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Full text of "... Ceux de Verdun"

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1 

^ 



ç^ ^ Veii), 



'^ 



Lieutenant JACQUES PÉRICARD 

i PAYOT & C», PARIS 

Sixième Mille 



CEUX DE VERDUN 



DU MÊME AUTEUR : 

PAGE A FACE, Souvenirs et Impressions d'un Soi- 
dal de la Grande Guerre. (Août 1914-lifarB 1915). 
Ua Tolume à 4 fr. Patot, éditeur. 

EN PRÉPARATION 

PAQUES ROUGES, Souvenirs el Impresxionsld'un 
Soldai de la Grande Guerre (Mars 1915-Mai.l91S). 



Lieutenant JACQUES PÉRICARD 



CEUX DE VERDUN 




PARIS 
LIBRAIRIE PAYOT & C 

106, BOULEVARD SAINT - GERMAD) 

1917 
7(Mi6 éroit4 rié^roéê 






1 



m' 















^l' 









.-ri- .. 




Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation 

réservés pour tous pays 

Copyright, 1917, bg Payot et Q* 






AU COLONEL DE B. . . 
LE 95* (cBNsimÉ) 

QUL D'UN EFFORT DE SES 
REINS VIGOUREUX, LE LANÇA DANS LA 
GLOIRE. 



. f<'. 



w^ 



AVANT-PROPOS 



Ce livre est écrit "pour vous, embusqués 

{Je mets dans ce mot : embusqués, peu 
de bienveillance, certes, mais peu de 
colère. Vous valez mieux que vous ne le 
pensez vous-mêmes* 

J'ai vu à Vœuvre quelques-uns des . 
vôtres, de ceux qu'on débusqua bur le tard. 
Dans rimpatience qui les crispait de se 
racheter de leur faiblesse, dans leur vio- 
lent désir de mériter les suffrages de leurs 
eamarades, ils dépassaient en vaillance 
les vieux poilue du début de la campa- 
gne 1...) 

...Et pour vous, gens de V arrière qu^é- 
pouvante la crise du beurre, pour vous 
pessimistes de toute plume et de tout 
poil... 

a Ecoutez, dites-vous, écoutez eeuœ du 
front... Comment ils jugent les opéra- 



10 CEUX DE VERDUN 

tiens... Comment ils ^parlent de leurs offi- 
ciers... » 

(censuré) 

Parbleu ! 

Quand vous causez avec les combat- 
tants, c'est qu'ils sont en ^permission ou au 
repos. L'air qu'ils respirent a passé par 
vos poumons. Les verres où ils boivent 
portent la marque de vos lèvres. 

Vous les avez étiolés, blessés, meurtris, 
et vous triomphez de ce que le cœur leur 
défaille ! 

Eh bien, soyez contents ! La première 
partie de ce livre contient un chapitre 
intitulé : la grogne. Et la deuxième par- 
tie également. Et également la troisième. 
Des plaintes, des mécontentements, des 
colères, je n'ai rien atténué, rien omis... 

Vous pourrez vous saouler tout à votre 
aise du vin empoisonné. 






Ce livre est écrit pour vous, pères 
inquiets, mères tremblantes, veuves éplo- 
rées, fiancées misérables. Pour vous aussi. 
Français et Françaises qui n'avez sur le 



AVANT-PROPOS 11 



front aucun être cher, mais qui saignez 
des blessures de la France, Pour vous tous 
fui ne "pouvant tenir un fusil, marniez la 
hêche, le marteau, la plume, la résigna- 
tion, la confiance. 

Ecoutez la voiûd d'un combattant qui 
n'est qu'un pauvre homme mais sincère. 

Oui, de la guerre nos soldats 

. Oui ils souffrent, oui ils se plai- 
gnent, oui ils grognent. 

Vous allez les entendre et vous fronce- 
rez les sourcils, peut-être... 

Mais attendez ! 

Attendez que le tonnerre de Verdun 
gronde et roule. A ttendez que nos soldats 
soient, dans le plus effroyable des cata- 
clysmes, jetés bouillants et rissolante 
comme les vairons dans la poêle à frire. 
Et si vous ne frissonnez pas d'admiration, 
si vous n'êtes pas transportés par l'en- 
thousiasme, si vous ne pleurez pas d'a- 
mour... 

Mais vous frissonnerez . et vous pleu- 
rerez, je le sais bien d'avance ! 

Car vos 

soldats, mais Us pen.^ent à leurs enfants, 
même ceuar qui ne sont pas mariés encore ; 






k 



12 CEUX DE VERDUN 



ils pensent à leur pays, même ceux qui se 
disent antipatriotes ; ils savent qu'une 
paix sans victoire serait la ruine pour le 
pays, Vesclavage pour les enfants. 

Et ils marchent ! 

Ecoutez encore... 

Jusqu'ici — des yeux fermés éteignent- 
ils le soleil f — jusqu'ici nos soldats ont 
été des (CENSURÉ) 

Les deux plus grandes victoires de la 
guerre, celle de la Marne et celle de Ver- 
dun, n'ont été que des rétrécissements de 

(censuré) 

Ils sont des vaincus, eux les fils de 
Poitiers, de Bouvines, de Marignan, de 
Denain, d'A usterlitz ! Et ils tiennent ! Et 
ils endurent les pires souffrances qui 
aient jamais assailli des corps et des 
cœurs d'hommes ! Et ils se battent ! Et 
quand une attaque les porte dans les 
lignes ennemies, leur impétuosité ne con- 
naît plus de frein, leur témérité ne 
connaît plus d'obstacles. Et s'ils n'étaient 
pas tirés en arrière par leurs officiers, ils 
fonceraient en avant, absurdement, folle- 




r 



AVANT-PROPOS 13 



menty tant qu'un seul d'entre eux demeu- 
rerait debout ! 

Des prodiges qu'ils enfantent^ étant 

imaginez les prodiges qu'ils 
jetteront sur le monde quand l'offensive 
se déclenchera, quand le succès leur sou- 
rira, qtuind ils pourront se mouvoir ^ au 
grand soleil ces soldats d'Austerlitz, 
quand ils pourront charger les larges 
plaines ces soldats de Denain et de Mari- 
gnan, quand ils pourront se battre coude 
à coude, la vaillance de chacun électrisant 
la vaillance de tous, ces soldats de Bouvi- 
nés et de Poitiers ! 

Vous les verrez avaler les balles, jon- 
gler avec les obus, sauter à pieds joints 
par-dessus les fleuves. Les armées enne- 
mies s'abattront comme des châteaux àe 
cartes. Les villes prises défileront comme, 
aux portières des express, les poteaux 
télégraphiques... 

Et la Victoire, à les suivre, s'essouf- 
flera ! 



Enfin, ce livre est écrit pour vous, mes 
camarades du front. 



CEUX DE VERDUN 

n Ceiix de Verdun », c'est dans le récit 
i va suivre les soldats du 95*. 
Le premier, aux premiers tonnerres de 
rdun, le 95" est accouru ; le premier, il 
Uevé contre l'invasion la digue infran- 
Issahle. Et il n'est reparti qu'en Sep- 
ribre, battant ainsi de loin avec son. 
ule, le *, le glorieiix record. 
Mais l'ambition ne fut jamais la 
enne de monopoliser pour mon régi- 
nt toute la gloire de Verdun. 
Si le 95', a connu Douaumont, Fleury, 
■nzée, Dicourt, les Eparges, il est, dans 
ciel de Verdun, d'autres étoiles qu'il n'a 
s allumées. 

H Ceux de Verdun », c'est toute l'armée 
mçaise, la métropolitaine et la cola- 
lie, l'active, la réserve et la territoriale, 
bleus de la classe 16 et les vétérans de 
R. A. T. 

C'est toute la France. 
Toute la France est accourue sous Ver- 
n,à l'appel de Castelnau, de Pêtain, de 
velle. Chaque province de France a 
nasse là, dans la boue et dans le sang, 
gerbe de lauriers et s'en est allée, revi- 
Hée, vers de nouveaux combats. 



AVANT-PROPOS 15 



La Marne avait été le baptême de Var- 
mée nouvelle. Verdun fut sa profession 
publique d'invincibilité. . 

Les éloges que je décerne à înon régi- 
menty prenez-les pour vous, mes camara- 
des. Au lieu de Douaumont lisez Haudre- 
mont, VauâOy Côte du Poivre, les Cor- 
beaux, Béthincourt, côte 304, Avocourt, 
Malancourt, Bois des Caillettes, Thiau- 
mont, Mort-Homme.,, et vous aurez votre 
propre histoire, histoire la plus mjagni- 
fique qu'ait jamais écrite la bravoure 
humaine !... 

demi-dieux ! 6 ancêtres ! ô soldats de 
Verdun ! 



/ 



1 



PREMIÈRE PARTIE 



ADIEU, TRANCHÉES I 



ADIEU, TRANCHÉES ! 19 



CHAPITRE !•' 



POILUS 



De la bataille de Verdun, on a donné 
les communiqués officiels, la topographie 
des lieux, les commentaires des écrivains 
militaires, les appréciations de la presse 
à l'étranger. On a dit tout ce qu'il y avait 
à dire, hors le principal : Tâme des com- 
battants. 

Cette lacime, je voudrais essayer de la 
combler. 

Pour pénétrer dans Tâme des combat- 
tants, la psychologie ne suffit pas, ni les 
promenades sur le front, ni les entretiens 
avec quelque soldat blessé : il faut être un 
combattant soi-même. 

C'est une idée qui s'est incorporée aux 
globules de mon sang qu'entre ceux du 
front et ceux de l'arrière la coupure se 
fait, chaque jour plus large, chaque jour 
plus profonde. Cette affirmation en éton- 
nera plus d'un sans doute. C'est qu'en 






20 CEUX DE VERDPM 

effet, le phénomène est difficile à perce- 
voir, d'autant plus difficile que combat- 
tants et non-combattants se servent d» 
le langage. 

DUS haussez les épaules ? Vous criez 
laradoxe ? Eh bien, oui ! 
eux hommes qui ne parlent pas la 
le langue peuvent arriver à se com- 
idre, car ils savent qu'ils ne parlent 
la même langue et ils s'ingénient à 
>léer à leur ignorance mutuelle par la 
le volonté, l'attention, les gestes. 
!ais deux hommes dont les cerveaux 
îmblables donnent aux mêmes subs- 
ifs et aux mêmes verbes une signifi- 
m différente ! Chacun s'imagine com- 
idre l'autre et le résultat est une caco- 
lie qui va s'accentuaot sans cesse... 
i veux, dis-je, vous faire entrer dans 
e des soldats de Verdun, 
ourde est la tâche. 

s risque de mécontenter ceux qui 
nt dans les combattants des êtrei 
rés planant entre ciel et terre, à qui 
e faiblesse ne saurait être permise, et 
: qui s'efforcent de croire — ils ont d« 
les raisons pour cela ! — que les poi- 



ADIEU, TRANCHÉES ! 21 

mmmmmmmmmi^mmmmmm^mm t i !■ i — w^i^ i i ii i i i ^i^a— — — ^^— — 

t 

lus pourront traverser la fournaise sans 
que leurs âmes en soient trempées... 

Oh t le soldat de la grande guerre I 
quels mots seront jugés dignes de lui faire 
escorte ? quelles admirations pourront se 
hausser à sa taille ? 

Héros ? non. Il y a dans ce mot héros je 
ne sais quoi de forcé, de surhumain, de 
hors nature. Et le poilu est simple. Le 
calme qu'il avait en labourant son champ 
ou en poussant sa varlope, le même calme 
raccompagne sur le champ de bataille 

Il lance une grenade, puis il ajiume sa 
pipe. 

Regardez celui-ci, Granger, tout pareil 
à un million d'autres, hirsute, rongé par 
la vermine, le visage noir d'une crasse de 
huit jours, la capote alourdie de boue, les 
jambes gainées de boue. 

Il a dormi cette nuit assis sur son sac, 
le dos à une paroi humide de sape, les 
pieds dans Teau jusqu'à la cheville. 

Il a mangé, hier, un morceau de viande 
froide avec des haricots froids ; aujour- 
d'hui il mangera un morceau de viande 
froide avec des macaronis froids et une 
tablette de chocolat. Ni soupe, ni café. La 



22 CEUX DE VERDUN 

colline dont il occupe une des pentes est 
glissante, les sentiers difficiles, et trans- 
porter des liquides par ces sentiers qui 
sont des ruisseaux de boue, il n*y faut pas 
songer. 

Un caporal l'appelle : son tour est venu 
de monter la garde. Il prend son fusil, 
enlève le chiffon qui protège le mécanisme 
et sort de la sape. 

Le canon de Verdim tonne de Tau- 
tre côté de la plaine, héraut des luttes 
passées et des combats qui se prépa- 
rent. 

Il pleut. Voilà deux jours qu'il pleut, 
d'une pluie galopante qui ne s'arrête qu'à 
longs intervalles, juste le temps de souf- 
fler. 

Pour se rendre à son poste, Granger 
doit traverser des trous d'obus d'où l'eau 
déborde et dans lesquels, floc I il plonge 
jusqu'aux genoux. Une fois installé, il- 
colle son œil au créneau — mince ouver- 
ture entre deux sacs — et reste là, atten- 
tif, insoucieux de la pluie qui pénétre à 
travers sa toile de tente disposée en man- 
teau. 

De loin, je le regarde faire, attendri 



r 



ADIEU, TRANCHÉES ! 23 

par tant de misère, doutant si à sa place 
j'aurais pareille grandeur d'âme. 

Allons lui donner un mot de réconfort. 

Je m'approche... 

— Eh ! mais, Oranger, qu'est-ce donc 
qui vous fait rire comme cela tout seul ? 

— Ah ! mon lieutenant, vous entendez 
bien, nos grosses marmites, le pétard 
qu'elles font en tombant chez les Boches ? 
Alors, je rigole en pensant à la gueule 
qu'il doit faire, le Fritz, quand ça lui 
dégringole sur la hure !... 



24 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE II 



ADIEU, TRANCHÉES ! 

« Dans huit jours, la division quitte la 
forêt d'Apremont et va se reposer à l'ar- 
rière. » 

De Tun à Tautre, la nouvelle court, et 
sur ses pas une grande joie se lève. Les 
hommes ont des visages rajeunis de per- 
missionnaires. 

Où irons-nous après ce repos ? Peut- 
être dans un secteur plus ravagé encore, 
mais qu'importe ? Le présent seul compte: 
révasion de cette forêt monotone et tra- 
gique où depuis quinze mois, dans la boue 
et dans le sang, nous sommes emmurés. 

Des tranchées qui sont là nous connais- 
sons toutes les sapes, tous les créneaux, 
tous les pare-éclats, tous les puisards, 
tous les caillebotis et jusqu'au nombre des 
cailloux qu'ont remués nos pelles ! 

Ah ! partir ! Ne plus tourner sans fin, 
comme des rats dans une boîte, du Bois 




ADIEU, TRANCHÉES ! 25 



Brûlé à la Tête-à-Vache, de la Tête-à- 
Vache à la Louvière, de la Louvière au 
Bois Brûlé ! 

Revoir des routes sans chapelets d'en- 
tonnoirs, et des maisons qui aient un 
toit sur la tête, et des enfants et des fem- 
mes ! 

Les imaginations s'exaltent : 

— Moi, je me paye un kilo de pinard à 
chaque repas. 

— Moi je me commande une omelette de 
douze œufs à la première auberge. 

— Moi je bouffe toutes mes économies 
en cigares à trois sous. 

Manger, boire et fumer, les trois gran- 
des préoccupations du poilu, ses trois 
passions maîtresses !... 

Dans les derniers jours de Janvier, Tor- 
dre du départ arrive. Les consignes sont 
passées aux successeurs : 

— Au revoir, les amis, et ne lâchez pas 
la place, surtout ! Elle est épatante : 
logés, nourris, flotte à discrétion et toutes 
les deux heures un petit dessert de 150 et 

"e torpilles... 

Des marches. Des contre-marches. Nous 
tous éloignons de la première ligne. Nous 

3 



26 CEUX DE VERDUN 

revenons près d'elle. De courts repos. Des 
travaux. Des manœuvres... 

Puis, dans les premiers jours d% 
février, le régiment prend la direction de 
Rosnes. C'est là que nous devons canton- 
ner une semaine ou deux, paraît-il, avant 
d'être dirigés sur Verdun. 

Et ceux qui nous ont donné le rensei- 
gnement ont ajouté : 

— Verdun ? Fin secteur. Des tranchées 
bétonnées. Des kilomètres en profondeur 
de réseaux barbelés. Des forts avec des 
casemates à quinze mètres sous terre. 
Presque pas de service. Aucune corvée : 
tous les travaux sont achevés. La consigne 
est de ronfler et de jouer à la manille. 

Ah ! « vivement qu'on se trotte » en ce 
paradis terrestre ! D'avance nous en 
bavons de convoitise. 



r 



ADIEU, TRANCHÉHi ! 27 



CHAPITRE III 



VIVEMENT, VERDUN! 

Nous cantonnons à Lavallée un jour, 
puis, le lendemain matin, avant Taube, 
nous repartons. 

La pluie n'a pas cessé de la nuit. Elle 
nous accompagnera tout le long de la 
route. Au début, les capotes esisayent d'op- 
poser une digue au déluge. Mais elles doi- 
vent bientôt s'avouer vaincues. L'eau tra- 
verse leurs ôls saturés et gonflés, comme 
elle traverserait une écumoire. 
, A même la peau les cascades ruissel- 
lent. 

Un de mes loustics, essaie de dérider les 
fronts. Comme la section se raidit pour 
gravir une côte, il s'écrie : 

— Faut-il qu'ils soient feignants les 
gens du pays ! Au lieu de laisser esquin- 
ter de malheureux poilus, pourquoi qu'ils 
ne bouchent pas leurs descentes avec leurs 



28 CEUX DE VERDUN 

montées ? Comme ça on pourrait marcher 
à plat ! 

Mais la plaisanterie n'a aucun succès 
auprès de ses camarades. 

— Ah ! dit l'un, vivement Verdun ^ 

— Oh ! oui, répond le chœur, vive- 
ment ! vivement ! 

Deux semaines plus tard, sous le bom- 
bardement de Douaumont, je me rappelle- 
rai ce : <( Vivement Verdun ! » et malîjré 
le tragique de la situation, je ne pourrai 
m'empêcher de sourire. 

La plupart de nos souhaits, de nos 
désirs, de nos ambitions, de nos convoi- 
tises sont aussi naïfs que le vœu de mes 
hommes : pour échapper à l'ennui d'une 
pluie, nous supplions le Ciel de nous 
envoyer une averse d'obus 1 

Entrée à Rosnes. 

Les hommes du troisième bataillon sont 
répartis dans les cantonnements. 

— Peut-on faire du feu ? 

Telle est la première question que je 
m'empresse de poser aux habitants. 

Hélas non ! Comme il faut aller cher- 
cher le bois dans la forêt, très loin, par 
des chemins épouvantables, chaque foyer 



ADIEU, TRANCHEES ! 2d 

n*a qu'une toute petite provision de 
bûches sur laquelle il veille avec des yeux 
de vieillard amoureux.- 

Mes propositions d'achat se heurtent à 
des refus opiniâtres. 

Les hommes devront se contenter de 
changer de linge et de souliers. Pour 
sécher leurs vêtements ils n'auront que la 
ehaleur de leur corps. 

De nouveau, dans l'imagination, res- 
plendissent les casemates promises « à 
quinze mètres sous terre ». Là au moins 
la pluie ne sera pas à craindre. 

— Ah ! vivemient Verdun, vivement, 
vivement ! 



30 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE IV 



L'HOTESSE 

I 

Mes hommes installés, je me dirige vers 
ma chambre. Je suis logé chez une jeune 
fermière dont le mari est mobilisé. 

— Quelle tête ? dis- je au fourrier qui 
me conduit. 

— Plutôt sympathique. Propreté extrê- 
me. Mais, dame, elle doit s'entendre à 
faire marcher son monde. Quel œil ! 

Propre, ça me va. Autoritaire, çà ne 
regarde que son mari. 

Personne dans la maison. La cuisine 
traversée, nous arrivons devant ma cham- 
bre. Le fourrier pousse la porte... 

La fermière, qui est en train de mettre 
des draps au lit, se retourne... Oh ! ce 
regard dégoûté qui des pieds à la tête 
m'enveloppe ! 

De fait, je ne paye guère de mine. 
Crotté jusqu'aux cheveux, ruisselant de 
pluie accumulée, j'ai vite fait de tracer 
autour de mes pieds un cercle de boue et 



ADIEU, TRANCHEES I 31 

d'eau. Et mon ordonnance, qui m'a suivi, 
se trouve entouré, avec la même prompti- 
tude, d'un cercle tout pareil. 

A mon salut, la fermière répond par un 
murmure indistinct : ses yeux suivent les 
progrès de l'inondation sur son beau car- 
reau luisant et cette contemplation doit 
lui couper bras et jambes, car elle i*este 
deux bonnes minutes immobiles, sans 
force pour continuer son travail. 

Elle ne sort de son mutisme, une fois le 
lit achevé, que pour ces recommandations 
faites d'un ton rogue : 

— Je pense bien que vous n'avez pas 
l'habitude de vous coucher avec vos sou- 
liers ?... 

Je réponds qu'en effet je n'ai pas cette 
habitude. 

— Ni d'essuyer vos souliers après les 
couvertures ?... 

Je lui donne ma parole d'officier que je 
n'essuie pas mes souliers après les couver- 
tures. 

— Ni de monter sur les fauteuils avec 
vos gros souliers ferrés ? 

Oh ! mais, elle m'agace, la fermière, 
elle m'agace, elle m'agace ! Je laisse cette 



32 CEUX DE VERDUN 

dernière question sans réponse et je cher- 
che un coin pour déposer mon revolver et 
mes musettes. 

Par malheur, en me retournant, un paB 
de ma capote frôle une armoire... 

— Mon armoire ! 

Je n'ai jamais chassé le lion, sinon en 
rêve, mais je sais maintenant ce qu'est te 
rugissement de la lionne blessée. 

Elle se précipite vers son meuble chéri, 
elle le console, elle le cajole, elle essuie 
d'un tablier pieux sa pauvre face meur- 
trie, puis, tournant vers moi un visage 
fulgurant : 

- — Est-ce que vous faites exprès de m*a- 
bîmer tous mes meubles ! 

— Et vous, réponds- je à bout de pa- 
tience, est-ce que vous faites exprès de 
m'embêter I 

Allons, la guerre est déclarée. Ça fH 
être gai d'habiter ici ! 

Le soir, dîner à notre popote installée 
chez le maire. 

Je mets tous mes efforts à faire traîner 
le dîner en longueur : pour rentrer dan« 
ma chambre, en effet, il me faut passer 
par la grande cuisine oii tout le jour m 



• ' ADIEU, TftANCHÊES I â3 

tîent la maisonnée, et je ne suis pas du 
teut impatient de revoir mon hôtesse. 

Mais les jambes sont fatiguées de l'éta- 
pe. Sitôt le dessert terminé, le capitaine 
9e lève. Bon gré mal gré je dois le suivre. 

Je me dirige vers mon cantonnement. 
La gaieté du dîner me fait la conduite : 
un sourire flotte encore sur mes lèvres 
^uand je pousse la porte de la ferme. 

A temps je m'aperçois de la gaffe mena- 
çante.. Me présenter, devant la mégère qui 
m'héberge, avec un sourire ? Ah non, par 
exemple ! 

Vivement je mets le sourire dans ma 
poche et je pose sur mon visage un mas- 
que rébarbatif, masque d'ambassadeur 
'chargé de transmettre un ultimatum : 
front barré, yeux sévères et lèvres pin- 
oées. 

J'entre. Toute le monde est couché. 
Seule, près du feu qui s'éteint, la fer- 
mière raccommode un vêtement d'enfant. 
Je lui dis : 

— Bonsoir, madame. ' ' 
D'un ton qui signifie : 

— Ah ! te voilà, vieille chipie ! 
Alors, fixant sur moi des yeux rivaux 



34 CEUX DE VERDUN 

des miens pour la dureté, la fermière me 
répond d'une voix cassantei méprisante, 
une voix qui me saisit dans ses pinces 
dégoûtées et me jette au ruisseau comme 
un paquet de loques immondes : 

— J'ai ajouté deux couvertures à votre 
lit parce que la pièce est un peu humide, 
et j'ai mis entre vos draps une bouillotte ! 

Puis elle prend sa lampe et sort, me 
laissant seul dans la grande pièce. 

Et je demeure là planté, la bouche ou- 
verte, les yeux ronds, interloqué comme 
jamais ne le fut homme au monde, par- 
tagé entre l'envie de me mettre en colère, 
de casser quelque chose — car après tout, 
n'est-ce pas, ces attentions, c'est une, 
insulte ! — et la tentation de laisser cou- 
ler les pleurs d'attendrissement que je 
sens embuer mes yeux... 



ADIEU, TRANCHÉES ! 36 



CHAPITRE V 



L'ESPRIT DE L'ARRIÈRE 

Dès l'arrivée à Rosnes, Y « esprit de 
Tarrière » opère. Une tournée que je fais 
à travers les cantonnements de la compa- 
gnie ne me laisse à ce sujet aucun doute. 

Deux caporaux, tous les deux jaloux 
de la « bonne place » dans un coin de 
grange, s'injurient à plein fiel. Un de me» 
hommes, qui vient d'avoir avec la maî- 
tresse de la maison une explication ora- 
geuse au sujet d'une botte de paille, 
explique à son escouade que « on serait 
mieux reçu que ça par des Boches. » Et 
quelle tempête de protestations et de 
clameurs quand les émissaires envoyés à 
travers le bourg reviennent en annonçant 
qu'il est impossible de trouver du pinard I 

— Pas de pinard ? Alors quoi, c'est la 
crève ! Bien la peine de « rauguementer » 
le prêt si on ne peut pas seulement boire 
un litre ! Tout ça, c'est des coups montés 
eontre le pauvre troubade... 



.Tf- 



• -s. 



36 CEUX DE VERDUN 

OÙ sont-ils, nos poilus des tranchées, si 
doux, si résignés, si soumis, si frater- 
nels ! 

Aux tranchées, le soldat n'est plus un 
homme, c'est un saint, selon le mot très 
juste de Barres. Qu'importent les petites 
défaillances et les petites erreurs, pous- 
sières qu'a laissées dans sa fuite un passé 
fangeux ? Il n'est pas de forme plus 
sublime de la sainteté que le martyre 
accepté librement. 

Mais une fois les tranchées quittées, 
quand l'éclair des fusées disparaît à Tho 
rizon, quand le tonnerre du canon s'as- 
sourdit en murmure, les cerveaux se 
détentent et les cœurs se desserrent. En 
même temps qu'il essuie aux gazons de la 
route la boue de ses souliers, le soldat 
chasse d'un mouvement brusque de la tête 
la pensée de la mort et son cortège de 
réflexions moroses. 

Et le voilà redevenu le pauvre roseau 
de jadis, courbé par tous les vents, secoué 
par toutes les vagues. 

Alors, l'épreuve de la guerre aura été 
sans objet ? C'est en vain que seront 
morts tant de braves gars, en vain que 



ADIEU, TRANCHÉES ! 37 



tant de soujBfrances auront été subies et 
tant de larmes répandues ? Les hommes 
que rendra la guerre seront pareils à œux 
que la guerre avait pris ? 

Dans l'ordinaire de la vie, oui, ils 
seront pareils. Songez au furieux assaut 
qu'ils vont subir, à leur retour, de tout 
l'arrière coalisé ! 

Les vieilles préoccupations les atten- 
dront à la gare et les accompagneront 
jusqu'à leur demeure. Chaque caillou 
heurté par leurs pieds libérera un vieux 
préjugé. Dans les poches de leurs bourge- 
rons ou de leurs redingotes, ils retrouve- 
ront leurs vieux intérêts, leurs vieilles 
rancunes. Leixr entourage qui, lui, sera 
demeuré sans changement, n'aura pas de 
cesse qu'il n'ait éteint la flamfiie de leurs 
yeux et fondu au creuset de la banalité la 
gravité de leurs visages. 

Mais au fond de chacun, dans cette 
partie de l'être inaccessible aux regards, 
se recueilleront et se réserveront les dis- 
positions d'esprit dues à la guerre : une 
plus grande largeur d'idées, un plus 
grand amour des hommes, une soif moins 
ardente du gain en même temps qu'un 

4 



38 CEUX DE VERDUN 

goût plus vif pour Taction, une plus 
grande résignation aux misères, un senti- 
ment plus grand de la responsabilité, une 
plus grande simplicité, moins d'orgueil, 
et, dominant la vie entière, une plus 
grande bonne volonté. 

Cette bonne volonté se manifestera sur- 
tout dans les circonstances exceptionnel- 
les, alors que quelque grand sentiment 
étant en jeu — intérêt du pays, honneur 
de la famille — l'ancien poilu se trouvera 
subitement replongé dans l'atmosphère de 
la tranchée, un matin d'attaque. 

Jamais il ne sera fait un vain appel 
aux nobles sentiments d'un homme qui 
aura tant de fois regardé la mort en 
face : que sonne à nouveau la charge et 
vous le verrez de lui-même bondir an 
parapet. 



ADIEU, TRANCHÉES ! 39 



CHAPITRE VI 



LA GROGNE 

En attendant, V « esprit de Farrière » 
fait des siennes. La mauvaise humeur des 
hommes, née du manque de pinard, 
s'exaspère de toute la pluie qui s'entête. 
Il faut, pour calmer l'orage, la nouvelle 
qu'un repos complet de huit jours est 
accordé au régiment. 

Qui a répandu cette nouvelle ? Qu'im- 
porte ? Elle fait plaisir, donc elle est 
vraie. 

Mais bientôt, à la joie succède la stu- 
peur quand une autre nouvelle arrive, 
officielle celle-là, que dès le lendemain 
matin, toute la journée, et toute la jour- 
née du surlendemain, le bataillon en 
entier procédera au nettoyage à fond et à 
la remise en état des armes, des effets et 
du cantonnement ! 

. Tels sont les ordres formels du chef de 
bataillon, le commandant C 

Quelle désillusion dans les yeux ! 



40 _ CEUX DE VERDUN 

Quelle amertume au coin des lèvres ! 
Comme il est froissé profondément en 
tous ces hommes le sentiment de la jus- 
tice ! 

Si le Ciel prêtait l'oreille aux malédic- 
tions humaines, nul doute que le com- 
mandant C et tous ses officiers 
ne soient incontinent précipités dans le 
plus profond des Enfers ! 

De cette mauvaise humeur des échos 
assourdis me parviennent : 

— Combien qu'ils touchent de Guillau- 
me, les officiers, pour nous em... ? 

■^— Je voudrais qu'on lui foute le balai 
dans les mains au commandant : il ver- 
rait si c'est rigolo. 

— Le balai ? penses- tu ! qu'on l'oblige 
à ramasser la boue avec ses pattes : c'est 
tout ce qu'il mérite !... 

Que la censure ne s'offusque pas de ma 
franchise ; ces propos, il était nécessaire 
de les recueillir ; eux seuls donnent leur 
véritable physionomie aux poilus de "Ver- 
dun. 

Les soldats de cette guerre, à qui des 
efforts surhumains sont demandés, ne 
sont que des hommes... On est tenté de 



ADIEU, TRANCHÉES ! 41 

l'oublier parfois, à l'arrière ; on a ten- 
dance à les considérer comme d'une 
essence spéciale, et d'instinctives ingrati- 
tudes s'en autorisent pour leur dénier une 
part-de la reconnaissance qui leur est 
due. 

J'ai pensé — me suis- je trompé ? — 
que ces soldats se dresseraient d'autant 
plus grands à vos yeux dans la bataille, 
d'autant plus, admirables dans leur 
héroïsme, qu'il vous apparaîtraient, au 
courant des heures, plus simples, plus 
himibles, plus soumis aux misères de 
leurs frères les hommes... 



42 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE VU 



LE COMMANDANT C. . . 

Petit, sec, nerveux, tanné, animé d'tin 
mouvement perpétuel, la parole brève, 
amoureux du panache, tel était le com- 
mandant C , chef du troisième 
bataillon et le dernier mousquetaire. 

A la moindre contrariété son œil s'al- 
lumait, son sourcil se fronçait, sa tête 
brusquement rejetée en arrière pointait 
en avant une barbiche acérée comme une 
lance. 

Dès son premier contact avec nous, en 
juillet 1915, au Bois-Brûlé, il nous glaça 
par la dureté de son regard, par la minu- 
tie de ses exigences. Nos travaux les 
mieux étudiés, il les trouva ridicules, et 
dégoûtantes nos tranchées les mieux 
entretenues. Il s'offusquait de deux sacs à 
terre mal alignés sur un parapet, d'une 
allumette à demi-consumée, jetée à terre 
par un fumeur ! 

Il fut admis, dans tout le régiment, que 



ADIEU, TRANCHÉES ! 43 



« ce pauvre troisième bataillon n'avait 
pas fait le bon chopin ». 

Maïs des hommes de la 12* ayant été 
blessés, on vit le commandant se précipi-' 
ter au poste de secours^ prodiquer les 
encouragements et le Champagne. 

Mais qu'un bombardement éclatât, de 
ces bombardements du Bois-Brûlé qui 
allumaient le ciel, pétrissaient le sol et 
éteignaient la volonté au cœur des plus 
intrépides, et le commandant, sortant de 
sa çagna, s'en allait par la tranchée : 

— Regardez, lieutenant (il enflammait 
une allumette — Baoum ! boum !) C'est 
ainsi qu'il faut faire (il allumait sa ciga- 
rette — Baoum ! boum !) pbur donner 
aux hommes l'exemple {il jetait le tison 
par-dessus le parapet — Baoum! boum !) 
de la propreté méticuleuse ! 

Et il y eut La Louvière, et il y eut Tête- 
à- Vache, et il y eut Douaumont, et un 
grand cœur se dévoila, une âme ardente 
nous devînt familière, nous connûmes le 
brave homme et l'homme brave, et quand 
il nous quitta, blesse gravement devant 
Verdun dans un héroïque coup de folie, 
ce fut en nous comme un grand vide : le 



^•K'*'-. 



44 CEUX DE VERDUN 

> ■ I ■ y ■^■l . ■ — ■■* WÉ.^. » Il II ■■ ^m. , m II . ■■ ■ I I ■ ■■ ■ M i ■.!■■ . ■ ■ ■ — ^— ^■»^— M^iW^W^— ^M^^^— t 

bataillon avait perdu son chef, les soldats 
avaient perdu un père et les officiers un 
ami. 

Ah ! il Taimait son bataillon ! il en 
était fier ! 

Longtemps il caressa Tespoir de le 
doter d'un fanion spécial, d'un fanion 
pour lui tout seul, qui eût été comme une 
réplique du drapeau. Quelle devise avait- 
il imaginée pour ce fanion, il ne m'en a 
jamais fait confidence, mais s;il avait osé 
je sais bien celle qu'il aurait choisie : 
« C'est nous les g-as du 3* bataillon, les 
poilus du commandant C ! » 

Il avait une façon de dire : « Mon ba- 
taillon » qui signifiait : « Il est à moi, ce 
bataillon-là, à moi, vous entendez, à 
moi ! » et quand, au cantonnement, après 
quelque manœuvre réussie, il rentrait à 
cheval à la tête de ses hommes, tambours 
battants et clairons sonnants, un tel con- 
tentement illuminait son visage que 
Napoléon seul et nul autre dut connaître 
pareil orgueil au défilé des cinq cent 
mille grognards de sa Grande- Armée ! 

Mais, Seigneur, quel homme difficile à 
satisfaire ! 



ADIEU, TRANCHÉES f 45 

Cette expression académique est mise 
ici pour une autre, qui s'échappait mal- 
gré nous de nos lèvres, dans nos moments 
d'impatience, expression beaucoup plus 
concise et beaucoup plus énergique, dans 
laquelle il était fait allusion à cet instru- 
ment qui sert à couper la barbe... 

Que. le commandant C me 

pardonne, q^i sait la respectueuse affec- 
tion que je lui ai vouée... 

Quand il arrivait dans un secteur nou- 
veau, tout lui était matière à critique. 

En a-t-il f îait rectifier de ces créneaux ! 
et déplacer de ces gabions ! et dessiner de 
ces pare -éclats ! et creuser de ces pui- 
sards ! et approfondir de ces boyaux ! et 
renforcer de ces caillebotis ! et étayer de 
ces cagnas ! 

Sa marotte, je Tai dit, était la pro- 
preté des tranchées. Un ami intime à moi, 
très intime, lui avait prêté cette devise, 
' imitée de celle de Joffre : « Tenir !... les 
boyaux propres. » Boyaux et tranchées, il 
les voulait impeccables comme un parquet 
et si, après une pluie, ses belles bottines 
noires lui revenaient de la promenade 
maculées de boue, son humeur, eh bien. 



46 CEUX DE VERDUN 



dame, son humeur, je ne vous dis que 

ça ! 

Ignorant de la fatigue, il promenait à 
toute heure du jour et de la nuit, sur le 
secteur dont il avait la garde, son regard 
inquisiteur. On le croyait endormi et il se 
précipitait sur vous comme une tempête ; 
on l'avait vu se mettre à table, et cinq 
minutes après il vous dégringolait sur le 
dos comme une avalanche. 

Ce rat qui grignotait dans l'ombre, ce 
ruisselet qui chantait en suivant la pente 
de la tranchée, ce paquet de branches 
mortes qui frémissait au vent, c'était lui ! 

Et toujours ces sévères « pourquoi ? » 
qui fouillaient votre conscience, et tou- 
jours cette terrible barbiche prête à vous 
transpercer ! 

En vain vous efforciez-vous à ses moin- 
dres désirs, en vain reculiez-vous les bor- 
nes de la bonne volonté, en vain entassiez- 
vous prodiges sur prodiges : du bout de sa 
canne il amenait sous vos yeux um mor- 
ceau de pain traînant dans une encoi- 
ignure, ou il vous montrait une tache de 
rouille sur le fusil d'un guetteur, ou il 
découvrait, parmi oent gabions correcte- 



ADIEU, TRANCHÉES i 47 

ment corsetés, le seul qui n'eût pas son 
armature en fil de fer. 

Et alors, vous étiez prêt à jeter le man- 
che après la cognée et le découragement 
faisait toc ! toc ! à votre porte. 

Et alors, tout soudain, le visage fermé 
du commandant s'ouvrait au sourire, sa 
main s'avançait vers la vôtre, large et 
chaude ouverte, et un inattendu : « C'est 
bien quand même ! » venait vous récom- 
penser de vos peines... 

En même temps qu'il s'occupait de l'or- 
ganisation des défenses et de l'installa- 
tion des hommes, le commandant ne s'ou- 
bliait pas lui-même. Il ne voulait pas 
admettre qu'il ne pût pas avoir, en pre- 
mière ligne, le même confort que dans son 
appartement de Vincennes. Sur les fon- 
dations de la vieille cagna jetée bas, il 
faisait édifier une bâtisse neuve. Nulle 
ligne irrégulière n'était toisée, nulle 
faute de goût ou de mesure. Des bois 
sculptés ornaient la porte. Une élégante 
et solide inscription indiquait pour les 
siècles futurs le nom de la villa et celui de 
Tarchitecte. 

L'intérieur répondait à ces promesses. 



48 CEUX DE VERDUN 

Un papier peint, aux teintes délicates, 
cachait le sapin des lambris. Les vitres ne 
pouvant résister au bombardement, un 
papier transparent habillait les fenêtres. 
Des étagères artistement ouvragées s*or- 
naient de bibelots. Chaque objet occupait 
sa place ainsi qu'un soldat discipliné. 

Alors, partis les menuisiers, congédiés 
les peintres, quand rien ne clochait plus 
dans le bel appartement neuf, le comman- 
dant C sortait d'un coffret des 
photographies et, les disposant^ devant 
lui sur sa table : 

— Maintenant, disait-il. Elle peut 
regarder : le cadre est digne d'Blle. 



DEUXIÈME PARTIE 



LA VEILLEE DES ARMES 



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ku^i^k-Mi^Sk 



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LA VEILLÉE DES ARMES 61 



CHAPITRE V' 



PREMIERS TONNERRES 

Des travaux, des exercices, des revues, 
des manœuvres... 

Ainsi coulaient nos heures et une 
grand paix succédait en nos âmes à la tré- 
pidation et à l'inquiétude apportées des 
tranchées. 

Cette paix ne fut pas l'œuvre d'un seul 
jour. L'homme a l'habitude de la souf- 
france beaucoup plus que du bonheur. 
Sans presque d'efforts, le soldat novice, 
Jeté dans la bataille, prend son parti des 
dangers et des privations de son nouvel 
état. Mais qu'on le retire de la fournaise 
et il sera comme hébété, il ne pourra 
croire à ce revirement de la fortune enne- 
mie, et il lui faudra du temps et de la 
volonté pour se remettre aux habitudes 
perdues. 

L'accoutumanoe vint cependant. Nous 
finîmes à force de bien-être et de tran- 



52 CEUX DB VIRDUN 



^ 



quillité par trouver naturelle notre vie de 
caserne en arrière de la ligne enflammée 
oii se battaient les camarades. 
En souriant nous nous disions : 

— Il paraît que TEtat-Major nous a 
oubliés. 

Ou bien : 

— Nous sommes désignés pour occuper 
l'Allemagne quand la paix sera signée ! 

Mais, un matin, voici qu'une explosion 
formidable, venant de Verdun, secoue le 
sol et fait trembler les vitres des fenêtres. 

Que s'est-il passé ? Diverses explica- 
tions circulent. La plus plausible, celle du 
moins que nous voulons trouver la plus 
plausible, car elle ne porte pas atteinte à 
notre quiétude, est qu'un camion chargé 
d'explosifs a pris feu près de Villers. 

Mais le lendemain retentit une explo- 
sion semblable, puis d'autres le surlen- 
demain. Et les réfugiés arrivent, fuyant 
l'inondation germanique... 

La bataille de Verdun est commencée. 




r • 



LÀ VEILLEE DES ARMES 53 



CHAPITRE II 



LES RÉFUGIÉS 

C'est un soir, en rentrant de Texercice, 
que pour la première fois nous voyons la 
grande rue de Rosnes emplie de char- 
rettes : convoi de réfugiés que l'autorité 
militaire, prévoyant une offensive enne- 
mie, dirige vers l'intérieur. 

Il n'y a là que des gens de la campagne. 
Les citadins ne s'embarrassent pas de 
tant de futilités : quelques souvenirs d3 
famille, quelques objets précieux, quel- 
ques bibelots, de quoi remplir une malle, 
deux valises, trois ou quatre petits 
paquets à main, et en route pour la gare ! 

Mais les campagnards ont dans le sol 
les mêmes profondes racines que les chê- 
nes de leurs collines. Dans leurs charrettes 
et leurs carrioles ils ont voulu faire tenir 
la ferme tout entière. 

Voici la machine à coudre de la fille 
aînée, une horloge, une table, un fauteuil 



54 CEUX DE VERDUN 

à ramages orgueil du logis abandonné, un 
sac de pommes de terre, des bottes de foin 
pour les chevaux, un panier aux œufs 
débordants, des poules et des canards 
accouplés par les pattes avec des liens de 
paille, et jusqu'à une pièce dépareillée de 
je ne sais quelle machine agricole ! Un 
veau suit à l'arrière, une longe au cou. 

Ont-ils les citadins, la même instinc- 
tive attache au sol que ces campagnards 
rudes et fermés ? Peut-on prétendre qu'on 
aime son pays si on ne possède pas à soi, 
en propre, un morceau de la terre pa- 
triale ?... 

Parfois, autour de moi, j'entends l'un 
des paysans berrichons qui m'entourent 
émettre cet avis qu'on ne rencontre aux 
tranchées que des « bounhoumes ». 

Bounhoume, bonhomme, Jacques Bon- 
homme... 

Oui, Jacques Bonhomme, c'est toi plus 
que tout autre qui défends la terre de 
France. Cette terre sera à toi doublement 
après la guerre et à qui essaiera de l'ou- 
blier 

(censuré) 



LA VEILLEE DES ARMES .^i> 



Je n'ose regarder aux yeux œs réfugiés 
dans la crainte d'une souffrance commu- 
nicative... Mais non. Un peu d'effarement 
se lit aux regards, mais nulle détresse. 
Les regrets viendront plus tard, au souve- 
nir de la maison ruinée et des champs 
ravagés. Aujourd'hui, les réfugiés se 
livrent tout à la joie d'être sortis sains et 
saufs de la fournaise. 

Et les enfants, heureux du voyage im- 
prévu, qui rient de si bon cœur ! 

A l'appel du maire, les habitants de 
Rosnes s'empressent : la plupart couche- 
ront par terre pour céder les lits à leurs 
hôtes. Les réfugiés qui ne peuvent trou- 
ver place dans les maisons demandent 
aux soldats une place près d'eux sur la 
paille... 

Quand, le lendemain matin, je visite 
les granges, je vois un poilu en train de 
bercer un bébé ; un autre joue à la poupée 
avec une fillette. 

Celle-ci a l'âge de ma petite Solange. 
Par la pensée, je lui donne le visage de 
ma fille. Voici ses grands yeux, étonnés 
du spectacle imprévu, avec une larme 
toute prête au bord des cils ; voici ses 



) 

1 



^ 



56 CEUX DE VERDUN 



longs cheveux bouclés où s'est accrochée 
la paille de la couche improvisée. 

J'imagine ma fille, pareillement chas- 
sée de la maison paternelle par l'invasion, 
je la vois errant sur les routes, en haut 
d'une charrette, exilée en sa propre 
patrie, et de colère soudain mon cœur se 
gonfle... 

Les consignes de route portent que les 
convois de réfugiés ne doivent pas demeu- 
rer au même cantonnement plus de vingt- 
quatre heures. Dans la journée, ceux-ci 
vont repartir, d'autres les remplaceront 
ce soir, et d'autres encore demain. 

Le canon de Verdun tonne sans relâche 
et sans relâche il pousse vers nous les 
troupeaux lamentables... 

Une jeune réfugiée me fait ses confi- 
dences : 

— Si vous saviez comme c'est horrible ! 
Juste la veille de notre départ, un énorme 
obus est tombé sur la grange et a abattu 
tout un pan de mur. Et moi qui ai oublié 
d'emporter mes livres de prix auxquels je 
tenais tant ! Pensez-vous que je les 
retrouverai après la guerre ?... 

Pauvre et naïve enfant, de quoi fin- 



s 



LA VEILLÉE DES ARMES 57 

quiètes-tu là ! Attends que la bataille ait 
pétri en ses mains rageuses ton village, et 
retourne le voir !... 

De réglise à la plus liumBle demeure, 
tout sera rasé ! Avec les meubles, les cui- 
siniers auront allumé leurs feux. Tes 
livres auront occupé les Içisirs de quelque 
soldat, puis, au feu également. Les solives 
des plafonds étayeront quelque abri sou- 
terrain. Les pierres mêmes auront dis- 
paru, emportées par les combattants pour 
renforcer leurs travaux de défense... 

L'ange aux ailes noires pourra venir et 
semer le sol de la malédiction. Car les rui- 
nes mêmes auront péri. 



^^ 



68 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE m 



LA ROUTE QUI MARCHE 

La grande route de Paris à Verdun 
passe par Rosnes. Aux premiers jours de 
notre arrivée, l'animation de cette route 
gardait quelque mesure ; mais, dès les 
premiers tonnerres de Verdun, ses con- 
vois se mettent à rouler, à gronder sans 
arrêt. 

Nuit et jour la chaîne immense se 
dévide, formée de camions, d'ambulances, 
de caissons, de canons de tous calibres, de 
voitures de ravitaillement, d'autobus 
chargés de troupes. 

Dépassant les charrois qui vont le nez 
au sol, les voitures d'état-major courent le 
long des routes, bergères actives du 
troupeau lourd. Elles portent en guise de 
houlettes de coquets drapeaux bariolés et 
quand les bœufs s'attardent au milieu de 
la route, elles tirent de leurs trompes des 
sons rageurs qui claquent sur le sommeil 
des bœufs, comme des coups de fouet. 



LA VEILLÉE DES ARMÉS 59 

Le mouvement ininterrompu agit sur 
nous comme un aimant. Notre inaction 
pèse à nos épaules. Une curiosité nous 
vient de savoir ce que cachent les collines 
à Tabri desquelles le bourg tapit sa quié- 
tude. 

Qu'y a-t-il de vrai dans ces bruits 
qu'apporte le vent ? Le Kronprinz a-t-il 
vraiment massé devant la forteresse les 
meilleures troupes de l'Empire ? Les 
Boches se préparent-ils pour la ruée 
suprême, celle qui doit les hisser au 
triomphe ou les précipiter dans la 
débâcle ?... 

Et la route roule toujours. Formidable 
est l'impression de puissance que dégage 
ce roulement sans heurt, sans à-coup. Il 
semble que toutes les forces vives de la 
France se précipitent à la ligne menacée. 

Des régiments passent à pied, qui n'ont 
pu trouver place dans les camions. 

Leurs capotes neuves, leurs équipe- 
ments soignés, indiquent qu'ils viennent 
d'un long repos. Cependant, ils tiennent à 
arrêter nos effusions intempestives. A 
notre far niente insultant répondent 
leurs sarcasmes vengeurs : 



60 CEUX DE VERDUN 



— Ohé ! les embusqués ! vous vous la 
coulez douce, hein ? Dis donc, Zidore, 
r'garde voir ces binettes, si c'est gras ! 
V'ià au moins six mois qu'on les garde à 
Tengrais. Voulez-vous bien vous cacher, 
tas de feignants ! 

De ces aménités, nos hommes ne son- 
gent pas à se formaliser. Ils savent 
qu'elles sont de rigueur entre troupes en 
marche et troupes au repos. Eux-mêmes, 
quand ils seront partis, dans quelques 
jours, ils distribueront sur leur passage, 
aux camarades accourus pour les voir, des 
aménités semblables. 

Un matin, défile un bataillon de tirail- 
leurs marocains. Nous admirons leur 
tenue martiale ; nous nous étonnons de 
leurs visages si semblables aux nôtres. 

Le lieutenant Vignaud près de qui je 
me trouve, développe sur ce thème quel- 
ques idées vraiment profondes. Je re- 
grette de n'avoir pas assez présentes au 
souvenir ses théories sur « le grand 
nivellement que fera la guerre par-dessus 
les races qui se seront mêlées dans la tour- 
mente »... 

Le bataillon fait halte à la sortie du 



LA VEILLEE DES ARMES 61 

village, les tirailleurs se précipitent vers 
nous avec leurs bidons : 

— Dites donc, les poteaux, où est-ce 
qu'on vend du pinard dans le patelin ?... 

Les Marocains viennent en droite ligne 
du bled de TIle-de-France ! 



6 



62 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE IV 



L'ALERTE 

Le 21 février, au crépuscule tombant, le 
chef de bataillon fait demander au châ- 
teau les commandants de compagnie. Le 
capitaine Blanchot est parti en permis- 
sion depuis plusieurs jours et comme je 
commande la compagnie en son absence, 
je me rends à la convocation. 

Les lieutenants Dubourgdieu et Paquet 
sont arrivés déjà ; le capitaine Terlaud 
mé suit à quelques pas: nous voici au com- 
plet dans la grande chambre à coucher où 
le commandant C nous reçoit. 

La cheminée monumentale déborde de 
bûches incendiées ; Tabat-jour de la lam- 
pe plaque sur la table une lumière aveu-v 
glante, tandis que les angles de la pièce se 
perdent dans une pénombre'indécise. 

Décor familial, chaude atmosphère de 
paix. 

Les paroles du commandant ne s'har- 
monisent guère avec ce décor. 



LA VEILLEE DES ARMES 63 

« Ce que nous réserve exactement l'ave- 
nir, Dieu seul le sait, mais Thorizon est 
gros de nuages. Il faut que les hommes 
préparent immédiatement leurs sacs, 
qu'ils nettoient les cantonnements et 
qu'ils se tiennent prêts au premier signal. 
L'ordre de départ ne saurait tarder... » 

Nous sortons. 

A l'autre bout de la rue, le clairon 
sonne le rappel des promeneurs. Les hom- 
mes se hâtent vers les granges, et comme 
ils sont inquiets de cette alerte, ils gar- 
dent le silence. Le silence persiste après 
que j'ai transmis les ordres du comman- 
dant : on a besoin de se familiariser avec 
la situation nouvelle. 

Pendant que mon ordonnance boucle 
ma cantine, je vais faire mes adieux à 
lîéglise de Rosnes : j'éprouve moi aussi le 
besoin de me recueillir. 

Mon courage devant la bataille n'est 
pas un de ces sentiments naturels qui 
croissent d'eux-mêmes sur un instinct 
comme les mûres sur les haies des sen- 
tiers : il me faut l'arracher des entrailles 
de ma volonté à coups d'exhortations et de 
syllogismes. C'est pour cela qu'il est si 



64 CEUX DE VERDUN 

hésitant et si débile ; c'est pour cela qu'il 
me faut le tenir continuellement en lisiè- 
res : 

« Pourquoi suis- je au 95* ? Les raisons 
qui m'ont mené là existent-elles toujours ? 
Suis- je, autant que l'année dernière, 
comptable envers ma petite fille, mes 
neveux et mes nièces de l'héritage de paix 
et de bien-vivre que m'ont légué mes ancê- 
tres ? En admettant qu'une fée toute- 
puissante vienne me dire : « Un mot de toi 
et je t'enlève aux combats qui s'annon- 
cent, et je te transporte à l'autre bout de 
la France », que me commande, non pas 
le devoir, non pas l'héroïsme, mais mon 
intérêt bien compris ? Que dois- je faire 
pour mériter mon estime ? Quelle solution 
s'avère la meilleure, même au seul point 
de vue hunïain, entre une mort prématu- 
rée, en plein sacrifice, et ♦une existence 
prolongée à coups de compromissions et 
de lâchetés ?... » 

Peu à peu se calment les mouvements 
tumultueux de mon cœur et cette pensée 
de saint Alphonse de Liguori, que je relis 
en tête de mon carnet de route, achève 
l'œuvre de ma paix : 



it.1.^ 



LA VEILLÉE DES ARMES t)5 



« Quiconque, dans un péril de mort, 
fait un acte de parfaite conformité à la 
volonté de Dieu, et prend ainsi sa part du 
martyre de Jésus- Christ, celui-là doit se 
tenir lavé de toute souillure et assuré de 
son salut, eût-il commis à lui seul tous 
les péchés de la terre. » 

En sortant de l'église, je rumine les 
mots que je vais dire dans les granges 
pour dissiper les appréhensions que j'ai 
laissées derrière moi tout à l'heure. J'ar- 
rive... Que font les hommes ? ils chantent! 

Quelques minutes ont eu raison de leurs 
inquiétudes. L'approche du péril les a 
rendus soldats de l'avant et ils ont, d'un 
seul coup, dépouillé les misères du repos. 
Les ordres des caporaux sont exécutés 
sans murmure. Quiconque a besoin d'une 
aide pour rouler une couverture, chercher 
dans la paille un objet égaré, voit aussitôt 
dix concours qui s'offrent. Deux « enne- 
mis » qui avaient conçu l'un pour l'autre, 
à la suite d'une manille orageuse, une 
haine farouche destinée à durer toute la 
campagne, fraternisent devant un bidon 
de pinard. 

J'ai retrouvé mes gars du Bois Brûlé, 



66 CEUX DE VERDUN 

ru 1 I TT — ■ - ' " ■ ' "" -• — — ^ — • 

mes gars des tranchées d'Apremont. La 
menace de la mort a lavé d'un coup toutes 
les taches, effacé tous les plis, et voici la 
large page blanche où vont s'inscrire en- 
core, je le pressens, tant de belles choses. 

O guerre ! comment peux-tu être à la 
fois si répugnante et si magnifique ? Le 
sang de tes mains soulève mes nausées, 
mais ton front est couronné de roses odo- 
rantes et tes yeux rayonnent d'une telle 
candeur que la malédiction hésite au seuil 
de mes lèvres. Chef-d'œuvre de la lumière, 
miracle des ténèbres, quel nom te donner 
qui te peigne tout entière? Tu es. le champ 
clos des deux adversaires éternels, mais 
par la magie d'un mystérieux enchanteur, 
la force de l'un s'accroît de tous les coups 
qu'il reçoit, son sang devient plus vif et 
plus généreux à mesure qu'il s'échappe 
davantage... Comme je te mépriserais et 
comme je te haïrais, ô guerre ! si je n'a- 
vais pour toi tant de respectueux amour ! 



LA VEILLÉE DES ARMES 67 



CHAPITRE V 



LES ADIEUX 

Le lendemain, 22 février avant le soleil 
levé, un agent de liaison m'apporte Tordre 
de départ : « Nous nous mettrons en route 
à huit heures du matin ». 

Pendant que s'achèvent les derniers 
préparatifs, je vais dire adieu à mon hô- 
tesse. Nous avons signé la paix tous les 
deux, après la réception orageuse du jour 
de l'arrivée. Ses attentions délicates ont 
fondu ma mauvaise humeur. Et puis elle 
a un garçonnet de cinq ans : qui oserait 
en vouloir à la maman d'un de ces petits 
anges ? 

J'entre dans la grande cuisine où se 
tient la fermière. Nous parlons de Ver- 
dun, de la canonnade qui a persisté toute 
la nuit, de l'avancée ennemie que la 
rumeur colporte. 

— Vous allez courir de grands dangers, 
me dit la fermière. Que Dieu vous garde... 



68 CEUX DE VERDUN 

Je réponds je ne sais trop quoi. Je sens 
que certaines paroles devraient être dites, 
mais lesquelles ? 

M'excuser de l'algarade ? mais ce n'est 
pas moi qui ai ouvert les hostilités. 

Partir sur un adieu banal ? Mais j'au- 
rais l'air de n'avoir pas remarqué les 
efforts de mon hôtesse pour racheter la 
rudesse de son accueil... 

Tout à coup une inspiration. Je lui 
serre la main, et avant de tourner les ta- 
lons pour sortir de la pièce, je me penche 
vers elle et je lui donne sur chaque joue 
un. baiser sonore. 

L'espace d'un éclair, j'aperçois son œil 
rond où la stupéfaction transparaît... Je 
suis dehors... 

Tout à l'heure, pendant que je rassem- 
blerai mes hommes, je verrai, à travers les 
vitres de la ferme, deux yeux qui me re- 
gardent, et leurs regards me suivront tant 
que je n'aurai pas disparu au coin de la 
rue. (( Quel original ! » diront ces yeux, et 
ils diront aussi — que cette fatuité me 
soit pardonnée ! — ils diront aussi : 
<( Quel brave garçon ! » 



LA VEILLÉE DES ARMES 69 



CHAPITftE VI 



EN ROUTE 1 

La campagne, ce matin-là, disparaît 
sons nne conche' épaisse de neige. Un 
:A)leil éblouissant allume dans les buissons 
des incendies, et déverse par les champs 
tous les diamants de Golconde. 

Je marche en tête de la compagnie. 
Quand le chemin gravit une côte, je me 
retourne et je vois derrière moi la colonne 
qui s'allonge. Il, me semble que mes hom- 
mes et moi ne formons qu'un seul être et 
que mon corps se prolonge jusqu'au der- 
nier d'entre eux... 

C'est encore un des bienfaits de la 
guerre que cette mystérieuse fraternité 
des armes. 

Des hommes ne se connaissent pas ; ils 
viennent des quatre coins du pays ; leur 
éducation, leurs goûts, leurs intérêts les 
séparent. Or, ces indifférents, ces étran- 
gers, ces adversaires, on les immatricule 



70 CEUX DE VERDUN 

dans une même compagnie, dans une 
même section, dans une même escouade, et 
les voilà tout aussitôt frères de sang, unis 
par des amitiés dont la plupart ne se dé- 
lieront qu'à la mort. 

Les preuves d'affection qu'un frère de- 
mande à son frère dans le courant ordi- 
naire de la vie, quelle misère ! Il s'agit 
presque uniquement d'ime démarche 
ennuyeuse, d'un petit sacrifice d'amour- 
propre, d'une mesquine avance d'argent. 
Mais y a-t-il, dans une compagnie, im seul 
homme qui n'ait, vingt fois en une année 
de guerre, risqué sa vie pour _ses frères 
d'armes ?... 

De cette affection puis- je espérer que 
ma part m'a été conservée au cœur des 
hommes ? Je le voudrais si ardemment et 
qu'il y ait entre eux et moi un lien plus 
fort que celui de la discipline ! 

Je leur ai dit ce matin : « Suivez-moi ! » 
et ils me suivent. Demain, peut-être, je 
leur dirai : « Maintenant il faut mourir » ; 
et ils ^e feront tuer. 

Il me semble que, de chaque côté de la 
route, les mères, les femmes et les fiancées 
se sont rassemblées et me regardent : « Aie 



LA VEILLÉE DES ARMES 71 

pitié d*eux ! me disent-elles ; aie pitié de 
nous ! que chacun te soit comme un fils 
unique ! » 

Une responsabilité pareille pèse trop 
lourd aux épaules, si Tobéissance n'est pas 
la fleur librement épanouie d'une âme 
joyeuse et confiante... 

Cependant le soleil jette, en enfant 
prodigue, les trésors de son opulence ; le 
ciel est un dôme de brocard bordé de pour- 
pre ; les sapins chargés de neige enflam- 
mée luisent comme des candélabres gigan- 
tesques et la brise est douce ainsi qu'une 
haleine d'enfant. 

Mon Dieu, que tes œuvres sont belles 
pour qui se hâte vers le champ de 
bataille, et comme le moindre brin 
d'herbe a de magnificence quand c'est la 
mort qui l'offre au bout de sa main déchar- 
née ! 



...i^UI 



72 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE VII 



CARPE DIEM 

Nous arrivons à Pierrefitte de bonne 
heure. Mes hommes logés, les cuisines ins- 
tallées, je flâne à travers le bourg, en 
savourant, avec gourmandise, Texquis so- 
leil. 

Mais l'endroit n'est peut-être pas très 
heureusement choisi pour une promena- 
de ? Les convois d'artillerie se succèdent 
et se poussent nez à derrière. Les officiers 
d'état-major passent au grand galop de 
leurs automobiles. Les roulantes du ravi- 
taillement se croisent et s'entremêlent. 
D'une maison à l'autre, le tumulte déferle 
alimenté par les cornes des autos, le hen- 
nissement des chevaux, les plaintes des 
essieux, les grincement des freins, les cris 
des conducteurs, les imprécations des pié- 
tons. Et par dessus les mille clameurs, 
dominateur et souverain comme l'abrupte 
falaise au-dessus des vagues domptées» 
le canon de Verdun. 



r 



LA VEILLEE DES ARMES 73 

En route je croise le commandant C 
. Quelques instants il m'aborde. Par 
son front soucieux, par ses demi-confiden- 
ces, je devine que les nouvelles apprises 
par lui sont loin d'être rassurantes. 

Me faut-il donc ajouter foi aux ru- 
meurs sournoises, qui m'ont frôlé tout à 
l'heure ?... La guerre de mouvement que 
nous rêvions en partant de Rosnes, est-ce 
en arrière de nos lignes que nous devrons 
la faire ?... 

Je secoue cette pensée, comme une guê- 
pe importune, et je vais m'enfermer dans 
ma chambre. Ma chambre est vaste ; elle 
est claire ; le soleil chante à ses fenêtres ; 
un adorable portrait d'enfant me sourit 
au-dessus de la cheminée. 

Je sors de ma musette mes papiers et — 
carpe diem ! . . Je me mets à écrire un 
chapitre de ces mémoires. 

Carpe diem ! inévaluable trésor de la 
sagesse antique, berger diligent qui, fçr- 
mant le champ empoisonné de la fantai- 
sie, parques les événements et les êtres & 
leur place véritable, parmi le relatif et 
parmi l'éphémère. 

Un petit mot si modeste, un autre petit 

7 




74 CEUX DE VERDUN 

mot si banal, et tant de profonde philoso- 
phie ! 

Combien de fois, avec la baguette magi- 
que de œs deux humbles mots, n'ai- je pas 
calmé les mouvements tumultueux de mon 
cœur ! combien de fois n'ai-je pas, avec 
leur baume essentiel, cicatrisé mon imagi- 
nation large saignante ! 

Cette fois encore, la maxime inspirée, 
elle domptera mes chimères, elle leur met- 
tra le mors d'acier. Que m'importe de- 
main, et ses incertitudes et ses menaces ? 
En ce jour d'hui, aujourd'hui seul compte, 
Je suis assis dans un fauteuil ; devant 
moi, sur une table au tapis chatoyant, mes 
papiers épars pour la tâche aimée ; la 
chambre est vaste, elle est claire, le soleil 
rit à la fenêtre ; et vers cet adorable por- 
trait qui me regarde, d'eux-mêmes s'en- 
volent mes baisers... Carpe diem ! 



\ 



f: 




LX VEILLÉE DES AKMES 75 



CHAPITRE Vin 



DEMAIN.., 

Le soir, je vais dîner à la popote des 
officiers de la 5* compagnie, avec deux 
vieux camarades, le lieutenant Têtenoire 
et le sous-lieutenant Lacoffrette, comme 
moi enfants de Bourges. 

Ah ! ils le pratiquent tous les deux le 
Carpe diem ! Et que demain peut-être 
doive être jour de bataille, voilà qui peu 
leur chaut ! 

C'est à qui fera le plus de folies, à qui 
se lancera dans les plaisanteries les plus 
échevelées. Les deux jeunes femmes qui 
nous ont prêté leur cuisine et qui dînent 
avec nous arrivent à peine à manger deux 
bouchées, tant leurs éclats de rire succè- 
dent à leurs éclats de rire. 

Mais le régiment doit se mettre en 
route de bonne heure, le lendemain. Dès 
les dernières bouchées je prends congé. 

J'ai fait une centaine de pas, quand des 
appels derrière moi, une galopade : 



76 CEUX DE VBBDUN 

— Péricard eh ! Péricard 1 

Je reconnais la voix de Lacoff cette. Je 
me retourne. Lacoffrette s'approche de 
moi, me prend le bras, se penche à mon 
oreille, et mystérieux, ému, la voix trem- 
blée devant la confidence imprévue : 

— Dis donc, tu ne sais pas ?... la guerre 
est déclarée ! 

Puis il tourne les talons, et, dans un 
grand éclat de rire, il repart au galop. 

Pauvre Lacoffrette ! Tant de jeunesse, 
de belle humeur, de bravoure, de vie ar- 
dente, et trois jours après, une tombe au 
fond d'un entonnoir... 

Je rentre chez moi. Il gèle. La gelée a 
changé la neige battue en silex aigus. Ma 
chambre où le poêle est éteint depuis plu- 
sieurs heures distille la glace et l'humi- 
dité. 

En me déshabillant, je grelotte. Et je 
grelotte encore en me recroquevillant en- 
tre les draps mal séchés. 

Je sens que la maison se fait de propos 
délibéré inhospitalière. Je suis pour elle 
un intrus, l'hôte d'une nuit qu'on ne 
reverra plus demain. 

Demain ?... 




LA VEILLÉE DES ARMES 77 

Sur Verdun le canon tonne, tonne, 
tonne. Il a fait taire tous les bruits de la 
Journée et son tumulte emplit le silence... 

Où serai- je demain ?... 



f r . 



78 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE IX 



LA GROGNE 

Le lendemain, 23 février, à onze heure», 
le régiment quitte Pierrefitte. 

Les hommes se sont levés de bonnt 
humeur. Il y a de ces rafales de joie qui 
passent, venant on ne sait d'où. A peine 
dissipés dans l'excitation de la marche les 
frissons d'une journée glacée, voilà les 
rires qui fusent et les plaisanteries qui se 
croisent. 

C'est à dessein que je mets les plaisan- 
teries après les rires : quand des êtres, on 
très jeunes ou très simples, — des soldats, 
des enfants — sont de bonne humeur, ite 
rient d'abord, puis ils cherchent des mo- 
tifs à leur gaieté. 

Moi-même j'ai l'âme épanouie. Tout à 
l'heure le colonel m'a serré la mainà la sor- 
tie du bourg et m'a demandé de mes nou- 
velles en m'appelant : « « Mon brave Peri- 
oard !... » 



LA VEILLÉE DES ARMES 79 

En faut-il davantage pour que le cœur 
se dilate ?..• 

Mais des préoccupations bientôt assom- 
brissent l'atmosphère. 

Pourquoi notre allure s'accélère- t-elle ? 
Est-ce distraction de celui qui règle la 
marche ? ou la bataille qui gronde à l'hori- 
zon tourne-t-elle si mal pour nous que no- 
tre présence là-bas soit urgente ? 

Nous essayons de lire notre destin aux 
yeux soucieux du général Reibell qui 
longe à pied notre colonne, suivi de ses 
officiers d'ordonnance. 

Mais les mauvaises nouvelles de cette 
fin de février, nous ne les saurons que plus 
tard : la ruée des Allemands, le déluge de 
fer, la rupture de nos lignes, l'appel 
fait à notre brigade pour endiguer la 
marée... 

L'allure s'accentue sans cesse, et sans 
cesse s'allongent les intervalles à travers 
les haltes : c'est la marche forcée. 

Les dos se courbent sous les sacs trop 
lourds. Déshabitués de l'effort par une 
station de quinze mois aux tranchées, les 
pieds saignent. 

Un à un s'éteignent les rires ; puis. 



80 CEUX DE VERDUN 



après un silence lourd de tempête, voilà le 
tonnerre des récriminations qui roule. 

Tout est prétexte à crier : la précipita- 
tion de Tallure, les arrêts brusques causés 
par deux convois qui se croisent, l'empier- 
rement neuf qui blesse les pieds avec ses 
pierres aiguës, la boue que jettent en pas- 
sant, les automobiles trop pressées. 

Dans un champ en bordure de la route, 
des réfugiés ont arrêté leurs voitures 
avant de reprendre leur course vagabonde. 
Ils font la haie sur notre passage. Sans 
doute sont-ils heureux de nous voir accou- 
rir à leur défense car ils sourient. Mais la 
fatigue est mauvaise conseillère : ce sou- 
rire déplaît : 

— Hé ! les croquants, ça vous amuse 
que nous allions nous faire casser la gueu- 
le ? 

— Tu ne vois donc pas que c'est des 
Boches ? 

Et un autre, montrant une jeune femme 
qui berce un enfant dans ses bras : 

— Voyez-moi cette salope ; elle n*a 
même pas le cœur de débarbouiller son 
gosse... 

Je me rappelle l'accueil fait par ces 



LA VEILLIÉE DES ARMES 81 

mêmes hommes aux réfugiés de Rosnes. 
Tant de dévouement alors et aujourd'iiui 
tant de grossièreté !... 

Un peu d'apaisement vient aux mécon- 
tents de la vue des canons. Ils les caressent 
au passage, les 75 légers, les 155 court, au 
mufle mauvais. 

— Tu leur z'y soufleras au nez sur les ^ 
Boches, dis, mon vieux ; tu leur z'y entre- 
ras dans le chou ? 

Pour les seuls canons ils consentent à 
s'écarter, sans murmure, de leur route, à 
grimper, de leurs pieds douloureux, les 
talus, afin de laisser libre le passage. 

Nous traversons Récourt. 

De Recourt à Yillers la route est en 
pleine vue ennemie ; il faut, pour s'y en- 
gager, attendre la tombée du soir. Ce 
repos, bien accueilli d'abord, devient l'oc- 
casion de récriminations nouvelles : il fait 
froid et les dents claquent. 

A Villers, reta.rd encore ; le village est 
soumis au tir de l'artillerie ennemie. Les 
obus cherchent le pont, encadrent la route 
qui s'en va, de Villers à Dieue, en formant 
digue au milieu des prairies ; quand ils 
tombent dans la Meuse ou dans les marais, 



! CEUX DE VEBDUK 

I soulèvent des gerbes d'eau et de vase. 
Ordre est donné d'espacer les compa- 
lies, d'espacer les sections, afin de dimi- 
ler les risques de perte : il sera près de 
inuit quand nous arriverons à Somme- 
eue après une marche de treize heures 
r des routes couvertes de neige. 



LA VEILLÉE DES ARMES 83 



CHAPITRE X 



SOMMEDIEUE 

Les habitants du bourg sont endormis. 
Pour me faire ouvrir les cantonnements 
réservés à la compagnie je dois heurter 
des portes à coups de pied, frapper à des 
volets comme sur des tambours... 

Quand enfin tous mes hommes sont cou- 
chés sur la paille des granges, je me mets à 
la recherche de la maison indiquée par 
mon billet de logement. 

Les habitants, un instant réveillés, sont 
retournés à leur sommeil. A qui s'adresser 
dans la nuit et dans le silence ?... 

Ah ! une lumière. Je frappe. Les sous- 
officiers de la compagnie sont assis là, 
sous la lampe, en train de manger une 
bonne soupe chaude. La maîtresse de mai- 
son et ses deux filles s'affairent. Pendant 
que l'une fait le service de la table, une 
autre dore dans la poêle une omelette 
gigantesque ; la troisième lave les assiet- 
tes et remplit les bouteilles. 




84 CEUX DE VERDUN 

Je saurai le lendemain que cette femme 
est veuve, peu fortunée, et .qu'il fallut 
cependant user de subterfuges pour 
qu'elle acceptât un salaire ; aux soldats 
qui montaient se battre, elle eût de grand 
cœur donné tout son avoir et toutes ses 
peines. 

J'apprendrai, un peu plus tard égale- 
ment que deux jeunes filles, lectrices des 
A nnales, désireuses de saluer le soldat de 
Face à Vennemi, avaient décidé leur mère 
à se mettre avec elles à ma recherche. Elles 
ne me rencontrèrent pas, mais je tiens leur 
visite comme faite ; puissent-elles savoir 
un jour à quel point me fut précieuse leur 
sympathie en de pareilles circonstan- 
ces ! 

Enfin je trouve ma maison. Des sergents 
du génie font popote au rez-de-chaussée. 
Quand ils apprennent que nous devons 
nous diriger le lendemain sur Verdun, ils 
échangent entre eux des regards qui en 
disent long.... 

Je suis encore plongé dans le premier 
sommeil qu'un agent de liaison heurte à 
ma porte : l'heure du départ est avancée. 
Je saute à bas du lit. Déjà les cuisiniers 




LA VEILLEE DES ARMES 85 

$'empressent autour de la cuisine roulan- 
te. Mais le menu sera maigre... 

Je recueille quelques hommes de la 
compagnie qui rôdent hors des granges et 
avec eux je me précipite chez les commer- 
çants du bourg. Ma chance veut que j*ar- 
rive des premiers. Chez un épicier, je 
ramasse du chocolat, chez un autre des 
gâteaux secs. Mais c'est un charcutier qui 
me vaut ma plus précieuse découverte : 
seize énormes pâtés de tête de porc, un par 
escouade. 

— Comme ça, dit un des porteurs, on 
ne crèvera pas le ventre vide : c'est une 
consolation. 

Sur ces entrefaits le capitaine Blanchot 
arrive : Sa permission est terminée depuis 
plusieurs jours déjà, mais il lui a fallu 
courir de tous les côtés à notre recherche. 

Je lui communique les ordres, je lui 
détaille les comptes, et je redeviens chef 
de section. 



8 




TROISIÈME PARTIE 



AU CANON . 



^ 



i 



iiL^ 



r-T'- 



AU CANON ' 89 



CHAPITRE K 



LES « EMBUSQUÉS » 

A 9 heures du matin le régiment se met 
en marche. Dès les premiers pas, il devient 
évident que les hommes sont exténués par 
Teffort de la veille. Des jambes se traî- 
nent. Des pieds douloureux sautillent. 
Excepté pour la plainte et le gémissement, 
les bouches restent muettes. 

Or, ma section bénéficie id'im boute-en- 
train, Cagnot, lequel excelle à dérider les 
visages par ses facéties. Un de ses « numé- 
ros » a rencontré, la veille, un succès par- 
ticulier. Ce « numéro » consiste à jouer la 
bourrée avec les doigts sur la marmite du 
camarade qui précède, tout en chantant et 
en dansant sans sortir du rang, avec mille 
contorsions et mille grimaces. 

En passant près de Dieue, premier vil- 
lage après rétape, comme l'atmosphère 
morale s'assombrit de plus en plus, je 
erie : 



90 CEUX DE VERDUN 



— Cagnot, une bourrée I 

Cagnot s'exécute. Et voilà pour dix mi- 
nutes de détente. * 

Un peu plus loin, nouvel appel à l'ar- 
tiste. Cette fois l'artiste se fait tirer l'o- 
reille. Il obéit néanmoins ; mais sa 
chanson est moins convaincue et plus 
brève... 

Après Haudainville, mes efforts demeu- 
reront vains. Ni l'offre d'un paquet de 
tabac, ni la promesse d'un litre de pinard 
ne tenteront le pauvre Cagnot. Il est, com- 
me ses camarades, à la limite de son cou- 
rage, et pour me répondre, il se borne à 
faire non de la tête, le dos rond et les yeux 
au sol, avec une expression de bête four- 
bue. 

Des hommes, cantonnés dans les cha- 
lands qui s'alignent le long de la Meuse, 
nous saluent au passage et nous souhai- 
tent bonne chance. Ce sont des combat- 
tants comme nous ; ils étaient à Verdun 
hier ou ils y seront demain. Mais nos hom- 
mes ne s'arrêtent pas à cette pensée ; ils ne 
voient devant eux que des « embusqués ». 
Pourquoi ceux-là se reposent-ils pendant 
qu'eux-mêmes doivent s'écorcher lei 



AU CANON 91 



pieds sur les cailloux de la route ? Pour- 
quoi cette injustice du sort ? 

Leur bile s*exhale en apostrophes cin- 
glantes, en imprécations, en injures. 
Outrés de cette mauvaise foi, les « embus- 
qués » ripostent du tac au tac. Si le 95* se 
fait démolir à Verdun, ils en éprouveront, 
affirment-ils, une bien douce joie. 

J'écoute crier ces grands enfants et je 
souris à la scène tant de fois contemplée : 
je les connais trop pour me laisser prendre 
à leur colère. Et puis, pendant qu'ils s'ex- 
citent de la sorte, les pauvres diables 
oublient leurs fatigues. 

Nous approchons de Verdun. L'horizon 
est un cercle de tonnerres. Une haie d'in- 
quiétudes longe les deux côtés de la route. 
Les collines, là-bas, malgré le soleil 'qui 
resplendit,nous apparaissent enveloppées 
d'une brume menaçante. 



92 CEUX DE VERDUN 



CHATITRE II 



LA GROGNE 

Après une halte au carrefour de la route 
Verdun-Metz, nous prenons la formation 
de marche de guerre sur route, avec un 
quart d'heure d'intervalle entre les ba- 
taillons. Nous avons laissé à Houdainville 
la plus grande partie de nos impedimenta. 
Seuls, nous suivent les caissons de muni- 
tions, les voitures d'outils, les cuisines 
roulantes et les ridelles porte-sacs. 

La fatigue des hommes, un moment 
atténuée par le repos qu'ils viennent de 
prendre, se fait de plus en plus pesante. 
Les rangs se disloquent ; les sections s'al- 
longent ; les traînards commencent à 
jalonner la route. 

— Mon lieutenant, je ne peux plus por- 
ter mon sac. 

— Mettez-le sur la ridelle... 

Ce dialogue se répète de minute en mi- 
nute, et bientôt les ridelles débordent. 

Du haut de la colline qui domine Ver- 
dun je regarde serpenter le régiment sur 



AU CANON 93 



les l^ets de la route : la longue colonne 
^e donne, avec ses unités morcelées, Til- 
lusion d'une couleuvre gigantesque cou- 
pée en plusieurs tronçons qui continuent 
de palpiter... A peine formée en moi cette 
image, je hausse les épaules : 

— Ah ! oui ! il est bien choisi le mo- 
ment pour faire de la littétature ! 

Je note une détente à la descente du 
ravin mais la montée qu'il faut gravir de 
^'autre côté double d'un coup le poids de 
la fatigue. Les courroies de l'équipement 
se changent en pinces d'acier. Il semble 
que chaque pied en se posant à terre en- 
fonce dans le sol des racines vrillantes. 

D'habitude, les grognements de mes 
gars me font sourire. Je sais que les récri- 
minations et les malédictions ne compor- 
tent dans leur pensée aucune intention de 
récriminer ni de maudire. Ils les em- 
ploient comme un remède à tous les maux, 
par tradition, par habitude, sans bien 
réfléchir à ce qu'ils disent, comme ces sor- 
ciers de nos campagnes berrichonnes qui 
jnettent à leur merci tous les génies mal- 
faisants et toutes les forces adverses de la 
nature avec de mystérieuses formules ma- 



94 CEUX DE VERDUN 



giques qu'ils répètent sans les compren- 
dre. 

Mais ici, sous ce ciel grondant, les 
plaintes prennent une signification tragi- 
que. Mon cœur se serre à les entendre : 

— Sale métier ! 

Oh ! certes. Mais que direz-vous, oe 
soir, quand, à la fatigue du chemin, il 
vous faudra joindre l'épuisement de la 
bataille ; quand vos pieds, incapables de 
vous porter, devront courir au-devant des 
balles ? 

— Les chevaiujo on les ménage, mais 
nous !... Rien de plus juste. Il faut être 
un homme pour accepter les horreurs de 
la guerre. Ce n'est qu'à des êtres doués 
d'intelligence et de volonté qu'on peut 
demander l'effort d'un combat ; la station 
résignée sous l'averse des obus ; la ruée 
au-devant des baïonnettes croisées et de» 
couteaux tapis au coin des haies ; la ram- 
pée sur les corps rigides ou panieiants des 
camarades blessés ou morts. 

— J'aimerais mieux une balle dans la 
peau !,.. 

Patience ! Vous aurez toute la peine de 
la route, toutes ses montées, tous ses cail- 



AU CANON 95 



loux, et cela n'empêchera pas les balles de 
trouer votre crâne si un tel dessein vient à 
germer dans leur cervelle menue... 

Les hommes marchent, les jambes î-ai- 
* dies, le corps courbé en deux sous le poids 
de l'équipement, le menton collé à la poi- 
trine. Quand, parfois, ils relèvent la tête, 
c'est pour chercher mon regard, et je lis 
dans leurs yeux ce qu'ils veulent me dire : 

— Tu vois bien que nous n'en pouvons 
plus, que nous sommes à bout de forces. 
Pourquoi n'as-tu pas pitié de nous ? 

Oh ! si, j'ai pitié d'eux, mais que 
puis-je pour leur soulagement ?... Et cette 
compassion même va s'atténuant et s'im- 
précisant à mesure qu'aumente ma propre 
lassitude. 

Tout à l'heure, je n'aurai plus pitié 
d'eux, car il me restera tout juste assez 
de force pour m'occuper de moi. Et je ne 
serai plus qu'un mouton dans un trou- 
peau de moutons. Et je me traînerai sur 
la route, les pieds usés, le cœur doulou- 
reux, la bouche amère et la cervelle vide... 

— Ah ça ! me demande brusquement 
un de mes hommes dans un sursaut de 
rage, est-ce que c'est encore loin (censuré) 



CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE III 



LA HALTE 

trois heures de l'après-midi, les pre- 
■s éléments du 95", le colonel en tête, 
pent au carrefour Nord de Souville. 
après le général Reibell nous rejoint. 
DUS apprendrons plus tard que le gé- 
1 Reibell en quittant sa brigade le 
in à Sommedieue s'est rendu à Sou- 
... Là le général C lui a dévoilé 

e la gravité de la situation : les Alle- 
ds ont pénétré dans le bois des f os- 
les • et ' divisions, écrasées sur 
première position ont dû se replier 
la deuxième qui va de Samt^eux 
u'à Ornes ; la seule troupe disponible 
• arrêter rennemi est la • brigade ; 
ut que les deux régiments de cette 
ade s'engagent à fond, le plus tôt pos- 
i, en dépit des fatigues, jusqu'au der- 
homme si cela est nécessaire, - sans 



i que celle de mettre 
tacle à la poussée des 

)ell communique ces 
de B . Pendant 

; avons fait halte un 
irrefour. Les hommes 
UT les talus, tellement 
la plupart ils restent 
ent et les yeux clos, en 
les cadavres. 
t direction de Douau- 
inue de gronder sang 
( s'est rapproché brus- 
un canon apparaît, 
juis un autre, puis un 
mtôt les caissons, les 
3, les cuisines roulan- 
une interminable file, 
sont nerveux ; les bêtes 
sont épuisées ; les véhicules eux-mêmes 
paraissent exténués. C'est un fracas de 
jurons, de coups de fouet, d'essieux grin- 
çants. Beaucoup de fuyards vont tête nue. 
Dans les yeux se lit une épouvante ani- 
male et certains regards furtifs, jetés en 



CEUX DE VERDUN 

%, disent la peur de la poursuite 

)]e. 

xieusement je quête des nouvelles : 

Des nouvelles ? me répond un con- 
ur de roulante à l'uniforme indécis. 
sUes sont jolies, les nouvelles I Les 
is ont rompu nos lignes. On se bat 
le campagne. 

Toute une armée ennemie s'avanc« 
t un autre. Impossible de résister. 
> se sont mis dans la tête qu'ils vou- 

Verdun et (( ils » l'auront... 
1 caissons d'artillerie passent. Je 
îde à un maréchal des logis où sont 
ices de ces caissons : 
Là-bas, me répond-il sans se retour- 
sn pointant un doigt derrière son 

mots me serrent le cœur et je m'é- 

Pous ne voulez pas dire au moins 
DUS les avez abandonnées ! 
Oh non, soyez tranquille, ajoute le 
hal des logis avec une sombre iro- 
les ne sont pas abandonnées. Lei 
s les ont sûrement recueillies, 
rejoins ma section. Déjà mes hom- 



AU CANON 09 



mes oonnaîssent les mauvaises nouvelles. 
Ils se sont levés et parlent avec anima- 
tion. J'essaye de mettre en doute les ren- 
seignements fournis par les artilleurs. Je 
cite des cas analogues de bâtons flottants. 

On m'écoute, mais est-on convaincu ? 
J'en doute. Même les plus timides de mes 
hommes, même ceux qui osent à peine me 
parler d'ordinaire, je remarque qu'ils 
prennent part à la conversation, qu'ils 
discutent mes arguments, la voix aisée, le 
regard haut. L'approche du danger 
nivelle les distances ; ce phénomène, je 
Tai maintes fois noté, au cours de combats 
ou de bombardements particulièrement 
terribles. 

N'ai-je pas vu un caporal prendre le 
commandement de sa section, pendant 
une ruée à travers des ouvrages ennemis, 
les deux sergents étant présents ? N'ai-je 
pas vu un colonel accueillir les conseils 
d'un adjudant sur la meilleure façon de 
garder une tranchée conquise ? Et est-il 
une seule attaque au cours de laquelle je 
n'aie tutoyé mes hommes ?... 




100 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE IV 



EN AVANT 

Soudain un coup de corne du comman- 
dant C . Les hommes se rassem- 
blent et les ordres suivants sont communi- 
qués aux compagnies : 

« Le bataillon va se disposer en colonne 
de compagnies dans le champ à gauche de 
la route. Les faisceaux seront formés ; on 
prendra la tenue d'attaque : les vivres de 
réserve dans la musette ; les outils porta- 
tifs à la ceinture ; les toiles de tente et les 
couvertures en sautoir* Les havre-sacs 
seront laissés sur place sous la garde d'un 
planton. Cinq minutes sont accordées 
pour l'exécution de ces divers mouve- 
ments. » 

Alors, le moment redouté est venu ? 
Nous allons à notre tour, nous lancer dans 
la .bataille ?... 

vfé regarde les hommes avec une crain- 
te... Quelle impression va produire sur 



AU CANON 101 



eux cet ordre, après les fatigues accumu- 
lées de ces deux jours ? 

Mais je ne peux tout d'abord deviner 
leurs pensées. L'action les occupe. Ils des- 
cendent les talus, se rassemblent, se 
hâtent aux divers mouvements qui leur 
ont été prescrits. Et puis des problèmes se 
posent. Faut-il laisser dans le havre-sac 
qui va être abandonné tel ou tel objet, 
telles ou telles provisions de bouche qui 
peut-être seront bien utiles demain ? Ou 
faut-il se charger le plus possible au ris- 
que d'alourdir la marche ? 

Des hésitations, mais brèves, d'autant 
plus brèves qu'un shrapnell éclate soudain 
vers notre gauche puis un autre vers notre 
droite, près de la route : les projectiles 
nous encadrent. 

Vite les paquets sont roulés, nous nous 
formons en lignes de section par deux, et 
en avant, par dessus la route de Fleury, 
puis à travers la prairie, qui monte vers 
le bois de la Caillette... 




102 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE V 



MARCHE D'APPROCHE 

Le commandant G marche em 

tête du bataillon. Sa barbiche est a^^es- 
sive et sa canne est belliqueuse. 

Et les hommes ? 

Sont-ce bien les mêmes que tout à l'heu- 
re ? Plus de pieds boiteux. Plus d'épaules 
courbées. Plus de bouches crispées. Des 
jambes alertes, des corps droits, des yeux 
qui luisent. 

Qe signifie cette flamme dans les yeux ? 
Ma parole, on dirait de la joie ! 

Mais oui, c'est bien de la joie. Mes dou- 
tes bientôt disparaissent. Car les bouches, 
quelques instants fermées, s'ouvrent. Des 
soldats français silencieux, cela ne s'est 
jamais vu encore. 

Et ce qu'elles disent, ces ^ bouches, les 
mêmes qui, tout à l'heure, n'avaient pas 
assez de récriminations ni de plaintes, le 
voici : 

— Chic ! Enfin ! Y a du bon ! Vive- 



AU CANON 103 



ment qu'on charge ! La guerre en rase 
campagne, çà n'est pas trop tôt. Ils vont 
voir un peu, les^chons de Boches ! 

Cette marche d'approche, dans les 
grands espaces libres, semble à ces gars 
d'Apremont, fatigués des interminables 
stations aux tranchées, une partie de 
plaisir. 

O mystère du cœur français ! mira- 
cle de la race ! 

En ces trois journées inoubliables, satu- 
rées de tant d'héroïsme, rien peut-être ne 
s'impose davantage à mon souvenir que ce 
changement subit de bœufs exténués 
devenus lions impétueux par la seule 
annonce de la bataille prochaine... 

Le régiment est arrivé à une de ces 
périodes de plein épanouissement où 
nulle tâche ne semble difficile. Entre les 
forces de ce grand corps, un équilibre 
parfait. Des soldats aux chefs et des 
chefs aux soldats la fconfiance. 

Alors quoi, on va rire ! 

— Ah ! s'écrie le lieutenant Ecoutain, 
les embusqués terrés à l'arrière ne connaî- 
tront jamais, ne comprendront jamais 
des moments comme celui-ci ! 



104 CEUX DE VERDUN 



Il est dans le nouveau manuel du chef 
de section d'infanterie un paragraphe 
intitulé <( l'exemple » : 

« La troupe est le reflet de son chef. 
Elle en est le juge le plu^ sévère^ elle 
retient ses moindres paroles et guette son 
attitude. Elle ne demande qu'à pouvoir 
Vadmirer et le suivre aveuglément. La 
belle tenue de la troupe au feu est la 
meilleure récompense du chef. » 

Vous pouvez être fiers de vos hommes, 
mon colonel, et vous de même mon com- 
mandant. S'ils se sont haussés au-dessas 
de leurs misères, si l'approche de la 
bataille les a transformés à ce point qu'ils 
en ont oublié leurs pieds saignants et 
leurs épaules meurtries, c'est que vous les 
avez modelés à votre image, c'est que par 
vos paroles, par votre exemple, vous avez 
exalté en eux le sens du devoir et l'amour 
de la Patrie. 

<( La belle tenue d'une troupe au feu est 
la meilleure récompense du chef. » 




AU CANON 105 



CHAPITRE VI 



LE PORT DE DOUAUMONT 

Est-ce une marche de bataille à quel- 
ques kilomètres de l'ennemi et sous les 
obus, qui se développe là devant mes 
yeux ? Ou n'est-ce pas plutôt un exercice, 
analogue à ceux des grandes manœuvres? 
On pourrait le croire à voir la régularité 
parfaite des mouvements : alignements 
impeccables, intervalles et distances reli- 
gieusement conservés... 

Un lièvre se lève derrière une motte de 
terre. Merveilleux intermède et de 
nature, ne le pensez-vous pas, à mettre 
tout à coupa l'arrière-plan la guerre et 
ses périls !... 

Si seulement le shrapnell qui s'abat non 
loin du fuyard pouvait l'atteindre : si la 
musette de l'un de nous allait s'enrichir 
de la proie inespérée !... 

Nous montons une colline boisée qui se 
dresse toute droite au bout de la prairie ; 
nous traversons une carrière profonde. 




106 CEUX DE VERDUN 



Un autre boqueteau, puis un chemin, et 
nous voici au fort de Douaumont. 

Ce nom n'est pas entré dans l'histoire 
encore, et c'est d'un pied indifférent que 
nous montons par dessus les talus her- 
beux, que nous traversons les glacis mar- 
telés par la grosse artillerie boche. 

Des obus sont tombés là, qui ont fait 
des excavations monstrueuses, profondes 
de cinq à six mètres, larges de douze mè- 
tres peut-être... 

D'innombrables mottes de terre, gros- 
ses comme des gueulées de socs à travers 
un sol argileux, ont été arrachées par les 
explosions et éparpillées aux alentours, 
donnant à la colline l'aspect d'un champ 
fraîchement labouré. 

Le soir tombe. Nous nous accrochons 
aux fils des réseaux qui entourent le fort, 
nous descendons au nord du village, dans 
un ravin, étroit mais profond, semé de 
ronces et d'arbres abattus. Quand, les 
pentes remontées, nous nous établissons 
sur la cote 347, la nuit est tout à fait 
venue. 



AU CANON 107 



CHAPITRE VII 



LA CORNE DANS LA NUIT 

Une halte. Le commandant envoie des 
patrouilles, à droite, à gauche et en avant 
et fait commencer une tranchée en arrière 
du réseau qui couronne la colline. 

Le sol est rocailleux et les hommes n'ont 
que leurs outils portatifs. N'importe. Ils 
posent à terre leurs couvertures roulées et 
les voici à l'œuvre, tapant de toutes leurs 
forces. Des cailloux les étincelles jaillis- 
sent, et malgré le froid qui pique, malgré 
la bise, les fronts bientôt ruissellent de 
sueur. 

Cependant les patrouilles envoyées par 
le commandant reviennent de leur expé- 
dition ; c'est en vain qu'elles ont fouillé le 
sommet de la colline et les alentours ; des 
troupes françaises qui d'après les commu- 
nications de l'état-major devaient se 
tenir en avant -de nous, aucune trace. 

Oii sont-elles ? en fuite ou prisonniè- 
res... 



/ 



108 CEUX DE VEBDUN 

Et le régiment reste seul, sur cette par- 
tie du front, seul avec ses trois bataillons 
qui viennent de couvrir 52 kilomètres en 
36 heures, seul contre les corps d'armées 
ennemis dont Voffensive triomphante se 
poursuit sans arrêt depuis trois jours... 

Cette situation angoissante, nos chefs 
la devinent mais ils n'osent l'envisager 
dans son ensemble tant elle leur paraît 
invraisemblable. 

C'est ainsi que lorsque le colonel de 
B , après une reconnaissance à 

Douaumont,aura décidé de prendre le vil- 
lage comme centre de résistance, le com- 
mandant G sortira de son man* 
teau sa corne d'exercice et, comme à 
Texercice, tutututera pour réunir à lui les 
commandants de compagnie et leur com- 
muniquer les ordres. 

Cette corne nous l'entendrons encore, 
avant d'arriver au village, quand le com- 
mandant voudra rectifier la direction du 
bataillon ou hâter le mouvement d'une 
aile. 

Et nous apprendrons plus tard que les 
Boches étaient tapis derrière les réseaux 
de la colline à l'affût de notre manœuvre ! 



AU CANON 109 



Qu'à ce moment ils aient eu un peu 
d'audace, qu'ils se soient jetés en masses 
sur nos unités inàverties, et ils enfon- 
çaient nos rangs et ils déferlaient dans 
une seule vague jusqu'à Verdun ! 

Cette corne dans la nuit, elle est de- 
meurée dans ma mémoire comme le sym- 
bole de notre ignorance aux premiers 
jours de la bataille de Verdun et n: sym- 
bole du désarroi jeté dans la défense par 
l'offensive inopinée de l'ennemi... 



10 



1 



.1 



QUATRIÈME PARTIE 



DOUAUMONT 






Ice/: 



DOUAUMONT 113 



CHAPITRE I*^ 



L'OCCUPATION DU VILLAGE 

Une fois dans Douaumont, il nous faut 
attendre que les commandants dd coijipa- 
gnies soient allés reconnaître leurs sec- 
teurs respectifs. 

Les hommes se couchent dans I4 grande 
rue, contre les maisons, contre les fu- 
miers, leurs fusils entre les jambes, et 
s*endorment. 

Moi je rêve. A quoi ? Je ne pais trop. 
J'essaie de débrouiller Técheveau que le 
destin vient de jeter à notre sagacité. 
Mais je m'embrouille et je m'impatiente. 
Et comment pourrais- je venir à bout de la 
tâche puisque j'ignore où est l'ennemi, 
quelle est notre mission et de quels appuis 
nous disposons pour la remplir. 

Notre situation je ne la connaîtrai que 
plus tard. Et la voici. 

Le 3* bataillon, le mien, va occuper la 
lisière Nord du village de Douaumont, 



114 CEUX DE VERDUN 



le 1*' bataillon à droite, le 2* bataillon à 
hauteur de Fleury. Chaque bataillon se 
renforcera d'une compagnie de mitrail- 
leuses. 

Une attaque est prévue pour le lende- 
main avec le bois des Fosses et Beaumont 
comme objectifs. Le régiment doit être 
encadré à droite par la brigade C 

(censuré) 

; à gauche par le 85* régiment 
relié à la • division. 

Tard * dans la nuit, un contre-ordre 
arrive du général Balfourier, comman- 
dant le 20* Corps... 

Ici une parenthèse. Il est un fait qui 
n'a jamais été mis en relief dans les récits 
de la bataille de Verdun : c'est que la 
défense de Douaumont pendant les jour- 
nées du 25 et 26 Février a été l'œuvre du 
95* régiment d'infanterie, appuyé par le 
85*. 

On a fait honneur de cette défense au 
20"* Corps et rien n'est plus exact mais il 
eût fallu préciser et ajouter : au 20* Corps 
auquel appartenait alors la * brigade. 

Nous n'avons été rattachés au 20* Corps 
que peu de jours et, a 



DOUAUMONT 115 



(censuré) 

Le 20* Corps est assez haut dans la 
gloire, sa magnifique histoire s'enor- 
gueillit d'assez d'actions d'éclat, et à Ver- 
dun même, pour qu'il ne soit pas jaloux 
de ses frères plus modestes et qu'il per- 
mette à la vérité de s'établir... 

Le général Balfourier, ai-je dit, envoie 
un contre-ordre. Il ne s'agit plus d'atta- 
quer le bois des Fosses, mais de prendre 
une position d'attente au Nord de Douau- 
mont, le 95' au village, le * dans le ravin 
' à l'Ouest de la ferme de Thiaumont. 

Sur les indications du général Deligny, 
le général Reibell donne au 85** le secteur 
qui va de l'Est de Louvemont à la côte 278 
exclus. 

Le 95* occupera les côtes 378 et 347 au 
Nord de Douaumont, en liaison à droite 
avec les 2* et 4* bataillons de chasseurs qui 
tiennent le bois de la Vauche. 

Tout cela, je le répète, je ne le connaî- 
trai que plus tard, et comme ma fatigue se 
fait de plus en plus lourde, j'essaie moi 
aussi de dormir... 



116 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE II 



PREMIÈRE NUIT 

A peine mes yeux fermés, le capitaine 
Blanchot envoie ses agents de liaison 
chercher la compagnie. Les hommes se 
relèvent, sans un mot, avec cette passivité 
des champs de bataille qui fait d'une 
troupe un troupeau. 

Nous longeoiis la Grand'rue, nous tour- 
nons à gauche près de la fontaine et nous 
nous engageons dans un élément de tran- 
chée qui contourne le village au Nord-Est. 

Là, une halte. Interminable. Le village 
jusqu'alors silencieux s'emplit du ton- 
nerre des obus. L'artillerie ennemie tire 
sur nous. 

Des heures passent. Il fait froid. Il fait 
glacé. Le vent souffle et ses milliers d'ai- 
guilles acérées pénétrent dans nos chairs. 

Il y a, en arrière de la tranchée, quel- 
ques abris. J'essaie de pénétrer dans I'ub 



DOUAUMONT 117 



d*eux mais ils sont déjà pleins. Je réussis 
•ependant à m'asseoir à l'entrée d'un 
étroit couloir, sur le sol humide. 

C'est là que j'attends 4e jour, heurté 
par les passants, tenaillé par le froid et 
par le sommeil, navré des plaintes de mes 
hommes.- 

— Mon lieutenant, je ne sens plus mes 
pieds. 

— Mon lieutenant, vous ne pourriez 
pas nous trouver jxn petit coin pour dor- 
mir ?... 

Si misérable est l'attente, dans cette 
boue où les pieds enfoncent, sous ce vent 
qui flagelle les visages et pénètre sous les 
capotes, que plusieurs hommes de ma sec- 
tion se glissent en dehors de la tranchée et 
vont s'étendre, tout près, dans une grange. 
Or cette grange a déjà reçu la visite d'un 
obus et d'autres obus l'encadrent à inter- 
valles quasi réguliers. 

Mais la perspective de ne plus sentir le 
vent, de se coucher sur la terre sèche, cela 
vaut bien le risque d'un obus ?... 

Il faut que j'envoie un de mes sergents 
réveiller les dormeurs, et il faut que ce 
•ergent mette toute son autorité en œuvre 



118 CEUX DE VERDUN 

pour les arracher à leur béatitude et les 
ramener avec nous... 

Quelques heures après, la grange n'é- 
tait plus qu'un amas de décombres. 



1 



DOUAUMONT 119 



; .«MMHHMM««B 



CHAPITRE III 



LE REFRAIN 

Je ne puis répéter sans cesse les mêmes 
Miots, assembler sans œsse les mêmes 
phrases. Cependant si Ton veut donner 
aux pages qui vont suivre tout leur sens, 
si Ton veut se représenter dans toute leur 
horreur les tableaux où je m'efforce, il 
faut ne jamais perdre de vue ceci : 

Pendant les deux jours et les trois nuits 
de Douaumont, le bombardement ne s'ar- 
rêta qu'aux intervalles des attaques, bom- 
bardement tellement furieux, tellement 
exaspéré, que, de mémoire de soldat de la 
grande guerre, jamais on n'en connut 
avant Douaumont, jamais on n'en revit 
après Douaumont de semblable. Toutes 
les pièces de tous les secteurs, à dou^e 
kilomètres à la ronde, convergeaient leur 
tir sur le village infortuné. 

Et ceci encore : 

Devant la multitude des projectiles 



120 CEUX DE VERDUN 



ennemis, notre artillerie à nous, réduite à 
quelques pièces, ne pouvait que se taire, 
de sorte que pour résister à l'averse épou- 
vantable, les défenseurs de Douaumont 
n'avaient que leurs poitrines... 

Donc, qui veut se plonger avec eux dans 
la fournaise, et prendre sa part de leur 
martyre, il faut qu'il se répète, après cha- 
que paragraphe, ce refrain monotone : 

Et les obus tombent^ tombent, tombent, 
giboulée infernale dont chaque goutte est 
un obus. Les tranchées s^effondrent. Les 
cadavres s^entassent. Le tumulte des 
éclatements martèle les cerveaux. Le sol 
bout comme Veau d^une chaudière. Le ciel 
se disloque... 

Et contre cet ouragan, contre cette ava- 
lanche, des poitrines d'hommes se dres- 
sent, de moins en moins nombreuses, de 
plus en plus droites et résolues... 



DOUAUMONT 



HAPITRE IV 



:afé chaud 

jment s'exaspère avec les 
:s du jour. 

lans la tranchée quelques 
oins possible, afin d'expo- 
sible d'existences et je vais 
lu capitaine Blanchot de 
s, un peu parce que je dois 
)mpte, beaucoup pour sen- 
ilque temps sur mes épau- 
1 des abris. 

. habitués aux bombarde- 
tres, fidèles du Bois-Brûlé 

Vache. Pourtant, jamais 
vons entendu pareille mu- 
ge de shrapnels, de 77, de 
i20. 

on entend venir les mons- 
nites à travers le ciel 
nt. Leur vacarme est com- 



122 CEUX DE VERDUM 



parable à celui d'un train qui traverse à 
toute allure une gare sonore : 

— Vlà le métro ! disent les hommes en 
leur langage pittoresque. 

A droite, à gauche, de tous les cotés, les 
cratères s'accumulent. Les arbres des jar- 
dins s'éparpillent. Des gerbes de cailloux, 
de terre, de débris informes, s'élancent à 
l'assaut des nues et retombent en cascades 
sur nos épaules. L'une après l'autre, les 
maisons du village croulent et le bruit 
qu'elles font en tombant ressemble à un 
hurlement d'agonie. Des tuiles sont proje- 
tées à des centaines de mètres ; on aper- 
çoit, par les blessures béantes, les meubles 
en loques... 

Ail matin, une grande nouvelle : les 
cuisines roulantes sont arrivées ; on va 
servir un café chaud ! 

Je me précipite dans le village : la nou- 
velle est exacte. Massées le long de l'uni- 
que rue, les voitures s'offrent à mes 
regards extasiés avec leur bric-à-brac 
pittoresque : sacs, marmites, seaux, ron- 
dins, lessiveuses. Les cuisiniers s'empres- 
sent aux derniers préparatifs. Des chemi- 
nées sort une fumée épaisse... 



DOUAUMONT 123 



Cette fumée ne me dit rien qui vaille... 

Hélas ! mes craintes se justifient. Plu- 
sieurs cuisines sont défoncées par des 
obus ; celle de ma compagnie est du nom- 
bre. Adieu, bon café, dont je sentais déjà 
la douce chaleur à travers mes membres 
glacés ! 

Il me faut annoncer aux hommes la 
catastrophe. Je crains des plaintes. Mais 
eux : 

— Eh bien ! quoi, il n'y aura qu'à nous 
faire ration double demain ! 

Demain ! mes pauvres amis !*.. 

Et les obus tombent, tombent, tombent, 
giboulée infernale dont chaque goutte est 
un obus... 



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124 CEUX DE VERDUN 

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CHAPITRE V 



LE DÉLUGE 

Le bruit du bombardement pétrit ma 
chair, délue ma volonté. Si je n'écoutais 
que mon instinct,je me jetterais à plat ven- 
tre au fond d'un abri et je me boucherais 
les oreilles, et j'attendrais ainsi la fin du 
bombardement ou la mort. 

Il faut la pensée des gars qui veillent 
stoïquement dehors, il faut la honte de 
paraître lâche pour m'arracher à ma 
lâcheté, pour me traîner là où m'appelle 
mon devoir. Je conserve du moins assez 
d'empire sur moi pour ne rien laisser 
paraître de ma peur sur mon visage. A 
défaut du sourire qui fuit mon appel et 
qui ne veut pas se poser sur mes lèvres 
décolorées, j'ai toujours, quand je dois 
parcourir la ligne des guetteurs, une 
cigarette au coin des lèvres. 

Quand une marmite nous éclabousse un 
peu plus que les autres, je dis d'une voix 
qui s'efforc(% : 

— Le temps se maintient. Nous allons 
avoir une belle journée. 



w^^ 



DOUAUMONT 125 



Ou encore : 

— Les cafés de Douaumont sont ou- 
verts aujourd'hui à la troupe. Mais tâchez 
d'être rentrés pour l'appel. 

A mes lamentables plaisanteries ré- 
pondent des sourires non moins lamenta- 
bles. Pel'sonne n'est dupe et pourtant tout 
le monde essaie de plastronner et d« 
paraître indifférent. 

Qui pourra jamais fixer sur la plaque 
photographique le tourbillon de pensées, 
de craintes, d'espoirs fous, de terreurs, de 
regrets, de projets, de détresses qui, dans 
le cerveau du condamné conduit à Técha- 
faud, tourbillonne ?... 

Ce martyre de quelques minutes, multi- 
pliez-le par des heures, multipliez-le par 
des jours, et vous aurez une idée de ce 
que fut la vie des défenseurs de Douau- 
mont sous cette artillerie saisie de deli- 
rium tremens. 

Les tranchées s'effondrent^ les cadavres 
s^ entassent. Le tumulte des éclatements 
martèle les cerveaux. Le sol bout comme 
Veau d'une chaudière. Le ciel se dislo- 
que., . 



126 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE VI 



LA COLÈRE DES HOMMES 

Je m'aventure dans le village, je côtoie 
des morts et je pense : 

« Quand je vais être couché, moi aussi, 
la tête fracassée comme celui-ci ou le ven- 
tre ouvert comme celui-là, est-ce que mes 
hommes prendront le temps de me mettre 
à l'écart, à TaBri d'une haie, ou derrière 
un monceau de décombres ?... Comme je 
vais avoir froid !... 

(( Et on me marchera dessus et les clous 
des souliers me laboureront le visage, 
comme j'ai labouré tout à l'heure le visage 
de ce caporal contre lequel j'ai buté dans 
la neige... » 

Je veux chasser ces imaginations maca- 
bres, mais ma pensée éevreuse n'a pas la 
force de s'abstraire, elle roule dans le 
même cercle, infatigablement. 

Des attendrissements, parfois. Je me 
sens un grand besoin de caresses. Je 



DOUAUMONT 127 



songe qu'il serait doux de m'agenouiller 
devant une femme aimée et de sangloter 
dans ses mains comme un petit enfant. 

Puis j'imagine que ma petite Solange 
est venue voir son papa et qu'elle me 
regarde, du fond de la tranchée, étonnée 
du vacarme, inconsciente du danger... 

Et vivement je la prends dans laes bras 
et je l'emporte. 

Où l'emporteras-tu, pauvre fou, et 
quelle retraite assez profonde pour vous 
protéger des obus ?... 

De temps en temps, je vais rendre visite 
à l'adjudant Durassié qui commande la 
section voisine de la mienne. 

Est-il autant que moi déprimé ? J'es- 
saie de lire dans son âme... 

— Regarde-le, celui-là, me dit-il, en me 
montrant un épervier qui vole au-dessus 
de nous, indifférent aux obus qui passent. 
Est-ce que tu ne crois pas qu'il est dingo ? 

Ces paroles s'accompagnent d'un sou- 
rire épanoui. Il peut sourire, lui, et cela 
déjà lui est sur moi une supériorité. Mais 
il a beau se maîtriser ; il ne peut me ca- 
cher le pli douloureux de sa bouche et la 
fièvre qui brûle ses paupières jaunies... 



128 CEUX DE TERDUN 

Parfois des colères saisissent les hom- 
mes, à demeurer ainsi dans l'inaction, et 
dans rincertitudc. 

— Mais qu'est-ce qu'ils foutent donc, 
ces cochons-là,à tirer pendant des heures? 
Qu'ils sortent de leurs trous s'ils ne scmt 
pas des lâches ? Qu'ils viennent se battre 
avec nous ! 

Oh oui, qu'ils viennent, et que cesse 
cette canonnade affolée ! qu'ils viennent, 
même à dix contre un ; nous acceptons le 
combat, nous l'acceptons avec joie, et nous 
sentons, tant est forte notre rage, que de 
ce combat nous sortirons vainqueurs. 

Au-dessus de nous, à deux cents mètres, 
trois cents mètres au plus,des avions enne- 
mis passent et repassent, observent le ter- 
rain tout à leur aise. 

Mais « nous faisons les morts », couchés 
pêle-mêle au fond de la tranchée, par- 
dessus les morts véritables, les bras éten • 
dus, la bouche ouverte, afin de donner aux 
observateurs l'illusion que tous les défen- 
seurs du village sont tués et que toutes 
nos défenses ne sont plus qu'un vaste 
cimetière... 

— Et nos aviateurs à nous oh sont-ils I 



DOUAUMONT 129 



— Et notre artillerie, qu'est-ce qu'elle 
fait ? 
I Mais nul avion français ne paraît à 

F l'horizon. Et si nos canons tirent, leurs 

i éclatements se perdent dans le tumulte de 

l'artillerie ennemie... 

Nous avons l'impression nette d'être 
seuls, abandonnés du reste de l'armée, ho- 
locaustes choisis pour le salut de Verdun. 
. Et. nous savons, de toute certitude, que 
le village de Douaumont sera notre -tom 
beau... 

Et contre cet ouragan, contre cette ava- 
lanche, des poitrines d'hommes se dres- 
sent, de moins en moins nombreuses, de 
plus en plus droites et résolues. 



130 CEUX DE VERDUN 



ï 



1 



CHAPITRE VII 



DANS LA PLAINE NUE 

Le premier bataillon qui nous avait sui- 
vis à courte distance, lorsque nous avions 
pris, à droite de Fleury, le dispositif de la 
marche d'approche, avait reçu mission de 
s'établir en avant du village de Douau- 
mont. 

Le petit jour commençait à naître 
quand le Bataillon parvint aux réseaux 
qui défendaient la lisière du bois d'Hau- 
dremont. Les Boches établis dans le bois 
opposèrent une résistance vigoureuse. Il y 
eut des combats singuliers, des corps à 
corps. Le soldat Barrière de la 3* Compa- 
gnie s'élança en tête de ses camarades et 
commanda: (( En avant ! à la baïonnette! » 
L'ennemi fléchit puis revint plus nom- 
breux. 

Force fut de remettre l'attaque à plus 
tard. Le bataillon prit des positions en 
avant du bois. 

Des positions ? terme un peu inexact 




DOUAUlfONT 131 



peut-être, car les hommes ne disposaient 
que de la terre plate. Quelques abris d'ar- 
tilleurs, çà et là, mais aucun ouvrage, 
aucune tranchée. ' 

Tout près de la lisière, trois de nos 90 
sont demeurés, abandonnés. Un caisson de 
75 est là également, « attelé d'un cheval 
mort » selon Texpression pittoresque d'un 
soldat. 

Ce ne sont pas les seules pièces aban- 
données. 

Un peu plus à droite, en arrière du ba- 
taillon de chasseurs qui prolonge la ligne 
vers le fort de Douaumont, se trouve 
notamment un 155 tout chargé : il n'y a 
plus qu'à faire partir le coup. Le com- 
mandant de chasseurs se charge lui-même 
de la besogne. 

Autour des pièces et des abris, de nom- 
breux étuis de 75 et des caisses à obus. De 
ces étuis et de ces caisses, les hommes 5e 
servent pour dresser un parapet. Derrière 
cet abri improvisé, ils se hâtent, avec leurs 
outils portatifs, pour amorcer une tran- 
chée. 

Mais le sol, durci par la gelée, ne veut 
pas se laisser entamer. D*ailleurs notre 



132 CEUX DE VERDUN 



activité n'est pas demeurée inaperçue de 
Tennemi. Une forte reconnaissance qui 
s'est glissée hors du bois, ouvre le feu sur 
les caisses.Nous ripostons, mais bientôt les 
mitrailleuses renforcent l'attaque enne- 
mie : la lutte devient impossible et nos 
hommes doivent se coller au sol pour évi- 
ter les balles qui sifflent à ras de terre. 

Le vent augmente. Des flocons de neige 
tourbillonnent. Le froid glace le sang des 
hommes étendus là, s^,ns mouvement, et, 
sous peine de les voir périr de froid, force 
est d'organiser parmi eux des relèves. 

Un par un, en se traînant sur le ventre, 
ils vont des abris à l'ouvrage et de l'ou- 
vrage aux abris. 

Combien demeurent en route ?... 

L'attaque se produit vers 4 heures en 
plusieurs vagues, rapprochées et furieu- 
ses, j ai nies du bois d'Haudremont. 

Crêtes et vallons grouillent de Boches 
lancés au pas de charge.Fondu par le tir de 
l'artillerie, criblé par les mitrailleuses, 
menacé d'encerclement, notre premier ba- 
taillon se replie à une centaine de mètres 
en arrière, dans un élément de tranchée en 
forme de fer à cheval. 



DOUAUMONT 133 



C'est là qu'il organise sa résistance, 
c'est là qu'il va tenir jusqu'à la limite des 
forces humaines, jusqu'à l'épuisement de 
ses cartouches, jusqu'aux corps à corps à 
un contre dix. 

Les chasseurs placés à droite subissent 
des pertes énormes et doivent se replier. 

Le 1" bataillon reste seul. 

Les Boches auront cependant, sur ce 
coin du champ de bataille, le dernier mot ; 
mais ils diront un jour, s'ils l'osent, le 
nombre de leurs morts, et de quel prix fut 
payée leur avance. 

Un hommage spécial au chef du 1*' Ba- 
taillon, le commandant O 

Il avait pris un fusil et, entouré d'une 
dizaine d'hommes, il faisait le coup de feu 
comme un simple soldat. Jusqu'à la fin, il 
continua de tirer et de donner des ordres, 
et quand le groupe disparut, submergé 
par la marée des assaillants, ce fut le fusil 
du commandant qu*un blessé vit se lever, 
le dernier, contre une poitrine ennemie. 

Cependant l'invasion entoure de tous 
côtés le premier bataillon. Les deux autres 
bataillons déciment bien l'ennemi par- 
dessus la tête de leurs camarades, mais ce 

12 



134 CEUX DE VERDUN 

secours est trop éloigné. La retraite s'im- 
pose. 

Par quel miracle, tous les hommes ainsi 
submergés dans la plaine nue, ne , sont-ils 
pas tués ou faits prisonniers ? Comment 
un si grand nombre réussit-il à regagner 
nos lignes ?... 

Mais qui jamais a mesuré le pouvoir de 
la volonté ? et qui jamais put dire à l'hé- 
roïsme : 

« Tu n'iras pas plus loin !... m 



1 



DOUAUMONT 



CHAPITRE VIII 
PREMIERS ASSAUTS 

igle occupé par mon peloton, face 
t de Douaumont se trouve, au début 
ïtion, en dehors du champ de*ba- 
Mais je ne suis pas depuis cinq 
3s au milieu de mes hommes, uni- 
nt occupé à écouter et à attendre 
3n inaction me devient intolérable. 
1 se bat à côté de moi et je n'y suis 

« réflexion n'a pas plus tôt pris 
m mon esprit que j'abandonne ma 
I, et passant par les abris pour aller 
ite, je me précipite à gauche au mi- 
18 hommes du premier peloton, 
rtant, cette nuit, et le long de cette 
journée, j'ai connu les affres habi- 
à la pensée du combat que je sen- 
nir. J'ai vécu en imagination toutes 
■reurs de ce combat : j'ai été blessé, 
ing a coulé par vingt blessures, la 



»!-^l 



136 CEUX DE VERDUN 



fièvre a torturé ma gorge^ j'ai senti ma vie 
s'en aller sans qu'un visage ami se penche 
vers mon visage ; mes cris de désespoir 
n'ont attiré que les corbeaux... 

Et je m'étais demandé pour la vingtiè- 
me, pour la cinquantième fois : 

— Ne serais-je pas un lâche ? Ma peur 
ne transparait-elle pas derrière les vitres 
de mes yeux, comme ces visages décharnés 
que l'on voit parfois, en passant, aux 
rideaux soulevés d'une fenêtre ?... . 

Et j'avais regardé ceux qui m'entou- 
raient ; mes soldats, mes gradés, mes ca- 
marades, et n'ayant remarqué chez aucun 
d'eux ces regards de bête traquée que je 
devinais en moi, j'avais tiré de ma dé- 
tresse une détresse plus grande encore, 
j'avais mis en doute ces actions passées où 
je ne m'étais montré inférieur à nul autre, 
et je m'étais imaginé entendre, après 
l'affaire, sur toutes les lèvres, la sentence 
méprisante, la plus déshonorante pour un 
soldat : 

— Péricard ? un froussard !... 

Mais non. Cette fois, comme les autres, 
il aura suffi de l'appel aux armes pout 
dissiper d'un seul coup de vent le cauche- 



DOUAUMONT 137 



mar. Chez moi le cœur est solide, le bras 
ferme et Tceil clair. 

Mais mon imagination embarrasse, en 
ses plis trop amples, le corps qu'elle 
habille et lui enlève Taisance de son 
allure. 

Me voici, dis- je, avec le premier pelo- 
ton. Il y a quelques instants d'indécision 
très pénibles. Devant nous, amis et enne- 
mis sont mêlés. Tout notre sang-froid est 
nécessaire. Je n'autorise à se servir de leur 
fusil que les tireurs les plus éprouvés. 

Nous nous sommes établis dans un élé- ' 
ment de tranchée à demi-comblé par les 
obus. Quand nous nous tenons debout, 
notre buste entier dépasse le parapet. Il 
faut, pour diminuer les risques, ou se ' 
mettre à genoux ou s'allonger le long des 
éboulis. 

Pourtant il est un des hommes là pré- 
sents, Chaubîer, qui semble tout à fait 
ignorer le péril. 

Quand je me suis précipité dans la tran- 
chée démolie, il était déjà en place, et il 
tirait, tirait, sans regarder si d'autres 
venaient le soutenir. 

Pendant toute l'attaque il demeurera 



138 CEUX DE VERDUN 



au premier rang, magnifique exemple 
d'audace et de sang-froid... 

Quelques jours après — ceci est une 
parenthèse mais que je ne puis m'empê- 
cher d'ouvrir, tant elle est caractéristique 
de la stupidité et de la malice humaines 
— quelques jours après, dis- je, le régi- 
ment étant au repos, le capitaine d'E. M. 
Henry Bordeaux vint rendre visite au co- 
lonel et lui remit une belle montre « pour 
le soldat le plus brave et le plus digne d'es- 
time ». 

Des noms furent demandés aux compa- 
gnies. Je proposai Chaubier et ce fut lui 
qu'élut le colonel. 

Chaubier prit la montre, mais crai- 
• gnant de la casser, un peu gêné de se voir 
dans les mains une pareille merveille, il 
s'empressa de l'envoyer à sa mère. 

Or, quelques mois après, Chaubier vint 
me trouver : 

— Mon lieutenant, est-ce que vous vou- 
driez écrire au maire de chez nous pour 
lui dire que la montre est bien à moi et 
que je ne l'ai pas volée ? On dit partout 
dans le village que je l'ai ramassée sur 
un mort !... 



DOUAUMONT 139 



CHAPITRE IX 



ANXIÉTÉS 

Nous voilà donc à genoux ou couchés 
dans la tranchée démolie, guettant de no- 
tre mieux Tennemi, baissant le nez le plus 
possible pour éviter les projectiles. 

A ce moment, un voix derrière nous : 

— A la bonne heure, les gars ! tirez, 
les petits gars ! hardi ! 

Nous nous retournons. Le commandant 
C est au-dessus de nous, tout 

droit dressé sur le parapet et c'est lui qui 
nous interpelle, sa main pointée vers l'en- 
nemi, dans un geste superbe. 

Cette vue agit sur nos circonspections et 
sur nos prudences comme un coup d'oura- 
gan sur une poignée de feuilles mortes. 
L'aspirant Debard saute sur le parapet à 
son tour ; d'autres l'imitent ; ceux qui 
étaient à genoux ou couchés se relèvent et 
montent sur les talus pour tirer mieux à 
leur aise... 

Jusqu'à la tombée du jour, on conti- 



140 CEUX DE VERDUN 



nuera, de ce coin élevé, à massacrer des 
Boches à découvert, sans souci des projec- 
tiles, 

La force de l'exemple... 

Les hommes se grisent de l'odeur de la 
poudre. Ils se montrent des cibles, riva- 
lisent d'adresse et de lazzis. Qui sait com- 
bien de Boches sont tombés ce soir-là sou* 
leurs balles ? 

A un moment même, des silhouettes de 
cavaliers se profilent sur une crête adver- 
se. S'imaginent-ils, les Boches, que le ter- 
rain est libre et qu'ils vont pouvoir char- 
ger jusqu'à Verdun ? 

Un feu nourri leur enlève les illusions 
qu'ils ont pu avoir à cet égard. 

Un peu avant la tombée du jour ub 
caporal vient me chercher de la part du 
capitaine Blanchot : il se passe paraît-il,- 
des événements singuliers, sur le front du 
deuxième peloton... 

Je m'engage dans le boyau qui doit me 
mener aji capitaine. Je vais me baisser 
pour passer sous un portique quand je me 
rappelle que j'ai oublié de faire à l'aspi- 
rant Debard certaines recommandations. 
^Je retourne en arrière. 



DOTTAUMONT 141 



Juste à ce moment, un obus arri ve, dé- 
fonce le portique, tue ou bkise les 
hommes qui se tenaient dessous... 

Sans ce scrupule de la dernière seconde, 
Je partageais leur sort... 

Après avoir pris les instructions du 
capitaine, je me rends dans la tranchée où 
se trouvent les troisième et quatrième sec- 
tions, face aux redoutes. La situation est 
confuse. Je tiens avec l'adjudant Durassié 
et le sergent Larpent un petit conseil de 
guerre. 

On nous a prévenus que les Boches 
avancent, que les zouaves sont débordés. 
Par derrière le repli de terrain qui do- 
mine le fort, nous voyons l'avance métho- 
dique des fusées ennemies lancées en 
repère pour l'artillerie. 

Puis le bruit court qui nous serre le 
oœur : le fort est au Boches ! 

Pourtant, ô surprise, ce sont des zoua- 
ves qui s'affairent sous nos yeux autour 
des fortifications. Serions-nous dupes de 
l'obscurité qui commence ? 

Des yeux et des jumelles nous regar- 
dons, indécis. Toute notre conviction crie : 
(c Ce sont des Boches ! Ils sont venus u« 



142 CEUX DE VERDUH 

par là, de rennemi ; les fusées qui les pré- 
cèdent ce sont des fusées allemandes ; il 
faut tirer sur eux, tirer, tirer, pendant 
qu'ils se présentent sous notre feu, bien en 
vue... » 

Avec une angoisse qui étrangle les pa- 
roles au passage, je commande : 
— Feu par salves !... 

De son côté, le capitaine Delarue dému- 
selé ses mitrailleuses. 

Et unejigne entière d'hommes s'abat 
sur les pentes du fort. 

Mais cet ordre n'est pas plutôt donné 
que nous crions l'ordre contraire : 

— Cessez le feu ! 

C'est que ceux qui sont devant nous ont 
agité les bras avec frénésie, crié des 
appels... 

Alors, quoi ? Nous sommes-nous trom- 
pés ? Avons-nous tiré sur les nôtres ! 

Le remords me pétrit le cœur. 

Le capitaine Delarue ne comprend pas 
mes scrupules. Pour lui aucune doute pos-- 
sible : nous avons devant nous des Boches. 
Ses mitrailleuses continuent la fusil- 
lade. 

Je le supplie d'arrêter son feu. L'émo- 



DOUAUMONT 



143 



tion m'étrangle. Mes yeux sont pleins de 
larmes. 

Le capitaine se laisse enfin convaincre. 
Mais qui a raison de nous deux ? Je n'en 
Mis rien moi-même. 



144 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE X 



L'ADJUDANT DURASSIÉ 

Soudain, de la tranchée, l'adjudant 
Durassié bondit. Méprisant les balles, il 
s'avance seul, à demi-distance du fort, 
puis, la jumelle aux yeux, regarde. 

Il revient : 

— Ce sont bien des zouaves ; il n'y a 
pas d'erreur : chéchias et vestes courtes, 
l'uniforme est complet. 

Parbleu ! 

Donc j'ai commandé le feu sur des sol- 
dats français ! Ceux qui gisent là-bas, 
c'est moi leur assassin ! 

Je me sens envahi par une immense dé- 
tresse. 

Je sors de la tranchée et me précipite 
dans le village. La cigarette aux lèvres, et 
sur le visage ce demi-sourire qui ne le 
quitte jamais, le capitaine Ferrère, 
adjoint au colonel, se promène au milieu 
des éclats d'obus et des m aisons qui s'é- 
croulent. 

Je lui rends compte de la situation. 



DOUAUMONT 145 



— Mais non, me répond-il, le fort est 
bien aux Boches. Votre adjudant a mal vu. 

Alors ? Alors ?... 

Je reviens avec mes hommes. Là-bas, 
sur les talus du fort, le grouillement aug- 
mente. ' 

Le capitaine Delarue qui sans doute a 
reçu lui aussi des renseignements sembla- 
bles, a rendu la liberté à ses mitrailleuses. 
De mon côté je fais recommencer le feu. 

Et de nouveau, sur le fort, les bras sont 
agités, des fanions .sont brandis ; on nous 
crie des paroles que nous ne comprenons 
pas mais qui nous semblent des injures : 

— Misérables ! Bandits ! Traitres !... 
Cette incertitude est pire que la mort. 

L'adjudant Durassié sort de nouveau de 
la tranchée. 

Dans son impatience héroïque de dé- 
couvrir la vérité, il n'attend pas même que 
tous nos fusils se soient tus. 

Il s'avance cette fois jusqu'au réseau de 
fils qui borde le fort, parcourant, seul en- 
tres les deux lignes, les quelques centaines 
de mètres qui nous séparent de la ligne 
douteuse. De l'autre côté du réseau un 
homme se tient, habillé en zoiiave, mais 

18 



146 CEUX DE VERDUN 



qui, avec un accent qui ne peut tromper, 
lui dit : 

— Posse fussil ! (Pose ton fusil). 

Durassié est fixé. Il saute dans un trou 
d*obus, s'aplatît et agite les bras au-dessus 
de lui. Nous comprenons ce geste. Quel- 
ques balles bien ajustées démolissent le 
Boche et l'adjudant réussit' à regagner 
nos lignes en rampant. 

Des tireurs choisis sont désignés. Les 
Eouaves de Bochie doivent se résigner à ne 
plus montrer leur museau au-dessus du 
fort. 

Donc, ces Brandebourgeois superbes, 
dont les communiqués allemands ne sa- 
vent comment glorifier l'héroïsme, n'ont 
dû leur victoire qu'à la trahison ! 

Il leur a f allu,pour endormir notre vigi- 
lance et triompher de nous, voler nos uni- 
formes. 

C'est eux que le Kaiser, dans une ha- 
rangue enflammée proclame : piliers de 
Tempire, héros inégalables, orgueil de leur 
empereur ! 

Tu peux triompher, Guillaume ^; ce 
triomphe est digne de toi et de ceux que 
tu commandes ! 



DOUAUMOKT l47 



CHAPITRE XI 



TENIR... 

L'obscurité met un terme aux attaques 
des Boches mais rend la liberté à leurs ca- 
nons. Ceux-ci se mettent à tirer . sur 
Douaumont et les alentours avec un rage 
qui s'exaspère, semble-t-il, de minute en 
minute. A chaque heure, l'aspect-, du vil- 
lage se modifie. C'est d'abord une masse 
sombre, puis de cette masse des pans den- 
telés émergent, des cheminées se dressent 
qui tiennent — par quel miracle d'équili- 
bre ! Des chevrons calcinés pointent qui 
semblent des bras décharnés levés vers le 
ciel. 

Des tirailleurs marocains renforcent la 
gauche du 3' bataillon. Plusieurs de leurs 
officiers ont pris part aux attaques de 
Champagne, A nos interrogations, ils ré- 
pondent que le bombardement, en Cham- 
pagne, n'était que de la plaisanterie 
auprès du bombardement actueL 

De ces paroles vient aux hommes une 



148 CEUX DE TEBDUN 

fierté naïve ; de l'un à Tautre, la nouvelle 
court : 

— Tu sais, en Champagne, c'était que 
de la petite bière à côté ; ils l'ont dit, les 
tirailleurs ! 

Mais nous n'avons pas besoin de ces 
encouragements pour exalter nos cou- 
rages. 

L'insuccès des premiers assauts enne- 
mis a raffermi les cœurs et ramené la 
confiance. 

De la brigade, Tordre nous est venu : 
<( Vous devez tenir coûte que coûte, ne re- 
culer à aucun prix et vous faire tuer jus- 
qu'au dernier, plutôt que de céder im 
pouce de terrain. » 

— Comme ça, disent les hommes, on 
est fixé. 

La volonté des chefs est entrée dans 
l'âme des soldats et a volatilisé tout sen- 
timent humain. Le tumulte infernal qui 
sature nos oreilles, la pensée de la mort 
qui, à droite, à gauche, tout autour de 
nous, becqueté goulûment les proies, nous 
empêchent de regarder en arrière, nous 
laissent juste l'attention suffisante à la 
tâche prescrite : tenir. 



DOUAUMONT 149 



Cette préoccupation : tenir, est deve- 
nue une obsession. 

Chaque consigne passée se termine 
d'une manière uniforme : « Et puis, îl 
faut tenir ! » 

Je ne puis aller une seule fois aux or- 
dres près du commandant de la compa- 
gnie, sans qu'il me répète : 

— Péricard, n'oubliez pas les or- 
dres. Même si je suis tué, même si la 
situation vous semble désespérée, il faut 
tenir ! 

Et, c'est ce mot encore que, machinale- 
ment, sur le passage des brancards ensan- 
glantés, les bouches murmurent : 

— Tenir ! 

Cette résolution farouche empêche le 
sang de se glacer dans les veines, permet 
de regarder en face les obus. 

Une fois de plus, Taventure montrera 
qu'ils sont invincibles, les hommes qui ont 
fait le sacrifice de leur vie. 

A voir les visages graves, je crois de 
mon devoir de plaisanter, comme j'en ai 
Fhabitude, quand je veux chasser des 
fronts quelque pli de mauvais augure. 

Je me force à sourire : 



150 CEUX DE VERDUN 

— Eh bien ! les enfants, leur dis-je, on 
rigole ? 

Mais, aucun sourire ne répond au mien. 
J'ai fait fausse route : je le comprends 
trop tard. La situation, les hommes la con- / 

naissent tout comme moi, et s'ils sont bien 
décidés à accomplir leur devoir jusqu'au 
bout, ce sera du moins sans essayer de se 
leurrer eux-mêmes. 

Et les obus tombent, tombent, giboulée , 

infernale dont chaque goutte est un obus. 



DOUAUMONT 151 



CHAPITRE Xll 



DEUXIÈME NUIT 

C^est la deuxième nuit que nous allons 
passer sans sommeil. En même temps que 
Tobscurité, le froid tombe. Nos pieds sont 
des blocs de glace. 

J'ai pris dans la musette d'im mort une 
paire de chaussettes et je songe avec déli- 
ces combien cela va être bon, combien cela 
va être doux, de quitter mes chaussettes 
mouillées et raidies pour les remplacer 
par les chaudes chaussettes de laine que je 
tiens là dans ma poche comme un trésor... 

Mais, comment se risquer à enlever ses 
souliers avec la perpétuelle menace d'une 
attaque ? La nuit passera et le jour d'a- 
près, et je quitterai Douaumont avec mes 
chaussettes mouillées. 

Aux fatigues de la garde, à la tension 
nerveuse produite par le tumulte eiffroya- 
ble, s'ajoutent bientôt les souffrances de la 
soif : un obus a brisé, dans l'après-midi, la 



J 



152 CEUX DE VERDUN 

fontaine qui alimentait ce côté du village, 
et les bidons sont vides. 

Je feins de fermer les yeux quand Tub 
ou l'autre de mes hommes, n'y pouvant 
plus tenir, s'en va rôder dans le village, 
scrutant les auges, interrogeant les éviers 
des maisons éventrées, cela sous l'éclate- 
ment des obus, parmi l'averse des pierre» 
et des tuiles. 

Tel, pour apaiser sa soif, a dépensé plus 
d'efforts, a couru plus de périls, a bravé 
plus de fois la mort que tel autre dont le 
nom s'offre à l'admiration des foules, au- 
réolé d'héroïsme. 

Heureusement, la neige se met à tom- 
ber. Toute la nuit, nous calmerons notre 
fièvre avec de la neige. 

Nous avions pour la compagnie deux 
abris blindés. Le docteur Soubies, dont les 
deux postes de secours établis dans les 
maisons du village ont été, l'un après l'au- 
tre, démolis, vient nous demander l'hospi- 
talité. Les hommes laissent la place aux 
blessés et s'en vont dehors, sous la neige et 
sous la bise, qui passent en rafales. La 
plupart demeurent debout et tiennent 
compagnie aux guetteurs. 



m 

I 



I 



t 



DOUAUMONT 153 



Quelques-uns, cependant, à bout de f or- 
063, s'assoient dans la tranchée tapissée de 
boue et y dorment d'un sommeil lourd, la 
toile de tente rabattue par dessus la tête. 
Les camarades passent, et des brancar- 
diers, et les gradés de quart, heurtant les 
dormeurs, meurtrissant leurs jambes, sans 
que les dormeurs s'en aperçoivent. 

Je ne sais qui en passant nous raconte 
me histoire qui réussit à amener sur nos 
lèvres un sourire. 

Une compagnie du premier bataillon, 
qui ignorait la prise du fort, avait envoyé 
une patrouille pour se mettre en liaison 
avec la garnison. 

La patrouille arrive au réseau qui en- 
toure le fort, tâtonne dans l'obscurité, 
«herche un passage... 

De l'autre côté, les Boches, toujours dé- 
guisés en zouaves, l'appellent, l'encoura- 
gent, dans l'espoir évidemment de la faire 
prisonnière. 

La patrouille cherche encore, puis, 
brusquement, le caporal, fatigué de 
ses vains efforts, fait demi-tour avec seis 
hommes et revient à sa compagnie : 

— Mon lieutenant, dit-il à l'officier 






154 CEUX DE VERDUN 

qui l'avait envoyé, je n'ai pas pu entrer 
dans le fort mais je suis en liaison avec la 
garnison... 

Il était en liaison avec les Boches ! 

Les tranchées s*effondrent. Les cada- 
vres s'entassent. Le sol bout comme Veau 
d'une chaudière. Le ciel se disloque... 



. Il 



DOUAUMONT 155 



CHAPITRE XIII 



LA NUIT SE TRAINE 

Je pense à profiter de l'obscurité pour 
faire enterrer le corps de l'adjudant Pin- 
ceton, de la 9" Compagnie, tué près de 
nous la veille ; mais le sol, pétrifié par le 
froid, résiste à nos outils portatifs, com- 
me un bloc de granit. 

Pinceton venait de ma compagnie ; 
c'est là qu'il avait fait presque toute sa 
campagne. Il avait laissé parmi nous le 
souvenir d'un soldat brave, un peu témé- 
raire. Il suffisait de lui parler d'un dan- 
ger proche pour qu'aussitôt il dise : « Si 
j'allais voir ça ? » 

Sa même témérité fut cause de sa mort. 

La veille, je passe dans notre tran- 
chée. J'entends du bruit au-dessus de ma 
tête ; sur le parados, l'adjudant se dresse; 
il s'est accoudé à une levée de terre et il 
examine avec sa jumelle, les redoutes de 
Douauraont, victime désignée à la pre- 
mière balle ennemie. 



156 CEUX DE VERDUN 



Je prends ma voix cassante, cette voix 
qui me sert à dissimuler une émotion trop 
vive. , 

— Votre place n'est pas ici, lui dis-je ; 
mais à notre droite, avec votre compa- 
gnie. 

Et comme il me regarde, étonné de ce 
ton inhabituel, je poursuis : 

— Je vous dis de regagner votre poste ; 
il est moins en vue, peut-être, mais plus 
utile. 

Pinceton me jette un dernier regard, 
un peu triste puis, sans dire un mot, il s'é- 
loigne. 

Une heure après, je repasse au même 
endroit. Des corps sont étendus sur le pa- 
rades. Je m'informe. 

— Oui, me dit un de mes caporaux, 
Ageorges, un obus vient de tomber là dans 
un groupe. Il y avait Tad j udant Pinceton 
qui regardait vers le fort et d'autres 
hommes qui couraient derrière lui. L'ad- 
judant est tué, un autre également et il y 
a, en plus, trois blessés. . 

Donc il est revenu ! Malgré les obus, il 
a voulu savoir ce que cachait le mystère 
du. fort. 



DOUAUMONT ' 157 



Cependant, les blessés râlent. Je fais 
avertir les brancardiers. Ceux-ci arri- 
vent ; ils contemplent la pluie des obus, 
ils me regardent... 

Je comprends leur interrogation muet- 
te. Insister serait les envoyer à une mort 
presque certaine. Je n'insiste pas. 

Mais la plainte des blessés devient de 
plus en plus lamentable. Un de mes hom- 
mes, Réaume, s'écrie : 

— Je ne peux pas laisser les camara- 
des comme ça. Je vais les relever. 

Il pose son fusil contre la banquette, 
saute par dessus le parados, prend un des 
blessés dans ses bras robustes et le porte 
au poste de secours. Il recommence pour le 
deuxième, puis pour le troisième. Et il re- 
vient parmi nous sain et sauf. • 

De temps en temps, j'entre au poste de 
secours. Les blessés geignent, à chaque 
heure plus nombreux. Au milieu d'eux, le 
docteur Soubies se prodigue, toujours 
aussi calme et aussi distingué... Docteur, 
je vous devrai une des visions les plus 
étranges de cette étrange histoire : celle 
d'un Parisien maintenant les grâces sou- 
riantes et la politesse exquise de la capi- 

14 



158 CEUX DE VERDUN 

w 

taie parmi le plus effroyable des cataclys- 
mes. 

L'aumônier du régiment, Tabbé Bedu, 
qui s'est pojrté au fort de la rafale, est 
assis là, son chapelet entre les mains. 

— Que signifie ce bombardement, me 
demande-t-il, et quelle surprise nous mé- 
nagent demain les Boches ? 

Puis, à voix basse : • 

— Timeo diem venîentem. 

Oui, beaucoup sont ici vivants qui, de- 
main... Et moi-même, peut-être ?... Ne 
de vrais- je pas envoyer à ceux que j'aime 
un dernier adieu ? 

Mais cette pensée, je la chasse comme 
une faiblesse. Si je tombe, il se trouvera 
bien quelqu'un pour écrire aux miens : 
« Votre fils, votre frère est mort à Douau- 
mont. » Cela suffira. 

Et contre cet ouragan, contre cette ava- 
lanche, des poitrines d'hommes se dres- 
sent, de moins en moins nombreuses, de 
plus en plus droites et résolues... 



X 



DOUAUMONT 159 



CHAPITRE XIV 



LE COLONEL DE B... 

A de nombreusçs reprises, au cours de 
ces souvenirs, est revenu sous ma plume le 
nom de notre Colonel. J'aurais dû le pré- 
senter plus tôt, peut-être, mais j'ai tenu 
à dresser sa statue au-dessus de ce Douau- 
mont qu'il a si superbement défendu, par- 
mi ces ruines fumantes, ces obus crépi- 
, tants, ces blessés, ces morts, au milieu 
desquels il promenait son visage impas- 
sible et sa volonté surhumaine (1). 

Ce fut à peine guéri d'une blessure 
reçue presque au début de la campagne 
que le colonel de B vînt, en Décem- 

bre 1914, commander le 95\ 

Nous ne connûmes de lui, pendant plu- 
sieurs mois, que la sévérité. 

J'ai dit ailleurs l'état d'esprit du régi- 



(1) Le colonel de B... a quitté le 95' en septembre 1916, 
appelé au commandement d'une brigade. Il n'est plus, depuis 
six mois, mon colonel. Ceci afin qu'on n'accuse de flatterie ni 
la dédicace de ce livre, ni le chapitre ci dessus. 



160 CEUX DE VERDUN 



ment au long du premier hiver de la cam- 
pagne* 
Des affaires malheureuses que soldait 

(censuré) 

; un ciel inclément qui fai- 
sait succéder les gelées aux pluies torren- 
tielles et la neige aux brouillards :en 
fallait-il davantage pour semer 

, le découragement, la lassitude ! 

Contre cet état d'esprit il fallait réagir. 

Le Colonel réagit. 

Tout homme, tout gradé, sut qu'il 
devait donner, sous les peines les plus 
graves, le plein de son effort. Nulle défail- 
lance ne fut tolérée. 

Les dents, grinçantes tout d'abord, s'ac- 
coutumèrent peu à peu à l'acidité du fruit 
nouveau. Les hommes ne détestent pas 
d'être menés en laisse : ils demandent seu- 
lement à leurs gardiens la justice et l'hu- 
manité. 

La justice, nous l'eûmes dès le premier 
jour. Elle s'exerça de deux façons : par 
une égale et scrupuleuse répartition des 
sanctions et des récompenses ; par la part 
que prit notre chef à nos fatigues et à no& 
dangers. 



DOUAUMONT 161 



A peine étions-nous installés dans un 
secteur qu'il venait nous rendre visite. De 
son petit pas égal, il parcourait les tran- 
chées en long et en larcre. De sa grosse 
voix placide, il conseillait, gourmandait, 
encourageait. 

Les jours d'attaque, dès que la situa- 
tion devenait périlleuse ou simplement 
confuse, on le voyait apparaître. Tou- 
jours calme, toujours maître de lui, il s'in- 
formait, donnait des ordres et repartait, 
laissant derrière lui un sillon de quiétude 
et de sécurité. 

Quant à son humanité, s'il ne la décou- 
vrit pas dès l'abord, elle ne s'en manifesta 
qu'avec plus d'éclat par la suite. 

Quand il eût pansé les blessures de son 
régiment, quand sa sévérité n'eut plus de 
raison d'être, il permit à son grand cœur 
de s'étaler tout grand. Une douceur, 
inconnue jusqu'alors, illumina ses yeux et 
transfigura son visage. Avec quelle émo- 
tion, avec quelle tendresse il parlait de 
« ses gars » ! Il trouvait, pour s'adresser 
à eux, des intonations qu'on n'eût jamais 
attendues de sa voix puissante, fait© 
pour commander à la temnête. 



162 CEUX t)E VERDUN 



« Les gars » qui déjà Tadmiraient 
pour sa bravoure, apprirent à Taimer 
pour sa paternité. Entre eux, familière- 
ment, ils l'appelaient de son prénom : 

Jean. 

■ — Jean va être content... Jean va rous- 
péter... Regarde ce paquet de tabac que 
Jean m'a donné... Jean m'a engueulé, 
mais il m'a foutu une pipe dans les 
pattes... 

Les plus beaux saluts que j'ai vu faire à 
un chef, c'étaient les saluts des hommes du 
95* à leur Colonel : quelle attitude mar- 
tiale ! Quels yeux confiants et fiera: 

— Vous savez, mon Colonel, disaient 
ces yeux, nous sommes bien contents de 
vous voir ! 

A Douaumont, les mêmes qualités se 
manifestèrent et s'exaltèrent. Son cou- 
rage, grandi par le danger, devint de l'hé- 
roïsme. Renforcées par la confiance qu'il 
avait dans ses hommes, sa magnifique in- 
telligence et son expérience de la guerre le 
firent planer au-dessus d'une tâche qui 
eût, à beaucoup d'autres, paru inaccessi- 
ble. 

Au plus fort du bombardement il sor- 



DOUAUMONT 163 



tait de sa cave et parcourait les lignes. 
Pour réconforter les combattants ? Oh 
non 1 il savait bien que nul réconfort n'é- 
tait nécessaire, que le sacrifice total était 
prononcé par chacun d'eux. Il s'en venait 
les voir, tout simplement, comme on va 
voir des amis très chers à qui vous unit 
une affection cimentée par le sang et par 

le feu. 

Cette confiance mutuelle, de quels pro- 
diges n'est-elle pas capable, quand le pre- 
mier article de la foi est, chez les hommes 
la science et la volonté du chef, chez le 
chef le courage et la volonté des hom- 
mes !... 

Et pourtant, à quelle rude épreuve fut, 
d'un côté comme de l'autre, soumise cette 
confiance pendant la bataille de Douau- 
mont alors que toutes les digues dressées 
contre le flot de l'invasion cédaient les 
unes après les autres 1 

Ce fut par un commandant de chas- 
seurs à pied que le Colonel apprit la perte 
du fort de Douaumont. 

— Puîs-je vous demander, mon Colo- 
nel, ce que vous comptez faire ? s'enquit 
le Commandant. 



164 CEUX DE VERDUN 



— Quoi qu'il arrive, je n'abandonnerai 
pas Douaumont. 

— Je vous ferai remarquer, insista 1© 
commandant, que le 95', découvert à droi- 
te, vfi être cerné... 

— Nous verrons bien ! 

A ce dialogue je n'étais pas présent 
mais j'imagine ce que durent être l'accent 
et le regard du Colonel quand il s'écria : 
(( Nous verrons bien ! », et je reconstitue 
sa pensée : 

« Cernés nous autres ! Nous, dont tou- 
tes les volontés agglomérées ne forment 
qu'un seul granit exaspéré ! Mais ne 
voyez-vous pas que nous sommes de fore© 
à briser dix armées allemandes ! » 

Ainsi, arcbouté de ses larges épaules 
contre le mur croulant de Verdun, notre 
Colonel supportait l'effort entier de la dé- 
fense. Et nous, quand parfois nous re- 
tournions la tête, nous voyions, même au 
profond de la nuit, ses yeux qui nous re- 
gardaient, et nous entendions sa voix qui, 
dominant le tonnerre des obus, nous 
disait : 

— Ne craignez rien, les gars, je suis là! 



DOUAUMONT 165 



CHAPITRE XV 



EN RECONNAISSANCE 

26 février. 

Les premières heures de Faube éclai- 
rent la désolation du village. Il n'y a plus 
un toit debout. L'église est effondrée. Seul 
le clocher se dresse, invulnérable. 

Le village entier n'est qu'un amoncelle- 
ment de pierres, de moellons, de tuiles, de 
poutres, de meubles, de paille, de foin, de 
gravats, pâtée monstrueuse que le canon 
boche a jetée en proie à notre haine. 

Or, comme je contemple le spectacle de 
ce qui fut, il y a quelques jours encore, un 
paisible village de France, soudain, d'un 
amas de décombres, s'élève le chant d'une 
horloge ! 

Ignorante du cataclysme, indifférente 
et tranquille, l'horloge senne ses sept ou 
huit coups puis, — je n'entends pas, mais 
je devine, — continue de battre. 

Au petit matin je vais en reconnais- 



166 CEUX DE VERDUN 

sance sur notre droite. C'est là qu'ont été 
rassemblés, face aux redoutes, avec une 
fraction de la 9* Compagnie, les restes du 
l*' Bataillon. 

Je croise le lieutenant Paquet, assis 
dans une tranchée que les obus prennent 
en enfilade. Il se caresse la barbe d'un 
geste familier. Nous échangeons en pas- 
sant des plaisanteries destinées à la gale- 
rie, mais que démentent nos sourcils ner- 
veux. 

Voici au détour d'un boyau le lieute- 
nant Delas, un de ces instituteurs soldats 
à la bravoure légendaire, que tant de 
Français méconnurent avant la guerre, à 
commencer par eux-mêmes. Delas est un 
vieux camarade. Nous avons été sergents 
ensemble à la 6* Compagnie, au début de 
la guerre de taupes. Nous échangeons 
une poignée de main fraternelle. 

Encore un boyau et me voici dans la 
cagna du capitaine Daval qui commande 
maintenant le 1*' Bataillon. 

Je prends des consignes, puis je reviens 
m'établir avec une fraction de ma section, 
en liaison entre les deux bataillons. 

A peine sommes-nous installés qu'un 



DOUAUMONT 167 



ebus arrive, en pleine tranchée, éclate en- 
tre mon voisin de gauche et moi et nous 
couvre tous les deux de terre et de cail- 
loux. 

Un cri d'épouvante : on nous croit dé- 
ehiquetés l'un et l'autre. 

Mais nous nous relevons d'un même 
mouvement et nous secouons notre man- 
teau de poudre : nous n'avons pas même 
une égratignure 1 

« Pas un cheveu ne tombera de votre 
tête sans ma ^permission,.. » 

Je reviens dans le village. 

Quelques hommes de la 10*" Compagnie 
passent, conduisant au colonel un prison- 
nier abominablement ivre. Le Boche a l'i- 
vresse joyeuse. Un rire perpétuel secoue 
son visage de brute. 

Un homme montre un énorme couteau 
qu'il a trouvé sur le prisonnier ; la lame 
est rougeâtre et poisseuse. 

— Il a dû manger des confitures, le 
gourmand ! dit quelqu'un. 

— Des confitures ? fait un autre qui a 
regardé la lame de plus près, je crois plu- 
tôt que c'est du sang ! 

Ces mots jettent un froid. Le prison- 



168 CEUX DE VERDUN 



nier reçoit des regards sans bienveillance : 

— Hé ! tête d'Alboche 1 tu as dû assas- 
siner l'un des nôtres, avoue-le ! 

— Ya !ya ! répond le prisonnier en 
éclatant de rire. 

Les cadavres d'hommes et de chevaux 
encombrent les rues. Aux victimes de la 
nuit s'ajoutent sans cesse des victimes 
nouvelles. 

Comment trouver des mots pour décrire 
la rage qui s'est emparée de l'artillerie 
ennemie ? Mille pièces démuselées hurlent 
à pleine gueule ! C'est un tir de destruc- 
tion destiné à pulvériser toutes les défen- 
ses du village et tous ses défenseurs, le tir 
qui précède les ruées en masses compactes. 

Dans le tumulte épouvantable, les paro- 
les ne vont pas plus loin que la bouche qui 
les a, prononcées ; les corps, ballottés sans 
relâche par les convulsions du sol, sont 
agités de soubresauts nerveux. 

Des abris s'effondrent, ensevelissaM 
des sections entières. Deux chambres, em- 
plies de blessés, disparaissent dans un ou- 
ragan de pierres, et les malheureux trou- 
vent là un tombe vivante ! 

Et contre cet ouragan^ contre cette 



DOUAUMONT 181 



CHAPITRE XIX 



DERNIERS ASSAUTS 

L'attaque, manquée à droite, reprend 
bientôt vers la gauche. 

Les tirailleurs marocains, couchés dans 
la plaine, sans abri d'aucune sorte, sont 
surpris par Tarrivée subite des Boches et 
submergés par leurs flots sans cesse re- 
nouvelés. Une mêlée s'engage ; les Boches 
se servent de leurs grenades à bout por- 
tant ; presque tous les officiers de tirail- 
leurs sont tués et leurs hommes fléchis- 
sent. 

Quelques-uns même esquissent un mou- 
vement de retraite. 

Le capitaine Ferrère et le commandant 
C se précipitent. 

Le capitaine Ferrère, qui est colon au 
Maroc, harangue les tirailleurs : 

— Ne savez-vous pas qu'Allah n'aime 
pas les lâches ! s'écrie-t-îl. 

Les tirailleurs regardent avec stupéf ac- 



182 CEUX DE VERDUN 

tion ce Français qui parle leur langue et 
font de nouveau face à Tennemi. Le com- 
mandant C se met à leut tête, 
lève sa canne comme une épée et comman- 
de : « En avant ! » 

A ce moment passe sur la ligne entière 
un grand souffle d'héroïsme. Les hommes 
du 95' sortent de leurs tranchées pour 
tirer plus à Taise. Ceux qui se trouvent 
près des tirailleurs courent se mêler à 
leurs rangs et chargent avec eux. Le clai- 
ron Bruneau, de la 9** Compagnie, saute 
sur le parapet et, droit dressé dans l'a- 
verse des balles, sonne, aux camarades qui 
s'élancent, une charge endiablée. Une 
balle le frappe au front et l'étend raide 
mort. 

Encore un de tes enfants, vieux clairon 
de Déroulède ! (1). 

Une autre balle blesse à l'épaule, de 
façon grave, le commandant C 
Mais l'élan est donné. 

Les Boches commencent à lâcher pied. 

Le feu nourri des nôtres active leur dé- 



fi) Le soldat Brntieaa était originaire de Bonrges. Il a»» 
partenait à la classe 15 et il était marié. 



DOUAUMONT 183 



•onfiture. Le sous-lieutenant Duchet- 
Sucliaux, nouvellement arrivé parmi nous, 
s'efforce de faire oublier à ses hommes son 
visage imberbe. Il fume la pipe comme un 
vieux poilu, tout en faisant le coup de ieu 
et tout en donnant ses ordres avec une 
bonne humeur et un sang-froid dignes 
d'un vétéran du Bois-Brûlé. 

Une section boche débouche de la corne 
sud-est du petit bois. L'officier qui la 
commande a un bel équipement neuf en 
cuir jaune. Quel superbe point de mire ! 
L'équipement neuf roule à terre, frappé 
d'une balle. La section fait un brusque 
demi-tour et rentre dans le bois. 

Quelques instants après un soldat re- 
vient en rampant chercher le corps de son 
officier. Il se cache de son mieux et il se 
persuade sans doute qu'il demeure inaper- 
çu. Déjà, des fusils impatients le mettent 
en joue : 

— Ne tirez pas ! ordonne Duchet- 
Suchaux il faut bien rire un peu ! 

On 'laisse le Boche arriver jusqu'au 
cadavre. Un commandement à voix bas- 
se... Et il y a tout aussitôt deux cadavres 
crôte à côte. 



184 CEUX DE VERDI) H 



CHAPITRE XX 



LES TIRAILLEURS 

Un obus brise le trépied d'une des mi- 
trailleuses qui garnissent le front de la 
10* Compagnie. 

— Vous n'avez plus de trépied, dit aux 
mitrailleurs le sous-lieutenant Brisebat ; 
je vais vous en faire un. 

Il prend alors la pièce, la fixe sur le 
parapet, et la maintenant dans sa poigne 
nerveuse, il permet aux hommes de conti- 
nuer un feu, un peu saccadé peut-être, 
mais non dénué d'efficacité. 

Le sergent-major de la 10* Compagnie, 
P..., a bondi hors de son abri aux premiers 
bruits de la fusillade. Il prend le com- 
mandement d'une dizaine d'hommes qui se 
trouvent à part, dans un élément de tran- 
chée, et il réalise des prodiges. 

Il entremêle ses ordres de réflexions 
pittoresques qui mettent les hommes e» 
joie : 



k 



DOUAUMONT 185 



— Ah lies cochons ! les cochons 1 De- 
puis Sarrebourg que j'attendais ce mo- 
ment-là ! Ils m'ont tiré dans les fesses à 
Sarrebourg, les salauds ! à mon tour de 
leur z'y poivrer la cafetière ! 

Cependant les tirailleurs ont pris net- 
tement l'avantage. Les Boches font demi- 
tour et le carnage commence. 

Les tirailleurs ont une façon à eux de se 
servir de leurs baïonnettes : ils ne s'en ser- 
vent pas !... Ils chargent leur fusil en 
marchant, déchargent la balle dans le dos 
du Boche qui se trouve devant eux, re- 
chargent et recommencent. 

Un tirailleur blessé, à qui on veut per- 
suader d'aller au poste de secours, répond 
fièrement : 

— Un tirailli s'en alli sans chagé 
(charger) ? jami ! 

Et il court à la suite des camarades. 

Rares sont les Boches qui réussissent à 
s'échapper. Leurs cadavres s'entassent 
sur les pentes de la colline. Il y a un de ces 
cadavres qui s'est accroché aux fils de fer 
du réseau, et qui reste là, debout, avec sa 
face grimaçante. 

Jusqu'à la tombée de la nuit, on enten- 



ii6 CEUX DE VERDUN 

ra les plaintes des blessés et on verra les 
lubresauts des moribonds. 

Pour se venger de son échec, l'ennemi 
icommence son bombardement f«- 
,eux. 

Mais les hommes n'en ont cure : ils en 
it tant vu depuis trois jours, qu'ils se 
iutent invulnérables. Le lieutenant Pa- 
aet, dont la Compagnie eut à subir des 
Brtes particulièrement sensibles, s'irrite 
e voir l'insouciance de ses hommes sous 
t, pluie des obus. Oublieux de son propre 
anger, il parcourt les rues du village, 
aligeant les promeneurs qui musent 
JUS la rafale à rentrer dans leurs tran- 
tiées. 

Le lieutenant Paquet a perdu un de see 
Eficiers et son adjudant. Et combien 
'hommes ? Son front est barré par la 
ristesse. Ceux qui le voient déambuler 
otre les maisons, sans que les murs qui 
roulent le fassent dévier de sa route, ne 
euvent s'empêcher de penser : 

— Il cherche à se faire tuer... 

Toutes les victoires, hélas ! et même !« 
lus glorieuses, doivent être payées ave* 
u sang comptant, et le cœur des chefs m 



DOUAUMONT 187 



brise quand, la bataille terminée, le mo- 
ment vient de faire l'appel des disparus. 

Et les obus tombent, tombent, tombent^ 
giboulée infernale dont chaque goutte est 
un obus. 



CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE XXI 



GODFERDOM 1 

BU après la tombée de la nuit, le capi- 
e Blanchot me fait appeler. 
- Lisez, me dit-il, eu me tendant ub 
ier. 

i lis et n'en peux croire mes yeux ; 
un ordre de relève ! 
st-il possible que nous sortions de cet 
r ? La stupéfaction des hommes égale 
ienne. Je m'étais, pour ma part, telle- 
t habitué à l'idée de tomber là, parmi 
amarades dont les cadavres spnt épars 
>ur du village, que l'annonce de cette 
7e me fait l'effet d'une résurrection, 
ous apprendrons plus tard que nous 
ons quitter Douaumont au début de 
>urnée, mais le colonel de B , qui 

ait à la fureur de l'artillerie ennemie, 
attaque imminente, craignit que la 
e ne fût trop dure pour des troupes 
'elfes, ignorantes des ressources et des 
Is de leur nouveau secteur. 



DÛUAUMONT 189 



Il demanda et obtint — très facilement, 
on s'en doute — la « faveur » de garder 
nos positions jusqu'à la nuit. 

La nuit tombée, des officiers du nou- 
veau régiment arrivent, précédant leurs 
unités. 

Nous leur passons les consignes, et 
Compagnie par Compagnie, la relève corn- 
mence. 

Le commandant C , malgré ses 

souffrances, ne peut se décider à se sépa- 
rer de ses hommes. Il pleure comme un en- 
fant. Il recule son départ jusqu'au dernier 
moment et il faut un ordre formel du ma- 
j or pour qu'il se. laisse emporter sur un 
brancard. 

Seule de toutes les compagnies, la 
onzième doit, pour les nécessités de la 
relève, rester sur ses emplacements toute 
la nuit et toute la matinée du lendemain. 

Cette circonstance lui vaut l'honneur de 
repousser une nouvelle attaque. 

Vers 3 heures et demie du matin, on en- 
tend en avant des réseaux un bruit sus- 
pect. Deux jeunes caporaux, Foulié et 
Michaad, les deux frères jumeaux de l'hé- 
roïsme, qui jamais ne laissent passer une 



*»r> T'y- 






Î90 CEUX DE VERDUN 

occasion de risquer superbement leur vie, 
vont d'eux-mêmes en reconnaissance, sans 
solliciter Tautorisation préalable. 

A ceux qui s'indigneraient de cette in- 
discipline, je souhaite de n'avoir jamais 
sur la conscience de faute plus grave... 

Ils reviennent et annoncent que deux 
torts groupes de Boches, arrivés en colon- 
ne par quatre, sont en train de couper les 
fils qui demeurent intacts. Quand les Bo- 
ches ont aperçu les deux caporaux, ils 
leur ont crié : 

— France ! Godferdom ! 

Que prétendaient-ils par ce juron en 
flamand ? Espéraiént-ils se faire passer 
pour des Belges égarés ?... Cette hypothè- 
se ne serait indigne ni de la grossière ma- 
lice des Teutons, ni de Tinvraisemblable 
naïveté française. 

Mais le capitaine Dubourgdieu, qui 
commande la compagnie, est tout le 
contraire d'un naïf. Il fait ouvrir le feu 
de tous ses fusils à la fois. Surpris par la 
rafale, les Boches s'abattent. Leurs râles 
et leurs gémissements percent le tumulte 
des balles, puis s'apaisent peu à peu dans 
le grand calme de la mort. 



CINQUIÈME PARTIE 



FLEL'RY 



.'S 



DOUAUMONT 



169 



avalanche, des poitrines d'hommes se 
dressent, de moins en moins nombreuses, 
de plus en plus droites et résolues... 



N 



U 



170 CEUX DE VERDUN 



> 



CHAPITRE XVI 



A L'ORDRE 

Au milieu de cette" tempête de fer et de 
feu, les tâches ordinaires s'accomplissent 
avec régularité. Majors et brancardiers 
s'affairent. Les ravitailleurs vont cher- 
cher les cartouches aux caissons placés 
dans une grange, en pleine tourmente. 
Quelques-uns, qui doivent traverser un 
espace découvert, se font attacher sur le 
dos les sacs de cartouches, et rampent. 
Les agents de liaison courent d'un poste à 
l'autre enjambant les cadavres, se glis- 
sant à travers les décombres. Dans cha- 
que tranchée, des guetteurs attentifs veil- 
lent à leur poste de combat. 

Les mitrailleurs se tiennent debout sur 
les talus, protégés par une haie de la vue 
mais non des coups, et poussent à un aussi 
haut point le mépris du danger qu'ils ar- 
rachent des cris d'admiration à leurs ca- 
marades des tranchées eux-mêmes. 



DOUAUMONT 171 



C'est le capitaine Delarue qui comman- 
de les mitrailleurs de notre secteur. Je me 
suis fait à moi-même le pari que je le ver- 
rais, au moins une fois dans cette journée, 
sans son sourire. J*aî perdu mon pari. 

Le capitainç Ferrère, adjoint au colo- 
nel, se promène au milieu du village avec 
son étemelle cigarette aux lèvres, et le vi- 
sage d'un homme qui en a vu bien d'au- 
tres. 

Il ne comprend pas l'émotion de plu- 
sieurs : 

— Mais enfin, ne courez donc pas si 
vite, leur dit-il avec un étonnement sin- 
cère. 

J'apprendrai plus tard que, la veille, le 
capitaine Ferrère prit volontairement le 
commandement d'une section de mitrail- 
leuses contre les vagues d'assaut alleman- 
des et qu'il régla le tir des pièces, debout 
sur une barricade ! 

Malgré l'averse des obus, les hommes 
réparent leurs tranchées autant que le 
permettent les rares outils dont ils dispo- 
sent. 

Le lieutenant Ecoutaîn est placé avec 
sa section dans le cimetière, à quelques 



172 CEUX DE VERDUN 

mètres en avant du clocher. Un camara<Je 
qui passe lui fait remarquer la jolie musi- 
que que font les balles boches en heurtant 
les cloches. 

— Oui, répond Ecoutain, mais voilà 
trop longtemps que les obus ratent le clo- 
cher. Ça ne peut pas durer toujours. J'ai 
le pressentiment qu'il va nous enterrer 
tous. 

Et comme le camarade, croyant à des 
idées noires, veut remonter le courage 
d'Ecoutain, celui-ci répond avec un sou- 
rire tranquille : 

— Oh ! ce que je dis là est histoire de 
causer ; çà ne m'empêche pas de fumer ma 
cigarette. 

Les pressentiments n'avaient pas tort. 
Vers le milieu de la matinée, un obus 
heurte le clocher et un des éclats frappe 
Ecoutain à la tête. 

C'était un engagé volontaire, modèle de 
toutes l^s vertus de l'homme et du soldat. 
Que sa veuve trouve ici le témoignage de 
l'affection et de lestirae que tous, au 95*, 
avions pour son mari. 

Vers une heure de l'après-midi, le ser- 
gent B..., de la 11* Compagnie, qui a la 



DOUAUMONT 173 



garde de la barricade au Nord de Douau- 
mont, est blessé à la tête. Il tombe éva- 
noui. On le fait revenir à lui, on veut le 
porter au poste de secours. Il refuse, 
garde son poste, et ce n'est qu'à la nuit, 
une fois repoussée toute crainte d'atta- 
que nouvelle, qu'il accepte d'aller se faire 
panser. 

Le caporal B..., de la 11*, blessé au bras 
et à la tête, oublie sa souffrance pour se 
porter au secours d'un de ses camarades 
enseveli sous un éboulement. Pendant 
qu'il s'active, un autre obus tombe, qui tue 
trois hommes à ses côtés et lui fait deux 
nouvelles blessures, l'une à la tête, l'autre 
à la lîuisse. Il a le corps en loques et cou- 
vert de sang : 

" — Maintenant, dit-il, je veux bien 
qu'on m'emporte. 

L'âme de tous ces efforts, de toutes ces 
volontés, de tous ces héroïsmes, est le Co- 
lonel de B... 

Il va d'une ligne à l'autre, donnant des 
ordres, encourageant ses gars. On vient le 
prévenir que les troupes qui appuyaient 
sa droite ont fléchî, qu'il court le risque 
d'être fait prisonnier avec son régiment... 



174 CEUX DE VERDUN 

— Les autres font ce qui leur plaît, 
répond-il. Moi je dois garder Douaumont 
et je le garde. 

Et les chus tombent^ tombent^ tombent^ 
giboulée inferrude dont chaque goutte est 
un obus. 



DOUAUMONT 175 



CHAPITRE XVII 



L'INFILTRATION 

Mais que mijotent les Boches avec leur 
canonnade de déments, et vont-ils tirer 
ainsi jusqu'à la fin -du monde ? 

A plusieurs reprises, les glacis du fort' 
se couvrent d'une foule affairée. Quelques 
feux de salve éparpillent leurs rangs et 
rejettent les survivants au fond de leurs 
repaires. 

Simple* diversion, sans doute, destinée à 
nous donner le change. Ce n'est pas de ce 
côté que se produira l'attaque, mais au 
Nord du village, dans cette région, clair- 
semée de bois et de bouquets d'arbres, 
creusée par des ravins profonds. 

Toute la matinée et tout le début de 
l'après-midi les Boches se sont infiltrés 
par petits paquets à travers les accidents 
de terrain, jusqu'au ravin placé en face 
du centre du village et que nos projectiles 
ne peuvent atteindre. Beaucoup portent 
des paniers de grenades. 



176 CEUX DE VERDUN 

Arrivés en haut du ravin, ils emploient 
un moyen non dénué d'artifice pour des- 
cendre au fond plus rapidement. Ils pren- 
nent leur fusil dans leurs bras, le serrent 
contre leur corps, se laissent brusquement 
tomber à terre et dégringolent ensuite à 
toute vitesse le long de la pente, en rou- 
lant sur eux-mêmes ! 

Combien de t^mps va durer l'inonda- 
tion ? Nos hommes s'impatientent. Ils 
montrent le poing à l'ennemi, ils le dé- 
fient. Leur fièvre s'exaspère en rage, mais 
pas un instant leur résolution ne faiblit. 
Un caporal grignotte un biscuit dans un 
eoin : * - 

— Un peu maigre, le menu ? lui dis-je. 

— Pourvu que les cartouches ne man- 
quent pas, je me fous de la boustifaille ! 
me répond-il. 

Soudain, à notre gauche, parmi les ti- 
railleur du 1"' mixte qui attendent, cou- 
chés sur le sol nu, le moment de l'assaut, 
un incendie s'allume... C'est un tirailleur 
dont un projectile a enflammé la capote et 
qui fl ambe — torche vi van te . . . 

Un peu avant trois heures on voit défi- 
ler au grand trot» sur une des crêtes ad- 



DOUAUMONT 177 



verses, une pièce d'artillerie lourde. Une 
de nos mitrailleuses la prend dans son 
champ de tir et : 

— A bas le petit bonhomme ! 

Voilà les chevaux et les conducteurs à 
terre. 

Ce déplacement d'artillerie indique 
clairement que l'ennemi est sûr du succès 
de sa poussée et qu'il se_ prépare à 
appuyer par ses canons le mouvement en 
avant de son infanterie. 

Rien n'a été négligé pour que ce mouve- 
ment soit irrésistible. L'attaque qui va se ^ 
produire sera une des plus furieuses qu'il 
m'ait été donné de voir. 

/vé?.9 tranchées s'effondrent. Les cada- 
vres s'entassent. Le bruit des éclatements 
martèle les cerveaux. Le sol bout comme 
Veau d'une chaudière. Le ciel se 'disloque. .. 



178 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE XVIII 



LE COMBAT REPREND 

Le mouvement commence à 3 heures. 

Les Boches, remontant les pentes du ra- 
vin, se forment aussitôt en lignes et sV 
vancent, au pas de charge contre celles 
de nos tranchées qui se trouvent vers le 
milieu du village. Nous remarquons que 
tous ils portent au bras gauche un bras- 
sard blanc. Ils ont Tair sûrs d'eux-mêmes. 
Aucune nervosité dans leur attitude, au- 
cune inquiétude. Sans doute s'imaginent- 
ils que la canonnade a eu raison des dé- 
fenseurs du village et qu'il ne reste debout 
ni un homme, ni une mitrailleuse ? 

Leur illusion ne dure guère. 

Les mitrailleuses les laissent approcher 
puis ouvrent le feu. 

Les assaillants s'abattent comme si un 
ouragan irrésistible les jetait sur le sol. 

Trois vagues déferlent, Tune après Tau- 
Ire ; toutes les trois ont le même sort. Est- 



DOUAUMONT 17t 



il de ces trois vagues un seul boche qui ait 
pu s'échapper ?... 

Nos hommes postés dans les tranchées 
n'arrivent pas même à tirer un coup de 
fusil : 

— C'est dégoûtant, s'écrient-ils, dépi- 
tés dans leur vanité de bons tireurs \ on 
n'a pas le temps de viser son gibier qu'il 
est déjà par terre ! 

Je ne sais quels termes employer pour 
louer ainsi qu'il convient l'allant et la 
vaillance des mitrailleurs. 

L'adjudant Gudin a tout .bonnement 
installé éa pièce dans une porte de gran- 
ge ; l'obscurité dérobe ses hommes aux 
vues de l'ennemi. Gudin règle le tir avec 
sa jumelle, si calme qu'il a l'air de penser 
à tout autre chose. 

— Un peu à droite... un peu à gauche... 
plus haut... bloquez !... grande vi- 
tesse !... 

Cette seule pièce brûlera dans sa soirée 
quinze mille cartouches. 

Le lieutenant Duperré, autre mitrail- 
leur, a juré qu'il se ferait blesser une se- 
conde fois. Il a bien été gratifié d'une bles- 
sure, il y a trois mois, mais aii pied : cela 



! 



180 CEUX DE VERDUN 

ne compte pas, et il trouve déshonorant de 
demeurer si longtemps indemne. 

— Que pense de moi ma famille ? Elle 
doit s'imaginer que je me cache ! 

Il joue avec le danger, en grand enfant 
qu'il est, comme un ieune chat avec une 
pelote, mais il ne « gagnera » pas sa ser 
conde blessure'. 

Le lieutenant Delaître donne ses ordres 
avec son visage grave de ministre en tour- 
née. Un obus fait sauter sa pièce. Delaître 
examine les morceaux en connaisseur : 

— C'est du beau travail ! déclare-t-il. 
Et il s'en va commander la pièce, voi- 
sine... 



FLEURY 193 



CHAPITRE I'^ 



LA RELÈVE 

Le capitaine Blanchot rômplace le com- 
mandant C à la tête du batail- 
lon. Je prends le commandement de la 
compagnie. 

L'artillerie ennemie bat le plateau entre 
Fleury et Douaumont. Le spectacle est 
apocalyptique. 

Les obus ont labouré le plateau, réduit 
les arbres en miettes, semé les chemins de 
cadavres de chevaux et de véhicules éven- 
, <trés. 

Au détour d'une route, six corps sont 
étendus côte à côte. Les hommes qu'un 
obus a fauchés là revenaient de permis- 
sion, le cœur fleuri de la tendresse fami- 
liale. Ils ont encore en bandoulière leurs 
musettes bondées et des paquets sont 
épars autour d'eux. 

En arrivant à la ferme de Thiaumont, 
une hésitation. Ma boussole me dit : Par 

17 



194 CEUX DE VERDUN 



ici. Mais un de mes hommes qui deux fois 
est allé à Fleury me dit : Par là. 

Comme j'ai dans mon sens de la direc- 
tion une confiance limitée, je m'en rap- 
porte à l'homme. Cela nous vaut plusieurs 
centaines de mètres à l'aventure et une 
demi-heure de retard... 

La route de Fleury est percée comme 
une écumoire. Nous devons ralentir notre 
allure et marcher avec circonspection 
pour ne pas tomber dans les trous d'obus. 
Des rafales passent au-dessus de nos têtes 
dans la direction de Verdun. 

J'ai l'appréhension d'arriver en retard 
au rendez-vous du régiment. Des artil- 
leurs s'agitent près d'une maisonnette en 
ruines. Je leur demande : 

— Est-il passé déjà du 95* par ici ? 

— Je crois bien, me répond l'un d'eux. 
Et pas rien qu'un, vous savez, des flottes. 

— Il y 9» longtemps ? 

— Une heure au moins. Si vous voulez 
les rattraper, vous pouvez courir... 

A la pensée de me trouver seul, dans la 
nuit, perdu loin des camarades, il me 
vient une sueur froide. Je fais hâter le 
pas. 

s 



FLECRY 195 



Voici les premières maisons de Fleury. 
Un. artilleur passe ; 

— Avez-vous vu le 95 ? 

— Est-ce que tu me prends pour un po- 
teau indicateur ? 

Ma patience va m'échapper mais les 
moments sont précieux et comme un se- 
cond artilleur arrive, je renouvelle ma 
question : 

— Pouvez -vous me dire où est le 95 ? 

— Et toi, peux-tu me dire où est ma 
sœur ? 

Cette fois, ma colère éclate ; j'inter- 
pelle de la belle manière le mauvais plai- 
sant. 

Celui-ci s'excuse :1a nuit l'avait empêché 
de voir mes galons. Il explique que Fleury, 
est rempli de fantassins qui s'amusent à 
se payer la tête des artilleurs. Mais à quel 
régiment appartiennent ces fantassins, il 
l'ignore. 

Je reprends ma route et j'arrive enfin 
dans le ravin indiqué par l'ordre de mar- 
che, au nord-est de Fleury. 

Je suis le premier au rendez-vous. Ce 
résultat me procure une joie naïve. 



196 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE II 



LE BON JUS 

Il est une heure du matin environ. 

Après une demie-heure d'attente, nous 
entendons des cahots sympathiques : ce 
sont les cuisines roulantes qui sortent de 
Fleury et qui descendent vers nous, 

Je me précipite avec mes hommes... Hé- 
las ! la nôtre n'est pas avec les autres ; le 
conducteur se sera égaré sans doute. 

Mais, en campagne, le communisme est 
pratiqué sur la plus large échelle. 

— Comment, me dit le capitaine Ter- 
laud près de qui je passe et qui savoure 
goulûment une gamelle de café brûlant, 
vous ne prenez pas votre « jus » ? 

Je lui explique ma mésaventure et j'a- 
joute : 

— Vous voyez bien qu'il n'y a rien à 
faire, sinon à attendre le bon plaisir de 
mon caporal d'ordinaire. 

Mais c'est là, je l'avoue, pure hypocri- 



FLEURY 197 



sie de ma part. Je connais la proverbiale 
hospitalité du capitaine et je me doute 
bien un peu de sa réponse.,. 

— Comment, s'écrie-t-il, vous ne pou- 
viez pas venir me trouver plus tôt î 

Cinq minutes après, chacun de mes 
hommes a son café bien chaud et sa demi- 
boule, et moi-même je suis attablé avec le 
capitaine devant un pâté et une vieille 
bouteille. 

J'écoute les exclamations joyeuses qui 
de toutes parts jaillissent : 

« Oh ! le bon jus, le bon jus !... C'est 
comme si ma fiancée m'embrassait sur la 
bouche ! » 

Un caporal fait à ce moment, tout en 
mordant à pleines dents à même sa boule, 
une réflexion qui mérite d'être recueillie 
pour le remarquable esprit d'observation 
qu'elle dénote : 

— C'est surtout quand on a bien faim 
que ça fait du bien de manger. 

Pauvre diable ! ces paroles soulèvent 
mon hilarité et, quelques instants après, 
elles m'attendrissent. Je pense aux priva- 
tions de toutes sortes qu'il a souffert 
ainsi que ses camarades pendant ces 



( CEUX DE VERDUN 

•oyablss journées. Comment ont-ils pu, 
'entre vide, fournir un pareil eSort ! 
Puis, par une pente naturelle, ma pen- 

s'en va vers cette dame que j'avais 
ée de servir de marraine à un de mes 
iats sans famille et qui m'avait répon- 
en m'envoyant un billet de cinq francs: 
[ Je veux bien, pour cette fois mais 
ir cette fois seulement, faire à votre 
itégé une petite charité. Mais il est 
.tile de me solliciter de nouveau. Je 
uve qu'on abuse un peu trop de notre 
lérosité. Après tout les soldats sont 
irris par l'Etat et il ne faut pas exagé- 

leur misère. » 

F'ai donné à l'orphelin un billet de cinq 
ncs et j'ai renvoyé à la dame le sien 
ic une lettre... Si cette lettre l'a fait 
rire, c'est qu'elle a vraiment un heu- 
X caractère. 



FLEURY 199 



CHAPITRE III 



LE VILLAGE ABANDONNÉ 

A intervalles réguliers, les obus tom- 
bent sur Fleury. Nous sommes à deux 
cents mètres environ des premières mai- 
sons. 

Après une période d'attente, l'envie me 
prend d'aller me promener dans le village. 

Des soldats rôdent par les rues, mais 
d'habitants nulle trace. Ils se sont enfuis, 
aux premières rafales d'artillerie, telle- 
ment pressés de partir qu'ils n'ont rien 
emporté avec eux. 

Un mur éventré. Je projette par l'ou- 
verture la clarté de ma lampe électrique : 
une table occupe le milieu de la pièce ; des 
assiettes sont rangées tout autour ; on 
allait servir le repas quand l'alerte est 
survenue. 

Dans les étables, des vaches beuglent la- 
mentablement : 

Des soldats en traient quelques-unes 
poutr s'emparer du bon lait qui mousse 



1 



200 C£UX DE VERDUN 

dans les seaux. Mais, et ce détail m'émeut 
profondément, ils traient également les 
autres pour soulager les pis gonflés des 
pauvres bêtes. Le lait est jeté sur le 
fumier. 

La bataille est la meilleure des écoles 
de fraternité — je maintiens le mot qui 
peut-être fera sourire — et ceux qui vien- 
nent de passer par elle savent ce que c'est 
que de souffrir... 

Des poules, des chats, des chiens, épou- 
vantés par le vacarme, viennent se jeter 
dans nos jambes, comme s'ils réclamaient 
de nous une protection contre le cataclys- 
me. 

Cette protection leur est donnée, mais 
sous une forme que sans doute ils n'a- 
vaient pas rêvée ; poules, oies, canards 
errants, sont recueillis, étranglés et logés 
dans les musettes. Mon premier mouve- 
ment est de protester, puis à la réflexion : 

« Il n'y a plus de civils dans le village ; 
les obus ont détruit ou vont détruire tout 
ce qui reste ici ; pourquoi ne pas laisser 
les soldats se dédommager un peu de leurs 
privations passées ? Personne ne sera 
lésé. » 



FLEURY 201 

Plus de civils, ai-je dit. Cela n'est pas 
tout à fait exact. 

Une des habitantes qui avait pris part 
à la fuite générale revient au soir du 26 
et frappe à la porte du poste de secours. 

— C'est-t-y qu'on pourrait coucher ici 
la nuit ? demande-t-elle au docteur Clair. 

Et comme le major s'étonne de cette de- 
mande insolite, la vieille femme explique 
qu'elle est partie sans ranger son linge : il 
faut qu'elle range Son linge ! 

— Mais, madame, vous n'entendez 
donc pas les obus ? 

— J'ai mon linge à ranger. 

— Toutes les maisons du village vont 
être démolies les unes après les autres ! 

— J'ai mon linge à ranger. 

— Vous risquez de vous faire tuer par 
un éclat ! 

— Je vous dis que j 'ai mon linge à ran- 
ger. 

Et puis, pour couper court à des remar- 
ques qui l'ennuient, elle sort ce dernier 
argument sans réplique : 

— D'abord, j'ai aussi mes trois canards 
qui sont restés à la maison ! 




202 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE IV 



LA BISE 

J'apprends que le colonel de B est 
dans le village. Je me fais indiquer sa 
maison. 

Je le trouve en train de dîner dans une 
salle basse et malpropre, avec les officiers 
de son état-major. Je remarque la chaleur 
de sa poignée de main. Il y a si longtemps, 
si longtemps que nous ne nous sommes 
rencontrés ! 

Tant de sensations se sont accumulées 
en nous pendant cette période de fièvre, 
que les trois journées de Douaumont s'al- 
longent dans notre mémoire à la longueur 
d'une année. 

Le Colonel me demande si j'ai un chef 
de section énergique, sur qui l'on puisse 
absolument compter. J'hésite entre l'adju- 
dant Durassié et l'aspirant Debard, tous 
deux également braves. Puis, prévoyant 
qu'on va demander de nouveaux efforts à 



' 



FLEUR Y 203 



celui que je nommerai, je désigne Taspi-, 
rant Debard, plus jeune et plus à même 
de supporter ce surcroît de fatigues. 

— Alors, poursuit le Colonel, dites à 
Debard de prendre sa section et de monter 
au fort de Souville. Il relèvera la garnison 
du fort et demeurera là jusqu'à ce que je 
lui donne Tordre de nous rejoindre. Sa 
consigne est de tenir quoi qu'il arrive et 
de résister jusqu'au dernier homme... 

Je répète l'ordre et je vais prendre 
congé quand le Colonel ajoute qu'il me 
permet à moi, mais à moi seul, de coucher 
dans une des caves du village. Je le remer- 
cie, je salue et je sors. 

La section de Debard partie, je réflé- 
chis aux dernières paroles du Colonel. 

Pourquoi cette faveur ? Je cherche et je 
croîs trouver :^ le Colonel me croît plus 
abattu que mes camarades par les fati- 
gues de la bataille. 

Toujours ces cheveux blancs qui me 
vieillissent au-delà de mon âge ! 

Je suis reconnaissant de l'attention, 
maïs vexé du motif et je décide de retour- 
ner dans le verger au milieu de mes hom- 
mes. 



204 CEUX DE VERDUN 

Quelle bise ! Je me fais tout petit au 
milieu de mes vêtements et j'enfonce dans 
mes poches de capote mes mains jusqu'aux 
coudes. 

Des hommes ont retiré, des décombres 
des maison abattues, les matelas et les 
édredons et ils s'étendent en pleins 
champs sur ces couches mœlleuses, le vi- 
sage saturé de béatitude. 

Mais personne ne dort : il fait trop 
froid. La bise entre sous les vêtements ; 
les membres se recroquevillent ; les pieds 
et les chevilles ne sont qu'un seul bloo 
d'acier. 

Je pense à la maison paternelle, là-bas, 
tout là-bas. La lampe est allumée, le poêle 
ronronne. Et deux chères vieilles figures 
contemplent avec des yeux mouillés ma 
petite Solange qui rit comme seule elle 
sait rire... 

Ah ! qu'importent les fatigues et les 
privations, et les blessures, et la mort 
même, s'il faut payer à ce prix la paix de 
nos foyers et le rire de nos enfants ! 

Des hommes m'offrent une place sur les 
bottes de paille qu'ils sont allés prendre à 
une meule. Je me couche et je ferme les 



FLEURY 205 



yeux. Mais j'ai trop froid pour dormir. 
Après quelques minutes de lutte je n'y 
tiens plus. En vain je me morigène, en 
vain je me dis que je dois donner l'exem- 
ple et rester au milieu de mes hommes : la 
tentation est trop forte. Je songe combien 
il doit faire chaud dans une cave, à l'abri 
de la bise, et me levant brusquement, je 
m'en vais avec mon ordonnance à la re- 
cherche d'un gîte au milieu du village. 



18 



Is* 



r 
I 






206 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE V 



LE RAVIN DE FROIDËTERRE 

Le départ de Fleury a été fixé pour la 
première heure du jour. Il fait encore nuit 
quand un agent de liaison vient me cher- 
cher. Je dors depuis deux heures à peine 
et mes yeux sont lourds mais je me lève 
sans regret, tant mon sommeil a été char- 
gé de cauchemars. 

Je rejoins mes hommes et me mettant à 
leur tète je m'engage dans le ravin de 
Froideterre. 

L'ordre est de gagner, par compagnies, 
les casernes Marceau à quelque quinze 
cents mètres au nord-est de Verdun. 

Nous suivons des ravins boisés qui nous 
dérobent aux vues des « saucisses » enne- 
mies. Cette précaution n'est pas inutile, 
car, à la multitude des trous d'obus qui 
étoilent le sol, nous pouvons nous rendre 
compte que la prodigalité des canons bo- 
ches s'étend bien au-delà des limites du 
champ de bataille. 



1 



FLEURY 207 



Sur les pentes, des camarades ont été 
frappés la veille, dont les cadavres n'ont 
pu être relevés encore. Voici un groupe de 
cinq artilleurs. Puis un cycliste couché 
sur sa machine brisée. Puis un nouveau 
groupe d'une dizaine de territoriaux, 
étendus en rond, autour de marmites fra- 
cassées, surpris sans doute en train de 
prendre leur repas. 

Les hommes sont épuisés par les fati- 
gues de ces trois jours de bataille. Mais 
ils n'en laissent rien paraître et le con- 
tentement de la victoire est tout ce qu'on 
peut lire en leurs regards ardents. 

En route, je croise Prost et Aucoutu- 
rier; les deux sergents de la section que 
je commandais quand j'étais adjudant à 
la 4", mes compagnons des combats du 
Bois-Brûlé. 

Ils ont été superbes à leur accoutumée. 
Aucouturier a été blessé à la main. Prost 
a couru à l'appel du lieutenant Delas le 
25, alors que celui-ci allait être débordé 
par les Boches, et il a aidé son officier à 
repousser l'ennemi : j'apprendrai ces dé- 
tails quelques jours plus tard, et Delas de 
qui je les tiendrai, ne saura comment 



208 CEUX DE VERDUN 



m'exprimer son admiration et sa grati- 
tude pour la vaillance de mes vieux frères 
d'armes. 

La poignée de main que je leur donne, 
me réchauffe le cœur comme l'accolade 
d'un ami. , 

A mi-chemin, je prescris une grand'hal- 
te. Le spectacle des cadavres rencontrés 
sur la route n'a enlevé aux hommes ni une 
parcelle de leur bonne humeur, ni un 
atome de leur appétit. S'ils parlent de la 
bataille qui gronde encore dans leurs 
oreilles, c'est pour en rappeler les inci- 
dents plaisants. 

Les aventures de Mesnil, le chien du ca- 
pitaine Blanchot, ont en particulier le 
don d'exciter leur hilarité. La frousse de 
Mesnil est légendaire dans tout le batail- 
lon. Déjà, aux tranchées d'Apremont, il 
nous amusait par ses regards effarés et 
par sa hâte à se tapir au plus profond des 
sapes dès que commençait un bombarde- 
ment. Mais à Douaumont, il se surpassa 
lui-même. Blotti dans l'angle d'un abri, la 
tête à plat sur le sol, il chavirait de l'œil à 
chaque éclatement un peu fort, et cette 
mimique s'accompagnait — qu'on par- 



FLEURY 209 



donne ce mot crû à un soldat habitué aux 
langages dénués d'hypocrisie -— s'ac- 
compagnait, dis-je, de pets sonores et 
malodorants. 

Mesnil avait en effet reçu de la nature 
une intarissable facilité d'élocution par le 
derrière. Il eût pu relever le défi du plus 
verbeux pétomane. 

Quand le capitaine Blanchot nous 
quitta pour prendre le commandement du 
bataillon, Mesnil, malgré son attachement 
à son maître, ne put trouver la force de se 
mettre debout et de le suivre. Et cette 
force lui faillit encore quand, la compa- 
gnie relevée, nous essayâmes de l'emmener 
avec nous. 

L'envie cependant le tenaillait de nous 
accompagner. Les visages inconnus de 
ceux qui s'établissaient à notre place sur- 
chargeaient ses épouvantes passées d'une 
épouvante nouvelle. Quand le dernier de 
nous lui eût jeté un dernier appel, il roula 
des yeux égarés, se souleva péniblement 
sur ses pattes tremblottantes, puis retom- 
ba... 

Et un son bien connu vint à nouveau té- 
moigner de la fécondité de ses flancs... 






Hi- 



210 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE VI 



S 



EN RÉSERVE 

Mais qu'est devenu le deuxième batail- 
lon ? Je sais qu'il devait se trouver quel- 
que part, à gauche de Douaumont. Quels 
combats a-t-il livrés ? Quelles pertes a-t-il 
subies ?... 

Justement voici le sergent-major Sain- 
mout, de la 8* Compagnie, qui passe de- 
vant nous. Je l'interroge : 

« Ouf ! s'écrie Sainmout, en s'asseyant 
près de moi, il fait meilleur ici que là-bas ! 
Ce que nous avons fait .? Eh bien voici : 

« Après avoir traversé Fleury, puis 
Douaumont, nous nous sommes établis, le 
25 au matin, en haut d'une croupe bordée 
par une rangée de sapins. Devant nous, 
une vaste plaine aux ondulations légères. 
A gauche, la route de Bras à Louvemont ; 
à gauche également, mais plus loin, la col- 
line du Poivre. A l'horizon, le bois des 
Caures dont Tennemi s'est emparé la 
veille. 

(( A 11 heures, l'artillerie boche com- 



FLEUR Y 211 



mence, avec la nôtre, une conversation dé- 
pourvue d'aménité. Mais c'est surtout au 
village de Douaumont qu'elle en veut... 

— Oui, dis- je, j'en sais quelque chose ! 

« Vers deux heures, le bombardement 
devient infernal : la crise approche... la 
voici... 

« Un peu sur notre droite à 500 mètres 
environ, une vague allemande sort des 
tranchées et s'avance au pas gymnastique 
dans un ordre parfait. 

(< Les tirailleurs qui occupent une tran- 
chée, oblique par rapport à la direction de 
notre bataillon, jaillissent de leurs trous 
et s'élancent, baïonnette en avant. Les Bo- 
ches font aussitôt demi-tour. Les tirail- 
leurs les poursuivent. 

« La mimique des tirailleurs pendant 
leur poursuite, leurs contorsions comi- 
ques, leur entrain endiablé, déchaînent 
nos fous rires... 

<( Mais une deuxième vague allemande 
vient prendre la place des fuyards : c'est 
au tour des tirailleurs de reculer. 

(( Recul de courte durée car bientôt en- 
couragés par leurs officiers, les tirailleurs 
se lancent en avant de nouveau. 



212 CEUX DE VERDUN 



« A trois reprises, le même mouvement 
alternatif se reproduira, chaque flux et 
reflux laissant sur la neige un contingent 
nouveau de cadavres. 

« Le 85* prolonge la ligne à notre gau- 
che. Le colonel Theuriet qui le commando 
vient de notre côté, sans doute pour domi- 
ner le champ de bataille. Il tient une can- 
ne à la main et fume un cigare. 

« Tout à coup un de ses éléments, non 
loin de nous, faiblit. Le colonel fronce les 
sourcils puis s'élance. Sa canne à la main 
son cigare à la bouche, il s'avance à décou- 
vert, au milieu des balles qui claquent de 
tous côtés. 

Il n'a pas fait cent mètres qu'il tombe, 
blessé mortellement, mais le résultat qu'il 
cherchait en sacrifiant sa vie est obtenu : 
ses hommes, électrisés, ont repris l'avan- 
tage. 

« Le médecin-major de la Soudière se 
précipite au secours de son chef. Son bras- 
sard est tombé mais il n'en a cure. 

« Il s'agenouille, le dos tourné à l'enne- 
mi, faisant ainsi à son chef un rempart de 
son corps. Il ouvre sa trousse... 

« Une même balle, tirée presque à bout 



FLEURY ^13 



portant, fait du colonel et de lui deux ca- 
davres. 

« Enfin la nuit vient. Peu à peu l'artil- 
lerie s'apaise. 

« A 7 heures du matin, le lendemain, 
nous sommes relevés par un bataillon du 
85* et nous allons nous placer en réserve de 
la brigade, au ravin de Bras, non loin de 
l'ouvrage de Thiaumônt. 

« A peine sommes-nous arrivés, les 
avions boches nous repèrent et les obus 
commencent de pleuvoir sur nous. L'aver- 
se ne s'arrêtera pas de toute la journée. 

« Quand un obus tombe près de nous, 
nous nous précipitons un peu plus loin. 
Mais un autre obus nous suit bientôt: nous 
changeons de place encore... 

« Les explosions nous projettent contre 
terre. Nous piétinons dans nos courses des 
cadavres sans tête, des masses informes de 
chairs rouges... 

« Enfin la nuit arrive et le bombarde- 
ment s'apaise. Je parcours les taillis à la 
recherche des disparus. 

« Des blessés gémissent. Le tumulte des 
détonations nous a empêchés d'enten- 
dre plus tôt leurs plaintes. Il y a un de ces 



214 CEUX DE VERDPM ■ 

malheureux que le souffle d'un 210 a pro- 
jeté à deux mètres de hauteur et accroché 
aux branches d'un arbre : il respire en- 
core... 
** « Un autre blessé me supplie de l'ache- 
ver d'un coup de revolver pour mettre un 
terme à ses souffrances... 

« Un agent de liaison vient nous com- 
muniquer Tordre de rassemblement au 
ravin nord-ouest de Fleury. 

" Nous allons partir mais des blessés 
oubliés dans le bois nous appellent. Il est 
plus de minuit quand nous pouvons enûn 
nous diriger vers le village. L'obscurité est 
si dense que nos yeux nous sont complète- 
ment inutiles. Nous marchons à la file in- 
dienne en nous tenant par la martingale 
de nos capotes. Nos pieds s'empêtrent 
dans les abatis d'arbres destinés à arrêter 
la marche de l'ennemi. Chutes, exclama- 
tions de colère, appels... 

« Enfin, voici le village. 

H La bataille de Douaumont est termi- 
née pour nous. » 

Ce que ne dit pas le brave Sainmont, 
c'est qu'il aurait pu s'éviter les dangers de 
oette bataille. Son capitaine, craignant 



FLEUR Y 215 

pour l'argent de la compagnie, lui avait 
donné Tordre de se porter en* arrière avec 
la précieuse sacoche. Mais Sainmont 
remit Targent au sergent- fourrier : 

« — Mon Capitaine, dit-il, je ne puis 
pas abandonner mes hommes en des cir- 
constances pareilles : c'est une question de 
propreté. » 



216 CEUX DE VERDUN 



CHAPITRE VII 



LES ARTILLEURS 

La grand'halte terminée, nous repar- 
tons. Des haltes fréquentes nous ont im- 
posées par l'épuisement des hommes. 

A plusieurs reprises des groupes nous 
dépassent : sections, demi-sections, demi- 
compagnies. Les compagnies, parties au 
complet de Fleury, ont dû laisser le long 
du chemin un grand nombre de traînards. 
Le premi-er repos, si court, si incomplet, a 
suffi pour interrompre la tension nerveu- 
se ; les fatigues, accumulées pendant les 
, marches avant l'attaque et pendant cette 
attaque elle-même, se sont appesanties 
d'un coup sur les épaules et sur les âmes. 

Je cherche des yeux les visages connus, 
je m'informe du sort de tel- et tel. J'ap- 
prends ainsi la mort du capitaine Vigo, 
de plusieurs autres... 

Le capitaine Vigo, était excellent dessi- 
nateur et humoriste à ses heures. Quelques 



FLEURY 217 



semaines auparavant, à Boucourt, je lui 
avais demandé un dessin pour les 
Boyaux (1) et il m*avait répondu : 

— Vous aurez ce dessin, je vous le pro- 
mets, quand le diable y serait !... 

... Mon Capitaine, il ne faut jamais dé- 
fier la destinée... 

Des batteries de 75 sont établies un peu 
partout. Le lieutenant de Jouffroy qui, ce 
matin-là, justement, avait été envoyé en 
reconnaissance dans les bois d'alentour, 
me dépeindra, quelques jours après, le 
spectacle d'une farouche beauté qui s'est 
déroulé sous ses regards au cours de cette 
reconnaissance. 

Le hasard du chemin le conduit dans 
une clairière au milieu de laquelle est ins- 
tallée une batterie de 75. Des éclatements 
de 150 encadrent la batterie. Une pièce 
vient d'être brisée ; des cadavres et des 
blessés gisent pêle-mêle. 

Sans yeux pour ce tableau funèbre, l'of- 




voyer 

terie, secteur 54. 

Je dois bien cette petite réclame à mon spirituel camarade 

19 



218 CEUX DE VERDUN 



ficier d'artillerie fait ses commandements 
et règle le tir. Les servants se hâtent. Les 
pièces valides soufflent la mort de toutes 
leurs bouches à la fois. Les détonations, 
multipliées par les échos, emplissent le 
ravin comme une mer et vont déferler au 
loin contre les collines. 

Le lieutenant de Jouffroy s^approche 
de Tof ficier d'artillerie et le félicite : 

— Baste, répond l'artilleur, mes hom- 
mes en ont fait bien d'autres en Champa- 
gne. 

Le lieutenant lui serre la main ; il va 
s'éloigner, quand il s'arrête brusquement, 
cloué au sol par l'admiration et l'horreur : 

Sous un arbre, blessé à mort, un maré- 
chal-des-logis est étendu. Un camarade se 
penche vers lui. Surmontant ses souffran- 
ces, indifférent à ses blessures, le maré- 
chal-des-logis passe au camarade ses con- 
signes, les observations qu'il a pu recueil- 
lir, lui fait ses recommandatio!ns,lui donne 
des conseils. 

Et tandis qu'il parle, son sang coule... 



FLEURY 219 



CHAPITRE VIII 



LES CASERNES MARCEAU 

Vers le milieu de raprès-midi, nous ar- 
rivons devant les casernes Marceau. Dans 
un petit ravin bordé de haies, le bataillon 
se rassemble. Les faisceaux formés, on lit 
aux hommes un ordre du jour rédigé par 
le commandant C avant son dé- 

part. Je n'ai pas cet ordre du jour sous les 
yeux. Je me rappelle seulement que le 
commandant félicitait chaleureusement 
ses hommes de l'héroïsme déployé par eux 
pendant les combats de Douaumont. 

Les hommes sont émus mais ils n'en 
veulent rien laisser paraître : 
. — Tou* çà, murmure quelqu'un près de 
moi, çà ne vaut pas un« jus » bien 
chaud... 
D'autres félicitations nous parviennent, 
du Colonel, de la brigade, de la * divi- 
sion : 

« Votre brigade, écrit le général D 



Bf- 



820 CEUX DE VERDUN 

au général Reibell qui nous ooinmuni- 
que la lettre, votre brigade s'est admira- 
blement comportée le peu de temps qu'elle 
est restée sous mes ordres ; elle a montré 
un courage, une ténacité, et une endu- 
rance qui fait grand honneur à qui com- 
mande ces deux régiments. » 

Et nous apprendrons plus tard que le 
général Pétain a cité notre brigade à Tor- 
dre de Tarmée avec ce motif : 

« Energiquement conduite par son chef 
le général Reibell, s'est engagée brusque- 
ment dans la lutte, après une marche for- 
cée, et sy est trouvée dans une situation 
difficile. A force de ténacité est parvenue 
à se maintenir et à arrêter l'offensive de 
l'ennemi. » 

Le soir, le 95 est cantonné dans^ les ca- 
sernes Marceau. Je répartis de mon mieux 
les hommes dans les chambres qui ont été 
affectées à ma compagnie. Comme j'ouvre 
la porte d'une de ces chambres, j'aperçois 
par l'entrebâillement un monceau de ca- 
davres étendus les uns sur les autres... 

Enfin tout le monde est placé. Moi- 
même j'ai découvert une chambre de mé- 
decin avec une paillasse, des couvertures 



J?LEURY 221 



et un poêle. Bientôt le feu ronflbe. Je me 
couche et je m'endors. 

Le lendemain, dès la première heure, je 
m'occupe de Y « état » des citations que 
nous devons remettre le jour même. C'est 
là une des plus douces occupations de la 
guerre : récompenser les braves que Ton 
a vu combattre autour de soi. Pourquoi le 
sentiment de notre impuissance à être 
juste vient-il troubler cette joie ? Com- 
bien parmi les vivants méritaient la gloire 
. et qui ne l'auront pas ? 

Et qui portera témoignage pour ceux 
qui sont tombés à l'écart, au milieu de la 
nuit ?... 

De nos conversations comparées, aux 
uns et aux autres, il naît en nous une sor- 
te de stupeur à la pensée des épreuves su- 
bies par le régiment. Est-il possible, qu'en 
si peu de jours se soient accumulés tant 
de dangers, tant de fatigues, tant de com- 
bats, tant de blessures et tant de morts ? 

Nous avons l'impression nette que ja- 
mais troupe d'hommes ne fut martelée par 
le fer et rougie par le sang comme nous 
Tavons été. 

Les citations individuelles, oh certes ! 



•X- 



;«>.^ 



222 CEUX DE VERDUN 

elles seront les bienvenues. Mais ce que 
chacun désire, ce que chacun appelle, c'est 
la croix de la légion d'honneur pour le 
drapeau... 

Voilà la seule récompense qui ne laisse 
derrière soi ni mécontement, ni rancœur, 
la seule qui enveloppe dans ses plis glo- 
rieux les vieillards restés au foyer et les 
enfants à la mamelle, les vivants encore 
hagards de se trouver vivants et les cada- 
vres figés dans un geste héroïque... 

Ces aspirations, ces désirs, si je les 
note, c'est comme un témoignage de notre 
naïveté : 

(censuré) 



FLEURY 223 



CHAPITRE IX 



THIOMBOIS 

Après deux jours passés aux casernes 
Marceau, nous sommes portés un peu plus 
en arrière des lignes afin de prendre un 
repos bien gagné. 

Le régiment a tellement souffert qu'on 
a dû le fondre en deux bataillons... 

Nous passons à travers un faubourg de 
Verdun, pressés par les obus boches qui, 
prévenus par leurs avions de notre séjour 
aux casernes, commencent la démolition 
systématique des bâtiments juste comme 
nous nous mettons en marche. 

La nuit est profonde quand nous arri- 
vons à Thiombois, mais le roulement des 
obus se cache derrière Thorizon, tellement 
assourdi qu'il faut pour le percevoir ten- 
dre Toreille ; cette sécurité précaire 
nous fait trouver délicieuses les ornières 
où. nous pataugeons et délicieux les can- 
tonnements oh sifflent les coulis. 



V 



224 CEUX DE VERDUN 



Le lendemain j'entends l'appel des clo- 
ches. Je me rends à Téglise. Des femmes, 
des soldats, parmi lesquels je m'age- 
nouille... 

* 

Mais qui donc prie là, devant moi, sî 
profondément recueilli? N'est-ce pas X?... 
Alors, ils y viendront tous ! 

A la réflexion, cepend^int, mon étonne- 
ment disparaît. 

Dieu se manifeste avec une telle évi- 
dence qu'il faut, pour empêcher sa lumiè- 
re d'éclairer les âmes, l'écran de l'intérêt, 
de la passion, de l'orgueil. Or intérêt, pas- 
sion, orgueil, ne peuvent se voir que dans 
un organisme en pleine santé ou qui s'i- 
magine tel. Ne sentant pas de limites à sa 
force de vie, il se persuade obscurément 
que la mort ne le concerne en aucune ma- 
nière. Ayant l'éternité de Dieu il s'en 
attribue les prérogatives. Le monde lui 
appartient. Il ne doit ae comptes qu'à lui- 
même. 

Mais la menace de la mort met à bas 
tout cet échafaudage pourri : il n'y a pas 
d'incroyants sur un champ de bataille. 

Pourquoi donc, me demandera-t-on, 
tant de combattants s'obstinent-ils dans 



FLEUR Y 225 



leur indifférence ? Pourquoi ne remplis- 
sent-ils pas, aux jours de repos, les égli- 
ses et les temples ?... 

Pourquoi ? c'est qu'il existe bien des fa- 
çons de croire — j'en parle par expérien- 
ce — et sans doute plus d'un de mes 
camarades a-t-il fait dans les tranchées 
cette prière que, quelques années avant 
la guerre, persécuté par la Vérité, j'ai 
criée avec Maxence, du fond de mes pré- 
jugés, de ma science philosophique 
(oh 1 la pauvre science !) et de mon 
athéisme : 

« Mon Dieu ! si tu existes, aie pitié de 
moi ! » 

De la guerre, j'en aï la conviction inti- 
me, sortira la réconciliation de l'homme 
avec Dieu. J'en prends à témoin ce mori- 
bond dont l'aumônier de notre régiment, 
l'abbé Bedu, me racontait un jour l'his- 
toire. 

L'abbé Bedu arrive près d'un soldat, 
très gravement blessé. Le brancardier lui 
fait signe qu'il n'y a plus d'espoir. 

Le blessé est connu pour ses sentiments 
hostiles à toute pratique religieuse. Sans 
grand espoir, l'aumônier l'exhorte. Il lui 



226 CEUX DE VEBDUN 

parle de rétemité, de son âme, de la néces- 
sité de regretter ses fautes... 

— Mais, nom de Dieu I interrompt le 
blessé, foutez-moi donc Tabsolution ; vous 
voyez bien que je vais crever !... 

Ne trouvez-vous pas symbolique cet ac'uC 
de foi qui jaillit d'un blasphème ?... 

Oui, de la guerre sortira la réconcilia- 
tion de rhomme avec Dieu. Gela est la 
seule raison d'être que la guerre puisse 
se donner devant Tintelligence, la seule 
justification qu'elle puisse apporter de ses 
horreurs devant le tribimal de l'Etemel... 

Mais qui donc ricane derrière ce pilier? 
Et quelles paroles Méphisto me vient-il 
.murmurer à l'oreille ?... 

Si vraiment je me laisse posséder par 
mon désir comme un enfant ; si cette guer-^ 
re n'est rien qu'une lutte de convoitises, 
un heurt de brutalités ; si tant de sacrifi- 
ces doivent rester inutiles, et tant de 
souffrances et tant de larmes ; si l'homme 
doit — ô blasphème ] — se retrouver, 
après comme avant la bataille, pareil, 
avec ses yeux fermés du triple bandeau, 
son cœur pestilentiel et son groin au sol... 
Alors, alors, ô mon Dieu, qu'attends-tu ? 



FLEURY 227 



Allons, fais signe à tes anges et que 
gonnent aux quatre coins du ciel les troin- 
pettes du jugement dernier. 




\ 



SIXIÈME PARTIE 



LA WOEVRE SANGLANTE 



LA WOËVRE SANGLANTE 231 



Nos aventures à Verîiun ne sont pas 
épuisées par les récits qui précèdent : elles 
commencent à peine. 

Entrés, dès les dernier jours de fé- 
vrier, dans la fournaise, nous nous som- 
mes brûlés à sa flamme tout un printemps 
interminable et tout un interminable été. 
Le titre de soldats de Verdun, nous le met- 
tons, sur la longue liste de nos principau- 
tés et de nos baronnies, à nous combat- 
tants de Lorraine et d'Apremont, le pre- 
mier en tête. 

Quand nous sommes partis de Verdun, 
pas un pouce du terrain dont nous avions 
reçu la garde n*était souillé par un ennemi 
qui ne fût un cadavre... 

Ces collines sanglantes, ces plaines tu- 
multueuses, sont notre patrie, et nous ne 
nous sommes décidés à les quitter qu'au 
jour où épuisées de leur long effort, elles 
se sont endormies dans leur lassitude. 

Les convulsions qui parfois les secouent 
encore, ce sont les cauchemars d'un som- 
meil agité par la fièvre. 

Cette bataille de six mois passés, j'au- 



232 CEUX DE VERDUN • 

rais voulu tout au loner la revivre. Peut- 
être le ferai- je un jour, s'il plaît à Dieu. 
Mais aujourd'hui que de nouveaux com- 
bats nous font signe, alors que dans 
quinze jours, huit jours peut-être, je. ne 
serai plus sur le champ de la bataille pro- 
chaine qu'un cadavre épars parmi d'au- 
tres cadavres, je veux avant de clore ce 
livre, jeter sur l'immense arène un regard 
circulaire. 

Un court repos à l'arrière, en sortant de 
Douaumont, le temps de combler les vides 
par des troupes fraîches, puis ce fut la 
station dans les villages ruinés de la Voë- 
vre, à ces frontières indécises que le flot 
montant disputait aux falaises. 

Le jour, vie de chauves-souris et de hi- 
boux au fond des caves aveugles et grelot- 
tantes. Les plus favorisés éclairaient leuis 
cavernes avec une bougie suspendue à la 
voûte ; les autres allumaient des fils télé- 
phoniques, épaves des luttes récentes, re- 
cueillis parmi les décombres des maisons 
ou dans les fossés des chemins ; peu de lu- 
mière mais une épaisse fumée nauséa- 
bonde qui avait tôt fait de déposer sur les 
visages une couche de suie. 



t^ WOÇVRE SANGLANTE 233 

Impossible de quitter les abris : la moin- 
dre imprudence, aussitôt signalée par les 
avions et les ballons captifs, valait au vil- 
lage un bombardement supplémentaire. 
A qui, parfois, devait, pour porter des or- 
dres ou en solliciter, sortir de sa cave, il 
fallait, avant de se glisser parmi les pier- 
res comme une couleuvre, un apprentis- 
sage de quelques minutes afin d'habituer à 
la lumière trop vive du jour ses paupières 
clignotantes d'oiseau de nuit. 

Les ténèbres tombées, le régiment s'é- 
veillait. Tandis que près de nous — Ver- 
dun régnant — la plaine s'allumait de 
fusées multicolores, que lés collines s'in- 
cendiaient de l'éclair des canons, nos 
petits postes allaient se tapir à l'affût au 
coin des haies, nos patrouilles rampaient 
à la recherche des patrouilles adverses. De 
temps en temps, des fusils crépitaient, des 
grenades éclataient, im cri d'angoisse ou 
d'agonie déchirait la nuit, des shrapnels 
fusaient, cherchant les travailleurs dont le 
maillet s'affairait sur les piquets des ré- 
seaux sonores. 

Tout le printemps nous le vécûmes 
ainsi, veillant et combattant la nuit, nous 






^ 



234 CEUX DE VERDUN 



reposant le jour. Dans la Voëvre aban- 
donnée poussèrent les luzernes et les avoi- 
nes folles ; aux jardins des villages les 
cerisiers et les mirabelliers se couvrirent 
de fleurs. Quand nous sortions de nos 
trous au crépuscule, nos cœurs de gro- 
gnards sentimentaux, nos cœurs d'enfants, 
défaillaient aux parfums de l'Avril. Mais 
les fleurs, et les herbes, et les feuilles, 
étaient, dans la nuit, uniformément noi- 
res. C'était de l'ombre que nous caressions 
aux branches des saules avec nos mains 
amoureuses, de l'ombre que nous pressions 
à nos narines avec les poignées de violet- 
tes arrachées au hasard parmi les her- 
bes ; de l'ombre que nous écrasions sous 
nos genoux et nos poitrines en poursui- 
vant le Boche à travers les prés et les 
trèfles. 

Ces jours sans lumière, ces fleurs artifi- 
cielles, ce printemps sans oiseaux, toute 
cette nature décolorée et sépulcrale, c'é- 
tait comme une femme la plus belle, la 
plus tendre, la plus violemment aimée, 
mais dont les yeux restent fermés, dont les 
lèvres refusent de s'ouvrir, dont le front 
s'éteint, dopt les jolies se dessèchent, dont 



^ 



LA WOËVRE SANGLANTE 235 

les seins ne chantent plus comme des tour- 
terelles, parce que, la plus belle, la plus 
tendre, la plus violemment aimée, vous 
voyez bien qu'elle est morte... 

Puis ce fut les Eparges, limite extrême 
du secteur de Verdun, région du secteur 
où le canon de Verdun était le plus assour- 
di, où les fusées de Verdun se confondaient 
avec rhorizon, région la moins exposée 
aux fluctuations de la bataille, la plus 
tranquille, — la plus atroce. 

Qui n'a pas souri des oripeaux du 
romantisme, de ses épouvantails à moi- 
neaux : horloges sonnant les douze coups 
de minuit et les éternisant ; châteaux 
moyannâgeux aux corridors cachés dans 
la muraille, aux trappes toujours prêtes à 
s'ouvrir ; personnages qui disparaissent 
soudain, victimes de quelque incantation 
magique ; revenants animés des passions 
des vivants et qui portent sous leurs suai- 
res bien lavés de larges blessures d'où dé- 
goutte un sang noir... 

Tout ce romantisme échevelé, les Epar- 
ges le vivent. 

Là Méphisto convoque au sabbat ses 
larves et ses gouges. Là triomphe et règne 



236 CEUX DE VERDUN 

la trinité sinistre : la Boue, l'Epouvante et 
la Mort. 

La Boue. 

La terre des Eparges n'a soif que de 
sang : l'eau, elle la méprise, elle la rejette. 
L'eau ne pouvant pénétrer à travers ses 
pores récalcitrants, elle se trouve à la 
moindre pluie couverte de boutons et Je 
pustules. La boue remplit les trous de cra- 
pouillot où les petits-postes montent la 
garde : imaginez la vie des sentinelles pen- 
dant les 24 heures de leurs veille, cou- 
chées sur une lèvre d'entonnoir, harcelées 
par les grenades et les torpilles, le cœur 
glacé par le froid de la boue dans laquelle 
elles s'enfoncent. 

Laboueeffrayait àcepoint les hommes 
qu'à certains jours ils préféraient renoïQ- 
cer à leur unique repas plutôt que d'af- 
fronter la boue pendant le chemin qu'ils 
devaient parcourir au-devant des . cuisi- 
niers ! 

La boue des Eparges colle aux mains 
comme de la pois, s'attache aux capotes, 
se plaque aux armes, happe les semelles 
des souliers, engloutit tout ce qui tombe 
sur elle : outils, fusils, planches, cadavres 



LA WQËVRE SANGLANTE 237 

et blessés. Il y a de ces légendes d'enlise- 
ment — des légendes ? — que je ne vous 
redirai pas pour ne pas faire grincer vos 
dents et craquer vos os. . . 

L'Epouvante. 

Les grenades qui déchirent, les obus qui 
éparpillent, les torpilles qui ensevelissent, 
cela n'est rien. Il y a les mines. La colline 
entière a été par les Boches percée de cou- 
loirs comme ime fourmilière. Et sans cesse 
se creusent des galeries nouvelles. La 
science et le dévouement de nos sapeurs 
sont impuissants : dans la guerre de mines 
qui a l'avance a tous les avantages. 

Nous entendions au-dessous de nous les 
wagonnets rouler, le sol gronder aux 
explosions. Le chatouillemejnt dès pieds 
sur la terre qui tremble, me rappelait les 
légendes macabres où des cadavres s'en 
viennent tirer les vivants par les jambes 
pour les emmener avec eux dans la tombe. 

Ce qui rend la guerre de mines 
effrayante, c'est le mystère dont s'enve- 
loppe la catastrophe qui se prépare. A 
quel moment l'explosion se produira-t- 
elle ? Aujourd'hui ? demain ? après- 
demain ? dans une heure pendant mon 



238 CEUX DE VERDUN 



repas ? ou dans dix heures lorsque je dor- 
mirai ? ou dans une seconde ?... Cette 
cigarette que je fume, pourrai-je Tache- 
vers ? cette phrase que j'ai commencée la 
mènerai- je à terme ?... 

Les heures passaient et les jours, et 
puis soudain, sans qu'on sût pourquoi tel 
jour avait été choisi, pourquoi telle heure, 
sans que rien dans Tattitude de l'ennemi 
eût permis de deviner son dessein, — la 
décharge effroyable faisait éclater la col- 
line, projetait à des centaines de mëtres 
les cailloux, la terre, les esquilles et les 
morceaux de chair. La tourmente passée, 
on voyait, à la place des tranchées, des 
abris, des ouvrages, un entonnoir profond 
de dix mètres, large de cinquante. Les 
combattants, voisins des disparus, se pré- 
cipitaient à l'occupation des lèvres, orga- 
nisaient de nouveaux postes, de nouvelles 
tranchées, de nouveaux abris de fortune. , 

Et il ne restait plus qu'à courber le dos 
sous la menace en attendant l'explosion 
suivante. 

La Mort. 

Les Eparges sont saturées de cadavres. 
Elles ont englouti d'abord les masses enne- 




) 






LA WQËVRE SANGLANTE 2 39 

mies massacrées par nos canons et nos 
baïonnettes à la prise de la colline ; puis 
tous les nôtres... 

Les champs de croix des alentours ne 
sont là que pour Tillusion et nul ne dénom- 
brera jamais les morts des Eparges privés 
de tombes. 

Chaque coup de pic déterre un corps ; 
chaque obus qui tombe met à nu un sque- 
lette. Vous ramassez un soulier qui traîne 
en arrière d'une tranchée : il contient un 
pied qui achève de pourrir. Vous grattez 
un morceau d'étoffe qui sort d'un parapet : 
cette étoffe est celle d'une capote encore 
habitée. Certaines tranchées, certains 
boyaux, ont dû être ouverts à travers des 
blocs de cadavres : il a fallu tailler dans 
ces blocs comme dans les rochers d'une 
carrière. Qui passe par l'ouvrage avant 
«on parachèvement marche sur des putré- 
factions, une odeur à vomissements le 
suffoque et des tibias sournois l'accrochent 
au passage. 

Aux Eparges, • la mort est tellement 
mêlée à tous les battements des coeurs^ à 
toutes les respirations, à toutes les pensées 
qu'elle a perdu son caractère d'exception- 



240 CEUX DE VERDUN 

nel et d'étrange. Elle se fait familière 
avec chacun, elle plaisante, et je ne con- 
nais pas de symbole plus exact de son 
âme que cette vision d'un jour de pluie au 
cours d'un bombardement meurtrier : un 
crâne lisse et poli qui riait en haut d'un 
entonnoir, avec ses deux moustaches aux 
pointes conquérantes ! 

Tel est ce secteur des Eparges et j'en 
appelle à ceux de mes camarades qui ont 
passé par là pour attester que je n'ai dé- 
guisé en rien la vérité, hors pour voiler 
certaines parties de sa nudité misérable. 
Et pourtant, — le croirez-vous ? — mal- 
gré la boue, malgré la faim, malgré la fiè- 
vre, malgré les mines et leurs menaces, j'ai 
entendu, — oh ! pas souvent, mais quel- 
. quefois, et cela je vous le jure, — j'ai en- 
tendu sur les Eparges, chanter et rire î 
O soldats de la grande guerre ! (1) 



(1) Après les Eparges^ nous connûmes puis .... 

puis 

Mais là, nous cologons Paciualiié de trop près et ^ 
m'arrête. 



r 



CONCLUSIOl* 241 



J'ai terminé : 

Tout à V heure fai relu d'une traite ce 
Ivorey écrit de bric et de hroùy tel chapitré 
sur une banquette de tir y tel autre au fond 
d'une cagna dé première ïignCy tel autre 
dans un cantonnement d'alerte^ tous au 
milieu de la fièvrCy de l'angoisse^ parmi le 
ronflement des avions, l'éclatement des 
obus, la pétarade des balles... 

J'ai terminé et je ne suis pas content de 
moi. 

Mon œuvre m'apparaît anémique, ra- 
chitique, manchote et cul-de-jatte. Cette 
Marseillaise que j'avais rêvé d'écrire à ta 
gloire de mes compagnons d'armes, il lui 
manque la strophe principale, cet «Allons 
Enfants de la Patrie » qui explique et 
éclaire le reste de l'hymme, qui est à elle 
seule l'hymne tout entier. 

Je n'ai pas dit, je n'ai pas pu dire ce 
que fut le soldat de Verdun, le simple, lé 
modeste, le boueua, le minable, le splen^ 
dide poilu. 

Ce soldat qui dépasse les soldats de tou- 

21 






xy* 



242 



CEUX DE VERDUN 



!■ 






K: 









ï^5 Z^5 batailles comme VHimalaya défas- 
se une taupinière, mais quelle folie à toi 
de f essayer à le dépeindre, à toi petit 
journaliste de quatre sous qui sais tout 
juste tracer sur ton cahier d'écolier des 
hâtons malhabiles ! 

Ah ! si Vadmiration suffisait pour for- 
ger un poète ! Si mes y eux pouvaient ren- 
dre ce qu'ils ont reçu ! Si mes oreilles pou- 
vaient répéter ce qu'elles ont entendu ! Si 
mon cœur savait parler et si savaient par- 
ler mes larmes !... 

Poilu, mon jeune frère ; poilu, mon 
frère aîné... 

Les ancêtres qui d'en haut te contem- 
plent se regardent Vun Vautre, honteux de 
leur gloire ; ceu^ qui ont des croix sur la 
poitrine les arrachent et les laissent à 
leurs pieds tomber. Tu marches environné 
d'étoiles ; qv/ind ton nom est prononcé, le 
monde entier se tait ; la terre paternelle 
tremble d'amour à ton passage. Et ^tu te 
grattes, car tu es plein de vermine. 

A u repos, tu ne connais que les plain- 
tes. La guerre te dégoûte, tes officiers sont 
des jean-f outre, et tu ne crains pas, à l'oc- 
casion, de blasphémer contre la Patrie. 



JtL.. 



t/mÊÊÊt 



CONCLUSION 243 



Celui qui fait à la divinité les actes de 
foi les plus répétés et les plus fervents, 
n'est-ce pas V Athée ?... 

Mais qu^on f envoie en première ligne et 
voilà un homme nouveau qui s'élance des 
cendres de vieil homme. Tu restes des heu- 
res les pieds dans Veau et la pluie sur la 
tête, tu veilles à ton créneau sous Vaverse 
des torpilles, tes habits sont une gaine de 
houe, tes cheveuœ te tombent sur le cou, 
tes mains et ton visage disparaissent sous 
les poils et sous la crasse, tu manges de la 
soupe froide où la graisse fait des cfiillots, 
tu bois aux trous d'obus, tu fumes du ta- 
bac mouillé dans de vieilles pipes qui em- 
pestent, — et tVt écris sur tes genouœ, avee 
un crayon de mercanti, des lettres qui 
font pleurer de joie les anges. 

Qu'une attaque soit annoncée : 

« A lions, encore nous ! toujours les 
mêmes, alors ? Et les autres, y se les rou- 
lent ?... Eh bien, si on compte sur moi 
pour me faite casser la gueule, on peut 
toujours courir !,., » 

Cela, pour montrer auœ camarades que 
tu n'es pas un jobard, que tu as reçu ton 
certificat d'études primaires. 



244 CEPX DE VEKDPH 

Et puis, le moment venu, tu bondi 
vent aiuu jambes, l'éclair aux yeux, 4 
ble comme un dieu, beau comme une j. 
fille... 

Poilu, mon frère, quelques mots ; 
finir... 

Quand tu rentreras dans ton villag 
guerre terminée, n'oublie pas que la F 
ce serait morte sans toi, que la France 
à toi et que c'est à toi de la modeler à 



Ne compte pas trop sur la reconnaii 

ce ni sur l'aide de ton entourage : pèi 
mère, frères et sœurs, femme ou fia^ 
et amis même. Ils auront beau s'ingén 
te comprendre, la tâche sera au-dessi 
leurs forces, et, ne pouvant s'élever 
qu'à toi, ils te tireront,de toute leur a^ 
tion inquiète, vers le sol où ils rampent. 

Mais tes enfants te comprendront. 

Les enfants sont limpides comme l'eau 
des fontaines ; ils peuvent réfléchir l'ho- 
rizon tout entier : le feuillage des saules, 
l'essaim des libellules, et les comètes écke- 
velées, et le troupeau des nébuleuses. 

Il n'y a que les enfants et les morts qui 
savent aimer. 



r 



1 



CONCLUSION 245 



Ils t'aimeront, tes enfants] ils f admire- 
ront, ils s'enthousiasmeront à tes exem- 
ples, et ils donneront le jour à cette Fran- 
ce nouvelle que tu sens s'agiter dans ton 

sein. 

Et puis, n'oublie pas ta haine. Garde- 
toi comme d'une flétrissure de l'oubli où t0 
porte ta nature généreuse. Pense à ceuœ 
qui sont tombés près de toi, pense aux 
assassins qui les ont tués. Pense aux miles 
incendiées, aux femmes flétries, aux fil- 
lettes éventrées. Pense aux Brandebour- 
geois de Dov/iuniont qui pour entrer da/as 
le fort se déguisèrent en zouaves. Pense 
aux mitrailleurs de Dicourt qui pour 
prendre tes tranchées en enfilade mirent à 
leurs bras des brassards de brancardiers 
et transportèrent sur des brancards leurs 
pièces habillées de capotes. Pense à tes ca- 
marades de la Laufée qui, blessés et pri- 
sonniers, servirent de paravents à leurs 
bourreaux et s'abattirent sous tes balles!... 
Comme il faut au riche jardin une 
forte haie d* épines acérées, il faudra pour 
la France de demain — si belle ! — une 
haie de haute haine. 
* Tu auras cassé les reins à la Bête, tu lui 



246 CEUX DE VERDUN 



aurds brisé les dentSy et tu seras pour 
longtemps à Vabri de ses morsures. Mais 
crains son haleine empestée^ crains Va- 
deur de ses décompositions ! 

Et que cette prière^ chaque jour, soit ta 
prière : « Notre Père qui êtes aux cîeux, 
élargissez mon cœur afin qu'il puisie 
contenir plus de haine. » 




TABLE DES MATIERES 



Avant-Propos, 



Chapitre 



> 



Chapitre 



!h. 



PREMIÈRE PARTIE 

Adieu, Tranchées t 



I. — Poilus 

IL — Adieu, tranchées I 

III. — Vivement, Verdun! 

IV. — L'hôtesse . . . 
V, — L'esprit de l'arriére 

VL — La grogne . . . 
VIL — Le commandant C. 



DEUXIÈME PARTIE 

La Veillée des Armes 

L — Premiers tonnerres 
IL — Les réfugiés • . • 

III. — Là route qui marche 

IV. — L'alerte 

V. — Les adieux . • . . 

VL — En route 

VIL — Carpe die.m. . . . 

VIIL — Demain 

IX. — La grogne • • • • 
X. — Sommedieu. . • . 



Page». 
9 



19 
24 
27 
30 
35 
39 
42 



51 
53 
58 
62 
67 
69 
72 
75 
78 
83 



} 



248 



CEUX DE VERDUN 



TROISIÈME PARTIE 

Au Canon 





■ 




P.g«u 


Chàpitrb 


I. 


— Les « Embusqués » • • 


8f 


— 


IL 


— La grogne 


92 


— 


III. 


— La halte ...... 


9% 


— 


IV. 


— En avant 


lOd 


— 


V. 


— Marche d'approche . . 


102 


... 


VL 


— Le fort de Douaumont . 


105 


— 


VIL 


— La corne dans la nuit . 


107 




QUATRIÈME PARTIE 




. 




Douaumont 


■ 


Chapitre 


1. 


— L'occupation du village 


lis 


— 


IL 


— Première nuit ... . 


116 


— 


III. 


— Le refrain ...... 


119 


-— 


IV. 


— Le caié chaud 


121 


— 


V. 


— Le déluge 


124 


— 


VL 


— La colère des hommes . 


12« 


— 


VIL 


— Dans la plaine nue . . . 


130 


— 


VIIL 


— Premiers assauts . . . . 


135 


— 


IX. 


— Anxiétés 


139 


— 


X. 


— L'adjudant Durassiez . . 


144 


— 


XL 


— Tenir^ 


147 


— 


XII. 


— Deuxième nuit . . 1 ^, 


151 


— . 


XIIL 


— La nuit se traîne . . . , 


155 


— 


XIV. 


— Le colonel de B 


159 


— - 


XV. 


— En reconnaissance . . , 


165 


— - 


XVL 


— A Tordre ...... 


170 


— 


XVIL 


— L'infiltration 


175 


— 


XVIII. 


— Le combat reprend . . . 


17- 


— 


XIX. 


— Derniers assaut^ . . . . 


18 


— > 


XX. 


— Les tirailleurs 


18f 


_ 


XXI. 


— Godferdom! 


18f 



1 

1 



^^ 



TABLE DES MATIÈRES 249 
CINQUIÈME PARTIE 

Fleury 

Pages. 

Qhapi'<'rb I. — La relève 193 

— IL — Le bon jus . . . . . . 196 

— III. — Le village abandonné . , 199 

— IV. ~ La bise 202 

— V. — Le ravin de Froîdelerre . 206 

— VL — En réserve 210 

— VIL — Les artilleurs ..... 216 

— VIII. — Les casernes Marceau . . 219 

— IX. — Thiombois 223 

SIXIÈME PARTIE 

La Woêvre sanglante 

CiiAPiTRE I. — La Woëvre sanglante . . . 231 

Conclusion 241 



OCT 3 i}^lh 



Imprimerie E. DURAND, 13, rue Séguier 



'mf 



V' 



y 






w 



1 



Librairie PAYOT & C", PARIS, 106, Bout' S'-Germain | 

Poèmes de France. Bulletin lyrique de la guerre 1914-1915, par 

Paul FORT. Préface d'Anatole FRANCE ..... 4 » , 

Pierrette, Roman. Aux Jeunes Filles pour qu'elles réfléchissent , i 

par Antoine RKDIER 4 » ' 

Méditations dans la Tranchée, par Antoine REDIER (Lieute- 
nant R...) 4 » 

Lettres de Prêtres aux Armées, par Victor BUCAILLE. Pré- 
face de M. Denys COCHIN, de l'Académie française, Ministre / 
d'Etat 4 » ^ 

Le Livre de l'Espérance, par Dora MELEGARI . . 4 » 

Le Lieutenant Demianof, par le Comte Alexis TOLSTOÏ. Tra- 
duction Serge PERSKY 4 » 

Scènes de la Grande Querre, par Luigi BARZINI. Traduction 

française de Jacques MESNIL 4 » ^ 

En Belgique et en France (1915), par Luigi BARZINI. Tra- 
duction française de Jacques MESNIL 4 » 

En ces jours déchirants. Poèmes, par Henry DERIEUX. Préface 

de Henrv BATAILLE 4 » 

Albert et Ëlisabetli de Belsique, par Maria BIERME, Préface 
de Emile VERHAEREN 4 » 

On changerait plutôt le cœur de place..., par Benjamin 
VALLOTTON 4 »> 

Feuilles de Route d*un Mobilisé, par Stéphane LAUZANNE. 

4 » 

De la Paix à la Guerre. Cc qu'en pense Pottcrat, par Ben- 
jamin VALLOTTON 4 » 

Les Chants du Bivouac. Hefrains de Guerre ( t'^ série) ^ par 
Th. BOTREL. Préface de M. Maurice BARRÉS ^ » 

Chansons de Route. liefrains de Guerre (2' série) par Th. 
BOTREL. Préface de M. Eugène TARDIKU. ... 4 » 

L'Armée de la Guerre, par le Capitaine Z 4 » 

Nos Marins à la Guerre, par le Commandant Emile VEDEL 

4 » 
Face-à-Face» par le Lieutenant PÉRICARD. Préface de M. Mau- 
rice BARRÉS et illustr. de Paul TIIIRIAT .... 4 » 

Carnet d'un combattant, par le lieutenant K. R. (Capitaine 
TUFFRAU),avec64dessin3à la plume de CARLÉGLE. 4 » 

L'Ame du Soldat, par le lieutenant Georges BONNET. 4 » 

Les Poissons morts, par Pierre MAC ORLAN. Illustrations de 
Gus. BOFA 4 » 

Ceux qui combattent et qui meurent, par Maurice DIDE. 

4 » 

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