 
taient Lille,  à  la  porte  de  Marc  Cambronne^  un  des  cousins 
germains'  du  général,  qui  s'était  fixé  vers  1810  dans  cette 
ville  et  qui  avait  une  fille  Louise  alors  âgée  de  quatorze 
ans.  Même  refus  de  ce  côté  ainsi  que  de  la  part  d'un  autre 
cousin,  Pierre  Viéville  dont  la  fille  Adèle  —  de  qui  nous 
tenons  ces  détails  —  vit  encore  aujourd'hui  à  Arras. 

C'est  alors  que  M.  et  M"»e  Cambronne  durent  chercher 
en  dehors  de  leur  famille.  Il  y  avait  à  cette  époque  à 
Lille  une  famille  Adamson,  d'origine  anglaise,  dont  la 
mère  était  venue  s'établir  en  France  pour  compléter 
l'instruction  et  l'éducation  "de  ses  enfants.  Rappelée 
brusquement  en  Angleterre,  M™«  Adamson  se  trouva  fort 
embarrassée  ;  sa  plus  jeune  enfant,  alors  âgée  de  deux 
ans  à  peine,  était  atteinte  de  la  coqueluche  et  tout 
déplacement  pouvait  être    dangereux   pour  la  santé   et 


—  291  — 

même  pour  la  vie  de  cette  fillette.  M^^  Gambronne  offrit 
de  la  garder  provisoirement,  ce  qui  fut  accepté,  mais 
elle  s'attacha  bien  vite  à  l'enfant  et  c'est  ainsi  que  le 
provisoire  devint  définitif.  Le  général  habitait  alors  à 
Lille,  rue  des  Tours,  12,  il  se  fixa  plus  tard  rue  de  l'Hôpi- 
tal-Militaire,  où  était  le  quartier  général. 

La  jeune  Sophie-Catherine  Adamson  grandit  et  en 
1836,  au  mois  de  mai,  elle  épousait  à  Nantes  M.  Victor- 
Marie  Roussin,  alors  avocat,  dont  le  père  était  directeur 
des  domaines.  L'acte  de  mariage  porte  que  la  jeune 
mariée^  née  le  14  août  1818,  à  Lambeth  (Angleterre)  — 
elle  n'avait  donc  pas  encore  dix-huit  ans  —  est  fille  de 
M.  John  Adamson,  négociant  et  de  dame  Elisabeth- 
Catherine  Weber,  son  épouse. 

En  témoignage  de  leur  tendre  affection  pour  la  future 
qu'ils  avaient  élevée  et  qu'ils  manifestaient  l'intention 
d'adopter  dans  la  forme  légale  dès  qu'elle  aurait  atteint 
sa  majorité,  M.  et  M™«  Gambronne  lui  faisaient  don,  pour 
en  jouir  au  décès  du  dernier  d'entr'eux,  de  leur  propriété 
de  La  Baugerie  et  d'une  somme  de  20,000  fr.  à  prendre 
sur  la  succession  de  M'»^  Cambonne.  D'autres  donations 
éventuelles  lui  étaient  également  faites  dans  le  contrat 
de  mariage. 

M.  et  M°ie  Roussin  vivent  encore  dans  leur  beau 
manoir  de  Keraval  en  Plomelin,  sur  les  bords  de  l'Odet, 
à  quelques  kilomètres  au-dessous  de  Quimper.  Nous  avon& 
eu  la  bonne  fortune  d'être  reçu  par  eux  avec  une  extrême 
bienveillance  et  de  recueillir  de  leur  bouche  plus  d'un 
renseignement,  dont  nous  avons  fait  usage  au  cours  de 
ce  volume.  Point  n'est  besoin  de  dire  qu'ils  ont  conservé 
le  souvenir  le  plus  touchant  du  général  Gambronne  et  de 
sa  femme,   et  que   plus   d'un  objet  leur  rappelle  cons- 


—  292  — 

tamment  la  mémoire  de  ceux  que  M^^  lloussin  n'hésite 
pas  à  considérer  comme  son  père  et  sa  mère.  C'est  ainsi 
qu'elle  les  traite  quand  la  conversation  revient  sur  eux, 
et  elle  n'en  parle  jamais  sans  une  émotion  communica- 
tive.  Là  se  gardent  encore  .comme  autant  de  précieux 
souvenirs,  des  lettres  intimes  de  M.  et  M^^  Cambronne, 
les  épaulettes  de  général  de  brigade  de  Cambronne,  son 
crachat  de  commandeur  de  la  légion  d'honneur,  sa 
croix  d'officier,  sa  croix  de  chevalier  de  Saint-Louis, 
reliques  précieuses,  les  mèches  blanches  de  ses  cheveux 
bouclés,  son  buste  d'après  Amédée  Ménard,  là  se  gardait 
;;ussi  une  épée  de  parade  offerte  depuis  par  M.  lloussin, 
à  la  ville  de  Nantes,  déposée  au  musée  départemental 
d'archéologie,  mais  que  Cambronne  n'a  jamais  portée  à 
Waterloo,  contrairement  à  l'indication  du  catalogue  de 
ce  musée. 


CHAPITRE  XX 

CARACTÈRE     DE     ÇAMBRONNE 

Du  caractère  de  Gambronne,  il  est  permis  de  dire  que 
la  bravoure  et  la  franchise  en  furent  les  traits  principaux. 
Il  était  foncièrement  bon,  disposé  à  obliger  les  gens,  veil- 
lant pourtant  de  près  à  ses  intérêts.  Etait-il  violent  et 
enclin  à  l'ivrognerie,  comme  le  prétendaient,  dans  un 
esprit  de  parti,  les  rapports  policiers  du  vicomte  de  Car- 
daillac,  sous  la  Restauration?  Rien  ne  l'établit.  La  lé- 
gende, ce  chiendent  de  l'histoire,  veut  qu'étant  chef  de 
bataillon,  un  soir  de  banquet,  sous  l'influence  de  quelques 
verres  de  vin  de  trop,  Gambronne  se  soit  pris  de  querelle 
avec  son  colonel, 

«  La  dispute  s'échauffe,  dit  Rogeronde  La  Vallée  qui  recueille 
l'anecdote  comme  véfidique,  on  se  provoque,  on  tire  l'épée  ;  les 
deux  adversaires  s'alignent,  se  battent;  le  colonel  tombe  percé 
au  sein  gauche  :  Gambronne  le  croit  mort.  Alors,  dans  sa  tête 
s'opère  une  soudaine  révolution.  Il  se  désole,  il  verse  des  larmes, 
et-rendu  à  la  raison,  il  jure  de  se  passer  de  vin  pendant  quatre 
ans  et  de  ne  boire  de  liqueurs  de  sa  vie.  Cependant  son  ami 
guérit  de  ses  blessures,  mais  Gambronne,  fidèle  à  son  serment, 
n'en  resta  pas  moins  pendant  nenf  ans  sans  boire  autre  chose  que 
de  l'eau,  et  jamais  depuis  il  n'a  goûté  de  liqueurs.  » 

A  ce  récit  d'un  duel  étrange  entre  un  colonel  et  l'un  de 
ses  chefs  de  bataillon,  contraire  à  toutes  les  règles  de  la 
discipline  et  que  l'empereur  n'eût  pas  toléré  sans  répres- 
sion, nous  avons  à   opposer  une  enquête  édifiée  par  le 


•—  294  — 

ministre  de  la  guerre  (1),  lorsqu'à  la  mort  de  Cambronne 
des  admirateurs  du  général,  préoccupés  ajuste  titre  de  ce 
reproche  d'ivrognerie,  voulurent  tirer  le  fait  au  clair. 

Les  uns  racontaient  les  choses  comme  Rogeron  de  La 
Yallée,  les  autres  y  ajoutaient  une  histoire  de  conseil  de 
guerre,  une  condamnation  à  mort  de  Cambronne  qui 
avait  porté  la  main  sur  un  de  ses  supérieurs,  puis  la  grâce 
de  la  peine  prononcée  contre  lui  et,  à  la  suite  de  cette 
grâce,  le  serment  de  ne  plus  jamais  boire  de  vins  et  de 
iiqueurs. 

De  l'enquête  ouverte  alors,  il  résulta  que  jamais  il 
n'avait  comparu  devant  un  conseil  de  guerre,  que  jamais 
il  ne  s'était  battu  en  duel  avec  un  de  ses  chefs  et  qu'il  n'y 
avait  là  qu'une  de  ces  inventions  qui  ont  trop  souvent  des 
racines  indestructibles.  A  l'exception  de  sa  querelle  avec 
le  maire  de  Guérande  —  affaire  d'ailleurs  sans  grande 
portée  —  nous  n'avons  rien  découvert  qui  pût  donner 
quelque  fondement  à  ce  singulier  reproche. 

Peut-être  était-il  violent  et  colère  :  encore  faudrait-il 
«avoir  si  les  motifs  qui  le  poussaient  à  cette  irritation 
n'étaient  pas  de  nature  à  l'atténuer. 

«  D'une  extrême  exactitude,  dit  le  docteur  Priou,  dans 
l'accomplissement  de  ses  devoirs,  d'une  grande  rigidité 
pour  la  discipline,  sans  laquelle  l'existence  d'une  armée 
m'est  pas  plus  possible  que  celle  d'un  gouvernement  sans 
lois,  Cambronne  exigeait  toujours  une  grande  ponctualité 
dans  le  service.  Il  avait  le  plus  grand  soin  des  soldats  au 
bivouac  ou  dans  les  expéditions.  Jamais,  quand  on  arri- 
vait au  terme  de  la  course  on  ne  le  vit,  non  pas  se  mettre 
à  table  ou  se  coucher,  mais  même  s'asseoir,  avant  d'être 

(1)  Archives  du  Ministère  de  la  guerre. 


—  295  — 

allé  s'assurer  par  lui-même  si  les  distributions  (quand  il 
y  en  avait)  étaient  faites,  si  le  soldat  avait  du  bois,  de  la 
paille,  etc.  Aussi,  les  militaires  qui  le  voyaient  partager 
leurs  fatigues,  ne  murmuraient  pas.  Combien  de  fois  mit- 
il  pied  à  terre  pour  monter  une  colline  un  peu  raide  afin 
que  le  soldat,  harrassé,  n'eut  pas  à  se  plaindre  de  l'obli- 
gation de  la  franchir  avec  peine  tandis  que  le  chef  se 
transportait  à  cheval. 

»  Le  caractère  de  Gambronne  se  composait,  comme  on 
l'a  fait  remarquer,  de  deux  éléments  qui,,  d'abord,  sem- 
blent incompatibles  mais  qu'on  trouve  souvent  réunis 
dans  la  même  personne  :  c'est  une  brusquerie,  un  empor- 
tement quelquefois  extrême  joints  à  une  sensibilité 
profonde. 

»  Gambronne  se  laissait  facilement  emportera  la  colère. 
Il  frappait  même  promptement  et  à  plusieurs  reprises, 
des  soldats  traînards  et  raisonneurs.  «  Des  coups  de  plat 
de  sabre,  disait-il,  ne  déshonorent  pas  ;  mais  jamais  je  ne 
frapperai  d'un  bâton  un  homme  vêtu  de  l'uniforme.  » 

»  Incorruptible,  on  ne  vit  jamais  Gambronne  transiger 
avec  son  devoir  pour  des  poignées  d'or,  ainsi  que  tant 
d'autres  le  faisaient  et  comme  l'exemple  du  chef  est  tout 
puissant,  ses  officiers  ne  se  permettaient  aucune  exaction, 
aucune  capitulation  de  conscience.  » 

Nous  trouvons  ce  qui  suit  dans  la  lettre  du  docteur 
Gaultier  de  Glagny,  qui  servit  pendant  quatre  ans  en 
Espagne,  en  qualité  de  chirurgien-major,  dans  le  régiment 
commandé  par  Gambronne  : 

Dans  la  triste  et  déplorable  guerre  do  la  Vendée,  sous  la 
Convention,  le  brave  nantais  était  lieutenant  d'une  compagnie  de 
grenadiers,  des  bleus,  comme  le  disaient  les  paysans.  Dans  une 
retraite  où  l'armée  était  vivement  poussée  et  où  tous  les  traînards 


—  296  — 

étaient  égorgés  sans  pitié,  Cambronne  faisait  partie  de  l'arrière- 
garde.  Epuisé  de  besoin,  lo  sentiment  de  la  conservation  céda 
chez  lui  à  la  nécessité  du  repos  et  de  la  réfection  alimentaire.  Il 
s'arrêta  dans  une  auberge  et  se  fit  servir  à  manger. 

Bientôt  l'arrivée  des  éclaireurs  vendéens  fit  fuir  les  derniers 
soldats  arrêtés  dans  l'auberge.  Cambronne,  averti  de  l'approche 
do  l'ennemi,  répondit  :  Advienne  que  pourra!  Je  meurs  do 
faim,  je  suis  las,  je  m'arrête  et  je  mange. 

Bientôt  il  est  seul  et  loin  des  derniers  bleus.  Bientôt  aussi 
arrive  une  petite  troupe  d'officiers  et  de  soldats  vendéens  qui 
s'étonnent  de  voir  un  officier  de  bleus  assis  à  une  table.  Cam- 
bronne, sans  s'émouvoir,  leur  dit  ;  Je  n'ai  pas  peur  de  votre 
arrivée.  De  braves  gens  n'égorgent  pas  un  soldat  sans  défense. 
D'ailleurs  je  suis  Cambronne  et  j'ai  eu  confiance  en  vous.  Buvons 
ensemble.  Il  ne  les  avait  pas  mal  jugés.  Ces  vendéens  burent 
avec  lui,  admirèrent  son  courage  tranquille  et  se  hâtèrent  de  le 
reconduire  aux  avant-postes,  avant  l'arrivée  du  gros  de  leur 
troupe.  Cambronne,  en  me  racontant  cette  circonstance  de  sa  vie, 
n'en  tirait  point  vanité  ;  il  avait  pour  but  de  prouver  que,  dans 
les  guerres  civiles,  il  y  a  un  sentiment  de  fraternité  entre  les 
braves.  Et  quand  il  me  racontait  ce  fait,  il  y  avait  dans  notre 
régiment  d'anciens  officiers  qui  en  avaient  une  connaissance 
entière. 

Sa  modestie  était  extrême,  il  ne  s'en  croyait  pas  et 
c'est  ainsi  qu'il  fallut  lui  forcer  la  main  pour  l'obliger  à 
accepter  un  avancement  auquel  il  prétendait  n'avoir  pas 
autant  de  droits  que  tel  autre  de  ses  camarades.  C'est 
dans  le  même  ordre  d'idées  qu'il  fut  toujours  si  difficile 
d'obtenir  de  lui  une  déclaration  nette  sur  les  paroles  de 
Waterloo.  En  les  avouant,  il  craignait  de  faire  montre 
d'une  pointe  d'orgueil  qui  lui  répugnait  au-delà  de  tout. 

Rentré  dans  la  vie  civile,  il  redevint  plus  que  jamais 
l'homme  simple  que  nous  cherchons  à  dépeindre.  Il  était 
fort  lié  avec  la  famille  Gheguillaume  qui  tenait  un  maga- 
sin de  draps  rue  de  la  Poissonnerie  à  Nantes,  avant  d'aller 


—  297  — 

s'installer  rue  de  Briord.  Cambronne  cousinait  avec  les 
Cheguillaiime.  Il  y  dînait  souvent,  assaisonnant  le  repas 
de  plaisanteries  qu'il  ne  dédaignait  pas.  Ecrivait-il  pour 
accepter  une  invitation,  il  commençait  ainsi  sa  lettre  : 
«  Monsieur  le  jardinier  commandeur  »,  faisant  allusion  à 
l'acquisition  par  M.  Cheguillaume  d'une  propriété  dite  La 
Clochette  en  Doulon  et  il  signait  à  la  Cincinnatus  :  «  L.  V. 
Cambronne,  agriculteur  »  (1).  Une  autre  fois,  il  envoya  à 
«  sa  chère  parente  »,  M^^  Cheguillaume  «  les  verds 
»  pourris  dont  sa  demoiselle  a  besoin  pour  faire  les  pieds 
»  de  ses  fleurs.  » 

Fait-il  un  marché  avec  un  fournisseur  quelconque, 
c'est  lui  qui  rédige  les  sous-seings  sur  timbre  pour  que 
toutes  choses  soient  en  règle.  Nous  avons  sous  les  yeux 
des  doubles  d'un  marché,  daté  du  28  avril  1840  et  passé 
pour  des  barriques  neuves  avec  Touplain,  tonnelier  au 
bourg  de  Saint-Sébatien.  Il  est  de  la  main  de  Cambronne 
qui,  détail  piquant,  s'y  qualifie  de  sieur  :  «  M.  Touplain 
vend  au  sieur  Cambronne  »....  «  Le  sieur  Cambronne 
indiquera  l'époque  de  la  livraison  »,  et  le  sieur  Cambronne 
signe  le  vicomte  Cambronne. 

A  Saint-Sébastien,  il  voisinait  avec  un  de  ses  anciens 
compagnons  d'armes,  le  général  Dumoustier.  Les  deux 
héros  avaient  abandonné  le  sabre  pour  l'aiguille  et  se 
distrayaient  à  faire  de  la  tapisserie,  à  broder  au  canevas. 
Nous  avons  trouvé  dans  un  des  salons  du  château  de 
Keraval,  un  ameublement,  chaises  et  canapé  en  acajou, 
style  empire,  dont  la  tapisserie  est  l'œuvre  du  général. 
A  droite  et  à  gauche  du  canapé,  des  bouquets  de  fleurs  ; 
au  centre  les  deux  initiales  C.  S  (Cambronne  Sword)    en- 

(1)  Lettre  autograpiie  du  14  juin  1833  (collection  Cheguillaume)- 


—  298  — 

trelacées,  à  moins  encore  qu'il  n'ait  fait  ce  travail  pour  sa 
fille  adoptive  qui  le  possède  toujours  et  qu'il  ne  faille 
plutôt  lire  ces  deux  lettres  autrement  S.  C.  (Sophie 
Cambronne). 

C'est  une  tradition  inébranlable  à  Saint-Sébastien,  que 
lorsque  les  enfants  du  bourg  revenaient  de  l'école,  il  les 
arrêtait,  tirait  de  sa  poche  une  poignée  de  sous,  les  leur 
jetait  et  se  divertissait  de  voir  lequel  serait  le  plus  agile  et 
le  plus  adroit.  Il  avait  d'ailleurs  des  consolations  pour  les 
vaincus.  Parfois  au  lieu  de  lancer  les  sous  sur  la  route, 
il  les  jetait  dans  une  mare  peu  profonde  et  c'était  à  qui 
barboterait  le  mieux  pour  cette  pêche  d'un  nouveau 
genre.  Il  le  faisait  dans  le  but  de  dresser  les  enfants  à 
n'avoir  peur  de  rien.  Un  jour,  un  brave  homme  se  plaignait 
de  voir  son  fils  grimper  dans  des  arbres.  «  Laissez  le,  répon- 
dit-il, c'est  ainsi  qu'on  apprend  à  bien  monter  à  l'assaut.  » 

Il  était  heureux  de  pouvoir  rendre  service.  Nous  avons 
entendu  raconter  par  M.  Garreau,  l'entrepreneur  de  tia- 
vaux  publics  bien  connu,  plus  que  nonagénaire  aujour- 
d'hui, un  curieux  détail  au  sujet  de  l'immeuble  à  cent 
jours  qu'il  a  construit  à  l'angle  de  la  rue  Piron  et  de  la 
rue  de  l'Héronnière.  Il  n'était  pas  riche  alors  et  suffisait 
à  peine  à  payer  les  ouvriers  au  fur  et  à  mesure  que  les 
travaux  avançaient.  Il  s'en  fut  trouver  le  général  Cam- 
bronne qui  venait  de  toucher  le  legs  à  lui  fait  par 
Napoléon  et  qui  prêta  20,000  francs  de  la  main  à  la  main 
au  jeune  entrepreneur.  Plus  tard,  la  maison  achevée, 
uae  dame  espagnole  en  acquit  le  rez-de-chaussée,  juste 
le  prix  de  20,000  francs,  qui  servirent  à  rembourser  le 
général  (1). 

(1)  Souvenirs  d'un  vieux  nantais,  p.  178. 


—  299  — 

Tout  le  monde  a  entendu  parler  du  livre  de  comptes 
que  tenait  Cambronne  vers  la  fin  de  sa  vie  et  dont  un 
feuillet  a  été  reproduit  dans  V Autographe  {xi°  22,  15  oc- 
tobre 1864).  Ce  qu'il  offre  de  curieux,  c'est  qu'à  côté  de 
chaque  article  et  en  regard  du  chiffre  le  général  a  esquissé 
sommairement  le  dessin  de  l'objet  acheté.  Il  fait  l'em- 
plette de  350  bouteilles,  il  inscrit  le  prix  total,  65  francs 
et  dessine  ensuite  trois  grandes  bouteilles  portant  chacune 
le  nombre  100  et  une  plus  petite  avec  le  nombre  50.   Il 

paie  la  cuisinière,  ci 50  francs  et  se  paie  la  tête  de 

Marie  avec  sa  coiffe  et  un  sac  d'écus  à  la  main.  Nous 
retrouvons  plus  loin  un  fromage  de  gruyère  où  les  ijeux 
ne  sont  pas  oubliés,  un  pantalon  à  pont  pour  Joseph, 
une  robe  de  soie  pour  Madame,  une  échelle  double,  une 
vache  (135  fr.)  et  jusqu'à  deux  pots  de  chambre  à  1  fr.  75 
chaque  -  c'est  ainsi  que  le  général,  qui  n'a  jamais  craint 
d'employer  le  mot  propre,  qualifie  ces  lacrymatoires  noc- 
turnes. 

Ces  livres  de  comptes  sont  aujourd'hui  aux  mains  de 
M.  Victor  Roussin,  mais  quand,  à  la  mort  de  madame 
Cambronne,  il  en  obtint  la  remise,  ils  étaient  restés  pen- 
dant quelque  temps  à  la  disposition  du  premier  venu  et 
il  en  manquait  déjà  plusieurs  feuillets.  On  se  les  arrachait 
comme  des  reliques  :  celui  qui  avait  la  chance  d'en  possé- 
der une  page  la  découpait  en  lanières  pour  en  donner 
des  morceaux  à  ses  amis.  Un  certain  nombre  de  Nantais 
doivent  en  posséder.  Nous  en  devons  un  demi-feuillet  à  la 
gracieuseté  de  M.  le  docteur  Poisson. 

Nous  possédons  également  un  autre  dessin  du  général 
Cambronne,  mais  plus  soigné-  et  plus  intéressant.  C'est 
celui  des 'armoiries  qu'il  avait  commandées  à  son  carros- 
sier, M.  Lafont,  pour  mettre  sur  la  portière  de  sa  voiture. 


-  300  — 

Elles  ne  reproduisent  pas  ses  armes  officielles  telles 
qu'elles  figurent  à  ses  lettres  patentes, 

L'écu  est  écartelé  au  l»""  d'argent  à  deux  roses  de 
gueules,  boutonnées  de  môme,  tigées  et  feuillées  de  si- 
nople  ;  au  2"  d'azur  au  cheval  gai,  d'argent  ;  au  3^  de 
gueule  à  l'épée  haute  d'argent,  quartier  des  barons  de 
l'Empire  ;  au  4®  d'argent,  portant  au  centre  un  écu  ovale 
chargé  d'une  étoile,  timbré  d'un  casque  de  face,  deux  dra- 
peaux passés  en  sautoir  derrière  l'écu,  le  tout  de  sable 
accompagné  en  chef  de  deux  étoiles  d'azur. 

Ces  armoiries  sont  timbrées  d  une  toque  de  velours  à 
triple  panache  d'argent  et  portent  en  pointe  la  croix  de  la 
Légion  d'honneur. 

Nous  les  reproduisons  dans  ce  volume. 


CHAPITRE  XXI 

DERNIERS    ACTES    DE    LA    VIE    PUBLIQUE 

Tant  que  dura  la  monarchie  légitime,  Cambronne 
demeura  étranger  à  toute  manifestation  publique.  Même, 
quand  les  trois  glorieuses  firent  de  nouveau  flotter  en 
France  le  drapeau  tricolore,  le  vieux  général  qui  ne  se 
considérait  peut  être  pas  comme  délié  de  ses  obligations 
envers  les  Bourbons  de  la  branche  aînée  par  l'avènement 
de  Louis-Philippe,  persista  à  se  tenir  dans  un  isolement 
absolu.  D'après  les  renseignements  de  M.  Victor  Roussin, 
alors  que  la  lutte  se  prolongeait  dans  les  rues  de  Nantes, 
on  vint  le  chercher  à  sa  campagne  pour  le  mettre  à  la 
tète  du  mouvement,  mais  il  refusa  énergiquement  pour 
ne  pas  violer  le  serment  qu'il  avait  prêté  à  la  royauté 
tombée,  et  c'est  ce  qui  nous  donne  à  penser  que  Levot  a 
dû  faire  erreur,  quand  il  nous  le  montre  pérorant  à  l'un 
des  nouijjreux.  banquets  patriotiques  qui  s'organisaient 
alors. 

Toutefois,  s'il  s'obstina  à  demeurer  en  dehors  du 
mouvement  politique  d'alors,  comme  l'avaient  fait 
d'aulros  illustrations  de  la  révolution  et  de  l'empire,  il 
piolita  des  bonnes  dispositions  du  gouvernement  de 
juillet  pour  réclamer  le  29  septembre  1831,  la  croix  de 
grand  olïicier  de  la  légion  d'honneur,  que  Napoléon  lui 
avait  donnée  pendant  les  Cent  jours  et  que  la  restauration 
malgré  sa  bienveillance  pour  lui  n'avait  jamais  voulu 
reCvKiiiailre. 


-  302  — 

Le  28  novembre  suivant,  le  Roi  le  confirmait  dans  son 
grade 

Cinq  ans  plus  tard,  Louis  Philippe  fit  plus  et  mieux.  Il 
ordonna  de  graver  le  nom  de  Gambronne  sur  la  partie 
nord  de  l'arc  de  triomphe  de  TEtoile,  et  le  15  décembre 
1836,  il  lui  fit  écrire  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  le  Maréchal  de  camp, 

J'ai  fhonneur  de  vous  envoyer  deux  exemplaires,  l'un  en 
argent,  l'autre  en  bronze,  de  la  médaille  frappée  à  l'occasion  der 
l'inauguration  de  l'arc  de  triomphe  de  l'Etoile. 

Ce  souvenir  d'une  grande  époque  vous  était  dû. 

Il  vous  rappellera  à  la  fois  de  glorieux  événements  et  la  part 
illustre  que  vous  y  avez  prise. 

Si  Gambronne  se  montra  touché  de  ce  souvenir  offert 
avec  tant  de  délicatesse,  il  fut  par  contre  très  sensible  à 
l'oubli  qu'on  fit  de  lui,  lorsqu'il  s'agit  d'aller  chercher  les 
restes  de  l'empereur  à  Sainte-Hélène,  mais  il  ne  crut  pas 
de  sa  dignité  de  solliciter  l'honneur  de  faire  partie  de 
l'expédition. 

Déjà,  s'il  faut  en  croire  les  confidences  de  son  ami 
Dalidet,  Gambronne,  prisonnier  et  malade  en  Angleterre, 
avait  supplié  l'empereur  de  l'admettre  auprès  de  lui  sur 
le  Bellérophon.  Napoléon  fut  sur  le  point  de  céder,  puis 
il  se  ravisa  pour  ne  pas  augmenter  inutilement  le  nombre 
de  ceux  à  qui  il  allait  faire  partager  sa  misérable  existence 
et  adressa  un  ■souvenir  au  général. 

Il  ne  devait  donc  ni  accompagner  l'empereur  à  Saint- 
Hélène,  ni  aller  l'y  chercher.  Toutefois,  de  retour  de  ce 
long  exil,  le  maréchal  Bertrand  envoya  au  général  Gam- 
bronne un  fragment  de  pierre  du  tombeau  de  Napoléon, 
avec  cette  épigraphe  :  Au  général  Gambronne,  comman- 
dant la  garde  à  l'île  d'Elbe  et  la  lettre  suivante  : 


—  303  — 

Châteauroux,  le  31  juillet  1841. 
Mon  cher  général, 

J'ai  reçu  de  vos  nouvelles  avec  le  plus  grand  plaisir,  par  votre 
lettre  du  28  juin. 

Vous  deviez  nécessairement  êti'e  compris  dans  l'envoi  que  j'ai 
fait  de  quelques  souvenirs  de  Sainte-Hélène,  vous,  notre  bon 
camarade  de  l'isle  d'Elbe. 

Le  pauvre  Drouot  est  bien  infirme,  de  corps,  c'est  à  dire  ;  car 
le  cœur  et  la  tête  sont  les  mômes  chez  lui. 

Recevez,  mon  cher  général,   l'expression  de  mes  sentiments 

affectueux  et  de  considération  affectueuse. 

Bertrand. 

Nous  avons  vu  cette  lettre,  cette  pierre  et  une  branche 
du  saule  qui  ombrageait  le  tombeau  de  l'empereur.  Elles 
sont  gardées  avec  un  soin  pieux  par  la  famille  Roussin 
ainsi  que  la  longue-vue  de  Cambronne,  dont  l'empereur, 
au  retour  de  l'île  d'Elbe,  se  servit  pour  découvrir  les  côtes 
de  France. 

S'il  faut  en  croire  M.  Adolphe  Orain,  l'écrirain  rennais 
bien  connu,  le  24  février  1840,  au  soir,  le  maire  de  Bain- 
de-Bretagne  reçut  la  visite  d'un  étranger  exténué  de 
fatigue  et  qui  semblait  en  même  temps  dénué  de  ressources. 
Il  venait  de  Neufchâtel  et  voyageait  avec  un  passe-port 
délivré  par  le  consul  français  de  cette  ville  à  un  officier 
polonais.  « 

Pendant  que  le  maire  parcourait  les  papiers  de  l'étran- 
ger qui  sollicitait  un  billet  de  logement,  celui-ci  aperçut 
sur  la  muraille,  entre  une  giberne  et  un  sabre,  le  portrait 
de  Napoléon  P^ 

—  Vous  avez  militaire  ?  dit-il  à  M.  Blandin. 

—  Vingt-deux  ans,  répondit  le  maire.  Je  suis  parti,  en 
4793,  et  j'ai  fini  sous  NapoIéon-le- Grand. 

—  Vous  l'aimiez  bien  votre  empereur  ? 


—  304  — 

—  Ah  !  si  je  l'aimais,  soupira  le  vieux  soldat,  dont  les 
yeux  se  remplirent  de  larmes. 

—  Alors,  apprenez  qui  je  suis  :  Vous  avez  devant  vous, 
Louis-Napoléon,  fils  du  roi  de  Hollande. 

A  cette  déclaration,  M.  Blandin  fut  saisi  d"une  sorte  de 
tremblement  nerveux.  (Juoi  ?  s'écria-t-il  en  regardant 
lixement  le  jeune  homme  étranger,  j'aurais  chez  moi  un 
neveu  du  Grand  Empereur,  de  mon  ancien  général.  Ah  ! 
c'est  là  un  bonheur  que  je  payerais  de  mon  sang. 

—  Eh  bien  !  si  c'est  là  pour  vous  un  bonheur,  vous 
pouvez  vous  en  assurer. 

Le  jeune  prince,  car  c'était  lui,  mit  sous  les  yeux  du 
maire  divers  papiers  de  famille  et  lui  donna  quelques 
explications  qui  dissipèrent  les  doutes  qu'il  aurait  pu 
avoir. 

Louis-Napoléon  venait  de  voir  sa  mère  mourante  à 
Neufchàtel.  N'ayant  pu  obtenir  du  Gouvernement  la 
permission  de  traverser  la  France,  il  avait  demandé  un 
passe-port  de  réfugié  polonais,  qui  lui  avait  été  délivré, 
et  c'était  sous  ce  titre  qu'il  voyageait,  afin  d'aller 
s'embarquer  au  plus  prochain  port  de  mer. 

Le  maire  lui  demanda  la  permission  de  l'embrasser  et 
voulut  le  garder  à  souper  et  coucher. 

Le  prince  n'accepta  pas  l'hospitalité  qui  lui  était  offerte 
et  réclama  seulement  un  billet  de  logement. 

M.  Blandin  ne  pouvant  vaincre  sa  résistance,  l'envoya 
àrhùtel  de  la  Croix-Verte  en  lui  offrant  quelque  argent. 

—  Il  me  reste  cinq  francs,  répondit  Louis-Napoléon, 
et  cela  me  suffit  pour  me  rendre  à  Nantes,  où  Gambronne 
me  donnera  ce  qu'il  me  faut. 

Avant  de  preadre  congé  du  maire,  il  s'informa  s'il 
avait  été  récompensé  de  ses  longs  services  militaires.  Sur 


—  305  — 

la  réponse  négative  de  ce  dernier,  le  prince  ajouta  :  «  Si 
la  Providence  m'appelle  au  trône  de  Napoléon  I^r,  dont  je 
suis  l'héritier,  je  n'oublierai  pas  les  anciens  militaires.  » 

Il  prit  ensuite  congé  du  maire  et  se  rendit  à  l'hôtel  de 
la  Croix-Verte,  où  il  soupa,  dans  la  cuisine,  de  pommes 
de  terre  frites  arrosées  d'un  verre  de  cidre. 

M,  Blandin  alla  faire  part  de  la  visite  qu'il  avait  reçue 
au  curé  de  Bain,  et  tous  les  deux  décidèrent  que  le 
lendemain  ils  iraient  prendre  le  prince  pour  l'inviter  à 
déjeuner.  C'est  ce  qu'ils  firent,  en  effet  ;  mais  ils  arrivèrent 
trop  tard,  le  voyageur  était  parti  à  pied,  au  lever  du 
jour,  pour  se  rendre  à  Nantes. 

Si  tant  est  que  le  récit  qui  précède  soit  de  toute  exacti- 
tude, nous  ne  sachions  pas  que  Louis-Napoléon  ait  réalisé 
ce  projet  en  ce  qui  concerne  Gambronne  qui  lui-même 
n'en  a  non  plus  jamais  rien  su. 

Le  27  juin  1841,  Gambronne  était  allé  à  Garhaix  pour 
y  assister  à  l'érection  de  la  statue  de  La  ïour-d'Auvergne 
et  il  y  avait  entendu  célébrer,  dans  la  langue  bretonne, 
ses  exploits  en  même  temps  que  ceux  de  son  ancien 
compagnon  d'armes  du  46«  de  ligne. 

Ge  fut  la  dernière  fois  qu'il  participa  à  une  manifestation 
publique. 


20 


CHAPITRE  XXII 

MORT    DE    CAMBRONNE 

L'hiver  de  1842  devait  être  fatal  à  Gambronne.  Il  était 
entré  dans  sa  soixante-douzième  année.  Son  corps,  jadis 
si  droit,  s'était  quelque  peu  courbé  sous  le  poids  des  ans 
et  des  douleurs.  Le  20  janvier  il  se  mit  au  lit  pour  ne  plus 
se  relever. 

Quand  il  se  sentit  atteint  plus  gravement,  il  fit  deman- 
der le  curé  de  Saint-Sébastien,  mais  il  reçut  aussi  la  visite 
spontanée  de  l'évoque  de  Nantes,  M.  de  Hercé,  qui  avait  été 
colonel  d'état-major  et  qui  avait,  avant  d'entrer  dans  les 
ordres,  fait  campagne  en  même  temps  que  Gambronne. 
La  veille  de  sa  mort  il  s'eatretenait  encore  avec  ]\pe  Gla- 
vier,  aujourd'hui  M"i«  V^'«  Thomas,  de  qui  nous  tenons  ce 
détail  :  «  Ah  !  mademoiselle,  lui  diUl,  on  considère 
l'homme  comme  quelque  chose,  l'homme  n'est  rien  ! 

S'il  fallait  en  croire  une  plaquette  intitulée  La  Croix  à 
Guérande  (Nantes,  1873,  impr.  Bourgeois)  et  dont  l'au- 
teur est,  dit-on,  M.  l'abbé  Sottin,  Gambronne  aurait,  au 
cours  de  sa  dernière  maladie,  évoqué  le  souvenir  «  des 
iniquités  et  des  folies  »  commises  en  1794  à  Guérande  et 
dans  les  environs  par  la  Légion  Nantaise.  Mais  l'abbé 
î^ottin  ne  fait  pas  connaître  l'origine  de  ces  renseigne- 
ments, il  n'en  permet  pas  le  contrôle  ci,  jusqu'à  plus  am- 
ples informé,  nous  faisons  toutes  réserves  sur  ce  repentir 
fcirdif  que  le  héros  de  Waterloo  aurait  manifesté  sur  son 
lit  de  mort. 


—  307  — 

Dans  la  nuit  du  28  au  29  janvier,  Cambronne  expirait. 

Ce  fut  un  véritable  deuil  dans  la  population  qui  l'avait 
peut-être  oublié  vivant,  qui,  une  fois  mort,  se  rappela 
avec  complaisance  les  traits  les  plus  remarquables,  comme 
aussi  les  épisodes  les  plus  insignifiants  de  son  existence. 

Des  lettres  de  faire-part  furent  envoyées  de  tous  côtés. 

En  voici  le  texte  : 

M 

Vous  êtes  prié  d'assister  demain,  30  du  courant,  au  Convoi 
funèbre  de  M.  le  Vicomte  Pierre-Etienne  CAMBRONNE, 
Général  en  retraite,  Grand  Officier  de  la  Légion  d'honneur,  décé- 
dé ce  jour  à  l'âge  de  71  ans,  en  sa  demeure,  rue  Jean-Jacques 
Rousseau,  n"  ?>,  où  le  deuil  s'assemblera  à  1  heure  très  précise. 

Nantes,  le  29  janvier  1842. 

Lith.  de  Charpentier,  Nantes. 

Il  y  en  eut  d'autres  qui  commençaient  ainsi  : 

Madame  la  Vicomtesse  Cambronne,  M.  et  Madame  Victor 
Roussin,  M.  François  Lemerle  ont  la  douleur...,  etc. 

"Les  autres  membres  de  la  famille  de  Cambronne,  avec 
qui  il  avait  vécu  brouillé,  avaiâ«it  été  volontairement 
omis  sur  cette  lettre  de  part. 

Les  journaux  donnèrent  des  notes  nécrologiques.  Le 
colonel  de  la  garde  nationale  Desperrois  publia,  avec 
l'approbation  du  maire  de  Nantes,  l'ordre  suivant  : 

GARDE    NATIONALE    DE    NANTES 
Ordre  du  jour  du  29  janvier  1842 

Le  général  Cambronne  est  mort  ! 

Ses  obsèques  auront  lieu  demain,  30  courant,  à  une  heure 
précise  du  soir, 

M.  le  Colonel,  ayant  pensé  que  les  gardes  nationaux  ses 
compatriotes,  seraient  empressés  d'accompagner  cette  haute 
iîluBtration  militaire  à  sa  dernière  demeure,  a  pris   les   disposi- 


—  308  — 

lions  suivantes,  après  en  avoir  obtenu   l'autorisation   de  M.   le 
Maire. 

Il  sera  formé  une  escorte  en  grande  tenue,  commandée  par  un 
chef  de  bataillon  et  composée  de  détachements  de  tous  les  corps 
de  la  garde  nationale. 

Les  officiers  -et  gardes  nationaux  de  toutes  a^jmes  sont  invités 
à  se  réunir  au  cortège  qui  s'assemblera  à  la  mairie  à  midi  et 
demie,  en  petite  tenue  et  sabre  au  côté. 

Le  colonel  Desperrois. 

Tout  en  constatant  que  les  obsèques  de  Cambronne 
avaient  eu  lieu  avec  une  grande  solennité,  le  National 
de  l'Ouest  n'en  rendit  compte  qu'en  douze  lignes,  sans 
même  dire  par  qui  les  discours  avaient   été  prononcés  : 

«  Nous  regrettons  que  l'abondance  des  matières  nous  prive 
de  donner  une  notice  sur  la  vie  militaire  du  général  Cambronne 
qui  s'est  éteinte  après  la  bataille  de  Waterloo.  Depuis  cette 
époque,  Cambronne  s'était  effacé  et  a  survécu  en  quelque  sorte 
à  lui-même  ;  mais  sa  vie  militaire  est  si  belle  et  si  pleine  que 
son  nom  restera  inscrit  au  milieu  des  illustrations  de  la  glorieuse 
époque  de  l'empire.  » 

C'était  maigre  assurément,  comme  éloge  funèbre  et 
Cambronne  méritait  mieux.  Par  contre,  d'autres  journaux, 
le  Breton  surtout,  consacrèrent  de  longs  comptes-rendus 
à  ces  obsèques  : 

Dans  la  foule  point  de  pleurs  dit  le  Breton  du  31  janvier 
1842,  elle  ne  pouvait  séparer  l'immortalité  de  la  vie  de  son 
héros  !...  point  de  pleurs,  sinon  chez  quelques  vieux  soldats 
qui,  disséminés  dans  cette  foule,  mais  reconnus  à  quelque  reste 
de  vêtement  militaire  et  à  leur  front  dégarni,  avaient  vécu  sous 
la  tonte  avcô  Cambronne  et  qui  furtivement  essuyaient  laurs 
yeux  mouillés  par  la  reconnaissance. 

La  cérémonie  religieuse  fut  célébrée  à  l'église  Saint- 
Nicolas,  trop  étroite  pour  contenir  ceux  qui  avaient  la 
garde  du  cénotaphe 


—  309  — 

Le  cortège,  commandé  militairement  par  le  général 
Gémeau,  ami  et  compagnon  d'armes  de  Cambronne  et 
conduit  par  le  chef  d'escadron  d'état-major  Faulchier, 
était  ouvert  et  fermé  par  deux  détachements  de  cavalerie, 
l'un  de  la  garde  nationale  à  cheval,  l'autre  du  8^  lanciers. 
L'escorte  se  composait  d'un  bataillon  armée  des  diverses 
armes  de  la  garde  nationale,  d'un  détachement  de  gen- 
darmerie, d'un  détachement  des  canonniers  vétérans  et 
de  deux  bataillons  du  21^  léger  ;  mais  les  officiers  de  ces 
divers  corps  et  un  nombre  considérable  de  gardes  natio- 
naux s'étaient  joints  au  convoi,  répondant  ainsi  avec 
empressement  à  l'ordre  du  jour  de  leur  colonel.  La  garde 
nationale  ne  pouvait  oublier  que  Cambronne  sortait  de 
ses  rangs. 

Les  honneurs  militaires  lui  furent  rendus  comme  à  un 
lieutenant  général,  à  cause  de  son  grade  dans  la  légion 
d'honneur,  dont  il  était  grand  officier. 

Le  corps  était  porté  par  des  sapeurs  de  la  garde  natio- 
nale et  du  21«  léger^  et  les  cordons  du  poêle  étaient  tenus 
par  MM.  Portier,  commissaire  général  de  la  marine  au 
port  de  Nantes,  de  La  Vigne,  intendant  militaire,  Des- 
perrois,  colonel  de  la  garde  nationale  de  Nantes,  par  le 
colonel  de  Bréa,  chef  d'état-major  de  la  division,  par  M. 
Genot.  colonel  du  génie  et  par  M.  Phélippeaux,  colonel 
du  21*  léger.  Le  général  d'Erlon  assistait  aux  obsèques, 
ainsi  que  M.  Chaper,  préfet  de  la  Loire-Inférieure. 

Au  cimetière  de  Miséricorde,  le  général  Gémeau,  pro- 
nonça un  discours  dont  le  fond  valait  sans  doute  mieux 
que  la  forme;  en  voici  les  passages  les  plus  saillants  : 

Messieurs,  la  tombe  s'est  ouverte  pour  recevoir  une  de  nos 
grandes  célébrités  militaires,  Cambronne  n'est  plus.  La  mort  que 
tant  de  fois  il  a  regardée  en  face  sur  les  champs  de  bataille,  la 


—  310  — 

mort,  que  l'on  pourrait  croire  qu'il  a  su  faire  reculer  devant  son 
audace  guerrière,  la  mort  vient  de  le  frapper. 

...  Honneur  à  toi,  Cambronne  !  à  toi.  soldat  intrépide  et 
modeste,  à  toi,  dont  le  nom  va  se  placer  glorieusement  à  côté  de 
celui  de  La  Tour-d'Auvergne  !  honneur  à  toi,  Cambronne,  à  toi, 
citoyen  généreux  ;  à  toi,  qui  ne  voyant  plus  d'ennemis  à  visage 
découvert,  as  voulu  risquer  une  popularité  militaire  européenne, 
dans  l'espoir  de  contribuer  au  repos  et  au  bonheur  de  ton  pays  l 

Honneur  à  toi  toujours  ;  car,  même  du  fond  de  cette  tombe,  tu 
serviras  encore  ta  patrie  :  cette  terre  qui  va  te  couvrir,  cette 
terre  de  France  est  désormais  inviolable  et  sacrée,  et  l'étranger 
lui-même  ne  voudra  pas,  sans  crainte  de  s'en  repentir,  mécon- 
naître cette  vérité  sainte. 

Adieu,  brave  Cambronne,  ou  plutôt  au  revoir  ;  car  tu  es  mort 
en  chrétien  ;  tu  vas  donc  nous  attendre,  et,  après  tout,  nous 
faisons  tous  ce  voyage  difficile  qu'on  appelle  la  vie.  Eh  bien  !  tu 
es  noblement  ai'rivé;  et  nous,  nous  marchons. 

M.  le  sous-intendant  Collette,  lié  intimement  avec 
Cambronne  aurait  pu  prononcer  une  allocution  touchante, 
il  ne  sortit  pas  des  banalités  emphatiques  exprimées  dans 
un  style  lourd  et  grotesque,  dont,  à  titre  de  curiosité, 
voici  un  échantillon  : 

Après  l'éloge  que  nous  venons  d'entendre,  véritable  écho  des 
traditions  que,  dès  longtemps,  l'histoire  a  inscrites  au  centre  de 
l'auréole  de  gloire  dont  le  nom  de  Cambronne  brillera  dans  la 
postérité  la  plus  reculée,  je  sens  trop  mon  insuffisance  à  faire 
résonner  la  trompettede  la  renommée  aussi  haut  que  l'exigeraient 
les  innombrables  traits  de  courage  et  de  haute  valeur  à  la  guerre, 
qui  ne  fiiillircnt  jamais  à  celui  dont  la  tombe  va  recouvrir  la 
dépouille  mortelle;  mais  je  crois  pouvoir  élever  ici  ma  faible 
voix  pour  manifester  une  opinion  que  j'ai  été  longtemps  à  même 
de  méditer  comme  me  paraissant  résumer  toutes  celles  qu'inspire 
ce  nom  si  éminemment  héroïque,  c'est  que,  dans  l'énergie  de 
son  âme,  comme  dans  la  pureté  de  son  cœur,  le  général 
Cambronne  confondait  avec  son  existence  cette  ardeur  du 
dévouement  sans  limite  au  bonheur  de  l'hunuinilé  et  j\  la  gloire 
de  notre  chère  patrie» 


—  311  — 

Il  concentrait  toutes  ses  facultés  dans  l'unique  jouissance 
d'étendre  une  généreuse  bienveillance,  non  seulement  sur  tout 
ce  qui  l'entourait  immédiatement,  mais  encore  sur  tous  ceux  que 
leurs  adversités  lui  rendaient  si  recommandables  :  aussi  a-t-il 
pu,  à  ces  derniers  moments,  former  cette  consolante  pensée  que,- 
du  haut  de  l'éternité  où  Dieu  vient  de  l'appeler,  il  entendra  les 
bénédictions  et  les  regrets  intarissables  de  sa  respectable 
épouse,  de  toute  sa  famille,  des  malheureux  dont  il  était  l'appui.. 
et  de  nous  tous. 

Il  n'y  eut  que  le  discours  simplement  écrit  de  M.  Wack^ 
capitaine  dans  l'artillerie  nantaise  et  grand  ami  de  Gam- 
bronne,  qui  puisse  aujourd'hui  supporter  la  lecture  : 

Messieurs,  a-t-il  dit,  la  dépouille  mortelle  que  nous  venons  de 
rendre  à  la  terre  renfermait  une  de  ces  âmes  fortement  trempées, 
vieilles  gloires  de  l'Empire,  qui  disparaissent  tour  à  tour  de  la 
scène  du  monde,  mais  qui  vivront  éternellement  dans  la  posté-^ 
rite. 

Pierre-Jacques-Etienne  Cambronne  commença  sa  carrière  mili- 
taire dans  cette  Légion  Nantaise,  de  glorieuse  mémoire^  où  sa 
bravoure  et  son  caractère  de  franchise  et  de  patriotisme  le  firent 
bientôt  distinguer. 

...  Après  nos  désastres  de  Waterloo,  où  il  s'immortalisa  plus 
encore  par  ses  hauts  faits  que  par  un  mot  devenu  à  jamais  cé- 
lèbre, fait  prisonnier  par  les  Anglais,  il  ne  put  obtenir  de  suivre 
à  Sainte-Hélène  celui  que  ses  ennemis,  tant  de  fois  vaincus,  en- 
voyaient à  une  mort  lente,  mais  certaine. 

Et,  faisant  allusion  aux  sentiments  de  Cambronne  pour 
sa  femme,  il  ajoutait  : 

Dans  les  courts  instants  de  lucidité  de  sa  pénible  agonie^  il  n'a 
cessé  de  lui  témoigner,  ainsi  qu'à  ceux  qui  l'entouraient,  une  ten- 
dresse et  une  affection  que  son  cœur  ressentait  encore  plus  vive- 
ment qu'il  ne  pouvait  l'exprimer. 

L'assistance  était  en  proie  à  une  sincère  douleur.  Le 
maire  ne  pouvait  contenir  ses  larmes  et  le   colonel  du 


—  312 

21e  léger  éprouva  une  telle  émotion  qu'il  ne  put  parler  et 
dut  transmettre  aux  journaux  un  discours  qu'il  n'avait  pas 
prononcé. 

Aujourd'hui,  après  plus  d'un  demi-siècle,  le  tombeau 
de  Cambronne,  toujours  visité,  produit  encore  une  réelle 
impression,  par  son  caractère  même.  C'est  un  bloc  de 
granit,  sans  surcharge  d'ornements,  carré  par  la  base, 
comme  le  héros  dont  il  couvre  les  restes.  En  avant,  une 
épée  nue  en  bronze  qui  traverse  une  couronne  de  laurier 
et  ce  seul  mot  :  Cambronne,  au-dessus  d'une  croix  de 
Malte. 

Derrière,  ces  deux  dates  :  Nantes,  26  décembre  1770  et 
29  janvier  1842  et  les  armes  de  Cambronne,  une  épce, 
marque  du  commandement,  un  lion  héraldique,  signe  de 
la  bravoure  et  huit  grenades,  qui  rappellent  à  tous  que 
Cambronne  avait  commandé  les  grenadiers  de  la  Vieille 
garde.  Plus  bas,  sa  croix  de  la  Légion  d'honneur. 

C'est  à  la  fois  simple  et  émouvant. 


CHAPITRE   XXIII 

LA  STATUE   DE  CAMBRONNE 

Cambronne  était  mort  le  29  janvier  4842.  Presque 
aussitôt,  un  grand  mouvement  se  produisait  dans  la 
population,  pour  consacrer  le  souvenir  du  vaillant 
général  en  lui  érigeant  une  statue.  Les  procès-verbaux 
fort  sommaires  alors  des  séances  du  conseil  municipal, 
nous  révèlent  cet  état  des  esprits  : 

SÉANCE    DU    CONSEIL    MUNICIPAL 
«  Du  7  février  1842 

Présidence  do  M.  Ferdinand  Favre 
Monument   à   la  mémoire   du   général   Cambronne 

M.  le  Maire  entretient  le  conseil  du  désir  qui  lui  a  été  mani- 
îcsté  par  un  grand  nombre  de  Nantais,  de  voir  élever  un 
monument  à  la  mémoire  du  général  Cambronne. 

Le  conseil  invite  M.  le  Maire  à  faire  faire  par  M.  l'architecte 
voyer  des  études  sur  l'emplacement  et  la  forme  convenables  à 
donner  à  ce  monument  et  il  décide^  à  l'unanimité,  que  la 
commune  contribuera  en  tout  ou  partie  aux  frais  de  cette 
érection,  suivant  ses  ressources  financières  et  suivant  l'impor- 
tance qui  sera  définitivement  donnée  à  cette  œuvre  de  recon- 
naissance pour  les  glorieux  services  rendus  à  la  France,  par  le 
héros  que  la  cité  nantaise  s'honore  de  compter  au  nombre  de 
ses  enfants. 

A  peine  cette  décision  avait-elle  été  rendue  publique 
<iue  la  municipalité  recevait  des  propositions  de  la  part 
<l'un  certain  nombre  d'artistes  qui  faisaient  valoir  leurs 
titres  spéciaux  à  être  chargés  de  cette  œuvre  importante. 


—  314  — 

C'était  M.  Lanno,  sculpteur  rennais  d'origine,  qui,  dès 
le  27  mars,  offrait,  non  sans  rappeler  ses  nombreux  tra- 
vaux, de  faire  une  statue  de  Cambronne  de  2  mètres  40 
de  hauteur,  pour  le  prix  de  16,000  francs,  exécution  fonte 
ou  bronze,  emballage  et  transport,  le  tout  parachevé  dans 
un  délai  de  dix-huit  mois. 

Venait' ensuite  Suc,  l'éminent  artiste  nantais.  Il  était, 
disait-il  «  l'artiste  désigné  par  la  famille  de  l'illustre 
général,  pour  faire  revivre  ses  traits.  »  Du  reste  n'était- 
il  pas  un  de  ceux  dont  on  avait  parlé  pour  le  monument 
de  La  ïour-d 'Auvergne  ?  Il  aimerait  faire  la  statue  du 
«  deuxième  grenadier  de  France  »,  comme  il  songeait  à 
faire  celle  du  «  premier.  » 

Sa  lettre  se  terminait  ainsi  : 

«  Dans  peu  de  jours,  je  pars  pour  Paris,  où  le  buste  du 
général  Cambronne  est  déjà  soumis  aux  observations  de  cette 
haute  critique,  sans  laquelle  les  œuvres  de  l'art  manquent  de 
perfection.  » 

Suc  avait  été  effectivement  autorisé  par  M™»  Cam- 
bronne à  prendre  un  moulage  sur  la  figure  du  mort, 
mais  le  buste  qu'il  en  fit,  qu'il  ait  plu  ou  non  à  la  critique 
parisienne,  ne  parut  pas  à  la  famille  d'une  ressemblance 
frappante.  La  meilleure  preuve,  c'est  qu'elle  s'adressa  au 
sculpteur  Amédée  Ménard  qui,  à  l'aide  d'indications  de  la 
veuve,  de  portraits  et  de  ses  souvenirs  personnels,  réussit 
à  faire  un  buste  en  terre,  de  grandeur  naturelle,  qui 
appartient  encore  aujourd'hui  à  M.  Roussin  et  qui 
rappelle  admirablement  la  physionomie  du  général. 

Justement  fier  d'une  pareille  commande,  Amédée 
Ménard,  que  la  ville  de  Nantes  s'enorgueillit  de  compter 
au  nombre  de  ses  artistes  les  plus  distingués,  sollicita  lui 
aussi  l'honneur  de  faire  la  statue  de  Cambronne.  Il  invo- 


—  Bis- 
quait son  titre  de    compatriote    du   défunt,    ses   succès 
antérieurs  comme  statuaire  et  le  buste   du  général  dont 
il  venait  de  terminer  une  copie  «  sur  la  demande  de  la 
famille.  » 

Enfin,  le  sculpteur  De  Bay,  un  nantais  également,  dont 
le  nom  est  bien  connu,  écrivait  le  15  mars  1842,  au 
maire  de  Nantes,  une  lettre  dont  voici  les  principaux 
passages  : 

A... Né  à  Nantis,  élevé  dans  son  sein,  je  suis  le  premier  et 
jusqu'à  ce  jour  le  seul  parmi  les  Nantais  qui  se  sont  adonnés  à 
l'étude  de  la  sculpture,  qui  ait  remporté  tous  les  prix  de  l'Ecole 
Royale  de  Paris  et  enfin  le  grand  prix  de  Rome. 

A  mon  retour  d'Italie,  les  études  que  j'avais  faites  dans  cette 
terre  classique,  exposées  à  l'exposition  de  Paris,  m'ont  valu  la 
grande  médaille  d'or  de  !«■«  classe. 

'  J'ai  pour  la  ressemblance  de  la  statue  une  garantie  que  nul 
autre  ne  peut  offrir  désormais.  Mon  père  a  fait  en  1813  d'après 
le  général  Cambronne  qui  venait  poser  chez  lui,  un  buste  em- 
preint d'une  ressemblance  frappante  et  de  ce  beau  caractère  que 
mon  père  sait  si  bien  mettre  à  sa  sculpture.  Ce  buste,  mon  père 
me  l'abandonne.  Avec  un  si  précieux  document,  je  puis  presque 
assurer  le  succès  de  la  statue. 

Mais,  si  les  demandes  des  artistes  arrivèrent  prompte- 
ment,  les  réponses  se  firent  longtemps  attendre,  puisque 
l'année  suivante,  le  11  juillet  1843,  De  Bay  insistait  dans 
les  termes  suivants  : 

Je  suis  seul  dépositaire  du  buste  généralement  admiré  fait 

d'après  nature  en  1815  par  mon  père. 

La  famille  unanime  sur  le  mérite  de  ce  buste,    unique 

portrait  fait  du  vivant  du  général,  le  seul  qui  le  rappelle  à 
l'époque  la  plus  glorieuse  de  sa  vie,  appuie  de  tous  ses  vœux  une 
décision  conforme  à  celle  que  je  sollicite. 

M.  De  Bay  ajoutait  qu'il  était  appuyé  par  M.  Cave, 
directeur  des    beaux-arts  au   ministère  de  l'intérieur.  Il 


—  316  — 

rappelait  aussi  la  décoration   faite   par  lui  du  passage 
Pommeraye, 

Que  s'était-il  donc  passé  à  la  municipalité  qui  avait 
retardé  à  ce  point  une  décision  définitive  ? 

Le  conseil  municipal  qui,   le  7  février,    s'était  occupé 
pour  la  première  fois  de  l'affaire^  se  réunit  le  2  juin  sui- 
vant pour  prendre  une  résolution  pratique  : 
Séance  du  2  juin   4842 
Présidence  de  M.  Ferdinand  Favre 

M.  Dérivas  donne  lecture  de  l'exposé  de  l'administration 
concernant  l'érection  d'un  monument  à  la  mémoire  du  général 
Gambronne,  puis  du  rapport  rédigé  par  M.  Jégou,  au  nom  de  la 
commission  chargée  do  l'examen  préalable  du  projet  présenté 
par  M.  DrioUet,  architecte  voyer. 

Le  Conseil  après  en  avoir  délibéré, 

Sans  se  prononcer  sur  le  plus  ou  moins  de  mérite  dudit  projet 
qui  devra  être  ultérieurement  étudié  sous  le  rapport  de  l'art  et 
du  mode  d'exécution  par  des  hommes  compétents  choisis  à  cet 
effet, 

Mais  considérant  que,  pour  obtenir  l'approbation  de  l'autorité 
supérieui-e,  il  importe  de  lui  soumettre  un  projet  indicatif  du 
monument  à  ériger,  accompagné  d'un  devis  de  la  dépense  pré- 
sumée. 

Adopte  en  principe  le  projet  présenté  dont  le  devis  s'élève  à 
TO.OOO  fr.  et  arrête  à  l'unanimité,  conformément  aux  conclusions 
de  la  commission  : 

lo  Qu'une  statue  en  bronze  du  général  Cambronne  sera  élevée 
sur  une  des  places  principales  de  la  ville  de  Nantes; 

2o  Que  ce  monument  sera  national  et  établi  au  moyen  de 
souscriptions  ouvertes  dans  toute  la  France  et  que  la  ville  de 
Nantes  sera  inscrite  en  tête  do  la  souscription  pour  une  somme 
de  10.000  fr.; 

3o  Que  le  bronze  nécessaire  à  l'érection  du  monument  sera 
demandé  au  gouvernement. 

M.  le  maire  est  invité  à  faire  toutes  les  diligences  pour  obtenir 
la  sanction  royale  laquelle   doit   précéder    nécessairement    la 


—  317  — 

formation  d'une  haute  commission  qui  devra  être  chargée  de 
recueillir  les  souscriptions,  d'arrêter  définitivement,  le  pro- 
gramme de  monument  et  d'en  diriger  l'exécution,  avec  le 
concours  du  Conseil  municipal  et  sous  l'approbation  de  l'autorité 
supérieure. 

Ainsi, la  ville  votait  un  premier  crédit  de  10,000  francs 
et  arrêtait  la  formation  d'une  commission  supérieure 
chargée  de  rédiger  un  programme  et  de  recueillir  les 
souscriptions.  Cette  commission,  qui  subit  d'assez  fré- 
quentes additions  ou  modifications,  comprenait  au  début  : 
MM.  Trézel,  lieutenant-général,  commandant  la  12^  divi- 
sion militaire,  président  ;  A.  Chaper,  préfet  de  la  Loire- 
Inférieure,  vice-président  ;  Gémeau,  maréchal  de  camp, 
commandant  la  subdivision;  Ferdinand  Fabre,  maire  de 
Nantes;  Desperrois  colonel  de  la  Garde  nationale;  Bignon, 
député  de  la  Loire-Inférieure  ;  Jollan,  ancien  député  de  la 
Loire-Inférieure  ;  Dechaille,  membre  du  conseil  général  ; 
A.  Garnier,  membre  du  conseil  général  ;  Le  Cour,  membre 
de  la  chambre  de  commerce  ;  Chenantais,  Jégou,  Henry, 
Thébaud,  menlijres  du  conseil  municipal  ;  Fontenillat, 
receveur  général  des  finances,  trésorier,  et  St.-Félix 
Seheultj  conseiller  municipal,  secrétaire. 

La  question  de  l'emplacement  préoccupa  vivement  la 
population,  ainsi  qu'en  témoignent  les  propositions  sou- 
vent extraordinaires  reçue  par  la  commission  et  conser- 
vées aux  Archives  de  la  mairie.  (Dossier  de  la  statue  de 
Cambronne.) 

On  avait  pensé  à  la  place  du  Boutfay  (rejetée  à  cause  du. 
marché),  à  la  place  Gincinnatus,  aujourd'hui  Duchesse- 
Anne  (écrasée  par  Le  cours  Saint-Pierre),  à  la  place 
Pirmil  (irrégulière,  insuffisante  et  excentrique),  à  la  place 
Delorme,  voisine  du  cours  du  Peuple  où  les  compagnons 


—  318  — 

d'armes  de  Cambronne  assistaient  à  de  fréquentes  réunions 
militaires  (trop  exiguë  et  trop  éloignée  du  centre),  à  la 
place  Royale  (dont  les  immeubles  écraseraient  la  statue). 

Il  y  eut  même  une  lettre  de  M.  A.  Goëau-Brissonnière 
qui  proposait  une  pile  du  milieu  du  pont  de  la  Bourse.  Il 
demandait  également  l'apposition  d'une  plaque  de  marbre 
à  l'endroit  où  le  général  était  né  et  une  autre  sur  la  mai- 
son où  il  était  mort  —  ce  qui  ne  s'est  pas  encore  fait  à 
l'heure  actuelle^  mais  ce  qui  serait  désirable. 

D'autre  part,  une  pétition  d'habitants  du  quartier  de 
Launay  —  dont  le  promoteur  était  l'infatigable  J.-B. 
Goullin  —  demandait  la  statue  sur  la  place  de  Launay. 
Les  gens  de  ce  quartier  avaient  même  souscrit  1,800  fr., 
mais  à  cette  condition-là.  La  place  de  Launay  était  trop 
excentrique  et  cette  proposition  fut  écartée,  comme  celle 
de  se  servir  de  la  plateforme  où  s'élevait  jadis  la  tour  du 
pont  de  Pirmil. 

Bref,  après  de  longues  discussions,  la  commission 
adopta,  dans  sa  séance  du  20  octobre  4843,  le  centre  de 
la  place  Graslin  ;  le  monument  devait  regarder  la  salle  de 
spectacle. 

C'était  une  fâcheuse  idée,  d'abord  parce  que  l'éclairage 
de  la  statue  devait,  avec  l'orientation  de  la  place,  être 
des  plus  défectueux,  ensuite  parce  qu'à  cette  époque  où 
le  chemin  de  fer  n'existait  pas  encore,  c'était  là  que  se 
trouvaient  les  deux  bureaux  de  messageries  et  que  la 
place  n'était  pas  trop  grande  pour  un  pareil  va-et-vient, 
sans  aller  l'encombrer  d'un  monument  central. 

La  commission  décida  également  de  charger  Jean  De 
Bay  de  l'exécution  de  la  figure  en  bronze  du  général  et 
des  accessoires  qui  s'y  rattachaient,  mais,  pour  ne 
pas  évincer  deux  autres  artistes  nantais  qui  avaient  droit 


—  319  — 

aussi  à  sa  bienveillance,  elle  partagea  entre  Suc  et 
Amédée  Ménard  les  quatre  bas-reliefs  du  piédestal.  Suc 
devait  faire  Zurich  et  léna,  Ménard  était  chargé  de  Sara- 
gosse  et  de  Waterloo. 

Jean  De  Bay  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre.  Le  27  décembre 
de  la  même  année,  il  chargeait  son  beau-frère,  Félix 
Crucy,  architecte,  de  communiquer  à  la  commission  l'es- 
quisse du  monument.  Il  lui  écrivait  en  même  temps 
comment  il  l'avait  conçu  :  • 

J'ai  pensé  que  l'illustre  soldat  devait  cire  représenté  affrontant 
la  mitraille  et  prononçant  les  immortelles  paroles  :  La  Garde 
meurt  et  ne  se  rend  pas,  et,  pour  rendre  cette  action  palpable  à 
tous  les  yeux,  à  toutes  les  intelligences,  il  m'a  semblé  que  le 
drapeau  dont  Cambvonne  sauvait  l'honneur  devait  jouer  un  rôle 
dans  celte  composition...  J'ai  donc  pensé  que  Gambronne  couvert 
d'un  drapeau  déchiré,  percé,  criblé  par  le  feu  ennemi,  enveloppé 
dessous  en  quelque  sorte  comme  sous  un  linceul,  résistant  tou- 
jours quoique  blessé  (car  je  lui  ferai  sa  noble  blessui'e  saignante) 
rendrait  assez  bien  la  chaleur  de  l'action. 

Mais  à  partir  de  ce  moment,  les  difficultés  abondèrent. 
Le  ministre  de  la  guerre  refusait  le  bronze,  «  attendu, 
»  disait-il,  que  le  bronze  existant  dans  les  arsenaux  doit 
»  être  exclusivement  affecté  au  service  de  la  guerre  ».  La 
souscription  n'avançait  que  péniblement  et  traîna  pendant 
plusieurs  années.  Le  roi  avait  souscrit  sur  sa  liste  civile 
pour  300  fr.,  le  conseil  général  de  la  Loire-Inférieure 
avait  donné  1000  fr.,  le  ministre  de  l'intérieur  avait  dis- 
trait 3000  fr.,  sur  les  fonds  de  son  département.  Bref,  au 
25  août  1847,  les  souscriptions,  y  compris  les  10.000  fr. 
de  la  Ville  de  Nantes,  n'arrivaient  qu'à  un  total  de 
20,412  fr.  97  et  encore  fallait-il  y  compter  un  don  de 
3,000  fr.  dû  à  la  générosité  de  M""'  V^e  Cambronne. 

Or^  la  statue  coûtait  18,000  fr.,  le  piédestal  était  éva- 


—  320  — 

lue  à  13,000  fr.,  plus  pour  imprévu  300  fr.,  au  total, 
31,300  fr.  Il  manquait  donc  10,887  fr.  03  pour  achever  la 
statue . 

Au  point  de  vue  artistique,  les  choses  n'avaient  pas  non 
plus  marché  toutes  seules.  De  Bay,  qui  avait  exposé  sa  statue 
au  salon  de  1846,  n'avait  pas  eu  une  bonne  presse. 
Gustave  Planche  qui  faisait  autorité,  l'avait  malmené 
dans  le  salon  de  la  Revue  des  Deux  Mondes  {¥  livraison^ 
15  mai  1846)  : 

La  statue  de  Cambronne  de  M.  De  Bay,  est  une  eri'eur  que  j'ai 
peine  à  m'expliquer.  De  quelque  côté,  en  effet,  qu'on  regarde 
cette  statue,  il  est  impossible  de  trouver  un  ensemble  de  lignes 
satisfaisant.  Il  y  a  dans  l'attitude  et  la  physionomie  du  général 
une  emphase  théâtrale  qui  peut  convenir  au  Cirque  Olympique, 
mais  dont  la  statuaire  ne  saurait  s'accommoder.  La  bravoure  et 
l'énergie  de  Cambronne,  pour  se  manifester  clairement,  n'ont 
pas  besoin  de  cette  pantomime  exagérée.  Si  nous  laissons  de  côté 
la  composition  pour  nous  occuper  de  l'exécution  des  morceaux, 
nous  ne  pouvons  nous  montrer  moins  sévère.  Sa  tête,  les  mains 
et  le  vêtement  sont  restés  à  l'état  d'ébauche.  Si  cette  statue  doit 
être  coulée  en  bronze  pour  la  Ville  de  Nantes,  l'auteur  fera  bien, 
avant  de  la  livrer  au  fondeur,  do  donner  à  la  pantomime  do  sa 
figure  un  peu  plus  de  simplicité.  Quant  à  l'exécution  de  la  tète- 
et  des  mains,  je  suppose  qu'il  ne  la  considère  pas  comme 
définitive. 

La  commission  s'émut  de  ces  critiques.  De  Bay  promit 
des  retouches,  les  fit  et  le  18  septembre  suivant,  il  en- 
voyait H  Nantes  une  épreuve  dagucrréotypée  de  la  statue 
modifiée,  non  sans  solliciter  l'examen  définitif  de  membres, 
de  l'Institut. 

L'épreuve  plut,  nviis,  pour  dégager  sa  responsabilité,  I» 
commission  pria  l'Académie  de  désigner  trois  de  ses 
membres  en  vue  dun  dernier  examen,  avant  que  la  sta- 
tue fût  couléo'  en  bronze.  Ce  furent  Nanteuil,    Petitot  et 


—  321  — 

Dumont,  statuaires,  que  l'Académie  investit  de  cette  mis- 
sion délicate.  De  Bay  avait  repris  entièrement  la  figure 
et,  d'après  les  experts,  les  changements  considérables 
qu'il  y  avait  apportés,  l'avaient  fort  améliorée. 

Le  général  Trezel  qui  avait  autrefois  présidé  la  com- 
mission de  Nantes,  était  au  cours  des  années  qui  s'écou- 
laient, devenu  ministre  de  la  guerre.  Il  avait  connu  Cam- 
bronne,  il  alla  voir  dans  l'atelier  de  De  Bay  la  statue 
rectifiée  et  il  écrivit  à  la  commission  pour  la  tranquilliser 
tout  à  fait. 

C'est  une  belle  œuvre,  lui  disait-il. 

Plusieurs  artistes  de  l'enom,  entr'autrcs  Horace  Vernet^  font 
grande  estime  du  talent  qu'a  montré  M.  De  Bay  dans  cette  statue 
<iu  général  Cambronne. 

Il  n'y  avait  plus  qu'à  en  terminer.  On  fit,  par  raison 
d'économie,  un  piédestal  plus  modeste,  on  supprima 
d'abord  deux  des  bas-reliefs  promis  à  Suc  et  àMénard,  puis 
on  les  supprima  tous  quatre  et  c'est  ainsi  qu'on  parvint  à 
joindre  les  deux  bouts.  Il  est  même  probable  que  la 
municipalité  frappa  encore  à  la  porte  de  M"»®  Cambronne. 

Enfin,  le  4  novembre  1847,  le  bronze  arrivait  à  Nantes 
par  bateau  à  vapeur  et,  avec  les  moyens  de  déchargement 
et  de  transport  un  peu  primitifs  de  l'époque,  il  prenait  le 
chemin  du  cours  Henri  IV.  La  commission  avait  en  effet 
heureusement  renoncé  à  l'emplacement  choisi  par  elle. 
Elle  laissait  la  place  Graslin  libre  et  se  décidait  à  ériger 
la  statue,  non  loin  de  là,  au  milieu  du  cours^  tournant  le 
dos  au  théâtre  et  aux  visiteurs  qui  entrent  par  cette 
porte  du  jardin,  mais  par  contre  en  belle  lumière  et  le 
visage  dirigé  vers  l'ouest,  c'est-à-dire  vers  l'Angleterre, 
face  à  l'ennemi  que  Cambronne  avait  combattu  à 
Waterloo, 

21 


—  322  — 

Il  ne  restait  plus  qu'à  attendre  les  beaux  jours  pour  inau- 
gurer la  statue. 

Le  4  mars  1848,  séance  extraordinaire  du  Conseil 
municipal  qui  se  réunissait  à  la  suite  de  la  chute  de  la 
monarchie  de  juillet  ;  nous  en  détachons  les  lignes 
suivantes  : 

Présidence  de  M.  Ferdinand  Favre 

L'administration  demande  au  Conseil  de  donner  son  approba- 
tion aux  plans  adoptés  par  la  commission  pour  le  monument  de 
Cdmbronne  ;  cctto  formalité  est  nécessaire  afin  que  les  sommes 
dues  aux  entrepreneurs  puissent  être  ordonnancées. 

Celte  approbation  est  votée  par  le  Conseil. 

Les  travaux  d'installation  avançaient. 

Une  plaque  de  cuivre  renfermée  entre  deux  lames  de 
plomb  avait  été  incrustée  dans  la  première  pierre  des 
fondations  du  monument  du  général  Cambronne.  Elle 
portait  cette  inscription  : 

L'an  4847,  sous  le  règne  de  Louis-Philippe  1er,  cette  première 
pierre  a  été  posée  pour  érection  d'un  monument  national  élevé 
à  la  gloire  du  général  Cambronne. 

Etaient  membres  de  la  Commission  de  haut  patronage  chargée 
de  l'érection  de  ce  monument,  MM.  : 

De  Bar,  lieutenant-général,  commandant  la  i2e  division 
militaire,  président  ; 

Roulleaux-Dugage,  préfet  de  la  Loire-Inférieure,  vice-prési- 
dent ; 

De  Bréa,  maréchal  de  camp,  commandant  le  département  ; 

Ferdinand  Favre,  maire  de  Nantes. 

L'inauguration  du  monument  fut  fixée  au  23  juillet 
1848.  La  municipalité  invita  les  membres  de  la  commis- 
sion, les  anciens  volontaires  de  1792  et  de  1793  qui 
avaient  été  les  premiers  compagnons  d'armes  de  Cam- 
bronne, M.  Driollet,   architecte-voyer,  auteur   du  projet 


—  323  — 

du  monument,  M.  Fouquet,  ancien  officier  des  armées 
impériales,  le  doctem'  Guépin,  l'illustre  Berryer  qui  avait 
défendu  Cambronne  en  1816,  le  sculpteur  De  Bay,  le 
docteur  Priou,  enfin  la  veuve  de  Cambronne. 

Malheureusement  les  graves  événements  politiques  qui 
venaient  de  se  passer  à  Paris,  absorbaient  l'attention 
publique.  On  inaugura  quand  même  la  statue,  au  jour 
convenu,  mais  on  pensait  à  autre  chose  et  la  mort  du 
général  de  Bréa  qui  venait  d'être  frappé  à  Paris,  préoccu- 
pait bien  plus  les  esprits  que  le  général  Cambronne. 

Néanmoins  une  grande  revue  de  la  garde  nationale  et 
des  troupes  de  la  garnison  fut  passée  sur  le  quai  de  la 
Fosse,  puis  les  autorités  civiles  et  militaires,  suivies 
d'une  foulô  immense,  se  dirigèrent  vers  le  cours  où  la 
statue  s'élevait,  encore  recouverte  de  son  voile. 

Le  préfet  s'adressa  surtout  aux  chefs  de  corps  et  aux 
officiers,  non  sans  évoquer  les  journées  de  juin  et  la  mort 
du  général  de  Bréa  : 

«  L'intrépide  guerrier  dit-il,  dont  vous  allez  saluer  tout  à 
l'heure  l'image,  plus  heureux  que  le  général  de  Bréa,  finit  pai- 
siblement ses  jours  entouré  de  sa  famille  et  de  ses  amis,  et  s'il 
versa  son  sang  pour  la  patrie,  ce  ne  furent  au  moins  ni  des 
armes,  ni  des  mains  françaises  qui  le  firent  couler.  » 

Le  défilé  commence  et  les  différents  corps  se  massent 
autour  de  la  statue.  Le  voile  est  enlevé,  et  le  maire  prie 
le  lieutenant-colonel  de  remettre  aux  vétérans  de  la 
garde  nationale,  le  drapeau  que  les  volontaires  ont  reçu 
de  leurs  frères  de  Paris. 

Le  maire,  M.  Evariste  Colombel,  s'avance  alors  au  pied 
de  la  statue.    Lui  aussi  fait  dans  son  discours  un  rap- 


—  324  — 

prochement  tout  indiqué   entre   le  général   de  Bréa  et 
Gambronne. 

Ce  bronze,  ajoutc-t-il,  c'est  l'image  de  ce  soldat  sans  reproche, 
qui  prit  sa  large  et  digne  part  dans  la  grande  épopée  révolu- 
tionnaire et  impériale,  c'est  l'imago  de  ce  guerrier  qui  fut  entre 
les  mains  de  la  providence,  un  des  mille  instruments  de  cette 
propagande  intellectuelle,  dans  laquelle  chaque  mousquet  portait 
avec  sa  balle  une  idée  française.  Avoir  défendu  son  pays,  c'est 
li\  la  gloire  de  Cambronne,  c'est  là  la  base  de  notre  reconnais- 
sance, base  plus  solide  que  le  granit  sur  lequel  sa  statue 
repose.... 

Si  jamais  les  jours  de  danger  revenaient,  s'il  fallait  comme 
Cambronne  défendre  son  pays  contre  la  guerre  civile  et  contre 
l'étranger,  que  le  détachement  qui  partira  porteur  de  ce  drapeau, 
se  rappelle  cette  solennité  ;  qu'il  parte  avec  le  souvenir  de 
l'œuvre  due  à  l'habile  ciseau  du  citoyen  De  Bay  ;  la  victoire  lui 
est  assurée,  car  il  saura  comment  on  reçoit  un  drapeau,  comment 
on  le  défend,  comment  on  l'étreint  sur  sa  poitrine  sans  jamais 
le  rendre  à  l'ennemi.  Vive  la  République  ! 

C'est  aux  cris  de  vive  la  République  !  vive  Cambronne  ! 
que  s'acheva  la  cérémonie,  non  sans  force  félicitations  au 
sculpteur  De  Bay. 

A  l'heure  où  nous  écrivons^  ce  monument  est  un  de 
ceux  qui  comptent  parmi  les  plus  intéressants  de  Nantes. 
Tète  nue,  foulant  aux  pieds  des  éclats  de  bombe,  Cam- 
bronne tient  de  la  main  droite  sonépée  nue  ;  de  la  gauche, 
il  serre  sur  sa  poitrine  l'aigle  impériale,  dont  la  hampe 
s'est  brisée  dans  la  lutte.  Sur  ces  lèvres,  un  sourire  plein 
d'amertume  et  d'ironie.  II  jette  à  la  face  des  Anglais  cette 
parole  de  résistance  et  de  défi,  dont  l'histoire  a  enveloppé 
la  triviale  énergie  dans  une  antithèse  immortelle. 

Nous  serions  incomplet  si  nous  ne  donnions  les  quatre 
inscriptions  gravées  sur  les  cotes  du  piédestal  de  granit  : 


—  325  ~ 

Sur  la  face  antérieure  : 

Names  a  l'Armék 
Inauguré  le  23  juillet  i848 

Sur  la  face  postérieure  : 

La  garde  meurt   et  ne  se  rend  pas 
A  Gambronne 

Sur  les  deux  faces  latérales  : 

Volontaire  nantais  en  iyg2 
Waterloo   i8i5 

Une  grillé  de  fonte,  dont  les    angles   sont    surmontés 
d'aigles  entoure  le  piédestal. 


CHAPITRE  XXIV 

HOMMAGES  A  CAMBRONNE 

Il  nous  a  paru  intéressant  de  rechercher  quels  avaient 
été,  depuis  lamortdeCambronne,  les  témoignages  publics 
ou  privés  de  gratitude  et  d'admiration  qui  lui  avaient  été 
décernés  à  diverses  époques. 

Nous  consacrons  des  chapitres  spéciaux  à  la  bibliogra- 
phie et  à  l'iconographie  du  général  nantais,  mais  en 
dehors  des  écrits  et  des  images,  peinture,  gravure  ou 
sculpture,  qui  rappellent  sa  vie  ou  ses  traits,  il  est  d'autres 
souvenirs  qui  méritent  aussi  une  mention . 

C'est  ainsi  que  dès  1845,  le  nom  de  Cambronne  fut 
attribué  par  la  municipalité  de  Nantes  à  une  rue  qui 
s'amorçait  au  cours  Henri  IV  et  qui,  élargie  considérable- 
ment et  continuée  depuis  jusqu'à  la  rue  de  Flandres,  est 
digne  de  celui  dont  elle  remémore  les  exploits. 

Le  cours  Henri  IV  lui-même,  devenue  sous  l'Empire 
cours  Napoléon  et  depuis  1870,  cours  de  la  République, 
n'est  en  réalité  jamais  désigné  par  les  habitants  de  Nantes, 
malgré  les  plaques  officielles,  que  sous  le  nom  de  cours 
Cambronne  bien  justifié  par  la  statue  du  général  qui 
occupe  le  point  central  de  cette  promenade. 

Lorsqu'il  y  a  quelques  années,  une  décision  du  ministre 
de  la  guerre  donna  aux  casernes  le  nom  des  généraux  qui 
avaient  illustré  à  la  fois  la  France  et  leur  ville  natale,  la 
principale   caserne   de    Nantes,    connue    jusque-là  sous 


—  327  — 

l'appelation  de  caserne  de  Barbin  à  raison  du  quartier  oij 
elle  était  située,  reçut  le  nom  de  caserne  Gambronne. 
C'est  là  qu'est  installé  le  60"  régiment  d'infanterie  de 
ligne. 

A  Paris,  dans  le  XV^  arrondissement  (Vaugirard),  il  n'y 
a  pas  moins  de  trois  voies  publiques  qui  ont  reçu  le  nom 
de  Gambronne  : 

La  rue  Gambronne  ; 

La  place  Gambronne  ; 

L'impasse  Gambronme. 

La  rue,  assez  longue,  puisqu'elle  compte  127  numéros, 
qui  va  de  la  place  Gambronne  à  la  rue  de  Vaugirard  230- 
232  et  la  place  qui  se  dessine  à  la  rencontre  des  rues 
Gambronne,  Groix-Nivert,  Frémicourt  et  de  l'avenue 
Lowendal,  ont  reçu  leur  dénomination  par  un  décret 
impérial  daté  de  Saint-Gloud  le  24  août  1864. 

L'impasse  doit  la  sienne  à  un  arrêté  préfectorar  du  1" 
février  1877. 

Dans  le  Recueil  des  Lettres-Patentes,  ordonnances 
royales^  décrets  et  arrêtés  préfectoraux  concernant  les 
voies  publiques,  page  352,  on  lit  : 

Napoléon,  etc., 

Sur  le  rapport  do  notre  ministre,  secrétaire  d'Etat  au  départe- 
ment de  l'intérieur  ; 

Vu  la  délibération  du  Conseil  municipal  de  Paris,  en  date  du 
20  mars  1863,  relative  à  la  révision  de  la  nomenclature  des  voies 
publiques  connues  sous  les  mêmes  dénominations  ; 

Vu  l'ordonnance  du  40  juillet  1816  ; 

Avons  décrété  et  décrétons  ce  qui  suit  : 

Article  premier.  —  Les  voies  publiques  ci-après  désignées  de 
la  ville  de  Paris  recevront  les  nouvelles  dénominations  portées 
au  tableau  suivant  : 

(Suivent  196  changements  do  noms  de  voies  publiques). 


—  328  — 

Au  Xye  arrondissement,  la  rue  de  l'Ecole  devient  la 
rue  Cambronne  et  la  place  de  l'Ancienne  Barrière  de 
l'Ecole  devient  la  place  Cambronne. 

D'autre  part,  dans  Xa.  Nomenclature  des  voies  publiques 
et  privées  de  Paris  (4^  édition  1891,  page  105),  on  trouve 
que  la  rue  Cambronne  est  ainsi  appelée  en  mémoire  du 
«  vicomte  Pierre-Jacques-Etienne  Cambronne,  lieutenant- 
général,  1770-1842  »  et  que  le  nom  de  Cambronne  a  été 
donné  à  cet  endroit,  à  cause  du  «  voisinage  de  l'Ecole 
Militaire.  » 

L'arrêté  préfectoral  du  l^i'  février  1877,  signé  Ferdinand 
Duval  qui  dénomme  l'impasse  Cambronne,  s'appuie  aussi 
sur  le  besoin  d'éviter  les  confusions  occasionnées  par  les 
répétitions  de  noms.  L'impasse  Cambronne  joint  naturel- 
lement la  rue  Cambronne. 

Nous  pensions  que  quelque  rue  de  Noyon  pouvait  porter 
le  nom  du  général.  Il  n'en  est  rien,  mais  le  maire  de  cette 
ville  songe  à  le  donner  à  l'une  des  voies  d'accès  qui  con- 
duiront à  une  caserne  en  construction. 

Des  navires  ont  porté  à  plusieurs  reprises  le  nom  de 
Cambronne.  Nous  en  connaissons  deux  pour  notre  part, 
le  Cambronne,  armateurs  3IM.  Braheix  frères,  que  com- 
mandait en  1858  le  capitaine  Ravilly,  et  le  Cambronne, 
armateur  M.  Bâtard. 

On  distribua  môme  à  Nantes  il  y  a  quelques  années  le- 
prospectus  d'un  journal  «  fantaisiste  et  artistique  »  doat 
la  première  fantaisie  avait  été  de  s'intituler  :  le  Cam- 
bronne. Peut-être  en  parut-il  un  ou  deux  numéros. 

Cambronne  était  une  physionomie  trop  populaire  pour 
ne  pas  inspirer  quelque  auteur  dramatique.  Sans  parler 
des  pièces  militaires  relatives  au  premier  Empire  et  dans 


—  329  — 

lesquelles  il  figure  au  second  plan  (1),  nous  connaissons 
deux  drames  qui  lui  ont  été  exclusivement  consacrés. 
C'est  d'abord  Cambronne,  drame  en  cinq  actes  et  neuf 
tableaux,  dont  l'auteur  était  M.  Gaston  de  Riberprey. 

Cette  pièce  au  cinquième  tableau  de  laquelle  avait  été 
intercalé  un  pas  de  deux,  la  Dunkerquoise  dansé  par 
M.  Domingie  et  M"«  Guichard,  fut  jouée  pour  la  première 
fois  au  théâtre  Graslin,  à  Nantes^,  le  22  janvier  1860.  Le 
héros  eut  plus  de  succès  que  la  pièce,  s'il  faut  en  croire 
le  compte-rendu  qu'en  donna  le  lendemain  le  Phare  de  la 
Loire  et  dont  voici  quelques  lignes  : 

Le  Grand-Théâtre  adonné  hier  la  première  représentation  d'un 
nouvel  ouvrage  inédit  en  5  actes  et  9  tableaux,  intitulé  Cnm- 
bronne.  Les  spectateurs  avaient  répondu  en  grand  nombre  à 
l'appel  de  l'affiche  et  il  s'en  trouvait  parmi  eux  plus  d'un  pour 
qui  le  héros  de  la  pièce  était  une  connaissance  personnelle  et  les 
événements  auxquels  il  allait  cire  mêlé  des  souvenirs.  Le  titre 
du  drame  aussi  bien  que  ceux  dea  tableaux  annonçaient  une 
biographie  dramatique  du  soldat  dont  la  statue  en  bronze  figure 
depuis  quelques  années  sur  notre  cours  Napoléon  ;  l'attente  a 
été  un  peu  trompée. 

Cambronne  n'apparaît  le  plus  souvent  que  d'une  façon  épiso- 
dique  dans  l'action  laquelle  n'est  d'ailleurs  par  elle-mùmc  qu'une 
succession  d'épisodes,  plutôt  que  la  chaîne  fortement  nouée 
d'événements  tendant  à  cette  unité  scénique  sans  laquelle  il 
n'existe  pas  au  théâtre  de  véritable  intérêt. 

L'auteur  nous  montre  Cambronne  simple  volontaire,  puis 
lieutenant,  puis  colonel  et  enfin  général,  traversant  ainsi,  mon- 
tant de  grade  en  grade,  la  période  de  1792  à  181S.  Pendant  cette 
carrière    militaire,   Cambronne    est    constitué    pi'otecteur   d'ua 

(1)  A  l'heure  même  où  paraît  ce  livre,  une  épopée  militaire  intitulée 
Napoléon  fait  courir  tout  Paris  à  la  Porte-Saint-Martin. 

Le  clou  de  cette  pièce  est  précisément  la  Défense  du  Dernier 
Carré.  L'acteur  chargé  du  rôle  de  Cambronne  y  crache  le  fameux 
mot  à  la  figure  des  Anglais. 


—  330  — 

jeune  homme,  soldat  comme  lui  et  d'une  jeune  fille  opprimée 
par  un  scélérat  de  la  plus  laide  espèce.  Voleur  et  assassin,  ce 
misérable  joue,  en  outre,  avec  un  subalterne,  son  complice, 
lequel  ne  lui  cède  en  rien,  un  rôle  de  traître  consommé.  A 
Jemmapes,  en  Espagne,  à  Waterloo,  l'un  et  l'autre  se  prodiguent 
pour  amener  le  triomphe  de  l'étranger  et  la  défaite  de  la  France. 

...  Les  tambours,  les  clairons  et  la  fusillade  font  un  tel  bruit 
dans  Cambronne  qu'ils  ont  empêché  à  la  fin  d'entendre  la  fameuse 
phrase  :  «  La  garde  meurt  mais  ne  se  rend  pas  »  que  la  postérité  a 
euphémiquement  substituée  au  mot  historique  par  lequel  le  général 
répondit  à  la  sommation  de  l'ennemi.  Cette  phrase  était  cepen- 
dant le  dénouement  de  l'ouvrage  qui  a  paru  n'en  pas  avoir. 

Les  deux  premiers  tableaux  sont  les  mieux  faits  de  Cambronne. 
L'action  s'égare  après,  sans  qu'on  puisse  dire  si  elle  suit  le 
héros  ou  si  c'est  le  héros  qui  la  suit.  On  voit  bien  s'agiter  les 
personnages  du  drame,  mais  on  ne  sait  pas  trop  par  quelle 
puissance  supérieure  ils  sont  menés... 

En   1884,   nouvelle  tentative  dramatique    pendant   la 

saison  d'été.  Un  des  artistes  de  la  troupe,  M.  Champagne, 

brossa  en  deux  temps  et  trois  mouvements,    Cambronne 

ou  le  héros  nantais,  pièce  historique  à  grand  spectacle, 

en  trois  époques  et  deux  tableaux  dont  voici  quelle  était 

la  distribution  : 

Cambronne MM .    Dorn 

Le  Nantais Champagne 

Esaii E.  Lassalle 

Coco  l'Amour Tony 

Pitanchu Praud 

Baco Desban 

Bernadette Bricaire 

Carrier Bonis 

Masséna Bristol 

Porhouet Bresset 

La  Tour  d'Auvergne Bandés 

Le  comte Nerestaud 

Le   marquis Lebat 

Le  major Hortais 

Lord  Seymour Jamain 


Mraes   Dorn-Geslin 


~  331  - 

Le  général  russe MM.    Carreau 

Un  paysan Souis 

Un  sectionnaire Lebat 

Un  soldat Poncha 

Un  breton Nerestaud 

Un  vendéen Bresset 

Un  général Hortais 

Mme  Gambronne 

La  France. .     

La  comtesse  d'Aulnay Mass 

Simonette Tony 

Marie Gautier  de  Lonele 

Marguerite Bonis 

Marthe Carreau 

Ir*  femme  du  peuple Brionne 

2e  femme  du  peuple Adrienne 

Cette  fois,  les  tambours,  les  clairons,  la  fusillade  ne 
firent  pas  un  bruit  tel  que  le  mot  historique  ne  pût  être 
entendu.  L'auteur  chargé  du  rôle  de  Çambronne  le  lança 
à  bout  portant  aux  troupes  anglaises,  mais  la  pièce  était 
si  faible  comme  intérêt  et  comme  action  qu'elle  ne  tint 
pas  longtemps  l'affiche. 

Qui  le  croirait?  Gambronne  a  enrichi  la  langue  fran- 
çaise. Dans  une  notice  publiée  sur  lui,  le  Cabinet  histo- 
rique se  sert  quelque  part  de  l'adjectif  :  cambronien 
comme  il  se  fût  servi  de  cornélien,  pour  indiquer  un  acte 
digne  de  Gambronne  et  vous  trouverez  à  la  page  60  des 
Locutions  nantaises  de  Paul  Eudel  (Nantes,  1884,  Morel, 
éditeur)^  ces  deux  lignes  significatives  : 

Encambronner.  —  Allusion  au  mot  fameux  du  général 
nantais.  «  Tu  m'encambronnes.  » 

Ce  vocable  facile  à  traduire,  nous  rappelle  la  définition 
un  peu  grasse,  mais  amusante,  que  nous  avons  un  jour 
entendu  faire  devant  nous  de  Gambronne  .• 

—  Célèbre  général  français  qui,  heureusement  pour 
lui,  ne  mâchait  pas  ses  mots. 


CHAPITRE  XXV 

LA  SUCCESSION  DE  M">e  CAMBRONNE 

Le  général  Gambronne  était  mort  sans  héritier  à  réserve^ 
Ce  fut  donc  sa  veuve  qui,  en  qualité  de  légataire  univer- 
selle, entra  en  possession  de  ses  biens  dont  nous  trouvons 
l'analyse  dans  la  déclaration  de  succession  qu'elle  fit  en 
personne  et  dont  voici  la  substance  : 

Mobilier  à  M.  Cambronne  4,7S0fr. 

Armes  et  vêtements  500 

Prorata  de  pension  militaire  320 

Créances  hypothécaires  sur  divers  et  intérêts         82,806,43 
Prorata  d'immeubles  à  Noyon  100 

88,476,43 
Elle  avait  du  reste  fait  les  choses  en  règle,  dépôt  des 
testaments  de  1826  et  de  1835,  notoriété,  certificat   de 
propriété  pour  la  pension  militaire  etc.  (1) 

Mais  il  fallait  aussi  que  M™®  Gambronne  songeât  à  re- 
commencer son  testament,  puisque  son  mari  l'avait  pré- 
cédée dans  la  tombe.  G'est  ce  qu'elle  fit  par  un  acte 
olographe  dont  le  modèle  lui  avait  été  sans  doute  fourni 
par  quelque  homme  d'affaires  et  qui  porte  la  date  du  22 
février  1843,  En  voici  le  libellé  dont  nous  avons  tenu  à 
respecter  l'orthographe: 

MES  DERNIÈRES  VOLONTÉES 

Comme  il  n'y  a  rien  d'aussi  certain  que  la  mort  et  d'aussi  in- 
certain que  le  moment  où  elle  doit  venir,  je  veux  dès  à  présont 

(1)  Actes  au  rapport  de  M<^  Chaillou,  notaire  à  Nantes,  4,  12,  16,  26 
février,  10  mai,  9  juin  1842,  dont  les  minutes  sont  conservées  en 
l'étude  de  M*  Ertaud,  titulaire  actuel  de  cette  charge. 


—  333  — 

et  par  pure  prévoyance  de  l'avenir  disposer  de  mon  avoir  pour 
le  temps  où  je  n'existerai  plus. 

En  conséquence  je  donne  et  lègue  aux  enfants  des  deux  filles 
de  feu  mon  mari  John  Sword  de  Glasgow  en  Ecosse,  l'aînée 
Marguerite  Sword,  mariée  à  M.  Stuart,  d'Overton  près  de 
Glasgow,  la  plus  jeune  mariée  à  M.  Stuart,  de  Carfm  aussi  près 
de  Glasgow,  la  somme  de  quatre  vingt  mille  francs  qui  seront 
également  partagés  entre  les  enfants  des  dites  deux  filles  de  feu 
mon  mari  John  Sword. 

Je  lègue  à  M.  François  Lemerle,  neveu  du  général  Cambronne, 
artiste,  de  présent  h  Paris,  la  propriété  de  Dives  située  près  de 
Noyon,  ainsi  que  le  portrait  de  la  mère  du  général  Cambronne. 

La  nue  propriété  de  la  Baugerie  située  sur  la  côte  St-Sébastien 
a  été  donnée  par  contrat  de  mariage  à  M">e  Roussin,  mais  le  vin 
et  tout  le  mobdicr  qui  pourront  s'y  trouver  à  mon  décès  m'ap- 
partenant  devront  en  être  retirés  et  vendus. 

Je  donne  à  Louis  Pasquet,  mon  jardinier  la  somme  de  deux 
mille  francs  net. 

Je  donne  à  Marie  Odigan,  ma  cuisinière  également  deux  mille 
francs  net. 

Jo  donne  à  Mario  Chopin,  ma  vachère,  aussi  une  somme  de 
doux  mille  francs  nel.  Ma  succession  suportera  les  droits  et  frais 
que  pourront  occasionner  ces  trois  legs^  ce  que  je  laisse  ci-dessus 
à  mes  trois  domestiques  ne  leur  reviendra  bien  entendu  qu'au- 
tant qu'ils  seront  restés  à  mon  service  lors  de  mon  décès  autre- 
ment ils  n'auront  droit  à  rien. 

Je  donne  à  M.  François  Bui'eau,  commis  de  M.  Wack,  une 
somme  de  deux  mille  francs  net. 

Je  donne  à  M.  Emile  Wack,  coui'tier,  agent  de  change  que  je 
aiommc  et  institue  mon  exécuteur  testamentaire  la  grande  pendule 
qui  est  dans  mon  salon  avec  les  candélabres,  une  somme  de  six 
mille  francs  pour  l'indemniser  des  peines  et  soins  que  lui  cause- 
ra les  commissions  dont  je  le  prie  de  se  charger  pour  faii'c  exé- 
cuter mes  dernières  volontés.  Ceci  n'est  qu'un  faible  témoignage 
de  la  haute  estime  que  le  général  et  moi  avons  toujours  conçue 
pour  lui. 

Je  donne  et  lègue  à  M'ie  Elise  Collet,  une  somme  de  dix  mille 


—  334  — 

francs,  comme  étant  la  fille  de  l'homme  le  plus  honnête  et  le 
plus  estimable  que  je  connaisse. 

Je  donne  à  Mme  Chauvot  Clavier,  ma  garde-robe  et  mon  por- 
trait en  souvenir  de  toutes  les  bonnes  attentions  qu'elle  a  cons- 
tamment eues  pour  moi,  qu'elle  en  trouve  ici  toute  la  reconnais- 
sance d'un  cœur  qui  a  bien  su  l'apprécier. 

Je  donne  à  l'école  protestante  de  cette  ville  une  somme  de 
trois  mille  francs  qui  sera  emploiée  par  M.  Rousselet,  ministre 
protestant  en  acquisition  d'une  rente  pour  l'usage  de  la  dite  école 
Telles  sont  mes  dernières  veloutées.  Fait  à  Nantes,  le  22  février 
1843. 

Veuve  CambronnEj  née  Osburn. 

M™e  Gambronne  mourut  le  4  janvier  1854,  sans  avoir 
remanié  son  testament.  François  Lemerle,  neveu  du  gé- 
néral, qui  y  était  porté,  était  mort  l'année  précédente. 
Le  portrait  de  M»»*  Gambronne  mère  qui  lui  avait  été  légué 
resta  la  propriété  de  la  famille  Koussin,  qui  le  possède 
toujours. 

On  ne  connaissait  pas  d'héritier  à  Mni«  Gambronne.  La 
succession  fut  donc  déclarée  vacante  par  jugement  du 
tribunal  civil  de  Nantes  du  23  mai  suivant.  Un  autre  juge- 
ment du  15  juin  nomma  M.  Brindejonc,  avoué,  comme 
administrateur  de  cette  importante  succession  qui  avait 
fait,  entre  temps,  l'objet  d'une  demande  d'envoi  en  poses- 
sion  provisoire  de  la  part  de  l'administration  des 
Domaines. 

Cependant  un  inventaire  avait  été  dressé  presque  au 
lendemain  du  décès  par  les  soins  de  M«  Boiscourbeau, 
notaire,  commis  par  justice.  (1) 

Nous  avons  extrait  de  ce  document  les  articles  suivants 
qui  nous  ont  paru  curieux  à  divers  titres,  comme  se  rap- 
portant plus  spécialement  au  général  : 

(1)  Cet  inventaire  porte  la  date  des  11-13  janvier  1834. 


—  335  — 

Mobilier  trouvé  au  domicile  de  ilfme  veuve  Cambronne. 

Deux  pistolets  à  pierre,  estimés 12  fr. 

Le  portrait  du  général  Dumoustier,  celui  de  Robert  Gra- 
hamine  et  le  daguerréotype  de  la  statue  du  général  Cambronne 
sur  le  cours  Napoléon,  estimés 10  fr.  * 

Armes  d'honneur,  décorations  et  objets  divers  ayant  apparte- 
nu au  général  Cambronne. 

Deux  bustes,  l'un  du  général  Cambronne  par  Suc,  et  l'autre 
du  général  Dumoustier,  un  portrait  gravé  du  général  Cambronne, 
deux  épaulettes  en  argent  doré,  un  chapeau  galonné,  une  épée, 
un  sabre,  une  boite  de  pistolets,  un  crachat,  quatre  croix,  un 
petit  lot  de  rubans  rouges,  deux  médailles  de  bronze  et  un 
double  poignard,  le  tout  estimé 100  fr. 

Mobilier  trouvé  à  La  Baugerie. 
Unfusil  simple  à  répercussion,  garni  en  argent,  estimé      IS  fr. 

Papiers  de  famille. 

Titres  de  la  propriété  de  Dives,  près  de  Noyon  et  le  portrait 
de  la  mère  du  général  Cambronne,  légués  à  Fx-ançois  Lemerle, 
neveu  du  général. 

Contrat  de  mariage. 

Acte  du  mariage  civil  du  10  mai  1820. 

Acte  du  mariage  religieux,    célébré   à  Noyon,  le  22  juillet 

1820,  à  l'église  catholique  de  cette  ville. 

Testaments  du  Général. 

Testament  du  2o  septembre  183S,  au  rapport  de  M«  Barailler, 
notaire. 

Testament  olographe  du  1er  janvier  1832,  conçu  en  termes 
identiques  à  celui  de  1833. 

Trois  autres  testaments  en  date   de  Lille,  le  11  septembre 

1821,  le  1er  janvier  1822,  le  14  mai  1822,  dans   lesquels   Mme 
Cambronne  était  instituée  légataire  universelle  de  son  mari. 

Testament  de  Mme  PoUock,  sœur  de  Mme  Cambronne,  par 
acte  du  8  mars  1823,  au  rapport  de  Me  Barailler,  notaire  à 
Nantes. 


—  336  — 

Titres  de  propriété'. 

Titres  de  la  propriété  de  Bussy,  commune  de  Bussy,  arron- 
dissement de  Compiège,  suivant  acte  de  vente  à  M.  et  M^e 
Cambronne,  moyennant  30,000  francs  payés  comptant,  par  acte 
da  12  novembre  1820,  au  rapport  do  M^  Richartet  son  collègue, 
notaires  à  Noyon. 

Titres  de  la  propriété  de  Dives,  commune  de  ce  nom,  suivant 
acte  de  vente  à  M.  et  M"'^  Cambronne,  moyennant  4,730  francs 
payés  comptant,  par  acte  du  3  juin  1821,  par  M^e  Justine 
Cambronne,  épouse  autorisée  d'Armand-Pierre  Le  Merle,  qui 
était  propriétaire  de  la  moitié  indivise  de  cette  propriété  trou- 
vée dans  la  succession  de  Mme  Druon,  veuve  Cambronne. 

Titres  de  la  métairie  de  la  Louzinière,  communes  de  Saint- 
Etienne-de-Mont-Luc  et  de  Couëron,  acte  du  25  mai  4824,  de 
6,000  francs  au  rapport  de  Me  Barailler. 

Bail  de  l'appartement  de  Mme  veuve  Cambronne,  moyennant 
9S0  francs. 

Pension  viagère  sur  l'Etat  de  1,000  francs,  à  Mme  veuve 
Cambronne. 

Etats  de  service  et  autres  papiers  relatifs  à  la  personne  du 
général  Cambronne. 

Pièces  relatives  au  tombeau  du  général  Cambronne  et  à 
l'érection  de  sa  statue  sur  le  cours  Napoléon 

Pièces  relatives  au  legs  de  l'empereur  Napoléon,  au  profit  du 
général  Cambronne. 

Nous  avons  rendu  visite  à  M.  Boiscourbeau,  ancien 
notaire,  rédacteur  de  cet  inventaire,  mais  il  n'a  pu  nous 
dire,  vu  le  long  temps  écoulé  depuis  1854,  ce  qu'étaient 
devenus  les  papiers  mentionnés  dans  ce  document.  Nous, 
aurions  été  curieux  de  connaître  les  pièces  relatives  à  la 
personne  du  général  Cambronne,  au  legs  que  lui  avait 
consenti  l'empereur  Napoléon  à  son  tombeau,  à  Térection 
de  sa  statue. 

Où  sont  ces  papiers  de  famille  ? 

Cependant  les  légataires  institués  par  le  testament  de 


—  337  — 

1843  se  présentaient  à  radministrateur  de  la  succession. 
C'était  pour  le  legs  de  80.000  fr.  fait  aux  enfants  des  deux 
filles  de  M.  John  Sword,  précédent  mari  de  la  testatrice  : 
lo  Mme  Marie  Stewart,  épouse  de  James  Sword,  écuyer 
autrefois  à  Werthhown ,  propriétaire  à  Edimbourg  ; 
2°  Robert  Stewart  de  Garfm,  propriétaire  à  Swerbword, 
comté  de  Linbithgow  (Ecosse)  ;  3°  John-Henry  Stewart, 
écuyer,  demeurant  à  Edimbourg,  Norton-place,  n»  2  ; 
4.0  ]viine  3iary-Anne  Sword,  veuve  du  docteur  James-Fré- 
déric Stewart,  en  son  vivant  chirurgien  au  Bengale, 
demeurant  à  Edimbourg,  Dean-Terrace,  n»  13,  agissant 
comme  tutrice  légale  de  d'ie  Constance  Stewart,  sa  fille 
mineure. 

C'était  pour  un  legs  de  10.000  fr.,  M'"e  Elise  Collet, 
devenue  épouse  de  M.  Valéry  Chenel-Lagarde,  architecte 
à  Paris. 

jyjme  veuve  Chauveau,  née  Marguerite-Louise-Claude 
Clavier,  réclama  la  garde-robe  de  Mme  veuve  Cambronne, 
qui  lui  fut  remise.  M"*«  Chauveau  était  la  petite-fille  de 
Clavier,  receveur  d'enregistrement  sous  la  Révolution  et 
de  Lory  qui  prit  part,  comme  délégué  de  Nantes,  à  la  fête 
de  la  Fédération  le  14  juillet  1790.  L'un  était  son  aïeul 
paternel,  l'autre  son  aïeul  maternel.  Elle  avait  épousé 
Chauveau,  officier  de  marine,  qui  ne  fut  marié  que  quel- 
ques mois  et  mourut  dans  un  naufrage  sur  le  rocher  du 
Chien,  en  vue  de  Noirmoutier.  M"^'^  Ïhomas-Lory,  nièce 
de  M™«  Chauveau,  demeurant  à  la  Montagne  près  Nantes, 
possède  encore  une  mèche  de  cheveux  du  général  et  les 
dent€lles  données  par  Cambronne  à  sa  femme  à  l'occasion 
de  leur  mariage. 

M.   Paul-Emile  Wack   avait   droit,    comme    exécuteur 

22 


—  338  — 

testamentaire  à  6.000  fr.  et  à  une  pendule  avec  ses  can- 
délabres. 

Le  Conseil  presbytéral  de  l'Eglise  réformée  de  Nantes 
réclama  les  3.000  fr.  qui  lui  avaient  été  légués. 

Il  fut  fait  droit  à  ces  diverses  demandes  en  délivrance 
de  legs  qui  allaient  à  un  chiffre  total  de  près  de  deux  cent 
mille  francs,  puis  l'Etat  mit  la  main  sur  le  reste,  sauf 
à  l'administrer  pendant  trente  ans  pour  permettre  aux 
revendications  même  les  moins  probables  de  se  produire 

Qui  le  croirait?  Il  s'en  produisit  de  la  part  d'une  héri- 
tière prétendue  de  M^e  veuve  Cambronne. 

Un  long  procès  s'engagea  au  sujet  de  cette  réclamation 
devant  le  tribunal  civil  de  Nantes  qui  statua  finalement  le 
ISavril  1872parunjugement  curieux  aux  termes  duquel  la 
demande  était  repoussée.  C'était  une  dame  Christina 
Osburn,  veuve  Daniel  Wright,  demeurant  à  Glasgow  qui 
«e  disait  parent«  au  cinquième  degré  de  M'"^  Cambronne, 
mais  des  actes  de  naissance  et  de  baptême  produits  pour 
établir  l'arbre  généalogique,  plus  encore  de  l'absence  de 
certaines  pièces,  notamment  de'  l'acte  de  naissance  de 
M'"^  Cambronne,  le  tribunal  inféra  que  la  parenté  légitime 
entre  la  défunte  et  sa  prétendue  héritière  n'était  pas 
établie. 

Me  Coquebert  avait  plaidé  pour  M^»  Wright,  M^  Wal- 
deck-Rousseau  pour  l'Etat  qui  gagna  son  procès  et 
demeura  en  possession  de  toute  cette  fortune  jusqu'au  4 

(1)  Actes  au  rapport  de  M*  Boiscourl>eau,  notaire  à  Nantes  —  12 
juillet,  12  aortt,  31  août,  16  et  12  septembre  18:j4,  8  février,  8  mars, 
23  et  28  juin,  4  juillet  183o. 

La  Baugerie  fut  vendue  moyennant  40.000  fr.  à  M.  llippolyte 
Roques  et  à  dame  Julie  Babin,  son  épouse. 


—  339  — 

janvier  1884,  date  à  laquelle  ses  droits  se  trouvèrent 
consolidés  par  l'échéance  des  trente  ans  écoulés  depuis  la 
mort  de  M™^  Cambronne. 

A  cette  époque,  le  compte  fut  arrêté  par  l'administra- 
tion des  domaines  aux  chiffres  suivants  : 

Recettes 110.571  fr.  35 

Dépenses , 8.093         48 

C'était  donc  un  héritage  de  plus  de  100.000  fr.  nets 
qui  revenait  à  l'Etat. 

Détail  curieux,  malgré  l'affection  que  M.  et  M™^  Cam- 
bronne éprouvaient  l'un  pour  l'autre  ils  ne  reposent  pas 
dans  le  même  tombeau.  Elle  est  ensevelie  pourtant  comme 
lui  au  cimetière  de  Miséricorde^  mais  dans  l'enclos  réservé 
au  culte  protestant.  Le  monument  sans  caractère  qui 
recouvre  ses  restes  mortels  porte  l'inscription  suivante  : 

A  LA  MÉMOIRE 

DE   MADAME    LA    VICOMTESSE  CAMBRONNE 

NÉE   MARIE   OSBURN 

Veuve  du  général  de  la  Garde  Impériale 

de  Napoléon  /*"", 

Décédée  le  4  janvier  i854 

C.  A.  P.  no  3.417. 


CHAPITRE  XXVI 

BIBLIOGRAPHIE 

Procès  du  général  Cambronne,  commandant  de  la 
légion  d'honneur,  contenant  toutes  les  pièces,  interroga- 
toires, débats,  rapports,  plaidoyers  de  la  procédure. 

In-8°.  Paris  1816.  Impr.  Fain,  place  de  l'Odéon.  Se 
vend  chez  L'huillier,  libraire,  rue  des  Maçons-Sorbonne, 
1,  chez  Delaunay,  libraire,  Palais-Royal  et  chez  Pillet, 
libraire-imprimeur,  rue  Christine,  5. 

Le  compte-rendu  du  procès  est  le  compte-rendu  offîcieL 
Il  y  a  une  préface  intéressante. 

Ce  livre  se  trouve  au  British  Muséum  de  Londres,  il  est. 
catalogué  comme  suit  :  Waterloo  282.  i,  19. 

D'après  une  note  bibliographique  d'OEttinger  (1866) 
l'auteur  de  cette  brochure  serait  Evariste  Dumoulin. 

Procès  du  maréchal  de  camp  baron  Cambronne^ 
précédé  d'une  notice  histerique  sur  cet  officier  général. 

Paris,  Doublet.  1816,  in-8«,  80  pp. 

Ce  livre  se  trouve  à  la  Bibliothèque  publique  de  Nantes. 
Il  est  catalogué  tome  VI,  no  57.504. 

Procès  du  maréchal  de  camp,  baron  Cambronne, 
précédé  d'une  notice  historique  très  détaillée  sur  la  vie  et 
le  caractère  de  cet  officier  général,  par  L.  Th'*M816. 

Cet  ouvrage  contient  les  interrogatoires,  les  pièces  du 
procès,  les  débats,  le  discours  du  rapporteur,  le  plaidoyer 
entier  de  M^  Berryer,  le  jugement  et  le  pourvoi. 


—  341  — 

A  Paris  :  chez  Plancher,  éditeur,  rue  Serpente  n"  14; 
Eymery,  libraire,  rue  Mazarinen»  30  ;  Delaunay,  libraire, 
.au  Palais-Royal. 

A  Bruxelles,  chez  Lecharlier,  libraire. 

Plaquette  de  20  c/  s/12  contenant  80  pages  ;  c'est  un 
în-16.  La  dernière  porte  cette  mention  :  De  l'imprimerie 
de  Doublet,  rue  Gît-le-Cœur,  n**  7. 

L'auteur  en  est  Léon  ïhiessé. 

Procès  du  général  Cambronne,  commandant  de  la 
Légion  d'honneur  (Paris  1816  in-8o)  par  Henri  de  La- 
touche, 

Il  en  parut  une  seconde  édition  en  1822. 

Mémoire  pour  le  maréchal  de  camp  Cambronne. 

Paris,  sans  date  (probablement  1816).  Porthmann,  in- 
40  (1  page), 

Ce  document  devrait  figurer  à  la  bibliothèque  du  minis- 
tère de  la  guerre.  Il  est  mentionné  au  n»  273  du  volume 
V  du  catalogue  du  dépôt  de  la  guerre,  v°  Sciences  histo- 
riques, au  chapitre  intitulé  ;  Mélanges  historiques,  mais 
il  a  été  égaré  ou  emprunté  par  un  lecteur  qui  a  négligé 
de  le  rendre. 

La  vie  militaire  de  Cambronne,  maréchal  de  cam  (sic) 
contenant  la  relation  de  ses  campagnes,  en  Allemagne  et 
en  Suisse,  de  son  action  mémorable  à  la  bataille  de 
Waterloo,  suivie  de  son  procès  devant  le  Conseil  de 
guerre  de  la  l''*'  division  militaire  du  département  de  la 
Seine,  avec  le  jugement  qui  le  renvoie  absous  et  ordonne 
son  élargissement,  par  CD.  —  Paris,  Locart  et  Davi, 
I822.  in-i2,  portrait,  lo^  pp. 

Ce  livre  figure  à  la  Bibliothèque  nationale  no  3.457  et 
à  la  Bibliothèque  publique  de  Nantes  n^  57. 505. 


—  342  — 

La  Bibliothèque  nationale  en  possède  une  autre  édition 
de  1827,  sortant  de  la  même  imprimerie. 

Réception  et  adieux  des  braves  habitants  de  Bordeaux 
au  brave  général  Cambronne. 

Toulouse,  imprimerie  Beniehet  aîné,  rue  de  la  Pomme, 
22,  s.  d.,  pièce  in-S". 

Cette  pièce  qui  n'est  qu'un  extrait  de  l'Indicateur 
Bordelais  fut  sans  doute  imprimée  vers  1818  lors  du 
voyage  de  Cambronne  à  Bordeaux. 

Elle  figure  à  la  Bibliothèque  nationale,  nous  l'avons 
reproduite  au  cours  de  ce  récit. 

Histoire  du  Général  Cambronne,  commandant  de  la 
Légion  d'honneur. 

Paris,  chez  les  marchands  de  nouveautés,  1845.  Impr. 
de  P.  Baudouin,  r.  des  Boucheries-Saint-Germain.  In-18°, 
104  p. 

Il  y  eut  de  cette  plaquette  une  seconde  édition  absolu- 
ment identique,  en  1846.  Elle  figure  à  la  Bibliothèque 
Nationale  sous  le  n**  3458. 

Une  mauvaise  gravure  sur  bois,  assez  curieuse  du  reste, 
orne  le  verso  de  la  page  de  titre. 

Au  Roi,  en  son  Conseil  d'Etat.  Requête  pour  M.  le 
comte  Michel,  capitaine  au  45«  de  ligne,  en  garnison  à 
Bordeaux,  et  M.  le  baron  Michel,  auditeur  au  Conseil 
d'Etat,  sous-préfet  de  l'arrondissement  de  Bar-sur-Aube, 
contre  une  ordonnance  royale  du  5  décembre  dernier  qui 
autorise  la  ville  de  Nantes  à  ériger  un  monument  au 
général  Cambronne  et  à  faire  graver  les  mémorables 
paroles  :  La  Garde  meurt  et  ne  se  rend  pas  (Signé  A. 
Labot,  avocat). 

Paris,  imp.  de  Locquin  (1845),  '\n-¥.  Pièce. 


—  343  — 

Ce  document  figure  à  la  Bibliothèque  Nationale  sous  le 
Bo  34o9. 

Il  en  fut  fait  en  1852  une  seconde  édition,  (impr.  de 
veuve  Dondey-Dupré),  sans  doute  pour  la  satisfaction  de  la 
famille  du  général  Michel,  car  la  cause  était  entendue. 
La  Bibliothèque  Nationale  possède  aussi  un  spécimen  de 
cette  seconde  édition. 

Enfin,  les  Archives  de  la  Mairie  de  Nantes  (dossier  de  la 
statue  de  Cambronne)  possèdent  le  même  document  (grand 
in-4°,  8  pp.  sans  date),  mais  autographié  chez  Denize  et 
Capitaine,  plaint  Saint-Germain-l'Auxerrois,  31,  à  Paris. 
C'est  la  pièce  qui  faisait  partie  du  dossier  de  la  Ville. 

Souscription  nationale  pour  l'érection  d'un  monument 
à  la  mémoire  du  général  Cambronne. 

Nantes  (1845)  s.  date  ni  nom  d'imprimeur.  Grand  in-4». 

C'est  le  spécimen  des  listes  de  souscription,  précédé 
d'un  appel  chaleureux  aux  patriotes  français,  qui  furent 
imprimées  à  Nantes  par  les  soins  de  la  municipalité  et 
répandues  dans  le  public.  Les  archives  de  la  mairie  de 
Nantes  en  possèdent  un  exemplaire. 

Notice  sur  le  général  Cambronne,  à  l'occasion  de 
l'inauguration  de  sa  statue  sur  le  cours  Napoléon,  à 
Nantes,  par  le  D""  Priou. 

Nantes,  impr.  W.  Busseuil,  juillet  1848,  in-ÂP,  5  pp. 
avec  la  statue  de  Debay,  lithogr.,  par  A.  Meuret,  gravée 
par  Charpentier. 

Le  texte  est  imprimé  sur  deux  colonnes  :  la  page  5  est 
imprimée  sur  le  recto  intérieur  de  la  couverture  rose.  La 
brochure  datée  comme  suit  :  22  juillet  1848  et  signée  : 
Priou,  médecin,  contient  des  détails  intéressants  sur  la 
vie  intime  de  Cambronne  ainsi  que  quelques   anecdotes 


—  344  — 

que  l'auteur  avait  recueillies  de  la  bouche  même  du  gé- 
néral. 

La  Bibliothèque  Nationale  (sous  len»  3,460)  et  la  Biblio- 
thèque publique  de  Nantes  (sous  le  n»  57,506)  possèdent 
un  exemplaire  de  cette  plaquette,  qui  se  vendait  25  cen- 
times au  profit  des  pauvres. 

Vie  de  Cambronne,  par  Frédéric  Rogeron  de  La  Vallée, 
avec  cet  exergue  :  «  Il  fut  bon  fils,  bon  époux  et  versa 
son  sang  pour  la  patrie.  » 

Nantes,  impr.  Charpentier,  1853,  gr.  in-S",  portrait 
dessiné  et  lith.  chez  Charpentier,  240  pp. 

La  Bibliothèque  Nationale  (n»  3,461),  la  Bibliothèque 
publique  de  Nantes  (n»  57,507)^  le  British  Muséum  de 
Londres  possèdent  ce  livre  qui  se  fait  rare. 

Ce  livre  —  dont  les  17  premières  pages  sont,  on  ne 
sait  trop  pourquoi,  consacrées  à  une  défense  du  prince 
Louis-Napoléon,  que  l'auteur  avait  déjà  publiée  au  Mans, 
le  2  décembre  1848,  et  qu'il  crut  bon  de  rééditer  en  1853 
—  est  dédié  à  Madame  la  vicomtesse  veuve  Cambronne. 

L'auteur  Frédéric-René  Rogeron,  né  à  Blaison  (Maine- 
et-Loire),  n'avait  que  vingt-cinq  ans  quand  il  écrivit  cet 
ouvrage.  Il  était  alors  premier  clerc  dans  l'étude  de  Me 
Joiion,  notaire  à  Nantes,  à  qui  M^e  Cambronne  confiait  la 
gestion  de  sa  fortune.  C'est  dire  qu'il  se  trouvait  en 
rapports  constants  avec  elle  et  qu'elle  dut  relire  les 
épreuves  du  livre  avant  le  bon  à  tirer  peur  vérifier 
l'exactitude  du  récit.  C'est  ce  qui  nous  donne  à  penser 
que  les  faits  y  sont  généralement  vrais,  malgré  d'indis- 
cutables erreurs. 

Mais  l'ouvrage  aurait  été  plus  intéressant  encore,  d'une 
part  si  l'auteur  avait  consulté  et  publié  tous  les  papiers 


-  345  - 

■du  général  Cambronne,  alors  aux  mains  de  sa  veuve, 
puisqu'ils  furent  inventoriés  l'année  suivante  (1854), 
quand  elle  mourut  à  son  tour,  de  l'autre  s'il  n'avait  pas 
prodigué  au  général  des  flatteries  ridicules  et  empha- 
tiques. 

Cambronne,  notes  et  documents  inédits  par  S.  de  la 
jSficollière-Teijeiro,  archiviste  de  la  ville  de  Nantes. 

Vannes,  librairie  Lafolye,  1892,  gr.  in-8o  32  pp.,  avec 
vignette  représentant  les  armes  de  Cambronne  et  photo- 
graphie hors  texte,  reproduisant  des  armoiries  dessinées 
par  lui. 

Cette  brochure  renferme  différents  documents  inédits 
-que  nous  avons  indiqués  au  cours  de  notre  ouvrage. 

.  Nous  ne  comptons  que  pour  mémoire  les  très  nom- 
breux articles  publiés  sur  Cambronne  dans  les  journaux, 
les  dictionnaires  et  revues  encyclopédiques,  les  livres 
jnème,  mais  concurremment  avec  autre  chose.  Nous 
n'avons  voulu  signaler  que  les  écrits  qui  avaient  été 
consacrés  au  héros  nantais,  mais  à  lui  seul,  sans  le  mêler 
-à  d'autres  personnages  de  la  même  épopée. 


CHAPITRE  XXVIl 

ICONOGRAPHIE 

il  nous  a  paru  intéressant  d'ajouter  à  cette  histoire 
une  revue  iconographique  destinée  à  noter  les  nombreux 
portraits,  dessins,  gravures,  tableaux  où  le  général  Gam- 
bronne  a  été  représenté.  Nous  avons  emprunté,  pour 
vingt-sept  de  ces  portraits,  les  renseignements  que  nous 
a  fournis  V Iconographie  Bretonne  du  marquis  de  Granges 
de  Surgères  (1),  en  les  complétant  sur  quelques  points  de 
détail,  mais  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de  pouvoir 
ajouter  à  cette  nomenclature  d'autres  pièces  qui  font 
monter  au  chiffre  de  63  (et  encore  n'avons  nous  pas  la 
prétention  d'avoir  tout  enregistré)  le  nombre  de  portraits 
du  général  Gambronne. 

Rien  ne  saurait  mieux  témoigner  suivant  nous,  de  sa 
popularité. 

Gravure,    Peinture,    Dessin. 

LE    GÉNÉRAL    SEUL 

Portraits  in-folio 

1.  —  N  (Mi'«  Mayer).  A  Paris,  chez  l'auteur,  rue  des 
Francs-Rourgeois  Saint-Michel,  n»  6.  Médaillon  rond 
dans  un  encadrement  carré.  De  3/4  à  gauche.  Gravure 
au  pointillé. 

2.  —  M.  de  Surgères  signale  une  épreuve  de  même 
format  et  de  même  édition,  mais  presque  de  face  et  dont 
il  possède,  dans  sa  collection,  une  épreuve  coloriée. 

(1)  Rennes,  J.  Plihon  et  L.  Hervé  1888,  p.  93. 


—  347  — 

3.  —  H.  Grevedan  4826.  —  Lith.  de  Senefelder.  Claire- 
voie  de  3/4  à  gauche. 

4.  —  Chez  Roiné  et  Dumoutier,  fabricants  de  cartes  à 
jouer,  de  dominoterie,  de  pain  d'autel  et  de  pain  à 
cacheter,  pont  d'Erdre  à  Nantes  :  in-folio.  Le  «  baron  de 
Cambronne  »,  debout,  nu-tête,  en  tunique  bleue,  en 
culotte  de  peau,  botté,  l'épée  au  clair  dans  la  main  droite, 
la  gauche  en  l'air,  comme  s'il  criait  :  en  avant  !  Quelques 
grenadiers  au  second  plan  ;  au  fond,  un  anglais, un  habit 
rouge  blessé  ;  plus  loin  encore  quelques  accessoires  mili- 
taires ;  un  canon,  des  boulets  empiléS;,  une  redoute  (1). 

La  notice  qui  accompagne  cette  image  est  ainsi  conçue  : 

Lorsqu'à  Waterloo  la  mitraille  ennemie  moissonnait  partout 
nos  braves,  le  général  Cambronne  s'étant  avancé  avec  quelques 
uns  des  siens,  fut  sommé  de  se  rendre. 

—  La  garde  meurt,  elle  ne  se  rend  pas,  répondit-il,  et  ce  cri 
immortel  fut  répété  dans  tous  les  rangs.  Ils  ne  pouvaient  plus 
vaincre,  ils  marchèrent  à  la  mort. 

A   droite  et  à  gauche  est  imprimé   le  document  que 

voici  : 

Chanson  nouvelle 

Air  :  Plaignez  mon  existence. 

L'on  rappelle  à  jamais  les  hauts  faits 

Des  guerriers  pour  toujours  célèbres  dans  l'histoire. 

L'avenir  aura  peine  à  le  croire. 

Ce  que  firent  nos  braves  français. 

Ne  voulant  ni  fuir,  ni  se  rendre. 

Etant  aux  portes  du  trépas. 

Aux  Anglais  ils  firent  tous  entendre  : 

La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

{i)  Nous  connaissons  un  bel  exemplaire  de  cette  image  qui  appar- 
tient à  M™«  Vaugeois  et  figura  en  1886  à  l'exposition  rétrospective 
du  cours  Saint-André,  à  Nantes  et  en  1893,  au  musée  du  Centenaire 
de  la  Révolution  de  cette  même  ville. 


—  348  — 

Au  Mont-Saint -Jenn,  cette  grande  bataille 
Que  Von  surnomme  Waterloo, 
Où  l'on  vit  cette  vieille  garde 
Affronter  des  dangers  nouveaux. 
Ne  voulant  ni  fuir,  ni  se  rendre 
Etant  aux  portes  du  trépas. 
Aux  Anglais  ils  firent  tous  entendre  : 
Li  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

Etant  au  milieu  du  carnage, 

Cambronne  s'écria  :  —  Soldats, 

Imitez-tnoi  pour  le  courage, 

Bisons  :  «  Mourons  et  ne  nous  rendons  pas  » 

Ils  se  sont  écriés  tous  ensemble  : 

Oui,  nous  subirons  le  trépas, 

L'Anglais  entend  cette  voix  touchante  : 

La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

Wellington,  surpris  de  leur  courage 
Leur  envoie  dire  :  —  Braves  soldats 
Evitez-moi  pour  le  carnage, 
Rendez- vous,  vous  ne  pourrez  mieux  faire 
Venez  à  moi,  car  je  vous  tends  les  bras, 
L'Anglais  entend  cette  voix  tendre  et  fière  : 
La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

Le  lendemain  de  la  bataille 
On  voit  nos  guerriers  expirés 
■  Hachés,  criblés  par  la  mitraille. 
Entourés  de  nouveaux  lauriers, 
Ces  guerriers  embrassant  leurs  armes 
Semblent  jurer  qu'ils  ne  les  rendront  pas. 
Anglais,  ici  pour  l'honneur  des  armes 
La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

5.  —  Martinet  del.  A  Paris,  chez  Gharon,  graveur. 
Buste  in-12,  sur  un  socle,  dans  une  pièce  carrée  en  lar- 
geur. Lavis. 


—  349  — 

6.  —  Carrière  1834.  Lith.  de  Uopter.  Claire  voie  3/4  à 
gauche. 

7.  —  Maurin.  I.-Lith.  de  Delpech.  Belle  lithographie 
que  la  bibliothèque  publique  de  Nantes  possède  dans  ia 
collection  Labouchère.  Cambronne  y  est  représenté  jeune 
encore  ou  du  moins  sans  rides,  ce  qui  donne  à  sa  physio- 
nomie un  air  de  bienveillance  et  de  beauté  que  ne  rendent 
pas  ses  autres  portraits.  Nous  en  possédons  un  bel 
exemplaire. 

8.  —  M.  de  Surgères  signale,  comme  sortie  de  la  fa- 
brique de  Pellerin,  à  Epinal,  une  image  en  couleurs  dans 
la  collection  de  la  Gloire  de  la  France.  Il  ajoute  que  ce 
portrait  est  très  laid. 

9.  —  Gloire  Nationale.  Le  g»*  Cambrone  (sic)  B.  Thié- 
bault  sculpsit.  De  la  fabrique  de  Lacour  et  C'**  à  Nancy. 

Image  coloriée  de  56  s/36.  Le  cadre  est  une  sorte  de 
passe-partout  comprenant  en  haut  un  aigle  tenant  entre 
les  serres  la  couronne  impériale  avec  accompagnement  de 
lauriers,  de  foudres  et  de  clairons  et  sur  les  côtés  deux 
colonnes  surmontées  d'une  Renommée  et  ornées  de  pano- 
plies et  de  drapeaux  avec  les  noms  suivants  :  Dego,  Mil- 
lésime, Mondovi,  Lodi,  Wagram,  Arcole,  Rivoli,  Marengo, 
ïéna,  d'une  part,  et  de  l'autre  :  Vigo,  Montenot  (sic), 
Lonato,  Lutzen,  Austerlitz,  Hanau,  Dresde,  MontmiraM  et 
Ligny. 

Au  bas,  la  môme  notice  qu'au  numéro  4. 

Cambronne  est  debout,  très  ressemblant,  la  figure 
tournée  à  gauche.  ïunique  bleue,  culotte  blanche,  bottes, 
en  uniforme  de  général.  La  main  gauche  tendue,  la  droite 
baissée  tenant  un  sabre  au  clair.  Au  fond,  les  grenadiers 
français  en  bleu,  les  anglais  en  rouge  :  (piclques  soldats 
français  blessés  ou  morts. 


—  350  — 

Nous  possédons  un  bel  exemplaire  de  cette  image. 

10.  —  Le  général  Cambronne  né  à  Nantes  le  26  dé- 
cembre 1770.  A  Paris,  chez  Martin,  Palais  de  Justice, 
no  4.  Déposé,  —  Cambronne  est  vu  de  face.  (Collection 
A.  Dortel,  Nantes). 

11.  —  Sehira  sculpsit.  —  Portrait  in-folio  (collection 
Kerviler). 

Portraits  in-4^ 

12.  Mulnier  fils  pinx.  Bosselman  sculp.  Ovale. 

Bon  portrait  avec  la  mention  suivante  :  P.  J.  Etienne 
Cambronne,  né  à  Nantes,  le  26  décembre  1770,  et  une 
épée  nue  entourée  d'une  couronne  dans  un  rayonnement 
lumineux. 

Plus  bas  :  A  Paris,  chez  Daudet  l'aîné,  rue  du  Petit- 
Lion-Saint-Sauveur,  n°  19,  et  à  Nantes  chez  Mulnier  fds, 
peintre  et  professeur  de  dessin.  —  Déposé  au  Bureau  des 
Estampes.  Imprimé  par  Bocourt, 

13.  —  Même  portrait,  même  format,  mais  le  nom,  les 
prénoms,  les  indications  de  lieu  et  de  date  de  naissance 
de  Cambronne,  le  nom  et  l'adresse  de  Mulnier,  le  nom  de 
Bocourt,  l'imprimeur,  ne  figurent  pas.  Epreuve  avant  la 
lettre. 

14.  —  Alfred  D.  1823.  Claire-voie  dirigé  à  gauche. 

15.  —  N.  Lith.  de  Villain.  Dirigé  à  droite. 

16.  —  N.  Lith.  de  Ducarme.  Claire-voie  :  de  3/4  à 
gauche,  dans  la  Galefie  universelle  de  Blaisot. 

*W.  —  A.  Meuret  del,  d'après  Debay.  Lith.  Chapentier, 
à  Nantes. 

C'est  la  reproduction  de  la  statue  érigée  en  1848  sur  le 
cours  de  la  République  à  la  mémoire  de  Cambronne  et  qui 
figure,  hors  texte,  dans  la  Notice  sur  le  général  Cam- 


—  351  — 

bronne  à  l'occasion  de  l'inauguration  de  sa  statue  sur 
le  cours  Napoléon,  à  I\antes,  par  le  docteur  Priou. 

Au  verso  de  la  première  page  de  la  couverture,  se  trouve 
cette  mention  : 

EXPLICATION   DE   LA   GRAVURE 

Le  général  Gambronne  est  représenté  pressant  sur  son 
cœur  un  drapeau,  dans  une  attitude  de  défense,  à  cet  ins- 
tant solennel  où,  sur  le  champ  de  bataille  de  Waterloo,  la 
garde  impériale  fit  entendre,  par  sa  bouche,  sa  dernière 
parole  :  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas. 

P.-J.-E.  Gambronne 

(1770-1842) 
Portraits  in-8° 

18.  —  Forestier,  sculp.  Ambroise  Tardieu,  direxit. 
Glaire-voie  de  face. 

19.  —  Lith.  de  J.  de  Sandobal.  Dans  un  encadrement 
ovale. 

20.  —  I.  Lith.  de  Delpech.  Reproduction  du  numéro 
précédent. 

Dessiné  et  lith.  chez  Charpentier,  à  Nantes,  1853.  Glaire- 
voie;  regarde  de  face. 

Gambronne  porte  en  sautoir  les  insignes  de  comman- 
deur de  la  Légion  d'honneur.  Ge  portrait  figure  dans 
l'ouvrage  de  Rogeron  de  La  Vallée. 

21.  -  G.  Staal  del.  Geoffroy  père  se.  Garré  avec  fond, 
en  pied  à  droite. 

Portrait  dans  un  cadre  rond,  regarde  à  droite.  En  bas 
cette  mention  : 

Pierre- Jacques-Etienne  Gambronne,  (baron  de),  maréchal  de 
camp,    Tun  des  commandants    de  l'ordre  royal   de  la  Légioa 


—  352  — 

d'honneur.  Né  le  26  décembre  1770;,  à  Nantes,  départcmenL  de  la. 
Loire-Inférieure. 

«  La  garde  meurt  et  ne  se  rend  pas  ». 

Bataille  de  Waterloo,  17  juin  1815. 

Déposé  à  la  Direction,  A  Paris,  chez  l'auteur,  rue  des  Francs- 
Bourgcois-Saint-Michel,  no  6. 

22.  —  Le  même,  tirage  en  brun,  porte  en  tête  le  n» 
141,  ce  qui  indiquerait  qu'il  fait  partie  d'une  série-  de- 
personnages  militaires. 

23.  —  Le  même,  comme  légende,  mais  de  face. 

24.  —  Le  même  que  le  n"  20,  tirage  en  couleur  (collec- 
tion A.  Dortel). 

Portraits  in-12 

23.  —  Cambronne.  Claire-voie  ;  dirigé  à  droite,  litho- 
graphie exécutée  en  1833, 

26.  —  Cambrone  (sic)  M"i''Benoistsc.  Le  col  de  l'habit 
de  général  est  ouvert  et  laisse  voir  roulée  autour  dvt 
cou,  la  cravate  de  soie  noire  et  le  cordon  de  la  Légion 
d'honneur.  Bon  et  curieux  portrait. 

27.  —  Reproduction  de  la  statue  De  Debay.  Bois  dans 
V Illustration  vol.  IX  (1847)  p.  403. 

28.  —  Cambronne.  Duc  del.  Couché  sculp.  Mauvaise 
reproduction  en  réduction  du  portrait  gravé  par  M"'^  Hti- 
noist. 

29.  —  Cambronne,  par  M.  Maurin,  Lith.  de  Lemercier, 
JdH  portrait  figurant  au  milieu  d'une  gravure  plus 
grande  qui  forme  le  numéro  20  d'une  Histoire  de  Napo- 
léon publiée  par  Jcannin,  20,  rue  du  Croissant  à  Paris. 
Cette  gravure  comprend  le  retour  de  l'île  d'Elbe,  l'entrée 
à  Grenoble,  l'arrivée  à  Paris,  le  Champ  de  Mai,  Fleurus, 
Ligny,  Waterloo  et  les  portraits  de  Labédoyère  et  de 
Cambronne. 


—  353  — 

30.  —  Portrait  au  crayon  du  général  Cambroone  offert 
par  lui  à  Berryer,  son  défenseur,  au  lendemain  de  sa 
mise  en  liberté  et  appartenant  à  M.  Georges  Berryer, 
neveu  de  l'illustre  avocat  et  inscrit  lui-même  au  barreau 
de  Paris,  C'est  celui  que  nous  reproduisons  en  tête  de  ce 
livre. 

31.  —  Miniature  appartenant  à  M.  Victor  Roussin, 
faite  après  Waterloo  et  portant  la  cicatrice  au-dessus  de 
l'œil  gauche.  La  signature  est  devenue  illisible. 

C'est  le  portrait  que  nous  reproduisons  au  cours  de  ce 
volume. 

GAMBllONNE  AVEC  D'AUTRES  PERSONNAGES 

Portraits  in-f^ 

32.  —  A  Paris  chez  Esbrard.  — A  Waterloo;  carré,  au 
lavis. 

32  bis.  —  Aubry  pinx.  Charon  seul.  —  Cambrone  (sic)  à 
Waterloo,  manière  noire. 

Le  sabre  abaissé  dans  la  main  droite,  la  main  gauche 
levée,  Cambronne  est  en  grand  uniforme  de  général, 
culotte  de  peau  à  pont,  bottes  et  éperons.  A  ses  pieds, 
des  boulets,  des  shakos,  des  affûts  brisés.  Au  fond  les 
grenadiers  luttent  dans  la  fumée  de  la  bataille  contre 
des  Anglais  et  des  highlanders.  Le  général  est  seul  au 
premier  plan. 

33.  —  Chez  Genty.  Carré,  à  cheval  dans  la  mêlée. 
Dirigé  à  gauche.  Aquu-tinte. 

34.  —  A  l'Immortalité  (A  Paris,  chez  Jean,  rue  Saint- 
Jean-de-Beauvais  n°  10)  aquatinte. 

Rien  dans  cette  gravure  n'indiquerait  qu'il  s'agit  de 
Cambronne  et  de  Waterloo  sans  la  légende  rlu  bas  :  La 
garde  meurt  et  ne  se  rend  pas.  Un  officier  anglais  à  pied 

23 


—  354  — 

s'avance  en  tète  de  sa  colonne,  l'épée  abaissée.  Sur  un 
monticule,  un  général  à  pied,  tête  nue,  sabre  en  l'air,  lui 
répond. 

La  gravure  est  mal  dessinée,  mais  curieuse.  Elle  semble 
d'origine  allemande.  Le  nom  des  batailles  dans  le  cadre 
qui  l'entoure  est  orthographié  ainsi  :  JENA,  ELAU. 

35.  —  A  l'Immortalité.  —  Le  même  que  le  précédent, 
mais  tirage  en  couleurs. 

36.  —  Leroy.  Carré  :  vu  de  face  dans  la  mêlée. 

36  bis.  —  A  Paris,  chez  Cléricettij  rué  Galande,  n"  47. 
Carré,  à  l'aqua-tinte.  Debout  en  pied,  le  sabre  dégainé  et 
abaissé  (collection  Perthuy  Laurent). 

37.  —  Battaglia  di  Monte  san  Giovanni  detta  dt 
Waterloo  il  18  Giiignio  i8l5.  —  Couche  figlio  dis.  Corsi 
inc.  Carré  long.  41  centim.  sur  30,  tirage  en  noir. 

C'est  un  tableau  général  de  la  bataille,  Cambronne  y 
est  difficilement  reconnaissable. 

38.  —  Bataille  de  Waterloo. 

A  Paris,  chez  J.  Brianchon,  libraire,  quai  des  Augustins, 
Ponthieu,  libraire,  cour  du  Palais-Royal  numéro  4,  et 
chez  tous  les  libraires. 

Belle  gravure  en  couleurs,  représentant  Cambronne 
monté  sur  un  cheval  blanc,  en  uniforme  de  général, 
tunique  bleue,  pantalon  long,  qui  se  tient,  le  sabre  levé,  à 
la  tète  de  ses  grenadiers.  La  cavalerie  anglaise  se  jette  sur 
le  dernier  carré. 

C'est  un  véritable  tableau,  bien  dessiné  et  très-mouve- 
nicnté  d'allure. 

Au  bas,  cette  légende  : 

Enfin,  ces  vieux  enfants  do  la  victoire  s'ébranlent.  A  leur  tète 
on  voyait  les  vainqueurs  de  l'Egypte,  de  l'Allemagne,  de  l'Italie. 
Des  légions  de  'héros  qui  avaient  triomphé  dans  cent  batailles^ 


—  355  — 

marchaient,  les  uns  comme  chefs,  les  autres  comme  soldats.  A 
des  colonnes  aussi  imposantes  succédèrent  d'autres  colonnes.  Le 
Bayard  moderne,  Cambrone,  s'étant  avancé  avec  quelques-uns  des 
siens,  fut  sommé  de  se  rendre.  La  garde  meurt,  elle  ne  se  rend 
pas,  dit-il,  et  ce  cri  immortel  fut  répété  dans  tous  les  rangs.  Ils 
ne  pouvaient  plus  vaincre,  ils  marchèrent  à  la  mort  (journée  de 
Mont  Saint-Jean). 

39.  —  E.  Delahaye.  Gambronne  à  Waterloo. 
Tableau  ayant  figuré  au  Salon  de  1891,  à  Paris,  acheté 

par  la  ville  de  Bruxelles.  (65  centimètres  sur  55). 

Gambronne,  enveloppé  de  son  manteau,  montre  le 
poing  aux  Anglais,  sans  doute  en  leur  crachant  à  la 
figure  le  mot  que  l'on  sait.  Ses  grenadiers  l'environnent. 

L'ensemble  est  d'un  bon  mouvement,  mais  la  ressem- 
blance de  Gambronne  est  nulle. 

40.  —  E;  Delahaye.  Esquisse  du  tableau  précédent 
(26  centimètres  sur  35),  propriété  de  l'auteur,  1,  cité 
Gaillard  à  Paris. 

41.  —  E.  Delahaye.  Reproduction  dans  le  supplément 
illustré  du  Petit  Journal  du  6  juin  1891  du  tableau  de 
M.  Delahaye.  (Imprimé  sur  la  machine  chromo-typo  de 
Marinoni). 

Ge  numéro  peut  être  rangé  dans  l'imagerie  populaire 
déjà  représentée  par  quelques  numéros  précédents. 

42.  —  Gambronne  à  Waterloo.  —  Gollection  de  cahiers 
scolaires  de  la  maison  Leclanché  frères.  G'est  une  repro- 
duction moins  ressemblante  encore  du  tableau  de  M. 
Delahaye. 

Au  dos  du  cahier,  une  notice  sur  Gambronne. 

43.  —  Fastes  de  la  gloire  (tome  l^r  page  17).  Le  baron 
Gambronne,  maréchal  de  camp.  «  La  garde  meurt  et  ne 
»e  rend  pas.  » 

Ghasselat  del.  Ad.  Godefroy  direxit. 


-  356  — 

Un  officier  anglais  à  cheval,  sabre  abaissé,  s'avance 
vers  Cambronne  à  pied  qui  de  la  main  gauche  fait  un 
geste  de  refus.  On  voit  au  fond  l'artillerie  anglaise  prête 
à  faire  feu. 

44.  —  Cambronne.  (Lith.  Mendouze,  peint  par  Ludovic) 
chez  l'éditeur  rue  Saint-Pierre-Montmartre,  10. 

Gravure  de  20  centimètres  de  hauteur  sur  16  1/2  de 
largeur. 

Cambronne  debout,  un  grenadier  mort  à  ses  pieds, 
serre  de  la  main  gauche  la  garde  de  son  épée  sur  sa 
poitrine  et,  la  main  droite  étendue,  prononce  les  paroles 
que  l'on  sait. 

A  droite,  son  cheval  blessé  ;  à  gauche  un  obus  qui 
éclate.  Dans  le  lointain^  des  grenadiers  se  battent  dans  la 
fumée. 

M.  deLaNicollièrepossèdeun  exemplaire  de  cette  gravure. 

45.  —  Lith.  de  Mendouze.  Pièce  in-4''  portant  le  titre  : 
Cambronne  blessé  et  vengé. 

46.  —  Le  retour  de  l'tle  d'Elbe,  du  peintre  allemand 
baron  de  Steuben,  le  tableau  que  la  gravure  a  popularisé. 

Cambronne,  d'une  extrême  resssemblance,  y  figure  à 
droite,  portant  un  drapeau. 

47.  —  La  bataille  de  Waterloo,  du  même  peintre, 
lequel  appartient  du  reste  à  l'école  française. 

C'est  l'épisode  du  dernier  carré  :  Cambronne  y  apparaît 
très  reconnaissable  au  second  plan  derrière  le  cheval  de 
l'empereur. 

48.  —  Vue  de  la  statue  de  Cambronne. 

Gravure  en  couleur  faite  au  lendemain  de  l'inauguration 
de  la  statue.  Le  costume  des  promeneurs  et  l'enseigne  ; 
Café  des  Messageries  nationales  indiquent  sulïisamment 
une  date  voisine  de  1850. 


—  357  — 

49.  —  Le  tombeau  des  Braves.  Cette  pièce  ne  donne 
pas  un  portrait  de  Gambronne,  elle  représente  un  céno- 
taphe avec  cette  inscription  qui  rappelle  le  héros  de 
Waterloo  : 

Aux  braves  morts  le  18  juin  4815 

La    garde  meurt 

Elle  ne    se    rend    pas 

En  tête,  se  trouve  la  musique  de  la  romance  signalée 
plus  haut  :  Ils  ne  sont  plus,  les  fils  de  la  victoire. 

50.  —  Le  Manuel  des  braves,  biographie  héroïque, 
par  MM.  Ilegnault  de  Warin,  Z***,  P.  de  P.  et  plusieurs 
gens  de  lettres  et  militaires  français  (Paris,  chez  Plan- 
cher, 1818),  contient  en  tète  de  volume  le  portrait  de 
Gambronne  dans  un  cadre  ovale.  (Biblioth.  publ.  de  Nantes 
no  56.423).  En  bas  ces  vers  : 

Soldats,  dont  l'immortelle  gloire 
Malgré  la  faulx  du  Temps  doit  survivre  au  Trépas 
Vos  hauts  faits  sont  gravés  au  Temple  de  mémoire 
Avec  ces  mots  fameux,  orgueil  do  notre  histoire: 

La  garde  meurt,  elle  no  se  rond  pas  !  !  ! 

51 .  —  Gambronne,  vu  de  face,  mauvaise  gravure  mise  en 
tète  de  la  Vie  militaire  de  Gambronne,  par  E.  D.  (Paris, 
chez  Locart  et  Davi,  1822,  in-12o)  (Bibliothèque  publique 
de  Nantes  n*^  57.505). 

52.  —  Gambronne,  vu  de  trois  quarts,  le  regard  tourné 
à  gauche,  gravure  figurant  dans  la  France  militaire  de 
A.  Hugo,  tome  V  p.  228  (Bibliothèque  publique  de  Nantes 
no  46.317). 

53.  —  M.  Ghrétien,  ancien  lieutenant-colonel  en  retraite, 
propriétaire  au  château  de  Varesnes  (Oise),  de  la  famille 
du  général,  possède  un  portrait  frappant  de  ressemblance, 
qui  fut  fait  par  un  artiste  polonais,  tandis  que  Gambronne 


—  358  — 

se  trouvait  en  villégiature  là.  La  cicatrice  au  front  est 
visible. 

34.  —  Miniature  de  la  mère  du  général  Gambronne, 
par  le  peintre  Ducarrey  vers  1812.  Ses  traits  sont  em- 
preints à  la  fois  de  distinction  et  de  bonté.  Le  costume  est 
celui  des  femmes  âgées  de  la  fin  de  l'Empire  et  de  la 
Restauration,  bonnet  blanc  surmonté  d'un  nœ.ud  de 
rubans  de  satin  bleu  de  ciel,  fichu  blanc  sur  une  robe  noire. 

Cette  miniature  appartient  à  M.  Roussin.  Nous  en 
possédons  une  excellente  reproduction  à  la  mine  de  plomb. 

55.  —  Job  et  de  Marthold.  Le  Grand  Napoléon  des 
petits  enfants  (1893,  Pion,  Nourrit  et  C'^  Paris). 

La  planche  44  représente  l'épisode  du  dernier  carré. 

Gambronne,  assez  ressemblant,  campé  dans  une  pose 
énergique^  crache  à  la  face  d'un  officier  anglais  un  mot 
sur  le  caractère  duquel  il  est  impossible  de  se  méprendre, 
à  en  juger  par  la  réplique  qu'il  provoque  :  Shoking,  est 
censé  reprendre  l'habit  rouge. 

Ge  dessin  colorié  est  fort  réussi  dans  son  genre  satirique 
qui  frise  la  charge...  contre  l'ennemi. 

Sculpture 

56.  —  Jean  De  Bay  père.  —  Buste  fait,  d'après  nature, 
en  1815,  sans  doute  pendant  les  quelques  semaines  que 
Gambronne  passa  à  Paris,  au  retour  de  l'île  d'Elbe. 

Ge  buste  est  mentionné  dans  la  correspondance  de 
De  Bay  fils  avec  la  municipalité  de  Nantes  en  4842. 

57.  —  Suc.  —  Buste  fait  en  1842,  d'après  un  moulage 
pris  sur  la  figure  du  général. 

La  famille  ne  le  trouvait  pas  très  ressemblant. 

58.  —  Ménard  (Amédée).  —  Buste  en  terre,  grandeur 
naturelle^  fait  en  1842. 


—  359  — 

Ce  buste  appartient  à  M.  Victor  Roussin,  propriétaire 
à  Keraval,  en  Plomelin,  près  de  Quimper,  qui  a  épousé 
en  1836,  M'^^  Adamson,  fille  adoptive  de  Cambronne. 

59.  —  Jean  De  Bay  fils.  —  Statue  du  général  Cam- 
bronne, érigée  en  1848,  sur  le  cours  de  la  République  à 
Nantes.  (Nous  avons  consacré  un  chapitre  spécial  à  cette 
statue). 

60.  —  Jean  De  Bay  fils.  —  Maquette  en  plâtre  de  la 
statue  du  général  Cambronne. 

Cette  maquette  qui  appartient  à  M'"®  Delbarre  De  Bay, 
fille  du  sculpteur,  fut  exposée  en  1893,  par  les  soins  de 
31.  Georges  Lafont,  architecte,  au  Musée  du  Centenaire  de 
la  Révolution,  à  Nantes. 

61.  —  Grootaërs.  —  Buste  du  général,  figurant  sur 
l'immeuble  dit  :  Maison-  des  Enfants  i\antais,  à  l'angle 
de  la  place  du  Change  et  de  la  rue  de  la  Poisonnerie. 

62.  —  Suc.  —  Portrait  du  général  Cambronne,  buste 
plâtre;  haut  8™79,  grandeur  naturelle.  Tète  nue,  tournée 
à  droite,  avec  indication  d'une  forme  et  de  manteau  mili- 
taire. Signé  :  «  Suc  fecit  1848  ». 

Don  de  l'auteur,  déposé  au  musée  départemental  d'ar- 
chéologie de  Nantes,  mais  non  porté  au  catalogue  de  cet 
établissement.  Mentionné  dans  l'inventaire  général  des 
richesses  d'art  de  la  France  (Musée  de  Nantes)  par  Olivier 
Merson. 

63.  —  Tabatière  en  étain ,  oblongue  :  le  couvercle 
représente  le  général  Cambronne  dont  le  nom  ressort  en 
relief  dans  la  partie  supérieure. 

En  bas  sa  réponse  aux  Anglais  :  La  garde  meurt  et  ne  se 
rend  pas. 

Cette  pièce  rarissime  appartient  à  M.  Armand  Lévy, 
libraire,  à  Nantes. 


ANNEXES 


CHAPITRE  I 

ANNEXE  A  (page  2) 

Cambronne  est  une  vieille  famille  du  Ponthieu;  elle 
était  «  seigneur  du  dit  lieu  >,  c'est-à-dire  de  Cambronne. 
On  trouve  ses  armoiries  dans  les  vieux  manuscrits  et  dans 
trois  auteurs  renommés  :  Palliot,  Pierre-Sainte  et  Degoing. 
Elle  portait,  ou  mieux  elle  porte  :  Fascé  d'or  et  de  gueules 
de  huit  pièces,  ou  bien  :  Burlé  d'or  et  de  gueules  de  huit 
pièces,  ou  bien  encore  ;  dix  pièces  au  lieu  de  huit. 

[Intermédiaire  des  chercheurs  et  curieux, 
tome  xxur,  583). 

M.  de  Cambronne,  capitaine  au  régiment  du  Roi  en  1758, 
est  Denis-Joseph-Thomas  de  Ruyant,  chevalier,  seigneur 
de  Cambronne,  né  en  1723,  à  Douai,  où  il  se  retira  en 
1775.  Il  est  devenu  brigadier  des  armées  du  Roi  en  1780. 

(Même  recueil,  tome  xxiv.  77). 

ANNEXE  B  (page  9) 

Extrait  de  l'inventaire  des  tneubles,  effets  et  marchan- 
dises de  la  succession  du  feu  sieur  Cambronne,  négo- 
ciant, isle  Gloriette,  paroisse  Sainte-Croix. 

(L'inventaire  dura  les  25,  26,  27,  29,  30  novembre,  1er,  2,  3, 
4,  6,  T  décembre  1784). 


—  361   — 

En  voici  quelques  détails  curieux  : 

GARDE-ROBE    DUDIT    FEU    SIEUR   CAMBRONNE 

Un  habit  de  drap  couleur  carmélite,  doublé  de  croisé  blanc, 
veste  de  satin  blanc  et  une  culotte  de  drap  de  soie,  prisés  110 
livres. 

Un  habit,  veste  et  culotte  de  drap  puce,  doublé  de  croisé  rouge, 
prisés  20  livres. 

Un  habit,  veste  et  culotte  do  drap  vert  pomme,  prisés  12 
livres. 

Un  habit  d'éternelle,  couleur  houe  de  Paris,  une  veste  fond 
argent  et  une  culotte  de  prunelle  noire,  prisés  22  livres. 

Un  habit,  veste  et  culotte  d'étamine  noire,  prisés  6  livres. 

Un  habit  de  drap  bleu  galonné  en  or  et  une  veste  fond  argent 
brodée  en  or,  le  tout  prisé  18  livres. 

Une  roquelaure  et  une  veste  de  calmouc  couleur  carmélite  et 
une  culotte  de  velours  noir,  prisés  22  livres. 

Un  habit,  veste  et  culotte  de  soie  couleur  merdoie,  doublé  de 
soie  blanche,  prisés  24  livres. 

Une  robe  de  chambre  de  gros  do  Tours,  fond  brun  à  fleur 
doublée  de  soie  gris  de  lin  et  une  grande  culotte  de  cotonnade 
l'ouge,  prisés  10  livres. 

Une  veste  de  tricot  de  soie  galonné  en  or,  une  veste  de  pru- 
nelle noire  et  trois  culottes  aussi  de  prunelle  noire,  le  tout  prisé 
20  livres. 

Une  veste  de  satin  blanc  brodée  en  soie,  prisée  30  sols. 

Ailleurs,  nous  notons  dans  l'inventaire  : 

Une  garniture  de  tapisserie  de  haute  lisse,  prisée  80  livres.    ' 
Un  trumeau  avec  son  attique,  prisé  72  livres. 

ARGENTERIE 

Quatre  flambeaux,  une  cuiller  à  elle,  une  caff"eticre  de  dix 
tasses,  une  autre  petite  catfetière,  deux  cuillers  à  ragoût,  dix-neuf 
couverts  à  filets,  moins  une  cuiller,  onze  cuillers  à  caff'é,  quatre 
cocassiers,  un  moutardier  avec  sa  cuiller,  une  cuiller  à  sucre, 
six  sallières,  un  porte-huillicr,  une  garniture  de  boutons  petits 
et  grands. 


—  362  — 

Le  tout  pesé  s'est  trouvé  monter  à  41  marcs  2  onces  6  gros  à 
52  livres  le  marc,  soit  2,149  livres  17  sols  6  deniers. 

Parmi  les  papiers  inventoriés  : 

Un  contrat  d'acquêt  d'une  maison  appellée  La  Treille  «  sittuée» 
en  la  paroisse  de  Saint-Sébastien,  passé  devant  Briand  fils  et 
Vrien,  notaires  rojaux  à  Nantes,  le  26  novembre  1783. 

L'inventaire  se  termine  ainsi  : 

livres.      s.     d. 

Meubles  et  effets  tant  en  ville  qu'en  campagne.        8.979    13    6 

Marchandises  (Bois  du  Nord) 67 .884      9    3 

Créances 63 .  S83 


140.447      2    9 


CHAPITRE  IV 
ANNEXE  C  (page  38) 

Aulnette  fut  poursuivi  devant  le  tribunal  criminel  de 
la  Loire-Inférieure,  comme  prévenu  d'avoir  encloué  des 
canons  appartenant  à  la  nation. 

Nous  avons  retrouvé  mention  de  cette  poursuite  aux 
registres  du  tribunal  criminel  de  l'an  III  conservés  au 
greffe  du  tribunal  civil  de  Nantes.  (Audience  du  16  ther- 
midor an  3,  folio  175  v»).  Mais  l'affaire  fut  renvoyée  à 
une  prochaine  session,  les  témoins,  dont  Gambronne,  ne 
s'étant  pas  présentés,  à  cause  de  l'interception  des  routes 
par  les  insurgés. 

Il  est  probable  qu'elle  ne  vint  pas  du  tout,  car  nous  n'en 
voyons  plus  trace.  Aulnette  mourut  ou  devint  fou. 

La  procédure  figure  à  la  date  du  20  floréal  an  2,  aux 
archives  du  tribunal  de  Chàteaubriant. 


—  363  — 

CHAPITRE  VII 

ANNEXE  D  (page  67) 

Au  Palais  des  Tuileries,  le  19  mars  1808,  Napoléon,  empereur 
des  Français,  roi  d'Italie,  protecteur  de  la  confédération  du  Rhin, 
avons  décrété  et  décrétons  ce  qui  suit  : 

ARTICLE   PREMIER 

Sur  les  six  millions  huit  cent  mille  francs  de  revenu  net  pro- 
venant des  biens  qui  sont  à  notre  disposition  dans  le  royaume  de 
Westphalie,  nous  avons  disposé  et  disposons  d'un  capital  pro- 
duisant un  revenu  annuel  de  douze  cent  mille  francs  pour  être 
réparti  entre  les  ofificiers  de  nos  armées,  conformément  à  l'état 
annexé  au  présont  décret,  en  récompense  des  services  qu'ils  nous 
ont  rendus  dans  le  cours  des  dernières  campagnes. 

ARTICLE  2 

Les  individus  qui  y  sont  portés  jouiront  des  revenus  desdits 
biens  à  dater  du  1er  janvier  1808. 

Ces  biens  ne  pourront  être  vendus  sans  notre  autorisation  spé- 
ciale, et  les  fonds  qui  en  proviendront  ne  pourront  être  employés 
qu'en  actions  de  notre  Banque  impériale  et  en  achats  de  terre 
dans  l'intérieur  de  notre  Empire,  en  suivant  les  formes  prescrites 
par  nos  statuts. 

ARTICLE   3 

Notre  Ministre  des  finances,  notre  major  général  et  notre  in- 
tendant général  de  la  grande  armée  sont  chargés,  chacun  en  ce 
qui  les  concerne,  de  l'exécution  du  présent  décret. 

NAPOLÉON. 

Noms  des  individus 

Dans  l'état  qui  suit,  on  relève  la  mention  suivante  rela- 
tive à  Cambronne  : 

Montant  de  la  rente. 

Le  chef  de  bataillon  Chambronne  (sic) 
du  88e  de  ligne 2000  fr. 


—  364  — 

ANNEXE  E  (page  69) 

A  Saint-Cloud,  le  6  août  1811. 

Napoléon  empereur  des  Français,  roi  d'Italie,  protecteur  de  la. 
confédération  du  Rhin,  avons  décrété  et  décrétons: 

ARTICLE    PREMIER 

Le  sieur  Cambronnc  est  nommé  major  du  3c  régiment  de  vol- 
tigeurs de  notre  garde. 

ARTICLE   2 

Notre  ministre  de  la  guerre  est  chargé  de  l'exécution  du  pré^ 
sent  décret. 

NAPOLÉON. 

Annexe  F  (page  70). 

Au  Palais  des  Tuileries,  le  1er  janvier  1812.  Napoléon, 
empereur  des  français,  roi  d'Italie,  protecteur  de  la  confédération^ 
du  Rhin,  médiateur  de  la  confédération  suisse,  etc. 

Nous  avons  décrété  et  décrétons  : 

Article  Premier. 

Les  300,000  francs  de  revenus  appartenant  à  notre  domaine 
extraordinaire  en  domaines,  situés  dans  les  provinces  illyrienne» 
et  les  500,000  francs  de  revenus,  provenant  de  la  vente  de 
domaines  de  l'empire  à  notre  domaine  extraordinaire,  formeront 
un  fonds  de  dotation  sur  lequel  seront  prélevées  les  dotations 
distribuées  dans  l'état  ci-joint,  montant  à  884,000  francs  de 
revenus. 

Art.  2. 

Los  dites  dotations  distribuées  dans  l'état  ci-joint  seront 
assujetties  pour  la  possession  et  la  transmission  à  tous  les 
règlements  établis  par  nos  décrets  sur  les  majorats. 

Art.  3. 

Les  donataires  entreront  en  jouissance  des  revenus,  à  dater  du. 
lei- janvier  1812. 


—  365  — 

Art.  4. 

iS'otre  ministre  d'Etat,  intendant  général  du  domaine  extraor- 
dinaire, nous  présentera  incessamment  le  travail  pour  la  répar- 
tition des  fonds  et  la  composition  des  lots  affectés  auxdits 
tîolalions. 

Art.  5. 

Les  dotations  données  aux  femmes  seront  transmissibles  à 
ceux  de  leurs  enfans  mùlcs  qu'elles  désigneront  et  à  leur  descen- 
dance par  ordre  de  primogéniture. 

Art.  6. 

Notre  cousin  rarchi-chancclicr,  notre  intendant  général  et 
notre  trésorier  général  du  domaine  extraordinaire  sont  chargés, 
«hacun  en  ce  qui  lo  concerne,  de  l'exécution  du  présent  décret. 

Napoléon. 

Mtatdes  dotations  pour  être  annexé  au  décret  du  l«i"  janvier  1812. 

Sur  cet  état,  on  lit,  au  no  94. 

94.  Le  major  Cambronne,  du  3^  régiment  des  voltigeurs  do 
5a  garde 4,000  fr. 

An^kxe  g  (page  70) 

Au  Palais  do  l'Eh T,ée,  le  6  avril  1813.  Napoléon,  empereur 
-des  français,  toi  d'Italie,  protecteur  de  la  confédération  du  Rhin, 

Article  Premier. 

Sont  nommés  commandants  de  la  légion  d'honneur  : 

JNlichel,  général  de  brigade,  major  des  grenadiers  à  pied  de 
•notre  garde,  officier  de  la  légion  d'honneur. 

Mouton-Duvernet,  général  de  brigade,  adjudant  général  de 
notre  garde^  officier  de  la  légion  d'honneur. 

Cambronne,  major  du  3e  régiment  de  voltigeurs  Je  notre 
.gai-de,  officier  de  la  légion  d'honneur. 

Art.  4. 

Notre  grand  chancelier  do  la  légion  d'honneur  est  chargé  de 
l'exécution  du  présent  décret. 

Napoléon. 


—  366  — 

Annexe  H  (page  75) 

Au  Palais  Impérial  de  Saint-Cloud,  le  20  novembre  d813. 

Napoléon,  Empereur  des  Français,  Roi  d'Italie, 
protecteur  de  la  Confédération  du  Rhin,  média- 
teur de  la  Confédération  Suisse,  etc.,  etc., 

Avons  décrété  et  décrétons  ce  qui  suit  : 

Article  premier. 

Sont  nommés  Généraux  de  Division  : 

MM.  Michel,  général  de  brigade. 

Rothembourg,  d" 

Boyer  de  Rebeval,  d» 

Article  3. 

Le  sieur  Gambronne,  Colonel  major  du  2e  régiment  de  Chas- 
seurs à  pied  de  notre  Garde,  est  nommé  Général  de  brigade 
major  du  I^r  régiment,  môme  arme. 

Article  5. 

Notre  Ministre  de  la  Guerre  est  chargé  de  l'exécution  du 
présent  décret. 

Napoléon. 

CHAPITRE  X 
Annexe  I  (page  107). 

Au  Palais  des  Tuileries,  le  1er  avril  1815, 

Napoléon,  empereur  des  Français, 

Nous  avons  décrété  et  décrétons  ce  qui  suit  : 

Article  Premier. 
Le  général  Gambronne  est  nommé  Comte  de  l'Empire. 

Aut.  2. 

Notre  cousin  Farehi-chancelicr  do  l'Empire  est  chargé  de 
l'exécution  du  présent  décret. 

Napoléon, 


—  367  — 

Annexe  J  (page  107). 

Au  Palais  des  Tuileries,  le  l^r  avril  1815. 

Napoléon,  empereur  des  Français, 

Nous  avons  décrété  et  décrétons  ce  qui  suit  : 

Article  Premier. 

Le  maréchal  de  camp  Cambronne  est  nommé  grand  officier  de 
la  légion  d'honneur. 

Art.  2. 

Notre  grand  chancelier  de  la  légion  d'honneur  est  chargé  de 
l'exécution  du  présent  décret. 

Napoléon . 

Annexe  K  (page  107). 

Au  Palais  des  Tuileries,  le  10  avril  181  S. 

Napoléon,  empereur  des  Français, 

Nous  avons  décrété  et  décrétons  ce  qui  suit  : 

Article  Premier, 

Il  est  accordé,  sur  notre  domaine  extraordinaire,  uae  dotation, 
transmissible  à  leurs  enfans,  à  chacun  des  officiers  ci-après 
désignés  qui  nous  ont  accompagné  dans  l'isle  d'Elbe  : 

Au  maréchal  de  camp  comte  Cambronne,  une  dotation 
de 4,000  fr. 

(Suit  une  liste  de  noms  d'officiers  ;  Cambronne  est  le 
seul  à  avoir  une  dotation  de  4,000  francs  ;  les  autres 
dotations  varient  de  500  à  2,000  francs). 

Art.  2. 

Notre  intendant  général  de  la  couronne,  chargé  du  domaine 
extraordinaire,  est  chargé  de  l'exécution  du  présent  décret. 

Napoléon. 
Annexe  L  (page  107). 

Napoléon,  empereur  des  Français, 

Vu  le  décret  d'organisation  de  notre  gardG|  en   date  du  8  de 
ce  mois. 
Nous  avons  décrété  ot  décrétons  ce  qui  suit  : 


—  368  — 

Art.  2. 

Le  maréchal  de  camp  Cambronne  est  nommé  major  aux  chas- 
seurs à  pied  (1er  régt). 

Art.  s. 

Notre  ministre  de  la  guerre  est  chargé  de  l'exécution  du 
présent  décret. 

Napoléon. 

Annexe  M  (page  109). 

Au  Palais  de  l'Elisée,  le  2  juin  1815. 

Sont  nommés  membres  de  la  chambre  des  pairs  : 

36....  Le  lieutenant  général  comte  Cambronne. 

Napoléon. 

Par  l'empereur,  le  prince  archi-chancelier  de  l'empire. 

Cambagérès. 

CHAPITRE  XII 

ANNEXE  N  (page  152) 

Ce  n'est  pas  M.  de  Viel-Gastel,  de  l'x^cadémie  Française, 
mais  son  frère,  qui  s'entretint  avec  le  général  Mellinet  et 
rapporta  de  la  façon  la  plus  inexacte  ses  déclarations. 
Jamais  Cambronne  n'a  été  le  tuteur  du  général  Mellinet. 

Le  reste  n'est  pas  plus  exact,  le  général  Mellinet  nous 
l'a  fait  savoir,  sur  le  vu  des  épreuves  de  ce  livre,  à  la  date 
du  9  décembre  1893. 

annexe  0  (pag^e  154) 

M.  le  lieutenant-colonel  en  retraite  Chrétien,  parent  de 
Cambronne,  nous  a  fourni  sur  le  mot  de  Waterloo  de 
curieux  renseignements  qui  confirment  pleinement  notre 
opinion  et  que  nous  résumons  comme  suit,  en  regrettant 
qu'ils  nous  soient  parvenus  trop  tard  pour  trouver  place 
dans  le  corps  môme  du  chapitre  XII. 


-  369  — 

Lorsque  Cambronne  venait  à  Noyon,  nous  écrit-il^  il  descendait 
chez  son  oncle,  l'abbé  Druon  de  Brumeau,  qui  l'amenait  passer 
quelques  jours  à  Varcsnes,  au  château  de  sa  tante  Waubert  de 
Genlis,  née  Julie  Druon  de  Brumeau.  Cambronne  ne  mettait 
qu'une  condition  à  sa  visite,  c'est  que  sa  cousine  germaine,  un 
peu  taquine,  ne  lui  parlerait  pas  de  M'aterloo.  On  obéissait  à 
l'abbé,  mais  plus  tard  on  l'interrogeait,  en  lui  demandant  une 
confidence  en  échange  do  la  discrétion  gardée.  Le  bonhomme 
répondait  :  «  Mon  neveu  m'a  dit  la  vérité  sur  ce  qu'il  a  dit  aux 
»  Anglais,  mais  je  me  suis  engagé  à  ne  pas  le  répéter.  Ce  qu'il  y 
»  do  certain  cependant,  c'est  que,  dans  ces  moments-là,  on  n'a 
»  pas  le  temps  de  faire  des  phrases.  » 

Ma  grand'mèrc,  ma  mère  et  mon  père  tenaient  pour  certain  que 
Victor  Hugo,  dans  les  Misérables,  ne  s'est  pas  trompé,  malgré 
l'enquête  faite  en  1862  par  le  maréchal  de  Mac-Mahon. 

Cette  retenue  du  général  Cambronne  s'explique  : 

Cambronne,  qui  se  piquait  d'une  excellente  éducation,  et  qui 
revenait  à  tout  propos  sur  les  mauvaises  manières  et  le  peu  d'ins- 
truction des  généraux  de  l'Empire,  était  engagé  par  là  même  à 
ne  pas  se  reconnaître  le  père  du  fameux  mot. 

CHAPITRE  XIII 

A>'XEXE  P  (page  158) 

M.  le  lieutenant-colonel  Chrétien,  petit-cousin  de  Cam- 
bronne, nous  communique  une  curieuse  lettre  écrite  par 
le  général,  alors  prisonnier  à  Ashburton,  à  son  oncle, 
M.  (le  Waubert  de  Genlis.  Cette  lettre  est  revêtue  du 
cachet  d'affranchissement  spécial  aux  correspondances  des 
prisonniers  de  guerre. 

Voici  cette  lettre  : 

Ashbîirton,  le  23  juillet  1815. 
Mon  cher  Parent, 

J'ai  l'honneur  do  vous  envoyer  une  lettre  que  je  vous  prie'de 
remettre  vous-même  au  lieutenant-général  le  comte  Curial.  ou  à 
son  épouse,  pour  lui  envoyer  s'il  n'était  pas  à  Paris:  s'il  y  est, 

24 


—  370  — 

vous  me  direz  en  réponse  s'il  veut  bien  m'ètre  utile  et  lui  don- 
nerez mon  état  de  services  qui  est  chez  vous  ;  il  serait  bon  d'en 
faire  avant  une  copie,  car  je  crains  qu'on  me  les  ait  perdus  avec 
mes  effets,  vous  le  garderiez  ou  l'original. 

Je  suis  prisonnier  en  Angleterre,  à  Ashburton  ;  à  la  bataille  de 
Waterloo,  j'ai  été  blessé  d'une  balle  à  la  tête  et  suis  tombé  de 
cheval  sans  connaissance  au  pouvoir  de  l'ennemi,  dans  IS  jours 
j'espère  être  guéri. 

Faites  agréer  mon  amitié  à  M<ie  votre  épouse  et  à  toute  votre 
famille.  Je  vous  embrasse  et  salue  amicalement. 

Le    baron    Cambronne, 

Maréchal  de  camp. 

C'est  M.  de  Waubert  qui  se  chargea  plus  tard  des  dé- 
marches, d'abord  pour  lui  éviter,  si  possible,  le  conseil  de 
guerre,  ensuite  pour  lui  trouver  un  défenseur.  Il  s'em- 
pressa aussi  de  vendre  le  cheval  du  général,  Cosaque, 
mais  sous  un  autre  nom  que  le  véritable  qui  aurait  pu 
«xciter  les  susceptibilités  des  alliés,  maîtres  de  Paris,  en 
pleine  Terreur  blanche. 

CHAPITRE  XIV 

ANNEXE  O  (page  189) 

Nous,  curé  do  Villc-l'Evêque,  diocèse  d'Angers,  département 
do  Maine-et-Loire,  soussigné,  certifions  que  l'an  179:2,  au  mois 
do  juin,  étant  poursuivi  par  les  révolutionnaires  à  Nantes,  et  ne 
sachant  où  me  réfugier ,  le  sieur  Cambronne,  devenu  depuis 
général  de  l'usurpateur,  vint  me  trouver  dans  le  lieu  de  ma 
retraite,  et  me  conduisit  chez  madame  sa  mère,  en  la  priant  de 
mo  donner  chez  elle  un  asile  où  je  serais  en  sûreté,  en  ajoutant 
que,  quoique  sa  façort  de  penser  ne  fût  pas  conforme  à  la 
mienne,  il  était  d'un  bon  cœur  de  sauver  un  malheureux.  J'ai 
demeuré  deux  mois  chez  niadarao  sa  mère  ;  il  ne  m'est  arrivé 
aucun  désagrément  et  il   s'occupait  do  moi.  En  foi  de  quoi  j'ai 


—  371  — 

délivré  le  présent  certificat  pour  servir  et  valoir   ce  que  de 

raison. 

Ville-l'Evêque,  ce  18  février  1816. 

DUMÉNIL. 

ANNEXE  R  (page  189) 

Je  soussigné,  ancien  commandant-général  des  gardes  natio- 
nales du  district  de  Nantes,  ancien  adjudant-général,  chevalier 
de  l'ordre  royal  et  militaire  de  Saint-Louis,  officier  de  la  légion 
d'honneur,  ex-membre  de  la  Chambre  des  députés. 

Certifie  avoir   eu  connaissance   que  lors   de  la   descente   à 

Quiberon,  M.  le  général  Cambroune,  alors  officier  dans  la  légion 

nantaise,  s'empressa  do  rendre  h  mon  neveu,  M.  Pavon  de  Fay- 

moreau,   officier  au  régiment  de  Rohan-Soubise  qui  avait  été 

fait  prisonnier,    tous   les   services  qui  dépendaient  de    lui.  On 

m'assura,  dans  le  temps,  que  mon  neveu  eût  été  sauvé  par  ses 

soins,  sans  un  événement  malheureux  que  M.  Cambronne  ne 

pouvait  prévoir. 

En  foi  de  quoi,  etc. 

Le  23  janvier  1816. 

Le  baron  d'Eurbroucq. 
ANNEXE  S  (page  189) 

Devant  Me  Francheteau,  notaire  (1), 

Est  comparu  Yves  Châtaignier,  marinier,  demeurant  à  Nantes, 
pont  de  la  Magdeleine,  ledit  Yves  Châtaignier  déclare  qu'en 
1793,  lors  de  la  première  guerre  de  la  Vendée  dont  il  faisait 
partie,  il  se  présenta  avec  une  division  de  l'armée  royale  dans 
les  environs  du  château  d'Aux,  sur  la  rive  gauche  de  la  Loire  ; 
que  les  troupes  républicaines  qui  étaient  en  garnison  dans  le 
château,  firent  une  sortie  de  nuit  ;  que  lui  déclarant  fut  fait 
prisonnier  avec  onze  autres  personnes  ;  qu'ils  furent  tous  douze 
conduits  devant  une  commission  organisée  par  le  Comité  l'évo- 

(1)  Cet  acte  dressé  en  brevet,  est  à  la  date  du  24  janvier  1816. 
avec  enregistrement  du  même  jour.  Nous  en  avons  trouvé  la  mention 
au  répertoire  de  M«  Pinault,  notaire,  successeur  médiat  de  M»  Fran- 
cheteau. 


—  37i2  ~ 

lutionnaire  do  Nantes,  alors  en  vigueur  ;  que  M.  Cambronne, 
alors  ofFicicr  dans  la  légion  nantaise,  fit  tout  ce  qui  dépendait  de 
lui  pour  sauver  ces  douze  prisonniers  ;  qu'il  ne  put  parvenir, 
malgré  tous  ses  efforts  qu'à  sauver  lui  déclarant  et  un  nommé 
Joseph,  natif  de  Rennes,  mais  dont  le  déclarant  ne  se  rappelle 
pas  le  nom  de  famille  :  qu'il  est  à  sa  connaissance  que,  pour 
le  sauver,  M.  Cambronne  le  fit  sortir,  de  sa  propre  autorité, 
d'une  chambre  où  il  était  avec  les  autres  prisonniers  et  que 
ce  fut  en  le  prenant  sous  sa  protection  et  en  en  répondant  sur 
sa  tête  qu'il  parvint  à  lui  sauver  la  vie,  en  le  recommandant  aux 
chefs  qui  commandaient  au  château  d'Aux.  Le  déclarant  ajoute 
que  ce  qui  intéressa  particulièrement  Cambronne  en  sa  faveur, 
c'était  son  jeune  âge. 
De  laquelle  déclaration,  nous  avons  rapporté  acte. 

ANNEXE  ï  (page  189) 

Je  soussigné,  Joseph  Rado-Dumatz,  maire  de  la  commune  de 
Béganne(l),  certifie  et  atteste  que  lors  de  la  descente  des  armées 
royales  à  la  presqu'.ile  de  Quiboron,  en  1795,  commandées  par 
MM.  les  généraux  de  Puisaye  et  Sombreuil,  faisant  partie  de  la 
dite  arrivée  en  qualité  de  capitaine  de  Grenadiers,  qu'à  cette 
malheureuse  affaire  de  Quiboron,  je  fus  fait  prisonnier,  qu'un 
instant  api'cs  ce  combat,  je  rencontrai  M.  le  général  Cambronne 
duquel  je  réclamai  la  protection  pour  moi  et  mes  camarades 
d'infortune,  comme  l'ayant  connu  aut)efois.  11  servait  à  cette 
époque  dans  la  légion  nantaise,  je  crois,  en  qualité  de  capitaine 
do  carabiniers.  Il  est  à  ma  connaissance  qu'il  fit  sous  ses  efforts 
pour  rappeler  les  soldats  dans  l'ordre  et  les  empêcher  de  se  por- 
ter à  des  excès  envers  de  malheureux  prisonniers  ;  que  M.  le 
général  Cambronne,  arrivé  au  fort  Penthièvre,  à  Quiboron,  me 
procura  ainsi  qu'à  plusieurs  de  mes  camarades,  les  moyens  de 
sortir  du  fort,  espérant  que  peut  être  nous  eussions  été  assez 
heureux  pour  gagner  les  campagnes  et  nous  échapper  du  danger. 
Nous  fûmes  arrêtés  peu  d'instants  après  notre  fuite  par  un  corps 

(1)  Les  biographies  de  Cambronne  qui  donnent  cette  pièce  disent: 
maire  de  Liégoune  Cette  commune  n'existe  pas  et  c'est  Béganne 
qu'il  faut  lire. 


—  373  — 

d'observation  et  redevenus  prisonniers,  il  est  en  outre  à  ma  con- 
naissance que,  rendus  dans  les  prisons  d'Auray,  M.  le  général 
Cambronne  y  parut  souvent.  Sa  généreuse  humanité  le  porta  à 
nous  pi'ocurer  des  secours  dont  nous  avions  besoin  et  qui  quel- 
quefois nous  étaient  refusés.  Il  compatissait  à  notre  sort  :  lui 
môme  me  proposa  des  moyens  de  sortir  des  prisons,  ce  qui  ne 
put  avoir  lieu,  ayant  été  presque  aussitôt  tranféré  dans  les  prisons 
de  Vannes. 
En  foi  de  quoi, 

Rado-Dumatz. 

A]N\\EXE  U  (page  189) 

Nous,  anciens  officiers,  sous-officiers  et  soldats  de  la  Légion 
Nantaise,  demeurant  à  Nantes, 

Certifions  qu'étant  en  garnison  au  Croisic,  on  1793,  M.  le 
général  Cambronne,  alors  lieutenant  dans  ladite  Légion  Nantaise, 
fut  désigné  au  nombre  dos  quarante  officiers  et  sous-officiers 
qui  devaient  être  arrêtés  lors  du  voyage  de  l'adjudant-comman- 
dant  Fouquot,  dans  la  dite  ville  du  Croisic,  par  ordre  du  Comité 
Révolutionnaire. 

Qu'un  des  chefs  d'accusation  contre  ces  officiers  était  qu'ils 
couchaient  dans  une  chambre  où  existait  une  tapisserie  de  papier 
couverte  de  médaillons  représentant  le  portrait  de  Louis  XVI. 

Qu'il  y  eut  un  projet  de  se  défaire  de  cet  adjudant;  que 
M.  Cambronne  s'y  opposa,  on  démontrant  que  cet  homme  n'avaii 
point  de  troupes  pour  exécuter  son  entreprise. 

Qu'on  etïc^t,  ce  Fouquot  fut  chassé  honteusement  par  M.  le 
général  Cambray^  et  guillotiné  douze  ou  quinze  jours  après  à 
Nantes. 

(Suivent  les  signcttures). 

CHAPITRE  XVII 

ANNEXE  V  (page  266) 

Mairie  de  Saint-Sébastien. 

Nous,  René-Jean  Meneust,  adjoint  au  Maire  do  la  commune  de 
Saint-Sébastien,  canton  de  Nantes,  départements  de  la  Loire- 
Inférieure,  certifions  qu'il  résulte  des  renseignements  exacts  que 


—  374  — 

nous  nous  sommes  procurés,  que  Madame  Marie  Osberein,  veuve 
de  Monsieur  John  Sword,  et  fille  de  Monsieur  Osborein,  manu- 
facturier en  indienne,  originaire  de  Glascouw,  en  Ecosse,  ren- 
tière, demeurant  à  sa  terre  de  la  Baugerie,  en  cette  commune 
et  y  domiciliée  depuis  environ  dix-sept  ans,  jouit  d'une  bonne 
réputation  et  mérite  à  tous  égards  l'estime  de  tous  ceux  qui  la 
connaissent;  elle  .est  naturalisée  française  depuis  sept  ans.  Sa 
fortune  consiste  comme  suit  : 

l»  Dans  sa  terre  de  la  Baugerie,  en  cette  commune,  estimée 
trente  mille  francs  ; 

2o  En  divers  prêts  en  argent  qu'elle  a  faits  sur  la  place,  mon- 
tant à  trente  mille  francs,  lui  rapportant  dix-huit  cents  francs  ; 

3o  Un  contrat  sur  un  particulier  en  Ecosse,  qui  lui  sert  une 
rente  de  douze  cents  francs,  pour  prêt  : 

40  En  divers  crédits  ponr  prêts  faits  à  divers  particuliers  l'ési- 
dant  en  Ecosse  et  dont  le  total  monte  à  la  somme  de  cinquante- 
cinq  mille  francs,  lui  produisant  deux  mille  sept  cents  cinquante 
francs  de  rente  à  o  pour  cent  ; 

50  Le  général  Cambronne  nous  a  déclaré  vouloir  lui  donner 
pendant  sa  vie  durant,  une  somme  de  trois  mille  francs  do  rente. 

En  foi  de  quoi,  et  sur  la  demande  qui  nous  a  été  faite  par  la 
dite  dame  Sword  et  le  général  Cambronne,  nous  leur  avons  dé- 
livré le  présent. 

En  Mairie,  à  Saint-Sébastien,  le  47  avril  mil  huit  cent  vingt. 

Par  délégation  spéciale  et  en  l'absence  du  Maire, 

R.  Meneust,  adjoint. 


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TABLE  DES  MATIÈRES 


chapitres  PaK«s 

Préface V  à  VU 

I .  La  famille  do  Cambronne 1 

II .  Enfance  de  Cambronne 9 

III.  Au  début  de  la  Révolulion iO 

IV.  Cambronne  à  la  Légion  nantaise 22 

V.  De  Zurich  à  Hohenlinden 41 

VI .  D'Austorlitz  à  Pultusk 56 

VII .  Vienne,  Dresde,  Leipzig,  Hanau 6o 

VIII .  Campagne  de  France  (1814) 76 

IX.  A  l'île  d'Elbe 81 

X .  Les  Ccnt-Jours 94- 

XI.  Waterloo 110 

XII .  Le  mot  de  Cambronne 119 

XIII .  Prisonnier  eu  Angleterre 1S6 

XIV.  Au  Conseil  de  guerre 169 

XV.  Sous  la  surveillance  de  la  haute  police 214 

XVI .  Le  voyage  à  Bordeaux 241 

XVII .  Amours  et  mariage  de  Cambronne 2o5 

XVIII.  Cambronne  à  Lille 278 

XIX .  La  retraite  à  Saint-Sébastien 28S 

XX.  Caractère  de  Cambronne 293 

XXI .  Derniers  actes  de  sa  vie  publique 301 

XXII.  Mort  de  Cambronne 306 

XXIII .  La  statue  de  Cambronne 313 

XXIV.  Hommages  à  Cambronne 3'26 

XXV.  La  succession  de  Mi'"  Cambronne 332 

XXVI .  Bibliographie 340 

XXVII .  Iconographie 346 

XXVIII.  Annexes 360 

XXIX.  Généalogie 375 


Nantes,  Imp.  G.  Schwob  et  Fils,  rue  Scribe,  6. 


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Cambronne 


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