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Full text of "Charles le Téméraire: romancero historique"

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CHARLES LE TÉMÉRAIRE 



/ 



, DU MÊME AUTEUR 

Grains de mil, poésies et pensées. 
Il Penseroso, poésies-maximes. 
La part du rêve, nouvelles poésies. 
L'escalade de 1602, ballade historique. 

SOUS PRESSE 
Les Etrangères, traductions en vers. 



CHARLES 
LE TÉMÉRAIRE 

XOMANCERO HISTORIQUE 
H.-FRÉD. AMIEL 



NEUCHATEL ! GENÈVE 

LIBRAIRIE J. SANDOZ | . LIBRAIRIE DESROGIS 

1876 



NEUCHATEL. — IMPRIMERIE DE JAMES ATTINGER 




AU LECTEUR 




Les ballades que voici, publiées à' l'occasion du grand an- 
niversaire de 1476, rappellent ce moment, peut-être le plus 
épique de nos annales, où quelques peuplades alpestres, affran- 
chies déjà et maîtresses de leurs destinées, se heurtent à la 
premib'e puissance militaire du XV e siècle, et, grâce à une 
série de foudroyantes victoires, prennent subitement une im- 
portance européenne. 

Reliant ce que les deux poèmes si populaires de Juste Olivier 
et d f Albert RicJxird ont présenté avec plus d'ampleur mais sé- 
parément, et rasant en fait d'un peu plus près la terre, c'est-à- 
dire s'attacJxint à la réalité Hstorique plus dépouillée de fiction, 
ces clyants, qui essaient une forme littéraire asse\ nouvelle, ren- 
contreront-ils un accueil indulgent ? Qu'il nous soit permis de 
l'espérer. 



Au lecteur. 



Les amateurs, familiers avec les clironiques et les chants de 
guerre de l'époque, sauront bien, s'ils le veulent, retrouver les 
sources de ces ballades. Si les autres lecteurs reconnaissent ici 
quelque peu la vérité des temps et des lieux, sans que l'imagi- 
nation ait sujet de s'en plaindre, la, ballade historique sera jus- 
tifiée et l'on n'en demande pas davantage en sa faveur. 

Quoique détachées d'une œuvre plus considérable, ces quel- 
ques pièces forment bien à elles seules un ensemble, et l'auteur 
en fait hommage à la fête nationale du 22 juin. 

H. -F. A. 

Genève, le 17 mai 1876. 



V 



DÉCLARATION DE GUERRE 




t DÉCLA%dTI(m J <DE GUBRXE 



2/ octobre 1474. 



A très-noble et très-haut Prince et Seigneur, à toi, 
Charles duc de Bourgogne, à tes hommes de loi, 
Lieutenants, gouverneurs, représentants équestres, 
Et quels que soient leur nom, leur titre ou leur séjour, 
Cette lettre de guerre et de défi ! 

Ce jour, 
Nous Ammans, Avoyers, Conseillers et Bourgmestres, 
Membres du Saint-Empire et libres Communiers 
Des Ligues de la Haute-Allemagne, nous, Berne, 
Et nous Zurich, Uri, Schwytz, Unterwald, Lucerne, 



1 2 Déclaration de guerre. 



Zug et Glaris, plus nous, féaux associés, 
Fribourg, Soleure, à toi comme à tes officiers, 
— Sur l'invitation gracieuse et formelle 
En nos monts parvenue et remise en nos mains 
Du Roi sérénissime Empereur des Romains, 
Frédéric, notre Sire; et, requis par fidèle 
Et haut duc Sigismond, notre allié, — disons 
Et déclarons rupture ouverte. 

T'accusons 
Des actes peu chrétiens, des faits de violence, 
Longs dénis de justice, extorsions, affronts, 
Contre nos alliés, villes, pays, barons 
Et nous, journellement commis par insolence. 

A partir de ce jour et cette heure, emploierons 
Contre toi, tes parents et tes vassaux, toute arme 
Sans nulle exception, tout ce qui navre ou nuit : 
L'incendie et le gast, les surprises, l'alarme, 
Et l'attaque et l'assaut, de jour comme de nuit, 
Rapt, bataille ou rançon, sac, ruine ou carnage ; 
Le tout loyalement, pour te faire dommage 
A mort. 



Déclaration de guerre. 



Et cela dit, (res-haut Prince et Seigneur, 
Pour blanchir notre épée et couvrir notre honneur, 
Nous te donnons de garde. 

En diète, à Luceme, 
Délivré ce cartel, sous le grand sceau de Berne 
Qui nous engage tous également. Ecrit , 

L'avant-veille de Jude ei Simon, l'an du Christ 
Quatorze cent septante et quatre. Ainsi soit-il. 




LA BATAILLE DE GRANDSON 




LA 'BATAILLE <DE G%AWDSCfKL 



Bergers des monts, gens de paix et de foi, 
Par Saint Fridol ! qui sort peu n'apprend guère. 
Femmes, vieillards, enfants, écoutez-moi, 
Car j'ai vu Charle et fait la grande guerre. 

m 

C'était un samedi matin : 

De Neuchâtel, dans le lointain, 

Il montait des fumées. 
Le lac, sous le Jura neigeux, 
Dans l'ombre, reflétait les feux 

De nos bandes armées. 



i8 La bataille de Grandson. 



\ 



L'homme qui donne des terreurs 
Aux rois et même aux empereurs 

Campait à quelques lieues. 
Nous accourions tous, cœurs ardents, 
Pour lui faire une fois aux dents 

Rentrer ses rages bleues. 

m 

La veille, il avait, sans raison, 
Fait pendre aux noyers de Grandson 

Cinq cents braves, nos frères. 
Vous insultez le montagnard ! 
On vient vous parler sans retard, ' 

Bourguignons téméraires. 

Partout, de Bevaix à Boudry 
Nos gens se réveillaient : Uri, 

Schwytz, Appenzell, Schafïhouse, 
Berne et Zurich, Glaris, Fribourg, 
Bienne et Saint-Gall, Baie et Strasbourg, 

Troupe d'honneur jalouse. 



La bataille de Grattdson. 19 

Le deux Mars, par un ciel tout gris, 
Dès l'aube, les plus aguerris 

Ont déjà pris la tête ; 
Et vers le sud, à travers champ, 
Le long du lac, s'en vont marchant, 

Comme on court à la fête. 

De Vaux-Marcus laissant la tour 
Derrière eux, ils font le contour 

D'un cap barrant la vue... 
Tout-à-coup, au loin, devant eux 
Se montre, au pied des monts rocheux, - 

Une rive étendue. 

L'ennemi ! voici l'ennemi ! 
Lui non plus n'est pas endormi. 

Plein d'ire et de vaillance, 
Comme un serpent d'or et d'acier, 
Il déroule son train guerrier 

De l'Arnon à la Lance. 



20 La bataille de Grandson. 

Vingt-cinq mille hommes de cheval 
Défilaient en longeant le val : 

Pennons, drapeaux, bannières, 
Panaches, flottent dans le vent ; 
Sous les canons au poids mouvant 

Se creusent des ornières. 

m 

A l'avant-garde, du Bâtard 
Ondulait le haut étendard. 

Plus loin, l'infanterie : 
Arquebusiers, hallebardiers ; 
Puis, au milieu des chevaliers 

Brillants d'orfèvrerie, 

Fier de l'aigrette aux éperons, 
Charle, entouré de ses barons, 

Princes, marquis et comtes, 
Venait dans sa puissance. Au loin 
Archers, condot tiers, sous Baudoin 

Marchaient, bandes moins promptes. 



La bataille de Grandson. 21 

Mais le Grand-Bâtard fond sur nous. 
Nous avions, tombant à genoux 

En dépit des huées, 
Comme des soldats craignant Dieu 
Prié; ses troupes, faisant feu, 

Sur nous se sont ruées. 

m 

Ses cuirassiers, formant le coin, 
Nous abordent, le glaive au poing, 

En gaillards énergiques. 
Pour nous, massant le bataillon, 
Nous offrons à leur tourbillon 

Le hérisson des piques. 

m 

Et des hauteurs vers nous accourt 
D'Affry guidant ceux de Fribourg, 

Scharnachthal ceux de Berne 
Et d'Oberland ; et leur effort 
A" fait courber, comme un ressort, 

L'ennemi qui nous cerne. 



22 La bataille de Grandson. 



Schwartzmaurer et ceux de Zurich, 
Sur sa gauche tombant à pic, 

L'obligent à démordre. 
Le Grand-Bâtard, près du moûtier 
De la Lance, ainsi dut plier. 

Il recule en désordre. 



* 



C'était plaisir de voir fuyants 
Ces escadrons fiers et bruyants, 

Crinière échevelée. 
Le jour montait. Mais que le but 
Est encor loin ! Marchons. Ce fut 

La première mêlée. 



41 



La bataille de Grandson. 23 



Bergers des monts, gens de paix et de foi, 
Par Saint Fridol ! qui sort peu n'apprend guère. 
Femmes, vieillards, enfants, écoutez-moi, 
Car j'ai vu Charle et fait la grande guerre. 



* 



Comme le torrent du grand mont 
En Mai, devenu plus sauvage, 
Déborde et couvre son rivage 
De blocs, d'écume et de limon, 
Ainsi d'heure en heure plus forte, 
Suivant le sillage du sang, 
Notre armée allait grossissant, 
Roulant cohorte après cohorte. 



24 La bataille de Grandson. 



Par les vignes, par les sentiers, 
Entre les sapins et les ondes, 
Voyez, en colonnes profondes, 
Se précipiter nos guerriers : 
Diessbach et Hallwyl, Roth de Bâle, 
Rœmcrstall, Trullerey, Waldmann, 
Gœldli, Hassfurther landamman 
Et Farnbùhler, chefs au front mâle. 



* 



Le Bourguignon prenait du champ 
Et ses fourreaux battaient la selle; 
Mais il se reforme à Corcelle 
Et cette fois tient ferme au rang. 
Picards, Wallons, Milan, Savoie 
Entrent en ligne. Ordre nouveau ; 
Nouveau combat. Vrai, ce fut beau ' 
Mais rude assez fut notre joie. 



La bataille de Grandson. 25 



Bourgogne, entre deux coins de fer, 
Met sa forêt de longues lances. 
Mais nos Seigneurs des Alliances 
Changent de front. Comme l'éclair, 
A l'ennemi montrant la tête, 
Les sept cantons confédérés 
Font quatre bataillons carrés, 
Drapeaux au centre et formant faîte. 



* 



Coup d'œil superbe ! Il fallait voir 
Frétiller piquiers et montures, 
Et ces chevaliers en armures 
Chacun luisant comme un miroir. 
Midi. L'affaire recommence. 
Sur nos immobiles 1 carrés, 
Impétueux, exaspérés, 
Les ennemis comme en démence 



26 La bataille de Grandson. 



Viennent se briser. Sous le choc 
De leurs assauts, de leurs bordées, 
Nos piques de douze coudées 
Ont tenu bon, comme le roc. 
Alors un grand chef, un bel homme, 
Prend six mille chevaux de choix, 
Et remonte assez près des bois ; 
C'est Château-Guyon qu'on le nomme. 



* 



Il voulait tourner notre flanc 

Et descend à toute carrière. 

,Garde à nous!... Rompant la barrière, 

Ses gendarmes, croisés de blanc, 

Enfoncent le grand carré suisse. 

Deux fois, leur chefau noir regard 

De Schwytz a touché l'étendard, 

Mais des mains, la Croix-Dieu lui glisse. 



La bataille de Grandson. 27 



Il voit son pennon blanc et bleu 
Pris par Elsner. In-Grub le tue. 
Il tombe comme une statue, 
Mais bravement, j'en fais l'aveu. 
Terrifiés par cette chute, 
Ses hommes, à franc étrier, 
Quittent le plateau meurtrier... 
Et ce fut la seconde lutte. 



5X5 

f 



^ 



28 La bataille de Grandson. 



Bergers des monts» gens de paix et de foi, 
Par Saint Fridol ! qui sort peu n'apprend guère. 
Femmes, vieillards, enfants, écoutez-moi, 
Car j'ai vu Charle et fait la grande guerre. 



«5» 



Nous les menons battant jusqu'aux prés de l'Arnon. 

Pour la troisième fois, couverts par le canon 

Et sous les yeux du prince habile en stratagèmes, 

Ils tentent la fortune et les efforts suprêmes. 

Sur son grand destrier gris de fer, parcourant 

Ses corps et le champ de bataille, 
De ses filets troués, Charle, de rang en rang, 

Retrouve et répare la maille. 



La bataille de Grandson. 29 



Son élite est d'ailleurs intacte : francs-archers, 
Napolitains ne sont pas encore é brèches, 
Et, sous sa main, il a la Garde et l'Ordonnance. 
Les Welches ont repris leur fière contenance ; 
On voit flotter les plis de l'étendard ducal. 
Charle en trois coins dispose et ramène l'armée 
Ardente, car pour elle et pour son général 
Il s'agit de la renommée. 



Sur leur front de bandière où grondent les bruits sourds 
La fanfare éclatante a fait signe aux tambours. 
De toute sa vigueur le Bourguignon nous charge, 
Et cette fois son champ de combat est plus large, 
Sa fureur est plus âpre et son nombre est plus grand. 

Charle a poussé le cri de guerre : 
« Saint George et Saint André ! » Son casque fulgurant 

Darde le feu de la colère. 



30 La bataille de Grandson. 



Pour nous, silencieux, l'un à l'autre vissés, 
Raidissant sous le fer nos muscles ramassés, 
Nous attendons leur coup comme on attend l'orage. 
Ils frappent. Nous sentons le poids de leur courage. 
Nous avons oublié l'aiguillon de la faim 
Et huit heures d'élan, dé sueur, de fatigue. 
L'ouragan noir redouble ! il se déchaîne en vain, 
Il n'entame point notre digue. 



Ainsi la main du maître a renoué le jeu... 
Tout-à-coup, vers l'ouest t>ù paraît un coin bleu, 
La Taure d'Unterwald, trompe de Charlemagne, 
Au fier Taureau d'Uri répond dans la montagne, 
Meuglement formidable et si prodigieux 

Qu'en suspens, les pieds dans la fange, 
L'ennemi stupéfait crut ouïr, dans les cieux, 

Sonner le clairon de l'archange. 



La bataille de Grandson. 31 



De nos Ligues c'était la fleur : Reding, Tschudi, 
Les Vieux-Suisses, cinq mille hommes au cœur hardi, 
Qui, dérobant leur marche en d'âpres solitudes, 
Escaladant le Mont-Aubert aux pentes rudes, 
Avaient, paf Montalchez, Provence et Bonvillars, 
Dans la neige et les bois fait une courbe immense. 
Garde à vous, Bourguignons ! voici les montagnards 
Au rendez-vous de la vengeance. 



Trois fois le cor sinistre a retenti. Trois fois 
Cavaliers, fantassins de Charle à cette voix 
Ont tressailli, sentant l'air plein de noirs présages, 
Quand le soleil, fendant la voûte des nuages, 
Soleil couchant d'hiver, à leurs yeux effarés, 

Sur une hauteur qu'il isole, 
Fait voir les Waldstetten, sombres confédérés, 

Resplendissants d'une auréole. 



32 La bataille de Grandson. 



Les voici ! les voici ! Poussant droit devant eux, 
Large trombe de fer au vol impétueux, 
Les hommes de Naefels et d'Altorf, dans la plaine, 
S'abattent lance basse et serrés. D'une haleine 
Us vont prendre à revers Bourgogne, culbuter 
Son armée et du lac rougir l'^écume blanche. 
Garde à toi, chef hautain ! Rien ne peut arrêter 
Leur irrésistible avalanche. 






Vois tomber tes meilleurs : Jean de Marie, Raulin, 
Poitiers et Légnano, Ligny, Mont-Saint-Sorlin, 
Méry, Lalaing. Bon duc, l'heure sombre est venue. 
« Sauve qui peut I » s'écrie une voix inconnue. 
Malgré les casques d'or et les canons tonnants, 

Au bruit.de l'horrible tempête, 
Tous, hommes et chevaux, éperdus, frissonnants, 

Ont fui. Bon duc, c'est la défaite. 



La bataille de Grandson. 33 



L'épouvante panique a pris ce monde aux crins, 

Et par tous les sillons, les fossés, les chemins 

— Comme le foehn aux champs disperse une fumée — - 

Eparpille en lambeaux ta redoutable armée. 

Grandson voit de ses tours, à travers monts et vaux, 

• - . 

Trente mille coureurs précipiter leur fuite.... 
Nous autres, nous n'avions que soixante chevaux, 
Il fallut cesser la poursuite. 



Et lui, l'homme intrépide et l'âme sans repos, 
Le Hardi, le Terrible, il a montré le dos. 
Avec le berger suisse il en voulut découdre : 
Les pâtres ont barré son écu, dans la poudre 
Traîné ses étendards, souffleté ses lions ! 

Il pouvait éviter la chose. 
Saura-t-il rafraîchir, dans ses réflexions, 

Son cœur qui veut trop et tout ose ? 



34 



La bataille de Grandson. 



Fléau de ses voisins, il était redouté 
Même du Saint-Empire et de la chrétienté. 
Sans respecter nuls droits, sans consulter l'Eglise, 
Il voulait, nous dit-on, tout changer à sa guise. 
Or, il vient aujourd'hui de vider les arçons.. 
Les rois, paf nous sauvés, nous doivent un beau cierge, 
Mais nous savons d'où vient la victoire, et disons : 
Loué soit Dieu ! gloire à la Vierge ! 




La bataille de Grandson. 3 5 



Bergers des monts, gens de paix et de foi, 
Par Saint Fridol ! qui sort peu, n'apprend guère. 
Femmes, vieillards, enfants, écoutez-moi, ' 
Car j'ai vu Charle et fait la grande guerre. 



L'aigle s'enfuit, seul, pauvre et nu, 
Touché par un coup de tonnerre. 
Mes amis, visitons son aire, 
Où l'aigle n'est pas revenu. 
Cette aire est un camp magnifique 
Allant du lac au Thévenon. 
Il brillait, par delà l'Arnon, 
Plus qu'aucune ville helvétique. 



36 Iji bataille de Grandson. 



Charte fut dépourvu de sens 
D'en sortir. La place était forte ; 
Et nous, pour en forcer la porte, 
Aurions dû perdre bien des gens ; 
Et l'homme aux dix-sept baronnies, 
Maître de tant d'Etats divers, 
Fut privé, par un seul revers, 
De ses richesses infinies. 



m 



Comment dire, comment compter 
Tout ce qu'en cette forteresse 
On trouva ? Semblable liesse 
Vraiment ne se peut raconter. 
Six cents étendards et bannières, 
Onze cents tentes, charriots 
Sans fin, trésors plus que royaux, 
Quatre cents pièces canonnières ; 



La bataille de Grandson. 37 



Arbalètes à cranequin, 
Arquebuses et hallebardes ; 
Les deux monstrueuses bombardes 
Le Damvilliers, le Sélenquin ; 
Armes, pesantes ou légères, 
Masses, haches, arcs et carreaux 
En quantité; poudre à monceaux : 
Bref, un arsenal pour dix guerres ; 



Mille boutiques de plaisir 
Riches en vins comme en épices, 
En dames aux soldats propices, 
En fruits du sud chers au dés jr ; 
Et les ducats et les couronnes, 
Et les florins d'or ou d'argent 
Tout flambant neufs, et regorgeant 
A pleins bonnets, à pleines tonnes ! 



38 La bataille de Grandson. 



Mes bons amis, figurez- vous 
Nos gens tombant dans cette foire. 
A leurs yeux ils ne pouvaient croire, 
Mais laissons-les ; suivez-moi tous. 
Voyez là-haut, parmi les herbes, 
Ces quatre-cent-dix pavillons, 
Brodés de galons, de paillons ; 
Levez leurs tentures superbes. 



m 



Que dites-vous de ces logis 
Vous qui vivez dans des chaumières? 
Passons ; d'autres splendeurs guerrières 
Attendent vos yeux éblouis. 
Un cercle de sept larges tentes 
Ceint un pavillon sans pareil : 
On croit voir, autour du soleil, 
Les sept planètes éclatantes. 



La bataille de Grandson. 39 / 



Dans le pavillon du milieu 
Qui domine au loin l'étendue, 
Tout est soie, or, perle à la vue, 
Tout reluit d'éçussons de feu. 
Autour de la maison du maître, 
Chapelle, Audience, Trésor, 
Salle des festins, puis encor 
Trois autres, viennent à paraître. 



Comme une grotte de cristaux, 
Ici dressoirs, hanaps, vaisselle, 
Coupe d'onyx, tout étincelle. 
L'argenterie est à quintaux. 
Là buires, châsses, reliquaire, 
Saints tout d'or, mitres, ostensoirs, 
Missel de Charle aux lourds fermoirs, 
Du vieux Duc le fameux rosaire. 



■' ' ■ V » 



40 La bataille de Grandson. 



D' Arras les somptueux tapis ; 
Quatre cents coffres de voyage 
Où nous avons mis au pillage 
Velours et satin et tabis, 
Brocard et damas et dentelle, 
Linge et broderie et drap d'or, 
Chacun de nous, dans ce trésor, 
Taillant une dot à sa belle. 



Plus loin le grand sceau ducal d or, 

Les registres et les archives, 

Et les décrets et les missives 

De ce Nabuchodonosor. 

Le prince aux dix-sept seigneuries. 

Qui rétuse tout suzerain, 

De cette salle a fait l'écrin 

De ses plus nobles pierreries. 



La bataille île Grattdson 41 



Le trône est de vermeil. Au dais 
Pend la toison d'or merveilleuse, 
Et la grande épée orgueilleuse 
Qui vaut seule au moins vingt palais. 
Cerclé d'escarboucles, d'opales, 
Béryls et saphirs aux feux doux, 
Ce chapeau jaune a pour jaloux 
Toutes les couronnes rovales. 




Mais voici les joyaux sans prix, 

Qu'une rareté sans seconde 

A fait sans rivaux dans le monde : 

Les Trois-Frères, ardents rubis, 

Les Deux-Sœurs, ces perles de Flandre, 

1 

/Les Trois-Eclairs, ces diamants 
Que rois chrétiens ni musulmans 
N'avaient pu ni payer ni prendre. 



42 La bataille de Grandson: 



Nous autres ignorants bergers, 

Dans notre pauvreté sévère, 

Nous prenions pour cuivre, étain, verre, 

L'éclat des bijoux étrangers. , 

Mais d'erreur on nous tira vite. 

Des Juifs, dont l'esprit n'est pas gourd; 

Sont venus. Un Fugger d'Augs^urg, 

Fin marchand, au troc nous invite. 




La bataille de Grandson. 43 



Bergers des monts, gens de paix et de foi, 
Par Saint Fridol ! qui sort peu, n'apprend guère. 
Femmes, vieillards; enfants, écoutez-moi, 
Car j'ai vu Charle et fait la grande guerre. 



)*( 



De ce butin si précieux 
Vous avez réjoui vos yeux ; 

Mais j'entends vos demandes, 
Vous qui voulez toujours, partout 
De chaque chose voir le bout, 

O têtes allemandes ! 



® 



En payant à Charle son dû 
Notre temps ne fut point perdu ; 

Travail fait nous protège. 
Il n'est pas mal d'avoir la peur 
Devant soi, comme ambassadeur; 

Près de soi, x pour cortège. 



44 La bataille de Grandson. 



Chez les Confédérés, qui donc 
De la bravoure eut le guerdon? 

L'Ours a la griffe bonne, 
Mais le Taureau, mais le Bélier 
Et vingt autres ont su cogner; 

Et tous, je les couronne. 

Schamachthal arma chevaliers 
Nos chefs et quelques alliés, 

Le soif de la bataille. 
Mais que ,vaut encor l'éperon 
Quand l'homme libre, du baron 

A mesuré la taille? 

L'empereur garda le chez-soi ; 
Le roi de France est resté coi, 

Et trop tard vint l'Autriche. 
Cela prouve, écoutez-moi bien, 
Que les bavards ne valent rien. 

Qui tant promet nous triche. 



La bataille de Grandson. 45 



Sur nous tout seuls, Suisses, comptons. 
Nous avons vu nos espadons 

Lutter vingt contre trente ; 
Neuf morts pour un fut notre taux, / 
Ainsi le nombre des brutaux 

Est chose indifférente. 

Que pour nous soit le Seigneur Dieu 
Et nous n'avons, sous le ciel bleu, 

A redouter nul homme. 
De Grandson dans les bas pays, 
Beaucoup on parle, mes amis, 

Partout on nous renomme. 

Chacun pourtant songe au retour. 
L'armée au quatrième jour 

Pour le départ se lève. 
Nés troupeaux languissent là-bas. 
De sitôt, Duc, ne nous fais pas 

Décrocher notre glaive. 



Ll bataille, de Grandsot 



Bergers des monts, gens de paix et de foi, 
Par Saint Fridol ! qui sort peu, n'apprend guère. 
J'ai tout compté. Souvenez-vous de moi, 
Hans^le Nxfels, qui fis la grande guerre. 

Engelberg, mercredi 3 avril 1476. 



LE MONT VULLY . 




LE MCKIT VULLY 



Mardi 20 juin, 9 heures du soir. 

Entouré de trois lacs, il est un mont fertile, 
Dont le cône boisé, surgissant comme une île, 
Domine autour de lui tout un vaste horizon. 

Vers l'ouest Bienne, Erlach, Neuchâtel, Yverdon, 
Vingt cités, à l'abri du Jura, mûr sévère, 
Egrènent leurs clochers et cernent d'un cordon 

Deux des trois lacs à l'onde claire. 
Vers le sud, et non loin du mont aux verts contours, 
Dans un flot orageux, Morat mire ses tours ; 



/ • 



$o Le Mont Vulîy. 



Et par delà Morat, s'ouvre un amphithéâtre 
De croupes, de vallons, de faîtes arrondis, 
Conduisant aux sommets hautains, aux pics hardis 
Que hante le chasseur et visite le pâtre, 
Pour expirer enfin aux Alpes, grandes soeurs 

Dont les éternelles blancheurs 
Apparaissent, nageant dans un lointain bleuâtre. 
Le Gibloux, le Gurten se montrent, encadrant 
Le Moléson altier, le Stockhorn à son rang , 
Qui gardent à leur tcur de plus hauts dignitaires, 
Les Diablerets, l'Altels, le Mœnch, le Wildstrubel, 

Dont on voit monter vers le ciel 
Comme des fronts voilés, les dômes solitaires. 

Plus voisins du Vully, deux cours d'eau sinueux. 

L'un doux et l'autre impétueux, 

L'un baignant des rochers, l'autre des pâturages, 

t 
La Broyé et la Sarine aux différents rivages, 

Creusent de leurs sillons le pays montueux 

Où deux peuples divers se rejoignent, contrée 

Autrefois Allémane et Burgonde, attirée 



Le Mont Vuîly. $ i 



En deux sens, par la race, et la langue et les vœux, 
Mais qu'un même drapeau d'union fraternelle 
Un jour, pour leur bonheur, couvrira de son aile. 

Debout sur le Vully sont trois hommes. L'un d'eux 
Est à la fleur des ans et l'éclair du courage 
Brille dans son œil noir; les fatigues de l'âge 
Commencent à peser visiblement sur deux. 
Le jour fuit : on regarde arriver les ténèbres. 
Le ciel lourd s'est cuivré de nuages funèbres. 
Au-dessus de Morat, comme d'un encensoir, 
Lentement dispersée à la brise du soir, 
Flotte et monte une nappe immense de fumée. 
La canonnade enfin se repose. Au midi, 
Sur les géants neigeux toute vue est fermée ; 
Mais vers l'est, déchirant, sous le dôme attiédi, 
De cette nuit de juin les mystérieux voiles, 
,Un angle de ciel laisse entrevoir les étoiles. 

Et l'un des deux anciens : « A vous, parents d'ici, 
Frère et neveu, je dis pour votre accueil : merci. 



j2 Le Mont Vully. 



Rudolf est volontiers pour cette nuit votre hôte . 
En attendant, causons. Je crois déjà, sans faute, 
Avoir compris, savoir en un mot presque tout 
Ce que j'étais venu chercher. Un petit bout 
D'histoire aussi t'est dû, Vincent; donc, je m'acquitte. 

VINCENT. 

Rien ne presse, Rudolf. v 

RUDOLF. 

Si, j'aime à payer vite. 

VINCENT. 

Puisqu'il te plaît, va donc. 

V 

RUDOLF. 

Toi, métayer du mont, 
Tu vis, certes, marcher le comte de Romont, 
Quand, voici onze jours, croyant nous mettre en cage, 
Avec son monde il a franchi le marécage. 
Passant entre vos lacs, pour être inaperçu, 
Il espérait surprendre et fut très mal reçu. 



Le Mont Vully. 53 



Hommes, femmes, enfants, par le tocsin d'alarmes 
Rassemblés, droit sur lui, tombent, n'ayant pour armes 
Que fourches, faux, bâtons, comme on a pour les loups. 
Ceux. d'Erlach, de Vinelz, du Landeron, de Wavre, 
De Gais, de Montmirail, d'Anet, sont venus tous. 
Le comte a reculé, laissant plus d'un cadavre. 
Bellenot, lui tout seul, comme eût fait Amadis, 
A défendu le pont de la Thièle. Interdits 
Et se mordant les poings d'une aussi folle attaque, 
Tous précipitamment avec le comte Jaque 
Ont dû battre la route en arrière. 

VINCENT. 

Je sais. 

RUDOLF. 

De Bienne sont venus depuis ordres pressés. 
Romont n'est, paraît-il, que chef d'une avant-garde. 
Ulrich, tes deux cousins, ont pris la hallebarde, 
Et sur Theure suivi l'appel. 

ULRICH. 

Braves garçons! 
Que ne suis-je avec eux ! 



54 Le Mont Vully. 



Cela ! 



RUDOLF 

Neveu, c'est bien. 

VINCENT. 

Laissons 

RUDOLF. 



Depuis le douze arrive à mon oreille 
Comme un bruit de canon lointain, qui me réveille 
La nuit tout en sursaut, et m'agite le jour. 
Je me suis dit : Allons par là-bas faire un tour. 
Au-delà du Vully sachons ce qui se passe; 
Sœur Bethli, dès longtemps, désire qu'on l'embrasse; 
Partons. Et vers midi, le vigneron d'Erlach 
Pour revoir la montagne a pris congé du lac. 

ULRICH. 

Bon oncle! 

RUDOLF. 

Sœur Bethel est demeurée accorte 
Et toute sa maison, je le vois, bien se porte. 
Mais c'est la guerre en plein qu'ici je trouve. 



Le Mont Vuîly. - 55 



VINCENT. 

Hélas ! 
Tu dis trop vrai, Rudolf. Jette les yeux là-bas, 
Sur la ville. Le duc de Bourgogne en personne 
De quatre camps la bloque ou plutôt l'emprisonne ; 
Vois autour de Morat, comme un cercle de feu, 
Les bivouacs s'allumer. Tout l'enfer est en jeu. 
Les bruits sourdsj où de loin tu sentais des colères, 
Sont les rugissements de soixante veuglaires 
Vomissant, jour et nuit, le tonnerre et la mort. 

RUDOLF. 

Vincent, je sais me taire et respecter ton sort. 

* 

Welche et Romand, tu dois avoir d'autres pensées 
Que moi sur cette lutte. A ma lèvre, pressées 
Viennent les questions, mais j'y veux mettre un frein. 
D'ailleurs, on doit aimer ce qui donne du pain, 
Et du Vully le sol est un fief de Savoie. 

VINCENT. 

Qui pense ainsi de nous, beau-frère, se fourvoie 
Et tu te fais à tort un semblable souci. 



$6 Le Mont Vully. 



Ecoute. — Quand je vins du Val-de-Ruz ici, 

Et même après avoir chez tes parents pris femme, 

— Quelque trente ans de ça — qu'étais-je ? Sur mon âme, 

Peu de chose, un colon dépendant, un censier. 

Mais je suis aujourd'hui libre et franc tenancier, 

Pouvant aimer, aimant qui je veux. Ce que j'aime, 

C'est la paix". Or, le duc ici, ni Berne même 

Ne me plaît, car si l'un amène le canon, 

L'autre a bien provoqué cette querelle. Non, 

Aucun des deux partis n'est lé mien. Mais que faire? 

Je suis seul contre deux à la maison, beau-frère. 

Ulrich vit dans les bois et sur le lac, chassant, 

Péchant comme ferait un montagnard pur sang. 

Il n'est, hors ces exploits, rien qui le réjouisse ; 

Bref, ta sœur est tout Berne et ton neveu tout Suisse. 

Moi, pour avoir la paix, du moins à mon foyer, 

Ma foi, je reste neutre en sage métayer. 

RUDOLF. 

C'est prudent. — Mais peut-on espérer que la ville 
Réchappe ? 



L& Mont Vully. 57 



VINCENT. 

Elle est perdue et l'espoir inutile. 
Ses murs par les boulets sont criblés ; ses huit tours 
Penchent vers les fossés; la sape tous les jours 
Avance, et du rempart s'élargissent les brèches. 
Impossible d'y faire entrer des troupes fraîches ; 
•Les secours ne viendront que trop tard. Les signaux 
N'ont pas, même de loin, promis la fin des maux. 
Morat doit forcément succomber. 

ULRICH. 

Non, mon père, 
Ils ne le prendront pas. 

VINCENT. 



Cet œil ! cette voix fière ! 



Que veut dire? 



RUDOLF. 

1 



Neveu, parle plus clairement. 



ULRICH. 

J'en suis sûr, je l'ai vu. 



58 Le MofU Vully. 



RUDOLF. 

Qui? 

ULRICH. 

Boubenberg. 

VINCENT. 

Comment? 

ULRICH. 



Si tu veux mon secret, père, avant .tout, pardonne. 

VINCENT. 

Quels torts? 

ULRICH. 

A ton insu, — malgré toi, je soupçonne, 
J'ai visité Morat presque toutes ces nuits. 

VINCENT. 

Ulrich ! - 

ULRICH. 

Je redoutais d'aggraver tes ennuis. 
Les Bourguignons avaient négligé d'aventure 
De boucler pour Morat tout-à-fait la ceinture. 



V 



Le Mont Vuîîy. 59 



Toi, m'ayant défendu, mon père, de m'armer, 
Je n'ai pris que ma barque et n'ai fait que ramer ; 
Et furtif, par le lac essayant la fortune, 
J'ai, dans l'obscurité pluvieuse et sans lune, 
Pu cinq fois arriver jusqu'à la place. 

VINCENT. 

Eh bien? 

ULRICH. 

Intrépide comme à Grandson, ne craignant rien, 
J'ai vu la garnison. 

VINCENT. 

Elle devra se rendre 
/ Comme l'autre, avant elle, a fait. 

ULRICH. 

Se laisser pendre ! 
Non père, Boubenberg qui ne trompa jamais, 
A fait dire au Conseil de Berne d'être en paix : 
« Avant que le duc Charle ait franchi la frontière, 
» Morat ne devra plus avoir pierre sur pierre ; 
» Et l'on tiendra, dût-on périr jusqu'au dernier, 
» Comme à Saint-Jacques. » 



\ 



60 Le Mont Fuîly. 



RUDOLF. / 

C'est le mot d'un chevalier. 

VINCENT. 

Très-beau, je veux bien, mais les boulets et la mine, 
Les assauts répétés, les blessés, la famine 

ULRICH. 

D'avance, Boubenberg a décrété de mort 
Quiconque, fût-ce lui, dirait: «.Cédons au sort. » 
Sachez-le. 

RUDOLF. 

Vive Dieu ! Boubenberg est ifn homme ! 

VINCENT. 

Je le vois, ce n'est pas à tort qu'on le renomme. . 
Il est votre premier. 

RUDOLF. 

Oui certes, le premier. 
Premier dans les conseils, lui dixième avoyer 
De sa race. Premier dans les combats, lui brave 
Comme un croisé, figure aussi belle que grave, 



Le Mofit Vully. 



L'homme complet, enfin, et qui bien jeune encor 

A dans Jérusalem chaussé l'éperon d'or. 

C'est» un chef, un vrai chef. Berne a le droit d'en être 

Orgueilleuse. 

VINCENT. ». 

Pourtant, chacun trouve son maître, 
Et Boubenberg qui fit en Flandre un long séjour, 
De Philippe-le-Bon ayant connu la cour, 
Doit savoir ce que vaut le duc Charle. 

RUDOLF. 

Il fut même 
Dans le temps son ami. Mais l'honneur, voix suprême, 
A parlé. La patrie a réclamé son fils; 
Et lui ne connaît plus dès lors, je vous le dis, 
Que son épée et son devoir. 

ULRICH. 

C'est une flamme ! 
L'ardeur de tous, sans fin se rallume à son âme. 
Morat n'a pas fermé ses portes. Nuit et jour, 
On le trouve à la fois en tous lieux, à la tour, 



62 Le Mont Vully. 



A la brèche, au Conseil, à l'hôpital, qui veille, 
Agit, combat, ordonne ou répare. 

VINCENT. 

A merveille, 
C'est un héros. Eh bien, en héros il mourra, 
Car la ville, c'est sûr, dans peu succombera. 

RUDOLF. 

% 
C'est à craindre, en effet. Grandes sont les distances. 

Zurich, Bâle, Appenzell, Glaris, nos bonnes lances, 

Viennent de loin. Torrents de pluie, affreux chemins, 

Tout paraît contre nous pour le duc. En ses mains 

Morat tombé, lui livre, hélas ! toutes nos villes. 

Sombre avenir! 

ULRICH. 

Nos monts ne sont pas si faciles. 
On ne les prend pas eux, et les Ligues, là-haut, 
Résisteront. 

VINCENT. 

Le ciel est noir, le vent est chaud. 
Mon Ris, rien sur les monts n'a lui. Tout est menace. 



ht Mont Vuîîy. 63 



ULRICH. 

Vois cet angle d'azur, père. L'étroit espace 
Bientôt envahira le ciel. 

RUDOLF. 

A Pontarlier, 
Héricourt et Grandson, je ne puis l'oublier, 
Par trois fois, nous avons remporté la victoire ; 
Mais gare la revanche ! * 

ULRICH. 

Oncle, nous devons croire ! 
Après-demain n'est-il pas un jour glorieux, 
Le grand jour de Laupen ? J'ai foi. 

VINCENT. 

Nous sommes vieux, 
Et notre cœur plus lourd est défiant. 

ULRICH. 

Cher père! 

RUDOLF. 

Les jeunes ont parfois raison. Vincent, j'espère! 



\ 



Du jour a disparu la dernière lueur; 

La nuit s'est fait épaisse. Alors, avec stupeur, 

Les trois hommes, de loin contemplant la trouée 

Par où sourit l'étoile, ont vu l'âpre nuée 

Impitoyablement la fermer à leurs yeux. 

Du sommet, l'eau du ciel les chasse. Et soucieux, 

Muets, le cœur serré, tous les trois redescendent 

Vers Bethli, dont l'amour et les soins les attendent; 

Puis, après un coup d'oeil à la grange, aux troupeaux, 

Sans espoir de sommeil vont chercher le repos. 



LES AGAPES DE BERNE 




LES AGAVES T>E <BEI?K.E 



Vendredi 21 juin 1476. 



De juin le plus long jour expire. Au crépuscule, 
Berne en deuil, d'un seul flot, au pied des saints autels 
S'est répandue. On touche aux instants solennels. 
Un sourd frémissement dans la foule circule ; 
Dans les cœurs inquiets, la crainte s'accumule. 
On attend. Un péril de mort pèse sur tous. 
L'angoisse est sur la ville; un peuple est à genoux. 



68 Les Agapes de Berne. 



LES VIEILLARDS. 

Ils sait partis, nos fils, pour la cruelle guerre 
Le cœur frémissant de colère, 
Le pas ferme et le rang serré. 

Ils sont partis six mille ayant aux yeux des flammes 
Qui réclxiuffent nos vieilles âmes: 
Nos fils n'ont pas dégénéré. 

Prie^ Anges du ciel, TMenlieureuse Marie, 

Pour eux, pour nous, pour la pairie! 
1 Miserere! Miserere! 



* 



Il pleut, et d'heure en heure on attend la bataille, 
La bataille implacable et décisive. Un point 
Est sûr : Morat résiste encore à la tenaille 
Du hardi Bourguignon ; mais venant de trop loin, 

Bien des renforts — aucun par crainte ne défaille, 
Mais par fatigue extrême, hélas ! — n'ont pas rejoint, 
Et des Ligues ainsi l'armée est incomplète. 
Thurgovie et Sargans dont immense est la traite, 



\ 



Les Agapes de Berne. 69 



Argovie et Zurich manquent encore. A temps 

Viendront-ils? — Messeigneurs qui dans l'Hôtel-de-Ville 

Jour et nuit, sans repos travaillent haletants, 

De courriers à cheval qui partent à la file 

Couvrent tous les chemins. En leurs rudes sourcils 

L'énergie indomptable est mêlée aux soucis. 

■ 

Leur oeuvre politique enfin touche à son terme; 

Oui, mais qu'amèneront les dés? Leur âme ferme 

Pour forcer la victoire et fixer le destin, 

S'acharne à son labeur, du matin au matin. 

— Sur la massive Tour Saint-Christophe s'allument, 

Dans la nuit qui déjà monte, les trois fanaux 

Aux campagnes jetant l'éclair de leurs signaux; 

Et du beffroi, parmi les résines qui fument, 

Sur les places, les cours, les toits de la cité, 

Lugubre, le tocsin fait tomber de son crible, 

De minute en minute un glas lent et terrible. 

Dans le danger public, sonne l'éternité. . v 



m 



70 Les Agapes de Berne. 



LES FEMMES. 

Tous partis, nos époux, nos fiancés, nos frères/ 
Pour rester dignes d'eux et fières, 
Nous n'avons gémi ni pleuré, 

Mais notre cœur se fend. dards! ô couleur ines! 
Détournez-vous de leurs poitrines ! 
Reviens-nous, bataillon sacré! 

Prie^, Anges du ciel, Bienheureuse Marie, 

Pour eux, pour nous, pour la patrie! 
Miserere ! miserere ! 






La sombre cathédrale aux voussures gothiques, 
Saint Vincent a laissé grands ouverts ses portiques. 
Dans le parvis, le porche et les nefs, tout ce flot. 
Qu'un même penser pousse et tourmente, se presse. 
Mais, courageux encor jusque dans sa détresse, 
Ce peuple est calme; à peine on entend un sanglot. 
Entre les lourds piliers, et matrones et vierges^ 
Et près des blancs vieillards les enfants étonnés, 



Les Agapes de Berne. 71 



Aussi loin qu'on peut voir, mains jointes, prosternés, 
Se détachent de l'ombre à la lueur des cierges ; 
Et dans le chœur, au fond,, balançant l'encensoir, 
Tous revêtus, ainsi qu'aux jours de pénitence, 
De chapes où l'argent brode le velours noir, 
Les prêtres sont debout. Comme un gage d'espoir, 
Leur doyen vénérable, aux yeux de l'assistance, 
De ses tremblantes mains élève l'ostensoir. 






LES ENFANTS. 



Nos pères sont partis, mais c'est pour nous défendre. 

Le Bourguignon venait nous prendre; 

Son lion che\ nous est entré. 
Nous sommes trop petits pour protéger nos mères. 

Mais le bon Dieu veille, et nos pères, 

Eux, jamais n'ont désespéré. 
Prie\, Anges du ciel, Bienheureuse Marie, 

Pour eux, pour nous, pour la patrie! 

Miserere! miserere! 




72 . Les Agapes de Berne. 



Mais que se passe-t-il? et quel soudain silence 
Interrompt brusquement la cloche du beffroi ? 
La vie est suspendue en tous : est-ce l'effroi 
Qui va grandir? ou bien serait-ce l'espérance? 
Au sommet de la tour qui veille dans la nuit, 
Tout-à-coup, jde clairons éclate une fanfare, 
Secouant dans les airs l'allégresse. 

Ace bruit, 
Femmes, enfants, aïeuls se lèvent. Tout s'effare, 
Et dehors, pour savoir, se précipite et court. 
Vers le pont de Nydeck, sur l'Aar, par le plus court, 
De tumulte emplissant le couloir des arcades, 
La foule par instinct s'élance. 

Ce sont eux ! 
Les bons Confédérés, les braves camarades, 
Les amis de là-bas, les sauveurs ! Tout boueux, 
Les voilà ruisselants, harassés, mais superbes. 
Vingt torches sur le pont flambent. Dans la lueur, 
Passent, — la mine fière et couverts de sueur, 
Hommes d'armes bronzés, jeunes guerriers imberbes, 



hts Agapes de Birtw. 73 



Drapeaux en tête, haut l'épée, et les tambours 
Ne rendant sous l'appel que des roulements sourds, — 
Cinq mille combattants sur le grand pont de Berne. 
Parmi les rangs épais des vaillants, on discerne 
Ceux de l'Aar, de la Thur, les Zuricois nombreux, 
Ceux de Sargans, venus des confins de Rhétie, 
Les uns portant le glenn, massue au feu durcie, 
L'arquebuse à forquin, l'espadon flexueux, 
D'autres la hallebarde à croc, d'autres la pique. 
A cheval, les trois chefs du bataillon épique 
Jean Waldmann, Hohensax et Breitenlandenberg 
Défilent. Dans la nuit se replonge et se perd 
Après qu'elle a passé, chaque bande héroïque; 
Mais d'acclamations un immense concert, 
La voix d'une cité qui bénit et salue, 
L'accompagne et la suit profondément émue. 
Un même sentiment brille aux yeux attendris. 
Quand tous ils sont entrés, et que de cette vue 
Berne a rassasié son cœur, vers les amis, 
Pour leur donner des soins, la foule est accourue. 
La ville s'illumine. En hâté, à son foyer, 
Chaque habitant, alors, entraîne son guerrier, 



74 Le* Agapes de Berne. 



t 
Le fait asseoir, l'entoure, et le sèche, et le presse 

De mille questions. Promptes en leur tendresse 

Les femmes, cependant, de l'hospitalité 

Ont dressé le banquet, sous l'arcade abrité. 

De maisons en maisons, c'est une longue chaîne 

De flambeaux et de mets sur les tables de chêne. 

On s'encourage, on rit, on fraternise, on boit,' 

Comme on fait lorsque s'ouvre un port dans l£ tempête; 

Partout l'amitié donne et l'amitié reçoit; 

Cette nuit de terreur devient presqu'une fête. 

Aux arrivants, on dit Morat encor debout, 

Les divers contingents parus, les bonnes chances, 

Les mauvaises aussi, les Bourguignons, les transes, 

Et les hommes absents et la guerre partout. 

Eux disent les trois jours de leurs marches forcées, 

Bremgarten, Willisau, les routes défoncées, 

Les temps affreux, le poids effrayant du canon, 

Les six cents à Krauchthal, d'épuisement sans nom 

S'affaissant sur la route; et mainte autre misère. 

Quelque peu de repos leur serait nécessaire : 

Pour atteindre Morat, ne faut-il pas encor 

Six heures? 



Les Agapes de Berne. 75 



Mais let son impérieux du cor 
Retentit., Du départ, pour le soldat qu'on fête, 
C'est le premier signal. Bataillons, qu'on s'apprête ! 
Les mains serrent les mains, les cœurs pressent les cœurs; 
Larmes, prières, vœux, baisers ; « Soyez vainqueurs ! 
» Soyez heureux ! Que Dieu nous garde ! » 

La trompette 

Pour la seconde fois résonne, et des adieux 

Brisant l'effusion, sèche les pleurs des yeux. 

Tous tressaillent. Le cri strident qui se répète 

A réveillé, d'un coup, l'âpre soif du combat : 

« Formez les rangs ! Partons ! A Morat ! à Morat ! » 

En vain le ciel est noir, en vain la pluie inonde, 

La phalange est en route: elle chante en partant. 

Sous les torrents du ciel et dans la nuit profonde, 

Pour la rude bataille elle part en chantant : 

■ 

Fils de la libre montagne 

Et des grands lacs apurés, 

La gaîté nous accompagne : 

Voici les Confédérés ! 



Serrons-nous, en vrais Helvètes, 
Dont la guerre est le berceau ! 
On peut rompre des baguettes, 
On m rompt pas un faisceau. 

Méprisant les peurs serviles, 
Défenseurs des droits jurés, 
Nous voici, pays et villes, 
Nous voici, Confédérés ! 

En paix, du berger farouclx 
laisser le frère et la saur: 
Il Aéelnre qui les touche, 
Avis à tout agresseur! 

En prière, enfants et femmes, 
Car les glaives sont tirés. 
Tous, gardons fortes nos dmes 
En avant. Confédérés! 



LE DÉSASTRE DE MORAT 




LE DÉSASTRE <D£ MORAT 



Commanderie de Ripailles, 
Dimanche 23 juin 1476. 




Vous le voulez, fleurons de la Savoie, 
Moines pieux et nobles chevaliers 
Que saint Maurice a de son vœu liés, 

Je parlerai de guerre, non de joie. 
Hier, le malheur sur nous, devant Morat, 
S'est abattu. Nous avions quatre armées. 
D'un coup de foudre elles sont consumées : 
En un massacre a fini le combat. 



8o Ij? Désastre àe Moral. 



Hier au matin, le duc Charle était maître 
D'un vaste camp qui frémissait d'orgueil ; 

Le même soir Du monde, en un clin d'oeil, 

Tant de grandeur peut-elle disparaître? 
Vos Savoyards sont les moins maltraités ; 
Mais, des Anglais couchés dans la poussière 
Rien n'est sauvé, pas même une bannière. 
Mes yeux ont vu Roncevaux. Ecoutez. 



* 



Nous avions tout pour nous, on peut le dire. 
— Le droit d'abord ; les Suisses offenseurs 
Avaient lancé le défi d'agresseurs, 
Et notre duc, en féal pleige et sire, 
Sommé d'honneur par Châlons et Romont 
De les remettre en biens et les défendre, 
Tenu de vaincre et de faire tout rendre, 
Avait encore à laver son affront. 



Le Désastre de Morat. 81 



— Puis nous avions des troupes sans rivales : 
Tout ce qui sait des armes le métier, 
Tout ce qui porte un nom un peu guerrier 
Obéissait aux trompettes ducales. 
Anglais, Wallons, Néerlandais, Picards, 
Luxembourgeois, Flamands, Piémont, Savoie, 
Vaud et Bourgogne avançaient par la Broyé. 
Ajoutez-y Milanais et Lombards. 



— Puis, nous avions un général modèle. 
Dans les cités, comme sous les drapeaux, 
Partout présent, actif et sans repos, 
Dur à lui-môme, intrépide, fidèle, 
Soldat de fer, rigoureux justicier, 
L'ordre incarné, sobre, savant et chaste, 
Qui donc valait Charle pour un plan vaste? 
Connaissez-vous plus parfait chevalier? 



82 Le Désastre de Moral. 



Superbe fut notre entrée en campagne. 
En quelques jours, dos plateaux du Jorat 
Nos bivouacs étaient devant Morat, 
Ce boulevard des gens de la montagne. 
Laupen, Gumine ont dû livrer leurs ponts; 
La forteresse est alors investie : 
Nos quatre corps, pour début de partie, 
L'ont enserrée, ainsi que des crampons. 



Du Nord au Sud, demi-cercle inflexible, 
Entre le lac et les coteaux boisés, 
Romont, Antoine ont, de leurs feux croisés, 
Fait à la ville un horizon terrible. 
Luxembourg-Marie et le troisième corps 
Barrent vers Faoug la route de Payerne. 
Sur les hauteurs, à l'Est, côté de Berne, 
Campent enfin nos meilleurs, nos plus forts. 



ht Désastre de Morat. 83 



Là, Sommerset et le prince d'Orange, 
Les ducs d'Atri, de Clèves, le sçigneur 
Jean de Damas, La Baume, Crèvecœur, 
Beauchamp, Mailly, Châlons, noble phalange 
De cimiers d'or, de pennons glorieux, 
Où pour Thonneur tout s'exalte et palpite, 
Tiennent en main leurs hommes, notre élite, 
Sous le grand chef dont ils suivent les yeux. 



Double imprudence a pourtant été faite 

Et nous paierons bien cher ces deux erreurs: 

Vers Berne, au loin, nous manquions -d'éclaireurs, 

Et n'avions pas de ligne de retraite. 

Dans un accul nous sommes engagés : 

Nature hostile, une pluie incessante, 

Un lac perfide, une terre glissante ; 

Le pis de tout, ennemis mal jugés. 



84 Le Désastre de Moral. 



Grandson avait fait oublier Saint-Jacque ; 
Nous méprisions un coup de main heureux. 
Mais, j'en conviens, le Suisse est valeureux, 
Dur à démordre, effrayant à l'attaque. 
Vous en croirez le chevalier Montglas 
Qui fit en France, en Ecosse, en Castille, 
Dix ans et plus, la guerre de famille, 
On ne voit point ailleurs de tels soldats. 



Démons fougueux que le péril transporte, 
Ivres du bruit des trompes, des tambours, 
Grimpant tout droit les rochers et les tours, 
Ils vont ravir les canons à main forte. 
Gardiens d'un mur, nulle destruction 
Ne les saurait arracher de la place ; 
Granit et flamme, ils ont le croc tenace 
Du boule-dogue et l'élan du lion. 



Le Désastre de Moral. 85 



Leur général, c'est l'instinct militaire, 

Leur allié le mépris de la mort. 

Blessé dix fois, chacun d'eux tue et mord 

1 

Et ne se rend jamais, fût-il par terre. 
Trois, quatre assauts, trente mille boulets, 
N'ont pu forcer Morat, une masure. 

Jusqu'à leurs chiens Devant eux, triste augure, 

Nos chiens de guerre ont fui comme roquets ! 



Midi passé, trempés, pieds dans la boue, 
Mais sans quitter cette fois notre camp, 
Nous attendons l'ennemi provoquant 
Qui, dans ses bois, guette et de nous se joue. 
Nous l'attendions au point faible ; mais non, 
C'est sur le point le plus fort qu'il se rue, 
Et lavant-garde, aussitôt apparue, 
Comme à souhait, marche droit au canon. 



86 Le Désastre de Morat. 



Escarpement, large abattis de branche, 
Ravin, fossé, nous faisaient un rempart. 
Toute l'élite est là, sous l'étendard. 
Charle est joyeux. Soudain, à l'arme blanche, 
Dans la fumée, attaquant à revers 
La batterie, Hall wy 11 perce nos lignes. 
Coussiberlé voit fléchir nos plus dignes ; 
Le sang, à flots, rougit les coteaux verts. 



Malheur ! pour nous le désordre commence. 
L'élite et Charle, à pas lent refoulés, 
Vers Courgevaux reculent. Dans les blés, 
JJous reformons nos troupes, front immense. 
Mais le destin a donné le signal : 
Sur l'ennemi tout notre effort se brise, 
Et nous sentons que notre année est prise 
Dans un triangle, un triangle infernal. 



Le Désastre de Morat. 87 



Attaque au centre, à la droite, en arrière. 
Le centre suisse enfonce à Courgevaux, 
Avec sa pointe, et piquiers et chevaux. 
Sur nous, au Sud, par Faoug et Clavaleyre, 
L'arrière-garde a poussé le verrou ; 
Quittant ses murs, de la hache et du glaive, 
La garnison de Morat nous achève ; 
Triple bataille, ou plutôt traque-au-loup. 



Du lac aux bois, partout, à droite, à gauche, 
Devant Waldmann, Hertenstein, Boubenberg, 
A rangs pressés tombent casque et haubert ;" 
La mort étend sa main rapace et fauche. 
Clèves, d'Orlier, Montaigu, Rosimboz, 
Grimberghes, Maês, Sommerset et de Marie, 
Et quinze cents gentilshommes de Charle 
Roulent sanglants, proie offerte aux corbeaux. 



88 Le Désastre de Morat. 



Des quatre corps qui luttaient dans la plaine, 

Deux sont hachés, le troisième noyé ; 

L'ost éclatant de Bourgogne est broyé ; 

Sur deux soldats, un réchappe à grand 'peine. 

Le dernier corps, Romont, du traquenard 

Aura-t-il pu s'évader? je l'ignore. 

Entre les lacs a-t-il su fuir encore 

Par le Vully? Vous l'apprendrez plus tard. 



Charle -est-il sauf? On le prétend. Son frère 
Peut-être aussi. Pour moi, je ne sais pas 
Comment je pus éviter le trépas. 
Mais à cheval, courant la nuit entière, 
J'étais à l'aube au bord du Léman bleu. 
Ma bête alors expire. De la grève, 
Au loin je hèle un pêcheur. Il m'enlève, 
Et me voici chez vous, selon mon vœu. 



/ 



Le Désastre de Morat. 



8 9 



Que Dieu vous garde, amis, et la Savoie ! 
Pour vous bientôt luiront les mauvais jours ; 
Charle vaincu, vous allez ouïr I'Ours 
Dont le drapeau sur Vevey se déploie; 
Vous connaîtrez un bien dur conquérant. 

Le paysan dégradera l'hjstoire 

Le duc avait mérité la victoire : 

Place aux vilains ! mon cœur se va serrant. 



Adieu, je vais rentrer dans ma patrie, 

Portant le deuil d'inutiles hauts faits. 

Anglais, j'ai vu périiMous mes Anglais, 

Et, chevalier, notre chevalerie. 

Lorsqu'en un jour on eut vingt mille morts 

(Hors un appel au nom de Saint-Maurice 

Par Yolande adressé), c'est justice 

Et c'est besoin, qu'on change un peu de bords 




s* 5 

1 



CHANT DE VICTOIRE 




CHjfNJ <DE VICTOIRE 



Moral, mardi ^j juin 1476. 



Au Maître tout puissant du ciel, 
Qui, datfs son décret éternel, 

Nous gardait la victoire, 
A Celui qui nous fit vainqueurs 
En soufflant la force à nos cœurs, 

Rendons hommage et gloire ! • 
Charle accablait la chrétienté 

De guerres et d'épreuves, 
Multipliant sans équité 



94 Chant de Victoire. 



Partout les orphelins, les veuves. 
Sept ans, on supplia Marie et tous les saints 

D'éloigner cette peste. 
Confédérés, le ciel aux merveilleux desseins 

Détruit par nous l'homme funeste. 



A Grandson, n'ayant rien appris, 
Dans sa fureur, Charle a repris 

Ses projets, de plus belle. 
Aussi, plus terrible qu'avant, 
Pressant, ordonnant, écrivant 

De Tarente à Bruxelle, 
En trois mois il a reparu. 

Prunelles allumées, 
Le lion revient, qui l'eût cru ? 
Revient, suivi de quatre armées. 
« Après Morat, dit-il, dé jeûnons de Fribourg, 

Nous dînerons de Berne. » 
Et, sa voracité ne restant jamais court, 
Il prétend souper de Lucerne. 



C))ant de Victoire. 95 



En ses propos fort peu civils, 
De mendiants, de yachers vils, 
Nous a traités Bourgogne. 
Bon duc, nous mangeons notre pain, 
Et de nos bâtons de sapin 

Nous n'avons pas vergogne. 
Ces bâtons craignent peu le fer : 
Leurs nœuds durs sont tenaces, 
• Et, tournoyant comme l'éclair, 
Font craquer casques et cuirasses. 
Près de Grandson fumant, nous sûmes t'arracher 

Ton renom militaire; 
Près de Morat croulant, tu nous verras faucher 
Tes soldats, l'effroi de la terre. 



Ceux qui, le deux Mars, sur l'Arnon, 
Bravant la pique et le canon, 

Vinrent, d'ardeur prodigues, 
Du Sentis au Niesen, tous ceux 
Qu'abreuvent la Birse et la Reuss 



96 Clxint de Victoire. 



Sont là, soldats des Ligues. 

Quand, avec nos amis du Rhin, 

De Strasbourg à Seckingue, 

Quand nous et René le Lorrain, 

Thierstein et Gruyère et d'Eptingue 

Sortons du bois de Galm, armés de l'acier clair, 

Au lever de l'aurore, 
Dans le camp bourguignon, le rire devint cher 
En dépit du tambour sonore. 



Il pleut. Le clairon martial 
Longtemps diffère le signal ; 

Puis la lice est ouverte. 
Comme en un cirque crénelé, 
Alors, entre Coussiberlé 

Et le lac à l'eau verte, 
Autour de Morat tout en feux, 

Depuis Villars-les-Moines, 
Par les coteaux, les chemins creux, 
Les breuils, les friches, les avoines, 



f" 



Cljant de Victoire. 97 



Par Prehl et Montilliers, Meyriez, Greng, Courgevaux, 

Vaste arène étalée, 
Ce fut un tourbillon d'hommes et de chevaux, 
Une épouvantable mêlée. 



Sept heures de rugissement, 
De furie et d'acharnement, 

Coups d'estoc et de taille ! 
Bourgogne est, dit-on, fin joueur; 
Echec et mat à Monseigneur! 

Perdue est sa bataille. 
Fous, pions, malgré ses efforts, 

Sont rasés comme épeautres. 
Sous l'eau dorment dix mille morts, 
Sur le sol rouge dix mille autres. 
O Morgarten, Sempach, Naefels, ô Donner bùhl, 

Couronne étincelante, ' 
A vos grands noms, Morat, terrassant un Saûl, 
Se joint,. victoire plus sanglante! 



Chant de Victoire. 



Ce jour, montagnards, alliés, 
Jour des Dix mille Cavaliers, 

Ce beau jour du solstice, 
Le lac s'ouvrit pour le duc fier, 
Comme pour Pharaon la mer; 

Et le Dieu de justice 
Envoya son rayon vermeil 

Sur la plaine inondée, 
Comme à Josué le soleil 
Dans les campagnes de Judée. 
Vainqueurs, par nos pays, à genoux cette f 

Du Rhin à l'Alpc blanche. 
Il n'est pas un clocher dont n'éclate la voix 
Chantons l'hymne comme un dim 



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À 



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TA<BLE DES MATIÈRES 



-»oj«o<>- 



Au Lecteur 'Page 7 

Déclaration de guerre » 11 

La Bataille de Grandson » 17 

Le Mont Vully » 49 

Les Agapes de Berne » 6j 

m 

Le Désastre de Moral . » 79 

Clxmt de Victoire » £? 




Charles 

le téméraire 



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PAR 

H.-FRÉD. AMIE1. 

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LIBRAIRIE j. SANDOZ \ LIBRAIRIE DESROGIS 

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR 

Grains de mil, poésies et pensées * 
Il Penseroso, poésies-maximes. 
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••* *** L'escalade de 1602, ballade historique. 

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