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Full text of "Chapu, sa vie et son œuvre"

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CHAPU • 

SA VIE ET SON ŒUVRE 



L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de reproduction 
et de traduction en France et dans tous les pajs étrangers, y compris la 
Suéde et la Norvège. 

Cet ouvrage a été déposé au ministère de l'intérieur (section de la 
librairie) en mai 1894. 



H^ 



DU MÊME AUTEUR : 



Les Femxnes artistes à l'Académie royale de peinture et de 
sculpture, par 0. Fioièrb. Paris, Charavay frères, 1885. 

L'Art et l'État en Angleterre, Rapport au mioistro de rinstruction pu- 
blique et des beauz-arts. Imp. nationale, 1891. 



PARIS. TYPOGRAPUIK DK E. PLON, KODRRIT ET C'«, RUE GARA:«CIÈRE, 8. 



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SA VIE ET SON ŒUVRE 



PAU 



O. FIDIERE 




PARIS 

LIBRAIRIE PLON 

E. PLON, NOURRIT et C», IMPRIMEURS-ÉDITEURS 



10, RVB 0AR4XCIERE 



1894 

Tous droits réservét 



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L ILLUSTRATION, EXÉCUTÉE SOUS LA DIRECTION 
DE 

M. Maurice BUCQUET, 

COMPREND : 

SIX HÉLIOGRAVURES, TRENTE-SEPT GRAVURES DANS LE TEXTE 

ET HUIT GRAVURES HORS TEXTE 

EN NOIR ET EN COULEURS 



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lELlOCRAVURE LEMBRCIEn 



PHOTOGRAVURE CU.-G. PETIT ET C '* 



ESCRES DE LA MAISON CH. LORILLEUX ET C' 



Au mois de mai 1892 — il y a juste deux ans — un des 
plus vieux élèves de Chapu^ M. F***^ vint nous demander 
si nous serions disposé à écrire V histoire du Maître. 

Nous ne fumes pas long à nous décider. Depuis long- 
temps ce travail nous tentait^ car nous avions eu la bonne 
fortune de connaître personnellement Chapu; et si nous 
admirions comme il convient l'auteur de la Jeunesse, de 
/'Immortalité et de tant d'autres chef s-d' œuvre ^ l'homme 
également^ par la droiture de son caractère^ par la simpli- 
cité et l'unité de sa vie, nous apparaissait comme une des 
plus sympathiques figures d'artiste de ce temps. 

Cette étude que nous rêvions devait nous être facile. 
M. F*** venait de la part de la veuve du grand sculp- 
teur gui mettait à notre disposition, outre une corres- 
pondance conservée avec un soin jaloux, un délicieux 
musée intime où elle avait réuni tout ce gui pouvait lui 
rappeler son cher grand artiste : épreuves en bronze de ses 
oeuvres principales, ébauches en plâtre et en terre cuite, 
médailles, dessins, photographies, etc. Chapu revivait là 



tout entier f depuis Içs premiers essais de son enfance jus- 
qu'à ses ouvrages les plus complets. Des aquarelles jaunies 
par le temps et des médailles datées de 1858 et 1859 nous 
rappelaient son séjour à l'académie. Puis c'étaient des 
croquis pour la Clytie, une délicieuse réduction en marbre 
de sa Jeanne d'Arc, un charmant buste de femme et cent 
œuw^es crayonnées ou modelées. Un portrait signé de son 
ami de Coninck nous le montrait, peu après son retour 
de Rome, les cheveux longs et bruns, la figure émaciée, 
l'air timide et doux, tandis que nous retrouvions cette 
même expression de douceur, tempérée de bonhomie , dans 
un portrait fait il y a quelques années et que nous repro- 
duisons au début de ce volume. Enfin, dans une vitrine ^ 
des parchemins i des médailles et des croix rappelaient 
au visiteur les glorieuses étapes de sa vie d'artiste. 

Que de bonnes heures nous avons passées dans ce paisible 
sanctuaire, tantôt à feuilleter avec quelques amis du Maître 
ses innombrables albums de croquis, tantôt à écouter les récits 
de celle qui avait partagé avec lui la bonne comme la mau- 
vaise fortune et nous contait les jours lointains d'épreuves 
et de luttes qui allaient bientôt finir avec l'éclatant succès 
de la Jeanne d'Arc ! Ainsi, peu à peu, fenti^ais dans l'inti- 
mité du grand artiste dont je pouvais voir y appendue au 
mw\ la bonne figure souriante; ainsi chaque jour je com- 
prenais et j'appréciais mieux cette âme exquise de simpli- 
cité et de candeur, que les difficultés du début n'avaient pu 
aigrir, que les triomphes des dernières années ne devaient 
pas gâter. 



Ce livre est donc y avant tout, un livre de bonne foi; et si 
nous avons pu nous tromper dans nos appréciations cri- 
tiques^ nous espérons avoir restitué aussi fidèlement que 
possible r admirable travailleur, l'esprit charmant et fin^ 
l'homme délicat et tendre qu'était Chapu. 

Si notre œuvre trouve quelque succès auprès du public, 
elle le devra, pour une large part, à la complaisance que 
nous avons trouvée chez les amis du Maître et surtout chez 
Madame veuve Chapu, qui s'est employée avec un zèle infa- 
tigable à nous fournir tous les documents artistiques ou 
littéraires dont nous avions besoin. Qu'il nous soit permis^ 
avant de finir cette courte préface, de la remerciinr de sa 
discrète autant que précieuse collaboration. 

0. F. 



Mai 189i. 



CHAPU 



SA VIE ET SON OEUVRE 



CHAPITRE PREMIER 

ENFANCE ET JEUNESSE DE CHAPU. — SÉJOUR A ROME 

1833-1861 







Au sortir de Melun, en descendant 
la Seine, on rencontre le petit 
village du Mée. Quelques mai- 
sons, groupées autour de Téglise, 
en forment le noyau principal ; 
le reste est disséminé sur une 
riante colline qui domine le 
fleuve. La vue qui, par un beau 
jour d'été, s'offre de ce point n'est pas sans grandeur. 
En bas, c'est la Seine qui coule verte et limpide parmi les 
joncs; à droite, dans la direction de Corbeil, une plaine 
s'étend à Tinfini, couverte de moissons jaunissantes, tandis 
que, vers la gauche, Thorizon est fermé par cet incompa- 
rable océan de verdure qui est la forêt de Fontainebleau. 
C'est là que naquit, le 29 septembre 1833, Henri-Michel- 

1 



2 CHAPU. 

* 

Antoine Cbapu, d'une famille de cultivateurs depuis long- 
temps établie dans le pays (1). On trouve, en effet, des Chapu 
un peu partout dans le département de Seine-et-Marne. 
Tous vivent de la vie rustique. Quelques-uns exploitent des 
fermes importantes ; la plupart appartiennent à Thumble 
classe des artisans ou des domestiques agricoles. Les parents 
de Chapu étaient de ces derniers. Au moment où naquit 
leur fils, ils étaient au service d'un propriétaire du Mée, 
le marquis de Fraguier. Ne pouvant élever eux-mêmes leur 
enfant, ils le mirent en nourrice chez des parents, à Marcq, 
et ensuite le confièrent à un oncle, Michel Lecocq, de 
Thoiry, où il vécut jusqu'à l'âge de dix ans. 

Le fils de ce Michel Lecocq, Lindor, dont nous tenons 
ces détails, et qui fut le compagnon d'enfance du jeune 
Chapu, nous a raconté que dès cette époque il fréquentait 
l'école et se montrait élève docile et assidu, que ses plaisirs 
favoris était de modeler des « bonshommes en terre w et de 
sculpter sur bois. On ne saurait suspecter un pareil témoi- 
gnage. Nous doutons, toutefois, que la vocation fît dès cette 
époque entendre au jeune Chapu sa voix mystérieuse (2) ; 
nous aimons mieux le voir, comme il l'a du reste écrit 
lui-même, « médiocre écoher, grand amateur d'école buis- 
sonnière, habile à dénicher des nids, voire même à tendre 
des collets ». Quoi qu'il en soit, Chapu, cela est hors de 



(1) Voir aux Pièces justificatives l'acte de naissance de Chapu. 

(2) 11 nous a été donné de voir quelques dessins datant de l'enfance de Chapu, 
alors qu'il avait douie ou treize ans. La vérité m'obli|»e à dire qu'il n'y a rien 
dans ces dessins, copiés pour la plupart sur de médiocres gravures, rien qui fasse 
présager un talent quelconque. En 1850, seulement, j'ai remarqué un portrait de 
femme en bonnet (sa mère sans doute) qui, quoique assez maigrement modelé, ne 
manque pas d'une certaine personnalité. 



ENFANCE ET JEUNESSE. 



doute, reçut tout juste une médiocre instruction primaire. 
Ses premières lettres (alors qu'il avait plus de vingt ans) 
en font foi, et la culture intellectuelle assez étendue 




L4 TANTE DE CUAPU, 1850. 



qu'il acquit dans la suite, il ne la doit qu'à lui-même. 

De ces lointaines années d'enfance, Cbapu avait gardé un 

bon souvenir, et souvent, dans ses lettres, il se plaisait à les 

évoquer. Bien que, dans le cours de sa vie laborieuse, il ait 



V CHAPr. 

rarement eu, depuis, le loisir de goûter les plaisirs de la vie 
rustique, on peut dire qu'il a, par plus d'un côté, par plus 
d'un trait de caractère, gardé Tempreinte de son origine 
paysanne. Paysan il était par son amour de la nature, qu il 
n'admirait pas seulement en artiste, mais qu'il aimait comme 
la grande mère nourrice, la réparatrice étemelle des forces 
humaines; paysan encore par son humeur patiente et 
tenace, par sa prudence un peu défiante devant les visages 
nouveaux, par l'extrême simpUcité de ses goûts. Un autre 
trait encore : il aime les bêtes. Toute sa vie, il aura près de 
lui quelque animal, domestique ou apprivoisé, depuis certain 
aigle, déniché dans les montagnes de la Sabine, qu'il gar- 
dera plusieurs semaines dans son atelier de Rome, jusqu'à 
un écureuil familier, compagnon de ses dernières années. 

C'est vers 1 âge de dix aus que Cbapu revint au Mée. Son 
séjour n'y fiit pas de longue durée. Ses parents, en effet, 
quittèrent bientôt le marquis de Fraguier. Est-ce leur in- 
stinct paternel qui leur dit qu'à Paris seulement les destinées 
de leur fils s'accompliraient, ou ne faut-il voir dans cette 
circonstance qu'un hasard heureux? Toujours est-il que 
nous les retrouvons, quelques années plus tard, concierges 
chez le marquis de Vogué, dont l'hôtel, aujourd'hui dispani, 
occupait le n* 92 de la rue de Lille. Us envoyèrent tout 
d'abord leur fils à l'école des Frères; puis, au bout de deux 
ans, jugeant son éducation suffisante, ils se mirent en devoir 
de lui chercher un état, chose particulièrement malaisée à 
cette époque, car on était en 1848, en pleine révolution de 
Février. Après bien des déhbérations , ou choisit pour le 
jeune garçon la profession de tapissier; mais le patron auquel 



ENFANCE ET JEUNESSE- 



il fut proposé objecta, l'excellent homme, que pour faire un 
bon tapissier, il fallait savoir un peu de dessin. Son conseil 
fut suivi, et voilà Chapu à TÉcole d'art décoratif de la rue 
de l'École de médecine. Son destin était désormais fixé. 
Deux ans plus tard, il obtenait un premier prix qui lui 
donnait son entrée à l'École des beaux-arts. Jusque-là il 
s'était contenté de dessiner sans savoir encore quelle bran- 
che de l'art il choisirait ; l'architecture semble même avoir 
eu un moment ses préférences. Il finit cependant par opter 
pour la sculpture et entra dans l'atelier de Pradier. 

Quelques sculpteurs de ce temps se souviennent encore 
d'avoir vu, aux premiers jours de l'hiver de 1850, arriver 
parmi eux, à Tateher Pradier, un jeune homme de dix-sept 
ans, d'apparence chétive, timide et pauvrement vêtu d'une 
petite blouse d'écolier. On ne lui ménagea pas les brimades 
traditionnelles, et le maître lui-même s'amusa plus d'une 
fois à le déconcerter. Un jour, il lui commanda, sous peine 
de renvoi, d'élever, seul et sans aide, sur une selle, un lourd 
bloc de marbre qui gisait dans un coin de l'atelier. Chapu 
avait pris au sérieux l'ordre et la menace qui l'accom- 
pagnait. Croyant son avenir enjeu, il tenta cette besogne 
impossible, et, je ne sais par quels moyens, parvint à 
l'accomplir. Pradier, en rentrant le soir à l'atelier, trouva, à 
sa grande surprise, le bloc en place. 11 rit tout d'abord de la 
naïveté de son élève, puis il réfléchit qu'un enfant de dix-sept 
ans, capable d'une telle force de volonté, n'était peut-être 
pas le premier venu. A partir de ce moment, il s'intéressa au 
jeune Chapu. Celui-ci malheureusement ne devait pas pro- 
fiter longtemps de ses conseils. Pradier mourut en 1852, et 
Chapu dut chercher un autre maître; il entra alors à l'atelier 



6 CHAPU. 

de Daret. En même temps il suivait le cours de dessin du 
soir, où son exactitude et son zèle le firent remarquer de 
Léon Cogniet. Le grand peintre se prit pour Chapu dune 
amitié paternelle qui ne devait jamais se démentir. 

Pendant les quatre premières années qu'il passa à Técole, 
le jeune Chapu travailla avec ardeur. Les principales 
œuvres qu'il exécuta pendant cette période furent : F Homme 
heureux, bas-relief tiré du bouclier d'Achille (Homère), 
1852; CincinnatuSy bas-relief, 1852; Cérès rendant la vue 
à Triptolème , bas-relief, 1853; le Désespoir d Alexandre 
après la mort de Clitus, qui lui valut la même année le 
deuxième prix de Rome; Tyrtée, bas-relief, 1854; Homère 
chez t armurier y et Ulysse retrouvant Achille à la cour de 
Lycomèdcy bas-reliefs, 1854. 11 s'était également essayé à 
la gravure en médailles et en pierres fines, et avait obtenu 
dans cette section, avec un Neptune faisant naître un che- 
val, le second prix de Rome, en 1851. 

Il faut citer encore, parmi les premiers essais du sculpteur, 
une statuette en plâtre que nous avons pu retrouver, grâce 
à la correspondance du maître , à la préfecture de Seine- 
et-Marne, où elle était reléguée dans un bureau, oubliée 
de tous. Elle représente dom Simon, moine du Jard (1), 

(1) Nous deTons à M. Lhuillîer, vicerp résident de la Société archéologique de 
Seine-^t-Marne, Tintéressante communication qui suit sur l'abbaye du Jard : 

« Le Jard était une abbaye de religieux appartenant à l'Ordre de Saint- Augustin 
et toute voisine de Melun. L'un de ses derniers titulaires fut le fameux abbé de 
Voisenon, de l'Académie française. 

« Le moine Simon, qui avait appartenu à cette abbaye, l'avait quittée pour celle 
de Jony, près Provins. Il se distingua parmi les défenseurs de la ville de Melun au 
moment de son siège par les Anglais, en 1420. Sébastien Kouillard, dans son 
Histoire de Melun (1628, p. 541), rapporte que les Anglais, devenus maîtres de la 
place, firent décapiter le vaillant moine et un de ses compagnons, comme lui 
religieux de Jouy. " 



ENFANCE ET JEUNESSE. 



une célébrité locale qui se sigpiala pendant le siège de 
Melun parles Anglais, en 1420. Cette figure, pour laquelle 
Chapu fit de nombreuses études dessinées, est pleine de 
vérité et de mouvement. Le moine est représenté debout 
sur les remparts, une arbalète à la main; sa figure respire 
une ardeur guerrière, les plis de son froc sont largement 
hachés, et la silhouette générale en est heureuse. 

Le petit musée du Mée nous a conservé la plupart de 
ces ouvrages qui lui furent donnés par leur auteur. Certes, 
il n'y a là aucun chef-d'œuvre, et la personnahté de Chapu 
ne s'y affirme pas encore; ce sont tout au plus de bons tra- 
vaux d'élève, sagement composés et exécutés avec une cer- 
taine verve. Bien que la critique se fût déjà intéressée à ces 
œuvres, leur auteur n'en était qu'à demi satisfait. « Ce 
matin, écrit-il dans ses notes intimes, D*** (Delecluze?) est 
venu voir mon projet de statue équestre. Sa première 
impression n'a pas été défavorable, mais il a trouvé la tête 
du cheval trop petite, pas assez sohde ni assez carrée de 
construction... l'effet général lui a paru manquer de ron- 
flant... A*** semble avoir la même opinion sur la physio- 
nomie de mes œuvres; l'estime que je porte aux peintres 
allemands m'entraîne peut-être à la froideur... On aime le 
ronflant chez nous; je l'aime aussi, mais, tiraillé en tous 
sens, je ne sais quelle est la bonne route. » 

A la fin de l'année 1854, le jeune sculpteur a conscience 
de savoir, de son métier, tout ce qui peut s'apprendre à 
l'École. Dégoûté de l'enseignement monotone de Duret, il 
veut quitter l'atelier et oublier pour un temps ce qu'on lui 
a appris. « Mon dessein est de me renfermer dans ma 
chambre afin de m'exercer moi-même et de me concentrer. 



8 CHAPU. 

J'espère retrouver uae énergie que je ne me sens plus... 
j'ai la conviction que la société continuelle ôte àFesprit une 
partie de ses forces contractives {sic) et le distrait trop; la 
solitude donne à l'âme une force double que le travail ali- 
mente et grandit. » Quelques mois de travail solitaire 
retrempèrent le courage du jeune artiste. Il passa de longues 
heures au Louvre, méditant et comparant les génies divers 
des peuples qui ont exceUé dans la sculpture. Pas plus que 
les grâces mièvres des artistes du dix-huitième siècle. Fart 
hiératique des Égyptiens ne le laissa indifférent, mais c'est à 
Puget surtout qu'allèrent ses sympathies du moment, et il fit 
de son Milon de Crotone de longues et minutieuses études. 
Cette « retraite » eut pour Chapudes résultats salutaires. 
Au printemps, il reprit le chemin de l'École, car il se devait 
à lui-même, à ses parents et aussi à la ville de Melun qui le 
pensionnait (1), de conquérir le prix de Rome, dont deux 
fois déjà il avait été si près. Il l'obtint, en effet, et dans des 
circonstances qui méritent d'être rappelées. Le sujet pro- 
posé était un bas-relief : Cléobis et Biton, La veille do 
l'exposition publique, on transporta, dans la salle où elles 
devaient être exposées, les œuvres des concurrents. Au 
moment de mettre en place le bas-relief de Ghapu, une corde 
casse, et le lourd morceau de terre glaise tombe « sur le 
nez » . On crut tout perdu, et le. pauvre artiste se désolait. 
Enfin, on répara tant bien que mal le désastre, mais toutes 
les finesses du premier plan étaient écrasées ou brisées. 



(1) Une tomme de deux cents francs lui avait été accordée h. titre d'encourage- 
ment, dès l'année 1850, par le conseil général de Seine-et-Marne. Cette somme, 
^ar des augmentations successives, fut portée à mille francs (1855). (Archives du 
département de Seine-et-Marne.) Voir aux Pièces justificatives. 




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ENFANCE ET JEUNESSE. 11 

Cependant, tout mutilé qu'il fût, le morceau était si beau 
de composition et d'allure qu'il défiait toute comparaison 
avec les œuvres rivales. Le jury fut unanime en faveur du 
jeune Chapu (1). 

C'est vers le mois de décembre de cette année qu'il s'ache- 
mina vers Rome. Les artistes, appelés à perfectionner leurs 
études à la Villa Médicis, avaient toute liberté de s'y rendre, 
mais, le plus souvent, ils réunissaient leurs destinées et fai- 
saient le voyage de concert. Cette année-là la petite troupe 
était moins nombreuse que de coutume, aucun peintre 
n'ayant été jugé digne du prix; elle se composait, avec 
notre sculpteur et son camarade Doublemard, d'un archi- 
tecte, Daumet, d'un musicien. Comte, et du graveur en 
médailles Alphée Dubois. 

Le voyage se fit gaiement, à petites journées, chacun sui- 
vant sa fantaisie , les plus paresseux se servant de la dili- 
gence, les autres faisant à pied de longues étapes en pre- 
nant des notes et des croquis. On visita ainsi Lyon, Avignon, 
Arles, Nîmes, Marseille, Gênes et Florence. A la fin de jan- 
vier seulement ils arrivaient à destination (2). 

(1) Un article de V Illustration, en racontant cet accident, l'attribue à Double- 
mare (lie), qui eut également le prix cette année-là. C'est une erreur. Nous avons 
trouvé, en effet, sur les registres de l'Académie^ la note suivante en regard du nom 
de Chapu : Un accident arrivé au bas-relief en terre de M. Chapu, pendant le 
transport des loges k la salle d'exposition, a brisé ce bas-relief, qui a dû être moulé 
sans être réparé. Pareille mésaventure était du reste arrivée, peu auparavant, au 
sculpteur Guillaume. 

(2) Les habitants de la Villa Médicis étaient, au commencement de l'année 1856 : 
Baudry, Chifflart, Maillot, Lévy, Giacomotti, peintres ; Bonnardel, Crauck, Lepère 
etCarpeaux, sculpteurs-, Ancelot, Ginain, Diet, Bonnet et Vaudremer, architectes ; 
Bellay et Soumy, graveurs. A cette liste il faut ajouter Bernard, un des derniers 
lauréats du paysage historique , et les compositeurs de musique Galibert et Barthe. 



12 CHAPU. 

Pendant les cinq années que durera son séjour à Rome, 
Chapu ne manquera pas d'écrire au moins une fois par 
semaine à ses parents, et cette correspondance, pieusement 
conservée, est un des plus curieux documents qu'il nous ait 
été donné de consulter, car ces lettres, d'une écriture mal- 
habile et d'une orthographe souvent fantaisiste, ont le 
charme d'une absolue sincérité. Elles nous montrent l'artiste 
tel qu'il est, tel à peu près qu'il restera toute sa vie, car sa 
maturité semble avoir été précoce, et nous ne trouvons chez 
lui ni ces écarts d'imagination, ni cette fougue qui sont 
l'heureux privilège de la jeunesse. A vingt-deux ans, il est 
déjà sage, méthodique, économe, prudent dans ses relations, 
bon camarade cependant et ne refusant jamais d'ouvrir à ses 
compagnons d'étude sa modeste bourse de pensionnaire. 
Pendant que la plupart de ses camarades s'abandonnent 
avec l'ardeur de la jeunesse aux faciles plaisirs de la vie 
romaine, il reste à l'écart dans son atelier, travaillant et 
méditant, et sa vie de cénobite, ses manières douces et 
polies, comme aussi son visage imberbe, lui font donner le 
surnom de : « Monsieur l'abbé. » 

Laissons donc notre sculpteur raconter sa vie, en choi- 
sissant, dans les trois ou quatre cents lettres qu'il a écrites, 
les épisodes les phis intéressants. 

A quelques lieues de Rome , Chapu rencontre une bande 
joyeuse : ce sont les pensionnaires de la Villa Médicis, 
venus au-devant de leurs camarades. Les deux groupes 
fraternisent gaiement, et, en signe de bienvenue, les « an- 
ciens » offrent aux « nouveaux » quelques fiasques de vin 
d'Oi*vieto. Puis ils continuent de concert leur chemin, et, à 
un détour de la route, Chapu peut enfin apercevoir la Ville 



ENFANCE ET JEUNESSE. 13 

éternelle, o Je suis arrivé enfin à ce lieu auquel j'aspire 
depuis tant d'années, écrit-il le soir même à ses parents ; mes 
illusions n'ont pas été déçues, et ce n'est pas sans un petit 
serrement de cœur que j'ai contemplé cette Rome où je vais 
habiter pendant cinq ans. » 

Je passe les lettres où il décrit, après tant d'autres, les 
merveilles de la cité pontificale, ses temples païens et ses 
églises chrétiennes, les Loges, le Jugement dernier, le 
Colisée, etc. Ces beautés, qui lui sont tout d'un coup révé- 
lées, emplissent son âme d'un naïf enthousiasme qu'il mani- 
feste en un style d'une maladresse émue qui n'est pas sans 
charme. Il n'oublie pas non plus dans ses descriptions la 
Villa Médicis : « La vie de l'Académie me semble extrême- 
ment agréable ; on y a toutes les commodités possibles. La 
nourriture y est bonne et confortable, les chambres grandes 
et claires... J'ai, de ma fenêtre, une des plus belles vues qui 
soient : au premier plan sont les jardins de la Villa, et, au 
delà, l'Étrurie jusqu'aux montagnes de la Sabine. . ., le Tibre 
coule dans ces belles plaines de la campagne romaine; un 
rayon de soleil éclaire dans le lointain l'endroit où était 
l'antique Véies et la vallée de la Climère (?)... à droite, sur 
l'autre versant du fleuve, je vois, se détachant sur le ciel, au 
sommet d'une petite colline, la silhouette d'une ferme; c'est 
l'emplacement de l'acropole de Fidènes ; non loin de là, fut 
livrée la fameuse bataille de l'Allia, où les Gaulois battirent 
si bien les Romains; plus près, c'est le pont Milvius, où 
Constantin combattit Maxence. Enfin, de quelque côté que 
je tourne la tête, il n'y a pas de coin auquel ne soit attaché 
quelque souvenir historique. » 

Il s'étend aussi longuement sur les avantages matériels 



u 



CHAPC. 



cpe lui procure sa situation nouvelle. Ces avantajjes, cepen- 
dant, n avaient rien d'exagéré, et il fallait, pour s'en con- 
tenter, toute la simplicité de goûts du jeune artiste. Qu'on 
en juge. Les élèves de la Villa étaient logés et nourris 









CUAUBRE OCCUPEE PAB GUAPU A LA TILLA MEOICIS. 

par TEtat. Mais les frais de blanchissage, d'éclairage et 
de chauffage restaient à leur charge. Pour faire face à ces 
dépenses, ainsi qu'à celles de leur art (modèles, intruments, 
terre à modeler, etc.), ils avaient di'oit à une mensuahté de 
100 francs, sur lesquels 25 francs leur étaient retenus pour 



ENFANCE ET JEUNESSE. 15 

leur constituer une masse qu'on leur remettait à leur départ 
de Rome (1). En dépit de la plus stricte économie, il était 
difficile de vivre avec de pareilles ressources. Aussi, plus 
d'une fois, Ghapu dut-il recourir à ses parents, et ceux-ci, 
dont Tamour paternel se doublait d'un légitime orgueil, 
n'épargnèrent aucun sacrifice pour permettre à leur fils de 
« tenir son rang » . 

Un certain prestige, en effet, s'attachait à ce titre de pen- 
sionnaire de l'Académie de France à Rome. Les Français 
jouissaient auprès du Saint-Père d'une réelle faveur et avaient 
le pas sur les autres nations. A toutes les cérémonies publi- 
ques, les pensionnaires étaient conviés officiellement et une 
place leur était réservée, après les ambassadeurs et les géné- 
raux, bien entendu, mais au même rang que les officiers 
d'état-major. Le directeur Schnetz (2) avait un certain état 
de maison : suisse magnifique tout galonné d'or, nombreux 
domestique, voitures à la livrée impériale. Il n'était pas de 
semaines où les salons de la Villa Médicis ne s'ouvrissent à 
quelque personnage marquant de passage à Rome, et les 
pensionnaires aidaient leur directeur à en faire les honneurs. 
C'était pour ces jeunes gens, appartenant pour la plupart à 
des familles modestes, une singulière et dangereuse épreuve. 
Mais Ghapu avait trop de bon sens pour se laisser ainsi 
éblouir par ce titre prestigieux de pensionnaire. Il se rend 



(1) A partir de l'année 1859, cette pension fut augmentée de trois cent soixante 
francs par an. 

(2) Schnetz (Jean-Victor), né à Versailles en 1787, mort à Paris en 1870. 
Élève de David, Regnault, Gros et Gérard, sa manière participa de ces différentes 
influences. Les nombreux tableaux qu'il exposa, et qui appartiennent presque 
tous à la peinture de genre, témoignent d'un bon dessinateur, d'un coloriste suffi- 
sant et d'un homme de bon goût 



Ift CHAPr. 

parfaltemeot compte qa'il nest eacore qn on élèTe, et sait 
qae les années qn'il passera à Rome doivent être laborieuse- 
ment employées. Aussi, laissant la plupart de ses camarades 
étaler aux bals de son directeur leurs talents de danseurs, il 
se renfermera le plus souvent dans son atelier et passera 
ses soirées à dessiner ou â compléter, par de sérieuses lec- 
tures, l'instruction sommaire qu'il a reçue. La bibliothèque 
de l'Académie ne lui suffit pas, et il prie ses parents de lui 
envoyer ses livres favoris : Virf;ile, Corneille, La Fontaine, 
Dante, Ossian, et les Martyrs de Cbateaiibriand, et les yuits 
d'Yoïing. 

Pendant ses premiers mois de séjour, Cbapu ne son{je 
guère à travailler. Il se contente de voir, se délassant de la 
contemplation des chefs-d'ceuvre par le spectacle de la rue, 
ou la vue de quelque imposante solenuité religieuse. Au 
moment où il arrive, Rome est en plein carnaval, et il envoie 
à ses parents une fidèle et pittoresque description de ces 
fêtes (1;. Au carnaval succède le carême ; nouvelle occasion 

[i « ... L.1 fête a doré hait jour» et »e trouvait coocentrée dans la me princi- 
pale de la ville, nommée le Corso. Ao moment de la fête, toutes les boutiques 
sont transformées en autant de petites loties garnies de percaline rouge et blanche 
où les femmes et les curieux se placent pour voir le carnaval. Les balcons, les 
fenêtres, tout est garni d'une quantité de monde... A midi, an coup de canon 
annonce l'ouverture de la fête, et la rue s'emplit peu à peu. Alors commence le 
combat. Les f;cn8 placés aux fenêtres font pleuvoir sur les passants une nnée de 
confetti 'petites boulettes de plâtre faisant une marque blanche lorsqu'elles 
touchent un habit noir}. Les personnes placées dans les voitures leur répon- 
dent de la même façon ; on se jette aussi une grande quantité de bouquets et de 
dragées. Ce n'est qu'un combat dans toute la rue, accompagné d'éclats de rire et 
de cris de joie. Malheur à qui se hasarde en habit noir dans la me, car c'est à lui 
qu'on s'attaque de préférence; il pleut sur lui une grêle de confetti, et en un 
instant il passe du noir an blanc... 

• Quand on jette an bouquet à une femme, elle vous répond presque toujours 
par un autre bouquet ou par des bonbons... quelquefois, on est prévenu; alors 
c'est un succès; mais assez souvent aussi on vous répond par une poignée de con- 



ENFANCE ET JEUNESSE. 17 

de spectacles pittoresques ou grandioses, que Chapu s'em- 
presse de décrire à ses parents dans de longues lettres illus- 
trées d'amusants croquis. 

Ces jours d'intelligente flânerie ne furent pas perdus pour 
le jeune sculpteur. Les scènes auxquelles il avait assisté se 
fixèrent dans son cerveau en images inoubliables, et en 
surexcitèrent les facultés créatrices; il jugea bientôt, ce- 
pendant, qu'il ne pouvait sans danger prolonger cette 
existence contemplative. « .l'ai commencé à m'occuper 
un peu sérieusement, écrit-il le 13 mars. Je fais des com- 
positions, je dessine dans les galeries, j'étudie l'italien et 
je suis des cours. Me voilà aussi occupé que je Tétais 
à Paris, et la nuit vient toujours trop tôt. » Il exécute 
en même temps queKjues médaillons d'après ses cama- 
rades. 

Cbapu, en vrai fils de paysans, a toujours eu l'amour, 
nous pourrions dire le besoin de la nature. Sa constitution, 

fctti. Toutes les classes de la société prennent part à ces fêtes. Les soldats et 
officiers français de la garnison y prennent beaucoup de plaisir... 

« A cinq heures, le combat cesse, et toutes les voitures se retirent. On lâche 
alors neuf ou dix chevaux libres dans la rue. La foule forme la haie de chaque 
côte sur les trottoirs et pousse des hourras pour exciter les chevaux, qui ont vite 
fait de parcourir l'espace marqué. Il y a une récompense pour le propriétaire du 
\'ainqueur... c'est très curieux h. voir, et il est bien étonnant qu'il n'arrive pas de 
malheur. 

« La soirée du dernier jour est marquée par un jeu tout particulier. C'est la 
soirée aux mocoletli. Aussitôt après l'il/iye/ui, on voit s'allumer dans le Corso une 
multitude de petites bougies de cire que l'on nomme mocolo. Chacun en tient 
une ou deux dans la main, et les voitures en sont toutes illuminées. Là, un autre 
combat s'engage. C'est à qui éteindra le mocolo de son voisin; les piétons font 
l'assaut des voitures, cherchant avec leurs mouchoirs à éteindre les bougies; ceux 
des voitures leur répondent avec des confetti ou à grands coups de vessies gonflées 
d'air... tout cela est d'une gaieté étourdissante; on s'amuse franchement et gaie- 
ment, sans qu'il y ait jamais de dispute. » 

[Lettre de Chapu à ses parents,) 
2 



IS CHAPU. 

chétive en apparence, s'accommode à merveille des grandes 
marches, des journées passées en plein air. Aussi, dès qu'il 
est fatigué du travail de l'atelier, il boucle sur ses épaules 
le sac du paysagiste et s'en va vagabonder dans la cam- 
pagne romaine. Nous avons trouvé, dans ses cartons, de 
nombreux paysages dessinés au crayon noir ou à la mine 
de plomb sur papier bleu, avec quelques touches de goua- 
che ou de crayon blanc pour détacher les ciels, où il a 
su aUier la noblesse du style et la beauté des lignes à un 
sentiment très vif et très pénétrant de la nature. Si j'avais 
il classer ces charmantes compositions, je les placerais 
entre Aligny et Corot, à l'époque où ce dernier commen- 
çait à se dégager de la solennité un peu guindée du paysage 
historique. 

Ces différents travaux l'absorbèrent si bien que, en dépit 
des moustiques, de la chaleur et de la mal'aria (1) qui 
d'habitude chassait presque tous les hôtes de la Villa, de 
juillet à septembre, il demeura à Rome pendant tout Tété, 
ne quittant son atelier que pour de courtes excursions dans 
les environs. 

L'hiver venu, il se mit avec ardeur à son envoi. Après 
bien des hésitations, il fit choix d'un sujet reUgieux, le Christ 
auxAngeSy auquel il joignit, par surcroît, une esquisse, VAge 
de fer y dont je n'ai pu retrouver la trace. 

(1) Le riitiiat de l'Italie paraît avoir été, ù cette époque, beaucoup plus malsain 
qu'il ne l'est aujourd'hui. Peudant le cours de cette année 1856, Chapu avait vu 
mourir à l'Ecole même un de ses camarades, Bonnnrdel, enlevé par les Hèvres. Peu 
de temps après, un autre élève, Chifflart, épuise par le même mal, revenait ù 
Rome, se traînant à peine sur des béquilles; Giacomotti était gravement malade, 
u Venise^ de la suette; enfin Carpeaux^ s'étant administré un remède trop violent 
pour guérir une dysenterie dont il était atteint, se voyait forcé de revenir en 
France achever sa guérison. 




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ENFANCE ET JEUNESSE. 21 

Suivant un usage qui subsiste encore aujourd'faïui, les 
œuvres des pensionnaires, avant d'être envoyées à Paris, 
étaient exposées à la Villa Médicis. Les bas-reliefs de Ghapu 
y furent favorablement accueillis. Grande fut donc sa décep- 
tion quand on lui fit, six mois plus tard, parvenir le rap- 
port de rinstitut qui le concernait, rapport qui avait été lu 
en séance publique le 2 octobre 1857. « L'envoi de M. Ghapu, 
qui a si brillamment, il y a deux ans, obtenu le Grand 
Prix de sculpture, écrivait le rapporteur, ne remplit pas 
Tattente de l'Académie. Si elle écoutait la voix de la sévérité, 
elle aurait plus d'un reproche à adresser à M. Ghapu. 
Elle lui dirait que son bas-relief représentant Y Adora- 
tion des Anges n'a pas le calme et l'onction que comporte 
le sujet, que rien ne justifie le mouvement désordonné 
des draperies des anges ; qu'il aurait dû éviter dans les 
plans des disparates qui nuisent à l'harmonie de l'en- 
semble. Mais elle est heureuse d'ajouter qu'il a dans la 
figure du Ghrist quelques parties d'étude bien modelées, 
et que M. Ghapu a fait preuve de zèle en envoyant son 
esquisse, VAge de fer, qui ne lui était pas demandée par 
le règlement. Elle devrait cependant reprocher encore 
à cette esquisse une exagération dans le mouvement 
des figures et des draperies, qui lui ôte ce caractère de 
grandeur, cette clarté que doit toujours consei*ver la sculp- 
ture, lors même qu'elle est appelée à rendre les passions 
les plus violentes. L'Académie espère beaucoup, pour le 
prochain envoi de M. Ghapu, de ses réflexions et de ses 
études. » 

Gette sévère appréciation était confirmée par une lettre 
confidentielle de Duret, qui parvint à Ghapu par le même 



22 



CHAPU. 



courrier. Il nous semble curieux de rapporter ce document, 
que nous avons retrouvé dans les archives de Chapu : 



a Mon pauvre Chapu, 

« Vous avez donc tout à fait oublié les bons principes de 
sculpture que vous avez montrés dans votre Prix? Tout le 
monde fondait de grandes espérances sur vous, et vous faites 
le plus affreux envoi que j'aie jamais vu. Pourquoi diable 
faire un Christ, le plus beau des hommes, quand vous n'êtes 
seulement pas capable de faire un homme ordinaire, comme 
il y en a tant à Rome? Seulement ils ont du caractère, et cela 
convient parfaitement à la sculpture. Votre bas-relief est 
mal entendu de plans, le nu affreusement dessiné, le goût 
n'appartient à aucune époque de l'art, et je suis très peiné 
de voir une pareille chose. Regardez donc un peu la belle 
sculpture grecque ou celle de Michel-Ange, et non des pein- 
tures rococo qui ont peut-être le mérite de la couleur. La 
sculpture veut de la noblesse et de belles formes , et non de 
petites touches, des creux et des bosses qui n'indiquent 
rien absolument, comme vous en mettez dans votre Christ. 

tt Votre esquisse serait peut-être passable si elle était 
mieux exécutée et d'un meilleur goût. Elle a trop de plans 
et est encore du domaine de la peinture et n'annonce rien 
de distingué, mais un sentiment commun et vulgaii'e, con- 
traire à l'art que vous avez choisi. 

« Tâchez donc, mon cher enfant, de regarder un peu 
Tantique, et comptez sur mon dévouement et mon amitié, 
si vous voulez vous en rendre digne. 

« F. DURET. » 



ENFANCE ET JEUNESSE. 



S5 



Nous pouvons, à notre tour, faire appel de ces jugements 
rigoureux, car les pièces du procès subsistent encore. Le 
Christ aux Anges nous a été conservé. Il est aujourd'hui le 
plus bel ornement de Féglise du Mée. En outre, plusieurs 
croquis d'ensemble ou de détail nous initient à la genèse de 
cette œuvre. Si Ton ne consultait que ces derniers, on ne 
pourrait que donner tort à l'Académie, car la conception 
première est grande, simple et harmonieuse. Le Fils de Dieu 
est étendu, mort. Derrière lui, un ange, vu de face, soulève 
son linceul, tandis qu'un autre, vu de profil, s'incline vers le 
divin Crucifié et baise sa main inerte. Rien de gracieux 
comme la silhouette de cet ange, dont la courbe élégante se 
marie heureusement à la ligne rigide du corps que l'on va 
ensevelir. Malheureusement, quand il entreprit cette com- 
position, l'artiste n'était pas encore pleinement maître de 
son métier, et l'exécution de son bas-relief se ressent de cette 
inexpérience. Le Christ est un peu vulgaire d'aspect; cer- 
tains détails, les cheveux, par exemple, sont d'un modelé 
pauvre et maladroit, les draperies d'un dessin lourd et con- 
fus. Mais ce n'est pas là le principal grief de Duret : ce qui 
le contriste suitout, ce sont les tendances manifestes de son 
élève vers la sculpture coloriste, ce sont ces creux et ces 
bosses qui accroclient le regard et détruisent à son avis la 
simplicité et l'harmonie de l'ensemble. A ce point de vue, 
nous ne sommes pas tout à fait de son avis. Chapu, déjà, 
cherche à réagir contre la froideur qui, sous prétexte du 
bon goût, tend à envahir la sculpture française, et, s'il dé- 
passe le but, il ne faut pas lui savoir trop mauvais gré d'une- 
exubérance qui est de son âge et qui vaut mieux, en somme, 
que le défaut contraire. Quoi qu'il en soit, le Christ aux 



24 CHAPU. 

-<^ngfe5 n*est déjà plus l'œuvre banale et correcte d'uu bon 
élève , et un observateur perspicace aurait pu y découvrir 
les germes de ce qu'en art on appelle « un tempérament » . 

Le sévère accueil fait au premier envoi du jeune sculpteur 
n'était pas pour l'encourager. Il ne s'en montra cependant 
ni surpris, ni déçu, et se remit avec ardeur au travail. 
Depuis son dernier envoi, son horizon s'était élargi. Il avait 
consacré une partie de l'été à un voyage dans le nord de 
l'Italie, en compagnie de plusieurs architectes de la Maison. 
Il avait visité Pise, Sienne, Venise, Padoue, Bologne et 
surtout Florence, où il avait passé plus d'un mois. Là, il 
avait retrouvé un de ses amis les plus chers. Gaillard, dont la 
ville des Médicis était le séjour favori, et qui se préparait à 
l'art qu'il devait illustrer par les admirables dessins que l'on 
connaît. Les longues promenades qu'il fit dans la ville, en 
compagnie de ces esprits d'élite, eurent pour Chapu des 
résultats féconds. La Renaissance italienne qu'il est diffi- 
cile de bien connaître sans sortir de France, et dont Rome 
même ne donne que des spécimens incomplets, se révéla à lui. 
Il passa de longues heures à méditer devant la Logr/ia dei 
Lanzi ; il put comparer la grâce naïve et chaste de Luca 
délia Robbia à l'élégant et savant naturalisme de Donatello 
et de Ghiberti. Le crayon à la main, il analysa minutieuse- 
ment les figures du tombeau des Médicis, dont la mystérieuse 
et tragique grandeur le pénétra profondément, et le pré- 
cieux Persée de Benvenuto Cellini, d'une si exquise élé- 
gance, et la Judith de Donatello et Y Hercule tuant Cacus 
de BandinelU. Au bout de deux mois, il rentrait à Rome, 
l'âme exaltée par la vue de tant de radieux chefs-d'œuvre. 



ENFANCE'ET JEUNESSE. 25 

un peu inquiet, toutefois, de savoir comment, parmi tant 
de manifestations si diverses du Beau, il pourrait, à son 
tour, se frayer sa voie. 

L'artiste avait, pour cette année, le temps de ruminer 
ses impressions à loisir. Les règlements de TÉcole ne lui 
imposaient aucune composition originale, mais seulement 
une copie d'après l'antique. Dans l'état d'esprit où se trou- 
vait Chapu, en même temps qu'un excellent apprentissage, 
c'était un repos salutaire pour son imagination surchauffée. 
Il fit choix de V Enfant à iépine, cette exquise figure, du 
Musée du Vatican , et se mit résolument à ce dur métier de 
tailleur de marbre, presque nouveau pour lui, car l'École des 
Beaux-Arts y exerce peu ses élèves. Au printemps, l'œuvre 
était terminée et partait pour la France. Il reçut à l'occa- 
sion de cet envoi cet article enthousiaste d'About qui faisait 
ses débuts au Moniteur (1) : « C'est dans un écrin qu'il fau- 
drait mettre la copie du Tireur d'épine^ exécutée en marbre 
par M. Chapu. Jamais peut-être ce bijou de la statuaire 
antique n'a été reproduit avec plus de conscience et plus 
d'amour. » Le rapport officiel de l'Institut lui était égale- 
ment favorable et rendait justice au « soin qu'il avait apporté 
à cette copie qui rappelait bien le caractère de l'original » . 
Toutefois ses maîtres n'en furent sans doute pas aussi com- 
plètement satisfaits, et il reçut de l'un d'eux, de Duret, je 
crois, une lettre où « on lui lavait la tête » . 

Les pensionnaires de la villa Médicis s'étaient, cette année- 



(1) About, l'année précédente, avait passé quelques jours à Rome en revenant 
de l'École d'Athènes, où il avait été pensionnaire. L'esprit caustique et mordant 
du jeune critique ne plut pas à Chapu, qui trouvait ses articles « pointus », et se 
tint longtemps en défiance vis-a-vis du brillant écrivain. 



M CHAPU.' 

là, particulièrement distingués. On admirait à leur exposi- 
tion un Saint Sature, vaste composition de Henri Lévy, « qui 
témoignait d'un esprit délicat, distingué, fait pour plaire » ; 
des Joueurs de Jlûte de Delaunay, d'un grand charme de 
composition, d'un dessin simple et vrai, ainsi qu'une Fuite 
de Néron du paysagiste Bernard, et une Lyssia de Lepère, 
bien construite et d'un grand air. 

On n'avait que des éloges pour Chifflart (1), pour Mani- 
glier, et smtout pour Carpeaux, qui brillait entre tous avec 
son Petit Pêcheur, une des meilleures inspirations de son 
capricieux génie, et qu'About saluait déjà comme un 
maître : « Le Petit Pécheur de Carpeaux, écrivait-il, est 
une œuvre capitale et complète, digne de figurer dans la 
même galerie que le Pêcheur de Rude, le Danseur de Duret, 
le Faune de Perrault et le Philopœmen de David. Sans 
poursuivre les niaiseries dangereuses de l'idéal, il s'en est 
tenu strictement à la nature. » Pour cette œuvre encore, le 
jugement de la critique et celui de l'Académie ne s'accor- 
daient pas, car, si l'Institut y reconnaissait « une étude fine 
et vraie de la nature » , elle blâmait dans cette jolie figure 
une certaine trivialité et recommandait au sculpteur d'éle- 
ver son style en exerçant son talent sur « de nobles sujets. » 

Si nous nous étendons sur ces différentes appréciations 
des envois des pensionnaires, c'est pour montrer tout le 
désarroi qu'elles devaient produire dans leurs idées. Beau- 
coup, il est vrai, n'en tenaient aucun compte, persuadés, 

(i) Chifflart (Françoi»-Nicolas), peintre et graveur, né à Saint-Omer en 1825. 
Grand prix de Rome en 1851. Doué d'une grande imagination, coloriste à la 
manière des romantiques, cet artiste se fit remarquer par un portrait de Victor 
Hugo et une suite de dessins inspirés de Faust. Depuis plusieurs années il a cessé 
d'exposer. 



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Dessin (IKAO). 



ENFANCE ET JEUNESSE. 2T 

dans leur présomption naïve, que ceux qui leur donnaient 
ces conseils étaient les représentants d'un art démodé, inca- 
pables de comprendre leurs jeunes génies; mais pour 
Chapu^ il en allait tout autrement. Esprit méthodique et 
discipliné, ayant le respect de ses maîtres, il ne pouvait 
s'empêcher d'être troublé par ces brèves appréciations 
qui, pour être bien comprises, auraient eu besoin d'être 
longuement commentées. Le pis est qu'il ne pouvait trou- 
ver d'appui sérieux dans son directeur, M. Schnetz, homme 
de goût sans doute, mais artiste sans passion, et dont 
l'aimable scepticisme était mal fait pour remonter une âme 
troublée (1). 

Notre artiste, heureusement, avait la foi robuste. Le 
premier moment d'humeur passé, il oublia ce nouveau 
mécompte. « Je continuerai de marcher de l'avant, écrit-il 
a ses parents, sans me soucier de la routine. »» il se juge 
cependant avec impartialité et reconnaît que ni lui ni ses 
camarades ne sont encore bien for.ts. N'importe! il voit* 
bien que chaque jour apporte un peu à la somme des con- 
naissances qu'il a déjà acquises; il a confiance dans su 
laborieuse obstination : « L'intelligence, écrit-il à cette 
époque, ne suffit pas toujours. J'en vois des exemples 
chaque jour; des bûches presque, mais qui, avec peu de 
facultés, ont en compensation beaucoup de volonté et de 

(1) Le fond de la nature de Schnetz, a dit un de ses biographes, se composait 
d*un mélange aimable de candeur, de douce ironie, de scepticisme indulgent et 
éclectique. Ce scepticisme s'étendait même aux choses de son art, qu'il comparait 
aux neigea de Soracte : « Voyez-vous, disait-il un jour à Baudry en étendant In 
main Ters ces cimes éblouissantes , elles font bien dans le paysage, mais, comme 
tontes les grandes choses, il faut les admirer de loin. Je n'ai jamais eu envie d'y 
aller voir; peut-être aussi le souffle m'aurait-il manqué. » Façon naïve, gracieuse, 
profonde peut-être, d'expliquer la médiocrité de son génie. 



28 CHAPU. 

suite dans les idées : ils tendent vers un but et n'en démor- 
dent pas. C'est rare qu'ils n'arrivent à rien. Au contraire, on 
voit des individus qui ont une facilité merveilleuse à tout, 
n'importe à quoi on les mette, mais presque toujours ils ont 
une mobilité d'esprit égale. Ils touchent à tout, apprennent 
un peu de tout, mais ne savent rien en réalité. » En même 
temps, dans ses notes intimes, il parle « de ces organisa- 
tions plus robustes qu'actives, de ces tètes moins inspirées 
que réfléchies, de ces tempéraments tranquilles et obstinés, 
travailleurs sérieux et constants qu'on appelle bœufs à 
l'École, mais qui laissent souvent un grand souvenir dans 
l'histoire de l'Art. » 

Manifestement, c'est à lui qu'il pense lorsqu'il trace ce 
portrait; de même, lorsqu'il parle de ceux qui se fient uni- 
quement à leur merveilleuse facihté, il pense à certains de 
ses camarades, à Carpeaux notamment, avec lequel il entre- 
tint par la suite de bonnes relations, mais qu'il n'aimait 
•guère pour le moment. Carpeaux, en effet, était la vivante 
antithèse de Chapu. Capricieux et fantaisiste, ne travaillant 
que par boutades et se vantant, — mensongèrement du reste 
et par pure forfanterie, — de ne trouver l'inspiration qu'au 
fond d'une bouteille, Carpeaux était le type accompli du 
« mauvais élève »> . Jamais ses envois n'étaient prêts en temps 
utile, et plus d'une fois il ne fallut rien moins que les hautes 
protections dont il était l'objet pour lui éviter des peines 
disciplinaires. Chapu, au contraire, exact et méthodique, 
était esclave de ses engagements. La moindre faveur qu'il 
lui fallait demander à Schnetz était pour lui le sujet de 
longues hésitations. Le premier, cynique dans ses propos et 
débraillé dans sa tenue, raillait volontiers la vie calme et 



E^iFANCE ET JEUNESSE. 



29 



réglée du second. Physiquement, ils n'étaient pas moins 
dissemblables. Chapu, presque imberbe encore à vingt- 
cinq ans, avait une physionomie douce et bonne, le regard 
un peu timide, les traits du visage peu accentués ; sa taille 
était petite et son apparence chétive. Carpeaux, au con- 
traire, avait les traits rudes et heurtés; son œil, largement 




-/= 



««"'"^Md 



KNVinONS DE ROME. 



ouvert, avait le regard hardi, presque brutal ; le bas de son 
visage disparaissait sous une épaisse moustache et une bar- 
biche pointue de coupe militaire. Le verbe haut et bref, le 
ton cassant, il affectait des allures de capitan et n'était 
jamais plus fier que les jours où, au cours de quelque expé- 
dition nocturne dans les mauvais lieux de Rome, on Favait 
pris pour un officier « en civil » . Entre deux hommes si dif- 
férents de tempérament et de goûts, il était difficile qu'au- 



30 CKAPU. 

cuQe sympathie pût naître. Chapu cependant rendit tou- 
jours justice au talent de Gai'peaux, et la froideur qu'il lui 
avait tout d'abord témoignée se fondit peu à peu au contact 
de cette intimité Journalière. Plus tard, ils se donnèrent 
en différentes circonstances des témoignages d'une mutuelle 
estime (1). 

L'année 1859 semble avoir été, pour Chapu, une période 
décisive. Insuffisamment gardé par l'éclectisme un peu scep- 
tique de Schnetz, comprenant mal les critiques qui lui sont 
adressées de Paris, il a résolu de voler de ses propres ailes. 
Après bien des méditations dont nous trouvons la trace 
dans ses notes, il juge que Michel-Ange et les sculpteurs 
de la Renaissance sont des maîtres dangereux, que les for- 
mules académiques vous apprennent tout au plus à démar- 
quer l'art grec, qu'à si bien connaître les moyens qui furent 
jadis employés, on risque de perdre toute originalité, de 
cesser d'être vrai et simple, ou, ce qui est pis encore, de 



(l) Nous en avons la preuve dans cette lettre inédite, je crois, que Carpeaux 
écrivait d'une main défaillante ù son rival de {>loire, pour le féliciter de la mé- 
daille d'honneur qui lui avait été décernée au Salon de 1875 : 

« Nice, 30 mai 1875. 
u Mon cuëu collècuk, 

M Je suis loin de Paris. Sans cela, j'aurais été te féliciter personnellement sur 
ton succès bien mérité au Salon de cette année. 

u La médaille d'honneur emportée avec une telle majorité est un fi*uit rare. 
Pour moi, qui te sais un sculpteur de goût, rien ne me surprend de te voir prendre 
un rang si élevé dans la carrière qui te distingue. J'applaudis de loin, avec autant 
d'ardeur que si j'étais près de toi. 

« Courage et persévérance. Bientôt la fortune se joindra à la gloire et fera de 
toi le plus heureux de mes collègues. C'est ce que je te souhaite du plus profond 
de mon cœur. 

n Ton vieil ami, 

« CAni*EADX. » 



ENFANCE ET JEUNESSE. 31 

tomber daus cette naïveté intentionnelle et systématique 
qui n'est aussi qu'une manière. 

« Un sculpteur ou un peintre, écrit-il, ont été sincères 
quand, ayant soit dans la nature, soit dans leurs cerveaux, 
une seule image ou des groupes d'images, ils se sont efforcés 
de les reproduire tels qu'ils les voyaient, sans substituer aux 
formes vraies des formes prises à des œuvres d'art étran- 
gères; la prétention qu'affichent un grand nombre d'artistes 
distingués de nous interdire cette libre interprétation de la 
nature est une tyrannie absolue. » Il se décide donc à faire 
table rase, à oublier, pour un temps, l'esthétique dont on a 
farci son cerveau d'élève, à s'affranchir de la tyrannie des 
traditions. « Sous peine de se condamner aux efforts stériles, 
écrit-il encore, on ne peut ressusciter la forme particulière 
dans laquelle les poètes, peintres ou sculpteurs ont exprimé 
leurs croyances, leurs sentiments, leurs pensées... pourquoi 
vouloir enfermer ses pas dans un cercle précis et inflexible. . . 
nul n'a le droit de défendre à son voisin de vivre, si ce voisin 
en a la force... » 

Fort de ces résolutions, notre artiste se remit bravement 
à l'œuvre. Ce qu'il cherche, pour son envoi de troisième 
année, c'est l'harmonie des lignes, le rythme d'un mouve- 
ment bien choisi, le charme robuste et sain d'un beau corps 
d'homme qu'il modèlera de son mieux. Dans une de ses 
excursions aux environs de Rome, il a été frappé par la vue 
d'un paysan, jetant avec un geste plein d'ampleur le blé 
dans les sillons. Ce sera le sujet de sa statue. Jamais travail 
ne l'a trouvé plus ardent : « Je viens de faire une journée de 
manœuvre, écrit-il à ses parents : tordre des fers pour 
Tarmature de ma figure, bêcher de la terre, faire des colom- 



3Î CHAPU. 

bins (1), charrier de l'eau, nettoyer... je dormirai ce soir 
sans remords, et il est présumable que je dormirai bien. Je 
me suis arrêté à un mouvement très simple; tout sera dans 
l'exécution... j'ai un modèle superbe, un Romain des beaux 
temps... » 

Ce travail, que Chapu doit exécuter de grandeur nature, 
l'occupera tout l'hiver. Dix fois, découragé par des diffi- 
cultés d'exécution auxquelles il n'est pas encore rompu, il 
sera sur le point d'abandonner son œuvre, dix fois aussi il 
prendra Théroïque résolution de détruire certaines parties 
pour les refaire. Malgré son labeur opiniâtre, il désespère 
d'avoir fini en temps utile. En effet, la veille du jour fixé 
pour l'exposition à la Villa, dans un moment de mécon- 
tentement il réduit en poudre la partie supérieure de sa 
figure, au grand chagrin de Schnetz, qui n'a cette année-là 
presque rien à montrer au public romain. Cela, au reste, 
importe peu à Chapu; ce qui l'occupe surtout, c'est l'In- 
stitut; ce qu'il veut, c'est forcer Paris à lui décerner des 
éloges. Un vaisseau, cependant, est dans le port, prêt à porter 
en France les œuvres des pensionnaires, et le Semeur n'est 
pas terminé. Pour avoir le temps de donner à sa figure le 
dernier coup de pouce, notre artiste use de tous les moyens; 
il obtient même la complicité du mouleur qui réclamera un 
délai dont il n'a pas besoin; enfin, la tête fatiguée par ce 
continuel effort, n'y voyant plus, il abandonne à regret 
l'œuvre imparfaite encore à son gré. 

Pendant l'hiver qui venait de s'écouler, à l'Académie, les 
choses avaient suivi à peu près leur train habituel. Vers la 

(1) Espèce de boudins de terre h modeler. 



ENFANCE ET JEUNESSE. 33 

fin de janvier, une génération de prix de Rome avait quitté la 
Yilla, remplacée quelques semaines plus tard par de nou- 
veauxlauréats (1). Cette arrivée des nouveaux était pour les 
jeunes artistes une occasion de fêtes joyeuses et de farces sans 
méchanceté. D'ordinaire, on peignait aux arrivants sous les 
couleurs les plus fâcheuses cette existence de pensionnaire 
qu'ils se figuraient si riante et si belle. Aux portes de Rome, 
ils étaient reçus par leurs camarades, qui leur faisaient les 
plus lamentables récits. La moitié des pensionnaires étaient 
atteints d'ophtalmies dangereuses (plusieurs, pour donner 
plus de créance à ces récits, portaient des lunettes bleues). 
Celui-ci, en rentrant de nuit à l'Académie, avait failli être 
assassiné; tel autre était mourant de la mal'aria. Arrivés à 
la ViDa, on se mettait à table, mais, pour la circonstance, le 
menu, d'habitude assez copieux, avait été réduit; plus d'ar- 
genterie, plus de linge; la salle était garnie de cinq tables, et 
les pensionnaires y prenaient place suivant leur ancienneté ; 
celle des nouveaux, piteusement éclairée par une chandelle 
fichée dans une bouteille, était, bien entendu, servie la 
dernière, et on avait soin de ne leur laisser que les os. Cette 
année-là, comme ils quittaient la table, le ventre creux 
et harassés d'un long voyage, on leur persuada que 
Mme Schnetz désirait les voir, et voilà les malheureux, 
malgré leur fatigue, obligés de défaire leurs malles et de 
revêtir leurs plus beaux habits. La soi-disant Mme Schnetz 
n'était autre que la femme de charge de l'Académie, que, 
du reste, ils trouvèrent « fort bien » . Elle était d'origine 
allemande, et comme un des nouveaux était Alsacien, ils se 

(1) Les lauréats du dernier concours étaient : Henner, peintre; Coquart, 
architecte, et David, compositeur. 

3 



tiiiiffui a pai''er il'-marij. Son iniieH :-ci;te".Lr i-e m ntn £attê 
de c^lie- pr-rfrf ence et dr-iclara qn a la îî-vn »î :z.i elle < exprî- 
Ui-tii. eUe deTraJt avoir re^'a uoe exc>rJei.ie t-i-icaiioa! 

DaiAS le* lettre^ que Cbapa ecnî a >e> p»aie5ts pendant 
I hiver de 1 >C>^. il ne Imr parle guère que de >• #a art- Ab>«>rf>é 
par *e* travatii- c est a peine s il reniar jue. dans la sotîêté 
romaine, un certain malaise, pirécuri-rur des ;,ravrs événe- 
ments qni voat i aoompîir. BîentMt, en eîVet, la petite gar- 
niv>n française de Rome commence a se renforcer, et les 
re^ue* *e multiplient, des cris de : Vive la France 1 vive 
r Italie! $e font entendre, mal réprimes par les sbires du 
jjouvemement pontifical cjni se sent indirectement menacé. 
L Italie va conquérir son indépendance sur \t^ champs de 
bataille de Solfériuo et de Ma^jenta. Au reste, la population 
romaine, indolente et pacifique, s eu tieut pour l'iustant à 
ces platoniques manifestations [1^', et T Italie méridiouale est 
assez tranquille pour que, l'été venu, Cbapu entreprenne 
avec quelques amis une exciir^ion à Naples. 

Ce voyage lui sera bienfaisant, car il a le corps las et 
Tesprit surmené parle travail de l'hiver. Il s installe dans la 
partie la plus animée de la ville, sur le quai Sainte-Lucie. 
De sa fenêtre, il pourra contempler le Vésuve en éruption 
ou s'intéresser au spectacle de la foule qui grouille à ses 
pieds, exubérante et joyeuse. A peine arrivé, il envoie à ses 
parents une longue lettre : « Il est neuf heures, leur écrit-il, 
et le clair de lune est superbe; la mer est calme comme un 

'\^ Cbapu, parmi cet manifesta lions pariHf|ue6, en cite une .i55ez curieuse : 
le* lîbcraux, pour faire pièce au (;ouvernemenc pontitical qui avait le monopole 
Je» cigaret et en tirait un important profit, s'enga;;creat à ne plus fumer que la 
pipe. Moitié «érieiuement, moitié par plaisanterie, la population adopta cette 
mode jyouvcllc. En quelques jours, le prix des pipes tripla. 



ENFANCE ET JEUNESSE. 35 

lac, et Ton n'entend pas une vague. Le Vésuve s'estompe 
en silhouette noire sur le ciel : une seule petite coulée de 
lave aujourd'hui, qui se trouve horizontalement sur la mon- 
tagne et scintille comme une illumination. Sur la droite, 
j'aperçois le château de TŒuf, hérissé de canons brarpés 
sur le port et sur la ville ; au loin, une petite silhouette qui 
se devine à peine : c'est l'île de Gapri. 

i« A mes pieds, c'est le quai Sainte-Lucie. Tout le trottoir 
est garni de petites boutiques comme sur nos boulevards; 
on y vend des huîtres et des co([mllageSy frutti di mare, 
comme ils disent, et aussi Tinévitable macaroni qui cuit dans 
des fourneaux ambulants, autour duquel sont rangés les 
amateurs. Des femmes poursuivent les passants en leur 
offrant des grands verres d'eau sulfureuse; d'autres, accrou- 
pies, soufflent sur cjuelques brins de charbon pour y faire 
griller des grappes de maïs. Le jour, c'est encore plus gai : 
des nuées de marmots jouent et braillent à moitié nus. Ils 
mendient en faisant mille cabrioles; des bateaux vont et 
viennent le long du quai, transportant les habitants d'un 
bout de la ville à l'autre; l'on voit aussi passer presque 
charjue jour des processions, suivies de nombreux cortèges 
de moines, d'abbés, de confréries de soldats, d'enfants chan- 
tant des psaumes, tous le cierge en main, escortés par les 
troupes. Tout le long du quai il y a des petits reposoirs où 
Ton fait halte pour encenser le Saint Sacrement et donner la 
bénédiction... » 

Cette vie de doux farniente retient notre artiste à Xaples 
pendant plusieurs semaines. Il ne travaille guère, se conten- 
tant, dans ses excursions à Baïes, àPouzzoles, au cap Misène, 
au lac Lucrin, de prendre sur son album de rapides croquis. 



36 CHAPU. 

Mais si ses mains restent inactives, son esprit est toujours 
en éveil. Les musées de Napies sont pour lui un sujet 
d'études et de méditations nouvelles, et il y passe la plus 
grande partie de son temps. Avant de rentrer à Rome, il ira 
aussi passer quelques semaines à Pompéi, où l'art antique 
se révélera à lui sous sa forme la plus familière et la plus 
gracieuse. 

A Rome, de nouveaux déboires l'attendent. Ses parents 
ont été voir l'exposition des envois de Rome, et les impres- 
sions qu'ils ont recueillies sur l'œuvre de leur fils ne sont pas 
favorables. Eux-mêmes, insensibles à la belle allure sculp- 
turale du Semeur, ils n'en ont remarqué que l'exécution un 
peu fruste, et ce défaut dont ils s'exagèrent la portée les 
plonge dans une cruelle anxiété. La vocation de leur fils 
chéri est-elle sincère, et, en rêvant pour lui les hautes des- 
tinées d'un grand artiste, n'ont-ils pas fait fausse route? Pour 
s'affranchir de ce doute, les braves gens se décident à con- 
sulter une somnambule, et il ne faut rien moins que ses bril- 
lantes prédictions pour les rassurer. Chapu les raille douce- 
ment de leur crédulité et les engage à attendre le jugement 
de l'Institut, qui ne sera peut-être pas aussi défavorable 
(ju'ils paraissent le craindre. La section de sculpture, en 
effet, se montre pour lui un peu moins rigoureuse que les 
années précédentes; toutefois les éloges qu'elle décerne au 
Triptolème sont assez minces : 

« La section ne trouve dans le Triptolème de M. Chapu 
ni la noblesse ni le caractère qui conviennent au dieu de 
l'agriculture. 11 semblerait que ce titre élevé lui a été donné 
après coup. Mais, n'y voyant qu'une figure d'étude, un se- 
meur, par exemple, on peut louer un certain caractère sculp- 




SCHJiETZ. 

Médaille, 1801. 



ENFANCE ET JEUNESSE. 39 

tural et un bon mouvement, dont M. Chapu aurait pu 

tirer un meilleur parti. » 

En même temps, le bon Théophile Gautier, dans une de 
ces brillantes improvisations dont il avait le secret, louait en 
ces termes l'envoi du jeune pensionnaire : 

o M. Chapu mérite des éloges pour sa statue de Tripto- 
lème enseignant aux hommes l'usage du blé. Triptolème 
marche dans un sillon avec ce pas allongé et rythmique 
particulier au semeur. Sa main droite lance le grain qu'elle 
puise dans une pochette suspendue au bras gauche. L'action 
se comprend de suite, ce qui n'était pas facile avec une 
figure isolée, sans fonds et sans accessoires. Il y a une cer- 
taine majesté agreste dans l'attitude du jeune favori de Cérès, 
avec ses cheveux rebroussés et roides qui lui font comme 
une couronne d'épis. Le martelage du pouce est peut-être 
trop sensible dans l'épreuve en plâtre. M. Chapu, dans l'exé- 
cution définitive de sa statue, fera bien d'en tenir compte. » 
Nous ne savons si le modèle en plâtre du Triptolème 
existe encore dans quelque grenier de l'École des Beaux- 
Arts. Nous n'avons pu, en tout cas, l'y découvrir; mais on 
peut voir, au parc Monceau, un Semeur en bronze, que 
Chapu exposa et qui est, sinon la copie exacte, du moins une 
reproduction très peu modifiée de son envoi de 1859. A en 
juger par cette épreuve, les éloges de Gautier ne nous sem- 
blent pas exagérés. Sans doute, dans le courant de sa glo- 
rieuse carrière, Chapu, souvent, fera mieux; le Semeur n'en 
est pas moins une oeuvre vigoureuse et saine qui peut 
compter parmi les meilleurs envois de la Villa Médicis. 

Une année encore a passé : il n'en a plus qu'une désor- 



40 CHAPU. 

mais à demeurer à Rome comme pensionnaire. Le vain- 
queur du prochain concours sera son clou; c'est lui qui le 
chassera de son atelier : a Je suis passé au grade de vieux 
pensionnaire, écrit-il, j'ai mes quatre chevrons, et, en cette 
qualité, c'est à moi que revient la charge de porter les toasts 
les jours de cérémonie. Je suis entré en charge au premier de 
l'an, et cela durera jusqu'à l'année prochaine. Après, j'aurai 
droit au titre pompeux de professeur (1). » Cette idée qu'il 
n'a plus qu'un an à passer à l'Académie l'obsède à tous 
moments et voile de mélancolie son habituelle bonne 
humeur. « Je pense tous les jours que je n'ai plus que dix 
mois de pension. Il me semble que notre Villa devient plus 
belle que jamais, et Rome a des charmes que je n'avais pas 
devinés jusqu'à présent... il me va falloir gagner ma vie. 
Plus d'horizons, plus de montagnes, plus de Vatican, plus 
de promenades dans cette campagne unique au monde... » 
Pour comble d'ennui, une petite statue qu'il avait commen- 
cée au mois de septembre pour son dernier envoi ne répond 
pas à ce qu'il espère, et il est sur le point de la détruire. « La 
sculpture n'est pas toujours facile, et Ton se donne souvent 
bien du mal pour un maigre résultat. Il y a deux mois que 
je travaille à une petite figure, et me voilà décidé à la 
recommencer... le travail que j'ai fait ne sera pas perdu, 
mais ce n'est pas gai d'être resté si longtemps sans m'aper- 
cevoir d'une grave erreur que j'ai faite. » Héroïquement, il 
se décide à ce sacrifice et entreprend une nouvelle statue. Le 
sujet sera : Mercure inventant le caducée. Il espère l'avoir 
modelée avant la fin de l'hiver. Aussitôt le modèle terminé, 

(1) Ce titre n'avait rien d'officiel. C'étaient les pensionnaires qui le décernaient 
à ceux de leurs camarades qui avaient achevé leurs cinq années de pension 



ENFANCE ET JEUNESSE. 41 

il l'exécutera en marbre. Comme un maître ouvrier qui veut 
faire son chef-d'œuvre, il le caressera avec tout le soin dont 
il est capable et l'emportera avec lui quand il quittera Rome. 

Pendant tout l'hiver, il travaille sans relâche, déclinant 
toutes les invitations, indifférent aux plaisirs habituels du 
carnaval, s'apercevant à peine de la crise qui agite Rome 
comme tout le reste de l'Italie. Au printemps, son modèle 
achevé, il veut, pour se distraire, aller à Naples et de là s'em- 
barquer pour Athènes, où l'année précédente des élèves de 
l'École, de passage à Rome, l'ont convié ; mais les conseils de 
son directeur, inquiet de la tournure que prennent les évé- 
nements politiques, la crainte de perdre un temps qui désor- 
mais lui est strictement mesuré, le font renoncer à ce projet. 

La révolution, en effet, après avoir fermenté sourdement 
tout l'hiver, reprend avec violence son œuvre. Le Pape a 
appelé à lui Lamoricière pour organiser son armée et 
défendre ses États menacés par le roi de Sardaigne. Celui-ci 
s'avance vers Rome avec 60,000 hommes ; déjà il a pris 
Pesaro, puis Pérouse ; il n'est plus qu'à deux journées de 
marche de la Ville éternelle. François II, de son côté, a quitté 
Naples, et sa capitale est au pouvoir des insurgés. Chapu a 
appris par quelques-uns de ses camarades, témoins oculaires, 
la facile victoire des garibaldiens. « On n'a pas tiré un seul 
coup de fusil, lui écrivent-ils ; la population n'a osé faire aucune 
démonstration avant que le dernier soldat du Roi fût sorti ; 
c'est alors seulement, quand ils ont été bien rassurés, qu'ils ont 
acclamé Garibaldi, comme ils acclameraient, du reste, le Roi 
dans huit jours s'il revenait... C'est la lâcheté à son comble. » 

A Rome, tout est tranquille comme en un vaste cloître au 
seuil duquel viennent s'éteindre tous les vain s bruits du monde. 



42 CHAPr. 

et c'est paisiblement assis sous les chênes verts de FAca- 
demie, que Chapu annonce à ses parents les graves événe- 
ments qui vont bouleverser la Péninsule. Le soleil vient do 
se lever; nul bruit, si ce n'est, à Thorizon, la voix grélc 
d'une cloche et le chant monotone du jardinier de la Villa. Ce 
recueillement et cette paix conviennent à son âme inquiète ; 
il en profite pour visiter encore une fois les nombreux musées 
de la ville, afin de graver dans sa mémoire les chefs-d'œuvre 
qu'il ne reverra peut-être jamais ; puis, ce sont de longues 
courses à pied dans cette can^agne romaine dont la morne 
et grandiose sohtude plaît à sou esprit méditatif. Il a, pour 
ces excursions, un compagnon toujours prêt : c'est un jeune 
Basque, marcheur infatigable et peintre de son état, qui, 
n'ayant pu conquérir le prix de Rome, est venu en Itahe à 
ses frais. Il se nomme Bonnat. Chapu, toujours un peu cir- 
conspect dans ses lettres , parle rarement de ce camarade, 
qui, par la suite, deviendra un de ses plus intimes et meilleurs 
amis. Il a déjà cependant pour le jeune peintre une sym- 
pathie particulière : « Il est rare que l'on nous voie l'un sans 
l'autre, écrit-il; nous sommes comme le corps et l'ombre. » 

Telles furent ses occupations pendant les mois brûlants 
de la canicule. Son Mercure lui laissait des loisirs. Un pra- 
ticien dégrossissait le bloc, d'où peu à peu émergeait la 
forme encore rudimentaire de sa statue ; il n'avait, pour le 
moment, qu'à sur\'eiller ce travail. Il profita de ce repos 
forcé pour modeler quelques médailles (1) et aussi un buste. 
Au mois de septembre, il reprenait le ciseau et la lime. 

Passons rapidement sur cet hiver 1860-1861 qui n'offre, 

(1) Un distingaé critique d'art, qui est en même temps un excellent esprit^ 



ENFANCE ET JEUNESSE. 43 

dans la vie de Cbapu, aucun incident qui mérite d'être noté. 
Le 1*' janvier, il cesse d'être pensionnaire et perd les avan- 
tages attachés à ce titre. Heureusement F Académie est assez 
riche pour se permettre le luxe d'un invité ; on lui installe 
dans une chambre inoccupée un atelier où il terminera son 
Mercure, et il continuera d'avoir son couvert mis à la table 
des pensionnaires. Il pourra ainsi reculer son départ jusqu'au 
printemps. Malgré ce sursis, c'est à peine s'il aura terminé 
sa statue le jour de l'exposition. 

li'art français était alors biillamment représenté à Rome 
par une vingtaine de pensionnaires, talents encore en fleur, 
mais qui, pour la plupart, devaient porter de glorieux fruits. 
C'étaient Carpeaux, déjà professeur, et qui ne devait qu'à 
une faveur spéciale d'habiter encore la Villa, et Maniglier, 
et Falguière, tout nouveau venu, dont un bas-relief d'une 
conception hardie et tout à fait en dehors des données habi- 
tuelles de l'École, apprenait, pour la première fois, le nom 
à la critique, et Delaunay, « un vieux » pour cette belle 
jeunesse, car il avait passé la trentaine, et Paladilhe, le 
compositeur, qui était presque un enfant. 

Du côté des peintres, il y avait Lefebvre, qui n'avait pas 
encore exposé, et Henner, qui, pour deuxième envoi, avait 
fait un Christ « d'une magnifique couleur », et de Coninck, 

nous a objecté ({u'on ne modelait pas une médaille ^ le propre d'une médaille 
étant d'être gravée directement sur le coin. l\ est cependant d'usage, en pai^ 
tant des œuvres des médailleurs de la Renaissance, qui étaient obtenues au moyen 
d'estampages faits sur un modèle en terre ou en cire, de dire les me'dailles et non 
les médaiiions de Pisano, de Leone Leoni, etc. Nous nous servirons donc à 
l'avenir du mot médaille pour désigner, par quelque procédé qu'elles aient été 
obtenues, les pièces en métal de petites ou de médiocres dimensions, réservant 
le Aom de méd.iiIlon8 aux ouvrages en pierre ou en marbre, ou à ceux en bronze 
de très grande taille. 



44 



CHAPU. 



un joyeux Flamand, qui devait rester un des meilleurs 
amis de notre sculpteur, et enfin le paysagiste Didier. II 
faut encore citer, parmi ceux qu'attendaient de brillantes 
destinées, Tarchitecte Coquart, qui devait partager avec 
Chapu rhonneur du monument de Regnault; Gaillard, 




TONY ROBERT-FLEUnV. 
Médaille, 1868. 



Tadmirable graveur du portrait de Pie IX et de celui de 
dom Guéranger ; enfin Heuzey, qui commençait ces curieuses 
études sur le costume antique qu il devait plus tard pro- 
fesser si brillamment à TÉcoIe des Beaux-Arts. 

Malgré la redoutable concurrence du Pécheur de Car- 
peaux, que le jeune sculpteur avait, cette année, exécuté 
en marbre, le Mercure inventant le caducée obtint, auprès 



ENFANCE ET JEUNESSE. 45 

du public romain, un beau succès qui, suivant l'expression 
de Chapu, « lui mit du baume dans le cœur » . L'œuvre, 
cependant, n'est pas de premier ordre, et si, au point de 
vue de l'exécution, elle était la plus complète de celles qu'il 
eût exposées jusque-là, comme originalité et comme con- 
ception, elle nous semble inférieure à son Semeur. C'est, 
à notre avis, un très habile pastiche de l'antique, où l'artiste 
a montré seulement une louable virtuosité. Disons tout de 
suite que le Mercure fut aussi bien accueilli à Paris qu'à 
Rome, et que l'Institut, tout en y regrettant « un peu de 
froideur » , déclara l'œuvre exécutée avec un louable souci 
de la vérité et du goût. 

« Et maintenant adieu jeunesse, études, voyages, liberté, 
santé peut-être, s'écria Chapu dans un moment de lyrisme, 
adieu Rome, sans doute, pour jamais! » Son Mercure vient 
de partir pour la France avec ses autres études et les 
modestes objets d'art qu'il a collectionnés pendant son 
séjour. S'il reste à Rome, c'est qu'il a encore quelques 
obhgations à remplir, quelques médailles à faire, entre 
autres celle de son directeur. Les séances se prolongent 
jusqu'à la fin de mai. Mais c'est à Chapu de poser à son 
tour, car l'usage veut que l'image du pensionnaire qui 
s'en va reste à l'Académie. Henner et Delaunay se sont 
chargés de ce soin. Voilà le mois de juin passé. Est-ce fini? 
Non pas encore. Chapu, malgré les lettres de plus en plus 
pressantes de ses parents, trouve chaque jour quelque nou- 
veau prétexte. Il lui faut revoir tranquillement les petits 
coins qu'il affectionne, faire une dernière visite aux musées 
et aux galeries, prendre congé de ses amis de Rome. En 
même temps un projet audacieux germe dans son cerveau. 



46 CHAPU. 

On dispute beaucoup, depuis quelque temps, dans le monde 
des archéologues, sur la colonne Antonine et les inscriptions 
qui la décorent. Pour trancher le débat, il faudrait faire Tas- 
cension du monument, ascension qui n'est pas sans danger. 
Chapu, encouragé par son directeur, tente cette entreprise 
périlleuse, et, à Taide d'un système compliqué de cordes et 
d'échafaudages, on le hisse dans une sorte de nacelle au 
sommet du monument. . . Enfin, le terme suprême est arrivé : 
par une belle fin de jour d'août, Chapu a vu encore une fois 
le Tibre serpenter dans les plaines solitaires de la campagne 
romaine; le lendemain, son camarade Delaunay l'accompa- 
gnera jusqu'à Civita-Vecchia, d'où il fera voile vers laFrance. 

Si l'on examine l'ensemble des œuvres exécutées par 
Chapu pendant son séjour à Rome, on doit convenir tout 
d'abord qu'il ne fit, pendant cette période, aucun de ces 
ouvrages d'un mérite éclatant, qui signalent leur auteur à 
l'admiration des foules. Le Christ aux Juges, le Semeur y 
le Mercure inventant le caducée sont des œuvres estimables 
qui montrent un artiste habile et savant; la personnalité du 
sculpteur ne se dégage pas toutefois d'une façon décisive. 
Evidemment, il cherche encore sa voie. Il connaît admira- 
blement son métier, et aucune des difficultés matérielles de 
son art ne lui est étrangère ; il a maintenant à son service 
un instrument docile, qui ne trahira pas son inspiration; 
mais, après avoir étudié tour à tour les maîtres français, 
les sculpteurs grecs et ceux de la Renaissance, il hésite, ne 
sachant encore sous quel patronage il se placera. 

Il semble déjà, cependant, que le jeune sculpteur ait un 
obscur pressentiment de la voie qu'il suivra définitivement. 



ENFANCE ET JEUNESSE. 47 

Si Puget, Michel-Ange et Verocchio Font tour à tour ébloui, 
c'est toujours à l'antique, cependant, qu'il revient, comme à 
la seule source pure et bienfaisante. Nous trouvons sur un 
de ses albums de 1860 cette courte note : w L'antique et la 
nature! Avec cela je travaille sans peine. » Voilà, je crois, 
définitivement arrêtée, la formule de son talent. C'est vers 
l'art antique qu'il se retournera sans cesse, demandant à 
Phidias, à Praxitèle, à Myron, le goût, la mesure, la simpli- 
cité et la concision du style, en même temps qu'il cherchera, 
par l'interprétation sincère de la nature et la recherche du 
caractère individuel, à moderniser l'idéal antique et à 
l'accommoder aux exigences plastiques de notre temps. 

Si, pendant ces années d'école, Chapu ne s'est encore 
révélé par aucune de ces œuvres qui rendent un nom popu- 
laire, il est déjà, dans un genre au moins, passé maître. lia, 
pendant ces cinq années, modelé de nombreux médaillons, 
dont quelques-uns sont des chefs-d'œuvre. Celui du paysa- 
giste Gibert (1) est une délicieuse image d'une exécution 
souple et large, d'un style simple et sans pédanterie (jue nos 
artistes, depuis longtemps, semblaient avoir ouWié. Parmi 
les portraits qu'il exécuta dans ce genre, à la Villa Médicis, 
il faut encore citer celui de Schnetz, une bonne, puissante et 
sereine figure, où se lit la tranquille satisfaction d'une heureuse 
destinée d'artiste; un médaillon du sculpteur Bonnardel (2), 

il) Gibert fJean-Baptiste-Pierre-Adolphe), peintre, né à la Pointe-à-Pitre 
(Guadeloupe) en 1803, élève de Guilion-Lethière. Il obtint, au concours de 
1821, le deuxième prix de paysage historique et passa la plus grande partie de sa 
vie à Borne et en Italie, où il a pris la plupart de ses sujets. 

(2) Pierre-Antoine-Hippolyte Bonnardel, grand prix de sculplure en 1851, 
mourut à Rome, en 1856. C'était, parait-il, un artiste d'avenir qui a laissé un 
Christ à la colonne, œuvre remarquable au dire de Chapu. V. Musée de portraits 
d'artistes, par Henry Jouisf. Paris, 1888, Henri Laurens, éditeur. 



48 



CHAPU. 



exécuté en collaboration avec Ch. Gumery, qui se trouve 
à Rome dans l'église Saint-Louis des Français; la médaille 
de Mme Rouillon, et celles du peintre Donnât et de Tarchi- 
tecte Guillaume. 




CHAPITRE II 

LES ANNÉES DIFFICILES 
1861-1870 




C'est au mois d'août 1861 
que Chapu a quitté TltaDe. 
Pressé par ses parents, qui 
dans leurs lettres le sup- 
plient de ne pas prolonger 
une séparation déjà trop 
longue, il arrive à Paris au 
mois de septembre, heu- 
reux sans doute de revoir 
les siens, mais regrettant 
Rome et ses merveilles, 
Rome et sa vie de travail 
paisible, sans souci du len- 
demain. Désormais il va 
être « à son compte », 
obligé de pourvoir à sa vie, et, malgré sa fermeté d'âme, 
cette perspective n'est pas sans l'effrayer. Ceux de ses 
camarades de l'Académie qui l'ont précédé à Paris ne 
lui ont pas caché le peu de cas qu'on y fait de la sculp- 
ture, réduite pour plaire au public à des mièvreries de 

4 



PROJET POUR USE FOSTAISE. 



50 CHAPU. 

boudoir (1), et il sait par l'expérience de ses aînés ce que 
tout altiste, et en particulier tout sculpteur doit traverser 
d'épreuves avant de vivre, même maigrement, de sa pro- 
fession. 

Le cas, pour Chapu, était d'autant plus grave qu'il n'avait 
ni fortune ni protection à espérer. Ses parents, pendant son 
séjour à Rome, s'étaient imposé de lourds sacrifices, et leurs 
modestes économies étaient épuisées. Aucun parent qui dis- 
posât d'un crédit quelconque; rien enfin que ce titre pom- 
peux de « Prix de Rome », qui semble si beau quand on le 
reçoit, mais dont l'importance diminue singulièrement quand 

(i) Quelques mois avant «on retour en France, un de» camarades de Chapu, 
qui est devenu depuis un des princes de l'Art, lui écrivait à Paris, h. propos du Salon 
de 1861, la lettre suivante, qui donne un aperçu curieux du goût qui régnait alors : 

« ... De Coninck a dû te dire ce que je pensais de l'Exposition. Je ne te parle 
pas de la sculpture, que je n'ai fait qu'entrevoir : deux Napoléon!^', l'un de Cave- 
lier et l'autre de Guillaume; le dernier, mieux de caractère que le premier, qui, 
en revanche, m'a paru mieux exécuté et plus souple. Deux Mère des Gracques^ 
l'une en plâtre de Cavelier, l'autre un groupe énorme de Clésingcr, qui a trouvé 
très commode de faire un Caïus Gracchus en Amour de Boucher. C'est charmant 
de caractère!... Quoi encore? Deux bustes du petit Barrias, qui sera très fort. 
En peinture, pas grand'chose de bon. Quelques paysages de Courbet, très bien. 
— Baudry, très bien, quoique un peu vieillot de facture... Tu ne peux te figurer 
le nombre de gens habiles, spirituels, amusants qui fourmillent à l'Exposition. 
M. Fould n'avait pas besoin de conseiller aux jeunes gens d'égayer le foyer 
domestique. Crebleu, comme on sait s'acquitter de cette mission! Quant à moi, 
je déplore de ne pas voir plus de vraie peinture s'attachant à rendre des senti- 
ments vrais, humains, à toutes les époques. Au train où vont les choses. Cor- 
neille et Sophocle crèveraient de faim. 11 faut égayer maintenant, faire rire, 
éveiller des instincts c...; quant à élever la pensée et à inculquer le sentiment 
du beau... zut! 

K ... J'assistais, il y a quelques jours, a une conférence de Pelletan sur l'Art. 
Pclletan a une grande réputation; c'est certainement un homme intelligent. Eli 
bien! veux-tu savoir ce qu'il a dit dans son cours? Que la peinture était un pro- 
grès dans l'art; et pour le prouver, il a comparé un fragment de la frise des 
Panathénées à VKcole d'Athènes... « Grâce à la peinture, à la couleur, a-t-il dit, 
il l'invention de la soie, ce nu, ce beau nu que les Grecs vantaient, devient aussi 
ridicule qu'un faisan plumé... » Et le public applaudissait à outrance. » 



LES ANNÉES DIFFICILES. 51 

on se retrouve dans la grande ville, obscur combattant dans 
la grande mêlée. 

Notre artiste, heureusement, avait de bons amis ; la droi- 
ture de son caractère, sa modestie et sa bonté charmante 
lui avaient conquis des affections précieuses. Quand il quitta 
la Villa Médicis, il n'était personne, parmi les pensionnaires, 
qui ne le regrettât. Avec quelques-uns, comme Bonnat, 
Daumet, Gaillard, Delaunay, Lefebvre, il s'était hé d'une 
affection plus particidière et qui ne devait jamais se démentir. 
Pendant toute la vie de Chapu, nous retrouverons ces artistes 
d'éhte luttant sans trêve comme lui, pour la vie d'abord et 
ensuite pour la gloire (1). 

La gloire ! Chapu y songeait déjà, peut-être comme à une 
chose lointaine et vague; mais ce qu'il demandait, pour le 
moment, c'était du pain. Sans fausse honte, sans orgueil 
déplacé, il se mit à chercher du travail, se recommandant 
aux personnes qui avaient paru s'intéresser à lui, grands 
seigneurs qui, de passage à Rome, avaient visité son atelier, 
architectes disposant de commandes, Mécènes plus ou 
moins délicats, plus ou moins généreux. 

(1) Nous croyons, ù ce propos, devoir rappeler une anecdote que le maître 
aimait à raconter. Un charcutier du boulevard Saint-Germain lui fit demander, 
en 186., s'il voudrait lui modeler, en saindoux y un sanglier qu'il se pro- 
posait d'exposer à sa devanture, aux approches du jour de l'an. Le prix 
modeste (dix francs, je crois) demandé par le sculpteur parut trop élevé au 
commerçant, qui finit par proposer à Chapu, pour toute rémunération, son œuvre 
même, qu'il lui permettrait de reprendre, le jour de l'an passé. La mère de Chapu, 
bonne ménagère, goûta cet arrangement, qui l'approvisionnait de graisse pour tout 
son hiver, et décida son fils à l'accepter. 

Chapu, pendant ces premières années, se consacrait, dans ses moments perdus, 
à l'art industriel ; il fit de nombreux modèles de pendules et d'ornements divers, 
qu'un de ses amis se chargeait d'offrir aux bronzicrs. 



52 CHAPU. 

Les commandes, est-il besoia de le dire? n'affluèrent pas. 
En revanche, une maladie d'une certaine gravité (1), que 
suivit une douloureuse opération, vint rendre encore plus 
précaire la situation du jeune sculpteur. Ce fut l'État — cet 
État tant raillé, etsi justementparfois, il faut bien le dire — 
qui vint le plus efficacement à son secours. D'après les règle- 
ments, Chapu était resté propriétaire de son dernier envoi. 
Le ministère d'État, dont dépendaient alors les Beaux- Arts, 
lui acheta sa statue 8,000 francs. C'était de quoi vivre 
quelque temps et attendre la fortune. Notre artiste put, 
grâce à cette aubaine, s'installer dans un modeste atelier de 
la rue de l'Abbaye. 

On bâtissait beaucoup alors dans Paris, et les architectes 
avaient fort à faire. Quelques-uns, ayant remarqué l'adresse 
du jeune sculpteur à tailler le marbre, pensèrent qu'il pour- 
rait leur être un collaborateur précieux. Chapu n'eut garde 
de refuser leurs propositions, et le voilà sur les échafau- 
dages, sculptant cariatides et mascarons. Il ne refusait rien, 
pas même les plus infimes besognes, se souvenant de Puget 
décorant les galères royales, et jugeant que l'art est noble 
partout où il s'exerce. Bien qu'il apportât dans ces travaux 
les scrupules et la conscience d'un artiste, il se considérait, 
dans sa modestie, comme un simple ouvrier d'art et s'en 
remettait, pour son salaire, à la discrétion de ceux qui 
l'employaient. Beaucoup profitèrent de cette heureuse 
chance; quelques-uns même, s'il faut en croire les notes 
intimes du sculptem*, en abusèrent un peu. Nous ne parle- 
rons, bien entendu, que des premiers. 

(1) l\ s'agissait, d'après les souvenirs que nous avons recueillis, d'un abcès den- 
Uire d une nature particulièrement grave, et que l'on dut ouvrir extérieurement. 



LES ANNEES DIFFICILES. 58 

Parmi ceux qui, dès la première heure, surent distinguer 
le talent de Ghapu et l'aidèrent à passer les années difficiles, 
il faut citer M. Bohault de Fleury (1), qui, après avoir com- 
mencé par être sculpteur, était alors un des architectes les 
plus estimés de Paris. Chapu exécuta sous sa direction deux 
groupes en pierre qui surmontent encore aujourd'hui les 
pieds-droits de la porte d'entrée de l'hôtel Sauvage, rue 
de Chaillot. Il est probable qu'il fit, dans le cours des 
années 1862-1863, d'autres ouvrages analogues, mais, faute 
de documents, nous en sommes réduits à des hypothèses. 
Tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'il fit, pour le boule- 
vard du Prince Eugène qui venait d'être inauguré, une statue 
décorative de grandes dimensions, œuvre éphémère qui ne 
devait pas survivre à la cérémonie pour laquelle elle avait 
été faite. 11 fut également chargé par l'architecte qui venait 
de construire la nouvelle gare du Nord, à Paris, d'une 
statue en pierre représentant la ville de Beauvais. 

Les deux groupes de l'hôtel Sauvage, longtemps cachés 
aux regards par un lierre touffu qui les avait envahis, ont 
été récemment débarrassés de cette enveloppe sacrilège. Ils 
représentent des enfants jouant avec des cygnes. Le mouve- 
ment en est gracieux et d'un bon sentiment décoratif, seules 
qualités que l'on puisse exiger de ce genre d'ouvrages. 
Quant à la Fille de Beauvais, nous l'avons découverte, non 



(1) Bohault de Fleury (Charles), architecte français, né en 1801, mort en 1S75. 
Parmi ses travaux les plus remarquables, il faut citer le Muséum d^histoire natu- 
relle, la Chambre des notaires de Paris et divers projets, dont un plan d'Opéra 
qui fit un certain bruit vers 1840. Son fils, Georges Bohault de Fleury, égale- 
ment architecte, s'est surtout adonné à l'archéologie. U a publié : Les monu- 
ments de Pise au moyen âge, 1886, in-8*j Lettres sur la Toscane, et La Toscane 
au moyen Age, 1874, 2 vol. in-fol. 



54 



CHAPU. 



sans peine, dans ia façade du triste monument qu'elle dé- 
core. L'art plastique, né sous le pur soleil de TÉgfypte et do 
la Grèce, s'accommode mal de notre climat brumeux ; la 
pierre y est vite envahie par une lèpre noirâtre qui ren- 
drait méconnaissable le plus beau chef-d'œuvre de Praxitèle 




LE PKRE DE Cil A PU. 



OU de Phidias. L'œuvre de Chapu a souffert de l'injure 
habituelle du temps, injure encore aggravée par l'atmo- 
sphère fuligineuse des gares de chemin de fer. Peut-être, 
sous cette ignoble couche de crasse, y a-t-il un chef-d'œu- 
vre? Nous n'oserions en tout cas l'affirmer. 

Pour se reposer de ces médiocres besognes, notre sculp- 
teur, de retour à son atelier après quelque nide journée de 



LES ANNEES DIFFICILES. 55 

travail, crayonnait quelque projet de statue, esquissait un 
buste, ébauchait une médaille. Dans ce dernier genre, il 
était déjà passé maître ; cependant, telle est la défiance du 
public envers les talents non consacrés encore par la mode, 
que ceux-là seuls qui vivaient dans son intimité eurent la 
bonne fortune de lui servir de modèles. De cette époque 
datent le portrait de son père, une longue, mince et éner- 
gique figure, dont la physionomie apaisée par Tâge trahit 
cependant Tancien « piqueux » habitué aux longues courses 
en plein air, aux chevauchées périlleuses, au noble métier de 
la vénerie; celui de M. Paul Sedille, un jeune architecte 
dont il a merveilleusement rendu la souriante figure et la 
grâce juvénile, et celui de Mme Delapalme, œuvre excel- 
lente également, qui, en même temps qu'elle est une image 
scinipuleusement fidèle, se recommande par une exécution 
sobre et sans froideur. Ces portraits, avec quelques autres, 
figurèrent, aumois d'avril 1864, dans une exposition qui eut 
lieu boulevard des Italiens, sous les auspices de Théophile 
Gautier. Citons enfin, parmi ces œuvres de jeunesse, une 
Thétis, délicieux groupe en terre cuite dont nous donnons 
la reproduction, d'après un dessin de Chapu, et qui orne 
aujourd'hui le bel hôtel de M. Paul Sedille. 

Le Salon de 1863 devait ouvrir pour Chapu la série des 
récompenses officielles. Une médaille de troisième classe 
lui fiit décernée pour son Mercure inventant le caducée^ qui 
bientôt après prit place au musée du Luxembourg. En même 
temps que cette statue, il avait envoyé un remarquable 
buste en bronze de M. Sedille père. A partir de cette épo- 
que, il expose régulièrement chaque année, et la variété 



56 CHAPU. 

comme la belle tenue de ses œuvres lui méritent rapide- 
ment toutes les récompenses honorifiques qu'un artiste 
peut souhaiter. En 1864, il envoie au Salon un buste 
en bronze de Bonnat, qui figure aujourd'hui à la place 
d'honneur, dans le somptueux atelier du peintre ; en 1865, 
une répétition de son Semeur lui vaut une nouvelle mé- 
daille; en 1866, c'est une délicieuse figure couchée, la Mort 
de la nymphe Clytie, et un buste du docteur Desmarres, 
qui sont également récompensés. A la fin de cette exposi- 
tion, chacun s'attendait à voir Chapu décoré. Il fut en effet 
proposé pour la croix, mais il était en délicatesse avec l'ad- 
ministration pour je ne sais quel travail qu'il avait refusé, 
ou seulement tardé d'exécuter. L'Empereur, paraît-ii, refiisa 
de signer le décret (1). Il ne devait, d'ailleurs, pas attendre 
longtemps ce nouvel honneur. Au mois de juin de Tannée 
suivante, il était fait chevalier de la Légion d'honneur. 

Revenons sur cette période, et examinons les œuvres que 
Chapu exécuta pendant ces premières années de jeunesse. 
Entre le Mercure et la Ctytie, son talent a franchi une glo- 
rieuse étape. La première de ces statues, nous l'avons déjà 
dit, est un ouvrage correct, bien qu'un peu froid, d'une exé- 
cution habile et d'un arrangement ingénieux ; la seconde 
est une œuvre vibrante, d'un charme exquis et pénétrant, 
où se trouvent déjà, en germe, les qualités personnelles qui 
feront bientôt de Chapu un des maîtres incontestés de la 
sculpture contemporaine. On connaît la gracieuse légende 

(1) « J'ai le regret de t'annoacer que l'Empereur a refusé de signer ta nomina- 
tion dans la Légion d'honneur. Ce sera sans doute pour le 1*'' janvier. » (Lettre de 
Coquart, architecte, 24 août 1864.) Le nom de Chapu était, du reste, encore à 
peu près ignoré du public. Dans un diplôme qui lui fut envoyé ù la suite de 
l'Exposition de 1867, il est qualifié : M. Chaput (tic), entrepreneur! 



1 







^ Tir- r ;:■■■- -::;^n-ÎS:^ 






THETIS. 

Cro]uis pour une statuette appartenant à M. Paul Sedillc 



LES AN]SÉES DIFFICILES. 50 

dont s'est inspiré l'artiste : fille de Thétis et de Neptune, 
Clytie s'éprit, pour Apollon, d'un amour malheureux; le 
dieu, touché de sa douleur, la métamorphosa en hélio- 
trope. Si la Clytie mérite de nous arrêter quelque temps, 
ce n'est pas seulement par l'ingéniosité de la conception, 
ce n'est pas non plus parce que Chapu tente pour la pre- 
mière fois une figure féminine, c'est qu'il a déjà trouvé la 
formule qui lui vaudi'a ses meilleurs succès, c'est que déjà 
il a réaUsé en partie cet idéal de grâce décente et de beauté 
sereine que nous retrouverons, plus ou moins modifié, dans 
sa Jeunesse, dans sa Pensée, dans sa Muse, du monument de 
Flaubert. C'est à l'art grec, évidemment, que se rattachent 
ces élégantes créations. Chapu, cependant, tout en s'inspirant 
de l'antiquité, a trouvé sa note personnelle, à égale distance 
de la froideur des sculpteurs néo-romains du commencement 
du siècle et des grâces mièvres de Pradier et de Duret. 

Il ne nous a pas été donné de revoir la Clytie, exilée dans 
un musée de province, et nous ne pouvons, pour en parler, 
qu'évoquer le souvenir lointain de cette charmante figure. 
En l'evanche, nous avons sous les yeux, au moment même 
ou nous écrivons ces lignes, les innombrables dessins que 
l'artiste a exécutés pour sa statue. Mieux que toute démons- 
tration, ils nous disent la conscience que Chapu apportait 
au service de son art. Pas un mouvement qui ne soit étudié 
sous tous ses aspects, pas un bout de draperie qui n'ait été 
l'objet de longues et patientes études. Ajoutons que ces des- 
sins ne sont pas seulement un curieux document. Chapu se 
montre là dessinateur de grande race. Son crayon est sou- 
ple, moelleux, coloré, précis sans sécheresse. Tantôt, par 
la sincérité de l'observation, la recherche du contour et la 



60 CHAPU. 

minutieuse perfection des moindres détails, il s'approche 
d'Ingres ; tantôt, parla hardiesse de son trait et la grandiose 
simplicité de son style, il fait songer aux maîtres de la Re- 
naissance. 

Les différents ouvrages exposés par Ghapu, de 1862 à 
1866, ne sont pas les seuls qu'ait enfantés son laborieux 
génie. Sans parler de deux ou trois bustes dont je n'ai pu 
retrouver la trace, et que l'artiste, à en juger par ses lettres, 
dut exécuter sans enthousiasme, il modela plusieurs médail- 
lons d'artistes qui demeureront, pour notre histoire contem- 
poraine, de précieux monuments iconographiques : tel, 
Tony Robert-Fleury, avec ses traits si purs, avec sa mâle 
beauté de jeune dieu ; tel Delaunay , avec son haut front 
dénudé, son masque légèrement ironique, et la bonhomie 
un peu sarcastique de son regard qui fait songer à quelque 
saint Vincent de Paul. Signalons encore un beau profil du 
poète SuUy-Prudhonime. 

L'État n'oubliait pas non plus le jeune sculpteur, et de 
nombreuses commandes lui étaient réservées. C'était, pour 
le Tribunal de commerce, un groupe, VJrt mécanique, 
ingrate allégorie où l'ingéniosité de l'artiste trouvait cepen- 
dant l'occasion d'une œuvre brillante et d'un bel aspect 
sculptural; puis deux statues pour la chapelle des caté- 
chismes de Téglise Saint-Étienne du Mont, enfin différents 
travaux -décoratifs pour la nouvelle Cour de cassation que 
construisait l'architecte Duc (1). 



(1) Ghapu exécuta, pour être placé au-dessus de la porte du grand escalier de 
la Cour de cassation, un bas-relief en pierre tendre représentant deux enfants. 
Il sculpta aussi le médaillon de Napoléon P', qui décore la façade de ce monu- 
menti à l'angle qui touche au quai. 



LES ANNEES DIFFICILES. 61 

Maigre Testime dont il jouissait parmi ses pairs, malgré 
les consécrations officielles, le nom de Ghapu était à peine 
connu du public. Nous avons eu la patience de feuilleter les 
journaux de l'époque et de lire les critiques qui passaient 
alors pour les arbitres du goût. Ni Arsène Houssaye, ni 
Théophile Gautier, ni About, ne semblent deviner T avenir 
réservé au jeune maître. Son nom est rarement cité, ou, 
quand il en est question, c'est pour désigner seulement le 
titre d'un de ses ouvrages, accompagné d'une brève épi- 
thète laudative. Les sympathies du moment allaient à 
Garpeaux, dont le beau talent commençait cependant à 
s'avilir dans de médiocres terres cuites, d'un art sensuel 
et de mauvais aloi; à Paul Dubois, qui, avec son Chan- 
teur florentin y venait d'obtenir un des plus brillants suc- 
cès dont il soit question dans les fastes de la sculpture; 
à Perraud, à Glésinger et à quelques autres dont l'histoire 
ne retiendra même pas les noms. Force était donc au jeune 
sculpteur de se contenter des commandes officielles dont il 
devait supporter toutes les exigences. Outre la modicité des 
prix alloués, qui ne lui laissaient le plus souvent que de 
minces bénéfices, qui quelquefois même lui étaient oné- 
reux, il lui fallait encore subir les niaises critiques de 
l'administration, épouser l'idéal artistique d'un chef de 
bureau,^ remanier cent fois un projet qui n'avait pas eu le 
bonheur de plaire. Son esprit de conciliation le poussa trop 
souvent à déférer à d'inintelUgents conseils, et plus d'une 
fois il sacrifia une conception heureuse aux exigences peu 
artistiques d'un conseil administratif ou d'un comité (1). 

(1) Même arrivé au point culminant de sa carrière d'artiste, Ghapu conserva 
toujours cette déférence vis-à-vis de ceux qui l'employaient. On connaît le groupe 



62 CHAPU. 

En somme, si l'artiste pouvait être légitimement fier des 
succès déjà obtenus, l'homme végétait, réduit à la plus 
stricte médiocrité. Ses amis, d'ailleurs, n'étaient pas mieux 
partagés, et, dans le petit groupe qu'ils avaient formé dès 
leur retour de Rome, la fortune se montrait avare de ses 
faveurs. Delaunay, malgré sa Peste de Romey qui, pendant 
quelques semaines, l'avait fait célèbre, luttait encore contre 
l'indifférence du public. Bizet, l'original et charmant com- 
positeur, donnait des leçons d'harmonie; de Coninck avait 
dû quitter Paris, son talent ne suffisant pas à lui assurer le 
pain quotidien; Donnât lui-même vendait à des prix déri- 
soires les délicieuses études qu'il avait rapportées d'Italie (1) . 
Tous, du reste, supportaient vaillamment cette demi-misère 
avec la robuste confiance de la jeunesse, et aussi avec 



des Frères Galigniani qu'il exécuta eu 1888, pour la ville de Corbeil, œuvre un 
peu banale, et qui n'ajouta rien à la gloire du sculpteur. Chapu, cependant, dans 
eon projet primitif, avait su tirer de ce motif ingrat en apparence un excellent 
groupe. Les frères Galigniani y étaient représentes assis côte à côte sur un banc. 
L'un d'eux tenait, déployée sur ses genoux, une vaste feuille de papier; l'autre, la 
main posée sur le genou de son frère, semblait chercher à le convaincre. Etait-ce 
quelque article du Galigniani s Messenger, qu'ils discutaient ainsi amicalement, 
ou bien le plan d'un de ces nombreux établissements de bienfaisance qu'a donnés 
à notre pays leur inépuisable charité? Toujours est-il que le groupe est exquis de 
naturel et de bonhomie. C'était bien là le monument qui convenait à ces âmes 
simples et bonnes, et non la théâtrale apothéose que l'on voit aujourd'hui sur la 
grande place de Corbcil. 

La maquette dont je viens de parler existe, au moment où j'écris ces lignes, 
dans l'atelier de l'artiste, rue Oudinot. 

(1) Bonnat écrivait ù Chapu en 1863, à propos d'une étude d'Italienne pour 
laquelle ce dernier lui avait trouvé un acquéreur : u >'e sois pas étonné, et attends- 
toi à un prix exorbitant ; je %'eux de ma petite Maria quinze cents francs. J*ai eu 
Taplomb, avant-hier, d'en refuser douze cents. Je regretterai peut-être plus tard 
cette occasion, mais, ma foi, tant pis. » 

Vers la même épo(jue , Bonnat annonçait à son ami qu'on lui avait commandé 
quatre tableaux pour le prix total de douze mille francs. « Ce n'est pas mal, 
ajoutait-il, et j'en suis enchanté. » 



LES ANNEES DIFFICILES. 63 

l'obscur pressentiment de leurs destinées futures. Rien de 
plus touchant que la correspondance échangée de 1861 à 
1870 entre les membres de ce petit cénacle. Ils se content 
mutuellement leurs déboires et leurs espérances, se deman- 
dent Fun à Tautre, et jamais en vain, soit un conseil, soit un 
appui. Les premiers arrivés au faîte tendront la main à leurs 
camarades plus lents, moins habiles ou moins heureux. On 
a tant médit, depuis quelque temps, de notre pauvre nature 
humaine, on a si complaisamment étalé ses faiblesses, ses 
jalousies féroces et son âpre égoïsme, qu'il est bon, quand 
l'occasion s'en présente, de constater ces amitiés frater- 
nelles, moins rares qu'on ne le pense généralement dans 
le monde des artistes. 

Nos amis, pour resserrer les liens qui les unissaient, 
avaient formé une société qui, fondée à Rome vers 1860, 
subsiste encore aujourd'hui. Donnât en avait été, je crois, 
l'initiateur. Frappé des bons résultats obtenus par une petite 
franc-maçonnerie artistique, l'Ogfnoii, créée quelques années 
auparavant, il avait résolu de grouper dans une association 
fraternelle un certain nombre de camarades qu'un dîner 
rassemblait tous les mois autour de la même table. Ces réu- 
nions avaient commencé à Rome, dans une petite trattoria 
duTranstévère : après dîner, on allait jouer aux dominos dans 
un café du voisinage. La nouvelle société n'était pas encore 
baptisée. Il lui fallait un nom à la fois original, ronflant et 
pas trop solennel : on le trouva dans le goût qu'avaient la 
plupart des affiUés pour les marrons rôtis. Le cri des mar- 
chands de marrons, à Rome, était : « Cald' arrostil » 
(Chauds! rôtis!) Ils convinrent de s'appeler les CaUf 
arrosti et adoptèrent la devise : Semper ardentes, qui, en 



64 CHAPU. 

même temps qu'elle rappelait leur dessert favori, convenait 
à l'entrain chaleureux de leur jeunesse. 

Semper ardentes! Toujours ardents, toujours jeunes! 
Mieux cpi' aucun autre, Ghapu devait rester fidèle à cette 
fière devise et conserver jusqu'au seuil de la vieillesse cette 
naïveté charmante, cet enthousiasme des premières années 
et aussi cette bonté obstinée qu'aucun mécompte, qu'aucune 
ingratitude ne pouvait lasser. « L'indifférence est la pire 
des choses, écrit-il à celle qui sera la compagne de sa vie; 
il faut aimer bien ou pas du tout. Le milieu, c'est l'anémie, 
le jésuitisme, cela ne veut rien dire. » Et, quelques années 
avant sa mort, il revient sur la même idée : « J'aime passion- 
nément la chaleur, la vie, tout ce qui est actif et vibrant. » 
Il ne mettait, d'ailleurs, en pratique que la première partie 
de ses théories. Ami sûr et dévoué, il ne savait haïr. 

Les premiers Cald' arrosti furent Bonnat, Chapu, Car- 
peaux, Hector Leroux, Henner,Lefebvre,Huot,de Coninck, 
Tony Robert-Fleury, Gaillard, Got, brillante élite à laquelle 
se joignirent dans la suite Ghaplain, J.-P. Laurens, Moyaux, 
Th. Dubois, Daumet, Falguière et cent autres parmi les meil- 
leurs artistes contemporains. Plus tard, quand les princi- 
paux membres de l'association furent devenus des « maîtres » 
éminents et recherchés du public, les modestes marrons du 
début furent sans doute remplacés par des truffes ; mais pour 
le moment il se dépensait dans ces réunions plus d'esprit 
que d'argent. L'hiver, on s'attablait dans un petit restau- 
rant du passage Jouffroy ; l'été, on organisait quelque partie 
de campagne dans la banlieue, en souvenir des joyeuses 
excursions de jadis dans la campagne i*omaine. Le soir venu, 
chacun rentrait à son atelier, le cœur rajeuni par les sou- 





mr 



1 



LES ANNEES DIFFICILES. 67 

venirs évoqués, Fesprit plus dispos, plus confiant dans 
Tavenir... 

Le temps n'était pas loin, d'ailleurs, où ces inconnus d'hier 
allaient devenir célèbres et voir la foule, jadis dédaigneuse, 
assiéger leurs ateliers. En 1867, le comte Duchatel était 
mort, laissant aux musées impériaux son importante collec- 
tion. La veuve du généreux donateur avait distingué le 
talent de Ghapu; elle le chargea d'exécuter le buste de son 
mari (1). La famille Duchatel était une des plus considérées 
de cette opulente bourgeoisie qui trouva dans la monarchie 
de Juillet la plus complète satisfaction de ses ambitions 
poUtiques comme l'apogée de sa prospérité matérielle. Tou- 
chant au monde bonapartiste par ses origines et à la vieille 
noblesse par ses alliances avec les La Trémouille et les 
d'Harcourt, l'ancien ministre de Louis-Philippe avait su atti- 
rer soit dans son château de Lagrange, soit dans son hôtel 
de la rue de Varennes, une société choisie où aux noms les 

(1) Né en 1803, le comte Duchatel se lança des sa jeunesse dans la carrière du 
joarnalisme, et fut un des rédacteurs fondateurs du Globe. A la révolution de 
1830, il fut nommé conseiller d'État; bientôt après (1833), il succédait à son père 
comme député de la Charente-Inférieure. Après avoir été ministre du commerce 
en 1834, et ministre des finances en 1837 et en 1839, il entra, en 1840, dans le 
ministère Guizot, avec le portefeuille de l'intérieur. Le rôle actif qu'il y joua le 
força, à la révolution de Février, de chercher un refuge en Angleterre. 

Il ne tarda pas toutefois à rentrer en France, mais son rôle politique était ter- 
miné. Il acheva sa vie dans la retraite, et occupa ses loisirs à former l'importante 
collection de tableaux que l'on sait. 11 mourut en 1867. 

M. Jules Breton, dans sa Vie tVun artiste, écrit, à l'occasion d'une visite 
qu'il fit au comte Duchatel, en 1862 : « Il avait bien la physionomie dont Chapu 
a animé son buste : vaste front, sourcils spirituellement relevés, yeux petits, 
d'un gris lumineux, les cils rares; le nez puissant, bien enraciné, retombant à 
corbin sur une bouche fine, quoique bienveillante, dont une indulgente ironie 
retroussait souvent les coins; le menton puissant, volontaire et proéminent; la 
tète forte. " 



68 CHAPU. 

plus brillants du faubourg Saint-Germain étaient mêlés ceux 
de quelques esprits d'élite, comme Vitet, par exemple, qui 
était un de ses plus intimes commensaux. Le succès 
qu'obtint l'œuvre nouvelle du jeune sculpteur l'introduisit 
dans un monde d'amateurs riches et éclairés, dont l'estime 
devait se traduire plus d'une fois par d'importantes com- 
mandes. 

Peu à peu, cependant, le talent de Chapu commençait à 
s'affirmer dans le grand public, et les demandes de bustes et 
de médailles devenaient chaque jour plus nombreuses. En 
même temps que la veuve de Velpeau le priait d'exécuter 
en médaillon l'image de l'illustre chirurgien, le buste du 
docteur Civiale lui était commandé pour l'École de méde- 
cine; puis c'étaient le buste de l'abbé Bruyère, curé de 
Saint-Étienne du Mont, et celui de Le Play (1), le grand éco- 
nomiste, avec lequel il avait été en relation lors de l'Expo- 
sition universelle de 1867, et qui lui avait commandé, pour 
une des galeries de cette Exposition, deux cariatides monu- 
mentales; puis une médaille de Duc, un buste de M. Le- 
queux (?) et un buste de jeune fille envoyé en 1869 à une 
exposition de beaux-euts de Fontainebleau. 

Est-ce tout? Non pas encore. Dans ces années si admira- 

(i) Le Play (Pierre-Guillaume-Frédéric), né en 1806, mort en 1882. Élève de 
rÉcole polytechnique, il fut d'abord ingénieur dans le corps des mines. Des 
1830, il se fit connaître par différents travaux scientifiques, qui lui valurent une 
place de professeur ù l'École des mines. A la suite de l'Exposition de 1855, dont 
il avait été le commissaire général, il fut nommé conseiller d'Étal. H fut égale- 
ment le principal organisateur de l'Exposition de 1867. Le gouvernement impérial 
le récompensa des services qu'il rendit à cette occasion, en le nommant séna- 
teur. 

Outre différents ouvrages scientifiques^ Le Play a laissé de nombreux écrits sur 
des questions économiques et sociales. Son livre le plus considérable dans ce 
genre est : Les ouvriers européens^ Paris, 1855. 




t'ANNM-: \>'ARC 



"<.' Oi L'.Jxc!ii!.)Ouro- 



LES ANNEES DIFFICILES. 69 

blement fécondes, Cbapu trouve encore le temps d'exécuter, 
pour la cour de Marbre du palais de Versailles, Timportant 
ensemble décoratif qui couronne le pavillon central. Il 
représente Mars et Hercule entourés d'attiîbuts divers qui 
servent d'encadrement à une horloge. L'œuvre, qui, du reste, 
n'est que la reproduction à peu près textuelle d'une compo- 
sition de Girardon et de Marsy, est pleine de verve et d'allure 
pimpante; elle se marie beureusement à la délicate con- 
struction qu'elle est cbargée de compléter. 

Il semble qu'une pareille somme de travail devait suffire 
à alimenter toute l'activité du jeune sculpteur. Mais ses am- 
bitions étaient plus nobles. Non content d'être un des pre- 
miers portraitistes de son temps et de compter parmi les 
plus habiles ouvriers de la pierre et du marbi/e, il méditait 
— vaguement encore — une œuvre d'une portée philoso- 
phique haute, où il pût mettre son habileté d'exécutant et 
de son style au service d'une grande pensée. Depuis long- 
temps déjà la passionnante et complexe figure de Jeanne 
d'Arc hantait son imagination, et, avec la patiente obstina- 
tion qui était une de ses forces, il étudiait la vie de la glo- 
rieuse vierge et les monuments littéraires ou artistiques 
qu'elle a inspirés, depuis les naïves chroniques du moyen âge 
jusqu'aux pages vibrantes de Michelet, depuis la touchante 
image que lui a consacrée la main d'une princesse de France 
jusqu'à l'emphatique et lourde statue de F<5yatier. Le pre- 
mier résultat de ces méditations fut un médaillon colossal 
dont il donna le modèle à son département et qui décore 
aujourd'hui l'église Saint-Aspais, à Melun ; mais ce i^'était 
pas là l'œuvre qu'il rêvait de faire. Un peu déconcerté par 
les aspects multiples sous lesquels son héroïne se manifes- 



70 CHAPU. 

tait à son imagination, voyant tour à tour en elle la person- 
nification du courage militaire, de la Foi et du Patriotisme, 
il multipliait dessins et esquisses, ne sacbant à quel parti 
s'arrêter. Enfin, après une longue période de gestation, 
Timage se dégagea bien nette de son cerveau. « Jeanne était 
belle, forte, simple, d'une piété exaltée et d'une vertu sans 
tacbe », avait-il lu quelque part. Il ne cherchera pas plus 
loin. Pour ce fils de paysans, la Pucelle est avant tout une 
paysanne, la glorieuse incarnation de la vertu chez les hum- 
bles; elle est par excellence la patronne de ces mille héros 
anonymes qui versent leur sang sur le champ de bataille, de 
ces obscurs martyrs qui ont fait et feront encore la gloire 
de la patrie. Elle est belle, cela va sans dire; on ne saurait 
le concevoir autrement, mais d'une beauté particulière, ni 
trop gracieuse, ce qui en affaiblirait le caractère, ni trop 
masculine, ce qui nuirait à l'idée que l'on doit avoir d'une 
force surnaturelle. Au moment où Chapu rêvait sa statue, 
le matériahsme scientifique n'avait pas encore flétri de ses 
tristes hypothèses la pure figure de la vierge de Vaucou- 
leurs. Chapu évitera donc facilement un écueil où sont tom- 
bés d'autres artistes; il saura faire vibrer dans tous les traits 
de sa Jeanne l'ardeur mystique qui l'anime sans qu'on 
puisse découvrir sur son visage les avilissants stigmates de 
la névrose. La voilà assise, les jambes repliées sous son 
corps; ses mains sont jointes dans un geste d'ardente prière. 
Elle n'est encore que l'humble pastoure d'un petit village de 
Lorraine, mais dans l'admirable expression de son regard 
noyéj on lit Textase qui la ravit loin du monde réel, la ra- 
dieuse vision qui lui montre ses destinées futures, les com- 
bats, la gloire, le martyre! 



LES ANNEES DIFFICILES. 



71 



La Jeanne d'Arc écoutant ses voix parut pour la pre- 
mière fois au Salon de 1870. Y obtint-elle tout le succès 
qu'elle méritait? Je ne saurais le dire, car la plupart des 
«Salons » sont muets à son égard. Le public de cette 
époque n'était pas aussi exigeant pour la critique qu'il l'est 
aujourd'hui et ne lui demandait pas ces brillantes improvi- 
sations que les journaux contempo- 
rains publient dès l'ouverture de 
l'exposition annuelle. Théophile Gau- 
tier, Paul de Saint-Victor et les 
autres maîtres du genre ne commen- 
çaient leurs feuilletons qu'au mois 
de juin, et souvent la fin de juillet 
arrivait, qu'ils n'avaient pas encore 
parlé de la sculpture. Or, on sait 
quelles étaient, en juiQet 1870, les 
anxiétés de la France. Toutes les 
voix qui parlaient d'art se turent, et 
chacun attendit, dans une solennelle 
angoisse, l'issue du grand drame qui 
allait s'accomplir. 

Elle était pourtant bien venue à 
son heure, l'image de la vierge guerrière, de l'héroïque 
patronne de la France, et plus d'un, sur les champs de 
bataille, dut en emporter la consolante vision. Plus d'un 
dut chercher à lire dans l'énigmatique lumière de son 
regard les destinées de la patrie; plus d'un dut l'invoquer 
aux jours sombres, dans ces moments de désespoir où 
les âmes les plus rebelles se souviennent qu'il y a un 
Dieu! 




ETUDE 
POUR LA JBANSfB d'aRC 



72 CHAPU. 

Hélas! l'heure des miracles était passée. Une fois de plus 
notre sol allait être violé, et c'est en vain que la France 
allait prodiguer le sang de ses enfants... Chapu avait depuis 
longtemps passé l'âge du service actif; le prix de Rome cpi'il 
avait obtenu l'exemptait en outre du métier des armes. Il 
ne voidut pas cependant rester inactif, ni se soustraire aux 
dangers du siège qui menaçait Paris. Il s'enrôla dans la 
garde nationale et y fit consciencieusement son devoir (1). 

Dans Paris assiégé, sans lumière et presque sans pain, la 
première heure de l'année 1871 a sonné comme un glas. Un 
généreux enthousiasme a confondu, dans une même pensée, 
tous les rangs de la société ; les plus nobles esprits comme 
les plus humbles se sont soumis aux rigueurs de la disci- 
pUne. On a supporté sans se plaindre, presque gaiement, les 
rigueurs du siège, les combats meurtriers, les longues nuits 
passées sous la neige. Mais les illusions du début commen- 
cent à se dissiper, et si on lutte encore, ce n'est plus que 

(1) Presque tous les artistes en renom firent, du reste, noblement leur devoir. 
Une compagnie de cent quinze hommes s'était formée sous le nom de tirailleurs 
de la Seine. Vibert, Eugène Leroux, Tissot, Berne-Bellecour, Louis Leloir, 
Jacquemart en faisaient partie, ainsi que les sculpteurs Jacquet et Cuvelier. Au 
combat de la Malmaison (21 octobre 1870), Cuvelier fut tué. Eugène Leroux fut 
gravement blessé, et Vibert légèrement. Beaucoup aussi, vers la fin du siège, s'en- 
rôlèrent dans les bataillons de marche. De ce nombre fut Henri Regnault, dont 
chacun sait la mort héroïque. U faut encore compter parmi les victimes du siège 
le jeune Victor Giraud, qui n'eut pas le bonheur de mourir sur le champ de 
bataille. 

Ceux que leur âge ou leur peu d'aptitudes physiques disposaient mal au métier 
militaire firent néanmoins de leur mieux pour se rendre utiles, et supportèrent 
sans se plaindre les longues factions sous la neige et les privations de toute sorte. 
Nous avons sous les yeux une curieuse lettre d'Elie Delaunay, le moins mili- 
taire des hommes, qui avait cependant tenu à honneur de revêtir la capote grise 
des gardes nationaux. H y fait un humoristique récit de sa première sortie et 
raconte comment il a miraculeusement échappé aux balles... de ses compagnons 
d'armes. 



LES ANNEES DIFFICILES. 



pour l'honneur. Est-il besoin de dire que pendant ces tristes 
mois Chapu a déserté son atelier? Plus encore que la famine, 
Timpossibilité de travailler a pesé sur cet infatigable ou- 
vrier. Un seul moment il a retrouvé un peu de son habi- 
tuelle bonne humeur; c'est le jour où, aux remparts, il a 
aidé Falguière à modeler, dans un bloc de neige, cette co- 
lossale figure de la Résistance dont la fière silhouette a ra- 
nimé pendant une semaine le courage des Parisiens... Au 
lendemain de la paix, le sculpteur reprit ses ébauchoirs, et 
demanda au travail l'oubU des tristesses qui déchiraient son 
cœur de patriote. Hélas ! la France n'avait pas encore épuisé 
la colère divine, et d'autres douleurs, plus cruelles, lui 
étaient réservées. Chapu ne comprit pas tout d'abord la 
gravité du mouvement insurrectionnel qui se préparait; 
mais quand, aux premiers jours de mai, il vit la rage impuis- 
sante du gouvernement de la Commune menacer les plus 
beaux monuments de Paris, il manifesta vivement son indi- 
gnation (1), et chercha dans son quartier à organiser une. 
sorte de résistance. Son rôle, pendant ces jours funestes, fut 
assez actif pour qu'un mandat d'arrestation fût décerné 

(1) a ... Nous allons bien, ma mère et moi, quoique fort inquiétés par les insur- 
gés; moi, tout particulièrement, j'ai été très ennuyé et sur le point d'être poursuivi 
comme réfractaire (car je ne veux pas marcher avec ces messieurs) ; mais j'ai 
trouve une dispense... soyez tranquille; quoi qu'il en arrive, je ne marcherai 
pas. • 

{Lettre de Chapu à Mme Lantier, Mai 1871.) 

« Nous sommes sortis sains et saufs de l'horrible tempête; soyez donc tran- 
quille sur notre sort. Nous avons eu bien de mauvais jours, mais, somme toute, 
rien de trop fâcheux ne nous est survenu. Notre quartier a été un coin du champ 
de bataille. Nous avons eu fusillade et canonnade pendant deux jours sans inter- 
ruption... J'ai pu échapper à la réquisition, caché dans les combles de la mai-^ 
son... • 

(Lettre de Chapu à la même 5 juin 1871.) 



74 



CHAPU. 



contre lui, et il ne dut qu à un ami dévoué d'échapper à la 
vengeance des fédérés. Caché dans une chambre de l'hôtel 
de Vogiié, il y demeura jusqu'à l'entrée des troupes ver- 
saillaises. 




BUSTE DE JECKE FEMME. 
1869 



CHAPITRE III 

LA GLOIRE 
1871-1882 




TjA guerre n'avait pas trop profondé- 
ment abattu les courages, et peu 
à peu Paris reprenait son activité 
habituelle. Les artistes, en par- 
ticulier, faisaient preuve d'une 
belle confiance dans l'avenir, 
et, dès le lendemain de l'armi- 
stice, ils avaient repris coura- 
geusement ébauchoirs et pin- 
ceaux. La plupart caressaient 
même l'idée d'une Exposition 
en 1871, non pour l'époque tra- 
ditionnelle du 1*' mai, mais 
dans le courant de Tété. Cepen- 
dant, quand aux horreurs d'une 
guerre étrangère vinrent succé- 
der celles de la guerre civile, 
quand des mains impies eurent allumé l'incendie dans 
la capitale, les plus confiants crurent que c'en était fini 
de la patrie. Que pouvaient faire, au milieu de ces luttes fra- 



LA BECONXAISSAItCE. 

Projet de haut reUef ponr le roonament 
de Schneider au Crcuaot. 



76 CHAPU. 

tricides, les artistes, habitués par profession aux tranquilles 
labeurs, à la vie méditative et recueillie, et comment sub- 
sister dans cette société ruinée, à qui tout luxe semblait 
devoir être longtemps interdit? Beaucoup émigrèrent en 
province ou à l'étranger. Chapu fat parmi les rares qui ne 
quittèrent pas Paris. Cependant, il fallait vivre, et aucune 
commande officielle ou privée ne se présentait; l'artiste, 
un moment, songea à se fixer pour quelque temps à Londres, 
où plusieurs de ses camarades avaient trouvé des travaux. 
Il écrivit à ce sujet à son ami Tony Robert-Fleury, qui 
Feu dissuada. 

« Tu me demandes, lui répondit le jeune peintre, si je 
t'engageais à venir ici. Je crois que ce serait un véritable 
four pour un sculpteur... Ici, pour réussir, il faut être 
bizarre, excentrique ; et si avec cela on a du talent, tout va 
bien; encore cette dernière condition n'est-elle pas absolu- 
ment nécessaire... Je crois que Carpeaux est ici, mais je 
n'ai pas entendu dire qu'il se tirât d'affaire; somme toute, je 
ne te conseillerai jamais de venir ici. 

« Tu me répondras peut-être : Mais comment fais-tu, toi? 
La peinture, mon ami, ce n'est pas du tout la même chose. 
Nous avons une petite monnaie que l'on fait passer, avec 
peine, mais enfin que l'on fait passer, tandis que vous, vous 
n'avez jamais que des billets et des louis, et ce n'est pas 
accessible à tout le monde. 

« Je crois qu'il ne faut pas s'exagérer la mauvaise situa- 
tion que nous avons en France. Sans aucun doute, nous 
aurons une ou deux années difficiles; mais les choses revien- 
dront petit à petit, et les hommes de talent se tireront tou- 
jours d'affaire. » 



LA GLOIRE. 77 



Ghapu écouta les sages conseils de son ami et renonça à 
s'expatrier. Il ne devait pas avoir à s'en repentir. 

On sait de quelle merveilleuse vitalité la France fit preuve 
pendant la période qui suivit. Payer à Tennerai une rançon 
formidable, restaurer sa capitale en ruine, refaire une 
armée qui n'existait pas, tout cela fut l'affaire de quelques 
années. En même temps qu'on travaillait à préparer l'avenir, 
on songeait au passé, on voulait conserver à jamais la 
mémoire de ceux qui, dans ces temps difficiles, avaient bien 
mérité de la patrie, et de tous côtés on élevait des monu- 
ments à la mémoire des braves qui étaient morts pour elle. 
Parmi les plus regrettés était Henri Regnault, ce jeune et 
déjà glorieux artiste à qui aucune auréole n'avait manqué, 
ni la jeunesse, ni la gloire, ni l'amour, et qui, dans un 
moment de sublime désespoir, n'avait pas voulu survivre à 
l'anéantissement de sa patrie. Dès 1872, un ministre forma 
le projet d'élever dans l'École des Beaux-Arts un monu- 
ment commémoratif au peintre, ainsi qu'à onze élèves de 
l'École, bravement tombés, eux aussi, sur les cbamps de 
bataille (1). On offrit à Ghapu d'en sculpter la figure 
principale. Notre artiste accepta d'enthousiasme un projet 
qui ouvrait à sa pensée le champ le plus vaste et le plus 



(1) Il convient de donner ici les noms de ces braves, qui, pour la plupart, 
n'avaient guère dépassé la vingtième année, et par conséquent n'ont pu, comme 
artistes, donner leur mesure. Ce sont : Malherbe, architecte , tué à Rueil, le 
21 octobre 1870. — Friesc, architecte, tué à Cachan, le 6 novembre 1870. — 
Seilfaade, sculpteur, tué à Chàteaudun, le 19 octobre 1870. — Sturmm, archi- 
tecte, tué à Strasbourg. — Panza, architecte, tué à Messigny, en janvier 1871. — 
Coincfaon, peintre, tué à Buzenval, le 19 janvier 1871. — Jacquemin, architecte, 
tué à Montretout, le 19 janvier 1871. — Breton, architecte, tué à Montretout, le 
19 janvier 1871. — Anceaux, sculpteur, tué à Morée, le 26 décembre 1870. — 
Leboursier, sculpteur, tue a Villarceau, en décembre 1870. 



78 CHAPU. 



noble. 11 devait y trouver Tiacontestable et définitive con- 
sécration de son talent. 

Ce travail devait occuper Chapu pendant cinq ans. Chez 
lui, la période d'incubation était lente autant que labo- 
rieuse : tt Ma méthode de travail m'interdit les ouvrages 
hâtifs, écrira-t-il quelques années plus tard, à propos d'une 
commande trop pressée qu'il décline. La conception (ou la 
composition) est pour moi le plus difficile de l'œuvre et 
ne peut se faire qu'avec une connaissance très approfondie 
du sujet. C'est une suite persistante d'études et d'efforts qui 
conduisent graduellement à un résumé logique, au meilleur 
choix parmi toutes les idées et toutes les formes qui se pré- 
sentent. Une même logique enchaîne la composition à l'exé- 
cution jusqu'à la fin. C'est un tout, une synthèse qui ne peut 
ni se diviser ni se réduire. » Les difficultés du présent travail 
étaient d'autant plus grandes que Chapu avait à compter 
avec plusieurs collaborateurs, Coquart et Pascal pour l'ar- 
chitecture, et Degeorge pour le complément de la partie 
sculpturale. Tous comprenaient qu'à ce jeune héros, mort 
dans toute la force, mais aussi dans toute la fleur de son 
talent, il ne fallait pas une trop solennelle apothéose, que 
l'hommage devait être plus touchant encore que pompeux, 
que l'emphase convenait mal à ce génie exubérant à qui le 
destin avait à peine laissé le temps d'assagir sa fougue et 
qui était passé, rapide et brillant météore, sur le ciel un 
peu terne de l'art contemporain. Mais là s'arrêtait l'accord, 
et, pour l'exécution, chacun avait son idée personnelle qu'il 
défendait avec passion. Enfin, après bien des pourparlers, 
bien des projets repris et abandonnés, l'idée première de 
l'œuvre fut définitivement arrêtée. Il ne restait plus qu'à 



LA GLOIRE. 79 



Tincarner dans la forme la plus parfaite. Nous verrons plus 
loin comment Chapu y réussit. Pour le moment, il convient 
d'examiner les différentes œuvres cju'exécuta F artiste depuis 
1871 jusqu'au jour où, radieuse, sa. Jeunesse apparut au pu- 
blic, tendant vers le buste de Begnault sa branche d'olivier. 
Les rares lettres de Chapu qu'il nous ait été donné de 
consulter sur cette époque ne nous permettent pas de 
savoir quelle fut son existence pendant l'année qui suivit nos 
désastres, ni au prix de quels efforts il parvint à soutenir sa 
vie et celle de sa vieille mère, veuve depuis peu, qui allait 
désormais être à sa charge. En 1872, il livre à l'Adminis- 
tration des Beaux-Arts une statue décorative, TOrfe, qui lui 
avait été demandée pour le nouvel Opéra qu'achevait l'ar- 
chitecte Garnier (1). Cette statue, pour laquelle l'artiste fit 
de nombreuses esquisses dessinées ou modelées, décore 
aujourd'hui la façade principale de notre Académie natio- 
nale de musique. Conçue dans le goût et d'après les canons 
antiques, cette figure, que la plupart des amis de l'artiste, 
Baudry notamment, proclamèrent une œuvre charmante, 
ne nous parait pas marquer cependant un progrès bien 
décisif, et si aucune critique particulière n'en peut être 
faite, elle ne nous paraît pas non plus mériter aucun éloge 
spécial. C'est à notre avis une œuvre sage, correcte, 
savante même si l'on veut; mais ces qualités, Chapu les 
avait montrées déjà plus d'une fois, et l'on pouvait espérer 

(1) « La Déclamation, statue de M. Cliapu,... est conçue d'une manière bien 
conforme à son rôle; mais ce rôle a quelque chose d'artificiel qui exclut la naïveté 
aussi bien que la passion, car elle cherche à traduire une pensée qui n'est pas la 
sienne. Sous ce rapport, la statue de M. Chapu exprime bien, en effet, l'effort et 
le zèle; on ne saurait reprocher à la Déclamation d'avoir l'air déclamatoire. > 
(P. Maktz.) 



80 CHAPU. 

mieux de lui. Ajoutons cependant, pour êti*e équitable, 
que ÏOde souffre, comme les sculptures qui lui font pen- 
dants, du redoutable voisinage de la Danse de Carpeaux, 
cette œuvre si discutée et si troublante qui semble un iro- 
nique défi aux sages lois de la sculpture et qui, en dépit de 
sa trivialité voulue, écrase de sa verve géniale les œuvres 
plus sobres qui l'entourent. 

Chapu semble avoir été mieux inspiré dans un groupe 
qui lui avait été commandé dans les dernières années de 
TEmpire pour la Préfecture de police, et qui devait person- 
nifier la Sécurité, L'allégorie était difficile à exprimer et 
offrait peu de ressources à l'imagination d'un sculpteur; il 
s'en tira de la façon la plus simple et la plus heureuse, en 
sculptant une jeune femme assise, dans une attitude pleine 
de sérénité confiante, qui tient sur ses genoux son enfant 
endormi. Cette composition, achevée en 1873, décore 
aujourd'hui la caserne de la Cité. 

Il nous a été impossible de voir un petit Moïse exécuté en 
1873 pour M. de Mare, consul des Pays-Bas à Bruxelles. 
Tout ce que nous savons de cette œuvre, c'est qu'elle fut 
payée à Chapu 2,000 francs, et que M. de Mare, dans diffé- 
rentes lettres, remercia chaleureusement l'artiste, déclarant 
que c'était une chose exquise et bien au-dessus de tout ce 
qu'il pouvait espérer. 

De nombreux bustes furent également demandés à Chapu 
pendant cette période, soit pour l'État, soit pour des parti- 
culiers. Parmi les plus importants, il faut citer ceux de 
Lebrun (1), de Montalembert et d'Alexandre Dumas père, 

(1) Lebrun (Pierre-Antoine), poète français, qu'il ne faut pas confondre avec 
son homonyme Ecouchard-Lebrun, celui que, aux premières années du siècle, on 



LA GLOIRE. 81 



ceux-là pour Tlnslitut, celui-ci pour la Comédie française. 
Il est permis de supposer que Chapu accepta sans enthou- 
siasme ces commandes officielles. C'est, en effet, pour un 
altiste épris de son art une ingrate besogne que ces bustes 
a après décès » . Quand il s'agit de personnalités indiscu- 
tées, de véritables « grands hommes », l'artiste peut trouver 
dans le rayonnement de leur gloire une inspiration suffi- 
sante et, sans arriver à cette ressemblance absolue que seule 
donne la vue de la nature, créer au moins une image inté- 
ressante où la pauvreté des documents est compensée par 
une sorte de divination de l'être moral; les figures ainsi 
composées ont même souvent une certaine grandeur d'apo- 
théose plus près de la vérité cpi'une imitation trop servile 
de la nature; mais quand il s'agit de vieilles gloires, de 
réputations depuis longtemps noyées dans les brumes de 
l'oubli, la tâche du portraitiste devient singulièrement diffi- 
cile. Pour s'en convaincre, il suffit d'aller voir les collec- 
tions d'hommes célèbres qu'on a cru devoir placer dans 
certains monuments pubhcs, théâtres ou académies (1). 

appelait Lebrun-Pindare. Né à Paris, le 29 novembre 1785, il se révèle par des 
essais poétiques très remarquables, entre autres par une tragédie de Coriolatiy en 
1797. Plusieurs odes qu'il Ht pendant le premier Empire lui valurent les faveurs 
de la cour et une pension de 1,200 francs. Après la chute de Napoléon, il célébra 
les gloires de la France dans différentes poésies : Jeanne (TArCy le Vaisseau de 
V Angleterre , et surtout dans un poème sur la Mort de V Empereur y qui lui valut 
la disgrâce du gouvernement de la Restauration. 

Comme auteur dramatique, Lebrun fit jouer différentes tragédies, bien oubliées 
aujourd'hui, dont une seule,' Afarie Stuart, a pu mériter de rester au répertoire. 

En 1830, il devint administrateur de l'Imprimerie royale et fut nommé par Loui»- 
Philippe pair de France. Sous le second Empire, il échangea ce titre contre celui 
de sénateur. 

Lebrun était entré à l'Académie en 1828, en remplacement de François de 
NeufchâteaUj son premier protecteur. II mourut le 27 mai 1873. 

^1) Ne pourrait-on, à ce propos, consacrer le souvenir de certains artistes, 

6 



82 CHAPU. 

Combien plates et ennuyeuses sont le plus souvent ces 
images de poètes, d'artistes ou de savants ! combien mornes 
ces effigies cju' aucune flamme intérieure n'anime! La figure 
du poète de Marie Stuarty que Chapu d'ailleurs n'avait 
jamais connue, l'a médiocrement inspiré, et c'est à grand'- 
peine que nous avons découvert son buste dans un des ves- 
tibules du palais Mazarin, au milieu d'une assez pauvre 
collection d' œuvres similaires. Le buste de Montalembert 
vaut mieux. Nous avons toutefois été légèrement déçu, 
nous qui n'avons jamais vu le grand écrivain, en contem- 
plant cette face glabre aux contours arrondis, cette physio- 
nomie reposée, cette tète plus fine qu'énergique, et qui ferait 
plutôt penser à quelque prince bien rente de l'Église catho- 
lique qu'à l'ardent précurseur du socialisme chrétien. La 
bouche seule, mobile et spirituelle, avec sa lèvre dédai- 
gneuse, donne à la figure un caractère hautain et sarcastique 
qui le marque d'un sceau personnel. 

Le buste de Dumas, en revanche, est un chef-d'œuvre de 
premier ordre qui tient dignement sa place au milieu des 
marbres de Houdon et de Caffieri, dont s'enorgueilUt juste- 
ment la Comédie française. Il y a là plus qu'un portrait. C'est 
une âme que l'artiste a croquée dans cette figure puissante 
au cou de taureau, à la lèvre sensuelle, aux cheveux crépus, 
à Tœil saillant et largement ouvert. Dans ce masque, où 
tout respire la force, on devine la puissance de travail 
presque surnaturelle de Técrivain; l'épanouissement de sa 

hointiies de lettres, médecins, etc., par un médaillon de bronze ou de marbre, en 
réservant les bustes pour les personnalités les plus éminentes? Il y aurait à cela 
nn double avantage : éviter l'encombrement qui menace déjà certains de nos éta- 
blissements publics, rinstitut par exemple, et venir en aide aux graveurs en 
médailles, si rarement encouragés par des commandes privées. 



LA GLOIRE. 



83 



bonne et loyale figure nous dit sa bienveillance, la verve 
exubérante de ses œuvres, leur simple et saine philosophie, 
tandis que cette poitrine hardiment débraillée nous fait 
songer au sans-façon de sa vie, à son candide dédain des 
convenances sociales, à cette magnifique insouciance qui 




CROQUIS POUR LA MEDAILLE DE L. DUC. 

devait le faire mourir pauvre, lui qui avait enrichi tant de 
théâtres, tant d'éditeurs, tant de journaux ! 

De cette époque, date également un portrait de Vitet, 
avec lequel Chapu avait été en relation à propos du buste 
de Duchatel. Ceux-là seuls qui ont connu Férudit auteur 
de la Ligue et de tant d'autres restitutions ingénieuses 
peuvent dire combien ressemblante est cette figure cor- 
recte et un peu hautaine, à la lèvre mince, au regard 



84 CHAPU. 

incisif, au nez noblement aquilin. Au point de vue sculp- 
tural, — le seul dont nous puissions parler, n'ayant jamais 
eu Foccasion de voir Técrivain, — tout ce que nous pou- 
vons dire, c'est que ce buste, d'une exécution serrée et 
d'une grande allure, peut compter parmi les meilleurs du 
maître. 

En même temps, un ensemble d'œuvres décoratives lui 
était commandé par M. Paul Sédille pour un hôtel qu'il 
venait de se construire boulevard Malesherbes. Tous les 
arts avaient concouru à décorer cette jolie construction 
aménagée avec tout le luxe et le confortable modernes. Pour 
le plafond de la pièce principale, Galland, l'ingénieux et 
savant décorateur, avait peint les Arts puisant leur inspira- 
ration aux sources ingénues de la nature ; dans la même 
pièce, au-dessus de la cheminée, on admirait un Apollon, 
d'Élie Delaunay, « d'un sentiment tendre et fin, d'une sua- 
vité déUcieuse qui n'excluait pas la puissance » ; la frise de 
la cheminée était due au ciseau d'un artiste de valeur, Tour- 
nois, qui y avait sculpté le Triomphe de Bacchus, entouré 
de son joyeux cortège de satyres et de bacchantes ; puis, un 
peu partout, égayant les grands panneaux sombres de 
leurs notes variées, c'étaient des paysages de Corot, de 
Daubigny, de Didier, des tableaux d'Ehrmann, d'Henner 
et de Couture. 

La plus importante partie de cette décoration avait été 
toutefois réservée à Chapu. Son nom figurait au milieu de 
ces noms illustres, déjà représenté par un buste en marbre 
de Mlle Sédille, « d'un sentiment tirés délicat » ; le sculpteur 
devait modeler, en outre, deux grandes cariatides pour le 
vestibule, une série de médaillons pour le salon, et aussi 



LA GLOIRE. 85 



les deux atlantes de la cheminée qui supporteraient le 
bas-relief de Tournois. 

Examinons rapidement ces deux derniers ouvrages, qui 
ne sont pas les plus importants. Pour la cheminée, il exécuta 
deux figures d'hommes, Tun dans le premier épanouisse- 
ment de la jeunesse et l'autre au faîte de la maturité, com- 
position dont il fit une réplique en pierre pour la façade 
d'un hôtel, 55, boulevard Malesherbes. 

Les médaillons qui couronnent les six portes du salon 
sont en bronze argenté. Ils représentent la Science, la Pein 
turCy V Architecture, la Poésie, la Sculpture, la Musique, 
personnifiées par des génies qui tiennent en main leurs 
attributs divers. Nous n'analyserons pas en détail ces jolies 
compositions, dont un charmant poète a laissé une descrip- 
tion fidèle (1). Disons seulement qu'elles sont excellentes de 

(1) Les principaux passages de cette description sont empruntés à un article de 
M. Sully-Pnidliomme. Voir Gazette des Beaux- Arts ^ 1873, S* semestre. 

Voici les quatrains que composa M. SuIIy-Prudhomme à l'occasion des médailles 
de Chapu : 

LA POÉSIB. 

Levant an ciel ses yeux pleins de divines flammes, 
Le poète qui chaote est près de fuir le sol. 
Et l'essor entraînant de l'hymne sur ses lèvres 
Imprime à tout son corps la courbure du vol. 

LA 8CIBSCE. 

Explorant Tinfini sans déserter la terre. 
Le savant, scrutateur de l'abîme étoile. 
Élève son flambeau jusqu'au plus haut mystère, 
Et dans un livre ouvert le montre dévoilé. 

l'arcuitecturb. 

L'arcbitecte, debout, armé de ses cquerres. 
Le pied sur nne acanthe et les bras étendus. 
Imposant Tordre aux blocs savamment suspendus. 
Prête un sourire auguste i la froideur des pierres- 

LA MUSIQUE. 

L*anlent musicien, rivé d*âme et de corps 
An violon palpitant que son archet caresse. 



86 CHAPU. 

tout point, gracieuses sans maniérisme et d'un beau style 
décoratif. 

Arrivons aux cariatides du vestibule. Ce sont deux 
iCemmes, représentant, Tune la Nature, et l'autre la Tradition 
artistique. JjS. première, n'ayant pour toute parure que ses 
longs cheveux, est couronnée de lis et de roses. Le bas de 
son corps est à demi caché par des plantes sauvages, au 
milieu desquelles se joue un jeune chèvre-pied. « La car- 
« nation, a dit M. SuUy-Prudhomme, est solide sans 
« lourdeur, et musclée avec toute la solidité qu'exigent 
tt les maternités nombreuses, mais sans préjudice de la 
« grâce; la poitrine est d'une jeunesse adorable, la tête 
« est forte, le col large, le visage fier avec un mélange 
« de candeur agreste. La chevelure, vigoureusement enra- 
« cinée, baigne le buste avec opulence. Le poids du 
« corps se porte sur la hanche droite, et cette attitude met 
« en évidence, du côté droit, toute sa puissance ramassée 
« sans effort et, du côté gauche, toute sa grâce librement 
« déployée. » 

Il semble qu'une ^i belle figure ne puisse être embellie 
encore, qu'une parure apprêtée, un savant maintien, ne 



Les doigu crispés, les yenz presque soufîranls d^ivresse, 
Semble expirer au charme irrilanl des accords. 

LA PEINTUnE. 

Le peÎDlre vers Phœbut, où, radieuse, ëclate 
L*ardeur qu*à sa palelle il demandait en vain, 
Se tounie, et, ravivant sa brosse au feu divin, 
L'y trempe d'une maîo hardie et délicate. 

LA SCrLPTCRB. 
A la hauteur des dieux sooleTês dans Tëther, 
Le sculpteur qui médite une immuable forme 
Pour temple i sa pensée, en un Paros énorme 
Cisèle à tour de bras un front de Jupiter. 



LA GLOIRE. 87 



puisse que dimiouer son charme. Point. L'art se chargera 
d'ajouter à cette beauté, fruste et savoureuse, sa divine 
auréole ; dans la seconde cariatide, nous allons retrouver le 
même type de beauté, transfiguré par la Tradition artis- 
tique ; la voilà, les cheveux tressés, le front ceint d'un dia- 
dème, drapée dans un péplum àlarges plis. « Les Muses, qui 
« sont ses filles et servantes, lui ont fait, de siècle en siècle, 
« la toilette qui sied à la divinité. Elles ont démêlé sa cri- 
« nière sauvage ; à ses oreilles ainsi dégagées, elles ont 
« suspendu un ornement dont le travail précieux fait valoir 
« la pureté de la joue. Sur son poignet elles ont passé un 
« anneau, comme pour en mesurer la fine attache... elles 
« l'ont enfin revêtue d'une robe souple et libre, qui relie 
« les saillies du corps par des plis harmonieux. Puis elles 
« ont redressé respectueusement sa première attitude un 
« peu abandonnée au hasard, d'une grâce irréfléchie qui 
« n'est pas l'élégance encore, car l'élégance est la culture 
« de la grâce. . . Dans la nature ainsi transfigurée, on devine 
« que le vouloir a supplanté la spontanéité, que Tintelli- 
« gence a subjugué l'instinct ; c'est la beauté qui se connaît 
« et se gouverne... l'art, en interprétant la nature, n'a fait 
« que dégager et mettre en valeur tous les éléments de 
« sa beauté. Il n'a pas forcé ses mouvements, il les a 
tf seulement composés, il ne lui a rien donné, car elle 
« est plus riche que lui, mais il a su habilement lui de- 
« mander ce qu'elle a de mieux, et lui dispenser un jour 
« favorable. » 

Si je fais ici cette longue citation, ce n'est pas pour le 
seul plaisir de reproduire un excellent morceau de style 
descriptif. L'ingénieuse dissertation inspirée à M. Sully- 



88 CHAPU. 

Prudhomme par les deux statues de Chapu en sont, à 
notre avis, la meilleure critique. La sculpture, art essentiel- 
lement synthétique, veut des idées simples qui se com- 
prennent dès le premier coup d'œil ; or Tidée qui a préside 
à Tenfantement de la Nature et de la Tradition est trop 
complexe, trop « spirituelle » pour être du domaine de la 
sculpture, c'est, si l'on veut, une amusante leçon d'esthé- 
tique, mais ce n'est pas une idée sculpturale ; elle a de 
plus amené l'artiste à faire deux figures, l'une presque nue, 
et l'autre complètement drapée, qui ne se font pas équi- 
libre. Ces réserves faites, nous n'aurons que des éloges à 
décerner au sculpteur, qui dans l'exécution de ces statues 
a montré sa science et sa conscience habituelles. A la 
Tradition^ un peu trop directement inspirée de l'antique, 
nous préférons la Nature, d'un aspect particulièrement 
savoureux. 

Notre artiste, au milieu de ces occupations diverses, 
mettait la dernière main à sa figure allégorique du monu- 
ment de Regnault. Il y travaillait en silence, presque mys- 
térieusement, surveillé avec un soin jaloux par son ami 
Coquart, qui le défendait à grand'peine contre les indiscré- 
tions des amateurs et de la critique. Le bruit, en effet, 
s'était répandu, dans le monde des arts, qu'un chef-d'œuvre 
allait naître, et, de tous côtés, on demandait à voir cette 
Jeunesse, qui s'annonçait comme une des plus exquises ma- 
nifestations plastiques du siècle. Chapu, sachant par expé- 
rience combien l'optique de l'atelier est trompeuse, et afin 
de se mieux rendre compte de son travail, exposa sa statue 
au Salon de 1875, où elle obtint un légitime succès et valut 



LA GLOIRE. 



89 



à son auteur la médaille d'honneur. Elle n'était cependant 
pas encore assez parfaite 
à son gré, et, jusqu'au jour 
de l'inauguration, nous le 
trouvons en contempla- 
tion devant son œuvre, 
caressant d'un dernier 
coup de râpe un modelé 
un peu fiiiste, accentuant 
un relief, supprimant un 
détail iuutile. 

Le 11 août 1876 fut, 
dans la vie de l'artiste, une 
de ces dates qui ne s'ou- 
blient pas. Dans la cour du 
Mûrier, ce paisible sanc- 
tuaire de l'École des Beaux- 
Arts, dont le recueillement 
a bercé tant de rêves d'ar- 
tistes, une petite élite était 
réunie. Plusieurs discours 
furent prononcés, dans les- 
quels on rappela la triste 
journée du 19 janvier 1871, 
la mort de Regnault, et 
aussi celle des élèves de 
l'école dont les noms, plus 
obscurs, devaient entou- 

Lâ JEUNESSE. 

rer, sur les colonnes du 

monument, le nom glorieux de leur aîné; mais l'impatience 




90 CHAPU. 

était plus forte encore que les regrets, et ce fut au milieu 
d'un frémissement solennel que le marquis de Chenne- 
vières, alors directeur des Beaux-Arts, souleva le voile qui 
recouvrait l'œuvre si longtemps attendue. 

Le monument, en marbre blanc, sobrement décoré d'or- 
nementations polychromes, se compose de deux colonnes 
d'ordre ionique, soutenant un fronton triangulaire. Une 
draperie figurée, semée de lotus d'or, fleurs de l'immorta- 
lité, masque l'entrée du temple, tandis que, sur le seuil, 
deux bancs semblent inviter le passant à se recueillir en 
songeant aux héros morts pour la patrie. Au fronton res- 
plendit le mot : « Patrie » , résumé de tout le monument, 
d'où s'échappe dans l'antéfixe du couronnement la flamme, 
symbole de résurrection et d'avenir... 

Entre les deux colonnes, encadré à souhait par ce gra- 
cieux décor, un cippe funéraire sert de piédestal au buste 
de Regnault, coulé en bronze, et dont l'énergique visage 
marque une noble et suprême indignation (1). Devant ce 
cippe, et s'en détachant à peine, une gracieuse figure de 
jeune fille se hausse, dans un mouvement d'une grâce inou- 
bliable, vers l'image du peintre, et lui tend le rameau d'or, 
palme du martyre et signe de gloire à la fois. Que repré- 
sente cette vierge, à la fois si séduisante et si chaste ? La 
Gloire? — Point. La Gloire est une divinité plus altière et 
n'a pas ce charme ingénu. Est-ce l'Immortalité ? Pas davan- 
tage. Pour célébrer l'apothéose de ces jeunes gens, l'artiste 



(1) L'exécution de ce buste donna lieu, entre les collaborateurs, à de vives dis- 
cussions. Goquart en particulier insistait vivement pour qu'au buste h effet on 
substituât un buste droit et sans idée. « La tète si expressive de Regnault, écri- 
vait-il, suffit parfaitement à exprimer tout le drame de la composition. » 



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LA JRWNH'.SSI-: 

V. 'fi imcni J n. '\eC.r.aalt a 1 hcole ries heairx-Arts 



LA GLOIRE. 91 



n'a pas cru devoir évoquer de si solennelles abstractions. 
C'est la Jeunesse, Féternelle et radieuse Jeunesse qu'il a 
choisie, la Jeunesse qui contient en germe toutes les espé- 
rances, toutes les beautés, toutes les joies. 

Pour sa figure, Chapu a su choisir cette heure fugitive 
et charmante de la beauté dans son premier épanouisse- 
ment. Ce n'est déjà plus la graciUté qui accompagne l'éclo- 
sion de la puberté, mais c'est encore la jeunesse dans toute 
sa fleur. Le corps tourné vers le buste du peintre, la figure 
est vue de dos; mais, dans l'effort qu'elle tente, le haut du 
corps subit une légère inflexion qui permet de contempler, 
presque de profil, sa fine et jolie tête. Les cheveux, relevés 
sur la nuque, laissent voir, dans toute leur splendeur, l'élé- 
gante attache du cou, la ligne harmonieuse des épaules, le 
savoureux modelé de la poitrine et des bras. Jamais le mar- 
bre ne s'est mieux assoupli pour rendre les plus délicates 
palpitations de la chair, l'onduleuse flexibilité d'un jeune 
corps. « Il se dégage de cette œuvre, a dit un critique, ce 
« parfum si difficile à définir et pourtant si particulier, si 
« franc, que l'on rencontre seulement dans les œuvres irré- 
el prochables, à quelque époque qu'elles appartiennent... 
« Ce n'est pas un morceau d'une beauté exceptionnelle qui 
tt attire les regards, ce n'est pas une qualité dominante qui 
tf nous arrache un cri d'admiration, c'est au contraire un 
« ensemble harmonieux et parfait devant lequel on éprouve 
« une sorte d'apaisement, une satisfaction calme, entière et 
a de plus en plus profonde, et c'est vraiment une délicieuse 
a chose que de sentir l'émotion pénétrer en soi lentement, 
« sûrement, sans fracas ni violence... Ce qui fait l'origina- 
« lité de cette sculpture, c'est que sans s'abaisser, sans rien 



4^ 



92 CHAPU. 

« perdre de sa dignité, ni du respect du passé dont elle 
tt émane, elle est cependant de notre époque et nous offre 
« l'idéal de notre art statuaire, de celui que nous pouvons 
« comprendre et goûter. »» 

On a si souvent décrit le « Monument de Begnault » , et 
la photographie comme la gravure en ont tellement popu- 
larisé la figure principale, que cette vulgarisation même en 
a quelque peu défloré le charme primitif. La Jeunesse a 
d'ailleurs servi de point de départ à tant d'œuvres ana- 
logues, pastiches plus ou moins habiles, plus ou moins 
inconscients, que les hommes delà génération présente n'en 
peuvent peut-être pas comprendre toute l'originalité; mais 
si l'on recueille dans l'histoire de la sculpture les modèles 
du genre, on est forcé de reconnaître que la conception de 
Chapu est vraiment géniale, qu'elle constitue une trouvaille 
dont l'honneur lui revient tout entier (1). Que nous voilà 
loin des froides inventions de Thorvraldsen et de Canova, 
de l'éternel et insipide Génie portant un flambeau éteint ! 
Pour nous émouvoir, l'artiste n'a pas eu besoin d'évoquer 
les terrifiantes allégories des artistes du moyen âge. Il s'est 
rappelé que les Grecs n'abordaient l'idée de la mort qu'avec 
un sentiment d'austère convenance qui ressemblait à de la 



(1) Un critique in(;énieux a cru trouver l'idée première de la figure qui nous 
occupe dans un motif souvent traité par les artistes de l'antiquité : « Qu'on se 
souvienne, écrit-il, des compositions antiques, bas-reliefs, sarcophages, antéfixes 
en terre cuite où l'antiquité a représenté des ménades et des bacchantes; on 
remarquera souvent un mouvement analogue : une bacchante moitié nue s'agc- 
nouillant à demi sur le socle d'un terme dont son bras gauche entoure la gaine. 
Le mouvement est violent, dans un sentiment de fureur orgiaque ou de passion 
amoureuse, et l'aspect comme l'expression sont tout différents; mais il est pos- 
sible que, modifiée par un souvenir inconscient, ce soit une de ces bacchantes 
qui ait inspiré l'artiste. » 



LA GLOIRE. 93 



pudeur. « La génération et la mort, pensaient-ils, sont les 
« secrets des dieux ; un silence religieux doit être observé 
« devant ces deux portes de la vie. » L'idée du drame, 
cependant, est facile à saisir, et il n'est personne qui ne 
la comprenne aisément; mais les splendeurs de l'apo- 
théose emportent avec elle toute impression lugubre. Cette 
mâle figure de héros qui semble planer au-dessus des mi- 
sères humaines ne nous fait pas pleurer. Elle appartient au 
monde éternel de l'Idée dont Regnault a été sur terre un 
des glorieux champions. La Jeunesse ne le pleure pas, elle 
le salue et semble lui dire : Heureux ceux qui meurent en 
pleine jeunesse, en pleine gloire, en plein idéal ! 

Jusque-là, dans son œuvre, Chapu avait montré plus de 
grâce que de force, plus de charme que de puissance. Le 
monument de Berryer, qu il exposa l'année suivante (1877), 
allait lui fournir l'occasion de montrer sous un aspect tout 
autre la magistrale souplesse de son talent. 

Il n'est personne qui n'ait vu, dans la salle des Pas perdus 
du Palais de justice, cette grandiose figure de Berryer qui 
semble dominer, du haut de son piédestal, ce monde de 
magistrats et d'avocats que, de son vivant, il avait tant de 
fois subjugués par son éloquence. L'orateur se présente 
debout et de face. Sa robe d'avocat, largement drapée, 
laisse voir l'habit noir boutonné qui était son costume tra- 
ditionnel et rappelle ainsi son double caractère de juriste et 
d'homme politique. La main gauche s'appuie sur le bord de 
la tribune dont elle semble prendre souverainement posses- 
sion, et la main droite, après avoir rejeté la manche flottante 
de la toge, se pose dans un beau geste exprimant ainsi l'ar- 
dente conviction de celui qui parle. « La tête est noble. 



94 CHAPU. 

fière, imposante. La puissance éclate dans ce re{>ard domi- 
nateur, sur ce front superbe, dans cet ensemble plein de 
mouvement et de grandeur. La bouche est entr ouverte, 
avec cette lèvre un peu proéminente qui faisait tomber de si 
haut le dédain, et il semble qu'on va entendre la parole 
vibrante et harmonieuse dont le timbre d*or réalisait si mer- 
veilleusement Yore rotundo de la muse antique. » 

Cette belle statue est encadrée à souhait par un édicule 
très sobrement orné, œuvre deTarchitecte Duc, qui fait face 
au monument de Malesherbes. Deux pilastres, d'une nudité 
sévère, supportent un entablement décoré de triglyphes que 
surmonte un fronton brisé. Aux pieds de l'orateur, deux 
figures allégoriques, assises et adossées aux parois du pié- 
destal, rompent, par une heureuse courbe, la rigidité des 
lignes principales du monument. Conçues dans le goût clas- 
sique le plus pur, elles représentent la Fidélité et XElo- 
quence, La première relève la tête comme pour mieux 
entendre l'homme rare qui est resté son chevalier alors que 
tant d'autres la délaissaient; la seconde, attentive et l'œil 
inspiré, semble vouloir fixer avec sa plume les accents 
redoutables ou touchants qui l'émeuvent. 

L'œuvre, à son apparition, souleva certaines critiques de 
détail. Quelques amis de l'orateur n'y trouvèrent pas la res- 
semblance qu'ils souhaitaient; on discuta aussi l'attitude 
générale, jugée par quelques-uns trop emphatique; mais, au 
point de vue purement plastique, les éloges furent unanimes 
et sans réserve. « La grande loi de Fart, c'est la vie, écrira 
Chapu quelques années plus tard; mais ceux qui ont pu 
ajouter à la vie physique un sentiment personnel et élevé 
ont seuls créé des œuvres d'art dignes de ce nom. » Chapu 



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LA GLOIRE. 95 



a réalisé ce programme dans cette magnifique personnifi- 
cation de l'Art oratoire. Il en a encore rehaussé l'intérêt 
par les prestiges d'une exécution merveilleusement souple 
et variée, où l'habileté de main s'arrête à cette extrême 
limite qu'elle ne saurait dépasser sans nuire à la grandeur 
de l'ensemble. 

Au même Salon Chapu avait envoyé, en marbre, un haut 
relief, la Pensée, dont le modèle en plâtre avait déjà été 
exposé en 1876. Cet ouvrage était destiné au tombeau de la 
comtesse d'Agoult. Ce n'est pas ici le moment déjuger celle 
qui, sous le pseudonyme de Daniel Stern, laissa uae œuvre 
littéraire considérable, ni d'examiner jusqu'à quel point 
l'auteur de Mes souvenirs, Esquisses morales, Essai de 
liberté, Révolution de 1848, Dante, Gœthe, Nélida Spinoza, 
MarC'Aurèle, etc., mérite l'orgUeilleux monument que la 
piété d'un groupe d'amis fidèles a cru devoir élever à cette 
femme de cœur qui fut un vaillant écrivain. Peut-être ses 
nombreux écrits ne l'auraient-ils pas assurée contre l'oubli; 
pendant de longs siècles, en tout cas, le monument de Chapu 
apprendra son nom à la postérité. La Pensée, que l'artiste 
a choisie pour personnifier cet esprit viril et hardi, n'a pas 
la grâce pleine d'abandon de la vierge qui salue les mânes 
de Regnault. Dans la plénitude de ses formes, dans la 
majesté calme de sa pose, dans la mélancolie de son œil 
rêveur et douloureux, on sent qu'elle a passé l'âge des pre- 
mières fleurs, qu'elle a déjà l'amère expérience de la vie. 
Chastement drapée dans une ample tunique, qui laisse seu- 
lement voir ses bras nus, elle écarte d'une main les voiles 
qui lui dérobent l'inconnu, tandis que sa tête, fortement 
relevée et en pleine lumière, semble vouloir sonder les 



96 CHAPU. 

sphères sans limites de Finspiration. « Le geste du bras 
droit, a dit M. Henry Jouin, un des plus fins critiques de la 
statuaire moderne, a je ne sais quoi d'incertain et de sup- 
pliant qui rend bien le caractère de Tesprit de Thomme en 
face de Tinconnu. La pensée ne commande pas, elle implore, 
et le statuaire a donné la mesure de son habileté en modérant 
Fénergie du geste sans en atténuer Fampleur. Une ligne ser- 
pentine du plus gracieux effet court depuis la main droite, 
point culminant de l'œuvre, jusqu'aux pieds, d'un galbe 
sévère que laisse entrevoir le vêtement. » 

Chapu pour ce brillant envoi obtint une seconde fois la 
médaille d'honneur. L'Académie, de son côté, voulait pour le 
jeune statuaire une récompense exceptionnelle; elle joignit 
son nom à ceux que la commission avait désignés pour le 
prix biennal. Notre artiste avait affaire à des concurrents 
redoutables : son ami Vaudremer, le savant architecte de 
la ville de Paris; le sculpteur Mercié, dont le jeune talent 
venait de s'affirmer par deux œuvres de premier ordre : le 
Gloria victis et le David; et enfin Élie Delaunay, que ses 
nombreux travaux décoratifs et la belle tenue de ses por- 
traits avaient mis au premier rang des peintres contempo- 
rains. Chapu, cependant, l'emporta, et le choix de l'Aca- 
démie des Beaux-Arts fiit ratifié par les sections de llnstitut 
réunies à la presque unanimité. 

Cette éclatante marque d'estime avait mis Chapu au pre- 
mier rang des sculpteurs contemporains. Désormais il n'aui-a 
plus besoin de chercher des commandes ; elles lui arriveront 
en foule, et c'est à peine si, malgré sa rare puissance de tra- 
vail, il parviendra à tenir ses engagements. Pénétrons dans 



LA GLOIRE. 9T 



son atelier de la rue Notre-Dame des Champs ou dans celui 
de la rue Montparnasse. Partout c'est le même encombre- 
ment, la même activité. Ici, c'est une statue de Jean Cousin 
qui s'achève pour la ville de Sens, un médaillon de Thiébaut 
le fondeur, et un buste de Gleyre qui doit prendre place, à 
Lausanne, dans le musée consacré aux œuvres du peintre ; 
une grande maquette s'ébauche dans un coin, sous l'œil du 
maître : c'est le monument de Le Verrier. Là, on met la der- 
nière main au buste de Mme Toulmouche; un praticien 
dégrossit un bloc de marbre qui sera le buste de Boucicaut; 
près de lui, un élève prépare une armature, les yeux fixés 
sur un modèle qui représente un prélat étendu et se relevant 
dans un suprême effort d'agonisant : c'est im premier projet 
pour le monument de Mgr Dupanloup. En cherchant dans 
les cartons, nous trouverions de nombreuses esquisses des- 
sinées pour le monument de Jean Reynaud, dont Chapu n'a 
pas encore complètement dégagé l'idée symbolique et pour 
lequel il hésite encore entre plusieurs projets; des croquis 
pour deux figures d'enfants porte-lanternes qui doivent 
décorer l'escalier d'honneur du château de Sablé, résidence 
du duc de Chaulnes (1); enfin mille créations gracieuses et 
d'un intérêt purement décoratif qu'il crayonne le soir et 
qu'il espère pouvoir traduire en marbre ou en bronze, un 
jour, quand les exigences du pubhc lui laisseront un peu de 
loisir et qu'il pourra, libre de toute commande, suivre la 
fantaisie de son inspiration. 

(1) 1\ 8*agi86alt de deux groupes d'enfants, les uns à genoux, les autres courbes 
sous le poids de la lanterne et soutenant un écusson tourné vers l'intérieur de 
l'escalier. Chaque lanterne devait être surmontée d'une couronne ducale. 

Chapu fit seulement quelques croquis pour cet ouvrage, qui ne fut jamais 
exécuté. 



98 



CHAPU. 



Au milieu de ces groupes afFairés d'élèves, de praticiens, 
de mouleurs, Chapu circule, la physionomie souriante, don- 
nant à chacun un encouragement ou un conseil. Ce n'est 
pas le « professeur » moderne, bornant son enseignement à 
quelques conseils techniques parcimonieusement donnés; 
c'est un maître sculpteur du moyen âge, un patron vivant 
au milieu d'apprentis qu'il considère un peu comme ses asso- 
ciés. Son adresse naturelle, jointe à une longue pratique, a 
fait de lui le plus habile des ouvriers. Aux temps difficiles de 
sa jeunesse, il a touché à tous les métiers, à tous les arts qui 
peuvent se rattacher à la sculpture. Il a été quelque peu 
ciseleur sur cuivre, orfèvre, graveur en médailles; il maniera 
aussi bien la lourde masse du tailleur de pierre que la délicate 
échoppe du graveur; il saura donc enseigner à ses élèves 
mieux qu'aucun autre la pratique si complexe de l'art du 
sculpteur, tandis que, en les initiant à toutes ses recherches, 
il développera en eux les facultés créatrices sans lesquelles il 
n'est pas de véritable artiste. Ce n'est pas tout encore, et il 
ne se croit pas quitte envers ces jeunes gens en leur donnant 
— gratuitement presque toujours — ses conseils et son 
exemple. Il juge qu'il a charge d'âmes, qu'il doit veiller à 
leur vie matérielle, les préserver de la misère qui souvent 
décourage et déprime le talent. C'est ce sentiment qui plus 
d'une fois le décidera à accepter des travaux insuffisamment 
rétribués. « A ce prix-là, écrit-il à propos d'une commande 
de ce genre, je ne gagnerai rien, mais cela mettra un peu 
d'aisance autour de moi. » Il dit encore, à propos d'un bas- 
rehef qu'on lui propose, pour 3,000 francs : « Autrefois, 
j'aurais été heureux de cette commande; je la dédaigne 
maintenant, je l'accepterai cependant à condition de ne 



LA GLOIRE. 



99 



pas l'exccuter moi-même et de la suivre seulement... Je 
pense toujours à mon idée d'autrefois d'accepter tout ce 
qui se présentera en faisant gagner autour de moi et en y 
gagnant un peu aussi. » 

Quoi, dira-t-on, Chapune faisait donc pas ses statues lui- 
même? Il les faisait faire par ses élèves? Non, assurément; 
mais, comme tous les sculpteurs, il se faisait aider. Aussi 
bien, la placé m'est bonne pour discuter ici une légende 
qui s'est accréditée dans le public à ce sujet, et expliquer 
dans quelle mesure un sculpteur peut et doit même recourir 
à la collaboration de ses élèves. 

Pour qu'une œuvre d'art soit originale, est-il absolument 
nécessaire que celui qui la signe y ait seul mis la main? En 
fait de tableaux, la question est assez délicate, et nousn'ose- 
rions la résoudre. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que, 
il y a deux siècles, on était certainement moins scrupuleux 
sur ce point qu'on ne l'est aujourd'hui. L'art n'était alors 
considéré que comme le plus noble des métiers manuels, et 
le peintre, qui le plus souvent tenait boutique, que comme 
un marchand vendant au public sous sa responsabilité les 
produits de son pinceau. Sa signature n'était donc qu'une 
sorte de marque de fabrique ; il nous semble que, dans ces 
conditions, il pouvait, sans scrupule de conscience, signer 
de son nom un travail qu'il n'avait fait qu'en partie, ou qu'il 
avait seulement inspiré. Cette hypothèse, que nous hasar- 
dons sans preuve absolue, nous semble confirmée par les 
faits. Il nous semble, en effet, matériellement impossible 
que les Véronèse, les Tintoret et les Rubens aient pu, mal- 
gré leur fécondité, exécuter seuls les immenses travaux 
qu'ils ont signés de leurs noms. Sans doute, ils composaient 



100 CHAPU. 

et exécutaient seuls leurs esquisses; sans doute, ils se réser- 
vaient, dans l'exécution définitive, les parties les plus impor- 
tantes et les plus délicates; mais il est plus que probable 
que ce travail leur était préparé par des mains habiles, et 
depuis longtemps habituées à leur manière de procéder. 
Pour les sculpteurs, la part de collaboration qu'ils ont 
dû, de tout temps, demander à leurs élèves n'est pas moius 
évidente, et elle nous paraît encore plus légitime. Il n'est 
personne, en effet, qui ne sache l'immense somme de travail 
manuel qui doit être dépensée avant qu'un bloc de marbre 
se soit transformé en statue (1). Il est donc de toute néces- 
sité que l'artiste se fasse seconder par certains ouvriers 
d'art, qui, tout en mettant au service du maître une intelli- 
gence et un savoir souvent remarquables, ne font que lui 
préparer la besogne. Grâce à cette intelligente collabora- 
tion qui n'ôte à l'œuvre rien de sa valeur originale, l'artiste 
peut ainsi exécuter en quelques mois une statue qui, autre- 
ment, lui coûterait souvent plusieurs années de travail 
stérile. Que, dans un moment de presse, Chapu ait confié 
à un de ses élèves l'exécution d'un bout de draperie ou 
d'un accessoire sans importance, cela est fort possible et 

(1) Quand l'œuvre a été dégrossie par la mise au point, travail qui, depuis 
l'invention du pantographe, est purement mécanique et n'exige que des bras 
vigoureux, le praticien, qui est le plus souvent un artiste de talent, se livre sur cette 
forme rudimcntaire à un travail plus minutieux, en copiant le modèle qu'il a sous 
les yeux; il ne doit pas toutefois que préparer l'œuvre, et dans ce Lut il laisse 
sur toute la surface du marbre une épaisseur, une croûte de deux ou trois milli- 
mètres; c'est sur cette dernière enveloppe que s'exercera le ciseau du sculpteur, 
c'est là qu'il pourra montrer librement son habileté personnelle. Souvent l'artiste 
n'est pas entièrement satisfait de son modèle en plâtre ou en terre : il indique 
alors au praticien, au moyen de petites pointes, les parties qui lui semblent défec- 
tueuses; ces parties sont alors laissées inachevées par le praticien, afin que le 
sculpteur puisse les terminer à son gré 



LA GLOIRE. 101 



ne nous scandalise nullement : ce que nous pouvons affir- 
mer, ce qui ressort nettement de sa correspondance, c'est 
sa haute probité artistique. Peu d'années après la guerre, 
un concours fut ouvert pour élever un monument à la mé- 
moire d'un patriote célèbre d'un pays ami de la France. 
On fit savoir à Chapu que le jury désirait le voir prendre 
part au concours, en lui donnant Tassurance formelle que 
son projet serait choisi. Le sculpteur n'était alors qu'à l'au- 
rore de sa gloire, et une telle commande le tentait. 11 la 
refusa cependant, jugeant qu'une telle façon d'agir serait 
une duperie pour les autres concurrents. Plus tard, il refusa 
des propositions superbes, — 100,000 francs, je crois, — 
qu'on lui fit tenir pour une statue de Washington, crai- 
gnant, en raison de ses occupations, de ne pouvoir y ap- 
porter tout le soin désirable. 

L'Exposition universelle de 1878 permit à Chapu de 
montrer au pubUc, dans un ensemble d' œuvres remarqua- 
bles, la variété comme la fécondité de son talent. Tandis 
que dans la salle réservée à la ville de Paris se dressait son 
Monument de Berryer, il était représenté à la section fran- 
çaise des Beaux-arts par son Semeur et par les bustes de 
Vitet, de Montalembert et de Le Play. Ces différents envois 
lui auraient certainement valu une haute récompense s'il 
n'avait, dès le début de l'Exposition, demandé à être mis 
hors concours. Chapu, en effet, faisait partie du jury de 
sculpture, et, avec sa droiture et son bon sens habituels, il 
avait estimé qu'il ne pouvait être à la fois juge et partie. 
Nous ne parlerons que pour mémoire des qualités qu'il 
déploya dans ces délicates fonctions, de son zèle, de l'esprit 
équitable et conciliant qu'il montra dans différentes circon- 



102 CHAPU. 

Stances. Chapu était de ceux pour qui la voix du devoir 
parle impérieusement, et quand il avait accepté une tâche, 
il tenait à honneur de la remplir scrupuleusement; aussi le 
voyons-nous pendant tout cet été 1878 uniquement occupé 
des intérêts qu'il représente et leur sacrifiant ce qu'il y a 
de plus précieux et de plus cher, son temps et son amour 
du travail. 

D'importantes commandes, cependant, attendaient leur 
achèvement dans les ateliers du maître : c'étaient les bustes 
du jeune d'Assailly, du marquis et de la marquise de 
Nicolaï, d'Aristide Boucicaut, le fondateur du Bon Marché, 
et surtout une statue de Jean Cousin, le grand artiste bour- 
guignon, que la ville de Sens réclamait avec impatience. 
Chapu espérait pouvoir envoyer cette oeuvre, à laquelle il 
travaillait depuis longtemps, au Salon de 1879; mais les 
nombreuses occupations de l'année précédente l'empêchè- 
rent de la terminer dans les délais voulus. Il dut donc se 
contenter d'envoyer à cette Exposition le buste de Boucicaut 
et la statue du jeune Desmarres, fils du médecin de ce nom 
et petit-fils de Bobert-Fleury . Cette oeuvre, qui, pour la plu- 
part des simples curieux, passa inaperçue, mérite cepen- 
dant de nous arrêter un moment , car elle montre combien, 
par le style, un artiste peut transformer les sujets les plus 
simples. De grandeur naturelle, l'enfant se présente de- 
bout, en veston et en culotte courte, une main pendante, 
l'autre dans sa poche. Il est facile de comprendre combien 
une pareille donnée offre peu de ressources à l'imagination 
d'un sculpteur, qui ne peut y déployer que des qualités 
d'exécution; l'artiste, cependant, à force d'habileté intelli- 
gente et de goût, triompha de ces difficultés et fit, au lieu 



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LE JEUNE DESMARRES 
Statue marbre. 



LA GLOIRE. 103 



de la banale effigie qu'on pouvait attendre, une œuvre d'un 
charme tout spécial. « Aux mains d'un sculpteur italien, a 
tt dit excellemment M. Jouin, un ouvrage de ce caractère 
« serait devenu un sujet de genre; Chapu Ta grandie par 
« son style. Placée dans une galerie publique, elle n'inté- 
M resserait pas moins que le Henri IV enfant de Bosio. » 

La statue de Jean Cousin fut inaugurée à Sens, le 15 oc- 
tobre 1880; L'image du grand artiste, en qui s'incarne 
l'aurore de l'École française, s'élève sur une colonne à 
double chapiteau, au centre d'une des places de la ville de 
Sens. Chapu nous l'a représenté sous les traits d'un homme 
d'âge mûr, à la figure énergique et dans le costume d'un 
artisan du seizième siècle. Debout, la tête coiffée d'un large 
chaperon, il tient dans la main gauche une statuette an- 
tique, tandis que, de la droite, il la mesure avec un compas. 
Une sculpture ébauchée qui semble l'esquisse de sou tom- 
beau de l'amiral Chabot, des pinceaux, une masse et différents 
accessoires indiquent heureusement toutes les branches de 
l'art où excella celui que l'on a surnommé, à bon droit, le 
Michel-Ange français. Sans vouloir exagérer la portée de 
cette œuvre, on peut dire qu'elle personnifie dignement une 
grande et noble figure d'artiste que ses contemporains, 
éblouis par les merveilles de l'art italien, n'ont pas apprécié 
à sa juste valeur. 

Le monument élevé à Schneider (1) par la reconnais- 

(1) Schneider (Joteph-Eugcne) , industriel et homme politique français, né à 
fiedestroff (Meurthe), le 29 mars 1805, mort le 27 novembre 1875. A peine âgé 
de yingt-cinq ans, il fut appelé à la gérance de l'établissement métoUurgique du 
Creusot, qui, sous sa direction, semble avoir atteint son maximum de prospérité. 
Non moins que ses qualités d'administrateur, il convient de louer les heureuses 
tentatives qu'il fit pour améliorer les conditions des nombreux ouvriers qu'il diri- 



104 CHAPU. 

sance des ouvriers du Creusot mérite de nous ' 

longtemps. Ce n'est pas la statue même de ' 

dent du Corps législatif, très ressemblant 

faut en croire ceux qui l'ont connu et r' 

louer la belle et simple ordonnance 

mérite de Tœuvre, mais le groupe 

([ue Chapu, fidèle à sa poétique 

le piédestal du monument. L'a 

la Reconnaissance par une 

aux traditions de la myth^ 

paraître obscur aux e? 

chaque jour contemf' 

de la façon la plu? 

pied de la statue 

tume qui est 

d'elle un je* 

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SCHNEIDER 

Croquis pour sa statue, au Creuset 



LA GLOIRE. 



105 



de rexéciition serait superflu; ce qui est caractéristique, 
c'est rheureuse hardiesse avec laquelle Chapu a abordé un 
sujet contemporain sans vouloir employer aucun artifice 
emprunté aux vieilles traditions, c'est la beauté sculpturale 
qu'il a su trouver dans ce sujet, vulgaire en apparence et 
qui, aux mains d'un artiste moins habile, serait facilement 
devenu trivial. En cela, il peut être regardé comme un 
initiateur, car si la peinture avait depuis longtemps déjà 
pressenti l'héroïsme de la vie moderne, la sculpture s'en 
était presque toujours tenue aux vieux mythes, et, soit im- 
puissance, soit paresse, n'avait jamais osé, sauf dans de 
timides bas-reliefs, représenter des sujets maladroitement 
empruntés aux travaux de notre vie quotidienne. Il est vrai 
que, pour en dégager le côté épique, il faut toute la maîtrise 
d'exécution et toute la sincérité clairvoyante d'un maître. 
Pour s'en convaincre, il suffit de voir les nombreuses sta- 
tues qu'un naturalisme servile a enfantées depuis quelques 
années. 



Cette année-là, Chapu fut chargé, ainsi ([ue les peintres 
Hébert et Cabanel, d'une délicate mission. Une Exposition 
internationale des Beaux-Arts avait été organisée à Munich, 
et la France avait résolu d'y prendre part. Malgré les 
aimables assurances du comité bavarois, notre gouverne- 
ment n'était pas sans inquiétude sur l'accueil qui serait 
réser\'é à nos artistes, et craignait que le moindre incident 
ne vînt raviver des blessures à peine cicatrisées. Grâce 
à la bonne volonté de tous, mais surtout grâce à la char- 
mante simplicité de notre sculpteur, l'art français fut 
cordialement accueilli. Cette Exposition de Munich, où 



106 



CHAPU. 



nous partagions, avec M. Lafenestre, Thonneur de repré- 
senter la France, nous valut l'occasion de vivre, pen- 
dant quelques jours, dans Fintimité de Chapu, et nous 
pûmes apprécier, dans de longues promenades faites ensem- 
ble à travers la ville, Timpeccable certitude de son juge- 
ment, la pureté de son goût, et aussi l'exquise bonhomie 
de ce cœur candide, qui, malgré les desséchantes leçons de 
l'expérience, n'avait rien perdu de sa naïveté et de sa fraî- 
cheur. Ne connaissant jusque-là l'artiste que par ses œuvres, 
nous eûmes, il faut l'avouer, une légère surprise, quand 
nous le vîmes débarquer un soir d'un des wagons de l'express 
de Vienne. Nous avions peine à voir le sculpteur de la Jeu- 
nesse dans cet homme de petite taille, à la barbe et aux 
cheveux longs, dont la figure n'offrait rien de remarquable, 
sauf d'assez beaux yeux, au regard lumineux et doux. Tous 
les vêtements semblaient mal faits pour ce corps d'ouvrier 
auquel, seul, l'ample veston d'atelier donnait une sorte de 
grâce robuste. Dans les cérémonies publiques, il se tenait 
volontiers à Técart, ne parlant que lorsqu'il y était forcé ; 
en revanche, dans l'intimité, et avec ceux qui avaient su 
gagner sa confiance, il causait volontiers de son art avec un 
charme ému et une absence de pédantisme qui donnaient à 
sa conversation un charme irrésistible. Que de bonnes heures 
nous avons passées ainsi à déambuler sur les bords ver- 
doyants de risar, après une journée fatigante, en quête de 
quelque auberge de banlieue dont Chapu aimait la rustique 
et grasse hospitalité ! Là, délivré de toute contrainte, il don- 
nait libre cours à sa verve et aimait à évoquer ses souvenirs 
de jeunesse : les petites misères de l'atelier, Rome, les dures 
épreuves du début, la joie des premiers succès. Puis il nous 



LA GLOIRE. 



107 



racontait ses grandes impressions d'art : les fresques de 
Raphaël, le Discobole du Vatican, le musée de Pompéi. 
Son cœur, au reste, était demeuré aussi vibrant que par le 
passé, et les manifestations les plus opposées du Beau Ten- 
flammaient d'un noble enthousiasme : c'est ainsi que nous le 
vîmes tour à tour épris des beaux marbres d'Égine que con- 
serve la Glyptothèque, et des sculptures primitives alle- 
mandes dont il aimait la naïve sincérité... 

Ne pouvant donner en détail les nombreuses œuvres que 
l'artiste exécuta pendant cette période, nous avons cru devoir 
insister sur celles qui présentent un intérêt exceptionnel. Il 
nous faut cependant, tout au moins, signaler un certain 
nombre de sculptures décoratives, de bustes et de médailles 
dont le sculpteur, de 1870 à 1880, enrichit le trésor artis- 
tique de la France. Parmi les portraits, les plus remar- 
quables sont celui de Robert de Vogiié, le fils du vieux 
marquis, tué à l'ennemi en 1870, en chargeant héroïquement 
à la tête de son escadron; le masque de Mérino, exécuté, 
en 1877, pour la ville de Genève, et les belles médailles 
du sculpteur Guillaume, de Robert-Fleury père, de Vau- 
dremer, de l'architecte Trélat. Parmi les ouvrages décora- 
tifs, il faut citer une statuette de saint Joseph pour l'église 
Saint-Augustin, un Sphinx pour un monument élevé à la 
mémoire des soldats français morts en Belgique (1), une 
tête colossale de Minerve pour un hôtel particulier à Franc- 



(1) Nous extrayons les passages suivants d'une lettre reçue par Chapu à l'occa- 
sioD de l'inauguration de ce monument : a Le sphinx, tant bien que mal réparé (?), 
a été bien accueilli; c'est même beaucoup mieux en nature que la photographie 
que nous avions. Placé sur une éminence, il se détache sur l'horizon... C'est 
grand, simple et d'un bel effet. Votre œuvre a été acclamée aux cris de : Vive la 
France ! vive la Belgique ! ■ 



108 CHAPU. 

fort, et enfin une statue de Jésus ouvrier y qui, fondue en 
argent, fut offerte par l'Union des œuvres ouvrières de 
France au pape Pie IX, à Foccasion du cinquantième anni- 
versaire de son épiscopat (1). 

Bien que la critique continuât d'apprécier favorablement 
ses œuvres, Chapu, depuis 1875, n'avait jamais retrouvé 
l'éclatant concert d'éloges qui avait salué sa Jeunesse. Il 
devait retrouver cette unanimité dans l'admiration à propos 
de la figure qu'il exposa en 1880 pour le monument de Jean 
Reynaud (2). 

(1) II nenouR n pas été donné de voir cette statue, et nous ne savons pas davan- 
tage où elle se trouve aujourd'hui; mais voici la description qu'en donne V Uni- 
vers du 7 juin 1877 : 

« C'est le type idéalisé de VHomme-Dieu que nous offre le bronze de M. Chapu. 
Jésus nous apparaît debout, son maintien est grave sans rigidité; il fait un pas en 
avant, on voit qu'il s'avance à la rencontre de ceux qui souffrent et on com- 
prend mieux, en le regardant, l'expression du poète latin qui nous montre Énée 
reconnaissant sa mère, avant même de distinguer ses traits, à la seule divinité de sa 
démarche : Incessu patuit.,. — La main gauche s'appuie sur la besaiguë, l'instru- 
ment caractéristique du charpentier, tandis que la main droite s'abaisse avec bonté 
et convie. Rien n'est plus simple, comme on le voit; mais cette simplicité, si con- 
forme d'ailleurs aux principes de l'art statuaire, est précisément ce qui donne à 
cette œuvre sa marque immuable de vérité et de grandeur.,. 

« Le caractère des formes qui accuse, dans les lignes du corps et du visage, 
l'origine divine du personnage n'a pas fait oublier au sculpteur que ce personnage 
avait été ouvrier. Regardez, en effet, la chevelure et les vêtements, et vous y lirez la 
signification, la convenance spéciale imposées par les nécessités du travail. Les 
cheveux sépares sur le milieu du front dont ils encadrent la douce majesté n'ont 
garde de flotter sur les épaules, ce qui entraverait le mouvement du travailleur; 
ils demeurent réunis en boucles épaisses, laissant au cou toute sa liberté d'action. 
D'autre part, la tunique, ceinte au milieu du corps, tombe en plis sobrement 
drapés; ce n'est pas la robe majestueuse du Thabor, soulevée par l'esprit de Dieu, 
c'est l'humble livrée de l'apprenti dont la manche se relève sur le bras droit, qui 
se trouve ainsi plus apte à travailler, plus prompt à secourir. » 

(2) Reynaud (Jean), philosophe français, né à Lyon en 1806, mort à Paris le 
28 juin 1863. Élève de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole des mines, il passa les 
premières années de sa vie au service de l'Etat; mais les idées de réforme poli- 



LA GLOIRE. 109 



C'est vers 1877 que la veuve de Jean Reynaud fit deman- 
der à Chapu s'il voulait se charger d'une composition allé- 
gorique pour le tombeau de son mari. L'artiste, tout 
d'abord, hésita. Il était surchargé de commandes; de plus, 
il faut bien le dire, c'est à peine s'il connaissait le nom de 
l'auteur de Ciel et terre. Pour ses écrits, il les ignorait com- 
plètement. Une comprenait donc pas, tout d'abord, à quelle 
originale et puissante figure il avait affaire. Bravement il se 
mit à lire l'œuvre du philosophe, et si son âme simple et 
peu compliquée fut un peu déroutée par le mysticisme 
abstrait de certains systèmes, il goûta tout de suite ce 
qu'elle renfermait d'idées généreuses et de théories con- 
solantes. Il s'intéressa tout d'abord, puis, peu à peu, se 
passionna pour cette âme si noble et si vibrante, si sévère 
pour elle-même, si tendre pour toutes les souffrances 

tique et sociale qui travaillaient alors tant d'esprits l'éloignèrent bientôt de la 
carrière qu'il s'était choisie. Il fut quelque temps un des plus fervenU disciples 
du saint-simonisme , mais il ne tarda pas a rompre complètement avec le Père 
Enfantin, dont il désappprouvait le matérialisme, tout en restant fidèle à ses théories 
humanitaires. En même temps, dans Y Encyclopédie nouvelle qu'il avait fondée 
avec Pierre Leroux, il esquissait tout un système de philosophie spiritualiste qu'il 
devait développer plus tard dans son livre : Ciel et terre. Une condamnation poli- 
tique qu'il subit pour avoir défendu, d'une façon qui fut jugée outrageante pour 
le gouvernement, la société des Droits de Chomme, le désigna aux sympathies 
des républicains. En 1848, il fut nommé député et collabora aux reformes de 
Carnot, dont il était le sous-secrétaire au ministère de l'instruction publique. En 
1849, il rentra dans la vie privée pour ne plus en sortir. 

Bien que peu connu du gros public, Reynaud a laissé, dans le monde des philo- 
sophes, la réputation d'un grand penseur et d'un écrivain disliugué. M. Legouvc, 
dans ses Soixante ans de souvenirs y a donné de lui un portrait frappant : « Le lire, 
dit-il, c'était sans doute le connaître; mais pour le comprendre, il fallait le voir. 
Ce regard incomparable, ce mélange singulier d'austérité un peu hautaine et de 
cordialité pleine de bonhomie; celte bouche où le rire s'épanouissait si largement 
et qui tout à coup, à l'aspect d'un vice, devenait si frémissante, on peut dire si 
terrible d'indignation et de mépris; cette belle taille d'allure si fîère, cette parole 
dont l'éloquence allait toujours grandissant à mesure qu'il parlait... » 



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L'IMMORTALITÉ 

Premier projet pour le tooibeau de Jean Reynaud. Cimetière du Père-Laohaisc. 



110 CHAPU. 

humaines. Cependant, Tinspiration ne venait pas, etl'artiste, 
après beaucoup d'efforts infructueux, allait s'avouer vaincu, 
lorsque Mme Reynaud eut Theureuse idée de lui amener 
un des plus vieux amis de son mari, Ernest Legouvé. 

Nous emprunterons au charmant conteur de Soixante 
ans de souvenirs le récit de cette visite, qui sans doute nous 
a valu un chef-d'œuvre de plus. 

« J'arrive chez Chapu et je le trouve très découragé. 
« Je n'aboutis pas, me dit-il, je retombe toujours dans mes 
« deux statues de la Jeunesse et de la Pensée, Tenez, regar- 
tt dez... » Après un examen attentif : « Il y a, ce me 
u semble, un moyen d'arriver au but. — Lequel? — 
« Changez votre figure de sexe. Au lieu d'une femme, 
« faites-eu un homme. Au lieu de V Immortalitéy faites le 
« Génie de l'Immortalité, Cette seule modification renou- 
« velle tout, la forme, l'allure, l'expression; vous voilà for- 
ci cément arraché au souvenir de vos deux autres œuvres, 
tt et, du même coup, vous entrez pleinement dans le carac- 
«t tère de Reynaud. Reynaud était avant tout un homme! 
ti Une image virile peut seule être son image, et, ainsi com- 
« prise, cette figure deviendra en même temps la représen- 
«t tation fidèle de son génie... Voulez-vous que je vous le 
« résume en quelques mots? J'appelais Reynaud un citoyen 
" de rinfini. Il vivait en plein univers. La terre n'était pas 
«* pour lui le séjour où s'accomplit notre destinée. C'était 
ti une des étapes de notre existence éternelle! Autant 
u d'astres dans le ciel, autant de terres, autant d'habitations 
« successives des créatures humaines. Cette idée n'était pas 
« seulement chez lui une idée de théologien ou de philo- 
« sophe. C était une idée de savant. Astronome, géologue, 



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L'IMMORTALITÉ 
Premier projet pour le tombeau de Jean Reynaud. Cimetière du Père-Laehaifte. 



LA GLOIRE. 111 



tt physicien, chimiste et supérieur dans toutes ces sciences, 
a il s'en servit, non comme les savants ordinaires, pour en 
tirer des livres scientifiques, mais pour en faire des instru- 
« ments de croyance. C'est l'étude approfondie de la con- 
ft stitution des astres et de leur mouvement dans l'espace 
B qui le conduisit à les assimiler à la terre, à y retrouver les 
a mêmes éléments et à leur donner la même destination. 
« L'immortalité de l'âme, telle que la conçoit Reynaud, est 
" donc une immortalité active, militante. Tout homme est 
« un lutteur éternel. Toute vie se compose d'une suite de 
« vies qui ne sont qu'une suite de combats. Chacun de nous 
« passe éternellement de monde en monde, travaillant, 
«' tombant, se relevant, se rachetant, jusqu'au jour où il 
ii entre dans la voie du perfectionnement continu et infini, 
«i sous les yeux d'un créateur éternel qui, lui aussi, reste 
« toujours son guide, son consolateur et son juge. — 
u C'est assez, me dit Chapu, je comprends. Lancer la figure 
tt en plein ciel, la montrer s'emparant de l'Infini et la ratta- 
tt cher, ne fût-ce que par le bout du pied, à la. terre! » 
Ainsi fit-il, et il fit un chef-d'œuvre. 

Chef-d'œuvre! Le mot n'a rien d'exagéré, et par l'idée 
comme par la forme la nouvelle création de Chapu mérite 
(le prendre place parmi les plus belles œuvres sculptées de 
ce siècle. La figure est en haut relief, c'est-à-dire que, en 
restant sensiblement méplate, elle offre les apparences 
d'une statue de ronde bosse : le génie, dans une envolée 
superbe, s'élance dans le ciel. Mâle et juvénile à la fois, il 
s'enlève sans efforts, mû par quelque force surnaturelle, la 
tête relevée dans une radieuse extase, les bras tendus 
comme pour étreindre l'Infini. Il a déjà dépassé le cercle ud 



^ 



112 CHAPU. 

Zodiaque et nage en plein éther dans ce mystérieux Cosmos, 
où si souvent la philosophie a égaré ses rêveries, tandis 
que, sur la terre qu'il vient de quitter, se dresse à Thorizon 
un lion, impassible et fort comme le Temps. 

Il faudrait être sculpteur pour faire sentir comme il con- 
viendrait les beautés de Texécution, la science approfondie 
de la forme humaine, le modelé si large et si savant de ce 
beau corps d'éphèbe, l'habileté avec laquelle Tartiste, pour 
mieux indiquer ce que sa figure a d'immatériel, a su en 
noyer certains contours dans les draperies qui Tentourent 
et la fondre pour ainsi dire daus le bas-relief du fond. Ce 
qui est incomparable, ce que, seule, la contemplation de 
l'œuvre peut faire comprendre, c'est la façon dont Tidée 
se dégage sans aucun attribut symbohque et par le seul 
pouvoir d'une pensée qui s'impose. « Le Génie de l' Im- 
mortalité^ a dit un critique, est un hymne spîrituatiste; 
le personnage s'élève vers les hauteurs comme les stances 
sacrées ou les parfums de l'autel. Par là, Chapu a atteint 
les plus hauts sommets de son art. Il a écrit sur le tom- 
beau de Reynaud le plus simple et le plus lumineux com- 
mentaire de ses œuvres, et, en même temps qu'il lui a fait 
une magnifique apothéose, il a résumé, sous une forme 
concrète, tout ce que sa philosopliie a de noble et de récon- 
fortant. » 

Au même Salon, Chapu avait envoyé une statue de Le 
Verrier, qui, par suite de difficultés d'ordre administratif, 
ne devait être inaugurée que neuf ans plus tard. Debout, 
dans une attitude expressive, la main di'oite faisant le geste 
de la démonstration, le grand astronome semble expliquer 
la découverte qui fit sa gloire. L'œuvre est vivante, s'enlève 



LA GLOIRE. 113 



bien, et les lignes en sont heureuses. Un paletot, largement 
drapé, corrige dans la mesure du possible ce que l'uniforme 
académique, dont Fartiste a revêtu son modèle, peut avoir 
d'empesé et de peu sculptural, et la figure, d'une réalité 
toute moderne, ne manque pas d'allure. Chapu a su en 
relever l'intérêt par certains détails pittoresques, notamment 
par une délicieuse figurine d'Atlas qui supporte la sphère 
céleste oii Le Verrier désigne du doigt la planète qui doit 
porter son nom. On reprocha au sculpteur d'avoir trop 
idéalisé la figure de l'astronome et de lui avoir prêté une 
expression d'enthousiasme jeune et confiant qui lui conve- 
nait mal. N'ayant jamais, dans notre jeunesse, eu l'occa- 
sion de voir le savant directeur de l'Observatoire, nous ne 
saurions décider si le portrait est ressemblant; mais nous 
ferons observer que, à l'âge qu'a choisi Chapu, Le Verrier 
avait tout juste trente-cinq ans, et que la double auréole de 
la jeunesse et de la gloire pouvait transfigurer son visage 
au point d'en effacer tout ce qu'il présenta plus tard, à ce 
qu'il parait, de vulgaire et de refrogné. En tout cas, on 
n'y pouvait trouver, sans anachronisme, l'homme vieilli, 
fatigué et maussade que notre génération a pu connaître. 
La statue de Le Verrier dresse aujourd'hui dans la cour de 
l'Observatoire de Paris sa fière et vibrante silhouette. Sur 
les deux faces latérales du piédestal, Chapu a également 
sculpté dans la pierre deux gracieux bas-reliefs. Celui de 
gauche représente Y Astronomie traçant l'orbite de la pla- 
nète découverte par Le Verrier, avec la seule rigueur des 
calculs mathématiques; la seconde représente la Météoro- 
logie désignant de la main l'Observatoire d'où paitent 

toutes les découvertes. 

8 



114 



CHAPU. 



Un suprême honneur manquait encore à Chapu. L'Aca- 
démie, où il avait depuis longtemps de précieuses sympa- 
thies, n'attendait qu'une occasion pour hii ouvrir ses portes. 
Il s'était déjà présenté en 1876 (1), mais pour prendre rang 
seulement. La mort de Henri Lemaire créa en 1880 une 
nouvelle vacance. Cinq artistes de valeur se disputèrent 
son fauteuil : Crauck, Falguière, Millet, Schœnevrerk et 
Chapu. Chapu fut élu par vingt-trois voix sur trente-deux 
votants (23 octobre 1880). Il avait alors quarante-sept ans. 

(1) Paul Dubois fut élu avec vingt et une voix, contre six données à notre 
sculpteur. Ce n'était pas, du reste, la première fois que Chapu se présentait. Il avait 
posé sa candidature à la mort de Barye. 







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TETE DE MINERVE. 
Fronton de porte pour un hôtel particulier. 



CHAPITRE IV 



DERNIERES ANNEES DE CHAPU 



En lisant ce titre, le lecteur pourrait 
croire que nous touchons à une phase 
critique du talent de Chapu; il n'en est 
rien. Jusqu'au dernier jour il poursuivra 
sans défaillance sa laborieuse et féconde 
carrière, et les œuvres qu'il enfantera 
dans la suite, la Duchesse d'Orléans, 
la Princesse de Galles, Mgr de Bonne- 
chose, le Monument de Flaubert, etc., 
seront dignes de leurs aînées. Si nous 
avons fermé le chapitre précédent sur 
la réception de l'artiste à l'Institut 
c'est que son talent a reçu avec ce suprême honneur toutes 
les consécrations officielles que peut souhaiter un artiste. 
Il est désormais au point culminant de sa carrière, et les 
nombreux succès qu'il obtiendra par la suite ne feront que 
maintenir la haute réputation dont il jouit parmi ses con- 
temporains. 

Il est bien loin, aujourd'hui, le temps où l'artiste végétait 
dans un petit logement du boulevard des Invalides, heureux 
de la plus chétive commande. Trois ateliers suffisent à peine 




VICTOIRK. 



Statuette en argent. 






116 CHAPU. 

à loger les ouvrages qu'il a promis, et quand il les quitte, 
sa journée finie, c'est dans un bel appartement que 1 atten- 
dent une femme tendrement aimée et une fille adoptive sur 
qui se concentrent toutes ses tendresses. Dans toutes les 
classes de la société parisienne, il compte des amis nom- 
breux et puissants, et plus d'une maison princière lui ouvre 
ses portes toutes grandes. 

Il serait puéril de prétendre que Chapu u'a pas vu venir 
à lui avec une légitime satisfaction ces enviables marques 
d'estime ; toutefois, pendant les dernières années de sa vie, 
nous le voyons regretter la gloire un peu bruyante dont on 
entoure son nom. Homme d'étude et de pensée, que le 
mpnde et ses vaines satisfactions d'amour-propre n'ont j amais 
pu conquérir, Chapu aurait souhaité n'être en rapport avec 
le pubhc que par ses œuvres; il eût voulu vivre à Técart, 
loin de la foule, caresser en silence ses rêves d'artiste et, 
dégagé de toute influence, de toute préoccupation mercan- 
tile, pouvoir exécuter à loisir un certain nombre de statues 
à demi ébauchées dans son cerveau et dont l'idée première 
se retrouve dans ses albums de croquis. Quoique jeune 
encore, il se sent prématurément usé par une vie de travail 
sans trêve, et il aspire à un repos relatif. « J'ai été bâti pour 
conduire une charrue, et non pour les mille tracas de la 
ville », écrit-il à sa femme. Un peu plus tard, daus une 
lettre également adressée à sa femme, nous trouvons cette 
délicate pensée, qui peint bien l'homme : « C'est drôle, pen- 
dant que tu fais des rêves de grandeur, moi, c'est tout le 
contraire; je descends aussi bas que tu montes haut... je 
trouve que je n'ai plus la vigueur d'autrefois, que je vieillis 
et que je pourrais bien n'en avoir plus pour longtemps. Je 



DERNIERES ANNEES. 117 

me demande si, dans ces conditions, je ne ferais pas mieux 
de profiter du peu qui me reste pour aller me reposer 
dans une cabane et finir tranquillement mes jours à jouir 
de la vie en spectateur paisible... Si tu voulais m'accom- 
pagner dans cette retraite, je serais le plus heureux des 
hommes. » 

C'est à Rome que Tartiste voidait demander cette vie 
paisible et recueillie, à cette Rome qui avait bercé ses pre- 
miers rêves d'artiste et qu'il n'avait jamais revue depuis 
son départ de l'Académie. Plusieurs fois, il fut sur le point 
d'exécuter son projet; mais il fallait auparavant terminer 
les commandes « en train » . Quand celles-ci furent ache- 
vées, d'autres, plus nombreuses, avaient pris la place des 
premières. Force lui fut donc de renoncer à ses idées de 
retraite et de continuer la rude existence qu'il menait depuis 
sa jeunesse. Si encore il n'avait eu qu'à s'occuper de son 
métier de sculpteur ! Mais, avec la gloire, de nombreuses 
occupations lui étaient venues qui lui prenaient le meilleur 
de ses journées. Outre ses élèves particuliers, il avait accepté 
la direction d'un des ateliers Julian et d'une école de jeunes 
filles ; il faisait partie du Conseil supérieur des beaux-arts, 
de la Commission des beaux-arts de la ville de Paris et de 
celle de l'Union centrale des arts décoratifs. Chaque fois 
^ ([u'une élection avait lieu, soit pour le jury annuel, soit 

j pour juger un de ces mille concours si fort à la mode 

aujourd'hui, son nom sortait un des premiers de l'urne. 
Chapu, obéissant à des scrupules exagérés peut-être, n'osait 
refiiser ces corvées qu'il regardait comme un service public 
auquel nul n'avait droit de se soustraire. Il apportait dans 
ces fonctions sa conscience et sa bonté habituelles, et toute 

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I 



118 CHAPU. 

cause juste trouvait en lui un défenseur chaleureux et 
dévoué. Aussi que d'heures perdues en discussions, en sol- 
licitations, en démarches de toute nature! « Ma boutique 
ne désemplit pas, écrit-il un jour dans un moment d'amer- 
tume; je suis las de voir une foule de gens qui viennent se 
recommander ou recommander les autres. » Il ne veut pas 
cependant fermer sa porte, ému par toutes les misères 
qui l'implorent, et comprenant que si quelques-unes sont 
feintes, beaucoup sont réelles autant qu'imméritées. Ses 
lettres et aussi ses livres de comptes disent éloquemment 
l'inépuisable bonté de son cœur. Tantôt c'est un modèle 
devenu phtisique à la suite de longues séances dans le froid 
des atehers qu'il fera rapatrier, tantôt c'est un confrère 
que la maladie a terrassé et dont il achèvera l'œuvre pour 
lui permettre d'en toucher le prix. 

Puis, ce sont les anciens camarades de l'artiste, ceux 
« qui n'ont pas réussi », un défilé lamentable de talents 
avortés, d'amours-propres aigris, d'intelligences déprimées 
par la misère et qui sollicitent humblement, l'un, une place 
de professeur; l'autre, une modeste commande; le dernier, 
quelque bout de ruban violet. Qu'elles sont tristement 
suggestives, ces lettres où, sous la plate flagornerie du qué- 
mandeur s'adressant au « cher maître », perce l'âpre jalousie 
d'un ancien rival forcé de s'avouer vaincu! Quels curieux 
« dessous » elles révèlent sur ce monde si complexe des 
artistes! Ici, c'est un peintre ayant pignon sur rue et 
menant grand train, qui, malgré le haut prix où sont cotées 
ses œuvres, va supplier un ministre de lui acheter son 
tableau, décidé, dit-il, de se tuer si on ne lui accorde pas 
cette faveur. Là, c'est un ancien prix de Rome, décoré, à 



DERNIERES ANNEES. 119 

qui il faut du pain et qui offre à Chapu d'être son praticien. 
A côté de ces détresses, plus ou moins imméritées, d'autres 
se révèlent plus poignantes. Voici quelques détails sur la 
mort de Carpeaux : « X...,le praticien de Carpeaux, m'a 
raconté le dénuement des derniers jours, avant que le 
prince Stirbey le prenne sous sa protection. X... et un 
autre de ses amis avaient épuisé toutes leurs ressources ; ils 
n'avaient plus de quoi lui procurer les médicaments néces- 
saires. Encore quelques jours, et on était obligé de le porter 
à THôtel-Dieu. Les détails de cette fin sont lamentables, 
dramatiques comme un roman; tout avait été porté au 
Mont-de-Piété, habits, montre, outils. On n'imagine pas 
qu'un homme de cette valeur ait pu en venir là. » Quelques 
années plus tard, il parle en termes émus de Schœ- 
newerk (1), un artiste de valeur, cependant, et qui a taillé 
dans un marbre exquis une des plus gracieuses statues de 
femmes de ce temps, qui « est en proie à la plus noire 
misère avec une femme agonisante » . Le contraste de ces 
détresses avec sa prospérité qui n'a jamais été aussi grande 
ne lui enfle le cœur d'aucun orgueil. Il a conscience de son 
talent, mais il sait aussi faire la part de certains hasards 
heureux qui l'ont si puissamment aidé dans sa carrière : 
« Si je pouvais te peindre les souffrances du plus grand 
nombre, écrit-il encore à sa femme, tu éprouverais une 
sorte de bien-être en voyant combien je suis favorisé. Il 
faut profiter de ce bon moment qui peut ne pas durer. » Ce 

(1] Schœnewerk (Alexandre), sculpteur, né en 1820, mort en 1885, 8e tua dans 
un accès de fièvre chaude en se précipitant de la fenêtre de sa chambre. Il est 
l'auteur d'un grand nombre de belles œuvres, entre autres une Saloméy une Leda, 
et la gracieuse figure de femme intitulée : Au matin, qui figure au Musée du 
Luxembourg. 



lîO CHAPU. 

qui Teffraye le plus, c'est la crainte qu'il a de survivre à son 
talent : « J'ai été voir X. . ., raconte-t-il dans la même lettre. 
Il a exécuté une figure de femme d'après nature, assez 
correcte, mais faible, et un médaillon. CeJa fait de la peine 
de voir des vieillards n'ayant que d'aussi faibles moyens 
pour vivre, et j'en ai le cœur serré... Le pis est qu'ils ne 
s'en aperçoivent pas; sans cela, ils feraient autre chose. 11 
vaut mieux cultiver la terre ou faire n'importe quoi que de 
faire métier d'art sans amour. J'espère que je n'en arriverai 
jamais là, et c'est ce qui me soutiendra jusqu'à la fin. » 

Ce noble vœu, la mort se chargera de l'exaucer, en 
emportant l'artiste au seuil de la vieillesse, avant qu'aucune 
de ces facultés créatrices ait faibli. Au moment où il le 
formule, il vient d'avoir quarante-huit ans. Pendant dix ans 
encore, il lui sera donné de travailler sans relâche et 
d'ajouter plus d'un glorieux morceau de sculpture à la liste 
déjà longue de ses chefs-d'œuvre. II nous faut parler tout 
d'abord d'une œuvre aussi originale que peu connue, et qui 
nous montre un aspect tout nouveau de ce talent si souple 
et si varié. 

Vers 1875, Chapu fut mis en relation avec le baron 
Nathan! el de Rothschild, pour lequel un architecte français, 
M. Girette, construisait à Vienne un somptueux hôtel sur 
le Thercsianunigasse. A l'extrémité d'une terrasse longeant 
les corps de bâtiment de l'hôtel, le baron avait fait élever 
une fontaine monumentale dominant les jardins, de manière 
à être aperçue des fenêtres de l'habitation et à former point 
de vue de toutes les promenades du parc. La décoration de 
cette fontaine fut confiée à notre sculpteur, qui, secondé 
par son compatriote, y trouva l'occasion de nombreuses et 




AMPHITRITE. 
Esquisse pour la fontaine du baron N. de Rothschild, à Vienne. 



DERNIERES ANNEES. 



123 



charmantes compositions. L'ensemble du monument com- 
portait une vasque où l'eau arriverait de trois côtés diffé- 
rents. Au-dessus, une vaste niche avait été ménagée pour 
recevoir un motif sculptural. L'édifice était terminé par un 
fronton circulaire dans le- 
quel devait prendre place 
un bas-relief. Chapu ar- 
rêta de concert avec l'ar- 
chitecte la disposition 
générale de ce vaste en- 
semble et en exécuta les 
parties principales. Ces 
différents morceaux, d'un 
arrangement ingénieux , 
où l'artiste semble s'être 
souvenu de F élégante ma- 
nière de Clodion, ne por- 
tent pas la marque dis- 
tinctive du maître. Nous 
n'insisterons donc pas 
plus qu'il ne convient sur 
le bas-relief du fronton 
et sur les deux groupes 

d'enfants qu'il a placés à droite et à gauche de la vasque, 
se jouant avec d'énormes poissons qui vomissent des 
gerbes d'eau. En revanche, le vase monumental qui tout 
d'abord fut placé dans la niche est d'un art bien personnel 
et doit être rangé parmi les œuvres capitales du maître. 
Ce vase, qui par son architecture générale rappelle ceux 
des fabriques itaUennes du quinzième siècle, est de forme 




PROJET DE VASE. 



124 CHAPU. 

ovoïde. Ses anses sont formées par deux niascarons auxquels 
se relient des enroulements de serpents dont les spirales 
viennent affleurer Torifice largement évasé. Tout autour de 
la panse court une légère théorie de nymphes, de tritons et 
d'Amours faisant cortège à une radieuse figure d'Amphi- 
trite. De ce thème, banal en apparence, Chapu a tiré un 
bas-relief exquis. Aucune description ne saurait rendre la 
grâce onduleuse et libre avec laquelle les corps se contour- 
nent et s'enchevêtrent pour suivre, sans nuire à leur galbe, 
les contours fuyants du vase, ni exprimer le parfum de 
volupté discret qui émane de cette jolie composition. Le 
génie de l'artiste, heureux de n'être plus enfermé dans les 
limites d'un programme étroit, s'épanouit ici dans toute sa 
verve capricieuse. Il ne veut que charmer les yeux et y 
réussit merveilleusement. 

M. de Rothschild jugea-t-il que ce vase, qui primiti- 
vement devait être exécuté en pierre, ne se détache- 
rait pas suffisamment sur la façade du monument? En 
trouva-t-il les détails trop fins pour être bien appréciés à la 
place qu'il lui destinait tout d'abord? Toujours est-il qu'il 
renonça à son premier projet. Pour déférer à ses désirs, 
Chapu exécuta pour lui une Amphitrite qui, coulée en 
bronze, domine aujourd'hui la fontaine. Quant au vase, 
exécuté en marbre et isolé sur un piédestal, il prit place 
dans une autre partie du parc. 

Ces travaux semblent avoir été parmi ceux que Chapu 
exécuta avec le plus de plaisir. De tout temps, en effet, il 
avait eu pour les travaux décoratifs une prédilection mar- 
quée. Il estimait qu'au lieu d'enfermer l'art du sculpteur 
dans les limites étroites du portrait ou de l'allégorie, il 



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VASE DECORATIF 

(note! de M. ie Baron de Koihschi'd a Vienne } 






DERNIÈRES ANNEES. 1Î5 

fallait, au contraire, étendre son champ d'action jusqu'aux 
objets usuels. « Ne rêvez pas de trop grandes choses, disait- 
« il à ses élèves; un objet de petite importance, mais bien et 
« solidement exécuté, peut faire plus pour votre réputation 
« qu'une œuvre plus ambitieuse rendue d'une façon insuffi- 
« santé. Une petite monnaie grecque contient plus d'art que 
« le groupe du taureau de Dircé. » — « C'est par l'art déço- 
it ratif, disait-il encore, que le grand art se réveillera en 
« France. » D'accord avec ces théories, il saisissait toujours 
avec empressement les occasions qui lui étaient offertes 
d'exercer son talent sur des objets d'art décoratif. C'est 
ainsi qu'il avait, en 1877, modelé une médaille commémo- 
rative pour l'église du Sacré-Cœur; c'est ainsi que nous 
le verrons encore ciseler une poignée d'épée pour le duc 
d'Aumale et exécuter en collaboration avec Froment-Meu- 
rice une gracieuse composition, V Hyménée , qui, fondue en 
argent, fut offerte au comte de Paris à l'occasion de ses noces 
d'argent. Au nombre de ces menus travaux, il faut encore 
citer une Victoire qui devait être donnée au vainqueur du 
Grand Prix de Paris de 1885 (1), et un surtout de table 
offert au ducdeBragance, à l'occasion de son mariage avec 

(1) Cette charmante statuette représente une jeune Victoire ailée posée sur un 
rocher où elle vient de cueillir une branche de laurier qu'elle tient en l'air, éten- 
dant son bras vers le triomphateur. La fine tète couronnée de tresses naturelle- 
ment nouées sourit entre les ailes droites et frémissantes. Une draperie légère 
couvre les jambes de la divinité, laissant à nu le torse juvénile. Sur le piédes- 
tal sont des détails symboliques très heureusement conclus. C'est d'abord un 
Génie qui désigne l'inscription de la course gagnée : « Prix Gladiateur. 1885. m On 
aperçoit près de lui la borne antique que notre modernité a remplacée sur les hip- 
podromes par un poteau surmonté d'un disque; plus loin, une Hgurine couchée et 
appuyée sur une urne dont l'eau s'écoule : c'est la Seine. En arrière, une cou- 
ronne de laurier. Une grecque de lierre court sur la moulure supérieure du pié- 
destal; des canneaux et des oves en décorent la base. (Cette statuette appartient 
au baron de Rothschild, propriétaire de Lavaret, vainqueur du Grand Prix de 
Paris en 1885.) Illustration, 17 octobre 1885. 



1Î6 CHAPU. 

la princesse Amélie d'Orléans, qui est ainsi décrit dans un 
journal du temps : « Cette magnifique pièce d'orfèvrerie, due 
à la collaboration de MM. Chapu, Caméré, Frpment-Meurice 
et Aucoc, a la forme du vaisseau qui sert d'emblème à la 
ville de Paris et se compose d'une nef d'argent repoussé que 
soutiennent deux sirènes, la Seine et la Marne, nageant au 
milieu d'un vaste plateau d'argent, dallé de jaspe sanguin. » 

Les sculptures de l'hôtel Rothschild occupèrent Chapu 
jusqu'en 1882. Malgré l'importance de ce travail, qui 
l'obligea à de fréquents voyages à Vienne, il put, au cours 
de ces années, terminer plusieurs œuvres importantes, 
entre autres quatre statues décoratives, le Printewps, VEté, 
ï Automne et \ Hiver, pour la façade des nouveaux magasins 
du PrintempSy et une Fierge tenant dans ses bras l'Enfant 
Jésus, dont il fit hommage à l'humble église de son pays 
natal. Cette église possédait déjà sou Christ au tombeau et 
les modèles de deux statues. Saint Jean et Saint Louis de 
Gonzague^ qui lui avaient été commandées jadis pourl'éghse 
Saint-Étienné du Mont. Bientôt l'idée lui viendra de donner 
à son village une épreuve de chacun de ses ouvrages, et c'est 
ainsi que peu à peu se formera cet intéressant musée du 
Mée où se trouve réunie la collection à peu près complète 
des oeuvres du maître. 

De 1880 à 1883, Chapu exécutera également de nom- 
breux bustes, médailles ou médaillons, parmi lesquels il faut 
citer un portrait de Duc, où il a heureusement fait revivre 
l'intelligente figure de l'éminent architecte, dont les traits 
lui étaient depuis longtemps famiUers, et un médaillon de 
Mlle Massenety une des œuvres les plus parfaites qu'il fit 



DERNIERES ANNEES. HT 

dans ce genre. « Le médaillon en marbre envoyé par 
« M. Chapu, lisons-nous dans un journal du temps, repré- 
u sente , en traits presque aussi fins que s'ils étaient gravés 
« au burin, une tête de jeune fille vue de profil. C'est une 
« bluette ravissante de naïveté et de simplicité spirituelle. 
u Celui qui saurait doser exactement ce qui entre de goût 
« inné, de grâce, de délicatesse, de sérieux, de sincérité, de 
« respect de Tart, de dons naturels et de qualités acquises 
a dans la conception du médaillon exécuté par M. Chapu, 
«* aurait trouvé une recette d'après laquelle on pourrait 
« fabriquer des œuvres qui traverseraient le temps sans 
« rien perdre de leur frais et doux éclat. » 

Le nom de Chapu ne figure pas au livret de 1883. Il 
repaiiit au Salon de 1884 avec deux importantes statues 
décoratives que lui avaient commandées le duc d'Aumale, 
et qui devaient prendre place dans le parc de Chantilly. Ces 
deux figures, qui sont deux pendants, ou plutôt les deux 
parties d'une même composition, représentent Pluton et 
Proserpine. La fille de Cérès fait la cueillette des fleurs, 
tandis que le roi des enfers, caché dans les roseaux, guette 
sournoisement sa proie. Il ne faut pas juger trop sévère- 
ment ces figures, qui furent assez mal accueillies par la cri- 
tique, rendue exigeante par une longue suite d'œuvres sans 
défaut. Si nous accordons volontiers que le Pluton n'est 
qu'un assez passable morceau d'école, si nous reconnaissons 
même qu'il est quelque peu lourd et banal, il s'en faut de 
beaucoup que la Proserpine soit une œuvre insignifiante et 
sans intérêt. Sans doute, on sent que, pour obéir aux exi- 
gences de son sujet, Chapu a dû contraindre son talent a 
une emphase qui n'est pas dans son tempérament; sans 



1Î8 CHAPU. 

doute, ce style ronflant et un peu vide n'est pas celui que 
Chapu nous a appris à admirer dans la plupart de ses 
œuvres; mais cette redondance ne messied pas dans les 
somptueux parterres de Tancienne demeure des Condé, 
encore toute pleine des souvenirs du grand siècle. Tels 
qu'ils sont, Pluton et Proserpine ne font pas mauvaise figure 
au milieu des bosquets de verdure qui les encadrent; ils 
prouvent tout au moins l'incomparable virtuosité du maître. 
Quant aux détracteurs de la Proserpine, nous les engageons 
à regarder certaine Flore, éditée par Barbedienne, qui n'est 
qu'une répétition, légèrement modifiée, de la statue do 
Chantilly; ils y retrouveront toute la liberté d'allure, toute 
la grâce, toute l'originale délicatesse du maître. 

Ce léger insuccès fut largement compensé par les éloges 
unanimes qui accueillirent, l'année suivante, sa figure pour 
le tombeau de Mme la duchesse d'Orléans. 

Il n'entre pas dans le plan de cet ouvrage de raconter 
en détail l'histoire de cette charmante princesse Hélène 
qui, sans le fatal accident de Neuilly, eût sans doute été 
reine des Français. Peut-être, cependant, n'est-il pas inutile 
de rappeler que, chassée de France par la révolution de 
1848, la princesse finit ses jours dans l'exil, partageant 
sa vie entre la petite cour de Mecklembourg-Schwerin 
qui l'avait vue naître, et l'Angleterre, où sa présence consola 
les dernières années du vieux roi Louis-Philippe. C'est elle 
qui, en 1850, lui ferma les yeux; elle qui, quelques années 
plus tard, devait encore avoir la douleur de voir mourir 
entre ses bras une belle-sœur adorée. Elle n'avait guère plus 
de quarante ans quand elle mourut, en 1858, dans la modeste 
retraite qu'elle s'était choisie sur les bords de la Tamise. 



DERNIERES ANNEES. 129 

« Quel que soit l'exil où mes jours se terminent, avait 
a écrit la princesse dans son testament, et quelle que soit 
« la tombe que j'y trouve, je demande à mes fils, et à leur 
K défaut, à mes héritiers, de faire rapporter mes cendres 
« en France, lorsque notre famille y sera rentrée, et de les 
« faire déposer dans la chapelle mortuaire de Dreux, auprès 
« de la tombe de mon époux. »» Vingt ans devaient se passer 
avant que ce pieux désir fût exaucé. 

Aucun modèle ne convenait mieux au délicat et tendre 
génie de Chapu que cette noble figure de femme, dont la 
vie fut si pure, le caractère si droit, la fin si touchante. 
Aussi trouva-t-il dans son portrait l'occasion d'une de ses 
plus belles œuvres. Au lieu de chercher un symbole, une 
allégorie dont la poétique est toujours d'un développement 
plus facile, il s'en tint aux traditions de la sculpture fran- 
çaise du Moyen Age et de la Renaissance, et représenta la 
duchesse elle-même sur son lit de mort; seulement il ne 
voulut pas la représenter immobile et rigide : couchée sur 
un lit d'où son corps saillit avec un faible relief, la jeune 
femme vit encore. Son regarà à demi voilé a conservé toute 
sa douceur, et son visage s'éclaire d'un sourire défaillant. 
Vêtue d'une ample robe d'étoffe légère, elle est étendue, sa 
tête amaigrie penchée sur le bord d'un oreiller ; un de ses 
bras disparait à moitié dans les plis d'une draperie qu'elle 
ramène vers sa poitrine, tandis que l'autre est tendu en 
avant comme pour étreindre quelque image invisible. La 
mort n'a pas encore accompli son œuvre; c'est l'instant 
mystérieux où le corps donne encore quelques signes de vie, 
tandis que l'âme, dégagée des liens terrestres, va prendre 
son vol vers l'infini. Au seuil de l'éternité, la mourante 

9 



130 CHAPU. 

aperçoit, dans une radieuse vision, celui qu'elle n'a cessé 
de pleurer, et, enfin consolée, se hâte vers cette réunion 
si ardemment attendue. 

Telle est, je crois, Fexplication de ce mouvement un peu 
énigmatique qui, lorsque la statue parut au Salon de 1889, fit 
travailler bien des imaginations. Le corps de la princesse, 
morte dans la religion réformée, n'avait pas été déposé dans 
la chapelle même de Dreux, mais dans une sorte d'annexé, 
communiquant par une ouverture avec la chapelle princi- 
pale : quelques esprits malveillants virent dans le geste de 
la mourante une inconsciente épigramme de l'artiste à 
l'égard d'un clergé intolérant, tandis qu'un critique en prit 
texte pour un article fougueux dans lequel il confondait 
dans une égale indignation l'Église catholique et la famille 
d'Orléans. Laissons là ces niaises polémiques pour admirer 
comme il convient cette gracieuse effigie, une des plus 
pures et des plus séduisantes conceptions qui soient sorties 
du cerveau de l'artiste. On a encore reproché à Chapu ce 
bras qui, détaché du corps, fait que la figure s'enveloppe 
mal et laisse sous l'aisselle un vide qui choque l'œil. Peut- 
être, en effet, au point de vue des lois générales de la com- 
position, cette disposition est-elle condamnable; il n'en 
faut pas moins louer Chapu de s'être permis cette heureuse 
licence à laquelle sa statue doit le meilleur de son éloquence 
et de son charme imprévu. Ce que personne, en tout cas, ne 
peut nier, c'est l'admirable délicatesse avec laquelle le 
marbre est traité dans ses moindres détails, et mieux encore 
le sentiment de pénétrante mélancolie qui l'anime, le poé- 
tique arôme de noblesse honnête et de bonté qui se dégage 
de cette belle œuvre. 



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DERNIERES ANNEES. 



181 



« L'auteur de la JeunessCy écrivit un critique, à propos de 
cette délicieuse création, s'est fait une spécialité de la 
sculpture funéraire. L'idéal, quand on veut laisser une trace 
immortelle, consiste à être ensépulturé par M. Chapu. » Il 
semble, en effet, qu'aucun genre ne convienne mieux à la 
tendresse émue de son talent. Chapu y trouvera encore 
l'occasion de nombreux chefs-d'œuvre. Nous parlerons plus 
loin du monument de Mgr Dupanloup. Signalons en pas- 
sant deux morceaux moins connus , et qui cependant peu- 
vent compter parmi les meilleurs qu'il ait exécutés : l'un est 
la statue tombale de Mme la duchesse de Nemours y une 
superbe figure couchée, aux grandes lignes rigides, d'une 
éloquence simple et tragique; l'autre est un bas-relief pour 
le monument de Mlle Labiche, fille du sénateur de ce nom. 
Aucune expression ne saurait rendre le charme mystérieux 
et poignant dont il a illuminé les traits de la jeune morte 
qui repose sur son lit funèbre, au milieu d'une jonchée de 
lis. Ces deux figures, perdues aujourd'hui dans de lointains 
cimetières, ne furent pas exposées, et si l'on comprend 
facilement les raisons de convenance qui ont empêché 
Chapu de les offrir aux regards du public, il est permis, 
au nom de sa gloire, de le regretter. * 



En 1885, Chapu fut appelé à Copenhague par un riche 
Danois, M. Jacobsen, qui avait eu l'idée, assurément origi- 
nale, d'enrichir sa collection des portraits des deux filles de 
son roi, sculptés par des artistes en renom. C'est Chapu 
qui devait exécuter, en marbre, l'image de la princesse de 
Galles, tandis que son confrère Gautherin était chargé de 
reproduire les traits de l'impératrice de Russie. Le roi 



132 CHAPU. 

Christian, qui s'était prêté de bonne grâce à cette fantaisie 
d'un homme qu'il avait en haute estime, fit savoir aux 
deux sculpteurs que les princesses consentiraient à leur 
accorder quelques séances lors de leur prochain séjour à la 
cour de Danemark. Vers la fin de septembre, ils partirent 
donc tous deux, afin de se mettre à la disposition de leurs 
augustes modèles. Magnifiquement reçu par le Mécène 
danois, Chapu passa dans son pays plusieurs semaines. 
Laissons-le raconter lui-même ses impressions de voyage : 

a Après ime longue séance au musée Thorwaldsen, qui 
« m'a vivement intéressé, nous avons visité la ville; puis 
« nous avons fait une petite promenade dans le port, d'où 
« l'on aperçoit, dans le lointain, la côte de Suède... La 
« ville est grande et d'un assez bel aspect, dans le genre 
tt de Munich. Au centre, deux ou trois rues assez animées; 
« c'est le quartier commercial; puis plus rien, c'est la ville 
« de province propre et bien tenue, les intérieurs clos 
« par des doubles fenêtres entre lesquelles on abrite des 
« fleurs. Peu ou point de marchands de boissons; pas de 
« mendiants. Tout le monde est assez bien mis; pas d'ou- 
u vriers débraillés ou de mauvaise mine. En apparence 
Ci au moins, cela parait plus honnête que chez nous. Dans 
« la population, le blond clair domine; chez les jeunes 
« filles, beaucoup d'Ophéhes aux carnations fraîches, aux 
« longs cheveux d'or pâle flottant librement sur les épaules; 
a mais la véritable beauté me paraît rare. 

tt Beaucoup de monde à la promenade, population sans 
« physionomie particuhère, gens tranquilles et peu 
« bruyants, jouissant tranquillement de leur dimanche, 
« qui nous regardent passer avec curiosité... » 



DERNIERES ANNEES. 133 

Dès le lendemain de leur arrivée, les deux sculpteurs 
prennent le chemin de Frederiksborg, où se trouve réunie, 
dans une intimité patriarcale, toute la famille royale. 

« Le pays est plat, avec de g;rands horizons tristes, dont 
a la mélancolie n'est pas sans charme. Bonnes terres, bien 
a cultivées, où paissent de nombreux troupeaux de vaches 
tt rousses; petits villages aux maisons proprettes, aux murs 
« blanchis à la chaux; petits vallons boisés, belles forêts 
tt de hêtres. Tantôt le parcours est agrémenté de beaux 
a lacs aux bords verdoyants ; tantôt, à un détour du chemin, 
« un petit horizon de mer apparaît. Tout cela n'est pas la 
« grande nature, mais cela ne manque pas de charme ni 
« d'ime certaine poésie intime. On sent le Nord, la propreté 
« et le soin de Thabitation où le froid oblige à être long- 
« temps enfermé... Le château royal est des plus simples. 
•« Sans la garde militaire, on se croirait dans un ancien 
« manoir breton, du temps de Henri IV ou de Louis XIIL 
« Il est entouré d'un parc qui se termine sur les bords d'un 
« lac qui rappelle ceux de Suisse. » 

Chapu franchit le seuil de la demeure royale, « un peu 
« anxieux, dit-il, de l'accueil qu'on va lui faire » . Mais la 
simplicité charmante avec laquelle il est reçu a bientôt 
raison de sa timidité naturelle. « A notre arrivée, une dame 
« d'honneur est venue au-devant de nous pour nous ren- 
« seigner sur ce que nous devions faire. Ses premières 
u paroles ont été : « Messieurs, soyez les bienvenus en Dane- 
« mark. »» On nous a ensuite introduits dans un petit salon. 
« Pendant que nous disposions nos selles, les princesses 
a sont arrivées, bras dessus, bras dessous, attirées par la 
a curiosité. Elles sont ainsi toute la journée, heureuses 



i 



134 CHAPU. 

« d'être ensemble et de pouvoir parler et agir sans con- 
te trainte, comme au temps de leur jeunesse. A midi juste^ 
« elles sont venues poser, et nous avons pu travailler plus 
a d'une heure sans les ennuyer. Pendant la séance, nous 
a avons eu la visite de la Reine, du Roi, un bon vieillard 
« encore vert, et de l'empereur de Russie, qui ne cessait de 
« plaisanter gaiement avec mon modèle, la taquinant au 
a sujet de son nez, qui, sur mon esquisse, était trouvé un 
« peu long... » 

Tout le temps que les artistes travaillèrent, les princesses 
ne se départirent pas de cette charmante bonhomie. Chapu, 
dans ses lettres, se montre charmé de cet accueil si cordial, 
et c'est vraiment, en effet, un touchant spectacle que celui 
de cette vie si patriarcale et si simple, de ces grands de la 
terre oubliant avec délices le lourd fardeau du pouvoir 
pour n'être plus que les enfants affectueux et soumis d'un 
même père, des frères et des sœurs heureux de retrouver 
ensemble la douce intimité du foyer paternel. 

Les deux sculpteurs ne furent pas moins bien accueillis 
par la haute société de Copenhague. M. Jacobsen, qui les 
reçut magnifiquement, avait même fait armer son yacht de 
plaisance, espérant les décider à une excursion sur les côtes 
de Suède et de Norvège; mais Chapu, bien que séduit 
par cette proposition, ne crut pas devoir s'accorder ces 
quelques semaines de vacances. Il quitta le Danemark vers 
la fin de septembre. 

Il avait, en effet, en quittant Paris, laissé de nombreux 
travaux sur le chantier, et sa présence était nécessaire pour 
les mener à bonne fin. C'étaient : un buste du comte de 
Carayon-Latour, un buste de M. Zographos, un Saint Ger- 




CHRISTIAN GARNIER. 
Médaille, 1872. 



DERNIERES ANNEES. 13T 

mam pour le Panthéon, un médaillon colossal où il avait 
réuni les figfures amies des peintres Théodore Rousseau et 
Millet, et qui devait prendre place dans un coin de la forêt 
de Fontainebleau, chère aux deux artistes; enfin le moîiii'- 
ment funèbre de Mgr Dupanloup^ œuvre considérable, à 
laquelle il travaillait depuis longtemps, retardé par des diffi- 
cultés matérielles et les exigences d'un comité très divisé 
d'opinions, qui ne semble pas lui avoir laissé toute l'initia- 
tive qu'un artiste de sa valeur était en droit d'attendre (1). 

Chapu exposa, en 1887, la statue couchée de l'évéque 
d'Orléans^ ainsi qu'wiie des figures allégoriques qui devaient 
en décorer le soubassement ; mais ces deux fragments ne 
donnent qu'une idée insuffisante de l'œuvre, et c'est dans 
l'église métropolitaine d'Orléans qu'il faut aller la voir. 

Le monument, conçu dans le style florentin du quinzième 
siècle, et qui rappelle d'assez près certain tombeau de 
l'éghse Santa-Croce, à Florence, est eu forme d'autel. Il se 
compose d'une table d'autel, à laquelle on accède par deux 
marches et qui supporte une sorte de civière sur laquelle le 
corps du prélat mort est étendu : deux pilastres, décorés 
d'ornementations légères dans le goût de la Renaissance et 
couronnés d'urnes funéraires, encadrent le retable, qui se 
termine par un gable triangulaire, au sommet duquel est 
sculptée une croix grecque. 

(1) Les lettres reçues par Chnpn à ce sujet forment wn long et suggestif dossier. 
C'est à l'occasion du bas-relief qui décore l'autel que l'artiste eut à surmonter le 
plus d'embarras. Il devait, en effet, y représenter Tévèque entouré de ses amis et 
de ses élèves ; or chacun réclamait l'honneur de figurer dans ce tableau et préten- 
daity à la suite du grand prélat, passer à la postérité. Il fallut bien, en fin de 
compte, faire un choix ; mais, pour ménager les susceptibilités, on se décida, au 
dernier moment, à supprimer les inscriptions qui devaient indiquer les noms des 
personnages représentés 



138 CHAPU. 

Entre les pilastres, une vaste coquille se creuse dans le 
marbre, terminée par une arcade cintrée. Dans cette partie 
circulaire, au-dessus de la statue couchée de Févêque, un 
ange apparaît, tenant la bannière de Jeanne d'Arc. Sur les 
marches de Tautel, deux figures se tiennent debout : Tune, 
bardée de fer, dans une fière altitude de soldat, foule aux 
pieds le corps d'un dragon; l'autre est un vieillard vêtu 
d'une ample draperie, dans une attitude méditative, un 
livre à la main. Ces deux figures, qui ont reçu des appella- 
tions diverses, symbolisent heureusement les deux côtés les 
plus caractéristiques de la physionomie morale de l'évêque : 
sa profonde érudition théologique et son ardeur miUtante 
qu'aucune épreuve ne put abattre. 

Sur la face antérieure de l'autel, l'artiste a sculpté dans 
un bas-relief l'évêque, entouré de ceux qui ont travaillé, 
lutté, souffert avec lui et près de lui. Le prélat occupe le 
milieu de la scène. Derrière lui se dessinent ses pères et ses 
maîtres dans l'épiscopat : MM. de Quélen, de Rohan, Bor- 
deries ; puis les disciples qu'il a formés : le cardinal Lavi- 
gerie, le cardinal Place, le cardinal Langénieux, Mgr Fou- 
lon, archevêque de Lyon, Mgr Perraud, évêque d'Autun, 
Mgr Coullié, le Père de Ravignan, l'abbé Lagrange, et 
aussi ses amis et les compagnons de ses luttes : à droite, 
MM. de Montalembert, de Broglie, de Falloux, Lavedan et 
Berryer; à gauche, MM. Augustin Cochin, Albert du Boys 
et René de Menthon. 

Faut-il le dire? ce monument, d'une belle et majes- 
tueuse ordonnance, où Chapu a prodigué toutes les res- 
sources de son art, n'a pas complètement justifié notre 
attente, et il nous semble que la grande et caractéristique 



DERNIERES ANNEES. 139 

figure que fiit Mgr Dupanloup aurait pu mieux inspirer 
Tartiste. Adossé au mur d'une petite chapelle du transept, 
le monument manque de grandeur, et Tabondance des 
sculptures qui le décorent le fait paraître plus grêle encore. 
Les deux figures qui, sur le seuil de l'édifice, semblent 
veiller au repos du mort, sont d'une assez belle tournure ; 
mais sous leur emphase ronflante se cachent une certaine 
banalité de conception et une exécution qui manque d'un 
accent personnel ; elles ont, de plus, l'inconvénient de rape- 
tisser la figure de l'évêque, juchée à une assez grande hau- 
teur, et qui tout d'abord n'attire pas le regard. Prise isolé- 
ment, cette figure ne mérite que des éloges; la silhouette 
générale en est heureuse, et l'on ne peut qu'admirer cette 
tête énergique et austère, et ce regard éteint qui garde sa 
puissance sous les arcades enfoncées de ses épais sourcils; 
mais, encore une fois, était-ce bien là l'effigie qui convenait 
au belliqueux prélat que n'effrayait aucune foudre, ni spi- 
rituelle ni temporelle, et dont plus d'un demi-siècle de luttes 
n'avait pu abattre la verdeur d'esprit et l'humeur comba- 
tive? Longtemps, — nous en avons eu la preuve par ses cro- 
quis, — l'artiste avait rêvé une autre image. Au lieu de ce 
prince de l'Église dormant paisiblement son dernier som- 
meil, il voulait nous montrer l'évêque d'Orléans déjà ter- 
rassé par la maladie, mais se relevant à demi dans un 
suprême effort (1). Cette attitude, en même temps qu'elle 
eût mieux convenu à l'homme d'action qu'était avant tout 
Mgr Dupanloup, eût permis à l'artiste de donner au visage de 



(1) GKapu avait également songé à montrer l*évêqae debout; il dut y renoncer, 
un usage généralement suivi voulant que, dans une église , les images divines et 
celles des saints soient seules représentées dans cette attitude. 



l 



1*0 CHAPU. 

Tévéque ce regard perçant et scrotateur, ce nez mobile, en 
bec daigle^ qui semble flairer de loin le combat, cet aspect 
complexe, mêlé de malice et de bonhomie, en un mot ces 
mille nuances de physionomie que le grand apaisement de 
la mort abolit à jamais. 

L'exécution des paities accessoires de Tomementation 
ne nous satisfait pas non plus pleinement. Nous n*y retrou- 
vons pas la grande et sobre facture du maître, mais une 
dextérité un peu mesquine, qui semble le privilège des 
altistes italiens de ce temps. 

En quittant Orléans, il n'est pas sans intérêt d'aller à 
Saint-Brieuc et à Rouen, visiter les deux statues qui furent 
demandées à Chapu, vei*s la même époque, pour honorer 
la mémoire de Mgr David (1) et de Mgr de Bonnechose (2). 
Moins considérables que celui de Tévêque d'Orléans, ces 
monuments nous semblent avoir mieux inspiré Tartiste en 
laissant plus de liberté à son imagination. L'évêque de 
Saint-Brieuc, prêtre modeste et bon, qui toute sa vie donna 
l'exemple des vertus chrétiennes^ mais dont la renommée, 
en somme, ne dépassa pas son diocèse, ne pouvait pré- 
tendre à la même apothéose que le cardinal archevêque de 
Rouen, fils d'une race illustre, homme de pensée sans 
doute, mais homme d'action avant tout, qui se vantait « de 
faire marcher son clergé comme un régiment n . Pour 



(1} Mgr DaviJ, cvèque de Saint-Brieuc et Tréguier, né à Lvon le 28 mars 18IÎ, 
mort le 26 juillet 1882. 

(2) H enri-Gaston-Marie Boisnormand de Bonnechose, prélat français, né en 1800, 
fut d'abord magistrat. Peu de temps après son entrée dans les ordres, il devint 
supérieur de la communauté de Saint-Louis, à Rome. Nommé successivement 
cvéque d'Êvrcux et archevêque de Rouen, il se Ht remarquer par ses vives protes- 
tations en faveur du pouvoir temporel du Pape. !Nommé cardinal en 1863, il 
mourut en 1883 



DERNIERES ANNEES. i4l 

chacun d'eux, Chapu a su choisir la note juste : c'est dans 
Tattitude famiUère d'un pasteur enseignant la Bonne Parole 
qu'il représentera Mgr David, assis, un cahier ouvert sur 
ses genoux, tandis que, pour le monument de Mgr de Bon- 
nechose,. il ne craindra pas une certaine ampleur somp- 
tueuse de style et s'attachera au bel aspect plastique, en 
s'inspirant des grandes œuvres décoratives du quinzième 
siècle. Un peu d'emphase ici ne messied pas, et l'on ne peut 
qu'admirer sans réserve cette magnifique image du prélat, 
traînant derrière lui le long flot de son manteau de car- 
dinal, tt Cette statue est un chef-d'œuvre, a écrit M. Lafe- 
tt nestre : un chef-d'œuvre psychologique si l'on examine 
« la tête, ferme, énergique et vive, avec ce clignement 
« d'yeux et ce plissement des lèvres, d'une expression si 
« particulièrement hautaine et fine; c'est un chef-d'œuvre 
Cl sculptural si l'on remarque l'extraordinaire aisance, sans 
« nulle emphase ni redondance, avec laquelle le person- 
u nage porte, tout prêt à se mouvoir, la lourde masse de 
u ses vêtements et l'adresse avec laquelle, sans mesqui- 
« nerie, toutes ces draperies sont jetées, superposées, 
« fi'oissées suivant la nature du tissu, si l'on observe aussi 
« avec quel sentiment décoratif sont posés sous les genoux 
a de l'archevêque son chapeau de cardinal et, à son côté, 
« sa longue crosse en argent doré. Il y a là une habileté à 
a manier et à faire sentir les différentes matières qui 
« dépasse de beaucoup toutes les habiletés itaUennes, 
« parce que c'est une habileté plus sérieuse et plus dis- 
a crête, et toujours rigoureusement soumise à la pré- 
« occupation dominante et supérieure de l'unité sculptu- 
« raie et de la haute expression morale. » 



142 CHAPU. 

Le monument de Mgr David fiit achevé en 1890; quant à 
celui du cardinal de Bonnechose, il ne devait paraître aux 
yeux du public quau Salon de 1891, quelques semaines 
après la mort de Tartiste. Revenons donc un peu en arrière 
et continuons de suivre pas à pas, à l'aide de sa corres- 
pondance, la vie du grand sculpteur. Elle est, comme par 
le passé, tout unie et toute simple, et les amateurs d'anec- 
dotes scabreuses et d'aventures romanesques n'y trouve- 
ront rien qui satisfasse leur curiosité. Bien que sa personne, 
comme son talent, lui ait conquis d'universelles sympathies; 
bien que chaque matin son courrier lui apporte de nom- 
bj-euses invitations, les unes timbrées au sceau de la Prési- 
dence, les autres ornées de royales armoiries, il continue 
de vivre à l'écart. Cet ouvrier de génie mène la vie labo- 
rieuse et monotone d'un ouvrier. Levé de grand matin, il 
arrive presque toujours le premier à l'atelier; un repas 
frugal coupe seul, d'une heure de repos, son labeur quoti- 
dien qui se prolonge jusqu'à la chute du jour. Les soirées, 
à moins d'obligations absolues, il les passe dans l'intimité 
du foyer conjugal, à lire ou à crayonner en attendant un 
sommeil qui ne se fait pas attendre. Été comme hiver, il 
mène cette rude existence, prenant seulement pendant la 
belle saison quelques semaines de repos, qu'il va passer 
auprès des siens soit aux plages normandes, soit dans 
quelque station des Pyrénées. S'il fait quelquefois de plus 
lointains voyages, c'est dans l'intérêt de son art; c'est pour 
aller, par exemple, à Seravezza près de Carrare, choisir un 
bloc de marbre ou surveiller les praticiens qui préparent 
ses statues; mais ces absences sont presque toujours de 
courte durée et constituent pour lui une fatigue plutôt 



DERNIERES ANNEES. 



143 



qu'un repos. Il est Tesclave de sa gloire, et, malgré le 
besoin qu'il en éprouve, il ne peut laisser aucun relâche à 
son esprit surmené par une incessante production. Pour la 
première fois, en 1883, il secouera le joug et ira revoir à 
Rome le modeste atelier où s'est écoulée sa jeunesse. 
L'aspect nouveau de la grande cité, transformée en capitale 
moderne, le désenchantera quelque peu, mais il retrouvera 
son enthousiasme et ses fraîches impressions d'antan devant 
les fresques de la chapelle Sixtine et les sculptures du 
Vatican. Cette rapide excursion faite en compagnie de sa 
femme semble avoir rajeuni son imagination. L'album qu'il 
a rapporté de son voyage est plein de croquis d'une grâce 
originale et neuve où la pureté du goût antique se combine 
avec je ne sais quelle fantaisie moderne d'une piquante 
saveur. Il est permis de croire que, sans la mort préma- 
turée du grand sculpteur, plus d'une jolie statue serait née 
de ces esquisses. 

C'est probablement à la suite de ce voyage qu'il arrêta 
la composition de sa première Danseuse, une charmante 
figure qui, dans le vestibule de l'hôtel Pereire, fait face à 
une œuvre analogue du sculpteur Schœnewerk. Enve- 
loppée dans les mille plis d'une draperie transparente qui 
permet de suivre les molles ondulations de son jeune corps, 
la tête couronnée de roses, elle semble mimer quelque 
danse sacrée d'Orient, au rythme voluptueux et lent. Il y a 
là un mélange heureux de deux idéals. Le style dans lequel 
est conçue la légère draperie qui épouse les formes de son 
corps vient directement de l'antique, tandis que l'élégante 
gracihté des formes, la finesse des extrémités et la grâce 
mutine du visage lui donnent un caractère plus moderne. 



144 CHAPU. 

Cette délicieuse image inspira à un des plus fins amateurs 
de ce temps, M. le baron de Rothschild, le désir d'en pos- 
séder une semblable. Chapu, en s'inspirant de sa première 
statue, sans lui rien emprunter toutefois que Id sentiment 
général, exécuta une seconde danseuse qui fut exposée au 
Salon de 1890. Nous ne saurions en donner une meilleure 
description que cette page de M. Lafenestre : « Si quelque 
a chose, dit Féminent critique, pouvait nous rappeler les 
« gracieuses figures de Tanagra, avec leur âme divine, 
« avec la grâce naturelle et saine de leurs beaux corps, 
« avec la bienveillance paisible et douce de leurs frais 
« visages, avec le balancement nonchalant et souple de 
« leurs attitudes harmonieuses, ce serait plutôt la Danseuse 
u de M. Chapu. Ce n'est pas qu'il soit plus insensible que 
« ses confrères aux séductions de la nature vivante, ni 
« qu'il s'enferme dans la contemplation d'un idéal depuis 
« longtemps réahsé. Il suffit de regarder cette danseuse 
« pour constater chez elle, dans Fair fin, sinon coquet de 
« la petite tête, soit dans la façon de poser les pieds, soit 
« dans la manière d'ouvrir à la hauteur de sa tète et 
« d'agiter l'éventail, comme dans la forme même de cet 
tt éventail, toutes sortes de traits pris sm* le vif et d'une 
tt réalité toute fraîche. Ainsi, sans nul doute, les céramistes 
a de l'Hellade saisissaient, chez les belles promeneuses, 
a certains traits caractéristiques qui leur suffisaient pour 
i< donner de la vie à leurs figurines sommaires, moins 
« copiées que rêvées. C'est avec cette même aisance que 
«t M. Chapu semble transposer, par un travail d'imagina- 
« tion saine et bien cultivée, tous les éléments que peuvent 
tt lui fournir ses modèles, en sorte que cette jeune dan- 




DANSEUSE 
Udtel Pereire. 



DERNIERES ANNEES. 145 

« seuse, antique par le costume et par la pureté ferme de 
« la forme, moderne par la vérité du geste et la grâce de 
« l'expression, nous conduit doucement vers le rêve et 
« l'idéal par la sensation juste et nette de la réalité. » 

Que dire du groupe en marbre des Frères Galigniani (1), 
que Chapu exposa au Salon de 1888? Faut-il seulement, 
avec la plupart des critiques, louer Tartiste d'avoir tiré le 
meilleur parti possible d'un sujet ingrat et peu sculptural? 
L'œuvre, à notre avis, mérite mieux que ce chétif éloge. 
Il y avait une redoutable difficulté à vaincre dans ce 
groupe, qui devait représenter, vêtus de leur redingote 
traditionnelle, deux philanthropes d'origine anglaise dont la 
vie avait été un touchant exemple d'amitié fraternelle et 



(1) Antoine et William Galigniani, éditeurs français, nés à Londres, le premier 
en 1796, le second en 1798, fondèrent à Paris un journal anglais, le Galigniani s 
Messenger; le succès de ce journal leur valut une fortune considérable, dont ils 
Hrent toujours le plus charitable usage, Â leur mort, ils en partagèrent la plus 
grande partie entre différents établissements de bienfaisance. 

A propos du monument des frères Galigniani, Chapu écrit à un de ses amis la 
lettre suivante, que nous jugeons intéressante à reproduire : 

« ... Tu me demandes si je préfère le marbre au bronze? En principe, oui, je le 

■ trouve plus monumental, plus digne, mieux assis sur le sol. On a fait abus du 
a bronze, et il est maintenant de mauvaise qualité, rempli d'alliage de zinc; il 
u devient d'un ton noir désagréable, comme les vieilles bottes qui ont longtemps 
« séjourné sous Teau. Le métal des Keller ne se fait plus... De plus, il faut au 
« bronze un cadre qui le détache en silhouette, et généralement il se perd sur des 
« fonds troués ou bariolés. 

« L'ombre blanche de la statue de marbre, qui se dresse comme un menhir sur 
« notre horizon gris, me parait plus poétique et plus digne. Pour ce qui est de sa 
« durée, en regardant dans le passé, c'est encore le marbre qui a le mieux résisté. 

• Taillé, il n'a plus aucune valeur; on ne peut en faire que de la chaux. Il est dif- 
« ficile à remuer et déconcerte toujours une malveillance momentanée, tandis 

■ qu'un coup de pince peut jeter à bas un monument de bronze, et un seul homme 
u y suffit. La matière a en outre une valeur intrinsèque... c'est pourquoi il ne nous 
« reste que de rares morceaux en bronze de l'antiquité ou de la Renaissance. Les 
« dieux mêmes ont été transformés en robinets... 

« On pourrait s'étendre longuement sur ce sujet. En tout cas, j'affirme qu'un 
« marbre exposé à l'air peut durer deux ou trois cents ans. Si on peut Tabriter^ sa 

• durée est illimitée... » 

10 



1 



146 CHAPU. 

d'inépuisable charité, deux gentlemen pleins de respecta- 
bilité, dont la figure débonnaire et les vertus bourgeoises 
étaient plutôt pour tenter la plume d'un Dickens que le 
ciseau d'un Chapu. En traitant le sujet d'une main trop 
familière, on risquait de verser dans le trivial, et, d'autre 
part, l'emphase eût pu paraître une ironie. Chapu sut 
éviter ces deux écueils à force de sincérité intelhgente et de 
bonhomie. Il avait tout d'abord proposé à la ville de Cor- 
beil, qui faisait les frais du monument, un premier projet 
dans lequel les deux frères étaient assis côte à côte sur un 
banc de pierre à large dossier, discutant le plan d'un éta- 
blissement de bienfaisance dont ils devaient doter le pays. 
Adossé à la façade de ce monument, ou se détachant sur la 
verdure de quelque square, ce groupe eût parfaitement con- 
venu aux discrètes vertus de ceux qui l'avaient inspiré; il 
n'eut cependant pas le don de plaire au comité local, qui y 
Vit toutes sortes d'intentions, bien loin assurément de la 
pensée de l'artiste : a M. Antoine, est-il dit dans le rap- 
« port qui fut envoyé à Chapu à cette occasion, semble 
« demander impérativement à son frère l'approbation du 
« plan, et celui-ci, étendant la main droite en Tair, parait 
« effrayé du sacrifice qu'on lui impose... Il serait fâcheux 
« que cette pose pût être interprétée de cette façon; ce 
« serait jeter dans le public une défaveur sur l'un des deux 
« frères, lesquels cependant étaient si réellement et si 
a parfaitement unis pour faire le bien. » 

Si nous relatons ce détail, ces puériles controverses, c'est 
pour montrer une fois de plus combien l'initiative des 
artistes est maladroitement enchaînée dans l'exécution de 
tels ouvrages, et combien leur talent doit être doublé de 



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LES FRERES GALIGNIAM 

Premier projet pour le monument Je Corbcil. 



DERNIÈRES ANNÉES. 147 

patience pour arriver à un résultat favorable. Quoi qu'il en 
soit, notre sculpteur déféra une fois de plus aux critiques 
qui lui étaient faites et fit une seconde esquisse qui fut 
acceptée. Dans ce projet, William et Antoine Gali(][niani 
sont placés Fun près de l'autre en des attitudes familières 
qui indiquent à la fois leurs habitudes de collaboration 
intellectuelle et leurs rapports de confiante affection. L'un 
d'eux, assis sur un fauteuil, près duquel est empilée une 
collection du Galigniams Messenger, tient un plan déployé 
sur ses genoux, et relevant la tête vers son frère, debout, à 
sa gauche, semble l'interroger. Celui-ci, appuyé sur le bras 
du fauteuil, une main dans la poche de son pantalon, se 
penche d'un air bienveillant pour approuver. L'artiste a 
pris bravement le parti de représenter ses personnages 
tels qu'ils étaient, sans atténuer en rien les laideurs de 
leurs vêtements modernes. Nous pourrions profiter de 
l'occasion pour rééditer les habituelles doléances des cri- 
tiques sur la disgrâce de nos ajustements masculins, dis- 
grâce qui, depuis David (1), a fait le désespoir de tant de 
sculpteurs. Mais à cela que faire ? Et ne vaut-il pas mieux, 
en somme, qu'un homme de ce temps apparaisse à ses 
arrière-neveux avec ce vêtement ridicule, que drapé dans 

(1) David (d'Angers) avait l'horreur du costume moderne, et souvent il déplore 
l'obligation où sont quelquefois les sculpteurs d'avoir à tailler dans le marbre des 
habits et des bottes. Chaque fois qu'il le pouvait, d'ailleurs, il esquivait la diffi- 
culté, soit en ayant recours aux draperies d'un manteau, soit en représentant ses 
héros nus : « L'avenir n*a pas besoin de nos costumes ridicules... Les savants, les 
poètes, les artistes et les orateurs peuvent être représentés par le statuaire nus et 
drapés. Un accessoire habilement choisi, en indiquant ce qui particularise le per- 
sonnage, permet de désigner l'époque à laquelle il a vécu. » Cette théorie, explicable 
chez un artiste qui avait vu le jour aux premiers temps de ce siècle, alors que 
tout était «à la romaine « , est partagée par un certain nombre de critiques, notam- 
ment par Alfred de Musset, qui dit dans son Saion de 1836 : » Il m'est impossible 
de comprendre le vêtement moderne en sculpture. » 



148 CHAPU. 

une toge romaine, ou dans la demi-nudité d'un personnage 
héroïque? Les célébrités contemporaines que l'on a ainsi 
accoutrées ont toujours fait piètre mine, et, quoi qu'en ait 
dit David d'Angers, il vaut mieux aborder franchement une 
difBculté qui — Chapu Ta prouvé — n'est pas insurmon- 
table. Ayons le courage de nous montrer avec nos vête- 
ments modernes, a dit avec beaucoup de bon sens un 
critique, puisque nous n'avons pas le courage d'en chan- 
ger... La postérité sera peut-être plus indulgente pour 
nous que nous ne le sommes nous-mêmes, et nos descen- 
dants trouveront certainement un attrait pour leur curiosité 
historique dans ces ajustements, si singuliers qu'ils puissent 
être, comme nous en trouvons nous-mêmes un très vif dans 
l'exactitude de certains costumes bizarres du moyen âge ou 
du dix-septième siècle qui n'étaient pas, après tout, ni 
mieux adaptés que les nôtres à la forme du corps, ni plus 
soumis à ses mouvements, ni plus expressifs dans leur 
froide rigidité ou dans leur hypocrite luxuriance. 

L'année suivante (1889), Chapu fut appelé à la prési- 
dence de l'Académie des beaux-arts. Ces déUcates fonctions 
ne laissaient pas d'effrayer sa modestie; il les remplit tou- 
tefois à la satisfaction générale, et, dans les nombreuses 
occasions où il fut appelé à prendre la parole, il trouva 
dans son cœur des accents émus et simples, plus près sou- 
vent de l'éloquence que de la banale phraséologie officielle. 
Cette lourde charge qui lui incombait l'empêcha de prendre 
à l'Exposition universelle une part aussi active qu'il eût 
souhaité. II contribua cependant à la décoration du Palais 
des machines par un groupe colossal, la Vapeur, que l'on 
peut ranger parmi ses meilleurs ouvrages. La grande Force 



DERNIÈRES ANNÉES. U9 



moderne est représentée par une femme qui, dans un 
mouvement d'une grâce adorable, va prendre son envolée 
vers le ciel, quand un robuste ouvrier l'étreint de ses bras 
vigoureux; ingénieuse conception où se retrouve, comme 
dans d'autres œuvres de l'artiste, un heureux mélange de 
grâce antique et de pittoresque moderne. 

On peut voir encore aujourd'hui la Vapeur y qui fait pen- 
dant à un groupe de Barrias, Y Electricité ; il est regrettable 
toutefois que l'État, poussé par des raisons d'économie, 
n'ait pas cru devoir reproduire ces œuvres dans une 
matière plus durable, car l'enduit de sihcate dont on les a 
revêtues, appliqué prématurément sur le plâtre, se détache 
peu à peu en croûtes épaisses, et il est à craindre que d'ici 
peu ces deux belles œuvres ne soient irrémédiablement 
compromises. Dans la section de sculpture, Cliapu avait 
envoyé la statue du jeuue Desmarres, ime Peinture, des- 
tinée au musée Galliera, et plusieurs bustes, entre autres 
celui du président Carnot, que de nombreuses épreuves en 
biscuit de Sèvres ont popularisé, et où il a très heureuse- 
ment rendu, dans sa correction un peu gourmée, la figure 
impassible et réguhère du chef de l'État. Il était en même 
temps représenté au Salon des Champs-Elysées par une 
figure en haut relief, Y Espérance , pour le tombeau du 
comte Tyszkiewicz. C'est une femme au regard mélanco- 
lique et grave, assise sur un rocher contre lequel se brise 
la mer; de la main droite elle montre le ciel, tandis 
que de la gauche elle se retient au rocher. Ou retrouve 
dans cette figure ses qualités habituelles d'élégance et 
de pureté classiques, et s'il est permis de regretter que des 
draperies, un peu lourdes peut-être, voilent trop discrète- 



150 CHAPU. 

ment le r^'thme majestueux de ce beau corps de femme, on 
ne peut qu'admirer l'impression de tristesse résignée et . 
sereine qiii se dégage de l'œuvre. 

Heureux le mortel qui, touchant aux noirs confins de la 
vie, lègue à ses enfants une bonne renommée, le plus pré- 
cieux de tous les biens! Nous trouvons cette mélanco- 
lique pensée notée sur un des albums de Ghapu pendant 
Tannée 1890. Sans doute, il Ta transcrite pendant un de 
ces longs jours d'hiver où la maladie l'a cloué dans son lit. 
Sa santé, en effet, a subi une assez grave atteinte, et pen- 
dant plusieurs semaines il a dû vivre éloigné de ses chers 
ateliers. Malgré sa vigueur déclinante, il trouvera la force 
de mener à bien différents travaux depuis longtemps com- 
mencés, et cette année ne sera pas moins féconde que les 
précédentes. C'est pendant ces longs mois d'hiver qu'il 
achèvera son fronton de la nouvelle Sorbonne , une statue 
de saint Germain pour le Panthéon, un bas-relief en 
bronze pour le tombeau d'une grande dame américaine au 
Père-Lachaise, et le tombeau de Mlle Labiche, cette char- 
mante création dont nous avons déjà parlé et qu'on regrette 
de voir perdue dans un modeste cimetière de campagne. 
En même temps qu'il esquissera cent projets divers pour le 
monument de Félicien David, pour la statue de Balzac et 
celle de Millet, il trouvera encore le temps d'achever les 
bustes de MM. Zographos, de Gharton, de Thiers, de Der- 
villé et de son vieux camarade Daumet, et aussi la médaille 
de M. Bapterosses, sa dernière œuvre, croyons-nous, dans 
ce genre. 

A peine convalescent, il ne craint pas d'aller braver, 



DERNIÈRES ANNEES. 151 

dès le printemps, le rude climat de Seravezza, où il veut 
terminer le monument de Flaubert que ses praticiens ont 
été ébaucher sur place. Il y demeure plusieurs semaines, 
travaillant avec l'entrain de ses premières années, fai- 
sant des « séances de six heures » et ne s' arrêtant qu'à 
la nuit, si fatigué qu'il s'endort au milieu de son repas. Le 
bruit de son séjour en Italie est venu jusqu'à Lucques, dans 
la paisible retraite du comte de Nieuwerkerke qui, jadis, a 
protégé les débuts de l'artiste. Malgré ses quatre-vingts 
ans, l'ancien surintendant des Beaux-Arts vient visiter 
Ghapu. Notre sculpteur se montre tout confus de cet hon- 
neur et admire la bonne grâce et l'intelligence alerte de 
ce superbe vieillard, qui lui donne, au sujet de Flaubert 
qu'il a personnellement connu, de précieuses indications. 
Chapu n'a pas encore terminé sa besogne que des 
lettres pressantes le rappellent à Paris; mais sa lassitude 
est telle qu'il croit devoir prendre une semaine de vacances. 
Le duc d'Aumale l'a plusieurs fois invité à venir le voir 
en Sicile; notre sculpteur profitera de l'occasion, et, 
au lieu de retourner à Paris, se rendra directement à 
Naples pour, de là, gagner Palerme. Le voilà en chemin 
de fer, notant, suivant son habitude, ses moindres impres- 
sions : « Le soleil baisse, éclairant les montagnes à l'horizon; 
« je reconnais l'Étrurie et cette campagne romaine que j'ai 
« si souvent battue autrefois... Comme c'est loin! n II ne 
fait que traverser Rome et arrive à Naples, où les impres- 
sions de sa jeunesse lui reviennent en foule avec les souve- 
nirs de ses excursions joyeuses à Capri et au Vésuve, en 
compagnie de Gaillard, de Bizet, de tant d'autres qui ne 
sont plus. Rien de changé d'ailleurs. « G'est toujours la 



152 CHAPU. 

u même ville, gaie, bruyante et sale; c'est toujom-s devant 
» le quai le même splendide panorama. » Mais le vapeur 
qui doit le transporter en Sicile est déjà sous pression. Il 
n'a que le temps de faire au Musée un court pèlerinage. 
Le lendemain, après une traversée de douze heures, 
Palerme lui apparaît au milieu des bi*umes du matin, bien 
encadrée par des montagnes d'une belle silhouette, dans un 
décor qui sent l'approche de l'Orient. 




LA CAMPAGNE ROMAIKE. 



La réception que lui fait le prince l'enchante : « Nous avons 
fait le tour du parc, c'est un véritable paradis; d'immenses 
bois de citronniers et d'orangers couverts de fruits, la plus 
belle végétation rassemblée dans un nid de verdure... La 
laiterie est surmontée d'un belvédère d'où l'on a une vue 
splendide sur toute la campagne; les clôtures sont faites 
d'épais massifs de rosiers aux fleurs d'un pourpre sombre. » 

« ...Hier, nous avons visité Agrigeote. Le chemin de fer 
« nous a conduits à la côte sud de l'île, celle qui est la plus 
« rapprochée de la côte d'Afrique. L'intérieur de l'île est 



DERNIERES ANNEES. 153 

u montueux, pas très élevé; les montagnes sont arides; 
« quelques villages perchés sur ces sommets pierreux et 
« groupés déjà à la manière de FOrient... Sur une émi- 
« nence qui domine la mer, une ligne de temples se des- 
« sine; deux sont encore debout; les autres ont été ren- 
*« versés par les tremblements de terre; colonnes et 
« chapiteaux gisent disjoints et ruinés sur le sol. Nous 
« avisons le mieux conservé, le temple de la Concorde, et, 
« après l'avoir visité, nous déjeunons dans Tombre d'un 
« mur, ayant devant les yeux un panorama superbe : en 
« face de nous, la mer, qui, secouée par le siroco, a des 
« teintes d'opale, et à droite et à gauche les côtes de Sicile 
« qui se perdent dans Téloignement en silhouettes fines et 
« légères. La pierre des temples est d'un beau jaune doré 
« qui contraste bien avec la pâle verdure des oliviers ; on 
« se croirait eu Grèce. 

« Nous sommes allés voir, à sept kilomètres de la ville, 
« l'église de Monreale, une des plus belles choses du 
« monde, dans le genre de Saint-Marc de Venise, église 
tt couverte de mosaïques d'une très belle ordonnance. » 

Ce voyage semble avoir laissé dans l'esprit de Cbapu 
une impression ineffaçable... Il voulait y retourner l'année 
suivante, et de là aller en Grèce. La mort ne le lui permit 
pas. 

Bien que dans ces dernières années Chapii n'ait donné 
aucun signe de défaillance, la critique cependant semble 
lasse de le couvrir de fleurs, et les éloges qu'on lui décerne 
n'ont plus la même unanimité. Beaucoup l'écrasent sous 
le poids de sa propre gloire, lui opposant sa Pensée, sa Jeu- 



154 CHAPU. 

nesse ou son Immortalité; quelques-uns même, saluant avec 
une ferveur peut-être exagérée T aurore de certaines répu- 
tations nouvelles, en profitent pour attaquer irrévérencieu- 
sement Tidéal de Chapu dans ce qu'il a de pureté classique 
et de grâce un peu convenue. 

Ces brayants sectateurs, d'un certain naturalisme, 
allaient avoir beau jeu à Toccasion de la figure que Chapu 
composait pour le monument de Flaubert. Quoi ! pour le 
vigoureux prosateur qui avait signé Madame Bovary, avoir 
choisi ce doux et tendre poète! Avoir accepté que le 
talent hardi jusqu'au cynisme du maître rouennais fût per- 
sonnifié par cette Vérité d'une convention toute classique, 
à laquelle ne manque aucun des accessoires traditionnels : 
ni le puits, ni le miroir, et qui, par-dessus tout, avait la pré- 
tention d'être vraie tout en restant belle ! Il y avait là un 
beau thème à développer pour tous ceux qui reprochaient 
à notre sculpteur de n'être pas assez « vibrant » . Exposée 
au Salon de 1890, l'œuvre y obtint cependant un légitime 
succès. 

Comme la Pensée et Y Immortalité, le monument de Flau- 
bert se compose d'une figure allégorique se détachant en 
haut relief sur une table de marbre rectangulaire, dressée 
dans sa hauteur. Dans ce fond, l'artiste a gravé sur un pan 
de rocher les titres des principales œuvres du romancier, 
que surmonte son image. Un laurier planté dans le sol se 
dresse et vient courber ses branches comme pour encadrer 
le portrait de l'écrivain. En avant, assise sur une colonne, 
une jeune femme nue, ayant un livre ouvert sur les genoux, 
s'accoude du bras droit à un rocher, une plume à la main, 
et semble réfléchir profondément. « Si l'on jugeait cette 



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Jtchelez phol. ImpV/inniAnn Hébo6 L 

I.A PENSÉE 
' Tombeau de V/'-^'U Comtesse d'A6cult au Père L.ichaisc : 



DERNIERES ANNEES. 155 

« figure au point de vue de la composition générale et 
« significative, a écrit M. Lafenestre, il y aurait fort à dire. 
« Si quelqu'un s'attendait à voir une Muse grecque méditer 
« sur son tombeau, ce n'était pas l'auteur, de Madame Bo- 
a vary et de Salammbô. Non pas que ce Normand sanguin 
« et ironique fût insensible aux séductions puissantes de la 
« poésie classique; mais dans la vie antique comme dans 
« la vie contemporaine, ce qui paraît surtout l'avoir inté- 
« ressé, c'est l'explosion âpre et égoïste des passions com- 
« munes et brutales, l'étrangeté et la corruption des siècles 
« de décadence plutôt que la grâce et l'élégance des civili- 
a sations à leur apogée. » Il ne faut donc pas voir dans 
cette figure la muse de Flaubert, allégorie qui, par paren- 
thèse, eût été singulièrement difficile à incarner dans le 
marbre, mais une personnification plus générale, comme 
la Vérité ou encore V Inspiration . Qu'importe, au reste? Ce 
qu'il est intéressant de constater, c'est que dans cette œuvre, 
la dernière de celles que Chapu ait pu voir exposées, on 
retrouve intactes toutes les qualités qui ont fait sa gloire, 
la noblesse de l'imagination plastique, la sûreté de l'exécu- 
tion, et par-dessus tout ce charme mystérieux et doux qui 
émane de toutes ses figures de femmes, cette grâce pénétrante 
et chaste cependant qui est comme sa marque distinctive. 

L'inauguration du monument de Flaubert eut lieu le 
23 novembre, sous un ciel de suie que balayaient par in- 
stants de violentes rafales. La cérémonie fut longue, et aucun 
discours ne fut épargné aux assistants qui grelottaient sous 
cette horrible tempête de pluie et de vent. Pendant que se 
déroulaient les habituels panégyriques et que chacun cher- 



156 CHAPU. 

chait à glaner un peu de renom en racontant la gloire du 
mort, Chapu, qui, avec Flaubert, aurait dû être le vrai 
héros de la fête, se tenait modestement à récait, enveloppé 
dans une vaste fourrure d'où sa tête émergeait à peine. 
Bien peu, dans la foule des curieux, devinèrent le grand 
artiste dans ce petit homme à la barbe presque blanche, à 
la figure douce et fatiguée; en revanche, tous ceux de ses 
amis qui étaient là furent douloureusement frappés de l'al- 
tération de ses traits. 

Depuis quelque temps, en effet, sa santé ne laissait pas 
d'inquiéter les siens. Sa complexion avait toujours été déli- 
cate, et la rude vie qu'il menait dès son enfance l'avait 
prématurément usé. D'autres causes, toutes morales celles- 
là, allaient avancer l'œuvre de destruction dont les effets, 
lentement, se faisaient sentir. 

Nous avons dit que Chapu s'était marié en 1880. Aucun 
enfant n'étant né de cette union, le maître reporta sa ten- 
dresse sur une nièce de sa femme, ime orpheline que sa 
mère, à son lit de mort, lui avait léguée. L'enfant grandit, 
entourée de tous les soins, de toutes les prévenances, de 
toutes les gâteries. Aucun maître ne fut épargné pour 
ajouter aux charmes qu'elle tenait de la nature les séduc- 
tions d'une éducation brillante, et quand, vers 1887, elle fit 
son entrée dans le monde, elle y fut tout de suite remarquée. 

Chapu jouissait en père de ses succès. Tout heureux de 
promener à son bras cette belle jeune fille, il était devenu 
presque mondain, lui le plus casanier des hommes. Déjà il 
la voyait mariée, à un artiste peut-être, et ouvrant ainsi à 
sa vieillesse tout un horizon de bonheur intime... Ces joies, 
hélas! devaient lui être refusées. 



DERNIERES ANNEES. 



15T 



Le hasard d'une cure aux eaux de Saint-Honoré fit con- 
naître à la jeune fille un médecin de rétablissement, le 
docteur C... Quelques mois plus tard, les deux jeunes gens 
se mariaient. Malheureusement, en dépit de sa belle appa- 
rence, le jeune époux portait en lui les germes d'un mal qui 




ELIE DBLAUKAY 
MédaiUc 



ne pardonne pas. En pleine lune de miel, il en ressentit les 
premières atteintes, et le ménage dut partir sans retard 
vers la côte méditerranéenne. Quelques mois plus tard, en 
longs habits de deuil, l'enfant chérie du sculpteur revenait 
seule auprès de ses parents d'adoption. 

Toutes ces tristesses avaient profondément retenti dans 
le cœur si tendre de Chapu. Pendant l'hiver que dura 



158 CHAPU. 

cette lente agonie, cette nature si ferme, si patiente devant 
le destin, semble prête à s'abandonner. Il dissimulait cepen- 
dant de son mieux ses angoisses, cherchant, dans ses 
lettres, à donner aux siens un espoir qu'il n'avait pas, 
et quand tout fut fini, il mit toute la douceur de son âme à 
panser la cruelle blessure faite au cœur de son enfant. 

Dans les grandes crises morales, le travail est le meilleur 
réconfort. Ghapu se remit avec acharnement à la besogne. 
Jamais il ne travailla plus, sinon mieux, que pendant ce 
cruel hiver; jamais il ne prodigua plus libéralement à ses 
élèves les merveilleux enseignements qu'il avait coutume 
de leur donner. 

C'est dans une de ces tournées aux divers ateliers qu'il 
dirigeait, que la mort vint le prendre. L'épidémie, qui fai- 
sait alors à Paris tant de victimes, trouva dans ce corps usé 
une proie facile ; le mal, qui tout d'abord avait paru sans 
gravité, se changea subitement en une grave congestion 
pulmonaire : trois jours plus tard, le grand artiste s'en allait 
doucement vers ces mondes lumineux que jadis son ciseau 
avait si merveilleusement évoqués. 

Peu d'heures avant le moment suprême, le malade s'était 
assoupi. Un peu de mieuXy — ce mieux précurseur de la 
mort et qui semble l'ironie du destin, — avait été constaté 
parles médecins, qui s'étaient retirés avec de vagues paroles 
d'espoir, engageant ceux qui soignaient le maître à prendre 
un peu de repos. Seule, sa digne compagne ne voulut pas 
le quitter; elle s'étendit sur un canapé dans un coin, où, 
vaincue par la fatigue, elle ne tarda pas à s'endormir d'un 
lourd sommeil. Chapu, cependant, s'était réveillé, et, avec 
cette intuition surnaturelle de ceux qui sont au seuil de 



DERNIERES ANNEES. 



159 



rétemité, il avait vu la Mort qui lui faisait signe. Voulant, 
une fois de plus, éviter à ceux qui lui étaient chers le déchi- 
rement des adieux suprêmes, il trouva la force de se lever. 
A pas lents il se dirigea vers la compagne de sa jeunesse, 
celle qui l'avait aidé à supporter les mauvais jours, qui 
avait été Tinspiratrice de ses plus belles œuvres. Tendre- 
ment, mais du bout des lèvres, il Fembrassa une dernière 
fois, comme un enfant que Ton craint d'éveiller; puis, intré- 
pide, il retourna vers son lit et y attendit la mort. 

La mort de Cbapu causa, dans le monde des arts, une 
sensation profonde. Si chacun regretta l'artiste enlevé pré- 
maturément à une carrière qui lui promettait encore de 
longues années de gloire, l'homme ne fut pas moins pleuré 
par ses nombreux amis. Ses funérailles, auxquelles aucune 
pompe ne manqua, furent pour quelques-uns de ses vieux 
camarades l'occasion de retracer en termes émus les prin- 
cipales étapes de sa glorieuse destinée. Mais ce qui mieux 
qu'aucun discours faisait l'éloge de cette vie «toute resplen- 
dissante de bonté et de droiture, c'étaient les larmes de 
l'assistance, l'affliction vraie répandue sur tous les visages. . . 
Il dort maintenant son dernier sommeil dans le paisible 
cimetière du Mée, près de la maisonnette où il est né et où 
il a rêvé la gloire. D'autres auraient souhaité une tombe 
plus grandiose; lui, le modeste et grand travailleur, il a 
voulu reposer près des humbles travailleurs qui furent ses 
ancêtres, au sein de cette sereine campagne où a germé son 
tranquille et bienfaisant génie. » 



Quelques jours après ces touchantes funérailles, je me 



160 CHAPU. 

trouvais avec quelques amis dans Fatelier d'Élie Delaunay. 
Le grand peintre, bien que souffrant déjà d'un mal qui 
devait bientôt le terrasser, avait voulu accompagner son 
ami jusqu'à sa dernière demeure, et ce douloureux devoir, 
accompli sous un ciel inclément, avait aggravé son mal. 
I/artiste était dans son lit, immobile et somnolent, et nous, 
un peu à Técart, pour ne pas le fatiguer, nous déplorions 
cette pieuse imprudence, que chacun cependant, dans son 
for intérieur, admirait. Entendant prononcer le nom tant 
aimé de son vieux camarade, le malade sortit un peu de sa 
toj'peur et prononça à voix basse quelques mots dont nous 
entendîmes seulement ceci : « Chapu, Chapu, âme angé- 
lique! » Et deux grosses larmes roulèrent sur ses joues 
amaigries. 

Est-il plus bel éloge que celui de ce mort par ce mou- 
rant? 




CHAPITRE V 



OEUVRES POSTHUMES DE CHAPU. 
L'HOMME ET L'OEUVRE. — CONCLUSION^ 




^'*?v 



Quelques mois avant sa mort, 
Ghapu écrivait à sa femme, dans 
une de ces lettres pleines de ten- 
dresse qu'il lui prodiguait : 
« Je voudrais bien me reposer un peu, 
mais cela est impossible; il est néces- 
saire que je fasse encore beaucoup de 
li sculpture pour que tu puisses joindn? 
« encore quelque chose aux petites éco- 
« nomies déjà acquises... » 
L'artiste, en effet, bien qu'il eût depuis 
longtemps fait ample provision de gloire, n'était pas riche. 
Les lourds frais d'atelier qui grèvent le budget de tout 
sculpteur, un état de maison relativement luxueux, et, par- 
dessus tout, son inépuisable bienfaisance, ne lui avaient 
permis défaire que de chétives épargnes. Dans les dernières 
années seulement, il commençait à édifier une petite fortune, 
qui, s'il avait vécu, aurait sans doute rapidement grandi. 
De toutes parts, en effet, il recevait des commandes largc- 

11 



L ASTao:«oxiE. 

Oas-relief pour le monu- 
ment de Le Verrier. 



162 CHAPU. 

ment rétribuées, La dernière fois que nous le vîmes, Fartiste 
contait devant nous, non sans un certain orgueil, qu il avait 
ft du travail pour dix ans ». Sans doute il exagérait un peu. 
Toujours est-il que, au moment de sa mort, de nombreux 
. ouvrages remplissaient ses ateliers, les uns presque terminés, 
les autres ébauchés seulement, mais dont la conception était 
suffisamment arrêtée pour qu'ils pussent porter la signature 
du maître. La plupart de ses esquisses ont été terminées. 
C'est une règle presque constante, chez les sculpteurs, 
que l'œuvre laissée inachevée par un camarade sera reprise 
et menée à bonne fin par quelqu'un de ses émules ; Chapu 
comptait dans le monde des arts trop d'amis pour qu'on ne 
rendît pas ce pieux service à sa mémoire. Il convient donc 
de comprendre dans son Œuvre un nombre assez considé- 
rable de sculptures qui, sans doute, au jour où paraîtra ce 
livre, auront recule dernier coup de ciseau. Parmi les prin- 
cipales il faut citer un ensemble décoratif pour le tombeau 
de Thiers, au Père-Lachaise, ensemble dont il avait déjà 
exécuté une partie importante, un bas-relief demi-circulaire 
représentant le Patriotisme défendant la France, qui sur- 
monte la porte du mausolée. Chapu devait exécuter, en 
outre, pour être placés à l'intérieur du monument, deux 
bas-reUefs représentant la Libération du territoire et Y His- 
toire traçant dans l'avenir le nom de Thiers. 

C'est pour le même cimetière que l'artiste avait modelé 
un groupe funéraire qui devait orner la chapelle de la 
famille de Icaza et y rappeler la mémoire d'un fils prématu- 
rément enlevé à Taffection des siens. Le jeune homme y 
était représenté assis, dans une attitude pensive, entouré 
d'attributs qui symbolisaient sa jeunesse laborieuse, tandis 



OEUVRES POSTHUMES. 163 

que, derrière lui, se détachait la fière silhouette d'une 
figure ailée, la Méditation sans doute ou Y Etude. Ce projet 
sera terminé par Mercié, qui était déjà pour ce tombeau, 
comme pour celui de Thiers, le collaborateur de Chapu. 
Autant qu'on en peut juger dans l'état d'avancement où 
elle se trouve, l'œuvre sera digne des deux noms qui l'au- 
ront signée. 

Il nous a été donné de voir également plusieurs esquisses 
d'une image funéraire de la princesse Marie d'Orléans (1), 
dont l'artiste, peu de temps avant sa mort, avait reçu la 
commande pour la chapelle de Dreux, et dans lesquelles on 
retrouve l'élégante allure et le sentiment délicat qu'il avait 
montrés dans les statues de la duchesse de Nemours et de la 
duchesse d'Orléans. Le projet de Chapu, sensiblement 
modifié d'ailleurs, a été repris par le brillant sculpteur 
Hector Lemaire, qui, sous peu, le terminera en marbre. 

Plus intéressant encore est un travail auquel Chapu son- 
geait depuis plusieurs années, et dont, au moment de sa 
mort, il n'avait achevé que quelques parties. Pendant un 
voyage en Bretagne, l'aspect imposant des pierres drui- 
diques avait vivement frappé son imagination d'artiste, et il 
rêvait de renouveler, au profit de l'art chrétien, cette inven- 
tion décorative de la Gaule païenne. L'occasion s'en pré- 
senta bientôt^ et il la saisit avec le désintéressement qui lui 
était habituel toutes les fois qu'une œuvre s'imposait forte- 
menrâ son imagination. C'est pour l'église de Benoîte-Vaux, 



(i) Seconde fiUe du roi Louis-Philippe, née en 1813. Mariée en 1837 au prince 
Alexandre de Wurtemberg, elle mourut en 1839. Elle se fit remarquer par son 
goût pour les arts et son talent de sculpteur. Sa meilleure œuvre dans ce genre 
est une Jeanne d'ÀrCy qui figure au musée de Versailles. 



164 



CHAPU. 



en Lorraine, qu'il avait commencé ce Chemin de croix dont 
toutes les stations, taillées dans un bloc de pierre d'Euville, 

-,__,_ ^. .,^.. . _^, ., devaient se dérouler en 

plein air, autour d'une 
Pieta, dans un paysage 
accidenté. « Il rêvait, a 
dit M. Victor Pournel, 
d'en faire un chef-d'œu- 
vre, et peut-être son chef- 
d'œuvre, en portant un 
sentiment personnel joint 
à un goût sobre et sûr, et 
au respect sévère des tra- 
ditions, dans ce grand 
drame divin trop aban- 
donné à la banale exploi- 
tation des fabricants d'ob- 
jets pieux. » Cette œuvre, 
laissée inachevée, est con- 
tinuée par le sculpteur 
Fosse, un des bous élèves 
du maître. 

Mentionnons encore, 
pour ne rien oublier, dans 
cet Œuvre posthume, une 
figure allégorique pom' 
le tombeau de Mgr de 
Bonnechose, qu'a exécutée, d'après une esquisse du maître, 
le sculpteur Cariés ; la figure principale du monument de 
Millet, récemment inauguré à Cherbourg; un bas-reUef 




CROQUIS 
Pour la statue d'Hërold, Hôtel de ville de Paru. 



OEUVRES POSTHUMES. 165 

pour le tombeau de Félicien David au cimetière duPecq (1 ), 
une fiçure pour le monument du marquis d'Aligre, un 
groupe allégorique à la mémoire de Byron, œuvre impor- 
tante qu'un riche banquier grec, M. Skilizzi, avait commandée 
à Ghapu , et que doit terminer le sculpteur Falguière ; enfin 
plusieurs bustes, entre autres celui de Michau, ancien pré- 
sident du tribunal de commerce de la Seine, et celui du 
docteur Tessier, de Lyon. 

Nous n'avons pas eu le loisir, dans une visite que nous 
fîmes à l'atelier de Chapu, peu de temps après sa mort, de 
faire l'inventaire des nombreuses statues ou statuettes ébau- 
chées, des mille esquisses crayonnées ou modelées qui 
l'encombraient, rêves à peine formulés, délicieux embryons 
de chefs-d'œuvre qui montraient en quelle plénitude et 
quelle vitalité de génie la mort était venue prendre le grand 
sculpteur; ces précieuses reliques ont été partagées par sa 
veuve entre les élèves et les amis du sculpteur, et il ne faut 
pas songer à en dresser une liste, même approximative. Il 
nous souvient encore, cependant, d'une charmante Liseuse 
que l'artiste destinait à M. Leroy-Beaulieu, d'un projet de 
monument pour l'amiral Courbet, d'un charmant groupe, 
Héro et Léandre, commandé par le musée de Rennes et qui, 
je crois, a été détruit; de plusieurs esquisses pour le monu- 
ment de Balzac (2), de plusieurs danseuses, d'un monument 



(1) Ce monument, qui aujourd'hui est entièrement terminé et en place, doit 
ôtre inauf^uré prochainement. Il se compose d'une figure allégorique qui enguir- 
lande de fleurs le buste du compositeur. 

(8) Le projet de Chapu représentait Balzac assis, vêtu de son froc traditionnel. 
A ses pieds, une figure allégorique personnifiait la Comédie humaine. 

Ce projet, après la mort de l'artiste, a été abandonné; c'est le sculpteur Dalou 
qui, depuis, a été chargé d'exécuter, sur des données nouvelles, le monument 



166 CHAPU. 

pour Victor Hugo (1), etc. Une exposition de ces œuvres où 
Ton aurait pu voir, dans toute sa fleur, Tintime pensée du 
maître, eût été, à notre avis, un véritable régal artistique. 
Qu'il nous soit permis de regretter qu'on ne Fait pas tentée. 

Nous avons exposé dans les chapitres précédents l'his- 
toire des œuvres de Chapu. Cette histoire est celle de sa 
vie. Le travail, en effet, y a tenu la plus grande, on pour- 
rait dire la seule place. On n'y rencontre ni anecdotes sca- 
breuses, ni aventures romanesques. Dès ses premières 
années, sa vie est sérieuse, austère presque. A Rome, nous 
J'avons vu préférer aux plaisirs bruyants de ses camarades 
la paix de son atelier, où pénètrent seulement quelques amis 
fidèles comme Bonnat, qui, pendant qu'il dessine, lui lit 
quelques tragédies grecques ou quelque fragment de la 
Légende des siècles; au seuil de sa vieillesse, ayant obtenu 
tout ce qu'un artiste peut souhaiter de considération et 
d'honneurs, il fuira les relations brillantes qui s'offrent à lui 
pour ne rechercher que les joies paisibles du foyer conjugal 
ou la fréquentation d'un petit cercle d'amis de la première 
heure, auprès de qui il sera sûr de trouver l'abandon du 
cœur et de la pensée sans lesquels il juge qu'il n'y a que 
conversations vaines et amitiés douteuses. 



(1) « Dès le lendemain de la mort de Victor Ilugo, dit un journal du temps, 
MM. Mercier et Ghapu ont improvisé la maquette d'un monument digne du 
poète. Au haut d'un escalier, sur un socle, se dresse le poète travaillant, le bras 
appuyé sur un des rochers de Jersey. Derrière lui, la Renommée le couronne. 

« Sur les marches de l'escalier, la France debout, voilée de deuil, lui rend hom- 
mage. La Poésie essaye de consoler un enfant en lui montrant le triomphe du 
poète. Enfin, au bas de l'escalier, un Misérable remercie Victor Hugo de ce qu'il 
a fait pour lui^ tandis que, à droite, une /eune Ft7/«, qui tient à la main les Chansons 
des rues et des hois^ symbolise en chantant l'immortalité des œuvres du poète • 



OEUVRES POSTHUMES. 16T 

Enfant du peuple, Chapu est toujours resté « peuple » 
par la simplicité de ses goûts et la modestie de ses ambi- 
tions matérielles. Fils de a petites gens », il a toujours aimé 
les humbles, et bien que les hasards de sa carrière Talent 
souvent mis en contact avec les grands de la terre, il n'est 
jamais parvenu à vaincre en leur présence une sorte de 
défiance timide qui lui valut plus d'une mésaventure. C'est 
ainsi que, venu à Londres en 1886, pour demander à la 
princesse de Galles qu'elle voulût bien lui accorder une ou 
deux séances, il n'osa jamais s'adresser directement à notre 
ambassadeur pour cette négociation, qui, confiée à des 
mains moins autorisées, finit par échouer; ainsi encore que. 
Tannée suivante, il hésita longtemps à se présenter à la 
cour de Danemark, intimidé par cette société où tout le 
monde, disait-il, était empereur ou roi, excepté lui. Cette 
timidité ne permettait pas tout d'abord de saisir le charme 
de son caractère, et il fallait avoir pénétré dans son intimité 
pour apprécier Texquise candeur de son âme et goûter 
Tattrait de sa conversation où Ton trouvait le charme d'un 
esprit simple et droit, qui s'était formé lui-même loin de la 
banalité des idées reçues et des préjugés courants. 

Bien qu'il n'eût reçu dans son enfance qu'une instruction 
élémentaire, il était arrivé à force d'étude et de volonté à 
s'assimiler un ensemble de connaissances assez étendues. 
Dès sa jeunesse il cherchera, par d'intelligentes lectures, à 
combler les lacunes de son éducation première ; il étudiera 
les tragiques grecs, Dante, Corneille, Racine, Young, Ossian, 
et parmi les modernes, Victor Hugo, Lamartine et Walter 
Scott. Ainsi peu à peu se formera son esprit, et quand il 
présidera TAcadémie des Beaux-Arts, l'éloquence simple et 



168 CHAPU. 



familière de ses allocutions étonnera ceux qui, vingt ans plus 
tôt, l'ont entendu prononcer ses premiers discours officiels, 
alors qu'étant le doyen des pensionnaires de la Villa Médicis, 
il saluait à leur départ ses anciens camarades ou souhaitait 
la bienvenue aux nouveaux. 

Vers la fin de sa vie, d'autres écrivains, plus austères, le 
tenteront : Platon, Jean Reyuaud, Pascal et Le Play. Il a 
lu et relu leurs œuvres, les annotant au crayon et transcri- 
vant sur ses albums les pensées qui l'ont frappé. Il s'était fait 
ainsi, pour son usage personnel, une sorte de bréviaire phi- 
losophique où, à des sentences recueillies chez les plus grands 
penseurs de l'humanité, il avait joint certaines règles de 
conduite, certaines maximes que l'expérience lui avait 
dictées. Citons-en quelques-unes, qui montreront que l'aitiste, 
chez lui, était doublé d'un penseur : 

« Que de peines, que de calculs, que de concessions sont 
nécessaires aux ambitieux, et tout cela pourquoi, en fin de 
compte? Pour avoir une place, une croix, une médaille de 
plus. A quoi cela avance-t-il? Le meilleur, c'est encore une 
bonne petite maison entre cour et jardin, avec de quoi y 
vivre et se moquer des vaines querelles de Paris. » 

« A force de se mêler avec les autres hommes, on perd son 
empreinte, on échange son propre caractère contre le carac- 
tère général ; on pense avec l'esprit des autres, on cesse d'être 
soi-même. » 

« Il faut nous considérer dans cette foule comme dans une 
île au milieu d'insulaires qui ne demanderaient pas mieux 



OEUVRES POSTHUMES. 



169 



que de nous man^^^er, si nous sommes faibles et craintifs. 
C'est comme certains chiens delà campagne de Rome... » 

« Règle générale : ne jamais parler de son bonheur à plus 
heureux que soi ; c'est aussi imprudent que de montrer son 
or dans une auberge mal famée. » 

tf L'habitude du monde est un art qui consiste à se faire 
bienvenir des caractères les plus opposés et à savoir se tenir 
en équilibre sans prendre parti dans aucun camp. » 



« tristesse, c'est à ton école que la sagesse instruit 
le mieux ses disciples. C'est Dieu qui nous envoie les 

chagrins pour fortifier 
notre âme. La tristesse 
nous découvre les vé- 








LESUEUR J. BRETOK. 

Croquis faiU à l'Institut 




170 CHAPU, 

rites qu'effaçait Téclat éblouissant du bonheur. Ainsi la 
nuit fait reparaître et briller les lustres innombrables qui 
éclairent la voûte du firmament (1). » 

On pourrait croire à la lecture de ces fragments que notre 
sculpteur était un misanthrope, et que les épreuves de la vie 
avaient laissé dans son cœur un levain d'amerlume. Nulle- 
ment. Malgré les conseils égoïstes qu'il semble se donner à 
lui-même, il est resté toujours tendre, confiant et bon. Cette 
exquise bonté trouva, du reste, sa récompense. Aucun artiste, 
avec autant de gloire, n'eut si peu d'envieux; aucun ne fut, 
toute sa vie, entouré de plus sincères et de plus précieuses 
amitiés. Nous avons, dans les précédents chapitres, nommé 
déjà la plupart de ces amis. Ce furent au début de modestes 
travailleurs comme lui, qui, comme lui, devaient devenir 
célèbres : Gaillard, fils d'un marchand de vin, et Baudry, le 
petit paysan du Bocage vendéen, et Delaunay, que son père 
avait élevé pour être cirier(2)^ comme lui-même, et Bonnat, 
et Vaudremer, etDaumet, et Lefebvre. Plus tard, ce furent 
les architectes qui surent se l'attacher comme collaborateur. 



(1) Cette dernière pensée est manifestement inspirée des Nuits d'Voung. 

(2) On appelle ciriery dans la ré^^ion nantaise, les marchands de cierges et 
d'objets de piété. Le père de Delaunay, qui habitait Nantes, exerçait ce com- 
merce, auquel il joignait, comme la plupart de ses confrères, celui d'entrepreneur 
des pompes funèbres. Son industrie étant prospère, il résolut d'y associer de 
bonne heure son fils, et quelques personnes se souviennent encore d'avoir vu le 
jeune Elie Delaunay accompagner son père dans les enterrements. 

Un vieux peintre d'origine italienne, qui enseignait le dessin dans les princi- 
paux couvents de Nantes, décida, non sans peine, M. Delaunay père à lui con- 
fier son fils et l'arracha à l'obscure destinée qui l'attendait. Delaunay garda tou- 
jours la plus vive reconnaissance pour ce premier maître et fit de son fils, 
Fabbé Sotta, un remarquable portrait^ exposé il y a quelques années au Cercle 
artistique et littéraire de Paris. 



o'j:uvres posthumes. iti 

ses rivaux dans Tart de la statuaire, ses collègues de Flnstitut, 
les amateurs qui se disputaient ses œuvres, tous ceux, en un 
mot, qui rapprochèrent, tous ceux qui surent comprendre ce 
qu'il y avait dans ce cœur simple de loyauté, de bonté et 
de droiture. Vers la fin de sa vie, de nouvelles affections 
vinrent le consoler de celles que la mort lui avait ravies. Il 
les trouva parmi ses élèves, qui n'ont cessé de proclamer bien 
haut tout ce qu'ils devaient à ses conseils éclairés et à sa 
touchante sollicitude. Qu'il me soit permis de citer, parmi 
ces derniers, Roty, qui, dans un discours ému, attribuait jus- 
tement à Chapu la renaissance de l'art jadis dédaipné de la 
{jravure en médailles, et François, l'habile graveur en pierres 
fines, dont les confidences émues, mieux que les meilleurs 
documents, m'ont fait pénétrer dans l'intimité du grand 
sculpteur, et Patey, qui, malgré le prix de Rome et les succès 
d'exposition, demeurera jusqu'au dernier jour près du maître 
et aura la triste joie de lui fermer les yeux. 

Pour bien connaître le caractère d'un homme, il est néces- 
saire de se renseigner sur son atavisme ; pour juger un 
artiste, il faut étudier le temps où il a vécu, les enseigne- 
ments qu'il a pu recevoir, les influences qu'il a subies. 
Voyons donc rapidement par quelles vicissitudes a passé la 
sculpture pendant le demi-siècle qui a précédé la naissance 
de Chapu. 

La grande tragédie de la Révolution, qui bouleversa si 
profondément notre sol, nos institutions et nos mœurs, 
devait avoir son contre-coup dans l'art; toutefois, bien 
avant 1789, la France était engagée déjà dans une sorte de 
réaction artistique. Les fouilles d'Herculanum et de Pompéi, 



172 CHAPU. 

les études des philosophes, les doctrines et les écrits des 
Winckelmann avaient pea à peu ramené vers Tantique 
l'attention et le goût des amateurs. Ni la verve brillante de 
Boucher et de Fragonard, ni la grivoiserie sentimentale de 
Greuze ne pouvaient faire pardonner à leur art ce qu'il avait 
de factice et de maniéré, et l'école de sculpture, malgré les 
remarquables artistes qui l'illustraient, n'était pas mieux 
traitée par la critique. Cest à peine si 1 on reconnaissait à 
Pigalle « une certaine vivacité dans ses ouvrages, que l'oii 
voudrait cependant plus corrects, plus purs, plus nobles » ; 
à Houdon, une exécution riche, facile et hardie, quoique un 
peu maniérée; à Falconet, « de la finesse, du goût, de 
l'esprit et de la délicatesse » . Partout on déclamait à Tenvi 
contre cet art de corruption qu'un prompt retour vers les 
saines beautés de l'antique pouvait seul préserver d'un irré- 
médiable affaissement. 

On sait à quoi aboutit, au moins pour la sculpture, ce 
mouvement de Topinion. A la fantaisie prime-sautière et 
hbre des artistes de l'ancien régime succéda je ne sais quel 
idéal guindé et froid qui, sous prétexte de noblesse, s'interdit 
la recherche du caractère individuel; aux mignardes déesses 
de Versailles et des Trianons, les pédantes allégories des 
Cortot et des Ramey. 

L'époque impériale compte cependant quelques bons 
sculpteurs : Lemot, qui, dans son Bru tus et son Lycurgue 
du Corps législatif, montre une certaine ampleur de style, 
jointe à une louable recherche de la vérité et de l'expression; 
Ghaudet, qui sculpta la Sensibilité, \ Amour séduisant rame, 
et aussi la colossale statue de Napoléon en empereur romain 
qui, sous son règne, couronnait la colonne de la place Ven- 



OEUVRES POSTHUMES. 173 



dôme; Bosio, que Ton sumomma avec un peu d'emphase 
rAnacréon de la sculpture; Espercieux, Gois et quelques 
autres dont les uoms sout à peu près oubliés aujourd'hui. 

Ce n'est d'ailleurs pas en France qu'il faut chercher le 
grand sculpteur de l'époque, celui que, de tous les coins de 
l'Europe, venaient solliciter les commandes officielles ou 
privées. Celui-là habitait Rome et s'appelait Canova. Né 
vers le miUeu du siècle précédent, il avait connu les grâces 
efféminées de Lemoyne et de Clodion, mais avec sa souple 
nature d'Italien s'était facilement plié à la mode nouvelle et 
avait vite appris à accommoder à l'antique l'idéal de coquet- 
terie sensuelle qui était au fond de son cœur. On ne peut 
refuser à cet artiste, un peu trop vanté de son temps, une 
incomparable adresse de main, un sentiment délicat et une 
grâce que les sculpteurs de son temps avaient à peu près 
oubliées; mais il est difficile de voir en lui, avec le docte 
Quatremère de Quincy, un continuateur des Grecs, et de 
rattacher son art maniéré et sans profondeur à l'école qui, 
sous l'impulsion de David, régnait alors dans notre pays. 

Les principes de David qui avaient pesé sur l'art avec l'in- 
transigeance tyrannique d'un dogme devaient, de son vivant 
même, amener une violente réaction. La sculpture, toute- 
fois, ne suivit que de loin les exagérations du romantisme, 
et si elle répudia avec joie les froides conceptions et l'aride 
technique de l'art néo-romain, elle n'évolua que lentement, 
timidement presque, vers un art plus indépendant. 

Deux noms dominent cette période nouvelle : David 
d'Angers et Rude. David, tout en s'inspirant de l'esprit 
et des œuvres de l'antiquité, comprit que la première 
vertu d'un artiste est d'être de son temps, et son grand 



174 CHAPU. 



mérite est d'avoir cherché à doter son pays d'un art 
national. Un de ses plus fei-vents admirateurs, qui lui a con- 
sacré un beau livre (I), résume ainsi son talent : « La carac- 
téristique des œuvres du maître, c'est la vie, une vie spiri- 
tualiste, sans convention, participant des idées, des passions 
et des coutumes de ce siècle... Nature vibrante, aux impres- 
sions soudaines et profondes, il se pénètre des hommes ou 
des choses qui l'entourent, des événements qu'il traverse. 
Les agitations de sa vie, ses mécomptes, ses luttes quoti- 
diennes doublent ses forces et multipUent ses pensées... 
Mais le statuaire appoile dans la composition d'un sujet le 
discernement, le tact, l'expérience du maître... David 
d'Angers, qu'on pourrait appeler le Poussin de la sculpture, 
a été un artiste philosophe, chez qui le sens esthétique s'est 
élevé jusqu'à l'intuition. » 

Comparé aux artistes qui l'ont immédiatement précédé, 
David fut un novateur. Cependant, par la noblesse un peu 
voulue de son style et par l'exagération de la portée philo- 
sophique et patriotique qu'il prétend donner à ses œuvres, 
David se rattache à l'école du grand peintre son homonyme. 
La recherche, à tout prix, du caractère l'entraîne souvent 
aux dépens de la vérité, comme la crainte du pittoresque en 
sculpture le fait tomber dans la sécheresse et la froideur. 
« La sculpture, avait-il coutume de dire, est une religion. » 
La religion dont David est le pontife est tant soit peu austère 
et fait quelquefois regretter le paganisme enjoué et libertin 
qui l'a précédée. 

Esprit moins philosophique, génie plus souple et plus 

(1) David d*AnrjerSy sa vie, son oeuvre et ses écrits, par Henr^' JouiK. Pion, 
édit. 



r 




BAS-RELIEF 

Pour le monument de Félicien David. 



OEUVRES POSTHUMES. 177 



spontané, Rude ouvrit à la statuaire des horizons nouveaux. 
Ce plébéien de Bourgogne, dont l'enfance se passa dans un 
atelier de forgeron, loin de toute culture intellectueUe, et qui 
ne reçut plus tard que les pauvres enseignements d'une 
académie provinciale, n'arriva que tardivement à la gloire, 
et c'est après une longue suite de travaux obscurs qu'il put, 
dans son Jeune pécheur jouant avec une tortue, et surtout 
dans son groupe du Départ^ donner la mesure de son génie. 
Ce dernier ouvrage résume l'artiste tout entier, avec sa 
superbe entente du mouvement et de la vie, la verve puis- 
sante de son style et son audacieux réalisme auquel se 
mêlent, dans certains détails de costume et d'attitudes, les 
restes d'un lointain attachement au style noble que lui a 
enseigné Cartellier. 

Le groupe de l'Arc de triomphe, dont personne aujour- 
d'hui ne songe à contester la valeur, fit scandale, lors de 
son apparition, parmi les partisans de 1' « austère sculp- 
ture », et la figure de la Liberté qui le domine fut parti- 
culièrement critiquée. David d'Angers, inconsciemment 
jaloux peut-être, n'hésita pas à blâmer aigrement la « fausse 
chaleur » qui animait les personnages de Rude, l'exubérance 
de leur mouvement et la violente expression d'enthousiasme 
et de colère qui convulsait leurs visages. « La passion qui 
grimace aux heures solennelles est ridicule, écrivit-il. La 
laideur n'entraîne point, et le visage de la Liberté, tel que 
Rude l'a rendu, est hideux. » Ces critiques, qui font sourire 
aujourd'hui, montrent assez bien l'esthétique étroite et mes- 
c[uine à laquelle obéissait alors la sculpture. Quoi qu'il en 
soit. Rude est le véritable émancipateur de jla statuaire 
moderne; c'est de lui que se réclament ceux qui sont épris 

12 



178 CHAPU. 

avant tout du mouvement, de la vie, de Tintime vérité du 
présent; c'est le père des Carpeaux, des Falguière, des 
Frémiet. 

Au moment où Chapu va partir pour Rome, l'art des Phi- 
dias, des Michel-Ange et d'Houdon végète sans idéal précis, 
saus conviction sérieuse. Rude vient de mourir, et David ne 
tardera pas à terminer sa glorieuse carrière. L'école con- 
temporaine compte, il est vrai, un sculpteur de génie, Rarye ; 
mais c'est un de ces hommes exceptionnels comme il en 
surgit quelquefois dans l'histoire de l'art, et qui, sans 
ancêtres, ne doit pas laisser de descendants. Les maîtres 
en vogue sont Pradier, « le faiseur de statuettes, l'habile 
ouvrier qui a été pendant vingt ans l'un des artistes les 
plus goûtés du monde élégant de Paris » , comme l'a écrit 
un de ses élèves dans un éloge qui semble parfois mêlé 
d'ironie (I), et Duret, esprit plus fécond que profond, dont 
réclectisme aimable se manifeste dans une foule d'oeuvres 
d'une habileté incontestable, mais où la pensée n'est pas 
toujours à la hauteur de l'exécution. 

Tels sont les maîtres que le hasard donne à Chapu pour 
guider ses premiers pas. Le jeune artiste, dès son entrée à 
l'école, voit combien mince est le filon exploité par ces deux 
artistes ; il sent qu'il y a mieux à faire, mais il ne voit pas 
encore clairement où il trouvera son inspiration. Les beautés 
de l'art antique ne se sont pas encore révélées à lui; il ne 
les voit qu'à travers ceux qui s'en sont inspirés au commen- 
cement du siècle : Flaxmann, Canova, Thorwaldsen, et les 
froides conceptions de Louis David, le mettent en défiance 

{{) La vie et les ouvrages de Pradier, par un de ses plus anciens élèves 
(A. Etex). Paris, 1859, in-8". 



OEUVRES POSTHUMES. 179 

contre cet art tant vanté. « Je crois entrevoir, écrit-il, que 
mes compatriotes manquent d'un sentiment intime et 
expansif ; moi-même, je sens que je me préoccupe trop de 
l'arrangement et pas assez de la chaleur du jeu des passions, 
de Tâme des personnages d'une scène... Mais, tiraillé en 
tous sens, je me demande où est la véritable bonne route. » 
Quelques mois de séjour à Rome ont bientôt dissipé ses 
incertitudes. Sous ce beau ciel d'Italie, qui est comme son 
décor naturel, l'art antique lui est apparu dans toute sa 
splendeur. Ni la sincérité naïve des Quattrocentistes, ni la 
grandeur tragique de Michel-Ange ne le détourneront d'un 
culte auquel il restera toujours fidèle. Écoutons-le, au reste, 
faire sa profession de foi. 

« Le sculpteur, a-t-il écrit, peut être sollicité par des 
maîtres de caractères différents, par des écoles où le 
style s'est transformé avec une étonnante variété, mais sa 
source est une. L'art grec en a eu la vision supérieure 
avec le Canon antique, basé sur le plus bel équilibre de la 
santé, de l'agilité et de la vigueur; il en a déduit, avec 
une logique simple, des principes qui resteront les meil- 
leurs et hors desquels il ne peut y avoir que fantaisie ou 
étrangeté. 

« Aucune époque, aucun peuple n'a surpassé l'art plas- 
tique de la grande époque de Phidias, et ce peuple athénien 
dont le nom seul a je ne sais quoi d'achevé, tant il éveille 
d'impressions souveraines dans une âme d'artiste. 

« Le secret des anciens n'est ignoré de personne. Us ont 
supérieurement compris, aimé et interprété la nature. Or, 
comme la mission de l'artiste est renfermée dans ces trois 
mots, il en résulte que celui qui a l'intelligence, l'amour et 



180 CHAPU. 

le goût, est nécessairement sur la voie suivie par les sculp- 
teurs grecs. » 

Ces règles un peu étroites du Canon antique (1), Chapu 
les a toujours religieusement observées. Peut-être même, 
au moins dans ses figures purement imaginatives, y est-il 
demeuré un peu exclusivement soumis. Ce que ses œuvres 
y gagnent en beauté sereine et en grâce idéale, elles le 
perdent quelquefois en originalité et en verve caractéris- 
tique. En revanche, la longue contemplation des chefs- 
d'œuvre anciens lui a appris, mieux qu'à aucun autre. Fart 
si difficile de draper, la simplicité ou la sobriété du style, 
l'éloquence du geste, l'ampleur des attitudes. Le culte pas- 
sionné qu'il professe pour l'art grec ne va pas, du reste, 
sans discernement et ne l'entraînera jamais à une imitation 
servile. u Étudier le beau réalisé, écrit-il de Rome sur un 
de ses albums, c'est apprendre à trouver le beau dans la 
vie, mais il faut avant tout que Y homme se voie dans ses 
œuvres. C'est ainsi qu'on acquiert l'originalité, et non en 
rejetant de propos délibéré tout ce qui est établi. » Ces 
quelques lignes montrent assez bien le caractère de Chapu. 
Esprit discipliné et méthodique, ennemi des révolutions vio- 
lentes, il n'en est pas moins fermement décidé à secouer le 
joug de l'école, à frayer sans fracas une voie nouvelle à sou 
art. Il la trouvera sans peine quand, après les patientes 

(1) On appelle Canon les rèjvies qui ont été posées par différents artistes pour 
établir les proportions relatives du corps humain. Ces règles remontent à la plus 
haute antiquité, ainsi que le montre une figure de Tart primitif ég\'ptien qui est 
divisé en vingt parties. On croit savoir que Polyclète avait un Canon d'après 
lequel il a exécuté son Doryphore, Vitruve, Léonard de Vinci et A. Durer ont 
également eu leur Canon. JNous n'avons pas besoin de faire observer tout ce 
qu'une observation absolue de ces règles pourrait amener d'arbitraire et de con- 
ventionnel en art. 



OEUVRES POSTHUMES. 181 

études de Rome, où Fart de Phidias a eu manifestement ses 
sympathies, il jugera qu'il peut se laisser aller librement à 
son inspiration. Que les amateurs de classifications vaines le 
rangent parmi les classiques, nous n'y contredisons point, 
son art n'en est pas moins bien à lui, et ce discret arôme 
d'antiquité qui le parfume ne lui enlève rien de sa saveur 
personnelle : l'œil le moins exercé ne pourra confondre ses 
œuvres avec celles de Canova, de David ou de Pradier. S'il 
fallait absolument trouver à Ghapu un ancêtre dans la 
grande famille de l'art, ce n'est pas chez les sculpteurs, mais 
chez les peintres que nous le chercherions. Par certains 
points, il nous rappellerait Prud'hon, dont il n'a pas la 
voluptueuse morbidesse, mais qui, comme lui, a su faire 
vibrer, dans des compositions inspirées de l'antique, un 
idéal de grâce attendrie et de suave élégance, d'un accent 
tout moderne. 

Depuis IdiJeunessCy qui fut son premier triomphe, jusqu'au 
monument de Mgr de Bonnechose, auquel il consacra les 
derniers jours de sa vie, la destinée semble avoir voué 
Chapu à la sculpture funéraire. C'est à ce genre qu'il doit 
ses plus grands comme ses plus légitimes succès. Dans vingt 
œuvres analogues, et qui chez un artiste moins habile 
auraient pu offrir des redites monotones, il a su tantôt par 
l'heureux choix de l'allégorie, tantôt par la simple évocation 
de l'âme disparue, décerner à chacun de ceux dont la 
mémoire lui était confiée l'apothéose qui lui convenait, 
tantôt majestueuse et tantôt touchante, ici retraçant pour 
la postérité les gloires d'une destinée illustre, là parlant 
seulement au cœur de quelques amis affligés. En analysant 



182 CHAPU. 

la plupart de ces compositions, on retrouve l'artiste imbu 
non seulement des principes plastiques, mais du génie 
même de l'art antique. Pour un artiste chrétien, la mort 
ne va pas sans tout un cortège d'images funèbres et d'allé- 
gories terrifiantes. Plus douce est l'idée que nous en donne 
Chapu. Il semble qu'il ne veuille pas sonder à fond le redou- 
table mystère, qu'il n'en parle, comme les anciens, qu'à 
mots couverts, avec mille réticences, avec mille euphé- 
mismes gracieux. Contemplons le monument de la duchesse 
d'Orléans ou bien encore celui de mistress Bancroft au Père- 
Lachaise. La tristesse que ces œuvres éveillent en nous n'a 
rien d'amer, la mort nous y apparaît douce comme un som- 
meil, grave comme une fin d'automne dont la mélancoHe est 
tempérée par l'espoir d'un prochain renouveau. C'est une 
impression analogue que nous retrouvons devant l'image 
funèbre de Mlle Labiche. Cette exquise figure de vierge, si 
chaste dans la liliale blancheur de son suaire avec ses longs 
cheveux déroulés qui l'enveloppent comme un manteau 
soyeux, semble être la traduction en marbre de quelque élégie 
de Léonidas de Tarente, et en la contemplant on murmure 
malgré soi la gracieuse épitaphe de l'Anthologie : « Terre, 
sois-lui légère, elle a si peu pesé sur toi. » 

Ces jolies inspirations, Chapu les trouve le plus souvent 
dans son cœur. Ne cherchez dans ses œuvres ni un symbo- 
lismeprofond, ni une philosophie transcendante. Leur grâce 
touchante, de source purement humaine, les rattache au 
naturalisme, alors même qu'il traite un sujet de méta- 
physique; il admet la doctrine réaliste, à condition toutefois 
d'y englober les éléments pittoresques qu'elle comporte, 
aussi bien que l'expression des sentiments. Et c'est là peut- 



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OEUVRES POSTHUMES. 183 



être un des secrets de son charme. On aime chez nous les 
génies clairs et les idées simplement exprimées. David 
d'AngerS) qu'on a pompeusement nommé »« le sculpteur de 
ridée » , ne prenait pas l'ébauchoir sans avoir auparavant 
songé au sacerdoce qu'il allait remplir et à la postérité pour 
laquelle il ne doutait pas qu'il ne travaillât. Chapu cherche 
seulement à faire œuvre d'ouvrier. Ce n'est pas qu'il ait, 
moins qu'aucun autre, la probité de son art, ni qu'il se livre 
sans discernement aux hasards de son inspiration. Aucune 
esquisse n'est modelée par lui qu'elle n'ait subi, dans son 
cerveau, une longue gestation; mais ce qui le préoccupe 
avant tout, c'est la beauté de la forme, le rythme du mouve- 
ment, la noblesse plastique; le reste viendra de soi, les yeux 
charmés transmettront au cerveau l'impression morale qui 
doit se dégager de l'œuvre. Il est arrivé à ce résultat du pre- 
mier coup et comme en se jouant dans sa Jeunesse, qui peut 
passer pour une des figures les plus parfaites de la statuaire 
contemporaine et qui, aussi longtemps que l'art plastique 
aura des admirateurs, proclamera bien hautlenom deChapu. 
Sans vouloir diminuer le mérite de ses autres œuvres, il nous 
semble que l'artiste ait rencontré dans cette figure la plus 
heureuse incarnation de son idéal, qu'on y trouve résumées 
toutes ses délicates qualités : la sobriété, l'élégance, la sou- 
plesse de l'exécution et ce parfiim de volupté chaste, de grâce 
décente qui n'appartient qu'à lui. Sans doute le Berryer est un 
noiorceau d'une haute saveur; sans doute la Pem^e et l'/m mor- 
^â/{7^sontdes ouvrages sans défaut; cependant, dans l'œuvre 
du maître, elles ne viennent qu'après la figure du monument 
de Begnault, et, pour les contemporains comme pour la pos- 
térité, Chapu est et sera toujours l'auteur de la Jeunesse, 



184 CHAPU. 

L'influence de l'art grec, dans les premières œuvres de 
Chapu, est flagrante. Depuis le Mercure inventant lecaducée, 
qui, malgré de remarquables qualités d'exécution, n'est, atout 
prendre, qu'un antique habilement démarqué, jusqu'à la 
Clytie métamorphosée en toitrnesoly l'artiste semble étroi- 
tement soumis à ses lois. Peu à peu, cependant, nous le ver- 
rons, tout en restant fidèle à sa poétique habituelle, tendre 
vers une sorte de naturalisme épuré dans lequel il cherchera 
à faire entrer les éléments pittoresques du monde moderne. 
he groupe du monument de Schneider marque le premier 
pas dans cette voie, et l'on n'a peut-être pas suffisamment 
rendu justice à la hardiesse que montra l'artiste en abordant 
sans ambages, sans subterfuge, sans tricherie d'aucune sorte, 
ce redoutable problème d'habiller une allégorie de vêtements 
contemporains. En cela Chapu s'est montré un initiateur, 
et la pauvreté des résultats obtenus par ceux qui l'ont suivi 
dans cette voie montre assez quelle science consommée, quelle 
entente des lois de la sculpture, quelle mesure et quelle 
sûreté de goût il lui a fallu pour triompher d'un tel sujet. 

Plus il avance dans sa carrière, plus il semble que Chapu 
soit séduit par ce que Baudelaire appelle l'héroïsme de la 
vie moderne. Sans doute il regrette parfois la vie ancienne, 
la vie robuste et guerrière qui donnait l'habitude des mouve- 
ments sérieux, des attitudes majestueuses ou violentes; mais 
il songe aussi qu'il faut être de son temps, que puisque tous 
les siècles et tous les peuples ont leur beauté, nous devons 
inévitablement avoir la nôtre, qu'il faut à tout prix en trouver 
le côté épique, et que le meilleur moyen de l'atteindre est 
encore une soumission scrupuleuse à l'humble vérité. C'est 
cette naïveté consciencieuse qui fait le charme du groupe des 



OEUVRES POSTHUMES. 



185 



frères Galigniani. Il montrera les mêmes qualités dans la 
statue de Le Verrier et surtout dans celle de la princesse de 
Galles, œuvre singulière où il a une dernière fois témoigné 
de rincomparable virtuosité de son ciseau en abordant bra- 
vement le costume féminin moderne dans ses multiples 
détails, accumulant comme à plaisir les broderies, les soie- 
ries, les dentelles, et les mille 
falbalas qui font partie de ra- 
justement d'une grande dame. 
L'œuvre, cependant, ne man- 
que pas de puissance, et, en 
même temps qu'elle a l'intérêt 



d'un document précis, elle se / } " ^/^ 




P&U H ET, 



recommande par une certaine 
noblesse affable qui en re- 
hausse le caractère et le ratta- 
che au grand art. Chapu, si la 
mort ne l'avait prématurément 
arrêté dans sa carrière, aurait- 
il été plus avant encore dans 
cette voie? Serait-il arrivé, à force de talent, à réconcilier 
l'idéal antique avec les aspirations modernes? Tout ce que 
Ton peut dire, c'est que jamais le problème n'a été étudié 
avec tant de loyauté, de sincérité et de bonheur. 

Ce n'est pas parmi les nombreux bustes que Chapu exposa 
pendant près de trente ans qu'il faut chercher son meilleur 
titre de gloire. Trop souvent les dures nécessités de la vie 
l'ont forcé d'accepter la commande d'images posthumes, où 
à l'aide de documents incomplets il s'efforçait de faire 
revivre des figures inconnues ou mal connues. Rien d'étonnant 



186 



CHAPU. 



à ce qu'il leur manque cette flamme divine qui illumine seule 
les portraits faits par un artiste qui a choisi lui-même son 
modèle et, en même temps qu'il a longuement observé ses 
traits, s'est pénétré de son être moral, a scruté tous les 
replis de son âme. Il est facile, au reste, de faire parmi les 
bustes de Cbapu la part entre les œuvres imposées et les 
œuvres désirées, entre celles qui sont nées des hasards d'une 
commande et celles où l'enthousiasme, la reconnaissance ou 
l'amitié ont inspiré son talent. Parmi les premières, le buste 
de Dumas peut seul être proclamé un chef-d'œuvre; les 
secondes, en revanche, avec des mérites inégaux, ont toutes 
cet irrésistible attrait des œuvres faites avec amour. La liste 
en serait longue et difficile à dresser; on la trouvera plus 
loin, et nous espérons n'y avoir pas laissé trop de lacunes. 
Contentons-nous pour le moment de citer parmi les plus 
remarquables : le portrait de M. Sédille père, une intelli- 
gente et énergique figure d'artiste; celui de Duc, avec son 
aristocratique allure de gentilhomme doublé d'un artiste; 
ceux de Le Play, du docteur Desmarres, de Robert de Vogiié, 
de l'abbé Lagarde, de Barbedienne, figures aimées à cha- 
cune desquelles il a su restituer son caractère propre, à 
ceux-là la sérénité du penseur et du savant, à celui-ci 
l'enthousiasme du courage confiant et jeune, à cet autre le 
charme d'un cœur évangélique, à ce dernier la simplicité 
souriante de celui qui a vécu par le travail et que le travail 
a récompensé. 

Quelque remarquables que soient ces ouvrages, ce n'est 
pas dans les figures de ronde bosse qu'il a le mieux déployé 
ses grandes qualités de portraitiste, mais dans les mille 
médailles qu'il a modelées pendant tout le cours de sa car- 



OEUVRES POSTHUMES. i8T 

rière et principalement pendant les dix années qui suivirent 
son retour de Rome, œuvres exquises de spontanéité , de 
verve libre et familière que, dans sa modestie, l'artiste 
montrait rarement au public, et dont beaucoup, faute d'avoir 
été reproduites dans une matière durable, seront sans doute 
perdues pour la postérité. Où trouver, sinon dans quelque 
atelier d'ancien pensionnaire de Rome, le médaillon de 
Schnetz? Que deviendront les rares exemplaires en plâtre du 
profil d'Élie Delaunay quand auront disparu les quelques 
amis qui conservent cette admirable image du grand peintre? 
Où aller voir ceux de Michel Lecoq, de Marie, de Tony 
Robert-Fleury, du paysagiste Gibert, de Duret, d'Armand 
Dumaresq, des deux Guillaume, l'architecte et le peintre, de 
SuUy-Prudhomme et de tant d'autres? Un cadre des médailles 
de Chapu ferait bonne figure au Musée du Luxembourg; il 
serait encore mieux à sa place et plus utilement contemplé 
au Louvre, en face des médailles de David d'Angers. On 
pourrait y étudier la manière de faire si différente des deux 
artistes et juger qui des deux a le mieux interprété la 
nature. Pour nous, depuis longtemps notre opinion estfaite, 
et entre l'art gourmé, solennel, emphatique du sculpteur 
angevin, et la simplicité naïve, le sincère naturalisme de 
Chapu. 

En somme, il n'y a que deux manières de comprendre 
un portrait, peint ou sculpté. La première consiste à con- 
templer le modèle à travers une sorte de transfiguration 
morale, à en chercher le caractère dominant, à le ramener, 
coûte que coûte, vers un « type » de beauté : c'est manifeste- 
ment ce qui préoccupe David d'Angers. Il est encore 
influencé par les singulières théories qui, vers le commen- 



188 CHAPU. 

cément du siècle, dominaient dans Técole (1); il cherche à 
« épurer la forme d'après les lois posées par le génie. » De 
là dans son œuvre tant de monotonie et de froideur, de là 
ces fronts invariablement puissants ; de là cette solennelle 
galerie de « grands hommes » qu'aucun sceau individuel ne 
marque et dont, pour cette raison, la ressemblance nous 
parait suspecte. 

La deuxième méthode est de copier simplement, bêtement 
la nature avec ses imperfections comme avec ses beautés. 
Ainsi travaillaient les médailleurs du quinzième siècle, 
ainsi procédaient, en Italie, les Pisan, les Leone Leoni et 
les Pastoriuo ; ainsi en Allemagne les Rectz et les Hague- 
uauer, ces glorieux ouvriers, qui ne songeaient pas à avoir 
du génie et, pour toute esthétique, avaient ce culte rehgieux 
de la nature que connaissent seules les âmes simples. Qu'ils 
sont beaux, cependant, ces profils de moines ou de podestats, 
de bourgeois ou de grandes dames, qu'ils ont ciselés dans le 
bronze, et combien cet art naïf et méticuleux, un peu bar- 
bare parfois, nous émeut profondément! Chapu, toutes 
proportions gardées, appartient à cette école, par son 
absence absolue de manière et la sincérité de son observa- 
tion. Sans doute, il ne craindra pas, son œuvre ébauchée, 
d'atténuer, par un discret travail d'épuration, certains 

(1) M. de Fourcaud, dans sa remarquable étude sur Rude, cite, d'après un Traité 
de peinture de Paiilot de Montabert, ouvrage estimé vers le commencement du 
siècle, quelques-unes des singulières propositions que l'on enseignait officielle- 
ment et qui étaient considérées comme des axiomes : 

« L'accidentel ne doit jamais altérer l'unité du caractère des formes. » 

u Le type du beau n'existe que dans la nature collective et ne se rencontre pas 
dans les individus. « 

« L'homme est envisagé comme la copie d'un être parfait dont il est plus ou 
moins dégénéré. Le but de l'artiste est de retrouver l'homme primitif. <• 




MARIE. 

Médaille 1864. 



OEUVRES POSTHUMES. 191 

détails inutiles, certaines disgrâces physiques, dont Taccen- 
tuation trop précise nuirait au caractère général de l'œuvre; 
mais il y apportera un tel discernement, une science si 
sûre, un goût si parfait, qu'aucun de ses personnages n'y 
perdra son empreinte individuelle, le sceau particulier dont 
la nature, Tâge, les passions ou les souffrances ont marqué 
son visage. Aussi, quelle variété! Ne lit-on pas sur le 
visage de Schnetz sa verve un peu grosse d'homme san- 
guin (1), sur celui de Bonnat la décision unie à la force, sur 
celui de Guillaume le recueillement d'un philosophe plus 
épris de pensée que d'action?. . . Là est peut-être, en somme, 
la partie la plus originale et la plus durable de l'œuvre de 
Ghapu, celle qui n'a rien à craindre des fluctuations de la 
mode et des caprices de l'opinion. On pourra, au nom d'un 
autre idéal, critiquer l'idéal auquel Ghapu s'est rallié dans 
ses grandes œuvres; ses médailles, qui ne relèvent d'aucune 
mode passagère, seront toujours considérées comme d'ad- 
mirables portraits. 

Il serait bon, pour compléter cette brève étude, d'appré- 
cier le talent de Ghapu au point de vue purement théorique 
de son art; mais c'est là une déhcate besogne qu'un sculp- 
teur seul pourrait tenter avec une suffisante autorité et que 
nous craignons d'aborder, nous qui n'avons jamais manié, 

(1) Dans une de ses lettres, datée de Rome (24 août 1853), Baudry parle en ce» 
termes de Schnetz : « Je connais peu le nouveau directeur M. Schnetz... mais 
j'entends dire que c'est un héros parce qu'on boit de la bière chez lui ; que c'est 
un ami de Thunianité parce qu'il vous offre des ci{;ares...et qu'il met à la disposi- 
tion de tous sa voiture, ses salons, ses gens, et qu'il raconte de grosses histoires où 
l'on rit, on crache et on jure... Notre Schnetz est célibataire, a des cheveux 
comme un buisson de chez nous, une taille de cinq pieds huit pouces, et aime les 
militaires; aussi sommes-nous truffés de colonels, généraux et autres graines 
d'épinards. » {Baudry, sa vie et son œuvre, par Ch. Epurussi.) 



IflS CHAPU. 

même en amateur, Tébauchoir ou le ciseau. Nous croyons, 
cependant, pouvoir dire, sans crainte d'être démenti, que 
Chapu était regardé par ses confrères comme un des meilleurs 
ouvriers du marbre, et que sa science anatomique n'a jamais 
été prise en défaut par ceux qui connaissent le mieux l'archi- 
tecture du corps humain. Quelques-uns ont pu lui reprocher 
d'avoir parfois un peu trop simplifié la nature et de l'avoir 
énervée sous les caresses de son ciseau. En tout cas, ce 
n'est pas impuissance de sa part, mais parti pris bien arrêté. 
D'autres se sont appliqués à écrire sur le corps humain le 
douloureux poème de la vie; ils ont noté scrupuleusement 
les déformations que l'âge, le travail ou la misère lui fait 
subir, ne nous faisant grâce ni d'une ride, ni d'un calus. 
Chapu semble toujours le voir à travers sou originelle 
beauté, alors que sa vigueur s'exerçait sans effort au sein 
d'une nature obéissante à sa souveraine puissance. 

Le temps n'est pas venu d'apprécier la place qui, dans 
l'art contemporain, sera réservée par la postérité à l'œuvre 
de Chapu. Dans cet immense domaine de l'Art, où le 
champ est si vaste, le but si difficile à définir et les moyens 
si divers, on ne doit s'avapcer qu'avec une extrême réserve, 
et craindre ces jugements téméraires que la génération de 
demain infirmera peut-être, en attendant que ses arrêts 
soient à leur tour cassés par celle d'après-demain. Aussi 
bien n'est-ce pas une préoccupation un peu puérile que de 
vouloir assigner uu rang à chaque artiste, de le classer par 
ordre de mérite, comme on ferait pour des élèves ayant 
tenté le même concours? « Pourquoi, a dit Chapu dans une 
de ses plus jolies lettres où il console sa femme de certain 
article d'un journal malveillant, pourquoi vouloir mettre 



OEUVRES POSTHUMES. 193 

sur chaque ouvrage des un, des deux et des trois? Chacun a 
son goût particuUer, sa nuance spéciale. Il y a des blonds, 
des bruns et des châtains; chacune de ces couleurs a sa 
beauté. C'est comme si Toeillet était jaloux de la rose et la 
rose du Us. Et encore, la pauvre petite violette doit-elle 
pour cela se suicider?... » 

La pauvre petite violette? N'est-ce pas lui-même que 
Taitiste, dans sa modestie charmante, voudrait ainsi dési- 
gner? Après tout, la comparaison n'est pas pour nous 
déplaire, et nous l'adoptons volontiers, si l'on accorde que 
la violette est une fleur exquise, que son parfum pénétrant 
et doux vaut bien la capiteuse senteur des lis, que sa mélan- 
colique livrée d'améthyste a sa beauté spéciale qui nous 
repose de l'éclat bruyant des roses aux mille couleurs. 

Ce qui fait le charme de notre école moderne de sculp- 
ture, si souvent et si justement vantée, c'est le nombre et 
la variété des talents. On n'y rencontre pas de génies de 
vaste envergure, de ces esprits lumineux qui rayonnent sur 
une époque et entraînent dans leur sillage tout l'art contem- 
porain; en revanche, cette fin de siècle a vu naître et 
grandir une glorieuse pléiade d'artistes excellents qui, cher- 
chant leur inspiration aux plus pures sources, les uns plus 
séduits par la sérénité de l'art grec, les autres plus charmés 
par les fastes de la Renaissance, ont enrichi la statuaire 
d'oeuvres brillantes et variées. Chapu a été un de ceux-là. 
Sans doute il n'a pas la sève débordante de Carpeaux, mais 
il possède un goût plus pur, une science plus accomplie, un 
idéal plus sain. Il n'a jamais su faire « trembler le marbre «; 
mais si jamais on lui avait fait ce reproche, — en admettant 
que c'en soit un, — il aurait peut-être répondu que le 

13 



194 



CHAPU. 



marbre n'est pas fait pour trembler. Quelques-uns, à sa 
gracieuse et sobre concision, pourront préférer la vei-\'e 
exubérante d'un Falguière, l'élégant naturalisme d'un 
Mercié, ou même la franchise un peu brutale d'un Dalou. 
Le nom de Cbapu n'en restera pas moins un des plus grands 
de la sculpture contemporaine, car son esprit s'est constam- 
ment élevé dans les pures et sereines régions du Beau, et 
ses œuvres vivront de longs siècles, car elles sont comme 
une suave émanation de cette âme si simple, si belle, si 
harmonieuse ! 




LOCIS XIV. 
Statuette brome. 



J 



NOTICE 
ET PIÈCES LITTÉRAIRES 



NOTICE 

SUR 

HENRI LEMAIRE 

LUE PAR CHAPU A l'académie DES BEAUX-ARTS 

(Séance du 17 décembre 1881) 



Messieurs, 

Il semble qu'il y ait pour les villes où les arts ont toujours été 
en honneur des époques véritablement privilégiées. A peine un 
de leurs enfants s'est-il rendu célèbre, que d'autres, guidés en 
quelque sorte par une noble émulation, ne tardent pas à 
marcher sur leurs traces et à se faire un nom. 

Les débuts de Tcxistence si bien remplie de Henri Lemaire 
ne sont-ils pas à cet égard bien frappants? En quelques années, 
Yalenciennes, dont la réputation artistique s'est, du reste, con- 
servée intacte, donne, au commencement de ce siècle, naissance 
à un certain nombre d'hommes qui, dans des genres divers, ont 
porté haut l'éclat de sa renommée. 

Une pareille fécondité n'est-elle pas pour d'autres villes, 
dignes émules de cette vieille cité, une source puissante d'en- 
couragement? Combien d'intelligences d'élite, d'esprits vrai- 
ment supérieurs courraient le risque de rester ignorés, si, 
à cause du milieu, du défaut complet de moyens matériels, il 



198 CHAPU. 

leur était à peu près interdit de se développer et de s'étendre ! 

Aussi, rhomme qui, plus tard, est parvenu à sortir de la 
foule, conserve-t-il, avec le souvenir des lieux où il a été élevé, 
un profond attachement au pays qui a été le témoin de ses pre- 
mières luttes et de ses premiers succès. 

Lorsque Ton se reporte aux traits principaux de la vie 
de Henri Lemaire, c'est ce sentiment que Ton voit dominer. 
Sa reconnaissance est telle qu'il considère ses œuvres comme 
un bien revenant de droit à sa ville natale, dont il associe le 
nom à toutes ses joies et à tous ses triomphes. Ne nous est-il 
pas révélé, d'ailleurs, par sa correspondance, par les papiers 
recueillis après sa mort, combien Lemaire était d'une nature 
affectueuse et bonne? Il ressentait pour sa mère une tendre 
vénération, et professait pour son vieux maître, M. Léonce de 
Fieuzal, qui avait pressenti ce qu'un jour il devait être, un véri- 
table culte. 

Henri Lemaire naquit à Valenciennes, le 9 janvier 1798, 
de parents dont la condition était peu aisée. Son père, petit 
tailleur d'habits, subvenait à grand'peine aux besoins de la 
famille. 

Rien dans ce modeste intérieur n'était fait, à coup sûr, pour 
éveiller l'imagination de Lemaire et développer en lui le 
goût de l'art. Cependant, encore tout enfant, dès qu'il était 
sorti de l'école, il fuyait les jeux de ses camarades pour se 
livrer des heures entières à sa passion dominante, qui était le 
dessin. Ses parents, cédant aux sollicitations de quelques amis, 
le firent, à l'âge de dix ans, admettre à l'Académie de Valen- 
ciennes. 

On se lassa vite, à la maison paternelle, de voir Lemaire 
suivre des cours qui ne devaient pas le mettre, avant bien des 
années, en état de gagner sa vie. Six mois ne s^étaient pas 
écoulés que l'enfant quittait l'Académie pour devenir petit clerc 
de notaire, puis pour entrer dans un bureau de loterie. C'est là 
que son avenir devait se décider. 

Le jeune employé n'était pas tellement occupé qu'il n'eût 



NOTICE ET PIÈCES LITTÉRAIRES. 199 

quelques moments de loisir. Aussitôt qu'il était libre, il repre- 
nait sa plume et ses crayons. Un heureux hasard le servit. Dans 
la pièce où il travaillait, se trouvait un buste de Louis XVI. Il 
vint à ridée de Lemaire de chercher à reproduire les traits du 
monarque. Il le fit avec tant de bonheur que M. Léonce de 
Fieuzal, professeur à l'Académie, sous les yeux de qui le dessin 
tomba, fut frappé des dispositions de l'enfant; il décida ses 
parents à le renvoyer de nouveau aux cours de l'Ecole ; Lemaire 
allait entrer alors dans sa douzième année. 

Les progrès de Lemaire furent rapides. C'est qu'en effet si sa 
vive intelligence le servait à souhait, il ne pouvait, d'un autre 
côté, que tirer grand profit des conseils expérimentés d'un 
maître qui l'affectionnait beaucoup. 

Ses aspirations, d'accord avec les vues de M. Léonce de 
Fieuzal, le déterminèrent à étudier l'art de la sculpture. 

Pensionné par ses compatriotes, le jeune Valenciennois se 
rendit à Paris, où il entra d'abord dans l'atelier de Milhomme 
et devint ensuite l'élève de Cartellier. Il obtint le grand prix de 
Rome en 1821, avec une composition : Alexandre le Grand chez 
les Oxy dragues. 

Ses envois furent nombreux et lui valurent les éloges de 
l'Académie. On remarqua principalement la statue d'une Jeune 
fille tenant unpapillon, œuvre gracieuse, et le Laboureur de Vir- 
gile, encore aujourd'hui dans le jardin des Tuileries. 

De retour à Paris, Lemaire allait tenir les promesses qu'il 
avait fait concevoir comme pensionnaire de la Villa Médicis. 
Protégé en haut lieu, il vit les commandes affluer à son atelier, 
où se succédèrent, en quelques années, la statue du duc de 
Bordeaux, un groupe de la Vierge, de VEnfant Jésus et de saint 
Jean, le tombeau de Mlle Duchesnois, la statue de VEspérance 
pour Notre-Dame de Lorette, celle du prince de Condé et, 
digne pendant de la Psyché au papillon, la statue d'une Jeune 
fille effrayée par une vipère. 

Un concours, ouvert pour la décoration du fronton de la 
Madeleine, et dans lequel il l'emporta sur ses rivaux, vint lui 



200 CHAPU. 

permettre d'accroître et de justifier sa réputation d'une façon 
plus éclatante. 

Lemaire, heureusement inspiré dans le choix de son sujet, 
exécuta ce bas-relief que vous connaissez tous, Messieurs, et 
qui est, à juste titre, considéré comme son œuvre capitale. La 
composition en est claire; le Christ occupe le centre du fronton, 
la Madeleine est à ses pieds ; d'un côté l'Ange exterminateur 
terrasse les Vices, de l'autre les Vertus s'avancent comme pour 
appuyer la prière de la Pécheresse repentante. L'ensemble de 
ce grand travail, d'une belle unité, s'impose au regard. L'as- 
pect en est magistral, le style large et simple. Les mérites de 
l'exécution, brillante dans une partie, sobre dans l'autre, vien- 
nent compléter un des plus beaux morceaux de sculpture déco- 
rative qu'ait produits notre école moderne. 

Lemaire, alors âgé de trente-six ans, était dans la plénitude, 
dans toute la force du talent. 

A dater de cette époque, on vit sortir de son atelier la statue 
équestre de Henri IV ^ qui décorait la façade de l'ancien Hôtel 
de ville, la statue de Thémistocley qui est aux Tuileries, le bas- 
relief de Marceau pour l'at-c de triomphe de l'Étoile, la statue 
de Racine placée dans notre salle des séances, celles du maré- 
chal Chevert à Verdun et du général Hoche sur une place de 
Versailles, le fronton du palais de justice de Lille, et, destinées 
à la galerie du château de Versailles, les statues de Louis XVI et 
de Kléber. 

Parmi ces œuvres, qui toutes lui font honneur, je crois devoir 
signaler spécialement à votre attention la statue de Henri IV, 
bronze parfaitement traité et dont l'effet répondait bien à sa 
destination, ainsi que le bas-relîef de Marceau^ dont la belle 
ordonnance n'a pas été sans vous frapper. 

Lemaire venait d'achever un bas-relief pour la colonne de 
Boulogne lorsque, dans le cours de l'année 1840, il se rendit en 
Russie, où il avait été chargé par l'empereur Nicolas d'exécuter 
deux frontons de dimensions colossales pour l'église de Saint- 
Isaac, à Saint-Pétersbourg : la Résurrection du Christ et Saint 



NOTICE ET PIÈCES LITTÉRAIRES. 201 

Isaac persécuté par l'empereur Valens, Ces deux importantes, 
compositions, d'un caractère monumental, n'exigèrent pas 
moins de deux années pour leur complet achèvement. 

A la suite de ces nombreux et remarquables travaux, il était 
réservé à Lemaire une suprême récompense, qui est le véri- 
table couronnement d'une carrière d'artiste; il fut, le 13 sep- 
tembre 1845, élu membre de l'Institut. 

Au milieu des honneurs dont il était comblé, le sculpteur 
valenciennois n'avait pas oublié sa ville natale, à laquelle il 
voulut donner un dernier témoignage de sa reconnaissance en 
prêtant le concours désintéressé de son talent à l'érection du 
monument de Froissarrl, qui orne une des places de Valen- 
ciennes. 

La considération méritée dont jouissait Lemaire auprès de 
ses compatriotes lui valut d'être élu à plusieurs reprises député 
de son département. 

Lemaire eut une longue vieillesse, pendant laquelle il ne 
cessa de s'occuper de son art et d'aider de ses conseils et de sa 
protection, toujours efficace, les jeunes gens qui s'adressaient à 
lui. Cette protection, il a cherché à l'étendre même au delà des 
limites de sa vie par les deux legs qu'il a faits, l'un à la ville de 
Valenciennes pour la création d'une bourse d'élève sculpteur, 
l'autre à l'École» nationale des beaux-arts de Paris, pour la fon- 
dation d'un prix de sculpture. 

11 est mort à Paris le 2 août 1880, à l'âge de quatre-vingt- 
deux ans. 

Est-il possible. Messieurs, de porter un jugement définitif sur 
des œuvres si rapprochées de nous? Depuis un quart de siècle 
le goût du public a pu varier; les artistes eux-mêmes ont pu se 
laisser entraîner vers un but assez différent. Sans doute il y 
a dans Tart, dans le style et dans la manière des écoles, cer- 
taines parties qui se transforment; mais les principes mêmes 
qui faisaient loi à l'époque de Lemaire ne sont pas destinés 
à périr. 

La brillante génération de sculpteurs qui compte les noms 



202 CHAPU. 



des Cortol, des David d'Angers, des Pradier, des Duret, a des 
aujourd'hui une page glorieuse dans rhistoirc de la sculpture 
française. Elle vivra par ses œuvres, et Lemaire conservera au 
milieu de cette pléiade d'hommes illustres une place honorable 
et digne. 



DISCOURS 

PRONONCÉ PAR CHAPU 

AUX OBSÈQUES DF. 

CLAUDE-FERDINAND GAILLARD 

(23 Janvier 1887) 



Je viens au nom de ceux qui t'aimaient, tes parents, tes amis, 
tes camarades de Tatelier Cogniet et de l'Académie de Rome, que 
le coup si brusque qui les atteint a tous consternés. 

Je ne ferai pas Téloge de tes travaux, ils sont connus dans 
toute TEurope. Les qualités qui distinguaient ton talent méritent 
une appréciation raisonnée, et, dans le trouble de Theure pré- 
sente, je ne veux songer qu'à l'ami perdu. 

Tu avais en toi les qualités natives qui fonl les vrais artistes : 
le culte élevé de l'art, la volonté sans défaillances et cette sim- 
plicité du croyant qui fait l'âme clairvoyante. 

Je t'ai suivi depuis le jour où, quittant les bons Frères Igno- 
rantins du Gros-Caillou, tu passas par l'École de dessin, l'atelier 
Cogniet pour te rendre à Rome, où t'appelait ton titre de Pen- 
sionnaire de l'Académie de France. 

Là, chacune de tes années était marquée par un voyage 
d'étude. Tantôt tu revenais de Naples, épris de l'antiquité, 
tantôt de Venise, plein d'enthousiasme pour les Vénitiens, de 
Florence, pour les primitifs Toscans. Ceux-là t'ont charmé 
longtemps; ils t'ont rappelé souvent. 



204 Cil A PU. 

Tu as su puiser dans ces contacts multiples, dans cette suc- 
cession d'études cette puissance d'assimilation, qui a fait le 
charme de ton talent, et que Ton se plaisait à louer comme 
Tune de tes qualités ori{];inales. 

Tu n'étais pas un homme de transaction. En face d'un maître, 
en présence de la nature, tu te plaisais à fouiller, à pénétrer la 
forme ou le procédé, et c'est dans cette recherche patiente, 
dans cette observation passionnée que tu as conquis la haute 
expérience qui seule permet à l'homme de laisser après lui des 
œuvres solides; qui seule, dans les arts, constitue la personna- 
lité. 

De quelle nouvelle et juvénile ardeur tu fus pris devant ces 
deux chefs-d'œuvre que la France attendait de ta main savante, 
la Joconde et la Cène de Léonard ! 

A t'entendre, ce que tu avais produit jusqu'à ce jour ne valait 
plus la peine d'être compté ! Tu allais te surpasser toi-même! 
Tu demandais à vivre, afin de donner ta mesure!... 

Pauvre ami! nous pouvons juger ton chef-d'œuvre entrevu, 
par ceux qui nous restent de toi ! 

Tu n'as eu qu'une seule ambition, celle de mieux faire, et 
c'est à cette soif des grandes âmes que tu t'es sacrifié! 

Dédaignant le bien-être pour toi-même, tu n'as cessé de faire 
un noble usage de ce que tu as acquis par tes ouvrages ! 

Simple et bon, ainsi t'ai-jc connu aux jours lointains de nos 
débuts, ainsi es-tu resté jusqu'à ta dernière heure! 

Ce n'est donc pas sans raison que, par une attention touchante, 
on t'a revêtu pour ton dernier sommeil de la robe de bure des 
Franciscains. Il est bien vrai que tu es demeuré durant toute ta 
vie un vrai disciple de saint François ! Ton àme est allée rejoindre 
le bienheureux modèle qu'elle s'était choisi. 

Adieu, mon cher Gaillard, adieu! 

Puisse le témoignage unanime de nos regrets apporter un 
peu de consolation à ta vieille mère accablée, à ta famille, privée 
de son soutien! 




MEDAILLE DE GIBEllT. 



DISCOURS 

PRONONCÉ PAR CHAPU 

AUX OBSEQUES DE 

GUSTAVE BOULANGER 

(24 septembre 1888) 



Messieurs, 

Après les trois deuils successifs qui, en quelques mois, 
avaient frappé notre compagnie, après les pertes que nous 
venions de faire de MM. Questel, Bertinot et François, il sem- 
blait qu'un repos de la mort, coïncidant avec les derniers beaux 
jours, devait nous être accordé : aussi, la nouvelle du triste évé- 
nement qui nous réunit aujourd'hui autour de ce tombeau est- 
elle venue nous surprendre, confiants, et lorsque nous étions à 
peu près tous dispersés. 

L'Académie m'a délégué la pénible mission d'adresser le 
dernier adieu à notre cher confrère Gustave Boulanger. 

L'affection que vous aviez pour lui. Messieurs, et qu'il avait 
su si bien gagner, malgré le peu d'années qu'il lui a été donné 
de passer parmi vous, rendra, j'espère, ma tùche moins lourde, 
quelque douloureux qu'en puisse être pour moi l'accomplisse- 
ment. 

D'ailleurs, c'est un simple adieu que je viens dire, car il m'est 
impossible, à cette heure, d'apprécier comme il conviendrait 



208 CIIAPC. 

une œuvre aussi considérable que celle qu'a laissée notre ami. 

Élève de M. Jollivet et de Paul Delaroche, Gustave Boulan- 
ger dut à ses maîtres le goût et Thabitude d'un dessin ferme et 
arrête. Grand prix de Rome en 1849, il séprit en Italie de Tan- 
tiquité, et ses connaissances archéologiques lui permirent de 
donner à des sujets antiques une réalité imprévue, une vrai- 
semblance toute nouvelle. 

L'Algérie, avec le caractère pittoresque de ses scènes, la 
beauté âpre de ses types dessinés et modelés comme des bronzes, 
et qu'il sut rendre aussi ingénieusement que fidèlement, a été 
pour une bonne part dans la réputation qu'il s'est justement 
acquise. 

En résumant ces études variées dans des peintures décoratives 
qui lui furent confiées à la mairie des Gobclins et au foyer du 
nouvel Opéra, il acheva de marquer sa place parmi les artistes 
éminents de l'école contemporaine, et en 1882 vos sufiFrages 
l'appelaient à reaiplacer Lchmann dans notre compagnie. 

Je ne puis oublier dans cette trop rapide esquisse l'enseigne- 
ment, auquel il consacra beaucoup de temps et un infatigable 
dévouement. 

Ses nombreux élèves, dont quelques-uns certainement m'en- 
tendent, ont pu apprécier ses qualités de professeur, son juge- 
ment net et précis : c'est à eux, à leurs souvenirs, à leur grati- 
tude que j'en appelle. 

Pour nous ses confrères, ses amis, nous n'oublierons jamais 
son caractère cordial et droit, sa bonne humeur communicative, 
partant d'un fonds de bienveillance naturelle et d'un calme de 
la conscience qui l'a conservé jeune jusqu'à la fin. 

Si une consolation peut nous rester, c'est que les souffrances 
des derniers jours lui ont été épargnées. II part avec l'affection 
de tous, et c'est au nom de tous que j'en apporte le témoignage 
ému sur sa tombe. 

Adieu, mon cher Boulanger! adieu! 



DISCOURS 



PRONONCÉ PAR CHÀPU 

COMME PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS 
A LA SÉANCE SOLENNELLE DU 15 OCTOBRE 1889. 



Messieurs, 

La séance qui nous rassemble aujourd'hui nous impose une 
double tâche, celle de jeter un regard sur Tannée qui vient de 
s'écouler et de couronner les jeunes lauréats sortis vainqueurs 
des concours. 

La présence des familles, des professeurs et des amis lui 
donne cet aspect de fête que nous aimons à revoir chaque 
année ; mais comme le voyageur qui entre dans Rome, en pas- 
sant par la voie Appienne, et qui, avant de franchir Tenceinte, 
salue les tombes des morts illustres, je veux avant tout remplir 
un pieux devoir en honorant avec vous la mémoire de notre 
regretté confrère Alexandre Cabanel, mort au commencement 
de cette année. 

La nomenclature des œuvres d'un aussi éminent artiste est 
trop longue et la signification en est trop haute pour qu'il con- 
vienne de ne les indiquer ici qu'en passant. Notre secrétaire 
perpétuel vous en parlera mieux que moi dans un instant. Je 
me bornerai donc à vous dire que, malgré les cruelles souf- 
frances des derniers jours, Cabanel travailla sans relâche jusqu'à 

14 



210 CHAPU 

la fin. La mort vint le surprendre, et cette main qui traça et 
anima tant d'œuvres graves et charmantes s'immobilisa pour 
jamais alors que, pour ainsi dire, elle tenait encore le pinceau. 
Une vie si bien remplie est un exemple pour les artistes dont la 
vie commence. Puissent-ils le comprendre et n'en jamais perdre 
le souvenir ! 

Je dois joindre à l'hommage rendu à notre confrère celui 
d'un donateur qui a confié à notre Académie le soin d'accom- 
plir ses dernières volontés (1). 

Apres avoir rappelé ces souvenirs qui ne justifient que trop 
notre deuil ou qui s'imposaient à notre gratitude, j'ai plaisir à 
féliciter aujourd'hui nos jeunes lauréats pour qui le Prix de 
Rome ouvre si heureusement la carrière. Plus tard nous leur 
demanderons de nouveaux et plus grands efforts, mais aujour- 
d'hui nous nous joignons à toute l'assemblée pour les applaudir. 

Votre avenir, Messieurs, dépendra de l'emploi de ces quel- 
ques années que vous allez passer, sans souci matériel, sans 
arrière-pensée étrangère à l'art, de ces années qu'il vous sera 
donné de pouvoir consacrer entièrement à l'étude. C'est le plus 
beau rêve que puisse faire un artiste, et vos maîtres qui ont joui 
autrefois du privilège qui vous est accordé aujourd'hui recom- 
menceraient volontiers leur apprentissage dans les heureuses 
conditions où vous allez faire le vôtre. 

Soyez dignes et respectueux vis-à-vis des obligations qui vous 
sont prescrites — une longue expérience en a établi l'utilité — 
et soignez toute chose avec la plus grande attention, il n'y en a 
pas d'indifférente. 

On demandait à Raphaël comment il avait pu acquérir ce 
talent supérieur; il répondit : a En cherchant à faire toujours 
de mieux en mieux. » 

Ne rêvez pas de trop grandes choses : un objet d'importance 



(l) youi omettuns un passage relatif à différents legs faits a l'Académie par le 
peintre Anastasi et les frères Galigniani. 



NOTICE ET PIECES LITTERAIRES. 211 

raisonnable, mais bien et solidement traité, fera plus pour vos 
progrès et votre réputation que de vastes ambitions rendues 
d'une façon insuffisante. Une petite monnaie grecque contient 
plus d'art que le groupe du taureau de Dircé. Cherchez loyale- 
ment l'expression parfaite ; redoutez les prétentions et les inten- 
tions vides. 

Ne vous détournez donc pas des œuvres du passé. On vous le 
disait Tannée dernière à cette même place, appliquez-vous à 
deviner ce qui a produit chez les maîtres ce grand souffle d'art, 
cette intelligence pénétrante de la nature, cette puissance, en 
un mot, de pensée et de vision dont leurs œuvres sont si haute- 
ment empreintes. Quel a été leur secret? Ils ont aimé et admiré 
avec autant de sincérité que de bonheur la grande œuvre de 
Dieu. Ils ont demandé avec foi et de tout cœur, et ils ont obtenu 
parce que c'est aux plus fervents qu'il est le plus accordé. 
Voyez et faites comme eux. 

Je ne veux pas retarder plus longtemps la distribution de vos 
récompenses, mais il m'est impossible de rester silencieux 
devant cette grande manifestation de notre Exposition univer- 
selle et centennale, au succès de laquelle les arts, et les arts fran- 
çais surtout, ont eu une si grande part, réconfortant spectacle 
qui nous a permis de juger de la marche de notre génération et 
de sa vitalité dans ses diverses transformations. A vous, braves 
jeunes gens, à continuer et à augmenter ce patrimoine inesti- 
mable. 

Travaillez donc avec confiance ; vous faites partie d'une grande 
et généreuse nation, où, du haut en bas de l'échelle sociale, tous 
s'intéressent aux vrais talents et les acclament. On y aime les 
vaillants dans tous les genres; sachez être et rester de ceux-là. 



PIÈCES JUSTIFICATIVES 



PIÈCES JUSTIFICATIVES 



ACTE D£ NAISSANCE DE CHAPU 

Extrait des registres de l'état civil de la commune de Mée. 

L^an mil huit cent trente-trois, le lundi trente septembre, quatre 
heures du soir, devant nous Denis-Alexandre Yiard, adjoint de la 
commune de Mée, officier de l'état civil de ladite commune spéciale- 
ment délégué à cet effet, est comparu le sieur Julien Chapu, cocher, 
âgé de vingt et un ans, demeurant au Mée, lequel nous a présenté un 
enfant du sexe masculin, né audit Mée, le 29 présent mois, à neuf 
heures du soir, de son légitime mariage avec Glaire-Philippe Lecoq, 
sa femme, âgée de vingt-neuf ans, auquel enfant il a déclaré donner 
les prénoms de Henri-Michel-Antoine. Lesdites présentations et décla- 
rations nous ont été faites en présence de Laurent Kerich, manouvrier, 
âgé de soixante-trois ans, et Thomas Ghapu,jardinier, âgé de trenteans, 
ce dernier oncle paternel de l'enfant, tous deux témoins majeurs 
demeurant au Mée, lesquels ont, ainsi que le père de l'enfant, signé 
avec nous le présent acte après lecture faite, excepté Laurent Kerich, 
qui nous a déclaré ne savoir signer. 

Signe' : Thomas Chapu, Julien Chapu et Viard. 



A Monsieur le préfet du département de Seine-et-Marne. 

Monsieur le Préfet, 

Henri Chapu, né au Mée, près Melun, le 29 septembre 1833, a 
l'honneur de vous exposer qu'il se livre depuis trois ans à l'étude de 



216 CHAPU 

la sculpture; il est aujourd'hui élève de M. Pradier. Dans les années 
1848, 1849 et 1850 il a obtenu dix médailles dont trois d'argfent, la 
première en 1849, pour le premier prix de figure, les deux autres en 
1850; l'une pour le premier g;rand prix de composition d'ornement à 
l'Ëcole nationale de dessin, et l'autre à l'Académie des Beaux-Arts. 

Ces succès ont porté ses maîtres à lui conseiller de continuer une 
carrière dans laquelle ils le croient destiné à réussir. 

Mais des obstacles se présentent à l'accomplissement de ses plus 
chers désirs. La très modique fortune de ses parents les empêchera 
de fournir plus longtemps à des dépenses qui augmentent à mesure 
qu'il avance dans ses études. 

Il vous supplie donc. Monsieur le Préfet, de lui accorder votre 
bienveillance pour l'aider à obtenir du conseil général un secours 
qui le mît à même de faire de nouveaux progrès par des études plus 
dispendieuses. Si vous daignez accueillir favorablement sa demande, 
il s'efforcera par son application de se rendre digne des encourage- 
ments qui lui auront été accordés par le département dont vous êtes 
le premier magistrat. 

J'ai l'honneur, etc. 

H. Chapu. 

Paris, le 18 janvier 1851, 
rue de Lille, n9 92. 



A Monsieur le Préfet de Seine-eUMame. 

Monsieur le Préfet, 

Honoré de l'attention du conseil général qui l'année dernière, 
pour m'aider dans mes études, a daigné m'accorder une somme de 
huit cents francs, j'ai fait tous mes efforts pour me rendre digne de 
cette faveur, et mes succès et mes progrès attestent de mon zèle. 

J'ose donc espérer. Monsieur le Préfet, que sur votre bienveillante 
recommandation, le conseil général de la session qui va s'ouvrir me 
continuera sa haute protection. 



PIECES JUSTIFICATIVES. 217 

Pour faire preuve de mes prog^rès, j'envoie à Messieurs du conseil 
général deux objets de sculpture : F un est une composition bas-relief 
ayant pour sujet Ciiicinnatus au milieu de son champ refusant les 
insig^nes de la dictature^ l'autre est un buste un peu plus gros que 
nature et a pour sujet un Druide, 

Heureux de faire hommagfe à mes concitoyens de ce dernier objet, 
permettez, Monsieur le Préfet, à votre serviteur de l'offrir par vos 
mains au conseil (jénéral. 

Veuillez, Monsieur le Préfet, avoir la bonté, etc. 

H. Chapu. 
Paris, 28 août 1855. 



INSTITUT DE FRANGE 

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS 

Paris, le 4 octobre 1851. 
LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE l'aCADÉMIE 

Certifie que conformément au procès-verbal de la séance extraordi- 
naire de l'Académie des Beaux-Arts, du samedi 6 septembre 1851, 
dans laquelle le second grand prix de (jravure en médailles et en 
pierres fines a été accordé à M. Henri-Michel-Antoine Chapu, né à 
Mée (Seine-et-Marne), le 29 septembre 1833, élève de M. Pradîer, 
membre de l'Institut, officier de la Lé(jion d'honneur, et de M. Bovy, 
chevalier de la Lé{jion d'honneur, ce prix lui a été solennellement 
décerné dans la séance publique du samedi \ octobre 1851. 

Le secrétaire perpétue l, 
Raoul Rochette. 



218 CHAPU. 

INSTITUT DE FRANGE 

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS 

Paris, le 1* octobre 1853. 
LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE l'aGADÉMIE 

Certifie que conformément au procès-verbal de la séance extraordi- 
naire de TAcadémie des Beaux-Arts, du samedi 10 septembre 1853, 
dans laquelle le second (jrand prix de sculpture a été accordé à 
M. Henri-Michel- Antoine Cliapu, née au Mée (Seine-et-Marne), le 
29 septembre 1833, élève de M. Duret, membre de Tlnstitut, officier 
de la LéQion d'honneur, et de feu M. Pradier, ce prix lui a été 
solennellement décerné dans la séance publique du samedi 1" oc- 
tobre 1853. 

Le secrétaire perpétuel, 

Raoul ROCHETTE. 



INSTITUT DE FRANCE 

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS 

Paris, le 6 octobre 1855. 

LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L*AGADÉMIE 

Certifie que conformément au procès-verbal de la séance extraordi- 
naire du samedi 8 septembre 1855, dans laquelle le premier grand 
prix de sculpture a été accordé à M. Henri-Michel-Antoine Chapu, 
né au Mée (Seine-et-Marne), le 29 septembre 1833, élève de MM. Duret 
et Léon Co(jniet, membres de l'Institut, officiers de l'ordre impérial 
de la Légion d'honneur, et de feu M. Pradier, ce prix lui a été solen- 
nellement décerné en séance publique du samedi 6 octobre 1855. 

Le secrétaire perpétuel, 
F. Halévy. 



PIECES JUSTIFICATIVES. 219 

MINISTERE d'ÉTA.T 

BEAUX-ARTS 

Paris, le 2 juin i862. 

Monsieur, j'ai Thonneur de vous annoncer que Son Excellence le 
ministre d'État vient de décider que votre statue, en marbre, repré- 
sentant : u Mercure inventant le caducée », formant votre envoi de 
dernière année, comme pensionnaire de l'Académie impériale de 
France à Rome, serait acquise au compte de son ministère, moyen- 
nant la somme de huit mille francs. 

Recevez, etc. 

Le chef de la division des Beaux^Arts, 

H. COURMONS. 



PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE 

Paris, 14 juin 1863. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous annoncer que, par arrêté en date de ce jour, 
je vous charge de l'exécution d'une figure pour la décoration du nou- 
veau tribunal de commerce. 

Une somme de 6,500 francs vous sera allouée pour ce travail. 

Toutefois, suivant un usage adopté par son administration, la 
commande n'est définitive qu'après l'acceptation de l'esquisse par la 
commission des Beaux-Arts, et si, en cas défavorable, elle est retirée 
à l'artiste, celui-ci n'a droit à aucune indemnité. 

Vous voudrez bien d'ailleurs, avant de vous mettre à l'œuvre, vous 
entendre avec M. Bailly, architecte en chef du tribunal de commerce. 

Recevez, etc. 

Le sénateur, préfet de la Seine^ 
FIaussmann. 



220 GHAPU. 

PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE Lk SEINE 

Paris, le 3 août 18G5. 
Monsieur, 

J'ai rhonneur de vous annoncer que, par un arrêté du ... de ce 
mois, je vous ai cliarjjé de l'exécution de deux statues pour la déco- 
ration de la chapelle des catéchismes àTé^^lise Saint-Étienne du Blont. 

Recevez, etc. 

Le sénateur^ préfet de la Seine y 
Haussmann. 

P. S, — Vous voudrez bien d'ailleurs, avant de vous mettre à 
l'œuvre, vous entendre avec M. Baltard, architecte-directeur, chargé 
de l'inspection supérieure des Beaux-Aris. 



MINISTÈRE DE LA MAISON DE L'EMPEREUR 
ET DES BEAUX-ARTS 

Palais des Tuileries, le 24 juin 1865. 

Monsieur, j ai l'honneur de vous annoncer que M. le ministre de 
la maison de l'Empereur et des Beaux-Arts a bien voulu, sur ma pnn 
posilion, acquérir au compte de son département et moyennant la 
somme de trois mille francs une statue en plâtre, ayant pour sujet : 
u le Semeur », que vous avez exposée au Salon de cette année sous le 
n«290D. 

Recevez, Monsieur, etc. 

Le sénateur y surintendant des Beaux- Arts, 

Comte DE NiEUWERKER&E. 



PIECES JUSTIFICATIVES. 221 

3IINISTÈRE DE LA 3IAIS0N DE L'EMPEREUR 
ET DES BEAUX-ARTS 

I NOUVEL OPÉRA 

Soumission pour l'exécution de sculpture statuaire. 

Je soussi{j^né H. Chapu, sculpteur statuaire, demeurant à Paris, rue 
I de l'Abbaye Saint-Germain, n* 13, 

M'en^jage envers M. le ministre de la maison de FEmpereur et des 
Beaux-Arts à exécuter, pour la décoration du bas de la façade princi- 
I pale du nouvel Opéra, une statue en pierre de l'Échaillon, moyen- 

I nant le prix à forfait de six mille francs (6,000 francs). 

j Ce prix me sera payé par acomptes, jusqu'à concurrence des quatre 

cinquièmes, pendant le cours de l'exécution du travail et au fur et à 
I mesure de son avancement constaté par certificat de l'architecte. Le 

dernier cinquième ne me sera acquis qu'après l'achèvement complet 
et la réception définitive de la statue. 
Ce travail ne donnera pas lieu au prélèvement en faveur des asiles. 
Les frais de timbre, d'enregistrement et de copies de la présente 
soumission seront à ma char{je. 

Paris, le 25 juin 1866. 

Siyné : II. Chapu. 



MINISTÈRE DE LA MAISON DE L'EMPEREUR 
ET DES BEAUX-ARTS 

3Ionsieur, j'ai le plaisir de vous annoncer que par un décret rendu 
le 29 juin dernier, k l'occasion de l'Exposition universelle de 1867, 
Sa Majesté l'Empereur a bien voulu vous nommer chevalier de l'ordre 
de la Lé(jion d'honneur. 

Recevez, Monsieur, etc. 

Le Maréchal de France y 
Minisire de la Maison de t Empereur et des Beaux-Arts, 

Vaillant. 



«22 CHAPU. 



EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1867 A PARIS 

La Commission Impériale 
offre 

à M. CHAPUS {sic), sculpteur 
entrepreneur 

deux Médailles 

en témoignage des services rendus 

à l'œuvre internationale. 

Paris, le 5 janvier 1868. 

Le sénateur, commissaire général, 
F. Le Play. 



MINISTÈRE DE LA MAISON DE L'EMPEREUR 
ET DES BEAUX-ARTS 

Palais des Tuileries, le 18 décembre 1868. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous annoncer que Son Excellence le ministre de 
la maison de l'Empereur et des Beaux-Arts vient de décider, sur ma 
proposition, que vous seriez chargée d'exécuter, pour le compte de son 
département et moyennant la somme de huit mille francs , une statue 
en marhre ayant pour sujet a Clytée n. 

Cette statue, pour l'exécution de laquelle le Ministre vous fournira 
le marbre, devra être terminée et livrée avant le 31 décembre 1869 ; 
elle sera exécutée d'après le modèle que vous avez exposé en 1866 et 
qui devient, par suite de la commande dont il s'ag^it, la propriété de 
l'administration. 

Recevez, Monsieur, etc. 

Le sénateur, surintendant des Beaux-Arts, 

Comte DE NiEUWERKERKE. 



PIECES JUSTIFICATIVES. 223 

MINISTÈRE DE LA MAISON DE L'EMPEREUR 
ET DES BEAUX-ARTS 

Paris, le 6 avril 1869. 
Monsieur, 

Je vous annonce que, par arrêté en date de ce jour, j'ai approuvé la 
soumission que vous avez souscrite le 18 mars 1869, et ayant pour 
objet l'exécution des sculptures qui forment le couronnement du mo- 
tif du milieu de la cour de marbre et celle de l'une des statues ailées 
à placer sur la balustrade, à l'angle des faces sud et est de ladite 
cour, au palais de Versailles, au prix de neuf mille francs et aux 
autres conditions stipulées dans votre soumission. 

Vous voudrez bien, en conséquence, vous mettre immédiatement à 
la disposition de M. l'architecte du palais de Versailles. 

Recevez, Monsieur, etc. 

Le conseiller d'État, secrétaire général, 
Alph. Gautier. 



MINISTÈRE DES BEAUX-ARTS 

Palais du Louvre, le 6 mai 1870. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous annoncer que vous êtes chargé d'exécuter, 
au compte du Ministère des Beaux-Arts, moyennant la somme de deux 
mille quatre cents francs, le buste en marbre du comte de Montalembert. 

Vous aurez à vous entendre sur les proportions à donner à ce buste 
avec l'architecte du palais de l'Institut. 

Recevez, Monsieur, etc. 

Le chef de la division des Beaux- Arts ^ 
(illisible) 



224 CHAPU. 

MINISTÈRE DES LETTRES, SCIENCES ET BEAUX-ARTS 

Palais da Loavre, le il jain 1870. 
MoNSlECR, 

J'ai rhonneur de vous annoncer que M. le Ministre des Lettres, 
Sciences et Beaux-Arts a bien voulu acquérir au compte de son dépar- 
tement, et moyennant la somme de trois mille cinq cents francs, la 
statue en plâtre ayant pour sujet u Jeanne d^Arc à Domremy » que 
vous avez exposée au Salon de cette année, sous le n^ 4342. 

Veuillez foire remettre au bureau des Beaux-Arts le reçu que vous 
aviez retiré lors du dépôt de cette statue au palais de l'Industrie, et 
je m'empresserai de foire délivrer à votre profit, sur le Trésor public, 
une ordonnance de payement de la somme de 3,500 francs. 

A(jréez, Monsieur, etc. 

Le chef de la, division des Beaux- Arts, 
(illisible) 



PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE 

Paris, le 23 août 1870. 
Monsieur, 

J'ai rbonneur de vous foire savoir que, par arrêté du 12 avril 1870, 
je vous ai chargé de l'exécution de la statue de la Sécurité, pour la 
Préfecture de police. 

U vous est alloué pour ce travail une somme de 5,000 francs. 

Vous voudrez bien avant de vous mettre à l'œuvre vous entendre 
avec M. Diet, architecte de la Préfecture de police. 

Recevez, Monsieur, etc. 

Pour le préfet et par autorisation, 

Le chef de section^ 

L. Michaux. 



PIECES JUSTIFICATIVES. 2t5 



DIOCÈSE ET VILLE DE PARIS 

ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-MARTIN 

Paris, le 18 novembre 1871. 
Monsieur Chapu, sculpteur, 

Le Conseil de fabrique, réuai aujourd'hui, a pu voir le buste de 
M. le curé Bruyère; il a été frappé de la beauté de votre œuvre, et de 
sa parfsiite ressemblance avec le bon et cher curé, fondateur de notre 
Église. 

Chacun des membres du conseil rend hommag;e aux rares qualités 
de votre buste, à son modelé si net et si vrai, à son exécution si par- 
faite en tous points. 

Le conseil me charge de vous transmettre l'expression de sa pro- 
fonde gratitude. 

Veuillez agréer, etc. 

Décore, 
Trésorier de la Fabrique. 



MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS 

Palais* Royal, le 22 mai 1872. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous annoncer que M. le ministre a bien voulu 
acquérir, au compte de son département, et moyennant la somme de 
dix mille francs, la statue en marbre ayant pour sujet : u Jeanne 
d'Arc à Domremy », que vous avez exposée au Salon de cette année, 
sous le n*" 1595. 

Agréez, Monsieur, etc. 

Le directeur des Beaux-Arts, membre de Clnslitut^ 
Charles Blanc. 

15 



ne ciiAPu. 

PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE 

Paru, le 3 juin 1872. 
Monsieur, 

La commission des Beaux- Arts a accepté avec élog^es, dans sa séance 
du 27 mai, votre nouvelle esquisse de la Sécurité, destinée à la Préfec- 
ture de police. 

Elle vous donne, en conséquence, la commande définitive de ce tra- 
vail, en vous engag^eant toutefois à tenir compte des observations de la 
commission, dans l'exécution du modèle en terre que vous aurez à 
lui soumettre. 

Ci-joint un extrait du procès-verbal. 

Recevez, etc. 

L'Inspecteur général des ponts et chaussées. 

Directeur des travaux de Paris, 

X... 



COMMISSION DES BEAUX-ARTS 

Séance du 27 mai 1872. 

Extrait du procès ^verbal. 

M. Chapu, invité à présenter une nouvelle esquisse de la statue 
qu'il doit exécuter, pour la décoration de l'escalier principal de la 
Préfecture de police, soumet au jugement de la commission un tra- 
vail qu'elle considère comme beaucoup plus satisfaisant que le pre- 
mier. La fi{j[ure a de la distinction sculpturale et de la valeur comme 
personnification. Toutefois elle a paru pouvoir être améliorée dans 
les détails du costume et de la pose. 

Le mouvement du bras droit qui semble vouloir protég^er le som- 
meil de l'enfant, en l'enveloppant des plis du manteau, ga(jnerait à 
être un peu plus nettement déterminé. On pourrait, par exemple, faire 



PIECES JUSTIFICATIVES. M7 

passer une partie de ces plis entre le bras et la ligne demi-circulaire 
du siège, de manière à encadrer Ten&nt dans une sorte de berceau, 
ce qui permettrait de rattacher à ce mouvement celui du bras gauche 
soulevant un lange, auquel il serait bon de donner un peu plus 
d'ampleur. 

La figure parait bien assise; cependant les jambes sont trop serrées 
dans les plis de la robe; elles prennent ainsi, des genoux aux pieds, 
une disposition quelque peu triangulaire, que Tartiste éviterait en 
donnant plus de jeu à la draperie qui les recouvre. 

La commission s'en réfère à M. Ghapu pour réaliser, dans la mesure 
qu'il jugera convenable, les indications qu'elle croit devoir lui donner. 

Le Chef de lu division Le Secrétaire-archiviste 

des Beaux-Arts, de la Commission, 

L. Michaux. L. Tisserand. 



MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE 
ET DES CULTES 

Paris, le i*' juillet 1872. 
Monsieur, 

Je suis heureux de vous informer que, par décret en date de ce 
jour, M. le Président de la République vous a, sur ma proposition, 
promu au grade d'ofBcier de l'ordre national de la Légion d'honneur. 

Agréez, Monsieur, etc. 

Le ministre de l'instruction publique, 
des cultes et des Beaux-Arts, 
Jules Simon. 



Ît8 CHAPU. 



MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS 

Paris, le X mars 1874. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous informer que M. le ministre a bien voulu, 

sur ma proposition, vous charger d'exécuter, moyennant la somme 

de deux mille quatre cents francs, un buste en marbre de Pierre 

Lebrun. 

Recevez, Monsieur, elc. 

Le directeur des Beaux- Arts, 

Ph. DE Chennevières. 



MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS 

Paris, le 15 mai 1874. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous informer que M. le Ministre a bien voulu, 
sur ma proposition, vous charger d'exécuter, pour l'église Sainte- 
Geneviève à Paris, une statue eu marbre représentant saint Germain. 

Une somme de vingt mille francs, payable sur quatre exercices à 
partir de 1875, vous est allouée pour ce travail. 

Vous pouvez, dès aujourd'hui, vous mettre en rapport avec 
M. Louvet, architecte du Panthéon, et j'espère qu'il vous sera pos- 
sible de me soumettre, avant la fin de l'année, un modèle de cette 
statue. 

Agréez, Monsieur, etc. 

Le directeur des Beaux- Arts, 
Ph. DE Chennevières. 



PIECES JUSTIFICATIVES. 2Î9 



DEMANDE DE DEUX GROUPES POUR LE CHATEAU 
DE SABLÉ (1) 

Mon cher ami, 

Je vous envoie les plans qui vous permettront de rêvasser déjà un 
peu au sujet des deux g^roupes d'enfants porte-lumières que je serais 
bien heureux de vous voir faire pour Tescalier d'honneur du château 
de Sablé. Le duc de Chaulnes a esquissé sur Tun de ses plans un 
projet de composition telle qu'il la conçoit à peu près. Voici ce qu'il 
m'écrit : « J'ai voulu indiquer trois ou quatre enfants ayant environ 
0",70 de haut, les uns à g^enoux, les autres couchés sous le poids de 
la lanterne et soutenant un écusson tourné vers l'intérieur de l'esca- 
lier. A droite, seront mes armes; à g;auche, celles de ma femme. Je 
ne crois pas que le tout, lanterne et enfants, devrait avoir plus de 
1",50. Sur la lanterne on pourrait mettre une couronne ducale. Je 
crois me souvenir que dans le grand escalier du Palais royal de 
Stockholm, il se trouve de semblables lanternes. » 

Vous voyez à peu près ce qu'on désire. Dans quelques jours le duc 
de Chaulnes sera à Paris. Je me propose de le conduire à votre ate- 
lier et d'y conduire en même temps la jeune et charmante duchesse. 
Quel jour, à quelle heure peut-on frapper chez vous en si belle com- 
pagnie? 

Bien affectueusement. 

Tout à vous, 

Georges Lafenestre. 



MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS 

Paris, le 30 mars 1876. 
Monsieur, j'ai l'honneur de vous annoncer qu'en fixant la réparti- 

(i) Comme noas l'avons dit plus haut, cette composition n*a jamais été achevée* 



MO CHAPU. 

tion des travaux de sculpture qui doivent décorer Taile des Tuileries 
en construction sur la cour de ce Palais, M. le ministre des travaux 
publics vous a confié l'exécution d'un tympan de fronton circulaire 
et de deux bas-reliefs. Une somme de 6,500 francs vous est attribuée 
pour l'ensemble de ces ouvrages. 

Je vous prie de vouloir bien prendre les instructions de M. Lefuel, 
architecte du Palais, au sujet de cette affaire. 

Recevez, Monsieur, etc. 

Le directeur des bâtiments civils 

et des palais nationauxy 

E. DR Cardaillac. 



MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS 

Palais-Royal, le 1" août 1876. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous informer que M. le ministre a bien voulu, 
sur ma proposition, acquérir pour la Comédie-Française votre buste 
en marbre d'Alexandre Dumas qui a fi^juré au Salon de cette année. 

La somme de trois mille francs, allouée pour cette acquisition, 
sera prochainement ordonnancée à votre nom. 

Agréez, Monsieur, etc. 

Le directeur des Beaux^Arts, 
Ph. DE Chennevif.res. 



PIECES JUSTIFICATIVES. J31 



ASSOCIATION DES ARTISTES PEINTRES, SCULPTEURS, 
ARCHITECTES, GRAVEURS ET DESSINATEURS 

Paris, le 8 mars 1878. 
A Monsieur ChapUj statuaire, officier de la Légion d'honneur. 
Monsieur et cher confrère, 

Votre cœur est à la hauteur de votre talent si éminent, et nous 
sommes heureux de vous témoig^ner notre vive gratitude pour 
l'empressement avec lequel vous avez voulu nous offrir une somme 
de mille francs au profit de notre caisse de secours et pensions, à 
l'occasion du prix biennal qui vous a été décerné avec tant de justice, 
et votre nom restera désormais inscrit sur notre tableau d'honneur. 

Merci donc encore. Monsieur et cher confrère, et recevez l'assu- 
rance de nos sentiments les plus sympathiques. 

Signé : Baron Taylor, président, membre de L'Institut; de Fontenay, 
H. La VIGNE, Eug. Bellangé, Léon Noël, Charles Rochet, Charles 
Lucas, N.-S. Girard, Ch. Lefebvre, Ch. François, E. Berthe- 
LEM\, Arthur Roberts, Sghmidt, Frédéric de Courcy, etc. 



MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS 

Paris, le 18 juin 1878. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous informer que M. le ministre vient de décider, 
sur ma proposition, que vous seriez chargée d'exécuter, pour l'Institut^ 
un buste en marbre de M. Thiers. 
Il vous est alloué pour ce travail une somme de trois mille francs. 
Recevez, Monsieur^ etc. 

Le directeur des Beaux-Arts, 
Eug. Guillaume. 



t3S CHAPU. 



MINISTERE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS 

Paris, le 11 DOTembre 1878. 
Mo!<SIECB, 

J'ai rhonnenr de vous informer qne, par arrêté en date dn 10 no- 
vembre, je vous ai nommé membre du conseil supérieur des Beaux- 
Arts institué auprès du ministère de l'instruction publique, des cultes 
et des Beaux- Arts. 

Agréez, etc. 

Le ministre de Cinstruction publique, 

des cultes et des Beaux^ArtSy 

A. Bardocx. 



A Monsieur le président de F Académie des Beaux- Arts. 

Monsieur le Président, 

Je viens vous prier de vouloir bien me présenter a Messieurs les 
membres de TAcadémie des Beaux-Arts, parmi les candidats qui solli- 
citent rhonneur de remplacer M. Lemaire. 

Si je compte quelques succès dans ma vie d'artiste, c'est à l'ensei- 
gnement de l'École, aux leçons de mes illustres maîtres, Pradier, 
Duret et M. Léon Gogniet, que j'en suis redevable. Il y a plus : l'Aca- 
démie a voulu, par un acte gratuit de sa bienveillance, me désigner 
à l'attention générale, en me décernant il y a peu d'années sa plus 
haute récompense. 

Quel que soit le sort de ma candidature, je m'estimerai heureux 
de l'avoir posée, puisque cette lettre me fournit une occasion nou- 
velle de faire parvenir à l'Académie l'expression de ma gratitude. 

Agréez, Monsieur le Président, l'expression des sentiments respec- 
tueux et dévoués de votre serviteur. 

H. Chapu. 



PIECES JUSTIFICATIVES. 233 



CERCLE FRANÇAIS DE BRUXELLES 

Bruxelles, le 13 septembre 1880. 
Messieurs H. Chapu et B.-N. Bourgeois, 

J'ai rhonneur de vous confirmer, au nom du Cercle français dont 
j'ai rhonneur d'être le président, les conventions stipulées entre vous 
et M. Ck. Grand, l'auteur du projet et l'architecte du monument 
élevé en l'honneur de nos soldats morts pour la défense de la patrie, 
pendant la g^uerre de 1870-1871. 

Je crois devoir rappeler ici les termes de la convention : 

Entre les soussignés M. H. Chapu et M. Bourg^eois, sculpteurs, 
demeurant à Paris, 28, rue Notre-Dame des Champs, et M. Ch. Grand, 
auteur et architecte du monument élevé à la mémoire des soldats 
français morts en Belg[ique en 1870; 

Il a été convenu que MM. Chapu et Bourg^eois s'enga(;ent à faire le 
modèle en plâtre d'un sphinx ailé de deux mètres de hauteur sur 
l",75 de plinthe, grandeur d'exécution, et à le donner prêt à être fondu. 

De son côté, M. Ch. Grand s'engage à payer aux soussignés la 
somme de cinq mille francs pour ce modèle, et, vu la modestie du 
prix relativement à l'importance de ce travail, si la souscription le 
permet, cette somme serait portée à huit mille francs. 

Il a été convenu également avec M. Grand qu'un acompte de deux 
mille cinq cents francs serait payé après l'achèvement du modèle à 
moitié d'exécution. 

Paris, le 28 août 1880. 

Signé : H. Chapu, 

B.-N. Bourgeois. 



ACTE DE MARIAGE DE CHAPU 

Extrait des registres de l'état civil du XIV* arrondissement de Paris, 

L'an mil huit cent quatre-vingt, le quinze décembre, à quatre heures, 
par-devant nous Charles-Etienne Divry, maire du XIV" arrondisse- 



J34 CHAPU. 

ment, officier de l'état civil, ont comparu : Henri-Mîcbel- Antoine 
Chapu, statuaire, membre de l'Institut, officier de la Lésion d'hon- 
neur, demeurant avenue de l'Observatoire, 18, né au Mée (Seine-et- 
Marne), le 29 septembre 1833, fils majeur de Julien Chapu et Glaire- 
Philippe Lecoq, son épouse, décédés; ses autres ascendants aussi 
décédés, d'une part, et Marie Euphémie-Mélanie Cozette de Rubem- 
pré, sans profession, demeurant avenue de l'Observatoire, 18, née 
à Amiens (Somme), le 14 février 1847, majeure, fille de Amédée- 
Dominique-Gabriel Cozette de Rubempré, décédé, et de Adélaïde- 
Euphémie iJoulenger, ^a mère, demeurant à Châlons-sur-Marne 
(Marne), dans l'impossibilité de manifester sa volonté, ainsi qu'il 
résulte d'un certificat de M. le directeur de l'Asile des aliénés de 
Châlons-sur-Marne, en date du 20 novembre dernier, les autres 
ascendants de la future sont aussi décédés. Les publications ont été 
affichées en notre mairie, les dimanches cinq décembre et douze dé- 
cembre courant, sans qu'il soit survenu d'oppositions. Les futurs 
époux, interpellés par nous, nous ont déclaré qu'il n'a pas été fait do 
contrat de mariage. Les futurs époux nous ont aussi attesté sous sei^ 
ment, ainsi que les témoins, que leurs aïeuls sont bien décédés, mais 
qu'ils igfnorent le lieu de leur décès et de leur dernier domicile. 

Les pièces paraphées et annexées sont : les actes de naissance des 
futurs, les actes de décès des père et mère du futur, celui du père de 
la future, le certificat du médecin concernant la mère de la future et 
le certificat des publications, desquelles pièces il a été donné lecture, 
ainsi que du chapitre seize, titre cinq du Code civil. Les futurs époux 
interpellés de nouveau, afin de savoir s'ils veulent se prendre pour mari 
et pour femme, nous ayant répondu séparément et affirmativement, 
déclarons au nom de la loi que : Henri-Michel-Antoine Chapu et Marie- 
Euphémie-Mélanie Cozette de Rubempré sont unis par le mariage. 

Le tout fait, publiquement, en présence de Louis Laforest, conduc- 
teur des ponts et chaussées, quarante-neuf ans, rue du Montpar- 
nasse, 41; Jules Valez, architecte, trente-cinq ans, rue Bréa, 2i; 
Pierre-Louis- Joseph de Coninck, artiste peintre^ cinquante-deux ans. 
rue Monsieur-le-Prince, 22; Jules-Clément Cliaplain, graveur en 
médailles, chevalier de la Légion d'honneur, quarante et un ans, 
36> rue Notre-Dame des Champs, qui ont signé avec les époux et nous 
après lecture. 



PIÈCES JUSTIFICATIVES. 235 

PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE 

Paris, 19 avril 1881. 
Monsieur, 

J'ai rhonneur de vous informer que, par arrêté en date du 9 avril 
courant, Monsieur le sénateur-préfet vous a chargé de l'exécution de 
la statue d'Hérold, destinée à la décoration extérieure de l'Hôtel de 
ville. 

Il vous est alloué une somme de 4,000 francs pour ce travail, au 
sujet duquel vous voudrez bien vous entendre avec MM. Ballu et 
Deperthes, architectes de l'édifice. 

Agréez, etc. 

L'inspecteur général des ponts et chaussées, 
directeur des travaux de Paris^ 
Alphand. 



LETTRE ADRESSÉE A CHAPU AU SUJET 
D'UNE FONTAINE POUR M. DE ROTHSCHILD 

Vienne, 9 octobre 1882. 
14, Theresianuin gasse. 

Cher Monsieur^ 

M. de Rothschild m'a communiqué votre lettre du 4 octobre, dans 
laquelle vous lui annoncez que vous acceptez de faire le groupe des- 
tiné à sa fontaine. M. le baron me prie de vous expliquer ses inten- 
tions au sujet de ce g^roupe, et de vous adresser les croquis et rensei- 
(][nements qui peuvent vous être utiles. Ainsi que vous verrez sur le 
calque ci-joint, la niche primitive a été quelque peu diminuée par 
l'intercalation d'un arc. La nouvelle niche est elliptique, tandis que 
l'ancienne était en demi-cercle. La profondeur en est donc moindre. 
Le culot qui aurait été un peu maig^re pour supporter un g^roupe a 



Î36 CHAPU. 

été transformé en un piédestal reposant sur le couronnement de la 
niche inférieure. 

Le groupe aurait comme sujet le « Triomphe de Galathée » . Au 
milieu, la déesse assise sur un rocher, ou debout sur une coquille. A 
ses côtés> un Triton à mi-corps, sonnant de sa trompe. En avant, un 
enfant qui pourrait de son javelot menacer le dauphin de la niche 
inférieure et relier ainsi les deux parties de la fontaine. Telle est la 
donnée générale, à laquelle vous êtes libre d'apporter toutes les modi- 
fications que vous suggérera votre imagination. 

Nous avons traduit dans un croquis que vous trouverez joint à cette 
lettre le désir de M. de Rothschild. Ce n*est qu'un croqnis d'architecte 
dont vous excuserez la naïveté. Le groupe serait en bronze et en 
pierre. Les figures en bronze, les roche rs, ornements, etc., en pierre. 
Le cul-de-fond de la niche serait décoré d'une coquille, et la partie 
inférieure, de glaçons. Il n'y avait pour nous qu'un point important 
à déterminer : la dimension à donner à la figure principale pour être 
à l'échelle de l'ensemble de la fontaine sans écraser les autres figures 
qui décorent la terrasse. Les raisons qui ont amené à choisir le bronze 
sont d'abord d'introduire une note colorée et de rester un peu plus 
fins que les groupes d'enfants en pierre. Ces groupes sont d'une bonne 
dimension et s'accordent bien avec toute l'ornementation de la niche 
inférieure, mais une figure humaine proportionnée à ces enfants 
serait trop forte pour les objets environnants. Nous sommes ainsi 
venus à l'idée du bronze, qui permettra de rester plus fins. 

Pour nous rendre compte de la taille de la figure principale, nous 
avons fait faire par notre ornemaniste une maquette (bien grossière, 
malheureusement) d'après le croquis ci-joint. Nous avons fait photo- 
graphier l'ensemble de la fontaine avec cette maquette. Vous pouvez 
voir que la taille de la figure milieu est bonne, et peut être conservée. 
Nous vous expédierons sous peu cette photographie. Le groupe lui- 
même est une monstruosité pure, mais il suffisait pour le but que 
nous nous proposions. Nous avons marqué, sur le dessin ci-joint, les 
mesures relevées sur place. Nous avons fait préparer un modèle 
au 1/8"' (dimension du dessin) assez soigné de la niche, et nous vous 
renverrons demain par grande vitesse. Si à l'étude la niche vous 
semblerait trop plate, vous pourriez en modifier la courbure et en 
augmenter la profondeur. Sur notre modèle, la niche est mobile et 
peut se séparer de son encadrement. 



PIECES JUSTIFICATIVES. 23T 

M. de Rothschild espère ég^alement que, lors de son prochain séjour 
à Paris, votre esquisse sera assez avancée pour vous permettre de fixer 
le prix de ce travail. Il vous priera d'en remettre le devis à M. Croi- 
seau, comme vous l'avez fait pour les autres motifs de sculpture de la 
fontaine, avant d*en commencer l'exécution. Toutes les parties en 
pierre font corps avec la construction, et seront exécutées ici d'après 
vos modèles, comme il a été fait pour la niche inférieure. 

Si d'autres renseignements vous étaient nécessaires, ou si vous aviez 
quelques objections à nous adresser^ nous sommes entièrement à votre 
disposition. 

Veuillez agréer, etc. 

Baugué. 



PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE 

Paris, le ... novembre 1883. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous informer que la commission administrative 
des Beaux-Arts a accepté les esquisses des statues symbolisant le Blé 
et le Chant, qui vous ont été commandées pour la décoration de 
l'Hôtel de ville. 

Toutefois, en ce qui concerne la première de ces esquisses, la com- 
mission a trouvé le g^este un peu trop dramatique ; elle a été ég^ale- 
ment d'avis qu'il y avait lieu d'apporter des modifications importantes 
dans le mouvement. 

Ag;réez, etc. 

Pour le préfet et par délégation, 

L'Inspecteur général des ponts et chaussées, 
Directeur des travaux de Paris. 

X... 



J38 CHAPU. 



MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS 



Palais-Royal, 20 décembre 1887. 
Monsieur, 

J'ai riioaneur de vous annoncer que par arrêté rendu sur ma pro- 
position, M. le ministre vous chargée d'exécuter un buste en marbre 
de L. de Ronchaud, ancien directeur des Musées nationaux et de 
l'École du Louvre. 

Une somme de 2,500 francs vous est allouée pour l'exécution de ce 
buste, qui sera placé dans la salle des cours de l'École du Louvre. Un 
bloc de marbre sera en outre mis à votre disposition après achèvement 
du modèle. 

A(;réez, etc. 

Le Conseiller d'État, 

Directeur des Beaux-Arts, 
Castagnary. 



LETTRE ADRESSÉE A CHAPU 
AU SUJET DU MONUMENT DE MM. GALIGNANi 

{Nous avons trouvé ce document dans les papiers laissés par l'artiste. 
Il ne porte ni signature ni en-tête administratif; nous pensons en 
conséquence que c'est une sorte de note officieuse qu'on lui a fait 
parvenir,) 

Les maquettes soumises ù l'examen de la commission du monument 
Galignani peuvent donner lieu aux observations suivantes : 

Et d'abord, nous commencerons par déclarer qu'au point de vue de 



PIECES JUSTIFICATIVES. Î39 

l'art, les groupes exposés sont irréprochables, et à cet égard, d'ailleurs, 
les maîtres ont prononcé; MM. Guillaume, Barrias, Chaplain et Barbet 
de Jouy ayant bien voulu nous faire connaître leur avis, il ne nous 
appartient pas, il est très loin de notre pensée de vouloir les contre- 
dire. 

Nous nous placerons donc simplement avec le public pour étudier 
l'impression que doivent produire sur lui ces œuvres d'art. 

Le premier groupe représente les deux frères, l'un assis et l'autre 
debout, examinant ensemble le plan de l'hôpital ; l'attitude des deux 
frères est très naturelle, et le laisser-aller de celui qui s'appuie sur 
l'épaule de l'autre indique parfaitement la vive affection qu'ils ont 
l'un pour l'autre et le généreux et cordial sentiment qui les unit dans 
une même pensée de charité. Tout dans ce groupe nous semble par- 
fait, et la pose de M. William, dont la main gauche se perd en partie 
dans la poche de son vêtement, reproduit très heureusement une atti- 
tude qui lui était habituelle, ce qui fera certainement dire à notre 
population, pénétrée de reconnaissance pour ses bienfaiteurs : u Oh! 
oui, on reconnaît bien là ces bons MM. Galignani, au regard paternel 
et la main toujours à la poche pour secourir les malheureux. » 

À notre avis, il y a dans ces paroles un véritable succès pour l'artiste 
qui a su faire ainsi vibrer la voix du peuple, de manière à la faire 
entendre de tous. 

Le second groupe nous montre les deux frères assis l'un à côté 
de l'autre sur un banc de pierre à large dossier. M. Antoine, qui 
est à droite, est tourné de manière à n'être vu que de trois quarts, et 
par sa pose très accentuée il semble demander impérativement à son 
frère Tapprobation du plan qu'il lui présente, et celui-ci, étendant sa 
main droite en l'air, parait effrayé du sacrifice qu'on lui impose. 

Ce groupe, fort bien d'ailleurs, est surtout très mouvementé, trop 
mouvementé peut-être, à notre avis, car par leur attitude les deux 
frères n'ont pas l'air d'être parfaitement d'accord. Il semblerait qu'il 
y a discussion entre eux, et discussion assez vive, si l'on en juge par 
la pose de M. Antoine. 

11 serait fâcheux cependant que cette pose pût être interprétée de 
cette façon, car cela serait jeter dans le public une défaveur sur l'un 
des deux frères, lesquels pourtant étaient si réellement et toujours si 
parfaitement unis pour faire le bien. 

Comme détail, nous signalerons les quatre jambes des personnages 



J40 CHAPU. 

que Ton ne voit qu'à moitié, et qui pour cette raison ne sont pas d'un 
bien heureux effet. 

Mentionnons encore le dossier de pierre qui semblerait indiquer 
que ce groupe est plutôt destiné à être adossé à une grande construc- 
tion qu'à être mis comme statue au milieu d'une place ou d'un jardin 
public. 

Quant à l'assemblage qui a été proposé du marbre pour le banc et 
du bronze pour les personnages, nous n'en serions pas partisan : 
d'abord parce que la différence de couleur des parties de ce monu- 
ment lui retirerait son esprit d'ensemble, et ensuite parce que le 
marbre étant moins durable que le bronze, on pourrait bien éprouver 
quelque inquiétude sur ]e sort des personnages, si dans quelques cen- 
taines d'années le banc venait à leur manquer tout à coup. 

En résumé, les deux groupes soumis à l'examen de la commission 
sont très bien réussis et parfaitement dignes de la main de l'artiste qui 
a bien voulu s'en charger. Le choix à faire entre les deux est difficile, 
et cependant, comme ce choix ne peut porter que sur une œuvre d'art 
de premier mérite, ce n'est plus qu'une question d'appréciation, et 
pour ainsi dire de sentiment personnel. 

A ce point de vue, nous n'hésiterons donc pas à faire connaître notre 
préférence pour le premier de ces groupes, dont l'expression calme et 
tranquille des personnages fait rêver au bonheur que l'on a de pouvoir 
secourir les malheureux, et, à notre avis, c'est bien là le sentiment de 
charité que doit inspirer la vue du monument des frères Galignani. 

1« octobre 1884. 



PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE 

Paris, le 26 janvier 1887. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous informer que la commission des Beaux-Arts 
a, dans sa séance du 17 janvier présent mois, prononcé l'acceptation 



PIECES JUSTIFICATIVES. 241 

de Tesquissc du haut relief que vous avez exécutée pour ]a décoration 
d'un des frontons de la façade principale de Ja Sorbonne. 

La commission a toutefois été d'avis qu'il convenait de vous inviter 
à donner un peu plus d'air à l'ensemble de votre composition, dont 
les personnages sont un peu trop serrés, et de simplifier les accessoires, 
et notamment le fauteuil de la figure principale. 

Veuillez, agréer, etc. 

L'inspecteur général des ponts et chaussées <i 
Directeur des travaux de Paris^ 

ÀLPHAND. 



MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 
DES CULTES ET DES BEAUX-ÀRTS 

Palais-Royal, 10 janvier 1888. 
Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous annoncer que M. le Ministre de l'instruction 
publique, des cultes et des Beaux- Arts vous charge d'exécuter un buste 
en marbre de M. Sadi Carnot, président de la République, et vous 
alloue pour cette commande une somme de trois mille francs. 

Lorsque le modèle sera terminé, je vous demanderai de le mettre 
pendant une quinzaine de jours à la disposition de la manufacture 
nationale de Sèvres, pour qu'elle puisse en faire une réduction, le 
buste devant être exécuté en biscuit de Sèvres. 

Le modèle vous sera ensuite rendu, et en même temps un bloc de 
marbre statuaire vous sera remis. 

Agréez, Monsieur, etc. 

Le Conseiller d'État, 
Directeur des Beaux-ArtSj 
Castagnary. 



16 



24S CHAPa. 

ACTE DE DÉCÈS DE CHAPU 
Extrait des registres de l'état civil du VII^ arrondissement de Paris. 

Année 1801. 

L'an mil huit cent quatre-vingt-onze, le vingt et un avril, à midi, 
acte de décès de Henri-Michel- Antoine Chapu, âgé de cinquante-huit 
ans, statuaire, membre de l'Institut, officier de la Légion d'honneur, 
né au Mée (Seine-et-Marne), décédé en son domicile à Paris, cité 
Yaneau, n* 14, ce matin à trois heures, fils de Julien Chapu et de 
Claire-Philippe Lecoq, époux décédés. Marié à Marie-Euphémic 
Cozette de Rubempré, âgée de quarante-quatre ans, sans profession. 
Dressé par nous Claude-Arthur Pougy, adjoint au maire, officier de 
l'état civil du septième arrondissement de Paris, officier d'académie, 
sur la déclaration de Georges-Charles-Pierre Berryer, âgé de quarante- 
trois ans, avocat à la Cour d'appel, demeurant rue de la Chaussée, 23, 
et de Gabriel-Jules Thomas, âgé de soixante-six ans, statuaire, membre 
de l'Institut, officier de la Légion d'honneur, demeurant rue d'Assas,^ 
n* 24, qui ont signé avec nous après lecture. 

Signé : G. Berrier, G.-J. Thomas, A. Pougy. 



ŒUVRE DE CHAPU 



ŒUVRE DE CHAPU 



I 

ENSEMBLES DÉCORATIFS 



MONUIVŒNT DE BeRRYER. 

Au centre du monument s'élève la statue de : 
Berryer, — Statue marbre. 

A droite et à g^auche du piédestal, deux figfures allégoriques : 
L Eloquence. — Statue marbre. 

La Fidélité. — Statue marbre. 

(Salle des Pas perdus du Palais de justice de Paris.) 

Monument de Schneider. 

Le monument se compose de deux parties : 
Schneider. — Statue bronze. 

Au dessous de cette statue, se détachant sur un piédestal de 
g^ranit, un groupe allégorique : 

La Reconnaissance. — Groupe bronze. 

(Établissement métallurgique du Creusot.) 



246 OEUVRE DE CHAPU. 



Monument de Le Verrier. 

Le monument se compose d'une statue : 
Le Verrier. — Statue marbre. 

Sur les faces latérales, deux bas-reliefs : 
V Astronomie traçant l'orbite des planètes. — Bas-relief 
pierre. 

La Météorologie désignant de la main l'Observatoire d'où 
partent les découvertes. — Bas-relief pierre. 

(Observatoire de Paris.) 

Travaux décoratifs pour l'hôtel Rothschild, a Vienne. 

Ces travaux ont été exécutés pour une fontaine monumentale. 
Au fronton : 

Enfants jouant avec des attributs champêtres. — Bas-reliet 
pierre. 

Dans une niche au centre du monument : 
Jmpliitrite. — Groupe monumental bronze. 

EnBn, à droite et à (j^auche de la vasque principale de la fon- 
taine : 

Enfants jouant avec des poissons. — Groupe pierre. 

Dans les jardins figure une autre œuvre de Ghapu qui tout 
d'abord devait prendre place dans la niche centrale : 

Fase monumental. — Marbre. 

(Hôtel Rothschild. Theresianumgasse, à Vienne.) 

Monument de Mgr Dupanloup. 

Au contre du monument, couché sur un lit funèbre : 



il 



Mgr Dupanloup. — Statue marbre. 



OEUVRE DE CHAPU. 24T 

Dans le soubassement qui forme la table d'autel : 
Mgr Dupanloup entouré de ses disciples. — Bas-relief 
marbre. 

Dans la partie cintrée qui forme le couronnement : 
Un ange tenant la bannière de Jeanne d'Arc, — Bas-relief 
marbre. 

Sur le seuil du monument, deux statues debout : 
La Foi. — Statue marbre. 

Le Courage. — Statue marbre. 

(Église métropolitaine d'Orléans.) 



II 

STATUES, GROUPES, BAS-RELIEFS 



Cincinnatus. — Esquisse plâtre. 

(Musée du Méc.) 

L Homme heureux. — Esquisse plâtre. 

(Musée du Mée.) 

Neptune faisant naître un cheval. — Médaille. 

Deuxième prix de Rome, 1852. — Le coin de cette médaille 
appartient à Mme veuve Chapu. 



248 OEUVRE DE CHAPU. 

Dom Simon, moine du Jars. — Statuette plâtre. 

(Préfecture de Melun.) 

Ulysse retrouvant Achille à la cour du roi Lycomède, — 
Esquisse plâtre, bas-relief. 

(Musée du Mée.) 

Laërte accompagnant Pénélope partant avec Ulysse. — 
Esquisse plâtre, bas-relief. 

(Musée du Mée.) 

Cérès rendant la vue à Triptolème. — Esquisse plâtre, bas- 
relief. 

(Musée du Mée.) 

Désespoir d'Alexandre après la mort de Clitus. — Bas- 
relief plâtre. 

Deuxième prix de Rome, 1853. 

Tyrtée. — Esquisse plâti'e, bas-relief. 

(Musée du Mée.) 

Cléobis et Biton. — Esquisse plâtre, bas-relief. 

Grand prix de Rome, 1855. 

(Musée du Mée.) 

Le Christ aux Anges. — Bas-relief plâtre. 

Envoi de Rome. 

(Église du Mée.) 

Femme romaine. — Bas-relief plâtre. 

Après la défaite de Trasîmène, comme les troupes rentraient 
dans Rome, une femme meurt de joie en apercevant son fils 
qu'elle croyait mort. 

(Musée du Mée ) 



OEUVRE DE CHAPU. 249 

Le Tireur d'épine. — Copie marbre d'après l'antique. 

Envoi de Rome. 

(Ecole des Beaux-Ârts, à Paris.) 

VAge de fer, — Esquisse. 

(Nous n'avons pu trouver trace de cet ouvrage.; 

Groupe décoratif pour la place du Trône. 

(Pour la rentrée des troupes revenant d'Italie.) 

Triptolème. — Statue plâtre. 

Envoi de Rome. 

(C'est d'après ce modèle légèrement modifié que Chapu a exé- 
cuté son Semeur.) 

Mercure invente le caducée. — Statue marbre. 

Dernier envoi de Rome. 

(Musée du Luxembourg.) 

Thétis. — Statue terre cuite. 

(Hôtel Sédille, 32, boulevard Malesherbes.) 

La Ville de Beauvais. — Statue pierre. 

(Façade de la gare du Nord, à Paris.) 

Enfants jouant avec des cygnes. — Groupes pierre. 

(Ces groupes surmontent les pieds-droits de la porte d'entrée 
de l'hôtel Sauvage, rue de Chai Ilot, à Paris.) 

Atlantes. — Brouzes. 

(Hôtel Sédille.) 

(Ces deux figures ornent une cheminée de cet hôtel. Il en 
existe une répétition en pierre dans un hôtel, 55, boulevard 
Malesherbes.) 



250 OEUVRE DE CHAPU. 



Le Semeur. — Statue bronze. 

(Parc Monceaux.) 

VArt mécanique, — Statue pierre. 

(Grand escalier du Tribunal de commerce, à Paris.) 

Cariatides. — Figures monumentales, plâtre. 

(Ces fiçnres, destinées à TExposîtion universelle de 1867, ont 
disparu, mais les modèles au dixième existent au Musée du Mée.) 

Clytie métamorphosée en tournesol. — Statue marbre. 

(Musée de Dijon.) 

Travaux décoratif s pour la nouvelle Cour de cassation. 

Saint Jean. — Statue marbre. 

Saint Louis de Gonzague. — Statue marbre. 

(Église Saint-Etienne du Mont, à Paris.) 

Travaux décoratifs pour la Cour de marbre. 

(Palais de Versailles.) 

(Chapu n'a fait que restaurer Tancien motif, œuvre de Girar- 
don et de Marsy, qui encadrait l'horloge, en refaisant toutefois 
certaines parties qui avaient été détruites.) 

La Nature. — Cariatide pierre. 
La Tradition. — Cariatide pierre. 

(V'^estibule d'un hôtel, 19, boulevard Magenta.) 

Jeanne d'Arc. — Statue marbre. 

(Musée du Luxembourg.) 

(Il existe plusieurs répétitions de cette statue. L'une d'elles est 
au château de Chantilly, une autre dans le parc de M. Jacobsen, 
à Copenhague ; enfin, une réduction, en marbre, appartient à 
Mme veuve Chapu.) 



OEUVRE DE CHAPU. 251 



La Sécurité, — Statue pierre. 

(Préfecture de police, à Paris.) 

L'Histoire. — Statue pierre. 

(Musée de Grenoble.) 

La Cantate, — Statue pierre. 

(Façade du thcâlre de l'Opéra.) 

Le jeune Desmarres, — Statue marbre. 

(Appartenant à la famille Desmarres.) 

La Jeunesse, — Statue marbre. 

(Pour le monument élevé à la mémoire de Henri Regnaiilt et 
des élèves de l'École des Beaux-Arts tués à renncmi pendant la 
guerre de 1870-1871.) 

(École des Reaux-Arts, cour du Mûrier.) 

La Pensée, — Haut relief marbre. 

(Tombeau de Mme la comtesse d'A(joult, au Père-Lachaise.) 

Jean Cousin. — Statue marbre. 

(Sens.) 

Monument élevé à la mémoire des soldats français tués en 

Belgique, 

(Le monument a été élevé au moyen d'une souscription dont 
le Cercle français de Bruxelles prit l'initiative. Il représente un 
sphinx ailé en bronze.) 

L'Immortalité. — Haut relief marbre. 

(Tombeau de Jean Reynaud, au Père-Lachaise.) 

Hérold. — Statue pierre. 

(Façade principale de l'IIôtel de ville de Paris.) 



252 OEUVRE DE CHAPU. 

Le Printemps, CEté, l'Automne, l'Hiver. — Statues 
pierre. » 

(Façade principale des Magasins du Printemps, à Paris.) 

La Vierge, — Statue pierre. 

(Eglise du Mée.) 

Bas-relief funéraire. — Marbre. 

(Tombeau de Mlle Labiche, cimetière de Béville, Eure-et-Loir.) 

Madame la duchesse de Nemours. — Figure tombale, 
marbre. 

(Chapelle de Weybridge, Surrey.) 

Pluton. — Statue marbre. 
Proserpine. — Statue marbre. 

(Parc de Chantilly.) 

Mistress Bancroft. — Bas-relief bronze. 

(Tombeau de la famille Tyszkiewicz, au Père-Lachaise.) 

Madame la duchesse d'Orléans. — Figure tombale, marbre. 

(Chapelle d'Orléans, à Dreux.) 

Danseuse. — Statue marbre. 

(Hôtel Pereire.) 

Mgr David, évèque de Saint'Brieuc et Tréguier. — Statue 
marbre. 

(Saint-Brieuc.) 

La Peinture. — Statue marbre. 

(Musée Galliera, à Paris.) 



OEUVRE DE CHAPU. 253 

Saint Germain. — Groupe marbre. 

(Pantbéon.) 

Le Patriotisme. — Haut relief pierre. 

(Fronton du tombeau de Thiera, au Père-Lachaise.) 

Pour le même monument : deux écoinçons représentant des 
Enfants tenant des couronnes. 

Les frères Galigniani. — Groupe marbre. 

(Corbeil.) 

Les Lettres. — Haut relief pierre. 

(Façade principale de la nouvelle Sorbonne^ rue des Ecoles.) 

La Vapeur. — Groupe monumental, plâtre. 

(Façade de la galerie des Machines, au Cbamp de Mars.) 

Monument de Flaubert. — Haut relief marbre. 

(Musée de Rouen.) 

La princesse de Galles. — Statue marbre. 

(Musée Jacobsen, à Copenhague.) 

Comte et comtesse Kaselick. — Groupe marbre. 

(Pour la famille Kaselick.) 

Mgr de Bonnechose. — Statue marbre. 

Sur le socle de la statue est une figure allégorique représentant 
la France chrétienne^ qui a été terminée par le sculpteur Garlus. 

(Cathédrale de Rouen.) 

Monument funèbre du jeune de Icaza. — Groupe marbre. 
(Ce groupe a été terminé par le sculpteur Mercié.) 

Monument à la gloire de lord Byron. 

(Ce monument, commandé à Chapu par M. Skilizzi, doit être 
exécuté en marbre par le sculpteur Falguière.) 



254 OEUVRE DE CHAPU. 

La Rançon. — Bas-relief. 

(Tombeau de Thiers, au Pcre-Lachaise.) 

La princesse Marie d'Orléans. — Figure tombale. 

(Cette figure pour laquelle Ghapu avait fait de nombreuses 
esquisses, mais dont le modèle n'était pas définitivement arrêté, 
doit être exécutée par le sculpteur Lemaire.) 

Monument du peintre Millet. 
(Pour la ville de Cherbourg.) 

Le Blé. — Statue marbre. 

(Cette statue, destinée à la grande salle à manger de TUôtel de 
ville, a été terminée depuis la mort de l'artiste.) 

Bas-relief pour le monument de Félicien David. 

(Ce bas-relief a été terminé après la mort de l'artiste. Il doit 
décorer^ au cimetière du Pecq, le tombeau du compositeur.) 

Héro et Léandre. — Groupe plâtre. 

(Chapu devait exécuter ce groupe pour la ville de Rennes. Il 
n'en existait à sa mort qu'une ébauche, qui a été détruite.) 

Chemin de croix. 

(Cette série de bas-reliefs, que Chapu devait exécuter pour le 
pèlerinage de Benoitevaux, en pierre, doit être terminée par le 
sculpteur Fosse, son élève.) 



OEUVRE DE GHAPU. 255 



III 

BUSTES 



Jules Séditle, architecte. — Buste bronze. 

(Hôtel Faul Sédille.) 

Paul Sédille, architecte. — Buste terre cuite. 

(Hôtel Paul Sédille.) 

Madeleine Sédille, fille de P. Sédille. — Buste marbre. 

(Hôtel Paul Sédille.) 

Léon Bonnat, peintre. — Buste bronze. 

(Hôtel Bonnat.) 

Comte Ducliâtel. — Buste marbre. 
Docteur Civiale. — Buste bronze. 

(École de médecine.) 

Le Play. — Buste marbre. 

Marie de Rubempré, plus tard Mme Henri Chapu. — Buste 
marbre. 

(Appartient à Mme veuve Chapu.) 

L'abbé Bruyère. — Buste marbre. 

(Église Saint-Martin, ù Paris.) 



256 OEUVRE DE CHAPU. 



Lebrun, de F Académie française. — Buste marbre. 

(Palais de l'Institut.) 

Montalembert. — Buste marbre. 

(Palais de rinstitut.) 

Alexandre Dumas, — Buste marbre. 

(Comédie- Française. ") 

Vitet. — Buste marbre. 
Berryer, — Buste bronze. 

Patin, — Buste marbre. 

(Ce buste a été donné à la Sorbonne par Mme veuve Patin, qui 
en conserve un exemplaire en terre cuite.) 

Labbé Tliénon, — Buste marbre. 

(Eglise des Carmes. 

Comte BlondieL — Buste. 

Comte de Mérode, — Buste bronze. 

Cusenier. — Buste bronze. 

Breton, éditeur. — Buste marbre. 

(Cercle de la Librairie, à Paris.) 

Gleyre, peintre. — Buste marbre. 

(Musée Gleyre, à Lausanne.) 

L'abbé Lagarde, — Buste marbre. 

(Collège Stanislas.) 



OEUVRE DE GHAPU. 25T 

M. Boucicaut, Mme Boucicaut. — Bustes marbre. 

(Magasins du Bon Marcbé, à Paris.) 

TIliébauty fondeur. — Buste bronze. 

Docteur Desmarres. — Buste. 

Barbedienne, fondeur. — Buste bronze. 

Marquis de Nicolài. — Buste marbre. 

Marquise de Nicolài. — Buste marbre. 

Carnoty président de la République française. — Buste 
marbre. 

Leroy-Beau lieu. — Buste marbre. 

T hier s. — Buste marbre. 

(Palais du Sénat.) 

Charton, sénateur. — Buste marbre. 

(Palais du Sénat.) 

Duc y architecte. — Buste marbre. 

(Palais de justice, à Paris.) 

Hector Malot. — Buste marbre. 

(Appartient à M. H. Malot.) 

Comte de Carayon-Latour. — Buste bronze. 
Mgr Dupanloup. — Buste marbre. 

(Évêché d'Orléans.) 

ir 



Î58 OEUVRE DE CHAPU. 



MUeLévy, fille d'Emile Lévy. — Buste terre cuite. 

(Appartient à Mme Lévy.) 

Cambacérès. 

(Nous n'avons pu savoir si ce buste a été exécuté.) 

Marquis de Vogué, — Buste marbre. 

Robert de Vogué, — : Buste bronze. 

Michaux, ancien président du tribunal de commerce de la 
Seine. — Buste marbre. 

Millet y architecte du palais de Saint-Germain. — Buste 
marbre. 

Mlle Tollu, — Buste marbre. 

Henri Tripier, — Buste marbre. 

Mme Toulmouche. — Buste marbre. 

Mlle Leroy-Beaulieu, — Buste marbre. 

M, Bapterosses, — Buste bronze. 

Marquis de Casariera, 

M. Bartholoni, 

Mlle d'Assailly, 

Duchesse Pozzo di Borgo. 



OEUVRE DE CHAPU. 259 



Raffalowitcli. 

(Nous n'avons pu avoir aucun renseignement sur ces cinq der- 
nières œuvres qui avaient été demandées à Ghapu; mais nous ne 
sommes pas certain qu'elles ont été exécutées.) 



IV 
MÉDAILLES ET MÉDAILLONS 



1* PORTRAITS 

Chapu père. — Médaillon plâtre, 1852. 

Mme Chapu mère. — Médaillon plâtre. Profil à droite, 
1852. 

Marquis de Vogué. — Médaillon plâtre, 1855. 

Thénon. — Médaillon plâtre. Profil à gaucbe. 

Dans le fond : a mon ami thénon, bon souvenib. Signé 
H. Chapu, Rome, 185... 

MmeRouillon, — Médaillon plâtre. Profila gauche. Rome, 
1859. 

Dans le fond : per buon rigordo. Signé H. Chapu. 



Î60 OEUVRE DE CHAPU. 



Durety sculpteur. — Médaillon plâtre. Profil à gauche. 

En exergue : buret, membre de l^institut, professeur a 
l'école impériale des beaux-arts. 



Alphée DuboiSy graveur en médailles. — Médaillon plâtre. 

Profil à gauche. Rome, 1860. 

Dans le fond : pour bon souvenir a son ami bubois. Signé 
H. Chapu. 

Ernest Dugit. — Médaillon bronze. Profil à gauche. 
Signé du monogramme de Chapu : Rome, 1861. 

Gibert, peintre. — Médaillon plâtre. Profil à gauche. 

E.-J.'B, Guillaume. — Médaillon bronze. Profil à gauche. 
Signé H. Chapu. Novembre 1861. 

Delauna/y peintre. — Médaillon plâtre. Profil à droite. 

Chapu père. — Médailloa bronze. Profil à gauche. 
Signé H. Chapu. Novembre 1861. 

Schnetz, peintre. — Médaillon plâtre. Profil à droite. 1861. 

Portrait de femme. — Médaillon plâtre. Profil à gauche. 
1861. 

Bonnat, peintre. — Médaille bronze. Profil à gauche. 1860. 

(Chapu a fait quelques années plus tard une autre médaille du 
peintre Bonnat. Il ne nous a pas été donné de la voir.) 

De Coninck. — Médaillon plâtre. Profil à gauche. 
Signé du monogramme de Chapu. Rome, 1861. 



OEUVRE DE CHAPU. 261 



Launay, — Médaillon plâtre. 

Dans le fond : a mon ami launay. Signé H. Chapu. Paris, 
1862. 

Louis Gallait. — Médaillon bronze. Profil à gauche. 

En exevQue : louis gallait, rome, 1861. Dans le fond : a son 
AMI gallait, souvenir AFFECTUEUX. Signé Giiapu. 

Sully-Priidliomme. — Médaillon bronze. Profila droite. 

F. Lionnet. — Médaillon plâtre. 
Signé H. Chapu, 1862. 

Bidot. —Médaillon plâtre. 1863. 

Dans le fond : a son ami bidot. Signé H. Chapu, 1863. 

Chapu père. — Médaillon bronze. 
Signé H. C. Paris, juillet 1864. 

C. Clère, peintre. — Médaillon bronze. Profil à droite. 

Dans le fond : a g. glère, souvenir affectueux. H. Chapu, 
1864. 

Duc, architecte. — Médaillon bronze. 1865. 

Mme Mercier. — Médaillon bronze. Profil à gauche. 
Signé H. Chapu, 1866. 

M. Rouillon. — Médaillon bronze. Profil à droite. 
Signé H. Chapu, 186J. 

J,'F,'A. Bernard, peintre. — Médaillon. Profil à gauche. 
1867. 

Signé H. Chapu, 1867. 

Mme A, Lenormant. — Médaillon bronze. Profil â gauche. 
Signé Chapu, 1867. 



262 OEUVRE DE GHAPU. 



Jeune femme {Mme Launay). — Médaillon bronze. Profila 

droite. 

Sig^é H. Chapu, avec cette mention : a son ami launay, 
RUEIL, 1867. 

Facquerie, — Médaillon plâtre. Profil à droite- 
Signe H. Chapu, 1866. 

Amédée Hardy y architecte. — Médaillon. Profil à gauche. 
TÉMOIGNAGE AFFECTUEUX. Signé H. Chapu, 1868. 

M. Alfred Jacquemard. — Médaillon. 
Signé H. Chapu, 1868. 

' Tony Robert-Fleuryy peintre. — Médaillon plâtre. Profil à 
droite. 

Signé Chapu, 1868. 

Velpeau. — Médaillon bronze. Profil à gauche. 

En exergue : l. m. a. velpeau, né a brèche, indre-et-loire, 
EN 1795, MORT A PARIS, 24 AOUT 1867. Signé à droite H. Chapu, 
1868. 

Marie (Marie Cozette de Rubempré, depuis Mme Henri 
Chapu). — Médaillon bronze. Profil à droite. 
Signé Chapu, 1869. 

Jeune femme. — Médaillon bronze. Profil à droite. 1873. 

Jules favre, — Médaillon plâtre. De face. 

(Nous avons trouvé dans l'atelier du maître cette médaille, 
qu'aucun de ses amis ne se rappelle lui avoir vu exécuter et dont 
il n'est fait mention dans aucune de ses lettres. Elle est signée 
H. Chapu et semble dater des dernières années de l'Empire.) 



OEUVRE DE CHAPU. 263 

Armand fiumaresq y peintre. — Médaillon plâtre. Profil à 
droite. 1862. 

Dans. le fond : a m. armand, soutenir affectueux. H. Ghapn. 

Daniel Stem (Mme d'Agout). — Médaillon marbre. 
(Pour son tombeau, au Père-Lachaise.) 

Emile Trélat. — Médaillon bronze. Profil à gauche. 
Signé H. Ghapu. 

E. Déglise. — Médaillon bronze. Profil à gauche. 
Signé H. Ghapu. 

Victor Thiébaut, — Médaillon bronze. Profil à droite. 
Signé H. Ghapu, 1875. 

Paula Breton. — Médaillon bronze. Profil à gauche. 
Signé H. Ghapu, 1877. 

Nino (Christian Garnier). — Médaillon marbre. 

/. Fallet. — Médaillon bronze. 
Signé H. Ghapu, 1877. 

Mlle Massenet. — MédaiUon marbre. 

Eugène Guillaume, statuaire. — Médaille bronze. Profil à 

gauche. 

En exergue : g.-j.-b. eugène Guillaume, stat. membre de 
l'institut. Signé Ghapu. 

Léon Cogniet. — Médaillon bronze. 

(Pour son tombeau, au Père-Lachaise.) 



264 OEUVRE DE CHAPU. 

J.-N, Robert'Fleury, peintre. — Médaillon bronze. Profila 

droite. 

En exergue : j.-n. iigbert-fleury, membre de l'institut. Sig^nc 
Chapu, 1877. 

Mme Robert'Fleury, femme du précédent. — Médaillon 
bronze. 

E, Vaudremery architecte. — Médaillon bronze. Profil à 

droite. 

En exergue : e. vaudremer, membre de l'institut. Signé 
H. Chapu. 

Millet et Rousseau, peintres. 

Médaillon colossal bronze. 

(Forêt de Fontainebleau.) 

J.'F. Bapterosses. — Médaillon bronze. Tête de trois quarts 
à g[auche. 

En exergue: JEAN-FÉLIX BAPTEROSSES, 1815-1885.SîgnéH. Chapu. 

C/ia/j/?^e. — Médaillon plâtre, 1889. 

Picard. — Médaillon marbre. 

(Au Pcre-Lachaise.) 



2* MÉDAILLES ET MÉDAILLONS DÉCORATIFS 

Jeanne d'Arc, — Médaillon colossal bronze. 

(Église de Saint-Aspais, àrMelun.) 

La Peinture, la Musique, l'Architecture^ la Poésie, la 
Sculpture, — Médaillons bronze argenté. 

(Hôtel Sédille, à Paris.) 



OEUVRE DE CHAPU. 265 

Médaille commémora tive pour l'église du Sacré-Cœur de 

Montmartre, à Paris. — Médaille bronze. 

En exergue : sagratiss. gordi jesu gallia poenitens et 
DEvoTA, 1870-1875. 

La Jeune mère, — Médaillon marbre. 

(Appartient à Mme Ghapu.) 



y 

OEUVRES DIVERSES 



Saint Joseph. — Statue. 

(Église de Saint- Augustin, à Paris.) 

Jésus ouvrier. — Statue argent. 

(Offert par l'Union des Œuvres ouvrières de France au 
pape Pie IX à l'occasion du 50* anniversaire de son épiscopat.) 

Tête de Minerve. — Pierre. 

(Pour décorer un fronton de porte, dans un hôtel particulier 
à Francfort.) 

Victoire. — Statuette argent. 

(Pour le Grand Prix de Paris.) 

Poignée d'épée. 

(Pour Mqt le duc d'Aumale.) 



266 



OEUVRE DE CHAPU. 



Surtout de table. 

(Pour la princesse Amélie de Braçance.) 



Louis XIV. — Statuette bronze. 

Cette statuette appartient à Mme veuve Ghapu. Elle était des- 
tinée à être reproduite par la gravure dans une édition des 
œuvres de Boileau, de la maison Hachette. 




Là JEC5E MERK. 
Médaillon. 

{XIX« siècle. Firmio-Didot cl C», éditeurs.) 



ERRATA ET ADDENDA 



Entre les pages 144 et 145, au-dessous de la reproduction de la Danseuse 
Au lieu de : Hôtel Perdre, lire : Hôtel Rothschild. 

Page 234, ligne 10 : 

Au lieu de Euphémie Boulcnger, sa nière,\iTe : sa veuve. 

Pnge 261. A ajouter à la liste des portraits médaillons : 
Questelf architecte. — Médaillon bronze. 



TABLE ANALYTIQUE 



(Les noms des œuvres de Ghapu sont indiqués en italique.) 



A BOUT (Edmond), Î5. 
Agedefer{V),iS,li. 
Architeciure (L*), 85. 
Art mécanique (L*), 60. 
Astronomie (L*), 113. 
Automne (L*), 126. 



Bbriiaiid, peintre, 26. 
Berryer (Le monument de), 93, 101. 
BizBT, compositeur, 151. 
fioxnARDEL, sculpteur, 47. 
BoNKAT, peintre, 42, 48, 51, 62, 63. 
Bonnechoae (Le monument de Mgr de), 
93, 101. 



Gabanbl, peintre, 6. 

Car ATON-LàToun (Buste du comte de) , 134. 

Cahpkauz, sculpteur, 26, 28, 30, 43, 61, 

76, 80, 119, 193. 
Cérès rendant la vue à TriptoUme, 6. 
Chifflart, peintre, 26. 
Christ aux Anges (Le), 18, 21, 23. 
CincinnatuSj 6. 
Cléobis et Biton, 8. 
Clytie, 56. 
CoGiiiET, peintre, 6. 
Comte, compositeur, 11. 



GoRinCK (de), peintre, 43. 
CoQUART, architecte, 44. 



Dalou, sculpteur, 194. 

Danseuse, 143. 

Daijbiet, architecte, 11, 51. 

Delauhat, peintre, 26, 43, 46, 51, 62, 

84, 170. 
Désespoir d'Alexandre après la mort de 

ClitUSy 6. 

Didier, peintre, 44 

Dom Simon, 6. 

Doublebiard, sculpteur, 11. 

Dubois (Alphée), 11. 

Duc, architecte, sa médaille, 126. 

Duchatel (Comte), son buste, 67. 

Duchesse d* Orléans (Tombeau de Mme 

la), 128. 
Duchesse de Nemours (Tombeau de Mme 

la), 131. 
Dumas (Alexandre), son buste, 80, 82. 
Dupanloup (Monument de Mgr), 97, 

137, 138, 139, 140. 
Duret, sculpteur, 6, 21, 22. 

E 

Éloquence (L'), 94. 
Enfant à l'épine (L'), 25. 
Espérance (L*), 149. 
Été (L), 126. 



268 



TABLE ANALYTIQUE. 



Falguière, sculpteur, 43, 194. 
Félicien David (Le monument de), 165. 
Fidélité (La), 94. 
Fraguier (Marquis de), 4. 
François, graveur en pierres fines, 171. 



Gaillard, graveur, 24, 51, 151. 

Ga/iy ntanî (Monument des frères), 145, 

146, 147. 
Garnier, architecte, 79. 
GiBERT, peintre, 47. 
GiRETTK, architecte, 120. 
Gleyre (Le buste de), 97. 
Guillaume , sculpteur ; sa médaille , 

107. 



Il 



HÉBERT, peintre, 105. 

Hekker, peintre, 43, 45. 

Héro et Léandre, 165. 

Heuzet, 44. 

Histoire traçant le nom de Thiers (L'), 

62. 
Hiver (L'), 126. 
Homme heureux (L*), 6. 
Hyménée (L'), 125. 



I 



Icaza (Monument du jeune de), 162. 
Immortalité (L), 110, 111, 112. 



Jean Cousin^ 97. 
Jeanne d* Arc, m, 70, 71. 
Jésus ouvrier, 108. 
Jeunesse (La), 88. 



Labiche (Tombeau de MIU), 131, 

182. 
Lebrun (Buste de), 80. 
Lbcogq (Michel), 2. | 



Lecocq (Lîndor), 2. 

Lefebvre, peintre, 43, 51, 170. 

Le Plat (Buste de), 68. 

Le Verrier (Monument de), 97. 

LÉVT (Henri), peintre, 43, 51, 170. 

Libération du territoire (La), 162. 

Liseuse, 165. 

M 

Maniglier, sculpteur, 26. 

Masseket (Mlle), sa médaille, 126. 

Médaille du Sacré-'Cœur, 125. 

Mercié, sculpteur, 194. 

Mercure inventant le caducée, 40, 43, 

55. 
MÉRiKO (Le masque de), 107. 
Météorologie (La), 113. 
Michaux (Buste de M.), 165. 
Millet, peintre; -son monument, 164. 
Millet et Rousseau (Médaillon colossal 

des peintres), 137. 
Moïse, 80. 

MoNTALEMBERT (Buste de), 80. 
Musique (La), 85. 



N 



Nature (La), 86. 

Neptune faisant naître un cheval ^ 6. 
NicOLAÏ (Bustes du marquis et de la 
marquise de), 102. 



Ode (L*), 79. 



Paladilhe, compositeur, 43. 
Patey, graveur en médailles, 171. 
Patriotisme défendant la France (Le), 

162. 
Peinture (La), 85. 
Pensée (La), 95. 
Pluton, 127. 
Poésie (La), 85. 
pRADiER, sculpteur, 5. 
Printemps (Le), 126. 
Proserpine^ 127. 



TABLE ANALYTIQUE. 



S69 



Regnault (Le monument de Henri), 79. 
Reynaud (Le monument de Jean), 109. 
Robert-Flbdrt père; sa médaille, 107. 
Roberi^Fleurt (Tony), peintre, 76. 
ROHAULT DE Flevrt, architecte, 53. 
RoTY, graveur en médailles, 171. 



S 



Saint Gei-main, 137. 

Saint Jean, 126. 

Saint Joseph, 107. 

Saint Louis de Gonzague, 126. 

Schobuewerk, sculpteur, 119. 

Schneider (Monument de), 103. 

ScHRETZ, peintre, 15. 

Sculpture (La), 85. 

Sécurité {Lsl), 80. 

SÉDiLLE, architecte, 55. 

SÉDiLLE (Paul), architecte, 55, 84. 

SÉDILLE (Mlle), son buste, 84. 

Semeur (Le), 32, 56. 

Sphinx, 107. 

Sully- Prudhomme, sa médaille, 60. 



Tessier (Buste du D'), 165. 
Théophile Gautier, 39. 



Thétis, 55. 

Thiébaut, fondeur; son buste, 97. 

Tradition (La), 86. 

Trélat, architecte; sa médaille, 107. 

Triptolème, 36, 39. 

Tyrtéty bas-relief, 6. 



U 



Ulysse retrouvant Achille à la cour de 
Lycomède, 6. 



Vapeur (La), 149. 

Vase monumental, 123. 

Vaddremer, architecte; sa médaille, 

107. 
Vérité (La), 154. 
Victoire, 125. 
Victor Hugo (Projet de monument pour), 

166. 
Vierge du Mée (La), 126. 
Ville de Beauvais (La), 53. 
YiTBT, son buste, 83. 
Vogué (Marquis de), 4. 
Vogué (Robert de), 186. 



ZoGRAPHOs (Buste de M.), 134. 




MEDAILLE DU S AC RE-COEU R. 
{XIX^ Siècle. Firmin-Didot et C>«, éditeurs.) 



TABLE DES MATIÈRES 



CHAPITRE PREMIER 
En&iDce et jeunesse de Chapu. — Séjour à Rome , 1833-1861 1 

CHAPITRE II 
Les aanées difficiles, 1861-1870 49 

CHAPITRE III 
La gloire, 1871-1882 75 

CHAPITRE IV 
Dernières années de Chapu, 1882-1891 115 

CHAPITRE V 
Œuvres posthumes de Chapu. — L'homme et l'œuvre. — Conclusion. 161 

NOTICE ET PIÈCES LITTÉRAIRES 

Notice sur Henri Lemaire, lue par Chapu à l'Académie des Beaux-Arts 

(séance du 17 décembre 1881) 197 

Discours prononcé par Chapu aux obsèques de Claude-Ferdinand Gaillard 
(23 janvier 1887) 203 

Discours prononcé par Chapu aux obsèques de Gustave Boulanger (24 sep- 
tembre 1888) 207 

Discours prononcé par Chapu, comme président de l'Académie des Beaux- 
Arts, à la séance solennelle du 15 octobre 1889 209 

Pièces jostificatives 213 

OEUVRE DE Chapd 243 

Table AKALTriQOE 267 



PARIS. TYPOGRAPHIE DE E. PLON, NOURRIT ET G". RUE CARANCIÈRE, 8. 



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