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Full text of "Cassiodore: De l'amo"

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1 



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DE L'AME 






CASSIODORE 



DE L'AME 






TRADUCTION FRANÇAISE 
par 

Stéphane de Rouville 






Varis 

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ROLQUETTE, PASSAGE CHOISEUI 

MDCCCLXXIV 



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5 






^-jE «om ie Cassiodore appartient à Vhis- 
^f^toire. Ce personnage illustre ne fut pas 

(S^=r* seulement un grand écrivain, il fut aussi 
ministre et homme d'État. Mais, quel terrible 
siècle que celui où il vécut et combien la poli- 
tique de cette époque devait être difficile, impra- 
ticable, pour ne pas dire impossible. Né en 468, 
dans une petite ville de la Calabre, à Squillace, 
Magnus Aurélius Cassiodore assista à la chute 
de l'Empire d'Occident et subit les envahisse- 
ments des hordes sauvages qui se disputèrent 
les dépouilles de Rome, après dou^e cents ans 
de victoires et de prospérités. Il vit de bonne 
heure que l'écroulement du vieux monde allait 
amener le chaos, l'ignorance, la barbarie; et il 
consacra toute son existence, soit dans l'admi- 
nistration, soit dans les lettres, à empêcher la 
disparition complète de la civilisation antique. 
Appelé dès sa jeunesse par Théodoric, roi des 
Ostrogoths, au gouvernement des affaires pu- 

1 



— Il — 



btiquifS, il fat ifoecessivement secrétaire^ Ê tut, 
questeur, grand chancelier, sénateur, pré/et du 
prétoire, patrice et enfin consul. C'était une 
position délicate et périlleuse pour un Romain 
que d^être le premier ministre dun prince bar- 
bare; Cassiodore sut néanmoins se maintenir 
par son incontestable supériorité et il réussit, 
jusqu'à la mort du roi, à défendre les intérêts 
de sa patrie. On ne peut nier d'ailleurs qu'il 
contribua largement à la grandeur du règne 
de Théodoric^ Il continua d'occuper les mêmes 
fonctions sous sa fille Amalasonthe, qui fut 
régente du jeune Athalaric. Plus tard, Théodai, 
ayant fait étrangler la reine dans un bain et 
s' étant emparé définitivement du trône, conserva 
auprès de lui Cassiodore. Celui-ci n'osa refuser 
ce dangereux honneur^ dans la crainte de livrer 
entièrement ses concitoyens à la domination 
gothique. Il servit même quelque temps son 
successeur Vitigès, qu'il aida de ses conseils et 
de ses lumières \ mais, lorsqu'il, vit Bélisaire à 
Rome et l'Italie un instant affranchie du joug 
des envahisseurs, il en profita pour se retirer 
du monde, après avoir publié le Traité de 
l'Ame et XII livres de Lettres curieuses sur 



— III 



la politique et la diplomatie du VI^ siècle. Il 
alla s'enfermer à Viviers, dans un monastère 
qu*il avait fondé. Il était alors âgé de soixante 
et dix ans. Depuis cette époque jusqu'à la fin 
de sa vie, qui dépassa cent années, Cassiodore 
travailla sans relâche à réunir, à corriger et 
à transcrire les précieux manuscrits que nous 
a laissés l'antiquité sur les sciences, les lettres 
et les arts. C'est à lui que nous devons de pos- 
séder véritablement les classiques grecs ou 
latins, qui, dans ces temps d'obscurité, fourmil- 
laient d'erreurs ou d'incorrections ; car, ayant 
formé une riche bibliothèque ^'ouvrages les 
plus variés, il habitua ses moines à les copier. 
Les autres couvents firent de même et l'exemple 
fut suivi jusqu'à l'invention de l'imprimerie. 
C'est ainsi que les chefs-d'œuvre de l'esprit 
humain furent conservés à la postérité, Cassio- 
dore mérite à ce titre de la reconnaissance. Ce 
fut au milieu de cette retraite qi^il composa la 
plupart de ses livres, qui, au moyen âge, ser- 
virent longtemps à l'enseignement. Sous le titre 
i' Institutions des Lettres divines et humaines, 
il fit de savants traités sur les sept arts libé- 
raux et les parties du discours. Il écrivit une 



— IV — 

Histoire des Goths dont Jornandès nous a 
heureusement conservé quelques extraits, une 
Chronique depuis le déluge jusq.u'en 5 19, des 
Commentaires sur les Psaumes, les Epîtres, 
les Actes des Apôtres et l'Apocalypse , sans 
compter son fameux Traité de l'Orthographe 
qu'il rédigea lui-même, à Vâge de quatre- 
vingt-treize ans. On a aussi sous son nom une 
Histoire tripartite; mais c'est un abrégé de 
Socrate, de So^omène et de Théodoret, qui a 
pour auteur Epiphane le Scolastique. De tous 
les ouvrages de Cassiodore, le Traité de l'Ame 
paraît caractériser le mieux l'écrivain et for- 
mer un ensemble plus complet de ses doctrines; 
voilà pourquoi nous en présentons ici la traduc- 
tion. C'est d'ailleurs une œuvre essentiellement 
morale, philosophique et chrétienne, qui pos- 
sède une valeur réelle. On a généralement 
reproché à l'auteur latin un peu trop de re- 
cherche et de subtilité; cela ne V empêche point 
d'avoir une grande profondeur dans les pensées 
et beaucoup d'élévation dans le style. Pour bien 
juger Cassiodore, il faut songer au siècle dans 
lequel il a écrit. 



INTRODUCTION 



M. A. CASSIODORE 




DE L'AME 



*^^^^^^^Xf^r^(r^r^ffÇCrff^ 



INTRODUCTION 




ÉJA je me réjouissais d'être arrivé à 
la fin tant souhaitée de mon œuvre :^ j^ 
après y avoir co nsacré douze YQ * i,\f i^^ 
lûmes, j'entrais tranquillement au port, sinon 
couvert de louanges, du i^ioins délivré d^ sou- 
cis; mais voilà que mes ^meilleurs amis 
gagent de nouveau sur la haute mer de la pensée. 
Ils me demandent de dévoiler quelques-uns 
des mystère$ que j'ai pu découvrir, soit dans les 



\ de sou- 
iisjja'en- 



— 4 — 

livres sacrés, soit dans les livres profanes, tou- 
chant la substance de l'âme ou ses facultés ; ils 
s'adressent à moi, persuadés qu'il m'a été donné 
de pénétrer les secrets de si grandes choses. Ils 
ajoutent qu'il serait msensé de laisser ignorer 
le principe auquel nous devons la plupart de 
nos connaissances et de le considérer comme 
nous étant étranger, tandis qu'au contraire il 
est fort utile de savoir par quel moyen nous 
acquérons la science. 

Ce n'est point entreprendre une longue ex- 
cursion que de discourir sur son propre sens ; 
il suffit d'interroger la Nature, elle répond d'elle- 
même. Il ne faut donc pas aller loin pour se 
rencontrer. Celle que nous cherchons est tou- 
jours avec nous; elle y demeure, elle agit, elle 
parle : et malgré cela, s'il est permis de le dire, 
elle vit entièrement ignorée. 

Il ne doit point en être ainsi, puisque nous 
l'avons à notre disposition ; c'est d'autant plus 



aisé qu'elle est sans cesse en présence d'elle- 
même et qu'elle s'examine avec beaucoup de 
pénétration. D'ailleurs, il a été recommandé 
par les sages de nous connaître nous-mêmes : 
comment pourrait-on se conformer au précepte, 
si l'on reste inconnu à soi-même ? 

Nous désirons savoir le cours varié des pla- 
nètes dans le ciel, la marche régulière des cons- 
tellations. Parmi ces astres, il y en a de fixes 
et d'immobiles, d'autres sont emportés par un 
mouvement perpétuel de rotation et ne se re- 
posent jamais. En accomplissant leurs révolu- 
tions, ils font entendre, comme les Docteurs 
profanes essayent de l'expliquer, une harmonie 
pleine de charmes et des modulations que rien 
ne saurait exprimer. Leur sonorité et l'ensemble 
de leur concert produisent une musique déli- 
cieuse. Nous voulons encore étudier la hauteur 
de l'air, la mesure du sol^ les nuages, les pluies, 
les temj)êtes, la grêle, les tremblements de 



- 6 — 

terre, la variabilité des vents, la profondeur de 
la mer inconstante, les propriétés des plantes, 
Tessence des quatre éléments qu'on retrouve 
dans tous les corps : et il faudrait admettre que 
l'âme ne peut se connaître elle-même, quand 
elle a reçu d'en haut le pouvoir de résoudre de 
tels problèmes ! Nos recherches manquent alors 
d'opiniâtreté et nous mettons trop de mollesse 
à vouloir découvrir d'aussi profonds mystères. 

Nous devons apprendre : 

i«> Pourquoi l'Ame est ainsi appelée ; 

2® Quelle est la définition qui lui convient ; 

3^ Quelle est sa qualité substantielle ; 

4« S'il faut croire qu'elle ait une forme ; 

5^ Quelles vertus morales elle possède, parmi 
celles que les Grecs nomment âpsToi, et qui 
contribujsnt à son honneur comme à sa gloire ; 

6® Quelles sont ses facultés naturelles, c'est- 
à-dire celles qui servent à contenir la substance 
du corps ; 



— 7 — 

7^ Quelk est son origine ; 

8<> En quel endroit elle réside de préférence, 
bien qu'elle soit répandue par tous les membres ; 

90 Quelle est la forme et la composition du 
corps; 

io<^ Quelles sont les propriétés de l'âme des 
pécheurs et au moyen de quels signes on peut 
les reconnaître ; 

1 1® Par quelle différence on la distingue de 
celle des justes, afin d'avoir certains indices 
qui nous montrent ceux que nous ne pouvons 
voir de nos yeux ; 

12^ Quelles sont les différentes opinions et le 
sentiment de chacun sur la résurrection, dont 
ne doute point le sage. Le cœur fragile des 
mortels aura ainsi plus de ibi dans les promesses 
divines. 

tt Avec l'aide de Dieu, me disent mes amis, 
3t réponds-nous sur toutes ces questions, en 
» ayant soin de procéder par ordre, de façon à 



— 8 — 

» nous pénétrer facilement de ta parole et à 
» t'acquérir la renommée d'un savant. » 

J'ai déclaré que ces propositions n'avaient 
aucun rapport avec les Préceptes des Rois^ 
dont je m'occupais naguère ; elles conviennent 
plutôt à des dialogues intimes et mystérieux, 
qui s'adressent moins aux oreilles qu'à l'enten- 
dément intérieur de l'homme, à la partie la 
plus délicate de son intelligence. D'un autre 
côté, il n'est pas si aisé qu'on pourrait le croire 
de parler de l'Ame, puisque c'est elle qui nous 
sert à expliquer une foule de choses. En effet, 
l'œil, qui perce jusqu'aux astres, ne peut se voir 
lui-même: notre palais, qui éprouve des sensa- 
tions de goût si diverses, ignore sa propre sa- 
veur. Les narines, qui aspirent t des parfums 
SI variés, ne sentent point l'odeur qu'elles 
exhalent. Enfin notre cerveau , bien qu'il 
transmette le sentiment aux autres membres, 
en est, dit-on, privé. 



F* 



- 9 — 

D'ailleurs , fatigué comme je suis , quelle 
discussion pourrais- je entamer, moi qui me 
dirigeais avec tant d'ardeur vers le terme de 
mes travaux? Ah! chers amis, vous m'imposez 
une rude tâche, en m'obligeant à traiter une 
pareille matière. On voit bien qu'en latin 
méditer et forcer (cogitare et cogère) viennent 
positivement de la même racine. Et puis, la 
question, déjà discutée par beaucoup de gens, 
paraît avoir été abandonnée comme à peu près 
inexplicable. 

J'ai eu beau faire ces objections, en ajouter 
d'autres encore ; rien n'a réussi. Malgré de 
nombreuses raisons, je n'ai pu ni triompher 
de leurs exigences, ni obtenir de concessions. 

Vaincu à la fin, j'ai demandé du moins quel- 
ques jours de répit, ne voulant pas m'engager 
avec précipitation dans une œuvre, entreprise 
forcément et hérissée de difficultés. Aussi, 
m'arrive-t-il ce qui arrivait à Protée qu'on 



10 



chargeait de chaînes, pour le contraindre à 
dévoiler les secrets qu'il n'entendait point divul- 
guer volontairement. Cependant, la chose a 
fini par me sembler supportable ; car le sujet 
qu'on m'impose est tel, que si, grâce à Dieu, 
j'en parle d'une manière conforme à la vérité, 
il aura le mérite de récréer l'esprit du lecteur 
et d'éclairer l'intelligence de l'auteur. 

Mais, avant d'entrer dans les détails, je dois 
élaguer, comme autant de rameaux inutiles, 
les similitudes de noms ; de peur que le champ 
de la dispute ne soit obstrué par une forêt de 
mots gênants et obscurci par l'abondance des 
images. 



CHAPITRE PREMIER 



POURQ.UOI l'AME est AINSI APPELÉE 



I 

J 




CHAPITRE PREMIER 



Pourquoi Vâme est ainsi appelée. 




E mot âme s'applique proprement 
à l'homme, et non aux animaux, 
parce que la vie de ces derniers est 
considérée comme résidant seulement dans le 
sang. 

VAme^ étant immortelle , s'appelle avec rai- 
son en latin anima^ du grec dva/fict, pour indi- 
quer qu'elle est tout à fait distincte du sang. 
En efiPet, même après la mort, il est certain que 
sa substance demeure intacte, ainsi qu'on le 



— 14 — 

verra phis loin. D'autres dmnt que l'Aine tire 
son nom de ce qu'elle anime et vivifie le corps, 
auquel elle est attachée. 

Quant au mot animus^ il vient de ivs^ot^ qui 
signifie vent, attendu que l'extrême rapidité de 
sa pensée est emportée comme le vent, avec un 
mouvement vertigineux. Ce mouvement est 
produit par l'impulsion de l'âme, en raison de 
la nature de ses aspirations. 

Mens^ intelligence, dérive de fwl»îï, qui veut 
dire lune. La lune en efïet, bien q^^jt^filk su- 
bisse des changements variés et p4rk»li^u^^, 
revient cependant à son état primitif^ ea iç 
renouvelant sans cesse. Il en est de même de 
l'intelligence : tantôt affaissée sous le poids des 
douleurs, elle paraît obscurcie; tantôt revenue 
à la joie, elle reprend son éclat naturel. 

Esprit, spiritus^ a trois significations : 

D'abord on nomme ainsi dans le sens véri- 
table et propre Dieu, indépendant du Monde 



— i5 — 

et Mahré absolu des créatures, dispensant à 
son gré Texistence et les bienfaits, remplissant 
r Univers de sa personne et tout entier en toutes 
choses, immobile et ne changeant jartiais, quoi- 
que éternellement actif et exerçant le souverain 
pouvoir sur chacune des parties qui forment 
l'ensemble des êtres. 

Nous appelons encore esprit une substance 
légère, invisible, immortelle, qui est avanta- 
geusement douée de force et d'influence; 

Enfin, on donne le nom d*esprit à ce Souffle 
qui se trouve répandu par tout le corps, comme 
en un récipient, et avec lequel la vie des mor- 
tels, maintenue dans Tétat normal, ne s'arrête 
point et se répare à l'aide d'un mouvement 
continuel. 

Il faut savoir en outre que l'esprit et Tintel- 
ligence ne peuvent être appelés proprement 
ôme. Seulement, comme l'un et l'autre do- 
•minent en elle, il arrive parfois qu'on les 



— i6 — 

confond abusivement sous le même nom. 
Le mot esprit (spiritus) ne doit pas non plus 
se prendre indistinctement pour âme ; car 
cette dénomination est donnée également 
aux puissances éthérées, c'est-à-dire aux 
Anges, et à tout ce qui est spirituel. On 
ne saurait vraiment aussi appeler âme cette 
sorte de souffle vital qui se dissipe par l'al- 
tération de l'air, et qui est commun aux ani- 
maux. 

Il reste maintenant à désigner, d'une ma- 
nière claire et distincte, l'Ame humaine, qui 
est une essence spirituelle qu'aucune perte 
de sang ne peut détruire. Parlons donc libre- 
ment de sa substance elle-même, à présent 
que nous avons, grâce à un triage indispen- 
sable, écarté toutes les similitudes de mots. 
Commençons d'abord par établir, avec le plus 
de prudence et de réflexion possible, une 
définition fondamentale des choses, afln que 



— 17 — 

les conséquences, qui pourront en être dé- 
duites,* soient facilement reconnues comme 
se rattachant à la proposition qui les aura 
engendrées. 




CHAPITRE II 



DE LA DÉFINITION DE L*AME 



* ■v' , ,■ .' 4 » ■ ■^^, 



\r\j\/\/\/\j\/\j\/\/\j\rir\j\rj\r\r^^ 



CHAPITRE II 



De la définition de l'âme. 




ES auteurs profanes disent que Pâme 
est une substance simple, d'une 
espèce naturelle , distincte de la 
matière qui constitue le corps auquel elle 
est attachée. Selon eux, c'est la force mo- 
trice des membres, le principe de la vitalité. 
Et, s'il faut s'en rapporter à l'autorité de 
docteurs plus véridiques , l'âme humaine , 
créée par Dieu, serait une essence propre, 
spirituelle, vivifiante, raisonnable et immor* 



— 22 — 



tâlè, tnftis aussi portée au mal qu^àu biéiî. 

Voilà, en quelque sorte, l'œuif dans lequel se 
trouve renfermé le germe qui contient Texis- 
tence de l'oiseau et l'éclat de son plumage. 
Ouvrons -le à présent et examinons-en les 
parties, puisque ordinairement les hommes 
apprennent mieux les choses que la divi- 
sion leur fait paraître plus claires et plus 
évidentes. 

Que Dieu produise ou ait produit les âmes, 
c^est ce que personne de sensé n'igiiorê. &^ 
comme tout ce qui existe est ou crôà^llbr mi 
créature^ aucune substance créée iâé ^èut 
devenir créatrice ; car, pour subsister, elle a 
besoin de Dieu. L'âme ne saurait, d'ailleurs, 
procurer à d'autres la vie, qu'elle ne possède 
que parce qu^elle l'a reçue. Avouons donc 
qu'elle est véritablement l'œuvre de la Divi- 
nité qui^ seule, a le pouvoir de faire des êtres 
mortels et immortels. Nous en avons la preuve 



- 23 — 

da]36 Salomoa. On y lit : « Que la poussière 
» redevienne terre, comme elle était; et que 
» l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné. » Et 
ailleurs : « Tout souffle est mon ouvrage, dit 
1 le Sdgneur. • 

Du reste, la raison absolue nous démontre 
que rame est d'une essence particulière. En 
effet, nous savons que les choses corporelles 
sont renfermées dans les limites de trois lignes : 
longueur, largeur et profondeur. Il serait im- 
possible de rien trouver de pareil chez elle. £n 
outre, malgré son union avec le corps dont la 
masse l'alourdit et Taccable, Tâme examine 
attentivement les opinions humaines, elle ap- 
profondit les questions célestes, elle recherche 
les secrets de la Nature; elle pousse à Tinfini 
ses investigations, et brûle même de pénétrer 
le mystère qui enveloppe son créateur. Si elle 
était corporelle, elle ne pourrait avoir des 
pensées ni comprendre ce qui est spirituel. Il 



— 24 — 

faut alors abandonner l'idée qu'elle puisse être 
corporelle. Elle peut d'autant moins l'être 
qu'elle ne se prête en aucune façon à la défi> 
nition qui convient au corps, et qu'elle s'élève 
à des hauteurs auxquelles l'esprit seul s'efforce 
de parvenir. L'Écriture sainte nous en avertit 
avec beaucoup de raison. D'après elle, rdme 
méprise toutes les choses visibles de ce monde, 
parce qu*elle est incorporelle, et se porte vo- 
lontiers vers les choses spirituelles, parce 
qu* elle a été' formée à leur ressemblance. Elle 
a donc une substance propre, puisqu'en de- 
hors d'elle nul autre esprit ne partage les 
chagrins ou les joies qui proviennent des 
passions charnelles. 

Nous avons dit que l'âme animait le corps. 
En effet, à peine y est -elle attachée, que, par 
une ineffable sympathie, elle le chérit tendre- 
ment. Elle aime cette prison qui l'empêche 
d'être libre, et se sent vivement affectée par 



- 25 — 

ses douleurs; elle redoute sa fin, elle qui ne 
peut mourir, et tremble si fort aux moindres 
accidents du corps qu'on la croirait à l'extré- 
mité, tandis qu'au contraire la Nature l'exempte 
de toute destruction. Elle est heureuse d'une 
saine constitution; elle se réjouit des plaisirs 
de la vue, du charme de la mélodie, de la dou- 
ceur des parfums; elle apprécie même une 
nourriture nécessaire, qui flatte le goût. Bien 
qu'elle ne vive d'aucune de ces choses, elle 
éprouve néanmoins de la tristesse quand elle 
en est privée ; elle les regrette alors, non pas 
pour ses besoins, mais pour ceux des membres 
placés sous sa dépendance. 

C'est par cette voie que se glissent quelque- 
fois des vices contraires à la raison, lorsque 
l'âme, trop indulgente pour le corps qu'elle 
aime, s'abandonne au péché. La vie du corps 
consiste donc dans la présence de l'âme qui lui 
a été donnée; la mort résulte de son départ : 



— 26 - 

de même qu'il fait jour quand le soleil brille, 
et qu'il fait nuit quand il disparaît. On le voit, 
le corps existe seulement par le secours de 
l'âme, et il est constant qu'il reçoit d'elle la fa- 
culté de se mouvoir. 

Mais, puisque nous parlons des conditions 
d'existence, il importe de savoir que dès le mo- 
ment où cette force ignée a pénétré les parties 
du corps, dès le moment où l'esprit vital a 
animé de son souffle la matière charnelle, 
l'âme ressent aussitôt ses blessures et partage 
ses douleurs, parce qu'elle s'y trouve essentiel- 
lement enclavée. Si la vertu, ou plutôt la cha- 
leur de l'âme, ne servait qu'à la croissance des 
membres, elle ne pourrait souffrir avec le corps 
de l'incision faite à un doigt : de même que le 
soleil n'éprouve assurément aucun mal, si l'on 
essaye de couper ses rayons. Elle occupe donc 
entièrement toutes les parties; elle n'est pas 
ici plus petite, là plus grande ; mais, d'un côté 



~ 27 - 

plus intense, de Tautre moins activé, quoi- 
qu'elle répande également partout la vie. Bien 
qu'elle se contracte et forme un ensemble, elle 
ne laisse point s'affaiblir ou dépérir les mem- 
bres dans lesquels elle doit conserver la vigueur 
vitale; elle distribue à chacun les aliments con^ 
venables, et garde entre eux la mesure et Thar- 
monie. 

Il paraît vraiment merveilleux qu'une chose 
incorporelle soit alliée à des membres grossiers 
et que des natures si différentes aient été ame- 
nées à n'en faire qu'une; de telle sorte que 
rame ne peut rompre l'association quand elle 
le désire, ni la prolonger quand le Créateur lui 
a signifié sa volonté. Tout lui est fermé lors- 
qu'elle doit habiter le corps, tout lui est ou- 
vert lorsqu'elle a ordre d'en sortir. En effet, 
si elle reçoit malheureusement une blessure 
grave, il lui est impossible de succomber sans 
la permission de son auteur, comme aussi d'être 



— 28 — 

sauvée sans sa miséricorde. De là vient que 
nous voyons souvent des personnes grièvement 
blessées se guérir, tandis que d'autres meurent 
à la suite d'atteintes légères. 

Quant à la présence de la raison chez 
l'homme, qui en douterait? N'aborde-t-il pas 

'; les choses divines, ne connaît-il pas les choses 

. humaines, ne se livre-t-il pas à l'étude des 

beaux-arts et des sciences les plus élevées.? S'il 

\ a l'honneur de surpasser tous les animaux, 

c'est grâce à la raison dont il est doué. J'ap- 

* pelle raison le mouvement régulier de l'esprit 
qui^.par les moyens acquis et les chemins déjà 
frayés, conduit à un résultat inconnu et arrive 
à surprendre le secret de la vérité. C'est elle 
qui, à force de conjectures et d'argumentations, 
essaye d'approfondir tout ce qui existe dans la 
nature. On doit en effet donner le nom de rai- 
son vraie, pure et certaine, à celle qui conçoit 
de justes pensées et les exprime par l'intermé- 



— 29 — 

diaire du langage, avec une grande facilité d*é- 
locution. 

L'âme, placée dans le corps, voit et consi- 
dère, sans sortir d'elle-même, une foule d'objets 
des plus variés; elle s'étend partout, bien qu'on 
I ne puisse jamais constater son absence ; elle se 
I meut, s'élève, s'agite et se promène en elle- 
i même comme si elle parcourait un vaste es- 
il pace. Elle ne s'échappe point pour agir; en 

â 

i restant sur son terrain, elle se représente les 
choses en idée, soit qu'elle les ait vues de ses 
I yeux, ou conçues dans la fantaisie de son 
fi imagination. Toutes ses pensées se produisent 
séparément, de même que ses paroles; mais 
ses sensations n'ont aucun ordre : leur di- 
versité amène la confusion. Il n'appartient 
qu'à Dieu de composer un ensemble et de 
tout développer à la fois dans des proportions 
équitables. 
Douée d'une large part de raison, que 

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— 3o — 

d'inventions l'âme doit à ce présent de la 
Divinité! Elle a trouvé la forme des lettres, 
enfanté les arts et les sciences, entouré les 
cités de murailles, et façonné des vêtements 
de toute sorte. A force d'industrie, elle a 
amélioré le sol, exploré l'univers, lancé sur 
l'abîme des navires ailés; elle a transpercé 
les montagnes pour les voyageurs , disposé 
les ports en croissants pour les marins, et 
enrichi la terre d'usines et d'ateliers! Qui 
pourrait douter qu'elle n'ait la raison en 
partage, quand, inspirée par le Créateur, 
on voit son intelligence faire admirer tant 
de merveilles dignes d'éloges et de célé- 
brité? 

Il convient maintenant de parler de son 
immortalité. 

Les âmes sont immortelles : les écrivains 
profanes l'ont prouvé de bien des manières. 
Us ont dit : « Si tout ce qui donne l'existence 



— 3i — 

» à d'autres êtres vit par soi-même, l'âme, qui 
» anime le corps, vit par elle-même et, par 
» conséquent , est immortelle. » Ils disent en- 
core : a Tout ce qui est immortel est simple : 
» or, l'âme n'est ni complexe ni formée de 
» plusieurs parties; sa nature, au contraire, 
» est simple; elle est donc immortelle. » Ils 
avancent en outre cette proposition : « Tout 
» ce qui ne se corrompt point par suite d'une 
» opposition originelle, doit durer éternelle- 
» ment : l'âme, qui est simple et pure, est 
» indubitablement immortelle. » Ils ajoutent 
enfin : « Si toute essence raisonnable qui se 
» meut en elle-même est immortelle, l'âme 
» qui est douée de raison et a la faculté 
» de se mouvoir elle - même , est immor- 
» telle. » 

Quant à nous, il nous est fa*cile d'appuyer 
sur des textes véridiques la preuve de l'immor- 
talité des âmes. En effet, lorsque nous lisons 



~ 32 -. 

qu'elles ont été faites à Timage et à la res- 
semblance de leur auteur, qui osera s'insurger 
contre une autorité sacrée et prétendre qu'elles 
sont périssables? A moins qu'on n'ait l'audace 
de soutenir qu'elles s'écartent de cette ressem- 
blance avec leur créateur ! Car, de quelle façon 
les âmes pourraient-elles reproduire l'image 
et la ressemblance de Dieu, si elles étaient 
limitées par la mort de l'homme? Celui 
qui vit et demeure perpétuellement d'une 
manière ineffable, qui est lui-même maître 
de l'Éternité, qui contient et dispose tout, 
peut sans aucun doute, étant immortel, créer 
des choses immortelles et faire partager sa 
propre existence, dans de certaines propor- 
tions. 

Quelqu'un dira : « Comment suis-je sem- 
» blable à Dieu, puisqu'il m'est impossible de 
» créer des êtres immortels? » A cela, nous 
pensons qu'il faut répondre par une corn- 



- 33 — 

paraison : Est-ce qu'une peinture qui nous 
représente a le pouvoir d'imiter nos ac- 
tions? Une image peut bien avoir de la res- 
semblance, sans être en état d'agir comme la 
réalité. 

Nous devons aussi reconnaître que l'âme est 
immortelle, en ce qu'elle aspire toujours à 
s'occuper de l'Éternité; elle désire, en effet, 
laisser la renommée de son nom, après avoir 
quitté le corps; elle ambitionne une gloire 
durable , et sa conscience songe surtout à 
l'avenir, dans la crainte d'arriver avec quelque 
souillure devant la postérité. De là vient, et 
les plus grands auteurs en sont convaincus, 
que tout ce qui s'élève par la dignité de la 
raison ne saurait être abaissé par la mort. 
Joignez à cela que la vérité nous enseigne 
d'une feçon absolue qu'aux méchants sont 
réservés des supplices sans fin, et aux bons 
des joies éternelles; de sorte qu'il n'est point 



m 



- 34- 

permis d'accueillir avec hésitation ce que 
daigne promettre la puissante Divinité. 

Toutefois, nous ne devons pas croire que 
cette immortalité de l'âme est telle, qu'elle 
n'admet aucune passion : elle est au con- 
traire sujette au changement et sensible au 
chagrin; mais, au milieu des ennuis ou des 
inquiétudes, elle poursuit son but avec per- 
sévérance. 

C'est d'une manière spéciale et particulière 
que Dieu est immortel, juste, puissant, bon 
et saint : et, bien que ces attributs ou d'autres 
semblables soient accordés aux hommes, ou 
aux Anges, aucun d'entre eux n'atteint 
néanmoins ce haut point de souveraineté, si 
iiigne de respect. Cependant, toutes les vertus 
éminentes, concédées aux créatures par la 
générosité divine , parviennent relativement 
à un degré très élevé de plénitude et de per- 
fection. 



- 35 ~ 

A présent, il faut rechercher comment doit 
être comprise l'existence de Pâme. 

Après avoir quitté le monde, elle vit en elle- 
même, non pas à l'aide d'un souffle comme 
le corps, mais en vertu de cette constante 
faculté de se mouvoir qui lui a été attribuée ; 
toujours pure, subtile, légère, éternelle, elle 
voit, entend, touche et agit avec plus d'effi- 
cacité qu'au moyen des sens ; elle né se trouve 
plus réduite à n'embrasser les choses que par- 
tiellement ; elle peut , par l'ensemble de sa 
substance, connaître tout à fond. D'ailleurs, 
ce serait une absurdité de penser que l'âme a 
moins de pouvoir , une fois affranchie , que 
pendant le temps où elle est alourdie par la 
masse d'un corps pesant. Elle se trouve alors 
indubitablement dans les mêmes conditions 
d'intelligence que les Anges, les puissances 
aériennes et tous les êtres formés d'une es- 
sence sublime et immortelle. 



- 36 - 

« 

Il nous reste maintenant, en suivant Tordre 
prescrit, à montrer que l'âme est sujette au 
changement. Plût à Dieu que cela fût incer- 
tain et ne pût être aisément prouvé! Mais, 
c'est malheureusement une faiblesse dans la- 
quelle nous tombons fréquemment. 

Qui peut douter, en effet, que nous ne 
soyons tantôt exaltés par la joie, tantôt abat- 
tus par la tristesse, dans un moment pleins de 
miséricorde, dans l'autre furieux d'indignation, 
aujourd'hui sur le chemin de la vertu, et de- 
main sur la pente du vice? Il est des choses 
que nous recherchons ardemment ; il en est 
d'autres pour lesquelles nous avons un oubli 
dédaigneux. Ce qui nous plaisait il n'y a 
qu'un instant, nous déplaît l'instant d'après. 
A peine édifiés par les discours des bons, nous 
en laissons détruire l'effet par les propos des 
méchants; et, cependant, nous n'ignorons pas 
qu'autant nous profitons du contact des es- 



- 37 - 

prits droits, autant nous perdons à celui des 
gens pervers. Si nous avions de la constance 
dans nos idées, un but unique dans nos ac- 
tions, jamais, de bons, nous ne deviendrions 
méchants, ni, de réprouvés, bienheureux, 
comme il arrive par suite de notre déplorable 
penchant au changement. 

Pour reconnaître cette variabilité d'une ma- 
nière plus évidente, rappelons-nous qu'il est 
dit que la sagesse ne nous a point été donnée 
avec un caractère immuable. Il en résulte que 
nous la pratiquons quand la lumière divine 
éclaire notre conduite, tandis qu'au contraire 
nous l'abandonnons lorsque l'obscurcissement 
produit par nos fautes nous aveugle. Un pareil 
état d'entraînement et de contraste n'offre que 
de l'incertitude. Le Tout-Puissant est le seul 
pour qui exister et être sage, pouvoir et vivre, 
vouloir et faire, sont des choses identiques. Et 
cela se comprend, puisque le bien de ce monde 



- 38 — 

ne vient pas vers lui, mais procède de lui. 
C'est pourquoi, si on considère l'origine de ce 
que nous appelons l'âme, il ne faut point s'i- 
maginer qu'elle soit une partie de Dieu, ainsi 
que Tout fait quelques insensés dans une 
pensée irréligieuse, attendu qu'elle est mobile ; 
ni une parcelle de la substance angélique, 
puisqu'elle peut être associée à la chair; ni 
une émanation de l'air, du feu, de l'eau, de la 
terre, ou des éléments étroitement unis entre 
eux : il faut voir en elle une nature simple et 
particulière, une essence distincte des autres 
esprits, que nous devons estimer comme étant 
de beaucoup plus subtile et plus transparente 
que l'air; car celui-ci est communément sen- 
sible, tandis que nous ne pouvons apercevoir 
l'âme avec notre organisation corporelle. 

Cette substance, en vertu de sa mobilité 
naturelle, est continuellement mise en mou- 
vement pour exprimer ses pensées. De là vient 



-39- 

que, pendant le sommeil, si nous n'avons pu 
réfléchir comme de coutume et vaquer à nos 
occupations quotidiennes, nous voyons en 
songe une foule d'objets, revêtus d'une forme 
tantôt vraie , tantôt mensongère. C'est peu , 
qu'une fois nos sens assoupis, nous devenions 
le jouet de l'imagination : souvent même, pen- 
dant la veille, nous sommes détournés de notre 
contemplation ; souvent, tandis que nous nous 
appliquons à la prière avec la plus grande 
attention, des pensées, qui paraissent inspirées 
par je ne sais quel jeu de l'esprit, nous en 
écartent aussitôt; et il arrive que nous subis 
sons alors l'influence d'idées entièrement op- 
posées à celles que nous avions. 

Il est donc certain qu'en ce monde l'âme 
se dirige par une volonté instable et variable, 
et qu'elle est également susceptible de recevoir 
ou de perdre les bonnes impressions. Elle n'est 
pas d'ailleurs toujours libre de suivre unique- 



— 40 — 

ment et constamment sa volonté , car elle 
est soumise à des changements multiples et 
contraires à ses dispositions intimes. Nous ne 
sommes point de ceux qui prétendent que les 
âmes se rappellent plutôt qu'elles n'acquièrent 
les connaissances usuelles et autres sciences; 
s'il en était ainsi, elles seraient prêtes â ré- 
pondre aux questions, sans être obligées de 
les comprendre par l'intervention de l'intelli- 
gence, et elles n'écouteraient pas les choses 
nouvelles, comme si elles n'en avaient jamais 
entendu parler auparavant. 

Voilà , je crois , presque terminée , cette 
laborieuse définition. Nous n'avons rien laissé 
dans, l'ombre de l'ensemble que nous avions 
devant les yeux. La nature du sujet est telle, 
qu'une fois bien posé, le problème se trouve 
résolu de lui-même. On ne saurait être alors 
taxé d'avoir dit quelque chose de plus ou de 
moins qu'il ne fallait. 



— 41 — 
A présent, arrivons, avec toute Tattention 
dont nous sommes capable, à la qualité sub- 
stantielle de rime. C'est là, on se le rappelle, 
le troisième point de la question. 




CHAPITRE III 



DE LA Q.UALITÉ SUBSTANTIELLE DE l'AME 






CAD qXo cX9 CAS) 



CHAPITRE III 



De la qualité substantielle de l'âme. 




ES auteurs ont écrit que la qualité 
de cette substance était ignée, parce 
qu'elle se développe avec une ardeur 
sans cesse agissante, et, qu'une fois unie au 
corps, elle en vivifie les. membres par sa cha- 
leur. 

I 

Ils fondent leur opinion sur ce qu'une 
flamme active alimente les corps célestes, non 
point d'un feu périssable' et momentané, mais 
d'un feu durable, nourrissant et immortel. 



-46- 

L'âme n'en est ni diminuée ni augmentée ; elle 
conserve éternellement la situation qu'elle reçoit 
à son origine. Il ne peut y avoir de fin à ce qui 
n'est en aucune façon formé, comme un corps 
quelconque, d'éléments divers. De même, ce 
qui est un et simple ne peut connaître l'état 
contraire. Voilà pourquoi l'âme subsiste tou- 
jours, n'ayant dans son essence ni trouble ni 
désordre. 

C'est ainsi qu'on nomme immortels tous les 
êtres créés auxquels la substance spirituelle a 
été accordée. 

Quant à nous, nous appellerions plutôt l'âme 
une lumière, et avec assez d'exactitude selon 
nous, en la considérant comme l'image de 
Dieu. Elle a reçu en effet, dans des proportions 
convenables à son importance et au milieu des 
diverses conditions de chaque chose, ce qu'il 
faut pour briller. Dieu, qui est tout-puissant et 
seul doué de l'immortalité, habite une lumière 



— 47 - 

inaccessible qui surpasse toutes les clartés, toutes 
les admirations possibles. Si Timage a quelque 
ressemblance avec son modèle, elle participe 
alors à cette lumière, mais elle ne peut la 
posséder entièrement. 

Ce divin modèle, dont nous adorons l'inef- 
fable mystère, qui, quoique invisible, est pré- 
sent partout; qui, à la fois Père, Fils et 
Saint-Esprit, a une essence unique et une 
souveraineté indivisible, une splendeur supé- 
rieure à tous les éclats, une gloire au-dessus 
de tous les éloges : l'intelligence la plus pure et 
la mieux inspirée peut bien le concevoir par 
quelque partie, mais elle ne saurait l'expliquer 
d'une manière complète et satisfaisante. Com- 
ment, en effet, serait-il possible de parler 
dignement de Celui que les sens ne peuvent 
embrasser.^ Nous aurons beau dépasser, par 
une piété excessive, les limites imposées à 
notre âme, et, par un immense zèle de religion, 



-48 - 

arriver à d*aussi hautes contemplations; nous 
aurons beau même aller au delà des bornes 
mises au pouvoir des créatures célestes, et mé- 
diter profondément sur la nature de Celui qui, 
d'un mot, en un moment, a fait de si grandes 
choses : tout sera plus vaste que notre ad- 
miration , tout sera plus élevé que nos- sen- 
sations, puisque la conception humaine ne 
saurait pénétrer jusqu'à cette impénétrable 
majesté. 

En présence d'une pareille puissance, il n'y 
a qu'un parti à prendre : la vénérer, attendu 
qu'elle est au-dessus de tout examen, et qu'il 
ne faut pas chercher à en définir la nature et 
l'extension. 

Après les considérations qui précèdent, il 
nous est facile de voir que les âmes possèdent 
une sorte de lumière substantielle. On lit d'ail- 
leurs dans l'Évangile : i La lumière qui iîîu" 
» mine tout homme en ce monde, » Enfin, 



-r- 49 — 

lorsque nous nous adonnons à la méditation, 
nous sentons qu'il existe en nous je ne sais 
quoi de subtil, de mobile et de lucide, qui re- 
garde sans avoir besoin de soleil, qui voit sans 
le secours d'une clarté étrangère. Si ce flam- 
beau de rame n'était pas lumineux par lui- 
même, il n'atteindrait point à un tel degré de 
connaissance. Ce pouvoir n'a pas été donné 
aux objets ténébreux. Tout ce qui est obscur 
perd ses facultés. Mais les yeux de l'âme ont 
une force prodigieuse : ils découvrent les choses 
absentes. 

Il £aut remarquer, cependant, que les âmes 
sont d'autant plus lumineuses et plus im- 
muables que leurs bonnes actions les éloignent 
moins de la grâce divine, bien qu'il soit cer- 
tain que leur vertu spéculative les mette en 
état de pénétrer et de résoudre par l'usage 
beaucoup de problèmes ardus et même les 
secrets de la Nature. 



- 5o - 

Voyons maintenant si les âmes, que nous 
avons déjà déclarées incorporelles, peuvent 
être considérées comme ayant une forme. 




CHAPITRE IV 



SI l'ame a une forme 








CHAPITRE IV 



Si l'âme a une forme. 




VANT d'aller plus loin, il importe de 
savoir, selon la définition des An- 
ciens, ce qu'il faut entendre exacte- 
ment par /orme. Or, j'appelle forme ce qui est 
circonscrit dans un certain espace par une ou 
plusieurs lignes. D'après cela, on peut aisément 
juger si les âmes en sont susceptibles, lorsqu'il 
est assuré qu'elles subsistent en vertu d'une 
force spirituelle. Puisque toute forme consiste 
en surface ou en corps, et que la surface se 



- 54- 

rencontre seulement sur un corps; puisque le 
corps, à son tour, est solide et palpable, et que 
l'âme ne remplit évidemment point ces condi- 
tions; il en résulte que les âmes doivent être 
regardées comme n'ayant aucune espèce de 
forme, et que leur essence permanente n'ad- 
met ni configuration ni matérialité. 

Il n'y a pas à s'émouvoir des paroles de l'A- 
pôtre, lorsqu'il dit du Christ : « Ayant la forme 
« de Dieu, il ne crut point que ce fût pour lui 
» une usurpation dêtre égal à Dieu. » Dans ce 
passage, c'est de la nature divine qu'il veut 
parler. Quelle forme pourrait donc avoir Dieu 
qui est incorporel, universel, incompréhensible? 
Quant à ce qu'on lit dans l'Évangile, (\m' après 
sa mort le pauvre Lazare fut reçu dans le 
sein d'Abraham, et que le riche brûlant au mi- 
lieu des flammes lui demanda une goutte d'eau, 
afin d'apaiser l'ardeur de son embrasement, on 
ne saurait y voir qu'une façon d'avertir la folle 



— 33 — 

vanité du monde des tourments qui l'attendent. 
Car, en réalité, l'un n'a pu avoir de langue 
pour s'exprimer et l'autre de doigts pour ré- 
pandre de l'eau sur le feu du mauvais riche. 

On doit comprendre pareillement tous les 
autres endroits où se rencontrent des expres- 
sions semblables. En effet, le langage des hom- 
mes ne se contente point de traiter ainsi les 
créatures, il agit de même vis-à-vis de leur au- 
teur. Bien que Dieu soit impassible, immuable, 
éternel, et toujours égal, ne lisons-nous pas 
qu'il se met en colère, n'entendons-nous pas 
dire fréquemment qu'il sommeille? Ce n'est 
point que de telles -paroles puissent convenir 
au Seigneur; mais on les emploie pour que la 
connaissance de certaines choses s'accommode 
plus facilement à l'intelligence humaine et y 
pénètre mieux. Voilà pourquoi les âmes, qui 
n'ont aucune forme, en reçoivent souvent une 
dans les livres. 



— 56 — 

Quelques personnes s'inquiètent également 
de savoir si l'âme représente une quantité quel- 
conque, puisqu'il est notoire qu'elle est conte- 
nue dans notre corps. En rappelant ici l'exacte 
définition de la quantité, qui fixe à chaque 
chose un espace toujours limité, la vérité nous 
apparaîtra aisément. Les mathématiciens, en 
effet, la définissent ainsi en peu de mots : 
« Toute quantité est composée de parties con- 
» tinues, comme arbre, homme, montagne, ou 
» de parties disjointes , comme chœur, peuple, 
» monceau, etc.. » L'âme n'étant formée ni 
d'éléments réunis ni d'éléments séparés, at- 
tendu qu'elle n'est pas uo corps, il est évident 
qu'elle n'a point de quantité. Donc, dans quel- 
que lieu qu'elle se trouve, elle ne possède pour 
nous ni forme ni quantité. Cependant, il faut 
croire que le Créateur peut en apprécier l'en- 
semble et les proportions, puisqu'il n'a rien 
créé qui n'ait un poids, une mesure et un nom- 



- 57- 

bre. Seul, il sait véritablement ce qu'il a fait, 
lui qui, par une merveilleuse puissance, aper- 
çoit nos pensées comme des objets visibles, lui 
qui entend crier le sang de l'innocent, lui qui 
connaît enfin toutes les choses avant même 
qu'elles existent. 

11 est temps d'en venir aux vertus morales, 
qui sont des richesses vraiment dignes d'être 
ambitionnées; c'est là réellement le précieux 
trésor des âmes. Les Grecs, on s'en souvient, 
les appellent dperai. Grâce à elles, la conscience 
s'efforce de ne pas laisser ternir sa pureté par 
les souillures corporelles. 




CHAPITRE V 



DES VERTUS MORALES DE L'AME 



#i€#i€€®i'i'i'^i'^t> 



CHAPITRE V 



Des vertus morales de l'âme. 




L en existe quatre principales : la 
justice, la prudence, la force et la 
tempérance. 
LsL justice a d'abord été élevée contre le mal 
ou riniquité, comme une espèce de rempart. 
Sa nature se reconnaît aisément. Suivant la 
définition des Anciens, c'est un état par- 
ticulier de l'esprit, qui fait qu'en vue de l'in- 
térêt général on rend à chacun ce qui lui 

appartient. 

3 



- 62 - 

La prudence s'emploie titUement contre la 
confusion et l'incertitude; c'est la vraie science 
du bien et du^mal. 

La force est un remède efficace qu'on oppose 
a l'adversité aussi bien qu'a la prospérité. Elle 
consiste à affronter les dangers en connaissance 
de cause et à supporter les épreuves avec con- 
stance. 

La tempérance nous vient en aide contre les 
plaisirs illicites et les voluptés ardentes; elle 
s^t à les calmer. Sa dominatton fei*mc «t mo- 
dérée sait refréner la luxure et lâs ét0ti âb 
l'imagination. 

Armée de ces vertus solides, qui sont autant 
dé forteresses que nous accorde le Ciel, et jga- 
rantie en qudque sorte par une quadruple cui- 
rasse, l'âme défend son salut a^u milieu des 
périls de ce monde. Avec une pareille protec- 
tion, les vices ne peuvent l'atteindre. 

Mais l'heureux assemblage de ces quatre 



- 63 - 

vertus résulte, po.ur a.insi dire, de trois autres 
qualités qui sont : 

i® V attention, qui étend la pénétration de 
notre esprit jusqu'aux choses les plus subtiles; 

2<> Le jugem,ent, qui nous permet de discer- 
ner le bien du mal par une appréciation con- 
forme à la raison ; 

3^ La mémoire, qui place dans le sanctuaire 
de nos âmes, comme dans une réserve assurée, 
tout ce qui fait Tobjet de notre étude et de 
notre réflexion, afin que nous puissions puiser 
au fond de cette espèce de réceptacle les ri- 
chesses que nous y avons amassées par suite de 
fréquentes méditations. Nos coffres, lorsqu'ils 
sont pleins, ne peuvent plus rien contenir. 
Mais le trésor de notre ânie, si chargé qu'il soit, 
ne l'est jamais trop ; plus il est rempli, plus il 
demande à l'être; il désire acquérir toujours 
davantage. 

Telles sont ces trois facultés essentielles, dont 



- 64- 

l'harmonie rappelle celle d'un instrument à 
triple corde. Leur nombre réjouit l'âme, et 
l'on n'ignore point qu'il plaît également à la 
Divinité. 

Quelques personnes ont l'habitude de soule- 
ver des questions pleines de subtilité. « Si la 
» Divinité, disent-elles, crée des âmes parfaites 
» et raisonnables, pourquoi les enfants vivent- 
» ils sans raison, et pourquoi trouve-t-on des 
» jeunes gens sans intelligence? » Mais, qui ne 
remarque que c'est la faiblesse du corps qui 
empêche les âmes des enfants de remplir l'office 
dont elles s'acquittent, par le moyen des sens 
et l'usage des membres? C'est comme si vous 
enfermiez du feu dans un vase trop petit : la 
flamme ne pourra s'élever suivant sa coutume, 
attendu qu'elle en sera empêchée par l'obstacle 
de cette exiguïté du récipient. La propre force 
de chaque chose lui suffit, quand rien de con- 
traire n'est en mesure de s'y opposer. Voilà ce 



- 65 - 

qui explique l'état des jeunes idiots. Ils con- 
tractent, dans le sein de leur mère, un vice de 
conformation qui provient de l'inégalité des or- 
ganes ou de l'épaisseur des humeurs. L'âme 
alors est écrasée sous le poids d'une enveloppe 
par trop stupide et ne peut exercer son déve- 
loppement régulier. Elle subit les conséquences 
d'une mauvaise constitution et d'un milieu qui 
ne lui convient pas. 

C'est ce qui arrive aujourd'hui encore aux 
insensés, que les Grecs nomment itapaivovres. 
Car, pour parler d'une éventualité qui se pro- 
duit fréquemment, combien voyons-nous de 
gens qui, à la suite de maladies accidentelles, 
de congestion cérébrale, de paralysie d'entrail- 
les, ont perdu la finesse ordinaire de leur juge- 
ment î Combien d'autres aussi sont changés par 
une lésion momentanée ! L'homme même que 
son savoir rend le plus illustre, avec quelle fe- 
cilité, lorsqu'il a pris part à un repas copieux, 



- 66 - 

le vpit-on descendre jusqu'au dernier degré 
de rivresse et s'y abrutir l C'est au point que 
yous auriez de la peine à croire vivant celui 
qu'on a coutume d'eçitendre disserter avec 
tant d'habileté, et qu'çn aperçoit incapable 
de mouvement. Il y a cependant une fhose 
dont je suis bien assuré, c'est de l'extrême 
félicité des sages qui, grâce à la miséricorde 
du Seigneur, échappent à de telles mésaven- 
tures. 

On trouverait peut-êtr^ encore d'autres 
causes qui paraissent contrarier le penchant 
de l'âme raisonnable à se développer d'elle- 
même. Qu'importe! Les âmes ne croissent 
pas avec l'âge dans les en^nts, et il n'en a 
pas été donné aux fous, qui soient d'une es- 
sence différente. Elles reçoivent l'immortalité 
en même temps que l'être, et l'attribut de 
la raison s'applique généralement à toutes. 
C'est la raisçn et non l'ànie qui, chez les 



-67- 

enfants, croît par le fait d'une longue mé- 
ditation. 

Reprenons maintenant la suite de notre 
discours. 




CHAPITRE VI 



DES VERTUS NATURELLES DE l'AME 



iflBL . Jthi . lO^l éÉÊ^ iflft . M^, i^lti CflBl. JÊÎÉtai t^ÊOà I ^ÊOi Ai^ ^1^. ^flifc 

Tutr TwT on* 'uvJ iw Two^ Tmx 'i^u 'Uiu TP>tr mu 'unr tiio^ ^Hr 



CHAI^ltkÈ Vl 



i>^5 vertus naturelles de rimé. 




*APKÈs l'Antiquité, les vërtuà hà- 
turellés de Tâme sont àti nombre 
de cinq : 

i<> La sensibilité, qùî hoias donné là acuité 
dfe Pehtêh'denient , à Taîdè duqùd hotis seh- 
tbhi tlâhs notre imràgîhatioh tout ce qui «^t 
immatériel; elle procure aussi là vigueur aux 
sens corporels, c'est-à-dire à la vue, à l'otlïfe, a 
rddcfrîrt, au goût, et au toucher par îêiquîèl 
nous cfiîtinguons les choses dures des choses 



- 72 - 
molles, et celles qui sont douces de celles qui 
sont rudes; 

2^ La volonté, qui ordonne aux organes 
corporels d'exécuter les mouvements divers 
qu'elle a résolu d'accomplir, comme de se 
transporter d'un lieu à un autre, d'émettre des 
sons, de fléchir les membres. De semblables 
exemples indiquent assez ses fonctions ; 

3<> V intelligence, qui fait que, quand nous 
sommes calmes et sans action, quand nous 
laissons reposer nos sens, nous pouvons réflé- 
chir profondément et d'une manière soutenue. 
De là vient que dans l'âge . mûr nous sommes 
considérés comme plus sages, parce que l'affai- 
blissement des membres dû à la vieillesse et le 
ramollissement des organes nous permettent 
de méditer davantage. Toutefois, si l'activité 
de l'esprit embrasse de trop vastes limites, il 
acquiert une certaine nature de force qui ne 
vaut point celle du recueillement. Et, d'un 



-73- 

autre côté, ceux qui arrivent à une trop grande 
faiblesse retombent en enfance. On n'y peut 
rien, puisqu'il a été prescrit aux âmes d'être 
soumises, pour un temps, aux nécessités des 
corps qui les renferment; 

40 La vitalité, qui produit la chaleur natu- 
relle dont nous sommes animés , et qui , pour 
en modérer l'ardeur, nous fait alternativement 
inspirer et expirer l'air, et nous donne ainsi la 
vie et la santé ; 

5® Le libre arbitre, qui est le choix entre le 
bien et le mal, guidé par l'amour du souverain 
bien. 

Quant au corps, il possède quatr^ propriétés 
distinctes, dont chacune contribue à sa conser- 
vation : 

La première est attractive; elle attire les 
éléments qui lui sont nécessaires. 

La seconde est retenante; elle les garde de 
façon à en faire un composé utile. 



t 



— 74 — 

La troisième est trans/érente: elle les trans- 
porte, les modifie. 

Là quatrième est expulsive; elle chasse tout 
ce qui pourrait lui devenir nuisible et entraver 
la nature. 

Nouis avons franchi en quelque ^orté la 
sixième colline : à présent que le sommet se 
trouve aplani, nous pouvons continuer notre 
marche Sans risque de il6us heutter. Abor- 
dons cependant, avec d'extrêmes précautions, 
une question pleine de diîfficultés : l'origine de 
l'âme. 




CHAPITRE VII 



D£ l'origine de l'AME 




CHAPITRE VII 



De l'origine de Vâme» 




ous lisons qu'à la création du monde 
le Seigneur, après avoir formé le 
corps de l'homme du limon de la 
terre, souffla dessus et qu'aussitôt Adam devint 
vivant et animé. Il souffla est mis pour expri- 
mer la dignité de l'œuvre et montrer l'excel- 
lence de tout ce qui sort de la bouche divine. 
Ce souffle, d'ailleurs, ne signifie qu'un ordre 
et un commandement. Car, de quelle façon 
pourrait souffler Celui qui n'a point d'haleine 



-78- 

et ne po3$Mk^ point de bpuçJbi^, (kux cho^s 

nécessairement corporelles ? 

D'après cela, quelques-uns ont dit qu'aussitct 
que la semence humaine a été convertie en 
substance vitjaJe;) des âmies distipctes et créées 
parfaites ont été données en même temps aux 
corps. Mais, les médecins prétendent que Têtre 
humain et mortel ne reçoit Tâme qu'au qua- 
rantième jour, lorsqu'il commence à se mou- 
voir dans le sein de sa mère. 

D'autres pensent qu'à l'exemple du souverain 
Créateur, qui tire de notre corps la sem^nçf^ de 
la chair, une âme nouvelle peut être çn^n^drée 
par l'essence d'une autre âme. C'est ainsi 
qu'elle porterait en elle, p^r suite d'intermé- 
diaires, cette tache originelle que confesse 
l'Église et qu'efface le baptême. Comment, en 
effet, l'enfant qui n'a pas la volonté de pécher, 
serait- il en quoi que ce spit coupable, si la 
faute ne paraissait lui avoir été tran^i;nise par 



— 79 — 
W moyen tenant â Torigine même de son âme? 
Dé là vient que saint Aûgustià , doiït on ne 
saurait trop louer Teictrêmè circonspection en 
matière religieuse, dit qu'on né doit rien affir- 
mer témérairement et qu'il faut laisser cela 
dans le secret de Dieu, comme beaucoup d'au- 
tres choses que notre faiblesse ne peut péné- 
trer. 

Ce que nous devons croire fermement et vé- 
ritablement, c'est que le Seigneur crée les 
âmes, et qu'il les soumet strictement au péché 
du premier homme, par une certaine raison 
cachée. Il vaut mieux, du reste, dans des ques- 
tions si obscures, avouer son ignorance que de 
vouloir montrer une audace, peut-être péril- 
leuse. L'Apotfe n'a-t-il pâs écrit : « QM^ cofi- 
» naU la pensée de Dieu? Quel a été son 
» conseiller? > Et ailleurs : « En partie , nous 
» savons^ en partie, nous prophétisons, » 

Mais, puisque la suite de la discussion nous 



~ 8o - 

a amené au point de déclarer d'une manière 
générale que les âmes sont en état de péché, 
par transmission directe, il convient de parler 
en particulier de celle du Christ, de peur que, 
dans une intention calomnieuse, quelque esprit 
pervers ne s'avise de la croire soumise à la con- 
dition commune. 

Sachons donc que l'origine de cette âme 
divine a été annoncée à la vierge Marie par 
un auguste messager. L'ange lui dit : ^ Le 
» Saint-Esprit surviendra en toi, et la vertu 
» du Très-Haut te couvrira de son ombre. 
» C'est pourquoi le saint qui naîtra de toi sera 
» appelé le Fils de Dieu. » 

Quel est l'insensé, je le demande, qui, dans 
la majesté d'une telle naissance, retrouvera la 
faute du péché originel ou soupçonnera l'exis- 
tence de quelque tache profane de la chair ? Il 
est hors de doute que celui-là est venu sans 
péché, qui était destiné à laver les péchés de 



- 8i — 

tous, ayant été conçu d'un souffle mystique, 
étant né d'une vierge! Il n'a rien tiré d'Adam, 
celui qui est arrivé pour vaincre le péché d'A- 
dam. Cette chaîne si longue qui nous liait a 
été rompue; le torrent qui nous entraînait a 
été desséché. La mort elle-même a perdu ses 
droits, du moment que notre condition hu- 
maine a reçu la vie du Rédempteur. Le premier 
homme, en effet, avait transmis le malheur à 
sa postérité : le Christ, en venant sur terre, a 
apporté le Royaume des Cieux aux croyants. 
La vertu de l'un a restitué ce qui avait été 
perdu par le crime de l'autre. Il est né dans la 
gloire et a vécu sans tache. Qu'a-t-il pu con- 
tracter du péché qu'il est venu détruire par 
une influence contraire? La sainteté de sa vie 
répond à la sainteté de son origine. Celui qui 
fut engendré sans péché ne saurait être sujet à 
aucune souillure mondaine. Il a pris de l'hu- 
manité la nature et non les vices. Il a rejeté la 



— 82 — 

faute de notre premier père et reVêtu Teiive- 
loppe de l'homme pur, comme il Pavait cfréé ; 
se chargeant, non du péché^ mais de la chair 
dû péché exempte de tout contact dé corrup- 
tion. 

Mais, je m'aperçois de la longueur d'uiie 
digression sur laquelle il m'a été agi'éabre de 
m'étendre, dans le désir d'écarter des soupçons 
injurieux. Forcé de passer à un autre sujet, je 
ne puis en dire davantage. 

Il reste maintenant, pour suivre l'ordre que 
je me suis proposé, a parler du siège de l'âme. 




CHAPITRE VIII 



DU SIEGE DE l'AME 







CHAPITRE VIII 



Du siège de l'âme. 




UELQ.UES personnes ont voulu pla- 
cer le siège de l'âme dans le cœur, 
bien qu'elle soit répandue par tout 
le corps ; elles donnent pour raison qu'il con- 
tient l'esprit vital avec le plus pur de notre 
sang , et que les pensées bonnes ou mauvaises 
viennent de lui. Assurément, la force de l'âme 
peut produire ces résultats. 
Mais le plus grand nombre affirment que 
•« Pâme a son siège dans la tête, à Timage de la 



- 86 — 

Divîmté^ si to^t^tiis il «st |>br{nîs de parler 
ainsi sans lui manquer de respect. Celle-ci en 
effet, quoiqu'elle remplisse le Monde de sa 
substance ineffable, n'en réside pas moins dans 
le Ciel, d'aprâs TElcriture sainte. Il convenait 
donc de placer au sommet celle dont la subli- 
mité se reconnaissait à l'énergie céleste, et de 
lui attribuer, de préférence à tout autre, ce 
siège d'où les membres reçoivent la direction 
et le gouvernement légitimes. La figure même 
de la tête est da reste >ane sphère d'une fort 
belle appartttice^ l'âme knmfortelle ^t taisôft^ 
â&ble dev^ y trouter lâi séjour dig)n^ â'^le. 

Voyons ce qu'il en est dus choses corporelles. 

Le f^ mdfid «end toû^^^Vers k^ régid{i& 
élevées^, et de qdâ est de la nature 1» plâ» sah- 
tile n'bësite point à se porter vers les Ueot su- 
périeurs. Il y a encore d'acres preuves qui 
viennent à l'appui de cette croyance. En e^t, 
lorsque d'habiles médecins veulent ramener â 



-87- 

§^ première solicité la partie osseuse d^ la tête 
kungLaine lésée par quelque coup violent, il 
Iduç arrive souvent de froisser, en essayant de 
nettoyer le sang cq^gulé, la jpiçsipbirane qui 
pro.tége 1% délicatesse (\\x cen^^M- Or, à peine 
a-t-eile été touchée que le blessé tpmbe dans 
une insensibilité telle, q\ie, s'il est frappé ail- 
leurs avec force, il ne peut s'en apercevoir; 
mais aussitôt que la main a cessé de i^ire ioi- 
pression sur le cerveau, l'intelligence habituelle 
revient^ la voix et le sentiment repstraissent, 
çt Vhomme est de nouveau averti de tout ce 
qui le concerne. Oi^ ne voit pa^ pareille chose 
se produire dans les autres membres, de 
quelque profondes et terribles blessures qu'ils 
sçviçnt a,tteints. 

Ajoutez que les corps en pleine santé ne 
fournissent pas de mçindres arguments pour 
la thèse que nous soutenons. Ainsi, quand une 
personne s'est laissé eniiammer par. une trop 



- 88 - 

grande colère, quand elle s'est échauffé Tesprit 
par le bouillonnement de sa pensée, ce n'est 
ni le trouble des viscères ni l'agitation de la 
poitrine qui la tourmentent ; elle ressent immé- 
diatement une douleur à la tête, comme si 
rame devait porter des traces de sa fatigue, 
à l'endroit où on Ta vue faire tant d'efforts de 
volonté. 

C'est là aussi^ et d'une façon absolue, que 
nous éprouvons certains mouvements et cer- 
taines commotions de l'âme, lorsqu'il surgit 
devant nos yeux des choses qu'on sait bien ne 
pas être présentes. Car nous dirigeons la vi- 
gueur de notre esprit vers divers objets, nous 
parcourons ainsi de nombreuses régions; et, 
par la fantaisie de l'imagination, nous Élisons 
entrer dans notre tête tout ce que renferment 
de précieux les différentes parties de l'Univers. 
Quelquefois enfin, notre pensée se concentre 
tellement sur un point que les yeux s'y fixent, 



-89- 

le goût cesse, les oreilles n'ont plus d'ouïe, les 
narines plus d'odorat, la langue demeure sans 
voix; il devient alors manifeste, par de pareils 
indices, que l'âme se retire en quelque sorte 
dans les recoins secrets de son intérieur. Du 
haut de ce lieu élevé où nous la croyons éta- 
blie, elle siège comme sur un tribunal; et on 
la voit modérer ses propres appétits, juger le 
bien et le mal, discerner ce qui est douteux, 
rejeter ce qui est nuisible, pourvu toutefois 
que la grâce divine ait brillé en elle. 

Le premier homme jouissait d'une félicité 
naturelle, il était en possession de son libre 
arbitre, avant d'avoir violé la loi de Dieu : 
mais, entraîné à une funeste désobéissance, il 
perdit, par la faute du Démon, ce qu'il avait 
reçu pour le transmettre à ses descendants; il 
ne put par conséquent nous communiquer les 
avantages qu'il n'avait plus. De là est née et 
s'est répandue la mort, de là est venue la ruine 



— 90 — 

du genre huipaîn, de là les sou.cis cruels, les 
folles résolutions, Tobs^curcissement de l'in- 
telligence, les désirs honteux, la justice négli- 
gée, mille espèces de crimes , et tant de choses 
qui nous sont communes avec les bêtes, et 
qu'avait faites distinctes la Divinité. 

Hélas ! le coucher du soleil nous annonce la 
venue du temps calme; Tagitation des vents 
nous montre l'approche des tempêtçs; nous 
augurons de la fertilité de l'année par le bon 
ordre des saisons; nous nous promettons 
même de la joie, à l'aide de je ne sais quels 
présages de notre esprit. Mais rien dç sem- 
blahle n'eût pu demeurer inconnu à l'âme, si 
elle eût conservé sa situation. C'est donc avec 
justice qu'elle a été rabaissée vers l'ignorance, 
puisqu'elle s'est obstinée à vouloir connaître 
ce qui lui était interdit. 

De temps en temps, â force de pronostics 
et de conjectures, eUe parvient à découvrir 



— 91 - 
quelques parcelles des choses qu'elle aurait pu 
savoir en entier, sans le moindre travail. Mais 
il lui faut le secours de la Divinité ; elle re- 
trouve alors, épurée par le commerce divin, ce 
que les embûches du Serpent lui ont fait 
perdre. Elle voit enfin, illuminés par le Créa- 
teur, les objets que leur obscurité ne lui 
permet point de distinguer par elle-même. 

Nous avons dit de Tâme tout ce qu'on en 
peut avancer d'une manière certaine. Il con- 
vient à présent de parler de son -temple; car 
on ne saurait admettre que cette image de 
Dieu puisse avoir été jointe à un corps dif- 
forme. 




CHAPITRE IX 



DE LA COMPOSITION DU CORPS 



CHAPITRE IX 



De la composition du corps. 




'homme est un être de haute stature, 
dont l'élévation est admirablement 
propre à la contemplation des 
choses supérieures et raisonnables, et dont la 
disposition harmonique nous révèle de grands 
mystères. 

D'abord, la tête présente la forme d'une ro- 
tondité concave, à l'image de la sphère céleste ; 
elle est composée de six os, afin que la perfec-^ 
tion du nombre six soit contenue dans le siëgê 



-96- 

de notre cerveau, organe de la connaissance. 
Puis, viennent les yeux qui sont pour nous 
deux lumières , comme l'Ancien et le Nouveau 
Testament. A leur exemple, tout a été com- 
biné en nous pareillement de haut en bas : les 
oreilles, les narines, les lèvres, les bras, les 
flancs, les cuisses, les jambes, les pieds. Une 
dualité mystique préside à l'assemblage du 
corps; et, de même que les deux Testaments 
tendent à l'unité et y confondent leur double 
sagesse, ainsi ces organes concourent a la pro' 
duction d'une seule harmonie et d'une œilrre 
unique. Cette symétrie, à laquelle est associée 
une merveilleuse distribution, emprunte donc 
de là un précieux et mutuel échange de 
beautés. 

Quelques parties essentielles ont été établies 
dan3 le milieu, de peur que, si toutes conver- 
geaient vers le mêiTW^ point, elles ne se pau- 
sassent urv préjudice réciproque «t que la corn* 



- 97 - 

pétition de Tune ne privât l'autre de son éclat. 
Il en est ain^i du nez, de la bouche, du gosier, 
de la poitrine, du nombril, etc.. Là place du 
milieu qu'occupent ces divers organes en dé- 
montre le mérite et l'excellence. 

Notre tête, qui réunit tous les sens, est fort 
bien soutenue par le cou comme par une co^ 
lonne : ce qui nous enseigne que la sainte 
Religion repose sur la base unique et inébran- 
lable de la foi. La langue, délicieux archet de 
la voix, nous a été donnée pour maintenir 
l'harmonie dans nos discours, afin que nos 
paroles articulées nous distinguassent des bêtes 
dont le langage est confus. Ce n'est pas en 
vain, non plus, que deux digestions ont été 
mises à la disposition d'un seul gosier : c'est, 
en quelque sorte, pour nous indiquer qu'une 
âme intelligente et sage doit recevoir sa nour- 
riture de la raison, et qu'elle ne peut la trouver 
que sur le double chemin des Livres f acres. 



-98- 

Et, comme le corps humain ne saurait se dé- 
fendre ni par la corne, ni par les dents, ni par 
la fuite, à l'instar des animaux, il lui a été 
accordé un large thorax et des bras robustes, 
pour qu'il fût en état de repousser l'attaque 
avec la main et d'opposer sa poitrine, en guise 
de bouclier. 

Quant aux parties naturelles, qui doute 
qu'elles ne soient destinées à d'importants 
services? C'est par elles que, grâce à Dieu, la 
fécondité réparatrice de l'homme se produit; 
c'est par elles que les mortels triomphent de la 
mort, puisque, malgré la disparition des per- 
sonnes, on sait que la race peut être conservée 
et continuée. Admirables organes, s'ils n'a- 
vaient point été souillés par une honteuse dé- 
bauche ! Qu'y aurait- il, en effet, de plus pré- 
cieux, si le genre humain jîn pouvait descendre 
sans péché? C'est ainsi que toutes choses ont 
été créées dignes de respect, et que des vices 



— 99 — 

déshonorants les ont rendues méprisables. 

Ce corps animé est administré et régi par 
cinq sens qui, bien qu'ils soient communs 
avec les bétes, sont cependant plus perfec- 
tionnés et plus complets, à cause de notre ju- 
gement : 

i® La vue, qui reçoit les couleurs corjporelles 
par rillumination de Tair et qui en reconnaît 
ainsi les propriétés. La vision, eii effet, d'après 
la meilleure définition des Anciens, est une 
force subtile de l'âme, s'élançant de la prunelle 
de l'œil, n'atteignant pas les objets trop éloi- 
gnés, mais jugeant de la distance où elle peut 
parvenir; elle ne perçoit que ce qu'il lui est 
permis de voir; car, si les yeux pouvaient dis- 
tinguer leurs parties intérieures, ils s'aperce- 
vraient sans aucun douté eux-mêmes. Tel est 
le sentiment de saint Augustin. 

2^ Vouie, qui recueille, dans la concavité des 
oreilles formées en spirale, les sons résultant 



des battements de l'air, et qui apprécie, au 
moyen de la raison, la nature du bruit qui a 
été produit. 

3^ Uodorat, qui, an milieu de divers par- 
Âimi, sait distinguer les odeurs et leurs qua^ 
lités rien qu'en les aspirant, comme s'il montait 
aux narines uaae vapeur mvisible. 

4^ Le goùtf qui nous ùât connaître, par le 
discernement du palais, la saveur d'une foule de 
choses. 

5^ Le toucher, qui, on ne l'ignore point, est 
généralement attribué à tous les membres. 
L'extrême finesse de ce sens réside dans les 
mains, qui nous ont été particulièrement 
accordées pour ûxer et répandre à la fois nos 
pensées. C'est comme une seconde mémoire 
plus solide qu'elles fournissent; car, ce que 
nous pourrions oublier, elles l'écrivent et nous 
le retenons alors sans peine. Elles sont égale- 
ment d'habiles ouvrières, elles nous aident 



— lOI — 

dans les arts et la plupart des opérations. A 
quoi servirait-il à Tintelligettce de concevoir 
des projets^ si une main laborieuse n'était pas 
là pour les exécuter? 

Je crois qu'il ne £»ut point passer sous si- 
lence le nombre dix, qui est réservé aux doigts 
des pieds et des mains. Il est là pour nous rap^ 
peler, dans le cours de notre vie et de nos tra- 
vaux, les préceptes du Décalogue céleste, afin 
que nous ne puissions ni penser ni agir con- 
trairement à la loi du Seigneur. 

I^ figure elle-même présente les marques 
d'une sage prévoyance; les sentiments les plus 
cachés se révèlent sur la physionomie, et c'est 
par elle qu'on découvre quelles sont intérieu- 
rement nos intentions, nos volontés. Notre 
visage, en effet, dont le nom (vultus) vient de 
celui de volonté (voluntm), est comme un mi- 
roir de l'âme qu'il reflète; son aspect indique 
d'une manière évidente ce qui ne se montre pas. 



— I02 — 

Que de choses on pourrait dire des autres 
membres du corps ! 

Pourquoi avons-nous trente-deux dents en- 
châssées dans les gencives? Pourquoi notre cou 
se compose-t-il de sept vertèbres, notre épine 
dorsale, de vingt-trois? Pourquoi les côtes sont- 
elles recourbées en vingt-quatre rayons qui 
servent à la défense des viscères, leur délica- 
tesse étant trop facilement exposée sans cela à 
des blessures dangereuses? D'où vient cette 
admirable répartition des nerfs qui enveloppent 
le corps, et cette mesure précise avec laquelle 
les veines font circuler dans les membres le 
sang qui les nourrit? Comment des os remplis 
de moelle peuvent-ils être une source de force? 
Pour quelle raison nos ongles croissent-ils con- 
tinuellement comme nos cheveux? Que penser 
de cette peau si brillante, si utile, qui revêt nos 
chairs, et empêche ainsi les humeurs de s'échap- 
per au dehors et de ternir la beauté du teint? 



— io3 — 

On le voit, chacun des membres rend au 
corps des offices divers, Tun étant placé au 
sommet, l'autre au milieu, un autre dans les 
régions inférieures. 11 y a plus : la grâce, Ihar- 
monie de l'assemblage est telle qu'ils sont tous 
indispensables et que leur parfaite adaptation 
se manifeste en tout. C'est ce qui a fait écrire 
à l'Apôtre, lorsqu'il fondait l'Église sur le zèle 
de la charité : « L*oèil ne peut pas dire à la 
i> main : Tu ne m'es point nécessaire; ni la 
» tête dire aux pieds : Je ne désire point votre 
» secours. Bien loin de cela^ les membres qui 
» paraissent les plus faibles, sont les plus né- 
» cessaires; ceux même que nous regardons 
» comme les plus méprisables, méritent les 
» plus grands honneurs. Dieu a arrangé et 
» divisé le corps de façon à permettre à ses 
» parties de se prêter une mutuelle assis^ 
r> tance. » ' 

Ce que nous venons d'exposer d'une ma- 



— 104 -- 

nière sommaire, afin d'éviter la prolixité, suffit 
abondamment pour démontrer qu'aucun être 
corporel ne renferme en lui autant de mystères 
•que l'homme. Son corps, d'ailleurs, devait être 
formé avec une extrême sagesse, puisqu'il était 
deistiné a s'unir étroitement à une âme raison- 
nable. 

O la merveilleuse créature que celle du 
souverain Ouvrier, qui a disposé ainsi les 
linéaments du corps humain! Si elle n'avait 
pas été chargée du poids dés péchés du premier 
homme, elle serait comblée de bénédictions. 
Car, de quels biens n'était-elle point digne 
dans l'état d'innocence, puisque, malgré sa 
condamnation, elle possède encore tant d'avan- 
tages? Quoique notre chair soit en proie à 
divers vices, quoiqu'elle soit déchirée par de 
nombreuses blessures, elle chante néanmoins 
le céleste Auteur des choses, elle fait de glo- 
rieux martyrs, elle mérite la visite de son 



— io5 — 

Créateur, elle porte en elle la croix vivifiante 
du Rédempteur! C'est à juste titre qu*on la 
considère comme réservée â Timmortalité , 
puisqu*à Tétat mortel elle accomplit de si 
hautes destinées. Cette admirable nature qui^ 
en raison de la tache originelle, est sujette à 
des fautes journalières, se rachète tellement, 
par le secours de la grâce divine, au moyen 
des jeûnes, des aumônes et des prières assidus, 
elle purifie si bien son esprit des souillures du 
péché, qu'elle arrive à recevoir dignement son 
auteur. Elle devient le temple de Dieu, en 
récompense de ce qu'elle ne s'est pas faite 
l'asile du crime. La divine miséricorde, selon 
moi, a voulu que le corps fût subordonné à 
l'âme et celle-ci à Dieu , pour que l'ensemble 
tournât ses regards vers le Créateur, dans l'in- 
térêt de son salut. 

Nous avons achevé ce que nous avons cru 
devoir dire : il nous paraît convenable mainte- 



— io6 — 

nant de parkr des lignes indicateurs des âmes. 
Malgré l'unité apparente de leur substance, 
elles se distinguent cependant les unes des 
autres par des qualités très dissemblables; 
puisque nous ne pouvons les voir intérieure- 
ment, efforçons-nous de les connaître par 
quelques marques extérieures. 




CHAPITRE X 



DE LA MANIÈRE DE CONNAÎTRE LES MÉCHANTS 



♦i^r'^i^'i^i^i^i^i^i'K'î':*:*:* 



CHAPITRE X 



De la manière de connaître les méchants. 




DUTES les âmes privées d'une véri- 
table foi sont misérables; comme 
celles des Philosophes» qui ne sui- 
vent pas la loi du Créateur, mais plutôt 
Terreur humaine : bien qu'ils paraissent être 
les maîtres des mortels et qu'ils s'efforcent de 
briller par l'instruction, ils n'arrivent point 
cependant à effacer la rouille de la superstition. 
Quelle folie d'honorer celui qui n'est pas le 
meilleur et de croire qu'il peut être le premier. 



— IIO — 

quand il ne saurait subsister de lui même! Il 
ne suffit point d'éviter les passions nuisibles, 
de mépriser l'énervante luxure, de fuir l'odieuse 
tromperie, et de se tenir en dehors des vices de 
la terre : tant d'efforts seront inutiles, si l'on 
ne se rend pas favorable le Rémunérateur de 
tous biens. Aux préceptes de qui obéira-t-on, 
si l'on méconnaît le souverain Législateur? 
C'est marcher sans route, regarder sans lu- 
mière, penser sans raisonnement, courir avec 
précipitation et ne point atteindre le but qu'on 
poursuit. 

De telles gens ressemblent à des arbres qui 
peuvent bien fleurir pour le moment, mais ne 
parviennent jamais à produire de fruits : leur 
force ne réside pas dans la racine, elle consiste 
seulement à étaler un vain feuillage avec 
ostentation. 

Il en est de même de ceux qui, tout en 
ayant une croyance, se souillent néanmoins 



1 1 1 



d'abominables crimes : en s'unissant au péché, 
ils se séparent du Créateur. L'âme alors, 
quoique immortelle, se meurt, envahie par ses 
propres ténèbres; elle arrive à aimer les choses 
périssables, à haïr ce qui fait vivre ; elle déteste 
là vertu, et recherche sans cesse le vice. Enve- 
loppée d'une déplorable obscurité, elle n'a plus 
aucune idée saine, attendu qu'elle s'enfonce 
dans le gouffre de la perversité. Devenue 
bientôt la proie de l'antique ennemi de 
l'homme, elle se livre entièrement au mal, 
s'adonne aux plaisirs sensuels , et met sa gloire 
dans la servitude. Aussi, elle est malade et 
toujours anxieuse à cause de ses fautes; elle se 
condamne elle-même quand personne ne l'ac- 
cuse : dans de telles conditions, on pourrait 
bien dire que la vie est morte et que la mort 
serait plutôt la vie. 

Si cependant le Dieu miséricordieux regarde 
en pitié l'âme coupable et s'il daigne éclairer 



— I 12 — 

son esprit aveuglé par les excès du corps, il 
l'entraîne à un repentir libérateur et donne le 
moyen de se sauver à celle qui semblait d'abord 
n'avoir eu que le désir de se perdre. Elle est 
d'autant plus heureuse alors qu'elle a pleuré 
davantage, d'autant plus élevée qu'elle a été 
plus abaissée. A l'aide des larmes, elle recouvre 
ce qu'elle avait perdu dans la joie; et, si la sé- 
duction des voluptés Ta conduite vers son en- 
nemi, une tristesse favorable la ramène aussitôt 
à son sauveur. 

Bien qu'il ne soit point permis aux humains 
de voir les âmes, elles laissent découvrir toute- 
fois leurs qualités par des indices certains, qui 
nous montrent ce que nous ne pourrions saisir 
avec nos sens. 

Les méchants, quelles que soient leurs grâces 
corporelles, oat le visage couvert 4e nuages : 
ils sont tristes lors même qu ils se divertissent, 
et semblent sou« le coup d*un repentir pro-* 



- ii3 - 

chain ; dès qu'ils cessent d'être surexcités par 
les plaisirs, ils retombent dans la mélancolie; 
parfois leurs yeux s'agitent extraordinairement ; 
puis, par le fait de la rêverie, ils deviennent 
fixes, incertains, vagues, flottants. Les mé- 
chants tremblent â propos de tout, dépendent 
de la volonté de chacun; ils sont dévorés de 
soucis, torturés par les soupçons; ils scrutent 
avec inquiétude les opinions qu'on peut avoir 
sur eux, parce qu'ils ont follement perdu leur 
propre jugement. En cherchant la vie mon- 
daine, ils rencontrent une mort infernale ; et, 
tandis qu'ils désirent avidement la lumière ici- 
bas, ils errent au milieu des ténèbres d'une 
nuit éternelle. Souvent ils abandonnent leurs 
discours inachevés, ils sautent d'un sujet à un 
autre ; ils ne font rien, et vous les croiriez tou- 
jours occupés; ils vivent dans la terreur, même 
lorsque nul ne les persécute; leur châtiment 
est au fond de leur conscience, et ils supportent 



— 114 — 

tout le poids de leur honte, quand ils n'ont 
aucun mal à souffrir des autres. On dirait même 
qu'ils redoutent leur propre odeur, et que, 
pour y échapper, ils s'entourent des parfums 
les plus suaves. Ne faut-il pas, en effet, qu'une 
odeur étrangère vienne charmer celui qui 
s'offusque de la sienne? 

Passons à ces âmes qui restent fidèles à la 
sainte Trinité, qui observent la doctrine prê- 
chée par les Apôtres, et qui, constantes dans 
leur glorieuse persévérance, montrent qu'elles 
ont véritablement de la ressemblance avec 
l'image divine. 




CHAPITRE XI 



DE LA MANIÈRE DE CONNAÎTRE LES BONS 





CHAPITRE XI 



De la manière de connaître les bons. 




A vertu des saintes âmes «st déjà 
grande dans notre vie commune. 
Elles domptent, en la calmant, 
cette chair victorieuse de la fisiiblesse hu- 
maine, et finissent par triompher d'elles- 
mêmes, lorsqu'à force de constance elles ar- 
rivent à donner en quelque sorte la mort au 
corps vivant. Mais malheur â la chair qui 
n'est pas subjuguée; car, indubitablement, il 
n'y a que celle qui 41 été vâéncoe dans la lutte 



— ii8 — 

d'iei-bas, qui puisse être couronnée là-haut. 

L'homme résolument inébranlable, pur, in- 
nocent, loue les autres, s'accuse toujours; et, 
tandis qu'il plaît à chacun, il se déplaît à lui- 
même. C'est en effet le comble de la grandeur 
de comprendre sa petitesse. Mais cet avantage 
existe seulement pour celui que la grâce com- 
mence à éclairer. Ceux-là s'envolent d'un essor 
d'autant plus rapide vers les régions supé- 
rieures, qui se chargent en ce monde d'un 
poids plus lourd de mortifications. Ils com- 
mandent au corps , parce qu'ils obéissent à son 
auteur; et, en se reconnaissant infiniment pe- 
tits, ils s'élèvent au sommet de la perfection. 
Ils ne cherchent à léser personne , pardonnent 
continuellement à qui les offense, et répondent 
par la charité aux gens qui les poursuivent 
d'une haine implacable. 

De telles âmes, sous la direction de Dieu, 
commandent même aux BIsprits malfaisants; 



- 119 - 

et ceux-ci, funestes au Monde qui les subit, se 
trouvent domptés par une créature de moindre 
importance qu'eux. Placées dans le corps de 
rhomme, elles sont encore plus fortes que les 
mauvais Anges; malgré leur enveloppe de 
chair, elles font la loi aux puissances aériennes 
et elles dominent , par une faveur divine, ceux 
dont elles ont repoussé les tentations. Ces 
âmes méritent réellement d'être appelées im- 
mortelles, elles qui ne sont tourmentées 
d'aucun repentir, affligées d'aucune tristesse, 
parce qu'elles ne sauraient imputer à elles- 
mêmes les vicissitudes de l'existence. La 
pauvreté les enrichit, la prison les réjouit; et 
c'est à bon droit que les siècles les vénèrent, 
car elles suivent sans cesse le parti de la vertu. 
On les a toujours vues s'élever avec d'autant 
plus de force contre les persécuteurs que la 
privation de la lumière est pour elles le com- 
mencement de la félicité, et qu'elles reçoivent 



— 120 — 

dans la béatitude éternelle la récompense du 
bien qu'elles ont fait dans la vie temporelle. 

Aussi, les âmes des saints qui habitent en- 
core parmi nous, bien qu'elles soient séparées 
de leur véritable séjour par une longue 
distance, semblent néanmoins être les conci- 
toyennes des Anges et partager déjà leur sort 
en grande partie. 

Moïse, en effet, ouvrit un chemin terrestre 
au milieu des eaux de la mer, traversa les de* 
meures humides à pied sec; et, à sa voix, les 
tiots amoncelés s'élevèrent en une double mu- 
raille : ils prirent une solidité qui leur était 
étrangère, ils devinrent rigides et pareils à la 
roche. 

Elie, lui, eut le mérite d'arrêter la pluie; 
puis, il obtint qu'après avoir été longtemps 
désirée elle se répandît enfin sur terre. Un 
seul homme exécuta ainsi, par d'heureuses 
supplications, une chose que la généralité de 



— 121 — 

ses semblables n'avait pu se faire donner. C'est 
que vraiment la grâce protège les mortels qui 
se purifient par leurs rapports avec le Ciel et 
qu'elle leur accorde un pouvoir, dont le péché 
originel prive l'humanité. Ces créatures de 
Dieu, tout en traversant le monde, restent 
toujours attachées à sa divine Majesté : alors 
les grandes actions leur sont si habituelles 
qu'elles paraissent être autant de miracles. 

Quant à Elisée, il dessilla les yeux de son 
disciple, qui ne voyait pas la milice céleste, et 
frappa de cécité les armées ennemies. 

Il en est qui enlevèrent aux flammes leur 
puissance incendiaire; d'autres qui rendirent 
la chaleur vitale aux cadavres glacés ; d'autres 
qui se firent aider par des lions farouches pour 
ensevelir un corps. Nous lisons que des 
hommes furent portés sur des crocodiles, 
comme sur des bateaux. Ailleurs, l'eau fut 
' changée en pierre et des sources jaillirent des 



— 122 — 



rochers; des charbons ardents ne brûlèrent 
point les vêtements qui les reçurent; le boi- 
teux obéissant marcha droit sur ses pieds ; le 
Soleil docile s'arrêta dans sa course rapide. 
Enfin, la parole humaine rompit Tordre de la 
Nature. Il y en eut même qui jouirent d'une 
telle faveur, qu'ils auraient pu se servir de tout 
ce qu'on admire dans le Monde comme soumis 
au Créateur. 

Que dire maintenant de l'autorité de la voix, 
quand le contact de l'habit d'un Saint apporte 
au malade le salut, quand l'ombre du corps 
d'un Apôtre suffit pour écarter la mort? Ainsi 
éclate l'abondance des mérites ; mais ce pou- 
voir semble n'être attribué qu'à ce qui n'a évi- 
demment pas de substance. 

De pareilles âmes se reconnaissent d'une 
manière absolue, alors même que leur existence 
n'est point apparente. 

Le visage des gens de bien est toujours gai 



— 123 — 

et reposé, vigoureux dans sa maigreur, beau 
dans sa pâleur, joyeux au milieu des larmes; 
il est vénérable par la longueur de sa barbe, 
élégant sans la moindre parure. C'est ainsi 
que, grâce à la pureté de Pâme, les mortels, 
en dépit des éléments contraires, deviennent 
plus parfaits : leurs yeux brillent d'une hon- 
nête douceur; leur parole véridique pénètre 
les bons esprits et brûle de persuader à tous 
l'amour de Dieu dont ils sont remplis; leur 
voix même a de la mesure : elle n'est ni faible 
comme un souffle, ni bruyante comme une 
clameur. L'homme sage ne se laisse ni briser 
par les écueils de la vie ni émouvoir par les 
prospérités; il montre toujours la même égalité 
de caractère et de visage : c'est le temple des 
choses saintes, le séjour des vertus. Son aspect 
est immuable parce qu'il ne cesse de s'étudier 
à la constance. Sa démarche, non plus, n'est ni 
trop lente ni trop vive; il ne visite personne 



— 124 — 

pour sa propre utilité, il ne ménage personne 
par considération pour autrui. Il conseille 
le bien, qu'il enseigne sans arrogance; libre 
avec humilité, il est essentiellement chari- 
table, au point qu'il semble plus pénible de le 
quitter que d'abandonner en c^elque sorte la 
vie. Passionné pour une retraite sahitaire. il 
n'éprouve aucun désir voluptueux, n'épouse 
aucune querelle, ne ressent nul orgueil, nulle 
envie ; il ne dit rien à aucun de ses frères dont 
il ait à se repentir et ne prête l'oreille à rien 
d'absurde. Fortifié par la solitude et soutenu 
par le Seigneur qui l'aide dans sa lutte, il 
triomphe de tous les vices. Enfin, l)ien qu'il 
ne possède qu'une seule tunique qui garantisse 
sa peau, il la remplit de lui-même des plus 
suaves odeurs : elle embaume, pour ainsi dire, 
et son parfum surpasse les riches produits de 
rinde. On reconnaît en lui que le corps hu- 
main a ses arômes et n'exhale pas d'acres éma-^ 



1 

I 



— I2D — 

nations, lorsqu'il ne se livre point à la dé- 
bauche. 
Il est d'ailleurs facile de distinguer ceux que 

« 

la souveraine puissance daigne visiter; car 
notre esprit même se réjouit à leur approche 
et devine, sans en être averti, l'homme de bien. 
Une sorte d'inspiration divine le lui fait con- 
naître. 

Mais ce n'est pas seulement dans le sexe fort 
qu'il faut admirer tout cela. Et les vierges et les 
veuves? Qui donc pourrait raconter dignement 
les vertus sublimes de ces femmes qu'un saint 
amour entraîne à observer les préceptes de 
Dieu, qui supportent les supplices avec une 
inaltérable patience et qui, sur les ruines de la 
chair vaincue, parviennent à la couronne du 
martyre? 

Nous avons beaucoup parlé de l'âme: nous 
avons dit aussi sur notre corps tout ce qu'on 
en pouvait dire. Dirigeons enfin notre atten- 






— 126 — 

tion vers la question des récompenses futures. 
Il convient en effet à la créature, une fois 
qu'elle se connaît, de se hâter d*accourir vers 
son créateur, avec une âme pure. 




CHAPITRE XII 



CE Q.UE FONT LES AMES APRÈS LA MORT 
ET DE L*ESPÉRANCE D*UNE VIE FUTURE 







t* ♦♦ 



CHAPITRE Xlt 



Ca çue fpnt. l^ âmes aprè^ la. nm^l 
et de„ r espérance d'tme, vi^J^jture,, 




. font . les Joies aprèç, qette, vie et dam^ 
quçlle^ cpîiditipfi$.,ell^§.syteisiteAt., 
Nous , répandrons suiyai^t, les . dpcjaAi,çnts , qiji^ 
noj;^r a.Yons reciji^yiis; au^ milievi de diveçsesi. 

Içetuçes^ 

LsLmPXX est une, sçpa^atipA de; râpae: et.du. 
carpSy clfisvàrdiiîer.iwe ce3satiop|de l4,vie.,de, 
ceNdfirjxit;r.;.e)lç,Jgjup^4?LaJ?spluwenx. les .déws; 
ou les nécessité^,de.la,chairy Ea effet,, dès que. 



— i3o — 

sur Tordre du Créateur nous avons été privés 
de la lumière, nous perdons à l'instant même 
les appétits et les faiblesses du corps. Dans 
l'existence ultérieure, nous ne sommes ni brisés 
par la £sitigue, ni refaits par la nourriture, ni 
abattus par la longueur du jeûne; mais, conti- 
nuellement absorbés dans la nature de notre 
âme, nous ne faiisons rien, ni en bien ni en 
mal, si ce n'est déplorer la perversité de nos 
Êiutes passées ou nous réjouir de la sainteté de 
nos œuvres, jusqu'au jour du jugement. C'est 
alors seulement que nous recevrons la pleine 
récompense de toutes nos actions, quand nous 
serons ou reniés par la voix du Seigneur, ou 
admis au Royaume de l'Éternité. Un sommeil 
paisible imite donc à peu près en cette vie la 
mort, lorsqu'il nous fait déposer les soucis, les 
tribulations du siècle, et que l'esprit tranquille 
ignore , dans l'engourdissement de la pensée, 
tout ce qui se produit au dehors. 



- i3i — 

Quand, au jour de la Résurrection, les corps 
reprendront leur sexe, avec la même rapidité 
qui a présidé à la création de toutes choses, 
quel sort affreux pour les misérables pécheurs 
d'être torturés dans l'éternité et de ne pouvoir 
jamais mourir ! Ils seront livrés à un châtiment 
perpétuel, de telle sorte qu'ils ne pourront 
échapper au cruel sentiment de leur horrible 
existence. Leur douleur sera sans fin, leur 
tourment sans repos, leur affliction sans espoir, 
et leur mal n'aura aucun changement : car la 
variété des crimes est punie par l'immutabilité 
des peines. Le comble du malheur pour ces 
damnés est de perdre ce qu'ils aiment et de 
souffrir éternellement ce qu'ils détestent. C'est 
une existence privée des douceurs de la vie, 
une mort sans remède final, une cité sans joie, 
une patrie odieuse, un séjour d'amertume, une 
■^réunion d'affligés, une foule d'êtres en pleurs ; 
et, comme surcroît de toutes les confusions, 



— l32 — 

ils voient tourmenta avec eux ceux qu'ils 
ont follement crus des divinités. U y a 
néanmpins^ d^ns les supplices, des différences 
selon les naérites. De même qu'il se trouve 
divers degrés de béatitude pour les bons, 
il est 4ej5 peines variées pour les impie?. 
Tous auront un sige égal, arrivé à sa pléni- 
tude et à sa perfection. Comment serait-on 
jeune, en effet, là oi* il n'y a pas de crois-^ 
sance? Ct pourquoi serait-on vieux, là où le 
déclin n'existe point? De pareils changements 
tendent à Ja destruction; et ce qui est éter- 
nel est un. 

De tout cela, ainsi que d'un vaste fleuve d'où 
sortirait un ruisseau trouble, il semble décou- 
ler cette objection : on craint, si l'on admet 
l'éternité du châtiment, que la combustion 
laisse à peine e^çister h substan<7e qu'elle ne 
permet de réparer en aucun temps* Mais il est 
eati^rçment superQu d'e^aoïj^r la ^ispn des 



— r33 — 

choses éterttdles. Le sapplittt peut éttc tdV 
qu'il torture sans diminuer; et ht substance 
peut ausst être téfltf, qtr*élîe âugraeiitSe ïe senti- 
ment de là douleur, sans aller Jusqu'à là des- 
truction CGimplète. Eûfin, de combien de 
souffrances notre âme peut-efle être tottrïnen- 
tée, sans éprouver pour celât la moindre? perte 
de substance ! N'y a-t-il pas des montagnes qui, 
bien que brûlées par de formidables brasiers, 
demeurent néanmoins stables au mîHeu de 
l'incendie? La salamandre reprend des forces 
dans lesr flaîiimesf, et lâ chalieur entretient le 
feu. Il y a certains petits vers que nourrissent 
les eaux bouiîlamtes. Ils tirent aîinsi là vie de de 
qui donne aux autres là mort. Si dé pareils 
exemples, pris dans lés choses matérielles e't 
périssables, nous frappent afutant, que faut-il 
penser de cette éternité^ où il ne se trouve 
point de mortel que le châtiment puisse con- 
sumer? Un embrasement' ihewricable, une 



— i34 — 

perpétuelle combustion, sont donc réservés 
aux damnés. 

D*ailleurs, qui pourrait douter que les ré- 
compenses des bons ne soient infinies, puis- 
qu'ils savent que leur plaisir est sans mélange, 
' qu'ils n'ont pas à craindre un retour de tris- 
tesse, et que la félicité dont ils jouissent doit 
durer toujours? 

Là, l'esprit ne redoute point l'inconstance 
de la prospérité ; la pensée d'un bonheur éter- 
nel lui conserve au contraire sans interruption 
l'immense joie qui fait partie de sa propre 
essence. Les Elus, en effet, comprennent bien 
que leur béatitude est pleinement assurée, en 
voyant qu'ils ne peuvent plus pécher. Là, 
aucune variation ne vient troubler cette sécu- 
rité : l'esprit fixé n'a ni oscillation , ni fluctua- 
tion, ni mouvement; la stabilité de la paix à 
laquelle il demeuré attaché est si grande, qu'il 
ne saurait ni chercher ni imaginer autre chose 



— i35 — 

que cette contemplation. Il lui arrive toujours 
ainsi ce qui lui plaît et rien dont il ait à se 
repentir. Nous aurons là des loisirs, si toutefois 
ce bienfait du Créateur nous est accordé ; mais 
nous ne serons pas engourdis dans la paresse, 
nous tendrons éternellement à la perfection. 
Notre sensibilité sera complétée par la plus 
exquise pureté ; tous nos désirs aboutiront au 
repos ; nous raisonnerons sans effort , nous 
jugerons sans erreur. Le mal enfin ne nous 
viendra point d*autrui et il ne pourra être en- 
gendré en dehors de notre volonté. 

Nous vivrons dans une abstinence pleine de 
charmes, et nous jouirons assidûment d'un 
plaisir dont l'esprit ne peut se lasser, en ado- 
rant continuellement le Créateur, en contem- 
plant toujours son ineffable gloire. Là, les 
ennuis importuns ne nous accableront plus, 
et nous cesserons d'être troublés par une mo- 
bilité qui est le signe de la faiblesse; telles 



— v36 — 

senxit du jceste nos licites, que nous ne 
-saurions y -souhaiter aucune fin. Le oalme 
dalis le mouvement, rpactivité dans le repos, 
Toilà ce qui constituera Tinyariablie unité de 
Pâme. Nous serons alors remplis de la science 
divine, nous aurons 1-intelligence lai plus exacte 
de toutes choses, non^pas â la suite de pénibles 
■efforts, mais grâce â une lumière que Tei^prlt 
acquiert sans travail. «On trouve là le nombns 
tel quUl est; on distingue les lignes avec une 
précision absolue ; on jposside ^harmonie de la 
musique; on aperçoit clairement le mouve»- 
ment des astres; la, enfin, la vérité d'en haut 
se manifeste à tous les yeux. 

'Nous contemplerons la sagesse de Dieu, et 
la majesté avec laquelle il dispose chaque chose. 
^Nx)us jugerons là combien sont inutiles les im- 
tatlves des hérétiques pour déchirer l'Eglise 
x:athQlique. Nous la Terrons en habits dor'és se 
rtenir comme une Reine à la droite >de son 



- i37 - 

Époux et de son Roi. Là, nous connaîtrons 
jusqu'où sera allée, Sôus le soleil, ^la vahité d€?s 
raiïités. Là, nbtis apprécierons réellement cotti- 
bien il était salutaire pour nous d'être exhortés 
ainsi : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et 
» tu le serviras seuU » lui auprès de qui toutes 
choses sont sans aucun prix; qui n'a jamais été 
et ne sera jamais autre que ce qu'il est-; avec 
qui nul ne peut être qu'heureux; sans lequel 
nul ne peut être qu'infortuné. 

L'âme raisonnable, purifiée et transformée 
de la sorte :par une telle connaissance, ne sau- 
rait trouver rien de plus à souhaiter. 

Nous poirvons bien nous imaginer les causes 
ûc l'enivrement qui s'empare de l'homme devenu 
esprit pur ; mais la manière dont il goûte cette 
suave félicité ne saurait être hi comprise de 
notre intelligence ni expliquée avec des dis- 
cours. Avouons pourtant qu'ils sont Vraiment 
heureux ceux qui ont tout ce qu'ils veulent, et 



- i38 — 

qui ne sont ébranlés par aucune adversité. Là, 
en efiet, la chair et Tesprit, harmonisés dans 
une paix éternelle, ne peuvent éprouver de 
dissentiments. On aura là des membres qui, 
par leur accord avec la partie spirituelle de 
notre être, serviront d'ornement et ne descen- 
dront pas à la concupiscence charnelle. Là, 
enfin, brillera une sobriété toute céleste, que 
ne viendra point souiller Tivresse des pensées 
mondaines. La demeure des Justes sera, comme 
nous le pensons, dans les espaces éthérés, et 
nul désir ne les attirera vers la terre, dont ils 
n'auront nécessairement pas besoin. Aussi, 
n'existera-t-il point là une promiscuité pareille 
à celle de ce monde ; les élus, éloignés des im- 
pies, seront complètement séparés par la nature 
et la diversité des régions. 

La Cité céleste est un asile sûr, une patrie 
qui renferme toutes les délices ; le peuple n'y 
murmure jamais, les habitants y sont paisibles, 



— i39 — 

les hommes n'y ont pas le besoin des choses 
humaines. Là, on n*est point tourmenté d'une 
faim avide, ni consumé par un chagrin mortel ; 
on ne rougit point d'une innocente nudité; 
personne ne souffre de la rigueur du froid, et 
la chaleur ne brûle point les corps épuisés ; nul 
n'aspire à un sommeil réparateur, là où l'on 
ignore la fatigue. Tout est doux, suave,'' tran- 
quille; le climat même, se dépouillant des 
intempéries nuisibles, présentera une constante 
salubrité dans la perpétuité des siècles. Là 
encore, le jour durera sans interruption, et la 
sérénité sera éternelle. Aucun nuage n'y obs- 
curcit le soleil, et toutes les choses y brillent 
davantage par la grâce de leur auteur. Telles 
sont, en effet, la splendeur d'esprit des Bien- 
heureux et la lumière de leur intelligence, en 
ce séjour, qu'elles les rendent dignes de contem- 
pler le Créateur lui-même, dans toute sa ma- 
jesté. 



Aussi, les livres des Anciens nous entèi- 
gnent-ils avec raison qu*fl n'appartient qt*à k 
partie spiritu^e, épiêiFée et améliorée par la 
faveur divine, de considérer véntablement son 
Auteur, quoiqu'elle porte de toute manière 
son image. C'est ainsi que nous verrons enfin 
les objets de notre foi, et que nous contem- 
plerons ce bien suprême, partit, unique, par 
lequel seulement on devient meilkur. 

Lorsque le globe du Soleil brille sans nuages, 
de quelle douce chaleur notre âme et nos sens 
sont pénétrés! Quand la lumière terrestre 
apparaît; de quel charme nous remplit-elle ! 
La vue 4es âeurs nous cause une joie des plus 
enivrantes. C'est une jouissance exquise pour 
nous d'admirer la terre verck)yante, la mer 
azurée, l'air pur, les étoiles scintillantes. Si 
nous trouvons autant de plaisir à repaître nos 
regards des- choses créées, que pensez-vous 
qu'on puisse ressentir à l'aspect de cette Ma- 



— HI — 

j^xéy à laquelle rien de pareil ne saurait être 
comparé ^ 

Nrous, coniuiîtroiis alog^s complètement ce q^ue 
nous croyjOBiS aujourd'hiii, en yue de m&tre 
saluit. Mais nous, ne pouvons mériter un tel 
bien&it qu'en conlessamt, dès: à présent,^ les 
vérités. de la. foi: c'est-à-xiuift la, Trinité^ coéter- 
ndUe à elle-même ^ immuablô, distincte et 
inséparabLst en ses personnes; cempUâsant tou:t 
de sa vertu substantielki; une en trois parties, 
triple en uste seule ; et possédant lai parité dans 
la toute-puissjE|nce , Inégalité, dans, la charité, 
Tunité dans k nature. 

Cette Trinité, parfaite et singulière en m^me 
temps, juge' avec s» justice, pardonne avec sa 
miséricorde» et aide avec sa grâce; elle a un 
pouvoir incompréhensible, une- béatitude ad- 
mirable. C'est à eîle que les. Bienheureux doi^ 
vent- leur- félicité^ 16$- vivants^ leur exi&tence^ ks 
créatures lleuf subei^tancei Elle connaît et pèse 



— 142 — 

si exactement les choses, qu'elle ne se trompe 
jamais dans ses jugements. Bien qu'elle soit 
invisible, elle est toujours présente pour les 
bons ; bien qu'elle ne manque nulle part, elle 
est absente pour les méchants. Elle est immo- 
bile, parce qu'elle se trouve tout entière par- 
tout; et, cependant, elle est sans cesse en 
mouvement, parce que sa volonté agit conti- 
nuellement; elle entend et voit tout en elle- 
même; mais elle ne regarde pas par quelque 
endroit comme avec un organe, elle embrasse 
toutes choses d'une manière générale, telles 
qu'elles sont réellement, par la seule force de 
sa perspicacité. 

On dit encore qu'elle sent, goûte et marche ; 
mais on emploie ce langage pour qu'il s'accom- 
mode mieux à notre intelligence et aux habi- 
tudes humaines, puisqu'il est certain qu'avec 
la puissance inénarrable qu'elle possède, elle a 
une façon d'agir bien différente de la nôtre. Sa 



— 143 — 

sainte vertu, qui crée et dispose tout, réside 
dans sa propre Majesté, dans sa gloire éternelle. 
Elle constitue ce pouvoir incompréhensible, 
inestimable et impérissable, qui consolide les 
cieux merveilleusement suspendus, fixe les îles 
au milieu de la mer, donne aux sources leur 
cours, pose des limites à l'Océan, fait briller 
l'éclair dans un ciel serein , et lance de justes 
foudres sur la Terre. Elle gouverne le Monde 
d'une extrémité à l'autre par la seule loi de sa 
sagesse; et cela, en raison de ce que toutes 
choses, ne pouvant être abandonnées à elles- 
mêmes, se trouvent nécessairement placées 
sous l'autorité divine. Sa colère est paisible, 
ses jugements sont calmes; et, sans s'émouvoir, 
elle punit les péchés des coupables. Pourtant, 
elle a grand'pitié des misères humaines et par- 
donne aussitôt à ceux qui se convertissent; 
elle corrige même les pécheurs en leur accor- 
dant du temps; et, bien qu'elle ne puisse 



— 144 — 

souffrir ri^n de contraire à la vertu, elle sup- 
porte leurs fautes arec patience, dans 't'esipoir 
du repentir. 

Comme nous soupçonnons ici-b^ fpeu de 
choses deU'ineffable T#înité ! Cest là-haut que 
nous connaîtrons pleinement combien notre 
admiration est au-dessous de sa gloire. Servie 
par un peuple d'anges, elle reçoit des>EmpiFes 
de précicuic hommages ; d*innombrables Puis^ 
sanoes lui obéissent fidèlement, et la plus 
grande sommité, si élevée qu'elle soit, a tou- 
jours besoin d'elle. Mais, que pouvons-nous 
conjecturer de sa souveraineté, quand aous'ne 
savons même pas comprendre les choses qui 
lui sont indubitiablement soumises? 

Délivrés de l'existence, nous concevrons ce 
<yue nous avions la folie de méconnaître. A 
quelles jnerveilles sera-t-on appelé ! De quelles 
misères paraîtra-^t-on s'être occupé ! Pour s'Sën 
convaincre, il suffira d'apercevoir un instant 



- 145 - 

ce dont la foi nous promet hi Vue éternelle. 
C'est là qu'on reconnaît lia fausseté des doutes, 
et que les erreurs cèdent à la voix de la Vérité 
elle-même. C'est un règne sans fin, une lu- 
mière sans nuit, un corps sans vice, une vie 
sans mort; car, tout se trouvant dirigé vers 
l'éternité, la moft seule n'existe plus. De telltes 
jouissances sont considérables; mais il est 
^ndore meilleur de savoir qu'elles ne finiront 
point. Les Elus voient ainsi les récompensées 
dépasser leurs vdèux. C'est alors qu'ils cbn- 
'iiaksént'véritablemetit combien ils «ont heu- 
îrfeux et â quel ^aîfe de grandeur ils ^ont 
parvenus. 

O majesté, ô'bonté incompréhensibles ! -Entre 
4a nt d'œuvres qui t'emplissent le Monde des 
louanges du divin Ouvrier, en est-il vraiment 
de plus sublimes que les iâubstancëfs -spirituelles, 
•qui peuvent co«fteimpter -d'une âwe pure leur 
auteur? Le reste des créatures a été feiit pour 



— 146 — 

l'agrément d'êtres intelligents, tandis que 
l'humanité est destinée à la béatitude, en ado- 
rant son créateur ! 

Mais, il est temps d'abandonner la variété 
des sujets pour condenser et réunir une si 
abondante matière en quelques points prin- 
cipaux, afin que ces provisions exactement 
calculées puissent être, grâce à leur peu d'é- 
tendue, facilement emmagasinées dans la mé- 
moire. 

i<* Comme vous vous en souvenez, très 
prudents Auditeurs, j'ai enseigné que le nom 
de l'âme est entièrement conforme dans sa 
consonnance à son étymologie, tout en écar- 
tant soigneusement les mots dont la ressem- 
blance aurait pu amener la confusion dans 
l'esprit du lecteur. 

2^ J'ai donné la véritable définition de cette 
substance avec tous les éclaircissements qu'elle 
comporte. 



— 147 — 

3^ J'ai discouru sur sa qualité substantielle. 

4® J'ai montré que l'âme ne peut avoir de 
forme. 

5** J*ai énuméré ses vertus morales , qui sont 
opposées aux vices de ce siècle, comme des 
armes solides et efficaces. 

6® Il a été parlé avec détails des vertus natu- 
relles de l'âme. 

7® J'ai raconté ce que j'ai lu sur son origine. 

8«> J'ai décrit le siège qu'elle occupe et la 
façon dont elle exerce son jugement. 

9** Il a été traité de la composition de notre 
corps. 

10° J'ai fait le tableau de l'âme infidèle avec 
les signes qui la caractérisent, d'après ce qu'on 
est convenu d'admettre à ce sujet. 

11° J'ai touché quelques mots de son intel- 
ligence lumineuse et pleine de la Divinité, 
autant qu'il nous est possible de le com- 
prendre. 



— 14^ — 

12® J'aè rspptié) eit^ dernier lie») cet admi- 
rable bienfait du Setgoeup ? t^espoir dtine vie 
future ; afin qu'on soit convaincu que celte que 
nous cpayoi!i<s imtnorteUe a aussi des récom- 
penses éternelles. 

J'ai terminé les parties de ce petit ouvrage 
par le nombre douife, qui marque dans les 
cieux la diversité des signes du. Zodiaque- et 
dans Fannée le charme des mois. : c'est lui qui, 
par une prévoyante disposition, distribue les 
vents nécessaires aux produits de la terre, et 
divise en quantités égales les espaces horaires 
du jour et de la nuit. J'ai agi de la sorte pour 
que les éclaircissements, qui ont trait à la 
description de l'âme, fussent aidés par ce calcul^ 
consacré dans l'harmonie de tant de choses 
naturelles. 

Il ne nous reste plus maintenant, hommes 
sages et intelligents, qu'à être délivrés pour 
notre salut du fardeau de ce monde, afin que 



— 149 — 

nous puissitms nous oSiir bientôt nous-même 
à la divine œUérieofdei doBt la Immièré tUii- 
mine pleineis^enl tout hamixie qui ré^chit. 
Comprenons DhvL, aimons4e, et nous connaî- 
trons vraiment rame, si la sagesse nous vient 
de «a grâce. îi est on effet le Maître puissant et 
parlait : c'est lui <|ui enseigne la yf^tïîé à fiotre 
âme et qui, en éclairant çon^'entendement^ lui 
lait voir les choses sous leur }our réeL Dans 
l'école du Christ, on ne saurait trouver de 
cœur indoeile; car celui qui s'est donné à lui 
tout entier ne peut ignorer ce qu'il cherche^ ni 
perdre ce qu'il a reçu en récompense de sa piété» 
L'âme devient donc grande, précieuse, riche, 
lorsque d'elle-même elle reconnaît sa pauvreté; 
elle devient puissante, si elle ne s'écarte point 
d'une $aine humilité; elle devient en&n heu- 
reuse, si elle conserve, sous son enveloppe ter- 
restre, ce que les a|)geg superbe^ Qnt^er4u dans 
le $é)our éthéré. 



— i5o — 

En effet, divin Seigneur, personne ne par- 
vient jusqu*à toi en s'élevant : c'est plutôt en 
s'abaissant qu'on y arrive. Quoique tu sois placé 
très haut, les supplications de ceux qui s'incli- 
nent devant toi te rapprochent d'eux. Tu agrées 
notre humilité. Tu aimes ce que tu ne recher- 
ches pas pour toi ; tu désires ce dont tu n'as nul 
besoin. L'humilité, c'est la mère de notre vie, la 
sœur de la charité, l'unique sauvegarde d'une 
âme ardente, l'ennemie acharnée et victorieuse 
de l'orgueil; et, comme celui-ci est, par l'in- 
tervention du Démon, l'origine du mal, celle-là 
est, grâce à toi, la source du bien. 

Tu/as voulu, ô Christ, ennoblir l'humilité au 
point de ne pas te borner à la prescrire, mais 
de daigner la mettre en pratique. En prenant 
la nature humaine, tu t'es soumis au jugement, 
toi qui un jour dois juger le monde ; tu t'es 
laissé battre de verges, toi qui élèves et abais$^s 
les Rois; tu as permis que ta face divine fût 



— i5i — 

outragée par d*odieuses souillures, elle qui 
excite l'insatiable désir des Anges ; tu as bu du 
fiel, toi qui t'es montré si doux envers le genre 
humain que tu n'as pas dédaigné, étant le 
Maître des choses, d'endosser l'enveloppe d'un 
esclave; tu as supporté patiemment une cou- 
ronne d'épines, toi qui remplis l'Univers des 
fleurs variées de tes récompenses; tu as subi 
la condition de la mort, toi qui as donné la 
vie à toutes les créatures. Aussi, y a-t-il dans 
la sainte Incarnation autant d'humilité qu'il 
existe d'incompréhensible grandeur dans la 
Divinité. 

Grâce à toi, admirable Seigneur, le châtiment 
est devenu un éternel repos, la passion un 
remède, la mort le commencement du salut 
pour les fidèles. Elle qui avait coutume d'être 
une extinction, est une source d'existence per- 
pétuelle ; et à bon droit, puisqu'il est juste que 
celle qui prend la vie des hommes perde le 



-T- l52 — 

pouvoir de la détruire. Doanée en signe, d'op-r. 
prpb^^, elle^de^}!^ cuxuuQ.erunibpaçi^v^,: c^^t, 
que les mêmes, cl^osef, q^, autrefois. co^ui- 
saient aux Eafers, nous portefit maii^tena<nt' 
dans.le^.Cieu^ 

^igneur^ qui agis avec, tant . de, misériççrdef . 
tu es vraiment puissant j NuJ^de;tous Içs.Roisj 
ne peu; s'égaler à.t^r.p^vi'ôs^nulle]P,o^]:pr«.' 
ne peu^ rivaliser ayef; Içf filets de tes.pêcheujs.; 
car, laip.ourp,re: jette ceux qui, en sont ,rçvet«^, 
dans, les tena,pejtes du moi^d;e, . tandis que ces 
filets rainènent les humains, vers, le, rivage- de. 
réternelle sécurité. Tu es pauvre par nous, 
riche par t9i. Tu. t-e^ faifi. le.^ compagnon. de 
notre, mort^i té, pour.n^.uaiaiss^r, paritager tQn 
éternitév Tu g^uérisj'pfgneil avec rhumiUjté, et 
tu détruis la, Mor| ayec.la mort .mime. Enfin, 
tu sais faire, le. bien par, le m^oyen dje^méçbants,. 
couyçrtiçsaut en ^seçp^rs ce qui ; a éxé. préparç. 
pour nuire ; car, tu as jugé qu'il y ,ayaii; plus 



- i53 - 

de puissance à tourner le mal pour notre uti- 
lité, qu*à en couper la cause dans les racines. 

Comment pourrait-on, d'ailleurs, connaître 
tes bontés infinies, si elles ne se manifestaient 
même à tes ennemis par d'irrécusables marques?