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Full text of "Choix de rapports"

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^K< A-V^^^^l 



> 



CHOIX 



DE 



RAPPORTS, OPINIONS 



ET 



DISCOURS. 



Cet ouf^age formera pingt poi^mes, qm comprendront jusgu^k 
l'* année 181 5. 

u4 partir de cette époque chaque session législative sera rédigée en 
un volume > plM*s ou moins fort , selon l'abondance des matières. Cette 
seconde série a été ouverte par la session de 1819-^1820, un volume 
de huit cents pages ,' qm se vend séparément de la collection ; prix , 
10 francs sans portraits, et 12 francs avec les huit portraits. Les sous- 
cripteurs à tout l'ouvrage ne paient ce volume que 7 et ^ francs. Le 
volume de la session de 1820—1821 paraîtra immédiatement après la 
clôture des Chambres. 

Quant à la première série, dont le quatorzième volume est sous 
presse , le prix de chaque volume reste fixé à b francs sans portraits, 
et 7 francs avec six portraits pour les souscripteurs. 




Libraire-Editeur. 



SE TROUVE ÉGALEMENT, A PARIS , 

Qt f DEîiAUNAY, libraire , Palais-Royal , galerie de bois. 
,1. MONGIE aîné, libraire, boulevard foiseonnière, n® 7. 

.Agen. — Noubel , itnp. -libraire. /fiom.—* Salles. 

Amiens — Allô , libraire. Rochelle (la).'^ C. Bouycr. 

Angers. — Fourrier-Marne. Rouen. — Frère, Rmault. 

Angouléme. — Tremeau et comp. Saint-Etienne. — Jourjon. 



Sainte- 3 JenehoulJ. — Mainbourg. 
Strasbourg. — Letrault Février 
Toulon. — Beloe , Aug. Aurel. 
Toulouse. — Vieosstux aîné. 
Tours. — . Mad. Legier- Homo.— 
^a/c/ice.— Dourille, Marc- Aurel. 
f^erdun. — Bénit. 
Vesoul, -~ Delaborde. 



Arras. — Topino. 

Auxerre .'^'^1^ , Françoîs-Fournier. 

Bayonne. — Gosse. 

Besancon. — Dois aîné. 

Blois. — Aucher-Eloy. 

. Veuve Bergeret. 
Bordeaux. ) Coudert aîné. 

i liavralle et neveu. 
Bourges. — Debrie. 
Brest, — Auger. 
Caen. — Auguste Lecréne. 

Calais. — Lelcu. , 

Châlons-s.-Saône. — Delespinasse. Berlin, — • Schelesinger. 

Clermont-Ferrand, '— Landriot. Breslau.-—T,lLoTTi. 

Calmar. — Pannciier, Petit. 

Dijon. — Lagier ( Victor ). 

Grenoble. — Durand , Falcon. 

Havre {le). — Chapelle. 

Zyo/i.— Bohaire,Manel fils,Targe 

Mans {le). Eelon, Pcsche. 

il/ar^ei7/e. -«Camoins, Masvrrt. 

Montpellier, — Gabon , Sevalle. 

Montauban. — Khétoré, Laforgue 



ÉTRANGER. 

Aix-la Chapelle. — Lamelle fil». 



Bruxelles. — De Mat , Lecbarlier. 
Fribourg {Suisse). A Eggtndorfer. 
Genève. — Paschoud. 
Lausanne. — Fischer. 
Londres. — Bossange. 
Milan. -»-Rodolpho-Vismara. 
Moscou, — Gaulier. 
JVaples. — Bore! , Vanspandonch 
et copap*. 



JVantes, — Busseuil jeune, Forest. Neufchdiel {Suisse). — Gerster. 

JYancy. — Vincenot. * Pélersbourg. — Graff. 

Perpignan. — Tasln père et fils. Turin. — Pic. 

Poitiers, — Catineau. f^arsovie, — Glwcsberg et comp». 

Reims, — Delanoy-Leclerc. Flerme ( Autriche. ) — Gerold. 

Rennes,'^ Kerpen , Molliez. Jf^ilna% — • Zawadzki. 



I • 



i.a.^c_t-.T/'A/-^-'' ^"- - 



CHOIX 



DE 



RAPPORTS, OPINIONS 






DISCOURS 

iirroTumceà a m S/rmuâ^i& /wa/4(mau> 

depuis 1789 jusqu'à ce jour; 



BSCUEIIiLIS 
BANS un ORDRS CBRONOLOGIQUS ET BISTORIQUB. 



Vox Populi vox Dei. 



TOME XIII. — AININÉE 1795. 
{quatrième volume de la Convwition.) 




PARIS, 

Alexis EYMERY, Libraire , Editeur de l'Histoire Universelle 
de M. lecomte de Scgur, rue Maaarine>n 3o. 

1820. 



.1 







TABLE 

DES PRINCIPALES MATIÈRES 



CONTXVVXS DAMS Cl TOLUXI. 



LIVRE r. 



BISCOUBS ET DISCUSSIONS SUR DIFFERENS SUJETS. 

Situation générale de la République après la chute du 
parti girondin. 

Rapport fait au nom du comité de salut public lur la situation 
de la République et sur les manœuvres du gouTernement 
anglais; par Bar r ère. Pag. 4 

Bispositions générales ; décrets. — Proclamation qui dénonce 
h tous les peuples , et même au peuple anglais , la conduite 
I4che9 perfide et atroce du gouvernement britannique. 24 

Propositions, faites au nom de toutes les assemblées primnires, de 
décréter V arrestation de tous les gens suspects et la let^ée en 
masse du peuple. -^ Lois sur les étrangers «t sur les gens 
réputés suspects. -^ Proclamation, décrets, etc., relatifs à la 
iet^ée en masse* 3t 

Eapport sur la réquisition cÎTÎque de tous les Français pour fa 
défense de la patrie , fait par Barrère au nom dû comité de 
salut public. ^9 

lipi du a3 août 179?, qui appelle les jeunes gens h combattre, 
les hommes mariés a forcer les armes y les femmes a faire 
des tentes et des habits , les enfans a mettre le vieux linge 
en charpie^ les vieillards à ea-citer le courage des guerriers , 
À prêcher l'amour de la République», ^3 

Adresse de la GonTention nationale aul Français sur la trahison 
de Toulon. 56 

Rapport sur les Annales du Ciuisme , fait par Grégoire. Sj 

Rapport sur la Vendée, fait par Barrère au nom du comité de 
salut public. ^ 

Pécret et proclamation. 81 



V 



ÉTABLISSEMENT DE l'ÈRE KÈPUBLICAINE. 

Première6 délibéraiions. ^>ag. 83 

Rapport sur la confection du calendrier républicain , fait par 
Fabre d'Eglantine. g^ 

Décret définitif sur rétablissera^t du iiouTeau calendrier. 97 

Instruction sur l'ère de la République et aiur la !division de Tannée; 
rédigée par Romme. og 

( Erratum. Page 96, opant-dernière ligne, au lieu lie ; du 
4 frimaire , lisez : du 4 brumaire. ) 



ETABLISSEMENT DU GOUVERNEMENT 
REVOLUTIONNAIRE. 

Création du comité de salut public. 1 15 

Rapport sur la nécessité de déclarer le gouTernemcnt pro\i8oire 
' de la France révolutionnait e jusqu'à la paix, fait par Saint- Jnst 
au nom du comité de salut public. 1I8 

Décret conforme à ce rapport. a3o 

Rappwt ftur lemode de gouvernement provisoire et révolutionnaire, 
fait par Billaild-Varennes au nom du comité de salut public. i3i 

Décret constitutif du gouvernement révolutionnaire. i49 

Rap|>ort sur les principes du gouvernement révolutionn^iire , fait 
par Robespierre au nom du comité do salut public. i57 

Rapport sur la suppression du conseil exécutif provisoire (les six 
ministres ) , et sur son remplacement par des commissions 
partionlières j fait par Carnot au nom du comité de salut public. 169 

Décret conforme à ce rapport. 17^ 



▼»1 



SUITE DU LIVRE PREMIER. 

Situation générale de la République. 

Rapport sur la roanufactare extraordinaire d^armes établie à 
Paris en exécution de la loi du 23 août, fait par Garnot au nom 
du comité de salut public. Page i8o 

RappoTi sur la situation politicpe de la Républi<£ue j fait par 
/ Robespierre au nom du comité de salut public. 207 

Décret. 2^ 

Abjuration prononcée par le clergé de Par\8 devant la Conven- 
tion nationale. («Séance du 17 brumaire — 7 novembre 1793.) 
Pitces diverses , relatives à cette circonstance. 229 

Réponse de la Convention nationale anx manifestes des rois ligués 
contre la République; rédigée par Robespierre. 345 

Décret portant invitation au peuple de respecter la liberté des 
cultes , et de s'^abslenir de toute dispute théologique; rendu sur 
la proposition de Robespierre. 25o 

Rapport sur l'exclusion de Mirabeau du Panthéon^ fait par Cbénier 
au nom du comité d'instruction publique. 253 

Décret portant que le même jour que le corps de Mirabeau 

sera retiré du Panthéon celui de Marat y sera transféré. a58 

Adresse de la Convention nationale aux armées sur la reprise 

de Toulon. aSg 



LIVRE IL 

LÉGISLATION CONSTITUTIONNELLE. 

Rapport sur Torganisation générale de Tinstruction publique , par 
Condorcet. ^^i 

Plan d'éducation nationale, par Michel Lepelleticr(Saînt-Fargeau). 3i6 



vuj 



LIVRE III. 

LÉGISLATION CIVILE. 

Ropport snr Pétat po.iii<|De àes enfans naturels, fait par Cam- 
bacérès an nom du cuuuié de législation. 347 

LIVRE IV. 

FINANCES. —COMMERCE. 

Rapport aur la formation d^un grand Hure pour inscrire et ronso* 
lider la dette publique , fait par Cambon. 356 

Rapport sur le projet d'acte de navigation » fait par Barrère au 
nom du comité de salut public, S99 

Acte de navigation; 'Décréta. 4^S 



TVX DE LA TABLE. 



CHOIX 



DE 

RAPPORTS, OPINIONS 

ET 

MSCOURS 

PRONONCES A LA TRIBUNE NATIONALE 

DEPUIS 1789 jusqu'à ce JOUR. 

CONVENTION.. 

Ah ^ de la République. — 1793 — lyg^. 



%W%n<iiw»ww<ww>iiwiim<m<*w»<i*wwwwm»%»woi 



LIVRE PREMIER. 

DISCOURS ET DISCUSSIONS SUR DOTÉRENS SUJETS. 

I 

• à < 

SITUATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE* 

±JE parli girondin , privé de cette rare vertu qui porte au 
renoncement absolu de soi-même , mais brave et loyal jus- 
qu'au 2 juin , n'avait pu soutenir la gloire que lui présentait 
cette journée , et comme s il eût voulu transformer en un 
légitime triomphe les violences de ses adyersaifes , il était 
allé , faible et passionné , se perdre dans Tarëne des con- 
jurés, (i) 

(i) Plusieurs membres de ce parti méritent une honorable excep- 
tion ; ils restèrent dignes d'eux-mêmes , d''abord en se soumettant au 
décret porté contre eux , puis en refusant de s^y soustraire , quoiquHls 
en eussent les moyens : ces membres smit Vergoiaud , Gensonné, 
Valazé, Boileau, Lasouree, Vigée, Lehardj, Gardien.- {*f^oyez le 
tome précédent. Voyez aussi, dans le présent volume, 1ib décret du 
3 octobre.) 



Des hommes qui jusque là jouissaient â'une estime méritée 
par d'éminens services rendus à la chose publique , qui 
s'étaient fait admirer par de beaux talens , dont les erreurs 
politiques , quoique graves , avaient encore été respectées 
parée qu'elles prenaient leur source dans la vertu même ; 
des hommes dont le dévouement devenait un devoir d'autant 
plus sacré que vingt fois- à la tribune , protestant de leur 
innocence , ils s'étaient pompeusement offerts en holocauste 
à la patrie ; ces hommes , qui pouvaient , qui devaient 
mourir illustres victimes, échangent tout à coup la couronne 
du sacrifiée coiitre TinsigAe de là révolte. Ils portent leui:s 
passions , leurs haines dans les départemens ; ils entraînent 
les corps administratifs à la désobéissance awé. lois , les 
citoyens à la rébellion ; la représentatioa nationale est mé- 
connue, outragée (i) ^ et le sang français va couler répandu 
par des mains françaises. 

Cependant les conjurés, ]^our la plupart du moins (2), 
ne parlent qu'avec horreur de ces indignes Françaîs<[ui depuis 
trois ans appelletit tous les malheurs sur leur patrie; ils les 
ont poursuivis , frappés , et ils vont agir comme eux ! Ils ne 
veulent rétal^lir ni le despotisme royal , ni le despotisme 
sacerdotal , ni même fédéraliser la France ; ils ont fondé la 
Képublique , ils Tont jurée une et indivisible, ils la chéris- 
seqty et ils vont la désoler ! Leur but , leur unique but est 
de détruirç le parti de la montagne ; et c'est ainsi que pour 
venger des injures personnelles ils exposent lé peuple à la 
,,j guerre civile. Dans quel moment? L'ennemi était victorieux 
dur les frontières ; les armées dites royales et catholiques 
. déchir£^ient la Vendée ; les agens de l'étranger portaient par-r 
tout le trouble et la désorganisation. 

Ce ne sont point les dénonciations , les discours , les 

décrets du parti dominateur qui ont flétri la mémoire du 

parti vaincu dans les journées des 3i mai et 2 juin. La pos- 

' térité aussi a 'déjà porté son. jugement : elle reconnaît , elle 



^■'- ■ " • ' »■ j - - ■ 1 



(l) Lcfl're.préBeii(an9^ peuple Privpr (de la CoLe-d^Or) et Romni« 
Ont subi à Caen, vill^.ftu pouvoir des conjurés; une captivité dé cin- 
quante-un jours. 

(?) Tels que Pétion , Buzot , Guadet , Barbaroux , et quelques aulres. 



( 3 ) 
bjàme hs Fautes y les excès de tous les partis ; mais elle 
repousse , elle condamne ceux qfû ont armé des Français 
contre des Français ; et tqut lecteiir judicieux et sans pré- 
ventions qui aurA su^vi la marche des événemens conviendra 
^ue dans cette circona^nce le parti de la montagne a sauvé 
la République. Que si cette assertion était contestée , on 
pourrait d'une part se représenter Tabsence de tout gou- 
vernement, ou la création d'une foule d'autorités discor*^ 
dantes , malheureuse^ incitations d'un pouvoir créé par le 
besoin d'unç i}uité d'action (i); Paris, Caen , £vreux , 
Lyon, Cordeaux , Nîmes , Montpellter, Montaubân , Mar*^ 
seiUes , etc. , armant l^urs enfans pour la guerre civile , les 
poussant contre leurs frères , et la Francç abandonnée 
sans défenseurs à l'implacable cpalition des rois, à l'Anglais 
perfide , au fanatique Yendéep , à l'ambitieuse aristocratie^ 
De l'autre côté que vqit-on ? Un centre commun d'oii 
partent des lois énergiques qui frappent les ennemis de 
l'intérieur , opposent à l'étranger des armées redoutables , 
déjouent les manœuvres à^. cabinet de Londres ; on voit 
tous les citoyens marcher unis sous la piême bannière, 
oublier les hommes et les réputations , ne combfittre , ne 
respirer que pour la gloife du nom Français. 

Qu'une larme soit donnée à ces fondateurs de notre liberté 
que des erreurs politiques ont successivement conduits sous 
le glaive de la justice nationale , ou qu'une mort violente 
a frappés dans la proscription; mais qu'à la voix de la 
patne sauvée on garde un sentiment de reconnaissance 
pour la majorité 4e la Convention nationale. 

En peu de temps l'ordre fîit rétabli dans les départe* 
mens de l'Eure et du Calvados. On peut rapporter à l'in- 
surrection de ces départemens l'assassinat de Marat. C'est 
de là qu'une femme , criminellement héroïque , exaspérée 
par des récits passionnas, s^exagérant l'importance et le 
pouvoir d'un individu qui n'avait d'autres complices que 
ses aifreux pamphlets , d'autre politique qu'une froide et 
persévérante cruauté , qui à son insu servait à tous les partis , 

(i) Des comités de sal^t public s^étaient établis daas plusieurs yilles. 



J 



(4) 

et que tous les partis repoussaient après l'avoir chargé de 
leurs iniquités ; c'est de Caen que partit Charlotte Corday 
pour apporter la palme du martyre à cet individu trop 
fameux, et dont la destinée semble avoir été d'avilir égale- 
ment les hommes aveuglés qui se sont proclamés ou ses par- 
tisans ou ses ennemis ; tous se sont déshonorés , les uns en 
lui décernant l'apothéose, les autres en outra^ant à ses 
cendres. 

Mais Lyon réliistait. Une immense population , laissant à 
des factieux la direction de son courage et l'emploi de ses 
richesses , s'exposait à subir un aiége dont les horreurs seront 
éternellement reprochées aux suborneurs de l'opinion dans 
cette seconde ville de l'empire, à ce prétendu congrès 
départemental qui par des décrets ridiculement atroces 
mettait hors de la loi la majorité de la Convention natio- 
nale ,, et vouait à V exécration les citoyens des tribunes. 

Ainsi les girondins dans leur chute avaient ébranlé plu- 
sieurs départemens ; d'autres étaient ensanglantés par les 
factions aristocratique et sacerdotale ; l'Anglais soufflait 
ailleurs le feu de la discorde , et donnait des primes à la 
trahison : ce sont toutes ces circonstances que le rapport 
suivant embrasse. 

Rapport Jait au nom du comité de salut public sur la 
situation de la République ^ et sur les manœuvres du 
gouvernement anglais ; par Barrëre. ( Séance du i^^ 
août 1793. ) 

« Citoyens , \es vrais représentans du peuple ont vu depuis 
longtemps avec un courage imperturbable se former la conju- 
ration impie qui, d'une extrémité de l'Europe à l'autre > a 
menacé de renverser la liberté et les droits imprescriptibles de la 
nation française. 

N Les époques sont faciles à rappeler : ce sont des pierres 
déposées par la liberté sur la route escarpée de la révolution^ 
et cette route , su|^. laquelle les voyageurs politiques ne rétro- 
gradent jamais sans péril , doit être présente à vos yeux plus 
que jamais dans les circonstances actuelles. 

» Le 10 août i 79a le canon ouvrit la route. 



(5) 

» Le ai septembre la Convehtioa marqua sa naissance et sa 
destinée par la proclamation de la République. 

» Le 21 janvier i^gS la République , proclamée, s'affermit 
par la mort du tyran. 

» Le 2 juin l'horizon politique , surchargé des vapeurs du 
fédéralisme et de l'anarchie royale , s'éclaircit ; la foudre popu « 
laire frappa quelques têtes orgueilleuses, et paralysa des mains 
intrigantes. 

» Le 23 juin la République fut constituée , et les espérances 
du peuple s'attachèrent à l'arche sainte de l'alliance des dépar* 
temens et de la fraternité des Français à la Constitution. 

» Enfin le 10 août, qui s'avance, la statue de la liberté 
républicaine, dont la fusion a été si la^borieuse, sera solennel- 
iement inaugurée sous les regards du législateur éternel , par 
l«s vœux unanimes des asseihblées primaires d'un peuple que 
la guerre , que tous les fléaux , que toutes les trahisons mêmes 
poussent impérieusement à l'indépendance. 

» Encore dix jours , s'écrient les bons patriotes , et la 
République sera votée par vingt*sept millions d'hommes! 
Encore dix jours, et d'une voix unanime, sortie de toutes les 
parties de la France , et qui se fait entendre même du fond de 
la Vendée et des dépar temens égarés ou rebelles , comme du 
nulieu des départemens fidèles et républicains ; une voix 
unauime répond : Liberté , égalité , voua nos droits ! Uniié , 
indivisibilité de la République, voilà nos maximos !^ Z7/ie 
Constitution et des lois^ voilà notre bonheur!. La destruction 
de la Vendée , la punition des traîtres , V extirpation du 
royalisme , voilà nos besoins ! La réunion franche et p^omf)ie 
de toutes nos forces contre les ennemis communs^ voilà nos 
saints devoirs et le seul gage de nos syccès ! 

» Ce cri de ralliement a été entendu dans les camps enne- 
mis , au dedans et au dehors de la République : aussitôt tous 
leurs efforts ont été subitement tournés vers les moyens de 
retarder ou de flétrir cette époque si désirée et si nécessaire 
du lo août prochain. 

>• Votre comité de salut public s'est placé en observation, en 
dirigeant tous ses regards vers ce port fortuné oii la liberté nous 
attend pour célébrer seà triomphes. 



( 6) . 

» Qu'a TU votre comité dans nhtérîeûr ie la {tépiiblîqne ? 

» Tous les vents semblent porter l'orage pour celte journée ; 
tous les cœurs pervers ont ourdi des trahisons ; tous les gOu* 
vernemens ont soudoyé des crimes ; les rojàKstes ont préparé 
autour de nous et dans le centre commnn une famine artifi- 
cielle ; les capitalistes ont amené subiteniient le sùrhàussement 
du prix de tous les premiers besoins de la vie ; les agioteurs ont 
dégradé les signes de la fortune publique ; les villes maritimes 
et commerçantes ont tenté d'avilir la monnaie de la Répu- 
blique; les administrateurs se, sont érigés en agitateurs du 
peuple ; quelques fonctionnaires publics, appelés à préparer des 
loif , ont voulu figurer comme des arbitres de la paix et de la 
guerre ; le fanatisnie religieux multiplie ses imbéciles prédic- 
tions ; une sainte ampoule est portée danis la croisade ridicule de 
la Vendée pour oindre Louis le dix-septiëme ; la manie nobi- 
liaire a employé les métaux qu'elle entasse pour frapper une 
médaille qu'elle appelle , en idiome étranger , gallicœ nobiih^ 
tatis signUm,... 

» Qu'a-t-il vn sur les frontières eu dans la Yendée ? 

» Dans les villes assiégées des capitulations proposées par U 
lâcheté ; des trahisons préparées par quelques chefs ; une cou— 
jpable inertie présentée par quelques autres ; des désorganisa-* 
teurs salariés au milieu des troupes' les plus belliqueuses , des 
prédicateurs d'indiscipline et de pillage tolérés au milieu de 
bataillons républicains ; des dilapidations scandaleuses ou des 
négligences coupables dans les diverses administrations des 
armées. ' 

,>K Avec de pareils élémens comment pourrait-oii compter 
sur des victoires ? 

» Sans doute la Convention nationale travaille constamment 
Il déjouer tant de manœuvres ; elle ne souffrira pas que , par 
des vues aussi horribles et des moyens aussi affreux , on 1- écarte 
du vaste plan qu'elle a conçu , là République française et la 
paix de l'Europe! Vous nous avez associés pi us par ticulrërément à 
vos travaux : le comité vient , au milieu des événemens les plus 
sinistres et des complots les plus multipliés, vous déclarer que 
par des mesures qu'il vous présente, et par une exécution 
prompte , confiée à toutes les autorités constituées , vos pro«> 



(7) 
messes faîtes au peuple fFançais n$ $er^t pas vaines , et que 
les difficultés, les pièges, les complots, les menaces, les ter-r 
reurs ne reiarderoot pa$ «a marche , ei n'affaibliront pas uii 
instant son courage. 

» Mais il faut prendre à la fois des mesures vja4leSj promptes, 
et surtout vigoureuses. Il fajut que le même jour tous {rappiec 
l'Angleterre, l'Autricbe, la Vendée, le Temple et les Bour^ 
bons ! Il faut qu'au même instant les accapareurs, les rojalistef 
et les agens des puissances coalisées ioient accablés I II faut que 
la teirible loi de représailles soit enfin «xécwtée s^ les étraa-> 
gers qui, abusant de l'hospitalité, la première vertu d'ua 
peuple libre , viennent )e corrAm|KBe , paralyser ses iQoyeojs , 
ou tramer des perfidies au milieu de nous ! Il fjiut que l'Au- 
triche frémisse ! que la royauté soit extirpée dans ses racines ! 
que la Vendée soit .comprimée par des moyens violant , et 
que nos frontières cessent d'être djésbooorées par des bordes 
barbares ! 

» Oii est donc le danger si grand ? affecteront de .dire les 
ennemis coostans , ces jaiodérés , spectateurs inutiles de la 
révolution. 

» Citoyeins , vous avez la confiance du peuple; vou^ Jievez 
avoir la conscience de vos forces : c'est un grand xeuvre que la 
fondation d'une République, et vos âmes doiveuit être inacces^ 
sibles au découragement comme à la crainte. 

» fié bien, apprenez que le dauger est pressant, univerisel , et 
incalculable ! Mayence a capitulé ; Valenciennes vient de subir 
la même honte , et une conspiration horrible couvre Xe sol ^e la 
République , et menace d'en attaquer , d'en dissoudre .toutes le^ 
parties! -• 

» Où est le danger ! dira-t^on. Le danger est^pour les places 
frontières , ou l'étranger gangrène les cœurs , oii (a perfidie a 
préparé ses armes , oii la lâcheté dicte des capitulations , oii Ja 
bravoure de Lille n'est pas imitée , oii la honte de Longwi n'est 
pas un. effroi! 

M Le danger est pour nos>pQrjts, tu>s arsepanx , nos établis* 
semens publics , trop faiblemNCot surveillés , trpp faculei^iient 
ouverts au^L complots. des mal veillans , et auic mèches inccff^- 
diaires de nos ennemis éternels, les Anglais ! 



(8) 

» Le danger est pour ii«s armées , dont Tennemî travaille à 
- incendier les magasins , à ruiner les moyens de subsistance y 
k agiter, à indiscipliner les soldats, à faire dénoncer ou à 
acheter les chefs. 

» Le danger est pour les cités dégradées par la rébellion , et 
qui croient s'excuser par Tamour de l'ordre public quand 
elles n'obéissent qu'à l'or de l'étranger et aux intrigues des 
aristocrates ! 

» Le danger est pour ces départemens égarés qui préfèrent 
sans cesse un homme ou quelques hommes à la patrie , et qui , 
plaçant une^ confiance insensée dans quelques administrateurs , 
s'exposent à se laisser gouverner par des hommes salariés par 



nos ennemis ! 



» Le danger enfin est pour les habitans voisins de laVendée, 
qui , pour avoir soutenu des prêtres , dos nobles et des bri^ 
gands , s'exposent à voir incendier leurs habitations , détruire 
leurs récoltes , et exterminer une population si dangereuse à la 
liberté! ' 

» Le danger est plus. terrible encore : il menace nos espé- 
rances , nos travaux , nos récoltes , notre fortune publique , 
nos propriétés nationales , par des incendies combinés ; notre 
existence par des guerres civiles interminables , et notre 
indépendance par l'agglomération inopinée de tant de mal- 
heurs ! 

>» Citoyens , vous croyez peut-être que fe viens exposer à vos 
regards un tableau fantastique , ou effrayer votre imagination 
pour exciter un intérêt passager et des mouvemens populaires. 
Je viens au Contraire ranimer votre courage, éveiller votre sur- 
vetllance, centupler vos forces, et verser dans vos âmes cet 
encouragement énergique qui produit les vertus républicaines, 
et qui doit, en abattant nos ennemis, étonner et vaincre 
cette partie de l'Europe conspiratrice contre les droits de l'hu- 
manité ! 

» Apprenez donc que le génie de la liberté , qui veille 
depuis quatre ans sur les destinées de la plus belje des Répu- 
bliques, a fait découvrir un grand complot, dont nous sentions 
les 'effets depuis^si longtemps , et sur les auteurs duquel nous 
n'avions que des pressentiméns secrets î Apprenez que , sur un 



' (9> 
des remparts de nos villes frontières, oitt été trouvées des notrs 
et une lettre écrites dans la langue des etmemis de la liberté et 
du commerce de toutes les nations ! Ces pièces , déposées au 
comité de salut public , ont excité d'abord cette défiance salu- 
taire qui porte à i;echercher les probabilités^ avant d'accorder 
quelque degré de crédibilité ; mais , en rapprochant les tristes 
leçons que l'expérience révolutionnaire nous a données des faits 
et des indices que ces pièces renferment , nous avons cru qu'il 
était utile d'un côté de rechercher les auteurs et les agens de 
cette trame infernale ; de l'autre de vous donner connaissance 
des derniers efforts , ou plutôt des crimes ordinaires à ces poli- 
tiques si fameux, à qui il ne manque que des peuples à- enchaî- 
ner , à séduire , à affamer ! 

» Voici nos probabilités à Paris , qui sont des certitudes à 
Londres. 

» Ces papiers trouvés annoncent i° que le gouvernement 
anglais a envoyé des émissaires, des espions, des agitateurs 
dans tous nos départemens , surtout dans nos places maritimes, 
dans nos villes frontières et à Paris. Nous l'avons surtout 
reconnu lorsque nous avons fermé la mer et rompu nos com- 
munications avec ces dangereux insulaires : à cette époque et 
depuis il s'est présenté souvent au comité de salut public et de 
sûreté générale des Anglais qui cherchaient à repasser à Lon- 
dres aux époques qui avaient préparé ou amené quelque^crise au 
milieu de nous. 

» a". Ces papiers trouvés annoncent que le gouvernement 
anglais soudoie dans nos places frontières , près de nos arinées , 
des agens de plusieurs sortes. Et nous voyons des trahisons 
surgir de nos camps , de nos armées , de nos places fortes , 
et affliger les soldats, les véritables défenseurs de la Répu- 
blique 1 

» 3°. Les papiers trouvés annoncent des incendies et des. 
projets de cette nature dans nos magasins , dans nos établis- 
semens. Nous avons éprouvé des incendies à Douai , à Ya- 
lenciennes , à la voilerie du port de Lorient, au Château-Neuf 
à Bayonne, dans le lieu oii l'on faisait les cartouches, et dans. 
le parc d'artillerie à Chemillé et près de Saumur. 

» 4***^ Les papiers trouvés présentent les moyens faciles et 



(î >o ) 
inévitables d'incendier par des n\ëches phospboriqoes. Tels 
sont les moyens qu'on a employés pour faire Texplosion des 
caissons de notre artillerie ;' explosion qui , concertée avec les 
Anglais de la Vendée , leur donnait le signal de l'attaque , en 
même temps qu'elle répandait la terreur parmi les troupes de 
la République. 

» 5*. Les papiers trouvés sont imprégnés de projets d assas- 
sinats par les mains des femmes et des prêtres réfractaires. £t 
nous avons eu jusqu'à présent trois représentais du peuple , 
trois patriotes républicains frappés du fer des assassins : l'un 
des deiux qui ont péri pour la liberté a été immolé par la main 
d'une femme; le fer plus prudent des prêtres n'est encore 
qu'aiguisé ; mais voilà déjà l'exécution du complot présenté par 
les lettres. . , , 

w 6**. Les papiers trouvés énumërent diverses sommes 
envoyées à Lille , à Nantes , à Dnnls.erque , à Ostende, à Rouen, 
à Arras, à Saint-Omer, à Boulogne, à Thouars, à Tours, et 
enfin à €aen et dans plusieurs autres villes. £t c'est dans ces 
'villes que se sont élevés les premiers orages contre-révolution- 
naires ; c'est dans ces villes soudoyées que se sont réfugiés les 
députés fédéralistes et conspirateurs ; c'est d'une de ces villes, 
c'est de Caen qu'est parti l'assassin d'un représentant du peu- 
ple ; c'est dans ces villes que l'on a corrompu des administra- 
teurs , préparé des forces départementales , égaré le peuple , 
incarcéré des représentans fidèles de la nation , et madhiné des 
troubles. 

w 7**. La lettre anglaise demande au conspirateur à qui elle 
est adressée de faire hausser le change , de discréditer les assi- 
gnats , et de refuser tous ceux qui ne portent pas l'effigie du 
ci-devant roi. A-t-on jamais vu dans les plus fortes crises de la 
révolution la monnaie nationale aussi avilie, aussi discréditée? 
A-t-on jamais vu l'agiotage saisir, avec autant d'impudeur 
que d'impunité , la différence matérielle qui se trouve entre 
l'assignat monarchique et le républicain? "N'avez-vous pas été 
obligés de prendre hier un parti vigoureux contre ceux qui 
accaparent les assignats à face royale pour avilir ceux qui sont 
à la marque républicaine ? ^ 

» 8*^. Faites hausser le prix des denrées, dit le conspira- 



fil) 

leur aaglais ; achetez h suif et la chandelle h tout prùc^ et . 
faites^Us payet" au public jusqu'à cinq li\^. la livre,.. N'avez- 
Yous pas entendu les justes plaintes du peuple, dont les pre- 
miers besoins ont été surhaussés subitement à un prix énorme? 
N'arez-vous pas été forcés à frapper les accaparemens par une 
législation terrible? N'avez-vous pas aper^ les manœuvres 
par lesquelles ces accapareurs ébontés cherchaient à exciter 
les plaintes du peuple , et à les diriger contre la Convention 
nationale à raison du prix des marchandises de première 
nécesisité ? 

» Est-ce dotic de ses l'eprésentans que le peuple est fondé à 
se plaindre? Ëst-«e à la O>nvention qu'il peut imputer délie 
partie des maux qui pèsent sur la tête des citoyens peu fortu- 
nés ? Dévfetsons ces plaintes , renvoyons ces maux à leurs véri- 
tables auteurs , à ce gouvernement britannique , qu'il faut 
compter au nombre des plVis grands ennemis des sociétés 
buRïafUés! 

» Voilà nos présomptions de vérité en faveur des pièces dépo- 
sées dans nos 'mains. 

» Qu'avons-iious dû croirt lorsque nous avons vu ces piè- 
ces, ces assertions devenir concordantes avec les nouvelles 
reçaes il y a trois jours des représentans du peupty près Tarmëe 
des Alpes ? 

w Dubois-Crancé nous écrit : Tai la preui^e cP un fait bien 
étonnant ; c'est que les habitans de Lyon ont reçu de Pitt^ 
par Genève j quatre millions en numéraire, 

» Que les citoyens de Lyon, disent les représentans du 
peuple dans un arrêté iniprimé le aS juillet et envoyé à Lyon, 
nvouent un/ait contiu; c*est qu'ils ont reçu il y a quinze 
fours deVitty par lu vote de Genève, quatre millions en 
or pour servir leur ihfdrfie révolte, 

» Voilà donc la guerre civile pt^paréê par ïes Angîais^, 
alimentée par les Anglais , soudoyée par les Anglais ! Voilà 
donc le noble usage et le généreux emploi de ces milliotis 
sterling que le ministre des préparatifs vient d'obletiir du 
parlement pour des dépenses secrètes , dont le vertueux Pitt 
ne pouvait indiquer la destination!... Et si de Genève et de 
Lyon nous nous transportons plus loin , si de <ie théâtre de 



( 12) 

révolte et de guerre civile nous passons sur les bords de la Médi- 
terranée, Toulon et Marseille auront-ils fermé religieuse- 
ment leur port aux métaux de l'Angleterre , et leurs oreilles 
aux calomnies préparées contre la Convention nationale ? Des 
intrigans , de faux patriotes , des agitateurs salariés , des étran- 
gers n'auront-ils pas corrompu l'esprit public de ces deux 
villes , si célèbres par leur amour ardent pour la liberté ? N'au- 
ront-ils pas acheté ces crimes qu'ils ont voulu couvrir du 
manteau du patriotisme , tandis qu'ils assassinaient la Répu- 
blique avec des poignards aiguisés à Londres? Hommes du 
midi , vous que la nature jeta dans le moule brûlant des répu- 
. blicains , serez-vous donc toujours les victimes des intrigans , 
qui parlent à votre imagination pour altérer vos principes ? 
Ouvrez donc les yeux , et voyez dans le gouvernement anglais 
et dans les étrangers soudoyés par lui au milieu de vous, voyez 
ceux qui viennent s'emparer de la Méditerranée , ruiner votre 
commerce , fédéraliser vos départemens , déshonorer vos cités! 
C'est ce gouvernement qui a' excité des troubles , acheté des 
crimes au milieu de vous , et qui envoie ensuite des escadres 
devant vos ports pour savoir si vous êtes encore républicains > 
ou si vous avez cessé d'être Français ! 

» Pendant que les troublés agitent Toulon et Marseille 
vingt-quatre vaisseaux anglais envoient un vaisseau parlemen- 
taire sous prétexte d'échanger des prisonniers , et dans le fait 
pour connaître l'état des esprits et le moment du succès contre- 
révolutionnaire. 

n Voici les pièces dont je dois vous donner connaissance. 
{Ici le rapporteur fait lecture de notes ^ compïes^ lettres ^ 
instructions^ etc.^ émanés d'agens du gouvernement anglais.) 

M Citoyens , vous m'avez plusieurs fois interrompu dans 
cette lecture par les mouvemens d'une trop juste indignation; 
la nation entière va la partager. 

» Il est donc un gouvernement en Europe qui, après s'être 
vanté longtemps de chérir la liberté, en est devenu le plus 
atroce oppresseur ! Ministres et politiques aqglais , si fiers de 
votre constitution royale , vous employez donc tous les crimes , 
l'incendie , l'assassinat , la corruption , l'espionnage , la trahi- 
, son ! Sont-ce là vos formes républicaines , dont quelques publi- 






( i3 ) 
cistes et quelques philosophes vénaux comme vous ont formé 
la superstitieuse renommée ? La Convention nationale accuse 
le gouvernement britannique devant le peuple anglais ! la France 
le dénonce à l'Europe, à tous les peuples! et l'histoire vous 
accuse devant l'espèce humaine ! 

» Gomment le gouvernement anglais ne tenterait-il pas par 
tant de crimes de nous ravir une liberté qu'il a toujours abhor- 
rée ? Comment le gouvernement anglais ne nous empoisonne- 
rait-il pas encore de la rojauté , qu'il adore avec tant de 
superstition ? Comment le gouvernement anglais ne chérche- 
rait-il pas k se venger par des cruautés de l'indépendance de 
l'Amérique , en favorisant notre asservissement , lui à qui 
Tavarice a conseillé tant de crimes , et la politique tant de 
forfaits! 

» Ouvrons les annales de l'histoire moderne. , 

» C'est ce gouvernement qui dans la guerre de l'Inde dévoua 
les Indiens aux horreurs de la famine ^ comme il a voulu le 
tenter contre nous en arrêtant sur toutes les mers les subsis* 
tances que le conunerce neutre nous apporte ! 

» C'est ce gouvernement qui dans le Bengale , du haut de$ 
magasins dont l'or pouvait seul ouvrir la porte , et <i\i il avait 
renfermé les subsistances de toute une province , encourageait 
la mort à hâter ses ravages , afin de rendre plus lucratif l'em- 
pressement du reste de ces peuplades mourantes qu'il voulait 
asservir! 

» C'est ce gouvernement qui dans la guerre de l'Amérique 
a acheté de l'Allemagne des soldats , des machines à fusil , 
comme un marchand acheté des troupeaux ! 

» C'est ce gouvernement qui a donné une prime honteuse 
aux sauvages qui lui portaient les chevelures sanglantes des 
Américains qui voulaient être des hommes libres ! 

» C'est ce gouvernement qui à New-Yorck a fait incendier 
le Collège, l'Observatoire, et les autres établissemens qu'il 
savait être chers aux Américains ! 

» C'est ce gouvernement qui achetait les officiers américains 
comme il payait les soldats allemands ; c'est lui qui achetait 
Arnold, comme il achetait Dumourier! 

n C'est ce gouvernement qui emploie les trésors de l'Inde 



( î4) 

pour asservir l'Europe , les bienfa ts du commerce pour perdre 
la liberté, les avantages' des communications sociales pour 
corrompre les hommes , et les tributs du peuple pour faire 
égorger les Français ! 

Il Rois de l'Europe , que l'orgueil et la misère ont fait les tri- 
butaires du mercantile Anglais y tant de crimes ne seront pas 
longtemps impunis! Votre règne disparaît devant celui des 
lumières ; votre autorité , passée dans les mains des ministres, 
tend à son dépérissement sensible , et la guerre atroce que 
vous faites à la liberté n'est heurieusement qu*un suicide 
royal ! 

M Citoyens , ne vous étonnez plus si le gouvernement 
anglais est le plus actif et le plus astucieux de vos ennemis ; 
il est fidèle à ce qu'il appelle ses principes : il corrompt quand 
il ne peut vaincre. Il a fait chez lui le tarif des hommes, des 
orateurs , des membres du parlement : il a cherché à faire le 
tarif des peuples ; mais ce tarif des peuples n'a que deux mots , 
liberté , égalité ! 

» Quelles sont donc les espérances de ce jeune esclave d'un 
roi en démence, de ce froid Pitt, insensible à toute autre 
gloire qu'à celle des oppresseurs , qui n'a de la politique que 
les crimes , du gouvernement que les calculs , de la fortune 
que l'avarice , de la renommée que les intrigues ? C'est lui que 
la flatterie tient de nommer le soutien de la constitution 
anglaise ; c'est lui dont l'effigie , gravée sur sa meilleure rai- 
son , sur l'argent , est le signe de ralliement de ses émissaires 
en France. Le voilà ce signe sacrilège, qui a été trouvé dans 
le portefeuille anglais , et qui justifie si bien l'hoQorable mis- 
sion de celui qui Ta égaré ! ( L'orateur montre la médaille 
frappée en V honneur de Pitt. ) 

>» Citoyens , une chimère poursuit encore ce gouvernement 
despotique , déguisé sous un simulacre de liberté. 

» Pitt a pu espérer dans ses vœux impies , dans ses froids 
calculs , qu'il donnerait un roi à la France , qui vit jadis un 
Anglais sur son trône.... Mais qu'il se souvienne que quand, 
il y a plusieurs siècles , les Anglais , aidés par les circons- 
' tances , par l'indiscipline des troupes, par l'incapacité des 
maîtres , par la prévarication des sujets , eurent envahi les trois 



(i5) 

quarts ie nos provinces^ ils n'en furent pas moins chassés, 
quoique tout semblât leur promettre une domination iné- 
branlable, et quoique des victoires brillantes eussent si^alé 
leurs armes ! 

» Qu'il se souvienne donc que le ai septembre a proclamé 
Ja République française, et que le 21 janvier l'a fondée en 
abattant la tête d'un roi! 

>* Qui a donc pu conserver à Londres , à Vienne , à Berlin , 
à Madrid, Tespérance de rétablir le trône royal parmi nous? 
Est-ce notre trop long oubli des crimes de l'Autrichienne? 
£st^e notre étrange indifférence sur les individus de la famille 
de nos anciens tyrans? Est-ce le sommeil des républicains 
qui a enhardi les complots des royalistes ? Il est temps de sor— 
tir de cette impolitique apathie , et d'extirper toutes les racines 
de la royauté du sol de la République au moment ou le vœu 
du peuple français va être proclamé ! 

>« Citoyens , je vous ai exposé les sentimens qu'a éprouvés 
votrç comité à la vue de ces signes de conspiration étrangère ; 
je dois vous présenter rapi^ment les mesures que notre situa- 
tion difficile nous conomande en apprenant les nouveaux mal- 
heurs de la frontière du nord. 

« Depuis trois jours , écrit le général Kilmaine au ministre 

de la guerre en date du 3o juillet , le canon ne se fait plus 

entendre du côté de Valenciennes , et les rappi^rts venant 

de V ennemi me font conjecturer la prise de cette importante 

, forteresse. Les rapports de samedi au soir annoncent que 

F'alenciennes capitule; ceux de dimanche con/irment la 

■ même chose ^ et ceux de lundi annoncent que les ennemis 

■ont pris possession de la place le dimanche. Une lettre de 

Douai du 28 annonce que les camps ennemis ont célébré 

la prise de F'alenciennes par des salves d'artillerie* Une 

lettre d'un correspondant employé dans V armée ennemie , 

datée du 30, annonce qu'or\ pariait mille louis contre cent 

que la place serait rendue sous huit jours,.. — P. S. Dans 

l'instant je reçois la nouvelle officielle de la prise de F^alen- 

ciennes. Je joins ici une lettre du général Ferrand. 

« Citoyen ministre , écrit le général de division Ferrand , 
commandant à Valenciennes , en date du 29 juillet ,j*ai lltçu- 






( i6) 
neur* de vous prévenir que les circonstances ont amené la 
garnison de Falenciennes à capituler le 7& juillet* La capi^ 
tulation porte dans son premier article que la garnison 
sfiriira le premier août avec les honneurs de la guerre , mais 
que les armes seront déposées au village de la Bricquette , 
près de la place ; qu'ensuite elle rentrera en France par Ig, 
route qui lui sera indiquée. On prendra la parole d'honneur 
et le revers des officiers , qui s'engageront à ne pas servir 
la République pendant la durée de la présente guerre, à 
moins qu'ils ne soient échangés, 

» Envisageons nos malheurs avec ;sangfroid , et défendons 
nou^avec courage. 

»> Au dehors Mayence, Condé et Yalenciennes soAt livrés  
nos insolens ennemis. 

» Au dedans la Vendée y le royalisme , les Capets et les 
étrangers leur préparent de nouveaux triomphes. 

» Au dehors it faut de nouvelles dispositions • relativement 
aux armées de la Moselle et du Bhin : elles sont délibérées par ' 
le comité dans un arrêté secret pris hier au soir. 

M Quant à la suite des événemens de Yalenciennes , les 
mesures qui doivent être connues de l'Assemblée se réduisent 
à former un camp intermédiaire : des troupes réglées considé- 
rables et des forces de réquisitions vont former des camps 
entre Paris et l'armée du nord. Il faut couvrir une cité qui a 
tant fait pour la liberté , dont elle est le théâtre ; il faut défendre 
ime cité qui est l'objet des calomnies des fédéralistes , de la i 

haine des aristocrates et de lav colère des tyrans! Il faut pro- 
téger le centre des communications , la résidence de. la pre- • 
miëre des autorités publiques , le foyer de la révolution , le ré-> 
servoir de la fortuné publique , et le lieu de tous les établisse- 
mens nationaux ! 

» Il faut enfin y contenir les malveillans , y comprimer les 
aristocrates , y rechercher les traîtres , et empêcher par l'éner- 
gie républicaine le royalisme d'entretenir ses intelligences avec 
les corrupteurs de Condé et de Yalenciennes, dont ils ne furent 
jamais les vainqueurs ! 

» Après avoir pourvu à l'établissement de ce. camp inter- 
médiaire ; nous nous sommes occupés de l'armée du nord« 



(17) 
» Kilmaîne a été nommé pour la commander en chef. 
Kilmaîne a des motifs qui le portent à ne pas accepter cet 
Loaneur. 

» Le comité , de concert avec le conseil exécutif , a pensé 
que Houchard , connu par son patriotisme et son dévouement 
à la République , était propre à conunander Tarmée du nord : 
il est républicain ; il a la confiance du soldat. Cambrai est le 
poste le plus périlleux ; le camp de Paillencourt l'attend , et 
l'armée de la Moselle , dont la prise de Mayence a changé lea 
opérations ^ fera le sacrifice de son attachement pour ce chef 
estimiable à la cause de la République. 

» Le général de brigade Ferrière prendra la place de Hou* 
chard à la tête de l'armée de la Moselle. Ces deux nominations 
doivent être approuvées par vous. v 

» Une autre mesure relative à Yalenciennes a été décrétée 
bier ; c'est l'envoi de quatre nouveaux commissaires à Cam- 
brai. S'il fut jamais une circonstance dans laquelle il fallut des 
commissaires actifs , qui marchent de confiance et d'ensemble , 
et qui connaissent à l'instant tous Les objets de leur mission , 
c'est bien au moment oii il faut un grand mouvement dans les 
armées et dans les départemens qui les environnent ; c'est au 
moment oii il faut réchauJETer toujtes les âmes pour la cause de 
la République , et rallier tous les eourages à la défense de notro 
territoire. 

)> Par un premier mouvement le comité de salut public se 
serait transporté tout entier au camp de Paillencourt : c'est là 
qu'est dans ce moment le lieu de ses sollicitudes, si ce n'ast 
pas celui de ses alarmes. Il a délibéré d'envoyer à Cambrai , 
il la Moselle et au Rhin , avec votre approbation , les citoyens 
Saint-André , Prieur et Saint-Just. Ces conomiissaires , pleins 
de zèle et brûlans de patriotisme, ont vu dans la correspon- 
dance de l'armée ses besoins ; ils verront dans leur sollicitude 
pour la République tout ce que s» défense conomande à ses zéla- 
teurs et aux représentans du peuple. Leur mission est de courte 
durée, mais elle est nécessaire, et. les autres membres du 
comité voient avec joie s'augmenter un instant leurs travaux 
pour une aussi b^le cans^. Un camp intermédiaire» des com<* 



y 



,( «8 ) 
niîs.<atres àctift , des secours immeaies à Cambrai y un mou* 
veinent dans les armées y voilà les mesures urgentes. 

» Après avoir disposé la défense extérieure , rentrons dans 
ces malheureux départemens dont la gangrène' politique 
menace de dévorer et d'anéantir la Kberté ! 

n Nous aurons la paix le jour ^e l'intérieur sera paisible , 
que les rebelles seront soumis , que les brigands seront exter- 
minés I Les conquêtes ou les perfidies des puissances étran-* 
gères seront nulles le jour que le département de ht Vendée 
aura perdn son infâme dénomination , et sa population par- 
ricide et coupable ! Plus de Vendée , plus de royauté ; plus 
de Vendée , plus d'aristocratie ; plus de Vendée , et les enne- 
mis dé la République ont disparu ! 

» Les événemens de Mayence nous renvoient des garn^ons 
-longtemps exercées dans l'art des combats ; c'est une réserve 
de troupes exercées que les tyrans ne croyaient pas disposer 
pour la Vendée. Hé bien , c'est nous qui en disposerons sur 
le champ* Les ordres sont ié]k donnés , en pressentant vos 
intentians d'après nos besoins ; mais pour les accélérer il faut 
un acte de votre volonté; pour les exécuter il faut trois 
millions. Que sont les dépenses faites pour la liberté ! Ce sont 
de» trésors placés à une usure énorme : la liberté rendit tou- 
jours plus qu'on ne lui donna ; c'est un débiteur prodigue pour 
les créanciers audacieux , énergiques , qui lui confient leurs 
capitaux et leurs espérances. 

» Ordonnes que cette garnison se rendra^ en poste dans les 
forêts de la Vendée : FbonnCMir français les appelle ; le salut 
de la République l^m* commande; et le retour de Mayence ne 
sera pas sans gloire alors que là Vendée aura été détruite! 

» Mais qUfillies mesures exécutera cette nouvelle armée , 
jointe à celle dont les revers accusent l'indiscipline on la mol- 
lesse? Quelle sera sa destination? 

» Ira»t*ell« fiûre une lente guerre de tactique, ou une inva- 
sion' hardie ? Ah ! c'est moins du talent militaire que- de Tau- 
ditce révolutionnaire que ce genre de guerre exige des défen- 
seurs de la patrie : la victoire est ici pour le plus courageux, et 
nott pour le plus savant; elle est pour le républicain plus qua 



1 



( >9) 
pour le tacticien. Que les soldats de' la Rëpublicpie pensent 
qu'ils attaquent de lâches brigands et des fanatiq[ues imbéciles ; 
qu'ils pensent à la République, et la victoire est à eux ! 

» Ici le comité , d'après votre autorisation , a préparé des 
mesures qui tendent k exterminer cette race rebelle , à faire 
disparaître leurs repaires , à incendier leurs forêts , à couper 
leurs récoltes , et à les combattre autant par Sts ouvriers et des 
pionniers que par des soldats. C'est dans les plaies gangreneuses 
que la médecine porte le fer et le feu : c'est à Mortagne , à 
Cholet, k Cheminé, que la médecine politique doit employer 
lés mêmes moyens et les mêmes remèdes. 

» L'humanité ne se plaindra point : les vieillards , les fem- 
mes, les énfans seront traités avec les égards exigés par la 
nature et la société. 

» L'humanité ne se plaindra point : c'est faire son bien que 
d'extirper le mal ; c'est être bienfaisant pour la patrie que de 
punir les rébelles. Qui pourrait demander grâce pour des par- 
ricides ? 

» Louvois fut accusé par l'histoire d'avoir incendié le Pala- 
tinat , et Louvois devait être accusé ; il travaillait pour le des- 
potisme , il saccageait pour des tyrans. 

» Le Palatinat de la République c'est la Vendée ; et la 
liberté , qui cette fois dirigera le burin de l'histoire , louera 
votre courageuse résolution , parce que vous aurez sévi pour 
assurer les droits de l'homme , et que vous aurez travaillé à 
extirper les deux plus grandes maladies des nations , le fana- 
tisme religieux et 4a superstition royale ! 

» Nous vous proposons de décréter les mesures que le comité 
a prises contre les rebelles de la Vendée ; et c'est ainsi que l'au- 
torité nationale, sanctionnant de violentes mesures militaires, 
portera l'effroi dans ces repaires de brigands et dans ces demeu- 
res des royalistes ! 

» Mais ce n'est pas assez de s'occuper dos sujets -, il faut s'oc- 
cuper de leurs chefs. Les espérances de la Vendée reposent au 
Temple ; leurs auxiliaires sont I^s étrangers réunis à Paris et 
dans les autres villes , et qui sont salariés par les puissances 
coalisées. 

» Pour le prouver il suffira de publier et d'envoyer à t«us 



( 20 ), 

les dcps^rtemens les notdfi et la lettre , en idiome anglais , trou- 
ves dans le porte-feuille déposé au comité cle salut public. Ce 
sont les premières pièces de la conjuration des gouvemeinens 
royalistes. 

» C'est à vous de dénoncer ensuite aux divers peuples ^ et 
même au peuple anglais , les manœuvres lâches , perfides et 
atroces de son gouvernement; c*est à vous de dénoncer au 
inonde cette nouvelle tactique de forfaits et de crimes Ajoutée 
par Pitt au fléau de la guerre , cette corruption infâme intro- 
duite par ce ministre jusque dans le sanctuaire des lois , dans 
les camps , dans les cités y et dans les communications franche» 
du commerce et de l'hospitalité ! 

>» Que Pitt et ses complices méprisent , s'ils le peuvent, cet 
arrêt de l'opinion de leur siècle ! Il est un tribunal incorruptible 
et sévère auquel il n'échappera pas , même de son vivant , si 
c'est vivre que de corrompre ; il est un tribunal inexorable 
placé au-dessus des rois et des ministres , qui les flétrit ou les 
absout. 

» Que le peuple anglais ouvre enfin les yeux sur les étranges 
et atroces maximes de son gouvernement , et qu'il tremble I 
£t si y dans ce moment de révolution et du délire des rois , des 
peuples aveuglés ou asservis n'entendent pas notre juste et 
inévitable dénonciation, un jour les peuples de TEurope, 
efiPrayés de fa tyrannie commerciale , du despotisme politique 
et de la corruption extrême du gouvernement anglais ; un jour 
les peuples , coalisés par le besoin général de la liberté , comme 
Jes rois le sont par leurs crimes commis envers l'humanité ; 
les peuples du continent , fatigués de cette oppression insu- 
laire et de cette tyrannie navale , réaliseront le vœu de Caton : 
la Carthage moderne sera détruite ! Que^ fera-t-elle alors 
que toutes les nations européennes , éclairées enfin sur cet 
accaparement de richesses , sur ce privilège exclusif de com- 
merce , sur ce monopole d'une apparente liberté politique qui 
fuit depuis si longtemps FAngleterre , s'écrieront : Brisons le 
sceptre de cette reine des mers l Qu'elles soient libres enfin 
comme les terres! 

n En attendant que ce vœu des hommes libres se réalise , 
chassons les Anglais de notre territoire ! Depuis l'origiae de 



( 21 ) 

la révolution nous n'avons cessé de les accueillir avec confiance ; 
plusieurs d'entre eux en ont atrocement abusé. Chassons-le? 
aujourd'hui! Mais arrêtons les suspects, et punissons les cou- 
pables : les étrangers violant les droits de l'hospitalité sont entrés> 
dans le terrible domaine de la loi révolutionnaire. 

» La représaille fut toujours un droit de la guerre : les^ 
Anglais ont chassé les Français de leur île , et n'ont donné asile 
et protection qu'aux émigrés et aux rebelles ; ce sont les Anglais 
qui Tiennent de former deux régimens de gardes nationales 
avec des émigrés , comme pour profaner* et avilir Fe costume 
de notre liberté, ou pour tenter , en les envoyant dans les armées 
combinées , de tromper nos troupes par la ressemblance du 
costume militaire et du langage. Votre comité sait qu'on a 
préparé une loi sur les étrangers ; maïs peut-être ne s'est^on 
pas assez occupé de distinguer les Anglais de tous les autres t 
les notes trouvées dans le porte-feuille vous commandent plus 
de précaution et de 'sévérité contre ces émissaires corrupteurs 
d'un ministre corrompu* 

» Les voilk donc , ces défenseurs si ardens de la liberté, qui 
viennent an milieu de nous pour violer les droits de lliospita* 
Hté nationale , restaurer le royalisme , et ramasser les* débris , 
du trône ! Ici une vérité doit être publiée , et doit retentir à 
Foreille de tous les hommes qui sont attachés au sol qui les a 
vus naître et qui les nourrit; je ne leur demande même d'autre 
patriotisme que celui des sauvages , qui affrontent la mort pour 
conserver des terres incultes. 

»» On cherche à détruire la République en a5sassfnan€ , en 
décourageant , en diffamant ^ en calomniant les patriotes répu- 
blicains ; ce sont ces hommes courageux qu'on veuf abattre , 
comme si les principes républicains n'avaient pas déjà germé 
dans le cœur de tous les hommes honnêtes , et qui ne sont pas 
insensibles au courage et à la vertu î car la liberté ne peut 
convenir aux âmes lâches et corrompues. 

M Français , prenez garde ! vos législateur font de grands 
efforts ; leur courage a besoin de renaître tous les jours pour 
achever l'édifice de la République; et dans dix jours il est con- 
solidé , il est l'ouvrage de la nation , il a une existence politique , 
nne durée certaine, et la voix tonnante du peuple renversera tous». 



C aa ) 
les enomis ie cette Constitution! Noua sommes donc ao 
moment de voir Tordre renaître ; le règne des lois v^a .comxi^n- 
cer i la politique jouira de la atabilité nécessaire ^ et vous 
pourrez enfin, respirer I 

» Si au contraire on pouvait parvenir à détruire les foûda* 
tiofis de la République , ou à décourager les républicains , que 
vous reste*-t-il ? Trois ou quatre factions royales , divisant JLes 
citoyens , déchirant les familles ^ dévorant les départemens, 
fédéralisant les divisions territoriales, et les puissances fitra^^ 
gères triomphantes au milieu de tant de crimes et .de factions 
diverses , pour vous déshonorer y vous égorger , et vous ig^er* 
vir comme les Polonais, dignes d'un mieilleuf" sorti 

» L'unie de ces factions , avec l'Espagne çt quelques ip^oMes ^ 
voudra de la réjgence d'un frère de notre' atji^cien tyran. 

» Une autre , avec de misérables intrigues , exci^ra J'am- 
bitioa d'une autre branche de Cap.et. 

» Une troisième reportera , avec l'Autriche , ses espérances 
vers un entant. 

» Une dernière, atroce, avarie, corrupt;ricf , eit auss^ poli^tique 
qu'immorale , ae liguera dans le nor^ pour rappeler 4 la France 
qu'un Anglais déshonora jadi^ le sol français en usurpapi^t son 
trône. 

M C'est ainsi q^'en s'éloignaxit 4^ la Eépubliqjuje ce qui r^^ 
fera de bien lâche, de bien vil, de bien égoïste parm^i les 
Français ne se battra plus que pour le choix d'un m#i<tr« » d'un 
tyran , et demandera à genoux au^ puissances ét^angpres de 
quelle famille , ou plutôt de quel métal elles veulent leur faire 



un roi ! 



» Lioin de nous , citoyens , un aussi prpfond avilissement! 
Dans dix jours la République est établie par le peuple, et toua 
les Tarquins doivent disparaître ! 

» Nous vous proposons de déporter loin des terres de la 
République tous les Capets , en exceptant ceux que le glaive 
de la loi peut atteindre , et les deux rejetons de Louis le cons- 
pirateur : ce sont là des otages pour la République. 

» Ici s'applique la loi de l'égalité : ce n'est pas à des républi- 
cains à maintenir ou à tolérer les différences que la superstition 
du trône avait établies : les deux en&us seront réduits, à ce 



( ^3 ) 
qui est néc^ajre pour leur iiourritote et Tentretien de déonr' 
iadividus ; le tr?^r public ne fie dissipera plus pour des é^pg' 
qu'on crut trop longtemps privilégias. 

M A(ais dexrikti^ ffn% S0 cache une femme qui a été la ^auat 
de tous le» nvau^ de l» France, et dont lia j^rticipaiion à: tous 
lç9 projets con^ifateurs et contr^révolutionnaires est conaue* 
depuis Jo^gti^i^ps. C'est elle qui a aggravé par ses dépréda*- 
tions le dévorant jtr^it^ de 1 766 ; c'est elle qui a pompé la siibê^ 
tance du penp)e da»^ U trésor public , ouvert k TAutridie ; 
c'est elle qui , depuis le 4 ^^^ '7^ jusqu'au 10 août 1792 , 
ne respira que pour ranéantissement des droits de la nation ; 
c'est elle qttî prépara la fuite de Tarennes, et qui alimenta les 
cours de toute sa haine contre la France! C^st, à l'accusateur 
public a rechercher toutes les preuves de ses crimes. La justice 
nationale réclame ses droits sur elle , et c'est ^u tribuiîal des 
conspirateurs qu'elle doit être renvoyée. Ce n'est qu'en extir- 
pant toutes les raeities de la royauté que nous verrons la liberté 
prospérer sur !é sol de la R^iibliquè ; ce n'est qu'en frappant 
rAutricfaienne qae vous ferez sentir & François ^ à' (^eorges , 
à Charles et Guillaume , les crimes de leurs iniimstce^ et^de 
Jeurs armées I 

» Une dernière ine^ure , qdi tient k }a révcrtaiion ^. teô'd à 
augmenter le patrimoine public des hietiâ jfe caiiv que voug 
avez mis hors de la loi. En les déclarant traiires à la' patrie 
voua avec rendu un jagemej^t ; la confiscation eiit une snitu éë 
ce jugement, et le comité a pensé que vous deviea.la promd-- 
cer. Le temps des révolutions est celui de la justice sévère : le 
fondeqient des Républiques commenise par la vertu ii^exible 
de Bputu». 

» Enfin il a pensé que pour célébrer la journée du 10 a«^àt, 
qui a abattn le trône, il fallait dans le jour anmver&^ire 
détruire les n)4usoiées fastueui^ qui sont à Saint-Denîs. Dans 
la monarchie les tombeaux nK^oies avaieut a|»pris à flatter les 
r6is ; l'orgueil et le faste royal ne pouvaient s'a<Uucir &nr ce 
théâtre de la mort , et les pur^^sc^ptrc ^ 4^i ont Ait tant de 
maux à la Fratice et à rhumanité , sembUnt encofe dans la 
tombe s'enorgueillir d'un e grandeur évanouie ! La i:ftain puis*- 
santé de la République doit ^âacer impitoyableixieat ces. épi- 



( ^4 ) 

tâpbes superbes , et démolir ces mausolées sans douleur ^ qui 
rappelleraient encore des rois l'effirayant souvenir. 

» Citoyens , voilà les mesures que les circonstances com- 
mandent. Le zël# des républicains , le courage des armées , 
le patriotisme des départemens fidèles à la voix de la patrie , 
entendront le tocsin que la liberté va sonner le lo août à Cam- 
brai , k Landau , à Perpignan , à Bayonné et dans la Vendée. 
Ah ! comme la République serait sauvée , si tous les Français 
savaient combien est délicieux le nom de patrie ! » 

Sur ce rapport la Convention décrète immédiatement 
plusieurs grandes mesures d'organisation générale ; la for- 
mation d^un camp entre Paris et l'armée du nord ; un 
épurement dans les états-majors et dans les administrations, 
à l'effet de n'y introduire que des hommes d*un patriotisme 
prononcé ; elle ordonne l'exécution rigoureuse des lois por- 
tées contre les lâches, les fuyards, les traîtres, etc.; elle 
confirme les nominations faites par le comité de salut public, 
l'envoi^ aux armées de représentans du peuple avec des. 
pouvoirs illimités,,etç. , etc. 

Relativement à la Yendée , elle décrète : 

1*. Les généraux feront un choix pour former des corps de 
chasseurs et de tirailleurs intrépides. 

2*. Il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières 
combustibles de toute espèce pour incendier les bois , les taillis 
et kft genêts. '^ 

3^. Les forêts seront abattues , les repaires des rebelles seront 
détruits , les récoltes seront coupées parles compagnies d'ou- 
vriers pour être portées sur les derrières de l'armée, et les 
bestiaux seront saisis. 

4**. Les femmes, les enfans et les vieillards seront conduits 
dans l'intérieur ; il sera pourvu à leur -subsistance et à leur 
aùreté avec tous les égards dus à l'humanité. 

5®. Il sera pris des mesures par le ministre de la guerre pour 
préparer tous les approvisiounemens d'armes et de munitions , 
de guerre et de bouche de l'armée qui , à une époque pro- 
chaine, fera un mouvement général sur les rebelles. 

&". Aussitôt que les approvisiounemens seront faits , que 



(a5) 
Tarmee sera réorganisée, et qu'elle sera prête à marcher sur 
la^ Vendée , les représentans du peuple se concerteront avec les 
administrations des départemens circonvoisins qui se sont main- 
tenus dans les bons principes pour faire sonner le tocsin dans 
toutes les municipalités environnantes, et faire marcher sur 
les rebelles les citoyens depuis l'âge de seize ans jusqu'à celui 
de soixante. 

^*. La loi qui expulse les femmes de l'armée sera rigou- 
reusement exécutée ; les généraux en demeurent personnelle- 
ment responsables. 

8^. Les représentais du peuple et les généraux veilleront 
à ce que les voitures d'équipages à la suite de l'armée soient 
réduites au moindre nombre possible , et ne soient employées 
qu'au transport des effets et des matières strictement nécessaires. 

g**. Les généraux n'emploieront désormais pour mot d'prdre 
que des expressions patriotiques , et que les noms des anciens 
républicains ou des martyrs de la liberté , et dans aucun cas 
le nom d'aucune ^lersonne vivante. 

I o°. Les biens des rebelles de la Vendée sont déclarés appar- 
tenir à la République. Il en sera distrait une portion pour 
indemniser les citoyens qui sont demeurés fidèles à la patrie 
des pertes qu'ils auraient souffertes* 

Elle décrète en outre : 

i^. Les biens de toutes les personnes qui ont été et qui 
seront hors de la loi par décret de la Convention sont déclarés 
appartenir à la République. ' 

2". Marie- Antoinette est renvoyée au tribunal extraordinaire . 
Elle sera transférée sur le champ à la Conciergerie. 

3*. Tous les individus de la famille Capet seront déportés 
hors du territoire de la République , à l'exception des deux 
enfans de Louis Capet et des individus de cette famille qui 
sont sous le glaive de la loi. 

4*. Elisabeth Capet ne pourra êtrfe déportée qu'après le 
jugement de Marie- An toinette. * 

5®. Les membres de la famille Capet qui sont sous le glaive 
de la loi seront déportés après le jugement s'ils sont absous. 

6*. La dépense des deux enfans de Louis Capet sera réduite 



(a6) 
à ce qui est nécessaire pour rentretien et la nourriture de deux 
individus. 

7**. Les tombeaux et mausolées des ci*devant rois , élevés 
dans régUse de Saint-Detiis , dans les temples et autres lieux 
dans toute réteitdue de la République, seront détruits le lo 
aoét prochain. 

i^. La Convention nationale décrète que le$ étrangers des 
pays qui sont en guerre avec la République , et non domi- 
ciliés en France avant le i4 juillet 1789, seront mis sur le 
champ en état d'arrestation y et le scellé apposé sur leurs papiers , 
caisses et effets ; charge sa commission oe^ six de lui présenter 
demain un projet de loi sur les étrangers en général. 

2*. Les barrières de Paris seront ferniées sur le champ pour 
empêcher la sortie de tous ceu^ igai ne justifieront pas d'une 
mission publique. 

Ces dei^^i^ derniers décrets sont rendus sur la demande de 
Cambon et de Simon. 

Coatbon proposai , et l'Assemblée décrète encore : 

i^. Tout Français convaincu d'afvoir refusé en paiement des 
assignats monnaie , de les avoir donnés ou reçus à une perte 
quelconque , sera condamné pour la première fois à une amende 
de 3ooo livres , et k six mois de détentioi^ ; ep cas de récidive 
l'amende sera double, et il sera condamné à vingt an^ de 
fers. 

2^. La Convention nationale' déclare traîtres à la patrie tous 
Français qui placeraient des fonds sur des comptoirs Ou ban- 
ques des pays avec fes(|;uels la République est en guerre : 

1 
Ënfia U prx)clj»ifi^tion suivante, proposée p^r Bighrjbre 

au nc^m du çgmité de salut public , est adopté^ ^Wf, acclar 

mations générales : 

« La Convention nationale dénonce ( 1) , au nom de l'humanité 



(i) Quelques jours après, Garnier de Saintes, au récit de nonvelles 
horreurs du goûvernemeut brit^innique , se leva indigné pour proposer 
de déclarer PiU l'ennemi du genre humain , et dP autoriser toute per^ 
9orme àA'atsauiner» Cette proposition , repousaée presque unanime- 



( a? ) 
» outragée y à tous les peuples, et mime an peuple Anglais , 
» la conduite lâche , perfide et atroce du gouyernement bri* 
» tànnique , qui soudoie l'assassinat , le poison , l'incendie et 
» tou3 les crimes pour le triomphe de la tyrannie et pour 
» ranéantissement des droits de l'homme. » 

Un décret ordonna la traduction , l'impression et l'envoi 
aux départemens des motes et pièces anglaises mentionnées 
dans le rapport, ainsi que j^s procjes-Terbaux relatifs ^ 
Charrier, chef des rebeUesde la JUo^ëre , ezéciuté à Rodex 
Je i6 juitiet 1793. « 

Charrier, membre du c6té droit de I* Assemblée constituante , 
et signataire des protestations de ce particontre le nouvel ordre 
de choses, était allé après la session organiser une insurrection 
rojaJe ^ans son départ^nent : il eut d'abord quelque succès; 
mais pouvait-il lutter longtemps contre la force nationale? 
Charrier montra un beau courage; quelques heures seulement 
avant de mourir , et pressé par une lettre de sa femme , qui 
l'en suppliait au noit de ses en/ans et de la pairie reeon'- 
nai3S4f^te^ il découvrit le chiffre et le secret de sa correspon- 
dance ; il déclara : « M. le duc de Bourbon devait venir com- 
» mander en chef dans les provinces niiéridionajes , et amener 
» BiVec \ni assez d'<^&ciers généraux pour se mettre à la 
» tête de chaque parti qui se présenterait. J'ignore si aucun 




'époque de moh soulèvement le principal 
>»' ses preniiers agens, devait arriver dans une ville française. » 
Il déclara encore « que le secrétaire du prince lui avait assuré 
qu'il avait été employé' par ledit prince et autres émigrés 
deux cents millions poi«r nire déclarer par la France la guerre 
à l'Allemagne , et que Sans cette déclaration la France n'au- 
rait peut-être pas eu dix ennemis à combattre; c}u'aucune 
puissance étrangère ne voulait l'attaquer ; que lesdits princes 
avaient essayé en vain d'autres moyens pour engager cette 
goerre , et que ledit secrétaire était lors de cette declaratioa 



menu, ^t amendée par Gouthon, et décrétée en ces terj^fis }e 7 août 
1793: 

« La CoiiTevtioo natiojiale déclare , au nom du peuple français , que 
WilUams Plit> nainiiire du gonrernement britannique , 69t rennemi du 
genre komain. » 



(28) 

de guerre à Paris , d'oii il partit satisfait en apprenant le 
décret. » 

Voici une des pièces de la correspondance anglaise dont 
l'impression fut ordonnée : 

V <c Juin ag 1796 , sept heures du soir. 

» Nous vous remercions de Totre promptitude. Vos deux 
exprès sont arrivés ce matin à huit heures ; le double à une 

heure, et deux heures après vint M , de Cambrai. Les 

plans que vous avez envoyés dernièrement sont plus directs 
que les premiers , quoique pas très exacts ; les nouvelles augmen- 
tations faites pour les mortiers ne sont pas lisibles. Priez R.... 
de vous en donner un autre. Il peut être bon ingénieur , mais 
il n'est pas très expérimenté. Il y a une grande différence entre 
les siens et ceux de Lille. Vous êtes prié d'ordonner à W.. .b. ...r 
de payer celui de Lille cent livres sterlings de plus. Vou» 

TOUS arrangerez comme vous pourrez avec E ,K'épargnez 

rien, et ne perdez pas de vue C... ; il est sûr comme l'or, 
et, étant l'ami de Lamarlière , il pourra nous procurer un 
double de tous les autres. S'il â peur d'être découvert qu'il 
résigne sa place ; payez-lui le double de ce qu'elle lui rapporte: 
donnez-lui tout de suite 5oo livres^sterlings , et ne doutez pa» 
de son zèle d'après les preuves qu'il en a déjà données. Milord 
Jui demande' un état exact des poudres et de toutes les muni- 
tions quelconques , et son opinion sur le camp de Cassel. Soyez 
toujours ami de K.... ; il peut nous être utile. Priez le com- 
mandant de le faire venir chez lui de temps en temps , et de 
faire ses efforts pour former les plans nécessaires de F.... et 

de G Priez Greew^ de donner de temps en temps à dîner 

aux parties choisies. 

» Les plans de Cobourg sont *sûi's , si toutefois le succès de 
la guerre est pour les chiens. S'il en est ainsi , le plan d'incendie 
des fourrages doit être exécuté , mais à la dernière extrémité , 
et il doit avoir lieu dans toutes les villes le même jour. A tout 
événement, soyez prêt avec votre partie choisie pour le 10 ou 
le 16 août. Les mèches phosphoriques sont suffisantes ; on peut 
en donner cent à chaqtie ami fidèle sans danger , vu que chaque 
centaine ne forme qu'un volume d'un pouce trois quarts de 
circonférence et de quatre pouces de long. Nous aurons soin de 
pourvoir chaque comité d'un nombre suffisant de ces mèches 
avant ce temps. Milord désire seulement que vous gardiez tou- 
jours* de votre côté pour cette affaires les personnes qui vous 
sont les plus aihdées ; mais ne confiez rien de cette affaire à N. ... ; 
il boit trop : dans l'affaire de Douai il a manqué d'être décôir-- 



Tert par sa trop grande précipitation. Faites venir O.... de 

Caen, et C de Paris. Faites en sorte que W....b....r ait la 

première main dans l'affaire de Dunkerque ; il sera nécessaire 
de le xenvoyer de Lille pour acquérir des connaissances sur 
différentes places. Faites en sorte que H....w....d aille avec lui, 
et que sa femme aille à Calais pour garder sa maison. La 
manière liardie avec laquelle ils sont partis de Calais avec leurs 
quatre chevaux , et ]a manière avec laquelle ils ont échappé à 
ceux qui les poursuitaient a été un coup de maître : ils ne pou- 
vaient craindre aucun événement avec de tels chevaux. Qu'ils 
n'épargnent pas l'argent , et qu'ils soient généreux partout. 

Faites que Stap...tn et C w — t sachent combien S. A. R. 

récompensera leur zèle. Que ferions- nous sans le collège ? 
Faites hausser le change jusqu'à 200 liv. pour une livre sterling. 
Faites que Hunter soit bien payé ; assurez-le de là part de 
milord que toutes ses pertes lui seront remboursées de plus du 
double de sa commission. Que Greg....y en fasse de même. 
Faites de temps en temps quelque chose avec S....p....rs. 

» 11 faut discréditer le plus possible les assignats , et refuser 
tous ceux qui ne porteront pas l'effigie du roi. Faites hausser le 
prix de toutes les denrées. Donnez les ordres à vos marchands 
d'accaparer tous les objets de première nécessité. Si vous pouvez 
persuader à Cott....i d'acheter le suif et la chandelle à tous prix, 
faites-la payer au public jusqu'à cinq liv. la livre. Milord est 
très satisfait pour la manière dont B....t....z a agi. Dites-lui 
que S. A. B.. le duc a fait enregistrer son fils avec le vôtre pour 
cornettes ; ils jouissent dès à présent de la paie attachée à ce 
grade. Que Ch....s....tr.... aille de temps en tempsà Ardes et 
à Dunkerque. Je vous prie de ne pas épargner l'argent. 

» I^ous espérons que les assassinats se feront avec prudence : 
les prêtres déguisés et les femmes sont les personnes les plus 
propres à cette opération. Envoyez 5o,ooo liv. à Rouen et 
00,000 liv. à Caen. Nous n'avons pas reçu de nouvelles depuis 
le 17. Qu'est-ce qu'ils font donc ? Renvoyez A.... 

» Que M....s....tn soit rappelé de Cambrai; son incommo- 
dité lui serait nuisible dans une violente commotion : qu'il 
restât à Saint-C... , et que W....t..mr aille à Boulogne. On 
regrette la mort de Dyle ; ses avis nous auraient été d'un grand 
secours. Que W m..r.. le remplace à Boulogne et à Calais. 

» M . . . .s. . . . tr devrait être à Paris , connaissant mieux , comme 
banquier ,. les moyens de faire hausser le numéraire. 

» Les différens plans de Milnes sont approuvés par Pitt ; 
mais sa dernière fièvre le retiendra encore quelque temps eq 

Angleterre Dites à St....z que son fils sera rappqié de 

Yiçnne , et aura la place de ministre à Madrid après la guerre. 



(3o) 

e âne est très reconnaissant des senrices du père, qu^il embrasse 
1 personne.... Si on petrt se fiera D — , le maire , comme 
imi d'O... , il sera Fa personne la plus propi^ à être associée 
rec lui. Que Targent ne soit pas épargne. 

» Milord désire que tous ne gardiez ni n'envoyiez aucun 
ompte ; il désire même que tout indice soit brûlé , comme 
aingereux pour tous nos amis résidens en France au cas que 
on vint à en trouver sur vous. Votre zèle pour notre cause est 

bien connu du duc pendant votre séjour en Suisse l'année 
emière, et depuis à St.-O.... , qu'il regarde comme superflus 
is comptes que vous pourriez lui rendre de y os dépenses. 

» La dernière nouvelle que nous avons reçue du prince de 
!ondé nous annonçait qu'il avait une fièvre violente, et S.A. R. 
i duc lui a envoyé son premier médecin. 

» Si Michel est sur, envoyez-le de temps en temps à Paris et 
Dttnkerqae. 

» L. A. . . .S«# . . Bro. .r espère de l'embrasser bientôt à Ardes. 

le laissez point B t z quitter St.-O ,méme pour un 

3ur ; ses avis sont toujours utiles. Dites à Néss qu'il peut être 
\r d'être nommé membre du parlement à la première vacance. 

» Adieu. Your's most affectionaty. 

. p. s. Envoyé» sur le chanç à Lvoo et à Grenoble 
5o,ooo liv. Nous sommes très inquiets de nos amis à Nantes 
t Thouars ; nous regrettons sincèrement la mort de L.... La 
tension de sa veuve , de 600 liv. sterlings par an , lui sera 
xactement payée à elle, et à son fils après sa mort ; envoyez- 
îur 200 liv. sterlings par la première occasion à Bordeaux, 
'aites savoir à la femme de Goobs , à Bourbour, que son mari 
st monté en grade le premier mai , par ordre de l'amiral 
lacbride. Qu'il soit accordé à Morel 100 liv. sterlings par 
aois : nous espérons occuper les appartemens qu'il nous a 
réparés pour le quartier d'hiver. Ne lui permettez point de 
Dger d'autres Français que ceux du parti choisi. Quand vous 
rez à Dunkerque , prenez avec lui ou avec son cousin des 
loyens sûrs pour le transport de l'argent d'Ostende à Dun- 
.erque. Noi!^s en avons de prêt pour les différens comités sous 
otre direction, quarante mille guinées. 

>» Que Cheft... .r et S. . . . soient toujours pourvus de guinées. 
lies caves du collège sont propres au plan de F. ...g. Ne laissez 
las Morston louer sa maison à Camorai ; mais qu'il la quitte 
eulement. Ne le laissez pas demeurer avec vous ; il est prudent 
i*avoir des logemens séparés. » 

Les rebelles et les puissances étrangères continuaient 



( 3i ) 
de donner pour auxiliaires à leurs armées la trahison et 
le fanatisme y l'incendie et l'assassinat; chaque jour nou- 
Telle défection , nouyelie trame que le génie de la France 
et l'énergie de ses représentans parvenaient à réparer, à 
déjouer; mais ces maux, bientôt renaissans , conmiandaient 
d'autres remèdes , dont la violence ne peut être reprochée 
qu'à ceux qui les rendaient indispensables, aux traîtres 
d'abord , puis à ces êtres lâches, égoïstes, qui avaient souri 
a la destruction de l'ancien ordre de choifes parce qu'il les 
froissait , et qui auraient aimé la République si son établis- 
sement les eût laissés libres de soins et de sacrifices. Heureuse 
la Franco de n'avoir pas compté à cette époque une majorité 
de ces hommes sujets dans les administrations de département 
• ou <kins la Gonventipn nationale ! Un amour de la patrie ardent, 
exclusif; le mépris de tous les* rils ; la confiance la plus 
entière dans l'opinion publique, dans l'honneur républicain, 
ces sentimens inspiraient , échauffaient , enlevaient les déli- 
bérations de ce digne sénat d'une grande nation : le peuple 
et l'armée , l'étranger et les rebelles , les villes et les camps , 
tout réclamait sa surveillance et sa sollicitude ; il embrassait 
- tout. 

Dans le nombre des propositions que l'inquiétude du 
patriotisme soumettait à la sagesse des législateurs il en 
est deux ^i ont pour ainsi dire été faites par la France elle» 
noiêfflue ; du moins peut-on les regarder comme son vœu le 
phis direct : V arrestation de tous les gens suspects et la 
icifée en masse du peuple ont été formellement demandées , 
le i^*'août 1793, par les représentans des quarante-quatre 
TDÎITe municipalités (i),' envoyés à Paris pour l'acceptation 
de la Constitution. — Hé bien , s'écria D^ntpn , répondons 
à leur VŒU ! Les députés des assemblées primaire s viennent 
d^exercer parmi nous V initiative de la terreur.,,. Non , 
point d'amnistie à aucun traître! L'homme juste ne f^t 
point dé grâce au méchant. Que l'on mette donc en état 
d'arrestation tous les hommes^ vraiment suspects ; mais 

(1) Voyèi^ tôiB« XII, le procès verbal de l'iflâagtiT2tiôa de TActe • 
ceQsvitutioiin«l. 



( Sa ) 

que cetle mesure s'exécute avec plus d'intelligence que 
jusqu'à présent , oii, au lieu de saisir les grands\cëlérats ^ 
les vrais conspirateurs , on a arrêté des hommes plus qu'in— 
signifîans.... On vous a dit encore qu'il fallait se lever en 
masse.... Oui , fans doute, mais il fâ[ut que ce soit avec 
- ordre. Je demande que la Convention , qui doit être mainte— 
nant pénétrée de toute sa dignité, car elle vient d'être revêtue 
de toute la force nationale ; je demande que par un décret 
elle investisse les commissaires des assemblées primaires du 
droit de dresser l'état des armes , des subsistances , des muni- 
tions ; de faire un appel au peuple , d'exciter l'énergie des 
citoyens , et de mettre en réquisition quatre cent mille hom- 
mes... C'est à coups de canon qu'il faut signifier la Cons- 
titution à nos ennemis!... C'est l'instant ^e faire ce grand 
et dernier serment , que nous nous vouons tous à la mort y 
ou que nous anéantirons les tyrans!.... — A ces mots les 
représentans du peuple, les envoyés des assemblées pri- 
maires et les citoyens des tribunes avaient unanimement 
répondu : nous le jurons ! 

Des deux propositi§ns faites par les envoyés des assem- 
blées primaires , et converties eu motions par Danton , l'une 
fut renvoyée au comité de salut public , chargé de la rédiger 
en décret , et l'autre décrétée en principe, savoir , que tous 
les gens suspects seraient mis en état d'arrestation (i), 

(i) On a vu qu'Hun décret du ai mars 1793 établissait dans chaqae 
Gommvne de la République an comité chargé de surveiller les étrangers 
( tome XI, page 241 ) \ qu'un autre décret du tjj du même mois met» 
tait hors de la loi les aristocrates et toi^s les ennemis de la révolutio» 
(même tome, page 3a3) ; que les comités pour les étrangers, de4ear pro- 
pre auto li té , prirent le titre de comités révolutionnaires , et se char- 
gèrent de Pexécution rigoureuse du décret contre les aristocrates , etc.^ 
que la suppression de ces comités fut inutilement provoquée , etc. ( tome 
XII , pages Sg et i36) j enfin on vient de lire ( plus haut, page 26 ) un 
décret du i^^ août diaprés lequel la Convention, en ordonnant Tarres- 
tation immédiate d^une classe d^étrangers , chargeait son comité do 
sûreté générale de rédiger un décret sur tous les étrangers indistincte- 
ment. 

Les comités révolutionnaires y confrmés , revêtus mâmede nouveaux 
pouvoirs , continuaient de confondre dans leurs poursuites les étrangers 



(33) 

et que le ùomiié de législation proposemU te mode d^exi-^ 
eiuion^ (12 août 1793» ) 

Xie 14 le rapporteur da comité de salut public» Barrère» 
fit adopter en ces tennis la seconde proposition de Danton ^ 
suivie d'une adresse aux Français : 

« Art. . I" . Les envoyas des assemblées primaires en rentrant 
dans leurs foyers sont chargés de propager l'esprit d'unité et 



et les suspects, lorsqu'un mode d'exccvtion fut donné »q]e décrets portéfl 

oontre ces deta classes. 

1 ** . Le 6 septembre 1 795 , sur la proposition de Garnfer ( de Saintes ) , 

au nom du comité de sâireté générale, la ConTention nationale rendit 

une loi dont Toici les principales dispositions y snecessÎTement modifiées 

ou étendues 9 selon, les peuples et selon les circonstances : 

« Considérant que les puissances ennemies de la République , violant 
les droits de la guerre et dçs gens, se servent des hommes mêmes en 
faveur desquels la nation française exerça journellement des actes de 
bienfaisance et d'hospitalité pour les diriger contre elle , et que le salut 
)niblic lui commande des mesures de sûreté que ses principes d'^union et 
de fraternité avaient jusqu'ici rejetée^s , décrète, etc.— Les étranger* 
seront mis en état d''arrestation. — Sont exceptés les artistes et les 
otiTriers , à la charge par eux de se faire attester par deux citoyens de 
lenr commune. — Sont également exceptés ceux qui , n''étant ni artistes 
ni ouvriers , fourniront des preuves de leur attachement k la révolutipu 
française. — Les étrangers aont le civisme sera attesté et reconnu rece-^ 
TTODt de leursofficiers municipaux un certificat d'hospitalité, dont ils 
seront toujours munis , et qu ils seront tenus de re|}résenter lorsqu'ils 
en seront reqais.. ( Diaprés un premier projet présenté le 3 août par 
Garnier ( de Saintes ) les étrangers auraient été obligés de porter un 
ruban tricolor avec cette inscription : hospitalité. Cette mesure fut 
rejetée. ) ^- Seront déclarés suspects et arrêtés cenx qui exerceront 
l'agiotage, on qui vivront sans industrie ou propriétés connues.— .Les 
étrangers convaincus d'^espionnage , et ceux qui entreraient sur le ter— 
rttoiht de la République après la publication de la présente loi , seront 
déclarés conspirateurs , et comme tels punis de mort. — 1» 

ao. Le 17 septembre , par Torgans 4« Mcrlii^i ( de Donai ) , le comité ' 

de législation proposa , et la Convention adopta le décret suivant, plus 

célèbre que Tantre, dont les «ntécédens démontrent la 'nécessité , et 

qui kbien prendre est antant le mode d'exécution diu décret du 87 mars 

que de celui du la août. 

Loi relative aux gens suspects» — < "Du 17 septembre 1793. 

a Art. 1*^. Immédiatement après la publication du présent décret 
tous les gens suspects qui se trouvent dans le territoire de la République, 
et qui sont encore en liberté , seront mis en état d^arrestation. 

» 2. Sont réputés gens suspects • ^^ c^^x qui , soit par leur eondoite^ 
soit par leurs relations^ suit par leurs propos ou par leurs écrits , as 

XIII. ^ 



(34) 

d'indivisibilité dé la République , d'exHq[>er les germes da 
royalisme . de surveiller les complots des fédéralistes et âes 
administrateurs révoltés contre la Convention nationale, d'ex— 
poser à leurs concitoyens les dangers de la patrie et ses res- 



sont montrés partisans de la tjrrannie , da fédéralisme , et ennemis de la 
liberté; a ^ ceux qui ne pourront pas justifier , de^la manière prescrite 
par la loi du ai mars de^nifsr , de leurs moyens d^exister et de l-acquit 
de leurs devoirs cÎTiques; 5° ceux à qui il a été refusé des certificats 
de civisme ; 4" l^s fonctionnaires publics suspendus ou de8titué|i de 
leurs fonctions par la OonventioB nationale ou par ses commissaires , 
et non réintégrés , notamment ceux qni ont été ou doivent être destitué» • 
en vertu de la loi d» la août dernier ; 5** ceux des ci-devant nobles , 
ensemble lés maris , femmes , pères, mères , fils on filles , frères ou sœurs, 
et agens d^émierés , qui n^ont pas constamment manifesté leur attache- 
* ment à la révolution ; 6® ceux qui ont émigré dans Pîntervalle du pre^ 
ipier juillet 1789 à la publication de la loi da 8 avril 1792 , quoiqu^ila 
soient rentrés en France dans le délai fixé par cette loi ou précédem- 
ment. 

» 3. Les comités de surveillance établis d'après la loi du ai mars der- 
nier, ou ceux qui leur ont été substitués soit par les arrêtés des repré- 
centans du peuple envoyés près les armées et dans les départemens^ 
soit en vertu des décrets particuliers de la Convention i^ationale, sont 
chargés de dresser , chacun dans son arrondissement , la liste des gen» 
suspects , de décerner contre eux les inandats d'*arrét , et de faire appo 
ser les scellés sur leurs papiers. Les commandans de la force publique 
à qui seront remis c^s mandats seront tenus de les mettre à exécution 
sur le champ , sous peine de destitution. 

» 4* \^f membres du comité ne pourront ordonner l'arrestation d^an- 
cun individu sans être an nombre de sept , et qu^à la majorité absolue 
des voix. 

» 5. Les individus arrêtés comme suspects seront d^abord conduits 
dans les maisons d'^arrètdu lieu de leur détention; à défaut de maison 
â''ârrêt ils seront pardés à vue dans leurs demeures respectives. 

» 6. Dans la huitaine suivante ils seront transférés dans les bâtimens 
nationaux que les administrations de département seront tenues , aussitôt 
après la réception dtt présent décret , de désigner et faire préparer à cet 
-effet. ■' 

» 7. Les détenus pourront faire transporter dans ces bâtimens les 
meubles qui leur seront d''une absolue nécessité. Us y resteront gardés 
jusqu^àla paîx.. 

» 8. Les frais de garde seront à la charge des détenus, et seront répar- 
tis en tr^eux également. Cette^arde sera confiée de préférence aux pères 
de famille ftt'iiiux parens des citoyens qui sont ou marcheront aux fron- 
tières. Le salaire en est fixé, par chaque homme de garde , à la valeur 
d'une jonmée'et demie de travail. 

V g. Les comités de surveillance enverront sans délai an comité de 
sûreté générale de la G)nvention nationale l'état des personnes qu'ils 
auront £^it arrêter , arec les motifs de leur arrestation , et les papiers 
c^'îls aupentsaisis sur elles. 

'>>JJjJ.'e*Wibuij|iux civils et criminels pourront , s'il y a lieu , faire 
reufijrjpn jé^t-dfârrestation comme geni suspects, et envoyer dans 



(55) 

sources y d'exciter la jeunesse française à prendre les armes » 
et à remplir sur le champ les cadres des armées. 

» -2. La Convention s'en remet au patriotisme des envoyés 
des assemblées primaires pour l'accomplissement de cette 
bonorable mission , et pour la distribution de l'adresse aux 
Français. » 

LA CONVENTION NATIONALE AUX FRANÇAIS. 

« Français , ils retentissent sans doute dans toute Tétendue 
de la République ces cris de joie qui ont proclamé devant vos 
représentans la Constitution que vous avez acceptée ! Jamais , 
depuis qu'il existe des hommes et des empires, un vins grand' 
atte social ne reçut son accomplissement dans une fête aussi 
auguste et aussi touchante ! Que vos envoyés à Paris rendent 
témoignage à cette cité célèbre , qui n'a été l'objet de toutes les 
calomnies que parce qu'elle a fait toutes les révolutions; 
qu^ils disent s'ils n'ont pas trouvé ici dans chaque citoyen 
un ennemi inexorable des tyrans et de l'anarchie j dans chaque 
homme un ami , dans chaque repas un banquet fraternel l O 
spectacle magnifique , et le plus attendrissant que la terre ait 
jamais déployé sous les reg;ards de l'Ëtem^ ! 

tt Aux armes 9 Français! A l'instant même oii un peuple 
d'amis et de frères se tiennent serrés dans leurs embrassemens » 
les despotes de l'Europe violent vos propriétés et dévastent 
vos frontières. Aux armes ! Levez-vous tous I Accpurez tous I 
La liberté appelle les bras de tous ceux dont elle vient de, 
recevoir les sermens. C'est la seconde fois que les tyrans et 
les esclaves conjurés souillent sous leurs pas la terre d'un peu-- 
pie souverain ! (i) La moitié de leurs armées sacrilèges y a 
trouvé la première fois son tombeau : que cette fois tous 
périssent , et que leurs ossemens , blanchis dans nos campa-* * 

les maisons de détention ci>dessas éaoDcées , les prévenus de délits à 
l'égard desquels il serait déclaré n^y avoir pas lieu à accusation, ou qui 
seraient acquittés des accusations portées conire e^x. » 

(i^ C^est la levée des quatre-vingt-onze mille gardes nationales 
décrétée par TAssemblée constituante vers la fin de sa session qui pré- 
para les immortels succès de l'année 1792 , déterminés par les invita- 
tions, les appels patriotiques de TAssemblçe législative. ( Voy^z les 
préc^SDs volumes.) 



f _ 



(36) 

rnes , s'élèvent comme des trophées au milieu des champs , 
que leur sang aura rendus plus fécoûds ! Aux armes , Français ! 
Couvrez-vous de la gloire la plut éclatante en défendant cette 
liberté adorée , dont les premiers jours tranquilles répandront 
sur vous et sur tes générations de vos descendans tous les 
genres de bien et de prospérité ! » 

Cependant les envoyés d'es assemblées primaires ne parais- 
sent pas satisfaits du décret , qu'ils regardent comme une 
demi-mesure. Danton partage leur avis ; il applaudit à leurs 
patriotiques instances , et leur fait d'abord accorder des pou- 
voirs très étendus pour exciter l'énergie des citoyens et 
requérir les forces nationales. Le surlendemain ces envoyés 
reparaissent eux-mêmes à la barre par deputation , et l'un 
d'eux , le doyen d'âge , porte ainsi la parole : 

M Représentans ^ les envoyés du peuple Français paraissent 
encore vjune fois devant vous, conduits par le grand intérêt 
de sauver la République. ^ 

» Vous. à ^ui le sort de la liberté fut .confié, élevez-vous 
à la hauteur des destinées de la France ! Le peuple en ce 
moment est lui-même au dessus des dangers qui l'assiègent : 
ses envoyés vous expriment ici les moyens auxquels est attaché 
le salut public ,^ certains de n'être pas désavoués en jurant de 
faire triompher cette Constitution qu'il vient de sanctionner 
solennellement. 

• u lïous vous avons indiqué , représentans , la mesure sublime 
d'un appel général de la nation entière , et vous avez décrété 
simplement de mettre en réquisition la première . classe des 
citoyens!... Ainsi ce mouvement spontané d'un grand peuple 
i[ui se précipite en masse sur ses ennemis pour les exterminer 
a été réduit à un recrutement partiel , qui augmente no» 
forces à la vérité , mais qui permet toujours aux tyrans de 
nous résister ! Ainsi cet élan généreux d'un peuple indigné de 
ses revers , et qui veut , par un coup décisif eu faveur de la 
liberté, en consolider l'existence, n'est plus qu'un effort ordi- 
naire pour réparer nos pertes , et rendre la fortune incertaine 
entre des esclaves et des hommes libres I 

n Représentans , pénétrez -vous donc de ces vérités : des 



/ 



(37) 
demi-mesures sont toujours mortelles dans les dangers extrêmes ; 
la nation entière est plus facile à ébranler qu'une partie des 
citoyens. Si vous demandez cent mille soldats , ils ne se trouve- 
ront pas ; mais des millions d'hommes répondront à un appel 
général. Songez surtout que le peuple , las , ne veut plus d'une 
guerre de tactique , qu'il ne veut plus être à la merci de géné- 
raux traîtres et perfides qui l'ont fait jusqu'ici nciassacrenen dé- 
tail ; mais qu'il veut terminer la guerre qui nous déchire par un 
effort subit de vengeance et de destruction contre ses ennemis ! 

w Décrétez donc sur le champ que le tocsin de la liberté 
sonnera k jour fixe dans tontes les communes de la République! 
Qu'elles tremblent les cohortes des despotes ! Une multitude 
innombrable de bras dirigés par la vengeance et la justice vont 
s'éJever contre elles ; elles apercevront dans une mort inévi- 
table l'impossibilké d'asservir un peuple libre ! 

» Qu'il n'y ait aucune dispense pour l'homme physiquenient 
constitué pour les armes , quelques fonctions qu'il exerce ; que 
l'agriculture seule conserve les bras indispensables pour tirer 
de la terre les productions alimentaires ; que le cours du com- 
merce soit arrêté momentanément ; que toute affaire cesse ; que 
la grande , l'unique et universelle affaire des Français s*!.it de 
sauver la République ! Que les moyens d'exécution de cette 
grande mesure ne vous effraient pfas : décrétez à l'instant le 
principe , et nous allons présenter au comité de salul public 
ceux que nous avoiis conçus : ils sont tels que la foudre popu- 
laire , sagement dirigée de tous les points de la République , 
frappera de mort et les tyrans et leurs esclaves ! » 

Dans l'enthousiasme qu'excite ce discours la Convention 
ordonne au comité de salut public de lui faire séance tenante 
un rapport sur la demande des députés des assemblées pri- 
maires. Quelques instans s'écoulent, et le rapporteur (toujours 
Barrère), après avoir reproduit en d'autres termes le vœu 
formé par ces envoyés , présente un projet de décret qui est 
adopté aux acclamations générales (i6 août 1 798) : 

« Art !«»•. Le peuple français déclare, par l'organe de ses 
représentans, qu'il vase lever tocrt entier pour la défense de sa 
liberté , de sa Constitution , et pour délivrer enfin son terri- 
itoire de ses ennemis. 



(38) 

» 2. Le comité de salut public présentera demain le mode 
d'organisation de ce grand mouvement national. 

>» 3. Il sera nommé par la Convention nationale dix - Luit 
représentans du peuple, répartis dans les divers départemens. 
li^ sont chargés de diriger les opérations des envoyés des 
assemblées primaires relatives aux mesures de salut public , et 
aux réquisitions d'hommes , d'armes , de subsistances , de four* 
rages et de chevaux. 

» 4- Ils sont autorisés à délivrer des compoiissions aux envoyés 
des assemblées primaires , sans lesquelles ceux • ci ne pourront 
exercer les réquisitions déjà indiquées. i 

»» 5. Les représentans du peuple se toncerterontavec le comité 
de salut public et le conseil exécutif pour le rassemblement 
et la direction des forces et des moyens qui auront été mis à 
exécution. 

» 6. Les représentans du peuple sont chargés également de 
renouveler en tout ou en partie les membres des autorités cons- 
tituées et les divers fonctionnaires publics y et de les faire 
remplacer provisoirement par des citoyens d'un patriotisme 
reconnu. 

M 7. Ils ne pourront, dans aucun cas et sous aucun prétexte 
choisir ni conserver aucun des administrateurs où fonctionnaires 
publics qui auraient coopéré ou adhéré à des arrêtés liberticides, 
tendans au fédéralisme et subversifs de l'unité et de l'indivisibi- 
lité de la République , ou qui auraient dpnné des marques 
particulières d'incivisme , quand même ces administrateurs 
ou fonctionnaires publics auraient donné leur rétractation. » 

Le comité de sàlut public restait ainsi chargé du mode 
d'exécution de cette levée en masse : on le pressait de le sou- 
mettre à la délibération ; mais il n'avait pas tardé à s'aperce- 
voir des difficultés et des désordres que; pouvait entraîner ce 
mouvement gigantesque. Le 20 il se décide néanmoins à indi- 
quer dix-sept points du territoire oii tous les citoyens seraient 
tenus de se rendre. Cette fois l'enthousiasme ou la condescen- 
dance nebrusquent pas la délibération ; on examine les besoins , 
les ressources , et l'on reconnaît généralement l'impossibilité 
de faire mouvoir sans confusion, sans tumulte, un nombre aussi 
considérable d'hommes , et surtout de leur fournir à temps 
des armes , des équipemens , des subsistances. Danton lui- 
même s'effraie de tant d'obstacles ; il n'a pas prétendu qu'on 
prît à la lettre l'expression de. leuée en masse : — Nous 
n'avons pas encore besoin du levier d'Archimëde ; dit -il ^ 



I 
9 ' 



(39.) 
pùVLT Ikiré sùttàr nof ennemis du territoire qu'ils aatetvnià. 
Le peuple vous a confié sa force ; la raison veut que vous la 
dirigiez avec régularité. — Le rapporteur convient de la 
justesse de ces observations : — Afais, ajoute-t-il , qu'on ne 
croie pas qu'elles soient étrangères au comité; il a gémi de 
la manière dont on le harcelait pour lui faire présenter ses 
moyens. Déjà les aristocrates ont jeté du ridicule sur le 
mouvement en masse en altérant notre idée ; mais le ridicule 
n'atteint pas les hommes qui servent bien leur patrie. Ne 
croyez pas que le comité ait pensé à faire marcher à. la fois 
les vingt-cinq millions de Français ; il a pensé seulement 

-que tout deyait être à la réquisition de la liberté Je 

demande que la Convention nationale veuille bien laisser le 
comité à sa raison ; alors il pourra lui présenter des plans 
mieux cotebinés. — La Convention renvoie la question à un 
nouvel examen. 

De tous ces efforts de la sollicitude patriotique résulta 
enfin la première réquisition , décrétée le 23 sur le rapport 
qui^dt. 

B.apportJ^iV au nom du comité de salut public , par Barrëre, 
sur la réquisition civique de tous les Français pour la 
défense de la pairie, {Séance du 23 août 1793.) 

« Citoyens , après les difficultés qui depuis huit jours sus- 
pendent votre délibération sur les moyens d'exécuter une grande 
mesure pour chasser enfin les ennemis du territoire de la Répu- 
blique , chacun de nous, attaché au sort de la révolution et au 
Bien de ses concitoyens , a dA chercher dans son cœur et dans 
ses lumières le meilleur mode de la levée générale , le meilleur 
plan de réquisition civique pour terminer dans la campagne 
actuelle le grand procès que le vieux despotisme de l'Europe a 
suscité à la liberté naissante de la France. 

» Délibérer avec soudaineté , avec enthousiasme sur un objet 
AUSSI grave et aussi important, c'est s'exposer à des revers mili*- 
taires , c'est compromettre le salut de la République, l'existence 
des citoyens ; fatiguer et user par des secousses mal réglées le 
ten^rament national. Examinons donc froidement nos besoins 
et nos ressources ; sachons surtout ce que nous voulons , ce que 



(4«) 

aons entendons per la lerie dn peuple entier potir la défense de 
M Gmslitution et de sa liberté* 

» Que yottlez-^otts ? Un contingentfôttmiparchaqae dÎTision 
départementale 0a territoriale ? 

» Laissons au corps germanique, laissons auiL confMéra- 
tions de rAlIemagne et am édits impériaux le vénal emploi de 
ce mojen seigneurial ou fédéraliste : le Contingent de la 
France pour sa liberté comprend toute sa population , toute 
son industrie , tous ses travaux , tout son génie. Le contingent 
n'est qu'une contribution levée sur les hommes comme sur de 
vils troupeaux , et ce mot n'est point de la langue des Fran- 
çais : ainsi point de contingent. Les départemens populeux eu 
patriotes, les districts républicains ou menacés par l'ennemi 
vous ont-ils demandé de fixer par un décret le nombre de leurs 
bataillons , le degré de leur patriotisme , la mesure de leurs 
sacrifices , le contingent de leurs citoyens armés ? Voyez le 
département de l'Aude et tant^d'autres , plus animés de l'amour 
de la patrie ou de la haine de ses ennemis , disputer de généro- 
sité et de dévouement avec les départemens qui les environnent , 
et envoyer dix-sept bataillons à nos armées ! 

» Que voulez -vous? Un nouveau recrutement? L'aristo-» 
cratie est là qui se cache dans les sections de l'empire , surtout 
dans les sections des^ villes ; l'aristocratie est là qui vous épie ; 
elle Vote aussi pour le recrutement cette aristocratie incorri- 
gible et avare , parce qu'elle tient en réserve de l'or pour tenter 
les citoyens faibles ou peu fortunés , des fuyards pour dissou- 
dre nos armées , des royalistes pour en corrompre l'esprit , 
des sautée qui peut pour débander et perdre les troupes au 
milieu de la victoire , et des assignats pour exercer l'agiotage 
sur les défenseurs mêmes de la patrie. 

» Auriez-vous oublié tout ce que les contre-révolutionnaires 
de l'intérieur ont fait de troubles , de machinations et d'in- 
trigues pour empêcher le recrutement ? Auriez-vous sitôt perdu 
de vue les profondes intrigues et Ifes discussions multipliées , les 
altercations violentes tendant à faire de la défense publique un 
moyen 18e guerre civile , tantôt en divisant les sections sur le 
mode de recrutement , tantôt en rappelant le tirage des milices 
parle sort, ou Sélection populaire par le scrutin ? Pourriez-vous^ 



(4' ) 

irortout méconnaUre cette violation si fréquente du princi^^e 
que dans les pays libres tout citoyen est soldat , celte violation 
impunie faite par des riche^ qui se sont faits remplacer par 
des assignats , ou par des. étrangers , ou par des hommes sans 
intérêt à Tordre actuel de notre législation ? Prenez garde ; 
pieir le mode de recrutement , trop souvent employé , vous 
transformez les égoïstes opulens en recruteurs militaires ; vous 
donnez à la malveillance des moyens de troubles , à la richesse 
des instrumens d'anarchie et de désordre , à la révolution des 
hommes qui Tabborrent assez pour la perdre , et à la patrie 
des soldats qui ne l'aiment pas assez pour la défendre. 

n Ainsi point de recrutement. 

» Que voulez— vous ? Une levée en masse ? 

» A ce mot tous les aristocrates de diverses nuances, tous les 
hommes vains et légers , qui n'appartiennent à aucune patrie 
ni à aucun régime ; tous Iqs égoïstes , qui ne sont ni nationaux 
ni étrangers; tous les parasites de révolution, qui, semblables 
aux traîtres et aux conspirateurs que vous avez mis hors de la 
loi , se sont mis eux-mêmes hors des nations ; tous ces person- 
nages inutiles se sont emparé avec complaisance de ce n^ot 
levée en masse ; ils ont tenté de le tourner en ridicule , comme 
s'ils ignoraient qu'un simple vœu de ce peuple levé en masse les 
ferait rentrer dana la poussière., dont ils n'auraient jamais dû 
sortir ! comme s'ils pouvaient se dissimuler que le peuple 
français n'a qu!un mot à dire , et l'aristocratie tout entière 
n'est plus! 

i> Il a été cependant entendu de la nation ce mot de levée 
en masse , et chaque citoyen a vu dans cette expression éner- 
gique toute la force et toutes les ressources nationales préte& 
à se déployer au premier signal , en raison des périls et des 
besoins de la patrie. 

» Je le répète ici , parce que nos expressions ont été prises 
à mauvais sens , ipéme par des patriotes ; je le répète , il& 
sont contre-révolutfonnaires par le fait ou par l'intention , i!s 
«ont auxiliaires de Pitt ou de Cobourg ceux qui voudraient 
qu'une nation de vingt-sept millions d'âmes, qu'un peuple 
tout entier se levât au même instant dans toutes Les parties de la 
}^épublique. (Jui peut douter que cette*con?juotion simultanée. 



(42) 

si elle pouvait' exister , lie produirait que des trouliles affreux ,' 
des besoins immenses , des désordres incalculables et des 
moyeps précieux à l'aristocratie ? Qui peut douter que cette 
suspension de travaux , de commerce , de communication , 
cette électrisation de toutes les âmes , ce froissement de tant 
d'intérêts ne fussent plutôt un plan de nos ennemis qu'un moyen 
de défense nationale ? 

» Cependant de pareilles levées en masse ne sont pas des 
cbimëres ; e!*!es existent déjà dans l'histoire de notre révolution. 
Elle exista cette levée en masse le j4 juillet 1789, lorsque le 
despotisme conspirait contre la liberté naissante; et si à cette 
première époque les représentans du peuple avaient secondé 
l'insurrection jaationale , la révolution française aurait été ter- 
minée il y a trois ans. Elles pourraient donc exister ces levées 
en masse, mais elles né se feraient qu'avec de grands it^esoins 
et avec des dangers imminens. 

» Sommes-nous donc à cette grande extrémité qui nécessite 
une commotion aussi extraordinaire ? Six cent mille hommes 
qui combattent sous les drapeaux tricolors ont-ils donc dis- 
paru ? Nos places fortes sont-elles toutes au pouvoir de l'Au- 
trichien ? Les forteresses si honorées de Lille et de Thionville 
n'existeut-elles plus ? L'Anglais a-tril commis encore tous ses 
forfaits ? L'Espagnol ne compte-t-il que des victoires ? Le 
fanatisme a-t-il agrandi la Vendée, et Je royalisme a-t-il grossi 
ses succès le long du Bh6ne et de la Loire ? 

» Non, non , citoyens! La France, qui sous les races desr 
tyrans n'a pas eu besoin d'une insurrection générale dans les 
tristes journées de Poitiers , de Crécy et d'Azincourt , en a moins 
de besoin encore aujourd'hui , que des citoyens libres ont rem- 
placé des serfs féodaux , et que chacun , outre l'intérêt de ses 
foyers , combat aussi pour ses droits ! 

» La Suisse n'ést^elle pas toujours invariablement attachée 
à ses traités , à son alliance avec la France ? On sait bien que 
des intrigans de tout genre cherchent à nous diviser avec la 
Suisse, et à agiter les hommes libres; mais la Suisse ne se 
trompera pas fur les causes qui les font mouvoir , et elle verra 
l'ambitieuse Autriche se préparant à imiter un jour en Suisse 
le partage de la Pologne. 



( 43 ) 

» N'avez-vous pas applaudi clans celte séance au courage 
de Tariuëe du nord contre les Autrichiens , et aux nouveaux 
succès contre la Vendée ? Si les Pyrénées-Orientales sont en 
partie envahies , l'armée des Pjrénées-Occidentales ne vient- 
elle pas de chasser l'Espagnol à deux lieues sur son i^ropre 
territoire ? 

» La levée générale et simultanée serait un e£fort de géant, 
et les tyrans de l'Europe , qui ont eu besoin de se réunir pour 
nous menacer, pour nous dévaster , ne nécessitent pas encore 
la réunion des derniers efforts d'un grand peuple. 

n La réquisition de toutes les forces est nécessaire sans 
doute; mais leur marche progressive et leur emploi graduel 
sont suffîsans : c'est là le sens de la levée du peuple en entier. 
Xous sont requis , mais tous ne peuvent marcher ou faire la 
même fonction. Publions une grande vérité : la liberté est 
devenue créancière de tous les citoyens ; les uns lui doivent 
leur industrie, les autres leur fortune ; ceux-ci leurs conseils , 
ceux-là leurs bras; tous lui doivent. le sang qui coule dans 
leurs veines. 

n Ainsi donc tous les Français^ tous les sexes, tous les 
âges sont appelés par la patrie à défendre Ja liberté; tou- 
tes les facultés, physiques ou morales , tous les moyens politi- 
ques ou industriels lui sont acquis ; tous les métaux, tous les 
élémens sont ses tributaires : que chacun occupe son poste , 
que chacun prenne son attitude dans ce mouvement national 
et militaire que la fin de la. campagne nécessite., et tous 
s'applaudiront avant peu d'avoir concouru à sauver la patrie ! 

» Que dans les monarchies ,. que dans les cpurs des despotes 

un ministre , un général , un adn^inistrateur , un réginient , 

une province eût la vanité exclusive de défendre l'Etat , c'est 

la froide récompense des monarchistes et dés esclaves dorés des 

cours ; mais dans un pays libre tout, est confondu par un besoin 

irrésistible et commun , le besoin de ne pas laisser asservir son 

pays , de ne pas laisser déshonorer son territoire , le besoin 

de vaincre I Ici- nous sommes tous solidaires : le nlétallurgiste 

comme le législateur, le physicien comme le forgeron, le 

savant comme le manouvrier , l'armurier comme le colonel , 

le manufacturier d'armes comme le général , le patriote et le 

banquier, l'artisan peu fortuné et le riche propriétaire, 



(44) 

l'homme des arts comme le fondeur de canon ^ l'ingénieur 
des fortifications et le fabricant de piques , l'habitant des 
campagnes et le citadin , tout est réuni ; ils sont tous frères , 
ils sont tous utiles , ils seront tous honorés ! ' 

I» Vous voyez déjà dans ce rapprochement rapide des 
besoins de la guerre , vous voyez le sens de votre décret ; vous 
voyez toute la théorie du véritable mouvement national que 
vous nous avez chargés d'organiser avec cette sagesse qui n'exclut 
pas l'enthousiasme , et cette raison qui n'atténue pas l'énergie 
républicaine. 

» Toute la France doit être debout contre les tyrans ; mais 
il n'est qu'une portion de citoyens qui soit mise en mouvement. 

» Ainsi tous sont requis , mais tous ne marcUPnt pas : les 
uns fabriquent les armes, les autres s'en servent; les uns 
préparent les subsistances pour les combattans , les autres dis— 
posent leurs habits et leurs premiers besoins : hommes , fem* 
mes y enfans , la réquisition de la patrie vous somme tous , 
au nom de la liberté et de l'égalité , de vous destil3ier chacun, 
selon vos moyens au service des armées de la République! 
' » Les jeunes gens combattront; les jeunes gens seront 
chargés de vaincre : les hommes mariés forgeront les armes , 
transporteront les bagages et l'artillerie ; ils prépareront les 
subsistances : les femmes, qui enfin doivent prendre leur place et 
suivre leur véritable destinée dans les révolutions , les femmes 
oublieront les travaux futiles; leurs mains délicates travailleront 
guit habits des soldats , feront des tentes , et porteront leurs 
soins hospitaliers dans les asiles oii le défenseur de la patrie 
reçoit les secours exigés par ses blessures : les enfans mettront 
le vieux linge en charpie ; c'est pour eux qu'on se bat; les 
enfans, ces êtres destinés à recueillir tous les fruits de la révolu- 
tion, lèveront leurs mains pures vers le ciel ; et les vieillards , 
reprenant la mission qu'ils avaient chez les peuples anciens , 
se feront porter sur les places publiques ; ils y enflammeront 
le courage^es jeunes ^guerriers ; ils propageront la hakie des 
rois , et l'unité de la République ! Ainsi, renfermant les jeunes 
citoyens dans les deux extrémités de la vie , entre les éloges 
des vieillards et la reconnaissance des enfans , nous aurons 
déjà beaucoup fait pour la défense publique. 

» La République n'est plus qu'une grande ville assiégée : 



(45) 

il faat que la France ne soit plus autre chose qu'un vaste camp. 
Les maisons nationales , les maisons invendues d'émigrés seront 
converties en casernes ; les places publiques en ateliers ; le 
sol des caves servira à préparer la foudre des armées. Le sal— 
pélre manque : il y avait des peines très fortes contre ceux 
qui s'opposaic'nt à la récolte ou à la production de cette 
matière première , fi nécessaire à l'artillerie : il faut que le 
sol des caves soit lessivé pour en extraire le salpêtre. Toutes les ' 
caves de Montpellier sont employées à la production d'un 
poison subtil , mais utile dans les arts ; que toutes ces caves 
soient employées aussi à la production du salpêtre, qui est le 
poison. des aristocrates et des royalistes! 

M II faut que toutes les armes de calibre passent datis les 
mains de ceux qui marcheront à l'ennemi : il suffira pour le 
service de l'intérieur de dénombrer et de recueillir les fusils 
de chasse , de luxe , les armes blanches et les piques. 

» Il faut que tous les chevaux de selle soient requis sans 
exception , sans niéoagement , pour compléter les corps de 
cavalerie : c'est là le setret des forces de nos ennemis ; ils comp- 
tent plus sur leurs chevaux que sur leurs hommes , comme ils 
comptent davantage sur les trahisons de quelques Français que 
sur la bravoure de leurs troupes. Hé 'bien ^ si la cavalerie est 
la force de l'Autrichien et de l'Anglais , formons aussi une 
nombreuse cavalerie ; nous le pouvons , et avec ce nouveau 
moyen nous aurons de plus que les hordes étrangères , noua 
aurons notre infanterie avec ses baïonnettes invincibles , notre 
artillerie habile et courageuse , l'amour de la patrie et le cou- 
rage de la liberté! 

» Il faut que les chevaux qui traînaient des maîtres opulens 
ou des êtres inutiles traînent des canons , portent des subsis-> 
tances ; il faut que le luxe des chevaux devienne tributaire 
de l'artillerie , et que l'art de la guerre s'enrichisse de tout 
cet attirail , qui n'appauvrit pas 'le riche. 

» Yoilà pour i^otre état actuel et pour ce que nous pouvons 
calculer d'une manière positive. 

n Mais en préparant ce grand mouvement pour le service 
et le recru tendent de nos armées , nous devons porter le plus 
grand soin sur l'armée. matérielle qui do^t précéder les soldats ^ 
et assurer leur armement comme leurs subsistances. Ce É'est 



(46) 
pas assez d'avoir ^es hommes ; ils ne manqueront jamais à la 
défense de la République. Des armesr, des armes et des sub- 
sistances ! C'est le cri du besoin ; c'est aussi l'objet constant 
de nos sollicitudes. 

» Et d'abord pour les armes , Paris ya voir dans peu de 
jours une manufacture immense d'armes de tout genre s'élever 
dans son sein. Dépositaire de tous les arts, cette cité a des 
ressources immeasès que le comité de salut public a déjà mises 
en activité , en se concertant avec des patriotes très habiles et 
très actifs. 

' » Le Paris de l'ancien régime vendait des modes ridicules , 
des hochets nombreux , des chiffons brillans et des meubles 
commodes à toi^te la France et à une partie de TEurope : le 
Paris de la République , sans cesser d'être le théâtre du goût et 
le dépôt des inventions agréables et des productions des arts , 
Paris va devenir l'arsenal de la France. 

» Le comité s'est occupé y et les plans s'exécutent dans ce 
moment par des artistes renommés et des administrateurs d'un 
|>atriotisme prononcé ; le comité s'est occupé de former à Paris 
un établissement national pour une grande fabrication d'armes , 
qui dans quelque temps pourra donner progressivement jusqu'à 
cinq cents, sept cents et mille armes par jour : elle occupera 
six mille ouvriers. Huit artistes , les plus forts , les plus exercés, 
se rendent dans les manufactures nationales pour en examiner 
tons les procédés , et rapporter à Paris des échantillons de toutes 
les pièces nécessaires à la fabrication des fusils. Chaque manu-> 
facture nationale s'empressera de fournir quelques articles 
fiécessaires pour diriger les autres. On prend des ouvriers 
connus, des ouvriers en fer, et l'on pourra utiliser encore un 
grand nombre d'ouvriers d'horlogerie , partie un peu négligée 
dans le moment actuel , et qui s'est dévouée à la fabrication 
des armes. 

» Deux cent cinquante forges pour fabriquer les canons de 
fusil vont être placées ces jours-ci dans le pourtour do jardin 
du Luxembourg , contre les niurs qui entourent eh dehors le 
jardin des Tuileries, dans les extrémités de la place de la Révo- 
lution. Ce sera une belle décoration pour nos places publiques, 
en attendant lesmonumens des arts , d'y voir forger les armes 
Cj^ntre les tyrans et les aristocrates ! • »-«•:• 



(47 ) 

» Dix grandes foreries s'eront ëleyëes dans des bateaux sur 
la rivière. 

» Seizç maisons nationales seront employées pour former 
de grands ateliers de cent vingt à cent cinquante ouvriers pour 
les diverses parties du fusil; tous les autres ouvriers seront 
employés dans leurs maisons , dans leurs ateliers , pour tra- 
vailler aux pièces accessoires d'après un prix fixé. 

» Une administration simple et active surveillera les travaux : 
une section distribuera l'ouvrage aux ouvriers ; la seconde 
recevra et paiera tout ce qu^ dépendra de la fabrication des 
canons de fusil , et l'autre sera chargée de recevoir et de payer 
tout ce qui se fabriquera en petites pièces accessoires par les 
ouvriers du dehors. 

» Déjà les ouvriers capables sont rassemblés ; déjà des cons- 
tructeurs et des mécaniciens préparent leurs matériaux , et les 
chefs de cette administration nous ont dit hier soir qu'ils se 
sont assurés de tous les moyens, d'exécution. 

» Ce^te adn^inistration sera sous la direction du ministre de 
la guerre , et sous la surveillance du comité de salut public. 

» Cet établissement ne portera aucune entrave aux autres 
manufactures nationales ni ^ux manufactures particulières ; il 
leur donnera même de l'extension : les arts et les artistes 
doivent s'aider, et non se détruire, 

» Que ces hônmies haineux contre Paris , qui ont voulu 
tantôt le détruire , et tantôt l'affamer , suspendent un instant 
cette haine invétérée que la ville révolutionnaire n'a jamais mé* 
ritéel Paris est la cité commune, Paris est la ville de tous : 
ké bien , Pansa besoin pour l'emploi de sa population d'un éta- 
blissement de ce genre. La France a besoin, pour la conservation 
de ses artistes , d'une manufacture nouvelle ; la République a 
besoin qu'on Eeibrique sur le champ un grand nombre d'arme^; 
on ne peut rassembler qu'à Paris cette multitude précieuse 
d'ouvriers habiles, qui va dans un jour fabriquer jusqu'à mille 
fusils quand l'établissement sera complet. 

n Uohjei de la levée actuelle est de tout terminer dans cette 
campagne ; mais le moyen le plus efficace pour y parvenir est 
de rassembler une immense armée matérielle. 

» Qu'on ne éroie pas que cette manufacture est tou^e ai^ 



/ 



( 48 ) 

bénéfice de Paris : on ne peut que fondre, souder et forer ici 
les canons ; les macquétes seront préparées dans les départe-» 
mens de TAHier, de la Niëvr«, du Cher, du Doubs et de la 
Haute-Saône : voilà les département qui s'enrichiront aussi 
de la fourniture des fers préparés pour les fugils , ainsi que du 
charbon considérable nécessaire à cette manufacture. Il n'y ai 
donc ici rien d'exclusif; espérons même que l'exemple de Paris 
sera imité, et que cette émulation générale nou» délivrera des 
oppresseurs de la liberté. ^ 

» Ce serait une bien courte spéculation celle de fabriquer 
en un instant et dans un seul lieu les instrumeus descombats. 
Le despotisme, toujours craintif, désarmait leer campagnes ; 
ses manufactures ne travaillaient que pour ses satellites, pour 
ses esclaves en uniforme : la liberté au contraire arme toutes 
les mains, remplit tous les arsenaux, et défie avec une impo* 
santé sécurité tous les tyrans. 

» Des armes , des manufactures de fusils et de canons , voilà 
ce qu'il nous faut pendant dix ans ! Que nos arsenaoïL soient 
centuplés , que nos magasins soient remplis, et que éhaque 
citoyen français ait une arnjie pour la défense de sa vie f de ses 
foyers et de ses droits ! 

» Ce sera une belle époque , et elle n*est pas éloignée , celle 
où la République , après avoir chassé les despotes altérés de 
sang qui l'assiègent , réduira les places fortes à n'être que des 
villes militaires, avec les seuls artistes et les ouvriers nécessaires à 
sa défense ; à n'être que des camps fermés de murailles ! Ce 
sera une belle époque , et elle n'est pas éloignée , celle oit 
elle élèvera sur les limites de son territoire des Qolonnes sur 
lesquelles seront gravés le décret qui repousse toute ièée de 
conquête , et surtout celui qui a aboli la royauté ! Nous y écri* 
rons , comme k Rome, l'inscription de Brutus; et à coté de ces 
colonnes seront des forteresses inexpugnables , des arsenaux 
complets , et des hommes libres I 

n Pardonnez cette digression , produite par le sentiment de 
nos besoins. 

» Nous demandons que le comité de saint public soit exr^ 
pressément chargé de prendre toutes les mesures -nécessaires 
pour établir une fabrication pt une réparation extraordinaire. 



(49) 

4'arâieB de toute espèce, et de requérir daaii toute le Bépu-^ 

blique leiertistes et tes ouvrier» qui pourraient concourir à leur 

succès. Une spiBine de trente millions a paru nécessaire k ces 

établiséemeiiis pour Paris et pour les départemeosy et ce ue 

seront pas les fonds de la République le plus mal employés : 

Vest Mae richesse durable qu'un grand amas d*armes ; c'est un 

^«nd trésor pour une luUion que If travail assidu des citoyens. 

U est eacore des départeniens dans lesquels tous avez établi des 

maniifactwes d'armes, et d'autres dans lesqilels lés éykabiisse- 

mens ancieas tout négligés : vem devec autoriser les repré* 

senians du peuple que vous allea envoyer è accélérer cette 

fabricAtioi» , et à prendre , ^^îe concert rveç le comité et le 

comseîl exécutif/ toutes les mesures propres ii r^niu^ etBccé» 

lérer cette précieuse fabrication. 

» Ce n'est pas asses d'avoir des Jhommes et désarmes ; il 
faut aussi des subsistances; c'est la base de toutes les opérations 
de la guerre. Les représentans ont déjà une loi qui force 
la battaison des grains ; des fonds vont être mh k ia disposition 
des administrations chargées des subsistances , et tout sera 
di^osé de nwii^re à ne pas faire coïncider les approvisionne* 
meus des armées et des escadres avec ceux des troupes de 
réquisition nouvelle. S'il n'y avait pas des inidveiUans et des 
conspirateurs , les riches récoltes dont la nature a fait présent 
cette année à la liberté nous présenteraient même du superflu. 

}> Mais conime il s'figit ici de besoins extraordirmires , il faut 
des inoy^as qui leur ressemblant ; il faut que les fermiers et les 
régisseurs d^ biqns netiouimz versent dans le chef-*lieu des 
districts respectifs en nature de grains lé produit decesbieus ; 
il faut obliger les citoyeâ^ débiteuiPs d'impôts arriérés , même 
des deiuE tiers de l'année 1793 , de les payer au tau^ dii 
mkoximum du mois actuel 9 et les contributions s^ont payées 
aur les rèles qui ont servi k effectuer les demieris recouvremens. 

n Comment trouverait-on ces mesures fortes ? Elle sontjustes; 
elles sont nécessaires. La première dette est pour la patrie; la se^ 
f^të a droit de commander le sacrifice même de la propriété 
quand son besoin est impérieux : que doit-ce être qutfnd H ne 
s'agît qne des fruita? Espérons. même que leabons citoyens s'em^ 
presseront dans la crise actuelle d'offrir aux besoins des armées 
.riépublicaûiefl une partie de leurs récoltes en nétture « qne la na-* 
. xnr. 4 ' 



(50) 

tioti I^uf* paiera comme dans lès marchés. Et^s'il fallait ra*ppe1er 
un ti*ait de l'histoire des Américains, chaque possesseur de grains 
atiprendrait ce qu'il doit faire pour la liberté. Washington avait 
sou armée, pressée par le besoin, entre la Nouvelle-Jersey et la 
Pensylvanie; il demande des secours en grains aux habitans de ces 
belles contrées : des lenteurs, plutôt que des résistances, se mani- 

• festaient déjà, lorsque le général des Américains requiert au-noni 
delapati'ie que les habitans et cultivateurs fournissent une quan- 

• tité déterminée de grains à son armée. — Donnez-les sur la ré- 
quisition de l'armée de la liberté, disait Washington , et le Con- 
grès vous les fera payer le prix légitime : si vous les refusez^ l'ar- 
mée prendra les subsistances ; elte combat pour vous , et vous 
n'en recevrez pas le prix. — L'armée de Washington fut ap- 
provisionnée. Leçon utile aux fermiers avides, aux proprié- 
taires aristocrates, feuillans, modérés ou avares î 

n Apres avoir prévu les besoins des armes et des vivres , 
revenons à ce qui touche de plus près les citoyens , à la manière 
dont la réquisition sera exercée pour la défense nouvelle de la 
République. 

' » Je reviens au plan qui vous est proposé; il est bon que 
les aristocrates l'entendent. 

« Tous l^s citoyens sont requis , mais ^.ou^ ne peuvent pas ser- 
vir; toiis les âges, depuis dix-huit ans jusqu'à cinquante, peu- 
vent fournir une bonne carrière militaire, mais tous ne peuvent 
se mettre en mouvement à la fois. Qui aura le premier l'hon- 
neur de voler aux frontières? Qui concourra le premier à la con- 
quête de la liberté? Une voix impérieuse, la vorx de la nature 
et de la société , répond : 

« La'jeunesse partira la première î C'est pour elle qne des re- 
»' présénfans du peuple Ont péri ; c'est pour elle qïie la liberté est 
• » fondée ; c'est elle qui doit recueillir les fruits dfe la révolution; 
n c'est elle qui a moins de bé^ns et plus de force; c'est elle qui a 
» plus (le dévouement et moins de liens. La jeunesse française 
partira îa première !» * 

» Leicéliba taire et le jeune homme ne sont pas aussi évidem- 
ment nécessaires à l'état social que les citoyens mariés qui ont 
•donné des enfans à la patrie: le premier âge doit donc remplir 
}a première réquisition. ' 

» At>isi y depuis dix- huit ans jusqu'à vingt-cinq , tous les ci- 



( 5i ) 

tojens français soat appelés à la défense commune. Cet âge 
présente aux espérances de la patrie le plus grand nombre de 
défenseurs vigoureux et dégagés de liens. On croit que cet âge peut 
comprendre plus de cinq cent mille citoyens , et nous n'avons 
pas besoin d'un aussi grand nombre; mais s'il en fallait encore, 
si cette première colonne était impuissante ou malheureuse , le 
second âge sera requis depuis vingt-cinq jusqu'à trente , et ainsi 
de suite, de cinq en cinq années, jusqu'à cinquante. 

» Mais ce n'est là que dénombrer les immenses ressources de 
la liberté ; nous n'en aurons pas besoin : occupons^nous de leur 
rassemblement. 

-n . La première idée du comité était de faire auprès de chaque 
armée et de chaque noyau de guerre civile une réunion de c'- 
toyens armés , appelés de plusieurs départemens» 

» Cette idée avait de grands inconvéniens : 

« I ^. Des rassemblemens trop nombreux ; 

» 2°. Des rassemblemens trop éloignés ; 

» 3^. Des diversions trop fortes des points attaqués ou des 
points à renforcer ; . 

» 4*^. Des approvisionnemens trop grands à faire dans un chef* 
lieu de plusieurs départemens ; 

» 5^. Des voyages aussi pénibles qu'inutiles pour un trop 
grand nombre de citoyens. 

>» Il a donc fallu chercher un autre mode de réunion. 
. » Rassembler au chef-lieu de département c'est fédéraliseï: 9 
c'est rappeler des -lignes de: démarcation, cp'il faut effacer, ou 
du moins atténuer autant qu'il est possible. 

» Réunir les jeunes citoyens au dief-Hen de district a paru plus 
facile, plus commode, et surtout plus utile. Vous enapercevre» 
facilement les avantages. Chaque chef-lieu de district a assez de 
moyens pour nourrir un petit rass.emblement : les, approvision- 
nemens sont plus faciles ; il y a moins.de gaspillage et moins de 
frais de transport. 

:> Le chef-lieu de district présente les avantages d'une plus 
grande facilité à habiller chaque citoyen, et surtout à le nourrir, 
étant plus voisin de sa commune. . 

» Enfin , la réquisition frapperajsur des compagnies au lieu 
Je frapper si^r des bataillons, et leur marche, aii^i que leur 
destination sera plus aisément déterminée. 



( Sa ) 

» M 'oublie! pas ^'ailleurs que votre G>nstitiiti6n donné une 
gtandè vocàtioD aux diàtricts. La lîl>erté a manqué àe perïr par 
lét ^ëparteihén^ ; tes petites distributions territoriales sont plus 
accommodées àiix allures et aux besoins dé là iiberté. La 
puissance arbitraire aggloméré; là puissance républicaine 
dissémine. 

» Nous proposons pair ce moyéii ]>éa de commanaàns , jpea 
dégrades militaires ;iâprïorilé d'âge ou la voie ordinaire des 
Sections réglera le gradé pouir commander une compagnie ou un 
iMitaiUôn* Les éïâtsHÏnajbrs sont Té bagage brillant du despo- 
tisme; les états-majors ont L'aristocratie dans les manières, quand 
méîne ils ne l'auraient pas dans l'intention. Et d'ailléunquin'a 
pas gémi dé voir cette effrayante ihultipTicatîdn d'officiers de tout 
grade ? Il fut un temps à Rome bii il j avait (a'nt de statues 'sur 
toutes lesplaces publiques qùé les bistôriens disent qu'il y avait Ir 
Rome un autre peuple romain dé marbre et dé pierre : nous pour» 
rions dire, sans cbercbér décbm^arâisoii, qu'il seinblè que nous 
ayons une autre nation o^omciérs généraux et de commissaires 
du pouvoir exécutif. ^ 

oici le projet de décret que le comité ma charge de vous 
présenter. :> 

t.a lecture de ee projet fut couféirté d'k^làuâîSf^cfihéns; 
deux féb &à ^fà lè ràppOftèâr de répéta le prétiii^ irkide, 
IK éhl^t t^x Èt^tùà eet iànicle pur d^s ttcdlâmàt^^tft kiià- 
\ndtës. be ^^ét fbt Ithifiéâiltteitketit àûbpti. 

Loi iiH ^3 août 1798. 

« La CdnveMiôii hliUôirale , après avoir ènféiidû le l^ppbrt 
dé son comité Se sàlût 'public , décrète : 

n Xki. i?. Dbscétilômeht, jusqu'à téhii éh Véh 'eiiùéinîs 
auront été chassés du térrftbii'e de la Répûbliqnîè , ttfas les* 
Français sont en réquisition permanente pour le iéWiée dès 
armées. » 

» Lés jéunès gens iront au combat ; les homiiies IHàriés 
forgeront les armes et transporteront ^lés suBsistàiiéés ; tes 
femmes feront des (entes, dès bàbite, et servirent dans lés J 

hôpitaux; les enfans metttont te viétix litige en charpie; 
|es vieillards se feront porter sur les places publiques pour 






(53) 
«ciller té coiir?ij;e des fofmm, ftèç]^ V h^iae deft^oj^ ^t 
Panitë de le République. 

» 2. I^et m^bpçs natipnales feront converties en casernes, 
les places publiques en ateliers d'armes; le sql des çayes ser^ 
lessivé pour en extraira le salpêtre. 

» 3. Lès armes de calibre seront exclusivement remises à 
ceux qui marcheront à l'ennemi ; le service de l'inté^nr se 
fera aorec «Ses fusib de chasse et l'fifme blanche. 

» 4* ^^^ c^evaiUL de s<clle font requis pour conipléter les 
corps de cavalerie ; les cheyaux de trait autres que ceux em-^ 
ployéf à l'jUj^ulture conduiront l'artillerie et Ips vivras. 

» 5. Le comité de salut public est chargé de prendre tputes 
les mesures nécessaires pour établir sans délai une &briçar* 
tira extraordinaire d'j^rmes de jkout genre qui fépopjle à l'élan 
et à réqergie du fÇ^p\9 tr^nçns. Il est autorisé ejï consé^u^npe 
il former tofif ),e^ étf b)^f seipens , nianufac^ureSy at^iers e^ fa- 
briques qui seront jugés nécessaires àl'exécutîoiid^ ces trayau^y 
«insi qu?à requérir poiif c.et ol^jet, dfi|s tout^ Tendue de la 
ï^épubli^^ç , ^f ^rjistes pt J^s pavrien qui peuvent conc9njrir 
a lei^ir suçc^b. U se)» n^is k ©et effet |ii|e son^pie de tj^p^ mil- 
lions à la disposition ^u ]p}i|is.tr<^ de |a |[ueiTe, ^ prfpdre sur 
ï«« 49?? ?«ç), ooo livres f ssijjnf ts .^i sont en résérye ^ans la 
caisse 4 ti^is clç/>. JL'ét^li^seipent cim^|a 4p çtitfifahncê^ 
exteao^naûre 9er^ bit à Pf ris. 

» 6. Les i^préseptaps du peuple envoyés p(mr l'exécution de- 
là présente loi auront la nq^^m^ faculté daij^s leujrf arroi^isse- 
mens resp<^ti^ , ep jse Ç9p5»rtant,«yec)|e comité ^e salut pi4>l\c. 
Ils sont ^nyestis 4e^ pouvoirs UUmijt^ attribués aux jrepré.sef* 
yuïs ^u peuple p^ès les armées- 

» j.Nnlpepovrraie faire reiïiplac.^4^'?*'®?!®W^,?P^!'teSP'?^ 
i) j^)ra i^qpjiji. {^jss fonctbnnaires pid^Jics resteront i len^ po>te. 

» 8. ^ ifiwée s^rajsénérale. ^s citoyens non mariés on yeufs 
«uns enff^ns,.ded^x-h.uit ik vipgt-cipq ans, /narcheront l^s pre- 
miers; ils se réuniront sans délai au chef*lieu de leur dis^cl , 
^ ils ii'i^rceiççnt tao^ les jours an /af^^xeuijijft ^ ff^Ç^ ^ 
s^tlei^d^nt rh^ui;e d.^ départ. 

» 9- Les jrppr^&entans du peuple rëgler^pnt l^s appels et les 
mardies de manière à ne faire arriver les citpyeç^s ^nnés au 
point de rassemblemejit qu'à mesure ^uc les subjsistafiçes , les- 



(54) 

munitions et tout ce qui compose Farm^'e matérielle se trou- 
vera exister en proportion sufOisante. 

» I o. Les points de rassemblement.seront déterminëspar les 
circonstances , et désignés par les représentans du peuple en- 
voyés pour Texécution de la présente loi , sur r^vis des géné- 
. raux , de concert a^ec le comité de salut public et le conseil 
exécutif provisoire. 

» 1 1 . Le bataillon qui sera organisé dans chaque district sera 
réuni sous une bannière portant cette inscrij>tion : Le peuple 
français debout contre les tyrans, 

» 12. Ces bataillons seront organisés d'après les lois établies, 
et leur solde sera la m'ême que celle des bataillons qui sont aux 
frontières. 

» i3. Pour rassembler ^es subsistances en quantité suffisante 
les fermiers et régisseurs des biens nationaux verseront dans le 
cbef-lieu de leur district respectif , en nature de grains , le 
produit de ces biens. 

» i4* Les propriétaires^ fermiers et possesseurs de grains 
lieront requis de payer en nature les contributions arriérées , 
même les deux tiers de celles de 1793 , sur les- rôles qui ont 
servi à effectuer les derniers recouvremens. 

» i5. La Convention nationale nomme les citoyens Chabot, 
Tallîen , Lecarpentier , Renault , Dartigoeyte, Laplanche (de 
la Nièvre) , Mallarmé , Legendre (de la Nièvre) , Lanot ( de la ^ 
Correze), Roux-Fasillac , Paganel, Boisset , Taill'efer, Bayle, 
Pinet , Fayau , Lacroix (de' la Marne) et Ingrand , pour adjoints 
aux représentans du peuple qui sont actuellement près lès 
armées et dans les départemens , pour l'exécution du présent 
décret et de toutes les mesures déjà décrétées ^ sur le vœu des 
envoyés dçs assemblées primaires , contre les ennemis 'del'în- 
térieur et les administrateurs qui ont conspiré contre la sou- 
veraineté du peuple et l'indivisibilité de la République. 

» Le comité de salut public fera la répartition de leurs 
arrondissemens respectifs.* 

j »» 16. Lés envoyés des assemblées primaires sont invités à 
se rendre incessamment dans leurs cantons respectifs pour 
remplir la mission civique qui leur a été donnée par le décret 
du i4 août , et recevoir les commissions qui leur seront données 
par les représentans du peuple. ^V 



/ 



( 55 •) 

r* i^. Le ministre de la guerre est chargé de prendre toutes 
les mèsuipes nécessaires pour 'la prompte exécution dû présent 
décret. Il sera mis à sa disposition par la trésorerie nationale, 
une somme de âo, 000,000 liv. , à prendre sur les 498,2oo,oooHv . 
assignats qui âtont dans la caisse à trois clefs. 

» 18. Le présent décret sera porté dans les départemeus 
par des courriers extraordinaires. » 

Il y fut reçu avec orgueil et reconnaissance de tous les 
bons citoyens. 

La création d'une armée révolutionnaire composée d'hom- 
mes de vingt-cinq ans à quarante pour le service intérieur ; 
l'établissement d'ateliers publids ; le luxe avili , le pauvre 
secouru , les professions utiles honorées ; protection ^ récom- 
pense accordée aux citoyens qui donnaient à l'Etat leur temps 
et leurs conseils; les modérés, les lâches, les .agioteurs , les 
fournisseurs infidèles, les riches égoïstes sans cesse poursuivis, 
frappés ; les attributions , 1q pouvoir des tribunaux révolu- 
tionnaires agrandi , et la mort précipitant sa marche contre 
les traîtres et les conspirateurs; de l'arbitraire, quelques 
excès , des fautes, mais beaucoup plus de grandeur et de vertu ; 
enfin la terreur solennellenaent proclamée à l'ordre du j.our 
conmie le seul moyen de salut du peuple , voilà la substance 
des miesures que la nécessité commandait à la Convention 
nationale , qui furent successivement prises , et que la tra- 
hison des Français rebelles , Jointe aux efforts de la ligue des 
rois , rendaient encore insuffisantes ! i 

Au moment oii des factieux condamnaient Lyon à. subir 
un siège , d'autres , plus infâmes encore , entraînaient Toulon 
à se livrer aux Anglais / ( 1 ) On voudrait dérober ce trait à 
l'histoire; mais ici la vérité ne permet que d'être laconique. 
Bornons-nous à entendre l'expression de la douleur des pères 
de la patrie. 



(1) Lé rappOTt sar l\tffairede toalon a été fait Kg septembre 1793^ 
par Jambon Saint- André. 



(85) 

Aûv^aikt.iiela Convention ndi/fanaZeaas Français méridionaux. 

Du S septembre I7g3. 

« Français, Ce forfait que vous ne rouîtes pas crpît«, parce 
que TOUS ne pouviez pas en conGe?oir l'idée , ce forfait a ëlé 
commis! Une des principales rilies , le port le pins important, 
nne des plus considérables escadres de la RëpdiKqoe , ont été 
lAchement livrés aux Anglais par les habitana de Toulon! 

» Des Français se sont donnés aux Anglais! Cette Ira- 

• 

bison inOme , dont la pensée seule aurait pénétré d'indignation 
et d'horreur des Français esclaves d'un roi , elle aétéconçue^ mé- 
ditée , exécutée par des Français qui se disaient républicaina! 

» Ce titre glorieux ils osaient fe prendre même en se décla- 
rant rebelles k l'autorité nationale , à la représentation du 
people ! Les scélérats ! Et c'était notw qu'ils accusaient d^étre 
les ennemis de la Républiqu^e , et de vouloir être les res- 
taurateurs . de la royauté! Et les paroi» qu'ils osent nous 
adresser aujour4'bni ils les datent de l'mn prefnier du règne 
de Louis Xr m 

n Français , qui de vous pourra désorn^is donter qu'ils ne 
soient des traîtres, qu'ils ne soient di^s conspirateurs contre la 
République et contre la nation , t0us ceux qui se séparent de la 
Convention nationale ! 

» Vengeance, citoyens! Qu'ils périssent tous deux qui ont 
voulu que la République périt ! 1^ adoptait la Constitution 
républicaine qae nous lui avons présentée le peuple français 
nous a imposé le devoir sacré d'anéantir par sa force tonte 
puissante tout ce qui combiTt sa volonté suprême , de con- 
traindre à vivre sous les lois de la République et de forcer a être 
républicains tous ceux qui veulent vivre ^ur le sol de la France. 
Le peîrpV français a voulu la RépubUqoé; nous sommes char- 
gés par lui de la faire vouloir. 

» Départemens du midi*, vous seriez tous complices de cet 
înoui forfait, tous coupables de ce déchirement de la France, 
si vous ne vous empressiez d'en punir les auteurs! Vous seriez 
accusés par la nation de partager les sentimens odieux des 
babitans de Toulon , si , apprenant cette horrible nouvelle , 
vous n'alliez cerner cette ville infâme! C'est k vous surtout à , 



s 



(87) 
1e$ pttmi* y pdnr |arouvtr à 1« R^poMique caflri>iea Tims éfet 
incapables de les imiter! Yoyes' les crimes de Ljoi), sa conju'- 
ration et les moyens qu'elle emploie ; vojrea «ussî le sort que la 
justice nationale Ini a réserve ! 

» Qiie tè tocsin vengeur qui rassemble si rapidement des 
millier» de Français sur les frontières menacées par les Autri- 
chiens ou les Espagnols retentisse donc dans toutes les contrées 
méridionales pour vous faire précipiter sur ces Toulonnais , 
plus coupables encore que les traîtres émigrés! 

» Que la vengeance soit inexorable ! Ce ne sont plua des 
Françani -, ce ne sont plus des hommes ; ils orit foixfé anx pieds 
tous tes droits, tous les titres de. Phainanité t la France les a 
per(}ns , et KAnglelerre ne lès a pas gagnés ; ils n'appartiennent 
pins fqa'k lliittoire des tr^kres et des conspirateurs. Que le» 
fâches habitans de Toulon , l^orreur et la honte de la terre , 
dfqpanftssent enfin du êiA des hommes libres , et que Toulon » 
son port et son escadre rentrent sous les lois de la France ! • 

Que maintenant le lecteur attristé repose son attention 
sur des actes qu'approuvent le courage et llionneur. 

&AFPoaT sur les moyfn^ de rassemUer les maêériamx néces^ 
S4tires àjorm^êt 4es AmMles du Cmàme^ liut t/êx Grégoire. 
{Séance du 98 septembre 1 793. ) 

« <€itegrena , la Conventîon natîocMile a ehargé son comité 
d*inêtmctîon pnUiqiie de reciieillir les traits écl&Ums de vertu 
epà ont signalé la vévdliilion. Votre «oâ&ité «'est empressé de 
seconder vM iwies : il a nommé pour cet 4ékjei une commission 
composée de trais de ses membres* lia ttehe qu'ils ont à rem- 
plir «st bien douce «t bien honorable ; car s^oecnper à recueil- 
lir Isa «ctioiis des hommes Hlnstres <:Vst respirer k vertu , c'est 
en qnelqne sorte é'ffssocier à leur gloire. Votre comité a senti • 
tonte importance de ce travail , «nquel il se propose de don-* 
ner de l'étendue. Je viens en son nom sôomettire à la Conven- 
tîon quelques «éftexions a cet égard, afin que sa ^giésse 
approuve ou rectifie notre plan et les mesures nécessaires pour 
rassembler ks faits, constater leur anlhenticité, et remplir 
r»ttente de k nntion. 

1» L'exécution de ce plan offre de givnâs avantages; d'abord 



(58) - ^ 

celui de fournir des matériaux à l'histoire d'un peuple qui 
jusqu'ici n'eut guère que celle des crimes de ses- rois, et con- 
séqueinmeiit de ses malheurs. 

» Les tyrans , leurs flatteurs et les. émigrés calomnient 
aux yeux de l'univers les fondateurs de la Képublique française ; 
des écrivains prostitués au mensonge et à la cupidité devien- 
nent leur écho : le recueil que nous préparons sera l'irréfra- 
gable réponse aux impostures par lesquelles ils tentent d'em- 
poisonner l'opinion publique. 

» Sans doute quelques crimes , inséparables d'une révolution , 
ont fait gémir les âmes honnêtes : l'humanité se compose de 
vérités et d'erreurs , de vices et de vertus. Ces crimes sont les 
fruits d'un gouvernement qui était sans morale , et, de la 
dépravation d'une cour qui érigeait ses trophées scandaleux sur 
les débris des .mœurs* Dans les faits notoires et secrets de la 
révolution , dans les correspondances saisies sur les émigrés , 
dans leur vie privée et publique , dans celle des faux amis de 
la liberté, nous trouverons' l'histoire de ces crimes; nous la 
mettrons au jour : on verra qu'ils en sont les provocateurs ou 
les agens ; c'est leur propriété ; nous la leur laissons ; les 
vertus resteront aux patriotes. - . 

» Ainsi nous présenterons un contraste dans une 'série de 
faits authentiques, dédiés à l'inflexible postérité : sa voix ton- 
nante dévouera les émigrés 4 l'exécration de tous ^es siècles. 
Les peuples , détrompés , se hâteront, d'atteindre leur virilité 
politique , et les volcans alumés spus les trôneaferont explosion. 

» Un autre avantage résultant de ce travail sera de fournir 
des modèles à nos contemporains , à nos neveux , et de trou- 
ver en eux des imitateurs. Semons la vertu , et nous recueil- 
lerons des vertus. Ce fut la réputation de Miltiade qui enflamma 
le cœur de Thémistocle , et Thémistocle devint son rival. 

» En général très peu d'hommes agissent par principes ; pres- 
que tous imitent ;,le caractère de la plupart est plutôt le produit 
des exemples qui ont passé sous leurs yeux que des maximes 
qu'on a tenté de leur inculquer. Le vice et la vertu forment 
des tableaux dont la vue laisse une impression profonde. Un 
sophisme ébranle ; un mauvais exemple entraîne. En faisaat 
la généalogie des crimes nous trouverons qu'à ce titre Achille 



(59) 

fnt le .père da brigand qui dévasta l'Asie: on* sait qu'Ai exan<* 

are pleurait sur le tombeau de ce guerrier en lui enviant d*avoir 

été chanté par Homère. César à Cadix pleurç aussi devant la 

statue d'Alexandre en disant : A mon âge il aidait conquis le 

monde l Ce fréùétique Charles XII trouve qu'à trente-deux 

ans :on a suffisamment vécu quand on a fait autant de côn-^ 

quêtes que le vainqueur de Darius. Ainsi en dernière analise 

c'est Achilie qui égorgeait les Perses dans les plaines d'Ar— 

belles; c'est Alexandre qui jonchait. de cadavres les plaines 

de Pharsale , et c'est encore Alexandre qui,* deux mille, ans 

après sa mort , égorgeait les Russes à Nerva ! 

» Le bon exemple enfante des vertus; il est le véhicule 
^e la naorale (i). Mais pourquoi chercher des modèles chez les 
peuples antiques ? Riches de Jiotre propre fonds , nous n'avons 
rien, à leur envier, et, nous le disons avec une sorte d'orgueil, 
les Français perdraient à la comparaison. Si Rome * eut un 
Décius , n'en avons-nous pas des milliers ? Nous citerons ce 
canonnicr mourant qui , malgré les chirurgiens , sort de son 
lit pour aller servir son canon dans une affaire, et revient 
content à l'hôpital . 

» Nous citerons cet autre canonnier qui à Mons , voyant tous 
ses camarades tués ou blessés , au lieu de se sauver , encloue 
son canon en .disant : Tu ne peux plus servir pour la patrie; 
tu ne serviras pas contre elle; et à l'instant il est haché. Nous 
citerons le brave Pie , grenadier d'un bataillon de Paris , qui , 
blessé à l'affaire de Mons, dit à son officier : 'F^ous voyez que 
je meurs à côté de monfusil , et je n'éprouve que le regret 
de ns pouvoir plus le^ porter. 

» Nous citerons ce garde national qui , après avoir perdu 
les deux bras pcès de Maulde, ne les regrette que pour pou- . 
voir les élever au ciel en le bénissant de ce que les Français 
ont remporté la.victhire. 

» Autrefois l'honneur féodal repoussait insolemment le sol- 

(i) Dans la première édition de ce rapport, et dans plnsienrs jour- 
naux cpii ont copié cette édition , après les mots t véhicule de la morale , 
on lit : et c'est Bruiiis' qui par la main d'Ankastroëm a délivré la 
terre d'un despote* Cette phrase n'est point de Grégoire; il Ta forrtiel- 
jicmeiit désavouée. Cest à son insu qu'elle a été introduite daps le 
rapport par un des membres chargés de suivre la publication des 
travaux dont r Assemblée ordonnait lUmpresaion. 



(6o). 

dât an temple de la gidire ; il doit y entrer 9ur la méfiée ligne 
qu'un général. Dampierre a mérité nos regret» ; mais noua 
devons aussi des lauriers k David , sergent de grenadiers , qiii> 
ayant reçu une balle dans Je s^in , la tite a l'instant avec «om 
couteau I la jette dans «on fusil , et la renvoie à l'ennenai. 

» Et par quelle fatalité ignoron.sHMius les noms de tant de 
Braves? De cet autre grenadier» blessé à Moo$, qui, an 
moment oii , pour atteindre l'ennemi y on cooiblait un fpsië 
en y roulant m^mc des cadavres , voulait ^u'on iyfei4ipour 
fu'il pût encore éire tuile à sa patrie après sa mort. Son 
dernier soupir fut un hommage à la liberté. 

» La première des sciences y la morale » a comme toutes 
les autres des principes invariables ; mats , tes principes êtsmt 
une chose intellectuelle , lliomme peu éclaire éprouve sOuf* 
vent autant de difficulté à les saisir qne de facilité à les laisaer 
é#happer. L'exemple grave les principes dans l^^me ; et d'sûi- 
leurs la lAcheté peut contester une maxime ; elle ne peut nier 
des faîtsx: si les sacrifices qu'on lui demande paraissent excéder 
le9 forces humaines , l'histoire à l'instamt montre celui qui les 
a faits. Près de Philippeville un chasseur dn ci-devant régi- 
ment des Céyeaoes s'aperçoit qu'un de nos atendards est pris ; 
il se précipite dans les rangs autrichiens , le leur arrache , et , 
teint de son sang et ie ceint des ennemitf , le rapporte à ses 
camarades. Quand on peut cttier de pareik traits la lâdieté ast 
réduite au silence. 

n Nous nous ^sommes demandé quelé actes de vertu nous 
étions ichargés de recueiltir. La Constitution «ous a répondu 
^ue la République française a remis ce, dépâi sous la garde 
de toutes les vertus. Amsi tous les actes de vertu qui dépas- 
sent la ligne ordinaire des efforts de l'honune, et qui ont eu 
pour f»bjet la destruction du despotisme et rétablissement de la 
liberté, sont le domaine de notre travail, et l'histoire s'enempare. 

» IjkfrugaUÊé est usM vertu de tous des temps; mais lors- 
que les Américains résolurent unanimement de se priver de 
thé pour ruiner le commerce Anglais, qui les opprimait', 
c'était chez eux un acte de patriotisme. La générosité est de 
tons les lieAX ; mais celle de ce citoyen qui , au Heu de sauver 
les meubles de sa maison enflammée , s'élance au haut du 
clocher de Saiat-Etianne , à Lille , pour arracher aux flam- 



(6i ) - 

mes Iç boùDét de la liberté, poirie Je double caniclère de Vinr 
Irëpidîtë <èt da ctYi^me. ^elle est encore ]a géaërosilé de ce 
Majènçais qui voulaitljue par préférence on établit des 
redouUs sur chacune de ses pièces de terre. Battez les enne^ 
mb fk. (Ksâit'-dl , et Je seMt assez payé ! 

« La B.épub]ié[ue française diSclare dans sa Constitution 
qu'elfe hènèré la loyauté, le courage, la vieillesse, la piétë 
filiale et le malheâr. 

« 'ia Wfnsmié. NpUs citèrèfts ceé cantoiitaiiers cohdamnés aux 
arrêts qnt dttnumdtnt à' sùtiit pour cùnkbattte (ennemi, et 
iHiomrntr ensuite isn prison, 

» La piété filiale. On yerra â^rer dam ce recueil . cet 
énfkht qàî sollicite de nos commissaires à Bajotme tu per^ 
missioin de copAattre et de mourir h^té de iohpète. Nous 
mettrons ce fait en pai^llële avec cekd du rét^ran Jdibois, 
qui , lé riiâtin de la bataille de JemmapéS , apprenant que 
son filé a déserte , bouirt prendre sa place, let s'écrie k chaque 
cbup de fnéil qu'il tire stu* renneitai : Ah , mon fib! Jaut^-il 
que le àoui^eHù' douloureuap de ta fkuie empoisonne des 
momens ii^tàiieUiiùî ■ * 

^ Elle bonore le courttge. Blhavè lÀbretéche , ton nom se 
prétente ici l lA tta'tion fa décoré d'an sabre. SoufiW qu'à 
ton côté , et pour ^ue tu hii servies de modèk , nous placions 
dn ënfiifnt, oui , Un eiîAtfit de iSaiiit^JtiiBn-^P!îé-^de<>Port , égale^f 
ihent ârifné pat; la tiation , le jeune Harispe, qui pour sauver 
«on frère s'avance sur un grenadier espagnol , le pistolet à la 
main , et le fait prisonnier. 

» Elle bott^ffe la fidélité à* la patrie. Ainsi nous i^ppelle* 
rOns ce liéuténaint colonel de busifeirds qui, prisonnier, et 
ajhtït ia cuiîsée cassée , ^iine mieux souffrir que de voir la 
inàin iin^uye d'ùîi éfiiigré bûïtder ses plaies. 

» Elle boûbr^ ib *ùieiiltsse. hés Assemblées kkaiionales 
se sont levées à I%spcët du viéilkfâ d>u Jnta , d«i véeéraas 
iâvalfdés , et d'une négresse octogénaire ; elles auront la glotre 
d'avoir i^sihcïté dans ^os moe^urs une vertu patnttrcbale , et 
si célëbi^ dans la haute antiquité. 

» Enfib elle honore le malheur. Ndus avons Vu autrefois , 
les courtisans et les sangsues du peuple parler d'humanité , et 



(62) 

nous ayons vu nos soldats exercer l'humanité*, partager leur 
pain avec les malheureux montagnards des Alpes-; nou# les 
avons vus sur le champ de bataille prodiguer. lesl soins les 
plus tendres aux ennemis blessés. 

» Parmi nos braves marins ou rcconnaitfa les dignes, suc- 
cesseurs des Jean-Bart , des Cassard et. des Thurot : on, y 
verra combien ils sont vils les satellites de la tyrannie !>com* 
bien ils sont grands les défenseurs de la liberté ! 

» Les enfans n'y seront point omis ; nous en avons déjà cité 
plusieurs , et .nous y placerons hoûorablçmeat ce tambour , 
âgé de treize ans, à qui on coupe une. main , et qui de Uaéutre 
Continue à baltre le rappel. 

» Tel n'a pu verser son sang pour la patrie ; mais il a donné 
, ses soins , son temps , sa fortune. 

» EVvous, géuéreus^es citoyennes, dont plusieurs ont par- 
tagé le sort des combats ou préparé les habillemens de nos guer- 
riers ! vous , pauvres artisans , qui dans le trésor de l'Eta,tavei 
porté le denier de la veuve , le prix de vos sueurs , tandis que 
rimpudent égoïste vous ohtrageait , vous serez vengés , et nous 
anticiperons les témoignages de la postérité à votre égard! 

» Dans le récit d'une action générense il nous sera doulou- 
reux d'ignorer plusieurs noms que nous voudrions arracher à 
Toubll et faire, retentir dans les siècles à venir. 
^ » Il est des événemens dont là gloire se répartit sur une 
masse de citoyens ; tels que la prise de, la Bastille , le siège de 
Thionville , et surtout celui des immortels Lillois. Quand la 
postérfté lira que chez eux on se disputait le plaisir d'arracher 
la mèche, enflammée des. bombes ; qu'un perruquier courut 
ramasser un éclat de bombe qui servit à l'instant de- plat à 
barbe pour raser quatorze citoyens , riant au milieu du danger; 
qu'un boulet , lancé dans le lieu des séances de Uadministra- 
tion du département , y fut déclaré en permanence , l'an- 
tique mythologie lui paiâitra rapprochée de l'histoire. 
. » La masse des vrais citoyens a multiplié ses sacriirces pour 
conquérir et n^ainteiarla liberté ; il faut dctac que la.nxarche 
et le développement graduel dei'esprit public soient retracés de 
manière à faire connaître à ceux qui nOu^ succéderont dans Ma 
carrière de k vie ce que furent les Français dans 4es diverse* 



V 

(63) 

^poqaes de lenr révolation , et ce 'qu'il lear en a coûté ponr 
liguer le bonhear aux générations futures. 
' » Dans cette galerie cle portraits la patrie en deuil contem- 
plera les législa.tears assassinés pour avoir voté la mort du ty- 
ran „ et ce récit gravera. d^ns les cœurs. en traits ineffaçables les 
dogmes politiques qui établissent la haine deja royauté et du 
fédéralisme. 

». La voix de la France entière sollicite ou plut&t exige im- 
périeusement la réforme de l'éducation, qui seule peut remédier 
aux altérations de la morale publique , mais dont les formes 
actuelles, très vicieuses, laissent flotter l'opinion lorsqu'elles ne 
régarent pas. Un des moyens les plus efficaces pour l'épurer et 
la fixer c'est la connaissance des faits héroïques de la révolu- 
tion ; elle doit être classique. Des sentences abstraites n'efHen- 
rent pas même le cœur desenfans ; elles leur paraîtront toujours 
fastidieuses. Un d'entre eux, définissait la morale en disant : 
c*€st ce qui ennuie. C'est là une grande leçon pour les institu- 
teurs. Voyez avec quelle avidité Ten faut écoute une anecdote y 
avec quel dégoût il entend un ^raisonnement ! Prêtez donc à 
l'austère raison le coloris du sentiment ; mettez la vertu en 
action', et , l'imagination de l'élève imprimant pour la vie 
l'histoire dans son âme , il en pompera la morale. Le récit des 
belles actions rend leurs auteurs présens à tous les lieux ; ^n se 
les rappelant , .comme en quittant un homme de bien , dn se 
sent meilleur. ^ 

» Quand , sur les rives de l'Amérique , le docteur Waren 
tomba sous le fer des Anglais , sa chemise sanglante fut portée 
dans un temple. Là l'orateur exprima les regrets de la patrie , 
et dit à ses auditeurs : Lorsque la liberté séria en péril 
appelez vos fils ; montrez'^leur un lambeau de la chemise 
ensanglantée de FFaren^ et donnez^ leur des armes; et 
l'assemblée jura de vaincre , ou de s'enterrer sous les débris 
iiimans de la patrie , et les enfans répétèrent avec enthousiasme 
le serment de leurs pères. 

« C'est ainsi que , traçant à leurs élèves, la route de la vertu, 
les inàituteurs nationaux mériteront la confiance de la Répu- 
blique. 

>» Avec quelle joie, entourés de leurs enfans, les chefs de 



; 



(«<) 

fimîll* Itur raooBteront les érinenuM 4ost ib aâroat ëfté 
let contemporaim, ki WmMH^ f uitovt lorsqtt*einL*iiiAmet. 
tvroiit giorieoMoievt figure tor k scène ! F'ois , dira le père 
à sott fiky eoiNiiienr f^^f^é m»n. iribut à la pa&iel et 
hts^u'entré dans ta tombe f aurai pagre tribut à la nature , 
en te rappelant ce qnejejfus, pense à ce tfue tu dois être» 
Elle est rigoureusement vraie dans une République celte 
maxime que chacun eit fils de ses œuvres : ainsi l'estime 
que fai acquise est mon patrimoine ; mais elle ne sera 
pas ton héritage si tu ne marches pas sur les traces de ton 
père ; 'son exemple sera pour toi un reproche accablant, et 
la comparaison j en donnat^t du reUtfà ses vertus^ mon,'-' 
trera d'une manière plus saillante ta fiétrissure, 

» La Convention nationale s'est empressée de consigner dans 
ses procès-verbaux ks faits parvenus À sa connaissance, et là 
nous ferons tuie moisson abondante; mais beaucoup s«is 
dente ont échaqppé a la puMidté i .nous devons suivre une 
ttiardhe sàre et réscnliève pour ks recueillir et ks constater. Il 
nous sera Atoîk sk rassembler les maténaux destina â fonner 
ks Annotes du, ^insme^ puisque la Convention nationakan^ 
torise son comiW d'instoiiclien publique à correspondse ponr 
cet olsjet avec les aif tontes ceiisiituées , ks bataillons , les se- 
ciélës popnbîrcst /et gëneraktiient avec ks citoyens ; indubi-* 
tabkment tous se feront un devoir de transmettre , en k cnr^ 
tifiatit^ k «réoit ^s actes oîvîqnes qui auront en lieu dans kur- 
avrondiasenflent , et l'en^rnssement avec lequel vous «dressée 
à k France, à k postérité les« faits hér^nques en produira de 
nonveauK. Les sociétés populaire^, dont k faaine des perveta 
atteste l'utilité constante , et sans k vigilance desquelks k . 
fanatisme et l'aristocratie auraient dévoré la République ; ks 
anxiétés populsûrts se montreront aussi ^clives pour préconiser 
k vertu que ponr démasquer ks trahisons; elles dénrfieroi\^ 
les secrets de la modestie ; ks actions que Ton vante subiront 
dans kuT sein une discussion ëpuralotfe, et leurs suffrages 
TChnisseront l*éckt de celles^i auront subi cette épreuve. An 

Srplus il ne suffit pas de décerner des éloges à k vertu ; il 
m qu'elk paraisse plus ainudUe 9 et le vice pks hideux/ par 



1 



(65) 

le contraste des immoralités , qui n'ont d'autre tribunal que 
celui de l'opinion publique. 

» Le récit des actionfs magnanimes doit les présenter dans 
tonte leur simplicité , d'une manière historique , et non ora- 
toire ; chaque trait doit conserver sa physionomie propre ; le 
lu'xe des mots et la réflexion tueraient le sentiment, car le su- 
bltine est dans les choses , et n'a pas besoin Âe parure. Cepen- 
dant n'oublions pas cette réflexion d'un poète : 

L^ennui naquit un jour de Funiformité. 

» Une longue suite de faits isolés ou de maximes détachées 
n'eut )amais grand succès , et personne peut-être n'a lu d'une 
manière continue Epictète et Marc-Aurèle , Yalère-Maxime 
ou tout autre répertoire d'anecdoctes. La Convention entend 
sans doute que pour jeter de l'intérêt dans l'ouvrage on puisse 
varier les formes et grouper les faits de manière que le cœur 
soit toujours satisfait , et que la curiosité ne soit jamais 
rassasiée. ' 

» Un discours préliminaire tracerait à grands traits les 
événemens qui ont préparé la révolution ; le moment de sa 
naissance serait ensuite la véritable époque de laquelle nous 
daterions. Tous les mpis votre comité pourrait vous présenter 
un travail soigné sur cet objet ; la Convention nationale con- 
sacrerait une heure dans une séance du soir pour en entendre 
la lecture , car l'ouvrage doit être revêtu de son approbation- 
L'impression donnerait ensuite à ce recueil la plus grande 
publicité , et le but moral serait atteint. 

» Evoquons les ombres de ceux qui ont péri pour la patrie ; 
formons -en la première colonne de ces hommes illustres qui 
s'avancent vers l'immortalité. 

» Vous qui vivez encore , et dont on peut citer des actions 
généreuses, souvenes-vous que la défianee sans exagération 
est une vertu des peuples libres'. Le Français , toujours trop 
confiant , s'est vu contraint de dévouer à l'horreur des siècles 
des hypocrites qui avaient usurpé son amour ; il- ne veut plus 
d'idoles. Pour conserver sa liberté un peuple doit louer rare- 
ment, et n'admirer jamais. Ainsi, en inscrivant dans les 
fastes du patriotisme le non^d'un vivant, l'éponge sera placée 



A 



(66) 

àcôté du pinceau; dous dirons : Fçitâ ce qu'il est aujourd'hui; 
nous verrons ce qu'il sera demain. 

Il Citoyens , il est inouï dans Thistoire qu'un grand peuple , 
combattant par des efforts soutenus pour sa liberté, ait jamais 
succombé ; et quel peuple sublime que celui qui couvre le sol 
de la France ! Mais rappelons-nous sans cesse que Tigùorance 
et le vice sont les créateurs , les appuis de la tyrannie. Qu'on 
ne nous jdise pas' qu'il est des circonstances ou l'on doit voiler 
les statues de la justice et de la morale! Tout doit leur être su- 
bordonné ; le patriotisme sans probité est une chimère , et la li- 
berté ne serait qu'un frêle édifice si elle n'était fondée sur les 
lumières et la vertu. » 

La Convention applaudit au rapport du comité, et lui aban- 
donne le soin de rédiger selon ses vues les Annales du Civisme. 

Revenons au tableau de nos discordes civiles. ( J^oyez les 
précédens rapports sur la situation de la République , et 
principalement , dans le tome YIII , l'origine de la guerre 
de la Vendée. ) 

Rapport sur la Vendée , fait au nom du comité de salut 
public, par Barrëre. (Séance du i^'l octobre 1795.^ 

M Citoyens , l'inexplicable Vendée existe encore ! et les efforts 
des républicains ont été jusqu'à présent impuissans contre les 
brigandages et les complots des royalistes qu'elle recelé. 

» La Vendée , ce crençet où s'épure la population nationale, 
devrait être anéantie depuis longtemps, et elle menace encore 
de devenir un volcan dangereux ! Vingt fois, depuis l'existence 
de ce noyau de contre-révolution , les représentans , les géné- 
raux , et le comité lui-même , d'après les nouvelles officielles 
qu'il rçcevait, vous ont annoncé la destruction prochaine de 
ces fanatiqi^ies : de petits succès de la part de nos gi^néraux 
étaient suivis de grandes défaites ; trois fois victorieux dans de 
petits postes , chacun d'eux a été vaincu dans un,e|brte attaque . 

M Les brigands de la Vendée n'avaient ni poudres , ni canons, 
ni armes : d'un^ coté l'Anglais par ses communications mari- 
times , de l'autre. nos troupes, tantôt par leurs défaites, tantôt 
par leu][ fuite, tantôt par des événemens qui ressemblent à d^ 



I 

\ 

[ 



(67 ) 

intelligences concertées entre quelques uns de nos soldats, 
quelques charretiers d'artillerie et les vendéistes , leur ont 
fourni de Tartillene, des munitions et des fusils. 

M L'année que le fanatisme a nommée catholique royale 
parait un jour n'être que peu considérable; elle parait formi* 
dable le lendemain : est-elle battue , elle devient comme 
invisible ; a-t-elte ' des succès , elle est énorme. La terreur 
panique et la trop grande confiance ont tour à tour dénombré 
avec une égale exagération nos ennemis. C'est une sorte de 
prodige pour des ijnbéciles ou des lâches. C'est un rassemble** 
ment %res fort , mais non pas invincible pour des militaires * 
c*est une chasse de brigands , et non une guerre civile pour de 
administrateurs politiques. 

» Cette année catholique royale , qu'on a portée longtemps 
à quinze, à vingt-cinq, à trente mille , est aujourd'hui , sur le 
rapport des représeàtans du peuple près les câtes de Brest , 
d'environ cent mille brigands : on croyait qu'il n'existait qu'une 
armée, qu'un rassemblement; aujourd'hui l'on compte troH 
armées, trois rassemblemens. Les brigands, depuis l'âge di 
dix ans jusqu'à soixante-six , sont en réquisition par la procla« 
ination des chefs ; les femmes sont en vedette ; la populatiov 
entière du pays Yévolté est en rébellion et en armées : nou^ 
aurions une juste idée de la consistance de cette armée d* 
révoltés en énumérant les diiSTérens districts qu'elle occupe , i 
quelques réfugiés près. 

» On croyait pouvoir les détruire le 1 5 septembre : le tôcsii 

avait réuni vers le même but un nombre, étonnant de citoyen 

de tout âge ; le pays s'était mis tout entier en réquisition avef 

ses piques , ses faux , ses înstrumcns mêmes de labourage , e^ 

avec des subsistances pour quelques jours seulement. De9 

contingens prodigieux par leur nombre autant que par la dif^ 

ficulté de les nourrir, de les armer, de les approvisionner, de> 

contingens nombreux , levés presque h la fois depuis Angers 

jusqu'à Tours, et depuis Poitiers jusqu'à IN'an tes , semblaient 

annoncer que la justice nationale allait enfin effacer le nom de 

la Vendée du tableau des départemens de la République. Les 

contingens bivouaquaient ; les uns gardaient le côté* droit de la 

Lioire , les autres devaient appuyer et renforcer les çolçAuès de 

nos troupes, 



(C8 ) 

M Jamais iJepuis la folie des croisaJeson n'avait vu 8e réunir 
^pontaiiément autant d'hommes qu'il y en eut tout à coup sous 
les drapeaux dç la liberté pour éteindre à la fois le trop long^ 
incendie de la Vendée. 

» Maïs, soit par défaut de principes et d'ensemble dans 
Texécution des mesures et du plan de campagne, soit par 
toute autre cause que nous rechercherons plus sévëremen.t 
quand nous pourrons rapprocher tous les faits , jusqu'à présent 
obscurs., compliqués, désavoués ou contradictoires, la vérité 
est que les citoyens des contingens ont été ralentis , découragées 
par le non emploi-; que les contingens se sont fortement nui 
eux-mêmes par leur masse, se sont nui par le manque de 
subsistances ou par leur mauvaise et inégale distribution. 

•w On n'^ pas su , on n'a pas pu en tirer le parti convenable 
pour frapper un grand coup , et faire une guerre d'irruption 
au lie« d'une attaque de tactique. 

'» ha. terreur panique , qui a toujours perdu et vaincu sans 
retour les grandes znasses, la terreur panique a tout frappé, 
tout eflrayé , tout dissipé comme une vapeur ; la journée du 
]8 a été désastreuse^ . / 

» Un plan de campagne avait été conçu et longtemps dis-> 
cuté, et le partage d'opinions survenu dans le conseil de guerre 
au commencement de septembre avait été vidé par l'approba- 
tion du comité, qui avait pensé, après une longue discus- 
sion , que le principal moyen était de garantir les bords de la 
mer et d'-empécher toute communication des rebelles avec les 
Anglais* 

» Le c(»nité était fondé dans cette opinion principale sur ce 
qu'il &llaît garantir d'abord Nantes des brigands , qui s'y por- 
taient sans cesse ; ensuite la ville de Nantçs contre Nantes elle- 
même , c'est à dire contre l'avarice de quelques commerçans y 
l'aristocratie de quelques autres , et la rnalveillance de quelques 
fonctionnaires publics : le comité avait appris par le repré- 
sentant du peuple Goupilleau que le i5 août, pendant toute 
la nuit et les^ trois journées suivantes , une partie de l'armée 
de la République avait entendu les signaux en mer, les coups 
de canon répétés à onze heures , li une heure et à trois feeures, 
et de m£me pendant la nuit. 

• Le comité avait appris depuis cette époque que les repré— 



(69) 
scntans Au peuple à Nantes avaient les preuves de la conimunî<^ 
cation des rebelles avec les Anglais , et que plusieurs fois lés 
fanatiques de la Vendée s'étaient plaints au commencement du 
mois d'août de ce que les Anglais ne leur envoyaient pas les six. 
mille hommes qu'ils leur avaient promis* 

> Il résulte d'un rapport communiqué par lë ministre de Ik- 
manne, et fait par un chirurgien nommé Jean-Baptiste Sanat,. 
venant d'Angleterre , oii il a été amené prisonnier en-refenant 
de Cayenne sur le navire le Curieux deRocheforf , il- en résulte 
qu'on connaît à Portsmouth dans l'intervalle de vingt-quatre- 
heures tout ce qui se passe à Nantes et dans la Vendée , et qu'on 
recevait des nouvelles et de l'argent pour les émigré» par Ih- 
moyen de bateaux pécheurs. français qui vont débarquer' âtr 
Jersey et au Grenesey. 

» Le comité était appuyé sur la considération majêure-des 
manoeuvres pratiquées dans le port de Brest ^ et de l'esprit de 
fédéralisme répandu dans les départemens de la ci-dèvant 
Bretagne. Il a donc fallu porter toute son attention vers Nantes ;. 
il a fallu renforcer cette portion de l'armée- des^^ côtes de Brest, 
qui devait garantir la partie si intéressante de FOaest^ et chasser* 
avec une armée agissante les brigands qui attaquaient san^ 
cesse la ville de Nantes^ 

» Quarante mille citoyens ont fui devant cinq mille^rigands, 
et la Vendée s'est grossie de cet incroyable succès. La mort de 
plusieurs pères de famille a jeté la stupeur dans les contiu- 
gens, et legénéral Rossignol écrivait le 22 septembre au général 
Caudaux : « Les contingens n'existent plus ^ on n'a pas su en 
» tirer parti; ils sont plus nuisibles qu'utiles dans le moment. 
^ Qi se tient sur la défensive à Saumur et au pont de Gé. On. 
» ne peut faire aucun mouvement. » 

>» Quant au coté d'Ancenis y le tocsin aurait appelé des 
auxiliaires de la Vendée, et non pas des défenseurs de la liberté : 
ïe représentant Meaulle s'est vu forcéd'y contenir les amis secrets 
des rebelles vendéistes ,, et de faire brûler publiquement des 
drapeaux blancs*. 

M C'est d'après ces notions essentielles et ces motifi puissans 
que l'on a vu l'armée sortant de Mayence se porter vers Nantes 
pour attaquer vivement, quoiqu'un peu plus tard, les rebelles- 
de Mortagne et de Chollet. Les troupes de cette garnison ont été ^ 



( 7») 
puisqu'il faut le dire , la pomme de discorde des deux 'divisions 
militaires des côtes de Brest et des côtes de la Rochelle : chaque 
geuéral voulait commander à ces troupes disciplinées sortant de 
Majence ;. chacun pensait être victorieux avec ces seize mille 
hommes joints aux forces qu'il commandait auparavant; on 
se divisait sur ce point , et la République seule en a souffert. 

» Au moment oii le conseil de guerre tenu k Saumur , le 
2 septembre, sur les moyens d'employer la force venue de 
Ma yence , tous les représentans reconnurent que les rebelles 
étaieîlt aux portes de Nantes, et quelà étaient les grands dangers 
si les rebelles avaient pu prendre les Sables et s'approcher des 
départemens maritimes voisins , dont l'esprit n'est pas bon pour 
la République. 

» Après être partis de Saumur , les représentans arrivent au 
moment oii les rebelles attaquaient Nantes, pour la quatrième 
fois depuis la ûu d'août : ils avaient été repoussés déjà avant 
l'arrivée des forces de Mayence. 

» Les dispositions étaient faites : la division commandée par 
Beysser , du qôté de Machecoul et de Montaigu , vers la rive 
gauche de la Loire, après avoir balayé la partie qui lui était 
désignée , devait se réunir aux troupes venues de Mayence dans 
le bourg de Torfou. Les chemins mauvais, les abattis et peut- 
être des trahisons ont empêché l'exécution de cette mesure. 

» D'ailleurs, comine la vérité est le premier tribut que le 
comité doit à la confiance dont la Convention l'a investi , il 
faut dire qu'une partie de nos troupes n'a pas conservé dans sa 
marche les mœurs que doivent avoir les armées de la République : 
on a pillé à Torfou en reconnaissant ce poste , et pendant le 
pillage les soldats ont été cernés et très fortement maltraités 
par les brigands. 

» Le bataillon de la Nièvre , qui était à son poste , et qui 
gardait les canons , a été investi par les brigands : il a été 
étonné du nombre et de l'impétuosité des assaillans ; il a plié, 
et les canons ont été pris. Vous avez déjà appris les détails de 
cette "journée , dont le revers a été réparé dans la' même journée 
par les mêmes troupes en avant de Clisson , lorsque le^ corps 
d'armée a repoussé l'ennemi. 

» Ici se présente la journée des rebelles , celle dont les succët 



(7' ) 
OQt elonné un instant nos^ troupes: c'est la journée Au. i« 
septembre dont je veux parler. 

M Ce joar-lâ les troupes de Majenée se battaient à Torfou 
avec grand échec. 

» Ce joar-*là les tronpes de Mayence se battaient àPuloi , aux 
^portes de Nantes, avec grand succès; " 

» Ce même jour les troupes aux ordres de Rossignol étaient 
repoussées de Viliier par les brigands , et quoique la division de 
Santerre fôt forte de nombreuses réqiuisitions , elle était entiè- 
rement battue à Coron, oiielle a perdu son artillerie; des pères 
de famille ont demeuré sur le champ de bataille, et la terreur a 
frappé les contin]gens. 

» Que produisit cette triste journée , butre les malheurs 
qu'elle éclaira ? Elle produisit des plaintes, des soupçons entre 
les chefs. Us écrivaient de Saumur pour se plaindre de ce que 
les brigands étaient renvoyés vers cette partie , tandis que les 
troupes de Mayence étaient occupées à se battre aussi, ainsi que 
la division de Beysser^; contre d'autres rassemblemens de bri- 
gands, à la fois à Torfou , à Mortagne et à Montàigu. !La défaite 
de Saumur n'a pas été un contre-coup , mais une dérdnte. 

» C'est à M ontaigu que Beysser était battu , et qu^il lui deve- 
nait impossible dé faire sa jonction avec les troupes de Mayence 
àBoussay, oiiil était attendu. La déroute de Beysser avait 
aussi des suites fâcheuses , car elle a produit l'échec de la divi- 
sion de Mikousky , qui était au moment d'opérer sa jonction k 
Saint-Fulgent avec la colonne commandée par Beysser. 

» Les plaintes du c6té de Saumur ont dû cesser alors que les 
représentans du peuple écrivent de Clisson , le 22 septembre , 
qu'il existe une armée plus nombreuse qu'on ne l'avait pensé, une 
armée de cent raille brigands, dont cinquante mille bien armés. 

r> Le 24 les représentans du peuple à Saumur leur répondent 
que les divisions d'Angers et de Saumur ne peuvent que se te- 
nir sur la défensive ; alors les représentans du peuple près les 
troupes de Mayence se sont occupés de rétablir les communica- 
tions avec Nantes. Ainsi tout n'a pas été en pure perte pour la 
République : les troupes de Mayence ont préservé Nantes contre 
les brigands, Nantes contre Nantes; elles ont préservé sur« 
tout les départemens de la ci-âevaiit Bretagne. 



(7* ) 

» Tels sont les résultats sommaires de la correspondance 
reçoe par le comité sur les événemens militaires de toutes ces 
jourbées ; tels sont les résultats que le comité a obtenus des 
conférences qu'il a eues samedi avec le général Ronsin , et di- 
manche ayec JÉlewbel etTureau, représentans du peuple, arrivés 
de la Vendée dans la nuit. 

» Le tableau des malheurs de la patrie , qui réjouit Taristo- 
crate , qui contente le modéré , n'est qu'une leçon pour l'admi-. 
nistrateur public , et un motif de courage pour le républicain. 

w Pour prendre dans l'aflEGiire de la Vendée l'attitude qui 
convient à la Convention nationale y elle doit d'abord jeter un 
coup d'oeil rapide sur les progrès, et ensuite sur le dernier état. 

» Voici un aperçvi rapide. 

» Conspiration commencée par Larouarie (i), et qui se 
rattache à des complots plus profonds , et que le temps ne 
couvrira pas toujours de ses ombres ; conspiration mal déjouée, 
mal suivie par le conseil exécutif d'alors. Il fallait biâ'er la 
première ville , le premier bourg , le premier village qui avait 
fomenté la révolte: une\ ville en cendres vaut mieux qu'une 
Vendée qui absorbe les armées, les cultivateurs, la fortune 
publique, et qui détruit plusieurs départemens à la fois. 

» La Vendée a £ait des progrès par les conspirateurs qui 
l'ont commencée , par les nobles qui les ont aidés , par les 
prêtres réfractaires qui s'y sont mêlés , par le fanatisme des 
campagnes , la tiédeur des administrations , la ti'ahison des 
administrateurs ; par les étrangers qui y ont porté de l'or , 
des poudres , des armes et des scélérats ; par les émigrés qu'on 
y a vomis, par les parens de Pitt et de Greenville , qui en cal- 
culaient , qui en achetaient les progrès effrayans. 

» La Vendée a fait d'autres progrès par l'insuffisance des 
troupes envoyées ; par le choix des généraux, traîtres ou igno- 
rans; parla lâcheté de quelques bataillons composés d'étrangers, 
de Napolitains , d'Allemands et de Génois ramassés dans les 
rues de Paris par l'aristocratie, qui nous a.fait ce présent avec 



(i) Larouarie , gentilhomme breton , d'un esprit remuant ot de mœurs 
dissolues , à qui Ton attribue le premier plan de la guerre de la Vendée 
arrêté à CoblenU. Il mourut à la fin de 1792. 



(73) 
quelques assignats : il y avait même dans les bataillons des 
émigrés que le glaive de la loi a punis à Tours* 

M La Vendée a fait de nouveaux progrès par l'envoi trop 
fréquent et trop nombreux de commissaires de la Convention, 
par Tarniée trop nombreuse de commissaires du conseil exécutif. 

» La Vendée a fait de nouveaux progrès par l'insatiable 
avarice des administrations de nos armées , qui agiotent la 
guerre,, qui' spéculent sur les batailles perdues, qui établis» 
sent leurs profits sur les malheurs de la patrie , qui grossissent 
leurs trésors de la durée de la guerre, qui contrarient les 
dispositions militaires pour en prolonger les bénéfices , et qui 
s'enrichissent sur des tas de morts. 

» La Vendée a fait de nouveaux progrès par l'intelligence qui 
doit exister entre nos ennemis , entre nos départemens rebelles, 
entre les Anglais , entre l'aristocratie et les complots obscurs 
de Paris , et ceux qui agissent dans nos armées. . 

» La Vendée a fait les derniers progrès par la marche 
inégale de vos armées combinées , par l'esprit stationnaire de 
l'armée de Saumur , quand celle de Nantes avait une activité 
victorieuse , par la non organisation de l'armée de Niort et 
l'inactivité que lui avait conunnniquée son premier général. 

» Gomment nos ennemis n'auraient-ils pas porté tous leurs 
efforts sur la Vendée ? C'est le cœur de la République , c'est 
là que s'est réfugié le fanatisme , et que les prêtres ont élevé 
ses autels ; c'est là que les émigrés , les c<vdons rouges , les 
cordons bleus et les croix de Saint-Louis , de concert avec les 
puissantes coalisées , ont rassemblé les débris d'un troue cons- 
pirateur ; c'est à la Vendée que correspondent les aristocrates, 
les fédéralistes , les départementaires, les sectionnaires ; c'est 
à la Vendée que se reportent les vœux coupables de Marseille , 
la vénalité honteuse de Toulon , les cris rebelles des Lyonnais, 
les mouvemens de l'Ardèche , les troubles de la Lozère , les 
conspirations de l'Eure et du Calvados , les espérances de la Sar- 
the et de la Mayenne , le mauvais esprit d'Angers , et les sourdes 
agitations de quelques départemens de l'ancienne Bretagne. 

» C'est donc à la Vendée que nos ennemis devaient porter 
leurs coups ; c'est donc à la Vendée que vous devez porter 
toute votre attenGon , toutes vos sollicitudes ; c'est à la Veiidée 



( 74 ) 
que vous devez déployer' toute rimpétuosité nationale, et 
réunir tout ce que la République a de puissance et de 

ressources. 

» Détruisez la Vendée ; Valenciennes et Condé ne seront 
plus au pouvoir de l'Autrichien. 

>► Détruise* la Vendée ; TAnglais ne s'occupera plus de 
Dunkerque. 

» Détruisez la Vendée ; le Rhin sera délivré des Prussiens. 

» Détruisez la Vendée ^ et l'Espagne 'se verra harcelée, con- 
quise par les méridionaux, joints aux soldats victorieux de 
Mortagne et de Gholet. 

» Détruisez la Vendée, «t une partie de cette armée de 
l'intérieur va renforcer celte courageuse armée du Nord , si 
souvent trahie , si souvent désorganisée. 

» Détruisez la Vendée ; Lyon ne résistera plus , Toulon 
insurgera contre les Espagnols et les Anglais , et l'esprit de 
Marseille se relèvera à la hauteur de la révolution républicaine. 

» Enfin , chaque coup que vous porterez à la Vendée retentira 
dans les villes rebelles, dans les départemens fédéralistes, dans 
les frontières envahies. La Vendée, et encore la Vendée I 
voilà le chancre politique qui dévore le cœur de la République 
française; c'est là qu'il faut frapper! 

>» C'est là qu'il faut frajpperd'iciauao octobre, avant l'hiver, 
avant l'impraticabilité des routes, avant que les brigands trou- ' 
vent l'impunité dans le cKmat et dans la saison. 

» D'un coup d'œil vaste , rapide , le comité a vu dans ce 
peu de paroles tous les vices de la Vendée : 

» Trop de représentans ; 

» Trop de généraux ; 

» Trop de division morale ; 

.» Trop de divisions militaires ; 

« Trop d'indiscipline dans les succès ; 

» Trop de faux rapports dans le récit des événemens ; 

» Trop d'avidité , trop d'amour de l'argent et de la durée 
de la guerre dans une grande partie des chefs et des adminis- 
trateurs. 

» Voilà les maux. Voici les remèdes. 

» Première mesure. A trop de représentans substituer un 



(75 ) 
])eUt nombre , en exécutant rigoareasement le décret poli* 
tique, et salutaire qui défend d'envojer des représentans daus 
leur propre pays, dans leur département. 

» Renouveler ainsi l'esprit de la représentation nationala 
près les armées , c'est l'empêcher de s'altérer, et de perdre 
cette énergie , cette dignité répuBIicaine qui fait sa force ; c'est 
rompre des habitudes toujours funestes, c'est éloigner des mena- 
gemens personnels , presque inséparables desaflfections locales. 

» Ainsi quatre représentans, suffiront dans l'armée agissante 
contre la Vendée pour embrasser toute la surveillance des opè- 
rations. Il n'y a rien d'injurieux , rien de douteux dans cette 
nouvelle nomination de représentans : le comité connaît trop 
les travaux immenses qu'ont faits à Nantes, àSaumur, à Tours 
et à Angers le^ représentans qui y sont dans ce moment pour 
établir ce genre d'ingratitude à la place des marques^de satis* 
factimi qu'ils méritent ; mais les nouvelles combinaisons prises 
par le conseil exécutif provisoire et par le comité pour une 
armée unique contre la Vendée n'exigeront plus que quatre 
représentans. 

» Seconde mesure. A trop de généraux succédera un seul 
général en chef d'une armée unique : c'est là le moyen de 
donner de l'ensemble aux divisions militaires , de l'unité aux 
moyens d'exécution de l'armée , de l'intensité an commande- 
ment , et de l'énergie aux troupes. 

» Deiix chefs marchaient contre la Vendée ; deux chefs 
appartenaient aux deux armées des côtes de Brest et de la 
Kochelle : de là point d'ensemble ", point d'identité de vues, 
de pouvoir, d'exécution ; deux esprits dirigeaient deux armées, 
quoique marchant vers le même but , et il ne faut à l'armée 
diargée d'éteindre la Vendée qu'une même vue , qu'un même 
esprit , qu'une même impulsion. Ia force des coups .qui 
doivent être portés aux brigands dépend beaucoup de la simul- 
tanéité , de l'ensemble de ceux qui frappent, et de l'esprit uni- 
forme qui les ment. 

» Les généraux ont plus de passions , et de passions plus 
actives , que les autres hommes' : dans l'ancien comme dans le 
nouveau régime un amour-propre excessif, une ambition 
exclusive de la victoire | un accaparement de succès sont insé- 



(76) 
parables de leur cœur ; chacun , comme Sctpîon rAfricatn , 
voudrait être Scipion le Yendéiste ; chacun youdraît avoir 
éteint cette guerre civile ; chacun voudrait avoir renverse le 
fanatisme et exterminé les royaligtes. 

» Ambition généreuse sans doute , et digne d'élçge , mais 
c'est lorsqu'elle n'est pas personnelle , mais c'est lorsqu'elle n'est 
pas exclusive , mais c'est lorsqu'elle ne tourue pas à la perte de 
la République. Soyez fiers de V9S succès , généraux de la Répu- 
blique ! mais ne soyes ni jaloux ni ambitieux personnellement. 

*» Soyez jaloux de servir mieux qu'un autre la Répidl>1ique ; 
soyez ambitieux de la sauver ; soyez ambitieux de la gloire 
générale et de la renommée de la patrie : il n'est que cette 
passion qui puisse vous sauver ou vous rendre célèbres. 

» Il est des hommes cependant qui font de l'art affireux de 
la guerre un vil métier, une spéculation mercantile ^ et qui ont 

osé dire : iljaut que celte guerre dure encore deux ans 

Citoyens , serait-ce donc un patrimoine que le droit de faire 
égorger ses semblables ? Serait-ce une spéculation vénale qua 
celle de conduire ses concitoyens a l'honneur de la victoire ? 
Serait-ce à la merci des généraux et des administrateurs mili- 
taires que nous pourrions livrer ainsi le sort delà République^ 
la destinée de vingt-sept millions d'hommes, et la dépense de la 
fortune nationale ? 

» Pardonnez cette légère digression ; elle a été conmiandée 
par le sujet. La jalousie des généraux a fait plus de mal encore 
à la France que les trahisons. • 

» Désormais un seul général en chef commandera l'armée ac- 
tive contre la Vendée. Pour y parvenir il a fallu faire un nouvel 
arrondissement pour cette armée : l'armée de Niort , celle de 
Saumur, celle de Nantes ne formeront plus désormais qu'une 
seule armée ; elle sera augmentée en territoire de tout le dépars 
temeht qui contient Nantes y du département de la Loire-Infé- . 
rieure. Cette armée portera le nom d* armée de V Ouest. 

» Troisième mesure. Il faut trancher ces deux divisions , 
armée des côtes de Brest , armée des cotes de la Rochelle , 
et n'en former qu'une seule pour y adapter un général nou- 
veau. C'est au conseil provisoire à présenter sans délai k votre 
approbation un général en chef reconnu par son audace et son 



( 77 ) 
patriotisme ; cov il ne faut cpe de l'audace contre des brigands , 
des prêtres et des nobles : ils sont lâches comme le crime ; ils 
n'ont de force que celle que donne le fanatisme royaliste et 
religieux. Opposons -leur non le fanatisme de la liberté, le 
fanatisme ne convient qu'à la superstition et au mensonge , 
mais opposons - leur l'énergie des républicains ^ et Tenthoa- 
siasme que la liberté et régalit4 impriment à toutes les âmes 
qui ne sont pas corrompues. 

M Depuis que l'art de la guerre a obtenu une grande per<* 
fection il est de principe qu'il faut, pour avoir des succès, 
faire la guêtre avec de grandes masses ; c'est un art militaire 
qu'on se lève en masse pour la victoire. Dieu^ disait un général 
fameux du nord , Dieu se met toujours du coté des gros 
bataillons, 

» Pourquoi la liberté , qui çst la divinité que nous servons, 
ne suivrait -elle pas cette tactique? Pourquoi nos généraux 
divisent-ils , gaspillent-ils , disséminent-ils sans cesse nos forces, 
au lieu de les réunir et de les employer par grande et imposante 
partie ? L'exemple des succès de la réunion et des forces com- 
binées a été si souvent donné ! Espérons qu'enfin il va être 
suivi dans la Vendée : vous n'avez qu'à l'ordonner. 

» L'indiscipline est le plus grand fléau des armées ; elle 
désorganise la victoire ; elle paralyse les succès ; elle intercepte 
la défense ; elle fournit l'arme la plus favorable aux ennemis : 
aussi n'ont-ils pas oublié de l'employer. 

» Pour mieux s'assurer de l'indiscipline nos ennemis domes- 
tiques inspirent le désir du butin. Le pillage ^ ce nom qui est 
la propriété des brigands et leur signe de ralliement , devait-il 
souiller les pages de l'histoire des premiers défenseurs de la 
République ! Espérpns encore que le nouveau général va faire 
punir , d'après vos décrets , les faits de pillage et d'indiscipline, 
qui détruiraient nos succès ou déshonoreraient les victoires 
s'ils pouvaient être plus longtemps tolérés. 

» Quantaux nouvelles exagérées, aux fausses victoires, aux 
rapports infidèles sur les événemens de la Vendée , le comité a 
> non à se reprocher, mais à gémir sur les fausses relations que 
la correspondance lui a données sur quelques événemens mili- 
taires , «ntr'autres sur les dépêches qui annonçaient du côté de 



( 7») 
Saumur que MorUgne et Cholet étaient pris , que vingt mille 
brigands avaient mordu la poussière , et qu'il n'en restait plus 
que cinq mille. 

» Qu'ils sont imprudens et coupables ceux qui trompent 
' ainsi les législateurs y et qui créent ou trop de terreur par des 
revers légers' , on trop de succès par. des succès mensongers! 
Le comité a les yeux ouverts sur les hommes qui ,>au milieu des 
départemens arrosés par la Loire , écrivent des faussetés de ce 
genre , et il les dénoncera aux tribunaux comme agens indi- 
rects de contre-révolution. Ceux qui trompent sciemment les 
agens de la Convention nationale sur des événemens militaires , 
dans un moment oii toutes les âmes sont ouvertes à toutes les 
impressions , oii l'inquiétude publique est exaspérée , et peut 
avoir des résultats fâcheux , de pareils hommes sont repréhen- 
sibles,et seront désormais punis comme contre • révolution- 
naires. 

» Il ne reste plus qu'un mot à dire sur la Vendée , et ce 
mot est un encouragement national à tous ceux qui dans cette 
campagne chasseront tous les brigands intérieurs ou étrangers, 
car c'est la même famille. 

» Un décret porte « que le traitement des généraux sera 
n gradué sur le nombre des campagnes qu'ils auront faites. » 
Oh ! combien il eût été plus humain , plus philosophique , 
plus révolutionnaire , de décréter un maximum décroissant 
par le nombre des campagnes! Combien cette mesure aurait- 
accéléré le terme de la guerre ! Rarement les généraux la ter- 
minent/: les artistes ne ruinent pas leur art. Ce sont les peu- 
ples , qui paient la guerre de leur or , de leurs travaux , de 
leur sang, qui terminent les guerres ! Ce sont les Républiques, 
qui favorisent la population et l'industrie , et non la guerre , 
qui détruit tout jusqu'aux vertus , jusqu'aux premiers droits 
de la sainte humanité ! 

» Hé bien , c'est nous qui donnerons une plus grande récom- 
pense ^ ceux qui auront le plus abrégé la duréede la guerre ! 
Décrétons que la reconnaissance nationale attend l'époque de 
la campagne pour décerner des honneurs publics et des récom- 
penses aux armées et aux généraux qui auront le pins concouru 
à terminer la guerre. 



(79) 

1», Que les aristocrates, qui se réjouissent impunément de 
lios revers , et quelquefois de la mauvaise exécution des lois 
révolutionnaires , qui ne les atteignent pas autant qu'ils le 
méritent , que les aristocrates et les modérés ne voient pas 
dans cette annonce solennelle le besoin de voir terminer la 
guerre! Ils n'ignorent pas que les émigrés senls ont donné 
pour aliment à la sainte guerre que nous leur faisons six 
milliards de valeur territoriale ou mobilière ; -que les rebelles 
de Lyon , de Toulon , de Marseille , de la Vendée , et les 
conspirateurs de tout genre , viennent grossir de leurs biens 
la fortune publique; ils n'ignorent pas sans doute qu'une 
nation qui remplit ses villes de manufactures d'armes , et qui 
couvre ses frontières de six cent mille jeunes citoy ei>s avec un. 
décret de deux lignes , est une nation qui ne craint ni l'Europe 
ni ses tyrans , et qui doit être victorieuse ! 

» Il faut que le général d'une République voie, après 
l'honneur de la victoire , la patrie lui prodiguant des honneurs 
et des récompenses. Nous faisons des lois pour des hommes , 
et non pour des dieux : n'obéissons pas à leur avarice, mais 
soyons reconnaissans ; ne servons pas à leur vanité , mais 
ouvrons enfin à côté du trésor public le trésor inépuisable qui 
chez les Français contient les germes de toutes les vertus , la 
monnaie de la gloire civique ! 

» Le comité a pris des mesures ces deux jours pour l'étal- 
major de l'armée révolutionnaire de l'Ouest , et pour la marche 
à suivre : l'état-major est épuré de ci-devant nobles , d'étran- 
gers et d'hommes suspects. 

» Ce travail a pour principal objet l'action du gouvernement 
et l'exécution des lois, la concentration du pouvoir national 
dans la Convention , le jeu et la circonscription des autorités 
constituées* 

» Le comité a chargé BilIaud^Yarennes de s'occuper dans 
ce moment d'un travail général sur les représentans du peuple 
près les armées et dans les départemens, qu'il faut réduire , 
rappeler ou changer de lieu. Nous plaçons ici à ce sujet upe 
observation que nos collègues doivent entendre : la mesure du 
rappel des représentans n'est que la cessation ou le renouvelle- 
ment dans les fonctions de représentant telle qu'elle est com-* 



(8o) 

mandée par les décrets ; ainsi nul reproche , nal doute , aucuo 
nuage ne doit tourmenter les représentans rappelés. ' 

<• Ce travail réduira à deux et tout au plus à trois dans 
chaque armée les représentans du peuple ; ce travail aura pour 
objet le retour des autres représentans du peuple dans les dépar* 
temens , et le placement de représentans nécessaires dans les 
places fortes les plus importantes. 

» Ce travail ramènera dans la main de la Convention des 
pouvoirs trop disséminés ; il rétablira dans un seul point l'au- 
torité nationale. 

w C'est à l'entrée de l'hiver, c'est à la fin de la campagne 
que la Convention doit reprendre toute l'activité , toute 
l'énergie et toute la pensée du gouvernement. 

» CoUot-d'Herbois présentera un travail général sur la 
Vendée , son origine , ses progrès et ses trahisons ; il en 
démontrera les causes et les effets ; il en dévoilera les agens et 
les auteurs , et le glaive de la loi pourra frapper enfin - ceux 
qui ont porté le fléau de la guerre au sein même de la Répu- 
blique. 

». Le comité s'est occupé aussi des mesures qui peuvent 
accélérer la destruction de la Vendée , et ces mesures peuvent 
être puissamment secondées par une proclamation simple et 
courte, à la manière des républicains; nous vous la présen- 
terons aujourd'hui. 

» C'est à la Convention à conomander cette fois le seul 
plan de campagne , pelui qui consiste à marcher avec audace 
vers les repaires des brigands de la Vendée. 

M La Convention doit donner à toutes les divisions de l'ar- 
mée révolutionnaire de l'Ouest un rendez-vous général, d'ici 
au 20 octobre, à Mortagne et à ChoUet t les brigands doi- 
vent être vaincus et exterminés sur feur propre foyer ; sem- 
blables à ce géant fabuleux qui n'était invincible que quand 
il touchait la terre , il faut les soulever , les chasser de leur 
propre terrain pour les abattre! 

>» Non , elle ne sera pas sans gloire et sans récompense l'ar- 
mée qui aura terminé l'exécrable guerre de la Vendée! La 
même gloire et les mêmes récompenses attendent les autres 
généraux de la République. 



. ( 8» ) 

» Voici le projet 'de décret et la proclamation. » ( L'un et 
taulre sont immédiatement mis aux voix et adoptés» ) 

« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport 
du comité de sali^t public , décrète : 

» *Art. i*'. Le département de la Loire-Inférieure demeure 
distrait de l'armée des côtes de Brest , et est réuni à celle des 
côtes de la Kocbelle , laquelle perlera désormais le nom d'a/v 
mée dé r Ouest. 

» 2. La Convention nationale approuvé la nomination du 
citoyen Léchçlle , général en chef nommé par le conseil exé- 
cutif pour commander cette armée. 

» 3. La Convention nationale ' compte sur le courage de 
l'armée de l'Ouest et des généraux qui la commandent pour 
terminer d'ici au 20 octobre l'exécrable guerre de la Vendée. 

M La reconnaissance nationale attend Tépoque du premier 
xu>vembre prochain pour décerner des honneurs et des récom- 
penses aux armées et aux généraux qui dans cette campagne 
auront exterminé les brigands de l'intérieur , et chasse -sans 
retour les hordes étrangères des tyrans de l'Europe, m 

LA CONTENTION NATIONALE A L'aRMÉE DE L'oUEST, 

<c Soldats de la liberté , il faut que les brigands de la Ven- 
dée soient exterminés avant la fin du mois d'octobre ! Le salut 
de; la patrie l'exige ; l'impatience du peuple français le coui- 
mande ; son courage doit l'accomplir. La reconnaissance 
nationale attend à cette époque tous ceux dont la yaleur et le 
patriotisme auront affermi sans retour la liberté et la Répu- 
blique. » 

En même temps dou^e autres armées s'organisaient. Le 
zële du peuple , son cour^ige , sa résignation à tous le^ sacri- 
fices confirmaient les décrets de ses représentans ; une par- 
faite unanimité régnait encore dans la Convention nationale, 
depuis peu affranchie de l'opposition qui s'était formée dans 
son sein (i) ; les mesures révolutionnaires , renouvelées, éten- 

(i) Les conclasions du rapport fait par Saint- Just le 8 juillet 1796^ 
( voyez tome XII) ayaient été adoptées le aÇ du même mois. 

Sur un autre rapport fait par Amar, le décret ci-après avait été 
porté le 3 octobre suivant^: 

» Art. P'. La Convention nationale accuse , comme ^tant prévenus 
XHU 6 



( 82 ) . • 

dues , multipliées , commandaient le respect de la Répu- 
blique à ceux qui n'en ressentaient pas l'amour ; enfin cette 
Képubiique était réellement fondée, et, selon l'expression 
de Danton , c'était à coups de cation qu'on la signifiait 
à ses ennemis. 



de conspiration contre l'unité et Pindivisibilité de la République',, 
contre la liberté et la sûreté du peu pie français, les députés dénommés 
ci-après : * 

» Brissot, Vergniaud, Gensonné , Dnperret , Carra, Brûlart ( ci- 
devant marquis de Sil!t>ry ) , Garitat r ci-devant marquis de Condorcct), 
Faucht-t. Doulcet (ci- deyp.nt lâarquis de Pontécouiant), Bojer-Fon- 
frède, Ducos^Gamou, MoUevault, Gardien, Dui'riche-Valazé, Vallée, 
Duprat, Malovielle, Delahaye, Bonnet ( de laHaute-L'.oire), Lacaze, 
IVIazuyer, Sa^ary, Lehanly , Hardy, Boiloau , Rouyer , Antiboul , 
Lasourct' , Lf^slerpt-Beauvais, Isnard , Duch»stel, DuTaI(de la Seiiie- 
Inférieure) Devériié, Moël, Coustard , Andreî , GrangencuTe, Vigée, 
Philippe Egaillé (ci-d(.\ani duc d'Orléans ) , Diilaure. 

» 2. Les di;nommés dans Tarticle ci-dessus seront traduits devant !• 
tribunal révolutionnaire pour y être jugés conformément à la loi. 

» 3. 11 n^est rien changé par les dispositions du présent décret à 
celui du 28 juillet dernier, qui n déclaré tr titres à la ))atrie Buzot , 
Barbaroux, Gor.^^as , Lanjuinais, Salles, J.-B. Louvet, Bergoeing y Pé- 
tion, Guadet , Chassty , Chambon , Lidon , Valadi , Fermond , Krrve- 
legau, Henri-LAriviuie, Rabaut Saini-Ëtienne, Lesage (deTEure), 
Cussy et Mt-illant. » 

L'^article 4 de ce décret ordonnait Tarrestation de soixante-treize 
membres de la Convention signataires d^nnre protestation relative ans 
.journées des 3i mai et 2 juin. Ces députés ont recouvré leur liberté 
apri's le 9 thermidor. 

Quant à ceux dénommés dans les articles i et 3 , vingt- un ont été 
guillotinés à Paris le 10 brumaire ( 3l octobre I793 ) , quelques-uns 
Tont été dans les'départemens, plusieurs sont parvenus à se soustraire 
à toute recherche exercée contre eux, d'*autre8 enfin ont trouvé la 
ynort dans les tourmens de la proscription. 

Un décret du même jour reliouvelait celui du 1*' août, \ç[ui renvoyait 
Marie 'Antoinette devant le tribunal révolutionnaire. £lïe a été coïk- 
damnéç et çikécaté« le 16 octobre 1793. 






^ :> V 






(83) 

ETABLISSEMENT DE L'ÈRE RÉPUBLICAINE, (i) 

Un décret' du ii2 septembre 1792 ordonnait qu'à comp- 
ter de ce joui* tous les actes publics seraient datés de l'an 
premier de la République, ( Voyez tome X. ) Un autre 
décret cfiargeait le comité d^instruction publique de se livrer 
à un travail sur l'ëre nouvelle de la France régénérée. 

Apres une année de méditations , le 20 septembre 179841 
te comité , par l^organe de Ilomme ^ préjsenta son travail^ 
auquel avaient coopéré un grand nombre de savans , princi* 
paiement Lagrange , Monge , Guyton-Morveau , Pingre , 
Dupuis , Féri. L'impression en fut ordonnée, et la discus- 
sion ajournée. Le rapport prononcé par Romme en cette 
circonstance se retrouve entiërement ^ mais rectifié et très 
développé, dans Y instruction du 4 frimaire, décrétée sur 
la proposition du même orateur. ( Voyez plus loin; ) 

La discussion s'ouvrit le 5 octobre. Dans la même séances 
l'Assemblée adopta les bases , la division , l'ensemble de 
ce plan , dont l'article i •' portait : Vère des Français 
compte de lafondation de la République ^ qui a eu lieii 
le 22. septembre 1792 de l'ère vulgaire ; mais «lie rejeta 
la proposition du comité de soumettre les mois et les jours 
à une nouvelle nomenclature (2) , et la dénomination ordi- 
nale fut décrétée. 



(i) Z'ére de la liberté comineDçait au i*' janvier 1789. ( Voyei 

iome Vlll,page 16. ) 

(2) D'après la proposition de Romme le nom de chaque moisauraié 

rappelé une époque de la résolution. Voici ces ùoms s 

Du Si mars au 19 avril. Ré génération. 

Du 20 avril au 19 mai; Réunion. 

Du 20 mai au 18 juin; Jeu de Paume. 

Du 19 juin au 18 juillet. Bastillei 

Du 19 juilU l au 17 août. . Peuple^ 

Du 18 août au 16 septembre. Montagne* 

Du 22 septembre du 21 octobre. Républitiuëi 

Du ai octobre au 20 novembr». /Unité: 



(«4) 

En conséquence , des le lendemain la Convention data 
son procès verbal du quinzième jour du premier mois de 
Van deuxième de la République. 

Cette manière sèche et prolixe d'indiquer nne date fit 
' aussitôt reconnaître que si l'on avait eu • raison de ne pas 
adopter la no^nenclature proposée, on s'était trompé en 
n'admettant que la seule déhominatîoa ordinale pour les 
mois et pour les JQurs ; la question fut renvoyée à un nou- 
vel examen. 

« 

RAPPORT yh// au nom de la commission chargée de la con- 
fection du calendrier y par Fabre d'Ëglantine, dans la 
séance du troisième jour du second mois dç la seconde 
année de la République française, ( a4 octobre i^gB. ) 

« La régénération du peuple français, l'établissement de 
ta République ont entraîné nécessairement la réforme de l'ère 
vulgaire : nous ne pouvions plus compter les années oii les 
rois nous opprimaient Comme un temps oii nous avions vécu ; 
les préjugés du trône et de l'église, les mensonges de l'un et 

t)a 2t novembre au 20 décembre* Fraternité, 

I3u9i décembre au 19 janvier. Liberté, 

Du ao janvier au 18 février. Justicer 

Du 19 février an 20 naam. Égalité, 

Les cioq îoqra épsagomines , correspondant a«oi 17 , 18 , 19 , ao et ii 

septembre , auraient été consacrés à l'adoption^ à l'industrie y atm 

récompenses ^ à la paternité , à la vieillesse. 
Les jours de la décade auraient été désignés ainsi : 

Le l*^ le jour du Nii^eaay SjnBibole de l'égalité. ^ 

Le a» — — du Bonnet.,, de la liberté. 

Le 3* ■■ delaCocarde^ covleurs nationales. 

Le 4** ' de la Pique , arme de Thomme libre. 

Le 5* " delaCharrue, instrument de nos rtchesses terriennes. 

Le fc* ■■ du Compas y instrument de nos richesses indus- 

trielles. 

Le 7° ■ ' du Faisceau, de la force qni nait de PnnioB. 

Le 8* —— — du Canon, Pinstrument de nos victoires. 

Le 9* — -*— du Chêne , Tembléme de la génération et le sym- 

bole des vertus sociales. 

L« lo" I ^11 Repos. 



. ( 85 ) 

de lîautre soaiUaieiit chaque page du cafendriter dout ii6Uf uéxu 
servions^ Vous avez réforme ce calendrier ; vous fui en âtei 
substitué UQ autre , oii le temps est mesuré par des calciïls 
plus exacts et plus symétriques : ce n'est pas àsjsez. Une leoj^e 
habitude du calendrier grégorien a rempli la mémoire du 
^peuple d'un nonxbre considérable d'images qu'il a longteAipi 
révérées, et qui sont encore aujourd'hui la source de ses 
erreurs religieuses ; il est donc nécessaire de substituer à ces 
visions de l'ignorance les réalités de la raison, et. an prestige 
sacerdotal la vérité de la nature. Nous ne coneevons rien que 
par des images ; dans l'aûalise la plus abstraite , dans la com* 
binaison la plus métaphysique notre entendement pe se t^nà 
compte que par des images ; notre mémoire ne s'àppUie et ne 
te repose que sur des images : vous devez donc en appliquer % 
votre nouveau calçndrier si vous voulez que la méthode et Ten-* 
«emble de ce calendrier pénètrent avec facilité dàna Pénténde- 
xnent du peuple , et se gravent avec rapidité dans son souvenir. 
M Ce n'est pas senlement à ce but que tous devez tendre i 
vous ne devez, autant qu'il est en tévt$ , laisser rien pénétrer 
dans Feutendement du peuple, en matière d'institution „ qui- 
ne porte un grand caractère d'ntflité puMiquè. Ce vdus èbh 
être une heureuse occasion à saisir <|ue de ramener par le 
calendrier, livre le *plus usuel de tous, îe peuple français à 
Tagricultute : l'agriculture est l'élémelit politique d'Un peuple 
tel que nous, que la terre , le del et lia, nàlùie regj^i^ëiît'iiec 
tant d'amour et deprédileciiôu. 

» Lorsqu'à chaque in6taut de Tannée , dU'iàbi* ,. ^'^îà dédàdife- 
et du jour, les re^rds et la pensée 3uH:ito3l'èti'8e pertei^toi 
sur une image agricole , sur un bienfait de la nature ,. ëcn^ùlk? 
objet d'économie rurale , vous ne dev«2 pàs^dékiterqiie ce ne- 
«oit poiir ta natiqu un grand achemiileilEiettt 'vers le «ystèèife- 
agricole , et que chaque citoye» lï^e cotoçdité de 'l^ftUnbuF p^wr 
les présem réels et e^Ctifedela aâtui«v^*él sàtitife^-pdSâqtte 
)>eiKlant des siècles le peuple en a conçu pour désél^éts fan- 
tastiques, pour de prétendus saints Igp'il ' ne tio^âit pas , et 
qu'il connaissait etïCore mmns. Jse dis p!às ; lés jprétrès n'é- 
taient parvenus à donner de la consistance è leoTOtdbles-qi^e» 
attribuant à chacune quelque influence dv^te dur le* <^]?^ 



(86J 

qui intéressent réellement le peuple : c'est ainsi que sdint 
Jean était le distributeur des moissons , et saint Marc le pro» 
lecteur de la vigne. 

M Si pour appuyer 1^ nécessité de l'empire des images sur 
rintelligence humaine les argumens m'étaient nécessaires, sans 
entrer dans les analises métaphysiques , la théorie , la doc-; 
trine et l'expérience des prétrcfs me présenteraient des faits 
«uffisans. 

» Par exemple , les prêtres , dont le but universel et défi* 
liitif est et sera toujours de subjuguer l'espèce humaine et de 
l'encliaîner sous leur empire , les prêtres instituaient-ils la 
commémoration des morts, c'était pour nous inspirer du 
dégoût pour les richesses terrestres et mondaines , afin d'en 
jouir plus abondammeut eux-mêmes ; c'était pour nous^mettre 
50US leur dépendance par la fable et les images du purgatoire. 
Mais voyez ici leur adresse à se saisir de l'imagination des hom- 
mes , et à la gouverner à leur gré ! Ce n'est point sur un théâtre 
riant de fraîcheur et de gaieté , qui nous eût fait chérir la vie 
et ses délices , qu'ils jouaient cette farce ; c'est le second de 
novembre qu'ils nous amenaient sur les tombeaux de nos pères ; 
c'est lorsque le départ des beaux jours, un ciel triste et grisâtre, 
la décoloration de la terre et la chute des feuilles remplissaient 
liptre âme de mélancolie et de tristesse ; c'est a cette époque 
que, profitant des adieux de la ns^iiTe , ils. s'emparaient de 
noifs pour nous proniener , à travers Vas^^nC et leurs prétendues 
fêtes multipliées , sur tout ce que leur impudence avait ima- 
giné de mystique pour les prédestinés , c'est à dire les imbé- 
ciles j et de terrible pour le pécheur, c'est à dire le clair-^ 
.▼Pjant. .. 

; » Les prêtres , ces h.ommes en apparence ennemis si cruels 
4ps passions humaines et des «entimens les plus doux , vou- 
laient-ils Ifis tourner à leur profit ; voulaienH-ils que l'indocilité 
4omestiquç des jeunes amans, la coquetterie de l'un et l'autre 
rse^e , l'amour de la parure , la vanité , l'ostentafîon et tant 
4'auires affections du bel âge , ramenassent la jeunesse à l'es-* 
çjavage religieux , ce n'est point dans l'hiver qu'ils l'attiraient 
à sjp produire en spectacle ; c'est dans les jours les plus beaux, 
les pins longs et les plus efiferv.escens de l'année qu'ils avaiçnt 



(87) 
placé avec profusion des cërémmûes triomphales et publiques ; 
sous le nom de Fête-Dieu ; cérémonies oii leur habileté aVait 
introduit tout ce que la mondanité , le luxe et la parure ont 
de plus séduisant , bien sûrs qu'ils étaient de la dévotion df s 
filies , qui dans ce jour seraient moins surveillées ; bien sârs 
qu'ils étaient que les sexes , plus à même de se mêler , de se 
montrer l'un à l'autre ; que les coquettes , les vaniteuses , plus 
à même de se produire et de jouir de l'étalage nécessaire à leurs 
passions , avaleraient avec le plaisir le poison de la superstition. 
» Les prêtres enfin , toujours pour le bénéfice de leur domi- 
nation , voulaient-ils subjuguer complètement la masse des 
cultivateurs , c'est à dire presque tout le peuple , c'est la pas- 
sion de l'intérêt qu'ils mettaient en jeu en frappant la crédd«^ 
lité des hommes par les images les plus grandes. Ce n'est point 
sous un soleil brûlant et insupportable qu'ils appelaient Me 
peuple dans les campagnes : les moissons alors sont serrées , 
l'espoir du laboureur est rempli ; la séduction n'eût été qu^im- 
parfaite : c'est dans le joli mois de mai , c'est au moment oii 
le soleil naissant n'a point encore absorbé la rosée. et la frat«- 
cheur de l'aurore que -les prêtres , environnés de superstitiott 
et de recueillement , traînaient les peuplades entières et cré- 
dules au milieu des campagnes ; c'est là que , sous le nonà de 
Rogations ^ leur ministère s'interposait entre: le ciel et nous ; 
c'est là qu'après avoir à nos yeux déployé la nature dans sa 
plus grande beauté, qu'après nous avoir étalé la terre dan» 
toute sa parure, ils semblaient nous dire, et nous disaient 
effectivement : — C'est nous , prêtres , qui avons reverdi ces 
campagnes j c'est nous qui fécondons ces champs d'une si belle 
espérance ; c'est par' nous que vos greniers se remplir^ati 
croyez-nous, respectez-nous , obéissez-nous , enrichissez-nous ; ' 
sinon la grêle et le tonnerre, dont nous disposons , vous punî'i' 
ront de votre incrédulité, de votre indocilité , de volre.déso- 
béissance. — Alors le cultivateur , frappé par lo^ beauté du 
spectacle et la richesse des images , croyait , se taisait^ obéi^ 
sait , et facilement attribuait à l'imposture des prêtres Ici 
miracles de la nature. 

» Telle fut parmi nous l'habileté sacerdotale : telle est 
riaflueace des images. 



(88) 

i> La commission que vous avez nommée pour rendre le 
nouveau calendrier plus sensible à la pensée et plus accessible 
à la mémoire a donc cru qu'elle remplirait son but si elle 
parvenait à frapper Timagination par les dénominations , et à 
instruire par la nature et la série des icbages. 

» L'idée première qui nous a servi de base est de consacrer 
par le calendrier le système agricole , et d'y ramener la 
nation en marquant les époques et les fractions de Tannée par 
des signes intelligibles ou visibles pris dans l'agriculture et 
l'économie rurale. 

» Plus il est présenté de stations et de points d'appui à la 
mémoire y plus elle opère avec facilité ; en conséquence nous 
avons imaginé de donner à chacun des mois de Tannée un nom 
caractéristique, qui exprimât la température qui lui est pro- 
pre , le genre de productions actuelles de la terre , et qui tout 
à la fois fit sentir le genre de saison oii il se trouve dans les 
quati^ dont se coihpose Tatftiée. 

» Ce dernier effet est produit par quatre désinences affec- 
tées chacune à trois mois consécutifs , et produisant quatre 
sons , dont chacun indique à Toréille la saison à laquelle il est 
appliqué. 

M Nous avons ckerché même à mettre à prdfit l'harmonie 
imitative de la langue dans la composition et la prosodie de 
ces mots , et dans le mécanisme de leurs désinences i de telle 
manière que les noms des mois qtii composent l'automne ont 
un son grave et une mesure moyenne, ceux de Thiver un sou 
lourd et une mesure longue ; ceux du printemps un son gai 
et une mesure brève , et ceux de Tété un son sonore et une 
mettre large. 

» Ainsi les trois premiers mois de Tannée, qui composent ^ 
l'automne, prennent leur étymologie, le premier des vendanges, 
qui ont lien de septembre en octobre ; ce mois se nomme 
'P^endémiaire : le second des brotiillards et des brumes basses, 
qui sont , si je puis m'eiTprimer ainsi , la transsudation de la 
nature d'octobre "en noveilibre; ce mois se homme Brumaire: 
le troisième du froid, tantôt sec, tantôt humide, qui se fait 
èentir de novembre en décembre; ce mois se nomme Frimaire^ . 

» Les trois mois de Thiver prennent leur étymologie , le 






(«9) 
premier de la neige , qui blanchit la terre de décembre en jan- 
vier ; ce mois se nomme Nwose : le second des pluies , qui 
tombent géneValement avec plub d'abondance de janvier eu 
février ; ce mois se nomme Pluviôse: le troisième des giboulées 
qui ont lieu et du vent qui vient sécher la terrede février en mars ; 
ce mois se nomme F^entose, 

» Les trois mois "du priiitemps prennent leur étymôlogie , le 
premier de la fermentation et du développement de la sève , de 
mars en itvril ; ce mois ^e noinme Germinal : le êecond de 
répanouissement des fleurs, d'avril en mai ; ce mois le nomme 
Floréal : le troisième de la fécondité riante et de la récolte dés 
prairies , de ipai en juin ; ce mois se nomine Prainal. 

» Les trois mois de Tété enfin prennent leur étymôlogie , le 
premier de l'aspect des épis ondoyana et des moissons dorées 
qui couvrent les champs de juin en juillet; c^ itiois se nomme 
Messidor : le second de la chaleur tout À la fois solaire et, 
terrestre qui embrase l'air de juillet en août ; ce mois se homdde 
Thermidor : le troisième dés fruits que le ëOléil dote et mâri€ 
d'août en septembre ; ce mois se nomme Frucùdbr, Ainsi d6nc 
les noms des mois sont : < 

» AuToàf NC. yendétniaire , Briimains , Frimaire, 

» HrvfiK. Nitrosej Fluviosv^^ f^entose. 

M PaiNTEBips. Germinal^ Floréal^ Prairial, 

» Été, Messidor j Thermidor ^ Fractidàr. - 

» Il résulte de ces dénominations, ainsi que je Psi dit, que, 
parla seule pronoiiciation du nom du inois, chacufi s^tii^pàr- 
faitem.ent trois ch<»ses, et tous leurs rapports , le genre' de 'sài^^ 
son oii il se trouve , la température y et Tétat de la -végétation. 
C'est ainsi que dès le premier de Germinal il se peindra sans 
effort à l'imagination, parla terminaison du mot, que le prin- 
temps commence ; par la construction et l'image que présente 
le mot , que les agens élémentaires travaillent ; par la significa- 
tion du mot, que les germes se développent. 

» Aprèls la dénomination des mois nous nous sommes occu- 
pés des fractions du mois. Nous avons vu que les fractions des 
mois étant périodiques, et revenant trois fois par mois et trente- 
six fois par an , étaient déjà fort bien nomûiéès Décades^ ou ré- 
volution de dix jours; que ce mot générique conveiiait à une 



(9») 

chose qui, trente-six fois répétée, ne pourrait être représentée 
à l'oreille par des images locales sans entraîner de la confusion ; 
que d'ailleurs des décades , n'étant que des fractions numériques , 
ne doivent avoir qu'une dénomination commune et numérique 
dans tout le cours de l'année , et qu'il suffît du no^ du mois 
jlour donner à chaque période de trois décades la couleur des 
images et des accidens des mois qui les renferment. « 

M Quant aux jours nous avons ohservé qu'ils avaient quatre 
mouvemens complexes, qui devaient être empreints hien dis- 
tinctement dans notre mémoire, et présens à la pensée de quatre 
manières différentes. Ces quatre mouvemens sont le mouvement 
diurne, ou le passage d'un jour à l'autre ; le mouvement déca- 
daire, ou le passage d'une décade à l'autre; le mouvement 
men^ iaire , ou le passage d'un mois à l'autre , et le mouvement 
annuel , ou la période solaire. 

» Le défaut du calendrier tel que vous l'avez décrété est de ne 
signaler les jours , les décades , les mois et l'année que par une 
même dénomination , par les nombres ordinaux ; de sorte que 
le chiffre i, qui n'offre qu'une quantité abstraite et point 
d'image, s'applique également à Tannée, au mois, à h semaine 
et au jour ; si bien qu'il a fallu dire le premier jour de la 
première décade du premier mois de la première année; 
locution abstraite , sëche , vide d'idées , pénible par sa prolixité, 
et confuse dans l'usage civil , surtout après Phabitude du calen- 
drier grégorien. 

» Noifs avons pensé qu'à l'instar du calendrier grégorien , dont 
les sept jours de la semaine portent l'empreinte de l'astrologie 
judiciaire, préjugé ridicule qu'il faut rejeter, nous devions créer 
des noms pour chacun des jours de la décade ; nous avons pensé 
encore que puisque ces noms se répétaient chacun trente-six 
fois par an , il fallait les priver d'images qui , locales pour leur 
essence , demeureraient sans rapport avec les trente-six stations 
de chacun de ces noms; enfin nous nous sommes aperçus que 
ce serait un grand appui pour la mémoire si nous venions à 
bout, en distinguant les noms des jours de la décade des nombres 
ordinaux , de conserver néanmoins la signification de ces nom- 
Jïres dans un mot composé , de sorte que nous pussions profiler 



(9' ) 

iout à la fois dans le même mot et des nombres et d'un nom 
.différent des nombres. 

» Ainsi nous disons pour exprimer les dii jours de la décade : 

)) Primdi{\)y duodij tridiy quarlidi^ quiniidi, sextidiy 
stptidi, 0ctidi^ nonidi^ décadi, 

» De cette manière la différence de primdi à duodi exprime 
le passage du premier au second jour de la décade: voilà le 
premier noiouvemeut des jours. Les nombres ordinaux depuis 
I jusqu'à 3o expriment le troisième mouvement , le mouye- 
ment mensiaire ; la combinaison de ces nombres ordinaux avec 
les noms primdh duodi y etc. , expriment le second mouvement, 
le mouvement décadaire. Ainsi 1 1 du mois et primdi présen- 
teront l'idée du premier jour de la seconde décade, ainsi de suite. 

' » L'avantage bien sensible qu'on va retirer de la conservation^ 
des nombres ordinaux dans les composés primdi ^ duodi ^ 
iridij elc, est que le quantième du mois sera toujours présent 
à la mémoire sans qu'il, soit besoin de recourir au calendrier 
matériel. 

» Par exemple , il suffit de savoir que le jour actuel est tridi 
pour être certain que c'est aussi le 3 , ou le i3 , ou le a 3 du 
mois , comme avec quartidi le 4 9 ou le i4> ou le 24 du mois , 
ainsi de suite. 

» On sait toujours à peu près si le mois est à son commen- 
cement 9 à son milieu ou à sa fîn ; ainsi l'on dira tridi est 
le 3 au commencement du mois , le i3 au milieu, le 23 à la fin. 

» Or ce calcul très simple ne pourrait s'effectuer si les nombres 
ordinaux, qui sont ici les dénominateurs du quantième., n'en- 
traient point dans la composition du nom des jours de la décade. 

» Il nous reste à exprimer le quatrième mouvement , qui 
est le mouvement aimuel. C'est ici que nous allons rentrer dans 
notre idée fondamentale, et puiser dans Tagricullure de quoi ^ 
reposer la. mémoire , et répandre l'instruction rurale dans la 
supputation et le cours de l'année. 

» Il faut d'abord remarquer qu'il est deux manières de frap- 
per l'entendement dans la composition d'un calendrier.. On le 



(0 Fabre d'Eglaotine a écrit primdi -, les rédacteurs drs procè« 
.yerisauf ontjiréféxé primedij Tueage & voulu et a conservé. pr/wH^i- 



(92) 

frappe mémorialement et par la parole ; àloi^s ilTaut que les 
divisions et les dénominations soient de nature à être retenues , 
comme on dit , par cœur , et c'est à quoi nous pensons avoir 
pourvu dans la dénomination des saisons , des mois et des jours 
de la décade. On frappe encore l'entendement par 1^ lecture , 
et ici la mémoire n'a plus à opérer. Le calendrier étant une 
chose à laquelle on a si souvent recours , il faut profiter de la 
fréquence de cet usage pour glissei* parmi le peuple les notions 
rurales élémentaires , pour lui montrer les richesses'de la nature, 
pour lui faire aimer les champs , et lui désigner avec méthode 
Tordre des influences du ciel et des productions de la terre. 

» Les prêtres aVàient assigné à chaque jour de l'année la 
commémoration d'un prétendu saint : ce catalogue ne présen- 
^ tait ni utilité ni méthode ; il était le répertoire du mensonge , 
de la duperie ou du charlatanisme. 

» Nous avons pensé que la nation , âpres avoir chassé cette 
foule de canonisés de son calendrier , devait y retrouver en 
place tous les objets qui composent la véritable richesse natio- 
nale , les dignes objets sinon de son culte , au moius de sa cul- 
ture ; les utiles productions de la terre , les iastrumens dont 
nous nous servons pour la cultiver , et les animaux domesti- 
ques , nos fidèles serviteurs dans ces travaux ; animaux bien 
plus précieux sans doute aux yeux de la raison que les squelettes 
béatifiés tirés des catacombes de Aome. 

>» En conséquence nous avons rangé par ordre dans la colonne 
de chaque mois les noms des vrais trésors de l'économie rurale : 
les grains , les pâturages , les arbres , les racines , les fleurs , les 
fruits , lès plantes sont disposés dans le calendrier de manière 
que la place et le quantième que chaque production occupe est 
précisément le temps et le jour oîi la nature nous en fait présent. 

M A chaque quintidi^ c'est à dire à chaque demi-décade, 
les 5, i5.et 3t5'de chaqtie mois, est inscrit un animal domes- 
tique , avec rapport précis entre la date de cette inscription et 
l'uf ilifcé réelle de l'animal inscrit . 

» 'Chaque détctdi est fharqùé par le nom d'un iustrument 
aratoire , le même dont l'agriculteur se sert au temps précis 
cil il est placé; de sorte que par opposition le laboureur dans 
le jour de repos retrouvera consacré dans le caleiylrier^ l'ins- 



(93) 
frumcat qu'il doit reprendre le lendemain, idée ce me semble 
touchante , qui ne peut qu'attendrir nos nourriciers , et leur 
montrer enfin qu'avec la République est venu le temps oii un 
laboureur est plus estimé que tous les rois de la terre ensemble , 
et l'agriculture comptée comme; le premier des arts de la 
société civile. 

» Il est aisé de voir qu'au moyen de cette méthode il n'j 
aura pas de citoyen en France qui dès sa plus tendre jeunesse 
n'ait fait insensiblement , et sans s'en apercevoir , une étude 
élémentaire de l'économie rurale ; il n'est pas même aujour- 
d'hui de citadin homme (ait qni ne puisse en peu. de jours 
apprendre dans ce calendrier ce qu'à la honte de nos mœurs 
il a ignoré jusqu'à cette heure; apprendre^ dis-j^^ en quel 
temps la terre nous donne telle production , et en quel temps 
telle autre. J'ose dire ici que c'est ce que n'ont jamais su 
bien des gens , trjss instruits dans plus d'une science urbaine y 
fastueuse ou frivole. 

. M Je dois observer qu'il est un mois dans l'année oii la terre 
est scellée , et communément couverte de neige ; c'est le mois 
de nwose : c'est le temps du repos de la terre. Ne pouvant 
trouver sur sa surface de production végétale et agricole pour 
figurer dans ce mois , nous y avons substitué les. productions , 
les substances jdu règne aiyimal et n^inéral immédiatement 
utiles à l'agriculture : nous ayons cru que rien de ce qni est 
précieux à l'économie rurale ne devait échapper aux honouna- 
ges et aux méditations de tout homme qui veut e^ utile à sa 
patrie. 

» Il reste à tous parler des jours d'abord nommés épago^ 
mènes., ensuite complemeniaires. Ce m^t n'était que didac- 
tiqiie y par conséquent sec , muet pour l'imagination ; il ne 
présentait au peuple qu'une idée froide., qu'il re^d Tufgaire* 
ment lui-n)ême par la périphrase de solde de compte ^ on 
par le barbarisme définition, ^eus avons pensé qu'il fallait 
pour ces cinq jours une déupuiination collective, qi(i porti^ 
un caractère national capable d'exprimer la joie et l'esprit du 
peuple français dans les cinq jowrs de fête qu'il célfbrejca au 
terme de chaque année. 

» Il nous a paru possible , et surtout juste ^ c|e consacrer 



|)ar lin mot nouveau l'expressioa âe sans-^uloties y qtii éà 
serait Tétymologie. D'ailleurs une recherche aussi intéressante 
que curieusa nous apprend que les aristocrates , en prétendant 
nous avilir par rexpre«sion de sans^culottes , n'ont jias eu 
même le mérite de Tinvention. 

» Des la plus haute antiquité les Gaulois, nos aïeux, 
s'étaient fait honneur de cette dénomination. L'histoire nous 
apprend qu'une partie de la Gaule , dite ensuite Lyonnaise 
( la patrie des Lyonnais ) , était appelée la Gaule culottée , 
gallia braccata .* paf conséquent le reste des Gaules jusqu'aux 
bords du Rhin était la Gaule hon-^culottée ; nos përes dès lors 
étaient donc des sans* culottes. Quoi qu'il en soit de l'origine de 
cette dénomination antique ou moderne , illustrée par la liberté, 
elle doit nous être chère ; c'en est assez pour la consacrer 
solennellement. 

» Nous appellerons donc les cinq jours , collectivement pris , 

les SÀNCULOTTIDES ! 

» Les cinq jours des sanculottides ^ composant une demi» 
décade, seront déuommés primdi ^ duodi, tridij quartidi^ 
quintidi , et dans l'année bissextile le sixième jour sextidi i 
le lendemain l'année recommencera par primdi, premier de 
vendémiaire. 

» Nous terminerons ce rapport par l'idée que nous avons 
conçue relativement aux cinq fêtes consécutives des sancu^ 
lottides ; nous ne vous en développerons que la nature. Nous 
vous proposerons seulement d'en décréter le principe et le 
nom , et d'en renvoyer la disposition et le mode à votre comité 
d'instruction. 

» Le primdi , premier des sanculottides , sera consacré k 
l'attribut le plus précieux et le plus relevé de l'espèce humaine, 
à Vintelligence , qui nous distingue du reste de la création. 
Les conceptions les plus grandes , les plus utiles à la patrie ^ 
sous quelque rapport que ce puisse être , soit dans les arts , 
les sciences, les métiers, soit en matière de législation, de 
philosophie ou de morale , en un mot tout ce qui tient à l'in- 
vention et aux opérations créatrices de l'esprit humain sera 
préconisé publiquement, et avec une pompe nationale, ce 
jour primdi^ premier des sanculottides. 



\ 



(95) 

» Celte fête s'appeHera laf4te du génie: 

» Le duodi^ deuxième des sanculottides ^ sera consacré 
à l'industrie et à l'activité' laborieuse. Les actes de constance 
dans le labeur, de longanimité dans la confection des choses 
utiles à la patrie , enfin tout ce qui aura été fait de bon , de 
beau et de grand dans les opérations manuelles ou mécani-» 
ques , et dont la société peut retirer de l'avantage , sera préco- 
nisé publiquement, et avec une pompe nationale, ce jour duodiy 
deuxième des sanculouides, 

» Celle fête s'appellera /a^efe é?m /ra^ai/. 

» Le tridi , troisième des sanculottides , sera consacré aux 
grandes , aux belles , aux bonnes actions individuelles. Elles 
seront préconisées publiquement et avec une pompe nationale. 

M Cette fcle s'appellera la fête des actions* 

» Le quartidiy quatrième des sanculottides y sera con- 
sacré à la cérémonie du téoioignage public et de la gratitude 
nationale envers ceux qui , dans les trois jours précédens , 
auront été préconisés, et auront mérité les bienfaits de la 
nation; la distribution en sera faite publiquement, et avec 
une pompe nationale , sans autre distinction entre les préconisés 
que celle de la chose même , et du prix plus ou moins grand 
qu'elle aura mérité. 

» Cette fête s'appellera la fête des récompenses, 

» he quintidij cinquième et dernier des sanculottides ^ 
se nommera la Jeté de l'opinion . 

» Ici s'élève un tribunal d'une espèce nouvelle , et tout k 
la fois gaie et terrible. 

.» Tant que l'année a duré les fonctionnaires publics , dépo- 
sitaires de la loi et de la confiance nationale , ont dû prétendre 
et ont obtenu le respect du peuple et sa soumission aux 
ordres qu'ils ont donnés au nom de la loi ; ils ont dû se rendre 
dignes non seulement de ce respect , mais encore de l'estime 
et de l'amour de tous les citoyens : s'ils y ont manqué , qu'ils 
prennent garde à la fête de l'opinion; malheur à eux! Ils 
seront frappés* non dans leur fortune , non dans leur personne, 
non même dans le plus petit de Leurs droits de citoyen , mais 
dans l'opinion. Dans le jour unique et solennel de la fête de 
Topinion la loi ouvre la bouche à tous les citpyens sur le moral | 



(96) 
le personnel et le^ actions des fonctionnaires publics ; la loi 
^urie carrière à rim^igination plaidante et gaie des Français ; 
permis à l'opinion dans ce jour de se noianifester sur ce cha-* 
pitre.de toutes les inanières. Les chansons, les allusions, 
jjçs caricatures , les p9squinades , le sel de Tironie , les sarcas- 
nfies de la folie , seront dans ce }our le salaire de celui des 
éju^ du peuple qui r^ur^a trompé ou qui s'en sera fait méses- 
tif^r QU bajr : l'aiïiniosil^ particulière , les vengeances privées 
ne sont point à redouter ; l'opinion elle-meoie ferait justice 
du téméraire déi^fàcUàur d'un magistrat estimé. 

M C'est ainsi que par son caractère mime , par sa gaieté 
naUirelle le peuple fr^i^çais conservera ses droits et sa souve- 
riainet^ : on corrompt les tribunaux ; on ne corrompt p^s 
Vopinion. Nous osons le dire j ce seul jour de fête contien- 
drfi mijB^x les magistrats dans leur devoir pendant le cours 
d? l'apnée qi)« ne le fejaient les lois mêmes dé Dracon et tous 
1^ tribimauiL de France. La plus terrible et la plus profonde 
des arm^s frAoçaises contre les Français c'est le ridicule ; le 
plq^ politique 4^ tribunaux c'est celui de l'opinion ; et si 
Pion vjSiit apprAfpndi? cette idée et en combiner l'esprit avec le 
C9ijç^çtkf0 nfitional , 4^n trouvera que cette fête de l'opinion seule 
«st le bouclier le plus efficace contre les abus et les usurpations 
de toute ^pè!P<t« 

» TesJUk esf la niitf^re d<ts cinq £kes des sanculotlides. 

» Tous les quatre ans , aji terjxie de Tannée bissextile , le 
SCjfcfi^i, .on siiièxne jour des sanculaltides^ des jeux nationaux 
seront célébrés. Cette époque d'un jour sera par excellence 
A9^[^[^n4ep«A6^I<|aqu>:'^?l0E, et c'est assurément le nom le plus 
4indlogii|ç 9M rasisçmblem^t des diverses portions du peuple 
jrangajis ^^i viendrpnt de .toutes les parties de la République 
^é(^er à çetle époquç la liberté , l'égalité, cimenter dans 
Iç^ft^ ^xs^^^emt^fiA la fraternité française , et jurer au nom 
de tous^ siir l'autel de la patrie , de vivne et de mourir libres 

Le pvajet présenté par Fabre d'Ëglantine fut immédiate- 
m^^^dopté : le procès verbal du lendemain , 25 octobre , 
porte la date du ^frimçiire de Van 2 de la République 
frfmçaise^ 



( 97 ) 
De ce décret et cle celui du 5 octobre , fondus en an seul 
et rectifiés dans quelques dispositions , résulta enfin l'ét»* 
blissement du calendrier républicain. 

Décret du 4 frimaire an a de la République. 

( ^4 noi^mbre 1 798. ) 

« Art. 1*'. L*ere des Français compte de la fondation de la 
République , qui a eu lieu le 22 septembre 1792 de l'ëre vul- 
gaire, jour oii le soleil est arrivé à Téquinoxe vrai d'automne ^ 
en entrant dans le signe de la Balance à 9 heures 18 minutes 
3o secondes du matin pour l'Observatoire de Paris. 

» 2. L'ëre vulgaire est abolie pour les usages civils. 

>» 3. Chaque année conunence à minuit avec le jour 011 
tombe réquinoxe vrai d'automne pour l'Observatoire de Paris. 

^ l{. La première année de la République française a com- 
mencé à minuit le 22 septembre 1792, et a fini à minuit 
séparant le 21 du 22 septembre 1793. 

» 5. La seconde année a commencé, le 22 septembre 179$ 
à minuit , l'équînoxe vrai d'automne étant arrivé ce jour là , 
pour l'Observatoire de Paris , à 3 heures 1 1 minutes 38 secondes 
du soir. 

» 6. Le décret qui fixait le commencement de la seconde 
auaée aupreniier janvier 1793 est rapporté ; tous les actes datés 
tan second de la Répubiigue , passés dans le courant du pre- 
mier janvier au 21 septembre inclusivement, sont regardés 
comme appartenant à la première année de la République. 

» 7. L'année est divisée en douze mois égaux, de trente 
jours chacun. Après les douze mois suivent cinq jours pour 
ci^mpletter l'année ordinaire ; ces cinq jours n'appartiennent à 
aucun mois. 

» 8. Chaque mois est divisé en trois parties égales de dix 
jours chacune , qui sont appelées décades. 

» 9. Les noms des jours de la décade sont : primidiy duodi, 
tridi, quartidi^ quintidi^ sexUdij sepîidi , octidi^ nonidi , 
décadi. 

» Les noms des mois sont : pour l'automne , vendémiaire^ 
brumaire ^frimaire ; pour l'hiver , nivôse , pluviôse , ventôse ; 

XIII. n 



C9») 

pour le printemps, germinal y Jloréal y prairial ; -ponr Vétë ^ 
messidor j thermidor ^fructidor, 

M Les cinq derniers jours s'appellent les sanculottides. 

» 10. L'année ordinaire reçoit un jour de plus selon que la 
position de l'équinoxe le comporte , afin de maintenir la coïn- 
cidence de l'année civile avec les mouvemens célestes ; ce jour, 
appelé /oiir de la Révolution , est placé à la fin de l'année , et 
forme le sixième des sanculottides. 

)» La période de quatre ans au bout de laquelle cette addi-> 
tion d'un jour est ordinairement nécessaire est appelée la 
Franciade y en mémoire de la révolution , qui , après quatre 
ans d'efforts y a conduit la France au gouvernement républicain. 
La quatrième année de la Franciade est appelée sextile. 

» 1 1 . Le jour, de minuit à minuit, est divisé en dix parties 
ou beures , cbaque partie en dix autres , ainsi de suite jusqu'à 
la plus petite portion commensurable de la durée. La centième 
partie de l'beure est appelée minute décimale ; la centième 
partie de la minute est appelée seconde décimale. Cet article 
ne sera de rigueur pour les actes publics qu'à compter du pre-* 
mier vendémiaire an 3 de la République. 

» 12. Le comité d'instruction publique est chargé de faire 
imprimer en différens foro;iats le nouveau calendrier , avec une 
instruction simple pour en expliquer les principes et l'nsage. 

» i3. Le calendrier, ainsi que Tinstruction , seront envoyés 
aux corps administratifs , aux municipalités , aux tribunaux , 
aux juges de paix et à tous les oflEiciers publics y aux années , 
aux sociétés populaires , et à tous les collèges et écoles. Le 
conseil exécutif provisoire le fera passer aux ministres, consuls 
et autres a gens de France dans les pays étrangers. 

» 14. Tou^ les actes publics seront datés suivant la p«a- 
Telle organisation de l'année. 

>» i5. Les professeurs, les instituteurs et institutrices, les 
pères et mères de famille , et tous ceux qui dirigent l'éducation 
des enfans , s'empresseront à leur expliquer le nouveau calen- 
drier conformément à l'instruction qui y est annexée. 

>» 16. Tous les quatre ans, ou toutes les Franciades , au jour 
de la Révolution , il sera célébré des jeux républicain* en 
mémoire de la révolution française* » 






(99) 

Instructioic sur Vère de la Sépublique et sur la division de 
r année , décrétée par la Convention nationale pour être 
mise à la suite du décret du 4Jrimaire.(Rédigée par Eomme.) 

PREMIÈRE PARTIE. Dcs motifs quîont déterminé le décret. 

M La nation française , opprimée , avOie pendant un grand 
nombre de siècles par le despotisme le plus insolent , s'est 
enfin élevée au sentiment de ses droits et de la puissance à 
laquelle ses destinées l'appellent. Chaque jour , depuis cinq aus 
d'une révolution dont les fastes du monde n'offrent point 
d'exemple, elle s'épure de tout ce qui la souille ou Pentrave 
dans sa marche , qui doit être aussi majestueuse que rapide ; 
elle veut que sa régénération soit complète , afin que ses 
années de liberté et de gloire marquent encore plus par leur 
durée dans l'histoire des peuples que ses années d'esclavage et 
d'humiliation dans l'histoire des rois. 

» Bientôt les arts vont être appelés à de nouveaux progrès 
par l'uniformité des poids et mesures , dont le type unique et 
invariable , pris dans la mesure même de la terre , fera dispa- 
raître la diversité , l'incohérence , l'inexactitude qui ont existé 
jusqu'à présent dans cette partie de l'industie nationale. 

» Les arts et l'histoire y pour qui le temps est un élément 
nécessaire , demandaient aussi une nouvelle mesure de la durée, 
dégagée de toutes les erreurs que la crédulité et une routine su« 
perstitieuses ont transmises des siècles d'ignorance jusqu'à nous. 

» C'est cette nouvelle mesure que la Convention nationale 
présente aujourd'hui au peuple français ; elle doit porter à la 
fois et l'empreinte des lumières de la nation , et le caractère de 
notre révolution par son exactitude , sa simplicité , et par soa 
dégagement de toute opinion qui ne serait point avouée par U 
*raison et la philosophie. 

§ l'^. De l'ère de la République. 

n L'ère vulgaire , dont la France s'est servie jusqu'à présent , 
prit naissance au milieu des troubles précurseurs de la chute 
prochaine de l'empire romain , et à une époque oii la vertu fit 
quelques efforts pour triompher des faiblesses humaines ; mais. 
' pendant dix-huit siècles elle n'a presque servi qu'à fixer dans 
la durée les progrès du fanatisme , l'avilisseiiieiit dn nations , It 



i 



/ 



( ««>o ) 
triomphe scandaleux de Torgueil , da yice, de la sottise , et les 
persécutions , les dégoûts qu'essuyèrent la vertu , le talent , la 
philosophie sous des despotes cruels , ou qui souffiraient qu'on 
le fù^ en leur nom. 

» La postérité verrait-elle sur les mêmes tables | gravés tan- 
tôt par une main avilie et perfide, tantôt par une main fidèle et 
libre , les crimes honorés des rois , et l'exécration à laquelle ils 
sont voués aujourd'hui! les fourberies , l'imposture , longtemps 
révérées de quelques hypocrites , et l'opprobre qui poursuit 
enfin ces infâmes et astucieux confidens de la corruption et 
du brigandage des cours! .Non ; l'ère vulgaire fut l'ère de la 
cruauté , du mensonge , de la perfidie et de l'esclavage ; elle 
a fiai avec la royauté , source de tous nos maux- 

» La révolution a retrempé l'âme des Français ; chaque jour 
elle les forme aux vertus républicaines : le temps ouvre un nou- 
veau livre à l'histoire , et dans sa marche nouvelle , majestueuse 
et simple comme l'égalité , il doit graver d'un burin neuf et pur 
les annales de la France régénérée. 

' M Tous les peuples qui ont occupé l'histoire ont choisi dans 
leurs propres annales l'événement le plus saillant pour y rap- 
porter tous les autres comme à une époque ^iLt, 

M Les Ty riens dataient du recouvrement de leur liberté» 

>» Les Romains de la fondation de Rome. 

» Les Français datent de lafondation de la Hberté et de l'égalité. 

» La révolution française , féconde , énergique dans ses 
moyens , vaste , sublime dans ses résultats , formera pour l'his- 
torien y pour le |>hilosophe une de ces grandes époques qui sont 
placée^ comme autant de fanaux sur la route éternelle des siècles. 

§ n. Du commencement de Vère et de l'année, 

» Le commencement de l'année a parcouru succesMvement 
toutes les saisons tant que sa longueur n'a pas été déterminée sur 
la connaissance «xacle du mouvement de la terre autour 
du soleii. 

» Quelques peuples ont fixé le premier jour de leur année 
aux solstices, d'autres aux équiuoxes; plusieurs, au lieu de le 
fixer sur une époque de saison , ont préféré de prendre dans 
leurs fastes une époquehîstorique. 

» La France ^ jusqu'en 1 564 > ^ commencé l'année à Pâques : 



( «01 ) 

un roi imbécilU et féroce , le même qui ordonna le massacre de 
la Saint-Bartfaelemi , Charles IX y fixa le commencement de 
Tannée au premier jantier , sans antres motifs que de sni?re 
l'exemple qui lui était donné. Cette époque ne s'accorde ni avec 
les saisons , ni avec les signes, ni avec l'histoire du temps. 

» Le cours des événemens nombreux de la révolution fran- 
çaise présente une époque frappante , et peut-être unique dans 
l'histoire, par son accord parfait avec les mouvemens célestes , 
les saisons et les traditions anciennes^ 

» Le ai septembre 1 792 les représentans du peuple, réunis en 
Convention nationale , ont ouvert leur session , et ont prononcé 
l'abolition de la royauté. Ce jour fut le dernier de la monarchie y 
il doit étr^le dernier de l'ëre vulgaire et de l'année. 

>» Le 22 septembre ce décret fut proclamé dans Paris ; ce jour 
fut décrété le premier de la République , et ce même jour , à 
neuf heures dix-huit minutes trente secondes du matin, le soleil 
arriva à l'équinoxe vrai d'automne en entrant dans- le signe 
de la Balance. 

» Ainsi l'égalité des jours aux nuits était marquéo dans le 
ciel au moment même oii l'égalité civile et morale était pro-* 
clamée par les représentans du peuple français comme le fon- 
dement sacré de son nouveau gouvernement* . 

» Ainsi le soleil a éclairé à la fois les deux pôles et successi- 
vement le globe entier le même jour oii , pour la première fois y 
a brillé dans toute sa pureté sur la nation française le flambeau 
delà liberté , qui doit un jour éclairer tout le genre humain. 

» Ainsi le soleil a passé d'un hémisphère à l'autre le même 
jour oii le peuple , triomphant de l'oppression des rois, a passé 
du gouvernement monarchique au gouvernement républicain. 

» C'est après quatre an^ d'efforts que la r^évolutipn est arrivée 
à sa maturité en nous conduisant à la République , précisément 
dans la saison de la maturité des fruits, dans cette saison heu- 
reuse ou la terre , fécondée par le travail et les influences du 
ciel , prodigue ses dons , et paie avec magnificence à l'homme 
laborieux ses soins, ses fatigues et son industrie. 

» Les traditions sacrées de TEgyp*®» V^^ devinrent celles de 
tout l'orient , faisaient sortir la terre du chaos sous le même signe 
que notre République y et y fixaient l'origine des choses et du 
temps. 



( I«2 ) 

» Ce concours ie tant de circonstances imprime un caractère 
religîeiix et sacré à cette époque y une des plus distinguées dan» 
nos fastes révolutionnaires, et qui doit être une desplus célébrées 
dans les fêtes des générations futures. 

M La Convention nationale vient de décréter que Fëre desFraa-» 
çais et la première année de leur régénération ont commencé le 
jour de l'équinoxe vrai d'automne, qui fut celui de la fondation de 
la République, et elle a aboli Tëre vulgaire pour les usages civils. 

» L'ëre de Seleucus conuuença aussià Téquinoxe d'automne^ 
trois cent douze ans avant Tère vulgaire. Elle fut suivie par les 
peuples d'orient de toutes les croyances , les adorateurs du feu 
comme les descendans, d'Abraham, les chrétiens comme les 
mahométans : les juifs ne Tout abandonnée qu'à l'époque de 
leurdi^pei^sion dans l'occident, en io4o. L'année ecclésiastique 
des Russes et l'année des Grecs modernes commencent epcore 
au mois de septembre. 

» La première table donne le jour et l'heure de l'équinoxe 
d'automne pour plusieurs années. 

§ III. />e la longueur de tannée. 

» La longueur de l'année a suivi chez les différens peuples les^ 
progrès de leurs lumières : longtemps on Ta faite de douze mois 
lunaires , c'est à dire 354 jours, tandis que la révolution de la 
terre autour du soleil , qui seule règle les saisons et le rapport 
des jours aux nuits, est 'de 365 jours 5 heures 48 minutes 49 
secondes. 

» Ce n'est qu'en intercalant tantôt des jours , tantôt des mois 
à des intervalles îrréguliers qu'on ramenait pour quelque temps 
la coïncidence de l'année civile avec les mouvemens célestes et 
les saisons. Toutes ces intercalations , faites sans règles fixes , 
ré{)araien t momentanément les effets d^une computation vicieuse; 
et en laissaient subsister la première cause. 

» Les Egyptiens quinze cents ans, et les Babyloniens sept 
cent quarante-six avant l'ère vulgaire, se rapprochèrent des 
lirais principes en faisant leur année de trois cent soixante-cinq 
jours. 

» Jules César , en sa qualité de dictateur et de pontife , 
appela auprès de lui, deux ans après la bataille de Pharsale, Sosi- 
gènes, astronome célèbre d'Alexandrie, et entreprit avec lui 



( io3 ) 
^k réforme de l'année. Il proscrivit Tannée lunaire, introduit», 
par Romulus, et mal corrigée par Numa. L'erreur cumulée qu'il 
attaquait avait produit après plusieurs siècles un tel dérange- 
ment dans les mois que ceux d'hiver répondaient à l'automne , 
et que les mois consacrés aux cérémonies religieuses du prin- 
temps répondaient à l'hiver. 

» Cette discordaiîce fut détruite par Jules César, qui inter- 
cala quatre-vingt-dix jours entre novembre et décembre. Cette 
année , qui fut en conséquence de quatre cent quarante-cinq 
jours , fut appelée l'année de la confusion, 11 ordonna de plus 
que tons les quatre ans on intercalerait un jour après le sixième 
des calendes de mars : c^ jour fut appelé le second sixième , ou 
bissextur; de là le nom de bissextile , donné à l'année qui 
reçoit ce jour intercalaire. Ce nom ne convient plus depuis qu'on 
ne se sert plus des calendes, (i ) 

n Cette réforme supposait l'année solaire de trois cent soixante- 
cinq jours et six heures, c'est à dire de onze minutes onze secondes 
plus longue qu'elle n'est réellement. 

:> En i58a cette erreur avait produit par sa cumulation un 
nouveau dérangement dans l'année. Grégoire XIII, alors pon- 
tife, entreprit avec des astronomes une liouvelle réforme : il ôta 
dix jours au mois d'octobre de cette année , et ordonna que sur 
quatre années séculaires une seule serait bissextile. L'erreur de 
la computation julienne avait réellement produit nn dérange- 
ment dé plus de douze jours ; mais les astronomes qui dirigèrent 
^tte réforme supposaient l'année plus longue de vingt*trois 
secondes qu'elle n'est réellement (a). 

(i) <' Le mot calendrier f qui vient de calendes y seraH aussi très 
impropre si nn très long usage ne Tavait consacré au point de faire 
oublier son origine. Les mots almanack on annuaire seraient plus 
•zacis. » 

(2) « Il &Bt nue période de 86400 ans pour que la différence exacte 
de l'année solaire à l'année civile ordinaire fasse un nombre de jours 
sans fraction ; ce nombre est de 20929 : c>st celui des jours intercalaires 
ou des années bissextiles qui doivent réellement avoir lieu pendant cette 
longue période. Or la réforme julienne donne aa35o bissextiles, et 
la réforme grégorienne en donne 21679 : tontes les deux s'écartent dt- 
la vérité ; la première de l^ai jours y la ««cond« de 700. » 



( io4 ) • 

M Cette réfonne de Grégoire a été cepeadant adoptée succet- 
•ivement par toute l'Europe , excepté la Russie et la Turquie. 
Les Grisons ne voulaient que cinq jours de correction ; ils crai- 
gnaient de compromettre l'honneur du protestantisme en con- 
descendant à adopter la correction tout entière proposée par 
la cour de Rome. 

M Aujourd'hui , beamcoup plus éclairé , on sent l'inutilité de 
ces réformes , préparées à l'avance pour plusieurs siècles , et qui 
ont fait le désespoir des chronologistes , des historiens et des 
astronomes. 

>» En suivant le cours naturel des choses , et cherchant un 
point fixe dans les mouvemens célestes , bien connus aujour- 
d'hui , il sera toujours facile de faire coïncider l'année civile 
avec l'année solaire par des corrections qui se feront successi- 
vement , aussitôt que les petites dîfierences. cumulées auront 
produit un jour. C'est dans cet esprit qu'a été rédigé l'article lo 
du décret. 

S IV. De la Frànciade, 

^^ » C'est après quatre ans de révolution , et dans l'année 

bissextile, que la nation, renversant le trône qui l'opprimait, 
s'est établie en République. La première année de l'ère nou- 
velle commencerait une nouvelle période de quatre ans si 
Jules César et Grégoire XIII , en plaçant la bissextile, avaient 
moins consulté leur orgueil que la rigueur de la concordance 
astronomique , et si jusqu'à présent nous n'avions été les serviles 
imitateurs des Romains (i). La raison veut que nous suivions 
. la nature , plutôt que de nous traîner servilement sur les traces 
erronées de nos prédécesseurs : nous devons donc fixer inva- 
riablement notre jour intercalaire dans l'année que la position 
de l'équinoxe d'automne comportera. Après une première 
disposition que la concordance avec les observations astrono- 
miques rend nécessaire , la période sera de quatre ans t ce n'est 



' (i) <c La deuxième table fait connaître la discordance qui règnp entre 
les années bissextiles et les mouvemens célestes. 

» Cette discordance est corrigée dans la nouvelle compatation dé- 
crétée f comme on le voit dans la même table. » 



( io5) 
qu'après cent yingt-neuf ans environ qu'on devra retrancher le 
JQur intercalaire à Tune de ces périodes. 

>» £n mémoire de la révolution la période de quatre ans 
est appelée la Franciade , et le jour intercalaire qui la termine 
jour de la Héi^olution : c'est le sixième des sancnlottides ; de 
là le nom de sextile donné à l'année qui le reçoit. Le décret 
consacre ce jour à des fêtes républicaines qui rappelleront les 
principaux événemens de la révolution ; les belles actions y 
^ront proclamées et récompensées d'une n[ianière digne de la 
patrie , qu'elles honorent. 

» La seconde table fait connaître l'ordre des Franciades ; 6n 
y voit que nous sommes à la troisième année de la première 
Franciade. 

J V. De la dwîsion et de la sous-dii^ision de Vannée. 

» Du mois. La succession de la nuit et du jour, les phases 
dé la lune et les saisons présentent à l'homme des divisions natu- 
relles du temps. Le retour d'une même phase de la lune marque 
une lunaison ou un mois lunaire; le retour d'une même saison 
marque l'année naturelle. « 

» La route de la terre autour du soleil est divisée par les 

deux équinoxes et les deux solstices en quatre parties , qu'elle 

ne parcourt pas dans des temps égaux ; de même les quatre 

saisons que cette division détermine n'ont pas une durée égale. 

» De 4'équinoxe d'automne au solstice d'hiver on compte 

cfo jours •, , go jours. 

» Du solstice d'hiver à l'équinoxe du printemps. 89 
» De l'équinoxe du printemps au solstice d'été. qS 

» De là à l'équinoxe d'automne. • 98 

» Les quatre saisons , ^considérées comme divisions de 
l'année, présenteraient trop d'inconvéniens pour les usages 
domestiques et civils , à raison de leur inégalité, et de leur 
l9ngueur ; l'esprit y pour s'élever de la petite unité du jour à la 
grande unité de l'année , a besoin de plusieurs unités intermé- 
diaires et croissantes qui* lui servent à la fois d'échelle et de 
repos. 

n La lune se meut autour de la terre , et dans ses différentes 
positions elle reçoit et réfléchit la lumière du soleil ; c'est ce 



(io6) 

«qui détermine ses phases. Le retour de la même phase se repëlif 
douze fois dans l'année y et forme douze lunaisons ; chacune est 
à peu près de vingt-neuf jours douze heures et demie, ou en 
compte rond trente jours. 

M Les douze lunaisons font trois cent cinquante-quatre jours , 
c*est à dire onze jours de moins que l'année ordinaire. La lune 
ne nous offre donc pas par ses mouvemens une division exacte 
de l'année ; mais elle est trop utile aux marins , dont elle dirige 
souvent la marche , au voyageur , à l'homme laborieux des 
champs , et surtout à l'habitant du nord , pour qui elle. supplée 
au jour dans les longues nuits d'hiver , pour ne pas appeler 
toute leur attention sur ses mouvemens. 

» Le mois est donc ui^e division utile ; aussi tous les peuples 
connus Tont-ils adoptée. Mais pour être commode elle doit être 
toujours la même , et se rapprocher d'une lunaison autant que 
le permet l'unité du jour , «qui est la plus petite qu'on poisse 
employer ; or vingt-neuf jours douze heures et demie est plus 
près de trente que de vingt-neuf, et le nombre décimal trente 
promet beaucoup plus de facilité dans les calculs. 

» Jusqu'à présent nos mois ont été inégaux entre eux , et dis- 
cordans avec }es mouvemens de la lune ; l'esprit se fatigue à 
chercher si un mois est de trente ou trente -un jours. Cette 
inégalité a pris / naissance chez les peuples qui , faisant ]eur 
année trop courte , et ne trouvant pas dans la ressour<^e des 
întercalations un moyen suffisant de correction , ajoutèrent un 
jour ou deux à quelques-uns de leurs mois. 

» Les Egyptiens , les plus éclairés des peuples de la hante 
antiquité , faisaient leurs mois égaux chacun de trente jours, et 
complétaient l'année en la terminant par cinq jours épago- 
mënes (i) , qui n'appartenaient à aucun mois. Cette division est 
simple : c'est celle que la Convention a décrétée pour l'annuaire 
des Français. 

» De la décade. Les quatre phases de la lune présentent une 
division naturelle de la lunaison en quatre parties ; mais comme 
on ne pouvait diviser ni trente ni vingt-neuf par quatre sans 
fraction , on a divisé vingt-huit , et le nombre sept , qui en est 



(i) Ou surajoutés. 



( Ï07 ) 
résulté , a été pris pour la sous^divisiou du mois ; on en a fait la 
semaine , à laquelle les astrologues et les mages de TEgypte ont 
attaché tontes les erreurs , toutes les combinaisons cabalisti- 
ques dont elle était susceptible. 

» La superstition a transmis jusqu'à nous, au grand scandale 
des siècles éclairés, cette fausse division du temps, qui ne mesure 
exactement ni les lunaisons , ni les mois , ni les saisons , ni 
l'année , et qui n'a pas peu servi dans tous les temps les vues 
ambitieuses de toutes les sectes. La fête du septième four avait 
lieu chez les païens comme chez les juifs ; c'était un jour de 
prosélytisme et d'initiation. 

» L'annuaire d'un peuple qui recoimait la liberté des cultes 
doit être indépendant de toute opinion , de toute pratique reli«« 
gieuse , et doit présenter ce caractère de simplicité qui n'ap* 
partient qu'aux productions d'une raison éclairée. 

:> La numération décimale, adoptée pour les poids et mesures, 
ainsi que pour les monnaies de la République , à raison de ses 
grands avantages pour le commerce et les arts , vient s'appli-' 
qiier naturellement à la division du mois. Les trente jours qui 
le composent, divisés en trois parties égales, forment trois 
divisions de dix jours, que nous appelons pour cette raison 
décades. 

» Ainsi l'année ordinaire e^t de trois cent soixante -cinq 
jours y ou de douze înois et cinq jours , ou de trente-six décades 
et demie , ou de soixante-treize demi-décades» 

» Dans les usages familiers les cinq doigts de la main 
peuvent être affectés à désigner ordinalement les cinq jours de 
la demi-décade. 

» Du jour» Les limites du jour et de la nuit • et le milieu de 
l'un et de l'autre, divisent naturellement le jour en quatre. Le 
' chant du coq a servi longtemps aux Perses , et sert encore à 
quelques peuples des bords de la mer glaciale et de la mer 
blanche, à diviser le jour. Les Romains le partageaient, du lever 
au coucher , en quatre parties de trois heures chacune , qu'ils 
nommaient prime , tierce , sexte et none. Quelques peuples de 
Torient divisaient le jour et la nuit séparément , chacun en 
douze parties qui croissaient et décroissaient suivant l'état du 
jour ou de la nuit ; de sorte que les parties du j our n'étaient égales 



( io8 ) 

à celles de la nuit qu'aux équinoxes. On abandonna cet usage , 
et l'on fit toutes les heures égales. La division du jour >en douze 
heures a aussi en lieu ; mais celle en vingt^quatre a prévalu : les 
uns les comptent de suite depuis un jusqu'à viiigt-quatre ; ies 
autres comptent deux fois douze heures : c'est ce que font les 
Français. 

» On n'a pas toujours été d'accord sur la position du corn* 
mencement du jour. Dans l'orient on le plaçait au lever da 
soleil ; les astronomes le placent k midi ; les juifs et les Athé- 
niens le plaçaient au coucher du soleil ; les Italiens com- 
mencent demi-heure après le coucher ; la plupart des peuples 
de l'Europe comptent le jour de minuit à minuit ; à Bâle on 
commence le jour une heure plutôt qu^ailleurs , en mémoire du 
service que rendit à cette ville celui qui rompit un complot de 
ses ennemis en faisant sonner à l'horloge minuit pour onze 
heures. 

» La division de l'heure en soixante minutes , et de la minute 
çn soixante secondes , est incommode dans les calculs , et ne 
correspond plus à la nouvelle division des instrumens d'astro- 
nomie , si utiles pour la marine et la géographie , division 
décimale qui donne au travail plus de célérité y plus de facilité 
et de précision. 

M La Convention , pour rendre complet le système de numé- 
ration décimale, a décrété en conséquence que le jour serait 
divisé en dix parties , chaque partie en dix autres , et ainsi de 
suite jusqu'à la plus petite portion coinmensnrahle de la durée. 

» Cependant , comme le^ changemens que cette division 
demande dans l'horlogerie ne peuvent se faire que successive- 
ment , elle ne sera obligatoire qu'à compter du premier jour 
du premier mois de la troisième année de la République. 

SECONDE PARTIE. Exécutiou et usage de V annuaire des 
Français y ou du calendrier républicain. 

S I". 

M La rigueur àes principes développés dans la, première 
partie demande que le calendrier de la République soit dégagé 
de tout ce qui n'appartit. ' pas strictement à la division de 



( ï09 ) 
l'année , on à la position des astres , qui par leur lumière iatér 
ressent le plus les premiers besoins de l'homme y soit en secon- 
dant son travail , soit en en réglant les époques. 

» On voit à la suite de cette instruction Tannuaire dans toute 
sa simplicité ; les douze mois de Tannée , à compter du 22 sep- 
tembre 1 793, les jours qui les composent depuis i jusqu'à 3o (i). 

» Toutes les indications relatives aux mouvemens célestes 
qui peuvent le plus nous intéresser sont marquées en divisions 
décimales du temps, ou en parties décimale» do carcle (2)- Une 
table servira à faire la concordance entre les heures décimales 
et les anciennes. 

§ II. De. l'usage du nouifeau calendrier, 

» Lorsqu'on a une date à exprimer on n'a pas plus besoin 
de parler de décade que dans l'ancienne computation on ne 
parlait de semaine. Quelquefois à la date on ajoutait le nom 
du jour de la semaine. Dans cette nouvelle division le quan- 
tième seul du mois indique en même temps et le rang de la 
décade dans le mois , et le rang du jour dans la décade. 

N Si une date est exprimée par un seul chiffre , comme 
7 vendémiaire , il est évident qu'on indique aussi le 7^ jour de 
la première décade. 

» Mais si le quantième du mois est exprimé par deux 
chiffres , comme 1 3 , 25 , il est aussi évident que le chiffre du 
rang des dizaines apprend dans le premier nombre 1 3 que la 
première décade est écoulée y et qu'on indique le troisiènie jour 
de la seconde décade ; et dans le second nombre 25 les dizaines 
'2 apprennent que les deux premières décades sont écoulées , et 
qu'on indique le cinquième de la troisième décade. 

» La manière la plus simple et la plus courte d'écrire une 
date est celle-ci : 21 vendémiaire, l'an 2 de la République. 

» La date pour les sanculottides est encore plus simple , 
puisqu'ils n'appartiennent à aucun mois : 4^ des sanculottide^s , 
2* année de la République. 



(1) « Les noms des jours et des mois, les fctes des sanculottides y 
soDt placés. » 

(a) « Le quart de cercle est divisé en ce«t degrés , chaque degré en 
cent minâtes , cbaipe minute en cent secondes. » 



.j 



^ 



(110) 

» Au lieu de ces expressions , dans deux semaines , trois 
semaines y ou dans quinze jours y vingt jours ^ on dira ? dans 
une décade tt demie, dans deux décades (i) , etc. 

§ III. De l'Epactû. 

» An commencement de Tannée , c'est à dire au 2a sep- 
tembre dernier Tieux style , l'ëpacte , ou l'âge de la lune , 

était 17. 

M Yeut-on savoir Tâge de la lune pour le 28 du 9* mois de 

la 2« année ? 

» A répacle , '7 

n Ajoutez le quantième ^3 

» £t autant de demi-jours qu'il s'est écoulé de 

mois j ce qui fait 4 

» Yousaurez.'. . • - 44 

» Retranchez-en pour une lunaison 29 ^ 

» Il restera pour l'âge de la lune 147 

» Quel sera l'âge de la lune au 3« des sanculot- 
tides ? 

» Epacte . . . • 17 jours. 

M Date . 3 

» Pour douze mois ^ . . * 6 

M Réponse 26 

» Cette méthode est facile , et suffisante pour les usages 
domestiques. 

$ IV. De la Concordance de la nouvelle computation auec l'ancienne* 

» Pour faciliter la transition de l'ancienne computation à la 
nouvelle on a annexé à cette instruction une table de concor» 
^ance à l'aide de laquelle on pourra sans peine traduire une 
ancienne date dans la nouvelle , et réciproquement. On peut 
aussi trouver cette correspondance en sachant à quel jour d'un 

(l) <t Les Doms des jours fournissent une nouvelle manière d^ex- 
primer une date qui peut avoir son application : tous les tridis , tous 
les décadis du mois ; le i*' ocfi<2i de brumaire , ou le^ du mois ; l^ 
a^ tridi o^l^ O^ U 3* septidiy ou le 27 , etc. y etc* » 



(111) 

tnois ancien réponci le premier de chaque mois nouveau. C'est 
ce qu'on voit dans le calendrier à la tête de chaque mois. 

M Si l'on n'a pas sous les jeux la table dont on vient de 
parler, on peut par de simples additions résoudre toutes les 
,. difficultés qui se présenteront. 

» Premier exemple. On veut savoir à quoi répond le 17 
décembre 1793 dans le nouveau calendrier. 

N Septembre donne au premier mois . . 9 jours. 

M Du i*'' octobre au i«r décembre ... 2 mois 
de 3o et. . < . • * • . i jours. 

» Décembre donne 17 jours. 

» Total .... 2 mois 27 jours. 

» La date donnée répond donc au 27 du troisième mois. 

» Second exemple. A quoi répond la,date du 1 4 juin 1794 ^ 

» Du i«' octobre au 3 1 mai 8 mois 

dont cinq de 3i jours et un de 28; faisant 
tous les mois de 3o , il reste laprës la compen- 
sation 3 jours. 

» Septembre fournit 9 jours. 

» Juin i4 jours. 

Total. . . • 8 mois 26 jours. 

» La date donnée répond donc au 7&^ du 9e mois. 

»• Troisième exemple. Traduire en nouveau style la date 
du 12 décembre 1794* 

» Du 22 septembre au i« décembre 
1793 2 mois 10 jours. 

» Du i^i" décembre 1793 au ler dé- 
cembre 1794 • I an 

» Décembre 1794» • . '2 jours. 

Total .... I an 2 mois 22 jours. 

» La date donnée répond donc au 22 du troisième mois de 
la troisième année. 

V Quatrième exemple. A quelle date répond dans l'ancien 
calendrier cette date nouvelle, 19 du 7 • mois de la 3» année ? 

» La 3e année de la République commence au 22 septembre 
1 794 ; c'est à partir de là qu'on doit con^pter 6 mois 19 jours , 
ce qui conduit au 10 avril 1795, 



4 < «' 



( tia ) 

§ y. Dca nouvelles montres et horloges, 

n Perfectionner l'horlogerie , et rendre les productions de 
cet art utiles , et acce^ibles pour le prix au plus grand nombre 
des citoyens ^ c'est ce qui doit résulter de la nouvelle division 
du jour. 

» Le problème consiste à diviser le jour de minuit à minait 
en lo, en loo, en i,ooo, en lOyOoo , ou 100,000 parties , selon 
les besoins. 

» C'est au génie des artistes à s'exercer pour obtenir ce 
résultat par les moyens les plus simples , les plus expéditifs y 
les plus exacts et les plus économiques. 

» Pour les usages les plus ordinaires on pourrait se conten- 
ter d'une montre à une seule aiguille. Pour ceux qui voudront 
des dix millièmes ou des cent millièmes de jour , suivant la 
nature des opérations dont ils chercheront à mesurer la durée , 
on pourra faire des montres à plusieurs aiguilles. 

M Jusqu'à présent on n'a pas assez tiré parti des ressources 
qu'offriraient i** un bon système de division du cadran ; 2* la 
forme de l'aiguille, qui , au lieu d'indiquer par son extrémité, 
pourrait indiquer à la fois sur plusieurs cercles concentriques 
par son côté aligné au centre du cadran ; 3^ le nombre des 
tours qu'une aiguille qui serait solitaire pourrait £aiire dans le 
jour entier , ce iqui fournirait un moyen de subdiviser sans 
multiplier les cadrans. 

» Il importe surtout que les horlogers cherchent le moyen 
de faire servir à la nouvelle division décimale les anciens ibou- 
vemens dé montre ou de pendule , en y faisant le moins de 
changement possible. 

» Pour faciliter le passage de la division en vhigt-quatre 
heures à la division nouvelle , on pourrait partager le cadran 
en deux parties , dont l'une porterait la division en douze 
heures , et l'autre la division en cinq heures ; une même aiguille 
à deux branches diamétralement opposées indiquerait à la fois 
les deux divisions. 

» Les tables 3 et 4 présentent une concordance des divisions 
du jour. 

» Dans les grandes pendules et dans les horloges on peut 



( 113 ; 
supprimer la minuterie, agrandir le cadran, en laissant 
subsister l'ancienne division , et sur Tenture présenter la diri- 
sion nouvelle en cinq heures décimales , pour correspondre 
aux douze heures anciennes. Chaque heure décimale serait 
divisée en cent minutes ; l'aiguille des heures , étant droite et 
posée sur sa tranche , marquerait à la fois l'heure ancienne et 
rheure nouvelle. 

» C'est aux grandes communes à donner l'exemple , et Ton 
doit attendre de leur patriotisme qu'elles sVmpresseront à 
faire construire des horloges décimales. 

» Un seul cadran , divisé en cent parties marquées de dix 
en dix, peut servir à donner i* la décade dans le tour entier , 
le jour dans le dixième du tour, l'heure dans le centième du 
tour par la même aiguille ; a* une seconde aiguille indiquerait 
la minute , et une troisième indiquerait la seconde décimale 
sur le même cadran. 

§ VI. De la Décade. 

» La loi laisse à chaque individu à distribuer lui-même ses 
jours de travail et de repos , à raison de ses besoins^ de ses for* 
ces , et selon la nature de l'objet qui l'occupe ; mais comme 
il importe que les fonctionnaires , les agens publics , qui sont 
comme autant de sentinelles placées pour veiller aux intérêts 
du peuple, ne quittent leur poste que le moius possible, la loi 
ne tolère de vacances pour eux qu'au dernier jour de chaque 
décade. 

M Les caisses publiques , les postes et messageries , les éta- 
bllssemens publics d'enseignement , les spectacles , les rendez- 
vous de commerce , comme bourses , foires , miarchés ; les 
contrats et conventions ; tous les genres d'agence publique qui 
prenaient leurs époques dans la semaine, ou dans quelques 
usages qui ne concorderaient pas avec le nouveau calendrier , 
<Joivent désormais se régler sur la décade , sur le mois , ou sur 
les sanculottides. 

» Le conseil exécutif, les corps administratifs, les munici- 
palités doivent s'empresser à prendre toutes les mesures que' 
peut leur suggérer l'amour de l'ordre et du bien public pour 
XIII. S 



( IH) 

accélérer les cbangemens que demande la nouvelle dÎA^on âe 
raimée dans leurs fonctions respectives. 

» Cest aux bons citoyens, aux sociétés populaires, aux 
soldats de la patrie , qui se montrent )es ennemis implacables 
de tous les préjugés , à donner l'exemple dans leur correspon*' 
dance publique ou privée, et à répandre l'instruction, qui 
peut faire sentir les avantagea de cette toi salutaire. 

» C'est au peuple français tout entier à se montrer digae de 
lui-même en comptant désormais ses travaux , ses plaisirs , 
ses fêtes civiques sur une division du. temps créée pour la 
liberté et l'égalité , créée par la révolution même , qui doit 
honorer la France dans tous les siècles. » ( Suivaient des 
tableaux, conlenant. le calendrier y la concordance, les 
rapports astronomiques , etc, ) 



(»5) 

ETABLISSEMENT DU GOUVERNEMENT 
RÉVOLUTIONNAIRE. 

Le 10 août 1792» au moment même où s'écroulait le 
trône, l'Assemblée législative avait retnis le pouvoir exé- 
cutif à un conseil provisoire composé de six ministres» 
( Voyez tome IX. ) 

Ce conseil exécutif provisoire, successivement formé 
d'hommes plus ou moins capables (1) , s'était maintenu sous 
la Convention , quoique souvent dénoncé , réprimandé , 
entravé dans sa marche , et condamné comme un reste des 
institutions monarchiques t le mot minisire sonnait mal à 
l'oreille républicaine. 

Le comité de salut public fut créé , et le Conseil exéco* 
tif placé sous sa surveillance. 

La Constitution , décrétée dans le mois de juin^ acceptée 
parle peuple, et inaugurée le 10 août 1793, établissait 
aussi un conseil exécutif, composé de vingt-quatre mem*^ 
bres ; mais elle ne leur donnait pas le titre de ministre. Au 
surplus cette Constitution ne reçut point d'activité. ( Voyez 
tome Xn. } Dans le premier des rapports qui vont suivre 
on entendra Saint-Just déclarer que les circonstances 
ne permettent pas de mettre cette Constitution en Vigueur ^ 
que ce serait Vimmeler par elle-même. 

Le gouvernement révolutionnaire s'établit , et le conseil 
exécutif provisoire, qui n'était plus qu'une superfétatioa 
dans la hiérarchie des autorités, fut encore conservé. Sa 
nullité amena enfin sa suppression définitive, qui arriva avec 
le complément du gouvernement révolutionnaire. ( Voye» 
pins loin.) 

Le comité de salut public est la première base de ce gott' 
vernement ; fixons la date de sa création. 



» 



(i) Aux miùistres Roland, Servan, Clavitres, Mongô , Danton, 
L«ebran, nommés par TAtoemblée législative, avaient succédé Garât , 
Cohier, Paré,Pache, Beurnonville , Bon/îhotte, Datbarade, D«for- 
gués , DetoumelUs , etc. 



( ii6 ) 

Un comité de défense générale' existait ; des plaintes 
et des soupçons s'élevaient contre lui. Le 22 mars 1798 , 
à la nouvelle des désastres de rarmée , Qui nette demande 
la formation d'un comité assez nombreux pour exercer une 
surveillance générale , et tenir prêtes des mesures propices 
à tout événement. Isnard veut un comité de salut public. 
La question est renvoyée à Texamen du comité de défense 
générale : c'était l'inviter à se maintenir. 

En effet, la Convention adopte le 25, sur la proposi- 
tion de ce comité, un décret qui le conserve en lui donnant 
plusieurs adjoints : le nombre total des membres est porté 
• à vingt-cinq : elle lui délègue de grands pouvoirs, à la 
cbarge pai* lui de rendre compte tous les huit jours de ses 
opérations. 

Mais avec les adjoints la division était entrée au comité : 
^ns Fespoir de rapprocher , de fondre les diverses opinions , 
on avait choisi des députés de la gauche, de la droite et 
de la plaine. Robespierre en faisait partie ; il déclare ne 
pouvoir s'entendre avec de certains hommes. Sans unani- 
mité y sans considération , le nouveau comité paralyse lui- 
même ses pouvoirs. Aucune autorité ne veille encore au 
Salut public. 

Le 4 ^^U Isnard reproduit son projet, qu'il a fait agréer 
an comité de défense générale : il consiste à créer dans le 
sein de la Convention une commission d'exécution com- 
posée de neuf membres , et de lui confier le pouvoir de 
surveyier et de destituer les agens du conseil exécutif, 
toujours à la charge de rendre compte de ses motifs à la 
Convention nationale. Quelques murmures accueillent ce 
|>rojet ; néanmoins la 4iscussion en est remise au lendeniaiD. 
Alors nouvelle opposition. L'auteur de la motion , puis Bréard, 
Barrëre, Thuriot, Marat, soutiennent contre Buzot, Dufri- 
<he-Yalazé et Biroteau , qu'il n'y a rien à craindre d'un 
comité responsable , établi pour un mois , sans action sur 
les ânances, sans puissance législative... — La dictature! 
Nous environnerons-nous toujours de chimères! La peur 
de la tyrannie amène à sa suite la tyrannie même.... Ah ! 
bien plutôt; dans les terribles circonstances où nous som^ 



( n7 ) 
mes , avec ]«s défiances hideutes qui nous assiègent f regar- 
dons comme de nouveaux Curlius se dévouant pour leur 
pajs ceux qui se consacreront aux travaux de ce comité.... 
La Convention ne peut administrer ; le conseil exécutif 
n'a pas assez d'activité ; il faut un corps intermédiaire..* — - 
£t le comité de salut public fut établi. Le décret , dont 
la rédaction définitive avait été confiée à Isnard , Barrera , 
Thuriot y Mathieu et Danton , fut rendu en ces termes le 
6 avril 1793 : 

An. i^'. Usera foi mê par appel nomiDal un comité de stdutfMic 
composé de neuf membres de la ConTention natiooale. 

3. Ce comité délibérera en secret; il sera chargé de surveiller et 
d^aceélérer Faction de Tadministration , confiée au conseil exécutif 
provisoire, dont il pourra même suspendre les arrêtés lorsqu'il les 
croira contraires à Tin lérâc national, à là eharge d'en informer sans 
délai Ja Convention. 

3. Il est autorisé à prendre dans les circonstances urgentes de* 
mesures de défense générale extérieure et intérieure; et ses arrêtés , 
signés de la majorité de ses membres délibérans, qui ne pourront étr» 
au-dessous des deux tiers, seront exécutés sans délai par le conseil 
ezécQtif provisoire. Il ne pourra en aucun cas décerner des mandat» 
d'amener ou d'arrêt , si ce n>it contre àts agens d^cxécutm y à la> 
cbarge d'en rendre compte sans délai à la Convention. 

4* Il fera chaque semaine un rapport général et (>at écrit de ses 
opérations et de la situation de la Bépublique. 

5. Il sera tenu un registre de tontes ses délibérations» 

6. Le comité n'est établi que pour un mois. 

7. La trésorerie nationale demeurera indépendante dn comité de 
salât public, et soumise h la surveillance immédiate de la Convention, 
suivant le mode fixé par U décret. 

Le premier comité de salut public se composa de Barrëre y 
Cambon, Danton , Gajton-Morveau , Treilhard , J .-P. La- 
croix, Bernier, Delmas, Robert-Lindet. Il entra en fonc- 
tions le 10 avril, et, vu l'importance de ses travaux, il fut 
réélu deux fois en totalité 4 il gouverna trois mois. ( Kcyez 
tome XII le précis des opérations de ce comité* ) 

Benottvelé le 10 juiUet, il eut pour membres Jambpn 
Saint-André , Barrëre » Cpathon, Hérault-Séchelles , Thu- 
riot , Prieur ( de la MarUe ) , Saint-Just , Robert-Lindet , 



( "8) 
Gasparin. Ce dernier donna sa démission après quelijuea 
jours : Robespierre le remplaça. 

Le comité de salut public devint bientôt Tunique autorité 
executive : ses neuf membres ne pouvaient plus suffire k la 
multiplicité des affaires ; on leur donna des collègues. Caraot, 
Prieur (de la C6te*d'0r) , CoIlot-d'Herboîs, BtUaud-Va- 
rennes y furent successivement appelés. 

C'est ce second comité de salut public , réunion d'hommes 
que la postérité jugera mieux que leurs contemporains , e'est 
ce comité qui , par de grands et nombreux services rendus à 
l'Etat j trouva si longtemps la Convention nationale dis» 
posée à lui renouveler sa confiance , à proclamer même par 
décret quUl rainait méritée, U conserva ses pouvoirs jujsqu'aa 
9 tliermidor. 

Passons au gouvei^nement révolutionnaire, dont le comité 
de salut public fut l'organe et en quelque sorte le chef : les 
rapports et l'es décrets qui vont suivre le montreront dans 
son développement et dans sa force. 

Eapport sur la nécessité de déclarer le gouvernement pro-^ 
visoire de la France révolutionnaire jusqu'à la paLr; 
feit par Saint-Just au nom du comité de salut public, — 
Séance;/ du tg du premier mois ( vendémiaire ) de Van 2 
de la République, ( 10 octobre 1793. ) 

« Pourquoi faut-il, après tant de lois ettant de soins, appeler 
encore votre attention sur les abus du gouvernement en général, 
sur récenomie et les subsistances ? Votre sagesse et le juste 
courroux des patriotes n'ont pas encore vaincu la malignité , 
gui partout eombat le peuple et la révolution : les lois sont ré- 
volutionnaires ; ceux qui les exécutent ne le sont pas. 

» Il est temps d'annoncer une vérité qui désormais ne doit 
plus sortir de la tête de ceux qui gouverneront : la Aépu-^ 
bliquene sera fondée que quand la volonté du souverain com- 
primera la minorité monarchique , etrégnera sur elle par droit 
de conquête. Vous n'avez plus rien à ménager contre les en- 
nemis du nouvel ordre de choses , et la liberté doit vaincre à tel 
prix que ce soit* 



( "9 ) 

» Votre comité ôe salut public , placé au centre Ae tons les 
résultats , a calculé les causes des malheurs publics : il les a 
trouvées dans la faiblesse avec laquelle on exécute vos décrets , 
dans le peu d'économie de l'administration , dans l'instabilité 
de» vues de. l'Etat, dans la vicissitude des passions quiiûfluent 
sur le gouvernement. 

» Il a donc résoin de vous exposer l'état des choses , et dé 
TOUS présenter les moyens qu'il croit propres à consolider la 
révolution , à abattre le fédéralisme , à soulager le peuple et 
lui procurer l'abondance, à fortifier les armées, à nettoyer l'Etat 
des conjurations qui l'infestent. 

» Il n'y a point de prospérité à espérer tant que le dernier . 
ennemi de la liberté respirera. Vous avez à punir non seulement 
les traîtres , mais les indifférens mêmes ; vons avez à punir qui- 
conque est passif dans la République , et ne fait rien pour elle : 
car depuis que le peuple français a manifesté sa volonté tout 
ce qui lui est opposé est hors le souverain ; tout ce qui est hors 
le souverain est ennemi. 

» Si les conjurations n'avaieut point troublé cet empire, si 
la patrie n'avait pas été mille fois victime des lois indulgentes y 
il serait doux de régir par des maximes de paix et dé justice 
naturelle : ces maximes sont bonnes entre les amis de la liberté; 
mais entre le peuple et ses entoemis il n'y a plus rien de com- 
mun que le glaive II faut gouverner par le fer ceux qui ne 
peuvent l'être par la justice : il faut opprimer les tyrans. 

M Vous avez eu de l'énergie ; l'administration publique en a 
manqué. Vous avez désiré l'économie : la comptabîHtfr n'a point 
secondé vos efforts; tout le monde a pillé l'Etat. Les généraux 
ootfaitla guerre à leur armée. Les possesseurs des productions 
et des denrées , tous les vices de la monarchie enfin se sont 
ligués contre le peuple et vous. 

» Un peuple n'a qu'un ennemi dangereux ; c'est son gouver* 
nement : le vôtre vous a fait constamment la guerre avec im- 
punité. 

» Nos ennemis n'ont point trouvé d'obstacles à ourdir les 
conjurations. Les agens choisis sous l'ancien ministère ^ les 
partisans des royalistes sont les complices nés de tous les 
attentats contre la patrie. Vous ayez eu peu de ministres pa- 



•^ 



( I20 ) 

trioles ; cVst ])ourqaoi toii^ le» priocipaux chefs cle l'armée et 
de l'adminiatration , étrangers au peuple pour ainsi dire , ont 
constaminant été livrés aux desseins de nos ennemis. 

1» Le peuple se trompe: il se tron>pe moins que les hommes. 
Le généralat est sans sympathie ayec la nation, parce qii^il 
n'émane ni de son choix ni de celui de ses représentans ; il est 
moins respecté du soldat; il est moins recommatidable par 
l'importance du choix ; la discipline en souffre , et le génératat 
appartient encore à la nature de la monarchie. 

» Il n'est peut-être point de commandant militaire qui ne 
fonde en secret sa fortune sur une trahison en faveur des rois* 
On ne saurait trop identifier les gens de guerre au peuple et à 
la patrie. 

» Il en est de même des premiers agens du gouYemement ; 
c'est une cause de nos malheuis que le mauvais choix des 
comptables t on achète les places , et ce n'est pas l'honame de 
bien qui les achète ; les intrigans s'y perpétuent : on chasse 
un fripon d'une administration; il entre dans uneautre^ 

» Le gouvernement est donc une conjuration perpétuelle 
contre Tordre présent des choses. Six ministres ndmment aux 
emplois : ils peuvent être purs ; maison les sollicite; ils choisis* 
sent aveuglément 2 les premiers après eux sont sollicitée , et 
choisissent de naême. Ainsi le gouvernement est une hiérarchie 
d'erreurs et d'attentats. 

» Les ministres avouent qu'ils ne trouvent plus qu*iiiertic et 
insouciance au delà de lenrs premiers et seconds subordonnés. 

» Il est possible que les ennemis de la France fassent ocou- 
pelr en trois mois tout votre gouvernement par des conjurés. 
£n enlre«t*il trois en place , ceux--ci en placent six ; et si dans 
ce moment on examinait avec sévérité les hommes qui adrni* 
nistrent l'Etat , sur trente mille qui sont employés il en est 
.peut-être fort peu à qui le peuple donnerait sa voix. 

» Citoyens y tous les ennemis de la Répubhque sont dans 
son gouvernement. £n vain vous vous consumez dans cette 
enceinte à faire de» lois ; en vain votre comité , en vain quel- 
ques minpistres vous secondent : tout conspire contre eux et 
TOUS. 

» Nous avons reconnu que des agens de l'administratioa des 



( lai ) 

hôpitaux ont fourni depuis six mois des farines aux rebelles de 
la Vendée. 

n Les riches le sont devenus davantage depuis les taxes , 
faites surtout en faveur du. peuple ; elles ont doublé la valeur 
de leurs trésors ; elles ont doublé leurs( mojens^ de séduction. 

w Les hommes opulens contribuent, n'en doutez pal, à 
sout^ir la guerre. Ce sont eux qui partout sont en concurrence 
avec r£tat dans ses achats ; ils déposent leurs fonds entre les 
mains des administrations ii^dèles, des commissionnaires , des 
courtiers : le gouvernement est ligué avec eux. Vous poursui- 
vez les accapareurs ; vous ne pouvez poursuivre ceux qui 
achètent en apparence pour les armées. 

^ V II faut du génie pour fsire une loi prohibitive à laquelle 
aucun abus n'échappe : les voleurs que Ton destitue placent les 
fonds qu'ils ont Volés entre les mains de ceux qui leur succèdent . 
La plupart des hommes déclarés suspects ont des mises dans 
\t% fournitures. Le gouvernement est la caisse d'assurance de 
tous les brigandages et de tous les crimes. 

» Tout se tient dans le gouvernement; le mal dans chaque 
partie influe sur le tout. La dissipation du trésor public a cou-* 
tribué au renchérissement des denrées et au succès des conju- 
rations ; voici comment. 

N Trois milliards , volés parles fournisseurs et par les agens 
de toute espèce, sont aujourd'hui en concurrence avec l'Etat 
dans ses acquisitions , avec le peuple sur les marchés et sur les 
comptoirs des marchands , avec les soldats dans les garnisons , 
avec le commerce chez ^étranger. Ces trois milliards fermen- 
tent dans la République : ils recrutent pour l'ennenii ; ils 
corrompent les généraux ; ils achètent les emplois publics ; ils 
séduisent les juges et les magistrats , et rendent le crime plus 
fort que la loi. Ceux qui se sont enrichis veulent s'enrichir 
davantage : celui qui désire le nécessaire est patient ; celui qui 
désire le superflu est cruel. De là les malheurs du peuple , 
dont la vertu reste impuissante contre l'activité de ses ennemis. 

» Vous avez porté des lois contre les accapareurs ; ceux qui 
devraient faire respecter les lois accaparent : ainsi les consuls 
Papius etPoppœus, tous deux célibataires, firent des lois 
«outre le célibat. 



( IM ) 

» Personne n'est sincère dans radminisiration publique ; 
)e patriotisme est un commerce des lèvres; chacun sacrifie tous 
les autres , et ne sacrifie rien de son intérêt. 

>» Vous aves beaucoup fait pour le peuple en ôtant dix*^huifc 
cents millions de la circulation ; vous avez diminué les moyens' 
de tourmenter la patrie ; mais depuis les taxes ceux qui 
avaient des capitaux ont vu doubler au même instant ces capi* 
taux , comme je l'ai dit. Il est donc nécessaire que vou» 
chargiez l'opulence des tributs ; »l est nécessaire que vous éta- 
blissiez un tribunal pour que tous ceux qui ont manié depuis 
quatre aos les deniers de la République y rendent compte de 
leur fortune : cette utile censure écartera les fripoos^des emplois» 
Le trésor public doit se remplir des res^tutîons des voleurs , eV 
la justice doit régner à son tour après ^l'impunité. 

w Alors y quand vous aurez coupé la racine du ntal et que 
vous aurez appauvri les ennemis du peuple , ils n'entreront plus 
en Concurrence aveciui ; alors vous dépenserez beaucoup moins 
pour l'équipement et l'entretien des armées ; alors le peuple 
indigent ne sera plus humilié par la dépendance oii il est du 
riche. Le pain que donne le riche est amer ; il compromet la 
liberté : le ])ain appartient de droit au peuple dans un £tat 
sagement réglé. 

M Mais si au lieu de rétablir l'économie et de pressurer les 
traîtres , si au lieu de leur faire payer la guerre vous faites des 
émissions d'assignats pour les enrichir encore davantage, vous 
ajouterez de plus en plus aux moyens qu'ont vos ennemis de 
vous nuire. 

» II, faut dire la vérité tout entière. Les taxes sont néces- 
saires à cause des circonstances ; mais si les émissions d'assi- 
gnats continuent , et si les assignats émis restent eii circula- 
tion, le riche, qui a des épargnes, se mettra encore en concurence 
avec le peuple , avec l'agrictilture , avec les arts utiles pour leur 
ravir les bras qui leur sont nécessaires. 

» Le cultivateur- abandonnera sa chafrrue , parce qu'il ga- 

' gnera davantage à servir l'homme opulent. Vous aurez taxé 

les produits ; on vous enlèvera les bras qui produisent , et si les 

produits sont -plus rares le riche saura bien se les procurer, et 

la disette peut aller à son comble. 



( 123 ) 

» Lorsqu'on a taxé les denrées aa tiers , au quart, à moitié 
du prix où elles étaient auparavant, il faut oter de la circula^- 
tfon le tiers, le quart , la moitié du signe ou de la monnaie. 

M C'est au riche, dont les taxes doublent le revenu, à rendre 
à la pairie une- portion de ce revenu proportionnée au bénéfice 
des taxes. 

»^ L'un des meilleurs moyens de faire baisser les denrées et 
de diminuer l'excès des fortunes est de forcer celui qui a trop 
àl'écoBOwie. ■ » 

» Ces vérités simples doivent être saisies de tout le monde ; 
elles appartiennent davantage au cœur qu'à Tesprit. 

» Il y a quelques rappoits particuliers sous lesquels vous 
êeyez envisager les monnaies dans les circonstances présentes ; 
tout ayant prodigieusement renchéri depuis les ventes de 1790 
et 1791 9 qui ont été les plus rapides , les annuités et les in- 
térêt» qu'on vous paie auiodrd'huî ne répondent plus à la valeur 
aetitlftlle an signes et l'État a perdu moitié sur la vente des terres. 

» Je ne fisiis point ces réflexioiis pour alarmer les acquéreurs; 
quelles^que soient les pertes qu'a faites l'État , la perte du crédit 
'national serait plus grande encore, et la probité du peuple 
français 'garantit l'aliénation des domaines publics. 

» Ainsi tout concourt à vous prouver que vous devez im- 
poser les riches , établir une sévère économie , et poursuivre 
rigoureusement tous les comptables , aHn de ne pas perdre 
sur la valeur des intérêts et des annuités. 

» Ces moyens sont simples ; ijs sont dans la nature même 
des choses, et sont préférables aux systèmes dont la République 
est inondée depuis quelque temps. 

» Votre comité de salut public a pensé que l'économie et 
la sévérité étaient dans ce moment le meilleur moyen de faire 
baisser les denrées. On lui a présenté des projets d'emprunts , 
de banques et d'agiotages de toute espèce , et sur les monnaies 
et sur les subsistances ; il les a rejelés comme des inspirations 
de l'avarice ou de l'étranger. Notre principe doit être de dimi- 
nuer la masse des assignats par le brûlement seul. 

» Jetons un coup d'œil sur le conm[ierce et sur le change. 

V Je parlerais ici de la politique et du commerce de l'Eu*- 



X 






( ia4 ) 
rope s! je n'atais un rapport particulier à voyi fkire sur le» 
colonies. ^ 

» Je ne parlerai donc point ici des Toes commerciales qui 
copviennent à la République ; je ne veux parler du commerce 
que dans son rapport avec la crise oii noas sommes. 

» Beaucoup de denrées sont deviennes rares; ce st>tit celles 
que ne produit pas notre pays : ces denrées pourront devenir 
plus rares encore par la diiïîculté de s'en procurer. Il n'y a plus 
d'échanges ; mais il vaut mieux se*passer de denrées de luxe que 
de courage et de vertu. 

» Il sera nécessaire que votre comité de commerce examiDe 
si toutes les denrées de première nécessité que produit le sol de 
la République sont en proportion avec les besoin» du peuple , 
car rien ne supplée à la disette absolue. 

» Tout le commerce de l'Europe languit : nos ennemis sont 
punis eux-mêmes , semblables à l'abeille , qui perd la vie en 
nous piquant de son aiguillon : il s'est fait mille banqueroaies 
k Londres depuis la guerre. Aussitôt que le gouvernement 
anglais connaît un riche , il le fait lord : son dessein en cela est 
de fortifier le patriciat et la monarchie ; mais ce moyen ruine 
le commerce , et s'il se trouve quelques hommes de courage 
dans la chambre des communes , elle abolira peut-être bientôt 
celle des pairs et le trône» aidée par la misère publique et le 
ressentiment du conmaerce. 

» Nos mœurs présentes nous font souffrir avec joie des pri- 
vations. Il n'en est pas de même dans les monarchies qui nous 
font la guerre ; elles sont toutes ébranlées par les cris des 
peuples. 

» Les denrées ont encore renchéri par la difficulté des char- 
rois , et la cherté des fourrages et des chevaux ; les chemins 
sont ruinés pour la plupart. 

>» Votre comité avait eu l'idée d'employer les hommes jus- 
tement suspects à lé& rétablir , à percer les canaux de Saint- 
Quentin et d'Orléans , à transporter les bois de la marine , à 
nettoyer les fleuves : ce serait le seul bien qu'ils auraient fait à 
la patrie : c'est à vous de peser cette idée dans votre sagesse. 
Dans une république il n'y a point de considération qui doive 
prévaloir sur l'utilité commune ; il serait juste que le peuple 



( 125 ) 

régnât à son tour sur set oppresseurs , et que la sueur baiguat 
l'orgueil de leur front. 

» Les différentes lois que vous portâtes autrefois sur les sub^ 
sistances auraient été bonnes si les hommes n'avaient pas été 
mauvais. 

» Lorsque vous portâtes la loi du maximum les ennemis 
du peuple , plus riches que lui , achetèrent au dessus du 
maximum» 

» Les marchés cessèrent d'être fournis par l'avarice de ceux, 
qui vendaient : le prix de. la denrée avait baissé , mais la denrée 
fut rare. 

1» Les commissionnaires d'un grand nombre de communes 
achetèrent en concurrence , et comme l'inquiétude se nourrit 
et se propage d'elle-même , chacun voulut avoir des magasins , 
et prépara la famine pour s'en préserver. 

» Les départemens fertiles furent inondés de commissions ; 
tout fut arrhé : on acheta même pour le duc d'Yorck ; on a vu 
des commissionnaires porteurs de guinées. 

» L'administration des subsistances militaires , et le peuple , 
obligés d'acheter au maximum , ne trouvèrent que ce que la 
pudeur du crime et de l'intérêt n'avait point o%é vendre à plus 
haut prix. 

» Ainsi nos ennemis ont tiré avantage de nos lois mêmes, et 
les ont tournées eu leur faveur. 

» Votre comité de salut public a pensé que vous deviez ré- 
primer fortement cette concurrence établie entre le peuple et 
ses ennemis, et soumettre les commissions ou réquisitions à. un 
wsa par le moyen duquel les agens mal intentionnés seraient 
reconnus, et les réquisitions organisées. 

9 Dans les vircons tances, où se trouve la République , la 
Constitution ne peut être établie ; on l'immolerait par elle- 
même. Elle deviendrait la garantiedes attentats contre la liberté, 
parce qu'elle manquerait de la violence nécessaire pour les . 
réprimer* Le gouvernement présent est aussi trop embarrassé. 
Vous êtes trop loin de tous les attentats ; il faut que le glaive 
des lois se promène partout avec rapidité , et que votre bras 
fioit partout présent pour arrêter le crime. 

» Vous devez vous garantir de l'indépendance des adininis- 



( 126 ) 

tfatiotis , diviser Tautoritë , l'identifier au mouretaieiit revoIU" 
tionnaire et à vous , et la multiplier. 

V) Yous devez resserrer tous les nœuds de la responsabilité , 
diriger le pouvoir , »ouveut terrible pour les patriotes , etson— 
vent indulgent pour les traîtres. Tous les devoirs envers le 
peuple sont méconnus ', l'insolence des gens en place est insup- 
portable ; les fortunes se fontiavec rapidité. 

u li est impossible que les lois révolutionnaires soient exe* 
cutées si le gouvernement lui-même n'est constitué révoli:t-> 
tionnairement. 

» Vous ne pouvez point espérer de prospérité si vous n'ëtar 
blissez un gouvernement qui . doux et modéré envers le peuple, 
sera terrible envers lui-même par l'énergie de ses rapports : 
ce gouvernement doit peser sur lui-même ^et non sur le "peuple. 
Toute injustice envers les citoyens , toute trahison, tout acte 
d'indifférence envers la patrie , toirte mollesse y doit être sou- 
verainement réprimée. ^ ... 

» Il faut y préciser les devoirs , y placer partout le glaive à 
coté de l'abus , en sorte que tout «oit libre dans la République , 
excepté ceux qui conjurent contre elle et qui gouvernent maK 
» Les conjurations qui ont déchiré depuis un an la Répu- 
blique nous ont avertis que le gouvernement avait conspiré sans 
cesse contre la patrie : l'éruption de la Vendée s'est accrue 
sans qu'on en arrêtât les progrès ; Lyon , Bordeaux , Toulon , 
Marseille se sont révoltés , se sont vendus sans que le gouver— 
ment ait rien fait pour -prévenir ou pour arrêter le mal. 
, » Aujourd'hui, que la République a douze cent imlle. 
homtnes à nourrir, des rebelles à soumettre, et le peuple à sau— 
-ver ; aujourd'hui , qu'il s'agit de prouver à l'Europe qu'il n*est 
point en son pouvoir de rétablir chez nous l'autorité d'un seul , 
vous devez rendre le gouvernement propre à vous seconder 
dans vos desseins , propre à l'économie et au bonheur public- - 
» Vous devez mettre en sûreté les rades , construire promp— 
tement de nombreux vaisseaux , remplir le trésor public ,- 
ramener l'abondance , approvisionner Paris comme en état de 
siège jusqu'à la paix; vous devez tout remplir d'activité , rallier 
les armées au peuple et à la Convention nationale. 

n 11 n'est pas inutile non plus que les devoirs des. repré— 



( Ï27 ) 

sentans du peuple auprësi des armées leur soient sévëretnent 
recommaBdés : ils y doivent être les përeset les amis du soldat ; 
ils doivent coucher sous la tenté ; ils doivent être présens aux 
exercices militaires ; ils doivent être peu familiers avec les 
généraux , afin que le soldat ait plus de confiance dans leur 
justice et leur impartialité quand il les aborde; le soldat doit 
' les trouver jour et nuit prêts à l'entendre ; les représentans 
doivent manger seuls ; ils doivent être frugals , et se souvenir 
qu'ils répondent du salut public , et que la chute éternelle des 
rois est préférable à la mollesse passagère. 

M Ceux qui font des révolutions dans le monde , ceux qui 
veulent faire le bien ne doivent dormir que dans le tombeau. 

w Les représentans du peuple dans les camps doivent y 
vivre comme Annibal avant d'arriver à Capoue , et , comme 
Mithridate, ils doivent savoir , si je puis ainsi parler, le nom 
de tons les soldats ; ils doivent poursuivre toute injustice , tout 
abus , car il s'est introduit de grands vices dans la discipline 
de nos armées : on a vu des bataiIloos.de l'armée du Rhin 
demander l'aumône dans les marchés : un peuple libre est 
humilié de ces indignités ; ils meurent de faim ceux qui ont 
respecté les dépouilles de la Belgique I 

» Un soldat malheureux est plus malheureux que les autres 
hommes; car pourquoi combat-il , s'il n'a rien à défendre qu'un 
gouvernement qui l'abandonne ? et le caractère des chefs est peu 
propre à lui faire supporter ses maux. Il est peu de grandes 
âmes à la tête des armées pour les enivrer , leur inspirer l'amour 
de la gloire , l'orgueil national , et le respect de la discipline , 
qui fait vaincre. Il n'y avait eu jusqu'à présent à la tête de vos 
armées que des imbéciles et des 'fripons. Votre comité de salut 
public a épuré les états-majors ; mais on peut reprocher encore 
à tous les officiers l'inapplication au service ; ils étudient peu 
l'art de vaincre ; ils se livrent à la débauche ; ils s'absentent des 
corps aux heures d'exercice et deéombat ; ils commandent avec 
hauteur , et conséquemment avec faiblesse. Le vétéran rit 
sous les armes de la sottise de celui qui le commande, et 
voilà comment nous éprouvons des revers.. 

» Il nous a jnanqué jusqu'aujourd'hui des institutions et des 
lois militaires conformes au système de la République , qu'il 



( «28 ) 

s'agit de fonder. Tout ce qui n'est )>oiat nouvean dans un 
temps d'innovation est pernicieux. L'art militaire de la mo- 
narciiie ne nous convient plus; ce sont d'autres homines et 
d'autres ennemis : la puissance des peuples , leurs conquêtes , 
leur splendeur politique et militaire dépendent d'an point 
unique , d'une seule institution forte. Ainsi les Grec» doivent 
leur gloire militaire à la phalange; les Romains à la lésion , 
qui vainquit la phalange. Il ne faut pas croire que la phalange 
et la légion soient les simples dénominations des corps composés 
d'un certain nombre d'hommes ; elles désignent un certain ordre 
de combattre , une constitution militaire. 

M Notre nation a déjà un caractère ; son système -militaire 
doit être autre que celui de ses ennemis : or si la nation Fran- 
çaise est terrible par sa fougue , son adresse , et n ses enne* 
mis sont lourds , froids et tardifs , son système militaire doit 
être impétueux. 

» Si la nation française est pressée dans cette guerre par 
toutes lespassioQs fortes et généreuses , l'amour de la liberté , 
la haine des tyrans et de l'oppression ; si au contraire ses eime-* 
mis sont des esclaves mercenaires , automates sans passions , 
le système de guerre des armes françaises doit être l'ordre du 
choc. 

» Le même esprit d'activité doit se répandre dans toutes les 
parties militaires ; l'administration doit seconder la -discipline. 
» L'administration des armées est pleine de brigands : on 
vole les rations des chevaux; les bataillons manquent de 
canons ou de chevaux pour les traîner ; on n'y reconnaît poinc 
de subordination , parce que tout le monde vole et se mépriae. 
p II est temps que vous remédiez à tant d'abus si vous tou-« 
lez -que la République s'affermitse. Le gouvernement nre doit 
pas être ibulement révolutionnaire Contre l'aristocratie ; il doit 
l'être contre ceux qui volent le soldat , qui dépravent l'armée 
par leur insolence , et qui , par la dissipation des deniers 
publics , ramèneraient le peuple à l'esclavage , et l'empire à 
sa dissolution par le malheur. Tant de maux ont leur source 
dans la corruption des uns , et dans la légèreté des autres. 

>> Il est certain que dans les révolutions, ccnnme il faut 
combattre la résistance des uns, la paresse des autres pour . 



f ï29 ) 
le changement, la supec&Utioa de ceux-ci pour l'autoritd 
d^trmte , Tambition et Thypocrisie de ceux-là , le gouverne- 
ment nouveau s'établit avec difficulté, et ce n'est qu'avec 
peine qu'il forme son plan et ses maximes ; il demeure long- 
teo^s sans résolutions bien décidées : la liberté a son enfance ; 
on n'ose gouverner ni avec vigueur ni avec faiblesse , parce que 
la liberté vient par une salutaire anarchie , et que l'esclavage 
centre souvent avec. l'ordre absolu. 

>> Cependant l'ennemi redouble d'efforts et d'activité ; il ne 
nous fait peint la guerre dans l'espérance de nous vaincre par 
les armes, mais il nous la fait pour énerv^er le gouverne- 
ment et empêcher qu'il ne s'établisse ; il nous la fait pour ver- 
ser le sang des défenseurs de la liberté , et en diminuer le 
nombre , afin qu'après la mort de tous les hommes ardens 
ils capitulent avec les lâches qui les attendent. Il a péri cent 
mille patriotes depuis un an : plaie épouvantable pour la liberté ! 
Notre eunemi n'a perdu que des esclaves \ les épidémies et les 
guerres fortifient l'autorité des rois. 

» Il faut donc que noire gouvernement regagne d'un côté 
ce qu'il a perdu de l'autre ; il doit mettre to^s les ennemis 
de la liberté dans l'impossibilité de lui nuire à mesure que les 
gens de bien périssent. Il faut (aire la guerre avec prudence , 
et ménager notre sang , car on n'en veut qu'à lui ; l'Europe 
en a soif : vous avez cent mille hommes dans le tombeau qui 
ne dépendent plus la liberté ! 

«> Le gouvernement est leur assassin ; c'est le crime des uns , 
c'est l'impuissance des autres et leur incapacité. 

>» Tous ceux qu'emploie le gouvernement sont paresseux ; 
tout homme en place ne fait rien lui-même , et prend des agens 
secondaires ; le premier agent secondaire à les siens , et la 
République est en proie à vingt mille sots qui la corrompent , 
qui la combattent , qui la saignent. 

M Yous devez diminuer partout le nombre des agens , afin 
<jue les chefs travaillent et pensent. 

» Le ministère est un monde de papier. Je ne sais point 
comment Rome et l'Egypte se gouvernaient sans cett,e res- 
source : on pensait beaucoup ; on écrivait peu. La prolixité 
<}e la correspondance et des ordres du gouvernement est un^ 
xnu 9 



( »3o ) 
marque de son inertie ; il est impossible que l'on gouverne 
sans laconisme. Les reprësentans du peuple , les généraux y \ei 
administrateurs sont environnés de bureaux comme les 
anciens hommes de palais ; il ne se fait rien , et la dépense 
est pourtant énorme. Les bureaux ont remplacé le monar- 
chisme ; le démon d'écrire nous fait la guerre, et Ton ne gou- 
verne point. 

» Il est peu d'hommes à la tête de nos établissemens dont 
les vues soient grandes et de bonne foi : le service public , tel 
qu'on le fait , n'est pas vertu ; il est métier. 

N Tout enfin a concouru au malheur du peuple et à la disette ; 
l'aristocratie , l'avarice , Tinertie , les voleurs , la mauvaise 
méthode. Il faut donc rectifier le gouvernement tout entier 
pour arrêter Timpulsion que nos ennemis s'efforcent de lui 
donner vers la tyrannie. Quand tous les abus seront corrigés 
la compression de tout mal amènera le bien ; on verra renaître 

l'abondance d'elle-même. 

» 

» J'ai parcouru rapidement la situation de l'Etat, ses 
besoins et ses maux : c'est à votre sagesse de faire le reste ; 
c'est au concours de tous les talens à étendre les vues dn comité 
de salut public. Il m'a chargé de vous présenter les znesui:es 
suivantes de gouvernement. » 

Décret. ( Adopté dans la même séance, ) 

La ConTentipn nationale , après avoir entenda le rapport de soi 
comité de salut public , décrète ce qni suit : 

Du Gout^ernement. 

Art. 1*'. Le gouTernement provisoire de la France est révolution- 
naire jusqu^k la paix. 

a. Le conseil exécutif provisoire , les ministres, les généraux, let 
corps constitués sont placés sous la surveillance du comité de saint 
public , qui en rendra compte tous les huit jours à la Convention. 

3. Toute mesure de sûreté doit être prise par le conseil exécdtif 
provisoire, sous l'autorisation du comité, qui en rendra compte à la 
GoQ^rention. 

4. Les lois révolutionnaires doivent être exécutées rapidement. Le 
gouvernement correspondra immédiatement avec les districts dans le» 
mesures d« salut public. 



( »3i ) 

h. Les généraux en chef seront nommés pcW la Conveotioii nationale, 
sur la présentation du comité tU 'salut public. 

6. L^inertie du gouTcrnenaent étant Ja cause des revers , les délais 
pour rexécntion dfs lois et des mesure^ de salut public seront fixés. 
LaTiolaiion des délais sera punie comme un attentat à la liberté. 

Subsistances. 

7. Le tableau des productions en grains de chaque district , fait par 
le comité de salut public, sera imprimé et distribué à tous les membres 
de 1;^ Convention . pour élre mis en action sans délai. 

8. Le nécessaire de chaque département sera évalué par approxima- 
tion, et garanti. Le superflu sera soumis aux réquiBÎlions. 

9. Le tableau des productions de la République sera adressé aux 
représentansdu penple, aux ministres de la marine et de l'intérieur, 
aux administrateurs dés subsistances. Ils devront requérir dans les 
arrondisscmens qui leur auront été assignés. Paris aura un arrondisse- 
ment particulier. 

10. Les réquisitions pour le compte des départemens stériles seront 
autorisées et réglées par le conseil executif provisoire. 

II* Paris sera approvisionné au premier mars pour une année. 

Sûreté générale, 

12. La direction et l'emploi de Taripée révolutionnaire seront inces- 
samment réglés , de manière à comprimer les contre-révolu tionnaire3. 
Le comité de salut public en présentera le plan. 

*i3. Le conseil enverra garnison dans les villes où il se sera élevé des 
mottvemens coBtre-révolutionnatres. Les garnisons seront pajées et 
eotreiennes par les riches de ces villes jusqu'^à la paix. 

Finances. 

i4* Il aéra créé un tribunal et un juré de comptabilité. Ce tribunal 
et ce furé seront nommés par la Convention nationale. Il sera chargé 
de poursoiTTe tous ceux qui ont manié les deniers publics depuis là 
réiroluiion, et de leur demander compte de leur fortune. L^organisatioQ 
de ce tribunal est renvoyée au comité de législation. 

Rappobt sur le mode de gouvernement provisoire et révolu^ 
iionnaire ^fait au nom du comité de salut public par 
Billand-Yarennes. — Séance du 28 brumaire an :i de la 
République, (18 novembre 1793. ) 

« Citoyens , dans la séance da 19 du mois dernier vous avee^ 
jeté les bases d'un gouvernement préparatoire et révolution- 
naire. Il TOUS manque encore le complément de cette mesure ; 



(l32 ) 

il vonsmanque cette force coactivc qui «st le principe de \\ 
tence du mouvement et de l'exécution. 

» Des qu'une grande commotion politique a produit son effet ; 
quand l'explosion n'a pas seulement renversé la tyrannie, mais 
sapé jusqu'à ses fondemcns , en substituant à son code despo- 
tique des lois révolutionnaires , de sorte qu'il ne reste plus aux 
lâches partisans de la royauté et du fédéralisme qu'une force de 
réticence ou d'inertie , c'est alors achever de les réduire com- 
plètement que de comnriuniquer au gouvernement une action 
nerveuse et compressive. 

» Il est une vérité qu'il faut dire ici.' Deux écueils accompa— 
gnent l'enfance et la vieillesse des républiques : c'est l'anarchie , 
qui à leur origine devient inséparable de leur foiblesse ; c'est 
encore Tanarchie, que ramène le relâchement dans leur décré- 
pitude , et qui, trop prolongée, reconduit insensiblement à 
l*esclavage. 

» Fixel vos regards sur toutes les parties de la France , et 
partout vous apercevrez les lois sans vigueur ; vous verrez même 
que plusieurs n'arrivent point aux administrations , et que le 
-surplus leur parvient si tard que souvent l'objet en est atténué. 
Yous distinguerez une apathie égale chez tous les agens du gou~ 
vernement -, en un mot vous serez effrayés en apprenant qu'il 
n'y a que les décrets ou favorables à l'ambition des autorités 
constituées , ou d'un effet propre à créer des mécontens , qui 
soient mis à exécution a;vec une ponctualité aussi accélérée que 
machiavélique. Vainement avez-vous payé la dette la plus sacrée 
de la nation en tendant une main bienfaisante aux. pères , aux 
femmes , aux enfans des généreux défenseurs de la patrie ; ce 
soulagement est réparti avec des lenteurs , des formalités , des 
préférences qui le rendent nul pour un très grand i^ombre. En 
vain , cédant à un juste sentiment d 'humanité , avez- vous songé 
h soustraire l'indigence aux horreurs du besoin ; de toute 
part la mendicité , abandonnée, étale constamment le spectacle 
douloureux de ses infirmités , et ne doit sa triste existence qu'à 
la commisération qu'elle excite dans le cœur navré des passans. 
Les décrets sur les accaparemens tombent insen^blement en 
désuétude, parce qu'ils frappent sur l'avidité des riches mar- 
chands ^ dont la plupart sont aussi administrateurs T*a même 



[ »3J) 
eause a rendu lies lois sur les subsistances toujours insuffisaiHes , 
souvent meurtrières , en empêchant qu'elles aient une eiiécutioa 
uniforme et générale. Ainsi dans une République l'intérêt par-> 
ticuliex cootiûue d'être seul je mobile de i'actioit civile , et les 
levier» da gouverneme»tagissent plutôt pour ceux qui les meu<- 
Tent que pour le peuple , qu'on semble youloii^ dégoûter de sa 
liberté e& Je privant sans cesse des bienfaits de la révolution! 

» Citoyens ^ c'est à vous à prévenir les suites funestes d'une 
ihtentioB aus»i perfide ; encore une fois , c'est à vous à con- 
cevoir que si les révolutions sout nécessaires^ pour briser le 
jong de la servitude , la force du gouvernement devient indis* 
pensabie poar cimenter les bases de la liberté , comme le génie 
est utile pour leur donner une coupe et une-contexture qui pré- 
parent leur solidité. Pourquoi le despotisme prend-il un accrois- 
sement si rapide et un aplon^b si parfait ? C'est l'effet naturel' 
de cette unité d'action et de^ volonté qui résulte d'une exécutioa 
impérative et simultanée. Comment Lyc argue assura -t- il la 
liberté à son pays ? Far une observation religieuse et soutenue 
de ses lois pendant un temps indéfini. Que fît le tyran Pisistrate 
pour usurper l'autorité suprême? H eut l'art des le principe 
d'empêcher que 1» constitution de Solon put s'affermir par 
l'usage , en engageant les Athénien» d'y déroger chaque jour. 

» Certe» ils sont dans une étrange- erreur ceux qui- pensent 
que communiquer du mouvement eir de la vie au gouvernement 
c'est arrêter le torrent d'une révolution- quand une fois il a 
pris son cours ; ceux-là confondent tous» les systèmes et leurs 
conséquences.. Il s'en faut que dans^ une république le ressort 
du gouvernement comprime uniquement le peuplé^ comme 
dans une monarchie : sous le royalisme le mépris des lois 
est le premier apanage de l'homme investi de l'autorité ; sous 
le règne de la liberté leur observatio» rigoureuse est le premier 
devoir du fonctionnaire public. Il y a mêîne cette différence : 
AauB une monarchie la nation est tyrannisée en proportion 
de la vigueur conservée à^ l'exécutioa des ordonaances du 
prince , et dans une démocratie les injustices et les vexations 
se mesurent sur les infractions faiti^s aux lois. 

>» D'ailleurs en révolution le peuple et le législateur doivent 
?»euls pouvoir , dans les momens de crise,, s'élancer hors di» 



( i34) 
cercle pour y ramener toute masse ie factîem et ie mal-* 
veillans devenue trop forte pour , être contenue ou réduite 
par les voies ordinaires : mais quand Tinstrament de la loi , 
quand les autorités secondaires , qui sont les points d'appui 
de la révolution, ne servent qu'à l'entraver, qu'à tourner 
contre elle l'institution même qui devait assurer son triomphe , 
c'est alors qu'on marche à grands pas vers son anéantissement, 
w Si jusqu'à ce jour la responsabilité des fonctionnaires 
publics n'eût pas été un vafn mot , eût-on vu tant de désor- 
dres , tant d'abus , tant de trahisons se succéder , et prendre 
toutes naissance au sein des autorités constituées ? N'est-ce 
pas l'impunité acquise aux membres des départemens coalisés 
avec le tyran pour redonner des fers à leur patrie qui a encou- 
ragé leurs successeurs à méditer une conspiration plus hardie ^ 
le fédéralisme , qui eût fait des départemens autant de prin- 
cipautés , et des administrateurs autant de potentats ? Apres 
la journée du lo août vainement a- t-on ordonné le renou- 
vellement des autorités constituées : on a changé les person- 
nes ; mais le même esprit d'ambition , de domination , de 
perfidie s'est perpétué ; il s'est même agrandi , car l'impunité 
enfante la licence, et la licence pullule le crime. Mettre pour 
barrière des exemples éclatans entre les tentations et Thomme 
faible , c'est forger un chaînon de plus pour le rattacher à 
la vertu ; au lieu qu'en voyant le fonctionnaire public qui 
xiprës avoir trahi ses devoirs eu est quitte pour une simple 
destitution qui n'attaque ni son honneur ni sa fortune, qui 
lui permet même d'espérer qu'à la faveur de nouvelles intri- 
gues il pourra un jour rentrer sur la scène , alors on s'inquiète 
peu d'être scrupuleux dans sa conduite ; il n'y a même que 
l'homme probe, que l'homme austère qui paraisse jouer un 
rôle de dupe. 

» Ce n'est pas ainsi que les fondateurs des républiques 
anciennes avaient combiné leur système , fondé sur une con- 
uaissaoce profonde du cœur humain. Quiconque aura étudié la 
nature ne peut se dissimuler que les deux principaux écueils de la 
libertésout l'ambition des cl^efs, et l'ascendant qu'ils obtiennent 
trop facilement par leur suprématie ; ascendant qui conduit 
tôt ou tard le peuple de la reconnaissance à Tidolâlrie , et de 



( «35 ) 
ridolàtrie à une obéissance aveugle, qui n'est elle-même qu'an 
esclavage voIontaire,premierdegrëdela servitude réelle. Aussi 
chez les Grecs uoe trop grande réputation fut-^le plus d'une 
fois punie comme un criiae , et le digne Aristide vit un de ses 
collègues voter son bannissement parce qu'il entendait trop^ 
souvent parler de ses vertus. Sans mœurs épurées il n'existera 
jamais de république ^ et sans la régénération de ceux qui , 
placés sur les premières lignes, fixent les regards de la multi- 
tude , et leur doivent par conséquent l'exemple , le brigandage 
se perpétuera dans le gouvernement , l'intrigue siégera à la 
place du mérite , les suffrages deviendront le prix de la vénalité 
ou de 1^ bassesse , l'or tiendra lieu de talent et de vertu ; enfin 
le peuple , oubliant sa dignité avant de l'avoir bien connue , 
laissera peu à peu rouiller son énergie ; et voilà l'instant propice 
pour l'osurpateor audacieux , qui sait encore mieux enter son 
pouvoir sur la lassitude ou l'apathie des nations que sur l'en- 
thousiasme, la violence et les conquêtes. 

w Ne vous le dissimulez pas , citoyens , c'est là le danger qui 
menace le plus imminemment la République. Tous les efforts 
combinés dea puissances de l'Europe n'ont point autant com- 
promis la liberté et la patrie que la faction des fédéralistes : 
l'assassin le plus redoutable est celui qui loge dans la maison. 
Cependant l'on n'a ni puni le plus grand nombre des cou- 
pables , ni même totalement épuré les administrations : ce 
sont les hommes qui avaient projeté entre eux de dépecer la 
France pour se la partager qui se trmivent encore investis de 
l'autorité dans les départemens ;, de là une continuité de perfi- 
dies de là part des plus malveillans , afin de pouvoir s'échapper 
avec plus de certitude à travers le trouble et le chaos ; de là une 
indifférence et un abandon absolu de la part des hommes qui , 
moins pervers et moins coupables , ont pourtant des reproches 
à se faire , et qui attendent dans Tinertie leur prochaine desti- 
tution ; de là une paralysie totale dans les développemens de 
l'administration , et par suite un engorgement qui rend tous les 
mouvemens pénibles, partiels, momentanés et convulsifs» 

» Peut-être aussi une organisation vicieuse a-t-elle beaucoup 
contribué à tant de défioitdres , et fomenté tant de conjurations. 
Nous avons décrété la République, et nous somnies encore 



( i36) 
organisé» en monarchie : la tête du mon&trè^t abattue, maïs 
le tronc survit toujours avec les foraie.s déljectuecises. Tant 
d'autorités colossales, quifîireat constamment ks.vatnpîres de 
la liberté , n'ont rien perdu de leur cisence despotique, de^leurs 
attributions corrosives , de leur prépondérance absorbante. 
Avec un roi elles représentaient ce géant àe la fable qtii , 
]>ounru de cent bras nerveux , osait prétendre enTafaûr jusqu'à 
TEmpyrée ; ce chef leur manque-t-il , elles deviennent sem^ 
blables aux lieutenans d'Alexandre , qui par leur seule poskioa 
se trouvèrent les héritiers naturels de son pouToir et de ses 
conquêtes. 

M £n gouvernement €omm« en mécanique , ^mut ee qui n'est 
point combiné avec précision , tant pour le nombre que pour 
l'étendue j n'obtient qu'un jeu embarraise ^ et occasionne des 
bi'isemens à l'infini : les résistances entravantes et les frottemetts 
destructeurs diminuent à mesure qu'on simplifie le rouage. La 
meilleure constitution civile est celle la plus rapprocWe des 
procédés de la nature , qui n'admet eile-méme que trois prin- 
cipes dans ses mouvemens , la volonté palsatiice , l'être qae 
cette volonté vivifie, et l'action de cet individu sur les objets 
cnvironnans : ainsi tout bon gouvernement doit avoir ua centre 
de volonté , des leviers qui s'y rattachent immédiatement , et 
des corps s^ondaires sur qui agissent ces leviers , afin d^étendre 
le mouvement jusqu'aux dernières extrémités. Par cette préci- 
sion l'action ne perd rien de sa force ni de «a direction dans 
une communication et plus rapide et mieux régler ; toutee qui 
est au-delà devient exubérant , parasite , sans vigueur et sans 
unité. 

n Quand l'Assemblée constituante , vendue à une cour cor- 
ruptrice , trompa si facilement une nation trop novice en lui 
persuadant que la liberté pouvait s'unir au royalisme , il ne fut 
pas étonnant de lui voir adopter le système d'un gouvernement 
complexe. On créa donc alors deux centres principaux, le 
corps législatif et le pouvoir exécutif; mais on n'oublia pas 
d'établir ce dernier l'unique mobile de l'action , et de neutra- 
liser l'autre en lui ^tant toute direction , toute surveillance , 
même immédiate , sur l'ensemble : comme si celui qni a con- 
couru le plus directement à la formation de la kà , étant plus 



( i37 ) 
intéressé que qui que ce soit au succès <le son ouvrage , iie 
devait pas déployer nalurellement et ezclusivemeiit l'ardeur et 
Tac ii vite la plus soutenue pour «n assurer l'exécation ! 

w Cependant les auteurs de ce plan machiavélique eurent 
grand soin de lui donner la plus vaste latitude , et non seule- 
ment la force publique fut mise tout enti^ dans les mains du 
monarque , mais .on acheva d'enlever aux législatures toute 
puissance de t:ontre«poids et tout mojen d'arrêt en les plaçant 
à une distanee incommensurable du peuple par cette hiultitude 
d'obstacles qu'oppose k chaque pas la filière hiérarchique des 
autontës intermédiaires. 

» Sans doute il ne s'agit pas de traiter dès ce moment la 
qnealion sous tous €e$ aspects ; il ne s'agit pas de prononcer 
sur l'existence et le nombre des autorités , mais de mieux com- 
biner leurs élémens. Les idées que je vous présente ne par* 
courent donc que le cercle d'un amendement préparatoire : c'est 
un premier trait de lumière ; c'est l'ébauche nécessaire pour 
arriver quelque jour au dernier degré de perfection. 

M Ce qui s'offre d'abord sous la main réformatrice est une 
agence d'jexécution concentrant en elle seule la direction de 
tous les mouvemens dn corps politique, et tout l'ascendant qui 
dérive du droit de nommer aux places les plus importantes et 
les plus lucratives ; c'est une éponge , c'est un aimant politique 
attirant bientét tout k soi y et qui , ^vec un homme dont les 
talens répondront à l'ambition dominatrice, peut métamorphoser 
le valet en maître usurpateur, d'autant plus aisément qu'il aura 
toute facilité pour exténuer , pour paralyser le corps législatif 
par la seule force d'inertie : conserver au centre d'une république 
le piédestal de la royauté avec tous ses attributs liber ticides , 
c'est offrir à qui osera s'y placer la pierre d'attente du despo* 
tisme. 

y» Quoi qu'il en soit , . vous aurez beaucoup retranché de 
l'apanage monarchique du conseil exécutif, vous aurez même 
beaucoup facilité le développement de ce qu'il y a d'utile dans 
ses opérations , si par un nouveau mode d'envoi des décrets 
il cesse d'être chargé de leur expédition. Tant que les lois, pour 
avoir leur pleine exécution , passeront par l'interposition suc- 
cessive des autorités secondaires , cliacune d'elles se rendra tour 



( i38 ) 

k tour l'arbitre rapréme de la législation ; et la première qui 
reçoit exclii8Î¥«ment une loi au moment oii elle vient d'être 
rendue est sans doute une antorîté plus puissante que le légis- 
lateur , puisqu'elle peut k son gré en suspendre et en arrêter 
l'exécution , et par conséquent en détruire entièrement Teffet 
et l'existence. Rappelez^vous que la monarchie constitution- 
nelle n'a été sur le point d'opérer ]a contre-révolution qu'en se 
tenant dans une inaction absolue : semblable aux cadavres sur 
lesquels on liait des victimes vivantes par l'ordre d'un tyran, le 
pouvoir executif faisait le mort pour tuer la liberté. 

» Remarquez aussi que les autorités intermédiaires, profitant 
de cette leçon inachiavélique , et voulant atteindre au même 
but y se sont permis elles-mêmes de juger la loi avant de la 
transmettre : sûres que les pouvoirs qui leur sont inférieurs ne 
peuvent la recevoir que de leur main , si cette loi blesse leur 
intérêt particulier ou contrarie leurs vues ambitieuses , dès 
lors elles ne balancent plus à la retenir pour l'annuler. Tel fut 
le moyen perfide employé par les administrateurs fédéralistes 
desdépartemens, afin de briser les nœuds sacrés qui unissent la 
nation à ses représentans. Les scélérats, en dérobant au peuple 
la connaissance de vos décrets avant et depuis le 3i mai y 
étaient parvenus à lui faire croire que la Convention ne s'occn- 
paît aucunement des intérêts de la patrie , tandis que , depuis 
le a juin surtout , jamais aucune Assemblée nationale ne fit des 
lois ni plus populaires , ni plus bienfaisantes , ni plus poli- 
tiques , ni plus propres à réaliser la prospérité de ' l'État et le 
soulagement du malheureux ! 

» Ce résultat funeste sera toujours à redouter tant que la 
complication organique du gouvernement relâchera le nerf 
directeur , qui , pour être bien tendu , doit sans interruption , 
et avec un seul support mitoyen , aller du centre se rattacher 
à la circonférence , au lieu d'aboutir à un premier centre 
unique , d'oii partent d'autres fils qui vont se renouer a d'autres 
centres intermédiaires , et qui se subdivisent encore deux fois 
avant de joindre les extrémités. C'est ce qu'éprouve la circula- 
tion du mouvement en passant par les ramifications succes- 
sives du conseil exécutif, des départemens , des districts et des 
mvinijcipalités. 



( i39 ) 

» Oest une vieiHe erreur , propagée par l'impëritie et com- 
battue par l'expérience^ que de croire ^qu'il devient nécessaire 
dans un vaste état de doubler les forces par la multiplicité des 
leviers ; il est au contraire démontré à tout observateur poli- 
tique que , chaque graduation devenant un repos arrestateur , 
l'impulsion première décroit à proportion des stations qu'elle 
rencontre dans sa course. N'y aurait-il que l'inconrénient 
d'élever autant de barrières entre les représentans du peuple 
et le peuple lui-même qu'il existe d'autorités intermédiaires, 
que cet inconvénient jserait le premier vice à extirper pour 
rendre au corps législatif toute sa force : sans cela ce n'est plus 
le corps législatif qui parle directement à la nation , mais ceux 
qui se rendent son organe , qui s'approprient ses décrets , qui 
reçoivent immédiatement les réclamations, qui distribuent eux- 
mêmes les bienfaits de la patrie , et qui dans chaque arron- 
dissement , placés à la cime de la hiérarchie des pouvoirs , 
éclipsent par leur se« le élévation la représentation nationale ; 
<4'oii naissent naturellement l'espoir et la tentative de l'anéantir. 
Tel fut le crime des départemens. ' 

» Cet ordce de choses est donc sous tous les rapports désor- 
ganisateur de l'harmonie sociale , car il tend également à 
rompre et l'unité d'action et l'indivisibilité de la République. 
Ne vous y trompez pas ; il est de l'essence de toute autorité 
centrale à qui le territoire , la population et la cumulation des 
pouvoirs donnent une consistance assez forte pour exister par 
elle-même , de tendre sans cesse à l'indépendance par la seule 
gravitation de sa prépondérance civile. Comment résister aune 
tentation si impérieuse quand on trouve sous sa main un gou- 
vernement tout organisé et formé suivant les véritables règles 
du mouvement , la volonté , l'impulsion et l'action ? Cette scis- 
sion n'est que l'anneau de la tige à briser , et cette rupture peut 
s'opérer avec d'autant moins de secousse que , loin de déranger 
l'équilibre , elle lui restitue tout son aplomb en rapprochant 
davantage le principe spontané et moteur des objets sur les- 
quels ce principe doit agir. 

M Par le même procédé vous obtiendrez le même résultat. 
Déjà vous avez senti l'importance de cette opération en liant 
une correspondance immédiate avec les districts pour le» 



( i4o ) 

mesures de salut public ; mais pourquoi n'avoir pas éteadu cette- 
réforme à toutes les branches d'exécution ? Pourquoi en laisser 
la marche tout à la fois vive et traînante ? Ne sont-ce pas îes 
défectuosités partielles et incohérentes qui détériorent bientôt 
ce qu'on a réparé ? Sans la perfectibilité de l'ensemble on ne 
doit compter sur aucun succès. Vous n'avez d'ailleurs consacré 
par ce décret qu'une idée de gouvernement , et s'en tenir là ce 
serait tomber dans une faute trop souvent répétée ; ce serait 
établir sans cesse d'excellentes maximes sans s'inquiéter des 
moyens de les utiliser en les mettant en action. 

>» Votre comité de salut public vous propose donc une de 
ces expériences, dont la réussite vous servira de modèle pour la 
rédaction du code organique de la Constitution , afin d'en e&- 
cer les vestiges vicieux >que le pli de l'habitude ou. la faiblesse 
attachée à des considérations particulières pourraient encore y 
avoir conservés. La distance 'de l'invention à la perfection est 
si grande , qu'on ne peut jamais faire aFsez promptement les 
essais préparatoires. , 

M Yous, qu'un essor rapide piJace de jour en jour à la hauteur 
la plus élevée y vous ne pouvez plus vous traîner sur les routes 
battues. Voici donc une nouvelle direction à suivre dans Tiai- 
pulsion primitive du gouvernement, qui doit reprendre -toute 
son élasticité en se trouvant à la fin dégagé de ces formes 
lentes, tortueuses. et suspensives , inséparables de l'envoi et de 
Fenregistrement hiérarchiques des lois. Ordonnez que leur pro- 
mulgation consistera désormais dans une publicité authentique; 
décrétez qu'il y aura un bulletin exclusivement consacré à la 
notification des lois ; une imprimerie montée pour ce bulletin , 
et une commission dont lès membres seront personnellement 
responsables , sous la surveillance du comité de salut public, 
pour suivre l'impression et pour faire les envois; un papier 
d'une fabrication particulière , avec un timbre et des contre- 
seings , afin de prévenir les contre-façons ; un envoi direct à 
toutes les autorités chargées de l'inspection immédiate et de 
l'exécution; en un mot des peines sévères contre les faussaires^ 
et contre les négligences dans l'expédition des le; s ; et vous 
aurez trouvé un mode d'envoi simple , facile , prompt , sûr , 
et même extrêmement économique. Cette mesure est simple y 



( i4i ) 

puisqu'elle 'fait disparaître tant de hors - d'œuvres intermé- 
diaires pour ne plus laisser aucune séparation entre le légis- 
lateur et le peuple ; elle est facile , parce que tout est déjà créé 
pour son exécution ; elleestsûre , des que la responsabilité porte 
sur les membres d'une commission sans autorité, sans influence 
politique ^ et dont le travail est un mécanisme purement maté- 
riel ; elle est prompte , car il ne faut que neuf jours par la 
poste pour l'arrivée dans les municipalités les plus éloignées ; 
enfin elle est économique , puisque l'impression des décrets 
coûte maintenant quinze millions par an , et que tous les frais 
de ce bulletin ne dépasseront pas quatre millions. Cette idée 
lumineuse fut jetée dès le jprincipe dans l'Assemblée consti- 
tuante , quand la lutte élevée entre la souveraineté nationale 
et le pouvoir monarchique fit imaginer les moyens les plus 
propres à établir la liberté par la mutilation du despotisme. 
Sachez donc la ramasser et en faire usage à votre tour pour 
consolider la République. 

>» Mais ce ne serait point assez d'accélérer et d'assurer l'envoi 
et la réception des lois , si vous n'acheviez pas d'y mettre la 
dernière main en faisant coïncider leur exécution par une 
réaction aussi forcée , aussi vive , aussi directe , aussi exacte 
que l'action elle-même. Pour y parvenir vous devez déter- 
miner la nature et la circonscription des autorités secondaires, 
afin de fixer leur classification , de préciser leurs rapports , et 
de régler leur mouvement. L'exemple récent , qui a laissé des 
traces si profondes de fédéralisme et de c outre- révolu tion , 
vous avertit assez, qu'il faut changer entièrement l'organisation 
des départeniens. Pour peu qu'ils conservent dans leur dépen- 
dance les districts et les 'municipalités , ils parviendront sans 
peine à les comprimer sous le poids de leur autorité , ne fût-ce 
cjue par l'effet de leur rapprochement immédiat : le pouvoir, 
comme les corps solides , acquiert de la pesanteur par la proxji:- 
mité : mais en retranchant de leur essence tout ce qui appar- 
tient à l'action du gouvernement , ce sera anéantir leur influence 
politique , évidemment destructive de l'unitédans les opérations , 
de l'indivisibilité du territoire , et de la liberté , fondée sur ces 
deux bases. 

>» Au reste une autre carrière peut être ouverte aux dépar- 



( >42 ) 

temeiis, et la patrie les appelle à lui rendre les plus importans 
services dans uac partie d'administration très essentielle , et 
jusqu'à ce jour trop négligée , ])arce qu'aucune autorité n'en a 
encore été chargée spécialement ; c'est celle des contributions 
et des établissemens publics. Les contributions sont les sources 
vivifiantes de l'Etat ; les établissemens publics sont les jsanaux 
fértiliseurs de l'agriculture , du commerce et de l'industrie. Les 
contributions , pour être réparties avec impartialité entre 
cbaque district y et perçues eractement , exigent que ceux 
chargés de cette opération soient placés à une certaine distance 
des personnes , des choses et des lieux : sans cela l'on est 
influencé par la condescendance , les préventions , les spécu- 
lations de localités , en un mot ]>ar toutes les passions qui 
obsèdent les hommes , et'surtout les hommes en place ; il est 
donc sage de les isoler par l'éloignement quand ils ont à 
calquer la prospérité publique sur le décompte de l'égoïsme , 
et sur les calculs croisés de l'intérêt particulier. Or sous ce 
point de vue les départemens paraissent l'autorité la plus 
propre à ce. genre d'administration. D.'un autre coté les manu- 
factures , les grandes routes , les canaux devant être distribués 
de manière que chaque point de la France en retire son propre 
avantage , la direction de ces établissemens publics exige aussi 
qu'qn soit inaccessible aux préférences, que l'on allie beaucoup 
de zèle à beaucoup d'activité , et que l'on connaisse dans son 
arrondissement les productions de chaque canton , son genre 
d'industrie , sa position et sa température. Il faut donc que les 
sujets appliqués à un travail non moins vaste que difficile 
soient choisis dans un plus grand cercle , afin de pouvoir eu 
trouver plus aisément qui réunissent les talens et les connais- 
sances nécessaires : c'est encore ce que l'étendue' de chaque dé- 
partement présente dans une juste proportion. Ainsi rendue à 
sa véritable destination , la partie purement administrative, 
cette institution deviendra aussi utile qu'elle a été liberticide, 
quand , agent principal de l'action du gouvernement , elle 
a profilé de l'usage de cette puissance pour s'eq» rendre usur- 
patrice. 

» Vous n'avez pas à redouter les mêmes tentatives de la 
part des districts ; placés immédiatement entre Taulorité inapo- 



( i43 ) 

gante de la Convention et l'intensité des municipalités , ils n'ont 
que la force strictement nécessaire pour assurer l'exécution de 
la loi. La circonscription des districts est trop restreinte pour 
leur procurer jamais un ascendant extensif; leur rivalité mu- 
tuelle , basée sur Cintérétparticulier de ceux d'un même dépar- 
tement , est une chaîne de plus qui s'y oppose ; leur existence 
dépend de l'union parfaite de toutes les parties ; séparés de^ 
Fensemble , ils deviennent trop faibles et ne peuvent rien ; ce 
n'est qu'intimement attachés au centre qu'ils se trouvent tout 
puissans par la force que leur communique l'autorité du légis- 
lateur. A le bien prendre , ce sont des leviers d'exécution tels 
qu'il en faut : passifs dans les mains de la puissance qui les 
meut , et devenant sans vie et sans mouvement des qu'ils ne 
reçoivent plus l'impulsion ; leur exiguité même rend leur 
dépendance plus positive , et leur responsabilité plus réelle* 
Qu'ils soient donc chargés de suivre l'action du gouvernement 
sous l'inspection inunédiate de la Convention , et que les muni- 
cipalités et les comités de surveillance fassent exécuter les lois 
révolutionnaires en rendant compte à leur district. Yoilà la 
véritable hiérarchie y que vous devez admettre également pour 
les lois militaires , administratives , civiles et criminelles y 
en chargeant de leur direction le conseil exécutif, et de leur 
exécution les généraux , les agens militaires , les départemens 
et les tribunaux , chacun suivant m partie. Par ce mode si 
simple d'exécution l'intention du législateur ne s'affaiblit point 
dans la transition graduelle de plusieurs centralités ; les rap- 
ports du gouvernement sont directs et précis ; son action recou- 
vre toute sa vigueur en s'étendant à tout par une surveillance 
sans intermédiaire , et chaque autorité se dirige moins diffi- 
cilemcmt vers le bien public , ayant une sphère plus propor- 
tionnelle et mieux déterminée. 

n Cependant il ne su£Girait pas d'en avoir tracé le cercle s'il 
était encore possible de le 'franchir. Un abus né de la révolu- 
tion a permis à la faiblesse des autorités naissantes d'effec- 
tuer des rapprochemens pour se concerter ensemble, et de 
confondre leurs pouvoirs afin de se fortifier davantage : de là 
pourtant plus d'ensemble dans les mesures , et plus de règles 
dans les moyens : de \k l'oubli des décrets pour y substituer 



( i44 ) 

les arrêtés Jes corps administratifs ; de }à l'usurpation du 
pouvoir législatif, et l'esprit de fédéralisme. Il est de principe 
que pour conserver au corps- social son indivisibilité' et son 
énergie il faut que toutes les émanations de la force publique 
soient exclusivement puisées à. la source. Ainsi les autorités 
qui se réunissent, et qui se fondent pour ainsi dire ea une 
feule , ou qui délèguent des commissaires pour composer des 
assemblées centrale^ , sous le prétexte de s'aider et de se sou- 
. tenir mutuellement, forment une coalition dangereuse, parce» 
qu'elle dérange l'unité des combinaisons générales, qu'elle 
fait perdre de vue les lois r^volutionaaires, et qu'elle donne 
insensiblement l'habitude de se passer du centre de Tactioa : 
ce sont des membres qui veulent agir sans la direction de la 
tête. C'est ainsi qu'on crée une anarchie légale, et qu'on réalise 
le chaos politique', qui provoque des déchiremens éversifs, 
et qui exténue l'ensemble par des efforts ou, partiels ou qui se 
conti'arient sans cesse. 

» Dès que la centralité législative cesse d'être le pivot du 
gouvernement, l'édifice manque par sa principale base , et 
s'écroule infailliblement. 

» Ces congrès ont une influence si funeste que les sociétés 
populaires elles-mêmes , en se prêtant à de pareilles réunions , 
n'ont pas été exemptes de cette teinte fédéraliste devenue la 
couleur favorite des intrigans, qui se rendent trop aisémeBl 
les meneurs de ces assemblées , et à qui , au défaut d'un roi , 
auprès duquel la faveur tient lieu de mérite ^ il faut du moins 
une sphère plus étroite, parce qu'alors il e»t plus facile d'ac- 
^ caparer Içs suffrages. 

» Mais quand le gouvernement, reprenant enfin une atti- 
tude ferme, a su rétablir l'harmonie, si parfois quelque» 
ressorts faiblissent et appellent immédiatement les soins de 
l'ouvrier , ce n'est qu'un coup de lime à donner en passant , 
et l'on ne tombe plus dans l'inconvénient de ramener le désw^ 
dre et la confusion en substituant la main r^aratrice à la 
roue , ou usée , ou brisée ; dès lors le commissariat se trouve 
restitué à l'objet de son institution : c'est une clef qui par 
intervalle remonte la machine en cinq ou six tours , mais qui , 
laissée sur la tige, la fatigue , l'entrave , et finit par suspendre 



( «45) 

totalement le jeu naturel des ressorts. Des lors aussi ,1e com- 
missariat n'embrassant plus jusqu'aux moiodres détails de i'ad- 
ministration , les missions, moins fréquentes, rendent les choix 
plus faciles. Avec beaucoup de zèle et de talens ou ne. 
réuuit pas encore les qualités indispensables : le physique fait 
souvent autant que le moral , et la tenue autant que le carac- 
tère. Peut-être aussi a-t-on oublie qu'en bonne politique des 
causes majeures doivent seules motiver le déplacement du légis- 
lateur : qui se prodigue trop, perd bientôt de sa dignité daus 
l'opinion publique. Eufîn des absences moins prolongées 
n'émousserpnt pas cette vigueur et ce tact politique qu'entre- 
tiennent et qu'électrîseot ici le choc lumineux de la discussioh 
et le développement des grands principes. Celui qui demeure 
longtemps éloigné de la Convention doit s'apercevoir qu'il u'est 
plus en mesure , et qu'il a besoin de venir se retremper à ce 
foyer de lumières et d'enthousiasme civique. £n un mot , 
chaque partie du gouvernement reprenant son équilibre et 
son aplomb, ce nouvel ordre de choses conduira nc'cessaire-« 
ment à l'extinction de toutes les autorités hétérogènes , qu'on 
peut assimiler aux topiques, qui ne suppléent la nature qu'à 
force de l'épuiser. 

» Néanmoins , je vous le répète , citoyens , il faudrait encore 
renoncer à tout succès si pour dernière mesure vous n'ad- 
mettiez pas un mobile contractif. Toute législation sans force 
coactive est comme ces belles statues qui semblent animées, 
quoiqu'elles n'aient aucun principe de vie ; c'est une pièce 
mécanique à qui il manque un grand ressort. Et qu'on ne me 
dise pas qu'on ne trouvera plus de fonctionnaires publics si 
leur indolence repréhensible, leur incivisme criminel , leur 
ambition perfide , si leurs trahisons mêmes doivent Voir dans 
la loi des punitions toujours menaçantes , et toujours inévita- 
bles. £lst-ce donc réellement pour abuser le peuple qu'on parle 
sans cesse de responsabilité depuis quatre années ? QuoiJ dans 
une République on serait réduit à assurer l'impunité aux 
agens du gouvernement pour n'en pas manquer! Ils ont bien 
assez de stimulans corrupteurs sans y joindre la permission 
de tout oser. Eh ! le premier ennemi de la liberté ne fnt-il pas 
constamment celui chargé ou de la défendre ou de la main'- 
itm. lo^ 



( i46 ) 
tenir ? Il n'est point ie dépôt qui tenté davantage les passion» 
des hommes ; il n'en est point aussi qui ait été ni plus souvent 
violé, ni plus souvent envahi. Ainsi, vous qui avez juré de 
conserver la République , vous qui devez la vouloir , parce 
que le peuple vous l'ordonne, pénétrez-vous bien de cette 
maxime, méconnue jusqu'à ce jour, et qui est pourtant le 
sceau de la liberté ; c'est que les lois doivent être plus impé- 
ratives et plus sévères pour ceux qui gouvernent que pour 
ceux qui sont gouvernés ; car il ne faut au peuple en masse 
qu'une impulsion donnée et conforme à l'intérêt de tous , tan- 
dis que pour le fonctionnaire public , tiré hors de ligne , on 
doit combiner une direction tout à la fois motrice et corn- 
pressive. 

9 Si les tyrans se font précéder par la terreur , cette terreur 
' ne frappe jamais que sur le peuple ; vivant d'abus , et régnant 
par l'arbitraire , ils ne peuvent dormir en paix sur leur trôné 
qu'en plaçant l'universalité de leurs sujets entre l'obéissance 
*et la mort* Au contraire, dans une république naissante, 
quand la marche de la révolution force le législateur de mettre 
la terreur à l'ordre du jour , c'est pour venger la nation de 
ses ennemis , et l'échafaud , qui naguère était le partage du 
miisérable et du faible , est enfin devenu ce qu'il doit être ^ le 
tombeau des traîtres, des intrigans , des ambitieux et des rois. 

» C'est pour n'avoir pas des le principe placé la hache k 
t:ôté des crimes de lëze-nation que le gouvernement, au lieu 
de s'épurer , a continué d'être un volcan de scélératesse et 
de conjurations. Je le répète , la régénération d'un peuple 
doit commencer par les hommes le plus en évidence ; non pas 
seulement parce qu'ils doivent l'exemple , mais parce qu'avec 
des passions plus élêctrisées ils forment toujours la classe la 
moins pure, surtout dans le passage d'un long état de servi- 
tude au règne de la liberté. 

n Prenez garde cependant qu'une exaltation mal entendue, 
ou qu'un zèle astucieusement exagéré ne tende quelquefois à 
outrepasser les mesures : ceux-là sont les agens les plus fidèles 
de nos ennemis qui, recevant l'or de Pitt à pleines mains, 
, sèment avec la même prodigalité les calomnies et les suspicions. 
L'art le plus profondément machiavélique n'est-il pas celui 



( «4? ) 

qui brise les nœuds de la sociabilité en isolant tous les indivi-* 
dus par des défiances générales ? Dans une démocratie, oii Vo* 
pinion publique est en mcme temps la puissance qui gouverne 
et le flambeau qui dirige , tout serait perdu le jour oii des soup- 
çons^ couvrant l'ensemble d'un voile funèbre , ne permettraient 
plus de croire à la vertu de qui que ce soit ; le jour oii l'inno- 
cence intacte pourrait être travaillée des mêmes alarmes que 
la perversité évidente ; car des ce moment il n'y aurait plus ni 
sécurité , ni confiance, ni rapprochement, ni accord , ni esprit 
public ; dès lors plus de tranquillité, plus d'allégresse , plus de 
bonheur , plus de liberté , plus de patrie , et la crainte , impri- 
mée universellement , ne deviendrait qu'une arme de plus 
remise entre les mains de l'ambition pour renforcer tour à tour 
les factions , qui se succèdent et qui s'entrVgorgent , jusqu'il 
ce qu'enfin un despote survienne ^ et sache tout mettre d'ac- 
cord. 

■ » Une justice sévère impose ; l'iniquité seule irrite et sou- 
lève : tout coupable que la foudre atteint soudainement ne 
trouve pas même d'appui ni de consolation au fond de son 
propre cœur ; au lieu que l'être irréprochable a pour sauf-con- 
duit ses actions , et pour caution la voix publique. Il serait donc 
absurde de prétendre qu'en réalisant la responsabilité personne 
n'osera s'en charger ; c'est dire que la gloire de servir son pays, 
que le dévouement de la liberté , que l'ambition même ont 
universellement perdu leur empire. Connaissez mieux votre 
propre cœur. Gomment, l'appât d'un faible gain fait qu'on 
livre chaque jour son existence aux tempêtes et aux écueils qui 
couvrent les mers orageuses , et vous croyez qu'on sera arrête 
par la crainte d'un abîme qui ne menace que les dissidens , 
quand en marchant sans s'écarter on ne peut recueHlir Sur sa 
route que les plus douces jouissances de l'âme , la paix inté- 
rieure, le contentement de soi-même , la satisfaction de faire 
des heureux , l'estime des hommes libres , et la reconnaissance 
de ses concitoyens ! D'ailleurs l'être vertueux , fort de sa cons- 
cience , loin de redouter la répression du crime , la demande , 
pour être à la fois séparé et débarrassé des méchans. Citoyens , 
faut-il vous le dire ? le législateur qui ne place pas la sauve- 
garde de la liberté dans un châtiment plus sûr et plus rigou- 



( >48) 

reux pour les écarts its fonctionnaires publics , quelle qae soit 
leur suprëmalie, semble déjà calculer les fautes qu'il peut coin- 
meltre , et dès ce premier acta de faiblesse il a lui-même trahi 

sa patrie. , 

» Laisse» ce reproche aux deux Assemblées qui vous ont pré- 
cédés Il est temps de rendre au corps politique une santé 
robuste aux dépens de ses membres gangrenés. Remarquez que 
tout s'engorge autour de vous , ou s'engloutit dans 1 eloigne- 
ment , depuis que de tous côtés on s'occ. pe plutôt de soi-même 
que de là patrie. Mais en ramenant les choses à leur vrai point 
le mouvement simultané des adtorités secondaires provoquer, 
par leur réaction votre propre activité, qui demande ell|^ 
même du travail. Ne vous y trompez pas; plus le malaise poli- 
tique se prolonge, plus le besoin d'un. gouvernement se fait 
ientir • c'est le meilleur renfort du patriotisme, car il lui rallie 
les hommes paisibles, faibles, trembleurs, tièdes, et même 
insoucians. D'ailleurs on nous accusa d'être anarchistes : prou- 
vons que c'est une calomnie , en substituant spontanément l'ac- 
tion des lois révolutionnaires aux oscillations continuelles de 
tant d'intérêts , de combinaisons , de volontés , de passions qui 
s'entrechoquent , et qui déchirent le sein de la patrie. Certes ce 
gouvernement ne sera pas la main de fer du despotisme , ma» 
le règne de la justice et de la raison ; ce gouvernement sera ter- 
rible pour les conspirateurs , coercitif enve js les agens publics, 
sévère pour leurs prévarications, redoutabl^aux médians, pro- 
tecteur des opprimés , inexorable aux oppresseurs , favorablç 
aux patriotes , bienfaisant pour le peuple ! C'est ainsi qu'à l'a- 
venir tous vos décrets , que toutes les lois n'auront plus d'antre 
effet que de maintenir la République dans toute son intégrité, 
que de vivifier la prospérité générale , que de conserver à la 
Convention toute sa force. En masse tenez ici vigoureusement les 
rênes de l'État ; ressemblez aux faisceaux que vous représentez ; 
çomraelui tirez foute votre puissance de votreréunion, et qu'aussi 
ie crime le plus grave soit ou l'ambition de s'élever au-dessus 
des autres , ou la désertion de la cause du peuple. Point de 
grâce pour de pareils attentats ! Point d'inviolabilité pour qui 
que ce soit! C'est une monstruosité politique. La seule qui ne 
soit point dangereuse , la seule légitime réside dans la vertu. 



( »49 ) 
U faat donc , et vous l'avez décidé , il faut que Tépée de Da«- 
moclës plane désormais sur toute la superficie. Qu'importe à 
ceux qui marchent sans dévier ! Ce n'est que par des mouve— 
mens en sens contraire qu'on peut rompre le fil qui tient cette 
épée suspendue ; au lieu que le glaive de l'anarchie , sans cesse 
brandissant dans les mains de toutes les passions , qui se l'ar- 
rachent tour à tour, menace et frappe indistinctement et Ma- 
rius avide de pouvoirs , et les Gracques fondateurs de l'égalité. 
» Tels sont les principes, justifiés par l'expérience, et les 
considérations puissantes qui ont déterminé le comité de salut 
public à vous présenter le projet de décret suivant. » (Ce pra* 
jet , soumis à un examen de quelques jours , fut adopté 
avec des atnendemens qui ne touchaient pas au fond. ) 

Déchbt constitutif di^ gout^emement révolutionnaire.*^ Du i^ fri'* 
ynaire an ^ de la République. ( 4 décembre I793. ) 

Section I'^'. Enuoi et promulgation des lois. 

Art. z^'. Les lois qui concernent rintér et public, on qui sont d^nne 
exécution générale, seront imprimées séparément dans un bulletin 
numéroté, qui servira désormais à leur notification aux autorités cons- 
tituées. Ce bulhtin sera intitulé : Bulletin des Lois de la République, 

a* Il y aura une imprimerie exclusivement destinée à ce bulletin, et 
une commission composée de quatre membrespour en suivre les épreuves* 
et pour en expédier Penvoi. Cette commission , dont les membres seront 
personnellement responsables de la, négligence et des retards dans 
Texpédition, est placée sous la surveillance immédiate du comité de 
salut public. 

3. La commission de TeUToi des lois réunira dans ses bureaux les 
traducteuTs nécessaires pour traduire les dé( rets en (Ufférpus idiomes 
encore usités en France , et en langues étrangères pour les lois , discours, 
'apports et adresses dont la publicité dans les pays étrangers est utile 
Auxintéréts de la liberté et de la République française \ le texte français 
sera toujours placé à côté de la versior. 

4 11 sera fabriqué un papier particulier pour Timpression de ce 
bnlletin, qui portera le sceau de la République. Les loià y seront im- 
primées telles qu^elles sont délivrées par le comité des procès verbaux \ 
<^uaque numéro portera de plus ces mots : pour copie conforme , et le 
<:ontre*seing de deux membres de la commission de Tenvoides lois. 

5. Les décrets seront déliTrés par le comité des procès verbaux à la 
commission de l'envoi des lois, et sur sa réquisition, le jour même' où 



( l52 ) 

13. Il <^0t également défendu aux autorités intermédiaires, cliargées 
cle suryeiller IVxécotion etTappliration des lois , de prononcer aucune 
décision, et d'ordonner l'élargissemt^nt des citoyens arrêtés. Ce droit 
appartient exclusivement à la Convention nationale , aux comités de 
salut public et d<- sûre té générale, aux représentans du peuple dans les 
départemmset prCs 1 s armées, et aux tribunaux, en faisant Papplica- 
tjon des lois crimiui'l tes t't de poUcc. 

i3. Tout! s les autorités conutituées seront sédentaires, et ne pourront 
délibérer que dans le li^u ordinaire de leurs séances, hors les cas de 
fore majeure , et à l'exception seulement des juges de paix et de leurs 
assesseurs, et des tribunaux criminels des départemensi conformément 
aux lois qui consacrent li:ur ambulance. 

i4 A la place dts procureurs syndics de district, des procureurs de 
commune et dr leurs substituts , qui sont supprimés par ce décret, il 
y aura d< s agens nationaux spécialement chargés de requérir et de 
poursuivre l\xéculion des lois, ainsi que de dénoncer les négligences 
apportées dans Ctitc exécntion, et les infractions qui pourraient se 
commettre. Ces agens natiomiux sont autorisés à se déplacer et à par- 
courir Tairondiss ment de leur territoire pour surveiller et s'assurer 
pluK positivement que les lois sont exactement exécutées. 

i5. Les fonctions desagens nationaux s< ront exercées par les citoyens 
qui occupent maintrn.int les places de procureurs syndics de ilistrict , 
de procureurs de commune et de leurs substituts, à Texception de ceux 
qui sont dans le cas d^étre destitués. 

16. Les agrns nations ux attachés aux districts, ainsi que tout autre 
fonctionnaire public chargé personnellement par ce décret ou de re- 
quérir l'exécution d<. la loi, ou de la surveiller plus parliculicremeot | 
sont tenus dVntretenir une correspondance exacte avec les couiités de 
saint public et de sûreté g nérale. Ces agens nationaux écriront aux 
deux comités tous les dix jours, en suivant les relations établies par 
Tarlicle 10 de cette sertitin, afin de certifier les diligences faites pour 
Texécuiiôn de chaque loi, et dénoncer les retards , et les fonctionnaires 
publies négligens et prévaricateurs. 

17. Les agens nationaux attachés aux communes sont tenus de rendre 
le môme compte au district de leur arrondissement , et les présidensdes 
comités de surveillance et révolutionnaires entretiendront la mémo 
correspoùdance tant avec le comité de sûreté générale qu'avec ledtstrict 
chargé de les surveiller. 

a8. Lts romités Je Falut public et de sûreté générale sont tenua de 
dénoncer k la Convention nationale les agens nationaux et tout autre 
fonctionnaire public charge personnt llement de la surveillance ou de 
l'application .les lois, puur K-s faire punir conformément aux disposi- 
tions portées dans le prés- nt décret. 

1 9. Le nombre des agens nationaux , soit auprès des districts , soit 



( «53 ) 

aoprès des comuannes, sera égal à celoi des procureurs- syndics de 
district et de leurs substituts, et des procureurs de commune et de leurs 
substituts actuellement en exercice. 

20. Après l'épuration faite des citoyens appelés parce décret à rem* 
plir les fonctions des agens nationaux près les districts, chacun d^eux 
fera passer à la Conyention nationale , dans les vingt-quatre heures de 
l'épuration , les noms de ceux qui auront été ou conservés ou nommés 
dans cette place, et ia liste en sera lue à la tribune, pour que les 
membres delà Convention 8''expliquent sur les individus qu'ails pourront 
connaître. 

3 1 . Le remplacement des agens nationaux près les districts qui seront 
rejetés sera provisoirement fait parla Convention nationale. 

2a. Après que la même épuration aura été opérée dans les communes 
elles enverront, dans le même délai, une pareille liste an district de 
leur arrondissement , pour y être proclamée publiquement. 

' Section III. Compétence des autorités constituées. 

Art. 1*'. Le comité de salut public est particulièrement chargé des 
opérations majeures en di|)]omatie, et il traitera directement ce qui 
dépend de ce% mêmes opérations. 

2. Les représentans du peuple correspondront tonales (lix jours avec 
le comité de salut public ; ils ne pourront suspendre et remplacer les 
généraux que provisoirement, et à la charge dVn instruire dans les 
vingt-quatre heures le comité de salut public; ils ne pourront con- 
trarier ni arrêter IVxécution des arrêtés et des mesures de gouverne- 
mei^t pris par le comité de s^lut public ; ils se conformeront dans toutes 
leurs missions aux dispositions du décret du 6 frimaire. 

3. Les fonctions du conseil exécutif seront déterminées diaprés les 
bases établies dans 1p présent décret. 

4. La Couveniion se réstrve la nomination des généraux en chef des 
armées de torre et de mer. Quant aux autres officiers généraux, les 
ministres de la guerre et de la mnrine ne pourront faire aucnne pro- 
motion sans en avoir présenté la liste , ou la nomination motivée , an 
comité de salut public , pour être par lui acceptée ou rejetée. Ces deux 
Biinistresne pourront pa^^eillement destituer aucun des agens militaires 
nommés provisoirt:meiii par les représentans du peuple envoyés près 
les aFmées sans en avoir fait la proposition écrite et motivée au comité 
de salut public, et sans que le comité Tait acceptée. 

5. Les administrations dv département restent spécialement chargées 
de la répartition des contributions entre les districts, et de rétablisse- 
ment des manufactures ,des gr.;ndr>s routes et des canaux publics , de 
la surveillance des domaines naiionaux. Tout ce qui est relatif aux lois 
révolutionnaires et aux & esnr» s de gouvernement et de salut public 
n^est plus de leur ressort. En conséquence , la hiérarchie qui plaçait 



( i54) 

les districts i les mmiicipalités , on toute antre aatorîté, sous la déf>eo« 
dance des départemens , est supprimée pour ce qui concerne les lois 
rcTolutionn^^ires et militaires, et les mesures de gouvernement , de salut 
public et de sûreté générale. 

6. Les conseils-généraux^ les présidens et les procureurs généraux 
syndics des départemens sont également supprimés. L^exercice des 
fonctions de président sera alternatif entre les membres da directoire , 
et ne pourra durer plus d^un mois. Le président sera chargé de la 
correspondance et de la réquisition et surveillance particulière dans la 
partie d^exécution confiée aux directoires de département. 

7. Les présidens et les secrétaires des comités révolationnaires et de 
surveillance seront .pareillement renouvelés tous les quinze jours , et 
ne pourront être réélus qn^après un mois d'intervalle. 

8. Aucun citoyen déjà employé au service de la République ne pourra 
exercer ni concourir à Texercice d^une autorité chargée de la sur- 
veillance médiate ou immédiate de ses fonctions. 

9. Ceux qui réunissent ou qui concourent à Texercice cumulatif de 
semblables autorités seront tenus de faire leur option dans les vingt- 
quatre heures de la publication de la présente loi. 

10. Tous les changemens ordonnés par le présent décret seront mis 
à exécution dans les trois jours à compter de la publication de ce 
décret. 

11. Les règles de Tancien ordre. établi, et &>uxquelles il n^est rien 
changé par ce décret , seront suiyies jusqu^à ce quUl ait été autrement 
ordonné. Seulement les fonctions du district de Paris sont attribuées au 
département , comme étant devenues incompatibles par cette nouvelle 
organisation avec Les opérations de la municipalité, 

la. La faculté d'^envoyer des agens appartient exclusivement au 
comité de salut public, aux représentans du peuple , au conseil exécutif 
et à la commission des subsistances. L'objet de leur mission sera énoncé 
an termes précis dans leur mandat. 

Ces missions se borneront strictement à faire exécuter les mesures 
révolutionnaires et de sûreté générale, les réquisitions et les arrêtés 
pris par ceux qui les auront nommés^ 

Aucun de ces commissaires ne pourra s^écarter des limites de son 
mandat , et dans aucun cas la délégation des pouvoirs ne peut avoir lieu. 

i3. Les membres du conseil exécutif sont tenus de présenter la list^ '"^ 
motivée des agens qu'ils enverront dans les départemens , aux armées et ^^ 
chez Tétranger , au comité de salut public, pour être par lui vérifiée et .''i 
acceptée. 

i4« Les agens du conseil exécutif et de la commission des subsis- 
tances sont tenus de rendre compte exactement de leurs opérations "^ 
aux représentans du peuple qui se trouveront dans les mêmes lieux. ^^C] 
Les pouvoirs des agens nommés par les représentans près les armées et * pi 



h 






( i55) 

dans les départemens ezpîreroot dès que la mission des représentans 
sera terminée , ou qu^ils seront rappelés par décret. 

l5. Il est expressément défendu à tonte autorité constituée, à tout 
fonctionnaire public, à tout agent employé au service de la République, 
d^étendre rezercice de leurs pouvoirs au delà du territoire qui leur 
est assigné , de faire des actes qui ne sont pas de leur compétence , 
d'*empiéter sur d''autres autorités , et d** outrepasser les fonctions qui leur 
sont déléguées, ou de s'arroger celles qui ne leur sont pas confiées. 

i6. Il est aussi expressément défendu à toute autorité constituée 
d'*altérer l'essence de son organisation soit par des réunions avec d^autres 
autorités , soit par des délégués chargés de former des assemblées cen- 
trales, soit par des commissaires envoyés à d^autres autorités constituées. 
Toutes les relations entre tous les fonctionnaires publics ne peuvent 
plus avoir lieu que par écrit. 

17. Tons congrès ou réunions centrales établies soit^ar les repré- 
sentans du peuple, soit par les sociétés populaires , sous quelque 
dénomination qu^elles puissent avoir, même de comité central de 
surveillance ou de commission centrale révolutionnaire ou militaire , 
sont révoquées , et expressément défendues par ce décret comme sub- 
versives de l'unité d''aoiion de gouvernement , et tendantes au fédéra- 
lisme ; et celles existantes se dissoudront dans les vingt-qtiatre heures 
à compter du jour de la publication du présent décret. 

18. Toute armée révolutionnaire autre que celle établie par la 
Convention , et commune à toute la République , est licenciée par le 
présent décret , et il est enjoint à tous citoyens incorporés dans de 
semblables institutions militaires de se séparer dans les vingt-quatre 
heures à compter de la publication du présent décret , sons peine d^étre 
regardés comme rebelles à la loi , et traités comme tels. 

19. Il est expressément défendu à toute force armée, quelle que soit 
son institution ou sa dénomination, et à tous chefs qui la commandent, 
de faire des actes qui appartiennent exclusivement aux autorités civiles 
constituées , mcmc des visites domiciliaires , sans un ordre écrit et 
émané de ces autorités, lequel ordie sera exécuté dans les formes 
prescrites par les décrets. 

20.' Aucune force armée, aucune taxe, aucun emprunt forcé ou 
volontaire ne pourront être levés qu'en vertu d'un décret. Les taxes 
révolutionnaires des représentans du peuple n'auront d'exécution qu'a- 
près avoir été approuvées par la Convention, à moins que ce ne soit ' 
•n pays ennemi ou rebelle. 

21. Il est défendu à toute autorité constituée de disposer des fonds 
publics, ou d'en changer la destination, sans y être autorisée par la 
Convention ou par une réquisition expresse des représentans du peuple, 
sous peine d'en répondre personnellement. 



( i56) 

SectIok IV. Réorganisation et épuration des autorités constituées. 

Art. i*^. L« comilé de saint public est autorisé à prendre tontes les 
mesures Décessaires pour procéder au changement dWganuation des 
autorités constituées porté dans le présent décret. 

a. Les représentans da peuple dans les départemcns sont chargés 

dVn assurer et dVn accélérer Texécution , comme aussi d'acheyer sans 

délai Pépuration complette de toutes les autorités constituées , et de 

rendre un compte particulier de ces deux opérations à la Conrention 

\ nationale avant la fin du mois prochain. 

SscTiou V. De la pénalité des fonctionnaires publics et des autres 

agens de la République. 

Art. t^'. Les membres du conseil exécutif coupables de négligence 
dans la surveillance et dans Texécutiondes lois pour la partie qui leur 
est attribuée, tant individuellement que coUecti veinent, seront punis 
de la privation du droit de citoyen pendant six ans, et de la confisca- 
tion de la moitié des biens du condamné. 

a. Les fonctionnaires publics salariés , et chargés personnellement par 
ce décret de requérir et de suivre l'exécution des loid , ou d'eu faire 
Tapplication I et de dénoncer les négligences, les infractions, et les 
fonctionnaires et autres agens coupables placés sous leur surveillance, 
et qui n'auront pas rigoureusement rempli ces obligations , seront 
privés du ^roit de citojen pendant cinq ans, et condamnés pendant le 
même temps à la confiscation du tiers de leur revenu. 

3. La peine des fonctionnaires publics non salariés , et chargés per- 
sonnellement des mêmes devoirs, et coupables des mêmes déliu» sera 
la privation du droit de citoyen pendant quatre ans. 

4* La peine infligée aux membres des corps. judiciaires, administra- 
tifs^ municipaux et révolutionnaires , coupables de négligence dans la 
surveillance ou dans Tapplicatisn des lois , sera la privation du droit de 
citoyen pendant quatre ans > et une amende égale au quart du revenu de 
chaque condamné pendant une année pour les fonctionnaires salariés , 
et detroisansd^exclnsionderexercice dn droit de citoyen pour ceux 
qui ne reçoivent aucun traitement. 

5. Les officiers généraux et tous agens attachés aux divers services 
des armées , coupables de négligence dans la surveillance , exécution 
et application des opérations qui leur sont confiées, sesont punis de la 
privation des droits de citoyen pendant huit ans, etda la confiscation 
de la moitié de leurs biens. 

6. Les commissaires et agens particuliers nommés par les comités de 
salut public et de sûreté générale, par les représenUns du peuple près 
les armées et dans les départemens , par le conseil exécutif et la com- 
mission des subsistances , coupables d^avoir excédé les bornes de leur 



manclat ou dVn aToir négligé IVxécutioD» ou de ne sVire paisonini» 
aux dispofiuinns du présent décret, et notamment à l'article i3 delà 
seconde section en ce qui les concerne, seront panis de cinq ans 
de fers. 

7. Les agenfl inférieurs du goovernem» nt, même ceux qui n^ont aucun 
caractère public, tels que les chefs de bureaui, les secrétaires , les 
cooamis delà Convention, du conseil exécutif, des diverses adminis* 
trations publiqu< s, de toute autorité constituée, ou de tout fonctionqaire 
public qui a des employés, seront punis par la suspension du droit de 
citoyen pendant trois ans, et par une amende du tiers du revçnu du 
condamne pendant le morne espace de temps , pour cause personnelle de 
toutes négligences, retards volontaires ou infractions commises dans 
rexécution di s lois, des ordres et des mesures de gouvernement, de 
salut public et d^administration dont ils peuvent être chargés. 

8. Toute infraction h la loi , toute prévarication, tout abus d'autorité 
commis par un fonctionnaire public ou par tout autre agent principal 
et inférieur du gouvernement et de Fadaiinistration civile et militaire, 
qui reçoivent un traitement, seront punis de cinq ans de fers, ci de la 
confiscation de la moitié des biens du condr^mné ; et pour ceux non 
salariés, coupables des mt^mes délits, la peine sera la privation do 
droit de citoyen pendant six ans , et la con€8cation du quart de leur 
revenu pendant le même temps. 

9. Tout contrefacteur du Bulletin des Lois sera puni de mort. 

10. L<^3 peines infligées pour les retards et négligences dans Texpé- 
dition , l'envoi et la réception du Bulletin des Lois, sont, pour les 
membres de la commission de l'envoi des lois et pour les agens de la 
|>oste aux lettres, la condamnation k cinq années de fers , sauf les caf 
de force majeure légalement constatés. 

11. Les fonctionnaires publics ou tons autres agens soumis à une 
responsabilité solidaire, et qui auront averti la Convention du défout 
de surveillance exacte ou de Tincxécution d'une loi dans le délai de 
quinze jours , seront exceptés des peines prononcées par ee décret. 

la. Les confiscations ordonnées par les préccdcns articles seront 
versées dans le trésor public , après toutefois avoir prélevé l'indemnité 
flloe au citoyen lésé par Tinexéeution ou la violation d'une loi , ou par 
nn abus d^autorité. 

K&ppoRT sur les principes du gouvernement révolutionnaire ^ 
fait par Robespierre au nom du comité de salut public, — 
Du 5 nivôse an 2 de la République. (25 décembre 1793.) 

« Citoyens représentans du peuple , les succès endorment 
les âmes faibles ; ils aiguillonnent les âmes fortes. 



( >S8) 
» Laissons l'Europe et Thistoire vanter les miracles de 
Toulon (i), et préparons de nouveaux triomphes à la liberté. 
» Les défenseurs de la République adoptent la maxime de 
César; ils croient qu'oit n'a rien Jait quand il reste quelque 
chose h faire. Il nous reste encore assez de dangers pour 
occuper tout notre zële. 

» Vaincre des Anglais et des traîtres est une chose assez 
facile à la valeur de nos soldats républicains : il est une entrer- 
prise non moins importante et plus difficile ; c'est de con- 
fondre par une énergie constante les intrigues éternelles de 
tous les ennemis de notre liberté , et de faire triompher les 
principes sur lesquels doit s'asseoir la prospérité publique. 

» Tels sont les premiers devoirs que vous avez imposés à 
votre comité de salut public. 

M Nous allons développer d'abord les principes et la néces* 
site du gouvernement révolutionnaire ; nous montrerons ensuite 
la cause qui tend à le paralyser dans sa naissance. 

» La théorie du gouvernement révolutionnaire est aussi 
neuve que la révolution qui l'a amené. Il ne faut pas la cher- 
cher dans les livres des écrivains politiques , qui n'ont point 
prévu cette révolution ^ ni dans les lois des tyrans , qui , con— 
tens d'abuser de leur puissance , s'occupent peu d'en recher- 
cher la légitimité; aussi ce mot n'est-il pour l'aristocratie 
qu'un sujet de terreur ou un texte de calomnie , pour les 
tyrans qu'un scandale , pour bien des gens qu'une énigme : il 
faut l'expliquer à tous pour rallier au moins les bons citoyens 
aux principes de l'intérêt public. 

» La foiy:tion du gouvernement est de diriger les forces 
morales et physiques de la nation vers le but de son insti- 
tution. 

» Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver 
la République : celui du gouvernement révolutionnaire est de 
la fonder, 

» La révolution est la guerre de la liberté contre ses enne- 



(i) On venait d^annonccr la reprise de cette ville par les armées 
la République. 



ds 



( iSg ) 
mis : la Constitation est le régime de la liberté victorieuse 
et paisible. 

» Le gouvernement révolutionnaire a besoin d'une activité 
extraordinaire , précisément parce qu'il est en guerre. Il est 
soumis à des règles moins uniformes et moins rigoureuses , 
parce que les circonstances oii il se trouve sont orageuses et 
mobiles , et surtout parce qu'il est forcé à déployer sans cesse 
des ressources nouvelles et rapides pour des dangers nouveaux 
et pressans. 

» Le gouvernement constitutionnel s'occupe principalement 
de la liberté civile, et le gouvernement révolutionnaire de la 
liberté publique. Sous le régime constitutionnel il suf&t presque 
de protéger les individus contre l'abus de la puissance publi- 
que : sous le régime révolutionnaire la puissance publique 
elle-même est obligée de se défendre contre toutes les factions 
qui l'attaquent. 

» Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens 
toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple 
que la mort. 

»> Ces notions suffisent pour ex^^ {uer l'origine et la nature 
des lois que nous appelons révolutuunaires. Ceux qui les nom« 
ment arbitraires ou tyranniques sont des sophistes stupides ou 
pervers qui cherchent à confondre les contraires ; ils veulent 
soumettre au même régime la paix et la guerre , la santé et la 
maladie , ou plutôt ils ne veulent que la résurrection de la 
tyrannie et la mort de la patrie ; s'ils invoquent l'exécution 
littérale des adages constitutionnels, ce n'est que pour les 
violer impunément : ce sont de lâches assassins , qui , pour 
égorger sans péril la République au berceau , s'efforcent de la 
garrotter avec des maximes vagues dont ils savent bien se 
dégager eux-mêmes. 

» Le vaisseau constitutionnel n'a point été construit pour 
rester toujours dans le chantier ; mais fallait-il le lancer à la 
mer au fort de la tempête , et sous l'influence des vents con-^ 
traires ? €'est ce que voulaient les tyrans et les esclaves , qui 
s'étaient opposés à sa construction ; mais le peuple français 
vous a ordonné d'attendre le retour du calme. Ses vœux 
Unanimes , couvrant tout à coup les clameurs de l'aristocratie 



( i6o) 
et dtt fédéridûme , Toas ont commandé de le délivrer d*abord 
de tous ses ennemis. 

w Les temples des dieux ne sont pas faits pour servir d'asile 
aux sacrilèges qui viennent les profaner, ni la Constitution 
pour protéger les complots des tjrans qui cherchent à la 
détruire. 

H Si le gouvernement révolutionnaire doit être plus actif 
dans sa marche et plus libre dans ses mouvemens que le gou- 
vernement ordinaire , en est-il moins juste et moins légitime ? 
Non ! Il est appuyé sur la plus sainte de toutes les lois , le 
salut du peuple ; sur le plus irréfragable de tous les titres , la 
nécessité. 

n II a aussi ses règles, toutes puisées dans la justice et dans 
i*ordre public. Il n'a rien de commun avec l'anarchie ni avec le 
désordre ; son but au contraire est de les réprimer pour amener 
et pour affermir le règne des lois. Il n'a rien de commun avec 
l'arbitraire ; ce ne sont point les passions particulières qui doi- 
vent le diriger, mais l'intérêt public. 

M II doit se rapprocher des principes ordinaires et généraux 
dans tous les cas oii ils peuvent être rigoureusement appliqués 
sans compromettre la liberté publique. La mesure de sa force 
doit être l'audace ou la perfidie des conspirateurs. Plus il est ter- 
rible aux méchans , plus il doit être favorable aux bons. Plus les 
circonstances lui imposent de rigueurs nécessaires , plus il doit 
s'abstenir des mesures qui gênent inutilement la liberté , et qui 
froissent les intérêts privés sans aucun avantage public. 

>» Il doit voguer entre deux écueils , la foiblesse et la témé- 
rité , le modérantisme et l'excès ; le modérantisme , qui est k la 
modération ce que l'impuissance est à la chasteté, et l'excès, 
qui ressemble à l'énergie comme l'hydropisie à la santé. 

» Les tyrans ont constamment cherché à nous faire reculer 
vers la servitude par les roules du modérantisme ; quelquefois 
aussi ils ont voulu nous jeter dans Textrémité opposée : les deux 
extrêmes aboutissent au même point. Que l'on soit ennleçà 
ou au-delà du but , le but est également manqué ; rien ne res- 
semble plus à Tapètre du fédéralisme que le prédicateur iniem^ 
pesiifde la République une et universelle : l'ami des rois ^t le 
procureur général du genre humain s'entendent assez bien : le 



( i€i > 
fanatiqae couvert de scapulaires et le fanatique qui prêche l'a-* 
théisme ont entr'eux beaucoup de rappperts t les barons démo^ 
crates sont les frères des marquis de Coblentz, et quelquefois les 
bonnets rduges sont plus voisins des talons rouges qu'on ne 
pourrait le penser. 

» Mais c'est ici que le gouvehiement a besoin d'une extrême 
circonspection , car tous les ennemis de la liberté veillent pour 
tourner contre lui non seulement ses fautes , mais même sef 
mesures les plus sages. Frappe*t-il sur ce qu'on appelle exagé- 
ration , ils cherchent à relever le modérantisme et l'aristocra- 
tie ; s'il poursuit ces deux monstres , ils poussent de tout leur 
pouvoir k l'exagération* Il ^st dangereux de leur laisser les 
moyen» d'égarer le zële des bons citoyens ; il est plus dangereux 
encore de décourager et de persécuter lés bons citoyens qu'ils 
Ont trompés. Par l'un de ces abus fa République risquerait d'ex* 
pirer dans un mouvement coûvulsif ; par l'autre elle périrait 
infailliblement de langueur. 

M Que faut-il donc faire? Poursuivre les inventeurs coupa- 
bles des sy sternes perfides , protéger le patriotisme, même dans 
ses erreurs ; <çclairer les patriotes , et élever sans cesse le peuple- 
à la hauteur de ses droits et de ses destinées. ^ . - 
» Si vous n'adoptez cette règle , vous perdez tout. 
»> S'il fallait choisir entre un excès de ferveur patriotique et 
le néant de l'incivisme, ou le marasme du modérantisme, il 
n'y aurait pas à balancer. Un corps vigoureux , tourmenté par 
itne surabondance de sève , laisse plus de ressources qu'un ca- 
davre. - 

» Gai'dons-nous surtout de tuer le patriotisme en voulant le 
g^uérîr. 

»- Le patriotisme est ardent par sa nature : qui peut aimer 
froidement la patrie ? Il est- particulièrement le partage des 
hommes simples , peu capables de calculer les conséquences po* 
Il tiques d'une démarche civique par son motif. Quel est le pa- 
triote , même éclairé, qui ne se soit jamais trompé? £h! si l'on 
admet qu'il existe des modérés et des lâches de bonne foi, pour- 
quoi n'existerai t-il pas des patriotes de bonne foi, qu'un senti-^ 
xnejai' louable emporte quelquefois trop loin? Si donc on regar- 
dait comme criminels tous ceux qui dans le mouvement révo- 

TOME XIII. 11 



< ife ) 

lutlonaaire aiiBaitoldépaAsék Ugne «sac te iraceepar la prudence» 
on anTelopptrait dans une proscription conuauno, avee los nasn- 
vais citoyens , tous tes amis naturels de la liberté, vœ propra 
amis et loos les appuis de la République. Les émissaires adiein 
de la tyrannie , après les avoir trompés , deviendraient eu- 
mimes ieuis accHaatours , et peiil»4tiie leurs juges. 

« Qui donc démêlera tonÉesces nuances? qui tracera la li- 
ipe de démarcation entre lous les excès oontraires? L'amoarée 
]a patrie et de la vérité. Les roîs et les fripetos chercheront tou- 
jours à reffacer ; ib ne veulent point avoir affiiire avec la rman 
ni avec la vérité. 

» En indiquant les devoirs du gouv^eoMsieiit révoluliomsire 
nous ayons marqué ses écneib. Plus son peuveÂr est grand, pfai 
son action est libre et rapide , plus il doit Aire dirigé par Is 
bonne foi. Le )our oii il tombera dans des mains impii|«s ou 
perfides la liberté sera perdue ; son. nom deviendra le préieaftt 
et l'excuse de la contre-irévolution même; sea éner^ seraceik 
d'un poison violent. 

» Aussi la confiance du peuple français esl-^dle attachée sa 
caractère que la Convention nationale a montré plus, qu'à l'ins- 
titution même. 

» En plaçant toute sa puissance dans vos giaixis il a attendu 
de vous que votre gouvernement sérail bienfaisant pour les pa- 
triotes autant que redoutable aux ennemis, de la patrie; il vous 
a imposé le devoir de déployer en notême tetUps tout le courage 
et la politique nécessaires pour les écraser, et éortout d'entrete- 
nir parmi vous l'union, dont vous avec besoin pour remplir vos 
grandes destinées. 

>» La fondation de la République française n'est point un yen 
d'enfant ; elle ne peut être l'oMvrage du capiice ou da Pinson- 
ciance , ni le résultat fortuit du choc de toutes les jH-élentîons 
particulières et de tous les élémeos révohitioanaines : la sagesse, 
autant que la puissance, présida à la création de l'univers. En 
imposant à des membres tirés de votre sein la tâche redoutable 
de veiller sanscesse sur les destinées de la patrie, vous tous êtes 
donc imposé vous«-memes la lot de leur prêter l'appni de v^lre 
force et de voire confiance. Si le gouvernement révohitîonnsûre 
a'est secondé par l'énergie , par les lumières, par le patriotiame 



( i«3) 
4t par hi bienteillance d« tous les rqirésentâns au peaple, comr 
ment aorâ*Wl otfe force de réaction proportionnée anx efforts 
de FSurope , qui Taltaque , et de tous les ennemil de la liberté , 
^pn pressent sur lai de toutes parts? 

w MaiheuT à nous si nous ourrons nos âmes aux perfides 

tnsitradtioAS de nos ennemis , qui ne peuyent nous vaincre 

^*cit ttoits divisant I Malheur à nous si nous brisons le faisceau 

au lien de le resserrer, si les intérêts privés, si la vanité 

otfeoaée se font entendre à la place de k patrie et de la vérité ! 

y» Élevons nos Ames k la hauteur des vertus républicaines 

et des exemples antiques. Thémistocle avait plus de génie qat 

le général Lacédémonien qui commandait la flotte des Grecs ; 

cepeodsant quand celui-ci , pour réponse à un avis nécessafré 

<|oi devait sauver la patrie , leva son bÀton pour le frapper ^ 

Thémistoclefse contenta de lui répliquer i frappe ^ mais écotèie, 

et la Grrcce triompha du tyran de FAsie. Scipion valait biett on 

satre génféral roftiaritt ; Scipion , après avoir vaincu Annibal et 

Carthage , st fît une gloire de servir sous les ordpes de son 

ennemi. O vertu des grands cœurs ! que sont devant toi toutes 

les a^iCatfons de l'orgueil et toutes les prétentions des petites 

ànKs! O vertu! es->tu moins nécessaire pour fonder une 

République que pour la gouverner dans la paix ? O patrie I 

a»^tii nfoins de droits sur les re]>résentans du peuple français 

que là Grèce et Rome sur leurs généraux ? Que dis'-je ! si parmi 

noos lés fonctions de l'admiBÎstration révolutionnaire ne sont 

phis^ diBs dievom pénibies , maiv des objets d'ambition' ^ la 

République est dé]à perdue. 

M U f«iut que ^autorité de k Convention nationale soft 
respectée de toute l'Europe : c'est pour la dégrader , c'est ponr 
l'annuler que les tyrans épuisent toutes les ressources de ^ur 
polîtiipie et prodiguent leurs trésors, il faut que la Gonventioa 
.prenne lai ferme résolution de préférer son propre gouvernement 
à celui du cabinet de Londres et des cours de TEnrope , car si 
I elle' ne gouverne pas les tymns' régneront. 

» Qaeb avantages n'auraient-ils pas dans cette glierre de 

trose et de corfnptien< qu'ils font à la République ! Totts les vieee 
combattent pour eux : la République n'a pour elle qtie les 
Tertus* Les vertus sont simples , modestes ; pauvres , souvent 



( i64 ) 

ignorantes, quelquefois grossières; elles' sont TapanagedesMaf* 
heureux et le patrimoine du peuple. Les vices sont entourés 
de tous les trésors , armés de tous les charmes de la volupté , 
et de toutes' les amorces de la perfidie; ils sont escortés de tons 
les talens dangereux exercés pour le crime. 

» Avec quel art profond les tyrans tournent contre nous je 
ne dis pas nos passions et nos faiblesses, mais jusqu'à notre 
patriotisme! 

» Avec quelle rapidité pourraient se développer les germes 
de division qu'ils jettent au milieu de nous si nous ne nous 
hâtions de les étouffer ! 

» Grâces à cinq années de trahison et de tyrannie , grâces à 
trop d'imprévoyance et de crédulité , à quelques traits de 
vigueur trop tôt démentis par un repentir pusillaninne , l'Au- 
triche , l'Angleterre , la Russie , la Prusse , l'Italie ont eu le 
temps d'établir en France un gouvernement secret , rival du 
gouvernement français. Elles ont aussi leurs comités, leur 
trésorerie , leurs agens. Ce gouvernement acquiert la force 
que nous ôtons au nôtre : il a l'unité , qui nous a longtemps 
manqué ; la politique , dont nous croyons trop pouvoir nous 
passer ; l'esprit de suite et le concert , dont nous n'avons pas 
toujours assez seuli la nécessité. 

» Aufsi les cours étrangères ont-elles dès longtemps vomi 
sur la Frismce tous les scélérats habiles qu'elles tiennent à leur 
solde. Leurs agens infestent encore nos armées : la victoire 
même de Toulon en est la preuve ; il a fallu toute la bravoure 
des soldats , toute la fidélité des généraux , tout l'héroïsnîè des 
représentans du peuple pour triompher de la trahison. Ils 
délibèrent dans nos administrations , dans nos assemblées 
sectionnaires ; ils s'introduisent dans nos clubs ; ils ont siégé 
jusque dans le sanctuaire de la représentation nationale ; ils 
dirigent et dirigeront éternellement la contre*révolution sur 
le même. plan. 

>» Ils rôdent autour de nous ; ils surprennent nos secrets ; ils 
caressent nos passions ; ils cherchent à nous inspirer jusqu'à 
nos opinions ; ils tournent contre nous nos résolutions. Etes- 
vous faibles , ils louent votre prudence ; êtes-vous prudens , 
ils ^votts accusent de faiblesse ; ils appellent votre courage 



( ««5 ) 
Wmérité y TOtre justice cruauté. Ménagez-*les , ils conspirent 
publiquraient ; menacez-les , ils conspirent dans les ténèbres , 
et sous le masque du patriotisme. Hier ils assassinaient les 
défenseurs de la liberté; aujourd'hui ils se mêlent à leurs 
pompes fiinèbres , et demandent pour eux des honneurs divins , 
épiaut l'occasion d'égorger leurs pareils. Faut-il allumer la 
guerre civile, ils prêchent toutes les folies de la superstition. 
La guerre civile est-elle près de s'éteindre par les flots du sang 
fi*ançais, ils abjurent et leur sacerdoce et leurs dieux pour 
la rallumer, (i) 

» On a vu des Anglais y des Prussiens se répandre dans nos 
villes et dans nos campagnes , professant au nom de la Con- 
vention nationale une doctrine insensée ; ou a vu des prêtres 
déprêlrisés k la tête des rassemblemens séditieux dont la 
religion était le motif ou le prétexte. Déjà des patriotes, 
entraînés à de» actes imprudens par la seule haine du fana- 
tisme , ont été as*sassinés ; le sang a déjà coulé dans plusieurs 
contrées pour ces déplorables querelles; comme si nous avions 
trop de sang pour combattre les tyrans de l'Europe ! O honte! 
6 faiblesse de la raison humaine! une grande nation a paru le 
jouet des plus méprisables valets de la tyrannie ! 

u Les étrangers ont paru quelque temps les arbitres de la 
tranquillité publique : l'argent circulait ou disparaissait à leur 
gré; quand ils voulaient , le peuple trouvait du pain ; quand 
ils voulaient , le peuple en était privé ; des attroupemens aux 
portes des boulangers se formaient et se dissipaient à leur 
signal. Ils nous environnent de leurs sicaires, de leurs espions; 
nous le savons , nous le voyons , et ils vivent ! Ils semblent 
inaccessibles au glaive des lois. Il est plus difficile , .même 
aujourd'hui y de punir un conspirateur important que d'arra- 
cher îin ami de la liberté des mains de la calomnie. 

» A peine avons-nous dénoncé les excès faussement philoso^ 
pbiques , provoqués par les ennemis de la France ; à peine le 
patriotisme a-t-il prononcé dans cette tribune le mot ultra-- 



[i) f^oyez plasloinla scatice du 17 brumaire. 



révolutionnaire^ qui les désignait, ausnlÂt les trâtiroft Se 
Lyon , tous les partisans de la tyrannie se sont hâtés i3e l'ap^ 
pliquer aux patriotes chauds et généreux qui avaient vengé le 
peuple et les lois. D'un côté ils renouvellent Tancien système 
de persécution <Sontre les amis de la République ; de l'autre ilg 
invoquent l'indulgence en faveur des scélérats couverts du siiug 
de la patrie. 

» Opendant leurs crimes s'amoncëlent ; les cohortes isEipies 
des émissaires étrangers se recrutent chaque jour ; la France 
en est inondée ; ils attendent , et ils attendront éternellement 
un monaent favorable à leurs desseins sinistres, ils se retran- 
chent j ili se cantonnent au milieu de nous ; ils élèvent de 
nouvelles redoutes , de nouvelles batteries contre-Févolntion-» 
naires , tandis que les tyrans qui les soudoient rassemblent de 
nouvelles armées^ 

» Oui , ces perfides émissaires qui nous parlent , qai ihhis 
caressent , ce sont les frères , ce sont tes complices des satel- 
lites ffToces qui ravagent nos moissons , qui ont pris possession 
de no« cités et de nos veisseaus, achetés par leurs mattres, qui 
ont massacré nos frères , égorgé sans pitié nos prisonniers ^ nos 
femmes , nos enfans , et les représentans du peuple français ! 
Que dis-jel les monstres qui ont commis ces forfaits sont mille 
fois moins atroces que les misérables qui déchirent secrètenaent 
nos entrailles ; et ils respirent , et ils conspirent impunément ! 

» Ils n'attendent que des chefs pour se rallier ; ils les cher- 
chent au milieu de vous. Leur- principal objet est de nous 
mettre aux prises les uns avec les autres. Cette lutte funeste 
relèverait les espérances de l'aristocratie , renouerait les trames 
du fédéralisme ; elle vengerait la faction girondine de la loi qui 
a puni ses forfaits; elle punirait la montagne de son dévoue* 
nient sublime , car c'est la montagne , ou plutôt le Conven- 
.tion qu'on attaque en la divisant, et en détruisant scm 
ouvrage. 

» Pour nous , nous ne ferons la guerre qu'aux Anglais , 
aux Prussiens , aux Autrichiens et à leurs complices ; c'est en 
les exterminant que nous répondrons aux libelles : nous ne 
savons haïr que les ennemis de la patrie. 

M Ce n'est point dans le cœur des patriotes ou de& malheu- 



( 167 J - 

reiiz qu'il faàt porter la terreur; c'est déns les repaires en: 
brigands étrangers , oii Ton partage les clépoaiUçs et où l'on 
boit k sang da penple français. 

» Le comité a remarfvé que la loi n'était pointasses prompte 
pour punir les grands coupables. Des' étrangefs agens connus 
des rois coalisés , des généraux teints du sang des Français , 
d'anciens complices de Dumourier , de Custine et de Laœar- 
lière , sont depuis longtoi^s en état d'arrestation, et ne sont 
point yagés. 

M Les conspirateurs sont nombres ; ils semblent se mul- 
tiplier, et ks esiemples de ce genre sont rarss. La punition 
de cent coupables obscurs et subalternes est inoins utile à la 
liberté que le supplice d'un ckef de eonspiratioA. 

« Les membres du trâ>unal révolutionnaire , dont en général 
on peut léner le patriotisaié et l'équité , ont eut^mémes indi- 
qué au comité de sahit public les causes qui quelquef<HS entra- 
¥eni sa inarcbe sans k rendre plus sûre , et nous ont demandé 
la réfevme d'une loi qui se ressent deâ temps inalhenreux ou elle 
a été portée. Nous vous proposerons d'autoriser le comité à 
vous présenter quelques changemens à cet égard , qui tendront 
également à rendre l'action de la justice plus propice encore 
à l'innocence , et en même temps plus inévitable pour le crime 
et pouV l'intrigue. Yous l'aves même déjà chargé de ce soin 
par un décret précédent. 

» Nous vous proposerons dès ce moment de faire bâter le 
jugement des étrangers et des généraux prévenus de conspira- 
tion avec les tyrans qui nous font la guerre. 

» Ce n'est pa9 assea d'épouvanter les ennemis de la patrie ; 
il faut secourir ses défenseurs. Nous solliciterons donc de votre 
justice quelques dispositions en faveur des soldats qui combat- 
tent et qui souffrent pour la liberté. 

» L'armée française n'est pas seulement l'effroi des tyrans ? 
elle est la gloire de la nation et de l'humanité. £n marchant à 
la victoire nos vertueux guerriers crient vive la Répuhlùjue ! 
en tombant sous le fer ennemi leur cri est vive la République ! 
leurs dernières paroles sont des hymnes à la liberté j leurs 
derniers soupirs sont des vœux jîour la patrie. Si tous les ciicfs 
avaient valu les soldats, l'Europe serait vaincue depuis Ion gr 



temps. Tout «cte de bienfaisance envers Farmëe est un acte 
de reconnaissance nationale. 

n Les secours accordés aux défenseurs de la patrie et à 
le^rs familles nous ont paru^trop modiques; nous croyons 
qu'ils peuvent être sans inconvénient augmentés d'un tiers. Les 
immenses ressources de la République en finances permettent 
cette mesure ; la patrie la réclame. 

» Il nous a paru aussi que les soldats estropiés , les veuves 
et les enfans de ceux qui sont morts pour la patrie trouvaient, 
dans les formalités exigées par la loi , dans la multiplicité des 
demandes, quelquefois dans la froideur ou dans la malveillance 
de quelques administrateurs subalternes, des difficultés qui 
retardaient la jouissance des avantages que li^ loi leur assure* 
Nous avons cru que le remède à cet inconvénient était de leur 
donner des défenseurs officieux établis par elle pour leur lâci- 
liter les moyens de faire valoir leurs droits. 

» D'après tous- ces motifs , nous vous proposons le décret 
suivant. » {Adopté dans la même séance j et à V unanimités) 

Art. i^^. L'*accusateur public da tribunal révolutionnaire fera jager 
incessamment Diélrich, Custine, fils du général puni par ]a loi. Des- 
brullis, Biron , Barthélemi» et tous 1rs généraux et officiers prérenns 
de complicité avec Damourier , Custine, Lamarlière , Bouchard^ il fera 
juger pareillement les étrangers , banquiers et autre individus ptévenos 
de trahison et de connivence avec les rois lignés contre )a République. 

a. Le comitéde salut public fera dans le plus court délai son rapport 
sur les moyens de perfectionner l'organisation du tribunal révolu- 
tionnaire (i). 

3. Les secours et récompenses accordés par les décrets précédens aux 
défenseur» de la patrie blessés en combattant pour elle , ou à leurs 
veuves et à leurs enfans, sont augmentés d^un tiers. 

4' Il sera créé une commission char-gé» de leur faciliter la jouissance 
des droits que la lot leur donne. 

5. Les membres de cette commission seront nommés par la Convention 
nationale, sur la proposition du comité de salut public. 

(i) Ce n^est que six mois après que le tribunal révolutionnaire reçut 
une nouvelle organisation , par la loi dn aa prairial (lo juin 1794)» 
rendue sur un rapport de Couthon. 



( i69) 

Rapport sur la suppression du conseil exécutif provisoire , 
et sur son remplacement par des commission^ particu-^ 
lières , fait par Garnot au nom du comité de salut public. — 
Du 12 germinal an 2 de la République, (i*' avril 179I.) 

« Representans du peuple , vous avez de'jà créé plusieurs 
commissions particulières dont les attributions forment autant 
de dëmembremens des fonctions ministérielles : je viens 
aujourd'hui , au nom de votre comité de salut public , vous 
proposer l'entière abolition du conseil executif, dont vous avez 
maintes fois senti que l'existence était incompatible avec le 
régime républicain. 

»» Une institution créée par les rois pour le gouvernement, 
héréditaire d'un seul , pour le maintien de trois ordres , pour 
des distinctions et pour des préjugés , pourrait-elle en effet 
devenir le régulateur d'un gouvernement représentatif et fondé 
sur le principe de Tégalité ? Les ressorts de la monarchie , les 
rouages sans nombre^ d'une hiérarchie nobiliaire , les leviers 
du fanatisme et du mensonge pourraient-ils servir à composer 
un nouvel ordre de choses totalement établi sur la raison et 
sur la souveraineté du peuple? Non : cette machine politique 
ne pourrait vaincre ses frottemens ; elle s'arrêterait par néces- 
sité, ou se briserait , ou agirait à contre-sens. 

>f Un vaste pays comme la France ne saurait se passer d'un 
gouvernement qui établisse la correspondance de ses diverses 
parties , ramasse et dirige ses forces vers un but déterminé. Ce 
n'est qu'en i^sserrant de plus en plus le faisceau de- la Répu- 
blique par une organisation nerveuse et des liens indissolubles 
qu'on peut assurer sou unité , çt l'empêcher de devenir la proie 
des ennemis du dehors. L'isolement , la privation de tout 
secours , les guerres intestines , l'esclavage enfin seraient les 
suites promptes et inévitables du défaut de concert et d'une 
action centrale. 

» S'il est reconnu qu'un gouvernement est indispensable pour 
le maintien de la liberté publique, il ne l'est pas moins que le 
caractère de ce gouvernement soit tel qu'après l'avoir établie et 
Refendue , il ne vienne pas à la renverser lui-même. 

>» C'est pour lui seul que Iç peuple se donne un gouvernement; 



( i7« ) 
c'est pour remédier autant qu'il se peut à rincoavénîent de ne 
pouvoir délibérer en assemblée générale. Le gouvetaetEient 
n*est donc , k proprement parler , que le conseil du peuple , 
réconome de ses revenus , la seniinaUe chargée de veiller autour 
de lui pour en écarter les dangers, et lancer la foudre sur qui- 
conque oserait tenter de le surprendre. 

» C'est cependant par l'oubli de ces vérités primitives ci 
étemelles que se sont érigés tous les trônes et toutes les t^yrao* 
nies du monde : certes dans l'origine aucun peuple n'a voulu 
se donner nn maître, et cependant tous en ont eu ; partout la 
puissance a échappé des mains du peuple , et la souveraineté 
a passé de son possesseur légitime à un agent subalterne. Les 
premiers rois n*ont été que des valets infidèles et adroits qui 
ont abusé de la confiance de leur mattre pendant son sommeil. 
Cet attentat est trop monstrueux pour être commis tout d'un 
coup ; c'est par degrés insensibles que l'usurpateur se rend le 
dbetj que les droits du peuple s'eflkcent , que la liberté publique 
se perd , que les ténèbres envahissent et couvrent la surface 
entière du globe. 

» Il faut donc prémunir le peuple contre ces entreprises 
liberticides. Les moyens qui peuvent remplir ce but sont 
d'abord le choix des hommes qui doivent composer le gouver- 
nement j ensuite leur amovibilité , leur responsabilité , la sub- 
division des fonctions executives , on l'atténuation de chacune 
d'elles autant qu'elle se trouve possible sans mure à l'unité , k 
la rajudité des mouvemens. 

» Le peuple a le malheur attaché k la souveraineté , celui 
d'être entouré de flatteurs , d'hommes rampans et artificfeux 
que l'ambition dévore , qui le vantent pour le dépouiller , qui 
le caressent pour l'enchaîner , qui l'ornent pour l'immoler : 9 
périra accablé par tant de perfidies s*il ne sait recomiaitre ceux 
qui accourent pour !• sauver de ceux qui l'embrassent pour le 
précipiter dans l'abîme. 

» Celui qui sonde ses plaies , qui n'en dissimule ni nen 
exagère la profondeur , qui en propose le remède , quelque 
amer qu'il puisse être, voilà son véritable ami. 

» Le flatteur est celui qui lui offre des palliatifs ; son objet 
est rempli lorsqu'il a éloigné le danger présent en le grossis- 
sant pour l'avenir. 



( î7ï ) 
> »» Som, réritâble ami est ceftii qui lui vifeie h chaque instant ^ 
jusqu'à rimportunîté : Sois^ laborieux j car la terre ne pro^ 
duit point d^elle^méme ; sois sobre , car k fruit du sol a ses 
Emiies ; mets un équilibre entré tes consommations et les 
productions ; ne te crée de besoins que ceux quHl est pos^ 
sible de siaisf4^ire ; proscris Vidée corruptrice des jouiS'- 
sanees qui sont au^lèlà de ce que comporte la nature des 
choses qui t'environnent. 

» Son ennemi véritable et le plus dangereux est celui qui 
jette au milieu de lui le germe àe la cupidité , les passions qai 
le décomposent , la chimère du mieux possible , le blâme de 
tout ce qui est , le mécontentement pour tout ce qu'il a , le 
désir de ce qu'il ne saurait avoir. 

:> C'est celui qui Ta dans les lieux publics annoncer de 
fausses nouvelles ; tantôt mauvaises , pour exaspérer les 
esprits ; tantôt follement avantageuses, pour que le bruit qui 
doit suivre de leur fausseté soit un reproche au gouvernement , 
et au peuple un découragement plus sensible ; alliant sans 
cesse Fimposture à la vérité pour accréditer la première et 
déshonorer celle-ci ; mêlant partout l'esprit des factions au 
simple rapport des faits, pour enlever tout .point d'appui à 
rojHuien , et étouffer dès èon principe l'intérêt que développe 
l'.aturellement dans le cœur de tout citoyen le récit fidèle des 
événemens qui se pressent autour de lui* 

» L'ami du peuple ^nfin est celui qu'il faut chercher long-* 
temps pour l'obliger à remplir les fonctions publiques, qui 
s*en retire le plus tôt qu'il peut-, et plus pauvre qu'il n'y est 
entré ; qui sy dévoue par obligation, agit plus qu'il ne parle, 
et retourne avec empressement dans le sein de ses proches 
reprendre l'eiercice des vertus privées. - 

» Après le choix des hommes , vient pour seconde condition 
leur amovibilité. Quelle que puisse être la pureté de ceux 
qui ont mérité la confiance du peuple , il est contre la prudence 
de laisser trop longtemps le pouvoir résider dans les mêmes 
mains : dès qu'il cesse d'être un fardeau pour celui auquel il 
^t confié , il faut le lui retirer; dès qu'il s'en fait une jouis- 
sancë, il est près de la corruption. La bonne foi même n'est 
pas Une garantie suffisante , car celui qui dispose en un temps 
de la force pour servir sa pairie, un jour peut-être, si on la Irfi 



( 17» ï 
laissait trop longtemps 9 en Asponeraît pour l'asservir. Malheur 
à une république oii le mérite d'un homme , oii sa vertu même 
serait devenue nécessaire ! 

» Quant à la responsabilité , elle est de droit naturel à Fégard 
de tous ceux qui sont chargés des affaires de l'Etat. La justice 
du peuple se trompe rarement ; elle distinguera toujours uft 
système de trahison et de mal?eillance d'une simple erreur ; 
elle saura toujours qu'on doit juger les hommes publics par 
la masse de leurs actions , et que leur imputer à crime des 
fautes inévitables dans uiie grande administration ce serait 
rendre absolument impossS>le la marche rapide et hardie qu^ 
doit avoir tout gouvernement , et surtout un gouvernement 
révolutionnaire. 

M Enfin il reste encore un but à remplir ; c'est celui de 
diviser tellement l'exercice des pouvoirs particuliers qu'en res^ 
treignant dans les limites les plus étroites celui de chacun de& 
agens on conserve l'unité de direction et l'ensemble des 
mesures. 

» L'art est d'éviter les deux écueils de l'accumulation d'une 
part et de l'incohérence de l'auti^e , d'organiser sans concentrer , 
de multiplier les agens moteurs , et d'établir entre eux des 
rapports qui ne leur permettent jamais de rester en arrière , 
ou de s*éloigner des lignes correspondantes. 

» Tels sont , citoyens, les principes que nous avons tâché 
d'appliquer au gouvernement révolutionnaire de la République. 

» Les six ministres et le conseil exécutif provisoire suppri- 
vies , et remplacés par douze commissions rattachées aii comité 
de salut public , sous l'autorité dé la Convention nationale, 
voilà tout le système. 

>» Le comité de salut public se réservant la pensée du gou- 
vernement , proposant à la Convention nationale les mesures 
majeures , prononçant provisoirement sur celles que le défaut 
de temps ou le secret à observer ne permettent pas de pré- 
senter à la discussion de l'Assemblée , renvoyant les détails 
aux diverses commissions , se faisant rendre dompte chaque 
jour de leur travail , réformant leurs actes illégaux , fixant 
leurs attributions respectives , centralisant leurs opératîonspour 
leur donner la direction , l'ensemble et le mouvement qui 
leur sont nécessaires. 



( ':3 ) 

«> Chacune de ces commissions enfin exécutant les détails 
de son ressort , mettant dans ses difiereiis bureaux le même 
ordre que le comité de salut public doit mettre entre elles , 
présentant chaque jour au comité le résultat de son travail , 
dénonçant les abus,, proposant les réformes qu'elle juge néces- 
saires j ses vues de perfection , de célérité et de simplifica- 
tion sur les objets qui la concernent , tel est succinctement le 
tableau de la nouvelle organisation. 

^ La trésorerie nationale n'est point comprise dans ce qui 
concerne la commission des finances , parce que c'est par la 
première que sç vérifient les comptes de la «econde, et que 
les comptables ne peuvent délibérer avec ceux qui doivent 
recevoir les comptes. La trésorerie nationale conservera donc 
son régime actuel , et continuera de correspondre directement 
avec le comité de salut public , ainsi que le bureau de comp- 
tabilité. Il en sera de même de celui de la liquidation géné- 
rale y qui n'est qu'une institution passagère. 

» Il a fallu rendre ces commissions aussi npmbreuses ; 

i^ Parce que la classification des objets se prétait natu- 
rellement à cette division 4 

» 2°. Afin d'atténuer le pouvoir de chacune d'elles, et 
diminuer son influence individuelle ; 

» 3^. Pour qu'enfin chacune de ces mêmes commissions 
fôt circonscrite dans le cercle des fonctions qu'elle peut rém« 
plir sans les déléguer; car celui qu'on charge d'un fardeau 
plus grand que celui qu'il peut porter le partage nécessaire- 
ment avec d'autres, et ne peut avec justice demeurer respon- 
sable. 

« 

» Les objets qui . forment les attributions respectives des 
commissions sont classés sommairement dans le projet de 
décret ; les détails en sont trop nombreux pour que l'énuméra- 
tion exacte puisse en être faite ici. Il en est d'ailleurs de coo»» 
plexes ou de mixtes pour lesquels il faut le concert de plusieurs 
commissions : c'est au comité de salut public à régler ces 
particularités , et à ne pas permettre que les formes ou des 
questions de compétence entravent le mouvement général. 

»' Le droit de préemption est trop important pour ne pas 
mériter une attention particulière. Nous avons pensé qu'il ne 
pouvait être «onf^Sré en même temps à plusieurs des commis- 



( '74) 

sîons sans exposer les citojeos à des vexations «fd'ils n'onf 
déjà que trop éprouvées, à des réqaisîtioos qui se croisent 
ssLns cesse , et desquelles il résulte que les citoyens de bonne 
foi s'épuisent pour tout céder, tandis que les égoïstes j troir- 
vent des prétextes pour ne rien fournir du tout , en prodoi— 
«anl à ceux qui viennent requérir d'antres réquisitions déjà 
£iites pour te même objet. Non» vovs* proposons donc d'attri» 
buer exclusivement , sous la surreillamce du comité de saint 
pubKc , lo droit de préemption à la c<»amis^ioa qui sera 
chargée du commerce et ies approvisionnemens. 

M Les besoiD.#uFgeBsdes armées et des départemens poor 
ks sii^istances ont souvent entraîné les représentane eux^ 
marnes à des mesures contradictoires; de ]k la pénurie dâm^ 
certains lieux lorsqu'il j avait engorgement dan» d'anties : il 
est donc essentiel qn'ils aient des arrondissemens détermiaéé 
ai»«>detà desquels ils ne puissent former aucune réquisilîoQ , et 
que même , pour celles qu^ils peuvent faire dans leurs propret 
arrondisseniens , ils ne contrarient point celles qui partent du 
point central. 

M Le graud mal est que^ le plus souvent l'arrivée d'un repré- 
sentant du peuple dans tm peint quelconque , an lieu de stimuler 
les fonctionnaires publics, semble les poraljser tout à coup. 
Chacun secroit dispensé d^agir en présencedTane au torif é qnî peut 
décider de tout ;en conséquence tout kii es^t renvoyé : en Taecable 
de>cpiestîons insidieuses et de petites difficultés ; lia malveillance 
l'entoure , la cupidité l'assiège , l'hypocrisie le circonvient , la 
calonsnie le dénonce auprès de vous; et plusieurs de vos 
membi^s qui avaient mérité votre confiance , et qui n'ont rien 
fisiit pour la perdre , reviennent ét^Mmés de se trouver m lenr 
^rrivée entourés de préventions désavantageuses , et obligés 
de se justifier sur des fisiits qui, analisé» dans leurs motifs^ ne 
sont souvent que des actes d'une juste fermeté et d'un très 
grand dévouement. 

w Au reste le comité de salut publie vous présentera bientét 
sur cet obfet important un- travail qui se lie avec celui qull 
vous soumet aujourd'hui. 

» Résumons maintenant , et jetons nn coup d'œîl général 
MIT les rapports et Tenchainement des pouvoirs dont je vous as 
présenté l'analise. 



( ilS ) 
. f An luint It raison plane et imprime le premier moare- 
ment , ceiutftaquel le peuple en masse obéit et obéira tonjoars. 

n Vient ensuite le peuple lui-même , qni cherche la lumière 
et la direction qu'il doit |Nrendré , mais qaî , empêché de 
délibérer dans une assemblée générale par les obstacles phy- 
siqves réuiltant de sa population et de Fimménsité de son 
territoire , se forme en assemblées d'arrondissement pour élire 
des mandataires qu'il charge de le représenter dans une assem- 
blée nationale* 

M Gooservalriee des droits qui assurent la liberté du peuple , 
la représentation nationale a pour devoir suprême de se montre^ 
jalouse de ce dépôt sacrée de frapper quiconque aurait la 
pensée d'y porter atteinte , quiconqiie offenserait la dignité , 
la maie^té du souverain dont elle est l'image. 

» Reprétentans du peuple français ^ souvenez-Tons que cette 
eseeinte ne doit jamais offrir aux nations qu'un grand spec- 
tacle ; que quiconcrae y apporte des discussions étrangères aux 
intérêts du peuple , quiconque affaiblit dans l'opinion l'idée de 
tout ce que la puissance offre de plus imposant , de tout ce que 
la vertn offre de plus généreux , de tout ce que les mœurs et le 
courage offrent de plus propre à élever, à intéresser les âmes , 
méeonnatt la sublimité de sa mission, avilit la majesté d'un 
penploque la nalure, la liberté, la rage impuissante des rois 
lignés cdntre lui , ses maux , sa constance , ses sacrifices ont 
rendu le premier des peuples dont il soit fait mention dans les 
annales de l'univers l 

» Émanation directe , partie essentiellement intégrante et 

amovible de la Convention nationale , le comité de salut public 

Vloit être chargé de tous les objets d'une importance secondaire , 

ou qui ne peuvent être discutés en assemblée générale ; c'est 

à lui de fournir les explications et décisions particulières , ou 

de renvoyer lui-même à d'antres fonctionnaires désignés les 

détails qu'il ne sauraibembrasser lui-même , et d'en exiger les 

comptes ; placé au centre de l'exécution , c'est à lui de mettre 

' entre les divers agens de l'action immédiate qni aboutissent à 

lui la concordance nécessaire , à leur imprimer le mouvement 

qu'exige le prodigieux ensemble d'une nation de vingt-cinq 

millions d'hommes. 

» Les doute commissions qni doivent se rattacher au comité 



i 176 ) 

de satut public , et remplaeer les six ministères , embrissent 
tout le système d'exécution des lois : assee morcelées pour que 
leurs influences particulières soient peu sensibles , assee réunies 
pour que leurs opérations seient assujéiies à un même système , 
elles paraissent remplir l'objet d'un gouvernement investi de • 
tous les pouvoirs nécessaires pour faire le bien , et impuissant 
pour faire le mal. 

» Telle est l'agence révolutionnaire que votre comité vous 
propose pour exister jusqu'à ce qu'une paix solide , commandée 
aux ennemis de la République y vous rende la faculté de dé- 
tendre insensiblement des ressorts que le crime , les factions et ' 
les dernières convulsions de l'aristocratie vous forcent encore 
de tenir comprimés. 

» Quelle boute pour vous, 6 bommes de tous les pays que 
la nature appelait à partager avec nous les bienfaits de Ja 
liberté ! Vous qui , au lieu de vous serrer autour d'un peuple 
qui saisissait l'occasion de briser ses chaînes , ' vous êtes ligués 
pour les river et les appesantir ; qui , au lieu d'écbuter la 
raison et la justice éternelle, qui du haut des montagnes 
sacrées proclament l'égalité, avez fourni des poignards au 
fanatisme et de nouvelles ténèbres à l'ignorance ! 

» Hé bien, vos propres crimes seront votre punition! Vous 
avez méconnu les droits de l'homme , et vous u'en jouirez pas;- 
vous avez combattu pour l'esclavage , et vous y croupirez ; voua 
êtes condamnés pour plusieurs siècles encore à dire mon nrnttre 
à votre égal; à vous rouler devant lui dans la poussière! 
Vous vous êtes réunis tous contre un seul ; vous l'avez 
attaqué lâchement par le poison , par la famine , par les 
assassinats : son triomphe sera votre supplice, l'humiliatioa 
votre partage ; la dévastation retombera sur vous , et vos 
malheurs dureront aussi longtemps que vous n'aurez pas lavé 
tant d'outrages faits à l'humanité dans le sang des brigands 
féroces que vous appelez vos souverains! » 

Décret ( adopté dans ta ntéme séance ). 

lia Convention uaiionale , aprcs avoir entenda le rapport de son 
comité de salut public, décrète : 

Art. i*^. Le conseil exécutif proTÎsoîre est supprimé, ainsi que les 
•ix ministres qui le composent j toutes leurs tonctions cesseront att 
premier floréal prochain. 



C 177 ) 

3. Le ministère sera snppléé par douze coœBiissiooB, dont l'énumé^ 
ration suit « 

I®. Commission des administrations civiles , police et tribunaux; 

2^. Commission de Pinslruction publique ; 

3*». Commission dé TagricultiTre et des arts ; 

4^. Commission du commerce et des approyisionnemens ; 
• 6*. Commission des travaux publics ; 

6o. Commission des secours publics ; , 

7**. Commission des transports, postes et messageries ; 

8^. Commission des finances; 

9^. Commission de Torganîsation et du mouvement des armées de 
lerre î " 

/ ' to°. Commission delà marine et des colonies; 

11^. Commission des armes , poudres, et exploitation des mines ; 

13. Commission des relations extérieures. 

3. Chacune de ces commissions, à Texception de celles dont il sera 
parlé dans Tarticle suivant , sera composée ^e deux membres et d'un 
adjoint; cet adjoint fera les fonctions de secrétaire et de garde des 
archives de la comipissioo. 

4. La commission des administrations civiles , police et tribunaux , 
et celle de Pinstmction publique , seront composées chacune d'un . 
commissaire et de deux adjoints. 

La commission des relations extérieures ne sera que d'un seul com- 
missaire sans adjoint. 

Celle de la guerre et celle de la marine ne seront également chacune 
que d'un seul commissaire et d'un adjoint. 

Celle dés finances sera de cinq commissaires et un adjoint. 

La trésorerie. nationale, le burtau de comptabilité et celui de la 
liquidation générale seront ind<^pendans des susdites commisf^ions, et 
correspondront directement avec la Convention nationale et le comité 
de salut public. 

5. La commission des administrations civiles, police et tribunaux , 
comprendra celle qui est aujourd'hui désignée sous le nom de commis- 
sion de IVnvoi des lois; elle sera chargée du sceau de la République et 
des archives du sceau ; 

De rimpression des lois, de leur publication et de leur envoi a 
toutes les autorités civiles et militaires ; 

Du maintien général de la police, de la surveillance des tribunayx, 
et de celle des corps administratifs et municipaux. 

6. La commission de Tinstruction publique sera char gée de la conser- 
vation des monumens nationaux , des bibliothèques publiques, musées, 
cabinets d'histoire naturelle et collections précieuses ; . 

!>• la surveillance des écoles et du mode d'enseignement ; 
De tout ce qui concerne les inventions et recherches scientifiques ; 
xin. la 



( 178) 

De la fixation des poidg et mesures ; 

Des spectacles et fêtes nationales ; 

De la formation des tableaux de population et d^économîe politique. 

7. La commission d'agriculture, arts et manufactures, sera chargée 
de tout ce qui concerne Téconomie rurale, les desséchcmens et défri- 
chemens , réducaiion des animaux domestiques, les écoles Tetérinaires, 
les arts mécaniques, les usines, les filatures, et tout ce qui tient à 
l'industrie manufacturière. 

8. La commission du commerce et des approTi «onnemens sera chargée 
de la cirrnlation intérieure des subsistances et denrées de toute espèce, 
des importations et exportations; 

D^ la formation des greniers d^abondanceet magasins de tout genre ; 

De la subsistance des armées et de leurs fournitures en effets d^ba-* 
billement , d^équipemeot , cfisernrment et campement. 

Elle exercera, seule le droit de préemption , sous la surveillance du 
comité de salut public. 

9. La commiteion des travaux publics sera cbargée de la construction 
des ponts et chaussées, du système général des routes et canaux de la 
République ; 

Du travail des ports et défense des côtes , des fortifications et travaux 
défensf fs de la frontière ; 

Des monumens et édifices nationaux civils et militriires. 

10. La commission des secours publics sera cbargée de tout ce qui 
concerne l'administration des hôpitaux civils et militaires , les secours 
à domicile, l'extinction de la mendicité, les invalides, les sourds et 
muets, les enfans abandonnés, la salubrité des maisons d'arrêt. 

ir. La commission des transports, postes et Messageries, sera char- 
gée de tout ce qui concerne le roulage, la poste aux cbevaui^ , la poste 
aux lettres, les remontes, les charrois, convois et relais militaires de 
tout genre. 

12. La commission des finances sera chargée de ce qui concerne l'^admi- 
nistr^tion des domaines et revenu s nationaux, les contributions directes, 
les bois et forêts, les aliénations dès domaines, les assignats et mon- 
naies. 

1 3. La commission de Porganisation et du mouvement des amcces de 
terre sera chargée de la levée des troupes et de leur organisation , dt 
Texercice et de la dicipline des gens de guerre, des mouvemenset opé- 
rations militaires. 

14. La commission de la marine et des colonies aura la levée des gens 
de mer, les classes et Torganisation des armées navales , la défense des 
colonies, la direction des forces et expéditions maritimes. 

i5- La commission des armes et poudres est chargée de tout ce qui 
concerne les manufactures d^armes k feu et armes blanches, les fon- 
deries, bouches à feu et machines de giferre quelconques. 



( '79 ) 

Des poudres, salpdires et manitions de guerre, des magasins et arse- 
naux , tant pour la guerre qne pour la marine. 

i6- Enfin la commission des relations extérieures sera chargée des 
affaires étrangères et des douanes. 

17. Ces douze commissions correspondront arec le comité de salut 
public , auquel elles sont cubordonnées ; elles lui rendront compte de la 
série «t des motifs de leurs opérations respectives. 

Le comité annulera ou moditiera celles de ces opérations qu^il trou» 
Tera contraires aux lois on à Fintérét public ; il bâtera près d^elles Pex- 
pcditîon des affaires , fixera leurs attributions respectives et les lignes dt 
démarcation entre elles. 

18. Chacune des commissions remettra jour par jour au comité d« 
salut public : 

i^*. L'état de situation sommaire de son département; 

a*. La dénonciation des abus et desdifûcultésd^cxécution qui se seront 
rencontrées j 

3**. Ses vues sur les réformes , le perfectionnement et la célérité des 
mesures d^ordre public. 

Les membres de chacune des commissions particulières sont soli- 
dairement responsables, pour leurs actes illégaux et pour leur négli- 
gence , conformément à la loi du i4 frimaire , relative au gouvernement 
révolutionnaire. 

ig. Les emplois ou commissions, tant civils qne militaires, seront 
donnés au nom de la Convention nationale , et délivrés sous Tappro- 
bat ion du comité de salut public. 

3o. Les membres des commissions et lears adjoints seront nommés 
par la Convention nationale, sur la présentation du comité de salut 
public. 

Ces commissions organiseront sans délai leurs bureaux sous Tappro- 
bation du comité de salut public -, les nominations des employés lui 
seront également soumises, et devront être confirmées par lui. 

ai. Le traitementde chacun des commissaires sera de xa,ooo fr.; celui 
des adjoints sera de 8,000 fr.; celui de^emplojés dans les bureaux sera 
arrêté par le comité de salut public, et ne pourra excéder 6,000 fr. 

23. Lecomitéde salut public est chargé de prendre toutes lesmMursfl 
aécessaircs à Texécution du présent décret. 



l 



( i8p) 



^>—^^"^^^i^'^— — — iti» ■ I I II 



SUITE DU LIVRE PREMIER. 

Lyon 9 ou plutdt son territoire , après un siège de deux 
mois , était rentré sous les lois delà République*; sur ses ruines 
s'élevait un poteau avec cette inscription : Lyon fit la guerre 
à la liberté; Lyon n'est plus ; les édifices , les maisons de 
cette cité qui avaient échappé à la destruction portaient le 
ie nom de faille' Affranchie (i). 

A la Vendée quelques avantages. 

Aux frontières des succès. 

Sur tous les points quatorze armées organisées pour it 
prochaines victoires. 

Cette attitude militaire était due au décret du 23 août, 
dont l'exécution , suivie avec autant d'art que de sagesse par 
les membres du comité du salut public, était encore protégée 
par le dévouement de tous le^citoyens. Donnons un exemple 
de cette exécution dans une de ses parties essentielles. . 

Rapport sur la manufacture extraordinaire d'armes établie 
à Paris f fait par Garnot au nom du comité de salut public. 
Séance du i5 brumaire an 2 de la République. (5 noi^embre 

« Parmi les prodiges qu*a fait éclore notre révolution, 
i'érectiou presque subite d'une manufacture qui doit produire 
mille fusils par jour , et à laquelle dans peu rien ne sera coof 
parable en Europe , n'est pas un des moindres. Le comité de 
salut public doit vous rendre compte des mesures qu'il a prises 
pour Teiécution de la loi du 23 aodt, par laquelle il est immé- 
diatement chargé de cette vaste entreprise : je vais le faire en 
son nom d'une manière succincte , en rejetant dans des notes 
les détails techniques , qui ne pourraient être saisis que diffici- 
lement à la simple lecture. De nouveaux rapports successifi 
vous instruiroQt des progrès de cet établissement, dû au génie 
de la liberté , et dans lequel à son tour la liberté doit trouver un 
de ses plus fermes appuis. 

» Lorsque la loi du 23 août fut rendue tout était à créer, 

(i) Décret du vinguunième jour du premier mois (vendémiaire) àt 
Tau 2 de la République. (la octobre I793.) 



2 



( i8i > 

•uvrîers , matériaux , outils. En vous la proposant le comité 
avait moins consulté ses moyens que son propre désir , que le 
Yoeu national, que cet instinct supérieur,aux calcul s, qui apprend 
aux hommes que rien n'est impossible a qui veut être libre. 

>* Mais cette nuUité âe ressources et les obstacles physiques 
ni se sont présentés y tels qu'ime sécheresse dont il y a eu pea 
'exemples depuis plus d'un siècle , qui a presque totalement 
suspendu le cours de la navigation et le travail des usines , et 
dont les effets se sont fait sentir d'une manière plus fâclicuse 
encore , conune vous le savez , par la difiiculté de la mouture 
et l'arrivage des grains ; ces obstacles , <}is-je , étaient bien 
^inomdres que les difficultés morales que nous avons eues à 
sm'monter. * 

» A peine en effet les membres de votre comité eurent-ril» 
cherché à ^'entourer de ce qu'il y a de plus célèbre parmi les 
sa vans et les artistes , que la malveillance dirigea con'.ro les uns 
et les autres les. ressorts ordinaires du mensonge et les phxs 
lâches manœuvres : on sentait l'importance de l'entreprise ; on 
craignait l'infiuence qu'elle devait avoir sur le sort de la Répu- 
blique, et l'on voulait qu'elle échouât dès son principe : heureu- 
sement les hommes dont nous avions recherché les lumières se 
trouvaient aussi inattaquables du côté de la probité et du 
civisme que du côté des talens et du zèle ; ils servirent la chose 
publique malgré les dégoûts qu'on voulut leur dotiner ; ils lui 
consacrèrent leurs veilles , tous leurs instans , et leur regret a 
. été de ne pouvoir^éviter l'éclat inséparable d'un mérite supé<- 
rieur , qu'ils auraient voulu pouvoir dérober , comme leur 
désintéressement , aux yeux de l'envie et de la persécution. • 

» Cependant l'esprit contre-révolutionnaire , déjoué sur ce 

Snnt , ne fit que donner à ses perfides efforts une nouvelle 
rection i il essaya d'accaparer cnez les négocians et dans les 
forges mêmes les matières premières dont la manufacture ne 

Souvait se passer ; on chercha à nous enlever le petit nombre 
'ouvriers instruits que nous avions rassemblés des divers points 
'de la République pour en former d'autres et diriger le travail 
des ateliers ; on tordit le sens de la loi pour les faire com-** 
prendre dans la réquisition militaire , pour les indisposer par 
des arrestations sans fondement et des vexations particulières ; 
on tenta d^ les soulever en exaltant leurs prétentions , en éveil- 
lant en eux un sentiment d'avarice , subversif de l'esprit répu«- 




et de remplir vos intentions. 

^ En outre des entrepreneurs de mahufactures particulières 



( l82 ) 

ont passé des marchés avec le ministre de la guerre pour 
livrer à celle de Paris des lames et des canons tout forgés. Les 
fabriques nationales ont été requises de donner une nouvelle 
activité à leurs travaux , et dVnvoyer ici les pièces d'armes 
désassorties pour qu'elles y soient appareillées. 

w Indépendamment de ces mesures , votre comité a chargé 
par une circulaire les commissaires aux accaparemens des 
sections de Paris de retenir pour le compte de la République , 
dans les magasins de leur arrondissement , tous les fers pro- 
pres à la fabrication des armes. Les propriétaires se rendent à 
l'administration chargée de ce travail , oii quatre arbitres , 
nommés par le département et la municipalité , règlent le 
prix de chaque objet. 

» Enfin on a donné les ordres nécessaires pour que les fers 
inutiles qui se trouvent dans les bâtimens nationaux fussent 
transportés dans des magasins , oii l'on fait le triage de ceux qui 
sont propres à la fabrication ; le reste doit étrç vendu au profit 
de la Republique. 

M Des moyens analogues à ceux qu'on vient d'exposer ont 
été pris pour les autres substances qui doivent alimenter la 
manufacture. Le besoin en a pour ainsi dire tiré du néant plu- 
sieurs qui n'existaient pas , en faisant sortir de nouveaux gen- 
res d'industrie. La fabrication des aciers , par exemple , dont 
l'énorme consommationnous tenait dans une dépendance hon- 
teuse et ridicule de l'Angleterre et de l'Allemagpe , ne laisse 
plus rien à désirer ; les say^ins et les artistes , appelés par votre 
comité pour le seconder dans l'établissement de la manufac- 
ture extraordinaire de fusils , viennent enfin de nous a£Fran- 
chir de cette espèce de tribut. Le comité les a engagés à publier 
un petit ouvrage pratique qui mit tous les maîtres de forgi» 
à portée de fabriquer des aciers de toutes, qualités : cet ouvrage 
est terminé ; il se répand partout , et les manufactures d'Ami- 
boise 9 de Rives , de Souppes et de Chantilly .suffiront bientôt 
à tous les besoins de la République. 

» Les ateliers oii se façonnent les matières dont nous venons 
de parler sont les forges à canons , les foreries , les énuoule- 
ries , les ateliers d'équipage , ceux d'équipeurs-monteurs , les 
platineries , les champs d'épreuve , à quoi l'on doit ajouter les 
magasins et les maisons d'administration. 

» Pour l'établissement de ces ateliers , maisons et magasins , 
on s'est fait donner par le directoire da département de P«is 
l'état des bâtimens nationaux disponibles ; on a Xïhoisi les plus 
convenables , et l'on y a fait faire les changemeas ou répara- 
tions nécessaires. - 

» Deux choses sont à considérer dans une manufacture 



/ 



( «83 ) 

d'armes ; le matériel et le persoifnel. Le matériel comprend 
les substances qu'on doit mettre en œuvre et les ateliers où ces 
substances doivent recevoir leurs formes. Le personnel com- 
prend les ouvriers et l'administr^ation. Nous allons faire passer 
rapidement sous vos yeux ce qui a été fait relativement à 
chacune de ces deux classes d'ob]ets , en renvoyant , comme je 
l'ai déjà dit , les détails d'artistes à des notes qui vous seront 
soumises par la voie de l'impression. 

» Les matières sont les lames à canon et fers d'échantillon , 
les aciers , les bois de fusil , les outils et les charbons de terre. 
» La fabrication devant produire trois cent soixante mille 
fusils par an , et chaque lame de canon pesant neuf livres , la 
consommation du fer pour cet objet sera de 5,2oo,ooo liv. ; 
la consommation du fer pour les autres parties du fusil est à 
peu près des deux tiers de la précédente ; ainsi la consomma- 
lion totale aunuelle sera d'environ 6,000,000 de livres. 

» Pour assurer un aussi grand approvisionnement votre 
comité a fait faire le dépouillement de toutes les forges et 
fourneaux compris dans les domaines nationaux, et provenant 
tant des bi«ns du ci-devant clergé que de celui des émigrés. 
» Parmi ces établissemens on a choisi ceux qui sont placés 
dans les départemens du|Clier , de l'Allier, de la Nièvre , de 
la Haute-Saône, et quelques uns de la Côte-d'Or et de la Haute-^ 
Marne , parce que les fers qu'ils produisent sont les meilleurs , 
et parce que leur situation donne plus de facilité pour leur 
transport à Paris. 

» Des ordres ont été donnés aux adnxinistrations de ces 
départemens y et des commissaires y ont été envoyés pour hâter 
les envois et recueillir les renseignemens. 

» La fabrication des lames à canons exi^e des martinets , 
qu'on ne pouvait établir ici en nombre suffisant sans sacrifier 
des mouhns à farine : le comité a pensé qu'il était plus k 
propos de tirer ces lames toutes fabriquées des forges qui se 
trouvent dans les autres départemens» 

» Quant à la façon à donner à ces lames pour en faire des 
canons , votre comité a pris, le parti de faire élever à Paris 
deux cent cinquante-huit forges , dont cent quarante sont sur 
l'esplanade des Invalides , cinquante-quatre an jardindu Luxem- 
bourg, et soixante-quatre sur la place de l'Indivisibilité. 

» Lorsque les ouvriers auront acquis 'un certain exercice 
chaque forge produira quatre canons par jour , ou toutes 
ensemble mille trente-deux canons. 

» Le canon étant forgé , on le met de calibre. Pour cette 
opération on fait établir sur la Seine cinq grands bateaux, dont 
les dessins sont ici sous vos yeux , montes chacun de seize fore- 



■ » 



( i84 ) 

n'es I ce qui fait en tout quatre-vingts foreries , par le moyen 
desquelles on peut alléser mille canons par ^our. 

» . Eu même temps on a formé les ateliers nécessaires pour 
blanchir les canons , Jes réduire à leur épaisseur y forger les 
culasses y forer les lumières y soucier les tenons , former les 
bancs d'épreuve , fabriquer y limer , tremper , ajuster et 
monter les platines. Tout cela doit 4tre exécuté par un 
nombre considérable d'eicellens ouvriers , accoutumés à des 
travaux délicats , tels que les horlogers et les ouvriers en 
instrumens de mathématiques. 

M Une grande partie des platineurs ,. tirée de la^ m^anufac- 
tare de Maubeuge , est déjà installée dans le couvent des ci- 
devant Chartreux : les boutiques garnissent tous les cloîtres ; 
les cellules sont habitées par les ouvriers, et ce local y consacré 
jadis au silence , à Tinacticfn » à l'ennui y aux regrets , en 
retentissant du bruit des maf teaux y offrira le spectacle de l'ac* 
tivité la plus utile et le tableau d'une population heureuse* 

» Les pièces de garniture , les baguettes et les baïounettes , 
n'exigeant pas la même précision , sont fabriquées , comme les 
culasses , dans des ateliers particuliers > et les ouvriers passent 
avec l'administration des marchés pour les pièces qu'ils veulent 
entreprendre. 

» Enfin toutes les pièces qui doivent compQser un fusil étaiit 
fabriquées et éprouvées , on les livre , avec un bois brut ,, à des 
ouvriers particuliers , qui les montent et mettent le fusil ea 
état de servir. 

» Toutes ces matières sont classées dans des magasins : celui 
des fers et aciers est dans la maison de l'émigré Meaupou. 

» Celui des outils dans la maison d'Esclignac ; celui du char- 
bon de terre dans les caves de l'abbaye Saint-Germain. 

» Quant à ce qui regarde le personnel des ouvriers , on peut 
le considérer sous le point de vue de l'instiruction , du rassem- 
blement , de la distribution des travaux y de la fixation des 
prix , du perfectionnement des ouvrages. 

» Dès le 24 août le comité de salut public fit choix de huit 
citoyens parmi les ouvriers de Paris les plus habiles dan$ le 
travail du fer; il les envoya à la manufacture de Charleville 
pour y prendre connaissance, jusque dans les plus petits détails, 
de tous les procédés de la fabrication des fusils ; il les chargea 
de faire exécuter ces pièces devant eux , et de rapporter des 
modèles de tous les états par lesquels ces pièces passent pour 
arriver à leur entière confection. Cette mesure a ^u le succès 
désiré ; les huit ouvriers se sont mis au fait de tous les travaux 
qui doivent s'exécuter , et sont aujourd'hui en état de diriger 
les ateliers de la nouvelle manufacture. 



( i85 ) 

» Le confite a de plus ^pelé à Paris tous les ouvriers des 
arsenaux qui n'y étaient pas indispensables ; il a aussi convoqué 
les horlogers de Paris connus par leur patriotisme, et ces artis- 
tes estimables ont pris un arrêté dont nou» vous avons déjà fait 
pairt, par lequel ils s'engagent à suspendre leurs travaux et a 
ae consacrer à la fabrication des parties de l'arme auxquelles 
ils seront jugés le plus propres. Enfin votre comité a fait une 
circulaire aux sections de Paris pour les requérir de faire le 
recensement des ouvriers en fer et de leurs outils. L'adminis- 
tration de la manufacture invite ^es ouvriers à se rendre dans 
se& bureaux; elle passe des ruarcliéâ^ avec ceux qui préfèrent 
travailler chez eux , et fournit dans des ateliers comniuns du 
travail à ceux qui n'ont pas d^emplacement à eux,ou qui man- 
quent d'outils. En général les diverses parties de la faoricatioa 
se font à la pièce; cette méthode a paru la plus avantageuse 
aux intérêts de la République , et la moins sujette aux abus. 
Pour fixer les prix de ces pièces le comité a invité les sections 
de Paris à nommer chacune dans son sein quatre commis- 
saires , qui ont choisi entre eux vingt-quatre arbitres, lesquels, 
joints à six autres nommés par les ouvriers de Maubeuge , six 
nommés par le directoire du département de Paris , six par la 
municipalité , six par l'administration des fusils, et douz^ par 
le ministre de la guerre , ont déterminé le prix de chaque pièce. 

» Votre coinité a voulu que d'abord , dans toutes les parties 
de la fabrication , on suivit exactement les procédés reçus dans 
les manufactures établies ; mais il a pris des mesures pour pro- 
fiter dans la suite des lumières des artistes, échaufier leur géuie, 
et favoriser les nouveaux procédés qui tendraient soit à une siin- 
plifkation dans lés méthodes , soit à un plus grand degré de 
perfection. Ainsi non seulement la nouvelle manufacture four- 
nira mille fusils par jour ; mais les armes qui sortiront de ses 
ateliers seront dans peu les ipeilleares de -l'Europe; l'art sera 
ftimphfié, et l'arme qui doit être dans les mains de tous sera 
d'un service plus sûr et d'un prix plus modéré. 

» Il nous reste à parler de l'administration. Elle est compo- 
sée de trois sections : Tune est celle des canons ; la seconde est 
celle des petites pièces , et la troisième , sous le nom d'admi- 
nistration centrale, est chargée du rassemblement des matiè- 
res , de la surveillance générale et de la correspondance. L'ad- 
ministration des canons , composée de cinq membres , reçoit 
les lames et les canons dans les états successifs par lesquels ils 
doivent passer ; elle paie les matières et les ouvrages dont elle 
fait recette. 

» L'administration des petites pièces, composée aussi de 
cinq memhres y reçoit les pièces séparées des platiues ; les pla* 



(i86) 

fines montées , les garnitures , les boîs , baguettes et baïon- 
nettes, et distribue tons ces objets aux platineurs-monteurs ; 
elle paie les matières et les ouvrages dont elle fait recette. 

M L'administration fait les approvisionnemens en tous genres, 
s'occupe du rassemblement, au cboif et de la prépiaration des 
matières, passe les marcbés, reçoit les soumissions, mais ne 
paie rien et n*a point de caisse ; elle est composée de huit mem- 
bres exercés dans Kart de la fabrication et la comptabilité , 
nommés par le ministre de la guerre. 

» Telle est en abrégé la série des opérations faites par votre 
comité de salut public pour satisfaire à la loi du 23 août. Il est 
impossible que dans l'organisa tioà d'une aussi grande masse 
de travaux , absolument neufs pour la plupart des agens qui 
devaient y é*re employés , ces agens aient pu tout prévoir , 
éviter tous les tâtonnemens , mettre du premier coup chaque 
chose à sa place , qu'il n'y ait enfin ni temps ni efforts perdus ; 
cependant quelques oublis peu importans , quelques erreurs 
inévitables ont été présentés comme des effets de malveillance; 
on a attaqué dans de minutieux détails une entreprise colos- 
sale , et qui ne devait être considérée que dans son ensemble et 
dans 6eê résultats : c'est ainsi qu'on s'est efforcé si souvent de 
faire haïr la révolution par la description hypocrite de quel- 
ques malheurs partiels , inséparables d'un mouvement qui ren« 
verse les trônes , et qui deviendront imperceptibles dans le 
majestueux tableau qu'en présentera l'iiistoire. 

M La manufacture extraordinaire décrétée par la loi du 23 
aoât a son établissement central à Paris ; mais elle étend ses 
ramifications dans toutes les parties de la République; les 
matières premières et des pièces ébauchées lui arrivent de tous 
les départemens. Votre comité n'a donc pu se dispenser d'em- 
brasser un ensemble plus vaste que celui qu'il avait d'abord en 
vue , celui de toutes les manufactures du même genre existantes 
dans la République ; il a fallu qu'il cherchât à les encourager 
toutes , à en créer de nouvelles^ Le comité a cru devoir aller 

Î)lus loin ; il a voulu faire pour les bouches k feu , puis pour 
es armes blanches , la même chose que pour les fusils. La 
récolte de» salpêtres et la fabrication des poudres ont égale- 
ment fixé sa sollicitude ; enfin il a embrasse le ftystème geiiéral 
des machines de guerre et de ce qui en fait la djépendanop dans 
toute l'étendue de la République. 

» On sent bien que de si grands travaux ne peuvent être 
encore qu'ébauchés , qu'un ensemble si vaste n'est pour ainsi 
dire qu'un aperçu ; mais l'activité avec laquelle on procède à 
l'exécution , les talens et le zèle de nos coopérateurs nous pro- 
mettent les plus faeureuz résultats. 



( >87 ) 

I» Ainsi là France, jadis tribataire de ses propres ennemis pour 
les objets de première nécessité relatifs à sa défense , non seu- 
lement trouvera dans son sein même des fusils pour armer tous 
les cit4>yens républicains qui l'habitent , mais elle sera bientôt 
en état d'en vendre aux étrangers ; elle sera le grand magasin 
oii lesf peuples qui voudront recouvrer leurs droits viendront se 
pourvoir des moyens d'exterminer leurs tyrans ; et Paris, jadis 
séjour de la mollesse et de la frivolité , pourra se glorifier du 
titre immortel d'arsenal des peuples libres ! 

DEVELOPPEMËNS. 

I'*. PARTIE. Du matérieL 

> Dans le matériel on comprend d'abord l'établissement des 
ateliers de tous les genres , des magasins et des emplacemens 
(d'administration , et ensuite l'approvisionnement de toutes 
les matières premières et des outils nécessaires à la fabri- 
cation. 

CHAPiTAE i^'. De l'établissement des ateliers et des 

magasins, 

» Pour l'établissement des ateliers et des magasins, etc.^ 
comme pour beaucoup d'autres parties de cette vaste entre- 
prise , tout était à créer ; mais aussi on avait la ressource des 
bâtimens nationaux disponibles, dont le comité de salut public 
s'est fait donner un état par le directoire du département de 
Paris. Ces bâtimens sont distribués dans toute l'étendue de la 
ville; ils sont à de très- grandes distances les uns des autres : 
si un seul architecte eût été chargé de leur examen , de la des- 
tination qu'on pouvait leur donner et des constructions néces- 
saires pour cet objet, il aurait éprouvé des retards funestes. 
Pouf accélérer cette suite d'opérations et avoir le nombre 
d'architectes suffisant pour les diriger on a pris la liste des 
jacobins , des électeurs de 1 792 , et des membres de la com- 
mune du 10; on a fait le relevé de tous ceux qui y étaient 
désignés comme architectes ; on les a convoqués , et l'on a par- 
tagé le territoire de Paris en autant d'arrondissemens qu'il 
s'est trouvé de membres présens. 

» On l<es a adressés à la manufacture établie dans la maison 
Breton-VilUers pour y prendre les renseignemens sur les détails' 
des objets nécessaires aux ouvriers , et on les a chargés, chacun 
en particulier, de parcourir l'arrondissement qni lui était 
attribué pour juger de la destination qu'il était convenable de 
donner aux bâtimens. Cçs architectes ont été adressés au 



( i88) 

ministre de la guerre poar lui soumettre leurs opérations , et 
obtenir de lui les pouvoirs nécessaires pour mettre de l'en- 
semble dans toule^B ces dispositions, et proportionner aTec 
sagesse le nombre des ateliers de chaque espèce ; tous les archi- 
tectes ont été chargés de correspondra avec un ingénieur «a 
chef nommé par le ministre de la guerre, et <}ûi, en Qiéme 
temps qu'il devait exercer une surveillance générale sur tous 
les travaux relatifs à l'établissement des ateliers > en devait 
presser et accélérer la confection. 

» Enfin , pour environner cet ingénieur de toutes les lumières 
qui lui étaient nécessaires, le comité de salut public a donné- 
ordre au ministre de la guerre et à la manufacture de la mai- 
son Breton-Yilliers de nommer quatre canonniers y quatre 
platineurs, quatre ajusteurs et monteurs, chargés, avec les 
régisseurs des ateliers, de donner à cet ingénieur la connais- 
sance de tous les objets de détails qui lui étaient nécessaires. 

» On va exposer rapidement le tableau du nombre, de 
L'emplacement et de la destination des ateliers de tous ces 
g;enres qui s'élèvent dans ce moment à Paris pour la fabrica- 
tion dis fusils. 

» Forges à canons. Le canon de fusil se forme d'une lame 
de fer de dimensions déterminées, que l'on roule à chaud , et 
que l'on soude ensuite au marteau. La fabrication de ces laijcies 
exige des martinets qu'on ne pouvait établir en nombre suffisant 
aux environs de Paris sans sacrifier des moulins à farine , ou 
sans établir des chutes d'eau par le moyen de.machines à feu ^ 
ce qui aurait consommé du charbon é^ terre nécessaire aux 
autres parties de la fabrication. On a pensé qu'il était bien 
plus convenable de faire venir ces lames toutes fabriquées des 
Forges qui sont placées sur des cours d'eau ^ qui sont ou. qui 
peuvent être facilement garnies de martinets nécessaires y. dont 
l'approvisionnement eu combustibles est moins coûteux qu'à 
Paris , et dont les ouvriers sont exercés à un genre de travail 
analogue , ou peuvent en prendre promptement l'habitude. 

»* Il n'en était pas de même pour forger les canons ; cette 
opération exige un grand nombre d'ouvriers qu'il serait peut- 
être impossible de rassembler dans les forges^ et même de 
former avec assez de rapidité, tandis qu'à Paris, oii Ton manie 
déjà le fer avec tant d'adresse , et oii l'émulation et le besoin 
qu'a chaque ouvrier de l'estime de ses pairs peuvent enfanter 
des merveilles, il est facile de convertir promptement en 
excellens canonniers tous les bons forgeurs. 

» On s'est donc déterminé à élever à Paris deux cent cin- 
quante-huit forges , et , en les distribuant en grandes masses 
sur les places publiques et dans les promenades susceptibles de 



( 189) 

les recevoir , le eomîlé de salut pablic a eu pônr objet d'ins«* 
pirer au .peuple la confiance qu'il doit avoir dans ses res- 
sources, et de le rendre lui-même le surveillant des entraves 
de tous genres que cette grande fabrication pouvait éprouver* 

M De ces for^s , cent quarante sont placées sur l'esplanade 
des Invalides, cinquante-nquatre sont adossées dans le jardin 
du Luxembourg , au mur qui le sépare du terrain des ci-aevant 
Chartreux, et soixante-quatre entourent la grille de la place 
de rindivisibilité. 

» Lorsque les ouvriers seront exercés chaque forge produira 
quatre canons par jour, ce qui donnera en tout mille trente- 
deux canons , et pour attendre que l'on ait atteint ce- degré de 
rapidité l'administration a reçu des soumissions pour un certain 
nombre de canons tout forgés , qui seront envoyés à Paris des 
différentes forges des départemens; déjà plusieurs forgerons de 
Paris ont passe des marchés pour en forger chez eux , et le 
nombre en est déjà porté à mille deux cent dix par mois. 

» Foreries. Lorsque le canon est forgé on le met de calibre, 
et l'on adoucit l'intérieur dans des usines , au moyen d'allésoirs 
gradués qu'on y fait passer de force successivement , et qui sont 
mis en mouvement par iine machiue. 

» On a pensé qu'il était possible d'établir sur Ja Seine , et 
dans les lieux oii le courant est le plus favorable , cinq grands 
bateaux garnis chacun de deux tournans , et montés de 10 fore- 
ries, ce qui fait 80 foreries ; et en supposant que chacune d'elles 
ne pût alléser que 12 ou i5 canons par jour, 1000 canons subi- 
ront cette opération. Le comité de salùt public s'est adressé pour 
l'établissement de ces usines à un charpentier célèbre de la ville 
de Paris ; il l'a envoyé dès le 24 ^ûût à la manufacture de Char- 
lèville , afin d'y prendre les renseignemens et les dimensions 
dont il avait besoin. Cet artiste en a profité; il a perfectionné 
et simplifié quelques unes des parties des machines , et la Con- 
vention a' sous les yeux les dessins et les plans de ces établisse- 
mens. Les bateaux ont été achetés des le mois d'août ; on a tra- 
vaillé sans relâche à leur radoub et à l'établissement des fore- 
ries ; et dès ce moment un des bateaux est en place près le pont 
de la Tournelle , et prêt à recevoir les ouvriers ; enfin , à mesure 
que les forges fourniront des canons bruts , les foreries pourront 
les alléser et suivre la marche des opérations. 

» Emouleries. Au sortir de la forerie le canon doit être 
blanchi en dehors , et mis de l'épaisseur convenable au moyen 
de la meule; c'est encore sur des bateaux placés sur la Seine , 
garnis de tournans mis en mouvement par le courant de la ri- 
vière, que se fera cette opération. Les baleaux sont préparés. 



( »9o ) 

les meoles sont achetée! , 22 sont déjà arrivées, 178 autres $ont 
en route , et elles ne tarderont pas à être montées (i). 

9 Un artiste célèbre s'occupe de l'exécution d'une machine 
an moyen de laquelle le canon sera conduit sur la meule et ré- 
duit à l'épaisseur convenable sans exiger de f attention de la 
part de l'ouvrier ; en sorte que ce travail , qui dans les manufac- 
tures exige un artiste exercé , pourra être exécuté par des ou- 
Yriers d'une intelligence ordinaire , et qui ne seront point obli- 
gés de faire un loug apprentissage. 

» Equipage de canons. Lorsque le canon est foré et blanchi 
il faut lè garnir de sa culasse , forer sa lumière , et souder les 
tenons : toutes ces opérations se feront dans un même atelier, 
oii il j aura le nombre de forges et d'étabUs qui seront néces- 
saires, et qui est placé dans les écuries de l'émigré Broglie , fau- 
bourg Saint-Germain. Les culasses seront faites en ville , par 
des ouvriers qui les fabriqueront dans leurs propres boutiques , 
et qui pour cet objet ont passé des marchés avec l'administra- 
tion centrale, dont il sera parlé ci-après : on est déjà assuré d'une 
fourniture de ^SSo culasses par moi». 

» Ainsi au sortir de cet atelier les canons seront entièrement 
finis , et il ne sera plus question que de les éprouver pour les 
livrer ensuite aux equipeurs-monteurs. 

» Epreusfe des canons. Les canons avant que d'être livrés 
aux equipeurs-monteurs doivent être éprouvés deux fois , d'a- 
bord à charge simple , ensuite à charge double; ainsi, pour 
éprouver 1000 canons par jour, il en faudra charger et déchar- 
ger 2000; et en supposant que le banc d'épreuve puisse porter 1 00 
canons , ce sera dix décharges par jour qu'il faudra exécuter. Le 
bruit et la commotion qu'occasionneront ces décharges exigent 
que le banc soit placé loin des habitations. Les fossés de l'Arse- 
nal présentent , par leur enfoncement et par leur éloignement 
de toute habitation , un emplacement très favorable ; personne 
ne sera exposé à des dangers ; personne ne sera même incom- 
modé d'une manière fâcheuse, et tous les citoyens de Paris se- 
ront journellement avertis par le bruit des décharges de l'activilé 
des travaux de la fabrication. Les ordres pour l'exécution de ce 
banc d'épreuves sont donnés , les travaux sont commencés , el 
en attendant qu'il soit en état on fait usage d'un autre banc 

(1) «Ces meules n^ étaient que pour un premier approTisionnement ; 
il fallait s^assurer les moyens d^en entretenir la consommation en 
employant pour cela , s'il était possible , les g%ès des environs de Paris* 
Un naturaliste a été chargé de faire la recherche des grès propres à cet 
«sage, et défaire tailler des meules pour essai, v 



( 19' ) 
plus petit I et qui est déjà tout construit dans la maison Bre- 
tonTiiliers. 

» Ateliers ^ajusteurs et re tapeurs de platines. La fabri-> 
cation des platines peut être regardée comme composée de 
deux parties distiuc tes : la première consiste à forger les pièces 
séparées; la seconde à les limer, ajuster et monter de manière 
que la platine soit prête à être mise en place. 

» La première de ces opérations sera faite dans les boutiques 
mêmes des particuliers qui se chargeront de forger chacun une 
certaine pièce, d'après les modèles qui leur seront fournis. Les 
ouvriers de Paris, accoutumés à forger des pièces difficiles, 
n'auront pas besoin d'un long apprentissage pour forger très 
bien les pièces de platines dont ils se seront chargés; en forgeant 
toujours la même pièce ils contracteront nne habitude , et ils 
inventeront des procédés qui rendront leur travail moins péni- 
ble et leurs salaires plus considérables ; en opérant chez eux ils 
profiteront des secours de leurs femmes , de leurs enfans , au 
travail desquels ils donneront de la valeur ; ils ne perdront pas 
un temps précieux k aller à leurs ateliers et à en revenir ; ils ne 
seront pas privés des douceurs de leur ménage : c'est par ces 
considérations que le comité de salut public n'a point ordonne 
l'établissement d'ateliers pour cet objet. 

»> Quanta la seconde partie, qui consiste à limer, ajuster, 
tremper les pièces et monter les platines , elle doit être exécu- 
tée par un nombre immense d'excellens ouvriers de Paris , ac- 
coutimiés à manier la lime pour des objets qui exigent une 
grande précision , tels que les horlogers en montres , en pen- 
dules , en horloges d'églises , les ouvrier^ en instrumens de ma- 
thématiques , etc. , mais qui , n'ayant encore jamais exécuté de 
platines, auront besoin ae quelques jours d'apprentissage, et 
surtout de voir travailler les ouvriers exercés à ce genre d'ou- 
vrage , d'étudier leurs procédés , et d'apprendre les formes que 
les pièces doivent avoir. Ce but ne pouvait donc être bien rem- 
pli que dans de grands ateliers , oii les procédés se communi- 
quent avec une grande rapidité , et ou l'émulation excite à faire 
mieux et beaucoup plus vite qu'on ne ferait en particulier. Ces 
ateliers sont distribués dans les différens quartiers de Paris. Il 
y aura huit cent soixante ouvriers. Chacun de ces ouvriers, 
lorsqu'il sera exercé,' montera une platine par jour. 

» Des ouvriers sont déjà répartis dans tous les ateliers , 
indépendanunent desquels il y a déjà des marchés passés avec 
les ouvriers de Paris pour quatre ou cinq mille platines par 
mois. 

» Fabrication des pièces de garnitures. La confection des 



( «9^ ) 

' pièces de garnitures n'a pas la même difficulté que celle des 
platines ; ces pièces n'exigent pas la même précision , et elles 
sont fabriquées , comme les culasses , dans les ateliers particu- 
liers des ouvriers de Paris , qui passent avec l'administration 
des marchés pour les pièces qu'ils veulent entreprendre. Les 
ouvriers s'empressent de faire des soumissions, et l'adminis- 
tration a déjà passé cent quatre-vingt-trois marchés pour cet 
objet. 

» Cependant, comme parmi les ouvriers de Maubeuge il 
s'est trouvé un assez grand nombre de forgeurs et limeurs de 
pièces de garnitures, on s'est trouvé obligé de leur destiner un 
atelier ; c'est t'église des ci devant carmes de la place Maubert. 
Cet atelier offrira des forges et un local aux ouvriers qui n'ont 
point de boutiques à Paris , et qui voudront entreprendre ce 
genre de travail. 

» Des baguettes et baïonnettes. Les baguettes et baîpo-' 
nettes se donnent à l'entreprise ; eHes se fabriquent en grande 
partie hors de Paris , et dans les lieux qui offrent en matières 
premières et en usines des ressources avan^tageuses. L'admi- 
nistration a déjà passé des marchés pour treUte^-buit mille 
quatre cent soixante-dix baïonnettes 9 et quarante^huit mille 
cent huit baguettes par mois. 

» Ateliers iTéquipeurs^monteurs, Toutes les pièces qui 
doivent composer un fusil étant fabriquées et éprouvées , on 
les livre avec un bois brut à des ouvriers particuliers qui se 
chargent de les monter et de mettre le fusil en état de servir. 
Tous les ouvriers de Paris accoutumés à travailler le bois avec 
précision, tels que les ébénistes, les sculpteurs ,' les menui- 
siers , etc. , seront bientôt en état d'entreprendre ce genre de 
travail : d'abord ils feront lentement et bien ; mais , réunis 
dans de grands ateliers , oii ils profileront de l'expérience des 
ouvriers exercés , dont ils copieront les procédés , ils attein- 
dront' bientôt la rapidité nécessaire. 

» Huit cent quatre-vingts de ces ouvriers seront répartis 
dans six ateliers. Ils pourront monter chacun un fusil par 
jour. . 

» Indépendamment des ateliers d'ajustage et montage , les 
ouvriers de Paris passent tous les jours des marchés avec l'ad- 
ministration pour monter des fusils chez eux , en sorte que 
l'espèce d'ouvriers la plus rare dans les autres manufactures 
sera vraisemblablement la plus abondante à Paris , oii l'on mon- 
tera non seulement les fusils dont toutes les pièces auront été 
fabriquées dans cette ville , mais encore ceux qui n'auront pas 
pu rétre dans . les autres manufactures. 



( '93) 

» L'administration a passé en outre des marchés avec des 
ouvriers de Paris pour monter chez eux deux mille deux cents 
fusils par mois ; elle attend pour en passer davantage qu'il y ait 
dans les magasins des approvisionnemens plus considérables. 

» Ateliers de rhabillage. Dans les magasins de l'adminis- 
tration il y a un assez grand nombre de fusils qui ont besoin de 
diverses réparations. Le comité de salut public, persuadé que 
les ouvriers seraient employés d'une manière plus utile , et pro- 
duiraient plutôt des fusils capables d'un bon service si on les 
occupait à ces réparations , y a destiné deux ateliers particu- 
liers ; l'un dans l'île de la Fraternité , l'autre aux Capucins 
Saint-Honoré. Le premier contient deux cents ouvriers , le 
second cent cinquante. L'ouvrage y est payé à la journée. Ces 
ateliers peuvent être regardés comme des lieux d'apprentissage 
pour la fabrication des dilSerentes parties du fusiL 

» Magasins. Pour fournir à la grande consommation de 
fers, d'aciers , de charbon et d'outils à laquelle la fabrication 
d'armes doit donner lieu , on ne pouvait pas s'en reposer sur 
les voies ordinaires du commerce f il fallait empêcher que 
rimprévoyance , la cupidité et même la malveillance ne don- 
nassent une direction contraire à la circulation de ces (^b'jets , 
et n'exposassent la fabrication k des interruptions désastreuses 
par 1« manque de matières premières. Pour prévenir ces in- 
convéniens on a établi dans Pari» des magasins où les ouvriers 
trouveront à prix fixe les objets qui leur seront nécessaires ; et 
pour prévenir les abus auxquels ostte gestion pourrait donner 
lieu , CCS objets ne seront délivrés que sur les bons que don- 
nera l'administration , d'après les engagemens que les ouvriers 
auront contractés avec elle. 

» Ces magasins reçoivent tous les jours les objets auxquels 
ils sont destinés , et qui proviennent soit des marchés passés par 
l'administration , soit des réquisitions que le comité de salut 
public a faites. 

» Emplacement des administrations, La fabrication des 
canons de fusil sera conduite par une administration particu- 
lière, qui dans son local doit avoir : 

» Un magasin pour les lames de canon; 

w Un magasin pour les canons forgés ; 

M Un magasin pour les canons fores et blanchis; 

» Un magasin pour les canons équipés; 

» Un magasin pour les canons éprouvés -, 
■ » Une salle d'armes pour les fusils montés et prêt» à servir ; 
I » £nfin un emplacement pour ses bureaux. 

** La maison des Feuillans a présenté des ressources pour 

xiii. i3 



( «94 ) 

tous ces objets : l'administration y est déjà établie; leâ rna^a'* 
sins sont disposés , et ils se garnissent tous les jours des objets 
auxquels ils sont affectés ; et la salle qu'occupait jadis l'Assem- 
blée nationale est destinée à être l'entrepôt général des fusils 
achevés, en attendant qu'ils soient envoyés aux armées. 

n La fabrication des platines, pièces de garnitures, baguettes 
et baïonnettes, sera dirigée par une autre administration par- 
ticulière , qui a besoin dans son local d'un beaucoup plus grand 
nombre d'appartemens séparés ; mais , si l'on en excepte les 
bois de fusil , qui exigent un grand emplacement , tous les 
autres objets sont d'un petit volume, et peuvent être rassemblés 
dans de petits espaces. La maison de l'ancien évéque de Metz, rue 
de Tournon , a offert des ressources suffisantes : l'administra- 
tion y est établie, et les objets s'y emmagasinent tous les jours. 

» Enfin les deux administrations précédentes , occupées des 
détails de la fabrication , des recettes et dépenses en matières 
et en argent , ne pourraient être chargées du soin des approvi- 
sionnémens de tous les genres , de recevoir les soumissions , et 
passer les marchés avec les fournisseurs et les ouvriers. Une 
administration centrale , distincte des deux autres , est chargée 
de ces soins généraux : elle n'a aucun magasin ; il ne lui faut 
qu'un local pour ^s bureaux; elle est placée quai Voltaire ^ 
n** 4- Elle est en grande activité , et c'est à elle que s'adressent 
journellement tous ceux qui ont quelques engagemens à con- 
tracter avec la République pour la £aJ[)rication des armes de 
Paris. 

CHAPITRE ii> Des matières, 

» Les matières de l'approvisionnement sont ; les lames à 
<*anon ; les fers d'échantillon ; les aciers ; les bois de fusil; les 
«harbon^ de terre ; les outils. 

» Ou va exposer d'une manière succincte les mesures prises 
pour chacun de ces objets en particulier. 

» Des lames à canon et des fers d'échantillon. La fabri- 
cation extraordinaire devant s'élever h trois cent soixante mille 
fusils dans l'aùnée , et chaque lame à canon devant peser neuf 
livres, la consommation du fer pour cet objet sera de trois 
millions deux cent quarante mille livres ; la consommation du 
fer pour les autres parties du fusil sera à peu près les deux 
tiers de la précédente ; ainsi la consommation totale annuelle 
«era environ de six millions de livres. 

» Pour assurer un aussi grand approvisionnement le comité 
de salut public a fait faire le dépouillement de toutes les forges 
et fourneaux compris dans les domaines nationaux , et prove- 
TiAnt tant des bieas du clergé que de ceux des émigrés. Ce 



( «95) 

à^pouîllement a été fourni avec beaucoup de soin par radmi- 
nistration générale des domaines , qui le complète k mesure 
que de nouveaux renseignemens lui parviennent, 

» Parmi les établissemens on à choisi ceui qui sont placés 
dans les départemens du Cher , de l'Allier, de la Nièvre , de la 
Haute-Saône , quelques-uns de la Côte-d'Or et de la Haute- 
Marne y parce que leS fers qu'ils produisent sont les meilleurs 
de leur nature , et les plus propres à entrer dans la fabricatioa 
des armes , et parce que leur situation permet de transporter 
les fers à Paris. 

» Des ordres ont été adressés aux directoires de départe- 
mens , à ceux de districts , aux municipalités dans l'arrondisse- 
ment desquels ces forges se trouvent placées , et des circulaires 
oot été écrites à tous les maîtres de forges pour arrêter , au 
compte de la République , tous les fers qui se trouvaient en 
dépôt dans les magasins et dans les dépendances de ces usines ; 
pour expédier à Paris tous les fers d'échantillon convenables ^ 
pour convertir en lames tous ceux qui , par leur nature et leurs 
dimensions, en étaient susceptibles; enfin pour continuer les 
travaux , toujours pour le compte de la République, en propor- 
tionnant la confection des lames â celle des autres fers, d'une 
manière conforme aux besoins de la fabrication des armes dé 
Paris. La correspondance annonce que ces ordres sont exécu- 
tés avec zèle , et que la mesure aura du succès. 

» Des commissaires du comité de salut public ont été en- 
voyés dans les départemens pour remplir le même objet. Il y 
en a dans le département de l'Allier, dans ceux du Cher, de la 
Côte^*Or et de la Haute-Saône ; ils ont la mission d'établir , 
de hâter, de presser la fiabrrcation et l'envoi , et de procurer à 
l'administration les renseignemens et les détails de localité 
qui leur sont nécessaires pour traiter de la manière la plus 
avantageuse à la République. 

» Ces commissaires ont déjà envoyé pour essai des lames 
qu'ils ont fait fabriquer : on a en fait des canons ; les épreuves 
ayant été avantageuses, l'administration a fait des commandes 
proportionnées aux facultés de chaque forge. 

» D'ailleurs des manufactures particulières d*armes ont 
passé des marchés avec le ministre de la guerre pour livrer à 
l'administration de celle de Paris un nombre assez considé-* 
rable de lames et même de canons forgés , et les fabnques 
nationales ont reçu ordre de presser tous les travaux sans s'oc- 
cuper des proportions de leurs assortimens , et d'envoyer à 
Paris ce que chiacune d'elles aurait de trop pour chaque partie 
dlu fusil. 

i> Indépendamment de ces mesures ^ dont le but principal 



( igS) 

est d'assurer rapprovisîonnement pour l'avenir , Paris pouvait 
être regardé comme un grand magasin abondamment garni de 
tous les objets ordinaires de consommation ^ et qui pouvait 
fournir à un premier approvisionnement. Pour employer à la 
fabrication des armes tous les fers qui se trouvaient dans cette 
immense cite , le comité de salut public a chargé par une cir- 
culaire tous les commissaires aux accaparemens des différentes 
sections d'arrêter , pour le compte de la République , tous les 
fers compris dans les magasins de leurs arrondi ssemen s. Les 
Topriétaires de ces fers se rendent à l'administration centrale 
es fusils y qui traite avec eux de tous les fers propres à la 
fabrication aes armes , et quatre arbitres , nommés par le 
département , par la municipalité de Paris et par radministra- 
tion centrale , ont réglé les prix des objets jusqu'à l'époque de 
la loi sur le maximum. Cette mesure a eu l'effet qu'on en atten- 
dait , et les magasins se remplissent. 

» Enfin les ordres ont été donnés pour que tous les fers inu- 
tiles dans tous les bâtimens nationaux fussent transportéi 
dans les magasins : on y réserve ceux qui sont propres à la 
confection de quelques parties des fusils ; le reste sera yendo 
au profit de la République. 

» De Vucier, Le sol de la France est un des plus riches de 
l'Europe en fers d'excellente nature et propres à être convertis 
en acier. Les fers que produisent en grande abondance les 
départemens du Cher, de l'Allier, de la Nièvre, de la Haute- 
Saone, de l'Isère, de l'Arriège , etc. , c'est à dire presque tous 
]es départemens du centre et des parties méridionales de la 
Jlépublique , le disputent en qualité aux fers les plus estimés; 
mais l'ignorance profonde dans laquelle on avait laissé les 
ouvriers consacrés aux travaux des forges , et les ménagemens 
qu'avait un gouvernement despotique pour les préjugés de 
tous les genres , pour ceux mêmes qui ne semblaient pas lui 
être directement utiles, avaient empêché la fabrication èe 
l'acier de prendre un développement conforme aux besoins , et 
Ja nation française, dont l'industrie faisait la plus grande con- 
sommation de cette substance , était , et pour l'acier et pour la 
plupart 4es outils, dans la dépendance de ses rivales, c'est 
À dire de l'Angleterre et de l'Allemagne , dont les gouvcrne- 
4uens sont aujourd'hui ses plus mortels ennemis. 

» La composition de l'acier n'était pas même connue des 
nations qui en font le plus grand commerce ; les procédés étaient 
jiartout différens , partout empiriques , et les fabricans fai- 
saient un secret de celui qui leur réussissait. 

4» Des citoyens français dans ces derniers temps ont déchiie 



( »97 ) 
le voile qui couvrait ce mystère en faisant voir de quelle subs- 
tance l'acier est compose; ils ont indiqué ce qu'il y avait d'utile 
dans les diffeVens procédés, et nous pouvons aujourd'hui par- 
tout faire de 1 acier , et partout lui donner la qualité qu'exige 
l'usage auquel il est destine. Mais le résultat de leurs recherches 
était consigné dans une collection dont le prix empêche qu'elle 
soit entre les mains de tout le monde : le comité de salut 

Ï oublie leur a ordontaé de publier un petit ouvrage qui mît tous 
es maîtres de forges , à portée de fabriquer les aciers de diffé- 
rentes qualités. Cet ouvrage est imprimé au nombre de quinze 
mille exemplaires , et on le distribue partout où il peut être 
utile ; bientôt les aciéries de tous les genres répondront aux 
besoins , et les grands efforts auquels nous obligent nos perfides 
ennemis nous auront encore fourni les moyens de nous affran- 
chir de l'espèce de tribut auquel nous nous trouvions assujettis 
envers eux par notre propre insouciance. 

» Depuis quelques années il s'était établi à Amboîse une 
fabrique d'acier de cémentation ; tout y avait été monté pour 
en verser dans le commerce une assez grande quantité , et pour 
en convertir une grande partie en outils de toute espèce : mais 
d'abord le défaut de connaissance des véritables procédés, 
peut-être même des préjugés contre lesquels il a fallu com- 
battre , ont retardé la faveur que cette fabrique devait natu- 
rellement prendre; ensuite les tentatives infructueuses, les 
pertes auxquelles sont exposés des premiers établissemens 
l'avaient mise dans un état de gêne qui la paralysait. Le comité 
de salut public a fait venir les administrateurs; il a eu des 
conférences avec eux ; il a pris connaissance des obstjacles qui 
retardaient le travail , et leur a procuré les secours nécessaires : 
ils ont passé des marchés considérables avec le ministre de la 
guerre, et la fabrique d'Amboise sera incessamment dans la 
plus grande activité. Une semblable fabrique s'élève à Paris ; 
déjà l'admini&tration en a reçu un premier essai qui parait 
répondre a l'espérance qu'on. en avait conçue , et de» marchés 
ont été passés pour se procurer cette matière. 

>» Une antre fabrique d'acier est établie depuis longtemps 
à fitfbuppes : l'administration a traité avec les entrepreneurs, 
poar que la fabrication prenne tout l'accroissement dont elle 
est susceptible , et pour l'acquisition de tout ce qu'elle pourra 
fournir. *. 

» Indépendamment de ces aciéries de cémentation et de 
toutes celles que la publication des procédés pourra faire établir, 
la République possède encore un grand nombre d'aciéries de 
forges, dont les produits, moins coûteux, sont estimés, et 
propres à la confection dt plusieurs parties du fusil : les envi- 



( '9») 
rons de Rives ont à cet ëgard la plus grande réputation. Le 
directoire du département de l'Isère et la municipalité de 
Bives ont été chargés d'arrêter , pour le compte de la fabrique 
de Paris , tous les aciers que Ton ne prouverait pas être destinés 
à des manufactures d'armes , et de les envoyer à Paris. 

» Le comité de salut public les a de même autorisés k 

S rendre tous les moyens pour accroître la fabrication , afin 
'éviler les retards qu'entraînent les lenteurs d'une correspon- 
dance avec des parties éloignées ; il a chargé un représentant 
du peuple d'employer les pouvoirs dont il est revêtu à lever 
toutes les difficultés qui pourraient se présenter , et déjà une 
grande quantité d'acier est expédiée de nives et est en route 
pour Pans. 

H Pour former de pareils ctablissemens dans des départe*- 
mens plus voisins, et avec lesquels les communications sont 
p'us promptes et plus faciles , le comité de salut public a déter- 
mine plusieurs maîtres de forges des départemens de la Nièvre 
et de l'Allier à se consacrer à ce genre de travail ; il en a envoyé 
Quelques -uns à Rives prendre la connaissance des détails de la 
fabrication , et d'après leur zèle et leur intelligence il ne doute 
aucunement de leur succès. 

M Enfin, pour former le premier approvisionnement , on a 
pris pour Tacier la même marche que pour les fers. 

M Les commissaires aux accaparemens dans toutes les sec- 
tions ont fait la recherche de tout l'acier qui était en magasin 
et chez les débitans ; les déclarations ont été communiquées à 
l'administration centrale des fusils , qui a retenu tout celni qui 
était propre à son objet, et les prix en ont été fixés par les 
arbitres jusqu'à la loi sur le maximum. Cette mesure a eu 
Vcfiet désiré, et les magasins de la République s'emplissent 
tous les jours. 

» Des bois deJusiL Les magasins de la fabrique de Parts 
contiennent déjà cinquante mille bois de fusil provenant eu 
grande partie de la manufacture qui s'établissait à la maison 
BretonvilJiers. L'administration a passé des marchés pour deux 
cent mille , qui ne tarderont pas à être livrés. Les commisssiirei 
envoyés dans les départemens du Cher et de l'Allier, oii les 
noyers sont abondans , ont été chargés d'en faire débiter ; ainsi 
on est tranquille sur ce genre d'approvisionnement. 

» Des outils^ L'espèce d'outils dont la consommation jour- 
nalière sera la plus considérable, celle qui devait être particu- 
lièrement l'objet de la sollicitude, parce qu'elle n'a été jusqu'à 
Î>résent procurée en grande partie que par le commerce f yeo 
'étranger, ce sont les limes. 



( '99) 

» Des que le décret pour la grande fabrication d'armes fut 
porté j le comité de salut public prit des arrangemens avec la 
fabrique d'Amboise , et traita avec elle pour tout ce qu'elle 
avait de limes tant à Paris qu'à Amboise. Ces limes sont arri- 
vées 9 et elles ont fait le premier fond des magasins. Les 
secours et les encouragemens que cette fabrique a reçus la 
mettront k portée d'aagmenter son produit ; le choix du fer 
assurera la qualité de ses aciers , et la communication avec les 
artistes les plus distingués perfectionnera encore sa main- 
d'œuvre. 

M L'administration centrale a pris d'ailleurs des arrangemens 
avec l'aciérie de Nantes et avec celle de Souppes , qui rune et 
l'autre étaient habituées à fabriquer des limes , et ces fabriques, 
assurées du débit , vont encore donner une plus grande activité 
à leurs travaux. 

» Mais ce que l'on n'apprendra certainement pas sans intérêt 
c'est que depuis le décret du 23 août il s'est élevé à Paris deux 
fabriques de limes qui rivalisent par la beauté et la perfection 
du travail ; les limes qui se fabriquent journellement dans l'une 
d'elles le disputent avec tout ce que les nations étrangères ont 
de plus parrait. 

SECONDE PARTIE. Du personnel. 

» Le personnel consiste dans ce qui concerne les ouvriers , 
et les administrations qui leur procurent les matières pre- 
miières , qui reçoivent leur travail et qui leur répartissent leurs 
salaires. 

CHAPITRE I®'. Des ouvriers. 

• 

» L'établissement de la grande fabrication de fusils à Pans 
exigeait que l'on s'occupât des mesures pour l'instruction des 
ouvriers 9 et pour le rassemblement des ouvriers instruits ou 
capables de travailler utilement ^ et que l'on prît des détermi- 
nations sur la distribution des travaux et sur la fîiation des 
prix. 

» Du rassemblement des ouvriers. Dès le ^4 ^^^^ ^"^^ 
citoyens furent choisis parmi les ouvriers de Paris les plus 
distingués dans le travail du fer à la forge , à la lime , et 
accoutumés à conduire des travaux ; ils furent envoyés à la 
manufacture de Gbarleville pour y prendre entière connais- 
sance , jusque dans les plus petits détails , de tous les procédés 
de la fabrication de chacune des pièces qui doivent entrer dans 
la composition du fusil , et ils furent chargés de faire exécutei- 
«es pièces devant eux et de rapporter chacun on modèle de tous 



( 200 ) 

les états par lesquels ces pièces passent pour arriver à la con-* 
fection complète. 

» Par là le comité de salut public remplissait plusieurs vue» 
également importantes : la première de se procurer des modèles 
sur lesquels on pût exécuter à Paris tous ceux qui doivent être 
^distribués dans les ateliers ; la seconde de former de bons 
ouvriers qui pussent diriger les autres , indiquer les procédés , 
et même par la suite les corriger et les perfectionner , en pro- 
fitant des connaissances acquises dans d autres genres de fabri^ 
cation ; la troisième enfin de contrebalancer les préjugés que 
les ouvriers des manufactures auraient pu apporter , et qui 
auraient pu entraver et même arrêter la marche de la grande 
entreprise. 

» Cette mesure a eu un plein succès ; les huit ouvriers se 
sont mis au fait de tous les travaux, qu'ils peuvent exécuter et 
diriger ici , et l'administration les emploie déjà utilement. 

» Quelque temps avant le décrçt du'aS août les ouvriers de 
la manufacture d'armes de Maubeuge, ayant conçu de l'inquié- 
tude du voisinage de nos^ennemis, avaientabandonné cet établisse- 
ment ; partie s'était retirée à Paris ; le plus grand nombre s'était 
réfugié, avec leurs outils, à Charleville : le comité de salut public 
ta donné des ordres pour qu'ils fussent tous rassemblés à Paris. 
Ils y sont arrivés , et aujourd'hui ils sont distribués , comme on 
l'a déjà dit , dans les forges et dans les ateliers de platineurs et 
d'ajusteurs-monteurs. 

» Le ministre de la guerre avait envoyé des compagnies 
d'ouvriers dans les différens arsenaux et dans les parties de la 
République oii Ton pouvait faire des rassemblemens de vieilles 
armes , afin de les réparer et de les mettre en état de servir 
utilement. Cette mesure sage a bien été exécutée dans quelques 
endroits autant qu'elle pouvait l'être ; mais comme il se trouvait 
des ouvriers ou qui manquaient d'ouvrage, ou qui n'étaient pas 
employés d'une manière assea utile , le comité de salut public 
a donné l'ordre de faire revenir à Paris ceux qui étaient dans ce 
cas, afin d'augmenter le nombre des ouvriers instruits. Ils sont 
arrivés , et distribués dans les divers ateliers. 
• n Toutes ces dispositions étaient de nature à procurer à la 
fabrique de Paris le plus grand nombre d'ouvriers exercés au 
genre de travail qu'elle exige ; mais elles ne suffisent pas encore: 
il fallait pour ainsi dire employer tous les bras, il fallait que 
tout Paris ou volât aux frontières à la défense de la liberté et de 
l'égalité, ou contribuât à l'armement de ceux qui rempliraient 
cet honorable devoir. 

« Le comité de salut public a rassemblé tous les horlogeri 
de Paris, qui se sont montrés amis de la révolution j il leur a 



( 201 ) 

exposé les besoins de la patrie et les vues qu'il avait sur eux , et 
ces citoyens estimables ont pris rengagement de suspendre 
leurs travaux ordinaires , et de se consacrer à la fabrication de 
celles des parties de l'arme auxquelles ils sont le plus propres. 
Ces artistes , accoutumés à manier la lime avec la plus grande 
précision et à exécuter des pièces qui exigent une grande exac- 
titude dans les formes, seront bientôt au fait de blanchir les pièces 
qu'on leur donne toutes forgées , et de monter des platines (i). 
» Enfin le comité de salut public a écrit une circulaire aux 
sections de Paris pour les requérir de faire le receusement de 
tous les ouvriers en fer qui travaillent dans leur arrondissement, 
et d'envoyer un état de leur nombre , du genre de leur travail 
et de leurs principaux outils. Plusieurs sections ont déjà satisfait 
à cette demande. L'administration centrale invite les ouvriers 
à se rendre dans ses bureaux ; elle passe des marchés avec ceux 
qui sout établis et qui préfèrent de travailler chez eux , et elle 
envoie dans les ateliers de la République ceux qui n'ont pas 
d'emplacemens ou qui n'ont pas les outils nécessaires. Il n'est 
peut-être pas hors de place ici de faire remarquer que l'établis- 
sement des ateliers de la République est favorable à l'égalité 
en retirant les ouvriers qui n'avaient pas d'ateliers , ou qui 
étaient peu fortunés , de la dépendance de ceux que ci-devant 
ils appelaient leurs maîtres : là ils peuvent entreprendre à leur 
compte ; ils sont aussi chez eux ; ils sont maîtres à leur tour* 

• 

» Distribution des travaux» Dans les différentes parties 
de' la fabrication les objets sont tous fabriqués à la pièce : 
indépendamment de ce que cette disposition est plus conve- 
nable aux formes républicaines, elle est également avantageuse 
et aux intérêts de la République et à ceux des ouvriers ; 
aux intérêts de la République en ce qu'elle soulage l'admi-x 
nistration d'une pénible surveillance de l'emploi du temps, 
qu'elle simplifie la comptabilité , et qu'elle procure dans le 
méine temps un plus grand travail ; elle est aussi favorable 
aux intérêts des ouvriers en ce qu'elle leur donne la liberté 
ou^ de travailler plus , ou de simplifier leurs procédés , et par 
là d'augmenter leurs salaires par leur industrie. 

» Cependant comme on n'avait d'abord que vingt-deux 
canonniers de Maubeuge pour forger les canons , tandis qu'il en 
fallait avoir doux cent cinquante , il a fallu faire des élèves pour 
cette partie. Pour remplir cet objet on a destiné les soixante-^ 



(i) «Déjà Ton à présenté au comité de salut public des platines qni 
ont été limées et ajustées par des horlogers qui ne s'étaient jaœai» 
occupés de ce genre de travail. » 



( 202 ) 

«uatre Forges de la place de llndi visibilité à la formation de ces 
élèves : ou n'y reçoit que des forgerons qui aient trois années 
de forge , et on les paie à la journée jusqu'à ce qu'ils soient 
en état de forger des canons. 

•» De la fixation des prix, La seule difficulté que pou— 
"«ait présenter la distribution des travaux à la pièce était de 
fixer les prix de manière à ne pas léser les intérêts de la Répu- 
blique, et à éviter tous les mécontentemens qui pouvaient 
refroidir le zèle des ouvriers , donner lieu à une foule de con- 
testations, dont. un des moindres inconvéniens aurait été de 
faire perdre > un tmnps précieux. Pour remplir cet objet le 
comité de salut public a invité par une circulaire toutes les 
sections de Paris à nommer , chacune dans son sein , quatre 
commissaires pris parmi les ouvriers exercés aux travaux de 
la lime et du marteau ; ces commissaires se sont réunis à 
l'Ëvéché pour nommer parmi eux vingt-quatre arbitres , qui , 
joints à six autres nommés par les ouvriers de la manufacture 
de Maubeuee, ont dû dans le débat des prix stipuler pour 
les intérêts des ouvriers. D'une autre part trente autres an>i- 
tres , dont six nommés par le directoire du département de 
Paris , six par la municipalité , six par les administrateurs de 
la fabrication de fusils , et douze artistes nommés par le minis- 
tre de la guerre, ont dû stipuler pour les intéi^ts de la Répu- 
blique en présence% de deux représentans du peuple invités 
par le comité à présider cet arbitrage. 

» Dans la première réunion de ces arbitres rien ne fut réglé » 
parce que les ouvriers , ne connaissant pas encore le travail 
qu'exige la fabrication de chacune des pièces , n'avaient pas 
une idée exacte de sa valeur. Ils sont convenus de commencer 
les travaux d'après des prix provisoires , et de se réunir ensuite 
pour débattre en connaissance de cause. Une nouvelle convo- 
cation a eu lieu les 24 , 25 , 26 et 27 vendémiaire , et les 
prix ont été fixés , à la satisfaction des ouvriers , à plus d'un 
tiers au-dessous des prix correspondans de Cbarleville. 

» Perfectionnement des trat^aux. Pour établir la grande 
fabrication de fusils qui a été décrétée le 28 aodt on ne poa-> 
vaît compter que sur un petit nombre d'ouvriers venant des 
manufactures , et exercés au genre de travail qui leur est 
.propre ; sa grande ressource était dans les ouvriers de tout 
genre que renferme la ville de Paris , ouvriers dont le zèle ins- 
pire la plus grande confiance , et qui , étant ce que la Répu- 
blique renferme de plus habile, exécuteront d'abord bien et 
avec lenteur , et bientôt exécuteront avec rapidité et mieux 
qu'on ne fait ordinairement dans dés él;ablisisemeiis écartés et 



( 203 ) 

prives de toute émulation. Cependant pour ne rien donner 
au hasard , et pbur assurer à la République les ressources sur 
lesquelles elle doit compter , le comité de salut public a voulu 
que d'abord , dans toutes les parties de la fabrication , Ton ne 
s'écartât pas des procèdes usités dans les manufactures ; mais 
aussi il a pris des m)psures pour profiter dans la suite des lumières 
des artistes, échauffer leur génie, et favoriser tout ce qui 
pourrait perfectionner les armes et accélérer la main d'œuvre. 
» Dans chacun des ateliers , indépendamment de régisseurs 
coniptables, il y a un directeur des travaux choisi par les 
ouvriers , revêtu de leur confiance , et dont la fonction princi** 

Î>a1e sera de surveiller la qualité des matières employées , et 
es procédés de la fabrication. Ces directeurs des travaux sont 
subordonnés à un artiste distingué, membre de l'administra- 
tion centrale, et qui doit établir entre eux la correspondance 
nécessaire à l'uniformité du travail et à la communication dea 
procédés. 

» Des qu'un procédé nouveau sera proposé , si l'administra- 
tion centrale , après Tavoir fait examiner par les directeurs 
des travaux 9 Juge que son introduction puisse être avantageuse , 
elle en fera faire l'essai dans un des ateliers, et lorsque par l'ex- 
périence elle sera assurée du succès, elle en ordonnera l'emploi 
dans tous les ateliers , et en chargera les directeurs des travaux. 
» Déjà j>lusieurs artistes recommandables ont présenté des 
machines nouvelles pour forger les canons , pour les forer , pour 
les blanchir : ces machines doivent dispenser les ouvriers de 
l'attention nécessaire dans les procédés en usage , et suppléer 
à l'adresse, qui ne s'acquiert qu'avec le temps et par l'habitude. 
Le ministre de la guerre a été chargé d'en faire faire l'essai , 
et si elles réussissent , comme il y a lieu de l'espérer , la fabri- 
cation en sera plus parfaite et plus rapide. 

cuAPiTRE lu Des administrations. 

» Les ouvriers ne' peuvent êlre occupés, soit dans leurs 
propres ateliers , soit dans ceux de la République , que de 
leurs travaux particuliers ; il faut que l'on ait soin pour eux 
de la préparation , du choix et du rassemblement des matières 
premières ; il faut que les matières leur soient distribuées , 
que leur travail soit reçu , que leurs salaires leur soient payés, 
que les procédés nouveaux leur soient transmis ; il faut enûn 
qu'il s'établisse une juste proportion dans les travaux , et qu'on 
puisse rendre de l'activité aux parties de la fabrication qui , 
par quelque cause que ce soit , éprouveraient des ralentisse- 
mens, et par conséquent retarderaient la confection des armes. 
Tout cela doit être le but de l'admirtislration ; et parce que 



( 204 ) 

tous ces objets sont extrémemeot variés et distincts , le comité 
de salut pid>lic a pensé qu'il devait y avoir trois administra- 
tions : une centrale , chargée des objets généraux ; une seconde , 
chargée de ce qui est relatif à la fabrication des canons ; une 
troisième, de ce qui regarde celte des autres pièces du fasil. 

» Enfin, outre ces trois administrations, chacun des magasins 
a un chef responsable. 

w Administration centrale, L'administraéion centrale est 
chargée des approvisionnemens de tous les genres ; elle s'occupe 
de la préparation, du choix et du rassemblement des matières; 
elle passe les marchés avec tous les fournisseurs, et elle en presse 
l'exécution ; elle reçoit les soumissions de tous ceux qui veulent 
entreprendre ou des pièces séparées, ou des fusils complets; c'est 
à elle que s'adressent tous les ouvriers qui demandent du tra- 
vail ; elle surveille les procédés de la fabrication, et elle s'occupe 
de leur perfectionnement. 

n Elle entretient la correspondance avec le comité de salut 
public , avec le ministre de la guerre ; mais pour éviter les abus 
ce n'est point elle qui fait la recette des matières ni celle àts 
ouvrages ; elle ne paie rien ; elle n'a point de caisse. 

» Pour remplir toutes ces vues le ministre de la guerre Ta 
composée de huit républicains zélés , dont les uns sont très 
exercés dans la comptabilité des matières et finances ; les autres 
ont la connaissance de la nature et du prix des matières ; d'au- 
tres enfin sont au fait de tous les détails de la fabrication. 

» Cette administration a déjà passé un grand nombre de 
marchés , tant pour acquisition de matières que pour distribu- 
tion de travail. 

» Administration des cartons. Le canon est la partie la plus 
importante de l'arme : une administration particulière est char- 
gée de tout ce qui regarde sa fabrication. 

» Elle reçoit les lames à leur arrivée des forges , et elle les dis- 
tribue ensuite aux canonniers ; elle reçoit les canons forgés , et 
les distribue ensuite aux foreurs et émouleurs : elle reçoit les 
canons forés et blanchis ; elle fait la recette des culasses ; elle 
distribue les canons et les culasses aux équipeûrs ; elle reçoit les 
canons équipés , et en fait faire l'épreuve ; elle reçoit les baïoa^ 
nettes ; elle distribue les canons éprouvés et les baïonnettes aux 
ajusteurs-monteurs, et ellefaitla recette des fusils montés; elle 
paie les matières et les ouvrages dont elle fait la recette. 

» Elle est composée de cinq citoyens au fait de l'a comptabilité 
et des détails de la construction» 



( 205 ) 

» Administration des platines et pièces de garniture* La 
fabrication de toutes les autres parties du fusil est conduite 
par une administration particulière. 

» Elle reçoit Jes pièces séparées des platines au sortir de la 
forge ; elle les distrioue toutes assorties aux platineurs , et eiï 
reçoit les platines montées ; elle reçoit les différentes pièces de 
garnitures toutes blanchies ; elle reçoit les baguettes ; elle reçoit 
i«s bois de fusils bruts ; elle distribue tous ces objets assortis aux 
équipeurs-monteurs ; enfin elle paie aussi toutes les matières et 
les ouvrages dont elle fait recette. 

» Elle est composée , comme la précédente, de cinq membres 
pris parmi les citoyens exercés dans la com2)tabilité , et parmi 
ceux qui connaissent la fabrication. 

» Administration des magasins. Chacun des magasins de 
fer, d'outils et de charbon est administré par un garde-magasin 
responsable , et par un nombre de subordonnés suffisant pour 
opérer les recettes et les délivrances, pour mettre de Tordre dans 
la distribution des matières et dans la comptabilité. 

» L'afHuence , tant des fers neufs que de ceux qui proviennent 
de la démolition des grilles inutiles, est si grande que le local 
qui avait été désigné pour ces objets ne peut plus suffire. 

>» Le comité de salut public vient de destiner la ci-devant 
église des jacobins Saint-Dominique pour le magasin des fers 
neufs ; il y seront à couvert et en sûreté. Les différentes chapelles 
présentent des compartimens tout faits pour classer les fers sui* 
\ant leur nature et leurs échantillons. Quant aux vieux fers qui 
par leurs formes ne soùt pas susceptibles du même arrangemeut, 
ils resteront dans le jardin de la maison Maupeoii ; là on sépa- 
rera le fer aigre de celui qui par sa nature peut servir à la fa- 
brication des armes , et on le vendra pour les be.soins du com- 
merce et pour les objets auxquels il est propre. 

« 

M Telle est Torganisation de la fabrication extraordinaire des 
fusils à Paris. L'expérience y apportera vraisemblablement 
quelques changemens ; le génie des artistes de Paris introduira 
dans les procédés de la fabrication des perfectionnemens dont on 
rendra compte successivement, et tous les mois il sera publié 
(^t affiché un état des approvisionnemens en tout genre , et de 
la quantité d'objets qui se fabriqueront alors par jour, et du 
total des objets qui jusqu'alors auront été fabriqués. » 

C'est ainsi qiie Paris , berceau de la révolution , préparaît 
encore dans son sein l'humiliation des puissances coalisées , 
et la gloire du nom français ; c'est de Paris que vont se 
précipiter ces foudres vengeurs qui porteront la mort dans 



( noè ) 

les cohortes du despotisme , et la liberté aux peuples digoet 
de la recevoir. 

Jamais aucune ville du monde n*avait présenté un spectacle! 
semblable à celui qu'offrait alors cette immortelle cité. Son 
immense population j accrue d*un grand nombre d'ouvriers 
venus des départemens , semblait tout entière occupée aux 
préparatifs de la guerre : les rues étaient remplies de femmes 
et d'enfans qui portaient des bois ou des canons de fusil ^ 
ou des objets d'équipement ; les arrivages des matières pre-^ 
mières et les envois des produits de la manufacture nationale 
encombraient toutes les places : les hommes suppléaient \es 
chevaux , mais non , comme en d'autres temps , pour 
traîner l'indigne objet d'une abjecte idolâtrie ; le salut de 
la chose publique , le triomphe de tous , voilà ce qui en- 
chaînait les citoyens à ces cortèges de la liberté : l'activité 
soutenue qui régnait dans les ateliers particuliers faisait 
disparaître les distances ménagées entre les ateliers publics : 
au bruit des instrumens de travail et des épreuves de canon 
les ouvriers mêlaient des refrains patriotiques : partout une 
foule innombrable , conduite par le zèle et par l'inquiétude 
du civisme : ici des représentans du peuple qui surveillaient 
les travatix ; là des officiers municipaux qui venaient les 
encourager; plus loin des fanfares annonçant le départ de 
jeunes citogrens réquisitionnai res , parés de fleurs , de rubans 
tricolors, et accompagnés de leurs parens , de leurs am.isy 
qui enviaient leur sort , loin de le déplorer : au milieu de 
ces groupes couraient des colporteurs , criant le jugement 
d'un traître ou une victoire des armées. Après l'heure àe$ 
travaux l'affluence du peuple se répandait dans les spectacles, 
oii des pièces républicaines entretenaient , excitaient encore 
son courage et son dévouement. Tel était ce tableau, qui se 
répétait dans toutes les grandes villes de la République. 

A cette éclatante démonstration des sentimens de toute 
la France , à ces dispositions martiales qu'opposaic^nt ceux 
qu'elles menaçaient ? Un autre rapport va retracer le tableau 
politique iq l'Europe. 



(207) 

Rapportai/ au nom du comité de salut public par Robes* 
pierre , sur la situation politique de la République. >— 
Séance du r^j brumaire an 2 de la République» (17 no- 
i^embre 1 793. ) 

« Citoyens représentans du peuple y nous appelons aujour- 
d'hui Fattention de la Conveation nationale sur les plus grands 
intérêts de la patrie ; nous venons remettre sous vos yeux la 
situation de la Republique à l'égard des diverses puissances de 
la terre, et surtout des peuples que la nature et la raison 
attachent à notre cause , mais que Tintrîgue et la perfidie 
cherchent à ranger au nombre de nos ennemis. 

n Au sortir duchaos oii les trahisons d'une cour criminelle et 
le règne des factions avaient plongé le gouvernement , il faut 
que les législateur^ du peuple français fixent les principes de 
leur politique envers les amis et les ennemis de la République ; 
il faut qu'ils déploient aux yeux de l'univers le véritable 
caractère de la nation qu'ils ont la gloire de représenter. Il est 
temps d'apprendre aux imbéciles qui l'ignorent , ou aux 
pervers qui feignent d'en douter , que la République française 
existe ; qu'il n'y a de précaire dans le monde que le triomphe 
du crime et la durée du despotisme ! Il est temps que nos alliés 
se confient à notre sagesse et à notre fortune, autant que les 
tyrans armés contre nous redoutent notre courage et notre 
puisscmce ! 

» La révolution française a donné une secousse au monde. 
Les élans d'un grand peuple vers la liberté devaient^ déplaire 
aux rois qui l'entouraient ; mais il y avait loin de cette dis- 
position secrète à la résolution périlleuse de déclarer la guerre 
au peuple français , et surtout à la ligue monstrueuse de tant 
de puissances essentiellement divisées d'intérêts. 

» Pour les réunir il fallait la politique de deux cours dont 
rinfluence dominait toutes les autres \ pour les enhardir il fallait 
l'alliance du roi même des Français, et les trahisons de toutes 
les factions qui le caressèrent et le menacèrent tour à tour pour 
régner sous son nom , ou pour élever un autre tyran sur les 
débris de sa puissance. 

^ Les temps qui devaient enfanter le plus grand des pro- 



( 208 ) 

diges de la raison devaient aussi être souillés par les derniers 
excès de la corruption humaine : les crimes de la tyrannie 
accélérèrent les progrès de la liberté, et les progrès de la 
liberté multiplièrent les crimes de la tyrannie en redoublant 
ses alarmes et ses fureurs ; il jr a ei;i entre le peuple et ses enne- 
mis une réaction continuelle dont la violence progressive a 
opéré en peu d'années l'ouvrage de plusieurs siècles. 

» Il est connu aujourd'hui de tout le monde que la politique 
du cabinet de Londres contribua beaucoup à donner le premier 
branle à notre révolution. Ses projets étaient vastes; il voulait, 
au milieu des orages politiques , conduire la France , épuisée 
et démembrée, à un changement de dynastie, et placer le duc 
d'Yorck sur le trône de Louis XVL Ce projet devait être 
favorisé par les intrigues et par la puissance de la maison 
d'Oriéans , dont le chef, ennemi de la (iour de France , était 
depuis longtemps étroitement lié avec celle d'Angleterre. 
Content des honneurs de la vengeance et du titre de beau-père 
du roi , l'insouciant Philippe aurait facilement consenti à finir 
sa carrière au sein du repos et de la volupté. L'exécution de ce 
plan devait assurer à l'Angleterre les trois grands objets de sou 
ambition ou de sa jalousie , Toulon , Dunkerque et nos colo- ^ 
nies. Maître à la fois de ces importantes possessions , maître 
de la mer et de la France, le gouvernement anglais aurait 
bientôt forcé l'Amérique à rentrer sous la domination de 
Georges. Il est à remarquer (j[ue ce cabinet a conduit de 
front, en. France et dans les États-Unis , deiix intrigues paral- 
lèles , qui tendaient au même but : tandis qu'il cherchait à 
séparer le midi de la France du nord , il conspirait pour 
détacher les provinces septentrionales de 1* Amérique des pro- 
vinces méridionales , et comme on s'efforce encore aujourd'hui 
de fédéraliser notre République , on travaille à Philadelphie à 
rompre les liens de la confédération qui unissent les dififérentes 
portions de la république américaine. 

» Ce plan était hardi ; mais le génie consiste moins à former 
des plans hardis qu'à calculer les moyens qu'on a de les exé- 
cuter. Lliomme le moins propre à deviner le caractère et les 
ressources d'un grand peuple est peut-être celui qui est le plus 
habile dans l'art de corromjîre un parlement. Qui peut moiai 



{ ^o^ ) 
apprécier les prodiges qu'enfante Tamour de la liberté que 
l'homme vil dont le métier est de mettre en jeu tous les vices 
des esclaves ? Semblable à un enfant dont la main débile est 
blessée par une arme terrible qu'elle a l'imprudence de toucher, 
Pitt voulut jouer avec. le peuple français , et il en a été fou- 
droyé. 

» Pitt s'est grossièrement trompé sur notre révolution ; 
comme Louis XYI et les aristocrates français , abuses parleur 
mépris pour le peuple , mépris fondé uniquement sur la cons- 
cience de leur propre bassesse. Trop inounoral pour croire aux 
vertus républicaines, trop peu philosophe pour faire un pas 
vers l'avenir , le ministre de Georges était au dessous de son 
siècle ; le siècle s'élançait vers la liberté , et Pitt voulait le faire 
rétrograder vers la barbarie et vers le despotisme. Au^si l'ensem- 
ble des événemens a trahi jusqu^ici ses rêves ambitieux ; il a vu 
briser tour à tour par la force populaire les divers instruinens 
dont il s'est servi; il a vu disparaître Necker , d'Orléans , 
Lafayette, Lameth , Dumourier, Custine, Brissot, et tous 
les pygmées de la Gironde. Le peuple français s'est dégagé 
jusqu'ici des fils de ses intrigues , conuue Hercule d'une toile 
d'araignée. 

» Voyez comme chaque crise de notre révolution l'entraîne, 
toujours au*delà du point oii il voulait l'arrêter ; voyez avec 
quels pénibles efforts il cherche à faire reculer la raison publi- 
que et à entraver la marche ^e la liberté ; voyez ensuite quels 
crimes prodigués pour la détruirp! A la fin de 1792 il croyait 
préparer insensiblement la chute du roi Capet en conservant le 
trône pour le fils de son maître ; mais le i o août a lui , et la 
République est fondée. C'est en vain que , pour l'étouffer dans 
son berceau y la faction girondine et tous les lâches émissaires 
des tyrans étrangers appellent de toutes parts les serpens de la 
calomnie , le démon de la guerre civile , l'hydre du fédéra- 
lisme , le monstre de l'aristocratie : le 3i mai le peuple 
s'éveille , et les traîtres ne sont plus I La Convention se 
montre aussi juste que le peuple, aussi grande que sa mission., 
Un nouveau pacte social est proclamé, cimenté par le vœu 
unanime des Français ; le génie de la liberté plane d'une ailf . 
rapide sur la surface de cet empire , en rapproche toutes les 
xin. i4 



( 2IO ) 

parties y prêtes à se dîsâoudre , «t le raffermit sur ses vaste» 
fondemens. 

M Mais ce qui prouve à (fxtH point le principal ministre de 
George III manque de génie, en dépit de l'attention dont nous 
l'avons honoré , c'est le système entier.de sen administration. 
Il a voulu sans cesse allier deux choses évidemment contradic— • 
toires, l'extension sans bornes de la prérogative royale , c'est à 
dire le despotisme , avec l'accFoissenient de la prospérité com- 
merciale de l'Angleterre: conme si le despotisme n'était pas le 
âéau du comnierce ! comme si un peuple qui a eu quelque 
idée de la liberté pouvait descendre à fo servitude sans perdre 
l'énergie, qui seule peut être la source de ses succès ! Pitt n'est 
pas moins coupable envers l'Angleterre , dkmt il a mille fois 
violé la constitution , qu'envers la FAnce. Le^^prc^et m^m.e de 
placer un prince anglais sur le trône des Bourbons était un 
attentat contre la liberté de son pays , puisqu'un roi d'Angle- 
terre dont la famille régnerait en Franco et en Hanovre tiendrait 
dans ses mains tous les moyens de l'asservir. Comment une na- 
tion qui a craint de remettre nue armée entre ks mains du roi , 
chez qui Ton a souvent agité la question si le peuple anglais 
devait souffrir qu'il réunît à ce titre la puissance et le titre de 
duc de Hanovre ; comment cette nation rampe-t-elle sous le 
joug d*nn esclave qui ruine sa patrie pour donner des cou- 
ronnes à son maître ? An reste , ]e n'ai pas- besoin d'observer que 
le cours de» événemens imprévus de notre révolution a dà 
nécessairement forcer le ministère anglais à faire selon les cir- 
constances beaucoup d'amendemens à- ses premiers phms y 
multiplier Ses embarras , et par conséquent ses noirceurs ; il ne 
«eraît pas même étonnant que celui qui vou^t donner un roi 
à la France fût réduit aujourd'hui à épuiser ses dernières res- 
sources pour conserver le sien ou pour se conserver lui-même. 

» Dès Fannée 1791 la fection anglaise et tous les ennemis de 
la liberté s'étaient aperçu qu'il existait en France un parti répn- 
Blicain qui ne transigerait pas avec la tyrannie , et que ce parti- 
était le peuple. Les assassinats partiels, tels que ceux du Cbamp- 
de-Mars et de Nanci, leur paraissaient insuflisans pour le 
détruire ; ils résolurent de lui donner la guerre : de là la mons- 
trueuse alHance de l'Autriche et de la Prusse, 1 1 ensuite la ligue 



(211) 

je toutes les puissances armées contre nous. I] serait absurde 
d'attribuer principalement ce phénomène à l'influence des. 
émigrés , qui i&tiguërent longtemps toutes les cours de leurs 
clameurs impuissantes , et au crédit de la cour de France ; il fut 
l'ouvrage de 1^ politique étrangère , soutenue du pouvoir des 
factieux- ^ui gouvernaient la France. 

» Pour engager les rois dans cette téméraire entreprise il ne. 
suffisait pas d'avoir cherché à leur persuader que, hors ua petit 
nombre de républicains, toute la nation haïssait en secret le 
nouveau régime,, et Les attendait comme des Libérateurs ; il ne 
suffisait pas de leur avoir garanti (a trahison de tous les chefs de 
notre gouvernement et de nos armées ; pour justifier cette 
odieuse entreprise aux yeux de leurs sujets épuisés il Êillâit leur 
épargner jusqu'à l'embarras de nous déclarer la guerre : quand 
ils furent prêts la faction dominante la leur déclara ^ eux- 
mêmes. Yous vous rappelez av^c quelle astuce profonde elle sut 
intéresser au succès de ses perfides projets le courage natureLdes 
Français et l'enthousiasme civique des sociétés populaires; vous 
savez avec quelle impudence machiavélique ceux qui laissaient 
nos gardes nationales sans armes , nos places fortes sans muai— 

r 

tions , nos armées entre les mains des traîtres y nous excitaient 
à allar planter l'étendard tricolor jusque sur les bornes du 
monde. Déclama teurs perfides , ils insultaient aux tjrans pour 
les servir; d'un seul trait déplume ils remwrsaieut tous les 
trônes , et ajoutaient L'Europe à l'empire français , moyen sûr 
de hâter le succès des intrigues de nos ennemis dans le moment 
ou ils pressaient tous les ganvernemens de se déclarer contre 
nous. 

» Ijà^ partisans sincères de la République avaient d'autres 
pensées : avant de briser les chaînes de l'univers ils voulaient 
assurer la liberté de leur pays ; avant de porter la guerre chez 
les despotes étrangers ils voulaient la faire au tyran qui le^ 
trahissait , convaincus d'ailleurs qu'un roi était un mauvais 
g;uide pour conduire un peuple à la cctoquêle de la liberté uni- 
verselle, et que c'est à la puissance de la raison , non à ja force 
des armes, de propager les principes de notre glorieuse révo-e 
iution. 

>v Les amis de la liberté cherchèrent de tout temps Icssftoyens 



( 2'4 ) 

poignards du fanatisme avec un art nouveau': on a cru qneï^ 
quefois qu'ils voulaient le détruire ; ils ne Voulaient que l'ar-^ 
mer , et repousser par les préjugés religieux cenx qui étaient 
attirés à notre révolution par les principes de la morale et du 
bonheur public. 

w Dumourier dans la Belgique excitait nos volontaires 
nationaux k dépouiller les églises et à jouer avec les saints 
d'argent , et le traître publiait en même temps des manifestes 
religieux dignes du pontife de Kome, qui vouaient les JFrançais 
à rhorrenrdes Belges et du genre humain. Brissot aussi décla- 
mait contre les prêtres, et il favorisaît la rébellion des prêtres 
du midi et de l'ouest. 

» Combien de choses le bon esprit du peaple a tourné au 
profit de la liberté , q«e les perfides tànissaires de nos ennemis 
avaient imaginées pour la perdue ! 

:> Cependant le peuple français , aeul dans l'univers , com- 
battait pour la cause commune. P^eopies alliés de la France , 
qu'êtes -vous devenus ? N'étiè2>*vous que les alliés du roi , et 
non ceux de la nation ? Américains , est-ce l'automâfte cou- 
ronné nommé Louis XYÏ qui vous aida à secouer le joug de 
Tos oppresseurs , ou bien nos bras et nos armées ? £st~ce Je 
patrimoine d'une cour méprisable qui vous alimentait, ou bien 
les tributs du peuple français et les productions de notre sol , 
favorisé des cieux ? Non , citoyens , nos alliés u'ont point 
abjuré les sentimens qu'ils nous doivent ; mais s'ils ne se sont 
point détachés de notre >cause , s'ils ne se sont pas rangés 
même au nosnbre de nos ennemis , ce n'est point la faute de 
la faction qui nous tyrannisait. 

^>» Par une fatalité bizaire la République se trouvé encore 
représentée auprès d'eux par les agens des traîtres qu'elle a 
punis : le beau-frère de Brissot est le- consul général de la 
France près les États-Unis ; un autre homme , nommé Genest, 
envoyé par Lebrufi et par Brissot à Philadelphie en qualité 
d'agent plénipotentiaire, a rempli fidèlement les vues et les 
instructions de la faction qui l'a choisi. Il a employé les moyens 
les plus extraordinaires pour irriter le gouvernement améri- 
cain contre nous ; il a affecté de lui parler sans aucun prétexte, 
avec le ton de la menace , et de lui faire des propositions éga» 



( ai5 ) 
lëaxent contraires atir iateréts d^s deux, nation» ; il s''est efforce 
de rendre nos principes sa«pects ou redoutables ea les outrant 
par des. applications ridicules. Par un contraste bien remar- 
quable y tandis qu'à Paris «eux qui Tavaient envoyé pcrsécu** 
taient les sociétés populaires , dénonçaient comme des anar- 
chistes les républicains luttant avec courage *con<tFe la tyrannie, 
Oenest à Philadelpliie se faisait cfaef de ciub , ne cessait de 
faire et de provoquer des motions auséi inîurieuses qu'inquié- 
tantes pour le gouvernement. C'est ainsi que la même action 
'4im en France voulait rédnûre tous les pauvres à la condition 
d'ilotes, et soumettre le «peuple à rAristocratîe des ncii0S>, vou- 
lait en nn instant affranchir et .«tner toua les nègres powr 
détruire nos colonies. - 

» Les mêmes manœuvres furent employées à la Porte pair 
Cboiseul-Gouffier «t par son successeur. Qui croirait qne Ton 
a établi des clubs français à Coustantinople , que l'on y a tenu 
des assemblées primaires? On sent que cette opération. ne pou- 
vait être utile ni à notre cau«e ni à «06 principes .; .mais «lie 
était fute pour alarmer ou pour irriter la oour. ottomane^ Le 
.Turc , l'ennemi nécessaire de nos eonemisr , . i- utile et fidèle 
allié de la France , négligé par le gouvernenuent français, cir^ 
convenu par les intrigues du cabinet britanmque ^^ gardé jus- 
qu'ici une neutralité plus Euneste à ses tpropres intérêts qu'à 
ceux de la République française. Il parait néanmoitts qu'il est 
prêt à se réveiller; miais si , comme on l'a dit, le divan est 
dirigé par le cabinet de Saint-Marnes , il ne portera point ses 
forces contre l'Autriche , notre commun ennemi , qu'il lui 
serait si facile d'accabler^ n»ais contre la Russie, dont la puts^ 
sance intacte peut devenir encore une fois recueil des armées 
•ottomanes» 

^> Il est un autre peuple uni a notre causé par des liens 
non moins pnissans , uni peuple dont la gloire eiart d'avoir brisé 
le» fers des mêmes tyrans qui nous font la guerre , un peuple 
dont l'alliance avec *nos >rois offrait quelque chose de bizarre-, 
mais dont l'union avec la France irépublicaine est aussi natur 
relie qu'imposante; un peuple enfin que les Français libres 
peuvent estimor : je veuac parler des Suisses. La politique de 
nos ennemis a )Usqu'ioi^épaisé toutes ses ressources pour les 



(ai6) 

armer contre nous. L'impradence , rînsoucîance , la perfidie 
ont Goncoaru k les seconder. Quelques petites violations de 
territoire , des chicanes inutiles et minutieuses , des injures 
gratuites insérées dans les journaux , une intrigue très active , 
dont les principaux foyers sont Genève , le Mont-Terrible , et 
certains comités ténébreux qui se tiennent à Paris , composés 
de banquiers , d'étrangers et d'intrigails couverts d'un masque 
de patriotisme y tout a été mis en usage pour les déterminer 
à grossir la ligue de nos ennemis. 

» Voulez-vous connaître \ywr un seul trait toute l'importance 
que ceux-ci mettent au succès de ces machinations , et en même 
temps toute la lâcheté de leurs moyens ? il sufSira de vous faire 
part du bizarre stratagème que les Autrichiens viennent d 'em- 
ployer. Au moment oh j'avais terminé ce rapport le comité de 
salut public a reçu la. note suivante , remise à la chancellerie 
de Bâle : 

« C'est le 1 8 du mois d'octobre que l'on a agité au comité 
M de salut public la question de l'invasion de Neufchâtel. La 
» discussion a été fort animée; elle a duré jusqu'à deux heures 
» après minuit. Un membre de la minorité s'y est seul opposé. 
» L'a£Paire n'a été suspendue que parce que Saint-Just , qui en 
M est le rapporteur 9 est parti pour l'Alsace : mais on sait de 
» bonne part actuellement que l'invasion de Neufchâtel est 
» résolue par le comité. » 

» Il est bon de vous observer que jamais il n'a été" question 
de Neufchâtel au comité de salut public. 

» Cependant il parait qu'à Neufchâtel on a été alarmé par 
ces impostures grossières de nos ennemis , tomme le prouve 
une lettre , en date du 6 novembre ( vieux style ) , adressée à 
notre ambassadeur en Suisse, au nom de l'état de Zurich , par 
le bourgmestre de cette ville. Cette lettre, en communiquant 
à l'agent de la République les inquiétudes qu'a montrées la 
principauté de Neufchâtel , contient les témoignages les plus 
énergiques de l'amitié du canton de Zurich ppur la nation fran- 
çaise , et de sa confiance dans les intentions du gouvernement. 

» Croiriez- vous que vos #nnemisont encore trouvé le moyen de 
pousser plus loin l'impudence ou la stupidité ! Hé bien , il faut 
vous dire qu'au moment oii je parle les gazettes allemandes ont 



( 217 ) 

répandu partout la nouvelle que le comité de salut public avait 
résolu de faire déclarer la guerre aux Suisses , et que je suis 
chargé moi de vous faire un rapport pour remplir cet objet. 

» Mais afin que vous puissiez apprécier encore mieux la foi 
anglaise et autrichienne, nous vous apprendrons qu'il y a plus 
d'un mois il avait été fait au comité de salut public une propo- 
sition qui offrait à la France un avantage infiniment précieux 
da^s les circonstances oii nous étions ; pour l'obtenir il ne s'a- 
gissait que de faire une invasion dans un petit état enclavé dans 
notre territoire , et allié de la Suisse : mais cette proposition 
était injuste, et contraire à la foi des traités; nous la rejetâmes 
avec indignation. 

>» Au reste les Suisses ont su éviter les pièges que leur ten- 
daient nos ennemis communs ; ils ont facilement senti que les 
griefs qui pouvaien^t s'être élevés étaient en partie l'effet des 
mouvemens orageux , inséparables d'une grande révolution , en 
partie celui d'une malveillance également dirigée contre la 
France et contre les cantons. La sagesse helvétique a résisté à la 
fois aux sollicitations des Français fugitifs , aux caresses per- 
fides jde l'Autriche, et aux intrigues de toutes les cours confé- 
dérées ; quelques cantons se sont bornés à présenter amicalement 
leurs réclamations au gouvernement français : le comité de 
salut public s'en était occupé d'avance. Il a résolu non seulement 
défaire cesser les causes des justes griefs que ce peuple estimable 
peut avoir, mais de lui prouver, par tous les moyens qui 
peuvent se concilier avec la défense de notre liberté , les senti-* 
mens de bienveillance et de fraternité dont la nation française 
est animée envers les autres peuples , et surtout envers ceux que 
.leur caractère rend dignes de son alliance. Il suivra les mêmes 
principes envers toutes les nations amies : il vous proposera des 
mesui^ fondées sur cette base. Au reste la seule exposition que 
je viens de faire de vos principes , la garantie des maximes 
.raisonnables qui dirigent notre gouvernement déconcertera les 
trames ourdies dans l'ombre depuis longtemps. Tel est l'avan- 
tage d'une République puissante ; sa diplomatie est dans sa 
bonne foi , et comme un honnête homme peut ouvrir impuné- 
ment à ses concitoyens son cœur et sa maison , un peuple libre 
peut dévoiler aux nations toutes les bases de sa politique. 



( 210 ) 

ont été égorgés. Qu'il est lâche ce sénat de Gênesr , qui n'est 
pas mort tout entier pour prévenir ou pour venger cet outrage, 
qui ' a pu trahir à la fois l'honneur , le peuple génois y et 
l'humanité entière ! 

» Venise , plus puissante et en même temps plus politique j 
a conservé une neutralité utile à ses intérêts. Florence, celui 
de tous les états d'Itahe à qui le triomphe de nos ennemis serait 
le plus fatal , a été enfin subjuguée par eux , et entraînée mal- 
gré elle à sa ruine. Ainsi le destpotisme pëse jusque sur ses com- 
plices , et les tyrans armés contre la République sont les enne- 
mis de leurs, 'propres alliés. En général les puissances italiennes 
sont peut-être plus dignes de la pitié que de la colère de la 
France : l'Angleterre les a recrutées comme ses matelots; elle 
a exercé la presse contre les peuples d'Italie. Le plus coupable 
des princes de cette contrée est ce roi de Naples ^ qui s'est 
montré digne du sang des Bourbons en embrassant leur cause. 
Nous pourrons un «jour vous lire à ce sujet une lettre écrite de 
sa main à son cousin le catholique, qui servira du moins à yout 
prouver que la terreur n'est jpoint étrangère au cœur des rois 
ligués contre nous. Le pape ne vaut pas l'honneur d'être 
nom^mé. 

» L'Angleterre a aussi osé menacer le Danemarck par ses 
escadres pour le forcer à accéder à la ligue ; mais le Dane- 
marck , régi par un ministre habile , a repoussé avec dignité 
ses insolentes sonunations. 

» On ne peut lier qu'à la folie la résolution qu'avait prise 
le roi de Suède , Gustave III , de devenir le généralissime des 
rois coalisés : l'histoire des sottises humaines n'offre rien de 
comparable au délire de ce moderne Agamemnon, qui épuisait 
ses états, qui abandonnait sa couronne à la merci de ses enne- 
mis pour venir à Paris affermir celle du roi de France. 

M Le régent , plus sage , a mieux consulté les intérêts de son 
pays et les siens ; il s'est renfermé dans les termes de la neu- 
tralité. 

>» De tous les fripons décorés du nom de roi , d'empereur , 
de ministre , de politique , on assure , et nous ne sommes pas 
éloignés de le croire , que le plus adroit est Catherine de Russie, 
ou plutôt ses ministres, car il faut se .défier du charlatanisme 



(221 ) 

cle ces réputations loîntaînes et impériales , prestige crëé par la 
politique. La vérité est que sous la vieille impératrice, comme 
sous toutes les femmes qui tienueut le sceptre, ce sont les 
hommes qui gouvernent. Au reste la politique de la Russie est 
impérieusement déterminée par la nature même des choses : 
cette contrée présente l'union de la térocité des hordes sanvager 
avec les vices des peuples civilisés. Les dominateurs de la Rus- 
sie ont un grand pouvoir et de grandes richesses ; ils ont le 
goût , l'idée , Tambition du luxe et des arts de l'Europe , et ils 
régnent dans un climat de fer; ils éprouvent le besoin d'être 
servis et flattés par des Athéniens, et ils ont pour sujets des 
Tartares : ces contrastes de leur situation ont nécessairement 
tourné leur ambition vers le commerce , aliment du luxe et 
des arts ^ et vers la conquête des contrées fertiles qui les avoi- 
sinent à l'ouest et au midi. La cour de Pétersbourg cherche à 
émigrer des tristes pays qu'elle habite dans la Turquie euro- 
péenne et dans la Pologne, comme nos jésuites et nos aristo- 
crates ont émigré des doux climats de la France dans la Russie. 
» Elle a beaucoup contribué à former la ligue des rois qui 
nous font la guerre, et elle en profite seule. Tandis que les 
puissances rivales de la sienne viennent se briser contre le 
rocher de la République française , l'impératrice de Russie 
ménage ses forces et accroît ses moyens; çlle promène ses 
regards avec une secrète joie d'un côté sur lés vastes contrées 
soumises à la domination ottomane , de l'autre sur la Pologne 
et sur l'Allemagne ; partout elle envisage des usurpations facile» 
ou des conquêtes rapides; elle croit toucher au moment de 
donner la loi à l'Europe ; du moins pourra-t~el!e la faire, à la 
Prusse et à l'Autriche , et dans les partages de peuples où elle 
admettait les deux compagnons de ses augustes brigandages , 
qui l'empêchera de prendre impunément la part du lion? 

» Vous avez sous les yeux le bilan de l'Europe et le vôtre , et 
vous pouvez déjà en tirer un grand résultat ; c'est que l'uni- 
vers est intéressé à notre conservation. Supposons la France 
anéantie ou démembrée, le monde politique s'écroule. Otez 
cet allié puissant et nécessaire qui garantissait l'indépendance 
des médiocres états contre les grands despotes , l'Europe entière 
^st asservie ; les petits princes germaniques , les villes réputéey 



( 2^22 ) 

libres de l'Allemagne sont englouties par les maisons ambi^ 
tieuses d'Autriche et de Brandebourg; ia Suéde et le Dane« 
marck deviennent tôt ou tard la proie de leurs puissans voisins; 
le Turc est repoussé au-delà du Bosphore , et rayé de la liste 
des puissances européennes; Venise perd ses richesses, soa 
comnnerce et sa considération ; la Toscane son existence ; 
Gènes est effacée; l'Italie n'est plus que le jouet dès despotes 
qui l'entourent ; la Suisse est réduite à la misère , et ne recou-- 
vre plus l'énergie que son antique pauvreté lui avait donnée. 
Les descendans de Guillaume Tell succomberaient sous les 
efforts des tyrans humiliés et vaincus par leurs aïeux. : com- 
ment oseraient-ils invoquer seulement les vertus de leurs pères 
et le nom sacré de la liberté si la République française ayaiè été 
détruite sous leurs yeux ? Que serait-ce s'ils avaient contribué à 
sa ruine ? Et vous , braves Américains , dont la liberté , cimen- 
tée par notre sang, fut encore garantie par notre alliance» 
quelle serait votre destinée si nous n'existions plus? Vous 
retomberiez sous le joug honteux de vos anciens maîtres ; la 
gloire de nos communs exploits serait flétrie ; les titres de la 
liberté , la déclaration des droits dç l'humanité serait anéantie 
dans les deux mondes ! 

» Que dis-je! que deviendrait l'Angleterre elle-même? 
L'éclat éblouissant d'un triomphe criminel couvrirait-il long- 
temps sa détresse réelle et ses plaies invétérées ? Il est un terme 
aux prestiges qui soutiennent l'existence précaire d'une puis^ 
sauce artificielle. Quoi qu'on puisse dire , les véritables puis- 
sances sont celles qui possèdent la terre : qu'un jour elles 
veuillent franchir l'intervalle qui les sépare d'un peuple pure- 
ment maritime , le lendemain il ne sera plus- C'est en vain 
qu'une île commerçante croit s'appuyer sur le trident des mers y 
si ses rivages ne sont défendus par la justice et par l'intérêt 
des nations. Bientôt peut-être nous donnerons au monde la 
démonstration de cette vérité politique : à notre défaut l'An- 
gleterre la donnerait elle-même ; déjà odieuse à tous les peu- 
ples, enorgueillie du succès de ses crimes, elle forcerait bien- 
tôt ses rivaux à la punir. ^ 

» Mais avant de perdre son existence physique et corn- 
«lerciale elle perdrait son ei^istence morale et. politique. Com-» 



( 223 ) 

ment conserverait-elle les restes de sa liberté quand la France 
aurait perdu la sienne , quand le dernier espoir des amis- de 
l'humanité serait évanoui ? |Comment les hommes attachés auic 
maximes de sa constitution telle quelle , ou qui en désirent la 
réforme, pourraient-ils lutter contre un ministère tyrannique , 
devenu plus insolent par le succès de ses întngues, et qui 
abuserait de sa prospérité pour étouffer la raison, pour 
enchaîner la pensée, pour opprimer la nation? 

>» Si un pays qui semble être le domaine de l'intrigue et de 
la corruption peut produire quelques philosophes politiques 
capables de connaître et de défendre ses véritables intérêts ; 
s'il est vrai que les adversaires d'un ministère pervers sont 
autre chose que des intrigans qui disputent avec lui d'habileté 
à tromper 1« peuple , il faut convenir que les ministres anglais, 
ne sauraient reculer trop loin la tenue de ce parlement, dont 
le fantôme semble troubler leur sommeil. 

» Ainsi la politique même des gouvernemens doit redouter 
la chute de la République française : que sera-ce donc de la 
philosophie et de l'humanité î Que la liberté périsse en France ; 
la nature entière se couvre d'un voile funèbre , et la raison 
humaine recule.} usqu'aux abimes de l'ignorance et de la bar- 
barie ; l'Europe serait la proie de deux ou trois bngand« , 
qui ne vengeraient l'humanité qu'en se faisant la guerre , et 
dont le plus féroce , en écrasant ses rivaux , nous rame-^ 
nerait au règne des Huns et des Tartares. Après un si grand 
exemple , et tant de prodiges inutiles , qui oserait jamais 
déclarer la guerre à la tyrannie ? Le despotisme , comme une 
mer sans rivages , se déborderait sur la surface du globe ;■ il 
couvrirait bientôt les. hauteurs du inonde politique, oii est 
déposée l'arche qui renferme les Chartres de l'humanité ; la 
terre ne serait plus que le patrimoine du crime ^ et ce blas^- 
phéme, reproché au second des Brutus , trop justifié par 
l'impuissance de nos généreux efforts ^ serait le cri de tous 
les cœurs magnaniflaes : o vertu! pourraient— ils s'écrier , ta 
n*es donc qu'un vaut nom ! 

» Oh ! qui de nous ne sent pas agrandir toutes ses facultés, 
qin de nous ne croit s'élever au-dessus de l'humanité même 
ea songeant que ce n'est pas pour un peuple, que nous çom-; 



( »24 ) 

battons,* mais pour l'univers? pour les hommes qui vivent 
aujourd'hui , mais pour tous ceux qui existeront? Plût au ciel 
que ces vérités salutaires , au lieu d'être renfermées dans cette 
étroite enceinte , pussant retentir en même temps à l'oreille 
de tous les peuples ! Au même instant les flambeaux de la 
guerre seraient étouffés, les prestiges de l'imposture dis- 
paraîtraient , les chaînes de l'univers seraient brisées , les sour- 
ces des calamités publiques taries ; tous les peuples ne for- 
meraient plus qu'un peuple de frères , et vous auriez autant 
d'amis qu'il existe d'hommes sur la terre. Vous pouvez au 
moins les publier , d'une manière plus lente à la vérité : ce 
.manifeste de la raison , cette proclamation solennelle de vos 
principes vaudra bien ces lâches et stupides diatribes que l'in* 
solence des plus vils tyrans ose publier contre vous. 

» Au reste , dût l'Europe entière se déclarer contre vous , 
vous êtes plus forts que l'Europe. La République française est 
invincible comme la raison ; elle est immortelle comme la 
vérité. Quand la liberté a fait une conquête telle que la France, 
nulle puissance humaine ne peut l'en chasser. Tyrans, pro- 
diguez vos trésors , rassemblez vos satellites , et vous hâterez 
votre ruine! 'J'en atteste vos revers; j'en atteste surtout vos 
succès. Un port et deux ou trois forteresses achetées par votre 
or, voilà donc le digne prix des efforts de tant de rois , aidé» 
pendant cinq années par les chefs de nos armées et par notre 
gouvernement même ! Apprenez qu'un peuple que vous 
n'avez pu vaincre avec de tels moyens est un peuple iavin- 
cible. Despotes généreux, sensibles tyrans, vous ne prodiguez, 
dites-vous , tant d'hommes et de trésors que pour rendre à 
la France le bonheur et la paix! 

' >» Vous avez si bietn réussi à faire le bonheur de vos sujets 
que vos âmes royales n'ont plus maintenant à s'occuper que 
du nôtre. Prenez gardé , tout change dans l'univers : les rois 
ont assez longtemps châtié les peuples ; les peuples à leur 
tour pourraient bien aussi châtier les roi^^ • 

» Pour mieux assurer notre bonheur vous voulez , dit—on , 
nous affamer , et vous avez entrepris le blocus de la France 
avec une centaine de vaisseaux. Heureusement la nature est 
moins cruelle pour nous que les tyrans qui l'outragent : le 



{ 225 ) 

blocus de la France pourrait biea n'être pas plus heureux 
que celui de Maubeuge et de Dunkerque. Au reste un grand 
peuple qu'on ose menacer de la famine est un ennemi ter- 
rible ; quand il lui reste du fer il ne rei^oit point de ses 
oppresseurs du pain et des chaînes ; il leur donne la mort. 

» £t vous, reprësentans de ce peuple magnanime , vous qui 
êtes appelés à fonder ad sein de tous les orages la première 
République du monde , songez que dans quelques mois elle 
doit être sauvée et affermie par vous ! 

» Vos ennemis savnt bien que s'ils pouvaient désormais 
vous perdre ce ne serait que par vous-mêmes. Faites en tout 
le contraire de ce qu'ils veulent que vous fassiez ; suivez 
toujours un plan invariable de gouvernement, fondé sur les 
principes d'une sage et vigoureuse politique. 

» Yos ennemis voudraient donner à la cause sublime que 
vous défendez un air de légèreté et de folie : soutenez-la avec 
toute la dignité de la raison. On veut vous diviser : restez 
toujours unis. On veut réveiller an milieu de vous l'orgueil, la 
jalousie , la défiance : ordonnez à toutes les petites passions dé 
se taire. Le plus beau de tous les titres est celui que vous 
portez tous ; nous serons tous^ assez grands quand tous nous 
aurons sauvé la patrie. On veut annuler et avilir le gouverne- 
ment républicain dans sa naissance : donnez-^lui l'activité , le 
ressort et la considération dont il a besoin. Ils veulent que le 
vaisseau de la République flotte au gré des tempêtes , sans 
pilote et sans but : saisissez le gouvernail d'une main ferme , 
et coaduisez-le à travers les écueils au port de la paix et du 
bonheur. 

» La force peut renverser un trône ; la sagesse seule peut 
Fonder une république. Démêlez les pièges coi^tinuels de nos 
ennemis ; soyez révolutionnaires et politiques ; soyez terribles 
aux méchans , et secourables aux malheureux ; fuyez à la fois 
le cruel modérantisme et l'exagération systématique des faux 
patriotes ; soyez dignes du peuple que vous représentez. Le 
peuple hait tous les excès ; il ne veut être ni trompé ni 
protégé ; il veut qu'on le défende en l'honorant. 

» Portez la lumière dans Tantre de ces modernes Cacus, oîi 
l'on partage les dépouilles du peuple en conspirant contre sa 
xra. i5 



liberté ; éiouSezAts dans leurs repaires , et panisseï enfin le 
plus odieux de tons les forfaits , celui de revitir la contre— 
' révolution des emblèmes sacrés du patriotisme, et d'assassiner 
la liberté avec ses propres armes? 

M Le période oii vous êtes est celui qui est destiné à éprouver 
le plus fortement la vertu républicaine. A la fin de cette cam- 
pagne l'infâme ministère de Londres voit d'un o6té la ligue 
presque ruinée par ses efiorts insensés , les armes de l'Angleterre 
déshonorées , sa fortune ébranlée , et la liberté assurée par le 
caractère de vigueur que vous avez montré : au dedans il 
entend les cris des Anglais mêmes, prêts à lui demander compte 
de ses crimes. Dans sa frayeur il a reculé jusqu'au mois de 
janvier la tenue de ce parlement dont l'approche l'épouvante ; 
il va employer ce temps à commettre parmi vous les derniers 
attentats qu'il médite pour suppléer à l'impuissance de vous 
vaincre. Tous les indices , toutes les nouvelles , toutes les pièces 
saisies depuis quelque temps se rapportent à ce projet : cor- 
rompre les représentans du peuple susceptibles de T^lre, 
calomnier ou égorger ceux qu'ils n'ont pu corrompre , enfin 
arriver à la dissolution de la représentation nationale , vœlà le 
but auquel tendent toutes les manœuvres dont nous sommes 
les témoins , tous les moyens patriotiquement contre-révolu- 
. tionnaires que la perfidie prodigue pour exciter une émeute 
dans Paris et bouleverser la République entière. 

» Représentans du peuple fraoçais , connaissez votre force 
et votre dignité. Vous pouvez concevoir un orgueil légitiaie ', 
applaudissez-vous non seulement d'avoir anéanti la royauté et 
puni les rois , abattu les coupables idoies devant qui le monde 
était prosterné , mais surtout de l'avoir étonné par un acte de 
justice dont il n'avait jamais vu l'exemple , en promenant le 
glaive de la loi sur les têtes criminelles qui s'élevaient , au iniliea 
de vous, mais d'avoir écrasé jusques ici les factions sous le 
poids du niveau national ! 

» Quel que soit le sort personnel qui vous attende , Totre 
triomphe est certain : la mort même des fondateurs de la liberté 
n'est-elle pas un triomphe? Tout meurt, et les héros de ITiu- 
manité et les tyrans qui l'oppriment , mais à des conditions 
différentes. 



{ aa7 ) 

» Jusque sous le règne des lâches empereiirs de Rome bi 
T^ératioa publique couronnait les images sacrées des héros qui 
étaient morts en combattant contre eux; on les appelait tes 
derniers des Romains; Rome dégradée semblait dire chaque 
)our au tyran : Tu n'es point un homme ; nous^m^mes nous 
€wons perdu ce titre en tombant dans tes fers : les seuls 
hommes y les seuls Romains sont ceux qui ont eu le courage 
de se dévouer pour délivrer la terre de toi ou de tes pareils. 

M Pleins de ces idées , pénétrés de ces principes ,^ous se- 
conderons Totre énergie de tout notre pouvoir. En butte aux 
attaques de toutes les passions, obliges de lutter à la fois contré 
les puissances ennemies de la République et contre les hommes 
C(Mrrompus qui déchirent son sein, placés entre la lâcheté 
hypocrite et la fougue imprudente du zële , comment aurions- 
nous osé nous charger d'tm tel fardeau sans les ordres sacrés 
de la patrie ? Comment pourrions->nous le porter si nous n'étions 
élevés au-»dessus de notre faiblesse par U grandeur même de 
notre nûssion , si nous ne nous reposions avec confiance et sur 
votre vertu et sur le caractère sublime du peuple que vous 
représentez ? 

M L'un de nos devoirs les plus sacrés était de vous faire 
respecter au dedans et au dehors. Nous avons voulu aujourd'hui 
vous présenter un tableau fidèle de votre situation politique ^ 
et donner à l'Europe une haute idée de vos principes. Cette 
discussion a aussi pour objet particulier de déjouer les intrigues 
de vos ennemis pour armer contre vous vos alliés, et surtout 
les cantons subses et les États-Unis d'Amérique. Nous vous 
proposons à cet égard le décret suivant. » 

* Décret. ( Adopté dans la même séance* ) 

L.1 Convention nationale > voulant manifester aux yeux de rnnîvers 
les principe» qai la dirigent, et qui doivent présider aux relations de 
toutes les sociétés politiques ivoulaot^en nié9><^ temps déconcerter les 
utanœuvres perfidrs employées par ses ennemis pour alarmer sur ses 
ÎQteotioas les fidèles alliés de la nation française, Icjs cantons suisses et 
les États-Unis d"* Amérique y 

Décrète ce qui suit :' 

Art. i*^. La Convention nationale déclare, an nom du peuple fran- 
çais , que la résolution constante de la République est de se montrer 



1 

l 



terrilile «xiTcrs sef emimiiSi généreafte envers ses alUés, juste enirers 
tons les peuples* 

a. Lf!S traités qui lient le peuple français ani £iats-Unis d'Amérique 
et aux cantons suisses seront fidèlement esécutés. 

3. Quant aux modifications g)ii auraient pu être nécessitées par la 
rérolution qui a changé le gouyernemenl français , ou par les mesures 
générales et extraordinaires que la République est obligée de prendre 
pour la défense de son indépendance et de sa liberté , la Conyention 
nationale se repose sur la loyauté réciproque et sur Vintéréî commun 
de.la République et de ses alliés. 

4. La Conyention nationale enjoint aux citoyens et k tous les agens 
civils et militaires de la République de respecter et faire respecter le 
territoire des nations alliées ou neutres. 

5. Le comité de salut public est chargé de s^occuper des moyens de 
resserxer de plus en plus les liens de ralliance et de Tamitié qui unissent 
la République française aux cantons suisses et aux États-Unis d^A- 
mérique. 

6. Dans toutes les discussions sur les objets particuliers de réclama* 
lions respectives il prouvera aux cantons suisses et aux États-Unb 
d^ Amérique , par tous les moyens compatibles avec les circonstances 
impérieuses où se trouve la République , les sentimens d'équité, de 
bienveillance et d^'eslime dont la nation française est animée envers eux. 

7. Le présent décret et le rapport du comité de salul public seront 
imprimés, traduits dans toutes les langpes, répandus dans toute la 
République et dans les pays étrangers , pour attester à l'univers les 
principes delà nation française et les attentats de ses ennemis contre 
la sûreté générale de tous les peuples* 

C'est surtout depuis l'ouverture de la Convention que les 
puissances coalisées suivaient cet affreux système d'une triple 
guerre contre la liberté : d'autres rapports, plusieurs décrets, 
maints événemens l'ont déjà démontré. Pendant que les 
troupes de la République luttaient avec héroïsme contre les 
fofces ennemies , qui le plus souvent n'étaient victorieuses que 
par la trahison ; tandis que des départemens étaient en proie 
aux factions aristocratique et sacerdotale , que soudoyait le 
perfide anglais i alors au sein de Paris , et jusque dans le 
sanctuaire des lois , on voyait l'imprudence calculée du sèle 
et rhypocrite exagération du civisme lutter contre la sagesse 
des législateurs. Des agens de l'étranger, (et, il faut le dire, 
quelque humiliant qu'en soit l'aveu, des individus nés en 
France grossissaient le nombre de ces ennemis secrets ! ) des 



i* 



5 

I 



( aag ) 

agens de Tétranger, cjibhéssousle nuksquft dapatriotisme, se 
répandaient dans le» sections^ dans les assemblées populaires; 
ils corrompaient , circonvenaient , entraînaient les hommes 
faibles , confians , sincèrement dévoués à la chose publique y 
mais peu éclairés, également incapables de tendre des pièges 
ou d'en éviter. De là des propositions absurdes, des scènes 
scandaleuses, dictées, préparées par ces émissaires, et la 
coalition s'emparant aussitôt des résultats pour accuser le 
peuple français devant tous les autres peuples, et pour 
légitimer les efiPorts de sa haine et de sa vengeance. C'était 
ainsi que les rois recrutaient des esclaves, et les prêtres des 
fenatiques. 

Il est quelques excès que parut justifier le silence de la 
Convention ; mais ce prudent silence avait pour but d'éviter 
la guerre civile , c'est à dire le triomphe des ennemis de la 
République : sévir contre une section du peuple, contre une 
foule séduite, exaspérée, qui croyait de bonne foi marcher 
dans la ligne du bien , et toujours prête à soutenir ses erreuBS 
par l'exercice mal entendu de sa souveraineté , c'eût été 
s'exposer à remplir l'horrible espoir des corrupteurs de 
l'opinion : eux siculs devaient être découverts et frappés ; et 
voilà la source de ces lois révolutionnaires tant reprochées 
à la Convention , lois que les circ(Mistances commandaient 
impérieusement. 

Une indécente abjuration, ou plutôt une mascarade qui 
ent lieu à cette époque fut une sorte de victoire pour la 
coalition : elle porta la joie parmi les traîtres qui l'avaient 
provoquée comme un véhicule nécessaire à la guerre de 
religion ; elle égaya les indifférens et les êtres dépravés ; elle 
affligea les sages , les vrais philosophes, enfin tousJes citoyens 
chez qui l'incrédulité n'exclut pas la vertu. Cette scène,, 
rendue plus déplorable par le choix du lieu oii elle fut jouée, 
doit être appréciée par l'historien et par l'observateur comme 
un document diplomatique. 

Déjà un grand nombre d'ecclésiastiques obscuKS ^ fatigués^ 
écrivaiefit-ils , d enseigner V erreur et le mensonge^ aviâenli 



( 23o ) 

renonce à leurs fonclîpns et renvojë feart lettres de prétriie. 
Puissé-fe , «joutait chacoit d'eulL à pea près dans les mimes 
termes, puissé^je^ pour le bonheur des hommes, a\^oir le 
ei-deuant clergé tout entier pour imitateur ! (i) Cetappel, 
qu'on pourrait appeler une tactique, eut le succès désiré; 
Paris y répondit. 

Séance du l'y brumaire an a. (7 novembre 1793» ) Làloi, préaideiit. 

Le président donne lecture de la lettre cî-aprës , qui lai 
est adressée : 

« Citoyen président y les autorités constituées de Paris pré- 
cèdent dans votre sein le ci-devant évique de Paris et son 
ci-devant clergé , qui viennent de leur propre mouvement 

(i) Vcici une de cps lettres , doot Tiasertion au procès -rerbal fut 
ordonnée : 

c Citoyens représenta os , je suis prêtre , je suis curé^ c'est à dire 
charlatan. Iu9it{\»*\éi charlatan de bonne foi ; je n'ai trompé qae parce 
que moi-même j^avàis été trcMnpé ; maintenant, que je sois décrassé , je 
vous avoue que je ne iroudrais pas être charlatan de mauvaise foi. Cepea- 
dant la misère pourrait m'y contraindre , car je n^ai absolument que les 
laoo livres de ma cure pour vivre ; d'ailleurs je ne sais guère que ce 
qu^on m'a forcé désapprendre , des oremus, 

» Jetons faisdonc cette lettre pour vous prier d^assurer une pension 
suffisante aux évéques» curés et vicaires sans fortune et sans moyen de 
subsister , et cependant asses honnêtes pour ne vouloir plus tromprr le 
peuple y auquel il est temps enfin d'apprendre qu^il n'y a de religion 
vraie que la religion naturelle , et que tous ces rcves , toutes ces momc- 
ries , toutes ces pratiques qu'on décore du nom de religion ne sont que 
des contes de la Barbe^bleue. 

» Plus de prêtres I Nous y parviendrons avec le temps. Pour se hâter 
il me semble qu'il serait bon d'assurer le nécestaire à ceux qui veulent 
rendre justice à la yérité , et qui sont disposés à descendre d''an rang 
auquel Tignorance , l'erreur et la superstition ont pu seules les faire 
monter. 

» Plus de prêtres ! Cela ne veut pas dire plus de religion. Sois juste, 
sois bienfaisant, aime tes semblables , et tu as de la religion, parce 
qu'ayant toutes les vertus qui peuvent te rendre heureux, en tereudaut 
utile à tes frères tu as tout ce qu'il faut pour plaire à la divinité. 

» Si je pouvais ne prêcher que cette morale , à la bonne heure ^ mais 



( 23i ) 

rendre à la raison et à la justice éternelle un hommage éclatant 
€t sincère. 

» Signé'CBÂmETTEy procureur de la commune ; Momoro, 
président par intérim ; Lhuillier , procureur général du 
département de Paris; Pache, maire. » 

Les autorités et le clergé de Paris sont admis à la barre^ 
{Apptaudissemens réitérés dans les tribunes, ) 

MoWHio. « Citoyens législateurs , l'évéque de Paris et plu* 
sieurs autres prêtres , conduits par la raison , viennent dans 
votre sein se dépouiller du caractère que leur avait imprimé la 
superstition. Ce grand exemple , nous n*en doutons pas , sera 
imité par leurs collègues. Cest ainsi que les fauteurs du despo- 
tisme en deviendront les destructeurs ; c'est ainsi que dans peu 
la République française n'aura plus d'autre culte que celui de 
la liberté , de l'égalité et de la vérité , culte puisé dans le sein 
de la nature , et qui , grâces à vos travaux^ sera bientôt le culte 
universel ! 

(i) » Signé MoMORO j président de la députation. » 

GoBET j évétjue de Paris. « Je prie les représentans du 
peuple d'entendre ma déclaration. 

» Né plébéien , j'eus de bonne heure dans l'âme les prin- 
cipes de la liberté et de l'égalité. Appelé à l'Assemblée consti* 
tuante par le vœu de mes concitoyens, je n'attendis pas la 
Déclaration des Droits de l'homme pour reconnaître la souve- 
raineté du peuple : j'eus plus d'une occasion de faire publique-» 
ment ma profession de foi politique à cet égard , et depuis ce 
moment toutes mes opinions ont été rangées sous ce grand 



nés paroissiens veulent que je leur parle de neuTaines, de sacremens, 
de cent mille dieui. . . Ce n'est pas plus moo goût que le votre j je 
TOUS prie donc de me permettre de me retirer, en m'assuraot une pen- 
sion. 

» 6igné PareHt, curé de Boissise-la-Bertrand , district de Melun. Le 
i4 brumaire an a de laRépubliqae. » 

(l) Tous ces discours et déclarations, prononcés à haute voix devant 
la Convention nationale, ont ensuite été signés, déposés sur le bureau, 
et insérés au procès verbal. 



( 23a ) 

régulateur. Depuis ce moment la volonté eu peuple sonverais 
est devenue ma loi suprême ; mon premier devoir, la soumis- 
sion à ses ordres : c'est cette volonté qui m'avait élevé au siège 
de l'évêché de Paris , et qui m'avait appelé en même temps à 
trois autres. J'ai obéi en acceptant celui de cette- grande «ité, 
et ma conscience me dit qi:'ea me rendant au vœu du peuple 
du département de Paris je ne l'ai pas trompé ; que je n'ai 
employé l'ascendant que pouvait me donner mou titre et ma 
place qu'à augmenter en lui son attachement aux , principes 
éternels de la liberté , de l'égalité et de la morale , bases néces- 
saires de toute constitution vraiment républicaine. 

M Aujourd'hui, que la révolution marche à grands pas vers 
une fin heureuse , puisqu'elle amène toutes les opinions à un 
seul centre politique ; aujourd'hui , qu'il ne doit plus y avoir 
d'autre culte public et national que celui de la liberté et de la 
sainte égalité , parce que le souverain le veut ainsi ; conséquent 
à mes principes , je me soumets à sa volonté , et }e viens vous 
déclarer ici hautement que dès aujourd'hui je renonce à exercer 
mes fonction» de ministre du culte catholique. Les citoyens mes 
vicaires . ici prësens , se réunissent à moi. £n conséquence nous 
vous remettons tous nos titres. 

» Puisse cet exemple servir à consolider le règne de la liberté 
et de l'égalité ! p^ive la République I 

» Signé GoBET , Denoux , Laboret , Delacroix , Lambert , 
Pkiqueler , YoisARD , BouLLioT , GsNAis , Deslandes , Dherbés f 
MartiN, dit Sainte Martin, » 

Gobet , coiffé du bonnet rouge , remet sa croix et son 
anneau ; Denoux, son premier vicaire , dépose trois médailles 
aux effigies des ci-devant rois. Beaucoup d'offrandes ana* 
logues couvrent bientôt l'autel de la patrie. 

« Je déclare que mes lettres de prêtrise n'étant pas en mon 
pouvoir , je les remettrai dès que je les aurai reçues. Signé 
Telanon. » 

« Je fais la même déclaration. Sisné Nourmaire. » 

Le curé de P^augirard, « Revenu des préjugés que le 

fanatisme avait mis dans mon cœur et dans mon esprit, je 

dépose mes lettres de prêtrise. » 



(233) i 

Chaumette , procureur de la commune de Paris. « Le joar 
oii ]a raison reprend son empire mérite une place dans les 
brillantes époques de la révolution française. Je fais en ce 
moment la pétition qtie la Convention charge son comité d'Ins- 
truction publique de donner dans le nouveau calendrier une 
place au jour de la nf,ison. » 

Le président de la Convention aux pétitionnaires, a Ci- 
toyens , parmi les droits naturels à l'homme on distingue la 
liberté de l'exercice des cultes. Il était essentiel qu'elle fût 
consacrée dans la Déclaration des Droits de Thomme et du 
citoyen que le peuple français vient de proclamer : ses repré- 
sentans l'ont fait. C'est un bommage rendu à la raison pour ses 
efforts constans. 

M La Constitution vous a donc garanti ce libre exercice des 
cultes , et sous cette garantie solennelle , éclairés par la raison et 
bravant des préjugés anciens, vous venez de vous élever à cette 
bauteur de la révolution oii la philosophie vous attendait. Ci- 
toyens , vous avez fait un grand pas vers le bonheur commun. 

» Il était sans doute réservé aux habitans de Paris de donner 
encore ce grand exemple à la République entière ; là commen- 
cera le triomphe de la raison. 

» Vous venez aussi déposer sur l'autel de la patrie ces boîtes 
gothiques que la crédulité de nos ancêtres avait consacrées à la 
superstition ; vous abjurez des abus trop longtemps propagés 
au sein du meilleur des peuples. 

» La récompense de ce sacrifice se retrouvera dans le bon- 
beur pur dont vous allez jouir sous la plus belle Constitutioa 
du monde , au sein d'un £tat libre et dégagé de préjugés. 

» Ne nous le dissimulons pas , citqyens , ces hochets insul- 
taient à l'Être suprême , au nom duquel on les entretenait ; ils ne 
pouvaient servir à son culte puisqu'il n'exige que la pratique des 
vertus sociales et morales : telle est sa religion; ii ne veut de culte 
que celui de la raison ; il n'en prescrit pas d'autre , et ce sera 
désormais la religion nationale. 

M La Convention accepte vos offrandes ; elle applaudit aux 
sentimeas que vous venez d'exprimer, et vous invite à assister 
à sa séance. » 



( 234) 
Un grand nombre de voix. « L'accolade â i'éyéque de 
Paris !» 

Le président. « D'après l'abjuration qui vient d'être fiute, 
l'évéque de Paris est un être de raison ; mais je yais embrasser 
Gobet. w 

Le président donne l'accolade à Gobet. Les prêtres quit- 
tent la barre; conduits par Chaumette, ils entrent dans la 
salle , le bonnet de la liberté sur la tête. Jusque là les applao- 
dissemenSy les cris de vive la République n'avaient cessé qae 
pour permettre aux orateurs de se faire entendre; alors 
ils redoublent, et se prolongent pendant plusieurs mi- 
nutes. Des prêtres membres de Ja Convention sont à la tri- 
bune ; ils obtiennent successivement la parole. 

Coupé [de l'Oise). « Je n'ai point apportédans l'Assemblée dei 
représentans du peuple d'autre caractère ni d'autre esprit que 
celui d'homme libre et de citoyen ;. cependant , à la vue du re- 
noncement solennel q^e l'évêque de Paris et ses vicaires épisco- 
pauz viennent de faire ici, je dois me rappeler que }.'ai aussi été 
curé à la campagne. 

» Je me suis comporté avec probité dans une portion con- 
grue , et dans un temps oii d'ailleurs toutes les lois en £dsaient 
un état louable et bienfaisant. 

» Je dois déclarera la Convention nationale que depais quel- 
que temps j'en ai quitté le titre et les fonctions, et que je ne 
suis plus qu'un simple citoyen. 

» Il me reste ici une chose à faire \ c'est de lui déclarer encore 
que je renonce à la pension que la nation nous.laissait espérer. 

» Quoique âgé et sans fortune , je ne veux pas être à charge 
à mes concitoyens : j'ai toujours vécu de mon travail ; je veux 
continuer à plus forte raison sous la République , et donner en- 
core cet exemple à nos successeurs lorsque je sortirai du sénat 
national. 

» Signé J.-M. Coupé (de l'Oise), ci-devant curé de Scr- 
maires, près de^Noyon. » 

Thomas Liiidet. « Je n'ai point à rougir aux yeux de fa na- 
tion du charlatanisme ou du funatisme religieux ; je n'ai em- 



( 235 ) 

ployë les moyens de la religion que poarcotttribner au bonheur 
de mes concitoyens. La morale que j'ai précliée sera celle de 
tous les temps. Je n'ai accepté révéché de l'Eure dans des mo- 
a&ens difficiles que parce que je pouvais servir la révolution* 
Des 1 789 j'avais professé l'incompatibilité des fonctions du culte 
avec les fonctions civiles. Fidèle à mes principes, j'ai donné ma 
démission de cet évéché dans l'assemblée électorale qui m'a 
nommé à la Convention nationale : on ne l'accepta pas alors* 
Tous les habitans de l'Eure sont témoins de ce que j'ai fait pour 
combattre le fanatisme, le fédéralisme, le royalisme. La seule ville 
d'Evreux a été ébranlée par les déclamations de quelques scélé- 
rats échappés du sein de cette Assemblée. J'ai été en butte à la 
fureur de leurs complices; mais j'ai contribué à garantir le reste 
du département de la séduction. J'ai la satisfaction de pouvoir 
annoncer à ja Convention nationale que les ministres em- 
ployés au culte daus la ville d'Evreux et dans tout le dépar-- 
tement ont été fidèles à maintenir les principes de la Répu- 
blique y qu'ils ont propagé les lumières de la raison , et qu'ils ont 
"^ mérité la proscription des fédéralistes. La religion de la loi 
sera celle de tout le département de l'Eure. Depuis longtemps 
j'y ai dit avec succès que la cause de Dieu ne devait pas être 
une occasion de guerre entre les honunes , que chaque citoyen 
devait se regarder comme le prêtre de sa famille en la formant 
à toutes les vertus sociales. Toute la République sait que j'ai 
été le premier des évéqucs qui ai osé , par un grand exenkple 1 
détruire les préjugés superstitieux. 

w Lorsque l'abdication des prêtres avait quelque danger les 
prêtres devaient s'empresser de se faire citoyens. La volonté du 
peuple annonce que le moment de cette abdication est arrivé. 
Un bon citoyen ne doit plus être ministre d'un culte public. 
J'abdique l'évêcfaé du département de l'Eure , et je renonce à 
l'exercice de toutes les fonctions du culte. 

» Lorsque la raison remporte une victoire aussi éclatante 
sur la superstition , le législateur ne doit rien négliger pour 
en assurer le succès et la stabilité. Les fêtes et les solennités 
religieuses étaient devenues des institutions politiques: mesurez 
le vide immense qu'opérera la désertion de ces fêtes. Remplaces 
ce que vous détruisez ; prévenez les murmures qu'occasionne- 



( 236 ) 
raient dans les campagnes l'ennui de la solitude , Tanifor- 
mité du travail et la cessation de ces assemblées périodiques ; 
que des fôtes nationales promptement instituées préparent le 
passage du règne de !a superstition à celui de la raison. Tous 
les départemens ne sont pas également mûrs pour cette grande 
révolution ; les habitans des campagnes n'ont pas les mêmes 
moyens d'instruction qui se trouvent dans les grandes cités. 
Le moyep d'accélérer ]e développement de l'opinion publique 
c'est le prompt établissement de ces assemblées civiles oii tous 
les citoyens se réuniront pour apprendre leurs droits , pour 
célébrer la liberté , et se former à la vertu. 

» Je demande que le comité d'instruction publique soit 
chargé de présenter incessamment un rappoit sur les fêtes 
nationales. 

M Signé R.-T. Lindet ^ ci-devant évêque du département 
de l'Eure. » 

Julien ( de Toulouse ) , ministre protestant. « Je n'en» 
jamais d'autre ambition que celle de voir s'établir sur la 
terre le règne de la raison et de la philosophie. Ministre 
d'un culte longtemps proscrit par la barbarie de nos . lois 
gothiques, j'ai prêché hautement les maximes de la tolérance 
universelle ; je me suis attaché à resserrer entre tous les hom- 
mes les liens de la fraternité, et dès longtemps on m'a 
entendu jeter les bases d'une famille universelle* 

» Né dans le département du Gard, transplanté succes- 
sivement dans celui de l'Hérault et de la Haute - Garonne , 
les ministres alors appelés catholiques m'ont- entendu rendre 
hommage à la justice de TÉtre suprême en prêchant que la 
même destinée attendait l'homme vertueux qui adorait le 
Dieu de Genève , celui de Ptome , de Mahomet ou de Confucius» 

» Je préparais alors les approches du flambeau de la raison « 
qui devait un jour éclairer ma patrie , et je me félicite d'avoir 
vu arriver ce jour ou la bienfaisaute philosophie, mère des 
vertus sociales , n'a fait de tous les Français qu'un peuple de 
frères , et qui les donne pour, modèles au reste de l'univers , 
encore courbé sous les chaînes des tyrans orgueilleux et des 
prêtres fanatiques* 



( a37 ) 

» Gobet a manifesté des sentimens qui étaient gravés dans 
mon âme; j'imite son exemple. 

» Oa sait que les ministres du culte protestant n'étaient 
guère que des officiers de morale ; cependant il faut en con- 
venir , quoique débarrassés de Tappareil fastueux du charla- 
tanisme , tous les cultes , tous les prêtres n'étaient pas sans 
reproche à cet égard dans l'exercice des pratiques austères à 
l'aide desquelles ils prétendaient conduire les hommes à l'éter- 
nelle félicité. Il est satisfaisant de faire cette déclaration sous 
les auspices de la raison , de la philosophie , et d'une Consti- 
tution tellement populaire qu'elle annonce la chute de tous 
les tyrans , et qu'elle ensevelit sous les décombres des abus 
de toute espèce les erreurs superstitieuses du fanatisme et les 
brilians privilèges de la royauté anéantie. 

>» J'ai rempli pendant vingt ans les fonctions de ministre 
protestant ; je déclare que dès ce jour j'en suspends l'exercice: 
désormais je n'aurai d'autre temple que le sanctuaire des lois , 
d'autre idole que la liberté , d'autre culte que celui delà patrie , 
d'autre évangile que la Constitution républicaine que vous 
avez donnée à la France libre , et d'autre morale que l'égalité 
'Ct la douce bienveillance. 

» Telle est ma profession de foi politique et religieuse ; 
tel. est l'exemple que je crois devoir donner aux sectateurs des 
anciens préjugés ; mais en cessant d'exercer des fonctions que 
j'ai tâcbé d'honorer par une conduite exempte de reproche , 
je ne cesserai pas me» devoirs d'homme et de citoyen; je ne 
jne croirai pas moins obligé de prêcher les principes de cette 
morale sublime que Fauteur de toutes choses a gravée dans 
nos âmes , d'être en bon exemple à mes concitoyens, d'ins- 
truire les hommes dans les sociétés populaires , sur les places 
publiques , dans tous les lieux oii ils seront réunis sous les 
enseignes de la paix , de l'union , de la tendre fraternité ; 
de leur inspirer l'amour de la liberté , de l'égalité , la sou- 
mission aux lois et aux autorités constituées , qui en sont les 
4>rganes. 

» Je ne puis remettre sur le bureau les' titres qui me don- 
naient le pouvoir d'annoncer aux hommes les vérités morales 
puisées duws l'Evangile ^ qui imprimèrent sur mon front un 



( 238 ) 

caractère dont je n'ai jamais abasé : je les d^oserai , et je 
me flatte que la Coareiition youdra bien en faire un auto- 
dafé , qui sera d'autant plus brillant que sa lumière terminera 
la lutte ridicule qui eiistc entre le fanatisme et la saiue raison. 
» Signé JuuEN ( de Toulouse ). » 

GAY-YiRiroiv. « Citoyens, j'ai toujours soupiré après le 
moment oii nous sommes. En 1790, étant alors curé de Corn- 
preignac , je remis mes lettres de curé à mes bons paroissiens , 
et leur dis : choisissez un autre pasteur si quelque autre 
peut vous rendre plus heureux ;je ne consentirai à demeu" 
rer au milieu de vous qu* autant que vous m'élirez vous-' 
mêmes : toutes les places doivent être nommées par le peU" 
pie. Ils m'élurent ; je cédai à leurs instances fraternelles, et 
je prêtai le serment. En 1791 j'acceptai l'épiscopat pour con- 
tribuer aux progrès des lumières et hâter l'empire de la raison 
et le règne de la liberté. Lorsque Torné, évéque du Cher, 
proposa l'abolition des costumes , je fus le premier à déposer 
ma croix sur le bureau de l'Assemblée législative. Aujour- 
d'hui , libre de suivre l'impulsion de ma conscience sans aucun 
danger pour ma patrie , et d'exprimer les sentimens de mon 
âme , j'obéis à la voix de la raison , de la philosophie et de 
la liberté , et je déclare à la nation , avec la joie d'un cœur 
pur et républicain , que je ne veux être que citoyen , et que je 
renonce aux fonctions ecclésiastiques 

» Signé Gat-Yernon , ci-devant évéque. m 

YiLiXBS. « Citoyens, curé pendant douze ans dans une 
campagne , je me suis occupé à rendre mes paroissiens heu- 
reux : je ne leur ai enseigné que la vérité ; je leur 9\ îakx. 
aimer la révolution par mes actions et par mes discours. Je 
déclare que j'aime ma patrie, et que je l'aimerai toujours» 
Je renonce à la place où l'on pourrait me soupçonner d'en-» 
seigner l'erreur ; je renonce à ma qualité de prêtre. J e ne 
puis déposer sur le bureau mes lettres de prêtrise ; les brigands 
de la Yendée les ont brûlées avec mes propriétés. 

» Signé YiLLERS , ci-devant curé. » 

Lalande. « Citoyens , sans l'opinion et la confiance publi- 
que les ministres des cultes ne sont plus que des êtres inu- 



(a39) 
tiles oadangei:euz, et comme il paratt qu'ili ne sont pliu 
ioTestis ni honorés de cette confiance , il est de leur devoir 
de quitter leurs places» 

» Yoilà pourquoi je m'empresse d'annoncer à la Conven- 
tion que dans ce nloment je renonce pour toujours aux fonc<* 
tiens de Tépiscopat. 

» La démarche que je fais aujourd'hui je l'ai déjà faite il y 
a plus d'un an en donnant ma démission de l'évéché du dépar- 
tement de la Meurthe ; mais les autorités constituées me 
pressèrent et me firent les plus vives instances pour m'enga- 
ger à continuer mes fonctions , parce qu'on s'imaginait que 
ma présence était encore utile pour combattre l'aristocratie 
et les prétentions extravagantes de la cour de Rome. 

» Ce motif ne subsiste plus aujourd'hui : l'aristocratie est 
anéantie , détruite ; l'autorité du pape est réduite à sa juste 
valeur , et le peuple , éclairé par le génie de la liberté, n'est 
plus esclave de la superstition et des préjugés. Je déclare 
donc encore une fois à la Convention que j'abdique pour tou- 
jours mes fonctions au ministère ecclésiastique , et que désor-* 
mais je ne veux plus avoir d'autre titre que celui de citoyen 
^t de républicain français : je n'en connais point qui puisse 
être aussi beau et aussi précieux ! 

w Je déclare donc que désormais je ne veux plus avoir d'au- 
tre objet que de répandre et propager partout les vrais prin- 
cipes de la liberté , les dogmes éternels qui sont tracés dans 
le grand livre de la nature et de la raison ; ce livre où toutes 
les nations peuvent lire et apprendre leurs devoirs ; ce livre qui, 
bien loin d'avoir besoin d'«1tre augmenté, corrigé et com- 
menté , doit servir à abréger , corriger et augmenter tous les 
autres. Si , à l'exemple de plusieurs de mes confrères , je ne 
remets point aujourd'hui sur le bureau mes lettres d'ordination , 
c'est que je les ai laissées à Nanci ; mais au lieu de ces par- 
chemins gothiques , qui ne sont plus bons à rien , je vais 
déposer sur l'autel de la patrie mon anneau et ma croix d'or : 
pourrais-je en faire un meilleur usage que de les consacrer au 
bien de l'Etat et à l'utilité publique ! 

» Signé Lalande, ci-devant évéque du département de la 
Meurthe. » 



(a4o) 
. Plusieurs autres députés , cpii sont en même temps évéqnes 
ou curés , font des déclarations semblables , et toutes ces 
professions de foi sont couvertes des plus vifs applaudisae- 
mens. (i) 

(i) Les abjuraiiona faites à la tribune, â la barre on par écrit, se 
ftuccëdèrent en si grand nombre pendant plusieurs jours que Robes- 
pierre et Danton, s^élevant contre cet autre genre de momeries , firent 
décréter qu'elles ne seraient plus reçues qu''au comité d^instruction 
publique. 

Mais parmi les renonciations faites avant ce décret il en est une qui 
mérite d'être conservée* 

Discours prononcé par Syeyes dans la séance du 20 brumaire an a. 

« Citoyens , mes vœux appelaient depuis longtemps le triomphe delà 
raison sur ia superstition et le fanatisme : ce jour est arrivé ; je m^en 
léfouis comme d^un des plus grands bienfaits de la révolution française. 
Quoique j^aie déposé depuis un grand nombre d^aonées tout caractère 
ecclésiastique, et qu^à cet égard ma profession de foi soit ancienne et 
bien connue, qu^il me soit permis de profiler de la nouvelle occasion 
qui se présente pour déclarer encore, et cent fois s'il le faut, que je 
ne connais d'autre cultn que celui de Im liberté , de l'égalité ; d^autre 
religion que Tamoor de l'humanité et de la patrie. J'ai vécu victime dp la 
superstition; jamais je n'en ai été Tap^tre ou l'instrument : j'ai souffert 
de l'erreur des autres; personne n'a souffert delà mienne : nul homme 
sur la terre ne peut dire avoir été trompé, par moi ; plusieurs m'ont du d''a* 
voir ouvert lesyeux àlavérité. Au moment où ma raison se dégagea saine 
des tristes préjugés dont on l'avait torturée^ Ténergie de l'insurrection 
entra dans mon cœur; depuis cet instant si j'ai é té retenu dans les chaînes 
sacerdotales , c'est par la même force qui comprimait les âmes libres 
dans les chaînes royales, et les malheureux objets des haines minis- 
térielles à la Bastille : le jour de la révolution a dû les faire tomber 
toutes. Je n''ai paru , on ne m'^a connu que par mes efforts pour la 
liberté et Tégalilé. C'est comme plébéien député du peuple, et non 
comme prêtre, je ne l'étais plus, que j^ai clé appelé à TAssemblée natio- 
nale, et il ne me souvient plus d'avoir eu un autre caractère que celui 
de député du peuple. Je ne puis pas, commf plusieurs de nos collèges, 
TOUS livrer les papiers ou titres de mon ancien état ; depuis longtemps 
ils n'existent plus. Je n''ai |)oint de démission à vous donner, parce que 
je n^ai aucun emploi ecclésiastique ; mais il me reste une offran^le à 
faire à la patrie, celle de 10,000 livres de rente viagère que la loi 
m'*avait conservées pour indemnité d''anciens bcnéficis. Soufi'rez que je . 
dépose sur. votre bureau ma renonciation formelle k cette pemioc,eiqnt 
j'en demande acte, ainsi que dama déclaration. » 



(24« ) 

Cette scène pliait se terminer sans avoir été troublée par 
la moindre opposition : Grégoire arrive ; on le presse d'imiter 
l'exemple de Gobet ; il regarde , il écoute y il se précipite à 
la tribune , et pour la première fois ses paroles vont encourir 
rimprobaUon des tribunes publiques (i)t 

Grégoire , évéque de Bloîs, m J'entre ici n'ayant que des 
notions très vagues sur ce qui s'est passé avant mon arrivée» 
On me parle de sacrifices à la patrie... J'y suis habitué. 

» S'agit-il d'attachement à la cause de la liberté? Mes 
preuves sont faites depuis longtemps. 

{i) De ce moment Grégoire se vit en bulle à toutes sortes de persé- 
cutions ; poursuivi, insulté dans les lieux publics , dénoncé dans les 
sociétés populaires, censuré dans les pamphlets « etc. 

Voici un mot a Véyéque Grégoire , extrait du tSa/iJ- C^/otte observa" 
leur du ai brumaire : 

a Toi dont le patriotisme élevé s^est soutenu depuis le commencement, 
toi qui devais commencer cette scène imposante de la raison , où l'amour 
de la vérité, plus fort que Pintérét et la fausse honte, a su tirer de la 
bouche des prêtres les plus éclairés et les plus puissansTaveaduchar- 
latanisnoe et de Timposture qu^ils avaient jusqu'^ici exercés sur le peuple, 
et briser ainsi de leurs propres mains, en les faisant renoncera des 
fonctions mensongères , ^instrument de leurs richesses et de leur 
domination , devais-je m^atlendre à te voir non seulement manquer à 
ce beau spectacle , digne de tes vertus et digne de Tépoque actuelle 
cje la révolution , u;iais même à t^entendre le désapprouver par nn 
raisonnement qui n^a rien que de captieux, et dont je suis persuadé que 
tu as été la première dupe ! 

» La religion n>st donc selon toi qu'une affaire de cotiscietice ! Tanlï 
de monde , et tant de gens éclairés l'ont dit , qu^il t'est bieu permis de 
le répéter! Mais je dis moi que la religion est une affaire d'habitude et 
d'exemple, et je ne vois d'elle que la morale qui ait affaire à la cons- 
cience. Ses dogmes absurdes , ses pratiques insensées ne peuvent avoir 
affaire qu'à la raison, qui les rejette a l'instant quand l'habitude et 
l'exemple lui permettent de les envisager. Jamais donc les hommes ne 
se corrigeront des erreurs religieuses si l'on tfe rompt la chaîne de 
leur routine, et si ceux mêmes qui les leur enseignent ne sont les pre- 
miers à les leur faire connaître* 

» Les hommes confiés à tes soins ont les yeux ouverts sur toi , 
Grégoire ! et tu es responsable envers la nation de la prolongation do 
leur égarement, et du mauvais usage que les malveillans pourront en 
faire! Mais tu ne dédaigneras pas la voix d'un de tes concitoyens , et (u 
sauras te rendre à la démonstration, de quelque côté qu'elle te frappe.» 
xuf. 16 



» S'agît^il du reTenu attache aux fonctions d'évêque ? le 
TOUS Tabandonoe sans regret. 

» S'agit -il de religion ? Cet article est hors de votre domaine, 
•t vous n'avez pas droit de l'attaquer. 

M J'entends parler de fanatisme , de superstition Je les 

ai toujours combattus. Mais qu'on définisse ces mots, et l'on 
verra que la supers ritiou et le fanatisme sont diamétralement 
opposés à la religion. 

» Quant à moi , catholique par conviction et par sentiment, 
prêtre par choix, j'ai été désigné par le peuple pour être 
évéque ; mais ce n'est ni de lui ni de vous que je tiens ma 
mission. J'ai consenti à porter le fardeau de l'épiscopat dans 
un temps oii il était entouré d'épines ; on m'a tourmenté 
pour l'accepter : on me tourmente aujourd'hui pour me forcer 
à une abdication qu'on ne m'arrachera pas ! Agissant d'après 
les principes sacrés qui me sont chers , et que je vous défie de 
xne ravir , j'ai tâché de faire du bien dans mon diocèse : je 
reste évêque pour en faire encore. J'invoque la liberté des 
cultes. -.> 

Après ce discours , perdu dans le bruit , le cortège des 
ci-devant prêtres , précédé des membres de la commune et 
suivi d'une foule immense de peuple, se répandit dans 
Paris , célébrant la conquête de la raison sur le fanatisme. 
Les églises envahies et profanées, les autels renversés, les 
ministres fidèles arrachés à leurs fonctions , les livres saints 
Brûlés sur les places publiques, la cessation de tout culte, etc., 
tel est le spectacle qui fut alors offert à tous les. jeux. Le 20 
brumaire eut lieu l'inauguration du temple de la Raison et 
de la Liberté : c'est la dénomination que la commune de 
Paris donna à l'église Notre-Dame. La Raison , repré- 
sentée par une belle Jtmme , fut promenée dans Paris , et 
conduite à la Convention , oii elle reçut l'accolade frater- 
nelle du président. 

Nous avons rattachéces déplorables excès anx calculs de la 
diplomatie étrangère. En effet , ils servirent de texte à un 
manifeste que la coalition publia presque immédiatement 






Rapport fait par Robespierre au nom du comité de salut 
public. — Du iS Jrimaire an 2. (5 décembre 1793. ) 

M Citoyens repré^cntans du peuple , les rois coalises contre 
]a Repi.'blique nous font la guerre avec des armées , avec des 
iiiirigues et avec des libelles : nous opposerons à leurs armées 
des années plus braves , à leurs intrigues la vigilance et la ter- 
reur de la justice nationale , à leurs libelles la vérité. 

» Toujours attentifs à renouer les fils de leurs trames secrètes 
à mesure qu'ils sont rompus par la main du patriotisme, tou- 
jours habiles à tourner les armes de la liberté contre la liberté 
même, les émissaires des ennemis de la France travaillent 
aujourd'hui à renverser la République par le républicanisme, 
et à ralumer la guerre civile par la philosophie. Avec ce grand 
système de subversion et d'hypocrisie coïncide xnerveîlleuse- 
meut un plan perfide de diffamation contre la Convention 
nationale et contre la nation elle-même. 'Tandis que la perfidie 
ou l'imprudence tantôt énervait l'énergie des mesures révolu- 
tionnaires commandées par le salut de la patrie , tantôt les 
laissait sans exécution, tantôt les exagérait avec malice ou 
les appliquait à contre-sens; tandis qu'au milieu de ces embarras 
les agens des puissances étrangères , mettant en œuvre tous les 
mobiles , détournaient notre attention des véritables dangers et 
des besoins pressans de la République pour la tourner tout en- 
tière vers les idées religieuses ; tandis qu'à une révolution poli- 
tique ils cherchaient à substituer une révolutioq nouvelle pour 
donner le change à la raison publique et à l'énergie da patrio- 
tisme ; tandis que les mêmes hommes attaquaient ouvertement 
tous les cultes , et encourageaient secrètement le fanatisme ; 
tandis qu*au même instant ils faisaient retentir la France entière 
: de leurs déclamations insensées , et osaient abuser du nom de la 
i Convention nationale pour justifier les extravagances réfléchies 
de l'aristocratie , déguisée sous le manteau de la folie , les 
ennemis de la France marchandaient de nouveau vos ports , vos 
'généraux , vos armées , rassuraient le fédéralisme épouvanté, 
t'intriguaient chez tous les peuples étrangers pour luuUiplier vos 
%nneaiis ; ils armaient contre vous les prêtres de toutes les 



( a44 ) 

nations ; ils opposaient Tempire des opinions religieuses à l'as« 
cendant naturel de vos principes moraux et politiques , et les 
manifestes de tous les gouvememens vous dénonçaient à rnni- 
vers comme un peuple de fous et d'athées. C'est à la Convention 
nationale d'intervenir entre le fanatisme qu'on réveille et le 
patriotisme qu'on veut égarer ^ et de rallier tous les citoyens 
aux principes de la liberté, de la raisou et de la justice. Les 
législateurs qui aiment la patrie , et qui out le courage de la 
sauver , ne doivent pas ressembler à des roseaux sans cesse agites 
par le soufRe des factions étrangères. Il est du devoir du comité de 
.salut public de vous les dévoiler, et de vous proposer les mesures 
nécessaires pour les étouffe r ; il le remplira sans doute. En atten- 
dant il m'a chargé de vous présenter un projet d'adresse dont 
le but est de confondre les lâches impostures des tyrans liguée 
contre la République , et de dévoiler aux yeux de l'univers leiur 
hideuse hypocrisie. Daus ce combat de la tyrannie contre Is 
liberté nous avons tant d'avantage qu'il y aurait de la folie de 
notre part à l'éviter, et puisque les oppresseurs du genre 
humain ont la témérité de vouloir plaider leur cause devant loi, 
hâtons- nous de les suivre à ce tribunal redoutable pour accé- 
lérer l'inévitable arrêt qui les attend. » 

Le projet d'adresse est lu, applaudi, mis aux voix, et 
adopté à l'unanimité ; la traduction et la publication dans 
toutes les langues en sont également décrétées. 

RÉPONSE de la Convention nationale aux manifestes 
des rois ligués contre la République. ( Rédigée par 
Robespierre.) 

« La Convention nationale répondra-t-elle aux manifestes 
des tyrans ligués contre la République française? Il est naturel 
de les mépriser ; mais il est utile de les confondre; il estjustr 
de les punir. 

M Un manifeste du despotisme contre la liberté ! Quel bizarit 
phénomène! Gomment les ennemis de la France ont— ils 
prendre des honunes pour arbitres entre eux et nous? Comrai 
n'ont-ils pas craint que le sujet de la querelle ne réveillât 
souvenir de leurs crimes , et ne bâtât leur ruine? 

i> De quoi nous accusent-ils? De leurs propres forfaits. 



(245) 

M Ils nous accusent de rébellion. Esclaves révoltés contre la 
souveraineté des peuples, îgnorez^vous que ce blasphème ne 
peut être justifié que par la victoire ? Mais voyez donc Técha- 
fand du dernier de nos tyrans ; voyez le peuple français armé 
pour punir ses pareils ! Yotlà notre réponse. 

» Les rois accusent le peuple français d'immoralité. Peu- 
ples, prêtez une oreille attentive aux leçons de ces respec- 
tables précepteurs du genre humain! La morale des rois, juste 
ciel ! Peuples , célébrez la bonne foi de Tibère et la candeur 
de Louis XVI; admirez le bon sens de Claude et la sagesse de 
Georges; vantez la tempérance et la justice de Guillaume et 
de Léopold; exaltez la chasteté de Messaline, la fidélité con- 
jugale de Githerine, et la mod/estie d'Antoinette; louez l'in- 
yincible horreur de tous les despotes , passés , présens et futurs, 
pour les usurpations et la tyrannie , leurs tendres égards pour 
l'innocence opprimée , leur respect religieux pour les droits de 
l'humanité! 

» Ils nous accusent d'irréligion ; ils publient que nous avons 
déclaré la guerre à la Divinité même. Qu'elle est édifiante la 
piété des tyrans! et combien doivent être agréables au ciel les 
vertus qui brillent dans les cours , et les bienfaits qu'ils répan- 
clent sur la terre ! De quel dieu nous parlent-ils ? Eu con- 
naissent-ils d'autres que l'orgueil , que la débauche et tous les 
Tices ? Ils se disent les images de la Divinité. Est-ce pour la 
faire haïr? Ils disent que leur autorité est son ouvrage. Non ! 
Dieu créa les tigres ; mais les rois sont le chef-d'œuvre de la 
corruption humaine. S'ils invoquent le ciel c'est pour usurper 
la terre ; s'ils nous parlent de la Divinité c'est pour se mettre 
' à sa place : ils lui renvoient les prières du pauvre et les gémis- 
senotens du malheureux ; mais ils sont eux-mêmes les dieux des 
riches y des oppresseurs et des assassins du peuple. Honorer la 
Divinité et punir les rois c'est la même chose. Et quel peuple 
rendit jamais un culte plus pur que le nêtre au grand Être 
sous les auspices duquel nous avons proclamé les principes 
immuables de toute société humaine ? Les lois de la justice 
éternelle étaient appelées dédaigneusement les rêves des gens 
de bien : nous en avons fait d'imposantes réalités. La morale 
«laiJt dans les livres des philosophes : nous l'avons mise dans le 



f 246) 

gouvernement des nations. L'arrêt de mort prononcé par la 
nature contre les tyrans dormait oublié dans les cœurs abattu» 
des timides mortels : nous l'avons mis à exécution. Le monde 
appartenait à quel4ues races de tyrans , comme les déserts de 
l'Afrique aux tigres et aux serpens : nous l'avons restitué au 
genre humain. 

» Peuples y si vous n'avez pas la force de reprendre votre 
part de ce commun héritage , s'il ne vous est pas donné de 
faire valoir les titres que nous vous avons rendus , gardez-Tous 
du moins de violer nos droits ou de calomnier notre cou** 
rage! 

M Les Français ne sont point atteints de la manie de rendre 
aucune nation heureuse et libre i;nalgré elle; tous les rois 
auraient pu végéter eu mourir impunis sur leurs trônes ensan-' 
glantés s'ils avaient su respecter l'indépendance du peuple 
français : nous ne voulons que vous éclairer sur leurs impu-' 
dentés calomnies. 

>• Vos maîtres vous disent que la nation française a proscrit 
toutes les religions , qu'elle a substitué le culte de quelques 
hommes à celui de la Divinité ; ils nous peignent à vos yeux 
comme un peuple idolâtre ou insensé* Ils mentent : le peuple 
français et ses représentans respectent la liberté de tous les 
cultes, et n'en proscrivent aucun; ils honorent la vertu des 
martyrs de l'humanité sans engouement et sans idolâtrie ; ils 
abhorrent l'intolérance et la persécution , de quelque prétexte 
qu'elles se couvrent; ils condamnent les extravagances du phi- 
losophisme y comme les folies de la superstition , et comme les 
crimes du fanatisme. Vos tyrans nous imputent quelques irré<* 
gularités , inséparables des mouvemens oragenx d'une grande 
révolution : ils nous imputent les effets de leurs propres intri- 
gues, et les attentats de leurs émissaires. Tout ce que la révo«> 
lutiou française a produit de sage et de sublime est Toavrage 
du peuple; tout ce qui porte un caractère différent appartient 
à noâ ennemis. 

» Tous les hommes raisonnables et magnanimes sont du 
parti de la République ; tous les êtres perfides et corrompus 
sont de la faction de vos tyrans. Galomnie-t*on l'astre qui 
anime la nature pour des nuages légers qui glissent sur soa 



( a47 ) 
iîstfue éclatant T'-L'aiiguste liberté perd-elle ses charmes divins 
parce que les vils agens de la tyrannie cherchent à la profaner? 
Yos* nialkears> et le» itotres sont les crimes des ennemis com- 
muns de l'bumanké. Est-ce pour vous une raison de nous haïr? 
Non i c'est une raison de les punir. 

» Le» lâches osent vous- dénoncer les fondateurs de la Répu- 
blique française. Les Tarquins modernes ont ose dire que le 
sénat de Rome était une assemblée de brigands : les valets 
znêmes de Porsenna traiteraient Scévola d'insensé. Suivant les 
manifestes deXercès, Aristide a pillé le trésor de la Grèce. 
Les main» pleine» de rapines , et teintes du sang des Romains , 
Octave et Antoine ordonnent à toute la terre de les croire seuls 
elémens, seul» juste» et seuls vertueux. Tibère et Séjan ne 
voient dans Brutus et Cassius que des hommes de sang , et 
même des fripons. 

» Françai» , homme» de tou» le» pays , c'est vous qu'on ou- 
trage en insultant à la liberté dans la personne de vos repré— 
•entans on de vos défenseurs l 

» On a reproché à plusieurs membres de la Convention des 
faiblesses } à d'autres des crimes. 

» £h r qu'a de comnmn avec tout cela le peuple français ? 
Qu'a de commun la représentation nationale , si ce n'est la 
force qu'elle imprime aux faible» , et la peine qu'elle inflige 
aux coupables? Toutes les armées des tyrans de l'Europe 
repoussées , naalgré cinq années de trahisons ^ de conspirations 
et de discordes intestines ; l'échafaud des représentans infidèles 
élevé à cÀté de celui du dernier de nos tyrans ; les tables immor- 
telles oii la main dfs représentans du peuple grava au milieu des 
orages le pacte social de» Français ; tou» les hommes égaux 
devant la loi , tous les grands coupables tremblans devant la 
justice ; l'innocence sans appui étonnée de trouver enfin un asile 
dans les tribunaux ; l'amour de la patrie triomphant malgré 
tous les vices des esclaves , malgré toute la perfidie de nos enne- 
mis ; le peuple , énergique et sage , redoutable et juste , se ral- 
liant à la voix de la raison , et apprenant à distinguer ses enne- 
mis sous le masque même du patriotisme ; le peuple français 
courant aux armes pour défendre le magnifique ouvrage de 
ion courage et de sa vertu , voilà Texpiation que nous offironjfc 



au monde et pour nos propres erreurs et pour les crimes de nos 
ennemis. 

» S'il le faut nous pouvons encore lui présenter d'autres 
titres ; notre sang aussi a coule pour la. patrie ! La Convention 
nationale peut montrer aux amis et aux ennemis de la France 
d'honorables cicatrices et de glorieuses mutilations. Ici deux 
illustres adversaires àç la tyrannie sont tombés à ses yeux sous 
les coups d'une faction parricide : là un digne «mule de leur 
vertu républicaine , renfermé dans une ville assiégée , a osé 
former la résolution généreuse de se faire avec quelques com^ 
pagnons un- passage au travers des phalanges ennemies ; noble 
victime d'une odieuse trahison , il tombe entre les mains des 
satellites de l'Autriche , et il expie dans de longs tourmens son 
dévouement sublime à la cause de la liberté : .d'autres repré- 
sentans pénètrent au travers des contrées rebelles du midi , 
échappent avec peine à la fureur des traîtres y sauvent l'armée 
française, livrée par des chefs perfides, et reportent la ter- 
reur et la fuite aux satellites des tyrans de l'Autriche, de l'Es- 
pagne et du Piémont : dans cette ville exécrable, l'opprobre 
du nom français, Baille et Bcauvais, rassasiés des outrages de 
la tyrannie , sont morts pour la patrie et pour ses saintes lois ; de- 
vant les murs de cette cité sacrilège Gasparin, dirigeant la foudre 
qui devait la punir , Gasparin , enflammant la valeur républi^ 
caîne de nos guerriers , a péri victime de son courage et de la 
scélératesse du plus lâche de tous nos ennemis. Le nord et le 
midi , les Alpes et les Pyrénées , le Rhône et l'Escaut , le 
Rhin et la Loire , la Moselle et la Sambre ont vu nos batail- 
lons républicains se rallier, à la voix des représentans du peu- 
ple , sous les drapeaux de la liberté et de la victoire : les uns 
ont péri , les autres ont triomphé. 

» La Convention tout entière a affronté la mort , et bravé la 
fureur de tous les tyrans. 

» Illustres défenseurs de la cause des rois, princes, ministres, 
généraux , courtisans , citez^nous vos vertus civiques ; raconlei- 
nous les importans services que vous avez rendus.à l'humanité; 
parlez-nous des forteresses conquises par la force de vos gui- 
nées; vantez-nous le talent, de vos émissaires, et la prompti- 
tude de vos soldats à fuir devant les défenseurs de la Républi- 



,( 249 ) 

^ue ; vanteas-nous votre noble mépris pour le droit des gens et 
pour l'humanité , nos prisonniers égorgés de sang froid , nos 
femmes mutilées par vos janissaires , les enfans massacrés sur 
le sein de leurs mères , et la dent meurtrière des tigres autri- 
chiens déchirant leurs membres palpitans ; vantez-nous vos 
exploits d'Amérique , de Gênes et de Toulon ; vantez-nous 
surtout votre suprême habileté dans l'art des empoisonnemens 
et des assassinats.... Tyrans , voilà vos vertus ! 

» Sublime parlement de la Grande-Bretagne , citez-nous 
vos héros. Vous avez un parti de l'opposition. Chez vous le 
patriotisme s* oppose; donc le despotisme triomphe : la mino- 
rité s'oppose; la majorité est donc corrompue. Peuple insolent 
et vil, ta prétendue représentation est vénale sous tes yeux et de 
ton aveu! Tu adoptes toi-même leur maxime favorite , que les 
talens de tes députés sont un objet d'industrie y comme la 
laine de tes moutons et l'acier de tes fabriques,,.. Et tu 
oserais parler de morale et de liberté! 

» Quel est donc cet étrange privilège de déraisonner sans 
mesure et sans pudeur , que la patience stupide des peuples 
semble accorder aux tyrans ! Quoi ! ces petits hommes , dont 
le principal mérite consiste à connaître le tarif des consciences 
britanniques , qui s'efforcent de transplanter en France les 
vices et la corruption de leur pays , qui font la guerre non 
avec des armes , mais avec des crimes , osent accuser la Con- 
vention nationale de corruption, et insulter aux vertus du 
peuple français ! 

» Peuple généreux ^ nous jurons par toi-même que tu seras 
vengé ! Avant de nous faire la guerre nous exterminerons tous 
nos ennemis ; la maison d'Autriche périra plutôt que la France ; 
Londres sera libre avant que Paris redevienne esclave ! Les 
destinées de la République et celles des tyrans de la terre ont 
été pesées dans les balances étemelles : les tyrans ont été 
trouvés plus légers. Français , oublions nos querelles , et 
marchons aux tyrans ! Domptons-les , vous par vos armes , et 
nous par nos lois ! 

» Que les traîtres tremblent! que le dernier des lâches émis- 
saires de nos ennemis disparaisse ! que le patriotisme triomphe^ 
et que l'innocence se rassure ! Français, combattez ! Votre cause 



( 25o ) 

est sainte, vos courages sont invincibles. Yosreprésentanssayent 
mourir : ils peuvent faire plus ; ils savent vaincre. » 

A cette exposition géneVale des principes de la Conven- 
tion nationale il avait d'abord paru nécessaire de joindre, 
pour le peuple français , une de'claration relative au mou- 
vement qui s'était opéré dans les opinions religieuses , et 
aux excès qui en étaient la suite ; mais une telle démarche 
présentait trop d'écueils , et la coaKtion était là qui épiait 
le législateur pour interpréter ses vues , torturer ses expres- 
sions. 

« Nos ennemis , dît Robespierre , se sont proposé un double 
but en imprimant ce mouvement violent contre le culte catho- 
lique : le premier de recruter la Vendée , d'aliéner les peuples 
de la nation française , et de se servir de la philosophie pour 
détruire la liberté ; le second de troubler la tranquillité de 
l'intérieur , et de donner ainsi plus de force à la coalition de 
nos ennemis. 

» Je pourrais démontrer jusqu'à l'évidence la conspiration 
dont je viens de vous montrer les principales bases, si je vou- 
lais mettre à nu ceux qui en ont été les premiers agens. Je me 
contenterai de vous dire qu'à la tête il y a des émissaires de 
toutes les puissances qui nous font la guerre , qu'il y a des 
ministres protestans . 

» Qu'avez-vous à faire dans ces circonstances? Parler en 
philosophes ? Non ; mais en législateurs politiques , en hommes 
sages et éclairés. Vous devez proléger les patriotes contre leurs 
ennemis , leur indiquer les pièges qu'on leur tend , et vous 
garder d'inquiéter ceux qui auraient été trompés par des insi- 
nuations perfides ; protéger enfin ceux qui veulent un culte qui 
ne trouble pas la société. Vous devez encore empêcher les extra- 
vagances , les folies qui coïncident avec les plans de conspira- 
tion. Il faut corriger les écarts du patriotisme ; mais faites-le 
avec le ménagement qui est dû à des amis de la liberté qui ont 
été un instant égarés. 

» Je demande que vous défendiez aux autorités particuliërct 
de servir nos ennemis par des mesures irréfléchies , et qu'au- 
tunc force armée ne puisse s'immiscer dans ce qui appartient 



( 25l ) 

aux opinions religieuses, sauf dans le cas où elle serait requise 
pour des mesures de police. 

» Enfin je vous propose une mesure digne de la Convention ; 
c'est de rappeler solennellement tous les citoyens à l'intérêt 
public , de les éclairer par vos principes , comme vous les 
animez par votre exemple , et de les engager à mettre de côté 
toutes les disputes dangereuses pour ne s'occuper que du salut 
de la patrie. » 

La proposition de Robespierre fut adoptée , et décrétée en 
ees termes le 1 6 frimaire (6 décembre 1793) : 

La Convention nationale , considérant ce qu'exigent d'elle les prin- 
cipes qu'ell»^ a proclamés au nom du peuple français, et le maintien do 
la trantpiUité publique , décrète : 

Art. !«'. Toutes violences et mesures contraires à la liberté des 
Cultes sont défendues. 

a. La surveillance des autorités constituées et Tactiou de la force 
publique se renfermeront k cet égard, chacune pour ce qui les concerne, 
dans les mesurts de police et de sûreté publique. 

3. La Convention par les dispositions précédentes n'entend déroger 
en aucuoe manière aux lois ni anxi précautions de salut public contre 
les prêirejj r -fractaires ou turbulens , ou contre tous ceux qui tenteraient 
d'abuser du prétexte de la religion pour compromettre la cause de la 
liberté. Elle n^entend pas non plus improuver ce qui a été fait jusqu'^à 
ce jour en vertu des arrêtés des leprésentans du peuple, ni fournir à 
qui que ce soit le prétexte d'inquiéter le patriotisme, et de ralentir 
l'essort de Tesprit public. 

La Convention invite tous les bons citoyens, an nom de la patrie , 
à s'^absteuir de tontes disputes tbéologiques ou étrangères au grand 
intérêt du peuple français, pour concourir de tons leurs moyens au 
triompbe de la République et k la ruine de tous ses ennemis. 

L^adresse en forme de réponse au manifeste des rois ligués contre la 
République, décrétée par la Convention nationale le i5 frimaire , sera 
réimprimée par les ordres des administrations de district, pour être 
répandue et affichée dans Tétendue de chaque district. Elle sera lue, 
lomsi que le présent décret, au plus prochain jour de décadi , dans les 
assemblées de commune et de section par les officiers municipaux ou 
les préÂdens de section. 
) 

Ainsi la multiplicité des ressorts de la politique étrangère 

forcera l'historien à rapprocher les faits les plus incohérens ; 

par exemple y l'abjuration de prêtres apostats, un scandaleux 



( 252 ) 

faommage à la raison , les crimes de quelques individus , la 
folie de quelques autres, enfin une foule de circonstances 
indépendantes de la volonté du peuple français et de la Con- 
vention nationale , mais bien l'ouvrage de cette politique 
ténébreuse , motiveront des pièces diplomatiques , provo- 
queront des guerres , déchaîneront toutes les calamités. 

Ce monstrueux mélange des choses doit nécessairement 
amener une alliance bizarre des noms ; tels ceux de Mirabeau 
et de Marat , compris en un même décret. 

Dans ces jours de violences contre le culte catholique le 
culte de Marat avait repris avec fureur. De nombreuses péti- 
tions , contenant l'expression d'une douleur hypocrite on de 
fanatiques regrets, pressaient le législateur de statuer sur les 
honneurs à rendre à l'ami du peuple. Un représentent de 
bonne foi , un homme de génie égaré va seconder les vues 
des prédicateurs de scandale. 

Le 24 brumaire , David parait à la tribune avec son 
tableau représentant Hfaral assassiné; il en fait une offrande 
à la nation, paie un tribut à la mémoire de la victime, etter* 
mine en votant pour Marat les honneurs du Panthéon (1). 
Cette proposition , vivement applaudie dans les tribunes 
publiques , mais faiblement appuyée par les représentans , est 
néanmoins décrétée sur le champ , la Convention dérogeant 
pour Marat au décret portant que ces honneurs ne seront 
accordés à un citoyen que dix ans après sa mort. 

Granet saisit cette occasion pour rappeler la motion faite 
depuis longtemps de retirer du Panthéon les cendres de Mira- 
beau. {F'oyez tome X, page 289.) Le comité d'instruction 
publique , à qui cette motion avait été renvoyée , est en con- 
séquence chargé d'en faire promptement le rapport, et en 
même temps de rédiger un plan de cérémonie pour l'apo- 
théose de Marat. 

Le comité s'empressa de remplir le premier de ces deux 

points ; il s'affranchit de l'autre avec beaucoup de sagesse. 

♦ 

m 

(i) Le crime de Charlotte Corday devait affliger, indigoer tous le» 
bons citoyens; mais la politique ou le fanatisme pouvaient seuls solli- 
citer 1 ^apothéose de Marat. 



( 253 ) 

l^ar une disposition du décret qu'il fit rendre il laissa les 
portes du Panthéon ouvertes pour Marat ; mais il abandonna 
le soin de l'y conduire à ceux qui l'oseraient, .s (t) ; et aucun 
membre de la Convention ne réclama alors contre cette pru* 
dente réserve. Le comité s'attacha en outre à ne point moti- 
ver la disposition du décret qui appelait Marat parmi les 
grands hommes ; son rapport est exclusivement consacré à 
Mirabeau. Ainsi la morale publique n'eut point à gémir 
d'une indécente apologie , et elle put applaudir à la sentence 
' nationale prononcée contre un grand homme sans vertu. 

Rapport sur Vexclusion de Mirabeau du Panthéon français^ 
fait par Chénier au nom du comité d^instruction publique» 
— Du S frimaire an a. { 25 novembre 1793.J 

« Citoyens , je viens au nom de votre comité d'instmction 
puMique remplir un ministère de rigueur , et m'acquitter du 
devoir pénible que la justice et la patrie m'imposent. Se voir 
force de séparer l'admiration de l'estime , être contraint de 
mépriser les dons les plus éclatans de la nature , c'est un 
tourment , il est vrai , pour toute âme douée de quelque sen- 
sibilité ; mais aussi malheur à l'homme qui , dégradé par la 
corruption , a séparé en lui-même la moralité du génie ! Mal- 
heur à la République qui pourrait conserver les honneurs 
rendus au vice éloquent I Malheur au citoyen qui ne sent pas 
que les talens sans vertu ne sont qu'un brillant fléau ! 

» Je vous ai parlé de génie sans moralité , et de talens sans 
vertu ; c'est bien assez vous désigner , ou plutôt c'est vous 
nommer Mirabeau. Je viens en effet vous entretenir de cet 
homme remarquable , investi longtemps de la confiance du 
peuple,, mais qui, devenant infidèle à la cause sacrée qu^il 
avait défendue avec tant d'énergie , oublia sa gloire pour^sa 
fortune , et ne songea désormais qu'à rétablir le despotisme 
avec les matériaux ccmstitutionnels. 

» Vous vous rappelez tous , citoyens , ces époques mémo- 
morables oii le peuple de Versailles et celui de Paris , entou- 



(1) Ce n'est qu'après le 9 thermidor que le corp» deMarat fut trans- 
féré au Panthéon. 



( ï54 ) 
rant chaque jour l'Assemblée constiluante , suivait toutes ses 
opérations avec une espérance mêlée d'inquiétude, s'informait 
tans cesse des opinious qu'énonçaient ses représentons chéris , 
lisait avidement leurs moindres discours , interrogeait leurs 
regards comme pour y lire ses destinées , et croyait • éjà sa 
liberté affermie quand il reconnaissait de loin les accens de 
leur voix. 

* » AlorsMirabeauétait applaudi, vanté, béni par la uatiou 
entière : on lui avait pardonné les écarts et rinconsidération 
d'une jeunesse fougueuse. Son génie , qui se déveiop]>ait dans 
une carrière digne de lui ; sa popularité, qui s'accroissait tous 
les jours , l'accablaient d'un immense devoir. Comment s'en 
est-il acquitté ? 

» Dans toutes les questions qui intéressaient la nation d'une 
part et le tyran de l'autre , on sait trop que Mirabeau n'em- 
ploya ses grands moyens de tribune qu'à grossir la, ]xirt 
monarchique , à combler de trésors et d'honneurs un privilégié 
qui , seul dans la balance, formait' équilibre avec tout le peu- 
ple , et à consacrer parmi nous les mystères compliqués et le 
monstrueux échafaudage de la prétendue liberté anglaise. 
Cependant lorsque le 2 avril les citoyens, se pressant en foule 
le long de cette grande rue qui ne porte plus le nom de Mira-^ 
beau , revenaient tristement sur leurs ]i>as., et d'une voix som* 
bre et douloureuse s'entredisaient : il n'est plus!... ah! vous 
savez alors , citoyens , quel hommage unanime obtint sa mé- 
moire ! Mort , il eut les honneurs du triomphe. Les sociétés 
populaires , le peuple entier , tout partagea l'enthousiasme des 
regrets qu'avait inspirés aux membres les plus purs de l'Assem- 
blée constituante une mort si peu attendue , si rapide , et qu'on 
Croyait accélérée pat* les vengeances du de.«potisme. Chacnn 
de nous dans ce temps se rappelait rion plus ses opinions anti- 
populaires sur la sanction royale , sur le droit de la paix et 
de la guerre, et sur d'autres questions d'une égale impor^ 
tance, mais ses motions vraiment civiques, animées par son 
éloquence brûlante ; mais les paroles solennelles qu'il avait 
adressées k l'esclave Brezé ; mais les paroles non moins mémo- 
rables qui terminent son beau discours à la nation provençale, 
Iprsque dans les premiers jours de la révolution, «'élevant 



( 255 ) 

«onlre le> patriciens , nouveau Gracchus, il s'écriait : lés pri' 
viléges passeront , mais le peuple est éternel ! 

» Son souvenir serait aujourd'hui sans tache , sa gloire serait 
inattaquable s'il n'avait jamais perdu de vue cette grande idée 
qu'il avait énoncée lui-même ; si , corrompu d'avance par des 
besoins de luxe, séduit par les conseils de l'ambition, entratné 
par la confiance orgueilleuse que lui inspirait les ressources 
de son esprit vaste et puissant , il n'avait pas conçu le projet 
insensé d'être à la fois l'homme de la cour et l'homme du peu- 
ple. Ignorait-il que les rois sont déjà ^leu^és des orateurs 
populaires quand ils ont eu le honteux bonheur de les co^— 
rompre ? Ignorait-il que les rois n'ont jamais hésité à laisser 
briser entre leurs mains ces déplorables instrumens de leur 
despotisme ? 

V' Ainsi le tyran Charles P'', désespérant de vaincre les 
communes par les menaces et par la force, tenta de les affai- 
blir : il flétrit par sa confiance le chef le plus renommé de 
l'opposition ; il le retira du peuple pour l'appeler auprès de 
lui ; il lui remit une partie de son pouvoir , et Thomas 
Wentworth , dévenu comte de Straffiord , porta bientôt sur 
un ccbafaud le regret stérile d'avoir préféré la bassesse des 
cours à la majesté nationale , et les viles faveurs d'un roi au 
trésor inaj^éciable de l'estime du peuple. 

» Ce n'est pas sur des ouï-dire , sur des témoignages qu'il 
serait facile d'accumuler , que vous jugerez Mirabeau, mais 
sur des écrits dont l'authenticité ne peut être contestée, et 
dont vous pèserez l'importance. Ils sont contenus dans le 
recueil des pièces justificatives de l'acte énonciatif des crimes 
de Liouis Capet , premier inventaire. Il paraît que ce fut dans 
le mois de juin 1 790 que la cour conçut le projet de corrom- 
pre Mirabeau, Voici une lettre datée du 29 de ce mois et de 
cette année ; elle est écrite de la main du tyran ; elle est 
adressée au traître Lafayette. Voyez le n** 3 des pièces justi- 
ficatives. 

fc Nous avons une entière confiance en vous ; mais vous êtes 
tellement absorbé par les devoirs de votre place , qui nous 
est si utile, que vous ne pouvez suffire à tout. Il faut donc 
f» se servir d'un homme qui ait du talent, de l'activité^ et qui 



9* 



( 256 ) 

» puisse suppléer à ce que y faute de temps , vous ne pouvez 
M faire. Nous sommes fortement persuades que Mirabeau est 
> celui (pi conviendrait le mieux par sa force et par Thabitude 
M qu'il a de manier les. affaires de F Assemblée. Nous désirons 
* en conséquence , et exigeons du zële de M. Lafayette , qu'il 
M sç prête à se concerter avec Mirabeau sur les objets qui 
w intéressent le bien de l'Etat , celui de mon service et de ma- 
» personne. » 

» C'est dans les premiers jours du mois de mars 1791 que 

' le projet de corruption fut exécuté. Voyez la pièce cotée n* 7; 

elle est datée du 2 mars 179,1 , adressée au tyran, et signée 

Lapone : c'était l'intendant de la liste civile. £n voici le 

précis. 

« Sire, lorsque j'ai rendu compte ce matin à votre majesté 
» de la conversation que j'ai eue hier avec M. Deluchet , je ne 
» croyais pas eoiendre parler aussi promptement de ce que 
» J'avais jugé être le véritable sujet de la visite. Je vous envoie, 
» sire , ce^que je viens de recevoir à deux heures. Les demandes 
» sont bien claires ; M. de Mirabeau veut avoir un revenu 
» assuré pour l'avenir , soit en rentes viagères constituées sur le 
M trésor public , soit en immeubles. S'il était question de Irai- 
M ter ces objets dans ce moment, je proposerais k votre majesté 

tt de donner la préférence à des rentes viagères Votre 

» majesté approuvera -t- elle que je voie M. de Mirabeau? 
» Que me prescrira-t-elle de lui dire? Faudra-t-il le sonder 
» sur ses projets? Quelle assurance de sa conduite devrai -je 
■» lui demander? Que puis-je lui promettre pour le moment, 
. » quelle espérance pour l'avenir ? Si dans cette conduite il est 
» nécessaire de mettre de l'adresse , je crois , sire , qu'il faut 
» encore plus de franchise et de bonne foi : M. de Mirabeau a 
« déjà été trompé ; je suis sûr qu'il disait il y a un an que 
» M. Necker lui avait manqué de parole deux fois. » 

» Dans la pièce cotée n** 2 , et datée du i3 mars , Laportc 
rend compte au tyran du long entretiçn qu'il a eu avec Mira- 
beau. Je ne rapporterai point ici cet entretien très monar- 
chique , et pour ne point abuser du temps de la Convention 
nationale je termine ce dégoûtant extrait par quelques lignes 
de la pièce cotée n** 4 ? et datée du 20 avril 1 79 1 , dix- huit jours 



( ^5^ ) 

aj)res la mort de Mirabeau. Il est dit dans cette pièce, en par- 
lant d'une faction qui s'élève : 

» Elle sait qae votre majesté a répandu de l'argent qui a été 
» partagé entre Mirabeau et quelques autres que l'on m'a 
M nommés. » 

« £n voilà plus qu'il n'en faut pour déterminer le jugement 
delà Convention nationale. Vainement objecterait-on que dans 
toutes ces pièces il n'existe point une ligne écrite de la main de 
Mirabeau lui-même : qu'on pèse les circonstances , l'esprit de 
ceux qui écrivaient , de ceux à qui les écrits étaient adressés , 
l'iatérét qu'ils avaient mutuellement à garder un profond secret 
sur ces mystères ; et , j'ose l'affirmer , il n'est point de juri 
qui ne déclare unanimement que Mirabeau s'était vendu à la 
cour. 

» Cicéron définissait l'orateur un homme de bien^ habile 
dans Vart ^de parler ; et sans doute une définition pareille 
pouvait convenir à cet illustre Romain, dont le cœur et les mains 
étaient pures; qui dans la médiocrité de sa fortune, content 
de l'estime publique et de la sienne, tonnait avec la même 
véhémence contre les déprédations de Verres , et contre les 
mœurs infâmes de Claudius , et contre les fureurs de Catilina ; 
qvi , après avoir sauvé sa patrie , menacée par de hardis cons- 
pirateurs , périt sous le fer des assassins aux gages d'Antoine , 
et fut à la fois le martyr et le modèle de la philosophie , de 
l'éloquence et du patriotisme. Mirabeau, doué d'une partie des 
mêmes talens , suivit une route différente : il n'eut de l'orateur 
que l'éloquence ; il en négligea la partie la plus essentielle , l'in- 
tégrité ; et c'est pour cela qu'exhumé par vous , sortant de son 
tombeau triomphal , il paraît aujourd'hui à votre barre, et vient 
y subir son jugement , le front dépouillé des lauriers de la 
tribune et de la brillante auréole qui dans le Panthéon français 
lui garantissait l'immortalité. 

» Ceux de ses ouvrages qui portent l'empreinte d'un génie 
vigoureux et libre , son Traité sur les lettres de cachet , le 
livre adressé aux Bataves sur le stathouderat , celui qu'il 
composa sur V ordre de Cincinnatus resteront , parce qu'ils 
peuvent éclairer les hommes ; ils resteront pour former à jamais 
un humiliant contraste entre sa conduite et ses pensées , entre 

XIII. !>] ' 



C 258 ) 

rhomme et ses écrits : la postérité le divisera , pour ainsi dire. 
C'est ainsi qa'en lisant Bacon , génie encore plus sublime et 
plus étendu , elle sépare le fonctionnaire public infidèle et le 
grand penseur ; elle voit avec surprise , avec indignation , avec 
douleur , que Thomiue qui avait reculé les frontières de l'esprit 
humain , qui avait embrassé le système entier des connaissances 
positives , et presque deviné les sciences futures , ne connaissait 
pas cette morale usuelle qui fait les hommes irréprochables ; 
qu'après tant d'études et de ^avaux il semblait ignorer encore 
qu'il ne peut jamais être utile d'abandonner la vertu , et que le 
véritable intérêt d'un individu , dans quelque position qu'il se 
trouve , est de faire ce qui est juste , et conforme à l'intérêt de 
tous. 

» Citoyens , vous allez prononcer. Votre comité d'instruc- 
tion publique a cru devoir peser sans colère , mais sans indul- 
gence , les talens et les vices de Mirabeau , les travaux civiques 
qui l'ont illustré et les délits qui l'ont flétri. Représentans d'un 
grand peuple , écoutez sa voix ; soyez grands et forts comme lui. 
Représentans de la postérité , devancez son arrêt; soyez justes 
et sévères comme elle. Les éloges mêmes que nous accordons au 
génie de Mirabeau ne rendront que plus solennel et plus ter- 
rible l'exemple que vous allez donner. Votre comité vous pro- 
pose d'exclure Mirabeau du Panthéon français , aûo^ d'inspirer 
une terreur salutaire aux ambitieux et aux hommes vils dont la 
conscience est à prix , afin que tout législateur , tout fonctionr 
naire public , tout citoyen sente la nécessité de s'unir étroite- 
ment , uniquement au peuple , et se persuade qu'il n'existe de 
liberté , de vertu , de bonheur , de gloire solide que par le 
peuple et avec lui. » 

SECRET. [Adopté dans la même séance.) 

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité 
d'instruction publique, considérant qu^il n^est point de grand homme 
Bans vertu , décrète : 

Art. i*'". Le corps d'Honoré-G^bricl Ricjuetti-Mîrabeaa sera retiré 
du Panthéon français. 

a. Le même jour que le corps de Mirabeau sera retiré du PanthcoB 
Français celui de Marat y sera transféré. 



( aSg ) 
. - Tout ce quî précède a pu faire connaître la situation 
morale de la République à la fin de 1 793. Agitation , désordre 
dans les esprits ; appel au fanatisme pour recruter des Ven- 
déens ; calomnies multipliées contre le peuple français afin 
de lui ravir l'estime des autres peuples ; enfin , par tous les 
moyens de corruption et de perfidie , la coalition marchait à 
son but. Mais elle viendra s'y briser. La profonde sagesse de 
la Convention nationale , qui par quelques sacrifices aux cir- 
constances entretenait le mouvement révolutiormaire, met- 
tait à profit les erreurs mêmes du peuple , et conservait son 
affection, trompait tous les calculs de la politique étrangère; 
et le peuple de son côté , donnant à l'univers l'exemple du 
plus infatigable courage , du dévouement le plus sublime , se 
faisant une héroïque habitude de toutes les privations , ne 
demandant que du fer , se montrait menaçant dans quatorze 
armées qui soutenaient les droits de la République et l'hon- 
neur du pavillon tricolor. Un siège de trois mois avait rendu 
Toulon à la France. 

La CoNVENTiopr nationale aux armées , adresse rédigée par 
Barrëre. — Du 4 nivôse an 2 de la République, ( 24 dé-" 
cembre 1793. ) 

<i Les armes de la République sont encore une fois triom- 
phantes ! Toulon , qui s'était lâchement vendu aux Anglais , 
vient d'être repris sur eux par une armée qui a reconquis 
cette ville rebelle à la pointe de la baïonnette , et suppléé par 
sa bravoure à l'insuffisance du nombre. 

» Soldats de la République, voilà l'exemple que vous 
offrent vos frères d'armes ! Permettrez-vous que les satellites 
des tyrans souillent plus longtemps le sol de l'égalité ? La 
victoire n'est-elle pas toujours le prix de votre, courage ? 
Frappez donc ! Exterminez donc de vils esclaves , qui ont cons- 
tamment pris la fuite quand les enfans de la liberté ont voulu 
se miesurer avec eux! 

» Déjà le lâche Anglais , battu sous les murs de Dunkcrque 
et chassé de Toulon, est terrassé pour jamais! Les brigands 
de la Vendée, trois fois taillés en pièces depuis quinze jours , 
se trouvent cernés de toute part. 



M Au Rhin de nouveaux ayantages ont en partie réparé lei 
résultats d'anciennes trahisons , qui ne laissent plus que Lan- 
dau à secourir. 

» Au nord Maubeuge est délivrée. 

M Soldats de la patrie , tant d'efforts et de succès sont votre 
ouvrage depuis trois mois ; qu'attendez-vous pour terminer 
la campagne de la liberté par la ruine entière des tyrans? Sai- 
sissez cette arme si terrible pour eux ; que , la baïonnette dans 
les reins , ils soif^nt forcés de courir cacher leur honte dans leurs 
repaires I Et la France , délivrée de ses ennemis, vous devra 
à la fois le bonheur que lui promet l'affermissement de la liberté , 
et la gloire d'avoir triomphé de toutes les forces de l'Euroge 
coalisée ! » 



FIN DU UVRB PREXIEX. 



(2i6i ) 



LIVRE IL 

LÉGISLATION CONSTITUTIONNELLE. 



INSTRUCTION PUBLIQUE* 

( Les deux premières Assemblées , en laissant k la Con- 
vention nationale le soin de statuer sur l'instruction publi- 
que j lui avaient aussi légué le fruit de leurs méditations 
sur cette branche si importante de la législation. ( Voyez 
tome y le rapport lu par Talleyrand à l'Assemblée consti- 
tuante. ) Dans le prochain volume nous reprendrons l'ordre 
des discussions successivement établies sur les bases posées 
dans les divers plans qui ont mérité de fixer l'attention du 
législateur. ) 

Rapport sur V organisation générale de V instruction publique y 

Jait à r Assemblée législative par Condorcet , le 20 am/ 

1 792 ; réimprimé par ordre de la Com^ention nationale. 

« Messieurs , offrir à tous les individus de l'espèce humaine 
les mojens de pourvoir à leurs besoins , d'assurer leur bien- 
être , de connaître et d'exercer leurs droits , d'entendre et de 
remplir leurs devoirs; 

» Assurer à chacun d'eux la facilité de perfectionner son 
industrie, de serendre capable des fonctions sociales auxquelles 
il a droit d'être appelé, de développer toute l'étendue des talens 
qu'il a reçus de la nature , et par là établir entre les citoyens 
une égalité de fait, et rendre réelle l'égalité politique reconnue 
par la loi ; 

» Tel doit être le premier but d'une instruction nationale , 
et sous ce point de vue elle est pour la puissance publique un 
devoir de justice. 

« Diriger l'enseignement de manière que la perfection des- 



( 262 ) 

arts augmente les jouissances de la 'général île' des citoyens, et 
l'aisance de ceux qui les cultivent; qu'un plus grand nombre 
d'hommes devienne capable de bien remplir les fonctions néces- 
saires à la société , et que les progrès toujours crois sans des 
lumières ouvrent une source inépuisable de secours dans nos 
besoins , de remèdes dans nos maux , de moyens de bonheur 
individuel et de prospérité commune ; 

» Cultiver enfin dans chaque génération les facultés phy- 
siques , intellectuelles et morales , et par là contribuer à ce 
perfectionnement général et graduel de l'espèce humaine , der- 
nier but vers lequel toute institution sociale doit être dirigée ; 

» Tel doit être encore l'objet de l'instruction , et c'est pour 
la puissance publique un devoir imposé par l'intérêt commua 
de la société , par celui de l'humanité entière. 

w Mais en considérant sous ce double point de vue la tache 
immense qui nous a été imposée , nous avons senti dès nos pre- 
miers pas qu'il existait une portion du système général de 
l'iostruclion qu'il était possible d'en détacher sans nuire à l'en- 
semble, et qu'il était nécessaire d'en séparer pour accélérer la 
réalisation du nouveau système ; c'est la distribution et l'or- 
ganisation générale des établissemens d'enseignement public. 

» En effet, quelles que soient les opinions sur l'étendue 
précise de chaque degré d'instruction , sur la manière d'en- 
seigner, sur le plus ou moins d'autorité conservée aux parens 
ou cédée aux maîtres, sur la réunion des élèves dans des 
pen^onnats établis par l'autorité publique , sur les moyens 
d'unir à l'instruction proprement dite le développement des 
facultés physiques et morales , l'organisation peut être la 
même; et d'un autre côté la nécessité de désigner les lieux 
d'établissement, de faire composer les livres élémentaires long'* 
temps avant que ces établissemens puissent être bits en activité , 
obligeaient à presser la décision de la loi sur cette portion du 
travail qui nous est confiée. 

» Nous avons pensé que dans ce plan d'organisation générale 
notre premier soin devait être de rendre d'un coté l'éducation 
aussi égale, aussi universelle, de l'autre aussi complète que les 
circonstances pouvaient le permettre ; qu'il falkitdonner à tous 
également l'instruction qu'il est possible d'é tendre sur tous, mais 



jie refuser à aucune portion des citoyens l'instruction plus élevée 
qu'il est impossible de faire partager à la masse entière des 
individus; établir l'une parce qu'elle est utile à ceui^ qui la 
reçoivent, etTai^tre parce qu'elle l'est à ceux mêmes qui pe la 
reçoivent pas. 

-> La première condition de toute instruction étant de n'en- 
seigner que des vérités^ les établissemons que la puissance 
publique y consacre doivent cire aussi indépeqdans qu'il est 
possible de toute autorité politique, et comme néanmoins 
cette indépendance ne peut être absolue, il résulte du même 
principe qu'il faut ne les rendre dépendons que de l'Assemblée 
des représentans du peuple , parce que de tous les pouvoirs il 
est le moins corruptible , le plus éloigné d'être entraîné par 
des intérêts particuliers , le plus soumis à l'influence de l'opi- 
nion générale des hommes éclairés , et surtout parce qu'étant 
celui de qui émanent essentiellement tous les changcmcns, il est 
dès lors le moins ennemi du progrès des lumières , le moins 
opposé aux améliorations que ce progrès doit amener. 

» Nous avons observé enfin que l'instruction ne devait pas 
abandonner les individus au moment oii ils sortent des écoles , 
qu'elle devait embrasser tous les âges , qu'il n'y en avait aucun 
où il ne fût utile et possible d'apprendre, et que cette seconde 
instruction est d'autant plus nécessaire que celle de l'enfance a 
été resserrée dans des bornes plus étroites. C'est là même une 
des causes principales de l'ignorance oii les classes pauvres de 
la société sont aujourd'hui plongées : la possibilité de recevoir 
une première instruction leur nianquait encore moins que celle 
à' en conserver les avantages» 

» Nous n'avons pas voulu qu'un seul homme dans l'empire 
put dire désormais : La loi m'assurait une entière égalité de 
Uroits ; mais on me refuse les moyens de les connaître. Je 
ne dois dépendre que de la loi; mais mon ignorance me 
rend dépendant de tout ce qui m^entoure. On m'a bien 
appris dans mon enfance ce que f avais besoin de sa^^oir ; 
mais y forcé de tras^ailler pour i^ii^re^ ces premières notions 
se sont bientôt effacées , et Une m'en reste que la douleur 
de sentir dans mon ignorance non la volonté de la nature, 
mais Vinjustice de la sociétés 



(264) 

Il Nous avons cru que la puissance publique devait dire atrz 
citoyens pauvres ; La fortune de vos parens rCa pu vous pro^ 
curer que les connaissances les plus indispensables ; mais 
on vous assure des moyens Jaciles de les conserver et de les 
étendre. Si la nature vous a donné des talens vous pourrez 
lés déi^elopperj et ils ne seront perdus ni pour vous ni pour 
la patrie. 

M Ainsi l'instruction doit être universelle , c'est à dire 
s'étendre à tous les citoyens. Elle doit être répartie avec toute 
l'égalité que permettent les limites nécessaires de la dépense , 
la distribution des hommes sur le territoire , et le temps plus 
ou moins long que les enfans peuvent y consacrer. Elle doit 
dans ses divers degrés embrasser le système entier des con- 
naissances humaines , et assurer aux hommes dans tous les âges 
de la vie la facilité de conserver leurs connaissances , ou d'en 
acquérir de nouvelles. 

» Enfin , aucun pouvoir public ne doit avoir ni l'autorité ni 
même le Crédit d'empêcher le développement des vérités nou- 
velles , l'enseignement des théories contraires à sa politique 
particulière ou à ses intérêts momentanés. 

» Tels ont été les principes qui nous ont guidés dans notre 
travail. 

» Nous avons distingué cinq degrés d'instruction , sous le 
nom 1° d'écoles primaires, 2? d'écoles secondaires, 3* d'insli- 
tuts , 4^ de lycées , 5" de société nationale des sciences et des 
arts. 

» On enseigne dans les écoles primaires ce qui est nécessaire 
à chaque individu pour se conduire lui-même et jouir de la 
plénitude de ses droits. Cette instruction suffira même à ceux 
qui profiteront des leçons destinées aux hommes pour les 
rendre capables des fonctions publiques les plus simples, 
auxquelles il est bon que tout citoyen puisse être appelé, 
comme celles de juré, d'officier municipal. 

» Toute collection de maisons renfermant quatre cents 
habitons aura une école et un maître. 

M Comme il ne serait pas juste que dans les départemens 
oii les habitations sout dispersées ou réunies par groupe^ pins 
petits le peuple n'obtînt pas désavantages égaux, on placera 



( 265 ) 

une école primaire clans tous les arroadissemeos oii se trouve* 
ront des villages éloignés de plus de mille toises d'un endroit 
qui renferme quatre cents habîtans. On enseignera dans ces 
écoles à lire , à écrire , ce qui suppose nécessairement quelques 
notions grammaticales; ou y joindra les règles de l'arithmétique, 
des méthodes simples de mesurer exactement un terrain , de 
toiser un édifice ; une description élémentaire des productions 
du pays , des procédés de l'agriculture et des arts ; le dévelop- 
pement des premières idées morales , et des règles de conduite 
qui en dérivent ; enfin ceux des principes de l'ordre social qu'on' 
peut mettre à la portée de l'enfance. 

n Ces diverses instructions seront distribuées en quatre cours , 
dont chacun doit occuper une année les enfans d'une capacité 
commune. Ce terme de quatre ans, qui permet une division 
commode pour une école oii l'on ne peut placer qu'un seul 
maître , répond aussi assez exactement à l'espace de temps qui , 
pour les enfans des familles les plus pauvres , s'écoule entre 
l'époque oii ils commencent à être capables d'apprendre et 
celle oii ils peuvent être employés à un travail utile , assujétis 
à un apprentissage régulier. 

» Chaque dimanche l'instituteur ouvrira une conférence 
publique , à laquelle assisteront les citoyens de tous les âges : 
nous avons vu dans cette institution un moyende donner aux 
jeunes gens celles des connaissances nécessaires qui n'ont pu 
cependant faire partie de leur première éducation. On y déve- 
loppera les principes et les règles de la morale avec plus d'éten- 
due, ainsi que cette partie des lois nationales dont l'ignorance 
empêcherait un citoyen de connaître ses droits et de les exercer. 

» Ainsi dans ces écoles les vérités premières de la science 
sociale précéderont leurs applications. Ni la Constitution franr 
çaise ni même la Déclaration des Droits ne seront présentées à 
aucune classe des citoyens comme des tables descendues du 
ciel , qu'il faut adorer et croire ; leur enthousiasme ne sera 
point fondé sur les préjugés, sur les habitudes de l'enfance, et 
on pourra leur dire : cette Déclaration des Droits^ qui vous 
apprend à la fois ce que vous devez h la société et ce que 
'VOUS êtes en droit d'exiger d'elle ^ cette Constitution , que 
vous des^ez mainteràr aux dépens de votre vie , ne sont que 



( 266 ) 

développement de ces principes simples , dictés parla nature 
et par la raison, dont vous avez , appris dans vos premières 
années à reconnaître Véternclle vérité. Tant qu'il y aura des 
hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule , qui recevront 
leurs opinions d'une opinion étrangère , en vain toutes les 
chaînes auraient été brisées , en vain ces opinions de commande 
seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas 
moins partagé en deux classes , celle des hommes qui rai- 
sonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et 
celle des esclaves. 

» En continuant ainsi l'instruction pendant toute la durée 
de la vie on empêchera les connaissances acquises dans les 
c'cojes de s'effacer trop promptement de la mémoire ; on entre- 
tiendra dans les esprits une activité utile ; on instruira le 
peuple des lois nouvelles , des observations d'agriculture , des 
méthodes économiques qu'il lui importe de ne pas ignorer ; on 
pourra lui montrer enfin l'art de s'instruire par soi-mênie, 
comme à chercher des mots dans un dictionnaire , à se servir 
de la table d'un livre , à suivre sur une carte , sur un plan , sur 
un dessin , des narrations ou des descriptions , à faire des notes 
ou des extraits. Ces moyens d'apprendre, que dans une éducation 
plus étendue on acquiert par la seule habitude , doivent être 
directement enseignés dans une instruction bornée à un temps 
plus court , et à vm petit nombre de leçons. 

» Nous n'avons ici parlé , soit pour les enfans , soit pour les 
hommes , que de l'enseignement direct , parce que c'est le seul 
dont il soit nécessaire de connaître la marche, la distribution , 
l'étendue , avant de déterminer l'organisation des établissemens 
d'instruction publique. D'autres moyens seront l'objet d'une 
autre partie de notre travail. 

>» Ainsi , par exemple , les fêtes nationales , en rappelant aux 
liabitans des campagnes , aux citoyens des villes , les époques 
glorieuses de la liberté, en consacrant la mémoire des hommes 
dont les vertus ont honoré leur séjour, en célébrant les actions 
de dévouement ou de courage dont il a été le théâtre , leur 
' apprendront à' chérir les devoirs qu'on leur aura fait connaître. 
D'un autre côté , dans la discipline intérieure des écoles , on 
prendra soin d'instruire les enfans à êlre bons et justes j on leur 



- ( 267 ) 

fera pratiquer les uns à l'égard des autres les principes quW 
leur aura enseignés ; et par là , en même temps qu'on leur fera 
prendre l'habitude d'y conformer leur conduite , ils appren-* 
dront à les mieux entendre , à en sentir plus fortement l'utilité 
et la justice (i). On fera composer, soit pour les hommes , soit 
même pour les enfuns , des livres faits pour eux , qu'ils pour— 
raient lire sans fatigue, et qu'un intérêt, soit d'utilité prochaine, 
soit de plaisir, les engagerait à se procurer. Placez à côté des 
hommes les plus simples une instruction agréable et facile , 
surtout une instruction utile , et ils en profiteront. Ce sont les 
difficultés rebutantes de la plupart des études , c'est la vauité 
de celles à qui le préjugé avait fait donner la préférence qui 
éloignait les hommes de l'instruction. 

» La gymnastique ne sera point oubliée ; mais on aura soin 
d'en diriger les exercices de manière à développer toutes les 
forces avec égalité , à détruire les effets des habitudes forcées 
que donnent les diverses espèces de travaux. 

M Si l'on reproche à ce plan de renfermer une instruction 
trop étendue , nous pourrons répondre qu'avec des livres élé- 
mentaires bien faits et destinés à être mis entre les mains des 
enfans , avec le soin de donner aux maîtres des ouvroges com- 
posés pour eux , oii ils puissent s'instruire de la manière de 
développer les principes , de se proportionner à l'intelligence 
des élèves, de leur rendre le travail plus facile , on n'aura point 



(1) « 11 serait trts facile dans les écoles, dans les jeux du gymnase, 
dans les fêtes, d'exercer les enfans à la pratique des sentimens les plus 
nécessaires à fortifier dans leur âme, tels que la justice, l'amour de 
Fégalité , TindulgcTice , rhumnnitc, l'élévation d'haine. 

» On peut même les familiariî5or avec quelques unes des fonctions 
sociales , comme les élections , Tordre d^unc assemblée , etc. 

» Mais il faut éviter qu'ils ne voient dans ces formes un rôle qu'on 
leur doTine à jouer , et qu'on ne leur fasse contracter ou l'habitude de 
l'hypocrisie extérieure , ou un caractère de prdautfrie. 

» Comme les enfans n'ont que des intérêts ir^s peu compliqués et 
Ses occupations très simples, ils observent beaucoup tout ce qui les 
etitoiire, sont Irrs difficiles a tromper; et s^ils s'aperçoivent une fois 
qii''on se moque d'eux en leur faisant faire sérieusement une bagatelle , 
ils le rendent au maître avec usure. 

» D'aillcursune plaisanterie qui s'est une fois présentée à un cnfanlgai 
et malin se perpétue dans rétablissement de génération en génération , 
et suffit pour rendre ridicule aux yeux des élèves une institution qui, 
suivie de bonne foi, aurait été très utile » ^JVote du rapporteur.) 



( 268 ) 
à crdindre que retendue de cet enseignement excède les bornei 
de la capacité ordinaire des enfans. Il existe d'ailleurs àeê 
moyens de simplifier les méthodes , de mettre les vérités à la 
portée des esprits les moins exercés ; et c'est d'après la connais- 
sance de ces moyens , d'après l'expérience qu'a été tracé le ta- 
bleau des connaissances élémentaires qu'il était nécessaire de 
présenter à tous les hommes, qu'il leur était possible d'acquérir. 
» On pourrait aussi nous reprocher d'avoir au contraire 
trop resserré les limites de l'instruction destinée à la généralité 
des citoyens ; mais la nécessité de se contenter d'un seul maître 
pour chaque établissement , celle de placer les écoles auprès des 
enfans , le petit nombre d'années que ceux des familles pauvres 
peuvent donner à Tétude , nous ont forcés de resserrer cette 
première instruction dans des bornes étroites ; et il sera facile 
de les reculer lorsque l'amélioration de l'état du peuple , la 
distribution plus égale des fortunes , suite nécessaire des bannes 
lois , les progrès des méthodes d'enseignement en auront amené 
le moment ; lorsqu'enfin la diminution de la dette et celle des 
dépenses superflues permettra dé consacrer à des emplois 
vraiment utiles une plus forte portion des revenus publics (i). 



(0 « Les senlimfDS nalarela » tels que la compassion, la hitnfai- 
sance , Tainitié pour. lefl ]^areDB. pour les frères, pour les compaguoos 
de leurs amusemens , la reconnaissaDce , se développent de bonue lieure 
dans les enfans. L^habi^ude de ces sentimens conduit aiix iJées moralt s, 
et de la combinaison de ces idées naissent les préceptes auxqi.els 
nous soumettons notre conduite pour notre intérêt, et surtout porr 
celui de ne pas éprouver une peine intériture qui en suit néct^ssair.- 
ment la violation. 

» Tel est l'ordre de la nature , qu^il est facile de suivre d;«ns Vins- 
truntion. De courtes histoires se^Tiraient à développer , « diriger \r$ 
sentimens moraux , à les fortifier par Pattention. Uih- aralise des idcts 
morales les plus simples viendrait ensuite, et Ton n''auraii besoin ni dVo- 
scigner ni de prouver les préceptes, mais seulement He les taire retuar- 
qufr, parce qu''ils se trouveront d'avance dans Tesprit des enfans a\e€ 
le sentiment qui en garantit l'observation. 

1) Lorsque Topération sur les mesures sera tern înée , et toutes les 
quantités soumises à la division décimale, la conoaissance des quatre 
règles stmples, avec deux ou trois principes du calcul des fraci ions 
décimales , suffiront pour toutes les opérations arithmétiques néces- 
saires dans la vie civile. 

» 11 est utile k tout homme de pouvoir mesurer une distance , arpenter 
un champ , toiser un mur , évaluer le travail d''un fossé , d'un transi^ori 
de terre; mais Tindividu qui ne fait ces opérations que pour lui-mcnie, 
et non pas pour autrui^ n*a besoin de connaitre ni les méthodes les pins 



1 



(269) 

» Les écoles secondaires sont destinées aux enfans dont les 
familles peuvent se passer plus longtemps de leur travail , et 
consacrer à leur éducation un plus grand nombre d'années , ou 
même quelques avances. 

» Chaque district , et de plus chaque ville de quatre mille 
habitans , aura une de ces écoles secondaires. Une combinaison 
analogue à celle dont nous avons parlé pour les écoles primaires 
assure qu'il n'y aura point d'inégalité dans la distribution de 
ces établissemens : l'enseignement sera le même dans tous ; 
mais ils auront un , deux , trois instituteurs , suivant le nom- 
bre d'élèves qu'on peut supposer devoir s'y rendre. 



•impies , ni les moyens d^éviter les très petites erreurs. Dès lors il n^a 
besoin pour acquérir ces connaissances que de proposiiions de ^'co- 
métrie très élémentaires , et qui se démontrent pour ainsi dire à la 
simple yue. 

» Il en est de même de* cette partie de la théorie des machines sim- 
ples , qui ptut être d^une utilité générale. 

» En supposant que les enfans ne sentissent pas ou ne retinssent pas 
la démonstration rigoureuse , il sivftit pour l'usage quHU' entendent ]« 
proposition, et qu^ils la retiennent comme un fait qu^ns peuvent vérifier 
par leurs yeux. 

» Personne ne niera sans doute la facilité et Tutilité d^enseigner à 
connaître les plantes communes les plus utiles ou les plus nuisil^lrs, les 
animaux du pays, les terres, les pierres quM renferme, enfin da 
donner quelques principes simples d'^agriculture et de jardinage. 

» Des notions élémentaires de physique sont nécessaires^ ne fût- ce 
que pour préserv* r des sorciers et des fabricateurs ou raconteurs de 
miracles. Je voudrais même que les maîtres en fissent de temps en temps 
quelques-uns dans les leçons hebdomadaires et publiques : un canard 
a0 verre qui yicnt chercher le morceau de pain qu on lui présmte 
. avec un couteau , la réponse à une question que Ton fait trouver dans 
un livre tout blanc, le fen qui se montre au bout d^une pique, le 
bûcher qui s'nllume en arrosant la victime , le sang qui se liquéfie , 
les miracles d'*Elie ou de saint Janvier , et mille antres de cette espèce 
se seraient ni coûteux ni difficiles à répéter. 

» Ce moyen de détruire la superstition est un des plus simples et 
des pins efficaces. On n^ésarera point , au nom d'un pouvoir capricieux 
et jaloux, Phomme une fois convaincu que la nature entière est sou- 
mise à des lois générales et nécessaires. 

j» Comme toutes ces instructions sont le résultat de lectures , qu'elles 
obligent à écrire, il arrivera nécessairement que les enfans m con- 
tracteront une habitude suffisante pour acquérir celte facilité sans 
laquelle la lecture ou l'écriture sont un travail pénible. Ils acquerront 
avec aussi peu de peine les connaissances grammaticales ou d'oriho- 

Sraphe nécessaires pour que la la ngue et l'écriture de la généralité 
es citoyens se perfectionnent peu à peu . et il est important pour le 
maintien de l'égalité réelle que 1^ langage cesse de séparer les hommes 
«B deux classes, a {JYote du rapporleuf, ) 



{ 270 ) 

» Quelques notions de mathématiques, d'histoire naturelle 
et de chimie , nécessaires aux arts ; des développemens plus 
étendus des principes de la morale et de la science sociale ; 
des leçons élémentaires de commerce y formeront le fonds de 
l'instruction. 

» Les instituteurs donneront des conférences hebdomadaires, 
ouvertes à tous les citoyens. Chaque école aura une petite biblio- 
thèque , un petit cabinet oii Ton placera quelques instrumens 
météorologiques , quelques modèles de machines ou de métiers, 
quelques objets d'histoire naturelle ; et ce sera pour les hommes 
un nouveau moyen d'instruction. Sans doute ces collections 
seront d'abord presque nulles ; mais elles s'accroîtront avec le 
temps y s'augmenteront par des dons , se compléteront par 
des échanges ; elles répandront le goût de l'observation et de 
l'élude , et ce goût contribuera bientôt à leurs progrès. 

» Ce degré d'instruction peut encore à quelques égards être 
envisagé comme universel , ou plutôt comme nécessaire pour 
établir dans l'enseignement universel une égalité plus absolue. 
Les cultivateurs à la vérité en sont réellement exclus lorsqu'ils 
ne se trouvent pas assez riches pour déplacer leurs enfans ; 
mais ceux des campagnes destinés à des métiers doivent natu- 
rellement achever leur apprentissage dans les villes voisines , et 
y recevoir dans les écoles secondaires du moins la portion de 
connaissances qui leur sera le plus nécessaire. D'un autre côté 
les cultivateurs ont dans l'année des temps de repos dont ils 
peuvent donner une partie à l'instruction, et les artisans sont 
privés de cette espèce de loisir. Ainsi l'avantage d'une étude iso- 
lée et volontaire balance pour les uns celui qu'ont les autres 
de recevoir des leçons plus étendues , et sous ce point de vue 
l'égalité est encore conservée, plutôt que détruite , par l'éta- 
blissement des écoles secondaires. 

>» Il y a plus ; à mesure que les manufactures se perfection- 
nent leurs opérations se ^divisent de plus en plus, ou tendent 
sans cesse à ne charger chaque individu que d'un travail pure- 
ment mécanique et réduit à un petit nombre de mouvemeos 
simples ; travail qu'il exécute mieux et plus promptement , 
mais par l'effet de la seule habitude , et dans lequel son espnt 
cesse presque entièreinent d'agir. Ainsi le perfectionnement 



( 231 ) 

des arts deviendrait pour une partie de l'espèce humaine une 
cause de stupidité , ferait naître dans chaque nation une classe 
d*hotiimes incapables de s'élever au dessus des plus grossiers 
intérêts, y introduirait et une inégalité humiliante et une 
semence de troubles dangereux , si une instruction plus éten- 
due n'offrait aux individus de cette même classe une ressource 
contre l'effet infaillible de la monotonie de leurs occupations 
journalières. 

» L'avantage que les écoles secondaires semblent donner aux 
villes n'est donc enclore qu'un nouveau moyen de- rendre l'éga- 
lité plus entière. 

N Les conférences hebdomadaires proposées pour ces deux 
premiers degrés ne doivent pas être regardées comme un faible 
moyen d'instruction. Quarante ou cinquante leçons par année 
peuvent renfermer une grande étendue de connaissances , dont 
les plus importantes , répétées chaque année , d'autres tous les 
deux ans , finiront par être entièrement comprises , retenues , 
par ne pouvoir plus être oubliées. £n même temps une autre 
portion de cet enseignement se renouvellera continuellement, 
parce qu'elle aura pour objet soit des procédés nouveaux d'agri- 
culture ou d'arts mécaniques , des observations , des remar- 
ques nouvelles , soit l'exposition des lois générales à mesure 
qu'elles seront promulguées , le développement des opérations 
du gouvernement lorsqu'elles seront d'un intérêt universel. 
Elle soutiendra la curiosité , augmentera l'intérêt de ces leçons, 
entretiendra l'esprit public et le goùl de l'occupation. 

» Qu'on ne craigne pas que la gravité de ces instructions en 
écarte le peuple. Pour l'homme occupé de travaux corporels 
le repos seul est un plaisir , et une légère contention d'esprit 
un véritable délassement; c'est pour lui ce qu'est le mouvement 
du corps pour le savant livré à des études sédentaires , un 
moyen de ne pas laisser engourdir celles de ses facultés que ses 
occupations habituelles n'exercent pas assez. 

» L'homme des campagnes , l'artisan des villes ne dédai- 
gnera point des connaissances dont il aura une fois connu les 
avantages par son expérience ou celle de seis voisins ; si la seule 
curiosité l'attire d'abord, bientôt l'intérêt le retiendra. La fri- 
volité y le dégoût des choses sérieuses , le dédain pour ce qui 



( ^1^ ) 

ti*est qu'utSe ne sont pas les vices des hommes pauvre» , et 
cette prétendue stupidité , née de l'asservissement et de l'humi- 
liation , disparaîtra bientôt lorsque des hoomies libres trou- 
veront auprès d'eux les moyens de briser la dernière et la plus 
honteuse de leurs chaînes (i). 

» Le troisième degré d'instruction embrasse les élémens de 
toutes les connaissances humaines ; rinstruction considérée 
comme partie de l'éducation générale y est absolument com- 
plète. 

» Elle renferme ce qui est nécessah'e pour être en état de se 
préparer à remplir les fonctions publiques qui exigent le plus 
de lumières , ou de se livrer avec succès à des études plus appro- 
fondies : c'est là que se formeront les instituteurs des écoles 
secondaii^es , que se perfectionneront les maîtres des écoles 
primaires déjà formés dans celles du second degré. 

y» Le nombre des instituts a été porté à cent quatorze y et il 
en sera établi dans chaque département. 

^ On y enseignera non seulement ce qu'il est utile de savoir 
comme homme , comme citoyen , à quelque profession qu'on 
se destine , mais aussi tout ce qui peut l'être pour chaque grande 
division de ces professions, comme l'agriculture, les arts méca- 
niques , l'art militaire ; et même on y a joint les connaissances 
médicales nécessaires aux simples praticiens , aux sages-femmes, 
aux artistes vétérinaires. 

.» En jetant les yeux sur la liste des professeurs on remar- 



(i) « En général la portion paiiyre de la société a moins des vices 
ffne des h^bitndes grossières et funestes k ceux qui les contractent. 
Une des premières causes de ces habitudes vient du besoin d^écbapper 
à Tennui dans les momens de repos , et de ne pouvoir y échapper 
rjue par des sensations , et non par des idées; de là vient chez presque 
fous les peuples l'usage immodéré de boissons ou de drogues enivran- 
tes , remplacé chez d''autres par le jeu ou par les habitudes énervantes 
«l'une fausse volupté. A peine trouvera-t-on une seule nation séden- 
taire chez laquelle il ne rëgne pas une coutume , plus ou moins mau- 
vaise , née de ce besoin de sensations répétées. 

» Si an contraire une instruction suffisante permet au peuple d'op- 
poser la curiosité a Fcnnui, ces habitudes doivent nai;ircllement dis- 
]^araitre , et aVec elles rabrutissement ou la grossièreté qui en sont la 
çuitr. 

» Ainsi rinstruction est encore sous ce point de vue la 8anve-,«rard« 
h pius sûre des mcKurs du peuple, h {JYoU du rappotteur.) 



( 2,3 ) 

qaertt peut-être que les objets d'instruction n'y sont pas distri-* 
bues suivant une division philos(^hique , que les sciences ph}^ 
siques et mathématiques j occupent une très grande place , 
tandis que les connaissances qui dominaient dans l'ancien ensei- 
gnement y paraissent négligées. 

» Mais nous avons cru devoir distribuer les sciences d'après 
les méthodes qu'elles emploient , et par conséquent d'après la 
réunion de connaissances qui existe le plus ordinairement chez 
les hommes instruits , ou qu'il leur est plus facile de compléter. 

» Peut-être une classification philosophique des sciences 
n'eût été dans l'application qu'embarrassante , et presque im- 
praticable. En effet, prendrait-on pour base les diverses facultés 
de l'esprit ? Mais l'étude de chaque science les met toutes en 
activité , et contribue à les développer y à les perfectionner : 
rions les exerçons même toutes à la fois presque dans chacune 
des opérations intellectuelles. Gomment attribuerez-vous telle 
partie des connaissances humaines ï la mémoire , à l'imagina- 
tion , à la raison y si , lorsque vous demandes par exemple à un 
enfant de démontter sur une planche une proposition de géo« 
métrie , il ne peut y parvenir sans employer à la fois sa mé-> 
moire , son imagination et sa raison ? Vous mettrez sans doute 
la connaissance des faits dans la classe que vous affectez à la 
mémoire ; vous placerez donc l'histoire naturelle à côté de celle 
des nations , l'étude des arts auprès de celle des langues ; vous 
les séparerez de la chimie , de la politique , de la physique , de 
l'analise nAétaphysique , sciences auxquelles ces connaissances 
de faits sont liées et par la nature des choses et par la méthode 
même de les traiter. Prendra-t'-on pour base la nature des 
objets ? Mais le même objet, suivant la manière de l'envisager^ 
appartient à des sciences absolument différentes. Ces sciences 
ainsi classées exigent des qualités d'esprit qu'une même per— 
sonne réunit rarement , et il aurait été très difficile de trouver 
et peut-être de former des hommes en état de se plier à ces 
divisions d'enseignement : les mêmes sciences ne se rapporte- 
ra eut pas aux mêmes professions ; leurs parties n'inspireraient 
pas un goût égal aux mêmes esprits , et Ces divisions auraient 
fatigué les élèves comme les maîtres.^ 

n Quelque autre base philosophique que l'on choisisse, on se 
TOME xiir. 18 



\ 



( 274 ) 

trouvera toujours arrêté par des obstacles du même genre : 
d'ailleurs il fallait donner à chaque partie une ceitaine étendue, 
et maintenir entre elles une espèce d'équilibre ; or dans une 
division philosophique on ne pourrait y' parvenir qu'en réunis- 
sant par l'enseignement ce qu'on aurait séparé par la classi&- 
cation. 

» Nous avons donc imité dans nos distributions la marche 
que l'esprit humain a suivie dans ses recherches, sans prétendre 
l'assujétir à en prendre une autre d'après celle que nous donne- 
rions à l'enseignement : le génie veut être libre ; toute servitude 
le flélrit , et souvent on le voit porter encore , lorsqu'il est dans 
toute sa Force , l'empreinte des fers qu'on lui avait donnés au 
momeut oii son premier germe se développait dans les exercices 
de l'enfance. Ainsi , puisqu'il faut nécessairement une dislribu- 
tion d'études , nous avons dû préférer celle qui s*était d'elle- 
même librement établie au milieu des progrès rapides que tous 
les genres de connaissances ont faits depuis un demi-siècle. 

» Plusieurs motifs ont déterminé l'espèce de prtîference 
accordée aux sciences mathématiques et physiques. D'abord 
pour les hommes qui ne se dévouent point à de longues médi- 
tations , qui n'approfondissent aucun genre de connaissances , 
l'étude même élémentaire de ces sciences est le moyen le plus 
sûr de développer leurs facultés intellectuelles , de leur appren- 
dre à raisonner juste , à bien analiser leurs idées. On peut sans 
doute , en s'appliqnant à ia littérature , à la grammaire , à 
l'histoire, à la politique , à ia philosophie en général, acquérir 
de la justesse, de la métliode , une logique saine et profonde , et 
cependant ignorer les sciences naturelles. De grands exemples 
l'ont prouvé ; mais les connaissances élémentaires dans ces 
mêmes genres n'ont pas cet avantage : elles emploient la rai- 
son ; mais elles ne la formeraient pas : c'est que dans les sciences 
naturelles les idées sont plus simples , plus rigoureusenieut cir- 
conscrites ; c'est que la langue en est plus parfaite , que les 
mêmes mots y expriment plus exactement les mêmes idées. Les 
élémens y sont une véritable partie'de la science, resserrée dan» 
d'étroites limites , mais Complète en elle-même ; elles offrent 
encore à la raison un moyen de s'exercer à la portée d'un plus 
grand nombre d'esprits, surtout dans la jeunesse. Il n'est pas 



jf^enfant , s'il n'est absolament stùpide , qui ne pnîsse acquérir 
quelqiie habitude d'application par des leçons élémentaires 
d'histoire naturelle ou d'agriculture. Ces sciences sont contre 
. les préjugés , contre la petitesse d'esprit , un remède sinon plus 
sûr, du moins plus universel que la philosophie même : elles 
sont utiles dans toutes les professions , et il est aisé de voir 
combien elles le seraient davantage si elles étaient plus unifor-^ 
mément répandues^ Ceux qui en suivent la marche voient ap-^ 
proclier l'époque oii l'utilité pratique de leur application va 
prendre une étendue à laquelle on n'aurait osé porfer ses espé- 
rances , oii les progrès des sciences physiques doivent produire 
une heureuse révolution dans les arts ; et le plus sûr moyen 
d^accélérer cette révolution est de répandre ces connaissances 
dans toutes les classes de la société , de leur faciliter les moyens 
de les acquérir. 

» Enfin nous avons cédé à l'impulsion générale des esprits , 
qui en Europe semblent se porter vers ces sciences avec une 
ardeur toujours croissante. Nous avons senti que, par une suite 
des progrès de l'espèce humaine , ces études^ qui offrent à son 
activité un aliment éternel, inépuisable, devenaient d'autant 
plus nécessaires que le perfectionnement de l'ordre social doit 
offrir moins d'objets à l'ambition ou à l'avidité ; que dans un 
pays oii Ton voulait unir enfin par des nœuds immortels ia 
paix et la liberté ^ il fallait que l'on pût sans ennui , sans s'é- 
teindre dans l'oisiveté , consentir à n'être qu'un homme et un 
citoyen ; qu'il était important de tourner vers des objets utiles 
ce besoin d'agir , cette soif de gloire à laquelle Tétat d'une 
société bien gouvernée n'ofifre pas un champ assez vaste , et de 
substituer enfin l'ambition d'éclairer (i) les hommes à celle de 
les dominer. 



(i) « Il faut lin aliment à l'activité des hommes qui n'ont pas besoin 
Retravailler pour "vi-vrf , et il n^estpasà désirer qu'elle soit réduite à 
ne s'exercer que sur des spéculations d^intérét ou sur des projets de 
s'élever à des places et de s y maintenir. 

» Or une instruction , telle qti'on la propose ici, offre aux hommes 
nés avec de la fortune des occupations agréables qui'ne seraient ni sans 
quelque utilité ni ««ns quelque honneur. 

» Chacun choisirait ; dans le grand nombre de connaissances dont les 



(2*76) 

» Dans la partie de Taiicieii enseigaement qui répond à 
ce troisième degrë d'instraction on se bornait à un petit nom- 
bre d'objets : bous devons les embrasser tous. On semblait 
n'avoir voulu faire que des théologiens ou des prédicateurs : 
nous aspirons à former des bommes éclairés^. 

M L'ancien enseignement n'était pas moins vicieux par sa 
forme que par le cboix et le distribution des objets* 

» Pendant six années une étnde progressive du latin faisait 
le fonds de Tinstruction , et c'était sur ce fonds qu'où répan- 
dait les principes généraux de la grammaire , quelques con* 
naissances de géographie et de l'histoire, quelques notions de 
l'art* de parler et d'écrire. 

» Quatre professeurs sont ici destinés à remplir les mêmes 



Siemens lui ont été enaeignéa , la seîence vers laquelle son goÀt ou ses 
disposition» narnrelles le porteraient de préférence. 

» La littérature a des bornes; les sciences d^obserTation et de calcul 
n'^en ont point. An-destous d^an certain degré de talent le goût des 
occupations littéraires donne ou un orgueil ridicule ou une honteuse 
jalousie pour les talens auxquels on ne peut atteindre. Dans les sciences, 
au contraire, ce n'^est pas avec Topinion des hommes, mais avec la 
nature qu^on engage un combat où le triomphe est presque toujours 
certain , où chaque victoire en présage une nouvelle : le champ <^o< les 
inventeurs ont rapidement parcouru laisse encore tant de points à 
reconnaître ! L'inépuisable variété des applications 6te aux théories les 



ont rapidement parcouru laisse encore ta 
! L'inépuisable variété des applications 6te 
>lus rrbattues cette insipidité qui suit dans les autres genres de plaisirs 
a facilité ou Thabitude. 

» L'^babitude et le goût de l'occupation est un des plus sûrs préser- 
vatifs contre les vices corrupteurs qui prennent leur source dans le 
besoin d*échapper à Tennui.On ne sait point assesavecqnelle douceur 
et quelle force une occupation chérie rappelle ceux que le soin des 
affaires publiques a forces de l'abandonner; combien alors ce reste 
d^ambition, qu^il est peut-être impossible d'arracher d^une âme humaine, 
est faf^le et prompt à rassassicr; combien enfin le souvenir du charme 
des études paisibles ajoute au dégoût des détails des affaires, toujours 
arides on »ffllgeans! 

» Vni dit que ces occupations seront utiles : je me bornerai à nn seul 
exemple. En France la nourriture des citoyens pauvres est mauvaise ^ 
ct^ soliivent ils craignent dVn manquer , parce quMle est bornée à nne 
ou deux espèces d^alimens, parce que ni les légumes ni les fruits ne sont 
assez communs. L'usage des fruits , qui pourrait devenir dans les 
travaux de rété un régime salutaire, ne sert au contraire 'qn'^à donner 
des maladies, parce qu^on n'*a point songé à cultiver ceux dont la 
■Baturité correspond an moment où la nature en donne le désir. Gonr- 
bien n'*j aurait-il pas d^avantagé à inspirer aux hommes qui en ont la 
^uUé le goût de faire des essais de culture, et de leur donner les 
«•«naissances nécessaires pour jr réussir! » ( JYou del^oratoun ) 



C 277 ) 

indications; maïs les objets des études sont séparés, mais 
chaque maître enseigne une seule connaissance , et cette dis-» 
position , plus ^Torabre auK progrès des élèves , fera plus ^e 
compenser la diminution du nombre des mattres. 

» On pourra trouver encore la langue latine trop négligée» 
» Mais sous quel point de vue une langue doit-elle être Consi- 
dérée dans une éducation générale ? Ne sufSt-il pas de mettre 
^68 élèves en état de lire les livres vraiment utiles écrits dans, 
cette langue, et de pouvoir sans maître faire de nouveaux 
progrès ? Peut-on regarder la ccnmaissance approfondie d^aa 
idiome étranger, celle des beautés de style qu'offrent le» 
ouvrages des hoimnes de génie qui l'ont employé , comme une 
de ces connaissances générées que tout homme éclairé , tout 
citoyen qui se destine aux emplois de la société les plus impor« 
tans ne puisse ignorer ? Par quel privilège singulier , lorsque 
le temps destiné pour l'instmctiDn , lorsque l'objet même de 
Fenseignement force de se bomei dans tous les genres à des 
connaissances élémentaires, et de laisser ensuite le goût de& 
jeunes gens se porter librement vers celles qu'ils veulent cul* 
tiver , le latin seul serait-il l'objet d'une instruction plus éten* 
due? Le considère-t-on comme la langue générale des savans, 
cpioiqu'ît perde tous les jours cet avantage? Mais une con- 
naissance élénoentaire du latin suffit pour lire leurs livres ; mais 
il ne se trouve aucun ouvrage de science , de philosophie , de 
politique vraiment impertaot qui n'ait été traduit ; mais ton* 
tes les vérités que renferment ces livres existent, et mieux 
développées, et réunies à des vérités nouvelles, dans les livres 
^rits en langue vulgaire. La lecture des originaux n'est pro-^ 
prement util^ qu'à ceux dont l'objet n'est pas l'étude de la 
science même, mais celle de son histoire. 

» Enfio, puisqu'il faut tout dire , puisque tous les préjugés 
doivent aujourd'hui disparaître , l'étude longue , approfondie 
«les langues des anciens , étude qui nécessiterait la lecture des ^ 
livres qulls nous ont laisses, serait peut-*étre plus nuisible 
^*atile. 

» Nous cherchons dans l'éducation à faire connaître des véri- 
tés, et ces livres sont remplis d'erreurs; nous cherchons k 
former la raison , et ces- livres peuvent Tégarer ; nous somme& 



(278) 

si éloignés des anciens, nous les avons tellement devancés 
dans la foute de la vérité , qu'il faut avoir sa raison déjà tout 
armée pour que ces précieuses dépouilles puissent l'enrichir 
sans la corrompre. 

» Comme modèles dans l'art d'écrire, dans l'éloquence, 
dans la poésie , les anciens ne peuvent même servir qu'aux 
esprits déjà fortifiés par des études premières. Qu'e&t-ce en 
effet que des modèles qu'on ne peut itniter sans examiner 
sans cesse ce que la différence des mœurs , des langues , des 
religions , des idées , oblige d'y changer ? Je n'en citerai 
qu'un exemple. Démosthène à la tribune parlait aux Athéniens 
assemblés ; le décret que son discours avait obtenu était rendu 
par la nation même , et les copies de l'ouvrage circulaient 
ensuite lentement parmi les orateurs ou leurs élèves. Ici nous 
prononçons un discours non devant le peuple , mais dçvant 
ses représentans , et ce discours , répandu par l'impre&sion , 
a bientôt autant de juges froids et sévères qu'il existe en 
France de citoyens occupés de la chose publique. Si une élo- 
quence entraînante, passionnée, séductrice, peut égarer ^el« 
quefois les assemblées populaires , ceux qu'elle trompe n'ont 
à prononcer que sur leurs propres intérêts ; leurs fautes ne 
retombent que sur eux-mêmes : mais des représentans du 
peuple qui , séduits par un orateur , céderaient à une autre 
force qu'à celle de leur raison , trahiraient leur devoir , puis* 
qu'ils prononcent sur les intérêts d'autrui, et perdraient bien- 
tôt la confiance publique, sur laquelle seule toute constitu- 
tion représentative est appuyée. Ainsi cette même éloquence , 
nécessaire aux constitutions anciennes, serait dans la notre 
le germe d'une corruption destructrice. Il était alors permis , 
utile peut-être d'émouvoir le peuple : nous lui devons de ne 
chercher qu'à l'éclairer. Pesez toute l'influence que ce chan- 
gement dans la forme des constitutions, toute celle que 
l'invention de l'imprimerie peuvent avoir sur les règles de 
l'art de parler, et prononcez ensuite si c'est aux premières 
années de la jeunesse que les orateurs anciens doivent être 
donnés pour modèles (1). 

(1) tt Celte b ibitude des idées antiques, prise dans notre jeunesse , 



{ ^79) 
n Vous devez à la nation française une instraction au 
niveau de l'esprit du dix-huitiëme siècle, de cette philoso- 
phie qui , en éclairant la génération contemporaine , présage « 
prépare et devance déjà la raison supérieure à laquelle les 

est peiit-ctre une des principales causes de ce penchant presque féoéTal 
à fonder nos nouTellfs vertus politiques sur un enthousiasme inspiré 
dès Pen fanée. 

» LVnthonsiasooe est le sentiment qui se produit en nou s lorsque noua 
nous représentons à la fois tous les avantages, tous les maux, toutes 
Irs conséquences qui dans un espace indéterminé peuvent naître d un 
événement, d^une action, d'une production deTespril; tout c*^ que 
cette action, cette production ont exigé de talens et coûté d'efforts 
en de sacrifices. 11 est utile s'il a pour Base la vérité , et nuisible sM 
s^appuir sur l'erreur. L'ne fois excité, il sert Terreur comme la vérité ; 
et dès lors il ne sert réellement que Terreur , parce que sans lui la 
Térité triompherait encore par ses propres forces. 

» Il faut donc qu'un examen froid et sévère , où la raison seule soit 
écoutée, précède le moment de Tenthousiasmt. 

» Ainsi, former d'abord la raison , instruire à n^écouter qu'elle, à se 
défendre de Tenthonsiame qui pourrait Tégarer ou Tobscurcir , « et se 
laisser entraîner ensuite à celui quVUe approuve, telle est la marche 
que prescrit l'intérêt de Thumanité et le principe sur lequel Tinstruction 
publique doit être combinée. 

» Il faut sans doute parler à Timagination des enfans , car il est bon 
d'exercer eette faculté comme toutes les autres; mais il serait coupable 
de vouloir s'en emparer , même en faveur de ce qu^aa fond de notre 
conscience nous croyons être la vérité. 

» L'imagination est la faculté de saisir une suite plus ou moins 
étendue d'idées sous des formes sensibles. 

» Le géomètre dans ses méditations voit des rapporta.abstraits repré- 
sentés par des figures , et Talgébriste les voit exprimés par des formules 
écrites. 

» Mais si ces formes sensibles, an lien de donner seulement plus de 
force et de fixité aux idées, les corrompent et les dénaturent} si elles 
excitent dans l'ame des sentimens ou des passions qui peuvent séduire 
la raison , alors au lieu d'exercer une faculté utile on en abuse , on la 
pervertit. 

» Si vous appelez une école un temple national , si votre instituteur 
est un magistrat, vous ajoutez aux propositions énoncées dans ce lieu , 
présentées par cet homme, une autorité étrangère non-seulement aax 
preuves qui doivent établir la vérité ,-mais à cette espèce d'^autorité qui 
peut, sans nuire auxprogrcs des connaissances, influer sur notre croyance 
provisoire y celle que donne la supériorité connue des lumières. Vbj 

' • ^ 1-- -: — — I nom d'un savant 

un sot d'y croire 
pontife ou d^un consul : or il faut désespérer du 
salut de la raison humaine, ou appliquer cette même règle à la morale 
et à la politique. Hâtons- nous donc de substituer le laisonncment à 
l'éloquence', les livres aux parleurs, et de porter enfin dans les sciences 
morales la philosophie et la méthode des sciences physiques. » 

( JYote du rapporteur.) 




( 28o ) 

progrès nécessaires du genre humain appellent les générations 
futures. 

n Tels ont été nos principes; et c'est d'après cette philo* 
lophie, libre de toutes les chaînes, affranchie de toute autorité , 
de toute habitude ancienne , que nous a^ons choisi et classé les 
objets de l'instruction publique. C'est d'après cette même .phi- 
losophie que nous ayons regardé les sciences morales et poli- 
tiques comme une partie essentielle de l'instruction com- 
mune. 

» Gomment espérer en effet d'élever jamais la morale da 
peuple si l'on ne donne pour base à celje des hommes qui 
peuvent l'éclairer, qui sont destinés à le diriger, une analise 
exacte , rigoureuse des sentimens moraux , des idées <|ui en 
résultent , des principes de justice qui en sont la consé- 
quence? 

» Les bonnes lois , disait Platon, sont celles que les citoyens 
aiment plus que la vie. En effet , comment les lois seraient- 
elles bonnes si pour les faire exécuter il fallait employer une 
force étrangère à celle de la volonté du peuple, et prêter à la 
justice l'appui de la tyrannie? Mais pour que les citoyen* 
aiment les lois sans cesser d'être vraiment libres , pour qu'ils 
conserveiit cette indépendance de la raison sans laquelle l'ar- 
deur pour la liberté n'est qu'une passion et non une vertu , il 
faut qu'ils connaissent ces principes de la justice naturelle, 
ce» droits essentiels de l'homme , dont les lois ne sont que le 
développement ou les applications; il faut savoir distinguer 
dans les lois les conséquences de ces droits et les moyens plus 
ou moins heureusement combinés pour en assurer la garantie; 
aimer les unes parce que la justice les a dictées, les autres 
parce qu'elles ont été inspirées par la sagesse ; il faut savoir 
distinguer ce dévouement de la raison , qu'on doit aux lois 
qu'elle approuve , de cette soumission , de cet appui extérieur 
que le citoyen l^ur doit encore lors même que ses lumières 
lui en montrent le danger ou l'imperfection ; il faut qu'en 
aimant les lois on sache les juger. 

s » Jaiâais un peuple ne jouira d'une liberté constante, 
assurée, si l'instruction dans les sciences politiques n'est pas 
générale, si elle n'y est pas indépendante de toutes les insti- 



(a8i ) 

tutions sociales ; si Teathousiasme que vous eicitez dans Tâme 
des citoyens n'est pas dirigé par la raison ^ s'il peut s'allumer 
pour ce qui ne serait pas la vérité ; si en attachant l'homme 
par l'habitude, par l'imagination , par le sentiment à sa cons- 
titution, à ses lois, à sa liberté i vous ne lui préparez par une 
instruction générale les moyens de parvenir à une constitution 
p]u8 parfaite, de se donner de meilleures lois, et d'atteindre 
à une liberté plus entière : car il en est de la liberté , de l'éga-» 
lité , de ces grandsi objets des méditations politiques , comme 
de ceux des autres sciences ; il existe dans l'ordre des choses 
possibles un dernier tenue dont la nature a voulu que nous 
pussions approcher sans cesse, mais auquel il nous est refusé 
de pouvoir atteindre jamais. 

n Ce treisiëme degré d'instruction donne à ceax qui en profit* 
teront une supériorité réelle que la distribution des fonctions 
de la société rend inévitable ; mais c'est un motif de plus pour 
Youloir que cette supériorité soit celle de la raison et des véri- 
tables lumières, pour chercher à fermer des hommes instruits , 
et non des honunes habiles , pour ne pas oublier enfin que les 
inconvéniens de cette supériorité deviennent moindres à mesure 
qu'elle se partage eutre un plus grand nombre d'individus , que 
plus ceux qui en jouissent sont éclairés moins elle est dange- 
reuse, et qu'alors elle est le véritable, l'unique remède contre 
cette supériorité d'adresse qui , au lieu de donner à l'ignorance 
des appuis et des guides , n'est féconde qu'en moyens de la 
eéduire (i)« 

(i) « L^égalité des esprits et celle de l'instr action sont des chimères ; 
il faut donc chercher A rendre utile celte inégalité nécessaire : or le 
moyen le plus sur d^y parrcnir n^st - il pas de diriger les esprits 
"vers les occupations qui mettent un individu en état d^ensei* 




exigent des lumières; de substituer en un mot| à des hommes habiles 
qm prétendraient gou-verner , des hommes instruits qui ne veuillent 
qu^édairer ou servir. 

» La supériorité de lumières et de talens peut soumettre les autres 
hommes à une dépendance particulière ou générale. 

w On évite le premier danger en rendant univevselles les connaissances 
nécessaires dans la vie commune. Celui qui a besoin de recourir a un 
autre ponr écrira ou méma lire une luttrt , pour faire la calcul de sa 



( 282 ) 

» L'enseignement sera partagé parcours , les uns lies entre 
eux , les autres séparés , quoique faits par le même professeur : 
la distribution en sera telle qu'un élève pourra suivre à la fois 
quatre cours, ou n'en suivre qu'un seul; embrasser, dans 
l'espace de cinq ans environ , la totalité de l'instruction s'il a 
une grande facilité, se borner à une seule partie dans le 
même espace de temps s'il a des dispositions moins heureuses. 
On pourra même pour chaque science s'arrêter à tel ou tel 
terme , y consacrer plus ou moins de temps ; en sorte que ces 
diverses combinaisons se prêtent à toutes les variations de 
talens , à toutes les positions personnelles. 

» Les professeurs tiendront une fois par mois des confé- 
rences publiques. 

» Gomme elles sont destinées à des hommes déjà plus ins- 
trmts , plus en état d'acquérir des lumières par eux-mcines , 
il est moins nécessaire de les multiplier. Elles auront pour 
objet principal les découvertes dans les sciences , les expé- 
riences , les observations nouvelles , les procédés utiles aux 
arts ; et par nom^eau l'on enftnd ici ce qui , sans sortir des 
limites d'une instruction élémentaire , n'est pas encore placé 
au rang des connaissances communes , des procédés généra- 



dépense ou de son impôt, pour connaître rétendue âe son champ on le 
partager, pour savoir ce que la loi lui permet ou lui défend ; ce,Q\ qui 
ne parle point sa langue cie manière à pouvoir exprimer ses id^rs, qui 
D^écrit pas demanière à être lu sans dégoût, celui-là est nécessairrment 




reconnue par la loi. Mais ces mêmes connaissances suffisent pour Taf- 
franchir de celte servitude; Thomme, par exemple , qui ^ait Ir s quatre 
règles de Parithmétique ne peut être dans la dépendance de ]>ïewton 
pour aucune des actions de la vie commune. 

» Quanta la dépendance générale, à celle qui naît du pouvoir de la 
ruse ou de la parole, elle aéra réduite presque arien parTuniversaliié 
ae ces connaissances élémentaires, qui par leur nature même sont propres 




Aco uuiuuicii vraiment éclaires an milieu de citoyens disposés par 
a reconnaître , à sentir la vérité. 

» On a donc cherché à réunir ici tous les avantages de la supériorité 
de lumières dans quelques hommes pour la faire servir non à fortifier» 
mais à prévenir les inconvénicns oc l'inégalité des esprits. » 

(Note du, rapporteur,} 



( 283 ) 

lement adoptés. Aaprës de chaque collège oo trouvera une 
hibliothëque , un cabinet , un jardin de botanique , un jardin 
d'agriculture. Ces établissemens seront confiés à un conserva- 
teur ; et Ton sent que des hommes qui ne sont pas sans quel- 
ques lumières peuvent apprendre beaucoup en profitant de 
ces collections, et des éclaircissemens que le conservateur, que 
les pi'ofesseurs ne leur refuseront pas. 

» Enfin 9 comme dans ce degré d'instruction il ne faut pas se 
borner à de simples explications , qu'il faut encore exercer les 
élèves soit à des démonstrations , à des discussions , soit même 
à quelques compositions ; qu'il est nécessaire de s'assurer s'ils 
entendent , s'ils retiennent ; si leurs facultés intellectuelles 
acquièrent de l'activité et de la force ; on pourra réserver dans 
chaque salle une place destinée à ceux qui , sans être élèves , 
sans être par conséquent assujétis aux questions qu'on leur fait, 
aux travaux qu'on leur impose , voudraient suivre un cours 
d'instruction , ou assister à quelques leçons. 

» Cette espèce de publicité , réglée de manière qu'elle ne 
puisse troubler l'ordre de l'enseignement , aurait trois avan- 
tages : le premier , de procurer des moyens de s'éclairer à ceux 
des citoyens qui n'ont pu recevoir une instruction complète , 
ou qui n'en ont pas assez profité; de leur offrir la faculté d'ac- 
quérir à tous les âges les connaissances qui peuvent leur devenir^ 
utiles ; de faire en sorte que le bien immédiat qui peut résulter 
du progrès des sciences ne soit pas exclusivement réservé aux 
savans et à la jeunesse : le second , que les parens pourront être 
téuioins des leçons données à leurs enfans : le troisième enfin, 
que les jeunes gens , mis en quelque sorte sous les yeux du 
public , en auront plus d'émulation , et prendront de bonne 
beure l'habitude de pavler avec assurance , avec facilité , avec 
décence ; habitude, qu'un petit nombre d'exercices solennels 
ne pourrait leur faire contracter. 

N Dans les villes de garnison on pourra charger le profes- 
seur d'art militaire d'ouvrir pour les soldats une conférence 
hebdomadaire , dont le principal objet sera l'explication des 
lois et des règlenyens militaires , le soin de leur en développer 
l'esprit et les motifs ; car l'obéissance du soldat à la discipline 
ne doit plus se distinguer de la soumission du citoyen à la loi ; 



elle doit être également éclairée , et commandée par la raison 
et par l'amour de la paerle avant de Tétre par la force ou la 
crainte de la peme. 

» Tandis qu'on enseignera dans les instituts la théorie élé- 
nentaire des sciences médicales, théorie suffisante pour éclairer 
la pratique de l'art , les médecins des hôpitaux pourront ensei- 
gner cette pratique ^ et domer des leçons de chirurgie ; de 
manière qu'en multipliant les écoles oii l'on recevra ces. 
cmmaissances élémentaires , mais justes y on puisse assurer à 
la parti»^ la plus pauvre des citoyens les secours d'homme» 
éclairés , formés par une bonne méthode , instruits dans l'art 
d'observer , et libres des préjugés de l'ignorance comime de 
ce&x des doctrines systématiques. 

» Dans les ports de mer des professeurs particuliers d'hy- 
drographie , de pilotage y pourront enseigner l'art nautique k 
des élevés que les leçons de mathématiques , d'astronomie , de 
physique , qui font partie de l'enseignement général , auront 
déjà préparés. Ailleurs, k Taide de ces mêmes leçons , un petit 
nombre de maîtres suffira pour former d'autres élèves à la pra- 
tique de l'art des constructions ; et dans tous les genres cette 
distribution de l'instruction conunune rendra plus simple et 
moins dispendieuse toute espèce d'idstruction particulière 
dont l'utilité publique exigerait l'établissement. 

» Les principes de la morale enseignés dans les écoles et 
dans les instituts seront ceux qui , fondés sur nos sentimens 
naturels et sur la raison , appartiennent également à tous les 
hommes. La Constitution , en reconnaissant le droit qu'a 
chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière 
égalité entre tous les habitans de la France , ne permet point 
d'admettre dans l'instruction publique un enseignemteat qui^ 
en repoussant les enfans d'une partie des citoyens, détrui- 
rait l'égalité des avantages sociaux , et donnerait à des dogmes 
particuliers un avantage contraire k la liberté des opinions. U 
était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale 
les principes de toute religion particulière , et de n'admettre 
dans l'instruction publique l'enseignement d'aucun' culte 
religieux. 

» Chacun d'eux doit être enseigné dans les temples par 



( 285 ) 

{propres ministres . Les parens , quelle que soit leur opi- 
nion sur la nécessité de telle ou telle religion , pourront alors 
6ans répugnance envoyer leurs enfans dans les établissemens 
nationaux ; et la puissance publique n'aura point usurpé sur 
les droits de la conscience sous prétexte de Téclairer et de la 
conduire. 

» D'ailleurs combien n'est-il pas important de fonder la 
morale sur les seuls principes de la raison ! Quelque change- 
ment que subissent le» opinions d'un homme dans le cours de 
sa vie , les principes établis sur cette base resteront toujours 
également yrais ; ils seront toujours invariables comme elle ; 
il les opposera aux tentatives que l'on pourr^tit faire pour 
égarer sa conscience ; elle conservera son indépendance et sa 
rectitude , et l'on ne verra plus ce spectacle si affligeant 
d'hommes qui s'imaginent remplir leurs devoirs en violant les 
droits les plus sacrés | et obéir k Dieu en trahissant leur 
patrie. 

» Ceux qui croient encore k la nécessité d'appnyer la 
morale sur une religion ^particulière doivent eux-mêmes 
approuver cette séparation ; car sans doute ce n'est pas la 
vérité des principes de la morale qu'ils font dépendre de leurs 
dogmes ; ils pensent seulement que les hommes y trouvent des 
motifs pluspuissans d'être justes ; et ces motifs n'acquerront-ils 
pas une force plus grande sur tout esprit capable de réfléchir, 
s'ils lie sont employés qu'à fortifier 'ce que la raison et le sen- 
timent intérieur ont déjà commandé ? 

n Dîra-t-on que l'idée de cette séparation s'élëve trop au 
dessus des lumières actuelles du peuple? Non , sans doute; car, 
puisqu'il s'agit ici d'instruction publique, tolérer une erreur 
ce serait s'en rendre complice ; ne pas consacrer hautement la 
vérité ce serait la trahir. Et quand bien même il serait vrai que 
des ménagemens politiques dussent encore pendant quelque 
temps souiller les lois d'une nation libre ; quand cette doctrine 
insidieuse ou faible trouverait une excuse dans cette stupidité 
qu'on se pi ait à supposer dans le peuple pour avoir un prétexte 
de le tromper ou de l'opprimer, du moins l'instruction, qui doit 
amener le temps oii ces ménagemens seront înuliîes , ne peut 



( a86 ) 

appartenir qu*à la vérité seule , et doit lui appartenir tout 
entière (i). 

» Nous avons donné le nom de ]ycée au quatrième degré 
d'instruction ; toutes les sciences y sont enseignées dans toute 
leur étendue. C'est là que se forment les savans , ceux qui font 
de la culture de leur esprit , du perfectionnement de leurs 
propres facultés une des occupations de leur vie , ceux qui se 
destinent à des professions oti l'on ne peut obtenir de grands 
succès que par une étude approfondie d'une ou plusieurs 
sciences ; c'est là aussi que doivent se forlher les professeurs. 
C'est au moyen de Ces établissemens que chaque génération 
peut transmettre à la génération suivante ce qu'elle a reçu de 
celle qui l'a précédée , et ce qu'elle a pu y ajouter. 

» Nous proposons d'établir en France neuf lycées. Les lu- 
mières, en partant de plusieurs foyers à la fois, seront répandues 

» 

mots 

humaioe. 

tuens religieux qui nousporlent vers lui sont uliles à la morale : or, en 

supposant celte opinion fondée , il en résulte qu^il faut également se 

garder et de faire enseigner une religion particuliiTe, et de salarienm 

culte ; car dans cette hypothèse ce qui est utile cVsl précisément ce qui 

est commun à toutes les religions et à tous lés cultes. 

» Il en résulterait encore que toute religion particulière est mauTaisc, 
parce quMIe dirige nécessairement vers un but qui lui est propre, et, 
si elle a des prêtres, Vers fintérét de ses prêtres , ces mêmes sentimens 
religieux qu'on suppose nécessaires à la morale. 

» De quelque opinion que Ton soit sur Texistence d^une cause pre- 
mière , sur rmfluence des sentimens religieux , on ne peut soutenir qu'il 
soit utile dVnseigner la mythologie d^une religion sans dire qu'ail peut 
(tre utile de tromper les hommes; car si vous, romain, tous voules 
faire enseigner votre religion d\iprès ce principe, un mahométan doit 
par la même raison vouloir faire enseigner la sienne. 

» Direz-vous : ia mienne est la]seul(r vraie... ? Non , car la puissance 
publique ne peut être juge de la vérité d^me religion. 

>» Ainsi, en supposant mtme qu'il soit utile qne les hommes aient 
besoin d'une religion , les soins , \es dépenses qui auraient pour objet 
de leur en donner une sont une tyrannie exercée sur les opinions, et 
aussi contraire à la politique qu'à la murale. 





g" 
qu( 

\e^ /hommes. Cest donc un objet qui doit êl!re laissé sans aocune 

influence étrangère à la raison et a la conscience de chaque iodî- 

■vidu. to [lyotedu rapporteur.) 



(287 ) 
avec pljis d'égalité, et se distribueront dans une plus grande 
masse de citoj^ens. On sera sûr de conserver dans les dëparle- 
mens un plus grand nombre d'hommes éclairés , qui , forcés 
d'aller achever leur instruction à Paris , auraient été tentés de 
s'y établir ; et , d'après la forme de la Constitution , cette con- 
sidération est très importante (i). 

a> £n effet , la loi oblige à choisir les députés à la législature 
parmi les citoyens de chaque département ; et quand elle n'y 
obligerait pas, l'utilité commune l'exigerait encore, du moins 
pour une très grande partie; les administrateurs, les juges sont 
pris également dans le sein du département oii ils exercent 
leurs fonctions. Comment pourrait-on prétendre qu'on n'a rien 
négligé pour préparer à la nation des hommes capables de^ 
fonctions les plus importantes , si une seule ville leur présentait 
les moyens de s'instruire ? Comment pourrait-on dire que l'on 
a offert à tous les talens les moyens de se développer, qu'on n'en 
a laissé échapper aucun , si dans un empire aussi étendu que la 
France ils ne trouvaient que dans un seul point la possibilité de 
se former ? 

M D'ailleurs il n'aurait pas été sans inconvénient pour le 
succès, et surtout pour Tégalité de l'instruction commune, de " 
n'ouvrir aux professeurs des instituts qu'une seule école , et de 
l'ouvrir à Paris. On a fixé le nombre des lycées à neuf parce 
qu'en com^^arant ce nombre à celui des grandes universités 
d'Angleterre , d'Italie , d'Allemagne , il a paru répondre à ce 
qu'exigeait la population de la France. En effet, sans que le 
nombre des élèves puisse nuire à l'enseignement, un homme sur 
seize cents pourra suivre un cours d'études' dans les lycées; et 
cette proportion est suffisante pour une instruction nécessaire 
seulement à un petit nombre de professions , et oii l'on n'en- 
seigne que la partie des sciences qui s'élève au dessus des élé- 
mens. 

» L'enseignement que nous proposons d'établir est plus 



Quelle que soii la Constitution Dou\elle, Pég .lité qui doit sub- 
eles diverses portions deTEtat, ruiililé d'y nourrir également 



sisttr entre 

l"* esprit public si Ton veut qa''il conserve sa pureté , cette union entre 
1rs citoyens des différentes contrées, qui ne peut nailre que de l'unité 
des principes , tout rend nécessaire cette distribution , qui appelle les 
citoyens à une instruction plus égale. » {Noie du rapporteur.) 



( 288 ) 
complet , la diitribution en est plus au mvean de Vitat açtud 
des sciences en Europe qae dans aucun des établissemens de ce 
genre qui existent dans les pays étrangers : nous avons cru 
qu'aucune espèce d'infériorité ne pouvais convenir à la nation 
française , et puisque chaque année est marquée dans les 
sciences par des progrès nouveaux , ne pas surpasser ce qu'on 
trouve établi ce serait rester au dessous. 

» Quelques uns de ces lycées seront placés de manière à y 
attirer les jeunes étrangers. L'avantage commercial qui en ré- 
sulte est peu important pour une grancle nation ; mais celui de 
répandre sur un plus grand espace les principes de l'égalité et 
de la liberté , mais cette réputation que donne à un peuple l'af- 
fluence des étrangers qui viennent y chercher des lumières , 
mais^ les amis que ce peuple s'assure parmi ces jeunes gens éle- 
vés dans son sein , mais l'avantage immense de rendre sa langue 
plus universelle, mais la fraternité qui peut en résulter entre 
les nations , toutes ces vues, d'une utilité plus noble, ne doivent 
pas être négligées. 

9 Quelques lycées doivent donc être placés à portée des 
frontières. Dans leur distribution générale sur la surface de 
l'empire on doit éviter toute disproportion trop grande entre 
leurs distances respectives : les villes qui renferment déjà de 
grands établissemens consacrés soit à l'instruction , soit anx 
progrès des sciences , ont droit k une préférences/ondée sur 
des vues d'économie , et sur l'intérêt même de renseignement. 

n Enfin nous avons pensé que des villes moins considéral^es, 
oii l'attention générale des citoyens pourrait se porter sur ces 
institutions , oii l'esprit des sciences ne serait pas étou£Fé par de 
grands intérêts y oii l'opinion publique n'aurait pas assez de 
force pour exercer sur l'enseignement une influence dange- 
reuse, et l'asservir à des vues locales, présenteraient plus 
d'avantages que les grandes villes de commerce , d'oii une plus 
grande cherté des choses nécessaires à la \ie éloignerait les 
enfans des familles pauvres , tandis que les parens pourraient 
encore y craindre des séductionis plus puissantes , des occasions 
plus multipliées de dissipation et de dépense. Nous n'avons pas 
étendu cette dernière considération jusque sur Paris : la voix 
unanime de l'Europe , qui depuis un siècle regarde cette ville 



( 289) 

€ommc une ies capitales du monde savant ^ ne le permettrait 
pas» C'est en combinant entre eux ces divers principes, en 
accordant plus ou moins à chacun d'eux , que nous avons déter- 
miné l'emplacement des lycées. 

» Le lycée de Paris ne différera des autres que par un ensei- 
goemeot plus complet des langues anciennes et modernes , et 
peut-être par quelques institutions consacrëesaux artsagréables, 
objets qui par leur nature n'exigeaient qu'an 'seul établissement 
pour la France. Nous avons cru qu'une institution oà toutes 
les langues connues seraient enseignées , ou les hommes de tous 
les pays trouveraient un interprète, oii l'on pourrait ânaliser , 
comparer toutes les manières suivant lesquelles les hommes ont 
formé et classé leurs idées , devait conduire à des découvertes 
importantes, et faciliter les moyens d'un rapprochement entre 
les peuples , qu'il n'est plus temps de reléguer parmi les chi- 
mères philosophiques. 

» C'est élans les lycées que de jeunes gens dont la raison est 
déjà formée s'instruiront par l'étude de l'antiquité , et s'instrui- 
ront sans danger, parce que, déjà capables de calculer les 
effets d« la ditférertce des mœurs , des gouvernemens , des lan- 
gages, dn progrès des opinions ou des idées, its pourro/it à la 
fois sentir et juger les beautés de leurs modèles. 

» L'instruction dans les lycées sera commune aux jeunes 
gens qui cooaplètent leur éducation et aux hommes : on a vu 
plus d'une fois à Paris des meaihres des académies suivre 
exactement les leçons du collège royal, et plus souvent assister 
k quelques unes dont l'objet leur offrait un intérêt plus vif. 
D'ailleurs des bibliothèques plus complètes , des cabinets plus 
étendus, de plus grands jardins àe botanique et d'agriculture 
«ont encore un moyen d'instruction; et l'on y joint celui de 
conférences publiques entre les professeurs , parce qu'on y 
peut traiter des questions vers lesquelles les circonstances appel- 
lent la curiosité, et qui ne peuvent entrer dans des leçonà 
nécessairement assujéties à un ordre régulier. 

» Dans ces quatre degrés d'instruction l'enseignement sera 
totalement gratuit. 

» L'acte constitutionnel le prononce pour le premier <^egré, 
et le second^ qui peut aussi être regardé comme général , ne 
xia. ,Q 



( 290 ) 

pourrait cesser d'être gratuit sans établir une inégalité favo- 
rable à la classe la plus riche , qui paie les contributions à pro- 
portion de ses facultés ^ et ne paierait renseignement qu'à raison 
du nombre d'enfans qu'elle fournirait aux écoles secondaires. 
>» Quant aux autres degrés , il importe à la prospérité 
publique de donner aux enfans des classes pauvres , qui sont les 
plus nombreuses y la possibilité de développer leurs talens ; c'est 
un moyen non seulement d'assurer à la patrie plus de citoyens 
en état de la servir y aux sciences plus d^bommes capables de 
contribuer à leurs progrès , mais encore de diminuer cette iné- 
galité qui natt de la différence des fortunes , de mêler entre elles 
les classes que cette différence tend à séparer. L'ordre de la 
nature n'établit dans la société d'autre inégalité que celle de 
l'instruction et de la richesse, et en étendant l'instruction vous 
affaiblirez k la fois les effets de ces deux causes de distinction. 
L'avantage de l'instruction , moins exclusivement réuni à celai 
de l'opulence , deviendra moins sensible, et ne pourra plus être 
dangereux ; celui de naître riche sera balancé par l'égalité , par 
la supériorité même des lumières que doivent naturellement 
obtenir eeux qui ont un Qiotif de plus d'en acquérir. 

» D'ailleurs , ni les lycées ni les instituts n'attirant un 
nombre égal d'élèves , il résulterait de la non gratuité une dif- 
férence trop grande dans l'état des professeurs ; les villes opu- 
lentes , les pays fertiles auraient tous les instituteurs habiles y 
et ajouteraient encore cet avantage' à tous les autres. Comme il 
existe des parties de sciences , et ce ne sont pas toujours les 
moins utiles , qui appelleront un plus faible concours , il fau- 
drait , ou établir des différences dans la manière de payer les 
professeurs , ou laisser entre eul une excessive inégalité , qui 
nuirait à cette espèce d'équilibre entre les diverses branche* 
des connaissances humaines , si nécessaires à leurs progrès 
réels. 

' » Observons encore que Télève d'un institut ou d'un lycée , 
dans lequel l'instruction est gratuite , peut suivre à la fois un 
grand nombre de cours sans augmenter la dépense de ses 
parens ; qu'il est alors le maître de varier ses études , d'essayer 
son goût et ses forces : au lieu que y si chaque nouveau cours 
nécessite une dépense nouvelle, il est forcé de renfermer son 



( 29» ) 
activité dans des limites plus étroites, de sacrifier souvent à 
réconomie une partie importante de son instr iction ; et cet 
inconvénient n'existe encore que pour les familles peu riches. 

» D'ailleurs , puisqu'il faut donner des appointemens fixes 
aux professeurs, puisque la contribution qu'on exigerait des 
écoliers devrait être nécessairement très faible , l'économie le 
serait aussi , et la d pense volontaire qui en résulterait tombe- 
rait moins sur les familles opulentes que sur celles qui s^inri- 
posent des sacrifices pour procurer à des enfans dont les 
premières années ont annoncé des talens les moyens de les 
cultiver et de les employer pour leur fortune. 

» Enfin iVmulation que ferait naître entre les professeurs le 
désir de multiplier des élèves ^ dont le nombre augmenterait 
leur revenu , ne tient pas à des sentimens assez élevé» pour que 
l'on puisse se permettre de la regretter. Ne serait-il pas à 
craindre qu'il ne résultât plutôt de cette émulation des rivalités 
entre les établissemens d'instruction ; que les maîtres ne cher- 
chassent à briller plutôt qu'à instruire ; que leurs méthodes , 
leurs opinions mêmes ne fussent calculées d'après ce désir d'at- 
tirer à eux un plus grand nombre d'élèves ; qu'ils ne cédassent 
à la crainte de les éloigner en combattant certains préjugés, en 
«'élevant contre certains intérêts ? 

» Après avoir affranchi l'instruction de toute espèce d'auto- 
rité, gardons-nous de l'assujétir à l'opinion commune : elle doit 
la devancer, la corriger, la former, et non la suivre et lui 
obéir. 

» Au delà des écoles prim.aires l'instruction cesse d'être 
rigoureusement universelle. Mais nous avons cru que nous rem- 
plirions le double objet et d'assurer à la patrie tous les talens 
<}tti peuvent la servir , et de ne priver aucun individu de l'avan- 
tage de développer ceux qp'il a reçus , si les eufaus qui ea 
avaient annoncé le plus dans un degré d'instruction étaient 
appelés à en parcourir le degré supérieur, et entretenus aux 
dépens du trésor national sous le nom d'élèves de la patrie* 
D'après le plan du comité , trois mille huit cent cinquante 
enfans ou environ recevraient une somme suffisante pour 
leur entretien; mille suivraient l'instruction des instituts , six 
eeuts celle des lycées j environ quatre cent» en sortiraient 



{ ^2 ) 

chaque année pour remplir dans la société des emplois utile», 
ou pour se livrer aux sciences ; et jamais dans aucun pays la 
puissance publique n'aurait ouvert à la partie pauvre du peuple 
une source si abondante de prospérité et d'instruction ; jamais 
elle n'aurait employé de plus puissans moyens de maintenir 
l'égalité nadurelle. On ne s'est pas même borné à encourager 
l'étude des sciences ; on n'a pas négligé la modeste industrie 
qui ne prétendrait qu'à s'ouvrir une entrée plus facile dans une 
profession laborieuse ; on a voulu qu'il y eût aussi des récom- 
penses pour l'assiduité , pour l'amour du travail , pour la bonté, 
lors même qu'aucune qualité brillante n'en relevait l!éclat ; et 
d'autres élèves de la patrie recevront d'elle leur apprentissage 
dans les arts d'une utilité générale (i). , 

{i) « La gratuité de rinstruction doit être cansidérée surtout dans 
soo rapport avec Tégalité sociale. 

M Dans les dépenses publiques le pauvre contribue à proportion » 
et même moins qu'*à proportion de ses facultés, si les contributioof 
sont établies suivant uni bon système, et il profite des avantages d'ane 
instruction gratuite dans une plus grande proportion. Kxaminons ces 
avnntag'^Sf en supposant que le plan du comité soit réalisé. 

» i^\ Les pères de famille en profitent a raison du nombre de leori 
enfans pour les deux degrés d'instruction, qu''on peut regarder comme 
universels. 

M 2^. Les citoyens pauvres, soit des villes où se trouvent les insti- 
tuts , soit de l'arrondissement, profitent aussi de ces établissemenspoitr 
ceux de leurs enfans qui sont nés avec des dispositions. En effet , comme 
par la combinaison des différens cours Pinstruction se divise et qoant 
à son étendue et quant à sa nature , suivant la volonté des élèves oa de 
ceux qui les dirigent, rien nVmpêcherade réjterver dans les conditions 
d'un apprentissage la liberté de suivre un des cours de Tinstitut. 

u 5'\ On peut dire la même chose des lycées. Un jeune bomme 
appliqué, et né avec de la facilité, peut gagner sa subsistance, et s* 
réserver assez de temps pour se perfectionner dans les connaissances 
vers lesquelles il serait porté par un véritable talent. 

» Il existe actuellement un naturaliste célèbre qui, né sans fortune, 
€t ayant appris sans maître les élémens de géométrie , est venu à P»>^< 
pour y étudier la chimie et l'histoire naturelle, et y à longtexnps sub- 
sisté des leçons de mathématiques qu'ail donnait aux enfans. 

M Je connais un très bon professeur de mathématiques qui n^a pQ 
suivre les études auxquelles la nature Tappelaitquedaos les intervalles 
du temps qui lui restait après avoir pourvu à sa subsistance en faisant 
des bas au métier. 

)) On sait Thistoire du philosophe Oéante, et celle de ce garçon 
jardinier du duc d"*Argele, qui était parvenu à entendre Newton en latin, 
sans avoir jamais paru négliger son travail ordinaire. 

» Parmi ceux qui , dans un temps plus éloigné de nous, ont déplore 
des talens daq^ des genres alors en honneur, et justement mépri^ic* 



( âgî ) 

» ]!>ans les écoles primaires et secondaires les livres ele'inen- 
taîres seront le résultat d'un concours ouvert a tous les citoyens , 
à tous les hommes qui seront jaloux de contribuer à Tinstruc- 



Auîourd''hui , combien n^ont pas commencé leur carrière par être 
domestiques dans un collège on dans un couvent, afin de pouvoir 
apprendre gratuitement la langue latine ? 

» Ainsi la gratuité dans tous les degrés ^''instruction étenrl ses avan- 
tages sur un bien plus grand nombre d^ndividus qu''on ne le croirait au 
premier coup d'œil. 

» Car ces exemples, assez rares autrefois, deviendront communs par 
Teffei de Tégalité républicaine , et de la destruction des préjugés 
bourgeois ou nobiliaires. 

» ^**. Quant à Tutilité générale que chaque individu retire de cïla 
seul qu'il existe dans la société plus d^instructioo commune, plus de 
lumières, plus de talcns,n^est-il pas juste que le célibataire y contribue 
comme le pire do famille, puisqu'^il en profite égalemeni? et le reste 
des dépenses de rinstruciion dont le^ pures demeurent chargés seuls «c 
suffit-il pas pour compenser les avantages que ceux-ci retirent de Tins- 
tmction de leurs enfans ? 

» 5°. En examinant la France géographiquement on verra que si 
Tinstruction est abandonnée à elle-néme elfe ne pourra se répandre 
qu^avec une funeste inégalité. Les grandes villes , les pajs riches y 
trouveront des moyens d^étendre , d'augmenter leurs avantages, déjà 
trop réels; les autres portions de la République ou manqueront de 
maîtres ou n'en auront que de mauvais. 

» Et cette i^rande inégalité dHnstruction en détruit presque toute 
Futilité. Tant que vous laisserez une grande portion du ptuple eu proie 
à rignorance, et dès lors à la séduction, aux préjugés, à la supersti- 
tien, vous ne réaliseree point le but que vous devez vous propos(r , 
celui de montrer enfin au monde une nition où la liberté , l'égalité , 
soient pour tous un bien réel dont ils sachent jouir, et dont ils con- 
naissent le prix. 

» Vo'js ne concilierez jamais la liberté «^t la paix , jamais vous n'éta- 
blirez cette obéissance aux lois, la seule digne des hommes libres, celle 
qui est fondée sur un respect volontaire, sur la raison, et non sur 
la force. 

» Vous aurez toujours deux peuples , différant d^instruction , de 
mœurs, de caractère, d'esprit public. 

» Au contraire , l'égalité de Tinstruction doit diminuer les autres 




les besoins , y contribueront encore. 

» Une Constitution populaire, fondée surTégalité, doit nécessai- 
rement attacher les citoyens à leurs foyers ; mais le défaut d'instrnctioa 
en éloignerait les s.ens riches dans leur jeunesse, et les ^oûts contractés 
dans les villes où il y aurait plus de lumières pourraient souvent les 
y retenir. 

» Le systtme d'une instruction égale et partout semblable n'est bm 
moins utile pour éubiir sur une base iocoranlable ronité-nationale , 
taudis qu'en abandonnant rinstruction aux volontés individuelles elU 



s 



( 394 ) 
lion publique ; mais on désignera les auteurs des livres élé- 
mentaires pour les instituts. On ne prescrira rien aux pro- 
fesseurs du lycée , sinon d'enseigner la science dont les cours 

ne serTirait i^uk torlifitr ces diffcrr nces d'^usHges, d^opinions, de goûlSt 
de caraclères, qu'il est si imporlaot de faire disparaître. 

» 6^. Souimes-nous au poiol où Ton peut sads risque laisser Pinstruco 
tion «''orgMoiset elle-mcme? Sommes-nous à celui où l'autorité publique 
peut 1 organiser d'une manière utile? 

» Si j^examine Téiat actuel d» s lumiî res en Europe , je li^ois réconomie 
tODt entK re dt'S sciinres physiques , rt par une suite nécessaire celle 
dt's arts, dont elles sont la buse, celle même des sciences morales et poli- 
tiques, appuyées sur des prinripes certains, qui sont eux-mêmes le 
résultai de fails généraôi et incontestables. Je Tois, malgré la diversité 
des gouvern* mens , des institutions, Jes usages, des préjuges, les 
]]omm«?s éclairés de TËurope enii^ res^accorJer sur les vérités qui peu- 
vent former les élémens de ces scientes , comme sur la métliode de les 
enseigner. L'art de la tt:inture, ceax qui sVxercent sur lesdivers métaux, 
ceux qui forment les nombreuses espèces de tissus employés pour nos 
besoin}*, ceux qui préparent les substances des trois règnes, soit pour 
nos besoins immédiats, soit pour d'autres travaux ; tous les aris, dont 
les procédés varient dans les divers pays, out cependant des principes 
généraux et reconnus , que les homm» s instruits ont su démêli r au milieu 
de toutes ces variétés , nées dans chaque contrée de la routine on de sa 
position géographique. 

» Il est donc possible d'étabUr sur Topinion universelle des hommes 
éclairés une instruction élémentaire conforme à la vérité et dirigée 
par une bonne méthode; et apr(^s avoir séparé de la morale les opinions 
religieuses et renseignement des principes de la politique générale, 
de l'exposition du droit public national, il est impossible que cette 
instruction corrompe les opinions sur la morale ou sur la politique, 
comme il est impossible qu^elle trompe sur la physique ou sur la 
chimie. 

» Mais comme cette même certitude n''existe pas, ne peut exister pour 
le système entier d'aucune science, les mathématiques exceptées, la 
puissance publique ne doit influer sur l'enseignement des lycées qu^en 
établissant un moyen de choisir les maîtres qui répondent 4c leurs talens 
sans influer sur burs opinions. « 

» Il serait dangereux au contraire d^ab^ndonner la direction dé 
l'instruction élémentaire, parce que les lumières ne sont pas assez gêné* 
ralement répandues pour n'avoir pas à craindre qu'elle ne soit égarée 
soit par les préjugés^ so:t par une haine de ces mêmes préjugés puéri- 
lement exagérée. 

» D'ailleurs il est évident que cette direction tomberait réellemeot 
dans la dépendance des hommes riches , et alors elle ne serait pas 
celle qui convient à la conservation de la liberté. Chet les anciens 
l^instruction étnii fort chère, et ne se trouvait en général qu'à la portée 
des riches. Qu'en est-il résulté? Une pente vers raristocratie , remar- 
quable surtout dans les historiens. Il suffit de voir sous quels traits 
nous ont été représentées les tentatives faites pour détruire à Rome 
Tinfluencede cette inégalité, qui devait à la longue anéantir la Répu- 
blique. 

» Distribution^ des terrés nationales même encore réservées, chaa* 



.(^95) 
qu'ils seront chargés de donner porteront le nom. L'étendue 
des livres élémentaires destinés aux instituts , le désir de voir 
des hommes célèbres consentir à s'en charger, le peu d'espérance 



gemens dans la forme des délibérations , extension du droit de cité ; 
toutes ces opérations , dî's qu'elles tendent vers Tégalité , sont toujours 
présentées non comme mal combinées, renfermant quelques injustices, . 
maïs comme séditieuses , ^omme inspiréts par l'esprit de faction et de 
brigandage. 

•» Enlin , qui répondra que ni^me la superstition ne s'empare des nou-^ 
Telles écoles , comme elle s^en est empare après la destruction de Tem- 
pire d''Occident ? 

» 7®. On craint que celles qui seraient établies sur des principes 
philosophiques ne soient négligées; et cette crainte en prouve la néces- 
sité. Mais SI elles sont gratuites ce danger n^ existera point, et quand 
même certaines classes d^hommt^s paraîtraient d^abord les dédaigner , 
leur intérêt même les y rappellerait bientôt. La gratuité , les avantages 
sensibles qu'acné présente, y appelleraient lesenfansdes citoyens sans 
fortune ; «t dans une République les riches savent combien il importe 
à leurs enfans qu''une éducation coipmune leur prépare de bonne neure 




pour que, malgré les distinctions aristpcra tiques, 
une égalité de fait plus grande que dans la plupart des autres pays 
de rÉurope. 

» 8®. On craint que des maîtres appoin'tés ne négligent leurs devoirs. 

-» On oublie trop qu^il n''y a plus ni distinctions héréditaires , ni places 
conférées à vie ou pour un grand nombre d^années , et qu^ainsi un 
maître qui remplit bien ses devoirs est un citoyen respectable et res- 
pecté, et non plus un homme qui exerce pour de Targent un métier 
très peu considéré. 

» Le défaut d^émulation n'^est pas k craindre. Les maîtres des écoles 
primaires et secondaires ont pour perspective les places dans les ins- 
tituts , et les professeurs des instituts les places au lycée : celles-ci 
dans notre système actuel seraient regardées comme un véritable 
honneur. 

» La négligence n'y est pas à craindre si elles ne sont pas absolument 
perpétuelles. Les lecteurs du collège de France dans lis genres oii ils 
avaient des auditeurs } les professeurs du jardin des plantes n^ont jamais 
aégliçé leurs fonctions, même sons Tancien régime , surtout dans les 
premières années de leur nomination. 




, que le projet présente a i i 
combiné; mais pour appliquer Texpérience à une nation nouve 
fallu dégager les faits de Tinfluence des causes qui ne subsistent plus. 

» Une disposition très propre h maintenir l'émulation, et a faire 
honorer les instituteurs des écoles inférieures, serait celle qui ordon- 
nerait de ne choisir après un certain temps les protesseurs des instituts 
que parmiceux qui auraient exercé les fonctions d'instituteurs d'accolés 
primaires ou secondaires, et les professeurs de ycée que p^trmi ceux 
qui auraient enseigné dans les instituts , avec une exception en faveur 



( ^\fi ) 

qu'ils le voulnssent s'ils n'étaient pas s&rs que leur travail fut 
adopté , la difficulté de juger , tous ces motifs nous ont déter- 
minés à ne pas étendre à ces élémens la méthode d'un concours. 
Nous^nous sommes dit : toutes les fois qu'un homme justement 
célèbre dans un genre de science quelconque voudra faire pour 
cette science un livre élémentaire , qu'il regardera ce travail 
comme une marque de son zèle pour l'instruction publique , 
pour le progrès des lumières , cet ouvrage sera bon ; c'est un 
homme célèbre en Europe qu*il faut entendre ici , et dès lors on 
n'a pas à craindre de se tromper sur le choix. Si au contraire 
on propose un concours , qui répondra d'obtenir un bon livre 
élémentaire ? Comment prononcer entre dix ouvrages , par 
exemple , dont chacun serait un cours élémentaire de mathé- 
matiques ou de physique en çleux volumes ? £st-on bien sur que 
les juges se dévoueront à l'ennui de cet examen ? £st-on bien 
sûr qu'il leur soit même possible de bien juger? Quelques vues 
philosophiques , quelques idées fines , ingénieuses , qu'ils re- 
marqueront dans un ouvrage , ne feront-elles point pencher 
la balance en sa faveur aux dépens de la méthode ou de la 
clarté ? 

» Dans les trois premiers degrés d'instruction on n'enseigne 
que des élémens plus ou nirûns étendus ; il est pour chaque 
science, pour chacune de se. divisions une limite qu'il ne faut 
point passer : il faut donc que la puissance publique indique 
les livres qu'il convient d'enseigner ; mais dans les lycées , oii la 
science doit s'enseigner tout entière , alors c'est au professeur 
à choisir les méthodes. Il en résulte un avantage inappréciable; 
c'est d'empêcher l'instruction de jamais se corrompre ; c'est 
d'être sûr que si , par une combinaison de circonstances poli- 
tiques , les livres élémentaires ont été infectés de doctrines dan- 
gereuses , l'enseignement libre des lycées empêchera les effets 

des savans étrangers j exception que le Corps léj^islatif seul pourrait 
prononcer. 

j> En un mot, sans instruction nationale gratuite pour tous les degrés, 

quelque combinaison que Vous choisissiez, vous aurez ignorance générale 

ou inégalité ; vous aurez des savans, des philosophes; des politiqnef 

éclairés, mais la masse du peuple conservera des erreurs, et au milieu de 

réclat des lumières vous serez gouvernés par les préjugés. » 

( dfou du rapporteur. ) 



/ 



( 297 ) 
de cetle corruption; c'est de n'avoir pas à craindre que jamais 
le langage de la vérité puisse être étouflfé. 

» Enfin , le dernier degré d'instruction est une société natio- 
nale des sciences et des arts , instituée pour surveiller et diriger 
les établissemens d'instruction , pour s'occuper du perfection- 
nement des sciences et des arts , pour recueillir, encourager, 
appliquer et répandre les découvertes utiles. 

» Ce n'est plus de l'instruction particulière des enfants ou 
même des hommes qu^il s'agit , mais de l'instruction de la gé- 
nération entière , du perfectionnement général de la raison hu- 
maine ; ce n'est pas aux lumières de tel individu en particulier 
qu'il s'agit d'ajouter des lumières plus étendues ; c'est la masse 
entière des connaissances qu'il faut enrichir par des vérités nou- 
velles ; c'est à l'esprit humain qu'il faut préparer de nouveaux 
moyens d'accélérer les progrès , de multiplier ses découvertes. 
»> Nous proposons de diviser celle société en quatre classes , 
qui tiendront séparément leurs séances. 

» Une société unique trop nombreuse eût été sans activité , 
ou bien , réduite à un trop petit nombre de membres pour 
chaque science , elle n'eut plus excité d'émulation , et les mau- 
vais choix , qu'il est impossible d'éviter toujours , y auraient 
été trop dangereux. * 

« D'ailleurs elle aurait été formée de trop de parties hété- 
rogènes ; les savans qui l'auraient composée y auraient parlé 
trop de diverses langues , et la plupart des lectures ou des dis- 
cussions y auraient été indifférentes à un trop grand nombre 
des auditeurs. 

» D'un autre côté nous avons voulu éviter la multiplicité 
des divisions : une société occupée d'une seule science est trop 
facilement entraînée à contracter un esprit particulier , à deve- 
nir une espèce de corporation. 

>» Enfin , il importe au progrès des sciences de rapprocher 
et non de diviser celles qui se tiennent par quelques points ; 
tandis que chacune fait des progrès , s'enrichit de découvertes 
qui lui sont propres , ces points de contact se multiplient , ces 
applications d'une science à une autre offrent une moisson fé- 
conde en découvertes utiles; et tel doit être l'effet de l'accrois- 
sement des lumière^ , que bieftlôt aucune science ne sera plus 



(398) 
isolée , qu'aucune ne sera totalement étrangère à aucune 
autre. 

x> C'est d'après ces vues que nous avons formé les divisions 
de la société nationale. , 

» La première classe comprend toutes les sciences mathé- 
matiques. 

» Depuis un siècle aucune société savante n'a imaginé de les 
séparer; passant par d'insensibles degrés de celles qui n'em- 
ploient que le calcul à celles qui ne se fondent que sur l'obser- 
vation , presque toutes aujourd'hui peuvent employer ces deux 
moyens de reculer les bornes des connaissances humaines ; et 
il est utile que ceux qui savent le mieux employer l'un ou 
l'autre de ces iustrumens de découvertes s'entr'aident, s'éclairent 
mutuellement ; que le chimiste , que le physicien empêchent le 
botaniste de se borner à la simple nomenclature des noms ^ à 
la description trop nue des objets , ou rappellent à des travaux 
plus utiles le géomètre qui emploierait ses forces à des questions 
sur les nombres, à des subtilités métaphysiques. 

w La seconde classe renferme les sciences niorales et poli* 
tiques. Il est superflu saus doute de prouver qu'elles ne doivent 
pas être séparées , et qu'on n'a pas dû les confondre avec 
d'autres. 

» La troisième comprend l'application des sciences mathé- 
matiques et physiques aux arts. 

» Ici nous nous sommes écartés davantage des idées com- 
munes. Cette classe embrasse la médecine et les arts méca- 
' niques, l'agriculture et la navigation. 

» Mais d'abord nous avons cru devoir faire pour les appli- 
cations usuelles des sciences ce que nous avons fait pour les 
sciences elles-mêmes. 

» Nous avons trouvé que même les distances étaient moins 
grandes , et les communications plus multipliées ; qu'un mé- 
decin , par exemple , qui s'occuperait des hôpitaux , de la 
manière de placer ou de remuer les malades dans certaines 
maladies, pour de grandes opérations , pour des pansemens 
difficiles , trouverait de l'avantage dans sa réunion avec des 
mécaniciens et des constructeurs ; qu'aucune distinction aussi 
marquée que celle des mathématiques pures et de certaines 



(«99) 
-parties des sciences physiques ne pouvait être appliquée 4 ces 
arts ; qu'il ne fallait pas séparer la médecine de Tart vétérinaire , 
par exemple, ni l'art vétérinaire de l'agriculture, ni l'agricul- 
ture de l'art des constructions , de celui de la conduite des eaux , 
et qu'on ne pouvait rompre cette chaîne sans briser une liaison 
utile. 

» Il restait donc à voir si une de ces parties pouvait exiger 
pour elle seule la création d'une société iso!ée : la médecine, 
l'agriculture , la navigation , étaient celles qui pouvaient le 
plus y prétendre , et même elles auraient pu alléguer des éta- 
blissemens déjà formés en leur faveur. 

i> Mais d'abord une société de marine , par exemple , ne peut 
subsister qu'en y supposant réunies toutes les sciences sur les- 
quelles l'art naval est appuyé : elle serait donc une société des 
sciences particulièrement appliquées à la marine, et une sorte 
de double emploi. De même une société de médecine ne peut 
se soutenir qu'en appelant des anatomistes, des botanistes , des 
chimistes. Celle d'agriculture aura des botanistes , des minéra- 
logistes , des chimistes , des honuues occupés d'économie poli- 
tique et de commerce , etc. 

» Or qu'en résultera- t-il ? Une diminution de considération 
pour ces sociétés particulières , parce que les savans qui les 
composeront regarderont une place dans la société qui embras- 
sera la généralité des sciences comme un objet plus digne d'ex- 
citer leur émulation. 

» Il faudra donc ou que l'on soit de deux , de trois sociétés à 
la fois , ce qui u'a aucun avantage que de nourrir la vanité , ce 
qui nuit à l'égalité ; ou bien qu'il soit permis de passer de l'une 
à l'autre , ce qui produirait des changcmeus continuels , nui- 
sibles à celle qui , ayant une moindre considération , serait 
habituellement abandonnée ; ou enfin qu'on reste irrévocable- 
ment fixé dans l'une d'elles , ce qui aumit l'inconvénient non 
moins grand d'exclure des sociétés consacrées à une seule 
science les hommes qui prétendraient à celle oii elles sont toutes 
réunies. 

» D'ailleurs je demanderai combien , par exemple 9 on 
trouvera d'hommes qui , n'étant ni assez grands géomètres , ni 
assez habiles mécaniciens pour être placés comme tels dans une 



( 3(Jo ) 

société savante , peuTlfînt cependant accélérer les progrès de la 
science navale ; combien vous trouverez d'agriculteurs qui , sans 
avoir un nom dans la botanique, auront réellement contribué à 
quelque grand progrès de l'agriculture ; combien de médecins 
ou de chirurgiens célèbres comme tels , et non par leurs décou- 
vertes dans les sciences ? Le talent pour ces applications , en le 
séparant du génie des sciences, ne peut être le partage d'an 
assez grand nombre d'hommes pour en former un corps à 
part ; et , loin de nuire k ces arts importans , c'est au contraire 
les servir que de les réunir dans une grande société oii chacun 
d'eux obtienne un petit nombre de places. 

» D'ailleurs ces sociétés, si elles étaient séparées , devien- 
draient en quelque sorte une puissance élevée au-dessus de 
ceux qui cultivent chacune des professions qui y répondent; 
réunies , elles ne peuvent en être une àj'égard de la généralité 
des citoyens partagés entre ces professions diverses. 

» La quatrième classe renferme la grammaire , les lettres j 
les arts d'agrément, l'érudition. 

» Dans l'enseignement public , dans la société nationale , 
les arts d'agrément , comme les arts mécaniques , ne doivent 
^tre considérés que relativement à la théorie qui leur est 
propre. On a pour objet de remplir cet intervalle qui sépare la 
science abstraite de la pratique , la philosophie d'un art ,deli 
simple exécution. C'est dans les ateliers du peintre, commede 
l'artisan ou du manufacturier , qiie l'art proprement dit doit 
être enseigné par l'exercice même de l'art : aussi nos écoles ne 
dispensent point d'aller dans les ateliers ; mais on y apprend à 
connaître les principes de ce qu'on doit ailleurs apprendre â 
exécuter. 

» C'est le moyen d'établir dans tous les arts , dans tous les 
métiers mêmes une pratique éclairée , de réunir par le lien 
d'une raison commune , d'une même langue , les hommes que 
leurs occupations séparent le plus ; car jamais nous n'avons 
perdu de vue cette idée de détruire tous les genres d'inégalité* 
de multiplier entre les hommes que la nature et les lois atta- 
chent au même sol et aux mêmes intérêts des rapports qui 
rendent leur réunion plus douce et plus intimei 

» La distribution du travail dans les grandes sociétés établit 



( 5oi ) 

eàlre les facultés intellectuelles des hommes une distance ith* 

^i compatible avec cette égalité sans laquelle la liberté n'est, pour 

jB la classe moins éclairée, qu'une illusion trompeuse, et il 

ii n'existe que deux moyens de détruire cette distance ; arrêter 

é partout , si même on le pouvait , la marche de l'esprit humain , 

à réduire les hommes à une étemelle ignorance , source de tout 

i,i les maux , ou laisser à l'esprit toute son activité , et rétablir 

f régaii té en répandant les lumières. Tel est le principe fonda* 

ff mental de notre travail ; et ce n'est pas dans le dix-huitiëmc 

r siècle que nous avons à craindre le reproche d'avoir mieux aimé 

lit tout élever et tout affranchir que tout niveler par l'abaissement 

et la contrainte* 
k » Cet enseignement des arts , s'élevant par degrés depuis le§ 

t ccoles primaires jusqu'aux lycées , portera dans toutes les di«- 
a visions de la société la connaissance des principes qui doivent 
y diriger la pratique de ces arts, répandra partout et avec 
promptitude les découvertes et les méthodes nouvelles, et ne 
répandra que celles dont la bonté sera prouvée par l'expé- 
rience ; il excitera Tindustrie des artistes , et , l'empêcLaat en 
même temps de s'égarer , préviendra la ruine à laquelle leur 
activité et leur talent les exposent lorsque l'ignorance de la 
théprie les abandonne à leur imagination ; et rien peut-être 
n'accélérera davantage le moment ou la nation française attein- 
dra dans les manufactures, dans les arts, le point oii elle se 
serait élevée des longtemps si les vices de la constitution et de 
ses lois n'avaient arrêté ses efforts et comprimé son industrie. 

)• Dans le plan que nous proposons chaque individu ne 
pourra être membre que d'une seule classe; il pourra passer de 
l'une à l'autre , ce qui n'a point d^iuconvénient , parce que 
chaque classe est trop bornée pour y admettre des s^vans qui 
n'y appartiennent pas essentiellement, qu'aucune n'admet de 
membres appartenant naturellement à une autre , qu'aucune 
enfin n'a d'infériorité dans l'opinion : par les mêmes raisons 
ces passages seront très rares. 

» Nous avons déjà fait observer que chaque classe de la société 
tiendrait des séances séparément i elles seront ouvertes au 
public, mais seulement pour que ceux qui cultivent les sciences 
puissent écouter les lectures , suivre }es discussions i et sans 



( 302 ) 

que la nécessité èe se faire entendre des spectateurs , âe se 
mettre à leur portée , de les intéresser ou de les amuser, influe 
sur l'ordre des séances , la forme des discussions ou le choix 
des lectures. 

»> Les membres d'une classe auront droit de siéger dans 
toutes les autres, pourront prendre part aux discussions, lire 
des mémoires , insérer leurs ouvrages dans les recueils publiés 
par chacune ; et par ce moyen la règle de n'appartenir qu*à une 
seule nft privera d'aucun avantage réel ni les sciences, ni ceux 
qui en cultiveraient à la fois plusieurs : la vanité seule perdra 
celui d'alonger un nom de quelques mots déplus. 

M Chaque classe est divisée en sections ; chaque section a un 
nombre déterminé de membfes , moitié résidans à Paris , moi- 
tié répandus dans l'es départemens. 

M Cette division en sections est nécessaire par la raison que 
la société est chargée de la surveillance de l'instruction ; et elle 
est encoi*e utile pour être sûr qu'aucune partie des sciences ne 
cessera un moment d'être cultivée : or c'est un des plus grands 
avantages qui puissent résulter de l'établissement d'une société 
savante. ^ 

n £n effet , chaque science a ses momens de vogue et ses 
momens d'abandon ; une pente naturelle porte les esprits vers 
celle oii de nouveaux moyens ouvrent un champ vaste à des 
découvertes utiles ou brillantes , tandis que dans une autre le 
talent a presque épuisé les méthodes connues , et attend que 
le génie lui en montre de nouvelles. Ainsi ces divisions seront 
utiles jusqu'au moment oii les sciences , s'éteudant au-delà de 
leurs limites actuelles , se rapprocheront, se pénétreront en 
quelque sorte , et n'en feront plus qu'une seule. 

» La fixation du nombre des membres nous a paru égale- 
ment utile : sans cela une société savante n'est plus un objet 
d'émulation ; d'ailleurs elle cesse de pouvoir se gouverner elle- 
même ; elle est forcée de confier les travaux scientifiques à un 
comité , et l'égalité y est détruite. C'est ce qu'on voit à la so- 
ciété royale de Londres, Comment sept ou huit cents membres 
pourraient-ils avoir un droit égal de lire et Se faire imprimer 
dès mémoires , de prononcer sur ceux qui méritent la préfé- 
rence ? N'est-il pas évident que la très grande majorité serait 



( 3o3 ) 

hors d'état de produire de bons ouvrages , et même de bien 
juger ? Il faut donc ou borner le nombre des membres, ou avoif 
£oiiirae à Londres un comité aristocratique , ou se réduire à 
une nullité absolue. 

M La moitié de ces sa vans auront leur résidence habituelle 
dans les départeme ns , et cette distribution plus égale y néces*^ 
saire au progrès des sciences d'observation, de celles dont 
Futilité est la plus immédiate , aura encore l'avantage de ré- 
pandre les lumières avec plus d'uniformité , de les placer auprès 
d'un plus grand nombre de citoyens , d'exciter plus générale- 
ment le goût de l'étude et des recherches utiles , de faire mieux 
sentir le prix des talens et des connaissances , d'offrir partout 
à l'ignorance des instructeurs et des appuis , au charlatanisme 
des ennemis prompts à le démasquer et à le combattre ; de ne 
laisser aux préjugés aucune retraite oii ils puissent jeter de nou- 
Telles racines, se fortifier et s'étendre. 

w Les membres de la société nationale se choisiront eux-* 

mêmes. La première formation une fois faite, si elle renl^rme 

à peu près les hommes les plus éclairés , on peut être sûr que 

la société en présentera constamment la réunion. Depuis deux: 

ans , que l'on a beaucoup écrit contre l'esprit dominateur des 

académies, on a demandé de citer un seul exemple d'une 

découverte réelle qu'elles aient repoussée , d'un homme dont 

la réputation lui ^it survécu , et qui en ait été exclu autrement 

que par l'effet de l'intolérance politique pu religieuse ; d'ua 

savant célèbre par des ouvrages connus dans l'Europe qui ait 

essuyé des refus répétés ; et personne n'a répondu. C'est que 

les choix se font d'après des titres publics , des titres qui ne 

disparaissent point; c'est que l'erreur des jugemens peut être 

prouvée ; c'est que les savans et les gens de lettres dépendent 

de l'opinion publique ; c'est surtout qu'ils répondent de leurs 

choix à l'Europe entière. Cette dernière observation est si vraie 

que plus un genre de science a pour juges les hommes qui les 

cultivent dans les pays étrangers, plus aussi l'expérience a 

prouvé que les choix étaient à l'abri de tout reproche; et 

c'est encore un des motifs qui nous ont déterminés à borner^le 

nombre des membres de la société nationale. En effet, tant 



(3o4) 
que les noms connus dans l'Europe pourront remplir à peo 
près la liste entière , les mauvais choix ne seront pas à craindre. 

» Cependant on a pris de nouvelles précautions. D'abord 
on formera une liste publique de candidats ; ainsi tous ceux 
qui cultivent les sciences, qui les aiment, pourront, en con- 
naissant les concurrcns , apprécier les choix et exercer sur la 
société l'unique censure vraiment' utile , celle de l'opinion, 
armée du seul pouvoir de la vérité. 

M La classe entière, composée He savans dans plusieurs 
eenres , qui prononcent d'après la renommée comme d'après 
leur jugement, réduira cette liste à un moindre nombre 
d'éligibles; enfin la section choisira; et la responsabilité, 
portant alors sur un petit nombre d'hommes qui ne jugent 
que de talens qu'ils doivent bien connaître , deviendra suffisante 
pour les contenir. Les membres de la société nationale rësi- 
dans dans les départemens concourront aux élections avec une 
entière égalité ; ce qui oblige à prendre un mode d'élîre tel 
que la présentation et l'élection se fassent nécessairement cha- 
cune par un seul vœu : l'exemple de la société italienne formée 
de membres dispersés suffit pour prouver la possibilité. 

» Chaque classe de la société nationale élit sous les mêmes 
formes les professeurs des lycées dont l'enseignement corres- 
pond aux sciences qui sont l'objet de cette classe. 

» Les professeurs du lycée nomment ceux des instituts; 
mais la municipalité aura le droit de réduire la liste des éli- 
gibles» 

» Quant aux instituteurs des écoles secondaires et primaires, 
la liste d'éligibles sera faite par les professeurs des instituts de 
l'arrondissement, et le choix ajipartiendra pour les premiers 
au corps municipal du lieu oii l'école est située, pour les der- 
niers à l'assemblée des pères de famille de l'arrondissement de 
l'école. 

» £n effet, les professeurs comme les instituteurs doivent 
aVoir des connaissances dont les corps administratifs ne peuvent 
être juges , qui ne peuvent être appréciées que par des hommes 
en qui l'on ait droit de supposer une plus grande instruction. 
La liste d'éligibles, qui constate la capacité, doit donc être 



' ( 3o5 ) 

formée par les membres d'un établissement supérieur. Mais sî 
dans le choix d'un professeur entre les éligibles il faut préférer 
le plus savant, le plus habile: dans celui des instituteurs, où 
les élèves sont plus jeunes, oii les qualités morales du maître 
influent sur eux davantage, oii il ne s'agit que d'enseigner des 
connaissances très élémentaires , on doit prendre pour guide 
l'opinion ou de ceux que la nature a chargés du bonheur de la 
génération naissante, ou du moins de leurs représentans les 
plus immédiats. C'est dans^les mêmes vues que l'on donne aux 
municipalités le droit de réduire la liste des éligibles pour les 
professeurs des instituts : les convenances personnelles et locales 
y ont déjà quelque importance , et ce droit d'exclusion suffit 
pour répondre qu'elles ne seront point trop ouvertement 
. blessées. 

s» Des directoires forniés dans la société nationale , les 
lycées, les instituts, seront chargés de l'inspection habituelle 
des établissemens inférieurs. Dans les circonstances impor* 
tantes la décision appartiendra à une des classes de la société 
nationale, ou à l'assemblée des professeurs soit du lycée, soit 
des instituts. 

» Par ce moyen l'indépendance de l'instruction sera garantie , 
et l'inspection n'exigera point d'établissement particulier oii 
l'on aurait pu craindre l'esprit de domination. Comme la 
société nationale est partagée en quatre classes correspond 
dantes à des divisions scientifiques, comme sur chaque objet 
important le droit de prononcer appartient à une classe seu— 
leoaent , on voit combien , sans nuire cependant à la sûreté de 
rixLSpection , on est à l'abri de la crainte de voir les corps ins- 
truisans élever dans l'Etat un nouveau pouvoir. 

» L'unité n'est pas rompue, parce que les questions géné«- 
raies qui intéresseraient un établissement entier ne peuvent 
être décidées que par des lois , qu'il faudrait demander au 
corps législatif. 

» Si l'on compte toutes les sommes employées pour les éta- 
l>iîs semens littéraires remplacés par les nouvelles institutions , 
les l>iens des congrégations enseignantes, ceux des collèges^ 
les dppointemens que les villes donnaient aux professeurs , les 
revenus des écoles de toute espèce; si l'on y ajoute enfin ce 
xiii. 20 



\ 



( »o6 ) 

qu'il en coûtait au peuple pour payer les maîtres de ces écoles, 
on trouvera que la dépense de la nouvelle organisation de Tins- 
truction publique ne surpassera pas de beaucoup et peut-être 
n'égalera point ce que les institutions anciennes coûtaient à la 
nation. Ains^une instruction générale, complète , supérieure 
à ce qui existe ches les autres nations, remplacera, même 
avec moins d^ frais, ce système d'éducation publique dont 
l'imperfection grossière offrait un contraste si honteux pour 
le gouvemen]|/ént avec les lumières , les talens et le génie qui 
avaient su Briser parmi nous tous les liens des préjugés, 
comme tous les obstacles des institutions politiques. 

» Nous avons présenté dans ce plan l'organisation de l'ios* 
truction publique telle que nous avons cru qu'elle devait être , 
et nous en avons séparé la manière de former les nouveaux éla- 
blissemens. Nous avons pensé qn'il fallait que l'Assemblée natio- 
nale eût déterminé ce qu'elle voulait faire avant de nous occu« 
per des moyens de remplir ses vues. 

» Dans les villages oii il n'y aura qu'une seule école primaire 
les eufans des deux sexes y seront admis , et recevront d'un 
même instituteur une instruction égale. Lorsqu'un village ou 
une Tille auront deux écoles primaires , l'une d'elles sera confiée 
à une institutrice , et les enfans des deux sexes seront séparés. 

n Telle est la seule disposition relative à l'instruction des 
f(nnmes qui fasse partie de notre premier travail ; cette instruc- 
tion sera l'objet d'un rapport particulier : et en effet , si Ton 
4>bserve que dans les familles peu riches la partie domestique 
de l'éducation des enfans est presque uniquement abandonnée 
•à leurs mères; si l'on songe que sur vingt-cinq familles 
livrées à l'agriculture , au commerce , aux arts , uae au moins 
«a une veuve pour son chef ^ on sentira combien cette portion du 
travail qui nous a été confié est importante et |*our la prospé- 
rité commune et pour le progrès général des lumières. 

» On pourra reprocher à ce système d'organisation de ue 
pas respecter assez l'égalité entre les hommes livrés à l'étude, 
et d^accorder trop d'indépendance k ceux qui entrent dans U 
système de l'instruction publique. 

M Mais d'abord ce n'est pas ici une distinction qu'il s'a^^ 
d'établir , mais une fonction publique qu'il est nécessaire de 



(3o7) 

conférer à des hommes dont le uombi:e soit déterminé , dont 
la réunion soit assujétie à des formes régulières ; la raison 
exige que les liommes chargés d'instruire ou les enfans ou les 
citoyens soient choisis par ceux qu'on peut supposer avoir des 
lumières égale.s ou supérieures. La surveillance des établisse- 
meus d'instruction n 'exige- t-elle pas aussi cette même égalité 
s'il s'agît de l'enseignement dans les lycées , cette supériorité 
s 'il s'agit de celui des établissemens inférieurs ? Il fallait donc 
remonter à une réunion d'hommes qui pussent satisfaire à cette 
condition essentielle. Lai«serait~on le c^ofx de ces hommes à 
la masse entière de ceux qui cultivent les sciences et les arts , 
ou qui ^irétendent les cultiver ? Mais il n'y aurait plus aucun 
motif de ne pas appeler à ce choix la généralité des citoyens ; 
car si la prétention d'être savant suffisait pour exercer ce droit, 
s'il suffisait de se réunir en un corps qui se donnât pour éclairé, 
il est bien évident que ces conditions n'exclueraient ni la pro- 
fonde ignorance , ni les doctrines les plus absurdes : d'ailleurs 
ce serait autoriser de véritables corporations , des jurandes 
proprement dites , car toute association libre à laquelle on 
donnerait une fonction publique quelconque prendrait néces- 
sairement ce caractère. 

» Ce n'est pas l'ignorance seule qui serait à craindre , c'est 
la charlatanerie qui bientôt détruirait et l'instruction publique, 
et les arts et les sciences , ou qui du moins emploierait pour 
les détruire tout ce que la nation aurait consacré à leurs 
j>rogrès. 

» Enfin la puissance publique choisirait-elle entre ces socîé- 
tiés? Et alors à un corps composé d'hommes très éclairés elle 
en substituerait de plus nombreux oii les lumières seraient plus 
£aibles , oii les hommes médiocres s'introduiraient avec plus * 
de facilité , seraient moiqs aisément contenus par l'ascendant 
du génie et des talens supérieurs ; oIl enfin régnerait bientôt 
ixn ostracisme d'autant plus effrayant que la médiocrité est 
Facilement dupe ou complice de la charlatanerie, et n'étend 
pas sur^elle cette haine de tout succès brillant ou durable qui 
lui est si naturelle. Ou bien .la puissance publique reconnaî- 
trait-elle toute espèce de société libre? Et alors chaque classe 
de charlatans aurait la sienne ; ce ne serait pas Tignoraace 



( 3o8 ) 

modeste qui jugerait les talens d'après ropinion commune, 
ce qui déjà serait un mal , mais Figuorance présomptueuse , 
qui les jugerait d*aprës son orgueil ou son intérêt. 

» Au contraire ; dans le plan que nous proposoas les 
sociétés libres ne peuvent que produire des effets salutaires : 
elles serviront de censeurs à la société nationale , qui exercera 
sur elles en même temps une censure non moins utile. Celles 
oh le charlatanisme dominerait s'anéantiraient bientôt , parce 
qu'aucune espérance de séduire l'opinion publique ne les sou- 
tiendrait. Chacune d'elles , suivant l'étendue qu'elle donnerait 
à ses occupations , chercherait à n'être pas au-dessous de la 
société nationale, qui elle-même voudrait ne pas se trouver 
inférieure. Elles seraient surtout les juges naturels des choix 
de cette société , et par là elles contribueraient plus à en assurer 
la bonté que si elles j concouraient d'une manière directe. 

» Enfin la société chargée de surveiller l'instruction natio- 
nale , de s'occuper des progrès des sciences y de la philosophie 
et des arts , au nom de la puissance publique y doit être uni- 
quement composée de savans , c'est à dire d'hommes qui ont 
embrassé une science dans toute son étendue , en ont pénétré 
toute la profondeur , ou qui l'ont enrichie par des découvertes. 

» Sans une telle société , puisque la' connaissance des prin- 
cipes des arts est encore étrangère à presque tous ceux qui les 
cultivent , puisque leur histoire n'est connue que d'un petit 
nombre de savans ^ comment ne serait-on pas exposé à voir la 
nation et les citoyens accueillir , récompenser , mettre en 
oeuvre y comme autant de découvertes utiles y des procédés ou 
des moyens depuis long temps connus , et rejetés ^par une 
saine théorie , ou abandonnés après une expérience oialhea- 
reuse ? 

» Les sociétés libres ne peuvent exister si elles n'admettent 
à la fois et les savans et les amateurs des sciences ; et c'est 
par là surtout qu'elles en inspireront le goût , qu'elles contri- 
bueront à les /répandre , qu'elles soutiendront , qu'elles per- 
fectionneront les bonnes méthodes de les étudier ; c'est «lors 
que ces sociétés encourageront les arts sans en protéger le 
charlatanisme , qu'elles formeront pour les sciences une opi- 
nion commune des hommes éclairés qu'il sera impossible de 



(3o9) 

raéconnatire , et dont la société nationale ne sera plus que 
rinterprfete. 

» En même temps , tout citoyen pouvant former librement 
des établîssemens d'instruction , il en résulte encore pour les 
écoles nationales l'invincible nécessité de se tenir au moins au 
niveau de ces institutions privées ^ et la liberté , ou plutôt l'égar 
lité reste aussi entière qu'elle peut l'être auprès d'un établis- 
sement public. 

' » Il ne faat pas confondre la société nationale telle que nou^ 
l'avons conçue avec les sociétés savantes qu'elle remplace : 
Tcgalité réelle , qui en est la base , son indépendance absolue 
da pouvoir exécutif , la liberté entière d'opinions qu'elle par- 
tage avec tous les citoyens , les fonctions qui lui sont attri- 
buées relativement à l'instruction publique , une distribution 
de travail qui la force à ne s'occuper que d'objets utiles , un 
nombre égal de ses membres répandu dans les départe mens , 
toutes ces différences assurent qu'elle ne méritera pas les 
reproches souvent exagères, mais quelquefois justes, dont les 
académies ont été l'objet. D'ailleurs dans une constitution 
fondée sur l'égalité on ne doit pas craindre de voir une société 
d'hommes éclairés contracter aisément cet esprit de corporation 
si dangereux , mais si naturel dans un temps oii tout était pri- 
vilège : alors chaque homme s'occupait d'obtenir des préroga- 
tives ou de les étendre ; aujourd'hui tous savent que les citoyens 
seuls ont des droits , et que le titre de' fonctionnaire public ne 
donne que des devoirs à remplir (i). 

• 

(i) « Oan'^a rien répondu à ces preuves de riitilitc des sociétés savan- ^ 
tes; seulement on a répété ce ipi'il est d^usac;e de dire sur leurs mauvais 
choix , sur le peu de justice quelles rendent aux talens. 

» Il serait injuste , en invoquant r«xpéricncc , de ne pas se borner à 
celles de ces sociétés qui ont pour objet les scienct^s malhémiliques et 
physiques, parce que ce sont les seules qui jusqu'ici aient pu jouir d« 
«quelque indépendance : or, en admettant cette distinction, je demande 
SI depuis cent trente ans environ que les premières de ces sociétés ont 
été établies il s^estfait d^ns les sciences une seule découverte qui nes« 
trouve dans leors recueils , ou dont Fauteur, s'il n'est pas mort très- 
jenne , n''ait pas appartenu à quelqu'une de ces sociétés. 

» La Rf^pnblique des sciences est universelle et dispersée, et il est im- 
possible qu'^auciine sofiôté puisse se soustraire à Pauiorité souveraine de 
la Képuhlique cntiire. 

» Jl «erait sans doute trcs fa< île de corrompre ces .^ociOtés si Ton y 



( 3io ) 
» Cette indépendance de toute puissance étrangère ou nous 
avons placé renseignement public ne peut effrayer personne , 
])iiisq[ue Fabus serait à l'instant corrigé par le pouvoir légis- 

^itachait de grands ayaniages pécnniaii^cs , si on les chargeait de fonc- 
tions étrangères à leur bat naturel^ qui doit ctre le progrès , le perfec- 
tionnement , la propagation des connaissances humaines. 

» Mais bornez-les à cet objet seul , et vous en écarterez tout ce qui 
peut les rendre inutiles et dangereuses. 

» Ceux qui veulent les détruire ne s^âperçoi'\ent pas qtie par là ils 
donneront aux riches le privilège exclusif de la science. 

» Presque tous lessavaos célèbres du dix-septième siècle antérieurs à 
rétablissement de ceis sociétés étaient de la classe des riches. 

» £t anjourd''hui nous aurions encore de moins en faveur de la 
classe pauvre la protection des grands y les ressources qu'offraient les 
facultés de médecine, et celle descouvens ou des établissemens ecclé- 
siastiques. 

» Un Newton, un Euler, nés dans la pauvreté ou même dans la 
médiocrité, ne développeront point leur génie si leurs premiùres décou- 
verles ne sont point encouragées et reconnues, si l'autorité d'une sociclé 
savante se balance pas le désir qu''aurait leur famille de les voir se 
dévouer à des occupalions plus lucratives. 




par la crainte de gâter un peu 
nationale en lui conférant des fonctions en quelque sorte administra- 
tives; maintenant ce motif ne subsiste plus; c'est l'enseignement seul 
qu'il est important de soustraire à toute autorité politique. 

» Quelque institution que l'on donne à un peuple, il s'y forme 
néeessairement une division entre ceux qui veulent plus de soumission 
rt ceux qui veulent plus de liberté , entre ceux qui s'attachent aux 
choses établies , qui ne voient l'ordre et la paix que dans la conservation 
de ce qui existe, et ceux qui , frappés des défauts inhérens à toutes 
les institutions, croient peut-être trop facilement que leç changer c'est 
toujours les corrigerj entre ceux qui suivent les progrès des lunaières fi 
4-eux qui les devancent. La première opinion est ceife des hommes qui 
ont les places ou qui espèrent les obtenir ; la seconde rf unit ceux qui 
préfèrent aux places la gloire ou le crédit. Cette division n''est point 
un mal; les défenseurs de ce qui est établi empêchent que les change- 
mens ne soient trop répétés et trop rapides ; les amis de ta nouveauté 
s'opposent à la trop prompte corruption des institutions anciennes : 
les uns maintiennent la paix , les autres soutiennent l'esprit public dans 
une utile et perpétuelle activité ; et si les premiers veulent s'attribuer 
exclusivement les honneurs de la vertu', et les autres la gloire du 
patriotisme ou des talens, ils sont également injustes. 

w Mais il résulte de ces observations que le gouvernement, quel qu'il 
soit, dans toutes ses divisions comme dans tous ses degrés , cnerchera 
toujours à conserver, et par conséquent à favoriser la perpctnité des 
opinions, de manière que son influence sur l'enseignement tendra 
naturellement à suspendre les progrès de la raison , à favoriser tout ce 
çjui peut éloigner des esprits les idées de perfectionnement. Cette 
influence sur renseignement serait doftc nuisible, et par conséquent on 



( 3ii ) 
iatif , dont l'autorité s'exerce immédiatement sur tout le sys-* 
terne de l'iastruction. L'existence d'une instruction libre et 
celle des sociétés savantes librement formées n'opposeront*- 
elles pas encore à cet abus une puissance d'opinion d'autant 
plus imposante que sous une constitution popcdatre aucun 
établissement ne peut subsister si l'opinion n'ajoute sa force à 
celle de la loi ? D'ailleurs il est une dernière autorité à laquelle, 
dans tout ce qui appartient aux sciences , rien ne peut résister ; 
c*est l'opinion générale des hommes éclairés de l'Europe , opi- 
nion qu'il est impossible d'égarer chi de corrompre ; c'est d'elle 
seule que dépend toute célébrité brillante ou durable; c'est 
elle qui , revenant s'unir à la réputation que chacun a d'abord 
acquise autour de lui , y donne plus de solidité et plus d'éclat ; 
c'est en un mot pour les savans , pour les hommes tie lettres , 
pour les philosophes , une sorte de postérité anticipée dont les 
îugemens sont aussi impartiaux , presque aussi certains , et une 
puissance suprême au joug de laquelle ils ne peuvent tenter de 
se soustraire. \ 

>» Enfin , l'indépendance de l'instruction fait en quelque 
sorte une partie des droits de l'espèce humaine. Puisque 
l'homme a reçu de la nature une perfectibilité dont les bornes 
inconnues s'étendent , si même elles existent , bien au-delà de 
ce que nous pouvons concevoir encore ; puisque la connais*- 
sance de vérités nouvelles est pour lui le seul moyen de déve- 
lopper cette heureuse faculté , source de son bonheur et de sa 
gloire j quelle puissance pourrait avoir le droit de lui dire : 
voilà ce qu*il faut que vous sachiez , voilà le terme ou vous 
devez vous arrêter? Puisque la vérité seule est utile , puisque 
toute erreur est un mal , de quel droit un pouvoir quel qu'il 
fût oserait-il déterminer où est la vérité , où se trouve l'erreur? 

» D'ailleurs un pouvoir qui interdirait d'enseigner une 



doit laisser à la société nationale l'iaspeotion des onTra^^s élémentaires 

et le choix dés professeurs des lycées; car cette société, par sa nature 
même, doit chercher au contraire tout ce qui tend à perfectionner et 
étendre les connaissances. 

» Telle est la seule fonction publique qu'il soit utile de lui donner 
pour rinlérêt national, coiuine pour le progrès des sciences. » 

( Note du rapporteur, ) 



N 



( 3l2 ) 

•pinion contraire k celle qui a servi de fondemeot aux lois 
établies attaquerait directement la liberté de penser , contre- 
dirait le but de toute institution sociale , le perfectioancment 
des lois , suite nécessaire du combat des opinions et du progrès 
des lumières. 

» D'un autre côté , quelle autorité pourrait prescrire d'en- 
seigner une doctrine contraire aux principes qui ont dirigé les 
législateurs ? 

» On se trouverait donc nécessaireoient placé entre un res- 
pect superstitieux pour les lois existantes , ou une atteinte in- 
directe qui , portée k ces lois au nom d'un des pouvoirs institués 
par elles , pourrait affaiblir le respect des citoyens. H ne reste 
donc qu'un seul moyen ; l'indépendance absolue des opinions 
dans tout te qui s'élève au^essus de l'instruction élémentaire. 
C'est alors qu'on verra la soumission volontaire aux lois et 
l'enseignement des moyens d'en corriger les vices , d'en rec- 
tifier les erreurs , exister ensemble sans que la liberté des opi- 
nions nuise à l'ordre public ; sans que le respect pour la loi 
enchaîne les esprits , arrête le progrès des lumières , et con- 
sacre des erreurs. S'il fallait prouver par des exemples le dan- 
ger de soumettre l'enseignement à l'autorité , nous citerions 
l'exemple de ces peuples nos premiers mattres dans toutes les 
sciences , de ces Indiens , de ces Egyptiens , dont les antiques 
connaissances nous étonnent encore , chez qui l'esprit humain 
fit tant de progrès dans des temps dont nous ne pouvons 
même fixer Tépoque , et qui retombèrent dans l'abrutissement 
de la plus honteuse ignorance au moment oii la puissance 
religieuse s'empara du droit d'instruire les hommes. Nous cite* 
rions la Chine , qui nous a prévenus dans les sciences et dans 
les arts , et chez qui le gouvernement en a subitement arrête 
tous les progrès depuis des milliers d'annés en faisant de l'ins- 
truction publique une partie de ses fonctions. Nous citerions 
cette décadence ou tombèrent tout à coup la raison et le 
génie chez les Romains et chez les Grecs , après s'être élevés 
au plus haut degré de gloire , lorsque l'enseignement passa des 
mains des philosophes à celles des prêtres. Craignons d'après 
ces exemples tout ce qui peut entraver la marche libre de l'es- 
prit humain : à quelque point qu'il soit parvenu , si un pou- 



r 3i3 ) 

voir quelcoDcpie ea suspend les progrès , rien ne peut garantir 
même du retour des plus grossières erreurs ; il ne peut s'ar- 
rêter sans retourder en arrière ; et du moment oii on lui mar- 
que des objets qu'il ne pourra examiner ni jager , ce premier 
terme mis à sa liberté doit faire craindre que bientôt il n'en 
reste plus à sa servitude (i). 

(i) « La liberté, Pégalité, les bonnes lois ont pour effet nécessaire 
d^aagDicntcr la prospérité publique en augmentant les moyens d^agir ; 
de cette prospérité naissent Thabitiide de nouveaux besoins et un ac- 
croissement de population : si donc la prospérité n^augmcnte point sans 
cesse , la soci/té tombe dans un état de souffrance. Cependant les pre- 
miers moyens de prospérité ont des bornes, et si de nouyelles lumières 
ne viennent en offrir de plus puissans, les progrès mêmes de la société 
deviennent les causes de sa ruine. 

» Stippo8on< que ces moyens. soient trouvés et employés; il en résulte 
dans la société des combinaisons nouvelles que ui les lois ni les insti- 
tutions n'ont pci prévoir : il faut donc que les lumières se trouvent 
toujours au-delà de celles qui ont dirigé rétablissement du système 
social. D'un autre côté les progrès des arts utiles sont très bornés si 
ceux des sciences ne viennent à leur secours ; ceux qu'ils devraient à la 
seule observation des hommes qui les cultivent seraient trop lents et 
trop incertains j ainsi les progrès des sciences morales et physiques 
sont nécessaires pour que la société puisse atteindre un degré de pros- 
périté permanente. 

M Supposons maintenant que les sciences, que les arts se soient per- 
fectionnés; il est évident que la même quantité de connaissances qui suf- 
firaitauj,ourd^hui pour assurer Tindépendancedos individus, pour rendre 
réelle ]»our tous l'égalité de la loi, deviendra beaucoup trop faible : il 
faut donc et que l'instruction devienne plus étendue , et que les méthodes 
d'enseigner se perfectionnent. 

» Examinez Thistoirc du peuple romain ; vous le verrez faire pendant 
quelque temps des progrès vers la liberté; mais comme son territoire 
s'^aggrandissait sans cesse , comme il voulait être à la fois un peuple roi 
«t un peuple libre, bientôt les moyens qui avaient défendu, augmenta 
8» liberté , ne convenant plus à son nouvel état, et les lumières, soit des 
«itoyens, soit des chefs, n'étant pas au niveau de ce qu^aurait exigé cette 
situation nouvelle , on le vit se déchirer par des guerres civiles et tomber 
dans le plus honteux esclavage^ 

y* Voyez la liberté anglaise ^ arrêtée dans sa course par ce respect 
pour une constitution imposée par la nécessité , mais devenue l'objet 
d'uu culte superstitieux par l'effet de l'éducation, par l'influence royale 
des place:» et des pensions sur les écrivains politiques. Voyez ce peuple, 
qui portait une main hardie sur tous les préj ugés lorsque l'Europe entière 
y était asservie, n'oser dans un siècle plus éclairé envisager les honteux 
abus dont il est la victime. 

» Tel sera le sort de toutes les nations qui ne chercheront pas dans 
les lumières des ressources pour Us nouveaux besoins, eu un nmède 
contre les dangers imprévus auxqu(3is leur prospérité même doit les 
soumettre ou les exposer. Des politiques peu philosophes ont cru qn'il 
serait plus sûr de mettre par les lois des bornes à cette prospérité : mais 



(3i6) 

Flan d'éducation nationale de Michel Lepelletier ; présenté 
à la Convention par Robespierre , au nom de la Commis* 
sion d*instruction publique» 

RoBESPiERkE. (Séance du i5 juillet 1793. ) 

« Citoyens, votre commission d'instruction publique ser# 
bientôt en état de vous présenter l'ensemble du travail impor- 
tant dont vous l'avez chargée. EUIe a cru dès aujourd'hui devoir 
présenter à la nation et à vous un garant de ses principes , et 
payer un juste tribut à l'impatience publique en remettant 
sous vos yeux l'ouvrage d'un homme illustre qui fut notre 
collègue , et que le tombeau met à couvert des traits de l'envie 
et peut-être de la calomnie , si toutefois la rage des satellites 
de la tyrannie saurait respecter même les droits du tombeau. 
Avec la mémoire de ses vertus Michel Lepelletier a légué à la 
patrie un plan d'éducation publique que le génie de l'humanité 
semble avoir tracé : ce grand objet occupait encore ses pen- 
sées lorsque le crime plongea dans son flanc le fer sacrilège. 
Celui qui disait : je meurs content ; ma mort servira la 
liberté j pouvait se réjouir aussi de lui avoir rendu d'autres 
services moins douloureux pour la patrie ; il ne quittait point 
la terre sans avoir préparé le bonheur des hommes par un 
ouvrage digne de sa vie et de sa mort. Citoyens, vous allez 
entendre Lepelletier dissertant sur l'éducation nationale ; vous 
allez le revoir dans la plus noble partie de lui-mêmie. En 
l'écoutant vous sentirez plus douloureusement la grandeur 
de la perte que vous avez faite , et l'univers aura unespreuve 
de plus que les implacables ennemis des rois , que la tyrannie 
peint si farouches et si sanguinaires , ne sont que les plus ten- 
dres amis de l'humanité. » 

PLAN ^'ÉDUCATION NATIONALE DE MICHEL LEPELLETIER. 

<« La Convention nationale doit trois monumens à l'histoire; 
la Constitution , le code des lois civiles , l'éducation publique. 

» Je mets à peu près sur la même ligne l'importance comme 
la difficulté de chacun de ces grands ouvrages. 

» Puissions^nous leur donner la periection dont ils sont 



( 3r7 ) 
susceptibles ! car la gloire des conquêtes et des victoires e^t 
quelquefois passagère ; mais les belles institutions demeurent, 
et elles immortalisent les nations. 

» L'instruction publique a déjà été T^bjet d'une discussion 
intéressante; la manière dont ce sujet a été traité bonore 
l'Assemblée et promet beaucoup à la France. 

M J'avoue pourtant que ce qui a été dit jusqu'ici ne rem- 
plit pas l'idée que je me suis formée d'un plan complet d'édu- 
cation. J'ai osé concevoir une plus vaste pensée; et, consi- 
dérant à quel point l'espèce humaine est dégradée par le vice 
de notre ancien système social , je me suis convaincu de la 
nécessité d'opérer une entière régénération, et, si je peux 
m'expnmer ainsi , de créer un nouveau peuple. 

» Former des hommes , propager les connaissances humai- 
nes , telles sont les deux parties du problème que nous avons 
k résoudre. 

» La première constitue l'^^/iica/ioii , la seconde V instruction. 

» Celle-ci , quoique offerte à tous , devient par la nature 
même des choses la propriété exclusive d'un petit nombre de 
membres de la société , à raison de la différence des profes- 
sions et des talens. 

» Celle-là doit être commune à tous , et universellement 
bienfaisante. 

» Quant à l'une le comité s'en est occupé, et il vous a 
présenté des viies utiles. 

» Pour l'autre il l'a entièrement négligée. 

» En un mot son plan d'instruction publique me parait 
fort satisfaisant ; mais il n'a point traité l'éducation . 

» Tout le système du comité porte sur cette base , l'établis- 
sement de quatre degrés d'enseignement ; savoir, les écoles 
primaires, les écoles secondaires, les instituts , les lycées, (i) 

» Je trouve dans ces trois derniers cours un plan qui me 
paraît sagement conçu pour la conservation, la propagation 



(ij Lepelletier parle ici da projet de Condorcet, soumis d'abord è 
l'Assemblée législative, mais agréé depuis par le comité d'instntction 
jxibliqarde laConveniion, et présenté en son uofXï avec quelques modi- 
liCiitions. 



( 3ib 

elle perfectionnement des connaissances huuiaines. Ces trois 
degrés successifs ouvrent à l'instruction une source féconde 
et habilement ménagée , et j'y vois des moyens tout à la fois 
convenables ^t efficaces pour seconder les talens des citoyens 
qui se livreront à la culture des lettres, des sciences et des 
beaux-arts. 

» Biais avant ces degrés supérieurs , qui ne peuvent devenir 
utiles qu'à un petit nombre d'hommes, je cherche une ins- 
truction générale pour tous , convenable aux besoins de tous , 
qui est la dette de la République envers tous ; en un mot une 
éducation vraiment et universellement nationale ; et j'avoue 
que le premier degré que le comité vous propose sous le nom 
d'écoles primaires me semble bien éloigné de présenter tous 
ces avantages. 

» D'abord je remarque avec peine que jusqu'à six ans l'en- 
fant échappe à la vigilance du législateur , et que cette por- 
tion importante de la vie reste abandonnée aux préjugés sub- 
sistans et à la merci des vieilles erreurs. 

» A six ans la loi commence à exercer son influence ; 
mais cette influence n'est que partielle, momentanée, et par 
la nature même des choses elle ne peut agir que sur le moindre 
nombre des individus qui composent. la nation. 

M Suivant le projet il doit être établi environ vingt à vingt- 
cinq mille écoles primaires , c'est à dire à peu près une école 
par lieue carrée. 

» Ici conunence à se faire sentir une première inégalité; 
car les enfans domiciliés dans Ja ville , bourg , village où 
sera située l'école primaire seront bien .plus à portée des 
leçons , en profiteront et bien plus souvent et bien plus cons- 
tamment : ceux au contraire qui habitent les campagnes et 
les hameaux ne pourront pas les fréquenter aussi habituelle- 
ment , à raison des difficultés locales , des saisons , et d'une 
foule d'autres circonstances. 

>» Cet inconvénient n'aura pas lieu seulement à l'égard 
de quelques maisons éparses et séparées ; un très graud 
•p ombre de communes et de paroisses vont l'éprouver. 

»» Il ne faut qu'un calcul bien simple pour s'en convaincre. 

» Il existe dans la République quarante-quatre mille muni- 



( 3i9) 
cîpalités : on propose rétablissement de vingt à vingt-cinq 
mille écoles primaires : il est clair que la proportion majeure 
sera à peu près de deux paroisses par école ; or personne 
ne pent douter que la paroisse oii l'école sera placée aura 
de grands avantages sur la continuité , la commodité de 
l'instruction et pour la durée des leçons. 

» Une bien plus grande inégalité va s'établir encore à 
raison des diverses facultés des parens ; et ici les personnes 
aisées , c'est à dire le plus petit nombre, ont tout l'avantage. 

» Quiconque peut se passer du travail de son enfant pour 
le nourrir a la facilité de le tenir aux écoles tous les jours, et 
plusieurs heures chaque jour. 

» Mais quant à la classe indigente comment fera-t-elle ? 
Cet enfant pauvre vous lui offrez bien l'instruction , mais 
avant il lui faut du pain ; son përe laborieux s'en prive d'un 
morceau pour le lui donner, mais il faut que l'enfant gagne 
l'autre ; son temps est enchaîné au travail , car au travail est 
enchaînée sa subsistance. Après avoir passé aux champs une 
journée pénible, voulez- vous que pour repos il s'en aille à 
l'école, éloignée peutF-étre d'une demi-lieue de son domicile? 
Vainement vous établiriez une loi coërcitive contre le père ; 
celui-ci ne saurait se passer journellement du travail d'un 
enfant qui, à huit, neuf et dix ans, gagne déjà quelque 
chose : un petit nombre d'heures par semaine , voilà tout ce 
qu'il peut sacrifier. Ainsi l'établissement des écoles, telles 
qu'on les propose , ;ie sera à proprement parler bien profitable 
qu'au petit nombre de citoyens indépendans dans leur exis- 
tance, hors de l'atteinte du besoin : là ils pourront faire 
cueillir abondamment par leurs enfans les fruits de l'instruc- 
tion ; là il n'y aura encore qu'à glaner pour l'indigent. 

»» Cette inégale répartition du bienfait des écoles primaires 
est le moindre des inconvéniens qui me frappent dans leur 
organisation ; j'en trouve un bien plus grand dans le système 
d'éducation qu'elles présentent. 

» Je me plains qu'un des objets les plus essentiels de l'édu- 
cation est omis ; le perfectionnement de l'être physique. Je 
sais qu'on propose quelques exercices de gymnastique ; cela 
est bon ; mais cela ne suffit pas, Un genre de vie continu , 



( 320 ) 

une nourriture saine et convenable à l'enfance , des travaux 
graduels et modérés , des épreuves successives , mais conti- 
nuellement répétées , voilà les seuls moyens de créer les habi* 
tndes ; voilà les moyens efficaces de donner au corps tout le 
développement et toutes les facultés dont il est susceptible. 

» Quant à Tétre moral , quelques instructions utiles , quel- 
ques momens d'étude , tel est le cercle étroit dans lequel est 
renfermé le plan proposé. C'est l'emploi d'un petit nombre 
d'heures ; mais tout le reste de la journée est abandonné au 
hasard des circonstances , et l'enfant , lorsque Tinstant de la 
leçon est passé , se trouve bientôt rendu soit à la mollesse da 
luxe , soit à l'orgueil de la vanité , soit à la grossièreté de 
l'indigence, soit à l'indiscipline de l'oisiveté. Victime mal- 
heureuse des vices y des erreurs, de l'infortune, de l'incurie 
de tout ce qui l'entoure , il sera un peu moins ignorant que 
par le passé, les écoles un peu plus nombreuses , les maîtres 
un peu meilleurs qu'aujourd'hui ; mais aurons-nous vraiment 
formé des hommes , des citoyens , des républicains , en un 
mot l2k nation sera-t-elle régénérée ? 

» Tous les inconvéniens que je viens de développer sont 
insolubles tant que nous ne prendrons pas une grande déter- 
mination pour la prospérité de la République. 

» Osons faire une loi qui aplanisse tous les obstacles , qui 
rende faciles les plans les plus parfaits d'éducation , qui appelle 
et réalise toutes les belles institutions ; une loi qui sera faite 
avant dix ans si nous nous privons de l'honneur de l'avoir por- 
tée ; une loi toute en faveur du pauvre , puisqu'elle reporte sur 
lui le superflu de l'opulence ; que le riche lui-même doit ap- 
prouver s'il réfléchit , qu'il iloit aimer s'il est sensible. Cette loi 
consiste à fonder une éducation vraiment nationale , vraiment 
républicaine , également et efficacement commune à tous , la 
seule capable de régénérer l'espèce humaine , soit pour les dons 
physiques , soit pour le caractère moral ; en un mot cette loi 
est l'établissement de l'institution publique. 

» Consacrons-en le salutaire principe ; mais sachons y ap- 
porter les modifications que l'état actuel des esprits et l'intérêt 
industriel de la République peuvent rendre nécessaires. 

» Je demande que vous décrétiez que depuis l'âge de cinq 



( 321 ) 

ans jusqu'à douze pour les garçons, et jusqu'à onze pour les 
filles, tous les enfans sans distinction et sans exception seront 
élevés eu commun. aux dépens de la Republique , et que tous , 
sous la sainte loi de Tegalité , recevront mêmes vétemens, même 
nourriture , même instruction , mêmes soins. 

» Par le mode suivant lequel je vous proposerai de répartir 
la charge de ces établissemens presque tout portera sur le riche ; 
la taxe sera presque insensible pour le pauvre* Ainsi vous attein- 
drez les avantages de l'impôt progressif que vous désirez d'éta« 
blir ; ainsi , sans convulsion et sans injustice , vous effacerez les 
énormes disparités de fortune dont l'existence est une calamité 
publique. 

» Je développe en peu de mots les avantages , les détails et 
les moyens d'exécution du plan que je vous soumets. 

» Tous les enfans recevront le bienfait de l'institution pu- 
blique durant le cours de sept années, depuis cinq jusqu'à 
douze ans. 

» Cette portion de la vie est vraiment décisive pour la forma- 
tion de l'être physique et moral de l'homme. 

» Il faut la dévouer tout entière à une surveillance de tous 
les jours, de tous les momens. 

» Jusqu'à cinq ans on ne peut qu'abandonner l'enfance aux 
soins des mëre| : c'est le vœu , c'est le besoin de la nature ; trop 
de détails , des attentions trop minutieuses sont nécessaires à 
cet âge ; tout cela appartient à la maternité. 

>» Cependant je pense que la loi peut exercer quelque in- 
fluence sur ces premiers instans de l'existence humaine ; mais 
voici dans quelles bornes je crois qu'il faut renfermer spa 
action. 

n Donner aux mëres encouragemens , secours , instruction ; 
les intéresser efficacement à alaiter leurs enfans ; les éclairer 
par un moyen facile sur les erreurs et négligences nuisibles , 
sur les soins et les attentions salutaires; rendre pour elles la 
naissance et la conservation de leurs enfans non plus une charge 
pénible , mais au contraire une source d'aisance et l'objet d*une 
espérance progressive : c'est là tout ce que nous pouvons faire 
utilement en faveur des cinq premières années de la vie ; tel est 
l'objet de quelquesruns des ai'ticles de la loi que je propose. Les 
x(H. . ai 



( 322 ) 

mesures indîquces sont fort simples ; mais je suis convaincu 
que leur effet certain sera de diminuer d'un quart pour la Ré- 
publique la déperdition annuelle des enfans qui périssent vic- 
times de la misère , des préjugés ou de Fincurie. 

» A cinq ans la patrie recevra donc Tenfant des mains de la 
nature ; à douze ans elle le rendra à la société. 

w Cette époque , d'après les convenances particulières et 
l'existence politique de la France , m'a paru la plus convenable 
pour le terme de l'institution publique. 

» A dix ans ce serait trop tôt ; l'ouvrage est à peine ébauché. 
» A douze le pli est donné , et l'impression des habitudes est 
gr^vé d'une manière durable. 

» A dix ans rendre les enfans à des parens pauvres ce serait 
souvent leur rendre encore une charge ; le bienfait de la nation 
serait incomplet. 

w A douze ans les enfans peuvent gagner leur subsistance ; 
ils apporteront une nouvelle ressource dans leur famille. 

» Douze ans est Tâge d'apprendre les divers métiers ; c'est 
celui oii le corps , déjà robuste , peut commencer à se plier aux 
travaux de l'agriculture. C'est encore l'âge oii l'esprit , déjà 
formé , peut avec fruit commencer l'étude des belles-lettres , 
des sciences , ou des arts agréables. 

>» La société a divers emplois; une multitude de professions 
appellent les citoyens, < 

» A douze ans le moment est venu de commencer le noviciat 
de chacune d'elles : plus tôt l'apprentissage serait prématuré ; 
plus tard il ne resterait pas assez de cette souplesse , de cette 
flexibilité qui sont les dons heureux de l'enfance. 

M Jusqu'à douze ans l'éducation commune est bonne, parce 
que jusque là il s'agit de former non des laboureurs, non des 
artisans , non des savans , mais des hommes pour toutes les 
professions. 

» Jusqu'à douze ans l'éducation commune est bonne parce 
qu'il s'agit de donner aux enfans les qualités physiques et nao- 
rales , les habitudes et les connaissances qui pour tous ont une 
commune utilité. 

» Lorsque l'âge des professions est arrivé l'éducation com- 
mune doit cesser , parce que pour chacune l'instruction doit 



( 323 ) 

être dî£Férente : reunir dans une même école ^apprentissage de 
toutes est impossible. 

» Prolonger l'institution publique jusqu'à la fin de i'adoles-- 
cence est un beau songe : quelquefois nous l'avons rêve déli- 
cieusement avec Platon ; quelquefois nous l'avons lu avec 
enthousiasme réalisé dans les fastes de Lacédémone ; quelque- 
fois nous en avons retrouvé l'insipide caricature dans nos col- 
lèges : mais Platon ne faisait que des philosophes ; Lycurgue ne 
faisait que des soldats ; nos professeurs ne faisaient que de» 
écoliers. Là République française, dont la splendeur consiste 
dans ^e commerce et r<igricu]ture , a besoin de faire des 
hommes de tous les états : alors ce n'est plus dans les écoles qu'il 
faut les reniermer ; c'est dans les divers ateliers , c'est sur la 
surface des campagnes qu'il faut les répandre : toute autre idée 
est une chimère , qui , sous l'apparence trompeuse de la perfec* 
tion , paralyserait des bras nécessaires , anéantirait l'industrie ^ 
amaigrirait le corps social , et bientôt en opérerait la disso- 
lution. • 

w Je propose que pour les filles le terme de l'institution 
publique soit fixé à onze ans : leur développement est plus 
. précoce , et d'ailleurs elles peuvent commencer plutôt l'ap- 
prentissage des métiers auxquels elles sont propres , parce que 
ces métiers exigent moins de force. 

» Dans un moment je parlerai de l'éducation supplémentaire 
offerte à tous les jeunes citoyens sans exception ; je parlerai 
aussi des cours d'études auxquels un petit nombre pourra se 
trouver porté par son goût , ses facuités ou son talent. 

M Mais tout cela est pour l'adolescence ; nul n'y sera admis 
avant douze ans : toat cela est la suite de l'institution publique ; 
il faut d'abord pour tous que le cours entier de l'institution ait 
été parcouru. 

M Je reviens maintenant au mode d'en organiser les établis- 
sémens. 

» Dans les villes pour chaque section ; pour chaque canton 

dans tes campagnes : d'ordinaire une seule maison d'institution 

pourra suffire ; il en sera établi plusieurs si la population Fexige« 

Chaque établissement contiendra quatre à six cents élèves. 

)> Je propose cette division parce qu'elle concilie deux avan* 



( 3a4 ) 
tages i d'an côté elle diminue les frais, qui sont moindres dans 
une seule grande maison que dans plusieurs maisons séparées ; 
et cependant elle ne met pas une trop grande distance entre les 
enfans et leurs familles ; le plus grand éloignement sera au plus 
de deux ou trois lieues ; ainsi les parens pourront souvent et 
facilement revoir le dépôt qu'ils auront confié à la patrie , et 
Taustérité de l'institution républicaine ne coûtera pas un regret 
a la nature. 

» Ici s'élëve une question bien importante. 
» L'institution publique des enfans sera-t*e11e d'obligation 
pour les parens , ou les parens auront-ils seulement la faculté 
de profiter de ce bienfait national ? 

» D'après les principes tous doivent y être obligés. 
» Pour l'intérêt public tous doivent y être obligés. 
» Dans peu d'années tous doivent y être obligés, 
w Mais dans le moment actuel il vous semblera peut-être 
convenable d'accoutumer insensiblement les esprits à la pureté 
des manimes de notre nouvelle Constitution. Je ne vous le 
propose qu'à regret ; je soumets à votre sagesse une modifica- 
tion que mon désir intime est que vous ne jugiez pas néces* 
saire. Elle consiste à décréter que d'ici à quatre ans l'institution 
publique ne sera que facultative pour les parens ; mais ce délai 
expiré y lorsque nous aurons acquis , si je peux m'exprimer 
ainsi , la force et la maturité républicaines ', je demande que 
quiconque refusera ses enfans à l'institution commune soit privé 
de l'exercice des droits de citoyen pendant tout le temps qu'il 
se sera soustrait à remplir ce devoir civique , et qu'il paie en 
outre double contribution dans la taxe des enfans, dont je vous 
parlerai dans la suite. 

M II vous sera facile de placer ces établissemens dans les édi-- 
fices appartenant à la nation ; maisons religieuses , habitations 
d'émigrés , et autres propriétés publiques. 

» J e voudrais encore qu'à défaut de cette ressource les vieilles 
citadelles de la féodalité s'ouvrissent pour cette intéressante 
destination : de toute part on murmure et on réclame contre 
l'existence de ces châteaux et de ces tours y monumens odieux 
d'oppression ; au lieu de les détruire , employons utilement 
leur masse antique. 



( 325 ) 

» Dans un canton composé coniinunément de six à huit 
paroisses la nation pourra choisir entre plusieurs , tout cm 
dédommageant le propriétaire ; elle se procurera encore à peu 
de frais un local étendu ; elle fera sortir des mains de simples 
citoyens des palais qui offensent Toeit sévère de l'égalité , el ce 
dernier sacrifice servira, malgré lui peut-êlre, le triste châte- 
lain , actuellement oppressé de sa colossale demeure, depuis 
que TafïVanchissement des campagnes a tari la source de son 
opulence. 

» D'après les calculs que j'ai faits il m'a semblé qu'un maître 
pour cinquante enfans sufiirait. 

» D'abord on pourrait croire que c'est une trop forte charge 
pour une seule personne ; mais j'ai imaginé qu'il serait facile 
de classer les enfans de telle manière que les plus âgés , ceux de 
dix et de onze ans par exemple , pussent soulager le maître dans 
ses fonctions, surveiller les plus jeunes , aider pour les répé- 
titions. 

» Je trouve beaucoup d'avanl;jges à établir dans la petite 
troupe enfantine ces espèces de grades ; ils seront propres à 
faciliter l'exécution de tous les détails , et à y maintenir une 
exacte discipline. 

» Chaque maître aura sous lui un nombre égal d'enfans de 
dififérens âges ; il sera indépendant des autres maîtres , comme 
aussi son autorité se bornera aux eufans qui lui seront confiés ; 
il ne sera responsable qu'aux administrations publiqr.es., et à 
rétablissement spécial de surveillance , dont je vais parler dans 
un moment. 

» Je ne fais qu'indiquer rapidement , je ne développe point 
le mode de créer et d'organiser les ctablissemens ; la nomi- 
nation , la distribution des instituteurs et institutrices , l'ordre 
intérieur de la maison , tous ces détails seront l'objet des rcg!c- 
mens particuliers. 

M Je me hâte d'aborder une portion plus intéressante de 
mon travail ; je veux dire le système de l'éducation qui sera suivi 
dans le cours de l'institution publique. 

» Ici j'écarte toute théorie abstraite ; j'abandonne les recher- 
ches savantes sur la nature de l'homme y. sur la perfectibilité 
morale et physique dont il est susceptible , sur l'origia et les 



\ 



( 326 } 

causes de ses affections , de ses passions , de ses vertus , de ses 
vices. Que des observateurs , que des métaphysiciens méditent 
ces grandes question> ; j'avoue que je n'aime que les idées 
simples et claires. Je cherche une bonne méthode bien usuelle , 
de bons moyens bien familiers , de bons résultats bien évidens : 
qu'ici rien ne soit ingénieux, mais que tout soit utile. J'ai tou^ 
jours pensé qu'en politique, en législation , en économie sociale^ 
des conceptions trop fines, trop déliées, et, si je peux m'ex— 
primer ainsi , trop parfaites , sont d'un médiocre usage. Il faut 
opérer des effets g^^néraux ; il faut produire en masse , et si je 
parviens à réaliser l'existence d'une somme bien sensible d'avan- 
tages pour la société tout entière et pour les individus en par- 
ticulier , je croirai avoir bien servi l'humanité et mon pays. 

» N'oublions pas quel est l'objet de cette première éducation 
commune à tous, égale pour tous. 

» Nous voulons donner aux enfans les aptitudes physiques 
et morales qu'il importe à tous de retrouver dans le cours de 
la vie, quelle qi^e soit la position particulière de chacun; nous 
ne les formons pas pour telle ou telle destination déterminée ; 
il faut les douer des avantages dont l'utilité est commune à 
l'homme de tous les états, ; en un mot nous préparons , pour 
ainsi parler , une matière première , que nous tendons à rendre 
essentiellement bonne , dont nous élaborons les élémens de telle 
sorte qu'en sortant de nos mains elle puisse recevoir la modifi- 
cation sj)écialc des diverses professions dont se compose la 
République. 

w Tel est le problème que! nous avons à résoudre. Voici de 
quelle manière* je pense que nous pouvons y procéder utilement. 

»> Nos premiers soins se porteront sur la portion physique 
de l'éducatiorr. 

» Former un bon tempérament aux enfans , augmenter 
leurs forces , favoriser leur croissance, développer en. eux vi- 
gueur , adresse , agilité; les endurcir contre la fatigue, les 
intempéries des saisons , la privation momentanée des premiers 
besoins de la vie ; voilà le but auquel nous devons tendre , telles 
sont les habitudes heureuses que nous devons créer en eux , tels 
sont les avantages physiques qui pour tous en générai sont ua 
bien précieux. 



( 327 ) 

M Les moyens pour remplir cet objet se ro ni faciles dans le 
système de Tinstitulion publique. Ce qui serait impraticable 
pour des enfans envoyés à Técole deux heures par jour, quel- 
quefois deux heures seulement par semaine , et tout le reste du 
temps hors de la dépendance d'une commune discipline , se 
réalise ici sans effort. 

» Continuellement sous l'œil et dans la main d'une active 
surveillance , chaque heure sera marquée pour le sommeil , le 
repas , le travail , l'exercice , le délassement ; tout le régime de 
vie sera invariablement réglé ; les épreuves graduelles et suc- 
cessives seront déterminées ; les genres de travaux du corps 
seront désignés, les exercices de gymnastique seront indiqués ; 
un règlement salutaire et uniforme prescrira tous ces détails , 
et une exécution constante et facile en assurera les bons 
effets. 

» Je désire^ que pour les besoins ordinaires de la vie les en- 
fans, privés de toute espèce de superfini té, soient restreints à 
l'absolu nécessaire. 

» Ils seront couchés durement ; leur nourriture sera saine , 
mais frugale ; leur vêtement commode , mais grossier. 

» Il importe que pour tous l'habitude de l'enfance soit telle 
qu'aucun n'ait à souffrir du passage de l'institution aux divers 
états de la société. L'enfant qui rentrera dans le sein d'une 
famille pauvre retrouvera toujours ce qu'il quitte ; il aura été 
accoutumé à vivre de peu ; il n'aura pas changé d'existence : 
quant à l'enfant du riche , d'autres habitudes plus douces l'at- 
tendent; mais celles-là se contractent facilement; et pour le 
riche lui-même il peut exister dans la vie telles circonstances 
oii il bénira l'âpre austérité et la salutaire rudesse de Tédu ca- 
tion de ses premiers ans. 

» Après la force et la santé iï est un bien que l'institution 
publique doit à tous , parce que pour tous il est d'un avantage 
inestimable ; je veux dire l'accoutumance au travail. 

» Je n*e parle point ici de telle ou telle industrie particulière ; 
mais j'entends en général ce courage pour entreprendre une 
tâche pénible , cette action en l'exécutant , cette constance à 
la suivre , celte persévérance jusqu'à ce qu'elle soit achevée qui 
caractérise l'homme laborieux. 



(*328 ) 

-» Formez de tels hommes, et la République, composée bien- 
tôt cle ces robustes e'iëmens , verra doubler dans son sein les 
produits de Tagriculture et de l'industrie. 

M Formez de tels hommes , et vous verrez disparaître pres- 
que tous les crimes. 

M Formez de tels hommes ^ et l'aspect hideux de la misère 
n'affligera plus vos regards. 

M Créez dans vos jeunes élèves ce goût, ce besoin, cette 
habitude de travail, leur existcnccest assurée; ils ne dépendent 
plus que d'eux-mêmes. 

» J'ai regardé cette partie de l'éducation comme une des 
plus importantes. 

M Dans l'emploi de la journée tout le reste sera accessoire ; 
le travail des mains sera la principale occupation. 

» Un petit nombre d'heures en sera distrait ; tous les ressorts 
qui meuvent les hommes serout dirigés pour activer l'ardeur de 
notre laborieuse jeunesse. 

M Les p^res de famille , les élèves , les maîtres , tous , par 
la loi que je vous propose , seront intéressés à produire dans 
les ateliers des enfans la masse la plus considérable de travail 
qu'il sera possible ; tous y seront excités par leur propre 
avantage.' 

» Les uns parce qu'ils y trouveront la diminution de la 
charge commune ; les autres parce qu'ils y verront l'espérance 
d'être honorés et récompensés ; les enfans enfin parce que le 
travail sera pour eux la source de quelques douceurs toujours 
proportionnées à la tâche qu'ils auront remplie. 

» Il est une foule d'emplois laborieux dont les enfans sont 
susceptibles. 

M Je propose que tous soient exercés à travailler à la terre : 
c'est la première , c'est la plus nécessaire , c'est la plus géné- 
rale occupation de l'homme ; partout d'ailleurs elle offre du 
pain. 

» Ou peut encore leur faire ramasser et répandre les maté- 
riaux sur les routes ; les localités , les saisons , les manufac- 
tures voisines de la maison d'institution offriront des ressource» 

particulières. 



( 329 ) 

» Enfin un parti plus général ne serait peut-être pas 
impraticable. 

» Je Toudrais qu'on établit dans les maisons mêmes d'ins- 
titution divers genres de travaux auxquels tous les enfans sont 
propres , et qui , distribués et répartis dans tous ces établisse- 
mens , grossiraient sensiblement pour la République la masse 
annuelle des productions manufacturées. 

» J'appelle sur cette vue importante d'économie politique 
l'attention et le génie des citoyens intelligens dans les arts ; 
j'offre un programme à remplir sur cet objet , et je demande 
que la nation promette, une honorable récompense pour tous 
ceux qui indiqueront un genre d'industrie facitt qui soit propre 
à remplir la destination que je vous propose. 

»* Hégler sa vie , se plier au joug d'une exacte discipline 
sont encoire deux habitudes importantes au bonheur de l'être 
social : elles ne peuvent se prendre que dans l'enfance ; acquises 
à cet âge , elles deviennent une seconde nature. 

» On calculerait difGicilement à quel point une vie réglée et 
bien ordonnée multiplie l'existence , moralise les actions de 
l'homme, fait entrer dans sa conduite tout ce qui est bien, 
et la remplit tellement d'actes utiles qu'il n'y reste plus de place, 
si je puis parler ainsi , pour tout ce qui est vice ou désordre. 

» Je n'attache pas un moindre prix à l'habitud^d'une austère 
discipline. Souvenons-nous que nous devons des hommes des- 
tinés à jouir de la liberté , et qu'il n'existe pas de liberté sans ' 
obéissance aux lois. Plojés tous les jours et à tous les instans 
sous le joug d'une règle exacte , les élèves de la patrie se trou- 
veront tout formés à la sainte dépendance des lois et des auto- 
rités légitimes. Voyez ce jeune soldat avant qu'il ne s'engage , 
et retrouvez-le après qu'il a servi quelque temps ; ce n'est plus 
le même homme : ce changement est pourtant l'ouvrage de 
quelques mois de discipline militaire. Combien ce moyen ne 
sera-t-il pas plus efficace étant dirigé sur les organes souples 
et flexibles de l'enfance , modifié avec philosophie, et. mis en 
œuvre avec habileté et intelligence ! 

» Sans l'éducation commuue et nationale il est également 
impossible de créer les deux habitudes importantes que je viens 
de développer. Deux heures d'école ébaucheraient à peine 



( 33o ) 

l'ouvrage; l'indépendance du reste du jour «n effacerait jus- 
qu'à la trace . 

» Sans l'éducation nationale il vous faut aussi renoncer à 
former ce que j'appelle les mœurs de l'enfant , qui bientôt.par 
ce plan vont devenir les mœurs nationales ; et par 1^ je veax 
dire la sociabilité , son caractère , un langage qui ne soit point 
grossier, l'attitude et le port d'un homme libre, enfin des 
manières, franches , également distantes de la politesse et de la 
rusticité. Entre citoyenfs égaux d'une même République il faut 
que ces divers avantages de l'éducation soient répartis à tous ; 
car on a beau dire , ces nuances lorsqu'elles existent créent 
d'incalculables différences , et établissent de trop réelles iné- 
galités entre les hommes. 

» Je ne sais si je m'abuse, mais il me semble que toutes 
les habitudes dont j'ai présenté jusqu'ici l'énumératioci sont 
une source féconde d'avantages pour les enfanset pour l'Etat; 
ce sont les vrais fondemens d'une salutaire éducation ; sans 
elles il n'existe pas d'éducation. Si dans l'enfance nous ne les 
donnons point à tous les citoyens , la nation ne peut pas être 
profondément régénérée. 

» De toutes ces habitudes il n'en est pas une seule dont 
j'entrevoie la source dans le système du comité. 

» Créer d«f habitudes ett un objet entièrement étranger à 
son plan : il offre à toi# d'utiles leçons ; mais pour former des 
hommes des instructions ne suffisent pas. 

» J'aborde nlaintenant l'enseignement, cette partie de l'é- 
ducation la seule que le comité ait traitée , et ici je marcherai 
d'accord avec lui. 

» Quelles sont les notions , quelles sont les connaissances 
que nous devons à nos élèves ? Toujours celles qui leur sont 
nécessaires pour l'état de citoyen, et dont l'utilité est com- 
mune à toutes les professions. 

» J'adopte entièrement pour l'institution publique la nomen- 
clature que le comité vous a présentée pour le cours des écoles 
primaires : apprendre à lire , écrire , compter, mesurer ; rece- 
voir des principes de morale , une connaissance sommaire de 
la Constitution , des notions d'économie domestique et rurale ; 
développer le don de la méynoire en y gravant les- plus beau» 



( 33i ) 
récits de Thistoire des peuples libres el de la révolution fran- 
çaise; voilà le nécessaire pour chaque citoyen , voilà Tinstruc- 
tion qui est due à tous. 

» Je me contenterai d'observer que , sans multiplier davan- 
tage ces objets d'étude , je désire que renseignement en soit 
un peu plus étendu et plus approfondi que dans le plan du 
comité , je voudrais reporter quelque chose de Tinstruction 
destinée par le comité pour les écoles secondaires dans mon 
cours d'institution publique. 

» Le comité dans l^s écoles primaires n'avait préparé cette 
substance morale pour l'enfance que jusqu'à l'âge de dix ans. 
Je prolonge jusqu'à douze l'institution publique , et ces deux 
années comportent une nourriture plus solide et plus abon- 
dante. 

» Jusqu'ici j'ai développé le système des diverses habitudes 
dont la réunion forme le complément d'un bon cours d'éduca- 
tion , et cependant je n'ai pas encore prononcé le nom de cette 
habitude morale qui exerce une si souveraine influence sur 
toute la vie de l'homme ; je veux dire la religion : sur cette 
matière délicate il est plus aisé d'exprihier ce qui est mieux 
que ce qui est possible. 

M C'est d'après le principe que l'enfance est destinée à rece- 
voir l'impression salutaire de Thabitude que je voudrais qu'à 
cet âge il ne soit point parlé de religion , précisément parce 
que je n'aime point dans l'homme ce qu'il a toujours eu jus- 
qu'à présent , une religion d'habitude. 

>» Je regarde ce choix important comme devant être l'acte 
le plus réfléchi de la raison. 

» Je désirerais que pendant le cours entier de l'institution 
publique l'enfant ne reçût que les instructions de la morale 
universelle , et non les enseignemens d'aucune croyance parti- 
culière. 

» Je désirerais que ce ne fût qfl'à douze 'ans, lorsqu'il sera 
rentré dans la société , qu'il adoptât un culte avec réflexion. Il 
me semble qu'il ne devrait choi ir que lorsqu'il pourrait 
juger. 

w Cependant, d'après la disposition actuelle des esprits, sur- 
tout dans les campagnes , peut-être pourriez-vou» craindre de 



( 332 ) 

porter le mécoatentement et le scandale même aa milieu de 
* familles simples et innocentes, si les parens voyaient leurs en- 
fans séparés jusqu'à douze ans des pratiques extérieures de 
tout culte religieux. Je soumets cette difficulté de circonstances 
à la sagesse de vos réflexions ; mais j'insiste dans tous les cas 
pour que cette partie d'enseignement n'entre point dans le 
cours de l'éducation nationale , ne soit point confiée aux insti- 
tuteurs nationaux , et qu'il soit seulement permis , si vous 
jugez cette condescendance nécessaire , de conduire à certains 
jours et à certaines heures les enfans au temple le plus voisin 
pour y apprendre et y pratiquer la religion à laquelle ils au- 
ront été voués par leurs familles. 

» Telles sont les bornes dans lesquelles se renferme le plan 
de l'institution publique. 

» Je peux le résumer en deux mots. 

» Donner à tous les habitudes physiques et les habitudes 
morales , les instructions et les connaissances qui , étant ac- 
quises dans l'enfance , influent sur tout le reste de la vie , qu'il 
importe à tous d'acquérir , qui ont une commune utilité pour 
tous , à quelque profession qu'ils se destinent , .et qui doivent 
produire une masse sensible d'avantages pour la société lors- 
qu'elle en aura également pourvu tous les membres qui sont 
destinés à la composer. Au surplus ce plan , tracé à la hâte , a 
besoin' sans doute d'être perfectionné : de meilleurs esprits , 
de^ philosophes plus profonds pourront suppléer à ce qu'il a 
de défectueux ; le temps et l'expérience l'enrichiront. Mais 
je fais observer que ce qu'il a d'utile , que son principal avan- 
tage c'est cette susceptibilité de recevoir un perfectionnement 
graduel et progressif ; c'est un cadre dans lequel toute vue 
utile , toute institution bienfaitrice à l'enfance peut se placer 
d'elle-même. 

» Jamais dans les écoles primaires nous ne trouverons qu'une 
instruction imparfaite. Leu^vice radical c'est de ne s'emparer 
que de quelques heures , et de livrer à l'abandon toutes les 
autres. On concevra en vain des théories ingénieuses; en vain 
pour former , pour instruire l'enfance établira-t-on des mé- 
thodes parfaites ; tout cela , avec des écoles primaires , man- 
q]Eiera toujoi^s par l'exécution ; avec un tel moyen il est im- 



( 333 ) 
possible de prodaîre autre chose que des effets ou nuls , ou 
partiels , ou profitables à un très petit nombre drindividus. 

w Dans l'institution publique au contraire la totalité de 
Texistence de l'enfant nous appartient ; la matière , si je peux 
m'exprimer ainsi , ne sort jamais du moule ; aucun objet exté- 
rieur ne vient déformer la modification que vous lui donnez. 
Prescrivez ; l'exécution est certaine : imaginez une bonne mé- 
thode ; à l'instant elle est suivie : créez une conception utile ; 
elle se pratique complètement^ continuement, et sans efforts. 

» J'ai adopté un moyen que je crois très efficace pour 
donner k nos établissemens d'institution publique la perfection 
dont ils sont susceptibles. 

» C'est de publier des programmes: 
» Dans mon projet de décret je vous en présente l'aperçu. 
» Il m'a semblé facile de diviser les diiFérens élémens dont 
l'ensemble complète notre cours d'éducation. Les uns concer- 
nent la formation de l'être physique ; les autres ont rapport à. 
la formation de l'être moral. 

» Sur chacun de ces programmes les citoyens seront invités 
h travailler et à concourir. 

» Ouvrez vos trésors pour récompenser sur chaque partie 
les noieilleurs ouvrages , et cette munificence même enrichira la 
République. 

M Je pousserai encore plus loin cette idée, et j'ose attester 
que la société et l'humanité pourraient recueillir d'importans 
avantages de l'établissement permanent de prix annuels pro- 
posés à quiconque aura conçu une pensée utile sur l'éducation ^ 
et ajouté un bon article au code de l'enfance. 

M Jusqu'ici je n'ai considéré le sujet que je traite que sous 
le rapport de l'éducation ; maintenant je vais vous le présenter 
sons un autre aspect. bien important , celui de l'économie poli- 
tique. 

» Diminuer les nécessités de Tindigence , diminuer le su- 
perflu de la richesse , c'est un but auquel doivent tendre toutes 
HQS institutions ; mais il faut que la justice comme la prudence 
règlent notre marche. On ne peut s'avancer que pas à pas j tout 
moyen convulsif est inadmissible ; la propriété est sacrée ^ et 



( 334 ) 
ce droit a reçu de votre premier décret une nouyelle el authea- 
tique garantie. 

» La mesure la plus douce comme la plus efficace de rappro* 
cher l'immense distance des fortunes , et de corriger la bizarre 
disparité que le hasard de la propriété jette entre les citoyens, 
se trouve dans le mode de répartir h$ charges publiques. 
Soulager celui qui a peu , que le poids porte principalement sur 
le riche , voilà toute la théorie , et j'en trouve une bien heu- 
reuse et bien facile application dans la nouvelle charge qui va 
résulter de rétablissement de l'institution publique. 

M Eu deux mots , l'enfant du pauvre sera élevé aux dépens 
du riche, tous contribuant pourtant dans une juste proportion, 
de manière à ne pas laisser à l'indigent même l'humiliation de 
recevoir un bienfait. 

» Un calcul simple va établir ce résultat jusqu'à l'évidence. 

» Je propose que dans chaque canton la d<'pense de la maison 
d'institution publique, nourriture, habillement, entretien des 
enfans , soit payée par tous les citoyens du canton au prorata 
de sa contribution directe. Pour rendre la proportion plus seu- 
sible , je prends l'exemple de trois citoyens. 

» Je suppose l'un ayant tout juste les facultés requises autre- 
fois pour être citoyen actif, c'est à dire payant la valeur de trois 
journées de travail , que j'évalue trois livres. 

» Je suppose à l'autre un revenu de mille livres , qui lui pro- 
duit deux cents livres d'imposition. 

w Enfin je donne à l'autre cent mille livres de rente , pour 
lesquelles il paie une contribution de vingt raille livres. 

M Maintenant j'évalue par aperçu là taxe pour l'éducation 
commune des enfans à une moitié en sus de la contribution 
directe. 

» Quelle sera la portion contribufoîre de ces trois citoyens ? 

» L'homme aux trois journées de travail paiera pour la taxe 
des enfans une livre dix sous. 

M Le citoyen qui a' mille livres dé revenu y contribuera pour 
cent livres. 

M £t celtà qui est riche de cent mille livres de rente mettra 
pour sa part dans la taxe dix mille livres. 

» Gomme vous voyez , c'est un dépôt commun qui se forme 



, ( 335 ) 
de la réunion ie plusieurs mises inégales : le pauvre met tres« 
peu y le riche met beaucoup ; mais lorsque le dépôt est formé 
il se partagé ensuite également entre tous ; chacun en retire 
même avantage , l'éducation de ses enfans.' 

» L'homme aux trois journées de travail , moyennant sa 
surtaxe de trente sous, se verra affranchi du poids d'une famille 
souvent nombreuse ; tous ses enfans seront nourris aux dépens 
de r£tat ; avec ce faible sacrifice de trente sous il pourra avoir 
jusqu'à sept enfans à la fois élevés aux frais de la République. 

» J'ai cité l'homme aux trois journées , et cependant ce ci- 
toyen était dans la classe ci-^levant privilégiée ; il était doué 
de l'activité : quelle foule innombrable ne profitera pas d'une 
manière encore plus sensible de la bienfaisance de cette loi 
puisque toute la classe des citoyens ci-devant inactifs, au 
moyen d'une taxe moindre que trente sous , jouira du même 
avantage ! 

M II est de toute évidence que depuis la classe des citoyens 
ci-devant inactifs, en remontant jusqu'au propriétaire de mille 
livres de rente, toutcequi.se trouve dans l'intervalle a intérêt 
à la loi. 

» Même pour le propriétaire de mille livres de rente , elle 
est utile ; car il n'est aucun citoyen qui, jouissant de ce revenu, 
ne s'abonne volontiers à cent livres par an pour la dépense de 
l'éducation de tous ses enfans. Ainsi tout le poids de la sur- 
charge portera uniquement sur ceux qui possèdent plus de mille 
livres de rente. 

» Ainsi plus des dix-neuf vingtièmes delà France sont inté- 
ressés à la loi, car certainement il n'y a pas plus d'un vingtième 
des citoyens dont le revenu excède cent pistoles. 

B Dans toute cette partie nombreuse de la nation je ne vois 
de lésés que les célibataires , ou les personnes mariées et sanS' 
•enfans, car ils mettent Comme les autres à la masse commune, 
et ils retirent zéro ; mais je doute que leurs plaintes vous tou-* 
chent ; ceux-ci ont moins de charge que le reste des citoyen». 
M D'après ce système vous voyez qu'il n'y a que le riche dont 
la taxe se trouverait plus forte que ce qui lui en coûterait pour 
élever sa famille ^ mais dans sa surcharge même j'aperçois un 
double avantage , celui de retrancher une portion du superflu 



( 336 ) 

àe l'opulence , celui de faire tourner cette surabondance mala- 
dive au soulagement des citoyens peu fortunes , j'ose dire au 
profit de la société tout entière , puisqu'elle lui fournit les 
moyens de fonder une institution vraiment digne d'une 
Képublique, et d'ouvrir la source la plus féconde de prospérité, 
de splendeur et de régénération. ^ 

» J'ose le demander, oii sera maintenant l'ijidigence ? Une 
seule loi bienfaitrice l'aura fait disparaître du sol de la France. 

» Jetez les yeux sur les campagnes ; portez vos regards dans 
l'intérieur des chaumières ; pénétrez dans les extrémités des 
villes , où une immense population fourmille couverte à peine 
de haillons ; connaissez lel détails de ces utiles familles : là 
même le travail apporterait l'aisance ; mais la fécondité y 
ramène encore le besoin. Le père et la mère , tous deux labo- 
rieux , trouveraient facilement dans leur industrie ce qu'il leur 
faut pour vivre ; mais ce pain gagné péniblement n'est pas 
pour eux seuls ; des enfans nombreux leur en arrachent un<^ 
partie, et la richesse même qu'ils donnent à l'Etat repousse sur 
eux toutes les horreurs de la misère. 

» Là , par l'injustice vraiment odieuse de notre économie 
sociale , tous les sentimens naturels se trouvent dépravés et 
anéantis! 

M La naissance d'un enfant est un accident ; les soins, que la 
mère -lui prodigue sont mêlés de regrets et du mal-être de 
l'inquiétude ; à peine les premières nécessités sont-elles accor- 
dées à cette malheureuse créature, car il faut que le besoin qui 
partage soit parcimonieux ; l'enfant est mal nourri, mal soigné, 
maltraité, et souvent parce qu'il soujQfre il ne se développe 
point, ou il se développe mal , et à défaut de la plus grossière 
culture cette jeune plante est avortée ! 

» Quelquefois même, ledirai-je! un spectacle plus déchi- 
rant m'a navré. Je vois une famille afiligée ; j'approche : ua 
.enfant venait d'expirer; il était là.... £t d'abord la nature 
arrachait à ce couple infortuné quelques pleurs ; mais bientôt 
l'àfPreuse indigence lui présentait cette consolation plus amère 
encore que ses larmes : c'est une charge de moins !... 

» Utiles et malheureux citoyens, bientôt peut-être celte 
«harge ne sera plus pour vous un fardeau; la République 



c 337) 

bienfaisante viendra rallégcr un jour; peut-*étre, rendus à 
l'aisance et aux douces impulsions de la nature, tous pourres 
donner sans regret des enfans à la patrie. La patrie les recevra 
tous également, les élèvera tous également sur les fonds du 
superflu de la richesse, les nourrira tous également^ les vêtira 
tous également , et lorsque vous les reprendrez tout formés de 
ses mains ils feront rentrer dans vos familles une nouvelle 
source d'abondance , puisqu'ils y apporteront la force , lajsanté , 
l'amour et l'habitude du travail. 

» Quelque considérable que dût être la taxe des enfans , ce 
ne serait pas un motif suffisant pour se priver des avantages 
d'une aussi belle institution , puisque cette taxe ne grèverait 
que le riche , tandis que les parens dont la fortune est médiocre 
paieraient au dessous de ce qu'il leur en coûterait chez eux 
pour élever leurs enfans. 

>» Mais cette charge ne sera pas énorme si vous adoptes 
quelques autres dispositions que je vous propose. 

» D'abord le produit du travail des enfans viendra au sou- 
lagement de la dépense de la maison ; tout enfant au dessus 
de huit ans, c^cst à dire plus de la Moitié des élevés, peut 
gagner sa nourriture. Il n'y aura que les enfans de cinq , six et 
sept ans qui seront en pure charge ; ceux-là recevront sans 
rien mçttre. Quiconque a vu des lieux pii fleurit l'industrie 
sait qu'on jionnaît Fart d'employer fort utilement des enfans 
de huit ans et ^u dessus. 

» Tout consiste à établir un ordre sage , et à bien m.onter la 
machine. 

» Ici tous les iatéréts concourront à multiplier auprès des 
maisons nationales d'institution des objets de travaux à la con* 
Teaaixce des enfans. 

» Les citoyens du canton s'occuperont, s'empresseront d'en 
appeler les occasion», puisque la masse des produits diminuera 
d'autant la charge qu'ils supportent. 

» L'ardeur des enfans sera aniq^ée par des encouragemens 
qu'un règlement sage présentera à leur émulation. 

» Les maîtres eux-mêmes recevront des récompenses Iqrs% 
que les enfans confiés k leurs soins auront emporté le -prix du 
travail. 

XllU 22 



' ( 338 ) 
. » *le crois qu'il est cfbcore une autre ressource dont nous 
pourrons grossir les fonds destinés à nos établissemens. ' 

M Quelques enfans auront des revenus personnels. 

«» Tant qu'ils seront au nombre des élèves de la nation toute 
dépense cesse pour eux : qu'est- il besoin que ces revenus, 
épargnés chaque année, grossissent leurs capitaux pour le 
moment oii ils seront en âge de jouir de leur bien? N'est-il 
pas plus naturel que pendant le temps oii la nation prend soin 
d'eux leurs revenus soient appliqués à la dépense commune? 

» Notre droit positif se joint ki à la raison pour indiquer 
cet emploi. 

» Les pères et mëres , par droit de garde , jouissaient de» 
revenus de leurs enfans mineurs ; mais l'entretien des enfans 
en était la condition et la charge : alors la charge passerait à 
la patrie ; il paraît juste et convenable qu'elle jouisse aussi 
des avantages. 

» Yoici donc comme je propose de doter nos établisse- 
mens d'^institution nationale. 

» 1®. Le produit du travail des enfans. 

9 2^. Les revenus personnels des enfans qui y seront élevés, 
pendant tout le temps de leur éducation. . 

» 3^. Le surplur sera fourni par les produits d'une taxe 
imposée sur tous les citoyens du canton , chacun dans la pro- 
portion de ses facultés. 

» Je n'ajoute plus qu'une observation pour terminer cet 
aperçu ; c'est que , les intéressés devant eux-mêmes admi- 
nistrer, ainsi que je vais le développer dans un instant , la plus 
sévère économie sera apportée dans les dépenses. 

M Les dépenses se borneront au juste nécessaire. 

» Aucun domestique ne sera employé dans les maisons 
d'institution : les enfans les plus k^jki donneront aux plus 
jeunes les secours dont ils pourront av#ir besoin ; ils feront 
chacun à leur tour le service commun ; ils apprendront tout 
à la fois à se suffire à eux-mêmes , et à se rendre utiles aux 
autres 

M n n'existera donc à proprement parler que trois articles 
de dépense ; les appointemens des instituteurs et institutrices , 
I« vêtement , la nourriture des enfans. 



(339) 

)> Je propose de fixer les appoîntemens des instituteurs k 
quatre cents livres , et ceux des institutrices à trois cents , en 
leur donnant pour leur nourriture double portion de celle 
des enfans les pliis âgés. 

» Quant aux vétemens , les étoffes les plus communes j 
seront employées , et vous pouvez concevoir que les frais n'en 
seront pas considérables* 

» Tous les citoyens du canton ayant un intérêt commun k 
l'économie y chacun y mettra un peu du sien : Tun y mettra 
son étoffe , l'autre le métier qu'il sait , les mères de famill» 
leur travail , tous se partageront la tâche à l'envi , et aiusi la 
charge deviendra plus légère pour tous. 

» A regard de la nourriture , les alimens les plus simples et 
les plus communs , à raison de leur abondance , seront préférés. 

» Il sera fait un état d^ ceux qui conviennent à la santé des 
enfans , et dans le nombre déterminé on choisira toujours 
celui que le climat et la saison offrent à moins de frais. Je 
crois que le vin et !a viande en* doivent être exclus ; l'usage 
n'en est point nécessaire à l'enfance ; et pour vous présenter 
un aperçu de l'utile parcimonie qu'on peut apporter dans les 
frais de nourriture des jeui^es élèves , je vous citerai un fait que 
tous les journaux du temps ont publié. Dans le grand hiver 
de 1 788 le curé de Sainte-Marguerite , à Paris , employa avec 
le plus grand succès i^ne recette composée d'un mélange de 
plusieurs espèces d'aliniens ; il fit vivre fort sainement une 
multitude immense de mallieureux , et la portion d'un homme 
fait n'allait pas à trois sous par jour. 

M Maintenant il ne me reste plus qu'à vous exposer de 
quelle manière je conçois que doit être organisée l'administra- 
tion des nouveaux établissemens d'institution publique. 

M Quels autres que les pères de famille du canton pourraient 
recevoir cette marque honorable de la confiance publique ? 

» Qui pourrait y apporter u^ intérêt plus direct ? 

» Oii trouverions-nous une surveillance plus éclairée ? 

» Les pères de famille ont tout à la fois et le droit et le devoir 
Ae couver continuellement des regards de la tendresse et de 1^ 
soUicitade ces lAtéressans dépôts 4< leur plus douce espérane^» 



( 34o ) 
* Bfais aussi aux pères de famille seuls est d A cet honneur : le 
cél3>ataire ne l'a pas encore mérité. 

» Je propose que tons les ans les pères de famille du canton , 
réunis , choisissent pour chaque maison d'éducation natiooale 
qui y sera établie un conseil de cinquante-deux pères pris dans 
leur sein. 

» Chacun des membres du conseil sera obligé de donner 
dans tout le cours de Tannée sept jours de son temps , et cha- 
cun fera sa semaine de résidence dans la maison d'institution, 
pour suivre la conduite et des enfans et des maîtres. 

» De cette manière il y aura pour tous les jours de rannée 
un père de famille chargé de la surveillance : ainsi l'œil de la 
paternité ne perdra pas de vue l'enfance d'un seul instant» 

» Le père de famille surveillant aura pour fonction de s'as- 
surer de la bonne qualité et de la juste distribution des alimens , 
de maintenir l'exécution des réglemens pour l'emploi des dif- 
férentes heures de la journée , d'activer le travail des mains , de 
dresser l'état des tâches que chaque enfant aura remplies , d'en- 
tretenir la propreté , si nécessaire à la bonne santé des élèves , 
de les faire soigner s'ils sont malades , enfin de tenir constam- 
ment les enfans et les maîtres dans la lignes étroite des devoirs 
qui seront tracés aux uns et aux autres. 

» Une fois tous les mois le conseil des cinquante-deux pères 
de famille s'assemblera , et chacun y rendra compte de ses ob- 
servations , des plaintes ou des éloges dont sa semaine de sur- 
veillance lui aura fourni l'occasion. 

» Je crois utile que quelques membres des autorités consti- 
tuées soient présens à cette séance , pour qu'ils puissent sans 
délai porter remède aux abus dont ils acquerraient la connais* 
tance. 

>» Pour l'administration pécuniaire , pour la recette et pour 
ia dépense y le conseil des cinquante-deux pères formera un 
comité de quatre membres pris dans son sein , dont les fonc- 
tions seront de régler tous les achats pour le vêtement , la nour- 
riture et l'entretîea de la maison ; de prescrire suivant les sai- 
sons la nature des alimens qui seront fournis aux enfans ; de 
détemxiher les genres de travaux corporels auxquels ils seront 



( 34i ) 
employés ; de fixer le prix de leurs tâclies ; enfin de tenir tous 
les registres. 

n Chaque mois ils présenteront leurs comptes au conseil des 
cinquante^deux përes de famille , et le double en sera adressé 
aux autorités constituées. 

» Telle est l'administration , tput à la fois simple et active , 
que je propose pour chaque établissement d'éducation. Avec 
ces précautions, avec cette surveillance,. avec cette économie 
de l'intérêt personnel nous pouvons être assurés que la taxe , 
toujours légère pour le pauvre et pour le propriétaire d'une 
fortune médiocre , ne sera jamais excessive même pour le 
riche. Au surplus , en fait de taxe publique c'est moins la me- 
sure qui appauvrit et énerve un état que sa mauvaise réparti- 
tion ou son emploi ; or ici les caractères les plus heureux d'une 
saine économie politique se réunissent , puisque la taxe pro- 
posée n'a d'autres effets que de placer une somme du superflu 
pour la verser sur le besoin. La somme d'une dépense qui exis- 
tait auparavant , celle de la nourriture et entretien des enfans , 
est changée ; mais alors tous mettaient également ; c'était une 
charge supportée par tête : aujourd'hui dans mon système elle 
devient proportionnelle aux facultés ; la pauvreté n'y met pres- 
que rien , la médiocrité reste à peu près au même point , 
l'opulence y met presque tout. 

» £n Angleterre la seule taxe des pauvres monte à soixante 
millions ; en Angleterre , dont le territoire et la population 
ne formeraient qu'un tiers de la France. 

» Là une contribution aussi énorme est employée pour 
guérir une maladie du èorps politique. En France là taxe des 
enfans opérera des effets plus généraux et plus salutaires , 
puisqu'elle renouvellera tous les élémens de l'Etat, qu'elle 
épurera pour ainsi parler tous les germes nationaux , et qu'elle 
portera dans la République les principes impérissables d'une 
vigueur et d'une santé toute nouvelle. 

» Ce mot de taxe des pauUres me fait concevoir une pensée 
k laquelle je crois quelque moralité. 

» Nôtis regardons comme une dette de la Société ^obligation 
de nourrir lès vieillards et les infirmes hor^ d^état de gagner 
leur vie ; déjà vous en avez reconnu le principe , et vous vous 



( 34^ ) 
occupez des mc^ens d'exécution. Pourquoi élever dispend îeu- 
semenl de nouveaux édifices ? Formons une réunion double-. 
ment utile : je voudrais que les vieillards à la charge des com- 
munes d'un canton trouvassent leur asile dans une partie des 
ëtablissemens destinés à l'institution publique. 

n Là , presque sans frais , ils partageraient une frugale 
nourriture ; là y presque' sans frais , ils recevraient les assis- 
tances journalières qui leur sont nécessaires : les enfans les 
plus âgés et les plus forts seraient successivement employés à 
Fbonneur de les servir. 

» Quelle utile institution I quelle leçon vivante des devoirs 
sociaux ! 

w II me semble qu'il existe quelque chose de touchant et de 
religieux dans le rapprochement du premier et du dernier Âge , 
de l'infirmité caduque et de la vigueur de l'enfance. 

w Ainsi le saint respect pour la vieillesse y la compassion 
pour le malheur , la bienfaisante humanité pénétreront dans 
l'âme de nos élèves avec leurs premières sensations , s'y grave- 
ront profondément ; leurs habitudes mêmes deviendront en 
eux des vertus. 

» Tel est , représentans , l'aperçu rapide du plan que je 
vous soumets. 

» Jusqu'ici il me semble que tous ceux qui ont traité celte 
matière se sont appliqués uniquement à former un système 
d'instruction publique : moi j'ai cru qu'avant l'instnictibn il 
fallait fonder l'institution publique. 

» L'une est profitable à plusieurs ; l'autre est le bien de 
tous. 

»^ Celle-là propage des connaissances utiles ; celle--ci crée 
et multiplie des habitudes nécessaires. 

» Bientôt dans mon plan l'instruction publique aura sa 
place désignée : c'est une décoration partielle de l'édifice ; 
mais l'institution publique est la, base fondamentale sur la- 
quelle l'édiftce entier est asâs. 

» L'institution publique , comme je la conçois , sans nuire 
aux arts ni à l'agriculture y leur prépare au contraire une nou- 
velle prospérité ; elle leur emprunte quelques années de l'en^ 



(Mi) 

faoce , mais pour leur rendre bientôt des bras plus vigoureux^ 
et doués encore de toute la flexibilité du premier âge. 
' » Ainsi la population recevra de puissans encouragemens. 
» Ainsi les mëres , par leur propre intérêt , seront ramenées 
au plus doux des devoirs , à celui d'alaiter elles*méaies leurs 
enfans. 

» Ainsi jusqu'à cinq ans l'enfance sera moins abandonnée 
à une pernicieuse incurie; des encouragemens et quelques 
lumières conserveront à la République une foule innombrable 
de ees êtres malheureux que la nature constitua pour vivre , et 
que la négligence condamne chaque année à périr. 

>» Ainsi depuis cinq ans jusqu'à douze, c'est à dire dans 
cette portion de la vie si décisive pour donner à l'être physi* 
que et moral la modification , l'impression , l'habitude qu'il 
conservera toujours y tout ce qui doit composer la République 
sera jeté dans un moule républicain. 

» Là , traités tous également , nourris égadement , vêtus 
également , enseignés également y l'égalité sera pour les [eunes 
élèves non une sipéciease théorie , mais une pratique conti-* 
nuellement effective.. 

M- Ainsi se formera une raee renouvelée , forte, laborieuse ,, 
réglée, disciplinée , et qu'une barrière impénétrable aura 
séparée du contact impur des préjugés de notre e^èce vieillie.^ 
» Ainsi réunis tous ensemble , tous îndépendans du besoin 
par la munificence nationale , la même instruction , les mêmes 
connaissances leur seront données à tous également , et les 
circonstances particulières de l'éloignement du domicile y de 
l'indigence des parens , ne rendront illusoire ^our aucun lé 
bienfait de la patrie. 

» Ainsi la pauvreté est secourue dans ce qui lui manque ; 
ainsi la richesse est dépouillée d'une portion de son superflu y, 
et , sans crise ni convulsion , ces deux maladies du corps poli- 
tique s'atténuent insensiblement; 

>» Depuis longtemps elle est attendue cette occasion de 
secourir une portion nombreuse et intéressante de la société : 
les révolutions qui se sont passées depuis trc fsans ont tout fait 
pour les autres classes de citoyens ^ presque rien encore pour 



( 344 ) 

la fins nécessaire peut-^tre, pour les citoyens prolétaires » 
dont la seule propriété est dans le travail. 

» La féodalité est détruite ; mais ce n'est pas pour eux , car 
ils ne possèdent rien dans les campagnes affranchies. 

M Les contributions sont plus justement réparties ; mais , par 
leur pauvreté même , ils étaient presque inaccessibles à là 
charge ; pour eux le soulagement est aussi presque insensible. 
» L'égalité civile est rétablie ; mais l'instruction et l'éduca- 
tion leur manquent : ils supportent tout le poids du titre de 
citoyens ; ont-ils vraiment aptitude aux honneurs auxquels le 
citoyen peut prétendre 7 

M Jusqu'ici l'abolition de la gabelle est le seul bien qui ait 
. pu les atteindre , car la corvée n'existait déjà plus , et momen- 
tanément ils ont souffert par la cherté des denrées, par le 
ralentissement du travail , et par l'agitation inséparable des 
tempêtes politiques. 

N Ici est la révolution du pauvre , mais révolution douce et pai- 
sible , révolution qui s'opère sans alarmer la propriété , et sans 
offenser la justice* Adoptez les enfans des citoyens sans pro- 
priété , et il n'existe plus pour eux d'indigence ; adoptez leurs 
enfans , et vous les secourez dans la portion la plus chère de 
leur être. Que ces jeunes arbres soient transplantés dads la 
pépinière nationale , qu'un même sol leur fournisse les sucs 
nutritifs f qu'une culture vigoureuse les façonne ; que , pressés 
les uns contre les autres , vivifiés conune par les rayons d'un 
astre bienfaisant , ils croissent y se développent , s'élancent tous 
ensemble et à l'envi sous les regards et sous la douce influence 
de la patrie ! 

» L'enfant eht parvenu à douze ans ; à cet âge finit pour lui 
l'institution publique : il est temps de le rendre aux divers 
travaux de l'industrie. 

» L'en séparer davantage ce serait nuire à la société. 
» Mais jusque là la société a payé sa dette r^un^use envers 
lui ; elle lui a conservé tout ce qu'il reçut de la natuiie ; elle en 
a même perfectionné les dons dans sa personne ; il est suscep» 
tible de tout : le sol est fertilisé pour toute espèce de produc- 
tion. Le jeune élève a les habitudes physiques et morales 
nécessaires dans tous les états ; il a les connaissances d'une 



( 345 ) 

commune nttlité aux citoyens de toutes les professions ; en un: 
mot îl a la préparation y la modification gén^le qu'il lui 
importe d'avoir reçue , soit pour le bien-être particulier de 
sa vie , soit pour constituer utilement une des portions élëmen* 
taires destinées à composer la Répablique. 

» Cependant à cet âge , placé entre la jeunesse et l'enfance , 
la patrie ne peut pas cesser toute surveillance ; des soins sont 
encore dus â l'adolescence , parce qu'ils lui sont encore ncces* 
saires ; et ici se présentent à nous des questions dont l'intérêt 
est vraiment digne de l'attention du législateur. 

« Au sortir de Tiostitution publique l'agriculture et les arts 
mécaniques vont appeler la plus grande partie de nos élèves , 
car ces deux classes constituent la presque totalité de la nation. 
» Une très petite portion , mais choisie , sera destinée à la 
culture des arts agréables et aux études qui tiennent à l'esprit. 
» Voyons quels sont les devoirs de la société envers les uns 
et les autres. 

» Quant aux premiers , l'apprentissage de leurs divers 
métiers n'est pas du ressort de la loi : le meilleur maître c'est 
rintérét ; la leçon la plus persuasive c'est le besoin. Les 
champs , les ateliers sont ouverts ; ce n'est point à la Répu«- 
hlique à instruire chaque cultivateur et chaque artisan en par- 
ticulier ; tout ce qu'elle peut faire c'est de surveiller en général 
le perfectionnement de l'agriculture et des arts , surtout d'en 
développer les progrès par des encouragemens efficaces et par 
les lois d'une saine économie. 

» Laisserons->nous pourtant k un abandon absolu ces deux 

classes nombreuses des jeunes citoyens devenus artisans et 

laboureurs , ou plutôt la société ne doit-elle pas continuer 

encore envers eux les soins de quelque culture morale ? 

» Yoici ce qui m'a paru utile et en même temps praticable. 

» La semaine appartient au travail ; les en détourner serait 

absurde et impossible ; mais au jour de délassement , à certaines 

époques qui seront déterminées y il est bon , il est convenabla 

que la jeunesse retrouve des exercices du corps , quelques leçons, 

des fêtes , deê rassemblemens qui appellent son attention , inté* 

ressent sa curiosité , excitent son émulation. Ainsi les heureuses 

impressions qu'aura reçues l'enfance ne s'eflfaceront points et» 



( 346 ) 
sans rien dérober du temps nécessaire aux travaux , le repos 
cessera d'être oisif , et le plaisir lui-même présentera des 
instructions. 

M Vos comités y dans un travail vraiment philosophique , 
TOUS ont offert des moyens d'appeler dans des solennités civiques 
la jeunesse sortie des premières écoles. 

» Ici donc s'achève mon plan par celui de vos comités ; je 
n'ajouterais rien de neuf, et >vos momens sont précieux. » 



JtN DU SEamfD UVIl£. 



(^7.) 



IIVRE III. 



LÉGISLATION CIVILE. 



Rapport sur Vétat des enfans naturels , fait par Cambacërës, 
au nom du comité dé législation , dans la séance du 
4 juin 1793. 

« Citoyens , la nature et la raison se réunissent pour de-^ 
mander une loi en faveur des enfans naturels ; les pétitions 
s'accunLulent sur cette importante matière ; et il est dans 
Tordre de vos devoirs d'arrêter enfin vos regards sur une classe 
d'infortunés depuis trop longtemps victimes de l'avarice et du 
préjugé. 

» L'état politique des enfans naturels n'est plus équivoque ; 
susceptiblts d'être élevés à toutes les places , à toutes les digni- 
tés , il s'agit de les faire jouir des avantages de l'état civil privé : 
ce n'est donc point un bienfait qu'ils réclament ; c'est un acte 
de justice qu'ils attendent. 

» Les bâtards tiennent à ceux dont ils sont issus par les liens 
de la nature; les enfans légitimes leur appartiennent à double 
titre , par les liens du sang et par les droits de la loi : de là 
cette préférence de la loi sur la nature , et le prétexte plausible 
pour établir une différence entre ceux dont la condition devrait 
être la miême. 

» Cette différence est-elle juste? Peut-il y avoir deux sortes 
de paternité ? L'intérêt des collatéraux doit-il surtout préva- 
loir sur les droits du sang ? Cet intérêt peut- il être de quelque 
considération là ou l'égalité est devenue une des bases du gou- 
vernement ? Telles sont les questions que ùii naître l'intérêt 
au sujet que nous traitons. 

M Présenter ces questions à des législateurs philantropes 
c'est préjuger leur solution ; ce serait leur faire injure que 



(348) 

d'oser croire qu'ils fermeront l'oreille à la voix Incorraptible ie 
la nature pour consacrer à la fois et la tyrannie de l'habitude , 
et les erreurs des jurisconsultes. 

n Mais plusieurs difficultés s'élèvent , et je ne dois ni vous 
les déguiser , ni vous taire les considérations qui doivent les 
résoudre. 

» La paternité , dit-on , ne peut être légalement établie que 
parle mariage ; l'honnêteté publique exclut toute autre manière 
de la constater; celui qui n'a point de père reconnu par la loi ne 
peut réclamer ni les droits purement civils de la paternité , ni 
les droits de famille ; son incapacité vient du vice de son ori- 
gine , et son exclusion aux droits de succéder est la peine due 
au délit commis par les auteurs de ses jours. •• Il eât homme , et 
il ne peut jouir des droits de l'homme ! Quelques spécieuses que 
soient ces objections , la réponse n'en est pas moins facile et 
victorieuse. 

>i II existe une loi supérieure à toutes les autres , loi étemeHe, 
inaltérable , propre à tous les peuples ^ convenable à tous les 
climats ; la loi de la nature : c'est là le code des nations ^ que les 
siècles n'ont pu altérer , ni les commentateurs défigurer ; c'est 
donc lui seul qu'il faut consulter. Nos cœurs sont ici les tables 
de la loi ; la décision y est écrite , et le burin de la nature y a 
gravé en caractères inviolables ses préceptes , également ap- 
plicables aux enfans naturels comme aux enfans légitimes. 

» Et en effet , tout homme honnête , tout homme délicat et 
sensible devenu père ^ et ayant eu d'une femme libre un enfant 
naturel, n'a -t -il pas dès lors contracté un engagement? 
£h ! quel engagement que celui qui est à la fois sous la sauve- 
garde des deux premiers sentimens de la nature, l'honneur 
et l'amour ! Cet homme est donc tenu à tous les devoirs de la 
paternité; et leur accomplissement pourraitr-ïl dépendre de 
l'omission des formalités religieuses ou politiques? Etrange al- 
ternative , oii le respect serait pour la forme , et l'outrage pour 
la nature î Plus rien de sacré si des promesses faites par le sen- 
timent , ratifiées par Thônneur , consacrées par la tendresse 
paternelle , ne sont plus qu'un jeu , et si les premières lois de 
la nature et de la société expirent devant les vaines formes des 
lois, humaines ! Qu'on ne nous oppose donc plus ni la sainteté 



( 349 ) 
dtt mariage , ni l'honnêteté publique : Vune et l'autre n'en se- 
ront que plus respectées ; les mœurs auront un ennemi de 
moins , et la passion un frein de plus , lorsqu'on saura qu'il 
n'est plus permis de se jouer des premiers sentimens de la na- 
ture ; que la nature serait une marâtre si elle n'avait donné que 
des attraits à l'amour j et point de droits à son ouvrage ; lors- 
qu'on saura enfin qu'il n'est plus permis de trahir les espérances 
d'une femme trop confiante y et d'abandonner ensuite les fruits 
d'une relation qui n'aurait peut-être pas existé sans l'espoir 
honorable d'une union légitime. 

» La privation des droits de successibilité ^ l'ezbérédation 

est à la fois une peine flétrissante et cruelle; c'est la peine des 

grands crimes : elle n'est donc point applicable aux eufans 

naturels , car la nature , qui nous a fait une loi de mourir , ne 

• nous a pas fait un crime de naître. 

» Vous êtes bien. éloignés , citoyens , d'adopter des maxi- 
mes aussi révoltantes ; aussi je ne crains point de vous pro- 
poser de placer dans les familles lesenfans naturels nés de per- 
sonnes libres presque au même rang que les enfans légitimes , 
sauf quelques différences en faveur de ceux-ci , et uniquement 
dans la vue de favoriser l'institution du mariage. 

M Mais l'exercice des droits de successibilité , que je réclame 
pour eux , sera-t-il borné à la ligne directe ? La justice et la 
sagesse semblent devoir faire décider cette question pour l'affir- 
mative f attendu que les successions collatérales sont déférées 
bien plus par la loi civile que par la loi naturelle. 

. » Tout ce que l'on peut cfire en faveur des enfans naturels 
issus de personnes libres n'est applicable ni à ceux qui sont 
néi d'une conjonction illicite , ni à ceux dont l'existence est 
le fruit de la débauche et de la prostitution ; l'incertitude , le 
respect des mœurs se réunissent pour les repousser : les pre- 
miers n'ont que des alimens à réclamer ;, et quant aux seconds 
ils ne peuvent être agrégés tout au plus qu'à la famille de leur 
mère , car la prostitution , qui exclut toute idée de certitude 
sur le përe , ne laisse cependant aucun doute sur la maternité. 

n Apres avoir ainsi fixé mes premières idées sur les enfans 
naturels , j'ai reconnu que la partie la plus délicate de mon 
«ystème était celle qui devait établir les moyens de constater 



( 35o ) 

]esr filiation. Ici quelques distinctions se présentent : ou les 
en fans naturels sont reconnus par ceux qui leur ont donné le 
jour , du ils ne le sont que par l'un des deux, ou l'un et l'autre 
refusent de les reconnaître. 

I n Au premier cas la déclaration faite sur les registres des^ 
tinés à constater l'état civil des citoyens me parait être l'acte 
le plus positif et le moins sujet à contestation ; car il ne peut 
'être contredit que par l'enfant reconnu, ou par d'autres indi- 
^idus qui prétendraient qu'il leur doit le jour. 

» Au second cas la déclaration de reconnaissance du père 
ou de la mère doit avoir son effet à l'égard de celui qui a fait 
cette déclaration ; mais pour tout autre elle ne peut être con- 
sidérée que comuie un commencement de preuve, et elle doit 
être fortifiée par la possession d'état. i 

M Au troisième cas il paraît impossible de laisser à l'enfant 
naturel des moyens de constater sa filiation , car la preuve 
testimoniale serait la seule que l'on pût admettre dans cette 
hypothèse , et il est inutile d'en faire sentir les dangers. 

Il En un mot la volonté des auteurs de la naissance , ou la 
possession d'état soutenue d'un acte quelconque, tels sont les 
deux moyens auxquels je me ûxe pour établir la filiation des 
en fans naturels. 

» Il est inutile de dire que les contestations relatives à l'état 
des enfans naturels doivent être portées devant les tribunaux 
civils , suivant l'ordre des juridictions. Le danger des préven- 
tions m'empêche de proposer des arbitres de famille , et l'im- 
portance des questions que ces contestations peuvent présenter 
ne permet pas d'en attribuer la connaissance aux juges de paix. 

» Il n'est pas hors de propos de remarquer que leur déci- 
sion devrait être la suite de la déclaration d'un jori. Plus les 
cas sont ' difiEiciles , variés , arbitraires , plus il est intéressant 
d'en soumettre l'examen et le jugement à des honunes sans 
passion , dont la vertu soit l'unique règle , et qui né soient pas 
influencés par les préjugés de la jurisprudence. Ainsi, lorsque 
l'institution des jurés au civil aura été décrétée , vous aures 
bien moins à redouter les conséquences des dispositions légis- 
latives qni doivent fixer le sort des enfans naturels. 

» Une autre observation m'a paru devoir mériter votre 



(35i ) 

aUention. Il est juste de mettre quelque différence, quant 
aux droits de successibilité, entre les enfans naturels nés après 
ceux qui sont issus d'une union légitime , et ceux dont la 
naissance a précédé cette union : ceux-ci en venant au monde 
ont un droit acquis aux biens de leurs parens ; les autres par 
leur présence font éprouver des retranchemens k ceux qui ne 
les attendaient pas. Cette considération doit être méditée. 
L'équité réclame la distinction que j'indique ; elle exige en 
pareille circonstance que dans le partage des succession» il soit 
attribué une portion avantageuse aux enfans légitimes. 

)> Ce n'est point assez que d'assurer aux enfans naturels 
dont la filiation est constante des droits à la succession de leurs 
parens ; il faut encore rappeler à ceux-ci qu'ils doivent nour- 
rir , élever , assurer l'existence et la conservation des enfans 
' auxquels ils ont donné le jour. 

M Enfin nous n'aurions rempli qu'à demi notre tâche si 
•nous ne faisions pas participer aux bienfaits de la loi ceux 
des enfans naturels qui sont en instance avec des coliatérAux 
pour la succession de leur père ou de leur mëre. Il s'agit de 
leur rendre un droit primitif, un droit qu'ils tiennent de la 
nature ; il faut donc à leur égard ou donner à la loi un effet 
rétroactif, ou leur accorder à titre d'aliment une partie con- 
sidérable des biens délaissés par leurs parens. 

» Par ce nouveau plan de législation vous verrez , citoyens , 
que, pénétrés de toute l'importance de vos devoirs, vous 
éviterez les deux grands reproches de ne pas respecter assez 
le mariage , et d'aborder de trop près certaines idées d'immo- 
ralité dont ce projet pourrait être susceptible, sans que votre 
intention pût être soupçonnée. 

' V A ce double inconvénient j'ai opposé une grande distinc— 
tion , un privilège unique qui formera éternellement la ligne 
de démarcation. 

» Etabli au premier rang dans la spctété, le mariage occu- 

' pera toujours la place d'honneur , et s'il fallait pour sa gloire 

que tous les enfans nés hors de son sein lui fussent sacrifiés , 

loin d'être le dîeu . tutélaire de l'humanité , il ressemblerait à 

«es tyrans cruels y à ces divinités malfaisantes dont l'autel et U 



( 35a ) 

trAae ne faut honorés qu'à proportion de» victimes qu'on leur 
immole. 

H A ce Irait principal et caractéristique joignez tant d'aufrei 
précautions de la loi en faveur des enfans légitimes ^ toutes lei 
distinctions et les nuances entre les enfans naturels qu'on tient 
toujours à de grandes distances , jusqu'à rejeter presque Vetf 
fant de la prostituée , et l'on verra que par toutes ces attentions, 
par ces scrupules le législateur aura conune environné Je ma- 
riage d'une garde d'honneur. 

» Si c'était ici le lieu d'étaler une érudition fastneuse,oa 
qu'il fâ.t nécessaire de fortifier mes raisons par le tableau des 
vicissitudes que l'état des enfans naturels a éprouvées dans les 
différentes sociétés , je vous dirais en finissant : ouvrez l'his- 
toire des nations ; voua verrez ces infortunés être sans cesse le 
jouet d'une législation incertaine; vendus à Athènes, comme 
esclaves par les ordres de Périclès, des dispositions plus 
humaines leur accordèrent ensuite le droit d'hériter. 

» Chez les Romains ils furent d'abord regardés comme des 
êtres étrangers à la République. Constantin s'occupa le premier 
de leur sort. Sous le règne de ses successeurs les bâtards purent 
être avantagés par leur père comme les fils d'une femnae légi- 
time , et le droit des Novclles les adjpait à recevoir à titre d'ins- 
titution l'entière hérédité de leurs pères lorsqu'ils ne se trou- 
vaient point en concours ou avec de$ enfans légitimes , ou avec 
des ascendans. 

» En France , dans les premiers temps de la monarchie , il 
n'j eut aucune différence entre les enfans naturels et les enfans 
légitimes ; i)s recueillaient tous également l'héritage de leurs 
parens , et partageaient même la succession au trône, 

>» Ce point d'histoire a trouvé , il est vrai , des contradicteurs ; 
mais ce qui n'est pas contesté c'est que Hugues Capet a été le 
premier qui ait introduit parmi nous cette maxinte gue les 
hdiards n'afipanenaient à aucune famille ; c'est que celte 
opinion féroce a servi de base aux invasions féodales ; c'est 
qu'après avoir abattu cet arbre funeste , dont les rameaux ont 
répandu si longten^ps un sinistre ombrage sur toutes les parties 
de FËuFope y il est temps de féconder la terrç par de nouvelles 



( 353 ) 

-semences , et il e9% dans Tordre àe vos devoirs de rendre aux 
enfans naturels des droits qui leur avaient été si injustement 
ravis. 

» Réunissons-nous donc à la voix de la raison et au cri de 
la nature ! Elles appelaient un vengeur ; mais ^ grâces à vos 
bienfaits , on île verra plus cette classe d'hommes dont la nais- 
sance était un crime , et la vie un opprobre. ». 

DàOLÉt. (adopté dans Im même séance,) 

La GooTenuon nationale , après avoir* entendu le rap|fort de son 
CcUDÛé de légi>hitioit , décrète que les enfans nés hors le mariage suc* 
cédt;root à leiws père et-mère d^ns la forme qui sera déterminée. 

C'est dans le Code civil que cette forme devait être prAs-* 
crite. 

Le g^aoÂt suivant Camb^cérës présenta le projet d'an code 
civil y dont la discussion , commencée le 22 du même j/oois • 
et continuée par intervalle jusqu'à la fia de la session fim 
fut point terminée : la Convention n'en posa guère que les 
bases. Toutefois , dans le nombre de ses délibérations sur 
cette matière y elle régla l'exercice du droit de suocessibiliié 
qu'elle avait rendu aux enfans naturels ; c'est la loi du i a bm^ 
maire an 2 de la République (2 novembre 1793). 

Cambacérès , qui la fit^adopter y l'sqpipuya encore de cette 
exposition succincte des vues du comité dont il était For— 
gane : 

« La République attend avec confiance la loi qui doit régler 
l'exercice des droits attribués par la nature aux enfans nés 
faors le mariage. Avant de prendre une dernière résolution sur 
cette intéressante matière vous avez voulu entendre encore une 
fois votre comité de législation. Il vient aujourd'hui vous 
rendre compte de son opinion et des motifs qui l'ont déter* 



M On vous a dit : Le droit de succession n'est point un droit 
naturel ; l'exécution de la loi ne commence que du jour 011 elle 
À été pii^iée... * 

n II existe une loi supérieure à toutes les autres , la loi de la 
siature ; c'est elle qui assure aux individus dont nous nous occu* 
tOKE xui. ^i 



(3«4) 
pons tous lés droits (ju'on clierclie à leur ra«ir. Ces droits leur 
ont été rendus le jour oii la nation a déclaré qu'elle voulait être 
libre , le jour où ses premiers représentans ont rédigé cette 
charte mémorable , moaumeut éternel des droits des hommes 
et des citoyens. 

M Quant à l'autorité des coutumes , que l'on a voulu présenter 
comme le résultat de la volouté générale , serait-il nécessaire 
de dire qu'elles furent l'ouvrage de ceui qu'une longue suite 
d'abus avaient séparés de la société , et qu'elles ne servirent 
qu'à consacrer les usurpations féodales ? 

» Mai^ assimilera-t-on les enfans adultérins aux enfansnés 
de personnes libres ? Si je n'avais à vous présenter que mon opi- 
nion personnelle , je vous dirais : 

M Tous les enfans indistinctement ont le droit de succéder 
à ceux qui leur ont donné l'existence ; les différences établies 
entre eux sont Teffet de l'orgueil et de la superstition ; elles 
sont ignominieuses, et contraires à la justice. Dans un gouver- 
nement basé sur la liberté les individus ne peuvent être les 
victimes des fautes de leur père. L'cxbérédation est la 2)eine des 
grands crimes ; l'enfant qui nait en a-t-il commis ? Et si le 
mariage est une institution précieuse , son empire ne peut 
s'étendre jusqu'à la destruction de l'homme et des droits des 
citoyens 

» Mais ce n'est pas de ines propres pensées que je devais vous 
entretenir; c'est le résultat de la discussion du comité dont il 
faut vous rendre compte. On a pensé presque unanimement 
que le respect des mœurs y la foi du mariage , les convenances 
lociales ne permettaient point de comprendre dans la dispo- 
sition les enfans nés de ceux qui étaient déjà liés par des 
engagemens. 

» A l'égard des autres nous aurions été en contradiction avec 
nous— mêmes si nous n'avions pas reconnu que leurs droits 
devaient être les mêmes que ceux qui sont attribués aux enfans 
légitimes ; mais , en consacrant ce principe incontestable , nous 
avons estimé qu'il devait souffrir quelques modifications , déter- 
minées par l'état actuel de la société et par la transition subite 
d'une législation vicieuse à une législation meilleui^e. 

M Après avoir vengé la nature , trop longtemps outragée , et 



( 35S ) 

fixé le sort d'une classe d'infortunés , victimes de l'avarice et dit 
préjugé , ' l'équité nous a commandé ces précautions , que les 
enfans nés hors le mariage ne puissent déranger les partages 
faits ni exiger la restitution dès fhiits perçus , ni enfin préju-* 
dicier aux droits acquis aux créanciers et aux tiers acquérelirs» 

» £n cédant à la voix dç la philosophie et de Thomanité 
nous avons évité le double inconvénient ou d'aborder de trop 
près certaines idées d'immoralité , ou d'arrêter des dispositions 
^ui pourraient porter atteinte aux propriétés , et jeter le trouble 
dans les familles. 

M YoîTà les considérations qui nous ont guidés dans le cours^ 
de notre travail. Si nous sommes tombés dans quelques erreurs, 
qu'on nous les montre; nous sommes prêts à les abjurer. 

» Telles sont les bases des articles que votre comité de légis- 
lation vous propose. » 



FIX DU TROISIEME LIVRE. 



( 3S6) 



LIVRE IV. 



FINANCES. —COMMERCE. 



Rapport sur la formation éCun grand-livre -pour inscnre et 
consolider la dette publique^ fait par Cambon dans la 
séance du \ 5 août 1793. 

« Citoyens , le premier travail de votre commission des cinq, 
chargée d'examiner la situation des finances de la République, 
a été de connaître Tétat et le montant de la dette. 

»> Nous avons eu recours aux divers rapports des Assemblées 
constituante et législative , et aux comptes rendus par les com- 
missaires de la trésorerie nationale ; car , malgré les calomnies 
sans cesse répétées et les craintes qu'on voudrait inspirer, les 
Français , au milieu des orages inévitables de la plus belle révo- 
lution , n'ont rien négligé pour constater et acquitter la dette 
contractée par le despotisme. 

» Le corps constituant ne nous a laissé , il est vrai y que 
des calculs hypothétiques ; mais il faut convenir qu'étant envi- 
ronné des destructions nécessaires à l'établissement de la liberté, 
il lut était impossible de se procurer des connaissances exactes 
sur le montant des obligations contractées depuis tant àe siècles, 
»ous mille formes, et par un nombre infini d'établissemens ou 
d'administrations qui , gérant en particulier leurs affaires , 
n'avaient aucun point central de correspondance ni de réunion. 

» Le corps législatif nous a laissé des bases plus certaines \ 
il exigea que les commissaires de la trésorerie dressassent en 
janvier 1792 un état détaillé de la dette publique , et le comité 
des finances du corps législatif, dans son rapport des 17 , 18 et 
19 avril 1792 , présenta un état très détaille sur la situation des 
finances à la date du 1*' avril 1792. " 

w Enfin les conmiissaires de la trésorerie nationale ont remis, 
d'après votre décret du 19 janvier dernier, au comité des 
finances , un compte rendu sur la situation des finances à la 
date du i*' janvier dernier. 

)> C'est d'après ces rapports ou comptes rendus que votre 
commission $'est procure les résultats que je suis chargé de vous 
présenter. 



( 35; ) • 

M La dette publique non viagère se divise en quatre classes : 
dette constituée^ dette exigible à terme fixe , dette exigible 
provenant de la liquidation^ dette pros^enant des diverses 
créations d'assignats. 

M La dette constituée se subdivise en deux parties; la première, 
dont le montant est parfaitement connu , provient des ancienne!) 
dettes constituées et payées par les payeurs de l'hètei-de^ville 
de Paris; elle repose sur des anciens contrats souscrits au nom 
des rois. Elle se montait au i'*^ avril 1792 , suivant le rapport 
du comité des imances du corps législatif, à 65,4^4 1^46 liv. 
de rente annuelle ; elle a été réduite par les titres qui se sont 
trouvés dans l'actif des divers ordres militaires ou religieux 
supprimés , et qui sont devenus propriétés nationales ; de sorte 
que son montant à l'époque au i^^ janvier 1793 était de 
62,7 17,164' listes de rente annuelle. 

» Ces rentes sont payées â Paris par les payeurs , par semes- 
tre , dans le cours de six mois , par ordre alphabétique ; chaque 
rentier 9 lorsqu'on est à sa lettre, porte sa quittance signée 
dans la boîte du payeur , qui la garde entre ses mains huit à 
dix jours pour la coter sur ses' registres et feuilles de paie- 
ment. 

» Cette <|aittaii£e , qui est ainsi confiée au payeur , ne peut 
point légitimer le paiement ; aussi se fait-il dans un lieu 
public , en présence d'un contrôleur ^ qui atteste qu'il a été 
réellement fait au* titulaire du contrat , on au porteur de sa 
precuration ; c'est cette attestation qui peut seule opérer la 
décharge du payeur vis à vis du rentier. 

» Vous êtes sans doute étonnés de cette forme bizarre de 
paiement, qui ne sert qu'à entretenir les anciennes injustices , 
les anciens abus , à multiplier à l'infini les formalités qu'en- 
traînent tous les enregistremens et visa de quittances , et à 
embarrasser la comptabilité. 
^ » La longue nomenclature des diverses natures de rentes n'est 
pas moins étonnante , et n'a aussi d'autre utilité que de rap- 
peler d'une manière honteuse les abus de l'ancien régime. 

» La (tiversité des titres est telle que c'est une science de 
les connaître à l'inspection , et de pouvoir les classer : ce qui 
augmente encore les embarras , c'est qu'une même nature de 
rente, un même emprunt est partage pour le paiement en 
vingt ou trente payeurs , et que si Ton a besoin d'un rensei- 
gnement il faut s'adresser aux quarante payeurs, réunir et 
comparer les divers relevés qu'ils fournissent pour en former 
un tout. 

» Il résulte de cet ordre que le paiement dans les districts 
est impossible à exécuter , et qu'un créancier de deux mille 



( 358) 

livres de rente est forcé quelquefois de s'adresser aux quarante 
payeurs ; il est oblige pour lors de se procurer quarante fois 
les pièces nécessaires pour recevoir son paiement ; il éprouvé 
souvent des difficultés contradictoires ; enfin ce mode ne sert 
qu*à multiplier les parties prenantes , qui s'élèvent à douze 
cent mille , à cacner toutes les fortunes , à discréditer les 
contrats nationaux , et à multiplier les pièces de comptabilité 
à un point qu'il est impossible de rendre et -juger un compte 
après nuit ou dix années. 

«• Cet ordre de choses ne peut pas subsister sous le régime 
républicain; nous ne devons pas laisser la dette nationale 
reposer sur de& titres consentis au nom des rois, et contimiier 
à affecter des rentes sur le produit des aides et gabelles , tabacs 
•t autres droits indirects qui ont été supprimés. 

» Il est difficile de comprendre par quelle |frédilection an 
pareil établissement a pu résister aux réformes de la révolu— 
tion : il fst temps de républicaniser la dette. La nation , qui' 
s'est chargée de l'acquitter , doit réunir tous les titres sous une 
même dénomination ; il est d'ailleurs convenable de faire dis* 
paraître des. capitaux fictifs au denier cent, lui denier quarante ; 
des rentes soumises à un droit du dixième, du quinzième, de 
dix soQS pour livres , qui n'ont d'autre utttifé que de rap- 
peler d'anciennes injustices, puisque la nation ne s'est obligée 
a payer les rentes que sur le pied de leur produit à l'époque- 
oii ^e s'en est chargée. 

w La seconde partie de la dette constituée se compose des 
dettes des anciens pays d'état , des dettes passives de toutes 
les compagnies dto judicature , des rentes dues par les commu- 
nautés religieuses et corps particuliers du clergé , des dettes, 
des communautés d'arts et métiers. 

» La nation s'est chargée d'acquitter toutes ces rMites , • et 
de retirer l'actif de ces diverses corporations ; de sorte que la 
premièVe partie de la dette constituée doit diminuer du mon—' 
tant des titres dus par la nation qui se trouveront dans cet 
actif. 

» On n'a aucune connaissance positive du montant de cette 
seconde partie de la dette constituée : le corps législatif , d'a«* 
près le rapport qui lui fut fait dans le mois d'avril 1 792^ l'avait 
évalué, déduction faite du produit de l'actif, à i i,42o,4<^3 liv. 
de rente annuelle; les commissaires de la trésorerie , dans leur 
compte au i**" janvier 1793, l'ont réduit à 10,4^0,207 livres 
de rente annuelle. 

M Cette partie de la dette publique est soumise à la liquida- 
tion générale ; les propriétaires , en remettant leurs anciens 
titres y reçoivent un titre nouvel , ce qui multiplié et sul^divis» 



(359) 

à rintÎQÎ les titres de propriété , ainsi que les piecêi et les 
embarras de la comptabilité. 

n D'ailleurs cette nouvelle liquidation impose une nouvelle 
gêne aux créanciers possesseurs de ces titras , qui étaient payés 
d*ns les provinces , et qui sont obligés de v%nir recevoir leur 
pai émeut k Paris. 

» Le corps législatif avait porté pour mémoire , dans cette 
seconde partie de la dette constituée , les rentes dues aux fabri- 
ques pour l'intérêt à quatre pour cent des immeubles qui leur 
appartenaient , dont eHe ordonna la vente : les commissafres 
de la trésorerie, dans leur compte rendu sur la situation des 
finances au i*' janvier 179Î, auprès Testimalion qui a été 
faite des immeubles, portent cette partie de la dette à 8,078,364 
livres de rente annuelle. 

M Le corps législatif avait aussi porté dans le cbapitre de 
oette seconde partie de la dette constituée l'es dettes des villes 
et communes.. Il est essentiel de. vous donner des éclaircisse- 
mens sur les bases de l'estimation qu'il fit de ces dettes. 

» L'Assemblée constituante décréta, le S août 1791 , que 
les villes et ccfmmunes paieraient leurs dettes , et pour leur en 
procurer les moyens elle y affecta le seizième du bénéfice qui 
jeui* est accordé sur la vente des biens nationaux , le produit 
de leurs propriétés dont elle ordonna la vente ; et en cas d'in^ 
suffisance elle les autorisa à imposer un soii additionnel sur 
les contributions foncière et mobilière , pour être employé , 
savoir, dix denieirs au paiement du capital, qui doit être éteint 
dans trente années , la nation se chargeant aacquittér le sur-^ 
plus des dettes s'il en existe. 

» £n vain avait-on rendu plusieurs décrets pour or^onnçr 
^ux villes et communes de fournir l'état de leurs actif et 
passif, pour connaître là partie de leur dette qUi serait . à \s^^ 
charge de la nation ; en vain avait-on décrété la déchéance des^ 
maires et officiers municipaux qui ne les auraient .pas fournis :. 
le coFps législatif n'avait reçu aucun des états' demandés , c^ 
qui l'obligea d'estimer, d'après le rapport du mois d'avril 1^792, 
sans base certaine , cette partie de la dette publique à i5o mil? 
lions dé capital,, ou 6,000,000 de rente annuelle. Les comniis-» 
saires de la trésorerie ont conservé c$^le évaluation. 

» l^epuis le mois d'avril 179^ Vts villes et communes ne se 
sont pas mises en règle ; à peine connaissons-nous quelques 
états de situation ; nous n'avons entendu > parler des dettes des 
villes et communes que par les réclanualions pressantes et muI-« 
tipliéesdes créanciers , et par les demandes en secours de plu-, 
sieurs villes , qui ont profité de tous les événeniens pour épuiser 
le tré^oc national : il est d'ailleurs connu qùef 'plusieurs villes 



( 36o ) 

et coiniQunes ot^t aliéoé leurs propriétés » et en ont affecté ie 
montliit à des dépenses imprévues et extraordinaires. Il est 
temps de rétablir l'ordre dans cette partie , et de tranquilliser 
une foule de créanciers qui *ne savent à qui s'adresser pour 
réclamer le paiement des rentes qui leur sont dues, et qui sont 
très arriérées. 

» Le corps législatif > d'après le rapport du mois d'avril 1 792, 
STaît porté dans le chapitre de la dette exigible à terme la 
dette constituée du cierge pour ^2,43 1,4^ livres de capi- 
tal , qui , d'ajjrës les lois qui existaient alors, devaient étrerem- 
bourses à raison de dix millions par an. 

M Mais d'après le décret qui suspendit le remboursement des 
reconuaissances de liquidation au dessus de dix mille livres , le 
rembourseuieut de la dette constituée du clergé fut suspendu, 
et les commissaires de la trésorerie nationale l'ont portée dans 
le chapitre de la dette constituée pour a,!.4^|6oo livres de 
rente aonuelle. 

» Il résulte du compte rendu par les commissaires de la tré- 
sorerie que la dette constituée montait, au premier janvier 1793, 
à 8g,b88,335 livres de rente annuelle. Cett^ somme n'a 
éprouvé depuis lors aucune variation. 

» La dette exigible à terme provient des divers emprunts 
remboursables, contractés sous le gouvernement de Louis XYI; 
la majeure partie de cette ddte est constatée par des annuités , 
quittances de finance ou effets au porteur : c'est cette dette qui 
a donné naissance à cet agiotage que vous voulez détruire ; 
c'est elle qui l'alimente tous les jours par la facilité des négo- 
ciations , et par l'espoir de participer aux chances promises. 

» Le produit de cette dette a été employé en grande partie 
aux dépenses de la guerre d'Amérique : on évita pour lors de 
créer des impôts extraordinaires ; mais on eut recours è des 
emprunts à un intérêt qu'on peut calculer à raison de six à 
huit pour cent par an ; on annonçait devoir les fembourser 
aii inoycn des économies sans cesse projetées , et jamais 
exécutées. 

'■ » C'est peut-être à iVxistclnce de ces emprunts que nous 
devons le coipmeticement de la révolution : le gouvernement , 
embarrassé^ pour, acquitter les engagemeos qu'il avait contrac- 
tés , convoqua lés états généraux pour y pourvoir. Les porte- 
feuilles resorgaîent d'effets royaux ; les propriétaires de ces 
effets, craignant de, perdre leurs capitaux, prirent le masque 
révolutionnaire , et se réunirent aux amis ae la République : 
des lors.le Palais-Koyal futle lieu de rassemblement des patrio- 
tes , et c'est de ce foyer que partit le feu sacré qui enflamma les 
Ames le i4 juillet et les 5 et 6 octobre 1789. 



( 36i ) 

n La nation a acquitté exactement cette partie de la dette 
h l'époque de son échéance ; elle a acquitté aussi eiaotement 
les primes et chances promises , quoiqu'elles fussent ie produit 
d'un intérêt usuraire : c'est peut-être i'exactitudo de ces paie- 
mens qui a produit le changement dans l'opinion des agioteurs, 
qui, après avoir reçu les fonds que la nation leur de\ait, les 
ont employés à accaparer les denrées et marchandises , ou le 
papier sur l'étranger ; dès lors, leur intérêt demandant l'avi- 
lissement des assignats , afin que les marchandises , denrées et 
papier qu'i^ avaient accaparés augmentassent de valeur pour 
augmenter leur fortune, ils n'ont rien négligé et ne négligent 
rien pour obtenir ce discrédit, et donner à la révolution un 
mouvement rétrograde ^qu'ils espèrent devoir leur assurer 
d'une manière stable les bénéfices énormes qu'ils se sont pro- 
curés ; aussi sont-ils désespérés lorsqu'ils apprennent un évé- 
nement avantageux à la révolution. 

» Le plus sur moyen ^e faire cesser l'agiotage serait de 
retirer de la circulation toi|» les effets au porteur et les annuités , 
de les assimiler à toutes les autres créances sur la République, 
de faire cesser l'intérêt usuraire qui leur est attribué , et de les 
convertir en un titre uniforme , qui détruirait les calculs des 
spéculateurs accoutumés à s'enrichir du discrédit public. 

» On peut diviser la dette exigible à terme en deux parties : 
la première comprend les objets remboursables à Paris ; la se* 
conde les emprunts faits en pays étrangers , dont le rembour- 
sement est stipulé payable en monnaie étrangère. 

» La première partie de cette dette montait au i**^ avril 
17^2, d après le rapport du comité des finances du corps 
législatif, à 456,o44to89 livres; elle était réduite au i^'' )an^ 
vier 1793 , d'après le compte rendu par les commissaires de 
la trésorerie nationale , à 433,956,847 livres , sur laquelle 
somme il a été remboursé , depuis le i'^ janvier jusqu'au i**^ 
août dernier, 18,011, 535 livres; de sorte que le montant de 
cette partie de la dette publique était le i^' août dernier de 
415,945,3 12 livres. 

jo La seconde partie n'était pas comprise dans le rapport du 
corps législatif; elle montait au i«' Janvier 1793, d après le 
compte rendu par les commissaires de la trésorerie nationale , 
à 1 1 99949860 livres ; il en a été remboursé depuis cette époque 
jusqu'au 1 «^ août dernier, par la trésorerie nationale , 38,857 ^^^' * '* 
SCO montant au i«' août était donc réduit à 1 1,956,003 livres. 

» Cette dette provient des emprunts faits en Hollande pour 
compte des Américains, et à Gênes pour divers objets. Nous 
devons regarder conune sacrés les titres sur lesquels elle est 
fondée ; ils doivent être remboursés en espèces , et non en assi- 



(36a) 

gdats. Les Américains nous donnent à cet égard* un grand 
exemple de loyauté , puisqu'ils nous remboursent en numéraire- 
ce qu'ils pourraient nous rembourser en assignats , malgré le* 
bénéfice qu'ils pourraient y trouver. 

» La éUtle exigible proi^enant de la liquidation n'est 
devenue remboursable «que par les effets de la révolution. 
L'ancien régime n'avait rien négligé pour se procurer de l'ar- 
gent; il avait mis en vente le droit de rendre la justice, le 
droit de noblesse , celui de vexer le peuple par des impôts 
indirects ; enfin le ihoii de mettre à pront^se^ talens et son- 
industrie. Lia révolution a détruit tous ces privilèges et vexa*' 
lions ; mais elle a respecté les propriétés ; la nation s'est enga« 
gée à rembourser les offices de judicature , de finances y 
jurandes , maîtrises et autres : c'est cet engagement qui forme 
la troisième partie de la dette publique. 11 importe à la révo- 
lution de faire disparaître cette masse d'anciens titres en 
hâtant leur liquidation, qui fera oublier l'ancienne vénalité des 
charges , et qui portera la consolatJlki dans l'âme d'une multi- 
tude de citoyens honnêtes. 

» Cette ^Vartie de la dette, n'étant pas parfaitement connue , 
Ions les titres n'étant pas encore remis à la liquidation , avait 
été estimée sans base certaine, au i*' avril 1792, d'après le 
rapport au corps législatif, à i ,o5o,74ï ,4^9 livres ; mais on y 
avait compris la dette constituée ttu clergé pour 72,431 ,439 liv. , 
qui font aujourd'hui partie de la dette constituée, de sorte que 
cette évaluation ne montait réellement qu'à 978,510,000 livres. 
Aujourd'hui tous les titres sont connus ; il est certain qu'elle 
avait été forcée d'environ 3 10,000,000 de livres fi) : les com- 
missaires de la trésorerie nationale ne l'ont portée au 1 •'' jan— 
1793, dans leur compte rendu , que pour 640,377,621 liv. , 
lesquelles il a été remboursé , depuis le i^*" janvier jusqu'au 
août dernier, 14,671,312 livres. Son montant au i*' août 
dernier était de 626,706,309 livres. 

» Le corps législatif avait décrété que le remboursement de 
cette partie de la dette serait fait en assignats pour les sommes, 
au dessous de 10,000 livres , et il suspendit le paiement des 
créances de 10,000 livres et au dessus. Depuis cette époque 
la dette pk>ovenant de la liquidation a été divisée en deux 
parties-. 

>• Vous avee changé , par la loi du 17 juillet dernier , les 
mesures adoptées par le corps législatif; mais vous avez tou- 
jours conservé la division en deux parties , 'puisque vous ave» 

(î^ « Les offices avaient été cslimés 800^000,000 j ils ne momcct 
*^iî à 492,000,000 millioQs. » 



vier 
sur 



( 363 ) • 

décrété que les créances de 3,ooo livres et au dessous seraient 
remboursées en assignats , et que celles au dessus de 3,ooo liv. 
seraient remboursées en une reconnaissance de liquidation , ne 
portant aucun intérêt, à compter du i**' août dernier, admis- 
sible en paiement de domaines nationaux à vendre , à condition 
que l'acquéreur fournirait en même temps en assignats un tiers 
de la valeur acquise. 

» Peut-être traitez-vous un peu trop sévèrement les créan- 
ciers de cette dernière classe , tandis que ceux de Ja dette à 
terme sont favorisés. Il est temps de. ne faire qu'un litre de 
toutes les créances sur la nation , et s'il y a une exception à 
faire elle ne peut être qu'en faveur de ces citoyens qui , ayant 
perdu leur état par la révolution , se trouvent créanciers d'une 
somme de 3,ooo livres et au dessous. 

M La quatrième partie de la dette publique a été créée par 
la réyolution. Elle fait le service de monnaie , l'objet de toutes 
les spéculations ; elle est la cause de tous les agiotages et <acca* 
pare/nens ; enfin , après avoir rendu des services à la révolu- 
tion , elle pourrait servir les projets des contre- révolution- 
naires. Elle provient des diverses créations d'assignats, 

» Le cqrps constituant , le corp(^ législatif et la Convention 
ont décrété successivement la création de 5, 1 00,000, o4o livres 
assignats. Il en restait le i^^ août* dernier , en caisse ou en 
fabrication , 484> 1 ^3 9987 livres ; le montant de ceux qui avaient 
été mis en circulation à cette époque était de 4)61 5,846, o53 liv.,' 
sur lesquelles il en était rentré ou brûlé 840,000,000 , prove- 
nant des paiemens faits sur la vente des domaines nationaux. 
Lies assignats qui étaient en- circulation le 1^' août dernier 
montaient doue à 3,775,846,a53 livres. 

» Il importe essentiellement à la cause de la liberté de dimi- 
nuer la masse des assignats en circulation , puisque leur trop 
Iprande quantité ne sert qu'à augmenter la valeur de toutes les 
matières et denrées : c'est dans cette vue que. vous avez rendu 
le décret qui démonétise les assignats à face royale au dessus 
de 1 00 livres. 

» Ce décret a retiré de la circulation comme monnaie une 
somme de 55%fi*i^y000 Hvres , puisque sur la créatioi\ des 
assignats démonétisés, qui montait à i,44^'^^^9^^^ « ^^ ^^ 
avait été brûlé 881 ,376,000 livres, qui provenaient deséchanges 
ou des paiemens. 

» Le décret qui a réchiit la m|i|sse des assignats ayant cours 
de monnaie a déjà produit d'beureux effets , puisqu'il a fait 
diminuer de moitié le prix du papier sur l'étranger ^ et que 
le même effet doit se faire ressealir sur le prix de toutes les 
matières et denvée9« 



(364) 

» Les assignats démonétisés étaient accaparés , n*en cloutez 
pas ; la preuve eo résulte d'une manière convaincante da rap- 
prochement que je va^ vous présenter. Le jour même du 
décret qui démonétisait les assignats à face royale je me rendis 
à la trésorerie pour m'assurer de ceux qui étaient dans les 
caisses , et pour prévenir les échanges. Il ne s'y en trouva que 
pour environ 2,5oo,ooo livres; ceux dans la caisse à trois 
clefs y provenant des biens des émigrés, exceptés ; et la caisse 
d'escompte , qui n'avait qu'un fonds de 29,000,000 en caisse^ 
n'avait presque que des assignats à face royale. 

» Il n'est pas étonnant que d'après cet exemple il s'élëye 
des plaintes contre ce décret ; mais rassurez-vous ; elles ne 
sont dictées que par l'intérêt particulier. Vous avez concilié 
le besoiu des circonstances avec le respect des propriétés , puis- 
qu'en enlevant aux assignats démonétisés le cours ordinaire de 
monnaie , vous leur avez conservé plusieurs moyens d'écoule- 
ment rapides, en les admettant i"* en paiement de ce qui est 
d sur la vente des,domaines nationaux , qui monte de 12 à 
i5oo millions ; 2^ des contributions , qui montent de 6 à 700 
millions ; vous les admettez en outre dans l'acquisition des 
annuités provenant de la v«nte des biens nationaux i, qui rap- 
portent cinq )>our cent d'intérêt. Oui, vous n'avez rien négligé 
pour retirer les assignats de la circulation ; vous avez accordé 
une prime de trois pouf cent à ceux qui , acquéreurs des do- 
maines nationaux , se libéreront avant l'échéance du terme que 
vous leur avez accordé ; vous ne cessez de vous occuper du 
respect que vous devez à toutes les obligations contractées ; 
vous faites toujours des sacrifices , et ces égoïstes possesseurs 
des assignats sont toujours sourds à la voix de la patrie : ils 
attendent sans doute des moyens de rigueur pour les y forcer. 
Ah ! vous qui vous plaignez du décret qui démonétise les assi- 
gnats à face royale , empressez- vous de solder vos contributions 
qui sont arriérées ; venez acquittel* les domaines nationaux que 
vous avez achetés ; on vous allouera trois pour cent de prime; 
si vous n'avez pas acheté des domaines nationaux , achetez les 
annuités de ceux qui les ont acquis , et votire assignat , qui ne 
vous prodoit rien , vous produira cinq pour cent d'intérêt ; 
défaites-vous de cet assignat que vous conservez sans doute en 
attendant l'arrivée des Autrichiens ou des Prussiens , ou le 




bien général vous y trouvez encore votre avantage. 

» Citoyens , malgré les clameurs des égoïstes , vous main- 
tiendrez votre décret (applaudissemens) , et l'approbation que 



( 365 ) 

je reçois cle vous sera peut-être un avertissement salutaire pour 
ces hommes qui réclament sans cesse les lois y mais qui ne ' 
veulefit exécuter que celles qui favorisent leur opinion. 

» Nous pouvons donc diviser la dette en assi|[nats en deux 
parties , qui montaient , le premier août dernier , en assignats 
démonétisés , à 558,6249000 livres. 

» En assignats ayant cours de monnaie , à 3,2 1 ^ , 22a ,o53 liv. 

M II résulte des détails que je vous ai présentes que la dette 
publique non viagère se montait , à la date du 1*' août dernier , 
savoir : 

» La dette constituée , 89,888,335 livres de rente ; ^ 

» La dette exigible à terme- fixe , payable en France , 
4i 5,94^)^1^ livres capital ; 

» Celle payable en pays et monnaie étrangère , 1 1 ,956,oo3 
livres capital ; 

» La aette exigible, provenant de la liquidation, 625,706,309 
livres capital. 

n La dette en assignats démonétisés , 558,624,000 livres 
capital. 

» Celle en assignats ayant cours de monnaie , 3,2 1 7,22a ,o53 
livres capital. 

» Votre commission n'a pas cru devoir comprendre dans la 
dette publique nou viagère les débets arriéres, puisque ce 
sont des dettes courantes qu'on peut regarder comme dépenses 
annuelles , ni le seisième dû aux municipalités , ni les frais de 
vente , estimation et contribution des domaines nationaux , 
ces objets devant être considérés cooune des dettes fictives. 

» Après vous avoir soumis les détails et le montant de la 
dette publique non viagère au premier août dernier, je vais 
vous présenter les vues que votre CMnmissîon a cru devoir 
vous proposer pour hâter la liquidation de cette dette, retirer 
et annuler les anciens titres de créance , ne former qu'un titre 
unique pour toutes le# créances sur la République , régler le 
mode annuel de paiement dans les districts , dégager la comp- 
tabilité de toutes les pièces et des embarras actuels, admettre 
la dette publique en paiement des domaines nationaux à 
vendre , aînn d'en hâter et favoriser la vente ; ei^n pour retirer 
de la circulation des assignats ayant cours de monnaie.. Routes 
ces opérations exigent uû grand ensemble. Nous nous estime* 
rons heureux si dans notre plan nous avons obtenu quelques 
juns des résultats que nous nous sommes proposés. 

» La principale base du projet de votre conunission pour 
annuler promptement tous les anciens titres de créances , pour 
^simplifier les imitations , les oppositions et la comptabilité , 
et pour faciliter le paiement annuel dana les chefs-Iieux de 



( 366) 

district, consiste à former un livré qu'on appellera grino 
LiYBE DE LA OETIE PUBUQUE. Il seta composé d'uQ OU plusieurs 
volumes; on y inscrira toute la dette non viagère; chaque 
créancier y sera crédite en un seul et même article, et sous 
un même numéro , du produit net , sans déduction de la con- 
tribution foncière, des rentes provenant de la dette constituée, 
et des intérêts annuels qui sont dus , ou lorsqu'ils ne seront pas 
déterminés à raison de cinq pour cent, sans retenue de la con- 
tribution foncière , des capitaux provenant de la dette exigible 
à terme , ou de la dette exigible soumise à la liquidation. 

M Ainsi un propriétaire d'un contrat pour un capital de 
5,000 livres , dont la rente au denier cent, sans déduction de 
la contribution foncière, est d'un produit net de 5o livres, 
fera crédité sur le grand livre pour cette dernière somme ; s'il 
est créancier en même temps d'un effet au porteur de 2,000 livres 
de capital , dont le produit net est 80 livres, il sera crédité de 
80 livres sur son même compte; si sa créance de 2,000 livres 
n'a aucun intérêt déterminé, on le créditera sur le grand livre 
à raison du denier vingt de son capital; enfin, s'il est pro- 
priétaire d'une créance soumise à la liquidation , d'un capital 
de 4)000 livres, portant cinq pour cent d'intérêt avec la retenue 
de la contribution foncière , il sera crédité sur le grand Iwre k 
son même compte pour une somme de 200 livres. 

M Par cette opération simple et facile toute la dette publique 
non viagère reposera sur un titre unique ; on verra disparaître 
de suite tous les parchemins et paperasses de l'ancien régime ; 
toute la science des financiers pour connaître la dette publique 
consistera dans une addition du grand livre. 

» Cette idée n'est pas nouvelle ; elle a été employée utile- 
ment en Angleterre lorsque l'on consolida les trois et quatre 
pour cent, ou qu'on créa V omnium. Cette opération est très 
politique, j'ose même dire nécessaire à la révolution , puisque 
dans ce moment , 011 il peut exister des opinions de monarchie 
ou de contre-révolution , les personnes qui espèrent le retour 
de l'ancien régime, lorsqu'ils ont un placement à faire, donnent 
la préférence aux titres consentis aux noms des rois, comme 
ils agiotaient sur les assignats à face royale; c'est à cette seule 
cause qu'on doit attribuer l'avantage de quatre pour cent qu'on 
accorde aux anciens emprunts siir l'emprunt national , 
quoique sanctionné par le roi, que ces hommes paraissent 
regretter. 

» Plusieurs créanciers en contrat provenant de Tancien 
régime ou des corps et compagnies supprimés les gardent soi— 
gneusement ^ au lieu de retirer les titres nouvels ; le corps 
constituant «yait méoiQ'peraûs js^ux créanciers du ci-devant 



( 367 ) 

derge d'employer leurs créances en paiement des domaines 
nationaux ; mais toutes ces opérations , tendant à dénaturer 
les anciens titres , n'ont eu presque aucun succès. Ceux qui 
espèrent ou favorisent la contre— révolution diseiit : gardons 
nos titres de Louis XIII , XIV , XV et XVI , des ci-devant 
états provinciaux , du défunt clergé, des parlemens , des cours 
des aides et de toutes les autres corporations supprimées, parce 
que tous ces établissemens , si chers à nos cœurs , peuvent 
ressusciter , et nous espérons qu'ils ressusciteront ; alors , en 
nous présentant à nos seigneurs , nous leur dirons : — Pendant 
vos longues souffrances ,. pendant votre absence et pendant 
l'interrègne des lois et le triomphe de l'anarchie , quand tout )e 
monde vous abandonnait nous vous étions unis de cœur et 
d'opinion ; si nous avons consenti à recevoir les rentes et inté- 
rêts que yous nous deviez , c'était pour éviter que les fonds 
ne fussent employés contre vous ; mais nous avons conservé 
soigneusement les anciens titres que vous aviez souscrits ; nous 
n'avons eu confiance qu'en vous, et nous n'avons voulu recon- 
naître pour nos débiteurs que le clergé , ou la noblesse , ou 
le roi. Vous devez donc nous favoriser. Ruinez tous ceux qui, 
ayant cru à la République, ont obéi à ses prétendues lois ; la 
dette sera diminuée d'autant , et notre créance sera plus 
assurée. — 

» C'est des ces idées chimériques que s'alimente la supers- 
tition monarchique. Détruisons donc tout ce qui peut lui ser- 
vir d'aliment ; que l'inscription sur le ^rand iii^re soit le tom- 
beau des anciens contrats , et le titre unique et fondamental 
de tous les créanciers ; que la dette contractée par le dcspo— 
tisme ne puisse plus être distinguée de celle qui a été con- 
tractée depuis la révolution ; et je défîe à monseigneur le despo- 
tisme , s'il ressuscite , de reconnaître son ancienne dette lors- 
qu'elle sera confondue avec la nouvelle 

» Cette opération faite , vous verrez le capitaliste qui désire 
un roi , parce qu'il a un roi pour débiteur , et qu'il craint 
de perdre sa créance si son débit eurVest pas rétabli, désirer 
la république , qui sera devenue sa débitrice , parce qu'il 
craindra de perdre son capital en la perdant. 

» C'est au moment oii l'acceptation d'un gouvernement 
républicain vient d'être déposée dans cette arche sacrée , au 
moment oii vous venez de lier le faisceau départemental pour 
prouver l'unité et l'indivisibilité de la République , que vous 
devez consolider la dette publique et l'inscrire sur le grand 
livre ; vous prouverez par là que la République , voulant 
respecter les dettes contractées par le despotisme , s'eifîprcsse 
de les déclarer dettes républicaines en fournissant un titre 



(368) 

républicain. Si Tancien régime eût pu reveuîr, certes il v!eài 
pasétp aussi lovai ! 

» Nous avons cru que rioscription sur le frand livre ne 
devait pas rappeler les^'apitaux , et qu^on ne devait j porter 
que le net produit des rentes ou des intérêts ; afin de faire dis- 
paraître ces capitaux fictifs au denier cent, au denier qua- 
rante , etc. , ces retenues des vingtièmes , quinzièmes , dixiè- 
mes, cinquièmes, dix sous pour livre, etc., qui rappellent 
d'ancienftps injustices sans aucune utilité, puisque lors des 
transmissions de ces propriétés elles ne sont calculées dans les 
partages, ventes, etc., que pour un capital à raison de leur 
produit net : .Veilleurs lorsque la nation s'est chargée de l'an- 
cienne dette elle ne s'est obligée de la payer que sur le pied de 
son produit à Tépoq «e où elle s'en est chargée. 

» £n ue faisarkt pas mention du capital la nation aura tou- 
jours dan*< sa main le taux du crédit public ; un dé]iiteur en 
rente perpétuelle ayant toujours le droit de, se libérer, si une 
inscription de cinquante livres ne se vendait sur la place que 
huit cents livres, la nation pourrait offrir le rendboursement-de 
cinquante livres d'inscription sur le gr/inr/ livre , sur le pied du 
denier dix-huit , ou moyennant neuf cents livres. Dès ce 
inomeot le <* redit public monterait au dessus de ce cours « ou 
]a nation gagnerait , sans injustice, en se libérant , un dixième 
du capital , puisque le créanciei;^erait le maître de garder sa 
rente ou de recevoir son remboursement ; au lieu que si on 
inscrivait le capital, cette opération serait impossible, ou aurait 
Tair d'une banqueroute partielle. 

» Nous n'avons pas pensé qu'il fût juste de déduire avant 
l'inscription le montant de la contribution foncière , à laquelle 
certaines rentes ou intérêts sont assujettis , cette contribution 
ayant été établie depuis que la nation s'est chargée d'acquitter 
]a dette ; d'ailleurs nous vous proposons de décréter que toute 
la dette publique inscrite sur le grand livre sera taxée au 
principal de la contribution foncière; ce qui serait pour lors 
une double imposition , et serait une injustice. 

» Il ne pourra être fait aucune inscription au dessous de 
cinquante livres , afin de ne pas multiplier le nombre des 
créanciers. Si cette disposition e!>t adoptée vous serez obligés 
de décréter que toutes les créances au dessous de mille livres 
de capital , et tous les contrats au dessous de cinquante livres 
net de rente , seront remboursés en assignats. 

M Vous devez faire aussi une exception en faveur des créan- 
ciers de la nation de 3,ooo livres de capital et au dessous , pro- 
venant de la liquidation, et continuer de lès rembourser eu 



(369) 
«s»if[iiat8. Q^jà par votre décret du 17 juillet dernier voug avec 
consacre cette disposition ; vous avez pensé qu'un citoyen 
auquel il n'était du que ce capital , après avoir perdu son état 
par les diverses suppressions nécessitées par la révolution ^ 
pouvait avoir l>esoin de ses fonds pour se procurer une nouvelle 
profession , et pour mettre à profit son industrie. 

» Ces motifs méritent d'être pris en considération par une 
Assemblée qui a adopté les principes démocratiques , puisqu'ils 
tendent à favoriser les citoyens les moins fortunés; mais en décré- 
tant cette exception vous éyiterec qu'elle ne tourne au profit de 
ces agioteurs qui ne négligent aucun moyen pour s'enricktr 
aux dépens du pauvre ou de la nation.. Déjà ils se sont 
empressés d'accaparer à vil prix les créances au dessous de 
3,000 livres; déjà ils en sont possesseurs pour des sommes 
très considérables. JLe moyen le plus sûr pour déjouer leur 
opération sera de réunir lors de la liquidation toutes les 
sommes dues à un même citoyen , et si par leur réunion la 
somme capitale excède 3,ooo livres , elle sera inscrite sur le 
grand liure comme les créances au dessus de cette somme. 

M Pour obtenir la connaissance de tous les titres d'un même 
propriétaire chaque créancier sera tenu de fournir une décla» 
ration signée ^ contenant l'énoncialion des diverses créances ou 
réclamations sur la nation qui lui appartiennent , soit directe- 
ment ou par cession et transport, et en cas de fausse déclara*- 
tion il sera déchu de ses droits envers la République. 

M Vous excepterez aussi les emprunts faits et stipulés pour 
être remboursés en pays étrangers , lesquels doivent être payés 
d'après les conditions des contrats. Vous prouveres par là le 
respect que vous aves pour toutes les obligations que la natioa 
«'est imposées ; il serait d'ailleurs injuste d'offnr à des étran- 
gers, qui se sont réservé leur remboursement en monnaie de 
leur pays , des assignats qui n'ont aucun cours chez eux : cet 
objet de peu d'importance a été payé jusqu'à présent ainsi que 
nous vous le proposons. 

» En remboursant les créances exigibles provenant de Im 
liquidation , au moyen de l'inscription sur le grand &Vre , 
vous devez procurer à ceux qui les recevront , et qui auront des 
'Créanciers ayant une hypothèque certaine et spéciale sur ces 
propriétés , le droit de s'acquitter en divisant leur inscription y 
et la cédant sans frais pour la première fois seulement. 

» Il ne sera porté sur le grand livre aucune fraction en sous 
ou deniers , afin de faciliter les cidculs ou paiemens ; mais 
comme la nation ne veut pas diminuer le droit des propriétaires, 
nous vous proposons de supprimer les fractions au dessous de 
dix sous , et d'ajouter ce qui sera nécessaire aux fractions de 

xiif. a4 



(370 ) 

âii sons et an-dessus pour compléter la livre'; ce qui sera une 
compensation des pertes avec les bénéfices que le nasard peut 
procurer. 

M On ouvrira un compte de la nation snr le grand livre , 
au crédit duquel on portera ' toutes les extinctions , afin de 
reconnaître et constater dans tous les temps le montant des 
diminutions que la dette publique aura éprouvées. 

M Le grand livre une n>i9 terminé , le montant de la dette 
consolidée sera coni^taté par un procès verbal signé par des 
commissaires de la Convention ou du Corps législatif, par les 
commissaires de la trésorerie nationale , et par le payeur prin- 
cipal de la dette publique ; il sera ensuite déposé aux archives 
nationales. 

» Mais comme le grand Hure sera le titre unique de tous 
les créanciers , pour leur sûreté il en sera fait deux copies ; une 
sera déposée aux archives de la trésorerie , l'autre restera entre 
les mains du payeur principal de la dette publique. 

» -Toutes ces précautions doivent rassurer les créanciers, 
qu'on cherchera peut-être à intimider en dénaturant nos inten- 
tions , et en publiant des craintes chimériques sur le sort du 
grand livre et des deux copies ; aussi avons-nous voulu pré- 
venir jusqu'aux méfiances qu'on tâchera d'inspirer. 

w C'est dans cette vue seulement que nous vous proposons 
de décréter qu'il sera délivré à chaque créancier un extrait 
de son inscription sur le grani livre y certifié par le paveur 
principal de la dette publique. Nous pensons que cette précau- 
tion est inutile ; elle généra peut-être la simplicité que nous 
désirons établir ; mais elle est nécessitée par les circonstances. 

M Aucun extrait d'inscription ne pourra être délivré qu'au- 
tant qu'on rapportera les anciens titres de créance ; ainsi nous 
remplacerons tous les parchemins de l'ancien régime par un titre 
républicain, auquel on pourra avoir recours en cas d'évé- 
nement. 

N D'après ces dispositions nous devrions espérer qae toas> 
les anciens titres seront bientôt rapportés et annulés ; mais 
dans un temps de révolution , à une époque oii l'esprit de parti 
fiftit les derniers efibrls pour conserver fa monarchie et empêcher 
l'établissement de la République, on doit craindre que la mal- 
veillance n'oppose une résistance d'inertie : aussi avpns-uous 
pensé que vous deviez décréter que ceux qui résident en France, 
et qui n'auront pas remis leurs titres de créance d'ici au pre- 
mier janvier prochain , seront déchus de leurs intérêts jusqu'au 
premier juillet prochain, et que ceux qui ne les auront pas 
remis le premier juillet prochain, dernier délai , ne seront plus 
créanciers de la République* 



( ^7» ) 

>» Nous n^avons pas cru devoir étendre cette rigueur sur les 
Créaaciers qui habitent hors du territoire de la Képublique , 
dans un moment oh toutes les puissances coalisées empêchent 
la circulation dés décrets, de crainte de commettre une/injus- 
tice envers des personnes qui n'auraient pas pu exécuter ce qu'il 
leur «erait impossible de connaître. 

» tjn plus long délai pour les citoyens résidant en France 
serait dangereux, parce que tous les malveillans qui auront 
désiré ou favorisé la contre-révolution, après avoir retardé 
l'exécution des lois , trouveraient encore à la paix les moyens 
de conserver leurs capitaux. Il est temps d'assurer la punition 
de ceux qui s'opposent par la force d'inertie à l'établissement 
de la République. 

» Tous les titres qui seront rapportés seront annulés et 
détruits après leur vérification définitive ; mais comme la mal- 
veillance pourrait encore conserver des renseignemens qui 
entretiendraient son espérance , il faut exiger qu'après le dépôt 
du grand-livre aux archives nationales tous les titres ou indi- 
cations qui sont chez les notaires et autres officiers publics 
isoient rapportés pour être annulés et détruits ; il faut aussi 
prévenir que les créanciers , en se procurant d'ici à cette époque 
des extraits ou copies collationnees , ne remplacent les titres 
originaux : nous vous proposons d'en défendre la délivrance 
sous peine de dix années de fers. 

>» Toutes ces mesures peuvent paraître minutieuses ou trop 
rigides ; mais lorsqu'une nation se régénère il faut renouveler 
tout ce qui existe , afin de détruire les fausses opinions tjue de 
vieux contrats pourraient conserver. Républicanisez la dette , 
nous le répétons, et tous les créanciers de la nation seront 
républicains. 

» Il importe au crédit public de simplifier et faciliter la vente 
et cession des inscriptions sur le grand livre ; c'est dans cette 
vue que nous vous proposons de décréter qu'à l'avenir on pourra 
en disposer comme des créances mobilières , sauf les actions , 
emplois ou recours comme par le passé contre les propriétaires 
actuels ou leur succession , afin de ne pas préjudicier aux inté- 
rêts des créanciers, et même des familles qui, dans certains 
endroits de la République oh la dette constituée était considérée 
comme un effet immobilier, avaient établi leurs droits sur ces 
propriétés. 

» Les mutations de propriété se feront sur la copie du grand 
livre , qui sera entre les mains du payeur principal , au moyen 
d'un transfert du compte du vendeur sur celui de Tachetcur , en 
indiquant les numéros et folios nécessaires pour remonter depuis 
le propriétaire jouissant jusqu'au propriétaire primitif. 



(371) 

9 Le transfert ne pourra être fait que sur la présentation de 
Pacte de vente passé devant un juge de paix ou un notaire , ou 
des autres titres translatifs de propriété, au liquidateur de la 
trésorerie , qui , après les avoir examinés , délivrera un certificat 
d'aprëft lequel le payeur principal opérera. 

» Chaque mois on transcrira les transferts sur la copie du 
grand livre ^ déposée aux archives de la trésorerie nationale ; 
chaque année , dans les mois d'octobre , novembre et décembre, 
on les transcrira sur le grand livre déposé aux archives natio- 
nales . Pendant cette époque il ne pourra être fait aucun transfert. 

» Le liquidateur de la trésorerie sera responsable de toutes 
les mutations qu'il aura vérifiées et certifiées ; il en tiendra un 
registre particulier; il j portera le précis des pièces qui lui 
seront fournies ; il eu comptera chaque année au bureau de 
comptabilité ; il répondra aux propriétaires de la validité des 
transferts. La société doit surveiller ce fonctionnaire public , 
qui devient le vérificateur de toutes les propriétés inscrites suf 
le grand livre; mais vous devez séparer la comptabilité des 
pièces 9 qui dans ce moment e^t connée au payeur principal , 
et qui retarde la reddition de tous les comptes , de celle des 
deniers, qui ne doit souffrir aucun retard, tles deux compta- 
bilités n'ont d'ailleurs aucun rapport entre elles. 

» Il sera payé à chaque transfert un droit des deux cin- 
quièmes de 1 inscription , ce qui équivaut k deux pour cent du 
capital , puisqu'on ne portera sur le grand livre que le revenu 
annuel. Ce droit procurera une augmentation de recette au 
trésor national , et le propriétaire y trouvera encore une éco* 
nomie , puisque la voie de reconstitution , qui était la moins 
onéreuse , coûtait i^ un et un quart pour cent d'enregistre- 
ment , pour la quittance de remboursement et le tiinbre de la 
minute , et deux expéditions ; 2* un droit d'hypothèque relatif 
au capital f 3* six à douze livres pour droit de mutation; 
4^ trois livres pour droit de rejet ; 5^ un pour cent d'enregis* 
trement pour le contrat de reconstitution et le timbre des 
minutes , grosses et ampliation; &* le droit de nouvelles im- 
matricules. 

»' La formation du grand livre facilitera le paiement annuel 
dans les chefs-lieux de district. Cette mesure est réclamée de- 
puis longtemps , et vous en avez décrété le principe. 

;> Pour l'exécuter on formera chaque année, dans les mois 
•d'octobre , novembre et décembre , une feuille générale de la 
dette publique ; on y portera article par article toutes les ins- 
criptions du grand livre ; chaque créancier pourra se présenter 
à sa municipalité pour indiquer le chef-lieu de district oii il 
veut être payé ; il enverra sa déclaration , dans les mois de 



( S^S ) 

juillet , aodt et septembre , aux commissaires de la trésorerie , 
qui feront dresser autant d'états particuliers qu'il y aura de 
chefs-lieux indiqués ; ces états , arrêtés et signes par ces com- 
missaires , qui vérifieront si leur montant réuni est égal k la 
feuille générale , seront envoyés avec les fonds nécessaires aux 
receveurs de district , qui paieront par semestre , à bureau 
ouvert , les premier janvier et premier juillet de chaque 
année. 

» Ou n'aura plus besoin de suivre pour le paiement l'ordre 
alphabétique des noms ; on ne spéculera plus sur ceux d'Aaron 
ou d'Antoine ; lé nom d'aucun saint ne sera privilégié. Le 
crédit public doit s'améliorer par l'exactitude des paiemens ; 
la facilité de recevoir dans les districts doit nécessairement 
procurer un pfus grand nombre d'acquéreurs ; d'ailleurs cet 
ordre simplifiera les formalités , qui dans ce moment sont une 
vraie science , et rendent nécessaire l'intermédiaire des grippe- 
sous , dont le bénéfice est onéreux ou à la nation ou» au pro* 
priétaire. 

» Lorsqu'un créancier sera porté sur les feuilles de paiement 
le payeur n'aura rien à vérifier ; il llii suffira de s'assurer que 
celui qui se présente est le vrai créancier ; aussi n'y aura-t-il 
d'atitre formalité à remplir pour recevoir le motitant de l'ins- 
cription que de fournir au payeur un pouvoir » ou , si c'est le 
propriétaire , une attestation du juge de paix , ou de l'agent de 
la République en pays étranger , qui certifie que le porteur est 
réellement un tel , et à sigoer l'émargement de la feuille en 
présentant l'extrait de l'inscription. 

» Nous n'avons pas perdu de vue les intérêts du pauvre ; 
c'est pour le faciliter que nous vous proposons de décréter que 




donner pouvoir à celui qui l'accompagnera d'émarger pour lui 
la feuille de paiement ; ce certificat , fourni sans frais , lui évi-^ 
tera ceux d'une procuration. 

» L'ordre de la comptabilité deviendra extrêmement simple. 
A la fin de chaque année les payeurs des chefs-lieux de district 
enverront les feuilles de paiement émargées i s'il y a des débets 
arriérés , ils enverront le montant de la somme non payée ; le 
payeur principal , après avoir vérifié les feuilles émargées , 
renverra aux payeurs de district lès récépissés qu'ils auraient 
fournis : au moyen de cet échange ils seront valablement libé- 
rés '; la République n'aura aucun intérêt de leur faire rendre 
compte , puisque le payeur principal , seul responsable , sur- 
veillera ceux qui lui sont subordonnés. 



(374) 

» Le compte du payeur principal sera fort simple ; il réo- 
Dira toutes les feuilles de paiement émargées ; il fera un état 
général des débets arriérés , et il prouvera au bureau de comp- 
tabilité que le montant des feuilles de paiement est égal à 
cc^lui des inscriptions sur ]e grand livre y qu'il en a été payé 
telle somme d'après les émargemens , ce qui est aussi égal aux 
sommes qu'il a reçues, et qu'il en est dû ielie somme en débets 
arriérés , dont il a été fait un état particulier. 

M Ainsi , sans aucune écriture, sans aucune antre pièce que 
les feuilles émargées , le compte du payeur principal pourra 
être rendu , jugé et apuré trois mois après les deux semestres 
qui formeront son année de paiement. 

u La feuille des débets arriérés sera ensuite divisée en autant 
de feuilles particulières qu'il y aura de districts oii il y aura eu 
de l'arriéré , pour le paiement y être fait dans Tannée suivante ; 
mais si le créancier néglige encore cette année d'en recevoir le 
montant , il ne sera pour lors payé qu'à la trésorerie nationale; 
enfin il sera déchu de ses débets s'il néglige de les réclamer 
pendant cinq années ; ce sera une punition qu'il pourra éviter. 

» Tout créancier qui n'aura pas fait et envoyé avant le 
3o septembre sa déclaration pour indiquer le cbef-lieu de djs- 
trict oii il veut recevoir le montant de son inscription , sera 
>f ayé h la trésorerie nationale ; celui qui aura été payé dans un 
chef-lieu de district , et qui par une nouvelle déclaration n'aura 
pas changé son domicile , le .sera dans le chef-lieu qu'il aura 
précédemment indique. Sans ces précautions , qui ne punissent 
f{ue les uégligens , on n'obtiendrait jamais aucun ordre , et il 
faudrait exiger chaque année de nouvelles déclarations de tous 
les créanciers , ce qui multiplierait trop les écritures et la cor- 
respondance, et gênerait les propriétaires. 

» Il y aura deux sortes d'opposition : les unes sur le rem- 
boursement ou l'aliénation de la propriété ; les autres sur le 
paiement annuel. Celles sur le remboursement ou l'aliénation 
de la propriété ne pourront être faites qu'à la trésorerie, seul 
lieu oii les transferts doivent être exécutés ; celles sur le paie- 
ment annuel seront faites entre les mains du payeur chargé 
d'en acquitter le montant. 

» Nous avons conservé les formalités prescrites par la loi 
du 19 février 1792 pour les oppositions, parce qu'elles 
nous ont paru concilier les droits du particulier avec ceux 
de la nation , et qu'elles sont dégagées des entraves de l'an- 
cienne jurisprudence. 

>i Le grand livre de la dette publique sera d'une grande 
utilité pour établir les contributions , toutes les fortunes en 
créances sur la nation y seront parfaitement connues. 



. ( 375 ) 

)> Ce sera un cadastré d'après lequel on pourra répartir 
l'impôt avec plus d'égalité que sur le» fonds territoriaux : 
aussi n'avons^nous pas hésité un seul instant de vous proposer 
d'assujétir l'inscription sur le grand livre au principal de la 
contribution foncière , qui sera fixé chaque année par le corps 
législatif ; le paiement en sera fait par retenue sur la feuille 
annuelle. 

» Nous n'ignorons pas que celte proposition fut rejetée 
par le corps constituant après une discussion solennelle ; nous 
savons que l'Angleterre l'a toujours rejetée ; mais tous ces 
exemples n'ont pu nous entraîner. Dans un gouvernement 
libre , qui a pour base l'égalité , toutes les fortunes doivent 
contribuer aux dépenses publiques ; toutes les propriétés étant 
garanties par la société , doivent payer le prix de cette pro— 
tection ; les créanciers de la République sont trop justes pour 
ne pas apprécier les sacrifices que la nation ne cesse de faire 
pour acquitter exactement les rentes promises par le despo- 
tisme ; aailleurs en payant à bureau ouvert , sans aucune 
formalité , et dans les districts , nous anticipons les paiemens 
d'environ trois bu quatre mois ; nous les délivrons d'une mul- 
titude de' faux frais nécessités par les procurations , droits 
de visa, d'enregistrement, de commissions aux grippe-sous. 
Le montant de cette contribution sera d'ailleurs déduit de la 
contribution mobilière , payée actuellement par les rentiers , 
de sorte qu'on peut la considérer comme une compensation 
des avantages du nouvel ordre. 

» Nous avons pensé qu'il était juste de ne pas assujétir 
la dette publique aux sous additionnels de la contribution fon- 
cière , parce que cette propriété n'éprouve ni des améliora- 
tions ni des augmentations , comme les fonds territoriaux ; 
d'ailleurs le paiement en sera fait sans frais. 

i> Après avoir développé nos vues pour la dette publique, 
nous avons cru qu'il convenait de vous présenter des moyens 
d'exécution prompts et faciles , afin que cette opération impor- 
tante , si vous l'adoptez , n'éprouve aucun relard ; nous espé- 
rons qu'avant le premier janvier prochain elle sera bienavancée. 

>• En 1764 l'ancien gouvernement voulut connaître tous 
\e% titres des créances , et les rendre uniformes. Il créa un 
grand établissement de liquidation ; il obligea tous les créan- 
ciers à rapporter leurs titres , sous peine de déchéance , et à 
recevoir en échange un titre nouvel. Que résulta-t-il de ce 
beau prmet ? Une dépense ou une perte de 20,000^000 , une 
alarme générale , et des réclamations de tous les créanciers : 
aussi l'opération ne fut faite qu'à moitié ; quelques parti- 



(37«) 

<ulier$ firent fortune « et il $e troaira ui^ titre nouvel en circula'-' 
lion sans que le gouvemement eût établi aucun ordre , ni 
acquis les connaissances qu'il désirait. 

M De pareils exemples sont pen propres k donner de la 
confiance au projet de rendre uniformes les titres de créance ; 
mais vous devez avoir remarqué que nous n'exceptons aucune 
partie de la dette non viagère : ainsi l'opération sera gêné-* 
•raie ; nous nVchangeons plus titre pour titre , nous reunis- 
sons tontes les errances du même propriétaire , de quelque 
nature qu'elles soieut , en un seul et même adticle ; ce qui 
diminuera considérablement le nombre apparent des créan- 
ciers de la République. 

» Quaat à la dépense , rassurez-vous ; au lieu de !20,ooo,ooa 
elle sera tout au plus de 44^tOoo livres, et c'est cette somme 
que nous vous proposons d'y affecter. 

» 11 n'est pas nécessaire de former de nouveaux établisse-* 
mens pour liquider et vérifier les anciens titres ; nous n'au- 
rons pas même besoin du concours de plusieurs créanciers 
5 OUI* commencer l'opération. Les payeurs des rentes ci-devant 
its de l'hôiel-de-vi!Ie de Paris fourniront dans nn mois aux 
commissaires de la trésorerie nationale un état par ordre 
alphabétique , contenant les noms de famille et prénoms de 
tous les propriétaires de rentes perpétuelles , tailles , intérêts 
d'ofOice , droits manuels , et généralement de toute la dette, cons- 
tituée dont ils acquittent les rentes ou intérêts. Ils porteront 
aussi sur ces états le produit net desdites rentes, sans déduction 
de la contribution foncière pour celles qui y sont assujéties ; 
ils y donneront tous les renseignemens nécessaires pour coa— 
a'erver les droits des tiers et la continuation deis paiemens. 

» Ces états seront faciles à dresser ; les payeurs connaissent 
presque toutes leurs parties^; ils ont d'ailleurs leurs feuilles 
d'appel ; et en cas de quelque doute ils pourront avoir recours 
à leur registre ou sommier. 

» Ainsi nous devons espérer que dans le mois de septembre 
tous les états seront fournis , et que la dette constituée connue 
pourra s'inscrire sur le grand livrer 

» Quant à la dette exigible ou constituée soumise à la 
liquidation, le directeur général continuera à la liquider, et 
au lieu d'expédier des titres nouvels ou des rcconnaissaïKies 
de liquidation , il dressera des états comme ceux des payeurs , 
qu'il enverra comme eux a la trésorerie nationale. 

» Tous les propriétaires de la dette exigible à terme pré- 
senteront leurs titres au liquidateur qui se trouve déjà à la 
trésorerie , lequel les liquidera d'après les bases que vous décré* 



( 377 ) 
ferez , et dresMra des états conformes à cenx des payeurs des 
rentes et du directeur gëoéral de la liquidation. 

» Par ce moyen le payeur principal de la dette publique , 
qui sera charge -de l'inscription sur le grand livre , ne verra 
aucun créancier ni aucun titre ancien ; il opérera d'après les 
états qui lui seront fournis. 

» Les payeurs des rentes , le directeur général de la liqui- 
dation et le liquidateur de la trésorerie seront tenus de remettre 
au bureau de comptabilité un double des états qu'ils auront 
fournis , et d'y joindre à l'appui les pièces justificatives de 
propriété qui leur auront été remises : ces états vérifiés , le 
corps législatif prononcera la décharge des liquidateurs , après 
avoir entendu le rapport des commissaires surveillans du bureau 
de comptabilité. 

>r La nation aura donc pour garans de l'opération les liquida- 
teurs qui auront fourni les états , les vérificateurs qui les auront 
vérifiés , les commissaires surveillans , et enfin le corps légis- 
latif, qui a la grande surveillance sur toutes les opérations ; 
ainsi il ne peut y avoir aucune crainte sur les abus de Inexé- 
cution. 

M Le payeur principal de la dette publique justifiera aux 
commissaires de la trésorerie nationale que le montant de la 
dette publique inscrite sur le grand Iwre est égal aux intérêts 
des sommes portées sur les divers états qui lui auront été four- 
nis par les liquidateurs ; les commissaires de la trésorerie 
seront tenus de le vérifier, et d'en faire le rapport au corps 
législatif, qui déchargera lepayeui:.de sa responsabilité. 

» La dette constituée n'offrira aucune difficulté pour sa 
liquidation , qui est déterminée par le produit net des rentes 
ou intérêts ; il suffira de régler le mode d'inscription des diverses 
parties. 

» Les rentes et intérêts appartenant à des femmes mariées 
seront portés au crédit de leur compte y quoique les maris en 
reçoivent le montant. 

» L'usufruitier ou délégataire, devant être considéré comme 
propriétaire momentané du paiement annuel de l'inscription , 
sera crédité sous son nom et sur son compte , en y indiquant 
le propriétaire , qui seul pourra' vendre ou aliéner la propriété , 
lequel sera crédité sur son compte par la voie du transfert 
lorsqu'il justifiera que l'usufruit ou délégation sont ter- 
mines. 

» Les rentes ou intérêts appartenant en commun à divers 
particuliers seront employés en un seul et même article sous le 
nom de l'un d'eux, avec indication des co*propriétaires i qui 
pourront se faire créditer , au moyen d'un transfert , de la 



( 3:8 ) 

portion leur appartenant , pourvu que la division ne réduise 
aucune partie de l'inscription au-dessous de 5o livres. 

» Vous vous occuperez bientôt de& secours publics ; vous 
placerez sans doute les dépenses qu'ils nécessiteront dans I» 
classe de celles dont le fonds est fourni par le trésor national* 
Toutes les propriétés qui so a t^ affectées à ce service seront sans 
doute mises en vente , afin que les administrations n'aient plus 
à s'occu]>er de l'entretien , réparation et régie des immeubles 
qui peuvent être dilapidés ou abandonnés , et qui s'améliore- 
ront entre les mains des particuliers. 

» Mais, en attendant cette réforme si utile, vous conserverez 
à tous ces établissemens l'administration provisoire de leurs 
biens , et la perception de leurs rentes ou revenus : vous pré- 
viendrez par ce moyen les calomnies de la malveillance, qui 
publierait de suite que vous enlevez sans remplacement les reve- 
nus des pauvres et des hôpitaux. 

» Nous vous proposons de décréter que les pauvres , hôpitaux 
et autres établissemens de cette nature , conserveront l'admi- 
nistration provisoire d!e leurs biens et revenus , et que les rentes 
qui leur sont dues par la nation seront inscrites sur le grand 
livre , à la lettre et sous le nom de la ville oii sont situés les 
établissemens , mais en autant d'articles qu'il y aura d'ëtablisse- 
mens difierens. 

M Cette disposition ne doit pas avoir lieu pour les rentes dues 
aux fabriques : le corps législatif, eu ordonnant la vente de 
leurs immeubles, leur conserva les intérêts à quatre pour cent 
du produit de cette vente. Il est temps de faire disparaître 
cette dette, qui entretient une inégalité dans les dépenses, 
puisqu'elle met plusieurs paroisses en état d'étaler un luxe et 
dés richesses , tandis que d'autres sont réduites au simple néces- 
saire. Il faut que la nation , qui s'est chargée des frais du culte, 
les paie comme toutes les autres dépenses : nous vous proposons 
de supprimer , à compter du i*^* janvier prochain, les rentes 
dues aux fabriques , à la charge de pourvoir à cette époque 
aux frais du culte , comme pour toutes les dépenses ordinaires. 

» La dette exigible à terme ,ést composée i^ de quittances 
de finances et effets au porteur dont le capital et les intérêts 
sont déterminés : les porteurs de ces titres seront inscrits sur 
le grand livre pour le net produit des intérêts dont ils jouissent, 
qui eu général sont fixés sur le pied de quatre à cinq peur 
cent ; 2^ d'effets au porteur, qui, outre le capital et les intérêts 
annuels , doivent participer par voie de loterie à des lots , 
))rimes ou chances ; 3^ de bulletins , qui n'ayant aucun capital 
déterminé , doivent concourir aussi par voie de loterie à divers 
lots ou primes ; 4^ d'annuités , auxquelles on a réuni le eapital 



\ 



( 379 ) 

«t les intérêts. Tous ces titres doivent être rapportés d'ici au 
premier j anvier prochain au liquidateur de la trésorerie , sous 
peine de perdre les intérêts jusqu'au premier juillet 1794 » et 
au premier juillet 1794 sous peine d'être déchus du capital et 
des intérêts. Je vais mettre sous vos yeux les diverses conditions 
de ces emprunts , afin que vous puissiez régler les bases de leur 
liquidation. 

n L'emprunt du mois de décembre 1784 était originaire- 
ment de 125,000,000 ; l'intérêt en fut fixé à raison de cinq 
pour cent sans retenue , indépendamment d'un accroissement 
progressif qui montait pour l'entier emprunt à 19,000,000 ; de 
sorte que l'intérêt annuel devait coûter , année commune , six 
et trois quarts pour cent. Il devait être remboursé au moyen 
d'un tirage annuel qui se fait dans I Anois de janvier à raison 
de cinq mille billets de mille livres cnacun , plus l'accroisse- 
ment progressif des capitaux : il reste encore dix-sept tirages 
à faire. 

» L'Assemblée constituante avait projeté de rembourser cet 
emprunt en assignats , en joignant au capital primitif l'accrois- 
sement progressif ; par ce moyen les prêteurs auraient réalisé 
de suite le capital et l'accroissement d'un et trois quarts pour 
cent qui avait été promis , et qui à cette époque n'était payable 
que successivement dans dix-neuf années. 

» Aujourd'hui vous devez traiter les porteurs des effets 

Î)rovenant de cet emprunt comme les autres créanciers de 
a République : ils doivent être crédités sur le grand livre 
des intérêts qui leur sont dus ; il faut donc fixer le montant du 
capital qui doit servir de base à cette inscription. 

» On 9 proposé dans votre commission de calculer les in* 
térêls de cet emprunt depuis sa création jusqu'à ce jour, à 
raison des six et trois quarts par an , prix commun promis 
par l'ancien gouvernement ; d'en déduire les intérêts et accrois- 
semens qui ont été payés , et de joindre aux 1,000 livres du 
&kipi\sA primitif les sommes eu provenant qui n'ont pas été 
payées; ce qui ferait une augmentation de 187 livres 10 àous 
pour chaque billet de mille livres. 

» Votre commission n'a pas cru devoir adopter cette pro- 
position ; elle a pensé que le tirage du mois de janvier 1794 
devait être fait à l'ordinaire , afin de ne pas donner un effet 
rétroactif à la loi qui réduira les intérêts , mais que vous deviez 
supprimer tous les tirages à venir comme étant le produit d'uu 
intérêt usuraire qui ne doit pas survivre à une régénération de 
ïa dette , et que les lots qui sont sorjis et ceux qui sortiront 
par le tirage , non joints aux 1 ,000 livres du capital primitif, 
serviront de base aux intérêts , qui doivent être inscrits sur le 



grand livre ; quant aux billets non sortis , ils seront inscrite, 
à raison du denier vingt du capitat^rimitif (i). 

» L'emprunt du niois*de décembre 1 786 était originairement 
de 80,000,000 ; il devait être remboursé en dix ans par tirage , 
k raison d'un dixième chaque année. 

>» X)n remit aux préteurs des quittances, de finances au por- 
teur de 1,000 livres , produisant cinq pour cent d'intérêt sans 
retenue. Les porteurs de ers quittances seront inscrits sur le 
grand livre pour le montant de ces intérêts. 

M Mais lors de l'emprunt on joignit à chaque quittance un 
bulletin que les actionnaires originaires ont pu vendre et ont 
Tendu séparément ; de sorte que ces bulletins sont aujour- 
d'hui une propriété de ceux qui les ont achetés séparément 
d'après les lois existantes. 

» Il y a encore vingt-quatre mille de ces bulletins , en 
circulation, qui doivent participer en 1794,1795 et 1796, à 
raison d'un tiers chaque année, à des lots qui montent à 
800,000 livres par an , ou 2,400,000 livres. 

» Votre commission vous aurait proposé de siïpprimer les 
]ots affectés à ces bulletins, comme étant le produit d'un intérêt 
usuraire, s'ils étaient entre les mains aes porteurs des quittances 
de finance ; nviiselle les a considérés comme des propriétés appar- 
tenant aux porteurs actuels , qui n'ont pas profité du bénéfice 
résultant de cet intérêt ; d'ailleurs ils représentent partie d'un 
capital de petite valeur , puisqu'ils ne se vendaient que 70 
livres le mois de mai dernier : ils sont en grande partie entre 
les mains des citoyens peu aisés , qui espèrent que la fortune 
pourra les favoriser; si vous les supprimez vous les priverez de 
Jenr espoir et de leur capital. 

» Votre commission a pensé que vous deviez décréter qu'il 
sera fait dans le mois de septembre prochain un tirage général 
de vingt— quatre mille bulletins qui n'ont encore été admis à 
aucun tiraee ; pour l'exécution duquel les vingt— quatre mille 
numéros aesdits bulletins seront mis dans une roue , et à 
mesure qu'ils sortiront il sera mis dans une autre roue les huit 
cents lots ou primes du tirage de 1794* et successivement cent 
des années 1795. et 1796 ; les propriétaires auxquels il sera écha 
des lots ou primes de 1000 livres et au dessus seront inscrits 
sur le grand livre du montant des intérêts à cinq pour cent , 
sous la déduction sur le capital d'un et un quart pour ceux de 
1 794 9 à raison de l'avance du paiement , qui ne devait être 



( 1) La Convention a réjeté la proposilion du tirnge de janvier 1795- 



( 38i ) 

fait que le i"' avril ; de six et un quart pour ceux de 1795, 
et de onze et un quart pour ceux de 1796. 

» L'emprunt fait à la caisse d'escompte en 1790 était de 
70,000,000 ; on lui fournit vingt annuités de 5, 600, 000 livres 
remboursables dans vingt années, une chaque année; ce qui 
faisait le produit du capital et des intérêts à cinq pour cent 
réunis. Trois de ces annuités sont remboursées '^ les autres , 
quoiqu'au porteur, sont jusqu'à présent en^re les mains de la 
caisse d'escompte , qui ne les a pas mises en circulation. 

» Votre commission vous propose de liquider dans les trois 
annuités payées la portion du capital remboursé , en calcil* 
lant les intérêts à cinq pour cent sur le capital , jusqu'à l'é- 
poque du remboursement effectué , et de faire inscrire sur le 
grand Iwre, au crédit des intéressés à la caisse d'escompte , 
le montant des intérêts à cinq pour cent des 63,379,750 livres 
qui leur seront dus d'après cette liquidation ; et pour leur 
éviter des frais de mutation nous vous proposons de les auto- 
riser à former un état de ce qui reviendra à chacun des co*asso« 
ciés , d'après lequel ils seront inscrits sur leur compte parti- 
culier , pourvu toutefois que l'inscription ne soit pas au dessous 
de 5o livres. 

» Les notaires de Paris ont prêté à l'ancien gouvernement 
une somme de 7,000,000, pour lesquels on leur avait fourni 
aussi trente-sept annuités de 4^0,000 livres ,* remboursables 
dans trente-sept ans , une chaque année , pour le paiement 
du capital et des intérêts à cinq pour cent reunis. Cinq de ces 
annuités ont été ou seront remboursées le mois de septembre 
prochain ; il faudra faire la même opération et les mêmes cal- 
culs que pour celles de la caisse d'escompte ; et comme les 
notaires de Paris ont emprunté cette somme, il faut les auto* 
riser à fournir un état de leurs créanciers , qui seront inscrits 
sur le grand livre pour les intérêts qui leur seront dus. 

» L'ancien gouvernement, en établissant les divers emprunts 
qui composent la dette à terme , délivra aux prêteurs des quit- 
tances de finance ou effets au porteur, auxquels il joignit des 
coupons pour l'intérêt annuel jusqu'à leur remboursement. Ces 
coupons peuvent avoir été distraits de la quittance de finance 
ou effet au porteur ; il faut donc, pour que les intérêts de la 
nation ne soient pas lésés , que les porteurs soient tenus d« 
rapporter ceux qui étaient joints à leurs titres , qui n'étaient 
payables qu'après le i*"" janvier 1 794 , et que faute de les repré- 
senter ils en comptent le montant : sans cette précaution 
tous les effets au porteur de 1000 livres de capital seraient 
présentés sans les coupons qui Içur étaient affectés ; on offrirait 
la déduction de leur montant sur le capital primitif, ce qui 



( 382 ) 

réduirait l'effet au porteur à une somme au diessou» de looo Ur.) 
et nécessiterait le remboursement en assignats , puisqu'il ne 
doit être fait aucune inscription au dessous de 5o livres. 

1* Quant à la dette provenant de la licfuidation , il ne sera 
plus expédié de reconnaissances pour les sommes au dessus de 
3ooo livres ; celles qui sont en circulation seront rapportées^ 
sous peine de déchéance, d'ici au 1er janvier prochain, aa 
liquidateur de la trésorerie. Les créanciers seront inscrits sur le 
grand liseré pour les intérêts déterminés par les décrets de 
liquidation. 

*» Mais , d'après la loi du 17 juillet dernier, les intérêts 
des reconnaissances de liquidation doivent cesser à compter du 
i^r août dernier , et ceux qui sont dus jusqu'à cette époque 
doivent être joints au capital : aujourd'hui, toutes les dettes de 
la nation devant être inscrites sur le grand Iwrc à compter du 
1er janvier 17949 vous devez rapporter les dispositions de 
cette loi relatives aux intérêts , et distinguer ceux qui doiveot 
être joints au capital de ceux qui doivent être payés en assi- 
gnats^ 

n Les intérêts qui sont dus jusqu'à l'époque de la liquidation 
ayant toujours été j'oints au capital , nous ne changerons riea 
à l'ordre qui a éfé constamment suivi ; mais nous avons peosé 
que les intérêts qui sont dus depuis Tépoque du visa de la 
reconnaissance à la trésorerie ou à la caisse de l'extraordinaire 
jusqu'au i<-r janvier 1794? et ceux qui seront dus à compter du 
jour des liquidations jusqu'à la même époque, devaient être 
considérés comme des rentes annuelles , et comme tels être 
payés en assignats : sans cette mesure vous forceriez un citoyen 
ui n*a d'autre revenu que le produit de ces rentes courantes 
e faire un placement qui l'obligerait à emprunter pour four- 
nir à des besoins urgens et indispensables. 

» Votre commission a pensé que vous deviez décréter que 
toutes les créances exigibles soumises à l'examen préparatoire 
des corps administratifs qui n'excéderont pas 800 livres , conti- 
nueront d-êlre acquittées sur les lieux , afin de faciliter leur 
remboursement et d'en favoriser les propriétaires , qui ea 
général sont peu fortunés. 

» Mais il a pensé aussi que pour les créances de pareîlfe 
nature au dessus de 800 livres sur lesquelles il aura élc 
ordonné des paiemensàcomptede moitié, excédant i5oo livres, 
le solde sera considéré comme créance au dessus de 3ooo livres, 
et le propriétaire sera crédité sur le grand livre pour le mon- 
tant des intérêts qui seront dusi 

» Nous avons déjà donné dos détails sur \e% dettes des com- 



l 



( 383 )^ 

munes , que le corps constituant a déclaré faire partie de la 
dette nationale ; tous avez remarqué que les villes et communes 
sont obligées de se libérer ; que pour y parvenir elles doivent 
vendre les propriétés qui ne sont pas nécessaires pour le ser-^- 
Tice public ; qu'elles ax>ivent y employer le seiziëm^e du béné- 
fice qui leur a été accordé sur la vente des biens nationaux , et 
qu'en cas d'insuâisance elles doivent imposer îm sou pour 
livre additionnel aux contributions foncière ou mobilière pour 
achever leur libération dans trente années , la nation se char- 
geant d'acquitter le surplus des dettes s'il en existe. 

» Nous vous avons déjà mis sous les yeux l'inexécution de 
cette loi , et les réclamations qui'en sont résultées de la part 
des créanciers de plusieurs communes, qui ne savent à qui 
«'adresser pour le paiement des intérêts qui leur sont dus 
depuis si longtemps. 

« Il est temps de porter votre attention sur cette partie , et 
de réformer une législation qui sert de prétexte pour faire 
sortir des sommes considérables du trésor national. Vous favo- 
riserez ainsi la vente de plusieurs propriétés , et vous assurerez 
l'emploi des fonds en provenant , et du produit du seizième de 
bénéfice qui a été accordé sur la vente des domaines nationaux , 
destiné à acquitter les dettes , qui est affecté journelletnent à 
>des dépenses extraordinaires, souvent inutiles, qui n'auraient 
pas eu lieu s'il eût fallu y poiirvoir par des contributions 
extraordinaires. 

w II a paru plus convenable à votre commission que toutes 
les dettes des communes contractées en vertu d'une délibéra- 
tion légalement autorisée , ou dont le fonds en provenant aura 
«té employé pour rétablissement de la liberté jusques et com- 
pris le lo août 1793 , fussent déclarées dettes nationales. 

» Cette époque à jamais mémorable , qui a réuni tous les 
Français pour jurer l'unité , l'indivisibilité de la République , 
]a liberté , l'égalité et la fraternité, doit faire disparaître la dif- 
férence et les rivalités qui existent entre diverses communes ; 
il faut venir au secours de celles qui , n'ayant rien négligé 
pour soutenir la révolution , ont contracté des dettes pour lever 
des hommes , pour les habiller et équiper, ou pour venir au 
secours des citoyens indigens en faisant des sacrifices sur les 
denrées, etc. ; toutes ces dettes doivent être à la charge de la 
-nation , puisqu'elles ont été contractées pour la liberté 
•commune. 

» Les dettes contractées avant le décret du corps constituant 
sont aussi dettes nationales si la nation s'empare des propriétés 
et des créances qui étaient affectées à leur paiement : cette 
mesure portera la consolation dans Tâme des créaucicrs , qui 



( 384 ) 

ne seront plus renvoyés d'une administration municipale à 
votre barre ou à un conuté , qui les renvoie à son tour aux 
administrateurs qui n'ont pas fourni les états de situation que 
Ja loi ordonne. 

n Déclarez dettes nationales les dettes des communes, en 
déclarant propriétés nationales tout leur actif, eicepté ici 
biens communaux dont le partage est décrété, et les meubles 
et immeubles destinés aux étabiissemens publics : vous n'aurez 
plus d'administrations municipales qui, avec des fonds parti- 
culiers, pourraient avoir Tidée de se séparer de la grande 
commune ; vous enlèverez aux partisans de l'ancien régime les 
moyens de placer leurs fonds sur des anciens titres qui survi- 
^ raient à une régénération de la dette. Formez un ensemble 
de toute la dette publique, de quelque part qu'elle provienne ; 
qu'elle soit une , comme le gouvernement qui vient d^étre 
adopté. 

•» Les propriétés des communes seront administrées , ven- 
dues et payées comme les autres biens nationaux ; vous éviterez 
des frais et une comptabilité effrayante , surtout pour tenir les 
écritures qu'entraîne le bénéfice accordé sur la vente des 
domaines nationaux. 

w £n adoptant cette mesure vous ne faites d'autre sacrifice 
que le sou additionnel qni devait être imposé pendant trente 
années sur les contributions foncières et mobilières, imposi- 
tion mal payée , dont le produit , au lieu d'être employé a;: 
paiement des dettes, a servi et servirait peut-être à acquitter 
des dépenses inutiles , et qui conserverait une inégalité dans la 
répartition des contributions. 

» En déclarant dettes nationales les dettes des communes. 
vous obligerez leurs créanciers de fournir leurs titres au direc- 
teur général de la liquidation dans le délai prescrit pour les 
autres créanciers de la République , sous les mêmes peines qui 
leur sont infligées (i). 

» Dans les momens de révolution , lorsqu'il a fallu abattre 
le trône, lorsqu'il a fallu faire des efforts contre les puissances 
coalisées , contre les fédéralistes et contre les royalistes , cer-r 
tains départemens et districts ont ouvert des emprunts forcés 

(i) «L^i ConveDtion a adopléla propositron relative aux dettes; mais 
(lie n^a déclare propriétés nationales que celles qui a|>partietiDent anx 
communes pour le compte desquelles elle acquittera les dettes, et 
jusqu^à concurreace àe leur montant; elle a déclaré que tous lesobjeis 
dus par la nation aux communes, de quelque nature quHls soient, ne 
seront plus portés sur le livre et état de fa dette publique : aÎDsi \^ 
seizième des bénéfices sur la vente des domaines nationaux est sup- 
primé. » 



( 385) 

on volontaires ; ils ont emprunté au trésor public ou à des par- 
ticuliers les fonds qui lear étaient nécessaires pour la levée , 
Farmement , l'équipement et solde des défenseurs de la liberté, 
ou pour fournir le pain aux citoyens peu fortunés à un prix 
au dessous du cours. Toutes ces dettes, qui ont été contractées 
pour la révolution jusqu'au lo août dernier, doivent être con- 
sidérées comme dettes nationales , et les créanciers doivent être 
inscrits sur le grand livre conmie les autres créanciers de la 
République . 

» Le lo août sera le jubilé de toutes les opérations révolu- 
tionnaires en finances ; ce sera Tépoque de laquelle on datera 
ponr rétablissement de l'ordre dans la dette publique. 

» Dans ce jubilé ne seront point comprises les dettes qui 
ont été contractées par des communes , districts ou départe- 
mens, pour fournir à des dépenses qui ont eu pour but de 
marcher contre Paris ou contre la Convention , ou de s'opposer 
à la révolution , ces dépenses devant être à la charge de ceux 
qni les auront ordonnées. 

)» Vous excepterez aussi les dettes contractées par les com- 
munes , départemens ou districts , pour dépenses locales , ordi- 
naires , administratives ou municipales , n'étant pas juste que 
la nation paie des dettes qui n'auraient pas eu lieu si les con- 
tributions n'étaient pas arriérées, et qui seront acquittées 
avec les fonds provenant de cet arriéré. 

» Nous nous sommes occupés des dettes et créances des 
émigrés , objet très intéressant pour la fortune publique , et 
qui exige la plus grande surveillance. 

» Pour connaître les parties de la dette publique qui appar- 
tiennent aux émigrés , les directoires de département et l'admi- 
nistrateur des domaines nationaux adresseront, d'ici au premier 
janvier prochain , aux commissaires de la trésorerie nationale , 
l'état nominatif et les prénoms des personnes émigrées ; les 
commissaires de la trésorerie feront vérifier sur le grand livre 
les sommes qui leur sont dues; ils en fourniront un état à l'admi- 
nistrateur des domaines nationaux , et le montant des inscrip- 
tions leur appartenant sera porté par un transfert au crédit de 
l'union de chaque émigré, pour le produit être réparti au sou 
la livre, et d'après l'ordre de collocation, aux créanciers , jus- 
qu'à leur parfait paiement, après lequel l'inscription sera portée 
au crédit du compte de la nation comme dette éteinte à son 
profit. 

» Nous avons pensé qu'il convenait d'autoriser les créanciers 
des émigrés qui auront obtenu un certificat de collocation utile 
de se faire inscrire sur le grand livre pour les intérêts à cinq 
pour cent du montant de leur certificat ; cette faculté sera un 

xm. 25 



Teritable empmnt qui évitera le jMiiement en assignats d'an 
capital qui sera déposé au trésor national. 

M L'opération que nous vous pn^osons sera bien avancée au 
premier janvier 17949 niais elle ne peut être terminée que 
le premier juillet de la même année ; il faut déterminer le» 
formes qu'il raudra suivre pendant ce temps intermédiaire entre 
le régime actuel et celui qui va s'établir. 

» Les rentes qui seront dues pour les deui semestres de 
1793 et année» antérieures seront acquittées d'ici au ptemitr 
novembre 1 794 par lés payeurs et comptables qui en ont été 
cbargés jusqu'à ce jour. 

» Toutes les rentes provenant dès corps et compagnies sup-^ 
primés, des dettes particulières du clergé , des dettes des 
dl^artemens, districts et communes , qui sont assujetties à La 
liquidation , seront acquittées par les payeurs des rentes de 
Paris , sur les certificats du commissaire liquidateur , qui ont 
été ou seront délivrés pour les années 1792 et 1798 aux 
créanciers qui n'ont pas obtenu de titres nouvels. 

n Les payeurs et comptables dresseront dans le n^ois de 
novembre 1 794 un état général des débets arriérés ; ils le remet- 
tront avec les fonds qui resteront en leurs mains à la trésorerie 
nationale > qui , après le mois de novembre 1 794 > sera chargée 
de les acquitter. 

» Les rentes du premier semestre de Tannée 1794 f de quel-- 
que part qu'elles piroviennent , seront acquittées le premier 
juillet à la trésorerie nationale , sur une feuille particulière 
dressée pour ces six mois : le nouveau régime pour le paiement 
des rentes commencera au semest^ des six derniers mois de 

i> Les mutations qui auront lieu d'ici au i" juin 1794 
seront notifiées , pour la partie de la dette constituée , aux 
payeurs des rentes , et pour les autres parties au liquidateur 
^e la trésorerie nationale ; ils en dresseront des états qu'ils 
remettront avant le 3 juin 1794 au payeur principal , pour les 
transferts être termines dans le mois de juin 1794* 

M Les oppositions sur la propriété seront faites , à compter 
4e la publication du décret , à la trésorerie nationale , dnns les 
formes prescrites par la loi du îq février 1792 : tou» les citoyens 
qui ont des hypothèques sur la dette publique seront obligés de 
les r'enou vêler d^ici au i*' juillet 1794 * '* trésorerie nationale. 

)» Les oppositions sur le paiement dés rentes de l'année 1794 

et antérieures, qui auront lieu d'ici au 1"' novembre 1794» 

'seront faites aux payeurs chargés de leur paiement ; toates ks 

ppp<Mitions'fâifes ou à faire seront renouvelées^ pour lepreoiier 

semestre 1794, k la trésorerie nationale , et porar celles posté- 



(38;) 

riearfs à ce semestre au préposé des districts oii le paiement 
annuel doit être fait. 

» Jusqu'à présent tout notre projet ne tend qu'à établir 
l'ordre dans la dette publique , à simplifier ia comptabilité , à la 
débarrasser de toutes les anciennes formes, à réduire les anciens 
titres de créance en un titre unique et républicain , et à faciliter 
le paiement annuel dans les districts. Il nous reste à vous déve- 
lopper nos vues pour retirer des assignats de la circulation: 
cette mesure, impérieusement réclamée par les circonstances , 
mérite toute notre attention , puisqu'elle doit amener Ija dimi- 
nution du prix des denrées et marchandises, et déjouer les 
mesures de qo$ ennemis, qui nous font une guerre cruelle en 
finance en discréditant la monnaie révolutionnaire qui nous a 
mis à mime de combattre la coalition royale. 

» L'emprunt forcé , contre lequel on a tant crié , et qui a 
servi de prétexte aux mal-intentionnés pour publier que nous 
TOttliotts violer les propriétés y est la base de notre projet, fl 
.est peut-^tre nécessaire de revenir sur les principes qui vous 
ont déterminés à le décréter , afin de détruire d'une manière 
victorieuse les calomniss qu'on a répandues avec tant de com- 
plaisance , et prouver qu'au contraire il respecte , conserve et 
assui» Us propriétés* 

» Tout le monde conviendra avec nous que lorsque la 
société fait des dépenses extraordinaires pour l'avantage 
général et l'utilité commune , elle a le droit d'exiger de 
t<ms les citoyens des contributions proportionnées aux 
besoins : les amis de la liberté conviendront que la guerre que 
nous soutCMons contre les tyrans coalisés n'a d'autre but que 
«Rétablir le règne de la liberté et de l'égaliié; que par consé- 
quent les dépenses qu'elle entraîne sont pour l'avantage général 
et pour l'utilité commune. 

M II est évident que les Français n'auraient pas pu soutenir 
une guerre qui a exigé et nécessité les plus grands efforts sans 
l'établissement d'aucune contribution nouvelle , si , pour acquit- 
ter les dépenses extraordinaires, ils n'avaient successivement eu 
recours à des créations et émissions d'assignats qui ont pour 
^age les biens nationaux provenant des biens ecclésiastiques ^ 
domaniaux et des émigrés. Aujourd'hui il importe d'en 
réduire la masse en circulation pour obtenir une diminution 
sur le prix des denrées et marchandises , qui est réclamée de 
toute pant. 

» Vous auriez pu sans doute établir une taxe de guerre sur 
l«s personnes qui par leur fortune sont en état de la payer , et 
par ce moyen retirer une masse très considérable des assignats 
qui sont en circulation : le riche et le pauvre ea auraient de 



( 388) 

BQÎte éprouvé les heureux effets , puisque celui qui dépensait 
10,000 livres par année est oblige aujourd'hui d'en dépenser 
20,000 à cause de l'augmentation des denrées et marchandises. 
Si par cette contribution les denrées diminuaient , celui qui 
aurait contribué pour 10,000 livres les auraient épargnées 
dans ses dépenses ordinaires ; donc elle aurait été avantageuse 
«u pauvre , qui n'aurait rien payé , et au riche , qui en la 
payant l'aurait économisée sur ses dépenses ordinaires. 

» Au lieu d'adopter cette mesure , dont la justice vient 
d'être prouvée, vous vous contentez d'établir un emprunt- forcé 
pour annuler et brûler les assignats : vous espérez que cette 
mesure procurera des économies dans les dépenses extraordi- 
naires , et vous préférez l'économie à l'impôt. Ceux qui crient 
sans cesse contre les assignats qui sont en circulation , qui en 

Srennent le prétexte pour fomenter des troubles , réclament 
éjà contre cette opération. Ces plaintes ne peuvent partir 
que des mal-intentionnés, qui s'aperçoivent que cet emprunt 
va hâter la vente des biens des émigrés , ou des agioteurs , qui, 
ayant accaparé des marchandises et denrées , craignent toutes 
les opérations qui , étant avantageuses au crédit public, nuisent 
à leurs odieuses spéculations. 

» Le gage des assignats qui sont en circulation repose sur 
la valeur des domaines nationaux ; la contre— révolution arri- 
vant , les anciens possesseurs rentrent de vive force dans leurs 
propriétés , et le gage disparait. 

» Egoïstes , qui vous plaignez de ce qu'on vous demande 
des assignats par un emprunt forcé , voyez combien la cupidité 
vous aveugle* sur votre véritable intérêt! Njc^xis pournons établir 
une taxe de guerre , et nous nous contentons) d'échanger votre 
assignat contre un titre qui repose sur le même gage. Si vous 
ne croyez pas à la révolution , l'assignat que vous regrettez n'a 
plus de valeur : si vous y croyez , bâtez-vous de l'échanger 
contre un titre qui vous procurera comme lui la propriété qui 
faisait son gage. Ah! croyez-nous^ si vous voulez assurer 
votre fortune , vos propriétés , et diminuer vos dépenses , tra- 
vaillez avec nous à retirer les assignats de la circulation ; ne 
créez plus des embarras en vous coalisant contre la République; 
unissez-vous aux défenseurs de la patrie ; cessez d'être capita- 
listes toujours odieux , pour devenir propriétaires utiles d'un 
domaine national dont vous jouirez paisiblement. 

»> Votre commission n'a pas perdu de vue que l'emprunt 
forcé remplaçait une contribution extraordinaire ; aussi les 
bases qu'elle a arrêté de vous proposer pourront paraître rigides 
à ceux qui se sont récriés d'avance contre cette opération. 

» L'emprunt forcé ne sera remboursable qu'en domaines 



(389) 

nationaux à venclre ; par ce moyen ceux qui y seront compris 
auront intérêt de terminer la révolution pour devenir proprié- 
taires : il ne sera admis en paiement des domaines nationaux 
que deux ans après la paix ^ afin que ceux qui y seront taxés 
abandonnent leur résistance d'inertie ou les troubles iutérieurs 
qu'ils nous suscitent , qui font l'espoir des despotes et de leurs 
partisans : il ne portera aucun intérêt; ce qui sera l'équivalent 
a'un impôt extraordinaire pendant la durée de la guerre , que 
tout le monde aura pour lors intérêt de voir finir : les titres qui 
seront fournis ne seront point transmissibles , pour ôter aux 
mal-intentionnés la ressource que leur offrirait l'agiotage pour 
les négocier : enfin , si les sommes demandées ne sont pas acquit- 
tées dans le délai prescrit , l'emprunt sera converti en un impôt, 
et ne sera plus remboursable. 

» Votre commission , en vous proposant toutes ces mesures^ 
a cru que vous deviez procurer aux bons citoyens les moyens 
de s'en exempter en prêtant volontairement les assignats qu'il 
est instant de retirer de la circulation. Elle vous propose en 
conséquence de décréter que tous les assignats ayant cours de 
monnaie pourront être convertis en une inscription sur le 
grand livre ^ à raison de cinq pour cent du capital. Les per- 
sonnes qui voudront profiter de cette faveur pourront les verser 
dans les caisses de district ou à la trésorerie ; il ne pourra 
être fait aucun prêt au dessous de mille livres. Les personnes 
qui ne seront pas dans le cas d'être imposées pour cette 
somme à l'emprunt forcé pourront se réunir pour la compléter. 

M Le paiement de ces inscriptions sera fait à compter du 
semestre des six derniers mois de 1794) comme celui de toute 
la dette publique consolidée ; la trésorerie acquittera , le 
i«^ juillet prochain, le décompte des intérêts qui seront dus 
à cette époque depuis celle du versement. 

» Cette mesure^nécessitera un paiement annuel de 5o,ooo^ooo, 
sur lequel il faut déduire 10,000,000 pour le produit de la. 
contribution foncière , à laquelle il sera assujetti ; mais ce 
sacrifice sera moindre que celui que;TOus*^avez fait en mettant 
en rente les annuités qui sont dues pour les domaines uatio* 
naux , qui produisent cinq pour cent net d'intérêt ; il sera 
moindre que celui que vous avez fait en accordant une prime 
de trois pour cent à ceux qui accéléreront le paiement des 
domaines nationaux : il ne sera qu'apparent , car si nous par- 
venons à faire rentrer un milliard en assignats, le prix des 
denrées et marchandises doit éprouver une diminution consi- 
dérable , et dès lors les dépenses publiques doivent diminuer 
proportionnellement. 

» Dans ce moment d'inquiétude , oii chacun paraît avoir 



(390) 

des craintes snr le crédit public , la nation ayant encore à son— 
tenir des attaques considérables , nous douterions du succès de 
cette mesure , malgré l'intérêt que nous vous proposons d'al- 
louer ; aussi l'a vons-nous combinée de manière que sa réussite 
sera assurée par la crainte de l'emprunt forcé : nous vous pro- 
posons de décréter dans la loi relative à cet emprunt que ceux 
qui, d'ici au i*^ décembre prochain, convertiront leurs assignats 
en une «oscription sur le grand livre seront admis à faire 
déduire de leur taxe la somme qu'ils auront portée volontaire- 
ment, en conservant tous les avantages qui y sont attachés. 

M Vous devez donc espérer que le milliard rentrera d'ici à 
cette époque ; car voici le raisonnement que doit faire Pégoïste. 

M L'assignat à face royale étant démonétisé, je suis obligé de le 
porter au trésor national en paiement des domaia>es nationaux 
ou des contributions , puisqu'il ne me produit aucun intérêt : 
et qu'il ne peut pas m'elre utile dans les transactions journa- 
lières. Les assignats qui ont cours de monnaie sont ou seront 
bientôt un titre républicain ; ils ne produisent aucun intérêt ; 
on demande que je les échange contre une inscription sur le 
grand Iwre , qui sera le même titre républicain sur lequel 
reposera toute la dette publique : ainsi , quelle que soit l'issue 
de la révolution , on ne pourra pas me distinguer des autres 
créanciers ; je ne craindrai aucune opération particulière ; cette 
inscription me produira net quatre pour cent, qui me seront 
payés chaque année par moitié, les i*' janvier et ler juillet , à 
bureau ouvert, dans le chef-lieu de district que je choisirai. Si 
j'ai besoin de mes fonds je pourrai aliéner le titre qu'on 
m'aura fourni ; si je veux je pourrai l'employer de suite en 
acquisition d'un domaine national^ ou des meubles vendus 
pour le compte de la nation ; enfin je serai exempt de l'em* 
prunt forcé. 

*t Au lieu que , si je me refuse à porter volontairement mes 
assignats, j'y serai obligé par une taxe dans l'emprunt forcé ; 
on pie donnera en échange un titre républicain qui ne produira 
aucun intérêt , qui ne sera remboursable que deux ans après 
la paix , qui ne sera reçu à cette époque que dans une acquisi- 
tion d'un domaine national, que je ne pourrai faire qu'à cette 
époque; enfin je ne pourrai pas le négocier à volonté. 

>» Le prêt volontaire doit être fait d'ici au i*' décembre pro- 
chain ; le prêt forcé devra être payé par tiers en décembre , 
janvier et février : après cette époque , si je n'ai pas payé j'y 
serai contraint , et je n'aurai plus de droit à un rembourse- 
ment. - 4 

» Je vais donc porter les assignats à l'emprunt volontaire, 
qui m'offre tant d avantages y je profiterai dans mes dépenses 



I 



. (39.) 

journalières de la diminutîop qui doit avoir lien sur le prix des 
denrées et itiarchaadiis^s, — 

» Ceux oui seront sourds à leur intérêt personnel et aux 
besoins de la patrie doivent être considérés comme de mau- 
vais citojeas ; ils ne méritent aucun ménagement pour leurs 
propriétés y et la République doit surveiller leurs personnes 
comme étant suspectes. 

» Votre commission est persuadée que l'emprunt volontaire 
fera rentrer d'ici au i<»' décembre un milliard en assignats , de 
aorte que les 3,2 17,222,053 livres ayant cours de monnaie, 
qnà étaient en circulation le i *'^ août dernier , seront réduits 
À 2,217,222,053 livres. 

» La dette publique consolidée, qui sera inscrite sur le grand 
U^rej montera , lorsque toutes les opérations que nous vous 
proposons seront terminées , savoir : 

» £a inscription de la dette constituée 
connue 62,717,164 J*^* 

^ En inscription de la dette constituée 
soumise à ia liquidation 10^0,207 

» Rentes dues aux falmques supprimées. » 

» £n inscription dé la dette constituée du 
ci-devant clergé . 2,642,600 

» En inscription des dettes des commu- 
nes , départêrnens et districts , estimée sous 
base certaine. 26,000^000 

>» Nota. Cet ob}et n'avait été estimé que 
6,000^000; l'actif de la nation augmentera 
de la valeur des propriétés des communes , 
qui sont déclarées propriétés nationales. 

» En inscription de la dette exigible à 
terme , pour les intérêts de /^i5^^5^i:h liv. 
à cinq pour cent 20,797,266 

n £n inscription de la dette exigible sou* 
mise à la liquidation , pour les intérêts de 
625,706,309 livres à cmq pour fent. . . . '31,285,315 

» En inscription des assienats pour les 
intérêts de 1 ,000,000,000 à cinq pour cent. 5o,ooo,ooo 

» Total 202,892,551 liv. 

wmmÊmmmmmmÊmmmm 

» Sur lesquels il faut déduire les créances 
provenant de la liquidation au deiisous de 
SyOoo livres , les effets au porteur au dessous 
^e 1,000 livres, et les contra^ au dessous 
de 5o livres de rente net qui doivent être 
remboursés , et que nous avons estimé monlier / 



( 392 ) 

lia capital de 57,85i,o2o livres, ou une 

inscription de é . • . 2,892,551 \br, 

» Total de la dette consolidée qui sera 
inscrite sur le grand livre 200,000,000 Hv. 



» Cette dette sera imposée au principal de la contribution 
foncière , qu'on suppose devoir être d'un produit de 40,000,000; 
elle nécessitera un paiement annuel de 160,000,000 ; elle 
mérite donc toute l'attention des représentans du peuple. 

» Nous n'aurions pas terminé notre travail sur la dette 

Ï)ublique si nous ne vous présentions pas les moyens d'en opérer 
e remîboursement et de tranquilliser les créanciers ; nous l'avons 
combiné de manière qu'il nous procurera la rentrée de partie 
des assignats qui resteront en circulation après celle du 
1,000,000,000 que. nous présumons devoir provenir de l'em- 
prunt volontaire ou forcé , et qu'il favorisera et hâtera la vente 
des biens nationaux. . . .... 

» Votre commission a pensé que vous deviez admettre d'ici 
à la fin de l'année 1794 toute la. dette publique enregistrée en 
paiement des domaines nationaux , qui seront adjugés après la 
publication du décret, à la charge par ceux qui voudront jouir 
de cette faculté de fournir en même temps pareille somme en 
assignats ; et pour accélérer cette vente et ce paiement nous 
avons cru devoir assurer à celui qui achètera et paiera prompte- 
ment un avantage sur celui qui attendrait l'issue de la révolu- 
tion pour se libérer. Nous vous proposons de recevoir l'ins- 
cription sur le grand /iVre, calculée sur le. pied . du denier 
vinçt, pour ceux ^ui paieront d'ici au i»>^ janvier 1794 ; sur 
le pied du denier dix-huit pour ceux qui paieront du i'^'* janvier 
au !«>' juillet 1794 ; enfin sur le pied du denier seize pour ceux 
qui paieront du i^^^juillet au 3i décembre 1794* 

» Nous exemptons de l'obligation de fournir des assignats 
ceux qui achèteront les maisons , bâtimens et usines restant à 
vendre ; ils n'auront à fournir que leur inscription sur le grand 
liseré , d'après les mêmes calculs. 

» C'est particulièrement pour hâter la rentrée des assignats 
que nous avons cru devoir n'accorder qi^ie jusqu'à la fin de 1794 
la faculté d'admettre en paiement des domaines nationaux la 
dette publique ; c'est dans la même vue que nous vous pro- 
posons de graduer la valeur de l'inscription , afin que celui qui 
dorterapromptement les assignats jouisse de l'avantage que son 
ompressement procurera à la République en faisant diminuer 
le prix des denrées et marchaçdises. Examinons si nous avons 
rempli l'objet que nous nous sommes proposé. 

» Tout le monde conviendra qu'en admettant toute la dette 



(393) 

«n paiement des domaines nationaux nous devons augmenter 
2a concurrence dans les achats ; car si tous les créanciers de la 
République voulaient endployer ce qui leur est dâ en acquisi- 
tion des domaines nationaux d4ci au i^'*' janvier prochain , les 
ventes se monteraient à 8,000,000,000, puisque les aoo,ooo,ooo 
de la dette consolidée , calculée au denier vingt , produiraient 
4,000,000,000 , et qu'il faudrait fournir pareille somme en 
assignats pour profiter de cet avantage. 

» Il ne peut exister aucun doute que sur le nombre des 
créanciers de la République il s'en trouvera qui achèteront un 
bien-fonds pour y employer leur inscription sur le grand livre; 
la vente des domaines nationaux doit donc être accélérée par 
l'empressement qu'une partie des créanciers aura d'être rem- 
boursée. 

» Ne perdons pas de vue , citoyens , que nous aurons repu— 
blicanisé la dette , et que l'inscription sur le grand livre , la 
valeur des assignats ou le domaine national dépendront égale- 
ment du succès de la révolution. 

» Nous exemptons les acquéreurs des maisons , bâtimens et 
usines restant à vendre de l'obligation de fournir des assi- 
gnats , parce que la République possède un grand nombre de 
ci-devant hôtels à Paris , des églises supprimées , des cloîtres et 
des châteaux forts dont il est essentiel de presser la vente , afin 
d'éviter des frais énormes de réparations, de garde et contri- 
butions, qui absorberaient tout leur produit s'ils ne l'excédaient. 

» Cette mesure est très politique , surtout pour Paris , oii il 
importe de remplacer les émigrés qui ont abandonné leurs 
superbes habitations des faubourgs Saint-Germain et Saint- 
Honoré ; il faut nous occuper du sort de cette ville , qui , 
ayant fait des pertes considérables par la révolution , en soutient 
avec coui^age les vrais principes , ce qui la met sans cesse en 
butte à toutes les attaques des ennemis de la liberté. 

» L'avantage des créanciers n'est pas moins certain. Avant 
la révolution leurs créances reposaient sur les dilapidations de 
la cour, et avec ce gage la banqueroute était inévitable ; aujour- 
d'hui ils pourront obtenir leur remboursement en un bien- 
fonds , ou conserver leur inscription sur le grand livre. 

» Quel reproche les homnies de bonne foi pourront-ils nous 
faire ? Le despotisme nous a laissé des dettes et point d'ar- 
gent ; la révolution nous a procuré des biens- fonds ; nous 
nous empressons de le^ offrir en paiement , malgré les dépenses 
que nous sommes obligés défaire. 

» Un propriétaire d'une créance constituée pour une rente 
d'un produit net de 200 livres, qui était mal payée et dont le 
capital n'aurait jamais été remboursé ; le créancier d'un objet 



(394) 

soumis à U liquidation , ott pour un effet au porteur de 
4^000 livres capital , pourra acoeter une maison nationale , 
d'ici au premier janvier 1794 9 d'une valeur de 4>ooo livres , 
et la payer avec son inscription sur le grand livre; s'il préfère 
un bien-fonds ou des meubles qui seront vendus pour le 
compte de la nation, il sera obligé de joindre à son inscription 
4,000 livres assignats |K>ur une acquisition de 8,000 livres: 
à la vérité , s'il n'achète et ne paie qu'après le premier janvier , 
«t jusqu'au premier juillet 1794 9 son inscription ne sera reçue 
c{ue pour 3,6oo livres; enfin, s'il attend après le premier juillet 
jusqu'au bi décembre 1794 9 son inscription ne sera reçue que 
pour 3,200 livres. Apres cette époque l'inscription ne sera 
plus admise en paiement des domaines nationaux. 

» Ainsi les créanciers auront intérêt de presser leurs 
acquisitions ; ils seront les maîtres de fixer la valeur de leur 
inscription , de i'en faire rembourser en tout ou en partie , 
ou de la conserver pour en recevoir le paiement chaque année 
à bureau ouvert , les premier janvier et premier juillet , dans 
les chefs- lieux qu'ils indiqueront. 

» Celui qui a 4ooo livres en assignats dans son portefeuille , 
et qui voudra acquérir une maison nationale , en les portant 
d'ici au premier décembre dans les caisses de diststct ou à la 
trésoreHe nationale, recevra une inscription sur le grand 
livre y avec laquelle il paiera son acquisition ; il pourra aussi 
l'employer en paiement d'un bien-fonds ou de meubles ven- 
dus pour compte de la nation , en portant pareille somme 
•en assignats; dans l'un et l'autre cas il sera exempt d'une 
taxede4ooo liv. dans l'emprunt forcé. Ainsi cet emprunt, qu'on 
avait annoncé attentatoire à la propriété, rendra propriétaires 
les possesseurs d'assignats ^ qui n'auront d'autres sacrifices à faire 
<]ue de les échanger, et de faciliter par cet échange la dimi- 
nution des denrées et des marchandises. 

» Notre seul but dans toute cette opération est , nous le 
répétons , de retirer des assignats de la circulation , de rem- 
bourser la dette , «t d'accélérer la vente des domaines natio- 
naux. 

» Nous espérons que notre calcul pour retirer les assignats 
de la circulation ne sera pas illusoire ; car si tous les créanciers 
de la République voulaient employer leure titres d'ici au pre- 
mier janvier 1 794 en biens-fonds , le capital des 200,000,000 
de la dette consolidée , calculé au denier vingt , monterait 
à 490^<^9^o^)00o 9 C6 qui nécessiterait la rentrée de 
4,000,000,000 assignats : si les inscriptions n'étaient employées 
que depuis le premier janvier jusqu au premier juillet 1794 » 
le capital ne monteraH att'à 3,6oo,ooo,ooo, et il rentrerait 



4 



(395) 

pareille somme en assignats ; mais la nation économiserai! 
400,000,000 sur le remboursement de la dette : enfin, si 
elles n'étaient employées que depuis le premier jaillet 
jusqu'au 5i décembre 1794 9 le capital ne monterait qu'à 
3,200,000,000, et on retirerait dej la circulation pareille 
somme en assignats ; la nation aurait pour lors un bénéfice de 
800,0*0,000 sur le remboursement de la dette ; par ce cal- 
cul gradué elle serait dédommagée des dé]ienses extraordi- 
naires que le retard de la rentrée des assignats lui occasion- 
nerait. 

M Yotre commission n'a pas pensé qu'aucun de ces cal- 
cals reçoive son entière eiiêcution , mais elle a estimé que la 
moitié des créanciers de la République voudrait convertir 
l'inscription en un domaine national ; elle a pensé que les 
acquisitions s'exécuteront dans les trois époques déterminées 
pour l'année 1794* £n adoptant les bases de votre commission 
û en résultera que les 34,000,000 des inscriptions employées 
d'ici au premier janvier 1794 > calculés au denier vingt , pro- 
duiront un capital de 68o,ooo.,ooo 

» 33,000,000 employés du i*^ janvier 
au 1*' juillet 1794, au denier" dix-huit, 
produiront 594;000,ooo 

>» 33,000,000 employés du i*' juillet 
au 3i décembre 17949 ^^ denier seize , 
produiront 628,000,000 

1,802,000,000 
» Supposons que 200,000,000 de ce 
capital soient employés en acquisitions 
des maisons , bâtimens et usines 200,000,000 

» Total du capital des inscriptions em- 
ployées en acquisitions des biens-fonds, i ,602,0 00,000 

» Il faudra donc que les acquéreurs fournissent en 1794 
pareille somme en assignats. Les 3, 217,222,053 livres qui 
étaient en circulation le i"'' août dernier seront réduits, 
1® de 1,000,000,000 par l'emprunt forcé ou volontaire ; 2" des 
1 ,6o2,oeo,ooo , suivant les calculs précédens ; il n'en resterais 
donc à la fin de 1794 que 6i5,220,o53 livres, auxquels il 
faudra joindre les nouvelles créations que les circonstances 
pourront rendre nécessaires. 

» La dette publique serait portée, au lieu de 89,888, 335 liv., 
montant actuel de la dette constituée , à 100,000,000 livres 
de paiement annuel. Sur ces 100,000,000 il faudra déduire 
20,000,000 de la contribution foncière; la nation n'aurait 
donc à payer annuellement que 80,000,000, ce qui serait 



(396) 

9i888,335 livres de moins que la dette constituée ; et la dette 
exigible à terme, ou provenant de la liquidation , sera entière- 
ment acquittée. 

» Nous ne parlerons plus des 558,ooo,ooo d'assignats démo- 
nétisés , puisqu'ils doivent rentrer d'ici au i^' janvier pro- 
chain en paiement des contrbiutions ou des domaines nationaux. 

t Nous devons faire tous nos efforts pour obtenir ces 
résultats. Ne vous étonlïez donc pas de la rigueur de l'em- 
prunt forcé , puisque ceux qui désirent le rétablissement de 
la paix pourront s'en exempter en convertissant volontairement 
leurs assignats en une inscription sur le grand lîpre. Détrui- 
sez en même temps tout ce qui sert à l'agiotage : que le 
capitaliste qui voudra placer des fonds à l'intérêt soit obligé 
de les convertir en une inscription sur le grand livre , ou de 
les. prêter à ceux qui voudront se procurer cette inscription. 

M On pourrait peut-être craindre que le gage des assignats 
qui seront en circulation ne fût altéré par cette opération» 
Rassurez- vous : il est dd à la nation 1,200 à i,5oo,ooo,ooo pro- 
venant de la vente des biens nationaux , et 600 à 700,000,000 
de contributions; il n'y a en circulation que 558,ooo,ooo 
d'assignats démonétisés , qui seront employés à leur paienaent ; 
il restera donc un excédant de gage d'environ i,4^o à 
1,600,000,000; car la dette publique n'est admise qu'en 
paiement des biens nationaux à vendre. Ainsi chaque^ objet aura 
son gage séparé. 

>» L'opération que nous vous proposons ne peut qu'aug- 
menter la valeur des biens qui sont en vente par la concur- 
rence des acheteurs qu'elle appelle ; elle n'augmente pas 
cependant le montant des objets qui doivent être remboursés 
par le produit des domaines nationaux. 

» La dette exigible à terme , qui est remboursée en assignats, 
monte à 4'^794^>^'^ ïiv* 

» Ladette exigible provenant de la liqui- 
dation qui est admissible en paiement des 
domaines nationaux , monte à 625,706,809 

» Les assignats qui rentreront par l'em- 
prunt forcé ou volontaire Isont estimés. 1,000,000,000 

» Total de la dette actueHe, qui, d'après 
les ^ois , doit être admise directement ou 
indirectement en paiement des domaines 
nationaux 2,o4i,65i,62i 

» Elle sera réduite, d'après la supposition 
que nous avons faite, à 1,802,000,000 

» De sorte que sans compter la plus-value 
sur la valeur à^& domaines nationaux qui 



(397 ) 

doit résulter de la concurrence résultaot 
de l'admission de la dette public^ue , nous 
aurons affecté de moins sur les domaines 
nationaux 239,651,621 liv. 

i> Si aucun créancier ne veut convertir son inscription en 
domaines nationaux , le gage libre des assignats serait aug- 
menté de 2,000,000,000 , et nous aurions à nous occuper des 
moyens qu*il faudrait employer pour vendre ces domaines et 
retirer les assignats de la circulation. Ainsi dans tous les cas 
l'opération ne peut qu'être utile à la révolution , et doit prouver 
à nos ennemis quelles sont nos ressources pour contmuer la 
guerre. 

» En admettant toutes les créances sur la République en 
paiement des domaines nationaux à vendre , nous avons dû 
nous occuper du sort des citoyens qui , ayant des comptes à 
faire juger , ne peuvent point obtenir leur liquidation par les 
lenteurs du bureau de comptabilité , qui ne peuvent leur être 
imputées. 

» Les offices comptables , ceux des payeurs et contrôleurs 
des rentes , les fonds d'avance et cautionnemens des compagnies 
de finance et de leurs employés actuels , seront de suite liqui- 
dés , d'après notre projet , sans avoir égard au terme de leur 
comptabilité. Le directeur général de la liquidation joindra 
aux états qu'il doit fournir à la trésorerie la déclaration si les 
comptables ont ou non rempli toutes les obligations qui leur 
sont imposées , et s'ils sont quittes envers la nation. 

» Les commissaires de la trésorerie feront de suite opposi- 
tion , au nom de la nation , sur l'aliénation ou remboursement 
de sa propriété , ainsi que sur le paiement annuel de l'inscrip- 
tion qui sera faite au profit des comptables , etc., qui seront en 
retard. 

» Leur liquidation ne sera plus retardée ; les droits de la 
nation seront conservés , et les propriétaires pourront jouir de 
la faculté qui est accordée aux autres créanciers d'acquérir des 
domaines nationaux , à la charge de transporter l'opposition 
faite sur leur inscription sur le domaine qui sera acquis. Cette 
opération ne peut qu'assurer le gage de la nation , puisque le 
propriétaire sera obligé de fournir en paiement une somme en 
assignats équivalente au montant de son inscription , ce qui 
doublera la valeur du gage hypothéqué. 

V II existe des créanciers directs de la nation qui , ayadt 
acquis des domaines nationaux avant le i^^r octobre «792, 
époque à laquelle a cessé le remboursement de leur liquidation , 
espéraient pouvoir s'acquitter avec le montant de leur créance : 
il a paru juste à votre commission de leur permettre de donner 



(3g8) 

en paiement de ces acquisitions Tinscriptioa sur le gt0n4 Iwre 
qui proviendra d^ leur créance directe , en la calculant sur le 
pied du denier vingt. Cette faveur doit être accordée aux 
personnes qui , acquéreurs aussi des domaines nationaux avant 
fe 1 ' octobre 1 792 , auront été forcés par la loi de recevoir 
de leurs débiteurs Tinscription sur \e grand livre en paiement 
de ce qui leur était dû. 

>» Nous avons pensé que la République devait admettre en 
paiement de ce {\\\\ lui est dû par des citoyens qui sont à leur 
tour ses créanciers directs , ou par cession forcée, l'inseription 
qui leur est fournie , en la calculant à raison du denier vingt , 
en exceptant les receveurs ou dépositaires des deniers publics 
qui sont obligés de se libérer avec les mêmes valeurs qu'ils 
avaient reçues , la compensation leur étant prohibée par vos 
précédens décrets. 

» Le succès de l'opération que nous vous proposons dépend 
essentiellement de l'activité de son exécution ; il faut donc que 
le directeur général de la liquidation accélère les opérations qui 
lui sont confiées : nous vous proposons de l'autoriser à liquider , 
sous sa responsabilité et sans le rapport préalable du comité de 
liquidation , tous les titres de la dette constituée , à quelque 
somme qu'ils se montent , ainsi que les créances evgibles 
de 3,000 livres et au dessous , et toutes les maîtrises , jurandes 
et offices de perruquier. 

>» Vous éviterez les retards considérables qu'éprouvent les 
rapporteurs du comité de la liquidation pour obtenir la parole, 
ce qui occasionne des réclamations fondées de la part des 
citoyens qui ont perdu leur état par la révolution. 

>» Le directeur général de la liquidation rendra compte de 
ses opérations au bureau de comptabilité , où elles seront revues 
par les vérificateurs, qui sont surveillés par des commissaires, 
et seront ensuite soumises à la vérification du corps législatif. 
La nation aura une garantie plus certaine , puisque la vérifi- 
cation sera faite par des agens responsables , au lieu que dans 
ce moment le directeur général de la liquidation rend compte 
de ses opérations au comité de liquidation : ces rapports étant 
surchargés de pièces qui absorbent tout le temps ou rappor- 
teur qui les vérifie , le comité et l'assemblée se reposent sur sa 
loyauté par l'impossibilité qu'il y a de tout vérifier. 

>» D'ailleurs le directeur général de la liquidation est déjà 
chargé de liquider , sous sa re>ponsabilité , la dette constituée 
du clergé et des ex-états provinciaux; il n'est soumis au rap- 
port préalable du comité de liquidation que pour la dette 
constituée des corps et compagnies supprimés; ainsi ce n'est 
qu'une augmentation d'attribution que nous lui déléguons. 



M Enfin nous vous proposons de mettre à la disposition du 
directeur général de la liquidation les fonds et le local néces- 
saires pour augmenter ses bureaux, et nous le chargeons de 
rendre compte à la Convention^ à Tépoque du i^'* janvier 
prochain, de Tétat de ses travaux, des objets qu'il aura entiè- 
rement liquidés , de ceux restant à liquider , du nombre des 
employés qu'il aura pour lors à supprimer. Nous espérons . 
qu'en lui fournissant tous les moyens qu'il a demandés il ne 
négligera rien pour qu'à celte époque la nation puisse entrevoir 
la tin de l'opération qui lui est confiée ; dans tous les cas le 
corps législatif jugera sa conduite. 

u Yoici le projet de décret que je suis chargé de vous pré- 
senter ; lundi pi^ochaia le citoyen Ramel vous présentera le 
projet de loi relative à l'emprunt forcé. Votre commission 
vous observe que cette loi, faisant le complément de notre 
projet , ne peut éprouver aucun retard ; nous espérons pouvoir 
vous soumettre dans quinzaine un travail complet sur les 
rentes viagères et les pensions , pour lesquelles il faudra aussi 
établir un ordre de comptabilité qui soit simple et clair. » 

Le projet de loi présenté par Cambon à la suite de ce 
rapport fut adopté dans les séances des i5, 16, 17 et 24 
août 1793' 



COMMERCE. 



IVapport sur VActe de Navigation , fait par Barrère au nom 
du iiomité de salut public. — Séance du 21 sep--' 
timbre 1 793. 1 % 

« Citoyens, c'est le 21 septembre 1792 que la Conveotioit 
a proclamé la liberté de la France , ou plutôt la liberté de 
rÊuTope. 

» C'est à pareil jour , le 21 septembre 1793, que la Coor^ 
vention doit proclamer la liberté du commerce , ou plutôt la 
liberté des mers. 

» Ce n'est pas assez pour vous d'avoir fondé la République 
politique ; il vous reste à fonder la République commerciale. 
L'acte de navigation anglaise fut fait au milieu d'une révolu- 
tion monarchique; il a le caractère du despote qui le créa. 
L'acte de navigation française sera décrété au milieu d'une 
révolution démocratique ; il aura le caractère de la libeifté et 
dei'égalité, qui l'ont produit. 

M Si la nation française avait voulu «e donner un acte d^ 



( 4oo ) 

navigation, ou détruire le.traité de commerce de 1787^ l'An- 
gleterre lui aurait déclaré une guerre terrible. 

» L'Angleterre s'est mise à la tête d'une coalition de tyrans 
pour détruire notre liberté ; et aussitôt la France a acquis le 
droit de soutenir , avec ses canons et ses baïonnettes , la des- 
truction du traité de commerce et l'établissement d'un acte de 
navigation. 

» Ces avantages sont les premiers fruits de cette guerre : la 
liberté affermie , la République florissante et le commerce 
ranimé en seront le complément. 

M Le traité de commerce est détruit par un décret. Une 
muraille énorme s'élève aujourd'hui dans la Manche entre la 
France et la Grande-Bretagne; il ne reste plus qu'à abattre 
les intermédiaires élevés par l'Angleterre entre la France et les 
autres puissances. 

» Voici nos moyens. 

» Depuis un siècle et demi un acte de navigation , qui porte 
l'empreinte de l'âme de l'usurpateur Cromwel , établit et assure 
la tyrannie maritime et la prospérité commerciale de l'An- 
gleterre. 

» Depuis un siècle et demi le fameux acte de navigation 
britannique, fondé sur l'oubli des droits et des intérêts des 
nations, offre une suite de lois injurieuses et attentatoires aux 
propriétés de tous les peuples. 

» Les publicistes de l'Europe l'avaient proclamée cette vérité ; 
les politiques de France ne la soupçonnaient pas ; l'Assemblée 
constituante , plus occupée de détruire que de créer , ne pensa 
ni à la République française ni à la liberté des mers : une 
ridicule anglomanie , un ruineux et avilissant traité de com- 
merce , acheté aux ministres de Capet , nous subjuguaient. 
La diplomatie du cabinet de Londres à notre égard était lout 
entière dans les ateliers des manufactures et dans les comptoirs 
des marchands : des commis des douanes, des ouvriers de 
métallurgie , des manipulateurs de denrées coloniales, des voi- 
turiers des étoffes de l'Inde , voilà nos maîtres réels. 

» Le cabotage , cette école active de nos marins , cette 
seconde base de notre navigation , cette source des richesses 
hollandaises , loin d'être interdit à l'étranger , comime en 
Angleterre, était fait par l'étranger. 




qui intéresse l'agriculteur 

comme l'homme de mer, le riche comme le pauvre ; la navigation 

des colonies, qui vivifie nos ports de mer et qui donne du mouve- 



( 4«0 

ment k tons les ouvrages d'industrie , est partagée par l'étran- 
ger; €t nous étions tranquilles spectateurs ! 

p La marine nationale , qui naît de la construction et de la 
pêclie , s'est vue détruite par le décret qui a regardé comme 
marchandise les navires étrangers, et qui a permis d'en ache- 
ter; e'ie s'est vue détruite par la pèche , découragée parmi 
nous, affaiblie par le défaut de secours, de primes, et des 
moyens qui peuvent tripler nos arme mens pour la pêche et en 
faire une sorte d'agriculture secondaire , que plus de trois 
cents navires peuvent seconder chaque année, et remplacer les 
trois millions de poisson âalé que la fraude ou la navigation 
étrangère introduisent annuellement en France. 

» Enfin l'étranger , l'Anglais surtout, s'est emparé de notre 
navigation avec des capitaux connus sous le nom de francisa^ 
tions simulées (opérations qui con.^istent à couvrir du pavillon 
français et à enrichir des primes françaises les capitaux et les 
fortunes anglaises), parce que nous avons négMgé d'établir 
nous-mêmes la loi anglaise , qui ne reconnaît et n'admet aux 
avantages de la navigation que les vaisseaux de construction 
et de propriété nationale. * 

» Frappons enfin les francisations simulées! Nous avons mis 
un embargo sur les bâti mens anglais trouvés dans nos ports 
au moment de la guerre : voici uu nouvel embargo plus juste, 
et plus utile à la prospérité française ; il est le complément de 
l'acte de navigation; c'est de saisir et de coufîsquer au profit 
de la République tous les vaisseaux qui appartiennent aux 
Anglais sous pavillon français , c'est à dire ceux qui sont 
achetés et construits avec des capitaux anglais, et recouverts, 
pour nous frauder nos primes et nos droits , du nom d'un négo- 
ciant , d'un armateur français. 

» Nos corsaires sont destinés à attaquer le pavillon anglais 
sur les mers, et cept^ndant notre avarice prête le pavillon fran- 
çais à la navigation et au commerce de l'Angleterre. 

» LeMespotisme lui— même avait senti cette atteinte portée 
k notre commerce maritime ; il l'avait proscrit à plusieurs 
époques ; mais ses lois nombreuses étaient inexécutées, parce 
qu'il n'y avait aucun attrait à la dénonci ition de ces simula- 
tions de capitaux. Il s'agit de donner au dénonciateur une 
partie de la valeur des capitaux étrangers versés dans les fran- 
cisations simulées pour obtenir le succès de cette mesure , et 
faire exécuter nos lois prouibitives à ce sujet. On a opposé à 
cette mesure qi^'elle était immorale..*. Non , il n'y a pas d-'im- 
moralité à ruiner ceux qui nous atfament , ceux qui nous rui- 
nent, ceux qui veulent nous ravir la liberté, et dévorer les 
fruits de notre belle révolution, 

xiii. aô 



( 4o2 ) 

» L'Assemblée constituante légua à la première législature 
un projet trop lotig d'acte de navigation ; ce legs ne put pas - 
être recueilli par una Assemblée législative plus occupée 
d'abattre le trône de la famille Capet que d'attaquer le 
sceptre de la famille d'Hanovre : mais le tour de cette dernière 
est venu. 

» Nous sommes enfin parvenus à pouvoir proclamer la. 
liberté des mers , après avoir proclamé celle des hommes et 
des terres. 

» Déjà le 59 mai dernier dans son rapport le comité de 
salut public vous présenta la nécessité de publier un acte de 
navigation française, comme un moyen de régénérer notre 
navigation , de raviver notre commerce , de favoriser la cons- 
truction , d'augmenter la pécbe , de doubler notre cabotage en 
abattant le cabotage intermédiaire , et de détruire l'entrenuse 
de toute navigation indirecte dans les transports maritimes de 
nos échanges avec les peuples étrangers. 

» Cette proposition fut vivement applaudie. Vous sentîtes 
alors qu'après avoir fait la constitution politique, et après avoir 
préparé la constitution morale par Téducation publique , vous 
deviez encore faire la constitution maritime et commerciale 
par l'acte de navigation. 

» Le comité de commerce et de marine vous en a présenté un 
projet par l'organe du citoyen Marec le 3 juillet dernier; il 
tut à peine discuté : un ajournement fut le produit de deux 
discours basés sur des objections dont les auteurs ont eux- 
mêmes senti la frivolité. On craignit à cette époque que l'acte 
de navigation nuisît aux relations commerciales avec les puis- 
sances neutres, comme si les temps de guerre et de neutralité 
n'étaient pas une exception inévitable et de droit; comme si 
la Suède n'avait pas , dans les réglemens des douanes , une sorte 
d'acte de navigation par son tarif des droits sur les marchan- 
dises importées en Suède par bàtimens étrangers; conime si 
l'acte de navigation française n'était pas une nouvelle armée 
commerciale opposée à l'armée commerciale de l'Angleterre , 
au profit des autres peuples navigateurs ; enfin comme si tous 
les autres gouvememens, toutes les nations, n'étaient pas 
fortement intéressés à l'abattement de l'acte de navigation 
anglaise, et à la reprise des droits naturels de commerce et de 
navigation par chaque peuple de. l'Europe î Proclamons donc 
aujourd'hui une loi conservatrice des droits égaux qu'ont sur 
les mers les nations avec lesquelles nous sommes en paix. 

» Américains , Suédois, Danois , Génois , Vénitiens, vous 
tous qui avez eu la sage et utile fermeté de ne pas céder aux 
insinuations perfides et aux insolentes menaces des Anglais et 



(4o3) 

de nos autres ennemis ; vous qui n'avez pas voulu interrompre 
vos relations commerciales avec un peuple libre, recevez cet 
acte solennel dç la reconnaissance française. Nos ennemis de 
la Grande-Bretagne et des marais de la Hollande ne seront 
plus les agens , ou plutôt les maîtres de notre commerce avec' 
vous : voici le décret tant désiré de l'exclusion des navigateurs 
intermédiaires. Cet acte solennel de navigation va être publié 
dans tous les ports de France , et envojé aux puissances amies 
ou neutres ; et cet acte de l'indépendance commerciale , pro- 
noncée par les républicains français , ne sera révoqué ou 
détruit par nos ennemis qu'après avoir abattu le pavillon tri- 
color Qottant au dessus de celte encemte, sur la sommité du 
palais national I C'est dire assez quelle sera la durée de l'acte 
de navigation. 

» Avant que de vous présenter le tableau rapide des avan- 
tages immenses de l'acte de navigation et de son influence sur 
la prospérité nationale, j'aurais pu vous montrer le coup ter- 
rible qu'il doit porter à Tempire maritime usurpé par TAngle- 
, tçrre ; le coup plus terrible encore qu'il doit frapper sur son 
industrie, sur son commerce , sur sa navigation , sur ses fabri- 
ques , sur ses manufactures , en même temps qu'il éveillera les 
autres peuples , qu'il appellera les autres gouvernemens à se 
ressaisir de leurs avantages, et à reprendre sur l'élément des 
tempêtes et du commerce les droits imprescriptibles que le 
génie , la boussole , et leur situation topographique leur ont 
assignés. 

» Législateurs , ce n'est pas ici une représaille , ce n'est pas 
ici une mesure hostile , ce n'est pas un exercice du droit de 
guerre que je propose ; c'est une déclaration dés droits des 
nations , c'est la restitution d'un domaine donné par la nature, 
usurpé par des insulaire^ ambitieux. 

• » Sans doute s'il fallait des motifs et des considérations 
nationales pour foudroyer ces usurpateur^ des mers , pour 
punir ces boutiquiers de l'Europe , pour ruiner ces accapa- 
reurs des subsistances, et pour flétrir ces marchands de rois et 
de constitutions royales , il nous suffirait de présenter à la 
France libre le hideux tableau des crimes du cabinet britan- 
nique ; ils sont connus : les voici. 

w Qui a voulu détruire la navigation neutre, qui fut toujours 
respectée par le gouvernement français? 

» Qui a envoyé des ambassadeurs à Gênes , à Venise , à 
Naples , pour demander , pour commander la guerre contre la 
France , pour arrêter toute communication avec elle ? 

» Qui a insulté , visité le pavillon des nations amies , pour 



( 4o4 ) 

enlever les subsistances apportées à un peuple qu'on veut affa- 
mer pour l'asservir? C'est le gouvernement anglais. 

M Qui a travaillé à accaparer autour de nous toutes les subsis- 
tances de l'Amérique , de l'Inde et de l'Europe , pour traiter 
les Français comme en 1783 lord Clives traita les Indiens pour 
les soumettre à la plus absurde tyrannie ? 

» Qui a eu la bassesse de nous présenter du pain avec des 
fers y des subsistances avec uu roi , de quoi vivre avec une cons- 
titution dévorante? C'est le gouvernement britannique. 

il Qui a sans cesse rôdé , comme des brigands , autour de nos 
ports y pour y présenter des grains aux esclaves qui accepte- 
raient la honteuse condition d'avoir un roi , et s'aviliraient en- 
core jusqu'à recevoir un roi anglais ou hanovrien? 

M Qui a osé attaquer Dunkerque avec toutes les inventions 
de la guerre les plus destructives , pour nous rappeler le com- 
missaire anglais qui nous défendait sous la lâche monarchie 
d'y élever pierre sur pierre , et pour poser un pied usurpatenr 
sur le continent d'Europe? 

» Qui a essayé de seitier la division parmi les Fr^^çais, 
parmi les patriotes mêmes , avec un froid et exécrable calcnl , 
en semant l'or et la corruption par des commissaires masqués 
de patriotisme? 

» Qui a disséminé dans nos cités , même dans nos sociétés 
populaires, ces corrupteurs politiques, ou plutôt ces agens 
infâmes d'un ministère anglais plus infâme encore ? Le gouver- 
nement britannique. ' - 

» Qui a ouvert au sein de la République une plaie dévorante , 
une Vendée , une guerre civile alimentée par des agens secrets 
qui en calculaient au milieu de nos départemens les dépenses , 
les moyens et les progrès? 

» Qui a vomi sur notre territoire des brigands , des prêtres 
réfractaires et des traîtres émigrés ? Qui a acheté au prix de l'or 
une partie de nos garnisons , corrompu les citoyens et les géné> 
raux ? Qui a jeté , avec àes assignats et des intrigues , dans 
nos quinze bataillons de la seconde levée de Paris , cette tourbe 
• de Piémontais, d'Allemands, de Génois, de Napolitains , cette 
écume des pays étrangers , pour trahir nos frères armes , et 
flétrir s'ils l'avaient pu le nom parisien , le premier qui ait été 
écrit par la liberté dans les fastes de la révolution? Qui a pro- 
«ligué AUX scélérats de la Yendée des fusils , des poudres , des 
canons sur lesquels sont écrits les noms de ces tyrans mercan- 
tiles de l'Europe ? Le gouvernement britannique. 

M Qui a acheté et séduit les gardiens d'un port de la Répu- 
blique y et fanatisé le peuple de Toulon , pour anéantir notre 



( 4o5 > 

marine et perdre les habitans de cette belle cité ? Qui a inondé 
de ces flots d'or corrupteur une ville opulente et industrieuse, 
qu'ils ont faite rebelle pour nous forcer à anéantir nous- 
mêmes le théâtre des arts et des plus belles manufactures dé 
l'Europe , pour s'emparer ensuite du commerce des soies du 
Piémont, anéantir notre industrie, appeler nos ouvriers, et 
nous voler jusqu'à notre génie pour les arts manufacturiers 
dont l'Europe était devenue tributaire ? 

>» Qui a trahi les intérêts de sa propre nation pour s'armer 
contre un peuple qui se faisait gloire de l'estimer et de s'allier 
plus intimement avec lui? Ce crime était réservé au gouverne- 
ment anglais. 

H Citovens , la haine des rois et de Garthage fonda la cons- 
titution de la république romaine : la haine des rois , dès 
émigrés ,. des nobles et des Anglais, doit consolider la Consti- 
tution française. 

>* Qu'au spectacle de tant de crimes l'Europe se réveille ; 
^e les gouvernemens esclaves de l'Angleterre cessent de som- 
meiller , et qu'ils aperçoivent enfin à côté d'eux le précipice 
ouvert par ce gouvernement corrupteur cl corrompu , qui 
achète et tarife les hommes , les cités et les ports comme l'on 
commerce de vils troupeaux ; qui agiote les peuples comme les 
financiers de la rue Yivienne agiotent les papiers ; qui se joue 
des gouvernemens comme le négrier se }oue des habitans de la 
Guinée , et qui voudrait négocier sur les constitutions poli- 
tiques de l'Europe comme il négocie sur les marchandises ex- 
torquées de l'Inde ! 

» Que les nations du nord surtout entendent la voix de la 
Convention nationale de France : voici le secret des Anglais. 

» Anéantir toutes les puissances maritimes les unes par les 
autres ;. la marine française par l'espagnole , et ensuite la ma- 
rine espagnole lorsqu'elle sera isolée de la marine française : la. 
Hollande est à eux; c'est l'esclave de l'Angleterre. Quanta la ma- 
rine du nord , il faut que les navires du commerce des nations 
septentrionales , depuis la Hollande jusqu'à la Russie , passent 
par le canal étroit qui est entre Dunkerque et les côtes d'An- 
leterre , et par conséquent il importe à l'Angleterre d'avoir 
es ports des deux côtés de ce détroit. L'audace atroce avec 
laquelle elle a saisi des navires des puissances du nord doit dé- 
montrer à toutes les nations combien ses desseins augmentent 
leurs dangers et menacent la sûreté de leur commerce pour le 
présent et pour l'avenir. 

u Français , Européens , puissances neutres, nations septen- 
trionales, vous avez tous le même intérêt que nous au salut de 
la Frd'nce : Carthage tourmenta l'Italie ; Londres tourmente 



f 



l'Europe ; c'est une loupe placée à coté du continent pour le 
dévorer ; c'est une excroissauce politique que la' liberté s'est 
chargée de détruire. 

» L*acte de i avigation que nous vous proposons en est le 
moyen assuré et légitime ; il repose sur les droits de chaque 
nation ; il repost? sur votre intérêt le plus évident , le plus 
incontestable ; il repose sur le devoir le plus impérieux de la 
Convention nationale , celui de fonder la prospérité de la 
France et de détruire les plus mortels ennemis de la Répu- 
blique. 

» Parcourons donc rapidement les avantages qui sollicitent 
la promulgation de l'acte de navigation. 

M Agrandir notre système commercial , repousser moins 
l'industrie de l'Anglais que lui substituer la notre, multiplier 
nos moyens de navigation , créer une étonnante marine , et 
dire à chaque peuple qij'il doit communiquer directement avec 
la France , ce n'est là que présenter une vue générale ; je passe 
aux avantages plus directs. 

n Depuis io5i y. que l'acte de navigation anglaise est passé , 
tous les commerçans , tous les politiques , tous les économistes 
anglais, Schild, Chessield , Smith lui-même , conviennent que 
c'est à cet acte que l'Angleterre doit la prospérité , la supério- 
rité de sa marine : cette opinion a été décalquée plusieurs fois 
en France par le citoyen Ducher, qui nous a présenté ses vues 
sur cet objet important. L'exemple est donné , l'expérience est 
faite , et la nature vous offre , avec une population immense , 
avec une armée de matelots intrépides , avec des capitaux 
énormes, avec^de belles forêts, avec des relations assurées dans 
le nord , avec vos mines de fer , avec vos bois de Corse , avec 
vos ports nombreux , avec vos colonies , avec vos manufactures, 
deux cents lieues de côtes àpeupler de vaisseaux, et les deux mers 
à parcourir : voilà l'acte de navigation décrété par la nature ; 
c'est à vous à décréter l'acte de navigation réclamé par la poli- 
tique et le commerce. 

» Premier avantage. La France doit défavoriser tout com- 
merce de seconde miain et fait par d'autres vaiss eaux que let 
siens. 

» C'est un commerce direct qu'il nous faut , et c'est ce genre 
de commerce que l'Angleterre doit à son acte de navigation. 

» Ce serait humilier la France , ce serait la déclarer impoli- 
tique et impuissante que de recevoir des objets de commerce 
de tout autre navire que de l'étranger qui les crée ou les pro- 
duit : c'est ainsi que vous l'attirez dans vos ports , et que vous 
formez les liaisons utiles de peuple à peuple. Je ne veux citer 
qu'un exemple bien simple. Pourquoi y a-t-il dans les ports de 



( 4°: ) 

Londres, de Plimouth , de Liverpoll , plus de vaisseaux amc-- 
ricains que dans les ports de France ? C'est que nous ne tirons 
pas par nos propres navires , ou par navires des Etats - Unis 
de l'Amérique , les riz , les tabacs , les potasses , les huiles et 
autres denrées de leur cru. Pourquoi y a— t-il sur la Tamise 
plus de vaisseaux américains chargés de grains et de farines que 
dans nos ports de l'Océan ? C'est que Necker et Roland ache- 
taient de la seconde main , et semblaient chargés de soutenir le 
système commercial del'Anglais, au lieu d'acheter directement 
/des Etats-Unis d'Amérique. 

» Nous avons laissé aux Anglais le soin d'aller chercher ou 
/ de recevoir pour nous les tabacs de Virginie , et les riz de la 
Caroline, et les grains de la Pensilvanie ; premier bénéfice : les 
Anglais les paient en objets de leurs manufactures ; second 
bénéfice : nous , Français , nous achetons ces tabacs et ces riz 
de la main des Anglais en numéraire ou à un prix énorme en 
assignats qu'ils agiotent sur nous-mêmes ; troisième bénéfice. 
Une navigation directe, commandée par l'acte de navigation, 
vous rendra tous ces avantages et tous ces droits. 

>» Ce n'est pas assez d'acheter de la seconde main , nous ne 
voiturons pas même nos marchandises. La marine marchande 
des Anglais était à notre solde; c'est nous qui la stipen- 
dions. Un acte de navigation détruira cet abus , et nous resti- 
tuera ces profits , impolitiquement prodigués à l'Anglais ou au 
Hollandais. 

» Sommes -nous donc sans matelots et sans marine, ou 
plutôt nos matelots , nos armateurs n'ont-ils pas le droit de 
nous reprocher leur misère et d'obtenir la préférence sur les 
perfides étrangers ? Conservoo« à nos marins leurs travaux ; 
que l'habitant d'Amsterdam ne pêche et ne navigue plus pour 
nous ; que l'Anglais ne file plus pour notre usage et ses laines 
et les cotons qu'il achète même dans nos ports. 

» Que l'étranger ne nous apporte plus ce que nos concitoyens 
peuvent fabriquer et transporter aussi bien et mieux que lui : 
c'est alors que vous aurez des ateliers nombreux , des manu- 
factures perfectionnées , des ports peuplés de vaisseaux et de 
marins. Prohibons nps frontières^ et prodiguons notre navi^ 
galion j voilà toute la théorie de l'acte proposé. 

M Que les fausses alarmes cessent en considérant que notre 
navigation doit suffire toujours quand elle sera jointe à celle des 
états dont nous tirons les productions : si nos navires et ceux 
des Américains peuvent nous apporter les tabacs de notre cou- 
sommation, pourquoi souffrir que les Anglais viennent en tiers 
dans les transports ? Si nos vaisseaux et ceux de l'Espagnol suf- 
fisent pour voiturer ses laines, pourquoi un Hollandais viendrait- 



( 4o8 ) 

il s'occuper de ce transport pour nous rencire son tributaire? 
Et quand niémr dans les premiers momens notre navigation ne 
suffirait pas, Tacle proposé va exciter celle des peuples, qui 
viendr^'itt directement à nous, et nous chercherons à nous suffire 
è nous-mêmes en augmentant les-])rogrës de Ja construction. Ce 
n'est d'ailleurs qu'à la faveur de cet acte important que notre 
marine va s'élever au degré de richesse et d'activité que les des- 
tinées de la France lui commandent. 

M Dt uxième avantage. Ici la Constitution nationale vous 
présente toutes les richesses qu'elle doit nous assurer. Nesommes- 
nous pas encore fatigués d'être les tributaires d'une industrie 
étrangère , d'être honteusement les locataires des navires de 
nos atroces et laborieux voisins? Ne nous las serons -nous jamais 
de soudoyer leurs malelots, de voir nos plus cruels ennemis 
sillonner à nos propres frais l'Océan , et nous rendre esclaves 
du luxe et des hochets que leur industrieuse avarice fait fabri- 
quer sans cesse pour la France ? 

» Vous voulez une marine , car sans marine point de colonies, 
et sans colonies point de prospérité commerciale: hé bien , pour 
avoir une marine telle qu'il la faut à la plus étonnante Répu- 
blique qui ait jamais existé, il faut des vaisseaux ;\\ y a plus, 
iljaut les construire ; il y a plus encore , iljaut desmatelots^ 
et la pêche les donne. Voilà le berct^au de la marine , pèche et 
construction : les Ang'ais l'ont senti il y a cent cinquante ans, 
et ta marine anglaise est la plus brillante. 

» Forcer à la construction c'est créer cette rare et précieuse 
réunion d'hommes et d'ouvriei^s des mains desquels sortent des 
vaisseaux neufs ou réparés. 

» Forcer à la construction c'est établir des chantiers , c'est 
former des magasins , c'est multiplier les bras utiles, c'est pro- 
duire des artistes et des ouvriers de tout genre , qu'on retrouve 
tout à coup et pour les spéculations paisibles du commerce, et 
pour les besoins terribles de la guerre. 

» Forcer les nationaux à la construction c'est augmenter la 
navigation , par la nécessité d'aller chercher les bois , les 
chanvres et les matières nécessaires , ou dans diverses parties 
de la France, ou dans l'étranger; c'est nécessiter plus de navires 
de transport; c'est augmenter le nombre des matelots; c'est 
augmenter parmi nous le bénéfice du fret ; c'est centupler nos 
échanges, nos relations commerciales et nos profits; c'est pro- 
diguer le pavillon tricolor sur toutes les mers. 

» Ce serait une étrange spéculation que celle d'un peuple 
navigateur qui achèterait au dehors sa marine , et dont la marine 
dépendrait sans cesse de marchands qui Fa lui fourniraient I Ce 
serait un étrange combinaison commerciale que celle qui 



( 4^9 ) 

mettrait en réserve chez un autre peuple, ou dans des 
chantiers étranger, ses charpentiers, ses forgerons, ses calfats ^ 
ses \*oiliers, ses vaisseaux! Il faut donc les construire nous- 
mêmes ; l'acte de navigation ne reconnaît et ne privilégie que 
ce- qui est construit en France ou dans ses possessions. L'acte 
de navigation relèvera donc notre marine, et ne la laissera plus 
dans Ja dépendance de l'étranger. En 174? les Hollandais , 
chargés de l'approvisionnement delà marine militaire de France, 
firent venir dans leurs ports tous les bâtimens chargés des muni- 
tions navales de la Baltique et du nord , qu'ils étaient convenus 
avec le ministère français de nous apporter ; la guerre survint , 
et aussitôt les Hollandaisfirent venir dans leurs ports les matières 
premières nécessaires à notre marine , et nos ports furent sans 
vaisseaux. Voulez-vous donc toujours dépendre de l'étranger , 
de ses spéculations avares et politiques ? 

»» Acheter un vaisseau étranger c'est payer un impôt énorme 
à l'étranger ; c'est proscrire nos chantiers , c'est ruiner nos 
ouvriers. Achetons les matières premières ; que nos "ports leur 
soient ouverts ; que les producteurs de ces matières les appor- 
tent, ou que nous allions les chercher, c'est assurer nos 
richesses navales en tout genre : voilà ce que produit un acte 
de navigation. 

» Acheter un vaisseau étranger c'est s'exposer à avoir une 
mauvaise marine , peu solide , mal construite, et de matières 
douteuses ou peu durables : c'est là îe fruit de l'expérience, 
attesté par nos marins. Fabriquer notre marine c'est la créer en 
maître intéressé à sa durée : voilà ce que produit un acte de 
navigation. 

» Faire nous-mêmes notre cabotage c'est concentrer parmi 
nous les bénéfices, c'est employer des voitures nationales , c'est 
forcer à la construction , c'est former des matelots : voilà le 
produit de l'acte de navigation. 

» Rendre plus florissante la seule marine utile , celle qui 
mérite le plus l'attentiott^d'une République, et qui fait sa force 
réelle , la marine de cabotage , qui porte sans bruit la nourri- 
ture et la vie d'une côte à l'autre , et qui , modeste comme la 
bienfaisance, n'expose pas la vie des hommes qu'elle emploie, 
et ne connaît d'autres ennemis que la rapacité financière que 
vous avez détruite ; favoriser le cabotage , voilà le produit de 
l'acte de navigation. 

» Faire nous-mêmes la navigation des colonies c'est profiter 
de l'abolition des douanes, c'est augmenter les ressourcesdela ma- 
rine, c'est nous conserver une navigation importante, c'est nous 
assurer des retours précieux qui doivent alimenter notre com- 
merce avec l'étranger : voilà le produit de l'acte de navigation.. 



(4ift) 

» Faire un acte de navigation c'est favoriser notre commerce 
de l'Iode , c'est augmenter celui du nord , ranimer celui de 
J'IIe de France , augmenter nos relations avec les états de 
l'Amérique , préparer des moyens de prospérité au midi de la 
France , partie de la République si déchirée , si malheureuse f 
si déshonorée par le royalisme et par des trahisons inouïes 
dans l'histoire des Français ; c'est nous rattacher au commerce 
de la Baltique , nous rapprocher de nos amis naturels; c'est 
former les plus robustes et les meilleurs marins; c'est appauvrir 
la navigation de l'Anglais et du Hollandais ; c'est reprendre nos 
droits , c'est nous faire une part légitime dans le domaine des 
mers , comme à tous les peuples ; c'est abattre les digues que 
Londres et Amsterdam y ont posées ; c'est faire nous-mêmes 
nos ]jropres approvisionnemens ; c'est réduire nos ennemis 
ct*uels à n'être plus privilégiés sur la mer , à n'être plus les 
voiti:riers et les rouliers de la République française. Chaque 
vaibseau que l'acte de navigation va produire mettra le feu à 
uu vaisf^eau de Londres ou d'Amsterdam: quelle escadre , quelle 
victoire navale peut valoir un tel genre de succès I £t si Tou- 
lon pouvait être quelque temps au ppuvoir des brigands de 
Londres et de Madrid , si notre destinée est de voir notre belle 
escadre de la Méditerranée , achetée par l'or de l'Anglais , 
perdue ou anéantie poiir nous , dans cinq ans l'acte de navi— 
gation com])en<iera certe perte. Voulez-vous avoir une idée de 
l'intérêt que l'Angleterre met à son acte de navigation ? Appre- 
nez qu'elle aimerait mieux perdre la Jamaïque que de révo- 
quer son acte de navigation. 

» Qu'avez-vous donc à ménager avec les auteurs secrets de 
l'impie traité de Pilnitz ? Qu'avez-vous à ménager avec les 
corrupteurs de vos concitoyens , les destructeurs de Lyon, 
les persécuteurs deDuukerque , les acheteurs de Toulon , les 
fondateurs pervers du nouveau machiavélisme anglican ? 
Qu'avez-vous à ménager avec les ennemis du genre humain et 
de ses di 
cela ne 




sur nos vaissaux nous en mterdit a }amais 
de la Tamise n'est avare , n'est dévorante que pour nous ; les 
droits de feux absorbent une portion du fret de nos vaisseaux. 
En Hollande leur parcimonie , leur économie stricte, et le bas 
prix de l'intérêt de leur argent les mit à même de faire une 
navigation moins dispendieuse ; nous ne pouvons rivaliser en 
marine avec eux , ni chez nous ni chez l'étranger , que par un 
acte de navigation. 

« Qui peut désormais arrêter les destinées du- commerce 
et de la marine française ? La marine a eu des échecs ; il 



( 4" ) 

faut les réparer : elle a eu des préjugés d'orgueil et de distinc- 
tion ; il faut !a délivrer de ces entraves : elle est coiumandce 
encore par des hommes d'une caste justement proscrite ; il 
faut la délivrer de ces fléaux de la liberté des nations ; il faut 
renvoyer aussi tous les oiiiciers suspects qu'elle a encore dans 
son sein. 

» Le commerce a eu des erreurs et des crimes à réparer ; 
il s'est fait contre-révolutionnaire et fédéraliste par intérêt , 
par ignorance ou par égoïsme ; il s'est fait contre-révolution- 
naire et fédéraliste parce qu'il est dénué de vues politiques, 
et qu'il voit rarement dans l'avenir ; parce que la révolution , 
qu'il a pressurée, agiotée, calculée, ne produisait plus dans 
cette époque autant de bénéfices qu'il en avait recueillis dans 
les premiers temps. Mais te commerce verra enfin que son 
cosmopolisme doit cesser , qu'il a aussi sa cargaison sur le 
Vaisseau de la République , que la liberté ne se calcule pas à 
cinq pour cent, et que le g^mveruement démocratique fut 
toujours plus favorable que le monarchique à la prospérité du 
commerce , au bouheur des commerça ns et à l'égalité de tous , 
qu'ils n'aiment jusqu'à présent que pour eux. Le commerce 
sentira que les monarchies furent toujours avares, insolentes, 
orgueilleuses et militaires , et que les véritables républiques 
sont généreuses , égales , simples et commerçantes. 

>» Opposerait-on. nos traités de commerce avec les autres 
nations amies de la République , ou se conduisant avec neu- 
tralité ? Le premier artic'e du projet d'acte maintient religieu- 
sement tous les traités; d'ailleurs aucun des traités ne s'oj)pose 
à l'acte de navigation ; et l'article premier n'a été inséré que 
pour faire cesser les objections des malveillans et de l'ignorance 
en économie politique. D'ailleurs les lois qui reposent sur la 
foi des nations seront toujours scrupuleusement respectées par 
la République française , et nous ne cherchons par l'acte de 
navigation qu'à resserrer les nœuds de peuple à peuple , (ju'à 
rendre directes des relations commerciales que les avides 
Anglais et Hollandais ont interrompues pour s'en emparer. 

» Quel obstacle nous reste- t-il à vî^incre ? Le tyran de la 
mer ? Mais il a déployé contre noiis toutes ses forces , et 
l'Anglais a lâchement fui â l'approche des baïonnettes fran- 
çaises à Dunkerque I Serait-ce le corrupteur de Toulon ? Mais 
la conquête que fait le crimfe ou la trahison n'est pas de longue 
durée j la flotte anglaise aurait été repoussée si le fanatisme 
des prêtres , la crédulité du peuple , le^ flots d'or britannique, 
et le crime de Puissand et deïrogolff", n'eussent livré au lâche 
et vil Anglais la clef de la Méditerranée, 

» Il y a quelques années que l'on aurait dit que le sang 



/ 



(4") 

anglais et ses richesses n'auraient été employées que pour le» 
progrès de la philosophie et de la liberté ;] mais il était diffi* 
cile que ce gouvernement , qui a payé par là perte des mœurs 
le dangereux avantage d'être l'entrepôt de For du monde , ne 
se livrât à l'esprit mercantile et à tous les vices politiques que 
prodiguent les richesses : n'a-t-il donc pas vu qu'il y a un 
terme à Taveuglement des peuples; que le gouvernement 
anglais ne jouit , au milieu des fortunes énormes des parti-» 
culiers , que d'une richesse publique idéale qu'un instant 
peut faire évanouir; qu'il ne ]ouit que d'un crédit factice et 
momentané , et d'un papier sans hypothèque, qu'une motion 
de parti peut faire disparaître , et qui ne laissera , peut-être 
avant longtemps , à une nation marchande et spéculatrice ,- 
que les regrets , la corruption , des secousses révolutionnaires, 
et le despotisme, sans colonies et sans marine ? La coalition 
dirigée contre la France par les despotes complices de Geor- 
ges est composée de puissances territoriales et de puissances 
maritimes : quant aux puissances territoriales , qui n'ont pas 
le même intérêt que les autres , opposons-leur nos armées 
républicaines et la jeunesse française. Les puissances mari- 
times ont d'autres jj^rojets, et seront avant peu divisées par 
les résultats de leur monstrueuse réunion ; opposons-leur la 
loi de la Jiberté des mers; opposons le fer des piques à l'or 
des guinées, des baïonnettes à leurs phalanges, des canon- 
niers à leur cavalerie , et uu acte de navigation à un acte de 
navigation. Que les autres peuples nons imitent, que les autres 
peuples se ressaisissent de leurs droits naturels sur la mer , et 
alors l'Angleterre sera violemment détachée de ce trône mari- 
time qu'elle a trop longtemps usurpé. Le visir de Georges a 
osé dire il y a peu de jours , en dictant des lois aux nations 
neutres , et en osant restreindre les droits et les formes de 
leur neutralité : — La France , disait-il , doit être détachée du 
monde commercial , et traitée comme si elle n'avait qu'une 
§eule ville , qu'un seul port , et que cette place fat bloquée 
par terce et par mer. — 

» La France bloquée .'... Ainsi parlaient de Rome , avant 
leur juste destruction , ces hommes de la foi punique , les 
ambitieux et mercantiles Carthaginois. La France bloquée!.. - 
Ah! si elle pouvait jamais l'être comme un port, comme une 
ville de guerre , la nation française sortirait alors de ses limites 

Î>ar un pont de Calais à Douvres , et , se débordant avec sa 
iberté sur les terres britanniques, trop long temps fertilisées par 
nos dépouilles , les têtes de Georges et de Pitt tomberaient aux 
pieds des Anglais qui seraient dignes de la liberté, et l'ile 
anglaise élèverait à côté de nous une autre République, ou un 
désert! 



( 4i3 ) 

» Mais pour construire ce pont qui doit établir nos eommu* 
nications révolutionnaires avec cette Carthage moderne , qui , 
après avoir pressuré llnde, veut constitutionner à son gré 
l'Europe , décrétons un acte solennel de navigation , et Tile 
marchande sera ruinée. 

» On dit sans cesse que les Anglais sont les maîtres des 
mers ; mais les Espagnols étaient les dieux de TOcéan sous 
Philippe II , comme les Anglais en sont les tyrans sous 
Georges III. 

» Les Espagnols regorgeaient de l'or du Mexique et de l'ar- 
gent du Pérou , comme les Anglais sont couverts des richesses 
de l'Inde et des trésors du monde. 

» Alors on ne connaissait que le pavillon espagnol sur les 
mers , comme on ne voit que le pavillon anglais sur l'Océan. 
t( Cependant la flotte invincible de Philippe Fut vaincue, VAr^ 
mada si célèbre fut défaite , et les anciens rois de la mer et 
du Pérou ne sont plus que les bateliers de l'une et les ouvriers 
exploiteurs de l'autre. 

M Que les Français , si fortement occupés de la révolution , 
se reposent un instant pour en contempler la marche majes- 
tueuse et terrible , et alors ils auront la conscience de leur 
force , comme ils ont le sentiment de leurs droits ; qu'ils soient 
un instant spectateurs : que verront-ils? Le génie de la liberté 
créant au milieu des événemens les plus prodigieux un prodige 
plus grand encore , une démocratie de vingt-cinq millions 
•d'âmes ; une République de trente mille lieues carrées s'éta- 
blissant fièrement sur les débris d'un trône conspirateur, sur 
les ruines d'une noblesse aussi perfide qu'orgueilleuse , sur les 
domaines d'un clergé aussi opulent qu'inutile, sur des corps 
judiciaires aussi dévorans qu'impolitiques , sur la féodalité , 
aussi absurde qu'invétérée , sur des titres aussi ridicules que 
mensongers! Que verront-ils ? Un peuple libre fondant lui- 
même son gouvernement républicain, et l'établissant par cela 
seul qu'il le veut ; punissant à la fois les trahisons de ses rois , 
de ses législateurs, de ses généraux, de ses émigrés' et des 
ministres du culte ; forcé de faire la guerre civile dans le 
centre de l'Etat, en même temps qu'il en éteint les brandons , 
jetés de tous côtés par ses ennemis domestiques ; obligé de 
foudroyer ses villes rebelles et de punir la désertion de ses 
escadres ; nécessité à reconquérir à la liberté ses cités mari- 
times et commerciales , à dépeupler , à incendier des cam- 
pagnes fanatisées ou des pays royalisés pour y remettre une 
population républicaine ; incarcérant la partie esclave et sus- 

3»ectQ de la nation pour laisser la partie libre et énergique dé- 
cadré les foyers communs \ forcée d'approvisionner la ville 



(4«4) 

principale, le siège de ses représentans, comme on approvisionne 
une ville de guerre, par des rëquitiilions ; un peuple se débat- 
tant à la fois et contre l'Europe militaire , et contre les fran- 
çais fédéralistes , contre les administrations contre - révolu- 
tionn^res , et contre tous les tyrans coalisés , au milieu des 
apprêts de sièges , des bombardemens et des complots , qui 
tendent à ajouter la famine à tous les fléaux de la guerre ; 
couvrant en même temps toutes les frontières de canons , de 
soldats , et réalisant enfin ce mot de Pompée \ faire sortir de 
la terre des phalans^es armées en la frappant du pied l 

» £t c'e»t une telle nation que des marchands insulaires , 
trop longtemps tolérés à côté d'un continent qu'ils corrompent 
et qu'ils opprimant , ont espéré d'asservir ou de rojaliser ! 
Qu'ils tremblent dans le fond de leurs comptoirs ou de leurs 
ateliers, alors que les autres peuples de l'Europe, réveillés 
par le bruit même de leurs chaîues , verront enfin que TEurope 
sera entièrement libre au moment oii l'influence de l'Angleterre 
sera affaiblie ou anéantie , sa politique impuissante, son com- 
merce indien diminué , et son rôle réduit au métier de facteur 
et de commissionnaire maritime ! 

» Et vous , villes commerçantes et maritimes , villes rebelles 
qui avez fait éclipser la renommée du génie méridional , la 
liberté vous cite devant le tribunal révolutionnaire de l'opinion 
publique î Vous avez menti à votre vocation commerciale , et 
les représentans du peuple ne s'occupent que de vous enrichir 
ou de réparer les maux que vous nous faites ; vous avez été les 
ennemis de la République , et la République vous répond par 
des bienfaits, par un acte de navigation qui réparera vos 
erreurs et vos crimes , en attendant qu'un décret déjà projeté 
vienne ouvrir dans tous les départemens des canaux pour la 
navigation intérieure , et proscrire tous les hochets , tous les 
misérables besoins de luxe , toutes les marchandises manufac- 
turées par nos ennemis irréconciliables , les Anglais I Ayons 
assez de force d'esprit , assez de patriotisme pour devenir nous- 
mêmes par nos propres consommations les premiers bienfaiteurs 
des manufactures nationales ; multiplions , perfectionnons nos 
fabriques , de manière à rendre les besoins des autres peuples 
nos tributaires ; multiplions-les pour diminuer celles du Batave 
et du Breton. Tel doit être le résultat de l'acte de navigation 
jusqu'à cette époque désirable oii toutes les antres nations de 
l'Europe , ayant aussi leur acte de navigation , en vertu de 
leurs droits naturels, forceront l'Angleterre à révoquer le sien, 
et à rendre aux mers et au commerce la latitude et la liberté 
que la nature , la vraie politique des empires , la justice leur 
assignèrent. 



{4«5) 

» Que Carihage soit détruite ! C'est ainsi que Gaton ter- 
minait toutes ses opinions dans le sénat de Rome. 

» Que l'Angleterre soit ruinée , soit anéantie ! Ce doit être 
le dernier article de chaque décret révolutionnaire de la Con-- 
vention nationale de France. 

» Voici les projets de décrets que le comité de salut public 
¥Ous présente. » 

ACTE DE NAVIGATION. 

{Décrété Zc 21 septembre 1793. ) 

La ConTcnlion nationale, aprcs avoir entfDdii le rapport do comité 
de salut public, décrète: 

Art. 1*^. Les traitées de navigation et de commerce existant entre la 
France et les puissances avec lesquelles elle est en paix seront exécutés 
selon leur forme et teneur ^ sansquMl y soit apporté aucun changement 
par le présent décret. 

2. Après le premier janvier 1794 aucun bâtiment ne sera réputé 
français, n'aura droit anx privilèges des bàtimens français, s'il n'a p;i8 
été construit en France , ou dans les colonies rt antres possessions de 
Franco , ou déclaré de bonne prise faite sur l'ennemi , ou confisqué pour 
contravention aux lois de la République, sUl n'appartient pas entière- 
ment cl des Français , et si les officiers et les trois quarts de l'équipage 
ne sont pas Français. 

3. Aucunes denrées , productions ou marchandises étrangères ne 
pourront être importées en France, dans les colouies et possessions de 
France , que directement par des bàtimens français ou appartenans aux 
habitans du pays des crû, produit ou manufacture , ou des ports ordi- 
naires de vente et première exportation , les officiers et trois quarts des 
équipages étrangers étant du pays dont le bâtiment porte le pavillon; 
le tout soos peine de confiscation des bâtiment et cargaison, et de 
3,000 livres d'amende, solidairement et par corps, contre les pro- 
priétaires , consi^ataires et agcns des bâtiment et cargaison , capitaine 
tt lieutenant. 

4. Lrs bàtimens étrangers ne pourront transporter d'un port frani^ais 
à un autre port français aucunes denrées, productions ou marchandises 
des crû, produit ou manufactures de France, colonies ou possession^ 
de France, sous les peines portées par l'article 3. 

5. Le tarif des douanes nationales sera refait et combiné avec l'acte 
de navigation et le décret qui abolit les douanes entre la France et les 
colonies. 

6. Le présent décret sera sans délai proclamé solennellement dans 
tous les ports et villes de commerce de la République, et notifié par 
le ministre des affaires étrangères aux puissances avec lesquelles la 
nation française est en paix. 

DÉCRET du même jour^ relatif aux congés des bàtimens sous 

pat^illon français, 

La Convention nationale , après avoir entendu le rapport du comité 
de salut public, décrète: 

Art. I"'. Les congés des bSitimens sous papillon français seront , 



(4i6) 

dans trois jours à compter Je celui de la publicalion du présent décret, 
pour ceux qui stTont dans les ports, et dans buit jours de Tarrivée de 
cenx qui entreront , rapportes et déposés au bureau dea douanes 
nationales , ayec les titres de propriété. Tout déchargement et dé- 
part des bàtimens seront diffères jnsqu^après la délivrance d'un acte 
de francisation» 

a. Tout armateur, ^n présentant congé et titre de propriété do bâti- 
ment, sera tenu de déclarer, en présence d'un juge ae paix, et signer 
sur le registre des bàllmcos français, qu'il est propriétaire du bâtiment; 
qu'aucun étranger n'y est intéressé directement ni indirectement , et que 
sa dernière cargaison d'arrivée des colonies ou comptoirs des Français, 
ou sa cafgaison actuelle de sortie pour les colonies ou comptoirs des 
Français , n'est point un armement en commission , ni propriété 
étrangère. 

3. Si l'armateur ne réside pas dans le port oîi est le bâtiment, le 
consignataire et le capitaine donneront, conjoiotemrntet solidairement, 
caution de rapporter dans un délai convenable les actes de propriété et 
la déclaration, affirmée et signée par le vrai propriétaire des bâtiment 
et cargaison. 

4' Si la propriété du bâtiment, et même celle des cargaisons pour le 
commerce entre la FrancCi ses colonies et comptoirs , n'est pas prouvée 
française par titre et par serment, les bàtimens et cargaisons seront 
saisis, confisqués, vendus, et moitié du proiluit donné à tout dénon- 
ciatenr. 



TIN DU TOME XIR.