CHRISTOPHE COLOMB
PAR
A. DE LAMARTINE
(1436-1506)
CHRISTOPHE COLOMB
PAR
A. DE LAMARTINE
(1436-1506)
With Grammatical <&. Explanatory Notes
BY THE
REV. A. C. CLAPIN, M.A.,
ST. JOHN'S COLLEGE, CAMBRIDGE, AND BACHELIER-&S-LETTRBS OF THE
UNIVERSITY OF FRANCE ;
ASSISTANT MASTER AT SHERBOKNK SCHOOL.
WITH MAP AND PORTRAIT.
THE THIRD SOLE AUTHORISED EDITION.
LIBRAIRIE HACHETTE ET O
LONDON : 18, KING WILLIAM STREET, CHARING CROSS.
PARIS : 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN.
BOSTON : CARL SCHOENHOF.
1887.
All Rights Reserved.
LONDON :
PRINTED T,Y PAXKEX AND CO., DRURY HOUSE,
DRURY COURT, STRAND, AV.C.
NOTICE
ON
LAMARTINE'S "CHRISTOPHER COLUMBUS."
/'~\F all the historical biographies written by
^^ Lamartine, none possesses more interest than
that of Christopher Columbus. The author's poetical
language gives a peculiar charm to the incidents he
describes, and is admirably suited to the romantic
career of his hero.
As Lamartine here shows, the world was ripe for
geographical discovery when Columbus appeared upon
the scene. The existence of land beyond the Atlantic,
which was not discredited by some of the most en-
lightened ancients, had become matter of common
speculation at the close of the fifteenth century.
Maritime adventure was then daily disclosing the
mysteries of the deep, and bringing to light new regions
that had only existed in fancy. Columbus's hypothesis
rested on much higher ground than mere popular belief.
What, indeed, was credulity with the vulgar and specula-
tion with the learned, amounted in his mind to a settled
VI NOTICE ON
practical conviction that made him ready to peril life
and fortune on the result of the experiment. Indeed,
his imagination, as will be seen from this memoir, by feed-
ing too exclusively on this lofty theme, acquired an un-
natural exaltation which raised him above the sober
realities of existence, leading him to spurn difficulties
which in the end proved insurmountable, and to colour
the future with those rainbow tints which too often
melted into air. This exalted state of the imagination
was the result in part, no doubt, of the peculiar circum-
stances of his life ; for the glorious enterprise which he
had achieved almost justified the conviction of his act-
ing under the influence of some higher inspiration than
mere human reason, and led his devout mind to discern
intimations respecting himself in the dark and mysterious
annunciations of sacred prophecy.
That the romantic colouring of his mind, however,
was natural to him, and not purely the growth of cir-
cumstances, is evident from the chimerical speculations
in which he seriously indulged before, and even after, the
accomplishment of his great discoveries. His scheme
of a crusade for the recovery of the Holy Sepulchre
was most deliberately meditated and strenuously
avowed from the very first date of his proposals
to the Spanish Government. His enthusiastic com-
munications on this subject must have provoked a
smile from a Pontiff like Alexander VI. ; and may sug-
LAMARTINE'S "CHRISTOPHER COLUMBUS." vit
gest some apology for the tardiness with which his more
rational projects were accredited by the Castilian
Government. " But these visionary fancies," says
Prescott,* "never clouded his judgment in matters
relating to his great undertaking ; and it is curious to
observe the prophetic accuracy with which he discerned,
not only the existence, but the eventual resources, of
the Western World."
Whatever were the defects of his mental constitution,
the finger of the historian will find it difficult to point
to a single blemish in his moral character. His corre-
spondence breathes the sentiment of devoted loyalty to
his Sovereigns. His conduct habitually displayed the
utmost solicitude for the interests of his followers. His
dealings were regulated by the nicest principles of
honour and justice. His last communication to the
Sovereigns from the Indies remonstrates against the use
of violent measures, in order to extract gold from the
natives, as a thing equally scandalous and impolitic.
The grand object to which he dedicated himself
seemed to expand his whole soul, and raised it above
the petty shifts and artifices by which great ends are
sometimes sought to be compassed. There are some
men in whom rare virtues have been closely allied,
if not to positive vice, to degrading weakness.
* Prescott's " History of Ferdinand and Isabella. "
Vlll NOTICE.
Columbus's character presented no such humiliating
incongruity. It will be seen from this biography that
in its public or private relations, in all its features, it
wears the same noble aspect. It was in perfect harmony
with the grandeur of his plans, and their results were
more stupendous than those which Heaven has pgr«
mitted any other mortal to achieve
CHRISTOPHE COLOMB.
PREMIERE PARTIE.
I
DIEU se cache dans le detail des choses humaines, et il
se devoile dans 1'ensemble. Aucun honime sense n'a
jamais me" que les grands e've'nements qui composent la
vie historique de 1'humanite ne fussent relies et coor-
donnes secretement par un fil invisible suspendu a la 5
main toute-puissante du souverain ordonnateur des
mondes, pour les faire concourir a un dessein et a un
plan. Comment celui qui a donn£ la lumiere a 1'oeil
serait-il aveugle ? Comment celui qui a donne la pensee
£. sa creature serait-il lui-meme sans pensee ? 13
Les anciens appelaient ce plan occulte, absolu et
irre'sistible de Dieu dans les choses humaines, le Destin,
la Fatalite" ; les modernes 1'appellent la Providence, nom
plus intelligent, plus religieux et plus paternel. En
e"tudiant 1'histoire de rhumanite", il est impossible de ne 15
pas reconnaitre, par-dessus et par-dessous Faction libre
de 1'homme, 1'action souveraine et transparente de la
Providence. Cette action d'ensemble et de masses
n'exclut en rien la liberte" de nos actes, qui fait seule la
moralite" des individus et des peuples ; elle semble les 20
laisser se mouvoir, agir, s'e"garer avec une latitude
complete d'intention, de choix du bien et du mal, dans
une certaine sphere d'action et avec une certaine con-
se"quence logique de peines encourues ou de remunera-
tions meritees, selon que leur intention a ete plus droite 25
ou plus viciee ; mais les grands re'sultats ge"neraux de
ces actes des individus ou des peuples lui appartiennent
& elle seule. Elle semble se les rdserver, inddpendam-
ment de nous, pour des fins divines que nous ne
2 CHRISTOPHE COLOMB.
connaissons pas, et qu'elle nous laisse seulement entre-
voir quand elles sont presque atteintes. Le bien et le
mal sont de nous et sont a nous ; mais la Providence se
joue de nos perversites comme de nos vertus ; et de ce
6 bien et de ce mal elle tire avec une egale infaillibilite
de sagesse I'accomplissernent de son dessein sur
1'humanite. L'instrument cache", mais divin, de cette
Providence, quand elle daigne se servir des honimes
pour preparer ou pour accomplir une partie de ses
10 plans, c*est 1'inspiration ! L'inspiration est veritabiement
un mystere humain dont il est difficile de trouver ia
source dans 1'homme meme. Elle semble venir de plus
haut et de plus loin. Voila pourquoi on lui a donne
un nom mysterieux aussi, et qui ne se definit bien dans
15 aucune langue : genie. La Providence fait naitre un
homme de genie ; le ge'nie est un don : il ne s'acquiert
pas par le travail ; il ne s'obtient pas meme par la vertu ;
il est ou il n'est pas, sans que celui-la meme qui le
possede puisse rendre compte de sa nature et de sa
20 possession. A ce genie, la Providence envoie une
inspiration. L'inspiration est au genie ce que Vaimant
est au metal. Elle 1'attire, independamment de toute
conscience et de toute volonte, vers quelque chose de
fatal et d'inconnu, comme le pole. Le genie suit cette
25 inspiration qui 1'entraine, et un monde moral ou un
monde physique est trouve.
Voila Christophe Colomb et la decouverte de
I'Amerique !
II
COLOMB, dans sa pens6e, aspirait a completer le globe,
30 qui lui paraissait manquer d'une de ses moities. C'etait
le besoin de 1'unite geographique terrestre dont il etait
travaille". Ce besoin etait egalement une inspiration de
son epoque. II y a des idees qui flottent dans Pair
comme des miasmes intellectuels, et que des milliers
35 d'hommes semblent respirer en meme temps.
Chaque fois que la Providence prepare le monde, a
son insu, a quelque transformation religieuse, morale ou
politique, on peut observer presque regulierement ce
CHRISTOPHE COLOMB. 3
meme phe'nomene : une aspiration et une tendance plus
ou moins complete a 1'unite du globe par la conquete,
par la langue, par le proselytisme religieux, par la navi-
gation, par les decouvertes geographiques ou par la
multiplication des relations des peuples entre eux, au 5
moyen du rapprochement et du contact de ces peuples,
que des voies de communication, des besoins et des
echanges resserrent en un seul peuple. Cette tendance
& l'unit£ du globe, k certaines epoques, est un des faits
providentiels les plus visibles dans les re"sultats de 10
1'histoire.
Ainsi, quand la grande civilisation orientale des Indes
et de 1'Egypte semble epuisee de vieillesse, et que Dieu
veut appeler 1'Asie et 1'Occident a une civilisation plus
jeune, plus mouvante et plus active, Alexandre part, 15
sans savoir pourquoi, des vallees de la Macedoine,
entrainant les regards et les auxiliaires de la Grece, et le
monde connu devient un, sous la terreur et sous la
gloire de son nom, depuis 1'Indus jusqu'k I'extremite de
1'Europe. 20
Quand il veut preparer un auditoire immense au
Verbe transformateur du christianisme en Orient et en
Occident, il repand la langue, la domination, les armes
de Rome et de Cesar, des bords du golfe Persique aux
montagnes de 1'Ecosse, unissant sous un seul esprit et 2?
sous une seule servitude 1'Italie, les Gaules, la Grande-
Bretagne, la Sicile, la Grece, 1'Afrique et 1'Asie.
Quand il veut, quelques siecles apres, arracher
1'Arabie, la Perse et leurs de"pendances a la barbaric, et
faire prevaloir le dogme irresistible de 1'unite de Dieu 30
sur les idolatries et sur les indifferences de ces parties
recule'es ou corrompues du monde, il arme Mahomet du
Goran et du glaive; il permet a 1'islamisme de conquerir
en deux siecles tout 1'espace compris entre 1'Oxus et le
Tage, entre le Tibet et le Liban, entre 1'Atlas et le 35
Taurus. Une immense unite* d'empire repond d'avance
k une immense unite d'idee.
Ainsi de Charlemagne en Occident, quand sa monar-
chic universelle, des deux cotes des Alpes, prepare,
depuis la Scythie et la Germanic, le vaste lit ou la
4 CHRISTOPHE COLOMB.
civilisation chre*tienne va recevoir et baptiser les bar-
bares.
Ainsi de nos jours, non plus sous la forme de
conqu£tes, mais sous la forme de communications
8 intellectuelles, commerciales, pacifiques, entre tous les
continents et tous les peuples du globe, c'est la science
qui devient le conquerant universel au profit et a la gloire
de tous. La Providence semble avoir charge cette fois
le genie de 1'industrie et des de'couvertes de lui pre"parer
10 la plus complete unite" du globe terretre qui ait jamais
resserre' le temps, 1'espace et les hommes en une masse
plus rapprochee, plus compacte et plus assimile'e. La
navigation, rimprimerie, la de"couverte de la vapeur,
cette force dconomique et irresistible d'impulsion, qui
15 lance 1'homme et ses armies et ses marchandises aussi
loin et aussi vite que sa pense'e; la construction des
chemins de fer qui aplanissent les montagnes en les
pendant, et qui nivellent toute la terre ; la decouverte
des tele"graphes electriques, qui donnent aux communi-
20 cations entre les deux hemispheres 1'instantane'itd: de
la foudre ; la de"couverte des aerostats, qui cherchent
encore leur gouvernail, mais qui rendront bientot navi-
gable un element plus universel et plus simple que
1'Oce'an ; toutes ces revelations, presque contemporaines
25 de la Providence par 1'inspiration du genie industriel,
sont des moyens de resserrement, de concentration, de
contraction du globe sur lui-meme ; des instruments
de rapprochement, d'homoge'ne'ite' des hommes entre
eux. Ces moyens sont si actifs et si eVidents, qu'il est
30 impossible de ne pas y voir un dernier plan de la Provi-
dence, un dernier effort vers 1'inconnu, et de ne pas en
conclure que Dieu pr6m£dite pour nous et pour nos
descendants quelque dessein cache" encore a notre
courte vue; dessein pour lequel il prend ses mesures
35 en faisant avancer le monde vers la plus puissante des
unite's, 1'unitd de pensee, qui annonce quelque grande
units' d'action dans 1'avenir.
Ainsi e'tait prepare 1'esprit du quinzieme siecle a
quelque Strange manifestation humaine ou divine,
quand naquit le grand homme dont nous aliens
CHRISTOPHE COLOMB.
raconter 1'histoire. On attendait quelque chose ; 1'es-
prit humain a ses pressentiments. Ce sont les vagues
prophe'ties des rdalites qui s'approchent.
Ill
Au printemps de I'anne'e 1471, au milieu du jour, par un
soleil brulant qui calcinait les chemins de 1'Andalousie, 5
sur une colline a environ une demi-lieue du petit port
de mer de Palos, deux etrangers voyageant a pied, leurs
chaussures usdes par la marche, leurs habits, ou Ton
voyait les vestiges d'une certaine aisance, souille's de
poussiere, le front baigne" de sueur, s'arreterent et s'assi- 10
rent a 1'ombre du portique exte'rieur d'un petit monastere
appele" Sainte-Marie de Rabida. Leur aspect et leur
lassitude imploraient d'eux-memes 1'hospitalite. Les
couvents de franciscains dtaient, a cette epoque. les
hotelleries des voyageurs pedestres a qui la misere inter- 15
disait d'aborder d'autres asiles. Ce groupe de deux
etrangers attira 1'attention des moines.
L'un e"tait un homme a peine parvenu au milieu de la
vie, grand de taille, robuste de formes, majestueux de
pose, noble de front, ouvert de physionomie, pensif de 20
regard, gracieux et doux de levres. Ses cheveux, d'un
blond le'gerement brun dans sa premiere jeunesse, se
teignaient pre'maturement sur les tempes de ces meches
blanches que hatent le malheur et le travail d'esprit.
Son front etait eleve" ; son teint, primitivement colore, 25
etait pali par 1'etude, et bronze par le soleil et la mer.
Le son de sa voix e*tait male, sonore et pe'ne'trant
comme 1'accent d'un homme habitue a profe'rer des
pense"es profondes. Rien de leger ou d'irrefldchi ne se
revelait dans ses gestes ; tout e'tait grave et symetrique 30
dans ses moindres mouvements ; il semblait se respecter
modestement lui-meme, ou n'agir qu'avec la reserve
d'un homme pieux dans un temple, comme s'il cut dte
en pre'sence de Dieu.
L'autre etait un enfant de huit a dix ans. Ses traits, 3C
plus f6minins, mais deja muris par les fatigues de la. vie,
CHRISTOPHE COLOMB.
avaient une telle ressemblance avec ceux du premier
etranger, qu'il etait impossible de ne pas reconnaitre en
lui cm un fils cm un frere de 1'homme mur.
IV
CES deux Strangers e*taient Christophe Colomb et
5 Diego, son fils. Les moines, curieux et attendris a
1'aspect de cette noblesse de visage du pere et de cette
grace de 1'enfant, qui contrastaient avec 1'indigence de
leur equipage, les tirent entrer dans 1'interieur du
monastere pour leur offrir 1'ombre, le pain et le repos
10 dus aux pelerins. Pendant que Colomb et son enfant
se rafraichissaient et se fortifiaient de 1'eau, du pain et
des olives de la table des notes, les moines allerent
informer le prieur de 1'arrive'e des deux voyageurs et de
1'interet etrange qui s'attachait a leur noble apparence,
15 en contraste avec leur misere. Le prieur descendit pour
converser avec eux.
Ce superieur du couvent de la Rabida etait Juan
Peres de Marchenna, ancien confesseur de la reine
Isabelle, qui regnait alors avec Ferdinand sur 1'Espagne.
20 Homme de saintetd, de science et de recueillement, il
avait preTerd 1'abri de son cloitre aux honneurs et aux
intrigues de la cour ; mais il avait conserve par cette
retraite meme un grand respect dans le palais et un
grand cre'dit sur 1'esprit de la reine. La Providence
25 n'avait pas moins dirige les pas de Colomb que le
hasard, si elle avait eu pour intention de lui ouvrir par
une main affidee, quoique invisible, les portes du
conseil, 1'oreille et le cceur des souverains.
V
LE prieur salua I'dtranger, caressa 1'enfant et s'informa
80 avec bienveillance des circonstances qui les forgaient a
voyager a pied a travers les routes detourne'es de I'Es-
pagne, et a emprunter 1'humble toit d'un monastere
CHRISTOPKE COLOMB.
pauvre et isole". Coiomb raconta sa vie obscure, et
de"roula ses pensees immenses au moine attentif. Cette
vie et ces pensees n'etaient qu'une attente et un pres-
sentiment. Voici ce qu'on en a su depuis.
VI
CHRISTOPHE COLOMB e"tait le nls premier-nd d'un cardeur 5
de laines de Genes, me'tier aujourd'hui infime, profes-
sion alors libe'rale et presque noble. Dans ces rdpubli-
ques industrielles et commerciales de 1'Italie, les artisans,
fiers de retrouver ou d'inventer des industries, formaient
des corporations ennoblies par leur art et importantes 10
dans 1'Etat. II e"tait ne en 1436. II avait deux freres,
Barthelemy et Diego, qu'il appela plus tard a partager
ses travaux, sa gloire, ses malheurs ; il avait aussi une
sceur plus jeune que ses freres. Elle se maria a un
ouvrier de Genes. Son obscurite 1'abrita longtemps de 15
l'e"clat et des infortunes de ses freres.
Nos instincts naissent des premiers spectacles que la
nature offre a nos sens dans les lieux ou nous voyons le
jour, surtout quand ces spectacles sont majestueux et
infinis, comme les montagnes, le ciel et la men Notre 2}
imagination est la contre-epreuve et le miroir des pre-
mieres scenes dont nous sommes frappe's. Les premiers
regards de Coiomb enfant contemplerent le firmament et
la mer de Genes. L'astronomie et la navigation entraine-
rent de bonne heure ses pensees dans ces deux espaces 25
ouverts sous ses yeux. II les remplissait de ses reveries
avant de les repeupler de leurs continents et de leurs
lies. Contemplatif, silencieux, pieux d'inclination des
ses plus tendres annees, son ge"nie enfant Temportait
loin et haut dans les espaces, non pas seulement pour 80
decouvrir plus, mais pour adorer davantage. Dans
1'ceuvre divine, ce qu'il cherchait au fond de tout, c'e"tait
Dieu.
CHRISTOPHE COLOMB.
VII
SON pere, homme e'claire' et ais^ dans sa profession, ne
resista pas a la nature qui se manifestait par de si
studieux penchants dans son fils. II 1'envoya e'tudier a
Pavie la geome'trie, la ge'ographie, 1'astronomie, 1'astro-
£ logic, science imaginaire du temps, et la navigation.
Son esprit de'passa promptement les limites de ces
sciences, alors incompletes. II £tait de ces ames qui
vont toujours au dela du but ou le vulgaire s'arrete et
dit : " Assez." A quatorze ans, il savait tout ce qu'on
10 enseignait dans ces £coles ; il revint a Genes, dans sa
famille. La profession se'dentaire et inintellectuelle de
son pere ne pouvait emprisonner ses faculte's. II navigua
plusieurs anne'es sur les navires de commerce, de guerre,
d'expdditions aventureuses, que les maisons de Genes
15 armaient sur la Me'diterrande pour disputer ses flots et
ses ports aux Espagnols, aux Arabes, aux mahome'tans,
sortes de croisades perpe"tuelles ou le trafic, la guerre et
la religion faisaient de ces marines des re"publiques
italiennes une £cole de commerce, de lucre, d'heroi'sme
20 et de saintete'. Soldat, savant et matelot a la fois, il
monta sur des vaisseaux que sa patrie preta au due
d'Anjou pour conqudrir Naples, sur la flotte que le roi
de Naples envoya attaquer Tunis, sur les escadres dont
Genes combattait 1'Espagne. II s'eleva, dit-on, a des
25 commandements d'obscures expe'ditions navales dans la
marine militaire de son pays. Mais 1'histoire le perd de
vue dans ces commencements de sa vie. Sa destinee
n'e'tait pas la : il se sentait a 1'dtroit dans ces petites mers
et dans ces petites choses. Sa pense'e etait plus grande
80 que sa patrie. II me'ditait une conquete pour 1'espece
humaine, et non pour une dtroite re'publique de la
Ligurie.
VIII
DANS les intervalles de ses expeditions, Christophe
Colomb trouvait k la fois, dans 1'etude de son art, la
CHRISTOPHE COLOMB. 9
satisfaction de sa passion pour la geographic et pour la
navigation, et son humble fortune. II dessinait, gravait
et vendait ses cartes marines ; ce petit commerce suffisait
peniblement & son existence. II y cherchait moins le
lucre que le progres de la science. Son esprit et ses 5
sens, continuellement fixes sur les astres et les mers,
poursuivaient par la pensee un but entrevu par lui seul.
Un naufrage, £ la suite d'un combat naval et de
1'incendie d'une galere qu'il montait dans la racjs de
Lisbonne, le fixa en Portugal. II se precipita dans la 10
mer pour echapper aux flammes, se saisit, d'une main,
d'une rame, et, nageant de 1'autre vers la cote, il
atteignit le rivage. Le Portugal, saisi tout entier alors
de sa passion des de"couvertes maritimes, etait un se"jour
convenable a ses inclinations. II esperait y trouver des 15
occasions et des moyens de s'elancer k son gr6 sur
1'Ocean ; il n'y trouva que le travail ingrat du geographe
se"dentaire, 1'obscurite et 1'amour. En allant, chaque
jour, assister aux offices religieux dans 1'eglise d'un
couvent de Lisbonne, il s'eprit d'attachement pour une 20
jeune recluse dont la beautd 1'avait frappe. C'etait la
fille d'un noble Italien attache au service du Portugal.
Son pere 1'avait confide aux religieuses de ce couvent
en partant pour une expedition navale lointaine. Elle
s'appelait dona Felippa de Palestrello. Seduite elle- 25
menie par la beaute pensive et majestueuse du jeune
etranger qu'elle voyait chaque jour assidu aux services
de 1'eglise, elle ressentit 1'amour qu'elle lui avait inspire.
Tous deux sans parents et sans fortune sur une terre
e"trangere, rien ne pouvait contrarier 1'attrait qu'ils 30
e'prouvaient 1'un pour 1'autre ; ils s'unirent par un
mariage, sur la foi de la Providence et du travail, seule
dot de Felippa et de son amant. II continuait, pour
nourrir sa belle-mere, sa femme et lui, k faire des cartes
et des globes recherches & cause de leur perfection par 35
les navigateurs portugais. Les papiers de son beau-
pere, qui lui furent remis par sa femme, et ses corres-
pondances avec Toscanelli, fameux geographe de
Florence, lui fournirent, dit-on, des notions precises sur
les mers lointaines de 1'Inde, et les moyens de rectifier
ZO CHRISTOPHE COLOMB.
les elements alors confus ou fabuleux de la navigation.
Enticement absorbe" dans sa felicite domestique et dans
ses contemplations geographiques, il eut un premier fils
qu'il appela Diego, du nom de son frere. Sa socie'te
5 intime ne se composait que de marins revenant des
expeditions lointaines, ou revant des terres inconnues et
des routes non frayees sur FOce'an. Son atelier de
cartes et de globes etait un foyer d'idees, de conjectures,
de projets, qui entretenait san cesse son imagination de
10 quelque grand inconnu sur le globe. Sa femme, fille et
sceur de marins, partageait elle-meme ces enthousiasmes.
En contournant sous ses doigts ses globes, et en pointant
ses cartes d'iles et de continents, un vide immense avait
frappe' les yeux de Colomb au milieu de 1'Ocean
15 atlantique. La terre semblait manquer, la, du contre-
poids d'un continent. Des rumeurs vagues, merveilleuses,
terribles, parlaient a 1'imagination des navigateurs de
cotes entrevues du sommet des Azores, dites mobiles
ou flottantes qui se montraient par des temps sereins,
20 qui disparaissaient ou qui s'eloignaient quand les
pilotes temeraires cherchaient a en approcher. Un
voyageur venitien, Marco Polo, qu'on regardait alors
comme un inventeur de fables, et dont le temps a
reconnu depuis la veracite', racontait a 1'Occident les
25 merveilles des continents, des Etats et des civilisations
de la Tartarie, de 1'Inde, de la Chine, que 1'on suppo-
sait se prolonger la oh s'etendent en realite les deux
Ameriques. Colomb lui-meme se flattait de trouver, a
l'extre"mite de 1' Atlantique, ces contrees de Tor, des perles
30 et de la myrrhe, dont Salomon tirait ses richesses; cet
Ophir de la Bible, recouvert depuis des nuages du lointain
et du merveilleux. Ce n'etait pas un continent nouveau,
mais un continent perdu qu'il cherchait. L'attrait du faux
le menait a la veritd
35 II supposait dans ses calculs, d'apres Ptolcmee et
d'apres les geographes arabes, que la terre etait un
globe dont on pourrait faire le tour. II croyait ce globe
moins vaste qu'il ne 1'est de quelques milliers de lieues.
II s'imaginait, en consequence, que 1'etendue de mer a
parcourir pour arriver a ces terres inconnues de 1'Inde
CHRISTOPHE COLOMB. II
&ait moins immense que les navigateurs ne ie pensaient.
L'existence de ces terres lui semblait confirmee par les
te'moignages etranges des pilotes qui s'e'taient avance's le
plus loin au dela des Agores. Les uns avaient vu flotter
sur les vagues des branches d'arbres inconnus en 5
Occident ; les autres.des morceaux de bois sculptes, mais
qui n'avaient pas etc" travaille's a 1'aide d'outils de fer ;
ceux-la, des sapins monstrueux creuses en canot d'un seul
tronc, qui pouvaient porter quatre-vingts rameurs;
ceux-ci, des roseaux gigantesques ; d'autres, enfin, des 10
cadavres d'hommes blancs ou cuivres, dont les traits ne
rappelaient en rien les races occidentales, asiatiques ou
africaines.
Tous ces indices flottants de temps en temps a la
suite des tempetes sur 1'Ocean, et je ne sais quel instinct 15
vague qui pre'cede toujours les realties comme 1'ombre
precede le corps quand on a le soleil derriere soi,
annongaient au vulgaire des merveilles, attestaient a
Colomb des terres existantes au dela des plages e"crites
par la main des geographes sur les mappemondes. 20
Seulement il etait convaincu que ces terreSTfe'taient
qu'un prolongement de 1'Asie, remplissant plus d'un
tiers de la circonference du globe. Cette circonference,
ignore'e alors des philosophes et des geometres, laissait
aux conjectures 1'e'tendue de cet Ocean qu'il fallait 25
traverser pour atteindre a cette Asie imaginaire. Les
uns la croyaient incommensurable ; les autres se la
figuraient comme une espece d'ether profond et sans
borne, dans lequel les navigateurs s'e"garent, comme
aujourd'huiles aeronautes dans les deserts du firmament. 30
Le plus grand nombre, ignorant les lois de la pesanteur
et de 1'attraction qui rappelle les <orps au centre,
et admettant neanmoins deja la rotondite" du globe,
croyaient que des navires ou des hommes porte's par le
hasard aux antipodes s'en de"tacheraient pour tomber dans 35
les abimes de 1'espace. Les lois qui gouvernent les
niveaux et les mouvements de 1'Ocean leur etaient
egalement inconnues. Us se representaient la mer, au
dela d'un certain horizon borne' par les iles deja de"cou-
vertes, comme une sorte de chaos liquide, dont les
12 CHRISTOPHE COLOMB.
vagues de'mesure'es s'elevaient en montagnes inaccessibles,
se creusaient en gouffres sans fond, se prdcipitaient
du ciel en cataractes infranchissables qui entraineraient
et engloutiraient les voiles assez tdime'raires pour en
6 approcher. Les plus instruits, en admettant les lois de
la pesanteur et un certain niveau dans les espaces
liquides, pensaient que la forme arrondie du globe
donnait a 1'Ocean une pente vers les antipodes, qui
emporterait les vaisseaux vers des rivages sans nom,
10 rnais qui ne leur permettrait jamais de remonter cette
pente pour revenir en Europe. De ces pre"juges divers
sur la nature, la forme, 1'e'tendue, les montees et les
descentes de 1'Ocean, se composait une terreur ge'ne'rale
et myste'rieuse qu'un ge'nie investigateur pouvait seul
15 aborder par la pensee, et qu'une audace surhumaine
pouvait seule affronter de ses voiles. C'etait la lutte
de 1'esprit humain contre un e'le'ment ; pour la tenter,
il fallait plus qu'un homme.
IX
L'ATTRAIT invincible du pauvre ge'ographe vers cette
20 entreprise £tait le ve'ritable lien qui retenait tant d'anne"es
Colomb a Lisbonne comme dans la patrie de ses pense'es.
C'e"tait le moment ou le Portugal, gouverne par Jean II,
prince eclaire" et entreprenant, se livrait, dans un esprit
de colonisation, de commerce et d'aventures, a des
25 tentatives navales incessantes pour relier 1'Europe a
1'Asie, et ou Vasco de Gama, le colon portugais, n'etait
pas loin de decouvrir la route maritime des Indes par
le cap de Bonne-Esipe'rance. Colomb, convaincu qu'il
trouverait une route plus large et plus directe en
30 s'dlangant droit devant lui vers 1'ouest, obtint, apres de
longues sollicitations, une audience du roi, pour lui
reVeler ses plans de d£couverte et pour lui demander les
moyens de les accomplir au profit de la fortune et de la
gloire de ses Etats. Le roi I'e'couta avec inte"ret. La
35 foi de cet inconnu dans ses espe'rances ne lui parut pas
assez denuee de fondement pour la rele'guer au rang des
CHRISTOPHE COLOMB. 13
chimeres. Colomb, independamment de son Eloquence
naturelle, avait l'e"loquence de sa conviction. II emut
assez le roi pour que ce prince chargeat un conseil
compose de savants et de politiques d'examiner les
propositions du navigateur genois, et de lui faire un 5
rapport sur les probability's de son entreprise. Ce
conseil, compose" du confesseur du roi et de quelques
geographes d'autant plus accredited dans sa cour qu'ils
s'ecartaient moins des prejuges vulgaires, de"clara les
idees de Colomb chime"riques et contraires a toutes les 10
lois de la physique et de la religion.
Un second cons'eil d'e^mienT' auquel Colomb en
appela avec la permission du roi, aggrava encore cette
premiere decision. Toutefois, par une perfidie ignored
du roi, ses conseillers communiquerent les plans de 15
Colomb a un pilote, et firent partir secretement un
navire pour tenter a son insu la route qu'il indiquait
vers 1'Asie. Ce navire, qui avait cingle" quelques jours
au dela des iles A9ores, revint dpouvante du vide et de
1'immensite' de 1'espace qu'il avait entrevu, et confirma 20
le conseil dans le mepris des conjectures de Colomb.
X
PENDANT ces inutiles solicitations a la cour de Portugal,
I'infortune" Colomb avait perdu sa femme, 1'amour,
la consolation et 1'encouragement de ses pensees. Sa
fortune, negligee pour ses perspectives de ddcouverte, 25
etait ruinee; ses creanciers s'acharnaient sur les fruits
de ses travaux, saisissaient ses globes et ses cartes, et
menagaient meme sa liberte. Beaucoup d'anne*es avaient
et^ perduesainsi dans 1'attente; son age mur s'avangait, son
enfant grandissait ; les extremites de la misere etaient le 30
seul patrimoine qu'il envisageait, au lieu d'un monde
qu'il avait entrevu pour lui. II s'eVada nuitamment de
Lisbonne, a pied, sans autre ressource que 1'hospitalite
sur sa route, et tantot menant son fils Diego par la
main, tantot le portant sur ses robustes epaules, il entra 35
en Espagne, decide" a offrir a Ferdinand et a Isabelle,
14 CHRISTOPHE COLOI\I3.
qui y regnaient alors, cet empire ou ce continent refuse
par le Portugal.
C'est en poursuivant ce long palerinage vers le se"jour
mobile de la cour d'Espagne, qu'il etait arrive a la porte
5 du monastere de la Rabida, pres de Palos. II se
proposait de se rendre d'abord a la petite ville de
Huerta, dans 1'Andalousie, habitee par un frere de sa
femme, de de'poser son fils Diego entre les mains de ce
beau-frere, et d'aller seul subir les lenteurs, les hasards,
10 et peut-etre les incredulites, a la cour d'Isabelle et de
Ferdinand.
On assure qu'avant de se rendre en Espagne, il avait
cru devoir, comme Italien et comme Genois, offrir
d'abord sa decouverte a Genes, sa patrie, et au senat
15 de Venise ; mais que ces deux republiques, occupees
d'ambitions plus rapproche'es et de rivalites plus
urgentes, avaient rfipondu a ses sollicitations par des
froideurs et des refus.
XI
LE prieur du monastere de la Rabida etait plus verse
20 dans les sciences relatives a la navigation qu'il n'appar-
tenait a un homme de sa profession. Son monastere,
d'ou 1'on voyait la mer, et voisin du petit port de Palos,
un des plus actifs alors de 1'Andalousie, avait mis le
moine en societe habituelle avec les navigateurs et les
25 armateurs de cette petite ville, uniquement adonnee a
la marine. Ses e'tudes, pendant qu'il avaifhabite la
capitale et la cour, avaient ete tournees vers les sciences
naturelles et vers les problemes qui s'agitaient alors
dans les esprits. II s'e'mut d'abord de pitie, et bientot
80 apres d'enthousiasme et de conviction dans ses entre-
tiens du jour avec Colomb, pour un homme qui lui
parut si supe'rieur a sa fortune. II vit en lui un de ces
envoye's de Dieu, qui sont repousses du seuil des
princes ou des cites, ou ils apportent dans des mains
35 indigentes des tre"sors invisibles de verites. La religion
comprit le genie, une revelation qui veut comme 1'autre
CHRISTOPHE COLOMB. 15
ses fideles. II se sentit porte a etre un de ces fideles
qui participant a ces revelations du genie, non par la
de'couverte, mais par la foi. La Providence envoie
presque toujours un de ces croyants aux hommes
superieurs pour les empecher de se decourager de 5
I'incre'dulite, de la durete ou des persecutions du
vulgaire : ils sont la plus sublime forme de 1'amitie', les
amis de la verite mdconnue, les confidents de 1'avenir
impossible.
Juan Peres se sentit predestine par le ciel a devenir, 10
du fond de sa solitude, 1'introducteur de Colomb dans
la faveur d'Isabelle, 1'apotre de son grand dessein dans
le monde. Ce qu'il aima dans Colomb, ce ne fut pas
seulement son dessein, ce fut lui-meme, ce fut la beaute,
le caractere, le courage, la modestie, la gravite, 1'elo- 15
quence, la piete, la vertu, la douceur, la grace, la
patience, 1'infortune noblement portee, revelant dans
cet etranger une de ces natures marquees par mille
perfections de ce sceau divin qui defend d'oublier, et
qui force a admirer un homme unique. Apres le 20
premier entretien, le moine ne donna pas seulement
sa conviction a son hole, il lui donna son coeur; et,
chose plus rare, il ne le lui retira jamais. Colomb cut
un ami.
XII
JUAN PER&S engagea Colomb a accepter pour quelques 2»
jours un asile^ou TIu moins un lieu de repos, dans
1'humble monastere pour lui et pour son enfant.
Pendant ce court sejour, le prieur communiqua a ses
amis de la ville, voisins de Palos, 1'arrivee et les aven-
tures de 1'hote dont il e"tait visite. II les pria de venir 39
au couvent s'entretenir avec 1'dtranger de ses conjec-
tures, de ses intentions et de ses plans, afin d'apprecier
si ses theories concordaient avec les idees expe"ri-
mentales des marins de Palos. Un homme Eminent,
ami du prieur, le medecin Fernandez, et un pilote 35
consomme de Palos, Pierre de Velasco, vinrent passer,
sur 1'invitation du moine, plusieurs soirees au couvent,
1 6 CHRISTOPHE COLOMB.
e"couterent Colomb, sentirent leurs yeux dessilles par
ses entretiens, entrerent avec la chaleur d'esprits'droits
et de coeurs simples dans ses idees, formerent le premier
cenacle ou toute foi nouvelle se couve dans la confidence
5 de quelques proselytes, a I'oTnbre lie 1'intimite', de la
(solitude et du mystere. Toute grande verite commence
par un secret entre des amis, avant d'eclater a haute
voix dans le monde. Ces premiers amis conquis a ses
convictions par Colomb, dans la cellule d'un pauvre
10 moine, lui furent peut-etre plus chers que 1'enthousiasme
et 1'applaudissement de 1'Espagne entiere, quand le succes
^eut consacre ses previsions. Les premiers croyaient sur
t la foi de ses paroles, les derniers ne croyaient que sur
VJa foi de ses decouvertes accomplies.
XIII
15 LE moine, confirme dans ses impressions par 1'e'preuve
de ses idees sur la science du medecin Fernandez et sur
1'experience du pilote Velasco, se passionna avec eux
pour son hote. II 1'engagea a laisser son enfant a ses
soins dans le monastere de la Rabida, a se rendre a la
20 cour pour offrir sa de'couverte a Ferdinand et a Isabelle,
et a solliciter de ces souverains 1'assistance necessaire &
1'accomplissement de ses pensees. Le hasard rendait
le pauvre moine un introducteur naturel et puissant a la
cour d'Espagne. II 1'avait habitee longtemps, il avail
25 eu 1'oreille et la conscience d'Isabelle, et, depuis que
son gout pour la retraite 1'avait eloigne du palais, il
avait conserve des rapports d'amitie avec le confesseur
nouveau qu'il avait donne a la reine. Ce confesseur,
ministre de la conscience des rois a cette epoque, etait
80 Fernando de Talavera, superieur du monastere du
Prado, homme de me'rite, de credit et de vertu, devant
qui toutes les portes s'ouvraient dans le palais. Juan
Peres remit a Colomb une lettre de chaude recom-
mandation pour Fernando de Talavera. II lui fournit
35 Tequipage convenable pour se presenter decemment a
la cour, une mule, un guide, une bourse de sequins, et,
CHRISTOPHE COLOMB. 17
Pembrassant sur le seuil du monastere, il le recommanda,
lui et son dessein, au Dieu qui inspire et aux hasards
qui servant les grandes pensees.
XIV
COLOMB, pene'tre de reconnaissance pour ce premier et
g£nereux ami qui ne 1'abandonna jamais des yeux et du 5
coeur, et a qui il renvoya toujours depuis 1'origine de sa
fortune, s'achemina vers Cordoue. C'etait la residence
actuelle de la cour. II marchait avec cette confiance
dans le succes qui est 1'illusion, mais aussi I'e'toile du
ge'nie. Cette illusion ne devait pas tarder & se dissiper 10
et cette e'toile a se voiler. Le moment ou 1'aventurier
ge"nois venait offrir un monde a la couronne d'Espagne
semblait mal choisi : Ferdinand et Isabelle, loin de
songer a conque'rir des possessions problematiques au
dela des mers inconnues, etaient occupe"s a reconquerir 15
leur propre royaume sur les Maures d'Espagne. Ces
musulmans conquerants de laPe'ninsule,apres une longue
et prospere possession, se voyaient enlever une a une
les villes et les provinces dont ils avaient fait une patrie.
Vaincus partout malgre' leurs exploits, ils n'occupaient 20
plus que les montagnes et les valle'es qui entouraient
Grenade, capitale et merveille de leur empire. Ferdinand
et Isabelle employaient toute leur puissance, tous leurs
efforts et toutes les ressources de leurs deux royaumes
unis, a arracher aux Maures cette citadelle des Espagnes. 25
Unis par un mariage politique que 1'amour avait cimente',
et qu'une gloire commune illustrait, 1'un avait apporte
en dot le royaume d'Aragon, 1'autre le royaume de
Castille a cette communaut£ de couronnes. Mais, bien
que le roi et la reine eussent confondu ainsi leurs 30
provinces s£parees en une seule patrie, ils conservaient
neanmoins une domination distincte et inde"pendante
sur leur royaume hereditaire. Ils avaient leur conseil et
leurs ministres a part pour les inte'rets reserve's de leurs
anciens sujets personnels. Ces conseils ne se confon- 35
daient en un seul gouvernement que dans les inte'rets
1 8 CHRISTOPHE COLOMB.
patriotiques communs aux deux empires et aux deux
dpoux.
La nature semblait avoir dou£ ces deux souverains de
formes, de qualite"s et de perfections du corps et de
5 1'ame diverses, mais presque e*gales, comme pour com-
pleter 1'un par 1'autre le regne de prestige, de conquete,
de civilisation et de prosperity qu'elle leur destinait.
Ferdinand, un peu plus age qu'Isabelle, etait un guerricr
accompli et un politique consomme. Avant Page ou
10 1'homme apprend par la triste experience a connaitre
les hommes, il les devinait. Son seul defaut etait une
certaine incredulite et une certaine froideur qui viennent
de la defiance et qui ferment le cceur a Penthousiasme
et a la magnanimite.
15 Mais ces deux vertus qui lui manquaient a un certain
degre £taient compensees dans ses conseils par la
tendresse d'ame et par 1'abondance de cceur et de genie
d:Isabelle. Jeune, belle, admire'e de tous, adoree de lui,
instruite, pieuse sans superstition, eloquente, pleine de
20 feu pour les grandes choses, d'attrait pour les grands
hommes, de confiance dans les grandes pensees, elle
imprimait au coeur et a la politique de Ferdinand
I'heroi'sme qui vient du coeur et le merveilleux qui vient
de Fimagination. Elle inspirait, il executait. L'une
25 trouvait sa recompense dans la renommee de son epoux,
1'autre sa gloire dans 1'admiration et dans 1'amour de sa
femme. Ce regne a deux, qui devait devenir presque
fabuleux pour 1'Espagne, n'attendait, pour s'immortaliser
a jamais entre tous les regnes, que 1'arrive'e de ce pauvre
30 etranger qui venait implorer 1'entree du palais deCordoue,
la lettre d'un pauvre moine a la main.
XV
CETTE lettre, lue avec prevention et incre'dulite' par
le confesseur de la reine, n'ouvrit a Colomb qu'une
longue perspective d'attente, de refus d'audience et de
85 decouragement. Les hommes n'ont d'oreilles pour les
pensees hardies que dans la solitude et dans le loisir.
CHRISTOPHE COLOMB. 19
Dans le tumulte des affaires et des cours, ils n'ont nt
bienveillance ni temps. Colomb fut repousse de toutes
les portes, " parce qu'il etait Stranger, dit 1'historien
Oviedo, contemporain de ce grand homme, parce qu'il
etait pauvrement vetu, et parce qu'il n'apportait aux 5
courtisans et aux ministres d'autre recommandation que
la lettre d'un moine franciscain solitaire, depuis longtemps
oublie des cours."
Le roi et la reine n'entendirent meme pas parler
de lui ; le confesseur d'Isabelle, par indifference ou par 10
dedain, trompa completement 1'espoir que Juan Peres
avait mis en lui. Colomb, obstine comme la certitude
qui attend Theure, ne s'eloigna pas de Cordoue, afin
d'epier de plus pres un moment plus propice. Apres
avoir ^puise" dans i'attente la bourse modique de son 15
ami, le prieur de la Rabida, il gagna mise'rablement sa
vie dans son petit trafic de globes et de cartes, jouant
ainsi avec les images d'un monde qu'il devait conque"rir.
Sa vie rude et patiente, pendant ces nombreuses annees,
ne laisse entrevoir au fond de son obscurite que la 20
misere, le travail et les esperances trompees. Jeune et
tendre de cceur, il aima cependant et il fut aime" pendant
ces annees d'epreuves ; car un second fils, Fernando,
lui naquit vers ce temps, d'un amour mysterieux, que le
mariage ne consacra jamais, et dont il rappelle la 25
metnoire et le remords en paroles touchantes dans son
testament. II eleva ce fils avec autant de tendresse que
son autre fils Diego.
XVI
SA gr5.ce et sa dignite exte'rieure transpiraient cependant
a travers son humble profession. Les personnages SO
distingues de qui son commerce scientifique le rap-
prochait quelquefois recevaient de sa personne et de ses
entretiens cette impression d'etonnement et d'attraction,
prophetic electrique d'une grande destinee dans une
mtidiocre condition. Ce trafic et ces entretiens lui 35
nrent insensiblementdes amis a Cordoue, etjusque dans
20 CHRISTOPHE COLOMB.
la cour. Parmi ces amis, dont 1'histoire a conservd les
noms pour les associer a la reconnaissance dumondefutur,
on cite Alonzo de Quintanilla, controleur des finances
d'Isabelle ; Geraldini, prdcepteur des jeunes princes ses
6 fils, et Antonio Geraldini, nonce du pape a la cour de
Ferdinand ; enfin Mendoza, archeveque de Tolede et
cardinal, homme d'un tel credit qu'il £tait appele' le
troisieme roi d'Espagne.
XVII
L'ARCHEVEQUE de Tolede, d'abord effray6 de ces nou-
IQ veaute's geographiques qui semblaient, a tort, contredire
les notions sur le me'canisme celeste contenues dans la
Bible, fut bientot rassure* par la pie'te' sincere et supe"rieure
de Colomb. II cessa de craindre un blaspheme dans des
ide"es qui agrandissent 1'ceuvre et la sagesse de Dieu.
15 Seduit par le systeme, charme par 1'homme, il obtint une
audience de ses souverains pour son protege. Colomb,
apres deux anne"es d'attente, parut a cette audience avec
la modestie d'un humble Stranger, mais avec la confiance
d'un tributaire qui apporte a ses maitres plus qu'ils ne
20 peuvent lui donner. "En pensant a ce que j'e'tais,
ecrit-il lui-meme plus tard, j'etais confondu d'humilite :
mais, en songeant a ce que j'apportais, je me sentais
Tdgal des couronnes : je n'etais plus moi, j'dtais 1'instru-
ment de Dieu, choisi et marque' pour acccmplir un grand
25 dessein."
XVIII
FERDINAND entendit Colomb avec gravitd, Isabelle avec
enthousiasme. Elle congut, au premier regard et aux
premiers accents, pour cet envoye* de Dieu, une admiration
qui allait jusqu'au fanatisme, un attrait qui ressemblait
30 a la tendresse. La nature avait donne a la personne
de Colomb la seduction qui enleve les yeux, autant que
1'eloquence qui persuade 1'esprit. On eut dit qu'elle le
destinait k avoir pour premier apotre une reine, et que la
CHRISTOPHE COLOMB. 21
ve'rite' dont il allait doter son siecle devait etre regue et
couvee dans le coeur d'une femme. Isabelle fut cette
femme. Sa Constance en faveur de Colomb ne se
dementit ni devant les indifferents de sa cour, ni devant
ses ennemis, ni devant ses revers. Elle crut en lui des 5
le premier jour, elle fut sa proselyte sur le trone et son
amie jusqu'au tombeau.
Ferdinand, apres avoir entendu Colomb, nomma un
conseil d'examen a Salamanque, sous la presidence de
Fernando de Talavera, prieur du Prado. Ce conseil 10
e"tait compose des hommes les plus verse's dans les
sciences divines et humaines des deux royaumes. II se
rassembla dans cette capitale litteraire de 1'Espagne, au
couvent des dominicains. Colomb y regut I'hospitalite'.
Les pretres et les religieux decidaient alors de tout en 18
Espagne. La civilisation e"tait dans le sanctuaire. Les
rois ne rdgnaient que sur leurs actes, les idees appar-
tenaient aux pontifes. L'Inquisition, police sacerdotale,
surveillait, atteignait, frappait jusqu'autour du trone tout
ce qui encourait la tache d'ne"resie. Le roi avait adjoint k 20
ce conseil des professeurs d'astronomie, de geographic,
de mathematiques et de toutes les sciences professees k
Salamanque. Get auditoire n'intimidait pas Colomb ; il
se flattait d'y etre juge par ses pairs : il n'y fut juge que par
ses contempteurs. La premieTe fois qu'il comparut dans 25
la grande salle du monastere, les moines et les pretendus
savants, convaincus d'avance que toute thdorie qui
de"passait leur ignorance ou leur routine n'e"tait que le
reve d'un esprit malade ou superbe, ne virent dans cet
obscur etranger qu'un aventurier, cherchant fortune de ses 30
chimeres. Personne ne daigna 1'ecouter, a 1'exception
de deux ou trois religieux du couvent de Saint-Etienne
de Salamanque, religieux obscurs et sans autorite", qui
se livraient dans leur cloitre a des etudes me"prisees du
clerge superieur. Les autres examinateurs de Colomb 35
le confondirent par des citations de la Bible, des
prpphetes, des psaumes, de 1'Evangile et des Peres de
1'Eglise, qui pulverisaient d'avance, par des textes indis-
cutables, la theorie du globe et 1'existence chimerique
et impie des antipodes : Lactance, entre autres, s'etait
a
22 CHRISTOPHE COLOMB.
explique formellement a cet e"gard dans un passage que
Ton opposait a Colomb. " Est-il rien de si absurde,
avait dit Lactance, que de croire qu'il y a des antipodes
ayant leurs pieds opposes aux notres, des hommes qui
6 marchent les talons en Fair et la tete en has, une partie
du monde ou tout est a 1'envers, ou les arbres poussent
avec les racines en 1'air et les branches en bas?" Saint
Augustin avait ete" plus loin, il avait taxe d'iniquite la
seule foi dans les antipodes ; " car, disait-il, ce serait
10 supposer des nations qui ne descendent pas d'Adam ; or
la Bible dit que tous les hommes descendent d'un seul et
meme pere." D'autres docteurs, prenant une me'taphore
poetique pour un systeme du monde, citaient au ge"o-
graphe ce verset du psaume ou il est dit que Dieu etendit
15 le ciel sur la terre comme une tente, d'ou il resultait,
selon eux, que la terre devait etre plate.
Colomb r^pondait en vain a ses interlocuteurs avec
une pie'te qui n'excluait pas la nature ; en vain, les
suivant respectueusement sur le terrain theologique, il
20 se montrait plus religieux et plus orthodoxe qu'eux,
parce qu'il etait plus intelligent et plus enthousiaste de
1'oeuvre de Dieu. Son eloquence, que passionnait la
verite, perdit toutes ses foudres et tous ses Eclairs dans
les t£nebres volontaires de ces esprits obstines. Quel-
25 ques religieux parurent seuls emus de doute ou ebranle"s
de conviction a la voix de Colomb. Diego de Deza,
moine de Tordre de Saint-Dominique, homme supeiieur
a son siecle, qui devint plus tard archeveque de Tolede,
osa combattre genereusement les prejuges du conseil, et
30 preter sa parole et son autorite a Colomb. Ce secours
inattendu ne put surmonter 1'indifference ou 1'obstina-
tion des examinateurs. Les conferences se multiplierent
sans amener de conclusion. Elles languirent enfin et
lasserent la verite par des delais qui sont le dernier
35 refuge de 1'erreur. Elles furent interrompues par une
nouvelle guerre de Ferdinand et d'Isabelle centre les
Maures de Grenade. Colomb, ajourne, attriste", meprise,
econduit, soutenu par la seule faveur d'Isabelle et par
la conquete de Diego de Deza a sa theorie, suivit
miserablement la cour et 1'armee de campement en
CHRISTOPHE COLOMB. 23
campement et de ville en ville, en e*piant en vain une
heure d'attention que le tumulte des armes 1'empechait
d'obtenir. La reine cependant, aussi fidele a la faveur
secrete qu'elle lui portait que la fortune lui e"tait adverse,
continuait a bien esperer de ce genie me"connu et a le 5
prote'ger. Elle faisait reserver a Colomb une raaison ou
une tente dans toutes les haltes de la cour. Son
tresorier etait charg£ d'entretenir le savant etranger, non
en hote iraportun qui mendie des secours, mais en hote
distingue qui honore le royaume et que les souverains 10
veulent retenir a leur service.
XIX
AINSI s'dcoulerent plusieurs anne*es, pendant lesquelles
le roi de Portugal, le roi d'Angleterre et le roi de
France, ayant entendu parler par leurs ambassadeurs de
cet homme Strange qui promettait un nouveau monde 15
aux rois, firent tenter Colomb par des propositions
d'entrer a leur service. La tendre reconnaissance qu'il
avail vouee a Isabelle et 1'amour qu'il portait a dona
Beatrix Enriquez de Cordoue, deja mere de son second
fils Fernando, lui firent ecarter ces offres et le retinrent 20
a la suite de la cour. II reservait a la jeune reine un
empire en retour de sa bonte pour lui. II assista au
siege et a la conquete de Grenade ; il vit Boabdil
rendre a Ferdinand et a Isabelle les clefs de cette
capitale, les palais des Abencerages et la mosque"e de 25
1'Alhambra. II fit partie du cortege des souverains
espagnols a leur entree triomphale dans ce dernier asile
de rislamisme. II voyait au dela de ces remparts et de
ces valle'es de Grenade d'autres conquetes et d'autres
entrees triomphales dans de plus vastes possessions. 30
Tout lui semblait petit, compare a ses pensees.
La paix qui suivit cette conquete, en 1492, motiva
une seconde reunion d'examinateurs de ses plans a
Seville, pour donner leur avis a la couronne. Cet avis,
combattu en vain, comme a Salamanque, par Diego de 35
Deza, fut de rejeter les offres de 1'aventurier genois,
24 CHRISTOPHE COLOMB.
sinon comme impies, au moins comme chimeriques et
compromettantes pour la dignite de la cour d'Espagne,
qui ne pouvait autoriser une entreprise sur d'aussi
puerils fondements. Ferdinand, influencd ne'anmoins
5 par Isabelle, adoucit la durete de cette resolution du
conseil en la communiquant a Colomb. II lui fit esperer
qu'aussitot apres la tranquille possession de 1'Espagne
par 1'expulsion achevee des Maures, la cour favoriserait
de ses subsides et de sa marine 1'expe'dition de decou-
10 verte et de conquete dont ii 1'entretenait depuis tant
d'anne"es.
XX
EN attendant, sans trop d'illusions, 1'accomplissement
toujours ajourne des promesses du roi et des desirs
plus sinceres d'Isabelle, Colomb tenta deux grands
15 seigneurs espagnols, le due de Medina-Sidonia et le due
de Medina-Celi, de faire a leurs frais cette entreprise.
L'un et 1'autre possedaient des ports et des navires sur la
cote d'Espagne. Us sourirent d'abord a ces perspectives
de gloire et de possessions maritimes pour leur maison,
20 puis ils les abandonnerent par incredulite ou par indif-
ference. L'envie s'acharnait sur Colomb, meme avant
qu'il 1'eut meritee par un succes ; elle le persecutait,
comme par anticipation et par instinct, jusque dans ses
esperances ; elle lui disputait ce qu'elle appelait ses
25 chimeres. II renonga de nouveau, avec larmes, a ces
tentatives. La froideur des ministres a 1'ecouter,
Tobstination des moines a repousser ses idees comme
une impiete de la science, les vaines promesses et les
eternels ajournements de la cour le jeterent, apres six
go annees d'angoisses, dans un tel decouragement qu'il
renon^a definitivement a toute sollicitation nouvelle
aupres des souverains de 1'Espagne, et qu'il re"solut
d'aller offrir son empire au roi de France, dont il avait
regu quelques provocations.
85 Ruin^ de fortune, abattu d'esperances, ^puis^ d'attente,
et le cceur brise par la necessite de s'arracher a 1'amour
qui 1'attachait a dona Beatrix, il partit de nouveau de
CHRISTOPHE COLOMB. 25
Cordoue a pied, sinon avec les perspectives de 1'avenir,
du moins pour aller retrouver son fidele ami, le prieur
Juan Peres, au monastere de la Rabida. II se proposait
d'y reprendre son fils Diego, qu'il y avait laisse, de le
ramener a Cordoue, et de le confier, avant son depart {
pour la France, a dona Beatrix, mere de son fils
Fernando. Les deux freres, eleves ainsi par les soins
et dans 1'amour de la meme femme, contracteraient 1'un
pour 1'autre cette tendresse fraternelle, seul heritage
qu'il eut a leur laisser. 10
XXI
DES larmes coulerent des yeux du prieur Juan Peres, en
voyant son ami a pied, vetu plus miserablement encore
que la premiere fois, frapper a la porte du monastere,
attestant assez, par le d£nument de ses habits et par la
tristesse de son visage, rincredulite" des hommes et la 15
ruine de ses espe'rances. Mais la Providence avait
cache de nouveau le ressort de la fortune de Colomb
dans le coeur de 1'amitie. La foi du pauvre moine dans
la verite et dans 1'avenir des de'couvertes de son protege,
au lieu de 1'abattre, le raidit, 1'indigna et 1'obstina 20
charitablement centre ses disgraces. II embrassa son
hote, g£mit et pleura avec lui ; mais, rappelant bientot
toute son energie et toute son autorite, il envoya chercher
au palais le medecin Fernandez, 1'ancien confident des
mysteres de Colomb, Alonzo Pinzon, riche navigateur 25
de ce port, et Sebastien Rodriguez, pilote consomme de
Lepi. Les idees de Colomb, deroulees de nouveau
devant ce petit conseil d'amis, fanatiserent de plus en
plus 1'auditoire. On le supplia de rester, de tenter
encore la fortune, de conserver a 1'Espagne, quoique 30
incre'dule et ingrate, la gloire d'une entreprise unique
dans 1'histoire. Pinzon promit de concourir de ses
richesses et de ses vaisseaux a 1'armement de la flottille
immortelle, aussitot que le gouvernement aurait consent!
4 1'autoriser. Juan Peres e"crivit, non plus au confesseur 35
de la reine, mais a la reine elle-meme, inte'ressant sa
26 CHRISTOPHE COLOME.
conscience autant que sa gloire a une entreprise qui
rejetterait des nations entieres de 1'idolatrie a la foi. II
fit parler la terre et le ciel, il trouva la persuasion et la
chaleur dans la passion de la grandeur de sa patrie et
5 dans 1'amitie. Colomb, de'coura.ge, se refusant a porter
cette lettre a une cour dont il avait tant eprouve les
lenteurs et les inattentions, le pilote Rodriguez se
chargea de la porter lui-meme a Grenade, ou la cour
residait alors. II partit, accompagne des vceux et des
10 prieres du couvent et des amis de Colomb, a Palos. Le
quatorzieme jour apres son depart, on le vit revenir
triomphant au monastere. La reine avait lu la lettre de
Juan Peres ; elle avait retrouve a cette lecture toutes
ses preventions favorables pour le Genois. Elle mandait
15 & 1'instant le venerable prieur a la cour, et elle faisait
dire a Colomb d'attendre au couvent de la Rabida le
retour du moine et la resolution du conseil.
Juan Peres, ivre du bonheur de son ami, fit seller sa
mule sans perdre une heure, et se mit en route la nuit
20 meme, seul, a travers les pays infested par les Maures.
II sentait que le ciel protegeait en lui le grand dessein
qu'il avait en d£p6t dans son ami. II arriva : les portes
du palais s'ouvrirent a son nom ; il vit la reine ; il ral-
luma en elle, par 1'ardeur de sa propre conviction, la foi
25 et le zele qu'elle avait congus d'elle-meme pour ce grand
ceuvre. La marquise de Maya, favorite d'Isabelle, se
passionna par enthousiasme et par piete pour le protege
du saint religieux. Ces deux coeurs de femme, allumes
par 1'eloquence d'un moine pour les projets d'un aven-
30 turier, triompherent des resistances de la cour. Isabelle
envoya a Colomb une somme d'argent prise sur son
tresor secret pour qu'il achetat une mule et des vete-
ments, et qu'il se rendit immediatement k la cour.
Juan Peres, restant aupres d'elle pour soutenir son ami
35 de ses demarches et de son cre'dit, fit passer ces
heureuses nouvelles et ce secours d'argent a la Rabida
par un messager, qui remit la lettre et la somme au
me'decm Fernandez de Palos pour etre transmises k
Colomb.
CHRISTOPHE COLOMB.
XXII
COLOMB, ayant achet£ tine mule et pris un serviteur,
arriva a Grenade, et fut admis a de"battre ses plans et
ses conditions avec les ministres de Ferdinand. " On
voyait alors, e"crit un temoin oculaire, un homme obscur
et inconnu suivre la cour, confondu par les conseillers des 5
deux couronnes dans la foule des solliciteurs opportuns,
repaissant son imagination dans le coin des anticham-
bres du pompeux projet de decouvrir un monde ;
grave, me"lancolique et abattu au milieu de 1'allegresse
publique, il semblait voir avec indifference 1'achevement 10
de cette conquete de Grenade, qui remplissait d'orgueil
un peuple et deux cours : cet homme 6ta.it Christophe
Colomb ! "
Les obstacles cette fois vinrent de Colomb. Stir du
continent qu'il offrait a 1'Espagne, il voulait, par respect 15
pour la grandeur meme du present qu'il allait faire au
monde et a ses souverains, stipuler, pour lui et pour ses
descendants, des conditions dignes, non de lui-meme,
mais de son ceuvre. En manquant d'un legitime orgueil,
il aurait cru manquer de foi en Dieu et de dignite 20
en sa mission. Pauvre, seul et econduit, il traitait en
souverain c~s possessions qu'il ne voyait encore que
dans ses pensees. " Un mendiant, disait Fernandez de
Telavera, chef du conseil, fait les conditions d'un roi
aux rois." II exigeait le titre et les privileges d'amiral, 25
la puissance et les honneurs de vice-roi de toutes les
terres qu'il adjoindrait par ses decouvertes a 1'Espagne,
la dime a perp^tuite, pour lui et pour ses descendants,
de tous les revenus de ces possessions. " Singulieres
exigences d'un aventurier, s'e'criaient ses adversaires 30
dans le conseil, qui lui attribueraient prealablement le
commandement d'une flotte et la possession d'llne vTce-
royaut£ sans limites, s'il r£ussit dans son entreprise, et
qui ne 1'engage en rien s'il ne re"ussit pas, puisque sa
misere actuelle n'a rien a perdre." 35
On s'etonna d'abord de ces exigences, on finit par
s'indigner ; on lui offrit des conditions moins onereuses
28 CHRISTOPHE COLOMB.
a la couronne. Du fond de son indigence et de son
ne"ant il refusa tout. Lasse, mais non vaincu par dix-
huit ans d'e"preuves, depuis le jour ou il portait en lui sa
pensee et ou il 1'offrait en vain aux puissances de la
5 terre, il aurait rougi de rien rabattre du prix du don que
Dieu lui avait fait. II se retira respectueusement des
conferences avec les commissaires de Ferdinand, et,
remontant seul et nu sur sa mule, present de la reine,
il reprit le chemin de Cordoue, pour se rendre de la en
10 France.
XXIII
ISABELLE, en apprenant le depart de son protege", eut
comme le pressentiment des grandes choses qui s'eloi-
gnaient pour jamais d'elle avec cet homme predestine".
Elle s'indigna contre ses commissaires " qui marchan-
15 daient avec Dieu, s'ecria-t-elle, le prix d'un empire et
surtout le prix de millions d'ames laissees par leur faute
a 1'idolatrie." La marquise de Maya et le controleur
des finances d'Isabelle, Quintanilla, partagerent et
animerent encore ses remords. Le roi, plus froid et
20 plus calculateur, hesitait ; la depense de 1'entreprise
dans un moment de pe'nurie du tresor le retenait.
" Eh bien ! s'ecria dans un transport de ge'iiereux
enthousiasme Isabelle, je me charge seule de 1'entre-
prise pour raa couronne personnelle de Castille ! Je
26 mettrai mes bijoux et mes diamants en gage pour sub-
venir aux frais de 1'armement ! "
Cet elan de cceur d'une femme triompha de 1'eco-
nomie du roi, et, par un calcul plus sublime, acquit
d'incalculables tresors de richesses et de provinces k
80 ces deux monarchies. Le desinteressement inspire" par
1'enthousiasme est la ve'ritable economic des grands
ames et la veritable sagesse des grands politiques.
On courut sur les pas du fugitif : le messager que la
reine lui envoya pour le rappeler le rencontra a quelques
35 lieues de Grenade, sur le pont de Pinos, de'file' fameux
entre des rochers ou les Maures et les Chretiens avaient
souvent confondu leur sang dans les eaux du torrent
CHRISTOPHE COLOMB. 29
qui se"parait les deux races. Colomb, attendri, revint
se jeter aux pieds d'Isabelle. Elle obtint par ses larmes,
du roi Ferdinand, la ratification des conditions exige"es
par Colomb. En servant la cause abandonnee de ce
grand homme, elle croyait servir la cause de Dieu lui- 5
meme, ignore de cette partie du genre humain qu'il
allait conque"rir a la foi. Elle voyait le royaume celeste
dans tes acquisitions que son favori allait faire a son
empire. Ferdinand y voyait son royaume terrestre.
Soldat de la chretiente en Espagne et vainqueur des 10
Maures, tout ce qu'il ajoutait de fideles a la foi de
Rome avail e"te ajoute" au nombre de ses sujets par le
pape; les millions d'hommes qu'il allait rallier au
christianisme par les decouvertes de cet aventurier lui
etaient donnes d'avance en pleine possession par les 15
bulles de la cour de Rome. Tout ce qui n'e"tait pas
chretien, a ses yeux, etait esclave de droit ; toute partie
de rhumanite" qui n'etait pas marquee du sceau du
Christ n'etait pas marquee du sceau de 1'homme. Elle
les donnait ou les troquait au nom de sa souverainete 20
spirituelle sur la terre et dans le ciel. Ferdinand etait
assez credule et en meme temps assez politique pour les
accepter.
Le traite entre Ferdinand, Isabelle et ce pauvre
aventurier genois, arrive a pied quelques annees avant 25
dans leur capitale, et n'avanY d'asile que 1'hospitalitd
aux portes d'un monastere, fut signe dans la plaine de
Grenade, le 17 avril 1492. Isabelle prit a elle seule, au
compte de son royaume de Castille, tous les frais de
1'expedition. II etait juste que celle qui avait cru la 30
premiere risquat davantage dans 1'entreprise ; il 6ta.it
juste aussi que la gloire et la reconnaissance du succes
s'attachassent avant tout autre nom a son nom. On
assigna a Colomb le petit port de Palos, en Andalousie,
pour centre d'organisation de 1'expedition et pour point 35
de depart de son escadre. La pensee congue au monas-
tere de la Rabida, voisin de Palos, par Juan Peres et
par ses amis dans leur premiere rencontre avec Colomb,
revenait d'ou elle 6ia.it partie. Le prieur de ce
monastere allait presider aux pre'paratifs et voir, de son
30 CHRISTOPHE COLOMB.
ermitage, la premiere voile de son ami se employer vers
ce monde inconnu qu'ils avaient vu ensemble du regard
du genie et de la foi.
XXIV
DES obstacles nombreux, impreVus, en apparence insur-
6 montables, s'opposerent de nouveau aux faveurs d'Isabelle
et a 1'accomplissement des promesses de Ferdinand.
L'argent manqua dans le tresor royal; les vaisseaux,
employes a des expeditions plus urgentes, s'eloi-
gnaient des ports d'Espagne; les marins engage's pour
10 une traversee si longue et si mysterieuse, se refuserent
ou deserterent a mesure qu'on les recrutait. Les villes
du littoral, contraintes par ordre de la cour a fournir les
batiments, hesiterent a obeir, et desarmerent les navires
condamnes, dans Fopinion generate, a une perte certaine.
15 L'incredulite, la terreur, 1'envie, la derision, 1'avarice, la
revoke meme, briserent cent fois, dans les mains de
Colomb et des agents de la cour eux-memes, les moyens
materiels d'execution que la faveur d'Isabelle avait mis
a sa disposition. II semblait qu'un fatal genie, obstine
20 a lutter contre le genie de Punite" de la terre, voulut
separer a jamais ces deux mondes que la pensee d'un
seul homme voulait unir.
Colomb presidait a tout du fond du monastere de la
Rabida, ou son ami, le prieur Juan Peres, lui avait
25 donne de nouveau 1'hospitalite'. Sans 1'intervention et
1'influence de ce pauvre religieux, 1'expedition ordonnde
dchouait definitivement encore. Tous les ordres de la
cour e'taient impuissants ou desobeis. Le moine cut
recours a ses amis de Palos ; ils se fierent a sa foi, a ses
30 prieres, a ses conseils. Trois freres, riches navigateurs
de Palos, les Pinzon, se sentirent enfin pendtrds de la
conviction et de l'espe"rance qui inspiraient 1'ami de
Colomb. Ils crurent entendre la voix de Dieu dans
celle de ce vieillard solitaire. Ils s'associerent spontand-
85 ment a 1'entreprise : ils fournirent 1'argent, ils equiperent
trois navires appeles alors caravellas, ils engagerent des
CHRISTOPHE COLOMB. 31
matelots des petits ports de Palos et de Moguer, et,
pour donner & la fois 1'impulsion et 1'exemple a la
confiance de leurs marins, deux des trois freres, Martin-
Alonzo Pinzon et Vincent-Yanes Pinzon, resolurent de
s'embarquer et de prendre eux-memes des commande- 5
ments sur leurs vaisseaux. Grace a cette ge'nereuse assis-
tance des Pinzon, trois vaisseaux, ou plutot trois
barques, la Santa-Maria, la Pinta et la Nina, furent
en etat de prendre la mer, le vendredi 3 aout 1492.
XXV
Au lever du jour, Colomb, accompagne" jusqu'au rivage 10
par le prieur et par les religieux du couvent de la
Rabida, qui benirent la mer et ses voiles, embrassa son
fils laisse aux soins de Juan Peres, et monta sur le plus
grand de ses trois batiroents, la Santa-Maria. II y
arbora son pavilion d'amiral d'un oceah ignore et de 15
vrre^Toi des terres inconnues. Le peuple des deux ports
et de la cote se pressait en foule innombrable sur le
rivage pour assister a ce depart, que les prejuges popu-
laires croyaient sans retour. C'e'tait un cortege de
deuil plus qu'un salut d'heureuse traversee ; il y avait 20
plus de tristesse que d'espe"rance, plus de larmes que
d'acclamations. Les meres, les femmes, les sceurs des
matelots maudissaient a voix basse ce funeste etranger
qui avait se'duit par ses paroles enchanters 1'esprit de la
reine, et qui prenait tant de vies d'hommes sous la 25
responsabilite d'un de ses reves. Colomb, comme tous
les hommes qui entrainent un peuple au dela de ses
pre"juge"s, suivi a regret, entrait dans 1'inconnu au bruit des
maledictions et des murmures. C'est la loi des choses
humaines. Tout ce qui depasse 1'humanite, meme pour JQ
lui conque'rir une ide"e, une verite ou un monde, la fait
murmurer. L'homme est comme 1'Ocean, il a une
tendance au mouvement et un poids naturel a rimmo-
bilite' : de ces deux tendances contraires nait Tequilibre
de sa nature; malheur & qui le rompt !
32 CHRISTOPHE COLOMB.
DEUXlfeME PARTIE.
I
I/ASPECT de cette flottille, a peine comparable k une
expedition de peche ou de trafic sur la cote, etait bien
propre a contraster, dans les yeux et dans Fame du
peuple, avec la grandeur et les perils qu'elle allait si
fi te"me"rairement affronter. Des trois barques de Colomb,
une seule e"tait pontee, celle qu'il montait. C'e'tait un
e"troit et frele navire du commerce, deja vieux et fatigue
des flots. Les deux autres e"taient sans pont, qu'une
lame aurait sum" pour engloutir. Mais la poupe et la
10 proue de ces barques, tres elevees au-dessus des vagues,
comme les galeres antiques, avaient deux demi-ponts,
dont le vide donnait asile aux matelots dans les gros
temps et empechait que le poids d'une vague embarque"e
ne fit sombrer la caravelle. Ces barques etaient montdes
15 de deux mats, 1'un au milieu, 1'autre en arriere du bail-
ment. Le premier de ces mats portait une seule grande
voile carree ; le second, une voile latine triangulaire.
De longues rames, rarement et difficilement employees,
s'adaptaient, dans le calme, aux bordages bas du milieu
30 de la caravelle, et pouvaient, au besoin, imprimer une
lente impulsion au batiment. C'est sur ces trois barques
d'ine"gale grandeur que Colomb disposa les cent vingt
hommes qui composaient en tout ses Equipages. Lui
seul y montait avec un visage serein, avec un regard
26 assure, avec un cceur ferme. Ses conjectures avaient
pris, depuis dix-huit ans, dans son esprit, le corps d'une
certitude. Bien qu'il cut ddpasse" ce jour-la plus de la
mome" du terme de sa vie, et qu'il entrat dans sa
cinquante-septieme annee, il regardait comme rien les
CHRISTOPHE COLOMB. 33
anndes qui etaient derriere lui : toute sa vie, a ses yeux,
etait en avant ; il se sentait la jeunesse de 1'esperance et
1'avenir de 1'immortalite. Comme pour prendre pos-
session de ces mondes vers lesquels il orientait ses
voiles, il ecrivit et publia, en montant sur son navire, 5
un recit solennel de toutes les phases que son esprit et
sa fortune avaient parcourues jusque-la pour concevoir
et pour executer son dessein ; il y joignit 1'enutneration
de tous les litres, de tous les honneurs, de tous les
commandements dont il venait d'etre investi par ses 10
souverains sur ses futures possessions, et il invoqua le
Christ et les hommes en protection de sa foi et en
temoignage de sa Constance. " Et c'est pour cela,"
dit-il en finissant cette proclamation au vieux et au
nouveau monde, " que je me condamne a ne plus 15
dormir pendant cette navigation et l'accomplissement
de ces choses ! "
II
UNE brise heureuse qui soufflait d'Europe le poussa
doucement vers les iles Canaries, derniere halte des
navigateurs sur 1'Ocean. Tout en rendant grace a 20
Dieu de ces augures qui contribuaient a rasserener ses
equipages, il aurait seulement prefe're' qu'un vent tem-
petueux 1'emportat a plein souffle hors des parages
connus et frequented des navires. II craignait avec
raison que la vue des cotes lointaines de 1'Espagne 25
ne rappelat, par les invincibles attraits de la patrie,
les yeux et le cceur des marins irresolus et timides, qui
he"sitaient encore en s'embarquant. Dans les entreprises
supremes, il ne faut pas donner aux hommes le temps
de la reflexion et les occasions du repentir. Colomb 30
Je savait ; il brulait d'avoir passe les limites des vagues
connues, et d'avoir a lui seul la possibility du retour,
dans le secret de sa route, de ses cartes et de sa
boussole. Son impatience de perdre de vue les rivages
du vieux continent n'e"tait que trop fondee. Un de ses 35
navires, la Pinta, dont le gouvernail s'e"tait brise et qui
34 CHRlSlOPHfc COLOMB.
faisait eau dans sa cale, lui fit chercher, malgre' lui, les
iles Canaries pour y changer cette embarcation centre
une autre. II perdit environ trois semaines dans ces
ports sans pouvoir y trouver un navire approprie a sa
5 longue traversee. II fut contraint de radouber seule-
ment la Pinta, et de donner une autre voiluFe a la Nina,
sa troisieme conserve, barque lourde et paresseuse qui
ralentissait sa marche. II y renouvela ses provisions
d'eau et de vivres. Ses batiments etroits et sans pont
10 ne lui permettaient de porter la vie de ses cent vingt
hommes que pour un nombre de jours comptes.
Apres avoir quitte les Canaries, 1'aspect du volcan de
Teneriffe, dont une eruption enflammait le ciel et se
reverbe'rait dans la mer, jeta la terreur dans Tame de
15 ses matelots. Us crurent y voir le glaive flamboyant
de 1'ange qui chassa le premier homme de 1'Eden,
de'fendant aux enfants d'Adam Pentree des mers et des
terres interdites. L'amiral passa de navire en navire
pour dissiper cette panique populaire, et pour expliquer
20 scientifiquement a ces hommes simples les lois physiques
de ce phe'nomene. Mais la disparition du pic de Tene-
riffe, quand il s'abaissa sous 1'horizon, leur iraprima
autant de tristesse que son cratere leur avait inspire
d'effroi. II etait pour eux la derniere borne, le dernier
25 phare du vieil univers. En le perdant de vue, ils crurent
avoir perdu jusqu'aux jalons de leur route a travers un
incommensurable espaCE Ils se sentirent comme
detaches de la terre et naviguant dans Tether d'une
autre planete. Une prostration generale de 1'esprit et
so du corps s'empara d:eux. Ils etaient comme des
spectres qui ont perdu jusqu'a leur tombeau. L'amiral
les rassembla de nouveau autour de lui, sur son navire,
releva leur ame par 1'energie de la sienne, et s'aban-
donnant, comme le poete de 1'inconnu, a 1'inspiration
35 eloquente de ses esperances, il leur decrivit, comme s'il
les avait deja frequente's, les terres, les iles, les mers,
les royaumes, les richesses, les vegetations, les soleils,
les mines d'or, les plages sablees de perles, les mon-
tagnes e"blouissantes de pierres precieuses, les plaines
embaumees d'epices qui se levaient deja pour lui de
CHRISTOPHE COLOMB. 35
1'autre cote de cet espace, dont chaque lame portait
leurs voiles a ces merveilles et a ces felicites. Ces
images peintes des couleurs prestigieuses de 1'opulente
imagination de leur chef enivrerent et releverent ces
cceurs affaisses ; les vents alizes, soufflant constamment 5
et doucement de 1'est, semblaient seconder 1'impatience
des matelots. La distance seule pouvait ddsormais les
effrayer. Colomb, pour leur de"rober une partie de
1'espace a travers lequel il les entrainait, soustrayait
chaque jour, de son calcul de lieues marines, une partie 10
de la distance parcourue, et trompait ainsi de la moitie
du chemin i'imagination de ses pilotes et de ses mate-
lots. II notait secretement pour lui seul la veritable
estinie, afin de connaitre seul aussi le nombre de vagues
qu'il avait franchies, et les jalons de route qu'il voulait 15
cacher comme un secret a ses rivaux. Les Equipages,
en effet, illusionnes par 1'haleine egale du vent et pai
la paisible oscillation des lames, se figuraient flotter
lentement dans les dernieres mers d'Europe.
Ill
IL aurait voulu leur de"rober egalement un phenomene 20
qui deconcertait sa propre science, a deux cents lieues
de Tendriffe. C'etait la variation de 1'aiguille aimantee
de la boussole, dernier et selon lui infaillible guide, qui
chancelait lui-meme aux limites d'un hemisphere infre-
quente. II porta seul en lui-meme, pendant quelques 25
jours, ce doute terrible. Mais ses pilotes, attentifs
comme lui a Phabitacle, s'aperqurent bientot de ces
variations. Saisis du meme etonnement, mais moins
raffermis que leur chef dans 1'inebranlable resolution de
braver meme la nature, ils crurent que les elements 30
eux-memes se troublaient ou changeaient de loi au bord
de 1'espace infini. Le vertige qu'ils supposaient dans
la nature passa dans leur ame. Ils se communiquerent
en palissant leur doute, et abandonnerent les navires au
hasard des flots et des vents, seuls guides qui leur 35
restaient desormais. Leur decouragement consterna
36 CHRISTOPHE COLOMB.
tous les matelots. Colomb, qui cherchait en vain a
s'expliquer a lui-meme un mystere dont la science
d'aujourd'hui recherche encore la raison, eut recours a
cette puissante imagination, boussole intime dont le
5 ciel 1'avait doue". II inventa une explication fausse,
mais specieuse pour des esprits sans culture, des varia-
tions de 1'aiguille aimantee. II 1'attribua a des astres
nouveaux circulant autour du pole, dont 1'aiguille
attiree suivait les mouvements alternatifs dans le firma-
10 ment. Cette explication, conforme aux principes
astrologiques du temps, satisfit les pilotes, et leur
credulite rendit la foi aux matelots. La vue d'un heron
et d'un oiseau du tropique, qui vinrent le lendemain
voler autour des mats de la flottille, ope'ra sur leurs sens
15 ce que 1'explication de 1'amiral avail opere" sur leur
pensee. Ces deux habitants de la terre ne pouvaient
vivre sur un ocean sans arbres, sans herbes et sans eaux.
Us apparurent comme deux temoins qui venaient certi-
fier, avant le te'moignage oculaire, les meditations de
20 Colomb. Us voguerent avec plus d'assurance sur la
foi d'un oiseau. La temperature suave, £gale et sereine
de cette partie de I'Oce'an, la limpidite' du ciel, la trans-
parence des lames, les jeux des dauphins autour de la
proue, la tiedeur de 1'air, les parfums que les vagues
25 apportent de loin et qu'elles semblent transpirer en
ecurnant, les lueurs plus vives des constellations et des
e"toiles dans la nuit, tout semblait, dans ces latitudes,
pene'trer les sens de serenite comme les ames de convic-
tion. On respirait les presages du monde encore
30 invisible. On se souvenait des jours resplendissants,
des astres amis, des tenebres encore lumineuses des
printemps de 1'Andalousie. "II n'y manquait, ecrit
Colomb, que le rossignol."
IV
LA mer aussi commenc.ait a rouler ses presages. Des
35 plantes inconnues flottaient fre'quemment sur les lames.
Les unes, disent les historiens de cette premiere traversed,
CHRISTOPHE COLOMB. 37
dtaient des plantes marines qui ne croissent que sur les
bas-fonds voisins des rivages ; les autres, des plantes
saxillaires que les vagues n'enlevent qu'aux rochers ; les
autres, des plantes fluviales ; quelques-unes, fra^chement
detachees des racines, conservaient la verdure de leur 6
seve ; 1'une d'elles portait un crabe vivant, navigateur
embarque sur une touffe d'herbe. Ces plantes et ces
etres vivants ne pouvaient pas avoir passe beaucoup de
jours sur 1'eau sans se faner et sans mourir. Un oiseau
de 1'espece de ceux qui ne s'abattent pas sur les vagues 10
et qui ne dorment jamais sur 1'eau tra versa le ciel.
D'ou venait-il ? ou allait-il ? le lieu de son sommeii
pouvait-il etre eloigne ? Plus loin, 1'Ocean changeait
de temperature et de couleur, indices de fonds varies ;
ailleurs, il ressemblait a d'immenses prairies majrines l&
dont les vagues herbues etaient fauchees par la proue
et ralentissaient le sillage; le soir et le mitin, des
brumes lointaines, telles que celles qui s'attachent aux
grandes cimes du globe, affectaient a Thorizon les formes
de plages et de montagnes. Le cri de : Terre! etait sur le 20
bord de toutes les levres. Colomb ne voulait ni trop
confirmer ni trop £teindre ces esperances qui servaient
ses desseins en ranimant ses compagnons. Mais il ne se
croyait encore qu'a trois cents lieues de Teneriffe, et,
dans ses conjectures, il ne trouverait la terre qu'il cher- 25
chait qu'a sept ou huit cents lieues plus loin.
CEPENDANT il renfermait en lui seul ses conjectures,
sans amis parmi ses compagnons dont le coeur fut assez
ferme pour egaler sa Constance, assez sur pour contenir
ses secretes apprehensions. II n'avait, dans cette longue 30
traversee, d'entretien qu'avec ses propres pensees, avec
les asties et avec Dieu, dont il se sentait le confident.
Presque sans sommeii, comme il 1'avait dtt dans sa
proclamation d'adieu au vieux monde, il passait les jours,
dans sa chambre de poupe, a noter en caracteres intel- 35
ligibles pour lui seul les degres, les latitudes, les espaces
4
38 CHRISTOPHE COLOMB.
qu'il croyait avoir franchis ; il passait les nuits sur le
pont, aupres de ses pilotes, & etudier les astres et k
surveiller la mer. Presque toujours seul comme Moi'se
conduisant le peuple de Dieu dans son desert, imprimant
5 a ses compagnons, par sa gravite pensive, tantot un
respect, tantot une defiance, tantot une terreur qui les
eloignaient de lui ; isolement ou distance qu'on remarque
presque toujours autour des hommes superieurs d'idees et
de resolution a leurs semblables,soitqueces genies inspires
10 aient besoin de plus de solitude et de recueillement pour
s'entretenir avec eux-memes, soit que les hommes
inferieurs qu'ils intimident n'aiment pas a les approcher
de trop pres, de peur de se mesurer avec ces hautes
natures et de sentir leur petitesse devant ces grandeurs
15 morales de la cre'ation.
VI
LA terre si souvent indiquee ne se montrait ndanmoins
que dans les mirages de ses matelots ; chaque matin
dissipait devant les proues des navires les horizons
fantastiques que la brume du soir leur avail fait prendre
20 pour des cotes. Us allaient plongeant toujours comme
dans un abime sans bord et sans fond. La regularite
et la constance meme du vent d'est qui les secondait,
sans qu'ils eussent a orienter une seule fois leurs voiles
depuis tant de jours, etait pour eux une cause de trouble
25 d'esprit. Us commengaient k se figurer que ce vent
rdgnait eternellement le meme dans cette region du
grand Ocean, ceinture du globe, et qu'apres les avoir
fait descendre avec tant de facilite" vers 1'ouest, il serait
un insurmontable obstacle a leur retour. Comment
30 remonteraient-ils jamais ce courant de vents contraires
autrement qu'en louvoyant dans ces espaces ? Et s'il
leur fallait louvoyer pendant des borde'es sans fin pour
retrouver les cotes du vieux monde, comment leurs
provisions d'eau et de vivres, deja k demi consommees,
35 suffiraient-elles aux longs mois de leur navigation en
arriere ? Qui les sauverait de 1' horrible perspective de
CHRISTOPHE COLOMB. 39
mourir de soif et de faim dans leur longue lutte avec
ces vents qui les repoussaient de leurs ports ? Beau-
coup commengaient a calculer le nombre de jours, de
rations inegales a ces jours, a murmurer contre une
obstination toujours trompe"e dans leur chef, et a se 5
reprocher a voix basse une perseverance de devouement
qui sacrifiait les vies de cent vingc hommesala demence
d'un seul !
Mais, chaque fois que le murmure allait grossir jusqu'a
la sedition, la Providence semblait leur envoyer des 10
presages plus convaincants et plus inattendus pour les
changer en esperances. Ainsi, le 30 septembre, ces
vents favorables, mais alarmants par leur fixitd, varierent
et passerent au sud-ouest. Les matelots saluerent ce
changement, bien que contraire k leur route, comme 15
un signe de vie et de mobilite" dans les elements, qui
leur faisait reconnattre une palpitation de 1'air sur leurs
voiles. Le soir, de petits oiseaux des races les plus
freles, faisant leur nid dans les arbustes et dans les
vergers domestiques, voltigerent en gazouillant autour 20
des mats. Leurs ailes fragiles et leurs gazouillements
joyeux n'indiquaienc en euxaucun symptouiede lassitude
ou d'eftroi comme dans des voices d'otseaux qui auraient
e^e emportes rnaigre' eux bien loin sur la mer par un
coup de vent. Leurs chants, semblables a ceux que les 25
matelots entendaient autour de leurs charmilles, dans les
myrtes et dins les bois d'orangers de 1'Andalousie, leur
rappelaient la patrie et les invitaient a de prochains
rivages. Les herbes, plus epaisses et plus vertes sur la
surface des vagues, imitaient des prairies et des champs 30
avant la maturite desgerbes. La vegetation cachee sous
1'eau apparaissait avant la terre. Elle ravissait les yeux
des marins lasses de 1'eternel azur des flots. Mais elles
devinrent bientot si touffues, qu'ils craignirent d'y entraver
leur gouvernail et leur quille, et d'etre retenus captifs 35
dans ces joncs de 1'Ocean, comme les navires de la mer
du Nord dans les glaces. Ainsi, chaque joie se changeait
bien vite en alarmes : tant 1'inconnu a de terreur pour le
cceur de 1'homme. Colomb, comme un guide cherchant
sa route a travers ces mysteres de 1'Ocean, £tait oblige
40 CHRISTOPHE COLOMB.
de paraitre comprendre ce qui 1'etonnait lui-meme, et
d'inventer une explication pour chaque etonnement de
ses matelots.
VII
LES calmes de la ligne les jeterent dans la consternation.
5 Si tout, jusqu'au vent, mourait dans ces parages, qui
rendrait le souffle a leurs voiles et le mouvetnent a leurs
vaisseaux ? La mer tout a coup se gonfla sans vent : ils
crurent a des convulsions souterraines a son lit. Une
immense baleine se montra endormie sur le dos des
10 vagues : ils imaginerent des monstres devorant les nefs.
L'ondulation des vagues les emportait sur des courants
qu'ils ne pouvaient surmonter faute de vent : ils se
figurerent qu'ils approchaient des cataractes de la mer, et
qu'ils allaient etre entraines dans les abimes et dans les
15 reservoirs oil le deluge avait etanche ses mondes d'eau.
Ils se groupaient, sombres et irrites, au pied des mats ;
ils se communiquaient a plus haute voix leurs murmures ;
ils parlaient de forcer les pilotes a virer de bord, de jeter
1'amiral a la mer, comme un insense qui ne laissait de
20 choix a ses compagnons qu'entre le suicide ou le meurtre.
Colomb, a qui les regards et les murmures re'velaient ces
complots, les bravait par son attitude ou les de'concertait
par sa confiance.
La nature vint a son secours en faisant souffler de
25 nouveau les vents rafraichissants de Test et en aplanis-
sant la mer sous ses proues. Avant la fin du jour, Alonzo
Pinzon, qui commandait la Plata, et qui naviguait assez
pres de 1'amiral pour qu'il put s'entretenir avec lui bord
a bord, jeta le premier cri de : Terre! du haut de sa
30 poupe. Tous les equipages, re"petant ce cri de salut, de
vie et de triomphe, se jeterent a genoux sur les ponts et
entonnerent 1'hymne de : Gloire a Dieu dans le cielet sur la
terre I
Ce chant religieux, premier hymne mont^ au Createur
35 du sein de ce jeune Ocean, roula lentement sur les
vagues. Quand il eu* >«*(* tout le monde monta aux
CHRISTOPHE COLOMB. 41
mats, auxhunes, aux cordages les plus Sieves des navires,
pour prendre possession par ses propres yeux du rivage
entrevu par Pinzon, au sud-ouest. Colomb seul doutait ;
mais il aimait trop a croire pour contredire seul le delire
de ses equipages. Bien qu'il ne cherchat sa terre & lui
qu'a 1'ouest, il laissa gouverner au sud pendant toute la
nuit, aimant mieux perdre un peu de sa route pour
complaire a ses compagnons que de perdre la popularite
passagere due a leur illusion. Le lever du soleil ne la
dissipa que trop vite. La terre imaginaire de Pinzon
s'etait eVanouie avec la brume de la nuit. L'amiral
reprit la route de ses pensees vers 1'ouest.
VIII
avait de nouveau aplani sa surface ; le soleil
sans nuage et sans limite s'y reverberait comme dans un
second ciel. Les lames caressantes couronnaient la 15
proue de legeres ecumes. Les dauphins, plus nombreux,
bondissaient dans le sillage; toute la mer semblait
habitee ; les poissons volaient, s'dlancaient et retombaient
sur les ponts des navires. Tout semblait se concerter
avec Colomb dans la nature pour entrainer par un espoir 20
renaissant ses matelots qui oubliaient les jours. Le
i" octobre, ils s'imaginaient n'avoir fait que six cents lieues
hors des parages frequentes des navigateurs : le livre
d'estime secret de 1'amiral en accusait plus de huit cents.
Cependant tous les signes du voisinage des terres se 25
multipliaient autour d'eux, mais point de terre a aucun
horizon. La terreur rentra dans leur ame. Colomb
lui-meme, sous son calme apparent, se troubla dequelque
doute ; il craignit d'avoir passe sans les voir a travers
les iles d'un archipel, de laisser derriere lui 1'extr^mite 30
de 1'Asie qu'il cherchait, et de s'egarer maintenant dans
quelque troisieme oce"an.
La plus legere de ses barques, la Nina, qui naviguait
en avant-garde, le 7 octobre, hissa enfin son pavilion
de de"couverte, et lira un coup de canon de joie pour 35
annoncer une cote aux deux autres vaisseaux. En
42 CHRISTOPHE COLOMB.
s'approchant, ils reconnurent que la Nina avait ete' deque
par un nuage. Le vent, en 1'emportant dans les airs,
emporta leur courte joie. Elle se changea en consterna-
tion. Rien ne lasse le cceur des homines autant que res
5 alternatives de fausses joies et de deceptions ameres.
Ce sont les sarcasmes de la fortune. Les reproches
recommencerent a eclater sur tous les visages contre
1'amiral. Ce n'etait plus seulement leurs fatigues et
leurs divisions que les equipages imputaient a leur guide,
10 c'etait leur vie sacrifice sans espoir; le pain et 1'eau
allaient manquer.
Colomb, de'concerte par Pimmensite de cet espace,
dont il avait cru enfin toucher les bornes, abandonna sa
route ideale trace'e sur sa carte, et suivit deux jours et
lo deux nuits le vol des oiseaux, piloies celestes que la
Providence semblait lui envoyer au moment ou la
science humaine defaillait en lui. L'instinct de ces
oiseaux, se disait-il, ne les dirigerait pas tous vers ce
point de 1'horizon, s'ils n'y voyaient pas un rivage.
20 Mais les oiseaux meme semblaient, aux yeux des
matelots, s'entendre avec le desert de 1'Ocean et avec
les astres menteurs pour se jouer de leurs navires et
de leurs vies. A la fin du troisieme jour, les pilotes,
montes sur les haubans a 1'heure ou le soleil devoile en
25 s'abaissant le plus d'horizon, le virent se plonger dans
les memes vagues d'ou il se levait depuis tant d'aurotes.
Ils crurent a 1'infini des eaux. Le de"sespoir qui les
abattait se changea en sourde fureur. Qu'avaient-ils a
menager maintenant avec un chef qui avait trompe la
30 cour, et dont les litres et 1'autorite, surpris a la confiance
de ses souverains, allaient perir avec ses illusions ? Le
suivre plus loin, n'etait-ce pas s'associer a son crime ?
L'obeissance ne finissait-elle pas la oil finissait le
monde ? Restait-il un autre espoir, s'il en restait, que
35 de retourner les proues vers 1'Europe, de lutter en
louvoyant contre ces vents, complices de 1'amiral, et de
1'enchainer lui-meme a son mat pour qu'il fut 1'objet de
la malediction des mourants, s'il fallait mourir, ou pour
le livrer a la vengeance de 1'Espagne, si le ciel leur
permettait jamais d'en revoir les ports ?
CHRISTOPHE COLOMB. 43
Ces murmures etaient devenus des clameurs. L'in-
tre"pide amiral les contint par 1'impassibilite de son
visage. II invoqua centre les seditieux I'autorite', sacre"e
pour des sujets, des souverains dont il etait investi. II
invoqua le ciel meme, juge en ce moment entre eux et 5
lui. II ne fle'chit pas ; il offrit sa vie en gage de ses
promesses ; il leur demanda seulement, avec 1'accent
d'un prophete qui voit ce que le vulgaire ne voit
que par son ame, d'ajourner de trois jours leur
incredulite et leur resolution de retour. II fit serment, 10
serment temeraire, mais politique, que si dans le
cours du troisieme soleil la terre n'etait pas visible
a 1'horizon, il se rendrait a leurs instances, et il les
ramenerait en Europe. Les signes revelateurs du voi-
sinage d'iles ou de continents Etaient si visibles aux 15
yeux de 1'amiral, qu'en mendiant ces trois jours a ses
equipages revoltes, il se croyait certain de les conduire
au but. II tentait Dieu en assignant un terme a sa
revelation, mais il avait a menager des hommes. Les
hommes, a regret, lui accorderent ces trois jours, et 2o
Dieu, qui 1'inspirait, ne le punit pas d'avoir trop espe're'
de lui.
IX
Au lever du soleil du deuxieme jour, des joncs fraiche-
ment deracines apparurent autour des vaisseaux. Une
planche travaillee avec la hache, un baton artistement 25
cisele a 1'aide d'un instrument tranchant, une branche
d'aubepine en fleur, enfin un nid d'oiseau suspendu a
une branche rompue par le vent, rempli d'ceufs que la
mere couvait encore au doux roulis des vagues, flotterent
successivement sur les eaux. Les matelots recueillirent so
a bord ces temoins ecrits, parlants ou vivants d'une
terre voisine. C'etaient les voix du rivage qui confir-
maient celle de Colomb. Avant de contempler la terre
des yeux du corps, on la concluait par ces indices de vie.
Les seditieux tomberent a genoux devant 1'amiral outrage 35
la veille j ils implorerent le pardon de leur defiance, et
44 CHRISTOPHE COLOMB.
entonnerent 1'hymne de reconnaissance au Dieu qui les
avait associes a son triomphe.
La nuit tomba sur ces chants de 1'Eglise qui saluaient
un monde nouveau. L'amlral ordonna de carguer les
5 voiles, de sender devant les navires, de naviguer avec
lenteur, redoutant les bas-fonds et les e"cueils, convaincu
que les premieres clartes du cre"puscule decouvriraient la
terre sous les proues de ses vaisseaux. Nul ne dormit
dans cette nuit supreme. L'impatience d'esprit avait
10 enleve tout besoin de sommeil aux yeux ; les pilotes et
les matelots, suspendus aux mats, aux vergues, aux
haubans, rivalisaient entre eux de poste et d'attention
pour lancer le premier regard sur le nouvel hdmisphere.
Un prix avait £te promis par 1'amiral a celui qui jetterait
!5 le premier cri de : Terre ! si la terre en effet reconnue
ve"rifiait sa decouverte. La Providence cependant lul
reservait a lui-meme ce premier regard, qu'il avait achete
au prix de vingt ans de sa vie et de tant de Constance et
de dangers. En se promenant seul, a minuit, sur la
20 dunette de son vaisseau, et en plongeant son regard
pergant dans les tenebres,une lueur de teu passa,s'eteigrnt
et repassa devant ses yeux au niveau cles vagues.
Craignant d'etre trompe par un eblouissement ou par
une phosphorescence de la mer, il appela a voix basse un
25 gentilhomme espagnol de la cour d'Isabelle, nomme
Guttierez, en qui il avait plus de foi que dans ses pilotes.
11 lui indiqua de la main le point de 1'horizon ou il avait
entrevu un feu, et lui demanda s'il n'apercevait pas une
lumiere de ce cote. Guttierez repondit qu'il voyait en
20 effet etinceler une lueur fugitive dans cette direction.
Colomb, pour se confirmer davantage dans sa conviction,
appela Rodrigo Sanchez de Segovie, un autre de ses
confidents. Sanchez n'hesita pas plus que Guttierez a
constater une clarte" a 1'horizon. Mais a peine ce feu se
35 montrait-il, qu'il disparaissait pour reparaltre dans une
emersion alternative de l'Oce"an, soil que ce fut la flamme
d'un foyer sur une plage basse, decouverte et de"robee
tour a tour par 1'horizon ondoyant des grandes lames,
soit que ce fut le fanal flottant d'un canot de pecheurs
tour a tour eleve' sur la crete et englouti dans le creux
CHRISTOPHE COLOMB. 45
des vagues. Ainsi la terre et la vie apparurent a la fois
a Colomb et a ses deux confidents sous la forme du feu
dans la nuit du n au 12 octobre 1492. Colomb,
commandant le silence a Rodrigo et a Guttierez, renferma
en lui-meme sa vision, dans la crainte de donner encore
une fausse joie et une amere de'ception a ses Equipages.
II perdit de vue la lueur eteinte et veilla jusqu'a deux
heures du matin, priant, esperant et desesperant seul sur
le pont, entre le triomphe ou le retour dont le lende-
main allait decider. 10
X
IL e"tait plon^e* dans cette angoisse qui precede les
grands. enfantements de verites, comme 1'agonie precede
le grand affranchissement de 1'esprit par la mort, quand
un coup de canon, retentissant sur 1'Ocean a quelques
centaines de brasses devant lui, eclata comme le bruit 15
d'un monde a son oreille, et le fit tressaillir et tomber a
ijenoux sur la dunette. C'e"tait le cri de : Terre ! jete
par le bronze, signal convenu avec la Pinta, qui naviguait
en tete de la flotte, pour e"clairer la route et sonder la
mer. A ce bruit, un cri general de : Terre/ eclata de 20
toutes les vergues et de tous les cordages des vaisseaux.
On ferla les voiles, et Ton attendit 1'aurore. Le mystere
de 1'Ocean avait dit son premier mot au sein de la nuit.
Le jour allait le reveler tout entier aux regards. Les
parfums les plus suaves et les plus inconnus arnvaient par 2s
haleines jusqu'aux vaisseaux avec 1'ombre d'une cote, le
bruit des lames sur les re"cifs et le vent de terre. Le feu
apergu par Colomb annongait la presence de 1'homme et
le premier element de la civilisation. Jamais nuit ne
parut plus lente a devoiler 1'horizon ; car cet horizon, 30
c'etait pour les compagnons de Colomb et pour lui-
meme une second e creation de Dieu.
46 CHRISTOPHE COLOMB.
XI
LE crepuscule, en se repandant dans 1'air, fit peu & pen
sortir les formes d'une ile du sein des flots. Ses deux
extre'mites se perdaient dans la brume du matin. Sa
cote basse s'e"levait en amphitheatre jusqu'a des sommets
5 de collines, dont la sombre verdure contrastait avec la
limpidite bleue du ciel ; a quelques pas de 1'ecume des
vagues mourantes sur un sable jaune, des forets d'arbres
majestueux et innommcs s'etendaient en gradins sur les
Stages successifs de File. Des anses vertes et des
10 clairieres lumineuses dans ces fonds laissaient percer a.
demi par les yeux ces myst£res de la solitude. On y
entrevoyait des habitations disseminees, semblables a des
ruches d'hommes par leur forme arrondie et par leurs
toits de feuillages desseche's ; des fume'es s'elevaient ga
15 et la au-dessus des cimes des bois. Des groupes
d'hommes, de iemmes et d'enfants, ^tonnes plus
qu'effraye"s, semontraient demi-nusentre les troncs d'arbres
les plus rapproche's du rivage, s'avangaient timidement,
se retiraient tour a tour, temoignant, par leurs gestes et
20 par leurs attitudes na'ives, autant de crainte que de
curiosite" et d'admiration a 1'aspect de ces navires et de
ces etrangers apporte"s la nuit par les flots.
XII
COLOMB, apres avoir contemple en silence ce premier
rivage avance de la terre si souvent construite dans ses
calculs et si magninquement coloree dans son imagina-
tion, la trouva superieure encore a ses pens^es. II
brulait d'impatience d'imprimer le premier le pied d'un
Europeen sur ce sable, et d'y arborer, dans le signe de
la croix et dans le drapeau de 1'Espagne, 1'etendard de
la conquete de Dieu et de la conquete de ses souverains
par son genie. Mais il contint en lui-meme et dans ses
equipages cette hate d'aborder le rivage, voulant donner k
cette prise de possession d'un monde nouveau la solennitd
CHRISTOPHE COLOMB. 47
du plus grand acte accompli peut-etre jamais par un
navigateur, ec appeler, a defaut des hommes, Dieu et
les anges, la mer, la terre et le ciel en temoignage de sa
conquete sur I'inconnu.
II se revetit de toutes les marques de ses dignity's 5
d'amiral de 1'Ocean et de vice-roi des royaumes tuturs ;
il deploya son manteau de pourpre, et, prenant dans sa
main droite le drapeau brod£ d'une croix ou les chiffres
de Ferdinand et d'Isabelle, entrelaces comme leurs
royaumes, dtaient surmontes de leur couronne, il 10
descendit dans sa chaloupe, et s'avanga, suivi des
chaloupes d'Alonzo Pinzon et d'Yanes Pinzon, ses deux
lieutenants, vers le rivage. En touchant la terre, il
tomba a genoux pour consacrer par un acte d'humilite
et d'adoration le don et la grandeur de Dieu dans cette 15
partie nouvelle de ses oeuvres. II baisa le sable, et, le
visage colle sur 1'herbe, il pleura. Larmes a double sens
et a double augure, qui mouillaient, pour la premiere
fois, 1'argile de cet hemisphere visite par des hommes
de la vieille Europe : larmes de joie pour Colomb, qui 20
debordaient d'un cceur superbe, reconnaissant et pieux !
larmes de deuil pour cette terre vierge, qui semblaient
lui presager les calamites, les devastations, le feu, le fer,
le sang et la mort que ces Strangers lui apportaient avec
leur orgueil, leurs sciences et leur domination ! C'etait 25>
1'homme qui versait ces larmes, c'e"tait la terre qui devait
pleurer.
XIII
" DIEU eternel et tout-puissant," s'ecria Colomb en
relevant son front de la poussiere, dans une priere latine
qui nous a ete conservee par ses compagnons, " Dieu, 30
qui, par 1'energie de ta parole creatrice, as enfante le
firmament, la mer et la terre ! que ton nom soit be"ni
et glorifie partout ! que ta majest£ et ta souverainete
universelle soient exaltees de siecle en siecle, toi qui as
permis que, par le plus humble de tes esclaves, ton nom 35
sacr£ soit connu et repandu dans cette moitie jusqu'ici
cache'e de ton empire ! "
48 CHRISTOPHE COLOMB.
Puis H baptisa cette ile, du nom du Christ, 1'ile de
San Salvador.
Ses lieutenants, ses pilotes, ses matelots, ivres de joie
et penetre"s d'un respect surhumain pour celui qui avait
6 vu pour eux au dela de 1'horizon visible, et qu'ils
outrageaient la veille de leur defiance, vaincus par
1'evidence et foudroye's par cette superiority qui pros-
terne rhomme, tomberent aux pieds de 1'amiral, bai-
serent ses mains et ses habits, et reconnurent un
10 moment la souverainete' et p-esque la divinite* du ge"nie ;
victimes hier de son obstination, aujourd'hui compa-
gnons de sa Constance, et resplendissants de la gloire
qu'ils venaient de blasphemer ! Ainsi est faite 1'hu-
manite', persecutant les initiateurs, heritant de leurs
15 victoires.
XIV
PENDANT la cer6monie de la prise de possession, les
habitants de 1'ile, d'abord retenus a distance par la
terreur, puis attire's par cette curiosite instinctive,
premier lien de Phomme a rhomme, s'etaient rappro-
20 ches. Us s'interrogeaient entre eux sur les spectacles
merveilleux de cette nuit et de cette aurore. Ces
vaisseaux manceuvrant leurs voiles, leurs antennes, leurs
vergues comme des membres immenses se deployant
et se repliant a I'impulsion d'une pensee interieure, leur
25 avaient paru des etres animes et surnaturels, descendus
pendant les t^nebres du firmament de cristal qui
entourait leur horizon, des habitants du ciel flottant sur
des ailes et s'abattant a leur gre sur des rivages dont
ils dtaient les dieux. Saisis de respect a la vue des
SO chaloupes qui abordaient leur ile et des hommes revetus
de tissus dclatants et d'armes ou se reVerberait la
lumiere, ils avaient fini par s'en approcher, comme
fascines par leur toute-puissance. Ils les adoraient et
les imploraient avec la naivete" d'enfants qui ne soup-
£ 85 gonnent pas le mal sous 1'attrait. Les Espagnols, les
examinant a leur tour, s'dtonnaient de ne retrouver
CHRISTOPHE COLOMB. 49
dans ces insulaires aucun des caracteres physiques de
conformation et de couleur des races africaine, asiatique,
europeenne, qu'ils avaient 1'habitude de frequenter.
Leur teint cuivre, leur chevelure souple et r^pandue
en ondes sur leurs epaules, leurs yeux sombres comme 5
leur mer, leurs traits delicats et feminins, leur phy-
sionomie confiante et ouverte, leur nudite enfin et les
dessins colories dont ils teignaient leurs membres,
revelaient en eux une race entierement distincte des
families humaines re"pandues sur rhemisphere ancien, 10
race conservant encore les simplicites et les douceurs
de 1'enfance, oubliee pendant des siecles dans ce fond
ignore du monde, ayant, a force d'ignorance, conserve la
simplicite, la candeur et la douceur des premiers jours.
Colomb, persuade que cette ile etait un appendice 15
avance sur 1'ocean des Indes, vers lesquelles il croyait
toujours naviguer, leur donna le nom imaginaire d'ln-
diens, qu'ils ont conserve" jusqu'a leur extinction par une
erreur de langage survivant a 1'erreur du navigateur.
XV
BiENT6x ces Indiens, s'apprivoisant avec leurs notes, 2o
leur montrerent leurs sources, leurs habitations, leurs
villages, leurs canots, leur apporterent en tribut leurs
fruits nourriciers, leur pain de cassave, qui renouvela les
vivres des Espagnols, et quelques ornements d'or pur,
qu'ils portaient suspendus aux oreilles, aux narines, en 25
bracelets ou en colliers autour du cou et des jambes des
femmes. Ils ignoraient le commerce et 1'usage de la
monnaie, ce supplement venal, mais necessaire, a la
vertu de 1'hospitalite : ils recevaient en echange avec
ivresse les moindres objets usuels des Europeens. La 30
nouveaute faisait a leurs yeux le prix de toute chose.
Rare et precieux est le meme mot par tout 1'univers.
Les Espagnols, qui cherchaient les pays de 1'or et des
pierreries, s'informerent par signes des lieux d'ou venait
ce metal. Les Indiens leur montrerent le midi ; 1'amiral
et ses compagnons crurent comprendre qu'il y avail de 35
50 CHRISTOPHE COLOMB.
ce cote" une ile ou un continent des Indes correspondant
par sa richesse et par ses arts aux merveilleux recits
de Marco Polo, le Venitien. Cette terre dont ils se
croyaient maintenant rapproches etait, selon eux, Tile
5 fabuleuse de Cipangu ou du Japan, dont le souverain
foulait sous ses pieds des planchers formes de plaques
d'or. L'impatience de reprendre leur course vers ce but
de leur chimere ou de leur avidite les fit remonter
promptement sur leurs vaisseaux. Ils s'etaient appro-
10 visionnes d'eau fraiche aux ruisseaux de 1'ile, et leurs
ponts etaient charges des fruits, des racines et des
cassaves, presents de ces heureux et pauvres Indiens.
Ils en amenerent un avec eux pour apprendre leur
langue et leur servir ensuite d'interprete.
XVI
15 EN tournant Tile de San-Salvador, ils se trouverent
comme egares dans les canaux d'un archipel compose"
de plus de cent iles d'inegale grandeur, mais toutes k
1'aspect le plus luxuriant de jeunesse, de fecondite, de
vegetation. Ils aborderent la plus vaste et la plus
20 peuplee. Ils furent entoures de canots creuses dans un
seul tronc d'arbre, et commercerent avec les habitants,
donnant des boutons et des grelots centre de For et des
perles. Leur navigation et leurs relaches au milieu de
ce labyrinthe d'iles inconnues ne fut pour eux que la
25 repetition de leur atterrage a San-Salvador. La me me
curiosite inoffensive les accueillait partout. Ils s'eni-
vraient du climat, des fleurs, des parfums, des couleurs,
des plumages d'oiseaux inconnus que chacune de ces
oasis etalait a leur sens ; mais leur esprit tendu vers une
SO seule pense'e, la ddcouverte du pays de 1'or, vers ce
qu'ils supposaient 1'extremite' de 1'Asie, les rendait
moins sensibles k ces tresors naturels et les empechait
de soupconner rimmense et nouveau continent dont ces
iles e'taient les avant-postes sur cet ocean. Aux signes
85 et aux regards de ces Indiens qui lui indiquaient une
region plus splendide encore que leur archipel, Colomb
CHRISTOPHE COLOMB. 51
fit voile vers la cote de Cuba, ou il aborda en trois jours
de douce navigation, sans perdre de vue les iles char-
mantes de Bahama, qui jalonnaient sa route.
Cuba, avec ses cotes etagees et prolonged sans
limites, s'adossant a des montagnes qui fendaient le 5
ciel, avec ses havres, ses embouchures de fleuves, ses
golfes, ses rades, ses forets, ses villages, lui rappela en
traits plus majestueux 1'antique Sicile. II resta inde'cis
si c'etait un continent ou une ile. II jeta 1'ancre dans
le lit ombrage d'une vaste riviere, descendit a terre, par- 10
courut les greves, les forets, les jardins d'orangers et de
palmiers, les villages, les huttes des habitants. Un
chien muet fut le seul etre vivant qu'il trouva dans
ces habitations abandonnees a son approche. II se
rembarqua et remonta avec ses vaisseaux le lit de la * 15
riviere ombragee de palmiers a larges feuilles et d'arbres
gigantesques couverts a la fois de fruits et de fleurs.
La nature semblait avoir pris soin de prodiguer d'elle-
meme et sans travail a ces peuplades heureuses les
elements de la vie et de la fe"licite sans travail. Tout 20
rappelait 1'Eden des livres sacres et des poemes. Les
animaux inoffensifs, les oiseaux aux plumes de lapis et
de pourpre, les perroquets, les piverts, les colibris
volaient, criaient, chantaient en nuages colores de
branches en branches ; des insectes lumineux eblouis- 25
saient 1'air lui-meme ; le soleil, tempe're par 1'haleine des
montagnes, par 1'ombre des arbres, par le courant des
eaux, y fecondait tout sans rien calciner ; la lune et les
e"toiles s'y reverberaient pendant les tenebres dans le lit
du fleuve avec des splendeurs et des rejaillissements de 30
clarte douce qui enlevaient ses terreurs a la nuit. Un
enivrement general exaltait Fame et les sens de Colomb
et de ses compagnons. C'etait bien Ik une nouvelle
terre, plus vierge et plus maternelle a la fois que la vieille
terre d'oii ils e'taient venus. " C'est la plus belle ile, 35
e"crit Colomb dans ses notes, que jamais 1'ceil de
1'homme ait contemplee. On vouarait y vivre a jamais. .
On n'y con5oit ni la douleur ni la mort." /
L'odeur des Apices qui arrivait de 1'interieur jusqu'a
ses vaisseaux, et la rencontre des huitres qui produisent
52 CHRISTOPHE COLOMB.
les perles sur le rivage, lui persuadaient de plus en plus
que Cuba etait un prolongeraent de 1'Asie. II s^imagi-
nait que derriere les montagnes de cette ile ou de ce
continent, car il etait encore incertain si Cuba tenait ou
6 non k la terre ferme, il trouverait les empires, la civilisa-
tion, les mines d'or et les merveilles dont les voyageurs
enthousiastes dotaient le Cathay et le Japon. Ne pouvant
joindre les naturels qui fuyaient tous de la cote a
1'approche des Espagnols, il envoya deux de ses com-
10 pagnons, dont Tun parlait Th^breu et 1'autre 1'arabe, k la
recherche de ces fabuleuses capitales, ou il conjecturait
que le souverain du Cathay faisait sa residence. Ces
ambassadeurs e'taient charge's de presents pour les indi-
genes. Us avaient ordre de ne les ^changer que centre
15 de Tor, dont ils croyaient que la source intarissable etait
dans 1'interieur de cette terre.
Les envoyes revinrent aux vaisseaux sans avoir
de'couvert d'autre capitale que des huttes de sauvages
et une nature prodigue de vegetation, de parfums, de
20 fleurs et de fruits. Ils avaient reussi a apprivoiser, a. force
de presents, quelques-uns des naturels, et ils les rame-
naient avec eux a 1'amiral. Le tabac, plante legerement
enivrante, dont les habitants faisaient de petits rouleaux
enflammes par le bout pour en aspirer la fumee ; la
25 pomme de terre, racine farineuse qui se convertissait en
pain tout prepare dans la cendre ; le mai's, le coton file
par les femmes, les oranges, les limons, les fruits
innomme's de leurs vergers, £taient les seuls tresors
qu'ils avaient trouves autour des habitations disse"minees
30 par groupes dans les clairieres.
Deconcerte" dans ses reves d'or, 1'amiral, sur la foi des
indigenes mal compris, quitta a regret ce sejour enchante
pour se diriger vers Test, ou il plagait toujours sa fabuleuse
Asie. II embarqua quelques hommes et quelques femmes
35 de Cuba, plus hardis et plus confiants que les autres, pour
lui servir d'interpretes dans les terres voisines qu'il se
proposait de visiter, pour les convertir a la foi, et pour
offrir a Isabelle ces ames rachete'es, selon lui, par sa
ge"nereuse entreprise.
Persuade que Cuba, dont il n'avait pas aperc,u les
CHR1STOPHE COLOMB. 53
limites, faisait partie de la terre ferme d'Asie, il vogua
quelques jours a peu de distance du veritable continent
americain sans le voir. Son illusion obstine"e lui voilait •-
une r^alite" si rapprochee de sa proue. Cependant 4b
1'envie, qui deyait empoisonner ses. jours, e"tait nee dans >>
1'ame de ses compagnons, le jour meme oil ses decou-
vertes avaient couronne" la pensee de sa vie entiere.
Amerigo Vespucci, Florentin obscur, embarque" sur un
de ses navires, devait donner son nom a ce monde vers
lequel Colomb seul 1'avait guide". Vespucci ne dut 10
cette fortune de son nom qu'au hasard et a ses voyages
subsequents avec Colomb vers ces memes parages.
Lieutenant subalterne ct devoue de 1'amiral, il ne chercha
jamais a lui derober cette gloire. Le caprice de la
fortune la lui donna sans qu'il eut jamais cherche' a 15
tromper 1'opinion de 1'Europe, et la routine la lui
conserva. Le nom du chef fut de'she'rite de 1'honneur 0tj
de nommer un monde, le nom du subordonne prevalut.
Derision de la gloire humaine dont Colomb fut victime,
mais dont Amerigo ne fut du moins pas coupable. On 20
peut reprocher une injustice et une ingratitude a la
poste'rite ; on ne peut reprocher un larcin volontaire au
pilote heureux de Florence.
XVII
MAIS cette envie, qui nait dans le coeur des hommes le
meme jour que le succes, bnilait deja le cceur du 25
principal lieutenant de Colomb, Alonzo Pinzon. Com-
mandant la Pinta, second navire de 1'escadre, Pinzon,
dont les voiles devangaient plus legerement les deux
autres navires, feignit de s'egarer dans la nuit et disparut
aux regards de so"n chef. 11 avait re"solu de profiler de so
la decouverte de Colomb pour decouvrir lui-meme, sans
ge'nie et sans efforts, d'autres terres, et, apres leur avoir
donne son nom, de revenir le premier en Europe usurper
la fleur de la gloire et des recompenses dues a son
maitre et a son guide en navigation. 35
Colomb s'etait trop apergu depuis quelques jours de
54 CHRISTOPHE COLOMB.
1'envie et de 1'insubordination de son lieutenant. Mais
il devait beaucoup a Alonzo Pinzon : sans lui, sans ses
encouragements et sans son assistance a Palos, il ne
serait jamais parvenu a equiper ses navires et a engager
5 ses matelots. La reconnaissance 1'avait empeche de
seVir centre les premieres insubordinations d'un homme
dont il avait tant rec.u. Le caractere tole'rant, modeste
et magnanime de Colomb le detournait de toute rigueur
odieuse. Plein de justice et de vertu, il comptait sur
10 les retours de justice et de vertu des autres. Cette
bonte, qu'Alonzo Pinzon avait prise pour de la faiblesse,
1'encourageait a 1'ingratitude. II s'elanga audacieusement
entre Colomb et les nouvelles decouvertes qu'il avait
rdsolu de lui arracher.
XVIII
15 L'AMIRAL gemit, entrevit le crime, affecta de croire a
une deviation involontaire de la Pinta, et, cinglant avec
ses deux navires au sud-est, vers une ombre immense
qu'il apercevait sur la mer, il aborda a File d'Hispaniola,
nommee depuis Saint-Domingue. Sans ce nuage autour
20 des montagnes de Saint-Domingue, qui lui fit virer de
bord, il allait rencontrer encore le continent. L'archipel
ame"ricain, en le seduisant et en Pe'garant d'ile en ile,
semblait le detourner a plaisir du but auquel il touchait
sans 1'apercevoir. Ce fantome de 1'Asie, qui 1'avait
05 conduit au bord de I'Amerique, s'interposait maintenant
entre 1'Am^rique et lui, pour lui derober par une chimere
la grande re'alite.
XIX
CETTE terre neuve, riante, feconde, immense, noye'e
dans une atmosphere de cristal et baignee par une mer
°» dont les lames roulaient des parfums, lui apparut comme
1'ile merveilleuse, detachee du continent des Indes, qu'il
'. cherchait jL_travers tant de distances et de perils, sous le
CHRISTOPHE COLOMB. 55
nom chimerique d'ile de Cipangu. II lui donna le nom
d'Hispaniola pour la marquer du signe kernel de sa
patrie d'adoption. Les naturels, simples, doux, hospita-
llers, candides et respectueux, accoururent en foule sur
le rivage, comme au-devant de~ creatures d'une nature 5
superieure qu'un prodige celeste leur envoyait des
bornes de 1'horizorT ou du fond du firmament pour
etre adorees et servies par eux a 1'egal des dieux. Une
population nombreuse et heureuse couvrait alors les
plaines et les vallees d'Hispaniola. Les hommes et les 10
femmes £taient des types de force et de grace. La paix
perpetuelle qui regnait entre leurs peuplades marquait
leur physionomie d'une impression de douceur et de
bonte. Leurs lois n'etaient que les instincts bien- ^^
veillants du cceur, passes en traditions et en coutumes. 13
On eut dit un peuple enfant, dont les vices n'avaient pas
eu encore le temps de se developper, et que les in-
spirations d'une innocente nature suffisaient a gouverner.
Us connaissaient de 1'agriculture, de 1'horticulture et des
arts tout ce qui est necessaire a I'administration, a 2i
1'habitation, aux premieres necessites de la vie. Leurs {
champs etaient admirablement cultives, leurs cases
elegantes, groupees en villages au bord de forets
d'arbres a fruits, dans le voisinage des fleuves ou des
sources. Leurs vetements, sous un ciel tiede qui ne 93
leur faisait eprouver ni les extremite's de 1'hTver ni celles
de 1'ete, ne consistaient qu'en ornements destines a les
embellir, en tissus de coton, en najttes et en ceintures
suffisants pour voiler leur pudeur. Leur gouvernement
etait simple et naturel comme leurs idees. C'^tait la 39
famille agrandie par la suite des generations, mais
toujours groupie autour d'un chef hereditaire qu'on
appelait le cacique. Ces caciques Etaient les chefs, non
les tyrans de leur tribu. Les coutumes, constitutions
non ecrites, mais inviolables et protectrices comme une 33
loi divine, regnaient sur ces petits rois. Autorite toute
paternelle d'un cote, toute filiale de 1'autre, contre
laquelle la revolte semblait inconnue.
Les naturels de Cuba que Colomb avait embarque"s
avec lui pour lui servir de guides et d'interpretes sur ces
56 CURISTOPHE COLOMB.
mers et ces iles commengaient a comprendre la langue
des Europeans. Us entendaient a demi celle des habi-
tants d'Hispaniola, branche detachee de la meme race
huraaine. Us etablirent ainsi des rapports d'intelli-
gence prompts et faciles entre Colomb et le peuple
qu'il venait visiter.
XX
LES pretendus Indiens conduisirent sans defiance les
Espagnols dans leurs maisons, leurpresentant le pain de
cassave, les fruits inconnus, les poissons, les racines
10 savoureuses, les oiseaux apprivoises, au riche plumage,
au chant melodieux, les fleurs, les palmes, les bananes,
les limons, tous les dons de la mer, du ciel, de la terre,
du climat. Us les traiterent en notes, en freres, presque
en dieux. " La nature, dit Colomb, y est si prodigue,
jg que la proprie"te n'y a pas cree le sentiment de 1'avarice
ou de la cupidite. Ces hommes paraissent vivre dans
un age d'or, heureux et tranquilles au milieu de jardins
ouverts et sans bornes, qui ne sont ni entoures de
fosse's, ni divises par des palissades, ni deTendus par des
20 murs. Us agissent loyalement Tun envers 1'autre, sans
lois, sans livres, sans juges. Us regardent comme un,
mediant homme celui qui prend plaisir a faire mal a un
autre. Cette horreur des bons contre les mediants
parait etre toute leur legislation." Leur religion n'etait
25 aussi que le sentiment d'inferiorite, de reconnaissance
et d'amour envers 1'Etre invisible qui leur avait pro-
digue la vie et la feiicite.
Quel contraste entre 1'etat de ces heureuses popula-
tions au moment ou les Europeans les ddcouvrirent pour
80 leur apporter le genie de 1'ancien monde, et 1'etat ou ces
malheureux Indiens tomberent en peu d'annees apres
cette visite de leurs pretendus civilisateurs ! Quel
mystere de la Providence que cette visite inattendue de
Colomb a un nouveau monde, ou il croit apporter la
35 vertu et la vie, et ou il seme a son insu la tyrannic et la
mort J
CHRISTOPHE COLOMB. 57
XXI.
LE pilote de Colomb, en cherchant a pendtrer succes-
sivement dans toutes les anses et dans toutes les em- <
bouchures de fleuves de 1'ile, echoua pendant le som-
meil de 1'amiral. Le vaisseau, menace" d'etre submerge / !•
par les lames mugissantes, fut abandonne par le pilote et 5
par une partie des matelots, qui, sous prdtexte de
porter une ancre a terre, s'enfuirent a force de rames
pour gagner 1'autre navire, croyant Colomb livre & une
mort inevitable. L'energie de 1'amiral sauva encore,
non le navire, mais ses compagnons. II lutta centre les 10
brisants jusqu'au de"membrement de la derniere planche,
et, plagant ses hommes sur un radeau, il aborda en
naufrage" sur cette meme cote oti il venait d'aborder en
conquerant. II y fut rejoint bientot par le seul navire
qui lui restat. Son naufrage et son infortune ne refroidi- 15
rent pas 1'hospitalite" du cacique dont il avait die* 1'hote
quelques jours avant. Ce cacique, nomm& Guacanagari,
premier ami et bientot premiere victime de ces Strangers,
versa des larmes de compassion sur le ddsastre de
Colomb. II offrit sa demeure, ses provisions, ses 20
.secours de toute nature aux Espagnols. Les de"bris du
naufrage, les richesses des Europeens, arraches aux flots
et etales sur la greve, y furent preserves, comme des
choses saintes, de toute violation, et meme de toute
importune curiosite". Ces hommes, qui ne connaissaient 25
pas la proprie'te pour eux-memes, semblaient la recon-
naitre et la respecter dans des hotes malheureux.
Colomb s'attendrit, dans ses lettres au roi et a la reine, e^i>
sur la ge"nerosite sans efforts de ce peuple. " II n'y a
point dans 1'univers, e"crit-il, une meilleure nation et un so
meilleur pays. Us aiment leurs voisins comme eux-
memes ; ils ont toujours un langage doux et gracieux,
et le sourire de la tendresse sur les levres. Ils sont
nus, il est vrai, mais vetus de leur de"cence et de leur
candeur." 35
Colomb, apres avoir etabli avec le jeune cacique des
relations de la plus tendre et de la plus confiante hos-
58 CHRISTOPHE COLOMB.
pitalite, re$ut de lui en present quelques ornements d'or.
A la vue de Tor, la physionomie des Europe'ens exprima
tout a coup tant de passion, d'avidite et de fe'rocite dans
le desir, que le cacique et ses sujets s'etonnerent et
5 s'alarmerent par instinct, comme si leurs nouveaux amis
avaient change subitement de nature et de dispositions
envers eux. Cela n'etait que trop vrai : les compagnons
de Colomb ne cherchaient que les richesses fantastiques
de 1'Orient, pendant que lui-meme cherchait une partie
10 mysterieuse de 1'univers. La vue de 1'or les avail rap-
peles a leur convoitise ; leur visage e"tait devenu apre et
violent cornme leur pensee. Le cacique, apprenant que
ce metal ttait la divinite des Europe'ens, leur expliqua, en
leur montrant les montagnes, qu'il y avait derriere ces
13 sommets une region d'ou lui venait en abondance cet
or. Colomb ne douta plus d'avoir enfin remonte"
jusqu'a la source de ces richesses de Salomon, et pre-
parant tout pour son retour rapide en Europe, afin d'y
annoncer son triomphe, il construisit un fort dans le
9.0 village du cacique, pour y laisser une partie de ses com-
pagnons en surete pendant son absence. II choisit
parmi ses officiers et ses matelots quarante hommes
d'elite, et les mit sous le commandement de Pedro de
Arana. Us e"taient charge's de recueillir des notions sur
25 la region de 1'or, et d'entretenir les Indiens dans le
respect et dans 1'amitie des Espagnols. II partit pour
revenir en Europe, comble des dons du cacique, et rap-
portant tous les ornements et toutes les couronnes d'or
pur qu'il avait pu se procurer pendant sa relache par
30 des dons ou par des echanges avec les naturels.
En cotoyant les contours de 1'ile il rencontra son
infidele compagnon, Alonzo Pinzon. Sous pretexte
d'avoir perdu de vue 1'amiral, Pinzon avait fait route a
part. Cache dans une anse profonde de File, il etait
35 descendu a terre, et, au lieu d'imiter la douceur et la
politique de Colomb, il avait ensanglante ses premiers
pas. L'amiral, en retrouvant son lieutenant, feignit de
se contenter de ses excuses et d'attribuer sa desertion k
la nuit. II ordonna a Pinzon de le suivre avec son navire
en Europe. Us reprirent ensemble la mer, impatients
CHRISTOPHE COLOMB. 59
d'annoncer a 1'Espagne la nouvelle de leur merveilleuse
navigation. Mais 1'Ocean, qui les avait ported com-
plaisamment par les vents alizes, de vague en vague, a
la cote d'Amerique, semblait, avec ses vents et ses flots
contraires, vouloir les repousser obstinement de la terre 5
qu'ils brulaient de revoir. Colorab, grace a ses con-
naissances en navigation et a ses notes d'estime dont il
gardait le secret a ses pilotes, savait seul la route et
evaluait seul les vraies distances. Ses compagnons se
croyaient encore a des milliers de lieues de 1'Europe 10
qu'il pressentait deja le voisinage des Apores. II les
apenjut bientot. Des coups de vent terribles, des
nuages amonceles, des e'clairs et des foudres tels qu'il
n'en avait jamais vu s'allumer dans le ciel et s'eteindre
dans la mer, des vagues montagneuses et ecumantes 15
faisant tourbillonner ses navires insensibles a la voile et
au gouvernail, ouvrirent et refermerent pendant six
jours et six nuits son tombeau et celui de ses compa-
gnons aux portes de leur patrie. Les signaux que se
faisaient les deux vaisseaux dans les tenebres disparu- 20
rent. Us crurent a la perte Tun de 1'autre en flottant
chacun au gre" d'une eternelle tempete entre les Azores
et la cote d'Espagne. Colomb, qui ne doutait pas que
la Pinto, ne fut ensevelie avec Pinzon dans les abimes,
et dont les voiles dechirees et le gouvernail livre' aux 25
lames ne dirigeaient plus 1'esquif, s'attendait a chaque
instant a sombrer sous une de ces montagnes d'eau qu'il
gravissait et redescendait avec leur e'cume. II avait
fait le sacrifice de sa vie, mais il ne poWait sans deses-
poir faire le sacrifice de sa gloire. Sentir le mystere de 30
la decouverte qu'il rapportait au vieux monde enseveli
pour des siecles avec lui si pres du port, e"tait une de'rision
si cruelle de la Providence, qu'il ne pouvait jr plier meme ^ .
sa piete. Son ame se revoltait centre ce jeu du sort. '
Mourir en touchant du pied seulement le rivage de 35
1'Europe, et apres avoir depose" son secret et son tresoi
dans la memoire de son pays, c'e"tait une destinee qu'il
acceptait avec joie ; mais laisser un second univers ,
mourir, pour ainsi dire, avec lui, et emporter au tom-
beau le mot enfin trouve de cette e"nigme du globe que
60 CHRISTOPHE COLOMB.
les hommes, ses freres, chercheraient peut-etre en vain
pendant autant de siecles qu'il leur avait ete derobe,
c'e'tait un million de morts en une ! II ne demandait a
Dieu, dans ses vceux a tous les sanctuaires d'Espagne,
5 que de porter du moins a la cote, avec ses debris, les
preuves de sa decouverte et de son retour. Cependant
les tempetes succe"daient aux tempetes, le vaisseau etait
rempli d'eau ; les regards hostiles, les murmures irrites
ou le silence morne de ses compagnons lui reprochaient
10 1'obstination qui les avait ou seduits ou forces a cette
fatale traversee. Us regardaient cette colere prolongee
des elements comme une vengeance de 1'Ocean, jaloux
qu'un homme trop audacieux lui cut de'robe son
mystere. Us parlaient de le jeter a la mer pour obtenir,
15 par une eclatante expiation, I'apaisement des flots.
XXII
COLOMB, insouciant de leur colere, mais uniquement
preoccupe du sort de sa decouverte, ecrivit sur parchemin
plusieurs courtes relations de sa decouverte, enferma les
unes dans un rouleau de cire, les autres dans des caisses
20 de cedre, et jeta ses temoignages a la mer pour que le
hasard les fit flotter, un jour, apres lui, jusqu'au rivage.
On dit qu'une de ces bouees, abandonnee aux vents et aux
flots, fut ballottee pendant trois siecles et demi sur la
surface, dans le lit ou sur les greves de la mer, et que le
25 matelot d'un navire europe"en, en embarquant du lest
pour son vaisseau, il y a quelque temps, sur les galets de
la cote d'Afrique en face de Gibraltar, ramassa une noix
de coco petrifiee, et 1'apporta a son capitaine comme une
vaine curiosite de la nature. Le capitaine, en ouvrant la
30 noix pour s'assurer si 1'amande aurait re'siste au temps,
trouva, renferme" dans 1'dcorce creuse, un parchemin sur
lequel etaient ecrits en lettres gothiques, dechiffrees
avec peine par un erudit de Gibraltar, ces mots : " Nous
ne pouvons resister un jour de plus a la tempete ; nous
sommes entre 1'Espagne et les lies ddcouvertes d'Orient
CHRISTOPHE COLOMB. 6 1
Si la caravelle sombre, puisse quelqu'un recueillir ce
temoignage ! — CHRISTOPHE COLOMB."
L'Oce"an avait garde" trois cent cinquante-huit ans
ce message et ne le rendait a 1'Europe qu'apres que
l'Ame"rique colonisee, florissante el libre, rivalisait avec 5
le vieux continent. Jeu du sort pour apprendre aux
hommes ce qui aurait pu rester cache tant de siecles, si
la Providence n'avait pas defendu aux vagues de sub-
merger dans Colomb son grand messager !
XXIII
LE lendemain on cria -.Terre! C'etait 1'ile portugaise de 10
Sainte-Marie, a 1'extremite des Agores. Colomb et ses
compagnons en furent repousses par la jalouse perse"cu-
tion des Portugais. Livre's de nouveau a toutes les
extre"mites de la faim et de la tempete pendant de longs
jours, ils n'entrerent que le 4 mars dans 1'embouchure 15
du Tage, ou ils jeterent enfin 1'ancre sur une cote
europeenne, mais rivale des Espagnols. Colomb,
pr-e'sente" au roi de Portugal, lui fit le recit de ses decou-
vertes, sans lui deVoiler la route, de peur que ce prince
n'y devangat les flottes d'Isabelle. Les Portugais de la 20
cour de Jean II, roi de Portugal, conseillerent a ce prince
de faire assassiner le grand navigateur, arm d'ensevelir avec
lui son secret et les droits de la couronne d'Espagne sur
les terres nouvelles. Jean II s'indigna de cette lachete.
Colomb, honore par lui, envoya par terre un courrier a ses 25
souverains, pour leur annoncer son succes et son prochain
retour par mer a Palos. II debarqua le 15 mars, au
lever du jour, au milieu d'une population ivre de joie et
d'orgueil, qui s'avangait jusque dans les riots pour le
I orter en triomphe a terre. II tomba dans les bras 30
de son ami et de son protecteur, le pauvre prieur
<Ju couvent de la Rabida, Juan Peres, qui seul avait
cru en lui et 'qu'une moitie du globe re'compensait
de sa foi. Colomb se rendit, pieds nus et procession-
ndlement, a 1'e'glise du monastere, pour y rendre graces de
son salut, de sa g'oire, de la conquete de 1'Espagne.
62 CHRISTOPKE COLOMB.
Un peuple entier le suivait en le benissant a la porte de
cet humble couvent oil il avait demande", seul, a pied,
avec son enfant, quelques anne"es auparavant, 1'hospitalite"
des mendiants. Jamais homme, parmi les hommes, n'a
5 rapporte" A sa patrie et a la posterity une telle conquete
depuis 1'origine du globe, excepte ceux qui apporterent
a la terre la revelation d'une idee ; et cette conquete
de Colomb n'avait coute jusque-la ni un crime, ni une
vie, ni une goutte de sang, ni une larme a I'humanite.
10 Les plus beaux de ses jours furent ceux qu'il passaase
reposer dans son esperance et dans sa gloire au monastere
de la Rabida, pres de son hote et de son ami le prieur
du couvent, et dans les embrassements de ses fils.
XXIV
ET comme si le ciel cut voulu mettre le comble a sa
15 felicitd et le venger de 1'envie qui le poursuivait, Alonzo
Pinzon, commandant son second navire, entra le jour
suivant avec la Pinta dans le port de Palos, ou il esperait
devancer son chef et lui derober les premices du triomphe.
Mais, trompe dans son coupable dessein et craignant la
20 punition de sa desertion reVelee parl'amiral, Pinzon mourut
de douleur et d'envie en touchant le rivage et en voyant
le vaisseau de Colomb a 1'ancre dans le port. Colomb
etait trop gene"reux pour se rejouir, encore moins pour se
venger, et la jalouse Nemesis des grands hommes
semblait expirer d'elle-meme a ses pieds.
TROISlfeME PARTIE.
I
ISABELLE et Ferdinand, inform ds de son retour et de
leur conquete par le message que leur amiral avait
envoye de Lisbonne, 1'attendaient a Barcelone avec
des triomphes et des munificences dignes de la grandeur
de ses services. La noblesse des Espagnes y accourut 5
de toutes les provinces pour lui faire cortege. II y
entra en triomphateur et en roi des royaumes a venir.
Les Indiens ramenes par I'escadre comme une preuve
vivante de 1'existence d'autres races humaines sur ces
terres de'couvertes, marchaient en tete du cortege, le 10
corps peint de diverses couleurs et orne de colliers d'or
et de perles ; les animaux et les oiseaux, les plantes
inconnues, les pierres precieuses recueillies sur ces
rivages, etaient etales dans des bassins d'or et porte"s
sur la tete par des esclaves noirs ou maures. La foule 15
avide se pressait, les rumeurs fabuleuses couraient sur
les pas des officiers et des compagnons de gloire de
1'amiral. Colomb, monte" sur un cheval du roi riche-
ment caparagonne", paraissait ensuite, escortd d'une
nombreuse cavalcade de courtisans et de gentils- 20
hommes. Tous les regards se concentraient sur cet
homme inspire* de Dieu qui avait soulevd le premier
le rideau de 1'Ocean. On cherchait dans ses traits le
signe visible de sa mission, on croyait 1'y voir. La
beaute" de ses traits, la majeste pensive de sa physio- 23
nomie, la vigueur de 1'e'ternelle jeunesse jointe a la
gravite des annees de'ja mures, la pens6e sous 1'action,
la force sous les cheveux blancs, le sentiment intime de
sa valeur joint a la piete envers Dieu qui 1'avait choisi
entre tous, la reconnaissance envers ses souverains qui 30
lui rendaient en honneurs ce qu'il leur apportait en
conquetes, faisaient en ce moment de Colomb, disent
64
CHRISTOPHE COLOMB.
les spectateurs de son entre'e a Barcelone, une de ces
figures de prophetes et de heros bibliques, sous les pas
de qui le peuple jetait les palmes du prodige et de
1'adoration. " Nul ne se mesurait a lui, disent-ils ; tous
5 sentaient en lui le plus grand ou le plus favorisd des
hommes." Isabelle et Ferdinand le regurent sur leur
trone, voile* du soleil par un dais d'or. Us se leverent
devant lui comme devant un envoye du ciel. Us le &*,v+l.
firent asseoir ensuite au niveau de leur trone, et ils &tO
eccuterent le recit solennel et circonstancie de ses •
voyages. A la fin du recit, que 1'e'loquence et la poesie
qui de"coulaient habituellement des levres de I'amiral
avaient colore' de son inepuisable imagination et allume
de son saint enthousiasme, le roi et la reine, emus
15 jusqu'aux larmes, tomberent a genoux et entonnerent,
comme une pieuse exclamation, le Te Deum, hymne de la
plus grande victoire que le Tout-Puissant cut jamais
accordee a des souverains.
Des courriers partirent a 1'instant pour porter a toutes
20 les cours de 1'Europe la grande nouvelle et le nom
triomphal de Colomb. L'obscurite qui avait j usque-la
entoure sa vie se changea en un bruit et en un e"clat de
son nom qui remplirent la terre. La decouverte du
jj-. pauvre geographe de Cordoue fut Tentretien du monde.
25 Colomb ne laissa ni enfler son ame par ces honneurs
de"cernes a son nom, ni humilier sa modestie par les
jalousies qui commengaient a s'dlever autour de sa
gloire. Un jour qu'il avait eTe invite a la table de
Ferdinand et d'Isabelle, un des convives, envieux de
- ,. so ces honneurs decernes au fils d'un cardeur de laine, lui
demanda astucieusement s'il pensait que nul autre que
lui n'auraifdecouvert cet autre hemisphere dans le cas
ou il ne serait p£s ne". Colomb ne repondit point a la
question, dans la crainte de dire trop ou trop peu de
35 lui-meme. Mais, prenant un ceuf entre ses doigts, il
s'adressa a tous les convives, et les invita a le faire
tenir sur un bout. Nul n'y put parvenir. Colomb alors
ecrasa 1'oeuf par une des extremites, et, le posant sur son
ovale brise", montra a ses rivaux qu'il n'y avait aucun '
merite dans une idee simple, mais que nul cependant ne
CHRISTOPHE COLOMB. 65
pouvait la soupgonner avant qu'un premier inventeur '
en eut donne 1'exemple aux autres, renvoyant ainsi a
1'inspirateur supreme le merite de son entreprise, ma;s
revendiquant en n erne temps pour lui seul 1'honneur de
la primaute. Get apologue devint depuis la re"ponse de 5
tout homme e"lu de la Providence pour montrer une
route a ses semblables et pour y monter le premier, ,
sans etre toutefois plus grand, mais plus favorise" de
1'inspiration que ses freres.
Les honneurs, les titres, les dotations futures des tdf*
terres dont il irait achever la decouverte et la conquete *%?* //«
devinrent, dans des traites fprmels avec la cour,
1'apanage de Colomb. II oblint la vice-royaute,
1'administration et le quart des richesses ou produits
de toute nature des mers, des lies et des continents ou 15
il irait planter la croix de 1'Eglise et le drapeau des
Espagnes. L'archidiacre de Seville, Fonseca, fut, sous
le titrede patriarche des Indes, charge des preparatifs et cA«*»«
des armements de la nouvelle expedition que Colomb
allait conduire a de plus vastes conquetes. Mais, de ce 20
jour, Fonseca devint le rival occulte du grand naviga-
teur ; et, comme s'il eut e"te jaloux de ravaler le genie ' -
qu'il etait charge de seconder, en paraissant prodigu'er
a Colomb les moyens, il lui suscitait les obstacles. Ses
lenteurs et ses pretextes reduisirent a dix-sept navires 25
1'escadre destined a reporter 1'amiral de 1'autre cote de '
1'Atlantique.
Cependant, le genie aventureux des Espagnols de
cette e"poque, 1'esprit de proselytisme religieux et 1'esprit
de chevalerie precipitererit sur ces vaisseaux un grand 30
nombre de religieux, de gentilshommes et d'aventuriers,
presses, les uns, de porter la foi, les autres, de rapporter .
la renommee et la fortune, en s'elanc.ant les premiers dans
ces contrees qui elargissaitnt 1'imaginatioh humaine.
Des ouvriers de tous les metiers, des cultivateurs de 35
toutes les zones, des animaux domestiques de toutes les ,
races, des graines, des plantes, des ceps de vigne, des V* ;
arbres a fruits, des roseaux a sucre, des echamillons de
tous les arts et de tous les commerces europeens furent
embarques sur les navires de transport pour essayer le
66 CHRISTOPHE COLOMB.
ciel, feconder le sol, tenter les hommes de ces nouvcaux
climats, et pour leur arracher 1'or, les perles, les parfums,
les e'pices de 1'Inde, par des ^changes centre les choses
de peu de prix en Europe. C'etait la croisade de la
5 religion, de la guerre, de 1'industrie, de la gloire et de
la cupidite* : pour les uns, le ciel ; pour les autres, la
terre ; pour tous, 1'inconnu et le merveilleux.
Le plus illustre de ces compagnons qui s'embar-
querent avec Colomb, dtait Alonzo de Ojeda, autrefois
10 page d'Isabelle, le plus beau, le plus intrepide et le plus
aventureux des chevaliers de cette cour. Son coeur et
ses sens de'bordaient tellement de courage, qu'il en
portait le fanatisme jusqu'a la demence. C'e'tait lui qui,
un jour qu'Isabelle etait montee au sommet de la tour
15 demesur£e de Seville, appel^e la Giralda, pour en
admirer 1'etonnante elevation, et pour contempler d'en
haut les rues et les maisons de la ville, semblables a une
fourmiliere a ses pieds, s'dtariQa sur une poutre dtroite
qui ddbordait des creneaux ; et, pirouettant sur un seul
20 pied, a 1'extremite de cette solive, executa des prodiges
d'adresse et d'audace sur 1'abime pour plaire k sa
souveraine, sans que le vertige de la mort presente
troublat ses yeux ou intimidat son cceur.
II
LE 25 septembre 1493, la flotte sortit de la bale de
25 Cadix. Des cris de joie de tous les rivages £taient
1'augure de ce second depart, qui ne semblait destine
qu'a un long triomphe. Les deux fils de Colomb
accompagnerent leur pere jusqu'au vaisseau amiral ; il
les benit et les laissa en Espagne, pour que la meilleure
30 moitie' de sa vie restat du moins abritee des perils qu'il
allait affronter. Trois grands vaisseaux et quatorze
caravelles composaient 1'arme'e navale. L'Oce'an se
laissa franchir aussi facilement que la premiere fois.
La~~Tlotte decouvrit, le 2 novembre, la Guadeloupe,
35 croisa au milieu des iles Caraibes, baptisa cet archipel
de noms empruntes a des souvenirs pieux ; et, touchant
CHRISTOPHE COLOMB. 67
bientot apres a la pointe d'His'paniola, aujourd'huiJ/ata',
Colomb fit voile vers le golfe ou il avait construit le fort
et laisse ses quarante corapagnons. II revenait a la fois
plein d'anxiete et d'esperance ; la nuit couvrait le rivage
quand il jeta 1'ancre dans la rade. II n'attendit pas le 5
jour pour s'assurer du sort de sa colonie. Une salve de
ses canons retentit sur les flots pour avertir les Espagnols
de son retour. Mais le canon du fort'resta muet ; Pe"cho
seul de ces solitudes repe"ta le salut de 1'Europe au
nouveau monde. Le lendemain, au lever du jour, il 10
apergut le rivage desert, le fort detruit, les canons a
demi enfonces sous ses ruines, les ossements des Espa-
gnols blanchissant sur le sable, le village des caciques
abandonne ; le petit nombre des naturels qui se mon-
traient de loin, au bord des forets, semblaient hesiter a 15
s'approcher, comme s'ils eussent e"te" retenus par le
sentiment d'un remords ou par la crainte d'une ven-
geance. Le cacique, plus confiant dans son innocence
et dans la justice de Colomb, qu'il avait appris a aimer,
s'avanga enfin, pleura sur les crimes des Espagnols, qui 20
avaient abuse" de Phospitalite de ses sujets pour opprimer
les naturels, enleve leurs filles et leurs femmes, reduit
leurs holes en servitude, et suscite enfin la vengeance
de sa tribu. Apres avoir immolc un grand nombre
d'Indiens et incendie leurs cases, ils avaient e"te immolds 25
eux-memes. Le fort incendie, recouvrant leurs ossements,
e"tait le premier monument du contact entre ces deux
families humaines, dont Tune apportait a 1'autre la servi-
tude et la devastation. - Colomb pleura sur les crimes
de ses compagnons et sur les malheurs du cacique. II GO
resolut d'aller chercher une autre plage de debarque-
ment et d'etablissement sur les cotes de Pile.
Parmi les jeunes Indiennes captives des iles voisines,
prisonnieres a bord, la plus belle d'entre elles, Catalina,
avait charme les yeux d'un cacique qui avait visite le 35
vaisseau de Colomb. Un complot d'evasion avait e"te
trame entre ce cacique et 1'objet de son amour dans ce
langage des signes que les Europeens ne comprenaient
pas. La nuit ou Colomb deploya ses voiles, Catalina
et ses compagnes, trompant la vigilance de leurs tyrans,
68 CHRISTOPHE COLOMB.
se precipiterent dans la mer; poursuivies en vain par
les canots des Europeans, elles nagerent vers le rivage
oil le jeune cacique avait allumd un feu pour les guider.
Les deux amants, re"unis par ce prodige d'audace et de
5 force, se refugierent dans les forets a 1'abri de la colere
des Europeans.
Ill
COLOMB, abordant de nouveau sur une plage vierge
a quelque distance, y fonda la ville d'Isabelle,
etablit des rapports d'amitie' avec les naturels ; batit,
10 cultiva, gouverna la premiere colonie d'Europeens, mere
de tant d'autres ; envoya des de"tachements armes
visiter les plaines et les montagnes d'Hispaniola; caressa
d'abord, attira ensuite, assujettit enfin, par des lois
douces et sages, les differentes peuplades de ces vastes
15 contrees ; construisit des forts, trac,a des routes vers les
differentes parties de son empire ; chercha Tor, moins
abondant qu'il ne 1'attendait dans ces regions toujours
confondues par lui avec les Indes, et n'y trouva que les
richesses inepuisables d'un sol prodigue, et un peuple
2o aussi facile a asservir qu'a tyranniser. II renvoya la
plus grande partie de ses vaisseaux en Espagne,
pour demander a son souverain de nouveaux envois
d'hommes, d'animaux, d'outils, de plantes et de graines
ne'cessaires a 1'immensite' des territoires qu'il allait
25 conquerir aux moeurs, a la religion, aux arts de 1'Europe.
Mais les me"contents, les ambitieux et les jaloux
s'embarquerent les premiers sur sa flotte, afin d'aller
semer contre lui les murmures, les accusations et les
calomnies. II resta seul, afflige de la goutte, souffrant
8 des douleurs cruelles, condamne a 1'inaction du corps
pendant Je travail incessant de son esprit, assiege, dans
sa colonie naissante, par les rivalites, les seditions, les
complots, les debordements honteux et les disettes de
ses equipages.
85 Toujours indulgent et magnanime, Colomb, triornphant,
par la seule force morale de son caractere, des turbulences
CHRISTOPHE COLOMB. 69
de ses compatriotes et des reVoltes de ses lieutenants, se oc~i>
borna a releguer les insubordonnes a bord des vaisseaux ^
• dans la rade. Retabli de sa longue maladie, il parcourut &**-
Tile a la tete d'une colonne d'hommes d'elite, cherchant
en vain les mines d'or de Salomon, mais etudiant la 5
nature et les moeurs de 1'ile, et sjgmant partout, sur son
passage, le respect et 1'amour de son nom.
IV
IL retrouva, a son retour, les memes desordres, les
memes insubordinations et les memes vices. Les
Espagnols abusaient de la superstition des naturels ^
envers eux et de la terreur que leur inspiraient les
chevaux. Les Indiens les. prenaient pour des etres
monstrueux ne faisant qu'un avec leurs cavaliers, frap-
pant, foulant et foudroyant a la fois les ennemis des
Europeens. / Grace a cette terreur, ils subjuguaient, 15
enchainaient, profanaient, martyrisaient cette douce et
oTJelssante population. Colomb se"vit encore centre
cette tyrannic de ses compagnons sur les Indiens. II
voulait leur apporter la foi et les arts de 1'Europe, non le
joug, le vice et la mort. Apres avoir retabli un peu 20
d'ordre, il s'embarqua pour aller visiter Pile, a peine
entrevue, de Cuba. II y toucha et longea longtemps ses
rives, sans apercevoir 1'extre'mite de cette ile, qu'il prit
pour un continent. II navigua de la vers la Jamaique,
autre ile d'une immense etendue, dont il apercevait les 05
sommets dans les nuages. Traversant ensuite un
archipel, qu'il nomma les Jardins de la Reine a cause de
la richesse et des parfums de la vegetation qui paraient
ces iles, il revint a Cuba, et parvint a y etablir quelques
relations avec les naturels. LesTndiens assisterent avec go
un etonnement mele de respect aux ce're'monies du culte
chretien, que les Espagnols celebrerent dans une grotte,
sous les palmiers du rivage. Un de leurs vieillards
s'approcha de Colomb, apres la ceremonie, et lui dit
avec un accent solennel : " Ce que tu viens de faire est 35
bien, car il parait que c'est ton culte au Dieu universel.
6
//I
CHRISTOPHE COLOMB.
On dit que tu viens dans ces rdgions avec une grande
force et une autorite superieure a toute resistance. Si
cela est ainsi, apprends de moi ce que nos ancetres ont
dit a nos peres, qui nous Font redit. Apres que les
6 ames des hommes sont separees des corps par la volonte
des etres divins, elles vont, les unes, dans un pays sans
soleil et sans arbres ; les autres, dans des regions de
clarte et de delices, selon qu'elles ont bien ou mal merite
ici-bas en faisant du bien ou du mal a leurs semblables.
10 Si done tu dois mourir comme nous, prends soin de ne
point nous faire de mal, a nous et a ceux qui ne t'en
ont point fait ! "
Ce discours du vieillard indien, relate par Las Casas,
Ti^ atteste que les Indiens avaient une religion presque
15 eVange'lique par la simplicite et la purete de sa morale,
Emanation myste"rieuse, ou d'une nature primitive dont
les depravations et les vices n'avaient pas encore terni
les clartes, ou d'une civilisation vieille et usee qui avait
laisse ces lueurs dans leurs traditions !
V
20 COLOMB, apres une longue et penible exploration, rentra
mourant a Hispaniola. Ses fatigues et ses anxie"tes,
jointes a ses souffrances et au poids des annees que son
esprit ne sentait pas, mais qui pesaient sur ses membres,
avaient un moment triomphe de son genie. Ses matelots
25 le ramenerent a Isabelle insensible et aneanti. Mais la
Providence, qui ne 1'avait jamais abandonne, veillait sur
lui pendant 1'absence de ses facultes. II trouva, en
s'eVeillant de son evanouissement, son frere cheri,
Barthelemy Colomb, au cheyet de sa couche. Bar-
SO thelemy Colomb dtait arrive d'Europe a Hispaniola,
comme s'il avait eu 1'inspiration des perils et des ne"ces-
sites ou allait se trouver son frere. C'etait la force
de la famille, dont Diego, le troisieme frere, etait la
douceur, et dont Christophe e'tait le genie. La vigueur
35 de son corps egalait celle de son ame. II etait d'une
taille athldtique, d'une trerape de fer, d'une sante'
CHRISTOPHE COLOMB. 71
robuste, d'un aspect imposant, d'un accent de voix
dominant les vents et les flots ; navigateur des son jeune
age, soldat et aventurier toute sa vie, doue par la nature
et par 1'habitude de cette audace qui commande 1'obeis-
sance et de cette justice qui fait accepter la discipline, 5
^^^ homme aussi capable de gouverner que de combattre,
^ ,<?.'etait le second qui convenait le mieux a Colomb dans
1'extremite des circonstances ou 1'anarchie [avait jete son
empire, et par-dessus tout, c'etait un frere penetre"
d'autant de respect que de tendresse pour le chef et 10
pour la gloire de sa maison. L'esprit de famille repon-,^
dait a Colomb de la fidelite" de son lieutenant. La?'
tendresse entre les deux freres dtait le rneilleur gage
de la confiance de 1'un et de la soumission de 1'autre.
Colomb lui remit le commarxdement et le gouverne- 15
ment, pendant les longs mois oil la nature epuisee le
condamnait lui-meme a 1'inaction et au repos, sous le
titre d1 'adelantado ou intendant-general et sous-gouverneur
des terres de sa domination. Barthelemy, plus severe
administrateur que son frere, imposa plus de respect, 20
/j^*, mais souleva aussi plus de resistances.
La te"merite et la perfidie du jeune guerrier espagnol
'
Ojeda susciterent des guerres de de'sespoir entre les
Indiens et la colonie. Get intrepide aventurier, s'etant '
avance avec quelques cavaliers jusqu'aux parties les plus 25
lointaines et les plus independantes de Tile, persuada a
un des caciques de 1'accompagner au retour avec un
grand nombre d'Indiens, pour faire admirer a Isabelle la
grandeur et la richesse des Europeens. La cacique, se'duit,
suivit Ojeda. Apres quelques jours de marche, pendant 30
une halte au bord de la riviere, Ojeda, abusant de la
implicite de ce chef indien, lui fit admirer une paire>
menottes d'acier poli dont 1'^clat eblouit le cacique.
Ojeda lui dit que ces fers e"taient des bracelets dont les
rois d'Europe se paraient dans les jours de ceremonie «5
aux yeux de leurs sujets. II inspira a son hote le desir
de s'en parer a son tour, de monter un cheval comme
un Espagnol, et de se montrer a ses Indiens dans cet
appareil pre"tendu des souverains du vieux monde. Mais
a peine 1'infortune cacique eut-il monte" en croupe
72 CHRISTOPHE COLOMB.
-dUt^ & t*«u? jU/'Ox ^<^«ctu
derriere le ruse Ojeda, et revetu les menottes, objets
de sa vanite" enfantine, que les cavaliers espagnols,
partant au galog en entrainant leur prisonnier dans
leur course, traverserent 1'ile et I'amenerent enchaine"
5 a la colonie, oil ils le retinrent dans les fers qu'il avait
innocemment desires.
Une vaste insurrection souleva les Indiens contre ,
cette perfidie des etrangers, dans iesquels ils avaient vu
d'abord des hotes, des amis, des bienfaiteurs, des dieux.
,10 Cette insurrection motiva la vengeance des Espagnols.
Ils reduisirent les Indiens k 1'etat d'esclaves, et ils
envoyerent quatre vaisseaux, charges de ces victimes
de leur cupidite, en Espagne, pour en faire un infame
commerce comme d'un betail humain. Compensant
15 ainsi par le prix de ces esclaves 1'or qu'ils s'etaient
promis de recueillir comme la poussiere dans ces
contrees ou ils ne trouvaient que du sang, la guerre
alors degdnera en ' ichasse d'hommes. Des chiens
apportes d'Europe et dresses a cette poursuite dans les
20 forets, flairant, dechirant et saisissant les naturels par le "''
cou, seconderent les Espagnols dans cette inhumaine
devastation du pays.
VI
-
COLOMB, retabli enfin de sa longue maladie, ressaisit les
renes du gouvernement, fut entraine lui-meme par ces
25 guerres allume'es pendant son interregne, se fit guerrier
et pacificateur, apres avoir et^ navigateur, remporta des
batailles decisives sur les Indiens, les assouplit au joug
adouci par sa bonte et sa politique, et leur imposa
seulement un le"ger tribut d'or et de fruits de leurs
to contre"es, en signe d'alliance plus que de servitude.
L'ile refleurit sous sa moderation ; mais le malheureux
et confiant cacique Guacanagari, qui avait accueilli le
premier ces hotes dans ses terres, honteux et desespere
d'avoir e*te involontairemerit le complice de 1'asservis-
35 sement de sa patrie, s'enfuit pour jamais dans les
montagnes escarp^es de 1'ile, et y mourut libre pour ne
CHRISTOPHE COLOMB. 73
pas vivre esclave sous les lois de ceux qui avaient abuse*
de ses vertus. /p,
Pendant cette langueur de Colomb et ces agitations
de Tile, ses ennemis, travaillant a sa perte a la cour,
1'avaient attaque dans le caur de Ferdinand. Isabelle, 5
^>lus inebranlable dans son admiration pour ce grand
homme, le protegeait en vain de sa faveur. La cour
avait envoye a Hispaniola un magistral investi de
pouvoirs secrets qui 1'autorisaient a informer centre les
prdtendus crimes du vice-roi, a le deposse'der de son 10
autorite" et a 1'envoyer en Europe si ses crimes e"taient
averts. Ce juge partial, nomine Aguado, arriva a Hispa-
niola pendant que le vice-roi etait a la tete des troupes
dans 1'interieur de File, occupe" a pacifier et a administrer
le pays. Oubliant la reconnaissance qu'il devait a 15
Colomb, premier auteur de sa fortune, Aguado, avant
meme de recueillir des informations, de"clara Colomb
coupable et de"chu provisoirement des ses fonctions
souveraines. Entoure a son debarquement et applaudi
par les me"contents de la colonie, il envoya ordre a 20
Colomb de se rendre a Isabelle, capitale des Espagnols,
et de reconnaitre sa mission. Colomb, entoure" de ses
amis et de ses soldats les plus devoues, pouvait contester
son obdissance aux insolentes injonctions d'un subor-
donne'. II s'inciina au contraire devant le nom seul de 25
son souverain, se rendit desarme' pres d' Aguado, et, lui
remettant 1'autoritie tout entiere, le laissa instruire
librement 1'odieux proces que ses calomniateurs lui
intentaient
Mais au moment meme ou sa fortune 1'abaissait ainsi 30
devant la persecution, elle lui me"nageait une de ces
faveurs qui pouvaient le plus lui concilier celles de la
cour. Un de ses jeunes officiers, nomme Miguel Diaz,
ayant tue en duel un de ses camarades, s'enfuit de peur
du chatiment dans une partie sauvage et reculee de 1'ile. Bb
La peuplade qui habitait ces montagnes e"tait gouvernee
par une jeune Indienne d'une grande beaute, veuve d'un
cacique. Elle conceit pour 1'Espagnol fugitif un ardent
amour et 1'epousa. Diaz, aimd et couronne" par 1'objet
de son amour, ne put cependant oublier sa patrie, ni
74 CHR1STOPHE COLOMB.
dissimuler la tristesse que le regret de ses compatriotes
repandait sur ses traits. Sa femme, en cherchant a lui
i arracher 1'aveu de sa melancolie, apprit de lui que 1'or
e'tait la passion des Espagnols, et qu'ils viendraient
5 habiter avec lui ces contrees s'ils avaient Pesperance d'y
decouvrir ce precieux metal. La jeune Indienne, ravie
de conserver a ce prix la presence de celui qu'elle aimait,
lui reVela 1'existence de mines inepuisables, cachees dans
ces montagnes. Possesseur de ce secret, et sur a ce
10 prix d'obtenir son pardon, Diaz accourut apporter a
Colomb la revelation de ce tre"sor. Le frere du vice-roi,
Barthelemy Colomb, partit avec Diaz et une escorte de
troupes pour verifier cette decouverte. Us arrivent en
peu de jours a une vallee ou la riviere roulait Tor avec
15 le sable, et ou les rochers de son lit e"taient incrustes de
parcelles de ce me'tal. Colomb etablit une forteresse
dans le voisinage, creusa et elargit les mines deja ouvertes
dans 1'antiquite, en recueillit d'immenses richesses pour
ses souverains, et se persuada de plus en plus qu'il avait
20 aborde dans la contre'e fabuleuse d'Ophir. Diaz recon-
naissant, et fidele a la jeune Indienne a qui il devait sa
grace, sa fortune et son bonheur, fit benir son union
avec elle par les pretres de son culte et gouverna en
paix sa tribu.
VII
25 COLOMB, apres cette ddcouverte, ce'dant sans resistance
aux ordres d'Aguado, s'embarqua avec son juge pour
1'Espagne. II y arriva apres huit mois de navigation,
plus en accusd qu'on mene au supplice qu'en conquerant
qui rapporte des trophees. La calomnie, 1'incredulite, le
30 reproche 1'accueillirent a Cadix. L'Espagne, qui s'etait
attendue a des prodiges, ne voyait revenir de la terre de
ses reves que des aventuriers de9us, des accusateurs et
des esclaves nus. L'infortune cacique, toujours en-
chaine dans les menottes d'Ojeda, amene comme un
55 trophee vivant a Ferdinand et a Isabelle par Aguado,
etait mort en mer en maudissant sa confiance dans les
Europe"ens et leur trahison.
CEIRISTOPHE COLOMB. 75
5
Colomb, conformant son costume a la tristesse et a la
misere de sa situation, se rendit a Burgos, oil e"tait la
cour, en habit de franciscain, n'ayant sur ce vetement
qu'une corde pour ceinture, la tete chargee d'anndes, de
soucis, d'affliction et de cheveux blancs, les pieds nus 5
comme un suppliant de genie qui vient demander
pardon de sa gloire. Isabelle seule le reQut avec une
tendre compassion, et s'obtina a croire a sa vertu et a
ses services. Cette faveur constante quoique voilee de
k reine soutint 1'amiral contre les denigrements et les 13
accusations des courtisans. II proposa de nouveaux
voyages et des decouvertes plus vastes. On consentit a
lui confier encore des vaisseaux, mais on lui fit con-
sumer dans des lenteurs systematiques le peu d'anne"es
que son age avance laissait a ses forces. La pieuse 15
Isabelle, en accordant a Colomb des pouvoirs et des
litres nouveaux, stipula en faveur des Indiens des con-
ditions de liberte et d'humanite qui devangaient les
idees de son siecle. Le cceur d'une femme proscrivait
d'instinct 1'esclavage, que la philosophic et la religion 20
ne devaient abolir que quatre siecles apres. Enfin,
Colomb justifie put s'embarquer et faire voile vers sa
nouvelle patrie. Mais la haine et 1'envie le poursui-
virent jusqu'a bord du vaisseau ou il arborait son pavilion
d'amiral de 1'Ocean. 1 Breviesca, tresorier du patriarche^25\^
des Indes, Fonseca, ennemi de Colomb, se re"pandirent
en outrages contre 1'amiral, au moment ou on levait
I'ahcre. Colomb, qui s'^tait contenu j usque-la par la
force inte'rieure, la patience et le sentiment de 1'immen-
site de sa mission, de"borda pour la premiere fois d'amer- 30
tume et d'indignation. A cette derniere ignominie de
ses ennemis, il redevint homme enfin pour un instant,
et, tombant de toute la hauteur de son ame et de toute
la force de son bras, redoubled par la colere, sur son
indigne persecuteur, il fabattit sur le pont et le
avec me"pris sous ses pieds. Tel fut 1'adieu de la jalousie
de 1'Europe a celui qui lui semblait trop grand ou trop
heureux pour un mortel. Cette vengeance soudaine
de 1'amiral laissa un nouveau ressentiment dans le
cceur de Fonseca, et une nouvelle accusation a ex-
76 CHRISTOPHE COLOMB.
ploiter a ses ennemis. Le vent qui s'devait 1'enleva a
Ta vue du rivage et aux indignites de sa patrie.
VIII
PARVENU cette fois, par une autre route, a 1'ile de la
Trinite, il la reconnut, la nomma, et, doublant cette ile,
6 il cotoya la veritable terre d'Amerique, pres de 1'ern-
bouchure de 1'Orenoque. La douceur de 1'eau de la
mer, qu'il gouta dans ces parages, aurait du le convaincre
que le fleuve qui se dechargeait dans I'Oce'an avec une
masse suffisante pour dessaler ses vagues, ne pouvait
10 descendre que d'un continent. II descendit cependar.t
sur cette cote sans soupc,onner qu'elle etait la plage da
monde inconnu. II la trouva deserte et silencieuse
comme un domaine qui attend ses hotes. Une fumee
lointaine au-dessus des vastes forets, une cabane aban- ^rux/*
15 donnee, et quelques traces de pieds nus sur le sable du
rivage, furent tout ce qu'il contempla del'Amerique. II
ne fit lui-meme qu'y imprimer son premier pas et qu'y
passer une seule nuit sous la voile qui lui servait de
tente ; mais ce premier pas aurait du suffire & donner
20 son nom a ce demi-monde.
IX
IL repartit du golfe de Paria, et revit, apres de laborieuses
investigations de toutes ces mers, le rivage d'Hispaniola.
Ses peines d'ame et de corps, sa longue patience en
Espagne, 1'ingratitude de ses compatriotes, la froideur de
25 Ferdinand, la haine de ses ministres, les veilles pendant
L<w.« , les traversees, les infirmite's de 1'age 1'avaient plus brise'
que les flots. Ses yeux, e"chauffes par les insomnies et
par la contemplation des cartes et du firmament, etaient
enflamme's ; ses membres, raidis et endoloris par la
80 goutte, refusaient de le soutenir. Son ame seule etait
saine, et son genie, pergant dans 1'avenir, le transportait
par la pr nse"e au-dessus de ses souffrances et au deik
CHRISTOPHE COLOMB. 77
du temps. Barthelemy Colomb, son frere, qui avait
continue a rdgir la colonie en son absence, fut encore
son consolateur et son appui. II accourut au-devant de
1'amiral des que ses vigies signalerent des voiles en
mer. 5
Barthelemy raconta a son frere les vicissitudes c4,»
d'Hispaniola pendant son absence. A petne avait-il
acheve 1'exploration et la pacification du pays, que les
exces des Espagnols et les conspirations de ses propres
lieutenants avaient renverse" 1'ouvrage de sa sagesse et 10
de sa vigueur. Un surintendant de la colonie, nomme - • - - '
Roldan, homme populaire et astucieux, s'etait fait un -'
parti parmi les matelots et les aventuriers, ecume de
1'Espagne jetee par la mere patrie dans la colonie. II
s'efcajt cantonne avec eux sur le rivage oppose de Saint- 15
Domingue, et s'etait ligue contre Barthelemy avec les
caciques des peuplades voisines ; il avait construit ou
enleve des forteresses d'ou il bravait 1'autorite de son
chef legitime. Les Indiens, te"moins des divisions de u
leurs tyrans, en avaient profile p"our s'insurger eux-memes
et pour refuser le tribut. L'anarchie dechirait la nouvelle
possession. L'he'roi'sme de Barthelemy en retenait seul
les lambeaux dans ses fortes mains. Ojeda avait fre"te
des navires pour son propre compte en Espagne ; il
Detail venu croiser et descendre sur la cote meridionale L**^^***
de 1'ile, et s^etaTTligue avec Roldan. Puis Roldan avait
trahi Ojeda, et s'etait range^de nouveau sous 1'autorite frf-dt<
du gouverneur. Pendant ces dechirements de la colonie, '
un jeune Espagnol, d'une beaufe remarquable, don
Fernand de Guerara, avait inspire une violente passion f9d- , -
a la fille d'Anacoana, veuve du cacique emmene parri-
Ojeda en Espagne, et mort captif dans fa traversee.
Anacoana elle-meme etait jeune encore, celebre parmi
les peuplades de 1'ile par son incomparable beaute, par
son ge"nie naturel et par son talent poetique, qui faisait 36
d'elle la sibylle adoree de ses compatriotes. Elle avait Jt/^;
congu, malgre les malheurs de son mari, une haute
admiration et une inclination invincible pour les
Espagnols. Le peuple nombreux qu'elle gouvernait
avec son frere etait 1'asile de ces etrangers. tile les
\
78 CHRISTOI'HE COLOMB.
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comblait d'hospitalite", d'or et de protection dans leurs
disgraces. Ses sujets, plus civilises que les autres
tribus indiennes, vivaient en paix, riches et heureux
sous ses lois. Roldan, qui gouvernait la partie de 1'ile
8 soumise a la belle Anacoana, avait ete jaloux du sejour^
et de 1'influence de Fernand de Guerara a la cour de
cette princesse. II lui defendit d'epouser sa fille, et lui
ordonna de s'embarquer. Fernand, retenu par son amour,
avait refuse" d'obeir, et conspira contre Roldan. Surpris
10 et enchaine" dans la demeure d' Anacoana par les soldats
de Roldan, il avait ete conduit a Isabelle pour y etre
juge. Une expeditionjDartie de la capitale de la colonie,
sous pre"texte de j^arcourir 1'ile, avait ete accueillie avec un ^ &**
/u empressement amical dans la capitale d' Anacoana. Le
15 chef perfide de cette expedition, abusant de la confiance
et de 1'hospitalite de cette reine, avait fait inviter par elle
trente caciques du midi de 1'ile aux fetes qu'elle prdpa-
rait pour les Espagnols. Les Espagnols, pendant les
danses et les festins auxquels ils assistaient, avaient
20 conspire 1'incendie et la mort de leur genereuse protec-
trice, de sa famille, de ses holes et de son peuple. Ils
inviterent Anacoana, sa fille, les trente caciques et le
peuple a contempler, du haut d'un balcon, les e'volutions
de leurs chevaux et un combat simule entre les cava-
25 Hers de leur escorte ; ces cavaliers fondent tout a coup
sur le peuple sans armes, rassemble" par la curiosit£ sur
la place ; ils le massacrent et le foulent aux pieds de leurs fa,/
chevaux ; puis, entourant d'une haie de fantassins le InfLttd
palais d'Anacoana, pour empecher cette reine et ses amis
30 d'en sortir, les Espagnols avaient incendie" le palais,
encore plein des fetes et des festins auxquels ils venaient
de s'asseoir eux-memes ; ils avaient contemple avec
une cruaut£ egale a leur ingratitude la belle et malheu-
reuse Anacoana, repoussee dans son palais, expirant dans
35 les flammes, et appelant sur eux, du milieu des flammes.
la vengeance de ses dieux !
Ce crime contre 1'hospitalite*, contre 1'innocence,
contre la souverainete, contre la beaute et le ge'nie, dont
la celebre Anacoana etait le symbole parmi les Indiens,
avait jete" dans Tile une horreur et ua bouleversement y
CHRISTOPHE COLOMB. 79
dont Colomb ne pouvait de longtemps triompher, malgre
toute sa vertu et toute sa politique. Les flammes et le
sang du palais de cette reine dont la beaute les eblouis- ^«
sait, et dont les poesies nationales les enivraient d'amour t-
et d'enthousiasme, s'eleverent entre les oppresseurs et A fl-
ies opprimes. L'ile devint un champ de carnage, unfbuy
bagne et un cimetiere des malheureux Indiens. Les , '
Espagnols, aussi fanatiques dans leur proselytisme
quif barbares dans leur cupidite, preluderent, a His-
paniola, aux crimes qui devaient bientot depeupler le ff&j+tf***
Mexique. Ces deux races d'hommes s'e"toufferent en
s'embrassant, , , ' , »
X
PENDANT que Colomb s'etudiait a se'parer et a pacifier
ces deux parties de la population, le roi Ferdinand, '/,
informe par ses ennemis des malheurs de Tile, les imrju-^jf ".
tait a celui qui les guerissait. Colomb ayant demand^ k ^
la cour de lui envoyer'urf magistral d'un rang elevd pour
imposer par ses jugements 1'autoritd royale k ses com-
pagnons indisciplines, la cour lui envoya Bobadilla,
homme integftftte'^mceurs, mais fanatique et indomp- 20
table d'orgueiT. L'autorit£ mal definie dont il etait
investi par le djcret royal le subordonnait a la fois et^'
1'tflevait au-dessus de tout autre pouvoir. En arrivant
a Hispaniola, pr^venu contre 1'amiral, il le somma inso- )w-j*<*.
lemment de comparaitre en accuse devant lui ; et, 25
faisant apporter des chaines, il ordonna aux soldats d'en
charger les membres de leur general. Les soldats,
accoaitumes au respect et a I'amour de leur chef, rendu
plus vene'rable a leurs yeux par 1'age et par la gloire,
hesiierent et resterent immobiles, comme si on leur cut 30
commande un sacrilege. Mais Colomb, tendant de lui-
meme les bras aux fers que son roi lui envoyait, se laissa
enchainer aux pieds et aux mains par un de ses propres
serviteurs, bourreau volontaire, vil stipendie de sa
domesticity, nomme Espinosa, dont Las Casas a consent 35
le nom comme un type d'insolence et d'ingratitude.
Colomb ordonna lui-meme a ses deux freres, Barthe>
8o CHRISTOPHE COLOMB.
lemy et Diego, qui dtaient encore a la tete du corps
d'arme'e dans 1'interieur, de se soumettre sans resistance
et sans murmure a son juge. Enferme dans le cachot de
la forteresse d'Isabelle, il subit pendant plusieurs mois
5 1'instruction de son proces, ou tous ses re'voltds et tous
ses ennemis, devenus ses accusateurs et ses juges, le
chargerent a 1'envi des plus odieuses et des plus absurdes
accusations. Devenu 1'objet de la derision et de la
fureur publiques, il entendait du fond de sa prison les
10 railleries feroces et les fanfares de ses persecuteurs qui
venaient tous les soirs insulter a sa captivite". II s'atten-
dait a chaque instant a voir entrer ses bourreaux. Boba-
dilla cependant n'osa pas le dernier crime. II ordonna
que 1'amiral serait expulse de la colonie et envoye" en
15 Espagne, a la justice ou a la merci du roi. Alonzo de
Villejo fut charge* de sa garde pendant la traversee.
C'etait un homme de coeur, obeissant par devoir mili-
taire, indigne et mise>icordieux j usque dans 1'obeissance.
Colomb, en le voyant entrer dans son cachot, ne douta
20 pas que sa derniere heure fut arrived. II s'y e"tait prepare
par 1'innocence et par la priere. La nature cependant
se troublait en lui. " Ou me conduisez-vous ? dit-il en
interrogeant du regard et de 1'accent 1'officier. — Aux
vaisseaux ou vous allez etre embarque, monseigneur,
25 repondit Villejo. — M'embarquer? reprit Colomb,
incredule a ce message qui lui rendait la vie; ne me
trompez-vous pas, Villejo? — Non, monseigneur, re"pliqua
1'officier; je vous jure, par Dieu, que rien n'est plus
vrai ! " II soutint le pas de 1'amiral, et le fit monter sur
30 le vaisseau, ecrase du fardeau de ses fers et poursuivi
par les insultes d'une lache populace.
Mais a peine les vaisseaux furent-ils sous voile, que
Villejo et Andreas Martin, commandants du navire
devenu le cachot flottant de leur chef, s'approcherent
35 avec respect de lui ainsi que tout 1'equipage, et voulu-
rent lui enlever ses fers. Colomb, pour qui ses fers
etaient a la iois un signe d'obelssance a Isabelle et un
signe de I'lniquite" des hommes, dont il souffrait dans son
corps, mais dont il e"tait glorieux dans son ame, leur
rendit grace, mais refusa obstinement d'etre de'livre' de
CHRISTOPHE COLOMB. 8l
ces anneaux. " Non, dit-il, mes souverains m'ont e*crit
de me soumettre a Bobadilla. C'est en leur nom qu'ils
m'ont charge de ces fers. Je les porterai jusqu'a ce
qu'ils m'en dechargent eux-memes, et je les conserverai
apres, ajouta-t-il avec une satisfaction am£re de ses 5
services et de son innocence, comme un monument de
la recompense accordee par les hommes a mes travaux."
Son fils raconte, ainsi que Las Casas, que Colomb fut
fidele a cette promesse, qu'il garda toujours depuis ces
chaines suspendues sous ses yeux dans ses demeures, et 10
que, dans son testament, il ordonna qu'elles fussent
enfermees avec lui dans son cercueil : comme s'il cut
voulu en appeler a Dieu de 1'injustice et de 1'ingratitude
de ses contemporains, et presenter au ciel les preuves
materielles de I'lniquite" et de la cruaute' de la terre ! 15
XI
CEPENDANT les haines des partis ne traversent pas les
mers. Le depouillement, la captivite, les fers de
Colomb souleverent de misericorde et d'indignation le
peuple de Cadix. Quand on vit ce vieillard, qui avait
apport£ naguere un empire a sa patrie, rapporte lui- 20
meme de cet empire comme un vil criminel pour expier
le service .par 1'opprobre, les cceurs eclaterent contre
Bobadilla. Isabelle, qui etait alors k Grenade, versa
des larmes sur cette indignite, ordonna que ses fers
fussent remplaces par de riches vetements, et ses geoliers 25
par une escorte d'honneur. Elle 1'appela a Grenade ; il
tomba a ses pieds, et ses sanglots de reconnaissance lui
couperent longtemps la voix. Le roi et la reine ne
daignerent pas meme examiner le proces d'un si grand
accuse. II etait absous par leur respect autant que par 30
sa vertu. Us garderent quelque temps 1'amiral k leur
cour et envoyerent un autre gouverneur, nomrne' Ovando,
pour remplacer Bobadilla. Ovando avait les vertus qui
font 1'homme integre, sans la grandeur d'ame qui fait
rhomme genereux. C'e'tait un de ces caracteres ou 35
tout est e*troit, meme le devoir, et ou I'honnetete
82 CHRISTOPHE COLOMB.
ressemble a une parcimonie de la nature. C'etait I'homme
Is moins fait pour comprendre et pour supplier un
grand homme. II regut d'Isabelle 1'ordre de proteger
les Indians et la defense de les vendre comme esclaves.
6 La part des revenus devolus a Colomb par les traite"s
devait lui etre envoyee en Espagne, ainsi que les tresors
dont il avait e"t£ depossede par Bobadilla. Une flotte
de trente voiles porta le nouveau gouverneur a His-
paniola.
10 Colomb, insensible a la vieillesse et d£ja repose* des
persecutions, souffrait impatiemment le repos et meme
les honneurs dans sa patrie. Vasco de Gamo venait de
decouvrir la route des Indes par le cap de Bonne-
Esperance. Le monde etait plein de 1'etonnement et
3.5 de 1'admiration de cette decouverte du navigateur por-
tugais. Une noble rivalite travaillait I'ame du naviga-
teur genois. Convaincu de la rotondite du globe, il
croyait arriver aux terres prolongees de Test en navi-
guant droit a 1'Occident : il sollicita a la cour d'Espagne
20 le commandement d'une quatrieme expedition, et s'em-
barqua a Cadix, le 19 mai 1502, pour la derniere fois.
Son frere Barthelemy Colomb, et son fils Fernando,
ag^ de quatorze ans, 1'accompagnaient. Sa flotte se
composait de quatre petits vaisseaux propres a naviguer
25 sur les cotes et a entrer sans danger dans les anses et
dans les embouchures des fleuves qu'il voulait explorer.
Ses equipages ne comptaient que cent cinquante
hommes de mer. Bien qu'il approchat de soixante
et dix ans, sa verte vieillesse avait re'sist£ par la vigueur
30 de l'ame au poids des annees ; ni ses maladies
douloureuses ni la mort ne le de'tournaient de son but.
" L'homme, disait-il, est un outil qui doit se briser k
1'ceuvre dans la main de la Providence, qui s'en sert
pour ses desseins. Aussi longtemps que le corps peut,
35 1'esprit doit vouloir."
II avait re"solu de toucher en passant a Hispaniola
pour se radouber. II avait cette autorisation de la cour.
II franchit 1'Ocean par une mer orageuse, et il arriva
avec ses mats brises, ses voiles en lambeaux, ses vais-
seaux sans eau et sans vivres, en vue d'Hispaniola. Ses
CHRISTOPHE COLOMB. 83
notions maritimes lui presageaient un ouragan plus
terrible que ceux qu'il avait essuye"s. II envoya une
chaloupe demander au gouverneur Ovando la permission
de s'abriter dans la rade d'Isabelle. Instruit par ses
pronostics du danger que la mer allait dechainer sur ses 5
cotes, Colomb, dans sa lettre, avertissait Ovando de
retarder le depart d'une flotte nombreuse prete a partir
d'Hispaniola pour 1'Espagne, et chargee de tous les
tresors du nouveau monde. Ovando refusa impitoyable-
ment a Colomb 1'asile d'un moment qu'il implorait dans 10
le port de sa propre de"couverte. II s'eloigna indigne et
proscrit, et cherchant loin de la domination d'Ovando
un abri sous les falaises ecarte"es de 1'ile, il y attendit la
tempete qu'il avait predite ^ Ovando. Elle engloutit
la flotte entiere de ce gcuverneur, les tresors et la vie 15
d'un millier d'Espagnols. Colomb la ressentit jusque
dans la rade ou il s'etait abrite, gemit sur les malheurs
de ses compatriotes, et, quittant cette terre inhumaine,
il revit la Jam ai' que et aborda sur la terre ferme dans la
baie de Honduras. 20
Soixante jours de tempete continue le ballotterent d'un
cap a 1'autre et du continent aux iles, sur les bords
inconnus de cette Ame'rique dont les orages semblaient
lui disputer la conquete ! II perdit un de ses navires et
les cinquante hommes qui le montaient a rembouchure 25
d'une riviere qu'il nomma la plage du Desastre.
La mer s'obstinant a lui fermer la route de ces Indes
qu'il croyait toujours entrevoir, il jeta 1'ancre entre une
ile delicieuse et le continent. Visite par les Indiens, il en
embarqua sept sur ses vaisseaux pour se familiariser 30
avec leur langue et pour en obtenir des indices. II
cotoya avec eux une terre ou Tor et les perles abon-
daient dans les mains des naturels. Au commencement
de 1'annee 1504, il remonta la riviere Veragua et envoya
son frere Barthelemy, a la tete de soixante Espagnols, 35
visiter les villages de ces bords, a la recherche des
mines d'or. Barthelemy ne trouva que des sauvages
et des forets. L'amirai abandonna ce fleuve et pene"tra
<lans un autre, dont les rives etaient peuplees d'Indiens
qui prodiguaient 1'or a ses Equipages en echange des
84 CHRISTOPHE COLOMB.
plus vulgaires hochets de 1'Europe. II se crut au but
de ses chimeres, il etait au comble de ses revers. La
guerre eclata entre cette poignee d'Europeens et le
peuple norabreux de ces rivages. Barthelemy Colomb
6 terrassa de sa main et emmena captif le cacique le plus
puissant et le plus redoutable des Indiens. Un village
que les compagnons de Colomb avaient construit sur la
cote pour commercer avec l'inte"rieur, fut pris et incendie
la nuit par les naturels ; huit Espagnols, perces par
10 leurs Heches, perirent sous les debris de leurs cabanes.
Barthelemy rallia les plus courageux et refoula ces
hordes dans leurs forets ; mais 1'antipathie s'accrut des
deux cote's par le sang rdpandu, les canots des Indiens
assaillirent en foule la chaloupe de 1'escadre qui cher-
15 chait k remonter plus haut le fleuve. Tous les Euro-
peens qui la montaient furent immoles. Pendant cette
lutte acharne"e, Colomb, retenu a bord de ses navires par
la faiblesse de son corps et par les maladies, gardait le
cacique et les chefs indiens prisonniers sur son vaisseau.
20 Ces chefs, informe's du ravage de leur territoire et de la
captivitd de leurs femmes, tenterent de s'evader en
soulevant pendant une nuit obscure la trappe qui fermait
leur cachot flottant. L'equipage, reveille par le bruit,
les refoula dans leur prison et ferma 1'ecoutille avec une
25 barre de fer. Le lendemain, quand on rouvrit 1'ecoutille
pour leur porter la nourriture, on ne trouva que leurs
cadavres. Us s'etaient tous entre-tues de desespoir
pour echapper a Pesclavage.
XII
BIENTOT se'pare' par les brisants de son frere Barthdlemy,
30 qui etait a terre avec lesTrestes de Pexpedition, Colomb
n'eut plus pour communiquer avec lui que le courage
d'un de ses officfers, franchissant a la nage les e'cueils
pour porter et rapporter des nouvelles toujours plus
sinistres. II ne pouvait ni s'eloigner des siens ni les
35 abandonner dans leurs desastres. L'inquietude, la
maladie, la faira, la perspective d'un naufrage sans
CHRISTOPHE COLOMB. 85
I
refuge et sans te"moins sur une terre si de'sire'e et si
funeste, combattaient dans son coeur sa constance
hercuque et sa resignation pieuse aux ordres de Dieu,
dont il se sentait k la fois 1'envoye et la victime. - II
e"crivait ainsi, pendant ses insomnies, 1'etat de son esprit : 5
" I^puise, je m'etais assoupi, quand une voix penetree
de douleur et de compassion me fit entendre ces paroles :
Homme insense* ! homme si lent a croire et a servir ton
Dieu, le Dieu de 1'univers ! que fit-il autrement de
Moi'se et de David, ses serviteurs ? Depuis 1'instant 10
de ta naissance, il a toujours pris le plus grand soin de
toi. Des que tu as ete en age d'homme, il a fait retentir
merveilleusement ton nom obscur par toute la terre ; il
t'a donne en possession les Indes, cette partie favorise'e
de sa creation, il t'a fait trouver les clefs des barrieres de 15
1'immense Oce'an, fermees jusque-la par des chaines si
fortes... Tourne-toi vers lui et benis sa misericorde sur
toi ; s'il reste encore quelque grande entreprise a accom-
plir, ton age ne sera point un obstacle a ses desseins.
Abraham n'avait-il pas plus de cent ans quand il en- 20
gendra Isaac, et Sarah etait-elle jeune ?... Qui a cause
tes afflictions d'aujourd'hui? est-ce Dieu ou le monde?
Les promesses qu'il t'a faites, il ne les a jamais violees ;
il n'a jamais dit, apr£s avoir reQU tes services, que tu
1'avais mal compris. II tient tout ce qu'il doit, lui, et au 25
dela ; ce que tu souffres aujourd'hui est le salaire des
travaux et des dangers que tu as subis en servant
d'autres maitres... Ne crains done rien et prends con-
fiance dans le d£sespoir meme ; toutes ces tribulations
sont ecrites sur le marbre, et ce n'est pas sans raison : il so
faut qu'elles s'accomplissent ! Et la voix qui m'avait
parle me laissa plein de consolation et de constance ! "
XIII
ENFIN la saison apaisa la mer, et les deux freres, si
longtemps se"pare*s, se rejoignirent sur les vaisseaux. Us
regagnerent lentement Hispaniola. Une des trois cara- 85
velles sombra de fatigue en approchant du rivage. II ne
7
86 CHRISTOPHE COLOMB.
lui resta que deux barques vieillies pour entasser tous ses
Equipages. Ses compagnons abattus, sans vivres et sans
forces, ses ancres perdus, ses navires faisant eau et
toutes leurs membrures ronge'es des vers et percees, dit-
6 il, " d'autant de trous qu'un rayon de miel ; " les vents
et la mer impitoyables le repoussant d'Hispaniola a la
Jama'ique, ses navires, prets a s'abimer, lui donnerent a
peine le temps de les e'chouer sur le sable, dans une bale
inconnue, de les lier ensemble par des cables et par des
10 planches qui n'en faisaient qu'un bloc, d'elever sur ces
deux ponts rdunis des tentes pour ses Equipages, et
d'attendre, dans cette affreuse situation d'un naufrage',
le secours de la Providence.
Les Indiens, attires par le spectacle de ce naufrage et
15 de cette forteresse bade par des Strangers sur leur greve,
echangerent avec les Espagnols des vivres centre des
objets sans valeur, dont la nouveaute faisait le prix a
leurs yeux. Cependant les mois s'e'coulaient, les pro-
visions s'epuisaient, les terreurs de 1'avenir et les mur-
20 mures seditieux des Equipages jetaient Tame de 1'amiral
dans une pensive anxiete. Le seul espoir de salut qui
restat etait done un avis de sa detresse donnd a'u gou-
vcrneur d'Hispaniola, Ovando. Mais cinquante lieues
de mer separaient Hispaniola de la Jama'ique. Un canot
25 de sauvages etait la seule embarcation qu'il put mettre a.
flot ; quel homme assez devout pour ses freres jouerait
sa vie centre un element si vaste et si terrible, sur un
tronc d'arbre creuse" et sans autre greement qu'une
rame ? Diego Mendez, jeune officier de 1'escadre de
30 Colomb, qui avait d£ja montre' dans d'autres extremites
1'oubli de soi-meme qui fait les he'ros et les miracles,
s'offrit une nuit a la pensde de 1'amiral. II le fit appeler
en secret pres de son lit, ou la goutte le retenait, et lui
dit : " Mon fils, de tous ceux qui sont ici, vous et moi
35 nous comprenons seuls les dangers dans lesquels nous
n'avons en perspective que la mort. Un seul moyen
nous reste a tenter : il faut qu'un seul s'expose a perir
pour tous ou nous sauve tous. Voulez-vous etre celui-la?"
Mendez rdpondit : " Monseigneur, je me suis plusieurs
fois devoue pour mes freres ; mais il y en a qui murmu-
CHRISTOPHE COLOMB. 87
rent et qui disent que votre faveur roe choisit toujours
quand il y a une action d'eclat a tenter. Proposez done
demain a tout 1'equipage la mission que vous m'offrez, et
si nul ne 1'accepte, je vous obeirai." L'amiral fit le
lendemain ce que Mendez lui avait demande*. Tout 5
1'e'quipage interroge se rdcria sur 1'impossibilite d'une
traversee immense sur un morceau de bois, jouet du vent
et des lames. Mendez alors s'avanga et dit modeste-
ment : " Je n'ai qu'une vie a perdre, mais je suis pret a
1'exposer pour votre service et pour le salut de tous ; je 10
m'abandonne a la protection de Dieu ! " II partit et se
perdit dans les brumes et dans les ecumes de Fhorizon
aux yeux des Espagnols, dont il portait la vie avec la
sienne.
XIV
CEPENDANT Pattente sans espoir, Pisolement absolu du
monde connu et 1'exces du malheur aigrirent centre 15
1'amiral ses compagnons qui lui imputerent leur perte.
Deux de ses officiers favoris, Diego et Francisco de
Porras, qu'il avait traite's comme ses fils et investis des
principaux commandements dans 1'escadre, furent les
premiers a clever centre lui le murmure, 1'insulte et 20
bientot la sedition. Profitant d'une crise de ses infirmites
qui clouait leur bienfaiteur sur sa couche, et entrainant
avec eux la moitie des matelots et des soldats, ils s'em-
parerent d'une partie des vivres et des armes, ameuterent
leurs complices aux cris de " Castille ! Castille ! " et 25
couvrirent de maledictions et d'outrages 1'amiral.
Colomb, que sa maladie desarmait, et qui ne pouvait
que lever les mains vers le ciel, les supplia en vain de
rentrer dans le devoir. Ils mepriserent ses larmes comme
ses ordres. Ils lui reprocherent sa vieillesse, ses cheveux so
blancs, ses souffrances corporelles, et leverent le fer sur
sa tete. Barthelemy Colomb s'arma de sa lance, se jeta
entre eux et 1'amiral, que des serviteurs soutenaient dans
leurs bras, et seconds' par une partie fidele de 1'equipage,
il sauva les jours et 1'autorite" de son frere sur les vais- ss
seaux. Les deux Porras et cinquante de leurs complices
88 CHRISTOPHE COLOMB.
quitterent les batiments, ravagerent la contre'e, souie-
verent les naturels par leurs crimes, tenterent en vain de
construire des barques pour se rendre a Hispaniola,
perirent en partie dans la tentative, revinrent attaquer
5 Colomb et leurs compatriotes dans les vaisseaux, furent
vaincus par le bras intre"pide de Barthelemy qui tua leur
chef Francisco de Porras, et se soumirent enfin au
devoir, suppliant Colomb de pardonner a leur ingratitude
et a leur rebellion.
10 Cependant le messager de Colomb, sur son frele tronc
d'arbre, avait ete dirig6 par la Providence sur ce de"sert
d'eau, et il avait echoue, comme le debris d'un naufrage
lointain, sur les ecueils d Hispaniola. Conduit k travers
1'ile par les naturels, il etait parvenu, apres des fatigues
15 et des dangers sans nombre, jusqu'au gouverneur
Ovando. II lui avait remis le message de 1'amiral, et il
avait ajoute par son recit a 1'interet et a la pitie" que la
situation ddisespe'ree de Colomb et de ses compagnons
devait inspirer a des compatriotes. Mais, soit incredulite,
•20 soit lenteur, soit attente secrete de la ruine d'un rival
trop grand pour ne pas embarrasser la reconnaissance,
les Espagnols d'Hispaniola avaient laisse, sous divers
pre"textes, s'ecouler les jours etles mois. Puis ils avaient
envoye, comme a regret, un leger navire, command^ par
25 Escobar, pour reconnaitre seulement la situation des
vaisseaux naufrages sans aborder la cote et sans parler
aux Equipages. Ce navire avait apparu et disparu 4
distance, une nuit, aux regards de Colomb et de ses
matelots, avec tant de mystere, que leur superstition
80 1'avait pris pour le fantome d'un batiment qui venait
tenter leur credulite* ou prophe'tiser leur mort.
Enfin Ovando se decida a envoyer des vaisseaux k
1'amiral pour 1'arracher a la sedition, a la disette et a la
mort. Apres un naufrage de seize mois, 1'amiral, accable
35 de ses annees, de ses infirmites et de ses revers, revit
pour quelques jours 1'ile dont il avait fait un empire, et
dont 1'ingratitude et la jalousie le proscrivaient. II y
passa quelques mois, bien accueilli en apparence dans la
maison du gouverneur, maisexclu de toute influence dans
le gouvernement, voyant ses ennemis en faveur, ses amis
CHRISTOPHE COLOMR.
expulsds ou persecutes a cause de leur fide'lite', et pleurant
sur la ruine et stir 1'esclavage de cette terre qu'il avait
decouverte comme le jardin du monde, et qu'il revoyait
comrae le tombeau de ses chers Indiens. Ses propres
biens confisques, ses revenus dilapidds, ses terres 5
depeuple'es ou incultes, le livraient a la fois a la vieillesse,
a la maladie et a 1'indigence. Jetd avec son frere, son
fils et quelques serviteurs sur un vaisseau qui revenait
en Europe, une mer implacable le porta de tempete en
tern pete a San Lucar, ou il debarqua le 7 novembre, et 10
d'ou on le transporta a Seville, vaincu de force, mourant
de corps, invincible d'esprit, immortel de volontd et
d'esperance. ^
XV
LE possesseur de tant d'iles et de continents n'avait
pas un toit pour abriter sa tete. " Si je veux manger 15
ou dormir, e"crit-il de Seville a son fils, il faut que je
frappe a la porte d'une hotellerie, et souvent je n'ai pas
de quoi y payer mon repas et ma nuit ! " Ses malheurs
et son indigence lui etaient moins intolerables que la
misere de ses compagnons et de ses serviteurs, qu'il avait 20
attache's par tant d'espeYances a sa fortune, et qui lui
reprochaient leur deception et leur misere. II ecrivit
au roi et a la reine en leur faveur. Mais 1'ingrat Porras,
ce revolt^ vaincu, qui devait la vie a sa magnanimite,
1'avait devanc£ a la cour, et pervertissait centre son 25
bienfaiteur 1'esprit de Ferdinand. " J'ai servi Vos
Majestes, e"crivait Colomb au roi et a la reine, avec
autant de zele et de Constance que j'aurais fait pour
meriter le paradis, et, si j'ai failli en quelque chose,
c'est parce que mon esprit ou mes forces n'allaient pas 30
au dela ! "
II comptait avec raison sur la justice et sur la faveur
de sa protectrice, la reine Isabelle ; mais ce soutien de sa
cause allait defaillir aussi : 1'infortune domestique 1'avait
atteinte elle-meme. Elle languissait inconsolable de la 35
mort de sa fille de predilection. Prete a expirer, elle
90 CHRISTOPHE COLOMB.
ecrivit dans son testament ce temoignage de son
humilite dans le rang supreme, et de la Constance de
sa tendresse pour 1'epoux auquel elle voulait rester unie
jusque tfans la mort : "Que mon corps soit enseveli
5 dans 1'Alhambra de Grenade, dans une tombe au niveau
de terre et foulee aux pieds ; qu'une simple pierre y
dise mon nom. Mais si le roi mon seigneur se choisit
une sepulture dans quelque autre temple ou dans
quelque autre partie de nos royaumes, je desire que
10 mon corps soit exhume et transporte et enseveli a. cote
du sien, afin que 1'union de nos corps dans la sepulture
atteste et signifie 1'union de nos cceurs pendant notre
vie, et, je 1'espere par la mise'ricorde de Dieu, 1'union
de nos ames dans le ciel ! "
25 " O mon fils ! ecrivit Colomb a Diego en apprenant
la mort de sa bienfaitrice, que ceci te soit une legon de
ce que tu auras k faire a present. La premiere chose
est de recommander pieusement et affectueusement a.
Dieu Tame de la reine notre souveraine. Elle fut si
20 bonne et si sainte, que nous pouvons etre stirs de sa
gloire eternelle et de son abri dans le sein de Dieu
centre les soucis et les tribulations de ce monde. La
seconde chose que je te recommande est de veiller et de
travailler de toutes tes forces pour le service du roi ; il
25 est le chef de la chretiente. Souviens-toi, en pensant a
lui, que, quand la tete souffre, tous les membres sont en
souffrance. Tout le monde doit prier pour la conso-
lation et la conservation de ses jours, mais nous surtout
qui sommes ses serviteurs ! "
30 Tels etaient les sentiments de reconnaissance et de
fide'lite' de Colomb au comble de ses disgraces. Mais
la mort d'Isabelle n'entrainait pas seulement sa fortune,
elle entrainait sa vie. Retenu a Seville par le de'nument
de ses equipages et par les infirmites croissantes de ses
25 membres, il n'avait pour consolateurs que son frere
Barthelemy et son second fils, Fernando. Ce fils, age
de seize ans, annongait toutes les qualites sdrieuses de
rhomme mur dans toutes les graces de 1'adolescent :
" Aime-le comme un frere, ecrit Colomb a son fils aind
Diego, alors a la cour, tu n'en as pas d'autres. Dix
CHRISTOPHE COLOMB. QI
freres ne seraient pas trop pour toi ! Jamais je n'ai eu
de meilleurs amis que mes fibres ! " II pria Barthelemy
de conduire ce jeune homme a la cour. Barthelemy partit
avec Fernando pour Segovie, residence alors de la cour.
II sollicita en vain 1'attention et la justice pour Colomb. 6
Quand le printemps cut temper^ 1'air, Colomb, accom-
pagne de son frere et de ses fils, s'achemina lui-meme
vers Segovie. Sa presence y parut importune au roi j
son indigence e"tait un reproche k la cour. Le juge-
ment de sa conduite et la restitution de ses bicns et 10
privileges furent remis a des conseils de conscience,
qui, sans oser nier ses droits, userent sa patience en
de'lais. Us usaient en meme temps sa vie. Ses
inquietudes d'esprit, la provision du de"nument ou il
laisserait ses freres et ses fils, aigrissaient ses souffrances 15
corporelles. " Votre Majeste, e'crivait-il au roi, de son
lit de douleur, ne juge pas 2i propos d'executer les
promesses que j'ai re9ues d'elle et de cette reine qui est
maintenant dans la gloire. Lutter contre votre volonte,
ce serait lutter contre le vent. J'ai fait ce que je devais 20
faire ; que Dieu, qui m'a toujours ete propice, fasse le
reste selon sa divine justice."
II sentait que la vie, et non la Constance, allait lui
manquer. Son frere Barthelemy et son fils Diego
s'etaient absentes sur son ordre pour aller implorer la 25
reine Juana, fille d'Isabelle, qui revenait de Flandre en
Castille. La douleur physique, 1'angoisse morale, le
sentiment de Pabreviation de ses jours, trop courts
maintenant pour qu'il put espe'rer justice avant sa fin ;
les triomphes de ses ennemis a la cour, la derision des 30
•courtisans, la froideur du prince, les pressentiments de
la derniere heure, 1'isolement ou 1'absence de son frere
et de son fils le laissait dans une ville oublieuse ou
ingrate; les souvenirs d'une vie dont la moitie s'etait
passee a. attendre 1'heure d'une grande destinee, 1'autre 35
moiti^ a. de'plorer 1'inutilite du genie ; sans doute aussi
la pitie' pour cette race innocente et heureuse d'Indiens
qu'il avait trouves libres et enfants dans leur jardin de
delices, et qu'il laissait esclaves, depouilles et profanes
-dans les mains de leurs oppresseurs ; ses freres sans
92 CHRISTOPHE COL^MB.
soutien, ses fils sans heritage ; le doute sur le sort de sa
memoire parmi les hommes k venir ; cette agonie du
genie meconnu ; toutes ces tribulations de ses membres,
de son esprit, de son corps, de son ame, du passe, du
6 present, de 1'avenir, peserent a la fois sur le vieil-
lard, abandonne dans sa chambre de Segovie, pendant
1'absence de ses freres et de ses enfants. II demanda k
un de ses serviteurs, vieux et dernier compagnon de ses
traversees, de sa gloire et de ses miseres, de lui apporter
10 sur son lit un petit breviaire, don du pape Alexandre VI,
dans le temps ou les souverains le traitaient en souverain.
II ecrivit, de sa main affaiblie, son testament sur une
page de ce livre, auquel il attribuait une vertu de conse-
cration divine.
15 Etrange spectacle pour son pauvre serviteur ! Ce
vieillard, abandonne de 1'univers et couche sur un lit
d'indigent dans une maison d'emprunt de Segovie,
distribuait, dans son testament, des mers, des hemi-
spheres, des lies, des continents, des nations, des
20 empires ! II institua, pour heritier principal, son fils
Diego ; en cas de mort de Diego sans postdate, il
substituait a ses droits son second fils, le jeune
Fernando; et enfin, si Fernando lui-meme venait k
mourir avant d'avoir eu des fils, 1'he'ritage passait au
25 frere che'ri de Colomb, don Barthe"lemy, et a ses
descendants. " Je prie mes souverains et leurs succes-
seurs, disait-il, de maintenir a jamais mes volonte"s dans
la distribution de mes droits, de mes biens et de mes
charges ; moi qui, etant ne a Genes, suis venu les servir
30 en Castille, et qui ai ddcouvert, a i'ouest, la terre ferme,
les lies et les Indes ! Mon fils possedera ma charge
d'amiral de la partie de FOce'an qui est a I'ouest d'une
ligne tirde d'un pole k 1'autre ! " Passant de Ik ^
1'emploi des revenus qui lui avaient dtd assures par son
85 traite* avec Isabelle et Ferdinand, le vieillard distribuait
avec libe'ralite et sagesse les millions qui devaient
revenir k sa famille, entre ses fils et Barthe'lemy son
frere. II en assignait un quart a ce frere ; deux millions
par an a Fernando, son second fils. II se souvenait de
la mere de cet enfant, dona Beatrice Enriquez, qu'il
CHRISTOPHE COLOMB. 93
n'avait jamais e*pousee, et dont sa conscience lui
reprochait 1'abandon depuis ses annees de peregrination
sur les mers. II chargea son he'ritier de faire une
opulente pension a cette compagne de ses jours obscurs,
pendant qu'il luttait, a Tolede, centre les rigueurs de 5
son premier sort. II parut meme s'accuser de quelque
ingratitude ou de quelque negligence de cceur envers
1'objet de ce second amour, car il ajoute, au legs qu'il
lui fait, ces mots, qui durent peser & sa main mourante :
" Et que cela soit accompli pour le soulagement de ma 10
conscience, car ce nom et ce souvenir sont un poids
lourd sur mon arae ! "
Se reportant ensuite vers cette premiere patrie,
qu'une seconde patrie n'efface jamais dans le coeur de
1'homme, il cut un souvenir pour cette ville de Genes, 15
ou le temps avait moissonne toute sa maison paternelle,
mais ou il lui restait quelque parents' eloigne'e, comme
ces racines qui restent dans le sol apres le tronc coupe :
" J'ordonne a Diego, mon fils, e'crivit-il, d'entretenir
toujours dans la ville de Genes un membre de notre 20
famille, qui y residera avec sa femme, et de lui assurer
une existence honorable, telle qu'il convient a une
personne qui nous est alliee. Je veux que ce parent
conserve pied et nationalite dans cette ville, en qualite
de citoyen ; car c'est Ik que je suis ne, et c'est de la que 25
je suis venu !
" Que mon fils, ajoute-t-il, avec ce sentiment chevale-
resque de vassalite et d'infeodation de soi-meme au
souverain qui etait la seconde religion de ce temps, que
mon fils serve, en memoire de moi, le roi, la reine et 30
leurs successeurs, meme jusqu'a la perte des biens et de
la vie, puisque, apres Dieu, ce sont eux qui m'ont fourni
les moyens de faire mes decouvertes !
" II est bien vrai, reprend-il avec un accent invo-
lontaire d'amertume, semblable a un reproche mal 35
etouffe dans sa memoire, que je suis venu les leur offrir
de loin, et qu'il s'est ecoule" bien du temps avant qu'on
ait voulu croire au present que j'apportais a Leurs
Majestes ; mais cela e"tait naturel, car c'e"tait un mystere
pour tout le monde, et qui ne pouvait inspirer qu'increr
94 CHRISTOPHE COLOMB.
dulite ! C'est pourquoi je dois en partager la gloire
avec ces souverains qui se sont les premiers fie's & moi."
XVI
COLOMB reporta ensuite toutes ses perishes a ce Dieu
qu'il avail toujours consider^ comme un seul et veritable
5 souverain, comme s'il avait releve directement de cette
Providence dont il s'etait semi plus que tout autre
1'instrument et le ministre. La resignation et 1'enthou-
siasme, ces deux ressorts de sa vie, ne lui manquerent
pas a sa mort. II s'humilia sous la main de la nature,
10 et se releva sous la main de Dieu, qu'il avait toujours vu
a travers ses triomphes et ses revers, et qu'il voyait de
plus pres au moment de son depart de la terre. II
s'abima dans le repentir de ses fautes et dans 1'esperance
de sa double immortalite. Poete de coeur, comme on
15 1'a vu dans ses discours et dans ses ecrits, il emprunta
aux poesies sacrees des psaumes les dernicres aspirations
de son ame et les derniers balbutiements de ses levres.
II prononga en latin 1'adieu supreme a ce monde, et
remit a haute voix son ame k son createur ; serviteur
20 satisfait de son oeuvre, et congedie du monde visible,
qu'il avait agrandi, pour aller dans le monde invisible
s'emparer de 1'espace incommensurable des univers
infinis.
XVII
L'ENVIE et 1'ingratitude de son siecle et de son souverain
25 s'evanouirent avec le dernier soupir du grand homme
dont ils avaient fait leur victime. Les contemporains
semblent presses d'expier envers les morts les perse'cu-
tions qu'ils ont infligees aux vivants. On fit a Colomb
de royales funerailles. Son corps, et plus tard celui de
£0 son fils, apres avoir habite plusieurs monuments funebres
dans differentes cathedrales d'Espagne, furent transported
et ensevelis, selon leurs vceux, i Hispaniola, ^omme le
CHRISTOPHE COLOMB. 95
conque'rant dans sa conquete. Us reposent raaintenant
a Cuba. Mais, par un bizarre jugement de Dieu ou par
une ingrate inconsequence des hommes, de toutes ces
terres d'Amerique qui se disputerent 1'honneur de garder
sa cendre, aucune ne garda son nom. 5
XVIII
Tous les caracteres du veritable grand homme sont
re"unis dans ce nom. Ge'nie, travail, patience, obscurite
du sort vaincue par la force de la nature, obstination
douce mais infatigable au but, resignation au ciel, lutte
centre les choses, longue premeditation de pensee dans 10
la solitude, execution heroique de la pensee dans
1'action, intre"pidite et sang-froid contre les elements dans
les tempetes, et contre la mort dans les seditions,
confiance dans 1'etoile, non d'un homme, mais de
rhumanite", vie jetee avec abandon, et sans regarder 15
derriere lui, en se precipitant dans cet ocean inconnu et
plein de fantomes, Rubicon de quinze ^cents lieues, bien
plus irremediable que celui de Cesar ! Etude infatigable,
connaissances aussi vastes que Fhorizon de son temps,
maniement habile mais honnete des coeurs pour les
seduire a la ve"rite ; convenance, noblesse et dignite" de
formes exterieures, qui revelaient la grandeur de 1'ame et
qui enchainaient les yeux et les cosurs : langage a la pro-
portion et a la hauteur de ses pensees ; eloquence qui
convainquait les rois et qui domptait les seditions de ses
equipages, poesie de style qui egalait ses recits aux mer-
veilles de ses decouvertes et aux images de la nature ;
amour immense, ardent et actif de I'humanite jusque
dans ce lointain ou elle ne se souvient plus de ceux qui
la servent ; sagesse d'un legislateur et douceur d'un
philosophe dans le gouvernement de ses colonies ; pitie"
paternelle pour ces Indiens, enfants de la race humaine
dont il voulait donner la tutelle au vieux monde, et non
la servitude et des oppresseurs ; oubli des injures, magna-
nimite de pardon envers ses ennemis ; piete, enfin, „.
cette vertu qui contient et qui divinise toutes les autres,
g6 CHRISTOPHE COLOMB.
quand elle est ce qu'elle etait dans 1'ame de Colornb j
presence constante de Dieu dans 1'esprit, justice dans la
conscience, misericorde dans le coeur, reconnaissance
dans les succes, resignation dans les revers, adoration
6 partout et toujours !
Tel fut cet homme. Nous n'en connaissons pas de
plus acheve. II en contenait plusieurs en un seul. II
etait digne de personnifier le monde ancien aupres de ce
monde inconnu qu'il allait aborder le premier, et de
10 porter a ces hornmes d'une autre race toutes les vertus
du vieux continent, sans un seul de ses vices. Nul par
la grandeur de son influence ne me'rita mieux le nom de
civilisateur.
Son action sur la civilisation fut sans mesure. II
15 completa 1'univers, il acheva 1'unite physique du globe.
C'etait avancer, bien au dela de ce qui avait etc" fait
jusqu'alui, 1'oeuvre de Dieu : L'UNITE MORALE DU GENRE
HUMAIN. Cette ceuvre a laquelle Colomb concourut
ainsi £tait trop grande en effet pour etre dignement
20 recompense*e par 1'imposition de son nom au quatrieme
continent de la terre. L'Ame'rique ne porte pas son
nom ; le genre humain, rapproche" et reuni par lui, le
portera sur tout le globe.
FIN,
NOTES.
Page Line
1, 4. Ne fussent. Ne is used after verbs of denying and
doubting, when taken negatively or interrogatively,
as : " Je ne nie pas que ctla ne soil ; " "doutez-vous
que cela ne soit ? "
2, 3. Sejoue, makes sport of; i.e., uses for its own ends.
1 6. 11 ne s'acquiert pas, it is not acquired. Observe the
common use in French of the pronominal for the
passive form.
21. L'ximant, the magnet ; from Lat. adamentum.
23. Quelque chose de fatal, something fatal. The genitive of
the adjective is always used after quoi, rien, quelgue
32. Dont il etait travaille, which tormented him.
3, 13. Epuisee de vieilleste, wasted with old age.
£t que Dieti, and when God. Observe that que is often
used to avoid the repetition of a conjunction. This
que takes the mood of the conjunction for which :*•
stands, except in the _.ise of si, when it takes a sub-
junctive always.
22. Verbe, the (sacred) Word.
33. Du Coran et du glaive, with the Koran and the sword.
38. Ainsi de Charlemagne, thus with Charlemagne.
1, 3. Ainsi de nos jours, so in our own times.
9. De lui preparer, with preparing for it.
IO. Qui ait jamais resserre, which has ever drawn together.
Observe that the subjunctive is used after the relative
pronouns when they are preceded by an adjective in
the superlative degree, or by the words le premier,
le seul, le dernier, and an idea of wish or doubt is
implied.
5, 5. Calcinait, calcined (baked) the roads of Andalusia. Cal*
ciner, from Lat. calcinare, which from calcem.
7. Palos. The little seaport town of Palos de Moguer is
situated at the mouth of the river Tinto, on the west
coast of Andalusia. Ab<>ut half a league from Palos,
on a solitary ^height overl ><>king the sea-coast, and
surrounded by a torest of pine-trees, there stood, and
stands at the present time, an ancient convent of
9 CHRISTOPHE COLOMB.
Page Line
Franciscan friars, dedicated to Santa Maria de
Rabida.
This first trace we have of Columbus in Spain is
gathered from the manuscript documents of the
celebrated law-suit, which took place a few years after
his death, between his son Diego and the Crown.
It is contained in the deposition of one Garcia
Fernandez, a physician resident in Palos.
5, 13. Jmploraient deitx-memes, alone (of themselves) claimed
hospitality.
23. Se teignaient, were prematurely tinged.
6, 3. JShomme mur, the man of mature years. Observe that
mur, ripe, from maturus, has a circumflex; while mur,
wall, from murus, has none.
5. Curieux et attendris, who felt curiosity as well as emotion,
fc. He leur equipage, of their attire.
10. Pelerins, pilgrims. From Lat. peregrinus, properly "a
traveller."
20. Recueillement, meditation, contemplation.
23. Retraite, withdrawal from the world.
24. Credit, influence.
27. Ajfidee, trusty, trustworthy.
7, 5. Cardeur de lalnes, metier aujourcfhui infime, a wool-comber,
a trade nowadays in low esteem. Observe that words
in apposition have no article.
18. Oii nous voyons lejour, where we are born.
21. La contre-epreuve, the counter-proof, feeble imitation.
St i. Edaire et aise, enlightened and in easy circumstances.
7. 11 etait de ces Ames, he was one of those spirits.
15. Armaient, equipped, fitted out.
20. Savant et matelot a la fois, a scientist and a sailor at one
and the same time.
23. Lfs escadres dont Genes, the fleets with which Genoa.
28. A Vetroit, confined within narrow limits.
0, 3. Sis cartes marines, his maritime charts.
7. Entrevupar lui seul, of which no one but himself had had
a glimpse.
8. Un navfrage, etc. The account of this shipwreck is given
by his son Fernando. He relates that his lather
sailed for some time with a relation of the name of
Colombo, a famous corsair. This bold rover waylaid
four Venetian galleys, richly laden, on their return
voyage from Flanders, and attacked them with his
squadron on the Portuguese coast, between Lisbon
and Cape St. Vincent. The battle lasted from
morning until evening, with great carnage on both
sides. The vessels grappled each other, and the crev.-s
fought hand to hand and from ship to ship. The
tessel commanded by Columbus was engaged with a
NOTES. 99
Page Line
huge Venetian galley. They threw hand grenades
and other fiery missiles, and the galley was wrapped
in flames. The vessels, being fastened together by
chains and iron grapplings, could not be separated,
and both became a blazing mass, involved in one
conflagration. The crews threw themselves into the
sea. Columbus seized an oar which was floating near
him, and, being an expert swimmer, attained the
shore, though full two leagues distant. After recover-
ing from his exhaustion, he repaired to Lisbon, where
he found many of his Genoese countrymen, and was
induced to take up his residence.
9, 9« D' une galere qu'il montait, of a galley that he commanded.
12. D'une rame, with one hand got hold of an oar. Hame,
from Lat. remits.
19. Assisler aux offices religieux, to attend the religious
services. Observe assister a — to be present at.
20. II s'eprit cTattachement, he became enamoured with. Dona
Felippa was the daughter of Bartolomeo Mom's de
Palestrello, an Italian cavalier, lately deceased, who
had been a distinguished navigator and had colonised
and governed the Island of Porto Santo. The
newly-married couple resided with the mother of the
bride, who gave to Columbus all her late husband's
charts, journals, and other manuscripts.
37. Ses correspondances, his own correspondence with j £.«.,
the letters he received from Toscanelli.
10, 7. Frayees, traced out ; routes hitherto unexplored across the
ocean. " Frayer," from Lat. fricaie, formerly froyer.
Atelier, workshop. Old Fr. astelier, from Lat. hastel-
lariux, a place at which are made the hastellce
(for hastulce), little planks or splints; originally a
carpenter's workshop.
12. En pointant..., in studding his maps with islands and
continents.
15. La terre semblait manquer..., the world seemed to lack
there the counterbalancing weight of a continent.
19. Par des temps sereins, in calm weather.
22. Marco Polo, a Venetian traveller, who in the fourteenth
century had penetrated the remote parts of Asia, far
beyond the regions laid down by Ptolemy. He gave
a magnificent description of the Province of Mangi,
near Cathay, since ascertained to be the northern
coast of China, and extolled the power and grandeur
of its sovereign, the Great Khan, the splendour and
magnificence of his capitals Cambalu and Quinsay,
and the wonders of the island of Cipango, supposed
to be Japan. The work of Marco Polo is a key to
many of the ideas and speculations of Columbus.
100 CHRISTOPHE COLOMB.
Page Line
The territories of the Great Khan, as described by
the Venetian, were the objects of his diligent search
in all his voyages ; and in his cruisings among the
Antilles he was continually flattering himself with the
hopes of arriving at the opulent island of Cipango
and the shores of Mangi and Cathay.
10, 33. L'attrait du faux, attracted by what was false, he was
being led to what was true.
11, I. Ne le pensaient, than these navigators supposed. Observe
that ne comes after plus, mieux, mains, meilleur,
antremetit, when these words are used affirmatively.
5. Les vagues, the billows, waves ; of Germ, origin.
7. Outils de jfer, iron implements. Formerly oustil ; origi-
nally itstil, from Lat. usitettum, any instrument used
by workpeople.
10. Des roseaux gigantcsques, gigantic reeds. Roseau is of
Germ, oiigm — Goth, raus, a reed.
20. Sur les mappemondes, on the maps of the world.
31. De la pesanteur, of gravity.
37. Les nivcaux, the levels.
1'2, 4. Les voiles, the ships.
22. Jean II. John II. had imbibed the passion for discovery
from his grand-uncle, Prince Henry. This Prince
Henry of Portugal consecrated a long and noble life
to the work of sending expeditions down the coast of
Africa and out westwards to the islands of the
Atlantic. During his life, and by his efforts, Madeira
and the Cape de Verde Islands were discovered, and
explorations were carried down the coast of Africa,
from Cape Bojador to Sierra Leone. The cause of
discovery languished during the latter part of the
reign of Alfonso of Portugal, but with the reign of
John II. all its activity revived. In 1487 Bartholo-
mew Diaz doubled the Cape of Good Hope (Cape
Tormentoso he called it), and the path to India was
made plain. Vasco de Gama, a few years later,
accomplished this long-attempted navigation.
36. Di'nuee de fvndement..., devoid of foundation to banish it
among mere fancies.
13, 8. Ifcmtant plus accredites, all the more influential at his
Court.
13. Aggrava, rendered still worse, aggravated.
1 8. Cingle, sailed. Old Fr. singler, originally sigler, a word
of Germ, origin, from Old Scandinavian sigla, to sail.
26. S'acharnaient, were furiously keen after the fruit of his
labours.
31. Qu'il envisageait, the only inheritance that he saw in store
for him.
NOTES. 101
Page Line
14, 3. Le sejour moMlet the changeable domicile of the Spanish
Court.
12. II avail cru devoir, he had thought it his duty.
1 6. Plus rapprochees, more closely affecting them.
25. Armateurs, ship-owners.
30. Sea entretiens du jour, his conversations on the topics of
the day.
36. Qui veut comme Vautre ses fideles, which, like the other,
will have its worshippers.
15, 19. De ce sceau divin..., with that divine seal which forbids
our forgetting... Sceau, from Lat. sigiltum.
25. Engagea, prevailed upon.
30. De I'hote, of the guest. H6te, formerly hoste, from Lat.
hospitem, is both hoist and guest.
13, I. Dessillvs, their eyes opened. Formerly spelt deciller, to
undo the oil (cilium, eye-lash).
4, Cvnacte, guest-chamber. Lat. ccenaculum.
Se couve, is hatched.
25. // avait eu Coreille et la conscience d'Isabelle, as Isabella's
confessor he had had free access to her ear and the
control of her conscience.
34. II lui fournit I'equipage coin-enable, he supplied him with
the suitable attire for appearing decently at Court.
36. Sequins, sequins ; gold coins of the Levant. The sequin
was in circulation in Italy, where its value was about
ten shillings. Etym. zecchino, from zecca, a mint.
17, 6. Et a qui il renvoya..., and to whom he ever after
ascribed...
7. Cordoue. When Columbus arrived at Cordova he found
it in all the bustle of military preparation. The two
rival Moorish Kingsof Granada had formed a coalition,
and Ferdinand and Isabella had summoned all their
chivalry to assemble for a grand campaign. Every
day witnessed the arrival of some Spanish noble
with a splendid retinue and a brilliant array of
household troops. The Court was like a military
camp ; every avenue was crowded by warlike
grandees and hardy cavaliers who had distinguished
themselves in this Moorish war. This was an
unpropitious moment for an application like that of
Columbus.
9. L'etoile du genie, the guiding star of genius.
29. Mais, bien que le roi, but although the king.
18, 27. Ce regne a deux, this dual reign.
32. Lue avec prevention, read under the influence of prejudice.
19, 12. La certitude qui attend I'heure, stubborn like certainty
wailing for its opportunity.
19. Pendant ces nombreuses annees. While lingering in Cor-
dova, Columbus became attached to Dona Beatrix
8
102 CHRISTOPHE COLOMB.
Page Line
Enriquez, a lady of that city, of a noble family.
Like most of the circumstances of this part of his
life, his connection with this lady is wrapped in
obscurity, but appears never to have been sanctioned
by marriage. She was the mother of his second son,
Fernando, who became his historian, and whom he
always treated on terms of perfect equality with his
other son, Diego.
20, 2. Du mondefutur, of future generations.
IO. A tort, erroneously.
21, I. Recue et couvee, received and fostered (lit. hatched) in a
woman's heart.
2O. Eneourait la tache d'heresie, all that which incurred the
stigma of heresy.
30. Cherchant fortune de ses chimeres, seeking to make capital
out of his chimerical fancies.
35. Du cltrffe supmmr, despised by the upper clergy.
22, 22. Que passionnait la verite, which truth enflamed, lost all
its thunders and its fire (lit. lightning). Observe the
position of the subject after the verb, a common
inversion after the relative pronoun in the accusative
, case.
38. Econduit, bowed out, discarded, refused admission.
23, 13. Le roi do Portugal (John II.). Columbus had received
favourable letters both from the King of England
(Henry VII.) and the King of France (Charles VIII.).
The King of Portugal also had invited him to return
to his Court; but he appears to have become attached
to Spain, probably from its being the residence of
Beatrix Enriquez and his children.
23. Eoabdil. Boabdil el Chico, the last of the Moorish
Kings, after the surrender of Granada sallied forth
from the Alhambra and yielded up the keys of that
favourite seat of Moslem power to Ferdinand and
Isabella.
'24, 21. L'envie s'acharnait stir Colomb..., envy fastened itself on
Columbus, even before a single success had attracted
it.
25, 17. Le ressort, the moving spring.
23. Knvoya cliercher, sent for.
28. Fanatiserent, bewitched, fascinated.
29. On le supplia de rester, they implored him to stay.
26, 25. Ce grand win-re, this great work. Obs. : (Euvre, which is
generally feminine, is used in the mascu'ine in the
sense of an important work, a great undertaking.
32. Tresor secret, drawn from her privy purse.
35. De ses demarches et de son credit, with his zeal and
influence. Demarches— active measures.
27, 7. Rcpaissant, feasting his imagination.
NOTES. 103
Page Line
27, 28. La dime a ptrpitmUt one-tenth for ever. Dime, tithe,
formerly disme, from Lat. decima.
31. Prealablement, previously, in advance. Pi-salable, for pro-
allable, compd. of prtt, from Lat. prce and allalle from
alkr.
£8, 14. Marchandaient avec Dieu, bargained with God about the
price.
27. Elan de cceur, this enthusiasm of a woman's heart.
29, 20. 'Jroquait, bartered. From Spanish trocar; Der. troe
(verbal subst.), barter, truck.
30, 19. Qtt'un fatal genie..., it seemed that an evil genius bent on
striving against the world's urity...
36. Caravtllas, caravels. These vessels, designated elsewhere
under the names of navire, vaisseau, barque, bati-
indtt, were light barques, not superior to river and
coasting craft of modern days. They were built high
at the prow and stern, with forecastles and cabins for
the crew, but were without decks in the centre. Only
one of the three, the Santa-Maria, was completely
decked, on board of which Columbus hoisted his flag.
31, 9. Trendre la mer, were ready to put to sea.
14. 11 y arbora..., on this vessel he hoisted... By the at-
langement concluded with Ferdinand and Isabella,
April 1 7th, 1492, the Spanish Sovereigns, as lords of
the Ocean-seas, constituted Christopher Columbus
their admiral, viceroy, and governor-general of all
such islands and continents as he should discover in
the Western Ocean. He was to be entitled to one-
tenth of the products and profits within the limits of
his discoveries, and an additional eighth, provided he
should contribute one-eighth part of the expense.
2O. Un salut ffheureuse traversee, it was a mourning proces«
( sion rather than a speeding on a prosperous journey.
28. A regret, reluctantly. Repeated mandates had been
issued by the Sovereigns, ordering the magistrates of
Palos and the neighbouring town of Moguer to press
into the service any Spanish vessels and crews they
might think proper, and threatening severe punish-
ment on all who should prove refractory.
33. Un poicls naturel a rimmobilite, a natural vis inertia.
35. Malheur a qui..., evil betide him who disturbs it.
32, 6. Une settle etait pontte, one only was completely decked—
that which he commanded.
7. Navire du commerce, trading vessel.
9. Une lame, a wave. From Lat. lamina.
12. Dan<! les gros temps, in rough weather.
14. ATe fit sombrer la caraveile, should sink the ship. Obs. :
Tne verbs empicher, eviter. prendre garde, se garder,
and the conjunctions a mains que, de peur quet are
104 CHRISTOPHE COLOMB.
Page Line
always followed by ne. The verb somlrer, to founder,
is derived from the Lat. subumbrare.
32, 17. Une voile latine, a triangular lateen sail.
19. Aux bordages bas, to the low bulwarks.
27. £ien quil eut..., though he had.... Obs. : The conjunc-
tions quoique, bien que, avant que, jusqu'd ce que, de
maniere que, ofin que, de peur que, a moins que, and
que, used ior any of the above, require the sub-
junctive.
33, 4. II orientait ses voiles, he steered his ships.
20. Tout en rendant grace, all the white that he returned
, thanks.
21. A rasserener ses equipages, to reassure his crews.
23. A plein i-ovffle, with full blast.
32. Et d'avoir d lui seul, he longed to have left behind him
the limits of the known seas, and alone to have in
his po<* er the means of returning.
34, I. Faisait eau dans sa cale, had sprung a leak.
5. Radouber, to refit, patch up.
6. Une autre voilure, a new rig. The lateen sails of the
Nina were altered into square sails, that she might
work more steadily and securely.
7. Sa troisieme conserve, his third companion ship.
10. La vie, the provisions, the food (or...
24. Le dernier phare, the last lighthouse. Phare, from Lat.
pharus, of historical origin, fiomthe island of Pharos,
off the harbour of Alexandria, on which a celebratert
lighthouse stood.
26. Jusqu'aux jalons, even the very landmarks.
37. Les soleils, the climates.
35, I. Dont chaque lame, each wave of which impelled their ships
towards...
3. Prestigieuses, fascinating, illusive.
5. Les vents alizes, the trade-winds.
11. Trompait ainsi, cheated thus. Columbus kept two
reckonings— one private, in which the true way of the
ship was noted, and which he retained in secret for
his own government ; the other public, for general
inspection, in which a number of leagues was daily
subtracted from the sailing of the ships, so as to keep
the crews in ignorance of the real distance they had
advanced.
13. La vtritable estime, the true reckoning.
23. Qui chancelait, which itself became unsteady on the
confines of an unexplored hemisphere.
27. L'habitacle, the binnacle.
36) 4. Boussole intime, an inner intuitive compass with which
Nature had endowed him. Obs. : Dont is ablative as
well as genitive. These two cases are identical in
NOTES. 105
Page Line
French, and so de signifies not merely of, but also
by, with, from.
36, 6. Specieme, plausible.
7. Aiguille aimantee, magnetic needle.
25. Transpirer en Remnant..., to exhale as they foam...
28. De serenite, with serenity ; i.e., to calm the senses while it
convinced the minds.
37, 2. Bas-fonds, the shallows.
16. Dont les vagues herbues..., whose weed-bearing waves
(were) cut through by our prow (and) slackened our
speed.
28. Sans amis..., without friends... whose heart could be firm
enough to emulate his constancy, and sufficiently
trustworthy to refrain from divulging his secret appre-
hensions.
38, 19. Brume du soir, the evening haze. Lat. bnima.
23. Orienter, without their having to shift (adjust) their
sails.
31. Louvoyant, tacking. Der. from fo/(Naut.), which itself is
from the English luff.
35. Navigation en arriere, of their return journey.
39, 14. Saluerent, hailed, welcomed.
17. Pa'pitation, a pulsation.
26. Charmilles, bowers.
34. Entraver, to clog, to entangle.
38. Tant Cinconnu a dt terreur pour le cceur de I'homme, so
greatly does the unknown inspire man's heart with
terror.
40, 5. Parages, regions, quarters.
6. Souffle, the breeze.
8. Souteiraincs a son lit, beneath its bed.
IO. Nef&, vessels, ships. Lat. navis.
15. Etanche, slaked its watery worlds.
1 8. Virer de lord, veer round. Old Fr. fire, a circle, a ring.
Lat. viriola.
28. Bord a bord, side by side.
35. Cejeune Ocean, this newly-discovered Ocean.
41, I. Hunes, mast-tops. Of Germnn origin ; A.S. hun.
5. Sa terre a lui, the land which he foresaw. Obs. : This
tautology is a very common way of putting the
emphasis upon the possessive case. Ex. : Vous
m'offrirez d moi.
6. Gouverner, to steer.
14. &y reverberait, shone therein. Reverberer, to reverberate,
from Lat. reverberare. Its derivative, reverbere, is a
street-lamp.
17. Sillage, the wake of the ship.
19. Se concerter, to act in concert.
23. Le livre d'estime secret, the private log-book of the admiral
sho *ed more than eight hundred.
IO6 CHRISTOPHE COLOMQ.
Page Line
42, 21. S'entendre, to be in collusion with.
24. Haubans, shrouds. Formerly hoben, of German origin.
28. Qu'avaient-ils a menager, what need had they to spare the
feelings of. Menager, to deal carefully with.
30. Surpris d, wrested from.
43, 12. Troisieme soleil, the third day.
26. Cisele, carved out. Ciseler, from ciseau, Old Fr. eisel,
a chisel.
35. Outrage, insulted the day before.
44, 4. Carguer, to furl, to brail, clew up (sails). Lat. carricare.
II. Vergues, yards. Lat. fir^a.
20. J>i'iiette, poop. Of Celtic origin — Irish dun, hill, down.
23. Eblouissement, dazzling sensation, bewilderment.
39. fanal, a ship's lantern, beacon ; introduced in sixteenth
century Irom It. fanale.
45, 15. Brasses, fathoms. Der. from Iras (Lat. brachium}=t'he
distance between one's extended arms.
1 8. Bronze, the gun.
19. Edairer, to show the way ; hence eclairsur, a scout.
27. ticdfs, rocks, reefs.
46, I. Crepuscute, the dawn.
9. Anses, bays, creeks.
10. Clairieres..., glades... allowed the eyes partly to peer
into these mysteries of solitude.
13. Hitches, bee-hives. Formerly rusche, of Celtic origin,
Breton, rusJcen.
28. Dans le signe de la croix..., and to hoist there, with the
symbol of the cross and the flag of Spain, the
standard of God's conquest and of the conquest
, effected by his Sovereigns through his own genius.
47, 2. A dcfaut des hommes, as men were lacking.
8. Chiffres, the initials. Low Lat. cifra. The letters F
and Y surmounted by crowns, the Spanish initials of
the Castilian monarchs Fernando and Ysabel.
17. Le visage coile, his face touching the ground.
Larmes .., tears that had a double import and a double
omen.
25. C'ttait I'homme..., it was man who shed these tears; it
would have been more befitting had the soil shed
them.
48, 2. San-Salvador. The island where Columbus had thus, for
the first time, set his foot upon the New World is one
of the Lucayos, or Bahama Islands, and was called
by the natives Guanahani : it still retains the name
of San Salvador, which he gave it, though called by
the English Cat Island. The light which he had
seen, the evening previous to his making land, may
have been on YVatling's Island, which lies a few
leagues to the east.
NOTES. 107
Paee Line
48, 6. De leur defiance, with their distrust.
22. Lews antennes..., these vessels shifting their sails, their
lateen yards, their spars...
49, 12. Dans ce fond ignore du monde, in this unknown extremity
v of the world.
13. A force (fignorance, through dint of ignorance.
20. S'apprivoisant, growing tame, sociable.
50, 6. Foufait, whose sovereign trod floors formed of plates of
gold.
1 8. A F aspect..., with the most luxuriant aspect.
22. Grelots, little bells, hawk's bells.
23. Relaches, stoppages. Columbus now beheld a number of
beautiful islands, green, level, and fertile, and the
Indians intimated by signs that they were innu-
merable. He supposed them to be a part of the
great archipelago described by Marco Polo as
stretching along the coast of Asia, and abounding
with spices and odoriferous trees. He visited three
of them, to which he gave the names of Santa Maria
de la Conception, Fernandina, and Isabella.
29. Etalait a leurs sens, spread out before them.
51, I. Cuba. Columbus arrived in sight of Cuba on the 28th of
October. He anchored in a beautiful river to the
west of Neuvitas del Principe, and, taking formal
possession of the island, gave it the name of Juana,
in honour of Prince Juan, and to the river the name
of San-Salvador.
3. Jalonnaient, staked out.
7. Rades, roadsteads. Introduced through It. rada, from
the Germanic ; O. Scand. reida.
30. Rejaillissements, jets of soft light.
52, 7. Dotaient..., which enthusiastic travellers ascribed to
Cathay and Japan.
8. Naturels, natives ; also called i^lgenes.
31. Deconcerte, disappointed.
38. Rachetees selon lui..., redeemed, so he thought...
53, I. Voynet, sailed. Voguer, from It. vogare.
17. Desherite..., the name of the chief was deprived of the
honour of being given to a new world ; that of a
subordinate under him prevailed.
28. Deransaient, outstripped.
36. S'ctait trop apergu, had become but too conscious.
54, 6. SMr contre, to punish.
18. Hispamola. As Columbus approached Hayti (also called
St. Domingo), the sailors fancied that the features of
the surrounding country resembled those of the more
beautiful provinces of Spain. In consequence of this
idea, he called the island Espanola, or, as it is com-
monly written, Hispaniola.
108 CHRISTOPHE COLOMB.
Page Line
54, 20. Qui lui fit virer de bord, which made him veer round.
Obs. : Faire in combination with an infinitive forms
a verbal expression the sense of which is active ; if
the infinitive has a direct object .{expressed or
implied), that of faire becomes indirect (dative).
Ex.: "Charles XII. fit repasser la riviere a ses
troupes."
30. Eoulaient des par/urns, whose waves wafted perfumes.
55, 7. Domes..., from the confines of the horizon, or, from the
extremity of the firmament.
8. ^1 1'cgal des dicux, like gods.
25. Tiede, warm, tepid. From Lat. tepidns.
28. Nattes, mats. Ital. matta, from Lat. matta.
36. Regnaietit HUT..., imposed a law on these little kings.
37. Toute palernelle, quite paternal. Obs.: Tout, though an
adverb, is spelt toute, toutes, when the adjective that
follows is feminine and begins with a consonant.
56, 32. Quel mystere de la providence que..., what a mystery of
Providence is this visit... Obs. que introducing the
real subject of the sentence. Whenever that which
explains the subject is placed before it, this subject is
preceded by que. Ex. : " C'est un rocher sterile que
cette fie. \Vith an infinitive que de is used. Ex. :
x " C'est imiter les Dieux que de secourir les affliges."
•67, 7- AJorce de rames, by dint of rowing.
11. Jusqu'au demembrement..,, till the parting of the last
timber.
12. Radeau, raft ; formerly radel, from Lat. radcllus.
28. S'attendrit sur..., describes with emotion, in his letters to
the King and Queen, the spontaneous generosity of
this people.
58, 31. En cotoyant, in coasting along the winding shores.
36. 11 avait ensctnglante ses premiers pas, he had stained his
first steps with blood. The place where the skirmish
had taken place was called by Columbus El Golfo de
las Fleches, or the Gulf of Arrows; but it is known
by the name of the Gulf of Samana.
59, 7- Ses ri°tes d'estime, his nautical reckoning.
14. Wen avait j<- metis vu, had never seen any. Ob?. : The
past participle preceded by en is invariable ; the
agreement, however, takes place when the pronoun
en is preceded by an adverb of quantity. Ex. :" Plus
il a vu de livres, plus il en a lus."
16. Insensibles, that no longer obeyed either sail or rudder.
34. Cejeu du sort, this sport of fate.
40. Le mot, the key to, the solution of...
60, 9. Morne, sullen. Of Germanic origin ; O.H.G. mornen, to
mourn.
16. Insouciant, heedless.
NOTES. 109
Page Line
60, 22. Botttes, buoys, floating objects. O. Fr. boye, from Lat.
boja.
23. Ballottee, tossed.
25. Du lest, some ballast ; from Germ. last.
61, 8. Defendu attx vagues, forbidden the waves.
62, 14. Mettre U comble, fill the measure of his happiness.
24. Nemesis, the avenging goddess.
63, 6. Pour luifaire cortege, to follow in his train.
14. Etales, spread out, displayed. Obs. : The masc. gender,
because the first of the objects enumerated is mas-
culine.
1 6. Couraient sur les pas, followed in the wake.
22. Qui avait souleve le rideau, who had first unveiled.
64, 2. Sous les pas de qui, under whose steps. N.B. : Duquel,
de laquelle (or de qui, speaking of persons, must be
used for "whose" whenever there is a preposition
between " whose " and its antecedent.
24. ISentretien, the talk, the topic of conversation.
31. Astucieusement, craftily, cunningly.
32. Dans le cas ou, in case he had not been born. Obs. : Ou
=in which. Ou, d'ou, par ou, are frequently used for
auquel, dans leqvel, par lequel, etc.
36. A le faire tenir, to make it stand.
65, 2. Renvoyant ainsi..., thus ascribing.
13. IS apanage, the appanage. Now restricted to a domain
given to princes of the blood royal for their sus-
tenance ; in feudal law it meant any pension or
alimentation. Der. from the O. Fr. verb apaner, to
nourish.
17. Fonseca, Juan Rodriguez de Fonseca, Archdeacon of
Seville, who successively was promoted to the sees of
Badajoz, Valencia, and Burgos, and finally appointed
Patriarch of the Indies. Francisco Pinelo was asso-
ciated with him as treasurer, and Juan de Soria as
contador, or comptroller. Their office was fixed at
Seville, and was the germ of the royal India-house,
which afterwards rose to such great power and
importance.
22. Ravaler, to put down, disparage. Derived from aval,
down-stream, Lat. ad vallem ; the opposite to which
is amont, upwards, Lat. ad montem.
38. JEchantillons, samples.
40. four essayer le del,.., to try the climate.
66, II. Son cceur et ses sens..., lit., his heart and his senses so
overflowed with courage that he carried its fanaticism
up to madness (i.e., his moral and physical courage
bordered on madness).
19. Qui dSbordait des crenausc, which projected from the
battlements.
110 CHRISTOPHE COLOME,
Page Line
6fci, 33. Se laissa franchir, was crossed. Lit., allowed itself to be
crossed.
35. Croisa..., cruised among the Caribbee Islands.
67, 6. Une salve, a salute. On the evening of the 27th of
November, 1493, Columbus anchored opposite to the
harbour of La Navidad. As it was too dark to
' distinguish objects, he ordered two signal guns to be
fired. The report echoed along the shore, but there
was no gun, or light, or friendly shout in reply.
86. Lefort inceudie... The burnt ruins of the fortress which
entombed their bones was the first monument of the
intercourse between these two families of the human
race.
37. Trame, plotted, planned.
68, 7. Une plage vierge, lit., a virgin strand; anew site along
the coast. Columbus fixed upon a harbour about ten
leagues east of Monte Christi, protected on one side
by a natural rampart of rocks, and on the other by an
impervious forest, with a fine plain in the vicinity,
watered by two rivers.
33. Zes dcbordcmcnts hontatx, the shameful dissoluteness and
the starvation of his crews.
69, 22. II y toucha..., he called there ; he made the island.
Columbus arrived on the 29th of April, 1494, at the
eastern end of Cuba, which is now known as Cape
Maysi. He sailed along the southern coast, touching
once or twice in the harbours. On the 3rd of May
he turned his prow directly south in search of
t Jamaica.
70, 16. Emanation mysterietise... Columbus was greatly moved,
says the Spanish historian, Las Casas, by the simple
eloquence of this untutored savage, and rejoiced to
hear his doctrine of the future state of the soul,
having supposed that no belief of the kind existed
among the inhabitants of these countries.
24. Ses matelots le ramenerent..., bis sailors brought him
back to Isabella in a state of insensibility resembling
death itself.
29. An chevet de sa couche, at his bedside. Chevet, bed-head
der. from clitf (Lat. caput).
35. Iletaittfune taille athletique, he had an athletic stature.
Taille is a verbal subst., from tailler, to cut (Low Lat.
taliare).
71, 7- Le second, the second in command most suitable for
Columbus.
II. L' esprit de famille... The family bond was a guarantee
to Columbus for the fidelity of his lieutenant.
28. Tour fair -e admirer..., to make them admire at Isabella the
greatness and the wealth of the Europeans.
NOTES. Ill
Page Line
71, 33. Ijne paire de menoties..., a set of manacles of polished
steel.
40. Eut-il monte en croupe..., scarcely had the unfortunate
cacique mounted in the saddle behind the crafty
Ojeda. Croupe, crupper, Old Fr. crope, from Norse
Jcryppa. Obs. : The nominative pronoun follows the
verb in sentences beginning with a peine, peut-etre,
aussi, encore, au mains, en vain. This is an unmis-
takable evidence of the influence of the Teutonic
languages on French.
72, IO. Motita, was an excuse for, stimulated.
20. Fiairant, scenting. In Old Fr. flairer had the intran-
sitive sense of exhaling an odour, from Lat. flagrare.
25. Sefit guerrier, became a warrior.
27. Les assouplit au joug, made them submissive to the yoke,
which was tempered by...
73, 9. Informer contre, to inquire into, to investigate.
12. Awres, proved against him.
18. Di-chtt provisoirement, provisionally deposed.
27. Le laissa in&tntire..., allowed him freely to conduct
judicial inquiries for the odious charges that his de-
tractors were bringing against him.
35. Eeculee, remote, distant.
36. Jeuplade, tribe.
74, 6. liavie, delighted.
13. Us arrivent..., they reached at the end of a few days-.
Obs. : The pres. used for the perf. to give life to the
narrative.
75, 3. En habit de Franciscain, clad in the habit of a Fran-
ciscan monk, girded with a cord.
6. Un suppliant de genie..., a talented suppliant, who comes
to ask forgiveness for the glory he has won.
2O. D 'instinct..., instinctively proscribed slavery, which
philosophy and religion were to abolish no less than
four centuries later.
25. Breriesca. Ximeno de Breviesca, treasurer of Fonseca,
a man of impudent front and unbridled tongue, who,
echoing the sentiment of his patron the Bishop, had
been loud in his abuse of the Admiral and his enter-
prises. At the very time that Columbus was on the
point of embarking, he was assailed by the insolence
of this Ximeno. Forgetting in the hurry and indig-
nation of the moment his usual self-command, he
struck the despicable minion to the earth, and spurned
him with his foot.
76, 9. Dessaler..., to sweeten its waters.
13. Ses hf>tes, its possessors. Obs. : H6te is both kost and guest.
Der. from the Lat. hospitem.
112 CHRISTOPHE COLOMB.
Page Line
77, 4. Des que ses viaies, as soon as his look-out men.
13. Ecume de fEspagne, the scum of Spain. Many criminals
and vagabonds from Spanish prisons had been shipped,
in compliance with the Admiral's ill-judged proposi-
, tion.
40. Etait I'asile..., afforded a home to these strangers.
78, 1 6. Avait fait inviter par elk, had prevailed upon her to
invite.
25. Ces cavaliers fondent..., these horsemen rush. Obs.: The
change to the present tense, so as to give animation to
the narrative, after which, six lines lower down, we
come back to the pluperfect. The present is also
frequently used for the immediate future. Ex. : Je
pars demain.
79, 7. Un bagne, galleys, a convict prison.
12. S'etouflerent en s' embrassant, throttled each other after
their first greeting.
19. Bobadilla. Don Francisco de Bobadilla, an officer of
the Royal household, and commander of the military
and religious order of Calatrava. He arrived at San
Domingo on the 23rd of August, 1500.
24. Prevenu contre Famiral, prejudiced against the Admiral.
34. Espinosa. To fill the measure of ingratitude meted out
to Columbus, it was one of his own servants that
volunteered to rivet his fetters.
80, 7. A fenvi, emulously. They vied with each other in
charging him.
10. Les fanfares, lit., the flourish of trumpets — i.e., jeers.
19. 2Ve douta pas..., had no doubt but that his last hour had
come. Obs.: Verbs of doubting taken negatively or
interrogatively are followed by ne, except when the
allusion is to an incontestable fact. Thus : Je ne
doute pas que cela ne soil ; but, Je ne doute pas qu'il
y ait un Dieu.
81, 12. Cercueil, coffin. Old Fr. sarcueil, from Lat. sarcophagus.
20. Naguere, lately. In Old Fr. written n'a gueres, com-
pounded of ne, avoir, and gucret, equivalent to il n'y
a gueres, there is but little (time ago).
29. Examiner le proces, investigate the charges against.
82, I. C'itait I'homme..., he was the man least calculated to
appreciate or replace a great man.
18. II croyait arriver..., he thought he could reach the
extreme east of Asia by sailing directly west.
34. Aussi longtemps que le corps pettt..., so long as the body
has the power, the mind should have the will to act.
37. 11 avail cette autorisation dela eour. Washington Irving
states, " This was contrary to his orders, which for-
bade him to touch at Hispaniola until his return
homewards, lest his presence should cause some agita-
NOTES. 113
Page Line
tion in the island ; he trusted, however, the circum-
stance of the case wonld plead his excuse.
83, 14. Falaises, cliffs. Formerly faloize and fa lize, from O. H.G.
felisa, a rock.
84, I. Hochets, trinkets. Lit., rattles, from v. hocher, to shake
or rattle.
24. L'ecoutille, the hatchway.
29. Les brisants, the breakers ; i.e., the heavy surf over the
bar at the mouth of the river.
32. Franchissant a la nage les ecueils, swimming across the
surf. Ecut.il, lit. a rock, from Lat. scopu/us.
85, 9. Que fit-il autren,ent, what did he more lor Moses or for
His servant David ?
25. II tient tout ce qu'il doit, he fulfils all that he promises, and
with increase.
36. Sombra de fatigue, foundered through haying become
completely unseaworthyi • £*l^u-cc«*-£-» •
88, 4. Rongees desvers, their timbers eaten through by the toredo,
and perforated like a honeycomb.
7. Prets a s'abimer, in daneer of foundering.
21. Le seul espoir qui restdt, the only hope of safety that
remained. Obs. : The subjunctive is used alter the
relative pronouns qui, que, dont, lequel, ou, when they
are preceded by an adjective in the superlative degree,
or by the words le seul, le premier, le dernier, when an
idea of wish or doubt is implied.
28. Sans autre grcemeat, merely provided with an oar. Der.
from greer, to rig ; of German origin.
87, 6. Se recria, lit., clamoured. Everyone drew back, pro-
nouncing it the height of rashness to undertake so long
a journey on a mere log of wood.
25. Castille. Francisco Porras suddenly entered the cabin
where Columbus was confined to his bed by the gout,
reproached him vehemently with keeping them in
that desolate place to perish, and accused him of
having no intention of returning to Spain. " Embark
immediately, or remain, in God's name ! " cried he,
with a voice that resounded all over the wreck. " For
my part, I am for Castille ! Those who choose may
follow me." This was the signal. "For Castille !
for Castille ! " was heard on every side.
88, 19. Mais, soit incredulity, but whether it be incredulity.
36. Dont ilavaitfait .., of which he had formed an empire,
and from which ingratitude and jealousy banished
him.
38. Bien accueilli en apparence, well received, to all appear
ances.
89, 10. Sans Lucar, at the mouth of the Guadalquivir.
29. Si j'ai failli..., if I have failed in anything, it has been
114 CHRISTOPHK COLOMB.
Page Line
because my knowledge and my powers went no
further.
90, 5. Dans une tombe au nive.au de la terre, in a tomb level with
the ground, and trodden by the feet of men.
21. De son abri .., wherefore we may trust she now rests in
glory, far from all concern for this rough and weary
world.
33. Le denument de ses equipages..., through lack of means,
and through his growing infirmities.
37. ^Lnnoncait, pave promise of.
91, II. A des consei's de conscience, to courts of equity. The
tribunal to which the whole matter was at one time
referred was called the "Junta de Descargos;" it
had charge of the settlement of the affairs of the late
Queen. Nothing resulted from their deliberations ;
the wishes of the King were too well known to be
thwarted.
92, 8. Un de ses serviteurs. This servant was Bartholomew
Fiesco, who, according to some writers, accompanied
Diego Mendezin the perilous expedition from Jamaica
to Hispaniola.
10. Jlreviaire, prayer-book. From Lat. brcviarium.
29. Mes charges, my appointments.
93, 13. Se reportunt, recurring again, reverting to.
19. D'entretenir, to support in the town of Genoa.
22. Une personne. Personne is fern, when it means some one,
masc. when it means anybody. In the former case it
is a substantive, in the latter an indefinite pronoun.
28. De vassalite, of vassality and of subordination of oneself.
94, 13. Jls'abima, he sank into, he wholly gave himself up to.
14. Poete de cceur, naturally a poet.
1 8. // prononca en Latin..., In manus tuas, Domine, commendo
spiritum meum.
29. Son corps..., his body, and later that of his son. His
remains, first deposited in the convent of St. Francis
at Valladolid, were, six years later, removed to the
Carthusian monastery of Las Cuevas at Seville, where
a costly monument was raised over them by King
Ferdinand, with the memorable inscription —
" A Castilla y a Leon
Nuovo mundo dio Colon."
From this spot his body was transported, in the year
1536, to the island of St. Domingo, the proper theatre
of his discoveries ; and, on the cession of that island
to the French in 1795, was again removed to Cuba,
where his ashes now quietly repose in the cathedral
church of its capital.
85, 3. Inconsequence, inconsistency.
14. L'etoite, the guiding star.
NOTES. 115
Pa?< Line
95, 17. Rubicon de quinzc cents lieues, in rushing into that unknown
ocean peopled with phantoms — that Rubicon,
fifteen hundred leagues broad. (In allusion to Caesar's
crossing the Rubicon, the boundary of Gallia Cis-
alpina, which the laws did not allow him to pass
„ while in command )
24. A la hauteur, to the level of.
96, 7. Acheve", complete.
8. Aupres de..., he was worthy of representing the Old
World in the New, which he was to be the first to
vi«it.
17. Jusqua lui, up to his time.
Ignores : Imprimerie de KANKEN BT C«., Drury House, Strand.
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"In 'Hachette's Illustrated French Primer 'we have a capital little intro-
duction to the mysteries of the French language intended for very young
children, and really adapted to their comprehension. The pronunciation of the
letters is first explained and exemplified, and then the young pupil is led on to
mastery of words, simple sentences, and idiomatic phrases. There is no
inculcation of formal rules ; the eye, ear, and memory are alone appealed to,
and by the proper use of this hook teachers will be able to lay an excellent
foundation for the future more systematic study of French." -Scotsman.
"There is scarcely a page without a cleverly-executed engraving, and a child
could certainly learn French from no better devised or more interesting
manual." — Literary Churr.hman.
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Ancien Instituteur primalre; Inspecteur principal du Materiel des Ecolet
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Early French Lessons.
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The compiler of this little book has had in view to teach the young beginner
as many French words as possible in the least tedious manner. He has found
by experience that what children dislike most to learn are lists of words,
however useful and well chosen, and that they very soon get weary of dis-
connected sentences, but commit to memory most readily a short nursery rhyu-«*
anecdote, or fable. Hence the selection he has made.
HENRI BTJfi, B.-&S-X..
French Master at Merchant Taylors' School, London.
NEW CONVERSATIONAL FRENCH COURSE.
The First French Book.
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Drawn up according to the requirements Of the First Stage.
Adopted by the School Board for London, the Minister of Public
Instruction in Canada, etc., etc.
Every lesson is followed by a short dialogue for conversational practices. The
volume comprises the whole Accidence. The rules are stated in the cleare.sc
possible manner. A chapter on the Philology of the Language, and some for
reading and translation, a complete Index, and two complete Vocabularies
follow the Grammatical portion. Its moderate price and its completeness will
ir..ike it one of the best books for use in our Middle-Class and National Schools
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The First Steps in French Idioms.
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The Key to the Above Three Books.
I vol. cloth, price 2s. 6d. (For Teachers only.)
The New Conversational First French Reader.
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sation, Examination Questions, and a Complete French-English
Vocabulary. (See likeioise under Graduated French Readers.)
"M. Bue"s 'First French Book ' is much to be commended. The lessons are
rery gradual, and the rules are explained with a simplicity that must greatly
help both teacher and pupil. At the end of each lesson a short vocabulary, a
model exercise, and a conversation are given. At the end of the verbs is a
' short chapter for the inquisitive,' which is well worth getting up, even by
more advanced pupils. The chief merit of elementary books of this kind lies in
their arrangement, and in this respect we have seen no better book than M.
Hue's."— School Guardian, Nov. 10, 1877.
" A handy little volume, which may serve with advantage as an introduction
'. J the study of more elaborate works."— The Pictorial World, Oct. 13, 1877.
Bracket's Public School Elementary
French Grammar.
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By A. BRACKET, Laurent de 1' Academic franchise,
And adapted for English Schools by the
Rev. P. H. E. BRETTE, B.3>., &. GU3TAV3 MASSON, B.A^
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Past and Present Examiners in the University of London.
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Vocabulary to the Exercises. Cloth, price Is.
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KEY TO THE ACCIDENCE, PRICE 2s. KEY TO THE SYNTAX, PRICE 2».
OPINIONS OF THE PEESS.
"A good school-book. The type is as clear as the arrangement." — Athenteum,
Jan. 6, 1877.
" "We are not astonished to hear that it has met with the most flattering reception."
—School Board Chronicle, March 10, 1877.
" "We have no hesitation in stating our opinion that no more useful or practical in-
troduction to the French Language has been published than this." — Public Opinion,
March 24, 1877.
" England is fortunate in the services of a small knot of French Masters lik»
MM. Masson and Brette, who have, alike by their teaching and their school book^.
done much for the scientific s'tudy of the language and literature of France. After
successfully introducing into English form the ' Public School French Grammar,' in
which M. Littre's researches are happily applied by M. Brachet so as to show the
relation of modern French to Latin. MM. Brette and Masson here translate and adapt
the Petite or Elementary French Grammar. That has at once proved as popular as
the more elaborate treatise." — Edinburgh, Daily Review, March 20, 1877.
" Of this excellent school series we have before us the ' Public School Elementary
French Grammar '—(1) Accidence, and (2) Syntax. Brachet's work is simply beyond
comparison with any other of its class ; and 'its scientific character is not sacrificed m
the very judicious adaptation which has made it available for English student*. —
There it no better elementary French Grammar, whether for boys or for girli.''-*
Hereford Times, April 11, 1877.
" Messrs. HACHETTK issue some valuable contributions to their series of French
Educational works. M. Auguste Brachet is well known as one of the most scientific
and learned of French philologists and grammarians, and the practical utility of hu
' Elementary French Grammar ' is proved by the fact that the translation of it by ta«
Rev. P. H. Brette, head master of the French School at Christ's Hospital, and Mr Q
Masson, assistant master at Harrow, has already reached a second edition."— Th
Scotsman. April 10,
THE PUBLIC SCHOOL
FRENCH GRAMMAR,
Giving the latest Results of Modern Philology,
and based upon the " Nouvelle Grammaire Francaise" of
AUGUSTE BRACHET,
Laureat de 1* Academic franjuise et de 1'Acadeinie des Inscriptions.
:F>a,rt I.
New Edition, revised and enlarged.
BY
REVEREND P. H. ERNEST BRETTE, B.D.,
Master of the French Sclwol, ChrisCs Hospital, London;
GTJSTAVE MASSON, B.A.,
Assistant Master and Librarian, Harrow Schoot ;
Officiers d' Academic.
ELPHEGE JANAU,
Assistant French Master, Christ1! Hospital, London }
AND
H. C. LEVANDER, M.A.,
formerly Scholar of Pembroke College, Oxford; one of the Masters in University
College School, London.
X Vol. small 8vo. 464 Pages. Cloth. Price 38. 6d.
EXERCISES.
ACCIDENCE.— Part I. Price Is. 6d.
TO THE EXERCISES OF ACCIDENCE, by E.
For teachers only, cloth Is. 6d.
OPINIONS.
" The best Grammar of the French language that has been published in England."—
'PaorEsspa ATTWKI.L.
" This is a revised and enlarged edition of the excellent work. Its clear and
comprehensive character has been widely recognised, and *s the new issue summarise*
the changes made in the last edition of the " Dictionnaire de 1'Acadiimie," besidei
naking other decided improvements, the sphere of its usefulness will be enlarged. Th«
Introduction of the elementary rules of syntax ii a feature calculated to be of servio*
to all students preparing for examinations " — Daily Chronicle, June 19, 1883.
PAUL BAUME'S
Practical and Theoretical French
Class Books.
These particularly modern Works, which have been unanimously praised
by the press, and well received by the educational world, are especially
adapted to preparing for Public Examinations. " A7*' trap ni trop peu" has
beeu the Author's motto, and the marked favour with which his various
Works have been received is a sufficient proof that he carried out his motto
to the satisfaction of Instructors and Principals of Schools and Colleges
throughout the United Kingdom.
Practical French Grammar & Exercises,
FOR THE USE OF BEGINNERS AND GENERAL CLASSES.
Eleventh Edition. Price 3s, 6d.
%* The chief features of the Practical French Grammar are: —
Istly, Each page of practice faces a page of theory.
2dly, No dictionary is required.
3dly, It is constructed on the progressive system, each page of practice
being as it were an examination paper on every previous subject.
4thly, The rules, 142 in number, are short, and such as can be easily
explained to young pupils.
If.B. — Especial attention is directed to pages 6 and 7 of the Practical French
Grammar, in which the system of teaching and manner of using the book are fully
explained.
KEY to Exercises in Practical French Grammar,
WITH HINTS TO TEACHERS, AND ANNOTATIONS.
Price 2s. 6d.
Paul Baume's French Syntax and
Exercises,
FOR THE USE OF ADVANCED STUDENTS.
Fourth Edition. Price 4s.
•»* The chief features of the French Syntax are:—
Istly, Theory and practice facing each other.
•Jdly, The comprehensive nature of the practical pages, each containing a
vocabulary of idiomatic, familiar, and colloquial expressions; quotations
from French classics, illustrating the rules opposite; and, lastly,
familiar English to be turned into French.
JV.B. — The French Syntax is intended to prepare for the higher class of public
examinations, and should be used by those students only who are well acquainted with
the accidence of the French language, and know the irregular verbs. The system 'and
advantages of the French Syntax are fully explained in the preface
7
KEY to the Translations and Exercises in
French Syntax,
FOB THE USE OF TEACHERS AND SELF-TAUGHT STUDENTS.
Price 2s. 6d.
"The appearance of a seventh edition of M. Baume'a well-known grammai
speaks for itself. It possesses distinctly a praiseworthy character of it.s own.
marked chiefly by a just prominence given to ' practice,' a clear direct style oj
exposition, and a refreshing freedom from technicalities. It is amply fimiisheci
with carefully graduated exercises, bestows due attention on the irregularities
of the verb, and contains many well-selected lists of nouns. . . . Altogether
this grammar is an admirable work of the kind, essentially designed for use,
devoid of pedantic phraseology, systematic, and therefore simple. It may also
be commended on the score of cheapness, and of beautiful typography." —
Educational News.
" The attractiveness of Syntax is fully given effect to by M. Baume, who
illustrates the idiomatic peculiarities of Gallic construction in 1000 racy
colloquialisms. The rules, which form the basis of his work, are simple and
comprehensive, and their operation is unmistakably exhibited in 100 reading,
parsing, and translating lessons. Some 40 of its 154 pages are taken up with
preliminary rules of accidence and construction, a list of irregular verbs, &c., so
as to obviate the necessity of referring to preliminary books, and to give to his
present work a character of completeness. Its more extensive use in the schools
would certainly be productive of excellent fruits." — Educational News.
PAUL BAUME'S FRENCH MANUAL
OF GRAMMAR, CONVERSATION, AND LITERATURE.
New Edition. Price 3s.
%* This new Work is on a totally different plan from the ordinary run of
Readers and Conversation Books, from which grammatical knowledge is
f^n» rally excluded. The Manual is divided into 80 lessons. Each lesson,
which may be prepared in part or wholly according to the ability of the pupil,
contains tliree divisions : —
Istly, A set of examination ques' ions and answers on grammar.
2dly, A familiar conversation of a modern type on a ^iven subject
Sruly, A biographical sketch of and quotation from a noted French
writer, with hints for the translation of difficult expressions, historical
notes, &c.
The whole Book thus forms an extensive examination paper on grammar,
with 4(il questions and answers systematically and progressively arranged ; a set
of eighty familiar conversations on given subjects ; and a Header, or elementary
course of literature, containing eighty biographical sketches of and quotations
fiom the best French prose writers and poets, in chronological order.
This French Manual is intended to be a useful as well as a necessary adjunct
to any French grammar that may be in the hands of pupils.
"M. Baume has succeeded, by means of a chronological series of classical
quotations, in tracing the development of French literary style. The excerpts
are of the most diversified character, and include specimens from the writings of
eighty authors, ranging from Rabelais to Hugo and Taine. A novel and excellent
feature is the introduction of brief biographic sketches of the various writers."
— Educational News.
" Together, these three works form an almost ideal series, yet each may be
employed independently, or in conjunction with other class-books. They are all
capitally got up, and may be safely recommended for private as well as for cl;wa
use." — Educational News.
8
NEW FRENCH CLASS BOOKS.
By C. A. CHARDENAL, B.A.,
Bachelier-es-Lettres of the University of France.
THE SERIES CONTAINS THE FOLLOWING VOLUMES:
The French Primer.
For Junior Classes, in Three Parts, each 4d , or THE SAME Complete
and Bound in 1 vol., cloth. Price Is. 3d.
First French Course:
OK, RULES AND EXEECISES FOR BEGINNERS.
Used in Taylor Institution. Oxford ; University College, London, etc
212 pp., fcap. cloth. Price Is. 6d.
From the Athcnceum — "The information is well put, and the book as good a Fir
Course as can be had."
Second French Course:
OR, FRENCH SYNTAX AND READER.
240 pp., fcap. cloth. Price 2s.
From the Athenceum — " With the ' First French Course,' by the same Author, it
may serve as a means of acquiring a sound knowledge of the language."
French Exercises for Advanced Pupils.
Containing the principal Rules of French Syntax, numerous French
and English Exercises on Rules and Idioms, and a Dictionary of
nearly 4000 Idiomatical Verbs and Sentences, Familiar Phrases, and
Proverbs. 320 pp., fcap., cloth. Price 3s. 6d.
Key to the First and Second Courses.
Price 3s. 6d.
Key to the "French Exercises for Advanced
Pupils ; "
To which are added Explanations of 850 of the most difficult French
Idioms. Price 3s. 6d.
The Rules of the French Language.
Being a Summary, set in Grammatical Order, of the Rules contained in
the Author's First French Course, Second French Course, and Advanced
French Exercises^ 1 vol. small 8vo, 171 pages, cloth. Price Is. 6d.
Practical Exercises on French Conversation,
For the use of Students and Travellers. 1 vol. small 8vo, cloth.
Price Is. 6d.
THE
OXFORD AND CAMBRIDGE
FRENCH GRAMMAR.
PART I. — PUPIL'S Cloth, 8° ., 2s.
., H — „ Cloth, 8° ...2s. 6d.
.. HI.— ., Cloth, 8°! ... 3s,
MASTER'S BOOK to PARTS I. & II. Cloth, 83 5s.
OPINIONS OF THE PRESS.
" These volumes have been prepared with great care for schools and
private pupils who have in view Oxford, Cambridge, and College of
Preceptors' Local Examinations, as well as for those who are preparing
for Army and Navy, Civil Service, and University Examinations, They
combine all that is best in previous methods, and, if diligently and
patiently used, could not fail to make the student acquainted with the
most subtle distinctions and elegancies which abound in the French lan-
guage. In the Master's Book there is an excellent " Precis de 1'histuire
de la litte'rature Franchise depuis son origine jusqu'a nos jours. " All
that is requisite for mastering the idiomatic expressions in the French
language will be found included in the system adopted by Messrs. Hunt
and Wuillemin, and the Master's Book, which is meant to be used by all
teachers, is at once a guide, a grammar, and a key. Nothing more
complete in its kind has appeared even in these late years, which have
been prolific in grammars and methods intended to facilitate the acqui-
sition of modern languages." — The Tablet.
" For Englishmen generally the study of French is nowadays a
necessity. But it may be said that few books pretending to aid in teach-
ing that language are of much value. ' The Oxford and Cambridge
French Grammar ' in three parts — one for masters, and two for pupils of
different grades — should, however, be very useful in achieving the task,
and it is doubtful whether a better Grammar has before seen the light." —
Daily Telegraph,
"It is not surprising that the rapid extension during the last few
years of the Local Examinations should have created a literature specially
adapted for the use of candidates preparing for them. Several of the
books published for this purpose have proved a delusion and a snare,
because they were only crude compilations encouraging mere cram. But
cramming in its worst sense no longer ensures success at any well-
conducted examination. We gladly welcome, therefore, this Grammar
which, while fulfilling its professed object as a course preparatory for exami-
nations, at the same time can be used WITH EQUAL ADVANTAGE by those who
have no final test to work for, but who simply aim at acquiring a thorough,
knowledge of French in an attractive manner. For its immediate purpose
the Grammar is divided into four parts, each affording materials for a
year's work, and subdivided again into three divisions, corresponding to
the terms of the usual scholastic year. Each term, again, is divided into
ten lessons, so that, allowing one week every month for repetition, there
U
Is one lesson for every week at a minimum rate of three lessons a month.
The whole of these twelve parts or terms are properly graauattd, and each
lesson contains proportionate parts of grammar, idioms, translations from
French and into French, so as to serve as a very good model of what a
lesson in French should be. As a companion to the Grammar the authors
have also published a Master's Book, containing questions and exercises
on the lessons, and the translation into French of the English pieces in
the Pupil's Book, so that the Grammar might also be used by English
masters teaching French. At the end the authors have given a short
precis of French literature." — Educational Times.
"Into these three volumes — two of which are intended for pupils and
one for masters — Messrs. Hunt and Wuillemin have compressed almost
everything that it is necessary for a student to know in order to become
proficient in the French language. The only book required in addition
is a dictionary. The usual English into French translation book, the
idiom book, the dictation book, the reading books, and the books which
give a knowledge of French literature, are all dispensed with, their
substance being included in the volumes before us. One of the leading
merits of the system here laid down, therefore, is the saving it effects in
that constantly recurring item of parental expenditure, the outlay in
school books. Having carefully gone through all three volumes, we are
able to say that the system in every particular seems admirably adapted
for the purpose in hand — which is, we take it, the acquirement of an
efficient knowledge of French with the least expenditure of labour and
the minimum of perplexity." — Liverpool Mercury.
" The claims with which these books come before the public are fully
justified. Great judgment has been shown in what is included in the
books, and in the method which is adopted. The exercises from the
twenty-first lesson — second year — are composed of short stories, every-
day conversations, extracts from daily papers, and paragraphs given to
the Oxford and Cambridge senior candidates. The nomenclature of the
tenses of the verb, a vexed question with teachers, is simple, and will be
readily understood by students of English and Latin." — School Guardian.
" We have found this Grammar, by practical experiment with a couple
of young children, very serviceable and satisfactory. It is specially
intended by its authors for use in preparing for competitive examinations ;
but it begins at the beginning, and is simple enough to be placed in the
hands of the youngest. It will be enough to say that Messrs. Hunt and
Wuillemin have given evidence on every page of their experience in teaching,
mnd that the result of their labours must be to dimininh very notably the labour
of all who make use of their books. ' The Oxford and Cambridge French
Grammar ' deserves high commendation." — Hereford Times.
"After an attentive examination of this New French Course we find
that it comprises a careful and complete series of lessons, well adapted to
prepare pupils for the examinations referred to on the title-page, and for
others of a similar kind. The information is clearly and simply set forth,
and the exercises are sufficiently full to impress the matter on the mind
and memory of the pupil." — The Schoolmaster.
' ' We congratulate MM. Hunt and Wuillemin on the result of their
labo'js, and wish them every success with their new publication."—
Tht Hereford Journal, Jan. 14, 1882.
15
THE PHILOLOGY OF THE FRENCH LANGUAGE.
By A. Ii. MEISSNER, Ph.D.,
Professor of Modern Languages in t/te Queen's University in Ireland.
Third and Entirely Revised Edition. With an Appendix of Specimens
of Old French, from the 9th to the 15th Century, and a set of
Examination Questions.
1 vol., small 8vo, cloth. Price 3s. 6d.
A NEW edition of the Philology of the French Language having been called for, the
Author has taken the opportunity of thoroughly revising and remodelling the work in
accordance with the present advanced state of the science of comparative grammar.
Several important additions have been made, especially respeeting the Keltic and
Italian elements in the French language, and in the chapter on Phonology. In his
revision the author has been greatly assisted by the careful and appreciative review of
a former edition by Prof. Gaston Paris, whose suggestions have received all the atten-
tion due to the highest living atithority on the subject. The hints given by M. Henri
Qaidoz, Editor of the Revue Celtique, have been utilised, and the lacuna;, pointed out
by Prof. Bernhard Schmitz in his Cyclopcedia of Modern Philology, have been filled
up, so as to make the book the most complete manual of French Philology as yet
published.
" On ne peut que donner des eloges a la manie're dont 1'auteur a compris et <Sxe'cut£
eon travail." — GASTON PARIS, Revue Critique.
" Nous voyons avec satisfaction 1'Histoire et la Grammaire scientifique de notre
langue de'sormais repnisente'es dans la litterature scolaire de 1'Angleterre par ce recom-
mandable manuel." — H. GAIDOZ, Revue de I' Instruction Publique.
" The Professor of Modern Languages in the Queen's University presents in this
text-book the groundwork of his lectures in Queen's College, Belfast ; and a good solid
foundation it is, on which both lecturers and students may build with safety. Of course
it is not, nor is it intended to be, light reading. The author's object is not to exhibit
the results of modern philology in an attractive form for popular readers, but rather to
supply materials of thought and suggestive hints to those who wish to acquire a philo-
logical knowledge of the French language in its successive stages. . . . Beginning with
a brief but excellent account of the origin of modern French — including an accurate
survey of the several characteristic distinctions between the Romance 'languages and the
parent Latin, and a description of the three dialects of the Langue d'Oi'l — he proceeds
to set forth under the head of " Phonology '* the various changes of letters which have
taken place in passing from one period to another. The remainder of the work is
devoted to " Morphology," or an account of the formation of words by the modification
or addition of syllables or the composition of words. The forms assumed by verbs at
different periods of the language are clearly and fully set forth. By way of illustration
the etymology of many words are explained — of some more than once, because they
happen to be instances of more than one general principle — which is no bad thing, and
is far better than giving derivations in an isolated way without pointing out the law to
which they conform." — Athenceum.
" A well-written and thoughtful treatise on the history and philology of the French
language, scholarly in its tone and treatment, and full of valuable information on
many of the most interesting points of comparative grammar. Though primarily in-
tended for advanced students following a course of college lectures or preparing for
»ome of the higher competitive examinations, it may be used with great advantage in
the upper forms of our public schools." — Educational Times.
" This book supplies a want which has long been felt. The French Language is at
present learned too much as a mere matter of rote, and the pupil knows nothing of th«
formation and history of the language. Dr. Meissner's work supplies this information
in a satisfactory manner. It is scholarly, accurate, and thorough. It is a work which
ought to be used in all schools where Latin is taught, and it will be read with umon
interest and much profit alike by those who teach French and those who teach La.ti.tt
The book has only to be known to come into extensive use." — Museum,
J8
Minuel a 1'Usage des Candidats Aux
Examens Publics.
By HENRY BELCHER, if. A., Chaplain t
AXD
ALEXANDRE DUrUIS, B.A.,
Cluej French Master, Kmfs College SchooT, London,
I vol., 400 pp , 870. Cloth, price 43.
THIS BOOK CONTAINS THREE PARTS.
THE FIRST PART consists of a Selection of Papers set at Public Exami-
nations, conducted by the Universities, the Civil Service Commissioners, and other
Examining Boards. The range of the Examinations is such as boys leaving
I'ublic Schools are expected to be able to pass— e.g., the Oxford and Cambridge
Joint Board, the University of London Matriculation Examination, the
Preliminary Army Examinations, &c. The Grammar, the Translation, and tho
Composition Papers have been separated and printed continuously.
THE SECOND PART consists of Higher Grade Examinations, Honours of
the University of London, Oxford Final Schools, Indian Civil Service, &c. ; and
the Grammar, the Translation, and the Composition Papers are treated as iu
Part I.
THE THIRD PART consists of the Examination for the Taylor Scholar-
ship at Oxford and the D. Lit. Examination of the University of London. Tbs
papers in this part are printed in the sequence of subjects as set at the Exami-
nations to which they belong.
All the papers are fully annotated, and the more difficult questions are
answered.
The whole, it is hoped, fully represents the general course of French Teaching
in England, and reproduces, to some extent, the exact attitude of English
teachers and examiners towards the French Languag"
" THE system above referred to is no doubt a good one. In seeing what has
been required from those who have already gone through the ordeal which is
l>efore him, the pupil is enabled to measure the standard to which he must attain
in order to be successful, and becomes accustomed to the form of work that will
be required from him. This book is especially well adapted for the above
purpose." — Morning Post.
" THE book is of considerable size and unusually complete. It supplies a
vast number of passages for translation into English and French, together with
Hundreds of questions actually set at public examinations on miscellaneous
points of French grammar. The notes are numerous, judicious, and reliable.
STp teacher of French who has to prepare pupils for examinations should be
without this volume, which is issued at a moderate price, considering its size and
qual ity. " — Schoolmaster.
" WHAT renders the work the more valuable is, that spelling, accents, marks,
and passages appear here exactly as in the examination papers. The no:es
tarnished have been carafully compiled, and, so far as we have tested, are
extremely accurate. Issued at a moderate price, stoutly bound, and edited
with care, the Manuel may be commended as a valuable aid to candidates for
the various examinations dealt with in the volume." — Broad Arrow.
"WE have to thank Messrs. Heury Belcher and Alexander Dupuis for one of
the most useful compilations recently published. It had often struck us that a
volume containing a selection from the examination papers set at the various
colleges, at Woolwich, Sandhurst, for the Staff College, the Indian Civil Service,
<fec., would be a great boon to teachers, first by supplying them with materials
immediately available; and, secondly, by setting before them models from
which they could frame their own papers. Thi< is precisely the merit and the
value of this excellent volume." — School Board Chronicle.
19
FRENCH COMPOSITION.
The Children's Own Book of
French Composition,
A SERIES OF EASY EXERCISES OX IDI03O.TIC CONSTRUCTION'
ADAPTED FOR THE USE OF YOUNG PEOPLE, AND BASED UPON
THE STORIES CONTAINED IN
Hachette's Children's Own French Book.
THE ENGLISH PART
By the Rev. E. C. D'AUQUIER, M.A.,
Clare College, Cambridge ;
Head Master of the South- Eastern College, Eamsgate ;
One of the Examiners to the Irish Board of Intermediate Education.
1 vol.i small Svo, 192 pages, clotb, price Is. 6d.
THE FRENCH PART
By ELPHEGE JANAU,
Assistant French Master, Christ's Hospital, London.
I vol., small Svo, 192 pages, clotb, price Is. 6d.
With a Preface by JULES BUE, M.A., &c.
OPINIONS OF THE PKESS.
"The words imitation and variation indicate the writer's method of teaching
his younger pupils. He sets before them a series of French phrases and
sentences, then refers to rules, and gives aid in making variations and putting
them into French. We have often used the same plan and found it good. When
connected with a narrative iiterest (as in this case) this method gives pleasure to
young students."— The Athenaeum, April 21st.
" This little book merits high praise." — Vanity Fair.
"The arrangement of the book is excellent." — Civil Service Gazette.
" M. d'Auquier has himself used the examples in his book with unfailing
success." — Manchester Examiner and Times.
" It is excellent in all respects." — Sunday Times.
" The method is novel, ingenious, and effective." — The Nonconformist.
" M. d'Auquier's plan does seem both new and good." — The Tablet.
" We like the plan of this work and the way in which it has been carried out"
~The Schoolmaster.
20
CLASS-BOOK OF FRENCH COMPOSITION.
WITH AN EXGIISII-FREXCII VOCABULARY 2Y
Zi. P. BX.OT7ET, B.A.,
Late French Master, St. Paul's Softool, London.
Cth Edition. 1 vol., small 8vo, cloth. Price 2s. 6<U
The compiler has chosen amusing and interesting pieces
by English Authors, and given all the rules of French
Grammar that refer to each sentence to be translated into
French. The compiler has aimed at writing a class-book
which may enable a young pupil to learn his grammar, or an
advanced one to revise it, whilst translating.
The increasing success of the "Class-Book of French
Composition" clearly shows that the method of teaching
French Composition by giving hints to pupils, instead of
giving them whole sentences translated, is being well
appreciated.
" This book deserves to take rank with Mr. Sidgwick's ' Greek Com-
position,' and a higher compliment we cannot pay it " — Journal of
Education, May, 1880.
" Blouet's ' Class -Book of French Composition' will be found a most
valuable guide to the idiomatic rendering of English into French. The
extracts given for translation are most amusing and interesting, and the
pupil who goes through the exercises carefully, using the assistance given
in the notes and references, will learn much which he could pick up
nowhere but from the conversation of a cultivated Frenchman." — Literary
Churchman, Aug. 20, 1880.
KEY TO THE SAME.
I vol., small 8vo, clotb. Price 2s. 6<L
21
ELEMENTS OF FRENCH COMPOSITION.
AN EASY AND PROGRESSIVE METHOD FOR THE TRANSLATION
OF ENGLISH INTO FRENCH.
WITH A COMPLETE VOCABULARY.
By V. K.ASTNEH, Itt.A.,
Offlcier d'Academe, Professor of French Language and Literature in Queen's
Colleye, London.
THE present publication consists of two parts. In the first part, a close
comparison has been attempted of the French and English syntaxes, and
while the principles common to both languages have been but slightly
touched upon, considerable stress has been laid on the idiomatic structure
of French.
The changes introduced, in 1877, by the French Academy, in the use
of accents and the spelling of compound and foreign werds have been
carefully noted, and numerous exercises added, with a view of impressing
the Rules more deeply on the student's memory. To meet the require-
ments of the case, it has been found necessary to make those Exercises
consist chiefly of detached sentences ; but care has been taken that each
sentence should contain some interesting thought, or convey useful infor-
mation. Commonplace and meaningless phrases have been altogether
excluded.
The second part includes one hundred easy pieces for rendering into
French (Anecdotes, Historical Facts, &c.), each requiring half an hour of
preparation.
"Professor Kastner has produced a very scholarly work, and the
very complete vocabulary is not its least meritorious feature." — Scltool
Hoard Chronicle.
" We think the book cannot fail to be very acceptable to teachers, and
mcst useful to pupils." — School Guardian.
"The three Parts of which this manual is composed maybe described
by the three degrees of comparison — good, better, best." — Journal oj
Education.
KEY TO THE SAME.
1 Vol., 8vo, Cloth. Price 2s. 6d
22
HALF-HOURS OF FRENCH TRANSLATION;
OK,
EXTRACTS FROM THE BEST ENGLISH ATJTHOBS TO BE RENDERED
INTO FRENCH;
AND ALSO PASSAGES TRANSLATED FROM CONTEMPORARY
FRENCH WRITERS TO BE RE-TRANSLATED.
ARRANGED PROGRESSIVELY WITH IDIOM A TIC NOTES.
By ALPHONSE MARIETTE, M.A.,
Profe$tor and Examiner of the French Language and Literature at King'i College,
London ;
Late French Teacher to the Children ofH.R.H. the Prince of Walei.
New Edition. 1 vol., small 8vo, 392 pages. Cloth, price 4a. 6d.
"Professor Marietta is a teacher without dulness, who adds to •
close intimacy with the literature of his own country the relish of a
well-read Englishman for English books. The first part of his
excellent little volume, entitled Half -hours of Translation, is a well-
chosen series of extracts from good English writers, very various in
style, and in the form of idiom employed. Now it is the prose of
Macaulay, now the prose of Charles Lamb that yields an extract for
translation into French ; this passage is from Ur. Johnson, that from
Mr. Dickens. The range of selection is, in fact, over the whole oi
the wide field of English prose, between the essays of Lord Bacon
and those of contemporary journalists. Th« choice of each extract
has been obviously founded not upon its merits more than its converti-
bility into French. Every passage may be so translated that a good
translation shall seem to contain not the words only but the thoughts
also, and some one of the moods of a Frenchman. In foot-notes
carefully appended to each passage, the labour of a pupil is lightened,
or the work of self-education is assisted — by the supply of fragment*:
of translation where the two languages differ in idiom. In the second part'
of the book, Professor Marietta has taken the trouble to translate from
contemporary French authors choice illustrations of the French of to-dny,
and BO to translate them that they may be by a skilful hand faithfully
returned to France. Here again notes help the student to secure a mastery
over French idiom,but the help becomes less frequent as the volume draws
towards a close. In the extracts from French writers there is the same
regard paid to variety of tone, and the student who throughout the first
part of the book is speaking the thoughts of his own land in the language
of a neighbour, in the second part of the book, when he does not mistrans-
late, is actually writing French thoughts in the Frenchman's way." —
Examiner.
" A very usef«ul school-book for students of French . . . Independently
<j( its educational uses, this is really a most amusing book, and one ovei
which an idler might be tempted to dawdle for a whole morning."—
Literary Gazette.
KEY TO THE SAME.
I vol. emaP gvo, 300 pag-en. Cloth, pries 6s.
ROTJLIER, A., FELLOW UNIV. GALLIC,
late French Master at tlie Cliarterhouse,
Profetsor of French Language and Literature in Bedford College, London,
and Assistant Examiner in the University of London.
THE FIRST BOOK OF FRENCH
COMPOSITION.
Materials for Translating English into French,
FOR ELEMENTARY CLASSES,
1 vol., small 8vo cloth. Third Edition, carefully revised.
Price Is- 6d.
THE KEY to the above. Cloth, 2a. 6d.
The First and Second Editions of this Volume were published under the
title, " The Charterhouse First Book of French Composition."
This work is designed for beginners, and may be put into the handi
of any person knowing the elementary rules concerning substantives,
articles, and adjectives, and the conjugation of regular verbs.
THE SECOND BOOK OF FRENCH
COMPOSITION.
Materials for Translating English into French,
FOR ADVANCED CLASSES,
1 vol., small 8vo, 320 pages, cloth. Price 3s.
THE KEY to the above. Cloth, 3s.
" Much as we liked M. Roulier's First Book of French Composition, this second instal-
ment pleases us perhaps still more. It opens with a short but lucid recapitulation of the
rules explained minutely in the previous volume, and thus two purposes are answered ;
•cholars, in the first place, need not go to the expense of purchasing the introductory
book ; whilst those who have used it, and are desirous of referring to some of the
rulet, can do so at once. The volume itself is divided into two sections ; we have first a
series of chapters containing a theoretical part, illustrated by short e«rcite»; and,
§«oondly, a collection of extracts arranged in progressive difficulty, without rules, bat
•till, in the case jf the first twelve pieces, accompanied by a minimum of npt«s. The
concluding fragments, taken from the examination papers »et in the University of
London and e'bt-where, are meant to test the pupils in various degrees of proficiency."—
J0A#o< Mvartf ChronicU.
24
E
Ml
Lib
THE LIBRARY
UNIVERSITY OF CALIFORNIA
Santa Barbara
THIS BOOK IS DUE ON THE LAST DATE
STAMPED BELOW.
Series 9482
3 1205 02644 3646
It
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