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The Library
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of the
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University of Wisconsin
rOHLER ART LIBRARY
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CHAPU •
SA VIE ET SON ŒUVRE
L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de reproduction
et de traduction en France et dans tous les pajs étrangers, y compris la
Suéde et la Norvège.
Cet ouvrage a été déposé au ministère de l'intérieur (section de la
librairie) en mai 1894.
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DU MÊME AUTEUR :
Les Femxnes artistes à l'Académie royale de peinture et de
sculpture, par 0. Fioièrb. Paris, Charavay frères, 1885.
L'Art et l'État en Angleterre, Rapport au mioistro de rinstruction pu-
blique et des beauz-arts. Imp. nationale, 1891.
PARIS. TYPOGRAPUIK DK E. PLON, KODRRIT ET C'«, RUE GARA:«CIÈRE, 8.
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SA VIE ET SON ŒUVRE
PAU
O. FIDIERE
PARIS
LIBRAIRIE PLON
E. PLON, NOURRIT et C», IMPRIMEURS-ÉDITEURS
10, RVB 0AR4XCIERE
1894
Tous droits réservét
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L ILLUSTRATION, EXÉCUTÉE SOUS LA DIRECTION
DE
M. Maurice BUCQUET,
COMPREND :
SIX HÉLIOGRAVURES, TRENTE-SEPT GRAVURES DANS LE TEXTE
ET HUIT GRAVURES HORS TEXTE
EN NOIR ET EN COULEURS
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lELlOCRAVURE LEMBRCIEn
PHOTOGRAVURE CU.-G. PETIT ET C '*
ESCRES DE LA MAISON CH. LORILLEUX ET C'
Au mois de mai 1892 — il y a juste deux ans — un des
plus vieux élèves de Chapu^ M. F***^ vint nous demander
si nous serions disposé à écrire V histoire du Maître.
Nous ne fumes pas long à nous décider. Depuis long-
temps ce travail nous tentait^ car nous avions eu la bonne
fortune de connaître personnellement Chapu; et si nous
admirions comme il convient l'auteur de la Jeunesse, de
/'Immortalité et de tant d'autres chef s-d' œuvre ^ l'homme
également^ par la droiture de son caractère^ par la simpli-
cité et l'unité de sa vie, nous apparaissait comme une des
plus sympathiques figures d'artiste de ce temps.
Cette étude que nous rêvions devait nous être facile.
M. F*** venait de la part de la veuve du grand sculp-
teur gui mettait à notre disposition, outre une corres-
pondance conservée avec un soin jaloux, un délicieux
musée intime où elle avait réuni tout ce gui pouvait lui
rappeler son cher grand artiste : épreuves en bronze de ses
oeuvres principales, ébauches en plâtre et en terre cuite,
médailles, dessins, photographies, etc. Chapu revivait là
tout entier f depuis Içs premiers essais de son enfance jus-
qu'à ses ouvrages les plus complets. Des aquarelles jaunies
par le temps et des médailles datées de 1858 et 1859 nous
rappelaient son séjour à l'académie. Puis c'étaient des
croquis pour la Clytie, une délicieuse réduction en marbre
de sa Jeanne d'Arc, un charmant buste de femme et cent
œuw^es crayonnées ou modelées. Un portrait signé de son
ami de Coninck nous le montrait, peu après son retour
de Rome, les cheveux longs et bruns, la figure émaciée,
l'air timide et doux, tandis que nous retrouvions cette
même expression de douceur, tempérée de bonhomie , dans
un portrait fait il y a quelques années et que nous repro-
duisons au début de ce volume. Enfin, dans une vitrine ^
des parchemins i des médailles et des croix rappelaient
au visiteur les glorieuses étapes de sa vie d'artiste.
Que de bonnes heures nous avons passées dans ce paisible
sanctuaire, tantôt à feuilleter avec quelques amis du Maître
ses innombrables albums de croquis, tantôt à écouter les récits
de celle qui avait partagé avec lui la bonne comme la mau-
vaise fortune et nous contait les jours lointains d'épreuves
et de luttes qui allaient bientôt finir avec l'éclatant succès
de la Jeanne d'Arc ! Ainsi, peu à peu, fenti^ais dans l'inti-
mité du grand artiste dont je pouvais voir y appendue au
mw\ la bonne figure souriante; ainsi chaque jour je com-
prenais et j'appréciais mieux cette âme exquise de simpli-
cité et de candeur, que les difficultés du début n'avaient pu
aigrir, que les triomphes des dernières années ne devaient
pas gâter.
Ce livre est donc y avant tout, un livre de bonne foi; et si
nous avons pu nous tromper dans nos appréciations cri-
tiques^ nous espérons avoir restitué aussi fidèlement que
possible r admirable travailleur, l'esprit charmant et fin^
l'homme délicat et tendre qu'était Chapu.
Si notre œuvre trouve quelque succès auprès du public,
elle le devra, pour une large part, à la complaisance que
nous avons trouvée chez les amis du Maître et surtout chez
Madame veuve Chapu, qui s'est employée avec un zèle infa-
tigable à nous fournir tous les documents artistiques ou
littéraires dont nous avions besoin. Qu'il nous soit permis^
avant de finir cette courte préface, de la remerciinr de sa
discrète autant que précieuse collaboration.
0. F.
Mai 189i.
CHAPU
SA VIE ET SON OEUVRE
CHAPITRE PREMIER
ENFANCE ET JEUNESSE DE CHAPU. — SÉJOUR A ROME
1833-1861
Au sortir de Melun, en descendant
la Seine, on rencontre le petit
village du Mée. Quelques mai-
sons, groupées autour de Téglise,
en forment le noyau principal ;
le reste est disséminé sur une
riante colline qui domine le
fleuve. La vue qui, par un beau
jour d'été, s'offre de ce point n'est pas sans grandeur.
En bas, c'est la Seine qui coule verte et limpide parmi les
joncs; à droite, dans la direction de Corbeil, une plaine
s'étend à Tinfini, couverte de moissons jaunissantes, tandis
que, vers la gauche, Thorizon est fermé par cet incompa-
rable océan de verdure qui est la forêt de Fontainebleau.
C'est là que naquit, le 29 septembre 1833, Henri-Michel-
1
2 CHAPU.
*
Antoine Cbapu, d'une famille de cultivateurs depuis long-
temps établie dans le pays (1). On trouve, en effet, des Chapu
un peu partout dans le département de Seine-et-Marne.
Tous vivent de la vie rustique. Quelques-uns exploitent des
fermes importantes ; la plupart appartiennent à Thumble
classe des artisans ou des domestiques agricoles. Les parents
de Chapu étaient de ces derniers. Au moment où naquit
leur fils, ils étaient au service d'un propriétaire du Mée,
le marquis de Fraguier. Ne pouvant élever eux-mêmes leur
enfant, ils le mirent en nourrice chez des parents, à Marcq,
et ensuite le confièrent à un oncle, Michel Lecocq, de
Thoiry, où il vécut jusqu'à l'âge de dix ans.
Le fils de ce Michel Lecocq, Lindor, dont nous tenons
ces détails, et qui fut le compagnon d'enfance du jeune
Chapu, nous a raconté que dès cette époque il fréquentait
l'école et se montrait élève docile et assidu, que ses plaisirs
favoris était de modeler des « bonshommes en terre w et de
sculpter sur bois. On ne saurait suspecter un pareil témoi-
gnage. Nous doutons, toutefois, que la vocation fît dès cette
époque entendre au jeune Chapu sa voix mystérieuse (2) ;
nous aimons mieux le voir, comme il l'a du reste écrit
lui-même, « médiocre écoher, grand amateur d'école buis-
sonnière, habile à dénicher des nids, voire même à tendre
des collets ». Quoi qu'il en soit, Chapu, cela est hors de
(1) Voir aux Pièces justificatives l'acte de naissance de Chapu.
(2) 11 nous a été donné de voir quelques dessins datant de l'enfance de Chapu,
alors qu'il avait douie ou treize ans. La vérité m'obli|»e à dire qu'il n'y a rien
dans ces dessins, copiés pour la plupart sur de médiocres gravures, rien qui fasse
présager un talent quelconque. En 1850, seulement, j'ai remarqué un portrait de
femme en bonnet (sa mère sans doute) qui, quoique assez maigrement modelé, ne
manque pas d'une certaine personnalité.
ENFANCE ET JEUNESSE.
doute, reçut tout juste une médiocre instruction primaire.
Ses premières lettres (alors qu'il avait plus de vingt ans)
en font foi, et la culture intellectuelle assez étendue
L4 TANTE DE CUAPU, 1850.
qu'il acquit dans la suite, il ne la doit qu'à lui-même.
De ces lointaines années d'enfance, Cbapu avait gardé un
bon souvenir, et souvent, dans ses lettres, il se plaisait à les
évoquer. Bien que, dans le cours de sa vie laborieuse, il ait
V CHAPr.
rarement eu, depuis, le loisir de goûter les plaisirs de la vie
rustique, on peut dire qu'il a, par plus d'un côté, par plus
d'un trait de caractère, gardé Tempreinte de son origine
paysanne. Paysan il était par son amour de la nature, qu il
n'admirait pas seulement en artiste, mais qu'il aimait comme
la grande mère nourrice, la réparatrice étemelle des forces
humaines; paysan encore par son humeur patiente et
tenace, par sa prudence un peu défiante devant les visages
nouveaux, par l'extrême simpUcité de ses goûts. Un autre
trait encore : il aime les bêtes. Toute sa vie, il aura près de
lui quelque animal, domestique ou apprivoisé, depuis certain
aigle, déniché dans les montagnes de la Sabine, qu'il gar-
dera plusieurs semaines dans son atelier de Rome, jusqu'à
un écureuil familier, compagnon de ses dernières années.
C'est vers 1 âge de dix aus que Cbapu revint au Mée. Son
séjour n'y fiit pas de longue durée. Ses parents, en effet,
quittèrent bientôt le marquis de Fraguier. Est-ce leur in-
stinct paternel qui leur dit qu'à Paris seulement les destinées
de leur fils s'accompliraient, ou ne faut-il voir dans cette
circonstance qu'un hasard heureux? Toujours est-il que
nous les retrouvons, quelques années plus tard, concierges
chez le marquis de Vogué, dont l'hôtel, aujourd'hui dispani,
occupait le n* 92 de la rue de Lille. Us envoyèrent tout
d'abord leur fils à l'école des Frères; puis, au bout de deux
ans, jugeant son éducation suffisante, ils se mirent en devoir
de lui chercher un état, chose particulièrement malaisée à
cette époque, car on était en 1848, en pleine révolution de
Février. Après bien des déhbérations , ou choisit pour le
jeune garçon la profession de tapissier; mais le patron auquel
ENFANCE ET JEUNESSE-
il fut proposé objecta, l'excellent homme, que pour faire un
bon tapissier, il fallait savoir un peu de dessin. Son conseil
fut suivi, et voilà Chapu à TÉcole d'art décoratif de la rue
de l'École de médecine. Son destin était désormais fixé.
Deux ans plus tard, il obtenait un premier prix qui lui
donnait son entrée à l'École des beaux-arts. Jusque-là il
s'était contenté de dessiner sans savoir encore quelle bran-
che de l'art il choisirait ; l'architecture semble même avoir
eu un moment ses préférences. Il finit cependant par opter
pour la sculpture et entra dans l'atelier de Pradier.
Quelques sculpteurs de ce temps se souviennent encore
d'avoir vu, aux premiers jours de l'hiver de 1850, arriver
parmi eux, à Tateher Pradier, un jeune homme de dix-sept
ans, d'apparence chétive, timide et pauvrement vêtu d'une
petite blouse d'écolier. On ne lui ménagea pas les brimades
traditionnelles, et le maître lui-même s'amusa plus d'une
fois à le déconcerter. Un jour, il lui commanda, sous peine
de renvoi, d'élever, seul et sans aide, sur une selle, un lourd
bloc de marbre qui gisait dans un coin de l'atelier. Chapu
avait pris au sérieux l'ordre et la menace qui l'accom-
pagnait. Croyant son avenir enjeu, il tenta cette besogne
impossible, et, je ne sais par quels moyens, parvint à
l'accomplir. Pradier, en rentrant le soir à l'atelier, trouva, à
sa grande surprise, le bloc en place. 11 rit tout d'abord de la
naïveté de son élève, puis il réfléchit qu'un enfant de dix-sept
ans, capable d'une telle force de volonté, n'était peut-être
pas le premier venu. A partir de ce moment, il s'intéressa au
jeune Chapu. Celui-ci malheureusement ne devait pas pro-
fiter longtemps de ses conseils. Pradier mourut en 1852, et
Chapu dut chercher un autre maître; il entra alors à l'atelier
6 CHAPU.
de Daret. En même temps il suivait le cours de dessin du
soir, où son exactitude et son zèle le firent remarquer de
Léon Cogniet. Le grand peintre se prit pour Chapu dune
amitié paternelle qui ne devait jamais se démentir.
Pendant les quatre premières années qu'il passa à Técole,
le jeune Chapu travailla avec ardeur. Les principales
œuvres qu'il exécuta pendant cette période furent : F Homme
heureux, bas-relief tiré du bouclier d'Achille (Homère),
1852; CincinnatuSy bas-relief, 1852; Cérès rendant la vue
à Triptolème , bas-relief, 1853; le Désespoir d Alexandre
après la mort de Clitus, qui lui valut la même année le
deuxième prix de Rome; Tyrtée, bas-relief, 1854; Homère
chez t armurier y et Ulysse retrouvant Achille à la cour de
Lycomèdcy bas-reliefs, 1854. 11 s'était également essayé à
la gravure en médailles et en pierres fines, et avait obtenu
dans cette section, avec un Neptune faisant naître un che-
val, le second prix de Rome, en 1851.
Il faut citer encore, parmi les premiers essais du sculpteur,
une statuette en plâtre que nous avons pu retrouver, grâce
à la correspondance du maître , à la préfecture de Seine-
et-Marne, où elle était reléguée dans un bureau, oubliée
de tous. Elle représente dom Simon, moine du Jard (1),
(1) Nous deTons à M. Lhuillîer, vicerp résident de la Société archéologique de
Seine-^t-Marne, Tintéressante communication qui suit sur l'abbaye du Jard :
« Le Jard était une abbaye de religieux appartenant à l'Ordre de Saint- Augustin
et toute voisine de Melun. L'un de ses derniers titulaires fut le fameux abbé de
Voisenon, de l'Académie française.
« Le moine Simon, qui avait appartenu à cette abbaye, l'avait quittée pour celle
de Jony, près Provins. Il se distingua parmi les défenseurs de la ville de Melun au
moment de son siège par les Anglais, en 1420. Sébastien Kouillard, dans son
Histoire de Melun (1628, p. 541), rapporte que les Anglais, devenus maîtres de la
place, firent décapiter le vaillant moine et un de ses compagnons, comme lui
religieux de Jouy. "
ENFANCE ET JEUNESSE.
une célébrité locale qui se sigpiala pendant le siège de
Melun parles Anglais, en 1420. Cette figure, pour laquelle
Chapu fit de nombreuses études dessinées, est pleine de
vérité et de mouvement. Le moine est représenté debout
sur les remparts, une arbalète à la main; sa figure respire
une ardeur guerrière, les plis de son froc sont largement
hachés, et la silhouette générale en est heureuse.
Le petit musée du Mée nous a conservé la plupart de
ces ouvrages qui lui furent donnés par leur auteur. Certes,
il n'y a là aucun chef-d'œuvre, et la personnahté de Chapu
ne s'y affirme pas encore; ce sont tout au plus de bons tra-
vaux d'élève, sagement composés et exécutés avec une cer-
taine verve. Bien que la critique se fût déjà intéressée à ces
œuvres, leur auteur n'en était qu'à demi satisfait. « Ce
matin, écrit-il dans ses notes intimes, D*** (Delecluze?) est
venu voir mon projet de statue équestre. Sa première
impression n'a pas été défavorable, mais il a trouvé la tête
du cheval trop petite, pas assez sohde ni assez carrée de
construction... l'effet général lui a paru manquer de ron-
flant... A*** semble avoir la même opinion sur la physio-
nomie de mes œuvres; l'estime que je porte aux peintres
allemands m'entraîne peut-être à la froideur... On aime le
ronflant chez nous; je l'aime aussi, mais, tiraillé en tous
sens, je ne sais quelle est la bonne route. »
A la fin de l'année 1854, le jeune sculpteur a conscience
de savoir, de son métier, tout ce qui peut s'apprendre à
l'École. Dégoûté de l'enseignement monotone de Duret, il
veut quitter l'atelier et oublier pour un temps ce qu'on lui
a appris. « Mon dessein est de me renfermer dans ma
chambre afin de m'exercer moi-même et de me concentrer.
8 CHAPU.
J'espère retrouver uae énergie que je ne me sens plus...
j'ai la conviction que la société continuelle ôte àFesprit une
partie de ses forces contractives {sic) et le distrait trop; la
solitude donne à l'âme une force double que le travail ali-
mente et grandit. » Quelques mois de travail solitaire
retrempèrent le courage du jeune artiste. Il passa de longues
heures au Louvre, méditant et comparant les génies divers
des peuples qui ont exceUé dans la sculpture. Pas plus que
les grâces mièvres des artistes du dix-huitième siècle. Fart
hiératique des Égyptiens ne le laissa indifférent, mais c'est à
Puget surtout qu'allèrent ses sympathies du moment, et il fit
de son Milon de Crotone de longues et minutieuses études.
Cette « retraite » eut pour Chapudes résultats salutaires.
Au printemps, il reprit le chemin de l'École, car il se devait
à lui-même, à ses parents et aussi à la ville de Melun qui le
pensionnait (1), de conquérir le prix de Rome, dont deux
fois déjà il avait été si près. Il l'obtint, en effet, et dans des
circonstances qui méritent d'être rappelées. Le sujet pro-
posé était un bas-relief : Cléobis et Biton, La veille do
l'exposition publique, on transporta, dans la salle où elles
devaient être exposées, les œuvres des concurrents. Au
moment de mettre en place le bas-relief de Ghapu, une corde
casse, et le lourd morceau de terre glaise tombe « sur le
nez » . On crut tout perdu, et le. pauvre artiste se désolait.
Enfin, on répara tant bien que mal le désastre, mais toutes
les finesses du premier plan étaient écrasées ou brisées.
(1) Une tomme de deux cents francs lui avait été accordée h. titre d'encourage-
ment, dès l'année 1850, par le conseil général de Seine-et-Marne. Cette somme,
^ar des augmentations successives, fut portée à mille francs (1855). (Archives du
département de Seine-et-Marne.) Voir aux Pièces justificatives.
o
sa >«
O ;=
ENFANCE ET JEUNESSE. 11
Cependant, tout mutilé qu'il fût, le morceau était si beau
de composition et d'allure qu'il défiait toute comparaison
avec les œuvres rivales. Le jury fut unanime en faveur du
jeune Chapu (1).
C'est vers le mois de décembre de cette année qu'il s'ache-
mina vers Rome. Les artistes, appelés à perfectionner leurs
études à la Villa Médicis, avaient toute liberté de s'y rendre,
mais, le plus souvent, ils réunissaient leurs destinées et fai-
saient le voyage de concert. Cette année-là la petite troupe
était moins nombreuse que de coutume, aucun peintre
n'ayant été jugé digne du prix; elle se composait, avec
notre sculpteur et son camarade Doublemard, d'un archi-
tecte, Daumet, d'un musicien. Comte, et du graveur en
médailles Alphée Dubois.
Le voyage se fit gaiement, à petites journées, chacun sui-
vant sa fantaisie , les plus paresseux se servant de la dili-
gence, les autres faisant à pied de longues étapes en pre-
nant des notes et des croquis. On visita ainsi Lyon, Avignon,
Arles, Nîmes, Marseille, Gênes et Florence. A la fin de jan-
vier seulement ils arrivaient à destination (2).
(1) Un article de V Illustration, en racontant cet accident, l'attribue à Double-
mare (lie), qui eut également le prix cette année-là. C'est une erreur. Nous avons
trouvé, en effet, sur les registres de l'Académie^ la note suivante en regard du nom
de Chapu : Un accident arrivé au bas-relief en terre de M. Chapu, pendant le
transport des loges k la salle d'exposition, a brisé ce bas-relief, qui a dû être moulé
sans être réparé. Pareille mésaventure était du reste arrivée, peu auparavant, au
sculpteur Guillaume.
(2) Les habitants de la Villa Médicis étaient, au commencement de l'année 1856 :
Baudry, Chifflart, Maillot, Lévy, Giacomotti, peintres ; Bonnardel, Crauck, Lepère
etCarpeaux, sculpteurs-, Ancelot, Ginain, Diet, Bonnet et Vaudremer, architectes ;
Bellay et Soumy, graveurs. A cette liste il faut ajouter Bernard, un des derniers
lauréats du paysage historique , et les compositeurs de musique Galibert et Barthe.
12 CHAPU.
Pendant les cinq années que durera son séjour à Rome,
Chapu ne manquera pas d'écrire au moins une fois par
semaine à ses parents, et cette correspondance, pieusement
conservée, est un des plus curieux documents qu'il nous ait
été donné de consulter, car ces lettres, d'une écriture mal-
habile et d'une orthographe souvent fantaisiste, ont le
charme d'une absolue sincérité. Elles nous montrent l'artiste
tel qu'il est, tel à peu près qu'il restera toute sa vie, car sa
maturité semble avoir été précoce, et nous ne trouvons chez
lui ni ces écarts d'imagination, ni cette fougue qui sont
l'heureux privilège de la jeunesse. A vingt-deux ans, il est
déjà sage, méthodique, économe, prudent dans ses relations,
bon camarade cependant et ne refusant jamais d'ouvrir à ses
compagnons d'étude sa modeste bourse de pensionnaire.
Pendant que la plupart de ses camarades s'abandonnent
avec l'ardeur de la jeunesse aux faciles plaisirs de la vie
romaine, il reste à l'écart dans son atelier, travaillant et
méditant, et sa vie de cénobite, ses manières douces et
polies, comme aussi son visage imberbe, lui font donner le
surnom de : « Monsieur l'abbé. »
Laissons donc notre sculpteur raconter sa vie, en choi-
sissant, dans les trois ou quatre cents lettres qu'il a écrites,
les épisodes les phis intéressants.
A quelques lieues de Rome , Chapu rencontre une bande
joyeuse : ce sont les pensionnaires de la Villa Médicis,
venus au-devant de leurs camarades. Les deux groupes
fraternisent gaiement, et, en signe de bienvenue, les « an-
ciens » offrent aux « nouveaux » quelques fiasques de vin
d'Oi*vieto. Puis ils continuent de concert leur chemin, et, à
un détour de la route, Chapu peut enfin apercevoir la Ville
ENFANCE ET JEUNESSE. 13
éternelle, o Je suis arrivé enfin à ce lieu auquel j'aspire
depuis tant d'années, écrit-il le soir même à ses parents ; mes
illusions n'ont pas été déçues, et ce n'est pas sans un petit
serrement de cœur que j'ai contemplé cette Rome où je vais
habiter pendant cinq ans. »
Je passe les lettres où il décrit, après tant d'autres, les
merveilles de la cité pontificale, ses temples païens et ses
églises chrétiennes, les Loges, le Jugement dernier, le
Colisée, etc. Ces beautés, qui lui sont tout d'un coup révé-
lées, emplissent son âme d'un naïf enthousiasme qu'il mani-
feste en un style d'une maladresse émue qui n'est pas sans
charme. Il n'oublie pas non plus dans ses descriptions la
Villa Médicis : « La vie de l'Académie me semble extrême-
ment agréable ; on y a toutes les commodités possibles. La
nourriture y est bonne et confortable, les chambres grandes
et claires... J'ai, de ma fenêtre, une des plus belles vues qui
soient : au premier plan sont les jardins de la Villa, et, au
delà, l'Étrurie jusqu'aux montagnes de la Sabine. . ., le Tibre
coule dans ces belles plaines de la campagne romaine; un
rayon de soleil éclaire dans le lointain l'endroit où était
l'antique Véies et la vallée de la Climère (?)... à droite, sur
l'autre versant du fleuve, je vois, se détachant sur le ciel, au
sommet d'une petite colline, la silhouette d'une ferme; c'est
l'emplacement de l'acropole de Fidènes ; non loin de là, fut
livrée la fameuse bataille de l'Allia, où les Gaulois battirent
si bien les Romains; plus près, c'est le pont Milvius, où
Constantin combattit Maxence. Enfin, de quelque côté que
je tourne la tête, il n'y a pas de coin auquel ne soit attaché
quelque souvenir historique. »
Il s'étend aussi longuement sur les avantages matériels
u
CHAPC.
cpe lui procure sa situation nouvelle. Ces avantajjes, cepen-
dant, n avaient rien d'exagéré, et il fallait, pour s'en con-
tenter, toute la simplicité de goûts du jeune artiste. Qu'on
en juge. Les élèves de la Villa étaient logés et nourris
CUAUBRE OCCUPEE PAB GUAPU A LA TILLA MEOICIS.
par TEtat. Mais les frais de blanchissage, d'éclairage et
de chauffage restaient à leur charge. Pour faire face à ces
dépenses, ainsi qu'à celles de leur art (modèles, intruments,
terre à modeler, etc.), ils avaient di'oit à une mensuahté de
100 francs, sur lesquels 25 francs leur étaient retenus pour
ENFANCE ET JEUNESSE. 15
leur constituer une masse qu'on leur remettait à leur départ
de Rome (1). En dépit de la plus stricte économie, il était
difficile de vivre avec de pareilles ressources. Aussi, plus
d'une fois, Ghapu dut-il recourir à ses parents, et ceux-ci,
dont Tamour paternel se doublait d'un légitime orgueil,
n'épargnèrent aucun sacrifice pour permettre à leur fils de
« tenir son rang » .
Un certain prestige, en effet, s'attachait à ce titre de pen-
sionnaire de l'Académie de France à Rome. Les Français
jouissaient auprès du Saint-Père d'une réelle faveur et avaient
le pas sur les autres nations. A toutes les cérémonies publi-
ques, les pensionnaires étaient conviés officiellement et une
place leur était réservée, après les ambassadeurs et les géné-
raux, bien entendu, mais au même rang que les officiers
d'état-major. Le directeur Schnetz (2) avait un certain état
de maison : suisse magnifique tout galonné d'or, nombreux
domestique, voitures à la livrée impériale. Il n'était pas de
semaines où les salons de la Villa Médicis ne s'ouvrissent à
quelque personnage marquant de passage à Rome, et les
pensionnaires aidaient leur directeur à en faire les honneurs.
C'était pour ces jeunes gens, appartenant pour la plupart à
des familles modestes, une singulière et dangereuse épreuve.
Mais Ghapu avait trop de bon sens pour se laisser ainsi
éblouir par ce titre prestigieux de pensionnaire. Il se rend
(1) A partir de l'année 1859, cette pension fut augmentée de trois cent soixante
francs par an.
(2) Schnetz (Jean-Victor), né à Versailles en 1787, mort à Paris en 1870.
Élève de David, Regnault, Gros et Gérard, sa manière participa de ces différentes
influences. Les nombreux tableaux qu'il exposa, et qui appartiennent presque
tous à la peinture de genre, témoignent d'un bon dessinateur, d'un coloriste suffi-
sant et d'un homme de bon goût
Ift CHAPr.
parfaltemeot compte qa'il nest eacore qn on élèTe, et sait
qae les années qn'il passera à Rome doivent être laborieuse-
ment employées. Aussi, laissant la plupart de ses camarades
étaler aux bals de son directeur leurs talents de danseurs, il
se renfermera le plus souvent dans son atelier et passera
ses soirées à dessiner ou â compléter, par de sérieuses lec-
tures, l'instruction sommaire qu'il a reçue. La bibliothèque
de l'Académie ne lui suffit pas, et il prie ses parents de lui
envoyer ses livres favoris : Virf;ile, Corneille, La Fontaine,
Dante, Ossian, et les Martyrs de Cbateaiibriand, et les yuits
d'Yoïing.
Pendant ses premiers mois de séjour, Cbapu ne son{je
guère à travailler. Il se contente de voir, se délassant de la
contemplation des chefs-d'ceuvre par le spectacle de la rue,
ou la vue de quelque imposante solenuité religieuse. Au
moment où il arrive, Rome est en plein carnaval, et il envoie
à ses parents une fidèle et pittoresque description de ces
fêtes (1;. Au carnaval succède le carême ; nouvelle occasion
[i « ... L.1 fête a doré hait jour» et »e trouvait coocentrée dans la me princi-
pale de la ville, nommée le Corso. Ao moment de la fête, toutes les boutiques
sont transformées en autant de petites loties garnies de percaline rouge et blanche
où les femmes et les curieux se placent pour voir le carnaval. Les balcons, les
fenêtres, tout est garni d'une quantité de monde... A midi, an coup de canon
annonce l'ouverture de la fête, et la rue s'emplit peu à peu. Alors commence le
combat. Les f;cn8 placés aux fenêtres font pleuvoir sur les passants une nnée de
confetti 'petites boulettes de plâtre faisant une marque blanche lorsqu'elles
touchent un habit noir}. Les personnes placées dans les voitures leur répon-
dent de la même façon ; on se jette aussi une grande quantité de bouquets et de
dragées. Ce n'est qu'un combat dans toute la rue, accompagné d'éclats de rire et
de cris de joie. Malheur à qui se hasarde en habit noir dans la me, car c'est à lui
qu'on s'attaque de préférence; il pleut sur lui une grêle de confetti, et en un
instant il passe du noir an blanc...
• Quand on jette an bouquet à une femme, elle vous répond presque toujours
par un autre bouquet ou par des bonbons... quelquefois, on est prévenu; alors
c'est un succès; mais assez souvent aussi on vous répond par une poignée de con-
ENFANCE ET JEUNESSE. 17
de spectacles pittoresques ou grandioses, que Chapu s'em-
presse de décrire à ses parents dans de longues lettres illus-
trées d'amusants croquis.
Ces jours d'intelligente flânerie ne furent pas perdus pour
le jeune sculpteur. Les scènes auxquelles il avait assisté se
fixèrent dans son cerveau en images inoubliables, et en
surexcitèrent les facultés créatrices; il jugea bientôt, ce-
pendant, qu'il ne pouvait sans danger prolonger cette
existence contemplative. « .l'ai commencé à m'occuper
un peu sérieusement, écrit-il le 13 mars. Je fais des com-
positions, je dessine dans les galeries, j'étudie l'italien et
je suis des cours. Me voilà aussi occupé que je Tétais
à Paris, et la nuit vient toujours trop tôt. » Il exécute
en même temps queKjues médaillons d'après ses cama-
rades.
Cbapu, en vrai fils de paysans, a toujours eu l'amour,
nous pourrions dire le besoin de la nature. Sa constitution,
fctti. Toutes les classes de la société prennent part à ces fêtes. Les soldats et
officiers français de la garnison y prennent beaucoup de plaisir...
« A cinq heures, le combat cesse, et toutes les voitures se retirent. On lâche
alors neuf ou dix chevaux libres dans la rue. La foule forme la haie de chaque
côte sur les trottoirs et pousse des hourras pour exciter les chevaux, qui ont vite
fait de parcourir l'espace marqué. Il y a une récompense pour le propriétaire du
\'ainqueur... c'est très curieux h. voir, et il est bien étonnant qu'il n'arrive pas de
malheur.
« La soirée du dernier jour est marquée par un jeu tout particulier. C'est la
soirée aux mocoletli. Aussitôt après l'il/iye/ui, on voit s'allumer dans le Corso une
multitude de petites bougies de cire que l'on nomme mocolo. Chacun en tient
une ou deux dans la main, et les voitures en sont toutes illuminées. Là, un autre
combat s'engage. C'est à qui éteindra le mocolo de son voisin; les piétons font
l'assaut des voitures, cherchant avec leurs mouchoirs à éteindre les bougies; ceux
des voitures leur répondent avec des confetti ou à grands coups de vessies gonflées
d'air... tout cela est d'une gaieté étourdissante; on s'amuse franchement et gaie-
ment, sans qu'il y ait jamais de dispute. »
[Lettre de Chapu à ses parents,)
2
IS CHAPU.
chétive en apparence, s'accommode à merveille des grandes
marches, des journées passées en plein air. Aussi, dès qu'il
est fatigué du travail de l'atelier, il boucle sur ses épaules
le sac du paysagiste et s'en va vagabonder dans la cam-
pagne romaine. Nous avons trouvé, dans ses cartons, de
nombreux paysages dessinés au crayon noir ou à la mine
de plomb sur papier bleu, avec quelques touches de goua-
che ou de crayon blanc pour détacher les ciels, où il a
su aUier la noblesse du style et la beauté des lignes à un
sentiment très vif et très pénétrant de la nature. Si j'avais
il classer ces charmantes compositions, je les placerais
entre Aligny et Corot, à l'époque où ce dernier commen-
çait à se dégager de la solennité un peu guindée du paysage
historique.
Ces différents travaux l'absorbèrent si bien que, en dépit
des moustiques, de la chaleur et de la mal'aria (1) qui
d'habitude chassait presque tous les hôtes de la Villa, de
juillet à septembre, il demeura à Rome pendant tout Tété,
ne quittant son atelier que pour de courtes excursions dans
les environs.
L'hiver venu, il se mit avec ardeur à son envoi. Après
bien des hésitations, il fit choix d'un sujet reUgieux, le Christ
auxAngeSy auquel il joignit, par surcroît, une esquisse, VAge
de fer y dont je n'ai pu retrouver la trace.
(1) Le riitiiat de l'Italie paraît avoir été, ù cette époque, beaucoup plus malsain
qu'il ne l'est aujourd'hui. Peudant le cours de cette année 1856, Chapu avait vu
mourir à l'Ecole même un de ses camarades, Bonnnrdel, enlevé par les Hèvres. Peu
de temps après, un autre élève, Chifflart, épuise par le même mal, revenait ù
Rome, se traînant à peine sur des béquilles; Giacomotti était gravement malade,
u Venise^ de la suette; enfin Carpeaux^ s'étant administré un remède trop violent
pour guérir une dysenterie dont il était atteint, se voyait forcé de revenir en
France achever sa guérison.
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ENFANCE ET JEUNESSE. 21
Suivant un usage qui subsiste encore aujourd'faïui, les
œuvres des pensionnaires, avant d'être envoyées à Paris,
étaient exposées à la Villa Médicis. Les bas-reliefs de Ghapu
y furent favorablement accueillis. Grande fut donc sa décep-
tion quand on lui fit, six mois plus tard, parvenir le rap-
port de rinstitut qui le concernait, rapport qui avait été lu
en séance publique le 2 octobre 1857. « L'envoi de M. Ghapu,
qui a si brillamment, il y a deux ans, obtenu le Grand
Prix de sculpture, écrivait le rapporteur, ne remplit pas
Tattente de l'Académie. Si elle écoutait la voix de la sévérité,
elle aurait plus d'un reproche à adresser à M. Ghapu.
Elle lui dirait que son bas-relief représentant Y Adora-
tion des Anges n'a pas le calme et l'onction que comporte
le sujet, que rien ne justifie le mouvement désordonné
des draperies des anges ; qu'il aurait dû éviter dans les
plans des disparates qui nuisent à l'harmonie de l'en-
semble. Mais elle est heureuse d'ajouter qu'il a dans la
figure du Ghrist quelques parties d'étude bien modelées,
et que M. Ghapu a fait preuve de zèle en envoyant son
esquisse, VAge de fer, qui ne lui était pas demandée par
le règlement. Elle devrait cependant reprocher encore
à cette esquisse une exagération dans le mouvement
des figures et des draperies, qui lui ôte ce caractère de
grandeur, cette clarté que doit toujours consei*ver la sculp-
ture, lors même qu'elle est appelée à rendre les passions
les plus violentes. L'Académie espère beaucoup, pour le
prochain envoi de M. Ghapu, de ses réflexions et de ses
études. »
Gette sévère appréciation était confirmée par une lettre
confidentielle de Duret, qui parvint à Ghapu par le même
22
CHAPU.
courrier. Il nous semble curieux de rapporter ce document,
que nous avons retrouvé dans les archives de Chapu :
a Mon pauvre Chapu,
« Vous avez donc tout à fait oublié les bons principes de
sculpture que vous avez montrés dans votre Prix? Tout le
monde fondait de grandes espérances sur vous, et vous faites
le plus affreux envoi que j'aie jamais vu. Pourquoi diable
faire un Christ, le plus beau des hommes, quand vous n'êtes
seulement pas capable de faire un homme ordinaire, comme
il y en a tant à Rome? Seulement ils ont du caractère, et cela
convient parfaitement à la sculpture. Votre bas-relief est
mal entendu de plans, le nu affreusement dessiné, le goût
n'appartient à aucune époque de l'art, et je suis très peiné
de voir une pareille chose. Regardez donc un peu la belle
sculpture grecque ou celle de Michel-Ange, et non des pein-
tures rococo qui ont peut-être le mérite de la couleur. La
sculpture veut de la noblesse et de belles formes , et non de
petites touches, des creux et des bosses qui n'indiquent
rien absolument, comme vous en mettez dans votre Christ.
tt Votre esquisse serait peut-être passable si elle était
mieux exécutée et d'un meilleur goût. Elle a trop de plans
et est encore du domaine de la peinture et n'annonce rien
de distingué, mais un sentiment commun et vulgaii'e, con-
traire à l'art que vous avez choisi.
« Tâchez donc, mon cher enfant, de regarder un peu
Tantique, et comptez sur mon dévouement et mon amitié,
si vous voulez vous en rendre digne.
« F. DURET. »
ENFANCE ET JEUNESSE.
S5
Nous pouvons, à notre tour, faire appel de ces jugements
rigoureux, car les pièces du procès subsistent encore. Le
Christ aux Anges nous a été conservé. Il est aujourd'hui le
plus bel ornement de Féglise du Mée. En outre, plusieurs
croquis d'ensemble ou de détail nous initient à la genèse de
cette œuvre. Si Ton ne consultait que ces derniers, on ne
pourrait que donner tort à l'Académie, car la conception
première est grande, simple et harmonieuse. Le Fils de Dieu
est étendu, mort. Derrière lui, un ange, vu de face, soulève
son linceul, tandis qu'un autre, vu de profil, s'incline vers le
divin Crucifié et baise sa main inerte. Rien de gracieux
comme la silhouette de cet ange, dont la courbe élégante se
marie heureusement à la ligne rigide du corps que l'on va
ensevelir. Malheureusement, quand il entreprit cette com-
position, l'artiste n'était pas encore pleinement maître de
son métier, et l'exécution de son bas-relief se ressent de cette
inexpérience. Le Christ est un peu vulgaire d'aspect; cer-
tains détails, les cheveux, par exemple, sont d'un modelé
pauvre et maladroit, les draperies d'un dessin lourd et con-
fus. Mais ce n'est pas là le principal grief de Duret : ce qui
le contriste suitout, ce sont les tendances manifestes de son
élève vers la sculpture coloriste, ce sont ces creux et ces
bosses qui accroclient le regard et détruisent à son avis la
simplicité et l'harmonie de l'ensemble. A ce point de vue,
nous ne sommes pas tout à fait de son avis. Chapu, déjà,
cherche à réagir contre la froideur qui, sous prétexte du
bon goût, tend à envahir la sculpture française, et, s'il dé-
passe le but, il ne faut pas lui savoir trop mauvais gré d'une-
exubérance qui est de son âge et qui vaut mieux, en somme,
que le défaut contraire. Quoi qu'il en soit, le Christ aux
24 CHAPU.
-<^ngfe5 n*est déjà plus l'œuvre banale et correcte d'uu bon
élève , et un observateur perspicace aurait pu y découvrir
les germes de ce qu'en art on appelle « un tempérament » .
Le sévère accueil fait au premier envoi du jeune sculpteur
n'était pas pour l'encourager. Il ne s'en montra cependant
ni surpris, ni déçu, et se remit avec ardeur au travail.
Depuis son dernier envoi, son horizon s'était élargi. Il avait
consacré une partie de l'été à un voyage dans le nord de
l'Italie, en compagnie de plusieurs architectes de la Maison.
Il avait visité Pise, Sienne, Venise, Padoue, Bologne et
surtout Florence, où il avait passé plus d'un mois. Là, il
avait retrouvé un de ses amis les plus chers. Gaillard, dont la
ville des Médicis était le séjour favori, et qui se préparait à
l'art qu'il devait illustrer par les admirables dessins que l'on
connaît. Les longues promenades qu'il fit dans la ville, en
compagnie de ces esprits d'élite, eurent pour Chapu des
résultats féconds. La Renaissance italienne qu'il est diffi-
cile de bien connaître sans sortir de France, et dont Rome
même ne donne que des spécimens incomplets, se révéla à lui.
Il passa de longues heures à méditer devant la Logr/ia dei
Lanzi ; il put comparer la grâce naïve et chaste de Luca
délia Robbia à l'élégant et savant naturalisme de Donatello
et de Ghiberti. Le crayon à la main, il analysa minutieuse-
ment les figures du tombeau des Médicis, dont la mystérieuse
et tragique grandeur le pénétra profondément, et le pré-
cieux Persée de Benvenuto Cellini, d'une si exquise élé-
gance, et la Judith de Donatello et Y Hercule tuant Cacus
de BandinelU. Au bout de deux mois, il rentrait à Rome,
l'âme exaltée par la vue de tant de radieux chefs-d'œuvre.
ENFANCE'ET JEUNESSE. 25
un peu inquiet, toutefois, de savoir comment, parmi tant
de manifestations si diverses du Beau, il pourrait, à son
tour, se frayer sa voie.
L'artiste avait, pour cette année, le temps de ruminer
ses impressions à loisir. Les règlements de TÉcole ne lui
imposaient aucune composition originale, mais seulement
une copie d'après l'antique. Dans l'état d'esprit où se trou-
vait Chapu, en même temps qu'un excellent apprentissage,
c'était un repos salutaire pour son imagination surchauffée.
Il fit choix de V Enfant à iépine, cette exquise figure, du
Musée du Vatican , et se mit résolument à ce dur métier de
tailleur de marbre, presque nouveau pour lui, car l'École des
Beaux-Arts y exerce peu ses élèves. Au printemps, l'œuvre
était terminée et partait pour la France. Il reçut à l'occa-
sion de cet envoi cet article enthousiaste d'About qui faisait
ses débuts au Moniteur (1) : « C'est dans un écrin qu'il fau-
drait mettre la copie du Tireur d'épine^ exécutée en marbre
par M. Chapu. Jamais peut-être ce bijou de la statuaire
antique n'a été reproduit avec plus de conscience et plus
d'amour. » Le rapport officiel de l'Institut lui était égale-
ment favorable et rendait justice au « soin qu'il avait apporté
à cette copie qui rappelait bien le caractère de l'original » .
Toutefois ses maîtres n'en furent sans doute pas aussi com-
plètement satisfaits, et il reçut de l'un d'eux, de Duret, je
crois, une lettre où « on lui lavait la tête » .
Les pensionnaires de la villa Médicis s'étaient, cette année-
(1) About, l'année précédente, avait passé quelques jours à Rome en revenant
de l'École d'Athènes, où il avait été pensionnaire. L'esprit caustique et mordant
du jeune critique ne plut pas à Chapu, qui trouvait ses articles « pointus », et se
tint longtemps en défiance vis-a-vis du brillant écrivain.
M CHAPU.'
là, particulièrement distingués. On admirait à leur exposi-
tion un Saint Sature, vaste composition de Henri Lévy, « qui
témoignait d'un esprit délicat, distingué, fait pour plaire » ;
des Joueurs de Jlûte de Delaunay, d'un grand charme de
composition, d'un dessin simple et vrai, ainsi qu'une Fuite
de Néron du paysagiste Bernard, et une Lyssia de Lepère,
bien construite et d'un grand air.
On n'avait que des éloges pour Chifflart (1), pour Mani-
glier, et smtout pour Carpeaux, qui brillait entre tous avec
son Petit Pêcheur, une des meilleures inspirations de son
capricieux génie, et qu'About saluait déjà comme un
maître : « Le Petit Pécheur de Carpeaux, écrivait-il, est
une œuvre capitale et complète, digne de figurer dans la
même galerie que le Pêcheur de Rude, le Danseur de Duret,
le Faune de Perrault et le Philopœmen de David. Sans
poursuivre les niaiseries dangereuses de l'idéal, il s'en est
tenu strictement à la nature. » Pour cette œuvre encore, le
jugement de la critique et celui de l'Académie ne s'accor-
daient pas, car, si l'Institut y reconnaissait « une étude fine
et vraie de la nature » , elle blâmait dans cette jolie figure
une certaine trivialité et recommandait au sculpteur d'éle-
ver son style en exerçant son talent sur « de nobles sujets. »
Si nous nous étendons sur ces différentes appréciations
des envois des pensionnaires, c'est pour montrer tout le
désarroi qu'elles devaient produire dans leurs idées. Beau-
coup, il est vrai, n'en tenaient aucun compte, persuadés,
(i) Chifflart (Françoi»-Nicolas), peintre et graveur, né à Saint-Omer en 1825.
Grand prix de Rome en 1851. Doué d'une grande imagination, coloriste à la
manière des romantiques, cet artiste se fit remarquer par un portrait de Victor
Hugo et une suite de dessins inspirés de Faust. Depuis plusieurs années il a cessé
d'exposer.
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ENVIRONS DK UOMK
Dessin (IKAO).
ENFANCE ET JEUNESSE. 2T
dans leur présomption naïve, que ceux qui leur donnaient
ces conseils étaient les représentants d'un art démodé, inca-
pables de comprendre leurs jeunes génies; mais pour
Chapu^ il en allait tout autrement. Esprit méthodique et
discipliné, ayant le respect de ses maîtres, il ne pouvait
s'empêcher d'être troublé par ces brèves appréciations
qui, pour être bien comprises, auraient eu besoin d'être
longuement commentées. Le pis est qu'il ne pouvait trou-
ver d'appui sérieux dans son directeur, M. Schnetz, homme
de goût sans doute, mais artiste sans passion, et dont
l'aimable scepticisme était mal fait pour remonter une âme
troublée (1).
Notre artiste, heureusement, avait la foi robuste. Le
premier moment d'humeur passé, il oublia ce nouveau
mécompte. « Je continuerai de marcher de l'avant, écrit-il
a ses parents, sans me soucier de la routine. »» il se juge
cependant avec impartialité et reconnaît que ni lui ni ses
camarades ne sont encore bien for.ts. N'importe! il voit*
bien que chaque jour apporte un peu à la somme des con-
naissances qu'il a déjà acquises; il a confiance dans su
laborieuse obstination : « L'intelligence, écrit-il à cette
époque, ne suffit pas toujours. J'en vois des exemples
chaque jour; des bûches presque, mais qui, avec peu de
facultés, ont en compensation beaucoup de volonté et de
(1) Le fond de la nature de Schnetz, a dit un de ses biographes, se composait
d*un mélange aimable de candeur, de douce ironie, de scepticisme indulgent et
éclectique. Ce scepticisme s'étendait même aux choses de son art, qu'il comparait
aux neigea de Soracte : « Voyez-vous, disait-il un jour à Baudry en étendant In
main Ters ces cimes éblouissantes , elles font bien dans le paysage, mais, comme
tontes les grandes choses, il faut les admirer de loin. Je n'ai jamais eu envie d'y
aller voir; peut-être aussi le souffle m'aurait-il manqué. » Façon naïve, gracieuse,
profonde peut-être, d'expliquer la médiocrité de son génie.
28 CHAPU.
suite dans les idées : ils tendent vers un but et n'en démor-
dent pas. C'est rare qu'ils n'arrivent à rien. Au contraire, on
voit des individus qui ont une facilité merveilleuse à tout,
n'importe à quoi on les mette, mais presque toujours ils ont
une mobilité d'esprit égale. Ils touchent à tout, apprennent
un peu de tout, mais ne savent rien en réalité. » En même
temps, dans ses notes intimes, il parle « de ces organisa-
tions plus robustes qu'actives, de ces tètes moins inspirées
que réfléchies, de ces tempéraments tranquilles et obstinés,
travailleurs sérieux et constants qu'on appelle bœufs à
l'École, mais qui laissent souvent un grand souvenir dans
l'histoire de l'Art. »
Manifestement, c'est à lui qu'il pense lorsqu'il trace ce
portrait; de même, lorsqu'il parle de ceux qui se fient uni-
quement à leur merveilleuse facihté, il pense à certains de
ses camarades, à Carpeaux notamment, avec lequel il entre-
tint par la suite de bonnes relations, mais qu'il n'aimait
•guère pour le moment. Carpeaux, en effet, était la vivante
antithèse de Chapu. Capricieux et fantaisiste, ne travaillant
que par boutades et se vantant, — mensongèrement du reste
et par pure forfanterie, — de ne trouver l'inspiration qu'au
fond d'une bouteille, Carpeaux était le type accompli du
« mauvais élève »> . Jamais ses envois n'étaient prêts en temps
utile, et plus d'une fois il ne fallut rien moins que les hautes
protections dont il était l'objet pour lui éviter des peines
disciplinaires. Chapu, au contraire, exact et méthodique,
était esclave de ses engagements. La moindre faveur qu'il
lui fallait demander à Schnetz était pour lui le sujet de
longues hésitations. Le premier, cynique dans ses propos et
débraillé dans sa tenue, raillait volontiers la vie calme et
E^iFANCE ET JEUNESSE.
29
réglée du second. Physiquement, ils n'étaient pas moins
dissemblables. Chapu, presque imberbe encore à vingt-
cinq ans, avait une physionomie douce et bonne, le regard
un peu timide, les traits du visage peu accentués ; sa taille
était petite et son apparence chétive. Carpeaux, au con-
traire, avait les traits rudes et heurtés; son œil, largement
-/=
««"'"^Md
KNVinONS DE ROME.
ouvert, avait le regard hardi, presque brutal ; le bas de son
visage disparaissait sous une épaisse moustache et une bar-
biche pointue de coupe militaire. Le verbe haut et bref, le
ton cassant, il affectait des allures de capitan et n'était
jamais plus fier que les jours où, au cours de quelque expé-
dition nocturne dans les mauvais lieux de Rome, on Favait
pris pour un officier « en civil » . Entre deux hommes si dif-
férents de tempérament et de goûts, il était difficile qu'au-
30 CKAPU.
cuQe sympathie pût naître. Chapu cependant rendit tou-
jours justice au talent de Gai'peaux, et la froideur qu'il lui
avait tout d'abord témoignée se fondit peu à peu au contact
de cette intimité Journalière. Plus tard, ils se donnèrent
en différentes circonstances des témoignages d'une mutuelle
estime (1).
L'année 1859 semble avoir été, pour Chapu, une période
décisive. Insuffisamment gardé par l'éclectisme un peu scep-
tique de Schnetz, comprenant mal les critiques qui lui sont
adressées de Paris, il a résolu de voler de ses propres ailes.
Après bien des méditations dont nous trouvons la trace
dans ses notes, il juge que Michel-Ange et les sculpteurs
de la Renaissance sont des maîtres dangereux, que les for-
mules académiques vous apprennent tout au plus à démar-
quer l'art grec, qu'à si bien connaître les moyens qui furent
jadis employés, on risque de perdre toute originalité, de
cesser d'être vrai et simple, ou, ce qui est pis encore, de
(l) Nous en avons la preuve dans cette lettre inédite, je crois, que Carpeaux
écrivait d'une main défaillante ù son rival de {>loire, pour le féliciter de la mé-
daille d'honneur qui lui avait été décernée au Salon de 1875 :
« Nice, 30 mai 1875.
u Mon cuëu collècuk,
M Je suis loin de Paris. Sans cela, j'aurais été te féliciter personnellement sur
ton succès bien mérité au Salon de cette année.
u La médaille d'honneur emportée avec une telle majorité est un fi*uit rare.
Pour moi, qui te sais un sculpteur de goût, rien ne me surprend de te voir prendre
un rang si élevé dans la carrière qui te distingue. J'applaudis de loin, avec autant
d'ardeur que si j'étais près de toi.
« Courage et persévérance. Bientôt la fortune se joindra à la gloire et fera de
toi le plus heureux de mes collègues. C'est ce que je te souhaite du plus profond
de mon cœur.
n Ton vieil ami,
« CAni*EADX. »
ENFANCE ET JEUNESSE. 31
tomber daus cette naïveté intentionnelle et systématique
qui n'est aussi qu'une manière.
« Un sculpteur ou un peintre, écrit-il, ont été sincères
quand, ayant soit dans la nature, soit dans leurs cerveaux,
une seule image ou des groupes d'images, ils se sont efforcés
de les reproduire tels qu'ils les voyaient, sans substituer aux
formes vraies des formes prises à des œuvres d'art étran-
gères; la prétention qu'affichent un grand nombre d'artistes
distingués de nous interdire cette libre interprétation de la
nature est une tyrannie absolue. » Il se décide donc à faire
table rase, à oublier, pour un temps, l'esthétique dont on a
farci son cerveau d'élève, à s'affranchir de la tyrannie des
traditions. « Sous peine de se condamner aux efforts stériles,
écrit-il encore, on ne peut ressusciter la forme particulière
dans laquelle les poètes, peintres ou sculpteurs ont exprimé
leurs croyances, leurs sentiments, leurs pensées... pourquoi
vouloir enfermer ses pas dans un cercle précis et inflexible. . .
nul n'a le droit de défendre à son voisin de vivre, si ce voisin
en a la force... »
Fort de ces résolutions, notre artiste se remit bravement
à l'œuvre. Ce qu'il cherche, pour son envoi de troisième
année, c'est l'harmonie des lignes, le rythme d'un mouve-
ment bien choisi, le charme robuste et sain d'un beau corps
d'homme qu'il modèlera de son mieux. Dans une de ses
excursions aux environs de Rome, il a été frappé par la vue
d'un paysan, jetant avec un geste plein d'ampleur le blé
dans les sillons. Ce sera le sujet de sa statue. Jamais travail
ne l'a trouvé plus ardent : « Je viens de faire une journée de
manœuvre, écrit-il à ses parents : tordre des fers pour
Tarmature de ma figure, bêcher de la terre, faire des colom-
3Î CHAPU.
bins (1), charrier de l'eau, nettoyer... je dormirai ce soir
sans remords, et il est présumable que je dormirai bien. Je
me suis arrêté à un mouvement très simple; tout sera dans
l'exécution... j'ai un modèle superbe, un Romain des beaux
temps... »
Ce travail, que Chapu doit exécuter de grandeur nature,
l'occupera tout l'hiver. Dix fois, découragé par des diffi-
cultés d'exécution auxquelles il n'est pas encore rompu, il
sera sur le point d'abandonner son œuvre, dix fois aussi il
prendra Théroïque résolution de détruire certaines parties
pour les refaire. Malgré son labeur opiniâtre, il désespère
d'avoir fini en temps utile. En effet, la veille du jour fixé
pour l'exposition à la Villa, dans un moment de mécon-
tentement il réduit en poudre la partie supérieure de sa
figure, au grand chagrin de Schnetz, qui n'a cette année-là
presque rien à montrer au public romain. Cela, au reste,
importe peu à Chapu; ce qui l'occupe surtout, c'est l'In-
stitut; ce qu'il veut, c'est forcer Paris à lui décerner des
éloges. Un vaisseau, cependant, est dans le port, prêt à porter
en France les œuvres des pensionnaires, et le Semeur n'est
pas terminé. Pour avoir le temps de donner à sa figure le
dernier coup de pouce, notre artiste use de tous les moyens;
il obtient même la complicité du mouleur qui réclamera un
délai dont il n'a pas besoin; enfin, la tête fatiguée par ce
continuel effort, n'y voyant plus, il abandonne à regret
l'œuvre imparfaite encore à son gré.
Pendant l'hiver qui venait de s'écouler, à l'Académie, les
choses avaient suivi à peu près leur train habituel. Vers la
(1) Espèce de boudins de terre h modeler.
ENFANCE ET JEUNESSE. 33
fin de janvier, une génération de prix de Rome avait quitté la
Yilla, remplacée quelques semaines plus tard par de nou-
veauxlauréats (1). Cette arrivée des nouveaux était pour les
jeunes artistes une occasion de fêtes joyeuses et de farces sans
méchanceté. D'ordinaire, on peignait aux arrivants sous les
couleurs les plus fâcheuses cette existence de pensionnaire
qu'ils se figuraient si riante et si belle. Aux portes de Rome,
ils étaient reçus par leurs camarades, qui leur faisaient les
plus lamentables récits. La moitié des pensionnaires étaient
atteints d'ophtalmies dangereuses (plusieurs, pour donner
plus de créance à ces récits, portaient des lunettes bleues).
Celui-ci, en rentrant de nuit à l'Académie, avait failli être
assassiné; tel autre était mourant de la mal'aria. Arrivés à
la ViDa, on se mettait à table, mais, pour la circonstance, le
menu, d'habitude assez copieux, avait été réduit; plus d'ar-
genterie, plus de linge; la salle était garnie de cinq tables, et
les pensionnaires y prenaient place suivant leur ancienneté ;
celle des nouveaux, piteusement éclairée par une chandelle
fichée dans une bouteille, était, bien entendu, servie la
dernière, et on avait soin de ne leur laisser que les os. Cette
année-là, comme ils quittaient la table, le ventre creux
et harassés d'un long voyage, on leur persuada que
Mme Schnetz désirait les voir, et voilà les malheureux,
malgré leur fatigue, obligés de défaire leurs malles et de
revêtir leurs plus beaux habits. La soi-disant Mme Schnetz
n'était autre que la femme de charge de l'Académie, que,
du reste, ils trouvèrent « fort bien » . Elle était d'origine
allemande, et comme un des nouveaux était Alsacien, ils se
(1) Les lauréats du dernier concours étaient : Henner, peintre; Coquart,
architecte, et David, compositeur.
3
tiiiiffui a pai''er il'-marij. Son iniieH :-ci;te".Lr i-e m ntn £attê
de c^lie- pr-rfrf ence et dr-iclara qn a la îî-vn »î :z.i elle < exprî-
Ui-tii. eUe deTraJt avoir re^'a uoe exc>rJei.ie t-i-icaiioa!
DaiAS le* lettre^ que Cbapa ecnî a >e> p»aie5ts pendant
I hiver de 1 >C>^. il ne Imr parle guère que de >• #a art- Ab>«>rf>é
par *e* travatii- c est a peine s il reniar jue. dans la sotîêté
romaine, un certain malaise, pirécuri-rur des ;,ravrs événe-
ments qni voat i aoompîir. BîentMt, en eîVet, la petite gar-
niv>n française de Rome commence a se renforcer, et les
re^ue* *e multiplient, des cris de : Vive la France 1 vive
r Italie! $e font entendre, mal réprimes par les sbires du
jjouvemement pontifical cjni se sent indirectement menacé.
L Italie va conquérir son indépendance sur \t^ champs de
bataille de Solfériuo et de Ma^jenta. Au reste, la population
romaine, indolente et pacifique, s eu tieut pour l'iustant à
ces platoniques manifestations [1^', et T Italie méridiouale est
assez tranquille pour que, l'été venu, Cbapu entreprenne
avec quelques amis une exciir^ion à Naples.
Ce voyage lui sera bienfaisant, car il a le corps las et
Tesprit surmené parle travail de l'hiver. Il s installe dans la
partie la plus animée de la ville, sur le quai Sainte-Lucie.
De sa fenêtre, il pourra contempler le Vésuve en éruption
ou s'intéresser au spectacle de la foule qui grouille à ses
pieds, exubérante et joyeuse. A peine arrivé, il envoie à ses
parents une longue lettre : « Il est neuf heures, leur écrit-il,
et le clair de lune est superbe; la mer est calme comme un
'\^ Cbapu, parmi cet manifesta lions pariHf|ue6, en cite une .i55ez curieuse :
le* lîbcraux, pour faire pièce au (;ouvernemenc pontitical qui avait le monopole
Je» cigaret et en tirait un important profit, s'enga;;creat à ne plus fumer que la
pipe. Moitié «érieiuement, moitié par plaisanterie, la population adopta cette
mode jyouvcllc. En quelques jours, le prix des pipes tripla.
ENFANCE ET JEUNESSE. 35
lac, et Ton n'entend pas une vague. Le Vésuve s'estompe
en silhouette noire sur le ciel : une seule petite coulée de
lave aujourd'hui, qui se trouve horizontalement sur la mon-
tagne et scintille comme une illumination. Sur la droite,
j'aperçois le château de TŒuf, hérissé de canons brarpés
sur le port et sur la ville ; au loin, une petite silhouette qui
se devine à peine : c'est l'île de Gapri.
i« A mes pieds, c'est le quai Sainte-Lucie. Tout le trottoir
est garni de petites boutiques comme sur nos boulevards;
on y vend des huîtres et des co([mllageSy frutti di mare,
comme ils disent, et aussi Tinévitable macaroni qui cuit dans
des fourneaux ambulants, autour duquel sont rangés les
amateurs. Des femmes poursuivent les passants en leur
offrant des grands verres d'eau sulfureuse; d'autres, accrou-
pies, soufflent sur cjuelques brins de charbon pour y faire
griller des grappes de maïs. Le jour, c'est encore plus gai :
des nuées de marmots jouent et braillent à moitié nus. Ils
mendient en faisant mille cabrioles; des bateaux vont et
viennent le long du quai, transportant les habitants d'un
bout de la ville à l'autre; l'on voit aussi passer presque
charjue jour des processions, suivies de nombreux cortèges
de moines, d'abbés, de confréries de soldats, d'enfants chan-
tant des psaumes, tous le cierge en main, escortés par les
troupes. Tout le long du quai il y a des petits reposoirs où
Ton fait halte pour encenser le Saint Sacrement et donner la
bénédiction... »
Cette vie de doux farniente retient notre artiste à Xaples
pendant plusieurs semaines. Il ne travaille guère, se conten-
tant, dans ses excursions à Baïes, àPouzzoles, au cap Misène,
au lac Lucrin, de prendre sur son album de rapides croquis.
36 CHAPU.
Mais si ses mains restent inactives, son esprit est toujours
en éveil. Les musées de Napies sont pour lui un sujet
d'études et de méditations nouvelles, et il y passe la plus
grande partie de son temps. Avant de rentrer à Rome, il ira
aussi passer quelques semaines à Pompéi, où l'art antique
se révélera à lui sous sa forme la plus familière et la plus
gracieuse.
A Rome, de nouveaux déboires l'attendent. Ses parents
ont été voir l'exposition des envois de Rome, et les impres-
sions qu'ils ont recueillies sur l'œuvre de leur fils ne sont pas
favorables. Eux-mêmes, insensibles à la belle allure sculp-
turale du Semeur, ils n'en ont remarqué que l'exécution un
peu fruste, et ce défaut dont ils s'exagèrent la portée les
plonge dans une cruelle anxiété. La vocation de leur fils
chéri est-elle sincère, et, en rêvant pour lui les hautes des-
tinées d'un grand artiste, n'ont-ils pas fait fausse route? Pour
s'affranchir de ce doute, les braves gens se décident à con-
sulter une somnambule, et il ne faut rien moins que ses bril-
lantes prédictions pour les rassurer. Chapu les raille douce-
ment de leur crédulité et les engage à attendre le jugement
de l'Institut, qui ne sera peut-être pas aussi défavorable
(ju'ils paraissent le craindre. La section de sculpture, en
effet, se montre pour lui un peu moins rigoureuse que les
années précédentes; toutefois les éloges qu'elle décerne au
Triptolème sont assez minces :
« La section ne trouve dans le Triptolème de M. Chapu
ni la noblesse ni le caractère qui conviennent au dieu de
l'agriculture. 11 semblerait que ce titre élevé lui a été donné
après coup. Mais, n'y voyant qu'une figure d'étude, un se-
meur, par exemple, on peut louer un certain caractère sculp-
SCHJiETZ.
Médaille, 1801.
ENFANCE ET JEUNESSE. 39
tural et un bon mouvement, dont M. Chapu aurait pu
tirer un meilleur parti. »
En même temps, le bon Théophile Gautier, dans une de
ces brillantes improvisations dont il avait le secret, louait en
ces termes l'envoi du jeune pensionnaire :
o M. Chapu mérite des éloges pour sa statue de Tripto-
lème enseignant aux hommes l'usage du blé. Triptolème
marche dans un sillon avec ce pas allongé et rythmique
particulier au semeur. Sa main droite lance le grain qu'elle
puise dans une pochette suspendue au bras gauche. L'action
se comprend de suite, ce qui n'était pas facile avec une
figure isolée, sans fonds et sans accessoires. Il y a une cer-
taine majesté agreste dans l'attitude du jeune favori de Cérès,
avec ses cheveux rebroussés et roides qui lui font comme
une couronne d'épis. Le martelage du pouce est peut-être
trop sensible dans l'épreuve en plâtre. M. Chapu, dans l'exé-
cution définitive de sa statue, fera bien d'en tenir compte. »
Nous ne savons si le modèle en plâtre du Triptolème
existe encore dans quelque grenier de l'École des Beaux-
Arts. Nous n'avons pu, en tout cas, l'y découvrir; mais on
peut voir, au parc Monceau, un Semeur en bronze, que
Chapu exposa et qui est, sinon la copie exacte, du moins une
reproduction très peu modifiée de son envoi de 1859. A en
juger par cette épreuve, les éloges de Gautier ne nous sem-
blent pas exagérés. Sans doute, dans le courant de sa glo-
rieuse carrière, Chapu, souvent, fera mieux; le Semeur n'en
est pas moins une oeuvre vigoureuse et saine qui peut
compter parmi les meilleurs envois de la Villa Médicis.
Une année encore a passé : il n'en a plus qu'une désor-
40 CHAPU.
mais à demeurer à Rome comme pensionnaire. Le vain-
queur du prochain concours sera son clou; c'est lui qui le
chassera de son atelier : a Je suis passé au grade de vieux
pensionnaire, écrit-il, j'ai mes quatre chevrons, et, en cette
qualité, c'est à moi que revient la charge de porter les toasts
les jours de cérémonie. Je suis entré en charge au premier de
l'an, et cela durera jusqu'à l'année prochaine. Après, j'aurai
droit au titre pompeux de professeur (1). » Cette idée qu'il
n'a plus qu'un an à passer à l'Académie l'obsède à tous
moments et voile de mélancolie son habituelle bonne
humeur. « Je pense tous les jours que je n'ai plus que dix
mois de pension. Il me semble que notre Villa devient plus
belle que jamais, et Rome a des charmes que je n'avais pas
devinés jusqu'à présent... il me va falloir gagner ma vie.
Plus d'horizons, plus de montagnes, plus de Vatican, plus
de promenades dans cette campagne unique au monde... »
Pour comble d'ennui, une petite statue qu'il avait commen-
cée au mois de septembre pour son dernier envoi ne répond
pas à ce qu'il espère, et il est sur le point de la détruire. « La
sculpture n'est pas toujours facile, et Ton se donne souvent
bien du mal pour un maigre résultat. Il y a deux mois que
je travaille à une petite figure, et me voilà décidé à la
recommencer... le travail que j'ai fait ne sera pas perdu,
mais ce n'est pas gai d'être resté si longtemps sans m'aper-
cevoir d'une grave erreur que j'ai faite. » Héroïquement, il
se décide à ce sacrifice et entreprend une nouvelle statue. Le
sujet sera : Mercure inventant le caducée. Il espère l'avoir
modelée avant la fin de l'hiver. Aussitôt le modèle terminé,
(1) Ce titre n'avait rien d'officiel. C'étaient les pensionnaires qui le décernaient
à ceux de leurs camarades qui avaient achevé leurs cinq années de pension
ENFANCE ET JEUNESSE. 41
il l'exécutera en marbre. Comme un maître ouvrier qui veut
faire son chef-d'œuvre, il le caressera avec tout le soin dont
il est capable et l'emportera avec lui quand il quittera Rome.
Pendant tout l'hiver, il travaille sans relâche, déclinant
toutes les invitations, indifférent aux plaisirs habituels du
carnaval, s'apercevant à peine de la crise qui agite Rome
comme tout le reste de l'Italie. Au printemps, son modèle
achevé, il veut, pour se distraire, aller à Naples et de là s'em-
barquer pour Athènes, où l'année précédente des élèves de
l'École, de passage à Rome, l'ont convié ; mais les conseils de
son directeur, inquiet de la tournure que prennent les évé-
nements politiques, la crainte de perdre un temps qui désor-
mais lui est strictement mesuré, le font renoncer à ce projet.
La révolution, en effet, après avoir fermenté sourdement
tout l'hiver, reprend avec violence son œuvre. Le Pape a
appelé à lui Lamoricière pour organiser son armée et
défendre ses États menacés par le roi de Sardaigne. Celui-ci
s'avance vers Rome avec 60,000 hommes ; déjà il a pris
Pesaro, puis Pérouse ; il n'est plus qu'à deux journées de
marche de la Ville éternelle. François II, de son côté, a quitté
Naples, et sa capitale est au pouvoir des insurgés. Chapu a
appris par quelques-uns de ses camarades, témoins oculaires,
la facile victoire des garibaldiens. « On n'a pas tiré un seul
coup de fusil, lui écrivent-ils ; la population n'a osé faire aucune
démonstration avant que le dernier soldat du Roi fût sorti ;
c'est alors seulement, quand ils ont été bien rassurés, qu'ils ont
acclamé Garibaldi, comme ils acclameraient, du reste, le Roi
dans huit jours s'il revenait... C'est la lâcheté à son comble. »
A Rome, tout est tranquille comme en un vaste cloître au
seuil duquel viennent s'éteindre tous les vain s bruits du monde.
42 CHAPr.
et c'est paisiblement assis sous les chênes verts de FAca-
demie, que Chapu annonce à ses parents les graves événe-
ments qui vont bouleverser la Péninsule. Le soleil vient do
se lever; nul bruit, si ce n'est, à Thorizon, la voix grélc
d'une cloche et le chant monotone du jardinier de la Villa. Ce
recueillement et cette paix conviennent à son âme inquiète ;
il en profite pour visiter encore une fois les nombreux musées
de la ville, afin de graver dans sa mémoire les chefs-d'œuvre
qu'il ne reverra peut-être jamais ; puis, ce sont de longues
courses à pied dans cette can^agne romaine dont la morne
et grandiose sohtude plaît à sou esprit méditatif. Il a, pour
ces excursions, un compagnon toujours prêt : c'est un jeune
Basque, marcheur infatigable et peintre de son état, qui,
n'ayant pu conquérir le prix de Rome, est venu en Itahe à
ses frais. Il se nomme Bonnat. Chapu, toujours un peu cir-
conspect dans ses lettres , parle rarement de ce camarade,
qui, par la suite, deviendra un de ses plus intimes et meilleurs
amis. Il a déjà cependant pour le jeune peintre une sym-
pathie particulière : « Il est rare que l'on nous voie l'un sans
l'autre, écrit-il; nous sommes comme le corps et l'ombre. »
Telles furent ses occupations pendant les mois brûlants
de la canicule. Son Mercure lui laissait des loisirs. Un pra-
ticien dégrossissait le bloc, d'où peu à peu émergeait la
forme encore rudimentaire de sa statue ; il n'avait, pour le
moment, qu'à sur\'eiller ce travail. Il profita de ce repos
forcé pour modeler quelques médailles (1) et aussi un buste.
Au mois de septembre, il reprenait le ciseau et la lime.
Passons rapidement sur cet hiver 1860-1861 qui n'offre,
(1) Un distingaé critique d'art, qui est en même temps un excellent esprit^
ENFANCE ET JEUNESSE. 43
dans la vie de Cbapu, aucun incident qui mérite d'être noté.
Le 1*' janvier, il cesse d'être pensionnaire et perd les avan-
tages attachés à ce titre. Heureusement F Académie est assez
riche pour se permettre le luxe d'un invité ; on lui installe
dans une chambre inoccupée un atelier où il terminera son
Mercure, et il continuera d'avoir son couvert mis à la table
des pensionnaires. Il pourra ainsi reculer son départ jusqu'au
printemps. Malgré ce sursis, c'est à peine s'il aura terminé
sa statue le jour de l'exposition.
li'art français était alors biillamment représenté à Rome
par une vingtaine de pensionnaires, talents encore en fleur,
mais qui, pour la plupart, devaient porter de glorieux fruits.
C'étaient Carpeaux, déjà professeur, et qui ne devait qu'à
une faveur spéciale d'habiter encore la Villa, et Maniglier,
et Falguière, tout nouveau venu, dont un bas-relief d'une
conception hardie et tout à fait en dehors des données habi-
tuelles de l'École, apprenait, pour la première fois, le nom
à la critique, et Delaunay, « un vieux » pour cette belle
jeunesse, car il avait passé la trentaine, et Paladilhe, le
compositeur, qui était presque un enfant.
Du côté des peintres, il y avait Lefebvre, qui n'avait pas
encore exposé, et Henner, qui, pour deuxième envoi, avait
fait un Christ « d'une magnifique couleur », et de Coninck,
nous a objecté ({u'on ne modelait pas une médaille ^ le propre d'une médaille
étant d'être gravée directement sur le coin. l\ est cependant d'usage, en pai^
tant des œuvres des médailleurs de la Renaissance, qui étaient obtenues au moyen
d'estampages faits sur un modèle en terre ou en cire, de dire les me'dailles et non
les médaiiions de Pisano, de Leone Leoni, etc. Nous nous servirons donc à
l'avenir du mot médaille pour désigner, par quelque procédé qu'elles aient été
obtenues, les pièces en métal de petites ou de médiocres dimensions, réservant
le Aom de méd.iiIlon8 aux ouvrages en pierre ou en marbre, ou à ceux en bronze
de très grande taille.
44
CHAPU.
un joyeux Flamand, qui devait rester un des meilleurs
amis de notre sculpteur, et enfin le paysagiste Didier. II
faut encore citer, parmi ceux qu'attendaient de brillantes
destinées, Tarchitecte Coquart, qui devait partager avec
Chapu rhonneur du monument de Regnault; Gaillard,
TONY ROBERT-FLEUnV.
Médaille, 1868.
Tadmirable graveur du portrait de Pie IX et de celui de
dom Guéranger ; enfin Heuzey, qui commençait ces curieuses
études sur le costume antique qu il devait plus tard pro-
fesser si brillamment à TÉcoIe des Beaux-Arts.
Malgré la redoutable concurrence du Pécheur de Car-
peaux, que le jeune sculpteur avait, cette année, exécuté
en marbre, le Mercure inventant le caducée obtint, auprès
ENFANCE ET JEUNESSE. 45
du public romain, un beau succès qui, suivant l'expression
de Chapu, « lui mit du baume dans le cœur » . L'œuvre,
cependant, n'est pas de premier ordre, et si, au point de
vue de l'exécution, elle était la plus complète de celles qu'il
eût exposées jusque-là, comme originalité et comme con-
ception, elle nous semble inférieure à son Semeur. C'est,
à notre avis, un très habile pastiche de l'antique, où l'artiste
a montré seulement une louable virtuosité. Disons tout de
suite que le Mercure fut aussi bien accueilli à Paris qu'à
Rome, et que l'Institut, tout en y regrettant « un peu de
froideur » , déclara l'œuvre exécutée avec un louable souci
de la vérité et du goût.
« Et maintenant adieu jeunesse, études, voyages, liberté,
santé peut-être, s'écria Chapu dans un moment de lyrisme,
adieu Rome, sans doute, pour jamais! » Son Mercure vient
de partir pour la France avec ses autres études et les
modestes objets d'art qu'il a collectionnés pendant son
séjour. S'il reste à Rome, c'est qu'il a encore quelques
obhgations à remplir, quelques médailles à faire, entre
autres celle de son directeur. Les séances se prolongent
jusqu'à la fin de mai. Mais c'est à Chapu de poser à son
tour, car l'usage veut que l'image du pensionnaire qui
s'en va reste à l'Académie. Henner et Delaunay se sont
chargés de ce soin. Voilà le mois de juin passé. Est-ce fini?
Non pas encore. Chapu, malgré les lettres de plus en plus
pressantes de ses parents, trouve chaque jour quelque nou-
veau prétexte. Il lui faut revoir tranquillement les petits
coins qu'il affectionne, faire une dernière visite aux musées
et aux galeries, prendre congé de ses amis de Rome. En
même temps un projet audacieux germe dans son cerveau.
46 CHAPU.
On dispute beaucoup, depuis quelque temps, dans le monde
des archéologues, sur la colonne Antonine et les inscriptions
qui la décorent. Pour trancher le débat, il faudrait faire Tas-
cension du monument, ascension qui n'est pas sans danger.
Chapu, encouragé par son directeur, tente cette entreprise
périlleuse, et, à Taide d'un système compliqué de cordes et
d'échafaudages, on le hisse dans une sorte de nacelle au
sommet du monument. . . Enfin, le terme suprême est arrivé :
par une belle fin de jour d'août, Chapu a vu encore une fois
le Tibre serpenter dans les plaines solitaires de la campagne
romaine; le lendemain, son camarade Delaunay l'accompa-
gnera jusqu'à Civita-Vecchia, d'où il fera voile vers laFrance.
Si l'on examine l'ensemble des œuvres exécutées par
Chapu pendant son séjour à Rome, on doit convenir tout
d'abord qu'il ne fit, pendant cette période, aucun de ces
ouvrages d'un mérite éclatant, qui signalent leur auteur à
l'admiration des foules. Le Christ aux Juges, le Semeur y
le Mercure inventant le caducée sont des œuvres estimables
qui montrent un artiste habile et savant; la personnalité du
sculpteur ne se dégage pas toutefois d'une façon décisive.
Evidemment, il cherche encore sa voie. Il connaît admira-
blement son métier, et aucune des difficultés matérielles de
son art ne lui est étrangère ; il a maintenant à son service
un instrument docile, qui ne trahira pas son inspiration;
mais, après avoir étudié tour à tour les maîtres français,
les sculpteurs grecs et ceux de la Renaissance, il hésite, ne
sachant encore sous quel patronage il se placera.
Il semble déjà, cependant, que le jeune sculpteur ait un
obscur pressentiment de la voie qu'il suivra définitivement.
ENFANCE ET JEUNESSE. 47
Si Puget, Michel-Ange et Verocchio Font tour à tour ébloui,
c'est toujours à l'antique, cependant, qu'il revient, comme à
la seule source pure et bienfaisante. Nous trouvons sur un
de ses albums de 1860 cette courte note : w L'antique et la
nature! Avec cela je travaille sans peine. » Voilà, je crois,
définitivement arrêtée, la formule de son talent. C'est vers
l'art antique qu'il se retournera sans cesse, demandant à
Phidias, à Praxitèle, à Myron, le goût, la mesure, la simpli-
cité et la concision du style, en même temps qu'il cherchera,
par l'interprétation sincère de la nature et la recherche du
caractère individuel, à moderniser l'idéal antique et à
l'accommoder aux exigences plastiques de notre temps.
Si, pendant ces années d'école, Chapu ne s'est encore
révélé par aucune de ces œuvres qui rendent un nom popu-
laire, il est déjà, dans un genre au moins, passé maître. lia,
pendant ces cinq années, modelé de nombreux médaillons,
dont quelques-uns sont des chefs-d'œuvre. Celui du paysa-
giste Gibert (1) est une délicieuse image d'une exécution
souple et large, d'un style simple et sans pédanterie (jue nos
artistes, depuis longtemps, semblaient avoir ouWié. Parmi
les portraits qu'il exécuta dans ce genre, à la Villa Médicis,
il faut encore citer celui de Schnetz, une bonne, puissante et
sereine figure, où se lit la tranquille satisfaction d'une heureuse
destinée d'artiste; un médaillon du sculpteur Bonnardel (2),
il) Gibert fJean-Baptiste-Pierre-Adolphe), peintre, né à la Pointe-à-Pitre
(Guadeloupe) en 1803, élève de Guilion-Lethière. Il obtint, au concours de
1821, le deuxième prix de paysage historique et passa la plus grande partie de sa
vie à Borne et en Italie, où il a pris la plupart de ses sujets.
(2) Pierre-Antoine-Hippolyte Bonnardel, grand prix de sculplure en 1851,
mourut à Rome, en 1856. C'était, parait-il, un artiste d'avenir qui a laissé un
Christ à la colonne, œuvre remarquable au dire de Chapu. V. Musée de portraits
d'artistes, par Henry Jouisf. Paris, 1888, Henri Laurens, éditeur.
48
CHAPU.
exécuté en collaboration avec Ch. Gumery, qui se trouve
à Rome dans l'église Saint-Louis des Français; la médaille
de Mme Rouillon, et celles du peintre Donnât et de Tarchi-
tecte Guillaume.
CHAPITRE II
LES ANNÉES DIFFICILES
1861-1870
C'est au mois d'août 1861
que Chapu a quitté TltaDe.
Pressé par ses parents, qui
dans leurs lettres le sup-
plient de ne pas prolonger
une séparation déjà trop
longue, il arrive à Paris au
mois de septembre, heu-
reux sans doute de revoir
les siens, mais regrettant
Rome et ses merveilles,
Rome et sa vie de travail
paisible, sans souci du len-
demain. Désormais il va
être « à son compte »,
obligé de pourvoir à sa vie, et, malgré sa fermeté d'âme,
cette perspective n'est pas sans l'effrayer. Ceux de ses
camarades de l'Académie qui l'ont précédé à Paris ne
lui ont pas caché le peu de cas qu'on y fait de la sculp-
ture, réduite pour plaire au public à des mièvreries de
4
PROJET POUR USE FOSTAISE.
50 CHAPU.
boudoir (1), et il sait par l'expérience de ses aînés ce que
tout altiste, et en particulier tout sculpteur doit traverser
d'épreuves avant de vivre, même maigrement, de sa pro-
fession.
Le cas, pour Chapu, était d'autant plus grave qu'il n'avait
ni fortune ni protection à espérer. Ses parents, pendant son
séjour à Rome, s'étaient imposé de lourds sacrifices, et leurs
modestes économies étaient épuisées. Aucun parent qui dis-
posât d'un crédit quelconque; rien enfin que ce titre pom-
peux de « Prix de Rome », qui semble si beau quand on le
reçoit, mais dont l'importance diminue singulièrement quand
(i) Quelques mois avant «on retour en France, un de» camarades de Chapu,
qui est devenu depuis un des princes de l'Art, lui écrivait à Paris, h. propos du Salon
de 1861, la lettre suivante, qui donne un aperçu curieux du goût qui régnait alors :
« ... De Coninck a dû te dire ce que je pensais de l'Exposition. Je ne te parle
pas de la sculpture, que je n'ai fait qu'entrevoir : deux Napoléon!^', l'un de Cave-
lier et l'autre de Guillaume; le dernier, mieux de caractère que le premier, qui,
en revanche, m'a paru mieux exécuté et plus souple. Deux Mère des Gracques^
l'une en plâtre de Cavelier, l'autre un groupe énorme de Clésingcr, qui a trouvé
très commode de faire un Caïus Gracchus en Amour de Boucher. C'est charmant
de caractère!... Quoi encore? Deux bustes du petit Barrias, qui sera très fort.
En peinture, pas grand'chose de bon. Quelques paysages de Courbet, très bien.
— Baudry, très bien, quoique un peu vieillot de facture... Tu ne peux te figurer
le nombre de gens habiles, spirituels, amusants qui fourmillent à l'Exposition.
M. Fould n'avait pas besoin de conseiller aux jeunes gens d'égayer le foyer
domestique. Crebleu, comme on sait s'acquitter de cette mission! Quant à moi,
je déplore de ne pas voir plus de vraie peinture s'attachant à rendre des senti-
ments vrais, humains, à toutes les époques. Au train où vont les choses. Cor-
neille et Sophocle crèveraient de faim. 11 faut égayer maintenant, faire rire,
éveiller des instincts c...; quant à élever la pensée et à inculquer le sentiment
du beau... zut!
K ... J'assistais, il y a quelques jours, a une conférence de Pelletan sur l'Art.
Pclletan a une grande réputation; c'est certainement un homme intelligent. Eli
bien! veux-tu savoir ce qu'il a dit dans son cours? Que la peinture était un pro-
grès dans l'art; et pour le prouver, il a comparé un fragment de la frise des
Panathénées à VKcole d'Athènes... « Grâce à la peinture, à la couleur, a-t-il dit,
il l'invention de la soie, ce nu, ce beau nu que les Grecs vantaient, devient aussi
ridicule qu'un faisan plumé... » Et le public applaudissait à outrance. »
LES ANNÉES DIFFICILES. 51
on se retrouve dans la grande ville, obscur combattant dans
la grande mêlée.
Notre artiste, heureusement, avait de bons amis ; la droi-
ture de son caractère, sa modestie et sa bonté charmante
lui avaient conquis des affections précieuses. Quand il quitta
la Villa Médicis, il n'était personne, parmi les pensionnaires,
qui ne le regrettât. Avec quelques-uns, comme Bonnat,
Daumet, Gaillard, Delaunay, Lefebvre, il s'était hé d'une
affection plus particidière et qui ne devait jamais se démentir.
Pendant toute la vie de Chapu, nous retrouverons ces artistes
d'éhte luttant sans trêve comme lui, pour la vie d'abord et
ensuite pour la gloire (1).
La gloire ! Chapu y songeait déjà, peut-être comme à une
chose lointaine et vague; mais ce qu'il demandait, pour le
moment, c'était du pain. Sans fausse honte, sans orgueil
déplacé, il se mit à chercher du travail, se recommandant
aux personnes qui avaient paru s'intéresser à lui, grands
seigneurs qui, de passage à Rome, avaient visité son atelier,
architectes disposant de commandes, Mécènes plus ou
moins délicats, plus ou moins généreux.
(1) Nous croyons, ù ce propos, devoir rappeler une anecdote que le maître
aimait à raconter. Un charcutier du boulevard Saint-Germain lui fit demander,
en 186., s'il voudrait lui modeler, en saindoux y un sanglier qu'il se pro-
posait d'exposer à sa devanture, aux approches du jour de l'an. Le prix
modeste (dix francs, je crois) demandé par le sculpteur parut trop élevé au
commerçant, qui finit par proposer à Chapu, pour toute rémunération, son œuvre
même, qu'il lui permettrait de reprendre, le jour de l'an passé. La mère de Chapu,
bonne ménagère, goûta cet arrangement, qui l'approvisionnait de graisse pour tout
son hiver, et décida son fils à l'accepter.
Chapu, pendant ces premières années, se consacrait, dans ses moments perdus,
à l'art industriel ; il fit de nombreux modèles de pendules et d'ornements divers,
qu'un de ses amis se chargeait d'offrir aux bronzicrs.
52 CHAPU.
Les commandes, est-il besoia de le dire? n'affluèrent pas.
En revanche, une maladie d'une certaine gravité (1), que
suivit une douloureuse opération, vint rendre encore plus
précaire la situation du jeune sculpteur. Ce fut l'État — cet
État tant raillé, etsi justementparfois, il faut bien le dire —
qui vint le plus efficacement à son secours. D'après les règle-
ments, Chapu était resté propriétaire de son dernier envoi.
Le ministère d'État, dont dépendaient alors les Beaux- Arts,
lui acheta sa statue 8,000 francs. C'était de quoi vivre
quelque temps et attendre la fortune. Notre artiste put,
grâce à cette aubaine, s'installer dans un modeste atelier de
la rue de l'Abbaye.
On bâtissait beaucoup alors dans Paris, et les architectes
avaient fort à faire. Quelques-uns, ayant remarqué l'adresse
du jeune sculpteur à tailler le marbre, pensèrent qu'il pour-
rait leur être un collaborateur précieux. Chapu n'eut garde
de refuser leurs propositions, et le voilà sur les échafau-
dages, sculptant cariatides et mascarons. Il ne refusait rien,
pas même les plus infimes besognes, se souvenant de Puget
décorant les galères royales, et jugeant que l'art est noble
partout où il s'exerce. Bien qu'il apportât dans ces travaux
les scrupules et la conscience d'un artiste, il se considérait,
dans sa modestie, comme un simple ouvrier d'art et s'en
remettait, pour son salaire, à la discrétion de ceux qui
l'employaient. Beaucoup profitèrent de cette heureuse
chance; quelques-uns même, s'il faut en croire les notes
intimes du sculptem*, en abusèrent un peu. Nous ne parle-
rons, bien entendu, que des premiers.
(1) l\ s'agissait, d'après les souvenirs que nous avons recueillis, d'un abcès den-
Uire d une nature particulièrement grave, et que l'on dut ouvrir extérieurement.
LES ANNEES DIFFICILES. 58
Parmi ceux qui, dès la première heure, surent distinguer
le talent de Ghapu et l'aidèrent à passer les années difficiles,
il faut citer M. Bohault de Fleury (1), qui, après avoir com-
mencé par être sculpteur, était alors un des architectes les
plus estimés de Paris. Chapu exécuta sous sa direction deux
groupes en pierre qui surmontent encore aujourd'hui les
pieds-droits de la porte d'entrée de l'hôtel Sauvage, rue
de Chaillot. Il est probable qu'il fit, dans le cours des
années 1862-1863, d'autres ouvrages analogues, mais, faute
de documents, nous en sommes réduits à des hypothèses.
Tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'il fit, pour le boule-
vard du Prince Eugène qui venait d'être inauguré, une statue
décorative de grandes dimensions, œuvre éphémère qui ne
devait pas survivre à la cérémonie pour laquelle elle avait
été faite. 11 fut également chargé par l'architecte qui venait
de construire la nouvelle gare du Nord, à Paris, d'une
statue en pierre représentant la ville de Beauvais.
Les deux groupes de l'hôtel Sauvage, longtemps cachés
aux regards par un lierre touffu qui les avait envahis, ont
été récemment débarrassés de cette enveloppe sacrilège. Ils
représentent des enfants jouant avec des cygnes. Le mouve-
ment en est gracieux et d'un bon sentiment décoratif, seules
qualités que l'on puisse exiger de ce genre d'ouvrages.
Quant à la Fille de Beauvais, nous l'avons découverte, non
(1) Bohault de Fleury (Charles), architecte français, né en 1801, mort en 1S75.
Parmi ses travaux les plus remarquables, il faut citer le Muséum d^histoire natu-
relle, la Chambre des notaires de Paris et divers projets, dont un plan d'Opéra
qui fit un certain bruit vers 1840. Son fils, Georges Bohault de Fleury, égale-
ment architecte, s'est surtout adonné à l'archéologie. U a publié : Les monu-
ments de Pise au moyen âge, 1886, in-8*j Lettres sur la Toscane, et La Toscane
au moyen Age, 1874, 2 vol. in-fol.
54
CHAPU.
sans peine, dans ia façade du triste monument qu'elle dé-
core. L'art plastique, né sous le pur soleil de TÉgfypte et do
la Grèce, s'accommode mal de notre climat brumeux ; la
pierre y est vite envahie par une lèpre noirâtre qui ren-
drait méconnaissable le plus beau chef-d'œuvre de Praxitèle
LE PKRE DE Cil A PU.
OU de Phidias. L'œuvre de Chapu a souffert de l'injure
habituelle du temps, injure encore aggravée par l'atmo-
sphère fuligineuse des gares de chemin de fer. Peut-être,
sous cette ignoble couche de crasse, y a-t-il un chef-d'œu-
vre? Nous n'oserions en tout cas l'affirmer.
Pour se reposer de ces médiocres besognes, notre sculp-
teur, de retour à son atelier après quelque nide journée de
LES ANNEES DIFFICILES. 55
travail, crayonnait quelque projet de statue, esquissait un
buste, ébauchait une médaille. Dans ce dernier genre, il
était déjà passé maître ; cependant, telle est la défiance du
public envers les talents non consacrés encore par la mode,
que ceux-là seuls qui vivaient dans son intimité eurent la
bonne fortune de lui servir de modèles. De cette époque
datent le portrait de son père, une longue, mince et éner-
gique figure, dont la physionomie apaisée par Tâge trahit
cependant Tancien « piqueux » habitué aux longues courses
en plein air, aux chevauchées périlleuses, au noble métier de
la vénerie; celui de M. Paul Sedille, un jeune architecte
dont il a merveilleusement rendu la souriante figure et la
grâce juvénile, et celui de Mme Delapalme, œuvre excel-
lente également, qui, en même temps qu'elle est une image
scinipuleusement fidèle, se recommande par une exécution
sobre et sans froideur. Ces portraits, avec quelques autres,
figurèrent, aumois d'avril 1864, dans une exposition qui eut
lieu boulevard des Italiens, sous les auspices de Théophile
Gautier. Citons enfin, parmi ces œuvres de jeunesse, une
Thétis, délicieux groupe en terre cuite dont nous donnons
la reproduction, d'après un dessin de Chapu, et qui orne
aujourd'hui le bel hôtel de M. Paul Sedille.
Le Salon de 1863 devait ouvrir pour Chapu la série des
récompenses officielles. Une médaille de troisième classe
lui fiit décernée pour son Mercure inventant le caducée^ qui
bientôt après prit place au musée du Luxembourg. En même
temps que cette statue, il avait envoyé un remarquable
buste en bronze de M. Sedille père. A partir de cette épo-
que, il expose régulièrement chaque année, et la variété
56 CHAPU.
comme la belle tenue de ses œuvres lui méritent rapide-
ment toutes les récompenses honorifiques qu'un artiste
peut souhaiter. En 1864, il envoie au Salon un buste
en bronze de Bonnat, qui figure aujourd'hui à la place
d'honneur, dans le somptueux atelier du peintre ; en 1865,
une répétition de son Semeur lui vaut une nouvelle mé-
daille; en 1866, c'est une délicieuse figure couchée, la Mort
de la nymphe Clytie, et un buste du docteur Desmarres,
qui sont également récompensés. A la fin de cette exposi-
tion, chacun s'attendait à voir Chapu décoré. Il fut en effet
proposé pour la croix, mais il était en délicatesse avec l'ad-
ministration pour je ne sais quel travail qu'il avait refusé,
ou seulement tardé d'exécuter. L'Empereur, paraît-ii, refiisa
de signer le décret (1). Il ne devait, d'ailleurs, pas attendre
longtemps ce nouvel honneur. Au mois de juin de Tannée
suivante, il était fait chevalier de la Légion d'honneur.
Revenons sur cette période, et examinons les œuvres que
Chapu exécuta pendant ces premières années de jeunesse.
Entre le Mercure et la Ctytie, son talent a franchi une glo-
rieuse étape. La première de ces statues, nous l'avons déjà
dit, est un ouvrage correct, bien qu'un peu froid, d'une exé-
cution habile et d'un arrangement ingénieux ; la seconde
est une œuvre vibrante, d'un charme exquis et pénétrant,
où se trouvent déjà, en germe, les qualités personnelles qui
feront bientôt de Chapu un des maîtres incontestés de la
sculpture contemporaine. On connaît la gracieuse légende
(1) « J'ai le regret de t'annoacer que l'Empereur a refusé de signer ta nomina-
tion dans la Légion d'honneur. Ce sera sans doute pour le 1*'' janvier. » (Lettre de
Coquart, architecte, 24 août 1864.) Le nom de Chapu était, du reste, encore à
peu près ignoré du public. Dans un diplôme qui lui fut envoyé ù la suite de
l'Exposition de 1867, il est qualifié : M. Chaput (tic), entrepreneur!
1
^ Tir- r ;:■■■- -::;^n-ÎS:^
THETIS.
Cro]uis pour une statuette appartenant à M. Paul Sedillc
LES AN]SÉES DIFFICILES. 50
dont s'est inspiré l'artiste : fille de Thétis et de Neptune,
Clytie s'éprit, pour Apollon, d'un amour malheureux; le
dieu, touché de sa douleur, la métamorphosa en hélio-
trope. Si la Clytie mérite de nous arrêter quelque temps,
ce n'est pas seulement par l'ingéniosité de la conception,
ce n'est pas non plus parce que Chapu tente pour la pre-
mière fois une figure féminine, c'est qu'il a déjà trouvé la
formule qui lui vaudi'a ses meilleurs succès, c'est que déjà
il a réaUsé en partie cet idéal de grâce décente et de beauté
sereine que nous retrouverons, plus ou moins modifié, dans
sa Jeunesse, dans sa Pensée, dans sa Muse, du monument de
Flaubert. C'est à l'art grec, évidemment, que se rattachent
ces élégantes créations. Chapu, cependant, tout en s'inspirant
de l'antiquité, a trouvé sa note personnelle, à égale distance
de la froideur des sculpteurs néo-romains du commencement
du siècle et des grâces mièvres de Pradier et de Duret.
Il ne nous a pas été donné de revoir la Clytie, exilée dans
un musée de province, et nous ne pouvons, pour en parler,
qu'évoquer le souvenir lointain de cette charmante figure.
En l'evanche, nous avons sous les yeux, au moment même
ou nous écrivons ces lignes, les innombrables dessins que
l'artiste a exécutés pour sa statue. Mieux que toute démons-
tration, ils nous disent la conscience que Chapu apportait
au service de son art. Pas un mouvement qui ne soit étudié
sous tous ses aspects, pas un bout de draperie qui n'ait été
l'objet de longues et patientes études. Ajoutons que ces des-
sins ne sont pas seulement un curieux document. Chapu se
montre là dessinateur de grande race. Son crayon est sou-
ple, moelleux, coloré, précis sans sécheresse. Tantôt, par
la sincérité de l'observation, la recherche du contour et la
60 CHAPU.
minutieuse perfection des moindres détails, il s'approche
d'Ingres ; tantôt, parla hardiesse de son trait et la grandiose
simplicité de son style, il fait songer aux maîtres de la Re-
naissance.
Les différents ouvrages exposés par Ghapu, de 1862 à
1866, ne sont pas les seuls qu'ait enfantés son laborieux
génie. Sans parler de deux ou trois bustes dont je n'ai pu
retrouver la trace, et que l'artiste, à en juger par ses lettres,
dut exécuter sans enthousiasme, il modela plusieurs médail-
lons d'artistes qui demeureront, pour notre histoire contem-
poraine, de précieux monuments iconographiques : tel,
Tony Robert-Fleury, avec ses traits si purs, avec sa mâle
beauté de jeune dieu ; tel Delaunay , avec son haut front
dénudé, son masque légèrement ironique, et la bonhomie
un peu sarcastique de son regard qui fait songer à quelque
saint Vincent de Paul. Signalons encore un beau profil du
poète SuUy-Prudhonime.
L'État n'oubliait pas non plus le jeune sculpteur, et de
nombreuses commandes lui étaient réservées. C'était, pour
le Tribunal de commerce, un groupe, VJrt mécanique,
ingrate allégorie où l'ingéniosité de l'artiste trouvait cepen-
dant l'occasion d'une œuvre brillante et d'un bel aspect
sculptural; puis deux statues pour la chapelle des caté-
chismes de Téglise Saint-Étienne du Mont, enfin différents
travaux -décoratifs pour la nouvelle Cour de cassation que
construisait l'architecte Duc (1).
(1) Ghapu exécuta, pour être placé au-dessus de la porte du grand escalier de
la Cour de cassation, un bas-relief en pierre tendre représentant deux enfants.
Il sculpta aussi le médaillon de Napoléon P', qui décore la façade de ce monu-
menti à l'angle qui touche au quai.
LES ANNEES DIFFICILES. 61
Maigre Testime dont il jouissait parmi ses pairs, malgré
les consécrations officielles, le nom de Ghapu était à peine
connu du public. Nous avons eu la patience de feuilleter les
journaux de l'époque et de lire les critiques qui passaient
alors pour les arbitres du goût. Ni Arsène Houssaye, ni
Théophile Gautier, ni About, ne semblent deviner T avenir
réservé au jeune maître. Son nom est rarement cité, ou,
quand il en est question, c'est pour désigner seulement le
titre d'un de ses ouvrages, accompagné d'une brève épi-
thète laudative. Les sympathies du moment allaient à
Garpeaux, dont le beau talent commençait cependant à
s'avilir dans de médiocres terres cuites, d'un art sensuel
et de mauvais aloi; à Paul Dubois, qui, avec son Chan-
teur florentin y venait d'obtenir un des plus brillants suc-
cès dont il soit question dans les fastes de la sculpture;
à Perraud, à Glésinger et à quelques autres dont l'histoire
ne retiendra même pas les noms. Force était donc au jeune
sculpteur de se contenter des commandes officielles dont il
devait supporter toutes les exigences. Outre la modicité des
prix alloués, qui ne lui laissaient le plus souvent que de
minces bénéfices, qui quelquefois même lui étaient oné-
reux, il lui fallait encore subir les niaises critiques de
l'administration, épouser l'idéal artistique d'un chef de
bureau,^ remanier cent fois un projet qui n'avait pas eu le
bonheur de plaire. Son esprit de conciliation le poussa trop
souvent à déférer à d'inintelUgents conseils, et plus d'une
fois il sacrifia une conception heureuse aux exigences peu
artistiques d'un conseil administratif ou d'un comité (1).
(1) Même arrivé au point culminant de sa carrière d'artiste, Ghapu conserva
toujours cette déférence vis-à-vis de ceux qui l'employaient. On connaît le groupe
62 CHAPU.
En somme, si l'artiste pouvait être légitimement fier des
succès déjà obtenus, l'homme végétait, réduit à la plus
stricte médiocrité. Ses amis, d'ailleurs, n'étaient pas mieux
partagés, et, dans le petit groupe qu'ils avaient formé dès
leur retour de Rome, la fortune se montrait avare de ses
faveurs. Delaunay, malgré sa Peste de Romey qui, pendant
quelques semaines, l'avait fait célèbre, luttait encore contre
l'indifférence du public. Bizet, l'original et charmant com-
positeur, donnait des leçons d'harmonie; de Coninck avait
dû quitter Paris, son talent ne suffisant pas à lui assurer le
pain quotidien; Donnât lui-même vendait à des prix déri-
soires les délicieuses études qu'il avait rapportées d'Italie (1) .
Tous, du reste, supportaient vaillamment cette demi-misère
avec la robuste confiance de la jeunesse, et aussi avec
des Frères Galigniani qu'il exécuta eu 1888, pour la ville de Corbeil, œuvre un
peu banale, et qui n'ajouta rien à la gloire du sculpteur. Chapu, cependant, dans
eon projet primitif, avait su tirer de ce motif ingrat en apparence un excellent
groupe. Les frères Galigniani y étaient représentes assis côte à côte sur un banc.
L'un d'eux tenait, déployée sur ses genoux, une vaste feuille de papier; l'autre, la
main posée sur le genou de son frère, semblait chercher à le convaincre. Etait-ce
quelque article du Galigniani s Messenger, qu'ils discutaient ainsi amicalement,
ou bien le plan d'un de ces nombreux établissements de bienfaisance qu'a donnés
à notre pays leur inépuisable charité? Toujours est-il que le groupe est exquis de
naturel et de bonhomie. C'était bien là le monument qui convenait à ces âmes
simples et bonnes, et non la théâtrale apothéose que l'on voit aujourd'hui sur la
grande place de Corbcil.
La maquette dont je viens de parler existe, au moment où j'écris ces lignes,
dans l'atelier de l'artiste, rue Oudinot.
(1) Bonnat écrivait ù Chapu en 1863, à propos d'une étude d'Italienne pour
laquelle ce dernier lui avait trouvé un acquéreur : u >'e sois pas étonné, et attends-
toi à un prix exorbitant ; je %'eux de ma petite Maria quinze cents francs. J*ai eu
Taplomb, avant-hier, d'en refuser douze cents. Je regretterai peut-être plus tard
cette occasion, mais, ma foi, tant pis. »
Vers la même épo(jue , Bonnat annonçait à son ami qu'on lui avait commandé
quatre tableaux pour le prix total de douze mille francs. « Ce n'est pas mal,
ajoutait-il, et j'en suis enchanté. »
LES ANNEES DIFFICILES. 63
l'obscur pressentiment de leurs destinées futures. Rien de
plus touchant que la correspondance échangée de 1861 à
1870 entre les membres de ce petit cénacle. Ils se content
mutuellement leurs déboires et leurs espérances, se deman-
dent Fun à Tautre, et jamais en vain, soit un conseil, soit un
appui. Les premiers arrivés au faîte tendront la main à leurs
camarades plus lents, moins habiles ou moins heureux. On
a tant médit, depuis quelque temps, de notre pauvre nature
humaine, on a si complaisamment étalé ses faiblesses, ses
jalousies féroces et son âpre égoïsme, qu'il est bon, quand
l'occasion s'en présente, de constater ces amitiés frater-
nelles, moins rares qu'on ne le pense généralement dans
le monde des artistes.
Nos amis, pour resserrer les liens qui les unissaient,
avaient formé une société qui, fondée à Rome vers 1860,
subsiste encore aujourd'hui. Donnât en avait été, je crois,
l'initiateur. Frappé des bons résultats obtenus par une petite
franc-maçonnerie artistique, l'Ogfnoii, créée quelques années
auparavant, il avait résolu de grouper dans une association
fraternelle un certain nombre de camarades qu'un dîner
rassemblait tous les mois autour de la même table. Ces réu-
nions avaient commencé à Rome, dans une petite trattoria
duTranstévère : après dîner, on allait jouer aux dominos dans
un café du voisinage. La nouvelle société n'était pas encore
baptisée. Il lui fallait un nom à la fois original, ronflant et
pas trop solennel : on le trouva dans le goût qu'avaient la
plupart des affiUés pour les marrons rôtis. Le cri des mar-
chands de marrons, à Rome, était : « Cald' arrostil »
(Chauds! rôtis!) Ils convinrent de s'appeler les CaUf
arrosti et adoptèrent la devise : Semper ardentes, qui, en
64 CHAPU.
même temps qu'elle rappelait leur dessert favori, convenait
à l'entrain chaleureux de leur jeunesse.
Semper ardentes! Toujours ardents, toujours jeunes!
Mieux cpi' aucun autre, Ghapu devait rester fidèle à cette
fière devise et conserver jusqu'au seuil de la vieillesse cette
naïveté charmante, cet enthousiasme des premières années
et aussi cette bonté obstinée qu'aucun mécompte, qu'aucune
ingratitude ne pouvait lasser. « L'indifférence est la pire
des choses, écrit-il à celle qui sera la compagne de sa vie;
il faut aimer bien ou pas du tout. Le milieu, c'est l'anémie,
le jésuitisme, cela ne veut rien dire. » Et, quelques années
avant sa mort, il revient sur la même idée : « J'aime passion-
nément la chaleur, la vie, tout ce qui est actif et vibrant. »
Il ne mettait, d'ailleurs, en pratique que la première partie
de ses théories. Ami sûr et dévoué, il ne savait haïr.
Les premiers Cald' arrosti furent Bonnat, Chapu, Car-
peaux, Hector Leroux, Henner,Lefebvre,Huot,de Coninck,
Tony Robert-Fleury, Gaillard, Got, brillante élite à laquelle
se joignirent dans la suite Ghaplain, J.-P. Laurens, Moyaux,
Th. Dubois, Daumet, Falguière et cent autres parmi les meil-
leurs artistes contemporains. Plus tard, quand les princi-
paux membres de l'association furent devenus des « maîtres »
éminents et recherchés du public, les modestes marrons du
début furent sans doute remplacés par des truffes ; mais pour
le moment il se dépensait dans ces réunions plus d'esprit
que d'argent. L'hiver, on s'attablait dans un petit restau-
rant du passage Jouffroy ; l'été, on organisait quelque partie
de campagne dans la banlieue, en souvenir des joyeuses
excursions de jadis dans la campagne i*omaine. Le soir venu,
chacun rentrait à son atelier, le cœur rajeuni par les sou-
mr
1
LES ANNEES DIFFICILES. 67
venirs évoqués, Fesprit plus dispos, plus confiant dans
Tavenir...
Le temps n'était pas loin, d'ailleurs, où ces inconnus d'hier
allaient devenir célèbres et voir la foule, jadis dédaigneuse,
assiéger leurs ateliers. En 1867, le comte Duchatel était
mort, laissant aux musées impériaux son importante collec-
tion. La veuve du généreux donateur avait distingué le
talent de Ghapu; elle le chargea d'exécuter le buste de son
mari (1). La famille Duchatel était une des plus considérées
de cette opulente bourgeoisie qui trouva dans la monarchie
de Juillet la plus complète satisfaction de ses ambitions
poUtiques comme l'apogée de sa prospérité matérielle. Tou-
chant au monde bonapartiste par ses origines et à la vieille
noblesse par ses alliances avec les La Trémouille et les
d'Harcourt, l'ancien ministre de Louis-Philippe avait su atti-
rer soit dans son château de Lagrange, soit dans son hôtel
de la rue de Varennes, une société choisie où aux noms les
(1) Né en 1803, le comte Duchatel se lança des sa jeunesse dans la carrière du
joarnalisme, et fut un des rédacteurs fondateurs du Globe. A la révolution de
1830, il fut nommé conseiller d'État; bientôt après (1833), il succédait à son père
comme député de la Charente-Inférieure. Après avoir été ministre du commerce
en 1834, et ministre des finances en 1837 et en 1839, il entra, en 1840, dans le
ministère Guizot, avec le portefeuille de l'intérieur. Le rôle actif qu'il y joua le
força, à la révolution de Février, de chercher un refuge en Angleterre.
Il ne tarda pas toutefois à rentrer en France, mais son rôle politique était ter-
miné. Il acheva sa vie dans la retraite, et occupa ses loisirs à former l'importante
collection de tableaux que l'on sait. 11 mourut en 1867.
M. Jules Breton, dans sa Vie tVun artiste, écrit, à l'occasion d'une visite
qu'il fit au comte Duchatel, en 1862 : « Il avait bien la physionomie dont Chapu
a animé son buste : vaste front, sourcils spirituellement relevés, yeux petits,
d'un gris lumineux, les cils rares; le nez puissant, bien enraciné, retombant à
corbin sur une bouche fine, quoique bienveillante, dont une indulgente ironie
retroussait souvent les coins; le menton puissant, volontaire et proéminent; la
tète forte. "
68 CHAPU.
plus brillants du faubourg Saint-Germain étaient mêlés ceux
de quelques esprits d'élite, comme Vitet, par exemple, qui
était un de ses plus intimes commensaux. Le succès
qu'obtint l'œuvre nouvelle du jeune sculpteur l'introduisit
dans un monde d'amateurs riches et éclairés, dont l'estime
devait se traduire plus d'une fois par d'importantes com-
mandes.
Peu à peu, cependant, le talent de Chapu commençait à
s'affirmer dans le grand public, et les demandes de bustes et
de médailles devenaient chaque jour plus nombreuses. En
même temps que la veuve de Velpeau le priait d'exécuter
en médaillon l'image de l'illustre chirurgien, le buste du
docteur Civiale lui était commandé pour l'École de méde-
cine; puis c'étaient le buste de l'abbé Bruyère, curé de
Saint-Étienne du Mont, et celui de Le Play (1), le grand éco-
nomiste, avec lequel il avait été en relation lors de l'Expo-
sition universelle de 1867, et qui lui avait commandé, pour
une des galeries de cette Exposition, deux cariatides monu-
mentales; puis une médaille de Duc, un buste de M. Le-
queux (?) et un buste de jeune fille envoyé en 1869 à une
exposition de beaux-euts de Fontainebleau.
Est-ce tout? Non pas encore. Dans ces années si admira-
(i) Le Play (Pierre-Guillaume-Frédéric), né en 1806, mort en 1882. Élève de
rÉcole polytechnique, il fut d'abord ingénieur dans le corps des mines. Des
1830, il se fit connaître par différents travaux scientifiques, qui lui valurent une
place de professeur ù l'École des mines. A la suite de l'Exposition de 1855, dont
il avait été le commissaire général, il fut nommé conseiller d'Étal. H fut égale-
ment le principal organisateur de l'Exposition de 1867. Le gouvernement impérial
le récompensa des services qu'il rendit à cette occasion, en le nommant séna-
teur.
Outre différents ouvrages scientifiques^ Le Play a laissé de nombreux écrits sur
des questions économiques et sociales. Son livre le plus considérable dans ce
genre est : Les ouvriers européens^ Paris, 1855.
t'ANNM-: \>'ARC
"<.' Oi L'.Jxc!ii!.)Ouro-
LES ANNEES DIFFICILES. 69
blement fécondes, Cbapu trouve encore le temps d'exécuter,
pour la cour de Marbre du palais de Versailles, Timportant
ensemble décoratif qui couronne le pavillon central. Il
représente Mars et Hercule entourés d'attiîbuts divers qui
servent d'encadrement à une horloge. L'œuvre, qui, du reste,
n'est que la reproduction à peu près textuelle d'une compo-
sition de Girardon et de Marsy, est pleine de verve et d'allure
pimpante; elle se marie beureusement à la délicate con-
struction qu'elle est cbargée de compléter.
Il semble qu'une pareille somme de travail devait suffire
à alimenter toute l'activité du jeune sculpteur. Mais ses am-
bitions étaient plus nobles. Non content d'être un des pre-
miers portraitistes de son temps et de compter parmi les
plus habiles ouvriers de la pierre et du marbi/e, il méditait
— vaguement encore — une œuvre d'une portée philoso-
phique haute, où il pût mettre son habileté d'exécutant et
de son style au service d'une grande pensée. Depuis long-
temps déjà la passionnante et complexe figure de Jeanne
d'Arc hantait son imagination, et, avec la patiente obstina-
tion qui était une de ses forces, il étudiait la vie de la glo-
rieuse vierge et les monuments littéraires ou artistiques
qu'elle a inspirés, depuis les naïves chroniques du moyen âge
jusqu'aux pages vibrantes de Michelet, depuis la touchante
image que lui a consacrée la main d'une princesse de France
jusqu'à l'emphatique et lourde statue de F<5yatier. Le pre-
mier résultat de ces méditations fut un médaillon colossal
dont il donna le modèle à son département et qui décore
aujourd'hui l'église Saint-Aspais, à Melun ; mais ce i^'était
pas là l'œuvre qu'il rêvait de faire. Un peu déconcerté par
les aspects multiples sous lesquels son héroïne se manifes-
70 CHAPU.
tait à son imagination, voyant tour à tour en elle la person-
nification du courage militaire, de la Foi et du Patriotisme,
il multipliait dessins et esquisses, ne sacbant à quel parti
s'arrêter. Enfin, après une longue période de gestation,
Timage se dégagea bien nette de son cerveau. « Jeanne était
belle, forte, simple, d'une piété exaltée et d'une vertu sans
tacbe », avait-il lu quelque part. Il ne cherchera pas plus
loin. Pour ce fils de paysans, la Pucelle est avant tout une
paysanne, la glorieuse incarnation de la vertu chez les hum-
bles; elle est par excellence la patronne de ces mille héros
anonymes qui versent leur sang sur le champ de bataille, de
ces obscurs martyrs qui ont fait et feront encore la gloire
de la patrie. Elle est belle, cela va sans dire; on ne saurait
le concevoir autrement, mais d'une beauté particulière, ni
trop gracieuse, ce qui en affaiblirait le caractère, ni trop
masculine, ce qui nuirait à l'idée que l'on doit avoir d'une
force surnaturelle. Au moment où Chapu rêvait sa statue,
le matériahsme scientifique n'avait pas encore flétri de ses
tristes hypothèses la pure figure de la vierge de Vaucou-
leurs. Chapu évitera donc facilement un écueil où sont tom-
bés d'autres artistes; il saura faire vibrer dans tous les traits
de sa Jeanne l'ardeur mystique qui l'anime sans qu'on
puisse découvrir sur son visage les avilissants stigmates de
la névrose. La voilà assise, les jambes repliées sous son
corps; ses mains sont jointes dans un geste d'ardente prière.
Elle n'est encore que l'humble pastoure d'un petit village de
Lorraine, mais dans l'admirable expression de son regard
noyéj on lit Textase qui la ravit loin du monde réel, la ra-
dieuse vision qui lui montre ses destinées futures, les com-
bats, la gloire, le martyre!
LES ANNEES DIFFICILES.
71
La Jeanne d'Arc écoutant ses voix parut pour la pre-
mière fois au Salon de 1870. Y obtint-elle tout le succès
qu'elle méritait? Je ne saurais le dire, car la plupart des
«Salons » sont muets à son égard. Le public de cette
époque n'était pas aussi exigeant pour la critique qu'il l'est
aujourd'hui et ne lui demandait pas ces brillantes improvi-
sations que les journaux contempo-
rains publient dès l'ouverture de
l'exposition annuelle. Théophile Gau-
tier, Paul de Saint-Victor et les
autres maîtres du genre ne commen-
çaient leurs feuilletons qu'au mois
de juin, et souvent la fin de juillet
arrivait, qu'ils n'avaient pas encore
parlé de la sculpture. Or, on sait
quelles étaient, en juiQet 1870, les
anxiétés de la France. Toutes les
voix qui parlaient d'art se turent, et
chacun attendit, dans une solennelle
angoisse, l'issue du grand drame qui
allait s'accomplir.
Elle était pourtant bien venue à
son heure, l'image de la vierge guerrière, de l'héroïque
patronne de la France, et plus d'un, sur les champs de
bataille, dut en emporter la consolante vision. Plus d'un
dut chercher à lire dans l'énigmatique lumière de son
regard les destinées de la patrie; plus d'un dut l'invoquer
aux jours sombres, dans ces moments de désespoir où
les âmes les plus rebelles se souviennent qu'il y a un
Dieu!
ETUDE
POUR LA JBANSfB d'aRC
72 CHAPU.
Hélas! l'heure des miracles était passée. Une fois de plus
notre sol allait être violé, et c'est en vain que la France
allait prodiguer le sang de ses enfants... Chapu avait depuis
longtemps passé l'âge du service actif; le prix de Rome cpi'il
avait obtenu l'exemptait en outre du métier des armes. Il
ne voidut pas cependant rester inactif, ni se soustraire aux
dangers du siège qui menaçait Paris. Il s'enrôla dans la
garde nationale et y fit consciencieusement son devoir (1).
Dans Paris assiégé, sans lumière et presque sans pain, la
première heure de l'année 1871 a sonné comme un glas. Un
généreux enthousiasme a confondu, dans une même pensée,
tous les rangs de la société ; les plus nobles esprits comme
les plus humbles se sont soumis aux rigueurs de la disci-
pUne. On a supporté sans se plaindre, presque gaiement, les
rigueurs du siège, les combats meurtriers, les longues nuits
passées sous la neige. Mais les illusions du début commen-
cent à se dissiper, et si on lutte encore, ce n'est plus que
(1) Presque tous les artistes en renom firent, du reste, noblement leur devoir.
Une compagnie de cent quinze hommes s'était formée sous le nom de tirailleurs
de la Seine. Vibert, Eugène Leroux, Tissot, Berne-Bellecour, Louis Leloir,
Jacquemart en faisaient partie, ainsi que les sculpteurs Jacquet et Cuvelier. Au
combat de la Malmaison (21 octobre 1870), Cuvelier fut tué. Eugène Leroux fut
gravement blessé, et Vibert légèrement. Beaucoup aussi, vers la fin du siège, s'en-
rôlèrent dans les bataillons de marche. De ce nombre fut Henri Regnault, dont
chacun sait la mort héroïque. U faut encore compter parmi les victimes du siège
le jeune Victor Giraud, qui n'eut pas le bonheur de mourir sur le champ de
bataille.
Ceux que leur âge ou leur peu d'aptitudes physiques disposaient mal au métier
militaire firent néanmoins de leur mieux pour se rendre utiles, et supportèrent
sans se plaindre les longues factions sous la neige et les privations de toute sorte.
Nous avons sous les yeux une curieuse lettre d'Elie Delaunay, le moins mili-
taire des hommes, qui avait cependant tenu à honneur de revêtir la capote grise
des gardes nationaux. H y fait un humoristique récit de sa première sortie et
raconte comment il a miraculeusement échappé aux balles... de ses compagnons
d'armes.
LES ANNEES DIFFICILES.
pour l'honneur. Est-il besoin de dire que pendant ces tristes
mois Chapu a déserté son atelier? Plus encore que la famine,
Timpossibilité de travailler a pesé sur cet infatigable ou-
vrier. Un seul moment il a retrouvé un peu de son habi-
tuelle bonne humeur; c'est le jour où, aux remparts, il a
aidé Falguière à modeler, dans un bloc de neige, cette co-
lossale figure de la Résistance dont la fière silhouette a ra-
nimé pendant une semaine le courage des Parisiens... Au
lendemain de la paix, le sculpteur reprit ses ébauchoirs, et
demanda au travail l'oubU des tristesses qui déchiraient son
cœur de patriote. Hélas ! la France n'avait pas encore épuisé
la colère divine, et d'autres douleurs, plus cruelles, lui
étaient réservées. Chapu ne comprit pas tout d'abord la
gravité du mouvement insurrectionnel qui se préparait;
mais quand, aux premiers jours de mai, il vit la rage impuis-
sante du gouvernement de la Commune menacer les plus
beaux monuments de Paris, il manifesta vivement son indi-
gnation (1), et chercha dans son quartier à organiser une.
sorte de résistance. Son rôle, pendant ces jours funestes, fut
assez actif pour qu'un mandat d'arrestation fût décerné
(1) a ... Nous allons bien, ma mère et moi, quoique fort inquiétés par les insur-
gés; moi, tout particulièrement, j'ai été très ennuyé et sur le point d'être poursuivi
comme réfractaire (car je ne veux pas marcher avec ces messieurs) ; mais j'ai
trouve une dispense... soyez tranquille; quoi qu'il en arrive, je ne marcherai
pas. •
{Lettre de Chapu à Mme Lantier, Mai 1871.)
« Nous sommes sortis sains et saufs de l'horrible tempête; soyez donc tran-
quille sur notre sort. Nous avons eu bien de mauvais jours, mais, somme toute,
rien de trop fâcheux ne nous est survenu. Notre quartier a été un coin du champ
de bataille. Nous avons eu fusillade et canonnade pendant deux jours sans inter-
ruption... J'ai pu échapper à la réquisition, caché dans les combles de la mai-^
son... •
(Lettre de Chapu à la même 5 juin 1871.)
74
CHAPU.
contre lui, et il ne dut qu à un ami dévoué d'échapper à la
vengeance des fédérés. Caché dans une chambre de l'hôtel
de Vogiié, il y demeura jusqu'à l'entrée des troupes ver-
saillaises.
BUSTE DE JECKE FEMME.
1869
CHAPITRE III
LA GLOIRE
1871-1882
TjA guerre n'avait pas trop profondé-
ment abattu les courages, et peu
à peu Paris reprenait son activité
habituelle. Les artistes, en par-
ticulier, faisaient preuve d'une
belle confiance dans l'avenir,
et, dès le lendemain de l'armi-
stice, ils avaient repris coura-
geusement ébauchoirs et pin-
ceaux. La plupart caressaient
même l'idée d'une Exposition
en 1871, non pour l'époque tra-
ditionnelle du 1*' mai, mais
dans le courant de Tété. Cepen-
dant, quand aux horreurs d'une
guerre étrangère vinrent succé-
der celles de la guerre civile,
quand des mains impies eurent allumé l'incendie dans
la capitale, les plus confiants crurent que c'en était fini
de la patrie. Que pouvaient faire, au milieu de ces luttes fra-
LA BECONXAISSAItCE.
Projet de haut reUef ponr le roonament
de Schneider au Crcuaot.
76 CHAPU.
tricides, les artistes, habitués par profession aux tranquilles
labeurs, à la vie méditative et recueillie, et comment sub-
sister dans cette société ruinée, à qui tout luxe semblait
devoir être longtemps interdit? Beaucoup émigrèrent en
province ou à l'étranger. Chapu fat parmi les rares qui ne
quittèrent pas Paris. Cependant, il fallait vivre, et aucune
commande officielle ou privée ne se présentait; l'artiste,
un moment, songea à se fixer pour quelque temps à Londres,
où plusieurs de ses camarades avaient trouvé des travaux.
Il écrivit à ce sujet à son ami Tony Robert-Fleury, qui
Feu dissuada.
« Tu me demandes, lui répondit le jeune peintre, si je
t'engageais à venir ici. Je crois que ce serait un véritable
four pour un sculpteur... Ici, pour réussir, il faut être
bizarre, excentrique ; et si avec cela on a du talent, tout va
bien; encore cette dernière condition n'est-elle pas absolu-
ment nécessaire... Je crois que Carpeaux est ici, mais je
n'ai pas entendu dire qu'il se tirât d'affaire; somme toute, je
ne te conseillerai jamais de venir ici.
« Tu me répondras peut-être : Mais comment fais-tu, toi?
La peinture, mon ami, ce n'est pas du tout la même chose.
Nous avons une petite monnaie que l'on fait passer, avec
peine, mais enfin que l'on fait passer, tandis que vous, vous
n'avez jamais que des billets et des louis, et ce n'est pas
accessible à tout le monde.
« Je crois qu'il ne faut pas s'exagérer la mauvaise situa-
tion que nous avons en France. Sans aucun doute, nous
aurons une ou deux années difficiles; mais les choses revien-
dront petit à petit, et les hommes de talent se tireront tou-
jours d'affaire. »
LA GLOIRE. 77
Ghapu écouta les sages conseils de son ami et renonça à
s'expatrier. Il ne devait pas avoir à s'en repentir.
On sait de quelle merveilleuse vitalité la France fit preuve
pendant la période qui suivit. Payer à Tennerai une rançon
formidable, restaurer sa capitale en ruine, refaire une
armée qui n'existait pas, tout cela fut l'affaire de quelques
années. En même temps qu'on travaillait à préparer l'avenir,
on songeait au passé, on voulait conserver à jamais la
mémoire de ceux qui, dans ces temps difficiles, avaient bien
mérité de la patrie, et de tous côtés on élevait des monu-
ments à la mémoire des braves qui étaient morts pour elle.
Parmi les plus regrettés était Henri Regnault, ce jeune et
déjà glorieux artiste à qui aucune auréole n'avait manqué,
ni la jeunesse, ni la gloire, ni l'amour, et qui, dans un
moment de sublime désespoir, n'avait pas voulu survivre à
l'anéantissement de sa patrie. Dès 1872, un ministre forma
le projet d'élever dans l'École des Beaux-Arts un monu-
ment commémoratif au peintre, ainsi qu'à onze élèves de
l'École, bravement tombés, eux aussi, sur les cbamps de
bataille (1). On offrit à Ghapu d'en sculpter la figure
principale. Notre artiste accepta d'enthousiasme un projet
qui ouvrait à sa pensée le champ le plus vaste et le plus
(1) Il convient de donner ici les noms de ces braves, qui, pour la plupart,
n'avaient guère dépassé la vingtième année, et par conséquent n'ont pu, comme
artistes, donner leur mesure. Ce sont : Malherbe, architecte , tué à Rueil, le
21 octobre 1870. — Friesc, architecte, tué à Cachan, le 6 novembre 1870. —
Seilfaade, sculpteur, tué à Chàteaudun, le 19 octobre 1870. — Sturmm, archi-
tecte, tué à Strasbourg. — Panza, architecte, tué à Messigny, en janvier 1871. —
Coincfaon, peintre, tué à Buzenval, le 19 janvier 1871. — Jacquemin, architecte,
tué à Montretout, le 19 janvier 1871. — Breton, architecte, tué à Montretout, le
19 janvier 1871. — Anceaux, sculpteur, tué à Morée, le 26 décembre 1870. —
Leboursier, sculpteur, tue a Villarceau, en décembre 1870.
78 CHAPU.
noble. 11 devait y trouver Tiacontestable et définitive con-
sécration de son talent.
Ce travail devait occuper Chapu pendant cinq ans. Chez
lui, la période d'incubation était lente autant que labo-
rieuse : tt Ma méthode de travail m'interdit les ouvrages
hâtifs, écrira-t-il quelques années plus tard, à propos d'une
commande trop pressée qu'il décline. La conception (ou la
composition) est pour moi le plus difficile de l'œuvre et
ne peut se faire qu'avec une connaissance très approfondie
du sujet. C'est une suite persistante d'études et d'efforts qui
conduisent graduellement à un résumé logique, au meilleur
choix parmi toutes les idées et toutes les formes qui se pré-
sentent. Une même logique enchaîne la composition à l'exé-
cution jusqu'à la fin. C'est un tout, une synthèse qui ne peut
ni se diviser ni se réduire. » Les difficultés du présent travail
étaient d'autant plus grandes que Chapu avait à compter
avec plusieurs collaborateurs, Coquart et Pascal pour l'ar-
chitecture, et Degeorge pour le complément de la partie
sculpturale. Tous comprenaient qu'à ce jeune héros, mort
dans toute la force, mais aussi dans toute la fleur de son
talent, il ne fallait pas une trop solennelle apothéose, que
l'hommage devait être plus touchant encore que pompeux,
que l'emphase convenait mal à ce génie exubérant à qui le
destin avait à peine laissé le temps d'assagir sa fougue et
qui était passé, rapide et brillant météore, sur le ciel un
peu terne de l'art contemporain. Mais là s'arrêtait l'accord,
et, pour l'exécution, chacun avait son idée personnelle qu'il
défendait avec passion. Enfin, après bien des pourparlers,
bien des projets repris et abandonnés, l'idée première de
l'œuvre fut définitivement arrêtée. Il ne restait plus qu'à
LA GLOIRE. 79
Tincarner dans la forme la plus parfaite. Nous verrons plus
loin comment Chapu y réussit. Pour le moment, il convient
d'examiner les différentes œuvres cju'exécuta F artiste depuis
1871 jusqu'au jour où, radieuse, sa. Jeunesse apparut au pu-
blic, tendant vers le buste de Begnault sa branche d'olivier.
Les rares lettres de Chapu qu'il nous ait été donné de
consulter sur cette époque ne nous permettent pas de
savoir quelle fut son existence pendant l'année qui suivit nos
désastres, ni au prix de quels efforts il parvint à soutenir sa
vie et celle de sa vieille mère, veuve depuis peu, qui allait
désormais être à sa charge. En 1872, il livre à l'Adminis-
tration des Beaux-Arts une statue décorative, TOrfe, qui lui
avait été demandée pour le nouvel Opéra qu'achevait l'ar-
chitecte Garnier (1). Cette statue, pour laquelle l'artiste fit
de nombreuses esquisses dessinées ou modelées, décore
aujourd'hui la façade principale de notre Académie natio-
nale de musique. Conçue dans le goût et d'après les canons
antiques, cette figure, que la plupart des amis de l'artiste,
Baudry notamment, proclamèrent une œuvre charmante,
ne nous parait pas marquer cependant un progrès bien
décisif, et si aucune critique particulière n'en peut être
faite, elle ne nous paraît pas non plus mériter aucun éloge
spécial. C'est à notre avis une œuvre sage, correcte,
savante même si l'on veut; mais ces qualités, Chapu les
avait montrées déjà plus d'une fois, et l'on pouvait espérer
(1) « La Déclamation, statue de M. Cliapu,... est conçue d'une manière bien
conforme à son rôle; mais ce rôle a quelque chose d'artificiel qui exclut la naïveté
aussi bien que la passion, car elle cherche à traduire une pensée qui n'est pas la
sienne. Sous ce rapport, la statue de M. Chapu exprime bien, en effet, l'effort et
le zèle; on ne saurait reprocher à la Déclamation d'avoir l'air déclamatoire. >
(P. Maktz.)
80 CHAPU.
mieux de lui. Ajoutons cependant, pour êti*e équitable,
que ÏOde souffre, comme les sculptures qui lui font pen-
dants, du redoutable voisinage de la Danse de Carpeaux,
cette œuvre si discutée et si troublante qui semble un iro-
nique défi aux sages lois de la sculpture et qui, en dépit de
sa trivialité voulue, écrase de sa verve géniale les œuvres
plus sobres qui l'entourent.
Chapu semble avoir été mieux inspiré dans un groupe
qui lui avait été commandé dans les dernières années de
TEmpire pour la Préfecture de police, et qui devait person-
nifier la Sécurité, L'allégorie était difficile à exprimer et
offrait peu de ressources à l'imagination d'un sculpteur; il
s'en tira de la façon la plus simple et la plus heureuse, en
sculptant une jeune femme assise, dans une attitude pleine
de sérénité confiante, qui tient sur ses genoux son enfant
endormi. Cette composition, achevée en 1873, décore
aujourd'hui la caserne de la Cité.
Il nous a été impossible de voir un petit Moïse exécuté en
1873 pour M. de Mare, consul des Pays-Bas à Bruxelles.
Tout ce que nous savons de cette œuvre, c'est qu'elle fut
payée à Chapu 2,000 francs, et que M. de Mare, dans diffé-
rentes lettres, remercia chaleureusement l'artiste, déclarant
que c'était une chose exquise et bien au-dessus de tout ce
qu'il pouvait espérer.
De nombreux bustes furent également demandés à Chapu
pendant cette période, soit pour l'État, soit pour des parti-
culiers. Parmi les plus importants, il faut citer ceux de
Lebrun (1), de Montalembert et d'Alexandre Dumas père,
(1) Lebrun (Pierre-Antoine), poète français, qu'il ne faut pas confondre avec
son homonyme Ecouchard-Lebrun, celui que, aux premières années du siècle, on
LA GLOIRE. 81
ceux-là pour Tlnslitut, celui-ci pour la Comédie française.
Il est permis de supposer que Chapu accepta sans enthou-
siasme ces commandes officielles. C'est, en effet, pour un
altiste épris de son art une ingrate besogne que ces bustes
a après décès » . Quand il s'agit de personnalités indiscu-
tées, de véritables « grands hommes », l'artiste peut trouver
dans le rayonnement de leur gloire une inspiration suffi-
sante et, sans arriver à cette ressemblance absolue que seule
donne la vue de la nature, créer au moins une image inté-
ressante où la pauvreté des documents est compensée par
une sorte de divination de l'être moral; les figures ainsi
composées ont même souvent une certaine grandeur d'apo-
théose plus près de la vérité cpi'une imitation trop servile
de la nature; mais quand il s'agit de vieilles gloires, de
réputations depuis longtemps noyées dans les brumes de
l'oubli, la tâche du portraitiste devient singulièrement diffi-
cile. Pour s'en convaincre, il suffit d'aller voir les collec-
tions d'hommes célèbres qu'on a cru devoir placer dans
certains monuments pubhcs, théâtres ou académies (1).
appelait Lebrun-Pindare. Né à Paris, le 29 novembre 1785, il se révèle par des
essais poétiques très remarquables, entre autres par une tragédie de Coriolatiy en
1797. Plusieurs odes qu'il Ht pendant le premier Empire lui valurent les faveurs
de la cour et une pension de 1,200 francs. Après la chute de Napoléon, il célébra
les gloires de la France dans différentes poésies : Jeanne (TArCy le Vaisseau de
V Angleterre , et surtout dans un poème sur la Mort de V Empereur y qui lui valut
la disgrâce du gouvernement de la Restauration.
Comme auteur dramatique, Lebrun fit jouer différentes tragédies, bien oubliées
aujourd'hui, dont une seule,' Afarie Stuart, a pu mériter de rester au répertoire.
En 1830, il devint administrateur de l'Imprimerie royale et fut nommé par Loui»-
Philippe pair de France. Sous le second Empire, il échangea ce titre contre celui
de sénateur.
Lebrun était entré à l'Académie en 1828, en remplacement de François de
NeufchâteaUj son premier protecteur. II mourut le 27 mai 1873.
^1) Ne pourrait-on, à ce propos, consacrer le souvenir de certains artistes,
6
82 CHAPU.
Combien plates et ennuyeuses sont le plus souvent ces
images de poètes, d'artistes ou de savants ! combien mornes
ces effigies cju' aucune flamme intérieure n'anime! La figure
du poète de Marie Stuarty que Chapu d'ailleurs n'avait
jamais connue, l'a médiocrement inspiré, et c'est à grand'-
peine que nous avons découvert son buste dans un des ves-
tibules du palais Mazarin, au milieu d'une assez pauvre
collection d' œuvres similaires. Le buste de Montalembert
vaut mieux. Nous avons toutefois été légèrement déçu,
nous qui n'avons jamais vu le grand écrivain, en contem-
plant cette face glabre aux contours arrondis, cette physio-
nomie reposée, cette tète plus fine qu'énergique, et qui ferait
plutôt penser à quelque prince bien rente de l'Église catho-
lique qu'à l'ardent précurseur du socialisme chrétien. La
bouche seule, mobile et spirituelle, avec sa lèvre dédai-
gneuse, donne à la figure un caractère hautain et sarcastique
qui le marque d'un sceau personnel.
Le buste de Dumas, en revanche, est un chef-d'œuvre de
premier ordre qui tient dignement sa place au milieu des
marbres de Houdon et de Caffieri, dont s'enorgueilUt juste-
ment la Comédie française. Il y a là plus qu'un portrait. C'est
une âme que l'artiste a croquée dans cette figure puissante
au cou de taureau, à la lèvre sensuelle, aux cheveux crépus,
à Tœil saillant et largement ouvert. Dans ce masque, où
tout respire la force, on devine la puissance de travail
presque surnaturelle de Técrivain; l'épanouissement de sa
hointiies de lettres, médecins, etc., par un médaillon de bronze ou de marbre, en
réservant les bustes pour les personnalités les plus éminentes? Il y aurait à cela
nn double avantage : éviter l'encombrement qui menace déjà certains de nos éta-
blissements publics, rinstitut par exemple, et venir en aide aux graveurs en
médailles, si rarement encouragés par des commandes privées.
LA GLOIRE.
83
bonne et loyale figure nous dit sa bienveillance, la verve
exubérante de ses œuvres, leur simple et saine philosophie,
tandis que cette poitrine hardiment débraillée nous fait
songer au sans-façon de sa vie, à son candide dédain des
convenances sociales, à cette magnifique insouciance qui
CROQUIS POUR LA MEDAILLE DE L. DUC.
devait le faire mourir pauvre, lui qui avait enrichi tant de
théâtres, tant d'éditeurs, tant de journaux !
De cette époque, date également un portrait de Vitet,
avec lequel Chapu avait été en relation à propos du buste
de Duchatel. Ceux-là seuls qui ont connu Férudit auteur
de la Ligue et de tant d'autres restitutions ingénieuses
peuvent dire combien ressemblante est cette figure cor-
recte et un peu hautaine, à la lèvre mince, au regard
84 CHAPU.
incisif, au nez noblement aquilin. Au point de vue sculp-
tural, — le seul dont nous puissions parler, n'ayant jamais
eu Foccasion de voir Técrivain, — tout ce que nous pou-
vons dire, c'est que ce buste, d'une exécution serrée et
d'une grande allure, peut compter parmi les meilleurs du
maître.
En même temps, un ensemble d'œuvres décoratives lui
était commandé par M. Paul Sédille pour un hôtel qu'il
venait de se construire boulevard Malesherbes. Tous les
arts avaient concouru à décorer cette jolie construction
aménagée avec tout le luxe et le confortable modernes. Pour
le plafond de la pièce principale, Galland, l'ingénieux et
savant décorateur, avait peint les Arts puisant leur inspira-
ration aux sources ingénues de la nature ; dans la même
pièce, au-dessus de la cheminée, on admirait un Apollon,
d'Élie Delaunay, « d'un sentiment tendre et fin, d'une sua-
vité déUcieuse qui n'excluait pas la puissance » ; la frise de
la cheminée était due au ciseau d'un artiste de valeur, Tour-
nois, qui y avait sculpté le Triomphe de Bacchus, entouré
de son joyeux cortège de satyres et de bacchantes ; puis, un
peu partout, égayant les grands panneaux sombres de
leurs notes variées, c'étaient des paysages de Corot, de
Daubigny, de Didier, des tableaux d'Ehrmann, d'Henner
et de Couture.
La plus importante partie de cette décoration avait été
toutefois réservée à Chapu. Son nom figurait au milieu de
ces noms illustres, déjà représenté par un buste en marbre
de Mlle Sédille, « d'un sentiment tirés délicat » ; le sculpteur
devait modeler, en outre, deux grandes cariatides pour le
vestibule, une série de médaillons pour le salon, et aussi
LA GLOIRE. 85
les deux atlantes de la cheminée qui supporteraient le
bas-relief de Tournois.
Examinons rapidement ces deux derniers ouvrages, qui
ne sont pas les plus importants. Pour la cheminée, il exécuta
deux figures d'hommes, Tun dans le premier épanouisse-
ment de la jeunesse et l'autre au faîte de la maturité, com-
position dont il fit une réplique en pierre pour la façade
d'un hôtel, 55, boulevard Malesherbes.
Les médaillons qui couronnent les six portes du salon
sont en bronze argenté. Ils représentent la Science, la Pein
turCy V Architecture, la Poésie, la Sculpture, la Musique,
personnifiées par des génies qui tiennent en main leurs
attributs divers. Nous n'analyserons pas en détail ces jolies
compositions, dont un charmant poète a laissé une descrip-
tion fidèle (1). Disons seulement qu'elles sont excellentes de
(1) Les principaux passages de cette description sont empruntés à un article de
M. Sully-Pnidliomme. Voir Gazette des Beaux- Arts ^ 1873, S* semestre.
Voici les quatrains que composa M. SuIIy-Prudhomme à l'occasion des médailles
de Chapu :
LA POÉSIB.
Levant an ciel ses yeux pleins de divines flammes,
Le poète qui chaote est près de fuir le sol.
Et l'essor entraînant de l'hymne sur ses lèvres
Imprime à tout son corps la courbure du vol.
LA 8CIBSCE.
Explorant Tinfini sans déserter la terre.
Le savant, scrutateur de l'abîme étoile.
Élève son flambeau jusqu'au plus haut mystère,
Et dans un livre ouvert le montre dévoilé.
l'arcuitecturb.
L'arcbitecte, debout, armé de ses cquerres.
Le pied sur nne acanthe et les bras étendus.
Imposant Tordre aux blocs savamment suspendus.
Prête un sourire auguste i la froideur des pierres-
LA MUSIQUE.
L*anlent musicien, rivé d*âme et de corps
An violon palpitant que son archet caresse.
86 CHAPU.
tout point, gracieuses sans maniérisme et d'un beau style
décoratif.
Arrivons aux cariatides du vestibule. Ce sont deux
iCemmes, représentant, Tune la Nature, et l'autre la Tradition
artistique. JjS. première, n'ayant pour toute parure que ses
longs cheveux, est couronnée de lis et de roses. Le bas de
son corps est à demi caché par des plantes sauvages, au
milieu desquelles se joue un jeune chèvre-pied. « La car-
« nation, a dit M. SuUy-Prudhomme, est solide sans
« lourdeur, et musclée avec toute la solidité qu'exigent
tt les maternités nombreuses, mais sans préjudice de la
« grâce; la poitrine est d'une jeunesse adorable, la tête
« est forte, le col large, le visage fier avec un mélange
« de candeur agreste. La chevelure, vigoureusement enra-
« cinée, baigne le buste avec opulence. Le poids du
« corps se porte sur la hanche droite, et cette attitude met
« en évidence, du côté droit, toute sa puissance ramassée
« sans effort et, du côté gauche, toute sa grâce librement
« déployée. »
Il semble qu'une ^i belle figure ne puisse être embellie
encore, qu'une parure apprêtée, un savant maintien, ne
Les doigu crispés, les yenz presque soufîranls d^ivresse,
Semble expirer au charme irrilanl des accords.
LA PEINTUnE.
Le peÎDlre vers Phœbut, où, radieuse, ëclate
L*ardeur qu*à sa palelle il demandait en vain,
Se tounie, et, ravivant sa brosse au feu divin,
L'y trempe d'une maîo hardie et délicate.
LA SCrLPTCRB.
A la hauteur des dieux sooleTês dans Tëther,
Le sculpteur qui médite une immuable forme
Pour temple i sa pensée, en un Paros énorme
Cisèle à tour de bras un front de Jupiter.
LA GLOIRE. 87
puisse que dimiouer son charme. Point. L'art se chargera
d'ajouter à cette beauté, fruste et savoureuse, sa divine
auréole ; dans la seconde cariatide, nous allons retrouver le
même type de beauté, transfiguré par la Tradition artis-
tique ; la voilà, les cheveux tressés, le front ceint d'un dia-
dème, drapée dans un péplum àlarges plis. « Les Muses, qui
« sont ses filles et servantes, lui ont fait, de siècle en siècle,
« la toilette qui sied à la divinité. Elles ont démêlé sa cri-
« nière sauvage ; à ses oreilles ainsi dégagées, elles ont
« suspendu un ornement dont le travail précieux fait valoir
« la pureté de la joue. Sur son poignet elles ont passé un
« anneau, comme pour en mesurer la fine attache... elles
« l'ont enfin revêtue d'une robe souple et libre, qui relie
« les saillies du corps par des plis harmonieux. Puis elles
« ont redressé respectueusement sa première attitude un
« peu abandonnée au hasard, d'une grâce irréfléchie qui
« n'est pas l'élégance encore, car l'élégance est la culture
« de la grâce. . . Dans la nature ainsi transfigurée, on devine
« que le vouloir a supplanté la spontanéité, que Tintelli-
« gence a subjugué l'instinct ; c'est la beauté qui se connaît
« et se gouverne... l'art, en interprétant la nature, n'a fait
« que dégager et mettre en valeur tous les éléments de
« sa beauté. Il n'a pas forcé ses mouvements, il les a
tf seulement composés, il ne lui a rien donné, car elle
« est plus riche que lui, mais il a su habilement lui de-
« mander ce qu'elle a de mieux, et lui dispenser un jour
« favorable. »
Si je fais ici cette longue citation, ce n'est pas pour le
seul plaisir de reproduire un excellent morceau de style
descriptif. L'ingénieuse dissertation inspirée à M. Sully-
88 CHAPU.
Prudhomme par les deux statues de Chapu en sont, à
notre avis, la meilleure critique. La sculpture, art essentiel-
lement synthétique, veut des idées simples qui se com-
prennent dès le premier coup d'œil ; or Tidée qui a préside
à Tenfantement de la Nature et de la Tradition est trop
complexe, trop « spirituelle » pour être du domaine de la
sculpture, c'est, si l'on veut, une amusante leçon d'esthé-
tique, mais ce n'est pas une idée sculpturale ; elle a de
plus amené l'artiste à faire deux figures, l'une presque nue,
et l'autre complètement drapée, qui ne se font pas équi-
libre. Ces réserves faites, nous n'aurons que des éloges à
décerner au sculpteur, qui dans l'exécution de ces statues
a montré sa science et sa conscience habituelles. A la
Tradition^ un peu trop directement inspirée de l'antique,
nous préférons la Nature, d'un aspect particulièrement
savoureux.
Notre artiste, au milieu de ces occupations diverses,
mettait la dernière main à sa figure allégorique du monu-
ment de Regnault. Il y travaillait en silence, presque mys-
térieusement, surveillé avec un soin jaloux par son ami
Coquart, qui le défendait à grand'peine contre les indiscré-
tions des amateurs et de la critique. Le bruit, en effet,
s'était répandu, dans le monde des arts, qu'un chef-d'œuvre
allait naître, et, de tous côtés, on demandait à voir cette
Jeunesse, qui s'annonçait comme une des plus exquises ma-
nifestations plastiques du siècle. Chapu, sachant par expé-
rience combien l'optique de l'atelier est trompeuse, et afin
de se mieux rendre compte de son travail, exposa sa statue
au Salon de 1875, où elle obtint un légitime succès et valut
LA GLOIRE.
89
à son auteur la médaille d'honneur. Elle n'était cependant
pas encore assez parfaite
à son gré, et, jusqu'au jour
de l'inauguration, nous le
trouvons en contempla-
tion devant son œuvre,
caressant d'un dernier
coup de râpe un modelé
un peu fiiiste, accentuant
un relief, supprimant un
détail iuutile.
Le 11 août 1876 fut,
dans la vie de l'artiste, une
de ces dates qui ne s'ou-
blient pas. Dans la cour du
Mûrier, ce paisible sanc-
tuaire de l'École des Beaux-
Arts, dont le recueillement
a bercé tant de rêves d'ar-
tistes, une petite élite était
réunie. Plusieurs discours
furent prononcés, dans les-
quels on rappela la triste
journée du 19 janvier 1871,
la mort de Regnault, et
aussi celle des élèves de
l'école dont les noms, plus
obscurs, devaient entou-
Lâ JEUNESSE.
rer, sur les colonnes du
monument, le nom glorieux de leur aîné; mais l'impatience
90 CHAPU.
était plus forte encore que les regrets, et ce fut au milieu
d'un frémissement solennel que le marquis de Chenne-
vières, alors directeur des Beaux-Arts, souleva le voile qui
recouvrait l'œuvre si longtemps attendue.
Le monument, en marbre blanc, sobrement décoré d'or-
nementations polychromes, se compose de deux colonnes
d'ordre ionique, soutenant un fronton triangulaire. Une
draperie figurée, semée de lotus d'or, fleurs de l'immorta-
lité, masque l'entrée du temple, tandis que, sur le seuil,
deux bancs semblent inviter le passant à se recueillir en
songeant aux héros morts pour la patrie. Au fronton res-
plendit le mot : « Patrie » , résumé de tout le monument,
d'où s'échappe dans l'antéfixe du couronnement la flamme,
symbole de résurrection et d'avenir...
Entre les deux colonnes, encadré à souhait par ce gra-
cieux décor, un cippe funéraire sert de piédestal au buste
de Regnault, coulé en bronze, et dont l'énergique visage
marque une noble et suprême indignation (1). Devant ce
cippe, et s'en détachant à peine, une gracieuse figure de
jeune fille se hausse, dans un mouvement d'une grâce inou-
bliable, vers l'image du peintre, et lui tend le rameau d'or,
palme du martyre et signe de gloire à la fois. Que repré-
sente cette vierge, à la fois si séduisante et si chaste ? La
Gloire? — Point. La Gloire est une divinité plus altière et
n'a pas ce charme ingénu. Est-ce l'Immortalité ? Pas davan-
tage. Pour célébrer l'apothéose de ces jeunes gens, l'artiste
(1) L'exécution de ce buste donna lieu, entre les collaborateurs, à de vives dis-
cussions. Goquart en particulier insistait vivement pour qu'au buste h effet on
substituât un buste droit et sans idée. « La tète si expressive de Regnault, écri-
vait-il, suffit parfaitement à exprimer tout le drame de la composition. »
¥<-
'h.
LA JRWNH'.SSI-:
V. 'fi imcni J n. '\eC.r.aalt a 1 hcole ries heairx-Arts
LA GLOIRE. 91
n'a pas cru devoir évoquer de si solennelles abstractions.
C'est la Jeunesse, Féternelle et radieuse Jeunesse qu'il a
choisie, la Jeunesse qui contient en germe toutes les espé-
rances, toutes les beautés, toutes les joies.
Pour sa figure, Chapu a su choisir cette heure fugitive
et charmante de la beauté dans son premier épanouisse-
ment. Ce n'est déjà plus la graciUté qui accompagne l'éclo-
sion de la puberté, mais c'est encore la jeunesse dans toute
sa fleur. Le corps tourné vers le buste du peintre, la figure
est vue de dos; mais, dans l'effort qu'elle tente, le haut du
corps subit une légère inflexion qui permet de contempler,
presque de profil, sa fine et jolie tête. Les cheveux, relevés
sur la nuque, laissent voir, dans toute leur splendeur, l'élé-
gante attache du cou, la ligne harmonieuse des épaules, le
savoureux modelé de la poitrine et des bras. Jamais le mar-
bre ne s'est mieux assoupli pour rendre les plus délicates
palpitations de la chair, l'onduleuse flexibilité d'un jeune
corps. « Il se dégage de cette œuvre, a dit un critique, ce
« parfum si difficile à définir et pourtant si particulier, si
« franc, que l'on rencontre seulement dans les œuvres irré-
el prochables, à quelque époque qu'elles appartiennent...
« Ce n'est pas un morceau d'une beauté exceptionnelle qui
tt attire les regards, ce n'est pas une qualité dominante qui
tf nous arrache un cri d'admiration, c'est au contraire un
« ensemble harmonieux et parfait devant lequel on éprouve
« une sorte d'apaisement, une satisfaction calme, entière et
a de plus en plus profonde, et c'est vraiment une délicieuse
a chose que de sentir l'émotion pénétrer en soi lentement,
« sûrement, sans fracas ni violence... Ce qui fait l'origina-
« lité de cette sculpture, c'est que sans s'abaisser, sans rien
4^
92 CHAPU.
« perdre de sa dignité, ni du respect du passé dont elle
tt émane, elle est cependant de notre époque et nous offre
« l'idéal de notre art statuaire, de celui que nous pouvons
« comprendre et goûter. »»
On a si souvent décrit le « Monument de Begnault » , et
la photographie comme la gravure en ont tellement popu-
larisé la figure principale, que cette vulgarisation même en
a quelque peu défloré le charme primitif. La Jeunesse a
d'ailleurs servi de point de départ à tant d'œuvres ana-
logues, pastiches plus ou moins habiles, plus ou moins
inconscients, que les hommes delà génération présente n'en
peuvent peut-être pas comprendre toute l'originalité; mais
si l'on recueille dans l'histoire de la sculpture les modèles
du genre, on est forcé de reconnaître que la conception de
Chapu est vraiment géniale, qu'elle constitue une trouvaille
dont l'honneur lui revient tout entier (1). Que nous voilà
loin des froides inventions de Thorvraldsen et de Canova,
de l'éternel et insipide Génie portant un flambeau éteint !
Pour nous émouvoir, l'artiste n'a pas eu besoin d'évoquer
les terrifiantes allégories des artistes du moyen âge. Il s'est
rappelé que les Grecs n'abordaient l'idée de la mort qu'avec
un sentiment d'austère convenance qui ressemblait à de la
(1) Un critique in(;énieux a cru trouver l'idée première de la figure qui nous
occupe dans un motif souvent traité par les artistes de l'antiquité : « Qu'on se
souvienne, écrit-il, des compositions antiques, bas-reliefs, sarcophages, antéfixes
en terre cuite où l'antiquité a représenté des ménades et des bacchantes; on
remarquera souvent un mouvement analogue : une bacchante moitié nue s'agc-
nouillant à demi sur le socle d'un terme dont son bras gauche entoure la gaine.
Le mouvement est violent, dans un sentiment de fureur orgiaque ou de passion
amoureuse, et l'aspect comme l'expression sont tout différents; mais il est pos-
sible que, modifiée par un souvenir inconscient, ce soit une de ces bacchantes
qui ait inspiré l'artiste. »
LA GLOIRE. 93
pudeur. « La génération et la mort, pensaient-ils, sont les
« secrets des dieux ; un silence religieux doit être observé
« devant ces deux portes de la vie. » L'idée du drame,
cependant, est facile à saisir, et il n'est personne qui ne
la comprenne aisément; mais les splendeurs de l'apo-
théose emportent avec elle toute impression lugubre. Cette
mâle figure de héros qui semble planer au-dessus des mi-
sères humaines ne nous fait pas pleurer. Elle appartient au
monde éternel de l'Idée dont Regnault a été sur terre un
des glorieux champions. La Jeunesse ne le pleure pas, elle
le salue et semble lui dire : Heureux ceux qui meurent en
pleine jeunesse, en pleine gloire, en plein idéal !
Jusque-là, dans son œuvre, Chapu avait montré plus de
grâce que de force, plus de charme que de puissance. Le
monument de Berryer, qu il exposa l'année suivante (1877),
allait lui fournir l'occasion de montrer sous un aspect tout
autre la magistrale souplesse de son talent.
Il n'est personne qui n'ait vu, dans la salle des Pas perdus
du Palais de justice, cette grandiose figure de Berryer qui
semble dominer, du haut de son piédestal, ce monde de
magistrats et d'avocats que, de son vivant, il avait tant de
fois subjugués par son éloquence. L'orateur se présente
debout et de face. Sa robe d'avocat, largement drapée,
laisse voir l'habit noir boutonné qui était son costume tra-
ditionnel et rappelle ainsi son double caractère de juriste et
d'homme politique. La main gauche s'appuie sur le bord de
la tribune dont elle semble prendre souverainement posses-
sion, et la main droite, après avoir rejeté la manche flottante
de la toge, se pose dans un beau geste exprimant ainsi l'ar-
dente conviction de celui qui parle. « La tête est noble.
94 CHAPU.
fière, imposante. La puissance éclate dans ce re{>ard domi-
nateur, sur ce front superbe, dans cet ensemble plein de
mouvement et de grandeur. La bouche est entr ouverte,
avec cette lèvre un peu proéminente qui faisait tomber de si
haut le dédain, et il semble qu'on va entendre la parole
vibrante et harmonieuse dont le timbre d*or réalisait si mer-
veilleusement Yore rotundo de la muse antique. »
Cette belle statue est encadrée à souhait par un édicule
très sobrement orné, œuvre deTarchitecte Duc, qui fait face
au monument de Malesherbes. Deux pilastres, d'une nudité
sévère, supportent un entablement décoré de triglyphes que
surmonte un fronton brisé. Aux pieds de l'orateur, deux
figures allégoriques, assises et adossées aux parois du pié-
destal, rompent, par une heureuse courbe, la rigidité des
lignes principales du monument. Conçues dans le goût clas-
sique le plus pur, elles représentent la Fidélité et XElo-
quence, La première relève la tête comme pour mieux
entendre l'homme rare qui est resté son chevalier alors que
tant d'autres la délaissaient; la seconde, attentive et l'œil
inspiré, semble vouloir fixer avec sa plume les accents
redoutables ou touchants qui l'émeuvent.
L'œuvre, à son apparition, souleva certaines critiques de
détail. Quelques amis de l'orateur n'y trouvèrent pas la res-
semblance qu'ils souhaitaient; on discuta aussi l'attitude
générale, jugée par quelques-uns trop emphatique; mais, au
point de vue purement plastique, les éloges furent unanimes
et sans réserve. « La grande loi de Fart, c'est la vie, écrira
Chapu quelques années plus tard; mais ceux qui ont pu
ajouter à la vie physique un sentiment personnel et élevé
ont seuls créé des œuvres d'art dignes de ce nom. » Chapu
1 1 ; • ',!!•• r«* 1 • ;• il'.' il-».' .
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bp;rryer
^ F'alais de Justice de Pans )
EPlonîlcurrr P.C'Edit
LA GLOIRE. 95
a réalisé ce programme dans cette magnifique personnifi-
cation de l'Art oratoire. Il en a encore rehaussé l'intérêt
par les prestiges d'une exécution merveilleusement souple
et variée, où l'habileté de main s'arrête à cette extrême
limite qu'elle ne saurait dépasser sans nuire à la grandeur
de l'ensemble.
Au même Salon Chapu avait envoyé, en marbre, un haut
relief, la Pensée, dont le modèle en plâtre avait déjà été
exposé en 1876. Cet ouvrage était destiné au tombeau de la
comtesse d'Agoult. Ce n'est pas ici le moment déjuger celle
qui, sous le pseudonyme de Daniel Stern, laissa uae œuvre
littéraire considérable, ni d'examiner jusqu'à quel point
l'auteur de Mes souvenirs, Esquisses morales, Essai de
liberté, Révolution de 1848, Dante, Gœthe, Nélida Spinoza,
MarC'Aurèle, etc., mérite l'orgUeilleux monument que la
piété d'un groupe d'amis fidèles a cru devoir élever à cette
femme de cœur qui fut un vaillant écrivain. Peut-être ses
nombreux écrits ne l'auraient-ils pas assurée contre l'oubli;
pendant de longs siècles, en tout cas, le monument de Chapu
apprendra son nom à la postérité. La Pensée, que l'artiste
a choisie pour personnifier cet esprit viril et hardi, n'a pas
la grâce pleine d'abandon de la vierge qui salue les mânes
de Regnault. Dans la plénitude de ses formes, dans la
majesté calme de sa pose, dans la mélancolie de son œil
rêveur et douloureux, on sent qu'elle a passé l'âge des pre-
mières fleurs, qu'elle a déjà l'amère expérience de la vie.
Chastement drapée dans une ample tunique, qui laisse seu-
lement voir ses bras nus, elle écarte d'une main les voiles
qui lui dérobent l'inconnu, tandis que sa tête, fortement
relevée et en pleine lumière, semble vouloir sonder les
96 CHAPU.
sphères sans limites de Finspiration. « Le geste du bras
droit, a dit M. Henry Jouin, un des plus fins critiques de la
statuaire moderne, a je ne sais quoi d'incertain et de sup-
pliant qui rend bien le caractère de Tesprit de Thomme en
face de Tinconnu. La pensée ne commande pas, elle implore,
et le statuaire a donné la mesure de son habileté en modérant
Fénergie du geste sans en atténuer Fampleur. Une ligne ser-
pentine du plus gracieux effet court depuis la main droite,
point culminant de l'œuvre, jusqu'aux pieds, d'un galbe
sévère que laisse entrevoir le vêtement. »
Chapu pour ce brillant envoi obtint une seconde fois la
médaille d'honneur. L'Académie, de son côté, voulait pour le
jeune statuaire une récompense exceptionnelle; elle joignit
son nom à ceux que la commission avait désignés pour le
prix biennal. Notre artiste avait affaire à des concurrents
redoutables : son ami Vaudremer, le savant architecte de
la ville de Paris; le sculpteur Mercié, dont le jeune talent
venait de s'affirmer par deux œuvres de premier ordre : le
Gloria victis et le David; et enfin Élie Delaunay, que ses
nombreux travaux décoratifs et la belle tenue de ses por-
traits avaient mis au premier rang des peintres contempo-
rains. Chapu, cependant, l'emporta, et le choix de l'Aca-
démie des Beaux-Arts fiit ratifié par les sections de llnstitut
réunies à la presque unanimité.
Cette éclatante marque d'estime avait mis Chapu au pre-
mier rang des sculpteurs contemporains. Désormais il n'aui-a
plus besoin de chercher des commandes ; elles lui arriveront
en foule, et c'est à peine si, malgré sa rare puissance de tra-
vail, il parviendra à tenir ses engagements. Pénétrons dans
LA GLOIRE. 9T
son atelier de la rue Notre-Dame des Champs ou dans celui
de la rue Montparnasse. Partout c'est le même encombre-
ment, la même activité. Ici, c'est une statue de Jean Cousin
qui s'achève pour la ville de Sens, un médaillon de Thiébaut
le fondeur, et un buste de Gleyre qui doit prendre place, à
Lausanne, dans le musée consacré aux œuvres du peintre ;
une grande maquette s'ébauche dans un coin, sous l'œil du
maître : c'est le monument de Le Verrier. Là, on met la der-
nière main au buste de Mme Toulmouche; un praticien
dégrossit un bloc de marbre qui sera le buste de Boucicaut;
près de lui, un élève prépare une armature, les yeux fixés
sur un modèle qui représente un prélat étendu et se relevant
dans un suprême effort d'agonisant : c'est im premier projet
pour le monument de Mgr Dupanloup. En cherchant dans
les cartons, nous trouverions de nombreuses esquisses des-
sinées pour le monument de Jean Reynaud, dont Chapu n'a
pas encore complètement dégagé l'idée symbolique et pour
lequel il hésite encore entre plusieurs projets; des croquis
pour deux figures d'enfants porte-lanternes qui doivent
décorer l'escalier d'honneur du château de Sablé, résidence
du duc de Chaulnes (1); enfin mille créations gracieuses et
d'un intérêt purement décoratif qu'il crayonne le soir et
qu'il espère pouvoir traduire en marbre ou en bronze, un
jour, quand les exigences du pubhc lui laisseront un peu de
loisir et qu'il pourra, libre de toute commande, suivre la
fantaisie de son inspiration.
(1) 1\ 8*agi86alt de deux groupes d'enfants, les uns à genoux, les autres courbes
sous le poids de la lanterne et soutenant un écusson tourné vers l'intérieur de
l'escalier. Chaque lanterne devait être surmontée d'une couronne ducale.
Chapu fit seulement quelques croquis pour cet ouvrage, qui ne fut jamais
exécuté.
98
CHAPU.
Au milieu de ces groupes afFairés d'élèves, de praticiens,
de mouleurs, Chapu circule, la physionomie souriante, don-
nant à chacun un encouragement ou un conseil. Ce n'est
pas le « professeur » moderne, bornant son enseignement à
quelques conseils techniques parcimonieusement donnés;
c'est un maître sculpteur du moyen âge, un patron vivant
au milieu d'apprentis qu'il considère un peu comme ses asso-
ciés. Son adresse naturelle, jointe à une longue pratique, a
fait de lui le plus habile des ouvriers. Aux temps difficiles de
sa jeunesse, il a touché à tous les métiers, à tous les arts qui
peuvent se rattacher à la sculpture. Il a été quelque peu
ciseleur sur cuivre, orfèvre, graveur en médailles; il maniera
aussi bien la lourde masse du tailleur de pierre que la délicate
échoppe du graveur; il saura donc enseigner à ses élèves
mieux qu'aucun autre la pratique si complexe de l'art du
sculpteur, tandis que, en les initiant à toutes ses recherches,
il développera en eux les facultés créatrices sans lesquelles il
n'est pas de véritable artiste. Ce n'est pas tout encore, et il
ne se croit pas quitte envers ces jeunes gens en leur donnant
— gratuitement presque toujours — ses conseils et son
exemple. Il juge qu'il a charge d'âmes, qu'il doit veiller à
leur vie matérielle, les préserver de la misère qui souvent
décourage et déprime le talent. C'est ce sentiment qui plus
d'une fois le décidera à accepter des travaux insuffisamment
rétribués. « A ce prix-là, écrit-il à propos d'une commande
de ce genre, je ne gagnerai rien, mais cela mettra un peu
d'aisance autour de moi. » Il dit encore, à propos d'un bas-
rehef qu'on lui propose, pour 3,000 francs : « Autrefois,
j'aurais été heureux de cette commande; je la dédaigne
maintenant, je l'accepterai cependant à condition de ne
LA GLOIRE.
99
pas l'exccuter moi-même et de la suivre seulement... Je
pense toujours à mon idée d'autrefois d'accepter tout ce
qui se présentera en faisant gagner autour de moi et en y
gagnant un peu aussi. »
Quoi, dira-t-on, Chapune faisait donc pas ses statues lui-
même? Il les faisait faire par ses élèves? Non, assurément;
mais, comme tous les sculpteurs, il se faisait aider. Aussi
bien, la placé m'est bonne pour discuter ici une légende
qui s'est accréditée dans le public à ce sujet, et expliquer
dans quelle mesure un sculpteur peut et doit même recourir
à la collaboration de ses élèves.
Pour qu'une œuvre d'art soit originale, est-il absolument
nécessaire que celui qui la signe y ait seul mis la main? En
fait de tableaux, la question est assez délicate, et nousn'ose-
rions la résoudre. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que,
il y a deux siècles, on était certainement moins scrupuleux
sur ce point qu'on ne l'est aujourd'hui. L'art n'était alors
considéré que comme le plus noble des métiers manuels, et
le peintre, qui le plus souvent tenait boutique, que comme
un marchand vendant au public sous sa responsabilité les
produits de son pinceau. Sa signature n'était donc qu'une
sorte de marque de fabrique ; il nous semble que, dans ces
conditions, il pouvait, sans scrupule de conscience, signer
de son nom un travail qu'il n'avait fait qu'en partie, ou qu'il
avait seulement inspiré. Cette hypothèse, que nous hasar-
dons sans preuve absolue, nous semble confirmée par les
faits. Il nous semble, en effet, matériellement impossible
que les Véronèse, les Tintoret et les Rubens aient pu, mal-
gré leur fécondité, exécuter seuls les immenses travaux
qu'ils ont signés de leurs noms. Sans doute, ils composaient
100 CHAPU.
et exécutaient seuls leurs esquisses; sans doute, ils se réser-
vaient, dans l'exécution définitive, les parties les plus impor-
tantes et les plus délicates; mais il est plus que probable
que ce travail leur était préparé par des mains habiles, et
depuis longtemps habituées à leur manière de procéder.
Pour les sculpteurs, la part de collaboration qu'ils ont
dû, de tout temps, demander à leurs élèves n'est pas moius
évidente, et elle nous paraît encore plus légitime. Il n'est
personne, en effet, qui ne sache l'immense somme de travail
manuel qui doit être dépensée avant qu'un bloc de marbre
se soit transformé en statue (1). Il est donc de toute néces-
sité que l'artiste se fasse seconder par certains ouvriers
d'art, qui, tout en mettant au service du maître une intelli-
gence et un savoir souvent remarquables, ne font que lui
préparer la besogne. Grâce à cette intelligente collabora-
tion qui n'ôte à l'œuvre rien de sa valeur originale, l'artiste
peut ainsi exécuter en quelques mois une statue qui, autre-
ment, lui coûterait souvent plusieurs années de travail
stérile. Que, dans un moment de presse, Chapu ait confié
à un de ses élèves l'exécution d'un bout de draperie ou
d'un accessoire sans importance, cela est fort possible et
(1) Quand l'œuvre a été dégrossie par la mise au point, travail qui, depuis
l'invention du pantographe, est purement mécanique et n'exige que des bras
vigoureux, le praticien, qui est le plus souvent un artiste de talent, se livre sur cette
forme rudimcntaire à un travail plus minutieux, en copiant le modèle qu'il a sous
les yeux; il ne doit pas toutefois que préparer l'œuvre, et dans ce Lut il laisse
sur toute la surface du marbre une épaisseur, une croûte de deux ou trois milli-
mètres; c'est sur cette dernière enveloppe que s'exercera le ciseau du sculpteur,
c'est là qu'il pourra montrer librement son habileté personnelle. Souvent l'artiste
n'est pas entièrement satisfait de son modèle en plâtre ou en terre : il indique
alors au praticien, au moyen de petites pointes, les parties qui lui semblent défec-
tueuses; ces parties sont alors laissées inachevées par le praticien, afin que le
sculpteur puisse les terminer à son gré
LA GLOIRE. 101
ne nous scandalise nullement : ce que nous pouvons affir-
mer, ce qui ressort nettement de sa correspondance, c'est
sa haute probité artistique. Peu d'années après la guerre,
un concours fut ouvert pour élever un monument à la mé-
moire d'un patriote célèbre d'un pays ami de la France.
On fit savoir à Chapu que le jury désirait le voir prendre
part au concours, en lui donnant Tassurance formelle que
son projet serait choisi. Le sculpteur n'était alors qu'à l'au-
rore de sa gloire, et une telle commande le tentait. 11 la
refusa cependant, jugeant qu'une telle façon d'agir serait
une duperie pour les autres concurrents. Plus tard, il refusa
des propositions superbes, — 100,000 francs, je crois, —
qu'on lui fit tenir pour une statue de Washington, crai-
gnant, en raison de ses occupations, de ne pouvoir y ap-
porter tout le soin désirable.
L'Exposition universelle de 1878 permit à Chapu de
montrer au pubUc, dans un ensemble d' œuvres remarqua-
bles, la variété comme la fécondité de son talent. Tandis
que dans la salle réservée à la ville de Paris se dressait son
Monument de Berryer, il était représenté à la section fran-
çaise des Beaux-arts par son Semeur et par les bustes de
Vitet, de Montalembert et de Le Play. Ces différents envois
lui auraient certainement valu une haute récompense s'il
n'avait, dès le début de l'Exposition, demandé à être mis
hors concours. Chapu, en effet, faisait partie du jury de
sculpture, et, avec sa droiture et son bon sens habituels, il
avait estimé qu'il ne pouvait être à la fois juge et partie.
Nous ne parlerons que pour mémoire des qualités qu'il
déploya dans ces délicates fonctions, de son zèle, de l'esprit
équitable et conciliant qu'il montra dans différentes circon-
102 CHAPU.
Stances. Chapu était de ceux pour qui la voix du devoir
parle impérieusement, et quand il avait accepté une tâche,
il tenait à honneur de la remplir scrupuleusement; aussi le
voyons-nous pendant tout cet été 1878 uniquement occupé
des intérêts qu'il représente et leur sacrifiant ce qu'il y a
de plus précieux et de plus cher, son temps et son amour
du travail.
D'importantes commandes, cependant, attendaient leur
achèvement dans les ateliers du maître : c'étaient les bustes
du jeune d'Assailly, du marquis et de la marquise de
Nicolaï, d'Aristide Boucicaut, le fondateur du Bon Marché,
et surtout une statue de Jean Cousin, le grand artiste bour-
guignon, que la ville de Sens réclamait avec impatience.
Chapu espérait pouvoir envoyer cette oeuvre, à laquelle il
travaillait depuis longtemps, au Salon de 1879; mais les
nombreuses occupations de l'année précédente l'empêchè-
rent de la terminer dans les délais voulus. Il dut donc se
contenter d'envoyer à cette Exposition le buste de Boucicaut
et la statue du jeune Desmarres, fils du médecin de ce nom
et petit-fils de Bobert-Fleury . Cette oeuvre, qui, pour la plu-
part des simples curieux, passa inaperçue, mérite cepen-
dant de nous arrêter un moment , car elle montre combien,
par le style, un artiste peut transformer les sujets les plus
simples. De grandeur naturelle, l'enfant se présente de-
bout, en veston et en culotte courte, une main pendante,
l'autre dans sa poche. Il est facile de comprendre combien
une pareille donnée offre peu de ressources à l'imagination
d'un sculpteur, qui ne peut y déployer que des qualités
d'exécution; l'artiste, cependant, à force d'habileté intelli-
gente et de goût, triompha de ces difficultés et fit, au lieu
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LE JEUNE DESMARRES
Statue marbre.
LA GLOIRE. 103
de la banale effigie qu'on pouvait attendre, une œuvre d'un
charme tout spécial. « Aux mains d'un sculpteur italien, a
tt dit excellemment M. Jouin, un ouvrage de ce caractère
« serait devenu un sujet de genre; Chapu Ta grandie par
« son style. Placée dans une galerie publique, elle n'inté-
M resserait pas moins que le Henri IV enfant de Bosio. »
La statue de Jean Cousin fut inaugurée à Sens, le 15 oc-
tobre 1880; L'image du grand artiste, en qui s'incarne
l'aurore de l'École française, s'élève sur une colonne à
double chapiteau, au centre d'une des places de la ville de
Sens. Chapu nous l'a représenté sous les traits d'un homme
d'âge mûr, à la figure énergique et dans le costume d'un
artisan du seizième siècle. Debout, la tête coiffée d'un large
chaperon, il tient dans la main gauche une statuette an-
tique, tandis que, de la droite, il la mesure avec un compas.
Une sculpture ébauchée qui semble l'esquisse de sou tom-
beau de l'amiral Chabot, des pinceaux, une masse et différents
accessoires indiquent heureusement toutes les branches de
l'art où excella celui que l'on a surnommé, à bon droit, le
Michel-Ange français. Sans vouloir exagérer la portée de
cette œuvre, on peut dire qu'elle personnifie dignement une
grande et noble figure d'artiste que ses contemporains,
éblouis par les merveilles de l'art italien, n'ont pas apprécié
à sa juste valeur.
Le monument élevé à Schneider (1) par la reconnais-
(1) Schneider (Joteph-Eugcne) , industriel et homme politique français, né à
fiedestroff (Meurthe), le 29 mars 1805, mort le 27 novembre 1875. A peine âgé
de yingt-cinq ans, il fut appelé à la gérance de l'établissement métoUurgique du
Creusot, qui, sous sa direction, semble avoir atteint son maximum de prospérité.
Non moins que ses qualités d'administrateur, il convient de louer les heureuses
tentatives qu'il fit pour améliorer les conditions des nombreux ouvriers qu'il diri-
104 CHAPU.
sance des ouvriers du Creusot mérite de nous '
longtemps. Ce n'est pas la statue même de '
dent du Corps législatif, très ressemblant
faut en croire ceux qui l'ont connu et r'
louer la belle et simple ordonnance
mérite de Tœuvre, mais le groupe
([ue Chapu, fidèle à sa poétique
le piédestal du monument. L'a
la Reconnaissance par une
aux traditions de la myth^
paraître obscur aux e?
chaque jour contemf'
de la façon la plu?
pied de la statue
tume qui est
d'elle un je*
bras nerv
un tra'
mont
de- -..■ !!•
s « : I ! . ' j '• ► '
.^■<l.
SCHNEIDER
Croquis pour sa statue, au Creuset
LA GLOIRE.
105
de rexéciition serait superflu; ce qui est caractéristique,
c'est rheureuse hardiesse avec laquelle Chapu a abordé un
sujet contemporain sans vouloir employer aucun artifice
emprunté aux vieilles traditions, c'est la beauté sculpturale
qu'il a su trouver dans ce sujet, vulgaire en apparence et
qui, aux mains d'un artiste moins habile, serait facilement
devenu trivial. En cela, il peut être regardé comme un
initiateur, car si la peinture avait depuis longtemps déjà
pressenti l'héroïsme de la vie moderne, la sculpture s'en
était presque toujours tenue aux vieux mythes, et, soit im-
puissance, soit paresse, n'avait jamais osé, sauf dans de
timides bas-reliefs, représenter des sujets maladroitement
empruntés aux travaux de notre vie quotidienne. Il est vrai
que, pour en dégager le côté épique, il faut toute la maîtrise
d'exécution et toute la sincérité clairvoyante d'un maître.
Pour s'en convaincre, il suffit de voir les nombreuses sta-
tues qu'un naturalisme servile a enfantées depuis quelques
années.
Cette année-là, Chapu fut chargé, ainsi ([ue les peintres
Hébert et Cabanel, d'une délicate mission. Une Exposition
internationale des Beaux-Arts avait été organisée à Munich,
et la France avait résolu d'y prendre part. Malgré les
aimables assurances du comité bavarois, notre gouverne-
ment n'était pas sans inquiétude sur l'accueil qui serait
réser\'é à nos artistes, et craignait que le moindre incident
ne vînt raviver des blessures à peine cicatrisées. Grâce
à la bonne volonté de tous, mais surtout grâce à la char-
mante simplicité de notre sculpteur, l'art français fut
cordialement accueilli. Cette Exposition de Munich, où
106
CHAPU.
nous partagions, avec M. Lafenestre, Thonneur de repré-
senter la France, nous valut l'occasion de vivre, pen-
dant quelques jours, dans Fintimité de Chapu, et nous
pûmes apprécier, dans de longues promenades faites ensem-
ble à travers la ville, Timpeccable certitude de son juge-
ment, la pureté de son goût, et aussi l'exquise bonhomie
de ce cœur candide, qui, malgré les desséchantes leçons de
l'expérience, n'avait rien perdu de sa naïveté et de sa fraî-
cheur. Ne connaissant jusque-là l'artiste que par ses œuvres,
nous eûmes, il faut l'avouer, une légère surprise, quand
nous le vîmes débarquer un soir d'un des wagons de l'express
de Vienne. Nous avions peine à voir le sculpteur de la Jeu-
nesse dans cet homme de petite taille, à la barbe et aux
cheveux longs, dont la figure n'offrait rien de remarquable,
sauf d'assez beaux yeux, au regard lumineux et doux. Tous
les vêtements semblaient mal faits pour ce corps d'ouvrier
auquel, seul, l'ample veston d'atelier donnait une sorte de
grâce robuste. Dans les cérémonies publiques, il se tenait
volontiers à Técart, ne parlant que lorsqu'il y était forcé ;
en revanche, dans l'intimité, et avec ceux qui avaient su
gagner sa confiance, il causait volontiers de son art avec un
charme ému et une absence de pédantisme qui donnaient à
sa conversation un charme irrésistible. Que de bonnes heures
nous avons passées ainsi à déambuler sur les bords ver-
doyants de risar, après une journée fatigante, en quête de
quelque auberge de banlieue dont Chapu aimait la rustique
et grasse hospitalité ! Là, délivré de toute contrainte, il don-
nait libre cours à sa verve et aimait à évoquer ses souvenirs
de jeunesse : les petites misères de l'atelier, Rome, les dures
épreuves du début, la joie des premiers succès. Puis il nous
LA GLOIRE.
107
racontait ses grandes impressions d'art : les fresques de
Raphaël, le Discobole du Vatican, le musée de Pompéi.
Son cœur, au reste, était demeuré aussi vibrant que par le
passé, et les manifestations les plus opposées du Beau Ten-
flammaient d'un noble enthousiasme : c'est ainsi que nous le
vîmes tour à tour épris des beaux marbres d'Égine que con-
serve la Glyptothèque, et des sculptures primitives alle-
mandes dont il aimait la naïve sincérité...
Ne pouvant donner en détail les nombreuses œuvres que
l'artiste exécuta pendant cette période, nous avons cru devoir
insister sur celles qui présentent un intérêt exceptionnel. Il
nous faut cependant, tout au moins, signaler un certain
nombre de sculptures décoratives, de bustes et de médailles
dont le sculpteur, de 1870 à 1880, enrichit le trésor artis-
tique de la France. Parmi les portraits, les plus remar-
quables sont celui de Robert de Vogiié, le fils du vieux
marquis, tué à l'ennemi en 1870, en chargeant héroïquement
à la tête de son escadron; le masque de Mérino, exécuté,
en 1877, pour la ville de Genève, et les belles médailles
du sculpteur Guillaume, de Robert-Fleury père, de Vau-
dremer, de l'architecte Trélat. Parmi les ouvrages décora-
tifs, il faut citer une statuette de saint Joseph pour l'église
Saint-Augustin, un Sphinx pour un monument élevé à la
mémoire des soldats français morts en Belgique (1), une
tête colossale de Minerve pour un hôtel particulier à Franc-
(1) Nous extrayons les passages suivants d'une lettre reçue par Chapu à l'occa-
sioD de l'inauguration de ce monument : a Le sphinx, tant bien que mal réparé (?),
a été bien accueilli; c'est même beaucoup mieux en nature que la photographie
que nous avions. Placé sur une éminence, il se détache sur l'horizon... C'est
grand, simple et d'un bel effet. Votre œuvre a été acclamée aux cris de : Vive la
France ! vive la Belgique ! ■
108 CHAPU.
fort, et enfin une statue de Jésus ouvrier y qui, fondue en
argent, fut offerte par l'Union des œuvres ouvrières de
France au pape Pie IX, à Foccasion du cinquantième anni-
versaire de son épiscopat (1).
Bien que la critique continuât d'apprécier favorablement
ses œuvres, Chapu, depuis 1875, n'avait jamais retrouvé
l'éclatant concert d'éloges qui avait salué sa Jeunesse. Il
devait retrouver cette unanimité dans l'admiration à propos
de la figure qu'il exposa en 1880 pour le monument de Jean
Reynaud (2).
(1) II nenouR n pas été donné de voir cette statue, et nous ne savons pas davan-
tage où elle se trouve aujourd'hui; mais voici la description qu'en donne V Uni-
vers du 7 juin 1877 :
« C'est le type idéalisé de VHomme-Dieu que nous offre le bronze de M. Chapu.
Jésus nous apparaît debout, son maintien est grave sans rigidité; il fait un pas en
avant, on voit qu'il s'avance à la rencontre de ceux qui souffrent et on com-
prend mieux, en le regardant, l'expression du poète latin qui nous montre Énée
reconnaissant sa mère, avant même de distinguer ses traits, à la seule divinité de sa
démarche : Incessu patuit.,. — La main gauche s'appuie sur la besaiguë, l'instru-
ment caractéristique du charpentier, tandis que la main droite s'abaisse avec bonté
et convie. Rien n'est plus simple, comme on le voit; mais cette simplicité, si con-
forme d'ailleurs aux principes de l'art statuaire, est précisément ce qui donne à
cette œuvre sa marque immuable de vérité et de grandeur.,.
« Le caractère des formes qui accuse, dans les lignes du corps et du visage,
l'origine divine du personnage n'a pas fait oublier au sculpteur que ce personnage
avait été ouvrier. Regardez, en effet, la chevelure et les vêtements, et vous y lirez la
signification, la convenance spéciale imposées par les nécessités du travail. Les
cheveux sépares sur le milieu du front dont ils encadrent la douce majesté n'ont
garde de flotter sur les épaules, ce qui entraverait le mouvement du travailleur;
ils demeurent réunis en boucles épaisses, laissant au cou toute sa liberté d'action.
D'autre part, la tunique, ceinte au milieu du corps, tombe en plis sobrement
drapés; ce n'est pas la robe majestueuse du Thabor, soulevée par l'esprit de Dieu,
c'est l'humble livrée de l'apprenti dont la manche se relève sur le bras droit, qui
se trouve ainsi plus apte à travailler, plus prompt à secourir. »
(2) Reynaud (Jean), philosophe français, né à Lyon en 1806, mort à Paris le
28 juin 1863. Élève de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole des mines, il passa les
premières années de sa vie au service de l'Etat; mais les idées de réforme poli-
LA GLOIRE. 109
C'est vers 1877 que la veuve de Jean Reynaud fit deman-
der à Chapu s'il voulait se charger d'une composition allé-
gorique pour le tombeau de son mari. L'artiste, tout
d'abord, hésita. Il était surchargé de commandes; de plus,
il faut bien le dire, c'est à peine s'il connaissait le nom de
l'auteur de Ciel et terre. Pour ses écrits, il les ignorait com-
plètement. Une comprenait donc pas, tout d'abord, à quelle
originale et puissante figure il avait affaire. Bravement il se
mit à lire l'œuvre du philosophe, et si son âme simple et
peu compliquée fut un peu déroutée par le mysticisme
abstrait de certains systèmes, il goûta tout de suite ce
qu'elle renfermait d'idées généreuses et de théories con-
solantes. Il s'intéressa tout d'abord, puis, peu à peu, se
passionna pour cette âme si noble et si vibrante, si sévère
pour elle-même, si tendre pour toutes les souffrances
tique et sociale qui travaillaient alors tant d'esprits l'éloignèrent bientôt de la
carrière qu'il s'était choisie. Il fut quelque temps un des plus fervenU disciples
du saint-simonisme , mais il ne tarda pas a rompre complètement avec le Père
Enfantin, dont il désappprouvait le matérialisme, tout en restant fidèle à ses théories
humanitaires. En même temps, dans Y Encyclopédie nouvelle qu'il avait fondée
avec Pierre Leroux, il esquissait tout un système de philosophie spiritualiste qu'il
devait développer plus tard dans son livre : Ciel et terre. Une condamnation poli-
tique qu'il subit pour avoir défendu, d'une façon qui fut jugée outrageante pour
le gouvernement, la société des Droits de Chomme, le désigna aux sympathies
des républicains. En 1848, il fut nommé député et collabora aux reformes de
Carnot, dont il était le sous-secrétaire au ministère de l'instruction publique. En
1849, il rentra dans la vie privée pour ne plus en sortir.
Bien que peu connu du gros public, Reynaud a laissé, dans le monde des philo-
sophes, la réputation d'un grand penseur et d'un écrivain disliugué. M. Legouvc,
dans ses Soixante ans de souvenirs y a donné de lui un portrait frappant : « Le lire,
dit-il, c'était sans doute le connaître; mais pour le comprendre, il fallait le voir.
Ce regard incomparable, ce mélange singulier d'austérité un peu hautaine et de
cordialité pleine de bonhomie; celte bouche où le rire s'épanouissait si largement
et qui tout à coup, à l'aspect d'un vice, devenait si frémissante, on peut dire si
terrible d'indignation et de mépris; cette belle taille d'allure si fîère, cette parole
dont l'éloquence allait toujours grandissant à mesure qu'il parlait... »
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L'IMMORTALITÉ
Premier projet pour le tooibeau de Jean Reynaud. Cimetière du Père-Laohaisc.
110 CHAPU.
humaines. Cependant, Tinspiration ne venait pas, etl'artiste,
après beaucoup d'efforts infructueux, allait s'avouer vaincu,
lorsque Mme Reynaud eut Theureuse idée de lui amener
un des plus vieux amis de son mari, Ernest Legouvé.
Nous emprunterons au charmant conteur de Soixante
ans de souvenirs le récit de cette visite, qui sans doute nous
a valu un chef-d'œuvre de plus.
« J'arrive chez Chapu et je le trouve très découragé.
« Je n'aboutis pas, me dit-il, je retombe toujours dans mes
« deux statues de la Jeunesse et de la Pensée, Tenez, regar-
tt dez... » Après un examen attentif : « Il y a, ce me
u semble, un moyen d'arriver au but. — Lequel? —
« Changez votre figure de sexe. Au lieu d'une femme,
« faites-eu un homme. Au lieu de V Immortalitéy faites le
« Génie de l'Immortalité, Cette seule modification renou-
« velle tout, la forme, l'allure, l'expression; vous voilà for-
ci cément arraché au souvenir de vos deux autres œuvres,
tt et, du même coup, vous entrez pleinement dans le carac-
«t tère de Reynaud. Reynaud était avant tout un homme!
ti Une image virile peut seule être son image, et, ainsi com-
« prise, cette figure deviendra en même temps la représen-
«t tation fidèle de son génie... Voulez-vous que je vous le
« résume en quelques mots? J'appelais Reynaud un citoyen
" de rinfini. Il vivait en plein univers. La terre n'était pas
«* pour lui le séjour où s'accomplit notre destinée. C'était
ti une des étapes de notre existence éternelle! Autant
u d'astres dans le ciel, autant de terres, autant d'habitations
« successives des créatures humaines. Cette idée n'était pas
« seulement chez lui une idée de théologien ou de philo-
« sophe. C était une idée de savant. Astronome, géologue,
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L'IMMORTALITÉ
Premier projet pour le tombeau de Jean Reynaud. Cimetière du Père-Laehaifte.
LA GLOIRE. 111
tt physicien, chimiste et supérieur dans toutes ces sciences,
a il s'en servit, non comme les savants ordinaires, pour en
tirer des livres scientifiques, mais pour en faire des instru-
« ments de croyance. C'est l'étude approfondie de la con-
ft stitution des astres et de leur mouvement dans l'espace
B qui le conduisit à les assimiler à la terre, à y retrouver les
a mêmes éléments et à leur donner la même destination.
« L'immortalité de l'âme, telle que la conçoit Reynaud, est
" donc une immortalité active, militante. Tout homme est
« un lutteur éternel. Toute vie se compose d'une suite de
« vies qui ne sont qu'une suite de combats. Chacun de nous
« passe éternellement de monde en monde, travaillant,
«' tombant, se relevant, se rachetant, jusqu'au jour où il
ii entre dans la voie du perfectionnement continu et infini,
«i sous les yeux d'un créateur éternel qui, lui aussi, reste
« toujours son guide, son consolateur et son juge. —
u C'est assez, me dit Chapu, je comprends. Lancer la figure
tt en plein ciel, la montrer s'emparant de l'Infini et la ratta-
tt cher, ne fût-ce que par le bout du pied, à la. terre! »
Ainsi fit-il, et il fit un chef-d'œuvre.
Chef-d'œuvre! Le mot n'a rien d'exagéré, et par l'idée
comme par la forme la nouvelle création de Chapu mérite
(le prendre place parmi les plus belles œuvres sculptées de
ce siècle. La figure est en haut relief, c'est-à-dire que, en
restant sensiblement méplate, elle offre les apparences
d'une statue de ronde bosse : le génie, dans une envolée
superbe, s'élance dans le ciel. Mâle et juvénile à la fois, il
s'enlève sans efforts, mû par quelque force surnaturelle, la
tête relevée dans une radieuse extase, les bras tendus
comme pour étreindre l'Infini. Il a déjà dépassé le cercle ud
^
112 CHAPU.
Zodiaque et nage en plein éther dans ce mystérieux Cosmos,
où si souvent la philosophie a égaré ses rêveries, tandis
que, sur la terre qu'il vient de quitter, se dresse à Thorizon
un lion, impassible et fort comme le Temps.
Il faudrait être sculpteur pour faire sentir comme il con-
viendrait les beautés de Texécution, la science approfondie
de la forme humaine, le modelé si large et si savant de ce
beau corps d'éphèbe, l'habileté avec laquelle Tartiste, pour
mieux indiquer ce que sa figure a d'immatériel, a su en
noyer certains contours dans les draperies qui Tentourent
et la fondre pour ainsi dire daus le bas-relief du fond. Ce
qui est incomparable, ce que, seule, la contemplation de
l'œuvre peut faire comprendre, c'est la façon dont Tidée
se dégage sans aucun attribut symbohque et par le seul
pouvoir d'une pensée qui s'impose. « Le Génie de l' Im-
mortalité^ a dit un critique, est un hymne spîrituatiste;
le personnage s'élève vers les hauteurs comme les stances
sacrées ou les parfums de l'autel. Par là, Chapu a atteint
les plus hauts sommets de son art. Il a écrit sur le tom-
beau de Reynaud le plus simple et le plus lumineux com-
mentaire de ses œuvres, et, en même temps qu'il lui a fait
une magnifique apothéose, il a résumé, sous une forme
concrète, tout ce que sa philosopliie a de noble et de récon-
fortant. »
Au même Salon, Chapu avait envoyé une statue de Le
Verrier, qui, par suite de difficultés d'ordre administratif,
ne devait être inaugurée que neuf ans plus tard. Debout,
dans une attitude expressive, la main di'oite faisant le geste
de la démonstration, le grand astronome semble expliquer
la découverte qui fit sa gloire. L'œuvre est vivante, s'enlève
LA GLOIRE. 113
bien, et les lignes en sont heureuses. Un paletot, largement
drapé, corrige dans la mesure du possible ce que l'uniforme
académique, dont Fartiste a revêtu son modèle, peut avoir
d'empesé et de peu sculptural, et la figure, d'une réalité
toute moderne, ne manque pas d'allure. Chapu a su en
relever l'intérêt par certains détails pittoresques, notamment
par une délicieuse figurine d'Atlas qui supporte la sphère
céleste oii Le Verrier désigne du doigt la planète qui doit
porter son nom. On reprocha au sculpteur d'avoir trop
idéalisé la figure de l'astronome et de lui avoir prêté une
expression d'enthousiasme jeune et confiant qui lui conve-
nait mal. N'ayant jamais, dans notre jeunesse, eu l'occa-
sion de voir le savant directeur de l'Observatoire, nous ne
saurions décider si le portrait est ressemblant; mais nous
ferons observer que, à l'âge qu'a choisi Chapu, Le Verrier
avait tout juste trente-cinq ans, et que la double auréole de
la jeunesse et de la gloire pouvait transfigurer son visage
au point d'en effacer tout ce qu'il présenta plus tard, à ce
qu'il parait, de vulgaire et de refrogné. En tout cas, on
n'y pouvait trouver, sans anachronisme, l'homme vieilli,
fatigué et maussade que notre génération a pu connaître.
La statue de Le Verrier dresse aujourd'hui dans la cour de
l'Observatoire de Paris sa fière et vibrante silhouette. Sur
les deux faces latérales du piédestal, Chapu a également
sculpté dans la pierre deux gracieux bas-reliefs. Celui de
gauche représente Y Astronomie traçant l'orbite de la pla-
nète découverte par Le Verrier, avec la seule rigueur des
calculs mathématiques; la seconde représente la Météoro-
logie désignant de la main l'Observatoire d'où paitent
toutes les découvertes.
8
114
CHAPU.
Un suprême honneur manquait encore à Chapu. L'Aca-
démie, où il avait depuis longtemps de précieuses sympa-
thies, n'attendait qu'une occasion pour hii ouvrir ses portes.
Il s'était déjà présenté en 1876 (1), mais pour prendre rang
seulement. La mort de Henri Lemaire créa en 1880 une
nouvelle vacance. Cinq artistes de valeur se disputèrent
son fauteuil : Crauck, Falguière, Millet, Schœnevrerk et
Chapu. Chapu fut élu par vingt-trois voix sur trente-deux
votants (23 octobre 1880). Il avait alors quarante-sept ans.
(1) Paul Dubois fut élu avec vingt et une voix, contre six données à notre
sculpteur. Ce n'était pas, du reste, la première fois que Chapu se présentait. Il avait
posé sa candidature à la mort de Barye.
^V!y'^
TETE DE MINERVE.
Fronton de porte pour un hôtel particulier.
CHAPITRE IV
DERNIERES ANNEES DE CHAPU
En lisant ce titre, le lecteur pourrait
croire que nous touchons à une phase
critique du talent de Chapu; il n'en est
rien. Jusqu'au dernier jour il poursuivra
sans défaillance sa laborieuse et féconde
carrière, et les œuvres qu'il enfantera
dans la suite, la Duchesse d'Orléans,
la Princesse de Galles, Mgr de Bonne-
chose, le Monument de Flaubert, etc.,
seront dignes de leurs aînées. Si nous
avons fermé le chapitre précédent sur
la réception de l'artiste à l'Institut
c'est que son talent a reçu avec ce suprême honneur toutes
les consécrations officielles que peut souhaiter un artiste.
Il est désormais au point culminant de sa carrière, et les
nombreux succès qu'il obtiendra par la suite ne feront que
maintenir la haute réputation dont il jouit parmi ses con-
temporains.
Il est bien loin, aujourd'hui, le temps où l'artiste végétait
dans un petit logement du boulevard des Invalides, heureux
de la plus chétive commande. Trois ateliers suffisent à peine
VICTOIRK.
Statuette en argent.
116 CHAPU.
à loger les ouvrages qu'il a promis, et quand il les quitte,
sa journée finie, c'est dans un bel appartement que 1 atten-
dent une femme tendrement aimée et une fille adoptive sur
qui se concentrent toutes ses tendresses. Dans toutes les
classes de la société parisienne, il compte des amis nom-
breux et puissants, et plus d'une maison princière lui ouvre
ses portes toutes grandes.
Il serait puéril de prétendre que Chapu u'a pas vu venir
à lui avec une légitime satisfaction ces enviables marques
d'estime ; toutefois, pendant les dernières années de sa vie,
nous le voyons regretter la gloire un peu bruyante dont on
entoure son nom. Homme d'étude et de pensée, que le
mpnde et ses vaines satisfactions d'amour-propre n'ont j amais
pu conquérir, Chapu aurait souhaité n'être en rapport avec
le pubhc que par ses œuvres; il eût voulu vivre à Técart,
loin de la foule, caresser en silence ses rêves d'artiste et,
dégagé de toute influence, de toute préoccupation mercan-
tile, pouvoir exécuter à loisir un certain nombre de statues
à demi ébauchées dans son cerveau et dont l'idée première
se retrouve dans ses albums de croquis. Quoique jeune
encore, il se sent prématurément usé par une vie de travail
sans trêve, et il aspire à un repos relatif. « J'ai été bâti pour
conduire une charrue, et non pour les mille tracas de la
ville », écrit-il à sa femme. Un peu plus tard, daus une
lettre également adressée à sa femme, nous trouvons cette
délicate pensée, qui peint bien l'homme : « C'est drôle, pen-
dant que tu fais des rêves de grandeur, moi, c'est tout le
contraire; je descends aussi bas que tu montes haut... je
trouve que je n'ai plus la vigueur d'autrefois, que je vieillis
et que je pourrais bien n'en avoir plus pour longtemps. Je
DERNIERES ANNEES. 117
me demande si, dans ces conditions, je ne ferais pas mieux
de profiter du peu qui me reste pour aller me reposer
dans une cabane et finir tranquillement mes jours à jouir
de la vie en spectateur paisible... Si tu voulais m'accom-
pagner dans cette retraite, je serais le plus heureux des
hommes. »
C'est à Rome que Tartiste voidait demander cette vie
paisible et recueillie, à cette Rome qui avait bercé ses pre-
miers rêves d'artiste et qu'il n'avait jamais revue depuis
son départ de l'Académie. Plusieurs fois, il fut sur le point
d'exécuter son projet; mais il fallait auparavant terminer
les commandes « en train » . Quand celles-ci furent ache-
vées, d'autres, plus nombreuses, avaient pris la place des
premières. Force lui fut donc de renoncer à ses idées de
retraite et de continuer la rude existence qu'il menait depuis
sa jeunesse. Si encore il n'avait eu qu'à s'occuper de son
métier de sculpteur ! Mais, avec la gloire, de nombreuses
occupations lui étaient venues qui lui prenaient le meilleur
de ses journées. Outre ses élèves particuliers, il avait accepté
la direction d'un des ateliers Julian et d'une école de jeunes
filles ; il faisait partie du Conseil supérieur des beaux-arts,
de la Commission des beaux-arts de la ville de Paris et de
celle de l'Union centrale des arts décoratifs. Chaque fois
^ ([u'une élection avait lieu, soit pour le jury annuel, soit
j pour juger un de ces mille concours si fort à la mode
aujourd'hui, son nom sortait un des premiers de l'urne.
Chapu, obéissant à des scrupules exagérés peut-être, n'osait
refiiser ces corvées qu'il regardait comme un service public
auquel nul n'avait droit de se soustraire. Il apportait dans
ces fonctions sa conscience et sa bonté habituelles, et toute
I
I
118 CHAPU.
cause juste trouvait en lui un défenseur chaleureux et
dévoué. Aussi que d'heures perdues en discussions, en sol-
licitations, en démarches de toute nature! « Ma boutique
ne désemplit pas, écrit-il un jour dans un moment d'amer-
tume; je suis las de voir une foule de gens qui viennent se
recommander ou recommander les autres. » Il ne veut pas
cependant fermer sa porte, ému par toutes les misères
qui l'implorent, et comprenant que si quelques-unes sont
feintes, beaucoup sont réelles autant qu'imméritées. Ses
lettres et aussi ses livres de comptes disent éloquemment
l'inépuisable bonté de son cœur. Tantôt c'est un modèle
devenu phtisique à la suite de longues séances dans le froid
des atehers qu'il fera rapatrier, tantôt c'est un confrère
que la maladie a terrassé et dont il achèvera l'œuvre pour
lui permettre d'en toucher le prix.
Puis, ce sont les anciens camarades de l'artiste, ceux
« qui n'ont pas réussi », un défilé lamentable de talents
avortés, d'amours-propres aigris, d'intelligences déprimées
par la misère et qui sollicitent humblement, l'un, une place
de professeur; l'autre, une modeste commande; le dernier,
quelque bout de ruban violet. Qu'elles sont tristement
suggestives, ces lettres où, sous la plate flagornerie du qué-
mandeur s'adressant au « cher maître », perce l'âpre jalousie
d'un ancien rival forcé de s'avouer vaincu! Quels curieux
« dessous » elles révèlent sur ce monde si complexe des
artistes! Ici, c'est un peintre ayant pignon sur rue et
menant grand train, qui, malgré le haut prix où sont cotées
ses œuvres, va supplier un ministre de lui acheter son
tableau, décidé, dit-il, de se tuer si on ne lui accorde pas
cette faveur. Là, c'est un ancien prix de Rome, décoré, à
DERNIERES ANNEES. 119
qui il faut du pain et qui offre à Chapu d'être son praticien.
A côté de ces détresses, plus ou moins imméritées, d'autres
se révèlent plus poignantes. Voici quelques détails sur la
mort de Carpeaux : « X...,le praticien de Carpeaux, m'a
raconté le dénuement des derniers jours, avant que le
prince Stirbey le prenne sous sa protection. X... et un
autre de ses amis avaient épuisé toutes leurs ressources ; ils
n'avaient plus de quoi lui procurer les médicaments néces-
saires. Encore quelques jours, et on était obligé de le porter
à THôtel-Dieu. Les détails de cette fin sont lamentables,
dramatiques comme un roman; tout avait été porté au
Mont-de-Piété, habits, montre, outils. On n'imagine pas
qu'un homme de cette valeur ait pu en venir là. » Quelques
années plus tard, il parle en termes émus de Schœ-
newerk (1), un artiste de valeur, cependant, et qui a taillé
dans un marbre exquis une des plus gracieuses statues de
femmes de ce temps, qui « est en proie à la plus noire
misère avec une femme agonisante » . Le contraste de ces
détresses avec sa prospérité qui n'a jamais été aussi grande
ne lui enfle le cœur d'aucun orgueil. Il a conscience de son
talent, mais il sait aussi faire la part de certains hasards
heureux qui l'ont si puissamment aidé dans sa carrière :
« Si je pouvais te peindre les souffrances du plus grand
nombre, écrit-il encore à sa femme, tu éprouverais une
sorte de bien-être en voyant combien je suis favorisé. Il
faut profiter de ce bon moment qui peut ne pas durer. » Ce
(1] Schœnewerk (Alexandre), sculpteur, né en 1820, mort en 1885, 8e tua dans
un accès de fièvre chaude en se précipitant de la fenêtre de sa chambre. Il est
l'auteur d'un grand nombre de belles œuvres, entre autres une Saloméy une Leda,
et la gracieuse figure de femme intitulée : Au matin, qui figure au Musée du
Luxembourg.
lîO CHAPU.
qui Teffraye le plus, c'est la crainte qu'il a de survivre à son
talent : « J'ai été voir X. . ., raconte-t-il dans la même lettre.
Il a exécuté une figure de femme d'après nature, assez
correcte, mais faible, et un médaillon. CeJa fait de la peine
de voir des vieillards n'ayant que d'aussi faibles moyens
pour vivre, et j'en ai le cœur serré... Le pis est qu'ils ne
s'en aperçoivent pas; sans cela, ils feraient autre chose. 11
vaut mieux cultiver la terre ou faire n'importe quoi que de
faire métier d'art sans amour. J'espère que je n'en arriverai
jamais là, et c'est ce qui me soutiendra jusqu'à la fin. »
Ce noble vœu, la mort se chargera de l'exaucer, en
emportant l'artiste au seuil de la vieillesse, avant qu'aucune
de ces facultés créatrices ait faibli. Au moment où il le
formule, il vient d'avoir quarante-huit ans. Pendant dix ans
encore, il lui sera donné de travailler sans relâche et
d'ajouter plus d'un glorieux morceau de sculpture à la liste
déjà longue de ses chefs-d'œuvre. II nous faut parler tout
d'abord d'une œuvre aussi originale que peu connue, et qui
nous montre un aspect tout nouveau de ce talent si souple
et si varié.
Vers 1875, Chapu fut mis en relation avec le baron
Nathan! el de Rothschild, pour lequel un architecte français,
M. Girette, construisait à Vienne un somptueux hôtel sur
le Thercsianunigasse. A l'extrémité d'une terrasse longeant
les corps de bâtiment de l'hôtel, le baron avait fait élever
une fontaine monumentale dominant les jardins, de manière
à être aperçue des fenêtres de l'habitation et à former point
de vue de toutes les promenades du parc. La décoration de
cette fontaine fut confiée à notre sculpteur, qui, secondé
par son compatriote, y trouva l'occasion de nombreuses et
AMPHITRITE.
Esquisse pour la fontaine du baron N. de Rothschild, à Vienne.
DERNIERES ANNEES.
123
charmantes compositions. L'ensemble du monument com-
portait une vasque où l'eau arriverait de trois côtés diffé-
rents. Au-dessus, une vaste niche avait été ménagée pour
recevoir un motif sculptural. L'édifice était terminé par un
fronton circulaire dans le-
quel devait prendre place
un bas-relief. Chapu ar-
rêta de concert avec l'ar-
chitecte la disposition
générale de ce vaste en-
semble et en exécuta les
parties principales. Ces
différents morceaux, d'un
arrangement ingénieux ,
où l'artiste semble s'être
souvenu de F élégante ma-
nière de Clodion, ne por-
tent pas la marque dis-
tinctive du maître. Nous
n'insisterons donc pas
plus qu'il ne convient sur
le bas-relief du fronton
et sur les deux groupes
d'enfants qu'il a placés à droite et à gauche de la vasque,
se jouant avec d'énormes poissons qui vomissent des
gerbes d'eau. En revanche, le vase monumental qui tout
d'abord fut placé dans la niche est d'un art bien personnel
et doit être rangé parmi les œuvres capitales du maître.
Ce vase, qui par son architecture générale rappelle ceux
des fabriques itaUennes du quinzième siècle, est de forme
PROJET DE VASE.
124 CHAPU.
ovoïde. Ses anses sont formées par deux niascarons auxquels
se relient des enroulements de serpents dont les spirales
viennent affleurer Torifice largement évasé. Tout autour de
la panse court une légère théorie de nymphes, de tritons et
d'Amours faisant cortège à une radieuse figure d'Amphi-
trite. De ce thème, banal en apparence, Chapu a tiré un
bas-relief exquis. Aucune description ne saurait rendre la
grâce onduleuse et libre avec laquelle les corps se contour-
nent et s'enchevêtrent pour suivre, sans nuire à leur galbe,
les contours fuyants du vase, ni exprimer le parfum de
volupté discret qui émane de cette jolie composition. Le
génie de l'artiste, heureux de n'être plus enfermé dans les
limites d'un programme étroit, s'épanouit ici dans toute sa
verve capricieuse. Il ne veut que charmer les yeux et y
réussit merveilleusement.
M. de Rothschild jugea-t-il que ce vase, qui primiti-
vement devait être exécuté en pierre, ne se détache-
rait pas suffisamment sur la façade du monument? En
trouva-t-il les détails trop fins pour être bien appréciés à la
place qu'il lui destinait tout d'abord? Toujours est-il qu'il
renonça à son premier projet. Pour déférer à ses désirs,
Chapu exécuta pour lui une Amphitrite qui, coulée en
bronze, domine aujourd'hui la fontaine. Quant au vase,
exécuté en marbre et isolé sur un piédestal, il prit place
dans une autre partie du parc.
Ces travaux semblent avoir été parmi ceux que Chapu
exécuta avec le plus de plaisir. De tout temps, en effet, il
avait eu pour les travaux décoratifs une prédilection mar-
quée. Il estimait qu'au lieu d'enfermer l'art du sculpteur
dans les limites étroites du portrait ou de l'allégorie, il
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VASE DECORATIF
(note! de M. ie Baron de Koihschi'd a Vienne }
DERNIÈRES ANNEES. 1Î5
fallait, au contraire, étendre son champ d'action jusqu'aux
objets usuels. « Ne rêvez pas de trop grandes choses, disait-
« il à ses élèves; un objet de petite importance, mais bien et
« solidement exécuté, peut faire plus pour votre réputation
« qu'une œuvre plus ambitieuse rendue d'une façon insuffi-
« santé. Une petite monnaie grecque contient plus d'art que
« le groupe du taureau de Dircé. » — « C'est par l'art déço-
it ratif, disait-il encore, que le grand art se réveillera en
« France. » D'accord avec ces théories, il saisissait toujours
avec empressement les occasions qui lui étaient offertes
d'exercer son talent sur des objets d'art décoratif. C'est
ainsi qu'il avait, en 1877, modelé une médaille commémo-
rative pour l'église du Sacré-Cœur; c'est ainsi que nous
le verrons encore ciseler une poignée d'épée pour le duc
d'Aumale et exécuter en collaboration avec Froment-Meu-
rice une gracieuse composition, V Hyménée , qui, fondue en
argent, fut offerte au comte de Paris à l'occasion de ses noces
d'argent. Au nombre de ces menus travaux, il faut encore
citer une Victoire qui devait être donnée au vainqueur du
Grand Prix de Paris de 1885 (1), et un surtout de table
offert au ducdeBragance, à l'occasion de son mariage avec
(1) Cette charmante statuette représente une jeune Victoire ailée posée sur un
rocher où elle vient de cueillir une branche de laurier qu'elle tient en l'air, éten-
dant son bras vers le triomphateur. La fine tète couronnée de tresses naturelle-
ment nouées sourit entre les ailes droites et frémissantes. Une draperie légère
couvre les jambes de la divinité, laissant à nu le torse juvénile. Sur le piédes-
tal sont des détails symboliques très heureusement conclus. C'est d'abord un
Génie qui désigne l'inscription de la course gagnée : « Prix Gladiateur. 1885. m On
aperçoit près de lui la borne antique que notre modernité a remplacée sur les hip-
podromes par un poteau surmonté d'un disque; plus loin, une Hgurine couchée et
appuyée sur une urne dont l'eau s'écoule : c'est la Seine. En arrière, une cou-
ronne de laurier. Une grecque de lierre court sur la moulure supérieure du pié-
destal; des canneaux et des oves en décorent la base. (Cette statuette appartient
au baron de Rothschild, propriétaire de Lavaret, vainqueur du Grand Prix de
Paris en 1885.) Illustration, 17 octobre 1885.
1Î6 CHAPU.
la princesse Amélie d'Orléans, qui est ainsi décrit dans un
journal du temps : « Cette magnifique pièce d'orfèvrerie, due
à la collaboration de MM. Chapu, Caméré, Frpment-Meurice
et Aucoc, a la forme du vaisseau qui sert d'emblème à la
ville de Paris et se compose d'une nef d'argent repoussé que
soutiennent deux sirènes, la Seine et la Marne, nageant au
milieu d'un vaste plateau d'argent, dallé de jaspe sanguin. »
Les sculptures de l'hôtel Rothschild occupèrent Chapu
jusqu'en 1882. Malgré l'importance de ce travail, qui
l'obligea à de fréquents voyages à Vienne, il put, au cours
de ces années, terminer plusieurs œuvres importantes,
entre autres quatre statues décoratives, le Printewps, VEté,
ï Automne et \ Hiver, pour la façade des nouveaux magasins
du PrintempSy et une Fierge tenant dans ses bras l'Enfant
Jésus, dont il fit hommage à l'humble église de son pays
natal. Cette église possédait déjà sou Christ au tombeau et
les modèles de deux statues. Saint Jean et Saint Louis de
Gonzague^ qui lui avaient été commandées jadis pourl'éghse
Saint-Étienné du Mont. Bientôt l'idée lui viendra de donner
à son village une épreuve de chacun de ses ouvrages, et c'est
ainsi que peu à peu se formera cet intéressant musée du
Mée où se trouve réunie la collection à peu près complète
des oeuvres du maître.
De 1880 à 1883, Chapu exécutera également de nom-
breux bustes, médailles ou médaillons, parmi lesquels il faut
citer un portrait de Duc, où il a heureusement fait revivre
l'intelligente figure de l'éminent architecte, dont les traits
lui étaient depuis longtemps famiUers, et un médaillon de
Mlle Massenety une des œuvres les plus parfaites qu'il fit
DERNIERES ANNEES. HT
dans ce genre. « Le médaillon en marbre envoyé par
« M. Chapu, lisons-nous dans un journal du temps, repré-
u sente , en traits presque aussi fins que s'ils étaient gravés
« au burin, une tête de jeune fille vue de profil. C'est une
« bluette ravissante de naïveté et de simplicité spirituelle.
u Celui qui saurait doser exactement ce qui entre de goût
« inné, de grâce, de délicatesse, de sérieux, de sincérité, de
« respect de Tart, de dons naturels et de qualités acquises
a dans la conception du médaillon exécuté par M. Chapu,
«* aurait trouvé une recette d'après laquelle on pourrait
« fabriquer des œuvres qui traverseraient le temps sans
« rien perdre de leur frais et doux éclat. »
Le nom de Chapu ne figure pas au livret de 1883. Il
repaiiit au Salon de 1884 avec deux importantes statues
décoratives que lui avaient commandées le duc d'Aumale,
et qui devaient prendre place dans le parc de Chantilly. Ces
deux figures, qui sont deux pendants, ou plutôt les deux
parties d'une même composition, représentent Pluton et
Proserpine. La fille de Cérès fait la cueillette des fleurs,
tandis que le roi des enfers, caché dans les roseaux, guette
sournoisement sa proie. Il ne faut pas juger trop sévère-
ment ces figures, qui furent assez mal accueillies par la cri-
tique, rendue exigeante par une longue suite d'œuvres sans
défaut. Si nous accordons volontiers que le Pluton n'est
qu'un assez passable morceau d'école, si nous reconnaissons
même qu'il est quelque peu lourd et banal, il s'en faut de
beaucoup que la Proserpine soit une œuvre insignifiante et
sans intérêt. Sans doute, on sent que, pour obéir aux exi-
gences de son sujet, Chapu a dû contraindre son talent a
une emphase qui n'est pas dans son tempérament; sans
1Î8 CHAPU.
doute, ce style ronflant et un peu vide n'est pas celui que
Chapu nous a appris à admirer dans la plupart de ses
œuvres; mais cette redondance ne messied pas dans les
somptueux parterres de Tancienne demeure des Condé,
encore toute pleine des souvenirs du grand siècle. Tels
qu'ils sont, Pluton et Proserpine ne font pas mauvaise figure
au milieu des bosquets de verdure qui les encadrent; ils
prouvent tout au moins l'incomparable virtuosité du maître.
Quant aux détracteurs de la Proserpine, nous les engageons
à regarder certaine Flore, éditée par Barbedienne, qui n'est
qu'une répétition, légèrement modifiée, de la statue do
Chantilly; ils y retrouveront toute la liberté d'allure, toute
la grâce, toute l'originale délicatesse du maître.
Ce léger insuccès fut largement compensé par les éloges
unanimes qui accueillirent, l'année suivante, sa figure pour
le tombeau de Mme la duchesse d'Orléans.
Il n'entre pas dans le plan de cet ouvrage de raconter
en détail l'histoire de cette charmante princesse Hélène
qui, sans le fatal accident de Neuilly, eût sans doute été
reine des Français. Peut-être, cependant, n'est-il pas inutile
de rappeler que, chassée de France par la révolution de
1848, la princesse finit ses jours dans l'exil, partageant
sa vie entre la petite cour de Mecklembourg-Schwerin
qui l'avait vue naître, et l'Angleterre, où sa présence consola
les dernières années du vieux roi Louis-Philippe. C'est elle
qui, en 1850, lui ferma les yeux; elle qui, quelques années
plus tard, devait encore avoir la douleur de voir mourir
entre ses bras une belle-sœur adorée. Elle n'avait guère plus
de quarante ans quand elle mourut, en 1858, dans la modeste
retraite qu'elle s'était choisie sur les bords de la Tamise.
DERNIERES ANNEES. 129
« Quel que soit l'exil où mes jours se terminent, avait
a écrit la princesse dans son testament, et quelle que soit
« la tombe que j'y trouve, je demande à mes fils, et à leur
K défaut, à mes héritiers, de faire rapporter mes cendres
« en France, lorsque notre famille y sera rentrée, et de les
« faire déposer dans la chapelle mortuaire de Dreux, auprès
« de la tombe de mon époux. »» Vingt ans devaient se passer
avant que ce pieux désir fût exaucé.
Aucun modèle ne convenait mieux au délicat et tendre
génie de Chapu que cette noble figure de femme, dont la
vie fut si pure, le caractère si droit, la fin si touchante.
Aussi trouva-t-il dans son portrait l'occasion d'une de ses
plus belles œuvres. Au lieu de chercher un symbole, une
allégorie dont la poétique est toujours d'un développement
plus facile, il s'en tint aux traditions de la sculpture fran-
çaise du Moyen Age et de la Renaissance, et représenta la
duchesse elle-même sur son lit de mort; seulement il ne
voulut pas la représenter immobile et rigide : couchée sur
un lit d'où son corps saillit avec un faible relief, la jeune
femme vit encore. Son regarà à demi voilé a conservé toute
sa douceur, et son visage s'éclaire d'un sourire défaillant.
Vêtue d'une ample robe d'étoffe légère, elle est étendue, sa
tête amaigrie penchée sur le bord d'un oreiller ; un de ses
bras disparait à moitié dans les plis d'une draperie qu'elle
ramène vers sa poitrine, tandis que l'autre est tendu en
avant comme pour étreindre quelque image invisible. La
mort n'a pas encore accompli son œuvre; c'est l'instant
mystérieux où le corps donne encore quelques signes de vie,
tandis que l'âme, dégagée des liens terrestres, va prendre
son vol vers l'infini. Au seuil de l'éternité, la mourante
9
130 CHAPU.
aperçoit, dans une radieuse vision, celui qu'elle n'a cessé
de pleurer, et, enfin consolée, se hâte vers cette réunion
si ardemment attendue.
Telle est, je crois, Fexplication de ce mouvement un peu
énigmatique qui, lorsque la statue parut au Salon de 1889, fit
travailler bien des imaginations. Le corps de la princesse,
morte dans la religion réformée, n'avait pas été déposé dans
la chapelle même de Dreux, mais dans une sorte d'annexé,
communiquant par une ouverture avec la chapelle princi-
pale : quelques esprits malveillants virent dans le geste de
la mourante une inconsciente épigramme de l'artiste à
l'égard d'un clergé intolérant, tandis qu'un critique en prit
texte pour un article fougueux dans lequel il confondait
dans une égale indignation l'Église catholique et la famille
d'Orléans. Laissons là ces niaises polémiques pour admirer
comme il convient cette gracieuse effigie, une des plus
pures et des plus séduisantes conceptions qui soient sorties
du cerveau de l'artiste. On a encore reproché à Chapu ce
bras qui, détaché du corps, fait que la figure s'enveloppe
mal et laisse sous l'aisselle un vide qui choque l'œil. Peut-
être, en effet, au point de vue des lois générales de la com-
position, cette disposition est-elle condamnable; il n'en
faut pas moins louer Chapu de s'être permis cette heureuse
licence à laquelle sa statue doit le meilleur de son éloquence
et de son charme imprévu. Ce que personne, en tout cas, ne
peut nier, c'est l'admirable délicatesse avec laquelle le
marbre est traité dans ses moindres détails, et mieux encore
le sentiment de pénétrante mélancolie qui l'anime, le poé-
tique arôme de noblesse honnête et de bonté qui se dégage
de cette belle œuvre.
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DERNIERES ANNEES.
181
« L'auteur de la JeunessCy écrivit un critique, à propos de
cette délicieuse création, s'est fait une spécialité de la
sculpture funéraire. L'idéal, quand on veut laisser une trace
immortelle, consiste à être ensépulturé par M. Chapu. » Il
semble, en effet, qu'aucun genre ne convienne mieux à la
tendresse émue de son talent. Chapu y trouvera encore
l'occasion de nombreux chefs-d'œuvre. Nous parlerons plus
loin du monument de Mgr Dupanloup. Signalons en pas-
sant deux morceaux moins connus , et qui cependant peu-
vent compter parmi les meilleurs qu'il ait exécutés : l'un est
la statue tombale de Mme la duchesse de Nemours y une
superbe figure couchée, aux grandes lignes rigides, d'une
éloquence simple et tragique; l'autre est un bas-relief pour
le monument de Mlle Labiche, fille du sénateur de ce nom.
Aucune expression ne saurait rendre le charme mystérieux
et poignant dont il a illuminé les traits de la jeune morte
qui repose sur son lit funèbre, au milieu d'une jonchée de
lis. Ces deux figures, perdues aujourd'hui dans de lointains
cimetières, ne furent pas exposées, et si l'on comprend
facilement les raisons de convenance qui ont empêché
Chapu de les offrir aux regards du public, il est permis,
au nom de sa gloire, de le regretter. *
En 1885, Chapu fut appelé à Copenhague par un riche
Danois, M. Jacobsen, qui avait eu l'idée, assurément origi-
nale, d'enrichir sa collection des portraits des deux filles de
son roi, sculptés par des artistes en renom. C'est Chapu
qui devait exécuter, en marbre, l'image de la princesse de
Galles, tandis que son confrère Gautherin était chargé de
reproduire les traits de l'impératrice de Russie. Le roi
132 CHAPU.
Christian, qui s'était prêté de bonne grâce à cette fantaisie
d'un homme qu'il avait en haute estime, fit savoir aux
deux sculpteurs que les princesses consentiraient à leur
accorder quelques séances lors de leur prochain séjour à la
cour de Danemark. Vers la fin de septembre, ils partirent
donc tous deux, afin de se mettre à la disposition de leurs
augustes modèles. Magnifiquement reçu par le Mécène
danois, Chapu passa dans son pays plusieurs semaines.
Laissons-le raconter lui-même ses impressions de voyage :
a Après ime longue séance au musée Thorwaldsen, qui
« m'a vivement intéressé, nous avons visité la ville; puis
« nous avons fait une petite promenade dans le port, d'où
« l'on aperçoit, dans le lointain, la côte de Suède... La
« ville est grande et d'un assez bel aspect, dans le genre
tt de Munich. Au centre, deux ou trois rues assez animées;
« c'est le quartier commercial; puis plus rien, c'est la ville
« de province propre et bien tenue, les intérieurs clos
« par des doubles fenêtres entre lesquelles on abrite des
« fleurs. Peu ou point de marchands de boissons; pas de
« mendiants. Tout le monde est assez bien mis; pas d'ou-
u vriers débraillés ou de mauvaise mine. En apparence
Ci au moins, cela parait plus honnête que chez nous. Dans
« la population, le blond clair domine; chez les jeunes
« filles, beaucoup d'Ophéhes aux carnations fraîches, aux
« longs cheveux d'or pâle flottant librement sur les épaules;
a mais la véritable beauté me paraît rare.
tt Beaucoup de monde à la promenade, population sans
« physionomie particuhère, gens tranquilles et peu
« bruyants, jouissant tranquillement de leur dimanche,
« qui nous regardent passer avec curiosité... »
DERNIERES ANNEES. 133
Dès le lendemain de leur arrivée, les deux sculpteurs
prennent le chemin de Frederiksborg, où se trouve réunie,
dans une intimité patriarcale, toute la famille royale.
« Le pays est plat, avec de g;rands horizons tristes, dont
a la mélancolie n'est pas sans charme. Bonnes terres, bien
a cultivées, où paissent de nombreux troupeaux de vaches
tt rousses; petits villages aux maisons proprettes, aux murs
« blanchis à la chaux; petits vallons boisés, belles forêts
tt de hêtres. Tantôt le parcours est agrémenté de beaux
a lacs aux bords verdoyants ; tantôt, à un détour du chemin,
« un petit horizon de mer apparaît. Tout cela n'est pas la
« grande nature, mais cela ne manque pas de charme ni
« d'ime certaine poésie intime. On sent le Nord, la propreté
« et le soin de Thabitation où le froid oblige à être long-
« temps enfermé... Le château royal est des plus simples.
•« Sans la garde militaire, on se croirait dans un ancien
« manoir breton, du temps de Henri IV ou de Louis XIIL
« Il est entouré d'un parc qui se termine sur les bords d'un
« lac qui rappelle ceux de Suisse. »
Chapu franchit le seuil de la demeure royale, « un peu
« anxieux, dit-il, de l'accueil qu'on va lui faire » . Mais la
simplicité charmante avec laquelle il est reçu a bientôt
raison de sa timidité naturelle. « A notre arrivée, une dame
« d'honneur est venue au-devant de nous pour nous ren-
« seigner sur ce que nous devions faire. Ses premières
u paroles ont été : « Messieurs, soyez les bienvenus en Dane-
« mark. »» On nous a ensuite introduits dans un petit salon.
« Pendant que nous disposions nos selles, les princesses
a sont arrivées, bras dessus, bras dessous, attirées par la
a curiosité. Elles sont ainsi toute la journée, heureuses
i
134 CHAPU.
« d'être ensemble et de pouvoir parler et agir sans con-
te trainte, comme au temps de leur jeunesse. A midi juste^
« elles sont venues poser, et nous avons pu travailler plus
a d'une heure sans les ennuyer. Pendant la séance, nous
a avons eu la visite de la Reine, du Roi, un bon vieillard
« encore vert, et de l'empereur de Russie, qui ne cessait de
« plaisanter gaiement avec mon modèle, la taquinant au
a sujet de son nez, qui, sur mon esquisse, était trouvé un
« peu long... »
Tout le temps que les artistes travaillèrent, les princesses
ne se départirent pas de cette charmante bonhomie. Chapu,
dans ses lettres, se montre charmé de cet accueil si cordial,
et c'est vraiment, en effet, un touchant spectacle que celui
de cette vie si patriarcale et si simple, de ces grands de la
terre oubliant avec délices le lourd fardeau du pouvoir
pour n'être plus que les enfants affectueux et soumis d'un
même père, des frères et des sœurs heureux de retrouver
ensemble la douce intimité du foyer paternel.
Les deux sculpteurs ne furent pas moins bien accueillis
par la haute société de Copenhague. M. Jacobsen, qui les
reçut magnifiquement, avait même fait armer son yacht de
plaisance, espérant les décider à une excursion sur les côtes
de Suède et de Norvège; mais Chapu, bien que séduit
par cette proposition, ne crut pas devoir s'accorder ces
quelques semaines de vacances. Il quitta le Danemark vers
la fin de septembre.
Il avait, en effet, en quittant Paris, laissé de nombreux
travaux sur le chantier, et sa présence était nécessaire pour
les mener à bonne fin. C'étaient : un buste du comte de
Carayon-Latour, un buste de M. Zographos, un Saint Ger-
CHRISTIAN GARNIER.
Médaille, 1872.
DERNIERES ANNEES. 13T
mam pour le Panthéon, un médaillon colossal où il avait
réuni les figfures amies des peintres Théodore Rousseau et
Millet, et qui devait prendre place dans un coin de la forêt
de Fontainebleau, chère aux deux artistes; enfin le moîiii'-
ment funèbre de Mgr Dupanloup^ œuvre considérable, à
laquelle il travaillait depuis longtemps, retardé par des diffi-
cultés matérielles et les exigences d'un comité très divisé
d'opinions, qui ne semble pas lui avoir laissé toute l'initia-
tive qu'un artiste de sa valeur était en droit d'attendre (1).
Chapu exposa, en 1887, la statue couchée de l'évéque
d'Orléans^ ainsi qu'wiie des figures allégoriques qui devaient
en décorer le soubassement ; mais ces deux fragments ne
donnent qu'une idée insuffisante de l'œuvre, et c'est dans
l'église métropolitaine d'Orléans qu'il faut aller la voir.
Le monument, conçu dans le style florentin du quinzième
siècle, et qui rappelle d'assez près certain tombeau de
l'éghse Santa-Croce, à Florence, est eu forme d'autel. Il se
compose d'une table d'autel, à laquelle on accède par deux
marches et qui supporte une sorte de civière sur laquelle le
corps du prélat mort est étendu : deux pilastres, décorés
d'ornementations légères dans le goût de la Renaissance et
couronnés d'urnes funéraires, encadrent le retable, qui se
termine par un gable triangulaire, au sommet duquel est
sculptée une croix grecque.
(1) Les lettres reçues par Chnpn à ce sujet forment wn long et suggestif dossier.
C'est à l'occasion du bas-relief qui décore l'autel que l'artiste eut à surmonter le
plus d'embarras. Il devait, en effet, y représenter Tévèque entouré de ses amis et
de ses élèves ; or chacun réclamait l'honneur de figurer dans ce tableau et préten-
daity à la suite du grand prélat, passer à la postérité. Il fallut bien, en fin de
compte, faire un choix ; mais, pour ménager les susceptibilités, on se décida, au
dernier moment, à supprimer les inscriptions qui devaient indiquer les noms des
personnages représentés
138 CHAPU.
Entre les pilastres, une vaste coquille se creuse dans le
marbre, terminée par une arcade cintrée. Dans cette partie
circulaire, au-dessus de la statue couchée de Févêque, un
ange apparaît, tenant la bannière de Jeanne d'Arc. Sur les
marches de Tautel, deux figures se tiennent debout : Tune,
bardée de fer, dans une fière altitude de soldat, foule aux
pieds le corps d'un dragon; l'autre est un vieillard vêtu
d'une ample draperie, dans une attitude méditative, un
livre à la main. Ces deux figures, qui ont reçu des appella-
tions diverses, symbolisent heureusement les deux côtés les
plus caractéristiques de la physionomie morale de l'évêque :
sa profonde érudition théologique et son ardeur miUtante
qu'aucune épreuve ne put abattre.
Sur la face antérieure de l'autel, l'artiste a sculpté dans
un bas-relief l'évêque, entouré de ceux qui ont travaillé,
lutté, souffert avec lui et près de lui. Le prélat occupe le
milieu de la scène. Derrière lui se dessinent ses pères et ses
maîtres dans l'épiscopat : MM. de Quélen, de Rohan, Bor-
deries ; puis les disciples qu'il a formés : le cardinal Lavi-
gerie, le cardinal Place, le cardinal Langénieux, Mgr Fou-
lon, archevêque de Lyon, Mgr Perraud, évêque d'Autun,
Mgr Coullié, le Père de Ravignan, l'abbé Lagrange, et
aussi ses amis et les compagnons de ses luttes : à droite,
MM. de Montalembert, de Broglie, de Falloux, Lavedan et
Berryer; à gauche, MM. Augustin Cochin, Albert du Boys
et René de Menthon.
Faut-il le dire? ce monument, d'une belle et majes-
tueuse ordonnance, où Chapu a prodigué toutes les res-
sources de son art, n'a pas complètement justifié notre
attente, et il nous semble que la grande et caractéristique
DERNIERES ANNEES. 139
figure que fiit Mgr Dupanloup aurait pu mieux inspirer
Tartiste. Adossé au mur d'une petite chapelle du transept,
le monument manque de grandeur, et Tabondance des
sculptures qui le décorent le fait paraître plus grêle encore.
Les deux figures qui, sur le seuil de l'édifice, semblent
veiller au repos du mort, sont d'une assez belle tournure ;
mais sous leur emphase ronflante se cachent une certaine
banalité de conception et une exécution qui manque d'un
accent personnel ; elles ont, de plus, l'inconvénient de rape-
tisser la figure de l'évêque, juchée à une assez grande hau-
teur, et qui tout d'abord n'attire pas le regard. Prise isolé-
ment, cette figure ne mérite que des éloges; la silhouette
générale en est heureuse, et l'on ne peut qu'admirer cette
tête énergique et austère, et ce regard éteint qui garde sa
puissance sous les arcades enfoncées de ses épais sourcils;
mais, encore une fois, était-ce bien là l'effigie qui convenait
au belliqueux prélat que n'effrayait aucune foudre, ni spi-
rituelle ni temporelle, et dont plus d'un demi-siècle de luttes
n'avait pu abattre la verdeur d'esprit et l'humeur comba-
tive? Longtemps, — nous en avons eu la preuve par ses cro-
quis, — l'artiste avait rêvé une autre image. Au lieu de ce
prince de l'Église dormant paisiblement son dernier som-
meil, il voulait nous montrer l'évêque d'Orléans déjà ter-
rassé par la maladie, mais se relevant à demi dans un
suprême effort (1). Cette attitude, en même temps qu'elle
eût mieux convenu à l'homme d'action qu'était avant tout
Mgr Dupanloup, eût permis à l'artiste de donner au visage de
(1) GKapu avait également songé à montrer l*évêqae debout; il dut y renoncer,
un usage généralement suivi voulant que, dans une église , les images divines et
celles des saints soient seules représentées dans cette attitude.
l
1*0 CHAPU.
Tévéque ce regard perçant et scrotateur, ce nez mobile, en
bec daigle^ qui semble flairer de loin le combat, cet aspect
complexe, mêlé de malice et de bonhomie, en un mot ces
mille nuances de physionomie que le grand apaisement de
la mort abolit à jamais.
L'exécution des paities accessoires de Tomementation
ne nous satisfait pas non plus pleinement. Nous n*y retrou-
vons pas la grande et sobre facture du maître, mais une
dextérité un peu mesquine, qui semble le privilège des
altistes italiens de ce temps.
En quittant Orléans, il n'est pas sans intérêt d'aller à
Saint-Brieuc et à Rouen, visiter les deux statues qui furent
demandées à Chapu, vei*s la même époque, pour honorer
la mémoire de Mgr David (1) et de Mgr de Bonnechose (2).
Moins considérables que celui de Tévêque d'Orléans, ces
monuments nous semblent avoir mieux inspiré Tartiste en
laissant plus de liberté à son imagination. L'évêque de
Saint-Brieuc, prêtre modeste et bon, qui toute sa vie donna
l'exemple des vertus chrétiennes^ mais dont la renommée,
en somme, ne dépassa pas son diocèse, ne pouvait pré-
tendre à la même apothéose que le cardinal archevêque de
Rouen, fils d'une race illustre, homme de pensée sans
doute, mais homme d'action avant tout, qui se vantait « de
faire marcher son clergé comme un régiment n . Pour
(1} Mgr DaviJ, cvèque de Saint-Brieuc et Tréguier, né à Lvon le 28 mars 18IÎ,
mort le 26 juillet 1882.
(2) H enri-Gaston-Marie Boisnormand de Bonnechose, prélat français, né en 1800,
fut d'abord magistrat. Peu de temps après son entrée dans les ordres, il devint
supérieur de la communauté de Saint-Louis, à Rome. Nommé successivement
cvéque d'Êvrcux et archevêque de Rouen, il se Ht remarquer par ses vives protes-
tations en faveur du pouvoir temporel du Pape. !Nommé cardinal en 1863, il
mourut en 1883
DERNIERES ANNEES. i4l
chacun d'eux, Chapu a su choisir la note juste : c'est dans
Tattitude famiUère d'un pasteur enseignant la Bonne Parole
qu'il représentera Mgr David, assis, un cahier ouvert sur
ses genoux, tandis que, pour le monument de Mgr de Bon-
nechose,. il ne craindra pas une certaine ampleur somp-
tueuse de style et s'attachera au bel aspect plastique, en
s'inspirant des grandes œuvres décoratives du quinzième
siècle. Un peu d'emphase ici ne messied pas, et l'on ne peut
qu'admirer sans réserve cette magnifique image du prélat,
traînant derrière lui le long flot de son manteau de car-
dinal, tt Cette statue est un chef-d'œuvre, a écrit M. Lafe-
tt nestre : un chef-d'œuvre psychologique si l'on examine
« la tête, ferme, énergique et vive, avec ce clignement
« d'yeux et ce plissement des lèvres, d'une expression si
« particulièrement hautaine et fine; c'est un chef-d'œuvre
Cl sculptural si l'on remarque l'extraordinaire aisance, sans
« nulle emphase ni redondance, avec laquelle le person-
u nage porte, tout prêt à se mouvoir, la lourde masse de
u ses vêtements et l'adresse avec laquelle, sans mesqui-
« nerie, toutes ces draperies sont jetées, superposées,
« fi'oissées suivant la nature du tissu, si l'on observe aussi
« avec quel sentiment décoratif sont posés sous les genoux
a de l'archevêque son chapeau de cardinal et, à son côté,
« sa longue crosse en argent doré. Il y a là une habileté à
a manier et à faire sentir les différentes matières qui
« dépasse de beaucoup toutes les habiletés itaUennes,
« parce que c'est une habileté plus sérieuse et plus dis-
a crête, et toujours rigoureusement soumise à la pré-
« occupation dominante et supérieure de l'unité sculptu-
« raie et de la haute expression morale. »
142 CHAPU.
Le monument de Mgr David fiit achevé en 1890; quant à
celui du cardinal de Bonnechose, il ne devait paraître aux
yeux du public quau Salon de 1891, quelques semaines
après la mort de Tartiste. Revenons donc un peu en arrière
et continuons de suivre pas à pas, à l'aide de sa corres-
pondance, la vie du grand sculpteur. Elle est, comme par
le passé, tout unie et toute simple, et les amateurs d'anec-
dotes scabreuses et d'aventures romanesques n'y trouve-
ront rien qui satisfasse leur curiosité. Bien que sa personne,
comme son talent, lui ait conquis d'universelles sympathies;
bien que chaque matin son courrier lui apporte de nom-
bj-euses invitations, les unes timbrées au sceau de la Prési-
dence, les autres ornées de royales armoiries, il continue
de vivre à l'écart. Cet ouvrier de génie mène la vie labo-
rieuse et monotone d'un ouvrier. Levé de grand matin, il
arrive presque toujours le premier à l'atelier; un repas
frugal coupe seul, d'une heure de repos, son labeur quoti-
dien qui se prolonge jusqu'à la chute du jour. Les soirées,
à moins d'obligations absolues, il les passe dans l'intimité
du foyer conjugal, à lire ou à crayonner en attendant un
sommeil qui ne se fait pas attendre. Été comme hiver, il
mène cette rude existence, prenant seulement pendant la
belle saison quelques semaines de repos, qu'il va passer
auprès des siens soit aux plages normandes, soit dans
quelque station des Pyrénées. S'il fait quelquefois de plus
lointains voyages, c'est dans l'intérêt de son art; c'est pour
aller, par exemple, à Seravezza près de Carrare, choisir un
bloc de marbre ou surveiller les praticiens qui préparent
ses statues; mais ces absences sont presque toujours de
courte durée et constituent pour lui une fatigue plutôt
DERNIERES ANNEES.
143
qu'un repos. Il est Tesclave de sa gloire, et, malgré le
besoin qu'il en éprouve, il ne peut laisser aucun relâche à
son esprit surmené par une incessante production. Pour la
première fois, en 1883, il secouera le joug et ira revoir à
Rome le modeste atelier où s'est écoulée sa jeunesse.
L'aspect nouveau de la grande cité, transformée en capitale
moderne, le désenchantera quelque peu, mais il retrouvera
son enthousiasme et ses fraîches impressions d'antan devant
les fresques de la chapelle Sixtine et les sculptures du
Vatican. Cette rapide excursion faite en compagnie de sa
femme semble avoir rajeuni son imagination. L'album qu'il
a rapporté de son voyage est plein de croquis d'une grâce
originale et neuve où la pureté du goût antique se combine
avec je ne sais quelle fantaisie moderne d'une piquante
saveur. Il est permis de croire que, sans la mort préma-
turée du grand sculpteur, plus d'une jolie statue serait née
de ces esquisses.
C'est probablement à la suite de ce voyage qu'il arrêta
la composition de sa première Danseuse, une charmante
figure qui, dans le vestibule de l'hôtel Pereire, fait face à
une œuvre analogue du sculpteur Schœnewerk. Enve-
loppée dans les mille plis d'une draperie transparente qui
permet de suivre les molles ondulations de son jeune corps,
la tête couronnée de roses, elle semble mimer quelque
danse sacrée d'Orient, au rythme voluptueux et lent. Il y a
là un mélange heureux de deux idéals. Le style dans lequel
est conçue la légère draperie qui épouse les formes de son
corps vient directement de l'antique, tandis que l'élégante
gracihté des formes, la finesse des extrémités et la grâce
mutine du visage lui donnent un caractère plus moderne.
144 CHAPU.
Cette délicieuse image inspira à un des plus fins amateurs
de ce temps, M. le baron de Rothschild, le désir d'en pos-
séder une semblable. Chapu, en s'inspirant de sa première
statue, sans lui rien emprunter toutefois que Id sentiment
général, exécuta une seconde danseuse qui fut exposée au
Salon de 1890. Nous ne saurions en donner une meilleure
description que cette page de M. Lafenestre : « Si quelque
a chose, dit Féminent critique, pouvait nous rappeler les
« gracieuses figures de Tanagra, avec leur âme divine,
« avec la grâce naturelle et saine de leurs beaux corps,
« avec la bienveillance paisible et douce de leurs frais
« visages, avec le balancement nonchalant et souple de
« leurs attitudes harmonieuses, ce serait plutôt la Danseuse
u de M. Chapu. Ce n'est pas qu'il soit plus insensible que
« ses confrères aux séductions de la nature vivante, ni
« qu'il s'enferme dans la contemplation d'un idéal depuis
« longtemps réahsé. Il suffit de regarder cette danseuse
« pour constater chez elle, dans Fair fin, sinon coquet de
« la petite tête, soit dans la façon de poser les pieds, soit
« dans la manière d'ouvrir à la hauteur de sa tète et
« d'agiter l'éventail, comme dans la forme même de cet
tt éventail, toutes sortes de traits pris sm* le vif et d'une
tt réalité toute fraîche. Ainsi, sans nul doute, les céramistes
a de l'Hellade saisissaient, chez les belles promeneuses,
a certains traits caractéristiques qui leur suffisaient pour
i< donner de la vie à leurs figurines sommaires, moins
« copiées que rêvées. C'est avec cette même aisance que
«t M. Chapu semble transposer, par un travail d'imagina-
« tion saine et bien cultivée, tous les éléments que peuvent
tt lui fournir ses modèles, en sorte que cette jeune dan-
DANSEUSE
Udtel Pereire.
DERNIERES ANNEES. 145
« seuse, antique par le costume et par la pureté ferme de
« la forme, moderne par la vérité du geste et la grâce de
« l'expression, nous conduit doucement vers le rêve et
« l'idéal par la sensation juste et nette de la réalité. »
Que dire du groupe en marbre des Frères Galigniani (1),
que Chapu exposa au Salon de 1888? Faut-il seulement,
avec la plupart des critiques, louer Tartiste d'avoir tiré le
meilleur parti possible d'un sujet ingrat et peu sculptural?
L'œuvre, à notre avis, mérite mieux que ce chétif éloge.
Il y avait une redoutable difficulté à vaincre dans ce
groupe, qui devait représenter, vêtus de leur redingote
traditionnelle, deux philanthropes d'origine anglaise dont la
vie avait été un touchant exemple d'amitié fraternelle et
(1) Antoine et William Galigniani, éditeurs français, nés à Londres, le premier
en 1796, le second en 1798, fondèrent à Paris un journal anglais, le Galigniani s
Messenger; le succès de ce journal leur valut une fortune considérable, dont ils
Hrent toujours le plus charitable usage, Â leur mort, ils en partagèrent la plus
grande partie entre différents établissements de bienfaisance.
A propos du monument des frères Galigniani, Chapu écrit à un de ses amis la
lettre suivante, que nous jugeons intéressante à reproduire :
« ... Tu me demandes si je préfère le marbre au bronze? En principe, oui, je le
■ trouve plus monumental, plus digne, mieux assis sur le sol. On a fait abus du
a bronze, et il est maintenant de mauvaise qualité, rempli d'alliage de zinc; il
u devient d'un ton noir désagréable, comme les vieilles bottes qui ont longtemps
« séjourné sous Teau. Le métal des Keller ne se fait plus... De plus, il faut au
« bronze un cadre qui le détache en silhouette, et généralement il se perd sur des
« fonds troués ou bariolés.
« L'ombre blanche de la statue de marbre, qui se dresse comme un menhir sur
« notre horizon gris, me parait plus poétique et plus digne. Pour ce qui est de sa
« durée, en regardant dans le passé, c'est encore le marbre qui a le mieux résisté.
• Taillé, il n'a plus aucune valeur; on ne peut en faire que de la chaux. Il est dif-
« ficile à remuer et déconcerte toujours une malveillance momentanée, tandis
■ qu'un coup de pince peut jeter à bas un monument de bronze, et un seul homme
u y suffit. La matière a en outre une valeur intrinsèque... c'est pourquoi il ne nous
« reste que de rares morceaux en bronze de l'antiquité ou de la Renaissance. Les
« dieux mêmes ont été transformés en robinets...
« On pourrait s'étendre longuement sur ce sujet. En tout cas, j'affirme qu'un
« marbre exposé à l'air peut durer deux ou trois cents ans. Si on peut Tabriter^ sa
• durée est illimitée... »
10
1
146 CHAPU.
d'inépuisable charité, deux gentlemen pleins de respecta-
bilité, dont la figure débonnaire et les vertus bourgeoises
étaient plutôt pour tenter la plume d'un Dickens que le
ciseau d'un Chapu. En traitant le sujet d'une main trop
familière, on risquait de verser dans le trivial, et, d'autre
part, l'emphase eût pu paraître une ironie. Chapu sut
éviter ces deux écueils à force de sincérité intelhgente et de
bonhomie. Il avait tout d'abord proposé à la ville de Cor-
beil, qui faisait les frais du monument, un premier projet
dans lequel les deux frères étaient assis côte à côte sur un
banc de pierre à large dossier, discutant le plan d'un éta-
blissement de bienfaisance dont ils devaient doter le pays.
Adossé à la façade de ce monument, ou se détachant sur la
verdure de quelque square, ce groupe eût parfaitement con-
venu aux discrètes vertus de ceux qui l'avaient inspiré; il
n'eut cependant pas le don de plaire au comité local, qui y
Vit toutes sortes d'intentions, bien loin assurément de la
pensée de l'artiste : a M. Antoine, est-il dit dans le rap-
« port qui fut envoyé à Chapu à cette occasion, semble
« demander impérativement à son frère l'approbation du
« plan, et celui-ci, étendant la main droite en Tair, parait
« effrayé du sacrifice qu'on lui impose... Il serait fâcheux
« que cette pose pût être interprétée de cette façon; ce
« serait jeter dans le public une défaveur sur l'un des deux
« frères, lesquels cependant étaient si réellement et si
a parfaitement unis pour faire le bien. »
Si nous relatons ce détail, ces puériles controverses, c'est
pour montrer une fois de plus combien l'initiative des
artistes est maladroitement enchaînée dans l'exécution de
tels ouvrages, et combien leur talent doit être doublé de
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LES FRERES GALIGNIAM
Premier projet pour le monument Je Corbcil.
DERNIÈRES ANNÉES. 147
patience pour arriver à un résultat favorable. Quoi qu'il en
soit, notre sculpteur déféra une fois de plus aux critiques
qui lui étaient faites et fit une seconde esquisse qui fut
acceptée. Dans ce projet, William et Antoine Gali(][niani
sont placés Fun près de l'autre en des attitudes familières
qui indiquent à la fois leurs habitudes de collaboration
intellectuelle et leurs rapports de confiante affection. L'un
d'eux, assis sur un fauteuil, près duquel est empilée une
collection du Galigniams Messenger, tient un plan déployé
sur ses genoux, et relevant la tête vers son frère, debout, à
sa gauche, semble l'interroger. Celui-ci, appuyé sur le bras
du fauteuil, une main dans la poche de son pantalon, se
penche d'un air bienveillant pour approuver. L'artiste a
pris bravement le parti de représenter ses personnages
tels qu'ils étaient, sans atténuer en rien les laideurs de
leurs vêtements modernes. Nous pourrions profiter de
l'occasion pour rééditer les habituelles doléances des cri-
tiques sur la disgrâce de nos ajustements masculins, dis-
grâce qui, depuis David (1), a fait le désespoir de tant de
sculpteurs. Mais à cela que faire ? Et ne vaut-il pas mieux,
en somme, qu'un homme de ce temps apparaisse à ses
arrière-neveux avec ce vêtement ridicule, que drapé dans
(1) David (d'Angers) avait l'horreur du costume moderne, et souvent il déplore
l'obligation où sont quelquefois les sculpteurs d'avoir à tailler dans le marbre des
habits et des bottes. Chaque fois qu'il le pouvait, d'ailleurs, il esquivait la diffi-
culté, soit en ayant recours aux draperies d'un manteau, soit en représentant ses
héros nus : « L'avenir n*a pas besoin de nos costumes ridicules... Les savants, les
poètes, les artistes et les orateurs peuvent être représentés par le statuaire nus et
drapés. Un accessoire habilement choisi, en indiquant ce qui particularise le per-
sonnage, permet de désigner l'époque à laquelle il a vécu. » Cette théorie, explicable
chez un artiste qui avait vu le jour aux premiers temps de ce siècle, alors que
tout était «à la romaine « , est partagée par un certain nombre de critiques, notam-
ment par Alfred de Musset, qui dit dans son Saion de 1836 : » Il m'est impossible
de comprendre le vêtement moderne en sculpture. »
148 CHAPU.
une toge romaine, ou dans la demi-nudité d'un personnage
héroïque? Les célébrités contemporaines que l'on a ainsi
accoutrées ont toujours fait piètre mine, et, quoi qu'en ait
dit David d'Angers, il vaut mieux aborder franchement une
difBculté qui — Chapu Ta prouvé — n'est pas insurmon-
table. Ayons le courage de nous montrer avec nos vête-
ments modernes, a dit avec beaucoup de bon sens un
critique, puisque nous n'avons pas le courage d'en chan-
ger... La postérité sera peut-être plus indulgente pour
nous que nous ne le sommes nous-mêmes, et nos descen-
dants trouveront certainement un attrait pour leur curiosité
historique dans ces ajustements, si singuliers qu'ils puissent
être, comme nous en trouvons nous-mêmes un très vif dans
l'exactitude de certains costumes bizarres du moyen âge ou
du dix-septième siècle qui n'étaient pas, après tout, ni
mieux adaptés que les nôtres à la forme du corps, ni plus
soumis à ses mouvements, ni plus expressifs dans leur
froide rigidité ou dans leur hypocrite luxuriance.
L'année suivante (1889), Chapu fut appelé à la prési-
dence de l'Académie des beaux-arts. Ces déUcates fonctions
ne laissaient pas d'effrayer sa modestie; il les remplit tou-
tefois à la satisfaction générale, et, dans les nombreuses
occasions où il fut appelé à prendre la parole, il trouva
dans son cœur des accents émus et simples, plus près sou-
vent de l'éloquence que de la banale phraséologie officielle.
Cette lourde charge qui lui incombait l'empêcha de prendre
à l'Exposition universelle une part aussi active qu'il eût
souhaité. II contribua cependant à la décoration du Palais
des machines par un groupe colossal, la Vapeur, que l'on
peut ranger parmi ses meilleurs ouvrages. La grande Force
DERNIÈRES ANNÉES. U9
moderne est représentée par une femme qui, dans un
mouvement d'une grâce adorable, va prendre son envolée
vers le ciel, quand un robuste ouvrier l'étreint de ses bras
vigoureux; ingénieuse conception où se retrouve, comme
dans d'autres œuvres de l'artiste, un heureux mélange de
grâce antique et de pittoresque moderne.
On peut voir encore aujourd'hui la Vapeur y qui fait pen-
dant à un groupe de Barrias, Y Electricité ; il est regrettable
toutefois que l'État, poussé par des raisons d'économie,
n'ait pas cru devoir reproduire ces œuvres dans une
matière plus durable, car l'enduit de sihcate dont on les a
revêtues, appliqué prématurément sur le plâtre, se détache
peu à peu en croûtes épaisses, et il est à craindre que d'ici
peu ces deux belles œuvres ne soient irrémédiablement
compromises. Dans la section de sculpture, Cliapu avait
envoyé la statue du jeuue Desmarres, ime Peinture, des-
tinée au musée Galliera, et plusieurs bustes, entre autres
celui du président Carnot, que de nombreuses épreuves en
biscuit de Sèvres ont popularisé, et où il a très heureuse-
ment rendu, dans sa correction un peu gourmée, la figure
impassible et réguhère du chef de l'État. Il était en même
temps représenté au Salon des Champs-Elysées par une
figure en haut relief, Y Espérance , pour le tombeau du
comte Tyszkiewicz. C'est une femme au regard mélanco-
lique et grave, assise sur un rocher contre lequel se brise
la mer; de la main droite elle montre le ciel, tandis
que de la gauche elle se retient au rocher. Ou retrouve
dans cette figure ses qualités habituelles d'élégance et
de pureté classiques, et s'il est permis de regretter que des
draperies, un peu lourdes peut-être, voilent trop discrète-
150 CHAPU.
ment le r^'thme majestueux de ce beau corps de femme, on
ne peut qu'admirer l'impression de tristesse résignée et .
sereine qiii se dégage de l'œuvre.
Heureux le mortel qui, touchant aux noirs confins de la
vie, lègue à ses enfants une bonne renommée, le plus pré-
cieux de tous les biens! Nous trouvons cette mélanco-
lique pensée notée sur un des albums de Ghapu pendant
Tannée 1890. Sans doute, il Ta transcrite pendant un de
ces longs jours d'hiver où la maladie l'a cloué dans son lit.
Sa santé, en effet, a subi une assez grave atteinte, et pen-
dant plusieurs semaines il a dû vivre éloigné de ses chers
ateliers. Malgré sa vigueur déclinante, il trouvera la force
de mener à bien différents travaux depuis longtemps com-
mencés, et cette année ne sera pas moins féconde que les
précédentes. C'est pendant ces longs mois d'hiver qu'il
achèvera son fronton de la nouvelle Sorbonne , une statue
de saint Germain pour le Panthéon, un bas-relief en
bronze pour le tombeau d'une grande dame américaine au
Père-Lachaise, et le tombeau de Mlle Labiche, cette char-
mante création dont nous avons déjà parlé et qu'on regrette
de voir perdue dans un modeste cimetière de campagne.
En même temps qu'il esquissera cent projets divers pour le
monument de Félicien David, pour la statue de Balzac et
celle de Millet, il trouvera encore le temps d'achever les
bustes de MM. Zographos, de Gharton, de Thiers, de Der-
villé et de son vieux camarade Daumet, et aussi la médaille
de M. Bapterosses, sa dernière œuvre, croyons-nous, dans
ce genre.
A peine convalescent, il ne craint pas d'aller braver,
DERNIÈRES ANNEES. 151
dès le printemps, le rude climat de Seravezza, où il veut
terminer le monument de Flaubert que ses praticiens ont
été ébaucher sur place. Il y demeure plusieurs semaines,
travaillant avec l'entrain de ses premières années, fai-
sant des « séances de six heures » et ne s' arrêtant qu'à
la nuit, si fatigué qu'il s'endort au milieu de son repas. Le
bruit de son séjour en Italie est venu jusqu'à Lucques, dans
la paisible retraite du comte de Nieuwerkerke qui, jadis, a
protégé les débuts de l'artiste. Malgré ses quatre-vingts
ans, l'ancien surintendant des Beaux-Arts vient visiter
Ghapu. Notre sculpteur se montre tout confus de cet hon-
neur et admire la bonne grâce et l'intelligence alerte de
ce superbe vieillard, qui lui donne, au sujet de Flaubert
qu'il a personnellement connu, de précieuses indications.
Chapu n'a pas encore terminé sa besogne que des
lettres pressantes le rappellent à Paris; mais sa lassitude
est telle qu'il croit devoir prendre une semaine de vacances.
Le duc d'Aumale l'a plusieurs fois invité à venir le voir
en Sicile; notre sculpteur profitera de l'occasion, et,
au lieu de retourner à Paris, se rendra directement à
Naples pour, de là, gagner Palerme. Le voilà en chemin
de fer, notant, suivant son habitude, ses moindres impres-
sions : « Le soleil baisse, éclairant les montagnes à l'horizon;
« je reconnais l'Étrurie et cette campagne romaine que j'ai
« si souvent battue autrefois... Comme c'est loin! n II ne
fait que traverser Rome et arrive à Naples, où les impres-
sions de sa jeunesse lui reviennent en foule avec les souve-
nirs de ses excursions joyeuses à Capri et au Vésuve, en
compagnie de Gaillard, de Bizet, de tant d'autres qui ne
sont plus. Rien de changé d'ailleurs. « G'est toujours la
152 CHAPU.
u même ville, gaie, bruyante et sale; c'est toujom-s devant
» le quai le même splendide panorama. » Mais le vapeur
qui doit le transporter en Sicile est déjà sous pression. Il
n'a que le temps de faire au Musée un court pèlerinage.
Le lendemain, après une traversée de douze heures,
Palerme lui apparaît au milieu des bi*umes du matin, bien
encadrée par des montagnes d'une belle silhouette, dans un
décor qui sent l'approche de l'Orient.
LA CAMPAGNE ROMAIKE.
La réception que lui fait le prince l'enchante : « Nous avons
fait le tour du parc, c'est un véritable paradis; d'immenses
bois de citronniers et d'orangers couverts de fruits, la plus
belle végétation rassemblée dans un nid de verdure... La
laiterie est surmontée d'un belvédère d'où l'on a une vue
splendide sur toute la campagne; les clôtures sont faites
d'épais massifs de rosiers aux fleurs d'un pourpre sombre. »
« ...Hier, nous avons visité Agrigeote. Le chemin de fer
« nous a conduits à la côte sud de l'île, celle qui est la plus
« rapprochée de la côte d'Afrique. L'intérieur de l'île est
DERNIERES ANNEES. 153
u montueux, pas très élevé; les montagnes sont arides;
« quelques villages perchés sur ces sommets pierreux et
« groupés déjà à la manière de FOrient... Sur une émi-
« nence qui domine la mer, une ligne de temples se des-
« sine; deux sont encore debout; les autres ont été ren-
*« versés par les tremblements de terre; colonnes et
« chapiteaux gisent disjoints et ruinés sur le sol. Nous
« avisons le mieux conservé, le temple de la Concorde, et,
« après l'avoir visité, nous déjeunons dans Tombre d'un
« mur, ayant devant les yeux un panorama superbe : en
« face de nous, la mer, qui, secouée par le siroco, a des
« teintes d'opale, et à droite et à gauche les côtes de Sicile
« qui se perdent dans Téloignement en silhouettes fines et
« légères. La pierre des temples est d'un beau jaune doré
« qui contraste bien avec la pâle verdure des oliviers ; on
« se croirait eu Grèce.
« Nous sommes allés voir, à sept kilomètres de la ville,
« l'église de Monreale, une des plus belles choses du
« monde, dans le genre de Saint-Marc de Venise, église
tt couverte de mosaïques d'une très belle ordonnance. »
Ce voyage semble avoir laissé dans l'esprit de Cbapu
une impression ineffaçable... Il voulait y retourner l'année
suivante, et de là aller en Grèce. La mort ne le lui permit
pas.
Bien que dans ces dernières années Chapii n'ait donné
aucun signe de défaillance, la critique cependant semble
lasse de le couvrir de fleurs, et les éloges qu'on lui décerne
n'ont plus la même unanimité. Beaucoup l'écrasent sous
le poids de sa propre gloire, lui opposant sa Pensée, sa Jeu-
154 CHAPU.
nesse ou son Immortalité; quelques-uns même, saluant avec
une ferveur peut-être exagérée T aurore de certaines répu-
tations nouvelles, en profitent pour attaquer irrévérencieu-
sement Tidéal de Chapu dans ce qu'il a de pureté classique
et de grâce un peu convenue.
Ces brayants sectateurs, d'un certain naturalisme,
allaient avoir beau jeu à Toccasion de la figure que Chapu
composait pour le monument de Flaubert. Quoi ! pour le
vigoureux prosateur qui avait signé Madame Bovary, avoir
choisi ce doux et tendre poète! Avoir accepté que le
talent hardi jusqu'au cynisme du maître rouennais fût per-
sonnifié par cette Vérité d'une convention toute classique,
à laquelle ne manque aucun des accessoires traditionnels :
ni le puits, ni le miroir, et qui, par-dessus tout, avait la pré-
tention d'être vraie tout en restant belle ! Il y avait là un
beau thème à développer pour tous ceux qui reprochaient
à notre sculpteur de n'être pas assez « vibrant » . Exposée
au Salon de 1890, l'œuvre y obtint cependant un légitime
succès.
Comme la Pensée et Y Immortalité, le monument de Flau-
bert se compose d'une figure allégorique se détachant en
haut relief sur une table de marbre rectangulaire, dressée
dans sa hauteur. Dans ce fond, l'artiste a gravé sur un pan
de rocher les titres des principales œuvres du romancier,
que surmonte son image. Un laurier planté dans le sol se
dresse et vient courber ses branches comme pour encadrer
le portrait de l'écrivain. En avant, assise sur une colonne,
une jeune femme nue, ayant un livre ouvert sur les genoux,
s'accoude du bras droit à un rocher, une plume à la main,
et semble réfléchir profondément. « Si l'on jugeait cette
" î' .i-
; . .'î il-
î . J ■)'
. ■: I : .
-.1 M
Jtchelez phol. ImpV/inniAnn Hébo6 L
I.A PENSÉE
' Tombeau de V/'-^'U Comtesse d'A6cult au Père L.ichaisc :
DERNIERES ANNEES. 155
« figure au point de vue de la composition générale et
« significative, a écrit M. Lafenestre, il y aurait fort à dire.
« Si quelqu'un s'attendait à voir une Muse grecque méditer
« sur son tombeau, ce n'était pas l'auteur, de Madame Bo-
a vary et de Salammbô. Non pas que ce Normand sanguin
« et ironique fût insensible aux séductions puissantes de la
« poésie classique; mais dans la vie antique comme dans
« la vie contemporaine, ce qui paraît surtout l'avoir inté-
« ressé, c'est l'explosion âpre et égoïste des passions com-
« munes et brutales, l'étrangeté et la corruption des siècles
« de décadence plutôt que la grâce et l'élégance des civili-
a sations à leur apogée. » Il ne faut donc pas voir dans
cette figure la muse de Flaubert, allégorie qui, par paren-
thèse, eût été singulièrement difficile à incarner dans le
marbre, mais une personnification plus générale, comme
la Vérité ou encore V Inspiration . Qu'importe, au reste? Ce
qu'il est intéressant de constater, c'est que dans cette œuvre,
la dernière de celles que Chapu ait pu voir exposées, on
retrouve intactes toutes les qualités qui ont fait sa gloire,
la noblesse de l'imagination plastique, la sûreté de l'exécu-
tion, et par-dessus tout ce charme mystérieux et doux qui
émane de toutes ses figures de femmes, cette grâce pénétrante
et chaste cependant qui est comme sa marque distinctive.
L'inauguration du monument de Flaubert eut lieu le
23 novembre, sous un ciel de suie que balayaient par in-
stants de violentes rafales. La cérémonie fut longue, et aucun
discours ne fut épargné aux assistants qui grelottaient sous
cette horrible tempête de pluie et de vent. Pendant que se
déroulaient les habituels panégyriques et que chacun cher-
156 CHAPU.
chait à glaner un peu de renom en racontant la gloire du
mort, Chapu, qui, avec Flaubert, aurait dû être le vrai
héros de la fête, se tenait modestement à récait, enveloppé
dans une vaste fourrure d'où sa tête émergeait à peine.
Bien peu, dans la foule des curieux, devinèrent le grand
artiste dans ce petit homme à la barbe presque blanche, à
la figure douce et fatiguée; en revanche, tous ceux de ses
amis qui étaient là furent douloureusement frappés de l'al-
tération de ses traits.
Depuis quelque temps, en effet, sa santé ne laissait pas
d'inquiéter les siens. Sa complexion avait toujours été déli-
cate, et la rude vie qu'il menait dès son enfance l'avait
prématurément usé. D'autres causes, toutes morales celles-
là, allaient avancer l'œuvre de destruction dont les effets,
lentement, se faisaient sentir.
Nous avons dit que Chapu s'était marié en 1880. Aucun
enfant n'étant né de cette union, le maître reporta sa ten-
dresse sur une nièce de sa femme, ime orpheline que sa
mère, à son lit de mort, lui avait léguée. L'enfant grandit,
entourée de tous les soins, de toutes les prévenances, de
toutes les gâteries. Aucun maître ne fut épargné pour
ajouter aux charmes qu'elle tenait de la nature les séduc-
tions d'une éducation brillante, et quand, vers 1887, elle fit
son entrée dans le monde, elle y fut tout de suite remarquée.
Chapu jouissait en père de ses succès. Tout heureux de
promener à son bras cette belle jeune fille, il était devenu
presque mondain, lui le plus casanier des hommes. Déjà il
la voyait mariée, à un artiste peut-être, et ouvrant ainsi à
sa vieillesse tout un horizon de bonheur intime... Ces joies,
hélas! devaient lui être refusées.
DERNIERES ANNEES.
15T
Le hasard d'une cure aux eaux de Saint-Honoré fit con-
naître à la jeune fille un médecin de rétablissement, le
docteur C... Quelques mois plus tard, les deux jeunes gens
se mariaient. Malheureusement, en dépit de sa belle appa-
rence, le jeune époux portait en lui les germes d'un mal qui
ELIE DBLAUKAY
MédaiUc
ne pardonne pas. En pleine lune de miel, il en ressentit les
premières atteintes, et le ménage dut partir sans retard
vers la côte méditerranéenne. Quelques mois plus tard, en
longs habits de deuil, l'enfant chérie du sculpteur revenait
seule auprès de ses parents d'adoption.
Toutes ces tristesses avaient profondément retenti dans
le cœur si tendre de Chapu. Pendant l'hiver que dura
158 CHAPU.
cette lente agonie, cette nature si ferme, si patiente devant
le destin, semble prête à s'abandonner. Il dissimulait cepen-
dant de son mieux ses angoisses, cherchant, dans ses
lettres, à donner aux siens un espoir qu'il n'avait pas,
et quand tout fut fini, il mit toute la douceur de son âme à
panser la cruelle blessure faite au cœur de son enfant.
Dans les grandes crises morales, le travail est le meilleur
réconfort. Ghapu se remit avec acharnement à la besogne.
Jamais il ne travailla plus, sinon mieux, que pendant ce
cruel hiver; jamais il ne prodigua plus libéralement à ses
élèves les merveilleux enseignements qu'il avait coutume
de leur donner.
C'est dans une de ces tournées aux divers ateliers qu'il
dirigeait, que la mort vint le prendre. L'épidémie, qui fai-
sait alors à Paris tant de victimes, trouva dans ce corps usé
une proie facile ; le mal, qui tout d'abord avait paru sans
gravité, se changea subitement en une grave congestion
pulmonaire : trois jours plus tard, le grand artiste s'en allait
doucement vers ces mondes lumineux que jadis son ciseau
avait si merveilleusement évoqués.
Peu d'heures avant le moment suprême, le malade s'était
assoupi. Un peu de mieuXy — ce mieux précurseur de la
mort et qui semble l'ironie du destin, — avait été constaté
parles médecins, qui s'étaient retirés avec de vagues paroles
d'espoir, engageant ceux qui soignaient le maître à prendre
un peu de repos. Seule, sa digne compagne ne voulut pas
le quitter; elle s'étendit sur un canapé dans un coin, où,
vaincue par la fatigue, elle ne tarda pas à s'endormir d'un
lourd sommeil. Chapu, cependant, s'était réveillé, et, avec
cette intuition surnaturelle de ceux qui sont au seuil de
DERNIERES ANNEES.
159
rétemité, il avait vu la Mort qui lui faisait signe. Voulant,
une fois de plus, éviter à ceux qui lui étaient chers le déchi-
rement des adieux suprêmes, il trouva la force de se lever.
A pas lents il se dirigea vers la compagne de sa jeunesse,
celle qui l'avait aidé à supporter les mauvais jours, qui
avait été Tinspiratrice de ses plus belles œuvres. Tendre-
ment, mais du bout des lèvres, il Fembrassa une dernière
fois, comme un enfant que Ton craint d'éveiller; puis, intré-
pide, il retourna vers son lit et y attendit la mort.
La mort de Cbapu causa, dans le monde des arts, une
sensation profonde. Si chacun regretta l'artiste enlevé pré-
maturément à une carrière qui lui promettait encore de
longues années de gloire, l'homme ne fut pas moins pleuré
par ses nombreux amis. Ses funérailles, auxquelles aucune
pompe ne manqua, furent pour quelques-uns de ses vieux
camarades l'occasion de retracer en termes émus les prin-
cipales étapes de sa glorieuse destinée. Mais ce qui mieux
qu'aucun discours faisait l'éloge de cette vie «toute resplen-
dissante de bonté et de droiture, c'étaient les larmes de
l'assistance, l'affliction vraie répandue sur tous les visages. . .
Il dort maintenant son dernier sommeil dans le paisible
cimetière du Mée, près de la maisonnette où il est né et où
il a rêvé la gloire. D'autres auraient souhaité une tombe
plus grandiose; lui, le modeste et grand travailleur, il a
voulu reposer près des humbles travailleurs qui furent ses
ancêtres, au sein de cette sereine campagne où a germé son
tranquille et bienfaisant génie. »
Quelques jours après ces touchantes funérailles, je me
160 CHAPU.
trouvais avec quelques amis dans Fatelier d'Élie Delaunay.
Le grand peintre, bien que souffrant déjà d'un mal qui
devait bientôt le terrasser, avait voulu accompagner son
ami jusqu'à sa dernière demeure, et ce douloureux devoir,
accompli sous un ciel inclément, avait aggravé son mal.
I/artiste était dans son lit, immobile et somnolent, et nous,
un peu à Técart, pour ne pas le fatiguer, nous déplorions
cette pieuse imprudence, que chacun cependant, dans son
for intérieur, admirait. Entendant prononcer le nom tant
aimé de son vieux camarade, le malade sortit un peu de sa
toj'peur et prononça à voix basse quelques mots dont nous
entendîmes seulement ceci : « Chapu, Chapu, âme angé-
lique! » Et deux grosses larmes roulèrent sur ses joues
amaigries.
Est-il plus bel éloge que celui de ce mort par ce mou-
rant?
CHAPITRE V
OEUVRES POSTHUMES DE CHAPU.
L'HOMME ET L'OEUVRE. — CONCLUSION^
^'*?v
Quelques mois avant sa mort,
Ghapu écrivait à sa femme, dans
une de ces lettres pleines de ten-
dresse qu'il lui prodiguait :
« Je voudrais bien me reposer un peu,
mais cela est impossible; il est néces-
saire que je fasse encore beaucoup de
li sculpture pour que tu puisses joindn?
« encore quelque chose aux petites éco-
« nomies déjà acquises... »
L'artiste, en effet, bien qu'il eût depuis
longtemps fait ample provision de gloire, n'était pas riche.
Les lourds frais d'atelier qui grèvent le budget de tout
sculpteur, un état de maison relativement luxueux, et, par-
dessus tout, son inépuisable bienfaisance, ne lui avaient
permis défaire que de chétives épargnes. Dans les dernières
années seulement, il commençait à édifier une petite fortune,
qui, s'il avait vécu, aurait sans doute rapidement grandi.
De toutes parts, en effet, il recevait des commandes largc-
11
L ASTao:«oxiE.
Oas-relief pour le monu-
ment de Le Verrier.
162 CHAPU.
ment rétribuées, La dernière fois que nous le vîmes, Fartiste
contait devant nous, non sans un certain orgueil, qu il avait
ft du travail pour dix ans ». Sans doute il exagérait un peu.
Toujours est-il que, au moment de sa mort, de nombreux
. ouvrages remplissaient ses ateliers, les uns presque terminés,
les autres ébauchés seulement, mais dont la conception était
suffisamment arrêtée pour qu'ils pussent porter la signature
du maître. La plupart de ses esquisses ont été terminées.
C'est une règle presque constante, chez les sculpteurs,
que l'œuvre laissée inachevée par un camarade sera reprise
et menée à bonne fin par quelqu'un de ses émules ; Chapu
comptait dans le monde des arts trop d'amis pour qu'on ne
rendît pas ce pieux service à sa mémoire. Il convient donc
de comprendre dans son Œuvre un nombre assez considé-
rable de sculptures qui, sans doute, au jour où paraîtra ce
livre, auront recule dernier coup de ciseau. Parmi les prin-
cipales il faut citer un ensemble décoratif pour le tombeau
de Thiers, au Père-Lachaise, ensemble dont il avait déjà
exécuté une partie importante, un bas-relief demi-circulaire
représentant le Patriotisme défendant la France, qui sur-
monte la porte du mausolée. Chapu devait exécuter, en
outre, pour être placés à l'intérieur du monument, deux
bas-reUefs représentant la Libération du territoire et Y His-
toire traçant dans l'avenir le nom de Thiers.
C'est pour le même cimetière que l'artiste avait modelé
un groupe funéraire qui devait orner la chapelle de la
famille de Icaza et y rappeler la mémoire d'un fils prématu-
rément enlevé à Taffection des siens. Le jeune homme y
était représenté assis, dans une attitude pensive, entouré
d'attributs qui symbolisaient sa jeunesse laborieuse, tandis
OEUVRES POSTHUMES. 163
que, derrière lui, se détachait la fière silhouette d'une
figure ailée, la Méditation sans doute ou Y Etude. Ce projet
sera terminé par Mercié, qui était déjà pour ce tombeau,
comme pour celui de Thiers, le collaborateur de Chapu.
Autant qu'on en peut juger dans l'état d'avancement où
elle se trouve, l'œuvre sera digne des deux noms qui l'au-
ront signée.
Il nous a été donné de voir également plusieurs esquisses
d'une image funéraire de la princesse Marie d'Orléans (1),
dont l'artiste, peu de temps avant sa mort, avait reçu la
commande pour la chapelle de Dreux, et dans lesquelles on
retrouve l'élégante allure et le sentiment délicat qu'il avait
montrés dans les statues de la duchesse de Nemours et de la
duchesse d'Orléans. Le projet de Chapu, sensiblement
modifié d'ailleurs, a été repris par le brillant sculpteur
Hector Lemaire, qui, sous peu, le terminera en marbre.
Plus intéressant encore est un travail auquel Chapu son-
geait depuis plusieurs années, et dont, au moment de sa
mort, il n'avait achevé que quelques parties. Pendant un
voyage en Bretagne, l'aspect imposant des pierres drui-
diques avait vivement frappé son imagination d'artiste, et il
rêvait de renouveler, au profit de l'art chrétien, cette inven-
tion décorative de la Gaule païenne. L'occasion s'en pré-
senta bientôt^ et il la saisit avec le désintéressement qui lui
était habituel toutes les fois qu'une œuvre s'imposait forte-
menrâ son imagination. C'est pour l'église de Benoîte-Vaux,
(i) Seconde fiUe du roi Louis-Philippe, née en 1813. Mariée en 1837 au prince
Alexandre de Wurtemberg, elle mourut en 1839. Elle se fit remarquer par son
goût pour les arts et son talent de sculpteur. Sa meilleure œuvre dans ce genre
est une Jeanne d'ÀrCy qui figure au musée de Versailles.
164
CHAPU.
en Lorraine, qu'il avait commencé ce Chemin de croix dont
toutes les stations, taillées dans un bloc de pierre d'Euville,
-,__,_ ^. .,^.. . _^, ., devaient se dérouler en
plein air, autour d'une
Pieta, dans un paysage
accidenté. « Il rêvait, a
dit M. Victor Pournel,
d'en faire un chef-d'œu-
vre, et peut-être son chef-
d'œuvre, en portant un
sentiment personnel joint
à un goût sobre et sûr, et
au respect sévère des tra-
ditions, dans ce grand
drame divin trop aban-
donné à la banale exploi-
tation des fabricants d'ob-
jets pieux. » Cette œuvre,
laissée inachevée, est con-
tinuée par le sculpteur
Fosse, un des bous élèves
du maître.
Mentionnons encore,
pour ne rien oublier, dans
cet Œuvre posthume, une
figure allégorique pom'
le tombeau de Mgr de
Bonnechose, qu'a exécutée, d'après une esquisse du maître,
le sculpteur Cariés ; la figure principale du monument de
Millet, récemment inauguré à Cherbourg; un bas-reUef
CROQUIS
Pour la statue d'Hërold, Hôtel de ville de Paru.
OEUVRES POSTHUMES. 165
pour le tombeau de Félicien David au cimetière duPecq (1 ),
une fiçure pour le monument du marquis d'Aligre, un
groupe allégorique à la mémoire de Byron, œuvre impor-
tante qu'un riche banquier grec, M. Skilizzi, avait commandée
à Ghapu , et que doit terminer le sculpteur Falguière ; enfin
plusieurs bustes, entre autres celui de Michau, ancien pré-
sident du tribunal de commerce de la Seine, et celui du
docteur Tessier, de Lyon.
Nous n'avons pas eu le loisir, dans une visite que nous
fîmes à l'atelier de Chapu, peu de temps après sa mort, de
faire l'inventaire des nombreuses statues ou statuettes ébau-
chées, des mille esquisses crayonnées ou modelées qui
l'encombraient, rêves à peine formulés, délicieux embryons
de chefs-d'œuvre qui montraient en quelle plénitude et
quelle vitalité de génie la mort était venue prendre le grand
sculpteur; ces précieuses reliques ont été partagées par sa
veuve entre les élèves et les amis du sculpteur, et il ne faut
pas songer à en dresser une liste, même approximative. Il
nous souvient encore, cependant, d'une charmante Liseuse
que l'artiste destinait à M. Leroy-Beaulieu, d'un projet de
monument pour l'amiral Courbet, d'un charmant groupe,
Héro et Léandre, commandé par le musée de Rennes et qui,
je crois, a été détruit; de plusieurs esquisses pour le monu-
ment de Balzac (2), de plusieurs danseuses, d'un monument
(1) Ce monument, qui aujourd'hui est entièrement terminé et en place, doit
ôtre inauf^uré prochainement. Il se compose d'une figure allégorique qui enguir-
lande de fleurs le buste du compositeur.
(8) Le projet de Chapu représentait Balzac assis, vêtu de son froc traditionnel.
A ses pieds, une figure allégorique personnifiait la Comédie humaine.
Ce projet, après la mort de l'artiste, a été abandonné; c'est le sculpteur Dalou
qui, depuis, a été chargé d'exécuter, sur des données nouvelles, le monument
166 CHAPU.
pour Victor Hugo (1), etc. Une exposition de ces œuvres où
Ton aurait pu voir, dans toute sa fleur, Tintime pensée du
maître, eût été, à notre avis, un véritable régal artistique.
Qu'il nous soit permis de regretter qu'on ne Fait pas tentée.
Nous avons exposé dans les chapitres précédents l'his-
toire des œuvres de Chapu. Cette histoire est celle de sa
vie. Le travail, en effet, y a tenu la plus grande, on pour-
rait dire la seule place. On n'y rencontre ni anecdotes sca-
breuses, ni aventures romanesques. Dès ses premières
années, sa vie est sérieuse, austère presque. A Rome, nous
J'avons vu préférer aux plaisirs bruyants de ses camarades
la paix de son atelier, où pénètrent seulement quelques amis
fidèles comme Bonnat, qui, pendant qu'il dessine, lui lit
quelques tragédies grecques ou quelque fragment de la
Légende des siècles; au seuil de sa vieillesse, ayant obtenu
tout ce qu'un artiste peut souhaiter de considération et
d'honneurs, il fuira les relations brillantes qui s'offrent à lui
pour ne rechercher que les joies paisibles du foyer conjugal
ou la fréquentation d'un petit cercle d'amis de la première
heure, auprès de qui il sera sûr de trouver l'abandon du
cœur et de la pensée sans lesquels il juge qu'il n'y a que
conversations vaines et amitiés douteuses.
(1) « Dès le lendemain de la mort de Victor Ilugo, dit un journal du temps,
MM. Mercier et Ghapu ont improvisé la maquette d'un monument digne du
poète. Au haut d'un escalier, sur un socle, se dresse le poète travaillant, le bras
appuyé sur un des rochers de Jersey. Derrière lui, la Renommée le couronne.
« Sur les marches de l'escalier, la France debout, voilée de deuil, lui rend hom-
mage. La Poésie essaye de consoler un enfant en lui montrant le triomphe du
poète. Enfin, au bas de l'escalier, un Misérable remercie Victor Hugo de ce qu'il
a fait pour lui^ tandis que, à droite, une /eune Ft7/«, qui tient à la main les Chansons
des rues et des hois^ symbolise en chantant l'immortalité des œuvres du poète •
OEUVRES POSTHUMES. 16T
Enfant du peuple, Chapu est toujours resté « peuple »
par la simplicité de ses goûts et la modestie de ses ambi-
tions matérielles. Fils de a petites gens », il a toujours aimé
les humbles, et bien que les hasards de sa carrière Talent
souvent mis en contact avec les grands de la terre, il n'est
jamais parvenu à vaincre en leur présence une sorte de
défiance timide qui lui valut plus d'une mésaventure. C'est
ainsi que, venu à Londres en 1886, pour demander à la
princesse de Galles qu'elle voulût bien lui accorder une ou
deux séances, il n'osa jamais s'adresser directement à notre
ambassadeur pour cette négociation, qui, confiée à des
mains moins autorisées, finit par échouer; ainsi encore que.
Tannée suivante, il hésita longtemps à se présenter à la
cour de Danemark, intimidé par cette société où tout le
monde, disait-il, était empereur ou roi, excepté lui. Cette
timidité ne permettait pas tout d'abord de saisir le charme
de son caractère, et il fallait avoir pénétré dans son intimité
pour apprécier Texquise candeur de son âme et goûter
Tattrait de sa conversation où Ton trouvait le charme d'un
esprit simple et droit, qui s'était formé lui-même loin de la
banalité des idées reçues et des préjugés courants.
Bien qu'il n'eût reçu dans son enfance qu'une instruction
élémentaire, il était arrivé à force d'étude et de volonté à
s'assimiler un ensemble de connaissances assez étendues.
Dès sa jeunesse il cherchera, par d'intelligentes lectures, à
combler les lacunes de son éducation première ; il étudiera
les tragiques grecs, Dante, Corneille, Racine, Young, Ossian,
et parmi les modernes, Victor Hugo, Lamartine et Walter
Scott. Ainsi peu à peu se formera son esprit, et quand il
présidera TAcadémie des Beaux-Arts, l'éloquence simple et
168 CHAPU.
familière de ses allocutions étonnera ceux qui, vingt ans plus
tôt, l'ont entendu prononcer ses premiers discours officiels,
alors qu'étant le doyen des pensionnaires de la Villa Médicis,
il saluait à leur départ ses anciens camarades ou souhaitait
la bienvenue aux nouveaux.
Vers la fin de sa vie, d'autres écrivains, plus austères, le
tenteront : Platon, Jean Reyuaud, Pascal et Le Play. Il a
lu et relu leurs œuvres, les annotant au crayon et transcri-
vant sur ses albums les pensées qui l'ont frappé. Il s'était fait
ainsi, pour son usage personnel, une sorte de bréviaire phi-
losophique où, à des sentences recueillies chez les plus grands
penseurs de l'humanité, il avait joint certaines règles de
conduite, certaines maximes que l'expérience lui avait
dictées. Citons-en quelques-unes, qui montreront que l'aitiste,
chez lui, était doublé d'un penseur :
« Que de peines, que de calculs, que de concessions sont
nécessaires aux ambitieux, et tout cela pourquoi, en fin de
compte? Pour avoir une place, une croix, une médaille de
plus. A quoi cela avance-t-il? Le meilleur, c'est encore une
bonne petite maison entre cour et jardin, avec de quoi y
vivre et se moquer des vaines querelles de Paris. »
« A force de se mêler avec les autres hommes, on perd son
empreinte, on échange son propre caractère contre le carac-
tère général ; on pense avec l'esprit des autres, on cesse d'être
soi-même. »
« Il faut nous considérer dans cette foule comme dans une
île au milieu d'insulaires qui ne demanderaient pas mieux
OEUVRES POSTHUMES.
169
que de nous man^^^er, si nous sommes faibles et craintifs.
C'est comme certains chiens delà campagne de Rome... »
« Règle générale : ne jamais parler de son bonheur à plus
heureux que soi ; c'est aussi imprudent que de montrer son
or dans une auberge mal famée. »
tf L'habitude du monde est un art qui consiste à se faire
bienvenir des caractères les plus opposés et à savoir se tenir
en équilibre sans prendre parti dans aucun camp. »
« tristesse, c'est à ton école que la sagesse instruit
le mieux ses disciples. C'est Dieu qui nous envoie les
chagrins pour fortifier
notre âme. La tristesse
nous découvre les vé-
LESUEUR J. BRETOK.
Croquis faiU à l'Institut
170 CHAPU,
rites qu'effaçait Téclat éblouissant du bonheur. Ainsi la
nuit fait reparaître et briller les lustres innombrables qui
éclairent la voûte du firmament (1). »
On pourrait croire à la lecture de ces fragments que notre
sculpteur était un misanthrope, et que les épreuves de la vie
avaient laissé dans son cœur un levain d'amerlume. Nulle-
ment. Malgré les conseils égoïstes qu'il semble se donner à
lui-même, il est resté toujours tendre, confiant et bon. Cette
exquise bonté trouva, du reste, sa récompense. Aucun artiste,
avec autant de gloire, n'eut si peu d'envieux; aucun ne fut,
toute sa vie, entouré de plus sincères et de plus précieuses
amitiés. Nous avons, dans les précédents chapitres, nommé
déjà la plupart de ces amis. Ce furent au début de modestes
travailleurs comme lui, qui, comme lui, devaient devenir
célèbres : Gaillard, fils d'un marchand de vin, et Baudry, le
petit paysan du Bocage vendéen, et Delaunay, que son père
avait élevé pour être cirier(2)^ comme lui-même, et Bonnat,
et Vaudremer, etDaumet, et Lefebvre. Plus tard, ce furent
les architectes qui surent se l'attacher comme collaborateur.
(1) Cette dernière pensée est manifestement inspirée des Nuits d'Voung.
(2) On appelle ciriery dans la ré^^ion nantaise, les marchands de cierges et
d'objets de piété. Le père de Delaunay, qui habitait Nantes, exerçait ce com-
merce, auquel il joignait, comme la plupart de ses confrères, celui d'entrepreneur
des pompes funèbres. Son industrie étant prospère, il résolut d'y associer de
bonne heure son fils, et quelques personnes se souviennent encore d'avoir vu le
jeune Elie Delaunay accompagner son père dans les enterrements.
Un vieux peintre d'origine italienne, qui enseignait le dessin dans les princi-
paux couvents de Nantes, décida, non sans peine, M. Delaunay père à lui con-
fier son fils et l'arracha à l'obscure destinée qui l'attendait. Delaunay garda tou-
jours la plus vive reconnaissance pour ce premier maître et fit de son fils,
Fabbé Sotta, un remarquable portrait^ exposé il y a quelques années au Cercle
artistique et littéraire de Paris.
o'j:uvres posthumes. iti
ses rivaux dans Tart de la statuaire, ses collègues de Flnstitut,
les amateurs qui se disputaient ses œuvres, tous ceux, en un
mot, qui rapprochèrent, tous ceux qui surent comprendre ce
qu'il y avait dans ce cœur simple de loyauté, de bonté et
de droiture. Vers la fin de sa vie, de nouvelles affections
vinrent le consoler de celles que la mort lui avait ravies. Il
les trouva parmi ses élèves, qui n'ont cessé de proclamer bien
haut tout ce qu'ils devaient à ses conseils éclairés et à sa
touchante sollicitude. Qu'il me soit permis de citer, parmi
ces derniers, Roty, qui, dans un discours ému, attribuait jus-
tement à Chapu la renaissance de l'art jadis dédaipné de la
{jravure en médailles, et François, l'habile graveur en pierres
fines, dont les confidences émues, mieux que les meilleurs
documents, m'ont fait pénétrer dans l'intimité du grand
sculpteur, et Patey, qui, malgré le prix de Rome et les succès
d'exposition, demeurera jusqu'au dernier jour près du maître
et aura la triste joie de lui fermer les yeux.
Pour bien connaître le caractère d'un homme, il est néces-
saire de se renseigner sur son atavisme ; pour juger un
artiste, il faut étudier le temps où il a vécu, les enseigne-
ments qu'il a pu recevoir, les influences qu'il a subies.
Voyons donc rapidement par quelles vicissitudes a passé la
sculpture pendant le demi-siècle qui a précédé la naissance
de Chapu.
La grande tragédie de la Révolution, qui bouleversa si
profondément notre sol, nos institutions et nos mœurs,
devait avoir son contre-coup dans l'art; toutefois, bien
avant 1789, la France était engagée déjà dans une sorte de
réaction artistique. Les fouilles d'Herculanum et de Pompéi,
172 CHAPU.
les études des philosophes, les doctrines et les écrits des
Winckelmann avaient pea à peu ramené vers Tantique
l'attention et le goût des amateurs. Ni la verve brillante de
Boucher et de Fragonard, ni la grivoiserie sentimentale de
Greuze ne pouvaient faire pardonner à leur art ce qu'il avait
de factice et de maniéré, et l'école de sculpture, malgré les
remarquables artistes qui l'illustraient, n'était pas mieux
traitée par la critique. Cest à peine si 1 on reconnaissait à
Pigalle « une certaine vivacité dans ses ouvrages, que l'oii
voudrait cependant plus corrects, plus purs, plus nobles » ;
à Houdon, une exécution riche, facile et hardie, quoique un
peu maniérée; à Falconet, « de la finesse, du goût, de
l'esprit et de la délicatesse » . Partout on déclamait à Tenvi
contre cet art de corruption qu'un prompt retour vers les
saines beautés de l'antique pouvait seul préserver d'un irré-
médiable affaissement.
On sait à quoi aboutit, au moins pour la sculpture, ce
mouvement de Topinion. A la fantaisie prime-sautière et
hbre des artistes de l'ancien régime succéda je ne sais quel
idéal guindé et froid qui, sous prétexte de noblesse, s'interdit
la recherche du caractère individuel; aux mignardes déesses
de Versailles et des Trianons, les pédantes allégories des
Cortot et des Ramey.
L'époque impériale compte cependant quelques bons
sculpteurs : Lemot, qui, dans son Bru tus et son Lycurgue
du Corps législatif, montre une certaine ampleur de style,
jointe à une louable recherche de la vérité et de l'expression;
Ghaudet, qui sculpta la Sensibilité, \ Amour séduisant rame,
et aussi la colossale statue de Napoléon en empereur romain
qui, sous son règne, couronnait la colonne de la place Ven-
OEUVRES POSTHUMES. 173
dôme; Bosio, que Ton sumomma avec un peu d'emphase
rAnacréon de la sculpture; Espercieux, Gois et quelques
autres dont les uoms sout à peu près oubliés aujourd'hui.
Ce n'est d'ailleurs pas en France qu'il faut chercher le
grand sculpteur de l'époque, celui que, de tous les coins de
l'Europe, venaient solliciter les commandes officielles ou
privées. Celui-là habitait Rome et s'appelait Canova. Né
vers le miUeu du siècle précédent, il avait connu les grâces
efféminées de Lemoyne et de Clodion, mais avec sa souple
nature d'Italien s'était facilement plié à la mode nouvelle et
avait vite appris à accommoder à l'antique l'idéal de coquet-
terie sensuelle qui était au fond de son cœur. On ne peut
refuser à cet artiste, un peu trop vanté de son temps, une
incomparable adresse de main, un sentiment délicat et une
grâce que les sculpteurs de son temps avaient à peu près
oubliées; mais il est difficile de voir en lui, avec le docte
Quatremère de Quincy, un continuateur des Grecs, et de
rattacher son art maniéré et sans profondeur à l'école qui,
sous l'impulsion de David, régnait alors dans notre pays.
Les principes de David qui avaient pesé sur l'art avec l'in-
transigeance tyrannique d'un dogme devaient, de son vivant
même, amener une violente réaction. La sculpture, toute-
fois, ne suivit que de loin les exagérations du romantisme,
et si elle répudia avec joie les froides conceptions et l'aride
technique de l'art néo-romain, elle n'évolua que lentement,
timidement presque, vers un art plus indépendant.
Deux noms dominent cette période nouvelle : David
d'Angers et Rude. David, tout en s'inspirant de l'esprit
et des œuvres de l'antiquité, comprit que la première
vertu d'un artiste est d'être de son temps, et son grand
174 CHAPU.
mérite est d'avoir cherché à doter son pays d'un art
national. Un de ses plus fei-vents admirateurs, qui lui a con-
sacré un beau livre (I), résume ainsi son talent : « La carac-
téristique des œuvres du maître, c'est la vie, une vie spiri-
tualiste, sans convention, participant des idées, des passions
et des coutumes de ce siècle... Nature vibrante, aux impres-
sions soudaines et profondes, il se pénètre des hommes ou
des choses qui l'entourent, des événements qu'il traverse.
Les agitations de sa vie, ses mécomptes, ses luttes quoti-
diennes doublent ses forces et multipUent ses pensées...
Mais le statuaire appoile dans la composition d'un sujet le
discernement, le tact, l'expérience du maître... David
d'Angers, qu'on pourrait appeler le Poussin de la sculpture,
a été un artiste philosophe, chez qui le sens esthétique s'est
élevé jusqu'à l'intuition. »
Comparé aux artistes qui l'ont immédiatement précédé,
David fut un novateur. Cependant, par la noblesse un peu
voulue de son style et par l'exagération de la portée philo-
sophique et patriotique qu'il prétend donner à ses œuvres,
David se rattache à l'école du grand peintre son homonyme.
La recherche, à tout prix, du caractère l'entraîne souvent
aux dépens de la vérité, comme la crainte du pittoresque en
sculpture le fait tomber dans la sécheresse et la froideur.
« La sculpture, avait-il coutume de dire, est une religion. »
La religion dont David est le pontife est tant soit peu austère
et fait quelquefois regretter le paganisme enjoué et libertin
qui l'a précédée.
Esprit moins philosophique, génie plus souple et plus
(1) David d*AnrjerSy sa vie, son oeuvre et ses écrits, par Henr^' JouiK. Pion,
édit.
r
BAS-RELIEF
Pour le monument de Félicien David.
OEUVRES POSTHUMES. 177
spontané, Rude ouvrit à la statuaire des horizons nouveaux.
Ce plébéien de Bourgogne, dont l'enfance se passa dans un
atelier de forgeron, loin de toute culture intellectueUe, et qui
ne reçut plus tard que les pauvres enseignements d'une
académie provinciale, n'arriva que tardivement à la gloire,
et c'est après une longue suite de travaux obscurs qu'il put,
dans son Jeune pécheur jouant avec une tortue, et surtout
dans son groupe du Départ^ donner la mesure de son génie.
Ce dernier ouvrage résume l'artiste tout entier, avec sa
superbe entente du mouvement et de la vie, la verve puis-
sante de son style et son audacieux réalisme auquel se
mêlent, dans certains détails de costume et d'attitudes, les
restes d'un lointain attachement au style noble que lui a
enseigné Cartellier.
Le groupe de l'Arc de triomphe, dont personne aujour-
d'hui ne songe à contester la valeur, fit scandale, lors de
son apparition, parmi les partisans de 1' « austère sculp-
ture », et la figure de la Liberté qui le domine fut parti-
culièrement critiquée. David d'Angers, inconsciemment
jaloux peut-être, n'hésita pas à blâmer aigrement la « fausse
chaleur » qui animait les personnages de Rude, l'exubérance
de leur mouvement et la violente expression d'enthousiasme
et de colère qui convulsait leurs visages. « La passion qui
grimace aux heures solennelles est ridicule, écrivit-il. La
laideur n'entraîne point, et le visage de la Liberté, tel que
Rude l'a rendu, est hideux. » Ces critiques, qui font sourire
aujourd'hui, montrent assez bien l'esthétique étroite et mes-
c[uine à laquelle obéissait alors la sculpture. Quoi qu'il en
soit. Rude est le véritable émancipateur de jla statuaire
moderne; c'est de lui que se réclament ceux qui sont épris
12
178 CHAPU.
avant tout du mouvement, de la vie, de Tintime vérité du
présent; c'est le père des Carpeaux, des Falguière, des
Frémiet.
Au moment où Chapu va partir pour Rome, l'art des Phi-
dias, des Michel-Ange et d'Houdon végète sans idéal précis,
saus conviction sérieuse. Rude vient de mourir, et David ne
tardera pas à terminer sa glorieuse carrière. L'école con-
temporaine compte, il est vrai, un sculpteur de génie, Rarye ;
mais c'est un de ces hommes exceptionnels comme il en
surgit quelquefois dans l'histoire de l'art, et qui, sans
ancêtres, ne doit pas laisser de descendants. Les maîtres
en vogue sont Pradier, « le faiseur de statuettes, l'habile
ouvrier qui a été pendant vingt ans l'un des artistes les
plus goûtés du monde élégant de Paris » , comme l'a écrit
un de ses élèves dans un éloge qui semble parfois mêlé
d'ironie (I), et Duret, esprit plus fécond que profond, dont
réclectisme aimable se manifeste dans une foule d'oeuvres
d'une habileté incontestable, mais où la pensée n'est pas
toujours à la hauteur de l'exécution.
Tels sont les maîtres que le hasard donne à Chapu pour
guider ses premiers pas. Le jeune artiste, dès son entrée à
l'école, voit combien mince est le filon exploité par ces deux
artistes ; il sent qu'il y a mieux à faire, mais il ne voit pas
encore clairement où il trouvera son inspiration. Les beautés
de l'art antique ne se sont pas encore révélées à lui; il ne
les voit qu'à travers ceux qui s'en sont inspirés au commen-
cement du siècle : Flaxmann, Canova, Thorwaldsen, et les
froides conceptions de Louis David, le mettent en défiance
{{) La vie et les ouvrages de Pradier, par un de ses plus anciens élèves
(A. Etex). Paris, 1859, in-8".
OEUVRES POSTHUMES. 179
contre cet art tant vanté. « Je crois entrevoir, écrit-il, que
mes compatriotes manquent d'un sentiment intime et
expansif ; moi-même, je sens que je me préoccupe trop de
l'arrangement et pas assez de la chaleur du jeu des passions,
de Tâme des personnages d'une scène... Mais, tiraillé en
tous sens, je me demande où est la véritable bonne route. »
Quelques mois de séjour à Rome ont bientôt dissipé ses
incertitudes. Sous ce beau ciel d'Italie, qui est comme son
décor naturel, l'art antique lui est apparu dans toute sa
splendeur. Ni la sincérité naïve des Quattrocentistes, ni la
grandeur tragique de Michel-Ange ne le détourneront d'un
culte auquel il restera toujours fidèle. Écoutons-le, au reste,
faire sa profession de foi.
« Le sculpteur, a-t-il écrit, peut être sollicité par des
maîtres de caractères différents, par des écoles où le
style s'est transformé avec une étonnante variété, mais sa
source est une. L'art grec en a eu la vision supérieure
avec le Canon antique, basé sur le plus bel équilibre de la
santé, de l'agilité et de la vigueur; il en a déduit, avec
une logique simple, des principes qui resteront les meil-
leurs et hors desquels il ne peut y avoir que fantaisie ou
étrangeté.
« Aucune époque, aucun peuple n'a surpassé l'art plas-
tique de la grande époque de Phidias, et ce peuple athénien
dont le nom seul a je ne sais quoi d'achevé, tant il éveille
d'impressions souveraines dans une âme d'artiste.
« Le secret des anciens n'est ignoré de personne. Us ont
supérieurement compris, aimé et interprété la nature. Or,
comme la mission de l'artiste est renfermée dans ces trois
mots, il en résulte que celui qui a l'intelligence, l'amour et
180 CHAPU.
le goût, est nécessairement sur la voie suivie par les sculp-
teurs grecs. »
Ces règles un peu étroites du Canon antique (1), Chapu
les a toujours religieusement observées. Peut-être même,
au moins dans ses figures purement imaginatives, y est-il
demeuré un peu exclusivement soumis. Ce que ses œuvres
y gagnent en beauté sereine et en grâce idéale, elles le
perdent quelquefois en originalité et en verve caractéris-
tique. En revanche, la longue contemplation des chefs-
d'œuvre anciens lui a appris, mieux qu'à aucun autre. Fart
si difficile de draper, la simplicité ou la sobriété du style,
l'éloquence du geste, l'ampleur des attitudes. Le culte pas-
sionné qu'il professe pour l'art grec ne va pas, du reste,
sans discernement et ne l'entraînera jamais à une imitation
servile. u Étudier le beau réalisé, écrit-il de Rome sur un
de ses albums, c'est apprendre à trouver le beau dans la
vie, mais il faut avant tout que Y homme se voie dans ses
œuvres. C'est ainsi qu'on acquiert l'originalité, et non en
rejetant de propos délibéré tout ce qui est établi. » Ces
quelques lignes montrent assez bien le caractère de Chapu.
Esprit discipliné et méthodique, ennemi des révolutions vio-
lentes, il n'en est pas moins fermement décidé à secouer le
joug de l'école, à frayer sans fracas une voie nouvelle à sou
art. Il la trouvera sans peine quand, après les patientes
(1) On appelle Canon les rèjvies qui ont été posées par différents artistes pour
établir les proportions relatives du corps humain. Ces règles remontent à la plus
haute antiquité, ainsi que le montre une figure de Tart primitif ég\'ptien qui est
divisé en vingt parties. On croit savoir que Polyclète avait un Canon d'après
lequel il a exécuté son Doryphore, Vitruve, Léonard de Vinci et A. Durer ont
également eu leur Canon. JNous n'avons pas besoin de faire observer tout ce
qu'une observation absolue de ces règles pourrait amener d'arbitraire et de con-
ventionnel en art.
OEUVRES POSTHUMES. 181
études de Rome, où Fart de Phidias a eu manifestement ses
sympathies, il jugera qu'il peut se laisser aller librement à
son inspiration. Que les amateurs de classifications vaines le
rangent parmi les classiques, nous n'y contredisons point,
son art n'en est pas moins bien à lui, et ce discret arôme
d'antiquité qui le parfume ne lui enlève rien de sa saveur
personnelle : l'œil le moins exercé ne pourra confondre ses
œuvres avec celles de Canova, de David ou de Pradier. S'il
fallait absolument trouver à Ghapu un ancêtre dans la
grande famille de l'art, ce n'est pas chez les sculpteurs, mais
chez les peintres que nous le chercherions. Par certains
points, il nous rappellerait Prud'hon, dont il n'a pas la
voluptueuse morbidesse, mais qui, comme lui, a su faire
vibrer, dans des compositions inspirées de l'antique, un
idéal de grâce attendrie et de suave élégance, d'un accent
tout moderne.
Depuis IdiJeunessCy qui fut son premier triomphe, jusqu'au
monument de Mgr de Bonnechose, auquel il consacra les
derniers jours de sa vie, la destinée semble avoir voué
Chapu à la sculpture funéraire. C'est à ce genre qu'il doit
ses plus grands comme ses plus légitimes succès. Dans vingt
œuvres analogues, et qui chez un artiste moins habile
auraient pu offrir des redites monotones, il a su tantôt par
l'heureux choix de l'allégorie, tantôt par la simple évocation
de l'âme disparue, décerner à chacun de ceux dont la
mémoire lui était confiée l'apothéose qui lui convenait,
tantôt majestueuse et tantôt touchante, ici retraçant pour
la postérité les gloires d'une destinée illustre, là parlant
seulement au cœur de quelques amis affligés. En analysant
182 CHAPU.
la plupart de ces compositions, on retrouve l'artiste imbu
non seulement des principes plastiques, mais du génie
même de l'art antique. Pour un artiste chrétien, la mort
ne va pas sans tout un cortège d'images funèbres et d'allé-
gories terrifiantes. Plus douce est l'idée que nous en donne
Chapu. Il semble qu'il ne veuille pas sonder à fond le redou-
table mystère, qu'il n'en parle, comme les anciens, qu'à
mots couverts, avec mille réticences, avec mille euphé-
mismes gracieux. Contemplons le monument de la duchesse
d'Orléans ou bien encore celui de mistress Bancroft au Père-
Lachaise. La tristesse que ces œuvres éveillent en nous n'a
rien d'amer, la mort nous y apparaît douce comme un som-
meil, grave comme une fin d'automne dont la mélancoHe est
tempérée par l'espoir d'un prochain renouveau. C'est une
impression analogue que nous retrouvons devant l'image
funèbre de Mlle Labiche. Cette exquise figure de vierge, si
chaste dans la liliale blancheur de son suaire avec ses longs
cheveux déroulés qui l'enveloppent comme un manteau
soyeux, semble être la traduction en marbre de quelque élégie
de Léonidas de Tarente, et en la contemplant on murmure
malgré soi la gracieuse épitaphe de l'Anthologie : « Terre,
sois-lui légère, elle a si peu pesé sur toi. »
Ces jolies inspirations, Chapu les trouve le plus souvent
dans son cœur. Ne cherchez dans ses œuvres ni un symbo-
lismeprofond, ni une philosophie transcendante. Leur grâce
touchante, de source purement humaine, les rattache au
naturalisme, alors même qu'il traite un sujet de méta-
physique; il admet la doctrine réaliste, à condition toutefois
d'y englober les éléments pittoresques qu'elle comporte,
aussi bien que l'expression des sentiments. Et c'est là peut-
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OEUVRES POSTHUMES. 183
être un des secrets de son charme. On aime chez nous les
génies clairs et les idées simplement exprimées. David
d'AngerS) qu'on a pompeusement nommé »« le sculpteur de
ridée » , ne prenait pas l'ébauchoir sans avoir auparavant
songé au sacerdoce qu'il allait remplir et à la postérité pour
laquelle il ne doutait pas qu'il ne travaillât. Chapu cherche
seulement à faire œuvre d'ouvrier. Ce n'est pas qu'il ait,
moins qu'aucun autre, la probité de son art, ni qu'il se livre
sans discernement aux hasards de son inspiration. Aucune
esquisse n'est modelée par lui qu'elle n'ait subi, dans son
cerveau, une longue gestation; mais ce qui le préoccupe
avant tout, c'est la beauté de la forme, le rythme du mouve-
ment, la noblesse plastique; le reste viendra de soi, les yeux
charmés transmettront au cerveau l'impression morale qui
doit se dégager de l'œuvre. Il est arrivé à ce résultat du pre-
mier coup et comme en se jouant dans sa Jeunesse, qui peut
passer pour une des figures les plus parfaites de la statuaire
contemporaine et qui, aussi longtemps que l'art plastique
aura des admirateurs, proclamera bien hautlenom deChapu.
Sans vouloir diminuer le mérite de ses autres œuvres, il nous
semble que l'artiste ait rencontré dans cette figure la plus
heureuse incarnation de son idéal, qu'on y trouve résumées
toutes ses délicates qualités : la sobriété, l'élégance, la sou-
plesse de l'exécution et ce parfiim de volupté chaste, de grâce
décente qui n'appartient qu'à lui. Sans doute le Berryer est un
noiorceau d'une haute saveur; sans doute la Pem^e et l'/m mor-
^â/{7^sontdes ouvrages sans défaut; cependant, dans l'œuvre
du maître, elles ne viennent qu'après la figure du monument
de Begnault, et, pour les contemporains comme pour la pos-
térité, Chapu est et sera toujours l'auteur de la Jeunesse,
184 CHAPU.
L'influence de l'art grec, dans les premières œuvres de
Chapu, est flagrante. Depuis le Mercure inventant lecaducée,
qui, malgré de remarquables qualités d'exécution, n'est, atout
prendre, qu'un antique habilement démarqué, jusqu'à la
Clytie métamorphosée en toitrnesoly l'artiste semble étroi-
tement soumis à ses lois. Peu à peu, cependant, nous le ver-
rons, tout en restant fidèle à sa poétique habituelle, tendre
vers une sorte de naturalisme épuré dans lequel il cherchera
à faire entrer les éléments pittoresques du monde moderne.
he groupe du monument de Schneider marque le premier
pas dans cette voie, et l'on n'a peut-être pas suffisamment
rendu justice à la hardiesse que montra l'artiste en abordant
sans ambages, sans subterfuge, sans tricherie d'aucune sorte,
ce redoutable problème d'habiller une allégorie de vêtements
contemporains. En cela Chapu s'est montré un initiateur,
et la pauvreté des résultats obtenus par ceux qui l'ont suivi
dans cette voie montre assez quelle science consommée, quelle
entente des lois de la sculpture, quelle mesure et quelle
sûreté de goût il lui a fallu pour triompher d'un tel sujet.
Plus il avance dans sa carrière, plus il semble que Chapu
soit séduit par ce que Baudelaire appelle l'héroïsme de la
vie moderne. Sans doute il regrette parfois la vie ancienne,
la vie robuste et guerrière qui donnait l'habitude des mouve-
ments sérieux, des attitudes majestueuses ou violentes; mais
il songe aussi qu'il faut être de son temps, que puisque tous
les siècles et tous les peuples ont leur beauté, nous devons
inévitablement avoir la nôtre, qu'il faut à tout prix en trouver
le côté épique, et que le meilleur moyen de l'atteindre est
encore une soumission scrupuleuse à l'humble vérité. C'est
cette naïveté consciencieuse qui fait le charme du groupe des
OEUVRES POSTHUMES.
185
frères Galigniani. Il montrera les mêmes qualités dans la
statue de Le Verrier et surtout dans celle de la princesse de
Galles, œuvre singulière où il a une dernière fois témoigné
de rincomparable virtuosité de son ciseau en abordant bra-
vement le costume féminin moderne dans ses multiples
détails, accumulant comme à plaisir les broderies, les soie-
ries, les dentelles, et les mille
falbalas qui font partie de ra-
justement d'une grande dame.
L'œuvre, cependant, ne man-
que pas de puissance, et, en
même temps qu'elle a l'intérêt
d'un document précis, elle se / } " ^/^
P&U H ET,
recommande par une certaine
noblesse affable qui en re-
hausse le caractère et le ratta-
che au grand art. Chapu, si la
mort ne l'avait prématurément
arrêté dans sa carrière, aurait-
il été plus avant encore dans
cette voie? Serait-il arrivé, à force de talent, à réconcilier
l'idéal antique avec les aspirations modernes? Tout ce que
Ton peut dire, c'est que jamais le problème n'a été étudié
avec tant de loyauté, de sincérité et de bonheur.
Ce n'est pas parmi les nombreux bustes que Chapu exposa
pendant près de trente ans qu'il faut chercher son meilleur
titre de gloire. Trop souvent les dures nécessités de la vie
l'ont forcé d'accepter la commande d'images posthumes, où
à l'aide de documents incomplets il s'efforçait de faire
revivre des figures inconnues ou mal connues. Rien d'étonnant
186
CHAPU.
à ce qu'il leur manque cette flamme divine qui illumine seule
les portraits faits par un artiste qui a choisi lui-même son
modèle et, en même temps qu'il a longuement observé ses
traits, s'est pénétré de son être moral, a scruté tous les
replis de son âme. Il est facile, au reste, de faire parmi les
bustes de Cbapu la part entre les œuvres imposées et les
œuvres désirées, entre celles qui sont nées des hasards d'une
commande et celles où l'enthousiasme, la reconnaissance ou
l'amitié ont inspiré son talent. Parmi les premières, le buste
de Dumas peut seul être proclamé un chef-d'œuvre; les
secondes, en revanche, avec des mérites inégaux, ont toutes
cet irrésistible attrait des œuvres faites avec amour. La liste
en serait longue et difficile à dresser; on la trouvera plus
loin, et nous espérons n'y avoir pas laissé trop de lacunes.
Contentons-nous pour le moment de citer parmi les plus
remarquables : le portrait de M. Sédille père, une intelli-
gente et énergique figure d'artiste; celui de Duc, avec son
aristocratique allure de gentilhomme doublé d'un artiste;
ceux de Le Play, du docteur Desmarres, de Robert de Vogiié,
de l'abbé Lagarde, de Barbedienne, figures aimées à cha-
cune desquelles il a su restituer son caractère propre, à
ceux-là la sérénité du penseur et du savant, à celui-ci
l'enthousiasme du courage confiant et jeune, à cet autre le
charme d'un cœur évangélique, à ce dernier la simplicité
souriante de celui qui a vécu par le travail et que le travail
a récompensé.
Quelque remarquables que soient ces ouvrages, ce n'est
pas dans les figures de ronde bosse qu'il a le mieux déployé
ses grandes qualités de portraitiste, mais dans les mille
médailles qu'il a modelées pendant tout le cours de sa car-
OEUVRES POSTHUMES. i8T
rière et principalement pendant les dix années qui suivirent
son retour de Rome, œuvres exquises de spontanéité , de
verve libre et familière que, dans sa modestie, l'artiste
montrait rarement au public, et dont beaucoup, faute d'avoir
été reproduites dans une matière durable, seront sans doute
perdues pour la postérité. Où trouver, sinon dans quelque
atelier d'ancien pensionnaire de Rome, le médaillon de
Schnetz? Que deviendront les rares exemplaires en plâtre du
profil d'Élie Delaunay quand auront disparu les quelques
amis qui conservent cette admirable image du grand peintre?
Où aller voir ceux de Michel Lecoq, de Marie, de Tony
Robert-Fleury, du paysagiste Gibert, de Duret, d'Armand
Dumaresq, des deux Guillaume, l'architecte et le peintre, de
SuUy-Prudhomme et de tant d'autres? Un cadre des médailles
de Chapu ferait bonne figure au Musée du Luxembourg; il
serait encore mieux à sa place et plus utilement contemplé
au Louvre, en face des médailles de David d'Angers. On
pourrait y étudier la manière de faire si différente des deux
artistes et juger qui des deux a le mieux interprété la
nature. Pour nous, depuis longtemps notre opinion estfaite,
et entre l'art gourmé, solennel, emphatique du sculpteur
angevin, et la simplicité naïve, le sincère naturalisme de
Chapu.
En somme, il n'y a que deux manières de comprendre
un portrait, peint ou sculpté. La première consiste à con-
templer le modèle à travers une sorte de transfiguration
morale, à en chercher le caractère dominant, à le ramener,
coûte que coûte, vers un « type » de beauté : c'est manifeste-
ment ce qui préoccupe David d'Angers. Il est encore
influencé par les singulières théories qui, vers le commen-
188 CHAPU.
cément du siècle, dominaient dans Técole (1); il cherche à
« épurer la forme d'après les lois posées par le génie. » De
là dans son œuvre tant de monotonie et de froideur, de là
ces fronts invariablement puissants ; de là cette solennelle
galerie de « grands hommes » qu'aucun sceau individuel ne
marque et dont, pour cette raison, la ressemblance nous
parait suspecte.
La deuxième méthode est de copier simplement, bêtement
la nature avec ses imperfections comme avec ses beautés.
Ainsi travaillaient les médailleurs du quinzième siècle,
ainsi procédaient, en Italie, les Pisan, les Leone Leoni et
les Pastoriuo ; ainsi en Allemagne les Rectz et les Hague-
uauer, ces glorieux ouvriers, qui ne songeaient pas à avoir
du génie et, pour toute esthétique, avaient ce culte rehgieux
de la nature que connaissent seules les âmes simples. Qu'ils
sont beaux, cependant, ces profils de moines ou de podestats,
de bourgeois ou de grandes dames, qu'ils ont ciselés dans le
bronze, et combien cet art naïf et méticuleux, un peu bar-
bare parfois, nous émeut profondément! Chapu, toutes
proportions gardées, appartient à cette école, par son
absence absolue de manière et la sincérité de son observa-
tion. Sans doute, il ne craindra pas, son œuvre ébauchée,
d'atténuer, par un discret travail d'épuration, certains
(1) M. de Fourcaud, dans sa remarquable étude sur Rude, cite, d'après un Traité
de peinture de Paiilot de Montabert, ouvrage estimé vers le commencement du
siècle, quelques-unes des singulières propositions que l'on enseignait officielle-
ment et qui étaient considérées comme des axiomes :
« L'accidentel ne doit jamais altérer l'unité du caractère des formes. »
u Le type du beau n'existe que dans la nature collective et ne se rencontre pas
dans les individus. «
« L'homme est envisagé comme la copie d'un être parfait dont il est plus ou
moins dégénéré. Le but de l'artiste est de retrouver l'homme primitif. <•
MARIE.
Médaille 1864.
OEUVRES POSTHUMES. 191
détails inutiles, certaines disgrâces physiques, dont Taccen-
tuation trop précise nuirait au caractère général de l'œuvre;
mais il y apportera un tel discernement, une science si
sûre, un goût si parfait, qu'aucun de ses personnages n'y
perdra son empreinte individuelle, le sceau particulier dont
la nature, Tâge, les passions ou les souffrances ont marqué
son visage. Aussi, quelle variété! Ne lit-on pas sur le
visage de Schnetz sa verve un peu grosse d'homme san-
guin (1), sur celui de Bonnat la décision unie à la force, sur
celui de Guillaume le recueillement d'un philosophe plus
épris de pensée que d'action?. . . Là est peut-être, en somme,
la partie la plus originale et la plus durable de l'œuvre de
Ghapu, celle qui n'a rien à craindre des fluctuations de la
mode et des caprices de l'opinion. On pourra, au nom d'un
autre idéal, critiquer l'idéal auquel Ghapu s'est rallié dans
ses grandes œuvres; ses médailles, qui ne relèvent d'aucune
mode passagère, seront toujours considérées comme d'ad-
mirables portraits.
Il serait bon, pour compléter cette brève étude, d'appré-
cier le talent de Ghapu au point de vue purement théorique
de son art; mais c'est là une déhcate besogne qu'un sculp-
teur seul pourrait tenter avec une suffisante autorité et que
nous craignons d'aborder, nous qui n'avons jamais manié,
(1) Dans une de ses lettres, datée de Rome (24 août 1853), Baudry parle en ce»
termes de Schnetz : « Je connais peu le nouveau directeur M. Schnetz... mais
j'entends dire que c'est un héros parce qu'on boit de la bière chez lui ; que c'est
un ami de Thunianité parce qu'il vous offre des ci{;ares...et qu'il met à la disposi-
tion de tous sa voiture, ses salons, ses gens, et qu'il raconte de grosses histoires où
l'on rit, on crache et on jure... Notre Schnetz est célibataire, a des cheveux
comme un buisson de chez nous, une taille de cinq pieds huit pouces, et aime les
militaires; aussi sommes-nous truffés de colonels, généraux et autres graines
d'épinards. » {Baudry, sa vie et son œuvre, par Ch. Epurussi.)
IflS CHAPU.
même en amateur, Tébauchoir ou le ciseau. Nous croyons,
cependant, pouvoir dire, sans crainte d'être démenti, que
Chapu était regardé par ses confrères comme un des meilleurs
ouvriers du marbre, et que sa science anatomique n'a jamais
été prise en défaut par ceux qui connaissent le mieux l'archi-
tecture du corps humain. Quelques-uns ont pu lui reprocher
d'avoir parfois un peu trop simplifié la nature et de l'avoir
énervée sous les caresses de son ciseau. En tout cas, ce
n'est pas impuissance de sa part, mais parti pris bien arrêté.
D'autres se sont appliqués à écrire sur le corps humain le
douloureux poème de la vie; ils ont noté scrupuleusement
les déformations que l'âge, le travail ou la misère lui fait
subir, ne nous faisant grâce ni d'une ride, ni d'un calus.
Chapu semble toujours le voir à travers sou originelle
beauté, alors que sa vigueur s'exerçait sans effort au sein
d'une nature obéissante à sa souveraine puissance.
Le temps n'est pas venu d'apprécier la place qui, dans
l'art contemporain, sera réservée par la postérité à l'œuvre
de Chapu. Dans cet immense domaine de l'Art, où le
champ est si vaste, le but si difficile à définir et les moyens
si divers, on ne doit s'avapcer qu'avec une extrême réserve,
et craindre ces jugements téméraires que la génération de
demain infirmera peut-être, en attendant que ses arrêts
soient à leur tour cassés par celle d'après-demain. Aussi
bien n'est-ce pas une préoccupation un peu puérile que de
vouloir assigner uu rang à chaque artiste, de le classer par
ordre de mérite, comme on ferait pour des élèves ayant
tenté le même concours? « Pourquoi, a dit Chapu dans une
de ses plus jolies lettres où il console sa femme de certain
article d'un journal malveillant, pourquoi vouloir mettre
OEUVRES POSTHUMES. 193
sur chaque ouvrage des un, des deux et des trois? Chacun a
son goût particuUer, sa nuance spéciale. Il y a des blonds,
des bruns et des châtains; chacune de ces couleurs a sa
beauté. C'est comme si Toeillet était jaloux de la rose et la
rose du Us. Et encore, la pauvre petite violette doit-elle
pour cela se suicider?... »
La pauvre petite violette? N'est-ce pas lui-même que
Taitiste, dans sa modestie charmante, voudrait ainsi dési-
gner? Après tout, la comparaison n'est pas pour nous
déplaire, et nous l'adoptons volontiers, si l'on accorde que
la violette est une fleur exquise, que son parfum pénétrant
et doux vaut bien la capiteuse senteur des lis, que sa mélan-
colique livrée d'améthyste a sa beauté spéciale qui nous
repose de l'éclat bruyant des roses aux mille couleurs.
Ce qui fait le charme de notre école moderne de sculp-
ture, si souvent et si justement vantée, c'est le nombre et
la variété des talents. On n'y rencontre pas de génies de
vaste envergure, de ces esprits lumineux qui rayonnent sur
une époque et entraînent dans leur sillage tout l'art contem-
porain; en revanche, cette fin de siècle a vu naître et
grandir une glorieuse pléiade d'artistes excellents qui, cher-
chant leur inspiration aux plus pures sources, les uns plus
séduits par la sérénité de l'art grec, les autres plus charmés
par les fastes de la Renaissance, ont enrichi la statuaire
d'oeuvres brillantes et variées. Chapu a été un de ceux-là.
Sans doute il n'a pas la sève débordante de Carpeaux, mais
il possède un goût plus pur, une science plus accomplie, un
idéal plus sain. Il n'a jamais su faire « trembler le marbre «;
mais si jamais on lui avait fait ce reproche, — en admettant
que c'en soit un, — il aurait peut-être répondu que le
13
194
CHAPU.
marbre n'est pas fait pour trembler. Quelques-uns, à sa
gracieuse et sobre concision, pourront préférer la vei-\'e
exubérante d'un Falguière, l'élégant naturalisme d'un
Mercié, ou même la franchise un peu brutale d'un Dalou.
Le nom de Cbapu n'en restera pas moins un des plus grands
de la sculpture contemporaine, car son esprit s'est constam-
ment élevé dans les pures et sereines régions du Beau, et
ses œuvres vivront de longs siècles, car elles sont comme
une suave émanation de cette âme si simple, si belle, si
harmonieuse !
LOCIS XIV.
Statuette brome.
J
NOTICE
ET PIÈCES LITTÉRAIRES
NOTICE
SUR
HENRI LEMAIRE
LUE PAR CHAPU A l'académie DES BEAUX-ARTS
(Séance du 17 décembre 1881)
Messieurs,
Il semble qu'il y ait pour les villes où les arts ont toujours été
en honneur des époques véritablement privilégiées. A peine un
de leurs enfants s'est-il rendu célèbre, que d'autres, guidés en
quelque sorte par une noble émulation, ne tardent pas à
marcher sur leurs traces et à se faire un nom.
Les débuts de Tcxistence si bien remplie de Henri Lemaire
ne sont-ils pas à cet égard bien frappants? En quelques années,
Yalenciennes, dont la réputation artistique s'est, du reste, con-
servée intacte, donne, au commencement de ce siècle, naissance
à un certain nombre d'hommes qui, dans des genres divers, ont
porté haut l'éclat de sa renommée.
Une pareille fécondité n'est-elle pas pour d'autres villes,
dignes émules de cette vieille cité, une source puissante d'en-
couragement? Combien d'intelligences d'élite, d'esprits vrai-
ment supérieurs courraient le risque de rester ignorés, si,
à cause du milieu, du défaut complet de moyens matériels, il
198 CHAPU.
leur était à peu près interdit de se développer et de s'étendre !
Aussi, rhomme qui, plus tard, est parvenu à sortir de la
foule, conserve-t-il, avec le souvenir des lieux où il a été élevé,
un profond attachement au pays qui a été le témoin de ses pre-
mières luttes et de ses premiers succès.
Lorsque Ton se reporte aux traits principaux de la vie
de Henri Lemaire, c'est ce sentiment que Ton voit dominer.
Sa reconnaissance est telle qu'il considère ses œuvres comme
un bien revenant de droit à sa ville natale, dont il associe le
nom à toutes ses joies et à tous ses triomphes. Ne nous est-il
pas révélé, d'ailleurs, par sa correspondance, par les papiers
recueillis après sa mort, combien Lemaire était d'une nature
affectueuse et bonne? Il ressentait pour sa mère une tendre
vénération, et professait pour son vieux maître, M. Léonce de
Fieuzal, qui avait pressenti ce qu'un jour il devait être, un véri-
table culte.
Henri Lemaire naquit à Valenciennes, le 9 janvier 1798,
de parents dont la condition était peu aisée. Son père, petit
tailleur d'habits, subvenait à grand'peine aux besoins de la
famille.
Rien dans ce modeste intérieur n'était fait, à coup sûr, pour
éveiller l'imagination de Lemaire et développer en lui le
goût de l'art. Cependant, encore tout enfant, dès qu'il était
sorti de l'école, il fuyait les jeux de ses camarades pour se
livrer des heures entières à sa passion dominante, qui était le
dessin. Ses parents, cédant aux sollicitations de quelques amis,
le firent, à l'âge de dix ans, admettre à l'Académie de Valen-
ciennes.
On se lassa vite, à la maison paternelle, de voir Lemaire
suivre des cours qui ne devaient pas le mettre, avant bien des
années, en état de gagner sa vie. Six mois ne s^étaient pas
écoulés que l'enfant quittait l'Académie pour devenir petit clerc
de notaire, puis pour entrer dans un bureau de loterie. C'est là
que son avenir devait se décider.
Le jeune employé n'était pas tellement occupé qu'il n'eût
NOTICE ET PIÈCES LITTÉRAIRES. 199
quelques moments de loisir. Aussitôt qu'il était libre, il repre-
nait sa plume et ses crayons. Un heureux hasard le servit. Dans
la pièce où il travaillait, se trouvait un buste de Louis XVI. Il
vint à ridée de Lemaire de chercher à reproduire les traits du
monarque. Il le fit avec tant de bonheur que M. Léonce de
Fieuzal, professeur à l'Académie, sous les yeux de qui le dessin
tomba, fut frappé des dispositions de l'enfant; il décida ses
parents à le renvoyer de nouveau aux cours de l'Ecole ; Lemaire
allait entrer alors dans sa douzième année.
Les progrès de Lemaire furent rapides. C'est qu'en effet si sa
vive intelligence le servait à souhait, il ne pouvait, d'un autre
côté, que tirer grand profit des conseils expérimentés d'un
maître qui l'affectionnait beaucoup.
Ses aspirations, d'accord avec les vues de M. Léonce de
Fieuzal, le déterminèrent à étudier l'art de la sculpture.
Pensionné par ses compatriotes, le jeune Valenciennois se
rendit à Paris, où il entra d'abord dans l'atelier de Milhomme
et devint ensuite l'élève de Cartellier. Il obtint le grand prix de
Rome en 1821, avec une composition : Alexandre le Grand chez
les Oxy dragues.
Ses envois furent nombreux et lui valurent les éloges de
l'Académie. On remarqua principalement la statue d'une Jeune
fille tenant unpapillon, œuvre gracieuse, et le Laboureur de Vir-
gile, encore aujourd'hui dans le jardin des Tuileries.
De retour à Paris, Lemaire allait tenir les promesses qu'il
avait fait concevoir comme pensionnaire de la Villa Médicis.
Protégé en haut lieu, il vit les commandes affluer à son atelier,
où se succédèrent, en quelques années, la statue du duc de
Bordeaux, un groupe de la Vierge, de VEnfant Jésus et de saint
Jean, le tombeau de Mlle Duchesnois, la statue de VEspérance
pour Notre-Dame de Lorette, celle du prince de Condé et,
digne pendant de la Psyché au papillon, la statue d'une Jeune
fille effrayée par une vipère.
Un concours, ouvert pour la décoration du fronton de la
Madeleine, et dans lequel il l'emporta sur ses rivaux, vint lui
200 CHAPU.
permettre d'accroître et de justifier sa réputation d'une façon
plus éclatante.
Lemaire, heureusement inspiré dans le choix de son sujet,
exécuta ce bas-relief que vous connaissez tous, Messieurs, et
qui est, à juste titre, considéré comme son œuvre capitale. La
composition en est claire; le Christ occupe le centre du fronton,
la Madeleine est à ses pieds ; d'un côté l'Ange exterminateur
terrasse les Vices, de l'autre les Vertus s'avancent comme pour
appuyer la prière de la Pécheresse repentante. L'ensemble de
ce grand travail, d'une belle unité, s'impose au regard. L'as-
pect en est magistral, le style large et simple. Les mérites de
l'exécution, brillante dans une partie, sobre dans l'autre, vien-
nent compléter un des plus beaux morceaux de sculpture déco-
rative qu'ait produits notre école moderne.
Lemaire, alors âgé de trente-six ans, était dans la plénitude,
dans toute la force du talent.
A dater de cette époque, on vit sortir de son atelier la statue
équestre de Henri IV ^ qui décorait la façade de l'ancien Hôtel
de ville, la statue de Thémistocley qui est aux Tuileries, le bas-
relief de Marceau pour l'at-c de triomphe de l'Étoile, la statue
de Racine placée dans notre salle des séances, celles du maré-
chal Chevert à Verdun et du général Hoche sur une place de
Versailles, le fronton du palais de justice de Lille, et, destinées
à la galerie du château de Versailles, les statues de Louis XVI et
de Kléber.
Parmi ces œuvres, qui toutes lui font honneur, je crois devoir
signaler spécialement à votre attention la statue de Henri IV,
bronze parfaitement traité et dont l'effet répondait bien à sa
destination, ainsi que le bas-relîef de Marceau^ dont la belle
ordonnance n'a pas été sans vous frapper.
Lemaire venait d'achever un bas-relief pour la colonne de
Boulogne lorsque, dans le cours de l'année 1840, il se rendit en
Russie, où il avait été chargé par l'empereur Nicolas d'exécuter
deux frontons de dimensions colossales pour l'église de Saint-
Isaac, à Saint-Pétersbourg : la Résurrection du Christ et Saint
NOTICE ET PIÈCES LITTÉRAIRES. 201
Isaac persécuté par l'empereur Valens, Ces deux importantes,
compositions, d'un caractère monumental, n'exigèrent pas
moins de deux années pour leur complet achèvement.
A la suite de ces nombreux et remarquables travaux, il était
réservé à Lemaire une suprême récompense, qui est le véri-
table couronnement d'une carrière d'artiste; il fut, le 13 sep-
tembre 1845, élu membre de l'Institut.
Au milieu des honneurs dont il était comblé, le sculpteur
valenciennois n'avait pas oublié sa ville natale, à laquelle il
voulut donner un dernier témoignage de sa reconnaissance en
prêtant le concours désintéressé de son talent à l'érection du
monument de Froissarrl, qui orne une des places de Valen-
ciennes.
La considération méritée dont jouissait Lemaire auprès de
ses compatriotes lui valut d'être élu à plusieurs reprises député
de son département.
Lemaire eut une longue vieillesse, pendant laquelle il ne
cessa de s'occuper de son art et d'aider de ses conseils et de sa
protection, toujours efficace, les jeunes gens qui s'adressaient à
lui. Cette protection, il a cherché à l'étendre même au delà des
limites de sa vie par les deux legs qu'il a faits, l'un à la ville de
Valenciennes pour la création d'une bourse d'élève sculpteur,
l'autre à l'École» nationale des beaux-arts de Paris, pour la fon-
dation d'un prix de sculpture.
11 est mort à Paris le 2 août 1880, à l'âge de quatre-vingt-
deux ans.
Est-il possible. Messieurs, de porter un jugement définitif sur
des œuvres si rapprochées de nous? Depuis un quart de siècle
le goût du public a pu varier; les artistes eux-mêmes ont pu se
laisser entraîner vers un but assez différent. Sans doute il y
a dans Tart, dans le style et dans la manière des écoles, cer-
taines parties qui se transforment; mais les principes mêmes
qui faisaient loi à l'époque de Lemaire ne sont pas destinés
à périr.
La brillante génération de sculpteurs qui compte les noms
202 CHAPU.
des Cortol, des David d'Angers, des Pradier, des Duret, a des
aujourd'hui une page glorieuse dans rhistoirc de la sculpture
française. Elle vivra par ses œuvres, et Lemaire conservera au
milieu de cette pléiade d'hommes illustres une place honorable
et digne.
DISCOURS
PRONONCÉ PAR CHAPU
AUX OBSÈQUES DF.
CLAUDE-FERDINAND GAILLARD
(23 Janvier 1887)
Je viens au nom de ceux qui t'aimaient, tes parents, tes amis,
tes camarades de Tatelier Cogniet et de l'Académie de Rome, que
le coup si brusque qui les atteint a tous consternés.
Je ne ferai pas Téloge de tes travaux, ils sont connus dans
toute TEurope. Les qualités qui distinguaient ton talent méritent
une appréciation raisonnée, et, dans le trouble de Theure pré-
sente, je ne veux songer qu'à l'ami perdu.
Tu avais en toi les qualités natives qui fonl les vrais artistes :
le culte élevé de l'art, la volonté sans défaillances et cette sim-
plicité du croyant qui fait l'âme clairvoyante.
Je t'ai suivi depuis le jour où, quittant les bons Frères Igno-
rantins du Gros-Caillou, tu passas par l'École de dessin, l'atelier
Cogniet pour te rendre à Rome, où t'appelait ton titre de Pen-
sionnaire de l'Académie de France.
Là, chacune de tes années était marquée par un voyage
d'étude. Tantôt tu revenais de Naples, épris de l'antiquité,
tantôt de Venise, plein d'enthousiasme pour les Vénitiens, de
Florence, pour les primitifs Toscans. Ceux-là t'ont charmé
longtemps; ils t'ont rappelé souvent.
204 Cil A PU.
Tu as su puiser dans ces contacts multiples, dans cette suc-
cession d'études cette puissance d'assimilation, qui a fait le
charme de ton talent, et que Ton se plaisait à louer comme
Tune de tes qualités ori{];inales.
Tu n'étais pas un homme de transaction. En face d'un maître,
en présence de la nature, tu te plaisais à fouiller, à pénétrer la
forme ou le procédé, et c'est dans cette recherche patiente,
dans cette observation passionnée que tu as conquis la haute
expérience qui seule permet à l'homme de laisser après lui des
œuvres solides; qui seule, dans les arts, constitue la personna-
lité.
De quelle nouvelle et juvénile ardeur tu fus pris devant ces
deux chefs-d'œuvre que la France attendait de ta main savante,
la Joconde et la Cène de Léonard !
A t'entendre, ce que tu avais produit jusqu'à ce jour ne valait
plus la peine d'être compté ! Tu allais te surpasser toi-même!
Tu demandais à vivre, afin de donner ta mesure!...
Pauvre ami! nous pouvons juger ton chef-d'œuvre entrevu,
par ceux qui nous restent de toi !
Tu n'as eu qu'une seule ambition, celle de mieux faire, et
c'est à cette soif des grandes âmes que tu t'es sacrifié!
Dédaignant le bien-être pour toi-même, tu n'as cessé de faire
un noble usage de ce que tu as acquis par tes ouvrages !
Simple et bon, ainsi t'ai-jc connu aux jours lointains de nos
débuts, ainsi es-tu resté jusqu'à ta dernière heure!
Ce n'est donc pas sans raison que, par une attention touchante,
on t'a revêtu pour ton dernier sommeil de la robe de bure des
Franciscains. Il est bien vrai que tu es demeuré durant toute ta
vie un vrai disciple de saint François ! Ton àme est allée rejoindre
le bienheureux modèle qu'elle s'était choisi.
Adieu, mon cher Gaillard, adieu!
Puisse le témoignage unanime de nos regrets apporter un
peu de consolation à ta vieille mère accablée, à ta famille, privée
de son soutien!
MEDAILLE DE GIBEllT.
DISCOURS
PRONONCÉ PAR CHAPU
AUX OBSEQUES DE
GUSTAVE BOULANGER
(24 septembre 1888)
Messieurs,
Après les trois deuils successifs qui, en quelques mois,
avaient frappé notre compagnie, après les pertes que nous
venions de faire de MM. Questel, Bertinot et François, il sem-
blait qu'un repos de la mort, coïncidant avec les derniers beaux
jours, devait nous être accordé : aussi, la nouvelle du triste évé-
nement qui nous réunit aujourd'hui autour de ce tombeau est-
elle venue nous surprendre, confiants, et lorsque nous étions à
peu près tous dispersés.
L'Académie m'a délégué la pénible mission d'adresser le
dernier adieu à notre cher confrère Gustave Boulanger.
L'affection que vous aviez pour lui. Messieurs, et qu'il avait
su si bien gagner, malgré le peu d'années qu'il lui a été donné
de passer parmi vous, rendra, j'espère, ma tùche moins lourde,
quelque douloureux qu'en puisse être pour moi l'accomplisse-
ment.
D'ailleurs, c'est un simple adieu que je viens dire, car il m'est
impossible, à cette heure, d'apprécier comme il conviendrait
208 CIIAPC.
une œuvre aussi considérable que celle qu'a laissée notre ami.
Élève de M. Jollivet et de Paul Delaroche, Gustave Boulan-
ger dut à ses maîtres le goût et Thabitude d'un dessin ferme et
arrête. Grand prix de Rome en 1849, il séprit en Italie de Tan-
tiquité, et ses connaissances archéologiques lui permirent de
donner à des sujets antiques une réalité imprévue, une vrai-
semblance toute nouvelle.
L'Algérie, avec le caractère pittoresque de ses scènes, la
beauté âpre de ses types dessinés et modelés comme des bronzes,
et qu'il sut rendre aussi ingénieusement que fidèlement, a été
pour une bonne part dans la réputation qu'il s'est justement
acquise.
En résumant ces études variées dans des peintures décoratives
qui lui furent confiées à la mairie des Gobclins et au foyer du
nouvel Opéra, il acheva de marquer sa place parmi les artistes
éminents de l'école contemporaine, et en 1882 vos sufiFrages
l'appelaient à reaiplacer Lchmann dans notre compagnie.
Je ne puis oublier dans cette trop rapide esquisse l'enseigne-
ment, auquel il consacra beaucoup de temps et un infatigable
dévouement.
Ses nombreux élèves, dont quelques-uns certainement m'en-
tendent, ont pu apprécier ses qualités de professeur, son juge-
ment net et précis : c'est à eux, à leurs souvenirs, à leur grati-
tude que j'en appelle.
Pour nous ses confrères, ses amis, nous n'oublierons jamais
son caractère cordial et droit, sa bonne humeur communicative,
partant d'un fonds de bienveillance naturelle et d'un calme de
la conscience qui l'a conservé jeune jusqu'à la fin.
Si une consolation peut nous rester, c'est que les souffrances
des derniers jours lui ont été épargnées. II part avec l'affection
de tous, et c'est au nom de tous que j'en apporte le témoignage
ému sur sa tombe.
Adieu, mon cher Boulanger! adieu!
DISCOURS
PRONONCÉ PAR CHÀPU
COMME PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS
A LA SÉANCE SOLENNELLE DU 15 OCTOBRE 1889.
Messieurs,
La séance qui nous rassemble aujourd'hui nous impose une
double tâche, celle de jeter un regard sur Tannée qui vient de
s'écouler et de couronner les jeunes lauréats sortis vainqueurs
des concours.
La présence des familles, des professeurs et des amis lui
donne cet aspect de fête que nous aimons à revoir chaque
année ; mais comme le voyageur qui entre dans Rome, en pas-
sant par la voie Appienne, et qui, avant de franchir Tenceinte,
salue les tombes des morts illustres, je veux avant tout remplir
un pieux devoir en honorant avec vous la mémoire de notre
regretté confrère Alexandre Cabanel, mort au commencement
de cette année.
La nomenclature des œuvres d'un aussi éminent artiste est
trop longue et la signification en est trop haute pour qu'il con-
vienne de ne les indiquer ici qu'en passant. Notre secrétaire
perpétuel vous en parlera mieux que moi dans un instant. Je
me bornerai donc à vous dire que, malgré les cruelles souf-
frances des derniers jours, Cabanel travailla sans relâche jusqu'à
14
210 CHAPU
la fin. La mort vint le surprendre, et cette main qui traça et
anima tant d'œuvres graves et charmantes s'immobilisa pour
jamais alors que, pour ainsi dire, elle tenait encore le pinceau.
Une vie si bien remplie est un exemple pour les artistes dont la
vie commence. Puissent-ils le comprendre et n'en jamais perdre
le souvenir !
Je dois joindre à l'hommage rendu à notre confrère celui
d'un donateur qui a confié à notre Académie le soin d'accom-
plir ses dernières volontés (1).
Apres avoir rappelé ces souvenirs qui ne justifient que trop
notre deuil ou qui s'imposaient à notre gratitude, j'ai plaisir à
féliciter aujourd'hui nos jeunes lauréats pour qui le Prix de
Rome ouvre si heureusement la carrière. Plus tard nous leur
demanderons de nouveaux et plus grands efforts, mais aujour-
d'hui nous nous joignons à toute l'assemblée pour les applaudir.
Votre avenir, Messieurs, dépendra de l'emploi de ces quel-
ques années que vous allez passer, sans souci matériel, sans
arrière-pensée étrangère à l'art, de ces années qu'il vous sera
donné de pouvoir consacrer entièrement à l'étude. C'est le plus
beau rêve que puisse faire un artiste, et vos maîtres qui ont joui
autrefois du privilège qui vous est accordé aujourd'hui recom-
menceraient volontiers leur apprentissage dans les heureuses
conditions où vous allez faire le vôtre.
Soyez dignes et respectueux vis-à-vis des obligations qui vous
sont prescrites — une longue expérience en a établi l'utilité —
et soignez toute chose avec la plus grande attention, il n'y en a
pas d'indifférente.
On demandait à Raphaël comment il avait pu acquérir ce
talent supérieur; il répondit : a En cherchant à faire toujours
de mieux en mieux. »
Ne rêvez pas de trop grandes choses : un objet d'importance
(l) youi omettuns un passage relatif à différents legs faits a l'Académie par le
peintre Anastasi et les frères Galigniani.
NOTICE ET PIECES LITTERAIRES. 211
raisonnable, mais bien et solidement traité, fera plus pour vos
progrès et votre réputation que de vastes ambitions rendues
d'une façon insuffisante. Une petite monnaie grecque contient
plus d'art que le groupe du taureau de Dircé. Cherchez loyale-
ment l'expression parfaite ; redoutez les prétentions et les inten-
tions vides.
Ne vous détournez donc pas des œuvres du passé. On vous le
disait Tannée dernière à cette même place, appliquez-vous à
deviner ce qui a produit chez les maîtres ce grand souffle d'art,
cette intelligence pénétrante de la nature, cette puissance, en
un mot, de pensée et de vision dont leurs œuvres sont si haute-
ment empreintes. Quel a été leur secret? Ils ont aimé et admiré
avec autant de sincérité que de bonheur la grande œuvre de
Dieu. Ils ont demandé avec foi et de tout cœur, et ils ont obtenu
parce que c'est aux plus fervents qu'il est le plus accordé.
Voyez et faites comme eux.
Je ne veux pas retarder plus longtemps la distribution de vos
récompenses, mais il m'est impossible de rester silencieux
devant cette grande manifestation de notre Exposition univer-
selle et centennale, au succès de laquelle les arts, et les arts fran-
çais surtout, ont eu une si grande part, réconfortant spectacle
qui nous a permis de juger de la marche de notre génération et
de sa vitalité dans ses diverses transformations. A vous, braves
jeunes gens, à continuer et à augmenter ce patrimoine inesti-
mable.
Travaillez donc avec confiance ; vous faites partie d'une grande
et généreuse nation, où, du haut en bas de l'échelle sociale, tous
s'intéressent aux vrais talents et les acclament. On y aime les
vaillants dans tous les genres; sachez être et rester de ceux-là.
PIÈCES JUSTIFICATIVES
PIÈCES JUSTIFICATIVES
ACTE D£ NAISSANCE DE CHAPU
Extrait des registres de l'état civil de la commune de Mée.
L^an mil huit cent trente-trois, le lundi trente septembre, quatre
heures du soir, devant nous Denis-Alexandre Yiard, adjoint de la
commune de Mée, officier de l'état civil de ladite commune spéciale-
ment délégué à cet effet, est comparu le sieur Julien Chapu, cocher,
âgé de vingt et un ans, demeurant au Mée, lequel nous a présenté un
enfant du sexe masculin, né audit Mée, le 29 présent mois, à neuf
heures du soir, de son légitime mariage avec Glaire-Philippe Lecoq,
sa femme, âgée de vingt-neuf ans, auquel enfant il a déclaré donner
les prénoms de Henri-Michel-Antoine. Lesdites présentations et décla-
rations nous ont été faites en présence de Laurent Kerich, manouvrier,
âgé de soixante-trois ans, et Thomas Ghapu,jardinier, âgé de trenteans,
ce dernier oncle paternel de l'enfant, tous deux témoins majeurs
demeurant au Mée, lesquels ont, ainsi que le père de l'enfant, signé
avec nous le présent acte après lecture faite, excepté Laurent Kerich,
qui nous a déclaré ne savoir signer.
Signe' : Thomas Chapu, Julien Chapu et Viard.
A Monsieur le préfet du département de Seine-et-Marne.
Monsieur le Préfet,
Henri Chapu, né au Mée, près Melun, le 29 septembre 1833, a
l'honneur de vous exposer qu'il se livre depuis trois ans à l'étude de
216 CHAPU
la sculpture; il est aujourd'hui élève de M. Pradier. Dans les années
1848, 1849 et 1850 il a obtenu dix médailles dont trois d'argfent, la
première en 1849, pour le premier prix de figure, les deux autres en
1850; l'une pour le premier g;rand prix de composition d'ornement à
l'Ëcole nationale de dessin, et l'autre à l'Académie des Beaux-Arts.
Ces succès ont porté ses maîtres à lui conseiller de continuer une
carrière dans laquelle ils le croient destiné à réussir.
Mais des obstacles se présentent à l'accomplissement de ses plus
chers désirs. La très modique fortune de ses parents les empêchera
de fournir plus longtemps à des dépenses qui augmentent à mesure
qu'il avance dans ses études.
Il vous supplie donc. Monsieur le Préfet, de lui accorder votre
bienveillance pour l'aider à obtenir du conseil général un secours
qui le mît à même de faire de nouveaux progrès par des études plus
dispendieuses. Si vous daignez accueillir favorablement sa demande,
il s'efforcera par son application de se rendre digne des encourage-
ments qui lui auront été accordés par le département dont vous êtes
le premier magistrat.
J'ai l'honneur, etc.
H. Chapu.
Paris, le 18 janvier 1851,
rue de Lille, n9 92.
A Monsieur le Préfet de Seine-eUMame.
Monsieur le Préfet,
Honoré de l'attention du conseil général qui l'année dernière,
pour m'aider dans mes études, a daigné m'accorder une somme de
huit cents francs, j'ai fait tous mes efforts pour me rendre digne de
cette faveur, et mes succès et mes progrès attestent de mon zèle.
J'ose donc espérer. Monsieur le Préfet, que sur votre bienveillante
recommandation, le conseil général de la session qui va s'ouvrir me
continuera sa haute protection.
PIECES JUSTIFICATIVES. 217
Pour faire preuve de mes prog^rès, j'envoie à Messieurs du conseil
général deux objets de sculpture : F un est une composition bas-relief
ayant pour sujet Ciiicinnatus au milieu de son champ refusant les
insig^nes de la dictature^ l'autre est un buste un peu plus gros que
nature et a pour sujet un Druide,
Heureux de faire hommagfe à mes concitoyens de ce dernier objet,
permettez, Monsieur le Préfet, à votre serviteur de l'offrir par vos
mains au conseil (jénéral.
Veuillez, Monsieur le Préfet, avoir la bonté, etc.
H. Chapu.
Paris, 28 août 1855.
INSTITUT DE FRANGE
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS
Paris, le 4 octobre 1851.
LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE l'aCADÉMIE
Certifie que conformément au procès-verbal de la séance extraordi-
naire de l'Académie des Beaux-Arts, du samedi 6 septembre 1851,
dans laquelle le second grand prix de (jravure en médailles et en
pierres fines a été accordé à M. Henri-Michel-Antoine Chapu, né à
Mée (Seine-et-Marne), le 29 septembre 1833, élève de M. Pradîer,
membre de l'Institut, officier de la Lé(jion d'honneur, et de M. Bovy,
chevalier de la Lé{jion d'honneur, ce prix lui a été solennellement
décerné dans la séance publique du samedi \ octobre 1851.
Le secrétaire perpétue l,
Raoul Rochette.
218 CHAPU.
INSTITUT DE FRANGE
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS
Paris, le 1* octobre 1853.
LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE l'aGADÉMIE
Certifie que conformément au procès-verbal de la séance extraordi-
naire de TAcadémie des Beaux-Arts, du samedi 10 septembre 1853,
dans laquelle le second (jrand prix de sculpture a été accordé à
M. Henri-Michel- Antoine Cliapu, née au Mée (Seine-et-Marne), le
29 septembre 1833, élève de M. Duret, membre de Tlnstitut, officier
de la LéQion d'honneur, et de feu M. Pradier, ce prix lui a été
solennellement décerné dans la séance publique du samedi 1" oc-
tobre 1853.
Le secrétaire perpétuel,
Raoul ROCHETTE.
INSTITUT DE FRANCE
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS
Paris, le 6 octobre 1855.
LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L*AGADÉMIE
Certifie que conformément au procès-verbal de la séance extraordi-
naire du samedi 8 septembre 1855, dans laquelle le premier grand
prix de sculpture a été accordé à M. Henri-Michel-Antoine Chapu,
né au Mée (Seine-et-Marne), le 29 septembre 1833, élève de MM. Duret
et Léon Co(jniet, membres de l'Institut, officiers de l'ordre impérial
de la Légion d'honneur, et de feu M. Pradier, ce prix lui a été solen-
nellement décerné en séance publique du samedi 6 octobre 1855.
Le secrétaire perpétuel,
F. Halévy.
PIECES JUSTIFICATIVES. 219
MINISTERE d'ÉTA.T
BEAUX-ARTS
Paris, le 2 juin i862.
Monsieur, j'ai Thonneur de vous annoncer que Son Excellence le
ministre d'État vient de décider que votre statue, en marbre, repré-
sentant : u Mercure inventant le caducée », formant votre envoi de
dernière année, comme pensionnaire de l'Académie impériale de
France à Rome, serait acquise au compte de son ministère, moyen-
nant la somme de huit mille francs.
Recevez, etc.
Le chef de la division des Beaux^Arts,
H. COURMONS.
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE
Paris, 14 juin 1863.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous annoncer que, par arrêté en date de ce jour,
je vous charge de l'exécution d'une figure pour la décoration du nou-
veau tribunal de commerce.
Une somme de 6,500 francs vous sera allouée pour ce travail.
Toutefois, suivant un usage adopté par son administration, la
commande n'est définitive qu'après l'acceptation de l'esquisse par la
commission des Beaux-Arts, et si, en cas défavorable, elle est retirée
à l'artiste, celui-ci n'a droit à aucune indemnité.
Vous voudrez bien d'ailleurs, avant de vous mettre à l'œuvre, vous
entendre avec M. Bailly, architecte en chef du tribunal de commerce.
Recevez, etc.
Le sénateur, préfet de la Seine^
FIaussmann.
220 GHAPU.
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE Lk SEINE
Paris, le 3 août 18G5.
Monsieur,
J'ai rhonneur de vous annoncer que, par un arrêté du ... de ce
mois, je vous ai cliarjjé de l'exécution de deux statues pour la déco-
ration de la chapelle des catéchismes àTé^^lise Saint-Étienne du Blont.
Recevez, etc.
Le sénateur^ préfet de la Seine y
Haussmann.
P. S, — Vous voudrez bien d'ailleurs, avant de vous mettre à
l'œuvre, vous entendre avec M. Baltard, architecte-directeur, chargé
de l'inspection supérieure des Beaux-Aris.
MINISTÈRE DE LA MAISON DE L'EMPEREUR
ET DES BEAUX-ARTS
Palais des Tuileries, le 24 juin 1865.
Monsieur, j ai l'honneur de vous annoncer que M. le ministre de
la maison de l'Empereur et des Beaux-Arts a bien voulu, sur ma pnn
posilion, acquérir au compte de son département et moyennant la
somme de trois mille francs une statue en plâtre, ayant pour sujet :
u le Semeur », que vous avez exposée au Salon de cette année sous le
n«290D.
Recevez, Monsieur, etc.
Le sénateur y surintendant des Beaux- Arts,
Comte DE NiEUWERKER&E.
PIECES JUSTIFICATIVES. 221
3IINISTÈRE DE LA 3IAIS0N DE L'EMPEREUR
ET DES BEAUX-ARTS
I NOUVEL OPÉRA
Soumission pour l'exécution de sculpture statuaire.
Je soussi{j^né H. Chapu, sculpteur statuaire, demeurant à Paris, rue
I de l'Abbaye Saint-Germain, n* 13,
M'en^jage envers M. le ministre de la maison de FEmpereur et des
Beaux-Arts à exécuter, pour la décoration du bas de la façade princi-
I pale du nouvel Opéra, une statue en pierre de l'Échaillon, moyen-
I nant le prix à forfait de six mille francs (6,000 francs).
j Ce prix me sera payé par acomptes, jusqu'à concurrence des quatre
cinquièmes, pendant le cours de l'exécution du travail et au fur et à
I mesure de son avancement constaté par certificat de l'architecte. Le
dernier cinquième ne me sera acquis qu'après l'achèvement complet
et la réception définitive de la statue.
Ce travail ne donnera pas lieu au prélèvement en faveur des asiles.
Les frais de timbre, d'enregistrement et de copies de la présente
soumission seront à ma char{je.
Paris, le 25 juin 1866.
Siyné : II. Chapu.
MINISTÈRE DE LA MAISON DE L'EMPEREUR
ET DES BEAUX-ARTS
3Ionsieur, j'ai le plaisir de vous annoncer que par un décret rendu
le 29 juin dernier, k l'occasion de l'Exposition universelle de 1867,
Sa Majesté l'Empereur a bien voulu vous nommer chevalier de l'ordre
de la Lé(jion d'honneur.
Recevez, Monsieur, etc.
Le Maréchal de France y
Minisire de la Maison de t Empereur et des Beaux-Arts,
Vaillant.
«22 CHAPU.
EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1867 A PARIS
La Commission Impériale
offre
à M. CHAPUS {sic), sculpteur
entrepreneur
deux Médailles
en témoignage des services rendus
à l'œuvre internationale.
Paris, le 5 janvier 1868.
Le sénateur, commissaire général,
F. Le Play.
MINISTÈRE DE LA MAISON DE L'EMPEREUR
ET DES BEAUX-ARTS
Palais des Tuileries, le 18 décembre 1868.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous annoncer que Son Excellence le ministre de
la maison de l'Empereur et des Beaux-Arts vient de décider, sur ma
proposition, que vous seriez chargée d'exécuter, pour le compte de son
département et moyennant la somme de huit mille francs , une statue
en marhre ayant pour sujet a Clytée n.
Cette statue, pour l'exécution de laquelle le Ministre vous fournira
le marbre, devra être terminée et livrée avant le 31 décembre 1869 ;
elle sera exécutée d'après le modèle que vous avez exposé en 1866 et
qui devient, par suite de la commande dont il s'ag^it, la propriété de
l'administration.
Recevez, Monsieur, etc.
Le sénateur, surintendant des Beaux-Arts,
Comte DE NiEUWERKERKE.
PIECES JUSTIFICATIVES. 223
MINISTÈRE DE LA MAISON DE L'EMPEREUR
ET DES BEAUX-ARTS
Paris, le 6 avril 1869.
Monsieur,
Je vous annonce que, par arrêté en date de ce jour, j'ai approuvé la
soumission que vous avez souscrite le 18 mars 1869, et ayant pour
objet l'exécution des sculptures qui forment le couronnement du mo-
tif du milieu de la cour de marbre et celle de l'une des statues ailées
à placer sur la balustrade, à l'angle des faces sud et est de ladite
cour, au palais de Versailles, au prix de neuf mille francs et aux
autres conditions stipulées dans votre soumission.
Vous voudrez bien, en conséquence, vous mettre immédiatement à
la disposition de M. l'architecte du palais de Versailles.
Recevez, Monsieur, etc.
Le conseiller d'État, secrétaire général,
Alph. Gautier.
MINISTÈRE DES BEAUX-ARTS
Palais du Louvre, le 6 mai 1870.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous annoncer que vous êtes chargé d'exécuter,
au compte du Ministère des Beaux-Arts, moyennant la somme de deux
mille quatre cents francs, le buste en marbre du comte de Montalembert.
Vous aurez à vous entendre sur les proportions à donner à ce buste
avec l'architecte du palais de l'Institut.
Recevez, Monsieur, etc.
Le chef de la division des Beaux- Arts ^
(illisible)
224 CHAPU.
MINISTÈRE DES LETTRES, SCIENCES ET BEAUX-ARTS
Palais da Loavre, le il jain 1870.
MoNSlECR,
J'ai rhonneur de vous annoncer que M. le Ministre des Lettres,
Sciences et Beaux-Arts a bien voulu acquérir au compte de son dépar-
tement, et moyennant la somme de trois mille cinq cents francs, la
statue en plâtre ayant pour sujet u Jeanne d^Arc à Domremy » que
vous avez exposée au Salon de cette année, sous le n^ 4342.
Veuillez foire remettre au bureau des Beaux-Arts le reçu que vous
aviez retiré lors du dépôt de cette statue au palais de l'Industrie, et
je m'empresserai de foire délivrer à votre profit, sur le Trésor public,
une ordonnance de payement de la somme de 3,500 francs.
A(jréez, Monsieur, etc.
Le chef de la, division des Beaux- Arts,
(illisible)
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE
Paris, le 23 août 1870.
Monsieur,
J'ai rbonneur de vous foire savoir que, par arrêté du 12 avril 1870,
je vous ai chargé de l'exécution de la statue de la Sécurité, pour la
Préfecture de police.
U vous est alloué pour ce travail une somme de 5,000 francs.
Vous voudrez bien avant de vous mettre à l'œuvre vous entendre
avec M. Diet, architecte de la Préfecture de police.
Recevez, Monsieur, etc.
Pour le préfet et par autorisation,
Le chef de section^
L. Michaux.
PIECES JUSTIFICATIVES. 2t5
DIOCÈSE ET VILLE DE PARIS
ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-MARTIN
Paris, le 18 novembre 1871.
Monsieur Chapu, sculpteur,
Le Conseil de fabrique, réuai aujourd'hui, a pu voir le buste de
M. le curé Bruyère; il a été frappé de la beauté de votre œuvre, et de
sa parfsiite ressemblance avec le bon et cher curé, fondateur de notre
Église.
Chacun des membres du conseil rend hommag;e aux rares qualités
de votre buste, à son modelé si net et si vrai, à son exécution si par-
faite en tous points.
Le conseil me charge de vous transmettre l'expression de sa pro-
fonde gratitude.
Veuillez agréer, etc.
Décore,
Trésorier de la Fabrique.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Palais* Royal, le 22 mai 1872.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous annoncer que M. le ministre a bien voulu
acquérir, au compte de son département, et moyennant la somme de
dix mille francs, la statue en marbre ayant pour sujet : u Jeanne
d'Arc à Domremy », que vous avez exposée au Salon de cette année,
sous le n*" 1595.
Agréez, Monsieur, etc.
Le directeur des Beaux-Arts, membre de Clnslitut^
Charles Blanc.
15
ne ciiAPu.
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE
Paru, le 3 juin 1872.
Monsieur,
La commission des Beaux- Arts a accepté avec élog^es, dans sa séance
du 27 mai, votre nouvelle esquisse de la Sécurité, destinée à la Préfec-
ture de police.
Elle vous donne, en conséquence, la commande définitive de ce tra-
vail, en vous engag^eant toutefois à tenir compte des observations de la
commission, dans l'exécution du modèle en terre que vous aurez à
lui soumettre.
Ci-joint un extrait du procès-verbal.
Recevez, etc.
L'Inspecteur général des ponts et chaussées.
Directeur des travaux de Paris,
X...
COMMISSION DES BEAUX-ARTS
Séance du 27 mai 1872.
Extrait du procès ^verbal.
M. Chapu, invité à présenter une nouvelle esquisse de la statue
qu'il doit exécuter, pour la décoration de l'escalier principal de la
Préfecture de police, soumet au jugement de la commission un tra-
vail qu'elle considère comme beaucoup plus satisfaisant que le pre-
mier. La fi{j[ure a de la distinction sculpturale et de la valeur comme
personnification. Toutefois elle a paru pouvoir être améliorée dans
les détails du costume et de la pose.
Le mouvement du bras droit qui semble vouloir protég^er le som-
meil de l'enfant, en l'enveloppant des plis du manteau, ga(jnerait à
être un peu plus nettement déterminé. On pourrait, par exemple, faire
PIECES JUSTIFICATIVES. M7
passer une partie de ces plis entre le bras et la ligne demi-circulaire
du siège, de manière à encadrer Ten&nt dans une sorte de berceau,
ce qui permettrait de rattacher à ce mouvement celui du bras gauche
soulevant un lange, auquel il serait bon de donner un peu plus
d'ampleur.
La figure parait bien assise; cependant les jambes sont trop serrées
dans les plis de la robe; elles prennent ainsi, des genoux aux pieds,
une disposition quelque peu triangulaire, que Tartiste éviterait en
donnant plus de jeu à la draperie qui les recouvre.
La commission s'en réfère à M. Ghapu pour réaliser, dans la mesure
qu'il jugera convenable, les indications qu'elle croit devoir lui donner.
Le Chef de lu division Le Secrétaire-archiviste
des Beaux-Arts, de la Commission,
L. Michaux. L. Tisserand.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
ET DES CULTES
Paris, le i*' juillet 1872.
Monsieur,
Je suis heureux de vous informer que, par décret en date de ce
jour, M. le Président de la République vous a, sur ma proposition,
promu au grade d'ofBcier de l'ordre national de la Légion d'honneur.
Agréez, Monsieur, etc.
Le ministre de l'instruction publique,
des cultes et des Beaux-Arts,
Jules Simon.
Ît8 CHAPU.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Paris, le X mars 1874.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que M. le ministre a bien voulu,
sur ma proposition, vous charger d'exécuter, moyennant la somme
de deux mille quatre cents francs, un buste en marbre de Pierre
Lebrun.
Recevez, Monsieur, elc.
Le directeur des Beaux- Arts,
Ph. DE Chennevières.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Paris, le 15 mai 1874.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que M. le Ministre a bien voulu,
sur ma proposition, vous charger d'exécuter, pour l'église Sainte-
Geneviève à Paris, une statue eu marbre représentant saint Germain.
Une somme de vingt mille francs, payable sur quatre exercices à
partir de 1875, vous est allouée pour ce travail.
Vous pouvez, dès aujourd'hui, vous mettre en rapport avec
M. Louvet, architecte du Panthéon, et j'espère qu'il vous sera pos-
sible de me soumettre, avant la fin de l'année, un modèle de cette
statue.
Agréez, Monsieur, etc.
Le directeur des Beaux- Arts,
Ph. DE Chennevières.
PIECES JUSTIFICATIVES. 2Î9
DEMANDE DE DEUX GROUPES POUR LE CHATEAU
DE SABLÉ (1)
Mon cher ami,
Je vous envoie les plans qui vous permettront de rêvasser déjà un
peu au sujet des deux g^roupes d'enfants porte-lumières que je serais
bien heureux de vous voir faire pour Tescalier d'honneur du château
de Sablé. Le duc de Chaulnes a esquissé sur Tun de ses plans un
projet de composition telle qu'il la conçoit à peu près. Voici ce qu'il
m'écrit : « J'ai voulu indiquer trois ou quatre enfants ayant environ
0",70 de haut, les uns à g^enoux, les autres couchés sous le poids de
la lanterne et soutenant un écusson tourné vers l'intérieur de l'esca-
lier. A droite, seront mes armes; à g;auche, celles de ma femme. Je
ne crois pas que le tout, lanterne et enfants, devrait avoir plus de
1",50. Sur la lanterne on pourrait mettre une couronne ducale. Je
crois me souvenir que dans le grand escalier du Palais royal de
Stockholm, il se trouve de semblables lanternes. »
Vous voyez à peu près ce qu'on désire. Dans quelques jours le duc
de Chaulnes sera à Paris. Je me propose de le conduire à votre ate-
lier et d'y conduire en même temps la jeune et charmante duchesse.
Quel jour, à quelle heure peut-on frapper chez vous en si belle com-
pagnie?
Bien affectueusement.
Tout à vous,
Georges Lafenestre.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS
Paris, le 30 mars 1876.
Monsieur, j'ai l'honneur de vous annoncer qu'en fixant la réparti-
(i) Comme noas l'avons dit plus haut, cette composition n*a jamais été achevée*
MO CHAPU.
tion des travaux de sculpture qui doivent décorer Taile des Tuileries
en construction sur la cour de ce Palais, M. le ministre des travaux
publics vous a confié l'exécution d'un tympan de fronton circulaire
et de deux bas-reliefs. Une somme de 6,500 francs vous est attribuée
pour l'ensemble de ces ouvrages.
Je vous prie de vouloir bien prendre les instructions de M. Lefuel,
architecte du Palais, au sujet de cette affaire.
Recevez, Monsieur, etc.
Le directeur des bâtiments civils
et des palais nationauxy
E. DR Cardaillac.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Palais-Royal, le 1" août 1876.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que M. le ministre a bien voulu,
sur ma proposition, acquérir pour la Comédie-Française votre buste
en marbre d'Alexandre Dumas qui a fi^juré au Salon de cette année.
La somme de trois mille francs, allouée pour cette acquisition,
sera prochainement ordonnancée à votre nom.
Agréez, Monsieur, etc.
Le directeur des Beaux^Arts,
Ph. DE Chennevif.res.
PIECES JUSTIFICATIVES. J31
ASSOCIATION DES ARTISTES PEINTRES, SCULPTEURS,
ARCHITECTES, GRAVEURS ET DESSINATEURS
Paris, le 8 mars 1878.
A Monsieur ChapUj statuaire, officier de la Légion d'honneur.
Monsieur et cher confrère,
Votre cœur est à la hauteur de votre talent si éminent, et nous
sommes heureux de vous témoig^ner notre vive gratitude pour
l'empressement avec lequel vous avez voulu nous offrir une somme
de mille francs au profit de notre caisse de secours et pensions, à
l'occasion du prix biennal qui vous a été décerné avec tant de justice,
et votre nom restera désormais inscrit sur notre tableau d'honneur.
Merci donc encore. Monsieur et cher confrère, et recevez l'assu-
rance de nos sentiments les plus sympathiques.
Signé : Baron Taylor, président, membre de L'Institut; de Fontenay,
H. La VIGNE, Eug. Bellangé, Léon Noël, Charles Rochet, Charles
Lucas, N.-S. Girard, Ch. Lefebvre, Ch. François, E. Berthe-
LEM\, Arthur Roberts, Sghmidt, Frédéric de Courcy, etc.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Paris, le 18 juin 1878.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que M. le ministre vient de décider,
sur ma proposition, que vous seriez chargée d'exécuter, pour l'Institut^
un buste en marbre de M. Thiers.
Il vous est alloué pour ce travail une somme de trois mille francs.
Recevez, Monsieur^ etc.
Le directeur des Beaux-Arts,
Eug. Guillaume.
t3S CHAPU.
MINISTERE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Paris, le 11 DOTembre 1878.
Mo!<SIECB,
J'ai rhonnenr de vous informer qne, par arrêté en date dn 10 no-
vembre, je vous ai nommé membre du conseil supérieur des Beaux-
Arts institué auprès du ministère de l'instruction publique, des cultes
et des Beaux- Arts.
Agréez, etc.
Le ministre de Cinstruction publique,
des cultes et des Beaux^ArtSy
A. Bardocx.
A Monsieur le président de F Académie des Beaux- Arts.
Monsieur le Président,
Je viens vous prier de vouloir bien me présenter a Messieurs les
membres de TAcadémie des Beaux-Arts, parmi les candidats qui solli-
citent rhonneur de remplacer M. Lemaire.
Si je compte quelques succès dans ma vie d'artiste, c'est à l'ensei-
gnement de l'École, aux leçons de mes illustres maîtres, Pradier,
Duret et M. Léon Gogniet, que j'en suis redevable. Il y a plus : l'Aca-
démie a voulu, par un acte gratuit de sa bienveillance, me désigner
à l'attention générale, en me décernant il y a peu d'années sa plus
haute récompense.
Quel que soit le sort de ma candidature, je m'estimerai heureux
de l'avoir posée, puisque cette lettre me fournit une occasion nou-
velle de faire parvenir à l'Académie l'expression de ma gratitude.
Agréez, Monsieur le Président, l'expression des sentiments respec-
tueux et dévoués de votre serviteur.
H. Chapu.
PIECES JUSTIFICATIVES. 233
CERCLE FRANÇAIS DE BRUXELLES
Bruxelles, le 13 septembre 1880.
Messieurs H. Chapu et B.-N. Bourgeois,
J'ai rhonneur de vous confirmer, au nom du Cercle français dont
j'ai rhonneur d'être le président, les conventions stipulées entre vous
et M. Ck. Grand, l'auteur du projet et l'architecte du monument
élevé en l'honneur de nos soldats morts pour la défense de la patrie,
pendant la g^uerre de 1870-1871.
Je crois devoir rappeler ici les termes de la convention :
Entre les soussignés M. H. Chapu et M. Bourg^eois, sculpteurs,
demeurant à Paris, 28, rue Notre-Dame des Champs, et M. Ch. Grand,
auteur et architecte du monument élevé à la mémoire des soldats
français morts en Belg[ique en 1870;
Il a été convenu que MM. Chapu et Bourg^eois s'enga(;ent à faire le
modèle en plâtre d'un sphinx ailé de deux mètres de hauteur sur
l",75 de plinthe, grandeur d'exécution, et à le donner prêt à être fondu.
De son côté, M. Ch. Grand s'engage à payer aux soussignés la
somme de cinq mille francs pour ce modèle, et, vu la modestie du
prix relativement à l'importance de ce travail, si la souscription le
permet, cette somme serait portée à huit mille francs.
Il a été convenu également avec M. Grand qu'un acompte de deux
mille cinq cents francs serait payé après l'achèvement du modèle à
moitié d'exécution.
Paris, le 28 août 1880.
Signé : H. Chapu,
B.-N. Bourgeois.
ACTE DE MARIAGE DE CHAPU
Extrait des registres de l'état civil du XIV* arrondissement de Paris,
L'an mil huit cent quatre-vingt, le quinze décembre, à quatre heures,
par-devant nous Charles-Etienne Divry, maire du XIV" arrondisse-
J34 CHAPU.
ment, officier de l'état civil, ont comparu : Henri-Mîcbel- Antoine
Chapu, statuaire, membre de l'Institut, officier de la Lésion d'hon-
neur, demeurant avenue de l'Observatoire, 18, né au Mée (Seine-et-
Marne), le 29 septembre 1833, fils majeur de Julien Chapu et Glaire-
Philippe Lecoq, son épouse, décédés; ses autres ascendants aussi
décédés, d'une part, et Marie Euphémie-Mélanie Cozette de Rubem-
pré, sans profession, demeurant avenue de l'Observatoire, 18, née
à Amiens (Somme), le 14 février 1847, majeure, fille de Amédée-
Dominique-Gabriel Cozette de Rubempré, décédé, et de Adélaïde-
Euphémie iJoulenger, ^a mère, demeurant à Châlons-sur-Marne
(Marne), dans l'impossibilité de manifester sa volonté, ainsi qu'il
résulte d'un certificat de M. le directeur de l'Asile des aliénés de
Châlons-sur-Marne, en date du 20 novembre dernier, les autres
ascendants de la future sont aussi décédés. Les publications ont été
affichées en notre mairie, les dimanches cinq décembre et douze dé-
cembre courant, sans qu'il soit survenu d'oppositions. Les futurs
époux, interpellés par nous, nous ont déclaré qu'il n'a pas été fait do
contrat de mariage. Les futurs époux nous ont aussi attesté sous sei^
ment, ainsi que les témoins, que leurs aïeuls sont bien décédés, mais
qu'ils igfnorent le lieu de leur décès et de leur dernier domicile.
Les pièces paraphées et annexées sont : les actes de naissance des
futurs, les actes de décès des père et mère du futur, celui du père de
la future, le certificat du médecin concernant la mère de la future et
le certificat des publications, desquelles pièces il a été donné lecture,
ainsi que du chapitre seize, titre cinq du Code civil. Les futurs époux
interpellés de nouveau, afin de savoir s'ils veulent se prendre pour mari
et pour femme, nous ayant répondu séparément et affirmativement,
déclarons au nom de la loi que : Henri-Michel-Antoine Chapu et Marie-
Euphémie-Mélanie Cozette de Rubempré sont unis par le mariage.
Le tout fait, publiquement, en présence de Louis Laforest, conduc-
teur des ponts et chaussées, quarante-neuf ans, rue du Montpar-
nasse, 41; Jules Valez, architecte, trente-cinq ans, rue Bréa, 2i;
Pierre-Louis- Joseph de Coninck, artiste peintre^ cinquante-deux ans.
rue Monsieur-le-Prince, 22; Jules-Clément Cliaplain, graveur en
médailles, chevalier de la Légion d'honneur, quarante et un ans,
36> rue Notre-Dame des Champs, qui ont signé avec les époux et nous
après lecture.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 235
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE
Paris, 19 avril 1881.
Monsieur,
J'ai rhonneur de vous informer que, par arrêté en date du 9 avril
courant, Monsieur le sénateur-préfet vous a chargé de l'exécution de
la statue d'Hérold, destinée à la décoration extérieure de l'Hôtel de
ville.
Il vous est alloué une somme de 4,000 francs pour ce travail, au
sujet duquel vous voudrez bien vous entendre avec MM. Ballu et
Deperthes, architectes de l'édifice.
Agréez, etc.
L'inspecteur général des ponts et chaussées,
directeur des travaux de Paris^
Alphand.
LETTRE ADRESSÉE A CHAPU AU SUJET
D'UNE FONTAINE POUR M. DE ROTHSCHILD
Vienne, 9 octobre 1882.
14, Theresianuin gasse.
Cher Monsieur^
M. de Rothschild m'a communiqué votre lettre du 4 octobre, dans
laquelle vous lui annoncez que vous acceptez de faire le groupe des-
tiné à sa fontaine. M. le baron me prie de vous expliquer ses inten-
tions au sujet de ce g^roupe, et de vous adresser les croquis et rensei-
(][nements qui peuvent vous être utiles. Ainsi que vous verrez sur le
calque ci-joint, la niche primitive a été quelque peu diminuée par
l'intercalation d'un arc. La nouvelle niche est elliptique, tandis que
l'ancienne était en demi-cercle. La profondeur en est donc moindre.
Le culot qui aurait été un peu maig^re pour supporter un g^roupe a
Î36 CHAPU.
été transformé en un piédestal reposant sur le couronnement de la
niche inférieure.
Le groupe aurait comme sujet le « Triomphe de Galathée » . Au
milieu, la déesse assise sur un rocher, ou debout sur une coquille. A
ses côtés> un Triton à mi-corps, sonnant de sa trompe. En avant, un
enfant qui pourrait de son javelot menacer le dauphin de la niche
inférieure et relier ainsi les deux parties de la fontaine. Telle est la
donnée générale, à laquelle vous êtes libre d'apporter toutes les modi-
fications que vous suggérera votre imagination.
Nous avons traduit dans un croquis que vous trouverez joint à cette
lettre le désir de M. de Rothschild. Ce n*est qu'un croqnis d'architecte
dont vous excuserez la naïveté. Le groupe serait en bronze et en
pierre. Les figures en bronze, les roche rs, ornements, etc., en pierre.
Le cul-de-fond de la niche serait décoré d'une coquille, et la partie
inférieure, de glaçons. Il n'y avait pour nous qu'un point important
à déterminer : la dimension à donner à la figure principale pour être
à l'échelle de l'ensemble de la fontaine sans écraser les autres figures
qui décorent la terrasse. Les raisons qui ont amené à choisir le bronze
sont d'abord d'introduire une note colorée et de rester un peu plus
fins que les groupes d'enfants en pierre. Ces groupes sont d'une bonne
dimension et s'accordent bien avec toute l'ornementation de la niche
inférieure, mais une figure humaine proportionnée à ces enfants
serait trop forte pour les objets environnants. Nous sommes ainsi
venus à l'idée du bronze, qui permettra de rester plus fins.
Pour nous rendre compte de la taille de la figure principale, nous
avons fait faire par notre ornemaniste une maquette (bien grossière,
malheureusement) d'après le croquis ci-joint. Nous avons fait photo-
graphier l'ensemble de la fontaine avec cette maquette. Vous pouvez
voir que la taille de la figure milieu est bonne, et peut être conservée.
Nous vous expédierons sous peu cette photographie. Le groupe lui-
même est une monstruosité pure, mais il suffisait pour le but que
nous nous proposions. Nous avons marqué, sur le dessin ci-joint, les
mesures relevées sur place. Nous avons fait préparer un modèle
au 1/8"' (dimension du dessin) assez soigné de la niche, et nous vous
renverrons demain par grande vitesse. Si à l'étude la niche vous
semblerait trop plate, vous pourriez en modifier la courbure et en
augmenter la profondeur. Sur notre modèle, la niche est mobile et
peut se séparer de son encadrement.
PIECES JUSTIFICATIVES. 23T
M. de Rothschild espère ég^alement que, lors de son prochain séjour
à Paris, votre esquisse sera assez avancée pour vous permettre de fixer
le prix de ce travail. Il vous priera d'en remettre le devis à M. Croi-
seau, comme vous l'avez fait pour les autres motifs de sculpture de la
fontaine, avant d*en commencer l'exécution. Toutes les parties en
pierre font corps avec la construction, et seront exécutées ici d'après
vos modèles, comme il a été fait pour la niche inférieure.
Si d'autres renseignements vous étaient nécessaires, ou si vous aviez
quelques objections à nous adresser^ nous sommes entièrement à votre
disposition.
Veuillez agréer, etc.
Baugué.
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE
Paris, le ... novembre 1883.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que la commission administrative
des Beaux-Arts a accepté les esquisses des statues symbolisant le Blé
et le Chant, qui vous ont été commandées pour la décoration de
l'Hôtel de ville.
Toutefois, en ce qui concerne la première de ces esquisses, la com-
mission a trouvé le g^este un peu trop dramatique ; elle a été ég^ale-
ment d'avis qu'il y avait lieu d'apporter des modifications importantes
dans le mouvement.
Ag;réez, etc.
Pour le préfet et par délégation,
L'Inspecteur général des ponts et chaussées,
Directeur des travaux de Paris.
X...
J38 CHAPU.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Palais-Royal, 20 décembre 1887.
Monsieur,
J'ai riioaneur de vous annoncer que par arrêté rendu sur ma pro-
position, M. le ministre vous chargée d'exécuter un buste en marbre
de L. de Ronchaud, ancien directeur des Musées nationaux et de
l'École du Louvre.
Une somme de 2,500 francs vous est allouée pour l'exécution de ce
buste, qui sera placé dans la salle des cours de l'École du Louvre. Un
bloc de marbre sera en outre mis à votre disposition après achèvement
du modèle.
A(;réez, etc.
Le Conseiller d'État,
Directeur des Beaux-Arts,
Castagnary.
LETTRE ADRESSÉE A CHAPU
AU SUJET DU MONUMENT DE MM. GALIGNANi
{Nous avons trouvé ce document dans les papiers laissés par l'artiste.
Il ne porte ni signature ni en-tête administratif; nous pensons en
conséquence que c'est une sorte de note officieuse qu'on lui a fait
parvenir,)
Les maquettes soumises ù l'examen de la commission du monument
Galignani peuvent donner lieu aux observations suivantes :
Et d'abord, nous commencerons par déclarer qu'au point de vue de
PIECES JUSTIFICATIVES. Î39
l'art, les groupes exposés sont irréprochables, et à cet égard, d'ailleurs,
les maîtres ont prononcé; MM. Guillaume, Barrias, Chaplain et Barbet
de Jouy ayant bien voulu nous faire connaître leur avis, il ne nous
appartient pas, il est très loin de notre pensée de vouloir les contre-
dire.
Nous nous placerons donc simplement avec le public pour étudier
l'impression que doivent produire sur lui ces œuvres d'art.
Le premier groupe représente les deux frères, l'un assis et l'autre
debout, examinant ensemble le plan de l'hôpital ; l'attitude des deux
frères est très naturelle, et le laisser-aller de celui qui s'appuie sur
l'épaule de l'autre indique parfaitement la vive affection qu'ils ont
l'un pour l'autre et le généreux et cordial sentiment qui les unit dans
une même pensée de charité. Tout dans ce groupe nous semble par-
fait, et la pose de M. William, dont la main gauche se perd en partie
dans la poche de son vêtement, reproduit très heureusement une atti-
tude qui lui était habituelle, ce qui fera certainement dire à notre
population, pénétrée de reconnaissance pour ses bienfaiteurs : u Oh!
oui, on reconnaît bien là ces bons MM. Galignani, au regard paternel
et la main toujours à la poche pour secourir les malheureux. »
À notre avis, il y a dans ces paroles un véritable succès pour l'artiste
qui a su faire ainsi vibrer la voix du peuple, de manière à la faire
entendre de tous.
Le second groupe nous montre les deux frères assis l'un à côté
de l'autre sur un banc de pierre à large dossier. M. Antoine, qui
est à droite, est tourné de manière à n'être vu que de trois quarts, et
par sa pose très accentuée il semble demander impérativement à son
frère Tapprobation du plan qu'il lui présente, et celui-ci, étendant sa
main droite en l'air, parait effrayé du sacrifice qu'on lui impose.
Ce groupe, fort bien d'ailleurs, est surtout très mouvementé, trop
mouvementé peut-être, à notre avis, car par leur attitude les deux
frères n'ont pas l'air d'être parfaitement d'accord. Il semblerait qu'il
y a discussion entre eux, et discussion assez vive, si l'on en juge par
la pose de M. Antoine.
11 serait fâcheux cependant que cette pose pût être interprétée de
cette façon, car cela serait jeter dans le public une défaveur sur l'un
des deux frères, lesquels pourtant étaient si réellement et toujours si
parfaitement unis pour faire le bien.
Comme détail, nous signalerons les quatre jambes des personnages
J40 CHAPU.
que Ton ne voit qu'à moitié, et qui pour cette raison ne sont pas d'un
bien heureux effet.
Mentionnons encore le dossier de pierre qui semblerait indiquer
que ce groupe est plutôt destiné à être adossé à une grande construc-
tion qu'à être mis comme statue au milieu d'une place ou d'un jardin
public.
Quant à l'assemblage qui a été proposé du marbre pour le banc et
du bronze pour les personnages, nous n'en serions pas partisan :
d'abord parce que la différence de couleur des parties de ce monu-
ment lui retirerait son esprit d'ensemble, et ensuite parce que le
marbre étant moins durable que le bronze, on pourrait bien éprouver
quelque inquiétude sur ]e sort des personnages, si dans quelques cen-
taines d'années le banc venait à leur manquer tout à coup.
En résumé, les deux groupes soumis à l'examen de la commission
sont très bien réussis et parfaitement dignes de la main de l'artiste qui
a bien voulu s'en charger. Le choix à faire entre les deux est difficile,
et cependant, comme ce choix ne peut porter que sur une œuvre d'art
de premier mérite, ce n'est plus qu'une question d'appréciation, et
pour ainsi dire de sentiment personnel.
A ce point de vue, nous n'hésiterons donc pas à faire connaître notre
préférence pour le premier de ces groupes, dont l'expression calme et
tranquille des personnages fait rêver au bonheur que l'on a de pouvoir
secourir les malheureux, et, à notre avis, c'est bien là le sentiment de
charité que doit inspirer la vue du monument des frères Galignani.
1« octobre 1884.
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE
Paris, le 26 janvier 1887.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que la commission des Beaux-Arts
a, dans sa séance du 17 janvier présent mois, prononcé l'acceptation
PIECES JUSTIFICATIVES. 241
de Tesquissc du haut relief que vous avez exécutée pour ]a décoration
d'un des frontons de la façade principale de Ja Sorbonne.
La commission a toutefois été d'avis qu'il convenait de vous inviter
à donner un peu plus d'air à l'ensemble de votre composition, dont
les personnages sont un peu trop serrés, et de simplifier les accessoires,
et notamment le fauteuil de la figure principale.
Veuillez, agréer, etc.
L'inspecteur général des ponts et chaussées <i
Directeur des travaux de Paris^
ÀLPHAND.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
DES CULTES ET DES BEAUX-ÀRTS
Palais-Royal, 10 janvier 1888.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous annoncer que M. le Ministre de l'instruction
publique, des cultes et des Beaux- Arts vous charge d'exécuter un buste
en marbre de M. Sadi Carnot, président de la République, et vous
alloue pour cette commande une somme de trois mille francs.
Lorsque le modèle sera terminé, je vous demanderai de le mettre
pendant une quinzaine de jours à la disposition de la manufacture
nationale de Sèvres, pour qu'elle puisse en faire une réduction, le
buste devant être exécuté en biscuit de Sèvres.
Le modèle vous sera ensuite rendu, et en même temps un bloc de
marbre statuaire vous sera remis.
Agréez, Monsieur, etc.
Le Conseiller d'État,
Directeur des Beaux-ArtSj
Castagnary.
16
24S CHAPa.
ACTE DE DÉCÈS DE CHAPU
Extrait des registres de l'état civil du VII^ arrondissement de Paris.
Année 1801.
L'an mil huit cent quatre-vingt-onze, le vingt et un avril, à midi,
acte de décès de Henri-Michel- Antoine Chapu, âgé de cinquante-huit
ans, statuaire, membre de l'Institut, officier de la Légion d'honneur,
né au Mée (Seine-et-Marne), décédé en son domicile à Paris, cité
Yaneau, n* 14, ce matin à trois heures, fils de Julien Chapu et de
Claire-Philippe Lecoq, époux décédés. Marié à Marie-Euphémic
Cozette de Rubempré, âgée de quarante-quatre ans, sans profession.
Dressé par nous Claude-Arthur Pougy, adjoint au maire, officier de
l'état civil du septième arrondissement de Paris, officier d'académie,
sur la déclaration de Georges-Charles-Pierre Berryer, âgé de quarante-
trois ans, avocat à la Cour d'appel, demeurant rue de la Chaussée, 23,
et de Gabriel-Jules Thomas, âgé de soixante-six ans, statuaire, membre
de l'Institut, officier de la Légion d'honneur, demeurant rue d'Assas,^
n* 24, qui ont signé avec nous après lecture.
Signé : G. Berrier, G.-J. Thomas, A. Pougy.
ŒUVRE DE CHAPU
ŒUVRE DE CHAPU
I
ENSEMBLES DÉCORATIFS
MONUIVŒNT DE BeRRYER.
Au centre du monument s'élève la statue de :
Berryer, — Statue marbre.
A droite et à g^auche du piédestal, deux figfures allégoriques :
L Eloquence. — Statue marbre.
La Fidélité. — Statue marbre.
(Salle des Pas perdus du Palais de justice de Paris.)
Monument de Schneider.
Le monument se compose de deux parties :
Schneider. — Statue bronze.
Au dessous de cette statue, se détachant sur un piédestal de
g^ranit, un groupe allégorique :
La Reconnaissance. — Groupe bronze.
(Établissement métallurgique du Creusot.)
246 OEUVRE DE CHAPU.
Monument de Le Verrier.
Le monument se compose d'une statue :
Le Verrier. — Statue marbre.
Sur les faces latérales, deux bas-reliefs :
V Astronomie traçant l'orbite des planètes. — Bas-relief
pierre.
La Météorologie désignant de la main l'Observatoire d'où
partent les découvertes. — Bas-relief pierre.
(Observatoire de Paris.)
Travaux décoratifs pour l'hôtel Rothschild, a Vienne.
Ces travaux ont été exécutés pour une fontaine monumentale.
Au fronton :
Enfants jouant avec des attributs champêtres. — Bas-reliet
pierre.
Dans une niche au centre du monument :
Jmpliitrite. — Groupe monumental bronze.
EnBn, à droite et à (j^auche de la vasque principale de la fon-
taine :
Enfants jouant avec des poissons. — Groupe pierre.
Dans les jardins figure une autre œuvre de Ghapu qui tout
d'abord devait prendre place dans la niche centrale :
Fase monumental. — Marbre.
(Hôtel Rothschild. Theresianumgasse, à Vienne.)
Monument de Mgr Dupanloup.
Au contre du monument, couché sur un lit funèbre :
il
Mgr Dupanloup. — Statue marbre.
OEUVRE DE CHAPU. 24T
Dans le soubassement qui forme la table d'autel :
Mgr Dupanloup entouré de ses disciples. — Bas-relief
marbre.
Dans la partie cintrée qui forme le couronnement :
Un ange tenant la bannière de Jeanne d'Arc, — Bas-relief
marbre.
Sur le seuil du monument, deux statues debout :
La Foi. — Statue marbre.
Le Courage. — Statue marbre.
(Église métropolitaine d'Orléans.)
II
STATUES, GROUPES, BAS-RELIEFS
Cincinnatus. — Esquisse plâtre.
(Musée du Méc.)
L Homme heureux. — Esquisse plâtre.
(Musée du Mée.)
Neptune faisant naître un cheval. — Médaille.
Deuxième prix de Rome, 1852. — Le coin de cette médaille
appartient à Mme veuve Chapu.
248 OEUVRE DE CHAPU.
Dom Simon, moine du Jars. — Statuette plâtre.
(Préfecture de Melun.)
Ulysse retrouvant Achille à la cour du roi Lycomède, —
Esquisse plâtre, bas-relief.
(Musée du Mée.)
Laërte accompagnant Pénélope partant avec Ulysse. —
Esquisse plâtre, bas-relief.
(Musée du Mée.)
Cérès rendant la vue à Triptolème. — Esquisse plâtre, bas-
relief.
(Musée du Mée.)
Désespoir d'Alexandre après la mort de Clitus. — Bas-
relief plâtre.
Deuxième prix de Rome, 1853.
Tyrtée. — Esquisse plâti'e, bas-relief.
(Musée du Mée.)
Cléobis et Biton. — Esquisse plâtre, bas-relief.
Grand prix de Rome, 1855.
(Musée du Mée.)
Le Christ aux Anges. — Bas-relief plâtre.
Envoi de Rome.
(Église du Mée.)
Femme romaine. — Bas-relief plâtre.
Après la défaite de Trasîmène, comme les troupes rentraient
dans Rome, une femme meurt de joie en apercevant son fils
qu'elle croyait mort.
(Musée du Mée )
OEUVRE DE CHAPU. 249
Le Tireur d'épine. — Copie marbre d'après l'antique.
Envoi de Rome.
(Ecole des Beaux-Ârts, à Paris.)
VAge de fer, — Esquisse.
(Nous n'avons pu trouver trace de cet ouvrage.;
Groupe décoratif pour la place du Trône.
(Pour la rentrée des troupes revenant d'Italie.)
Triptolème. — Statue plâtre.
Envoi de Rome.
(C'est d'après ce modèle légèrement modifié que Chapu a exé-
cuté son Semeur.)
Mercure invente le caducée. — Statue marbre.
Dernier envoi de Rome.
(Musée du Luxembourg.)
Thétis. — Statue terre cuite.
(Hôtel Sédille, 32, boulevard Malesherbes.)
La Ville de Beauvais. — Statue pierre.
(Façade de la gare du Nord, à Paris.)
Enfants jouant avec des cygnes. — Groupes pierre.
(Ces groupes surmontent les pieds-droits de la porte d'entrée
de l'hôtel Sauvage, rue de Chai Ilot, à Paris.)
Atlantes. — Brouzes.
(Hôtel Sédille.)
(Ces deux figures ornent une cheminée de cet hôtel. Il en
existe une répétition en pierre dans un hôtel, 55, boulevard
Malesherbes.)
250 OEUVRE DE CHAPU.
Le Semeur. — Statue bronze.
(Parc Monceaux.)
VArt mécanique, — Statue pierre.
(Grand escalier du Tribunal de commerce, à Paris.)
Cariatides. — Figures monumentales, plâtre.
(Ces fiçnres, destinées à TExposîtion universelle de 1867, ont
disparu, mais les modèles au dixième existent au Musée du Mée.)
Clytie métamorphosée en tournesol. — Statue marbre.
(Musée de Dijon.)
Travaux décoratif s pour la nouvelle Cour de cassation.
Saint Jean. — Statue marbre.
Saint Louis de Gonzague. — Statue marbre.
(Église Saint-Etienne du Mont, à Paris.)
Travaux décoratifs pour la Cour de marbre.
(Palais de Versailles.)
(Chapu n'a fait que restaurer Tancien motif, œuvre de Girar-
don et de Marsy, qui encadrait l'horloge, en refaisant toutefois
certaines parties qui avaient été détruites.)
La Nature. — Cariatide pierre.
La Tradition. — Cariatide pierre.
(V'^estibule d'un hôtel, 19, boulevard Magenta.)
Jeanne d'Arc. — Statue marbre.
(Musée du Luxembourg.)
(Il existe plusieurs répétitions de cette statue. L'une d'elles est
au château de Chantilly, une autre dans le parc de M. Jacobsen,
à Copenhague ; enfin, une réduction, en marbre, appartient à
Mme veuve Chapu.)
OEUVRE DE CHAPU. 251
La Sécurité, — Statue pierre.
(Préfecture de police, à Paris.)
L'Histoire. — Statue pierre.
(Musée de Grenoble.)
La Cantate, — Statue pierre.
(Façade du thcâlre de l'Opéra.)
Le jeune Desmarres, — Statue marbre.
(Appartenant à la famille Desmarres.)
La Jeunesse, — Statue marbre.
(Pour le monument élevé à la mémoire de Henri Regnaiilt et
des élèves de l'École des Beaux-Arts tués à renncmi pendant la
guerre de 1870-1871.)
(École des Reaux-Arts, cour du Mûrier.)
La Pensée, — Haut relief marbre.
(Tombeau de Mme la comtesse d'A(joult, au Père-Lachaise.)
Jean Cousin. — Statue marbre.
(Sens.)
Monument élevé à la mémoire des soldats français tués en
Belgique,
(Le monument a été élevé au moyen d'une souscription dont
le Cercle français de Bruxelles prit l'initiative. Il représente un
sphinx ailé en bronze.)
L'Immortalité. — Haut relief marbre.
(Tombeau de Jean Reynaud, au Père-Lachaise.)
Hérold. — Statue pierre.
(Façade principale de l'IIôtel de ville de Paris.)
252 OEUVRE DE CHAPU.
Le Printemps, CEté, l'Automne, l'Hiver. — Statues
pierre. »
(Façade principale des Magasins du Printemps, à Paris.)
La Vierge, — Statue pierre.
(Eglise du Mée.)
Bas-relief funéraire. — Marbre.
(Tombeau de Mlle Labiche, cimetière de Béville, Eure-et-Loir.)
Madame la duchesse de Nemours. — Figure tombale,
marbre.
(Chapelle de Weybridge, Surrey.)
Pluton. — Statue marbre.
Proserpine. — Statue marbre.
(Parc de Chantilly.)
Mistress Bancroft. — Bas-relief bronze.
(Tombeau de la famille Tyszkiewicz, au Père-Lachaise.)
Madame la duchesse d'Orléans. — Figure tombale, marbre.
(Chapelle d'Orléans, à Dreux.)
Danseuse. — Statue marbre.
(Hôtel Pereire.)
Mgr David, évèque de Saint'Brieuc et Tréguier. — Statue
marbre.
(Saint-Brieuc.)
La Peinture. — Statue marbre.
(Musée Galliera, à Paris.)
OEUVRE DE CHAPU. 253
Saint Germain. — Groupe marbre.
(Pantbéon.)
Le Patriotisme. — Haut relief pierre.
(Fronton du tombeau de Thiera, au Père-Lachaise.)
Pour le même monument : deux écoinçons représentant des
Enfants tenant des couronnes.
Les frères Galigniani. — Groupe marbre.
(Corbeil.)
Les Lettres. — Haut relief pierre.
(Façade principale de la nouvelle Sorbonne^ rue des Ecoles.)
La Vapeur. — Groupe monumental, plâtre.
(Façade de la galerie des Machines, au Cbamp de Mars.)
Monument de Flaubert. — Haut relief marbre.
(Musée de Rouen.)
La princesse de Galles. — Statue marbre.
(Musée Jacobsen, à Copenhague.)
Comte et comtesse Kaselick. — Groupe marbre.
(Pour la famille Kaselick.)
Mgr de Bonnechose. — Statue marbre.
Sur le socle de la statue est une figure allégorique représentant
la France chrétienne^ qui a été terminée par le sculpteur Garlus.
(Cathédrale de Rouen.)
Monument funèbre du jeune de Icaza. — Groupe marbre.
(Ce groupe a été terminé par le sculpteur Mercié.)
Monument à la gloire de lord Byron.
(Ce monument, commandé à Chapu par M. Skilizzi, doit être
exécuté en marbre par le sculpteur Falguière.)
254 OEUVRE DE CHAPU.
La Rançon. — Bas-relief.
(Tombeau de Thiers, au Pcre-Lachaise.)
La princesse Marie d'Orléans. — Figure tombale.
(Cette figure pour laquelle Ghapu avait fait de nombreuses
esquisses, mais dont le modèle n'était pas définitivement arrêté,
doit être exécutée par le sculpteur Lemaire.)
Monument du peintre Millet.
(Pour la ville de Cherbourg.)
Le Blé. — Statue marbre.
(Cette statue, destinée à la grande salle à manger de TUôtel de
ville, a été terminée depuis la mort de l'artiste.)
Bas-relief pour le monument de Félicien David.
(Ce bas-relief a été terminé après la mort de l'artiste. Il doit
décorer^ au cimetière du Pecq, le tombeau du compositeur.)
Héro et Léandre. — Groupe plâtre.
(Chapu devait exécuter ce groupe pour la ville de Rennes. Il
n'en existait à sa mort qu'une ébauche, qui a été détruite.)
Chemin de croix.
(Cette série de bas-reliefs, que Chapu devait exécuter pour le
pèlerinage de Benoitevaux, en pierre, doit être terminée par le
sculpteur Fosse, son élève.)
OEUVRE DE GHAPU. 255
III
BUSTES
Jules Séditle, architecte. — Buste bronze.
(Hôtel Faul Sédille.)
Paul Sédille, architecte. — Buste terre cuite.
(Hôtel Paul Sédille.)
Madeleine Sédille, fille de P. Sédille. — Buste marbre.
(Hôtel Paul Sédille.)
Léon Bonnat, peintre. — Buste bronze.
(Hôtel Bonnat.)
Comte Ducliâtel. — Buste marbre.
Docteur Civiale. — Buste bronze.
(École de médecine.)
Le Play. — Buste marbre.
Marie de Rubempré, plus tard Mme Henri Chapu. — Buste
marbre.
(Appartient à Mme veuve Chapu.)
L'abbé Bruyère. — Buste marbre.
(Église Saint-Martin, ù Paris.)
256 OEUVRE DE CHAPU.
Lebrun, de F Académie française. — Buste marbre.
(Palais de l'Institut.)
Montalembert. — Buste marbre.
(Palais de rinstitut.)
Alexandre Dumas, — Buste marbre.
(Comédie- Française. ")
Vitet. — Buste marbre.
Berryer, — Buste bronze.
Patin, — Buste marbre.
(Ce buste a été donné à la Sorbonne par Mme veuve Patin, qui
en conserve un exemplaire en terre cuite.)
Labbé Tliénon, — Buste marbre.
(Eglise des Carmes.
Comte BlondieL — Buste.
Comte de Mérode, — Buste bronze.
Cusenier. — Buste bronze.
Breton, éditeur. — Buste marbre.
(Cercle de la Librairie, à Paris.)
Gleyre, peintre. — Buste marbre.
(Musée Gleyre, à Lausanne.)
L'abbé Lagarde, — Buste marbre.
(Collège Stanislas.)
OEUVRE DE GHAPU. 25T
M. Boucicaut, Mme Boucicaut. — Bustes marbre.
(Magasins du Bon Marcbé, à Paris.)
TIliébauty fondeur. — Buste bronze.
Docteur Desmarres. — Buste.
Barbedienne, fondeur. — Buste bronze.
Marquis de Nicolài. — Buste marbre.
Marquise de Nicolài. — Buste marbre.
Carnoty président de la République française. — Buste
marbre.
Leroy-Beau lieu. — Buste marbre.
T hier s. — Buste marbre.
(Palais du Sénat.)
Charton, sénateur. — Buste marbre.
(Palais du Sénat.)
Duc y architecte. — Buste marbre.
(Palais de justice, à Paris.)
Hector Malot. — Buste marbre.
(Appartient à M. H. Malot.)
Comte de Carayon-Latour. — Buste bronze.
Mgr Dupanloup. — Buste marbre.
(Évêché d'Orléans.)
ir
Î58 OEUVRE DE CHAPU.
MUeLévy, fille d'Emile Lévy. — Buste terre cuite.
(Appartient à Mme Lévy.)
Cambacérès.
(Nous n'avons pu savoir si ce buste a été exécuté.)
Marquis de Vogué, — Buste marbre.
Robert de Vogué, — : Buste bronze.
Michaux, ancien président du tribunal de commerce de la
Seine. — Buste marbre.
Millet y architecte du palais de Saint-Germain. — Buste
marbre.
Mlle Tollu, — Buste marbre.
Henri Tripier, — Buste marbre.
Mme Toulmouche. — Buste marbre.
Mlle Leroy-Beaulieu, — Buste marbre.
M, Bapterosses, — Buste bronze.
Marquis de Casariera,
M. Bartholoni,
Mlle d'Assailly,
Duchesse Pozzo di Borgo.
OEUVRE DE CHAPU. 259
Raffalowitcli.
(Nous n'avons pu avoir aucun renseignement sur ces cinq der-
nières œuvres qui avaient été demandées à Ghapu; mais nous ne
sommes pas certain qu'elles ont été exécutées.)
IV
MÉDAILLES ET MÉDAILLONS
1* PORTRAITS
Chapu père. — Médaillon plâtre, 1852.
Mme Chapu mère. — Médaillon plâtre. Profil à droite,
1852.
Marquis de Vogué. — Médaillon plâtre, 1855.
Thénon. — Médaillon plâtre. Profil à gaucbe.
Dans le fond : a mon ami thénon, bon souvenib. Signé
H. Chapu, Rome, 185...
MmeRouillon, — Médaillon plâtre. Profila gauche. Rome,
1859.
Dans le fond : per buon rigordo. Signé H. Chapu.
Î60 OEUVRE DE CHAPU.
Durety sculpteur. — Médaillon plâtre. Profil à gauche.
En exergue : buret, membre de l^institut, professeur a
l'école impériale des beaux-arts.
Alphée DuboiSy graveur en médailles. — Médaillon plâtre.
Profil à gauche. Rome, 1860.
Dans le fond : pour bon souvenir a son ami bubois. Signé
H. Chapu.
Ernest Dugit. — Médaillon bronze. Profil à gauche.
Signé du monogramme de Chapu : Rome, 1861.
Gibert, peintre. — Médaillon plâtre. Profil à gauche.
E.-J.'B, Guillaume. — Médaillon bronze. Profil à gauche.
Signé H. Chapu. Novembre 1861.
Delauna/y peintre. — Médaillon plâtre. Profil à droite.
Chapu père. — Médailloa bronze. Profil à gauche.
Signé H. Chapu. Novembre 1861.
Schnetz, peintre. — Médaillon plâtre. Profil à droite. 1861.
Portrait de femme. — Médaillon plâtre. Profil à gauche.
1861.
Bonnat, peintre. — Médaille bronze. Profil à gauche. 1860.
(Chapu a fait quelques années plus tard une autre médaille du
peintre Bonnat. Il ne nous a pas été donné de la voir.)
De Coninck. — Médaillon plâtre. Profil à gauche.
Signé du monogramme de Chapu. Rome, 1861.
OEUVRE DE CHAPU. 261
Launay, — Médaillon plâtre.
Dans le fond : a mon ami launay. Signé H. Chapu. Paris,
1862.
Louis Gallait. — Médaillon bronze. Profil à gauche.
En exevQue : louis gallait, rome, 1861. Dans le fond : a son
AMI gallait, souvenir AFFECTUEUX. Signé Giiapu.
Sully-Priidliomme. — Médaillon bronze. Profila droite.
F. Lionnet. — Médaillon plâtre.
Signé H. Chapu, 1862.
Bidot. —Médaillon plâtre. 1863.
Dans le fond : a son ami bidot. Signé H. Chapu, 1863.
Chapu père. — Médaillon bronze.
Signé H. C. Paris, juillet 1864.
C. Clère, peintre. — Médaillon bronze. Profil à droite.
Dans le fond : a g. glère, souvenir affectueux. H. Chapu,
1864.
Duc, architecte. — Médaillon bronze. 1865.
Mme Mercier. — Médaillon bronze. Profil à gauche.
Signé H. Chapu, 1866.
M. Rouillon. — Médaillon bronze. Profil à droite.
Signé H. Chapu, 186J.
J,'F,'A. Bernard, peintre. — Médaillon. Profil à gauche.
1867.
Signé H. Chapu, 1867.
Mme A, Lenormant. — Médaillon bronze. Profil â gauche.
Signé Chapu, 1867.
262 OEUVRE DE GHAPU.
Jeune femme {Mme Launay). — Médaillon bronze. Profila
droite.
Sig^é H. Chapu, avec cette mention : a son ami launay,
RUEIL, 1867.
Facquerie, — Médaillon plâtre. Profil à droite-
Signe H. Chapu, 1866.
Amédée Hardy y architecte. — Médaillon. Profil à gauche.
TÉMOIGNAGE AFFECTUEUX. Signé H. Chapu, 1868.
M. Alfred Jacquemard. — Médaillon.
Signé H. Chapu, 1868.
' Tony Robert-Fleuryy peintre. — Médaillon plâtre. Profil à
droite.
Signé Chapu, 1868.
Velpeau. — Médaillon bronze. Profil à gauche.
En exergue : l. m. a. velpeau, né a brèche, indre-et-loire,
EN 1795, MORT A PARIS, 24 AOUT 1867. Signé à droite H. Chapu,
1868.
Marie (Marie Cozette de Rubempré, depuis Mme Henri
Chapu). — Médaillon bronze. Profil à droite.
Signé Chapu, 1869.
Jeune femme. — Médaillon bronze. Profil à droite. 1873.
Jules favre, — Médaillon plâtre. De face.
(Nous avons trouvé dans l'atelier du maître cette médaille,
qu'aucun de ses amis ne se rappelle lui avoir vu exécuter et dont
il n'est fait mention dans aucune de ses lettres. Elle est signée
H. Chapu et semble dater des dernières années de l'Empire.)
OEUVRE DE CHAPU. 263
Armand fiumaresq y peintre. — Médaillon plâtre. Profil à
droite. 1862.
Dans. le fond : a m. armand, soutenir affectueux. H. Ghapn.
Daniel Stem (Mme d'Agout). — Médaillon marbre.
(Pour son tombeau, au Père-Lachaise.)
Emile Trélat. — Médaillon bronze. Profil à gauche.
Signé H. Ghapu.
E. Déglise. — Médaillon bronze. Profil à gauche.
Signé H. Ghapu.
Victor Thiébaut, — Médaillon bronze. Profil à droite.
Signé H. Ghapu, 1875.
Paula Breton. — Médaillon bronze. Profil à gauche.
Signé H. Ghapu, 1877.
Nino (Christian Garnier). — Médaillon marbre.
/. Fallet. — Médaillon bronze.
Signé H. Ghapu, 1877.
Mlle Massenet. — MédaiUon marbre.
Eugène Guillaume, statuaire. — Médaille bronze. Profil à
gauche.
En exergue : g.-j.-b. eugène Guillaume, stat. membre de
l'institut. Signé Ghapu.
Léon Cogniet. — Médaillon bronze.
(Pour son tombeau, au Père-Lachaise.)
264 OEUVRE DE CHAPU.
J.-N, Robert'Fleury, peintre. — Médaillon bronze. Profila
droite.
En exergue : j.-n. iigbert-fleury, membre de l'institut. Sig^nc
Chapu, 1877.
Mme Robert'Fleury, femme du précédent. — Médaillon
bronze.
E, Vaudremery architecte. — Médaillon bronze. Profil à
droite.
En exergue : e. vaudremer, membre de l'institut. Signé
H. Chapu.
Millet et Rousseau, peintres.
Médaillon colossal bronze.
(Forêt de Fontainebleau.)
J.'F. Bapterosses. — Médaillon bronze. Tête de trois quarts
à g[auche.
En exergue: JEAN-FÉLIX BAPTEROSSES, 1815-1885.SîgnéH. Chapu.
C/ia/j/?^e. — Médaillon plâtre, 1889.
Picard. — Médaillon marbre.
(Au Pcre-Lachaise.)
2* MÉDAILLES ET MÉDAILLONS DÉCORATIFS
Jeanne d'Arc, — Médaillon colossal bronze.
(Église de Saint-Aspais, àrMelun.)
La Peinture, la Musique, l'Architecture^ la Poésie, la
Sculpture, — Médaillons bronze argenté.
(Hôtel Sédille, à Paris.)
OEUVRE DE CHAPU. 265
Médaille commémora tive pour l'église du Sacré-Cœur de
Montmartre, à Paris. — Médaille bronze.
En exergue : sagratiss. gordi jesu gallia poenitens et
DEvoTA, 1870-1875.
La Jeune mère, — Médaillon marbre.
(Appartient à Mme Ghapu.)
y
OEUVRES DIVERSES
Saint Joseph. — Statue.
(Église de Saint- Augustin, à Paris.)
Jésus ouvrier. — Statue argent.
(Offert par l'Union des Œuvres ouvrières de France au
pape Pie IX à l'occasion du 50* anniversaire de son épiscopat.)
Tête de Minerve. — Pierre.
(Pour décorer un fronton de porte, dans un hôtel particulier
à Francfort.)
Victoire. — Statuette argent.
(Pour le Grand Prix de Paris.)
Poignée d'épée.
(Pour Mqt le duc d'Aumale.)
266
OEUVRE DE CHAPU.
Surtout de table.
(Pour la princesse Amélie de Braçance.)
Louis XIV. — Statuette bronze.
Cette statuette appartient à Mme veuve Ghapu. Elle était des-
tinée à être reproduite par la gravure dans une édition des
œuvres de Boileau, de la maison Hachette.
Là JEC5E MERK.
Médaillon.
{XIX« siècle. Firmio-Didot cl C», éditeurs.)
ERRATA ET ADDENDA
Entre les pages 144 et 145, au-dessous de la reproduction de la Danseuse
Au lieu de : Hôtel Perdre, lire : Hôtel Rothschild.
Page 234, ligne 10 :
Au lieu de Euphémie Boulcnger, sa nière,\iTe : sa veuve.
Pnge 261. A ajouter à la liste des portraits médaillons :
Questelf architecte. — Médaillon bronze.
TABLE ANALYTIQUE
(Les noms des œuvres de Ghapu sont indiqués en italique.)
A BOUT (Edmond), Î5.
Agedefer{V),iS,li.
Architeciure (L*), 85.
Art mécanique (L*), 60.
Astronomie (L*), 113.
Automne (L*), 126.
Bbriiaiid, peintre, 26.
Berryer (Le monument de), 93, 101.
BizBT, compositeur, 151.
fioxnARDEL, sculpteur, 47.
BoNKAT, peintre, 42, 48, 51, 62, 63.
Bonnechoae (Le monument de Mgr de),
93, 101.
Gabanbl, peintre, 6.
Car ATON-LàToun (Buste du comte de) , 134.
Cahpkauz, sculpteur, 26, 28, 30, 43, 61,
76, 80, 119, 193.
Cérès rendant la vue à TriptoUme, 6.
Chifflart, peintre, 26.
Christ aux Anges (Le), 18, 21, 23.
CincinnatuSj 6.
Cléobis et Biton, 8.
Clytie, 56.
CoGiiiET, peintre, 6.
Comte, compositeur, 11.
GoRinCK (de), peintre, 43.
CoQUART, architecte, 44.
Dalou, sculpteur, 194.
Danseuse, 143.
Daijbiet, architecte, 11, 51.
Delauhat, peintre, 26, 43, 46, 51, 62,
84, 170.
Désespoir d'Alexandre après la mort de
ClitUSy 6.
Didier, peintre, 44
Dom Simon, 6.
Doublebiard, sculpteur, 11.
Dubois (Alphée), 11.
Duc, architecte, sa médaille, 126.
Duchatel (Comte), son buste, 67.
Duchesse d* Orléans (Tombeau de Mme
la), 128.
Duchesse de Nemours (Tombeau de Mme
la), 131.
Dumas (Alexandre), son buste, 80, 82.
Dupanloup (Monument de Mgr), 97,
137, 138, 139, 140.
Duret, sculpteur, 6, 21, 22.
E
Éloquence (L'), 94.
Enfant à l'épine (L'), 25.
Espérance (L*), 149.
Été (L), 126.
268
TABLE ANALYTIQUE.
Falguière, sculpteur, 43, 194.
Félicien David (Le monument de), 165.
Fidélité (La), 94.
Fraguier (Marquis de), 4.
François, graveur en pierres fines, 171.
Gaillard, graveur, 24, 51, 151.
Ga/iy ntanî (Monument des frères), 145,
146, 147.
Garnier, architecte, 79.
GiBERT, peintre, 47.
GiRETTK, architecte, 120.
Gleyre (Le buste de), 97.
Guillaume , sculpteur ; sa médaille ,
107.
Il
HÉBERT, peintre, 105.
Hekker, peintre, 43, 45.
Héro et Léandre, 165.
Heuzet, 44.
Histoire traçant le nom de Thiers (L'),
62.
Hiver (L'), 126.
Homme heureux (L*), 6.
Hyménée (L'), 125.
I
Icaza (Monument du jeune de), 162.
Immortalité (L), 110, 111, 112.
Jean Cousin^ 97.
Jeanne d* Arc, m, 70, 71.
Jésus ouvrier, 108.
Jeunesse (La), 88.
Labiche (Tombeau de MIU), 131,
182.
Lebrun (Buste de), 80.
Lbcogq (Michel), 2. |
Lecocq (Lîndor), 2.
Lefebvre, peintre, 43, 51, 170.
Le Plat (Buste de), 68.
Le Verrier (Monument de), 97.
LÉVT (Henri), peintre, 43, 51, 170.
Libération du territoire (La), 162.
Liseuse, 165.
M
Maniglier, sculpteur, 26.
Masseket (Mlle), sa médaille, 126.
Médaille du Sacré-'Cœur, 125.
Mercié, sculpteur, 194.
Mercure inventant le caducée, 40, 43,
55.
MÉRiKO (Le masque de), 107.
Météorologie (La), 113.
Michaux (Buste de M.), 165.
Millet, peintre; -son monument, 164.
Millet et Rousseau (Médaillon colossal
des peintres), 137.
Moïse, 80.
MoNTALEMBERT (Buste de), 80.
Musique (La), 85.
N
Nature (La), 86.
Neptune faisant naître un cheval ^ 6.
NicOLAÏ (Bustes du marquis et de la
marquise de), 102.
Ode (L*), 79.
Paladilhe, compositeur, 43.
Patey, graveur en médailles, 171.
Patriotisme défendant la France (Le),
162.
Peinture (La), 85.
Pensée (La), 95.
Pluton, 127.
Poésie (La), 85.
pRADiER, sculpteur, 5.
Printemps (Le), 126.
Proserpine^ 127.
TABLE ANALYTIQUE.
S69
Regnault (Le monument de Henri), 79.
Reynaud (Le monument de Jean), 109.
Robert-Flbdrt père; sa médaille, 107.
Roberi^Fleurt (Tony), peintre, 76.
ROHAULT DE Flevrt, architecte, 53.
RoTY, graveur en médailles, 171.
S
Saint Gei-main, 137.
Saint Jean, 126.
Saint Joseph, 107.
Saint Louis de Gonzague, 126.
Schobuewerk, sculpteur, 119.
Schneider (Monument de), 103.
ScHRETZ, peintre, 15.
Sculpture (La), 85.
Sécurité {Lsl), 80.
SÉDiLLE, architecte, 55.
SÉDiLLE (Paul), architecte, 55, 84.
SÉDILLE (Mlle), son buste, 84.
Semeur (Le), 32, 56.
Sphinx, 107.
Sully- Prudhomme, sa médaille, 60.
Tessier (Buste du D'), 165.
Théophile Gautier, 39.
Thétis, 55.
Thiébaut, fondeur; son buste, 97.
Tradition (La), 86.
Trélat, architecte; sa médaille, 107.
Triptolème, 36, 39.
Tyrtéty bas-relief, 6.
U
Ulysse retrouvant Achille à la cour de
Lycomède, 6.
Vapeur (La), 149.
Vase monumental, 123.
Vaddremer, architecte; sa médaille,
107.
Vérité (La), 154.
Victoire, 125.
Victor Hugo (Projet de monument pour),
166.
Vierge du Mée (La), 126.
Ville de Beauvais (La), 53.
YiTBT, son buste, 83.
Vogué (Marquis de), 4.
Vogué (Robert de), 186.
ZoGRAPHOs (Buste de M.), 134.
MEDAILLE DU S AC RE-COEU R.
{XIX^ Siècle. Firmin-Didot et C>«, éditeurs.)
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER
En&iDce et jeunesse de Chapu. — Séjour à Rome , 1833-1861 1
CHAPITRE II
Les aanées difficiles, 1861-1870 49
CHAPITRE III
La gloire, 1871-1882 75
CHAPITRE IV
Dernières années de Chapu, 1882-1891 115
CHAPITRE V
Œuvres posthumes de Chapu. — L'homme et l'œuvre. — Conclusion. 161
NOTICE ET PIÈCES LITTÉRAIRES
Notice sur Henri Lemaire, lue par Chapu à l'Académie des Beaux-Arts
(séance du 17 décembre 1881) 197
Discours prononcé par Chapu aux obsèques de Claude-Ferdinand Gaillard
(23 janvier 1887) 203
Discours prononcé par Chapu aux obsèques de Gustave Boulanger (24 sep-
tembre 1888) 207
Discours prononcé par Chapu, comme président de l'Académie des Beaux-
Arts, à la séance solennelle du 15 octobre 1889 209
Pièces jostificatives 213
OEUVRE DE Chapd 243
Table AKALTriQOE 267
PARIS. TYPOGRAPHIE DE E. PLON, NOURRIT ET G". RUE CARANCIÈRE, 8.
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