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Full text of "Chronique du religieux de Saint-Denys : contenant le règne de Charles VI, de 1380 à 1422"

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CHRONIQUE 


DU RELIGIEUX 


DE SAINT-DENYS, 


CONTENANT 


LE RÈGNE DE CHARLES VI, DE 1380 A 14929, 
PUBLIÉE EN LATIN POUR LA PREMIERE FOIS ET TRADUITE 


PAR M. L. BELLAGUET, 
C'RECEDEÉE 


D'UNE INTRODUCTION PAR M. DE BARANTE. 


TOME TROISIÈME. 


4 


À PARIS, 
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET. 


M DCCC XLI. 


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CHRONICA 
KAROLI SEXTI. 


CHRONIQUE 


DE CHARLES VI. 


CHRONICORUM 
KAROLI SEXTI 


LIBER VICESIMUS SECUNDUS. 


Pontificum vu, 

Imperatorum 1: (Rotbertus), 
Ami Domini ucccci. € Francorum xxii, 

Anglorum rt, 

Sicilie 1 (Lendislaus). 


CAPITULUM I. 


Anglici reginam Anglie, filiam regis Francie, remiserunt. 


Am Dome;  PRINCIPIO hujus anni, viros spectabiles et dilectos episcopum 
^ A Carnotensem, dominum Johannem de Poupincourt, principa- 
lem in Parlamento regio presidentem, necnon dominos de 
Hugevilla et de Courciaco milites cum Gontero Colli, regio 
secretario , rex Boloniam transmisit , ut super rebus jam tactis 
cum Anglicis, nec dum anno preterito consummatis, iterum 
proloquerentur. Qui mense mayo redeuntes regi et ejus patruis 
regem Ánglie Henricum regine Anglie liberum transitum in 
Franciam concessisse retulerunt, et ut secum cum cuncta supel- 
lectili preciosa. quidquid in auro, gemmis, olosericis et joca- 
libus, hominum estimacionem tam operis elegancia quam di- 
gnitate materie excedentibus, possidebat, sine jactura referret; 

sibi equidem racionabile videbatur. | 


CHRONIQUE 
DE CHARLES VI. 


LIVRE VINGT-DEUXIÈME. 


7° année du règne des souverains pontifes, 
—— de l'empereur Robert, 
An du Seigneur 1401'. ( 22*. —————— du roi de France, 

2° ————— du roi d'Angleterre, 
—— du roi de Sicile Ladislas. 








CHAPITRE I". 


Les Anglais renvoient la reine d'Angleterre, fille du roi de France. 


Au commencement de cette année, le roi envoya à Boulogne, 4, au Seigneur 


pour continuer les négociations entamées l'année précédente avec les 
Anglais, l’évêque de Chartres , messire Jean de Poupincourt, premier 
président au Parlement, les sires de Hugueville et de Courcy, cheva- 
liers, et maitre Gontier Col, son secrétaire, personnages d'un grand 
savoir et d'une fidélité éprouvée. Ces ambassadeurs revinrent au mois 
de mai, et annoncérent au roi et à ses oncles que le roi Henri avait 
accordé à la reine d'Angleterre la liberté de rentrer en France, et 
qu'il trouvait juste qu'elle ne perdit rien de ce qui lui appartenait et 
qu'elle rapportát avec elle tout ce qu'elle avait de plus précieux en 
or, pierreries et étoffes de soie, ainsi que tous ses joyaux , qui étaient 
d'une valeur inestimable tant pour la richesse de la matiére que pour 
l'élégance de la main-d'oeuvre. 


.' l'année 1401 commenga le 3 avril. 


1401. 


k CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXII. 


Ideo quod promiserat cupiens adimplere, cum sub publico 
hec omnia particulatim reddi precepisset, eam amicabiliter 
confortando visitavit, dulciterque vale dicto tandem stipatam 
promiscui sexus Anglie nobili comitiva, sub conductu speciali 
cujusdam episcopi ac domini Thome de Persyaco eam apud 
Calesium traducere jussit. Quod: audientes domini duces de 
domo Francie letati sunt. Unde, ut securius et honestius redu- 
ceretur ad patrem, dux Burgundie ad Boloniam flectit iter cum 
ingenti copia bellatorum, ordinans ut die septima mensis au- 
gusti de Calesio exiret. Ad majorem recepcionis tam generose 
domine magnificenciam, apud capellam de Lelinguehan, que 
inter Boloniam et Calesium iter medium designat, idem dux 
regale et ingentis capacitatis tentorium jusserat elevari; ad quod 
cum adducta esset, comitem sancti Pauli cum armatorum copia 
huc direxit, qui eamdem cum sua nobili comitiva honestissime 
recepit. Ibi domine et domicelle insignes non sine mestis sin- 
gultibus , obortis lacrimis, cum ipsa sumpserunt vinum et spe- 
cies; quas cum dulciter confortasset et munera secundum unius- 
cujusque status decenciam contulisset , cunctis cum pacis osculo 
regraciando vale dixit. | 

Hiis peràctis, ad dominum ducem Burgundie, qui, velut in 
ordmata acie, cum sexcentis militibus et armigeris armatis 
super tumulum propinquum, per semileucam a tentorio di- 
stantem, eam expectabat, perducta est. Quam debito honore 
preveniens usque Boloniam conduxisset, ipsam tanquam dilec- 
tissimam dominam Bolonienses receperunt, et viri ecclesiastici 
ville cum processione solemni. Inde per Abbatis Villam et reli- 
quas Picardie villas pertransiens cum honore simili suscepta 
est. Que postremo, cum eidem exhibitus fuisset a religiosis 
et abbate monasterii beati Dyonisii die sancti Laurencii, et 


CHRONIQUE DE CHARLES VI — LIV. XXII. 5 
Le roi d'Angleterre, voulant accomplir si promesse, fit rendre pu- 
bliquement à la jeune reine tous ses biens; il alla même la voir pour 
la consoler, prit congé d’elle très courtoisement, et la fit conduire à 
Calais avec une suite brillante de dames et de seigneurs anglais, sous 
l'escorte spéciale d'un évêque et de messire Thomas de Percy. Cette 
nouvelle remplit de joie messeigneurs les ducs de la maison de France. 
Le duc de Bourgogne se rendit à Boulogne à la téte d'un nombreux 
cortége d'hommes d'armes , pour accompagner la jeune princesse et la 
ramener vers son père awec les honneurs dus à son rang. Il régla qu'elle 
sortirait de Calais le 7 août, et pour ajouter à l'éclat de la réception 
d'une si noble dame, il fit élever un vaste et magnifique pavillon pres 
de la chapelle de Lelinghen, qui se trouve à moitié chemin entre Bou- 
logne et Calais. Lorsqu'elle fut arrivée au pavillon, il envoya au-devant 
d'elle le comte de Saint-Pol et plusieurs chevaliers , qui la reçurent avec 
les plus grands égards. Là elle prit le vin et les épices avec les illustres 
dames et demoiselles de sa suite, qui fondaient en larmes'et sanglotaient. 
Elle les consola affectueusement,, leur fit des présents selon leur qua- 
lité, et après les avoir remerciées de leurs bons offices, , elle prit congé 
d'elles en leur donnant le baiser de paix. 


La jeune reine partit ensuite pour aller rejoindre monseigneur le duc 
de Bourgogne , qui l'attendait sur une hauteur voisine à une demi-lieue 
du pavillon avec six cents chevaliers et écuyers rangés en ordre de 
bataille. Le duc, aprés lui avoir offert ses hommages, la conduisit 
jusqu'à Boulogne. Les Boulonnais la reçurent comme une princesse 
bien aimée, et le clergé de la ville alla à sa rencontre en procession 
solennelle. Les mémes honneurs lui furent rendus sur son passage à 
Abbeville et dans les autres villes de Picardie. Les religieux et l'abbé 
du couvent de Saint-Denys , où elle arriva le jour de saint Laurent, 
lui témoignérent aussi toutes sortes de respects. Elle adora dévotement 
les insignes sacrés de la Passion de Jésus-Christ, et se háta de partir 


6 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXII. 


ibidem Christi Passionis insignia sacrosancta devotissime ado- 
rasset , ad visitandum parentes Parisius properavit. Ibi dilectis- 
simam filiam, adhuc puellare signaculum integrum retinentem, 
rex et regina dulciter et cum exuberanti leticia receperunt, 
ipsamque genitrix gubernandam recipiens, statum ejus diminuit, 
et nobiliores dominas quam antea ad sui custodiam deputavit. 


CAPITULUM II. 


De dampnosa violencia ventorum. 


Mense mayo anno isto multum gravis et horrenda tempestas 
orta est in Bellovicinis partibus, et grando adinstar ovi anseris, 
per leucas fere sexdecim ventorum violencia dispersa , segetes vi- 
neasque concussit penitus et vastavit. Ebdomada eciam secunda 
junii, vehementi. et .clamoso .tonitruo fulgur. mixtum cameram 
regine Francie in. domo regia sancti Pauli: Parisius, ipsa resi- 
dente in camera inferiori, subintravit, sumptuosisque velariis 
lectum ambientibus consumptis, mox per caminum recessit. 
Similes aeris passiones reginam summe terrebant, et fere ad 
ultimam exinanicionem ducebant. Ideo ad nonnullas regni 
ecclesias oblaciones suas misit; quamdam eciam summam pec- 
cunie ecclesie beati Dyonisii obtulit, ut inde tria annualia pro 
anima domini Delphini deffuncti per religiosos ecclesie age- 
rentur. | 
. terum quatuor ventorum cardinalium impetuosa collisio, die 
jovis ultima mensis junii, a parte occidentali solito acrior insur- 
rexit, que densas nubium tenebras pene palpabiles hac illacque 
demens in episcopatu Parisiensi magnam intulit jacturam. Nam 
is turbo ventosus et insolitus, inconsueta operans, granchie 
Indicti prope sanctum Dyonisium integrum. tectum. ab. uno 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. T 


pour rejoindre sa famille à Paris. Le roi et la reine accueillirent avec 
les plus vifs témoignages de joie et de tendresse leur fille bien aimée, 
qui était encore vierge. Sa mére se chargea du soin de la diriger et 
diminua son état; mais elle placa. auprès d'elle de plus nobles dames 
qu'auparavant. 


CHAPITRE II. 


Désastres occasionnés par la violence des vents. 


Au mois de mai de cette année un orage terrible éclata dans le 
Beauvaisis. Des grélons de la grosseur d'un œuf d'oie, poussés par .un 
vent impétueux, ravagérent et anéantirent complétement les mois- 
sons et les vignes dans un espace de prés de seize lieues. La seconde 
semaine de juin , on entendit d'effroyables coups de tonnerre; la foudre 
tomba sur l'hótel royal de Saint-Paul à Paris, et entra dans la chambre 
de la reine, qui était en ce moment à un autre étage, consuma les 
magnifiques rideaux de son lit, et sortit par la cheminée. Ces bou- 
leversements de la nature remplirent la reine d'un effroi mortel. 
Dans son épouvante, elle envoya des offrandes à plusieurs églises du 
royaume; elle donna méme aux religieux de l'abbaye de Saint-Denys 


une somme d'argent pour dire trois annuels à l'intention de feu mon- 
seigneur le Dauphin. 


Le jeudi, dernier jour du mois de juin, une tempéte beaucoup plus 
terrible encore éclata du cóté de l'occident. Les nuages, amoncelés 
par les vents, couvrirent le ciel d'épaisses ténébres, et il y eut de 
grands dégáts dans le diocése de Paris. Cet ouragan furieux produisit 
des effets extraordinaires. Il détruisit et renversa tout un côté de la 
toiture de la halle du Lendit prés de Saint-Denys, et n'y laissa que 
deux poutres. Comme la partie de ce bâtiment restée intacte servait 


8 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXII. 


latere ultra aliud subruit et destruxit, solum duabus trabibus 
demptis. Et quia subtus soliti erant presidere regiarum exactio- 
num judices, qui tempore nundinarum Indicti negociatores 
vexabant, vulgus ferebat demonem locum proprium servasse. 
Parte granchie sic eversa, et quod mirum est, parvis logiis ip- 
sam ainbientibus intactis, nunc nebulosa dempsaque tempestas 
ad Strate prioratum usque impulsa, discoopertis nonnullis domi- 
bus, lapideas procinctas adjacencium vinearum in locis multis 
destruxit solotenus. Quid plura? In locis propinquioribus erant 
ulmi et ingentis proceritatis arbores, quarum ramos grossiores 
distractos violentissime huc illuc longe dispersit, et de campa- 
nili prioratus Strate crucem ferream ingentis ponderis cum 
gallo super locato evellens fere per tractum sagitte dejecit eo 
momento. 

Eadem eciam die, in villa Mesnelii Alberici, idem ventus arbo- 
res fructiferas plus quam mille evulsas radicitus per agros longe 
dispersit, quoddamque horreum ville penitus discooperiens 
grana trium modiorum bladi inde cito excuciens in propin- 
quum puteum domus submersit. 


CAPITULUM III. 


De tractatu composito inter duces Aurelianis et Guelrie. 


Confederaciones preloquutas cum duce de Guelria, in armis 
strenuissimo milite, dux Aurelianis volens in propria confir- 
mare, villam muratam de Mouson contiguam Alemanis peciit, 
mille tamen et quingentis associatus bellatoribus, morem Ale- 
manicum servans, cum sciret eodem apparatu alterum accessu- 
rum. Tam famosum militem , et qui inter Alemanos velud splen- 
dor strenuitatis inextinguibilis relucebat, aureorum liliorum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. 9 


ordinairement de résidence aux juges des contributions royales qui 
vexaient les marchands dans le temps de la foire du Lendit, le petit 
peuple disait que le démon avait eu soin de préserver sa demeure. 
Aprés avoir ainsi détruit une partie de la halle sans toucher, chose 
étonnante, aux petites loges qui l'entouraient, l'ouragan poussa ses 
ravages jusqu'au prieuré de l'Estrée, découvrit plusieurs maisons et 
renversa en beaucoup d'endroits les enceintes de pierre qui servaient 
de clóture aux vignes attenantes. Il y avait dans le voisinage des ormes 
et de grands arbres, dont les branches les plus grosses furent brisées et 
les débris dispersés au loin. La lourde croix de fer surmontée d'un coq, 
qui terminait le clocher du prieuré de l'Estrée, fut arrachée et entrai- 
née en un instant à une portée de trait environ. 


Le méme jour, dans le village de Mesnil-Aubry, le vent déracina et 
dispersa au loin dans la campagne plus de mille arbres fruitiers. Il 
enleva aussi entiérement la toiture d'une grange, et emporta jusqu'à 
trois muids de blé dans le puits d'une maison voisine. 


CHAPITRE III. 


Traité conclu entre le duc d'Orléans et le duc de Gueldre. 


Le duc d'Orléans, voulant confirmer en personne les négociations 
entamées avec le vaillant duc de Gueldre, se rendit à Mouzon, place 
forte située sur les frontiéres d'Allemagne; conformément à la cou- 
tume des princes allemands, il se fit escorter par quinze cents hommes 
d'armes, sachant que le duc de Gueldre viendrait lui - méme avec 
une suite semblable. Il désirait unir à la noble maison des fleurs de lis 
un si fameux chevalier, qui passait en Allemagne pour le modèle de la 
vaillance , s'assurer au besoin son appui et lui faire quitter le parti du 

III. 2 


40 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXII. 
floribus jungere cupiebat , ut ipsis, quociens opus esset , inser- 
viret, rege Anglie relicto, quem tunc exosum habebat. Sane , ut 
ceteri alienigene, ejus coronacionem injustam reputabat. Unde 
ducis Aurelianis adventu cognito, ad eum in concione quingen- 
torum militum et armigerorum magne auctoritatis et apparen- 
cie venit, ut quod nuper promiserat adimpleret. Tunc dux cum 
comite amiciciam contraxit tam mirabili subnixam federe, quod 
cum rege Francie et defferentibus lilia contra quoscunque staret 
christicolas, imperatore excepto; et ad perpetuandum pactum 
omnes successores suos litteris sigillo suo roboratis obligavit. 
Mutua deinde urbanitate et refectione dapsili peractis, non 
sine fluxu munerum , dominus Aurelianis cum ducentis equi- 
tibus suis sumptibus ipsum ducem ad Couciacum adduxit, ubi 
ducissa filiam recenter pepererat, quam de sacro fonte levavit 
ad mutuum plus continuandum amorem. De Couciaco vero ten- 
dens Parisius, et expectans regis incolumitatem, quam circa 
principium junii tunc recepit, juramentum prestitum iteravit ; 
et tunc mutuo promiserunt quod se invicem in cunctis necessi- 
tatibus fideliter adjuvarent. Sub condicione tamen, prout fama 
publica referebat, pactum sic transactum fuit, quod dux regi 
octingentas lanceas mitteret, quociens sibi placeret, quorum 
opera contra quoscunque viventes uteretur, dum tamen miles 
pro mense sexaginta scuta auri, armiger vero triginta pro sti- 
pendiis haberet; et si regis auxilio indigeret, propriis suis 
sumptibus ipsi mitteret adjutores. Hanc tamen condicionem 
cum displicencia domini duces Biturie et Burgundie tulerunt, 
cum transacta ipsis insciis fuisset. Nonnulli eciam viri cir- 
cumspecti eamdem vilipendentes dampnabant, dicentes quod 
nec honorem regis vel regni Francie sed incommodum et vitu- 
perium continebat. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. 44 


roi d'Angleterre, contre qui le duc de Gueldre nourrissait alors des 
sentiments de haine; car, ainsi que tous les princes étrangers, il 
regardait Henri comme un usurpateur. Dés qu'il apprit l'arrivée du 
duc d'Orléans, il alla à sa rencontre, suivi de cinq cents chevaliers et 
écuyers de grand renom, tous en bel équipage. Afin d'accomplir les 
promesses qu'il avait faites naguére, il contracta alliance et amitié 
avec lui, et conclut un traité par lequel il s'engàgeait à servir le roi 
de France et les princes du sang envers et contre tous, excepté l'em- 
pereur; et il obligea tous ses successeurs, par des lettres scellées de 
son sceau, au maintien de cette alliance. 


Les deux princes se firent ensuite toutes sortes de courtoisies, se 
traitéerent somptueusement et se comblérent de présents. Le duc d'Or- 
léans conduisit à ses frais le duc de Gueldre avec deux cents chevaliersà 
son château de Coucy, où la duchesse venait d'accoucher d'une fille, qu'il 
le pria de tenir sur les fonts de baptéme, pour cimenter leur bonne 
amitié. Le duc de Gueldre se rendit de Coucy à Paris, y attendit le ré- 
tablissement du roi, qui eut lieu vers le commencement de juin , et 
renouvela son serment entre ses mains. Ils se promirent de s'entr'aider 
fidélement dans tous leurs besoins. Une des conditions du traité por- 
tait, dit-on, que le duc mettrait à la disposition du roi, toutes les fois 
qu'il en serait requis, huit cents lances pour le servir envers et contre 
tous, moyennant une solde de soixante écus d'or par mois pour chaque 
chevalier, et de trente pour chaque écuyer, et que si le duc avait be- 
soin de l'assistance du roi, le roi lui enverrait des troupes à ses pro- 
pres frais. Messeigneurs les ducs de Berri et de Bourgogne éprouvérent 
un vif déplaisir de cette clause, qui avait été insérée à leur insu. Les 
gens sages la désapprouvèrent aussi ; ils disaient qu'au lieu d'avoir été 
faite dans l'intérét du roi et du royaume, elle tournait au déshonneur 
et au préjudice de la France. 


12 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXII. 


CAPITULUM IV. 


De discordia mota inter Burgundie et Aurelianis duces. 


Ducem Aurelianis dictum composuisse tractatum Biturie 
atque Burgundie duces reprobabant, cum hoc egisset ipsorum 
irrequisito assensu. Indignabantur amplius ipsum per biennium 
laborasse ut obediencia restitueretur Benedicto, substractione 
penitus anullata, quam rite deliberatam reputabant et per Ec- 
clesiam gallicanam. Latebat et alius indignacionis fomes inter 
eos. Nam duce Biturie ad tocius Guienne regimen specialiter 
deputato, ceteri regni arduis incumbebant, quociens morbus 
regius ad hoc ipsum regem reddebat inhabilem. Sed Aurelianis 
dux, consortis impaciens, ad hoc abiliorem se dicebat, tanquam 
propinquiorem corone. Is arrogans preterea et neminem pre se 
ducens hominem, alio inconsulto cuncta pro suo disponere vo- 
lebat arbitrio. Alias displicencie radices utique non sic cognitas, 
quod scriptu dignas reputem , eos animis concepisse fama pu- 
blica refferebat; que mutuo non sinebant consuetas et regulares 
curialitates exercere, et cetera eorum pene in nullo quod ad 
rem publicam spectaret desideria consonabant. Sic emula nimis 
et pertinaci de superioritate contencione perdurante, odii 
scintillas sub dissimulacionis latentes cinere assentatores aulici 
adulacionis flatu continue evaporare studebant, ut sic ingens 
incendium suscitantes duces ad inimicicias publicas concitarent. 

Regni principes videntes intestina hec odia amborum ducum 
nimis esse periculosa, et illud evvangelicum attendentes Omne 
regnum in se ipso divisum desolabitur, ducem Biturie et reginam 
reiteratis vicibus oraverunt, ut pro bono pacis medios se consti- 
tuerent inter partes. Id pluries temptaverunt in vacuum; nec 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. 43 — 


CHAPITRE IV. 


La discorde éclate entre les ducs de Bourgogne et d'Orléans. 


Les ducs de Berri et de Bourgogne étaient fort mécontents que le 
duc d'Orléans eût conclu ledit traité sans leur participation. Ils étaient 
surtout irrités des efforts qu'il tentait depuis deux ans pour ramener la 
France à l'obédience de Benoit, et pour faire annuler la soustraction, 
qu'ils regardaient comme légitimement décrétée par l'Église de France. 
Mais il existait un autre germe caché de mésintelligence. Pendant que le 
duc de Berri était spécialement investi du gouvernement de la Guienne, 
les deux autres princes avaient la direction des affaires du royaume, 
toutes les fois que le roi se trouvait par sa maladie hors d'état de s'en 
occuper. Le duc d'Orléans ne pouvait souffrir le partage de l'auto- 
rité; il prétendait y avoir plus de droit que les autres, comme le plus 
proche du trône. Plein d’orgueil d'ailleurs et se croyant au-dessus de 
tous les mortels, il voulait disposer de toutes choses sans consulter 
personne et selon sa fantaisie. Suivant un bruit généralement répandu, 
il.y avait encore entre ces princes d'autres causes d’inimitié , qui 
ne me sont pas assez connues pour que je croie devoir en parler. Cette 
inimitié allait jusqu'à leur faire négliger l'un envers l'autre les devoirs 
de la courtoisie et les autres usages de la politesse. Ils n'étaient presque 
jamais d'accord en ce qui concernait les affaires de l'État. C'était un 
sujet perpétuel de contestations et de rivalités. Les courtisans cher- 
chaient sans cesse par leurs flatteries à attiser le feu de ces haines qui 
couvaient sous la cendre de la dissimulation, afin d'allumer un vaste 
incendie et d'amener entre les ducs une rupture éclatante. 


Les principaux seigneurs du royaume, comprenant tout le danger 
de ces dissensions, et songeant à ce passage de l'Évangile Tout royaume 
divisé en lui-méme sera désolé , priérent instamment le duc de Berri 
et la reine d'intervenir entre les deux partis dans l'intérét de la paix. 
Ces tentatives échouérent à plusieurs reprises. Les efforts mémes de 


14 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXII. 

super hoc quidem eximie religionis viri, ab eis judices arbitrarii 
electi, aliquid valuerunt. Quapropter ab universali Ecclesia 
cum processionibus devotis indicta sunt agi missarum solemnia, 
ne discidium tantorum principum in detrimentum rei publice 
verteretur. 

Jam quasi guerrarum imminencium signum quedam acepha- 
lica vilis concio et inepta Wallensium fere quingentorum, que, re- 
licta custodia quorumdam municipiorum Guienne, sub pretextu 
non persoluti stipendii , in Parisiensi episcopatu per annum et 
dimidium victualia hinc inde rapuerat, nemine contradicente, 
quoniam auctoritate ducis Aurelianis fungebantur. Ipse vero 
congregare auxiliares copias non cessabat, non ignorans ducem 
Burgundie Artesium et Flandriam visitando jam multam mili- 
ciam adunasse, quam sequenti mense decembri Parisius ho- 
nestissime recepit. Cum hiis qui sibi obediebant affuit et Leo- 
diensis electus Johannes de Bavaria, comitis Hanonie frater, 
qui, vulgali relacione credens, septem milia bellatorum secum 
adduxerat, sagittariis, balistariis, levis quoque armature ser- 
vientibus minime computatis. Locari dux Burgundie quotquot 
convenerant fecit in domui sue Attrabatensi vicis contiguis, pre- 
cipiens ne villam cireueundo civibus terrorem incuterent, sed 
in suis hospiciis secretissime se tenerent, donec ab eo speciale 
mandatum exeundi accepissent. 

Dux vero Aurelianis in hospicio suo prope portam sancti 
Antonii se tenebat; et quasi jam se sentiret ad prelium pro- 
vocatum, ex Normania, Britania, ceterisque regni partibus 
fere quinque milia hominum robustorum, bellum quam pacem 
pocius appetencium, evocaverat, quos prope se et villagiis 
propinquis jusserat collocari. Et quia in tanto pugnatorum nu- 
mero multi erant, qui gratam villam Parisiensem non habe- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. 15 


quelques personnages renommés par leur piété, à l'arbitrage desquels 
l'affaire fut soumise, demeurèrent sans succès. Alors l'Église ordonna 
partout des processions et des messes solennelles pour conjurer les 
maux dont l'État était menacé par la discorde de deux princes si 
puissants. | 


Qn ponvait déjà remarquer des signes précurseurs de la guerre civile. 
Une bande indisciplinée d'environ cinq cents Gallois, sans ordre et 
sans chef, qui avaient abandonné la garde de quelques places de 
Guienne sous prétexte qu'on ne leur payait point leur solde, vivait de 
pillage depuis un an et demi dans le diocése de Paris, sans rencontrer 
d'opposition, parce que ces misérables se disaient autorisés par le duc 
d'Orléans. Ce prince de son cóté ne cessait de rassembler des gens de 
guerre; car il n'ignorait pas que le duc de Bourgogne avait levé des 
troupes nombreuses dans son voyage d'Artois et de Flandre; et ces 
troupes furent recues par lui à Paris avec les plus grands honneurs, au 
mois de décembre suivant. Parmi ceux de son parti qui arrivérent se 
trouvait l'évêque élu de Liége, Jean de Bavière, frère du comte de Hai- 
naut, qui, suivant un bruit généralement répandu, avait amené avec 
lui sept mille hommes d'armes, sans compter les archers, les arbalé- 
triers et les gens de pied. Le duc de Bourgogne logea toutes ces troupes 
dans les rues voisines de son hótel d'Artois; il leur ordonna de ne 
point eirculer dans la ville, de peur d'épouvanter les habitants, mais 
de rester enfermés dans leurs logements, jusqu'à ce qu'ils eussent recu 
l'ordre exprés de sortir. 


Le duc d'Orléans se tenait dans son hótel prés de la porte Saint- 
Antoine. Comme si la guerre lui eüt été ouvertement déclarée, il avait 
fait venir de Normandie, de Bretagne, et d'autres provinces du 
royaume prés de cinq mille hommes, tous pleins de vaillance, préférant 
la guerre à la paix, et les avait cantonnés près de lui et dans les villages 
voisins. Parmi tant de gens de guerre, il y en avait beaucoup qui n'ai- 
maient pas la ville de Paris, et qui, poussés par la cupidité, désiraient 
s'enrichir aux dépens des habitants. Les conseillers du roi et les bour- 


16 "^ CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXII. 

bant, et qui cupidine ducti dittari civium opibus cupiebant, 
inde consiliarii regis et burgenses territi sunt, scientes quod , 
si ab. eis violencia inferretur, non erat qui resisteret, quo- 
niam rex morbo solito laborabat. Quod duces advertentes, 
et seorsum quosdam majoris auctoritatis evocantes , dulciter as- 
seruerunt se non congregasse armatos in prejudicium regis 
neque civitatis sue, monendoque ne timerent et ne se aliqua- 
liter commoverent, rogaverunt ut eis de victualibus pro 
prompta solucione subvenirent. Merito timebatur ne insuf- 
ficientem victum distractione bonorum agricultorum solita 
rapacitate supplerent. Qui tamen certi effecti quod justo 
precio comestibilia comparabant, urbem hiis tam habundan- 
tissime munierunt , quod non fuerunt solito cariora. 

Sic per mensem et amplius sunt refocillati dapsiliter; quo 
spacio venerabilis regina, Biturie, Borbonii quoque duces, qui 
summe discensiones ducum impaciencius perferebant, ut eos 
ad concordiam revocarent modis omnibus laborabant. Ad id 
persuadendum secrecius reiteratis vicibus ad splendida con- 
vivia discordantes principes invitarunt. Ad que semper acce- 
debant cum apparatu ingenti hominum armatorum, et ideo 
timebatur ne, odio ministrante furorem, ab injuriosis verbis ad 
bella procederent. Nulli ambiguum erat quin hoc bellum, 
civili simillimum, inter patruum et nepotem, inter consan- 
guineos et amicos, adversarios ad inquietandum regnum auda- 
ciores redderet, quod inter ambos dominos ac filios successores 
inexpiabile perpetuasset. Sed Christi, summi auctoris pacis, 
benignitas , quam incessanter tunc utriusque status et ordinis 
devotis oracionibus invocabant, attendentes quam indecens 
esset naturali conjunctos federe alternis disceptacionibus con- 
tendere, ad cordialem benivolenciam redierunt, mediantibus 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. 47 


geois étaient effrayés; ils savaient que si les troupes commettaient 
quelque violence, personne ne pourrait leur résister, parce que le roi 
était retombé dans son mal. Les ducs s’aperçurent de ces craintes. Ils 
mandérent, chacun de leur côté, quelques uns des principaux bour- 
geois , leur assurèrent avec douceur que ces réunions de gens d'armes 
n'étaient point faites au préjudice du roi ni de la ville, et les enga- 
gèrent à n'avoir aucune crainte ni inquiétude pour eux-mêmes, et à 
fournir des vivres à ces soldats, qui les paieraient comptant. On appré- 
hendait avec raison de les voir, en cas d'insuffisance des vivres, se jeter 
avec leur rapacité ordinaire sur les biens des laboureurs. Mais quand 
on eut la certitude qu'ils achetaient les denrées à leur juste valeur, on 
approvisionna si bien la ville, qu'aucun objet n'y renchérit. 


Les geus de guerre vécurent ainsi plus d'un mois dans l'abon- 
dance. Pendànt ce temps l'auguste reine et les ducs de Berri et de 
Bourbon, qui étaient vivement affligés des dissensions des deux princes, 
faisaient tous leurs efforts pour les rapprocher. Afin de les amener 
insensiblement à une réconciliation, ils les invitérent plusieurs fois 
à de brillants festins. Mais les deux ducs s'y rendaient toujours avec 
une suite nombreuse d'hommes d'armes, et l'on pouvait craindre que 
le ressentiment ne les poussát à la vengeance et qu'ils n'en vinssent des 
injures aux voies de fait. Personne ne doutait que cette guerre entre 
l'oncle et le neveu, entre des parents et des amis, qui ressemblait à une 
guerre civile, n'encourageát les ennemis de la France à attaquer le 
royaume; ce qui aurait perpétué les haines entre les deux ducs et leurs 
héritiers. Cependant, gráce à la miséricorde de Jésus-Christ , le sou- 
verain auteur de la paix, auquel les Français de tout sexe et de tout 
rang adressaient incessamment de ferventes priéres, les deux princes, 
considérant combien la discorde est malséante entre de proches pa- 
rents, cédérent aux instances desdits médiateurs, et se réconciliérent 
cordialement. Le 14 janvier ils eurent une entrevue à l'hótel de Nesle, 
s abordérent en s'embrassant avec tendresse, et s'engagérent par ser- 

MI, 3 


18 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXII. 
compositoribus supradictis. Quarta decima namque januarii 
die, ad domum convenientes Nigelle cum mutuis complexibus 
et caritatis osculo se suscipientes ad invicem, prius de amore 
mutuo deinceps conservando dato juramento, et prandio cum 
duce Biturie celebrato, inde recedentes omni rancore post- 
posito, cum simul usque ad Castelletum Parisiense equitassent , 
dextrisque porrectis dulciter vale dixissent, gaudentes ad sua 
hospicia redierunt. - 

Sic ducibus ad mutuam redactis concordiam, Parisienses inef- 
fabiliter gavisi Deo gracias retulerunt, attendentes tantorum 
militares copias una et eadem urbe tam diu sine prelio mansisse, 
quod utique ex solo injurioso sermone vel percussione unius 
abjectissimi servientis accidisse potuisset. Stipendiarios autem 
bellatores quotquot adunaverant remittentes de Parisius, sine 
dampno vel quacunque illata injuria ad propria redierunt ; 
quod mirabile circumspecti reputabant, cum ibidem Alemani, 
Leodienses , Brebantini, aliique quamplures extranei, quos et 
sepe innatus furor exagitare, stimulare rapacitas et precipi- 
tare libido consuevit, converiissent. 

Ducum sic discordia sedata, rex , qui fere per quinque menses 
solita infirmitate detentus fuerat, incolumitatem recepit, et ad 
ecclesiam beati Dyonisii die dedicacionis ejusdem accessit cum 
fratre et patruis, ut Deo regraciaretur de sanitate adepta. 

Eodem eciam mense, quindecim dierum spacio cometa appa- 
ruit a septentrione velut descendendo ad occidentem tenden- 
tem, et sursum crines suos extendentem ; que peritorum astro- 
logorum judicio multiplicaciones hereticorum et scismaticorum 


portendebat. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. 19 


ment à rester désormais fidélement unis. Puis, aprés avoir diné avec 
le duc de Berri et abjuré tout ressentiment l'un contre l'autre, ils sor- 
tirent et chevauchérent ensemble jusqu'au Châtelet de Paris. Là ils 
prirent affectueusement congé l'un de l'autre en se donnant la main, 
et retournèrent chez eux satisfaits de leur entrevue. 


Les Parisiens éprouvérent une joie inexprimable de la réconciliation 
des ducs. Ils en rendirent grâces à Dieu, se félicitant que le séjour si 
prolongé de tant de troupes dans leur ville n’eût amené aucune colli- 
sion , tandis qu'il aurait suffi d'une seule parole injurieuse, d'un seul 
coup porté au dernier des valets, pour les mettre aux prises. Les 
ducs renvoyérent de Paris tous les gens de guerre qu'ils y avaient réu- 
nis ; ceux-ci se retirérent dans leur pays sans commettre ni dégát ni 
désordre. Les gens sages en furent étonnés; car c'étaient pour la plu- 
part des Allemands, des Liégeois, des Brabancons et autres étrangers, 
accoutumés à ne suivre que leur fureur, à n'écouter que leur rapacité 
et leurs passions. 


Au moment où la discorde des ducs venait d’être ainsi apaisée, le 
roi, qui était malade depuis près de cinq mois, recouvra la santé. Il 
se rendit à l'église de Saint-Denys le jour de la dédicace avec son 
frère et ses oncles, pour remercier Dièu de son rétablissement. 


Le méme mois, on apercut pendant quinze jours une cométe , qui 
semblait venir du nord et marcher vers l'occident ; sa queue était diri- 
gée de bas en haut. Au dire des plus habiles astrologues, ce météore 
présageait l'accroissement du nombre des hérétiques et des schisma- 
tiques. 


Auni Domini 


MOCCCCIL. 


CHRONICORUM 
KAROLI SEXTI 


LIBER VICESIMUS TERTIUS. 


Pontificum vin, 
Imperatorum 11, 


Anni Domini xccccn. 4 Francorum xxii, 
Anglorum 11, 
Sicilie ir. 


CAPITULUM I. 


De discordia mota propter substractionem factam pappe. 


MopzaaTonis insignis regni Hyspanie, famosi quoque studii 
Tholosani solemnes nuncios, qui Parisius detenti morosius 
audienciam repetitis vicibus instanter pecierant, rex, Paschali 
solemnitate transacta, in eonsistorio suorum illustrium acquie- 
vit audire super substractione facta domino Benedicto ipsius- 
que detencione loqui, que non modo inter exteras naciones, 
sed et in regno Francie integ aurea lilia defferentes nonnullos- 
que eminentis sciencie viros scandalosas disceptaciones genera- 
bat; super quo jam in regia colloquia argumentosa fiebant. 
Sane que facta fuerant domini duces Biturie et Burgundie 
approbantes, cum de consilio et assensu prelatorum Francie 
almeque Universitatis Parisiensis processissent, et essent sigillo 
regio roborata, dignum ducebant inviolabiliter servare , donec 
scisma sopiretur. Hanc viam dux Aurelianensis reprobans, 
multis mediis et repetitis vicibus in celebratis consiliis. patruis 


CHRONIQUE 
DE CHARLES VI. 


LIVRE VINGT-TROISIEME. 


. 8* année du régne des souverains pontifes, 
2° ——— de l’empereur, 
An du Seigneur 1402 '. {23e ———— du roi de France, 
3e ———————— du roi d'Angleterre, 
2* —————-— du roi de Sicile. 





CHAPITRE I". 


Des dissentiments éclatent au sujet de la soustraction d'obédience. 


Les ambassadeurs de l'illustre roi d'Espagne et les députés de la Asa Seigneur 
fameuse Université de Toulouse étaient encore à Paris, et ne cessaient — '4o7 
de demander instamment audience. Enfin , aprés les fêtes de Pâques, le 
roi consentit à les entendre dans son conseil au sujet de la soustraction 
d'obédience et de la captivité de monseigneur Benoit, qui étaient une 
source de querelles scandaleuses non-seulement chez les nations étran- 
géres, mais aussi dans le royaume de France entre les princes du sang 
et quelques personnages d'un savoir éminent. C'était à la cour méme 
une occasion de vives disputes. Messeigneurs les ducs de Berri et de 
Bourgogne approuvaient la mesure qu'on avait. prise, et soutenaient 
que, puisqu'elle avait été résolue par le conseil et avec l'assentiment 
des prélats de France et de la vénérable Université de Paris, elle de- 
vait étre maintenue inviolablement jusqu'à l'extinction du schisme. Le 
duc d'Orléans ne partageait pas cet avis. Il avait à plusieurs reprises, 
et sans égard pour ses oncles, déclaré hautement dans les conseils que 


' L'année 1402 commenca le 26 mars. 


22 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


suis modicum defferens, publice asseruerat substractionem 
fuisse minime bene consultam, nec sine scandalo ignominioso 
papam captivum teneri. Unde et cum quadam die, in regis et 
prefatorum ducum ‘, verba illa recitando dixisset quod in 
brevi Ávinionem tenderet et Benedictum liberaret, dux Biturie 
quod hoc facere nequiret intulit. Unde multa verba inutilia 
et non placencia hinc inde interjecta sunt, que vix , rege pre- 
cipiente , cessaverunt. 

Ducum sentenciam Parisiensis Universitas sequebatur; cui et 
quadam die concessa audiencia, quidam doctor in sacra pagina 
collacionem faciens, publice affirmavit quod substractio justa 
erat et legittima, et quicunque eam calumpniari volebat, graviter 
peccabat et erat fautor scismatis. Quod verbum propter con- 
sciencie scrupulum dux Aurelianis impacienter audiens, cum 
rectore accersitis qui tunc aderant doctoribus et magistris, 
inquisivit si ex eorum conscienciis procedebat. Qui cum nega- 
tive respondissent, inde scandalizatum se reputans, de dicto 
magistro statuit querimoniam facere coram rege, ut injuriam 
emendaret. Die iterum sequenti, quidam alius magister vocatus 
Johannes Brevis Coxe, continuando materiam, substractionem 
approbavit, multis racionibus papam perjurum et scismaticum 
ostendens, papatu quoque indignum ; in fine tamen congruum 
esse dixit, ut super hiis sibi obedientes iterum convocaren- 
tur. Hiis luculentissime peroratis, legati Hyspanie, audiencia 
obtenta, multis mediis probaverunt papam injuste captivum 
detineri, nec ipsum privandum fore a papatu, nisi prius causa 
. legittima judicialiter cognita. Unde regem et optimates presentes 
. rogaverunt ut super hoc de remedio competenti providerent. 


' Il est nécessaire, pour compléter le sens, de supposer dans le manuscrit l'omission 
du mot presencia. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 23 


la soustraction était une mauvaise mesure et que la captivité du pape 
était un honteux scandale. Un jour qu'il parlait de ce sujet en présence 
du roi et desdits ducs, il dit qu'il irait bientôt à Avignon pour délivrer 
Benoit. Le duc de Berri répliqua qu'il ne pourrait y réussir. Il s'en- 
suivit de part et d'autre de grosses paroles et une contestation assez 
vive que l'autorité méme du roi eut peine à faire cesser. 


L'Université de Paris appuyait l'opinion des ducs de Berri et de 
Bourgogne. Dans une audience qu'elle obtint du roi , un docteur en 
théologie porta la parole et déclara hautement que la soustraction était 
juste et légitime, et que quiconque voulait l'attaquer péchait griéve- 
ment et était fauteur du schisme. Le duc d'Orléans, qui pouvait s'appli- 
quer ces paroles, en fut fort irrité; il fit venir le recteur avec les doc- 
teurs et les professeurs qui se trouvaient dans l’assemblée, et leur 
demanda si ce discours avait été concerté entre eux. Sur leur réponse 
négative, il se considéra comme publiquement offensé, et résolut de 
se plaindre au roi dudit docteur pour l'obliger à lui faire réparation. 
Le lendemain, un autre docteur appelé Jean Courtecuisse, reprenant 
le méme sujet, approuva la soustraction, et démontra longuement 
que le pape était parjure, schismatique et indigne du pontificat. Il 
conclut toutefois à ce qu'il y eüt une nouvelle assemblée de ceux de 
son obédience. Aprés sa harangue, qui fut fort belle; les ambassadeurs 
d'Espagne, ayant obtenu la parole, prouvérent par Plusieurs raisons 
que le pape était injustement détenu, et qu'on ne devait point le priver 
du pontificat avant d'avoir instruit son procés suivant les formes de 
la justice. Ils priérent le roi et les grands de la cour qui se trouvaient 
là de porter reméde à cet état de choses. 


24 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 

. Hiis similia, die altera, nuncii studii Tholosani liberacionem 
pape instantissime pecierunt, asserentes Tholosanos nunquam 
substractionem factam acceptasse , de quo fidem facientes regi 
prolixam epistolam obtulerunt contrarias raciones epistole Uni- 
versitatis Parisiensis continentem. Inter prelatos eciam ibidem 
assistentes episcopus sancti Poncii sentenciam approbans 
predictorum, tandem ad cardinales ibi presentes dirigens 
verba sua, asseruit quod si contingeret papam mori, auctorita- 
tem amiserant alium eligendi, quia incarceraverant dominum 
suum, crimen lese majestatis incurrendo, Quod tamen crimen 
prefati domini cardinales excusando per cardinalem Picta- 
vensem, se ostenderunt innoxios incarceracionis pape, cum - 
hoc promocione civium Avinionensium processisset, quia ipsis 
intulerat intollerabilia dampna. 

Super legacionibus pretactis rex et duces assistentes alias 
deliberare maturius decreverunt. Doctores tamen Tholosanos 
dux Biturie non passus est ad partes suas redire; sed quia 
patrie custos erat auctoritate regia et sine suo consensu partem 
pape publice sustinebant, eos incarcerari mandavit. 


CAPITULUM II. 


De auctoritate concessa duci Aurelianensi et nupciis comitis Retelensis. 


Pacificatis ducibus, insigne connubium domini Antonii, co- 
mitis Retelensis, specioseque virginis et forme venustate singu- 
lariter conspicue filie comitis sancti Pauli, dux Burgundie, 
pater sponsi, circa medium aprilis apud Attrebatum celebravit. 
Nepotem in ipsum non dubitabat absentem quid attemptare 
debere. Sed spacio deputato nupciarum solemnitati durante, 
instinctu quorumdam assentatorum aulicorum ex alienis opibus 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. — 25 


Le jour suivant, les députés de l'Université de Toulouse parlérent 
dans le méme sens. Ils demandérent instamment la délivrance du pape, 
déclarant que les Toulousains n'avaient jamais adopté la soustraction. 
En foi de quoi ils présentérent au roi une longue lettre qui conte- 
nait des raisons contraires à celles de l'Université de Paris. Un des pré- 
'Jats de l'assemblée, l'évêque de Saint-Pons, appuya l'avis des députés , 
et s'adressant aux cardinaux qut se trouvaient là, il Soutint que, si le 
papé venait à mourir, ils auraient perdu le droit d'en élire un autre, 
parce qu'ils avaient emprisonné leur seigneur et encouru le crime de 
lése-majesté. Messeigneurs les cardinaux se justifiérent de ce crime par 
l'organe du cardinal de Poitiers, Ils prouvérent qu'ils étaient innocents 
de l'incarcération du pape, et que c'étaient les habitants d'Avignon qui 
s'étaient portés à cet acte de violence, pour se venger de tous les maux 
que Benoit leur avait faits. 


Le roi et les ducs décidèrent qu'il serait délibéré de nouveau et plus 
mürement sur l'objet desdites ambassades; mais le duc de Berri ne 
laissa point partir les docteurs de Toulouse. Comme il gouvernait la 
province de Guienne au nom du roi, il les fit mettre en prison pour 
avoir soutenu le parti du pape sans son agrément. 


CHAPITRE II. 


Pouvoir conféré au duc d'Orléans. — Mariage du comte de Réthel. 


La paix étant rétablie entre les ducs, le duc de Bourgogne fit célé- 
brer à Arras, vers le milieu d'avril, le mariage de son fils, monsei- 
gneur Antoine comte de Réthel, avec la fille du comte de Saint-Pol, 
jeune princesse d'une rare beauté et d'une grâce accomplie. Il ne sup- 
posait pas que son neveu entreprit rien contre lui en son absence. Mais 
durant les jours consacrés aux fétes du mariage, le duc d'Orléans, 
excité par quelques-uns de ces flatteurs de cour qui sont toujours 
avides de s'enrichir aux dépens d'autrui, demanda et obtint à force 


Ii. "U | 4 


26 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


appetencium dittari, erga regem vallidis precibus impetravit ut 
regni ardua solus disponeret, quociens hiis intendere nequiret. 
Eidem: tunc concessit rex potestatem liberam et generalem 
amministracionem super regnum universum, ut et in pace et 
guerra , intus et foris, super majores et minores plenam habe- 
ret jurisdictionem instituendi et destituendi regios exactores, 
et ut super thesauros et resditus regni libere suum exerceret 
arbitrium. | 

"Tanta auctoritate potitus et oportunitatem nactus accu- 
mulandi thesauros, mox, regiorum consiliorum. consensu, 
statuit et decrevit a prelatis regni accomodati titulo peccunias 
extorquere, et ut omnes regnicole, cujuscunque preeminencie 
essent, dictam peccunialem solvere cogerentur; iterum, quia 
prelati et ecclesiastici viri de rebus venditis imposicionem sol- 
vere recusabant, emptores hoc impositum peccuniale solve- 
rent, cotidiani quoque victus regis et regine quarta pars in 
horreis et promptuariis eorum sumeretur. Huic ordinacioni 
nequam archiepiscopus Remensis dominus Guido de Raya 
primus in dyocesi sua contradicere dignum duxit; ipsique 
contradicentes in dyocesi Senonensis archiepiscopus, vocatus 
Guillelmus de Dormanis , qui computorum camera presidebat 
et qui hoc consuluerat, excommunicacionis tulit sentenciam. 
Sed tandem, duce Burgundie mediante preces aliorum prela- 
torum , irracionabile statutum effectu caruit. 

In ejus tamen absencia reliquum quod consultum fuerat dux 
Aurelianis cupiens ad effectum perducere, in Castelleto Pari- 
siensi sabbato post festum Penthecostes, onus grave collecte 
generalis proximo colligendum jussit voce preconia publicari, 
et in scriptis sigillo regio munitis. In hiis regius secretarius in- 
seruerat, quod hoc de voluntate et assensu Biturie atque Bur- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. 21 


d'instances que le roi lui abandonnát sans partage la direction des 
affaires toutes les fois qu'il ne pourrait s'en occuper. Le roi lui conféra 
en méme temps une autorité absolue et l'administration générale de tout 
le royaume, lui accorda plein pouvoir sur les grands et les petits, en 
temps de paix et en temps de guerre, au dedans et au dehors , , ainsi 
que le droit de nommer et de destituer les exacteurs royaux, et de dis- 
poser à son gré des trésors et des revenus du royaume. 


Quand le duc se vit investi de pouvoirs si étendus, il songea à en pro- 
fiter pour amasser des trésors. Il résolut, de concert avec les conseillers 
du roi, d'extorquer de l'argent aux prélats de France à titre d'em- 
prunt, et décida que tous les habitants du royaume, de quelque con- 
dition qu'ils fussent, seraient tenus de payer leur part de cette contri- . 
bution. Comme les prélats et les autres membres du clergé refusaient 
d'acquitter l'impót sur les choses vendues, il l'exigea des acheteürs. 
Enfin il ordonna aussi qu'on prendrait dans leurs grenierset leurs cel- 
liers le quart des provisions qui étaient nécessaires chaque jour pour la 
maison du roi et. pour celle de la reine. Monseigneur Guy de Roye, 
archevêque de Reims, fut le premier qui crut devoir s'opposer dans 
son diocèse à l'exécution de cette ordonnance inique. L'archevéque de 
Sens, nommé Guillaume de Dormans, président de la chambre des 
comptes, qui l'avait conseillée, prononca une sentence d'ex mmuni- 
cation contre les récalcitrants; mais, gráce aux priéres des autres pré- 
lats et à l'intervention du duc de Bourgogne, cette mesure injuste 
resta sans effet. 


Cependant le duc d'Orléans, voulant mettre a exécution ses autres 
projets en l'absence du duc de Bourgogne, fit publier par la voix du 
héraut, au Châtelet de Paris, le samedi aprés la Pentecôte, ün autre 
édit scellé du sceau royal, pour la levée prochaine d'une imposition 
générale. Le secrétaire du roi y avait inséré que cette résolution avait été 
prise de l'aveu et du consentement des ducs de Berri et de Bourgogne. 
Les deux princes furent fort irrités de ce mensonge; le duc de Berri 


28 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


gundie ducum procedebat. Quapropter de mendacio graviter 
indignati, cum dux Biturie ipsum tanquam falsarium et men- 
dacem publice redarguisset, dux Burgundie, qui de nupciis 
filii nundur redierat, in scriptis se excusavit. Litteras namque 
preposito Parisiensi mittens, publice legi mandavit; in quibus 
insertum erat se nunquam in exactione predicta consensisse, 
et quod inde confecte littere mendacium continebant. Iterum 
compaciendo regnicolis per mortalitatem triennem et exac- 
tiones hucusque oppressis graviter, censum impositum impor- 
tabilem reputabat, et erarium regium exhaustum peccuniis non 
a plebe sed a ditatis immerito prodigalitate regia posse debite 
repleri, ad quos eciam sciebat talliam, si colligeretur, iterum 
devoluturam. In: calce vero verborum dicebat sibi placere ut 
missi apices ad sui excusacionem in Parlamento regio publice 
legérentur, affirmans quod , et si onus pretactum colligi consen- 
. sisset, inde ducenta milia scuta auri sibi promissa percepisset. 

Apices domini ducis populus gratantissime audivit, et ob 
hoc in villa Parisiensrejus desiderabatur adventus. Quam tamen 
ingredi recusavit, donec rex inco:umitatem recepisset, qui 
consuetam infirmitatem incurrerat, quia decurionum et aulico- 
rum consensu et consilio hastiludia militaria exercuerat ultra 
modum ante festum Penthecostes. Sane quociens recuperabat 
sanam mentem, quorumdam aulicorum indisciplinata concio 
ipsum non ad cognicionem, fragilitatis proprie vel devocionem 
ad Deum et celicolas, sed ad omnem morum indecenciam inci- 
tabat. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 29 


déclara publiquement que le secrétaire était un faussaire et un men- 
teur; le duc de Bourgogne, qui n'était pas encore de retour des noces 
de son fils, désavoua le fait par écrit. Il adressa sa lettre au prévôt 
de Paris, avec ordre d'en donner lecture au peuple ; il y disait qu'il 
n'avait jamais consenti à ladite exaction, et que l'édit contenait une 
fausseté. Témoignant ensuite une grande compassion pour les habi- 
tants du royaume, qui venaient d’être accablés par une épidémie de 
trois ans et qui étaient ruinés par les exactions, il déclarait que ce nou- 
vel impót était intolérable, et que si le trésor du roi était épuisé, il 
fallait le remplir, non pas avec la substance du peuple, mais avec l'ar- 
gent de ceux qui s'enrichissaient injustement des largesses du roi, et 
auxquels il savait bien que reviendrait tout l'argent de cette nouvelle 
taille. Il ajoutait à la fin qu'il désirait que sa lettre justificative füt lue 
publiquement au Parlement, et affirmait que s'il avait voulu consentir 
à la levée de cet impôt, il aurait eu pour cela deux cent mille écus d'or 
qu'on lui avait promis. | 


: À 

Le peuple entendjt la lecture de cette lettre avec la plus vive satisfac- 
tion. Aussi le duc était-il attendu impatiemment à Paris; mais il dif- 
féra son entrée jusqu'à ce que le roi fût rétabli. Car l'infortuné mo- 
narque avait éprouvé une rechute, quelques jours avant la Pentecôte, 
pour s'être livré avec passion au plaisir des tournois, d’après les con- 
seils et les suggestions des seigneurs et officiers de sa cour. Toutes les 
fois qu'il recouvrait la raison, les jeunes étourdis qui l’entouraient, au 
lieu de lui rappeler sa faiblesse et de tourner ses pensées vers Dieu et les 
saints , ne songeaient qu'à l'entrainer dans des excés de toutes sortes. 





30 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


CAPITULUM III. 


De septem Gallicis qui contra septem Anglicos feliciter pugnaverunt. 


Et si particulare prelium, non in favorem rei publice assump- 
tum, temerarium dici possit, sub liliis tamen aureis militantes 
insignes viri fuerunt, videlicet dominus Arnaudus Guillain, 
dominus de Castro, Bataille, Archanbaudus de Villaribus, 
Cuignet de Brebanto, Johannes dictus Champaigne et quidam 
vocatus Carius , qui hoc statuerunt experiri , ut tantummodo in 
regno commendabiles, se redderent. Excogitatum aggressum 
laudabilem reddere cupientes, jampridem quemdam victoria- 
rum preconem in Ángliam. jusserant transfretare, qui, totidem 
Anglicos ad gladiatorum ludum amicabiliter provocans, adderet 
ut hinc éventu cerneretur quantum equites gallici prestarent 
anglicis, et alea jacta utra gens bello esset melior reputanda. 
Is et irr presencia regis Anglie constitutus addidit et jam Gal- 
licos prope Burdegalensem urbem pugne locum elegisse, sta- 
tuisseque üt ibi usque ad interitum pugharetur, federe tamen 
inito inter partes hiis legibus ut, si quis sponte subcumberet, 
tantum pro redempcione preciosum solveret dyamentem. 

Movit feroces animos. Anglicorum oblacio-alias inaudita; et 
seu ira, seu.odio, seu detreetandi certaminis pudore-stimulan- 
tibus, domini de Scalles, Aymant: Chotet, Johànnes Heron, 
Richardus Boutevale, Johannes Fleury, Thomas Tile, Robertus 
de Scalles, viri potentes et strenui, annuente rege Anglie, rem 
terminandam libenti animo susceperunt. 

Ut autem nil de oblatis recusatum comperit dux Aurelianis, 
frater regis, et attendens quod actores sibi assidue familiariter 
assistebant, ob hoc elemosinarum largiciones pluribus sacris 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 34 


CHAPITRE IIT. 


Victoire de sept Francais contre sept Ánglais dans un combat particulier. 


Quoique tout combat particulier qui n'a pas pour but l'intérét de 
la chose publique puisse étre taxé de témérité, il y a cependant des 
gens qui s'engagent dans ces sortes d'entreprises, uniquement pour se 
faire un renom de vaillance. C'est ce que firent messire Arnaud Guil- 
lain, messire du Chátel, Bataille, Archambaud de Villars, Clignet de 
Brabant, Jean dit Champagne, et un certain d'Escars, tous braves 
gentilshommes francais. Désirant donner de l'éclat à leur entreprise, 
ils avaient envoyé en Angleterre un héraut d'armes pour provoquer 
courtoisement un pareil nombre d’Anglais à une joute militaire; l'issue 
de cette lutte devait établir, disaient-ils, la supériorité des chevaliers 
francais sur les chevaliers anglais, et par suite montrer laquelle des 
deux nations devait être considérée comme la plus brave. Le héraut, 
admis en présence du roi d'Angleterre, ajouta que les Francais avaient 
choisi un champ clos dans les environs de la ville de Bordeaux, qu'ils 
proposaient qu'on se battit à outrance, et que l'on convint de part 
et d'autre que celui qui s'avouerait vaincu paierait un diamant pour 
toute rancon. 


Cette provocation inattendue piqua la fierté des Anglais. Soit ressen- 
timent, soit haine, soit honte de refuser le combat, messire de Scalles, 
messire A ÿmant Chotet, Jean Heron, Richard Boutevale, Jean Fleury, 
Thomas Tile et Robert de Scalles, tous braves et vaillants chevaliers, 
acceptérent le défi, avec le consentement du roi d'Angleterre. 


Le duc d'Orléans, frére du roi, ayant appris qu'aucune des condi- 
tions n'avait été refusée, et considérant que les champions étaient tous 
de ses familiers, résolut de faire d'abondantes aumónes dans plusieurs 


32 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


locis exercere statuit, et ad ecclesiam beati Dyonisii accedens 
pro ipsis orare devotissime postulavit. Et quamvis nonnulli viri 
circumspecti adgressum velud juribus dissonum reprobarent, 
extereque naciones inde trahebant vulgale proverbium, et quod 
Francia cuncta regna superbia excedebat , res tamen ad votum 
in finalibus successit. 

Pervenientes autem ad locum certaminis, ut hoc. utrinque 
ageretur absque impedimento vel exteriori tumultu , insignes 
milites dominus Harpadenne brito, et comes Rotlandi angli- 
cus ambas partes conducendas et reducendas susceperunt cum 
ingenti copia bellatorum. Quas cum die decima nona maii ad 
locum preordinatum perduxissent, sicut condictum fuerat, 
submotis equis , armati et pleni adhortancium vocibus campum 
ingressi sunt; et tunc ut infestis armis mutuo concurrerent, mox 
signum pugne datum est. Anglici ante aggressum dominum de 
Castro britónem , quem corpore robustiorem noverant , ad 
terram primo impetu prosternere concluserant; sed cum duabus 
lanceis ipsum fortiter impegissent, et ipse eas ambabus ma- 
nibus potentissime rejecisset, utrinque cum omni armorum 
genere et maxima spe vincendi prelium inchoatur. 

Quantis agilitate et cautela res acta, cum quanta diligencia 
dexteraque prepotenti alter alterum juverit, quantusque horror 
spectantes perstrinxerit, cum neutro inclinata spe victorie 
utrinque sanguis spectaculo erat, aulicis et decurionibus pre- 
conizandum relinquo. Breviloquio tamen utens, cum diu non 
sine mutuis conviciis dimicassent, et Anglici cum lacertis hec- 
toreis ictus fortiter ingeminando alios ad brodia curie remitte- 
rent, ipsi quoque vice versa mortem ignominiosam regis sui 
Richardi pluries improperassent, tandem uno Anglico inter- 
fecto, reliqui graviter vulnerati se dederunt. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 33 


lieux saints. Il se rendit méme à l'église de Saint-Denys, et demanda 
aux religieux de prier avec ferveur pour les chevaliers francais. Les 
gens sages désapprouvaient ce combat comme déraisonnable, et comme 
justifiant aux yeux des étrangers le proverbe qui accusait les Francais 
d'étre les plus présomptueux de tous les peuples. L'éntreprise ne laissa 
pas de réussir. 


On se rendit de part et d'autre au lieu désigné. Afin que tout se 
passât sans tumulte et sans désordre, deux nobles chevaliers, le sire 
de Harpedanne, breton, et le comte de Rutland, anglais, furent 
chargés d'amener et de reconduire les champions des deux partis avec 
une suite nombreuse d'hommes d'armes. Le 19 mai, ils les condui- 
sirent au champ clos, ainsi qu'il avait été convenu. Les chevaliers 
mirent pied à terre et entrérent tout armés dans la lice, encouragés 
par les cris des assistants. On donna le signal du combat. Avant d'en 
venir aux mains, les Anglais avaient résolu de diriger leur première 
attaque contre messire du Chátel breton, qu'ils savaient étre le plus 
redoutable de leurs adversaires; aussi cherchérent-ils à le terrasser. 
Ils lui portérent tout d'abord deux vigoureux coups de lance; mais 
celui-ci les para vaillamment de ses deux mains. Aussitôt la mélée 
commenca: toutes les armes furent mises en usagé; chacun était animé 
de l'espoir de vaincre. 


Je laisse aux gens de la cour et aux seigneurs le soin de raconter 
quelle adresse et quelle agilité chacun déploya dans cette circonstance, 
avec quel empressement et quelle valeur les chevaliers se secoururent 
l'un l'autre, et quel effroi saisit les spectateurs, lorsqu'ils. virent le sang 
couler de part et d'autre et la victoire indécise. Je me contenterai de 
dire que le combat fut long et acharné , et qu'ils s'accablérent mutuel- 
lement de propos injurieux. Les Anglais, tout en frappant à coups 
redoublés avec une force irrésistible, renvoyaient les Français aux 
brotets de la cour, et de leur côté les Français reprochaient à leurs 
adversaires la mort ignominieuse de leur roi Richard. Enfin un che- 
valier anglais fut tué, et les autres, qui étaient griévement blessés, se 
rendirent. | 

Ht. 5 


34 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


Sic peracta victoria, dominus Harpadanne brito victores 
secum adduxit Parisius, quos domini Francie amicabiliter 
exceperunt et donis cumulaverunt uberioribus, tamquam de re 
ad honorem Francie bene gesta. Reliqui vero induti confusione 
et reverencia in Angliam redierunt. Sane hoc infortunio docti 
sunt deinde a ludo simili abstinere, quamvis ad actum similem 
exercendum fere per biennium majori minorique numero quam 
prius multos competitores habuerint, et, quod merito mirabar, 
cum tanta aviditate, ac si quid in eos prodicionis commisissent. 
Memini quamplures hiis temporibus petivisse cur in illis tantus 
ardor et insolitus fervebat, sed fateor ab eis me didicisse quod 
inexpiabili odio in Anglicos et propter excecrabilem necem 
regis sui, regineque, regis Francie ', expulsionem indecentem 
laborabant; et quia in eos apperte insurgere non audebant, ne 
violatores inducialium federum viderentur, occasionem ho- 
nestam injurias intollerabiles vindicandi sic querebant. 


CAPITULUM IV. 


Dux Burgundie in regni regimine constituitur principalis. 


Mense junio inchoato, ut dux Burgundie sanam mentem 
regem comperit recepisse, mox ipsum adire proposait et in re- 
gnicolarum favorem suppliciter exorare, ut collecte peccunialis 
exactionem noviter adinventam in eorum prejudicium dulciter 
revocaret. Quod dux Aurelianis agnoscens, ut favorem popula- 
rium inde acquireret ,.per ville Parisiensis compita, ante patrui 
ingressum , auctoritate regia et voce preconia fecit publice pro- 
clamari quod, ut populus pro incolumitate regis attencius Do- 


' Il est nécessaire, pour compléter le sens, de supposer dans le manuscrit l'omission 
du mot filie. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. — 35 


La victoire étant ainsi restée aux Francais, le sire de Harpedanne, 
breton , ramena les vainqueurs à Paris, où les seigneurs de la cour 
les recurent avec toutes sortes de marques d'amitié, et les comblérent 
de présents, comme ayant soutenu dignement l'honneur de la France. 
Les vaincus, couverts de honte et de confusion, repassérent en Angle- 
terre. Ce revers aurait dà leur apprendre à s'abstenir désormais de pa- 
reilles épreuves. Ils ne laissérent pas néanmoins, pendant prés de deux 
ans, de tenter les mémes hasards contre de nouveaux adversaires, tan- 
tót en plus grand nombre, tantót en moindre nombre. Mais ce qui 
avait lieu de m'étonner, c'est qu'ils y mettaient autant d'acharnement 
que si l'on eüt commis contre eux quelque trahison. Je me souviens 
que dans ce temps-là plusieurs personnes cherchérent à savoir pour- 
quoi les Francais montraient aussi une animosité extraordinaire ; j'ap- 
pris qu'ils avaient concu une haine implacable contre les Anglais à 
cause de l'horrible assassinat de leur roi et du bannissement injurieux 
de la reine, fille du roi de France, et que n'osant point leur faire 
ouvertement la guerre, de peur d'étre accusés d'avoir violé la tréve, 
ils cherchaient un prétexte honnéte pour venger ces injures intolérables. 


CHAPITRE 1V. 


Le duc de Bourgogne est mis à la téte du gouvernement du royaume. 


Au commencement du mois de juin, le duc de Bourgogne, ayant 
appris la guérison du roi, résolnt d'aller le trouver et de le prier in- 
starament,, dans l'intérét des habitants du royaume, de révoquer l'im- 
position générale qu'on venait d'ordonner à leur préjudice. Le duc 
d'Orléans devina ses intentions, et voulant se concilier la faveur po- 
pulaire, il fit publier dans tous les carrefours de Paris, avant l'arrivée 
de soh oncle, qu'afin d'engager le peuple à adresser au Seigneur des 
priéres plus ferventes pour sa guérison, le roi avait décidé, sur la de- 
mde de la reine de Ffance, de la reine d'Augleterre et du duc d'Or- 
léansy qu'on ne lèverait point de nouvelles exactions. Cependant le 
roi savait: que ses principaux conseillers désapprouvaient l'autorité 


30 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


minum exoraret, ad peticionem reginarum Francie et Anglie, 
ducis quoque Aurelianis, nolebat ut novis exactionibus vexare- 
tur. Et quia regni consiliarios principales auctoritatem duci 
Aurelianis concessam sciebat reprobare, quoniam non spera- 
bant ipsum negociis regni provide disponendis sufficere, cum 
in nonnullis suis actibus cor facile sequeretur, eos omnes, 
prima die jullii, in absencia fratris et patrui evocavit. In illo 
consistorio substancialiter tetigit quomodo reiteratis vicibus 
egritudine gravatus nequibat negociis regni sufficienter vacare, 
sed auxilio consanguineorum precipue indigebat. Quapropter 
omnes monuit per sibi fidelitatem debitam, ut absque quo- 
cunque metu vel favore ad hoc opus exercendum utiliorem de 
duobus absentibus ducibus nominarent. 

In consultando cunctis animum liberum dedit ducum ab- 
sencia ; et quamvis nepotem affabilitate et facundia singulariter 
commendabilem omnes scirent, nec tamen eumdem in agendis 
nimis precipitem ignorabant; et ideo amborum merita compen- 
sando, et gravitatem patrui attendentes, hunc dignum tanto 
honore dixerunt. Sic rex attendens quod Aurelianis dux fra- 
ter, cui curam negociorum regni commiserat, minus strenue 
minusque prudenter se gerebat , saniore usus consilio, revocat 
ad se suam , quam illi commiserat, administracionem, et duci 
Burgundie dedit sub patentibus litteris, quas die sequenti in 
Parlamento regio legi fecit. 

Hoc peracto, iterum circa medium hujus mensis rex mente 
captus fuit. Et quoniam omnis auctoritas consortis est inpa- 
ciens, timebatur ne duces, invidie stimulis agitati, iterum 
discordarent. Sed dum jurgiis sepius terunt tempus quam con- 
siliis, regina, ducibus Biturie et.Borbonii mediantibus, ambo 
regiis uti cessaverunt, donec rex incolumitatem recepisset. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 37 


conférée au duc d'Orléans, parce qu'ils étaient persuadés que son ca- 
ractére impétueux et passionné ne lui permettait pas de diriger les 
affaires avec prudence. En conséquence i| assembla son conseil le 
4er juillet, en l'absence de son frère et de son oncle. Dans ce conseil, 
il rappela en peu de mots qu'étant sans cesse repris d'un mal qui 
Tempéchait de s'occuper comme il le devait des affaires publiques, il 
avait surtout besoin du secours de ses plus proches parents. Puis il 
les invita, au nom de la fidélité qu'ils lui devaient, à nommer sans 
crainte et sans esprit de parti celui des deux ducs absents qui leur pa- 
raissait le plus capable de gouverner le royaume. 


L'absence des ducs laissait toute liberté à la délibération. Chacun 
reconnaissait dans le duc d'Orléans une grande affabilité et une rare 
éloquence; mais on savait qu'il agissait avec trop de précipitation. . 
Áussi , en comparant le mérite des deux princes et en songeant à la gra- 
vité du duc de Bourgogne, on le jugea le plus digne d'un tel honneur. 
Le roi persuadé alors que son frére, à qui il avait confié la direction 
des affaires, ne se conduisait pas avec assez de prudence et d'habileté, 
prit une sage détermination, lui retira les pouvoirs qu'il luravait con- 
férés , et les trausmit au duc de Bourgogne par lettres patentes qu'il fit 
lire le lendemain au Parlement. 


Le roi retomba en démence peu de jóurs aprés, vers le milieu de 
juillet. On craignait que la jalousie du pouvoir, qui ne souffre point 
de partage, ne renouvelát les divisions entre les deux ducs. Mais comme 
les délibérations se passaient le plus souvent en vaines querelles, la 
reine et les ducs de Berri et de Bourbon obtinrent que les deux rivaux 
s abstinssent de venir au conseil, jusqu'à ce que le roi eût recouvré la 
santé. | 


38 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


CAPITULUM V. 


De peccunia collecta per modum reformacionis pollicie. 


Interim tamen dux Burgundie, qui erarii regalis inopiam 
. posse resarciri alias quam per popularem decimam vel collec- 
tam asseruerat, cum non posset regalis curie prodigalitates 
assuetas, decurionum obstante cupiditate, corrigere, ad aliam 
viam accommodam se convertit. Statuit igitur ut sub titulo 
pollicie reformande de cameris regalis Palacii judices eligeren- 
tur, qui villas regni muratas et civitates peragrarent, qui de 
usurariis dolosisque contractibus, et specialiter de illis qui 
ultra medietatem justi precii aliquid vendidissent inquirerent, 

et ab eis secundum demerita peccunias: extorquerent. Ordina- 
cioni veluti juri consone abhinc usque ad principium januarii 
anni sequentis ubique obediefunt omnes et singuli. Sed tandem 
Remeuses prefatos judices cum intermiriacione mortis de civi- 
tate expulerunt, asserentes quod collecta hec, que summam 
centum milium scutorum excedebat , rege inscio fiebat, nec ad 
ejus commodum, sed .dücumi regnum regencium et decurio- 
num suoram levabatur. In hanc sentenciam ibant omnes regni- 
cole, nec immerito admirantes quod, quantum plüs hiis et 
similibus exactionibus colligebant peccunias , plus indigere vide- 
bantur, quia illas in saccum perforatum reponerent, et per 
ministros hine inde victualia invitis possessoribus perquirentes, 

nichil inde persolvebant. Rex vero sanus effectus, ad peticionem 
multorum nobilium in favorem rei publice collectam decrevit 
cessare penitus, tunc propter murmur populi, tunc quia nichil 
inde regnum commodi reportabat. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI — LIV. XXII. 39 


CHAPITRE V. 


Levée d'un nouvel impót pour réformer l'État. 


Le duc de Bourgogne avait assuré qu'on pouvait suppléer à l'épuise- 
ment du trésor royal autrement que par la levée d'une dime sur le 
peuple ou par une imposition générale. Mais voyant que la cupidité 
des seigneurs ne lui permettait pas d'arréter les profusions accoutumées 
de la cour, il eut recours à un autre expédient. Il décida que pour ré- 
former l'État on choisirait dans les chambres du Palais des juges qui 
seraient. chargés de parcourir les villes et les communes du royaume , 
de rechercher les contrats usuraires et frauduleux, et spétialement de 
faire une enquête sur ceux qui auraient vendu des objets une moitié en 
sus de leur juste prix, afin de les frapper d'une amende proportionnée 
au délit. On trouva cette ordonnarnce assez équitable, et on.e'y soumit 
partout jusqu'au commencement du mois de janvier de l'année sui- 
vante. Mais alors les habitants de Reims chassérent de leur ville lesdits 
juges en les menacant de mort, et soutinrent que cette exaction , qui 
montait à plus de cent mille écus, se faisait à l'insu du roi, et qu'elle 
ne tournait pas à son profit, mais au profit des ducs qui gouvernaient 
le royaume e£ à celui des seigneurs de leur parti. C'était l'opinion de 
tout le monde. On s'étonnait avec raison de ce que plüs ils levaient 
d'argent à l'aide de semblables exactions, plus ils paraissaient en avoir 
besoin; il semblait que ces trésors fassent versés dans un sac percé. 
On se plaignait aussi de .ce que leurs officiers allaient même se pour- 
voir dans les maisons malgré les propriétaires et sans rien payer..Dès 
que le roi eut recouvré la santé, il décida, sur la demande de plu- 
sieurs personnes considérables, et dans l'intérêt général, que cet 
intpót serait abbli, soit parce que le peuple en murmurait, soit parce 
qu'il n'en résultait aucun avantage pour le royaume. 


40 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


CAPITULUM VI. 


Ducissa Britanie nupta fuit regi Anglie. 


Ad medium exacti mensis septembris calamum cogit redire 
Britanie missa legacio , que duci Burgundie statum neptis 
dilectissime, ducisse Britanie regis Navarre sororis, litteris 
intimavit. Scriptum displicencie occasionem ministrans, eam- 
dem asserebat cum rege Anglie sponsalia contraxisse, more 
quoque mulierum, que novis gaudent amplexibus, connubium 
accelerare cupiens, jam in Angliam thesauros et jocalia trans- 
misisse. Ipseque rex armatos homines eidem destinaverat ut 
honestius et securius transfretaret. 

Matrimoniale fedus barones ‘patrie penitus reprobabant, 
timentesque ne in ducatus vel ducis prejudicium verteretur, 
ducem prefatum accersierunt celeriter, supplicantes ut super hiis 
provideret ad honorem et commodum patrie atque regni. Qui 
festinanter Namnetum magnis itingribus tendens, multis modis 
temptavit per ambassiatores solemnes ducisse propositum immu- 
tare. At ubi se vidit frnstra laborare, tandem tamen baronum 
consilio et assensu hunc acceptavit tractatum, videlicet. quod 
villis ét oppidis ducis fidelibus regis in custodia commissis, 
ipse dux, Johannes nomine, etatis quasi quatuordecim anne- 
rum, qui regis filiam desponsaverat, cum tribus fratribus suis 
Arturo, Egidio et Richardo sub tutela regia remaneret, duasque 
filias ducissa secum ducens, tercia que nupserat filio comitis de 
Alenconio cum viro suo maneret. 

Sic tractatu composito, cum dux usque ad Adventus secun- 
dam ebdomadam in patria neptis expensis mansisset, ducem 
et duos fratres suos ad regem adduxit Parisius; tercium vero. 


- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 4] 


CHAPITRE VI. 


Mariage de la duchesse de Bretagne avec le roi d'Angleterre, 


Je vais reprendre les événements un peu plus haut et parler de l'am- 
bassade qui fut envoyée de Bretagne vers le milieu du mois de septembre 
au duc de Bourgogne, pour lui faire connaître l'état des affaires de la 
duchesse, sa nièce bien aimée, sœur du roi de Navarre. Ce message 
causa au duc un vif déplaisir ; car il lui annoncait que la duchesse s'était 
fiancée au roi d'Angleterre, que, subjuguée par sa nouvelle passion, 
comme le sont toutes les femmes, et n'ayant rien plus à coeur que de 
háter la conclusion de ce mariage, elle avait déjà fait passer en Angle- 
terre ses trésors et ses joyaux , et que le roi méme lui avait envoyé une 
escorte de gens d'armes pour veiller à sa süreté pendant le trajet. 


Les barons du pays désapprouvaient formellement cette union , et 
craignaient qu'elle ne tournát au préjudice du duché ou du jeune duc. 
Ils suppliérent donc le duc de Bourgogne de venir en toute hâte, afin 
de sauver l'honneur et les intéréts du pays et du royaume. Le duc se 
rendit aussitót à Nantes à grandes journées; il envoya une députation 
à la duchesse, et mit tout en ceuvre pour changer sa résolution. Mais 
voyant que ses efforts étaient inutiles, il accepta, d'aprés le conseil et 
avec l'assentiment des barons , les conditions suivantes : toutes les villes 
et places de l'obéissance du duc seraient mises sous la garde des troupes 
du roi; le duc Jean, qui était alors ágé de prés de quatorze ans et qui 
avait épousé la fille du roi de France, resterait sous Ja tutelle du roi 
avec ses trois frères Arthur, Gilles et Richard; la duchesse emméne- 
rait avec elle deux de ses filles, et la troisième, qui était mariée au fils 
du comte d’Alencon, demeurerait avec son mari. 


Le duc de Bourgogne avait été défrayé par sa nièce pendant son sé- 
jour dans le pays. Il partit pour Paris la seconde semaine de l'Avent 


aprés la conclusion du traité, emmena avec lui à la cour du roi le duc 
nt. 6 


12 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


Richardum nomine, quia adhuc in annis puerilibus agebat, sub 
custodia adhuc Britonum relinquit. Ducissa vero, cum Angli- 
corum insigni comitiva transiens in Angliam, a rege honorifice 
recepta est, nec diu post, quod summe affectaverat, fuit in 
Londoniis coronata. 


" CAPITULUM VIH. 


Dux Aurelianis accepit possessionem ducatus de Lucemburgo. 


Sicut juratum fuerat inter Burgundie et Aurelianis duces, 
ipsa et eadem die qua nepos patruo vale dixerat, ne suspicaretur 
in auctoritatem a rege sibi concessam aliquid attemptare, versus 
ducatum Lucemburgi flectit iter cum magna copia pugnatorum. 
Hunc ducatum rex Boemie Winceslaus patruo suo marchioni 
Moravie nuper impignoraverat pro peccuniis ingentibus nuper 
titulo accommodati receptis. Sed attendens quod tardata so- 
lucio multum tedii afferebat, cognatum suum dilectum ducem 
Aurelianis rogavit ut hunc sicut prius obligatum recipiens 
satisfaceret creditori. Quo concesso, et sic sperans terram illam 
posse potiri perpetuo, cum marchione prefato composuit quod, 
parte summe peccunialis soluta, quamdiu viveret, decem mille 
scuta auri super illam perciperet. Illuc tendens ut possessionem 
caperet, duces Lothoringie, Barensis , vicinos quoque barones 
obviam habuit, qui eum favorabiliter receperunt et fedus ami- 
cabile cum eo pepigerunt. Hiis eciam comitatus , cum villam de 
Lucemburgo intrasset solemniter, patriamque adjacentem sine 
rebellione vel resistencia visitasset, peticionibus annuens sub- 
ditorum, mandavit Metensibus quod, nisi compatriotis suis 
que nuper forefecerant emendarent, in eos insurgere viribus 
intendebat. Respondendo, quin jura bellica exercendo rapinas 


CHRONIQUE DE CHARLES VI..— LIV. XXII. 43 


et deux de ses freres, et laissa le troisième, nommé Richard, sous la 
garde des Bretons, parce qu'il était encore en bas âge. La duchesse de 
son côté passa en Angleterre accompagnée d'une brillante escorte, y 
fut accueillie par le roi avec les plus grands honneurs, et reçut à Lon- 
dres peu de temps aprés cette couronne qu'elle avait si ardemment 
désirée. 

CHAPITRE VIL. 


__ Le duc d'Orléans prend possession du duché de Luxembourg. 


Conformément aux conventions jurées entre les ducs de Bourgogne 
et d'Orléans , le jour même où ce dernier prit congé de son oncle, il se 
dirigea vers le duché de Luxembourg avec une suite nombreuse de gens 
de guerre , afin qu'on ne le soupconnát point de vouloir porter atteinte 
à l'autorité dont le roi avait investi monseigneur de Bourgogne. Wen- 
ceslas, roi de Bohéme, avait engagé quelque temps auparavant ce 
duché à son oncle le marquis de Moravie pour une grosse somme d'ar- 
gent qu'il lui avait empruntée. Mais considérant les ennuis que pouvait 
lui causer un retard dans le paiement de sa dette, il pria son bien aimé 
cousin Je duc d'Orléans d'accepter le duché avec l'obligation dont il 
était grevé , et de satisfaire le créancier. Le duc y consentit, et traita 
avec le marquis de Moravie, pour s'assurer à perpétuité la possession 
du duché. Il s'engagea à lui payer une partie de la dette et à lui faire 
en outre pendant sa vie une pension de dix mille écus d'or. Il partit 
ensuite pour aller prendre possession du duché; chemin faisant, il ren- 
contra les ducs de Lorraine et de Bar et les barons du voisinage, qui 
l'accueillirent favorablement, conclurent avec lui un traité d'amitié , 
et l'escortérent méme lorsqu'il fit son entrée solennelle dans la ville de 
Luxembourg. Aprés avoir parcouru tout le pays sans trouver de rebelles 
ni d'ennemis, il consentit, par égard pour ses nouveaux sujets , à écrire 
aux habitants de Metz que s'ils ne réparaient leurs torts envers les 
Luxembourgeois , il allait marcher contre eux. Les habitants de Metz 
répondirent que s'ils avaient mis tout à feu et à sang dans le Luxem- 
bourg , conformément aux droits de la guerre, ils avaient obtenu du 


#4 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


et incendia eisdem intulissent minime negaverunt, sed dixe- 
runt eos sub litteris regis Boemie de excessibus indulgenciam 
consequutos ; et hec per episcopum Metensem et nonnullos 
milites duci humiliter intimarunt. Quapropter conclusum fuit 
quod super hiis informacio fieret tempore magis apto. 

Sic rebus rite dispositis, ducibus et extraneis non sine fluxu 
munerum vale dicto, dux in Franciam rediit. Ibi tamen viceco- 
mitem Meldensem dominum Guillelmum Buticularii et plures 
alios relinquens, qui nomine suo terram illam regerent et tue- 
rentur , et precipue a Lotharingorum rapinis consuetis. 


CAPITULUM VIII. 


Vineuntur Scoti ab Anglicis. 


Transacto induciali federe nuper inter regna Scocie et An- 
glie constituto, iterum mense septembri Scoti quietis impa- 
cientes, ad strenuitatis titulum acquirendum, Angliam statue- 
runt viribus infestare. Sed comes de Nortinbellan, Henricus 
de Persiaco, Anglie conestabularius, cum mille pugnatoribus 
et quingentis et tribus sagittariorum milibus eis inopinate ob- 
viavit, consertoque prelio, de ipsis feliciter triumphavit. Apices 
super hoc regi directi continebant quod, ex Scotis ingenti 
strage peracta, summe auctoritatis nobiles ibi reperti regi 
Anglie captivi presentati fuerànt et compedibus ligati. Inter 
quos erat quidam miles gallicus nomine Petrus de Essartis, 
quem nobiles Francie mox peccunia redimere curaverunt. Pro 
redempcione eciam comitis du Glays scoti, quia semper Fran- 
cie regnum coluerat et erga regem fidelis extiterat, certos de- 
putaverunt questores , qui Parisius et alibi regnicolas nobiles et 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 45 


roi de Bohéme des lettres de pardon pour ces excés, et ils chargérent 
l'évéque de Metz et quelques chevaliers de porter humblement cette 
réponse au duc. 1l fut donc convenu qu'il serait fait une enquéte sur 
cette affaire en temps et lieu. 


Les choses étant ainsi arrangées , le duc prit congé des ducs de Lor- 
raine et de Bar et des autres seigneurs, et les combla de présents; puis 
il repartit pour la France. Toutefois il laissa dans le pays le vicomte de 
Meaux, messire Guillaume le Bouteiller, et plusieurs autres officiers 
pour gouverner et défendre en son nom le duché, et particulièrement 
pour s'opposer aux brigandages accoutumés des Lorrains. 


CHAPITRE VIII. 


Défaite des Écossais par les Anglais. 


Dans ce méme mois de septembre, la tréve conclue naguére entre 
les royaumes d'Écosse et d'Angleterre étant expirée, les Écossais, im- 
patients de signaler leur valeur, recommencérent les hostilités. Mais 
le comte de Northumberland , Henri de Percy, connétable d'Angle- 
terre , vint les surprendre à la téte de quinze cents hommes d'armes 
. et de trois mille archers, leur livra bataille et les vainquit. Les lettres 
adressées au roi à ce sujet portaient que le duc avait fait un grand 
carnage des Écossais, qu'un grand nombre d'illustres chevaliers qui 
se trouvaient là avaient été faits prisonniers et envoyés au roi d'Án- 
gleterre chargés de chaînes *. De ce nombre était un chevalier fran- 
cais nommé Pierre des Essarts, dont les seigneurs de France s'empres- 
sérent de payer la rançon. Ils s'entremirent aussi pour la délivrance du 
comte de Douglas, écossais, qui avait toujours montré beaucoup d'at- 
tachement à la France et de fidélité au roi. Ils chargérent plusieurs 
commissaires d'exciter à Paris et ailleurs la pitié des nobles et du petit 


' Monstrelet dit que le roi d'Angleterre prit part en personne à cette expédition. 


46 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXHI. 


ignobiles incitarent, ut sibi misericorditer de peccuniis subve- 
nirent. 


CAPITULUM IX. 


De infirmitate regis. 


Rex, sanus aliqualiter effectus mensis octobris prima die, cum 
die dominica sequenti, videlicet vigilia beati Dyonisii, nupcias 
fratris regine et domine de Montpensier in domo regia sancti 
Pauli solemniter celebrasset, et die sequenti ecclesiam beati 
Dyonisii peregre visitasset, post triduum iterum ut prius 
mente alienatus est. 


CAPITULUM xX. 


De expugnacione Dasite et recessu imperatoris Grecie. 


Ad Constantinopolitanum imperatorem degentem Parisius ; 
circa omnium Sanctorum festum, de Sarracenorum et Turco- 
rum teterrimis ergastulis erepti christiani venerunt , nova de 
transmarinis partibus afferentes super expugnacione et cap- 
cione Basite Turcorum principis, ejus adversarii capitalis. Hii, 
consilio francorum principum constituti pro veritate dicenda, 
juraverunt quod preterita estate Tambellanus, princeps maxi- 
mus Tartarorum, Basite invidens glorie triumphorum, eumdem 
diffidaverat et exterminare decreverat vi armorum. Addebant et 
ipsum undecies centenis milibus viris sociatum jam ab India 
usque Turquiam regiones plurimas subjugasse; quapropter 
Basita ejus adventum pertimescens, et famam victoriarum 
magnipendens, sibi de consilio suorum illustrium, que pacis 
erant reiteratis vicibus dignum duxerat offerre. Sed tandem 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 4T 


peuple en faveur du malheureux prisonnier, afin d'obtenir qu'on le 
rachetát. 


CHAPITRE IX. 
De la maladie du roi. 


Le roi, dont la santé se trouva sensiblement améliorée le 1*7 octobre, 
célébra avec pompe, le lendemain dimanche, veille de la Saint-Denys, 
en son hótel royal de Saint-Paul, les noces du frére de la reine et de 
madame de Montpensier. Le lundi il fit un pélerinage à l'église de 
Saint-Denys ; mais le troisiéme jour il retomba dans son état ordinaire 
de démence. 


CHAPITRE X. 


Défaite de Bajazet. — Départ de l'empereur de Grèce. 


Vers la féte de la Toussaint, pendant que l'empereur de Constanti- 
nople était encore à Paris, des chrétiens qui s'étaient échappés des ca- 
chots des Sarrasins et des Turcs, vinrent lui apporter des nouvelles des 
contrées d'outre-mer, et lui annoncer la défaite et la prise de Bajazet, 
chef des Turcs, son ennemi capital. Ces chrétiens furent admis dans 
le conseil des seigneurs de France, et aprés avoir juré de ne dire que 
la vérité, ils racontèrent que Bajazet avait été attaqué l'été dernier 
par Tamerlan, grand prince des Tartares , qui était jaloux de sa gloire 
et de ses succés, et qui avait résolu de l'exterminer. Tamerlan, dirent- 
ils, avait déjà soumis, à la tête d'une armée de onze cent mille 
hommes, un grand nombre de contrées depuis l'Inde jusqu'à la Tur- 
' quie. Aussi Bajazet, effrayé par le bruit de ses victoires et redoutant 
son arrivée, lui avait fait à plusieurs reprises des propositions de paix, 
d'aprés le conseil de ses principaux officiers. Mais voyant avec douleur 
l'inutilité de ses offres, il avait été réduit à tenter la fortune des com- 
bats et avait rassemblé son armée. Pendant qu'il s'avancait à grandes 


48 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


dolens se sic in vanum laborasse, belli fortunam statuerat expe- 
riri, suas acies ordinans; quarum cum prime dux factus 
magnis itineribus contenderet hostibus obviare, antegardia 
Tambellani, in qua erant centum milia bellatorum, ex insidiis 
inopinate exiens, eum protinus invasit. Non repentino aggressu 
animo consternatus suos, quamvis impares numero, ad resis- 
tenciam animavit. Sic atrox prelium gestum est; multi ex 
utraque parte corruerunt moribundi et letaliter vulnerati ; 
sed tandem, fortuna variante, Basita victus cum duobus suis 
liberis captus fuit, et victori presentatus. Cujus infortunium 
qui sequebantur audientes, in baratrum desperacionis deducti, 
mox fugam arripuerunt divisi quorsum tendere poterant. Sed 
a victoribus quindecim dierum spacio insequuti, in persequ- 
cione illa fere innumerabiles Turci ceciderunt. 

Inde gaudio repletus Tambellanus, et prosperos cupiens con- 
tinuare successus, ad Berosam, famosissimam Turquie urbem , 
fillum cum exercitu transmisit. Qui, urbe sine resistencia 
recepta, cum Basite uxore et filio, inde ducentos camelos, 
diviciis et ejus supellectile preciosa oneratos, patri rediens 
presentavit. Urbe sub jugo redacta et spoliata penitus, Tam- 
bellanus, in contumeliam Basite, quotquot ibidem reperit 
captivos christianos dulciter liberavit. Inter quos aderat quidam 
comes Hungarie famosus, filiusque illegittimus quondam comitis 
Sabaudie, per quos postmodum hujus facti patefacta est veritas. 
Quotquot eciam in bello capti fuerant nobiles victor decapi- 
tari precipit in presencia Basite; ipsum vero, quod tunc sum- 
mum ignominie genus erat, naribus anullo ferreo immisso, 
ad instar bubali, ut spectaculum horrendum cunctis esset, 
per urbes Turquie sibi subditas deduci secum statuit, et sic 
illis absque resistencia potitus est. 


^ 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 49 


Journées contre l'ennemi, à la téte du premier corps de ses troupes, 
l'avant-garde de Tamerlan, qui se composait de cent mille hommes, 
sortit tout-à-coup d'une embuscade et tomba sur lui à l'improviste. 
Sans se laisser abattre par cette attaque imprévue, Bajazet exhorta les | 
siens à résister malgré l'infériorité de leur nombre. L'action fut ter- 
rible; il y eut de part et d'autre beaucoup de morts et de blessés; mais 
enfin, la fortune se déclara contre Bajazet : il fut vaincu, fait prisonnier 
avec deux de ses fils, et conduit devant son vainqueur. Les troupes 
qui le suivaient tombérent dans le plus profond découragement , en 
apprenant ce revers; elles se dispersérent et s'enfuirent où elles 
purent. Les vainqueurs les poursuivirent pendant quinze jours et en 
firent un grand carnage *. 


Tamerlan, fier de cette victoire et voulant profiter de ses succés, 
envoya son fils avec une armée sur Brousse , une des plus importantes 
villes de la 'Turquie, qui se rendit sans résistance. Le jeune vain- 
queur amena à son père la femme de Bajazet avec un autre de ses 
fils ainsi que deux cents chameaux chargés de richesses et de toutes 
sortes d'objets précieux. Après la soumission et le pillage de Brousse, 
Tamerlan, pour insulter Bajazet , rendit gracieusement la liberté à tous 
les prisonniers chrétiens qui s'y trouvaient : de ce nombre étaient un 
illustre comte hongrois et un bâtard du feu comte de Savoie ; c'est par 
eux qu'on apprit plus tard tous ces détails. Il fit ensuite décapiter en 
présence de Bajazet tous les grands de son empire qui avaient été faits 
prisonniers dans le combat. Quant à ce malheureux prince, il le traita 
de la maniére la plus ignominieuse; il lui fit passer un anneau de fer 
dans le nez, comme à un buflle, et l'offrit partout en spectacle en le 
trainant à sa suite à travers les villes de Turquie qui lui appartenaient 
encore; il les décida ainsi à se soumettre sans résistance. 


* La bataille eut lieu à Ancyre ou Angora, le 20 juillet 1402. 
Iit. 7 


50 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


Rectori iterum Constantinopolitani imperii litteris intimavit 
ut nepotem suum a Francia revocaret, promittens quod quid- 
quid impius Basita sibi abstulerat restitueret benigne. Que 
omnia principes Francie et barones libentissime audierunt, 
gaudentes sic christianitatis precipuum adversarium subactum. 

Hec omnia eciam ut imperator audivit, letatus est, et tunc 
regi regineque Francie et omnibus aurea lilia defferentibus vale 
dicens, die martis post octavas sancti Martini hyepmalis repa- 
triare decrevit, sperans quod sicut Basita nepoti suo tributario 
effecto imperium dederat, ipsum iterum recuperaret eo capto. 
Nec reticendum est quod ante ejus recessum erga eumdem et 
suos regalis quasi prodiga, sed certe commendabilis, claruit 
munificencia. Nam immensum ei conferens auri pondus, .suis 
eciam usque ad puerum novissimum dona ingencia in auro, 
gemmis, olosericis vel vasis preciosis liberaliter concessit. 
Et quamvis hucusque a primo adventu suo expensis regiis 
honorifice vixisset, ditatusque recederet, tunc tamen rex iterum 
misericordia motus, de consilio suorum illustrium , in favorem 
christianorum in Constantinopoli residencium, et qui tunc 
incessanter ab inimicis fidei turbabantur, annuatim quatuor- 
decim milia scutorum ex erario regali solvendorum eidem 
imperatori concessit , donec ad uberiorem fortunam perveniret. 
Eo eciam tempore. dominus de Castromorant, miles galicus, 
robustus viribus et strenuissimus in armis, qui recenter regem 
visitans ad reditum imperatorem monuerat, ipsum auctoritate 
regia cum ducentis pugnatoribus usque Constantinopolim 
conducendum suscepit. | 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 51 


Tamerlan écrivit alors au prince qui gouvernait l'empire de Con- 
stantinople de rappeler de France son neveu :, et promit de lui rendre 
généreusement tout ce que le cruel Bajazet lui avait pris. Les seigneurs 
et les barons de France recurent toutes ces nouvelles avec le plus vif 
plaisir, et se réjouirent de voir le principal ennemi de la chrétienté 
ainsi terrassé. 

L'empereur ne fut pas moins charmé de tout ce qu'il venait d'ap- 
prendre. Il prit aussitót congé du roi , de la reine et de tous les princes 
du sang, et se mit en route le mardi d'aprés l'octave de la Saint-Mar- 
tin d'hiver pour retourner dans sa patrie. La captivité de Bajazet lui 
faisait concevoir l'espérance de recouvrer bientót l'empire que son 
neveu avait obtenu en devenant tributaire des Turcs. Je ne dois point 
oublier de dire qu'avant le départ de l'empereur, le roi déploya en- 
vers lui et envers ceux de sa suite une munificence qui alla jusqu'à 
la prodigalité. Il lui donna une immense quantité d'or, combla tous 
ses gens jusqu'au dernier de présents considérables en or, en pierre- 
ries, en étoffes de soie et en vases précieux, et comme si ce n'était pas 
assez de l'avoir si honorablement entretenu à ses frais, depuis qu'il était 
en France, et de lui faire toutes sortes de largesses au moment de son 
départ, il voulut encore , d'apres le conseil de ses principaux seigneurs 
et comme marque d'intérét pour les chrétiens de Constantinople, qui 
étaient alors persécutés sans relâche par les ennemis de la foi, lui 
accorder une pension annuelle de quatorze mille écus sur son trésor, 
jusqu'à ce qu'il eût rétabli ses affaires. En méme temps, le sire de 
Cháteaumorant, chevalier francais renommé pour sa force et pour 
son courage, qui était récemment arrivé à la cour et qui avait pressé 
l'empereur de retourner dans ses états, fut chargé par le roi de l'es- 
corter jusqu'à Constantinople à la téte de deux cents hommes d'armes. 


' 11 faut lire son oncle. Manuel, en quit- son frère aîné Andronic, que Bajazet l'avait 
tant Constantinople, avait laissé le gouver- forcé d'associer au trône en 1599. 
nement de l'empire au prince Jean, fils de 


52 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


CAPITULUM XI. 


Anglici per mare regnum dampnificant. 


Induciale fedus ictum inter Francos et Anglicos, et quod 
lege edictali terra marique inviolabiliter servare reges decre- 
verant, piratarum Anglie principes jam tedebat, et cum gravis- 
simum ipsis esset assueta latrocinia, unde ditari solebant, 
relinquere , iterum infestum mare mercatoribus transmeantibus 
reddere sunt aggressi. Ob hoc ab Anglie et Bayone oris mari- 
timis tria milia nautarum peritissimorum nonnulli dicebant 
veraciter congregasse, sed quod id egerint consenciente rege 
suo, evidentissimum sumebant argumentum per sequencia 
verba que audierant ab ipso. Tantum enim de audacia ipsorum 
et industria presumebat, quod cum quadam die dilectissime 
consorti quereret quid sentiret, si Britaniam infestarent, res- 
pondissetque viribus sine dubio repulsuros : « Non timeatis, 
« inquit, amica dilectissima ; nam contra Britannos et Gallicos 
« minime formidabunt vires suas experiri. » 

Ad hoc a mense septembri hujus anni usque ad mensem jullii 
anni sequentis, inter cetera que, vento flante secundo, gallica- 
nis littoribus collimitantibus mare intulerunt, in Pictavie par- 
tibus insulam de Rey attingentes, ipsam rapinis, cedibus et 
incendiis penitus destruxerunt, ibique abbacia quadam notabili 
destructa penitus et cremata , cum compatriote incendia ingenti 
peccunia redemissent, ad Picardie littora navigantes, sine re- 
sistencia centum pauperes piscatores nil sibi metuentes ex 
insperato ceperunt, quos apud insulam de Tenet duxerunt cap- 
tivandos. Ex horum detencione in regni civitatibus Adventu et 
quadragesima sequentibus sequuta est inexperta caritas piscium 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII. — 53 


CHAPITRE XI. 


Dommages causés à la France par les pirateries des Anglais. 


Les pirates anglais étaient mécontents de la prolongation de la tréve 
que les rois de France et d'Angleterre avaient juré formellement de 
maintenir sur terre et sur mer. Il leur était pénible de renoncer aux 
brigandages dont ils retiraient ordinairement tant de profit; ils réso- 
lurent donc d'infester de nouveau la mer en attaquant les navires 
marchands. On assurait qu'ils avaient rassemblé trois mille des plus 
habiles matelots des cótes d'Angleterre et de Bayonne, et l'on ajoutait 
que c'était du consentement de leur roi; on en donnait pour preuve 
certains propos qu'on lui avait entendu tenir. Il avait une haute idée 
de leur courage et de leur habileté ; un jour qu'il demandait à son épouse 
bien aimée ce qu'elle pensait qui püt advenir s'ils poussaient leurs 
courses jusqu'en Bretagne, la reine lui ayant répondu qu'ils seraient 
repoussés sans aucun doute : « N'ayez pas peur, dit-il, ma chère amie; 
« ils ne craindront pas de se mesurer avec les Bretons et les Francais. » 


Depuis le mois de septembre de cette année jusqu'au mois de juillet 
de l'année suivante, ces pirates ne cessérent d'infester les cótes de 
France. Entre autres choses, ils firent, à l'aide d'un vent favorable, 
une descente dans l'ile de Rhé, sur les cótes du Poitou, la saccagérent 
et la mirent à feu et à sang ; ils y brülérent et détruisirent de fond en 
comble une célébre abbaye, forcérent les habitants à payer d'énormes 
rancons pour se racheter du pillage, et cinglérent ensuite vers la Pi- 
cardie. Là, ils surprirent cent pauvres pécheurs, qui ne se défiaient de 
rien et qui ne purent leur opposer de résistance, et ils les emmenérent 
prisonniers dans l'ile de Thanet. Leur captivité fit renchérir extraor- 
dinairement le poisson de mer dans toutes les villes du royaume pen- 
dant l'Avent et le caréme. Les autres pécheurs et les marins, qui fai- 


54 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


marinorum. Reliqui vero arte piscatoria et commeacione na- 
vium institorum vitam sibi soliti procurare, de necessariis 
regnicolis providere multo tempore cessaverunt, territi peran- 
gariis sociorum. Regem in principio federum sub multa capi- 
tali jussisse ne hostes offenderentur quovismodo cum summa 
displicencia perferentes, ipsum oratum miserunt ut tanta ne- 
cessitate mitteret subsidium, aut se ipsos causa tuendorum 
finium arma sineret capere, ut illatas violencias viribus vindi- 
carent. | 

Quod quamvis racioni consonum videretur, cum difficultate 
tamen maxima est adeptum; et tunc gallicana armati littora 
perlustrantes, plures, quamvis parvas, congressiones navales, 
nunc claro nunc obscuro marte, ut sepe contigit, contra hostes 
peregerunt, duce semper insigni armigero Ymberto de Sertin 
in comitatu de Guynnis oriundo. Is tamen, ne meritis laudibus 
deffraudetur, a tredecim annis citra, oram illam maritimam 
deffendens viriliter, cum prepotenti dextera de adversariis se- 
pius gloriosum reportaverat triumphum. Sed variante fortuna 
necnon a multitudine ipsorum cum paucis interceptus, taliter 
victus fuit. Cum enim triduo eorum insultus potentissime per- 
tulisset, ex ipsis non modica strage facta, evadere cupiens, 
ruptis velis et antennis, ventis se exposuisset, subito orta tem- 
pestas navim proxime ruppi illidens in frustra divisit, et sic 
cum suis submersus est. 


CAPITULUM XII. 
Dux Aurelianis regem Anglie diffidavit. . 


Regem Anglie Henricum ad regni fastigium per tyrannidem 
ascendisse ubique divulgabatur, eidemque Francigene mortem 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 55 


saient métier de transporter les marchandises , effrayés par le malheur 
de leurs compagnons, cessèrent pendant long-temps de fournir aux ha- 
bitants du royaume les provisions nécessaires. Mais comme ils voyaient 
avec le plus grand déplaisir que le roi eût, au commencement de la 
tréve, défendu sous peine d'amende de rien entreprendre contre les 
Anglais, ils lui envoyérent demander de lés secourir dans leur détresse, 
ou de leur permettre de prendre eux-mémes les armes pour protéger 
leur territoire et tirer vengeance des violences exercées contre eux. 


Quelque juste que fût leur demande, on n'y consentit qu'avec les 
plus grandes difficultés. Alors ils parcoururent les cótes de France les 
armes à la main, et livrérent aux ennemis plusieurs batailles na- 
vales de peu d'importance, oü ils furent tantót vainqueurs et tantót 
vaincus, comme il arrive ordinairement. Ils avaient pour chef un 
illustre écuyer nommé Imbert de Sertin, originaire du comté de 
Guines. Je dois dire, à la louange de ce gentilhomme, que depuis plus 
de treize ans il défendait vaillamment la cóte de Picardie, et que plus 
d'une fois il avait glorieusement triomphé de ses adversaires. Mais la 
fortune se déclara enfin contre lui; il fut enveloppé par des forces bien 
supérieures aux siennes et succomba , non sans avoir lutté courageu- 
sement pendant trois jours et tué grand nombre d'ennemis. Il faisait 
force de rames dans l'espoir de se sauver, malgré ses voiles déchirées 
et ses antennes rompues , lorsqu'une tempéte s'élevant tout-à-coup 
jeta son vaisseau contre un rocher et le mit en pièces. Il disparut dans 
les flots avec ses compagnons. 


CHAPITRE XII 


Le duc d'Orléans défie le roi d'Angleterre. 
4 
"La noavelle de l'usurpation de Henri, roi d'Angleterre, se répandait 
de tous côtés. Les Francais lui reprochaient la mort de Richard, son 


56 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


predecessoris Richardi imponentes , eciam indignantissime per- 
ferebant consortem ejus, insignem filiam regis Francie, ab 
eodeui, post sponsi obitum, minus tractatam. In injuriam lilia 
defferencium hoc egerat, et quoniam fas non erat, durante in- 
duciali federe inter regna, in eum aliqualiter palam insurgere, 
ne tamen inultum id remaneret, dux Aurelianis, regis frater, 
cum eodem exercicium militare circa finem septembris obtulit 
peragendum. | 
Compendio, quod studiose quero, certe officeret hic inse- 
rere ad longum tenorem litterarum. In substancia tamen conti- 
nebant ipsum ducem ardenti desiderio affectare, ad strenuitatis 
titulum acquirendum, cum eo congredi, utroque centum asso- 
ciato nobilibus armis et genere, et cui sors bravium contulisset , 
ad dedicionem redactos posset ad nutum tractare. Optansque 
pugnam perfici non sorcium vel invocacionum virtute, sed 
cum armis consuetis et hectoreis lacertis, locum quoque offe- 
rens certaminis inter Angolesimam et Burdegalensem urbes 
ipsis duobus subditas , rogabat ut festinaret super hiis apicibus 
apud Couciacum augusti septima die confectis respondere. 
Triumphorum precones et armorum litteras offerentes rex 
Anglie parvipendens, tarde et impacienter audivit, nec obser- 
vans consuetudines regum et principum, eos irremuneratos 
remittens, litteras responsivas per suos eciam precones prima 
die januarii loco enceniarum remisit. In hiis dicebat se mirari 
quod, mutuas inter se confederaciones factas anno Domini mil- 
lesimo trecentesimo nonagesimo nono et propriis sigillis robo- 
ratas parvipendens, hoc promovere audebat, et ideo amicicie 
sibi alias jurate penitus renunciabat , quia nec ipsa indigebat, 
ad summum culmen assumptus Providencia divina. Addensque 
predecessores suos a minoribus se auctoritate alias non provo- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 57 


prédécesseur, et lui gardaient un vif ressentiment des mauvais traite- 
ments qu'il avait fait éprouver à l’illustre reine, fille du roi de France, 
aprés le meurtre du roi son époux. C'était un affront dont la honte 
rejaillissait sur les princes du sang ; mais, comme il n’était point per- 
mis durant la tréve de lui déclarer ouvertement la guerre, et que ce- 
pendant le duc d'Orléans, frère du roi, ne voulait pas laisser cet ou- 
trage impuni , il lui envoya un défi vers la fin de septembre. 


Je ne rapporterai point tout au long la teneur de ce défi, afin de 
ne point m'écarter de la briéveté dont je me. suis fait une loi. Le cartel 
contenait en substance, que ledit duc désirait ardemment se mesurer 
avec le roi pour signaler sa valeur; il proposait que chacun d'eux füt 
accompagné de cent nobles et braves chevaliers, que le vainqueur pôût 
disposer à son gré des vaincus, et que le combat eût lieu sans le 
secours des sortiléges ou des enchantements , avec les armes ordinaires 
et à outrance. Il lui offrait pour champ de bataille un endroit situé 
entre Angouléme, qui lui appartenait, et Bordeaux, qui était aux 
Anglais, et le priait de répondre au plus tôt à cette lettre, qui était 
datée de Coucy le 7 août. 


e* 


Le roi d'Angleterre témoigna peu d'égards^aux hérauts: d'armes qui 
vinrent lui apporter ce cartel; il tarda à leur donner audience, ne les 
écouta qu'avec dépit, et, contre l'usage des rois et des princes, il les 
congédia sans présents. Le 4°° janvier, il envoya sa réponse par ses 
hérauts , en guise d'étrennes. Il s'étonnait, disait-il, qu'au mépris de 
l'alliance qu'ils avaient contractée l'an treize cent quatre-vingt-dix- 
neuf et scellée de leurs sceaux ', le duc osát ainsi le provoquer, et re- 
noncát à l'amitié qu'ils s'étaient jurée naguére; du reste, il n'avait 
plus besoin de cette amitié, depuis que la Providence divine l'avait 
élevé à un si haut rang. Il ajoutait que jamais ses prédécesseurs 
n'avaient accepté de défi de leurs inférieurs; qu'il serait malséant 


' Voir tome i, liv. xx, chap. vi, p. 70i. 


111. 8 


58 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


catos, hoc et indecens subjunxit, nisi ad honorem regni vel 
christiane fidei; sed in brevi Francie regnum suum inten- 
debat cum suis fidelibus visitare, et tunc, si vellet comparere 
et monomachiam petere, procul dubio obtineret; sciretque 
hoc sibi missum ab urbe Londoniarum mensis decembris 
quinta die. 

Quamvis regis responsio pungitiva honorisque ducis et 
regis diminutiva videretur, ipsam tamen suis familiaribus 
monstrans animique generosi morem sequens, nuncios cum 
muneribus remisit, dulciter rogans ut, si suos iterum in Án- 
gliam destinaret, impetrarent erga regem ut micius solito 
tractarentur. . 

Ut semper contigit in agendis, quidam aggrediendum nego- 
cium magnanimitati et audacie ausu temerario ascribebant, 
timentes ne gravia bella inde renovarentur inter regna, maxime 
cum de more in invectivis soleant verba injuriosa misceri, ut cito 
patuit evidenter. Nam tunc dux Aurelianis, credens occasionem 
reperisse lacius elucidandi mentem suam, anno iterum sequenti, 
famam regis multipliciter notando, ipsum scripsit suum domi- 
num naturalem regem Richardum necasse, dilectissimamque 
neptem desolatam, dotalicio nudatam, et jocalibus spoliatam 
non hônorasse, ut decebat. 

Contra jus gencium hujus nuncii bajuli. in Calesio retenti 
sunt, donec rex copiam legacionis recepisset; quem cum post- 
modum adissent, adeuntes mox : « Littere vestre, inquit, subjec- 
« ticie et ignominiose mendaciorum plene sunt; et ideo regnum 
« nostrum exeuntes, dicite domino vestro me in brevi alias sibi 
« missurum veritatem continentes, et de quibus, si prudens est, 
« poterit contentari. » Quod promiserat adimplens, in ipsis 
accusantem se de morte domini sui iniqua. mendacem plane. 


- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 59 


d'en user autrement, à moins que ce ne füt pour l'honneur de son 
royaume ou de ld foi chrétienne; que toutefois il avait l'intention de 
faire bientót un voyage en France avec quelques-uns de ses fidéles, 
et qu'alors, si le duc venait à sa rencontre et lui offrait le combat, 
il le trouverait tout disposé à lui répondre, qu'il l'en assurait par ce 
message écrit à Londres, le 5 décembre. 


La réponse du roi était hautaine et offensante pour l'honneur du duc 
et du roi de France; cependant le duc la montra à ses familiers , et 
n'écoutant que sa générosité il fit des largesses aux ‘envoyés. En les 
congédiant , il les pria avec douceur de. faire en sorte que, 's'il envoyait 
d'autres messagers en a Angleterre, lé roi i Henri les^ Hait&t plus cóbr- 
toisement. — 


Comme il arrive toujours en pareil cas, quelques personnes , tout en 
trouvant l'entreprise noble et courageuse , la laxajent d'imprudence , 
et eraignaient qu'elle ne devint l'occasion d'une houvelle guerre entre 
les deux roysümes , càr les querellés'aménent ordinairement des pro- 
pos injurieux ; ‘on’ en eut bientôt 14 preuve: Le’ duc d'Orléans, saisis- 
sant cette occasion d’exprimer“tiautenjént és séntiments , ne manqua 
pas, l'année suivante, en éorivant. au roi d'Angleterre, d'attaquer sa 
réputation; il lui reprocha d'avoir mis à mort,son seigneur naturel le 
roi Richard, d'avoir privé dé son douairé la^ malheureuse reine, sa 
nièce bien aimée, de l'avoir dépouillée de ses joyaux, et de n'avoir 
pas eu pour elle les égards dus à son rang. 


Ceux qui portaient oe message furent retenus à Calais contre le droit 
des gens, jusqu'à ce que le roi consentit à les recevoir. Lorsqu'ils paru- 
rent ensuite en sa présence, il leur dit : « Vos lettres sont pleines d'in- 
« famies, de faussetés et de mensonges. Sortez de notre royaume, et 
« allez dire À votre maître que sous peu nous lui en enverrons d'autres 
« qui contiendront la vérité et dont il fera bien de se contenter. » Il ne 
manqua pas à sa promesse; il répondit au duc en lui donnant un dé- 
menti formel au sujet de l'assassinat du roi son seigneur, et l'accusa 
d'avoir causé la démence du roi son frére par des maléfices, comme le 


60 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


reputans, eumdem addidit fratrem regem maleficiis fecisse in- 
sensatum , ut publice ferebatur. De neptis dotalicio retento, 
litteris inde confectis se submisit, addens et quod jocalia resti- 
tuerat integre, monuit ut, arrogancie rejecta gravi sarcina, in 
fratrem et dominas Francie defferet crimina perpetrata. 

Tandem dux Aurelianis egre ferens regem Anglie eum menda- 
cem vocasse, et alia que in minori generositatis gradu constitu- 
tum ad vindictam provocassent, scriptis iterum tanquam men- 
dacem et proditorem pessimum diffidavit, et diffidencias circa 
medium novembris fecit publice promulgari, ut omnibus notum 
esset quanto affectu, quantave magnanimitate hostem aggredi 
cupiebat. Litteras invectivas pretacta et ampliora lacius con- 
tinentes memini me reiteratis vicibus perlegisse et discussisse, 
si ad longum hic annotari deberent; sed quia more conteneio- 
num anilium effectu penitus caruerunt , lectori sufficiat ad finem 
per hoc breviloquium transcurrisse. 


CAPITULUM XIII. 


De convocacione prelatorum occasione substractiouis facte pape. 


Jam emenso septem mensium spacio , domini cardinales Pic- 
tavensis et de Salusciis Avinionem repecierant, fratrem suum 
dominum de Tureyo Parisius relinquentes, qui multis pulsatus 
precibus noluit redire, quamvis sciret fratres suos omnes, 
mutatis animis, substractionem reprobare, et paccatum. sibi 
dominum reddere modis omnibus affectare. | 

Circa eciam idem tempus, rex Sicilie solo nomine Ludovicus 
ipsum papam in Avinionensi palacio visitavit; cui pie compa- 
ciens , prius prestito manualiter cum pacis osculo fidelitatis jura- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 61 


bruit en était répandu. Quant au douaire de sa niéce, il déclara qu'il 
avait rempli les conditions du traité de mariage, et qu'il lui avait rendu 
tous ses joyaux; il conseillait au duc de se défaire de son orgueil et de 
songer plutót à pleurer les crimes dont il s'était rendu coupable en- 
vers le roi et les nobles dames de France. 


Le duc d'Orléans, irrité du démenti du roi d'Angleterre et de ses 
autres injures, qui auraient excité le ressentiment méme de persounes 
moins haut placées, le défia de nouveau comme menteur et traître in- 
fâme ; vers le milieu de novembre, il fit publier partout ce cartel, pour 
que chacun süt tout le désir qu'il avait de se mesurer avec son ennemi. 
J'ai lu à plusieurs reprises ces lettres de défi, toutes remplies de pro- 
vocations et d'outrages, et j'ai long-temps délibéré si je devais les in- 
sérer ici tout au long. Mais comme toutes ces provocations n'eurent 
pas plus de résultat que les querëlles de vieilles femmes, j'ai cru que 
ce peu de mots suffirait au lecteur '. 


CHAPITRE XIII. 


Assemblée des prélats à l'occasion de la soustraction faite au pape. 


Messeigneurs les cardinaux de Poitiers et de Saluces étaient retournés 
à Ávignon depuis sept mois, et avaient laissé à Paris monseigneur de 
Thury, leur frére, qui ne voulut point partir malgré les plus vives in- 
stances ; il savait cependant que tous ses frères, ayant changé de sen- 
timent , réprouvaient la soustraction et cherchaient par tous les moyens 
possibles à rentrer dans les bonnes gráces de Benoit. 


Vers le méme temps, Louis, roi titulaire de Sicile, alla visiter le pape 


' Les lettres de défi du duc d'Orléans et les réponses du roi d'Angleterre se trouvent 
tout entiéres dans Monstrelet. 


62 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LiB. XXIII. 


mento de comitatu Provencie, iterum sibi fide media promisit 
quod deinceps in cunctis sibi auxiliaretur pro posse. Quod 
audientes domini Biturie et Burgundie duces, modicum cura- 
verunt, et denuo quosdam secretarios huc miserunt, qui solli- 
cite caverent ne littere de quacunque patria ad ipsum domi- 
num Benedictum mitti possent. Similes displicencias et majores 
ipse perpessus fuerat, nonnullis mediantibus viris nobilibus et 
eminentis sciencie , qui in substractione cum prefatis convenie- 
bant ducibus, vel volentes sic eisdem complacere, vel credentes 
saniorem et compendiosam viam ad unionem habendam ele- 
gisse. Tot numero et tante auctoritatis cum duce Aurelianis 
contrarium senciebant, et attendentes quod ex substractione 
nil commodi penitus universalts Ecclesia reportabat, ipsam 
penitus dampnabant, et dolebant eam tam diu durasse. 

Et dum fere regnicole omnes auctoritate preminentes super 
statu Ecclesie ac restitucionis obediencie pape faciende varie 
oppinarentur, circa februarii mensis finem, rex incolumis effec- 
tus, ignorancie evacuatis tenebris , omnes consiliarios suos qui 
regni arduis incumbebant, ob hoc in domo regia sancti Pauli 
congregavit. Qui omnes uniformiter bonum et. expediens decre- 
verunt denuo principes regni et prelatos super hoc accersiri. 
Et sic longe lateque per regnum jussi sunt ad quintam decimam 
instantis mensis maii, omni occasione postposita, Parisius 
convenire. Prelatis tamen rex specialiter mandavit ut per fide- 
. litatem Deo, Ecclesie et sibi debitam ad hoc consilium acce. 
derent, muniti potestate et auctoritate plenaria collegiorum et 
capitulorum suorum, ad ratificandum, transigendum quicquid 
a majori et saniori parte prelatorum ibidem concluderetur. 
Edictum regale iterum continebat ut, quicquid mens instintu 
Spiritus Sancti dictaret , quilibet libere ac secure proponeret ad 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXL 63 


dans son palais d'Avignon; il lui témoigna un tendre intérêt, préta ser- 
ment entre ses mains pour le comté de Provence en recevant le baiser 
de paix, et promit de l’assister désormais de tout son pouvoir en toute 
circonstance. Messeigneurs les ducs de Berri et de Bourgogne, qui le 
surent, ne s'en inquiétérent pas; ils se contentérent d'envoyer à Avi- 
gnon quelques-uns de leurs secrétaires, pour veiller soigneusement à 
ce qu'aucune lettre, de quelque pays qu'elle vint, ne püt être remise 
à monseigneur Benoit. Des mesures semblables et méme plus rigou- 
reuses avaient été prises contre lui par plusieurs nobles et doctes per- 
sonnages , qui avaient adopté la soustraction de concert avec les ducs, 
soit qu'ils voulussent leur complaire, soit que cette voie leur parüt 
la plus sage et la plus prompte pour parvenir à l'union. Les gens du 
parti contraire, soutenus par le duc d'Orléans, n'étaient ni moins 
nombreux mi moins puissants : considérant que l'Église universelle ne 
retirait aucun avantage de la soustraction, ils la condamnaient formel- 
lement , et gémissaient de voir qu'elle durait depuis si long-temps. 

Pendant que les principaux habitants du royaume étaient ainsi 
partagés d'opinion sur l'état de l'Église et sur le fait de la restitution 
d'obédience, le roi , qui avait recouvré la santé et la raison vers la fin 
du mois de février; convoqua en l'hótel royal de Saint-Paul tous les 
membres de son conseil. Ils tombérent tous d'accord qu'il était bon 
et utile de réunir à ce sujet les princes et les prélats du royaume. 
En conséquence on leur enjoignit à tous de se rendre à Paris sans 
faute le 45 du mois de mai suivant. Le roi recomrnanda spécialement 
aux prélats, par la fidélité qu'ils devaient à Dieu, à l'Église et à sa per- 
sonne, de venir à cette assemblée munis des pleins pouvoirs et des 
procurations de leurs colléges et chapitres, pour ratifier et confirmer 
tout ce qui serait conclu par la majeure et la plus saine partie des pré- 
lats. L'ordonnance royale portait aussi que chacun eüt à proposer 
librement et en toute süreté tout ce que sa conscience lui dicterait 
sous l'inspiration du Saint-Esprit pour parvenir à l'union de l'Église 
et pour éteindre l'horrible schisme, qui n'était que trop enraciné ; il 
y était dit qu'on ferait exécuter par la force tout ce que l'assemblée 
aurait décidé. 


64 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


unionem habendam, ut sic nephandissimum scisma, et, proc 
dolor, inveteratum sopiretur, promittens exequuturum viri- 
bus quod ibi decerneretur. 

Ut sciretur quid ipse cum regnicoks in negocio tam arduo 
concluserat, legati Hyspanie jam venerunt ; qui, ut solito expe- 
direntur cicius, dominum patriarcham et substractioni faventes 
singulari honore statuerunt prevenire. Quorum ope, cum cre- 
derent eos debere loqui placencia et ad substractionis proposi- 
tum, audienciam adepti sunt. Sed in presencia regis et domino- 
rum Francie constituti , retulerunt regem suum publice delibe- 
rasse, ut domino pape Benedicto tanquam summo pontifici obe- 
dienciam restitueret filialem, cum timeret ne, si amplius hoc 
differret, inde regnicole occasionem sumerent rebellandi. 


CAPITULUM XIV. 


De morte Ludovici Sacri Cesaris conestabularii. 


Milicie gallicane splendor inextinguibilis: probitatis, domi- 
nus Ludovicus Sacri Cesaris, F rancie conestabularius, multo 
confectus senio, et exercicio militari duodeicm lustris laudabi- 
liter exacto, isto mense februario, gravi egritudine detentus . 
lecto mortis decubuit. Cujus si sub compendio quis bellicas 
laudes recolligat, is immortalis memorie viri domini Bertranni 
de Guesquin comes individuus extitit in acquisicione Guienne ; 
quam et, eo cedente in fata, protegendam percipiens contra 
Anglicos hostes regni, de ipsis sepe gloriosum triumphum repor- 
tavit. Et quamvis egregii sanguinis prisca generositate vir in- 
signis consortem affabilitate superaret, in ceteris tamen ejus 
sequens vestigia et pomposam in omnibus mundi despiciens 
apparenciam fallacem, quod militari professione rarum erat, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXII —— 65 


Les ambassadeurs d'Espagne vinrent à Paris pour savoir ce qui se- 
rait résolu par le roi et par son conseil dans une affaire si importante. 
Afin d'obtenir une promptefréponse, ils prodiguérent les plus grandes 
marques de déférence à monseigneur le patriarche et aux autres par- 
tisans de la soustraction. Ceux-ci, croyant qu'ils parleraient en faveur 
de la soustraction, s'entremirent pour leur faire donner audience. Mais 
lorsque les ambassadeurs furent en présence du roi et des seigneurs de 
France, ils déclarèrent que leur maitre avait pris la résolution formelle 
de restituer l'obédience filiale à Benoit comme au souverain pontife, 
dans la crainte que, s’il différait plus longtemps, ses sujets n'en pris- 
sent occasion de se révolter. 


CHAPITRE XIV. 


Mort du connétable Louis de Sancerre 


Le plus bel ornement de la chevalerie francaise, messire Louis de 
Sancerre, connétable de France, qui était accablé de vieillesse et retenu 
depuis long -temps dans son lit par une maladie cruelle, mourut au 
mois de février, aprés soixante années d'une vie glorieusement passée 
dans les camps. Pour donner une idée de son mérite et de ses prouesses, 
il suffit de rappeler qu'il fut le compagnon inséparable de messire Ber- 
trand du Guesclin d'immortelle mémoire, et qu'il le seconda dans la 
conquéte de la Guienne. Aprés la mort de ce chevalier, il défendit 
cette province contre les Anglais, ennemis du royaume, et remporta 
plusieurs fois sur eux d'éclatantes victoires. Issu d'une ancienne et 
illustre famille , il surpassait son compagnon d'armes en noblesse et en 
affabilité. Du reste il suivait son exemple en toutes choses, et méprisait 
le faste et les vaines pompes du monde, qualité bien rare chez les gens 
de guerre. Il était d'une activité infatigable; et il savait conduire avec 
une égale habileté et la marche d’une armée et le siége d’une place ; il 

IT, 9 


66 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


laboris paciens, in. deducendis aciebus , obsidendis municipiis 
circumspectus, et proditorum corrector severissimus vita 
comite semper fuit. Ad mentem tamen rediens in extremis , 
et attendens quod in multis Deum et mundum offendunt qui 
castra sequuntur in regno et extra regnum, ad acceptabiles 
cotidie Creatori offerendum hostias, de rebus suis caducis in 
testamento legavit unde resditus sufficientes emerentur, ut sic 
consequi mereretur veniam delictorum. Ad temporalia inde 
reducens affectum, ne signa et ne arma sua victricia regni 
hostibus utique odiosa, cum eos pluries ad fugam coegerit, 
et signa militaria comitum priscorum Campanie, que hucusque 
rebus bellicis jure portaverat, penitus anullarentur, cum filium 
non haberet, domino Guischardo dalphino Alvernie, suo ex 
sorore nepoti, cum suis deinceps statuit exharanda; cui eciam 
relinquit dominii Sacri Cesaris uberiorem porcionem perpetuo 
ac jure hereditario possidendam. 

Non estimo eciam pretereundum silencio , quod laborans in 
extremis prisceque strenuitatis signum retinens, et ad memo- 
riam reducens statum suum, afferri sibi ensem fecit ex officio 
spectantem , et tunc memoriter : « Cum, commilitones, inquit, 
« circumstantes, hunc vivens multis annis fideliter et multa 
« cura servavi, et nunc moriens eumdem regi pari fide restituo, 
« suis precibus animam recommendans et supplicans ut in 
« devota michi ecclesia beati Dyonisii valeam sepeliri. » Quod 
cum obtinuisset, domino duce Aurelianis mediante, et catho- 
lice transisset ex hoc mundo, corpus ad ecclesiam prefatam 
delatum est, et peractis solemniter funeralibus exequiis," in 
ducum Burgundie et Aurelianis, multorum quoque baronum pre- 
sencia, ad sinistrum latus capelle regie sepultum cum militum 
assistencium ingenti mesticia. Sibi autem in extremis laborant 


CHRONIQUÉ DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. — 67 


se montra toujeurs inexorable à l'égard des traîtres. Dans ses derniers 
moments, il fit un retour sur lui-méme, et considérant que ceux qui 
passent leur vie sous les drapeaux soit dans le royaume, soit hors du 
royaume, offensent souvent Dieu et les hommes, il laissa par son tes- 
tament une somme qui devait être affectée à la fondation d'une messe 
quotidienne, pour lui obtenir le pardon de ses fautes. Il pensa ensuite 
à ses affaires temporelles. Il ne voulait point voir périr avec lui son 
blason ni ses armes victorieuses, devant lesquelles les ennemis du 
royaume avaient tant de fois tremblé et pris la fuite, ni les armoiries 
des anciens comtes de Champagne qu'il avait portées dans toutes ses 
expéditions par droit d'héritage : comme il n'avait point de fils, il re- 
commanda à son neveu, messire Guichard dauphin d'Auvergne, de 
les écarteler avec les siennes, et lui légua en méme temps la jouis- 
sance perpétuelle et a titre héréditaire de la meilleure partie de sa 
seigneurie de Sancerre. 


Un fait que je ne crois pas devoir passer sous silence, c'est que, se 
souvenant encore à sa derniére heure de ce qu'il avait été et voulant 
mourir en brave, il se fit apporter son épée de connétable, et dit aux 
chevaliers qui l'entouraient : « Mes amis, je l'ai fidélement et soigneu- 
« sement gardée tant que j'ai vécu ;. maintenant que je vais mourir, 
« je la rends au roi avec la méme fidélité ; je recommande mon âme à 
« ses priéres, et le supplie de permettre que je sois inhumé dans l'église 
« de Saint-Denys, que j'ai toujours honorée d'une dévotion particu- 
« liére. » Il obtint ce qu'il désirait par l'entremise de monseigneur le 
duc d'Orléans, et mourut en bon catholique. Son corps fut. porté i à 
l'église de Saint-Denys. Ses funérailles furent célébrées solennellement 
en présence des ducs de Bourszogne et d'Orléans et d'un grand nombre 
de barons, et son corps fut enterré du côté gauche de la chapelle du 
roi, au milieu des témoignages d'affliction de tous les chevaliers qui 
se trouvaient là. Le duc d'Orléans lui avait promis dans ses derniers 
moments de faire prendre sur ce qui lui était dà de ses appointements 


68 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 
dux Aurelianis promiserat, quod ex stipendiis regiis sibi 
mundum persolutis ad opus unius capellanie perpetue tria 
milia scuta auri monasterio prefato solverentur ; sed id postea 
neglexit. Nec multum mirandum, cum perpauci post mortem 
reperiantur amici, nec qui curent mortuorum salutem pro- 
curare. | 
Loco vero hujus famosi militis, rex consanguineorum vallidis 
precibus victus, statuit ut deinceps domino Karolo Dalbret 
consobrino suo exercitus suus pareret, et sub ejus ductus 
regula regeretur. Unde multi obstupuerunt circumspecti, quod 
claudus existens, statura pusillus, nec sibi vires corporis, 
neque morum gravitas vel etatis, vel bellicorum actuum sibi 
exercitacio suppetebant. 


CAPITULUM XV. 


De nativitate Karoli, filii regis Francie. 


Ad milicie gallicane curam noviter assumptum tercia feria, 
mensis quoque februarii vicesima prima, rex post prestitum 
fidelitatis juramentum ense regio accinxit. Qua die jam adves- 
perascente, cum exuberanti leticia audivit dilectissimam consor- 
tem in domo regia sancti Pauli filium edidisse. Inde regracia- 
turus Deo, luce sequenti, ecclesiam Nostre Domine Parisiensis 
adiens, filium jussit sacro crismate liniri. Quem cum insignis 
et devotissima domicella de Lucemburgo, soror comitis sancti 
Pauli, ad parrochialem ecclesiam sancti Pauli bajulasset, eum- 
dem conestabularius novus et Karolus de Luriaco de sacro fonte 
levantes Karolum nominaverunt. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXHI. 69 


une somme de trois mille écus d'or, pour la fondation d'une chapelle à 
perpétuité dans le monastére de Saint-Denys. Mais il oublia cette pro- 
messe; ce qui n'est pas étonnant; car on a peu d'amis aprés sa mort, 
et peu de gens s'occupent du salut des défunts. 


Le roi, sur les instantes prières des princes du sang, ordonna que 
son cousin messire Charles d'Albret succéderait à l'illustre connétable 
dans le commandement de ses armées. Bien des gens furent étonnés de 
ce choix : Charles d'Albret était boiteux, de petite taille et faible de 
corps. Il n'avait ni l’âge, ni la gravité, ni l'expérience militaire qui 
convenaient à cette dignité. 


CHAPITRE XV. 


Naissance de Charles, fils du roi de France. 


Trois jours aprés, le 24 février, le roi ceignit l'épée royale au nou- 
veau connétable, et recut son serment de fidélité. Le soir du méme 
jour, il apprit avec la plus grande joie que son épouse bien aimée était 
accouchée d'un fils en l’hôtel royal de Saint-Paul. Le lendemain, il se 
rendit à l'église de Notre-Dame de Paris pour remercier Dieu, et or- 
donna que son fils fût baptisé. L'illustre et piense demoiselle de Luxem- 
bourg, soeur du comte de Saint-Pol, porta l'enfant à l'église parois- 
siale de Saint-Paul, et le tint sur les fonts avec le nouveau connétable 
et Charles de Lury , qui donnèrent au nouveau né le nom de Charles. 


70 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


CAPITULUM XVI. 


De palacio Ávinionensi clam recessit dominus Benedictus. 


Interim dum hec aguntur, dominus papa Benedictus egre 
ferens se fere per quinquennium multis angustiis et intollera- 
bilibus injuriis lacessitum in Avinionensi papali palacio, tanta- 
que detencione violenta, nec mirum, attediatus, eo potissime 
quod nullum inde commodum Ecclesia reportabat, modum 
excogitavit evadendi. Id sibi persuasum fuerat non solum a 
domesticis, sed et multis militibus dominorum Francie curias 
frequentantibus. Jamque quadringentos pugnatores stipendia- 
rios habebat extra villam , qui de die in diem ejus prestolaban- 
tur recessum, quem difficilem sciebant. Sane cardinalium ac 
civium consilio et assensu hucusque fuerant deputati , qui nul- 
lum sinerent ad eum ingredi, nisi prius investigassent quid 
vellent aut quid sibi defferebant. Sic loco cedere erat sibi diffi- 
cile. Sed die duodecima hujus mensis marcii Deo aggressum 
suum commendans, astucia difficultatem supplevit. Advespe- 
rascente namque die, per ingressum palacii, tunc negligenter 
servatum, persuasione domini Roberti de Braquemont, 
Normania oriundi, quilibet solitus erat ingredi et exire5 cum 
tribus servientibus in dissimulato habitu sumpsit audaciam 
exeundi. Inde quoddam hospicium urbis, velut condictum 
fuerat, clam subintrans, quosdam nobiles repperit Francige- 
nas, qui sibi honorem debitum tanquam summo pontifici cum 
pedum et oris humili osculo defferentes monuerunt, sicut con- 
dictum fuerat, ut locum tuciorem peteret indilate. Qui monitis 
acquiescens et cum eis exiens civitatem, stipendiarios pugiles , 
quos evocaverat, repperit, qui eum in apparatu bellico usque 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 74 


CHAPITRE XVI. 


Monseigneur Benoit s'enfuit secrètement du palais d'Avignon. 


Sur ces entrefaites , monseigneur le pape Benoit, qui était las de se 
voir exposé depuis prés de cinq àns à toutes sortes d'avanies et à des ou- 
trages intolérables dans son palais d'Avignon, et qui supportait avec 
d'autant plus de peine les ennuis de sa captivité que l'Église n'en reti- 
rait aucun avantage, chercha les moyens de s'évader. C'était le conseil 
que lui donnaient non-seulement les gens de sa maison, mais encore 
plusieurs chevaliers de la cour de France. Il avait réuni hors de la ville 
quatre cents hommes d'armes, qui attendaient de jour en jour le mo- 
ment de son évasion ; mais l'entreprise n'était pas facile. Les cardinaux 
et les bourgeois faisaient surveiller le pape par des gardiens, qui ne lais- 
saient arriver personne jusqu'à lui sans s'informer de ce qu'on lui vou- 
lait et de ce qu'on lui portait. Il ne lui était donc pas aisé de sortir du 
palais. Cependant le 42 mars, il se mit à l'oenvre en serecommandant 
à Dieu, et triompha des obstacles par la ruse. Vers la fin du jour, 
saisissant le moment où l'entrée du palais était gardée moins soi- 
gneusement , il se décida à partir sous un déguisement avec trois de 
ses serviteurs, d’après les conseils de messire Robert de Braquemont, 
chevalier normand, qui pouvait entrer et sortir à son gré. Il se rendit 
furtivement dans une maison de la ville, eomme il avait été convenu, 
et y trouva plusieurs gentilshommes français, qui lui rendirent tous les 
honneurs dus au souverain pontife , lui baiserent lrumblement les'pieds 
et la bouche, et l'engagérent à gagner sans délai une retraite plus süre. - 
Il suivit leur conseil , sortit avec eux de la ville, et trouva les hommes 
d'armes qu'il avait fait venir et qui le conduisirent en appareil de guerre 
à Château-Renard ; il leur recommanda de ne point l’abandonner, 
quelque part qu'il allât, et de le servir fidèlement: 


72 GHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


ad castrum Raynardi perduxerunt, quibus et tunc imperavit 
ut quemcunque locum tenderet, semper sibi assisterent , et 
eum fideliter conservarent. 

Multorum fide dignorum relacione comperi, quod de palacio 
recedens nichil secum detulerat nisi corpus dominicum in 
pixide pectori suo conjuncta, litterasque regis Francie sigillo 
proprio sigillatas, in quibus continebatur quod, quidquid vul- 
gus diceret, nunquam dignum duxerat recedere ab ejus obe- 
diencia filiali. 

In tuto autem positum ut se vidit, signum tristicie et dolo- 
ris, barbam scilicet, quam non deponere juraverat, donec 
assequutus fuisset libertatem, cum non competeret tante digni- 
tatis viro, tunc deponere acquievit. Unde, quod non est 
silendum, cum ipsam radendam barbitonsori commisisset, ipsi 
quoque querenti unde oriundus erat, affirmasset se Picardum, 
intulit : « Et sic, inquit, Normannos mendaces reputo, qui ju- 
« raverant quod illam michi facerent. » Quod veraciter tempta- 
bant, loquendo yronice, famam suam conviciis et contumeliosis 
verbis denigrando. | 

" At ubi civibus Avinionensibus innotuit inopinata ejus evasio, 
. inde mirabiliter stupefacti custodire desierunt apostolicum pa- 
lacium ; et sic domini cardinales Pampilonensis et Terasonensis 
et servientes papales inde libere exeuntes mox suum dominum 
sunt sequuti. Alii eciam domini cardinales, qui prosperis semper 
favent successibus, ipsum papam, quem non immerito in multis 
offenderant, placare multis mediis temptaverunt , ipsi obedien- 
ciam, ut prius, humiliter offerentes. Nec hii solum, sed nonnulli 
alii episcopi et scientifici viri, qui, cum detineretur inclusus, fac- 
tum ejus reprobabant, tunc adinstar arundinis utrique vento 
cedentis, ceperunt ad restitucionem obediencie publice laborare, 


- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. —.LIV. XXIII. 73 


J'ai su de bonne part que le pape, en s'échappant de son palais, . 
n'avait emporté avec lui que le corps de Notre Seigneur enfermé dans 
une boite qu'il tenait cachée sur son sein, et une lettre du roi de France 
scellée du sceau royal, par laquelle ce prince lui mandait que , quelque 
bruit qu'on eût fait courir dans le public, il n'avait jamais cru devoir 
lui refuser l'obéissance filiale. 


Lorsque le pape se vit en sûreté, il consentit à déposer les marques 
de sa tristesse et de sa douleur, et fit raser sa longue barbe, à laquelle 
il avait juré de ne point toucher jusqu'à ce qu'il eût recouvré sa liberté. 
À ce propos, je ne crois pas devoir omettre de dire que, pendant qu'il 
était entre les mains du barbier, il lui demanda de quel pays il était; 
le barbier répondit qu'il était picard : « Alors, dit le pape, je tiens 
« les Normands pour menteurs; car ils avaient juré de me faire la 
« barbe. » C'est en effet, pour parler ironiquement, ce qu'ils voulaient 
faire, en attaquant sa réputation par toutes sortes d'outrages et d'in- 
jures. | 


À la nouvelle de l'évasion soudaine du pape, les habitants d'Avi- 
gnon furent saisis d'étonnement. Ils cessérent de veiller à la garde du 
palais apostolique et laissérent sortir librement messeigneurs les cardi- 
naux de Pampelune et de Tarazona , ainsi que les serviteurs du pape, 
qui allérent rejoindre leur maitre. Les autres cardinaux, en gens ac- 
coutumés à suivre la fortune, cherchérent par tous les moyens possibles 
à apaiser le pape, qui avait eu plus d'une fois à se plaindre de leurs 
offenses , et lui offrirent humblement obéissance, comme auparavant. 
Quelques autres évéques et doctes personnages , qui s'étaient déclarés 
contre lui pendant sa captivité, changérent alors, comme le roseau 
qui plie à tous vents, et travaillérent publiquement à la restitution 


d'obédience. ° 


HI. 10 


74 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIII. 


Ut autem quod contingerat regi, consiliariis ejus ac Uni- 
versitati Parisiensi notum esset, litteris intimavit, que, mutatis 
nominibus, in eis insertum erat de verbo ad verbum quod 
sequitur : | 

« Benedictus, etc. Dilecte fili, a multis, ut nosti, temporibus 
«citra, detenti in palacio apostolico nostre civitatis Avinio- 
« nensis, pro deffensione justicie et Ecclesie libertatibus non 
« dubitantes personam nostram periculis multis exponere, spe- 
«rantes per exposicionem hujusmodi nos posse erigere op- 
« pressum statum Ecclesie sancte Dei, nunc vero, quia, prout 
« jam diu experti fuimus, sic existentes non poteramus, ut 
« expediebat , proficere, die date presencium , Dei misericordie, 
« cujus res agitur, nostram personam et statum Ecclesie com- 
« mittentes devote, palacium ac civitatem Avinionengem exi- 
« vimus, et ad castrum Raynardi dyocesis Avinionensis quasi 
« hora terciarum pervenimus incolumes et illesi, ubi credimus 
« cum Domini auxilio, te et aliis fidelibus opem ferentibus, 
« pacem et concordiam tractare securius et salubrius prosequi , 
« prout divinis serviciis et Ecclesie sacrosancte expedit. Quod 
«tibi significamus ad gaudium singulare, sperantes pietate 
« divina , quod exitus noster hujusmodi cedet ad Dei servicium 
« et prosperitatem Ecclesie et partis, catholice et tui nominis 
« domusque regie et sanguinis gloriam et honorem , quos semper 
« et ubique illesos servare intendimus et augere cupimus, novit 
« Deus. Nec tua nobilitas velit, hortamur in Domino et roga- 
« mus, aures prebere contrariis suggestionibus, si que fiant, 
« quoniam per nos nullatenus stetit nec stabit que diximus 
« adimplere. — Datum apud castrum predictum, die decima 
« secunda marcii, sub signeto nostro secreto. » 


— —] n ee. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIIT. 75 


Benoît adressa des lettres au roi, à ses conseillers et à l’Université 
de Paris, pour leur faire connaître ce qui s'était passé. Le contenu de 
ces lettres était le méme ; la suscription seule était différente. Les voici 
mot pour mot : 


« Benoit, etc. Cher fils, nous étions, vous le savez, depuis long- 
« temps détenu dans le palais apostolique de notre ville d'Avignon. 
« Nous n'avions pas cráint d'exposer notre personne à toutes sortes 
« de dangers pour la défense de la justice et pour les libertés de l'Église ; 
« car nous espérions pouvoir par notre dévouement relever de son 
« état d'oppression la sainte Église de Dieu. Mais aprés une longue 
« expérience nous avons reconnu que notre résolution ne pouvait 
« amener les résultats que nous attendions, et le jour méme de la date 
« des présentes, ayant recommandé dévotement notre personne et 
« l'état de l'Église à la miséricorde de Dieu, dont nous défendons la 
« cause, nous sommes sorti de notre palais et de la ville d'Avignon, et 
« nous sommes arrivé sain et sauf vers l'heure de tierce à Cháteau-Re- 
« nard, ville du diocèse d'Avignon, où nous croyons pouvoir plus süre- 
« ment et plus utilement, avec l'aide de Dieu et avec votre assistance 
« et celle des autres fidèles, travailler à la paix et à l'union, comme il 
« importe au service de Dieu et de la sainte Église. Nous vous en don- 
« nons avis comme d'une chose qui doit vous réjouir singulièrement, 
« espérant que la bonté divine fera servir notre fuite au service de 
« Dieu, à la prospérité de l'Église et du parti catholique, à la gloire et 
* à l'honneur de la maison royale et de votre famille, dont nous avons 
« toujours souhaité, Dieu le sait, la conservation et l'agrandissement. 
« Nous exhortons et engageons votre majesté, au nom du Seigneur, 
«à ne point prêter l'oreille aux suggestions contraires auxquelles on 
« pourrait avoir recours ; car il n'a jamais tenu et ne tiendra jamais à 
« nous que nous n'accomplissions ce que nous avons promis. — Donné 
«à Cháteau - Renard, le douziéme jour de mars, sous notre seing 
« privé. » 


Anni Domiui 
MCCCCItI. 


. CHRONICORUM 
KAROLI SEXTI 


LIBER VICESIMUS QUARTUS. 


Pontificum 1x, 
Imperatorum rtr, 
Anni Domini ucoccin. $ Francorum xxiv, 
Anglorum rv, 
Sicilie itr. 


CAPITULUM I. 


De tractatu matrimonii domini Ludovici, regis Francie primogeniti. 


Fucaris tenebris ignorancie solitis, quibus per tres ebdo- 
madas rex illaqueatus fuerat, die mercurii ultima mensis aprilis 
regraciaturus Deo ecclesiam beate Marie Parisiensis adiit, non 
tamen in complacenti habitu, quia non a militibus aliis diffe- 
rente. Nec jam diei medium sol post terga relinquerat; quod 
proloquutum fuerat reiteratis vicibus de connubio contrahendo 
inter dominum Ludovicum dalphinum Vienne, ejus tunc pri- 
mogenitum , et filiam comitis Niverniensis, gratum habuit me- 
diante dispensacione pape nuper data , quia ambo quarto gradu 
consanguinitatis mutuo se attinebant. Vallidis quidem precibus 
ejus patruus Philippus dux Burgundie , genitor prefati comitis, 
instanter hoc pecierat, sic sperans sobolem suam corone Fran- 
cie diucius titulo consanguinitatis propinquiorem reddere. 
Unde plurimum exhilaratus nepoti gracias egit multiplices, quia 


CHRONIQUE 
DE CHARLES ‘VI. 


LIVRE VINGT-QUATRIÈME. 


g° année du règne des souverains pontifes, 
de l'empereur, 
An du Seigneur 1403 '. ( age —————— du roi de France, — 

(e —— ——- du roi d'Angleterre, 

8e ——————— du roi de Sicile. 





3e 


CHAPITRE I". 


Traité de mariage de monseigneur Louis, fils aîné du roi de France. 


Le mercredi dernier j jour du mois d'avril, le roi, qui avait recouvré 4,4 Seigneur 


la raison après trois semaines de ses souffrances ordinaires, alla rendre 
grâces à Dieu en l'église de Notre-Dame de Paris. Il ne s'était point 
revétu de ses habits de cérémonie, et n'avait rien qui le distinguát des 
autres chevaliers. Le méme jour, dans l'aprés-midi, il approuva tout 
ce qui avait été arrété à diverses reprises au sujet du mariage de mon- 
seigneur Louis, dauphin de Vienne, son fils ainé, avec la fille du 
comte de Nevers. Le pape avait naguére accordé une dispense pour 
ce mariage, parce que les deux époux étaient parents au quatriéme 
degré. Le dug de Bourgogne, Philippe, père dudit comte et oncle du 
roi, qui avait fait de pressantes instances pour háter la conclusion de 
cette affaire, dans l'espoir de rapprocher par ces nouveaux liens sa 
famille du tróne de France, en concut une grande joie, et remercia 
son neveu d'avoir ainsi comblé ses voeux les plus chers. En témoignage 


' L'année 1405 commenca le 15 avril. 


1403. 


78 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


quod diu affectaverat fuerat assequutus. În signum quoque exu- 
berantis leticie in domo regali de Lupera percelebre convivium 
regi , regine , Biturie, Aurelianis et Borbonii ducibus et omnibus 
tunc repertis de regio sanguine procreatis celebravit, instar re- 
galis magnificencie , nec sine fluxu munerum , que hystrionibus 
et mimis observanciarum curialium declamatoribus preconizan- 
dum relinquo. 


CAPITULUM II. 


De tabulis compotistarum affixis cereis benedictis ab ecclesiis remotis. 


Transactis octavis Pasche, quoniam super restituenda pape 
obediencie ubique mencio habebatur, et ob hoc prelatorum 
regni ad prefixum a rege terminum prestolaretur adventus, 
res parva contingit Parisius, digna tamen memorie, quia alias 
inaudita. Quidam namque ignoti homines, sed apparencia no- 
biles, una cum quibusdam clientibus regiis, ville Parisiensis 
monasteria, ecclesias mendicancium et studencium capellas 
quasi oracionis causa adeuntes, scripta compotistarum affixa 
cereis benedictis ad servicium divinum, ut moris est, debite 
ordinandum, violenter et publice distraxerunt , dicentes quod 
de precepto dominorum Francie hoc agebant. 

Ausu temerario divulgato, viri ecclesiastici merito indignati 
sunt , et rem , ut erat, vera forsitan existimacione presagientes, 
id senserunt processisse , quia in ipsis anni pontificatus domini 
pape Benedicti ponebantur. Regnicolis omnibus *notum erat 
dominum ducem Biturie substractioni facte pape precipue 
adherere. Quod attendentes quidam viri ecclesiastici de gremio 
alme Universitatis, et credentes quod a decurionibus suis hec 
ignominia processisset, cum multis de collegio Navarre ipsum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 79 


de sa vive satisfaction, il donna dans la maison royale du Louvre un 
splendide festin au roi, à la reine, aux ducs de Berri, d'Orléans et de 
Bourbon, et à tous les princes du sang; il y déploya une magnifi- 
cence toute royale. Je ne parlerai pas ici de toutes les largesses qu'il 
fit; je laisse ce soin aux hérauts et aux autres officiers d'armes qui ont 
l'habitude de décrire les fétes de la cour. 


CHAPITRE II. 


Les tables des computs attachées aux cierges bénits sont enlevées des églises. 


I] n'était question en tous lieux que de la restitution d'obédience au 
pape, et l'on attendait avec impatience la réunion des prélats du 
royaume, qui avaient été convoqués à cet effet par le roi, lorsqu'un 
événement de peu d'importance, mais qui mérite d'étre rapporté à 
cause de son étrangeté , eut lieu à Paris aprés l'octave de Páques. Des 
personnages inconnus, qui pourtant semblaient appartenir à la no- 
blesse, étant entrés avec quelques officiers du roi dans les monastères 
de la ville de Paris, dans les éplises des ordres mendiants et dans les 
chapelles des colléges, sous prétexte d’y faire des prières, arrachèrent 
publiquement les tables des computs attachées aux cierges bénits et 
qui servaient à régler, suivant l'usage, le service divin. Ils préten- 
daient agir d'aprés les ordres des seigneurs de France. 


À la nouvelle de ce sacrilége, les membres du clergé furent jus- 
tement indignés. Ils n'eurent pas de peine à déméler les véritables 
motifs d'un pareil attentat, et comprirent qu'ils devaient l'attribuer 
à ce que ces tables faisaient mention de l'année du poatificat de mon- 
seigneur le pape Benoit. Tous les habitants du royaume savaient bien 
que le duc de Berri était le plus chaud partisan de la soustraction d'obé- 
dience. Aussi plusieurs membres de l'Université, persuadés que les au- 
teurs du sacrilége étaient des familiers du duc, allérent le trouver 
avec la plupart des professeurs du collége de Navarre, et lui adressérent 


80  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


ducem adeuntes, inde gravem querimoniam fecerunt. Quas 
audiens et dulciter se et suos cum modestia excusans, delin- 
quentes perquiri jussit diligenter, promittens quod in ipsos 
animadverteret secundum delicti quantitatem. Sed ipsi nus- 
quam comparuerunt postea, nilque inde sequutum est, nisi evi- 
dentissimum signum quod nonnulli contra papam inexpiabili 
odio laborabant. 


CAPITULUM III. 


De marescallo Francie Boussicaudo. 


Vernali adhuc temperie arridente, dominum Boussicaudum, 
alias Johannem le Maingre, marescallum Francie, rectorem. 
Janue constitutum, villam et adjacentem patriam pacatas reddi- 
disse rex nunciis et apicibus cognovit, et circumquaque re- 
belles sustulisse de medio aut fugasse velut exules proscrip- 
tos, qui continue bella civilia suscitabant; et ut discordiarum 
fomentum extirparet radicitus, statuisse ut omnes, sub multa 
amputacionis pugni, ab omni verbali abstinentes injuria, id 
precipue caverent ne mutuo se Guelfem vel Guibelinum nomi- - 
narent; inde moti sepissime ex altis turribus constructis sin- 
gulis domiciliis invicem dimicabant ; quas ad equalitatem pigna- 
culorum domorum mandavit reduci, statuens ut arma omnia 
certis locis auctoritate regia servarentur, nec uterentur eisdem. 
nisi solum ad rei publice tutamentum ; secundum demeritorum 
qualitatem exercens justiciam, cum mores et polliciam in melius 
reformasset, tunc in eminenti colle, ville contiguo, antiquam 
fundamentorum structuram reperiens, oppidum ibi construxisse 
quod dominaretur urbi, quociens cives rebellionis agitarentur 
spiritu. | 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 81 


des plaintes trés vives. Le duc les accueillit bien, déclara que lui et les 
siens étaient étrangers à cette violence, et ordonna des poursuites ac- 
tives contre les coupables, s'engageant à les punir comme ils le méri- 
taient. Mais on ne put les découvrir; et ce qu'il y eut de plus clair 
dans toute cette affaire, ce fut que certaines personnes nourrissaient 
encore une haine implacable contre le pape. 


CHAPITRE III. 


Du maréchal de France Boucicauit. 


Avant la fin du printemps, des messages et des lettres apprirent au 
roi que le maréchal de France, messire Boucicault, dit Jean le Maingre, 
gouverneur de Génes, avait pacifié la ville et la contrée environ- 
nante, qu'il avait exterminé ou banni les rebelles qui ne cessaient 
d'exciter la guerre civile, et que, pour extirper entiérement toute 
semence de discorde , il avait ordonné aux habitants, sous peine d'avoir 
le poing coupé, de s'abstenir de tous propos injurieux, et surtout de 
ne point se donner entre eux les noms de Guelfes ou de Gibelins, qui 
avaient été si souvent la source de leurs discordes. Comme ils s'atta- 
quaient du haut des tours dont ils avaient flanqué leurs maisons, le 
maréchal fit raser ces tours au niveau des toits. En méme temps il dé- 
cida que toutes les armes seraient gardées au nom du roi dans certains 
lieux, et que les Génois n'en pourraient faire usage que pour la défense 
de la république. Ayant rétabli l'ordre et la tranquillité publique 
par un juste chátiment de tous les méfaits, il fit construire prés de 
Gênes, sur une colline où il trouva d'anciennes fondations, un fort 
qui dominait la ville, et qui pouvait en assurer la soumission toutes 
les fois que les habitants se révolteraient. 


IH. | II 


82 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


Sic de rebus civilibus bene dispositis ad militare exercicium 
mentem vertens, ex galeis et onerariis navibus collecta ingenti 
classe, cum decem millibus pugnatorum marinis se exposuit 
fluctibus , ut insulam Cypri petens Famagocie urbem ab antiquo 
de resorto Januensium spectantem , sed nunc rebellem, viribus 
expugnaret. Non sine consensu regis id jam sex mensibus 
exactis agressus fuerat; sed cum tarditatem reditus rex admi- 
rans investigaret sollicite si mare absorbuisset exercitum, 
nuncii non responderunt, sed ipsum marescallum rem claro 
marte inchoasse et obscurissimo terminasse retulerunt. Nam 
rem sub compendio comprehendens, cum ab urbe viribus 
expulso quodam Januensi, Antonio nomine, ipsam regis Cypri 
dominio subdidisset, sub condicione tamen quod Januensibus 
centum milia ducatorum debitorum pro temporibus elapsis 
redderet, ad Barutum, nobilissimum portum Sarracenorum, se 
transtulit. [bi Lascendelore villam magnam in marchia Turquie 
combussit et Sarracenos vicit. Habebat enim secum multos 
Gallicos, Britones, Normanos et alios Francigenas, qui in hac 
peregrinacione strenue se habuerunt et neci multa milia Tur- 
corum tradiderunt. Nec diu ibidem -protracta mora rediens, 
naves mercibus oneratas, a Venetis ipsis Sarracenis missas, 
sine resistencia predatus est. Sed cum rediret ingenti preda 
munitus, inoppinate et inexpectati Veneti in eum insurrexerunt 
et navale prelium commiserunt. In bello illo Veneti superiores 
fuerunt, multique ex Francigenis et Januensibus occisi sunt. In 
conflictu eciam multi cum domino de Castromorant ad dedi- 
cionem venire coacti sunt. Quod percipiens marescallus, in 
parva scapha fugiens se salvavit, cunctis amissis mobilibus que 
male acquisierat. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 83 


Après avoir ainsi tout réglé à l’intérieur, il tourna son attention 
du côté de la guerre. Il rassembla une flotte considérable de galères et 
de bátiments de transport, et fit voile vers l'ile de Chypre avec dix 
mille hommes pour s'emparer de Famagouste, ville autrefois placée 
dans la dépendance des Génois, et qui était en ce moment soulevée 
contre eux. Il y avait déjà six mois qu'il avait entrepris cette expédi- 
tion avec le consentement du roi, lorsque les messagers arrivérent. 
Étonné de n'avoir pas de nouvelles de son retour, le roi leur demanda 
si l'armée avait péri dans les flots. Les messagers répondirent que non, 
mais que le maréchal, aprés avoir obtenu de brillants succés, avait 
ensuite éprouvé de grands revers. Voici en peu de mots le récit qu'ils 
firent. Boucicault ayant chassé de Famagouste un Génois nommé Án- 
toine, soumit cette ville à l'autorité du roi de Chypre, en exigeant 
de ce prince le paiement de cent mille ducats qu'il devait depuis long- 
temps aux Génois. Il fit voile ensuite vers Bairout, l'un des princi- 
paux ports des Sarrasins. Là il brüla l'importante ville de Lascendelore' 
dans la marche de Turquie, et battit les Sarrasins. Il avait parmi ses 
troupes des hommes d'armes venus de France, de Bretagne, de Nor- 
mandie et des autres provinces du royaume, qui déployérent beaucoup 
de valeur dans cette expédition, et firent un grand carnage des Turcs. 
Bientôt aprés il se remit en mer, et pilla sans résistance des navires 
chargés de marchandises que les Vénitiens envoyaient aux Sarrasins. 
Mais comme il revenait avec un immense butin , il fut surpris per les 
Vénitiens, qui l'assaillirent à l'improviste et le forcérent à livrer ba- 
taille. Les Vénitiens eurent l'avantage. Un grand nombre de Francais 
et de Génois périrent dans la mélée; beaucoup d'autres furent con- 
traints de se rendre avec le sire de Cháteaumorant. Alors le maréchal 
s'enfuit dans une petite barque, et parvint à échapper aux ennemis, 
laissant en leur pouvoir tout son butin. * 


' Alexandrette, que les Turcs appellent Boucicaut n'est pas tout-à-fait d'aocord avec 
Scanderoun. le Religieux sur les circonstances de cette 
' Le Livre des Faicts du mareschal de bataille. 


84 -' CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


CAPITULUM IV. E 


Cardinales et Ávinionenses cives redierunt ad obedienciam pape. 


Ut pace bellum mutatum plurimum gaudii affert, sic domini 
cardinales iram in eos conceptàm papam deposuisse letantes, 
et ad ipsum, ut jussi fuerant, apprilis mensis die vicesima nona 
humiliter accedentes, flexis genibus, manibus complosis et 
cum mestis singultibus poposcerunt veniam de commissis cum 
lacrimarum habundancia, jurantes quod ex tunc vita comite sibi 
fideliter et cordialiter obedirent. Sacramentis iterum addide- 
runt quod ad obediencie substractionem penitus abolendam 
totis nisibus laborarent. Sicque papa misericordia motus quic- 
quid in eum forefecerant clementissime indulsit, eos affabiliter 
ammonens ne deinceps scelus simile perpetrarent. Et quia illos 
reputans crimen lese majestatis appostolice incurrisse, a jure 
cardinalatus temporali et spirituali privandos decreverat, et 
inhabiles ad electionem pape futuri, alias si contingeret cele- 
brari, reddiderat, sentenciam retractavit tam gravem, preci- 
piens, in signum concordie reparate, ut omnes secum pran- 
derent illa die. Non sine suspicione ac vehementi stupore 
continuatum est prandium. Nam cum discubaissent primi, 
estimarentque more solito viros ecclesiasticos sedes sequentes 
ordinarie tenere, undique viri armati raptim ipsas occuparunt ; 
unde timere ceperunt ne ipsis aliquod inferrent nocumentum. 
Sed, sicut rei exitus comprobavit, ubi non erat timor, trepi- 
daverunt timore. | 

Sane custodiam sui ipsius et suorum ipsis papa commi- 
serat; unde quemcunque locum petebat, vel in quocunque 
statu esset, eciam cum in secreto Creatori hostias acceptabiles 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIII. 75 


Benoit adressa des lettres au roi, à ses conseillers et à l'Université 


de Paris, pour leur faire connaître ce qui s’était passé. Le contenu de 
ces lettres était le même ; la suscription seule était différente. Les voici 
mot pour mot : 


« 
« 
« 
« 
« 


« 


« 
« 


« 


= 


« 


« 


« Benoit, etc. Cher fils, nous étions, vous le savez, depuis long- 
temps détenu dans le palais apostolique de notre ville d'Avignon. 
Nous n'avions pas craint d'exposer notre personne à toutes sortes 
de dangers pour la défense de la justice et pour les libertés de l'Église; 
car nous espérions pouvoir par notre dévouement relever de son 
état d'oppression la sainte Église de Dieu. Mais aprés une longue 
expérience nous avons reconnu que notre résolution ne pouvait 
amener les résultats que nous attendions, et le jour méme de la date 
des présentes, ayant recommandé dévotement notre personne et 
l'état de l'Église à la miséricorde de Dieu, dont nous défendons la 
cause, nous sommes sorti de notre palais et de la ville d'Avignon, et 
nous sommes arrivé sain et sauf vers l'heure de tierce à Cháteau-Re- 
nard, ville du diocèse d'Avignon, où nous croyons pouvoir plus süre- 
ment et plus utilement, avec l'aide de Dieu et avec votre assistance 
et celle des autres fidèles, travailler à la paix et à l'union, comme il 
importe au service de Dieu et de la sainte Église. Nous vous en don- 
nons avis comme d'une chose qui doit vous réjouir singulièrement, 
espérant que la bonté divine fera servir notre fuite au service de 
Dieu, à la prospérité de l'Église et du parti catholique, à la gloire et 
à l'honneur de la maison royale et de votre famille, dont nous avons 
toujours souhaité, Dieu le sait, la conservation et l'agrandissement. 
Nous exhortons et engageons votre majesté, au nom du Seigneur, 
à ne point préter l'oreille aux suggestions contraires auxquelles on 
pourrait avoir recours ; car il n'a jamais tenu et ne tiendra jamais à 
nous que nous n'accomplissions ce que nous avons promis. — Donné 
à Château - Renard, le douzième jour de mars, sous notre seing 
privé. » 


Anni Domiui 
MCCCCIII, . 


. CHRONICORUM 
KAROLI SEXTI 


LIBER VICESIMUS QUARTUS. 


Pontificum 1x, 
Imperatorum 111, 
Anni Domini acoccin. 4 Francorum xxiv, 
Anglorum rv, 
Sicilie ir. 


CAPITULUM I. 


De tractatu matrimonii domini Ludovici, regis Francie primogeniti. 


Fucaris tenebris ignorancie solitis, quibus per tres ebdo- 
madas rex illaqueatus fuerat, die mercurii ultima mensis aprilis 
regraciaturus Deo ecclesiam beate Marie Parisiensis adiit, non 
tamen in complacenti habitu, quia non a militibus aliis diffe- 
rente. Nec jam diei medium sol post terga relinquerat; quod 
proloquutum fuerat reiteratis vicibus de connubio contrahendo 
inter dominum Ludovicum dalphinum Vienne, ejus tunc pri- 
mogenitum, et filiam comitis Niverniensis, gratum habuit me- 
diante dispensacione pape nuper data , quia ambo quarto gradu 
consanguinitatis mutuo se attinebant. Vallidis quidem precibus 
ejus patruus Philippus dux Burgundie, genitor prefati comitis, 
instanter hoc pecierat, sic sperans sobolem suam corone Fran- 
cie diucius titulo consanguinitatis propinquiorem reddere. 
Unde plurimum exhilaratus nepoti gracias egit multiplices, quia 


CHRONIQUE 


DE CHARLES VI. 


LIVRE VINGT-QUATRIÈME. 


g* année du régne des souverains pontifes, 
de l'empereur, 
An du Seigneur 1403 '. {age ——————- du roi de France, — 

fe ——————- du roi d'Angleterre, 

8e ———— — du roi de Sicile. 


3e 





CHAPITRE I". 


Traité de mariage de monseigneur Louis, fils aîné du roi de France. 


Le mercredi dernier jour du mois d'avril, le roi, qui avait recouvré 4, ju seigneur 
la raison après trois semaines de ses souffrances ordinaires, alla rendre — ':9* 
gráces à Dieu en l'église de Notre-Dàme de Paris. Il ne s'était point 
revétu de ses habits de cérémonie, et n'avait rien qui le distinguát des 
autres chevaliers. Le méme jour, dans l'aprés-midi,, il approuva tout 
ce qui avait été arrété à diverses reprises au sujet du mariage de mon- 
seigneur Louis, dauphin de Vienne, son fils ainé, avec la fille du 
comte de Nevers. Le pape avait naguére accordé une dispense pour 
ce mariage, parce que les deux époux étaient parents au quatriéme 
degré. Le dug de Bourgogne, Philippe, père dudit comte et oncle du 
roi, qui avait fait de pressantes instances pour hâter la conclusion de 
cette affaire, dans l'espoir de rapprocher par ces nouveaux liens sa 
famille du tróne de France, en concut une grande joie, et remercia 
son neveu d'avoir ainsi comblé ses voeux les plus chers. En témoignage 


' L'année 1405 commenca le 15 avril. 


78 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 

quod diu affectaverat fuerat assequutus. In signum quoque exu- 
berantis leticie in domo regali de Lupera percelebre convivium 
regi, regine, Biturie, Aurelianis et Borbonii ducibus et omnibus 
tunc repertis de regio sanguine procreatis celebravit, instar re- 
galis magnificencie , nec sine fluxu munerum, que hystrionibus 
et mimis observanciarum curialium declamatoribus preconizan- 
dum relinquo. 


CAPITULUM II. 


De tabulis compotistarum aflixis cereis benedictis ab ecclesiis remotis. 


Transactis octavis Pasche, quoniam super restituenda pape 
obediencie ubique mencio habebatur, et ob hoc prelatorum 
regni ad prefixum a rege terminum prestolaretur adventus, 
res parva contingit Parisius, digna tamen memorie, quia alias 
inaudita. Quidam namque ignoti homines, sed apparencia no- 
biles, una cum quibusdam clientibus regiis, ville Parisiensis 
monasteria, ecclesias mendicancium et studencium capellas 
quasi oracionis causa adeuntes, scripta compotistarum affixa 
cereis benedictis ad servicium divinum, ut moris est, debite 
ordinandum, violenter et publice distraxerunt, dicentes quod 
de precepto dominorum Francie hoc agebant. 

Ausu temerario divulgato, viri ecclesiastici merito indignati 
sunt, et rem , ut erat, vera forsitan existimacione presagientes, 
id senserunt processisse , quia in ipsis anni pontificatus domini 
pape Benedicti ponebantur. Regnicolis omnibus *notum erat 
dominum ducem Biturie substractioni facte pape precipue 
adherere. Quod attendentes quidam viri ecclesiastici de gremio 
alme Universitatis, et credentes quod a decurionibus suis hec 
ignominia processisset, cum multis de collegio Navarre ipsum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 79 


de sa vive satisfaction, il donna dans la maison royale du Louvre un 
splendide festin au roi, à la reine, aux ducs de Berri, d'Orléans et de 
Bourbon, et à tous les princes du sang; il y déploya une magnifi- 
cence toute royale. Je ne parlerai pas ici de toutes les largesses qu'il 
fit; je laisse ce soin aux hérauts et aux autres officiers d'armes qui ont 
l'habitude de décrire les fêtes de la cour. 


CHAPITRE IT. 


Les tables des computs attachées aux cierges bénits sont enlevées des églises. 


Il n'était question en tous lieux que de la restitution d'obédience au 
pape, et l'on attendait avec impatience la réunion des prélats du 
royaume, qui avaient été convoqués à cet effet par le roi, lorsqu'un 
événement de peu d'importance, mais qui mérite d'étre rapporté à 
cause de son étrangeté , eut lieu à Paris aprés l'octave de Páques. Des 
personnages inconnus, qui pourtant semblaient appartenir à la no- 
blesse, étant entrés avec quelques officiers du roi dans les monastères 
de la ville de Paris, dans les églises des ordres mendiants et dans les 
chapelles des colléges, sous prétexte d'y faire des priéres, arrachérent 
publiquement les tables des computs attachées aux cierges bénits et 
qui servaient à régler, suivant l'usage, le service divin. Ils préten- 
daient agir d'aprés les ordres des seigneurs de France. 

À la nouvelle de ce sacrilége, les membres du clergé furent jus- 
tement indignés. Ils n'eurent pas de peine à déméler les véritables 
motifs d'un pareil attentat, et comprirent qu'ils devaient l'attribuer 
à ce que ces tables faisaient mention de l'année du pontificat de mon- 
seigneur le pape Benoit. Tous les habitants du royaume savaient bien 
que le duc de Berri était le plus chaud partisan de la soustraction d'obé- 
dience. Aussi plusieurs membres de l’Université, persuadés que les au- 
teurs du sacrilége étaient des familiers du duc, allérent le trouver 
avec la plupart des professeurs du collége de Navarre, et lui adressérent 


80  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


ducem adeuntes, inde gravem querimoniam fecerunt. Quas 
audiens et dulciter se et suos cum modestia excusans, delin- 
quentes perquiri jussit diligenter, promittens quod in ipsos 
animadverteret secundum delicti quantitatem. Sed ipsi nus- 
quam comparuerunt postea, nilque inde sequutum est, nisi evi- 
dentissimum signum quod nonnulli contra papam inexpiabili 
odio laborabant. 


CAPITULUM III. 


De marescallo Francie Boussicaudo. 


Vernali adhuc temperie arridente, dominum Boussicaudum, 
alias Johannem le Maingre, marescallum Francie, rectorem 
Janue constitutum, villam et adjacentem patriam pacatas reddi- 
disse rex nunciis et apicibus cognovit, et circumquaque re- 
belles sustulisse de medio aut fugasse velut exules proscrip- 
tos, qui continue bella civilia suscitabant; et ut discordiarum 
fomentum extirparet radicitus, statuisse ut omnes, sub multa 
amputacionis pugni, ab omni verbali abstinentes injuria, id 
precipue caverent ne mutuo se Guelfem vel Guibelinum nomi- 
narent; inde moti sepissime ex altis turribus constructis sin- 
gulis domiciliis invicem dimicabant ; quas ad equalitatem pigna- 
culorum domorum mandavit reduci, statuens ut arma omnia 
certis locis auctoritate regia servarentur, nec uterentur eisdem 
nisi solum ad rei publice tutamentum ; secundum demeritorum 
qualitatem exercens justiciam, cum mores et polliciam in melius 
reformasset, tunc in eminenti colle, ville contiguo, antiquam 
fundamentorum structuram reperiens, oppidum ibi construxisse 
quod dominaretur urbi, quociens cives rebellionis agitarentur 
spiritu. | 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 81 


des plaintes très vives. Le due les accueillit bien, déclara que lui et les 
siens étaient étrangers à cette violence, et ordonna des poursuites ac- 
tives contre les coupables, s'engageant à les punir comme ils le méri- 
taient. Mais on ne put les découvrir; et ce qu'il y eut de plus clair 
dans toute cette affaire, ce fut que certaines personnes nourrissaient 
encore une haine implacable contre le pape. 


CHAPITRE III. 


Du maréchal de France Boucicault. 


Avant la fin du printemps, des messages et des lettres apprirent au 
roi que le maréchal de France, messire Boucicault, dit Jean le Maingre, 
gouverneur de Génes, avait pacifié la ville et la contrée environ- 
nante, qu'il avait exterminé ou banni les rebelles qui ne cessaient 
d'exciter la guerre civile, et que, pour extirper entiérement toute 
semence de discorde , il avait ordonné aux habitants, sous peine d'avoir 
le poing coupé, de s'abstenir de tous propos injurieux, et surtout de 
ne point se donner entre eux les noms de Guelfes ou de Gibelins, qui 
avaient été si souvent la source de leurs discordes. Comme ils s'atta- 
quaient du haut des tours dont ils avaient flanqué leurs maisons, le 
maréchal fit raser ces tours au niveau des toits. En méme temps il dé- 
cida que toutes les armes seraient gardées au nom du roi dans certains 
lieux, et que les Génois n'en pourraient faire usage que pour la défense 
de la république. Ayant rétabli l'ordre et la tranquillité publique 
par un juste châtiment de tous les méfaits, il fit construire prés de 
Génes, sur une colline où il trouva d'anciennes fondations, un fort 
qui dominait la ville, et qui pouvait en assurer la soumission toutes 
les fois que les habitants se révolteraient. 


IH. II 


82 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


Sic de rebus civilibus bene dispositis ad militare exercicium 
mentem vertens, ex galeis et onerariis navibus collecta ingenti 
classe, cum decem millibus pugnatorum marinis se exposuit 
fluctibus, ut insulam Cypri petens Famagocie urbem ab antiquo 
de resorto Januensium spectantem , sed nunc rebellem, viribus 
expugnaret. Non sine consensu regis id jam sex mensibus 
exactis agressus fuerat; sed cum tarditatem reditus rex admi- 
raus investigaret sollicite si mare absorbuisset exercitum, 
nuncii non responderunt, sed ipsum marescallum rem claro 
marte inchoasse et obscurissimo terminasse retulerunt. Nam 
rem sub compendio comprehendens, cum ab urbe viribus 
expulso quodam Januensi, Antonio nomine, ipsam regis Cypri 
dominio subdidisset, sub condicione tamen quod Januensibus 
centum milia ducatorum debitorum pro temporibus elapsis 
redderet, ad Barutum, nobilissimum portum Sarracenorum, se 
transtulit. Ibi Lascendelore villam magnam in marchia Turquie 
combussit et Sarracenos vicit. Habebat enim secum multos 
Gallicos , Britones, Normanos et alios Francigenas , qui in hac 
peregrinacione strenue se habuerunt et neci multa milia Tur- 
corum tradiderunt. Nec diu ibidem protracta mora rediens, 
naves mercibus oneratas, a Venetis ipsis Sarracenis missas, 
sine resistencia predatus est. Sed cum rediret ingenti preda 
munitus , inoppinate et inexpectati Veneti in eum insurrexerunt 
et navale prelium commiserunt. In bello illo Veneti superiores 
fuerunt, multique ex Francigenis et Januensibus occisi sunt. In 
conflictu eciam multi cum domino de Castromorant ad dedi- 
cionem venire coacti sunt. Quod percipiens marescallus, in 
parva scapha fugiens se salvavit, cunctis amissis mobilibus que 
male acquisierat. 


84 ‘ CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


CAPITULUM IV. |] 


Cardinales et Avinionenses cives redierunt ad obedienciam pape. 


Ut pace bellum mutatum plurimum gaudii affert, sic domini 
cardinales iram in eos conceptam papam deposuisse letantes, 
et ad ipsum, ut jussi fuerant, apprilis mensis die vicesima nona 
humiliter accedentes, flexis genibus, manibus complosis et 
cum mestis singultibus poposcerunt veniam de commissis cum 
lacrimarum habundancia, jurantes quod ex tunc vita comite sibi 
fideliter et cordialiter obedirent. Sacramentis iterum addide- 
runt quod ad obediencie substractionem penitus abolendam 
totis nisibus laborarent. Sicque papa misericordia motus quic- 
quid in eum forefecerant clementissime indulsit, eos affabiliter 
ammonens ne deinceps scelus simile perpetrarent. Et quia illos 
reputans crimen lese majestatis appostolice incurrisse, a jure 
cardinalatus temporali et spirituali privandos decreverat, et 
inhabiles ad electionem pape futuri, alias si contingeret cele- 
brari, reddiderat, sentenciam retractavit tam gravem, preci- 
piens, in signum concordie reparate, ut omnes secum pran- 
derent illa die. Non sine suspicione ac vehementi stupore 
continuatum est prandium. Nam cum discubuissent primi, 
estimarentque more solito viros ecclesiasticos sedes sequentes 
ordinarie tenere, undique viri armati raptim ipsas occuparunt; 
unde timere ceperunt ne ipsis aliquod inferrent nocumentum. 
Sed, sicut rei exitus comprobavit, ubi non erat timor, trepi- 
daverunt timore. mE 

Sane custodiam sui ipsius et suorum ipsis papa commi- 
serat; unde quemcunque locum petebat, vel in quocunque 
statu esset, eciam cum in secreto Creatori hostias acceptabiles 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 85 


CHAPITRE IV. 


Les cardinaux et les habitants d'Avignon rentrent sous l'obédience du pape. 


La joie qu'on éprouve en voyant la paix succéder à la guerre n’est : 
pas plus vive que celle que ressentirent messeigneurs les cardinaux en 
apprenant que le pape n'était plus irrité contre eux. Ils se présentè- 
rent humblement devant lui le 29 avril, comme ils en avaient été requis, 
le suppliérent à genoux, les mains jointes, en sanglotant et en versant 
des torrents de larmes, d'oublier leurs fautes, et jurérent de lui obéir 
désormais durant toute leur vie avec dévouement et fidélité. Ils s'en- 
gagérentaussi par serment à employer tous leurs efforts pour faire annu- 
ler la soustraction d'obédience. Le pape, touché de compassion, daigna 
Jeur pardonner, et leur recommanda avec douceür de ne point retom- 
ber à l'avenir dans de pareilles fautes. En outre, comme il les avait 
déclarés coupables du crime de lése-majesté apostolique, et privés des 
prérogatives temporelles et spirituelles du cardinalat et du droit de 
procéder à l'élection du pape futur , s'il devait y en avoir une, il révo- 
qua cette sentence, et les invita tous à diner avec lui ce jour-là, en 
signe de réconciliation. Pendant le repas , les cardinaux furent en proie 
à de vives inquiétudes. Ils avaient pris place les premiers à table, et ils 
pensaient que, suivant l'usage, les autres siéges seraient occupés par 
des membres du clergé, lorsque tout à coup ils virent paraitre des 
gens armés qui s'assirent à leurs côtés. Ils craignirent alors qu'on 
n'exercát quelque violence contre leurs personnes. Mais leur frayeur 
n'avait aucun fondement, comme la suite le prouva. 


Ces gens n'étaient autres que ceux à qui le pape avait confié la garde 
de sa personne et de ses biens, qui étaient toujours en armes à ses cótés, 
et qui l'accompagnaient partout, méme lorsqu'il disait la messe dans 


86 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


offerebat, ipsi predicti armati sedulo assistebant. Et quia de 
die in diem eorum numerus et onerosa crescebant stipendia, 
ipsum papam ad tantam rerum domesticarum redegerunt ino- 
piam, quod vasa aurea et argentea in plumbea et stanea 
opportuit commutare. Publiceque dicebatur quod eos ad de- 
bellandos Avinionenses mandaverat, ut sic secundum deme- 
ritorum suorum qualitatem punirentur. Nuper namque, ut 
superius tactum est, rebellionis spiritu agitati cum aliis qui- 
busdam decurionibus Francie pappale palacium invadentes, 
quicquid hostis in hostem consuevit, in ipsum exercuerant, : 
unde amissione corporum et temporalium digni erant reputati. 
Sed, ut prius tractatum fuerat, vallidis precibus cardinalium 
papa victus dignam indignacionem sic in clemenciam vertit, 
quod civibus summe auctoritatis missis et petentibus indul- 
genciam hanc concessit, dum tamen muros palacii , quos suffo- 
derant, et quicquid violencia obsidionalium instrumentorum 
destruxerant repararent. Et quamvis manere cum ipsis dein- 
ceps abhorreret, dictum tamen palacium subsidiariis viris Ar- 
ragonensibus, omni genere armorum missilium et victualium 
munire statuit, ne ab hostibus occuparetur vel ab ipsis. 


CAPITULUM V. 


In regno pappe Benedicto restituta est obediencia. 


Que in Avinione gesta erant regi per dominos cardinales 
Pictavensem et de Salusciis papa statuit intimare; et hii maii 
vicesima quinta die in domo regia sancti Pauli cum Biturie, 
Burgundie, Aurelianis et Borbonii ducibus, conestabulario, 
comite de Tancarvilla ac magistro hospicii regii Johanne de 
Monte Acuto presentibus, audienciam fuerunt assequuti. Tunc 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 87 


son palais. Comme leur nombre croissait de jour en jour, leur solde 
devint bientót si exorbitante qu'elle épuisa le trésor du pape, et le 
contraignit à changer sa vaisselle d'or et d'argent pour du plomb et 
de l'étain. On disait qu'il les avait appelés auprés de lui pour soumettre 
les habitants d'Avignon et pour tirer vengeance de leurs méfaits. Les 
Avignonais s'étaient en effet soulevés, ainsi que nous l'avons raconté 
plus haut , avaient attaqué le palais pontifical avec quelques seigneurs 
francais , et s'étaient livrés à toutes sortes d'hostilités contre le pape *. 
Aussi les avait-il frappés d'une sentence de mort et de confiscation. 
Mais cédant aux instantes priéres des cardinaux, il oublia son juste 
ressentiment, et daigna accorder aux principaux citoyens le pardon 
qu'ils étaient venus implorer, à condition toutefois qu'ils répareraient 
les murs du palais détruits par eux et tous les dégáts occasionnés par les 
machines de siége. Seulement il ne voulut plus demeurer parmi eux, 
et il placa ses auxiliaires aragonais en garnison dans ledit palais, qu'il 
approvisionna de vivres et de munitions de toute espèce, afin de le 
mettre à l'abri de toute surprise, soit de la part des étrangers, soit de 
la part des habitants. 


CHAPITRE V. 


Le royaume rentre sous l'obédience du pape Benoît. 


Le pape chargea messeigneurs les cardinaux de Poitiers et de Saluces 
d'aller informer le roi de ce qui s'était passé à Avignon. Le roi donna 
audience à ces prélats le 25 mai dans son hótel royal de Saint-Paul, en 
présence des ducs de Berri, de Bourgogne, d'Orléans et de Bourbon, 
du connétable, du comte de Tancarville, et de Jean de Montaigu, 


* Voir tome u, liv. xix, chap. vin, p. 655. 


88 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


facta dicendi gracia.quod placeret, nomine et auctoritate sacri 
collegii cardinalium dominus Pictavensis multum disertissime 
et luculenti sermone peroravit. Que quamvis coram perpaucis 
et secrete, promulgatum tamen est postea et ab hiis qui secretis 
consiliis ex officio assistunt tetigisse tunc in substancia que 
sequuntur. | 

Statum namque universalis Ecclesie dolorosum et pape primi- 
tus recommendans et reprobans inde nephandissimum scisma, 
dixit dominos cardinales substraetionem aliquandiu approbasse 
sperantes ut sic cicius sopiretur ; at videntes nil utilitatis vel ho- 
noris inde processisse, et quod dicta substractio in confusionem 
et scandalum Ecclesie ac tocius ecclesiastici ordinis vertebatur, 
dignum duxerant capiti suo per veram obedienciam se uniri. 
Impossibilitatem eciam habendi unionem multis mediis osten- 
dens, durante substractione : « Que, inquit, et si per induracio- 
« nem cordis domini nostri pape processerit, hanc tamen sensio 
« actualiter mittigandam, si minus bene consulta substractio 
« anulletur. » Id multipliciter suadens et papam de summa 
paciencia et misericordia notabiliter recommendans, ipsum 
promptum asseruit ad complendum quicquid lilia deferentes 
consulti dicerent exequendum , quibus disposuerat credere in 
hoc actu et cunctis agibilibus complacere ; que et asseruit do- 
mino duci Aurelianensi pluries innotuisse scriptis suis. Cum- 
que astantes rogasset et monuisset ut ad restitucionem obe- 
diencie laborarent, et finem verbis fecisset, rex intulit propter 
hoc episcopos regni sui congregasse , qui concluderent in brevi 
quid inde agendum esset. Et sic parlamentum illud solutum 
est. 

Quotquot studia generalia, Aurelianis scilicet, Andegavie, 
Montis Pessulani et Tholose nuncios destinaverant, in cardi- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 89 


grand-maître de sa maison. Les envoyés ayant obtenu la parole, mon- 
seigneur le cardinal de Poitiers prononça, au nom du sacré collége, 
un discours éloquent et profond. Quoique l’audience ait été secrète et 
qu'on n'y ait admis que peu de personnes, on sut néanmoins dans la 
suite, par ceux à qui leurs charges donnent entrée aux conseils, que 
telle fut la substance de ce discours : 


Le prélat, aprés avoir rappelé la situation déplorable de l'Église 
universelle et du pape, et réprouvé l'exécrable schisme, déclara que si 
messeigneurs les cardinaux avaient approuvé pendant quelque temps 
la soustraction, c'était dans l'espoir qu'elle ferait cesser plus tôt le 
schisme , mais que voyant qu'on n'en retirait aucun avantage ni profit, 
et qu'elle tournait à la confusion et au scandale de l'Église et de tout le 
clergé, ils avaient résolu de se réunir à leur chef par une sincére obéis- 
sance. Il démontra aussi par beaucoup de raisons l'impossibilité de 
rétablir l'union, tant que durerait la soustraction : « Bien qu'elle ait 
« eu pour cause, dit-il, l’obstination coupable de notre seigneur le 
« pape, elle me parait devoir étre actuellement modifiée, à moins 
« qu'on ne l'annulle, comme ayant été trop légérement décidée. » 
Il revint plusieurs fois sur ce point, parla avec les plus grands éloges 
de la patience et de la miséricorde inépuisables du pape, qui était 
disposé , disait-il, à faire tout ce que les princes des fleurs de lis lui 
conseilleraient, et qui avait résolu de suivre leur avis en cette matière, 
comme aussi de leur complaire en toutes choses. Il ajouta que le pape 
avait fait connaitre plusieurs fois ses dispositions à cet égard dans ses 
lettres à monseigneur le duc d'Orléans. Il termina en priant et en 
adjurant ceux qui se trouvaient là de travailler à la restitution d'obé- 
dience. Quand il eut fini de parler, le roi répliqua qu'il avait convoqué 
à ce sujet les évéques de son royaume, et qu'ils ne tarderaient pas à 
décider ce qu'il y avait à faire. Aprés quoi l'assemblée se sépara. 


Toutes les Universités qui avaient envoyé des députés, c'est-à-dire 
celles d'Orléans, d'Angers, de Montpellier et de Toulouse, se rangérent 
I. 12 


90 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


nalis sentenciam ibant, eciam coram majores Francie pluries 
affirmando se nunquam substractionem approbasse. Si deberet 
reprobari nundum Parisiensis Universitas congregacionem 
generalem evocare potuerat, obstante nacione normanica, 
contradictiones impacienter perferre consueta, quamvis id 
exterarum nacionum plurimi instanter et reiteratis vicibus 
postulassent, et quia pacem et unionem Ecclesie affectabant, et 
quia ex substractione nullum commodum reportabat. Mente 
eciam divisis ceteris ecclesiasticis viris evocatis, cum cardinali 
de Tureyo, magister Symon Cramaut, Alexandrinus patriarcha, 
et nonnulli episcopi ac eminentis sciencie viri cum Biturie et 
Burgundie ducibus irretractabiliter favebant substractioni. Alii 
cum duce Aurelianensi oppositum sensiebant. Sicque vere nego- 
. cium, hinc inde inter disceptaciones verbales et argumentorum 
conflictus expositum , in longum ibat et in irritum desinebat, 
nisi dux acceleracioni taliter providisset. 

Nam auctorizatus a rege zeloque concordie ac pacis accensus, 
ut credebatur firmiter, a metropolitanis regni vota suffraga- 
neorum et aliorum secrete inquiri fecit scriptisque redigi, ut 
sciretur quam ambarum viarum quisque concluderet. Ulterius 
die prefixa prelatis, scilicet maii vicesima octava, cum eos in 
absencia regis ac patruorum suorum ducum in domo regia 
sancti Pauli evocasset, ab ipsisque numerum condescenden- 
cium restitucioni obediencie didicisset, inde gaudens hoc regi 
curavit protinus intimare. Post sompnum igitur meridianum, 
ad eum in oratorio regali residentem cum archiepiscoporum et 
episcoporum non modica multitudine accedens et quod egerat 
enarrans sagaciter, nomina prelatorum in restitucionem obe- 
diencie concordancium scripto redacta prebuit ae Universitatum 


' Far. : n° 5959, fol. 2 v. majoribus. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 04 


à l'opinion du cardinal, et affirmérent méme, en présence des principaux 
seigneurs du royaume , qu'elles n'avaient jamais approuvé la soustrac- 
tion. Quant à l'Université de Paris, elle n'avait pu encore décider si elle 
repousserait ou non la proposition , à cause de l'opiniátreté de la na- 
tion normande , qui n'aimait pas à étre contredite, et qui avait empé- 
ché jusqu'alors la tenue d'une assemblée générale, malgré les instances 
pressantes et les nombreuses réclamations de la plupart des membres 
des trois autres nations, qui aspiraient à la paix et à l'union de l'Église, 
et qui voyaient que la soustraction n'avait porté aucun fruit. Les mémes 
dissentiments se manifestaient parmi les autres membres du clergé. 
Le cardinal de Thury , maitre Simon Cramaut, patriarche d'Alexan- 
drie, plusieurs évéques et personnages d'un savoir éminent, et les 
ducs de Berri et de Bourgogne, étaient partisans déclarés de la sous- 
traction. D'autres avaient embrassé l'avis contraire avec le duc d'Or- 
léans. Le temps se serait ainsi perdu en discussions stériles et en con- 
flits de paroles, et l'affaire serait demeurée sans résultat, si le duc 
d'Orléans n'en eût hâté la conclusion. 


N'écoutant , comme on le croyait fermement, que son zèle pour la 
concorde et la paix, et s'étant assuré de l'agrément du roi , il chargea 
les métropolitains du royaume de s'enquérir en secret des opinions de 
leurs suffragants et des autres prélats, et de les leur faire mettre par 
écrit , afin qu'on sát à laquelle des deux voies chacun d'eux donnait 
son adhésion. Puis il convoqua les prélats le 28 mai, à l'hótel royal de 
Saint-Paul, en l'absence du roi et des ducs ses oncles. Lorsqu'il eut 
appris d'eux quel était le nombre des partisans de la restitution d'obé- 
dience, il s'empressa d'aller en informer le roi; il le trouva dans son 
oratoire oü il s'était retiré, aprés avoir fait sa méridienne. S'étant 
présenté à lui avec un nombre trés considérable d'archevéques et 
d'évéques, il lui exposa tout au long ce qu'il avait fait "et lui remit 
par écrit les noms des prélats qui s'étaient déclarés pour la restitution 
d'obédience et ceux des Universités susdites. Quoique je ne sache pas 
tous ces noms, je crois pouvoir assurer que la majeure partie des 
prélats adhéra à cette opinion. En conséquence, le roi y donna 


92 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


prefatarum. Quamvis nomina singulorum non teneam , verissi- 
militer tamen credo majorem partem huic oppinioni adhesisse. 
Quare et ipsemet rex adhesit et inde gaudere se dixit, quoniam 
dominum papam virum eminentis sciencie, magne circumspec- 
tionis et bone consciencie reputabat. Verba regis ut dux 
jocunde audivit, mox crucem afferens ab altari, postulavit 
humiliter ut verbum quod emiserat cum juramento firmaret ad 
rei stabilimentum ; et tunc, ambabus manibus positis super 
crucem , cunctis audientibus sic inquit : « Et ego domino nostro 
« pape Benedicto integre obedienciam restituo, affirmans per 
« sanctam crucem Domini quod ipsi tanquam vero vicario 
« Jhesu Christi in terris obedienciam inviolabiliter servabo, 
« quamdiu vixero, eamque restitui faciam in cunctis partibus 
« regni mei. » De prelibatis omnibus petita fuerunt instrumenta 
varia et concessa. Et tunc rex , ad altare devote genua flectens 
junctisque manibus Deo gracias referens, 7e Deum inchoavit, 
quod et ceteri assistentes persequuti sunt cantando cum devotis 
singultibus et habundancia lacrimarum. Idemque precepto re-. 
gis jussum est fieri in cunctis ville Parisiensis ecclesiis ac eciam 
in ecclesia beati Dyonisii cum pulsacione celebri campanarum. 

Que omnia domini duces Biturie et Burgundie audientes, quia 
ipsis insciis facta erant, indignantissime tulerunt, ad regem- 
que accedentes, quod hec nimis precipitanter nec cum suffi- 
cienti deliberacione conclusa fuerant libere et repetitis vicibus 
protulerunt. Sed dilectissimos rex cupiens demulcere dixit se 
credere fratrem suum in prosequucione facti sanctum zelum 
habuisse; assenciendo quoque majori numero prelatorum 
obediencie restitucionem juraverat, firmiter tamen sperans 
quia quicquid ipse papa fratri suo promiserat in favorem regni 
et Ecclesie fideliter adimpleret. Hec articulatim divisa in pre- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 93 


aussi son adhésion, et dit qu'il le faisait volontiers, parce qu'il tenait 
monseigneur le pape pour un personnage d'un savoir éminent, d'une 
rare prudence et d'une grande vertu. Le duc, ravi de ce qu'il venait 
d'entendre, prit la croix sur l'autel et demanda humblement au roi de 
confirmer par serment les paroles qu'il avait prononcées. Le roi , pla- 
cant alors ses deux mains sur le crucifix , dit à haute voix : « Je rentre 
« pleinement et entiérement sous l'obédience de monseigneur le pape 
« Benoît, et j'affirme par la sainte croix de Notre-Seigneur que je lui 
« préterai toujours une obéissance inviolable comme au véritable vi- 
« caire de Jésus-Christ sur la terre, et que je ferai rentrer sous son 
« obédience toutes les provinces de mon royaume. » On demanda qu'il 
füt dressé et on dressa des actes authentiques de tout ce qui précède. 
Aprés quoi le roi s'agenouilla dévotement devant l'autel, et les mains 
jointes il remercia Dieu en entonnant un 7e Deum, qui fut achevé 
par toute l'assistance au milieu des soupirs et des larmes de joie. Des 
Te Deum furent également chantés par ordre du roi, au son des 
cloches , dans toutes les églises de Paris et à l'abbaye de Saint-Denys. 


Les ducs de Berri et de Bourgogne, informés de ce qui s'était passé, 
furent fort irrités qu'on ne les eût pas consultés; ils se rendirent auprès 
du roi et lui représentérent librement et à plusieurs reprises que l’on 
avait agi avec trop de légèreté et de précipitation. Pour calmer ses 
oncles bien aimés, le roi déclara qu'il croyait que son frére avait suivi 
les inspirations d'un saint zèle; que pour lui, c'était conformément à 
l'avis de la plupart des prélats qu'il avait juré de rentrer sous l'obé- 
dience du pape; qu'il avait d'ailleurs le ferme espoir que le pape rem- 
plirait fidélement les engagements qu'il avait pris avec le duc d'Orléans 
en faveur du royaume et de l'Église. Il fit lire alors ces engagements 
article par article en leur présence. Mais malgré tout ce qu'ils con- 
tenaient d'avantageux et d'honorable pour le roi, pour le royaume 


94 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 

sencia eorum legi fecit; que quamvis regis et regni Francie, 
Ecclesie quoque gallicane continerent commodum et honorem, 
nec tamen persuadere potuit quin usque ad sequentem diem in 
sua oppinione permanerent. Ut peracta penitus irritarentur 
oppinioni eorum adherentes multis viis temptaverunt, verbis 
eciam se jactando quod optato fruerentur. Sed mediantibus 
bonis viris, sequenti die Biturie dux non solum cum rege 
stetit, sed eciam cum nepote duce Aurelianensi, qui tantum 
promissionibus pape dicebat se confidere ut premissa et ma- 
jora, si peterentur, concessurum affirmaret. Et quamvis pre- 
fatus dux Biturie, estimatis forsitan pape et. Árragonum mori- 
bus, super hoc plurimum hesitaret, ad restitucionem tamen 
obediencie sibi facte fratris animum inclinavit, non sponte, 
ut dicebatur, dum tamen honorem regni servando non faceret 
irrita, que de labiis et scriptis suis processerant. 

Si precedencia pias aures aliqualiter offendant, quod ni- 
mium est solum calamo imputetur; nam ea ex relacione fide 
dignorum processerunt. Et sic quod usque ad annum non cre- 
debatur posse concludi, scilicet restitucio obediencie, conclusa 
est; sequentique die edicitur predicanda Parisius in ecclesia 
cathedrali. Interim dum hec aguntur, et in Universitate Parj- 
siensi finis rerum innotuit , omnium facaltatum non minor pars 
evocata restitucioni consensiit. Vota eciam singulorum per na- 
ciones rector inquiri faciens, Gallicis et Picardis ad obedien- 
ciam redire consulentibus, Alemanhi neutralitatem, sicut in 
principio, eligerunt; sed Normani constancius solito substrac- 
tioni adheserunt. | 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 95 


et pour l'église de France, il ne put empécher ses oncles de persé- 
vérer dans leur opinion jusqu'au lendemain. Les partisans des princes 
travaillérent au contraire de tout leur pouvoir à faire annuler ce qui 
avait été décidé, et ils se vantérent tout haut qu'ils en viendraient 
à leurs fins. Mais, grâce à la médiation de quelques gens de bien, le 
duc de Berri déclara le lendemain qu'il se rangeait à l'avis du roi et de 
son neveu le duc d'Orléans, qui avait une telle confiance en la parole 
du pape, qu'il se rendait garant de l'exécution des clauses convenues 
et méme de concessions plus grandes encore, si l'on en demandait. 
Le duc de Berri était loin de partager cette confiance, lorsqu'il son- 
geait au caractère du pape et des Aragonais en général. Ce fut Ini 
néanmoins qui obtint le consentement de son frére à la restitution 
d'obédience; mais le duc de Bourgogne ne céda, dit-on, qu'à regret 
et aprés avoir stipulé que, tout en respectant l'honneur de la cou- 
ronne, le pape respecterait aussi les engagements qu'il avait pris de 
vive voix ou par écrit. 


Si dans les faits que je viens de raconter il y a quelque chose qui 
blesse de pieuses susceptibilités , il ne faut s'en prendre qu'aux termes 
dont je me suis servi; car ces faits m'ont été rapportés par des per- 
sonnes dignes de foi. Ainsi fut décidée la restitution d'obédience qui 
avait présenté jusqu'alors tant de difficultés. Dès le lendemain on 
ordonna qu’elle füt publiée dans l'église cathédrale de Paris. Lorsque 
l'Université de Paris fut informée de ce qui s'était passé, elle s'assem- 
bla, et la plupart des facultés acquiescérent à la restitution. Le rec- 
teur fit recueillir les votes de chacun par nation. Les Français et les 
Picards furent d'avis de rentrer sous l'obédience; les Allemands se 
prononcérent, comme précédemment, pour la neutralité ; quant aux 
Normands, ils se montrérent plus partisans que jamais de la sous- 
traction. 


96 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


CAPITULUM VI. 


Obediencie restitucio publicatur. 


Volens rex die sequenti quod decreverat notum fieri uni- 
versis , in ecclesia Nostre Domine Parisiensis ducibus, cardina- 
libus et episcopis evocatis presentibus , Camaracensi * domino 
Petro de Alliaco, in theologia excellentissimo professori, id 
propositum commisit. Qui obtemperans mandato, et inter mis- 
sarum sollemnia , que cardinalis Pictavensis celebranda susce- 
perat, pro themate assumens Benedictus Deus, qui dedit in cor 
regis, etc., in calce deductionis verborum dixit pape duci Aure- 
lianensi promissa honorem regis et regni tangencia ad hoc 
regem induxisse. Moxque cedulam perlegens articulatim divi- 
sam, papam dixit ipsi duci litteras appostolicas super accepta- 
cione vie cessionis, in tribus tamen casibus, contentis in quo- 
dam instrumento quod idem dux adhuc penes se habebat, 
concessisse; iterum et quod per illas omnes protestaciones, si 
quas fecerat contra viam cessionis, revocaret, omnesque pro- 
cessus irritaret, quos fecerat vel fieri permiserat occasione dicte 
substractionis, nec deinceps aliquos faceret nec permitteret fieri 
quovismodo. Adepturum eciam se dicebat de facili ut in ipsis 
continerentur cardinalium tractatus, in quantum honorem 
regis et regni Francie concernebant; item et quod discussio 
nunquam fieret de substractione predicta consilio generali nec 
alibi; et quod omnes injurie dicto vel facto illate occasione 
illius, et cuncta impedimenta facta ab utraque parte, offensis 
remissis, penitus anullarentur. In cedulla ulterius addebatur 
quod supplicacionem pape faciendam de diminuendis oneribus 
ecclesiarum Francie duces Francie cum eo promoverent, 


' War. : n° 5959, fol. 5 r. Camaracensi episcopo. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV." 97 


CHAPITRE VI. 


On publie la restitution d'obédience. 


Le lendemain le roi, voulant que chacun sát ce qu'il avait décidé, 
chargea monseigneur Pierre d'Ailly, évêque de Cambrai, et savant 
docteur en théologie , de précher la restitution d'obédience dans l'église 
de Notre-Dame de Paris, en présence des ducs, des cardinaux et des 
évêques assemblés. Pendant l'office divin, qui fut célébré par le car- 
dinal de Poitiers, monseigneur Pierre d'Ailly prit la parole, confor- 
mément aux ordres du roi, et choisit pour texte ces mots : Bén soit 
le Seigneur, qui a mis dans le cœur du roi, etc. Il déclara en finis- 
sant que les promesses faites par le pape au duc d'Orléans dans l'intérét 
du roi et du royaume avaient seules dicté la détermination du roi. Il lut 
ensuite la cédule article par article, et ajouta que le pape avait adressé 
audit duc des lettres apostoliques, par lesquelles il s'engageait à ac- 
cepter la voie de cession, mais dans trois cas seulement, lesquels cas 
étaient contenus dans un acte que le duc avait aussi par devers lui, il 
révoquait toutes les protestations qu'il avait pu faire contre la voie de 
cession, cassait toutes les procédures qu'il avait faites ou permis de 
faire à l'occasion de ladite soustraction , promettait de n'en plus faire à 
l'avenir ni de permettre qu'on eu fit aucune, et disait qu'il obtiendrait 
facilement que l'on comprit dans les conditions accordées au roi les 
traités des cardinaux , en tant qu'ils touchaient à l'honneur. du roi et 
du royaume, qu'il n'y aurait jamais de discussion sur ladite soustrac- 
tion, soit en concile général soit ailleurs, et que toutes les injures ou 
voies de fait qui avaient eu lieu à cette occasion, et toutes les offenses 
dont on avait à se plaindre de part et d'autre seraient complétement 
oubliées et pardonnées. Il était stipulé en outre dans la cédule que les 
seigneurs de France se joindraient au duc d'Orléans pour supplier le 
pape de diminuer les charges des églises du royaume, et pour lui 
demander de maintenir les collations et promotions faites durant la 
soustraction par les prélats ordinaires , ainsi que les bénéfices réservés 

HI. 13 


98 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV 


. addentes et quod in collacionibus et promocionibus factis per 
ordinarios prelatos, de beneficiis eciam reservatis et collatis 
durante substractione nil penitus innovaret, nisi prius proba- 
rentur injuste vel symoniace obtenta. In fine autem lecture dux 
ipse omnes securos reddebat, quod secundum formam juris 
papa, cicius quod posset et tardius infra annum, consilium 
generale sue obediencie celebraret, in quo quidem tractaretur 
de prosequucione unionis Ecclesie , de reformacionibus et liber- 
tatibus ejusdem, de subsidiis et oneribus quibuscunque, a 
Romana Ecclesia super ecclesiis Francie consuetis percipi, alle- 
viandis; et quod ibidem consulta exequcioni dare non differret. 
In calce tamen narracionis consulebat quod super dictis mode- 
racione, prosequcione unionis , reformacione et bono regimine 
Ecclesie, auctoritate regis et Ecclesie gallicane, assisterent 
congregacione illa alique bone persone litterate et bone con- 
sciencie, ut melius et commodius agenda concluderentur. 


CAPITULUM VII. 
De illis qui ad * obedienciam pape redierunt, 


Que scripta sunt ab ore prefati episcopi Camaracensis in 
choro ecclesie publice promulgata sunt. Qui ut verbis finem 
fecit, et cardinalis divina peregisset, mox de Tureyo cardinalis, 
qui hucusque substractioni adheserat, ad regem accessit, et 
publice restitucionem obediencie pape factam approbavit. Tri- 
duoque peracto, cum omnes bone voluntatis homines quod 
factum fuerat letantes approbarent, pudore victa nacio nor- 
manica, ut cetere naciones, ipsi pape consensiit obedire, et 
deposita obstinacionis sarcina, que acta prius fuerant appro- 


' Le mot ad, emprunté au n? 5959, fol. 5 v., manque dans le n° 5958. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 99 


ou conférés par eux, à moins qu'il ne füt prouvé qu'ils avaient été 
donnés injustement ou par simonie. À la fin de la cédule le duc d'Or- 
léans donnait l'assurance publique que le pape convoquerait suivant 
les formes, dans le plus bref délai possible, et au plus tard dans un 
an, un concile général des prélats de son obédience , où l'on traiterait 
du rétablissement de l'union , des réformes et des libertés de l'Église, 
des subsides et de tous autres deniers que la cour de Rome percevait 
ordinairement sur les églises de France; il s'engageait à faire exécuter 
sans retard tout ce qui aurait été décidé. Il conseillait en terminant de 
désigner, pour assister à ce concile au nom du roi et de l'Église galli- 
cane, des personnages d'un savoir éminent et d'une probité reconnue ; 
c'était, disait-il, le moyen de mener plus promptement à bonne fin les 
négociations relatives au rétablissement et au maintien de l'union, à 
la réforme et au bon gouvernement de l'Église. 


CHAPITRE VII. 


" De ceux qui rentrérent sous l'obédience du pape. 


Tout ce qui précéde fut promulgué à haute voix dans le choeur de 
l'église par monseigneur l'évêque de Cambrai. Lorsqu'il eut fini de 
parler, et que le cardinal de Poitiers eut achevé la messe, le cardinal 
de Thury, qui avait jusqu'alors adhéré à la soustraction, alla trouver 
le roi et approuva en sa présence la restitution d'obédience. Trois 
jours aprés, la nation normande, voyant que toutes les personnes de 
bonne volonté accueillaient avec joie ce qui avait été fait, eut honte 
de son obstination , et consentit à se soumettre au pape comme les 
autres nations de l'Université; elle donna donc son assentiment à ce 
qu'on avait fait, à condition que le souverain pontife remplirait ses 
engagements. Comme, durant la soustraction, il y avait eu des disputes 


100 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


bavit, dum tamen summus pontifex que promiserat compleret. 
Et quia, substractione durante, in Universitate Parisiensi multe 
disceptaciones verbales viguerant, unde prior sancti Martini de 
Campis, in decretis doctor, et magister Johannes de Moravia, 
magister in theologia sollemnis, nonnulli quoque alii eminentis 
sciencie ab omni actu scolastico privati fuerant, ad pacem et 
unionem iterum revocati sunt. Jacobitis eciam hucusque ab 
Universitate expulsis misericordie gremium aperitur; extitit- 
que ordinatum, ut ad honorem pristinum redeuntes , actus 
scholasticos, ut prius, exercerent et dominicales sermones. 
Que procul dubio egre tulerunt ceteri mendicantes propter 
eorum practicam diminutam in confessionibus audiendis. 


CAPITULUM VIII. 


Restitucio obediencie pape nunciatur. 


Magne auctoritatis inde nuncii mittuntur, qui gratulabundi 
pape que dearticulata fuerant notificantes, supplicarent humi- 
liter ut ea efficaciter adimpleret, et sic viam prepararet per 
quam mater Ecclesia ad pulcritudinem pacis et concordie libere 
pertransiret. Quanto attencius inter omnes lilia deferentes dux 
Aurelianensis ejus procuraverat honorem, tanto diligencius 
suos, videlicet abbatem sancti Dyonisii in Francia et archidia- 
conem Attrabatensem, curavit premittere. Et hii circa festum 
appostolorum Petri et Pauli apud Pontem Sorgie, ubi ipse resi- 
debat, attigerunt. Tunc injunctam sibi tam fideliter quam pru- 
denter exequucioni legacionem mandantes, cum dictus abbas 
causam adventus eorum luculenti collacione perorasset, ducis 
requestas dulciter recommendans, ornateque idem papa quid- 
quid dux petebat se habere recommendatum respondisset , eos 
gratanter exceptos expectare jussit, donec cum cardinalibus 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 101 


assez aigres dans l’Université de Paris, et qu'à cette occasion le prieur 
de Saint-Martin-des-Champs , docteur en décrets, maître Jean de Mo- 
ravie, savant professeur de théologie, et plusieurs autres personnages 
d'un savoir éminent, avaient été suspendus de leurs fonctions, on les 
rétablit dans leurs droits, pour consolider la paix et l'union. Les Jaco- 
bins eux-mémes, exclus jusque-là du sein de l'Université, ressentirent 
les effets de cette réconciliation générale. Il fut réglé qu'on leur ren- 
drait leurs anciens honneurs, et qu'ils pourraient comme auparavant 
faire des lecons publiques et précher les dimanches. Cette décision mé- 
contenta vivement les autres ordres mendiants, parce qu'ils voyaient 
ainsi diminuer les profits qu'ils tiraient du grand nombre de leurs 
pénitents. . 


CHAPITRE VIII. 


On annonce au po.e la restitution d'obédience. 


Des personnages considérables furent ensuite désignés pour aller 
complimenter le pape, et lui notifier ce qui s'était passé, en le sup- 
pliant humblement d'accomplir ses promesses et de préparer ainsi les 
voies au retour de la paix et de la concorde dans le sein de l'Église. Le 
duc d'Orléans, qui de tous les princes du sang avait montré le plus 
d'empressement en faveur du pape, tenait beaucoup aussi à ce que 
cette ambassade fût confiée à deux personnes de son choix ; il en fit 
charger l'abbé de Saint-Denys et l'archidiacre d'Arras. Les deux en- 
voyés arrivérent vers la féte des apótres saint Pierre et saint Paul à 
Pont de Sorgues, où résidait le pape. Ils s'acquittérent de leur mis- 
sion avec autant de fidélité que de prudence; labbé de Saint-Denys 
exposa dans un brillant discours le motif de leur voyage, en recom- 
mandant au pape avec douceur les requétes du prince. Le pape 
accueillit gracieusement les envoyés et leur répondit qu'il aurait pour 
recommandé tout ce que le duc désirait; mais il les pria d'attendre 
qu'il en eùt délibéré avec les cardinaux. On vit bientôt que ses senti- 


102 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


super hoc deliberasset. Quod tamen verba cum corde minime 
conveniebant tunc lacide demonstravit. Nam interim electio- 
nem predicti novi abbatis oblatam duobus cardinalibus visi- 
tandam commisit; quam et postmodum penitus nullam dixit, 
ipsum intrusum nominans, quia ejus irrequisito assensu accep- 
tare et retinere tantum beneficium presumpsisset. Tandem 
tamen processu juridico inchoato, et de ejus sufficiencia, vita 
et moribus diligenti inquisicione facta , servando ordinem con- 
suetum ipsum abbatem in consistorio nominavit, et abbaciam 
sibi per suas patentes litteras appostolicas confirmavit. 

Prenominatos nuncios legati eciam regis, scilicet archiepisco- 
pus Axensis et Camaracensis episcopus sequuti sunt; qui eciam, 
ut ea que papa ore promiserat ad utilitatem Ecclesie cicius 
expedirentur, ipsum septembris prima die adierunt. Et quia 
dux Biturie sperabat hoc in brevi efficaciter adimplendum, 
nuper cum maximo apparatu decreverat ipsum personaliter 
visitare, ut, si vellet Avinionem repetere, ibi reduceretur 
honestius. Sed indigne ferens quod de die in diem negocium 
differebat, iterum rediit; nec diu post omnes qui missi fuerant, 
infecto negocio, inanes et vacui redierunt. 

Circa finem junii rex Karolus, qui a restitucione obediencie 
solitam egritudinem incurrerat, sane mentis compos factus, 
usque ad festum Magdalene sanus fuit. Quo tempore, ut alias, 
mente captus in illo statu permansit usque ad mensem de- 


cembris. 
CAPITULUM IX. 


De tractoribus regiis. 


Jam ad induciale fedus componendum cum Anglicis episco- 
pum Carnotensem et dominum de Hugevilla rex Boloniam 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. — 103 


ments n'étaient point d'accord avec ses paroles. En effet, il chargea 
deux cardinaux d'examiner l'élection dudit abbé qui lui avait été sou- 
mise, et peu aprés il la déclara nulle, et le traita lui-méme d'intrus 
pour avoir osé accepter et conserver un si important bénéfice, sans 
s'être assuré de son consentement. Cependant, aprés avoir exigé qu'il 
se soumit à diverses procédures, et ordonné une enquête sévère sur 
sa capacité, sa vie et ses mœurs , il finit par lui conférer en consistoire 
le titre d'abbé, conformément aux usages recus, et lui confirma son 
abbaye par lettres-patentes apostoliques. 


Aprés lesdits envoyés, arrivérent l'archevéque d'Aix et l'évéque de 
Cambrai, ambassadeurs du roi de France. Ils se présentérent devant 
le pape le 4°" septembre, pour réclamer la prompte exécution des 
promesses qu'il avait faites dans l'intérét de l'Église. De son cóté le 
duc de Berri, espérant qu'il ne ferait pas difficulté de remplir ces pro- 
messes, se rendit en personne auprés de lui à la téte d'un brillant cor- 
tége, afin de le ramener pompeusement dans Avignon, s'il voulait y 
rentrer. Mais indigné de ce qu'il suscitait chaque jour quelque nouvel 
obstacle, il repartit, et peu de temps aprés tous les envoyés s'éloi- 
gnérent sans avoir rien conclu, ni rien obtenu. 


Le roi Charles, qui était retombé malade depuis l'époque de la 
restitution d'obédience, recouvra son bon sens vers la fin du mois de 
juin, et jouit d'une bonne santé jusqu'à la féte de sainte Madeleine. 
Il éprouva alors une nouvelle rechute, et demeura privé de sa raison 
jusqu'au mois de décembre. 


CHAPITRE 1X. 
Du traité conclu entre les rois de France et d'Angleterre. 


Le roi avait précédemment envoyé à Boulogne l'évéque de Chartres 
et messire de Hugueville pour conclure une tréve avec les Anglais. 


104 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


miserat; qui redeuntes scriptis retulerunt regem Anglie modis 
omnibus tractatum factum tempore predecessoris sui velle in- 
violabiliter servare; iterum et si aliqua particularia bella inter 
Anglicos et Francos de novo emergerent, regibus inconsultis, 
alter amborum requisitus ad emendacionem forefactorum pro 
posse laboraret. Qui tamen missi fuerant mutuo vale dicentes, 
mense apprili futuro redire iterum statuerunt ut super prius 
tactis responderent. 


CAPITULUM Xx. 


Anglici a Britannis navali prelio superantur. a. 


À decem mensibus jam exactis ad libitum et indempnes An- 
glici gallicana littora hostiliter perlustrantes cedes, rapinas et 
incendia exercendo , reiteratis vicibus ingenti preda onusti pa- 
triam repecierant nemine resistente. Inde audaciores effecti et 
equo plus suis fidentes viribus , remissis Baionensibus subsidia- 
riis sociis, in armis servare mare statuerant, atque lucris more 
solito inhiantes precavere ne Gallici ad auxilium Scotorum trans- 
mearent. Ad dimicandum cum Anglicis ipsos sciebant diem ad 
decimam quintam augusti assignasse, nec ignorabant Gallicos - 
modis omnibus optare ut ibi presentes essent ad strenuitatis 
titulum acquirendum. Impedientibus tamen ipsis, Francigenis 
transfretacio preclusa est, duntaxat ! domino Petro de Essartis 
milite, qui? clam cum paucis transivit, dum in finibus Britanie 
piraticam exercebant. Sane compatriotis illis vilipensis, per 
scopulosum districtum sancti Mathei , qui peregrinis et ignaris 
locorum ad Britaniam navigantibus periculosus semper fuit, et 

"Il est nécessaire, pour compléter le sens,  * Le mot qui, emprunté au n° 5959, fol. 4 v., 


de supposer dans le manuscrit l’omission manque dans le n° 5958. 
d’un mot, tel que excepto. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. — 105 


Ces députés rapportérent que le roi d'Angleterre était disposé à main- 
tenir inviolablement le traité conclu sous le régne de son prédécesseur, 
et qu'il avait été convenu que, si quelques hostilités venaient à éclater 
entre les Anglais et les Francais sans l'aveu des deux rois, celui qui 
par l'autre en serait requis travaillerait de tout son pouvoir à lui faire 
obtenir réparation. Les ambassadeurs s'étaient séparés sur cette assu- 
rance, en s'engageant à revenir au mois d'avril suivant, pour se com- 
muniquer ce qui aurait été résolu relativement à leurs propositions. 


CHAPITRE X. 


Victoire navale remportée par les Bretons sur les Ánglais. 


Depuis dix mois les Anglais faisaient impunément et à leur gré 
de fréquentes incursions sur les cótes de France, se livrant à toutes 
sortes de pillages et de déprédations , mettant tout à feu et à sang, puis 
retournant dans leur pays, chargés d'un riche butin, sans rencon- 
trer la moindre résistance. Enhardis par l'impunité' et pleins d'une 
aveugle confiance dans leurs forces, ils renvoyérent les Bayonnais qu'ils 
avaient appelés à leur aide, et résolurent de tenir la mer. Ils vou- 
laient, tout en épiant l'occasion de faire quelque bonne prise, empé- 
cher les Bretons d'aller porter secours aux Écossais, qui devaient en 
venir aux mains le 15 août avec les Anglais. Ils n'ignoraient pas que 
les Français n'avaient rien plus à cœur que d'assister à cette bataille 
pour y signaler leur vaillance. Ils parvinrent à leur fermer le passage; 
un seul chevalier, messire Pierre des Essarts, traversa la mer avec 
quelques braves, pendant qu'ils se livraient à des actes de piraterie 
sur la frontiére de Bretagne. En effet, sans craindre les habitants du 
pays, et malgré les périls que la navigation du détroit de Saint-Mathieu 
présente aux étrangers et à ceux qui ne connaissent pas ces parages, 
les Anglais avaient passé à travers les écueils dont ce détroit est par- 
semé, et qui ne permettent pas d'approcher de la côte sans un pilote 
habile, et vers'la fin de juin, ils touchaient aux rivages de Bretagne. Ils 


Ill. 14 


106 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


nisi habeant ducem industrium non nisi cum naufragio patrie 
possunt propinquare, jam classem suam deduxerant. At ubi 
circa finem junii mensis littus attigerunt, cum decem vacuis 
onerariis navibus unam peregrinis mercibus oneratam rapue- 
runt. Qua preda ingenti parta mirabiliter letati, cum sperarent 
multis annis inde debere ditari, et ad eam dividendam repa- 
triare mutuo deliberassent, quod et predatores soleant depre- 
dari mox eos Britones docuerunt. 

Ad eorum enim injuriam quod egerant retorquendo, indi- 
gnacione moti ad vindictam statuerunt procedere, et consilio 
domini Oliveri de Clichon mille et ducentos pugnatores cum 
immensa vi levis armature et balistariorum collegerunt, ut in 
reditu ipsis hostibus obviarent. Ipso eciam suadente, milites 
strenui nominandi , dominus de Pennehoit, dominus Johannes 
filius ejus, Britannie admirallus, et Guillelmus de Castro capi- 
tanei statuuntur, qui armatos triginta navibus in principio jullii 
imponentes, mox avulsis a littorjbus anchoris, hostes dignum 
duxerunt insequi diligenter. In parvis navibus jam exploratores 
fideles ad statum eorum explorandum premiserant, qui die 
sequenti redeuntes hostes prope locum dictum vulgariter du 
Rais sancti Mathei, prope quem mare extremum terre deserit, 
retulerunt stacionem habere. Ad quem protinus accedentes , eos 
cum jam diei medium * post terga relinquerat et ad occasum 
vergebat, perceperunt. Vix majorum auctoritas tunc juventu- 
tem collectam ab agressu valuit continere, dicencium : « Jam 
« preceps sol vergit ad occasum; nox quoque periculosa omnia 
« suspecta reddet. In noctem igitur imminentem aciem non 
« instruatis. Longiori luce ad id certamen quod instat vobis 


' Il est nécessaire, pour compléter le sens, de supposer dans le manuscrit l'omission du 
mot sol. | . 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 401 


s emparérent de dix bâtiments de transpert vides et d’un:vaisseau-chargé 
d'une riche cargaison. Tout joyeux de leur capture, ils se flattaient de 
l'espoir de vivre long-temps dans l'aisance, et songeaient déjà à rega- 
gner leur patrie.afin de se partager le butin; mais ils apprirent bientót 
à leurs dépens que les pillards sont souvent pillés à leur tour. 


Les Bretons, excités par le ressentiment, résolurent de se venger 
en usant de représailles. D’après les conseils de messiré Olivier de 
Clisson, ils rassemblérent. douze cents hommes d'armes et un grand 
nombre d'arbalétriers et de troupes légères pour arrêter les ennemis 
dans leur retraite; et choisirent pour capitaine le sire de Penhouët, 
messire Jean son fils, amiral de Bretagne, et Guillaume du Chátel, 
tous chevaliers renommés pour leur valeur. Ils s'embarquérent sur 
trente vaisseaux, levérent l'ancre vers les premriers jours de: juillet et 
se mirent à la poursuite des Anglais. Ils avaient détaché en avant sur 
de petites barques des hommes sürs, pour reconnaitre la position de 
l'ennemi. Ayant appris le lendemain par leurs rapports que la. flotte 
anglaise stationuait à l'extrémité du rivage, dans l'endroit appelé Ras 
Saint-Mathieu, ils se dirigérent aussitót de ce cóté et découvrirent 
l'ennemi vers le coucher du soleil. Les chefs eurent peine à contenir 
la jeunesse assemblée sous leurs ordres, qui voulait attaquer sur-le- 
champ. « Vous voyez, dirent-ils, que le soleil est prés de se coucher; 
« la nuit augmentera pour nous tous les dangers. Ne songez donc pas 
« à livrer bataille aux approches de la nuit. Vous avez besoin pour le 
« combat qui se prépare de plus de jour qu'il n'en reste; Demain , an 
« lever du soleil , vous commencerez l'attaque, et vous verrez de prés 
« l'ennemi, soyez-en sûrs. Mais maintenant qu'il fait à peine jour, il 
« ne serait ni sage ni prudent de combattre. » 


108 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 

« opus est..Crastina die, oriente sole, assultum incipiatis; erit 
« copia pugnandi, non timeatis. Nam modo nec tutum nec 
« laudabile certare luce ambigua reputamus. » 

Et sic liiis verbis repressi , quia serum erat diei, a bello absti- 
nuerunt, Tunc quidem corpora cibo sompnoque curant. At ubi 
illius noctis aurore vicine sydus illuxit matutinum, hostes in 
conspectum dedit, et eos non spaciosum mare Hyspanicum sed 
Anglicum petere compererunt, mox eisdem contendunt obviare; 
classem suam bifarie dividentes , uni parti dominum Guillel- 
mum de Castro, altéri vero ceteros preesse decreverunt. Ut 
autem adversarii hunc apparatum perceperunt , ad resistenciam 
se aptantes similem ordinem tenuerunt. Et mox suborto cla- 
more terribili Britanni, alienatis animis a periculorum memoria, 
mox classem accedencium tanto impetu concusserunt, quod pene 
marinis fluctibus involverunt. Abhinc spretis humanitatis legi- 
bus, tanquam in feras immanissimas ardentibus studiis et 
odio insaciabili utrinque decertatum est, nec facile fuit decer- 
nere utra protervius contra adversarios arma corripuerit parva 
manus, aut congressione steterit acrius, aut diuturniore longa- 
nimitate in belli navalis pondere perseveraverit. Nam ab hora 
diei tercia usque ad nonam cum odio inexpiabili continuatus 
est conflictus. Sed tandem Anglici attendentes quod belli pon- 
dus divisi amplius ferre nequibant, iterum se simnl adunarunt; 
quod exemplum Gallici eciam sunt sequuti. Hinc inde viribus 
recollectis, cum omni genere missilium et bellicorum instru- 
mentorum cominus prelium restauratur, et hostes insultum ali- 
quandiu pertulerunt, donec omnia missilia consumpsissent. Et 
tunc incipientes rarescere, animo consternati ad dedicionem 
venerunt , quingentis ex eis aut gladiis interemptis aut submer- 
sis. Totidem ex hiis fuerunt, qui videntes quod pejorem calcu- 


4 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 109 


Les Bretons, calmés par ces paroles, renoncérent à engager l'action 
à une pareille heure ; ils firent bonne chére et s'endormirent jusqu'au 
lendemain. Aux premières lueurs de l'aurore, ayant aperçu l'ennemi 
et voyant qu'il s’éloignäit dans la direction de l'Angleterre au lieu de 
gagner la grande mer d'Wifigne, ils marchèrent en toute hâte à sa 
rencontre. Ils avaient partagé leur flotte en deux divisions, dont l'une 
était commandée par messire Guillaume du Chátel, l'autre par le sire 
de Penhouét et son fils. À cette vue, les Anglais se disposérent à com- 
battre en adoptant le méme ordre de bataille. Les Bretons s'avancérent 
intrépidement en poussant un cri terrible, et abordérent la flotte en- 
nemie avec tant d'impétuosité, qu'ils faillirent la couler à fond. Ou- 
bliant alors toutes les lois de l'humanité, les Anglais et les Bretons 
fondirent les uns sur les autres avec une rage implacable comme des 
bêtes féroces; il n’eût pas été facile de décider lequel des deux partis 
attaqua awet le plus d'ardeur, lutta avec le plus d'acharnement, ou 
soutint le poids de la bataille avec le plus de courage et d'énergie. 
L'engagement dura avec la méme fureur depuis la troisième heure du 
jour jusqu'à la neuviéme. À la fin les Anglais s'apercurent qu'ils ne 
pouvaient tenir plus long-temps avec leurs forces ainsi divisées, et se 
réunirent en un seul corps. Les Francais suivirent cet exemple, et 
lorsque les deux divisions se furent ainsi ralliées de part et d'autre, 
elles recommencérent le combat de prés en se servant de toutes leurs 
machines de guerre et de toutes sortes de projectiles. Les ennemis 
firent bonne contenance jusqu'à ce qu'ils eussent épuisé toutes leurs 
munitions. Álors, voyant que leurs rangs s'éclaircissaient, ils perdirent 
courage et se rendirent; cinq cents d'entre eux avaient été tués ou noyés. 
Cinq cents autres, au moment où ils avaient désespéré de la victoire, 
avaient jeté leurs armes à la mer, soit dans l'espoir qu'on les mettrait 
à moindre ráncon en les trouvant désarmés, soit plutôt afin de ne pas 
étre contraints de livrer ces armes aux vainqueurs. Mais les capitaines 
bretons les firent tous jeter à l'eau en leur disant d'aller les pécher. 


110 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


lum reportabant, ad cautelam arma sua in mare projecerunt, 
ut sic inermes reperti ad minorem redenipcionem ponerentur, 
vel, ut verisimilius visum fuit , ne ipsis Gallici ditarentur. Qua- 
propter ad ea perquirenda eos capitanei jusserunt in mare pre- 
cipitari. 

Hiis peractis, ad littus redierunt cum mille hostibus captivis ; 
quos cum equaliter divisissent, et custotliis variis mancipassent, 
apices de victoria duci suo et dueibus Francie. transmiserumt , 
moxque prosperos continuando successus, naves recentibus 
. pugnatoribus repleverunt, ut hostiliter Angliam inquietarent: 


CAPITULUM XI. 


Rex Auglie quosdam rebelles milites: expugnavit. 


Dum agebantur predicta, nec Anglia propriis angustia visce- 
ribus sedicionibus carebat, instinctu domini Thome de Persiaco, 
qui gravem prodicionis sarcinam peractam in Richardum 
regem, suum dominum naturalem, reducens ad memorïam, 
abhorrebat nequiter consensisse promocioni Henrici. Sic sera 
penitencia ductus , ad deposicionem ejus cepit viribus anhelare 
cum Scotorum nobilibus, quos, ut.dictum est, vicerat et. deti- 
nebat captivos, multis Anglicis evocatis. Quod Henricus com- 
periens cauteque studens tam temerariis principiis obviare, ex 
Londonensibus ceterisque regnicolis exercitu secretissime col- 
lecto, 'Thome jussit ut ad se accedens secure ac pacifice causam 
diceret cur delectum armatum tunc teneret. Cui cum obtempe- 
rare renuens remandasset regnum ipsum proditorie occupasse , 
et quod, quamdiu viveret ad detrimentum ipsius totis viribus 
laboraret, ex indignacione nimia properans ad vindietam , in 
eum velut in hostem publicum ingentes duxit copias pugnato- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 411 


Les Bretons retournérent ensuite au port avec mille prisonniers, 
qu'ils se partagérent entre eux d'une manière égale, et qu'ils emme- 
nérent chacun de leur cóté. Aprés quoi, ils envoyérent un message 
à leur duc et aux seigneurs de France pour leur annoncer cette vic- 
toire, et firent un nouvel armement, afin de poursuivre le cours de 
leurs succes et d'aller porter la guerre jusque sur les côtes d'Ángle- 
terre. 


CHAPITRE XI. 


Le roi d'Angleterre triomphe de quelques chevaliers rebelles. 


Pendant que ces événements avaient lieu, l'Angleterre était. dé- 
chirée par des dissensions intestines. La révolte avait éclaté dans son 
sein à l'instigation de messire Thomas de Percy, qui, tourmenté par 
le souvenir de son infáme trahison envers le roi Richard, son sei- 
gneur naturel, ne se pardonnait pas d'avoir contribué à l'élévation de 
Henri. Poussé par ses remords tardifs , il conspira avec quelques nobles 
écossais qu'il avait vaincus et faits prisonniers, comme on l'a dit plus 
heut', et résolut de le détróner, én appelant à son aide un grand 
sombre d’Anglais. Henri, instruit de ses projets, se disposa à prévenir 
cette folle tentative. Il leva secrétement une armée dans la ville de 
Londres et dans les environs, et enjoignit à messire Thomas de venir 
seul et sans suite lui expliquer les motifs de ses armements, l'assu- 
rant qu'il n'avait rien à craindre. Le sire de Percy, au ]ieu de lui 
obéir, lui répondit qu'il le considérait comme un usurpateur, et que 
tant qu'il vivrait il emploierait tous ses efforts à le renverser. Le 
roi, outré de cette réponse, ne différa plus sa vengeance, et traitant 


' Voir ci-dessus, liv. xxin, ch. wi, p. 45. 


112 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


rum. Et quamvis Thomas prefatus adhuc multos subsidiarios 
venturos milites expectaret, cum copiis tamen quas habebat 
non tardavit resistere. Tunc atrox prelium commissüm est, in 
quo rex fortiter dimicando captus fuit et mox recuperatus a 
suis. Sed tandem, fortuna variante, ipsi cessit victoria, ex utra- 
que parte novem milibus occisis. Ex victis fuga lapsi sunt per- 
pauci. Henricus autem de Persiaco in conflictu multis confossus 
vulneribus occubuit. Thomas vero de Percyaco captus fuit et 
Henrico presentatus, quem postmodum, ut ceteris rebellantibus 
cederet in exemplum , viventem evisceratum decollari precepit. 


CAPITULUM XII. 


Britones et Anglici mutuo se infestant 


In Londoniarum compitis recentis victorie adhuc laus divul- 
gabatur, cum assunt qui regi nunciant Britannorum classem jam 
Angliam attigisse, et quia non repererant in quos possent na- 
vale prelium experiri, de Gerzeaco et de Guarnesiaco insulas 
bonis omnibus spoliasse. Addunt et non perferendum sine igno- 
minia regni perpetua , quod famosum portum de Plainturuces 
sine resistencia subintrantes et per adjacencia littora grassantes 
hostiliter, compatriotas compulerint peccuniis ignes redimere, 
et ad propria ingenti preda onusti circa medium septembris sine 
obice redisse. Id in prejudicium regis et regnicolarum verte- 
batur ; et ideo, ut proni sunt ad injurias ulsciscendas, reddere 
vicem pro vice statuerunt, circa mensis novembris inicium 
mittentes sex inilia pugnatorum, qui prospere sancti Mathei 
districtum periculosum transeuntes, ville suburbia flamme vo- 
raci tradentes , multam stragem de Britonibus ediderunt. Quod 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 413 


comme un ennemi public, il marcha contre lui à la téte d'une nom- 
breuse armée. Messire Thomas attendait des renforts assez considéra- 
bles ; néanmoins il n'hésita pas à combattre avec les troupes qu'il avait 
autour de lui. L'action fut trés-vive; le roi paya bravement de sa per. 
sonne; il fut méme fait prisonnier, et presque aussitôt dégagé par les 
siens. La victoire, long-temps douteuse, se déclara enfin en sa faveur. 
Neuf mille hommes avaient péri de part et d'autre. Un trés petit nombre 
des vaincus trouva son salut dans la fuite. Henri de Percy tomba percé 
de coups. dans la mélée. Thomas fut fait prisonnier et amené devant 
le roi, qui, pour effrayer les autres rebelles par un exemple terrible, 
lui fit arracher les entrailles, et ordonna ensuite qu'il füt décapité. 


CHAPITRE XII. 


Hostilités entre les Bretons et les Anglais. 


Pendant qu'on publiait dans les rues de Londres la nouvelle de cette 
récente victoire, on vint annoncer au roi que les Bretons avaient fait 
une descente en Angleterre, sans rencontrer de vaisseaux qui leur 
disputassent le passage, et qu'ils avaient pillé les iles de Jersey et de 
Guernesey. On ajoutait qu'ils étaient entrés sans coup férir dans le 
fameux port de Plainturuces '*, qu'ils avaient couru tous les environs, 
contraignant les habitants à se racheter du pillage, et qu'ils étaient 
retournés chez eux vers le milieu de septembre, chargés d'un riche 
butin, sans trouver d'obstacle. Ce hardi coup de main était un défi 
porté au roi et à la nation, et qu'on ne pouvait endurer sans honte. 
Les Anglais, qui sont toujours disposés à venger leurs injures, réso- 
lurent d'user de représailles. Vers le commencement du mois de no- 
vembre , ils mirent en mer six mille hommes d'armes, qui aprés avoir 
traversé heureusement le périlleux détroit de Saint-Mathieu, incen- 
diérent les faubourgs de la ville, et firent un grand carnage des Bre- 
tons. À cette nouvelle, les habitants du voisinage accoururent dés le 


^ Il faut lire sans doute Plymouth. 
III. 15 


114 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


audientes vicini et fere tanto numero die sequenti accurrentes 
Anglicos invaserunt; atrocique peracto conflictu Anglici supe- 
riores extiterunt, et victoriam obtinuerunt cruentam, fugien- 
tibusque ceteris cum suis navibus multas alias de britanico 
littore rapuerunt. Indeque velis extensis cum mare Aquita- 
nicum attigissent circa finem hujus mensis, naves multas vino 
pictavensi oneratas et per mare tendentes in Franciam repere- 
runt, quas sine resistencia ceperunt; sicque fere decem milia 
dolia vino plena lucrati sunt, que cum navigio, occisis conduc- 
toribus, in Ángliam duxerunt. 


CAPITULUM XIII. 


De quibusdam invocatoribus demonum. 


Quamvis mors ignominiosa quorumdam supersticiosorum 
hominum prescriptorum et invocatorum demonum ceteros 
docere potuisset,a similibus abstinere, duo tamen extiteruut, 
quorum unus Poinson, alter Briquet vocabatur, qui circa Divio- 
nem in Burgundia artem illam maleficam statuerunt exercere, 
asserentes quod sic scirent unde infirmitas regis Francie pro- 
cedebat. Sane mense jullio jam transacto, juxta villam dictam 
spissiora nemora velut locum operi suo congruum eligentes, ibi 
ingentis ponderis circulum ferreum columpnis ferreis ad alti- 
tudinem viri stature mediocris sustentatum , duodecim cathenas 
ferreas per circuitum habentem erexerunt. Que omnia cum per 
longum temporis spacium preparassent, progrediendo ad facti 
practicam , ex militibus, viris ecclesiasticis, scutiferis, burgen- 
sibus, et consiliariis duodecim nominatim scriptis redegerunt, 
eis pro certo mandantes quod, si circulum ingressi cathenis 
prefatis ligari se permitterent, in eorum concluderetur negocio. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 445 


lendemain en nombre à peu. prés égal aux ennemis et tombèrent sur 
eux. On se battit avec acharnement. Les Anglais obtinrent l'avantage, 
et remportérent une victoire sanglante. Les Bretons s'enfuirent avec 
une partie de leurs vaisseaux; le plus grand nombre fut pris sur les 
cótes. Alors les Anglais firent voile vers la mer de Guienne. Y étant 
arrivés à la fin du mois, ils rencontrérent plusieurs navires chargés 
de vins de Poitou qui allaient en France; ils s'en efnparérent sans coup 
férir, et ramenérent en Angleterre environ dix mille tonneaux de vin 
ainsi que les navires, dont ils avaient-égorgé les équipages. 


CHAPITRE XIII. 


Histoire de deux sorciers. 


Quoique le supplice ignominieux de certains sorciers et magiciens, 
dont on a parlé plus haut ', dàt servir d'exemple aux imposteurs, il 
ne laissa pas de s'en trouver deux nommés Poinson et Briquet, qui 
préteridirent découvrir la cause de la maladie du roi. Ce fut aux envi- 
rons de Dijon en Bourgogne qu'ils exercérent leurs sortiléges. Ils s'éta- 
blirent vers le mois de juillet dans un bois épais situé aux portes de 
ladite ville, comme en un lieu trés favorable à leurs opérations, et y 
rent élever un cercle de fer d'un poids énorme, soutenu par des 
colonnes de fer à la hauteur d'un homme de moyenne taille, et auquel 
étaient attachées douze chaines de fer. Après avoir terminé ces pré- 
paratifs , qui exigérent un temps assez long, ils se mirent à l'oeuvre, 
et choisirent parmi les chevaliers, les clercs, les écuyers, les bour- 
geois et les conseillers de la ville douze personnes dont ils mirent les 
noms par écrit, leur assurant qu'ils viendraient à bout de leur entre- 


prise, si elles consentaient à entrer dans le cercle magique et à se lais- 
ser attacher avec lesdites chaines. 


' Voir tome u, liv. xix, chap. x, p. 663. 


146 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


Ob regis incolumitatem procurandam die dicta circulum in- 
traverunt. Nec pretereundum est silencio quod, cum undecim 
habitis ballivum Divionensem perquiri fecissent, inventus sicut 
alii libere se obtulit, publice protestatus quod pro certo non 
erat ibi nisi ludificacio quedam, et quod, illesus de circulo si 
exiret, viros illos faceret flamma voraci consumi. Sic igitur duo- 
decim intrantes circulum cum cathenis illis alliguati fuissent, 
principalisque magister invocaciones fecisset, res inchoata: 
effectu caruit. Et sic tandem illis evadentibus illesis, ballivus, 
ut promiserat, unum ex ipsis capi fecit, altero evadente; qui 
tandem juxta Avinionem captus, post socium eciam combus- 
tus fuit. Non puto tamen silendum quod, cum ad incendium 
ducerentur, et sciscitaretur ab eis quare ad optatum finem 
non venissent, responderunt quod ingredientes circulum con- 
tra artis observanciam se munierant signo crucis, libere pro- 
fitentes quantum christiane religionis regulis repugnabat. 

Et quamvis alias scriptum sit aliquos ad opus simile frustra 
nec immerito, cum fantasticum sit, laborasse, proferens tamen 
quod vulgo tunc dicebatur, a Divione usque ad comitatum Bur- 
gundie anno isto tempestas gravissima circa, alias inaudita, 
sata et vineas patrie penitus consumpsit, et ab incolis est credi- 
tum quod per invocaciones istorum malignancium tanta vastacio 


procedebat. 
CAPITULUM XIV. 


De frustrata expedicione bellica comitis sancti Pauli. 


Quod aggressa magnifice non semper votis inchoancium con- 
veniant W alerannus comes sancti Pauli exemplum sit, qui scrip- 
tas diffidencias, fame diminutivas, exacto mepse septembris per 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. — 447 


Le désir d'assurer la guérison du roi détermina les personnes dési- 
gnées à entrer dans le cercle au jour fixé; mais il ne s'en trouvait 
encore que onze. Les sorciers envoyérent chercher le bailli de Dijon, 
qui complétait le nombre. Le bailli ne fit, comme les autres, aucune 
difficulté de venir ; seulement il déclara hautement que tout cela n'était 
qu'une momerie, et que s'il sortait sain et sauf du cercle, il ferait 
brüler ces imposteurs. Quand les douze personnes furent entrées, et 
qu'on les eut attachées avec les chaines de fer, le plus habile des deux 
sorciers fit ses invocations magiques; mais le sortilége n'eut aucun 
résultat, et tous étant sortis sains et saufs du cercle, le bailli fit arré- 
ter l'un des sorciers, comme il l'avait dit; l'autre s'évada et fut pris 
bientôt aprés dans les environs d'Avignon. Ils furent brûlés tous deux. 
Une chose digne de remarque, c'est que, comme on leur demandait , 
en les conduisant au,bücher, pourquoi ils n'avaient pas réussi, ils 
répondirent que le signe de la croix que les douze personnes avaient 
fait en entrant dans le cercle avait détruit l'effet de leurs charmes. Ils 
avouaient ainsi hautement combien leur art est en onposition avec les 
pratiques de la religion chrétienne. 

On a déjà vu que ces sortes d'expériences n'avaient jamais produit 
aucun résultat; et en effet elles n'ont qu'une vertu imaginaire; mais je 
dois dire, pour rapporter les bruits qui coururent alors, que cette 
fois.il s'ensuivit une tempête des plus violentes et des plus extraordi- 
naires, qui ravagea tout le pays depuis Dijon jusqu'au comté de Bour- 
gogne, et détruisit les blés et les vignes. Les habitants attribuérent 
cette calamité à un sort jeté par ces deux sorciers. 


CHAPITRE XIV. 


Échec essuyé par le comte de Saint-Pol. 


L'exemple de Waleran comte de Saint-Pol prouve que les plus 
nobles entreprises ne réussissent pas toujours à souhait. Il avait adressé 
au mois de septembre, par l'entremise du gouverneur de Calais, un 


118 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


custodem Calesii ad regem Anglie transmiserat, tanquam 
ad suum adversarium principalem et a quo intollerabiliter gra- 
vabatur. In ipsis insertum erat ex sorore predecessoris sui 
Richardi quondam matrimonio sibi juncta filiam suscepisse, 
amplasque possessiones jure uxorio possedisse pacifice, dum 
vivebat, sed eo a suis nequiter interempto; ipsas retinuerat de 
facto et contra jus omnium gencium eciam barbararum. Do- 
lens ergo sic filiam comiti Artelianensi desponsatam jure ma- 
terno privari sine cáusa, ab oris Francie miliciam et classem 
triginta navium congregavit, ut sic Angliam subintrans here- 
ditates recuperaret retentas , aut dampnum pro dampno Anglie 
equivalenter inferret. 

Expedicionem istam quamvis cuncti regrticole scirent justam, 
ipsam tamen indecentem durante induciarum federe inter regna 
reputabant, nec fausto fine claudendam, attentis proximitate 
hyemis , exigua comitis fortuna et Anglorum versipellis astucia ; 
quam mox, ut mare flatibus exagitatum hybernis spirante favo- 
nio se reddidisset placabile, et iter arripuisset, expertus est. 
Cum enim ad insulam de Tenet, a littore anglicano non multo 
distantem spacio, prospere applicuisset, mox circumquaque 
sagittarii et! accole ad resistendum se parant. Sed ut spacium 
haberent classem et miliciam ab Anglia evocandi, quis umquam. 
credidisset, tali cautela usi sunt. Quemdam namque sacerdotem 
grandevum et circumspectum ad Gallicos in habitu religiosi 
miserunt, qui cedes, predas et incendia peccuniis temptaret 
redimere ; quem libentissime audierunt, cum nil aliud tenderent 
nisi predata insula dittari opibus alienis. Quicquid hic loquutus 
fuit fraus erat et circumvencio. Nam dum sollicite innecteret 
ambages, moras contexeret, tempus quocunque modo querens 


' Far. : n° 5959, fol. 6 r. agrestes accole. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 119 


cartel injurieux au roi d'Angleterre, comme à son ennemi personnel, 
contre lequel il avait de nombreux griefs. Il y disait qu'il avait eu une 
fille de son mariage avec la soeur du roi Richard son prédécesseur, et 
qu'il avait jou) paisiblement, tant que ce prince avait vécu, des vastes 
domaines que sa femme lui avait apportés en dot, mais que depuis la 
mort de Richard, traitreusement assassiné par les siens, il s'en était 
vu dépouillé au mépris du droit des gens et des nations méme les plus 
barbares. Ne pouvant donc se résigner à cette injuste spoliation , qui 
enlevait à sa fille, femme du comte de Réthel, l'héritage de sa mére, 
il rassembla sur les cótes de France une flotte de trente voiles, afin 
d'opérer une descente en Angleterre et de recouvrer la succession 
envahie, ou de se venger en exercant des représailles sur le sol anglais. 

Chacun dans le royaume reconnaissait la justice de cette expédition ; 
mais on pensait qu'elle ne devait pas avoir lieu durant la tréve, et 
qu'elle aurait une issue malheureuse, soit à cause de l'approche de la 
mauvaise saison, soit à cause des faibles ressources du comte et de la 
perfidie des Anglais. La suite le prouva bientót. Dés que les vents 
d'hiver furent apaisés, et que la mer fut devenue plus calme, il mit 
à la voile, et aborda heureusement à l'ile de Thanet, qui est peu 
éloiguée des cótes d'Angleterre '. Mais aussitót les archers et les habi- 
tants se préparérent à la résistance, et pour se donner le temps d'ap- 
peler à leur aide une flotte et des troupes d'Angleterre, ils eurent 
recours à un singulier stratagéme. Ils députérent aux Français un 
vieux prétre fort vénérable, travesti en religieux, sous prétexte d'en- 
tamer une négociation pour racheter le pays du pillage et de l'incen- 
die. Les Francais l'accueillirent d'autant plus favorablement qu'ils 
ne voulaient que s'enrichir en pillant l'ile. Mais les offres du prétre 
n'étaient que mensonge et fourberie. Pendant qu'il s'étudiait à pro- 
longer artificieusement les négociations, qu'il trouvait chaque jour de 
nouveaux délais, et qu'il cherchait tous les moyens de gagner du temps, 
les Anglais s'étaient rassemblés. Aprés avoir discuté quatre jours sous 
prétexte de faire diminuer la somme exigée, il s'esquiva tout à coup 


' Monstrelet dit que le comte dc Saint-Pol aborda à l'ile de Wight. 


120 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


redimere, per quatriduum laborasset ut diminueretur summa 
imposita, ex insperato dolosus mediator aufugiens Anglicos 
jam congregatos accelerare precepit in bellico apparatu. 
Hostium inopinatus accessus Gallicos valde terruit ; timentesque 
ne, sicut numero navium, sic et electorum pugilum eos exce- 
derent, mox animo consternati, qui quasi leones accesserant , 
leporibus timidiores non modo .detrectaverunt prelium, sed 
naves ingredientes celeriter vento flante secundo repecierunt 
littora gallicana. Sic comes cum probro perpetuo recessit. 

Quo facto tam vituperabili et perhennem irrogante infamiam 
principes regni merito indignati sunt, cum sic et decus generis 
et honéstatem propriam tam obscuro fine funestasset, et revera 
ad ignominiam regni atque dampnum ; nam redeuntes pugilles 
quos subsidiarios habuerat , quocunque se vertebant, predas ut 
adversarii exercebant. Nec diu post temeritatem ejus rex An- 
glie yronica loqucione redarguens , quemdam preconem bello- 
rum sibi misit , qui diceret se veraciter dolere quod Angliam in- 
gressus non fuerat , quia ipsum libentissime recepisset; attamen 
quia in insula sibi subjecta manere diucius dignatus non fuerat, 
sciret quod in brevi intendebat suam patriam visitare et ibidem 
diucius immorari. Quod et per Anglicos circa finem mensis 
februarii complevit. De Calesio namque velut tempestas vallida 
exeuntes, et sancti Pauli comitatum ingredientes, libere et sine 
resistencia rapinis, cedibus et incendiis dederunt operam, qua- 
triduoque exacto, ingenti preda onusti et multitudine capti- 
vorum indampnes ad Calesium redierunt. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. — 124 


pour aller avertir les Anglais d'arriver en toute hâte. L'approche 
inattendue de l'ennemi jeta la terreur parmi les Francais. Craignant 
d'avoir affaire à une flotte plus nombreuse et à l'élite des troupes an- 
glaises, ils perdirent courage, et ces hommes , qui étaient arrivés fiers 
comme des lions, devenant plus timides que des liévres, se rembar- 
quérent à la háte au lieu d'accepter la bataille, et regagnérent les cótes 
de France à l'aide d'un vent favorable. Ainsi le comte se retira cou- 
vert d'un opprobre éternel. 


Les principaux seigneurs du royaume furent justement indignés 
d'une conduite si láche et si infáme. Le comte de Saint-Pol avait terni 
'éclat de sa race et sa gloire personnelle par cette retraite funeste, qui 
fut en méme temps si déshonorante et si désastreuse pour le royaume; 
car les hommes d'armes qu'il avait emmenés avec lui commirent à leur 
retour toutes sortes de déprédations sur leur passage, comme s'ils 
étaient en pays ennemi. Peu de temps aprés, le roi d'Angleterre, pour 
le railler de sa folle entreprise, lui envoya un héraut d'armes chargé 
de lui dire qu'il était vraiment désolé de ce qu'il n'était pas entré 
en Angleterre , qu'il y aurait été accueilli avec grand plaisir, mais que, 
puisqu'il n'avait pas daigné rester plus long-temps dans une île qui : 
dépendait de son royaume, il lui faisait savoir qu'il avait l'intention 
d'aller sous peu visiter son comté et d'y séjourner quelque temps. 1l 
réalisa bientót cette menace. Vers la fin de février, les Anglais sor- 
tirent de Calais et se jetérent sur le comté de Saint-Pol, qu'ils pil- 
lérent à leur aise et sans obstacle et oà ils mirent tout à feu et à sang. 
Au bout de quatre jours ils rentrérent à Calais avec un butin considé- 
rable et un grand nombre de prisonniers. 


Lt. | 16 


\ - 


122 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


CAPITULUM XV. 


De incolumitate regis. 


Rex more solito prima die octobris incolumitatem recipiens 
sic mansit usque ad diem jovis proximam ante Natalem Do- 
mini. Nam tunc, ut antea, mente captus usque ad vicesimurh 
quartum diem januarii mansit ignorancie tenebris involutus, 
idemque sanus effectus est usque ad vicesimum tercium diem 
februarii. 

CAPITULUM XVI. 


À papa dux Aurelianensis ad honorem regni nil potuit impetrare. 


Circa idem tempus cardinalis Pampilonensis, amicus intimus 
pape, et multi alii curiales quibus plurimum fidebat, et quorum 
consilio in cunctis arduis substractione durante utebatur, obie- 
runt, in extremis tamen vite de ipsius jure quod habebat in 
papatu minime dubitantes. 

Dux autem Aurelianensis dominus Ludovicus egre ferens se 
in vanum consuluisse nuncios pape mittendos super hiis que 
concernebant honorem regni et gallicane ecclesie, quod sem- 
per speraverat posse leniter adipisci, quia promissum fuerat , 
per se ipsum statuit impetrare. Audiens autem papa amantissi- 
mum sibi ducem tercia die octobris de Bello Quadro exiisse ut 
ad ipsum accederet, plurimum exhilaratus eum multiplici dis- 
posuit honore prevenire. Et primo dominos cardinales ei dirigit 
in occursum cum sacri palacii officiariis magnis et maximo 
curialium numero, qui eum cum summa magnificencia in Villa 
Nova exceperunt. Inde cum multis tam suorum quam palatino- 
rum stipatus ordinibus et ad palacium ductus, ut appostolicis se 
conspectibus obtulit, papa pontificali habitu insignitus mox 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. — 1423 


CHAPITRE XV. 


Rétablissement du roi. 


Le roi se rétablit le 4*' octobre, et resta en bonne santé jusqu'au 
jeudi veille de Noël. Il eut alors une rechute , et demeura privé de sa 


raison jusqu'au 24 janvier; aprés un nouvel intervalle de santé, il re- 
tomba malade le 23 février. 


CHAPITRE XVI. 


Le duc d'Orléans ne peut rien obtenir du pape dans l'intérét du royaume. 


Vers la méme époque, moururent le cardinal de Pampelune, ami 
intime du pape, et plusieurs autres prélats de la cour d'Avignon, qui 
avaient toute sa confiance, qui durant la soustraction l'avaient aidé de 
leurs conseils dans toutes les affaires épineuses, et qui jusqu'au der- 
nier moment de leur vie n'eurent pas le moindre doute sur ses droits 
à la papauté. | 

Monseigneur Louis , duc d'Orléans, voyant avec peine que l'ambas- 
sade envoyée au pape d'aprés son avis pour traiter des intéréts du 
royaume et de l'église de France n'avait eu aucun résultat, résolut 
d'aller presser lui-méme l'accomplissement des promesses sur les- 
quelles il avait toujours compté. Le pape, charmé d'apprendre que 

.ce prince, son partisan le plus dévoué, était parti de Beaucaire le 
3 octobre pour venir le voir, se prépara à lui faire le plus brillant 
accueil. Il envoya d'abord à sa rencontre messeigneurs les cardi- 
naux avec les grands officiers du sacré palais et une suite nombreuse 
de gens de sa cour. Le duc fut recu par eux à Villeneuve avec beau- 
coup de magnificence. De là il fut conduit auprès du pape par un 
cortége considérable composé de ses gens et de ceux du palais. Le 
pape, qui était vétu de ses habits pontificaux, se leva à son arrivée , lui 


124 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. 'XXIV. 


assurgens , osculo pacis oblato, ter dexteram ejus apprehendens 
in sedem sue proximam, modicum tamen humiliorem , ipsum 
protinus collocavit. Tunc ipsi et consortibus depenso debite 
salutacionis affatu, cum de salute et incolumitate singulorum 
sollicite quesivisset , multum se exhibens solito leciorem, verbo 
et toto corporis gestu prima die se significavit omnium adven- 
tum gratissime suscepisse. Habitis deinde frequenter cum papa, 
tum seorsum, tum in cetu cardinalium , secretis consiliis super 
hiis que promiserat, et circa mensis januarii principium multi 
assererent ducem quicquid pecierat impetrasse, alii tenendi 
oppositum per id quod sequitur occasionem habuerunt. Nam 
tunc auctoritate regis et avunculorum ejus publice in Parla- 
mento regis littere perlecte sunt, quas lege edictali precipiebant 
inviolabiliter servari, quamvis in dampnum et displicenciam 
pape verterentur, et in substancia continerent que sequuntur : 

« Karolus etc., Cuin ad nostram noticiam pervenerit, quod 
dominus noster sanctus pater per importunitatem quorumdam 
supplicancium vel alias conetur impedire archiepiscopos , epi- 
scopos , abbates, priores , canonicas et alias personas ecclesias- 
ticas, vel aliquas illarum, que in prelaturis et dignitatibus insti- 
tute et promote fuerant, substractione !, et intendit deponere 
dictas beneficiatos a prelaturis, dignitatibus et beneficiis, per 
viam privacionis, translacionis, suspensionis vel alias, et alios 
investire sub umbra reservacionum vel alias; ultra quia ipse 
misit jam collectores et commissarios per provincias et dyoceses 
regni nostri ac eciam Delphinatus, qui , nomine suo vel papalis 
camere, de facto cogunt ecclesiasticas personas, tam prelatos 
quam alios, per moniciones, excommunicaciones vel alias in- 


' Il est nécessaire, pour compléter le sens, de supposer dans le manuscrit l'omission 
d'un mot tel que durante. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 125 


offrit le baiser de paix, le prit par la main et le fit asseoir à ses cótés 
sur.un siége un peu moins élevé que le sien. Aprés l'avoir salué ainsi 
que ceux qui l'accompagnaient , il s'enquit affectueusement de la santé 
de chacun d'eux, et leur témoigna dans cette premiére entrevue, 
par ses démonstrations particulières de joie, par ses paroles et par ses 
actions, combien il était ravi de leur arrivée. Le duc eut ensuite , soit 
avec le pape seul, soit en présence des cardinaux, de fréquents entre- 
tiens au sujet des promesses qui lui avaient été faites. Beaucoup de 
personnes prétendirent qu'il obtint tout ce qu'il demandait; mais 
d'autres émirent une opinion contraire en s'appuyant sur le fait sui- 
vant. Vers le commencement du mois de janvier, on lut publiquement 
au Parlement, par ordre du roi et de ses oncles, une déclaration 
royale dont il était expressément enjoint d'observer rigoureusement 
la teneur, quelque préjudice et quelque déplaisir qu'elle püt causer 
au pape. En voici la substance : 


« Charles, etc. Il est venu à notre connaissance que notre seigneur le 
saint pére, cédant aux obsessions de quelques importuns ou à d'autres 
motifs, cherche à molester les archevéques, évéques, abbés, prieurs, 
chanoines et autres gens d'église ou quelques uns de ceux qui ont été 
promus et élevés à des prélatures et autres dignités durant la soustrac- 
tion ; qu'il a l'intention de déposséder lesdits bénéficiers de leurs pré- 
latures, dignités et bénéfices par voie de privation, de translation, de 
suspension ou par toute autre voie , et d'en investir d'autres sous pré- 
texte de réserves ou autrement; qu'il a déjà méme envoyé dans les 
provinces et diocéses de notre royaume et du Dauphiné des collec- 
teurs et des commissaires, lesquels en son nom ou au nom de la 
chambre apostolique , contraignent par des monitoires, des excom- 
munications ou d'autres moyens, les gens d'église, prélats et autres 
à payer indüment des sommes énormes et excessives pour d'anciennes 
dettes de vacances ou de services du temps passé qui remontent à 
quarante ans, et méme pour d'anciens arrérages de procurations et 
dimes qu'il réclame comme lui étant dus depuis ladite époque; enfin 


126 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


debite ad solvendum ingentes et excessivas summas denariorum 
pro veteribus debitis vacancium vel serviciorum temporis re- 
troacti a quadraginta annis citra , et eciam pro veteribus debitis 
procuracionum et decimarum, quas petit a dicto tempore, et 
specialiter conatur exigere servicia prelaturarum, dignitatum 
et beneficiorum aliorum collatorum per ordinarios, durante 
substractione, veniendo contra formam et tenorem litterarum 
nostrárum substractionis et restitute obediencie, et eciam contra 
promissiones et securitates per nos declaratas quando resti- 
tuimus ipsi obedienciam; que omnia si permitterentur, esset 
contra racionem, contra honorem nostrum, illorum qui sunt 
de genere nostro, contra honorem consilii nostri , cleri eciam 
regni nostri et Delphinatus , et omnium qui consenserunt dicte 
substractioni , et sic possent inde sequi odia et divisiones inter 
nostros subditos clericos et seculares; et eciam per tales exac- 
tiones de novo adinventas evacuareritur financie dicti regni et 
Dalphinatus, et ecclesiastice persone ad talem paupertatem et 
confusionem devenirent per tales sentencias et excommunica- 
ciones , quod divinum servicium necessario cessaret , et impedi- 
retur omnino factum unionis Ecclesie, et plura inconveniencia 
alia sequi possent ; ideo hiis attentis, et quod nos sumus custodes 
et protectores dictarum ecclesiarum, volentes obviare inconve- 
nientibus tactis , et volentes servare ecclesias in suis libertatibus 
antiquis, habita super hiis deliberacione matura , ordinavimus 
et decrevimus que sequuntur : 

« Et primo quod omnes qui promoti fuerunt ad prelaturas, 
« dignitates , et quibus beneficia collata sunt per ordinarios, ut 
« dictum est, durante substractione, supposito quod reservate 
« vel reservata fuissent in curia Romana, pacifice remaneant in 
« suis possessionibus et saisinis, et illis gaudeant sine prejudicio 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. . 127 


que, contrairement à la forme et à la teneur de nos lettres de soustrac- 
tion et de restitution d'obédience, ainsi qu'aux promesses et süretés 
données par nous quand nous sommes rentré sous son obédience, il 
travaille particuliérement à se faire payer les services des prélatures, 
dignités et autres bénéfices conférés par les ordinaires durant la sous- 
traction. Considérant que tolérer de tels abus serait contraire à la 
raison, contraire à notre honneur et à celui des princes du sang , de 
notre conseil, du clergé de notre royaume et du Dauphiné et de tous 
ceux qui ont consenti à ladite soustraction ; qu'il pourrait en résulter 
des haines et des dissensions entre nos sujets, laiques et clercs; que de 
pareilles exactions, nouvellement inventées, épuiseraient les finances 
dudit royaume et du Dauphiné; que, par suite de ces sentences et de 
ces excommunications, les gens d'église se verraient réduits à une telle . 
pauvreté, à un tel dénüment, qu'ils abandonneraient nécessairement 
le service divin; que le rétablissement de l'union de l'Église ne pour- 
rait avoir lieu, et qu'il s’ensuivrait peut-être une foule d'autres incon- 
vénients; considérant en outre que nous sommes gardien et protec- 
teur .desdites églises, voulant d'ailleurs obvier auxdits inconvénients 
et maintenir les églises dans la jouissance de leurs antiques libertés, 
nous avons, aprés müre délibération, ordonné et décrété ce qui suit : 


* 


« Premiérement , tous ceux qui ont été promus aux prélatures et 
« dignités, et à qui des bénéfices ont été, comme il est dit, conférés par 
« les ordinaires durant la soustraction, seront maintenus dans leurs 
« possessions et saisines, lors méme qu'elles auraient été réservées en 
« cour de Rome; ils en jouiront paisiblement saris aucun préjudice, et 
« ne seront pas ténus de payer au pape ni à ses collecteurs ou commis- 


128 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


« quocunque , nec cogantur solvere pape aut collectoribus vel 
« commissariis suis qualemcunque financiam occasione vacan- 
« cium, serviciorum, procuracionum decimarum, a quocunque 
« tempore debitarum. 

« Iterum quod omnes viri ecclesiastici, cujuscunque status 
« sint, qui assumpti fuerunt ad prelaturas et dignitates ante 
« substractionem vel post restitutam obedienciam, non solvant 
arreragia de supradictis exactionibus collectoribus nec servi- 
« toribus pape; dantes eciam in mandatis senescallis nostris, 
« ballivis, et rectoribus urbium regni, quod, si ad hoc deinceps 
« cogerentur, mox remedium apponant per detencionem bono- 
« rum cogencium et de facto. — Datum Parisius, decima nona 
« die decembris. » 

Hec omnia rex per speciales nuncios domino pape intimavit ; 
que quamvis impacienter audierit , inde tamen viri ecclesiastici 
letati sunt, qui jam ubique per regnum a collectoribus et sub- 
collectoribus suis premebantur, et ad solvendum antiqua debita 
sub penis prius pretactis cogebantur. Dux autem Aurelianensis 
nil de hiis que sibi dixerat summum pontificem promisisse 
impetravit. Sicque obtenta licencia, benedictione comitiva et 
eidem vale dicto, circa finem februarii Parisius rediens nil retu- 
lit quod tangeret regni nec ecclesie gallicane commodum vel 
honorem. 


^ 


CAPITULUM XVII. ' 


Isto mense dux Britanie de Parisius recedens, ut pluries 
instinctu et monicione suorum instanter pecierat, Britaniam 
petens a ducibus Biturie et Burgundie extra villam honorifice 


* Le titre de ce chapitre manque dans le manuscrit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 429 


« saires aucune somme quelconque , sous prétexté de vacances, ser- 
« vices, .procurations ou dimes , depuis quelque temps qu'elles puissent 
« être dues. 


ue 

« En second lieu, tous les gens d'église, de quelque rang qu'ils 
« soient, qui ont été promus aux prélatures et dignités ayant la sous- 
«traction ou depuis la restitution d'obédience, ne paieront aucun 
« arrérage desdites exactions aux collecteurs ou serviteurs du pape. 
« Donmons en mandement à nos sénéchaux, baillis et gouverneurs 
x des villes du royaume, que si l’on employait désormais la contrainte 
« contre Pax, ils y portent sur-le-champ remède par saisie des biens 
« de ceux qui voudraient les y contraindre, et par toutes autres voies 
«de fait.--Donné à Paris, le dix-neuviéme jour de décembre. » 


Le. roi fit notifier cette déclaration par une ambassade particulière 
à monseigneur le pape, qui en conçut un vif déplaisir. Mais les gens 
d'église l'accueillirent avec joie; cár dans tout le royaume, ils étaient 
opprimés par les collecteurs et sous-collecteurs pontificaux qui les 
forçaient sous les peines susdites à acquitter les anciennes dettes. 
Quant au duc d'Orléans, il ne put arracher au souverain pontife aucune 
des concessions qu'il lui avait promises. Il alla donc prendre congé de 
lui; aprés avoir recu sa bénédiction, il revint à Paris vers la fin de fé- 
vrier, sans avoir rien obtenu pour l'honneur et l'avantage du royaume 
ou de: l'église de France. 


CHAPITRE XVII. 


Dans le courant du méme mois, le duc de Bretagne, qui sur la 
demande de ses sujets avait plusieurs fois réclamé la permission de 
quitter Paris, partit pour la Bretagne. Les ducs de Berri et de Bour- 
gogne l'escortérent par déférence jusque hors de la ville. Il laissa mon- 
seigneur Gilles son frére auprés de monseigneur le duc de Guienne, 

Ht. 17 


130 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


conductus est. Relinquit autem dominum Egidium fratrem cum 
domino duce Guienne, regis primogenito. Érga regem eciam 
Anglie impetravit ut Arturus, alter frater, comitatum de Divite 
Monte in Anglia jure paterno sibi debitum possideret , et reci- 
peret homagium fidelitatis ab ipso. Referunt tatnen qui tunc 
consiliis regiis ex officio assistebant ipsum, interim cum rege 
moram faceret, obtinuisse ab ipso ut resditus Ebroycensis comi- 
tatus, qui triginta mille et amplius scuta auri tunc dicébatur 
valere annuatim, perciperet, donec ipsi persolvisset certam 
summam peccunie, que adhuc restabat de peccunia promissa.pro 
connubio filie sue, quam sponsam duxerat, utque insignis ma- 
ritima civitas sancti Maloti de insula suo dominio adderetur, 
quam hucusque prisci Francie reges subditam tenuerant, fideli- 
tatem civium merito collaudantes, quia ipsam apertum stimu- 
lum reputabant, si dux inobediens extitisset vel recalcitrando 
contra eos calcaneum prodicionis levasset. 


CAPITULUM XVIII. 
De morte domini Mediolani. 


' Circa principium hujus anni, dux Mediolani dominus Galea- 
ceus, maxime partis Lombardie possessor pacificus, vir utique 
plus diviciis quam antiqua generositate clarus, cujus filiam, ex 
genita Johannis regis Francie procreatam , dux Aurelianensis, 
frater regis nunc regnantis, uxorem duxerat, diem signavit 
ultimum. — | 

Mie, nuper jam vir effectus,et patre Galeaceo orbatus, egre 
ferems dominum Barnabe patruum: suum. velle cum.eo equelises 
dominari, ipsum delose eeperat, dum: fingens ingredi relrgionern 
ad honorandum emm ipsumr evocasset, din incarceratum te- 


CHRONIQUE DE: CHARLES: VI. — LIV. XXIV. 434 
fils aîné du roi, et obtint du roi d'Angleterre que son autre frère 
Arthur entrât. en possession du comté de Richemond en Angleterre, 
qui faisait partie de l'héritage de leur père, et qu'il en fit hommage 
au rai. Au dire de ceux à qui leurs fonctions donnaient le droit d’as- 
sister aux conseils, il s'était fait céder par le roi, pendant son séjour 
à la cour de France, les revenus du comté d'Evreux, qu'on évaluait à 
plus de trente mille écus d'or par an; il devait les percevoir jusqu'à 
ce que le roi lui eût payé le reste de la dot:qu'il avait promise à sa 
fille, lorsque le duc l'avait épausée. Il avait en outre fait ajouter à ses 
domaines l'importante cité maritime de Saint-Malo de l'ile, qui avait 
toujoyrs été soumise jusqu'alors aux rois de France, et dont ils ap- 
préciaient la fidélité ; ear ils da regardaient comme un point d'où l’on 
pouvait inquiéter le duc, s'il songeait à trahir ou à lever l'étendard de 
la révolte. 


CHAPITRE XVIII. 
Mort dy seigneur de Müan. 


Vers le commencement de cette année, mourut messire Galéas, 
duc de Milan, paisible possesseur de la plus grande páirtie de la Lom- 
bardie, prince plus célèbre par ses richesses que par Tantique noblesse 
de sa rate, et dont la fille, issue de son mariage avec la fille du roi 
Jean, avait épouséie duc d'Orléans , frère du roi régnant. 


I| apait succádé jeune encore à son père Galéas. Ne voulant pas 
partagér la souveraineté avec son oncle Barnabo, il s'était eníparé traj- 
treusetent de sa persÓnne, en l'attirant duprés de lui sous prétexte 
d'accomplir en sa compagnie quelque acte de dévotion. Après l'avoir 
longéemps retenu. prisonnier , il l'avait empoisenné, comme cela ne 


132 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 


nuerat, et tandem , quod in patria commune est, intoxicaverat 
veneno. Quo peracto, hereditate patris et patrui non conteritus , 
fretus Alemanorum exterarumque gencium mercenario coh- 
ductu, Bononiam nonnulasque alias famosas urbes , ad Ecclesie 
patrimonium spectantes, viribus occupans, suo junxit dominio. 
Astutus autem existens, et ad perpetuandum. dominium vias 
querens accommodas, subsidiariis prefatis introitus et exitus 
terre sue quamdiu vixit custodiendos commisit, volens quod 
semper in armis essent ad tuicionem eorum, et ne populus 
exactionibus intollerabilibus pressus rebellaret. Ceterorum prin- 
cipum sic cupiditatem inexplebilem superabat, ut medietatem 
bonorum plebis extorqueret. Sed cum minime dubitaret inde 
multos murmurare, pluries tamen jocose se jactabat patriam sic 
pacifice tenere, quod puella aurum manu ubique ferre potuisset 
sine dampno.Sepius eciam suis domesticis jocanti similis loquens, 
cum miraretur in cunctis christianitatis dominiis latrones et 
predones grassari libere, gaudere se merito jactitabat quod in 
Lombardia solus esset qui rapinas vel latrocinia exerceret, et id 
solum onera exactionum plebi imponendo. Hiis ultra modum 
non solum gloriatus est, si palaciis et locis amenissimis , deditis 
quieti et ocio, construendis contemporaneos principes supera- 
ret, sed, quod:nunquam adinventum, de urbe ad urbem trans- 
eundo juxta itinera publica stratam regiam separatam aibi. soli 
appropriatam habebat. Nullus per eas incedebat sine peccuniali 
emenda. Nec umquam provincias transibat, nisi turmis conco- 
mitantibus armatorum, lateraliter tamen et a longe distancium, 
ne delicatus dominus pulvere. respergeretur. Tunc et si vena- 
cioni insistebat, ut hanc magnificencius ceteris dominis exerce- 
ret, non cum canum agminibus, qui villis et villagiis sine numero 
subditorum sumptibus alebantur, sed.cum leopardis vel domes- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 138 
se pratique que trop fréquemment dans ce pays. Nen content d'avoir 
ainsi ajouté FMitage de son oncle à celui de son père, il avait sou- . 
doyé des mercenajes allemands et sutres, pris de vive forct et réuni 
à ses domaines la ville de Bologne et plusieurs autres places impor- 
tantes qui faisaient partie du patrimoine de l'Église. Il eut recours à 
un moyen fort habile pour consolider sa puissance, et tant qu "il vécut 
il absndonna à ces mércenaires la garde des passages ét issues qui 
dóhraient atéès dans ses états, voulant qu'ils fussent toujours en armés, 
sbit pour défendre set frontières, soit pour prévenir les révoltes du 
peuple qu'il accablait d'exactions intolérables. Il était plus insatiable 
qu'aucun prince, et sa cupidité était telle, qu'il extorquait à ses sujets 
la moitié de leurs biens. Il n'ignorait pas que sa conduite excitait de 
nombyeux murmures; cependant il aimait souvent à répéter qu'il 
avait mis si bon ordre à la police de ses états, qu'une jeuge fille aurait 
pu parcóurir le pays lés mains pleines d'or sans étre volée. Souvent 
ausi , lorsqu'il s'entretenait en riant avec ses familiers, il témoignait 
béaucoup d'étonnement de ce que dans les autres pays de là chrétienté 
les pillards et les voleurs exercaient impunément leurs brigandages, 
et il ajoutait qu'il pouvait à bon droit se vanter d'étre le seul en 
Lombardie qui pillát et qui volát en accablant le peuple d'impóts. Non 
seulement il mettait sa gloire : à surpasser les princes de son temps par 
la magnificence de ses palais et des maisons de plaisance où il allait se 
délasser des affaires, mais encore il était le seul qui eüt imaginé d'avoir 
sur les routes publiques une chaussée à pat, réservée pour ses équi- 
pages, lorsqu'il se rendait d’unt ville dans une autre; on ne pouvait y 
passer sous peine d'amende. Jamais il ne parcourait ses provinces sanis 
se faire escorter par des hommes d'armes , «ui se tenaient à ses côtés 
et à une certaine distance pour ne pas couvrir de poussière leur maitre 
efféminé. Il déployait aussi à la chasse plus de magnificence que les 
autres seigneurs. Ce n'était pas avec des meutes de chiens, quoique ses 
sujets en nourrissept à leurs frais pour lui un grand nombre dans les 
villes et dans les villages, c'était avec dés léopards et d'autres bétes 
apprivoisées "i! chassäit. Scrupuleux observateur de l'hospitalité, 
surtout oral " de nobles seigneurs venaient lé visiter, il les comblait 


134 GHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 

ticis feras venabatur. Affabilem hospitalitatem semper servans , 
ipsum precipue nobiles adeuntes multis preveniebat obsequiis 
et dapsiliter curari faciebat, nunquam ipsis convivando. Nam 
et solus solitus dapibus uti, ne móre patrie inficerentur veneno, 
prius de ipsis viginti decuriones gustabant. Longe lateque per 
orbem famam suam cupiens dilatare, cum adversariis egjam 
Crucifixi familiaritatem tantam contraxerat, ut, quociens sibi 
mutuo apices dirigebant, nuncii recipiebantur gaudenter; nec 
cultus disparitas obstabat iquin munera muneribus vicissim 
contenderent compensare. 

Post ejus autem decessum , eum Bononia nonnuHe alie urbes 
suo rebellaverunt genito, qui tamen in toto residuo dëminii 
genitoris non successit, Nam uberiorem porcionem, quam eo 
vivente Fascinus Canis , subsidiariorum suorum principalis vir, 
burgundus nacione, regendam et protegendam susceperat, sibi 
ipsi vendicavit. 


CAPITULUM XIX. 


De litteris a Tambellapo regi missis. 


Circa eciam idem tempus, quidam episcopus Orientis, ordinis 
fratrum predicatorum , a Tambellano magno rege Tartarorum 
missus, ad regem veniens domini sui apices presentavit, quà 
magno regi Francie et christianorum potentissimo mittebantur. 
In ipsis Tartarus inserebat super omnes occidentales reges 
famam regis Francie audivisse, et ideo specialiter affectabat 
aliqua scire de magnificencia status ejus ac milicie regni sui. 
Addebat et seipsum magnificans quomodo magnam partem 
Orientis occupaverat viribus , Basitamque, adversarium nominis 
christiani precipuum , regis et regni Francie, in campo debel- 


CHRONIQUE DE CHARLES Vr. — LAV. XKIV. 135 
de prérenaticap et leuraisait bonne chértt, mais fl né sd mettait.jainais 
à table avec eix; car il ævait coutume de manger keül, et dans la 
crainte qm on ameikpoisonnát ses | comme il .n'est que trop ordi: 
naire en ce pays, il les faisait. goüter qwant lui par vingt de ses offi- 
ciers« Jaloux de répandre au loin sa rétiommée , M avait établi avec 
les infidéles mémes des relations si intimes, que les messagers qui 
étaient envoyés de part ou d'autre étaient toujours recus trés gracieu- 
sement, ét que, malgré la difféferice du culte, ils sé comblaient ë à l'envi 


de présents 


Après sa mort, Bologne et plusieurs autres villes se révolterent 
contre son fils, qui n'hérita pas méme de tout le reste des domaines 
de son pére. Le chef principal des mercenaires étrangers, Facino Cane, 
bourguignon d'origine, à qui Galéas avait confié de son vivant le 
gouvernement et la garde de la partie la plus fertile de ses états, en 
usurpa la souveraineté. 


CHAPITRE XIX. 


Lettre adressée au roi par Tamerlan. 


Vers le méme temps, un évéque d'Orient, de l'ordre des fréres 
précheurs, vint en France envoyé par Tamerlan, grand prince des 
Tartares, et remit au roi une lettre que son maitre adressait au grand 
roi de France, au plus puissant des princes chrétiens. Tamerlan y 
disait qu'il avait oui parler du roi de France plus que de tous les sou- 
verains de l'Occident, et qu'il était désireux de connaitre la magni- 
ficence de sa cour et la puissance de son royaume. Il lui racontait 
ensuite, en se glorifiant lui-méme, qu'il avait conquis une grande partie 
de l'Orient, vaincu et fait prisonnier Bajazet, l'ennemi principal du 
nom chrétien, du roi et du royaume de France, et qu'il espérait que 
ces nouvelles seraient agréables au roi. Il terminait en lui offrant ses 


136 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXIV. 

laverat et. captivatum tenebat; de quo, sicut estimabat, rex 
congaudere debebat. In calce.autem verborum sibi offerens in 
cunctis promptum subsidium, ipsum amicabilitgt #ogabat ut, 
more predecessorum suorutp, mercatores térre sue per regnum 
Francie merces peregriHis et communes deferentes duléiter 
vellet tractare. Que cum dictus episcopus coram ' rege et suis 
illustribus prudenter exppsuisset, multis mediis ostendit quod, 
si acquiescerent predictis, multa commoda temporalia inde. sequi 
poterant. Que rex libenter annuit, et nuncium remisit dotatum 
muneribus. | 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXIV. 137 


services, et en le priant amicalement de vouloir bien, comme ses 
prédécesseurs, traiter avec bonté les marchands tartares qui viendraient 
trafiquer dans le royaume de France. Ledit évêque , après avoir ex- 
posé sa demande en présence du roi et des seigneurs de la cour, dé- 
montra longuement que, si les propositions de son maître étaient 
acceptées , le royaume pourrait en tirer de nombreux avantages. Le 
roi y acquiesca volontiers, et renvoya l'ambassadeur comblé de pré- 
sents. 


III. 18 


Aoni Domini 


MCCCCIV. 


CHRONICORUM 
KAROLI SEXTI 


LIBER VICESIMUS QUINTUS. 


Pontificum x, 
Imperatorum 1v, 
Anni Domini mcccciv. 4 Francorum xxv, 
Anglorum v, 
Sicilie iv. 


CAPITULUM I. 


De generali collecta imposita. 


InsicNEs Biturie, Burgundie et Aurelianis duces, qui, rege 
solita vexacione laborante, regni ardua disponebant, cum aliis 
de progenie regali et consiliariis regis in principio hujus anni 
multa celebraverunt consilia ; et quamvis secretissima, que ta- 
men ad noticiam omnium pervenerunt, hic inserere dignum 
duxi. | 

Erario namque regali exhausto peccuniis, rex et principes in 
tantam egestatem descenderant, quod ad persolvenda debita 
nimia omnino insufficientes erant, nec ad coercendas Anglorum 
incursiones clandestinas subsidiariis pugilibus stipendia solvi 


sufficienter nequibant. Sicque, post multas deliberaciones , duce 


Burgundie inducto ad hoc, quod in favorem populi pluries 
impedierat , de universorum placuit consilio ut census ab uni- 
versis regni colligeretur finibus sub pretextu communis utili- 


CHRONIQUE 


DE CHARLES VI. 


LIVRE VINGT-CINQUIEME. 


10* année du règue des souverains pontifes, 
. de l'empereur, 
An du Seigneur 1404 '. (25 ————— da roi de France, 
59 ——— ————- du roi d'Angleterre, 
(* ———— du roi de Sicile. 








CHAPITRE I". 
Établissement d'un impót général, 


Les illustres ducs de Berri, de Bourgogne et d'Orléans, qui avaient An du Seigneur 
la direction des affaires pendant la maladie du roi, eurent au commen-  '^* 
cement de cette année plusieurs conférences avec les autres princes du 

sang et les membres du conseil. Quoique ces conférences aient été très 

secrétes, j'ai cru devoir insérer ici les faits qui sont parvenus à la con- 

naissance de tout le monde. 


Le trésor royal était épuisé, et le roi ainsi que les princes se 
voyaient réduits à un tel dénüment, que, loin de pouvoir acquitter 
leurs dettes devenues excessives, ils n'avaient pas méme de quoi payer 
la solde des hommes d'armes qu'il fallait entretenir pour réprimer les 
courses et les attaques imprévues des Anglais. Le duc de Bourgogne, 
qui pour flatter le peuple s'était jusqu'alors opposé à toute levée de 
subsides , se laissa enfin ramener à l'opinion des autres; après de lon- 


' L'année 1404 commença le 30 mars. 


140 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


tatis regni et ut ejus imminentibus. necessitatibus debite provi- 
deretur. Et quamvis plebs multis aliis exactionibus continue 
vexaretur, summamque ascendentem ad decem et septem mi- 
liones non sine murmure et indignaciorie mirarentur, de Pari- 
sius tamen recedentibus ducibus, in Palacio et Castelleto regiis 
ipsam collectam voce preconia, unde peditum equitumque copie 
haberentur ad resistendum inimicis, publicari jusserunt. De- 
cretum est et ut in qualibet parrochia deputarentur aliqui, qui 
circa alios compellendos ita se haberent, prius juramento cor- 
poraliter prestito, quod bona fide unicuique taxum secundum 
valorem substancie imponerent, et omnes viri et femine huic 
legi subjacerent. Hiis tamen collectoribus adjuncti sunt clientes 
regii, qui cum tanto rigore negocium sunt aggressi , quod, si 
quis difficultatem et moram in solvenda collecta presumeret 
annectere, ad carceres protinus ipsum trahentes dicebant : 
« Edictum regis sacrilegium est violare, et ideo injunctam 
« multam peccunialem solvetis, aut reum lese majestatis repu- 
« tabimini. » | 

Ut autem sic accumulate fuerunt peccunie, eas prefati domini 
duces in quadam turri regalis Palacii dignum duxerunt reponi, 
mutuo compromittentes quod de collecto thesauro nichil aufer- 
retur, nisi de consensu omnium et pro utilitate regni evidenti ; 
quod et circumspectis viris decens et racionabile videbatur. Sed 
ducis Aurelianis immoderata cupiditas mentem sic allexit, ut, 
antequam repositorium claudi posset, majorem summam col- 
lecte inde de nocte hora suspecta cum armatis viris, non sine 
scandalum intuencium, abstulit, Et breviloquio utens , ex hac - 
$umma rex nullum commodum reportavit, nec tercia pars ad 
regni utilitatem conversa est. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 441 


gues délibérations, il fut décidé, de l'avis unanime du conseil, qu'un 
impót serait établi dans toutes les parties du royaume, en vue du bien 
public et afin de pourvoir convenablement aux pressants besoins de 
l'État. Malgré les exactions de toute;sorte dont le peuple ne cessait 
d'étre accablé, malgré les plaintes et les murmures qu'excitait ce 
nouvel impôt, qui s'élevait à la somme énorme de dix-sept millions, 
les ducs ayant quitté Paris, le firent publier au Palais et au Chátelet 
par la voix du héraut, en déclarant qu'il était destiné à lever. des 
cavaliers et des gens de pied pour résister aux ennemis. On décréta 
en outre que la taxe serait percue dans chaque paroisse par certaines 
personnes, qui préteraient serment de s'acquitter de leur, commis- 
sion avec bonne foi, et d'imposer chacun suivant la valeur de ses 
biens, et que tout le monde, hommes et femmes, serait soumis à 
l'impót. On adjoignit à ces collecteurs des gens du roi, qui usèrent de 
tant de rigueur, qu'ils conduisaient sur-le-champ en prison qui- 
conque faisait difficulté ou tardait de payer la taxe. « C'est un sacri- 
« lége, disaient-ils, que de violer un édit du roi, et vous paierez en 
« sus l'amende infligée aux contrevenants, ou vous serez réputés cou- 
« pables de lése-majesté. » | 


Lorsqu'on eut ainsi amassé des sommes considérables , messeigneurs 
les ducs les firent déposer dans une tour du Palais, s'engageant les uns 
envers les autres à n'y toucher que d'un commun consentement et 
dans l'intérét évident du royaume. Cette mesure parut juste et rai- 
sonnable aux gens de bien. Mais avant qu’en eût enfermé ce trésor, 
le duc d'Orléans , poussé par son insatiable cupidité, vint de nuit, à 
une heure suspecte et avec des gens armés, enlever la plus grande 
partie de l'argent, au grand scandale de tous ceux qui furent témoins 
de ce vol. Le roi ne profita nullement de l'impót, et on en consacra à 
peine le tiers aux besoins du royaume. 


142 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


CAPITULUM II. 


De statu regis. 


Circa festum Penthecostes rex incolumitatem recepit aliqua- 
lem, et tunc dominus Johannes, filius quondam ducis Burgundie 
Philippi, Parisius intravit, ut eidem homagium fidele faceret de 
ducatu. Rex vero in statu prospero usque ad vicesimum ter- 
cium diem junii perduravit, et inde morbum incurrens iterum 
consuetum, post festum Assumpcionis beate Marie iterum sanus 
factus est. 


CAPITULUM III. 


De quadam infirmitate communi que ubique viguit. 


Vernalis desiderata temperies a pruinis et aquis pluvialibus 
hoc anno reddita fuit tediosa, que et ultra morem solitum 
regni flumina famosa junio atque jullio mensibus extra canalia 
coegerunt transcendere, in multorum prejudicium et gravamen. 
Indeque, medicorum judicio peritorum, non minor indisposicio 
in corporibus humanis sequuta est , multis reumate tristi febre 
quoque huc illucque tam numerose habundanter afflictis, ut vix de 
septuaginta solus ab hac miserabili peste immunis potuit repe- 
riri. Qua vigente non modo in Francia, sed et aliis regionibus, et si 
paucos homines assumpsit, cunctis tamen intulit signa mortis. 
Nam primo , subito gravi dolore capitis accedente, penitus de- 
pravabatur appetitus pacientis, et tandem tocius corporis exina- 
nicio sequebatur. Durante hac infirmitate communi, experti 
phisici pro solo et summo remedio abstinenciam tenere consu- 
lebant, idque pro sue oppinionis assercione in evidens trahebant 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 143 


CHAPITRE 1I. 


De l'état du roi. 


Le roi eut un intervalle de santé vers la féte de la Pentecóte; alors 
monseigneur Jean, fils du feu duc de..Bourgogne Philippe, entra à : 
Paris pour lui faire hommage de son duché. Le roi resta en bonne 
santé jusqu'au 23 juin; il retomba malade à cette époque, et ne se réta- 
blit qu'après la fête de l'Assomption de la bienheureuse Vierge Marie. : 


CHAPITRE III. 


Ravages causés par une épidémie. 


Cette année, des neiges et des pluies abondantes firent du printemps 
une saison désastreuse, et occasionnèrent un débordement extraordi- 
maire des principaux fleuves du royaume, qui sortirent de leur lit et 
causèrent beaucoup de dégâts et de malheurs. Les médecins attribuérent 
à ce mauvais temps les maladies qui survinrent. Des rhumes et des 
fiévres régnérent partout, et à peine une seule personne sur soixante 
et dix échappa aux atteintes de l'épidémie. En France comme dans 
les autres contrées, le nombre de ceux qui succombérent à ce fléau fut 
peu considérable, mais tous ceux qui en étaient attaqués furent en 
danger de mort. On éprouvait d'abord un violent mal de téte, qui 
ótait entièrement l'appétit, et l'on finissait par étre réduit à un état 
complet de maigreur. Durant cette épidémie, les médecins les plus 
expérimentés conseillaient la diéte comme le seul et souverain re- 
méde. Ils se fondaient sur ce que les personnes sobres et frugales 
étaient beaucoup moins malades, et se guérissaient plus facilement. 


' Ce chapitre devrait être placé aprés le chap. iv, où il est question de la mort du duc 
de Bourgogne Philippe. 


144 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


argumentum , quod sobriis et hiis qui parce sibi sumebant ali- 
menta multo melius eret, et facilius redibant ad convalescen- 
ciam. 


CAPITULUM IV. 


De morte domini Philippi ducis Burgundie. 


In regno pestilencia exorta ex multitudine incolarum, nobi- 
lium multa fuerunt funera, maximeque eam pestilenciam insi- 
gnem* reddidit mors tam immatura, tam acerba ducis Burgun- 
die, regis Francie patrui, qui de Parisius recedens, ducatum 
Brebancie jure uxorio sibi debitum et consenciente ducissa , 
que de progenie Francorum descenderat, statuerat visitare. In 
pactorum serie hanc formulam ducissa inseruerat, quod, cum 
jam confecta esset senio, filius secundogenitus ducis posses- 
sionem ducatus et homagia militum reciperet. Sed cum ipse 
dux id agere affectans ad villam Halles vocatam pervenisset, 
tunc cepit graviter infirmari, et lecto mortis decubuit. Ubi 
autem egritudinem cognovit invalescere, nullam superesse fidu- 
ciam, et quod medici de eo desperabant, pro auxilio divino 
impetrando ad ecclesiam Nostre Domine se mox portari pre- 
cepit; quod tamen nil sibi corporaliter profuit. Nam antequam 
ibi novendium complevisset, diem signavit ultimum , prius 
tamen in spiritu contrito et humiliato susceptis ecclesiasticis 
sacramentis. Cujus ossa, a carne per decoctionem separata , per 
familiares suos apud Divionem in ecclesiam Carturisensium, 
quam ipse construxerat religiosos constituens, qui divinis jugi- 
ter se manciparent obsequiis, designatis stipendiis unde possent 
sustentari, delata sunt, ut vivens ordinaverat, tumulanda. 


' Le mot insignem, emprunté au n° 5959, fol. 8 v., manque dans le n° 5958, 


CHRONIQUE DE CHARLES VL — LIV. XXV. — 445 


CHAPITRE IV. 


Mort de monseigneur Philippe duc de Bourgogne. 


L'épidémie fit plus de ravages dans le royaume à cause du grand 
nombre des habitants. Parmi les nobles seigneurs qui succombérent 
on remarqua surtout le duc de Bourgogne, oncle du roi de France, 
dont la mort fut si prématurée et si regrettable. Il avait quitté Paris 
pour aller visiter le duché de Brabant qui lui appartenait du chef de 
sa femme et du consentement de la duchesse de Brabant. Cette prin- 
cesse, issue de Ja maison royale de France, avait stipulé, dans le pacte 
conclu avec lui, que, vu son áge avancé, le second fils du duc irait 
prendre possession du duché et recevoir les hommages des chevaliers '. 
Le duc, qui avait voulu accompagner son fils, tomba gravement ma- 
lade en arrivant à Halle, et fut obligé de se mettre au lit. Voyant que 
son mal empirait, qu'il n'y avait plus de ressource, et que les médecins 
désespéraient de lui, il se fit porter à l'église de Notre-Dame de Halle 
pour implorer la protection divine. Mais cet acte de dévotion ne le 
sauva point; il ne put y achever une neuvaine, et mourut aprés avoir 
recu les sacrements avec contrition et humilité. Ses os séparés de leur 
chair furent , suivant sa volonté, portés par ses gens à la Chartreuse 
de Dijon, pour étre enterrés dans cette église, que le duc avait fondée, 
et où il ávait établi, moyennant un revenu annuel, des religieux 


chargés de dire des messes perpétuelles. 


' Voir tome n, liv. xvi, chap. vi, page 439. 


146 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


Hie ex venerabili ducissa, uxore legittima, quam commen- 
dabili affectu dilexerat, et cui thori fidem usque ad extremum 
creditur conservasse illibatam, insignem genuerat sobolem, tres 
filios scilicet et totidem filias, quarum primogenita nomine Mar- 
gareta comiti Hanonie nupserat, secundam dux Austrie scilicet 
Caterinam, et terciam nomine Mariam comes Sabaudie duxe- 
rant in uxores. Et ne meritis laudibus defraudetur dux pre- 
fatus, hic inter aurea lilia deferentes prudencior reputatus, dum 
viveret, ut rex Karolus frater ejus sibi injunxerat, regem 
dilectissimum nepotem, nunc in sceptris agentem , dulciter edu- 
cavit, eidem sollerti diligencia obsequiosus extitit semper, et 
usque ad mortem cunctis arduis fideliter et sollicite incumbens. 
Et si degens in humanis in multis commendabilis extiterit, 
ecclesiarum precipue regni causas in consistoriis regiis favo- 
rabiliter audiens promovebat, et quamvis earum largus non 
extiterit ditator, ut decebat magnificenciam tanti viri, fuit 
tamen erga cultum et servicium divinum semper sollicitus, et 
ut die nocteque, more regio, debite celebraretur. Ad hoc 
sollempnius peragendum, suos eciam progenitores numero ca- 
pellanorum in arte musica peritorum in tantum excedebat, 
quod in sumptibus et stipendiis eorum eum dicerem prodigum 
et excessivum, nisi hoc existeret singulare devocionis signum 
erga Deum. Fuit eciam experiencia preditus seculari, prudens 
admodum et in agendis circumspectus, eloquencie quoque flore 
pre ceteris dotatus principibus; nec sponte fluentis eloquii ipsi 
deerat prerogativa singularis, qua et nuncios exteros dulciter 
recipiebat et recedentes contentabat : ad quod tunc regni 
principes summo studio laborabant. Sui tamen nominis clari- 
tatem in cunctis commendabilem hoc solum obnubilavit , dum 
viveret, quod creditoribus suis satisfacere non curans, cum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 447 


L'auguste duchesse, sa femme légitime, qu'il avait toujours tendre- 
ment aimée, et à laquelle il resta, dit-on, fidéle jusqu'au dernier 
moment , lui avait donné une illustre postérité, trois fils et trois filles; 
l'ainée d'entre elles, nommée Marguerite, était mariée au comte de 
Hainaut; la seconde, Catherine, au duc d'Autriche; la troisième, 
Marie, au comte de Savoie. Je paierai ici au duc le tribut d'éloges 
qui lui est dà. Il avait la réputation d’être le plus sage d'entre les 
princes du sang; c'était lui qui, conformément aux volontés du feu 
roi Charles son frére, avait pris soin de l'éducation de son bien aimé 
neveu le roi régnant; il lui fut toujours soumis et dévoué, l'aida de 
ses bons conseils et le servit jusqu'au dernier moment avec zèle et 
fidélité. Doué de beaucoup de qualités, il se faisait surtout remarquer 
par la bienveillance avec laquelle il accueillait les réclamations des 
églises du royaume et défendait leurs intéréts dans les conseils. S'il ne 
fut pas trés généreux à leur égard, et s'il ne les combla pas des mar- 
ques de sa munificence autant que le devait un si grand personnage, 
il veilla du moins avec le plus grand soin à ce que le service divin fût 
célébré royalement nuit et jour en son hôtel. Il entretenait méme dans 
sa chapelle, pour donner plus d'éclat aux cérémonies du culte, un 
nombre de musiciens beaucoup plus considérable qu'aucun de ses 
ancêtres ; et je blâmerais en cela son excessive prodigalité , si ce n'était 
une marque particulière de dévotion envers Dieu. Il avait une grande 
expérience des affaires, était plus prudent et plus éloquent que tous 
les autres princes. Cette rare facilité d'élocution lui permettait de rece- 
voir gracieusement les ambassadeurs étrangers et de les renvoyer tou- 
jours contents : mérite que les autres seigneurs du royaume ambition- 
naient particuliérement. Une seule chose ternit la gloire de ce prince 
si accompli d'ailleurs, c'est qu'il n'aimait pas à payer ses dettes, et que 
chaque fois que ses créanciers venaient demander de l'argent pour les 
fournitures de tous les jours, les intendants de sa maison considéraient 
leur demande comme un crime digne de chátiment. Aussi le mobilier 
qu'il laissa en mourant à sa femme et qui était, dit-on, d'une valeur 
mestimable, se trouva tellement grevé de dettes, que la duchesse ne 
pouvant les acquitter toutes, renonca à la succession ; triste expédient 


148 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


pro cotidianis expensis repetebantur peccunie, id dispensatores 
domus sue velut dampnabile crimen reputabant. Unde moriens 
mobile suum impreciabile reputatum tanta eris alieni mole 
gravatum uxori sue relinquit, quod cum non equipoleret de- 
bitis, utique, quod abjectissimis et pauperculis mulieribus 
extrema necessitate positis non tamen sine summo opprobrio 
contigit , eidem renunciavit. 


CAPITULUM V. 


De sanitate ducis Biturie. 


Circa idem tempus dux Biturie, prefati ducis Burgundie 
frater, infirmitate communi, quam predixi, in domo sua de 
Wincestre prope Parisius laborabat. Sed, ne consimili fato ce- 
deret, cum phisici de ipso desperarent, pro incolumitate sua ad 
summum recurrens medicum, pro ipso oraciones fieri ubique 
postulavit ; utque Parisius in ecclesia cathedrali id devocius age- 
retur, instar regalis munificencie manum porrigens liberalem, 
eidem ecclesie preciosissimam crucem auro et gemmis ornatam , 
in se insignia dominice Passionis continentem , devotissime con- 
tulit. Sane in ornandis ecclesiis, jocalibus et reliquiis omnes 
regni principes superabat. Ideo viri ecclesiastici pro ipso sol- 
lemnes processiones fieri statuerunt, ad quas tamen multos 
plebicolas novi non cordialiter sed invitos convenisse, quia in 
ipsum propter collectam ab eo constitutam ausi erant male- 
dicta publice jaculari. In eo sane reprehensibile erat, quod 
subditos adinventis exactionibus et importabilibus vexabat. 
Quod in eodem articulo recognoscens contrittoque corde trac- 
tans , vicesimum omnium mobilium rerum, quod super plebem 
capere consueverat, liberaliter et bono animo relaxavit. Ad 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 149 


auquel ne recourent jamais sans honte, méme dans leur misére, les 
femmes de la classe la plus pauvre et la plus obscure. 


CHAPITRE V. 


Maladie du duc de Berri, 


Vers le méme temps, le duc de Berri, frère dudit duc de Bourgogne, 
languissait dans sa maison de Wincestre * prés Paris, atteint de l'épi- 
démie dont j'ai parlé plus haut. Craignant de succomber comme son 
frère, car les médecins avaient perdu tout espoir, il eut recours au 
souverain médecin, et demanda qu'on fit partout des prières pour sa 
guérison. Pour exciter par une munificence toute royale le zéle du 
clergé de Paris, il donna à l'église cathédrale une croix trés précieuse, 
enrichie d'or et de pierreries et contenant les insignes de la Passion de 
Notre-Seigneur. Il était en effet de tous les princes du royaume le 
plus libéral envers les églises, qu'il enrichissait de joyaux et de reliques. 
Aussi le clergé s'empressa-t-il de faire des processions solennelles en 
sa faveur; mais je puis dire qu'une grande partie du peuple n'y assista 
qu'à contre-coeur et par force, puisqu'on l'accablait hautement de 
malédictions pour le nouvel impót qu'il avait décrété. On pouvait en 
effet lui reprocher d'écraser les sujets d'exactions insupportables. Il le 
reconuut en ce moment critique, et cédant à son repentir il remit 
généreusement et de lui-méme au peuple le vingtiéme qu'il prélevait 
ordinairement sur tous les objets mobiliers. Lorsqu'il eut recouvré la 
santé et qu'il apprit la mort de son frère, il en fut vivement affligé , 


* DBicétre. 


450 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


incolumitatem autem rediens, ut fratrem cessisse in fata scivit , 
mirabiliter doluit, et ultra quam credi posset, pro eodem fune- 
rales exequias , quantis studiis funus ullum concelebrari poterat, 
in ecclesia Áugustinensium peregit. Id quoque simile regi 

incolumi facto in domo Celestinorum fieri persuasit. | 


CAPITULUM VI. 


De quibusdam dominiis regi Navarre concessis. 


Sicut mare ex procelloso placidum navigantibus plurimum 
gaudii affert, sic rex Navarre Karolus inimicicias in amiciciam 
regis Francie mutasse letatus est, quas patrem suum conti- 
nuasse occasione comitatus Campanie alias memini me scrip- 
sisse. 

Alcius autem controversie sumens exordium, ipsum comi- 
tatum ex successione matris, filie scilicet regis Ludovici dicti 
Hutin, dicebat sibi competere; cujus cum recompensacionem 
diceret non sibi factam debite a rege Philippo nec ab ejus suc- 
cessore Johanne, cujus filiam uxorem duxerat, inde adver- 
sarius regni publicus est effectus. Continuata scelera, que non 
solum vivente patre uxoris, sed et rege Karolo, filio regis 
Johannis, vel malignorum consilio, vel propria iniquitate sugge- 
rente, fieri procuravit, pocius deflenda essent tragedorum 
boatibus , quam hystorice contexenda, nisi hystorici viri com- 
mendabilia et note subjacencia scribere consuevissent. Intueri 
michi videor quod, annos agens pueriles, pre cordis amaritudine 
flebam cives videlicet resistendo gladiis interemptos, aut se 
dedendo misera servitute redempcionis depressos, virgines in 
ipsis parentum conspectibus constupratas, matronas post di- 
repta preciosa ornamenta habitas ludibrio, cum tunc nec ra- 


CHRONIQUE DE CHARLES Vl. — LIV. XXV. 151 


et lui fit faire en l'église des Augustins des funérailles d'une magnifi- 
cence extraordinaire. D'aprés son conseil, le roi lui-méme, lorsqu'il 
fut rétabli, rendit les mémes devoirs au duc de Bourgogne dans le 
couvent des Célestins. 


CHAPITRE VI. 


Domaines accordés au roi de Navarre. 


La joie que cause aux navigateurs le retour du calme aprés la tempéte 
n'est pas plus grande que celle que ressentit Charles, roi de Navarre, 
lorsqu'il vit l'amitié du roi de France succéder à cette longue inimitié, 
que son pére n'avait cessé de nourrir contre le royaume au sujet du 
comté de Champagne, ainsi que je l'ai mentionné ailleurs. 


Je vais remonter à l'origine de ce débat. Le feu roi de Navarre 
prétendait que ce comté lui appartenait du chef de sa mère, fille du 
roi Louis Hutin, et comme il ne trouvait pas que le roi Philippe ni 
son successeur Jean, dont il avait épousé la fille, l'eussent suffisamment 
dédommagé de la perte de cet héritage, il était devenu l'ennemi 
déclaré du royaume. Le récit des crimes sans nombre que de mauvais 
conseils ou sa propre scélératesse lui firent commettre, soit du vivant 
de son beau-pére, soit sous le régne du roi Charles, fils de Jean, 
serait mieux approprié aux accents de la muse tragique qu'au style 
de l'histoire. Mais l'historien doit transmettre à la postérité les faits 
louables et ceux qui méritent le blâme. Ils sont encore présents à ma 
pensée ces malheurs que je déplorais si amérement dans mes jeunes 
années ; je crois voir tous ces Francais morts en combattant, ou obligés 
de se rendre et ruinés par d'exorbitantes rancons, ces jeunes filles 
déshonorées sous les yeux mémes de leurs parents, ces méres de fa- 
mille dépouillées de leurs joyaux les plus précieux , servant ensuite de 
jouet à la brutalité de l'ennemi; car les Navarrais et les Anglais étaient 
également insensibles à la voix de la raison et de la pitié. 


452 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


cionis ordine regi aut miseracione deflecti Navarrorum et 
Anglorum nesciebat insania. 

Tot nephandissima mala rex Karolus prudens et providus 
diucius pertulit, et quandoque per Gallicos nunc claro marte 
nunc obscuro conatus est repellere, temptavitque regem Na- 
varre sororium nunc donis, nunc assignacionibus terrarum, 
nunc promissis allicere, ut colendo aurea lilia resipisceret ab in- 
ceptis, nec castra sua in Normania hostibus traderet, unde libe- 
rius in dampnum regni sepius grassabantur. Sed semper ille ex 
odio inexpiabili concepto non modo intractabilis repertus est, 
quamvis lenibus verbis sepissime utens, videretur pax refor- 
mata inter eos; ymo veneno tandem molitus est per detestabiles 
ministros ipsum extinguere, nec cessavit ab inceptis, donec 
malignandi facultas morti cessit. 

Unde cum certum sit omnes talia perpetrantes crimen lese 
majestatis incurrere, eodem vivente, rex Karolus, evocatis regni 
baronibus propter hoc, conclusum fuit ut omnia castra sua in 
Normania diruerentur solotenus, ne essent amplius Navarrorum 
receptaculum vel Anglorum. Jure tamen uxorio ipsi competebant; 
unde, eo in fata cedente, filius ejus Karolus rex effectus repe- 
tendorum dominiorum causam egit, non tamen, ut pater suus 
fecerat , regno gravamina inferendo, sed humilibus litteris et hu- 
milioribus nunciis jus suum erga regem Karolum tunc in scep- 
tris agentem promovendo. Apices quos transmisit, cum reg- 
nare incepit, memini me legisse, et legatos post directos vicibus 
repetitis audivisse. Qui, ut assequerentur quod petebat, ipsum 
promptum ad omnia que concernerent honorem et commo- 
dum regni dicebant se offerre. Quod obtinuerat hucusque con- 
tinuaverat, unde cepit audaciam per se ipsum pluries peti- 
ciones justas promovendi, et revera cum multis laboribus et 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 153 


f 


Le sage « et prévoyant roi Charles, aprés avoir trop long-temps 
ehduré tous ces maux, essaya plusieurs fois d' y mettre un terme par la 
_ forcé des armés. Ses efforts n ‘ayant, pas été toujours heureux; il chercha 
X gagmer son beau-frère, le roi de Nhvarre, ‘tantôt par des- présents 
et par des concessions de terres, tantôt par des promesses, et n'oublia 
rien pour le faire rentrer en lui-même, pour le ramener au parti des 
lis et l'empécher deJivrer aux Anglais ses places fortes de-Normiandie, 
d’où ils faisaient de fréquentes incursions dans le royaume. Mais ce 
prince, aveuglé par sa haine, se montra toujours intraitable, bien que 
souvent ses paroles. de conciliation pussent faire croire au rétablisse- 
ment de la paix. U alla méme jusqu'à essayer d' empoisonner. le roi par 
l'éntremise de quelques misérables, et il ne renonca à ses coupables 
machinations que quand la mort de ce prince vint y mettre un teme. 

Le roi Charles, voulant donc lui infliger le châtiment dû aux crimi- 
nels de lése-majesté, convoqua à cet effet les bárons du royaume. ll 
fut décidé que tous les cháteaux forts qu'il possédait en Normandie 
seraient rasés de fond en comble, afin qu'ils ne servissent plus de 
retraite aux Navarrais ni aux Anglais. Ces places appartenaient au roi 
de Navarre du chef de sa femme. Aussi aprés sa mort, Charles son fils 
et son successeur, en réclama-t-il la possession; mais ce ne fut pas en 
ravageant Íe royaume comme son pére qu'il fit valoir ses droits, ce 
fut en envoyant au roi de France d'humbles messages et des ambas- 
sades respectueuses. Je me souviens d'avoir lu les lettres qu'il écrivit 
lors de son avénement, et d'avoir entendu les ambassadeurs qu'il 
envoya depuis à plusieurs reprises. Conformément à leurs instruc- 
tions , ils déclarérent que leur maitre était prét à faive tout ce qu'exi- 
geaient l'honneur et l'intérét du royaume. Le succés qui suivit ces 
premiéres démarches encouragea le roi de Navarre à présenter lui- 
méme plusieurs réclamations légitimes, pour lesquelles il n 'épargna 
ni peine ni dépense; il obtint enfin la conclusion d'un traité, qui 
fut confirmé par serment et dont il s'engageait à garder et observer 
inviolablement les clauses. | 

Iit. 20 


454  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV: 


expensis; sicque tandem pactum cum eo fuit factum et jura- 
mento vallatum, quod rata et firma haberet perpetuo que 
sequentur. 

Rex namque Francie, ducum et baronum suorum consilio 
et assensu, eidem dilectissimo cognato, suis quoque heredibus 
duodecim mille libras turonenses super terris, oppidis et de- 
miniis scribendis concessit perpetuo possidendas, videlicet 
sub castellania de' Bello Forti in Campania, super villa de 
Solaines, villa et castro de Nogento Lartaut, villa de Lizein- 
court, villa et castellania de Nogento super Sequanam, villa-et 
castellania de Pontibus eciam super Sequanam , castro, villa et 
castellania sancti Florentini , villa et castellania de Brayo super 
Sequanam, villa et castellania de Colommiers in Brya, villis eciam 
de Lyxi, de Drolet, de Ponte super Yone fluvium, de Chesay, 
de Boux, de Flagiaco, de Lorres in. Boscagio, villa et castel- 
lania de Gres in Gastineto, villa, castro et castellania de Ne- 
mours , castro et villa de Mez le Mareschal, super villa eciam de 
Granchiis, villa de Divione, villa, castro et castellania de Cas- 
tro Landonis, in et super eciam cunctis domibus et maneriis, 
hospitibus, furnis, molendinis ac aliis edificiis, terris, agris, 
nemoribus, guarennis, silvis et pratis, pascuis, stannis, pis- 
cariis, aliis hereditatibus, viris et mulieribus de corpore vas- 
sallis, hominiis, feodis, retrofeodis ac collacionibus et presen- 
tacionibus beneficiorum, patronagiis ecclesiarum, censibus, 
resditibus et proventibus, emolumentis , jurisdictionibus et jus- 
ticiis, altis, bassis et mediis, et omnibus rebus ad dictas villas 
spectantibus et castellanias. 

Litteris inde confectis habebatur, quod predicta possideret 
modo, qualitate et forma, quibus genitor suus comitatum 

Ebroycensem tenuerat, dum vivebat, sub condicione tamen 


CHRONIQUE DE CHARLES Vl. — LIV. XXV. 455 


Le roi de France, de l'avis et du consentement des ducs et des harons, 
accorda à son bien aimé cousin et à ses héritiers la jouissance perpé- 
tuelle d'un revenu de douze n;;e livres tournois sur les terres, villes 
et domaines ci-indiqués , savoir, sur la chátellenie de Beaufort en Cham- 
pagne, la ville de Soulaines, la ville et le château de Nogent-l'Artaud, 
la ville de Lizeincourt, la ville et la châtellenie de Nogent-sur-Seine , 
la ville et la chátellenie de Pont-sur-Seine, le château, la ville et la 
chátellenie de Saint-Florentin, la ville et la chátellenie de Bray-sur- 
Seine , la ville et la chátellenie de Coulommiers en Brie, les villes de 
Lixy, de Drolet, de Pont-sur-Yonne , de Chessy, de Bouy, de Flagy, 
de Lorrez-le-Bocage, la ville et la chátellenie de. Grès en Gátinais , la 
ville, le château et la châtellenie de Nemours, le château et la ville de : 
Mez-le-Maréchal, la ville dés Granges, la ville de Dijon, la ville, le 
cháteau et la'chatellenie de Cháteau-Landon, et en ottre sur les mai- 
sons, manoirs, hôtelléries, fours, moulins et autres édifices, sur les 
terres, champe, bois, garennes, foréts, prés, pâturages, étangs, 
viviers et autres héritages, sur les hommes et femmes vassaux de corps, 
sur les hommages, fiefs, arriére-fiefs, collations et présentations de 
bénéfices, patronages d'églises, cens, revenms, profits, émoluments, 
juridictions ét justices hautes, basses et moyennes, en un mot sur 
toutes les choses appartenant auxdites villes et châtellenies. 


Les lettres confirmatives de ces concessions portaient que le roi de 
Navarre posséderait lesdites terres et chátellénies de la méme ma- 
niére, qualité et forme que son pére avait possédé de son vivant le 
comté d'Évreux, à condition toutefois qu'il renohcerait, lui et ses 


456 . CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


quod ipse et successores sui, omni juri et actioni', que poterant 
sibi competere, racione parentum dicti regis, et notanter in sub- 
sequentibus villis et oppidis, specialiter tamen in comitatu 
Campanie et. ejus pertinenciis, eciam in comitatibus, civitati- 
bus, villis, castris , castellaniis, terris, censibus, resditibus, pro- 
ventibus, justiciis Ebroycensis, Abrincensis , Pontis Audemari, 
Paciaci, Monencourt, Esy, Bellimontis Rogeri, Conches, Bre- 
toli, Orbec, Carentonii, Valongnes, Mortaing, Guavaraii, 
Nongenti Regii, Brevallis, Anneti, Montchauvet, Medunte et 
Merlenti, et generaliter omnibus aliis hereditatibus, bonis, 
mobilibus et immobilibus, dominiis, justiciis, que sibi jure 
materno vel paterno competebant vel competere poterant in 
toto regno Francie. 

Pace igitur Sic firmata inter reges, Sicut: tractatum fuerat, 
rex Navarre regi Francie pro quadam summa peccunie castrum 
et castellaniam Cesaris Burgi reddidit, qui tunc comitem de 
Tanquarvilla ad partes Constancienses misit, qui de eisdem 
caperet possessionem. E 


CAPITULUM vH. 
Mittuntur in Hyspaniam qui navigium procurarent. 


Victualium urgente penuria, ex illo orbis angulo anglicano 
hostes, velut inquieti vermes, more solito emergentes , Britan- 
nie Normanieque collimitantes littora, anno transacto, diris 
perturbaverant discursibus, ut scriptum est. Picardiam quoque 
libere perlustrantes , fruges partim in areis jam congestas, par- 
tim per agros manipulatim collectas, partim adhuc solo herentes 


' Il est nécessaire, pour compléter le sens , de supposer dags le manuscrit J'omission d'un 
mot tel que renunctarent. 


CHRONIQUÉ DE CHARLES VI. — LIV. XXV. — 157 


successeurs , à tout droit et à toute prétention qui pouvaient lui com- 
péter du chef des pére et mére du feu roi , et notamment sur le comté 
de Champagne et ses dépendances, sur les comtés, cités, villes, chá- 
teaux , chátellenies, terres, cens, revenus, profits et justices d'Évreux, 
d'Avranches, de Pont-Audemer , de Pacy, de Nonancourt , d'Ézy , de 
Beaumont-le-Roger, de Conches , de Breteuil, d'Orbec, de Carentan, 
de Valognes, de Mortain, de Gavray, de Nogent-le-Roi, de Bréhal, 
d'Anet, de Montchauvet, de Mantes et de Meulan, et généralement 
sur tous les autres héritages, biens meubles et immeubles, domaines et 
justices qui lui appartenaient ou pouvaient lui appartenir dans tout le 
royaume de France du chef de sa mére ou de son pére. 


Aprés la conclusion de ce traité, le roi de Navarre rendit au roi de 
France, moyennant une certaine somme d'argent, ainsi qu'il avait été 
convenu, le château et la châtellenie de Cherbourg; et le comte de 
Tancarville fut envoyé dans le Cotentin pour en prendre possession. 


CHAPITRE VII. 


On envoie demander une flotte au roi d'Espagne. 


Les Anglais, pressés par la disette, étaient sortis de leur repaire 
l'année. précédente, et suivant leur coutume ils s'étaient abattus 
comme une nuée d'insectes sur les côtes de Bretagne et de Norman- 
die, qu'ils avaient cruellement dévastées, ainsi que nous l'avons dit. 
Ils avaient aussi parcouru librement la Picardie, et incendié les gerbes 
rentrées dans les granges ou entassées dans les champs, et les blés 
qui étaient encore sur pied. Mais ils avaient particuliérement ravagé 
le comté de Saint-Pol, où ils avaient trouvé un riche butin; ils y 
avaient mis tout à feu et à sang sans éprouver de résistance, et faisant 


158 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


flamma voraci consumpserant. Speciali tamen odio per sancti 
Pauli comitatum grassantes hostiliter, predas abigerant, et de- 
populando universa, nemine contradicente, quoscunque obvios 
habuerant vinculis mancipaverant, ad Calesium, tunc preci- 
puum eorum receptaculum in regno, perducentes, ut miserabile 
jugum redempcionis subirent. Armentorum predam ingentem 
et ovium cum villa capere nequiret, ipsam ad extra pallo in- 
cluserunt defensivo, donec omnia vorassent , antequam invade- 
rentur a Gallicis; quod protunc procul dubio timentes de die 
in diem expectabant. 

Excessus namque prescriptos cum rege eciam domini duces 
Francie egre pertulerant, eciam antequam dux Burgundie diem 
clausisset extremum, unanimiterque, ut fama publica refere- 
bat, concluserant ut villa Calesiensis, terrestri marinaque obsi- 
dione obsessa, viribus caperetur. Quia tamen ipsis impossibile 
videbatur, nisi per mare impedirent ne incolis victualia défer- 
rentur, nec navigium eis competens suppetebat, ob hoc Karo- 
lum de Savosyaco ad regem Hyspanie direxerunt, quem quidem 
fidelem militem reputabant, et quem dilectum habebant ob 
strenuitatem ejus pluries in hastiludiis expertam jocosis , domi- 
narum judicio, premiandis, et omni exercicio militari. Indus- 
triam prefati militis in multis commendabilem regem Hyspanie 
non latebat, et quia inter occidentales dominos magni pende- 
bat Francigenas, nuncium honorifice recepit, curavit dapsiliter, 
quamdiu mansit in regno, et dotatum muneribus remittere 
dignum duxit. Sed rediens, cum in presencia regis Francie et 
suorum illustrium, responsum non gratum referens, postulata 
ad annum sequentem regem Hyspanie verbotenus distulisse 
dixisset, hoc omnes egre tulerunt assistentes , credentes quod , 
quia anglicam uxorem duxerat, pactam amiciciam antiquam 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV, XXV. 159 


prisonniers tous ceux qu'ils rencontraient, ils les avaient emmenés à 
Calais, leur principal repaire, pour en tirer une grosse rancon. La 
ville ne pouvant contenir le gros et le menu bétail dont ils s'étaient 
emparés, ils l'avaient laissé hors des murs et entouré d'une palissade 
en bois, afin de défendre leur butin contre les attaques des Francais, 
qu'ils s'attendaient à voir arriver de jour en jour. 


En effet, le roi et messeigneurs les ducs de France, vivement irrités 
de ces déprédations, avaient, dit-on, unanimement décidé, méme 
avant la mort du duc de Bourgogne, qu'on assiégerait Calais par terre 
et par mer, afin de s'en emparer. Mais comme on ne pouvait y réussir 
sans intercepter les vivres aux habitants du cóté de la mer, et qu'on 
n'avait pas assez de vaisseaux, on chargea messire Charles de Savoisy 
d'aller en demander au roi d'Espagne. Les princes comptaient sur la 
fidélité de ce chevalier, et ils le chérissaient à cause de la valeur qu’il 
avait plusieurs fois déployée dans les tournois, où les dames décernent 
le prix, et dans les autres exercices militaires. Le roi d'Espagne, qui 
connaissait la réputation du sire de Savoisy, et qui avait une estime 
toute particulière pour les Francais, accueillit l'ambassadeur avec 
beaucoup d'égards, le traita somptueusement pendant tout le temps 
de son séjour en Espagne, et le renvoya comblé de présents. Mais 
la réponse que rapporta Savoisy ne fut pas telle qu'on la désirait ; 
le roi de France et tous les seigneurs de sa cour apprirent avec un vif 
déplaisir que le roi d'Espagne avait différé jusqu'à l’année suivante 
l'envoi des secours qu'on lui demandait. Ils crurent que ce roi, ayant 
épousé une princesse anglaise, voulait rompre l'antique alliance qui 
existait entre la France et l'Espagne. L'événement leur prouva bientót 
qu'ils s'étaient trompés. Lorsqu'il sut que le rapport de Savoisy n'était 
pas conforme à ses intentions, il députa à la cour de France des per- 
sonnes süres, chargées d'annoncer que sa flotte et ses arbalétriers 


160 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


inter reges Francie et Hyspanie infringere vellet, nisi effectu 
contrarium , nec diu protracta mora, percepissent. Nam rela- 
cione audita non consentanea menti sue, fideles snos ad regem 
Karolum misit, qui dicerent classem et balistarios in auxilium 
ipsius jam littora reliquisse hyspanica; quapropter prefatus 
miles penes graves et prudentes aliqualiter notatus est. Quod 
ille attendens et suspicionem tanti mali cupiens abolere, ne 
inde famam suam claram quis obnubilaret, in consistorio regis 
et principum volens seipsum purgare, in quemcunque oblo- 
quutorem in ipsum, cyrotecam signum scilicet monomachie 
obtulit singularis, quam nullus recipere ausus fuit. 


CAPITULUM VIII. 


Incarceratur dominus de Courciaco. 


Dum ad congregandum navigium Hyspanicum domini duces 
Francie operam impendebant, ut tamen modus solitus inter 
eos et Anglicos nuncios mittendo pro induciis servaretur, do- 
minum de Hugueville, ut condictum fuerat in ultimo parla- 
mento, ad Calesium miserunt. Viam istam omnes circumspecti 
viri reprobabant, irracionabile reputantes cum ruptoribus pac- 
torum velle reiterare federa, et qui jam Flandrie, Britannie et 
Normanie littora occupabant, quicquid hostis in hostem con- 
suevit exercendo. Irracionabilius amplius videbatur auctoritate 
regia prohibitum, ne cuicunque vim vi liceret repellere, quia 
sic adversarii liberius et dampnosius ubique grassabantur; soli- 
que tandem Britones ausi sunt contra vetitum attemptare, sicut 

postea dicetur. Nichil tamen in colloquio illo scriptu dignum 
conclusum est, nisi quod Anglici ad cautelam concesserunt ut 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 164 


avaient déjà quitté les cótes d'Espagne pour aller au secours des Fran- 
cais. Cette circonstance fit du tort au sire de Savoisy dans l'esprit des 
personnes sages et considérées. Ce chevalier, voulant détruire les soup- 
cons auxquels il se voyait exposé, et mettre sa réputation jusqu'alors 
sans tache à l'abri de toute attaque, demanda à se justifier en présence 
du roi et des princes, et jefa son gant en signe de défi contre quiconque 
oserait l'insulter; mais personne ne releva ce gage de bataille. 


CHAPITRE VIIl. 


Emprisonnement du sire de Courcy. 


Messeigneurs les ducs de France, tout en s'occupant de faire venir 
une flotte d'Espagne, ne laissérent pas d'envoyer, suivant l'usage, 
une ambassade pour traiter de la tréve avec les Anglais, et députérent 
à Calais messire de Hugueville, ainsi qu'on en était convenu à la der- 
niére conférence. Les gens sages désapprouvaient cette mesure , trou- 
vant mauvais qu'on voulüt renouveler des traités avec un ennemi si 
perfide, qui avait envahi déjà les cótes de Flandre, de Bretagne et de 
Normandie, el y commettait toutes sortes d'hostilités. Mais on trou- 
vait plus mauvais encore qu'il eüt été défendu au nom du roi de 
repousser la force par la force, en sorte que les Anglais pouvaient 
dévaster librement le pays. Les Bretons seuls osèrent enfin violer 
cette défense, comme on le verra plus tard. Il ne fut rien décidé 
d'important dans les conférences de Calais , si ce n'est que les Anglais 
consentirent à l'établissement d'une tréve de courte durée; encore 
n'était-elle point générale, mais seulement pour le pays de Calais jus- 
quà la Somme. 


IT. 21 


162 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


usque ad breve tempus inducie componerentur non generales, 
nec ubique, sed de Calesio solum usque ad fluvium Some. 
Dum sic super modico tractaretur, et Anglici more suo multa 
amphibologice dicerent, semel in calce verborum retulerunt 
quod ipsis a quibusdam decurionibus intimatum fuerat Gal- 
licos statuisse in Angliam transfretare, addentes quod nil in 
consiliis gerebatur, quin ad noticiam eorum vento celerius de- 
veniret. Exiit ergo sermo iste inter consiliarios regis, et dili- 
genter querentes quis tanti mali conscius existeret, tandem 
quorumdam relacione decepti , dominum de Courcyaco, militem 
normanum , Parisiensem capitaneum , ob hoc ignominiose capi 
et incarcerari fecerunt. Hic, affabilis et graciosus existens, regi 
et obtimatibus regni hucusque gratus fuerat, nec in circumspec- 
torum mentem veniebat quod fidem aliquo scelere violasset ; 
quod nonnulli conspiratores iniqui et scandalorum satores 
astruere conabantur. Ipsum hostium fautorem reputabant, quia 
in Anglia manens cum regina filia regis Francie, ab ipso rege 
Anglie et Anglicis ingencia munera ad statum continuandum 
pomposurn, et ultra quam resditus proprii possent, perceperat 
et adhuc percipiebat. Addebant et quod majestatis crimine 
reus erat, et quod contra regis salutem cum quibusdam factio- 
nis ejus complicibus conspiraverat. Is vero, inficiatus crimina, se 
ipsum obtulit quod judicium curie Parlamenti regii super ob- 
jectis. paratus erat subire. Ad hoc igitur admissus, et inquesta 
diligentissime facta, repertum est quod hec mendacia ex odio 
et invidia procedebant; sicque innocens reputatus, omnes com- 
patriote nobiles ipsum honestissime eduxerunt, sic cupientes 
carceralem passam injuriam publicis honoribus superare. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 163 


Pendant qu'on traitait ainsi pour si peu de chose, et que les Anglais, 
selon leur coutume, tenaient toutes sortes de discours ambigus, il leur 
arriva une fois de dire, à la fin d'une conférence, qu'ils avaient appris 
de quelques seigneurs que les Francais avaient résolu d'opérer une 
descente en Angleterre, et qu'il ne se faisait rien dans les conseils du 
rot qu'ils n'en fussent à l'instant méme informés. Ces paroles furent 
répétées aux conseillers du roi, qui firent des recherches actives 
pour découvrir l'auteur de ces coupables révélations. Trompés par de 
faux rapports, ils firent arréter et jeter ignominieusement en prison 
. messire de Courcy , chevalier normand, capitaine de Paris. C'était un 
gentilhomme affable et généralement estimé , qui jouissait de la faveur 
du roi et des grands du royaume. Les gens sages ne pouvaient se per- 
suader qu'il eüt trahi ses devoirs, comme se plaisaient à le répéter 
certains artisans de troubles et de scandales, qui l'accusaient de favo- 
riser les ennemis, parce qu'ayant accompagné en Angleterre la reine, 
fie du roi de France, il avait reçu et recevait encore du roi d'Àn- 
gleterre et des seigneurs anglais des sommes coneidérables pour tenir 
un grand état qui n'était pas en rapport avec ses revenus personnels. 
Ils ajoutaient qu'il était coupable de lése-majesté , et qu'il avait con- 
spiré contre les jours du roi avec quelques gens de sa faction. Le sire de 
Courcy nia les griefs dont on le chargeait, et offrit de se soumettre au 
jugement du Parlement. On l'admit à se justifier devant cette cour, et 
à la suite d'une enquête minutieuse, il fut prouvé que ces accusations 
mensongères avaient été dictées par la haine et la jalousie. Son inno- 
cence fut donc reconnue, et une foule de nobles seigneurs allèrent le 
tirer de sa prison en grande solennité , afin d'effacer par des honneurs 
publics l'outrage qu'il avait eu à souffrir. - 


164 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV.- 


CAPITULUM IX. 


Ad arma comparanda Parisius princeps Wallie misit. 


Inter plures generosos qui regem Anglie ad regni fastigium 
ascendisse injustissime abhorrebant, solus princeps Wallie 
. Glindour nomine, non modo eidem viribus contradicendo, 
sed et contra eum levando calcaneum, nunc marte claro nunc 
obscuro Angliam hucusque infestaverat pro posse. Videns ta- 
men opus tam arduum inchoatum sine exterorum auxilio et 
mercenario conductu se continuare non posse, nec suam tueri 
auctoritatem , ad Francos decrevit recurrere, arma et auxilium 
poscere, quos super omnes mortales in armis strenuos reputa- 
bat. Et quamvis verecundum reputaret, quia alias inauditum, 
scuto Francie. protegi Walensés petere, ad id tamen audaciam 
prestitit quod famosus quondam armiger Yvo de Wallia, cui 
jure consanguinitatis successerat, in servicio regis Francie Ka- 
roli nuper deffuncti occubuerat. Ideo fratrem proprium in 
Franciam mense mayo destinavit. 

Ut semper regi et de regio sanguine procreatis moris fuit de 
longinquis partibus accedentes ad eos propensius honorare, 
sic et istum excipientes honeste, quamdiu in regno mansit, 
curaverunt dapsiliter, et, audiencia concessa, duo sequencia que 
petebat liberaliter annuerunt. Primo namque concesserunt ut, 
arma bellica Parisius ad sufficienciam comparantes, eligerent 
qui hec imposita navibus de Sequana per mare usque ad Wal- 
liam secure conducerent, addentes ulterius quod opportuno 
tempore in subsidium principis armatos viros mitterent, qui 
sub vexillo comitis Marchie militarent. Nec existimo silendum 
celandum quod, cum rex sanus effectus legatum donis uberio- 


- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 165 


CHAPITRE IX. 


Le prince de Galles envoie demander des secours à Paris. 


Parmi tous les seigneurs qui maudissaient la coupable usurpation 
du roi d'Angleterre, aucun ne montrait plus d'animosité que Glen- 
dour, prince de Galles. Non seulement il avait refusé de le recon- 
naítre, mais encore il avait levé ouvertement l'étendard de la révolte, 
et attaqué l'Angleterre plusieurs fois avec des alternatives de succés 
et de revers. Voyant toutefois qu'il ne pouvait continuer une si péril- 
leuse entreprise, ni maintenir sa propre autorité, sans appeler à son 
aide des secours étrangers et des troupes mercenaires, il résolut de 
demander des hommes et des armes aux Français, qu'il regardait 
comme la plus brave de toutes les nations. C'était la premiére fois que 
les Gallois réclamaient la protection de la France; aussi éprouva-t-il 
d'abord quelque scrupule. Mais il fut encouragé à cetté démarche par 
l'exemple du fameux écuyer Yvain de Galles, mort au service du feu 
roi Charles et auquel il avait succédé par droit d'héritage. Il fit donc 
partir au mois de mai son propre frére pour la France. 


Le roi et les princes du sang, qui recevaient toujours avec égard les 
envoyés venus de pays lointains, firent à cet ambassadeur le plus gra- 
cieux accueil, le traitérent somptueusement tant qu'il resta dans le 
royaume, et lui ayant donné audience acquiescérent avec empresse- 
ment aux deux demandes qu'il leur adressa. Ils répondirent d'abord 
qu'on achéterait à Paris autant d'armes qu'il en faudrait, qu'on.les 
embarquerait sur la Seine et qu'on les transporterait par mer d'une . 
manière sûre jusqu'au pays de Galles. Ils promirent en outre d’en- 
voyer au secours du prince, en temps opportun, un corps de troupes 
sous la conduite du comte de la Marché. Je' mentionnerai à propos 
de cette ambassade une circonstance particulière. Lé roi, qui -était 
alors en bonne santé, et qui avait comblé l'envoyé de présents, cau- 


166 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


ribus cumulasset, et inquirens de statu, vita et moribus Wal- 
lensium familiariter, ipsi interroganti que fratri inter caduca 
omnia plus placerent, respondisset arma bellica, eidem sic sta- 
tuit complacere. Nuncio namque vale dicens, cassidem regiam 
deauratam, loricam et ensem loco enceniorum principi pre- 
sentandam nomine suo misit, que quidem, prout a Francis 
qui tunc interfuerunt didici, cum tanta genuum flectione hu- 
mili totque devotis osculis hoc gratum donum recepit, ac si 
regem personaliter recepisset. Insuper et de pugnatoribus mit- 
tendis graciarum ingentes referens actiones, ipsi comiti Mar- 
chie et suis commilitonibus venturis scripta misit, que perlegi, 
portus famosiores Wallie, plana quoque itinera et plagas ube- 
riore? patrie continencia, per quos ingredi possent liberius et 
ubi possent habundancius refoveri. 

Infinitorum hominum sibi favorem acquisivit princeps dic- 
tus litteris divulgatis, et expedicionem illam bellicam multipli- 
citer attollentes, innumerabiles nobiles affuerunt, qui ad illam 
modis omnibus anhelabant, indignum ducentes in regno mar- 
cessere ocio, cum ibi reperire sperarent materiam triumpho- 
rum. Gratum eciam habentes ducem exercitus, ipsum multis 
laudibus attollebant, cum adhuc existens in juvenili etate non 
solum in Hungaria sed et alibi quamplura marina et terrestria 
peregerat periculosa itinera, et ideo affectabant sub tam famoso 
comite et de regio sanguine procreato militare. Grato igitur 
assensu insignes duces Francie, Biturie, de Borbonio et Aure- 
lianis, rege tenebris ignorancie detento, auctoritate ipsius, 
classem sexaginta duarum navium ordinantes, octingentos pu- 
giles ad transfretandum statuerunt cum multis balistariis. Eciam 
inter istos muli, non multum divites, sed tamen strenuitate 
conspiomi milites et armigeri habebantur, qui sua libere expo- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 167 


sant familiérement avec lui de l'état, du genre de vie et des mœurs des 
Gallois, lui demanda quelle était la chose que son frère aimait le mieux 
au monde. L'envoyé ayant répondu que c'étaient des armes, le roi, 
pour faire plaisir au prince de Galles, donna à l'ambassadeur, au mo- 
ment de son départ, un casque royal tout doré, une cuirasse et une 
épée, et le chargea de les offrir de sa part à son frére. J'ai su par les 
Francais qui se trouvérent là lorsque ces présents lui furent remis, 

qu’il les reçut humblement à genoux et en les couvrant de baisers, 

comme s'il eût recu le roi en personne. En témoignage de sa recon- 
naissance pour les secours qui lui étaient destinés, il adressa au comte 
de la Marche et aux hommes d'armes qui devaient l'accompagner un 
message que j'ai lu, et dans lequel il leur indiquait les meilleurs ports 
du pays de Galles, les routes les plus süres et les plus praticables, les 
cantons les plus fertiles et les mieux approvisionnés. 


Ce message lui concilia une grande faveur. On vanta partout l'expé- 
dition, et de nobles seigneurs se présentérent en foule, demandant 
à partir avec d'autant, plus d'empressement qu'ils s'ennuyaient de l'oi- 
siveté dans laquelle ils lauguissaient, et qu'ils espéraient trouver dans 
cette guerre l'occasion de s'illustrer par des victoires. Ils voyaient 
aussi avec plaisir l'armée commandée par un chevalier dont la valeur 
était connue, et qui jeune encore avait plus d'une fois pris part à de 
périlleuses expéditions sur terre et sur mer, tant en Hongrie que dans 
d'autres contrées, et ils brülaient tous du désir de combattre sous un 
chef déjà fameux et issu du sang royal. Les illustres duc de Berri, de 
Bourbon et d'Orléans s'empressérent de lever, au nom du roi, qui 
était alors privé de sa raison , une flotte de soixante-deux voiles, et d'y 
embarquer huit cents hommes d'armes avec un grand nombre d'arba- 
létriers. On comptait encore parmi eux beaucoup de chevaliers et 
d'écuyers renommés par leur valeur, qui malgré leur modique avoir 
firent volontiers le sacrifice de ce qu'ils. possédaient pour s'équiper 
honorablement et se pourvoir d'armes et de toutes les choses néces- 
saires. Ils se rendirent tous vers le milieu d'aoüt, ainsi qu'ils en 
avaient recu l'ordre, au fameux port de Brest en Bretagne. 


168 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


suerunt ut honestius illuc tenderent armis et necessariis in- 
structi. Et hii, ut jussi fuerant, ad portum famosum de Brest 
in Britania applicuerunt circa medium augusti. 


CAPITULUM X. 


De nobilibus normanis captis ab Anglicis. 


Quam periculosum sit actus militares precipitanter agere 
nec consiliis acquiescere prudentum , multi juvenes insignes de 
Normania oriundi, quos tamen liberi famosorum militum, 
domini de Ruppe Guidonis, domini de Waqueville et domini 
Guillelmi Martelli claritate generis anteibant, hoc tempore ex- 
perimento didiscerunt. Indignum equidem reputantes ocio mar- 
cescere, et se mutuo ad probitatis titulum acquirendum inci- 
tantes, pro ducentis consodalibus loricatis collecto navigio, 
insciis parentibus , temptare maris fortunam statuerunt, et ma- 
jore animo quam consilio Anglicos, si contingeret, infestare. 
Ad insulam igitur de Prolant Anglie contiguam navigium actum 
flatibus prosperis sine obice applicantes , ubique grassari hosti- 
liter decreverunt, cedes, rapinas et incendia exercere. 

Que intollerabilia dampna domini perpetrare insulani minime 
permiserunt. Nam dum sceleribus dictis totis viribus insudarent, 
mille ex suis robustioribus ocius collegerunt , qui violencias illa- 
tas reprimere viribus cupientes , cum arcubus et sagittis ac rura- 
libus instrumentis ilico accurrentes, in eos belli fortunam sta- 
tuerunt experiri. Jam jamque propter mültitudinem hostilem de 
repetendis navibus facta fuerat questio, cum adhuc facultatem 
haberent redeundi; et hoc prudenciores ut salubrius affirma- 
bant. Sed juniores, ante rusticos fugere summum vituperium 
reputantes, spreto consilio dignum duxerunt pugnare. Quam- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 169 


CHAPITRE X. 


Seigneurs normands faits prisonniers par les Anglais. 


Vers ce temps; de jeunes seigneurs normands, parmi lesquels on 
distinguait les fils de trois chevaliers fameux, messire de la Roche 
Guyon, messire de Vacqueville et messire Guillaume Martel, appri- 
rent à leurs dépens combien il est dangereux d'agir avec trop de pré- - 
cipitation dans les entreprises militaires, au lieu de suivre les conseils 
des gens expérimentés. Honteux de languir dans l'oisiveté et s'excitant 
l'un l'autre à signaler leur vaillance, ils se réunirent au nombre de 
deux cents, rassemblerent des bateaux de transport à l'insu de leurs 
parents, et se mirent en mer, avec la résolution plus généreuse que 
sage d'attaquer les Anglais, s'ils en trouvaient l’occasion. A l'aide 
d'un vent favorable, ils abordérent sans obstacle à l'ile de Portland 
voisine de l'Angleterre, et se répandirent aussitót de tous cótés, pil- 
lant, dévastant et mettant tout à feu et à sang sur leur passage. 


Les seigneurs de l'ile ne souffrirent pas long-temps ces dégáts in- 
supportables. Pendant que leurs adversaires se livraient à leurs dépré- 
dations, ils rassemblérent à la háte mille paysans des plus vigoureux, 
qui accoururent armés d'arcs, de flèches et d'instruments rustiques 
pour repousser la force par la force, et pour tenter les chances d'une 
bataille. Les Francais, effrayés du nombre des ennemis, se deman- 
dérent s'ils ne devaient pas regagner leurs bateaux, tandis qu'ils le 
pouvaient encore, et les plus sages.conseillaient la retraite comme le 
. parti le plus sür; mais les plus jeunes, qui auraient regardé comme le 
comble du déshonneur de fuir devant des manants, rejetérent ce con- 
seil et furent d'avis de combattre. Malgré cet étalage de vaillance, ils 


III. 22 


170 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


vis verba ex magnanimitate procederent, nichil tamen in con- 
gressu egerunt laudabile, et plus ignominie quam cladis est 
acceptum. Nam modica et quasi nulla resistencia facta, tandem 
ab hostibus circumsepti, victi turpiter subcubuerunt. Sic de- 
victi sueque nobilitatis immemores, armis depositis , vitam in- 
digna supplicacione meruerunt, quam. viriliter decertando 
excellencius fuerat impendisse et exempli ad posteros favorabi- 
lioris. Nec diu protracta mora, tanquam vilia mancipia misera- 
biliter alliguati in Angliam traducuntur, macerandi carcerXbus, 
. pro temerario ausu ignominiam maximam reportantes. 


CAPITULUM XI. 


Dominus Guillelmus de Castro mortuus est, vietis Britonibus. 


Estate adhuc durante, post infortunium Normanorum , nec 
Britannis successit prosperius, qui dampnosam hucusque angli- 
canam piraticam indignantissime perferentes, reddere vicem 
pro vice viribus peroptabant, cum naturaliter proni sint ad vin- 
dictam ab injuriis provocari. Eis opus visum laudabile illicen- 
ciati aggredi non placuit. Attendentes dominos duces Francie et 
specialiter ducem Aurelianis ad iracundiam provocasse, cum 
alias, ipsis invitis, arma in hostes moverant, ad eos dominum 
Guillelmum de Castro propter hoc direxerunt nuncium, cujus 
exercitata strenuitas omnibus nota erat. Ideo mox audiencia. 
concessa, cum populaciones agrorum, predas hominum ac 
pecudum, actaque incendia villarum ab hostibus enarrasset, 
supplicavit ut Britannie tuendorum fines et arcendorum hos- 
tium causa capere arma sinerent; quod tamen cum difficultate 
magna obtinuit. 


Sic assequuti Britones quod optabant, mox impigri classem 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 471 


ne se conduisirent pas en hommes de cœur, et leur défaite fut plus 
honteuse que sanglante. À peine opposérent-ils une faible résistance; 
ils se laissérent envelopper par l'ennemi et lui abandonnerent láche- 
ment Ja victoire. Ayant mis bas les armes sans aucun souci de leur 
honneur, ils s'abaissérent à d'indignes supplications pour sauver une 
vie qu'il eüt été plus glorieux et plus utile de perdre en combattant 
courageusement. Ils furent aussitôt chargés de chaînes comme de vils 
esclaves , emmenés en Angleterre et jetés en prison, et ils expièrent 
ainsi leur téméraire entreprise. 


CHAPITRE XI. 


Défaite des Bretons et mort de messire Guillaume du Chátel. 


Les Bretons ne furent pas plus heureux que les Normands. Irrités 
des pirateries des Anglais et poussés par leur humeur vindicative , ils 
résolurent d'user de représailles pendant que la saison était encore 
favorable. Quelque légitime que fût leur entreprise, ils ne jugérent 
pas à propos de s'y engager sans avoir obtenu l'assentiment de mes- 
seigneurs les ducs de France; ils se souvenaient que ces princes et 
particuliérement le duc d'Orléans, leur avaient su trés mauvais gré 
naguére d'avoir pris les armes sans leur permission. Ils envoyérent 
donc en ambassade auprés d'eux messire Guillaume du Chátel, dont la 
valeur était bien connue de tous. Ayant obtenu audience sur-le-champ, 
il représenta les campagnes ravagées, les hommes et les troupeaux en- 
levés, les fermes incendiées par l'ennemi, et supplia les ducs d'auto- 
riser les Bretons à prendre les armes pour protéger leur pays et pour 


repousser les Anglais. Il eut toutefois bien de la peine à faire goüter 
ce dessein. | 


« Dès que les Bretons eurent reçu la réponse qu'ils désiraient, ils 


172 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


trecentarum navium instruunt; nautas quoque flectendis velis 
et remigibus moderandis expertos adunantes, ipsam balistariis, 
levis eciam armature servientibus et duobus milibus scutife- 
rorum et militum munierunt, quos omnes domini de Castro 
Bryant, de Jalles et de Castello auctoritate precellebant. Cum 
strenuitate insignes nec dubie fidei ubique reputarentur, nec 
ambiguum michi erat, cum hiis gestis calamum applicabam, 
quin eis prospera successissent, nisi vela ventorum flatibus 
exponendo militarem neglexissent disciplinam, quasi non aver- 
tentes quam plurium imperium preliis inutile sit. Non multum 
enim proficere consuevit, licet ingens fuerit, sine duce multi- 
tudo et cohortes numerose sine rectore. Nam, quasi harena 
sine calce, vix solent sibi coherere, ut hac die experimento 
didicerunt. Solutis namque navibus, cui obtemperaretur in 
cunctis , et qui mala coercendo ad nutum educeret pugnatores 
ac reduceret minime prefecerunt ; sed unusquisque. quod 
liceret sibi auctoritatem assumpsit. Quapropter eadem luce 
qua enavigare ceperunt, multi intemperancie facinus commi- 
serunt. Nam navibus longis vino Hyspanico oneratis obviantes, 
conductores nauticos protinus invaserunt, et spretis confe- 
deracionibus pactis inter Hyspanos et Francos, ipsis dampna 
plurima intulerunt. Que cum alii reprehenderent acriter, et 
inde orta fuisset verbalis discordia, ex tunc progredi non 
conjunctim, sed divisim statuerunt, et ad portum de Dar- 
tomne, sicut condictum fuerat, properare. 

Francorum adventum non ignorabant Anglici, et ad resis- 
tendum usque ad sex milia in unum se colligentes, quia adhuc 
suis viribus diffidebant, ut difficilius accederetur ad eos, fos- 
sam profundam arenoso maris margine producentes, in medio 
strictum aditum fidelibus suis custodiendum relinquerunt. At 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 173 


s'empressérént d'équiper une floite de trois cents voiles, choisirent des 
pilotes et des rameurs habiles, et embarquérent sur les vaisseaux des 
arbalétriers , des troupes légères et deux. mille écuyers et chevaliers, 
commandés par les sires de Cháteaubriand , de Jaille et du Châtel. On : 
pouvait tout espérer du .courage et de la fidélité de ces trois seigneurs, 
et moi-méme, qui travaillais alors à cette histoire, je ne doutais pas 
qu "ils ne réussissent dans leur entreprise ; il en eût été ainsi en effet, 
si au moment de mettre à la voile ils n'avaient pas oublié combien la 
multiplicité des chefs est contraire à la discipline militaire. Une armée, 
quelque nombreuse qu'elleoit, a peu de chances de'succés, lorsqu'elle 
n'a pas à sa téte un commandant supréme. Des troupes sans chef sont 
comme du sable sans ciment ; elles n'ont aucune consistance. Les Bre- 
tons l'apprirent à leurs dépens dans cette journée. Ils négligerent en 
partant de placer toute la flotte sous les ordres d’un général qui püt 
réprimer les désordres et diriger à son Té les manœuvres. Chacun 
était libre de faire ce que bon lui semblerait. Aussi, dès le jour de leur 
déffürt, il y en ut qui se livrérent à des excès coupables. Ayant ren- 
contré des navires chargés de vins d'Espagne, ils les assaillirent au 
mépris de l'alliance qui existait entre Espagne et li France, et mal- 
traitérent les équipages. Quelques-utis de leurs compagnons leur ayant 
adressé à ce sujet de vifs reproches, il en résulta une dispute, à la suite 
de laquelle ils se séparèrent, et se dirigèrent chacun de léur côté vers 
le port de Dartmouth, comme on en était convenu. 


Les Anglais, qui avaient été prévenus de l'arrivée des Francais, 
s'étaient réunis en un seul corps de six mille hommes pour s'opposer 
au débarquement. Toutefois se défiant encore de leurs forces, et 
voulant rendre l'accés'du pays plus difficile, ils avaient creusé sur la 
gréve un fossé profond oü ils n'avaient laissé qu'un passage étroit 
confié à la garde de quelques braves’ Mais le lendemain, lorsqu'ils 


174 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. €XV. 


ubi die sequenti perceperunt Gallicos acc&dentés preeuntibus 
sagittariis et acie ordinata, fessam illam refluxu repletam equo- 
reo mox preoccupare cortati, et adveniencium floccipendentes 
numerum, cum solum ducenti essent, eos expectare statuunt 
pede fixo. Sub dominis de Castro et de Jalles illa concio navi- 
gabat, qui multitudinem hostium mecientes, mutuo quesierunt 
quid inde agendum esset, factaque votorum dissonancia, cum 
Guillelmus, non expectatis balistariis et consodalibus, hostes 
aggredi temerarium judicaret, addens ultra : « Et si, inquit, 
« hoc contingat, non a fronte, propter iniquitatem accessus, 
« censeo, sed per lateralem viam, » salubri consilio non acquievit 
socius, nec avertens quod cuncta soleat male nimius impetus 
ministrare , sed insolentissimis verbis vilipendens multitudinem 
rusticorum, ipsosque vitare summam ignominiam reputans, 
socium monuit ne, timeret. Ad quod verbum quasi ab injria 
maxima excitatus tunc impacienter respondit : « Absit, absit a 
« generosa meñte Bnitonis tam detestabilis labes quod timeat; 
« nam et si mortem pocius vidéam imminere quam triumphum, 
« ambiguam tàmen nunc experiar fortunam. Alea igitur jacia- 
« tur; nam votum voveo Deo, quod nec me hodie jugo redemp- 
«cionis subiciam. » Et hec dicens ad terram prosiliit festi- 
nanter; quem et postmodum ceteri sequuti sunt. Erat enim 
animo preceps et impetuosus in agendis, ferocemque ipsum 
faciebat belli gloria ingens parta alias contra hostes, et quia 
etatis ejus non quisquam manu prompcior erat. Sicque impe- 
tuose nimis et de sua virtute plus equo confidens convocata 
noluit auxilia prestolari. 

Descendencium celerítas hostes aliquantulum terruit; at ubi 
sine balistariis previis, quod hucusque Francis inconsuetum , 
eos vident protedere, accessum inordinatum ex contenoione 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 475 


virent les Français s'avancer en bataille précédés de leurs archers, ils 
furent rassuré par le petit nombre de leurs adversaires, qui n'étaient 
que deux cents environ, et se portérent aussitôt vers le fossé que le 
flux de la mer avait rempli, résolus à les attendre de pied ferme. 

A la vue des forces de l'ennemi, les sires du Châtel et de Jaille, 
qui commandaient les Bretons, se demandérent ce qu'ils devaient 
faire. Ils furent d'un avis opposé. Guillaume du Chátel croyait impru- 
dent d'engager le combat sans attendre les arbalétriers et leurs autres 
compagnons. « Toutefois, ajouta-t-il, si nous nous y décidons, c'est 
« par le flanc et non de front qu'il faut attaquer, à cause des difficultés 
« de l'abord. » Le sire de Jaille n'adopta point ce sage parti. Ou- 
bliant que la précipitation est mauvaise conseillère, et méprisant ce 
qu'il appelait insolemment un ramas de paysans, il regarda comme 
le comble du déshonneur de fuir devant eux, et engagea son collègue 
à n'avoir pas peur. Messire Guillaume, piqué de ce mot qu'il prit pour 
une sanglante injure, répondit avec emportement : « Non, non, le 
« cœur d'un Breton ne saurait être accessible à un sentiment si hon- 
« teux. Bien que je sois convaincu que nous marchons à la mort plutót 
« quà la victoire, je tenterai maintenant la chance du. combat. Le 
« sort en est jeté, je fais voeu de ne point demander de quartier. » 
Cela dit, il sauta vivement à terre; son exemple entraina les autres. 
Guillaume du Chátel était d'un caractére bouillant et impétueux; il 
était fier de la renommée qu'il s'était acquise ailleurs par ses exploits 
et de son intrépidité sans pareille. Cette impétuosité et cette excessive 
confianee en sa valeur le décidérent à ne pas attendre l'arrivée de ses 
compagnons d'armes. 


La rapidité du débarquement des Bretons causa quelque frayeur 
aux ennemis. Mais quand ils virent que, contrairement aux usages des 
Français, ils s'avancaient sans étre précédés par les arbalétriers, ils 
se doutérent bien qu'il y avait entre eux quelque division, reprirent 


176 CHRONICORUM KAROEI SEXTI LiB. XXV. 
ortum presagiunt, et inde animosióres effecti, emissarum sagit- 
tarum cofitinuante "densa nube, eorum impetum decernunt 
viriliter sustinere. In robustiores hostes ad *iam planam ser- 
vandam deputatos primum prelium commissum est; qui mox 
succedentibus sociis impenetrabiles facti sunt. Ideo quidam ex 
nostris, ad strenuitatis titulum acquirendum, circum vicina 
fossata collateralia, quanquam expertes profunditatis, trans- 
meare conati sunt, ut eos lateraliter invadentes segregareat. 
Qui tamen hoc temptaverunt, non simile, quamvis finale 
infortunium , exterminium subierunt. Nam quibusdam pre 
ponderositate armorum aqua profunda submersis, ceteri qui 
transnatando evaserant, usque ad verticem madefacti se in 
hostes viriliter immerserunt ; sed tandem, proc dolor, neci 
traduntur fortiter dimicando. Ceteri, qui prima fronte hostes 
invaserant, videntes quod res pro capitibus ageretur;.nec 
evadere poterant, diu gravissimum pondus belli perferentes , 
ex eis interfecerunt fere mille et quingentos. In hoc mortali 
conflictu, Guillelmus de Castro, splendor inextinguibilis pro- 
bitatis, tunc super omnes emicuit. Nam, ut erat statura pro- 
cerus et toto corpore robustus, cum lacertis hectoreis vibrans 
a dextris et a sinistris asciam ponderosam, nullum ex ea tan- 
gebat, quin caderet interemptus aut letaliter vulneratus. Tan- 
dem tamen corporeis defatigatis viribus, cum nequiret pati 
amplius pondus belli et se reddere recusaret, multis con- 
fossus vulneribus cecidit; et sic reliqui, animo consternati, 
deficiunt et vincuntur, nec ex eis quis remansit, quin mortem 
aut odibile dedicionis jugum opportuerit subire. 

Ipse vero Guillelmus ad villam post victoriam delatus, dum 
Anglici sue saluti studiose intendere* procurarent, quia vulnera 


' Le mot intendere, emprunté au n° 5959, fol. 12 v., manque dans le n° 5958. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 177 


courage, et soutinrent vigoureusement leur choc, en faisant pleuvoir 
sur eux une gréle de traits. Les Bretons attaquérent d'abord ceux qui 
étaient chargés de la défense du passage. Ceux-ci, renforcés par l'arri- 
vée successive de.leurs compagnons, présentérent bientót un front 
impénétrable. Alors quelques-uns des nótres, voulant signaler leur 
vaillance, essayérent de traverser le fossé à quelque distance de là, 
quoiqu'ils en ignorassent la profondeur, et de prendre les Anglais en 
flanc pour les rompre. Mais ils périrent tous diversement. Les uns 
furent entrainés au fond de l'eau par le poids de leurs armes; les autres 
atteignirent le bord à la nage, et se jetérent bravement au milieu des 
rangs ennemis, quoiqu'ils fussent mouillés depuis les pieds jusqu'à la 
téte; ils y trouvérent la mort en combattant avec courage. Quant à 
equx qui avaient attaqué de front, lorsqu'ils virent qu'ils ne pouvaient 
pas échapper et qu'il fallait défendre leur vie, ils soutinrent long- 
temps tout l'effort de leurs adversaires et leur tuérent environ quinze 
cents hommes. Guillaume du Châtel, la fleur de la chevalerie, se fit 
surtout remarquer dans cette sanglante mélée. Il brandissait vigou- 
reusement à droite et à gauche une lourde hache d'armes, et comme 
il était d'une haute stature et d'une force prodigieuse , tous ceux qu'il 
atteignait étaient frappés à mort ou dangereusement blessés. A la 
fin, épuisé de fatigue et ne pouvant plus combattre, mais ne voulant 
pas se rendre, il tomba lui-méme percé de coups. Ses compagnons 
découragés pliérent et láchérent pied. Ils furent tous tués ou forcés de 
se rendre. 


Guillaume fut porté à la ville aprés le combat, et soigné avec beau- 
coup d'empressement par les Anglais. Mais comme il avait été frappé 
au coeur, il expira peu aprés, tandis qu'on posait le premier appareil 
sur ses blessures, expiant par une fin glorieuse son aveugle témérité. 

IH. 23 


178 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


suscepta jam precordialia penetrabant, non diu post et inter 
primam .curacionem expiravit, morte honesta juvenilem teme- 
ritatem luens. Sic ejus strenua et honesta studia mors imma- 
tura, felicibus ejus invidens actibus , miserabiliter prevenit, et 
in flore gratissime juventutis , dum in virilem evadebat etatem , 
cum multis Francorum suspiriis vitam finivit. 


CAPITULUM XII. 


Guillelmi mors vindicatur. 


Cum rumor accepte cladis sequentibus innotuisset sociis, 
velud furiis agitati, unanimiter concludunt sociorum sanguinem 
vindicandum; ad quod sine dubio properassent, et forsitan in 
simile precipicium incidissent, nisi quidam miles providus, a 
cujus eloquencia sentencia omnium dependebat, eorum celeri- 
tatem taliter refrenasset : « Nunc, inquit, milites, temerarii 
« ausus socii et imprudencie sue fructum percipiunt animo 
mestum meo, quoniam insolencia ducti, ducis officium negli- 
« gentes , ex se ipsis non prefecerunt aliquem ad cujus nutum 
« omnia disponerentur. Nolim tamen vos hoc errore terreri ; 
« errando discitur, exemplum quoque habentes, ut sitis ad alia 
« in posterum cauciores. Dum fortuna hostibus favet, viribus 
« imparibus, bellorum nos dubiis committere casibus non cen- 
«seo, sed redire, et vindicte opportunitatem aliquantulum 
« expectare. » , 


^A 


Sic mitescunt assistencium animi, et quod conceperant 
aggredi distulerunt. Sed redeuntes, ut rem fratri Guillelmi 
nunciant, is, nundum elapso mense , casu fratris consternatus 
sinistro, mox ira succensus, et hanc tantam infamiam abolere 
et necem fratris ultum iri desiderans, vires reparat secrete , et 
undecunque colligit militaria suffragia. Cum quadringentis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 419 


C'est ainsi que la mort, en le moissonnant avant le temps , comme si 
elle eût été jalouse de ses exploits, détruisit les espérances que sa valeur 
avait fait concevoir, et l'enleva à l'affection des Francais dans la fleur 
méme de la jeunesse, au moment où il allait atteindre l’âge viril. 


CHAPITRE XII. 


La mort de Guillaume est vengée. 


A lá nouvelle de ce désastre, ceux des Bretons qui étaient restés 
en arriére furent comme saisis de rage, et résolurent unanimement de 
venger leurs compagnons. Dans leur précipitation, ils eussent sans 
doute couru à leur perte comme les autres, si un chevalier, dont 
les sages avis et la parole éloquente avaient une grande influence, 
n'eüt modéré leurs transports : « Mes amis, leur dit-il, si nos com- 
« pagnons ont payé cher leur imprudence et leur témérité, c'est qu'a- 
« veuglés par leur présomption, ils n'ont pas songé à la nécessité 
« d'avoir un chef et de confier le commandement supréme à l'un 
« d'entre eux. Je ne prétends pas vous effrayer par leur exemple; je 
« veux seulement vous montrer que cette faute doit vous servir de 
« lecon et vous rendre plus circonspects à l'avenir. Nous avons affaire 
« à un ennemi déjà vainqueur, et nos forces ne sont pas égales aux 
« siennes; ce n'est pas le moment de tenter la chance des combats. Je 
« pense qu'il faut nous retirer, et attendre une occasion plus favorable 
« pour nous venger. » | 


Ce discours calma les esprits, et l'entreprise fut différée. Mais lors- 
qu'ils furent revenus en Bretagne, le frére de Guillaume, instruit par 
eux de ce qui était arrivé, ne prit conseil que de son désespoir. En- 
flammé de colére, et brülant d'effacer la honte de ses compatriotes et 
de venger en même temps la mort de son frère, il assembla des forces 
en secret, et appela de tous cótés à son aide des compagnons d'armes. 
Au bout d'un mois à peine, profitant d'une occasion favorable, il mit 


180 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


igitur consociis transfretandi opportunitate quesita, cursu 
prospero ad prenominatum portum inexpectatus accedens, 
villamque sine resistencia ingressus hostiliter, ipsam in parte 
maxima flamma voraci consumpsit et redegit in favillam, ibi- 
que rapinas et stragem ingentem exercens ad libitum. Nec inde 
contentus , anglicana littora infestare studuit , operans quicquid 
hostis in hostem consuevit, rege Anglie minime ignorante, 
qui sepius eciam per se ipsum regnicolarum injurias voluit pro- 
pulsare viribus, sed nequivit. Nam per exploratores expertos 
quociens socii ejus comperiebant adventum , littore uno relicto, 
aliud mox repetebant; sicque huc illucque , nemine resistente, 
dampnose discurrentes fere per octo ebdomadas, tandem in- 
genti preda onusti et usque ad nauseam, sani et incolumes ad 


propria redierunt. 


CAPITULUM XIII. 


Villam Ruppelle Anglici capere conati sunt, 


Dum Anglici , more suo, ubique per mare piraticam exerce- 
rent, et, aura concomitante miciore ac vento flante secundo, 
Ruppelle villam maritimam hac estate attigissent, non contenti 
contiguas insulas combussisse et intollerabilia dampna perpe- 
: trasse, de modo capiendi urbem inter se consuluerunt. Sciebant 
ibi nobiles incolas et peccuniosos valde residere, quippe qui, 
continuis navigacionibus universas pene Mediterraneo mari ad- 
jacentes provincias commerciorum gracia !, peregrinis mercibus 
et multiplicibus diviciis urbem munire solebant. Et quia deffen- 
soribus ipsam non evacuatam sciebant, non viribus occupare 
eam unanimiter decreverunt, sed per astuciam et cautelam, 


' [l est nécessaire, pour compléter le sens, de supposer dans le manuscrit l'omission 
d'un mot tel que perlustrantes. | 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 481 


à la voile avec quatre cents hommes. Après une heureuse traversée, 

il parut tout-à-coup devant le port de Dartmouth , pénétra sans rési- 
stance dans la ville, et l'ayant livrée au pillage et inondée de sang , il 
y mit le feu et la réduisit presque tout entiére en cendres. Non con- 
tent de cette vengeance, il ravagea les cótes d'Angleterre, et y commit 
toutes sortes d’hostilités. Le roi d'Angleterre essaya plusieurs fois d'aller 
lui-même repousser ces agressions; mais il ne put y réussir. Les Bre- 
tons, instruits de sa marche par leurs éclaireurs, disparaissaient à son 
approche et se portaient sur d'autres points. Ils purent ainsi, huit se- 
maines durant, promener sans obstacle leurs ravages de tous côtés, 
et rentrérent ensuite chez eux sains et saufs avec un immense butin. 


CHAPITRE XIII. 


Les Anglais essayent de prendre la ville de La Rochelle. 


Les Anglais, continuant à exercer leurs pirateries de tous côtés, 
profitérent du beau temps et d'un vent favorable pour s'approcher du 
port de La Rochelle. Non contents d'avoir incendié les iles voisines 
et d'y avoir commis d’affreux dégâts, ils délibérèrent entre eux sur les 
moyens de prendre cette ville. Ils n'ignoraient pas qu'elle renfermait 
beaucoup de nobles citoyens et de riches marchands, qui avaient accu- 
mulé dans la ville de précieuses marchandises et d'immenses richesses 
en trafiquant sur presque toutes les cótes de la Méditerranée. Comme 
ils savaient aussi qu'elle était pourvue d'une bonne garnison, ils furent 
unanimement d'avis de ne point s'en emparer de vive force, mais 
d'avoir recours à la ruse et à la trahison. Un certain écuyer qui jouis- 
sait de quelque crédit parmi eux se chargea de livrer la place avec 
l'aide de son frére utérin , qui s'y trouvait alors enfermé. Ce frére avait 
exercé une autorité souveraine dans La Rochelle, tant que les Anglais 


-— 


182 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


quam et peragendam suscepit quidam armiger famosus cum 
auxilio fratris sui uterini tunc interius manentis. Ipsum scie- 
bat in ea summam obtinuisse auctoritatem, dum locus An- 
glicis subjacebat, sed, variante fortuna, cum jugum dedi- 
cionis subiisset, ad vitam civilem et statum communem deve- 
nisse, et quod hanc vicissitudinem rerum cum indignacione 
maxima perferebat. Inde audaciam sumpsit eumdem clam ac- 
cersitum ad prodicionem alliciendi, abjectissimumque statum 
ejus lenibus verbis deprimens : « Materiam, inquit, habes, di- 
« lecte mi frater, unde poteris ditari et statum recuperare pris- 
« tinum, si consiliis fraternis acquiescas. Nullum enim medium 
« reperitur ut villa restituatur Anglicis nisi per te, cum domus 
« tua ejus clausure sine medio jungatur, per quam et consensu 
«tuo, si fiat subterranea apertura, quingentos tibi aureos 
« offero, et adhuc totidem si rem proferas in actum et intus 
« ingrediamur. Posco tamen et contestor per vinculum fraterne 
« dilectionis debite, ut archanum penes te quasi sepultum com- 
« primas, ita ut nec domestici de hoc possint vel leve aliquod 
« colligere argumentum. » 

Extraneum fratri fuit nunquam excogitatum aggredi. Qua- 
propter deliberacionem super hoc accipiens, litteras misit ad 


. fratrem continentes : « Nosti, frater predilecte, quam sincere te 


« dilexerim, et quod in cunctis obtemperare tibi vellem ; sed at- 
« tendens majorem prodicionem non esse, quam cui avaricia et 
« eupiditas causam dat, super eo quod me commonuisti contre- 
« misco. Sepius eciam deliberavi sollicitus, partes congruo pen- 
« sans libramine, et quod si rem semel aggressus difficilem et 
« arduam consummare nequivero, nulli venit in dubium quin 
« domus nostra et preclare nomen familie penitus deleatur, ita 
«ut non memoretur nomen illius ultra. » Sed cum id multis 


2, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 183 


en étaient restés maitres; mais, par un de ces revers de fortune qui 
sont si fréquents, il était redevenu simple citoyen depuis que la ville 
avait été obligée de se rendre aux Français. Son frère, qui savait que 
ce changement de condition lui était trés pénible, le manda secréte- 
ment pour lui proposer un plan de trahison. Il lui représenta trés 
. adroitement tout ce que sa position avait d'humiliant : « Mon bien 
« aimé frére, lui dit-il, vous pouvez aujourd'hui , si vous voulez suivre 
« mes conseils, faire votre fortune et recouvrer votre ancienne puis- 
« sance. Les Anglais n'ont espoir de rentrer en possession de la ville 
« que par votre entremise. Votre maison touche aux murs d'enceinte; 
« consentez à ce qu'on pratique par là une issue souterraine, et je 
« vous donne cinq cents écus d'or; vous en aurez cinq cents autres, 
« si vous faites réussir nos projets et si nous entrons dans la ville. Mais 
« je vous demande et vous conjure, au nom des liens du sang et de 
« l'affection qui nous unissent, d'ensevelir soigneusement ce secret au 
« fond de votre coeur, afin de ne pas éveiller le moindre soupcon chez 
« les gens de votre maison. » | 


Le frére fut tout surpris d'une proposition si inattendue. Il y ré- 
fléchit à loisir, et répondit par une lettre ainsi concue : « Vous savez, 
« mon cher frère, quelle affection sincère je vous porte, et combien je 
« serais heureux de me conformer à vos désirs. Mais quand je songe 
« qu'il n'est pas de pire trahison que celle qui a pour cause l'avarice 
« et la cupidité, je tremble de m'abandonner à vos conseils. Dans ma 
« perplexité , j'ai long-temps délibéré, j'ai pesé mürement les chances 
« diverses de l'entreprise. Si je viens à échouer dans cette œuvre ditli - 
« cile et dangereuse, nul doute que notre nom ne soit à jamais flétri 
 « et la réputation de notre famille perdue sans retour. » Toutefois, 
pendant plusieurs jours il fut sans cesse obsédé par son frère, qui 
renouvelait ses instances de vive voix et pav écrit, et qui lui répétait 
toujours : « Laissez-moi me charger de tout, et j'espére avoir bientót 


184 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


diebus verbo et litteris eidem persuasisset importune, semper 
addens : « Linque michi, predilecte, operis omnem sollicitudi- 
« nem, et in brevi rem effectui spero mancipare, » miser ille, 
postulacioni grato concurrens assensu, prodicionem nephandis- 
simam approbavit, non tamen divina propiciante clemencia - 
exequucioni traditam. 

Nam ad Anglicos accedens cum recepcioni peccunie promisse 
intenderet, et frater villam ingressus in simulato habitu ma- 
num ad opus dedisset, et secrete coadjutores quereret qui pos- 
ternam subterraneam facerent, a quibusdam agnitus, captus 
fuit, et mox judici tanquam suspectus presentatus. Qui coactus 
de veritate dicenda, modum et ordinem capiendi urbem de- 
texit, sicque adjudicatus est subire capitalem sentenciam, in 
detestacionemque sceleris nepos ejus parem penam sustinuit, 
quia pater ejus adhuc cum Anglicis de prodicione tractabat. 
Audientes vero hostes que gesta fuerant, a desiderio fraudati, 
dolentes naves illico ascenderunt cum proditore pessimo, in- 
gentique preda onusti, alia littora pecierunt, et villa ut prius 
sub dominio Francorum remanente, diligencius quam antea 
jussa est custodiri. 


CAPITULUM XIV. 


Universitati Parisiensi illata injuria emendatur. 


Hiis diebus desiderio ardenti optabant regnicole, ut resdita 
pace Ecclesie, sopitoque nephandissimo scismate, rex Francie 
diuturna incolumitate gauderet, et ubique devotis oracionibus 
et missarum sollemniis ad aures divinas pulsabant, ut multi- 
plicatis intercessoribus quod petebant benignissime miserator 
et misericors Dominus largiretur. Hac de causa mater alma 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 185 


« mené l'affaire à bonne fin. » Le malheureux céda enfin, et consentit 
à tremper dans cette infâme trahison, qui grâce à Dieu ne réussit 


point. 


Tandis que le traitre était allé dans le camp des Anglais pour rece- 
voir l'argent qui lui avait été promis, son frére entra dans la ville 
sous un déguisement, et se mit à l'oeuvre. Malgré le mystére avec 
lequel il chercha à se procurer des ouvriers pour faire creuser une 
poterne, il fut découvert par quelques habitants, arrété et conduit 
comme suspect devant le magistrat. Forcé de dire la vérité, il dévoila 
tout le plan de la conspiration, et fut condamné à mort. L'horreur 
qu'inspira son crime fut telle , qu'on enveloppa son.neveu dans le méme 
chátiment, parce que le pére était encore occupé à traiter avec les 
Anglais du prix de sa trahison. A cette nouvelle, les ennemis voyant 
qu'ils étaient frustrés de leurs espérances, se rembarquérent aussitót 
avec le traitre, et se dirigérent vers d'autres parages emportant leur 
riche butin. La Rochelle resta ainsi sous la domination de la France, 
et l'on donna des ordres pour qu'elle ft gardée avec plus de soin 
encore qu'auparavant. 


CHAPITRE XIV. 


L'Université de Paris obtient réparation d'une injure, 


Ce que les Français avaient le plus à.coeur gprès le rétablissement 
de la paix dans l’Église et l'extirpation de l'exécrable schisme, c'était 
de voir la santé du roi raffermie pour long-temps. De toutes parts 
ils adressaient au ciel d’huinbles prières et assistaient à des messes solen- 
nelles, espérant que tant de supplications fléchiraient enfin la misé- 
ricorde infinie du Seigneur. L'Université de Paris, cette tendre mère, 
fit dans cette intention une procession générale de Saint-Mathurin à 

It. 24 


186 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 
Parisiensis Universitas , jullii decima quarta die, generalem pro- 
cessionem facere et de sancto Maturino ad ecclesiam beate 
Katherine procedendo, ibi stare ad celebrandum divina sta- 
tuerat ; sed in via scandalum passa fuit utique non reticendum, 
cum superbia qua processit penam racionabilem succubuerit in 
fine et per modum alias inauditum. 

Cum enim qui precedebant minores gramatici jam ecclesiam 
attigissent, subito quidam stolidissimus juvenis , domini Karoli 
de Saveseyo familiaris, equester supervenit, qui temerarie dex- 
trarium cui insedebat calcaribus urgens , et cursu vallido inter 
eos se immergens, quosdam ad terram elisit et graviter vulne- 
ravit. Ad cadencium clamorem , qui sequebantur velociter ac- 
currerunt, ét cum juvenem arguendo de perpetrato scelere 
unus ipsi alapam porrexisset, mox aufugiens domino et suis 
inde flendo querimonias detulit, sicque quasi ex modica displi- 
cencie scintilla grave indignacionis et vindicte incendium susci- 
tavit. Nam, jubente milite, ejus detestabiles ministri magno nu- 
mero congregati, ad hanc temeritatem ausu dyabolico et spiritu 
furoris concepto, mox cum gladiis, arcubus et armis ad eccle- 
siam accurrentes, non solum quos extra reperiunt metu mortis 
reintrare coegerunt, sed et sacrilegis manibus ipsam non eru- 
buerunt violare. Ferali namque rabie excitati, in contemptum 
ecclesie atque Christi, cujus consecratum corpus super altare 
videbant, a valvis velud in speluncam latronum intromittentes 
sagittas et aliquos vulnerantes, Deo et sanctis dicatas ymagines, 
tunicam quoque ac dalmaticam qui misse ministerio astabant 
transfixerunt. Unde territus abbas ille, qui divina celebranda 
susceperat, et qui jam sacrosanctam consecracionem peregert, 
opportuit quod misse residuum cum silencio compleret et bre- 
viter que altissonis vocibus hucusque fuerant decantata. 


CHRONIQUE DE CHARLES Vi-—LIN..XXV. 487 


l'église de: Sainte-Catherine, où l'on devait. célébrer. l'office divin. 
Cette procession: fnt. troublée par un: scandale; que: je, crois. d'autant 
moins devoir passer sous silence, que celui dont l'orgueil avait causé 
tout le mal fut puni: comme il le méritait et d une manière jusqu ‘alors 
inouie. , 


H * 


Au moment où les écoliers des basses classes: qui ouvräient la marche 
avaient atteint l'église, un jeune 'étourdi, de la maison de messire 
Charles de Savoisy, ‘passant par hasard de ce côté ; donna imprudém- 
merit de l'éperou à son cheval, et se jetant brusquement au milieu du 
cortége renversa quélques personnes, qui furent grièvement blessées. 
Aux cris de ces malheureux, ceux qui suivaient aecoururent en toute 
hâte ;' ils adressérent de vifs-reproches au jeune homme sur sa conduite 
coupable, et l'un deux lui donna méme un soufflet. Lescavalier tourna 
bride, et alla raconter en pleurant sa mésaventure à son maître et aux 
gens de la maison. Cette circonstance si légère en elle-même souleva 
beaucoup de colères et de ressentiments , de méme qu'une étincelle 
alluthe un vaste incendie. Sur les ordres du sire de Savoisy, ses servi- 
teürs se réunirent aussitôt en grand nombre. Transportés du désir de 
Ja vengeance et poussés par une rage vraiment diabolique , ils accou- 
rurent vers l'église avec des épées, des arcs et d'autres armes, y firent 
entrer de force, en les menacant de la mort, ceux qui se trouvaient 
dehors, et profanérent méme le saint lieu. Ils osérent en effet, dans 
leur fureur sacrilége, et sans respect pour l'église et pour Jésus-Christ, 
dopt ils voyaient le corps sacré sur l'autel , tirer leurs fléches jusque 
sur le sanctuaire, comme si c'eüt été un repaire de brigands. Ils 
atteignirent plusieurs personnes , et percérent des tableaux consacrés 
a Dieu et aux saints, ainsi que la tunique et la dalmatique du diacre et 
du sous-diacre. L'abbé qui officiait en était déja à la consécration ; 
effrayé de £t désordre , il abrégea le reste de l'office et acheva à voix 
basse la messe qu'og avait chantée jusqu'alors. 


188 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


Perpetrato. scelere, miles ile tanquam de re bene gesta mi- 
nistros détestabiles collaudavit , et superexaltans ‘cor suum, 
cum regi regineque ac Francis ducibus carus esset , ipsis impü- 
nitatem promisit, non attendens quod et soleant perflare venti 
altissima , ut postmodum expertus est. 

Postera namque die rector venerabilis cum eminentis scien- 
cie Universitatis suppositis in unum convenientes, et decer- 
nentes causam Dei et Ecclesie tociusque cleri non pretereundam 
esse sub silencio, super excessibus factis regine, duei Aurelia- 
nis et duci: Burgundie sigillatim inde querimonias fecerunt. 
Qui omnes uniformiter procedentes, et quasi ex eodem ore 
verba darent, responderunt quod semper habuerant et habe- 
bant Universitatem recommendatam, nec debebant aliqualiter 
timere quin eis justicia fieret juxta delicti quantitatem , diemque 
ipsis ad redeundum dixerunt. 

Audiens autem Karolus quod negocium intendebant usque 
ad ultimum prosequi, ipsos temptavit interim verbis lenibus 
demulcere, accedensque personaliter et in secreto auditus hu- 
militer dixit se erga Universitatem venerabilem semper amo- 
rem conservasse, quem et, quamdiu viveret, continuare inten- 
debat, nec amore Dei forefacta crederent ab eo ortum habuisse , 
jurejurando affirmans quod delinquentes ipsemet manu pro- 
pria libenter daret suspendio. Adherentes militi et ejus pér- 
sonam summis laudibus attollentes, inchoatam discordiam tan- 
tum verbalem et velut arundinem vento agitatam crediderunt, 
donec ipsi conqüerentes reginam et duces et specialiter du- 
cem Aurelianis, tunc regni rectorem precipuum, instantissime 
rogaverunt ut persona delinquentis in ergastulis detineretur, 
usque ad decisionem cause per regium Parlamentum. Tempus 
super hoc deliberandi sed redeundi minime assignatur. Quod 


CHRONIQUE DE. CHARLES VI. — LIV; XXV. 189 

Le. sire de Savbisy félicita les misérables instruments deas yengearice 
dir aacrilépe qu'ils venaierit de commettre , comme s'ils eassent fajtune 
belle action: Dans l'ivresse de son orgueil; il leur promit. l'mpunité, 
comptant s sûr l'attachéfnent du roi , de la reine et des ducs de France, 
et oubliant, que k les choses les plus élevées sont teüjolrs les plus expo- 
séés à la tempête. Il l'apprit bientôt à ses dépens. 

Le lendemain de V'atteritat , le Yénérable récteur et les suppôts de 
l'Université les plus récommandebles par leur émirientéavoir e féuni- 
rent en'-asemblée gériérale ; ils décidèrent qu'ils ne pouvaient äban- 
donner la eause de Dieu, de l'Église et de.tont le clergé , et allérent 
déposer leurs plaintes aux, pieds de la reine, dn duc d'Orléans et du 
duc de Bourgogne. Ces augustes personnages témoignérent tous les 
mêmes sentiments d'indignation; ils répondirent comme c de concert 
qu'il "ils avaient toujours porté et portaient le plus vif intérét à l'Univer- 
sité, "et qu'elle poüvait compter que justice lui serait faite selon la 
qualité du délit. Ils renvoyérent les députés à un autre jour. 


Cependant Charles de Savoisy , apprenant que les membrès de 1 Uni- 
versité avaient l'intention de poursuivre l'affaire jusqu'au bout , essaya 
de les apaiser par de douces paroles, ll se rendit en personne auprés 
d'eux, et ayant obtenu une audiénce secrète, il leur déclara humble- 
ment qu 'il n'avait point cessé d'aimer et d'honorer l'Université, que 
tant qu'il vivrait il en serait de méme, et les pria pour l'amour de 
Dieu de ne pas croire qu'il eût autorisé un pareil attentat. Il affirma 
par” serment qu'il péndrait volontiers les coupables de ses propres 
mains. Lés partisans de ce seigneur et ceux qüi faisaient grand éloge 
de sa personne, crurent que l'affaire se passerait ainsi en parolé#, et 
qu'il eh serait de Savoisy comme du roseau que le vent a fait plier un 
moment. Mais les plaignants supplièrent instamment la reine et les 
princes, et particulièrement le duc d'Orléans, qui avait alors la prin- 
cipale autorité" dans le; royaume, de retenir le coupable en prison, 
jusqu'à ce que le. garlement eût prononeé. On fixa une époque pour 
en délibérer ; outefois on ne leur assigna point de jour pour revenir. 
Comte ce n'était pas là ce qu'ils voulaient, ils mirent le temps à 


190 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


quia poscencium votis non conveniebat, interim informacio 
facta fuit de fragili et tenui exordio generacionis militis et 
quomodo, in progressu vite morumque ipsius, ultra hoc faci- 
nus multa commiserat enormia, que famam ejus claram huc- 
usque reputatam non sine causa obnubilatam reddebant. 
Et quia tempus in vanum terere et negocium dissimulando 
pertransire dux ipse videbatur, quidam libelli clam in valvis 
quarumdam ecclesiarum affixi reperti sunt, quedam de ipso 
sinistra sub verbis amphibologicis, et velatis continentes, et 
concludebatur in fine ut justiciam compleret. Ad quod eciam 
festinandum Universitatis rector sub patentibus litteris inhi- 
buit pedagogis Parisiensibus, ne pueri reciperentur vel erudi- 
rentur in scolis, indicens eciam ut in cunctis facultatibus a 
lecturis cessaretur, nec in ecclesiis Parisiensibus seminaretur 
verbum Dei, donec adepta audiencia ipsis apperiretur via jus- 
ticie. Diu in hoc proposito permanserunt, et sic quod impor- 
tune petebant concessum est. Et mensis augusti decima nona 
die in Parlamento regio audiencia concessa, quidam frater 
minor, doctor in theologia, cognominatus ad Boves, enormi- 
tatem offense luculenti et prolixiori sermone peroravit; inde 
notanter a genealogia militis ad detestabilia ejus facta aliqua- 
liter procedens, in finalibus alta voce et non sine admiracione 
vehementi dixit se scire unum magnum et horribile delictum 
contra ipsum, sed nunc ex causa tacendum, orans suppliciter 
ut Universitati justicia fieret summarie et de plano. Jpea et 
eadem die, rex, sana mente recepta, petitum annuit velud juri 
consonum, diem dicens quo in ejus presencia ac rectoris domini 
Parlamenti convenirent, et super controversia moa, ut deli- 
beraverant, concluderetur in causa; quod et die dicta per os 
primi presidentis taliter completum est. Rege namque in regio 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 194 


profit pour prendre des informations sur la famille du chevalier, dont 
l'origine était obscure et chétive, sur sa conduite et sur son caractére, 
et ils apprirent qu'outre cet attentat il avait commis d'autres mau- 
vaises actions, dont la honte avait justement terni l'éclat de sa répu- 
tation, que l'on croyait si pure. 


Le duc d'Orléans lui-même ne fut pas épargné; comme il paraissait 
vouloir gagner du temps et assoupir l'affaire, on afficha secrétement, 
aux portes de certaines églises , des libelles dans lesquels on l'attaquait 
à mots couverts et d'une maniére détournée; on terminait en lui 
conseillant de faire justice. Pour háter la réparation de l'injure, le 
recteur de l'Université défendit par lettres patentes aux professeurs de 
Paris de recevoir ou d'élever aucun enfant dans les écoles; il leur 
enjoignit en méme temps de suspendre les lecons dans toutes les fa- 
cultés et les prédications dans toutes les églises de Paris, jusqu'à ce 
qu'on leur accordát audience et qu'on instruisit le procés. Cet ordre 
fat exécuté ponctuellement et avec persistance , et l'Université obtint 
ainsi ce qu'elle réclamait. Le 19 août, une audience solennelle ayant 
eu lieu au Parlement, un frére mineur nommé Pierre aux Boeufs, 
docteur en théologie , exposa dans une longue et éloquente harangue 
l'énormité de l'offense; passant ensuite de la généalogie du cheva- 
lier au récit de ses iniquités, il finit par déclarer à haute voix et au 
grand étonnement de tous les assistants qu'il pouvait encore articuler 
contre lui un grand et horrible crime, mais qu'il n'en parlerait pas 
et pour cause, et qu'il se bornait à demander mstamment bonne et 
bréve justice pour l'Université. Le méme jour, le roi, qui avait re- 
couvré la raison, acquiesca à une requéte qui lui semblait si légitime, 
et ordonna qu'à certain jour messieurs du Parlement se péuniraient en 
sa présence et en présence du recteur, pour terminer le différend en 
question. Le premier président proronga la sentence au jour dit, 
devant le roi siégeant sur son tróne. Áprés avoir représenté toute 
l'énormité de l'attentat , il déclara, au nom du roi, en l'absence du 
sire de Savoisy, que pour la réparation civile d'une offense si manifeste 
envers le clergé et l'Église, ledit chevalier était condamné à fonder 


192 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


solio residente, primo enormitate sceleris repetita, ut ipsam 
offensam manifestam in clerum et Ecclesiam miles civiliter 
expiaret, auctoritate regia in absencia militis decretum est, 
quod unam capellaniam valoris centum librarum in resditibus 
fundaret loco ab Universitate assignato, que eciam spectaret 
perpetuo ad collacionem ejus; iterum quod domus ejusdem 
militis, que decore, amplitudine ac miro lapideo tabulatu 
regiis domiciliis equiparari poterat, destrueretur funditus, et 
in monumentum sceleris area esset ad perpetuam ejus igno- 
miniam, ejus autem materia ad commodum ecclesie beate 
Katherine deveniret, et quod ad demolicionis perpetuandam 
memoriam ibidem lathomi carpentarii regis cum lituis et in- 
strumentis musicis ducerentur. Subjunxit et finaliter quod pri- 
mitus et ante omnia idem miles pro expensis factis in prose- 
qucione ista mille,libras Parjsiensi Universitati solveret, et 
totidem pro vulneratis sanandis , ipse quoque propriis suis ex- 
pensis qui scelus perpetraverant per regnum inquiri faceret 
diligenter, ut secundum quantitatem delicti punirentur. 

Multis qui reo favebant rigorosa visa est sentencia, et ne tan- 
tum dedecus pateretur, regem. vallidis precibus oraverunt ut 
hanc domum concedi T peteret régi Navarre, dilecto suo cognato, 
pro prompta golicione; quod utique Universitas facere recu- 
savit, addens quod sic nen fieret justicie complementum. Tunc 
tamen rex obtinuit ut mire pulcritudinis et picturarum varie- 
tate ornata deambulatoria super muros urbis«constructa inte- 
gra remanerent pro prompta solucione. Sicque contra oppinio- 
nem multorgm qui sentenciam exequucioni mandari impossibi- 
lem credebant, hujus mensis vicesima sexta die ministri regii, 
ad locum mimis preoinentibus ducti, manus ad opus, ut judi- 
catum fuerat, posuerunt. Tres vero qui scelys egerant reperti et 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 193 


une chapelle de cent livres de rente au lieu qu'il plairait à l'Uni- 
versité, qui aurait à perpétuité la collation de ce bénéfice; que son 
hótel, qui par la beauté de son architecture, par sa grandeur et son 
merveilleux entablement de pierre: pouvait rivaliser avec les mai- 
sons'royales, serait détruit de fond en comble; que l'emplacement 
en serait converti en une place publique, afin d'éterniser la mémoire 
de l'attentat et Ja honte du coupable ; que les matériaux en seraient 
abandonnés à l'église de Sainte-Catherine, et que pour perpétuer le 
souvenir de la démolition, les maçons et les charpentiers du roi y se- 
raient conduits au son des clairons et d’autres instruments; enfin qu’au 
préalable et avant toutes choses, ledit chevalier paierait à l’Université 
de Paris mille livres pour frais du procès, et pareille somme aux bles- 
sés pour leur guérison, et qu'il ferait en outre rechercher à ses dépens, 
. dans tout le royaume, ceux qui avaient été les instruments de son 
crime, pour qu'ils fussent punis selon l'exigence du cas. 


Les amis de l'accusé, qui étaient en grand nombre, trouvèrent cette 
sentence rigoureuse. Pour le sauver d'un tel déshonneur, ils supplié- 
rent instamment le roi de demander qu'on laissât acheter la maison 
du sire de Savoisy au roi de Navarre, son bien aimé cousin, qui la 
paierait comptant. L’Université s’y refusa sous prétexte que par cet 
arrangement la justice n'aurait pas son cours. Tout ce que le roi obtint, 
ce fut qu'on épargnát, moyennant une somme payée sur-le-champ, les 
galeries magnifiques que Savoisy avait fait construire sur les murs de 
la ville et qui étaient ornées de peintures de toute sorte. Ainsi cette 
sentence fut mise à exécution, au grand étonnement de beaucoup de 
personnes, qui croyaient la chose impossible. Le 26 aoüt, les gens 
du roi furent amenés au son des instruments devant la maison, comme 
il avait été décidé, et se mirent à l'oeuvre. Trois des coupables, 
ayant été découverts, furent amenés à Paris; ils y furent promenés 

LI, 25 


194 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 

adducti Parisius et nndi per civitatis compita a clientibus 
deducti, virgis cesi, per totum corpus sanguine cruentantur, 
prius voce preconia eorum nequicia publicata; tandemque sub 
pena mortis eis injungitur ut, regnum cicius exeuntes, velut 
exules proscripti per triennium in extraneis partibus rema- 
nerent. 


CAPITULUM XV. 


De quodam periculoso et dampnoso incendio. 


Hujus mensis augusti die vicesima tercia, Parisius in scola 
sancti Germani Autissiodorensis et in domo ad signum Scuti 
Francie per quosdam iniquitatis ministros et divina animad- 
versione dignos injectum est incendium, et revera civibus et 
convicaneis non propter ejus qualitatem sed activitatem sub- 
tilem mirabile et horrendum. Ab hiis enim ignis iste non 
communis sed grecus creditus est, et quadam admixtione 
compositus, ut subtilius ageret. Nam projectus, non pau- 
latim per combustibilia procedens, sed subito ambiens quatuor 
angulos domus, quasi eodem momento ad fastigium ascendit. 
Inter crepusculum et conticinium noctis infortunium accidit, 
hora qua jam dominus loci cum uxore optabant quieti indul- 
gere. Qui expergefacti subito, cum, se videntes discrimen ulti- 
mum incidisse, ignorarent quid agerent, consilio et auxilio 
uxoris viro et filia cum corda in cloacam profundissimam de-- 
missis, tunc per fumum et incendium de loco velut semimortua 
exivit. Sic credebat saluti viri et filie providisse; sed tanta 
aquarum habundancia ad extinguendum incendium projecta est, 
quod ambo in illa cloaca mirabiliter * sunt submersi. Quo casu 
multi compassione moti sunt, quia integerrime fame erant et 


' Far. : n° 5959, fol. 14 v., miserabiliter. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 495 


de carrefour en carrefour par les sergents et battus de verges jusqu'au 
sang, aprés avoir entendu. publier leur crime par la voix du Léraut. 
On leur enjoignit ensuite, sous peine de mort, de sortir sans délai du 
royaume, et on les exila pour trois aus en pays étranger. 


CHAPITRE XV. 


Malheurs causés par un affreux incendie. 


Le 23 du méme mois, quelques misérables, dignes de toute la colère 
du ciel, mirent le feu à l’école de Saint-Germain l'Auxerrois et à 
l'hótel de l'Écu de France. Cet incendie causa beaucoup d'étonnement 
et d'épouvante aux habitants du quartier et de‘tout Paris, à cause de 
la rapidité avec laquelle il se propagea. On crut que ce n'était pas du 
feu ordinaire , mais du feu grégeois combiné avec certaines substances 
propres à lui donner plus d'activité. Au lieu de se répandre peu à peu 
sur les diverses parties de l'édifice, il enveloppa tout d'un coup la 
maison aux quatre coins, et s'éleva presque en méme temps jusqu'au 
faite. Cet accident arriva au commencement de la nuit, à l'heure où 
le maitre du lieu et sa femme étaient plongés dans le premier som- 
meil. Éveillés en sursaut et se voyant en danger de mort, ils ne surent 
d'abord quel parti prendre. Bientôt, d’après les conseils et avec l'aide 
de sa femme, le mari et sa fille descendirent au moyen d'une corde 
dans un cloaque profond; quant à elle, elle sortit ensuite à demi- 
morte de la maison à travers la fumée et les flammes. Elle croyait 
avoir ainsi mis en süreté son mari et sa fille; mais on dirigea contre 
l'incendie une si énorme quantité d'eau, qu'ils furent tous deux noyés 
dans le cloaque. Ce malheur excita une compassion générale, parce 
que c'étaient de braves et honnétes gens. L'argent, la vaisselle et le 

ieux mobilier que renfermait leur maison, tout fut la proie des 
flammes, tout fut réduit en cendres par l'incendie, qui dura quinze 
jours. On ne put découvrir l'auteur de ce crime. 


196 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


conversacionis honeste. Domus illa diviciis, copiosa supellectili 
et multo mobili habundabat; que omnia flamma vorax, que per 
quindenam ibi mansit, consumpsit et redegit in favillam. Quis 
auctor hujus sceleris extiterit hucusque procul dubio ignoratur. 


CAPITULUM XVI. 


Anglici victi fuerunt a Britannis. 


Circa tempus jam pretactum, Anglici, amissa spe de recupe- 
randa Ruppella, velut inquieti scorpiones, Franciam incessanter 
stimulis agitantes, velis sulcantes equora, britannica littora 
iterum repecierunt, et ut flamma voraci classem, pro comite 
Marchie apud portum de Brest stacionem habentem, in favil- 
lam redigerent vires et studium converterunt. Hii, sub vexillis 
comitis Bellimontis et Bastardi Anglie militantes , secum eciam 
habebant quemdam astutum militem, qui villam de Brest rexe- 
rat, dum obediebat Anglicis; cujus consilio ad terram descen- 
dere et littus de Guarrende occupare‘, ut adjacentem more suo 
dampnificarent patriam. 

De adversariorun adventu dominus Oliverus de Clichon cer- 
cior per compatriotas factus, hoc duci notificavit, qui mox 
duobus milibus et ducentis pugnatoribus adunatis eos statuit 
debellare, marescallum tamen Francie dominum de Riex pre- 
mittens cum septingentis armatis, qui statum eorum et nume- 
rum exploraret. Jam Anglicorum major* cum comite Belli- 
montis et capitaneo quondam de Brest littora occupantes, cuncta 
rappinis, cedibus et incendiis replebant. Quod egre ferentes 
compatriote rustici se collegerunt mutuo, et cum ruricolarum 

' [lest nécessaire, pour compléter le sens, de supposer dans le manuscrit l'omission 


d'un mot tel que decreverunt. 
* Le mat pars est onais dans le manuscrit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 197 


CHAPITRE XVI. 


Les Anglais sont vaincus par les Bretons. 


Vers le méme temps, les Anglais, qui avaient perdu l'espoir de 
recouvrer La Rochelle, mais qui continuaient à inquiéter la France 
par leurs attaques, se remirent en mer et vinrent s'abattre de nou- 
veau, comme une nuée d'insectes, sur les côtes de Bretagne, dans le 
dessein de brüler et de réduire en cendres la flotte du comte de La 
Marche , qui stationnait au port.de Brest. Ils étaient commandés par 
le comte de Beaumont et le Bátard d'Angleterre, et avaient encore 
avec eux un chevalier fort avisé, qui avait gouverné la ville de Brest 
à l'époque de la domination anglaise. D'aprés ses conseils, ils descen- 
dirent à terre et s'emparérent de la côte de Guérande, afin d'exercer 
leurs dévastations accoutumées sur le pays environnant. 


Messire Olivier de Clisson, averti par les habitants de l'arrivée des 
Anglais, en fit porter la nouvelle au duc de Bretagne, qui résolut 
aussitót de marcher eontre eux avec deux mille deux cents hommes 
d'armes, et détacha en avant le sire de Rieux, maréchal de France, 
à la tête de sept cents hommes, pour reconnaître la position et les 
forces de l'ennemi. Déjà les Anglais, maitres du rivage, mettaient 
tout à feu et à sang sous les ordres du comte de Beaumont et de l'an- 
cien capitaine de Brest. Les paysans poussés à bout se rassemblérent, 
n'ayant pour armes que des bátons, des arbalétes et des arcs, et se 
disposérent à repousser la force par la force, avant que leurs défen- 
seurs fussent arrivés. Ils commencaient en effet à en venir aux mains, 
lorsque le maréchal survint. Charmé de trouver en eux ces bonnes 


498 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


bacillis, balistis et arcubus, vim vi dignum duxerunt repel- 
lere, antequam ceteri supervenirent. Vix inchoaverant conflic- 
tum, cum marescallus affuit, qui inde mirabiliter gavisus, ad 
ducem redire non racionabile duxit, sed suis opem ferre et ad 
audaciam animare. Et mox cum suis pedester, ut erat vir expe- 
ditissimus , fulmineus advolat, in hostes irruit; et tunc bellum 
forcius instauratur. Adversarii, retrocedere summam ignomi- 
niam reputantes, usque ad ultimum dimicare statuerunt pede 
fixo. Sed ut viderunt ducem accedentem in bellico apparatu, 
animo consternantur, et major pars eorum naves repeciit, que 
nec minis nec precibus a comite Bellimontis potuit revocari. 
Ipse autem , malens mori quam fugere, cum capitaneo de Brest 
ad resistenciam se totis viribus accinxit, sed non diu; nam tan- 
dem ab acie ducis hostes circumdati , cum dominus de Castro 
huc illucque cum lacertis hectoreis viam pandens ad ipsum 
comitem pervenisset, tunc ultum iri desiderans mortem fratris, 
vibravit asciam ponderosam et eum interfecit. Ibi eciam occisus 
est fortiter dimicando capitaneus prefatus, et duo alii milites 
qui claritate generis ceteris precellebant, cum tota illa comitiva, 
paucis dumtaxat exceptis, qui jugum dedicionis subierunt. Habi- 
taque victoria, dux juvenis Deo gracias reddidit quod, hostibus 
superatis, primicias adolescencie sue tanto triumpho decorasset. 

Bastardus vero predictus, qui cum suis adhuc in navibus 
erat, egre ferens infortunium sociorum, cum subito, ne in- 
sequeretur, recedere non auderet, ad cautelam salvo conductu 
pro colloquio mutuo impetrato, cum precone triumphorum 
militarium duos milites duci misit, qui ipsum interrogarent 
super tribus pro quibus se tunc finxit ad eum destinatum. 
Primo ipsum pecierunt, si invasiones factas in Anglia a domino 
Guillelmo de Castro approbabat, et si guerram ducere contra 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 199 
dispositions , il ne jugea pas à propos de retourner auprés du duc, et 
resta pour les soutenir et le: encourager. Il eut bientôt mis pied à 
terre avec les siens , et fondit gaillardement sur l'ennemi avec la rapi- 
dité de la foudre. Alors le combat devint plus acharné. Les Anglais, 
qui se seraient crus déshonorés s'ils reculaient, étaient déterminés à 
mourir à leur poste. Mais quand ils virent le duc s'avancer en ba- 
taille, ils perdirent courage; la plupart d'entre eux coururent à leurs 
vaisseaux, et les menaces comme les priéres de leur chef furent im- 
puissantes pour les rallier. Le comte de Beaumont et le capitaine de 
Brest , aimant mieux mourir que de fuir, se défendirent vaillamment; 

mais leur résistance ne fut pas longue. Ils furent enveloppés par les 
troupes du duc, et messire du Chátel, qui s'était frayé un passage 
jusqu'au comte en portant à droite et à gauche des coups terribles, 
l'étendit à ses pieds d'un coup de sa lourde hache d'armes, et vengea 
ainsi la mort de son frére. Là périrent aussi, aprés avoir bravement 
combattu , ledit capitaine de Brest et deux autres chevaliers de race 
trés illustre, ainsi que la plupart de ceux qui les accompagnaient. 
Quelques-uns seulement échappérent à la mort en se rendant. Aprés 
la victoire, le jeune duc rendit gráce à Dieu de ce qu'il lui avait per- 
mis de signaler ses premiéres armes par un si éclatant triomphe. 


Le Bátard d'Angleterre, qui était encore sur ses vaisseaux avec les 
siens, effrayé du sort de ses compagnons, et n'osant pas se retirer 
sur-le-champ de peur d’être poursuivi, s'avisa d’un stratagéme; il se 
fit donner un sauf-conduit pour une conférence avec le duc, et dépécha 
vers lui deux chevaliers et un héraut d'armes, pour le prier de se dé- 
clarer sur trois points pour lesquels il feignait d'avoir été envoyé en 
Bretagne. I] lui fit demander s'il approuvait les invasions que mes- 
sire Guillaume du Chátel avait faites en Angleterre, s'il avait l'inten- 
tion de faire la guerre aux Anglais, et s’il refasait de payer la dot de 


200 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 

regem Anglie disponebat. Quibus cum affirmative respon- 
disset, subjunxerunt si dotem regine Anglie solvere renuebat. 
Quibus cum respondisset quod sic, ad suum dominum redie- 
runt, qui cito mare repetens et ante Guarrende pertransiens, 
duas campestres villulas cum ecclesiis combussit, et quinqua- 
ginta modios salis, quos Oliverus de Clychon ibi fecerat con- 
gregari, predati sunt; sed, ut publice postmodum dictum fuit, 
inde fuit sibi satisfactum in peccunia numerata. Inde hostes, 
navigacione prospera Flandriam repetentes , quamdam insulam 
Escluse contiguam combusserunt, ibique duas naves institorias 
peregrinis mercibus oneratas rapientes, unam regi Anglie de- 
derunt, et mobile alterius inter se diviserunt. 


CAPITULUM XVII. 


Castrum de Corbefin captum fuit. 


Superbiam anglicanam in cunctis oris Francie maritimis sic 
pyraticam libere exercere Gallicis plurimum displicebat , magis- 
que indignabantur quod in Vasconia, prope Burdegalensem 
urbem, cum ipsis Vasconibus pastu annuo non contenti 
sepius de municipiis suis hostiliter erumpebant, invitis ruri- 
colis regi Francie subjectis, in areis congesta grana assidue 
predabantur, ut loca sua munirent; non usquam greges et ar- 
menta tuta erant; agrestes accolas, velut vilia municipia, incar- 
cerandos abducebant , ut redempcionis subirent jugum odibile , 
et sic in uberrima et habundanti tellure victualium penuria 
sepius pullulabat. | | 

Ad tot vitandum excessus conestabularium Francie, amplum 
circa patrimonium possidentem, pluries requisierant ne am- 
plius marcesseret ocio Parisius, sed succurreret patrie ad stre- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 201 


la reine d'Angleterre. Le duc ayant répondu affirmativement à ces 
trois questions, les envoyés retournérent auprès de leur maître, qui mit 
aussitót à la voile, et qui en passant prés de Guérande brüla deux 
villages avec leurs églises, et enleva cinquante muids de sel, qu Olivier 
de Clisson y avait fait rassembler. Mais il l'en dédommagea par une 
somme d'argent, à ce que l'on a dit plus tard. De là les Anglais pous- 
sérent en Flandre à l'aide d'un vent favorable, et brülérent une ile 
voisine de l’Écluse; ils s'emparérent aussi de deux vaisseaux marchands 
chargés d'une riche cargaison, donnérent l'un au roi d'Angleterre et 
se partagérent entre eux le butin de l'autre. 


CHAPITRE XVII. 


Prise du cháteau fort de Corbefin. 


Les Francais voyaient avec un vif déplaisir leurs orgueilleux adver- 
saires exercer librement leurs pirateries sur toutes les cótesde France. 
Mais ce qui les irritait le plus, c'est qu'en Gascogne, dans les environs 
de Bordeaux, les Anglais, non contents du tribut annuel qu'on leur 
payait, faisaient avec des habitants mémes du pays de fréquentes sorties 
hors de leurs places fortes, et s'approvisionnaient aux dépens des cam- 
pagnes soumises au roi de France en pillant les grains entassés dans les 
granges. Ils enlevaient le gros et le menu bétail, et emmenaient prison- 
niers les paysans comme de vils esclaves, afin de les contraindre à payer 
rancon. Aussi la disette se faisait sentir à tout moment dans cette con- 
trée si riche et si fertile. 


Les Gascons, désirant mettre un terme à leurs souffrances , S adres- 
sérent à plusieurs reprises au connétable de France, qui possédait dans 
le pays un vaste patrimoine, et le suppliérent de venir les défendre 

IH. 26 


202 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


nuitatem acquirendam. Quam attendens hucusque non meruisse, 
hiis legacionibus stimulatus, cum octingentis pugnatoribus 
electis illuc circa medium augusti flectit iter. Jam multis exactis 
feriis, ut hic et alibi discursiones hostiles facilius coherceret , 
quemdam notarium suum in habitu simulato Burdegalensem 
urbem jusserat petere, ut cum quibusdam civibus de subdenda 
regi Francie civitate secretissime tractaret. Sed rediens hiis 
diebus, infectum negocium nunciavit et tractatores decollatos. 
Nulli ambiguum erat multos ex hiis commercandi gracia subdi . 
placere Gallicis, dum tamen sicut vicini jugum exactionum 
non subirent. Nam Anglicos habebant odio, et regis Anglie 
irrequisito assensu recenter senescallum Burdegalensem ab 
eo institutum ex urbe expulerant, et dominum de Muscidan . 
loco ejus substituerant de facto. Hic erat avunculus captan de 
Beu, qui, mediante comitatu Fuxinensi dono dato, gallicum 
se reddiderat; ét ex tune spem Franci habebant quod ejus 
opera civitas reddi posset, cum tercie fere partis dominaretur 
jure hereditario et antiquo. 

Hanc igitur regionem conestabularius attingens, quid agen- 
dum sit deliberat in concione militum. Qui attendentes patriam 
adjacentem hostibus municipiis refertam , et quod ardua et for- 
ciora agredi virtus laudabilius reputat, castrum de Corbefin 
accessu arduum capere statuerunt. Oppidum in colle situm in 
devexo, ex muro solidissimo proporcionalem habente altitu- 
dinem, turribus frequentibus et ad defensionem aptissimis 
equisque distinctis spaciis cinctum erat, et pugnatoribus muni- 
tum, qui et dedicionem primo regis auctoritate imperatam 
verbis derisoriis respuerunt, Vascones et Anglici hic degentes 
quadraginta miliaria patrie sub jugo annui pastus, scilicet quin- 
quaginta mille scutorum auri, tenebant, ut incole pacifice 


CHRONIQUE DE CHARLES VL. — LIV. XXV. 203 


et, de saisir cette occasion de signaler sa valeur, au lieu de languir plus 
long-temps à Paris dans un honteux repos. Le connétable, touché de 
leurs représentations et jaloux de s'illustrer par quelque prouesse, 
partit vers le milieu du mois d'aoüt à la téte de huit cents hommes 
d'élite. Aprés avoir livré plusieurs combats, il eut recours à un autre 
moyen pour réprimer les ravages de l'ennemi; il envoya à Bordeaux 
un de ses secrétaires déguisé, pour traiter secrétement avec quelques 
habitants et les engager à livrer la ville au roi de France. Mais son 
agent revint bientót lui annoncer que la négociation n'avait pas réussi 
et qu'on avait décapité ceux qui y avaient pris part. ll était constant 
que la plupart des habitants désiraient, dans l'intérét de leur com- 
merce, rentrer sous la domination de la France et échapper aux exac- 
tions qui accablaient leurs voisins; car ils détestaient les Anglais, et 
tout récemment encore ils avaient, de leur autorité privée, chassé le 
sénéchal de Bordeaux nommé par le roi d'Angleterre, et avaient mis 
à sa place le sire de Mucidan. Le nouveau magistrat était l'oncle du 
captal de Buch, qui s'était fait francais moyennant le don du comté de 
Foix. Aussi espérait-on que, gráce à son entremise, la ville pourrait 
étre livrée; car il en possédait le tiers par un droit d'héritage déjà 
fort ancien. | | 

.. Quand le connétable fut arrivé, il tint conseil avec ses chevaliers 
pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire. Ceux-ci, considérant que le 
pays était couvert de forteresses ennemies et que la valeur aime à bra- 
ver les difficultés et les périls, résolurent de s'emparer d'abord du chà- 
teau fort de Corbefin, dont l'accès était presque impraticable. Cètte 
place, située sur le penchant d'une colline, était entourée d'un mur 
haut et solide, flanqué de tours nombreuses, qui étaient disposées ré- 
guliérement de distance en distance, et qui permettaient de faire une 
longue résistance. Les Gascons et les Anglais qui en formaient la gar- 
nison repoussérent tout d'abord avec mépris les sommations qui leur 
furent faites au nom du roi. Ils ranconnaient quarante lieues de pays, 
et faisaient acheter aux habitants, par une contribution annuelle de 
cinquante mille écus d'or, le droit de vaquer en paix à la culture de 
la terre. Ceux-ci, lassés de cette tyrannie intolérable, proposérent au 


204 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


agriculture vacarent. Qui inde attediati summam illàm cones- 
tabulario solvere pro sola vice promiserunt, ut eos ab hac intol- 
lerabili servitute deliberaret *. Quo juramentis firmato, mox 
afferri machinas jaculatorias, arietes, scrophas quoque et omnis 
generis obsidionalia instrumenta et per ambitum comode 
collocari, vias quoque publicas ubique precludi *, et observari 
ne oppidanis victualia deferrentur *. 

Non diu manere in obsidione sperabant Francigene, quam- 
vis obsessi statuissent in excubiis nocturnis continuas per suc- 
cessiones agere vigilias, ut semper ad resistendum prompti 
essent; nam castrensium magna pars ad succurrendum Anglie 
sedicionibus procellosis agitate profecta fuerat. Cum autem 
jam in mensem se obsidio protraxisset, oppidani pro subsidio 
habendo regi Anglie miserunt, significantes Gallicorum vires 
et animos singulis diebus ampliores, suorum defectum, ali- 
mentorum inopiam et angustias importabiles, supplicantes 
ut necessitatibus succurrendo et adjutores mitteret de muni- 
cipiis propinquis; de quo tamen non curavit. Sic tandem cum 
durum esset eisdem duodecim ebdomadarum spacio obsidio- 
nales assultus pertulisse , jamque effractis antemuralibus , cum, 
destituti penitus consociorum auxilio, victus rarescerent, eis 
spes amplius resistendi omnino subcubuit enervata. Et ideo 
communicato inter se consilio, tractant quomodo imminen- 
tibus malis possent finem imponere. Missis legacionibus ad 
conestabularium, sub condicione spondent ei se resignaturos 
oppidum, dum tamen prius receptis quatuordecim mille scu- 
tis auri indempnes possent recedere, et secum omnem supel- 

' Far. : n° 5959, fol. 15 v., liberaret. ! Le mot deferrentur, emprunté au 

* Il est nécessaire, pour compléter le sens, n° 5959, fol. 15 v., manque dans le n° 5958. 


de supposer dans le manuscrit l'omission 
d'un mot tel que precepit. 


CHRONIQUE .DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 205 


connétable pareille somme une fois payée, pour qu'il les en délivrát. 
Ces conditions ayant été acceptées et confirmées par serment, le con- 
nétable fit dresser autour de la place des catapultes, des béliers,, des 
trüies et toutes sortes de machines de siége. Il en fit aussi intercepter 
tous les passages, pour qu'on ne püt y introduire des vivres. 


Les Francais se flattaient de ne pas rester long-temps à ce siége, 
malgré les efforts des assiégés, qui, afin d’être toujours préts à repous- 
ser les assauts, faisaient bonne garde jour et nuit, car une partie de la 
garnison avait été rappelée en Angleterre à cause des troubles qui y 
avaient éclaté. Aprés avoir prolongé leur résistance pendant un mois, 
les assiégés envoyérent demander des secours au roi d'Angleterre, en 
lui représentant que les forces et le courage de leurs adversaires crois- 
saient de jour en jour, tandis qu'eux-mémes voyaient leurs rangs s'éclair- 
cir, qu'ils commencaient à manquer de vivres et étaient aux abois; ils 
le suppliérent de soulager leur détresse et d'enjoindre aux troupes des 
places voisines de venir à leur secours. Mais le roi ne tint aucun compte 
de leurs prières. Alors, épuisés par les fatigues d'un siége de douze se- 
maines , et voyant que leurs avant-murs étaient détruits, que personne 
ne venait à leur aide et que les vivres devenaient de plus en plus rares, 
ils perdirent tout espoir de résister plus long-temps, et se réunirent 
pour délibérer sur les moyens de mettre un terme à leurs maux. Ils 
se décidérent enfin à envoyer offrir au connétable de lui remettre la 
place avec une somme de quatorze mille écus d'or, à condition qu'il 
les laisserait sortir vie et bagues sauves. Le connétable soumit ces 
propositions à son conseil, et déclara qu'il était d'avis de les accep- 
ter ; tout le monde se rangea à cette opinion. Les ennemis promirent 
sous la foi du serment de sortir de la place avant trois jours; le con- 
nétable jura de son cóté que les conveutions susdites seraient fidéle- 
ment exécutées sans fraude ni mal engin. Après quoi les portes furent 
ouvertes , et les Francais entrérent dans la place. 


206  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


lectilem deferre. Auditis postulacionibus, conestabularius, con- 
vocato consilio, utile judicat eorum postulaciones acceptare. 
Placuit hoc et omnibus; prestitisque utrinque juramentis et 
quod hostes infra triduum subsequens recederent, et quod pre- 
dicte convenciones eis sine fraude vel malo ingenio bona fide 
complerentur, Gallici castrum recipiunt, introire volentibus 
aditibus reseratis. 

Hiis ergo rite peractis et subsidiariis relictis, quod satis 
esset ad castri presidium, conestabularius prosequi successus 
prosperos dignum ducens, et ad tredecim oppida propinquiora 
procedens, mandavit custodibus ut illa sibi reddentes inde re- 
cederent; qui, videntes speciale suorum receptaculum huic sorti 
subcubuisse, obedierunt precepto. Sic ex quo regio adjacens, 
que multis annis metu hostilitatis inculta jacuerat, postquam 
agricolarum curam sensit, et, metu hostium propulsato, po- 
pulus libere terram exercere potuit, totam adjacentem patriam 
ubertate replevit. Diu enim culture nescia, vomeris usum non 
sustinens, integris in se subsistens viribus, postquam rusticam 
sensit adesse sollicitudinem, credita semina cum fenore multi- 
plici et fructu sexagesimo reportavit. 


CAPITULUM XVIII. 
De multis oppidis captis in Lemovicino. 


Nou modo Burdegalenses peccuniis pro victu annuo Angli- 
corum agriculturam redimebant, sed et Lemovicenses fere in 
toto eorum territorio. Quam detestabilem servitutem comes 
inclitus Clari Montis, ducis Borbonii filius, corporis gratissima 
composicione prestantissimus juvenis, prima malas vestitms 
lanugine, viribus cupiens anullare, cum mille electis pagna- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 207 


Le connétable laissa dans la ville une garnison suffisante pour la 
défendre, et résolut de poursuivre ses succès. Il marcha successivement 
contre treize places voisines, et somma les troupes qui les occupaient 
de les évacuer et de les remettre en son pouvoir. Elles s'empressérent 
d'obéir en apprenant la soumission de Corbefin , qui était la principale 
forteresse des Anglais. Alors toute la campagne d'alentour, qui depuis 
tant d'années restait en friche par crainte de l'ennemi, fut rendue à 
la culture; les habitants, délivrés de toute inquiétude, reprirent 
leurs travaux avec confiance, et l'abondance ne tarda pas à renaitre 
dans tout le pays. En effet, la terre, dont le sein n'était pas depuis 
long-temps fécondé par la charrue, avait concentré en elle-même 
toute sa séve et sa vigueur; dés qu'elle eut senti la main du labou- 
reur, elle rendit avec usure et au centuple les semences qui lui étaient 
confiées. 


CHAPITRE XVIII. 


Prise de plusieurs places fortes dans le Limousin. 


Les Bordelais n'étaient pas seuls obligés de racheter chaque année 
à prix d'argent le droit de cultiver leurs terres. Tout le Limousin 
était soumis aux mémes exactions. L'illustre comte de Clermont, fils 
du duc de Bourbon, résolut d’affranchir ce pays d'une si cruelle ser- 
vitude. C'était un jeune prince de bonne mine, dont le visage com- 
mençait à peine à se couvrir d'un léger duvet; il s’avança à la tête 


de mille hommes d'élite, accompagné de messire Petit Maréchal et de 


208 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


toribus huc contendit. A strenuis ergo et emerite milicie viris, 
domino Parvo Marescallo et Roberto de Salusciis, quibus pater 
dilectum commendaverat filium, huc perductus, dum eorum 
consilio municipia hostium capere decrevisset, ad eum mox 
direxerunt qui, diffidencias deferentes , bellum mutuum die do- 
minica prima mensis octobris obtulerunt. Quod grato animo 
suscipiens, id patri illico intimavit, cujus vallidis precibus in 
multis ecclesiis cum missarum sollemniis pro victoria obti- 
nenda facte fuerunt oraciones devote. Nam firmiter sperabatur 
quod Vascones et Anglici dicta factis compensarent; sed ad 
diem assignatam minime comparuerunt. 

Inde Franci audaciores effecti huc illucque ceperunt hosti- 
liter equitare, nemine contradicente, et sex ebdomadarum 
spacio triginta quatuor oppida nunc viribus nunc amicabili 
composicione lucrati sunt, expulsis adversariis, et libertate 
compatriotis concessa. Sic insignis juvenis nove milicie titulum 
decoravit, et has dedit primicias bone indolis et argumenta 
prima. Sed attendens quod 


Non minor sit virtus quam querere , parta tueri , 


rogatus a compatriotis, facere moram longiorem et ibi hyber- 
nare disposuit. Quo spacio quedam loca occupata et ad resis- 
tendum non sufficienter apta solo equari precepit; et hoc placuit 
de universorum consensu, nam sine multis sumptibus, labore 
continuo et multo transeuncium periculo, non videbantur a 
nostris posse servari; et iterum ut advenientibus hostibus regio 
vasta, alimentis et habitatoribus viduata aliquod saltem minis- 
traret impedimentum. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 209 


Robert de Chalus, braves chevaliers, à l'expérience desquels son pere 
l'avait confié, et résolut d'aprés leurs conseils de s'emparer de toutes 
les places fortes de l'ennemi. A cette nouvelle les Anglais lui envoye- 
rent un défi et lui offrirent la bataille pour le dimanche 1°" octobre. 
Le jeune comte accepta de grand coeur ce défi, et se háta d'en infor- 
mer son père, qui fit dire dans plusieurs églises des messes solennelles 
et des priéres publiques pour le succés de ses premiéres armes. On 
pensait que les Gascons et les Anglais tiendraient parole ; mais au jour 
marqué ils ne parurent point. 


Enhardis par leur absence, les Français coururent le pays de tous : 
cótés sans rencontrer la moindre résistance, et dans l'espace de six 
semaines ils s'emparérent, soit de vive force, soit par composition, de 
trente-quatre places fortes, qu'ils firent évacuer aux ennemis et dont 
ils remirent les habitants en liberté. Tels furent les exploits par les- 
quels le jeune comte signala ses premiéres armes, et fit concevoir de 
lui les plus belles espérances pour l'avenir. Mais considérant 


Qu'il vaut mieux maintenir qu'étendre ses conquêtes, 


il consentit, sur la demande des habitants, à séjourner quelque temps 
dans le pays et à y prendre ses quartiers d'hiver. Il profita de son 
séjour pour faire raser quelques unes de ces places, qui ne pouvaient 
servir à la défense du Limousin. Cette mesure fut généralement approu- 
vée ; on savait qu'il eüt été impossible aux Francais de les conserver sans 
d'énormes dépenses , de continuelles fatigues et de grands dangers. Il 
voulut aussi qu'une partie du pays restát déserte, dépeuplée et stérile, 
afin de créer des embarras aux ennemis, s'ils venaient à reparaître. 


IH. 27 


240 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


CAPITULUM XIX. 


De morte ducisse de Baro. 


Circa octobris medium, ducis Barensis uxor venerabilis, 
domina Maria, filia quondam Johannis regis Francie, in fata 
concessit. Unde, ut.dictum fuerat connubium contrahendo, 
ville murate cum castris, nemoribus et aquis piscatoriis, que in 
Autissiodorensi et Senonensi dyocesibus et in Bria ad vitam 
occupaverat, ad jus regiuni redierunt. 

Marito duci veneranda ducissa, ut filias pertranseam quas 
rex Árragonie et comes sancti Pauli duxerant uxores, plures 
procreaverat filios ; sed duobus superstitibus, Eduardo scilicet et 
cardinali, alii duo, Philippus scilicet et Henricus qui erat pri- 
mogenitus, in infausta expedicione bellica contra Turcos Sarra- 
cenos in Hungaria obierant. Prefatus autem Henricus, priusquam 
agrederetur iter illud , ex uxore sua legittima, filia scilicet an- 
tiquiori domini de Couciaco Ingeranni, filium genuerat. Que 
tamen nescio quo ducta spiritu, et forsitan, ut publice dice- 
batur, a duce Aurelianis circumventa , eidem villam et castrum 
Couciaci vendidit cum pertinenciis. Per vendicionis tractatum 
quamdam summam peccunie annuatim super pertinenciis de- 
bebat ad vitam percipere, quam tamen longo tempore non 
recepit. Nam hoc anno, eum ad quasdam nupcias cum domi- 
nabus aliis evocata diem duxisset jocose, sub intempesta nocte 
expirans, satis evidentissimum signum dedit quod de die 
cibum sumpserat venenosum. Dum autem adhuc viveret, dux 
de Baro, amici et cognati filii ejus, dolentes eumdem exhere- 
datum, venditam hereditatem repetere conati sunt. Iu Parla- 
mento quoque convenientes regio, summam peccuniarum tra- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 211 


CHAPITRE XIX. 


Mort de la duchesse de Bar. 


Vers le milieu du mois d'octobre mourut l'auguste duchesse de Bar, 
z-x»madame Marie, fille du roi Jean. Par sa mort, les villes closes, châ- 
æ aux forts, bois et étangs, qu'elle avait possédés sa vie durant dans les 

A mocéses d'Auxerre et de Sens et dans la Brie, firent retour au domaine 
m «»yal, ainsi qu'il avait été stipulé dans son contrat de mariage. 


Cette princesse avait donné plusieurs enfants au duc son époux : deux 
Fan Res qui avaient épousé, l'une le roi d'Aragon et l'autre le comte de 
SX zaint-Pol, et quatre fils, dont deux seulement vivaient encore, Édouard 
«- *- le cardinal ; les deux autres, Philippe et Henri qui était l'ainé, étaient 
22 orts en Hongrie en combattant les infidéles. Henri, avant de partir 
our cette expédition, avait eu un fils de la fille aînée du sire Enguer- 
æ-zand de Coucy, sa femme légitime. Celle-ci, cédant à je ne sais quelles 
Suggestions, et circonvenue peut-être par le duc d'Orléans, comme 
Le bruit en était généralement répandu, vendit à ce prince la ville et 
Re château de Coucy avec leurs appartenances. Par le traité de vente, 
ælle stipula qu'elle percevrait sa vie durant une somme annuelle sur 
les appartenances; mais elle ne jouit pas long-temps de ce revenu. 
Ælle expira dans l'année méme, aprés avoir assisté avec plusieurs 
autres dames aux fêtes d'un mariage et avoir passé joyeusement la 
Journée. Cette mort si rapide, arrivée au milieu de la nuit, prouvait 
assez clairement qu'elle avait mangé quelque mets empoisonné. Le 
duc de Bar, les amis et les autres parents de son fils, voyant avec peine 
qu'elle l’eût en quelque sorte déshérité, avaient, de son vivant méme, 
essayé de racheter cet héritage. Ils portérent l'affaire au Parlement, 
et réclamérent le domaine en offrant, suivant la coutume, de rem- 
bourser la somme payée; mais ils ne réussirent pas, quoique leur 
offre ft conforme aux usages reçus dans tout le royaume. Cela fit dire 
aux gens sages que le Parlement n'avait pas jugé selon la justice, et 


212 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


ditam, ut moris erat, obtulerunt judici dominium repetendo; 
nil tamen penitus profecerunt, quamvis hec consuetudo ubique 
in regno servaretur. Unde asserebant nonnulli circumspecti 
curiam a racionis tramite deviasse, et quod, vitans ducis Aure- 
lianis indignacionem, dissimulare malebat quam refrenare ejus 
cupidinem, quam insaciabilem presagiebant futuram, si con- 
tinuaret in possessionibus et prediis, ut jam inchoaverat, ac- 
quirendis. Blesencem ac Drocensem comitatus multaque do- 
minia feodatorum suorum in Tarteniensi territorio empcionis 
titulo cum Couciaco possidebat, eciam dono regali cum du- 
catu .Aurelianensi Engolesime et Petragorici comitatus. Nec 
contentus tantis dominiis regia permissione possessis, ymo 
regem vallidis precibus inclinavit, ut Castrum Theoderici et 
castellaniam sibi daret hereditario jure possidendam. Quod 
multi egre tulerunt viri docti, asserentes terram illam regem 
non debuisse a comitatu Campanie nec per consequens a jure 
corone Francie separasse. 


CAPITULUM XX. 


De nupciis domini Dalfini. 


Circa medium augusti, rex incolumis effectus, quod nuper 
dilectissimo cognato duci Burgundie promiserat cupiens ad- 
implere, dominica ultima hujus mensis, in domo regia Sancti 
Pauli , domini ducis Guyenne Ludovici ejus primogeniti nupcias 
et filie dicti ducis celebravit, cum regina presentibus multis 
baronibus et ducibus de regio sanguine procreatis. Eadem 
eciam die, Philippus, ejusdem ducis primogenitus , dominam 
Michaelam regis filiam desponsavit per manum Parisiensis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 213 


que, pour ne pas s'exposer au courroux du duc d'Orléans, il aimait 
mieux fermer les yeux sur ses empiétements que de réprimer une am- 
bition qui menacait de devenir insatiable, si ce prince continuait à 
acquérir des terres et des seigneuries, comme il l'avait fait jusqu'alors. 
Il avait acheté en effet, outre la terre de Coucy, les comtés de Blois 
et de Dreux et plusieurs autres fiefs en Tardenois, et il possédait en 
vertu de donations royales le duché d'Orléans et les comtés d'Angou- 
léme et de Périgord. Non content de tous ces domaines, il obtint 
encore à force d'instances que le roi lui accordát la jouissance à titre 
héréditaire de la ville et de la chátellenie de Cháteau-Thierry. Plusieurs 
doctes personnages en concurent un vif déplaisir ; ils prétendaient 
que le roi n'avait pas le droit de distraire cette terre du comté de 
Champagne ni par conséquent du domaine de la couronne. 


CHAPITRE XX. 


Mariage de monseigueur le Dauphin. 


Le roi, ayant recouvré la santé vers la mi-août, résolut de tenir la 
promesse qu'il avait faite naguére à son bien aimé cousin le duc de 
Bourgogne, et le dimanche dernier jour du mois il fit célébrer à l’hôtel 
royal de Saint-Paul, en présence de la reine, d'un grand nombre de 
barous et des princes du sang, le mariage de monseigneur le duc de 
Guienne Louis, son fils aîné, avec la fille dudit duc de Bourgogne. 
- Le méme jour, Philippe, fils aîné du duc, fut fiancé à madame Mi- 
chelle, fille du roi, par l'évéque de Paris, qui avait été désigné pour 
bénir les deux mariages. Le roi voulut que les deux princesses fussent 


214 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


episcopi, qui hac die benedictiones nupciales peragendas susce- 
perat. Statuitque rex ut ambe domine in regine educarentur 
curia, donec annos pubertatis mariti attigissent. 


CAPITULUM XXI. 


De morte regine Sicanie. 


Exemplar continencie vidualis, domina Maria, filia quondam 
Karoli comitis Blesensis et relicta illustrissimi ducis Andegavie 
Ludovici, qui in acquisicione regni Neapolitani vel Sicilie 
obierat , tunc clarebat in Francia. Quam et si tum morum pre- 
rogativa tum generositatis titulo preclaram similem multis aliis 
dixerim, quod tamen summe auctoritatis dominas circumspec- 
tione et industria in agendis superaverit, michi constitit et 
constat. Nam tam sagaciter tamque provide Provencie, Ande- 
gavie ac Cenomanie proventibus duobus et viginti annis usa 
fuit, quod pro filio primogenito Ludovico guerram Neapoli- 
tanam a patre inchoatam propriis sumptibus duxit semper et 
statum ipsius continuando regium. Qui secretis ejus colloquiis 
ex officio assistebant, ex resditibus dominiorum dictorum du- 
centa milia scuta auri dicunt ipsam in secretis accumulasse the- 
sauris. Que, morti propinquam se videns, prius devote susceptis 
ecclesiasticis sacramentis, evocato filio revelavit. Quod non 
immerito admirans, cum siscitaretur dulciter cur ei transacto 
tempore multis necessitatibus presso non succurrisset largius, 
notanter causam subjunxit, quia semper timebat de capcione 
ipsius, et ideo ne pro redempcione sua huc illucque mendi- 
caret, ipsum semper penes se retinuerat thesaurum. Sepulta 
vero quiescit apud Andegavis in ecclesia Sancti Mauricii ante 
majus altare. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 215 


élevées sous les yeux de la reine, jusqu'à ce que leurs maris eussent 
atteint l’âge de puberté. 


CHAPITRE XXI. 


Mort de là reine de Sicile. 


Madame Marie, fille du feu comte de Blois Charles, et veuve du 
trés illustre Louis, duc d'Anjou, qui avait perdu la vie en allant con- 
quérir le tróne de Naples ou de Sicile, se faisait alors remarquer à la 
cour de France par ses vertus et sa chasteté. Si beaucoup d'autres 
femmes pouvaient lui étre comparées pour la pureté des moeurs et la 
noblesse de l'extraction , je dois dire qu'elle surpassa les dames du plus 
haut rang par sa prudence et par l'habileté de sa conduite. Pendant 
vingt-deux ans en effet elle administra avec tant d'ordre et de pré- 
voyance les revenus de la Provence, de l'Anjou et du Maine, qu'elle 
put soutenir à ses frais, au nom de son fils ainé Louis, la guerre de 
Naples commencée par son pére, tout en donnant à ce fils de quoi 
tenir un état de roi. Ses conseillers intimes assurent qu'elle amassa 
sur les revenus de ses domaines un trésor particulier de deux cent 
mille écus d'of. Voyant approcher sa dernière heure, elle reçut dévo- 
tement les sacrements de l'Église; après quoi elle fit venir son fils et 
lui révéla ce secret. Le jeune prince justement étonné lui demanda 
avec douceur pourquoi, dans le temps où il avait été presque réduit 
à la détresse, elle ne l'avait pas secouru plus généreusement. Elle lui 
répondit qu'elle avait craint-de le voir prisonnier, et qu'elle avait 
toujours voulu lui tenir cet argent en réserve, pour lui épargner la 
honte de mendier sa rancon de tous cótés. Elle fut enterrée devant le 
maitre-autel de l'église de Saint-Maurice d'Angers. 


216 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


CAPITULUM XXII. 


De nunciis ad * unionem Romam missis, et de morte antipape. 
, pap 


Benedictus papa, gaudens de restituta sibi obediencia, ad 
unionem, uti promiserat, procurandam statuit laborare, mit- 
tens primo secrecius Bonifacio intruso, qui rogarent ut suos 
nuncios mittendos benigne audire dignaretur. Concesso quod 
racioni consonabat, episcopos Sancti Poncii et Illerdensis cum 
nonnullis aliis éminentis sciencie viris ad eum destinavit. Quos 
tamen audire noluit, sed et ad presenciam suam accedere ve- 
tuit, nisi sibi impenderent velut summo pontifici honorem et 
reverenciam papales. Signum cerimoniale apparentis et transi- - 
torie glorie exhibere unanimiter decreverunt, ut generale com- 
modum christicolarum cicius expediretur. Et eidem, impetrata 
audiencia, amicabilibus verbis et multis racionibus cum pesti- : 
ferum scisma in dampnum universalis Ecclesie versari elegan- 
tissime ostendissent, flexis genibus oraverunt ut via inveniretur 
per quam illud sopiretur. Ulterius quoque ad fagtum progre- 
dientes, viam convencionis papalis personalis amborum con- 
tendencium de papatu tetigerunt, omnem aliam excludendo, 
promittentes tamen quod si hec eligeretur, inde ad aliqua par- 
ticularia sibi grata sine dubio devenirent. Si legacionem piis 
auribus vel impacienter audivit incertum tunc michi fuit, sed 
pro comperto habeo quod sine dubio mirandum. Nam respon- 
sione data, vel dolore cordis tactus intrinsecus, vel assiduis et 
peregrinis morbis pressus, lecto decubuit, et per triduum 
loquela privatus, ut dicebatur publice, expiravit. 

Occasione tam repentini obitus in legatos oritur tumultus 


' Far. : n° 5959, fol. 17 r., ob unionem. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 217 


CHAPITRE XXIT. 


Envoi d’une ambassade à Rome au sujet de l'union. — Mort de l'antipape. 


Le pape Benoit, satisfait de la restitution d'obédience, voulut tra- 
vailler, selon sa promesse, au rétablissement de l'union. Il fit prier 
secrètement l'intrus Boniface de daigner accueillir avec bonté les 
ambassadeurs qu'il lui députerait. Ayant fait agréer cette juste de- 
mande, il envoya à Rome les évêques de Saint-Pons et d’Ilerda avec 
plusieurs autres personnages d'un savoir éminent. Mais l'intrus refusa 
de les entendre; il leur défendit méme de paraître en sa présence, 
sils ne consentaient à le traiter en souverain pontife et à lui rendre 
les hommages et les honneurs dus à la papauté. Les envoyés furent 
unanimement d'avis de satisfaire aux exigences de cette vanité mon- 
daine et de se soumettre à un futile cérémonial dans l'intérét général 
de la chrétienté. Ayant alors obtenu audience, ils représentérent à 
Boniface, dans un discours élégant, plein de solides raisons et concu 
dans les termes les plus respectueux , combien l'horrible schisme était 
préjudiciable à l’Église universelle, et le supplièrent à genoux de cher- 
cher avec eux un moyen d’y mettre un terme. Puis arrivant au fait, ils 
lui proposérent la voie d'une conférence personnelle entre les deux pré- 
tendants à la papauté, à l'exclusion de toute autre voie. Ils l'assurérent 
que, s’il adoptait cette voie, il y trouverait certains avantages parti- 
culiers qu'on lui ferait connaitre. J'ignore si les propositions des 
ambassadeurs lui plurent ou le mécontentérent. Mais ce que je sais, 
et ce qui est assurément trés étonnant, c'est qu'aprés y avoir répondu 
il se mit au lit, soit qu'il éprouvát au fond du coeur une amére douleur, 
soit que les infirmités cruelles dont il était affligé eussent empiré, et 
qu'au bout de trois jours il rendit le dernier soupir sans avoir, dit-on, 
prononcé une seule parole. 


Cette mort si subite souleva les Romains contre les ambassadeurs. 
Au milieu de l'agitation et du déchainement de la multitude, le gardien 
III. 28 


218 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


popularis, fluctuantibusque more solito pestiferis et procel- 
losis motibus Romanorum, Sancti Angeli castellanus eos contra 
jus gencium eciam barbararum protinus incarceravit. Ibi tamdiu 
manserunt, donec qui sibi sacri collegii titulum ascribebant 
unum ex suo gremio in pontificem elegerunt, octobris duo- 
decima die, ipsum Innocencium nominantes. Nec inde ad nun- 
ciorum liberacionem vallide preces anticardinalium valuerunt, 
donec magna summa auri castellani execrabilem avariciam de- 
mulcerunt. 

Interim dum hec aguntur, dominus Benedictus reparacioni 
palacii Avinionensis vacabat, et ut per ambitum ecclesia 
Nostre Domine, sepulchro predecessorum suorum, cum multis 
eminentis structure solo equatis domibus forcius redderetur. 
Sed auditis que tunc agebantur Rome, quod per nuncios ne- 
quiverat per se ipsum statuit procurare, et Ponte Sorgie re- 
licto, Niceam Provencie peciit civitatem. Tunc monitis ipsius 
et rogatu, acquieverunt aureos flores lilii deferentes consilia 
celebrare, ut sciretur qualem ducem traderent ex se ipsis , qui 
cum nobili comitiva eum, ut ordinaverat, Romam perduceret, 
ut unionem Ecclesie cum ipso Innocencio personaliter practicare 
procuraret. Ad hoc jam antea magnificencius peragendum, 
insignis Juvenis regis Arragonie filius, Sicilie insule dominus, 
se cum classe munita viris armatis obtulerat; quod tamen non 
acceptavit ipse papa, dicens se velle, more predecessorum suo- 
rum, huc perduci per dominos duces Francie. Ad tam genero- 
sum tamque servicium laudabile exequendum dux Bourbo- 
nensis insignis electus est. Sed rege, incolumitate recepta, 
recessum ejus denegante, quia ejus consilio in cunctis arduis in- 
digebat , monitis ipsius summi pontificis rex Ludovicus dux An- 
degavie hujus itineris cum loricatis ad unguem ducem se obulit. 


CHRONIQUE DE CHARLES: VI — LIV. XXV. 219 


du château Saint- Ange les fit arrêter surle-champ au mépris du droit 
des gens. Ils restèrent en prison, jusqu'à ce que les anticardinaux 
eussent choisi pour souverain pontife un d'entre eux, qui fut élu le 
42 octobre et prit le nom d'Innocent. Encore les instances du pré- 
tendu sacré collége ne suffirent-elles pas pour obtenir l'élargissement 
des prisonniers; il leur fallut payer une grosse somme d'argeut , 
pour satisfaire à l'exécrable cupidité du chátelain. 


Cependant monseigneur Benoit s'occupait de restaurer le palais 
d'Avignon, et d'en fortifier l'enceinte en faisant raser l'église de Notre- 
Dame, tombeau de ses prédécesseurs , et plusieurs autres beaux édifices. 
Dés qu'il apprit les événements qui se passaient à Rome, il résolut de 
mener à fin par lui-méme la négociation dans laquelle ses envoyés 
n'avaient pu réussir. Il partit donc de Pont de Sorgues pour se rendre 
à Nice en Provence. En méme temps les ducs de France tinrent conseil 
à sa requéte, pour aviser au choix d'un prince qui se chargeât de le 
‘conduire à Rome avec une suite de nobles seigneurs, afin qu'il pàt 
travailler en personne avec Innocent lui-méme au rétablissement de 
l'union. L'illustre fils du roi d'Aragon, qui régnait en Sicile, avait 
déjà offert de l'escorter en grande pompe avec une flotte munie de 
gens de guerre. Mais le pape avait refusé en disant qu'il voulait, 
conformément à l'usage suivi par ses prédécesseurs , avoir en sa com- 
pagnie messeigneurs les ducs de France. Ce fut l'illustre duc de Bour- 
bon qu'on chargea de cette honorable mission. Toutefois le roi, qui 
avait recouvré la raison, n'ayant pas voulu le laisser partir parce 
qu'il avait besoin de ses conseils, le roi Louis, duc d'Anjou, à la 
demaude du pape lui-méme, offrit de l'accompagner avec ses hommes 
d'armes. 


220 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


Dum sic conduci magnifice procuraret, nuncii quos Romam 
miserat , redeuntes vigilia Paschalis floridi in pleno consistorio. 
legacionem eorum irritam retulerunt, quia viam convencionis 
flexis genibus oblatam intrusus tam indignanter contempserat, 
quod pre cordis amaritudine, ut communius dicebatur, lectum 
mortis pecierat. Addiderunt quod pertinaciam ejus anticardi- 
nales sequuti, cum ad electionem novam procedentes eis reces- 
sum liberum et conductum denegassent, romano more solito 
acrius detestabili furore fluctuante, viliter incarcerati fuerant, 
donec ut hostes publici se redemissent peccuniis. Hiis pro- 
lixiori sermone per episcopum Sancti Poncii peroratis, eorum 
diligenciam ac tolleranciam in adversis multipliciter commen- 
davit, Romanorum detestans seviciam , nequiciam, qui sic nun- 
ciorum consuetam et hucusque illibatam violaverant libertatem, 
quam et infideles fidelibus observassent. Anticardinalium quo- 
que et intrusi obstinacionem execrans, qui ad extirpandum 
scisma viam noluerant eligere vel audire, tandem publice con-: 
clusit quod semper promptus fuerat eciam usque ad mortem 
pro unione laborare, et quod post proximum Pascha de Nicea 
recedens Januam peteret, ut quod per missos nequiverat per se 
ipsum personaliter adimpleret. Statuit eciam ipsa die ut omnes 
quibus episcopatus et abbacias contulerat, benedictione caren- 
tes, ad ipsum accederent, ut in festo Trinitatis sancte et indi- 
. vidue ab ipso reciperent consecracionis munus. Quod precep- 
tum multi cum displicencia magna audierunt. Nam ut de aliis 
taceam, nonnulli pauperes abbates cum multis laboribus et ex- 
pensis et in dampnum ecclesiarum suarum iter illud peregerunt. 
Sed ut aliquali recompensacione potirentur, papali peracto 
convivio , singulis anulum episcopalem donans, statuit ut cum 
baculo pastorali, quamdiu viverent, mittra ut episcopi uterentur. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 221 


Tandis que Benoit songeait à ses préparatifs de voyage, ses ambas- 
sadeurs revinrent de Rome la veille de Pâques fleuries, et annoncèrent 
en plein consistoire qu'ils n'avaient pas réussi, quoiqu'ils eussent 
humblement proposé à l'intrus la voie d'une conférence, et qu'il l'avait 
repoussée avec tant d'indignation, qu'il en était mort, disait-on, de 
chagrin. Ils ajoutérent que les anticardinaux , imitant son obstination, 
avaient refusé de les laisser partir et de leur donner un sauf-conduit, 
qu'ils avaient procédé à une nouvelle élection, et que pendant ce temps 
la populace de Rome, agitée par la révolte et la sédition, les avait 
retenus prisonniers, jusqu'à ce qu'ils eussent payé rançon comme des 
ennemis publics. Lorsque l'évéque de Saint-Pons eut terminé le récit 
de leur ambassade, le pape donna beaucoup d'éloges à leur zéle et au 
courage qu'ils avaient déployé dans l'adversité; il flétrit énergique- 
ment la conduite odieuse et cruelle des Romains, qui avaient attenté 
à la liberté de ses envoyés, sans égard pour le titre sacré d'ambassadeur 
que les infidèles mêmes eussent respecté. Il maudit aussi l'obstination 
des anticardinaux et de l'intrus, qui n'avaient voulu ni accepter ni 
méme entendre les moyens proposés pour l'extirpation du schisme. 
Enfin il déclara qu'il avait toujours été disposé à travailler jusqu'a 
son dernier soupir au rétablissement de l'union, et qu'aprés la célé- 
bration de la fête de Pâques, il partirait de Nice pour Génes afin de 
mener personnellement à fin la négociation dans laquelle ses envoyés 
avaient échoué. Le méme jour, il décida que tous ceux auxquels il 
avait conféré des évéchés et des abbayes, et qui n'avaient pas recu sa 
bénédiction , se rendraient auprés de lui pour étre sacrés par ses mains 
le jour de la féte de la sainte et indivisible Trinité. Cette décision fit 
beaucoup de mécontents; car elle imposait à un grand nombre de 
pauvres abbés un voyage trés onéreux, trés coüteux et trés préjudi- 
ciable aux intéréts de leurs églises. Le pape voulut leur accorder 
. quelque dédommagement; il donna à chacun d'eux, aprés le banquet 
papal, l'anneau de l’épiscopat , et les autorisa à porter leur vie durant 
la crosse et la mitre, comme les évéques. 


222 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


CAPITULUM XXIII. 


De cotifusa expedicione bellica eomitis Marchie. 


Pudet me in Walliam Francorum transitum tetigisse, cum 
exordio eorum laudabili processus et finis non respondeant, 
duce eorum comite Marchie occasiotiem prebente, et revera in 
eorum intollerabile nocumentum. A medio namque mensis au- 
gusti usque ad medium novembris eum armati ad transitum ex- 
pectantes, nec nunciis vel litteris de Parisius extrahi potuit, nec 
stipendia mittere. Quare conciones militares huc illucque dis- 
currentes ad victualia procuranda , cum ipsa solvere opporteret, 
coacti sunt res suas invadiare vel vendere. Hec cum indigna- 
cione máxima perferebant, nec aliud in ore omnium versaba- 
tur, ni$i : « Quid hic facimus, socii, cornite Parisius amore 
« velud uncis ferreis adamantino colle vincto, nec curante nisi 
«ut choreas ducat et vigilias persolvat in deliciis et ludis 
« taxillorum? » Et cum moris sit Francorum aut cito ardua 
agredi aut marcessere tedio , quidam reditum consulebant; sed 
tandem eos detinuit et voluntas perficiendi inchoata , et maxime 
quia toto spacio durante et aure favor optabilis et maris grata 
transquilitas perduravit, et classis hostium erat in vicino. Qui 
hucusque militem prefatum multis laudibus extulerant, eum ad 
tot illicita percipientes precipitem , ipsius negligenciam damp- 
nabant, expedicionem hujusmodi bellicam infaustam publice 
reputantes. 

Comes eciam tunc plene didicit , quod verum sit illud : Mora 
secum periculum trahit, et illud iterum : 


Nocuit differre paratis. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 223 


CHAPITRE XXIII. 


Malbeureuse issue de l'expédition du comte de la Marche. 


J'ai quelque honte d'avoir annoncé le passage des Français dans le 
pays de Galles; car par ia faute du comte de la Marche, la suite et 
la fin de l'expédition, loin de sépondre au commencement, leur 
devinrent très funestes. Après ayoir attendu leur chef dans le port 
depuis la mi-août jusqu'au milieu de novembre , les hommes d'armes 
qui avaient été rassemblés, voyant que ni leurs messages ni leurs 
lettres ne pouvaient le décider à quitter Paris ni à Jeur envoyer de 
l'argent , se dispersérent de tous côtés afin de se procurer des vivres, 
et se virent obligés, pour les payer, de mettre en gage ou de vendre 
leurs effets. Cela les fit murmurer contre lui : « Mes amis, se disaient- 
« ils les uns aux autres, que faisons-nous ici? Le comte est enchaîné 
« à Paris par un fol amour comme par des liens de fer qu'il ne 
« saurait rompre; il n'a d'autre souci que de danser et de passer les 
« nhits à se divertir ou à jouer aux dés. » Déjà, suivant l'habitude des 
Français, qui se jettent avec ardeur dans Jes périls ou qui retombent 
sur-le-champ dans l'inaction , quelques uns d'entre eux parlaient de se 
retirer. Cependant ils furent retenus par le désir d'achever ce qu'ils 
avaient commencé, et surtout parla proximité de la flotte ennemie 
et par le beau temps; car le vent ne cessa pas d’être favorable, et la 
mer fut toujours calme et tranquille. Autant on avait jusqu'alors 
. prodigué d'éloges audit chevalier, autant on blàma sa négligence, en 
apprenant les désordres auxquels i| se livrait; om répétait partout 
qu'une pareille expédition ne pouvait être que malheureuse. 


Le comte reconnut bientót lui-méme la vérité de cette maxime : 
La lenteur amène des dangers a sa suite, et de cette autre : 


Différer nuit toujours à qui pourrait agir. 


924 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


Nam aeris serenitate mutata, ad suos rediens et tarditatem 
suam frivolis verbis excusans, cum dixisset non se ad suff- 
cienciam pugilatorum stipendia attulisse, milites tamen et ar- 
migeros redire modis omnibus volentes precibus retinuit, 
supplicans ut honorem suum aliqualiter servando aliquod 
factum honestum attemptarent. Sic victi precibus, cum impos- 
sibile eis esset in Walliam transfretare, premiserunt qui littora 
propinquiora Anglie explorarent. Qui vicesima prima die hujus 
mensis redeuntes, ingentem classem mercibus oneratam, viris 
armatis munitam apud Dartemue stacionem habere retulerunt. 
Tunc strenuitatis et lucri materiam habebant pre oculis; sed 
comes portum petere timore hostium non est ausus, ymo alium 
nomine Farlemue adire statuit, quem non custoditum sciebat ; 
ibique milites et scutiferi, littus absque resistencia capientes , 
villam illam flamma voraci tradere statuerunt. Quod perci- 
pientes rustici, nec fracti animo, nituntur resistere et numero 
fere octo milium adunati, cum ensibus, arcubus et baculis 
ferreis protinus accurrerunt, et emittentes sagittas, nostros 
retrocedere coegerunt et resipiscere ab incepto. Quia tunc 
Gallici dubitabant ne rusticos major numerus hostium seque- 
retur, se ilico posuerunt in acie ordinata, balistarios commode 
collocantes, qui, non diu pfotracta mora, tractu suo rusticos 
fugere compulerunt, multos ex eis vulnerantes. Ex hiis tamen 
non audivi aliquem interfectum, nisi unum, qui equm suum 
indomitum calcaribus et contra calcar recalcitrantem urgens, 
cum ad nostros invitus pervenisset, quidam Hyspanus pedester 
supervenit, qui prius lancea ejus distracta, cum descenderet de 
colle, caput misero uno ictu sine difficultate prescidit; quem 
tamen acephalum, non sine intuencium ammiracione, equs 
ille fere per stadium portavit antequam ad terram caderet. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 225 


Il trouva la mer et le vent changés, lorsqu'il rejoignit les siens. Après 
avoir cherché à justifier ses retards par de frivoles prétextes, il déclara 
qu'il n'avait pu apporter assez d'argent pour la solde des troupes. Les 
chevaliers et les écuyers voulurent alors se vetirer; il chercha à les re- 
tenir à force de priéres, et les conjura de tenter au moins quelque 
coup hardi pour sauver leur honneur. Ils cédèrent à ses supplications ; 
mais voyant qu'il était impossible de passer dans le pays de Galles, ils 
envoyérent reconnaitre les cótes d'Angleterre les plus rapprochées. 
Leurs éclaireurs revinrent le 24 du mois, et annoncérent qu'une flotte 
considérable, chargée de marchandises et munie de gens de guerre, 
stationnait devant Dartmouth. C'était une belle occasion pour eux de 
signaler leur valeur et de faire un riche butin. Mais le comte n'osa pas 
aborder par crainte des ennemis, et fit voile vers un autre port nommé 
Falmouth, qu'il savait sans défense. Là, chevaliers et écuyers descen- 
dirent à terre sans obstacle et se disposérent à incendier la ville. Les 
paysans , devinant leur dessein, ne se laissérent pas effrayer ; se rassem- 
blant au nombre d'environ huit mille, ils accoururent à la háte armés 
d'épées, d'arcs et de bátons ferrés, firent pleuvoir sur les nótres une 
gréle de traits, et les forcérent à reculer et à abandonner leur entre- 
prise. Cependant les Francais, craignant que les paysans ne fussent sui- 
vis d'un plus grand nombre d'ennemis, se rangèrent aussitôt en ba- 
taille et placérent leurs arbalétriers dans une position avantageuse. 
Ceux-ci eurent bientót repoussé les paysaus à coups de fléches, en 
blessérent un grand nombre, mais n'en tuérent qu'un seul, à ce que 
J'ai oui dire; encore ne füt-ce que parce qu'il avait été emporté malgré 
lui au milieu des rangs des Francais par un cheval rétif. Un fantassin 
espagnol, qui descendait en ce moment d'une éminence, détourna la 
lance du paysan et lui abattit facilement la téte d'un seul coup. Ce qu'il 
, y eut de plus étonnant, c'est que le cheval courut encore plus de cent 
vingt pas avant que le tronc tombát à terre. 


lI. . 29 


226 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 

Hic finis fuit expedicionis bellice Gallicorum , qui, cum ibi 
per tres horas in acie ordinata stetissent pede fixo nec inva- 
sores viderent, timentes tamen ne de nocte proxima in eos 
irruerent, et malentes ad propria sospites redire quam se 
dubis committere casibus, comiti dederunt consilium re- 
deundi. Ex tunc, lituis resonantibus, cunctis imperat regres- 
sum. Qui cum tanta festinacione, timore perterriti, quamvis 
nullum insequentem perciperent, naves ingredi conati sunt, 
quod multi ruentes precipites in aquis vehementibus submersi 
nusquam comparuerunt. Ut autem levius et expedicius trans- 
mearent, arma sua sola navi statuerant deferenda, que, ante- 
quam gallicum litus attingeret, submersa est, orta tempestate 
procellosa. Et sic qui armis ausi non fuerant uti, ipsis fuerunt 
nec immerito privati; sic eciam comes cum probro perpetuo 
recessit, et perhennem acquisivit infamiam , dolueruntque lilia 
aurea jure cognacionis vexillis deferentes, quod sic, non memor 
regii sanguinis, proprium honorem tanta culpa funestaverat. 


CAPITULUM XXIV. 
De infirinitate regis. 


Prima ebdomada januarii rex incolumitatem aliqualem re- 
cipiens, in hoc statu mansit usque ad secundam ebdomadam 
februarii, nec diu post iterum mente captus est. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 221 


Ainsi se termina cette expédition. Les Francais, aprés avoir attendu 
de pied ferme et en ordre de bataille pendant trois heures, sans voir 
reparaitre l'ennemi, conseillérent au comte de se retirer. Ils crai- 
gnaient d’être asssillis pendant Îa nuit, et armaient mieux retourner 
chez eux sains et saufs que de s'exposer à de nouveaux périls. Le comte 
fit alors sonner la retraite. Les Francais se rembarquérent avec préci- 
pitation; et quoiqu'ils ne vissent pas un seul Anglais à leur pour- 
suite, la frayeur et la confusion furent telles, que beaucoup d'entre 
eux tombèrent à l'eau et se noyerent. Ils avaient entassé toutes leurs 
armes à bord d'un seul navire, afin de ne point embarrasser ni retar- 
der leur marche pendant la traversée. Mais une violente tempéte qui 
éclata tont à coup submergea ce navire, avant qu'il eût atteint le ri- 
vage de France : juste châtiment de la lâcheté de ces hommes, qui 
n'avaient pas osé se servir de leurs armes. Cette retraite couvrit le 
comte d'infamie et imprima une tache ineffacable à son nom. Les 
princes des fleurs de lis ne lui pardonnérent pas d'avoir oublié qu'il 
était issu du sang royal, et d'avoir souillé son honneur par sa coupable 
négligence. 


CHAPITRE XXIV. 
De la maladie du roi. 
La première semaine de janvier, le roi eut un intervalle de santé 


et resta en cet état jusqu'à la seconde semaine de février; puis il perdit 
de nouveau la raison. . 


228 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


CAPITULUM XXV. 


De collecta generali super plebem imposita. 


Expediciones bellice, quas ad qualemcunque regni gloriam 
anno isto memini me scripsisse, Anglicorum arcere non po- 
tuerunt superbiam, quin longe lateque per regnum littora 
maritima viribus inquietantes libere grassarentur, et cum vires 
exercebant, sepius meliorem calculum reportabant. Cum cordis 
amaritudine inde cum clero nobiles et ignobiles dolentes, ju- 
gum intollerabile plebis, sub titulo subsidii guerrarum levatum, 
execrabile reputabant, cum sic manere non posset in pulcri- 
tudine pacis et requie temporalium opulenta. In regine et ducis 
Aurelianis culpam malum hoc regnicole retorquebant, qui sie 
regnum tepide gubernabant, ut absque erubescencie velo in 
civitatum compitis eorum cupiditas insaciabilis dampnaretur, 
quia regni defensionem postponentes, nec contenti exactio- 
nibus solitis, adhuc anno preterito super plebem collectam 
imposuerant generalem. Michi pluries de summa siscitanti 
responsum est, quod octies ad centum milia scuta auri ve- 
nerat, quam tamen propriis deputaverant usibus. Unde sepius 
ipsis publice a circumspectis improperari audivi , quod inde ad 
erarium regale penitus exhaustum peccuniis nec solum aureum 
nummum dignum duxerant reponendum. 

Nec dux ipse ex regnicolarum substancia ingentes sibi accu- 
mulasse thesauros contentus, unde in Petrafonte et Feritate 
Milonis edificia sumptuosa et cetera regni claritate excedencia 
construebat, ymo circa finem hujus in consistorio principum 
consiliariorum regis peciit, ut collecta generalis super plebem 
colligeretur , sicut prius. Ibi tunc facta est votorum dissonancia; 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 229 


CHAPITRE XXV. 


Contribution générale imposée au peuple. 


Les expéditions dont j'ai parlé cette aimée, quel qu'en fût le résultat, 
ne servirent pas à rabattre l’orgueil des Anglais. Ils ne cessaient d'as- 
sâillir sur tous les points les côtes du royaume et de les ravager sans 
obstacle, et presque toujours ils remportaient sur nous l'avantage. Le 
clergé, les nobles et les bourgeois, vivement affligés de ces maux, 
maudissaient du fond de leur cœur les contributions levées à titre de 
subside de guerre, qui était pour le peuple un fardeau intolérable, et 
ne lui permettait pas de jouir des charmes du repos et des douceurs de 
l'aisance. Les habitants du royaume en rejetaient la faute sur la mau- 
vaise administration dela reine et du duc d'Orléans. On déclamait 
publiquement dans les villes contre leur insatiable cupidité; on disait 
que , négligeant la défense du royaume et non contents des exactions 
ordinaires, ils avaient encore, l'année précédente, établi un impót 
général sur le peuple. Je me suis enquis plusieurs fois à quelle somme 
sétait élevée cette contribution, et l'on m'a toujours assuré qu'elle 
avait été de huit cent mille écus d'or; encore l'avaient ils appliquée à 
leur usage particulier. Aussi ai-je souvent entendu des personnages 
considérables les accuser hautement de n'en avoir pas fait entrer un 
seul écu dans les coffres du trésor, qui était alors entiérement vide. 


Le duc d'Orléans ne se contenta pas de s'étre engraissé de la substance 
du peuple et d'employer ses immenses trésors à construire de magni- 
fiques et somptueux édifices, soit a Pierrefonds, soit à la Ferté-Milon; 
vers la fin de cette année, il demanda aux princes et aux autres 
conseillers du roi d'établir un nouvel impót général sur le peuple. Les 
avis furent partagés à ce sujet dans le conseil. Le duc de Bourgogne, 
qui avait la cinquiéme place dans la délibération, s'exprima ainsi : 


230 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


et dux Burgundie, in deliberacione obtinens quintum locum : 
« Tyrannicum, inquit, estimo reputandum hoc anno paupe- 
« rem populum duplici jugo intollerabili aggravatum, potissime 
« cum peccunie jam recepte sufficiant ad peragendum quicquid 
« inter nos mutuo decrevimus. Ideo cunctis assistentibus notum 
« sit quod, si peticioni dilecti cognati assenciant collectam con- 
« Stituendo , in terris michi subditis cursum non habebit ; sed 
« milites et armigeros habeo promptos ad mandatum regium 
« exequendum, quot et quantos mandare domino regi placebit, 
« et quociens et pro quibuscunque rebus concernentibus regni 
« commodum et honorem. Addam et iterum verbis, ut oblo- 
« quentes reprimam, quod si residuum collecte peccunie non 
« sufficiat ad id quod jam conclusimus , de proprio peculio pro 
« michi subditis libentissime supplebo, secundum taxacionem 
« circumspectorum virorum, dum tamen hec insufficiencia legit- 
« time declaretur. » Insignis juvenis dux Britannie, qui filie 
regis Francie nupserat, asserens quod et si centum milia scuta 
auri, que sibi jure uxorio restabant solvenda, procurari debe- 
rent isto modo, adhuc in favorem plebis usque ad uberiorem 
fortunam regalis erarii solucionem libenti animo expectaret. 
Tautorum principum opposicionem, ex visceribus compas- 
sionis procedentem, utique viri virtutum racionabilem dixis- 
sent, sed assistencium non sanior pars, quamvis major, ut 
sepe contingit, cupiditatis stimulis agitata, et ut presidentibus 
complaceret, sanxit contrarium frivola media allegando. Sic 
iniquorum assentatorum consilio, dicta collecta in Parlamento 
et Castelleto regiis, quinta die marcii, voce preconia et aucto- 
ritate regis, quamvis non consencientis, publicatur, sub hoc 
tamen frivolo et adinvento pretextu, quia Henricus Lancastrie, 
qui se dicebat regem Anglie, Franciam in proximo inquietare 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 331 


« C'est une mesure tyrannique selon moi que de faire peser cette année 
« un double impôt sur le pauvre peuple, surtout lorsque l'argent déjà 
« levé suffit pour accomplir tout ce que nous avons décidé entre nous. 
« Que tous les membres ici présents sachent donc que, s'ils adop- 
« tent la proposition de notre bien aimé cousin, l'impót qu'ils établi- 
« ront n'aura pas cours dans mes domaines. Toutefois je tiens à la 
« disposition de monseigneur le roi autant de chevaliers et d'écuyers 
« qu'il lui plaira de m'en demander, pour exécuter ses ordres dans 
« toutes les circonstances ou affaires qui toucheront à l'intérét ou à 
« l'honneur du royaume. J'ajouterai, pour fermer la bouche aux cou- 
« tradicteurs , que, si le reste de l'argent déjà levé ne suffit pas à l'ac- 
« complissement de ce que nous avons arrété, j'y suppléerai volontiers 
« de mes propres deniers pour mes sujets, pourvu que la taxe soit 
« fixée par des gens de bien et que cette insuffisance me soit düment 
« démontrée. » Le jeune duc de Bretagne, qui avait épousé la fille du 
roi de France, déclara que si les cent mille écus d'or qui lui étaient 
redus sur la dot de sa femme, devaient lui étre payés au moyen de 
cette nouvelle taille, il consentait en faveur du peuple à en différer 
la demande jusqu'à ce que le trésor royal fût en meilleur état. 


Des gens de bien eussent approuvé l'opposition de ces illustres princes, 
qui partait d'un sentiment de pitié. Mais la plus grande partie des 
conseillers , qui n'était pas la plus sage, comme il arrive souvent, 
D'écouta que son aveugle cupidité, et pour complaire à ceux qui 
gouvernaient, elle sanctionna la mesure proposée, en l'appuyant de 
futiles raisons. D'aprés le conseil des courtisans les plus serviles, ledit 
impót fut établi sous prétexte que Henri de Lancaster, soi-disant roi 
d'Angleterre , avait l'intention d'attaquer prochainement la France, 
et il fut publié le 5 mars au Parlement et au Chátelet par la voix du 
héraut et au nom du roi, qui n'en savait rien. En faisant cette procla- 
mation , les hérauts défendirent au peuple de se plaindre de la taille 


232 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


intendebat. Id precones publicantes auctoritate regia prohi- 
bebant ut de tallia jam collecta populus non murmuraret , quia 
inde multa oppida hostium in Lemovicino et alibi capta fuerant 
isto anno, addentes et si de Marchia comes Wallie non succur- 
rerat principi, hoc fecerat intemperancia ventorum. 

Tunc collectores detestabiles eliguntur, qui mandatum exe- 
qucioni cum tanta severitate dederunt , quod si quis dilacionem 
vel moram presumeret annectere, ad carceres protinus trahe- 
batur. Quod jugum acerbissimum multi pauperes subierunt, 
omni mobili vendito, usque ad stramina lecti, quod tamen ad 
medietatem summe non veniebat taxate. Hac de causa multi im- 
precaciones, cum plus non possent , in ducem Aurelianis absque 
erubescencie velo jaculabant, Christo supplicantes humiliter ut 
mitteret qui populum a tyrannide ipsius liberaret. Quod ille 
comperiens, et timens ne de verbis ad vindictam transcende- 
rent, edicit voce preconia ne quis ensem vel cultellum nisi ad 
usum prandii secum ferret , sub incarceracionis pena. 

Hec omnia incliti Burgundie et Britanie duces abhorrentes, 
de Parisius recesserunt indignanter, scientes quod de collectis 
peccuniis non solum aureus nummus ad regis commodum deve- 
niret, sed a duce et regina huc illucque ad placitum distributis, 
residui si quid esset, malis applicaretur usibus; quod et ex- 
pertum fuit non diu post. Nam cum regina ex illis sex equos 
oneratos auro monetato in Alemaniam mitteret, hoc in predam 
venit Metensium qui a conductoribus didicerunt quod alias 
financiam similem in Alemaniam conduxerant. Unde mirati 
sunt multi, cum sic vellet depauperare Franciam ut Alemanos 
dittaret. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 233 


qui avait été déja levée, parce qu'elle avait servi à prendre cette année 
plusieurs places aux ennémis soit dans le Limousin soit ailleurs. Ils 
ajoutèrent que si le comte de la Marche n'avait pas secouru le prince 
de Galles, c'est qu'il en avait été empéché par les vents contraires. 


Pour l'exécution de cet édit, on fit choix de collecteurs impitoyables, 
qui déployérent dans leurs fonctions une rigueur excessive. Tous ceux 
qui faisaient difficulté ou qui différaient de payer l'impót, étaient jetés 
en prison sur-le-champ. Les pauvres eux-mémes furent soumis à cette 
charge accablante; ils se virent forcés de vendre tout leur mobilier 
et jusqu'à la paille de leur lit, et n'eurent pas méme de quoi payer la 
moitié de la somme qu'on exigeait. Aussi chacun , faute de pouvoir se 
venger autrement, vomissait tout haut mille imprécations contre le 
duc d'Orléans, et suppliait humblement Jésus-Christ d'envoyer quel- 
qu'un qui délivrát le peuple de sa tyrannie. À cette nouvelle, le duc, 
craignant les effets du ressentiment populaire, fit défendre par la voix 
du héraut, sous peine d'emprisonnement, de porter ni poignards ni 
couteaux autres que ceux qui servaient pour les repas. 

Les illustres ducs de Bourgogne et de Bretagne , indignés de toutes 
ces mesures, s'éloignérent de Paris avec le plus vif mécontentement, 
parce qu'ils savaient qu'il n'entrerait pas un seul écu d'or dans les 
coffres du roi, que le produit de la taxe serait dépensé par le duc 
d'Orléans et par la reine suivant leur caprice , et que le peu qui reste- 
rait serait appliqué à de mauvais usages. Leurs prévisions ne tardérent 
pas à se réaliser. La reine ayant fait partir pour l'Allemagne six che- 
vaux chargés d'or monnayé, ce convoi fut intercepté par les habitants 
de Metz, qui apprirent des conducteurs qu'ils avaient déjà plusieurs 
fois transporté ainsi des sommes en Allemagne. L'étonnement fut 
grand , quand on apprit que la reine voulait appauvrir la France pour 
enrichir les Allemands. 


234 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXV. 


CAPITULUM XXVI. 


De morte ducisse Burgundie. 


Marcii mensis vicesima prima die, venerabilis ducissa Bur- 
gundie, domina Marguareta, filia quondam comitis Flandrie 
Ludovici, qui jure successionis Flandrie, Burgundie, Attrebati 
et Niverniensis comitatus possidebat, in urbe Attrebatum morbo 
apoplexie obiit. Hec ex duce Burgundie sponso suo tres ha- 
buerat filias, ducis Austrie, comitumque Hanonie et Sabaudie 
uxores, tres quoque filios, qui post ejus obitum dominia paren- 
tum dividentes, primogenito Johanni cum ducatu Burgundie, 
Flandrie, Artesii et Burgundie comitatus evenerunt; Retelen- 
sem comitatum Antonius pro porcione accepit, et juniori 
Niverniensis comitatus datus fuit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXV. 235 


CHAPITRE XXVI. 


Mort de la duchesse de Bourgogne. 


Le 21 mars, l'auguste duchesse de Bourgogne , madame Marguerite, 
fille du feu comte de Flandre Louis, qui possédait par droit d'héritage 
les comtés de Flandre, de Bourgogne, d’Artois et de Nevers, suc- 
'comba à une attaque d'apoplexie dans la ville d'Arras. Elle avait eu 
du duc de Bourgogne, son époux, trois filles et trois fils. Ses filles 
étaient mariées au duc d'Autriche, au comte de Hainaut et au comte 
de Savoie. L'ainé de ses fils, Jean, eut, dans le partage de la succession, 
le duché de Bourgogne, les comtés de Flandre, d'Artois et de Bour- 
gogne. Antoine, le second, reçut pour sa part le comté de Réthel, 
et le plus jeune, le comté de Nevers. 


Anoï Domini 


ACCCCY. 


CHRONICORUM | 
KAROLI SEXTI 


LIBER VICESIMUS SEXTUS. 


Pontificum xt, 
Imperatorum v, 

Anni Domini xccccv. 4 Francorum xxvi, 
Anglorum vr, 
Sicilie v. 


CAPITULUM I. 


De decima imposita super Ecclesiam Francie. 


JAM navigium preparatum et subsidiarios pugnatores con- 
gregatos habebat dominus Benedictus, ut Januam petens vici- 
nius cum intruso unionem Ecclesie procuraret. Sed sciens nec 
viam posse perfici nisi cum ingentibus sumptibus et expensis et 
erarium papale exhaustum peccuniis, id supplere statuit deci- 
mam super Ecclesiam gallicanam imponendo. Ad id igitur 
publicandum venerabiles viros Petrum nepotem suum Toleta- 
nensis et Petrum Laturiensis ecclesiarum electos destinavit. 
Quos domini duces Francie excipientes graciose, consenserunt 
ut in valvis ecclesiarum Parisiensium appenderetur mandatum 
appostolicum. Quod , quia non formam consuetam et antiquam, 
sed innovacionem quamdam continebat, inde scandalum ortum, 
multis asserentibus quod huic obedire non tenebantur astricti. 


Ecclesiasticas namque personas exemptas et non exemptas, 


CHRONIQUE 


DE CHARLES VI. 


. LIVRE VINGT-SIXIEME. 


11° année du régne des souverains pontifes, 
be —————— de l'empereur, 
An du Seigneur 1405 '. 4 26° —— du roi de France, 
— du roi d'Angleterre, 
5e ———— du roi de Sicile. 








CHAPITRE I". 


Dime imposée sur l'Église de France. 


MonwsziGNEUR Benoit avait fait préparer un vaisseau et assemblé des An du Seigneur 


gens de guerre pour aller à Gênes travailler de plus prés à l'union de 
l'Église de concert avec l'intrus. Mais sachant que ce voyage ne pou- 


vait se faire qu'à grands frais et que le trésor pontifical était épuisé, 


il songea à subvenir à cette dépense en imposant une dime sur l'Église 
gallicane. Il chargea donc deux illustres personnages, monseigneur 
Pierre son neveu, évéque élu de Toléde, et monseigneur Pierre, évéque 
élu de Lectoure, d'aller publier cette dime en France. Messeigneurs les 
ducs leur firent un gracieux accueil et permirent que le mandement 
apostolique fàt affiché aux portes des églises de Paris. Ce mandement, 
qui était contraire aux anciens usages et qui contenait une grave inno- 
vation, causa beaucoup de scandale parmi le clergé, dont une grande 
partie prétendait n'être point tenue d'y obéir. En effet, la dime était 
exigée de toutes les personnes ecclésiastiques, exemptes ou non, 


' L'année 1405 commenga le 19 avril. 


1405. 


238 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


cujuscunque status, preemiuencie, religionis et ordinis essent, 
eciam nominatim Cluniacensis , Cisterciensis, sanctorum Bene- 
dicti, Augustini, Premonstratensis, Grandimontensis , Sancte 
Trinitatis de mercede captivorum, Hospitalium milicie sancti 
Johannis et sancti Lazari Jerosolimitani, beate Marie Teu- 
thonicorum, Humiliatorum de alto passu, monebant ut hanc 
solverent. Hoc precipiebant adimpleri sub penis suspensionis, 
excommunicacionis, interdicti, secundum taxaciones consuetas, 
addentes quod ubi nulla umquam fuerat taxacio, hoc solveretur 
secundum communem estimacionem resdituum et proventuum 
beneficiorum. 

Et quia a dicta decima Universitas Parisiensis in suis suppo- 
sitis minime excludebatur, de appellando a dictis collectoribus 
protestacionem fecit. Studentes eciam cum rectore, Aurelianis, 
Biturie et de Borbonio duces Francie adeuntes, multis racionibus 
ostenderunt inde se indebite gravatos , maxime cum ab exordio 
horrendi scismatis ingentes peccunias et reiteratis vicibus expo- 
suerantad unionem procurandam. Et quia hoc mandatum in pre- 
judicium privilegiorum suorum vertebatur, ideo appellacionem 
suam eisdem intimaverunt. Principiis obstiterunt dicti duces, 
postulaciones minime admitentes, quia, ut communius dice- 
batur, de illa decima intendebant commodum reportare; unde 
et sepius dicebant per exempcionem cleri decimam illam posse 
in parte maxima diminui. Sed tandem victi vallidis precibus et 
attediati exhortacionibus importunis, collectoribus scripserunt 
ne vexarentur per hunc modum. Tunc in ipsa Universitate 
generali congregacione celebrata, dignum esse concluserunt ut 
sollempnes doctores et magistri deputati ob unionem Januam ad 
papam mitterentur. Quod ut magnificencius fieret, quemlibet 
studentem bursam solvere compulerunt sub pena privacionis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 239 


quels que fussent leur rang, leur état et leur ordre, et nommément 
des religieux de Cluny, de Citeaux , de Saint-Benoît, de Saint-Augustin, 
de Prémontré , de Grammont, de la Sainte-Trinité pour la rédemption 
des captifs , des Hospitaliers de la milice de Saint-Jean et de Saint-La- 
zare de Jérusalem , de Notre-Dame des Teutoniques et des Humiliés du 
Haut-Pas. Il leur était enjoint, sous peine de suspension, d'excom- 
munication ou d'interdit, de payer selon les taxes accoutumées. Il 
était dit que là où il n'y avait jamais eu de taxe, on paierait suivant 
l'évaluation ordinaire des fruits et revenus des bénéfices. 


Comme l'Université de Paris n'avait point été exclue de la dime 
dans la personne de ses suppóts, elle résolut d'appeler desdits collec- 
teurs. Les écoliers, accompagnés du recteur, allérent trouver les ducs 
d'Orléans, de Berri et de Bourbon, leur démontrérent par beaucoup 
de raisons que cette taxe leur était d'autant plus injustement imposée, 
que depuis le commencement du malheureux schisme, ils avaient sacrifié 
à plusieurs reprises d'énormes sommes d'argent dans l'intérét de l'union 
de l'Église, et leur déclarérent qu'ils appelaient de ce mandement 
comme tournant au préjudice de leurs priviléges. Les ducs firent 
d'abord beaucoup de difficulté et refusérent d'admettre la requéte de 
l'Université, parce que, disait-on, ils comptaient tirer profit de cette 
dime. Aussi ne cessaient-ils de répéter que, si l'on exemptait une par- 
tie du clergé, la dime serait diminuée de plus de moitié. Cependant 
ils se laissérent vaincre à la fin par les priéres et les sollicitations dont 
on ne cessait de les importuner, et mandérent aux collecteurs de ne 
plus tourmenter les suppóts de l'Université. Alors on tint une assem- 
blée générale de l'Université , et l'on décida qu'une députation solen- 
nelle de maitres et de docteurs serait envoyée à Génes auprés du pape 
pour traiter de l'union. Pour donner plus d'éclat à cette ambassade, 
on contraignit chaque écolier à payer une bourse, sous peine d'étre 
exclu des écoles, et l'on recueillit ainsi une somme de deux mille écus 


240 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


studii; et inde, ut audivi pluries a viris circumspectis, duo 
mille scuta auri collegerunt. Ut autem securius et cercius duci- 
bus antedictis alias responderent quantum per exempcionem 
dictorum suppositorum diminuebatur decima , taxacionem bene- 
ficiorum omnium accedencium ad solvendum petebant et redi- 
gebant in scriptis. 


CAPITULUM II. 


Que facta fuerant Rome intrusus Universitati intimavit. 


Ut in arduis inchoandis mentes eciam circumspectorum viro- 
rum ad utrumlibet inclinantur, sic erant qui viam pape pe- 
nitus reprobabant, aliis contradicentibus. Nec defuerunt de 
gremio alme Universitatis exterarum nacionum, qui responsa 
nunciorum pape velut fictum sompnium reputantes, res aliter se 
habere asserebant. Dum super hiis altercacio in clero perdu- 
raret, apprili mense, a Brebancia rescriptum papale ab intruso 
Parisius allatum est, faciens ad propositum et Rome res gestas 
narrans , quod videre meo discordantes sedare potuisset , si se 
racionis legibus submisissent, scriptis missis adherendo con- 
tinentibus hanc formam. 

« Innocencius episcopus, servus servorum Dei, dilectis filiis 
« rectori ac Universitati studii Parisiensis salutem et apposto- 
« licam benedictionem. 

« Duas vestras litteras nuper, primam nona, secundam vice- 
« sima sexta diebus mensis novembris proxime preteriti, datas 
« Parisius vidimus perlegentes, quas per dilectum filium, Pe- 
«trum de Brucella, in artibus magistrum et sacre theologie 
« bachalarium pro parte vestra presentare fecistis , ac intellexi- 
« mus grata mente per ipsum Petrum pro eadem parte eleguan- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 244 


d'or, comme je l'ai entendu dire à des personnes dignes de foi. On 
demandait à tous ceux qui venaient payer quelle était la taxe de leurs 
bénéfices , et on en tenait registre, afin de pouvoir répondre aux ducs 
d'une maniére süre et précise de combien la dime était diminuée par 
l'exemption des suppóts de l'Université. 


CHAPITRE II. 


L'intrus notifie à l'Univeriité ce qui s'était passé à Rome. 


Le voyage du pape, ainsi qu'il arrive dans toutes les affaires difficiles 
oü les esprits les plus sages sont divisés d'opinion, était approuvé par 
les uns et désapprouvé par les autres. Il y avait méme dans la véné- 
rable Université quelques docteurs des nations étrangères , qui regar- 
daient comme un conte fait à plaisir les réponses rapportées par les 
envoyés du pape, et qui prétendaient que les choses s'étaient passées 
tout autrement. Áu mois d'avril, pendant que les contestations soule- 
vées à ce sujet dans le clergé duraient encore, on reçut du Brabant 
de la part de l'intrus un rescrit pontifical relatif à cette affaire et con- 
tenant le récit de ce qui avait eu lieu à Rome. Tous les dissentiments 
auraient pu cesser, à mon avis, si l'on avait écouté la voix de la rai- 
son, et adhéré à ce rescrit, qui était concu en ces termes : 


« Innocent, évéque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos bien 
« aimés enfants le recteur et l'Université de Paris, salut et bénédic- 
« tion apostolique. | 

« Nous avons lu les deux lettres données à Paris le 9 et le 26 no- 
« vembre dernier, que vous nous avez fait présenter en votre nom par 
« notre cher fils Pierre de Bruxelles, maitre és-arts et bachelier en 
« théologie, et nous avons vu avec satisfaction , d'aprés l'exposé clair 
et élégant qui nous a été fait aussi en votre nom par ledit Pierre 
« à nous et à nos fréres les cardinaux, que nous tendions tous à la méme 
fin, c'est-à-dire à la cessation de ce funeste et déplorable schisme. 

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242 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


tissime nobis ac fratribus nostris illum eumdem finem infe- 
rencia, circa remocionem pestiferi horrendique scismatis 
nostro et eorumdem fratrum nostrorum cordibus insidentem 
exactissime reserata. Cui quia ad pacem et veritas decenter, 
ut nostis, copulatur, expulsa nebula falsitatis, et quia veri- 
tatis alumpnos anterior etas vos gloriosissime et dignissime 
predicat, pro veritate constantissime satagere et exponere 
vos decet. Nam et de Thobia in preconium scriptum : Ziam 
veritatis non deseruit, quoniam magna est veritas et prevalet, 
ut alibi scriptum est. Ad quam exhortamur ex visceribus cari- 
tatis et ad detestabile scisma, quod, proc dolor, tantis re- 
trolapsis temporibus in christianorum Ecclesia dampnabiliter 
perduravit et durat, viis et modis debitis, congruentibus et 
justis protinus , auctore Domino, extirpandum. 

« Ad illud eciam summovendum, dum eramus in minoribus 
constituti, summis desideriis aspiravimus, nuncque ut tam 
fructuosissimum in prefata Ecclesia bonum fiat pro paucioribus 
studiis dirigimus et extendimus curas nostras. Et ut eo efii- 
cacius atque consulcius , illo de throno sue ineffabili clemencie 
inspirante, cujus res agitur, sicut in desideriis gerimus nostri 
cordis, hoc fieri valeat, jam pridem, per nuncios vestros et 
litteras, circa extirpacionem tam detestabilis scismatis incom- 
mutabile mentis nostre ac prefatorum fratrum nostrorum pro- 
positum, tam regibus , prelatis, quam principibus ac Universi- 
tatibus, quam populis nobis et Ecclesie romane devotis, quos et 
presens tangit negocium , declarare providimus, exhortantes ac 
eciam requirentes eosdem totis affectibus hucusque ad festum 
omnium Sanctorum proxime futurum ad presenciam nostram 
venire vel sollemnes eorum oratores dirigere vellent, ad con- 
sulendum de ac super viis et modis hujusmodi debite et 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 243 


« Or, comme la vérité, dissipant les ténèbres de l'erreur, est, vous le 
« savez , intimement liée à la paix, et que les siécles passés vous ont 
« donné à juste titre le glorieux renom d'enfants de la vérité, il est 
« digne de vous de travailler avec constance et de vous sacrifier méme 
« à la défense de la vérité, imitant en cela l'exemple de Tobie, à la 
« louange duquel il a été écrit qu'il n’a pas abandonné le chemin de 
« la vérité. Il est dit encore ailleurs que La vérité est grande et qu'elle 
« prévaut. C'est pourquoi nous vous exhortons à vous y attacher avec 
« des entrailles de charité, et à déraciner par toutes les voies et tous 
« les moyens justes, convenables et légitimes, avec l'aide du Seigneur, 
« le détestable schisme, qui désole, hélas! depuis si long-temps l'Église 
« chrétienne. 


« Quand nous étions constitué en moindre dignité, nous n'avions 
« rien plus à coeur que la destruction de ce schisme, et aujourd'hui 
« nous employons tous nos efforts, toute notre sollicitude à faire en 
« sorte que l'Église puisse jouir d'un si grand bien. Pour arriver plus 
« efficacement et plus sürement à ce but tant désiré, par l'inspiration 
« de l'ineffable clémence de celui dont les intéréts sont en cause, 
« nous avons depuis long-temps pris soin de faire connaítre par mes- 
« sages et par lettres aux rois, prélats, princes, universités et peuples 
« dévoués à notre personne et à l'Église romaine , qui sont intéressés 
« à cette affaire, notre immuable résolution et celle de nos frères rela- 
« tivement à l'extirpation de ce détestable schisme. Nous les avons 
« priés et requis, aussi instamment que nous le pouvions, de se rendre 
« en personne auprés de nous ou de nous envoyer leurs ambassadeurs 
« à la fête de la Toussaint, pour délibérer sur les voies et moyens 
« convenables et légitimes de déraciner ledit schisme, dans l'intérét 
« de notre salut, avec l'assistance du Trés-Haut : résultat auquel nous 
« aspirons ardemment , Dieu le sait, lui qui lit au fond des consciences. 


24^ CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


« juste circa remocionem prefati scismatis, auctore Altissimo, 
« per nos salvandum ; ad quod, novit scrutator almus cordium, 
« finalis intencio nostra tendit. 

« Verumptamen non intendimus obliterare silencio quod 

« oratores, qui ad presenciam felicis recordacionis Bonifacii 
« pape noni , .predecessoris nostri, circa extirpacionem hujus- 
« modi scismatis, ut asserebant, modico interjecto spacio ante 
« dicti predecessoris obitum fuerant de Avinione sive aliunde 
« transmissi, viam convencionis ad certum locum personalis 
« predecessori nostro omnes alias vias inclusuram , nullamque 
« eorum judicio inclusuram, principaliter obtulerunt, asse- 
« rentes quod, responsione habita super via convencionis hujus- 
« modi, ad aliqua particularia devenirent eidem predecessori 
« gratissima. Quam quidem convencionis viam, post plures 
« exactos dies, idem predecessor noster multiplicium egritu- 
« dinum acerbissimarumque stimulis, quibus per longa prius 
« tempora eciam fuerat plusquam exprimi valeat anxiatus, 
« ipsumque ad extrema trahentibus, nam die tercia tunc sue 
« debitum: mortalitatis exsolvit, moribunda gravitate depressus 
« adimplere non posse concernens, respondendo eisdem et 
« declarans ex sui infirmitate impossibile, postulavit obnixe 
« ut ad alia particularia, juxta oblata per eos, descenderent , 
« qui nilominus dicte vie convencionis innitentes ne effectua- 
« liter inferebant. 

« Postea vero, eodem predecessore ab hujusmodi vita mor- 
talitatis subtracto, antequam sacrum collegium cardinalium, 
de quorum numero tunc eramus, pro futuri electione ponti- 
« ficis in conclavo juxta morem intraret, oratores prefatos, 
« quorum eciam in casu mortis antedicti pontificis specialia 
« ad idem collegium eos habere unus asserebat, fecit evocari, 


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CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 245 


« Cependant nous ne voulons point omettre de dire que les am- 
« bassadeurs, qui avaient été envoyés d'Avignon ou d'autre part a 
« notre prédécesseur le pape Boniface IX. d'heureuse mémoire peu 
« de temps avant sa mort, pour traiter, à ce qu'ils disaient, de l'extir- 
« pation dudit schisme, lui ont offert principalement la voie d'une 
« entrevue personnelle avec son adversaire dans un lieu déterminé, 
« voie qui comprenait implicitement toutes les autres, et qui , suivant 
« eux , n'en impliquait aucune; ils l'ont assuré que, quand ils auraient 
« recu sa réponse touchant cette voie, ils lui feraient connaitre cer- 
« tains avantages particuliers qui devaient en résulter pour lui. Quel- 
« ques jours aprés, notredit prédécesseur, voyant que la longue et 
« cruelle maladie dont il était accablé, que les vives douleurs et les 
« souffrances inexprimables qui l'avaient mis à toute extrémité, et 
« dont il mourut en effet trois jours aprés, ne lui permettaient pas de 
« se rendre à cette conférence, répondit qu'il était dans l'impossibi- 
« lité d'accepter la voie proposée, et demanda instamment aux ambas- 
« sadeurs de lui faire connaître ces avantages dont ils lui avaient parlé. 
« Mais ceux-ci insistérent sur ladite voie d'entrevue et ne firent au- 
« cune autre ouverture. 


« Lorsque notredit prédécesseur eut trépassé de ce monde, le sacré 
« collége des cardinaux, dont nous faisions alors partie, ne voulut 
« pas entrer en conclave, pour procéder suivant la coutume à l'élec- 
« tion du futur pape, sans avoir mandé Jesdits ambassadeurs , parce 
« que l'un d'entre eux assurait qu'ils avaient des instructions spéciales 
« pour le sacré collége en cas de mort du pape Boniface. Mais ils ne 
« firent aucune nouvelle proposition. Nous étions méme tous bien 


246 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


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quamvis nichil novi obtulerunt. Nam firmum erat in omnium 
nostrorum intencione propositum ut, si mandatum haberent 
sufficiens ad resignandum et cedendum, ac cederent illius 
nomine, qui eos, ut dicebant, transmiserat, super electione 
futuri pontificis non procedere, cessione peracta, sed expec- 
tare quousque, divina superillustrante clemencia, super amo- 
cione prefati scismatis, in forma debita et salubri, divino 
auctore, qui justas semper prosequitur actiones, provisio 
facta foret, ut inconsutilis Christi tunica, quam dolentes refe- 
rimus actenus discissam lateribus, per Spiritus sancti gra- 
ciam reintegracionem susciperet exoptatam. Et quoniam ora- 
tores ipsi se expresserunt ad id mandatum ab eorum domino 
non habere, obtulimus affectione sincera, requirentes ob- 
nixe ut aliqui ex eis ad prefatum eorum dominum pro con- 
sequcione mandati hujusmodi remearent, reliquis hic ma- 
nentibus, ut tam salutaris conclusio sequeretur. Ad quod 
responderunt quod eumdem arbitrabantur viam cessionis 
nullatenus concessurum, cum via hujusmodi secundum eorum 
judicium juri ac equitati consona non exstaret. Ob hocque, 
ne prefata mater Ecclesia in terris Christi maneret vicario 
destituta, conclave hujusmodi omnes cardinales prefati intra- 
verunt in nomine omnium Salvatoris, tandemque effectum 
est post multos et exquisitos super hujusmodi futuri creacione 
pontificis tractatus habitos, ut iidem cardinales ad humili- 
tatem nostram aspicientes, de communi concordia, Spiritus 
sancti gracia assistente propicia , nos in patrem elegerunt et 
pastorem. | 

« Postremo plurimorum auditu percepimus eosdem oratores 
innumeris expressisse querelis fuisse in alma urbe per castel- 
lanum sancti Angeli detentos et ad redempcionem gravissi- 


. CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 247 


« résolus, s'ils avaient eu pouvoir suffisant pour résigner et céder, et 
« s'ils cédaient au nom de celui par qui ils se disaient envoyés , de ne 
« point procéder à l'élection du futur pape, méme après la cession, 
« sans qu'il eüt été pourvu à l'anéantissement dudit schisme suivant 
« les formes convenables et salutaires, avec l'assistance de Dieu, qui 
« favorise toujours les bonnes causes, et sans qu'on eût réparé, par 
« la gráce du Saint-Esprit, la tunique inconsutile de Jésus-Christ, 
« que nous avons la douleur de voir encore aujourd'hui déchirée par 
« lambeaux. Lesdits ambassadeurs ayant déclaré qu'ils n'avaient point 
« d'ordre de leur maître à ce sujet, nous leur avons offert avec 
« une sollicitade sincère et les avons conjurés d'envoyer quelques 
« uns d'entre eux demander cet ordre à leurdit maitre, pendant que 
« les autres resteraient ici pour arriver à une conclusion si salutaire. 
« Ils répondirent qu'ils ne pensaient pas que leurdit seigneur con- 
« sentit à la voie de cession, qui, à leur avis, n'était ni juste ni 
« raisonnable. En conséquence, pour que notre mére l'Église ne 
« restát point privée d'un vicaire de Jésus-Christ sur cette terre, 
« tous lesdits cardinaux entrérent en conclave au nom du Sauveur 
« des hommes. Enfin, aprés de nombreuses et müres délibérations 
« sur l'élection du futur pontife, lesdits cardinaux, jetant les yeux 
« sur notre humilité, nous ont d'un commun accord, par l'assistance 
« de la gráce du Saint-Esprit, choisi pour pére et pasteur. » 


« Depuis ce temps, nous avons appris de diverses parts que lesdits 
« ambassadeurs s'étaient plaints vivement d'avoir été arrétés dans la 
« ville par le commandant du château Saint-Ange et contraints à payer 
« une forte rançon. S'ils veulent, comme nous le croyons, dire la 


248 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


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mam coartatos. Quod si vera, ut credimus, profiteri volue- 
rint, debent equidem id eorum diffidencie ascribere, poterunt 
nec indigne; nam fluctuantibus pestiferis motibus in ipsa urbe 
post prefati predecessoris obitum, et ipsis a collegio hujus- 
modi cardinalium licenciam ab eadem urbe recedendi pos- 
centibus, cum absque vite vel rerum discrimine ab urbe 
ipsa, forensi permaxime, tutus non pateret abscessus, ipsis 
persuasum extitit ut nulla racione discederent, sed cum plena, 
que tunc eis oblata fuit et servata fuisset indubie, securitate 
manerent, qui eos *..... prebuerunt , de quo doluimus ab inti- 
mis et dolemus. Nam in illius manus eorum motus perduxit 
eos, de quo post hujusmodi predecessoris obitum, nec col- 
legium ipsum aut nos potuimus aut possumus quomodolibet 
disponere aut aliter ordinare. Et antequam conclave ipsum 
intraremus, pro illorum liberacione ad castrum ipsi cum non- 
nullis aliis cardinalibus accessimus, sed incassum. De quo 
tamen, prefati castellani condicione pensata, certissimi fui- 
mus, quod semper ita contingeret ut emersit. Ita quod ipsis 
illud venit procul dubio imputandum. Super quo tam nos 
quam collegium ipsum possumus racionabiliter excusare; et 
hec omnia cupimus tam ad vestram quam aliorum quorum- 
libet noticiam pervenire. 

« Rex autem pacificus , qui prefatam Ecclesiam suo preciosis- 
simo fundatam sanguine inseparabili federe copulavit, sua 
miseracione corda fidelium sic vivificet et illustret, et illus- 
trata conservet, ut, depulsis erroribus, in eadem Ecclesia 
per sanctissime unionis hujusmodi misterium id angelico 
corde et opere cantetur : Gloria in excelsis Deo et in terra 


« pax hominibus bone voluntatis, prout humane fragilitatis 


' Le texte de ce passage est altéré dans le manuscrit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 249 


« vérité, ils ne doivent s'en prendre qu'à leur excessive défiance; car 
« lorsqu'ils demandérent au collége des cardinaux la permission de sor- 
. « tir de la ville au milieu de l'agitation séditieuse qui suivit la mort de 
« notredit prédécesseur, on leur représenta qu'il n'y avait point de sûreté 
« pour eux à vouloir s'éloigner, qu'il y allait méme de leur vie, et on 
« leur conseilla de rester sous la protection du sacré collége, qui leur 
« fut offerte et qui leur eût été assurée. Ils voulurent passer outre et 
« furent trahis*, à notre grand regret. Ils sont donc tombés par leur 
« propre faute entre les mains du chátelain, sur lequel ni le sacré col- 
« lége ni nous n'avions aucune autorité aprés la mort de notre prédé- 
« cesseur. Nous ne pouvions faire qu'il en füt autrement. Néaumoins, 
« avant méme d'entrer en eonclave, nous nous sommes rendu avec 
« quelques uns des cardinaux au cháteau Saint- Ange pour tácher 
« d'obtenir leur délivrance, mais cette démarche a été sans succés; et 
« nous étions bien persuadés qu'il en serait ainsi, nous qui connaissions 
« le caractère dudit chátelain. C'est donc à eux qu'il faut imputer ce 
« qui leur est arrivé. Nous pouvons facilement nous justifier à cet 
« égard, nous et le sacré collége, et nous désirons que tous ces 
« faits soient connus de vous comme de tous. 


bl 


« Puisse le Dieu de paix, qui a uni par un lien indissoluble ladite 
« Église fondée au prix de son trés précieux sang, vivifier, éclairer 
« et maintenir dans la voie de la vérité les coeurs des fidéles, afin 
« que, délivrés de l'erreur par le rétablissement de la sainte union 
« dans le sein de l'Église, ils chantent de concert avec un coeur an- 
« gélique : Gloire à Dieu dans le ciel, et paix sur la terre aux 
« hommes de bonne volonté , autant que l'exige la fragilité humaine, 


* Nous avons cru devoir suppléer dans la traduction à ce que le texte latin offre de 
défectueux dans ce passage. 


III. 22 


950  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


« condicio indiget, animarum salus et corporum, juxta divine 
« beneplacitum voluntatis, cui nos et reliquos decet et expedit 
« in omnibus conformare. — Datum Rome apud Sanctum Pe- 
« trum, tredecimo kalendas marcii, pontificatus nostri anno 
« primo. » 


CAPITULUM III. 


Dux Biturie Romam misit, quia multi rescriptum adinventum reputabent. 


Bullas istas dominis ducibus Francie Universitas monstravit ; 
que quia relacioni nunciorum pape Benedicti dissonabant, in 
ejus favorem quidam scientifici viri illas calumpniando adin- 
ventas reputabant. Quapropter dux Biturie litteras monitorias 
ad pacem et unionem ipsi Innocencio Romam misit, nunciis 
prius astrictis de veritate rei hujuscemodi referenda. In hac 
sane epistola propter detestandum scisma membrorum officia 
totamque corporis mistici compaginem inter se discidere mise- 
rabiliter deplorans, quanta mala ex hac peste obvenirent com- 
 memorabat multis verbis, ut manifestum appareret cor suum 
humile et contribulatum super calamitate Ecclesie vehementer 
compungi. 

Apices Innocencius acceptissime recepit cum suis cardinali- 
bus, et, redeuntibus nunciis, dilecto filio duci. rescriptum pa- 
pale misit continens quod, totis affectibus in lege Domini cu- 
piens ambulare, propter pacem Ecclesie ad principes et prelatos 
legaciones per varias orbis partes jam destinaverat, ut nepharium 
et abhominabile scisma viis racionabilibus et honestis tolleretur. 
In hoc scripto anticardinales litteras duci missas incluserant, 
que voluntati prefati Innocencii in omnibus concordabant. Et 
quia idem dux scripserat collegium Romanum viam cessionis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 254 


« le salut des âmes et des corps, selon le bon plaisir de la volonté 
« divine, à laquelle il est de notre devoir à tous de nous conformer en 
« toutes choses. — Donné à Rome, au palais de Saint-Pierre, le trei- 
« ziéme jour de mars, la première année de notre pontificat. » 


CHAPITRE III. 


Le duc de Berri écrit à Rome, pour s'assurer si le rescrit pontifical était controuvé , 
ainsi que bien des gens le pensaient. | 


L'Université montra ces bulles à messeigneurs les ducs de France. 
Comme elles n'étaient point conformes au rapport des envoyés du 
pape Benoit, quelques doctes personnages, qui étaient favorables à 
son parti, prétendirent qu'elles étaient controuvées. En conséquence 
le duc de Berri écrivit à Innocent lui-méme pour le convier à la 
paix et à l'union , et fit jurer auparavant aux envoyés qu'il chargea de 
ce message de lui rapporter fidèlement tout ce qu'ils apprendraient 
sur cette affaire. Il déplorait dans sa lettre en termes fort touchants la 
funeste désunion occasionnée par le détestable schisme entre tous les 
membres du corps mystique de l'Église. I1 y rappelait longuement 
tous les maux qui résultaient de ce fléau, et laissait voir la tristesse et 
le chagrin dont les tribulations de l'Église abreuvaient son coeur. 


Innocent et ses cardinaux accueillirent gracieusement ce message, 
et quand les envoyés partirent, ils emportérent un rescrit du pape de 
Rome adressé à son bien aimé fils le duc de Berri. Il y disait que , dési- 
rant ardemment marcher dans les voies du Seigneur , il avait déjà dé- 
puté des ambassadeurs aux princes et aux prélats des diverses parties du 
monde dans l'intérét de la paix de l'Église et pour chercher de con- 
cert avec eux les moyens raisonnables et honnétes d'anéantir ce funeste 
et exécrable schisme. Les anticardinaux avaient joint à ce rescrit des 
lettres adressées au duc et conformes en tout point aux intentions dudit 
Innocent. Comme le duc de Berri s'était plaint que le collége de Rome 


952  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


refutasse, in hiis bullis Innocencius excusaciones inseruerat, 
ipsum taliter alloquens : | 

« Illud tamen diligenter, dilecte fili, tibi et ceteris pro- 
« videndum est, ne ea pro veris teneatis que a veritate lon- 
«gissime sunt remota. Sepe enim homines ea que nunquam 
«facta aut gesta sunt asseverare parati, alios decipere et in 
«suam partem trahere conantur; quod incommodum ut vita- 
«retur, sacris legibus diligentissime cautum est ac provi- 
« sum est ne prius quisquam judicaret quam utriusque res esset 
«audita. Ad hec scribenda non sine causa movemur, suspi- 
« cantes falsa pro veris ad tuam nobilitatem fuisse delata ab his 
« qui bonos videri quam esse malunt. Nam quod scribis per 
«oratores qui ad presenciam felicis recordacionis Bonifacii 
«pape noni predecessoris nostri venerunt de renunciacione 
« facienda oblatum fuisse, id novit Altissimus Jhesus Christus 
« nullam in se habere veritatem. Nichil enim oratores illi um- 
« quam obtulerunt preter unicam absolute convencionis perso- 
« nalis viam; que tamen convencio si fieret, arbitrabantur om- 
« nia bene processura et quocunque expediret finem optatum 
« habitura. Hanc viam cum predecessor noster, adversa cor- 
« poris vallitudine oppressus, ex qua infra paucos dies e vita 
« migravit, adimplere nequiret, rogati dicti oratores an aliam 
« viam offerre vellent, nullam omnino obtulerunt, sed in eam- 
« dem, quam absolute primo obtulerant, perseveraverunt. Hec 
«vivente predecessore nostro facta sunt. Post mortem vero 
«ejus, cum omnium venerabilium fratrum nostrorum sancte 
« Romane Ecclesie cardinalium, de quorum numero tunc era- 
« mus, una esset mens atque unus animi ardor ad hoc pestife- 
« runi scisma extirpandum, unanimiter, Deo teste, decrevera- 
« mus, si illi sufficiens mandatum ad resignandum et cedendum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 253 


eût rejeté la voie de cession, Innocent avait cherché à repousser ce 
reproche. Voici comment il s'exprimait : 

« Vous devez toutefois bien prendre garde, mon cher fils, vous et 
« les autres, d'accepter comme vrais des récits qui sont trés éloignés 
« de la vérité. Il ne se trouve que trop de gens disposés à affirmer des 
« choses qui n'ont jamais été faites, afin d'abuser leurs semblables et 
« de les entrainer dans leur parti. Pour obvier à cet inconvénient, les 
« lois sacrées ont expressément recommandé et prescrit que l'on ne 
« portát jamais un jugement avant d'avoir entendu les deux parties. 
« Ce n'est pas sans motif que nous vous écrivons ces choses , c'est parce 
« que nous pensons que votre grandeur a été abusée par les mensonges 
« de gens qui aiment mieux paraitre hommes de bien que de l'étre. 
« Car, quant à ce que vous nous mandez touchant l'offre qui aurait été 
« faite de la voie de renonciation par les ambassadeurs envoyés auprés 
« de notre prédécesseur le pape Boniface IX. d'heureuse mémoire, 
« Notre Seigneur Jésus-Christ sait qu'il n'en est rien. Les ambassadeurs 
« n'ont jamais proposé d'autre voie que celle d'une entrevue entre les 
« deux compétiteurs ; au moyen de cette entrevue, disaient-ils, l'af- 
« faire ne pourrait que tourner heureusement et étre menée à bonne 
« fin. Notre prédécesseur , qui était alors retenu par la maladie dont 
« il mourut quelques jours aprés, n'a pu accepter cette voie, et a fait 
« demander auxdits ambassadeurs de vouloir bien en proposer une 
« autre. Ils s'y sont refusés et ont insisté sur la voie qu'ils avaient 
« d'abord offerte exclusivement. Tels sont les faits qui se sont passés 
_« du vivant de notre prédécesseur. Après sa mort, nos vénérables 
« frères les cardinaux de la sainte Église romaine, dont nous fai- 
« sions alors partie, n’ont cessé d’être animés des mêmes intentions 
« et du même zèle pour la destruction de ce funeste schisme. Nous 
« avons donc résolu d’un commun accord, Dieu nous en est témoin, 
« si lesdits ambassadeurs avaient pouvoir suffisant pour résigner et 
« céder et qu'ils consentissent à le faire , de surseoir à l'élection d'un 
« nouveau pontife, jusqu'à ce qu'on eüt, avec l'aide de Dieu, pourvu 
« aux meilleurs moyens de mettre fin au schisme. Ledit collége étant 
« dans ces dispositions, nous avons mandé les ambassadeurs, qui, sui- 


254 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


« haberent, idque facere vellent, supersedere nos in nova pon- 
« tificis electione, donec, Deo auctore, salutaris provisio super 
« hoc scismate fieret. Cum igitur hanc mentem prefatum colle- 
« gium haberet, vocatis dictis oratoribus, quos eciam in casu 
« morlis predecessoris nostri specialia quedam ad dictum col- 
«legium habere unus eorum affirmabat, intencionem collegii 
« exposuimus, et, si facultatem haberent, ut Ecclesiam Dei 
« tam dira peste liberarent adhortati sumus. At illi responde- 
« runt se mandatum ad eam rem non habere, nec illud conso- 
« num juri, suo judicio, arbitrari. Itaque cum eos apertissime " 
« tergiversantes collegium videret, ne sub pretextu aliene ma- 
« licie sedes appostolica vacacionis dampnum pateretur, Dei no- 
« mine invocato, ad electionem novi pontificis, servatis sollem- 
« nitatibus, processit. Hec ut narramus gesta sunt, neque per 
« nostros umquam stetit, sed per illos potuit certe tunc res com- 
« poni, potuit tam horrendum scandalum, si ipsi voluissent, 
«ab Ecclesia Dei exulare. Parate erant nostrorum omnium 
«imentes, pádrati animi, parate voluntates. Obtulerant, ipse 
« Deus novit, confitendi ydoneam facultatem, quam illi presen- 
«tes et a nobis requisiti repudiaverunt. Hee sunt oblaciones, 
« hee sunt renunciaciones, quas illi nunc forsitan inter inscios 
« homines magnifice jactant, et a nostris spretas fuisse predi- 
« cant. Sed nichil tam facile est quam falsa predicacione mentes 
« audiencium decipere, presertim ubi contradictor non sit, qui 
« possit et falsa refellere et veritatem docere. » 

Hec omnia autem scripta Rome apud Sanctum Petrum nona 
kalendas maii, cum ad noticiam cleri et nobilium Francie per- 
venerunt, a nonnullis referebatur publice quod nuncii domini 
pape Benedicti non retulerant veritatem. Unde nobiles Francie 
factum suum non ita gratum, ut prius, habuerunt. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 255 


« vant ce qu'affirmait l'un d'eux, avaient en cas de mort de notre pré- 
« décesseur certaines instructions particuliéres pour le sacré collége; 
« nous leur avons exposé l'intention dudit collége, et nous les avons 
« engagés, s'ils en avaient les moyens, à délivrer l'Église de Dieu 
« d'un si cruel fléau. Ils ont répondu qu'ils n'avaient aucune instruc- 
« tion à cet égard, et qu'à leur avis la voie de cession n'était point con- 
« forme au droit. Le collége, voyant qu'ils ne cherchaient qu'à trainer 
« l'affaire en longueur, et ne voulant pas que par suite des intrigues 
« d'autrui le siége apostolique demeurát trop longtemps vacant , a pro- 
« cédé suivant les règles accoutumées , aprés avoir invoqué le nom du 
« Seigneur , à l'élection d'un nouveau pape. Tout s'est passé ainsi que 
« nous le rapportous, et il n'a pas tenu à nous que l'affaire ne füt 
.« alors terminée; ce sont eux qui auraient pu, s'ils l'avaient voulu, 
« faire cesser cet horrible schisme dans l'Église de Dieu. Nous étions 
« tous favorablement disposés d'esprit, de coeur et d'intention. Nous 
« avions offert, Dieu le sait, tous les moyens d'arriver à une con- 
« clusion. Ils les ont repoussés malgré nos prières et nos instances. 
« Voilà les offres et les renonciations qu'auprés des personnes mal in- 
« formées ils se vantent peut-étre hautement de nous avoir proposées, 
« et nous accusent d'avoir rejetées. Rien n'est plus facile que d'éga- 
« rer lesesprits par de faux rapports, surtout quand on n'a point de 
« contradicteurs qui puissent repousser le mensonge et proclamer la 
« vérité. » 


Cette lettre était datée de Saint-Pierre de Rome, le 9 des calendes 
de mai. Lorsqu'elle fut connue du clergé et de la noblesse de France, 
on commenca à croire généralement que les envoyés de monseigneur 
le pape Benoit n'avaient point dit la vérité. Aussi les seigneurs de 
France n'approuvérent-ils plus sa cause, comme ils l'avaient fait 
auparavant. 


256 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LID. XXVI. 


CAPITULUM IV. 


De nupciis ducis Guerlie. 


Nuper dux Aurelianis cum duce Guelrensy confederatus, ut 
amicicia contracta mutuo et jurata nexu consanguinitatis diu- 
cius et stabilius duraret, ipsi duci cognatam suam germanam, 
filiam comitis de Haricuria, desponsandam promiserat, ipsum- 
que evocaverat, ut res ad optatum perduceretur effectum. Scie- 
bat cognatis suis duci Burgundie et comiti de Lemburgo con- 
nubium summe displicere, quoniam maritum exosum valde 
habebant. Ideo secum Parisius ipsum aliquandiu retinuit, do- 
nec rex more solito sospitatem aliqualem recipiens confirmaret 
inchoatum negocium; quod non diu post peregit. Nam ultima 
die apprilis aliqualiter convalescens, cum ad ecclesiam beate 
Marie Parisiensis, regibus Navarre et Sicilie concomitantibus, 
peregre profectus esset, Creciacum adiit ut venacioni terrestri 
et aerie insisteret, statuens ut ibidem prefati ducis de Guelria 
atque dilecte cognate sumptibus suis duodecima die maii nupcie 
celebrarentur. | 

Id impacienter audivit comes de Lemburgo, et in odium 
dicti ducis antiquam discordiam motam occasione quorumdam 
municipiorum, que genitor suus violenter occupaverat invitis 
Brebantinis, renovans , cum bellico apparatu ducatum Guelrie 
intrans, hostiliter ubique absque obice grassatus est, et quid- 
quid pater sustulerat , potenter recuperavit et Brebantinis sub- 
ditis suis restituit. Ad ignominiam iterum dicti sponsi, die 
nupciarum ejus, hora qua rex et convive, musicalibus instru- 
mentis resonantibus, prandium continuarent gaudiosum, 
quemdam bellorum preconem misit, qui quasdam litteras ante 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 251 


CHAPITRE 1V. 


Mariage du duc de Gueldre. 


Le duc d'Orléans, voulant resserrer et consolider par les liens de la 
parenté l'alliance qu'il avait contractée avec le duc de Gueldre, lui 
avait promis la main de la fille du comte d'Harcourt, sa cousine ger- 
maine, et l'avait fait venir à Paris, afin de réaliser ce projet d'union. 
Il savait que ce mariage déplaisait fort à ses cousins le duc de Bour- 
gogne et le comte de Limbourg, ennemis déclarés du duc de Gueldre. 
Il le retint auprés de lui en attendant que le roi, revenu en bonne 
santé, püt confirmer ce qui avait été arrété. L'occasion qu'il désirait 
se présenta bientót. Le dernier jour d'avril, le roi se rétablit, et aprés 
un pélerinage fait a l'église de Notre-Dame de Paris en compagnie des 
rois de Navarre et de Sicile, il partit pour Crécy, où il voulait se livrer 
au plaisir de la chasse à courre et à l'oiseau, et où il avait décidé que 
le mariage dudit duc de Gueldre et de sa bien aimée cousine serait 
célébré à ses frais le 12 mai. 


Cette nouvelle causa un vif mécontentement au comte de Limbourg. 
Dans son dépit, il réveilla d'anciennes querelles au sujet de certaines 
places fortes que le pére dudit duc avait usurpées sur les Brabancons, 
et entra avec une armée dans le duché de Gueldre; il courut le pays 
sans rencontrer d'obstacles , reprit toutes ces places et les restitua aux 
Brabancons ses sujets. Pour faire au duc un plus cruel affront, il lui 
envoya, le jour méme du mariage, à l'heure où le roi et les convives 
célébraient joyeusement le banquet nuptial au son des instruments de 
musique, un héraut d'armes, qui lui remit un cartel et déclara hum- 
blement que le comte de Limbourg le défiait comme traître et déloyal, 


III. 33 


258 CHRONICORUM KAROLE SEXTI LIB. XXVI. 


ipsum proiciens, humiliter intimavit ducem de Lamburgo ipsi 
tanquam infideli et proditori pessimo diffidencias mittere, se 
contra eumdem offerens probaturum et omnes confederatos 
suos, rege dumtaxat excepto. 

Comminatoria verba dux dissimulanter audiens et tanquam 
de complacentibus novis vultum letum perferens, peracto 
prandio, exuit se veste nupciali, que preeoni concessa. Cum 
nocte illa cum sponsa jacuisset, celeriter de Parisius recessit, ut 
subditis et patrie opem ferret. 


CAPITULUM V. 
Comes. saneti Pauli , cupiens Anglicos laudabiliter agredi, iguominiose rediit, 


Auctoritate regia, tunc temporis, Walerannus comes sancti. 
Pauli cum septingentis militibus et scutiferis, quingentis ha- 
listariis et mille ducentis eompatriotis fines Picardie custo- 
diendas susceperat ab hostilibus discursibus Anglicorum, qui 
de Calesio sepius erumpentes patriam depopulabantur. Sepius 
eciam Gallici, vicem pro vice reddere cupientes, ex inspe- 
rato usque Calesium excursiones hostiles exercebant; et cum 
in eos Anglici non exirent, sic credentes eis timorem incus- 
sisse et eos parvipendentes, castrum de Marc, quatuor mili- 
bus a Calesio distans , occupare viribus statuerunt. Gallicorum 
crescebat audacia ; nam aliqui inter eos novos rumores serentes 
asserebant se pro comperto habere quod custodia Calesii 
Angliam pecierat, ob discordiam mortalem que in patria vige- 
bat. Sed revera hostes caute latitabant in hac villa et exire dif- 
ferebant in dolo, ut dampnosius in nostros irruerent , sicut rei 
exitus comprobavit. De die enim in diem ab Anglia socios evoea- 
bant, ut forciores existerent. Quos comes dictus sepius perci- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 259 


et offrait d'en (hire la preuve contre lui et contre tous ses alliés, le roi 
seul excepté. 


Le duc de Gueldre écouta ces menaces avec calme, et affecta le 
méme air de satisfaction que s'il eüt recu une bonne nouvelle. Aprés 
le diner, il se dépouilla de sa robe nuptiale et en fit présent au héraut ; 
puis ayant passé la nuit avec sa nouvelle épouse, il partit de Paris en 
toute háte pour aller au secours de ses sujets et de son pays. 


CHAPITRE V. 


Expédition du comte de Saint-Pol contre des Anglais. — Sa retraite honteuse. 


Vers le méme temps le comte Waleran de Saint-Pol, ayant ras- 
semblé au nom du roi sept cents chevaliers et écuyers, cinq cents arba- 
létriers et douze cents hommes de la milice de Picardie ', avait entre- 
pris de défendre cette province contre les attaques de la garnison 
anglaise de Calais, qui faisait de fréquentes sorties pour ravager le 
pays. Les Francais, afin d'user de représailles, poussaient souvent 
leurs courses jusqu'à Calais. Voyant que les Anglais ne sortaient point 
pour les combattre ,'et attribuant cette inaction à la frayeur, ts mé- 
prisèrent ‘de tels adversaires, et résolurent d'attaquer le château de 
Marck , situé à quatre milles de Galais. Ce qui contribua encore à en- 
hardir les Francais, c'est que quelques uns d'entre eux assuraient que 
la garnison de Calais avait été rappelée en Angleterre à l'occasion des 
troubles qui y avaient éclaté. Mais il n'en était rien; les ennemis se 
tenaient à dessein cachés dans la ville et ne différaient d'en sortir que 
pour mieux surprendre nos troupes, comme la suite le prouva. Ils 
faisaient venir chaque jour de nouveaux soldats d'Angleterre afin 
d'augmenter leurs forces. Le comte de:'Saint-Pol , qui avait deviné leurs 


' Monstrelet dit que le:comte de Saint-Pol avait aussi avec lui environ mille Flamands 
à pied. 


260 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


piens, pugnatoribus suis dissuasit suos transgredi limites; sed 
ad ultimum precibus victus et multitudini condescendens, con- 
cessit adire locum quem petebant, promittens quod , quandé 
sciret obsidionalia instrumenta debite collocata, in primo eorum 
assultu presens esset. Ad locum igitur cum apparatu maximo 
accedentes, quidquid obsidioni conveniebat paraverunt. 

Quod audiens comes de Panebroc per exploratores suos, de 
Calesio cum tribus milibus exiens, nostros ilico invasit. Primo 
assultu inchoato, et dum murorum summitatem ascendere 
conabantur , ut decebat, exploratores in insidiis minime collo- 
caverant, et ideo unum fuit et ingeminare ad mortem et hostes 
percipere; et quamvis in tanto discrimine ipsis non defuerit 
audacia resistendi, minime tamen hoc profuit. Nam cum fossata 
conabantur ascendere, ictibus hostium yma petere cogebantur. 
Ipsa et eadem hora qua conflictum inceperant, ad eos comes 
mandatus, ut statuerat, accedebat; sed in via tristem nuncium 
audiens de defectione suorum, mox redire statuit, malens cum 
incolumitate redire ad propria, quam dubiis et periculosis se 
committere casibus. Sic comes confusione indutus et reverencia, 
prelium reformidans, et quemdam equm, qui ceteros celeritate 
et laboris paciencia longe superare dicebatur , ascendens et sue 
consulens saluti, cum probro et ignominia consortes deseruit et 
turpi fuga perpetuam infamiam emit. 

In conflictu victores Anglici extiterunt, modica strage 
peracta. Nam ut de sauciis taceam, quorum numerus multus 
fuit, ex militibus quatuor tantum, videlicet domini Martelet de 
Walerin, Odo Cousce, dominus de Creseques et Guido Dyvedin, 
ex armigeris vero plures cum Anselmo Lemonnier, Johanne de 
Serpes in prelio sunt occisi; multi fuge presidio se salvarunt. 
Cum dominis vero de Hangest, capitaneo Boloniensi, Sarraceno 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 261 


intentions , engagea ses hommes d'armes à ne point franchir les fron- 
tiéres du pays. Mais à la fin, vaincu par leurs instances et cédant à 
leur désir, il leur permit de marcher contre le cháteau de Marck, et 
promit de les rejoindre pour livrer le premier assaut, aussitót qu'il 
saurait que les machines de siége étaient dressées contre la place. Les 
Francais s'avancérent donc avec tout leur attirail de guerre, et firent 
leurs préparatifs d'attaque. 

Le comte de Pembroke, informé de leur projet par ses espions, 
sortit de Calais avec trois mille hommes et se jeta tout à coup sur eux. 
En ce moment les Francais donnaient l'assaut et cherchaient à escala- 
der les murs. Mais comme ils n'avaient pas eu la précaution de placer 
des sentinelles en observation, ils n'apercurent l'ennemi que lors- 
qu'ils entendirent le cri à mort, à mort! Vainement dans un tel péril 
essayérent-ils de faire une courageuse résistance. Chaque fois qu'ils 
arrivaient sur le rempart, ils étaient renversés du haut en bas par 
l'ennemi. Le comte de Saint-Pol , qu'ils avaient fait prévenir au mo- 
ment de commencer l'assaut, s'était mis en marche ainsi qu'il l'avait 
promis. Mais ayant appris chemin faisant l'échec de ses compagnons, 
il aima mieux revenir sur ses pas et rentrer sain et sauf dans son pays, 
que de s'exposer aux chances d'une défaite. Son trouble et sa frayeur 
furent tels, qu'au lieu de combattre il ne songea qu'à sauver ses jours; 
s'élancant sur un cheval agile et vigoureux ; il abandonna láchement 
ses compagnons et se couvrit d'une éternelle honte par cette fuite igno- 
minieuse. 


La victoire des Anglais ne fut pas trés sanglante. Si le nombre des 
blessés fut considérable, on ne compta parmi les morts que quatre 
chevaliers, messire Martelet de Waurin, messire Eudes Cousce, le 
sire de Cresecques et Guy d'Yvedin, et quelques écuyers au nombre 
desquels furent Anselme Lemonnier et Jean de Serpes '. Plusieurs 
trouvérent leur salut dans la fuite. Trente-deux chevaliers et vingt 


| J Monstrelet cite parmi les morts, qui environ, le seigneur Querecqs, messire 
étaient, dit-il, au nombre de soixante ou Morlet de Saveuzes, messire Courbet de 


262 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 

Darly et de Rambures triginta dub milites et viginti famosi 
scutiferi jugum redemptionis subierunt; quod tamen cum 
displicencia migna quidam ex eis pertulerunt, quia ad manus 
ignobilium devenerunt. 

Comes vero de Pennebroc, obtenta victoria, cum Calesium 
rediisset , tentoria Francorum et machinas jaculatorias ibi a£ 
ferri jussisset, mox successus prosperos prosequi cupiens, usque 
Esclusam inoppinate transfretavit. Sciensque rbidem incolas ha- 
bitare peccuniosos valde, quippe qui contihuis navigacronibus 
universas pene Mediterraneo mari adjacentes provincias, gta- 
cia commetciorum *, peregrinis mercibus urbem repleverant , 
illam capere conatus est. Sed ab Alemanis et Flammingis, qüi 
tunc littora occupabant , potentissime repulsus est. 


CAPITULUM VI. 


Ad promovendum unionem Januam petit dominus Benedictus. 


Privata fainilia, sed magno pugnatorum numero comitatüs 
dominus Benedictus de Nicea recedens, et navigacione prospera 
Januam mense mayo attingens, ejus diu expectatam presen- 
ciam cum gubernatore majores natu ville honorifice prevene- 
runt. Viri quoque ecclesiastici cum summa veneracione ac pro- 
cessione sollempni ipsum introduxerunt in urbem. lbi cum suis 
onmibus honestissime locatus, cum rharescallo gubernatore 
Jaime evocatis qui in officiis publicis sumima auctoritate presi- 
debant, püblite professus est quomodo intendebat procurare 
unionem Ecclesie et usque Romam propter hanc profiscisoi, 
rogans omnes ut ipsum in causa Dei, quam nunc agredi vo- 


' Il est nécessaire, pour compléter le sens , de supposer dans le manuscrit l'omiseion d'un 
mot tel que perlustrantes. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. -— LIV. XXVI. 263 


écuyers de nobles familles, parmi lesquels étaient le sixe de Mangest, 
capitaine de Roulogue, Sarrazin d’Arly et messire de Rambures, 
furent obligés de payer rançon. Ils en, éprouvèrent d'autant plus de 
déplaisir, qu'ils étaient tombés entre les mains de gens de la plus basse 
condition. 

Le comte de Pembroke rentra à Calais après la victoire et se fit 
apporter les tentes des Français et toutes leurs machines de guerre; 
puis, voulant poursuivre le cours de ses succès, il s'embarqua sans 
plus tarder. pour aller surprendre l’Écluse. Sachant que cette. ville 
était habitée par de riches marchands qui y avaient accumulé d'im- 
naenses richesses en trafiquant sur tout le littoral de la Méditerranée, 
ilessaya de s'en rendre maitre; mais il fut vigoureusement repoussé 
par les Allemands et les Flamands qui occupaient alors les côtes. 


CHAPITRE VI. 
Monseigneur Bepoit se rend à Gênes paur travailler à l'union, de l'Église. 


Monseigneur Benoît partit de Nice avec sa maison seulement, mais 
escorté d'un grand nombre d'hommes de guerre, et arriva à Gênes au 
mois de mai après une heureuse traversée. Il y était attendu depuis 
long-temps. Le gouverneur et les principaux de la ville l'accueillirent 
avec les plus grands égards. Le clergé lui témoigna toutes sortes de 
respects et l'introduisit dans la ville en procession solennelle. On le 
loges magnifiquement lui et toute sa suite. Il manda le maréchal gou- 
verneuwr ainsi que tous les premiers magistrats de Gênes, leur dé- 
clara qu'il voulait travailler au rétablissement de l'union, qu'il irait 


Rubempré , messire Martel de Vaillechiron, seigneur de Brimey, messire Sarrazin d'Ar- 
messire Guy d'Ivergny, le seigneur de Fayel, lys, le seigneur de Rambures, Gontier la 
et parmi les prisonniers, le seigneur de Personne et le seigneur de Guienchy. Les 
Hangest, capitaine de Boulogne, le seigneur prisonniers, suivant lui, s'élevérent jusqu'au 
de Dampierre, sénéchal de Ponthieu, le nombre de soixante eu quatre-vingts. 


264 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VI. 


lebat, pro posse consulerent et juvarent. Quod cum omnes 
libenti animo concessissent se et sua prompto animo offeren- 
tes, eis regraciatus est, statuens ut omnibus feriis successivis 
leta convivia celebraret, ut cum eis sigillatim super materia ista 
tam ardua tamque a christicolis optata familiarius loqueretur. 
Sic eorum omnium tam affabilitate quam lepiditate verborum, 
qua singulariter florebat, captavit benivolenciam, ut ubique 
propter presenciam tanti patris urbem felicem dicerent. 


Sed Francorum expectando mercenarium conductum, cum 
de die in diem de remotis partibus milites et armigeri ad ipsum 
confluerent, mentem cum oppinionibus mutaverunt. Nam timen-. 
tes , ut dicebant, ne sic adauctus numerus in urbis prejudicium 
verteretur, sentirentque papam nunquam concessurum ut exi- 
rent, nec ad hoc per eos possent cogi, quod nequibant prece 
vel viribus, tali astucia suppleverunt. Statuta namque expedi- 
cionum bellicarum per gubernatorem persuadentes ipsi pape, 
dignum et justum duxerunt vires suorum, more solito, recen- 
seri, et omnes armatos viros tam forenses quam alios ad cam- 
pestria convenire, ut, singulorum aptitudine pensata, videren- 
tur qui expulsione vel stipendiis digni essent. 


Acquievit papa consiliis, ignarus fraudis concepte. Voce pre- 
conia omnes egredi jubentur in ordinatis aciebus. Cives ceteros 
sequuntur, non tamen spe longius evagandi. Nam vix extrenii 
agminis Januenses fores exierant, cum subito, qui preibant, 
reflexis habenis, sicut condictum fuerat, iterum regrediuntur, 
et sic soli in suam custodiam receperunt urbem, eciam et pa- 
pam. Expulsionis astuciam papa impacientissime ferebat, et 
vere non immerito, nisi ipsum mos patrie aliquantulum mitti- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 265 


méme pour cela jusqu'à Rome , et il les pria de l'aider et de le secon- 
der de tout leur pouvoir dans le dessein qu'il avait formé de défendre 
la cause de Dieu. Les Génois y consentirent volontiers et offrirent de 
mettre à sa disposition leurs biens et leurs personnes. Monseigneur 
Benoit les remercia et les invita à diner plusieurs jours de suite, afin 
de s'entretenir familiérement avec chacun d'eux sur cette affaire im- 
portante et qui intéressait vivement toute la chrétienté. Il sut si bien 
gagner tous les coeurs par son affabilité et par le charme de sa con- 
versation, qu'on répétait partout que Génes devait s'estimer bien 
heureuse de la présence d'un si grand pontife. 

Cependant monseigneur Benoit attendait les gens de guerre francais 
qu'il avait pris à sa solde. Quand les Génois virent arriver chaque jour 
de tous côtés des chevaliers et des écuyers, ils changérent de senti- 
ments , et commencérent à craindre que la présence de tant de troupes 
ne tournát à leur préjudice. Comme ils savaient bien que le pape ne 
consentirait jamais à s'en séparer et qu'eux-mémes ne pourraient les 
contraindre à sortir de la ville, ils imaginérent un stratagéme pour 
arriver au but qu'ils ne pouvaient atteindre par les priéres ni par la 
force. Ils firent entendre au pape, par l'entremise du gouverneur, qu'il 
devait, conformément aux usages militaires, faire le recensement de 
ses forces et réunir dans la plaine tous ses gens de guerre, étrangers 
ou autres, afin de juger de l'aptitude de chacun et de voir quels étaient 
ceux qu'il fallait refuser ou admettre sous les drapeaux. 


Le pape, qui ne se doutait point de la ruse, suivit ce conseil, et fit 
enjoindre à tous les gens de guerre par la voix du héraut de sortir de 
la ville en ordre de bataille. Les Génois sortirent aprés eux, mais avec 
l'intention de ne pas trop s'éloigner. A peine les derniers rangs avaient- 
ils franchi les portes, que les Génois tournérent bride, revinrent sur 
leurs pas, ainsi qu'il avait été convenu entre eux, et restérent ainsi seuls 
maitres de la ville et de la personne du pape. Monseigneur Benoit fut 
justement irrité de ce stratagéme; cependant ils parvinrent à l'apai- 
ser en alléguant pour excuse leurs habitudes de jalousie. Ils lui dirent 

Ji. 34 


266 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


_gasset. Nam ipsi querenti causam responsum est quod bur- 
genses, zelotipia ob uxorum pulcritudinem ducti, suorum 
incontinencie signa et impudicos aspectus non poterant equa - 
nimiter tollerare. 


CAPITULUM VII. 


De predicacione facta coram rege et regina super correctione morum curialium, 


Cum emergencia in regno non modo commendabilia sed et 
note subjacencia ex officio scribenda susceperim, quod tamen 
ejus gubernacula moderanda cum summa incuria regina et dux 
Aurelianis susceperant, dum rex solita egritudine vexaretur, 
regnicole cum displicencia maxima perferebant. In ambos pro- 
cul dubio plebs maledictiones jaculare publice non verebatur, 
asserens eorum solum intenciones versari ut , multiplicatis exac- 
tionibus et tributis indebitis, de substancia pauperum eorum 
excecrabilis et ceca cupiditas suppleretur. Sibi ipsis accumulare 
thesauros summe complacebat in dampnum rei publice, de statu 
tenui regis dominique ducis Guienne ejus primogeniti non 
curantes, ut decebat, quem et sic limitaverant et in scriptis, 
quod et summam aurei nummi suis dispensatoribus transcen- 
dere non licebat. Ultra, quod tyrannidem sapere dicebatur, 
velud in miseriis ultimis regnicolarum congauderent, de captis 
victualibus invitis. possessoribus laute reficiebant corpora; sed 
pro ipsis cum repetebantur peccunie, id ministri domus regie 
velud dampnabile crimen reputabant. De protectione regni nil 
curantes, ipsis dulcissimum erat in diviciis gloriari et in deli- 
ciis corporeis assidue conversari; que in eis sic regales normas 
et consuetudines absorbebant, ut Francis in scandalum et ex- 
teris nacionibus in vulgale proverbium verterentur. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 267 


qu'ils avaient craint l'effet de la beauté de leurs femmes sur ses hommes 
d'armes, et qu'ils n'avaient pu endurer leurs démonstrations licen- 
cieuses et leurs regards impudiques. 


CHAPITRE VII. 


Prédication faite cn présence du roi et de la reine sur la réforme des mœurs de la cour. 


Comme je me suis fait une loi de retracer dans cette histoire les actions 
dignes de blâme aussi bien que celles qui méritent l'éloge, je crois 
devoir dire que l'extréme incurie avec laquelle la reine et le duc d'Or- 
léans gouvernaient les affaires pendant la maladie du roi, excitait de 
vifs mécontentements dans le royaume. Le peuple ne craignait point 
de les accabler publiquement de malédictions, et de dire qu'ils n'avaient 
d'autre pensée que de multiplier contre toute justice les taxes et les 
exactions, pour s'engraisser de la substance des pauvres et assouvir leur 
exécrable et aveugle cupidité. Ils ne songeaient en effet qu'à s'enrichir 
au préjudice du royaume, s'inquiétant peu du chétif état du roi et de 
son fils ainé monseigneur le duc de Guienne. Ils avaient tellement 
restreint les dépenses du roi , que ses intendants ne pouvaient dépasser 
d'un écu d'or la somme qui leur avait été fixée par écrit. On leur 
reprochait encore, entre autres actes de tyrannie, d'insulter à la mi- 
sére publique en faisant grande chére aux dépens d'autrui; ils enle- 
vaient les vivres sans les payer, et quand on en demandait le prix , les 
pourvoyeurs de la maison royale regardaient cette réclamation comme 
un crime. Indifférents à la défense du royaume, ils mettaient toute leur 
vanité dans les richesses, toute leur jouissance dans les délices du 
corps. Enfin ils oubliaient tellement les régles et les devoirs de la 
royauté, qu'ils étaient devenus un objet de scandale pour la France 
et la fable des nations étrangères. 


268 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


Multa sinistra verba super defectibus istis mutuo dicebantur. 
Nec novi aliquem ad correctionem per salutaria verba publice 
processisse, donec quidam augustinensis, vocatus Jacobus 
Magni , predicacionem assumpsit coram regina peragendam in 
die Ascensionis Domini. Tunc collaudandam utique assumptam 
audaciam censeo. Nam quamvis in hystoriis instructus sciret 
muliebre genus et precipue generosum a displicentibus verbis 
ad iracundiam promptum, que multis funesta fuit, quamdam 
tamen monomachiam virtutum et viciorum curialium pungi- 
tivam luculentissime finxit, quid vitandum et quid sequendum 
instruens. Compendio, quod studiose quero, officeret sermo- 
nem ad locum recitare; sed notanter ad particularia quedam 
veniens, inquit : 

« Vellem equidem tibi placere, generosa regina, sed multo 
« malens te salvam, qualicunque erga me animo futura sis, in 
« tua curia domina Venus solium occupans, ipsi eciam obse- 
« quntur ebrietas et commessacio, que noctes vertunt in diem, 
« continuantes choreas dissolutas. Hee maledicte et infernales 
« pedissece, curiam assidue ambientes, mores viresque enervant 
« plurium, et impediunt sepius ne milites vel scutiferi delicati 
« adeant expediciones bellicas, ne in aliqua parte corporis de- 
« formentur. » Ad dissolucionem eciam habituum, cujus inven- 
trix regina fuerat principalis, descendens, cum ipsam multi- 
pliciter reprobasset , subintulit : « Hec et multa alia, o regina, 
« in opprobrium curie tue dicuntur. Que si non velis credere, 
« in habitu mulieris paupercule eundo per civitatem, audies ab 
« infinitis personis. » 

Non gratis auribus hec audivit; sed dum a domicellis ipsi 
familiarissimis predicatori dictum fuisset : « Miramur qualiter 
« ausu temerario tot mala protuleritis libere », tunc respondit : 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 269 


On parlait beaucoup et en termes: assez vifs de ces déportements; 
mais personne n'osait entreprendre publiquement d'y remédier par des 
avis salutaires. Enfin un moine augustin, nommé Jacques Legrand, 
prit la résolution de précher devant la reine le jour de l'Ascension. Ce 
hardi dessein était d'autant plus louable, à mon avis, que connais- 
sant l'histoire du passé, ce religieux n’igñorait pas que les femmes et 
surtout les nobles dames s'irritent facilement des paroles qui leur 
déplaisent, et que leur colère est à craindre. Il présenta dans un ta- 
bleau animé l'espéce de lutte établie entre les vertus et les vices des 
gens de la cour, montrant les exemples qu'il fallait éviter et ceux 
qu'il fallait suivre. Il serait contraire à la brièveté dont je me suis fait 
une loi de rapporter ici tout au long le sermon qu'il prononca. Je 
me contenterai d'en retracer les points principaux: 


« Je voudrais, dit-il, noble reine, ne rien dire qui ne vous fût 
« agréable, mais votre salut m'est plus cher que vos bonnes gráces: 
« je dirai donc la vérité, quels que doivent étre vos sentiments à mon 
« égard. La déesse Vénus régne seule à votre cour; l'ivresse et la dé- 
« bauche lui servent de cortége et font de la nuit le jour au milieu 
« des danses les plus dissolues. Ces maudites et infernales suivantes, 
« qui assiégent sans cesse votre cour, corrompent les moeurs et éner- 
« vent les coeurs. Elles efféminent les chevaliers et les écuyers et les 
« empéchent de partir pour les expéditions guerriéres, en leur faisant 
« craindre d'étre défigurés par les blessures. » Passant ensuite au luxe 
des vétements que la reine avait principalement contribué à intro- 
duire, il le censura énergiquement et ajouta : « Partout, noble reine, 
« on parle de ces désordres et de beaucoup d'autres qui déshonorent 
« votre cour. Si vous ne voulez pas m'en croire, parcourez la ville 
« sous le déguisement d'une pauvre femme, et vous entendrez ce.que 
« chacun dit. » | | 

Ce langage fut loin de plaire à la reine. Quelques demoiselles de sa 
suite témoignérent au prédicateur leur étonnement de ce qu'il avait 
osé dire publiquement tant de mal. « Et moi, leur répondit-il , je suis 


270 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


« Et procul dubio plus miror qualiter mala que dixi ause estis 
« perpetrare, et non solum illa, sed certe nephandiora, que, 
«quociens regine placuerit, clarius manifestabo. » Dum sic 
constanter responderet, cuidam pertranseunti familiari regine 
et impacienter dicenti : « Qui michi crederet, submergeretur 
« miser ille, » minas ejus despiciens, iterum libere inquit : « Et 
« revera ad sceleste perficiendum facinus non nisi unum tibi 
« similem tyrannum opporteret. » Ultra multa alia ignominiosa 
verba que pertulit pro veritate dicenda, fuerunt assentatores, 
qui regis auribus retulerunt quod contra statum regine enor- 
miter loqutus fuerat, ut regem contra eumdem ad iracundiam 
provocarent. Sed inde letus effectus, voluit ipsum audire, et ut 
in die sacratissimo Penthecostes coram eo predicaret. 

Die illa, rege in oratorio residente, et in presencia ducum Fran- 
cie et regis Navarre pro themnate assumens : Spiritus sanctus 
docebit vos omnem veritatem , et adventum sancti Spiritus 
multis laudibus attollens, ad mores inde descendit, asserens 
quod predicatoris erat officium veritatem coram omnibus pro- 
fiteri, eciam si auditoribus hoc grave sit. Post hec luculentis- 
sime ostendit quod in curiis magnatorum et qui summo ordine 
presidebant divina passim conculcabantur monita, Evvangelii 
doctrina sordebat, fides, caritas et omnes alie theologice et 
cardinales periclitabantur virtutes. Continuando propositum, 
viciaque reprobans illorum specialiter qui regnum regendum 
susceperant, publice intulit quod illud male et tepide regebatur. 

Que omnia cum audisset rex, vel mente propria motus, vel 
inductus ab aliis, de oratorio exivit, ut in vultu ipsum directe 
inspiceret. Coram tanto principe nonnulli verecundiam induis- 
sent; sed inde effectus constancior, et ad ipsum regem parti- 
culariter dirigens verba sua, continuavit propositum, addens 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 271 


« bien plus étonné que vous osiez commettre d'aussi méchantes actions 
« et même de pires, que je révélerai hautement à la reine, quand il 
« lui plaira de m'entendre. » Un des familiers de la reine, passant en 
ee moment auprés de lui, se mit à dire avec humeur : « Si l'on m'en 
« croyait, on jetterait à l'eau ce misérable. » Le religieux , bravant ses 
menaces, lui répondit hardiment : « Oui, sans doute, il ne faudrait 
« qu'un tyran comme toi pour exécuter un tel crime. » Il eut encore 
beaucoup d'autres propos outrageants à essuyer pour avoir eu le cou- 
rage de dire la vérité. Quelques courtisans, afin d'attirer sur lui la 
colére du roi, allérent lui raconter que le moine augustin avait parlé 
de l'état de la reine dans les termes les plus offensants. Le roi eu 
témoigna au contraire beaucoup de satisfaction. Il désira méme l'en- 
tendre , et voulut qu'il préchát devant lui dans son oratoire le saint 
jour de la Pentecóte. 

Ce jour-là donc le religieux précha en présence du roi, des ducs de 
France et du roi de Navarre. Il prit pour texte : Z' Esprit saint vous 
enseignera toute vérité, et commença par faire un pompeux éloge de 
la venue du Saint-Esprit. Puis, passant aux moeurs, il déclara que 
le devoir d'un prédicateur était de dire la vérité devant tout le monde, 
quelque importune qu'elle pût être à ceux qui l'entendaient. Il re- 
présenta éloquemment comment dans la cour des grands et des chefs 
de l'État les préceptes divins étaient foulés aux pieds, la doctrine de 
l'Évangile méprisée , la foi, la charité et toutes les autres vertus théo- 
logales et cardinales presque anéanties. S'élevant ensuite avec force 
contre les vices de ceux qui étaient à la téte des affaires, il leur re- 
procha hautement leur tiédeur pour le bien de l'État et leur mau- 
vaise administration. 


Aprés avoir entendu toutes ces choses, le roi, soit de son propre 
mouvement, soit à l'instigation de ses courtisans, se leva et vint se 
placer en face du religieux. Tout autre eüt été intimidé par la vue 
d'un si grand prince. Mais lui n'en montra que plus de résolution. 
Il continua son discours, et adressant la parole au roi lui-méme, il 
lui dit qu'il devait préter une sérieuse attention à ce qu'il venait 


272  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


quod ad alleguata debebat avertere, aliter in vituperium 
consiliariorum suorum redundabat, dicique poterat quod non 
audebant sibi dicere veritatem. Iterum ad ipsum dirigens ver- 
bum, et de genitore suo ad propositum faciens mencionem: 
« Etsi, inquit, exactiones imposuerat super plebem colligendas, 
« dum in sceptris ageret, ex hiis tamen ad decorem regni mu- 
«niciones construens, potenter regni adversarios repellens, 
« eorum oppida occupabat, et accumulando thesauros, opibus 
« occidentales reges precellebat, antequam cederet in fata; sed 
« nil horum nunc agitur, quamvis gravioribus oneribus plebs 
« gravetur. » Addidit et quod de talliis generalibus bis isto anno 
collectis nil inde commodi reportabat, non exinde ad honorem 
regni fiebant expediciones bellice, nec stipendia subsidiariis 
solvebantur, sed distractis indebite sic accumulabantur parti- 
culares thesauri, ad usus inhonestos, proc pudor, convertendi. 
« Summa, inquit, ingenuitas hiis temporibus reputatur balnea: 
«frequentare luxuriose vivendo, et indui preciosis, loricatis, 
« fimbriatis et manicatis vestibus; et cum tibi eciam commune 
«sit, dico quod simile est te induere de substancia, lacrimis 
«et gemitibus miserrime plebis, que continue, quod compa- 
« ciendo referimus, ad summum regem ascendunt, pro injusti- 
« ciis sibi factis. » Notavit et unum, non nominando nisi ducem, 
dicens quod et in juventute fuerat bone indolis, sed nunc 
propter inhonestam malam vitam et insaciabilem cupiditatem 
maledictiones plebis incurrebat, cum omnes ab eo et sibi simi- 
libus intollerabiliter premerentur, in finalibus concludens quod, 
si diu continuarentur tot nephanda, non timebat quin Deus, 
qui potens est discingere balteum regum, quando placet, aut 
regnum in brevi transferret ad extraneos, aut propter mala 
principum divideretur in se ipso. Ad correctionem morum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 273 


d'entendre , sinon, la faute en retomberait sur ses conseillers, et l'on 
pourrait dire qu'ils n'osaient point lui faire connaitre la vérité. Puis 
lui rappelant l'exemple de son père : « Il est vrai, dit-il, qu'il imposa 
« des tailles au peuple pendant son régne; mais du moins ces contri- 
« butions servirent à la grandeur de la France. Il construisit des for- 
« teresses, repoussa vigoureusement les ennemis du royaume, s'em- 
« para de leurs places, et amassa des trésors qui l'avaient rendu au 
« moment de sa mort le plus puissant des rois de l'Occident. Nous ne 
« voyons rien de pareil aujourd'hui, et pourtant des impóts bien plus 
« lourds pèsent sur le peuple. » Il ajouta qu'on n'avait retiré aucun 
avantage des taxes générales qui avaient été levées deux fois cette an- 
née, qu'on n'avait fait aucune expédition glorieuse pour le royaume, 
qu'on ne payait pas méme la solde des gens de guerre, que l'argent 
de ces tailles avait été détourné au profit de quelques particuliers qui 
ne rougissaient pas d'en faire le plus honteux usage. « La supréme 
« noblesse de ce temps-ci, continua-t-il, c'est de fréquenter les bains, 
« de vivre dans la débauche, de porter de riches habits bien lacés, - 
« à belles franges et à longues manches. Cela vous regarde aussi, 
« monseigneur, et je vous dirai que c'est vous vétir de la substance, 
« des larmes et des gémissements du malheureux peuple, dont les 
« plaintes , nous le proclamons avec douleur, montent sans cesse vers 
« le souverain roi pour accuser tant d'injustices. » Il signala une per- 
sonne , sans la désigner autrement que par le titre de duc, qui avait, 
dit-il, montré dans sa jeunesse les plus heureuses dispositions, mais 
qui depuis s'était attiré les malédictions du peuple par ses dérégle- 
ments, par son insatiable cupidité, et par l'oppression insupportable 
que lui et ses pareils faisaient peser sur tout le royaume. Il termina 
son discours en disant que, si tant de méfaits duraient encore long- 
temps, il craignait que Dieu, qui dispose à son gré de la couronne 
des rois, ne transportát bientôt le sceptre à des étrangers, ou ne per- 
mit que le royaume füt divisé en lui-même, par l'effet de la mauvaise 
conduite des princes. Il présenta éloquemment d'autres considérations 
en faveur de la réforme des moeurs, et parla en prédicateur coura- 
geux et en apótre de la vérité. Il s’attira par là le ressentiment et la 
n. | 35 


274 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


multa alia, ut predicator egregius et veritatis professor, con- 
stantissime.et luculenter protulit; unde pessimorum indigna- 
cionem incurrit et odium , sed a circumspectis et modestis tan- 
quam pro benedictis famatus est et laudatus. Rex eciam ejus 
fidelitatem approbans, ultra spem detrahencium curialium 
ipsum recommendatum habens, racionabile judicans ut predi- 
cati emendarentur excessus, quod et complere nequivit, quia 
nona die mensis junii incidit in egritudinem consuetam, qua 
usque ad finem jullii laboravit. 


CAPITULUM VIII. 


Castrum de Mortaing vi assultuum capitur. 


Erat in Sanctonia Mortaing munitissimum oppidum, quod, 
quamvis parte maxima marinis fluctibus ambiretur, habebat 
tamen pro foribus latifundium per omnia commendabile et 
planiciem sibi contiguam divitis glebe et optimi soli, multas 
oppidanis ministrans commoditates. Eratque tunc municipium 
illud per circuitum muro clausum gemino et turribus congrue 
altitudinis proporcionaliter distinctis, Anglicorum receptacu- 
lum principale, ex quo sepius erumpentes libere et hostilitei 
grassabantur, et circumadjacentem patriam vectigalem fece- 
rant, de vicinis villagiis octoginta milium scutorum auri tribu- 
tum exigentes velud hereditario jure. Nec solum non sinebant 
in territorio sibi sic subdito agriculturam exercere, ymo ruri- 
colas omnes novis angariis et perangariis premere conabäntur, 
in detrimentum certe vicinorum militum et dominorum natu- 
ralium. Hii, pauperum querimoniis pulsati repetitis vicibus et 
rogati ut jugum tam dire servitutis eorum vellent dissolvere et 
eos restituere pristine libertati, id unanimiter concesserunt, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 275 


haine des méchants; mais les honnétes gens et les sages le félicitérent 
et le louérent de toutes les choses qu'il avait eu le courage de dire. 
Le roi lui-méme applaudit à sa fidélité, et contre l'attente des gens de 
la cour qui ne cherchaient qu'à le perdre, il le prit sous sa protec- 
tion et résolut de mettre un terme aux excés qu'il avait signalés. Mais 
il ne put accomplir cette résolution: il éprouva une rechute le 9 juin, 
et resta malade jusqu’à la fin de juillet. 


CHAPITRE VIII. 


Prise du cháteau de Mortagne. 


Un des principaux repaires des Anglais était la place forte de Mor- 
tagne, en Saintonge, environnée presque de tous cótés par la mer, et 
ayant à ses portes une riche campagne , une plaine fertile et produc- 
tive, qui fournissait aux habitants toutes les commodités de la vie. La 
place était entourée d'une double enceinte de murs et flanquée de hautes 
tours placées de distance en distance. Les Anglais en sortaient souvent 
pour courir le pays d'alentour, qu'ils avaient soumis au tribut. Ils le- 
vaient ainsi chaque année sur les villages voisins une somme de quatre- 
vingt mille écus d'or, comme à titre héréditaire. Non contents d'empé- 
cher la culture des terres qu'ils avaient ainsi assujetties, ils ne songeaient 
qu'à accabler les paysans de nouvelles charges et de nouvelles corvées. 
Ces pauvres gens eurent recours aux chevaliers voisins et à leurs sei- 
gneurs naturels, qui avaient eux-mêmes à souffrir de ces déprédations; 
ils les suppliérent instamment de vouloir bien les affranchir d'un joug 
si odieux et leur faire recouvrer leur ancienne liberté. Les seigneurs 
accueillirent favorablement leur requête ; ils rassemblérent huit cents 
hommes d'armes braves et aguerris, en confiérent le commandement 
au sire de Pont, le plus puissant d'entre eux, et partirent aprés étre 
convenus avec les habitants du pays qu'on leur paierait un écu d'or par 


276 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. . 


moxque octingentos in armis strenuos collegerunt, qui sub 
vexillo domini de Ponte, qui ceteros auctoritate anteibat , mili- 
tarent. Hii omnes, tractatu cum compatriotis composito , quod 
pro stipendiis adunatorum pugillum quilibet pro foco aureum 
scutum solveret, ad quamdam insignem dominam, que quasi 
jure hereditario fere triginta annis castrum occupaverat, mise- 
runt qui dedicionem auctoritate regia imperarent. 

Que , confisa loci fortitudine armis et victualibus referti, non 
modo contempsit imperium , sed et suos ad resistenciam fortiter 
animavit. Qui superbi admodum et pre multitudine diviciarum 
arrogantes, nuncios cum derisoriis responsis remiserunt. Unde 
moti Gallici indignacione vehementi municipium statuerunt 
impugnare. Et ne res in longum iret et in irritum declinaret, 
mox accitis lignorum peritis cesoribus, quibus et designatum 
fuit de publico honestum salarium, jusserunt instrumenta ob- . 
sidionalia fieri et debite collocari; quod et brevi spacio perac- 
tum est. Constantissime igitur hostes septem ebdomadarum 
spacio assultus potentissime perferentes, per specularia modica 
in muris ad hoc specialiter ordinata sagittas et missilia emitte- 
bant, omnia nocendi percurrentes argumenta, et nil intempta- 
tum relinquentes quod nostris posset nocere. Sed qui machinis 
jaculatoriis preerant et jaculandi periciam erant assequti, in- 
cessanter tantis viribus tantoque cognamine ingencia torque- 
bant saxa, ut muris illisa vel turribus universa concuterent , et 
pene traherent in ruinam. Confractis eciam infra nonnullis edi- 
ficiis, quamplurimos obruebant. Unde eciam quadam die ictu 
ingentis lapidis turricula, in qua filia domine castri jacebat, 
subito corruit, et ipsam interfecit; unde plurimum contristati 
fuerunt et territi oppidani. Inter ceteros quidam erant tanta 
arte in dirigendo machinas et ex eis missos. molares contor- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 277 


feu pour la solde des gens de guerre. Ils se dirigèrent aussitôt vers la 
forteresse , qu'une noble dame occupait comme par droit d'héritage 
depuis prés de trente ans, et la sommérent au nom du roi de se 


rendre. " 


Au lieu d'obéir, la dame, comptant sur la force de la place, qui était 
bien approvisionnée d'armes et de vivres , engagea ses gens à faire une 
vigoureuse résistance, et ceux-ci, partageant sa confiance, répondirent 
aux envoyés avec hauteur et moquerie. Les Francais, irrités de cette 
insulte , se disposérent à attaquer la place. Afin de mieux réussir dans 
leur entreprise et d'abréger le siége, ils firent venir d'habiles char- 
pentiers, et les chargérent, moyennant un honnéte salaire, de con- 
struire et de dresser des machines de siége. Ce travail fut terminé en 
peu de temps. Les ennemis soutinrent courageusement pendant sept 
semaines les attaques des Francais. Ils faisaient pleuvoir sur eux par les 
meurtriéres une gréle de fléches et de traits, n'épargnaut aucun moyen 
de leur nuire et de leur faire tout le mal possible. Mais ceux qui diri- 
geaient les machines de siége et qui avaient appris à les manoeuvrer 
habilement, lancaient avec tant de force d'énormes pierres contre les 
murs et les tours, qu'ils les ébranlaient et menacaient à chaque instant - 
de les détruire de fond en comble. Ils abattirent méme dans l'intérieur 
de la ville plusieurs maisons dont la chute causa la mort d'un grand 
nombre de personnes. Un jour, une énorme pierre étant tombée sur 
une tourelle dans laquelle était couchée la fille de la dame, la tourelle 
sécroula et la jeune fille fut écrasée. Cette circonstance jeta l'épouvante 
et le désespoir parmi les assiégés, qui n'avaient d'ailleurs aucun répit; 
car ceux qui faisaient mouvoir les machines étaient si habiles à lancer 
les pierres, qu'ils atteignaient tout ce qu'on désignait à leurs coups; ils 
battaient continuellement les murs, et ne laissaient point le temps 
d'en réparer les bréches. Aussi les assiégés commencérent-ils à se dé- 
courager. Craiguant que la famine ne les fit à la fin tomber au pouvoir 


278 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI.. 


quendo utebantur, ut quidquid eis pro signo deputaretur, id 
statim sine difficultate contererent. Sic requies obsessis non 
dabatur, quin continue jaculis vexarentur, ne murorum frac- 
turas repararent. Unde animo consternati, et tifnentes ne in 
fine famis oppressi inedia ad manus obsidencium devenirent, 
clam summo diluculo, ante solis exortum, dum adhuc tenebre 
essent, per vicinum mare in parte maxima aufugerunt. Luce 
igitur sequenti , Gallici libere ingredientes dominam et familiam 
repertam jugum redempcionis circa finem junii subire coege- 
runt, et oppidum Guillelmo de Alneto, cui jure hereditario et 
antiquo competebat, reddiderunt. 

Sic oppido capto, irruentibus passim et sine delectu cuneis, 
peniciores domiciliorum penetrant aditus, reserant penetralia; 
facta sunt desiderabilia obsessorum obsidencium preda, et que- 
que speciosa in sortem sibi dividunt spolia. Ibi et reperientes 
habundanciam bonorum, sibi, equis et subjugalibus universis 
pastum benignius indulserunt, ocio simul et alimentis corpora 
. recreantes. Et tandem ad custodiam loci quosdam deputave- 
runt deffensores et redierunt, compatriotis ubique per circui- 
tum a tributo annuo triginta annis perpesso liberatis. 


CAPITULUM IX. 


De dampnosis aquis. 


In superioribus locis Burgundie, ex liquefactione nivium 
aquarum stupendum incrementum solito habundancius emana- 
vit, quod per. montuosos anfractus usque ad Clugniacum pro- 
grediens, dampnum alias inauditum et revera cunctis merito 
lamentabile intulit hiis diebus. Ex proximo namque monte 
aqua vehemens, velut tempestas infinitorum saxorum crepitan- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 279 


de leurs ennemis, ils s'échappérent presque tous de grand matin , avant 
le lever du soleil, vers les derniers jours de juin , et s'enfuirent par mer 
à Ja faveur de l'obscurité. Le lendemain, les Français entrérent libre- 
ment dans la place et la rendirent à Guillaume d'Aulnay, à qui elle 
appartenait par droit d'héritage. Ils mirent à rançon la dame et. ses 
gens qui y étaient restés. | 


Les vainqueurs se répaudirent de tous cótés , forcérent les maisons, 
et pénétrant dans les réduits les plus secrets, s'emparérent de tout 
ce que les habitants avaient de plus précieux et se partagérent au sort 
leurs dépouilles. Ils y trouvérent des vivres en abondance pour eux, 
pour leurs chevaux et leurs bêtes de somme, et s’indemnisèrent lar- 
gement de leurs fatigues et de leurs privations. Ils partirent enfin, 
aprés avoir laissé quelques hommes pour défendre la place et avoir 
délivré tout le pays d'alentour du tribut annuel auquel il était soumis 
depuis trente ans. | 


CHAPITRE 1X. 


Désastres causés par les inondations. 


La fonte des neiges produisit cette année dans la haute Bourgogne 
uue inondation extraordinaire. Les eaux, s'ouvrant un passage à travers 
les gorges des montagnes, se répandirent jusqu’à Cluny et y causèrent 
d'affreux ravages et des dégâts vraiment déplorables. Elles descendi- 
rent des hauteurs voisines avec la violence et le bruit d’un torrent 
impétueux, qui aurait entraîné dans sa course des milliers de cailloux, 
et sapérent en un instant le tiers des murs de la ville. Aprés avoir 


280 CHRRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


eium, instar quoque impetuosorum torrencium violenter erum- 
peus, ville terciam partem murorum subito solo equavit. Eo- 
dem quoque momento, cum sexaginta domos, proc dolor, 
habitatoribus interfectis, evertisset, mox cursu rapido usque 
ad ecelesium Clugniacensem procedens, murum ipsam ambien- 
tem aollidum in parte magna eadem violencia destruxit, reli- 
giosis et aliis aleiora loca petentibus, ne ab aquis vehementibus 
ulimergerentur, Clamores pereuncium dolorosi barbarorum et 
intidelium eciam corda ad condolandum induxissent. Et cum 
omnes. diserimen ultimum sibi adesse crederent, nil in ore eo- 
vum aliud. vesonabat, nisi : « Christe, miserere; Domine, libera 
nus, ne pereamus, » Quorum vota ipse misericors Deus ex 
alto. vespiciens , transactis sexdecim horis, cursum aque reti- 
nuit: et denudata tellure, mortuorum corpora huc illacqe im 
salulis et sib damiciliorum ruinis perquiruntur tradenda eccie- 
3iastiee sepulture. 


CAPITULUM A. 


Uwe mare bowl «t sat actrunte Salper. 


Qa Parme e sant Donar iliam. palla mem Det 
wma dac. post veterem wavalacamerm vehesnenieae amdinr sm 
WAWuv horremda torta. et cmm cborescsoxue weemenmr 
wake talpar proches Tres ORGDRDOS Hier pomnaem ds Ce 
RES tt. et ue Sama preoect Eodem quagur mr 
"rto wl peer de cames et omamsca brachre dextm cola 
era are. Tes corguer rene. Ende scie. qe 
tratens upcen Pecouns rc doom Gomme Aalinn qer trartuns 
ado. YA sube quuiprnipIMICO CHIMTE GgRSIDZHIL IDSAPRER 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 281 


renversé soixante maisons et fait périr ceux qui les habitaient, le tor- 
rent.s'avanca rapidement jusqu'à l'abbaye de Cluny, détruisit en grande 
partie le mur solide qui l'entourait, et forca les religieux et les autres 
habitants du lieu à se réfugier dans les étages les plus élevés pour éviter 
d'étre submergés. Les cris douloureux des mourants auraient touché 
le coeur des barbares mémes et des infidéles. Chacun croyait sa derniére 
heure arrivée, et l'on n'enteudait de tous cótés que ces cris : « Jésus, 
ayez pitié de nous; Seigneur, sauvez-nous de la mort. » Le Dieu de 
miséricorde exauca leurs priéres du haut des cieux. Au bout de seize 
heures, il arréta l'inondation. Lorsque les eaux se furent retirées, 
on chercha cà et là dans les sables et sous les décombres des maisons 
les corps de ceux qui avaient péri, pour leur donner la sépulture 
chrétienne. 


CHAPITRE X. 


Affreux coups de tonnerre ; étranges effets de la foudre. . 


Le 13 juillet, à la suite d'un violent ouragan, on entendit dans les 
environs de Paris et de Saint-Denys d'horribles coups de tonnerre 
accompagnés d'éclairs effroyables. La foudre éclata et abattit sur le 
pont de Charenton trois cheminées qu'elle précipita dans la Seine; elle 
enleva également le chaperon et la manche droite de l'habit d'un pas- 
sant, sans lui faire aucun mal. Quelques instants aprés, elle tomba sur 
Paris, entra par un soupirail dans la maison de monseigneur le dau- 
phin, au moment où il se disposait à faire sa méridieune, et tua dans la 
chambre voisine de la sienne un jeune écuyer de noble famille qu'il 
aimait beaucoup. Le corps de ce malheureux fut intérieurement con- 


sumé ; il ne lui resta que la peau, qui était devenue noire comme du 
in. 36 


982  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB: XXVI. 


juvenem, sibi dilectum scutiferum, interius penitus concrema- 
vit, sola cute integra remanente, sed ad instar carbonum deni- 
grata per totum; eademque subtilitate et imperceptibili impetu 
manicas quorumdam assistencium violenter extorsit et avülsit, 
quosdam eciam graviter vulneravit, et ceteros sic terruit, ut 
quasi semimortui ad terram se procumberent, qui eciam postea 
aliquantis diebus velut infatuati et insensati totaliter perman- 
serunt. Tandem de loco exiens fulgur illud, et aerem fümosum 
et fetidissimum pro vestigiis relinquens, mox alii curiales cum 
aqua benedicta et viris ecclesiasticis illuc accurrentes, dominum 
dalfinum valde territum, nec immerito, repererunt. Quem dul- 
citer consolantes, viros ecclesiasticos per omnes propinquiores 
cameras aquam spargere fecerunt benedictam et divinam cle- 
menciam implorare, ut locum illum cum habitatoribus a malis 
omnibus custodiret. 

Casum admirabilem regina et dux Aurelianis, qui in Sancto 
Germano in Laya manebant, audientes, merito obstupuerunt, 
et inde gracias. egerunt Deo, non solum de incolumitate dal- 
fini, sed quia et eos die precedenti ab ingenti liberaverat dis- 
crimine, quod hic inserere dignum duxi. Cum enim a domo 
illa regali in nemus propinquum ingressi spaciandi gracia, et 
idem dux, subito oborta cum ventis vehementibus inundacione 
pluviarum, coactus esset currum ingredi regine, mox ex dis- 
conveniencia temporis equi efferati et velud rabidi effecti , cursu 
velocissimo et invitis sesseribus versus Secanam tendentes, ibi 
sese cum curru precipitassent, nisi auriga festinanter .....* 
scindisset. | 

Ex hiis infaustis eventibus quidam circumspecti viri presa- 
gientes futura, ausi sunt non solum regine sed et duci proferre 


' ]l manque dans le manuscrit un mot tel que Loru. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI, — LIV. XXVI. : 283 


charbon. Le même coup de foudre, par un effet étrange et soudain, 
déchira et emporta les manches de quelques personnes qui se trou- 
vaient là ; les unes en furent grièvement blessées, les autres tellement 
épouvantées, qu'elles tombérent à terre demi-mortes et restèrent en- 
suite pendant plusieurs jours comme hébétées et privées de raison. La 
foudre, en sortant de la maison , répandit dans l'air une fumée épaisse 
et fétide. Les autres officiers du jeune prince s'empressérent d'accourir 
avec quelques ecclésiastiques. Ayant trouvé monseigneur le dauphin 
saisi d'une vive frayeur, ils le rassurérent par de douces paroles, 
firent jeter de l’eau bénite dans toutes les chambres voisines et priè- 
rent la Providence divine de préserver de tout mal la maison et ses 
habitants. 


La reine et le duc d'Orléans , qui étaient alors a Saint-Germain-en- 
. Laye, apprirent avec un juste étonnement ce qui venait d'arriver. Ils 
rendirent grâces à Dieu non seulement d'avoir sauvé le dauphin , mais 
encore de les avoir la veille délivrés eux-mémes d'un grand danger. Je 
crois devoir faire connaitre ici les circonstances de cet autre accident. 
Ils étaient sortis tous deux pour faire une promenade dans la forét 
voisine, lorsqu'un orage, accompagné de violents coups de vent et de 
torrents de pluie, forca le duc de se réfugier dans la voiture de Sa 
reine. Les chevaux, effrayés par le mauvais temps, s'emportérent et 
se dirigèrent rapidement vers la Seine, malgré les efforts de leurs 
conducteurs. Îls s'y seraient précipités avec la voiture, si le cocher 
n'eüt coupé les traits en toute hâte. 


Quelques personnes sages tirérent de fácheux présages de ces événe- 
meuts sinistres, et osérent méme exprimer librement à la reine et au 
duc la crainte qu'ils avaient de voir bientót fondre sur eux les derniers 
malheurs, en punition de leurs méfaits; car ils s'attiraient les malédic- 


282 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


juvenem, sibi dilectum scutiferum, interius penitus concrema- 
vit, sola cute integra remanente, sed ad instar carbonum deni- 
grata per totum; eademque subtilitate et imperceptibili impetu 
manicas quorumdam assistencium violenter extorsit et avülsit, 
quosdam eciam graviter vulneravit, et ceteros sic terruit, ut 
quasi semimortui ad terram se procumberent, qui eciam postea 
aliquantis diebus velut infatuati et insensati totaliter perman- 
serunt. Tandem de loco exiens fulgur illud, et aerem fümosum 
et fetidissimum pro vestigiis relinquens, mox alii curiales cum 
aqua benedicta et viris ecclesiasticis illuc accurrentes, dominum 
dalfinum valde territum, nec immerito, repererunt. Quem dul- 
citer consolantes, viros ecclesiasticos per omnes propinquiores 
cameras aquam spargere fecerunt benedictam et divinam cle- 
menciam implorare, ut locum illum cum habitatoribus a malis 
omnibus custodiret. 

Casum admirabilem regina et dux Aurelianis, qui in Sancto 
Germano in Laya manebant, audientes, merito obstupuerunt, 
et inde gracias. egerunt Deo, non solum de incolumitate dal- 
fini, sed quia et eos die precedenti ab ingenti liberaverat dis- 
crimine, quod hic inserere dignum duxi. Cum enim a domo 
illa regali in nemus propinquum ingressi spaciandi gracia, et 
idem dux , subito oborta cum ventis vehementibus inundacione 
pluviarum, coactus esset currum ingredi regine, mox ex dis- 
conveniencia temporis equi efferati et velud rabidi effecti , cursu 
velocissimo et invitis sesseribus versus Secanam tendentes, ibi 
sese cum curru precipitassent, nisi auriga festinanter .....* 
scindisset. | 

Ex hiis infaustis eventibus quidam circumspecti viri presa- 
gientes futura, ausi sunt non solum regine sed et duci proferre 


' ]l manque dans le manuscrit un mot tel que lora. 


CHRONIQUE DE CHARLES VL — LIV. XXVI. : 283 


charbon. Le méme coup de foudre, par un effet étrange et soudain, 
déchira et emporta les manches de queiques personnes qui se trou- 
vaient là ; les unes en furent griévement blessées, les autres tellement 
épouvantées, qu'elles tombérent à terre demi-mortes et restèrent en- 
suite pendant plusieurs jours comme hébétées et privées de raison. La 
foudre, en sortant de la maison, répandit dans l'air une fumée épaisse 
et fétide. Les autres officiers du jeune prince s’empressèrent d'accourir 
avec quelques ecclésiastiques. Ayant trouvé monseigneur le dauphin 
saisi d'une vive frayeur, ils le rassurérent par de douces paroles, 
firent jeter de l’eau bénite dans toutes les chambres voisines et prié- 
rent la Providence divine de préserver de tout mal la maison et ses 
habitants. 


La reine et le duc d'Orléans , qui étaient alors a Saint-Germain-en- 
Laye, apprirent avec un juste étonnement ce qui venait d'arriver. Ils 
zendirent grâces à Dieu non seulement d'avoir sauvé le dauphin , mais 
encore de les avoir la veille délivrés eux-mémes d'un grand danger. Je 
crois devoir faire connaître ici les circonstances de cet autre accident. 
His étaient sortis tous deux pour faire une promenade dans la forêt 
voisine, lorsqu'un ‘orage, accompagné de violents coups de vent et de 
torrents de pluie, força le duc de se réfugier dans la voiture de Sa 
reine. Les chevaux, effrayés par le mauvais temps, s'emportérent et 
se dirigèrent rapidement vers la Seine, malgré les efforts de leurs 
conducteurs. Tls s'y seraient précipités avee la voiture, si le cocher 
n'eüt coupé les traits en toute háte. 


Quelques personnes sages tirérent de fácheux présages de ces événe- 
ments sinistres, et osérent méme exprimer librement à la reine et au 
duc la crainte qu'ils avaient de voir bientót fondre sur eux les derniers 
malheurs, en punition de leurs méfaits; car ils s'attiraient les malédic- 


284 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


libere quod timebant ne sibi in brevi ultima discrimina immi- 
nerent, et per justissimam causam, quod de rapinis viventes, nec 
creditoribus satisfacere curantes, omnium regnicolarum male- 
dictiones incurrebant. Quod multi non credidissent, dux hec 
audiens gratanter, hujus mensis decima octava die Parisius, in 
Sancti Dyonisii villa et alibi voce preconia cunctis suis credi- 
toribus intimavit, ut ad dominicam proximam ad domum de 
Doemia venirent, et pro debitis reciperent satisfactionem con- 
dignam; quod tamen a suis ministris minime adimpletum est. 
Ad locum namque predictum cum plus quam octingenti viri ex 
diversis regni partibus convenientes die dicta et sequentibus 
feriis et cedulas obtulissent, non completur verbum ducis, sed 
illud in vulgale proverbium derisorium versum est. Nam qui- 
busdam solucione penitus denegata, alii recedebant mora atte- 
diati nimia; extraneis vero et remocioribus non contentis tercia 
parte debiti, que non sufficiebat ad reditum, et inde murmu- 
rantibus dicebatur ut protinus recederent, quoniam eis debe- 
bat sufficere quod dux ipse memor ipsorum fuisset. Sicque cre- 
ditoribus delusis, ad rapacitatem bonorum alienorum assuetam 
ducis ministri redierunt, ut in curia ipsius dapsilitas prodiga, 


sicut prius, servaretur. 


CAPITULUM XI. 


Dux Aurelianis temptavit regimen capere ducatus Normanie, 


Dux prefatus, ut in regni disponendis arduis aliis ducibus 
auctoritate precellebat, sic et liberius majora ausus agredi, 
aliis inconsultis et suo ductus spiritu regimen et receptam res- 
dituum et proventuum ducatus Normanie sibi soli voluit ven- 
dicare. Quamvis circumspectis viris hoc indecens et insolitum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 287 


seils de ses courtisans qui espéraient trouver par là l'occasion de s’en- 
richir, se mit en route avec une suite brillante afin d'exécuter son 
projet, et détacha en avant quelques uns de ses gens pour sonder les 
dispositions des habitants. Ces envoyés allèrent trouver les comman- 
dants des places fortes du duché, et leur enjoignirent au nom du 
roi d’obéir en toutes choses au duc comme au gouverneur de la pro- 
vince. Les commandants trouvèrent cette injonction illégale ét préju- 
diciable à leurs intérêts, et répondirent tous comme d’an commun 
accord à peu prés en ces termes : « J'ai été préposé par le roi à la 
« garde de cette place; je ne l'abandonnerai et ne la rendrai à aucune 
« personne, quel que soit son rang, à moins que l'ón ne me montre . 
« un ordre spécial du roi qui me révoque de mes fonctions. » 


C'était un. bruit généralement répandu que le duc venait dans la 
province avec l'intention de destituer ceux qui étaient chargés de la 
garde du pays, et d'extorquer de l'argent aux villes et aux villages 
suivant son bon plaisir et malgré les habitants. Ce qui donnait lieu à 
ces conjectures, c'est que le duc, en annoncant son arrivée aux Rouen- 
nais, leur avait ordonné de porter leurs armes au château. Cet ordre 
leur causa un vif déplaisir; aprés en avoir délibéré, ils répondirent 
aux envoyés du duc : « Nous sommes préts à recevoir monseigneur le 
« duc avec tous les égards dus à son rang, mais il ne faut pas qu'il 
« nous óte nos armes; car nous en avons besoin pour la défense de 
« notre ville, qui ne reconnait d'autre souverain que le roi. Si donc on 
« exige que nous les portions au château , nous le ferons , mais à con- 
« dition que nous aurons la liberté d'y entrer et d'en sortir armés de 


« pied en cap. » 


Le duc comprit par cette réponse et par d'autres semblables qu'on 
ne voulait point lui obéir. Se voyant décu dans ses espérances, il re- 
tourna à Paris et avisa aux moyens d'arriver à son but en dépit des 
habitants. Le roi avait été repris de son mal le 9 juin. Vers le mi- 
lieu du mois suivant , lorsqu'il eut recouvré la santé, le duc alla le 


286 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


videretur, et inde regnicole murmurarent, assentatorum tamen 
suorum usus consilio, quibus inde spes suberat ut amplius 
ditarentur, cum comitiva nobili iter agreditur, ut propositum 
adimpleret, premittens tamen qui compatriotarum vota super 
hiis caucius acceptarent. Et hii quidem custodes oppidorum mu- 
nitorum ducatus adeuntes, cum eisdem precepissent auctoritate 
regia ut ipsi duci velut rectori patrie in omnibus obedirent, 
cum eis hoc illicitum videretur et prejudiceri poterat, singuli 
in substancia, et quasi ex uno ore verba procederent, taliter 
responderunt : « Ad custodiam loci auctoritate regia deputatus, 
« illum relinquere vel cuicunque subdere, quacunque auctori- 
«tate premineat, non intendo, nisi mandato prius regió re- 
« cepto de revocacione mencionem faciente. » 

Inter vulgales referebatur publice quod ad id dux veniebat, 
ut, deputatis ad custodiam patrie destitutis, a civitatibus et 
villis ad libitum peccunias extorqueret, invitis compatriotis, et 
id per hoc quod sequitur presagiebant futurum. Nam Rotho- 
magensibus civibus adventum suum significans, intimavit ut 
omnes arma sua ad castrum regium deferrent. Quod tamen 
preceptum impacientissime audierunt, et tandem super hoc de- 
liberacione habita, missis taliter responderunt : « Dominum 
« ducem accedentem optamus honorifice prevenire; ab eo tamen 
« non sumus armis privandi, que ad defensionem civitatis solo 
« regi subdite conservamus. Unde et si illa ad castrum deferre 
« nos opporteat, sic fiet et non alias quod locum ingrediemur et 
« egrediemur libere ad unguem loricati. » 

Per hec et similia responsa dux senciens quod ipsi obedire 
penitus refutabant, fraudatus a desiderio, rediit Parisius, et 
hunc modum adinvenit, ut annuerent inviti quod petebat. Rex 
namque a nona die junii usque ad mensis sequentis medium 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 289 


trouver et parvint par ses instantes priéres à se faire accorder le 
gouvernement du duché; mais le roi ne voulut point lui délivrer 
de lettres patentes sans avoir pris l'avis de son conseil. Il con- 
voqua donc ses conseillers en l'absence du duc. Les opinions furent 
partagées. Les uns se montrérent favorables au duc d'Orléans et cher- 
chérent par toutes sortes de raisons frivoles à soutenir sa prétention; 
les autres au contraire firent entendre hardiment le langage de la vé- 
rité. « Monseigneur, dirent-ils, la Normandie, vous le savez, est la 
« meilleure et la plus fertile province de votre royaume. Il vous im- 
« porte de n'en confier le gouvernement qu'à des agents que vous 
« puissiez révoquer à votre gré. Si le roi votre pére vivait encore, nous 
« croyons qu'il ne le confierait pas à vous-méme , qui étes son fils ainé. 
« Quiconque vous le conseille nous semble agir directement contre 
« vous et contre l'intérét de votre royaume. » 


CHAPITRE XII. 


On prie le roi de veiller à ee que les affaires du royaume soient conduites avec plus 
de prudence. 


Vers le méme temps, de nobles seigneurs, qui avaient toujours 
rempli fidelement leurs devoirs envers le roi, lui conseillérent avec 
franchise et le pressérent instamment de veiller de plus prés au gou- 
vernement du royaume, et de faire en sorte que les affaires publiques 
fussent dirigées plus sagement que par le passé. En effet, la reine et le 
duc d'Orléans, qui, en vertu des droits qu'ils avaient comme les plus 
proches parents du roi, s'arrogeaient l'autorité supréme toutes les 
fois que le roi perdait l'usage de la raison, décidaient beaucoup de 
choses de leur propre mouvement, sans consulter les oncles et les 
cousins du roi ni les autres membres du conseil. En outre, au dire 
des gens de la cour, ils semblaient n'user de leur pouvoir que pour 
accabler le royaume d'impóts onéreux et pour s'enrichir aux dépens 
des habitants , sans s'inquiéter de l'épuisement du trésor royal, qui ne 
suffisait plus aux besoins ordinaires du roi ni aux dépenses jour- 

Hit. 37 


290 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


regali erario sic exhausto peccuniis, quod revera minime suffi- 
ciebat pro rebus familiaribus regiis perquirendis et cotidianis 
expensis. Fuerunt et qui linguas laxantes liberius eos sobolis 
regie curam domesticam referebant negligere. Quod rex moles- 
tius ferens, et veritatem ab ore primogeniti cupiens extorquere, 
ipsi multis affabilibus verbis siscitanti quantum materna oscula 
amplexibus et dulcifluo affatu intermixta distulisset sibi regina 
exhibere, respondit quod per tres menses. 

Testantur tunc assistentes ob tantam incuriam regem ab inti- 
mis cordis ad exteriora signa compassionis progressum. Fideli- 
tatem quoque domicelle ad custodiam filii deputate recommen- 
dans, cum vices matris tanto tempore supplevisset, ipsi vas 
aureum quo vinum hauserat dulciter dono dedit sub hiis ver- 
bis : « Signum aureum capias tuis meritis non dignum, sciens 
« quod, si more solito cure dilectissimi dalfini et educacioni dili- 
« genter insistas, amplius premiaberis, si, vita comite, facultas 
« qua nunc careo michi suppetat. » Ad hoc verbum aulici auda- 
ciores effecti, indignissimum reputaverunt ipsum in diciori 
regno mundi presidere et carere rebus aptis regie dignitàti. 
Unde et eorum consilio acquiescens, in generali consistorio 
lilia deferencium, in quo principaliores et summe auctoritatis 
tunc erant cum regibus Sicilie et Navarre, Aurelianis, Biturie 
et Dorbonii duces, super hiis deliberare decrevit. 


CAPITULUM XIII. 


Domirum ducem Guienne dux Burgundie reduxit Parisius, unde latenter 
eductus fuerat. 


Rex eciam predilecto cognato suo duci Burgundie misit ut 
prefato consilio interesset; qui mandato obtemperare aliquan- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 294 


nalières de sa maison. Quelques personnes méme osérent les accuser 
de négliger ses enfants. Le roi en fut fort irrité; il voulut savoir la 
vérité de la bouche méme de son fils aîné, et lui demanda affectueuse- 
ment depuis combien de temps il était privé des caresses et des em- 
brassements de la reine sa mère : « Depuis trois mois, » répondit le 


dauphin. 


Des personnes qui se trouvaient là m'ont assuré que le roi se montra 
vivement affecté de tant d'indifférence. Il loua la fidélité de la demoi- 
selle qui était chargée de la garde de son fils , et qui lui avait servi de 
mére pendant tout ce temps, lui fit présent d'une coupe d'or dans la- 
quelle il venait de boire , et lui dit avec bonté : « Recevez cette marque 
« de ma reconnaissance , quelque faible qu'elle soit en comparaison de 
« vos services; continuez de veiller avec le méme som à l'éducation 
« de mon fils bien aimé, et je vous récompenserai plus amplement, 
« si Dieu me préte vie et que je puisse mieux qu'aujourd'hui vous 
« témoigner ma gratitude. » Les gens de sa cour, enhardis par ces 
paroles, lui représentérent que c'était chose indigne de voir le souve- 
rain du plus riche royaume du monde manquer de tout ce qui était 
nécessaire à l'éclat de la majesté royale. Le roi, touché de leurs obser- 
vations, résolut d'en délibérer dans un conseil des princes du sang, 
dont les principaux membres furent les rois de Sicile et de Navarre et 
les ducs d'Orléans, de Berri et de Bourbon. : 


CHAPITRE XIII. 


Le duc de Bourgogne raméne à Paris monseigneur le duc de Guienne qu'on avait 


enlevé secrétement. 


Le roi envoya aussi prier son bien aimé cousin le duc de Bourgogne 
de venir audit conseil. Le duc ne put se rendre sur-le-champ à cette 


292 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


tulum distulit , se humiliter excusans, quia tunc amplissima pa- 
rentum suorum dominia fratribus condividebat. Peracta tamen 
divisione, cum, retento sibi Flandrie comitatu, comitatus Re- 
thelii antiquiori, Niverniensis vero juniori distribuisset , statuit 
ut de ipsis homagium fidelitatis regi manualiter exhiberent, 
ad quem tunc et venire statuit cum maximo et inaudito alias 
comitatu. Tendens namque Parisius, secum electum Leodien- 
sem, ex terris sibi subditis plures barones feodales et sex mille 
pugiles loricatos secum habens, terrorem multis non immerito 
incussit, ignorantibus quod hoc de consciencia ducum Francie 
procederet, qui forsitan jam indecenciam futuram in proximo 
previdebant. Hanc non dignum duxi reticendam, cujus procul 
dubio occasione regnum confusionem maximam induisset, nisi 
divina misericordia obstitisset, que persepe ordine recto con- 
cludit que rectis iniciis caruerunt. 

Mentali namque discordia inter majores regni tunc vigente, 
cujus radicem ignoro, cum rex post Assumpcionem beate Marie 
Virginis, ut alias, mente captus fuisset, regina et dux Aurelia- 
nis, ducis prefati adventum audientes, de Parisius inopinate 
Meledunum tendere maturarunt, quasi a persequentis facie 
fugientes. Ipsa eciam regina fratri suo, magistro domus regie, 
ac eciam marescallo Boussicaudo jussit ut, die sequenti, domi- 
num ducem Guyenne dalfinum et fratres ejus cum liberis eciam 
ipsius ducis Burgundie ad eam in manu potenti adducerent, 
sic secrete ut ab aliis consanguineis et civibus Parisiensibus 
eorum ignoraretur recessus. Quamvis lux illa integra intem- 
perata fuerit, et post dira tonitrua ymber prodigus perduraret, 
qui tamen missi fuerant, indecenti obtemperantes mandato 
nec infantulis parcentes, post meridiem, invitis servientibus 
eorum, in navim eos posuerunt, et cum Vittriacum navigio 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 283 


charbon. Le méme coup de foudre, par un effet étrange et soudain, 
déchira et emporta les manches de quelques personnes qui se trou- 
vaient là ; les unes en furent grièvement blessées, les autres tellement 
épouvantées, qu'elles tombérent à terre demi-mortes et restérent en- 
suite pendant plusieurs jours comme hébétées et privées de raison. La 
foudre, en sortant de la maison , répandit dans l'air une fumée épaisse 
et fétide..Les autres officiers du jeune prince s’empressèrent d'accourir 
avec quelques ecclésiastiques. Ayant trouvé monseigneur le dauphin 
saisi d'une vive frayeur, ils le rassurérent par de douces paroles, 
firent jeter de l’eau bénite dans toutes les chambres voisines et prié- 
rent la Providence divine de préserver de tout mal la maison et ses 
habitants. 


La reine et le duc d'Orléans , qui étaient alors à Saint-Germain-en- 
. Laye, apprirent avec un juste étonnement ce qui venait d'arriver. Ils 
rendirent gráces à Dieu non seulement d'avoir sauvé le dauphin , mais 
encore de les avoir la veille délivrés eux-mémes d'un grand danger. Je 
crois devoir faire connaitre ici les circonstances de cet autre accident. 
Ils étaient sortis tous deux pour faire une promenade dans la forét 
voisine, lorsqu'un orage, accompagné de violents coups de vent et de 
torrents de pluie, forca le duc de se réfugier dans la voiture de fa 
reine. Les chevaux, effrayés par le mauvais temps, s'emportérent et 
se dirigérent rapidement vers la Seine, malgré les efforts de leurs 
conducteurs. Tls s'y seraient précipités avec la voiture, si le cocher 
n'eüt coupé les traits en toute háte. 


Quelques personnes sages tirérent de fácheux présages de ces événe- 
ments sinistres, et osérent méme exprimer librement à la reine et au 
duc la crainte qu'ils avaient de voir bientót fondre sur eux les derniers 
malheurs, en punition de leurs méfaits ; car ils s'attiraient les malédic- 


284 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


libere quod timebant ne sibi in brevi ultima discrimina immi- 
nerent, et per justissimam causam, quod de rapinis viventes, nec 
creditoribus satisfacere curantes, omnium regnicolarum male- 
dictiones incurrebant. Quod multi non credidissent, dux hec 
audiens gratanter, hujus mensis decima octava die Parisius, in 
Sancti Dyonisii villa et alibi voce preconia cunctis suis credi- 
toribus intimavit, ut ad dominicam proximam ad domum de 
Doemia venirent, et pro debitis reciperent satisfactionem con- 
dignam; quod tamen a suis ministris minime adimpletum est. 
Ad locum namque predictum cum plus quam octingenti viri éx 
diversis regni partibus convenientes die dicta et sequentibus 
feriis et cedulas obtulissent, non completur verbum ducis, sed 
illud in vulgale proverbium derisorium versum est. Nam qui- 
busdam solucione penitus denegata, alii recedebant mora atte- 
diati nimia; extraneis vero et remocioribus non contentis tercia 
parte debiti, que non sufficiebat ad reditum, et inde murmu- 
rantibus dicebatur ut protinus recederent, quoniam eis debe- 
bat sufficere quod dux ipse memor ipsorum fuisset, Sicque cre- 
ditoribus delusis, ad rapacitatem bonorum alienorum assuetam 
ducis ministri redierunt, ut in curia ipsius dapsilitas prodiga, 
sicut prius, servaretur. 


CAPITULUM XI. 


Dux Aurelianis temptavit regimen capere ducatus Normanie. 


Dux prefatus, ut in regni disponendis arduis aliis ducibus 
auctoritate precellebat, sic et liberius majora ausus agredi, 
aliis inconsultis et suo ductus spiritu regimen et receptam res- 
dituum et proventuum ducatus Normanie sibi soli voluit ven- 
dicare. Quamvis circumspectis viris hoc indecens et insolitum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 285 


tions de tout le royaume en vivant de rapines et en refusant de satis- 
faire leurs créanciers. Contre l’attente généralé, le duc accueillit ces 
remontrances avec faveur, et le 48 du méme mois il fit publier par 
la voix du héraut, à Paris, à Saint-Denys et ailleurs, que tous ses 
créanciers eussent à se présenter le dimanche suivant en son hôtel de 
Bohéme, et qu'il acquitterait ce qu'il devait à chacun d'eux. Plus de 
huit cents personnes arrivérent de tous cótés au lieu désigné et se pré- 
sentérent au jour dit et les jours suivants avec leurs titres de créance. 
Mais les promesses du duc restérent sans effet; ses gens, au lieu de 
payer les créanciers, ne firent que se moquer d'eux. Les uns essuyérent 
un refüs péremptoire, les autres se retirérent fatigués des retards 
qu'on leur opposait. Quant aux étrangers et à ceux qui étaient venus 
de pays lointains , on offrit de leur payer le tiers de l'argent qui leur 
était dà ; ce qui n'aurait pas suffi pour les frais de leur retour. Comme 
ils en témoignaient leur mécontentement par des murmures, on leur 
enjoignit de partir sur-le-champ en leur disant qu'ils devaient s'estimer 
heureux que le duc eût bien voulu se souvenir d'eux. Les gens du duc, 
aprés avoir ainsi trompé ses créanciers , recómmencérent à prendre 
a discrétion le bien d'autrui, pour subvenir, comme auparavant, aux 
dépenses et aux prodigalités du prince. 


CHAPITRE XI. 


Le duc d'Orléans veut prendre le gouvernement du duché de Normandie, 


Le duc d'Orléans, qui ayant la principale autorité dans le gouverne- 
ment du royaume , donnait un plus libre cours à son ambition, vou- 
lut sans consulter personne et de son propre mouvement s'approprier 
le gouvernement et les revenus du duché de Normandie. Les gens 
sages trouvérent cette prétention étrange et injuste, et les habitants 
du royaume en murmurérent. Néanmoins le duc, poussé par les con- 


286 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


videretur, et inde regnicole murmurarent, assentatorum tamen 
suorum usus consilio, quibus inde spes suberat ut amplius 
ditarentur, cum comitiva nobili iter agreditur, ut propositum 
adimpleret, premittens tamen qui compatriotarum vota super 
hiis caucius acceptarent. Et hii quidem custodes oppidorum mu- 
nitorum ducatus adeuntes, cum eisdem precepissent auctoritate 
regia ut ipsi duci velut rectori patrie in omnibus obedirent, 
cum eis hoc illicitum videretur et prejudiceri poterat, singuli 
in substancia, et quasi ex uno ore verba procederent, taliter 
responderunt : « Ad custodiam loci auctoritate regia deputatus, 
« illum relinquere vel cuicunque subdere, quacunque auctori- 
«tate premineat, non intendo, nisi mandato prius regió re- 
« cepto de revocacione mencionem faciente. » 

Inter vulgales referebatur publice quod ad id dux veniebat, 
ut, deputatis ad custodiam patrie destitutis, a civitatibus et 
villis ad libitum peccunias extorqueret, invitis compatriotis; et 
id per hoc quod sequitur presagiebant futurum. Nam Rotho- 
magensibus civibus adventum suum significans, intimavit .ut 
omnes arma sua ad castrum regium deferrent. Quod tamen 
preceptum impacientissime audierunt, et tandem super hoc de- 
liberacione habita, missis taliter responderunt : « Dominum 
« ducem accedentem optamus honorifice prevenire; ab eo tamen 
« non sumus armis privandi, que ad defensionem civitatis solo 
« regi subdite conservamus. Unde et si illa ad castrum deferre 
«nos opporteat, sic fiet et non alias quod locum ingrediemur et 
« egrediemur libere ad unguem loricati. » | 

Per hec et similia responsa dux senciens quod ipsi obedire 
penitus refutabant, fraudatus a desiderio, rediit Parisius, et 
hunc modum adinvenit, ut annuerent inviti quod petebat. Rex 
namque a nona die junii usque ad mensis sequentis medium 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 287 


seils de ses courtisans qui espéraient trouver par là l'occasion de s’en- 
richir, se mit en route avec une suite brillante afin d'exécuter son 
projet, et détacha en avant quelques uns de ses gens pour sonder les 
dispositions des habitants. Ces envoyés allérent trouver les comman- 
dants des places fortes du duché, et leur enjoignirent au nom du 
roi d'obéir en toutes choses au duc comme au gouverneur de la pro- 
vince. Les commandants trouvèrent cette injonction illégale ét préju- 
diciable à leurs intéréts, et répondirent tous comme d'nn commun 
accord à peu prés en ces termes : « J'ai été préposé par le roi à la 
« garde de cette place; je ne l'abandonnerai et ne la rendrai à aucune 
« personne, quel que soit son rang, à moins que l'ón ne me montre . 
« un ordre spécial du roi qui me révoque de mes fonctions. » 


C'était un bruit généralement répandu que le duc venait dans la 
province avec l'intention de destituer ceux qui étaient chargés de la 
garde du pays, et d'extorquer de l'argent aux villes et aux villages 
suivant son bon plaisir et malgré les habitants. Ce qui donnait lieu à 
ces conjectures, c'est que le duc, en annonçant son arrivée aux Rouen- 
nais , leur avait ordonné de porter leurs armes au château. Cet ordre 
leur causa un vif déplaisir; aprés en avoir délibéré, ils répondirent 
aux envoyés du duc : « Nous sommes préts à recevoir monseigneur le 
« duc avec tous les égards dus à son rang, mais il ne faut pas qu'il 
« nous óte nos armes; car nous en avons besoin pour la défense de 
« notre ville, qui ne reconnait d'autre souverain que le roi. Si donc on 
« exige que nous les portions au cháteau , nous le ferons , mais à con- 
« dition que nous aurons la liberté d'y entrer et d'en sortir armés de 
« pied en cap. » | 


Le duc comprit par cette réponse et par d'autres semblables qu'on 
ne voulait point lui obéir. Se voyant décu dans ses espérances, il re- 
tourna à Paris et avisa aux moyens d'arriver à son but en dépit des 
habitants. Le roi avait été repris de son mal le 9 juin. Vers le mi- 
lieu du mois suivant , lorsqu'il eut recouvré la santé, le duc alla le 


288 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


morbo laboraverat consueto. Ad quem, sospitate recuperata, 
dux accedens, vallidis precibus impetravit ut sibi regimen con- 
cederetur ducatus; litteras tamen inde noluit tradere inconsul- 
tus. In absencia inde ducis consiliarios evocans , cum facta esset 
votorum dissonancià, quibusdam faventibus dicto duci et fri- 
volis racionibus approbantibus requestam, fuerunt tamen qui 
veritati adherentes ad propositum libere sic intulerunt : « Do- 
« mine, cum Normania pocior et uberior pars regni sit, sicut 
« nostis, summe vobis cavendum est ne ipsius alicui commitatis 
«regimen nisi ministris regiis deponendis ad nutum. Nam si 
« adhuc genitor vester viveret, adhuc vobis primogenito suo illud 
« non commisisset, ut credimus, et revera quicunque hoc vobis 
« consulit, directe agere videtur contra vos et commodum regni 
« vestri. » | | 


CAPITULUM XII. 


Rex sollicitatur ut regnum solito prudencius regeretur. 


Isto eodem tempore, decuriones insignes, qui stare consue- 
verant in solito fidelitatis fundamento, regi instancius solito 
absque erubescencie velo et publice suadebant ut, regni mode- 
ramini studiosius insistens , deinceps ardua contingencia dispo- 
nerentur salubrius quam jam exactis diebus. Auctoritatem hanc 
regina Francie et ipse dux Aurelianis sibi assumebant, quo- 
ciens mentem regiam tenebris ignorancie obnubilari contin- 
gebat, nec inde redarguendi, cum ipsi regi propinquiores existe- 
rent; sed multa deliberabant proprio ducti spiritu, avunculis 
ipsius et cognatis et aliis ejus consiliariis inconsultis. Iterum, 
regiis aulicis referentibus, ad hoc solum videbantur presidere, 
ut regnicolarum jugo tributario agravato opum acervi sin- 
gulares ex eorum substancia sibi suppeterent , nec curantes de 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 289 


trouver et parvint par ses instantes prières à se faire accorder le 
gouvernement du duché; mais le roi ne voulut point lui délivrer 
de lettres patentes sans avoir pris l'avis de son conseil. Il con- 
voqua donc ses conseillers en l'absence du duc. Les opinions furent 
partagées. Les uns se montrérent favorables au duc d'Orléans et cher- 
chérent par toutes sortes de raisons frivoles à soutenir sa prétention; 
les autres au contraire firent entendre hardiment le langage de la vé- 
rité. « Monseigneur, dirent-ils, la Normandie, vous le savez, est la 
« meilleure et la plus fertile province de votre royaume. Il vous im- 
« porte de n'en confier le gouvernement qu'à des agents que vous 
« puissiez révoquer à votre gré. Si le roi votre père vivait encore, nous 
« croyons qu'il ne le confierait pas à vous-méme , qui étes son fils ainé. 
« Quiconque .vous le conseille nous semble agir directement contre 
« vous et contre l'intérét de votre royaume. » 


CHAPITRE XII. 


On prie le roi de veiller à ee que les affaires du royaume soient conduites avec plus 
de prudence. 


Vers le méme temps, de nobles seigneurs, qui avaient toujours 
rempli fidèlement leurs devoirs envers le roi, lui conseillérent avec 
franchise et le pressérent instamment de veiller de plus prés au gou- 
vernement du royaume, et de faire en sorte que les affaires publiques 
fussent dirigées plus sagement que par le passé. En effet, la reine et le 
duc d'Orléans, qui, en vertu des droits qu'ils avaient comme les plus 
proches parents du roi, s'arrogeaient l'autorité supréme toutes les 
fois que le roi perdait l'usage de la raison, décidaient beaucoup de 
choses de leur propre mouvement, sans consulter les oncles et les 
cousins du roi ni les autres membres du conseil. En outre, au dire 
des gens de la cour, ils semblaient n'user de leur pouvoir que pour 
accabler le royaume d'impóts onéreux et pour s'enrichir aux dépens 
des habitants , sans s'inquiéter de l'épuisement du trésor royal, qui ne 
suffisait plus aux besoins ordinaires du roi ni aux dépenses jour- 


HI. 37 


290 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


regali erario sic exhausto peccuniis, quod revera minime suffi- 
ciebat pro rebus familiaribus regiis perquirendis et cotidianis 
expensis. Fuerunt et qui linguas laxantes liberius eos sobolis 
regie curam domesticam referebant negligere. Quod rex moles- 
tius ferens, et veritatem ab ore primogeniti cupiens extorquere, 
ipsi multis affabilibus verbis siscitanti quantum materna oscula 
amplexibus et dulcifluo affatu intermixta distulisset sibi regina 
exhibere, respondit quod per tres menses. 

Testantur tunc assistentes ob tantam incuriam regem ab inti- 
mis cordis ad exteriora signa compassionis progressum. Fideli- 
tatem quoque domicelle ad custodiam filii deputate recommen- 
dans, cum vices matris tanto tempore supplevisset, ipsi vas 
aureum quo vinum hauserat dulciter dono dedit sub hiis ver- 
bis : « Signum aureum capias tuis meritis non dignum, sciens 
« quod, si more solito cure dilectissimi dalfini et educacioni dili- 
« genter insistas, amplius premiaberis, si, vita comite, facultas 
« qua nunc careo michi suppetat. » Ad hoc verbum aulici auda- 
ciores effecti, indignissimum reputaverunt ipsum in diciori 
regno mundi presidere et carere rebus aptis regie dignitati. 
Unde et eorum consilio acquiescens, in generali consistorio 
lilia deferencium, in quo principaliores et summe auctoritatis 
tunc erant cum regibus Sicilie et Navarre, Aurelianis, Biturie 
et Borbonii duces, super hiis deliberare decrevit. 


CAPITULUM A11lI. 


Domicum ducem Guienne dux Burgundie reduxit Parisius. unde latenter 
eductus foerat. 


Rex eciam predilecto cognato suo duci Burgundie misit ut 
prefato consilio interesset: qui mandato obtemperare aliquan- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 294 


nalières de sa maison. Quelques personnes méme osérent les accuser 
de négliger ses enfants. Le roi en fut fort irrité; il voulut savoir la 
vérité de la bouche même de son fils aîné, et lui demanda affectueuse- 
ment depuis combien de temps il était privé des caresses et des em- 
brassements de la reine sa mère : « Depuis trois mois, » répondit le 


dauphin. 


Des personnes qui se trouvaient là m'ont assuré que le roi se montra 
vivement affecté de tant d'indifférence. Il loua la fidélité de la demoi- 
selle qui était chargée de la garde de son fils , et qui lui avait servi de 
mère pendant tout ce temps, lui fit présent d'une coupe d'or dans la- 
quelle il venait de boire , et lui dit avec bonté : « Recevez cette marque 
« de ma reconnaissance , quelque faible qu'elle soit en comparaison de 
« vos services; continuez de veiller avec le méme soin à l'éducation 
« de mon fils bien aimé, et je vous récompenserai plus amplement, 
« si Dieu me préte vie et que je puisse mieux qu'aujourd'hui vous 
« témoigner ma gratitude. » Les gens de sa cour, enhardis par ces 
paroles , lui représentérent que c'était chose indigne de voir le souve- 
rain du plus riche royaume du monde manquer de tout ce qui était 
nécessaire à l'éclat de la majesté royale. Le roi, touché de leurs obser- 
vations, résolut d'en délibérer dans un conseil des princes du sang, 
dont les principaux membres furent les rois de Sicile et de Navarre et 
les ducs d'Orléans, de Berri et de Bourbon. : 


CHAPITRE XIII. 


Le duc de Bourgogne raméne à Paris monseigneur le duc de Guienne qu'on avait 


enlevé secrètement. 


Le roi envoya aussi prier son bien aimé cousin le duc de Bourgogne 
de venir audit conseil. Le duc ne put se rendre sur-le-champ à cette 


292 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


tulum distulit , se humiliter excusans, quia tunc amplissima pa- 
rentum suorum dominia fratribus condividebat. Peracta tamen 
divisione, cum, retento sibi Flandrie comitatu, comitatus Re- 
thelii antiquiori, Niverniensis vero juniori distribuisset, statuit 
ut de ipsis homagium fidelitatis regi manualiter exhiberent, 
ad quem tunc et venire statuit cum maximo et inaudito alias 
comitatu. Tendens namque Parisius, secum electum Leodien- 
sem, ex terris sibi subditis plures barones feodales et sex mille 
pugiles loricatos secum habens, terrorem multis non immerito 
incussit, ignorantibus quod hoc de consciencia ducum Francie 
procederet, qui forsitan jam indecenciam futuram in proximo 
previdebant. Hanc non dignum duxi reticendam, cujus procul 
dubio occasione regnum confusionem maximam induisset, nisi 
divina misericordia obstitisset, que persepe ordine recto con- 
cludit que rectis iniciis caruerunt. 

Mentali namque discordia inter majores regni tunc vigente, 
cujus radicem ignoro , cum rex post Assumpcionem beate Marie 
Virginis, ut alias, mente captus fuisset, regina et dux Aurelia- 
nis, ducis prefati adventum audientes, de Parisius inopinate 
Meledunum tendere maturarunt, quasi a persequentis facie 
fugientes. Ipsa eciam regina fratri suo, magistro domus regie, 
ac eciam marescallo Boussicaudo jussit ut, die sequenti, domi- 
num ducem Guyenne dalfinum et fratres ejus cum liberis eciam 
ipsius ducis Burgundie ad eam in manu potenti adducerent, 
sic secrete ut ab aliis consanguineis et civibus Parisiensibus 
eorum ignoraretur recessus. Quamvis lux illa integra intem- 
perata fuerit, et post dira tonitrua ymber prodigus perduraret, 
qui tamen missi fuerant, indecenti obtemperantes mandato 
nec infantulis parcentes, post meridiem, invitis servientibus 
eorum, in navim eos posuerunt, et cum Vittriacum navigio 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 293 


invitation et s'excusa humblement sur ce qu'il était occupé à partager 
avec ses frères le vaste patrimoine dont ils avaient hérité. Après avoir 
terminé ce partage, en gardant pour lui le comté de Flandre et lais- 
sant à l’aîné de ses frères le comté de Réthel et au plus jeune le comté 
de Nevers, il résolut de leur faire prêter foi et hommage entre les mains 
du roi, et se disposa à venir à Paris avec une suite très nombreuse. 
Il amena avec lui l’évêque élu de Liége, plusieurs barons féodaux des 
pays de son obéissance et six mille hommes armés de pied en cap. 
Son arrivée causa une juste épouvante à tous ceux qui ignoraient que 
cela se fit de concert avec les autres princes du sang, et qui prévoyaient 
peut-étre le scandale qui se préparait. Je n'ai pas cru devoir passer 
sous silence un événement dont les suites seraient sans doute devenues 
pour le róyaume l'occasion des plus grands troubles, sans l'interven- 
tion de la miséricorde divine, qui déjoue souvent les plus mauvais 
desseins. 


Des divisions dont j'ignore la cause régnaient alors parmi les 
grands du royaume, et le roi venait d'éprouver une rechute aprés la 
féte de l'Assomption de la bienheureuse Vierge Marie. La reine et le 
duc d'Orléans, en apprenant l'arrivée du duc de Bourgogne, quit- 
térent tout à coup Paris et prirent en toute háte la route de Melun, 
comme pour se soustraire à la poursuite d'un ennemi. La reine or- 
donna au grand-maître de la maison du roi, qui était son frère, et au 
maréchal Boucicault de lui amener secrétement le lendemain sous 
bonne escorte monseigneur le duc de Guienne, dauphin de France, 
ainsi que ses fréres et les enfants du duc de Bourgogne, et de faire en 
sorte que les autres princes du sang et les Parisiens ignorassent leur 
départ. Malgré le mauvais temps qui dura toute la journée, malgré 
les torrents de pluie qui ne cessérent de tomber à la suite de grands 
coups de tonnerre , les émissaires de la reine accomplirent leur odieuse 
mission. Ils se saisirent des jeunes princes dans l’après-midi, en dépit 
des efforts de leurs serviteurs, et les transportérent sans pitié dans une 


294 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


pervenissent, eos in curru usque ad Villam Judeam perduxe- 
runt, ubi dominus dux ipsa nocte requievit. 

Memini me tam subiti raptus racionem quesisse; sed michi 
super hoc miranti ab hiis qui regni archana noverant respon- 
sum est, ut sic pro presencia domini dalfini regina et ipse dux 
audaciores effecti, licencius novis exactionibus populum pre- 
gravarent. Quod utique complevissent, ut creditur, nisi dux 
Burgundie obviasset. Jam jamque villam de Luparis attige- 
rat, cum regem iterum egrotare audivit, et dominum ducem 
Guyenne sic indecenter sublatum. Qui inde dolore tactus, mox 
equo velocissimo vectus cum modico comitatu qui eum sequi 
potuit, per Parisius transiens, multis inde stupentibus, currere 
laxis habenis non cessavit, donec ipsum ducem apud Gyvesi 
attigit, qui apud Poulliaci castrum ducebatur, ubi ipsum regina 
ad prandium expectabat. Tunc, ut erat, totus aspersus pulvere, 
ad dalfinum accedens, et depenso debite salutacionis affatu, 
dulciter peciit quo tendebat, et paucis interpositis verbis, cum _ 
ipsi siscitanti si ultra progredi vellet respondisset quod redire 
malebat, inde dux letus effectus conducentibus currum jussit 
redire Parisius. Mandatum moleste tulit frater regine tunc pre- 
sens, servientibus prohibens ne verbis obtemperarent sub pena 
indignacionis sororis incurrende. Sed dux prefatus, in propo- 
sito persistens, jussit suis militibus ut per aliquod spacium 
supplerent vices eorum, libera voce concludens : « In conspectu 
omnium quibus placebit videre reducetur. » 

Regina vero et dux Aurelianis, qui apud Poulliacum erant, 
hoc audientes terrentur, credentes quod mox ad eos dux Bur- 
gundie accelerare deberet. Quapropter relicto ibi prandio jam 
parato, sine mora Meledunum tendere maturarunt, inordinate 
tamen et cum confuso comitatu. Nam ipsis non expectatis, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LiV. XXVI. 295 


barque, qui les conduisit jusqu'à Vitry; de là ils allérent en carrosse 
à Villejuif, oà monseigneur le duc de Guienne passa la nuit. 

Je me souviens d'avoir demandé la cause de cet enlévement subit, 
qui m'étonnait beaucoup. Ceux qui étaient initiés aux secrets de l'État 
me répondirent que la reine et le duc d'Orléans voulaient s'autoriser 
de la présence de monseigneur le dauphin pour accabler plus facile- 
ment le peuple de nouvelles exactions. lls auraient sans doute mis 
leur projet à exécution, si le duc de Bourgogne ne s'y füt opposé. Il 
venait d'arriver à Louvres, lorsqu'il apprit la rechute du roi et le 
scandaleux enlèvement de monseigneur le duc de Guienue. Cette nou- 
velle lui causa un vif dépit. Il partit à cheval en toute háte avec une 
suite peu nombreuse, traversa Paris sans s'arréter, à la grande surprise 
des habitants, et courut à bride abattue sur les traces du dauphin, que 
la reine attendait pour diner au château de Pouilly. Il l'atteignit à 
Juvisy, et se présenta à lui encore tout couvert de poussière. Après 
lui avoir offert ses salutations respectueuses, il lui demanda affectueu- 
sement oü il allait et le pria de lui dire s'il voulait continuer sa route. 
Le dauphin ayant répondu qu'il aimait mieux retourner sur ses pas, 
le duc de Bourgogne tout joyeux ordonna à ceux qui conduisaient le 
carrosse de le ramener à Paris. Le frére de la reine, qui se trouvait là, 
voulut s'opposer à l'exécution de cet ordre, et leur défendit d'obéir 
sous peine d'encourir la colére de sa soeur. Mais le duc de Bourgogne; 
persistant dans sa résolution, enjoignit aux gens de sa suite de prendre 
pour quelque temps les rénes, et dit hautement : « On le raménera, 
et cela en présence de tous ceux qui voudront le voir. » 


La reine et le duc d'Orléans, qui étaient à Pouilly, furent frappés 
d'épouvante à cette nouvelle, et crurent que le duc de Bourgogne 
allait se mettre immédiatement à leur poursuite. Ils laissérent le diner 
qu'on leur avait préparé, et partirent sans plus tarder pour Melun 
avec leur suite dans le plus grand désordre. Le maréchal Boucicault 
monta à cheval sans les attendre, et fut le premier à prendre la fuite. 


s 


296 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


marescallus Boussicaudus cum veloci dextrario primus fugam 
arripiens, eumdem dominus de Ripparia sequtus est, et inde 
curiales sic celeriter et divisi ac si fugerent impetum fulguris 
choruscantis. 

Dux autem Burgundie appropinquans Parisius, ut jam con- 
dictum fuerat , Sicilie et Navarre reges cum Biturie et Borbonu 
ducibus, armati sicut et ipse, sibi obviam perrexerunt, qui do- 
minum dalfinum per villam Parisiensem usque ad castrum 


regium Lupare perduxerunt, portas ejus a loricatis ad unguem 
jubentes custodiri. 


CAPITULUM XIV. 


Dux Burgundie proponi fecit in consilio principum ut regnum solito melius 
regeretur. 


Nulli ambiguum erat quin prosequcionem illam dux Aure- 
lianis velut summam ignominiam temptaret modis omnibus vin- 
dicare; poterant et exinde aliqui scandalizari. Quapropter dux 
Burgundie obtinuit ut die sequenti veneris in Palacio regali 
et consistorio publico facti occasio ad longum recitaretur. Ibi 
dominus dalfinus sedem regiam tenuit, coastantibus a leva 
multis de regio sanguine procreatis, ac prelatis ecclesiasticis a 
sinistra. Nec ibidem defuerunt cum consiliariis regiis rector 
alme Parisiensis Universitatis, atque in utroque jure multi doc- 
tores et magistri. In omnium presencia dux ipse erga dominum 
dalfinum peciit et impetravit ut quidam famosissimus orator 
nomine Johannes de Nieles de comitatu Attrabatensi oriundus 
pro ipso loqueretur. Quo concesso, facunde et luculenti ser- 
mone substancialiter intulit que sequuntur : 

« Serenissime princeps, ad vestram excellenciam vestri obse- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 297 


Messire de La Rivière le suivit, ainsi que les autres seigneurs, qui s'en- 
fuirent et se dispersérent de tous côtés, comme s'ils étaient menacés 
de la foudre. 


Le duc de Bourgogne, en approchant de Paris, trouva les rois de 
Sieile et de Navarre et les ducs de Berri et de Bourbon, qui étaient 
venus en armes à sa rencontre, ainsi qu'il avait été convenu entre 
eux. Ils traversérent la ville avec monseigneur le dauphin et le con- 
duisirent au cháteau du Louvre, dont ils firent garder les portes par 


des gens armés de pied en cap. 


CHAPITRE XIV. 


Le duc de Bourgogne fait exposer au conseil des princes la nécessité de réformer 
le gouvernement de l'État, 


Il était à croire que le duc d'Orléans chercherait à se venger de ce 
procédé comme d'une insulte faite à sa personne, et méme quelques 
personnes pouvaient en étre scandalisées. En conséquence, le duc de 
Bourgogne obtint que dés le lendemain, qui était un vendredi, le 
conseil s'assemblát au Palais et qu'on y exposát tout au long ce qui 
venait de se passer. Monseigneur le dauphin y tint la place du roi, 
ayant les princes du sang à sa droite et les prélats à sa gauche. On 
remarquait aussi avec les conseillers du roi le recteur de la vénérable 
Université de Paris et un grand nombre de professeurs et de docteurs 
en droit civil et en droit canon. Le duc de Bourgogne demanda en 
présence de tous à monseigneur le dauphin qu'un fameux orateur, 
nommé Jean de Nieles, originaire du comté d'Artois, prit la parole 
en son nom. Cette permission ayant été accordée, l'orateur, dans un 
. long et éloquent discours, s'exprima à peu prés en ces termes : 


« Prince sérénissime, vos dévoués serviteurs, le duc de Bourgogne, 
"n 58 


298 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


« quiosi in cunctis dux Burgundie, par Francie et decanus pa- 
« rium, comes Flandrie et Artesià, ac eciam comes de Retelio, 
« Insule castellanus et baro de Donsiaco, necnon amborum fra- 
« ter comes Niverniensis domini mei accesserunt proloquuturi 
« cum correctione et supportacione benigna omnium assisten- 
« cium que sequntur. Et primo mente recognoscentes fideliter 
« quod, quamvis omnes regnicole commodum et honorem ma- 
« Jestatis regie promovere naturaliter teneantur, et cito inno- 
« tescere si quid contra attemptatum fuerit, ad id tamen specia- 
« lius credunt obligari de regio sanguine procreatos et qui sub 
«corona regia sua tenent dominia; quo titulo prefati domini 
« non immerito gloriantur. Ad id ultra jam tractata connubia 
« obligaciores eos reddunt, attendentes quam graciose, quam 
« dulciter majestas regia, humilitati domini ducis Burgundie 
« condescendens, decrevit ut dominus dux Guyenne insignisque 
« soror ejus filie atque genito dicti ducis matrimonio jungan- 
«tur. Ad memoriam eciam prefati domini reducentes quanto 
« zelo ipsis eorum genitor dive memorie commendaverit hono- 
« rem regis et regni, dum laborabat in extremis, hinc est quod, 
« ne per fictam dissimulacionem iram divinam incurrant, que 
« contra ipsum honorem fiunt et in detrimentum regni excel- 
« lencie vestre sub articulis quatuor insinuare dignum ducunt. 

«Propter primam personam regiam attendentes, dicunt 
« quod ipsi de competenti custodia nec obsequio corporali de- 
« bite non providetur, ut diucius in sospitate perduret; qua 
« eciam assequta, in consiliis ab eo celebratis sepe sub fictis 
«coloribus de dampno ejus tractatur. Ipsi eciam regiarum 
« opum avidi competitores assistunt, qui qualemcunque repul- 
«sam indignantissime perferunt, quorum eciam importunitate 
« vestimentis, jocalibus, vasis aureis et argenteis regius status 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 299 


«x pair de France et doyen des pairs, comte de Flandre et d'Artois, le 
<« comte de Réthel, chátelain de Lille et baron de Donzy, et leur 
<< frère le comte de Nevers, mes maîtres, en se présentant devant votre 
«« grandeur, demandent la permission d'exposer ce qu'ils ont à dire, 
«« et réclament la bienveillance de tous les assistants. Fidélement con- 
«« vaincus que, si tous les habitants du royaume sont tenus naturelle- 
<< ment de défendre les intéréts et l'honneur de la majesté royale et 
«« de donner promptetnent connaissance de tout ce qui pourrait être 
«« fait à l'enoontre, cette obligation est imposée particulièrement à 
«« ceux qui, comme lesdits seigneurs s'en glorifient à juste titre, sont 
«« issus du sang royal et tiennent leurs domaines de la couronne, ils se 
«« croient encore plus étroitement astreints à ce devoir et par les 
«« mariages déjà stipulés, et par la bonté toute particuliére avec la- 
« quelle le roi a daigné souscrire aux voeux de monseigneur le duc de 
«« Bourgogne, en décidant que monseigneur le duc de Guienne et son 
« illustre sœur seraient unis à la fille et au fils dudit duc. Lesdits sei- 
« gneurs se rappellent aussi avec quel zèle leur père de pieuse mémoire 
« leur a recommandé, à ses derniers moments, l'honneur du roi et 
« du royaume. C'est pourquoi, ne voulant point encourir la colère 
« divine par un silence déloyal, ils croient devoir révéler à votre 
« grandeur ce qui se fait contre l'honneur du roi et au détriment du 
« royaume, et vous exposer leurs griefs en quatre articles. 


« Ils font d'abord observer, en ce qui concerne la personne du roi, 
« qu'on ne place point auprés de lui une garde sullisante, et qu'on ne 
« lu; donne point les soins nécessaires pour qu'il reste long-temps en 
« bonne santé. Souvent aussi, lorsqu'il a recouvré la raison, on traite 
« sous de vains prétextes, dans les conseils tenus par lui, de beau- 
« coup d'affaires qui tournent à son désavantage. Il est entouré d'une 
« foule de gens avides de ses trésors, qui ne peuvent supporter aucun 
« refus, et qui à force d'importuuités le dépouillent de tout, véte- 
« ments, joyaux, vases d'or et d'argent; et le peu qui lui reste est 


300 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 
« privatur, paucis dumtaxat exceptis, que pre inopia domesti- 
« carum rerum sepius impignorantur. Aulicis et officiariis re- 
«giis vilipensis, salaria debita eis sepius denegantur, nec de 
«statu persone regie neglecto penitus sive liberorum ejus ausi 
« sunt verbum aliquod proferre. | 

« Ad articulum secundum, excellentissime princeps, trans- 
« eundo et ad justiciam, omnium dominiorum fundamentum 
« principale, aspectum habentes, domini mei dicunt quod hec 
«antiquum regnum famosum et gloriosum reddebat; nam ad 
«ipsam exercendam eligebantur viri ydonei, ad quod nunc 
« donis et precibus quasi omnes promoventur. Et cum sic ma- 
« gis fautoribus suis quam regi astricti se teneant, diminuun- 
« tur ejus jura et resditus in scandalum et displicenciam om- 
« nium regnicolarum. | | 

« Tercio, ipsis visum est quod regni domanium principale 
« pessime gubernatur; nam resditibus et proventibus in parte 
« maxima diminutis, castra, edificia regia, nemora quoque et 
« stanna ruinam et demolicionem ubique paciuntur. 

« Quarto, dicunt quod viri ecclesiastici a judicibus regiis 
« multipliciter gravantur ; ab armatis viris eorum mobilia sepius 
« rapiuntur, nisi mox redempta peccunia; unde pluries vacare 
« nequeunt divino servicio, cum victualia sibi desint. Sub pre- 
«textu imminencium guerrarum nobiles sepius evocati non 
« remunerantur debite; unde sepius res familiares vili vendi- 
« cioni exponunt, nec suos resditus commode percipiunt prop- 
« ter onera gravia que suis subditis imponuntur. Plebs com- 
«munis notorie prodicioni exponitur per exactores regios, 
« populus intollerabiliter vexatur a quibusdam abjectissimis pre- 
« donibus, qui jam multis annis per regnum grassati fuerunt; 
«sine occasione quacunque bona ejus rapiuntur, timentque 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 30! 


«« sans cesse mis en gage pour subvenir à ses besoins. On n'a aucun 
«« soin des gens et officiers de sa maison, et on leur refuse souvent le . 
«« salaire qui leur est dà ; cependant ils n'osent proférer une plainte 
«« sur l'abandon déplorable dans lequel on laisse la personne du roi 
<< et celle de ses enfants. 


« En second lieu, excellent prince, lesdits seigneurs font remar- 
«« quer que la justice, qui est le principal fondement de tout pou- 
«« voir, a jusqu'à présent contribué à la réputation et à la gloire de 
«« l'ancien royaume de France, parce que l'on choisissait toujours des 
«« gens capables pour l'administrer; mais aujourd'hui on arrive aux 
«« fonctions judiciaires par l'intrigue et la corruption. Il en résulte 
«« qu'on se montre plus attaché à ses protecteurs qu'au roi, et que les 
«« droits et les revenus de la couronne sont amoindris chaque jour, au 
« grand scandale et mécontentement de tout le royaume. 


« Il leur semble, en troisiéme lieu, que le domaine royal est trés 
« mal administré. Les produits et les revenus en sont considérable- 
« ment diminués; les cháteaux, les maisons royales, ainsi que les 
« foréts et les étangs qui en dépendent sont partout dans un état de 
« ruine et de dégradation. 
« Quatriémement, ils se plaiguent de ce que les membres du clergé 
«« sont en butte à mille persécutions de la part des juges royaux. Leur 
«« mobilier est pillé par les gens de guerre, toutes les fois qu'ils ne le 
«« rachétent point à prix d'argent. Aussi arrive-t-il qu'ils ne peuvent 
«« vaquer au service divin, parce qu'ils manquent du nécessaire. Sous 
«« prétexte d'une guerre imminente, on convoque souvent les nobles, 
«« sans les indemniser convenablement de leurs dépenses. lls se voient 
«« alors obligés de vendre leurs biens à vil prix, et ne peuvent jouir de 
« leurs revenus à cause des charges accablantes qu'on fait peser sur 
« leurs sujets. Le menu peuple est notoirement trahi par les exac- 
« teurs royaux, et cruellement opprimé par d'infámes brigands, qui 
« infestent le royaume depuis plusieurs années ; ses biens sont mis au 
« pillage à tout propos, et les seigneurs mes maitres craignent de 


302 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. - 


« domini mei divinam vindictam proximo affuturam , nisi super 
« excessibus debite provideatur. 
« Equidem cunctis notum est jam a multis lustris ex: regni- - 
« colarum substancia collectas peccunias ad expugnandum hos- 
«tes regni, idque neglectum, quamvis a tempore Philippi, 
« Johannis, Karoli, illustrissimorum regum, et hucusque. non 
« desierunt regnum atque ejus benivolos inquietare pro posse. 
« Addunt et eciam moleste perferendum regem suum Ri- 
« chardum ob fedus connubii filie regis regno Francie umi- 
«cum nequiter extinxisse, uxoremque indecenter remisisse, 
«et hoc anno Guienne, Britannie, Flandrie et Picardie ma- 
« ritimis littoribus intollerabilia dampna intulisse. Exinde non 
« persuadent ut contra eos pretermitatur guerra mota, sed ut 
« continuetur vallidius solito, cum instet opportunitas Gallicis 
« et materiam habeant adipiscendi virtutem et occupandi quid- 
« quid possident in regno, interim dum in se ipsis divisi Soo- 
«tos et Walenses adversarios habent in vicino. Ad id eciam 
« competentes peccunie videntur suppetere, annuis attentis 
« subsidiis et duabus collectis generalibus bis hoc anno impo- 
« sitis, a dicioribus quoque regnicolis ac prelatis accommodatis 
« peccuniis sub pretextu agrediendi hostes regni. Et cum ex 
« hiis peccuniis perpauce fuerint anno elapso exposite, multe 
.«restant in erarium regium reponende et ad hunc usum, non 
« alicubi, applicande; alias, murmure orto in plebe, inde com- 
«mocio periculosa, quam Deus avertat, sequi posset, inde 
« multis indignantibus merito, cum viderent ex tanto thesauro 
« nullum inde commodum subsequutum. | 
.« Hec excellencie vestre, serenissime princeps, proponunt 
«domini mei in favorem regie majestatis, cum non possint 
« prolata equanimiter tollerare, ne inconveniencia dicta et alia 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 303 
« voir bientôt éclater la colère divine, si l’on ne met un terme à 
« CES excès. 


« Chacun sait que depuis nombre d'années on ruine les habitants 
« en impôts, sous prétexte de combattre les ennemis du royaume, et 
« qu'on ne les combat point, bien que depuis le régne des illustres 
rois Philippe, Jean et Charles ils n'aient cessé d'infester de tout 
« leur pouvoir le royaume et les terres de nos alliés. Lesdits seigneurs 
« ajoutent qu'il faut demander raison aux Anglais de ce qu'ils ont 
« méchamment mis à mort leur roi Richard en haine de son union 
« avec la France et de son mariage avec la fille du roi, indignement 
« renvoyé leur reine, et causé cette année méme de notables dom- 
« mages sur les cótes de Guienne, de Bretagne, de Flandre et de 
« Picardie. Ils pensent donc que, loin de ralentir les hostilités, il 
« faut les poursuivre avec plus de vigueur que jamais , que le moment 
« est favorable pour les Français, et qu'ils peuvent signaler leur vail- 
« lance et reconquérir tout ce que leurs ennemis possédent en France, 
« pendant que l'Angleterre est divisée, et qu'elle a: à ses portes de 
« redoutables ennemis, les Écossais et les Gallois. On doit tronver 
« des ressources suffisantes pour cette expédition dans les subsides 
« annuels, dans les deux tailles générales levées cette année, et dans 
« les sommes prétées par les plus riches habitants et les prélats sous 
« prétexte de combattre les ennemis du royaume. Comme il n'a été 
« dépensé l'année derniére qu'une tres petite partie de ces sommes, 
« il en reste sans doute assez dans le trésor royal, et on ne doit pas 
« les appliquer à un autre usage; sinon, le peuple en murmurerait. 
« De justes mécontentements et des soulévements funestes pourraient 
« éclater, ce qu'à Dieu ne plaise, si l'on voyait que tant de trésors 
« n'ont produit aucun fruit. 


= 


« Telles sont, prince sérénissime, les considérations que mes 
« maîtres soumettent à votre grandeur, dans l'intérét de la majesté 
« royale, parce qu'ils ne peuvent voir de sang-froid ce qui se passe, 


« et que, si l'on n'y apportait remède, il pourrait s'ensuivre tous les 


em 


304 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


« non excogitata sequantur ob defectum remedii. Hec eciam 
« promovendo non intendunt aliquem vituperare nec preponi 
«in regni regimine, sed incurrere indignacionem Dei nimia 
« taciturnitate timent, et erga regem et regnum fidelitatis jura- 
« mentum cupiunt observare. Supplicant igitur ut obviando 
« predictis inconvenientibus, circumspecti viri, integre fame 
«et non suspecti, qui fideliter consulant, eligantur, quibus 
« obtemperetur in omnibus ; ad quod offerunt corpora sua, 
« amicos et mobilia, nec intendunt recedere, donec super hiis 
« provideatur, et ea que proposuerunt per regnum fuerint 
« publicata. » 

Ultra omnia pretacta orator ille insignis dixit mirandum 
non esse si armatus dux Burgundie venerat et pugnatoribus 
comitatus, maxime cum rege consenciente hoc fecisset, ut 
corpus proprium custodiret, cum sciret se in regno multos 
habere odiosos; nec crederent armatos pugilles ad nocendum 
adduxisse, sed ut tempore opportuno se pro rege, regno ac 
villa Parisiensi exponerent, scientes quod, quidquid egerat, 
fuerat de domini ducis Guyenne et lilia deferencium consilio et 
assensu. 

Cum verbis finem fecisset, dominus de Sancto Georgio, 
insignis baro de comitatu Burgundie, assurrexit, et audiencia 
adepta : 

« Excellentissime, inquit, princeps, quia multi obloquutores 
« me crimen lese majestatis asserunt incurrisse, ex quo assen- 
« sum et consilium prebui in prosequucione ista domino meo 
« duci, cum correctione omnium assistencium, hiis perempto- 
«rie dico, quod in cunctis actibus meis fidelitatem servans 
« crimen aliquod non commisi, et si appareat contradicens, 
« contra eum monomachiam offero corporalem. » 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 305 


inconvénients qu'ils ont signalés, et d'autres encore qu'on ne saurait 
prévoir. Ils n'ont l'intention de blámer personne et ne cherchent 
point à étre appelés au gouvernement du royaume ; ils ont craint 
seulement d'eucourir la colére de Dieu par un plus long silence, et 
ils ont voulu tenir leur serment de fidélité envers le roi et le royaume. 
Ils vous supplient donc d'obvier auxdits inconvénients en placant 
à la téte des affaires des hommes prudents, des conseillers fidèles, 
« d'une réputation pure et sans tache, revétus d'une autorité abso- 
lue. Pour cela ils mettent à votre disposition leurs personnes, leurs 
amis et leurs biens, et sont résolus à ne point se retirer, jusqu'à 
ce qu'on ait pourvu à toutes ces choses, et que leurs propositions 
aient été publiées par tout le royaume. » 


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L'illustre orateur ajouta qu'il ne fallait point s'étonner si le duc de 
Bourgogne était venu en armes et avec une suite de gens .de guerre, 
attendu que c'était du consentement du roi, et afin de veiller à sa dé- 
fense persounelle; car il n'iguorait pas qu'il avait beaucoup d'ennemis 
dans le royaume. Ce n'était point dans des vues hostiles qu'il avait 
amené avec lui tant d'hommes d'armes, c'était pour protéger au 
besoin le roi, le royaume et la ville de Paris. En un mot, il n'avait 
rien fait que par le conseil et avec l'assentiment de monseigueur le 
duc de Guienne et des princes du sang. 


Aprés cette harangue, le sire de Saint-Georges, illustre baron du 
comté de Bourgogne, se leva et prit la parole : 


« Trés excellent prince, dit-il, certaines gens prétendent que je me 
« suis rendu coupable du crime de lése-majesté, en prétant aide et 
« conseil à monseigneur le duc en cette circonstance. Je maintiens 
« hautement, avec la. permission de l'assemblée, que je suis toujours 
« resté fidéle à mes devoirs, et que je n'ai commis aucun crime, et 
« si quelqu'un veut soutenir le contraire, je le défie en combat singu- 
« lier. » 


nr. | 90 


306 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


Et hec dicens, more solito, projecit ad pedes dueis cyro- 
tecam, aliquandiu expectans si eam levare aliquis ausus esset. 
Cum domino Cabilonensi fuerunt et alii milites de predicto 
comitatu, qui similia proferentes eadem signa monomachie 
projecerunt. Quibus tamen cancellarius Francie silencium 
auctoritate domini ducis imposuit, dicens opus tunc non esse 
ut tractaretur super istis. 


CAPITULUM XV. 


Villa Parisiensis cathenis fortificatur ferreis. 


Interim dum hec aguntur, de multis partibus regni pugna- 
torum agmina, auctoritate regia, dux Aurelianis statuerat evo- 
care, sepius repetens inter domesticos suos, quod mori pocius 
corporaliter optabat, quam tantam ignominiam regine ac sibi 
factam sine vindicta pertransire. Quod reliqua pars audiens, 
in Picardiam, Britaniam et Normaniam direxit, qui aucto- 
ritate regia hiis qui introitus regni custodiebant preciperent 
ne a locis discederent; in civitatibus vero et villis muratis 
regni eadem auctoritate juberent ne forciores se intromitterent 
in ipsis, cujuscunque auctoritatis aut preeminencie essent. Non 
diligencia minori, ut dux Aurelianis, dux eciam Burgundie 
undique armatas conciones evocabat. Et quia tunc inter eos 
vigere odium inexpiabile videbatur, a circumspectis viris time- 
batur ne divisionem principum, in detrimentum regni, guer- 
rarum discrimina sequerentur. Ob hoc unusquisque mentem 
vertens ad salutem propriam, dux Biturie, ut in domo sua de 
Nigella tutus' resideret, ante introitum ejus ex lignis dolatilibus 
licias erigi craticulatas precepit, ex quibus gladii et catapulte 


' Var. : n° 5959, fol. 28 r., tucius. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 307 


Cela dit, le sire de Saint-Georges jeta son gant aux pieds du duc de 
Guienne, et attendit quelque temps qu'on osát le relever. Le sire de 
Châlons et quelques autres chevaliers dudit comté tinrent le méme 
langáge et donnérent également leur gage de bataille. Mais le chan- 
celier de France leur imposa silence au nom de monseigneur le dau- 
phin, en disant que ce n'était pas le moment de vider de telles que- 
relles. 


CHAPITRE XV. 


On tend des chaines de fer dans les rues de Paris. 


Pendant ce temps, le duc d'Orléans avait rassemblé au nom du roi 
des gens de guerre de toutes les parties du royaume. Il ne cessait de 
dire à ses familiers qu'il aimerait mieux mourir que de laisser sans 
vengeance l'insulte qui lui avait été faite à lui'et à la reine. Ceux de 
son parti, instruits de cette résolution, envoyérent de la part du roi 
aux troupes préposées à la garde des frontiéres en Picardie, en Bre- 
tagne et en Normandie l'ordre de ne point quitter leur poste. Ils firent 
également enjoindre aux cités et aux villes closes de ne point rece- 
voir dans leurs murs des personnages trop puissants, quels que 
fussent leur rang et leur autorité. Le duc de Bourgogne ne mettait pas 
moins d'empressement que le duc d'Orléans à rassembler de tous 
cótés des gens de guerre. Ces deux princes semblaient animés l'un 
coutre l'autre d'une haine implacable, et les gens sages craignaient 
que leur division n'engendrát des guerres qui seraient funestes au 
royaume. Chacun songeait donc à sa propre süreté. Le duc de Berri 
fortifia son hótel de Nesle, et fit établir devant la porte une herse au 
travers de laquelle on pouvait se défendre à coups d'épée et lancer des 
traits contre ceux qui voudraient forcer l'entrée. Le duc de Bour- 
gogue fit aussi placer des portes de bois dans toutes les rues qui se 
trouvaient aux alentours de sa maison, et en confia la garde pendant la 
nuit à des arbalétriers. Cinq cents hommes étaient chargés de faire 


308 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


emitti valerent in eos qui violenciam inferre conarentur. Dux 
eciam Burgundie, in cunctis vicis propinquis, qui domus sue 
procinctam ambiebant, portas ligneas construxit, que a balis- 
tariis de nocte custodirentur, ad custodiam suorum quingentos 
viros statuens armatos, qui prima vigilia noctis, et totidem qui 
reliquas excubias persolventes noctem ducerent insompnem. 

Inde Parisienses burgenses pavore nimio consternati, cum 
penitus ignorarent quid tam particulares custodie portende- 
rent, quosdam summe auctoritatis elegerunt , qui ducem Biturie 
adeuntes quererent quid eis agendum esset in tanta vicissitu- 
dine rerum. Consilio super hoc celebrato, cum rege Navarre 
duces alii et consiliarii regis unanimiter consenserunt, ut dein- 
ceps dux Biturie, domini ducis Guyenne curam sumens, ville 
eciam Parisiensis capitaneus diceretur et custos. Qui mox om- 
nes portas urbis cláusas tenere precepit, Sanctorum Jacobi, 
Dyonisii, Martini et Honorii dumtaxat exceptis, quas tamen 
auctoritate regia jussit diligentissime custodiri. Adhibito eciam 
novo militum delectu ad custodiam domini ducis, claves oppidi 
Sancti Ántonii a magistro hospicii regis Johanne de Monte 
Acuto repeciit, quarum custodiam domino Sancti Georgii regia 
auctoritate commisit. Utque civitas forcior et securior rede- 
retur, civibus evocatis eadem auctoritate precepit, ut omnes 
armis sufficienter ad resistendum adversariis se munirent, cathe- 
neque fabricarentur ferree, que per vicos tenderentur, si emer- 
gerent sedicionum novi motus. Opus utique tam sumptuosum 
tamque grave, circumspectorum judicio, plures menses requi- 
rebat; quod tamen octo dierum spacio completum, sexcentis 
cathenis et amplius fabrefactis. Nam cunctis ferrariis ville sub 
pena peccuniali emende prohibitum est ne ad aliud vacarent, 
donec opus complevissent. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 309 


des rondes pendant la premiére partie de la nuit et cinq cents autres 
pendant la seconde. 


Les bourgeois de Paris, effrayés de tous ces préparatifs de défense, 
et ne sachant pas ce que cela présageait, députérent vers le duc de 
Berri quelques uns des plus notables habitants, pour lui demander ce 
qu'il y avait à faire dans une telle conjoncture. ll y eut un conseil à 
ce sujet. Le roi de Navarre, les ducs et les autres conseillers déciderent 
unanimement que le duc de Berri serait chargé de veiller sur la per- 
sonne de monseigneur le duc de Guienne, et nommé capitaine et 
gouverneur de la ville de Paris. Le duc ordonna aussitót qu'on tint 
fermées toutes les portes de la ville, excepté celles de Saint-Jacques, de 
Saint-Denys, de Saint-Martin et de Saint-Honoré, qu'il fit cependant 
garder soigneusement au nom du roi. Il placa une nouvelle garde de 
gentilshommes auprés de monseigneur le dauphin pour veiller à sa dé- 
fense, retira au grand-maître de la maison du roi, Jean de Montaigu, 
les clefs du fort Saint-Antoine et les remit au nom du roi à messire de 
Saint-Georges '. Voulant aussi fortifier la. ville et pourvoir à la süreté 
des habitants , il enjoignit à tous les bourgeois de se munir d'armes 
en quantité suffisante pour résister à toute attaque, et de forger des 
chaînes de fer, que l'on tendrait dans les rues en cas d'émeute et de 
sédition. Un travail si considérable et si coüteux devait, au dire des 
gens du métier, durer plusieurs mois. Cependant tout fut achevé dans 
l'espace de huit jours, et plus de six cents chaînes de fer furent for- 
gées. On défendit sous peine d'amende à tous les serruriers de la ville 
de vaquer à aucune autre besogne, jusqu'à ce que celle-ci füt ter- 
minée *. 


' Monstrelet dit au contraire que la bas- qui avaient été enlevées aux bourgeois de 
tille Saint-Antoine fut confiée à la garde de Paris et déposées au Louvre, lors de la sédi- 
Jean de Montaigu. tion des Maillotins, leur furent rendues sur 

* Suivant Monstrelet, les chaînes de fer la demande du duc de Bourgogne. 


310 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VI. 


CAPITULUM XVI. 


Ad tractandum de pace inter duces nuncii mittuntur. 


Interim dum hec aguntur, dux Burgundie, promissi non 
immemor, quod per oratorem suum proponi fecerat litteris 
statuit annotare, quarum copie ad civitates regni mitterentur, 
ut sciretur si quid irreprehensibile continebant, et si contenta 
in ipsis approbabant. In margine uniuscujusque cedule scrip- 
tum erat : « Hec sunt que duces Burgundie, de Brebanto. ac Ni- 
« verniensis comes fratres intendebant domino nostro regi expo- 
« nere, et que in absencia sua exponi fecerunt domino duci 
« Guyenne filio suo primogenito, rege Navarre, ducibus Biturie 
« et de Borbonio, necnon et multis aliis de domo Francie pre- 
« sentibus cum consiliariis regiis. » Sic autem ad regem dirige- 
bant verba sua : « Johannes dux Burgundie et Antonius de 
« Burgundia dux de Brebanto ac Philippus Niverniensis comes, 
« vestri humiles subditi et obedientes in cunctis. » Ad longum 
tamen cedulam, ne attediarem lectorem, non dignum duxi scri- 
bendam; sed certum est quod quidquid proponi fecerant con- 
tinebat. | 

Que omnia cum rex Navarre, domini duces et regis consi- 
liarii approbassent tanquam racionabilia et juri consona, et 
super hiis venerandam Universitatem "Parisiensem consuluis- 
sent et burgenses, omnes sigillatim, quasi ex uno ore vox pro- 
cederet, responderunt, quod sic dux honorem et commodum 
regni procurabat. Ex tunc extitit ordinatum ut dux Borbo- 
niensis, ducem Aurelianis nepotem suum adiens, ipsum benigne 
alloquendo demulceret et itidem supplicaret, ne in detrimen- 
tum regni subsidiarios armatos evocaret, et reginam Parisius 


CHRONIQUE DE CHARLES VI.— HIV. XXVI. 341 


CHAPITRE XVI. 


Négociations pour rétablir la paix entre les ducs. 


Cependant le duc de Bourgogne, fidéle à sa promesse, fit rédiger 
sous forme de lettre ce que Jean de Nieles avait exposé, et résolut 
d'en envoyer copie en son nom aux villes du royaume, afin de savoir 
si elles y trouvaient quelque chose à redire ou si elles en approu- 
vaient le contenu. En marge de chaque cédule étaient écrits ces mots : 
« Telles sont les remontrances que le duc de Bourgogne et ses fréres 
« le duc de Brabant et le comte de Nevers voulaient faire à notre 
« sire le roi, et qu'en son absence ils ont fait exposer à monseigneur 
« le duc de Guienne son fils ainé, au roi de Navarre, aux ducs de Berri 
« et de Bourbon ainsi qu'aux autres princes de la maison: de France, 
« en présence du conseil du roi. » Elles étaient adressées au roi et 
commençaient ainsi : « Jean duc de Bourgogne, Antoine de Bour- 
« gogne, duc de Brabant, et Philippe comte de Nevers, vos trés 
« humbles et trés obéissants sujets, etc. » Je ne crois point devoir les 
mentionner tout au long, de peur de fatiguer le lecteur '. Je me con- 
tenterai de dire qu'elles reproduisaient toutes leurs propositions. 


Le roi de Navarre, messgigneurs les ducs et les conseillers du roi 
approuvérent toutes ces choses comme justes et raisonnables. La véné- 
rable Université et les bourgeois de Paris furent consultés à ce sujet et 
répondirent unanimement que le duc travaillait par là à l'honneur 
età l'intérét du royaume. Il fut donc convenu que le duc de Bour- 
bon irait trouver son neveu le duc d'Orléans, qu'il chercherait à 
l'apaiser par de douces paroles et le supplierait de ne point lever de 
gens de guerre au préjudice du royaume, et de laisser revenir la reine 


' Ces remontrances se trouvent tout entières dans Monstrelet. 


312 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. - 


redire permitteret. Summum bonum in regno reputabatur du- 
cum mutua concordia. Ad quod erga divinam clemenciam cicius 
assequendum, cum Parisiensi Universitate clerus universus 
ville, augusti penultima die, statuit fieri processionem genera- 
lem; ibique narratum fuit quomodo dux Burgundie ad regni 
commodum laborabat, et quod omnes ipsum recommendatum 
haberent. Consequenter idem ecclesie beati Dyonisii venerabilis 
conventus, beatorum Thome appostoli et Ludovici regis secum 
deferens * devotissime peregit. 

Qua die dux Borboniensis rediens, in consistorio principum 
se verba ventis dedisse retulit, et nepotem intractabilem penitus 
reperisse. Repulsam in consilio audierunt circumspecti, et atten- 
dentes quod ad vindicandas injurias affectuose anhelabat, ite- 
rum ipsum ducem cum comite de Tancarvilla ad eum luce se- 
quenti remiserunt, qui que pacis sunt offerrent, rogantes ut cum 
regina redire dignaretur Parisius; sed ipsis quam antea durius 
dedit responsum. Cum sic nec cor saxeum ducis posset lenibus 
verbis * emolliri, et quidam legaciones mutuas dignum ducerent 
cessare, rogantibus tamen illis ad quorum nutum omnium sen- 
tencia dependebat, et qui concordiam amplius appetebant, ad 
ipsum ducem iterum qui redierant dominus Ludovicus rex 
Sicilie reduxit. Rem posse finem consequi peroptatum ob regie 
dignitatis auctoritatem credebant. Ad quod et rector Universi- 
tatis Parisiensis, alme matris, doctores sollempniores et magis- 
tri legatos multis precibus pulsaverunt, qui eciam audientes 
ducem adventum eorum benigne recepisse, inox illuc adierunt, 
ut multiplicatis intercessoribus ad pacem cicius pervenirent. 


' I est nécessaire, pour compléter le * Le mot verbis, emprunté au n° 5959, 
sens, de supposer dansle manuscrit l'omis- fol. 29 r., manque dans le n* 5958. 
sion d'un mot tel que reliquias. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 313 


à Paris. On regardait le rétablissement de la bonne harmonie entre les 
ducs comme le plus grand bien qui püt arriver à l'État. Pour obtenir 
ce bienfait de la clémence divine, tout le clergé de Paris fit, de concert 
avec l'Université, une procession solennelle l'avant-dernier jour du 
mois d'aoüt. Il fut préché au peuple que le duc de Bourgogne travail- 
lait à l'intérét du royaume, et que chacun devait l'avoir pour recom- 
mandé dans ses priéres. Les vénérables religieux de l'abbaye de Saint- 
Denys firent aussi, dans le méme but, une procession où ils portérent 
les reliques de l'apótre saint Thomas et du roi saint Louis. 


Le méme jour, le duc de Bourbon revint à Paris et annonca dans le 
eonseil des princes que toutes ses paroles avaient été inutiles , et qu'il 
avait trouvé son neveu intraitable. Les plus sages d'entre les conseillers, 
voyant que le duc d'Orléans persistait dans ses projets de vengeance, 
invitérent le duc de Bourbon à retourner vers lui le lendemain avec 
le comte de Tancarville, pour lui faire de nouvelles propositions de 
paix , et le supplier de daigner revenir à Paris avec la reine. Ces ou- 
vertures furent repoussées avec plus de hauteur que les premiéres. 
Comme on ne pouvait vaincre son obstination par la douceur, quel- 
ques personnes pensérent qu'il n'était point à propos d'envoyer de 
nouvelles députations. Cependant, sur la demande des personnages les 
plus influents qui avaient vivement à coeur le rétablissement de la con- 
corde, monseigneur Louis, roi de Sicile, offrit de retourner auprès 
du duc avec les mémes ambassadeurs. On croyait qu'en raison de l'au- 
torité que lui donnait son titre de roi il réussirait mieux que les autres 
dans cette affaire. Le recteur de la véuérable Université de Paris 
ainsi que les principaux docteurs et maitres priérent instamment les- 
dits ambassadeurs d'accepter cette mission, et lorsqu'ils apprirent que 
le duc les avait favorablement accueillis, ils se rendirent eux-mêmes 
auprès de lui, dans l'espérance que, plusil y aurait d'intercesseurs, plus 
on arriverait promptement à la conclusion de la paix. Mais leur voyage 
à Melun fut sans résultat. La reine refusa de les entendre ; quant au 
duc , il ne leur accorda audience que pour se moquer de leurs avis; il 
reprit de point en point leurs arguments, les réfuta habilement en fran- 

II. 40 


314 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


Frustra tamen tunc Meledunum pecierunt. Nam penes reginam 
audiencia denegata, cum eam dux concessisset, persuasiones 
eorum velut fabulas reputans, et ipsas articulatim repetens, 
hystoriis multis et racionibus prudentissime verbis gallicis con- 
futavit, finaliterque concludens : « Sicut, inquit, nec in casu 
« fidei ad consilium milites non evocaretis, sic nec in casibus 
« bellicis debetis vos immiscere. Recedentes igitur, studendo 
«ministerium vestrum debite compleatis, quoniam , et si filia 
« regis Universitas vocetur, tamen de regimine regni ipsam in- 
« tromittere non decet. » Indignacionis ardore vehementer estua- 
bat; nec diu post, ipsi Universitati, duci Biturie, dominis ca- 
mere compotorum et Parlamenti patentes litteras misit, statuens 
ut Palacio, camera, Parlamento, Castelleto regiis, die sequenti, 
publice legerentur. Cedulam ducis Burgundie articulatim im- 
probando, reginam asserebat et se ipsum in reductione domini 
ducis Guyenne summam ignominiam pertulisse, rogans omnes 
fideles regis subditos ut ad ipsam vindicandam sibi consilium 
ferrent et juvamen. 

Scribere quam diffuse quantisque racionibus usus sit in supra- 
dictis apicibus, quamque diffusius dux Burgundie causam suam 
justam et racionabilem asseruerit, longum esset et hystorie com- 
pendio, quod studiose quero, valde contrarium. Et ideo, hiis 
omissis, generalia prosequar. 

Cum rex Sicilie Ludovicus multis diebus temptasset pacificum 
tractatum componere inter duces, et videret se, ut alios, in 
vanum laborare, nunciis et apicibus ducem Biturie rogavit ut 
Meledunum ob hoc personaliter accederet; nam sperabat nego- 
cium posse per eum perfici, cum esset amborum ducum pa- 
truus, et omnes aurea lilia deferentes antiquitate et auctoritate 
precelleret. Post festum igitur Nativitatis beate Marie, locum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 315 


çais par beaucoup de raisons et de citations historiques , et termina son 
discours par ces mots: « Dans une question de foi, vous ne prendriez 
« sans doute point conseil d'une assemblée de chevaliers; de méme, 
« dans une question de guerre, ce n'est pas vous qu'il est à propos 
« de consulter. Retournez donc à vos écoles, et renfermez-vous dans 
« les limites de votre ministére. Bien que l'Université soit appelée la 
« fille du roi, il ne lui appartient pas d'intervenir dans le gouverne- 
« ment du royaume. » La colére du duc était au comble. Quelque temps 
après , il adressa des lettres patentes à l'Université, au duc de Berri, 
à la chambre des comptes et au Parlement , et ordonna que ces lettres 
fussent lues publiquement le jour suivant au Palais, à la chambre, au 
Parlement et au Châtelet. Il y réfutait , article par article, la cédule du 
duc de Bourgogne, déclarait que la reine et lui avaient été vivement 
offensés de ce qu'on avait ramené monseigneur le duc de Guienne à 
Paris, et invitait tous les fidèles sujets du roi à lui préter aide et assis- 
tance pour venger cette injure. 


Il serait trop long d'énumérer ici toutes les raisons exposées dans 
lesdites lettres et celles par lesquelles le duc de Bourgogne soutenait la 
justice et le bon droit de sa cause; ce serait contraire à la briéveté 
dont je me suis fait une loi. Je me contenterai de raconter les prin- 
cipaux faits. 


Le roi de Sicile Louis , aprés avoir essayé pendant plusieurs jours de 
faire conclure un traité de paix entre les ducs, voyant que ses efforts 
n'avaient pas plus de succés que ceux des autres, écrivit au duc de 
Berri pour le prier de venir à Melun en personne. Il espérait que le duc, 
qui était l'oncle des deux. princes, et le premier de la famille royale 
par l'áge etle rang, pourrait parvenir à opérer un rapprochement. Le 
duc de Berri partit pour Melun aprés la féte de la Nativité de la sainte 
Vierge ; il parla en faveur du duc de Bourgogne, et déclara hautement 


316 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


petens et duci Burgundie favens, libere protulit quod quic- 
quid egerat erga dominum ducem Guyenne, non sine assensu 
existencium de domo Francie fecerat, audaciamque nepotis 
temeritati ascribens, addidit quod sibi vires non suppetebant 
ad prosequendum intentum. Modeste tamen monuit ut, resi- 
piscens ab inceptis, armatorum copias licenciaret regno damp- 
nosas, Parisius reginam adduceret, concludens in finalibus : 
« Alias, inquit, liliis quotquot insigniuntur aureis vos tenebunt 
« pro adversario publico. » Sed ad hoc, ut veraci relacione cog- 
novi, nichil aliud respondit nisi : « Qui bonam causam, habet, 
eam bene custodiat. » 


CAPITULUM XVII. 


De expedicione laudabili Karoli de Savoseyo. 


Miles inclitus Karolus de Savoseyo, verecundia motus, ut 
creditur, ob ignominiam sibi ab Universitate anno exacto 
illatam , amplius more solito nolens ocio marcessere, hiis diebus 
in adversarios regni miliciam statuit exercere ad probitatis 
titulum acquirendum. Cum duabus namque galeis pugilibus et 
balistariis munitis periculosos districtus sancti Mathei trans- 
iens, vicesima quarta die augusti, ad portum de Hirbrac in Bri- 
tannia applicuit, ubi nonnullos Hyspanos in armis repperit 
navium ibidem stacionem habentes, qui et eodem affectu sicut 
et ipse movebantur. Tunc cum capitaneo habito colloquio, 
hunc induxit ut assumptis secum tribus galeis armatis latera- 
liter et hostiliter pro posse anglicana littora perlustrarent. Sic- 
que de communi consensu mox loco cedentes, et vento flante 
secundo, die sequenti, quod optabant a longe conspexerunt. 
Jamque dies vergebat ad vesperum. Ideo ne perciperentur et 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. — 347 


que sa conduite à l'égard de monseigneur le duc de Guienne avait 
recu l'approbation de tous les princes du sang. Il taxa de témérité 
l'entreprise de son neveu, et lui fit entendre qu'il ne disposait pas de 
forces suffisantes pour réussir. Il l'engagea avec douceur à renoncer à 
son dessein, à licencier ses hommes d'armes, dont la présence était 
onéreuse au royaume, et à ramener la reine à Paris. « Autrement, 
« ajouta-t-il en finissant, tous les princes des fleurs de lis vous tien- 
« dront pour ennemi de l'État. » A tout cela le duc d'Orléans ne 
répondit que ces mots : « Qui a pour soi le bon droit, le garde bien. » 
C'est ce qui m'a été assuré pr des personnes dignes de foi. 


CHAPITRE XVII. 


Glorieuse expédition de Charles de Savoisy. 


Vers ce temps-là l'illustre chevalier Charles de Savoisy, voulant 
effacer, dit-on, la honte du traitement que l'Université lui avait fait 
subir l'année précédente, et fatigué du repos où il languissait, résolut 
d'aller signaler ‘sa vaillance contre les ennemis du royaume. Il partit 
avec deux galéres munies de gens de guerre et d'arbalétriers, traversa 
le périlleux détroit de Saint-Mathieu , et aborda le 23 août au port de 
Hirbrac en Bretagne. Il y trouva quelques Espagnols dont les vaisseaux 
étaient à l'ancre, et qui étaient comme lui disposés à tenter quelque 
entreprise. S'étant abouché avec leur capitaine, il le détermina à 
prendre avec lui trois galères tout équipées, et ils partirent ensemble 
pour aller ravager les cótes d'Angleterre. Gráce à un vent favorable, 
leur marche fut rapide, et dés le lendemain ils découvrirent de loin 
le rivage ennemi. Le jour touchait à sa fin. Pour éviter d'étre apercus, 
et pour causer plus de dommage à l'ennemi en l'attaquant à l'impro- 
viste , ils résolurent de rester à l'ancre toute la nuit. Au point du jour, 
ils levérent l'ancre et continuérent leur route. Ils virent bientôt un 


assez grand nombre d'Anglais qui se trouvaient dans des barques de 


318 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


sic inexpectati plus nocerent, in anchoris stacionem facere sta- 
tuerunt nocte illa. Maneque facto, solutis navibus, cum viam 
arripuissent , a longe plures hostes in cimbis piscatoriis aspexe- 
runt, quos mox pre timore fugientes prosequuti sunt, et, ce- 
teris evadentibus, decem et novem ex hiis vasis sine miseri- 
cordia submerserunt. Sine resistencia hoc peracto , ad quemdam 
portum Anglie vocatum Tache applicantes, ibi cum quatuor 
vasis parvis sex et viginti naves institorias repererunt, quarum 
major duobus castellis decorabatur ligneis. Quas protinus eva- 
cuantes et mobilia reperta in duabus illarum reponentes, pre- 
dam illam protinus apud Herifolium transmiserunt, et residuum 
navium flamme voraci dederunt. Inde ad quamdam villam po- 
pulosam pedestres et in ordinata acie accedentes, ibi multos 
ruricolas repererunt ad resistendum paratos. Sed, parvo con- 
flictu peracto, in parte interficiuntur majori. Sicque villa pe- 
nitus concremata , ad naves sine obice redierunt. Cum autem 
lucis posterioris aurora nunciaret exortum, a portu naves sol- 
ventes, mare iterum repetunt, et die veneris sequente, luce 
sole oriente restituta, ad insulam de Prolent pervenientes, 
locum proprium elegerunt quo dominus Johannes Martelli cum 
ceteris captus fuerat Normannis, consilium accepturi quid inde 
agerent. Nec diu protracta mora, mille et ducenti sagittarii cum 
ruricolis patrie illuc cito accurrerunt et atrox prelium commi- 
serunt; sed tandem tractu balistariorum victi subcubuerunt, 
et ex hiis quadringentis captis vel occisis, ceteros fugere com- 
pulerunt. 

In hac insula quedam sollemnis abbacia erat, quam illesam 
relinquerunt; sed residuum predale facientes, quinque villis 
per circuitum spoliatis et combustis, ingenti preda onusti ad 
naves redierunt, secum omnes socios interfectos et vulneratos . 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 319 


pécheurs, et qui prirent la fuite à leur aspect. Ils se mirent à leur pour- 
suite et coulérent à fond sans pitié dix-neuf de ces barques; les autres 
leur échappérent. Après avoir remporté ce facile avantage, ils cinglé- 
rent vers un port d'Angleterre appelé Tache, et y trouvèrent quatre 
petits vaisseaux et vingt-six navires marchands, dont le plus grand 
était défendu par deux châteaux de bois. Ils les pillérent, chargérent 
leur butin sur deux de ces navires, qu'ils envoyérent aussitót à Har- 
fleur, et incendiérent les autres. De là ils se dirigérent par terre et - 
en ordre de bataille vers une ville bien peuplée, où s'étaient retirés 
un grand nombre de paysans disposés à faire résistance. Après un 
court engagement, qui coûta la vie à la plupart de leurs adversaires, 
ils livrérent la ville aux flammes, et retournérent sans obstacle vers 
leurs vaisseaux. Le jour suivant, dés le matin, ils levérent l'ancre, se 
remirent en mer, et arrivérent le lendemain vendredi, au lever du 
soleil, dans l'ile de Portland. Ils choisirent pour débarquer le lieu 
méme où messire Jean Martel avait été fait prisonnier avec d'autres 
seigneurs normands ‘, et délibérèrent sur ce qu'ils devaient faire. Ils ne 
tardérent pas à voir venir à leur rencontre douze cents archers suivis 
d'une foule de paysans. On combattit avec acharnement. Les Anglais 
succombérent enfin sous les coups des arbalétriers; quatre cents 
d'entre eux furent tués ou faits prisonniers, et le reste prit la fuite. 


Il y avait dans cette ile une belle abbaye. Les vainqueurs la respec- 
térent, mais livrérent tout le pays au pillage, dévastérent et incen- 
diérent cinq villes des environs, et retournérent vers leurs vaisseaux 
chargés de butin et emportant avec eux tous ceux de leurs compagnons 


' Voir ci-dessus, livre xxv, chap. x, p. 169. 


320 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


graviter afferentes. Memorabili triumpho sic potiti, successus 
prosperos prosequi decreverunt, et mane die sabbati portum 
illum relinquentes, ad insulam de Wit pervenerunt. Audiens au- 
tem Karolus quod hec erat a qua tam ignominiose comes Sancti 
Pauli anno elapso fugatus fuerat, justa indignacione motus, in 
hoc et eodem loco stare decrevit et suorum vires experiri. Sed 
antequam terram capere potuissent, ex insperato quadringentos 
homines ad litus accurrentes celeriter perceperunt, alte vol- 
ventes capucia et derisorie clamantes : « Extra gualeas, extra 
gualeas exeatis. » Unde quidam graviter indignati proras fixe- 
runt in terram, et celeriter descendentes cum tractu vallido 
hostes fugere compulerunt, viginti duobus exceptis, qui super 
harenam mortui remanserunt. Cum domo pessimi proditoris, 
qui comitem prefatum deceperat, tota villa voraci incendio data 
fuit; et post, Hantoniam, Anglie portum famosum, petentes ce- 
leri cursu, super maris marginem quadringentos viros cum 
multis sagittariis repererunt parati ad resistendum; sed exacto 
tractu balistariorum de galeis exeuntes, mox illos villam repe- 
tere coegerunt. Inde recedentes, mire magnitudinis navem 
institoriam Januensium, prius ab Anglicis captam, secum fere 
per duas leucas traxerunt. Quos cum per juramentum peciis- 
sent cur sine custodia Anglicorum ibi relicti fuerant, respon- 
derunt quod eorum patronus ad licenciam recedendi impetran- 
dam regem adierat; jurati eciam deposuerunt, quod idem rex 
pietatis intuitu eisdem terciam partem mercium suarum resti- 
tuerat, orantesque ut tanquam subditis regis Fráncie eis par- 
ceretur, veniam impetraverunt et abire liberi permissi sunt. 
Post predicta, sequenti die lune, ad alium portum vocatum 
Annothe tendentes, illum capere statuerunt; quod et non sine 
labore magno peregerunt. Nam Anglici super littus pallos fixe- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 324 


qui avaient été tués ou blessés. Encouragés par ce brillant succes, et 
voulant poursuivre le cours de leurs exploits, ils se remirent en route 
le samedi matin et poussérent jusqu'à l'ile de Wight. Charles de Sa- 
voisy, ayant oui dire que c'était l'ile d'ou le comte de Saint-Pol avait 
été si honteusement repoussé l'année précédente ', résolut de venger 
l'honneur du nom francais, et s'arréta en cet endroit pour tenter une 
descente avec ses compagnons. Mais avant d'avoir pu prendre terre, 
ils apercurent tout à coup quatre cents hommes qui accouraient à eux 
en agitant leurs chapeaux en lir et en criant d'un ton de défi : « À 
terre, à terre! » Les gens du sire de Savoisy, irrités de ces provoca- 
tions, tournérent la proue vers le rivage, débarquérent sans plus tar- 
der, et firent pleuvoir une gréle de traits sur les ennemis, qui s'en- 
fuirent en laissant vingt-deux des leurs sur le champ de bataille. Ils 
mirent alors le feu à la ville, qui fut réduite en cendres ainsi que la 
maison du traitre dont la ruse avait perdu le comte de Saint-Pol. Ils 
se dirigèrent ensuite en toute hâte vers le fameux port de Hampton, 
et trouvérent sur le bord de la mer quatre cents hommes d'armes 
et un grand nombre d'archers disposés à faire résistance. Mais étant 
sortis de leurs galéres avec leurs arbalétriers, ils les eurent bien- 
tót forcés à regagner la ville. En s'éloignant, ils s'emparérent d'un 
grand navire marchand qui appartenait aux Génois, et qui avait été 
précédemment capturé par les Anglais. Aprés l'avoir trainé à leur 
suite pendant près de deux lieues, ils demandérent à l'équipage pour- 
quoi le vaisseau n'était point gardé par des Anglais. Les Génois répon- 
dirent que leur patron avait obtenu du roi la permission de retourner 
dans leur pays. Ils ajoutérent que le roi, touché de leur sort, leur 
avait fait rendre le tiers de leurs marchandises, et suppliérent instam- 
ment Charles de Savoisy de les épargner en leur qualité de sujets du roi 
de France. Leur demande fut agréée, et ils purent s'en aller librement. 


Le lendemain lundi, nos braves se dirigérent vers un autre port, 
appelé Annot, et essayérent de s'en rendre maîtres. Ce ne fut point 


' Voir ci-dessus la note r de la page 119. 
II. 41 


322 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


rant acutos, ut galee terram capere non possent. Quod nostri 
percipientes, et attendentes quod et ardua agredi amat virtus, 
ex eis quadringenti tam loricatis ad unguem quam ex balista- 
riis, prosilientes de galeis, aut natando aut parvis navibus vecti 
terram invitis hostibus occuparunt, et in eos insurrexerunt po- 
tenter. In contubernio hostili erant qui, Francorum prescien- 
tes adventum, super littus quatuor obsidionalia instrumenta 
commodo collocaverant, que ad naves ponderosas plumbatas 
emittebant ; sed cunctis custodibus victis, cum villam voraci in- 
cendio tradidissent, victores inde recesserunt et ad Herifolium 


redierunt. 


CAPITULUM XVIII. 


De hiis que marescalus de Ryeux in Wallia gessit. 


Ut quod principi Wallie* domini duces Francie, in regni 
regimine principales, de subsidio mittendo adimplerent, et ut 
quodam notabili facto comitis Marchie, quem antea miserant, 
ignominia tegeretur, inclitos milites dominum marescallum de 
Rieux, dominum de Hugevilla, magistrum ballistariorum Fran- 
cie, et dominum Strabonem de Laheuse capitaneos elegerunt 
pugnatorum mittendorum. Ex Britania igitur et Normania, 
mandatis obtemperantes, cum sexcentis balistariis, mille du- 
centis servientibus levis armature, octingentos electos pugiles 
collegerunt , qui cum classe duarum magnarum et rostratarum 
navium ac triginta mediocrium in Walliam transmearent. Et 
hii omnes, circa finem jullii navigium ascendentes, cum per 
mensem mare placidum ex aspero factum expectassent, tan- 


‘ Il est nécessaire, pour compléter le sens, de supposer dans le manuscrit l'omission 
d'un mot tel que promiserant. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 323 


chose facile; les Anglais en avaient fermé l'entrée au moyen de pieux 
aigus, pour empécher les galères d'aborder. Cet obstacle n'arréta 
point la valeur des Français; ils sautérent hors de leurs galères au 
nombre de quatre cents, hommes d'armes ou arbalétriers, abordérent 
malgré l'ennemi soit à la nage soit sur de petites barques, et l'atta- 
quérent vigoureusement. Il leur avait fallu s'emparer de quatre ma- 
chines de siége, que les habitants avaient établies sur le rivage dans 
la prévision de leur arrivée, et qui lancaient contre les vaisseaux 
d'énormes balles de plomb. Ils livrèrent la ville aux flammes; aprés 
quoi ils partirent et retournérent à Harfleur. 


CHAPITRE XVIII. 


Expédition du maréchal de Rieux dans le pays de Galles. 


Messeigneurs les ducs de France, qui avaient la direction des af- 
faires, voulant accomplir la promesse de secours faite au prince de 
Galles, et réparer en méme temps par quelque notable fait d'armes 
le honteux échec du comte de Ja Marche, qu'ils avaient jadis chargé 
de cette mission , résolurent d'envoyer dans ce pays des troupes auxi- 
liaires sous la conduite d'illustres chevaliers, du maréchal de Rieux, de 
messire de Hugueville, grand-maître des arbalétriers de France, et 
de messire le Borgne de la Heuse. Ces trois capitaines, conformément 
aux ordres qu'ils avaient recus, levérent en Bretagne et en Normandie 
huit cents hommes d'élite, six cents arbalétriers et douze cents 
hommes de troupes légéres, et se disposérent à passer dans le pays de 
Galles avec une flotte composée de deux grands vaisseaux de guerre et 
de trente petits navires. Ils s'embarquérent tous vers la fin de juillet. 
Après avoir attendu pendant un mois un vent favorable, ils arrivérent 
enfin au port de Milford, dans le comté de Pembroke. Ils y trou- 
vérent dix mille Gallois que le prince de Galles avait envoyés pour leur 


324 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


dem portum de Willeforde, situm in comitatu de Pennebroc, 
attingentes, mox decem mille Wallenses missos a principe 
repererunt, quorum ope libere principatum intrarent, et si 
impedimentum occurreret, eos potenter juvarent. | 

Ex tunc Gallici cum ipsis Walensibus campestrem patriam 
ceperunt destruere, et flamma voraci consumere, recte tenden- 
tes ad villam de Heleford , que castro munitissimo subjacebat, 
unde protinus exierunt cum multis sagittariis fere trecenti ho- 
mines ad unguem omnes loricati et ad resistendum prompti; 
cum quibus inito prelio, mox victi sunt, et ex eis sexdecim 
captis et quadraginta interfectis, ceteros fugere compulerunt. 
Inde ad villam tendentes, insultus multos fecerunt; sed ex cas- 
trensibus septuaginta interfectis, cum propter fortitudinem 
loci illam capere nequirent et obsidionalia instrumenta per 
mare ducere ad loca alia ordinassent, mox obsidionem relin- 
querunt. In hiis tamen assultibus quamvis perpauci ex Francis 
ceciderint, ibi tamen quidam miles famosus, nomine Patroul- 
lart de Trya, occubuit, cujus interitum graviter omnes Gallici 
tulerunt. 

Eadem eciam die ad castrum nomine Picot ad custodiam 
pabulatorum. deputati perrexerunt, quod primo assultu ad 
dedicionem venire coegerunt. Loco igitur, onusti preda, ce- 
dentes, et per adjacentem patriam, nulla incolumi relicta re, 
cui ferro aut igni noceri posset, ad villam maritimam et mu- 
ratam nomine Canneby pervenientes, ipsam de communi con- 
silio omnium et assensu obsidione cingere et capere viribus 
decreverunt, per circuitum balistarios et obsidionalia instru- 
menta commode collocantes. Cum autem ad id diligentissime 
instarent, nundum primo assultu inchoato, a longe classem 
triginta navium appropinquare viderunt, armatis viris et vic- 





326 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


tualibus munitam, que ad succurrendum incolis mittebatur. 
Quod cum per exploratores veraciter didicissent, subito tantus 
pavor et formido super eos irruit, ac si omnes interitum sen- 
tirent imminere, et quia majorem partem navigii habebant 
super arenam, quam et nequibant ad mare impellere, cum 
non navigio se salvare, mox evacuatis vasis, illa igne com- 
busserunt, ne ad manus hostium devenirent. Moxque adhuc ne- 
mine persequente, sic contabuerunt eorum corda pre timoris 
angustia, et fugere sic inordinate et cum tanta celeritate decre- 
verunt, ut obsidionalia instrumenta et maximam missilium par- 
tem cum sarcinis hostibus distrahenda relinquerent, quamvis 
tunc secum haberent duo mille equestres Walenses. 

Post hanc ignominiosam fugam, cum more suo villagia com- 
burendo ad castrum Sancti Clari fortissimum pervenissent, 
illud obsidione cingere statuerunt. Sed tandem ad dedicionem 
venire promiserunt, si bona villa propinqua vocata Callemar- 
din ad eorum obedienciam veniret. Ex hac villa populosa, quam 
et muri fortissimi ambiebant, rex Anglie multa percipiebat com- 
moda, et ex ea sagittarii cum cohortibus armatis sepius erum- 
pentes Walensibus multa dampna inferebant. Quapropter 
princeps jurejurando firmavit se inde non discessurum , donec 
viribus caperetur. Ibi in una parte Francigenis et altera Wa- 
lensibus locatis, cum dies quatuor in obsidione exegissent, 
Gallici cum fossoriis et celtibus ferreis muros ilico suffoderunt, 
ut sic plane possent et manutentim pugnare. Ibique multis ex 
hostibus sauciatis et occisis , secundo reiterato assultu, cum jam 
Franci murorum altitudinem occupare conarentur, oppidani 
pro tractu pacifico componendo mutuo consuluerunt. Obtule- 
runt siquidem ut, salvis armis et quantum quisque posset de 


' Le mot possent est omis dans le manuscrit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 327 


ils furent tous saisis de frayeur et d'épouvante et se crurent perdus 
sans ressource. Comme la plupart de leurs vaisseaux se trouvaient sur 
la grève, et qu'ils ne pouvaient les remettre à flot, ni par conséquent 
se sauver par mer, ils en retirèrent leurs bagages et y mirent le feu, 
afin de les soustraire à l'ennemi. Bientôt la terreur s'accrut encore 
parmi eux, et leur effroi devint tel, que méme sans être poursuivis ils 
s'enfuirent en toute hâte dans le plus grand désordre, et abandonné- 
rent leurs machines de siége ainsi que la plus grande partie de leur 
artillerie et de leurs bagages, quoiqu'ils eussent avec eux deux mille 
cavaliers gallois. 


Après cette fuite honteuse , ils arrivèrent, tout en brûlant suivant 
leur coutume les villages qu'ils rencontraient sur leur route, devant 
le château fort de Saint-Clair et se disposérent à l’assiéger. Les habi- 
tants promirent de se rendre, si la ville de Caérmarthen, située dans le 
voisinage, se soumettait à eux. Cette ville, qui était bien peuplée et 
garnie de bonnes murailles , offrait de grands avantages au roi d'Àn- 
gleterre. Les archers et les hommes d'armes, qui en formaient la gar- 
nison, faisaient de fréquentes sorties et incommodaient fort les Gallois. 
Aussi le prince de Galles jura-t-il de ne point s'éloigner sans s'étre 
rendu maitre de la place. Les Francais se postérent d'un cóté, les 
Gallois de l'autre. Aprés quatre jours de siége, les Francais sapérent 
si bien les murs avec des pioches et des hoyaux, qu'ils firent une 
bréche et purent combattre corps à corps. Les ennemis eurent beau- 
coup de blessés et de morts au premier assaut. Quand ils virent que les 
Français se préparaient à en donner un second et à escalader les murs, 
ils se décidérent à entrer en pourparler, et offrirent, pour dégager le 
prince de son serment, de le recevoir lui et les Francais et de leur 
abandonner leurs armes et tout ce que chacun d'eux pourrait empor- 
ter du pillage, à condition qu'ils auraient la vie sauve et resteraient 
dans la ville. Le prince et les Gallois, qui n'avaient pas encore atteint 


328 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


mobilibus secum ferre, in urbe manerent salva vita, ut sic jura- 
mentum principis compleretur, et sibi atque Gallicis liber da- 
retur ingressus. Quam oblacionem princeps et Walenses, qui 
nundum pedem murorum attingerent, acceptantes, et Galli- 
corum laudantes strenuitatem, sicut condictum fuerat, villam 
princeps cum suis libere est ingressus. Ex tunc villa predalis 
Walensibus effecta, cum se spoliis uberrimis onerassent, mu- 
ros per circuitum in parte maxima destruxerunt, in cunctis 
compitis ville et in suburbiis flammam voracem ponentes. Inde 
ambo exercitus ad Cardinguan castrum vallidum tendentes, ex 
eventu vicinorum infausto territi oppidani dedicionem mox 
acceptaverunt imperatam. | 

Et tandem Gallici, cum fere per sexaginta leucas per regio- 
nem grassati fuissent hostiliter, principi requisierunt ut ab 
invicem divisi ob sterilitatem patrie loca eis assignarentur 
habitandum opportuna, donec classe conquisita re 
valerent. In tribus igitur locis usque ad festum oi 











torum remanserunt; et tunc cum sex parvis navills milites et 
armigeri disposuerunt redire, in Wallia mille ntos levis 
armature servientes et quingentos balistarios Welinquentes, 


quemdam artigerum nomine Blesum de Belay PiYardum sta- 
tuentes, cui omnes obedirent, donec navigium adfredeundum 
transmisissent. 

Hoc in dedecus redeuncium versum fuit, cum si 
sent qui propter eorun* gloriam dimicantes in assulfbus fue- 
rant semper primi, eos ex multis periculis sepius er 
Quibus tamen recommendati fuerant nobiles cum eisdem 
manserunt fideliter, et necessitatibus eorum benigne succurre- 
runt, et eos undecunque collectis navibus circa carnisprivium 
reduxerunt. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 329 


le pied des murs, acceptérent cette offre, louérent les Français de leur 
vaillance, et entrérent librement dans la ville, ainsi qu'il avait été 
convenu. Les Gallois la livrérent aussitót au pillage; aprés s'étre gor- 
gés de butin, ils rasérent la plus grande partie des murs, et mirent 
le feu dans toutes les rues et les faubourgs. De là les deux armées 
inarchérent vers un cháteau fort nommé Cardigan, dont les habi- 
tants, effrayés par le sort de leurs voisins, s'empressérent de capi- 
tuler. 


Les Francais, aprés avoir couru le pays l'espace de soixante lieues 
environ, craignant d'avoir à souffrir de la disette à cause de la stéri- 
lité, prièrent le prince de Galles de les cantonner dans des lieux diffé- 
rents, jusqu'à ce qu'ils pussent avoir une flotte pour retourner dans 
leur patrie. On leur assigna trois quartiers séparés, où ils restèrent 
jusqu'à la féte de la Toussaint. Alors chevaliers et écuyers s'embar- 
quérent sur six petits vaisseaux, laissant dans le pays de Galles douze 
cents hommes de troupes légéres et cinq cents arbalétriers sous les 
ordres d'un écuyer picard, nommé le Bégue de Belay, jusqu'à ce qu'ils 
leur eussent envoyé des vaisseaux pour leur retour. 


On bláma fort ceux qui revinrent en France d'avoir ainsi abandonné 
des gens qui avaient combattu pour leur gloire , qui avaient toujours 
été les premiers dans les assauts et qui les avaient sauvés de plus d'un 
danger. Cependant les nobles, sous la conduite desquels ces hommes 
d'armes avaient été placés, restèrent fidèlement avec eux; ils pourvu- 
rent généreusement à leurs besoins, rassemblèrent des vaisseaux de 
toutes parts et les ramenérent en France vers le caréme. 


IIl, 42 


330 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


CAPITULUM XIX. 


De dampnis illatis, dum duces mutuo discordabant. 


Decursa breviter hac disgressione, ad hystoriam rediens, dis- 
cordantibus Aurelianis et Burgundie ducibus, nil unus poterat 
attemptare, quin mox alterius revelaretur auribus, mediantibus 
falsis assentatoribus aulicis, qui, cum uni proditorie detrahe- 
bant, alterum amplius ad odium inflammabant. Hii, ducis Au- 
relianis cupiditatem inexplebilem excecrantes , ipsum apud Me- 
ledunum erarium regale confregisse astruebant, unde ducenta 
milia scuta auri cum inestimabilis valoris jocalibus sustulerat, 
que rex nuper magistro hospicii sui custodienda commiserat, eo 
prius adjurato quod cuiquam thesaurum non revelaret, nisi de 
consensu suo aut ejus primogeniti successoris. Addebant et 
ipsum ducem custodi porte Sancti Martini centum aureos de- 
disse, ut clam de nocte triginta viris comitatum intraret Parisius 
et de domo sua ingentem auferret peccuniam. Quod audiens 
dux Biturie ipsum custodem carceri mancipari et portam mu- 
rari fecit. 

Inter et curiales procellas similes, regina Francie, furorem 
odio ministrante, cum quibusdam domesticis domicellis quam- 
dam famosam dominam dictam de Minchiere, cujus consilio usa 
semper fuerat in agendis, et que sigillum ejus servabat, a curia 
regia ignominiose expulit, quod in scandalum persone sue lin- 
guas virosas laxantes quedam sinistra dixerant. Sub quo eciam 
pretextu quemdam insignem armigerum, Robinetum de Va- 
rennis dictum, et vicecomitissam de Bretolio a festo Assump- 
cionis beate Marie et hucusque detinuerat carceribus manci- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. — 331 


CHAPITRE XIX. 


Maux causés dans le royaume par la discorde des ducs. 


Aprés cette courte digression, je reviens à mon sujet. La discorde 
continuait à régner entre les ducs d'Orléans et de Bourgogne; l'un ne 
pouvait rien faire sans que l'autre en füt aussitót informé par de 
láches courtisans, dont les rapports perfides envenimaient leur haine 
mutuelle. Ils se plaignaient entre autres choses de la cupidité insatiable 
du duc d'Orléans; ils prétendaient que ce prince avait forcé à Melun 
le trésor royal, et qu'il en avait soustrait deux cent mille écus d'or 
et des joyaux de la plus grande valeur, que le roi avait naguére con- 
fiés à la garde de son maitre d'hótel, en lui faisant jurer de ne révéler 
ce dépót à personne sans sa permission ou celle de l'hévitier du tróne, 
son fils aîné. Ils ajoutaient que le duc avait donné cent écus d'or au 
gardien de la porte Saint-Martin, pour entrer secrétement à Paris 
pendant la nuit avec trente de ses gens, et emporter de sa maison des 
sommes énormes. Le duc de Berri, en ayant été instruit, fit mettre le 
gardien en prison et murer la porte. 


Au milieu des orages qui agitaient la cour, la reine sévit sans pitié 
contre plusieurs personnes de sa maison, pour se venger de certains 
propos scandaleux qu'elles avaient tenus sur son compte. Elle chassa 
ignominieusement quelques demoiselles, entre autres l'illustre dame 
de Minchiére, dont elle prenait ordinairement conseil en toutes ses 
affaires et qui gardait son sceau. C'était pour le méme motif qu'elle 
avait fait mettre en prison un brave écuyer nommé Robinet de Va- 
rennes et la vicomtesse de Breteuil, et qu'elle les y retenait depuis la 
féte de l'Assomption de la Vierge , quelques instances qu'eussent faites 
leurs parents et leurs amis pour obtenir qu'on procédát contre eux 
d’après les formes de la justice. 


332 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


patos, quamvis eorum consanguinei et noti instanter et repetitis 
vicibus supplicassent ut secundum viam racionis et justicie pro- 
cederetur in detentos. 

Ad magis particularia descendens, dum in domibus domi- 
norum ducum Parisius residencium excubie nocturne sedulo 
exsolverentur, quidam iniqui et hucusque viri incogniti domi- 
cilium ducis Biturie de Nigella ingredi temptaverunt. Qui inde 
tractu repulsi balistarum, cum per Secanam usque ad domum 
regiam Sancti Pauli navigassent, inde subito ortus est tumultus 
popularis, cunctis timentibus ne hac hora invitis civibus rex 
educeretur ab urbe. Ibi tunc dux Burgundie personaliter accur- 
rens cum quingentis militibus et scutiferis loricatis ad unguem, 
sieque insidiatoribus fuga lapsis, cum populares compescuisset 
clamores, die sequenti, auctoritate regia, civibus dici fecit ut 
ingentis ponderis cathena ferrea fieret, que de nocte per latum 
fluvii traheretur, ne navigio quis clandestine ingrederetur in 
urbem. Ne civitas proderetur plurimi tunc dubitabant; nam 
quidam nequam viri et divina animadversione digni in promp- 
tuariis quorumdam ignem grecum projecerunt. Unde quidam 
circumspecti, presagientes ne sic vellent illam flamma voraci 
destruere, procuraverunt ut cuncta foramina, que ad extra cel- 
laris aerem administrant, penitus obstruerentur. Super hoc 
non est mirandum, eciam si actores sceleris ignorentur; nam 
major pars congregatorum pugilum affectabant occasiones re- 
perire ut villa destrui posset, aut in parte maxima depredari, 
et specialiter forenses, Britones et extranei qui sub vexillis du- 
cis Aurelianis militabant. Nam quotquot dux Burgundie collo- 
caverat in eadem, fere per sex ebdomadas cum tanta modestia 
resederunt, ut nec unus solus carceres regios, ut prepositus 
Parisiensis retulit, opportuerit intrare propter aliquam offen- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 333 


Je citerai une autre particularité non moins remarquable. Malgré 
toute la vigilance avec laquelle se faisaient les rondes de nuit dans 
les hótels de messeigneurs les ducs à Paris, une troupe de gens sans 
aveu essaya de s'introduire chez le duc de Berri dans son hótel de 
Nesle. Ayant été repoussés à coups de fléches, ils se sauvérent par la 
Seine vers l'hótel royal de Saint-Paul. Cela causa une émeute parmi 
le peuple, qui crut qu'on voulait emmener de force le roi hors de 
Paris. Le duc de Bourgogne accourut aussitôt en personne avec cinq 
cents chevaliers et écuyers armés de pied en cap, mit en fuite les 
malfaiteurs et apaisa les clameurs du peuple. Le lendemain il enjoi- 
gnit aux habitants de la part du roi de faire forger une grosse chaine 
de fer, que l'on tendrait pendant la nuit dans toute la largeur de la 
riviére, pour que personne ne pát s'introduire secrétement en bateau 
dans la ville. En effet, on craignait généralement quelque trahison. 
Des misérables, dignes de toute la colére du ciel, ayant jeté du feu 
grégeois dans les caves, les principaux bourgeois pensérent que leur 
intention était sans doute de mettre le feu à la ville, et recomman- 
dérent qu'on bouchát tous les soupiraux. On ne sait point quels furent 
les auteurs de ces tentatives; mais il n'est pas étonnant qu'elles aient 
eu lieu. La plupart des gens de guerre qu'on avait rassemblés cher- 
chaient avidement les occasions de détruire ou de piller la ville, 
et particulièrement les Bretons et les étrangers au service du duc 
d'Orléans, qui étaient cantonnés dans les environs; car ceux que le 
duc de Bourgogne avait amenés dans la ville s'y comportérent pen- 
dant prés de six semaines avec tant de modération, que pas un 
seul d’entre eux, suivant le rapport du prévôt de Paris, ne mérita 
d’être mis en prison. Cette circonstance parut d'autant plus surpre- 
nante, qu'il y avait parmi eux des Allemands, des Liégeois et des 
Brabancons, gens ordinairement fort indisciplinés et enclins au pillage 
et à la débauche. Comme leur conduite était trés réguliére, et qu'ils 
se contentaient de leur paye de chaque jour, on leur fournissait vo- 


334 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


sam. Unde multi mirati sunt, cum ibidem Alemani, Leodien- 
ses et Brebantini, quos et sepe iratus furor exagitat, rapacitas 
stimulat et libido precipitat, haberentur. Et quia recto racio- 
nis ordine regebantur, contenti cotidianis stipendiis, ipsis 
cum vultu placido victualium et omnium rerum venalium sup- 
petebat copia, communi non augmentato precio. Indeque dux 
Burgundie ubique laudandus erat, nisi Burgundiones rapacis- 
simos homines hac de causa appropinquare fecisset. 

Jam, quasi odii evaporate scintille furoris ardorem inextingui- 
bilem ministrarent, dominus dux Aurelianis, die vicesima sep- 
tembris , suorum aptitudinem, robur et numerum in campestri- 
bus statuit recenseri; capitaneisque principalibus extra villam 
Meleduni in tentoriis ornatis comptissime prandio celebrato, 
persuasit ut injuriam regine ac eciam sibi factam, quociens 
opportunitas adesset, vindicarent. Timebant tunc regnicole ne 
regnum in viscera sua arma converteret, et ne unus populus in 
duos hostiles divideretur exercitus, ferrumque ab hostili bello 
in civilem sanguinem verteret, cum inter ambos duces vide- 
rentur orte inimicicie eciam usque ad odium manifestum. 

Die ecjam sequenti, gubernatorem Aurelianis dominum Jo- 
hannem de Gaules, strenuum utique militem , cum multis balis- 
tariis ac 'quingentis ad unguem loricatis dux Aurelianis ordi- 
navit, qui Secane fluvium transmeantes villam de Charentonio 
occuparent; et multis in mentem venit, quod villam Parisien- 
sem sic intendebat expugnare, cum tam prope audaciores sui 
exercitus premisisset. 

Nec segnius dux Burgundie ad prelium se adaptans, tria 
milia Burgundionum agmina suorum statuerat precedere, qui 
ipsa eadem die villam Argentolii occuparunt et adjacentem pa- 
triam, sperantes firmiter, prout famosiores quidam michi retu- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 335 


lontiers les vivres et tout ce qui leur était nécessaire, sans en aug- 
xuenterle prix. Aussi le duc de Bourgogne n'aurait mérité que des 
éloges, s'il n'avait fait approcher ses Bourguignons, qui étaient les 
soldats du monde les plus pillards. 


La haine des deux princes était arrivée à son comble et présageait 
de nouvelles fureurs. Le 20 septembre, monseigueur le duc d'Orléans 
résolut de passer ses gens en revue dans la plaine, afin de s'assurer 
de leurs forces , de leur nombre et de leurs dispositions. Il donna hors 
de la ville de Melun un splendide banquet aux principaux capitaines 
dans des tentes richement décorées, et les engagea à venger, dés que 
l'occasion s'en présenterait, l'injure qui avait été faite à la reine et à 
lui. On voyait avec effroi que le royaume allait tourner ses armes 
contre son propre sein, que le peuple était prés de se partager en deux 
camps, et la guerre civile de remplacer la guerre étrangére; tant écla- 
tait avec violence la haine qui régnait entre les deux ducs! 


Le lendemain le duc d'Orléans chargea le vaillant chevalier messire 
Jean de Gaules, gouverneur d'Orléans, de passer la Seine avec une 
troupe d'arbalétriers et cinq cents hommes armés de pied en cap, pour 
s'emparer de Charenton. On crut que son intention était de se rendre 
maître de Paris, quand on vit qu'il envoyait si près de la ville les 
gens les plus déterminés de son armée. 


De son cóté le duc de Bourgogne ne mettait pas moins d'activité 
dans ses préparatifs de guerre. Le méme jour, trois mille Bourgui- 
gnons, qui formaient son avant-garde, se saisirent d'Argenteuil etde tout 
le pays d'alentour, espérant bien, ainsi que me l'ont assuré quelques- 
uns des principaux chefs, qu'on livrerait bataille dés le lendemain. 


336 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


lerunt, quod die sequenti alicubi actus bellicos exercerent. Et 
quia fama publica ipsos ceteris rapacitati plus deditos refe- 
rebat, ne, morem suum servando penetralia domiciliorum cam- 
pestrium reserantes, ipsis desiderabilia in predam verterentur, 
non solum burgenses et nobiles, sed et de regio sanguine pro- 
creati ab hiis locis supellectilia et quidquid auferri poterat 
Parisius transferri preceperunt. [nde agrestes accole perterriti, 
fugientes velut a facie hostium, villas muratas pecierunt, et fru- 
ges sive in areis comportatas, sive solo herentes, vel per agros 
manipulatim congestas ipsis diripiendas libere permiserunt, 
et quod egre perferebant, cum tempus vendemiandi instaret. 
Hoc dampnosum usum quatuor ebdomadarum spacio jam 
exercuerant fere quinque milia qui Aurelianis ducis auctori- 
tate et nomine per Campaniam, Belciam, territorium Guasti- 
nense, et usque ad duo miliaria de Parisius suos vesanos con- 
tinuabant discursus, greges et armenta ubique depopulando. 
Hiis rex Sicilie Ludovicus cuneum octingentorum pugilum ex 
variis regionibus collectum conjunxerat, qui nephandiora per- 
petrantes, et ubique vineas equorum pedibus conculcantes, 
palmites uvis onustas eradicabant solotenus, ut ingluviei insa- 
ciabili cicius satisfacerent. Corbolium, Moretum in Guastineto 
et quamplures alias muratas villas conati sunt per insidias occu- 
pare, ut eas prede exponerent. Ubique quidquid manu auferri 
poterat rapiebant, nisi mox redimeretur peccunia; et utens 
breviloquio, in rapacitate omnes alios superabant, exceptis 
dumtaxat ducentis Lotharingis, qui cum duce suo sub vexillo 
ducis Aurelianis militabant. Ad servicium autem ejus acceden- 
tes, secum duodecim quarros vacuos traxerunt, quos spoliis, ma- 
nubiis variaque supellectili huc illucque exquisita, invitis pos- 
sessoribus, repleverunt, sic more suo ditari cupientes, non 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 337 


Comme ils passaient généralement pour les plus pillards de l’armée, 
on craignit que, suivant leur habitude, ils ne forçassent les maisons de 
campagne pour enlever ce qu'elles renfermaient de plus précieux. Aussi 
les bourgeois et les nobles, et méme les princes du sang firent-ils 
transporter à Paris tout leur mobilier. Les paysans effrayés s'enfuirent 
comme s'ils avaient eu affaire à l'ennemi, et se retirérent dans les 
villes closes , abandonnant au pillage les blés entassés dans les granges 
et ceux qui étaient encore sur pied ou en gerbes dans les champs. 
Cette perte leur fut d'autant plus sensible, que le temps de la récolte 
approchait. 


* 


Depuis quatre semaines les geus du duc d'Orléans, au nombre de cinq 
mille, commettaient des dégâts semblables; ils ravagcaient la Cham- 
pagne , la Beauce et le Gátinais et poussaient léurs courses jusqu'à deux 
milles 'de Paris, enlevant de tous cótés le gros et le menu bétail. Le 
roi de Sicile Louis avait joint à ces pillards un corps de cinq cents 
hommes de tous pays, qui se livrant à de plus grands excés encore 
foulaient les vignes aux pieds de leurs chevaux, et déracinaient les 
ceps chargés de raisins, pour satisfaire plus promptement leur insa- 
tiable gloutonnerie. Ils essayérent de surprendre par trahison Corbeil, 
Moret en Gátinais et plusieurs autres villes closes, afin de les saccager. 
Ils prenaient tout ce qu'on ne rachetait pas à prix d'argent. En un 
mot, ils surpassérent tous les autres en rapacité, excepté deux cents 
Lorrains qui étaient venus avec leur duc se mettre au service du duc 
d'Orléans. Ceux-ci avaient amené avec eux douze chariots vides, 
qu'ils eurent bientót remplis de butin, de dépouilles et de tout ce 
qu'ils avaient acquis par le pillage; car suivant leur coutume ils ne 
songeaient qu'à s'enrichir, oubliant cet adage : Malheur a celui qui 
vole, parce qu'il sera volé a son tour. Ils l'apprirent bientôt à leurs 
dépens. En effet, ils furent assaillis à leur retour par les troupes lé- 
géeres des Bourguignons , qui, les attaquant vigoureusement à coups 
de flèches et à coups d'épée, les forcérent à prendre la fuite et à 


ni. 43 


338 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


attendentes illud....!: Ve qui predaris, quoniam depredaberis ; 
quod et cito experimento didiscerunt. Nam dum sic onusti re- 
dirent, affuerunt Burgundiones cum expediciore milicia, qui 
cum eis arcubus et gladiis animo pertinaci commiserunt con- 
flictum, et tandem eos animo consternatos terga dare coege- 
runt, fugam, dimissis spoliis , eligentes; et sic perdiderunt om- 
nia que male acquisierant , juxta quod proverbialiter dici solet : 


Non habet eventus sordida preda bonos. 


Sic continuando excessus, pugnatores bonis omnibus referta 
territoria in quibus residebant propter diuturnam moram eva- 
cuata penitus reddiderunt, et tandem ad tantam caristiam re- 
degerunt, ut pinta vini quatuor solidis venderetur. Et quia 
nonnulli in ducis Aurelianis curia hoc graviter perferebant, 
locum mutare et fertiliorem patriam decrevit petere. Mittens 
quoque Meldis, introitum peciit civitatis, qui tamen ei libere 
denegatus est, et idipsum aliqualiter coegit mentis duriciem in 
parte deponere et venire ad pacificum tractatum. Nam vicesima 
tercia die septembris, cum ad eum consiliarii regii iterum nun- 
cios destinassent, ipsis persuadentibus assensiit ut, utrobique 
licenciato exercitu, quilibet dux solum quingentos subsidiarios 
secum retineret, milleque regi aliis assignatis, supersederet 
eorum discordia, donec ipse incolumitatem resumpsisset. Trac- 
tatum hunc dux Burgundie minime acceptavit, dubitans ibi 
fraudem et decepcionem latere, et ne, suis remissis gentibus ad 
partes suas longinquas, alter suos pugnatores ex locis propin- 
quioribus revocaret. Sicque multi de bello proximo pocius 
quam de pace vel concordia sperandum crediderunt. 


' Dl ya ici dans le manuscrit une lacune qui indique l'omission d'un mot. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 339 


abandonner leur bagage. Les Lorrains perdirent ainsi le fruit de leurs 
rapines , et reconnurent la vérité de ce proverbe : 


Bien mal acquis ne profite Jamais. 


Les excès continuels des gens de guerre avaient fini par ruiner com- 
plétement les lieux où ils étaient cantonnés, et par en épuiser toutes 
les ressources. La cherté devint si grande, qu'une pinte de vin se ven- 
dait quatre sous. Les gens du parti du duc d'Orléans s'en étant plaints 
vivement, il résolut de leur faire changer de quartiers et de les établir 
dans un pays plus fertile. Il fit demander aux habitants de Meaux 
l'entrée de leur ville; on la lui refusa formellement. Ce refus l'obligea 
de rabattre un peu de son arrogance et d'entrer en accommodement 
avec ceux du parti contraire. Le 23 septembre, il céda aux représen- 
tations des ambassadeurs qui lui furent envoyés de nouveau par les 
conseillers du roi. Il fut convenu que les deux armées seraient licen- 
ciées, que chacun des ducs ne retiendrait avec lui que cinq cents 
hommes, qu'il en resterait mille auprés de la personne du roi, qu'enfin 
toute division cesserait , jusqu'à ce qu'il eût recouvré la santé. Le duc 
de Bourgogne n'accepta point ce traité; il craignait que cet arrange- 
ment ne cachât quelque surprise ou quelque mauvais dessein, et que, 
une fois ses hommes d’armes partis pour leur lointain pays, son adver- 
saire ne rappelât les siens, qui seraient moins éloignés de Paris. Cha- 
eun put donc croire qu'on était plus prés de la guerre que de la: paix 
et de l'union. 


340 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


CAPITULUM XX. 


Qualiter dux Burgundie civibus Parisiensibus loqutus est , et de pace composita 
inter duces. 


Hac tempestate durante, die sequenti, dux Burgundie ma- 
Joris auctoritatis viros urbis Parisiensis mandavit; quos in pu- 
blico alloquens : « Nostis, inquit, dilectissimi, me adhuc‘ adve- 
«nisse non pro utilitate propria, sed omnium regnicolarum 
« atque regni, quod hucusque intollerabilibus subcubuit exac- 
«tionibus. Per cedulas nuper scriptas eciam vobis constant 
« onera que subcubuissetis, graviora videlicet, cum dupplicata 
« imposicione rerum venalium, annuas exactiones focorum et 
« annuales collectas, que ad nichilum bona vestra mobilia rede- 
«gissent, nisi personaliter venissem et efficaciter obstitissem. 
« Que omnia adhuc dux Aurelianis conatur introducere, nec 
«rei publice status adhuc sub tuto remanet, quoniam multi 
« inter vos ipsi favent. Ideo si mecum stare unanimiter velletis 
«et sub vexillis meis, dum opportunitas adesset, militare, cum 
« fidelitate spondeo, quod in brevi regnum ad transquilitatem 
« optatam reducetur, et remanere poteritis in requie tempora- 
« lium opulenta. » 

Cum verbis finem fecisset, se 'omnes scire dixerunt ipsum 
ducem cum recta intencione hucusque ad utilitatem regnico- 
larum et regni laborasse; unde sibi regraciando humiliter, se 
et sua cum omnibus bonis ville sibi et suis liberaliter obtule- 
runt. Arma tamen secum sumere recusarunt, timentes ne, pa- 
cificatis ambobus, dux Aurelianis hoc velud crimen nefandum 
vellet vindicare. In calce tamen verborum addiderunt quod, si 


' Far. : n° 5959, fol. 32 v., huc. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI, 341 


CHAPITRE XX. 


.. Comment le duc de Bourgogne harangua les bourgeois de Paris. — Traité de paix 
entre les ducs. 


Le lendemain de ces orageux débats, le duc de Bourgogne convoqua 
les principaux bourgeois de la ville de Paris et les harangua publi- 
quement : « Vous savez, leur dit-il, mes bons amis, que je suis venu 
« ici non pour mon intérêt privé, mais pour celui du peuple et du 
« royaume , sur qui ont pesé jusqu'à présent des exactions intolérables. 
« Les cédules récemment publiées vous ont fait connaître les charges 
« plus accablantes encore dont vous étiez menacés , puisqu'on voulait 
« doubler l'impót des marchandises, et établir des tailles par feu et 
« des taxes annuelles, qui auraient réduit votre avoir à néant, si je 
« n'étais venu en personne, et si je ne m'y étais fortement opposé. Le 
« duc d'Orléans persiste encore dans ses desseins, et je ne vois pas que 
« nous puissions étre en süreté, tant qu'il aura parmi vous des par- 
«.tisans. Si vous vouliez vous réunir tous à moi et servir au besoin 
« sous mes banniéres, je vous jure que la tranquillité serait bientót 
« rétablie dans le royaume et que vous pourriez jouir des douceurs 
« du repos et de l'aisance. » 


Quand le duc eut fini de parler, les bourgeois répondirent qu'ils 
connaissaient ses bonnes intentions et le zéle avec lequel il avait jus- 
qu'alors travaillé au bien du peuple et du royaume, qu'ils l'en remer- 
ciaient humblement et qu'ils mettaient volontiers à sa disposition leurs 
personnes et leurs biens; mais ils ne consentirent point à prendre les 
armes, de peur que le duc d'Orléans ne leur en fit un crime et ne 
voulût s'en venger, quand la paix serait faite. Ils ajoutèrent cependant 
que, si le roi ou son fils ainé étaient là et leur en donnaient l'ordre, 


342 CHRONICORUM KAROLE SEXTI LIB. XXVI. 


rex vel ejus primogenitus filius personaliter adessent, ipsis pre 
cipientibus, omnia discrimina pati prompti erant et usque ad 
mortem , ut viri subditi , obedire. 

Civium responsionem satis gratanter audivit dux prefatus, 
et cum aliis dominis inito consilio, eis iterum promisit quod 
dominus. dalfinus. armaretur et armatus. per Parisius in brevi 
equitaret, et quicquid amodo ab eis exerceretur fieret eo 
jubente. 

Ipsi eciam domini multis querimoniis pulsati, audientes 
quod Parisiacus pagus intollerabiliter premebatur, et quod nec 
ad matrem urbium advehi nequibant vite necessaria, nisi cum 
manu vallida defensorum, nomine regis et voce preconia ubique 
primiceriis pugillum repatriare jusserunt, et sub pena capitali 
arma deponere, Sed id penitus neglexerunt, asserentes se auc- 
toritate predicta evocatos. Iterum et addiderunt absque eru- 
bescencie velo quod, ubi in campestribus victus deficerent, villis 
muratis violenciam inferrent. Et hoc medium extitit ad tan- 
tum scandalum evitandum, quod regina et dux Aurelianis con- 
senserunt ad domum regiam nemoris Vicenarum accedere 
ultima die septembris, ut propius super unione principum 
tractaretur. 

Inde dux Burgundie letatus, et amborum adventum illa die 
volens honorifice prevenire, evocatis Burgundionibus circa 
Argentolium locatis, cum cuneis quos Parisius tenebat statuit 
eis obviam exire. Sed regina hec audiens, cum jam vie medium 
teneret, de consilio ducis Aurelianis Corbolium rediit festi. 
nanter. Burgundiones vero, iterum ad campestria. declinantes; 
a ponte: Sancti Clodoaldi usque ad Haubertum Villare omnes 
villas occupaverunt campestres, et municiones earum in areis 
et promptuariis collectas penitus evacuantes, quamdiu ibi man- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 343 


ils étaient préts à leur obéir et à's'exposer à tous les dangers, méme 
à la mort, en vrais et fidèles sujets. 


Le duc de Bourgogne parut assez content de la réponse des bour- 
geois, et après en avoir conféré en conseil avec les autres princes, il 
leur promit que monseigueur le dauphin serait armé, qu'il parcour- 
rait bientót à cheval la ville de Paris, et que tout ce qu'il y aurait à 
faire désormais s'exécuterait par ses ordres. 


En méme temps les princes, recevant de tous cótés des plaintes sur 
les excés intolérables que les gens de guerre commettaient dans les 
environs de Paris, et apprenant que les vivres ne pouvaient arriver 
dans la capitale que sous la protection de la force armée, enjoignirent 
à tous les capitaines, au nom du roi et par la voix du héraut, de re- 
tourner dans leur pays et de mettre bas les armes, sous peine de 
mort. Les capitaines s'y refusérent formellement, sous prétexte qu'ils 
avaient été mandés au nom du roi. Ils ajoutérent méme impudem- 
ment que, quand ils ne trouveraient plus de quoi vivre dans les cam- 
pagnes, ils se jetteraient sur les villes closes. Ce fut surtout le désir 
d'éviter un tel scandale qui décida enfin la reine et le duc d'Orléans 
à se rendre, le dernier jour de septembre, à la maison royale du bois 
de Vincennes, afin de travailler de plus prés à un accommodement 
entre les princes. 


Le duc de Bourgogne, tout joyeux de leur approche, voulut les 
recevoir avec honneur, e* ayant réuni aux troupes qu'il entretenait à 
Paris les Bourguignons cantonnés à Argenteuil, il se disposa à aller 
à leur rencontre. Mais à cette nouvelle, la reine, qui était déjà à 
moitié chemin, retourna en toute hâte à Corbeil d’après le conseil 
du duc d'Orléans. Alors les Bourguignons se répandirent de nouveau 
dans la campagne, s'emparérent de tous les villages depuis le pont 
de Saint-Cloud jusqu'à Aubervilliers, y prirent toutes les provisions 
qu'ils trouvèrent dans les granges et dans les celliers, et forcérent les 
paysans à pourvoir à tous leurs besoins pendant tout le temps de leur 


344 .CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


serunt, cogebant agrestes accolas ad res alias familiares pro- 
curandas. Hominum sane memoria minime recolebat plagam 
illam adversarios regni tot angariis alias oppressisse. Et quia 
adhuc pejora ruricolas minabantur, ad id , quasi ad evitandum 
extremum rei publice discrimen, statuerunt principes efficaciter 
resistere. À cunctis equidem timebatur circumspectis, ne per 
eorum odia intestina regnum in viscera sua armaretgr, ferrum- 
que ab hostili bello in civilem sanguinem verteret. Quapropter 
rex Navarre et dux Borbonii iterum ad ducem Aurelianis missi 
sunt et reginam, quorum tandem rogatu et monitis, die octava 
octobris, ad nemus Vicenarum acquieverunt venire. Ubi cum 
usque ad sextam decimam diem hujus mensis multa celebras- 
sent consilia, tandem per viros industrios et pacis interpretes 
ducibus mutuo reconsiliatis, in Parlamento et Castelleto regiis 
fuit voce preconia publicatum, quod , Domino largiente, una- 
nimitatem spiritus in vinculo pacis deinceps statuerant obser- 
vare. Dieque sequenti cum modica manu pugillum ingressi Pari- 
sius, milites et scutiferos donis uberioribus cumulatos uterque 
remittens ad propria in presencia regine atque ducis Biturie, 
cui primo gracias agentes, quia ejus opera mutuo convenie- 
bant, post impensum mutue salutacionis affatum, cum amplexu 
pacifico datis dextris, jurejurando mutuo se astrinxerunt 
quod deinceps in concordia manerent. 


CAPITULUM XXI. 


Regimen regis et regni ducibus recommendatur. 


Cum affectuose optarent regnicole ut duces mutuo pacificati, 
cum consanguineis aliis persone regie curam solito curialius 
agentes, correctioni eciam morum curialium intenderent, quo- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 345 


séjour. Jamais de mémoire d'homme les ennemis du royaume n'avaient 
fait souffrir de pareils maux à ce pays. Comme les Bourguignons me- 
nacaient de faire pis encore, les princes résolurent de sauver l'État 
d'une ruine certaine en s'opposant énergiquement à tant d'excés. Les 
gens sages craignaient que les inimitiés des deux ducs ne divisassent le 
royaume en deux camps, et que la guerre civile ne remplacát la 
guerre étrangére. Le roi de Navarre et le duc de Bourbon furent de 
nouveau. députés vers le duc d'Orléans et la reine, qui se rendirent 
à leurs instantes priéres et consentirent enfin à venir le 8 octobre au 
bois de Vincennes. Après plusieurs conférences qui durèrent jusqu'au 
16 du même mois, un accommodement fut conclu par l'entremise de 
médiateurs habiles et conciliants. Il fut publié par la voix du héraut 
au Parlement et au Châtelet que, grâce a Dieu, les princes avaient 
résolu de vivre désormais dans une parfaite union. Le lendemain, ils 
firent leur entrée à Paris avec une escorte peu considérable de gens 
de guerre, et renvoyérent dans leur pays les chevaliers et les écuyers, 
aprés les avoir comblés de présents. Puis, en présence de la reine et 
du duc de Berri, qu'ils remerciérent d'avoir ménagé leur réconcilia- 
tion, ils se saluérent, se donnèrent le baiser de paix, et se jurérent 
en se touchant la main de vivre désormais en bonne intelligence. 


CHAPITRE XXI. 


On prie les ducs de prendre plus de soin du roi et du royaume. 


Aprés la réconciliation des deux ducs, on n'avait rien plus à coeur 
dans tout le royaume que de les voir eux et les autres princes du sang 


' Une chronique ajoute que les deux ducs, en signe de plus grande réconciliation, cou- 
chèrent dans le méme lit. 


It. 4 


346 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VI. 


rumdam virorum cireumspectorum monitis, veneranda veri- 
tatis alumpna, Parisiensis Universitas id promovendum suscepit. 
Importunisque precibus adepta audiencia, novembris die sep- 
tima, in hospicio regine, ipsa tamen absente, sed regibus Na- 
varre et Sicilie, ducibus quoque Biturie, Aurelianis, Burgundie, 
Borbonii, consiliariis regis, nonnullisque prelatis presentibus, 
cancellario Nostre Domine Parisiensis, magistro Johanni Jar- 
son, in sacra pagina professori, propositum monitorium com- 
misit. Qui ad assistentes reverenter et magnifice dirigens verba 
sua et pro themnate ter istud repetens: Vivat rex, statum regis 
atque regni consistere in perfectione vite triplicis, videlicet 
corporalis, pollitice et spiritualis, diserto ac prolixiori sermone 
disseruit multis racionibus , auctoritatibus et exemplis. Ipsa ad 
longum narrare compendio, quod studiose quero, officeret, 
et forsitan attediaret lectorem. Ideo breviter et succincte de 
prima, que componitur ex quatuor elementis, et ex indisposi- 
cione regis corporali faciens mencionem, summo studio instan- 
dum esse dixit ejus sanitati, eo eciam renitente, ut sic, eo inco- 
lumi, posset status rei publice prosperari. Inde procedens ad 
vitam polliticam, que quatuor virtutibus cardinalibus debet 
regi, cuncta curialium vicia hec impediencia elegantissime et 
diffuse reprobavit, asserens in finalibus regnum debere proximo 
multa pati, nisi, ab hiis cessantibus, emendacioni condigne 
subjacerent. De spirituali vero vita, que in sollido fundamento 
virtutum theologicarum consistit, faciens unum verbum, tan- 
dem ipsis dominis presidentibus supplicavit ut unionem Ec- 
clesie Universitatisque libertates recommendatas haberent. 
Que et cancellarius Francie promisit auctoritate regia et assis- 
tencium nomine; et sic consistorium illud solutum est. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 847 


veiller avec plus de soin sur la personne royale, et travailler à la ré- 
forme des moeurs de la cour. Quelques personnages considérables en- 
gagèrent la vénérable Université de Paris, cette lumière de vérité, à 
se-faire l'interpréte de ce vœu général. Elle demanda plusieurs fois 
audience , et l'obtint enfin le 7 novembre en l'hótel de la reine, qui 
était ulors absente. Maitre Jean Gerson, chancelier de Notre-Dame de 
Paris ét docteur en théologie, porta la parole en présence des rois de 
Navarre et de Sicile, des ducs de Berri , d'Orléans, de Bourgogne et 
de Bourbon, des conseillers du roi et d'un grand nombre de prélats. 
S'adressant à l'assemblée en termes respectueux, et prenant pour texte 
ces mots : Jive le roi, qu'il répéta trois fois, i| fit un long et éloquent . 
discours et démontra par beaucoup de raisons, d'autorités et d'exemples 
que le bien du roi et du royaume dépendait de la perfection de trois 
sortes de vies: la vie corporelle, la vie politique et la vie spirituelle. 
Je ne rapporterai pas tout au long son discours; ce serait nuire à la 
briéveté dont je me suis fait une loi, et fatiguer peut-étre le lecteur. 
Je me contenterai de dire succinctement qu'à propos de la premiere 
vie, qui est composée des quatre éléments, l'orateur parla de l'indis- 
position corporelle du roi et déclara qu'il fallait s'occuper avec le plus 
grand zéle du rétablissement de sa santé, méme malgré lui, parce que 
à sa guérison était attachée la prospérité de l'État. Passant ensuite à la 
vie politique , qui doit se conduire par les quatre vertus cardinales, il 
s'étendit longuement et élégamment sur les vices de la cour qui en 
étaient l’écueil , et ajouta que le royaume était menacé des plus grands 
malheurs, si l'on ne mettait un terme à ces désordres et si l'on ne 
réformait les moeurs. Quant à la vie spirituelle, il se contenta de dire 
qu'elle a pour fondement les vertus théologales , et finit en suppliant 
les seigneurs qui présidaient l'assemblée d'avoir pour recommandées 
l'union de l'Église et les libertés de l'Université. Le chancelier de 
France le promit de la part du roi et au nom des assistants; aprés 
quoi l'assemblée se sépara. 


348 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


CAPITULUM XXII. 


De incolumitate regis per industriam procurata. 


Non ventis verba data sunt; nam cirea finem novembris; 
unanimi consensu, domini duces prefati decreverunt ut ad sani- 
tatem regis procederetur corporalem, carnis quoque commu- 
nem mundiciam, ut sibi medicine apcius ministrarentur, ser- 
vare invitus eciam cogeretur. De consilio igitur cujusdam 
experti medici, cotidie, adveniente noctis crepusculo, regiis 
inopinate recedentibus ministris, decem alii, qui se ignotos fin- 
gebant et tales se ostendebant verbo et habitu, ad eum ingre- 
diebantur. Qui sibi trium ebdomadarum spacio verbis .per- 
suaserunt et exemplis adire nudum ad lectum, camisiam et 
lintheamina mutare, balnea frequentare, rasuram pati super- 
fluorum pilorum, ut ordinacius! ederet et dormiret. Hec antea 
spacio quinque mensium respuens, jam Jamque sudorum feti- 
dorum immundicia habundante, nonnullis locis corporis putre- 
dines intercutaneas contraxerat, quas super excrescens. pedi- 
culorum copia corrodebat, et usque ad interanea utique 
penetrassent , nisi medicus supradictum adinvenisset remedium. 

lgitur circa Natale Domini convalescens, et mentis obnubila- 
cione aliqualiter detecta, cum Epyfaniorum festum more regio 
exegisset, perrexit apud Possiacum, ut filiam suam dominam 
Mariam, nundum adhuc sacro velamine insignitam, filio ducis 
de Baro cognato suo desponsaret. Vallidis consanguineorum vic- 
tus precibus, connubium nuper concesserat, si genite placeret. 
Sed ab eo super hoc interrogata : « Genitor metuendissime, 


' Far. : n° 5959, fol. 33 v., et ut horis ordinatis. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 349 


CHAPITRE XXII. 


Expédients auxquels on a recours pour rendre la santé au roi. 


Ces remontrances ne furent point inutiles. Vers la fin de novembre, 
messeigneurs les ducs décidérent d'un commun accord qu'on aviserait 
aux moyens de rendre la santé au roi, et qu'on le contraindrait à se 
soumettre à des mesures de propreté qui pouvaient rendre plus effi- 
caces les remédes employés pour sa guérison. D'aprés le conseil d'un 
habile médecin, les serviteurs ordinaires du roi sortaient de sa chambre 
chaque jour à nuit tombante, et il en entrait dix autres, qui dégui- 
saient leur voix et leur extérieur, afin de n'étre pas reconnus. Ils par- 
vinrent au bout de trois semaines à le déterminer par leurs conseils 
et leurs remontrances à se déshabiller pour se mettre au lit, à changer 
de chemise et de draps, à prendre des bains , à se laisser raser la barbe, 
enfin à manger et à dormir à des heures réglées. I1 y avait cinq mois 
qu’il se refusait à tout cela, et déjà la crasse produite par des sueurs 
fétides avait fait venir des pustules sur plusieurs parties de son corps; 
il était tout rongé de vermine et de poux, qui auraient fini par pé- 
nétrer jusque dans l'intérieur des chairs , si le médecin n'eüt imaginé 
l'expédient dont nous venons de parler '. 


Vers la fête de Noël, le roi entra en convalescence et commença à 
recouvrer l'usage de la raison. Il féta l'Épiphanie suivant sa coutume, 
et se rendit à Poissy pour voir sa fille madagge Marie, qui n'avait pas 
encore pris le voile, et pour lui proposer la main du fils du duc de Bar, 
son cousin. Il avait naguère accordé ce mariage aux instantes prières 
des princes de son sang, à condition toutefois que sa fille y consenti- 


' Juvénal des Ursins rapporte en outre fer qu'on n'en avait pas retiré, et qui avait 
que, dans un de ses accés de folie, le roi produit un ulcére infect. 
avait introduit dans sa chair un morceau de 


350 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


« inquit, quem sponsum michi alias concessistis, cum religio- 
«nem hanc intrarem, devotissime acceptavi, nec ipsum vita 
« comite deseram, nisi alium meliorem aut potenciorem michi 
« procuretis. » Sic infecto negocio rex rediens, et super statu 
regni multa celebrans consilia, tandem deliberatum extitit ut 
cambellanorum et aliorum decurionum pensiones annue minue- 
rentur, et qui duo milia scutorum auri recipiebat ex erario 
regali, de mille contentaretur, aliisque proporcionaliter dimi- 
nueretur de stipendiis consuetis. Iterum collectorum, thesau- 
rariorum regiorum, et frequentencium cameras regii Parla- 
menti numerus diminutus est superfluus. Unde de istis recisis 
excessibus, ut vulgo asserebatur, gaza regia poterat sexcento- 
rum milium aureorum emolumentum reportare. 


CAPITULUM XXIII. 


De calculacione peccuniali loco subsidiorum adinventa, 


Dum in eisdem consiliis ad relaxacionem subsidiorum regni 
dux Burgundie laboraret, fuerunt qui peccuniarum majorem 
summam posse percipi dixerunt, si de villis et villagiis regni, 
quorum numerum cencies septemdecim mille reputabant, 
cencies septem mille propter guerrarum voragines et pestes 
mortalitatum demptis, quelibet villa ad viginti scuta auri an- 
nuatim taxaretur. Peg calculum illum viginti mille reperientes 
leones, de tota summa removebant, sic ut quilibet miles tri- 
ginta aureis , scutifer vero quatuor et viginti contentaretur pro 
mense ad continuandum guerras. Addebant quod et, si pro 
statu regio duo mille leones levarentur et totidem pro stipen- 
diis collectorum, quarta quoque unius mileleonis fortificacio- 
nibus et reparacionibus locorum aptaretur, adhuc in erario 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 351 


rait. Mais, quand il lui en fit la proposition, la jeune princesse lui 
répondit : « Mon trés redouté seigneur et père, j'ai accepté l'époux 
« que vous m'avez donné, lorsque je suis entrée dans cette sainte mai- 
« son ; je me suis vouée à lui, et de ma vie je ne le quitterai , si vous 
« ne m'en trouvez un autre meilleur ou plus puissant. » Le roi revint 
donc à Paris sans avoir rien conclu. Il tint plusieurs conseils sur les 
affaires de l’État. Il y fut décidé que les pensions annuelles des chambel- 
lans et des autres officiers de la cour seraient diminuées , que ceux qui 
recevaient deux mille écus d'or sur le trésor royal n'en recevraient 
plus que mille, et que les traitements des autres seraient réduits dans la 
méme proportion. On réduisit aussi le nombre excessif des collecteurs, 
des trésoriers du roi et des officiers des chambres du Parlement. Ces 
réformes pouvaient, disait-on, faire rentrer six cent mille écus d'or 
dans les coffres du roi. 


CHAPITRE XXIII. 


Moyens proposés pour remplacer les impóts. 


Pendant que le duc de Bourgogne avisait dans le conseil aux moyens 
de réduire les impóts, quelques gens proposérent, pour avoir plus 
d'argent, de taxer à vingt écus d'or par an toutes les villes et tous les 
villages de France, dont ils évaluaient le nombre à dix-sept cent mille; 
ils n'en exceptaient que sept cent mille, qui avaient été ruinés par les 
malheurs de la guerre et les épidémies. Ils calculaient que cela produi- 
rait une somme de vingt millions, sur laquelle on pourrait payer une 
solde de trente écus d'or par mois à chaque chevalier et de vingt- 
quatre à chaque écuyer pour continuer la guerre, et qu'en prélevant 
deux millions pour l'entretien du roi et autant pour les gages des col- 
lecteurs, et en appliquant le quart d'un million aux fortifications et 
aux réparations des places, on ferait encore rentrer chaque année trois 
millions dans le trésor royal. Comme on est toujours disposé à se lais- 
ser séduire par l'attrait de la nouveauté, les gens méme les plus sensés 
et les plus sages applaudirent à cette proposition. Mais quand on sut 


352 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


regali tres mille leones auri reponi poterant annuatim, Ut sem- 
per consueverunt placere que delectant, penes graves et mo- 
destos calculus acceptabilis videbatur; sed tandem cognito quod 
verbosi viri illi absque auctoritate regis et dominorum Francie 
in negocio illo procedebant, facti sunt populo in derisum et 
vulgale proverbium toto anno. 


CAPITULUM XXIV. 


Emunitatem decime Universitati rex concessit. 


Quoniam hiis diebus Parisiensem Universitatem dominus 
papa cogebat per subcollectores suos ad solvendum diu taxa- 
tam decimam, et sic ejus antiqua minuebatur libertas, ut inde‘ 
curarent qui regno auctoritate ceteris precellebant , quasi con- 
tra intollerabile stimulum recalcitrare decrevit. Et ut postula- 
cionibus ipsius qui regnum regebant aurem accommodarent 
benignam, in doctorum et magistrorum generali congregacione 
deliberatum extitit, ut a vicesima prima die novembris a pre- 
dicacionibus et scolasticis actibus in villa Parisiensi cessare- 
tur. Quod in multorum scandalum post versum est, quia tunc 
Adventum Domini ejus gloriosa Nativitas sequebatur, mentibus 
christianorum tunc, more solito, specialius imprimenda. Inde 
quidam hucusque obloquutores ignoti multos cedulis affixis in 
portis plurium ecclesiarum Parisiensium monuerunt ut tracta- 
tum vituperabilem, clam valvis ecclesie Nostre Domine affixum, 
perlegerent, in quo, multa enormia a mente sordidissima evo- 
mentes, multis viis ostendebant hanc cessacionem professioni 
tocius cleri et precipue omnium theologorum contraire. 


* Far. : n* 5959, fol. 54 r. nec inde. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 353 


ue ces donneurs d'avis n'étaient avoués ni par le roi ni par les sei- 
q 

A A 
gneurs de France, on ne songea plus qu'à s'en amuser et à les tour- 
ner en ridicule. | 


CHAPITRE XXIV. 


Le roi accorde l'exemption de la dime à l'Université. 


Vers ce temps, monseigneur le pape ayant voulu attenter aux anciens 
priviléges de l'Université de Paris en la contraignant par ses collec- 
teurs à payer la dime qu'il avait précédemment imposée , l'Université 
résolut de résister à cette mesure, qui lui semblait un abus intolérable, 
et d'en appeler à ceux qui gouvernaient l'État. Pour les forcer de 
faire droit à sa réclamation, elle décida dans une assemblée générale 
de docteurs et de professeurs qu'à partir du 21 novembre les prédi- 
cations et les lecons des écoles seraient suspendues à Paris. Cette réso- 
lution causa d'autant plus de scandale qu'on était alors dans le temps 
de l’Avent et aux approches de la fête de Noël, et qu'à cette époque 
les chrétiens ont plus que jamais besoin d'entendre précher sur la foi. 
Quelques gens malintentionnés appliquérent aux portes de plusieurs 
églises de Paris des placards, dans lesquels ils engageaient les habitants 
à lire un libelle infáme et grossier, affiché clandestinement au parvis 
de Notre-Dame de Paris, où l'on cherchait à prouver par différentes 
raisons que cette suspension des lecons était contraire à la profession 
du clergé et surtout à celle des théologiens. 


Lil. 45 


354 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


Dux eciam Aurelianensis, vigilia Natalis Domini, rectorem et 
quosdam magistros rogavit predicaciones pro tanta sollempni- 
tate resumere, promittens quod libertates eorum tueretur. Sed 
tunc presentes fuerunt quidam qui cor facile sequebantur et 
qui promissum reputaverunt inane, quia alias promissa non 
compleverat, ut dicebant, sic quia dux cum indignacione magna 
hanc repulsam sustinuit. 

Sic in statu continuaverunt negocium, donec regem, inco- 
lumitate recepta, adeuntes, vallidis precibus immunitatem pe- 
cierunt de decimis amplius non solvendis. Cui peticioni tum 
aliquandiu dux Aurelianis ob conceptam in eos iram se oppo- 
suit; sed eo pacificato, procuravit ut rex quod pecierant annue- 
ret in parte, sub hac forma: de consensu namque legatorum 
papalium decretum est, ut ab exactione hujusmodi decime 
ábhinc usque ad sequentem Nativitatem Domini cessaretur, 
nisi in contrarium papales littere iterum mitterentur; et hoc 
fuit munimine regii sigilli roboratum. Quo contenti, circa 
finem januarii lectiones et exercicia spiritualia resumpserunt. 


CAPITULUM XXV. 


Que laudabiliter gessit comes Ármeniaci anno isto. 


Dum Bernardus, comes Armeniaci, in Burdegalensi provincia, 
comite Clari Montis, mille et sexcentis militibus et armigeris sti- 
patus ac quatuor milibus communiarum hybernaret, ad hono- 
rem regni Francie, cum uxorem de Francorum progenie utpote 
filiam ducis Biturie duceret, quedam strenue et laudabiliter 
gessit, hic non immerito scribenda. Septem namque ebdoma- 
darum spacio, nunc insidiis, nunc inopinatis discursibus, nunc 
aperte in Anglicos et Guascones, hostes regni, erupciones 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 355 


La veille de la féte de Noél, le duc d'Orléans pria lui-méme le 
recteur et quelques-uns des docteurs de reprendre leurs prédications 
à l'occasion de cette solennité , et promit de défendre leurs priviléges. 
Mais parmi ceux qui se trouvaient là il y en eut qui s'emportérent 
jusqu'à dire qu'ils ne faisaient aucun cas de cette promesse, parce que 
le duc avait déjà manqué à sa parole. Cette réponse irrita beaucoup 
le duc. | 


Les choses demeurérent dans le méme état, jusqu'à ce que le roi eût 
recouvré la santé. Alors les membres de l'Université allérent le trou- 
ver et lui demandérent instamment l'exemption de la dime. Le duc 
d'Orléans, encore vivement irrité contre eux, s'opposa quelque temps 
à leur demande. Cependant il s'apaisa et obtint que le roi acquiescát 
en partie à leur désir, en la forme suivante: savoir que, du consente- 
ment des envoyés du pape, on surseoirait à la levée de la dime jusqu'à 
la prochaine féte de Noél, s'ils ne recevaient un ordre contraire par 
lettre expresse du pape. Cette décision fut scellée du sceau royal. 
L'Université s'en montra satisfaite, et vers la fin de janvier elle reprit 
ses lecons et ses exercices spirituels. 


CHAPITRE XXV. 


Exploits par lesquels se signala le comte d'Armagnac durant le cours de cette année. 


Bernard , comte d’Armagnac, tenait alors ses quartiers d'hiver dans 
la province de Bordeaux, ayant en sa compagnie le comte de Clermont, 
seize cents chevaliers et écuyers et quatre mille hommes des milices 
communales. L'alliance qu'il avait contractée avec la maison royale 
de France, en épousant la fille du duc de Berri, lui inspira le désir de 
faire quelque chose pour l'honneur du royaume et de signaler sa valeur 
par des exploits que je crois devoir rapporter. Durant sept semaines 
il ne cessa de faire une rude guerre aux Anglais et aux Gascons, en- 
nemis du royaume, tantôt les surprenant par des embuscades et des 


356 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 

faciens , ipsis intulit intollerabilia dampna, strage, cedibus et 
incendiis cuncta replens. In prosequcione illa, non solum domi- 
num de Calvo Monte apertis viribus expugnavit, sed et decem 
et octo oppida ejus dicioni subjecta, inter que merito nominabo 
Portum Sancte Marie, Lasingnat , Thonnans , Pamperdart, tur- 
rem fortissimam Aculei, Berigat, Poilliac, Motam de Surdre, 
Brudoire, burgum Sancti Petri de Tonnans, virtute assultuum 
lucratus est. 

. Presenti successu factus elacior, et veniens apud Bombatat, op- 
pidum forme quadre, quatuor turres habens angulares , quarum 
una grossior et municior aliis erat, vallo et antemurali muni- 
tum, oppidanis viribus et multitudine fidentibus dedicionem 
imperavit. Qua spreta cum verbis derisoriis, castrum crebris 
assultibus et denso sagittarum nimbo fatigare instituit; sed 
trino assultu facto non sine strage hominum, oppidani videntes 
obsidencium constanciam, et de viribus diffidentes, nimia con- 
cussi formidine, ad comitem missa legacione, pacem impe- 
trant, ea condicione ut loco cederent indampnes. Quo concesso, 
cum claves comiti attulissent, et juramentum fidelitatis regi 
Francie promittentes victoribus aditum contulissent, ibi defec- 
tus victualium quos prius pertulerant grata redimentes opu- 
lencia, equis et subjugalibus universis pastum benignius indul- 
serunt, ocio simul et alimentis aliquandiu corpora recreantes. 
Subsidiariisque relictis, quod satis esset ad castri subsidium, 
inde successus prosperos urgens dictus comes Burdegalensem 
adiit civitatem, ut cives.viribus infestaret , ipsis mandans quod, 
si exire audebant, eos procul dubio ad pugnam mutuam fixo 
pede expectaret. Ex tunc acies apte disponens, ex expertis scu- 
tiferis centum noviter accinxit balteo militari, qui ceteros pre- 
cederent ad strenuitatis titulum acquirendum, si contingeret 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 351 


incursions soudaines, tantôt les attaquant à force ouverte. Il leur fit 
essuyer toutes sortes de dommages, et mit tout le pays à feu et à sang. 
Dans cette expédition, il fit prisonnier le sire de Caumont, et prit d'as- 
saut dix-huit places qui appartenaient à ce seigneur, entre autres 
Port-Sainte-Marie, Lasingnat, Tonneins, Pamperdart, la forte tour 
d'Aiguillon, Berigat, Pauillac, la Motte de Surdre, Brudoire et le 
bourg de Saint-Pierre de Tonneins. 


Enhardi par ces succés, le comte d'Armagnac marcha sur la place 
de Bombatat, construite en carré, flanquée de quatre tours angu- 
laires, dont l'une était plus grosse et plus forte que les autres, et dé- 
fendue par un fossé et par un avant-mur. Il somma les habitants de se 
rendre. Ceux-ci , qui comptaient sur leur nombre et sur la force de la 
place, ayant repoussé cette sommation avec dédain, il les attaqua vigou- 
reusement et fit pleuvoir sur eux une gréle de traits. Les assiégés 
soutinrent d'abord trois assauts qui leur coütérent beaucoup de monde; 
mais bientôt, effrayés de la persévérance des assiégeants, et se défiant 
de leurs propres forces , ils envoyérent demander la paix au comte, et 
obtinrent qu'on les laissát sortir vie et bagues sauves. En conséquence 
ils apportérent au comte les clefs de la ville, jurérent fidélité au roi 
de France et ouvrirent leurs portes aux vainqueurs. Ceux-ci se dé- 
dommagérent amplement des privations qu'ils avaient eu à supporter. 
Ils trouvèrent des vivres en grande quantité pour leurs chevaux et 
pour leurs bétes de somme, et goütérent quelque temps les douceurs 
du repos et de l'abondance. Le comte d'Armagnac laissa une gar- 
nison suffisante pour garder la place; puis, poursuivant le cours de 
ses succés, il se dirigea sur Bordeaux. Il offrit la bataille aux habi- 
tants, en leur faisant dire que, s'ils voulaient sortir, il les atten- 
drait de pied ferme. Il disposa sa troupe autour de la ville, et arma 
chevaliers cent des plus braves écuyers, qui devaient marcher à 
l'avant-garde pour gagner leurs éperons, si la bataille avait lieu. En 
méme temps, il fit soigneusement garder toutes les issues, pour qu'on 
ne püt faire passer des vivres aux habitants. Mais au bout de quatre 


358 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


pugnare. Sed cum jam triduo expectassel, ingressus quoque et 
exitus urbis custodire diligentissime statuisset, ne victualia civi- 
bus defferrentur, ipsi tandem recessum comitis ingenti peccu- 
nia mercati sunt. 


CAPITULUM XXVI. 


Blada Anglicis denegantur. 


In Anglia pestilentem estatem inopia frugum, ut plerumque 
fit, excepit, annonaque tritticee messis deficiente, cum regni- 
cole famis inedia laborarent, tritticique modius multis aureis 
venderetur, assensu unanimi comitem de Pennebroc in Fran- 
ciam mittere statuerunt, ut instantissime grana procuraret. 
Qui salvo conductu cum difficultate magna, mense februario, 
impetrato, quia rex eodem mense mentis iterum cecitatem 
incurrerat, ad dominos duces Biturie, Aurelianis et Burgundie 
accessit Parisius, supplicans humiliter ut, federe induciali usque 
ad Sancti Johannis festum prolongato, ipsi liceret ubique per 
regnum frumenta comparare. Super peticione minime concor- 
des fuerunt dicti duces; nam cum inde patentes litteras vallidis 
precibus impetrasset, rogans ducem Burgundie ut ipsas sicut 
alii suo sigillo firmaret, mox eas accepit et in ignem projecit, 
comiti precipiens ne moram amplius faceret in regno. 


CAPITULUM XXVII. 


De multis nunciis missis et remissis ad" unionem Ecclesie. 


Ad eosdem eciam duces littere regis Hyspanie allate sunt, in 
quibus regem monebat ut ad ambos qui se pro summis ponti- 


be" 


' Far. : n* 5959, fol. 55 r., ob unionem. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 359 


jours, les bourgeois achetérent sa retraite moyennant une grosse 
somme d'argent. 


CHAPITRE XXVI. 


On refuse du blé aux Anglais. 


L'été fut si mauvais cette année en Angleterre, que la récolte man- 
qua, et qu'il y eut une disette. Les habitants souffraient de la famine; 
le boisseau de blé se vendait plusieurs écus d'or. On décida d'un com- 
mun accord que le comte de Pembroke se rendrait en France, pour 
acheter des grains. Le comte obtint avec beaucoup de peine un sauf- 
conduit pour le mois de février. Au moment où il arriva à Paris, le 
roi venait d’être repris de son mal. Il s'adressa donc à messeigneurs 
les ducs de Berri, d'Orléans et de Bourgogne, et les supplia humble- 
ment de consentir à une prolongation de la tréve jusqu'à la Saint- 
Jean et de lui permettre de faire des achats de blé dans le royaume. 
Sa requéte fut diversement accueillie. Les ducs d'Orléans et de Berri, 
cédant à ses instances, lui accordérent des lettres- patentes; mais lors- 
qu'il pria le duc de Bourgogne de vouloir bien y ajouter son sceau, le 
duc les prit et les jeta au feu, en ordonnant au comte de ne pas rester 
plus long-temps dans le royaume. 


CHAPITRE XXVII. 
Négociations relatives à l'union de l'Église. 


En méme temps lesdits ducs recurent des lettres du roi d'Espagne, 
par lesquelles il engageait le roi à envoyer comme lui des ambassa- 
deurs aux deux prétendus papes au sujet de l'union. Ce conseil leur 
ayant paru sage, ils choisirent pour cette mission quelques-uns des 


360  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


ficibus gerebant nuncios mitteret sicut ipse, pro unione ha- 
benda. Quod racionabile judicantes, ad id quosdam circum- 
spectos ex gremio alme Universitatis elegerunt, qui tamen iter 
minime arripuerunt ob peccuniarum "defectum. Mense eciam 
sequenti, ambassiatores facultatum alme Universitatis, qui cum 
magistro Petro Plo, magistro in theologia, ad antipapam 
destinati fuerant, et qui octo mensium spacio expectaverant, 
ut scirent quam mentem gereret ad abolendum nephandis- 
simum scisma, redierunt; et in presencia prenominatorum 
ducum constituti, ipsum prelatos obediencie sue ad festum 
omnium Sanctorum litteris appostolicis evocasse retulerunt, ter- 
minumque iterum prolongasse usque ad Sancti Martini festum, - 
ut in majori numero convenientes securius deliberarent in 
causa unionis. Addiderunt ulterius et quod, cum eis inito secreto 
consilio, ipsos cum credencie litteris remiserat, dicens quod, 
quia non omnes mandatis appostolicis paruerant, alios cogeret 
comparere mense mayo futuro, cum sacramentis affirmans quod 
quicquid concluderent ad unionem habendam efficaciter ad- 
impleret. 

Ut autem de redeuntibus et remittendis nunciis rumor venit 
ad aures domini Benedicti, mox dominum de Challanto, dyaco- 
num cardinalem, destinavit in Franciam, ad id solum, ut rei 
exitus comprobavit, ut legacione frustrata, in prosequcione 
pacis Ecclesie, solum quod ipsi mens suggerebat ipsi duces 
acceptarent. Et ideo, quamvis scirent ipsum functum auctori- 
tate legati a latere, adventum tamen ejus, quem inutilem repu- 
tabant, gratum non multum habuerunt, nec ipsum ingredien- 
tem Parisius honore solito in casu simili prevenerunt, eique 
audienciam dare usque post Pascha distulerunt, addentes tamen 
ut sic rex legacionem ipsius presencialiter audiret. Durante 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 364 


principaux membres de la vénérable Université. Mais le manque d'ar- 
gent empécha les députés de se mettre en route. Le mois suivant, 
les ambassadeurs des facultés de l'Université, qui avaient été députés 
vers l'antipape avec maître Pierre Plaon, docteur en théologie, et 
«qui avaient attendu pendant huit mois qu'il leur fit connaitre ses in- 
tentions touchant l'extirpation du déplorable schisme, revinrent en 
France et se présentérent auxdits ducs. Ils exposérent que l'antipape 
avait convoqué les prélats de son obédience par un bref apostolique 
pour la féte de la Toussaint, et qu'il avait ensuite différé cette convo- 
«cation. jusqu'à la Saint-Martin, afin que l'assemblée fût plus nom- 
breuse et qu'on y délibérát plus mürement sur les affaires de l'union. 
- His ajoutérent qu'ils avaient été congédiés avec des lettres de créance, 
A la suite d'une conférence particulière, que l'antipape leur avait 
promis d'obliger tous les prélats qui ne s'étaient point rendus à son 
nandement apostolique à comparaître au mois de mai prochain, et 
«qu'il s'était engagé par serment à accomplir scrupuleusement tout ce 
«qu'ils auraient décidé en faveur de l'union. 


Dés que monseigneur Benoit fut instruit du retour de ces députés et 
«le la nouvelle ambassade qui se préparait, il envoya en France un 
«cardinal diacre nommé monseigneur de Challant, dans le seul but 
Cl'entraver l'ambassade projetée et de diriger les ducs par ses conseils 
dans tout ce qui concernait le rétablissement de la paix de l'Église. 
Aussi le cardinal , malgré son titre de légat a latere, fut-il recu avec peu 
de faveur, parce qu’on soupconna la nature des instructions dont il était 
chargé. On ne lui rendit point à son entrée dans Paris les honneurs 

usités en pareille circonstance, et les ducs remirent son audience aprés 

Páques, sous prétexte que le roi pourrait alors l'entendre en personne. 

Il profita de ce temps pour faire de fréquentes visites à chacun des 

princes. Ayant remarqué que le duc de Berri adhérait plus fortement 

que tous les autres à la voie de cession de concert avec l'Université, 
111, 46 


362 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


autem spacio, cum duees singulos familiariter visitasset, atten- 
dens ducem Biturie super omnes in via cessionis cum Univer- 
sitate favorabilius stare, ipsum secrete monuit et rogavit ut 
eidem deinceps audienciam denegando verbis ejus inanibus 
aures nequaquam accommodaret, asserens quod ex hoc fragoso 
et tumultuoso nido multi turbati capitis procedebant, qui po- 
cius in sentenciis propriis optabant apparere quam unioni 
vacare, 

Hiis sinistris et similibus obloquucionibus ducis mentem non 
mutavit; nam sciebat qualem quantamque sollicitudinem ipsa 
Universitas gesserat, quantumque in ambassiatis exposuerat, 
ut dampnosum scisma de mortalium medio tolleretur. Unde 
frivolas obloquuciones in obloqutorem retorquens: « Sed vobis, 
« inquit, cardinalibus est audiencia deneganda, cum, sicut aspi- 
«des surde obturantes aures vestras, viam cessionis audire 
« negligitis ad obtinendum unionem. De qua procul dubio non 
« curantes, nil aliud intenditis nisi de regni ditari peccuniis, 
«ut sic magnifice et pompose possitis continuare statum ves- 
« trum. » 


CAPITULUM XXVIII. 


De novo admirallo Francie. 


Circa finem hujus anni, interventu domini ducis Aurelia- 
nis et precibus, dominus Clignetus de Brebanto, vir non alto 
sanguine procreatus, nec ex generosis proavis ducens origi- 
nem, sed munificencia dicti ducis sufficienter ditatus, Francie 
constitutus est admirallus. Quod et sane non sine multorum 
circumspectorum admiracione contingit, asserencium publice 
ipsum nunquam inter equorea tedia clavum regere, vela flectere 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 363 


il lui conseilla et le pria secrétement de ne plus accorder d'audience 
aux membres de cette compagnie et de ne plus préter l'oreille à leurs 
vains discours ; il lui parla de l’Université comme d'une cohue de gens 
sans raison, qui avaient bien plus à coeur de faire prévaloir leurs 
propres avis que de travailler à l'union. 


Ces insinuations calomnieuses n'eurent point de prise sur l'esprit 
du duc; il savait toute la sollicitude de l'Université pour l'union de 
l'Église, et tout ce qu'elle avait dépensé en ambassades, pour mettre 
un terme au malheureux schisme. Il rétorqua ces calomnies contre 
leur auteur : « C'est à vous autres cardinaux, dit-il, qu'il ne faut plus 
« accorder audience, à vous qui bouchez vos oreilles comme des aspics 
« insensibles, et qui refusez d'adopter la voie de cession, qui serait 
« le meilleur moyen d'arriver à l'union de l'Église. Mais c'est là le 
« moindre de vos soucis; vous ne songez qu'à vous enrichir aux dé- 
« pens de ce royaume, afin de pouvoir entretenir votre faste et le luxe 
« de vos maisons. » 


CHAPITRE XXVIII. 


Du nouvel amiral de France. 


Vers la fin de cette année, messire Clignet de Brabant fut fait ami- 
ral de France, par l'entremise et à la priére de monseigneur le duc 
d'Orléans. C'était un homme obscur et sans naissance, qui avait été 
enrichi par la munificence dudit duc. Les gens sages ne furent pas peu 
surpris de ce choix. Ils disaient hautement qu'on ne l'avait jamais vu 
braver les dangers de la mer, manier le gouvernail ou manœuvrer les 
voiles et les rames, et qu'il ignorait toute la joie qu'on éprouve à 
ramener son vaisseau dans le port, aprés avoir vaincu les difficultés 


364 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


vidisse nec remiges moderari, vel quantum letum sit nauticis, 
evasis periculosis scopulis et procellosis anfractibus, ad portum 
utilem transmeare. Successit autem viro insigni domino Regi- 
naldo de Trya morbis incurabilibus tum detento, prius tamen 
pacto mutuo firmato de solvendis sibi quindecim mille scutis 
auri ut officium regale in manu dicti Clugneti resignaret. Ope 
eciam dicti ducis comitissam de Blesis desponsavit, utique ut 
condicionem suam faceret meliorem. Nam jure hereditario pau- 
per existens et tenuis, vix ad necessitates cotidianas et equi- 
tum stipendia sibi poterat sufficere; unde de comitisse re- 
dundancia sue affectabat inopie subveniri. Non tamen sine 
multorum admiracione actum est quod tàm preclara, potens 
et illustris femina et tam comitis excellentis nuper uxor tantillo 
militi nubere dignaretur. 


CAPITULUM XXIX. 


De Francorum exercitu trifarie diviso ad obsidendum Brantomme, servandum 
Picardiam, et debellandum Lothoringos. 


Ut superius tactum est, Anglici, hostes regni, ab insidiosa 
piratica ad Picardie, Britanie, Normanie littora sepius prosi- 
lientes lupina rapacitate, cum incolis vinculis alliguatis greges 
et armenta undique contrahentes, in Calesium omnimodam ali- 
mentorum opulenciam abduxerant. Sed cum sic sepissime gras- 
sarentur, ut indigencie sue alleviarent inediam, in Acquitanie 
partibus rex Anglie dampna non paciebatur minora a Gallicis, 
qui sub vexillis conestabularii Francie et Armeniaci comitis 
militabant. De sexaginta namque tam villis muratis quam op- 
pidis Guascones et Auglicos partim viribus, partim peccuniali 
tractatu expulerant, qui a compatriotis pastum annuum ducen- 


366 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


torum milium aureorum extorquebant, ut sic secure valerent 
agriculture vacare. Dum autem sic procurarent patrie liber- 
tatem ubique discursus liberos exercendo, audientes quod de 
quadam villa forti non longe ab eis distante, in Petragorico ter- 
ritorio sita, Brantomme nuncupata, hostes sepius erumpentes, - 
circumadjacentes incolas intollerabiliter opprimebant, eorum 
victi precibus ipsam capere decreverunt. Premittunt igitur qui 
dedicionem auctoritate regis Francie imperarent. Qua cum 
superbia denegata , villam obsidione cinxerunt, per gyrum ob- 
sidionalia instrumenta debite collocantes, que die noctuque 
incessanter ingentis ponderis lapides emitterent, statueruntque 
introitus et exitus ipsius diligentissime servare, ne obsessis vic- 
tualia defferrentur. Octo ebdomadarum spacio, nostri arcubus 
et balistis et quolibet missilium genere hostes tanto studio et 
tanta instancia vexaverunt, ut nec manum auderent extra pro- 
pugnacula ponere. Oppidani autem, quo majorem nostrorum 
videbant instanciam, eo diligencius in contraria se attollebant 
argumenta, ut et vim viribus et artem simili refellerent artifi- 
cio. Tandem tamen, cum pati assultuum asperitates nequirent, 
habita mutua deliberacione, et ea usi que miseris et afflictis 
rebus solet adesse sollercia , condiciones quales necessitas extor- 
quere solet postulacionibus interponunt : videlicet quod, nisi 
infra festum Pentecostes eis subsidium ministraretur ab Angli- 
cis, villam et oppidum resignarent. Quod poscebatur diu Gal- 
lici renuerunt, cum sperarent in brevi rem fine debito et lau- 
dabili terminandam. Sed egre ferentes sibi improperari quod 
id ex pusillanimitate procedebat, cum adversarios timerent, 
tandem petitum annuentes, campum ad dimicandum aptum 
concorditer elegerunt, obsides recipientes qui capite luerent, 
si pacto non staretur. 


CHRONIQUE DE CHABLES VL — LIV. XXVI. 367 
ne. commettaient pas moins de dégâts en Aquitaine dans les possessions 
du roi d'Angleterre. Ils avaient. déjà enlevé, soit par force soit par 
composition, soixante villes closes et places fortes aux Gascons et aux 
Anglais, qui faisaient acheter aux habitants, moyennant une contribu- 
tion annuelle de deux cent mille écus d’or, le droit de cultiver leurs 
terres. Tandis qu'ils travaillaient ainsi à la délivrance de l’Aquitaine, 
et qu'ils couraient la campagne sans obstacle, ils apprirent que les 
ennemis sortaient souvent d’une ville du Périgord appelée Brantôme 
et située dans le voisinage, qu'ils infestaient le pays d'alentour et l'aeca- 
blaient de toutes sortes de maux. Sur la prière des habitants qui im- 
plorérent leur secours, ils résolurent, de prendre cette place. Ils. la 
sommérent d'abord au nom du roi de France de se rendre à eux. Cette 
sommation ayant été repoussée avec mépris, ils en commencérent le 
siége, dressérent leurs machines autour des murs et lancérent nuit et 
jour sans reláche d'énormes pierres contre la ville. En méme temps ils 
semparérent soigneusement de toutes les issues, pour interceptér les 
vivres aux assiégés. Pendant huit semaines les Francais firent pleuvoir 
sur leurs ennemis une gréle de traits, de fléches et de toutes sortes de 
projectiles, et les assaillirent avec tant d'acharnement, qu'ils n'osaient 
plus se montrer sur leurs remparts. Cependant, plus nos soldats dé- 
ployaient de vigueur dans l'attaque, plus les assiégés mettaient d'opi- 
niâtreté dans la défense, s'efforcant de repousser la force par la force 
et la ruse par la ruse. Mais enfin, voyant qu'ils ne pouvaient plus 
soutenir de si rudes assauts, ils se consnltérent entre eux pour aviser 
sux moyens de se sauver dans leur détresse, et firent aux assiégeants 
des propositions telles queles leur imposait la nécessité : ilsoffrirent de 
rendre la ville et la citadelle à la fête de la Pentecôte, si les Anglais ne 
leur envoyaient du secours avant ce temps. Les Francais rejetérent 
d'abord ces conditions, dans l'espérance de mener le siége à bonne 
fin. Mais bientôt, piqués du reproche des assiégés qui attribuèrent 
leur refus à la crainte de l'arrivée des Anglais, ils acceptérent les 
conditions proposées, choisirent de concert avec eux un lieu pour la 


bataille et recurent des otages, qui devaient répondre sur leur téte de 
l'exécution du traité. 


368 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


Dominis ducibus, qui, rege solito morbo detento, regni ar- 
dua disponebant, tractatus valde placuit; sed audientes ad 
diem dictam regem Anglie filium suum missurum in multi- 
tudine gravi bellatorum, huc eciam dominum Buticularium 
insignem militem ad supplementum exercitus mittere statue- 
runt. Ad probitatis et strenuitatis titulum acquirendum pre- 
clari comites Clari Montis et de Alenconio, regis Francie cog- 
nati, ejus vestigia sunt sequti cum tribus milibus loricatorum 
ad unguem, sperantes certissime ibi reperire materiam trium- 
phorum. Et quoniam in ambiguum veniebat ne hostes innata 
astucia expedicionem hanc fingerent , ut caucius et liberius per 
Picardiam grassarentur, ex hiis oris sexcenti pugnatores do- 
mino de Sancto Georgio dicti duces commiserunt, qui patriam 
ab eorum discursibus tuerentur. 

Ín consistorio principum, dum tractarentur predicta, insignis 
marchio de Ponte, filius ducis de Baro, regis Francie conso- 
brinus, graves querimonias retulit super injuriis sibi a duce 
Lothoringie illatis, que revera in regis et regni dedecus verte- 
bantur. Et ut occasionem ordiar aliquantulum alcius, dux ipse 
a Metensibus in auxilium evocatus, quos comites de Saumes et 
Salleburie cum nonnullis aliis militibus Alemanis opprimebant 
intollerabiliter, cum ipsum in protectorem et custodem preci- 
puum elegissent, mox collecta suorum vallida manu, diu ter- 
ras hostium rapinis et incendiis devastavit. Hoc utique genus 
guerre, quia utrisque contendentibus consuetum, Lothoringi 
irreprehensibilem reddidissent, nisi in vicinos bene sibi meritos 
et nichil sibi timentes crudelitatis sue vestigia dilatassent. Nam 
terram ducis de Baro hostiliter subintrantes, castrum ejus An- 
tegardia vocatum, sed sub dicione regia tunc detentum propter 
discordiam motam super possessione ipsius, viribus occupantes, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 369 


Messeigneurs les ducs, qui dirigeaient les affaires pendant la mala- 
die du roi, approuvérent cette convention. Mais ayant appris qu'au 
jour marqué le fils du roi d'Angleterre devait arriver avec des troupes 
nombreuses, ils envoyérent au secours de l'armée francaise un che- 
valier de grand renom, nommé messire le Bouteiller. Les illustres 
comtes de Clermont et d'Alencon, cousins du roi de France, jaloux 
de signaler leur valeur et espérant en trouver l'occasion dans cette 
guerre, le suivirent avec trois mille hommes armés de pied en cap. 
Cependant, de peur que l'ennemi n'eüt voulu les tromper et n’eût 
supposé cette expédition dans le dessein de courir plus sürement et 
plus librement la Picardie, lesdits ducs envoyérent six cents hommes 
d'armes sous la conduite du sire de Saint-Georges, pour protéger cette 
province contre leurs attaques. 


Sur ces entrefaites , l’illustre marquis du Pont, fils du duc de Bar et 
cousin du roi de France, se plaiguit trés vivement dans le conseil des 
princes des injures que lui avait faites le duc de Lorraine, et remontra 
que la honte en rejaillissait sur le roi et sur le royaume. Je repren- 
drai de plus haut le récit de ce différend. Les habitants du pays de 
Metz, se voyant exposés aux attaques des comtes de Salm et de Saar- 
brück et de quelques autres chevaliers allemands, appelérent à leur 
secours le duc de Lorraine, sous la protection duquel ils s'étaient pla- 
cés. Le duc rassembla une troupe nombreuse et mit à feu et à sang 
les terres de l'ennemi; car c'est ainsi qu'on fait la guerre en ce pays. 
Aussi les Lorrains n'eussent-ils mér:té aucun. bláme, s'ils n'eussent 
étendu leurs ravages jusque sur les terres voisines, dont les habi- 
tants étaient étrangers à cette querelle et ne devaient s'attendre à 
aucune attaque. Ils entrérent en effet dans le duché de Bar, où ils 
commirent toutes sortes d hostilités, et s'emparérent d'un château 
nommé l'Avant-Garde, qui appartenait au duc, mais qui était alors 
en séquestre entre les mains du roi. Ils le détruisirent presque com- 
plétement, et ne craignirent pas de se rendre coupables de lése-ma- 
jesté en maltraitant et en tuant méme les gens du roi. 

It. 47 


370 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVI. 


destruxerunt in parte, ab eisque in gentes regis usque ad in- 
ternicionem fede sevitum est, parvipendentes se sic crimen lese 
majestatis incurrisse. 

Enormitatem excessus ipsi duces cum displicencia, nec im- 
merito, audierunt. Tandem tamen attendentes quod non solum 
regium est hostes repellere, ne regnis noceant, sed et eorum 
scelera vindicare ad cohercionem malorum, hoc marchioni com- 
miserunt, auxilium sibi mittendum promittentes tempore op- 
portuno. Non expediens dicebant tunc triphariam dividere mi- 
liciam gallicanam. Sed huic oppinioni modis omnibus resistit 
dux Aurelianis, et ut ferebant nonnulli, quia custodiam Meten- 
sium in vanum procuraverat. Quapropter dilectos sibi magis- 
trum domus regie precipuum dominum Johannem de Monte 
Acuto et novum admirallum Francie illuc misit, qui predicti 
marchionis vestigia sunt sequti. Qui, cum villam populosam 
de Castro Novo, quam dux Lothoringie a rege Francie tenebat 
in feodum, attigissent, et introitum pre potencioribus precibus 
impetrassent, comperientes patriam adjacentem flamma voraci 
consumptam bonis omnibus carere, ibi dignum duxerunt ma- 
nere, quousque deliberassent quid inde agere possent. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. 374 


À la nouvelle de ces excès, les ducs éprouvèrent un juste mécon- 
tentement. Considérant que le roi ne pouvait se contenter de repousser - 
les ennemis et de les empécher d'infester le royaume, mais qu'il devait 
encore tirer vengeance de leurs crimes, pour intimider les méchants , 
ils chargérent le marquis du Pont de marcher contre les Lorrains, et 
promirent de lui envoyer des renforts en temps et lieu; car ils n'étaient 
point d'avis qu'il fallàt pour le moment diviser l'armée francaise en 
trois corps. Le duc d'Orléans combattit cette opinion de toutes ses 
forces, parce qu'il en voulait, disait-on, à ceux de Metz qui avaient 
refusé de lui confier la garde de leur ville. Il fit partir aussitót deux de 
ses familiers, messire Jean de Montaigu, grand maitre de l'hótel du 
roi, et le nouvel amiral de France, qui rejoignirent le marquis du 
Pont avec des gens de guerre. Ces deux chevaliers, étant arrivés à 
Neufcháteau, ville trés peuplée que le duc de Lorraine tenait en fief 
du roi, eurent bien de la peine à s'y faire admettre. Comme tout le 
pays d'alentour avait été incendié et qu'il n'y avait pas de quoi vivre, 
ils prirent la résolution de rester dans la ville, jusqu'à ce qu'ils eussent 
avisé à ce qu'ils pourraient faire. 


Anni Domini 


MCCCCVT. 


CHRONICORUM 
KAROLI SEXTI 


LIBER VICESIMUS SEPTIMUS. 


Pontificum xu, 
Imperatorum vi, 

Anni Domini «ccccvi, 4 Francorum xxvii, 
Anglorum vir, 
Sicilie vi. 


CAPITULUM I. 


Causam sue legacionis dominus cardinalis exponit. 


Ap statum universalis Ecclesie dolorosum, cujus deflendam 
hucusque continuacionem summatim perstrinxi, reducens ca- 
lamum, dominus cardinalis, memor sibi prefixi termini, mensis 
apprilis die penultima, in Palacio regali coram ducibus Francie 
et aurea deferentibus lilia, sicut conclusum fuerat ante Pascha, 
causam sue legacionis exposuit. Latino namque eloquio et lin- 
gua diserta primo nephandissimum scisma dampnaus, pericula 
procedencia ex eo et qualiter occasione ipsius diu zelus inte- 
puerat populi christiani, multis in locis sanguis humanus effu- 
sus fuerat, et infidelibus sancta religio et catholica fides habita 
erat ludibrio, apertis exemplis et racionibus demonstravit. De 
duobus inde contendentibus faciens mencionem, et Innocencii 
intrusi mores et vitam reprobans, ut opposita juxta se posita 
plus elucescerent, dominum Benedictum multipliciter commen- 





314 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


davit, affirmans ipsum hucusque ad abolendum scisma pesti- 
ferum efficaciter laborasse, nil de contingentibus, necessariis et 
utilibus, quantum in eo fuerat, omittendo. Id compertum om- 
nibus reputabat, cum tam ardenti desiderio affectaret ad unio- 
nem procurandam a consanguineis regis Francie Romam duci, 
hoc honore Francos dignos singulariter judicans, cum proge- 
nitores eorum romana Ecclesia semper habuerit precipuos 
protectores, et anchoram spei sue post Deum in eorum ad- 
jutorio fixisset. In eos autem qui domino pape negligenciam 
imputabant amphibologicis verbis et mordaci redargucione 
usus, hos loquaces et omni accepcione indignos multis mediis 
ostendit, affirmans dominum ipsum papam ad procurandum 
unionem semper gessisse promptam voluntatem, in calce ver- 
borum addens : « eciam usque ad cessionem, ubi tamen sibi ex- 
pediens videretur. » Cum verbis finem dedisset, rogans omnes 
ut cum Benedicto starent pro adipiscenda pace Ecclesie, aucto- 
ritate rectoris tunc presentis magister Johannes Parvi, Professor 
in sacra pagina et nacione normannus , assurrexit, ipsis ducibus 
presidentibus supplicans ut quod in proposito veneranda Uni- 
versitas sentiret audiretur. . 


CAPITULUM II. 


Controversiam Universitatis et pape duces dominis curie Parlament commiserunt. 


e 
Soluto colloquio, pluries in vanum reiteratur predicta sup- 


plicacio, cum quorumdam magnatorum aures offenderet. Sed 
passis multis repulsis, tandem importunitati petencium princi- 
pes acquiescentes , maii mensis decima septima die , Universitati 
audienciam concesserunt. Tunc propositum perorandum pre- 
nominatus magister suscipiens , summatim quoque perstringens 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 375 


contraste, il lui prodigua toutes sortes d'éloges et assura qu'il avait tra- 
vaillé jusqu'alors de tout son pouvoir à étouffer le malheureux schisme, 
et qu'il n'avait négligé aucun des moyens qui étaient en son pouvoir 
pour atteindre ce but. Il croyait, ajouta-t-il, que c'était chose connue 
de tout le monde, puisque monseigneur Benoit avait témoigné un si 
ardent désir d'aller à Rome, dans l'intérét de l'union, sous l'escorte 
des princes du sang royal de France, les jugeant entre tous les plus 
dignes de cet honneur, parce que leurs ancétres avaient toujours été 
les principaux protecteurs de l'Église romaine, et qu'ils étaient aprés 
Dieu son plus ferme espoir. Le cardinal attaqua ensuite avec aigreur 
et en termes ambigus ceux qui accusaient monseigneur le pape de 
négligence. Il essaya de prouver que c'étaient des bavards indignes de 
toute confiance, et il afirma que monseigneur le pape avait toujours 
été bien intentionné en faveur de l'union: « à tel point méme, dit-il 
en finissant, qu'il eût accepté la voie de cession, dés qu'elle lui eût 
semblé utile. » Il supplia tous les assistants de se déclarer pour Benoit, 
afin d'assurer la paix de l'Église. Quand il eut cessé de parler, maitre 
Jean Petit, professeur de théologie et normand de nation, se leva 
par ordre du recteur qui était là, pour demander à messeigneurs les 
ducs , qui présidaient l'assemblée, qu'on voulût bien entendre l'avis 
de la vénérable Université sur cette matiére. 


CHAPITRE II. 


Les dues soumettent le différend de l'Université et du pape à messieurs du Parlement. 


L'assemblée s'étant séparée, ladite demande fut renouvelée plusieurs 
fois, mais toujours sans succés, parce qu'elle déplaisait aux principaux 
seigneurs du royaume. On ne se rebuta pas de ces refus, et à la fin 
les princes, vaincus par tant d'importunités, accordérent une audience 
à l'Université, pour le 47 mai. Maitre Jean Petit porta la parole. 
Après avoir touché sommairement certains points, sur lesquels j'insis- 
terai ailleurs avec détail, il s'étendit longuement sur la nécessité de 


376 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VII. 


que postea prosequuturus sum lacius, ut substractio alias facta 
pape ab universis servaretur, iniqua condempnaretur epistola 
Tholosana, et gallicana Ecclesia ab exactionibus a Romana 
curia introductis indebite*, longo et prolixiori sermone suppli- 
cavit. Super hiis deliberare domini duces repetitis vicibus exo- 
rantur. Que dissuadebant nonnulli, qui eisdem obsequebantur 
familiarius, incessanter suggerentes eos cum domino papa stare 
debere, neque verbis inanibus auditum accommodare qui 
scripta racionabilia studii Tholosani injuste redarguentes , an- 
tiqua eciam appostolica jura conabantur penitus anullare. Vi- 
dentes autem principes propter vicissitudines negociorum regni 
emergencium, hiis unum suggerentibus atque aliis aliud, non 
posse satisfacere requestis, et quod contrarietas parcium forum 
litigiosum poscebat, rem terminandam dominis Parlamenti com- 
miserunt. Qui, partibus ad hoc se submittentibus, septima die 
junii, in camera regia Parlamenti , multis prelatis presentibus, 
Universitati audienciam concesserunt, ut notanda superius 
practicarentur sollemnius. | | 

Quidam in sacra pagina excellentissimus professor, Petrus 
Plaon nuncupatus, epistolam Tholosanam improbandam primo 
suscipieus, ejus compilatores gravi oracione redarguit, quod a 
sentencia tocius consilii gallicani, utique favorabili universali 
Ecclesie, discrepassent, nec scriptis viam dedissent, ut de mise- 
rabili servitute ad antiquam reduceretur libertatem. Indubi- 
tanter siquidem supponentes, affirmantes, quod infiniti ne- 
gassent, ipsam papam Benedictum verum sponsum unicum ét 
pacificum habere, substractionem excecrabiliter dampnando, 
dilacionem restituende obediencie velut inexpiabile crimen 


' Il faut supposer ici l'omission d'un mot tel que liberaretur. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 311 


maintenir la soustraction d'obédience faite précédemment au pape, de 
condamner comme inique la lettre de l'Université de Toulouse, et 
d'affranchir l'Église gallicane des exactions indüment établies par la 
cour de Rome. Messeigneurs les ducs furent instamment priés à plu- 
sieurs reprises de délibérer sur ce sujet. Mais quelques uns de leurs 
familiers cherchaient à les en dissuader, leur répétant sans cesse qu'ils 
devaient rester fidèles à la cause de monseigneur le pape, au lieu de 
préter l'oreille aux vains discours de ceux qui attaquaient mal à propos 
les sages raisons de l'Université de Toulouse, et qui travaillaient à 
détruire les antiques prérogatives du saint-siége. Les princes, qui 
étaient d'ailleurs vivement préoccupés des embarras de l'administration 
du royaume, voyant qu'au milieu du conflit des opinions diverses il 
leur était impossible de satisfaire à la requéte de l'Université, et qu'il 
fallait soumettre ce débat à une juridiction contentieuse,, renvoyérent 
l'affaire à messieurs du Parlement. Les parties ayant accepté cette 
décision, ils accordérent audience à l'Université, le 7 juin, dans la 
grand'chambre, en présence d'un nombre considérable de prélats, 
afin de donner plus de solennité à cette affaire. 


Maitre Pierre Plaon , l’un des plus savants professeurs de théologie, 
fut chargé de porter la parole. Il commenca par attaquer la lettre de 
l'Université de Toulouse. Il accusa ceux qui l'avaient rédigée d'avoir 
été en dissentiment avec tout le clergé de France, qui avait toujours 
en vue les intéréts de l'Église universelle, et de n'avoir proposé par 
écrit aucun moyen pour mettre un terme à sa déplorable servitude et 
pour lui rendre son ancienne liberté. Il les blâma d'oser soutenir, con- 
trairement à l'opinion générale, que le pape Benoit était le seul véritable 
et légitime époux de l'Église, de condamner la soustraction comme 
une chose exécrable, et de regarder comme un crime impardonnable 
tout retard apporté à la restitution. d'obédience. Il ajouta que les 
calomnies dirigées dans leur lettre contre les partisans de la soustrac- 
ton et contre ceux qui refusaient l'obédience, les raisons, les exemples 
et les autorités qu'ils alléguaient à l'appui , n'avaient d'autre but que 

III. 48 


378  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


reputabant. In omnes autem qui substractioni adheserant et 
obedire detrectabant epistole continuando processum, ipsam 
tamen racionibus et exemplis et electis auctoritatibus fulcientes, 
nil aliud intendebarit, quam ut reputarentur infames, scisma- 
tici et fautores heretice pravitatis. Et quia sine erubescencie velo 
sic ledebant regiam majestatem, proponens hanc epistolam 
scandalosam et perniciosam luculenter ostendit, in juris subsi- 
dium advocati regti patrocinium implorans, qui causam hanc 
concluderet criminaliter terminandam. 

Dum hec succincte notata diserto et prolixiori sermone de- 
duxisset, prefatus magister Johannes Parvi prodiit in medium, 
et presidentibus debita reverencia impensa, cum protestatus 
fuisset nichil se velle dicere in prejudicium cujuscunque , nisi in 
quantum substractionem tangeret aut Ecclesie gallicane liber- 
tatem, que promovenda susceperat, ad propositum deduxit dif- 
fusius que in substancia sequuntur. 

Nam fideliter et audacter ab exortacione Biturie, Burgundie 
et Aurelianensis ducum et sacri collegii cardinalium domino 
pape facta super acceptanda via cessionis, quam ante gradum 
assumptum juraverat, verbi sumpsit exordium : « Et quia, 
« inquit, velut aspis surda, obturans aures suas, ne vocem do- 
« minorum ducum persuadencium pacem ‘, ipsam penitus con- 
« tempsit, et sic occasionem tribuens perpetuandi scismatis, 
« universalis Ecclesia gallicana , habita super hoc matura deli- 
« beracione, substractionem obediencie sue celebravit et consti- 
« tuit servandam. Hanc sic rite et legittime conclusam nunquam 
« censuit revocare. Et esto quod quidam, particulariter nimium 
«sibi faventes, auctoritate propria eidem intimaverint obe- 


' J1 faut supposer ici l'omission d'un mot tel que audiret. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 379 


de faire passer leurs adversaires pour infámes, schismatiques et héré- 
tiques. Il prouva fort habilement que, comme ils offensaient sans pu- 
deur la majesté royale, leur lettre était scandaleuse et pernicieuse. 1l 
implora l'assistance de l'avocat du roi, et le pria de conclure à ce que 
l'affaire füt jugée criminellement. 


Lorsqu'il eut achevé cet éloquent plaidoyer, dont je n'ai donné que le 
sommaire, maitre Jean Petit s'avanca au milieu de l'assemblée. Après 
avoir salué humblement les présidents, et protesté qu'il ne voulait rien 
dire au préjudice de qui que ce füt, qu'en tant qu'il s'agirait de la sous- 
traction ou des libertés de l'Église gallicane qu'il avait charge de 
défendre, il prononca un long discours, dont voici la substance. 


Il commenca par rappeler fidèlement et hardiment l'exhortation 
faite a monseigneur le pape par les ducs de Berri, de Bourgogne et 
d'Orléans et par le sacré collége des cardinaux pour lui faire accepter la 
voie de cession, à laquelle il avait juré de souscrire avant son exalta- 
tion. « Mais, ajouta-t il, semblable à l'aspic insensible, il a fermé ses 
« oreilles, pour ne pas entendre la voix de messeigneurs les ducs qui 
« linvitaient à la paix. Or, comme en rejetant la voie de cession il a 
« contribué à perpétuer le schisme, l'Église gallicane tout entière, 
« après en avoir mürement délibéré, a prononcé la soustraction d'obé- 
« dience, et décidé qu'elle serait maintenue. Cette mesure ayant été 
« légitimement et justement décrétée, son intention n’a jamais été de 
« la révoquer. Si quelques personnes, par un zèle tout particulier 
« pour les intérêts du pape, lui ont annoncé de leur propre autorité 
« la restitution d'obédience, ce n'a été qu'à de certaines conditions, 
« qu'il a cependant refusé de remplir en reprenant sa première puis- 
« sance. » Je ne reproduirai point tout au long les preuves qu'il pro- 


380 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VII. 


« dienciam restitutam, hoc tamen fuit sub condicionibus certis, 
« quas tamen pristinum resumens arbitrium denegavit penitus 
« adimplere. » Et ut ceteras postponam, quas luce clarius osten- 
dit vilipensas : « Et prelatos, inquit, electos et consecratos du- 
« rante substractione, oblivioni in perpetuum, ut promiserat, 
« tradenda, evocatos suis dignitatibus de novo investivit, lit- 
« teras appostolicas eis tradens, in quibus substractionem ipsam 
« verbis excecrabilibus dampnat. Ex tunc sane absque erubes- 
«cencie velo juramentum et promissiones parvipendens, et 
« proprio suo innitens judicio, sic mente induratus est, ut nil 
«expediens credat ad procurandum unionem, nisi quod sibi 
« mens propria persuadet. Hiis ergo, patres et domini prestan- 
« tissimi, attentis, judicio matris mee Universitatis Parisiensis, 
« humilis regis filie, sibi obsequiose in cunctis, urgendus est 
« stimulo substractionis obediencie; quam revera sic rite delibe- 
« ratam et regio corroboratam sigillo concludit servandam uni- 
« versis, serenitati vestre supplicans affectuose ut in hac sen- 
« tencia maneatis , ad unionem Ecclesie cicius adipiscendam. » 
Ipsis presidentibus subsequenter statum ecclesiarum Fran- 
cie recommendans , per legem naturalem, moralem atque divi- 
nam luculenter ostendit cuncta stare numero, pondere et 
mensura , dicens quod ab hiis regulis deviaverat dominus Bene- 
dictus, onera importabilia et gravia ecclesiis sue obediencie im- 
ponendo. « Nostis, inquit, conscripti domini et patres prestan- 
« tissimi, quanta sollicitudine procuraciones, annatas, decimas 
«et servicia a quibusdam predecessoribus suis adinventa ab 
« instanti creacionis sue exegerit, non ad unionem Ecclesie pro- 
« movendam, sed ut sue cupiditati sacrilege, nunquam tamen 
« saciende, de Christi patrimonio, sui preciosissimi sanguinis 
« effusione conquisito, satisfacere valeret. Impiissimi homines 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 381 


duisit à l'appui de son assertion , je ne citerai que le passage suivant : 
« Il avait promis, dit-il, d'ensevelir dans un éternel oubli tout ce qui 
« aurait été fait durant la soustraction. Cependant il a mandé prés de 
« lui les prélats élus et consacrés pendant ce temps, et les a investis 
« de nouveau de leurs dignités, en leur remettant des lettres aposto- 
« liques, dans lesquelles il condamne en termes trés violents ladite 
« soustraction. Depuis ce moment, il viole sans pudeur ses serments 
« et ses promesses, ne prend conseil que de lui-même, et en est venu 
« à un tel point d'aveuglement, qu'il n'admet pour le rétablissement 
« de l'union d'autres moyens que ceux qu'il a lui-même imaginés. A 
« ces causes, trés illustres pères et seigneurs, ma mère l'Université de 
« Paris, humble fille du roi, soumise en toutes choses à ses volontés, 
« pense qu'il faut employer contre le pape l'aiguillon de la soustrac- 
« tion d'obédience, laquelle ayant été légitimement décidée et scel- 
« lée du sceau royal, elle conclut à ce que tout le monde soit tenu de 
« l'observer, et supplie affectueusement vos seigneuries de persister 
« dans cette opinion, afin de háter le rétablissement de l'union de 


« l'Église. » 


Aprés cela, il recommanda aux présidents l'état des églises de 
France, leur démontra éloquemment qu'en vertu de la loi naturelle, 
morale et divine, toutes choses ne subsistent que par nombre, poids 
et mesure, et déclara que monseigneur Benoit s'était écarté de ces 
régles en imposant aux églises de son obédience des charges accablantes 
et insupportables. « Vous savez, illustres seigneurs et honorés péres, 
« dit-il, avec quel avide empressement il a, depuis le moment de son 
« exaltauon, exigé les procurations, annates, dimes et services inventés 
« par quelques uns de ses prédécesseurs ; et tout cela, bien moins pour 
« travailler à l'union de l'Église que pour satisfaire sa cupidité sacri- 
« lége et insatiable aux dépens du patrimoine que Jésus-Christ a 
« payé de son tres précieux sang. Des hommes impies, des collecteurs 
« inhumains ont été souvent envoyés par la chambre apostolique, 
« avec ordre de n'épargner aucun ministre des autels et de n'avoir 


382 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


«et inhumanissimi collectores a papali palacio sepius directi 
« sunt ut nemini parcerent ex ministris Ecclesie, nullius assues- 
« cerent misereri, quantalibet inopia premeretur, quin statim 
«eos excommunicarent, fulminarent, exterminarent, quin 
« eciam in baratrum, quantum in ipsis erat, detruderent, nisi 
« sibi ipsi impositum protinus onus solverent, eciamsi de silice 
« posset peccunia extorqueri. Nec dubium, inquit, si diucius 
« seviat tam effrenis cupiditas, quin religionum dissipaciones, 
«monasteriorum dilapidaciones, sacrarum domorum passim 
« vastitates proveniant; sicque dampnosius solito viri ecclesias- 
«tici bonis omnibus destituti sacrosanctas reliquias, cruces, 
« calices, ipsa denique vasa sacrifica, aurea vel argentea, pro- 
« ventus ecclesiarum et resditus ad implendum Avinionensem 
« crumenam cogentur invadiare et vendere. Ideo verbis finem 
« faciens censeo dominacioni vestre, ac si rex presens hic esset, 
. « flexis; cordis poplitibus et per viscera misericordie Dei sup- 
« plicandum, ut ipsis ecclesiis antiquam restituentes liberta- 
« tem, eas non sinatis amplius conculcari , nec peccunias earum 
«ad extraneos transferre. Universis compertum est quod id in 
« regni dampnum semper fit. Et revera, quamdiu dominus Be- 
« nedictus earum ingrassabitur substanciis, in diviciarum ha- 
« bundancia gloriari sibi sufficiet, nec curabit navem Petri diri- 
«gere ad desideratum portum unionis. » 

Tunc soluto Parlamento, domini duces, prelati et eminentis 
sciencie viri, qui tunc presentes fuerunt, luce sequenti iterum 
ad illud redierunt, cunctisque audientibus, magister Johannes 
Jouvenelli , advocatus regius, vir utique litteratus et clarus elo- 
quencia, que prius tacta fuerant succincte recitans, multis mediis 
ostendit quod regis insignem personam ac deliberacionem con- 
silii hec omnia concernebant. Referre singula ejus verba longum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 383 
« aucune pitié méme pour la misère la plus affreuse ; ils ont procédé 
« par excommunications, fulminations et proscriptions, poussant, 
« autant qu'il était en eux, les malheureux prétres au désespoir, s'ils 
« n'acquittaient pas sur-le-champ la taxe, et leur enlevant jusqu'à leurs 
« derniéres ressources. Si l'on n'arréte le cours d'une cupidité si effré- 
« née, on verra bientót sans aucun doute les ordres religieux disper- 
« 86s , les monastères dilapidés, les maisons saintes livrées au pillage. 
« Les prêtres, dépouillés de tous leurs biens et réduits à la mendicité, 
« seront forcés de mettre en gage ou de vendre, pour remplir le tré- 
« sor d'Avignon , les saintes reliques, les croix , les calices, les vases 
« d'or ou d'argent destinés aux sacrifices, les produits et les revenus 
« des églises. Je supplie donc vos seigneuries avec autant d'humilité 
« que si le roi était présent en personne à cette assemblée, et je vous 
« conjure , par les entrailles de la miséricorde divine, de rendre aux- 
« dites églises leur ancienne liberté et de ne plus permettre qu'elles 
« soient ainsi opprimées , ni que leurs revenus passent à l'étranger. 
« Tant que monseigneur Benoit s'engraissera de leur substance, il 
« n'aura d'autre pensée que de jouir de tant de richesses et ne son- 
« gera pas à diriger la barque de saint Pierre vers le port tant 
« souhaité de l'union. » 


Aprés ce discours, l'assemblée se sépara. Messeigneurs les ducs, 
les prélats et tous les doctes personnages qui y avaient assisté se réu- 
nirent de nouveau le lendemain. En leur présence, maitre Jean Juvé- 
nal, avocat du roi, personnage d'un rare savoir et d'une grande 
éloquence, reprit succinctement les points qui avaient été déjà traités, 
et démontra que toute cette affaire regardait la personne du roi et 
son conseil. Afin d'éviter des longueurs et de me conformer à la brié- 
veté dont je me suis fait une loi, je ne rapporterai pas en entier son 


| 884 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


esset, et hystorie compendio, quod studiose quero, contrarium; 
sed exordio sermonis epistola Tholosana ut inepta et ridicu- 
losa reprobata, cum directe ostendisset qualiter ex inordinato 
affectu procedebat , in finalibus sic conclusit : « Et quia, inquit, 
« secundum leges et consuetudines Francie non solum crimen 
« incurrit lese majestatis qui in personam regis attemptant , sed 
«eciam qui ausi sunt linguas virosas laxare in contumeliam 
« ejus, idcirco eam conflagracione dignam, ubi et condita fuit, 
« adjudicari postulo, et ut compositores ejus criminaliter pu- 
« niantur, et sub pena arbitraria omnes copie ad judicium affe- 
« rantur, ut sic flamma voraci consumpte de mortalium me- 
« moria in perpetuum tollantur. » De facto substractionis bene 
sensisse venerandam Universitatem dixit, et de obediencia 
deinceps domino Benedicto deneganda; regem quoque cum 
eadem debere convenire. « Nam esto quod ipsam restituerit, 
« suadentibus quibusdam, id tamen egit sub certis condicioni- 
« bus, quas idem dominus, ut promissorum inverecundus con- 
« temptor, noluit adimplere. » Ulterius imperatores et reges, 
precipuos patronos ecclesiarum Francie, per leges et hystorias 
probavit semper elaborasse ne libertatibus et privilegiis eisdem 
gratis collatis et devote privarentur; ad quod tamen annelabat 
dominus Benedictus, eis onus indebitarum exactionum utpote 
procuracionum , decimarum, etc., imponendo. Concludendo 
eciam contra ipsum, quod hiis privari debebat penitus, et quod 
talia non debebat exigere nisi necessitate urgente legittima et 
de licencia regis, multis racionibus persuasit, et maxime cum 
predicta ad jus papale non pertinerent ab antiquo, sed quidam 
ex predecessoribus suis hec adinvenerant cupiditate ducti et 
de novo. 

Cum verbis finem fecisset, et presidens quesivisset si aliquis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 385 


discours. Je dirai seulement qu'aprés avoir commencé par réfuter la 
lettre de l'Université de Toulouse comme impertinente et ridicule, 
et montré clairement qu'elle n'avait pu être dictée que par une 
passion aveugle, il termina ainsi : « Áttendu que, suivant les lois 
« et coutumes de France, le crime de lése-majesté consiste non seule- 
« ment dans les attentats commis contre la personne du roi, mais 
« aussi dans les paroles injurieuses qui attaquent son honneur, je 
« requiers que ladite lettre soit brûlée dans la ville méme où elle a 
« été écrite, que ceux qui en sont les auteurs soient punis criminel- 
« lement, et qu'il soit enjoint à tous, sous telle peine qu'il plaira à la 
« cour d'ordonner, d'en apporter toutes les copies, afin qu'elles soient 
« livrées au feu et effacées pour toujours de la mémoire des hommes. » 
Il déclara que la vénérable Université avait raison quant au fait de la 
soustraction et quant au maintien du refus d'obédience à l'égard de 
monseigneur Benoit, et que le roi devait étre dans le méme sentiment. 
« Car, ajouta-t-il, bien qu'il lui ait restitué l'obédience à la persuasion 
« de quelques personnes, il ne l'a fait que sous de certaines conditions, 
« que ledit Benoit n'a pas voulu remplir, au mépris des engagements 
« les plus solennels. » Il prouva en outre par les lois et par l'histoire 
que les empereurs et les rois avaient toujours travaillé, en leur qua- 
lité de protecteurs particuliers des églises de France, à empécher 
qu'elles ne fussent privées des libertés et priviléges qui leur avaient 
été dévotement concédés; ce à quoi tendait monseigneur Benoit, en 
les écrasant sous le poids d'injustes exactions, telles que procurations, 
dimes, etc. Concluant enfin contre le pape, il démontra par beau- 
coup de raisons qu'il devait être entièrement privé du produit de ces 
taxes, et qu'il n'avait le droit de les exiger qu'en cas de nécessité 
urgente et légitime , et avec la permission du roi , attendu principa- 
lément que lesdites taxes n'étaient pas un ancien droit du Saint-Siége, 
mais qu'elles avaient été inventées par la convoitise de quelques uns 
de ses prédécesseurs. 


Quand il eut fini son discours, le président demanda s'il y avait là 
In. 49 


386 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


assisteret pro parte domini Benedicti , quidam non magne auc- 
toritatis surrexerunt, asserentes quod hec res ardua erat, do- 
minumque papam tangebat et ejus cameram, et quod nonnulli 
eminentis sciencie qui partem ejus fovebant tempus ad delibe- 
randum super hiis non habuerant. Et cum importune starent ut 
prolixum spacium eisdem concederetur, et alii contradicentes 
dicerent negocium dilaciones non posse capere, sed opus esse 
maturo consilio et indilato, quia Ecclesiam universalem tange- 
bat, sic causa in statu mansit usque ad mensem jullii. 


CAPITULUM III. 


De sentencia in Parlamento regio pro Universitate data. 


Ipso durante spacio, dominos Parlamenti frustra sollicita- 
verat Universitas, vera procuratrix unionis et pacis Ecclesie, 
ut justiciam cause sue recommendatam haberent. Quapropter 
regem adiens, et per os domini patriarche quicquid allegatum 
fuerat ad propositum recitans, graviter est conquesta quod 
super petitis prefati domini ferre sentenciam negligebant. Quot- 
quot ibi cum rectore convenerant rex de diligencia collaudavit , 
monens ut sanctum et rectum inchoatum continuarent propo- 
situm. Ad judices autem misit ut sine cunctacione fieret eis jus- 
ticie complementum. Qui, regio obtemperantes edicto, contra 
epistolam 'Tholosanam circa finem jullii mensis sequencia de- 
creverunt fieri per arrestum. Primo namque ipsam tanquam 
viciosam , scandalosam ac perniciosam, regis quoque et regni- 
colarum diffamatricem reputantes, originale ipsius in portis 
urbis Tholose, ubi compilata fuerat, dignum dari incendio de- 
creverunt, et ut de copiis ejusdem in portis Avinionis, Montis- 
pessulani et Lugduni sic fieret. Ut autem penitus tolleretur a 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 387 


quelqu'un qui eût à parler pour monseigneur Benoit. Plusieurs mem- 
bres des moins considérables de la compagnie se levérent et dirent 
que l'affaire était épineuse, qu'elle touchait monseigneur le pape et 
la chambre apostolique, et qu'il y avait des personnes d'un éminent 
savoir qui défendraient sa cause, si elles avaient le temps de s'y pré- 
parer. Ils insistérent pour qu'on leur accordát un délai. Mais leurs 
adversaires prétendirent de leur cóté que l'affaire ne comportait pas 
de retard, et qu'il fallait y donner une solution prompte et immé- 
diate, parce qu'elle intéressait l'Église universelle. Au milieu de ce 
conflit d'opinions, la cause resta pendante jusqu'au mois de juillet. 


CHAPITRE 111. 


Sentence rendue au Parlement en faveur de l'Université. 


Pendant tout ce temps, l'Université, qui travaillait sincérement à 
l'union età la paix de l'Église, n'avait cessé de supplier messieurs du 
Parlement d'avoir pour recommandées ses justes réclamations. N'ayant 
pu rien obtenir, elle alla trouver le roi, lui exposa par l'organe de 
monseigneur le patriarche tout ce qui avait été dit de part et d'autre, 
et se plaignit vivement de ce qu'on n'avait pas encore prononcé sur 
sa requéte. Le roi loua beaucoup le zéle du recteur et de tous ceux 
qui l'avaient accompagné, et les engagea à persévérer dans leur sainte 
et salutaire résolution. En méme temps il envoya dire aux juges 
de faire bonne et prompte justice. Conformément à ses volontés, 
ceux-ci rendirent un arrét vers la fin de juillet contre la lettre de 
l'Université de Toulouse. Ils déclarèrent d'abord cette lettre coupable, 
scandaleuse, pernicieuse et attentatoire à l'honneur du roi et de ses 
sujets, et ils ordonuérent qu'on en brülát l'original aux portes de la 
ville de Toulouse, où elle avait été composée, et qu'on en fit autant 
«les copies d'icelle aux portes d'Avignon, de Montpellier et de Lyon. 
Xn outre, afin d'en effacer jusqu'au souvenir, ils décrétérent que 
personne ne pourrait en garder de copies pardevers soi, mais qu'on 
serait tenu sous peine d'une amende de mille marcs d'argent de les 


388 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


memoriis hominum, finaliter protulerunt ut copias similes pe- 
nes se nullus deinceps retineret, sed eas judicibus urbium com- 
burendas afferret sub pena mille marcarum argenti. Conditores 
vero ejus et qui attulerant ipsam dignum duxerunt apprehendit, 
ut criminaliter punirentur. Quod ipsi audientes mox de Pari- 
sius clandestine recesserunt. Quod comperiens dominus cardi- 
nalis et quod res domino Benedicto non succedebant prospere, 
infecto negocio, pro quo venerat, mox aliorum exemplum se- 
quutus est. 

Arresto exequucioni mandato, ad alia, que adjudicari resta- 
bant, cepit iterum Universitas instancius solito laborare erga 
regem, et repetitis vicibus. Qui tandem victus precibus impor- 
tunis presidentibus mandavit ut judicium festinarent. Nuncium 
miles emeritus * Karolus de Savoseyo suscepit affectuose inti- 
mandum, quia a longo tempore, ut superius tactum est, Uni- 
versitati fuerat odiosus et optabat iterum graciam ejus hoc 
obsequio mercari. Regiis igitur pulsati monitis domini presi- 
dentes, die mensis septembris undecima, judicialiter protule- 
runt ut Ecclesia gallicana deinceps et perpetuo a serviciis, 
decimis, procuracionibus et ceteris adinventis subvencionibus, 
indebite ab Ecclesia Romana introductis, libera remaneret. 
Hanc secundam sentenciam regio corroborari sigillo postmo- 
dum Universitas obtinuit, prenominato milite Karolo mediante. 
Quem cum hiis qui tunc aderant cum rectore rex dulciter 
recommendasset , rogavit affectuose ut, deinceps eumdem gra- 
tum habentes, sibi restitui permitterent locum habitacionis sue 
nuper per judicium Parlamenti ad vastitatem redactum. Qui, 
ad memoriam reducentes quod regem velut amicabilem patrem 
semper promptum habuerant in cunctis requestis suis, ne 


' Var. : n° 5959, fol. 59 r., miles inclitus. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 889 


remettre aux juges des villes pour qu'elles fussent brülées. Enfin, ils 
décidérent que les auteurs de la lettre et ceux qui l'avaient appor- 
tée seraient appréhendés et punis criminellement. À cette nouvelle, 
ceux-ci s'enfuirent secrétement de Paris. Monseigneur le cardinal, 
informé de leur départ et voyant que les choses tournaient mal pour 
les intéréts de monseigneur Benoit, partit aussi sans avoir terminé 
l'affaire pour laquelle il était venu. 


L'arrét du Parlement ayant été mis à exécution, l'Université renou- 
vela ses instances auprès du roi, pour obtenir une décision sur les 
autres chefs. Le roi, cédant enfin à ses pressantes supplications, en- 
joignit aux présidents de háter le jugement, et chargea messire Charles 
de Savoisy d'en porter la nouvelle à l'Université. Ce chevalier le fit 
d'autant plus volontiers, qu'il était depuis long-temps en défaveur 
auprés de cette compagnie, comme je l'ai dit plus haut, et qu'il dé- 
sirait acheter ses bounes grâces par ce moyen. Messieurs les prési- 
dents, conformément aux ordres du roi, prononcérent le 44 sep- 
tembre une sentence, par laquelle ils déclarérent que désormais 
l'Église gallicane demeurerait franche et libre des services, dimes, 
procurations et autres subventions quelconques inventées et établies 
indüment par la cour de Rome. L'Université obtint bientôt, par la mé- 
diation dudit Charles de Savoisy, que cette seconde sentence füt scellée 
du sceau royal. À cette occasion, le roi recommanda ce chevalier au 
recteur et à ceux qui l'accompagnaient, et les pria avec douceur de lui 
rendre leurs bonnes gráces et de permettre qu'il rentrát en possession 
de l'emplacement de sa maison, qui avait été rasée naguére par sen- 
tence du Parlement*. Les députés de l'Université, songeant qu'ils 
avaient toujours trouvé dans le roi un bon pére empressé à satisfaire 
toutes leurs requétes, et ne voulant pas s'exposer au reproche d'in- 


' Voir ci-dessus, livre xxv, chap. xiv, p 185. 


390 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


ingratitudinis vicio notarentur, de consensu absencium suppo- 
sitorum, quod poscebat liberaliter annuerunt, meritam stre- 
nuitatem militis multipliciter commendantes. 

Sic rebus rite peractis, cum nil adjudicari restaret de tribus 
requestis suis, nisi de totali substractione facienda domino 
Benedicto, et super hoc faventes sibi longuas dilaciones quere- 
rent, tandem per Parlamentum extitit apunctuatum, quod us- 
que ad Sanctorum omnium festum proximum expectarent, 
quo termino prelatos tocius regni rex statuerat evocare, ut sci- 
retur si hoc expediens videretur. 


CAPITULUM IV. 


De eclipsi solis. 


Mensis junii decima septima die, inter sextam et septimam 
horam ante meridiem, tempore dum sol adhuc in ..... ! signo 
volveretur, a septemtrionali plaga condensa nubes inopinate 
processit, que parvo temporis spacio poli faciem occupans sic 
solis obnubilavit splendorem, quod fere per dimidiam horam 
diem illum velut in noctem obscurissimam convertit. Hujus 
eclypsis future antea jam astrologi diem et horam notaverant, 
et ex causis de effectibus naturaliter judicantes, ipsam aliquid 
insolitum asserebant portendere; quod postmodum ex discon- 
veniencia temporis et aeris variis passionibus comperi subse- 
quutum. Nam octo diebus transactis, collisionem ventorum 
vehementem tempestas lapidum grandinis, ad instar ovorum 
anseris et saxorum pugillarium, sequuta est, que a Sancto Ger- 
mano in Laya a quarta hora post meridiem sumens inicium, 
et inde de Burgello usque Parisius tendens, per quartam partem 


' Jy a ici dans le manuscrit une lacune qui suppose l'omission du mot Geminorum. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 394 


gratitude, acquiescérent à sa demande en considération des mérites 
dudit chevalier, et répondivent du consentement des autres suppóts 
qui étaient absents. 


L'Université ayant ainsi obtenu qu'on fit droit à ses deux premières 
requêtes, il ne restait plus qu'à prononcer sur la soustraction totale 
d'obédience à monseigneur Benoit. Mais les partisans du pape cher- 
chaient à gagner du temps; ils firent si bien, qu'il fut enfin décidé 
par le Parlement qu'on attendrait jusqu'à la prochaine féte de la 
Toussaint, époque à laquelle le roi avait résolu de convoquer tous 
les prélats de France, pour savoir s'ils jugeaient cette mesure utile. 


CHAPITRE IV. 


Éclipse de soleil. 


Le 17 juin, entre six et sept heures du matin, lorsque le soleil était 
encore sous le signe des Gémeaux, une uuée épaisse venant rapidement 
du nord se répandit en peu de temps sur toute la surface du ciel, 
et obscurcit le soleil à tel point, que pendant une demi-heure environ 
la clarté du jour fut changée en une nuit profonde. Les astrologues 
avaient indiqué d'avance le jour et l'heure auxquels aurait lieu cette 
éclipse, et cherchant à juger des effets par les causes, ils assuraient 
que ce phénoméne annoncait quelque chose d'extraordinaire. Le mau- 
vais temps qui survint peu aprés et les désordres de toute sorte qui 
éclatérent dans le ciel justifièrent leurs prévisions. Au bout de huit 
jours, les vents se déchainérent avec fureur; il éclata ensuite un affreux 
orage, qui commenca vers quatre heures de l'aprés-midi du cóté de 
Saint-Germain-en-Laye et s'étendit depuis le Bourget jusqu'à Paris. 
Cet orage fut accompagné de grélons de la grosseur d'un oeuf d'oie ou 
d'un caillou, qui dévastérent en un quart d'heure tout le pays d'alen- 
tour. La gréle, poussée par un vent impétueux , tomba avec une telle 
violence, qu'elle arracha les provins de vignes qui étaient déjà en 
fleurs, renversa les blés, fit voler en éclats et mit en pièces les tuiles 


392 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


unius hore totam patriam adjacentem graviter dampnificavit. 
Sane suo impetuoso impulsu huc illucque flatu ventoso disjecto 
a vineis evulsit virentes propagines, solotenus prostravit mes- 
sem tritticeam, edificiorum latericia tecta et plumbea aut con- 
fregit aut mole gravi depressit, multasque oves et aves in campis 
interficiens, plures eciam homines, dum tecta celeriter pete- 
rent, graviter vulneravit. 

Eadem eciam die, in villa Sancti Dyonisii cum horrenda cho- 
ruscacione audita sunt mugire tonitrua, et inde fulgur chorus- 
cans sequutum loca inhabitabilia penetravit. Nundumque mense 
exacto, cum casum tam terribilem et alias in hiis oris inexper- 
tum adhuc incole mirarentur, a vicinis quasi similem audierunt 
accidisse. Nam de Trapis usque ad pontem Sancti Clodoaldi 
iterum grando ad grossitudinem nucis cecidit cum dempsitate 
nivium; qui, flatu ventoso per diverticula viarum huc illucque 
agitatus et dispersus, per triduum a solis tunc excessivo calore 
liquefieri non potuit. Addam et hiis quod a Pascha per totum 
regnum Francie gelu pluries urgente sic obriguerunt vinee, 
quod ex habundancia vinearum mense marcio apparencium 
liquorem modicum bonis potatoribus prebuerunt. Quem tamen 
in villis et villagiis, ultra morem solitum a centum annis citra, 
ex substancia et succo bladorum et fructuum, que ubique et 
usque ad nauseam habundabant, suppleverunt. 


CAPITULUM V. 


De connubio filii regis et filie cum filia comitis Hanoniensis et filio ducis 
Aurelianensis. 


Nuper rex acceptaverat ut comitis et comitisse Hanoniensis 
unica filia domino duci Turonie filio suo nuberet, quamvis ambo 
adhuc essent sub puerili etate constituti. Consenserat eciam 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 393 


et le plomb qui couvraierit les maisons, tua bon nombre de moutons 
et d'oiseaux dans les campagnes, et blessa méme dangereusement plu- 
sieurs personnes qui regagnaient en toute háte leur demeure. 


Le méme jour, on entendit à Saint-Denys de grauds coups de ton- 
nerre , accompagnés d'éclairs effroyables; heureusement la foudre ne 
tomba que sur des lieux inhabités. Avant la fin du mois, lorsqu'on 
était à peine remis de la frayeur causée par un événement jusqu'alors 
inoui dans ces contrées, on apprit qu'il en était arrivé autant dans le 
voisinage. Depuis Trapes jusqu'au pont de Saint-Cloud, il tomba une 
neige épaisse et des grélons de la grosseur d'une noix, que le vent 
dispersa de tous cótés sur les chemins, et que ne purent fondre trois 
jours d'une chaleur excessive. J'ajouterai à cela que depuis Páques il 
y eut à plusieurs reprises de fortes gelées dans tout le royaume, et 
que la vigne, qui au. mois de mars promettait de belles vendanges, 
trompa l'attente des buveurs. On suppléa au vin dans les villes et les 
villages au moyen des grains et des fruits, dont la récolte fut partout 
trés abondante, et l'on fit cette année plus de cidres et autres boissons 
qu'on n'en avait fait depuis cent ans. 


CHAPITRE V. 


Mariage du second fils du roi avec la fille du comte de Hainaut, et de sa fille Isabelle 
avec le fils du duc d'Orléans, 


Le roi avait naguére consenti au mariage de la fille unique ' du 
«comte et de la comtesse de Hainaut avec son fils monseigneur le duc 


' Jacqueline de Bavière. 
| Ht. 50 


394 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


ut domina Ysabelis, ejus primogenita, uxor quondam Richardi 
regis Anglie, sed adhuc puellare signaculum integrum retinens, 
filio fratris sui novenni, ejus cognato, quem et de sacro fonte 
levaverat, matrimonio jungeretur. Et ideo regina et dux Aure- 
lianis die Sanctorum Petri et Pauli apud Compendium predic- 
torum nupcias statuerunt celebrare. Ad quem diem redden- 
dum sollemniorem, Hanoniensis insignis comitissa venire non 
distulit cum tanto tamque magnifico apparatu, ut regiam ma- 
gnificenciam excellere videretur. 

Sed sollemnitate peracta , cum ducem sponsum vellet secum 
perducere, et id regina penitus denegaret, inde mota est ver- 
balis controversia; que tandem sopita fuit, quia dictum fuerat 
in matrimonii tractatu quod dux ipse deinceps sub regimine 
comitisse debebat remanere. Sic vallidis precibus obtinens quod 
poscebat , et vale dicto regine, cum Hanoniam attigisset , comi- 
tem obviam habuit cum apparatu maximo, qui regio adoles- 
centi multiplices honores exhibuit, precipiens ut in villis, per 
quas transitum faceret, more patrio, milites et armigeri hasti- 
ludia et joca militaria cum instrumentorum musicorum variis 
generibus exercerent. Transacta sollemnitate nupciarum, prima 
illi cura fuit ut, duci decenti statu regio assignato, non solum 
in recipiendis honoribus, sed et patriis imbueretur moribus, 
qui discunt familiarius cum omnibus conversari. Audiens autem 
regem incolumitatem resumpsisse et recessum filii dulciter 
acceptasse, mox ad regraciandum sibi venit, supplicans ut 
deinceps per milites et armigeros patrie et non alios regere- 
tur. Quod poscebatur rex annuit, et filio ad supplementum - 
cotidianorum sumptuum et domesticarum rerum tres castel- 
lanias, videlicet de Alleuis, de Creveceur, et de.....* addidit 


' Le nom manque dans le manuscrit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIL. 395 


de Touraine, quoique les deux fiancés fussent encore enfants. Il avait 
promis aussi d'unir madame Isabelle, sa fille aînée, veuve du roi d'An- 
gleterre Richard , mais encore vierge, à son neveu, alors ágé de neuf 
aus, qu'il avait tenu sur les fonts de baptéme '. La reine et le duc d'Or- 
léans résolurent de célébrer les noces desdits princes à Compiègne le 
jour de Saint-Pierre et Saint-Paul. L'éclat de cette cérémonie fut 
rehaussé par la présence de l'illustre comtesse de Hainant, dont le 
pompeux équipage surpassait en magnificence celui des rois. 


Aprés la féte, la comtesse voulut emmener avec elle le jeune duc de 
Touraine. La reine: s'y étant formellement opposée, il s'ensuivit entre 
elles une légére altercation; mais comme il avait été stipulé daus le 
traité de mariage que le duc devait rester désormais sous le gouverne- 
ment de la comtesse, elle obtint à force d'instances ce qu'elle de- 
mandait, et retourna en Hainaut, aprés avoir pris congé de la reine. 
Le comte vint au-devant d'elle avec une suite brillante; il accueillit 
le jeune prince avec les plus grands égards, et ordonna que, confor- 
mément aux usages du pays, il füt recu au son de toutes sortes d'ins- 
truments dans toutes les villes qu'il traverserait, et que les chevaliers 
et les écuyers donnassent en son honneur des tournois et autres diver- 
tissements militaires. Quand toutes les fétes furent terminées, son pre- 
mier soin fut d'assurer au duc un état digne d'un roi, et de lui faire 
rendre les honneurs qui lui étaient dus; il chercha surtout à le fa- 
conner aux moeurs du pays, afin de l'accoutumer à vivre familiére- 
ment avec tous ses sujets. Bientót ayant appris que le roi était revenu 
à la santé et qu'il n'avait point paru mécontent du départ de son fils, 
il vint l'en remercier et le supplia de permettre que son éducation fût 
désormais exclusivement confiée à des chevaliers et à des écuyers du 
Hainaut. Le roi souscrivit à cette demande, et ajouta aux possessions 
du duc de Touraine les trois chátellenies d'Alleux, de Crévecoeur et 
de....... , pour subvenir à ses dépenses journalières ct à l'entretien 


* Charles, comte d'Angouléme, fils aîné du duc d'Orléans. 


396 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


suo ducatui. Comiti vero concessit quatuor milia scuta auri 
super receptam Viromandie percipienda perpetuo, que dicebat 
ab antiquo predecessores suos hereditario jure percepisse. 
Cum autem rex eum retinuisset, ut secum aliquandiu quieti 
et recreacioni indulgeret, regali munificencia ipsum consilia- 
rium principalem retinuit, statuens ut pro pensione annua sex 
mille scuta auri perciperet super villam Tournacensem. Inde 
reges ab antiquo cotidianas elemosinas soliti erant facere. 
Ipsam tamen peccuniam cives eidem comiti solvere renuerunt, 
ne super eos futuris temporibus aliquod dominium ipse vel 
heredes sui reclamarent, et summam eidem opportuit alibi 
assignare. 


CAPITULUM VI. 


De matrimonio comitis de Pentievre. 


Eodem eciam mense jullio, comes de Pentievre, filius Johan- 
nis de Britania ex filia domini Oliveri de Clichon, qui inter om- 
nes barones Britanie dicior reputabatur, filiam domini ducis 
Burgundie desponsavit, cum nundum adhuc annum decimum 
attigisset. 


CAPITULUM VII. 


De Gallicis missis in Lothoringiam. 


Ad trifariam divisionem Francorum exercitus, a qua pau- 
lulum calamum retraxeram , rediens, comperi quod , et si cunc- 
tis mens fuerit ad strenuitatis titulum acquirendum longinquas 
regiones petere, dissimilem tamen fortunam assequuti sunt. 
Qui enim auctoritate regia et favore ducis Aurelianensis Cas- 
trum Novum pecierant, ut injurias illatas a duce Lothoririgie 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 397 


de sa maison. Il assigna aussi au comte sur la recette de Vermandois 
une rente perpétuelle de quatre mille écus d'or, que le comte préten- 
dait avoir été de tout temps perçue par ses prédécesseurs à titre. héré- 
ditaire. Après l'avoir retenu quelque temps auprès de sa personne au 
milieu des fétes et des plaisirs, il lui donna la premiére place dans son 
conseil et lui accorda avec une munificence toute royale une pension 
annuelle de six mille écus d'or sur la ville de Tournai. Mais comme 
. de tout temps les rois de France avaient employé ce fonds à leurs 
aumónes journaliéres, les habitants refusérent de payer cette somme 
au comte, de peur que lui ou ses héritiers ne réclamassent sur eux des 
droits de seigneurie. Il fallut trouver ailleurs les six mille écus. 


CHAPITRE VI. 


Mariage du comte de Penthièvre. 


Dans le méme mois de juillet, le comte de Penthièvre, fils de Jean 
de Bretagne et de la fille de messire Olivier de Clisson, qui passait pour 
le plus riche des barons de Bretagne, épousa la fille de monseigneur 
le duc de Bourgogne à peine ágée de dix ans. 


CHAPITRE VII. 


Expédition des Francais en Lorraine. 


J'ai dit plus haut que l'armée française avait été divisée en trois 
corps '; Je reviens sur ce sujet. Ces gens de guerre, qui étaient tous 
allés chercher des occasions de gloire en pays étranger, éprouvérent 
des fortunes diverses. Ceux qui par ordre du roi et du duc d'Orléans 
s'étaient. dirigés vers la place de Neufchâteau, pour tirer vengeance 


* Voir ci-dessus, liv. xxvi, chap. xix, p. 365. 


398 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VII. 


vindicarent, ibi moram traxerunt nimiam , quia plane patrie 
per viginti quatuor miliaria adjacenti jam ab Alemannis flamma 
voraci consumpte vicem reddere nequiverunt. Gallorum adven- 
tum ipsum ducem, qui vicinis inexpugnabilibus oppidis habi- 
tabat, minime latuerat; et quamvis vallidam manum pugnato- 
rum et insignes pugnatrices secum traxisset cohortes , eas tamen 
nec "permisit agredi, nec ad exitum provocare; sed totum. 
spacium, quo ibidem remanserunt , sub dissimulacione transe- 
git. Vera tamen relacione comperiens quod opera ducis Aure- 
lanensis in dies eorum augmentabatur numerus, ne auctis 
viribus more suo Nanciacum et urbes suas muratas assilirent, 
id miti legacione studuit impedire. Nam ad summe auctoritatis 
capitaneos fratrem suum , qui amplum patrimonium possidebat 
sub rege Francie, destinavit, qui rogaret ut adhuc aliquandiu 
ab incursionibus hostilibus abstinerent, donec mentem suam 
dominis ducibus, qui regni ardua disponebant, retulisset. 

Ad ipsos ergo accedens, et in concione militum vices paci- 
fici nuncii exequutus, pluries cum dulcifluo affatu mirari se 
dixit causam agressionis Francorum contra fratrem, quem 
noverant semper lilia aurea et liliatos coluisse, regi quoque, cui 
propinquitate generis attinebat, semper promptum exhibuisse 
famulatum. Super injuriis autem illatis genti sue in demolicione 
oppidi Anteguardie fratris innocenciam excusans, eo inscie 
scelus nephandissimum perpetratum reiteratis vicibus cum sa- 
cramentis firmavit, et inde ultra quam credi posset dolere, 
summo affectans desiderio ut forefactum ad beneplacitum regis 
puniretur. « In cunctis igitur, inquit, ordinacioni regie se sub- 
« mittens, indubitanter se offert quod judicium curie sue pa- 
« ratus est subire, asserens per juramentum quod quicquid sibi 
« preceptum fuerit vel commissum non tardabit efficaciter ac 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 399 


des attaques du duc de Lorraine, y restérent long-temps enfermés sans 
pouvoir user de représailles, parce que la campagne environnante 
avait été déjà mise à feu et à sang par les Allemands dans un rayon 
de vingt-quatre milles. Le duc, qui était dans le voisinage, oà il occu- 
pait plusieurs forteresses inexpugnables, n'ignorait pas l'arrivée des 
Francais; quoiqu'il eût avec lui un corps nombreux de gens de guerre 
et des troupes aguerries, il ne voulut point les attaquer ni engager 
une action décisive. Tant que les Francais resterent dans le pays, il 
feignit de ne pas s'apercevoir de leur présence. Mais quand il sut que, 
gráce aux soins du duc d'Orléans, ils recevaient chaque jour de nou- 
veaux renforts, il craignit qu'enhardis par l'accroissement de leurs 
forces ils n'entreprissent le siége de Nancy et de quelques autres places 
de Lorraine, et il songea à prévenir leurs attaques par des négocia- 
tions. Il chargea son frére', qui possédait un riche patrimoine sous 
la suzeraineté du roi de France, d'aller trouver les principaux capi- 
taines de l'armée francaise et de leur demander qu'on suspendit les 
hostilités, jusqu'à ce qu'il se füt expliqué avec messeigneurs les ducs 
qui étaient à la téte des affaires. 


Cet envoyé se rendit au camp francais, pour remplir sa mission 
de paix, et déclara avec douceur, en présence des chevaliers assem- 
blés, qu'il était fort étonné de l'attaque dirigée par les Francais contre 
son frére, qui avait toujours honoré, comme on le savait, les fleurs 
de lis et les princes de la maison royale de France, et qui s'était mon- 
tré en toute circonstance dévoué au roi son parent. Quant aux préten- - 
dus torts que son frére aurait eus envers les Francais en détruisant 
la place de l'Avantgarde, il jura à plusieurs reprises que cet exécrable 
attentat avait été commis à son insu, qu'il le déplorait plus qu'on ne 
pouvait le croire, et qu'il n'avait rien plus à coeur que de voir punir 
les coupables selon le bon plaisir du roi. « C'est pourquoi, dit-il , il 
« n'hésite pas à se soumettre à ce que le roi ordonnera; il offre d'en 
« passer par le jugement de sa cour, et s'engage par serment à exécuter 


' Ferry de Lorraine, comte de Vaudemont et sire de Joinville. 


400 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


« libenti animo adimplere, ut semper valeat ejus graciam pro- 
« mereri. » | 

Summa legacionis hec fuit. Que cum ad dominorum ducum 
audienciam pervenisset, eam acceptabilem dixerunt; tandemque, 
super hoc matura deliberacione habita, resipiscendum ab in- 
ceptis statuerunt et stipendiarias cohortes revocare, dum tamen 
condiciones sequentes complerentur. Statuerunt igitur ut 
oppido Anteguardie primitus reparato et custodibus regiis resti- 
tuto, qui scelus perpetraverant criminaliter punirentur, et pro 
occisis injuste capellanie fundarentur. Que omnia dux prefatus 
sub sigillo proprio promisit effectui mancipare. Quod audientes 
Francigene, prudenterque attendentes quod ibi moram tra- 
hendo plus incommodi quam honoris poterant reportare, in- 
fecto negocio redierunt. 


CAPITULUM VIII. 


De Gallicis qui Picardiam tuebantur. 


Ad Francos transiens tuicioni Picardie deputatos, hii sic 
cura pervigili tota estate presenti nocturnas et diurnas vigilias 
persolverunt, ut nec minimum ex castris sibi commissis amise- 
rint, quanquam hostes locis vicinis locati numerum eorum in 
triplo excederent. Hac de causa in eorum contemptum de Cale- 
sio et Guynnis sepius exeuntes, per adjacentem patriam greges 
et armenta cum manu vallida predabantur, ut loca sua muni- 
rent, et revertebantur indempnes, perpaucis dumtaxat excep- 
tis gladiis interemptis et qui precedencium vestigia lento cursu 
sequebantur. Quamvis hostiles discursus sic sine resistencia 
exercerent, impacientissime tamen perferebant apud Guynnas 
prope se ad miliare habere Francos quasi in specula, qui 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 401 


« de bon cœur et sans délai tout ce qui lui sera enjoint ou prescrit, 
« afin de mériter toujours ses bonnes grâces. » 


Tel fut en substance le discours de l'envoyé. Quand messeigneurs les 
ducs eurent connaissance des offres du duc de Lorraine, ils pensérent 
qu'elles pouvaient être acceptées, et résolurent aprés mûre délibé- 
ration de renoncer à leur entreprise et de rappeler les gens de guerre, 
moyennant les conditions suivantes: savoir, que le duc ferait réparer les 
fortifications de l'Avantgarde, rendrait la place aux troupes du roi, 
punirait criminellement les auteurs de l'attentat , et fonderait des cha- 
pelles pour ceux qui avaient été injustement mis à mort. Le duc de 
Lorraine promit de remplir toutes ces conditions et scella cette pro- 
messe de son sceau. À cette nouvelle, les Francais, comprenant qu'un 
trop long séjour dans le pays pouvait étre plus désastreux qu'honorable 
pour eux, revinrent sans avoir mené à fin leur entreprise. 


CHAPITRE VIII. 


Du corps d'armée qui défendait la Picardie. 


Quant aux Francais qui avaient été chargés de défendre la Picardie, 
ils avaient fait si bonne garde, pendant tout l'été, dans les forteresses 
qui leur étaient confiées, qu'ils n'en avaient pas perdu une seule, 
malgré le voisinage d'un ennemi trois fois plus nombreux. Cepen- 
dant les Anglais des garnisons de Calais et de Guines, fiers de la supé- 
riorité de leurs forces , couraient souvent le pays d'alentour, enlevant 
le gros et le menu bétail pour leur approvisionnement , et rentraient 
chez eux sans éprouver d'autre perte que celle de quelques trainards. 
Mais quoiqu'ils rencontrassent peu de résistance dans leurs courses, ils 
ne pouvaient se résigner à souffrir si prés d'eux , à un mille de Guines, 
un poste de Francais placé là comme en observation, qui surveillait 
leurs mouvements et en donnait avis avec des torches allumées aux 
habitants du voisinage, afin qu'ils se tinssent sur leurs gardes. Ils 


III. 5) 


402 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


eorum exitus observantes, sociis significabant cum fascis arden- 
tibus ut se caucius servarent. Quapropter parvum municipium 
eorum vocatum Bavelingant destruere penitus decreverunt. 

De Guynnis igitur summo diluculo mille pugiles ad unguem 
loricati cum servientum levis armature et gregariorum ingenti 
multitudine exeuntes, mox oppidum adierunt, et machinas 
jaculatorias omnisque generis obsidionalia instrumenta per 
ambitum erigentes assultum formidabilem inchoarunt. Non 
operosum agressum se inchoasse credebant, cum scirent ob- 
sessos penitus destitutos sociorum auxilio, qui tamen cum dis- 
plicencia magna fragorem terribilem ictuum machinarum vide- 
bant et audiebant, nec sperabant tantilli municipii structuram, 
quanquam cemento et lapidibus solide compactam, tantam 
violenciam ferre diucius, quin solotenus rueret; obsessorum- 
que parvipendentes numerum, eos jam terrore concussos et 
consternatos animo reputabant, nisi in primo agressu expe- 
rimento didicissent quod extrema necessitas viros fortes non 
ad exinanicionem sed audaciam soleat provocare. 

Erant intus viri fortes et bellicosi, armorum habentes expe- 
rienciam , quamvis de iuferiori ordine militari existerent, qui 
videntes se summo expositos discrimini, et quod res pro capite 
gereretur, resistere fortiter elegerunt, juramento se astringen- 
tes mutuo quod usque ad extremum vite oppidum tuerentur. 
Ex tunc dictis facta animosius compensantes , quamdiu conti- 
nuatus assultus perduravit, missilibus missilia retorquentes, 
cum arcubus et balistis taliter se deffenderunt, quod nullum 
ex hostibus attingere pedem muri sine letali vel saltem gravi 
vulnere permiserunt; sicque res eis prospere successerunt, ut 
nec unicum ex se ipsis amiserint, quamvis undique impete- 
rentur jaculis, preter unam pedissecam que escas sociis cotidie 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 403 


résolurent donc de détruire de fond en comble cette petite place nom- 
mée Bavelinghen. 


Au point du jour, mille hommes armés de pied en cap partirent de 
Guines avec un grand nombre de troupes légéres et de gens de pied , 
et arrivérent bientôt devant la place. Ils dressérent leurs batteries et 
leurs machines de siége autour des murs et donnèrent tout d'abord 
un vigoureux assaut. Ils comptaient sur une victoire d'autant plus 
facile, qu'ils savaient que les assiégés ne seraient pas secourus par leurs 
compagnons, qui cependant entendaient , non sans un vif déplaisir, le 
bruit des machines. Ils espéraient que les remparts d'une si petite 
place, bien que solidement construits avec des pierres et du ciment, 
ne seraient pas en état de soutenir long-temps un pareil choc sans 
tomber en ruines, et en songeant au petit nombre de leurs adver- 
saires, ils les croyaient déjà vaincus par la frayeur et le désespoir. 
Mais ils apprirent bientót à leurs dépens que la nécessité, loin d'abattre 
les gens de coeur, ne fait qu'augmenter leur courage. 


e 


. Ceux qui composaient la garnison, bien qu'appartenant aux derniers 
rangs de la chevalerie, n'en étaient pas moins valeureux et aguerris. 
Voyant qu'ils étaient réduits à la dernière extrémité, et qu'il leur {al- 
lait vaincre ou mourir, ils prirent le parti de faire une vigoureuse 
résistance , et s'engagérent entre eux par serment à défendre la place 
jusqu'à la mort. Ils tinrent parole. Tant que dura l'assaut , ils repous- 
sérent si bien la force par la force, ils se servirent si habilement 
de leurs arcs et de leurs arbalètes, qu'aucun ennemi ne put arriver au 
pied de la muraille sans étre tué ou blessé; et tel fut le succés de leurs 
efforts, que, malgré la gréle de traits qui pleuvait sur eux de toutes 
parts, ils ne perdirent aucun des leurs, à l'exception d'une servante 
qui préparait chaque jour leur repas. Ce qui mit le comble à leur 
gloire en cette circonstance, c'est que, au plus fort de l'action, le pont- 


404 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


preparabat. Ad cumulum autem strenuitatis eorum, gravi con- 
flictu durante, pontem levatilem et portam oppidi hostes fre- 
gerunt in frustra; sed mox eisdem invitis fimo spissoque muro 
luteo aditu obserato, locum eis fecerunt impermeabilem, et 
ingredi nequiverunt. Verbisque finem faciens, mille artibus et 
viis die illa hoc in vacuum temptaverunt, donec consumptis mis- 
silibus et sagittis paulative cepit eorum torpere alacritas. Quod 
percipientes cohortis capitanei principales, et cum summa dis- 
plicencia perferentes se usque ad advesperascentem diem ad 
exterminium castri in vanum desudasse, et quod longe contin- 
gerat a spe quam conceperant, ad propria redierunt induti 
confusione et rubore. 

Loco igitur reparato, et ad supplementum custodie novis 
sociis deputatis, non plus ad expugnacionem ejus nec alterius 
cujuscunque adversarii intenderunt; sed toto estatis residuo 
Francos per insidias, quod viribus nequiverant, taliter dece- 
perunt. Quadam enim die ex insidiis viginti ad unguem lori- 
catos in equis velocissimis per astuciam direxerunt, qui ex 
industria ignoranciam pretendentes et velut incauti ante cas- 
trum de Ardre quasi predas abactum ceperunt discurrere , ubi 
pro tunc cum domino de Sancto Georgio ejus sororius domi- 
nus Philippus de Cervoles residebat. Qui mox tantam temeri- 
tatem indigne perferens, majore animo quam consilio ductus, 
eis obviam processit, more suo aliquid insigne gesturus. Sed, 
dum laxis habenis in predictos irrueret, mox fugam arripue- 
runt, illam tam diu continuantes quoadusque ad suos pervene- 
runt, qui nemoribus vicinis latitabant, ad bellum jam prepa- 
ratos. Tunc sibi et consortibus adductis per viam strictam, per 
quam introierat, retrocedere non fuit possibile. Ymo coegit 
necessitas contra triplicem numerum hostium ipsum Philip- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 405 


levis et la porte de la place ayant été brisés, ils parvinrent malgré les 
ennemis à fermer la brèche par un bon rempart de boue et de paille, 
et les empéchérent de pénétrer par cette ouverture. Bref, les Anglais 
employèrent inutilement toutes leurs ressources contre cette bicoque. 
Quand ils eurent épuisé leurs fléches et leurs autres munitions, leur 
ardeur commença à se ralentir. Alors leurs principaux capitaines, 
voyant avec un vif déplaisir qu'ils s'étaient consumés en vains efforts 
pendant une journée entiére et que toutes leurs espérances avaient été 
frustrées , se retirérent couverts de honte et de confusion. 


La place fut bientót réparée, et la garnison recut un renfort. Mais 
les Anglais ne songérent plus à emporter d'assaut ni cette forteresse 
ni aucune autre , et pendant tout le reste de l'été, substituant la ruse 
à la force ouverte, ils cherchérent à surprendre les Francais. Un jour 
entre autres vingt cavaliers, armés de pied en cap et montés sur des 
chevaux agiles, feignant de s'étre égarés à la recherche de quelque 
butin , poussérent comme par mégarde jusque sous les murs du cháteau 
d'Ardres, où se trouvait alors messire Philippe de Cervoles avec son 
beau-frère le sire de Saint-Georges. Irrité de tant d'audace, messire 
Philippe s'avanca à leur rencontre avec plus de courage que de pru- 
dence, pour se signaler par quelque action d'éclat selon sa coutume. 
Mais à peine se fut-il jeté sur eux à bride abattue, qu'ils prirent la 
fuite et coururent jusqu'à ce qu'ils eussent rejoint leurs compagnons, 
qui étaient cachés dans un bois voisin et tout préts à combattre. En 
les poursuivant, messire Philippe et ses gens s'engagérent dans un étroit 
sentier, dont il ne leur fut plus possible de sortir, et ils se virent dans 
la nécessité de tenir téte à des ennemis trois fois plus nombreux. A 
cette nouvelle, le sire de Saint-Georges accourut en toute háte avec 
une poignée de braves, et se jeta au milieu des ennemis avec l'impé- 
tuosité de la foudre. Mais il était trop tard; il trouva son beau-frère 


406 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


pum dimicare. Quod audiens dominus de Sancto Georgio illuc 
fulmineus cum paucis mox advolat, et inter confertos hostes se 
immersit. Sero tamen sororio opem tulit; nam eum jam victum 
cum sociis reperit et sub jugo redempcionis positum; et sic 
non protracta mora, ne dampnum simile cum suis incurreret, 
multis ictibus jam susceptis, ad propria rediit festinanter, ex- 
perimento discens quod male semper impetus omnia admi- 


CAPITULUM IX. _ 


nistrat. 


À Gallicis Vascones vincuntur, et villa de Brantomme capta fuit. 


Frequens fama circumvolabat et crebris divulgabatur nun- 
ciis quod primogenitus regis Anglie filius, convocatis militari- 
bus copiis, in Aquitaniam disposuerat transfretare, ut conso- 
dalibus de Brantomme opem ferret et Gallicos debellaret. Ut 
superius scriptum est, isti, onera obsidionis ferre non valentes, 
condiciones interposuerant quales necessitas extorquere solet, 
videlicet quod nisi infra festum Penthecostes eis subsidium 
ministraretur ab Anglicis !. Ad securitatem quoque pacti obsi- 
des duodecim, qui capite luerent, si pacto non staretur, ipsis 
dederant Gallicis. In vicinis circumadjacentibus spem reposue- 
rant; qui ad adventum Gallorum, cum vires eisdem non sup- 
peterent ad continuandum bellum, ideo mediis consiliis standum 
decreverant, et ut oppidis se tenerent, nec lacessitis Gallicis 
causam belli apperirent, sed, si cujus oppidi nunciaretur obsi- 
dio, undique ex municionibus obsessis ferrent auxilium. 
= Ad consonanciam igitur redactis utrinque pactis, ad conso- 


' Cette phrase est incomplète dans le ma- ef oppidum resignarent. — Voir ci-dessus, 
nuscrit; il faut y ajouter ces mots : villam liv. xxvi, chap. xxix, p. 366. 





408 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


dales nuncios et apices direxerunt continentes : « Amici dilec- 
«tissimi, res nostras tanta rerum mutacione et sinistris even- 
«tibus et fere usque ad supremam exinanicionem sic afflictas 
« noveritis, quod neque saltem spei residuum supersit, et jam 
«animo consternati defectionem timemus. Spei nostre ancho- 
« ram in vestre dillectionis solliditate configentes, quas passuri 
« sumus erumpnas voce flebili et anxia sollicitudine referimus, 
«exorantes ut, si quid pietatis in vobis est, omni occasione 
«remota, festinetis venire, et nobis extremis necessitatibus 
«involutis succurrere. Quicquid autem super hoc facturi estis, 
«sub festinacione per hunc eumdem quem ad vos mittimus 
« nuncium velitis manifestare, scientes quod dirum et ignomi- 
« niosum dedicionis jugum coacti erimus subire, et non sine 
« dampno vestro, nisi nostris acquieveritis precibus. » 

Dum similibus legacionibus uterentur, fuerunt quidam Vas- 
cones, insignes genere, qui favore conestabularii Francie, quo- 
niam inter eos amplum patrimonium possidebat, ejus signa 
militaria sequi decreverant; inter quos Poncius de Lengac et 
Johannes de Randon merito nominandi sunt, quia, quamvis 
estimata Gasconum inconstancia ipsis modicum fideret, eorum 
tamen fidelitatem, durante induciali federe, expertus est. Nam 
cum plerique scutiferi mente leves, et qui comitibus Clari Montis 
et Alenconii familiarius astabant, locum prelii antea designa- 
tum, a Brantomme quatuor miliaribus distantem, sepius visita- 
rent, et ad noticiam Vasconum vicinorum devenisset quod ca- 
tervatim et incompositi , ac si sibi nil timerent, huc peterent, 
in eos irruere fraudulenter et insidiose statuerunt. Accersitis- 
que vie ducibus iniquis, videlicet Archambaudo de Ransac ac 
Petro dicto le Biernoys, quorum ope et industria sepe casus 
fortuitos soliti erant subire, ut rapinis ditarentur, quarum 





410 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VII. 


prodigi hucusque fuerant, consodalesque hiis artibus avidos 
fecerant, iter arripientes, prodicionem conceptam in actum 
procul dubio produxissent, nisi tum compatriote prefati acces- 
sus eorum viribus preclusissent. Premissis namque explora- 
toribus, ut cerciores facti sunt eos in tricenario numero jam 
Sanctum Petrum de Lusarchiis in Lemovicino territorio atti- 
gisse, et loco molestias jam inferre, ut viam suam quodam 
notabili facto insignirent, letati sunt. Moxque tot secum as- 
sumptis ad unguem loricatis, illuc laxatis habenis cursu con- 
tinuato contenderunt. Ad primum quoque conspectum hos- 
tium mutuo se exhortantes, ut virtutis tot in locis exercitate 
meminissent, pedestres in eos sine cunctacione irruerunt, cum 
terribili clamore ingeminantes ad mortem! Quamvis impetus 
repentini animos eciam forcium sepe concuciant, non tamen 
defuit eis audacia resistendi; ymo cum gladiis et ensibus inchoa- 
verunt certamen. Tunc durissimo marte utrinque concursum 
est, et hostes superiores, ut qui viderunt referunt, extitissent, 
si Perrotus le Byernois tanta magnanimitate, ut consodalis, 
in acie perstitisset. Sed videns socios paulative decrescere, et 
conscius sibi ipsi timens ne, si caperetur, redempcionem suam 
propriis humeris ferret, et propter innumerabilia scelera in 
Aquitania perpetrata , ut proditor, capite plecteretur, fuge pre- 
sidio se salvavit, ceteros relinquens, qui tandem animo con- 
sternati deficientes victi sunt. 

Ex utraque viginti novies gladiis cesi feruntur. Ex eis qui 
remanserunt hostibus, octies viginti dirum et vituperabile 
jugum dedicionis subierunt cum prefato Archämbaudo, capi- 
taneo castri fortissimi de Carlux, cui et predones patrie in 
cunctis obediebant tanquam duci principali. De quo postmo- 
dum questione inter victores exorta in tumultu militari, eum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 411 


Gascons, au nombre de trois cents, étaient déjà arrivés à Saint-Pierre 
d'Uzerche en Limousin, et qu'ils commençaient à signaler leur pré- 
sence par leurs brigandages accoutumés, ils saisirent avec empresse- 
ment cette occasion de les combattre. Prenant avec eux trois cents 
hommes armés de pied en cap, ils coururent sans s'arréter et à toute 
bride à leur rencontre, et les chargérent en criant d'une voix ter- 
rible : à mort! à mort! et en s'exhortant mutuellement à déployer le 
courage dont ils avaient fait preuve en tant d'occasions. L'imprévu 
ébranle souvent les coeurs les plus intrépides. Néanmoins les Gascons 
ne se laissérent pas effrayer, et repoussérent les Francais à coups d'épée 
et de poignard. On se battit de part et d'autre avec le plus grand 
acharnement, et au dire de ceux qui furent témoins de la mélée, les 
Gascons auraient obtenu l'avantage, si Pierre le Biernois eüt montré 
autant de résolution que son compagnon; mais lorsqu'il vit que les 
rangs des siens commencaient à s'éclaircir, le souvenir de tous ses mé- 
faits lui fit craindre d'étre puni comme un traitre, s'il était pris, et de 
payer de sa téte les crimes qu'il avait commis en Aquitaine. Il chercha 
son salut dans la fuite , et ses compagnons effrayés de sa désertion furent 
défaits sans résistance. 


Il y eut, dit-on, cent quatre-vingts morts tant d un côté que de 
. l'autre. Cent soixante Gascons furent obligés de se rendre avec ledit 
Archambaud, capitaine du cháteau fort de Carlus, qui était reconnu 
par tous les brigands du pays comme leur principal chef. On assembla 
à la háte un conseil de guerre pour délibérer sur son sort; quelques 
uns furent d'avis qu'on le mit à mort, pour avoir depuis peu surpris 
par trahison dans son propre cháteau le sire de Commarque avec sa 


#12 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


multi asseruerunt morte dignum, quia recenter dominum de 
Commarque cum uxore et filiis in proprio oppido ceperat et 
fraudulenter teterrimis ergastulis detinebat sine causa. Tan- 
dem tamen pro redempcione ablata restituens , castrum pro- 
prium cum tribus aliis que rapuerat sociis restituit, promittens 
quod eis adhuc solveret viginti mille scuta auri. 

Et hoc infortunium cum quidam raptus equo velocissimo 
cursu precipiti festinans apud Brantomme sociis nunciasset , in 
baratrum desperacionis se dederunt, et animo consternati 
querere mutuo inceperunt quid agerent. Successum autem pro- 
sperum Gallici audientes, quasi jam arram tenerent triumphi, 
gavisi sunt, et inde spem concipientes agrediendi congres- 
sum mutuum jam juratum, sollicitudine non pigri, omnem ar- 
guentes moram, et tota nocte insistentes itineri, ante solem 
exortum in armorum fulgore erectis vexillis anticipaverunt 
condictum campum pugne. Monentibusque lituis cohortum 
instruunt agmina, seseque mutuo exhortantur ut contra An- 
glicos et Vascones hostes fortiter dimicarent, quos venturos 
in proximo indubitanter credebant. Cum autem eos quatuor 
horarum spacio pede fixo et ordinatis aciebus expectassent, 
tandem affecti tedio miserunt qui sciscitarentur quam mentem 
gerebant oppidani. Sed hii velociter redeuntes omnes attonitos 
admiracione reddiderunt, asserentes quod res longe se aliter 
habebat quam credebant, et quod fraudati a desiderio res non 
procedebat ad votum. Sane, quod nunquam sperassent, retu- 
lerunt incolas et subsidiarios pugiles de Brantomme crebris lega- 
cionibus et vallidis precibus Anglicos evocasse, eosque litteris 
instruxisse ut, Francis prospere succedentibus rebus, nonnulla 
oppida Anglicana ad dedicionem coegerant, et id odiosum onus 
subire opportebat, nisi eis succurrerent. Vicinos eciam roga- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 413 


femme et ses enfants, qu'il retenait sans aucun motif en prison. Ce- 
pendant on lui permit de se racheter, à condition qu'il livrerait son 
cháteau de Carlus et trois autres places dont il s'était rendu maitre, 
et qu'il paierait une somme de vingt mille écus d'or. 


Un des fuyards était allé en toute háte porter la nouvelle de cette 
défaite à ceux de Brantóme , qui en furent consternés et qui se deman- 
dérent avec effroi ce qu'ils devaient faire. Les Francais au contraire en 
ressentirent la plus grande joie. Ce succés leur sembla un gage assuré 
de la victoire, et augmenta l'impatience qu'ils avaient d'en venir aux 
mains. Ils partirent sans plus tarder, et marchant toute la nuit, ils 
arrivérent enseignes déployées sur le champ de bataille avant le lever 
du soleil. Ils se formérent en bataille au son des trompettes, s'en- 
courageant les uns les autres à attaquer vigoureusement les Anglais et 
les Gascons , qu'ils comptaient voir bientôt paraître. Mais ils les atten- 
dirent vainement pendant quatre heures de pied ferme et en bon 
ordre. S'ennuyant à la fin de cette longue attente , ils envoyérent de- 
mander aux habitants de la place quelles étaient leurs intentions. 
Leurs messagers revinrent promptement et les étonnérent beaucoup 
en leur apprenant que les choses étaient loin de se passer au gré des 
assiégés, qui se voyaient tout-à-fait frustrés dans leurs espérances. Ils rap- 
portérent en effet que les habitants et la garnison de Brantóme avaient 
adressé aux Anglais de fréquents messages et de pressantes sollicita- 
tions pour implorer leur secours; qu'ils leur avaient écrit que les 
Francais avaient déjà forcé plusieurs places à capituler, et que pareil 
sort leur était réservé, si l'on ne venait à leur aide; qu'ils avaient 
aussi prié leurs voisins d'accourir en toute háte pour les délivrer, et 
leur avaient promis de payer convenablement un tel service. « Mais, 
« ajoutérent-ils, comme on n'a tenu aucun compte de leurs priéres 
«et qu'on les a láchement abandonnés, ils se soumettent à la néces- 
« sité et se résignent à exécuter les conditions qu'ils ont proposées. » 


414 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


verant ne pigritarentur ad eos venire, pollicentes non esse 
absque emolumento et condigno fructu, si sibi ministrarent 
subsidium. « Et quia, inquiunt, ipsi omnes, omni rubore post- 
« posito, petita quasi sub quadam dissimulacione pretereuntes 
« opem ferre neglexerant, ideo facientes de necessitate virtu- 
« tem, festinant quod promiserant complere. » 

Hiis auditis, adhuc meditabundi herentes et relacionem am- 
biguam reputantes censebant iterum mitti, qui rem cercius 
referrent, cum mox supervenerunt oppidanorum nuncii, qui, 
flexis genibus, impenso debite salutacionis affatu, ville claves 
obtulerunt, supplicantes ut secundum formam pacti restitutis 
obsidibus eis liceret recedere sine dampno et'alibi transmi- 
grare ad sedes novas querendas. Id velut racionabile nostri 
annuerunt, gaudentes se brevissime et absque cruento con- 
gressu quod periculosum et operosum hucusque crediderant !. 
Sed ingredientes partam urbem, paucos graves et invallidos 
viros et nil prorsus alimentorum aut predabile repererunt. 
Inde nonnulli prede avidi attendentes nil ibi repertum nisi 
migratu difficile, id direptum est et inter eos divisum; et? nil 
ibi penitus superesset quod valeret ad remuneracionem labo- 
rum militarium, indignacione moti impetraverunt ut ville muri 
destruerentur solotenus, ne amplius essent receptaculum hos- 
tium. Ad abbaciam autem propinquam, solum a prefata villa 
quatuor distantem stadiis, accedentes, quia semper erga ipsos 
extiterat obsequiosa et fidelis, nil penitus nocuerunt. 

Sicque rebus rite peractis et ad votum, omnes auctoritate 
precellentes ad urbem Lemovicensem redierunt, mutuo delibe- 


' Il faut supposer ici dans le manuscrit l'omission d'un mot tel que obtinuisse. 
' Le mot cum est omis dans le manuscrit. | 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 445 


Les Français pouvaient à peine croire au rapport de leurs envoyés; 
déjà méme ils se disposaient à faire partir d'autres personnes pour sa- 
voir plus sürement à quoi s'en tenir, lorsqu'ils virent arriver les dépu- 
tés de Brantóme, qui, aprés les salutations et les compliments d'usage, 
leur offrirent les clefs de la ville et demandérent qu'on leur rendit 
leurs otages, conformément au traité, et qu'on les laissát sortir vie et 
bagues sauves, pour aller chercher ailleurs de nouvelles demeures. 
Les Francais acquiescérent à cette demande ; ils étaient ravis d'avoir 
obtenu en si peu de temps et sans effusion de sang un succès qu'ils 
avaient cru plein de périls et de difficultés. Mais quand ils furent entrés 
dans la place, ils n'y trouvèrent que des vieillards et des infirmes ; 
il n'y avait ni vivres ni butin; à défaut d'autre chose, quelques pil- 
lards se jetérent sur les objets qu'on ne pouvait emporter et les mirent 
en piéces. Furieux de n'avoir pas de quoi s'indemniser de leurs peines, 
ils demandérent et obtinrent de raser les murs de la place, afin qu'elle 
ne servit plus de repaire aux ennemis. Ils se dirigérent ensuite vers 
une abbaye voisine, qui n'était qu'à cinq cents pas environ de Bran- 
tóme; comme ils n'avaient qu'à se louer de la soumission et de la 
fidélité des religieux, ils ne leur firent aucun mal. 


Aprés la réduction de Brantóme, les principaux chefs de l'armée 
retournérent à Limoges, pour délibérer s'il convenait de quitter le 
pays ou de marcher en avant et de poursuivre le cours de leurs succés. 
I] n'y eut pas de grands débats à ce sujet. La plupart furent d'avis 
qu'on profitát de l'absence des Anglais et de l'approche de la moisson, 


416 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


raturi si redire vel ulterius progredi et urgere successum pro- 
sperum videretur. Tunc votorum magna dissonancia non fuit. 
Nam major pars et sanior unanimiter decrevit ut, interim dum 
Vasconia anglicano carebat subsidio, instabatque tempus mes- 
sis tritticie, et ubique pabula pro equis reperiebantur habunde, 
expedicionem suam bellicam obsidionibus castrorum et infes- 
tacione urbis Burdegalensis insignirent. Ut sequencia docebunt, 
hec agredi laudabiliter potuissent. Sed illi a quorum aliorum 
sentencia dependebat, super hoc dominos duces Francie dig- 
num duxerunt consulendos, ut siscitaretur ab eis si hoc agere 
personaliter optarent. Quod attendentes de Claro Monte et de 
Alenconio comites, et sic in longum ibant negocia, Parisius 
redierunt, ibi Francie conestabularium et dominum Buticula- 
rium relinquentes cum ingenti copia scutiferorum et militum, 
quos tunc elegerunt sub se militare. 


CAPITULUM X. 


De villa * et castris occupatis in Guyenna a manu modica Gallicorum. 


Quamvis omnes quotquot ibi remanserant bellatores repu- 
tarentur egregii, instantem tamen estatem sub umbraculis, 
proc pudor, transegerunt, octies viginti ex hiis dumtaxat ex- 
ceptis scutiferis, qui sub quodam milite picardo, ut peren- 
nem sibi acquirerent apud posteros gloriam, quedam feliciter 
aggressi sunt, que felicius consummarunt, scriptu digna. Ocio 
namque marcescere domi, quieti indulgere et cotidie epulari 
splendide sedereque sub popinis desides, mulierum ritu, sum- 
mam infamiam reputantes, de licencia majorüm sumptis secum 


' Far. : n° 5959, fol. 42 v., villis. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIL. 447 


qui devait fournir des fourrages en abondance, pour se signaler soit par 
le siége de quelques châteaux forts, soit par des courses sur le territoire 
de Bordeaux, et la suite prouvera que ce parti était le plus sage et 
qu'on aurait pu réussir. Mais les membres les plus influents du con- 
seil voulurent que l'on consultát à ce sujet messeigneurs les ducs de 
France, et qu'on leur demandát s'ils désiraient diriger en personne 
cette expédition. Les comtes de Clermont et .d'Alencon, voyant que 
l'affaire traînait en longueur, revinrent à Paris, et laissérent dans 
le Limousin le connétable de France et messire le Bouteiller à la tête 
d’un corps nombreux d'écuyers et de chevaliers. | 


CHAPITRE X. 


Quelques Français s'emparent d'une ville et de plusieurs cháteaux forts en Guienne. 


Les hommes d'armes qui étaient restés dans le Limousin, quoique 
tous renommés pour leur valeur, ne laissérent pas de passer l'été dans 
un honteux repos. Cent soixante écuyers seulement, jaloux d'acquérir 
de la gloire par quelque action d'éclat, se mirent sous la conduite 
d'un gentilhomme picard , et firent des prouesses dignes de leur cou- 
rage. Regardant comme le comble de l'infamie de languir ainsi que des 
femmes dans l'inaction et l'oisiveté, et de vivre au milieu des plaisirs 
et de la bonne chére, ils prirent avec eux , du consentement de leurs 
chefs, deux cents hommes tant de troupes légéres que de gens de pied, 
et se séparérent de leurs compagnons, pour aller explorer les environs 
et chercher les occasions de combattre. Ils jurérent entre eux de ne 
point revenir sans s'étre signalés par le siége de quelque place ou par 


III. 53 


418 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


gregariis et levis armature servientibus ducentis, explorandi 
gracia regionem adjacentem, et fortunam experiri rerumque 
eventum, qui pro tempore et loco occurreret, ab aliis sunt 
divisi. Igitur sic adunati per patriam adjacentem hostiliter gras- 
sari statuerunt, mutuo se non regressuros fide media firmantes, 
donec castrorum obsidionibus vel debellacione hostium iter 
suum insigne reddidissent. Et quia opus tam grandi alea ple- 
num temeritati ascribebat vulgalis oppinio, attendentes tamen 
sepe magnas parvis principiis res effectas, in hostes apud Ca- 
pellam degentes statuerunt insurgere, velut a justo titulo in- 
choantes, quia vicinis suis de Brive la Guallarde, qui Francis 
favebant, rapinas intollerabiles et continuas inferebant. Ab eis- 
dem igitur vallidis precibus evocati, castrum in agro plano 
constructum sed muro spisso vallatum adierunt, et accersito 
custode vascone quodam insigni, sed de furtivo concubitu orto, 
illud auctoritate regis Francie reddere preceperunt; quod tamen 
cum superbia denegavit, confidens in fortitudine loci. Hac re- 
pulsa Gallici indignati assultum impetuosum inchoarunt. Quem 
quidem capitaneus non sine suorum dampno pertulit, et quia 
perpauci erant secum defensores, secundum non expectavit; 
ymo cum eis pacto inito locum reddidit, cum suis inde rece- 
dens salva vita. 

Sic loco sociis ad custodiam commisso, ut pro comperto ha- 
buerunt ex indigenarum narracione fideli quod in vicino aliud 
esset oppidum, Malemort nuncupatum, in rupe ardua situm, 
illuc adire statuunt celeriter. Sed itineris medio custodem ob- 
viam habuerunt pacificum, qui reverenter impenso salutacionis 
affatu se et sua eis submisit humiliter, condicione addita quod, 
prestito juramento de fidelitate servanda erga regem , oppidum 
deinceps ejus auctoritate servaret. Quo concesso, eos apud 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 419 
la défaite de quelque corps ennemi, et se mirent à courir le pays d'alen- 
tour. Ils n'ignoraient pas qu'on blámait généralement comme témé- 
raire une entreprise si pleine de difficultés ; mais considérant que sou- 
vent une affaire commencée avec de faibles ressources se termine par 
un suceés éclatant, ils persistérent dans leur dessein. Ils attaquérent 
d'abord la garnison de la Chapelle, afin de tirer vengeance des dégáts 
intolérables qu'elle commettait sur les terres voisines des habitants de 
Brives-la-Gaillarde , qui étaient attachés au parti de la France, et qui 
avaient vivement imploré leur secours. Le cháteau de la Chapelle était 
situé en rase campagne, mais entouré d'une bonne muraille. Le com- 
mandant de la place était un bátard , issu d'une noble famille de Gas- 
cogne , qui , comptant sur la force de sa position, repoussa les somma- 
tions qu'on lui fit au nom du roi. Les Français, irrités de son refus, 
commencérent aussitót l'attaque et tuérent beaucoup de monde aux 
assiépés. Le capitaine, n'ayant avec lui qu'une faible garnison, n'at- 
tendit pas un second assaut ; il capitula, remit sa forteresse et sortit à 
la téte des siens, vie et bagues sauves. 


Aprés avoir laissé une garnison dans la place, les Français, informés 
qu'il y avait dans le voisinage une autre forteresse nommée Mallemort, 
située sur un roc escarpé, s'y dirigérent en toute háte. Mais chemin 
faisant ils rencontrérent le gouverneur, qui venait à eux avec des pa- 
roles de paix , et qui, aprés les avoir salués humblement, offrit de re- 
mettre entre leurs mains sa personne et ses biens, à condition qu'il 
garderait désormais sa forteresse au nom du roi, en lui prétant serment 
de fidélité. Cette condition ayant été acceptée, il les mena devant 
Florac, où il y avait, leur dit-il, une compagnie de gens de guerre qui 


420 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


Florac duxit, dicens ibi residere copiam subsidiariorum pugi- 
lum, qui pastum annuum a vicinis Gallicis extorquebant. Unde 
merito indignati, post dedicionem derisorie denegatam, cum 
auxilio superveniencium incolarum hostes expugnare totis viri- 
bus statuerunt. Ipsos tamen imparatos minime repererunt; sed 
fortiter resistendo multos ex invasoribus graviter vulnerave- 
runt; qui tandem terno reiterato assultu oppidum impetuose 
ingressi sunt, invitis defensoribus, quos omnes postmodum 
jugum redempcionis subire coegerunt, locum fideli custodie 
committentes. 

Post hec agredientes majora, villam de Limeil, bellicoso 
refertam populo, muris et turribus sublimibus et valde dempsis 
opere sollido compactis insignem admodum et munitam capere 
statuerunt. Quod audientes incole mox octoginta ex suis emi- 
serunt, qui in insidiis latitantes eos transire permitterent, ut 
sic inopinate a tergo insurgentes saltem eorum maximam par- 
tem exterminarent facilius; sed quod excogitaverant effectu 
caruit. Nam a ruricolis vicinis commento fraudis detecto , mox 
nostrates insidiatores celeriter prevenerunt et ad urbem fugere 
coegerunt, sexdecim ex eis captis, qui precurrentes lencius 
sequebantur, quos in oculis sociorum affigi fecerunt patibulo. 
Nec tamen contenti ignominia illata, ymo vicinis Francie beni- 
volis in auxilium evocatis, cum crebris sagittarum immissio- 
nibus et omnis generis missilium impetuosis ictibus diros 
inchoaverunt assultus, quos introrsum manentes potentissime 
pertulerunt fortiter resistendo, donec triduo exacto muros jam 
multis in locis cum celtibus et fossoriis subfossos persenserunt. 
Tunc ad peticionem burgensium utrinque invasiones prohi- 
bentur, et tandem celebrato super agendis consilio, quod nuper 
affectaverant, ut cum aliis Gallicis deinceps conversari possent 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 421 


levait une.contribution annuelle sur les Francais du voisinage. Juste- 
ment indignés de ces exactions, ils sommérent la garnison de se rendre, 
et sur son refus ils attaquérent vigoureusement la place avec un ren- 
fort des habitants du pays qui s'étaient joints à eux. Les assiégés 
s'étaient mis en mesure de résister; ils combattirent vaillamment, et 
blessèrent un grand nombre des assaillants. Mais enfin , aprés trois 
assauts successifs, les Francais entrérent de vive force dans la place, 
mirent à rançon tous les vaincus et confièrent la forteresse à une gar- 
nison fidèle. 


Enhardis par ces succès, ils se dirigérent vers la ville de Limeuil, 
qui renfermait une population belliqueuse, et qui était défendue par 
d'épaisses murailles et de hautes tours solidement construites. À cette 
nouvelle, les habitants ordonnérent à quatre-vingts hommes d'aller 
se poster en embuscade sur leur chemin, pour les attaquer à l'impro- 
viste par derriére, quand ils seraient passés, et pour en tuer le plus 
qu'ils pourraient; mais leur stratagème échoua. Les Français, avertis 
par les paysans du voisinage, prévinrent cette embuscade par une 
marche rapide et forcérent les quatre-vingts hommes à rentrer dans 
Limeuil. Ils en prirent seize qui étaient restés en arriére, et les pen- 
dirent sous les yeux de leurs compagnons. Non contents d'avoir ainsi 
insulté les habitants, ils appelérent sous leurs drapeaux tous les parti- 
sans qu'ils avaient dans les environs, et commencérent à faire pleu- 
voir sur la ville une gréle de fléches et de toutes sortes de projectiles; 
les assiégés résistérent vigoureusement et tinrent bon pendant trois 
jours. Mais s'étant apercus que les murs étaient minés et sapés en 
plusieurs endroits, ils demandérent une suspension d'armes et tinrent 
conseil pour aviser à ce qu'ils feraient. Comme ils désiraient depuis 
long-temps établir entre eux et les Francais des relations commer- 
ciales dont ils espéraient tirer profit, ils résolurent d'ouvrir les portes 
de la ville aux assiégeants. Les vainqueurs y trouvèrent des provi- 
sions de toute espéce et des vivres en abondance pour eux et pour 


422 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


liberius, et ex rebus venalibus commodum mutuum reportare, 
Gallicis victoribus introitum pacificum concesserunt. In urbe 
reperientes habundanciam bonorum, sibi et equis pastum beni- 
gnius indulserunt. Et cum per aliquod tempus quieti et recrea- 
cioni indulsissent, et a majoribus natu sacramenta fidelitatis 
recepissent, attendentes cum quanta perplexitate continuarent 
promissa, si in vicino constructa castra fortissima de Morucle et 
de Penac eis hostilia essent, mox illa adierunt ; sed nil ibi cer- 
taminis fuit. Nam hostes improviso adorti, primo clamore at- 
que impetu illa ceperunt. 

Tam clarorum defectionem qui Boursac, Temolat et Jognac 
servanda susceperant audientes, eorum exemplum sunt sequuti; 
et breviloquio utens, terror gallici nominis tunc hostes longe 
lateque degentes sic invasit, quod postmodum Ruppem Sancti 
Christofori, Sanctum Chamant, Autefort, Teno, Montem Re- 
galem, Longuebrunet, Foisac, nundum post elapso mense, eis- 
dem absque resistencia reddiderunt. Tunc placuit de universo- 
rum consensu nonnulla de ipsis tnunicipiis funditus everti, cum 
sine multis sumptibus, labore continuo et multo transeuncium 
periculo non viderentur a Francis posse conservari, in aliis 
vero fideles capitaneos auctoritate regia deputando. 

Sic rebus strenue gestis, nt earum exitus fine commendabili 
clauderetur, attendentes quod feliciori ut ita dicam concomi- 
tante fortuna ‘hostiles discursus usque ad villam muratam de 
Muscidan , insignem admodum et munitam, quam et fortissi- 
mum castrum tuebatur, peregerant, mutuo consuluerunt si hanc 
viribus expugnarent. Ibi relicta quondam domini de Muscidan 
residebat, que in illis partibus et usque ad Burdegalensem ur- 
bem amplas hereditates possidebat. Ad quam protinus mitten- 
tes qui auctoritate regia dedicionem imperarent, cum eam 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 423 


leurs chevaux. lis s'y dédommagèrent pendant quelques jours de leurs 
fatigues et de leurs privations, et aprés avoir recu le serment de fidé- 
lité des anciens de la ville, ils allérent attaquer les cháteaux forts de 
Mareuil et de Paunac, situés dans les environs, dont la réduction leur 
paraissait nécessaire pour la süreté des engagements pris de part et 
d'autre. Ils s'en emparérent sans coup férir; l'ennemi, pris au dé- 
pourvu, se rendit à la premiére attaque. 


La soumission de ces places importantes amena celle de Bussac, 
de Trémolat et de Journiac ; et bientôt la terreur qu'inspirait en tous 
lieux le nom francais fut telle, qu'avant un mois l'ennemi leur livra 
sans combattre la Roche Saint-Christophe , Saint- Chamant, Hautefort, 
Thénon, Montréal, Longuebrunet et Foissac. On fut unanimement 
d'avis de raser quelques unes de ces places, qu'il eüt été impossible de 
conserver sans d'énormes dépenses, de continuelles fatigues et de 
grands dangers; les autres furent confiées au nom du roi à des capi- 
taines fidèles. 


Pour terminer dignement une expédition déjà marquée par tant de 
succés, les Francais, qui avaient poussé sans obstacle leurs. courses 
victorieuses jusqu'à Mucidan, grande ville, bien fortifiée, et défen- 
due par un cháteau presque imprenable, résolurent de s'en empa- 
rer. La veuve du sire de Mucidan , qui possédait de vastes domaines 
dans la province et dont la seigneurie s'étendait jusqu'aux portes de 
Bordeaux , y faisait sa résidence. Ils l'envoyérent sommer au nom du 
roi de se rendre. Sur son refus, ils joignirent aux hommes d'armes 
qu'ils avaient tirés de toutes les places conquises et emmenés avec eux 
les habitants du voisinage qui leur étaient dévoués, et commencérent 


424  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 
contemptibiliter denegasset, mox accitis pugilum copia jam 
subacta, quam secum traxerant, et adjacentibus incolis, qui 
eis favebant, eam obsidione cingere decreverunt. Opus vires 
procul dubio excedebat; cujus tamen difficultatem supplere 
posse sperabant, si, tritticee messis anni elapsi annona defi- 
ciente, in sata adhuc telluri herencia et huc illucque per cam- 
pestria manipulatum dispersa nec in areis nundum ' congesta 
sevirent; et id ab universis conclusum est. Vineas eciam extir- 
pare ad maturitatem tendentes et dare incendiis decretum est, 
ut saltem hoc dampno urbani desperarent. Quod conceptum 
fructuoso non caruit effectu. 

Nam cum domine intimatum fuisset id Francos in mente 
gerere , evocatis suis familiaribus, partes ingreditur deliberacio- 
nis, postulans quid facto opus sit in re tam periculosa. Et tan- 
dem, ut imminenti provideretur periculo, prefate persuaserunt 
domine ut dominum Harpadanne , strenuum militem britonem, 
qui filiam ejus desponsaverat, evocaret. Qui festinanter tunc 
accedens rogavit Gallicos ut ab assultibus et incendiis abstine- 
rent, jurejurando affirmans se pro posse laborare ut villa regi 
Francie subderetur. Dictis autem facta cupiens compensare, 
frustra diebus elaboravit complusculis mentem prefate domine 
ad hoc allicere. Que tandem timens ne subditi prolixa obsidione 
atque famis inedia fatigati quod recusabat concederent, consi- 
liis prefati militis acquievit. Pacto tamen utrinque corroborato, 
juramentis additum est quod inde exiens cum sexaginta viris 
ad unguem loricatis, et locum alium petens, quamdiu vitam 
duceret in humanis, hujus castellanie perciperet resditus et 
proventus, et sibiliceret sub obediencia Anglicorum remanere. 
Tunc recedens , urbe et oppido Gallici potiti sunt, et hec duo 
sub tuta custodia auctoritate regia commendantes, cum castra 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 425 


le siége de la ville. C'était une entreprise au-dessus de leurs forces; 
néanmoins , comme la récolte avait manqué l'année précédente, ils 
espéraient réussir en détruisant les blés qui étaient encore sur pied, 
ou qu'on avait entassés en gerbes dans les champs pour les rentrer 
dans les granges. On s'arréta d'un commun accord à ce parti. On dé- 
cida aussi qu'on arracherait et qu'on brülerait les vignes, déjà presque 
arrivées à leur maturité, afin de réduire les habitants au désespoir. 
Ce projet réussit au delà de leurs espérances. 


La. dame de Mucidan, ayant eu avis des intentions des Francais, 
assembla ses familiers afin de délibérer avec eux sur ce qu'il convenait 
de faire dans une conjoncture si critique. Ils lui conseillérent de man- 
der le sire de Harpedanne, brave chevalier breton, qui avait épousé 
sa fille, et de se servir de son entremise pour échapper au danger qui 
la menaçait. Ce seigneur arriva en toute hâte, et pria les Francais de 
suspendre leurs attaques et leurs dévastations, promettant sur l'hon- 
neur de travailler de tout son pouvoir à faire remettre la ville entre 
les mains du roi de France. Conformément à sa promesse, il essaya 
pendant plusieurs jours d'amener ladite dame à une capitulation ; mais 
ses efforts furent inutiles. À la fin pourtant, elle se rendit aux conseils 
de son gendre, de peur que ses sujets, fatigués d'un long siége et épuisés 
par la faim, n'acceptassent les conditions qu'elle refusait. On conclut 
un traité qui fut juré de part et d'autre, et dont les principales clauses 
étaient que la dame de Mucidan sortirait de la place avec soixante 
hommes armés de pied en cap, et irait fixer sa résidence ailleurs, mais 
que sa vie durant elle percevrait les revenus et profits de la chátellenie, 
et qu'il lui serait permis de demeurer sous l'obéissance du roi d'Au- 
gleterre. Quand elle fut sortie, les Francais prirent possession de la 
ville et de la citadelle au nom du roi, y mirent une bonne garni- 
son, et afin de prévenir toute attaque, ils prirent les deux cháteaux 


IH. 54 


#26 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VII. 


propinquiora, videlicet Sendrens et Campaniam, éorutn dicioni 
sübmisissent , ne oppidanis nocerent, ad Lemovicensem tirbem 
redierunt. Tunc a. consodalibus , qui adhuc responsionerà do- 
miuorum ducum expectabant, honorifice sunt recepti, et de 
bene rebus gestis, ut meruerant, collaudati, qui tamen egre 
tulerunt quod eorum felicibus actibus digni non fuerant in- 
teresse. 


CAPITULUM XI. 


Auglici à rege auxilium. postulant, ad vindicandum injustam mortem Ricbardi 
regis sui. 


Precedentibus diebus incidenter addere dignum duxi domi- 
num de Persyaco anglicum, comitem de Nortombellan, sub 
salvo conductu venisse in Franciam, et, fide dignorum relatu, 
ut a rege et lilia deferentibus auxilium impetraret contra Hen- 
ricum Leucastrie, qui regnum Anglie per tyrannidem occupa- 
bat. Ad eorum namque accedens presenciam, et infidelitatem 
excecrabilem, Jude proditori merito comparandam, redarguens, 
ut, timore Dei postposito et ferina rabie agitato, in Richardum 
dominum suum naturalem sediciones et rebelliones excitande, 
in ipsum mauus injecerat sacrilesas, et eum tandem tradi fecerat 
ignominiose morti, serietenus enarravit. Ft quia conscius pet- 
petrati sceleris reputabatur a multis, se excusans non negavit 
quod , dum adversitatibus undique Richardus urgeretur, eidem 
persuasisset ut ad Henricum accederet, prius ab eodem Henrico 
susceptis sacramenüs de &delitate servanda. « Quam tamen fidi- 
« fragus pessimus sprevit, inquit, ex germano effectus crade- 
« lissimus homicida. Addam, inquit, et, serenissime prinorps. 
« qued. ubi ad vindictam tam nephandissimi sceleris nobsles 
« vidit accinctos, omnes aut vita privavit aut exheredatos me- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 427 


de Bendrens et de Champagne situés dans le voisinage ; aprés quoi, ils 
retournérent à Limoges. Leurs compagnons, qui attendaient encore 
la réponse de messeignenrs les ducs, les recurent avec beaucoup d'hon- 
neur, et les félicitérent de leurs succès, non toutefois sans éprouver 
quelque dépit de n'avoir pas pris part à cette glorieuse expédition. 


CHAPITRE XI. 


Quelques seigneurs anglais demandent du secours au roi de France, pour venger 
l'assassinat de leur roi Ricbard. 


Je crois devoir rapporter ici que vers ce temps le sire de Percy, 
comte de Northumberland, arriva en France avec un sauf-conduit, 
pour demander, à ce que m'ont assuré des personnes dignes de foi, 
du secours au roi et aux princes des fleurs de lis contre Henri de Lan- 
caster, usurpateur du trône d'Angleterre. ]] accusa hautement en leur 
présence l'exécrable perfidie de ce prince, qu'il compara à la trahison 
de Judas, et il raconta tout au long comment, dans sa rage aveugle, il 
avait excité des séditions et des révoltes contre le roi Richard, son 
seigneur naturel, comment il avait porté sur lui ses mains sacriléges, 
sans craindre la colére de Dieu, et l'avait fait périr d'une mort igno- 
minieuse. Comme il n'ignorait point qu'on le soupconnait de compli- 
cité dans ledit assassipat , il chercha à s'en disculper, pf.avoua que, 
voyant le roi Richard réduit à l'extrémité, il lui avait en effet conseillé 
d'aller trouver Henri de Lancaster, sur l'assurance que lui avait donnée 
celui-ci de respecter la foi qu'il devait à son souverain, mais que cet 
infime traître avait violé sa parole et s'était fait le meurtrier du roi 
son cousin. « Pour comble de cruauté, ajouta-t-il, prince sérénissime, 
« lorsqu'il a su que de nobles seigneurs se préparaient à venger cet 
« horrible attentat, il les a tous fait mettre à mort ou dépouillés de 
« leur patrimoine et condamnés comme moi à un exil perpétuel , 
« pour s'assurer la possession paisible d'un trône auquel ne l'appelaient 


428 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


« cum coegit perpetuum subire exilium, ut coronam regni libe- 
« rius occuparet, quam tamen jus successionis racionabiliter 
« sibi negat. Nam filiorum regis incliti Eduardi ordinem recen- 
« sentes, genitor ejus in regno jus non potuit quodpiam aliqua 
« occasione reclamare; sed post fatum filii vestri Richardi dive 
« memorie, eidem succedere debet comes inclitus Marchie, qui 
« originaliter descendit de antiquiore filio Eduardi. Hic igi- 
« tur, serenissime princeps, majestati vestre regie se humiliter 
« recommendat, per me orans suppliciter ut eidem sibique beni- 
« volis, qui cum amaritudine cordis adhuc deflent mortem filii 
« vestri Richardi, ut dignemini opem ferre tempore opportuno 
ad persequendum jus suum et expellendum Henricum ipsum 


^ 


« proditorem. » 

Super hiis aliquantis diebus consiliis celebratis, tandem atten- 
dens rex quod regium est proximorum genere et affinitate cum 
prepotenti dextera injurias vindicare, et exheredatis injuste 
succurrere, cum nuncius quieti et recreacioni Parisius aliquan- 
diu indulsisset, ipsum donatum muneribus cum litteris regiis, 
que in substancia continebant que proposuerat, remisit; qua- 
rum conclusio talis erat: 

« Quas ob. res, incolas omnes Anglie et subditos qualescun- 
« que deprétamur, in quantum suum honorem caripendunt, 
« veritatemque sequi volunt et suam fidelitatem demonstrare, 
« quatinus ponentes ante suarum consideracionum oculos ac 
« eorum memorie reducentes mortes principum, prelatorumque 
« et aliorum virorum sancte mentis, nec non procerum Anglie 
« tam multorum , crudelitatesque et offensas eorum impensas 
« domino naturali atque regi et juri corone, ut prefertur, manus 
« imponant ad forcia, et illum sepefati Anglie regni magna- 
« nimiter expellant invasorem. Nec dedecorantem evidenter ae 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 429 


« point les droits de sa naissance; car en considérant la lignée du grand 
« roi Édouard, on voit que son pére ' ne pouvait à quelque titre que 
« ce füt élever aucune prétention à la couronne. C'est à l'illustre comte 
« de la Marche, issu du fils aîné d'Édouard *, que doit revenir la succes- 
« sion de votre fils Richard. Ledit comte se recommande donc hum- 
« blement à votre royale majesté, prince sérénissime, et vous supplie 
« instamment par mon entremise de daigner le secourir lui et tous 
« ses partisans, qui pleurent encore dans l'amertume de leur coeur le 
« meurtre de votre fils Richard, et de l'aider à faire valoir ses droits 
« et à chasser l'usurpateur Henri. » 


Le roi tint plusieurs conseils pour en délibérer. Enfin considérant 
qu'il importait à son honneur de venger les outrages faits à ses parents 
et à ses alliés, et de les remettre en possession de leurs héritages in- 
justement envahis, il promit son assistance au comte de Percy, et aprés 
l'avoir retenu quelque temps à Paris au milieu des divertissements et 
des plaisirs, et l'avoir comblé de présents, il le congédia avec une 
lettre royale, qui contenait en substance ses intentions et qui finissait 
ainsi : 

« À ces causes, nous conjurons tous les habitants et sujets du 
« royaume d'Angleterre, quels qu'ils soient , en tant qu'ils ont quelque 
« souci de leur honneur et qu'ils tiennent à suivre la borme cause et 
« à faire éclater leur fidélité, de rappeler en leur mémoire et de se 
« remettre sous les yeux les morts tragiques de tant de princes, de 
« prélats, d'hommes vertueux et de nobles personnages d'Angleterre, 
x les cruautés commises envers leur seigneur naturel et roi , enfin les 
« atteintes portées, comme il a été dit, aux droits de la couronne; 


' Jean de Gaunt, duc de Lancaster, d'Édouard III, devenu l’aîné depuis la mort 
quatrième fils d'Edouard III. d'Édouard, prince de Galles, et de Guil- 
? Lionel, duc de Clarence, troisième fils laume. 


430 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


« pervertentem notorie regni Anglie successiones hereditarias 
« consuetas a cetero paciantur, aut dissimulent ulterius fideles 
antedicti, quod tantum ac tale regnum, in quo tot vigent 
« animi et supersunt viri fortes, tante subiciatur tyrannidi et 
« impressioni insolite, et que decet pusillanimes, non viriles. 
« Quin pocius faciant et procurent ac alias possetenus operen- 
« tur, ut strenui ac fideles, quod corona Angle antedicta , quo 
« debet reponatur loco ac veris reddatur heredibus et eis resti- 
« tuatur, ut est justum. Et nos, dummodo de firmo stabilique 
« proposito nobis constet , offerimus libenti ac volenti animo, 
« quandocunque idem Anglie habitantes volent se in libertatem 
« vindicare, et ad justum verumque dominum redire, nosque 
« debite duxerint requirendum et in auxilium advocare, sic 
« efficaciter et potenter juvaturos, ut tenemur, quod eis cedet 
« ad gaudium et nos nostrum fecisse debitum magnopere fate- 
« buntur; indubitanter scientes quod, cum ad Walliam novis- 
« sime armatam transmisimus, si securi fuissemus gentem nos- 
« tram ab amicis veritatis et heredum Anglie sequacibus recipi 
« debere gratulanter, et cum effectu, ut decebat, sociari, ma- 
« jorem multo potenciam misissemus , mittereque semper parau 
« sumus , casibus antedictis. » 

Apicibus igitur regiis sic munitus , regi et principibus Fran- 
cie vale dicto, Scociam pétiit, secumque ascito domino Jacobo 
Duglays, qui moleste ferebat comitem fratrem suum diucius 
justo captivum detineri in Anglia, quanto et quam inexpiabili 
odio in regem Anglie laborabat efficaciter monstravit. Nam 
collecta manu vallida Anglicorum, in vindictam prodicionis ab 
eo perpetrate, per regnum cepit hostiles discursus et quicquid 
hostis in hostem consuevit exercere. Quapropter rex cum ingenti 
Lundoniensium copia eidem occurrere festinavit. Utrinque 


A^ 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 434 


« nous les supplions de s'armer d'une généreuse résolution et de 
« travailler à chasser l'usurpateur dudit trône d'Angleterre. Il est 
« de leur fidélité de ne pas souffrir plus long-temps un tyrau qui 
« bouleverse insolemment tous les droits de succession, et de ne 
« point laisser gémir sous le joug d'une honteuse oppression ce beau 
« royaume, si fécond en hommes courageux et intrépides. Un tel 
« abaissement conviendrait à des láches, et non à des gens de coeur. 
« Ils doivent au contraire faire tous leurs efforts et mettre tout en 
« œuvre, comme de braves et loyaux Anglais, pour rendre ladite cou- 
« ronne à qui de droit et la replacer sur la téte des véritables et légi- 
« times héritiers. Quant à nous, pourvu que nous soyons assuré de 
« leur ferme et immuable résolution, nous offrons volontiers et de 
« bon cœur d'aider les Anglais, quand ils le voudront, à recouvrer 
« leur liberté et à revenir à leur véritable et légitime souverain, de 
« les seconder puissamment et efficacement, comme nous y sommes 
« tenu, dés qu'ils croiront devoir requérir düment notre assistance et 
« mous appeler à leur secours ; nous ferons en sorte qu'ils n'aient qu'à 
« se louer de nous, et qu'ils avouent hautement que nous avons fait 
« notre devoir. Qu'ils sachent que, si naguére, en envoyant une armée 
« dans le pays de Galles, nous avions eu la certitude que les partisans 
« de la bonne cause et les amis des légitimes héritiers du tróne accueil- 
« leraient nos gens avec faveur et s'empresseraient de se joindre à eux, 
« nous aurions disposé de forces beaucoup plus considérables; mais 
« nous sommes toujours prêts à les assister dans les cas susdits. » 

Le sire de Percy, mum de cette lettre , prit congé du roi et des 
princes du sang, et se rendit en Écosse. Là, il associa à ses desseins 
messire Jacques de Douglas, qui avait à se plaindre de la longue dé- 
tention du comte son frére, et il ne tarda pas à faire sentir au roi 
d'Angleterre les effets de sa haine implacable. Pour venger la mort du 
roi Richard, il courut le pays à la téte d'un corps nombreux d'An- 
glais, et y exerca toutes sortes d'hostilités. Le roi marcha à sa ren- 
contre avec un grand nombre de bourgeois de Londres. Une sanglante 
butaiHe eut lieu; la fortune, d'abord indécise, se déclara enfin pour 
Henri de Percy. Le roi fut mis en fuite, et son fils Jean de Lancaster 


432 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


atrox prelium commissum est; sed tandem variante fortuna, 
Henrico de Persy cessit victoria, rege quoque fugato et filio 
ejus Johanne de Lancastria a Jacobo de Duglays capto. In eo- 
dem conflictu octo milia Anglicorum aut interfecta aut capta 
referuntur. 


CAPITULUM XII. 


De statu tenui primogeniti regis, et de bellica expedicione ducum Aurelianis 


et Burgundie. 


Vulgo ferebatur capitaneos ad custodiam Aquitanie depu- 
tatos dominum ducem Aurelianensem antea sollicitasse ut ces- 
saret degenerem sequi lasciviam, et agrediendo armis patriam 
Burdegalensem virtutem amplexaretur militarem. Commune 
erat eciam ducem Burgundie egre ferre quod Anglici, de Calesio 
sepius erumpentes, libere, erecto supercilio, et Picardie vili- 
pensis custodidus, ad comitatum suum Artesii evagabantur. 
Greges quoque et armenta undique contrahentes , ad Calesium 
omnimodam opulenciam alimentorum sine obice referebant. 
Future expedicionis bellice amborum ducum ad partes preno- 
minatas evidentissimum signum erat, quia collectam generalem 
voce preconia levandam intimaverant pro stipendiis militum. 
Quod onus gravissimum rex , plebi compaciens, tam diu levari 
prohibuit, donec a custodibus gaze regie aliunde exigi impos- 
sibile didicit. 

Displicencia patitur calamum ad propositum adderé quod, 
cum inde plurimi mirarentur, tunc aule regie ministri retule- 
runt quod ex amplissimis receptis ordinariis et subsidiariis 
regni pene percipiebant annuatim unde de cotidianis sump- 
tibus sibi atque proli sue tenue providerent. Quorum verbum 
ejus primogenitus, circa medium augusti, necessitate compulsus, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 433 
fait prisonnier par Jacques de Douglas. Huit mille Anglais, dit-on, 
périrent ou furent faits prisonniers dans cette journée. 


CHAPITRE XII. 


Chétif état de la maison du dauphin. — Expéditions des ducs d'Orléans 
et de Bourgogne. 


. On tenait pour certain que les gens de guerre chargés de la défense 
de l'Aquitaine avaient plusieurs fois supplié monseigneur le duc d'Or- 
léans de sortir de sa honteuse inaction, et de venir signaler sa vail- 
lance;en attaquant le Bordelais. On disait aussi généralement que le 
duc de Bourgogne était fort irrité contre les Anglais de la garnison de 
Calais, qui faisant de fréquentes sorties, malgré la présence des troupes 
cantonnées en Picardie, poussaient audacieusement leurs courses jus- 
qu'à son comté d'Artois, y enlevaient le gros et le menu bétail, et 
rentraient sans obstacle à Calais avec des provisions de toute espèce. 
Ce qui faisait croire surtout au départ prochain des deux ducs, c'est 
qu'ils avaient fait publier par la voix du héraut la levée d'une col- 
lecte générale pour la solde des gens de guerre. Le roi, touché de 
compassion pour ses sujets, défendit qu'on perçûüt cet impôt acca- 
blant, et ne consentit à l'autoriser que quand il eut appris par les 
gardiens du trésor royal qu'il était impossible de trouver de l'argent 
ailleurs. 07 

Je rapporterai à ce propos une circonstance dont il m'est pénible 
d'avoir à faire le récit. Comme on s'étonnait beaucoup de la pénurie 
du trésor, les officiers de la maison du roi déclarérent qu'ils perce- 
vaient à peine chaque année sur toutes les recettes ordinaires et tous 
les subsides du royaume de quoi subvenir aux dépenses journaliéres du 
roi et de ses enfants. Leur assertion fut justifiée par la démarche que 
fit vers le milieu d’août monseigneur le dauphin. Ce jeune prince, 

ri. 55 


434 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


si fas sit tam insignem dominum tam humilibus verbis deprimi, 
. comprobavit. Ad patrem namque cum familia accedens, et 
impenso debite salutacionis affatu, causam sui adventus inti- 
mans, humiliter postulavit ut sub sua cura deinceps educaretur 
domestica , cum sibi rerum familiarium deesset provisio , ereque 
gravatus alieno et multis obligatus debitis non haberet unde 
creditoribus satisfacere posset, qui sibi cotidianum victum 
ministrabant. Querimoniam filialem, affabiliter annuens quod 
petebatur, rex demulsit, et accersitis procuratoribus tributo- 
rum, vectigalium quoque et civilium functionum exactoribus, 
et qui urbanis collectis opes regias augendas susceperant, 
audiens tantam indecenciam alias inauditam procedere, quia 
regales peccunias quamplures indebite distrahebant, huic in- 
commodo statuit per consilium providere. Quod tamen preven- 
tus infirmitate solita minime adimplevit. 

Sic.ista et queque alia reformacione digna in statu pristino 
et sub cura dominorum ducum Biturie, Aurelianis et Burgundie 
remanserunt; qui tamen, cunctis obmissis, ad id solum intende- 
runt ut, quod hucusque distulerant, auctoritate* regia ubique 
eligerentur collectores, qui onus peccuniale a regnicolis sub 
penis carceris, direpcione mobilium, et severitate consueta vel 
majori extorquerent. Et quoniam hoc sciebant summe populo 
displicere, ne inde motus aliqui recentes et scandalosi in eorum 
prejudicium orirentur, de Parisius recedentes , undecunque evo- 
care pugiles statuerunt; qui tamen inviti parte maxima parue- 
runt, ad bella procedere fatuum reputantes, cum campestria 
pabulis et victualibus carerent, et estati hyemps rigida succede- 
bat. Amborum tamen ducum non mutaverunt propositum dis- 
suasiones iste; sed, ut antea deliberatum fuerat, una et eadem 


* Le mot auctoritate, emprunté au n° 5959, fol. 45 r., manque dans le n° 5958. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 435 
pressé par le besoin, s'il est permis de parler ainsi d'un si illustre per- 
sonuage, vint trouver son père avec les gens de sa maison. Aprés lui 
avoir offert l'hommage de ses salutations, il lui fit connaitre le motif 
de sa venue, lui exposa humblement qu'il manquait des choses né- 
cessaires, qu'il était accablé de dettes et n'avait pas de quoi satisfaire 
les créanciers qui lui fournissaient ses provisions de chaque jour, et 
le pria de vouloir bien se charger désormais de son entretien. Le roi 
calma les plaintes de son fils et acquiesca volontiers à sa prière. Il fit 
venir les collecteurs ordinaires et extraordinaires et les intendants du 
trésor royal, et ayant appris d'eux qu'un tel scandale, jusqu'alors 
inoui, provenait de la liberté avec laquelle certaines personnes dispo- 
saient des deniers royaux, il résolut d'y porter remède avec l'assi- 
stance de son conseil. Mais il éprouva une rechute et ne put exécuter 
ce projet. 


Ainsi ces désordres et tous les autres abus subsistèrent comme au- 
paravant, sous l'administration de messeigneurs les ducs de Berri, 
d'Orléans et de Bourgogne, qui s'occupérent, toute affaire cessante, 
de choisir des collecteurs au nom du roi, et les envoyèrent dans toutes 
les provinces , pour extorquer de l'argent aux habitants du royaume, 
les autorisant à procéder par emprisonnement, par saisie et par 
toutes sortes de voies de rigueur. Comme ils n'ignoraient pas que cette 
mesure déplaisait souverainement au peuple, et qu'ils craignaient de 
voir éclater quelque sédition menagante pour leur autorité, ils quittè- 
rent Paris et résolurent de rassembler des troupes de toutes parts. 
Les gens de guerre n'obéirent qu'à regret. Vainement ils représen- 
térent qu'il était imprudent d'entrer en campagne aux approches de 
l'hiver, lorsqu'il n'y avait ni vivres ni fourrages. Ils ne purent changer 
la détermination des ducs d'Orléans et de Bourgogne, qui sortirent de 
Paris le méme jour, ainsi qu'ils l'avaient résolu, et partirent chacun 
pour leur destination. Le duc de Bourgogne prit la route de Calais et 


436 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


die de Parisius exeuntes, quisque ad partes sibi destinatas iter 
flectere contendit; et dux Burgundie, petens Calesium, apud 
sanctum Audomarum et adjacentem patriam cum insigni copia 
Picardorum et Burgundionum se locavit. 


CAPITULUM XIII. 


De recessu ducis Aurelianensis , et discencione orta occasione capitis sancti Dyonisii. 


Quamvis eciam multi circumspecti viri ob instantis hyemis 
inclemenciam duci Aurelianensi dissuaderent in hostes profi- 
cisci et longinquas petere regiones, fuerunt tamen alii qui sibi 
persuaserunt quod magnificos magna decent et quod difficilia 
semper agredi amat virtus. Et sic in Vasconiam iter arripuit, 
quamvis minime ignoraret agilitatem Vasconum et quantis 
astuciis Francos reiteratis vicibus deceperant ab antiquo. Atten- 
dens tamen quod victoria hostium a Deo speranda est per 
suffragia sanctorum, piaque mente recolens quam specialem 
tutorem in actibus strenuis progenitores sui reges Francie bea- 
tum Dyonisium, primum Parisiensem episcopum et Gallie apos- 
tolum, habuerant, in recessu decima septima die septembris 
in ecclesia sibi dicata corpus ejus cum capite statuit devotissime 
visitare et per modum hic merito inserendum. Nam peractis 
missarum sollemniis, cum redempcionis nostre adorasset in- 
signia, et ad caput gloriosi martiris accessisset, sibi consen- 
ciente ecclesie venerabili abbate, affuit quidam expertus auri- 
faber, qui mox mitram episcopalem ex auro subtiliter obseratam 
aperiens, ipsum sanctissimum caput, secretorum celestium ar- 
marium, nudum et integrum, dumtaxat mento et alciori par- 
ticula mandibule dextre exceptis, eidem obtulit osculandum. 
Cum domino marchione de Ponte et insigni militum et armi- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVI. — 437 


alla camper à Saint-Omer et dans le pays d'alentour avec une nom- 
breuse armée de Picards et de Bourguignons. 


CHAPITRE XIII. 


Départ du duc d'Orléans. — Différend survenu à l'occasion de la téte de saint Denys. 


Quant au duc d'Orléans, les gens sages lui conseillaient de différer 
son expédition et de ne point entreprendre un voyage si lointain aux 
approches de l'hiver. Mais il se laissa persuader par les flatteries de 
ceux qui lui disaient que les grandes entreprises conviennent aux 
grands courages et que la valeur se plait toujours à braver les ob- 
stacles. Il se mit donc en route pour la Gascogne, bien qu'il connût 
l'inconstance ordinaire aux Gascons, et qu'il n'ignorát pas les trahi- 
sons qu'ils avaient plus d'une fois commises à l'égard des Francais. 
Avant de partir, il crut devoir demander à Dieu la victoire par l'in- 
tercession des saints. Se rappelant que ses ancétres les rois de France 
avaient été protégés dans toutes leurs expéditions par la faveur par- 
ticuliére de saint Denys, premier évéque de Paris et apótre de la 
Gaule, il résolut d'aller visiter le corps et la téte de ce saint dans 
l'église qui lui est consacrée, et accomplit cette dévotion le 17 sep- 
tembre. Après avoir entendu la messe et adoré les insignes de notre 
rédemption , il s'approcha de la tête du saint martyr. Alors un habile 
orfèvre ouvrit, avec l'agrément du vénérable abbé de Saint-Denys, la 
mitre d'or où était artistement enfermée la tête sacrée du glorieux 
confesseur de la foi chrétienne, et présenta cette téte au duc d'Orléans, 
qui la baisa dévotement ; elle était nue et entière, sauf le menton et 
le cóté droit de la máchoire supérieure. Le patriarche d'Antioche et 
l'archevéque d'Aix assistaient à cette cérémonie avec monseigneur le 
marquis du Pont et une suite brillante de chevaliers et d'écuyers. 
En examinant la position de la téte, ils remarquérent qu'elle était 
inclinée , et soutenue des deux côtés par des linges; la fontanelle 


438 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


gerorum comitiva Ántiochenus patriarcha et archiepiscopus 
Axensis tunc aderant; qui, notantes disposicionem collocacionis 
ejus , ipsum in modum capitis prostrati , inferius et per latera, 
ut staret firmius, pannis lineis appodiatum invenerunt; cujus 
fontinella eciam propter anelitum osculancium obfuscata ali- 
quantulum apparebat. Quod cum propriis manibus contrectas- 
sent, ipsum adoraverunt devote. 

Equidem rerum emergencium novitas tantorum testimonio 
indigebat. Nam pridem regis patruus Johannes dux Biturie 
harum sanctarum reliquiarum minutissimam porcionem frustra 
pecierat sibi dari. Sed suggestione et rogatu quorumdam decu- 
rionum sibi obsequencium, Parisienses canonici eidem de craneo 
cujusdam sancti concesserunt, non verentes ipsum Dyonisium 
Ariopagitam et apostolum Francie nominare. Hanc autem asser- 
cionem frwolam et reprehensione dignam annales hystorte indi- 
cant et aprobate ab Ecclesia legende, longe lateque per regnum 
Francie! lecte, que, martiris gloriosi agonem meritis laudibus 
efferentes , dicunt eum decollatum caput proprium ductu ange- 
lico a monte? Martirum usque ad Catulliacum vicum detulisse, et 
ibi cum capite a venerabili Catulla sepultum ab anno Domini 
nonagesimo octavo, passionis vero sue. . ... * quievisse in parva 
basilica, quam postmodum ibidem edificavit beata Genovefa. 
Ad hanc sanctissimam edem addunt regium juvenem Dagober- 
tum, dum a patre Clothario quereretur ad mortem, tunc fugisse. 
Qui, cum revelacione divina ibi corpora illa sancta quiescere 
didicisset, et ipsis mediantibus patri reconciliatus fuisset, rex 
effectus , ut voto se astrinxerat, ipsa in presencia antistitum et 


' Les mots imprimés en caractères itali- — * Les mots a monte, empruntés au n° 5959, 
ques manquent dans le n? 5958, et sont tirés fol. 45 v., manquent dans le n° 5958. 
du n° 5959, fol, 45 r. * Hl y a ici une lacune dans le manuscrit. 


v 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 439 


semblait un peu ternie par le souffle des baisers. Ils la touchérent de 
leurs propres mains, et l'adorévent dévotement. 


Le témoignage de ces illustres personnages venait fort à propos dé- 
truire les bruits étranges qu'on cherchait alors à accréditer. En effet, 
Jean duc de Berri, oncle du roi, ayant vainement demandé naguére 
qu'on lui donnát une petite portion de ces saintes reliques, quelques 
uns des seigneurs de sa cour firent tant par leurs priéres et leurs im- 
portunités, qu'ils obtinrent pour lui des chanoines de Paris un mor- 
ceau du cráne d'un autre saint, que ceux-ci assuraient impudemment 
appartenir à Denys l'Aréopagite, apótre de la France. La fausseté de 
cette allégation est démontrée par les annales de l'histoire et par les 
légendes que l'Église reconnait pour authentiques et qui sont lues 
dans le royaume. Ces monuments irrécusables, dans lesquels est con- 
signé lerécit de la mort du saint martyr, nous apprennent qu'aprés 
avoir été décapité il prit sa téte dans ses mains, et que guidé par des 
anges il la porta depuis Montmartre jusqu'au bourg de Catulle, où il 
fut enseveli avec sa tête par la vénérable dame de ce nom, l'an quatre- 
vingt-dix-huit de l'Incarnation du Seigneur, et de sa Passion ..... s 
que sainte Geneviève éleva plus tard une humble chapelle en cet en- 
droit; que le jeune Dagobert, poursuivi par son pére Clotaire qui 
voulait le faire périr, se réfugia dans cette chapelle; qu'il apprit par 
une révélation divine que les restes sacrés de saint Denys et de ses 
compagnons y reposaient, et qu'ayant obtenu son pardon par leur 
entremise, il fit vœu de leur en témoigner sa reconnaissance. Lorsqu'il 
fut monté sur le tróne, ajoute l'histoire, il ordonna que leurs corps 
fussent exhumés publiquement, l'an du Seigneur six cent trente-deux, 
en présence des prélats et des barons du royaume, qu'on les enfermát 


' L'an soixante-cinq. 


440 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


baronum publice exhumata et reposita in archivis electrinis in 
ecclesia constructa in alio vici loco, quam ad honorem eorum 
auro, gemmis, privilegiis et prediis multipliciter insignierat, 
auno Domini sexcentesimo tricesimo secundo collocavit. 

Inde multorum annorum lapso curriculo , cum regi Francie 
Pippino papa Stephanus contra Lombardos auxilium postulas- 
set, et precibus gloriosi martiris in ejus monasterio mortalem 
egritudinem evasisset, cum capite sanctissima ejus ossa anno 
Domini septingentesimo quinquagesimo secundo visitavit, 
unumque ex hiis minutissimum impetrans et secum Romam de- 
ferens, in honore martiris gloriosi ecclesiam fabricavit, quam 
Dyonisii in scola Grecorum nominavit. Publice eciam ostensum 
est hoc sacratissimum corpus cum eapite, Henrico rege Fran- 
cie in sceptris agente; et sic in Germania error civium Radisbo- 
nensium asserencium se sub structura antiqua fundamentorum 
abbacie sancti Hermentranni corpus cujusdam mortui repe- 
risse, quod sub quibusdam fallacium litterarum testimoniis, anno 
Domini millesimo quadragesimo octavo, ausi fuerant Dyoni- 
sium Áriopagitam nominare, cessavit. Unde ad ostencionis ejus 
* memoriam et miraculorum que tunc contingerunt, omni anno 
ipsa die festivitas detectionis gloriosi martiris celebratur. 

Anno autem Domini millesimo centesimo nonagesimo primo, 
tempore Philippi regis Augusti, dum contra infideles dominica 
bella ultra mare perageret, devota et Deo amabilis Ala regina, 
ejus mater, de consilio archiepiscopi Remensis, thecas pre- 
ciosas, in quibus sanctorum martirum corpora quiescebant, 
fecit processionaliter et sollemniter deportari, quatinus eorum 
patrocinio Deus regi de infidelibus largiretur triumphare. Cum 
jam undecies centum annos hucusque nulla fuerat mota ques- 
tio, nullus in mentibus fidelium fuerat scrupulus suscitatus, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. —. 444 


dans des chásses d'ambre, et qu'on les transportát en une église qu'il 
fit construire dans un autre endroit du méme village, qu'il enrichit 
en leur honneur d'or et de pierreries et dota de nombreux priviléges 
ainsi que de magnifiques domaines. 


Long-temps aprés, lan du Seigneur sept cent cinquante-deux , 
le pape Étienne, qui était venu en France implorer le secours du roi 
Pépin contre les Lombards , tomba malade au couvent de Saint-Denys. 
Ayant échappé à la mort par l'intercession du glorieux martyr, il se fit 
montrer sa téte et ses os et en obtint une petite partie qu'il em- 
porta à Rome, où il fonda en son honneur l'église de Saint-Denys in 
schola Grecorum. Ces saintes reliques furent encore exposées aux re- 
gards du public au temps du roi Henri , et ainsi cessa l'erreur des habi- 
tants de Ratisbonne en Allemagne, qui, ayant trouvé un corps sous 
les antiques fondements de l'abbaye de Saint-Hermentran ', l'an du 
Seigneur mil quarante-huit, avaient osé prétendre, sur la foi de cer- 
taines lettres mensongères, que c'était le corps de saint Denys l'Aréo- 
pagite. Depuis ce temps, pour perpétuer le souvenir de l'exposition 
de ces reliques et des miracles qui eurent lieu alors, on féte tous les 
ans à pareil jour l'ouverture de la chásse du glorieux martyr. 


L'an du Seigneur onze cent quatre-vingt-onze, pendant que le roi 
Philippe-Auguste était allé au-delà des mers faire la guerre aux in- 
fidéles, la reine Alix, sa mére, si agréable à Dieu par sa piété, or- 
donna, d’après les conseils de l'archevéque de Reims, une procession 
solennelle, où l'on devait porter les chásses précieuses qui renfermaient 
les corps de saint Denys et de ses compagnons, afin d'obtenir par 
leur intercession que Dieu donnát la victoire au roi sur les infideles. 
Ainsi onze cents ans s'étaient écoulés, sans que la vérité du fait eût 


* Saint-Emmeran. 


III. 56 


442 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


nec aliqua fluctuacione aliqui dubitabant de capite Dyo- 
nisii martiris gloriosi quin cum trunco fuisset sepultum, tum 
Parisienses canonici dixerunt craneum ejus se habere. Qua- 
propter ad tollendum hunc errorem, qui de novo emerserat, 
cito post ipsa venerabilis regina in sollemnitate ipsius capsam 
propriam in presencia Silvanetensis et Meldensis episcoporum 
ac plurium principum et hominum utriusque sexus operiri 
precepit, in qua repertum fuit corpus ejus integrum cum ca- 
pite, demptis dumtaxat ossibus supradictis. Reposito vero cor- 
pore cum debita reverencia in sua abscida, caput nudum super 
altare martirum per annum integrum peregrinantibus osten- 
sum est ac demum in capsa argentea reconditum, ubi mansit 
usque ad tempora regis Philippi, filii sancti Ludovici, quando 
rogatu abbatis venerabilis Mathei dominus Symon, appostolice 
sedis legatus, postea papa Martinus vocatus, de argentea in 
auream multo preciosiorem transtulit. 

Ad tollendum iterum ambiguitatem hujus capitis gloriosi de 
cordibus ipsorum canonicorum Parisiensium , in die sollemp- 
nitatis ejusdem martiris gloriosi Karolus rex, agnominatus 
disertus , genitor serenissimi regis nunc regnantis, anno quinto 
regni sui, collegii Parisiensis eminenciores sciencia et auctoritate 
evocavit, et inter alios cum nobili genere Petro de Roniaco, 
archidiacono Briensi, Germerium Bonifacii, cancellarium Pari- 
siensis ecclesie, Johannem de Calore, Girardum de Bernino, 
in sacra pagina magistros, et Jacobum Divitis, decanum pre- 
fate ecclesie, in utroque jure doctorem, memini me vidisse 
ante altare martirum congregatos. Quibus rex caput integrum 
ostendens coram ducibus , baronibus et aliis nobilibus, persua- 
sit, monuit et precepit ut, juxta professionem suam veritatem 
elucidantes, non amplius paterentur plebem communem errare, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI.— LIV. XXVII. 443 


été mise en question, sans que le plus léger doute fût entré dans l’âme 
des fidèles, sans que personne eût hésité un moment à croire que la 
tête du martyr saint Denys avait été inhumée avec son corps; mais 
alors les chanoines de Paris s'avisérent de prétendre qu'ils possédaient 
son crâne. Pour détruire dés sa naissance cette erreur nouvelle, l’au- 
guste reine fit ouvrir la châsse du saint le jour même de sa fête, en 
présence des évêques de Senlis et de Meaux, de plusieurs princes et 
d’ane foule de personnes des deux sexes. On y trouva la tête et le corps 
tout entiers, sauf les os qui avaient été donnés au pape Étienne. Le 
corps fut replacé dans son reliquaire avec le plus grand respect ; mais 
la tête fut exposée pendant une année entière sur l’autel des martyrs 
aux regards des pèlerins, et renfermée ensuite dans une châsse d’ar- 
gent, où elle resta jusqu'au règne de Philippe, fils de saint Louis. A 
cette époque monseigneur Simon, légat du saint-siége, et depuis pape 
sous le nom de Martin, la transporta, sur la demande du vénérable 
abbé Mathieu, de cette chásse d'argent dans une chásse d'or beaucoup 
plus précieuse. 


Le roi Charles dit le Sage, pére du sérénissime roi aujourd'hui 
régnant, voulant aussi dissiper tous les doutes qui pouvaient rester 
encore dans l'esprit des chanoines de Paris au sujet de ladite téte, 
assembla , la 'cinquiéme année de son régne, le jour de la féte du saint 
martyr, les membres du chapitre de Paris les plus éminents par leur 
savoir ret leur autorité. Je me souviens d'avoir vu parmi eux l'illustre 
seigneur Pierre de Rosny, archidiacre de Brie, Germer Boniface, 
chancelier de l'église de Paris, Jean de Chaleur et Girard de Bernin, 
professeurs de théologie, enfin Jacques le Riche, doyen de ladite église 
et docteur en droit civil et en droit canon. Quand ces personnages 
furent réunis devant l'autel des martyrs, ledit roi, leur montrant la 
tétehentiére du saint en présence des ducs , des barons et des autres 
seigneurs, leur dit, leur recommanda et leur enjoignit de rendre hom- 
mage à la vérité comme c'était leur devoir, de faire cesser l'erreur qui 
s'était répandue parmi le peuple, et de ne plus exposer à sa vénération 
leur prétendu cráne au lieu de la vraie téte de saint Denys, apótre de 


AA, CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


vel suum craneum adinventum loco veri capitis beati Dyonisii, 
apostoli Francie, venerari. Statuit eciam, ad hujus credulitatem 
majorem, ut omni anno illud in processione die illa sollempniter 
deferretur, quociens reges successores personaliter interessent. 

Quem morem commendabilem cum Karolus, filius ejus, nune 
regnans, viginti septem annorum spacio devote complevisset, 
quod mense elapso dux Aurelianensis frater ejus illud nudum 
osculatus fuisset, hoc eciam devotissime peregit, statuens ut 
isto modo processionaliter deferretur. Ex hoc facto tam honesto 
et nulla utique reprehensione notando, cum regio visu! proces- 
serit, et ad devocionem populi erga gloriosum martirem exci- 
tandam, episcopus et capitulum Parisienses occasionem scandali 
sumentes, questionem suscitare, ymo veterem, sopitam et sub 
silencio remanere jussam a rege ultimo defuncto , renovare peri- 
culose conati sunt, et revera in derisionem fidei et scandalum 
populi christiani. Nam sub pretextu orandi pro regni prosperi- 
tate, processionaliter craneum cujusdam capitis deportantes, 
auctoritate episcopt? absque erubescencie velo publicaverunt 
illud esse capitis beati Dyonisii, Gallorum appostoli, auctoritate 
qua supra prohibentes ne quis in sua dyocesi, quavis auctoritate 
fungeretur, contrarium deinceps ausus esset asserere , quodque 
in grave detrimentum fidei et ejus publicacionem vergit, ne 
ullus religiosus de monasterio martiris gloriosi permitteretur 
in parrochiis hujus dyocesis predicare , cum tamen in eo essent 
sacre pagine et decretorum professores et baccalarii sollempnes. 
Nec defuerunt de eodem eapitulo invidie spiritu agitati, qui, 
rixosis clamoribus eosdem religiosos ad certamen verbale pro- 
vocantes, injuriis et contumeliis in ecclesia Parisiensi et alibi 


‘ Far. : n° 5959, fol. 46 r., jussu. tés au n° 5959, fol. 46 r., manquent dans 
* Les mots auctoritate episcopi, emprun- le n° 5958. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 445 


la France. En outre, afin de mieux accréditer la vérité, i| décida que 
la téte du martyr serait portée en procession solennelle le jour de sa 
féte, toutes les fois que les rois ses successeurs y assisteraient en per- 
sonne. 


Le roi Charles son fils, aujourd'hui régnant , qui depuis vingt-sept 
ans s'était dévotement conformé à cette louable coutume, ayant su 
que le duc d'Orléans son frére avait fait ouvrir la chásse le mois passé 
pour baiser cette sainte relique, voulut aussi remplir ce pieux devoir 
et la fit porter en procession, suivant l'usage. Cet acte de dévotion, 
accompli par le roi, dans le but d'exciter la piété du peuple envers le 
glorieux martyr, loin de préter au blâme , ne méritait que des éloges. 
Cependant l'évéque et le chapitre de Paris y trouvérent l'occasion d'un 
grand scandale, en cherchant à ranimer et à réveiller au détriment de 
la foi et pour le malheur des fidèles cette vieille querelle, que le feu roi 
avait assoupie et condamnée à l'oubli. Sous prétexte de prier pour la 
prospérité du royaume, ils promenérent processionnellement, par 
ordre de l'évéque, le cráne de je ne sais quelle téte, en soutenant im- 
pudemment que c'était celui de saint Denys, apôtre des Gaules; ils 
défendirent, en vertu de la méme autorité, à tous les fidéles du diocése, 
quel que fût leur rang, d'oser prétendre le contraire, et, ce qui était 
une plus grave atteinte à la foi et à la propagation des doctrines chré- 
tiennes, ils ordonnérent qu'aucun religieux du monastére de Saint- 
Denys n'aurait la permission de précher dans les paroisses du diocése, 
bien qu'il y eüt parmi ces religieux des docteurs et des bacheliers en 
théologie. Il se trouva méme dans le chapitre de Paris certains cha- 
noines qui, poussés par la jalousie, provoquérent lesdits religieux à 
une dispute, et les accablérent à plusieurs reprises d'injures et d'ou- 
trages de toute espéce soit dans la cathédrale soit ailleurs; quelques 
uns d'entre eux, quise croyaient une certaine importance, parce qu'ils 
fréquentaient les hótels des princes et qu'ils s'y faisaient remarquer par 
le luxe de leurs habits, qui avaient une confiance excessive dans leur cré- 
dit , qui étaient fiers de leurs immenses richesses et ne comptaient que 
par talents d'or, allérent jusqu'à se vanter qu'ils sauraient bien à force 


A46 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


multipliciter et repetitis vicibus lacesserunt. Fuerunt et non- 
nulli prima facie auctoritatis apparentis, quia in veste preciosa 
et mollibus induti domos principum frequentabant, qui confi- 
dentes in virtute sua et in multitudine diviciarum suarum glo- 
riantes ac per talenta aurea computantes, se in mille et decem 
milibus aureis de eodem regali monasterio triumphaturos jacta- 
verunt, velut auro veritas posset vinci , et debitus cultus capiti 
gloriosi martiris ab antiquo exhibitus tolli posset. 

Que omnia impacienter audiens rex, et insignes decuriones 
domus ejus asserentes se paratos ad justificacionem cause glo- 
riosi martiris viribus deffendendum promptos esse, cum ab eis 
didicisset quod prefati canonici quadam die intendebant sol- 
lemnius solito per quemdam magistrum in theologia suum pro- 
positum * publicare, duos ex ipsis direxit qui proponentis 
verba interrumpentes, edicto regio et sub pena offense regie 

incurrende prohibuerunt ne de hoc amplius aliquis loqueretur, 
| abstinereturque utrinque ab injuriis erogandis *, quia contro- 
versiam parcium rex per se ipsum suscipiebat terminandam. 

Et quamvis jure parentes auctoritati regie, excecrandas inju- 
rias , quas ipsi canonici sine causa in denigracionem fame nostre 
linguis virosis laxarunt, ipsius correctioni submittamus, ipso- 
rum tamen frivola argumenta *, quibus suam assercionem 
inanem et adinventam colorare conabantur, sub dissimulato 
silencio pertransire indignissimum videtur. Quantis vero re- 
prehensione et improbacione digna fuit, ejusdem monasterii 
abbas venerabilis Philippus, laudum gloriosi martiris Dyonisii, 
Gallorum appostoli, preco precipuus, in eleganti quadam epi- 
stola domino Aurelianensi directa luculenter ostendit ; quam et 
. ' Les mots suum propositum, empruntés — ? Jar. : n° 5959, fol. 46 r. , irrogandis. 


au n° 5959, fol. 46 r., manquent dans le — ? Le mot argumenta, emprunté au n° 5959, 
n° 5958. fol. 46 v., manque dans le n° 5958. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. AAT 


d'argent triompher de notre royal monastère, comme si l'or pouvait 
étouffer la vérité et détruire le culte rendu depuis tant d'années à la 
téte du glorieux martyr. 


Le roi fut fort irrité de tout cela, et les principaux seigneurs de sa 
cour déclarérent qu'ils étaient préts à défendre de tout leur pouvoir 
la cause du glorieux martyr. Bientót le roi, ayant appris par eux que 
lesdits chanoines devaient un certain jour faire soutenir publiquement 
leurs prétentions par un docteur en théologie, envoya deux de ses 
officiers pour interrompre l'orateur, pour défendre en son nom et sous 
peine d'encourir sa colére qu'on parlát davantage d'un pareil sujet, et 
pour enjoindre qu'on s'abstint de part et d'autre de toute injure, parce 
qu'il se chargeait de terminer lui-méme ce différend. 


Soumis avec respect à sa royale volonté, comme nous le devons, 
nous Jui abandonnons Ie soin de punir les exécrables outrages que les- 
dits chanoines nous ont prodigués, ‘ét les infámes calomnies dont ils 
ont essayé de ternir notre réputation. Cependant nous ne pouvons 
nous résigner à laisser sans réponse les raisons futiles qu'ils ont cher- 
ché à faire valoir à l'appui de leur vaine et fausse assertion, Notre véné- 
rable abbé monseigneur Philippe, le plus illustre défenseur et le: plus 
habile panégyriste du glorieux martyr Denys apâtre des Gaules, a dé- 
montré éloquemment , dans une lettre élégante adressée à monseigneur 
le duc d'Orléans, combien leur mensonge était coupable. Je n'insérerai 
pas ici cette lettre tout au long, pour ne pas me départir de la briéveté 
dont je me suis fait une loi ; mais je crois devoir en réproduire succinc- 
tement les principaux points. ' 


'" Cette lettre n’a pu être retrouvée. 


448 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


si ad longum inserere compendio, quod studiose quero, esset 
contrarium , media tamen succincte et summatim hic perstrin- 
gere dignum duxi f. 


CAPITULUM XIV. 


De fine expedicionis bellice Burgundie et Aurelianensis ducum. 


Ad Gallicorum expediciones bellicas , a quibus paululum fue- 
ram disgressus, rediens , et quid egit dux Burgundie in Picardia 
paucis expediens verbis, quamdiu ibidem mansit, nec mora 
exploracione insidiarum hostilium vel mutuis congressionibus 
fuit aliqualiter insignita, sed solum spem cunctis dedit agre- 
diendi ardua ob mirandum et operosum apparatum, a multo 
tempore inauditum, qui sequitur. Nam quingentis operariis 
evocatis, qui cedendis, dolendis et copulandis trabibus habebant 
periciam, ex vicina silva. proceriores arbores secari instituit, 
ut ex lignis illis invicem coherentibus et compactis ad instar 
urbis capacitatis octingentorum passuum construeretur clau- 
sura, que super terram levata ligneis propugnaculis sexdecim 
passuum et miro tabulatu quinque altitudinis per circuitum 
cingeretur. Ex operariis ipsis ducentos prefecerat, ne artifices 
negligencius se haberent, et circa eos curam impenderent dili- 
gentem, et successivis vigiliis eos custodirent, ne ab inopinatis 
hostium invasionibus premerentur; quod et semel tantum cum 
securibus et ruralibus instrumentis audacter resistendo perege- 
runt, multos hostes occidentes. 

Octo ebdomadarum operi insudatum est; sed interim Cale- 
sienses , nil quo resistere valebant obmittentes, murorum can- 
cellos urbis saxis pugillaribus, jaculis et missilibus et cunctis 


' liy a ici une lacune dans le manuscrit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 449 


e 


CHAPITRE XIV. 


Fin de l'expédition du duc de Bourgogne et de celle du duc d'Orléans. 


Je reviens aux expéditions des Francais, dont j'ai interrompu le 
récit, et je vais raconter en peu de mots ce que fit le duc de Bourgogne 
en Picardie. Son séjour dans cette contrée ne fut marqué ni par des 
marches habiles, ni par des engagements entre les deux partis, et ne 
répondit pas aux espérances qu'avaient fait concevoir ses grands tra- 
vaux et ses préparatifs inouis. En effet, il avait fait venir cinq cents 
charpentiers et menuisiers, et leur avait ordonné d'abattre les plus 
beaux arbres d'une forêt voisine ', afin de construire une enceinte 
de huit cents pas, en guise de ville, flanquée de forts en bois de seize 
pieds de haut et entourée d'une palissade de einq pieds. Parmi ces: ou- 
vriers, il y en avait deux cents qui étaient chargés de conduire et de 
presser les travaux, et qui devaient en méme temps veiller sans reläche - 
'à la süreté de leurs compagnons, pour les préserver de toute surprise. 
Leur vigilance ne fut mise qu'une fois à l'épreuve; ils combattirent 
vaillamment avec leurs haches et leurs autres instruments, et tuérent 
un grand nombre d'ennemis. | 


Ce travail düra huit semaines. Pendant ce temps, ceux de Calais ne 
négligérent rien pour se mettre en état de défense , et munirent leurs 
créneaux de flèches , de pierres, de projectiles et de toutes sortes de 


' Cette forét est appelée par Monstrelet forét de Beaule, et par Meyer sylva Belloensis. 
IH. 57 


450 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


instrumentis bellicis munierunt , tantaque medio tempore viro- 
rum forcium et egregie armatorum accessit numerositas, ut 
non solum infra menia, sed eciam in campestribus nostrorum 
possent impetus sustinere. Ad resistenciam tamen frustra se 
paraverunt. Nam dux videns se tam diu longis laboribus et ex- 
pensis ibi consumptis gravatum , et quod nec peccunie assignate 
mitterentur, unde equa mercede stipendiariorum remuneraren- 
tur labores, duci consuluerunt reditum, publice asserentes 
absque erubescencia quod hoc fraude cognati sui ducis Au- 
relianensis procedebat. Omnibus compertum erat amborum 
ducum in nullo desideria consonare; erantque inter eos inimi- 
cicie jam non occulte, sed que usque ad odium procedebant 
manifestum. Unde uterque pro alterius sinistris eventibus 
modicam aut nullam gerebat sollicitudinem, ymo eciam detri- 
mentis gaudebat et infaustis casibus letabatur. Sed quicquid 
vulgus referat, cum tam subitum tamque inopinatum recessum 
ducis viri ubique admirarentur circumspecti , rediens publice 
et in regis presencia culpam omnem imposuit regi Sicilie Ludo- 
vico, quia collectam in Andegavia et Cenomania sibi subditis 
assignatam pro stipendiis impedierat levare, addens quod in 
dampnum suum maximum retorquebat, quia de suo proprio id 
opportuerat supplere. 


CAPITULUM XV. 


De duce Aurelianensi. 


Non prosperiori fortuna usus fuit dux Aurelianensis , frater 
regis, qui jam, dum hec agebantur, cum quinque milibus 
pugnatorum undecunque per regnum collectorum pagum Bur- 
degalensem attingerat. Et is primo, ut sciretur quid posset 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 451 


machines de guerre. Il leur vint en outre dans l'intervalle des renforts 
si nombreux de troupes aguerries et de braves gens d'armes, qu'ils 
purent non seulement soutenir le choc des nótres derriére leurs rem- 
parts, mais encore les attaquer en rase campagne. Toutefois ils n'eurent 
pas besoin de tous ces moyens de défense. Le duc, voyant qu'il se 
consumait en vains efforts et en dépenses inutiles, et qu'on ne lui 
envoyait pas de quoi payer la solde de ses gens de guerre, renonca à 
son entreprise, d'aprés les conseils de ceux qui l'entouraient et qui en 
attribuaient hautement le mauvais résultat à la jalousie du duc d'Or- 
léans son cousin *. C'était une chose notoire que les deux ducs n'étaient 
d'accord en rien, et qu'il y avait entre eux non plus des inimitiés se- 
crétes mais une haine ouverte et déclarée. Aussi chacun d'eux, loin 
de se soucier de ce qui pouvait arriver de malheureux à l'autre, se ré- 
jouissait de ses souffrances et s'applaudissait de ses revers. Quoi qu'il 
en soit, le retour si subit et si imprévu du duc de Bourgogne causa 
un étonnement général ; mais ce prince s'en justifia devant le roi et en 
imputa publiquement la faute au roi de Sicile Louis, qui avait refusé 
de laisser recueillir dans ses domaines de l'Anjou et du Maine l'impo- 
sition destinée à la solde de l'armée de Picardie; il ajouta que ce refus 
lui avait été d'autant plus préjudiciable, qu'il lui avait fallu y suppléer 
de ses propres deniers. 


CHAPITRE XV. 


Du duc d'Orléans. 


Le duc d'Orléans, frére du roi, ne fut pas plus heureux. Dés qu'il 


' Monstrelet n'est point d'accord avec le pour marcher sur Calais, fut rappelé par un 
Religieux sur les circonstances de cette expé- message du roi, au moment de se mettre en 
dition. Il raconte que le duc de Bourgogne, route, et obligé ainsi de renoncer à son en- 
aprés avoir réuni son armée à Saint-Omer  treprise. 


452 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


laudabiliter agredi, accitis summe auctoritatis militibus, con- 
suluit. Qui, sicut moribus et etate erant dissimiles, sic et non in 
eamdem sentenciam convenerunt. Ín rebus enim bellicis plus 
experti, pabulis spoliata campestria, grana quoque locis muni- 
tis et horreis jam attendentes congesta, hyberna sub tectis tran- 
sigere consulebant et temperiem expectare, ut tunc reparatis 
viribus et equis pabulo refocillatis forciores possent ad opera 
bellica consurgere. Sed qui duci familiarius astabant , morari 
absque exercicio militari summam ignominiam reputantes, 
eidem persuaserunt temptare si promissis vel peccuniali tractatu 
Blaviam, villam muratam et urbi Burdegalensi contiguam, pos- 
set ad dedicionem inclinare. Et sic, quod in consiliis crebrum 
est, pars deterior meliorem vincit. 

Nam cum ad hoc complusculis diebus in vanum laborasset , 
sic indignatus recedens villam famosam de Burgo a Burdegalensi 
urbe decem milibus distantem , turribus, muro et multorum 
incolatu insignem , sed et optimo agro, gleba ubere et amenitate 
precipua commendabilem, cujus muros amnis Dordone latera- 
liter ambiebat, que per Guaronam Burdegalensis maris ostia 
penetrabat, terrestri obsidione cingere imperavit. Ipsam tamen 
custodiendam susceperat quidam Gasco, miles strenuus et 
astutus , qui ante ducis adventum ex finitimis vicinis vires cor- 
rogans, victus et alimentorum copias collegerat, arma congrega- 
verat, materiam ad contexendas varii generis machinas et cetera 
que in hujusmodi solent usum prestare necessarium, arden- 
tibus studiis incolas hortatus fuerat inducere. Dux vero, tento- 
rüs et papilionibus fixis, balistariis quoque et obsidionalibus 
instrumentis commode collocatis, tres jaculatorias erigi fecit 
machinas, ut saltem earum jactu continuo saxorum contorsione 
muros debilitarent. Crebris assultibus et violentis ictibus telo- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 453 


fut arrivé dans le Bordelais avec les cinq mille hommes d'armes qu'il 
avait rassemblés de toutes les parties du royaume, il tint conseil avec 
les principaux chevaliers pour délibérer sur le plan de campagne qu'il 
convenait de suivre. Comme ils différaient entre eux d'áge et de carac- 
tére, ils furent d'avis différents. Les plus expérimentés, cousidérant 
qu'il n'y avait plus de fourrages et que les blés étaient enfermés dans 
ses places fortes et dans les greniers, lui conseillaient d'établir l'armée 
dans de bons quartiers d'hiver et d'attendre le retour du beau temps, 
afin que tous, hommes et chevaux, fussent plus dispos pour entrer en 
campagne. Mais les familiers du duc, regardant comme le comble du 
déshonneur de rester dans l'inaction , l'engagérent à attaquer sur-le- 
champ la ville close de Blaye, voisine de Bordeaux, et à voir s'il ne 
pourrait par des promesses ou par de l'argent la déterminer à se 
rendre. Le parti le moins sage l'emporta , comme il arrive souvent. 

Le duc d'Orléans, aprés avoir perdu plusieurs jours à négocier, 
s'éloigna plein de dépit, et alla mettre le siége devant l'importante place 
de Bourg, située à dix milles de Bordeaux. La ville de Bourg, flan- 
quée de tours et de murailles, et remplie d'une nombreuse population, 
était remarquable par la richesse et la fertilité de son territoire et par la 
beauté de ses environs. Elle était baignée par les eaux de la Dordogne, 
qui se mélaient non loin de là à la Garonne pour aller se jeter dans 
la mer. Le commandant de cette place était un chevalier gascon, non 
moins avisé que brave, qui avant l'arrivée du duc avait demandé du 
renfort à ses voisins, amassé de grandes provisions de vivres et d'armes, 
et engagé les habitants à se munir de toutes sortes de machines et de 
toutes les choses nécessaires pour opposer une vigoureuse résistance. 
Le duc, aprés avoir dressé ses tentes et ses pavillons et disposé ses 
arbalétriers et ses batteries autour de la place, fit établir trois cata- 
pultes pour battre les murs sans interruption et les ébranler à coups 
de pierres. Depuis la veille de la Toussaint jusqu'au milieu de janvier, 
il ne cessa de fatiguer les assiégés par des assauts continuels et de faire 
pleuvoir sur eux une gréle de traits et de fléches. Mais il avait affaire 
à des gens habiles et aguerris, qui résistèrent courageusement et qui 
repoussérent avec vigueur toutes ses attaques. 


454 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


rum et sagittarum immissione perpetua obsessos a vigilia Om- 
nium Sanctorum usque ad medium januarii afflixerunt. Obsessi 
autem econverso, viri prudentes, hujusmodi versuciarum non 
omnino expertes, argumentis obiciunt argumenta, et modis 
paribus, quibus eis inferebantur injurie, viriliter statuerunt *. 

In hujus vero aggressionis inicio dux attendens quod res in 
longum ibat et in irritum desinebat, nisi jam esurienti exerci- 
tui victualia procuraret, ob hoc Ruppellam et adjacentes direxit 
incolas ; qui ejus obtemperantes edicto decem et octo naves in 
parte maxima victualibus oneratas miserunt, et eas usque ad 
quemdam portum famosum, quatuordecim milibus ab obsi- 
dione distantem , conduxerunt. Ut autem securius perducerentur 
ad ipsum, cum trecentis pugnatoribus nobiles qui sibi obseque- 
bantur familiarius mox direxit. Quibus tamen in recessu pro- 
spera non $uccesserunt; nam municionem Burdegalensium ob- 
viam habuerunt, qui in conductores ipsos supervigilia Natalis 
Domini potentissime irruerunt. Et quamvis aer caliginosus et 
pene palpabiles tenebre utriusque navigii extrema invisibilia 
daret, utrinque tamen fere duarum horarum spacio, inveterato 
odio impetum ministrante, certatum est; et hinc inde variis 
interceptis et cum dextera prepotenti recuperatis , iterum tan- 
dem variante fortuna, Gallici subcubuerunt. In hoc navali con- 
flictu centum et viginti milites et scutiferi grave redempcionis 
jugum subeuntes, ceteri aut submersi sunt aut cum rostratis 
navibus evaserunt et ad socios redierunt. 

Qui quamvis constanti animo et incessanter adversarios in- 
festarent, intollerabilibus tamen premebantur incommodis. 
Instantis maxima erat inclemencia hyemis et pluviarum intem- 
peries inaudita, ita ut armatorum virorum papiliones vix possent 


' Il faut supposer ici l'omission d'un mot tel que resistere. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 455 


Dès le commencement du siége, le duc, prévoyant que l'affaire trai- 
nerait en longueur et pourrait ne pas réussir, s'il ne pourvoyait à la 
subsistance de son armée, qui manquait déjà de vivres, avait envoyé 
des messagers à La Rochelle et dans les villes voisines. Les habitants 
lui expédiérent, conformément à ses ordres, dix-huit vaisseaux char- 
gés de provisions, et les conduisirent jusqu'à un port fameux, situé 
à quatorze milles de Bourg. Afin d'assurer l'arrivée de ce convoi, 
il chargea ses principaux familiers d'aller le chercher avec trois cents 
hommes d'armes '. Mais cette expédition ne fut pas heureuse. Les 
Français rencontrérent à leur retour la garnison de Bordeaux, qui les 
assaillit avec vigueur la surveille de Noél. Quoique le jour füt obscurci 
par un brouillard si épais et par des ténébres si profondes qu'on se 
voyait à peine aux extrémités des deux flottes , les deux partis ne lais- 
sérent pas de combattre pendant prés de deux heures avec tout l'achar- 
nement d'une vieille haine. Plusieurs vaisseaux furent pris et repris 
tour à tour. À la fin la fortune se déclara contre les Français, qui 
furent vaincus. Dans ce combat naval , cent vingt chevaliers et écuyers 
furent mis à rancon ; les autres périrent dans les flots ou se sauvérent 
sur leurs vaisseaux et rejoignirent leurs compagnons. 


Cependant le siége continuait avec vigueur, et les assiégeants avaient 
à souffrir des maux non moins cruels que ceux qu'ils faisaient endurer 
aux assiégés. L'hiver était trés rigoureux, et la pluie tombait avec tant 


* Monstrelet dit que ces hommes d'armes étaient commandés par Clignet de Brabant, 
amiral de France. ' 


456 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


cohibere stillicidia; unde eciam victus et supellex omnimoda 
de madore jugis aque corrumperentur et inciperent putrescere. 
Ubique in tentoriis et extra per lutum usque ad genua opporte- 
bat incedere. Qua molestia ingruente , multi profluvio ventris 
perierunt; superstites eciam famis inedia consumpsisset, nisi qui 
cum alimentis in principio navalis prelii aufugerant rediissent. 
Exinde ardor marcius cepit in multis tepescere, et nonnulli, 
ne similem morbum incurrerent , quidam eciam territi infortu- 
nio nostrorum, et alii sub pretextu non persoluti stipendii ad 
propria redire statuerunt. Nec illos dux minis, promissis vel 
precibus potuit revocare. Sed cum causam quare quereret, 
unus ex eis quasi omnium auctoritate functus libere sic alloquu- 
tus est ducem : « Domine dux , nemo vos melius novit quam fide- 
« liter et quam strenue turba militum, que presens est, vobis 
« jam multo tempore, fidem vestram et promissionem secuta , 
« militaverit , quantos labores quantasque in vigiliis, siti , fame, 
«frigore simul et estus importunitate pertulerit molestias, ut 
« famam vestram redderet gloriosam. Compertum habetis quan- 
« tum jam effluxerit temporis, ex quo sine stipendiis vobis mi- 
« litamus, quociens solvi postulaverimus, quociens petitas indu- 
« cias vobis pacientes indulserimus de die in diem equanimiter 
« sustinentes. Et nunc res eo deducte sunt nostre, quod diu- 
« cius prestolari non possumus. Crebra diebus pene singulis 
« occurrunt discrimina; pugiles liquefiunt in se ipsis, et labo- 
« rum tedio fatigati vehemencius laboris incepti penitet. Pau- 
« pertas invincibilis est que diuturnas ferias et tempus auctius 
« vobis iterum dari negat. Sicque vale dicentes vobis recedimus. » 

Qui autem obsidebantur, ex recessu et nostrorum infausto 
casu animosiores effecti, remanentes ceperunt solito acrius in- 
festare. Per specularia enim modica in muris ad hoc studiosius 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 457 


d'abondance, que les hommes d'armes n'étaient plus à l'abri sous leurs 
pavillons, et que l'eau commençait à gáter et à pourrir les vivres et 
les bagages. Sous les tentes et hors des tentes il fallait marcher dans la 
boue jusqu'aux genoux. Ce mauvais temps occasionna une dyssenterie 
qui emporta beaucoup de monde ; les autres seraient morts de faim 
sans le retour de ceux qui s'étaient enfuis avec les vivres au commen- 
cement de la bataille navale. Néanmoins l'ardeur des assiégeants se 
refroidit, et ils résolurent de se retirer, les uns de peur de tomber 
malades et d'éprouver le malheureux sort de leurs compagnons, les 
autres sous prétexte qu'on ne les payait pas. Le duc, aprés avoir essayé 
vainement de les retenir par des menaces, des promesses ou des priéres, 
voulut au moins savoir les motifs de leur départ. Un d'entre eux fut 
assez hardi pour lui dire au nom de tous les autres : « Personne ne sait 
« mieux que vous, monseigneur, avec quel dévouement et quel zèle 
« les chevaliers ici présents vous servent depuis long-temps sur la 
« foi de votre parole et de vos promesses, avec quel courage ils ont 
« enduré toutes sortes de fatigues et de maux, et supporté les veilles, 
« la soif, la faim, le froid et le chaud, pour rendre votre nom illustre 
« entre tous. Vous n'ignorez pas que depuis trés long-temps aussi nous 
« sommes sans solde, que souvent nous avons demandé à étre payés, 
« et que nous vous avons non moins souvent accordé les délais que 
« vous désiriez, et souffert patiemment qu'on nous remit de jour en 
« jour. Mais aujourd'hui les choses en sont venues à ce point , que nous 
« ne pouvons plus attendre. Il n'y a point de jour qu'il ne nous soit 
« arrivé quelque nouveau malheur ; nos forces sont épuisées, et l'inu- 
« tilité de nos efforts nous fait regretter plus vivement les fatigues que 
« nous avons essuyées. Notre excessive pauvreté ne nous permet pas 
« de rester plus long-temps sous vos drapeaux. Nous prenons donc 
« congé de vous et nous nous retirons. » 


Les assiégés, encouragés par cette désertion et par le misérable état - 
de notre armée, attaquérent avec plus de vigueur ceux qui restaient. 
Ils lancaient des fléches à travers les meurtriéres pratiquées dans leurs 

I1. 58 


458 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


ordinata , unde videre poterant transeuntes et excubias persol- 
ventes, minime vero ipsi videri, sagittas emittentes multos 
interficiebant. Emissa quoque incaute jacula casu et sine studio 
dirigentis letalia inferebant vulnera. Quidam eciam machi- 
narum jactu in frustra conterebantur minima; alii trans loricas 
sagittis confossi subito deficiebant corruentes. 

Ut autem verum fatear, et breviloquio utens, tunc dux con- 
temptui suis esse cepit, quia levioribus nimium: tractus studiis , 
ceteris in re militari desudantibus, circa id justo remissius se 
habebat, alexmque ludens, peccunias quibus milites stipendiari 
debebant cum suis decurionibus consumebat. Quod attenden- 
tes ceteri et crebra que ex insperato diebus singulis occurre- 
bant discrimina, ceperunt liquefieri in se ipsis, laborumque 
tedio fatigati vehemencius laboris incepti penituit, et tandem 
animo consternati, noctium successivas exeubias negligencius 
solito. persolventes et videntes quod laborabant in vanum, 
duci persuaserunt reditum. Quem timens ingloriosum reddere, 
et contra morem filiorum regum, qui semper agressa soliti 
erant feliciter terminare, utrinque conce$sis induciis , complus- 
culis diebus temptavit tractatum pacis cum hostibus compo- 
nere; quam tamen in finalibus cum superbia respuerunt. Tunc 
experimento didicit quam periculosum erat tempus obsidioni- 
bus aptum non servasse. Unde cum in adjacenti patria oppi- 
dum non haberet, ubi aliquam partem suorum collocaret usque 
ad veris inicium contra incursiones hostiles, timeretque ne, si 
hybernando in tabernaculis maneret, Burdegalensium circum- 
veniretur insidiis, in Franciam rediit infecto riegocio. Et tunc 
hostes patriam regis Francie acrius solito infestarunt. Sic dux 
primis gestis ejus multam nubem inducit et titulo generis sui 
derogavit non modicum, tantoque notabilius quanto ipse ge- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 459 


murs, d'où ils pouvaient voir les passants et les sentinelles sans être 
eux-mêmes aperçus, et tuaient beaucoup de monde. Souvent méme 
leurs traits, décochés au hasard, atteignaient nos soldats et les bles- 
saient mortellement. Leurs machines faisaient aussi beaucoup de ravage 
parmi les assiégeants : les uns étaient mis en piéces, les autres percés 
d'outre en outre à travers leurs cuirasses. 


Enfin , il faut le dire, tout allait si mal, que le duc d'Orléans com- 
menca à tomber dans le mépris de sés gens de guerre. Pendant que 
ceux-ci combattaient pour lui, il se livrait aux plaisirs et à la mollesse, 
et perdait à des jeux de hasard avec ses courtisans l'argent destiné à la 
solde de l'armée. Le spectacle de ces déportements, joint aux dangers 
continuels qui les assaillaient chaque jour, porta le découragement à 
son comble parmi les chevaliers; l'inutilité de leurs efforts leur fit re- 
gretter les fatigues qu'ils avaient essuyées. Ils perdirent tout espoir, 
et voyant que le succés était impossible , ils se reláchérent de leur vigi- 
lanee accoutumée et conseillérent au duc de partir. Le duc, voulant 
éviter une retraite qui devait être d'autant plus honteuse pour lui que 
nos fils de rois avaient toujours terininé heureusement leurs expédi- 
tions, convint d'une suspension d'armes avec l'ennemi et essaya pen- 
dant plusieurs jours de l'amener à un traité de paix; mais il vit ses 
propositions rejetées avec dédain, et il apprit à ses dépens combien il 
est dangereux de prendre mal son temps pour se mettre en campagne. 
Comme il n'avait à sa disposition dans le voisinage aucune place où il 
pût établir son armée jusqu'au printemps et la mettre à l'abri des 
attaques de l'ennemi, et que d'un autre côté il craignait , en passant 
l'hiver dans son camp, d'étre continuellement harcelé par les Bor- 
delais, il revint en France sans avoir rien fait. Après son départ, 
les ennemis infestérent avec plus d'audace que jamais le pays soumis 
au roi de France. Ainsi le duc compromit son honneur et sa réputa- 
tion dans la premiére expédition qu'il eüt entreprise; il dérogea à la 
gloire de ses aieux et ternit l'éclat de son illustre origine. Il avait dé- 
pensé inutilement , à la honte du royaume, la plus grande partie de la 
contribution extorquée au peuple ; aussi le peuple ne craignit-il pas de 


460 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


nere preclarior erat, cum primam expedicionem bellicam per 
se ipsum attemptatam sine honore peregit. Sic et peccunialem 
collectam super plebem violenter impositam in parte magna 
consumpsit in vituperium regni. Unde plebs tunc ausa fuit in 
ipsum maledicta publice jaculari, cupiditatem ipsius inexple- 
bilem execrabiliter dampnando. 

Ex hiis tamen militibus, qui sub signis ducis militaverant ad 
probitatis titulum acquirendum, de consilio domini Roberti 
de Chalux, castrum de Lourde, quod hucusque inexpugnabile 
reputatum fuerat, in senescalcia de Bierna situm, a Guasconibus 
fide astrictis Anglicis sollicite conservatum, capere temptave- 
runt. Eos miseracio patrie adjacentis ad hoc flectit, quoniam 
hostes sepius erumpentes intollerabilia dampna eidem infere- 
bant, et usque Tholosam hostiliter discurrentes, circum adja- 
centem patriam et usque ad triginta leucas pastum annuum 
cogebant. Quo mirabiliter ditati inexpugnabile reddiderant 
municipium prefatum. À predicto ergo milite dedicione impe- 
rata et cum fastu maximo denegata , quotquot cum ipso habe- 
bantur milites et armigeri mutuo se juramentis astrinxerunt 
quod contra quoscunque obsidionem tenerent, nec inde recede- 
rent, donec oppido potirentur, vel obsidio viribus supervenien- 
cium hostium frustraretur. Et quia sciebant illud vi assultuum 
capi non posse propter ejus accessum fere inaccessibilem , opti- 
mum factu duxerunt ut introitus exitusque custodirentur sol- 
licite a loricatis ad unguem, ne ad eos victualia deferrentur. 
Per annum integrum obsidionem tenuerunt non sine magno 
labore, quoniam sepius obsessi de castro clam erumpentes 
nostros inoppinate graviter infestabant; sepiusque parva prelia 
et attrocissima peracta sunt. Sed semper redeuntes pejorem cal- 
culum reportabant. Spacio perdurante passi sunt hyemis. incle- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 464 
l'accabler de malédictions, et de condamner hautement son insatiable 


cupidité. 


4 


Cependant quelques uns des chevaliers qui avaient servi sous les 
banniéres du duc, voulant signaler leur vaillance, attaquérent, d'aprés 
les conseils de messire Robert de Chalus, le cháteau de Lourdes, situé 
dans la sénéchaussée de Béarn, réputé jusqu'alors imprenable, et 
défendu par des Gascons dévoués aux Anglais. Ils étaient excités à cette 
entreprise par un sentiment de pitié pour le pays d'alentour; car les 
ennemis y causaient des dégáts insupportables par leurs fréquentes in- 
cursions, qu'ils poussaient jusqu'aux portes de Toulouse ; ils avaient 
soumis à un tribut annuel tous les environs dans un rayon de trente 
lieues, et avec les sornmes énormes qu'ils en tiraient ils avaient rendu 
leur cháteau inexpugnable. Messire Robert de Chalus les ayant sommés 
de se rendre, ils s'y refusérent avec dédain. Alors tous les chevaliers et 
les écuyers qui l'avaient suivi jurérent entre eux de poursuivre opiniá- 
trément le siége et de ne pas s'éloigner jusqu'à ce qu'ils fussent maîtres 
de la place, ou que des forces supérieures les obligeassent à renoncer 
à leur dessein. Comme les abords en étaient inaccessibles et qu'ils ne 
pouvaient la prendre d'assaut, ils résolurent de la réduire par la famine 
et firent soigneusement garder toutes les issues et tous les passages 
par des hommes armés de pied en cap. Ils restérent un an entier à 
ce siége et endurérent toutes sortes de fatigues. Les assiégés faisaient 
de fréquentes sorties et tombaient à l'improviste sur les nótres. Il y eut 
souvent de petits combats, où l'on déploya de part et d'autre beaucoup 
d'acharnement et où les Français remportérent toujours l'avantage. 
Mais ils eurent beaucoup à souffrir des rigueurs de l'hiver; la neige 
séleva plusieurs fois à la hauteur de quelques coudées, et il fallut à 
grand’ peine déblayer les tentes pour qu'on páüt aller de l'une à 
l'autre. Enfin les assiégés, pressés par la famine, furent forcés de se 


462 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB; XXNIL 


menciam sic adversam , quod sepius altitudinis cubitorum nives 
cooperientes temptoria opportuit cum pena maxima separare; ut 
de uno ad aliud possent ire. Sed cum juramentum per annum 
tenuissent!, famis inedia pressi ad dedicionem venerunt ; sic- 
que pastum annuum perdiderunt, et patria in libertate re- 
mansit. 


CAPITULUM XVI'. 


Anglicos per mare Gallici dampnificaverunt. 


Anno eciam presenti, Anglici in multitudine magna per 
mare piraticam in regno Francie excercuerunt dampnosam, et 
gallicana littora rappinis et incendiis multipliciter vexaverunt; 
sed pauca que sequuntur a Gallicis repugnantibus reportarunt. 
Nam vento flante secundo, Karolus de Savoseyo, miles, per 
littora Calesiana transmeans, duas naves mercibus oneratas in 
anchoris reperit prosperam navigacionem expectantes, quas 
custodibus fugientibus pre timore dedit incendio; claroque 
peracto facinore, cito cum suis inde illesus recessit, et marinis 
fluctibus se commisit, quamvis in eos adversarii sagittas et 
omnis generis missilia emitterent. À Gallicis eciam ad custo- 
diam navium magistri balistariorum Francie in portu Herifolij 
deputatis aliud incommodum mense mayo pertulerunt sub du- 
cibus et capitaneis, scilicet Capitaneo et Bataillie, qui in arte 
piratica nauticos omnes anglicos excellebant. Lucris namque 
more solito inhyantes, cum prospera navigacione mare Angli- 
cum ad ostium Tamasis fluminis transmeassent, quam jam diu 


* War. : n* 5959, fol. 49 r., tandem hostes du livre xxvii manquent dans le n° 5958. Tls 
famis inedia pressi. sont extraits du n* 5959, fol. 5o-55. 
* Ce chapitre et les snivants jusqu'à la fin 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII 463 


rendre; ils se virent ainsi privés de leur tribut annuel, et le pays fut 
remis en liberté. | 


CHAPITRE XVI. 


Des dommages que les Français font éprouver sur mer aux Anglais. 


Cette même année, les Anglais parcoururent avec une flotte nom- 
breuse les côtes de France, y exercerent d'horribles pirateries, et 
signalérent leur passage par le pillage et l'incendie. Mais les Francais 
usèrent de représailles. Messire Charles de Savoisy, croisant à la hau- 
teur de Calais, rencontra deux navires marchands, qui étaient à l'ancre 
dans ces parages, et qui attendaient un bon vent pour mettre à la 
voile. Ceux qui les gardaient ayant pris la fuite , il y mit le feu. Après 
quoi, il s'éloigna avec les siens, et regagna la haute mer sans éprouver 
aucune perte, quoiqu'on fit pleuvoir sur lui une gréle de flèches et 
de traits. Les Francais, préposés à la garde des vaisseaux du grand- 
maître des arbalétriers de France dans le port d'Harfleur, firent éprou- 
ver un autre dommage aux Anglais, commandés par deux chefs nom- 
més Capitaine et Bataillié, qui étaient renommés pour leur audace 
entre tous les pirates anglais. L'ennemi , aprés avoir exercé ses brigan- 
dages accoutumés, avait repassé heureusement la mer et était arrivé à 
l'embouchure de la Tamise, lorsqu'il fut atteint par les Francais, qui 
le poursuivaient depuis long-temps. La flotte anglaise se composait de 
cinq vaisseaux, parmi lesquels étaient deux navires marchands et une 
galére armée pour les escorter. L'un des deux navires était chargé de 
vases et ustensiles de cuivre; l'autre portait une riche cargaison de 
fourrures, et avait à bord un évêque anglais avec une suite nombreuse 
de prétres. Les Francais, ayant cargué leurs voiles par précaution, 


464  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII.. 


prosequti fuerant classem hostium repererunt, videlicet quin- 
que vasa marina, inter que erat quedam galea armata ad custo-. 
diam duarum navium institorum deputata, quarum una onerata 
erat vasis et utensilibus cupreis, et alia pellibus variis, in qua 
quidam episcopus Anglie cum caterva non modica presbitero- 
rum residebat. Ad mutuum mox conspectum, contra istam, 
quia majoris apparencie videbatur, subductis in altum velis ad 
cautelam, fortiter impingerunt. Nec diu protracta mora, cum 
victa subcubuisset , alias invaserunt ; et tandem, duarum hora- 
rum spacio continuato conflictu, victoria Gallici sunt potiti, 
quingentis submersis ex hostibus et trecentis sub jugo redem- 
cionis subactis. Ex isto infortunio, ut referebant nonnulli, 
hostes sunt tanta iracundia moti, quod in odium Gallicorum 
duas sorores ducis Britanie, quas secum mater earum regina 
Anglie duxerat, ad ipsum ducem remiserunt. 


CAPITULUM XVII. 


Utrum substractio esset facienda pape vel non in consilio ventilatur. 


Ut exciciale malum horrendi scismatis a militantis Ecclesie 
finibus pelleretur, et super ejus unione rex deliberaret secu- 
rius, longe lateque per regnum et Delphinatum archiepiscopos, 
episcopos et abbates, ac universitatum sollempniores clericos 
regiis apicibus nuper statuerat evocari, jubens ut Sanctorum 
omnium festo Parisius convenirent. Eadem auctoritate hoc . 
edictum affixum est in introitu regalis Palacii, quod oinnes qui 
paruerant precepto commissariis regiis se personaliter presen- 
tarent, qui titulos singulorum et nomina scriptis redigerent. 
Quod cum septemdecim dierum spacio peregissent, ad satis- 
faciendum regie intencioni, salubri utique, Deo accepte, saluti 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 465 


attaquérent d'abord le dernier de ces navires, parce qu'il leur semblait 
de meilleure prise. Ils s’en rendirent bientôt maîtres et assaillirent 
ensuite les autres. Après deux heures de combat, la victoire resta 
enfin aux Français. Il y eut du côté de l'ennemi cinq cents morts et 
trois cents prisonniers. Les Anglais furent, dit-on, tellement irrités 
de cette défaite, qu'en haine des Francais ils renvoyérent au duc de 
Bretagne ses deux sœurs, que la reine d'Angleterre leur mère avait 
emmenées avec elle. 


CHAPITRE XVII. 
La question de la soustraction d'obédience est agitée en concile. 


Le roi, voulant extirper du sein de l'Église militante l'exécrable 
fléau du schisme, et délibérer sérieusement sur le rétablissement de 
l'union, avait naguére convoqué par lettres royales les archevéques, 
les évéques, les abbés et les principaux clercs des universités du 
royaume et du Dauphiné, et leur avait enjoint de se trouver à Paris le 
jour de la Toussaint. Lorsqu'ils se furent tous rendus à ses ordres, il 
fit afficher à l'entrée du Palais une ordonnance portant qu'ils eussent 
à se présenter en personne aux commissaires royaux, afin qu'on prit 
par écrit leurs noms et leurs titres. Le dix-huitiéme jour aprés leur 
arrivée, ils se disposérent à remplir les intentions du roi, si saintes, 
si agréables à Dieu, et si utiles au salut des âmes et à la paix du monde, 
Voici comment ils y procédérent : s'étant assemblés dans la sainte 
chapelle du Palais, ils priérent l'archevéque de Rouen de célébrer une 

III. 59 


466 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


animarum accomode et mundo utili, luce sequenti taliter pro- 
cesserunt. [n sacra namque capella regalis Palacii adinvicem 
adunati, ad divinam graciam facilius impetrandam, que agenda 
dirigeret, missam sollempnem ab archiepiscopo Rothomagensi 
rogaverunt celebrari, et inde cum canonicorum loci processione 
devota , quam primo ordine doctores et magistri , inde antistites 
et prelati, et postremo patriarcha et Universitatis rector seque- 
bantur, regale auditorium in aula parva Palacii super Sequanam 
preparatum intraverunt. 

Tum, in presencia dominorum: ducum Guyenne et Biturie, 
Ludovici quoque Sicilie, presidencium pro rege, ac multorum 
de genere ipsius , quidam doctor in sacra pagina, frater minor, 
cognominatus ad Boves , ut in mandatis acceperat , substractio- 
nis tangens materiam breviter et succincte, sermone disertis- 
simo more suo principum presidencium benivolenciam captans, 
supplicavit ut prosequcionem alme Universitatis Parisiensis 
haberent recommendatam. Sicque nil amplius processum est 
in proposito die illa. 

Cum autem luce sequenti magister Johannes Parvi substrac- 
tionem ut justam et racionabilem concludendam multis mediis 
alias per se prolatis ostendisset, quidam qui pape favebant in 
publicum prodeuntes rem tam arduam multa maturaque deli- 
beracione dixerunt indigere, supplicantes ut de multitudine 
congregata aliqui prelati distribuerentur et magistri, qui cau- 
sam ejus tenentes elucidarent libere quid de jure inde censerent 
tenendum. Quod simplex ruricola facile optinuisset, nonnulli 
de gremio Universitatis diu arguerunt recusandum et precipue 
propter obstinacionem mentis domini Benedicti. Sed tandem, 

fancellarii Francie persuasionibus victi, consenserunt ut ad 
"hoc deputarentur Cameracensis episcopus, Johannes de Alliaco, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 467 


messe solennelle, pour obtenir que la gráce divine éclairát tous les 
esprits, et se rendirent ensuite processionnellement dans la petite salle 
du Palais sur la Seine, accompagnés des chanoines du lieu, des doc- 
teurs et des professeurs, des prétres et des prélats, enfin du patriarche 
et du recteur de l’Université, et se présentèrent à l'audience du roi. 


Là , en présence de messeigneurs les ducs de Guienne et de Berri, 
et du roi de Sicile Louis, qui présidaient pour le roi, ainsi que de 
plusieurs autres princes du sang, un docteur en théologie, de l'ordre 
des fréres mineurs, nommé Pierre-aux-Boeufs, traita sommairement 
et succinctement la question de la soustraction, conformément aux 
instructions qu'il avait recues. Il se concilia par un discours trés élo- 
quent la bienveillance des présidents, et les supplia d'avoir pour recom- 
mandée la requéte de la vénérable Université de Paris. Il ne fut fait 
rien de plus ce jour-là. 


Le lendemain, maitre Jean Petit, ayant pris la parole à son tour, 
démontra par beaucoup de raisons , qu'il avait déjà exposées ailleurs, 
que la soustraction devait étre considérée comme juste et raisonnable. 
Alors plusieurs partisans du pape , s'avancant au milieu de l'assemblée, 
déclarérent qu'une affaire si épineuse exigeait une longue et müre dé- 
libération , et demandérent qu'on désignát parmi les membres du con- 
cile un certain nombre de prélats et de professeurs , qui seraient char- 
gés de la défense du pape, et qui feraient connaitre franchement leur 
avis sur la matiére. Cette demande, qu'on eût obtenue sans peine 
pour un simple paysan, fut cependant combattue avec acharnement 
par quelques membres de l’Université, qui alléguaient principalement 
. l'obstination de monseigneur Benoit. Cédant enfin aux remontrances 
du chancelier de France, ils consentirent qu'on donnát pour défenseurs 


468 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


atque decanus Remensis cum certo numero abbatum et magis- 
trorum, et pro ipsis cum Alexandrino patriarcha quos vellent 
eligerent qui partem oppositam sustinerent. Electos et nomi- 
natos non latebat quod plures contra papam tanto tamque in- 
expiabili odio laborabant, quod, ipsum jam scismaticum et here- 
ticum publicantes, summam ignominiam dignam degradacione 
reputabant eidem obedire. Et ideo non audebant ipsi publice 
favere; sed volebant dubias disposiciones rerum sub dissimula- 
cione pertransire, donec auctoritate regia et in scriptis jussi sunt 
libere perorare quid in proposito tacto mens eorum suggereret. 
Ut autem ordinarie in actum procederent, tenentes partem 
oppositam alternatim eisdem succedere cancellarius precepit. 

Et tunc ad decisionem cause coram prenominatis ducibus et 
multis aliis de regio sanguine libere processerunt, et decano 
Remensi in utroque jure utique eruditissimo et experto propo- 
situm commiserunt. Qui ut erat inter facundos facundissimus, 
dominum papam multis laudibus attollens, et affectum quem 
ad unionem semper habuerat multipliciter ostendens , ab ejus 
obediencia recedere disuasit et deduxit prolixiori sermone, qui 
revera dominis presidentibus ipsum commendabilem reddi- 
disset, nisi in unico puncto aures eorum offendisset. Nam, 
cum per hystorias antiquas et per jura probare conaretur quod 
non auctoritate regum papa repellendus erat, sed econverso 
auctoritate summi pontificis reges instituendi et destituendi 
erant, Pippinum regem Francie adducens in exemplum, cum 
scirent ipsi presidentes id non precepto ipsius sed consilio pro- 
cessisse , inde indignati cronica ecclesie beati Dyonisii in testi- 
monium produxerunt. Quapropter hoc verbum modestiori 
interpretacione postmodum retractavit, ut eos pacificaret. 

Inde domino patriarche post predictum secunda audiencia 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 469 


au pape l’évêque de Cambrai, Jean d'Ailly ', le doyen de Reims’, et 
un certain nombre d'abbés et de professeurs, et choisirent de leur cóté 
pour soutenir le parti contraire le patriarche d'Alexandrie et tous 
ceux qu'ils voulurent. Les prélats choisis et désignés n'ignoraient pas 
que certaines gens étaient animés contre le pape d'une haine si impla- 
cable, qu'ils le traitaient déjà de schismatique et d'hérétique, et qu'ils 
regardaient comme le comble de l'infamie de lui préter obéissance. 
Aussi, loin d'oser se déclarer hautement en sa faveur, ils cherchaient 
à éviter toute explication franche et nette sur les points douteux de 
cette affaire; mais le roi leur fit enjoindre par écrit d'exposer claire- 
ment leurs sentiments sur la matiére, et pour que les choses se pas- 
sassent régulièrement, le chancelier décida que la partie adverse par- 
lerait aprés eux. 


Le débat s'ouvrit alors en présence desdits ducs et de plusieurs autres 
princes du sang. Le doyen de Reims, docteur en droit civil et en droit 
canon, et renommé entre tous par son savoir et son éloquence, en- 
tama la discussion en faisant un pompeux éloge de monseigneur Benoît ; 
il insista longuement sur l'ardeur constante de son zéle pour l'union, 
et chercha à démontrer par des considérations trés étendues qu'on ne 
devait pas renoncer à son obédience. Il aurait sans doute gagné à sa 
cause messeigneurs les présidents, s’il n'y avait eu dans son discours 
un point qui les choqua fort. Voulant établir par des preuves tirées de 
l'histoire et du droit que les rois ne pouvaient dépouiller le pape de 
son autorité, mais qu'il appartenait au contraire au pape de créer 
et de déposer les rois , il cita l'exemple du roi de France Pépin. Mes- 
seigneurs les présidents, qui savaient que l'élection de ce prince avait 
été faite, non par ordre du souverain pontife mais d'aprés son conseil 
seulement, furent blessés de cette assertion, et y opposérent le témoi- 
gnage des chroniques de l'abbaye de Saint-Denys. Le doyen de Reims, 
pour calmer leur mécontentement, rétracta plus tard dans un humble 
discours ce qu'il avait avancé. 


Monseigneur le patriarche prit ensuite la parole dans la seconde 
* Il faudrait Pierre d'Ailly. * Guillaume Fillastre. 


470 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


publica in consistorio regali concessa est, et is contra primum 
próponentem substractionis continuacionem celebraridatm gravi 
oracione practicavit. Quam sentenciam sibi adjuncti contra 
archiepiscopum Turonensem , episcopum Cameracensem*, qui- 
bus et successerunt alternatis vicibus qui nominati fuerant. 
Et sic materia denegacionis aut restitucionis papalis obediencie 
ebdomadarum sex spacio fuit gravi et subtili disceptacione 
racionum et auctoritatum utrinque determinata. Que tunc fue- 
runt proposita longum esset recitare et hystorie compendio 
quod studiose quero valde contrarium. Judicio tamen circum- 
spectorum virorum adherendo, hec omnia fama in preconium 
perhenne commemoranda merito recepisset, nisi quidam in 
contitumeliam pape ad enormes injurias detrectarie declinassent. 
Ipsum namque jam vergentem in senium de incontinencia, 
cupiditate inexplebili et perjurio post creacionem suam com- 
misso accusantes, duracionem scismatis obstinacioni mentis 
sue et negligencie ascribebant, ipsum scismaticum, nec solum 
hereticum, sed heresiarcham reputando. Que nephanda crimina 
in dominum appostolicum jaculari ipsi eciam presidentes cum 
displicencia audiebant, advertentes quod in vituperium, con- 
fusioriem et ruborem tocius ecclesiastici ordinis redundabant. 

Ut res tamen inchoata debite terminaretur, et sciretur ulte- 
rius quid ceteri evocati in materia sentirent et cum quibus con- 
venirent, ad vitandum nocivam contencionem verbalem, can- 
cellarius statuit ut singuli vota sua in scriptis redacta offerrent 
alicui, qui super omnes presideret. Quam auctoritatem Alexan- 
drinus patriarcha, tunc ecclesie Carcasonensis administrator, 
sibi attribuit, archiepiscoporum tamen et aliorum prelatorum 
irrequisito assensu. Quod quamvis moleste ferrent, et in verba 


' Il faut supposer dans cette phrase l'omission d'un mot tel que sustinuerunt. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 411 


audience publique, qui eut lieu en présence du conseil du roi. Il dé- 
montra éloquemment, eu réponse au discours du précédent orateur, 
qu'il fallait maintenir la soustraction. Ceux qui lui étaient adjoints 
soutinrent la méme opinion contre l'archevéque de Tours et l'évéque 
de Cambrai, et aprés eux parlérent successivement tous les person- 
nages désignés. Ainsi cette question du r:{us ou de la restitution d'obé- 
dience papale fut. agitée et débattue pendant six semaines avec matu- 
rité. Je ne rapporterai pas tont au long les raisons qui furent alléguées 
de part et d'autre; ce serait nuire à la briéveté dont je me suis fait 
une loi '. Je dirai seulement, en me conformant à l'avis des gens sages, 
que cette mémorable discussion aurait mérité à jamais les éloges de la 
postérité, si quelques orateurs ne s'étaient emportés à de grossières 
injures contre le pape. Ils l'accusérent, sans respect pour son grand 
âge, d'une incontinence coupable et d'une insatiable cupidité, lui 
reprochérent de s'étre parjuré aprés son exaltation, et imputérent la 
longue durée du schisme à son obstination et à sa négligence, le 
traitant de schismatique , d'hérétique et d'hérésiarque. Les présidents 
entendirent avec un vif déplaisir ces infámes accusations portées contre 
le chef de l'Église, parce que la honte et le blâme en rejaillissaient 
sur tout le clergé. 


Enfin le chancelier jugea qu'il était à propos de clore les débats, et 
qu'il fallait aller aux voix et recueillir les opinions des autres prélats 
sur cette matière. Afin d'éviter des contestations fácheuses, il régla que 
chacun d'eux remettrait son avis par écrit à celui des membres de l’as- 
semblée qui serait le premier par son rang. Le patriarche d'Alexan- 
drie, qui était alors administrateur de l'église de Carcassonne, s'arro- 
gea cette autorité, sans avoir requis l'assentiment des archevéques et 
des autres prélats. Ceux-ci en furent offensés et en exprimérent tout 
haut leur mécontentement, lui reprochant comme une orgueilleuse 


' Juvénal des Ursins rapporte avec détail toute cette discussion. 


4T2 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


displicencie prorumpentes temeritati et presumpcioni ascribe- 
rent sic se velle preferre sibi non subditis, vincit tamen longua 
dissimulacio patriarche, nec cepta deserens memorie studuit 
commendare quod omnes et singuli in hac materia substrac- 
tionis sentirent. Profunditatem sentenciarum singulorum relin- 
quens scolaribus studiosis , ut justum est, cum de ipsis tracta- 
tum non me deceat formare, et causam solum sub compendio 
perstringendo , quibusdam dominum papam non exasperandum 
verbis sed filiali affectu ad unionem inclinandum censentibus, 
alii ad hoc regem et clerum Francie jam multorum lustrorum 
spacio in vacuum laborasse obstante induracione mentis ejus 
attendentes, omnes dignum ducebant ab ejus obediencia peni- 
tus resilire. Sed fuerunt qui quasi per iter medium incedentes 
ipsi dimitti spiritualia et reconciliaciones animarum, collaciones 
beneficiorum regni Francie sibi substrahi consulebant, et ne 
permutacionibus eorum amplius ditaretur. Hiis assenciit domi- 
nus patriarcha, asserens sic posse pape cor saxeum emolliri et 
ad viam cessionis cogi, si prelati Francie hanc auctoritatem 
suam ab antiquo de novo resumerent. Unde siscitans quid inde 
agendum esset, dignum duxerunt regi supplicandum ut non 
modo cum eis irrevocabiliter vellet stare, sed et quod ipsi con- 
cluserant suo vellet perpetuare sigillo. Quod eis rex liberaliter 
concessit sub litteris auttenticis continentibus hunc tenorem. 


CAPITULUM XVIII. 


De substractione beneficiorum facta pape. 


« Karolus, Dei gracia rex Francorum, universis presentes 
litteras inspecturis salutem. 
« Notum facimus quod, cum nuper in presencia principum 





CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 473 


prétention de se mettre ainsi au-dessus d'eux, quoiqu'ils ne lui fussent 
pas subordonnés. Mais le patriarche l'emporta par ses intrigues et par 
son opiniátreté , et se mit en devoir de résumer les opinions de chacun 
sur la question de la soustraction. Je laisse aux écoliers des universités 
le soin de discuter la valeur de ces différents avis. Il ne m'appartient pas 
de traiter ce sujet avec détail; je ne ferai que l'effleurer rapidement. Les 
uns voulaient qu'au lieu d'irriter monseigneur le pape on l'amenát 
à l'union par des remontrances filiales; les autres , considérant que le 
roi et le clergé de France avaient inutilement travaillé depuis longues 
années à vaincre son obstination, soutenaient qu'il fallait renoncer 
entiérement à son obédience; d'autres enfin , prenant un moyen terme, 
pensaient qu'on devait lui laisser le soin des affaires spirituelles et du 
salut des àmes, mais lui retirer la collation des bénéfices du royaume 
et les droits qu'il percevait sur leurs mutations. Monseigneur le pa- 
triarehe adopta ce dernier avis, en déclarant que le meilleur moyen 
de fléchir l'opiniátreté du pape et de l'amener à la voie de cession, 
c'était que les prélats de France fussent remis en possession de ce 
privilége qui leur avait appartenu. Il demanda ensuite à l'assemblée 
" ee qu’il y avait à faire pour cela; on lui répondit qu'il fallait prier le 
roi d'adopter irrévocablement la décision qui avait été prise, et de 
vouloir bien la sceller de son sceau. Le roi y consentit volontiers, et 
donna à cet effet les lettres authentiques dont ]a teneur suit. 


CHAPITRE XVIII. 


Soustraction faite au pape de la collation des bénéfices. 


« Charles, par la gráce de Dieu roi de France, à tous ceux qui ces 
présentes verront , salut. 
« Savoir faisons que naguére, en présence de nos cousins le roi de 
IL, 60 


ATA CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 

nostre prosapie, videlicet regis Sicilie consanguinei , Biturie pa- 
trui, Burgundie consanguinei et Borbonii avunculi, comitis 
Niverniensis consanguinei et aliorum procerum regni nostri 
predicti, tunc pro nobis et nomine nostro existenciunr in con- 
silio prelatorum, abbatum, conventuum et collegiorum, uni- 
versitatum et aliorum virorum ecclesiasticorum nostrorum 
regni et Delfinatus Viennensis , ipsas ecclesias representancium, 
super materia unionis sancte matris Ecclesie et super bono 
statu et regimine ecclesiarum dictorum regni et Dalfinatus in 
aula alta super Secanam domus seu palacii regalis Parisius con- 
gregato, aliqua fuissent proposita et exposita luculenter et dis- 
crete per advocatum nostrum, ad instanciam eciam procuratoris 
nostri generalis , tendencia et concernencia ad conservacionem 
jurium et libertatum dictarum ecclesiarum personarumque 
ecclesiasticarum dictorum regni et Delfinatus, presertim quo 
ad modum assumendi ibidem personas ad prelaturas et digni- 
tates aliaque beneficia ecclesiastica, et ut reducerentur dicte 
ecclesie et persone eeclesiastice ad suam pristinam et canonmi- 
cam libertatem, providereturque contra graves usurpaciones 
et interprisias quas contra hec fecerunt Romani pontifices ab 
aliquibus annis citra, concludens et requirens quod super pro- 
positis per eum deliberaretur in dicto consilio, ut eciam pro- 
videretur pro futuro, sicut foret secundum Deum et justiciam 
juste et racionabiliter providendum; et hujusmodi materia 
fuisset in nostra presencia inter dominos prelatos et viros eccle- 
siasticos diucius et plurium dierum intervallis discussa, agitata 
et diligenter pertractata , tandem que circa hec fuerunt advisata 
per eos et deliberata nobis ad plenum intimare et referre cu- 
rantes exposuerunt, graviter conquerendo quod , quamvis pape 
potestas sit ad pasturam corporalem et spiritualem gregis: do- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 415 


Sicile, le duc de Bourgogne et le comte de Nevers, de nos oncles les 
ducs de Berri et de Bourbon, et de plusieurs autres princes de notredit 
royaume, assistant pour nous et en notre nom à l'assemblée des pré- 
lats, abbés, religieux des monastères, membres des colléges et des uni- 
versités , et autres personnages ecclésiastiques de notre royaume et de 
notre Dauphiné de Viennois, représentants des églises desdits royaume 
et Dauphiné, réunis à Paris, dans la salle haute de notre palais sur 
la Seine, pour délibérer au sujet de l'union de notre sainte mére 
l'Église et du bon état et gouvernement desdites églises, notre avocat 
ayant, à l'instance de notre procureur général, exposé et développé 
éloquemment certaines considérations touchant et concernant la con- 
servation des droits et libertés desdites églises et personnes ecclé- 
siastiques desdits royaume et Dauphiné, particulièrement en ce qui 
regarde le mode de collation des prélatures , dignités et autres béné- 
fices ecclésiastiques, le rétablissement desdites églises et personnes 
ecclésiastiques en leur ancienne et canonique liberté, et la répression 
des graves usurpations et empiétements que la cour de Rome s'est 
permis depuis quelques années; ledit avocat ayant conclu et requis 
qu'il en fût délibéré dans ladite assemblée, afin qu'on pourvüt pour 
l'avenir à ces abus, comme on devait justement et raisonnablement 
y pourvoir selon Dieu et la justice; cette matiére ayant été mürement 
discutée, agitée et approfondie pendant plusieurs jours en notre pré- 
sence par messeigneurs les prélats et les autres gens d'église, nous 
avons été instruit en détail de ce qui a été avisé et décidé par ladite 
assemblée. On nous a représenté que, le pouvoir du pape étant princi- 
palement établi pour la páture corporelle et spirituelle du troupeau 
du Seigneur et pour la conservation de l'état et de la hiérarchie du 
corps mystique de l'Église, il ne lui convient pas et il ne lui est pas 
permis de faire tourner à son profit particulier les mesures prises dans 
l'intérét commun et pour le bien de tous; qu'il ne lui appartient pas 
de transgresser les régles fixées par nos péres, qui ont decidé que 
chaque église devait étre maintenue dans la jouissance de ses droits, afin 
que la véritable concorde fût conservée dans le sein de l'Église ; que 
le bon ordre ne pourrait y subsister, sans le maintien de cette précieuse 


416 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


minici et conservacionem status ac ierarchie mistici corporis 
Ecclesie principaliter ordinata , nec sibi conveniat aut liceat ad 
proprium trahere commodum que propter publicam utilitatem 
sunt ad bonum commune prefixa , nec transgredi deberet ter- 
minos quos posuerunt patres nostri, qui singulis quibusque 
ecclesiis decreverunt sua jura servanda , ut sic in corpore ipsius 
Ecclesie vera concordia servaretur; nam non posset ecclesias- 
tica pollicia racione subsistere, nisi eam hujusmodi magnus dif- 
ferencie ordo servaret, quodque, licet ea que sanctorum patrum 
consilia decreverunt integerrima perpetuaque sint approbacione 
veneranda, nec sint presertim , quando nec ulla necessitas nec 
ecclesiastica prorsus extorquet utilitas, aliqua racione vio- 
landa , statutis autem consiliorum generalium ac decretis sanc- 
torum patrum pro bono regimine ac conservacione perpetua 
status Ecclesie inter alia noscitur salubriter institutum, quod 
prelati ad ecclesias quascunque cathedrales et collegiatas per 
electionem illorum de collegio et eorum consensu assumantur, 
et quod ad dictas cathedrales ecclesias per suum metropolita- 
num, alii vero per loci dyocesanum confirmentur, et per eum- 
dem alia beneficia sue dyocesis personis ydoneis conferantur, 
vel, si fuerint patroni, ad eorum presentacionem instituantur 
in eis; quamvis eciam illa sint magnopere precavenda, ex qui- 
bus deducitur via delinquendi, et maxime ubi desiderande seu 
captande aliene mortis votum et occasio ministratur, viaque 
apperitur ad beneficia vacatura, sitque naturali racione dic- 
tante per consilia generalia similiter institutum quod beneficia 
ecclesiastica vacatura promitti non debeant , nec dari jus expec- 
tacionis ad ea, fueruntque omnia predicta in Ecclesia sancta 
Dei, sic ut premititur, actenus usque ad tempus quorumdam 
novissimorum romanorum pontificum inviolabiliter observata, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 477 


hiérarchie; que les décrets des saints pères sont sacrés et inviolables, 
et qu'aucune raison ne saurait autoriser à les enfreindre, surtout quand 
il n'y a pas de nécessité urgente ou que l'intérét de l'Église ne l'exige 
point; qu'entr'autres mesures salutaires relatives au bon gouverne- 
ment et à la conservation perpétuelle de l'état de l'Église, les statuts 
des conciles généraux et les décrets des saints pères ont réglé que les 
prélats seraient promus aux églises cathédrales ou collégiales par le 
choix et avec l'assentiment de ceux du collége, que leur nomination 
serait confirmée par le métropolitain pour lesdites églises cathé- 
drales et par le diocésain du lieu pour les autres; que ledit diocésain 
conférerait les autres bénéfices de son diocése à des personnes aptes 
et idoines, et que, si ces églises avaient des patrons, le choix aurait 
lieu sur leur présentation; qu'afin d'éviter avec soin tout ce qui 
pourrait induire à mal, soit en fournissant l'occasion de désirer ou 
d'épier la mort d'autrui, soit en ouvrant une voie aux bénéfices qui 
deviendraient vacants, les conciles généraux ont également réglé avec 
raison que l'on ne devait pas promettre les bénéfices ecclésiastiques 
qui deviendraient vacants, ni en donner l'expectative ; enfin que toutes 
les choses susdites ont toujours été inviolablement observées dans la 
sainte Église de Dieu jusqu'au régne des derniers pontifes romains. 
Néanmoins, depuis quelques années ces pontifes, au mépris desdits 
décrets des saints péres et des conciles généraux, se sont réservé la 
disposition de toutes les dignités ecclésiastiques, des cathédrales, des 
collégiales et des autres dignités inférieures à l'épiscopat; ils ont ac- 
cordé indistinctement et sans suivre aucune régle l'expectative des bé- 
néfices à tous ceux qui la demandaient, faisant naître ainsi, contraire- 
ment aux saints conciles généraux , l'occasion de désirer la mort d'au- 
trui et ouvrant une voie irrégulière aux bénéfices qui viendraient à 
vaquer; ils ont inventé mille moyens d'absorber à leur profit le 
pouvoir des prélats, des chapitres, des colléges et autres, soit en 
imaginant des prohibitions et des décrets qu'ils voudraient rendre 
obligatoires méme pour ceux qui ne les connaissent pas, soit en ful- 
minant diverses sentences contre ceux qui refusent de s'y soumettre; 
si bien qu'on trouverait à peine une seule personne qui ait conservé 


478 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


nichilominus tamen ab aliquibus annis citra romani pon- 
tifices, contemptis prefatis sanctorum patrum et consilium 
generalium decretis et eis penitus non servatis , omnes ecclesias- 
ticas dignitates, cathedrales, collegiatas et alias quascunque 
post episcopalem majores, indifferenter sue disposicioni reser- 
vaverunt; gracias ad vacatura beneficia, per quod contra sancta 
generalia consilia occasio votumque aliene mortis ingeritur et 
via ad vacatura contra racionem apperitur, indistincte et sine 
limitacione quacunque omni petenti concesserunt; modos in- 
numerabiles introduxerunt, quibus potestas prelatorum , capi- 
tulorum, collegiorum et aliorum quorumcunque penitus absor- 
betur, apponendo prohibiciones et decreta, quibus eciam 
ignorantes volunt esse ligatos, diversas fulminando sentencias 
in contrarium facientes, adeo ut reperiatur aliquis aut nullus, 
cui eciam unicum beneficium conferendum aut presentandi 
ad illud sit relicta facultas. Clausulas eciam varias et interdum 
inexplicabiles suis in bullis solent apponere; regulas diversas 
aut preter aut contra jus nunc constituunt, nunc revocant , ut 
eciam perspicaciter discernenti apparere non valeat quis inter 
plurimos impetrantes videatur jus habere. Intrusiones in be- 
neficiis inde sequuntur, gravissima litigia oriuntur, que cum 
magnis expensis et in prejudicium regnicolarum discuciuntur 
extra regnum. Et cum promoventur aliqui ad dignitates electi- 
vas, cessant banna et evocaciones, que de jure ad aprobandas 
electiones et personas fieri statuuntur. Propter quod, cum non 
possit romanus pontifex omnium hominum et status ecclesia- 
rum habere noticiam, sepe contigit indignos et indigne ad 
hujusmodi dignitates assumi. Et tales interdum tantummodo 
probati sunt argento, quique nunquam in loco beneficii mora- 
buntur. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 479 


le droit de collation ou de présentation. Ils se sont accoutumés aussi 
à introduire dans leurs bulles diverses clauses souvent inexplicables; 
ils établissent ou révoquent à leur gré différentes régles, qui sont 
tellement contraires à la justice, que l'homme le plus clairvoyant ne 
saurait dire quel est entre tous les impétrants celui dont les droits 
sont lé mieux fondés. Il en résulte que des bénéfices sont conférés à 
des mtrus, et cela donne lieu à de graves contestations, qu'il faut 
aller débattre à grands frais hors du royaume, au préjudice des habi- 
tante. Lorsqu'il y a quelques promotions à des dignités électives, on 
se dispense des bans et des proclamations qui devraient avoir lieu 
pour la ratification des choix et l'approbation des élus. Comme le 
ponitife romain ne peut connaître tous les hommes ni l'état de toutes 
les églises, il s'ensuit souvent que ces dignités sont conférées à des 
gens indignes, et d'une manière scandaleuse. Quelquefois méme on en 
a choisi qui n'ont d'autre mérite que leurs richesses et qui ne réside- 
ront jamais dans leur bénéfice. 


480 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


« Occasione autem premissorum jura beneficiorum depe- 
reunt, edificia corruunt, et cultus divinus minuitur. Hec dede- 
runt occasionem reservandi vacacionum annatas, et infinitas 
peccunias extorquendi; per que regnum peccuniis et opibus 
continue vacuatur, et datur occasio aut per fas aut per nephas 
ad papatum aspirandum et adeptum contra bonum regiminis 
et unionis Ecclesie retinendum, ad ditandum pocius subliman- 
dumque se et suos. Hinc eciam fraudatur multipliciter intencio 
fundatorum, et statuta consiliorum generalium decretaque 
sanctorum patrum ac jura relinquuntur inania, que, ex quo 
aliter non servantur, frustra videntur occupare menbranas. 
Infelices autem episcopi, si sic eis indistincte sua interdicun- 
tur officia, in Ecclesia quid facient? Et sic agendo nil aliud 
agitur, nisi ut ecclesiasticus ordo, qui maxime per papam ille- 
sus servari debuit, confundatur ac eciam dissipetur. 

« Propter que et alia que dictos prelatos et alios in dicto 
consilio congregatos racionabiliter movere poterant et debe- 
bant, deliberaverunt et concluserunt in modum qui sequitur: 
videlicet, quod de cetero, sicut volunt statuta consiliorum gene- 
ralium et decreta sanctorum patrum, per electiones capitulo- 
rum , conventuum et collegiorum confirmacionesque superio- 
rum, ecclesiis cathedralibus, collegiatis ceterisque beneficiis 
electivis, tam regularibus quam secularibus, necnon per pre- 
sentaciones, collaciones et instituciones, per illos ad quos de 
jure communi, privilegio vel consuetudine spectat faciendas, 
provideatur, cessantibus et rejectis omnino ac non obstantibus 
quibuscunque et quorumcunque reservacionibus, generalibus 
vel specialibus, ac prohibicionibus, expectacionibus aut gra- 
ciis, eciam cum decreti apposicione ex parte pape vel ejus 
auctoritate factis aut faciendis, seu concessis aut concedendis, 





482  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


quousque per consilium generale canonice celebrandum aliud 
fuerit ordinatum ; ad cujus consilii ordinacionem dicta Ecclesia 
gallicana et Delfinatus se submittit. Supplicabant ergo humiliter 
et devote quatinus nos, ipsorum deliberacionem et conclusio- 
nem confirmantes et adherentes,.ipsas gratas habere, et dictas 
ecclesias et viros ecclesiasticos nostrorum regni et Delfinatus 
quo ad predicta ad suam libertatem antiquam et juris communis 
disposicionem quantum in nobis est reducere, et in eadem 
libertate eos conservare et manutenere, omnia ad contrarium 
impedimenta submovendo, dignaremur. 

« Nos igitur attendentes quod, sicut sacerdotes sunt debi- 
tores ut veritatem quam audierunt a Deo libere predicent, sic 
princeps debitor est ut veritatem quam audivit a sacerdotibus, 
probatam quidem Scriptura, defendat fiducialiter et efficaciter 
exequatur, habita prius deliberacione matura et tractatu dili- 
genti cum pluribus de genere nostro principibus aliisque viris 
nobilibus et famosis, dictorum prelatorum et aliorum virorum 
ecclesiarum ac procuratoris nostri supplicacionem et requestam 
justam et racionabilem, sanctorumque patrum et consiliorum 
generalium decretis conformam reputantes , eam in forma, sicut 
premittitur, de nostra certa sciencia duximus admitendum, 
predictas deliberaciones et conclusiones ratas habentes, dictas 
ecclesias et viros ecclesiasticos quo ad predicta ad suam liber- 
tatem antiquam et juris disposicionem recurrendos esse cense- 
mus , et in quantum in nobis est reducimus, eosque in eadem 
libertate per nos de cetero manuteneri et conservari volumus 
per presentes; mandantes et districtius injungentes dilectis et 
fidelibus consiliariis nostris, gentibus nostrum presens tenen- 
tibus et qui in futurum tenebunt Parlamentum, ballivis, pre- 
positis , senescallis, judicibus, vicariis ceterisque justiciariis et 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 483 


qu'il est en nous, dans la jouissance de leur ancienne liberté et du 
droit commun lesdites églises et personnes ecclésiastiques de notre 
royaume et du Dauphiné, de les conserver et maintenir dans ladite 
liberté, et d'écarter tous les obstacles qui pourraient venir à l'en- 
contre. 


« C'est pourquoi, considérant que, si les prêtres doivent précher 
hautement la vérité qu'ils ont apprise de Dieu, les princes doivent 
aussi défendre énergiquement la vérité qu'ils ont apprise des prétres et 
travailler à la faire triompher, lorsque cette vérité est prouvée par les 
saintes Écritures, et convaincu, aprés en avoir mürement délibéré 
et longuement conféré avec les princes de notre sang et d'autres nobles 
et illustres personnages, que la supplique et requête desdits prélats et 
gens d'église et de notre procureur général est juste , équitable et con- 
forme aux décrets des saints péres et des conciles généraux , nous avons 
de notre science certaine cru devoir l'admettre en la forme qui a été 
dite, et ratifier lesdites décisions et conclusions; nous croyons devoir 
rétablir et rétablissons, autant qu'il est en nous, dans la jouissance 
de leur ancienne liberté et du droit commun lesdites églises et per- 
sonnes ecclésiastiques; nous les maintenons désormais par nous- 
méme et voulons par les présentes qu'elles soient maintenues en ladite 
liberté; mandons et ordonnons expressément à nos amés et féaux 
conseillers les gens tenant aujourd'hui et devant tenir à l'avenir 
notre cour de Parlement, à nos baillis, prévóts, sénéchaux, juges, 
vicaires et autres justiciers ou officiers quelconques, qui sont ou qui 
seront établis dans nosdits royaume et Dauphiné, ou à leurs lieute- 
nants, de faire publier, autant qu'il appartiendra à chacun d'eux, 
suivant les formes et coutumes usitées en pareils cas, toutes et chacune 
desdites choses, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus, dans les 


484 -CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


officiariis nostris, in nostris regno et Dalfinatu memoratis con- 
stitutis et constituendis, vel eorum loca tenentibus, et eorum 
cuilibet , prout ad ipsum pertinuerit, quatinus omnia premissa 
et singula , prout superius sunt expressa, in omnibus et singulis 
civitatibus et villis et locis insignibus regni et Dalfinatus pre- 
dictorum debite et ut in talibus est fieri consuetum publicari 
faciant et ab omnibus quorum intererit inviolabiliter et inte- 
graliter conservari, et dictas personas ecclesiasticas dictis elec- 
tionibus, postulacionibus, presentacionibus et collacionibus 
secundum modum et formam premissorum ab omni turbacione 
et violencia defendant, omnes et quascunque personas contra- 
venientes, cujuscunque status seu condicionis existant, pu- 
niendo taliter quod ceteris cedant in exemplum. Nam premissa 
sic fieri volumus et jubemus per presentes. 

« In cujus rei testimonium presentibus litteris nostrum jus- 
simus apponi sigillum. — Datum Parisius , anno Domini mille- 
simo quadringentesimo sexto et regni nostri vicesimo septimo, 
die octava decima februarii. » 

« Sic signatum per regem, cum consilio et assensu domino- 
rum meorum Ludovici regis Sicilie, ducumque Aquitanie , Bitu- 
rie, Aurelianis atque Borbonii, vestrique. .......‘, nec non 
patriarche Alexandrini , prelatorum et procerum, necnon plu- 
rimorum aliorum ecclesiasticorum virorum et secularium de 


nsilio magno regis. » 
consilio mag 6 « J. DE MonNSTERIOLO. » 


Non sine tamen impedimento supplicantes supradicti obti- 
nuerunt quod petebant. Nam cum archiepiscopo Remensi non- 
nulli prelati et eminentis sciencie doctores et magistri, au- 
dientes eis regem audienciam concessisse et requestis eorum 


' Jl y a ici une lacune dans le manuscrit. Il faut supposer l'omission d'un mot tel que 
honoris. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 485 


cités, villes et principaux lieux desdits royaume et Dauphiné , de les 
faire observer inviolablement et intégralement par tous ceux qui y 
seront intéressés, et de protéger lesdites personnes ecclésiastiques 
contre tout empéchement et toute violence dans lesdites élections, 
demandes, présentations et collations, suivant le mode et la forme 
énoncés plus haut, en punissant d'une maniére exemplaire toutes les 
personnes qui iront à l'encontre, quels que soient leur rang et leur 
condition. Nous voulons et ordonnons par les présentes qu'il en 
soit ainsi. 


« En témoignage de quoi, nous avons fait apposer notre sceau aux 
présentes lettres. — Donné à Paris, le 18 février, l'an du Seigneur 
mil quatre cent six, et de notre régne le vingt-septiéme. » 


« Signé par le roi, du conseil et consentement de messeigneurs le 
roi de Sicile Louis, les ducs de Guienne, de Berri, d'Orléans et de 
Bourbon, de votre honneur', du patriarche d'Alexandrie, des prélats 

^ et des grands, et de plusieurs autres personnages ecclésiastiques et 


séculiers du grand conseil du roi. » 
« J. DE MonTReuIL. » 


Cependant lesdits requérants n'obtinrent pas sans difficulté ce qu'ils 
demandaient. L'archevéque de Reims, ainsi que plusieurs prélats, 
docteurs et professeurs d'un éminent savoir, apprenant que le roi 
leur avait accordé audience, qu’il prétait une oreille favorable à 
leurs requétes et qu'il avait enjoint à son chancelier de sceller leur 


^ C'est le chancelier de France qui est désigné par ces mots. 





486 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


aures accomodas et benignas prebens cancellario precepisse ut 
petita sigillo roborarentur regio, eum ilico adierunt et cum 
humili supplicacione ad hoc se opposuerunt. Omni namque 
accepcione indignum id reputabant, quia ab inexpiabili odio 
sumens inicium, in infamiam domini Benedicti, subversionem 
justicie , partis ejus confusionem et notam omnium ei adheren- 
cium , ad quod se rex sub sigillo proprio obligaverat, atque ad 
depressionem et lesionem plenitudinis potestatis et auctori- 
tatis vicarii Christi , apostolice sedis et futuris temporibus pre- 
sidencium in eadem redundabat; iterum quod hoc tangebat 
subversionem jurium, tradicionum et constitucionum sancto- 
rum patrum et aliorum, qui auctoritatem habuerunt jura con- | 
dendi in Ecclesia sancta Dei, in detrimentum quoque libertatum 
ecclesiasticarum et jurium ecclesiarum et ecclesiasticarum perso- 
narum regni, quibus ipsi prelati et abbates exempti precipue 
presidebant. Hec omnia articulatim se probaturos pluries ob- 
tulerunt, et quamvis ad hoc admissi non fuerint, ad hoc tamen 
ducem Aurelianis fratrem regis, qui precipue inter lilia defe- 
rentes dominum Benedictum ut summum patrem filiali affectu 
hucusque coluerat gratosque habuerat eidem adherentes, in- 
duxerunt ut paterentur repulsam, quociens mandatum illud 
regium poscerent sibi tradi ut exequcioni debite mandaretur. 
Ab hinc omnes sunt indignacionis stimulo agitati, et a non- 
nullis latens odium sic indecenter erupit, ut absque erubes- 
cencie velo invectivis satiricis mutuo se impingentes conviciis et 
rithmicis disceptacionibus famam eciam majorum et qui ceteris 
auctoritate precellebant publice denigrarent. Quod revera prin- 
cipibus, viris scientificis atque cunctis christicolis hec audien- 
tibus derisionis materiam et displicencie ministravit, quia sic 
quatuor mensium spacio contendentes ab unione ecclesiastica 
penitus deviabant, quam susceperant promovendam. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 487 


demande du sceau royal, allérent aussitôt le trouver et le supplièrent 
humblement de n'en rien faire. Ils représentèrent qu'il n'était point 
convenable d'accueillir une proposition qui avait été dictée par une 
haine implacable, et qui tournait à la honte de monseigneur Benoit, 
au renversement de toute justice, à la confusion de son parti et au 
déshonneur de tous ses adhérents, qui était contraire aux engage- 
ments solennels pris par le roi, qui portait atteinte à la plénitude 
du pouvoir et de l'autorité du vicaire de Jésus-Christ, du saint-siége 
apostolique et de ceux qui l'occuperaient à l'avenir, qui tendait enfin 
au bouleversement des droits, traditions et constitutions des saints 
péres et de tous ceux qui ont eu pouvoir de faire des lois dans la 
sainte Église de Dieu, ainsi qu'à la ruine des libertés ecclésiastiques et 
des priviléges des églises et des personnes ecclésiastiques du royaume, 
placées sous l'autorité des prélats et des abbés exempts. Ils offrirent à 
plusieurs reprises de prouver leur dire article par article; mais on ne 
le leur permit pas. Néanmoins, gráce à l'entremise du duc d'Orléans, 
qui s'était toujours fait remarquer entre tous les princes du sang par 
sa tendresse filiale envers monseigneur Benoit, et qui s'était toujours 
montré favorable aux partisans du saint père, ils obtinrent que la : 
demande de leurs adversaires füt repoussée, toutes les fois que ceux-ci 
cherchérent à se faire délivrer l'ordonnance royale pour la mettre 
à exécution. Il en résulta de part et d'autre de vifs ressentiments, et 
les haines qui couvaient dans tous les cœurs éclatérent bientôt ouver- 
tement. On s'accabla d'injures sans pudeur et sans ménagement, et 
la réputation des personnages les plus considérables et les plus in- 
fluents fut outragée par des calomnies et des satires. Ces débats scan- 
daleux excitérent le mépris des princes, des gens de savoir et d'expé- 
rience et de tous les chrétiens qui en furent témoins, en méme temps 
qu'ils les affligérent vivement, parce que pendant quatre mois les deux 
partis laissèrent complétement dans l'oubli l'union de l'Église, qu'ils 
prétendaient rétablir. 


488 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VII. 


CAPITULUM XIX. 


Viam cessionis antipapa et sui cardinales elegerunt ad unionem habendam. 


Angustias tamen sic desolate Ecclesie et erumpnas jam sex 
lustris perpessas ex alto prospexisse visus fuit misericordissimus 
ejus sponsus anno isto. Nam mensis novembris vicesima quarta 
die Rome mortuo Innocencio, qui pro papa se gesserat, anti- 
cardinalium omnium corda tetigit, ut ad matris gremium dulci- 
ter redeuntes calamitatem ipsius alleviandam susciperent devote 
et humiliter, ut sequencia docebunt. Nam hii omnes numero 
duodecim, in capella sancti Nicholai sacri palacii appostolici 
Rome invicem coadunati, antequam conclavem intrarent pro 
electione futura celebranda, inveteratam induracionem mentis 
deponentes, quod nunquam speratum fuerat, viam cessionis, 
hucusque ab eis dampnatam et reprobatam, tanquam justam et 
racionabilem unanimiter elegerunt ad unionem habendam. 
Considerantes igitur graves fidelium molestias atque pericula, 
que actenus emerserant et emergere verissimiliter poterant ex 
pestifero et dampnabili scismate, universaliter singuli et sin- 
gulariter universi unanimiter et concorditer, nemine discre- 
pante, voverunt Deo ac ejus matri Virgini gloriose, sanctis 
appostolis Petro et Paulo totique celesti curie juraverunt quod, 
si quis eorum assumeretur ad apicem summi apostolatus, cede- 
ret juri suo et papatui pure, libere et simpliciter, dum tamen 
Benedictus id vellet agere et quod cardinales ejus vellent cum 
eisdem convenire , ut ab utroque collegio unicus eligeretur ca- 
nonice in summum pontificem. Articulatim iterum promiserunt 
et juraverunt que sequntur : 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 489 


CHAPITRE XIX. 


L'antipape et ses cardinaux adoptent la voie de cession pour parvenir à l'uuion. 


Cependant, cette année, le Seigneur sembla prendre en pitié les an- 
goisses de l'Église, son épouse désolée, et les souffrances qu'elle endu- 
rait depuis trente ans. Le prétendu pape Innocent étant mort à Rome 
le 24 novembre ', Dieu toucha les cœurs de tous les anticardinaux , 
et leur inspira la sainte résolution de revenir au giron. de leur mére 
et de travailler dévotement et humblement à soulager ses douleurs, 
comme la suite l'apprendra. S'étant réunis au nombre de douze* dans 
la chapelle de Saint-Nicolas, au palais apostolique de Rome, et abju- 
rant , contre toute attente, leur obstination invétérée, avant d'entrer 
en conclave et de procéder à l'élection future, ils adoptérent unanime- 
ment, comme juste et raisonnable et comme le meilleur moyen d'arri- 
ver au rétablissement de l'union, la voie de cession qu'ils avaient 
jusqu'alors réprouvée et condamnée. Considérant donc les graves in- 
convénients et les périls qu'avait engendrés pour les fidèles et que pou- 
vait, selon toute vraisemblance, engendrer encore le pernicieux et 
damnable schisme, ils s'engagérent tous ensemble et chacun en par- 
ticulier, par un voeu solennel, et jurérent unanimement et d'un com- 
mun accord à Dieu, à la glorieuse vierge Marie sa mére, aux apótres 
saint Pierre et saint Paul et à toute la céleste cour, que, si l'un d'entre 
eux était promu au saint-siége apostolique, il renoncerait à ses droits et 
à la papaut@ purement, librement et simplement, pourvu toutefois que 
Benoit en fit autant, et que ses cardinaux consentissent à se réunir 
avec eux en un seul et méme collége pour nommer canoniquement un 
seul pape. Ils promirent et jurérent aussi les articles qui suivent : 


' Innocent VII mourut le 6 novembre. —— forze, comme le prouve la liste donnée plus 
* Les cardinaux étaient au nombre de qua- bas dans ce méme chapitre par le Religieu x. 


IH. | 6a 


490 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


« Et primo quod , omni fraude et dolo ac maligna interpre- 
tacione cessantibus pro posse, si quis ex cardinalibus absen- 
tibus vel de extra collegium per eos assumeretur in papam, 
eamdem faceret obligacionem, et quod, infra mensem a die in- 
tronizacionis numerandum, per suas extensas et appostolicas 
litteras regi Romanorum, Benedicto et suo collegio, regi Fran- 
cie, omnibus aliis regibus, illustris , principiis, prelatis, univer- 
sitatibus et communitatibus christianitatis, secundum videre 
dominorum de collegio, premissa omnia indicaret, et ea se 
offerret impleturum et paratum ad cessionem modo predicto 
et ad omnem aliam viam racionabilem, per quam dictum 
scisma tolli posset et unionis sequi integritas in Ecclesia chris- 
tianorum ; 

« Iterum et quod super omnibus supradictis ultra premissa 
suos sollemnes destinaret oratores infra tres menses, a die in- 
tronisacionis predicte computandos, iliis quibus de consilio 
dominorum predictorum collegii videbitur, et ipsis ambassia- 
toribus cum effectu imponeret cum consilio eorumdem domi- 
norum de loco vel locis decentibus eligendis ab utraque parte, 
eisque potestatem plenariam daret de conveniendo de loco 
habili et decenti; 

« Eciam et promitteret quod, pendente tractatu unionis hu- 
jusmodi, effectualiter et realiter ex utraque parte n@lus faceret 
aliquem cardinalem, nisi causa coequandi numerum suorum 
cum numero aliorum , nisi ex defectu staret partis adverse quod 
unionis conclusio infra annum a fine dictorum trium mensium 
computandum non esset subsequta ; quo casu eidem liceret et 
alteri cardinales eligere ac creare prout pro statu Ecclesie eidem 
videretur convenire; 


« Item quod et, de non creando cardinales nisi modo predicto 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. A04 


.« Que, si leur choix tombait sur un des cardinaux absents ou sur 
quelque autre personne prise hors du collége, celui qui serait élu 
prendrait le méme engagement sans fraude, ruse ou arriére-pensée, 
et que dans l'espace d'un mois à partir du jour de son intronisation 
il notifierait par lettres apostoliques au roi des Romains, à Benoit 
et à son collége, au roi de France et à tous les autres rois, seigneurs, 
princes, prélats, universités et communautés de la chrétienté tout ce 
qui avait été décidé par les membres du collége, et offrirait de mettre 
lesdites choses à exécution et de pratiquer la voie de cession, suivant 
le mode susdit, ou toute autre voie raisonnable, par laquelle on pour- 
rait anéantir ledit schisme et rétablir l'intégrité. de l'union. dans 


l'Église chrétienne; 


« Qu'en outre il enverrait à ce sujet des ambassades solennelles, 
dans l'espace de trois mois à partir du jour de ladite intronisalion, à 
ceux que lesdits membres du collége jugeraient à propos de lui dési- 
gner; qu'après avoir pris l'avis desdits membres du collége, il char- 
gerait ses ambassadeurs du soin de choisir un lieu convenable et 
propre à une conférence entre les deux parties, et leur donnerait plein 
pouvoir pour traiter de cette affaire; 


« Qu'il promettrait que, pendant les négociations relatives à 
l'union, on ne créerait réellement et effectivement de part ni d'autre 
aucun cardinal, si ce n'est pour rendre égal le nombre des membres 
de chaque collége, à moins qu'il n'arrivát par le fait de la partie 
adverse que l'union ne füt pas rétablie dans l'année à partir de la fin 
desdits trois mois; auquel cas il lui serait permis ainsi qu'à Benoit de 
nommer et de créer des cardinaux, suivant que chacun d'eux le juge- 
rait utile aux intéréts de l'Église ; 


« Qu'il inviterait Benoit et son collége à ne créer également des 


492 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


in forma congrua, insinuaret Benedicto et ejus collegio ut ipsi 
similiter sic facerent, necnon quod omnia premissa inchoata et 
inchoanda utraque pars mediaret, prosequeretur et fine debito 
terminaret, nichil de contingentibus, necessariis et utilibus, vel 
quomodolibet opportunis obmitendo, quantum ad eam spectaret; 

« Item et quod, post ejus electionem et ante ipsius publicacio- 
nem, omnia et singula supradicta confirmaret, approbaret aut- 
tentico modo, et de novo similiter promissionem faceret in 
omnibus et per omnia coram collegio cardinalium, testibus et 
notariis, et superscripcionem faceret manu propria in instru- 
mentis, prout infra de cardinalibus continetur; et quod consi- 
militer hujusmodi ratificacionem , approbacionem, votum et 
promissum effectualiter faceret in primo consistorio publico 
vel generali , quod post coronacionem suam ad hoc commodo, 
consueto et congruo tempore celebrabit. » 

Insuper i Ipsi cardinales voverunt, juraverunt et ad i invicem 
promiserunt quod per suas litteras infra mensem a die intro- 
nisacionis predicte collegialiter intimarent de electione facta 
necnon de voluntate et promissione que ad unionem conse- 
quendam et omnia supradicta omnibus prefatis cardinalibus, 
prout et sicut facere tenebitur qui erit electus, ac eciam in- 
choata mediabunt, prosequentur et finient quantum in eis erit, 
nichil de contingentibus, necessariis vel opportunis quomodo- 
libet vel utilibus omitendo ; que omnia et singula promiserunt 
inter se ad invicem et vicissim, ut supra, actualiter attendere, 
observare, et facere ac exequi, et effectualiter adimplere bona, 
pura et sincera fide, omni dolo et fraude cessantibus; ad ma- 
jorem eciam certitudinem et firmitatem premissorum, quilibet 
ex cardinalibus teneretur se subscribere manu propria omnibus 
et singulis instrumentis conficiendis ex inde; quorum instru- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 493 


cardinaux que de ladite manière et en la forme voulue, et que les deux 
parties poursuivraient les négociations commencées ou en entame- 
raient de nouvelles, pour moyenner et mener ledit accord à bonne 
fin, et ne négligeraient, autant qu'il était en leur pouvoir, rien de ce 
qui pourrait étre nécessaire, utile ou favorable au succés de l'affaire; 


« Qu'aprés son élection, et avant qu'elle füt promulguée, il rati- 
lierait et approuverait d'une manière authentique toutes et chacune 
desdites choses, qu'il ferait une promesse semblable en tout et pour 
tout devant le collége des cardinaux, les témoins et les notaires, qu'il 
signerait de sa main les instruments , comme il est dit plus bas pour les 
cardinaux, qu'il renouvellerait encore cette ratification et cette appro- 
bation, ce voeu et cette promesse, dans le premier consistoire public 
ou général, qu'il tiendrait aprés son couronnement en temps conve- 
nable et opportun. » 


En outre lesdits cardinaux firent vœu, jurèrent et promirent que, 
dans l’espace d’un mois à partir du jour de ladite intronisation, ils an- 
nonceraient à tous les cardinaux susdits , par une lettre écrite au nom 
de leur collége, l'élection qui aurait été faite, ainsi que leurs intentions 
et leurs promesses touchant le rétablissement de l'union et toutes les 
choses ci-dessus mentionnées , comme serait tenu de le faire celui qui 
aurait été élu, qu'ils poursuivraient les négociations commencées, pour 
moyenner et mener à bonne fin ledit accord, et ne négligeraient, 
autant qu'il serait en eux, rien de ce qui pourrait étre nécessaire, 
utile ou favorable au succés de l'affaire. Ils se promirent et se jurérent 
mutuellement, comme ci-dessus, de garder, observer, faire, exécuter 
et accomplir réellement toutes et chacune desdites choses avec bonne 
foi, droiture et sincérité, sans fraude ni ruse. Et pour donner plus 
de garantie et de solidité auxdits engagements, ils décidérent que 
chaque cardinal serait tenu de signer de sa main tous les instruments 
qui en seraient dressés, et que chacun des membres du collége pour- 
rait avoir à son gré un ou plusieurs de ces instruments. 


494 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


mentorum quilibet ex ipsis dominis de collegio unum vel plura 
valebit habere pro ejus arbitrio voluntatis. | 

Acta sunt prenotata in capella prefata, presentibus venera- 
bilibus et cireumspectis viris Francisco de Duce, appostolice 
camere clerico, Jacobo de Calvis et Petro de Sacro, canonicis 
basilice principis apostolorum de urbe, Johanne Locarassello, 
litterarum appostolicarum scriptore, Nicholao Blasii, canonico 
Marinensi, Antonello Furrata et Johanne Carasulo, littera- 
rum sacre penitenciarie scriptoribus, Laurencio Turrimbate, 
Sancte Marie in Transtiberim, Nicholao de Lombus, Sancto- 
rum Cosme et Damiani de urbe, Johanne Pirato juniori , Sancte 
Crucis Leodiensis ecclesiarum canonicis, Andrea de Canaberiis 
de Sicilia, Galerto de Ritasolis de Florencia, Laysio Domini 
Gabain, Monulis de Neapoli, Domicellis presbitero, Paulo 
presbitero, Francini de Roma, Materno Georgii, clerico Barri- 
nensis dyocesis, Francisco Paulucii, clerico Parisiensi, Petro 
Surintre, clerico Trajectensi et Salvato Belli Petri Blanchi, curie 
Romane testibus, ad premissa vocatis specialiter et rogatis. Illud 
eciam instrumentum scripserunt Barontus Philippi de Pistorio, 
litterarum appostolicarum scriptor et abreviator publicus, ap- 
postolica auctoritate notarius, Stephanus Gorii Boni de Prato, 
dicti collegii clericus, appostolica et imperiali auctoritate nota- 
rius publicus, et sic successive quatuor alii pretensi notarii 
eciam subscripserunt. Cardinales eciam Romani, qui tredecim 
numero existebant, videlicet Angelus Ostiensis, Florentinus, 
Henricus Tusculanensis, Neapolitanus, et Antonius Penestri- 
nus, Aquilegiensis episcopi, Angelus tituli Sancte Potenciane, 
Laudensis, Conrardus tituli Sancti Grisogoni, Militensis, An- 
gelus tituli Sancti Marci, Constantinopolitanus, Jordanus Sancti 
Martini in Montibus, de Ursinis, Johannes tituli Sancte Crucis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 495 


Telles furent les décisions prises dans ladite chapelle; en présence 
des vénérables et illustres personnages , Francois de Duce, clerc de la 
chambre apostolique , Jacques de Calvis et Pierre de Sacro, chanoines 
de la basilique du prince des apótres de Rome, Jean Locarassello, 
scripteur apostolique, Nicolas Blaise, chanoine de Marina, An- 
tonello Furrata et Jean Carasulo, scripteurs de la sacrée péniten- 
cerie, Laurent Turrimbate, chanoine de Sainte-Marie au-delà du 
Tibre, Nicolas de Lombus, chanoine de Saint-Côme et Saint-Damien 
de Rome, Jean Pirato le jeune, chanoine de Sainte-Croix de Liége, 
André de Chènevières de Sicile, Galerto de Ritasolis de Florence, 
Laysio Domini Gabain, Monulis de Naples, Domicellis prêtre, Paul 
prêtre, Francini de Rome, Materno Georgii, clerc du diocèse de Bari, 
Francois Paulucy, clerc de Paris, Pierre Surintre, clerc de Trajette, et 
Salvato Belli Petri Blanchi, témoins de la cour de Rome, convoqués 
et réunis spécialement à cet effet. Ledit instrument fut également 
signé par Baront Philippe de Pistoia, scripteur apostolique et abré- 
viateur public, notaire apostolique, Étienne Gorii Boni de Prato, 
clerc dudit collége , notaire apostolique et impérial, et quatre autres 
prétendus notaires. Les treize ' cardinaux de la sainte Église romaine, 
dont les noms suivent, y apposérent aussi leur signature, savoir : Ange, 
évêque d'Ostie, cardinal de Florence, Henri, évêque de Frascati , cardi- 
nal de Naples, Antoine, évêque de Palestrine, cardinal d'Aquilée, Ange, 
prétre du titre de Sainte-Potentiane, cardinal de Lodi, Conrad, prétre 
du titre de Saint-Chrysogone, cardinal de Malte, Ange, prétre du 
titre de Saint-Marc, cardinal de Constantinople, Jourdain, prêtre du 
titre de Saint-Martin aux Monts, cardinal des Ursins, Jean, prétre du 
titre de Sainte Croix de Jérusalem, cardinal de Ravenne, Antoine, 
prêtre du titre de Sainte-Praxède, cardinal de Todi, Réginald, diacre 
de Saint-Vit in macello, cardinal de Brancace, Landulfe, diacre de 
Saint-Nicolas à la prison de Tullius, cardinal de Bari, Eudes, diacre 


* Voir ci-dessus la note 2 de la page 489. 


496 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


in Jerusalem, Ravennas et Anthonius tituli Sancte Praxedis, 
Tudertensis presbiteri, Reginaldus Sancti Viti in macello, de 
Brancaciis, Landulfus Sancti Nicholai in carcere Tulliano, Ba- 
rensis, Odo Sancti Georgii ad velum aureum, de Columpna, 
Petrus Sancti Angeli et Johannes Sanctorum Cosme et Damiani, 
Leodienses vulgariter nuncupata, Romane Ecclesie dyaconi car- 
dinales, in predicto instrumento se similiter subscripserunt. 

Quibus sic rite peractis, et ad electionem procedentes, An- 
gelum dictum Corrarium, episcopum Ostiensem, cardinalem, 
ultima die novembris, in papam elegerunt et Gregorium duode- 
cimum vocaverunt. Qui eciam ipsa die et secunda creacionis 
sue, in presencia suorum cardinalium et notariorum testium- 
que suprascriptorum, infra conclave ratificavit, confirmavit et 
approbavit ac de novo vovit, promisit et juravit tenere, ser- 
vare et prosequi effectualiter omnia et singula que in instru- 
mento illo continebantur. Quicquic fuerat proloqutum in in- 
strumento redactum, votis et sacramentis vallatum, domino 
pape Benedicto et ejus cardinalibus per instrumenta publica 
studuit intimare. Quod ubi Parisius et alibi per regnum divul- 
gatum est, viros ecclesiasticos precipue ad regraciandum Deo 
cum laudibus et pulsacione campanarum incitavit. Et ubique 
nobiles et ignobiles vulgusque promiscuum exuberanti leticia 
sunt repleti, sic indubie sperantes Ecclesiam arram perpetue 
pacis jam tenere. Fuerunt tamen nonnulli circumspecti et emi- 
nentis sciencie viri, qui, Romanos obstinacionem mentis depo- 
suisse impossibile reputantes, quidquid vulgalis oppinio refe- 
rebat diu calumpniati sunt tanquam inopinatum et frivolum, 
donec inchoatum processum ulterius prosequi ipsum Grego- 
rium cognoverunt per bullas transmissas domino pape Bene- 
dicto hanc formam continentes. 





CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 497 


de Saint-Georges au voile d’or, cardinal de Colonne, Pierre, diacre 
de Saint-Ange, et Jean, diacre de Saint-Cóme et Saint-Damien, vul- 
gairement dits les cardinaux de Liége. - 


Après quoi, ils procédérent à l'élection et choisirent pour souverain 
pontife, le 30 novembre, le cardinal Ange Corrario, évêque d'Ostie, 
qui prit le nom de Grégoire XIl'. Le jour méme de son élection et le 
lendemain, le pape ratifia, confirma et approuva dans le conclave, en 
présence de ses cardinaux ainsi que des notaires et des témoins susdits, 
toutes et chacune des choses qui étaient contenues dans ledit instru- 
ment ; il fit vœu, promit et jura de nouveau de les garder, observer 
et accomplir de point en point. 1l notifia ensuite par des actes authen- 
tiques à monseigneur le pape Benoit et à ses cardinaux tout ce qui 
avait été décidé, rédigé par écrit et confirmé par serments solennels. 
Dés que cette nouvelle fut connue à Paris et dans le reste du royaume, 
le clergé s'empressa de rendre grâce à Dieu et de chanter des Te Deum 
au son des cloches. Les autres habitants, seigneurs, bourgeois et menu 
peuple, furent transportés de joie, espérant déjà voir la paix rétablie 
dans le sein de l'Église. Cependant quelques personnages de savoir et 
d'expérience refusérent de croire que les Romains eussent abjuré leur 
obstination, et persistérent à regarder comme faux et frivoles les 
bruits que la multitude accueillait si légérement, jusqu'au moment 
où ils apprirent d'une manière certaine les intentions de Grégoire 
par la bulle qu'il adressa à monseigneur le pape Benoît, et qui était 
concue en ces termes. 


' Ange Corrario p'était point évêque d'Ostie, mais prêtre du titre de Saint-Marc et 
cardinal de Constantinople. 


III, | 53 


498 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


CAPITULUM XX. 


Bulla Gregorii directa ad dominum papam Benedictum. 


« Gregorius episcopus, servus servorum Dei, Petro de Luna, 
quem nonnulle gentes in hoc miserabili scismate Benedictum 
duodecimum appellant, pacis et unionis affectum. 

« Qui se humiliat, inquit veritas , exaltabitur, et qui se exaltat 
humiliabitur. Cujus saluberrimam monicionem, quanto nobis 
ex alto permititur, obedienter sequti, decrevimus per litteras 
nostras contencione seposita benigne te affari et ad reintegra- 
cionem Ecclesie exhortari, ymo te invitari ad consilium capes- 
sendum quod nos ipsi pro pace christianorum accepimus. Vides 
quanta mala, quanta pericula, quanta incommoda , quanta deni- 
que christiane religionis infamia jam per triginta annos ex hac 
pestilenti ac nepharia sedicione in populo Dei pervenerunt, 
quanta, uisi provideatur, sint cotidie proventura. Horum om- 
nium malorum qui causa ab inicio fuerit certum videtur quibus 
rigor justicie non cessit nec forsitan equitas persuasit. Nilomi- 
nus tamen graves molestias christianorum religionem perpes- 
sam non dubitatur. Si ergo nunc quoque eodem modo fiat, du- 
bius est remedii locus, quominus Ecclesia in solitis remaneat 
angustiis, in qua re tu de ipso et consciencia tua videris. Nos 
mentem nostram atque intencionem apertissime profitebimur. 

« Non est consilii nostri tempus aliquo modo terere; sed, 
quo validiora , cerciora et firmiora sunt jura nostra, tanto lau- 
dabilius duximus ea pro pace et reintegracione christianorum 
relinquere. Non enim semper de summo jure disputandum est; 
sepe rigor ipse utilitati et tempori cedit. Nam si mulier illa et 
Juri suo renunciare et proprio filio spoliare se voluit ne sec- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 499 


CHAPITRE XX. 


Bulle adressée par Grégoire à monseigneur le pape Benoit. 


« Grégoire évéque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Pierre de 
Luna, que dans ce déplorable schisme certaines gens appellent Be- 
nott XII, amour de la paix et de l'union. 


« Celui qui s'abaisse, dit la vérité, sera élevé , et celui qui s'éléve 
sera abaissé. Voulant nous conformer à ce salutaire avis, en tant qu'il 
nous vient d'en haut, et mettant de cóté tout esprit de dispute, nous 
avons résolu de vous faire entendre des paroles de conciliation, de vous 
exhorter à rétablir l'union de l'Église et de vous inviter instamment 
à prendre la méme résolution que nous dans l'intérét de la paix. 
Vous voyez tous les malheurs, dangers, inconvénients et scandales 
que depuis trente ans cet exécrable fléau du schisme a occasionnés 
parmi le peuple de Dieu, et tous ceux qu'il doit occasionner encore 
chaque jour, si l'on n'y porte remède. On ne saurait déterminer la 
cause premiére de tant de maux sans s'exposer à sortir des voies de la 
justice et de l'équité. Toutefois personne ne doute que la religion 
chrétienne n'ait été soumise à de rudes épreuves. Si donc on persiste 
à agir de la méme facon, il est à craindre qu'on ne puisse sauver 
l'Église de la situation cruelle où elle se trouve. C'est à vous de voir 
ce que vous avez à faire et d'interroger votre conscience. Pour nous, 
nous déclarerons ouvertement notre dessein et notre intention. 


« ll n'est point dans notre pensée de chercher à gagner du temps; 
plus nos droits sont fondés, sürs et incontestables, plus nous avons 
cru qu'il serait louable de les sacrifier à la paix et à l'union des chré- 
tiens. ll ne faut pas toujours se renfermer dans la rigueur du droit; 
on doit souvent la faire fléchir devant l'intérét public et les circon- 
stances. Si la véritable mére aima mieux renoncer à ses droits et se 
priver de son fils que de le voir coupé en deux, à plus forte raison 


500 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


tionem unius pueri videret, quanto magis nos, si malicia co- 
operante ad optatam unionem venire non possumus, per justicie 
vias pie cedendum videtur. Quare exurgamus ambo, in unum 
unionis affectum concurramus ac feramus salutem Ecclesie jam 
hoc diuturno morbo afflicte. Ad hoc te hortamur, ad hoc te 
invitamus , paratique sumus et offerimus nostro verissimo juri 
et papatui cedere et renunciare, et efficaciter faciemus, si et 
quando tu renunciabis et cedes pretensis juri et papatui tuo vel 
decedes , vel quicunque successor tuus renunciabit et cedet pre- 
tensis juri et papatui suo vel decedet, dummodo illi qui apud 
partem tuam pro cardinalibus se gerunt sic convenire et con- 
cordare cum venerabilibus fratribus nostris sancte romane 
Ecclesie cardinalibus velint cum effectu, ut exinde canonica 
unici Romani pontificis sequatur electio. 

« Itaque, ut predicta expediciorem consequantur effectum, 
celeriter mittemus oratores nostros, qui tecum de loco habili 
et decenti ad hujus rei confectionem disponent, et insuper pen- 
dente hujusmodi unionis tractatu non faciemus neque creabi- 
mus aliquem cardinalem, nisi forte causa coequandi numerum 
fratrum nostrorum cum numero aliorum qui apud te pro car- 
dinalibus se gerunt, ut sic pares ex utraque parte ad sollem- 
nem et canonicar electionem unici Romani pontificis devenire 
possint. Hunc autem coequacionis numerum casum nullum, ut 
dictum est, creare decrevimus, nisi ex defectu tuo vel partis 
tue steterit quominus.unionis prefate conclusio infra annum 
et tres menses a die intronisacionis nostre computandos fuerit 
subsequta. Hoc tamen quod non de creandis cardinalibus trac- 
tatu hujusmodi pendente diximus, ita locum habere intendimus, 
si tu quoque idem observabis. Hanc vero oblacionem et insi- 
nuacionem de cardinalibus ac superiorem oblacionem renun- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 501 


devons-nous céder pieusement par les voies de justice, puisque de 
mauvaises passions nous empêchent de rétablir l'union tant souhaitée. 
Mettons-nous donc tous deux à l'oeuvre, travaillons de concert à 
l'union, et délivrons l'Église du mal qui l'aflige depuis si long- 
temps. Nous vous y exhortons, et vous y invitons; nous offrons de 
céder et d'abandonner nos droits légitimes et notre papauté; nous 
sommes tout prét à le faire et le ferons réellement, si vous cédez et 
abandonnez en méme temps vos prétendus droits et votre papauté, 
ou que vous veniez à mourir, ou encore si l'un de vos successeurs 
cède et abandonne ses prétendus droits et sa papauté, ou qu'il vienne 
à mourir, pourvu toutefois que les prétendus cardinaux de votre 
parti consentent à se réunir et à s'entendre avec nos vénérables fréres 
les cardinaux de la sainte Église romaine, pour procéder à l'élection 
canonique d'un seul pontife romain. 


« Afin de hâter l'accomplissement de toutes ces choses, nous vous 
enverrons sous peu nos ambassadeurs, qui régleront avec vous le 
choix d'un lieu convenable et propre à une conférence, et pendant 
les négociations relatives à l'union, nous ne créerons et ne nomme- 
rons aucun cardinal, si ce n'est pour que le nombre de nos fréres soit 
égal à celui de vos anticardinaux, et que les deux parties puissent pro- 
céder à l'élection solennelle et canonique d'un seul pontife romain. 
Mais nous avons décidé que, hors ce cas, nous ne créerions, comme 
il est dit, aucun cardinal, à moins qu'il n'arrivát par votre fait ou 
par le fait de vos partisans, que le rétablissement de ladite union 
n'eût pas lieu dans un an et trois mois à partir du jour de notre in- 
tronisation. Toutefois il est bien entendu que l'engagement que nous 
prenons de ne point créer de cardinaux pendant les négociations, 
n'aura d'effet qu'autant que vous y souscrirez vous-méme. Pour plus 
de garantie, nous avons fait voeu, juré et promis avec chacun de 
nosdits fréres, avant notre élection, de réaliser de point en point les 
offres et les propositions par nous faites au sujet des cardinaux et des 
renonciations , au cas où l'un de nous serait élevé au saint-siége 


502 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


ciacionum modo predicto , ut sanctiori vinculo fierent, juravi- 
mus, vovimus et promisimus ante electionem nostram eodem 
vinculo efficaciter implendas cum singulis fratribus nostris 
antedictis , in casu quo aliquis nostrum ad apicem summi apos- 
tolatus esset assumptus , post istam assumpcionem id ipsum ad 
firmiorem constanciam de novo jurantes, voventes et promit- 
tentes atque ratificantes. De hoc autem quod. bulla sine impres- 
sione nostri nominis est appensa presentibus nullus debeat 
admirari; nam ante nostre coronacionis sollemnia usus prefate 
bulle cum hujusmodi impressione nominis non habetur. — Da- 
tum Rome apud Sanctum Petrum, tredecima die ab assump- 
cione nostra, duodecima kalendas decembris, anno a Nativi- 
tate Domini millesimo quadringentesimo et sexto. » 

Tam salubri tamque mitti oblacione sic se famosum reddidit, 
ut ubique longe lateque per regnum Francie omnes, ipsum me- 
ritis laudum preconiis attollentes, eumdem summi appostolici 
culminis dignum reputarent, si dominus Benedictus sic se sub- 
mittere recusaret et in favorem Ecclesie suo statui resignare. 
Jam jamque per decennium cum clero tocius regni insigne car- 
dinalium collegium necnon et de prosapia regali dirivati id 
sibi reiteratis vicibus in vanum persuasisse dolebant. Unde 
multi circumspecti et scientifici viri induracionem ments ejus 
perpetuam judicabant, donec obstinacionem exuisse cooperante 
gracia Spiritus almi, qui in quibus vult spirat et ubicunque sibi 
placet, compererunt. Nuncium quoque Gregorii amicabiliter 
excepit mense januario, perlectisque ejus litteris in plano con- 
sistorio, mense sequenti mittens sibi alias responsales, quicquid 
ipse pecierat spopondit se voluntarie et affectuose impleturum 
in hec verba. 








CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 903 


apostolique, et aprés notre exaltation nous avons renouvelé et ratifié 
ce serment, ce vœu, cette promesse. Quant à ce que le sceau a été 
apposé aux présentes sans notre signature , on ne doit pas s'en éton- 
ner; car il ne nous est pas permis de nous servir dudit sceau avec 
notre signature avant la solennité de notre couronnement. — Donné 
à Saint-Pierre de Rome, le treiziéme jour de notre pontificat, le 12 
des calendes de décembre , l'an de la Nativité du Seigneur mil quatre 
cent six. » 


Cette offre si sage et si conciliante fit à Grégoire une telle réputa- 
tion , que dans tout le royaume de France on répétait son éloge; on 
disait que c'était à lui qu'il fallait déférer le souverain pontificat, si 
monseigneur Benoit refusait de souscrire à ces propositions et de ré- 
signer sa dignité dans l'intérét de l'Église. Déjà méme l’illustre col- 
lége des cardinaux, les princes du sang ainsi. que tout le clergé du 
royaume commencaient à se reprocher d'avoir depuis dix ans vaine- 
ment insisté auprès de monseigneur Benoît pour qu'il y consentit , et 
les gens de savoir et d'expérience n'espéraient plus qu'on pát vaincre 
son obstination, lorsqu'on apprit qu'il était revenu à d'autres senti- 
ments par la grâce du Saint-Esprit, qui souffle où il veut et où il lui 
plaît. Il recut méme, au mois de janvier, l'envoyé de Grégoire avec 
les plus grands égards, lut sa lettre en plein consistoire, et lui adressa 
le mois suivant une réponse, dans laquelle il promettait d'accomplir 
volontiers et avec empressement tout ce qui lui était demandé. Cette 
réponse était oonçue en ces termes. 


504  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


CAPITULUM XXI. 


De responsione domini Benedicti facta Gregorio. 


« Benedictus episcopus , servus servorum Dei, Angelo dicto 
Corrario, quem nonnulli sibi in hoc periculoso scismate adhe- 
rentes Gregorium nominant, pacis et vere unionis affectum 
pariter et effectum. 

.. « Per quemdam conversum ordinis fratrum predicatorum 
tuas die decima quinta hujus mensis januarii recepimus litteras, 
nonnulla parte concepta circa tractatum unionis Ecclesie sancte 
Dei, frequenti actenus per nos repeticione temptatum, et ad 
optatum finem peccatis exigentibus non deductum, summarie 
continentes. Quarum tenore prospecto , illi gracias agimus , qui 
sua ineffabili clemencia, quando venit temporis plenitudo, 
nostre humanitatis inidumento contectus in sue Nativitatis exor- 
dio diversos in se parietes copulare jam cepit, et nunc virum 
nobis, a nostre promocionis ad apicem summi apostolatus inicio 
pacem et unionem totis desideriis querentibus , talem invenire 
concessit, qui nobiscum, ut tue protestantur, in hoc salutari 
proposito , Deo, ut prestolamur, accepto, saluti animarum acco- 
modo, mundo necessario, utili et votivo nostris affectibus, sin- 
cera, sicut optavimus et optamus, intencione concurrat. 

« Multo et enim hactenus, sicut te nosse non ambigimus, apud 
duos predecessores tuos immediatos in statu quem assumpsisti 
per nos et nostros labore sudatum est, ut tam exciciale malum 
de medio christianitatis evulsum radicitus a militantis Ecclesie 
finibus pelleretur. Non enim sunt nobis incognita dampna, 
proc dolor, christiani populi, que jam dudum excecranda hec 
discencio protulit. Horum autem malorum qui causam dederunt 


D 
CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 505 


CHAPITRE XXI. 


Réponse de monseigneur Benoit à Grégoire. 


« Benoit évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Ange Corrario, 
que dans ce schisme funeste ses adhérents nomment Grégoire, amour 
de la paix et rétablissement de la véritable union. 


« Nous avons recu, le 15 du présent mois de janvier, par un frère 
convers de l'ordre des précheurs, votre lettre contenant sommaire- 
ment vos intentions au sujet du traité d'union de la sainte Église de 
Dieu, que nous avons à plusieurs reprises essayé de conclure, et que 
nos péchés ne nous ont pas encore permis de mener à bonne fin. 
Nous rendons gráce à celui qui, lorsque les temps ont été accomplis, : 
a daigné dans son ineffable clémence revétir l'enveloppe mortelle de 
l'humanité, qui a réuni autour de son berceau les peuples les plus 
divers, et qui nous a donné de rencontrer en vous un homme si bien 
disposé, comme votre lettre l'atteste, à travailler avec nous au réta- 
blissement de la paix et de l'union que nous avons tant à coeur depuis 
le moment de notre exaltation, et à nous seconder sincérement, ainsi 
que nous l'avons désiré et que nous le désirons, dans cette œuvre sa- 
lutaire, agréable à Dieu, profitable au salut des âmes, nécessaire et 
utile au monde, et conforme à nos voeux les plus chers. 


« Jusqu'à ce jour, vous le savez , nous avons fait, nous et les nótres, 
les démarches les plus pressantes auprés de vos deux prédécesseurs 
immédiats pour extirper un fléau si redoutable jusque dans ses plus 
profondes racines , et l'arracher du sein de l'Église militante. Car nous 
n'ignorons pas les souffrances cruelles que cet exécrable schisme a 
depuis long-temps accumulées sur le peuple chrétien, et dont les 
auteurs, qui sont en méme temps les propagateurs du schisme, et 
qui en ont favorisé les progrès, au mépris de la justice et au détri- 

HT. 64 


8 
506 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


ab inicio, qui scisma prorogaverunt, et continuis successibus, 
neglecta justicia et veritate suppressa, foverunt, certum vide- 
tur his presertim qui rei geste veritatem noverunt et qui pro- 
cessum in negocio de quo agitur equo libramine ponderarunt. 
Sed, quod referimus displicenter, hiis nostris laboribus in 
cassum malicia operante deductis, a tuis predecessoribus ante- 
dictis, quibus vias justicie et alias racionabiles aperiri fecimus 
et aperiendas recipere et prosequi obtulimus nos paratos, nec 
responsum congruum reportavimus nec verbum aliquod effec- 
tivum. O te felicem, si ad hec te Dominus reservavit , si , facul- 
tatem ad ea que tibi data videtur cum omni diligencia effica- 
citer prosequens, nobis in affectu prosequende unionis te 
reddendo conformem, prout spopondisti, de contingentibus 
nil omitas! Ad hoc enim te piis exhortacionibus invitamus, ad 
hoc nos promptos reperies; hoc videre summopere cupimus, 
ad hoc nostra pro semper aspiravit et aspirat intencio, noster 
attendit et intendit affectus, ut Deo dirigente, qui novit et 
prestare qui potest, per nostre humilitatis ministerium unio 
. in Dei Ecclesia desiderata sequatur. 

« Sed non permittit nos dissimulare silencio, ymo in stu- 
porem vehementis admiracionis adducit, quod tua scriptura 
interprete videris innuere quod per justicie vias ad optatam 
unionem pervenire non potes, ut nobis quodammodo videatur 
impingi quod vie discussionis veritatis et justicie per nos recu- 
sate fuerint vél in aliquo impedite. Absit hoc a nobis! Nam 
teste Deo nunquam in hac materia viam justicie ac discucionis 
veritatis recusavimus aut impedivimus, ymo, ut verum profi- 
teamur, eam obtulimus, optavimus et optamus, et erga dictos 
predecessores tuos, te teste, qui, ut percepimus, aliquando in- 
terfuisti, et erga alios, quos negocium tangebat, cum debita 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 507 


ment de la vérité, sont bien connus de quiconque a examiné à fond 
la vérité des faits et en a pesé avec équité les diverses circonstances. 
Mais, nous le disons avec douleur, les intrigues des méchants ont 
fait échouer tous nos efforts, et nous n'avons pas méme obtenu de 
réponse de vosdits prédécesseurs, à qui nous avions fait proposer des 
voies de justice et d'autres voies raisonnables, en leur annonçant 
que nous étions prét à recevoir et à exécuter celles qui nous seraient 
proposées. Combien vous étes heureux, si le Seigneur vous a réservé 
pour cette noble tâche, si vous usez réellement avec tout l'empres- 
sement possible du pouvoir qui vous a été donné, et que vous ne né- 
gligiez rien pour seconder, comme vous l'avez promis, notre ardent 
désir de rétablir l'union! Nous vous y exhortons affectueusement, 
et vous nous, trouverez toujours disposé à vous assister; c'est notre 
vœu le plus cher, c'est le but auquel nous avons toujours aspiré et 
aspirons encore, vers lequel sont dirigées toutes nos pensées. Ainsi 
l'union tant désirée sera enfin rétablie dans la sainte Église par le 
ministère de notre humilité, avec l'aide de Dieu, qui sait et qui 
peut tout. 


« Cependant il ne nous est pas permis de dissimuler l'étonnement 
que nous a causé l'insinuation qui parait contenue dans votre lettre, 
lorsque vous dites que vous ne pouvez parvenir au rétablissement de 
l'union par les voies de justice; il semblerait qu'on dût en quelque 
sorte nous accuser d'avoir refusé ou entravé d'une maniére quel- 
conque les voies de discussion de la vérité et de justice. Loin de nous 
une pareille intention! Jamais, Dieu nous en est témoin, nous n'avons 
refusé ou entravé dans cette matière la voie de justice et de discussion 
de la vérité. Au contraire, nous pouvons dire hautement que nous 
l'avons proposée et désirée, que nous la désirons encore, et que 
nous en avons requis et poursuivi l'exécution avec sollicitude auprés 
de vosdits prédécesseurs, vous en avez été plus d'une fois témoin, et 


508 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


sollicitudine quesivimus et prosequti fuimus; nec per nos um- 
quam stetit, stat aut stabit quominus justicia et veritas hujus 
rei, quantum ad nos pertinet, videatur et agnoscatur, sicut 
satis ex oblatis per nos tuis predecessoribus antefatis potest 
liquide apparere, cum de jure nostro per facti scienciam et 
juris evidenciam simus certi. 

« Ut igitur de intencione nostra, quam habuimus et habe- 
mus, circa hujus deflendi scismatis extirpacionem et unionis 
assequcionem te cerciorem reddamus, tibi tenore presencium 
significamus et offerimus quod, ut tam peroptatum unionis 
negocium celerius et securius valeat exequcioni mandari, pa- 
rati sumus una cum collegio venerabilium fratrum nostrorum 
sancte romane Ecclesie cardinalium in loco securo, decenti et 
ydoneo tecum et cum quocunque successore tuo ac pretenso 
collegio tuo vel tui successoris, aut te vel dicto successore tuo 
decedentibus, cum predictis, qui aput partem tuam pro car- 
dinalibus se gerunt vel gerent, personaliter convenire pro 
unione Ecclesie tractanda et favente Domino optinenda. Ibique 
proviso et ordinato de hiis, que pro celeritate et securitate 
unionis predicte erunt opportuna ac necessaria disponenda, 
parati sumus pro pace et salute animarum ac unione et reinte- 
gracione christianorum in dicta convencione personaliter nos- 
tro verissimo juri et papatui pure, libere et simpliciter cedere 
et renunciare; et efficaciter faciemus , si tu ibidem consimiliter 
renunciabis et recedes pretensis juri tuo et papatui, vel decedes, 
vel quicunque successor tuus consimiliter renunciabit et cedet 
pretensis juri suo et papatui, vel decedet, dummodo tu vel qui- 
cunque successor et illi qui aput partem tuam pro cardinalibus 
se gerunt aut gerent, sic ut prefertur, volueritis et voluerint 
cum effectu convenire et concordare nobiscum et cum predictis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 509 


auprès de tous ceux qui y étaient intéressés. Il n'a jamais tenu et il 
ne tiendra jamais à nous que la justice et la vérité, du moins en ce 
qui nous concerne, ne soient proclamées et reconnues, comme le 
prouvent assez clairement les offres faites par nous à vosdits prédéces- 
seurs; car en droit et en fait nous sommes sür de nos droits. 


« Afin donc que vous soyez bien certain de nos intentions passées et 
présentes touchant l'extirpation de ce déplorable schisme et le réta- 
blissement de l'union, nous vous faisons savoir et vous annoncons par 
la teneur des présentes que, pour háter et assurer l'accomplissement 
de l'union tant désirée, nous sommes préts, nous et le collége de 
nos vénérables fréres les cardinaux de la sainte Église romaine, à 
nous aboucher personnellement en un lieu sür, convenable et propre 
à une conférence, soit avec vous ou votre successeur, quel qu'il soit, 
et votre prétendu collége ou le collége de votre successeur, soit, en 
cas que vous ou votredit successeur veniez à mourir, avec lesdits pré- 
tendus cardinaux qui sont ou qui seront dans votre parti, pour traiter 
de l'union de l'Église, et pour arriver, Dieu aidant, à la rétablir. 
Áprés avoir pris toutes les mesures et dispositions convenables et né- 
cessaires pour le prompt rétablissement et pour le maintien de ladite 
union , nous céderons et résignerons purement, librement et simple- 
ment , dans ladite conférence , nos droits véritables et notre papauté, 
en vue de la paix, du salut des âmes, de l'union et de la pacification 
de la chrétienté. Mais nous ne le ferons que si vous résignez et cédez 
aussi de votre cóté vos prétendus droits et votre papauté, ou que 
vous veniez à mourir, ou bien si votre successeur, quel qu'il soit, 
résigne et céde de son cóté ses prétendus droits et sa papauté, ou qu'il 
vienne à mourir, pourvu toutefois que vous, ou ce successeur quel- 
conque et les prétendus cardinaux qui sont ou qui seront dans votre 
parti, consentiez, ainsi qu'il a été dit, à vous entendre et vous accor- 
der réellement avec nous et avec nosdits vénérables fréres pour procé- 
der à l'élection canonique d'un seul pontife romain et à l'union de la 
sainte Église de Dieu. Quant aux ambassadeurs , que vous avez , dites- 


510 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


venerabilibus fratribus nostris, quod exinde canonica unici 
romani pontificis sequatur electio et unio Ecclesie sancte Dei. 
Oratores autem tuos, quos, ut asseris, intendis ad nostram pre- 
senciam celeriter destinare, libenter videbimus, benigne audie- 
mus et caritative tractabimus , eisque jam salvum conductum 
per dictum conversum destinamus. Quod eciam de abstinendo 
a creacione cardinalium nisi in certis casibus intimasti, volu- 
mus et intendimus observare. 

« Festina itaque, tolle moras, concurre nobiscum, et, consi- 
derans humani temporis brevitatem, tantum bonum non ultra 
differendo procrastines, sed celeriter viam salutis et pacis am- 
plectere, ut tandem in extremo judicio cum numerosa multitu- 
dine eorum qui nos in hac quam prestolamur unione sequen- 
tur, quam ad illius ovile prestante Domino reducemus, ipse 
pastor bonus, qui pro suis ovibus animam suam posuit, vos, ut 
de ejus misericordia speramus, in dilecta sua tabernacula in- 
troducat. Amen! — Datum Massilie aput Sanctum Victorem, 
pridie kalendas februarii , pontificatus nostri anno tredecimo. » 


CAPITULUM XXII. 


Ad ambos qui pro summis pontificibus se gerebant regis et Ecclesie gallicane 
sollempnes nuncii destinantur. 


Copiam tam sancte responsionis rex, duces et obtimates 
Francie cum exuberanti leticia receperunt, dicentes mutuo: 
« Ut credimus, Christus Deus noster suorum fidelium misereri 
« vult, utque arbitramur, finem malis ponere, que jam vidimus 
« quinque lustrorum spacio, vultque Ecclesie sue nephandissi- 
« mum scisma et forsan propter culpas hominum tamdiu in- 
« duratum penitus extirpare. » Sed de Universitate Parisiensi 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 511 


vous , l'intention de députer prochainement vers nous, nous les ver- 
rons avec plaisir, nous les écouterons avec faveur, nous les traiterons 
avec charité, et nous leur adressons dés à présent un sauf-conduit 
par ledit frére convers. Nous voulons aussi et entendons nous abstenir, 
comme vous nous le proposez, de créer des cardinaux excepté dans 
certains cas. 


: « Hátez-vous donc; prétez-nous sans délai votre concours. Songez 
à la brièveté de la vie et ne différez pas plus long-temps un si grand 
bien. Entrez sur-le-champ dans la voie du salut et de la paix, afin 
qu'au jour du jugement dernier le bon pasteur, qui a donné sa vie 
pour ses brebis, vous introduise, comme nous l'espérons de sa misé- 
ricorde, dans le séjour des bienheureux avec tous ceux qui travaille- 
ront comme nous au rétablissement de cette union tant souhaitée, et 
que, Dieu aidant, nous raménerons au bercail. Ainsi soit-il! — 
Donné à Saint-Victor-lez-Marseille, la veille des calendes de février, 
]a treiziéme année de noire pontificat. » 


CHAPITRE XXII. 


Une ambassade solennelle est envoyée par le roi et par l'Église gallicane aux deux 
prétendus papes. 


Le roi, les ducs et les seigneurs de France recurent avec de vifs 
transports de joie la copie d'une si sainte réponse : « Jésus-Christ 
« Notre Seigneur, se disaient-ils, veut sans doute avoir pitié de ses 
« fidèles, et mettre un terme aux maux qui nous aflligent depuis 
« vingt- cinq ans. Il veut extirper du sein de son Église l'exécrable 
« schisme, dont les péchés des hommes ont peut-être prolongé la 
« durée. » Mais il y eut dans l'Université de Paris certaines gens mal- 
intentionnés, qui, n'écoutant vraisemblablement que leur vieille 


512 .CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


non defuerunt aliqui calumpniosi interpretes, qui , ut creditur, 
inveterato rancore stimulante, hanc reprobandam dixerunt ut 
obscuram, condicionibus vallatam et viam discussionis ante- 
ferentem cessioni, publice concludentes quod hec verborum 
obscura involucio ex astucia et non sincera intencione proce- 
debat. Importunis sane clamoribus more suo et argumentosis 
disceptacionibus id irracionabile accessorium proposuissent 
principali, omnia agredienda perturbando, nisi majestas regia 
obstitisset, statuens per consilium ut cum modesta delibera- 
cione viri eligerentur circumspecti et in sciencia clari, qui 
voluntatem amborum contendencium cercius investigantes 
enucleacius referrent. Statutum est eciam ut eundo et redeundo 
honorem regni servarent, et, ut sumptus sufficientes suppete- 
rent, medietas decime isto anno super ecclesiis regni levaretur, 
ex qua racionabiliter distributa episcopi decem scuta auri, 
abbates sex , doctores tria pro cotidianis expensis reciperent. 
Legacionem vero peragendam susceperunt merito nomi- 
nandi dominus Alexandrinus patriarcha, Turonensis archiepi- 
scopus, Belvacensis, Meldensis, Camaracensis, Trecensis et 
Ebroycensis episcopi; quibus adjuncti sunt Sancti Dyonisii in 
Francia, montis Sancti Michaelis, Gemetacensis , Clarevallis et 
Sancti Stefani de Divione abbates, qui aliis auctoritate precel- 
lebant. Ordinis eciam militaris vie comites individui juncti sunt 
Heremita de Faya, Belli Quadri senescallus, et Nicholaus de 
Callevilla, regis cambellani, cum multis aliis notabilibus per- 
sonis. In theologia, jure canonico et civili, nec non in medi- 
cina et in artibus graduati, inter quos Guillelmus Borrescarii , 
utriusque juris professor et hospicii regii requestarum magis- 
ter, Egidius de Campis, regis elemosinarius , Hugo le Rennoyse, 
decanus Rothomagensis, Dominicus Parvi, Johannes Brevis 


[RS 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 513 
rancune, prétendirent que cette réponse devait étre réprouvée comme 
obscure et conditionnelle, et comme proposant la voie de discussion 
préférablement à celle de cession, et qui déclarérent hautement que tout 
cet amas de paroles équivoques attestait la duplicité et la mauvaise 
foi. Cette cabale serait parvenue, à force de clameurs, à faire passer 
l'accessoire avant le principal, et aurait ainsi tout bouleversé , si le 
roi ne s'y était opposé, et n'avait décidé, d'aprés l'avis de son conseil, 
que certains personnages de savoir et d'expérience, choisis avec dis- 
cernement, seraient chargés d'aller s'enquérir des intentions des deux 
prétendants, et les feraient connaitre par un rapport fidèle. 1l fut aussi 
réglé qu'on pourvoirait aux frais de leur voyage d'une maniére con- 
forme à l'honneur du royaume, que pour y subvenir on léverait cette 
année la moitié de la dime sur les églises de France, et que cet argent 
serait équitablement réparti entre les envoyés, de telle sorte que les 
évêques eussent dix écus d'or pour leurs dépenses journalières, les 
abbés six et les docteurs trois. 


Les principaux ambassadeurs furent monseigneur le patriarche 
d'Alexandrie, l'archevéque de Tours, les évêques de Beauvais, de 
Meaux, de Cambrai, de Troyes et d'Évreux. On leur adjoignit les ab- 
bés de Saint-Denys en France, du mont Saint-Michel , de Jumiéges, 
de Clairvaux et de Saint-Étienne de Dijon, qui étaient les plus considé- 
rables du royaume, les illustres chevaliers messire l'Hermite de La 
Faye, sénéchal de Beaucaire, et messire Nicolas de Calleville, cham- 
bellans du roi, et beaucoup d'autres notables personnages. Il y avait 
aussi un grand nombre de gradués en théologie , en droit canon, en 
droit civil et en médecine, et de maîtres ès arts, parmi lesquels se trou- 
vaient Guillaume Borresquier, docteur en droit civil et en droit ca- 
non, et maitre des requétes de l'hótel du roi, Gilles des Champs, 
aumónier du roi, Hugues Le Rennoyse, doyen de Rouen, Dominique 
Petit, Jean Courtecuisse, Jean Gerson, Pierre Plaon et Jean Petit, 
savants professeurs de théologie et renommés pour leur éloquence. 
On remarquait encore, parmi les ambassadeurs du roi et de l'Église 

n. 65 


514  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


Coxe, Johannes Jarson, Petrus Plan, Johannes Parvi, in sacra 
pagina excellentissimi professores et eloquencia clari, eciam 
habebantur. Cum Guillelmo eciam Fillastre, eadem auctoritate 
scilicet regis et Ecclesie gallicane functi, interfuerunt eciam 
Gaufridus de Pompador, Radulfus de Refugio, utriusque juris 
professores , Johannes Ginoti, Robertus de Quesneyo, doctores 
in decretis, Johannes Wignon, Henricus Dogny, in medicina 
magistri, Petrus Cauchon , Eustachius de Faucemberch, licen- 
ciati in jure canonico, Guillelmus Pulchri Nepotis, Arnoldus 
Witwich , Jacobus de Noviano, in theologia bachalarii formati, 
Johannes Bulrilleti, licenciatus in decretis, et Johannes de 
Rivello, domini ducis Aquitanie secretarius principalis. 

Et hiis prefatis nunciis sub regio sigillo die tredecima marcii 
instructiones et mandata servanda et exequanda data sunt, 
continencia qualiter commissum negocium inchoare, mediare 
debebant et terminare; et hec in substancia continebant que 
sequuntur : 

« Et primo, regraciando domino Benedicto quod ob pacem 
Ecclesie promiserat renunciare juri suo, assererent regem re- 
commendatum semper habere et habuisse statum suum, ad- 
dentes et supplicantes quod, sicut adversarius suus clare et 
cvidenter procedebat ad viam cessionis, sic et super dare litte- 
ras appostolicas sine condicione vel ambiguitate vellet ; 

« Item et quod, si propter difficultatem loci partes simul 
convenire !, sufficientes procuratores mitterent loco sui, et 
utriusque contendentis habilitarent collegia, vel compromit- 
terent in aliquos, qui functi auctoritate omnium possent eli- 
gere; et si contendentes vellent in ipso consilio personaliter 
interesse, quod id cicius fieret laborarent, temptando, si ipsis 


' 1l faut supposer ici l'omission des mots non possent. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 515 


gallicane, Guillaume Fillastre, Geoffroy de Pompadour et Raoul de 
Refuge, docteurs en droit civil et en droit canon, Jean Ginot et 
Robert de Quesney, docteurs en décrets, Jean Wignon et Henri 
Dogny, docteurs en médecine, Pierre Cauchon et Eustache de Fau- 
quemberg, licenciés en droit canon, Guillaume Beauneveu , Arnold 
Witwich et Jacques de Novian, bacheliers en théologie, Jean Bul- 
rillet, licencié en décrets, et Jean de Rivelle, premier secrétaire de 
monseigneur le duc de Guienne. 


On remit, le 43 mars, auxdits ambassadeurs les instructions aux- 
quelles ils devaient se conformer dans l'accomplissement de leur mis- 
sion. Ces instructions, scellées du sceau royal , leur tracaient la con- 
duite qu'ils auraient à suivre pendant tout le cours des négociations. 
En voici la substance : 


« Ils remercieraient d'abord monseigneur Benoit de ce qu'il avait 
promis de renoncer à son droit en faveur de la paix de l’Église, l'assu- 
reraient que le roi lui avait toujours porté et lui portait encore beau- 
coup d'affection, et le prieraient de vouloir bien s'engager explici- 
tement, comme son adversaire, à procéder à la voie de cession, et de 
donner à ce sujet une lettre apostolique sans condition ni ambi- 


guité. 

« Si les parties ne pouvaient s'entendre sur le choix du lieu de la 
conférence ni par conséquent s'aboucher, ils leur demanderaient 
d'envoyer à leur place des procureurs munis de pouvoirs suffisants, 
et d'habiliter les colléges des deux prétendants, ou bien de s'en 
remettre par un compromis à l'arbitrage de certaines personnes 


quifraient l'élection au nom de tous; et si les prétendants vou- 
laient assister en personne à l'assemblée qui aurait lieu, ils tâche- 


516 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


placeret, quod hec fierent in Luca, Florencia, Janua vel in 
Pisa; 

« Iterum quod, audiencia penes dominum Benedictum im- 
petrata, cum eo non nisi per decem dies remanerent a die qua 
ingrederentur Massiliam, et post non nisi per decem dies ex- 
pectarent quid mens sibi suggereret super hiis que tacta sunt; 

« Ulterius et quod penes ipsum pro posse procurarent ut 
anticardinales habilitaret ad procedendum in hoc facto, idque 
prosequerentur de aliis penes ipsum Gregorium, equitatores 
statuentes qui de intencione utriusque contendentis eosdem 
certificarent; 

« Iterum et si Benedictus nollet viam cessionis acceptare, 
cunctis postpositis, nomine regis et Ecclesie gallicane eidem 
significarent quod rex et ipsa Ecclesia penitus recedebant ab 
obediencia sua tanquam a societate hominis scismatici et per- 
tinacis, moxque mitterent ad regem ut inde littere confice- 
rentur; 

« Item et, si ipse vellet tantum verbis et dilacionibus pro- 
crastinare negocium vel recusaret tradere super hoc bullas 
suas, audacter adderent quod rex nolebat quod scisma plus 
duraret, sed attenta bona disposicione Gregorii penes ipsum 
intendebat laborare ad electionem unici pape et pacifici, et 
quod ab eo penitus discedebat; nam super prius tactis deli- 
berare intendebat, eciam si qui essent qui conarentur celare 
vel deffendere pertinaciam ipsius Benedicti; 

« Item et, si indispositum ipsum penitus reperirent ad hanc 
viam , monerent cardinales ut ab ipso recederent et laborarent 
ad unionem habendam; quod si facere recusarent, eos scisma- 
ticos reputantes eis nomine suo intimarent quod beneficiis huc 
usque possessis in regno privarentur; iterum et statueret quod 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 911 


raient d'obtenir que cela se fit le plus tót possible, et que cette assem- 
blée se tint à Lucques, à Florence, à Génes ou à Pise. 


« Après avoir eu audience de monseigneur Benoit, ils ne reste- 
raient pas plus de dix jours avec lui depuis le moment de leur arrivée 
à Marseille, et n'attendraient pas plus de dix jours sa réponse sur les 
points en question. 


« Ils feraient tous leurs efforts pour qu'il habilitát les anticardi- 
naux à procéder en cette affaire, agiraient dans le méme sens auprès 
de Grégoire pour les cardinaux, et enverraient des courriers pour 
avertir chaque collége de l'intention des deux prétendants. 


« Si Benoît refusait absolument d'accepter la voie de cession, ils 
lui signifieraient, au nom du roi et de l’Église gallicane , que le roi et 
ladite Église renoncaient complétement à son obédience et le consi- 
déraient comme un schismatique et un obstiné, et ils en prévien- 
draient le roi pour qu'il fit dresser des lettres à ce sujet. 


« Si Benoit ne cherchait qu'à trainer l'affaire en longueur à l'aide de 
fauxfuyants, et qu'il refusât de leur remettré une réponse par écrit, 
als ajouteraient hardiment que le roi ne voulait point que le schisme 
durát plus long-temps, mais qu'atteudu les bonnes dispositions de 
Grégoire il allait travailler avec lui à l'élection d'un seul et pacifique 
pape, et qu'il se séparait entiérement de Benoit ; car il avait l'inten- 
. tion de délibérer sur les points en question , lors méme qu'il y aurait 
des gens préts à excuser ou à défendre l'obstination dudit Benoit. 


« S'ils le trouvaient tout-à-fait contraire à cette voie, ils invite- 
raient les cardinaux à l'abandonner et à travailler au rétablissement 
de l'union. Si les cardinaux s'y refusaient, ils les considéreraient 
comme schismatiques et leur signifieraient en son nom qu'ils seraient 
privés des bénéfices possédés jusqu'alors par eux dans le royaume, 
. que le roi ordonnerait aux métropolitains et aux diocésains de conférer 


518  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


aliis tanquam vacancia per metropolitanos et dyocesanos con- 
ferrentur; laboraret eciam ut de ceteris regnis aliqui mitte- 
rentur in consilio cum Gregorio celebrando et cum Romanis 
ad habendum unionem per viam cessionis , in quo et tunc pro- 
moveret ut Ecclesia gallicana reduceretur ad antiquas liber- 
tates respectu electionum et collacionum beneficiorum, et ut 
imperium Grecorum rediret ad obedienciam romane Ecclesie; 

« Et si ambo contendentes ante renunciacionem decederent, 
tunc solum procederetur ad electionem unici pontificis pacifici 
et universalis. » 

Ut autem legacio diligencius et sine suspicione ageretur, 
nuncii juraverunt quod nullus ipsorum alicui contendencium 
loqueretur vel scriberet nisi de universorum aliorum consensu, 
et quidquid unus de materia contingenti scire posset ceteris 
revelaret, et quod durante legacione non requirerent nec pro- 
curarent aliqua beneficia, dignitates vel promociones nec pro 
se nec pro aliis, nec talia acceptarent, eciam si sine supplica- 
cione eisdem concederentur. Nunciis iterum illis ad omnia et 
singula supradicta agenda, procuranda et fine debito termi- 
nanda, nec non et ad alia omnia que pro premissis et ad pacem 
et unionem Ecclesie expediencia erant, utilia vel opportuna, 
eciam si alia et majora erant quam superius sunt expressa , et 
mandatum specialius exigerent , rex auctoritate sua et in scrip- 
tis concessit liberam potestatem. | 

Quamvis legati predicti unanimiter censerent dominum 
Benedictum dulciter et suppliciter inclinandum ad observan- 
dum premissa, ex Universitate tamen quidam turbati capitis 
regem et optimates importunis clamoribus pulsaverunt, man- 
datum regium de sibi substracta collacione beneficiorum regni 
postulantes sibi dari et in scriptis, sicut conclusum . fuerat , 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 919 


ces bénéfices à d'autres comme s'ils étaient. vacants, qu'il engagerait 
les autres rois à envoyer des représentants au concile qui serait tenu 
avec Grégoire et avec les Romains pour le rétablissement de l'union 
par la voie de cession, et qu'il ferait en sorte que l'Église gallicane 
füt rétablie dans la jouissance de ses anciennes libertés, en ce qui 
concernait les élections et collations de bénéfices, et que l'empire 
grec rentrát sous l'obéissance de l'Église romaine. 


« Et si les deux prétendants venaient à mourir avant leur renon- 
ciation, on procéderait alors seulement à l'élection d'un seul, paci- 
fique et universel pontife. » 


En garantie du zéle et de la fidélité qu'ils apporteraient dans l'ac- 
complissement de leur mission, les ambassadeurs jurèrent qu'aucun 
d'eux ne parlerait ou n'écrirait à l'un des deux prétendants que du 
consentement de tous les autres, que si l'un d'entre eux apprenait 
quelque chose à ce sujet, il s'empresserait de le communiquer aux 
autres, qu'ils ne demanderaient et ne rechercheraient, durant le temps 
de leur mission, ni pour eux ni pour d'autres , aucun bénéfice , aucune 
dignité ou promotion quelconque , qu'ils n'accepteraient méme aucune 
des faveurs qui pourraient leur étre conférées sans qu'ils les eussent de- 
mandées. Le roi leur donna par écrit de pleins pouvoirs pour traiter 
toutes ces affaires et les mener à bonne fin, ainsi que pour faire tout 
ce qui serait expédient , utile et avantageux à la paix et à l'union de 
l'Église, quand bien méme il surviendrait des circonstances nouvelles 
et plus importantes qui exigeraient un mandat spécial. 


Lesdits ambassadeurs étaient unanimement d'avis qu'il fallait amener 
monseigneur Benoit par la douceur et par les priéres à se soumettre 
aux propositions susdites. Mais certains membres de l'Université, qui 
ne cherchaient que des occasions de trouble, obsédérent le roi et les 
princes de leurs clameurs importunes, pour se faire remettre une 
copie de l'ordonnance royale touchant la soustraction de la collation 
des bénéfices, scellée du sceau royal, comme il avait été convenu. 


520 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


regio sigillo roboratum. Quibus quia responsum est ipsum jam 
dispositum ad viam cessionis, ut prima facie apparebat, non 
sic perturbandum esse, donec antea didicissent qualem men- 
tem gereret in agendis, inde moti persuaserunt venerabili 
rectori ut cessacionem a predicacionibus et scolasticis actibus 
necnon instructione artis gramatice publicaret, donec conce- 
deretur quod petebant. 


CAPITULUM XXIII. 


Dominum Benedictum Gregorius monuit ut acceleraret unionem Ecclesie. 


Dum singuli prenominati nuncii secundum status exigen- 
ciam se aptarent ad iter arripiendum honestius, Gregorius, 
volens cunctis ostendere quam mentem ad unionem gereret, 
dominum Benedictum ut ipsam acceleraret monuit litteris 
appostolicis, quarum formam eciam sui cardinales sequuti 
sunt, in superscripcione sic ponentes : Cum desiderio reve- 
rendis in Christo universis et singulis procardinalibus domini 
Petri de Luna, quem nonnulli in hoc miserabili scismate Be- 
nedictum decimum tercium nominant. Sed in apicibus dictis 
insertum erat quod sequitur. 

« Miseracione divina episcopi, presbiteri ac dyaconi sacro- 
sancte Ecclesie romane cardinales cum desiderio reverentis- 
simis in Christo universis et singulis procardinalibus domini 
Petri de Luna, quem nonnulli in hoc lugubri scismate Bene- 
dictum decimum tercium nominant, pacem et unionis conso- 
lacionem in Domino sempiternam. 

« Vestras nuper suscepimus litteras, ad nostras directas 
hactenus circa remocionem inveterati pestiferique scismatis 
responsivas, ac expressa per nuncios vestros affectuose colle- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 524 


On leur répondit que, le pape paraissant disposé à accepter la voie de 
cession, il ne fallait pas le pousser à bout avant de savoir quelles étaient 
ses intentions. Ils s'en montrérent fort irrités, et conseillérent au vé- 
nérable recteur de faire cesser les prédications, les actes des écoles 
et l'enseignement de la grammaire, jusqu'à ce qu'on eût fait droit 
à leur demande. 


CHAPITRE XXIII. 


Grégoire invite monseigneur Benoit à hâter le rétablissement de l'union de l'Église. 


Pendant que lesdits ambassadeurs se disposaient à partir avec un 
équipage digne du rang de chacun d'eux, Grégoire, voulant donner 
une preuve manifeste de son zéle pour l'union, invita monseigneur 
Benoit par un message apostolique à en háter le rétablissement. Ses 
cardinaux écrivirent de leur cóté à ceux de Benoit dans des termes con- 
formes à ceux de ce message. La suscription de leur lettre était ainsi 
conçue: Aur révérends en Jésus-Christ les soi-disant cardinaux de 
amonseigneur Pierre de Luna, que dans ce déplorable schisme cer- 
taines gens appellent Benoit XIII. En voici le contenu: 


« Nous, par la miséricorde divine , évêques, prétres et diacres , car- 
dinaux de la trés sainte Église romaine, aux trés révérends en Jésus- 
Christ les soi-disant cardinaux de monseigneur Pierre de Luna, que 
dans ce funeste schisme certaines gens appellent Benoit XIII, paix et 
consolation éternelle de l'union en Dieu. 


« Nous avons recu naguére vos lettres, en réponse à celles que nous 
vous avions adressées touchant l'extirpation de l'exécrable schisme 
qui dure depuis si long-temps, et nous avons entendu avec plaisir ce 


III. 66 


522 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


gimus. Ex quibus, cum ad exequcionem desiderabilis unionis 
omnis nostra semper verget intencio, fuimus in actore bono- 
rum omnium plus quam scribi queat vel exprimi non imme- 
rito jocundati, firma spe fiduciaque conceptis unionem hujus- 
modi exoptande universis fidelibus conclusionis exequcionem 
plenariam suscepturam, ad quam ardens, pia et omni laude 
dignissima domini nostri vergit intencio, sicut! ex litteris 
ipsius ad Petrum de Luna directis, quem vos dominum ves- 
trum appellatis, quarum series exequitur : 

« Gregorius episcopus, servus servorum Dei, Petro de Luna, 
quem. nonnulli in hoc miserabili scismate adherentes Benedic- 
tum decimum tercium appellant, pacem et consolacionem 
unionis cordialiter affectare. 

« Litteras tuas grata mente suscepimus, et que continebantur 
in illis ac exposita per oratores tuos ad presenciam nostram 
novissime destinatos intelleximus diligencia singulari , sperantes 
fructum salutifere ac desiderabilis unionis, quem semper opta- 
vimus, eciam dum minori fungebamur officio, et post assump- 
cionem nostram ad apicem summi appostolatus supremis affec- 
tibus semper quesivimus et querimus , in Dei Ecclesia, cujus 
res agitur, super illustrante divina gracia, provenire. Intencio- 
nem quoque nostram immutabilem , per nostras repetitas ltte- 
ras patefactam, iterato per venerabiles fratres. Anthonium 
Motonensem nepotem, Guillelmum Tudertinum episcopos, refe- 
rendarios et thesaurarios, et dilectum filium Anthonium de 
Butrio, utriusque Juris doctorem Bononiensem, nuncios nostros 
ad tuam et nonnullorum presenciam pridem destinatos, rese- 
rare providimus, ut tantum et tam desiderabile cunctis fidelibus 
Christi bonum unionis hujusmodi sequi possit in Ecclesia sancta 


' Il faut supposer ici l'omission d'un mot tel que patet. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 523 


que nous ont dit vos envoyés. Comme toutes nos pensées sont diri- 
gées vers le rétablissement de l'union tant souhaitée, nous nous 
sommes réjouis en Dieu, auteur de tous les biens, plus que nous ne 
pouvons l'exprimer de vive voix ou par écrit, et nous avons conçu le 
ferme espoir que ladite union, si désirable pour tous les fidéles, serait 
enfin pleinement rétablie. C'est là que tendent tous les voeux de notre 
pieux et vertueux seigneur, comme il appert par la lettre qu'il écrit 
à Pierre de Luna, votre prétendu pape, et dont la teneur suit : 


« Grégoire évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Pierre de 
Luna , que dans ce déplorable schisme ses partisans appellent Be- 
noit XIII , désir sincère de la paix et de la consolation de l'union. 


« Nous avons recu avec plaisir votre lettre et entendu avec un 
intérét tout particulier ce qu'elle contenait et ce que nous ont exposé 
les ambassadeurs que vous avez naguére députés vers nous. Nous 
avons dés-lors espéré que par un effet de la gráce divine la sainte 
Église de Dieu, dont les intéréts sont en question, jouirait enfin de 
d'union salutaire et désirable, que nous avons toujours souhaitée, 
méme lorsque nous étions constitué en moindre dignité, et que depuis 
notre élévation au saint-siége nous avons toujours appelée et appe- 
dons encore de nos vœux les plus ardents. Voulant aussi vous faire 
connaître de nouveau notre intention immuable, que nous avons déja 
manifestée dans plusieurs messages, nous avons député vers vous et 
les vôtres en qualité d'ambassadeurs nos vénérables frères An- 
toine évéque de Modon, notre neveu, et Guillaume évéque de Todi, 
nos référendaires et trésoriers, et notre cher fils Antoine de Bu- 
trio, docteur en droit civil et en droit canon de l'université de Bo- 
logne , afin que le bienfait de l'union si désirable pour tous les fidéles 
puisse se réaliser dans la sainte Église de Dieu ; c'est à quoi ten- 
dent tous nos désirs. Nous avons accordé et accordons encore par 
la teneur des présentes à nosdits ambassadeurs de pleins pouvoirs 


524 .  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


Dei; ad quod suprema nostra desideria tendunt. Ac ipsis 
nostris nuncüs ad rem gerendam exciptendamque super loco 
condecenti ac ydoneo et tempore convencionis, numeroque ab 
utraque parte ad locum ipsum ducendorum declarandi ac tecum 
concordandi concessimus, rursum presencium. tenore concedi- 
mus facultatem, ut, omni mora, que maximis inicits semper con- 
suevit esse discrimini, sublata de medio, divinitate propicia, 
sequi posset bonum inestimabilis unionis hujusmodi in Eclesia 
supradicta. Nec curamus ad ea que in litteris tuis possent esse 
disceptacionis respondere pro veritate nostra firmissima , prop- 
ter quam nullam secundum Deum viam recusamus; sed te per 
aspercionem sanguinis Salvatoris omnium Jhesu Christi obse- 
cramus et obtestamur ut, in Deum oculos tue mentis erigens et 
ad veritatem, omni terrena affectione seposita, sibi mundam 
offeras conscienciam , vel saltem piis nobiscum ad peragendum 
tam acceptissimum bonum pacis unionis hujusmodi concurras 
affectibus et effectibus , ut tandem gregi dominico tantis et tam 
flebilibus perturbato temporibus resurgat atque perveniat pax 
et quies. — Datum Rome, apud sanctum Petrum, ydus marcu, 
pontificatus nostri anno primo. » 

« Obsecramus igitur vos quatinus, attentis salubris Deo 
mundoque acceptissimis fructibus ex unione hujusmodi, sicut 
speramus et cupimus, proventuris, placeat profuturis affec- 
tibus ad rei effectum tendentibus operari ut tam salutaris 
conclusio subsequatur pro christiani salute populi atque pace, 
curis vigilibus opem impendendo et operam ut nuncii prefati 
domini nostri, pridem ad ipsum dominum vestrum vos et non- 
nullos hujusmodi rei gracia destinati , expediti salubriter, cele- 
riter revertantur. Nam in maximis principiis mora quelibet, 
et presertim ubi salus animarum pendet et corporum, dispen- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 525 


pour traiter et convenir de concert avec vous du lieu et de l'époque 
d'une entrevue, et du nombre des personnes qui pourront y étre ame- 
nées de part et d'autre, afin qu'il ne survienne aucun de ces délais 
si funestes aux grandes entreprises, et qu'avec l'aide de Dieu le 
bienfait inappréciable de l'union soit assuré à ladite Église. Nous 
ne chercherons pas à répondre aux points de votre lettre qui pour- 
raient attaquer la validité de nos droits ; nous ne nous refusons pour 
cela à aucune des voies qui sont selon Dieu. Mais nous vous sup- 
plions et vous conjurons, par le précieux sang de notre Sauveur 
Jésus-Christ, d'élever vos regards vers Dieu et la vérité, en vous 
dépouillant de toute affection terrestre, et de lui offrir une con- 
science pure, ou du moins de concourir avec nous pieusement et 
efficacement au rétablissement de la paix et de l'union, afin de 
rendre le repos et la tranquillité au troupeau du Seigneur, qui a 
passé par de si longues et de si rudes épreuves. — Donné d Saint- 
Pierre de Rome, aux ides de mars, la premiére année de notre 
pontificat. » 


« Nous vous conjurons donc de vouloir bien considérer les fruits 
salutaires et agréables à Dieu et au monde entier que l'union doit 
produire, comme nous l'espérons et le désirons; nous vous prions de 
travailler avec une ardeur et un empressement efficaces à háter un ré- 
sultat si nécessaire au salut et au repos de la chrétienté, d'employer 
activement vos efforts et vos soins pour que lesdits ambassadeurs que 
notre pontife a députés à cet effet vers votre seigneur, vers vous et 
quelques autres, soient expédiés promptement et reviennent sans 
zetard. Dans toutes les affaires importantes, et surtout dans celles 
où il s'agit du salut des âmes et des corps, le moindre délai est nui- 
sible et doit étre évité. Pour nous, nous apporterons en cette circon- 


526 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


diosa fore dinoscitur et vitanda. Nos autem in re hac studia 
diligencie nostre curis indesinentibus apponemus, ut pax re- 
surgat in grege dominico, tantis, proc dolor, retrolapsis tem- 
poribus innumeris calamitatibus propter ea miserabiliter laces- 
sito. — Datum Rome, octo marcii, pontificatus ejusdem domini 
nostri anno primo, sub sigillo trium priorum nostrorum. » 


« F. DE MonTE Porricuawo. » 


Tam sancte tamque optate acceleracionis rumor ut ad noti- 
ciam regnicolarum pervenit, immenso repleti gaudio, divinam 
clemenciam laudaverunt, cum tam perfectum virum Ecclesie 
sue dedisset, qui christicolarum miseriis scismaticis finem im- 
positurum sic se liberaliter offerebat. « Jam, inquiunt, bene 
« gerendarum rerum jactavit fundamenta, lacius longe renun- 
« ciacionem ex caritate quam juraverat complectitur homo jus- 
« tus; in dies fervor faciende pacis vires sumit. » Et breviloquio 
utens, ubique hec et similia in ore omnium Gallicorum reso- 
nabant. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 527 


stance tout ce que nous avons de zéle, d'activitéet de vigilance afin de 
ramener la paix au milieu du troupeau du Seigneur, qui n'a eu que 
trop à souffrir des maux qui l'ont accablé dans ces derniers temps. 
— Donné à Rome, le 8 mars, la première année du pontificat de 
notredit seigneur, sous le seing des trois premiers d'entre nous. » 


« F. pe MoNwTEPULCIANO. » 


Dès que la nouvelle de ces saintes et louables démarches fut con- 
nue dans le royaume, les habitants se livrèrent à de vifs transports de 
joie et remercièrent la Providence d’avoir donné à l’Église un si ver- 
tueux personnage, qui offrait généreusement de mettre un terme 
aux maux du schisme. « Déja, disait-on, cet homme juste a posé les 
« fondements d'une réconciliation ; il entre franchement dans la voie 
« de renonciation qu'il avait juré de suivre , et montre de jour en jour 
« plus de zèle pour la paix. » Telles étaient les paroles que tout le 
monde avait à la bouche. 


Ànni Domini 
MCCCCYII. 


CHRONICORUM 
KAROLI SEXTI 


LIBER VICESIMUS OCTAVUS. 


Pontificum xin, 
Imperatorum vu, 
Anni Domini xccccvi. 4 Francorum xxvi, 
Anglorum vri, 
Sicilie vir. 


CAPITULUM I. 


De tractatu amborum contendencium de papatu. 


Dominice resurrectionis sollempnitate peracta , regis Francie 
et Ecclesie gallicane insignis legacio divisim et successivis die- 
bus ad iter Massiliense accingitur, prius communi assensu om- 
nium ordinato , quod in fine apprilis, qui Villam Novam primi 
attingerent, alios expectarent. Et hoc medio tempore Grego- 
rius, promissorum memor, suos oratores et nuncios speciales, 
videlicet episcopos Motonensem, ejus nepotem, et Guillelmum 
Tudertinum, necnon Anthonium de Butrio, utriusque juris pro- 
fessorem Bononiensem, ad dominum Benedictum destinavit. 
Quos cum, sicut spoponderat, honorifice excepisset et carita- 
tive tractasset, Motonensi suisque collegis concessa audiencia, 
benigne potestatem eorum scriptis redactam audivit, et quanta 
sinceritate pacem Ecclesie Gregorius affectabat. Complusculis 
diebus super materia principali nonnullas disceptaciones ac 





CHRONIQUE 


DE CHARLES VI. 


LIVRE VINGT-HUITIÈME. 


13° année du règne des souverains pontifes, 


7 —————— de l'empereur, 
An du Seigneur 1407. € 28° —————— du roi de France, 
8° ——— du roi d'Angleterre, 
7* —————— du roi de Sicile. 


CHAPITRE I". 


Du traité des deux prétendants à la papauté. 


Après la fête de la Résurrection de Notre Seigneur, les ambassa- An du Seigneur 
deurs du roi de France et de l'Église gallicane se mirent en route nid 
pour Marseille séparément et à quelques jours d'intervalle. Ils étaient 
convenus d'un commun accord, avant de partir, que ceux qui seraient 
arrivés les premiers à Villeneuve y attendraient les autres jusqu'à la 
fin d'avril. Pendant ce temps, Grégoire, conformément à sa promesse, 
envoya vers monseigneur Benoit, comme ses députés et ambassadeurs 
particuliers, l'évéque de Modon son neveu, Guillaume évéque de Todi 
et Antoine de Butrio, docteur en droit civil et en droit canon de l'uni- 
versité de. Bologne. Benoit les recut avec beaucoup d'égards et les 
traita avec charité, comme il l'avait promis ; il leur accorda audience 
et entendit avec faveur la lecture de leurs lettres de créance et les 
assurances qu'ils lui donnérent des bonnes dispositions de Grégoire 
pour la paix de l'Église. Ils conférérent et discutérent plusieurs jours 
sur la question principale; la discussion toutefois ne se passa point 


II. 67 


530 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VIII. 


disceptacionum origines, non tamen sine controversia verbali, 
mutuo habuerunt. Nam quia Motonensis, nepos Gregorii, in sue 
prime proposicionis fine dixerat debere papam Benedictum 
advertere et ad cor redire, ut eam cessionem spontaneus con- 
cederet, que forsan jure posset extorqueri vel invito, aut esset 
extorquenda , respondendo ad hanc proposicionem, per multa 
verba, more suo, papa finem illum notavit, et proponentem ad 
discussionem justicie tendere velle existimavit , multaque verba 
profudit moleste ab Romanis audita: quod ipse sui juris cercior 
esset quam Gregorius , se in scismatis inicio cardinalem fuisse, 
non Gregorium, per se scire invallidam Urbani electionem, 
vallidam ac canonicam Clementis, Gregorium rem gestam tan- 
tum audivisse; et pleraque in eamdem sentenciam. Ab Moto- 
nensi responsum fuit se proponendo nullatenus intendisse viam 
discussionis approbare, quod si sermo suus in hanc approba- 
cionem tendere visus esset, non ea mente ipsum dixisse, et, si 
dixisset, revocaturum ac revocare, quippe cum ab eo missus 
esset qui ex ardore caritatis sequendo vite perfectionem renun- 
ciare paratus erat, de jure suo quanquam non hesitaret, prop- 
ter tamen negociorum obscurorum difficultatem disceptare 
nollet. | 

Tractatum iterum continuando, multa loca hinc inde nomi- 
nata sunt; Romani nominaverunt Romam, Viterbium, Senis, 
Tudertum, Florenciam et Lucam, papa Massiliam, Niciam, 
Foriulum, Januam et Saonam. Alterius loca altera pars rei- 
ciebat. Multa convicia hinc inde sic jactata sunt, ut utralibet 
pars alteram pene ementitam firmaret. Unde tandem data est 
a Romanis cedula una de egressu eorum et accessu ad regem 
Francorum et Universitatem Parisiensem; quod multum papam 
turbavit. Sed ne sic pacis tractatus rumperetur, iteratis vicibus 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 534 


sans altercation. L'évéque de Modon, neveu de Grégoire, ayant dit, 
à la fin de son premier discours, que le pape Benoit devait rentrer 
en lui-même et se décider à consentir de bon gré à la cession, qui 
pourrait et devrait lui étre imposée malgré lui, le pape répondit 
longuement, suivant sa coutume, à cette assertion, et s'attacha à 
réfuter la conclusion de l'évéque, parce qu'il crut y voir l'intention 
de contester ses droits. Il fit entendre des paroles qui déplurent aux 
envoyés de Rome ; il dit, entre autres choses, qu'il était plus sür de 
son droit que Grégoire; qu'étant cardinal au commencement du 
schisme, il pouvait savoir par lui-méme mieux que Grégoire, qui ne 
l'était pas, que l'élection d'Urbain n'était point valide et que celle de 
Clément était légitime et canonique; que Grégoire n'avait pu appren- 
dre les faits que par oui-dire. Il ajouta encore plusieurs propos dans 
le méme sens. L'évéque de Modon répondit qu'il n'avait aucunement 
entendu approuver la voie de discussion, que, si ses paroles avaient 
pu donner lieu de le supposer, telle n'avait point été son intention, 
que s'il l'eàt fait, il révoquerait ses paroles et, les révoquait, comme 
envoyé par celui qui, dans l'ardeur de sa charité, s'attachant à la per- 
fection dela vie, était prêt à renoncer à son titre, non qu'il doutát 
de son droit, mais parce qu'il ne voulait point s'engager dans les dif- 
ficultés et les embarras d'une affaire si embrouillée. | 


On reprit ensuite les négociations, et plusieurs lieux furent propo- 
sés de part et d'autre pour une entrevue. Ceux de Rome désignerent 
Rome, Viterbe, Sienne, Todi, Florence et Lucques ; le pape désigna 
Marseille, Nice, Fréjus, Génes et Savone. Chacun des deux partis 
rejetant les propositions de l'autre, on en vint à de grosses paroles, 
et l'on alla presque jusqu'à se donner réciproquement des démentis. 
Enfin ceux de Rome annoncérent qu'ils allaient partir et se rendre 
auprés du roi de France et de l'Université de Paris. Cette résolution 
troubla beaucoup le pape. Craignant la rupture des négociations, il 
fit rappeler avec instance les ambassadeurs. Ceux-ci, aprés avoir tenu 


532 | |, CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


revocari fecit legatos, qui tandem inter se consilium habuerunt, 
se tantum tres esse, sibi cum magno hominum numero nego- 
cium datum, si tres tantum eis assignarentur, forsan facilius 
inveniretur concordia. Assignati ad hoc cardinalis de Tureyo, 
episcopus Hylerdensis, Franciscus de Arenda, tandem convene- 
runt de loco Saone propter raciones in tractatu eorum tactas. 
Quem locum Motonensis gratantissime acceptans, scriptam 
cedulam manu avunculi tunc exemit qua, canebatur se, prius- 
quam pax difficultate electionis loci impediretur, Gandavum et 
Avinionem accepturum. Tanta sub tanti viri pectore pacis ca- 
ritas ebulliebat, ut nichil grave duceret quod paci subserviret. 

Sic opera sepedictorum virorum rebus ad consonanciam 
redactis, cum convencionem , modum convencionis , comitivam 
conveniencium et condicionem de alio loco acceptando, in casu 
quo esset impedimentum in Saona, in cedula redegissent, et 
ipsam uterque acceptasset, dominus inde instrumentum factum, 
Romanis ipsis poscentibus, dedit, simileque vice versa eidem 
obtulerunt sub hac forma. 


CAPITULUM II. 


. De instrumento inde facto. 


« In nomine sancte et individue Trinitatis , Patris et Filii et 
Spiritus Sancti, amen. 

« Ad futuram rei memoriam per hoc presens publicum instru- 
mentum cunctis id visuris et audituris pateat evidenter, quod, 
cum pro exstirpacione diuturni et pestiferi scismatis in Dei 
Ecclesia vigentis et assecucione sanctissime unionis a cunctis 
christifidelibus preoptate, sanctissimus in Christo pater: do- 
minus noster dominus Gregorius papa duodecimus in urbe 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 533 


conseil entre eux , répondirent qu'ils n'étaient que trois et ne pouvaient 
tenir tête à tant de monde, mais que si on les abouchait avec trois 
personnes seulement, il serait peut-étre plus facile d'arriver à un 
accommodement. Benoit nomma le cardinal de Thury, l'évéque 
de Lérida, et Francois d’Aranda, qui proposérent d'un commun ac- 
cord la ville de Savone pour le lieu de l'entrevue, à cause des rai- 
sons exposées dans le traité. L'évéque de Modon accepta trés volon- 
tiers ce lieu et montra alors une cédule écrite de la main de son oncle, 
dans laquelle celui-ci déclarait qu'il consentirait à accepter Gand et 
Avignon, plutót que de voir la paix entravée par les difficultés de la 
désignation du lieu. Telle était l'ardeur dont cet illustre personnage 
était animé pour la paix, qu'il se résignait pour elle à tous les sacrifices. 


Lorsque les choses eurent été ainsi réglées par les soins desdits ar- 
bitres, ils rédigérent une cédule concernant le lieu et le mode de 
l'entrevue, la suite des personnes qui devaient s'y rendre, et le choix 
d'un autre lieu, au cas où il y aurait quelque empéchement pour Sa- 
vone. Cette cédule ayant été acceptée de part et d'autre, monseigneur 
Benoit, sur la demande de ceux de Rome, leur remit l'instrument 
qui en fut dressé, et eux-mémes lui en présentérent un semblable en 
la forme suivante. c 


CHAPITRE II. 


Teneur de l'instrument. 


« Àu nom de la sainte et iudivisible Trinité, du Pére, du Fils et du 
Saint-Esprit, ainsi soit-il ! 

« Pour mémoire de ce qui suit, soit notoire à tous ceux qui le pré- 
sent instrument public verront et entendront, que, pour l'extirpation 
du funeste schisme qui divise depuis si long-temps l'Église de Dieu , et 
pour le rétablissement de la trés sainte union, si ardemment désirée de 
tous les chrétiens, notre seigneur et trés saint pére en Jésus-Christ mon- 
seigneur le pape Grégoire XII, résidant à Rome, et le sacré collége des 
trés révérends péres en Jésus-Christ messeigneurs les cardinaux de la 


534 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


residens, et suum sanctum collegium reverendissimorum in 
Christo patrum et dominorum, dominorum sancte Romane 
Ecclesie cardinalium, reverendos in Christo patres dominos 
Anthonium Motonensem, nepotem, et Guillelmum Tudertinum, 
episcopos, referendarios et thesaurarios, ac eximium utrius- 
que juris doctorem Bononiensem, dominum Anthonium de 
Butrio, sollempnissimos nuncios et oratores suos ad Petrum 
de Luna in Massilia pro nunc residentem , qui a nonnullis sibi 
in pernicioso hoc scismate adherentibus Benedictus decimus 
tercius appellatur, et suum pretensum collegium , illorum vide- 
licet qui apud partem suam cardinales nuncupantur, destinas- 
sent, pro concordando de loco condecenti et ydoneo ac tem- 
pore convencionis, per utramque partem faciendo, et de 
numero personarum a qualibet parcium predictarum ad locum 
ipsum ducendarum, et aliis que circa ea fuerunt necessaria; 
prefatisque suis nunciis et oratoribus ad hoc mandatum et 
potestatem concessissent per suas litteras more suo bullatas et 
sigillatas, quarum tenores de verbo ‘ad verbum inferius sunt 
inserti; et, gracia Sancti Spiritus operante, de loco, tempore 
et aliis premissis, necnon et circumstanciis nonnullis ad rem 
conficiendam pertinentibus jam inter prefatos reverendos patres 
dominos nuncios et oratores et ipsum dominum Petrum et 
suum pretensum collegium esset laudabiliter concordatum, 
conventum , compromissum , et conclusum; et propterea forent 
nonnulla formata et in scriptis redacta capitula, hujusmodi 
concordiam continencia, quorum tenor eciam de verbo ad 
verbum inferius est insertus , tandem die vicesimo mensis 
apprilis, anno a Nativitate Domini millesimo quadringentesimo 
septimo, indictione decima quinta, pontificatus prefati domini 
nostri domini Gregorii pape duodecimi anno primo, in loco 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 535 


sainte Église romaine ont envoyé les révérends péres en Jésus-Christ 
messeigneurs Antoine, évêque de Modon, neveu de Grégoire, et Guil- 
laume, évéque de Todi, référendaires et trésoriers dudit Grégoire, et 
messire Antoine de Butrio, célèbre docteur en droit civil et en droit 
canon de l'université de Bologne, comme leurs députés et ambassadeurs - 
vers Pierre de Luna, résidant à Marseille, que dans ce funeste schisme 
ses adhérents appellent Benoit XIII, et vers le prétendu collége des soi- 
disant cardinaux de son parti, à l'effet de s'accorder sur le choix d'un 
lieu convenable et propre à une entrevue des deux compétiteurs, sur 
l'époque de cette entrevue, et le nombre des personnes qui devront y 
étre amenées de part et d'autre, et sur toutes les autres choses qui seront 
nécessaires; qu'ils out donné pour cela mandat et pouvoir auxdits dé- 
putés et ambassadeurs par lettres bullées et scellées en la forme ordi- 
naire, dont la teneur est rapportée ci-dessous tout au long; que par 
un effet de la grâce du Saint-Esprit, tout a été louablement accordé, 
convenu, arrangé et réglé au sujet du lieu, du temps et des autres choses 
susdites, ainsi que de certaines circonstances qui tiennent à l'accom- 
plissement de cette affaire, entre lesdits révérends péres messeigneurs 
les députés et ambassadeurs et monseigneur Pierre et son prétendu 
collége ; qu'en conséquence ont été dressés et rédigés certains articles 
touchant cet accord, dont la teneur est également rapportée ci-dessous 
tout au long. Enfiu le 20 avril, l'an de la Nativité de Notre-Sei- 
gneur mil quatre cent sept, indiction quinzième, et la premiere année 
du pontificat de notredit seigneur le pape Grégoire XII, lesdits révé- 
rends pères messeigneurs les députés et ambassadeurs étant réunis 
dans le lieu ci-dessous désigné avec monseigneur Pierre et le prétendu 
collége de ses soi-disant cardinaux savoir, messeigneurs Guy, évêque 
de Palestrine, Nicolas, évéque d'Albano, Jean, évéque d'Ostie, Jean, 
évéque de Sabine, Pierre, évéque d'Isola, et Bérenger, évéque de 
Porto, messeigneurs Pierre, prétre du titre de Sainte-Suzanne, Guil- 
laume, prétre du titre de Sainte-Cécile, et Pierre, prétre du titre de 
Sainte-Praxéde, et messeigneurs Amédée, diacre du titre de Sainte- 
Marie-la-Neuve, Louis, diacre du titre de Saint- Adrien, et Antoine, 
diacre du titre de Sainte-Marie in via lata, ambassadeurs de paix, 


536 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


infra scripto congregatis prefatis reverendis patribus dominis 
nunciis et oratoribus et ipso domino Petro et suo pretenso 
collegio suorum assertorum cardinalium infra scriptis , videlicet 
dominis Guidone Prenestrino, Nicholao Albanensi, Johanne 
Ostiensi, Johanne Sabinensi, Petro Tusculanensi , et Berengario 
Portuensi episcopis, dominis Petro tituli Sancte Susanne, 
Guillelmo tituli Sancte Cecilie, et Petro tituli Sancte Praxedis 
presbiteris, necnon dominis Amedeo Sancte Marie Nove, Lu- 
dovico Sancti Adriani et Antonio Sancte Marie in via lata dya- 
conis cardinalibus, nunciis pacis, ac nobis notariis ac testibus 
infra scriptis et multis aliis pretactis, et infra scripta capitula 
ibidem exhibita fuerunt, lecta et publicata. 

« Post quorum lectionem et publicacionem, prefati domini 
patres, domini nuncii et oratores, nomine et pro parte sanc- 
tissimi prefati in Christo patris et domini nostri, domini Gre- 
gorii, et sedis apostolice ac sacri sui collegii, ex mandato et 
potestate eis traditis per prefatas et infra insertas litteras, ut. 
prefertur, ad perfectionem sacratissime unionis, juxta votum, 
promissionem, et juramentum, atque scripta dicto domino, 
domino Petro, et per orbem per prefatum sanctissimum domi- 
num nostrum, dominum Gregorium, in quibus ipse perstitit, 
persistit, et persistere, Domino concedente, intendit, et ea cu- 
pit, ut affirmarunt, integre adimplere, pure, libere et simpli- 
citer, ex certa sciencia et sponte, predicta capitula et omnia. 
et singula in eis contenta concesserunt, firmaverunt et appro-. 
barunt , ac promiserunt nobis notariis infra scriptis tanquam. 
publicis personis, voce et nomine omnium illorum qui in hoc 
negocio tanguntur, et quorum interest vel interesse poterit, 
legittime stipulantibus et recipientibus ipsa capitula et omnia 
in eis contenta, prout ad quemlibet predictorum spectat et 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 537 


en présence de nous, notaires et témoins ci-dessous mentionnés et de 
plusieurs autres susdits, les articles insérés ci-dessous ont été montrés, 
lus et publiés. 


« Aprés la lecture et la publication de ces articles, messeigneurs 
lesdits péres et seigneurs députés et ambassadeurs, au nom et de 
]a part de notredit trés saint pére en Jésus-Christ et seigneur Gré- 
goire , du saint siége apostolique et de son sacré collége, en vertu des 
mandat et pouvoir à eux accordés par lesdites lettres ci-dessous insé- 
rées, comme il est dit, pour l'accomplissement de la trés sainte union, 
conformément aux voeu, promesse, serment et écrit envoyés audit 
seigneur Pierre et en tous lieux par notredit trés saint pére et sei- 
' gneur Grégoire, dans lesquels il a persisté, persiste et entend persister, 
avec l'aide de Dieu, et qu'il désire remplir, comme ils l'ont assuré, 
fidélement, purement, librement, simplement , de science certaine et 
de son plein gré, ont accordé lesdits articles ainsi que toutes et cha- 
cune des choses qu'ils contiennent, les ont confirmés et approuvés, et 
ont promis à nous notaires soussignés, en notre qualité de personnes 
publiques, stipulant pour et au nom de tous ceux que cette affaire 
. touche et qu'elle intéresse ou pourra intéresser, et acceptant légale- 
ment ces articles, et tout ce qu'ils contiennent, de tenir, observer et 
accomplir lesdits articles, et de n'y point contrevenir ni rien faire à 
l'encontre, suivant qu'il appartient et pourra appartenir ou qu'à 
l'avenir il appartiendra à chacune des personnes susdites. Et subsé- 
quemment ledit seigneur Pierre de Luna et son prétendu collége, 

Ii. " 68 


538 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. X XVIII. 


spectare poterit, seu spectabit in futurum, tenere, observare 
et complere et non contra facere nec contra venire. Et sub- 
sequenter ipse dominus Petrus de Luna et supra scriptum 
suum assertum collegium , ad perfectionem sacratissime unio- 
nis, juxta oblata sanctissimo domino nostro prefato et sibi et 
per orbem scripta per ipsum dominum Petrum per litteras suas 
seu bulla data Massilie apud Sanctum Victorem, secundo kalen- 
darum februarii anni presentis, in quibus ipse dominus Pe- 
trus perstitit, persistit et persistere, Domino concedente, 
intendit, et ea cupit, ut affirmavit, integre adimplere, pure, 
libere ac simpliciter, et ex certa sciencia et sponte, predicta 
capitula et omnia et singula in eis contenta concesserunt, 
firmarunt et approbarunt, ac promiserunt nobis notariis infra 
scriptis, tanquam publicis personis, vice et nomine omnium alio- 
rum qui in hoc negocio tanguntur, et quorum interest et inte- 
resse poterit, legittime stipulantibus et recipientibus ipsa capi- 
tula et omnia in eis contenta, prout ad quemlibet predictorum 
spectat et spectare poterit, seu spectabit in futurum, tenere, 
observare et complere, et non contra facere nec contra venire. 

« Et insuper reverendi patres domini nuncii et oratores, 
nominibus et potestatibus quibus supra, convenerunt et pro- 
niiserunt sollempniter, stipulacione premissa, ut dictum est, 
se curaturos et facturos cum effectu quod prefatus sanctissi- 
mus dominus noster et suum sacrum collegium infra mensem 
jullü proxime futurum * acta et gesta supradicta et infrascripta 
per eos, in presenti instrumento contenta , notificabunt , con- 
firmabunt et approbabunt, et ipsa capitula et omnia singula 
in eis contenta cum suis clausulis universis concedent, firma- 
bunt, promittentque tenere ac observare ac complere, et non 


' Ce membre de phrase est omis dans le n° 5958. Il est tiré du n° 5959, fol. 53 r. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 539 


pour l'accomplissement de la trés saiute union, conformément à ce 
que ledit seigneur Pierre avait offert à notredit trés saint pére et à ce 
qu'il lui avait notifié à lui et en tous lieux par ses lettres ou bulles 
données à Saint-Victor-lez-Marseille, le 2 des calendes de février de 
la présente année, dans lesquelles ledit seigneur Pierre a persisté, 
persiste et entend persister, avec l'aide de Dieu, et qu'il désire rem- 
plir, comme :il l'a assuré, fidèlement, purement, librement, simple- 
ment, de science certaine et de son plein gré, ont accordé lesdits ar- 
ticles ainsi que toutes et chacune des choses qu'ils contiennent, les ont 
confirmés et approuvés, et ont promis à nous notaires soussignés, en 
notre qualité de personnes publiques, stipulant pour et au nom de 
tous ceux que cette affaire touche et qu'elle intéresse ou pourra inté- 
resser, et acceptant légalement lesdits articles et tout ce qu'ils con- 
tiennent, de tenir, observer et accomplir lesdits articles et de n'y 
point contrevenir ni rien faire à l'encontre, suivant qu'il appartient 
et pourra appartenir ou qu'à l'avenir il appartiendra à chacune des 
personnes susdites. 


« De plus, les révérends péres et seigneurs députés et ambassadeurs, 
au nom et en vertu des pouvoirs sus-mentionnés, sont convenus et 
ont promis solennellement, par la stipulation susdite, comme dit est, 
d'avoir soin et de faire en sorte que notredit trés saint pére et son 
sacré collége notifient, confirment et approuvent, dans le courant 
du prochain mois de juillet, les choses ci-dessus et ci-dessous men- 
tionnées et contenues dans le présent instrument, qu'ils accordent, 
confirment et promettent de tenir, observer et accomplir lesdits ar- 
ticles et tous les points qui y sont contenus ainsi que toutes leurs 
clauses, et de n'y point contrevenir ni rien faire à l'encontre, et que 
de ce ils donnent un acte public et authentique en bonne forme. De 
toutes lesquelles choses et chacune d'icelles ci-dessus et ci-dessous 
mentionnées lesdits révérerids pères et seigneurs députés et ambassa- 


540 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


contra facere nec contra venire, et de hiis dabunt in forma 
plana publicum et auttenticum documentum. De quibus omni- 
bus et singulis supra dictis et infra scriptis tam prefati reve- 
rendi patres domini nuncii et oratores, quam prefatus dominus 
Petrus de Luna et prefatum pretensum suum collegium, requi- 
sierunt fieri et expediri unum, duo vel plura, publicum seu 
publica instrumenta per nos notarios infra scriptos. 

« Tenor vero prefati sanctissimi domini nostri et sui sacri 
collegii talis est : 

« Gregorius episcopus, servus servorum Dei , venerabilibus 
« fratribus Antonio Motonensi et Guillelmo Tudertino episco- 
« pis, referendariis ac thesaurariis, et dilecto filio Antonio de 
« Butrio utriusque juris doctori Bononiensi, et apostolice sedis 
« nunciis, salutem et apostolicam benedictionem. 

« Cum pro extirpacione diuturni ac pestiferi scismatis et 
« consequcione desiderabilis unionis in Dei: Ecclesia, ad Pe- 
« trum de Luna, quem nonnulli sibi in prefato scismate adhe- 
« rentes Benedictum decimum tercium nominant, et ad quos- 
« dam alios, in nuncios nostros vos presencialiter destinemus, 
« nos, volentes ut de intencione nostra ac potestate vobis 
« tradita docere possitis, si et quando vobis expedire videbi- 
« tur, has litteras fieri fecimus, per quas discrecioni vestre de 
« loco ydoneo et condecenti et tempore convencionis per vos et 
« ipsum Petrum faciende; ac de numero ab utraque parte ad 
« locum ipsum ducendorum, cum dicto Petro concordandi, et 
« que circa ea necessaria fuerint declarandi plenam et liberam 
« concedimus tenore presencium facultatem, ratum et gratum 
« habituri quidquid per vos factum, declaratum et concorda- 
« tum fuerit in premissis, idque faciemus, auctore Domino, 
« usque ad satisfactionem condignam inviolabiliter observari. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 544 


deurs, ledit seigneur Pierre de Luna et son prétendu collége ont re- 
quis qu'il füt fait et expédié un , deux ou plusieurs instruments publics 
par nous notaires soussignés. 


« Suit la teneur de la procuration de notredit trés saint seigneur et 
de son sacré collége : | | 

« Grégoire évéque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos véné- 
« rables fréres Antoine évéque de Modon et Guillaume évéque de 
« Todi, nos référendaires et trésoriers, et à notre bien aimé fils An- 
« toine de Butrio, docteur en droit civil et en droit canon de l'uni- 
« versité de Bologne, ambassadeurs du saint-siége, salut et bénédic- 
« tion apostolique. 

« Comme nous vous envoyons en qualité d'ambassadeurs vers 
« Pierre de Luna, que dans ce déplorable schisme ses adhérents appel- 
« lent Benoit XIII, et vers quelques autres, afin d'extirper ledit 
« schisme et de rétablir l'union tant souhaitée dans l'Église de Dieu, 
« voulant que vous puissiez toutes fois et quantes que vous le jugerez 
« à propos, faire connaître notre intention et les pouvoirs qui vous 
« sont donnés, nous avons fait dresser ces lettres, par lesquelles nous 
« remettons à votre discrétion le soin de vous concerter avec ledit 
« Pierre sur le choix d'un lieu convenable et propre à une entrevue, 
« sur l'époque de cette entrevue, sur le nombre des personnes qu'on 
« devra y amener de part et d'autre, et sur toutes les autres choses 
« nécessaires en cette affaire. De quoi nous vous donnons plein et 
« entier pouvoir par la teneur des présentes, avec promesse de rati- 
« fier et agréer tout ce qui aura été fait, déclaré et accordé par vous 
« dans ladite affaire, et nous le ferons observer inviolablement, avec 
« l'aide de Dieu, jusqu'à entiére satisfaction. — Donné à Saint-Pierre 
« de Rome, le 3 des calendes de mars et la premiére année de notre 
« pontificat. » 


542 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« — Datum Rome, apud Sanctum Petrum, tercio kalendarum 
« marcii, pontificatus nostri anno primo. » 

« Miseracione divina episcopi , presbiteri ac dyaconi sancte 
« romane Ecclesie cardinales, cum desiderio reverendo in 
« Christo domino Petro de Luna, quem nonnulli in hoc mise- 
« rabili scismate Benedictum decimum tercium appellant, pacis 
« et unionis affectum. 

« Pro extirpacione inveterati ac horrendi scismatis, sanctis- 
« simus dominus noster Gregorius papa duodecimus reveren- 
« dos in Christo patres dominum Antonium, ejus nepotem, 
« Motonensem, ac Guillelmum Tudertinum episcopos, referen- 
« darios et thesaurarios, et dilectum nobis in Christo Anto- 
«nium de Butrio, utriusque juris doctorem Bononiensem, 
« nuncios suos ad reverenciam vestram et nonnullos ad presens 
« dirigit, ejus intencionem alias reverencie vestre per suas nos- 
« trasque litteras super extirpacione hujusmodi scismatis inti- 
« matam seriosissime relaturos. Quorum relatibus eciam parte 
« nostra reverencia vestra adhibere * velit credencie plenam 
« fidem. — Datum Rome, vicesimo quinto februarii, pontifica- 
« tus prefati domini nostri anno primo. » 

« Capitulorum vero series sequitur in hec verba : 

« In primo, quod ambo domini supra dicti et eciam collegia 
sua debeant et teneantur convenire personaliter in civitate 
Saone pro unione Ecclesie sancte exequenda , et cum Dei ad- 
jutorio obtinenda ; in quem locum ambe ipse partes, propter 
singularem confidenciam quam gerunt in serenissimo principe, 
domino rege Francorum, sub cujus dominio est ad presens, et 
propter commoditates in eo huic actui magis concurrentes, fac- 
tis aliorum locorum discussionibus , unanimiter concordarunt. 


' Le mot adhibere, emprunté au n° 5959, fol. 57 v., manque dans le n° 5958. 


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CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 543 


« Nous, par la miséricorde divine, évéques, prétres et diacres 
cardinaux de la sainte Église romaine, au révérend seigneur en 
Jésus-Christ Pierre de Luna, que dans ce malheureux schisme ses 
adhérents appellent Benoit XIII, désir de paix et d'union. 


« Pour l'extirpation de ce schisme horrible et invétéré, notre trés 
saint seigueur le pape Grégoire XII envoie, en qualité d'ambassa- 
deurs, à votre révérence et à quelques autres, les révérends pères 
en Jésus-Christ monseigneur Antoine évêque de Modon, son neveu, 
et Guillaume évéque de Todi, ses référendaires et trésoriers, et 
notre bien-aimé en Jésus-Christ Antoine de Butrio, docteur en 
droit civil et en droit canon de l'université de Bologne, qui vous 
exposeront sincérement son intention au sujet de l'extirpation dudit 
schisme, conformément à ce que votre révérence a déjà pu savoir 
par les lettres que lui et nous vous avons écrites à ce sujet. Que 


« votre révérence veuille ajouter pleine et entiéfe foi à leurs rapports. 


« 


— Donné à Rome le 25 février, la première année du pontificat de 
notredit seigneur. » 


« Suivent les articles en ces termes : 
« Premièrement, les deux seigneurs susdits ainsi que leurs colléges 


devront et seront tenus de se réunir en personne dans la ville de 
Savone, pour travailler à l'union de la sainte Église et l'obtenir avec 
l’aide de Dieu; laquelle ville les deux parties, aprés avoir discuté le 
choix des autres lieux qui avaient été proposés, ont choisie d'un com- 
mun accord à cause de la confiance particuliére qu'ils ont dans le 
sérénissime prince monseigneur le roi de France, sous l'obéissance 
duquel est présentement cette ville, et pour plusieurs autres raisons 
de convenance. 


544 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« Item, ambo domini supradicti et eciam collegia sua in 
dicta civitate Saone personaliter convenire debeant, et ibi per- 
sonaliter sint in festo Sancti Michaelis, in fine mensis septem- 
bris proxime futuri, salvo nisi propter impedimentum navi- 
giorum ipse dominus in urbe residens impediretur, quo casu 
debeant adesse in festo omnium Sanctorum tunc proxime 
sequente. Qui quidem dominus in urbe residens, si dicta pro- 
rogacione uti voluerit, debeat hoc notificasse alteri domino in 
Massilia pro nunc residenti, per totum mensem jullii proxime 
sequentem. 

« Item, quod quilibet ex predictis duobus dominis debeat 
ibi convenire cum octo galeis tantum, armatis, ut est consue- 
tum, nisi de septem vel sex dominus in urbe residens conten- 
taretur, quo casu teneatur notificare infra dictum mensem 
jullii dicto domino in Massilia residenti. 

« Item, quod quilibet ex predictis duobus dominis alteri 
eorum debeat vicissim jurare plenam securitatem sibi et suis 
de non offendendo aut dampnificando seu in aliquo ledendo de 
se vel suis, ymo de defendendo et conservando et manifestando 
ledere aut offendere volentes, durante dicta convencione, eundo 
vel redeundo, per se vel per alium, directe vel indirecte, tacite 
aut expresse; et similiter jurare debeant quilibet de collegio 
utriusque partis et eodem modo jurare debeant familiares 
utriusque duorum dominorum predictorum et familiares cujus- 
cunque cardinalis utriusque partis in manibus per ambos pre- 
dictos dominos deputandorum. Quod quidem juramentum in 
predicta forma dicti duo domini principales unus alteri et 
alter alteri prestitum intimare debeant per suas litteras more 
consueto bullatas, per totum mensem augusti proxime futurum. 
Et similiter domini utriusque partis collegii ad juramentum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 545 


« Jtem , les deux seigneurs susdits ainsi que leurs colléges devront 
se rendre en personne dans la ville de Savone et s'y trouver à la féte 
de Saint-Michel, à la fin du prochain mois de septembre, à moins 
que le seigneur résidant à Rome n'en soit empéché faute de vais- 
seaux ; auquel cas l'entrevue sera remise à la Toussaint ensuivant. Le- 
quel dit seigneur résidant à Rome, s'il veut profiter du délai susdit, 
devra en donner avis, dans le courant du mois de juillet prochain, à 
l'autre seigneur résidant quant à présent à Marseille. 


« Jtem, chacun des deux seigneurs susdits ne devra amener avec lui 
que huit galéres armées, comme c'est la coutume, à moins que le sei- 
gneur résidant à Rome ne se contente de sept ou de six; auquel cas il 
sera tenu d'en donner avis, dans le courant dudit mois de juillet, audit 
seigneur résidant à Marseille. 


« Jtem, chacun des deux seigneurs susdits devra donner toute 
sûreté à l'autre et aux siens, et jurer de ne les offenser, blesser ou 
léser en quoi que ce soit par lui ou par les siens, mais au contraire de 
les défendre et protéger, et de leur faire connaitre ceux qui, durant 
ladite entrevue, voudraient les léser ou les offenser, en allant ou en 
revenant, par eux ou par autrui , directement ou indirectement, taci- 
tement ou expressément. Ce que devra jurer aussi chacun des membres 
de l'un et de l'autre collége, et pareillement les gens des deux seigneurs 
susdits et ceux des cardinaux de chaque partie, entre les mains des 
personnes qui seront commises à cet effet par les deux seigneurs sus- 
dits; duquel serment ainsi prété les deux seigneurs susdits devront 
se donner réciproquement avis par lettres bullées en la forme ordi- 
naire, dans le courant du mois d'aoüt prochain. Et pareillement les 
cardinaux des deux colléges seront tenus de faire ce serment et s'en 
donneront réciproquement avis par lettres dans le délai susdit. Les 
autres personnes des deux parties devront préter serment en entrant 
dans ladite ville de Savone. 


1i. | 69 


946 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


tenebuntur, et prestitisse intimabunt per suas litteras vicissim, 
infra predictum terminum. Alii vero utriusque partis jurare 
debeant in introitu civitatis predicte Saone. 

« ltem, quod ab utraque parte fiant duo capitanei maris, 
unus pro qualibet parte, qui se obligent invicem, et predictis 
ambobus dominis per omnia juramentum prestent et alia fa- 
ciant, ut in octavo capitulo de civitatis capitaneis continetur. 

« Item , quod obtineatur a serenissimo principe domino rege 
Francie, et gubernatore Janue, civibus et communitatibus ac 
aliis quibuscunque ad quos spectet, quod totale dominium, 
jurisdictio, merum et mixtum imperium dicte civitatis Saone 
et castrorum in ea existencium cum ipsorum libera tradicione 
sit in manibus utriusque predictorum dominorum, nomine 
Ecclesie, equaliter absolutis castellanis et vassallis a quocunque 
juramento, obediencia, fidelitate, homagio et obligacionibus 
aliis debitis ; et illa prestare debeant dictis duobus dominis , et 
deputandis per eos nomine Ecclesie pro tempore quo ibi fue- 
rint pro dicto negocio expediendo, datis caucionibus per am- 
bos ipsos dominos de restituendo ipsam civitatem et castra in 
eo statu quo fuerant assignata. Predictis autem duobus dominis 
presidere desinentibus, fiat de dominio et jurisdictione dicte 
civitatis Saone et castrorum ipsius quod per dictos duos do- 
minos cum ambobus collegiis per presens extiterit ordinatum. 

« Item, quod omnes cives civitatis Saone vel saltem majores, 
nomine universitatis et proprio, et in illo numero de quo dictis 
duobus dominis vel suis procuratoribus videbitur, teneantur 
prestare juramentum, prout in quarto articulo et forma fideli- 
tatis continetur, et similiter facere jurare omnes comitatinos et 
districtuales suos per sindicum, qui eciam obligent sollempui- 
ter, in casu quo contra venerint, se et omnia bona sua ubicun- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 547 


« Jtem , il sera établi de part et d'autre deux capitaines de mer, un 
pour chaque partie, qui s'obligeront respectivement envers les deux 
seigneurs susdits, leur préteront serment, et accompliront tout ce 
qui est dit au huitième article touchant les capitaines de la ville. 


« Jtem, il sera obtenu du trés sérénissime prince monseigneur le 
roi de France, du gouverneur, des citoyens, de la commune de Génes 
et de tous ceux à qui il appartiendra, que la seigneurie, la juridic- 
tion, la haute et basse justice de ladite ville de Savone, et des chá- 
teaux qui s'y trouvent, soient remises avec lesdits cháteaux entre les 
mains desdits deux seigneurs, au nom de l'Église, les chátelains et 
vassaux étant déliés de tous serment, obéissance, fidélité, hommage 
et obligation dus à d'autres; et ils devront préter serment auxdits 
deux seigneurs et à ceux qui seront députés par eux au nom de 
l'Église pour tout le temps que les y retiendra l'expédition de ladite 
affaire, cautions éiant données par lesdits deux seigneurs de rendre 
la ville et les cháteaux dans le méme état qu'ils les auront recus. 
Lesdits deux seigneurs cessant d'y commander, il sera fait de la sei- 
gneurie et juridiction de ladite ville de Savone et de ses cháteaux ce 
qui en aura été ordonné par lesdits deux seigneurs et leurs deux col- 


léges. 


« Jtem, tous les bourgeois de la ville de Savone ou du moins les 
plus notables, au nom de la commune et au leur, en tel nombre qu'il 
sera jugé à propos par lesdits deux seigneurs ou leurs procureurs, 
seront tenus de préter serment de fidélité en la forme qui est contenue 
dans le quatriéme article, et de faire préter le méme serment, par 
l'entremise du syudic, à tous les habitants du territoire et du district 
de ladite ville, qui engageront solennellement pour caution, en cas de 
contravention , leurs personnes et leurs biens, quels qu'ils soient, tant 


048 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LID. XXVIIT. 


que existencia, tam universitatis quam singularium personarum 
dicte civitatis, villarum et locorum ipsius , se et bona hujusmodi 
submittentes jurisdictionibus et cohercionibus regum et domi- 
norum tam ecclesiasticorum quam secularium , ubi dicta bona 
consistent, et quod hoc possit dictari et extendi cum clausulis 
opportunis. | 

« Item, quod eligantur duo a predictis dominis, unus pro 
quolibet, qui debeant regere custodiam civitatis, jurisdictionem 
etomne imperium pro predictis duobus dominis, juxta commis- 
sionem per ipsos ambos dominos eis fiendam ; qui eciam, sicut 
presidentes et capitanei gencium armorum et preeminentes, ad 
exequenda omnia incumbencia, pro negocio liberius expediendo, 
prius invicem debeant se confederare, et fraternitatem jura- 
mentis contrahere, sese invicem alterum alteri obligando et 
colligando ad custodiam, securitatem et defencionem dictarum 
parcium ; qui eciam debeant eligi milites aut alii nobiles, quan- 
tum fieri poterit, equalis condicionis. Eis autem sic confederatis 
simul et ligatis ad dictum finem, debeant utrique duorum die- 
torum dominorum pro se et suis prestare sollempnissimum jura- 
mentum, homagium, fidelitatem et obligaciones in plenissima 
forma , prout in quarto articulo et in forma fidelitatis continetur. 
Et insuper jurabunt dictis collegiis securitatem et protectionem 
personarum ipsorum et suorum ; et quilibet dictorum capita- 
neorum , pro predictis fideliter servandis et adimplendis debeat 
dare obsides ydoneos et competentes, ita quod electus ab uno 
ex dictis duobus dominis det obsides in equali numero in po- 
testate alterius domini, ad voluntatem dictorum duorum domi- 
norum, et advisetur quod capitanei ducant secgm filios, si 
habeant, aut nepotes, fratres aut alios attinentes aut amicos , ad 
dandum eos obsides. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 549 


oeux de la commune que de chacune des personnes de ladite ville, 
des villages et lieux de sa dépendance, se soumettant eux et lesdits 
biens aux juridictions et coercitions des rois et seigneurs tant ecclé- 
siastiques que séculiers, dans les terres desquels lesdits biens se trou- 
veront. Les mêmes obligations pourront être étendues et appliquées 
à d'autres lieux par des clauses particuliéres. 


« Jtem, il sera choisi par lesdits seigneurs deux hommes, un pour 
chaque partie, qui devront avoir le gouvernement de la ville, avec 
juridiction et toute autorité pour lesdits deux seigneurs, suivant la 
commission qui par lesdits deux seigneurs leur en sera délivrée ; les- 
quels, en qualité de commandants, de capitaines de gens d'armes et de 
premiers en dignité, devront veiller à l'exécution de tout ce qui sera 
nécessaire pour la prompte expédition de l'affaire, et préalablement 
s'allier et se jurer fraternité, en s'engageant et s'obligeant par ser- 
ment l'un envers l'autre à la garde, süreté et défense des deux parties. 
lis devront être tous deux chevaliers ou gentilshommes , et, autant 
que faire se pourra, égaux en condition. Lesquels capitaines, ainsi liés 
et engagés à cette fin, devront préter solennellement à l'un et à 
l'autre desdits deux seigneurs, pour eux et les leurs, serment, hom- 
mage et fidélité, et s'obliger pleinement, en la forme qui est contenue 
au quatrième article. De plus ils jureront auxdits colléges de veiller à 
leur süreté et de protéger leurs personnes et celles des leurs. Pour ga- 
rant de sa fidélité à observer et à accomplir lesdites clauses, chacun 
desdits capitaines devra donner des otages convenables et compétents, 
en nombre égal, au gré desdits deux seigneurs, de telle sorte que 
celui qui aura été élu par l'un desdits deux seigneurs livrera ces 
otages à l'autre seigneur. Et il sera avisé à ce que lesdits capitaines 
amènent avec eux leurs enfants, s'ils en ont, ou bien leurs neveux, 
leurs fréres ou tout autre de leurs parents ou amis, pour les donner 
en otage. 


550 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« Item, quod ab utroque dictorum duorum dominorum fiat 
unum edictum et statutum late sentencie, in quo imponentur 
pene excommunicacionis et interdicti et inhabilitacionum ad 
beneficia , dignitates et honores tam ecclesiasticos quam secula- 
res, privacionum ab omnibus dignitatibus, feudis, vassallis et 
quibuscunque juribus, in plenissima forma juris, in casu quo 
dicti capitanei, vel alia quevis persona, cujuscunque dignitatis, 
status, gradus seu condicionis existat, offenderent in persona 
malicióse aliquem ex dictis duobus dominis vel ex dominis 
utriusque collegii. 

«Item, quod quilibet ex predictis duobus dominis debeat 
secum ducere ducentos homines armorum , qui intrent civitatem 
sine equis, cum totidem famulis et centum balistariis, quantum 
fieri poterit honestos et fidatos, per quemlibet dictorum duo- 
rum dominorum eligendos, pro custodia et defensione dictarum 
parcium, qui debeapt prestare juramentum similiter, ut in 
quarto et octavo articulis continetur. Et hii debeant subesse 
capitaneis ab utraque parte electis et in manibus eciam utriusque 
jurare. Et aliquo ipsorum capitaneorum deficiente, vel impedito 
aut remoto, ponatur per ipsius dominum alter ejusdem , quan- 
tum fieri poterit, condicionis , qui eamdem in omnibus potesta- 
tem et jurisdictionem excerceat et simile juramentum et securi- 
tatem prestet. Et ambo ipsi capitanei potestatem vel potestates 
et alios officiales, quos et unde et prout voluerint ponant, qui 
simile juramentum prestent et securitatem. 

« Item, quod portus galearum dividatur equaliter, ut fieri 
poterit, prout videbitur capitaneis maris, pro securitate et 
transquilitate fiendis. : 

« Item, quod ab utraque parte eligantur due persone, que 
habeant dividere civitatem in duas partes quantum poterunt 
equaliter, uno castro cum parte civitatis cuilibet assignato. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. | 551 


« Jtem, il sera fait par l'un et l'autre desdits deux seigneurs une 
ordonnance et constitution , portant peines d'excommunication et 
d'interdit, déclaration d'inhabileté aux bénéfices, aux dignités et à 
tous honneurs tant ecclésiastiques que séculiers , et privation de toutes 
charges, fiefs et hommages et de tous autres droits , en forme authen- 
tique , contre celui des capitaines ou contre toute autre personne, de 
quelque rang, état, titre et condition qu'elle soit, qui offenserait mé- 
chamment en sa personne quelqu'un desdits deux seigneurs, ou des 
membres de l'un et l'autre collége. 


« Jtem, chacun desdits deux seigneurs devra amener avec lui deux 
cents hommes d'armes, honnétes et sürs autant que faire se pourra, 
qui entreront dans la ville sans chevaux, deux cents valets et cent 
arbalétriers; lesquels seront choisis par chacun desdits deux seigneurs 
pour la garde et défense desdites parties, et devront également préter 
serment, ainsi qu'il est contenu aux quatrième et huitième articles. Ils 
devront aussi obéir aux capitaines élus par chaque partie, et prêter 
serment entre leurs mains. Au cas où l'un desdits capitaines viendrait 
à manquer par empêchement ou destitution, il en sera établi par son 
seigneur un autre à sa place, d'égale condition, autant que faire se 
pourra, qui exercera en toute chose méme autorité et juridiction , qui 
prétera méme serment et donnera mémes süretés. Et ces deux capi- 
taines établiront un ou plusieurs podestats et autres officiers tels qu'il 
leur plaira, qui préteront pareil serment et donneront mémes süretés. 


« Jtem, le port des galéres sera partagé également, autant que faire 
se pourra, et selon que les capitaines de mer le jugeront a propos 
pour la sûreté et la tranquillité publiques. 

« Jtem, il sera choisi de part et d'autre deux personnes qui seront 
chargées de partager la ville en deux parties égales, autant que faire 
se pourra, de telle sorte qu'il soit assigné à chacun un château avec 
une partie de la ville. 


592 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« Item, quod predicti capitanei civitatis habeant ordinare 
custodias , et habeant claves portarum , quas habeant custodire 
equaliter quantum fieri poterit, et de omnibus aliis ordinare et 
disponere que erunt ad custodiam et regimen civitatis et securi- 
tatem dictorum duorum dominorum et collegiorum ac secum 
veniencium, juxta commissionem eis per dictos duos dominos 
faciendam. Et quod dicti capitanei provideant quod nullus, cu- 
juscunque status, condicionis aut preeminencie sit, sine bulleta 
dictorum duorum capitaneorum civitatem ingrediatur, neque 
aliqua arma introducat, vel per civitatem portet, exceptis ar- 
migeris et balistariis predictis. Et quod omnia arma civitatis, 
tam offendibilia quam defendibilia, ponantur sub debita custo- 
dia et inventario in dictis castris equaliter, vel alibi, prout 
videbitur dictis duobus capitaneis. 

« Item, quod circa divisionem et assignacionem domorum et 
taxacionem precii ipsarum domorum et omnium victualium, 
circa eciam libertatem gabelarum et onerum, et de novo non 
imponendorum nec augmentandorum et de libertate rerum 
intromittendarum et aliis similibus serventur, et de novo obli- 
gentur per omnia, prout alias factum fuit, quando ibi curia 
prefati domini in Massilia residentis, aliquibus eciam additis , si 
capitaneis videatur, sine quorum vel aliorum eligendorum per 
eos licencia nullus possit domum recipere vel conducere in dicta 
civitate, et suburbiis ipsius civitatis , et aliis locis ab ipsis capi- 
taneis ordinandis; et quod teneantur cives et alii illas locare 
que placuerint dictis deputandis cum condecenti precio. Et si 
super predictis vel similibus esset vel oriretur aliqua dubietas, 
eligantur duo per prefatos capitaneos, pro parte sua, qui 
habeant omne dubium declarare et concordare. Et in casu 
quod ipsi sic electi non concordarent, addatur per ipsos 





554 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


quatuor unus quintus, et postea stetur determinacioni majoris 
partis ipsorum. 

« Item , quod quilibet ex duobus dominis introducat in civi- 
tatem pro servicio persone sue centum familiares tantum, et, 
camerarium, et duos prothonotarios, et viginti quinque pre- 
latos, et duodecim doctores in jure, duodecim magistros in 
theologia; ita quod quilibet prelatus habeat videlicet camera- 
rius quilibet duodecim, prothonotarius quilibet sex, thesau- 
rarius quilibet sex, quinque archiepiscopus, episcopus quatuor 
et abbas tres, doctor vel magister duos familiares. Et idem 
servetur de ambassiatoribus, si venerint, secundum status pre- 
dictos, comites archiepiscopis , barones episcopis, milites abba- 
tibus et ceteros magistris vel doctoribus comparando. 

« Item, quod quilibet cardinalis introducat in civitatem 
viginti familiares tantum, et nullus equitaturam ponat in civi- 
tatem nisi pro personis dictorum duorum dominorum et pro 
personis duntaxat dominorum utriusque collegii et utriusque 
camerarii et dictorum capitaneorum. 

« Item , quod obtineatur a gubernatore Janue, quod faciat 
pacem et concordiam cum Venetis , vel saltem ponat simpliciter 
totam questionem ipsorum in posse et ordinacione dictorum 
duorum dominorum, idem dominis Venetis facientibus, vel 
ultimo, si aliud obtineri non possit, det sufficientes securitates 
et obligaciones super omnimoda securitate omnium Venetorum 
veniendo, stando et redeundo, et similiter fiat in omnibus per 
communitates Venetorum et Januensium. Circa autem securi- 
tatem dandam per dictum dominum gubernatorem dictis do- 
minis et utrique parti, servetur forma que fuit servata cum 
ibi fuit curia dicti domini in Massilia residentis, prout presenti 
negocio magis ac melius adaptatur, scilicet quod dominus gu- 





596 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


bernator in persona sua sub juramento et fide sua et militari 
ipsius nobilitate, et cives Janue, scilicet anciani et officium pro- 
visorum, et alii majores de civitate, in numero quadringenta- 
rum personarum per se aut syndicum promittant et jurent, tam 
nomine proprio quam nomine civitatis, securitatem, promit- 
tentes utrisque dominis vel suis procuratoribus , eorum nomine 
vel quorum interest recipientibus, quod recipient ipsos et 
eorum quemlibet insimul et divisim cum collegiis, curialibus et 
gentibus suis quibuscunque infra suas civitates et castra, loca, 
litora, portus et districtus quoscunque tam per terram quam 
per mare, eciam cum gentibus armorum, in numero quo dic- 
tum est supra et infra, quodque fideliter custodient, protegent, 
et deffendent predictos et quemlibet ipsorum, et quoscunque 
alios hac occasione venientes, et bona sua contra omnes per- 
sonas, cujuscunque gradus, status, preeminencie sive condi- 
cionis existant, eciam cives, gentes, et quoslibet districtuales 
ac subditos communitatis Venetorum, cum dictis dominis vel 
altero eorum, cum galeis vel alias, secum vel sine eis, quovis- 
modo ad dictum negocium accedentes, ac preservabunt eos 
omnes, eciam Venetos, non obstante diferencia inter eos et 
dictum dominum gubernatorem et commune Janue nunc sub- 
sistente, vel alia causa quacunque, et salvabunt, et salvari 
facient illesos in personis et bonis ab omni molestia sui vel 
aliorum, tam in accessu quam in recessu et quamdiu ibi stete- 
rint vel transiverint, durante dicta convencione, et eundo et 
redeundo ab eadem; et quod majores de civitate Janue vel 
sindicus, vel alii qui possint cives singulos et civitatem obli- 
gare, laudent et approbent omnia predicta, quantum eos tan- 
git, et pro eis tenendis, servandis et complendis obligent 
sollemniter, in casu quo contravenerint, se et bona tam univer- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 557 


et les autres notables de la ville, au nombre de quatre cents, s'enga- 
geront sous serment par eux ou par leur syndic, tant en leur nom 
qu'au nom de la ville, envers les deux seigneurs ou leurs procureurs, 
qui recevront ce serment en leur nom ou au nom de ceux qui y auront 
intérêt, à les recevoir tous et chacun d'eux, ensemble et séparément, 
avec leurs colléges, leurs officiers et tous leurs gens, quels qu'ils 
soient, dans leurs villes et cháteaux, lieux, rivages, ports et districts 
quelconques, tant par terre que par mer, ainsi que leurs gens d'armes, 
au nombre qu'il est dit ci-dessus et ci-dessous; à garder, protéger et 
défendre fidélement tous et chacun d'eux, et tous ceux qui viendront 
à cette occasion, eux et leurs biens, contre toutes personnes, de quel- 
que rang, titre, état et condition qu'elles soient, comme aussi les 
citoyens, gens habitants des ‘districts et sujets quelconques de la 
commune de Venise, venant pour ladite affaire avec lesdits seigneurs 
ou l'un d'eux, avec leurs galéres ou autrement, avec ou sans eux, de 
quelque facon que ce soit; à les défendre tous, méme les Vénitiens, 
nonobstant le différend qui subsiste entre eux et ledit seigneur gou- 
verneur et la commune de Génes, et nonobstant toute autre cause ; à 
les garantir et faire garantir dans leurs personnes et dans leurs biens 
de toute violence tant pour eux que pour les autres, à leur arrivée, à 
leur départ, et pendant tout le temps qu'ils séjourneront à Savone, 
durant ladite réunion. Les notables de la ville de Génes ou le syndic, 
ou ceux qui peuvent obliger tous les bourgeois et la ville, approuve- 
ront et ratifieront toutes les choses susdites , en ce qui les concerne; 
ils promettront solennellement de les maintenir, observer et accom- 
plir, et engageront en cas de contravention leurs personnes et les 
biens, tant de la commune en général que de chaque citoyen de la- 
dite ville en particulier, et des villes et lieux de sa dépendance, sou- 
mettant leurs personnes et lesdits biens aux juridictions et coercitions 
des rois et seigneurs, tant ecclésiastiques que séculiers, dans les terres 
desquels lesdits biens se trouveront. Les mémes obligations pour- 
ront étre étendues et appliquées à d'autres lieux par des clauses par- 
ticuliéres. 


558 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


sitatis quam singularium personarum dicte civitatis, villarum 
et locorum ipsius, se et bona hujusmodi submitentes jurisdic- 
tionibus et cohercitionibus regum et dominorum, tam ecclesias- 
ticorum quam secularium, ubi dicta bona consistent; et hoc 
possit dictari et extendi cum clausulis opportunis. 

« Item, quod circa recepcionem , protectionem, securitatem 
et deffensionem dictorum duorum dominorum, ipsorum colle- 
giorum vel alterius ipsorum aut nomine curie seu familie , circa 
eciam securitatem et libertatem itinerum et quorumcunque ad 
dictos dominos vel eorum quemlibet veniencium, stancium et 
redeuncium, tam per mare quam per terram, circa insuper 
libertatem gabelarum aut aliorum onerum aut de novo non 
imponendorum seu augmentandorum et rerum omnium libere 
veniencium et aliis omnibus obtineatur a dicto domino guber- 
natore et civitate et communitate Janue, et aliis ad .,uos spectat, 
quidquid obtentum et concordatum fuit, quando curia dicti 
domini in Massilia residentis ibidem fuit, sic quo ad securi- 
tatem viarum et itinerum tam per terram quam per mare pro- 
videatur per dictum dominum gubernatorem, ancianos et con- 
silium provisionum Janue, prout ad ipsos et quemlibet ipsorum 
spectabit et spectet, quod vie et itinera tam maris quam terre 
et portus sint secura, ut predicti domini , collegia et curiales, et 
omnes ipsos sequentes, vel pro dicta causa accedentes , cum om- 
nibus bonis et rebus suis possint libere transire , eundo, stando 
et redeundo a dicta civitate Saone, tam per Januam quam per 
rippariam, comitatum et districtum suum, absque perturba- 
cione, molestia aut impedimento quocunque et quorumcunque. 
Circa guabelas autem, id facere debeant dictus dominus guber- 
nator et civitas Janue pro se et tota ripparia , comitatu et dis- 
trictu, quod scriptum est supra in decimo quarto capitulo fieri 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIIL — 559 


« Jtem , pour ce qui concerne la réception, protection, sûreté et 
défense desdits deux seigneurs, de leurs colléges ou del'un d'entre eux, 
et de ceux de leur cour ou de leur suite, ainsi que la süreté et la 
liberté des chemins à l'égard de tous ceux qui viendront et séjour- 
neront auprés desdits seigneurs ou de l'un d'eux et qui s'en retourne- 
ront, tant par terre que par mer; pour ce qui concerne aussi la 
franchise des gabelles ou des autres contributions, qui ne pourront 
étre imposées de nouveau ni augmentées, la liberté du commerce et 
toutes les autres choses, il sera obtenu dudit seigneur gouverneur, 
de la ville et de la commune de Génes et de ceux à qui il appartient, 
tout cé qui a été obtenu et accordé lorsque la cour dudit seigneur 
résidant à Marseille était ici. Quant à la süreté des routes et che- 
mins, tant sur terre que sur mer, il sera pourvu par ledit seigneur 
gouverneur, par les anciens et par le conseil des proviseurs de 
Génes , selon qu'il appartiendra et appartient à tous et chacun d'eux, 
à ce que ces routes et chemins, tant de mer que de terre, et les ports 
soient sûrs, afin que lesdits seigneurs, leurs colléges , les gens de leur 
cour et de leur suite, ou tous ceux qui viendront pour ladite affaire 
puissent passer librement avec tous leurs biens et équipages, tant par 
Génes, que par la riviére, les territoire et district qui en dépendent, 
sans obstacle, difficulté ou empéchement quelconque de la part de qui 
que ce soit, pour aller vers ladite ville de Savone, y séjourner et en 
revenir. Quant aux gabelles, ledit seigneur gouverneur et la ville de 
Génes devront faire pour eux, pour toute la riviére, pour les territoire 
et district, tout ce qui a été écrit ci-dessus dans le quatorziéme article 
devoir étre fait par ceux de Savone. Et il sera obtenu desdits gou- 
verneur, ville et commune de Génes, qu'à l'arrivée desdits seigneurs 
audit lieu, pendant leur séjour et à leur départ, il ne sera armé aucune 


960 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


debere per Saonenses, et ab eisdem domino gubernatore, civi- 
tate et communitate Januensi obtineatur quod , dictis dominis 
venientibus, stantibus et recedentibus a dicto loco, nulla galea 
in dicta ripparia Janue armetur, nisi de predictorum domino- 
rum expresso consensu, galea guardie duntaxat excepta. 

«Item, quod obtineatur a supradictis quod gentes, galee 
et alia. navigia dictarum duarum parcium possint libere et 
secure venire, secure stare-et redire, in quocunque portu sub 
dominio dicti gubernatoris aut communis Janue existente. 

« Item, quod castra, que sunt de obediencia predicti domini 
in Massilia residentis inter Senam et Saonam, ponantur pro 
dicto tempore sub custodia, dominio et regimine dictorum 
duorum dominorum, datis per ambas partes dominis dictorum 
castrorum sufficientibus caucionibus et securitatibus de resti- 
tuendo eadem statu in quo fuerint consignata, et assignentur 
ad usum partis dicti domini in urbe residentis propter iter et 
viam Sene. 

« Item, quod a dominis castrorum ripparie, tenentibus in- 
gressus et passus patrie, habeatur debita securitas de trans- 
eundo, stando et recedendo, deffendendo et protegendo et non 
permittendo quod ab aliquo violencia aut dampnum fieri possit 
alicui parti. 

« Item, inhibeatur cum proclamacione et gravi pena quod 
nullus audeat antipapam vel intrusum vel anticardinalem vel 
antiarchiepiscopum vel antiepiscopum et sic de aliis nominare, 
sed quilibet sit liber in vocando papam vel cardinalem et alios 
quomodo voluerit. 

« Item, in omni eventu certus et firmus ! in quo dicta con- 
vencio fieri debeat habeatur, absque alia dilacione. Si racione 


' Il faut supposer ici l'omission du mot locus. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 564 


galére en ladite riviére de Génes, sans le consentement exprés desdits 
seigneurs, excepté la galére de garde. 


« Jtem, il sera obtenu desdits gouverneur et citoyens que les gens, 
les galéres et les autres navires desdites deux parties puissent aller, 
venir et séjourner librement et sûrement dans tous les ports placés 
sous l'autorité dudit gouverneur ou qui dépendent de la commune de 
Génes. 

« Jtem , les châteaux entre Sienne et Savone, qui sont sous l'obéis- 
sance dudit seigneur résidant à Marseille, seront placés pendant tout 
le temps de l'entrevue sous la garde, autorité et puissance desdits 
deux seigneurs, qui promettront aux seigneurs desdits cháteaux , avec 
cautions et garanties suffisantes, de les rendre dans le méme état qu'ils 
les auront recus; lesquels cháteaux seront assignés à l'usage des par- 
tisans dudit seigneur résidant à Rome pour la sûreté des route et che- 
min de Sienne. 


« Jtem, les seigneurs des châteaux de la rivière, qui tiennent les 
entrées et passages du pays, devront promettre, avec süretés suffi- 
santes, de laisser passer, séjourner et repartir, de défendre et protéger 
les deux parties, et de ne pas permettre qu'il puisse leur étre fait 
violence ou dommage par qui que ce soit. 


« Jtem, il sera fait défense avec proclamation, et sous des peines 
sévéres, de prononcer les noms d'antipape, d'intrus, d'anticardinal, 
d'antiarchevéque ou d'antiévéque et autres noms semblables; chacun 
seta libre d'employer à son gré les dénominations de pape, de cardinal 
ou autres semblables. 


« Jtem, à tout événement, on déterminera et l'on fixera un autre 
lieu où ladite réunion puisse se faire sans délai, si à raison de la peste 
ou de tout autre cas d'empéchement légitime, il est résolu d'un com- 
mun accord de part et d'autre qu'on quittera ladite ville de Savone, 

It. 71 


562 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


pestis, vel quovis alio interveniente casu legittimo, de discedendo 
de dicta civitate ab utraque parte fuit concorditer deliberatum, 
seu predicte condiciones, videlicet de securitatibus dandis per 
gubernatorem et communitatem Janue ambabus curiis et Ve- 
netis, et de dominio Saone habendo ac de divisione civitatis et 
castrorum ipsius civitatis non fuerunt adimplete, prefatus 
dominus in Massilia residens et suum collegium acceptare te- 
neantur unum de locis sibi oblatis per prefatos reverendos 
patres dominos nuncios et oratores dicti nostri domini in urbe 
residentis , et in eodem loco cum predicto domino in urbe resi- 
dente et suo collegio ad sacratissimam unionem Ecclesie perfi- 
ciendam debeant personaliter convenire, datis consimilibus 
securitatibus et commoditatibus et aliis, secundum loci dispo- 
sicionem necessariis. Acta fuerunt hec Massilie, apud monaste- 
rium Sancti Victoris in camera . ..... 1 residencie prefati. 


CAPITULUM III. 


De prima deliberacione legatorum Francie, et de mutuis litteris eorum et 


nunciorum romanorum. 


Hujus autem desiderabilis unionis sollempnes prenominati 
nuncii a rege et gallicana ecclesia destinati, cum Villam Novam 
ultima die apprilis attigissent, mox in convocacione prima, ab 
universis exacto et prestito juramento quod omnia que ad 
legacionem pertinebant fido silencio intra se contegerent, et 
secundum instructiones datas erga ambos contendentes proce- 
derent, inde sequencia concluserunt : 

Et primum, quoniam causa Dei agebatur, que non humanis 
subjaceret ingeniis, sed Dei dono pocius expectanda esset, 


' ll y a ici deux mots illisibles dans le manuscrit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 563 


ou si lesdites conditions touchant les süretés à donner par le gou- 
verneur et par la commune de Génes aux deux cours et aux Vénitiens, 
comme aussi touchant le gouvernement de Savone et le partage de 
la ville et des cháteaux d'icelle, ne sont pas remplies; ledit seigneur 
résidant à Marseille et son collége seront tenus d'accepter un des 
lieux à eux offerts par lesdits révérends péres et seigneurs députés et 
ambassadeurs de notredit seigneur résidant à Rome, et ils devront se 
réunir en personne dans ledit lieu avec ledit seigneur résidant à Rome 
et avec son collége, pour l'accomplissement de la trés sainte union de 
l’Église, en donnant les mémes süretés et commodités, selon ce que 
la disposition du lieu fera juger nécessaire. — Fait au monastère de 
Saint- Victor-lez-Marseille, en la chambre assignée audit seigneur 
pour sa résidence. » 


CHAPITRE III. 


Premiére délibération des ambassadeurs de France. — Lettre de ces ambassadeurs 
et réponse de ceux de Rome. 


Les ambassadeurs envoyés par le roi et l'Église de France pour 
l'accomplissement de l'union tant souhaitée, étant arrivés à Villeneuve 
le dernier jour d'avril, y tinrent aussitót une premiére assemblée, 
dans laquelle ils s'engagérent tous par serment à garder fidèlement le 
secret sur tout ce qui concernait leur ambassade, et à suivre ponc- 
tuellement à l'égard des deux compétiteurs les instructions qui leur 
avaient été données. Voici les résolutions auxquelles ils s'arrétérent : 


Et d'abord, comme il s'agissait de la cause de Dieu, qui ne 
dépend pas des jugements humains, mais dont la décision se doit 
attendre de la grâce de Dieu méme, il fut réglé qu'on ferait des 
priéres pour la paix, et qu'on célébrerait le lendemain une messe 


564 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


placuit precibus pacem exposcere celebrando in crastino die 
sollempnem missam de Spiritu Sancto, ut omnium corda suo 
amore succensa recto tramite ad pacem dirigeret. 

Ut consideracius eciam et melius tanta causa duceretur, et 
domini patriarche grave onus partitum in plures levius fieret, 
omnibus visum est expedire quatuor viros honorabiles ex lega- 
cione nominari, qui, per se considerando et ex aliis accipiendo 
que convenirent ad congregacionem omnium referri, sepe pa- 
triarcham adirent, sollicitarent, sub cedulis deliberanda trade- 
rent, nullatenus ejus auctoritate minuta. 

Una eciam omnium caritate probatum, ut ita cuncti circa 
legacionis promocionem studerent, ac si ad unum tantummodo 
tota legacio spectaret; que vero quisque opportuna invenisset, 
uni ex prenominatis quatuor aut ipsi patriarche nunciare de- 
beret, ut singulorum consilia universi aut probarent, aut res- 
puerent aut purgarent, et res communis omnium communi 
animo ageretur. 

Placuit iterum dominum patriarcham vota ordine certo pe- 
tere, aut ab antiquioribus aut a junioribus pro suo arbitrio 
inchoando, ne defectus ordinis confusionem pareret et plurium 
animos offenderet , dum, ubi non esset ordo, facile interveniret 
aliquarum pretermissio. 

Et quia a fidis amicis plerisque erat timor immissus , et quia 
egredientibus regnum de more est non absque scitu domini 
loci transire, quanquam videretur hic motus sine causa suscep- 
tus, nec consuetum ut Franci Avinionem transituri aliquid pre- 
significent, placuit tamen locum tenentem senescalli Belli Qua- 
dri ad capitaneum papalis palacii pro tuto transire destinari. 
Cui cum omnia benigne ac amice responsum esset, timor in- 
Jectus abiit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 565 


solennelle du Saint-Esprit, afin d'obtenir qu'il échauffát les coeurs 
du feu de son amour et les dirigeát dans le vrai chemin de la paix. 


Pour qu'une affaire si importante füt conduite avec plus de sagesse 
et de maturité, et que monseigneur le patriarche eüt à porter un 
fardeau moins lourd, il fut résolu qu'on partagerait ses fonctions entre 
plusieurs et qu'on choisirait parmi les membres de la députation 
quatre personnes notables, qui seraient chargées de se concerter entre 
elles et de prendre conseil des autres sur tout ce qu'il conviendrait 
de soumettre à l'assemblée générale, qui s'aboucheraient fréquemment 
avec le patriarche pour le consulter, et lui remettraient par écrit les 
questions à débattre, sans que cela diminuát en rien son autorité. 

Il fut convenu d'un commun accord que chacun travaillerait au 
succés des négociations, comme s'il en était seul chargé, et que, si l'un 
d'eux trouvait quelque chose d'utile à faire, il en informerait une des 
quatre personnes susdites ou le patriarche lui-méme, afin que l'as- 
semblée pût approuver, rejeter ou réformer les avis de chacun, et 
qu'une aífaire commune à tous füt traitée dans un commun esprit. 


I] fut ensuite arrêté que monseigneur le patriarche recueillerait 
les suffrages dans un ordre régulier, en commençant par les plus 
anciens ou par les plus jeunes à son gré, afin d'éviter toute confu- 
sion; car le défaut d'ordre pourrait faire commettre quelque omis- 


sion et mécontenter certaines personnes. 


Des amis fidéles ayant fait concevoir certaines craintes à plusieurs 
des ambassadeurs, et leur ayant représenté qu'il est d'usage que ceux 
qui sortent du royaume n'entrent point dans les terres d'un autre sou- 
verain sans l'en prévenir, il fut résolu qu'on enverrait le lieutenant 
du sénéchal de Beaucaire vers le capitaine du palais pontifical pour 
demander des passeports, quoique ces craintes parussent sans fonde- 
ment et qu'il ne füt pas habituel aux Fraucais d'user de cette précau- 
tion pour aller à Avignon. La réponse favorable et bienveillante du 
capitaine dissipa toutes les appréhensions. 


566 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


Decretum est eciam premittendos Massiliam duos ex legatis 
ad dominum cardinalem de Tureyo, camerarium pape, civitatis 
Massiliensis subditos, super certis punctis illis explicandis, et 
inter cetera ut in die mercurii proxima totam legacionem Aquis 
futuram, et deinde celeriter Massiliam ingressuram prenuncia- 
rent. Ad legatos eciam Romanorum super isto proposito apices 
direxerunt sub hac subscripcione : 

« Reverendis patribus et dominis, dominis Antonio Moto- 
nensi, Guillelmo Tudertensi episcopis , et Antonio de Butrio 
« utriusque juris doctori Bononiensi, amicis nostris carissimis. 


A 


« Reverendi patres ac domini carissimi, transmisse apud 
« dominum regem domini vestri littere continebant quod, ad 
« audiendum cognoscendumque plenius que inter dominum 
« nostrum summum pontificem vestrasque reverencias diceren- 
tur et tractarentur utrinque, placeret eidem domino nostro 
regi suos nuncios: Massiliam destinare. Idcirco placeat scire 
« quod heri hic applicantes speramus . .. . * mercurii proxima 
« Aquis personaliter, omnes inde quam cicius poterit Massiliam 
« intraturi, precantes affectuosissime totis votis quod pro tanto 
« bono pacis, quam, auxiliante Domino, proximam expecta- 
« mus, vestras reverencias non pigeat Massilie permanere, 
« nobisque vestrarum paternitatum et dominacionum bene- 
« placita intimantes. Easdem reverencias et dominaciones ves- 
« tras salvet Omnipotens, auctor pacis. 

« Patriarcha, episcopi, abbates, doctores et alii serenissimi 
« principis domini nostri regis Francorum et Ecclesie gallicane 


^ 


A 
PR 


« oratores et nuncii. » 


‘ Ce passage est altéré dans le manuscrit. Pour compléter le sens, il faudrait lire: 
speramus adesse die mercurii. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 567 
I] fut encore décidé qu'on enverrait à Marseille deux des ambas- 


sadeurs, pour s'entendre sur certains points avec monseigneur le car- 
dinal de Thury, camérier du pape, et avec les Marseillais, et pour leur 
donner avis que le mercredi suivant toute la députation serait à Aix 
et se rendrait de là sans délai à Marseille. Une lettre fut en outre 
adressée :ux ambassadeurs de Rome avec cette suscription : 


« 


« Aux révérends pères et seigneurs, messeigneurs Antoine évêque 
de Modon, Guillaume évêque de Todi, et Antoine de Butrio doc- 
teur en droit civil et en droit canon de l'université de Bologne, 
nos trés chers amis. 

« Révérends péres et trés chers seigneurs, les lettres adressées par 
votre seigneur à notre sire le roi l'ayant convié d'envoyer ses ambas- 
sadeurs à Marseille, pour entendre et connaitre pleinement ce qui 
serait dit et traité entre notre seigneur le pape et vos révérences, 
il vous plaira de savoir que nous sommes arrivés hier ici et que 
nous comptons être en personne à Aix mercredi prochain, pour de 
là nous rendre au plus tót à Marseille. C'est pourquoi nous sup- 
plions trés affectueusement et trés instamment vos révérences de 
vouloir bien nous attendre à Marseille dans l'intérét de la paix, qui, 
nous l'espérons, sera bientót conclue, avec l'aide de Dieu. Veuillez 
nous faire connaitre les ordres de vos paternités et seigneuries. 
Que le Tout-Puissant, auteur de la paix, vous ait en sa garde. 


« Signé : le patriarche, les évéques, abbés, docteurs et autres dé- 


« putés et ambassadeurs du sérénissime prince monseigneur le roi de 
« France et de l'Église gallicane. » 


568 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


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Ad ipsas autem litteras legati romani taliter rescripserunt : 
« Reverendis patribus et dominis precarissimis, domino 
Symoni, dicto patriarche Alexandrino, et aliis ambassiato- 
ribus sacre regie majestatis Francie et excellentissime Uni- 
versitatis Parisiensis pro sancte unionis Ecclesie negocio ordi- 
natis, et cuilibet eorumdem. 

« Reverendi patres et domini precarissimi, leti plurimum et 
contenti de accessu vestro quem audivimus et vos, domine 
patriarcha, scripsistis, studuimus putantes fore melius et de- 
cencius obviam vobis esse in ebdomada ista sic posse cre- 
dentes, postquam de civitate Saone pro loco convencionis et 
aliis ad id pertinentibus conclusetenus, ut scripsimus. Con- 
clusorum autem expediciones vitantes, pro brevitate quam 
scribitis serenissimo regi Francie et regnicolis gratam, et 
nos scimus acceptam pre ceteris sanctissimo domino nostro, 
qui tanto ad hanc sacratissime unionis perfectionem ducitur 
desiderio, quod momentum temporis annus sibi esse videtur. 
Vestram jam putabamus hic habere presenciam, quam in 
diem avidius prestolamur. Quapropter vos precamur ut venire 
studeatis quam potestis celerius, ita quod insimul convenire 
possimus, et nos prosequi iter nostrum ad regiam majesta- 
tem, diem nobis scribentes qua firmiter creditis hic adesse, 
parati continue ad omnia grata vobis. — Datum Massilie, die 
penultima apprilis, quinta decima indictione. 

« Antonius Motonensis, Guillelmus Tudertinus, Antonius 
de Butrio, utriusque juris doctor Bononiensis, oratores et 
nuncii domini nostri pape. » 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 569 


Les ambassadeurs de Rome répondirent à cette. lettre en ces termes : 

« Aux révérends pères et trés chers seigneurs, monseigneur Simon 
« dit patriarche d'Alexandrie , et autres ambassadeurs de sa sacrée 
« majesté le roi de France et de la trés excellente Université de Paris, 
« députés pour le fait de la sainte union de l'Église, et à chacun d'eux 
« en particulier. 


« Révérends péres et trés chers seigneurs, nous avons appris avec 
« heaucoup de contentement et de joie votre arrivée, qui nous a été 
« confirmée par votre lettre, monseigneur le patriarche. Nous avons 
« pensé qu'il serait plus à propos et plus convenable d'aller à votre 
« rencontre, et que nous pourrions le faire cette semaine, la ville 
« de Savone ayant été choisie pour le lieu de l'entrevue, et toutes les 
« choses relatives à cette affaire étant convenues, ainsi que nous 
« l'avons écrit. Pour abréger, nous ne vous envoyons pas copie des 
« résolutions qui ont été prises. Vous nous mandez qu'il serait agréable 
« au trés sérénissime roi de France et aux Francais que la chose se 
« fit promptement. Nous pouvons assurer que notre trés saint seigneur 
« le désire aussi ; car il a tant à cœur l'accomplissement de la trés sainte 
« union, qu'un moment lui parait une année. Nous pensions vous 
« trouver déjà ici, et nous vous attendons de jour en jour avec plus 
« d'impatience. C'est pourquoi nous vous prions de vous háter le plus 
« qu'il vous sera possible, afin que nous puissions conférer ensemble, 
« et que nous nous rendions ensuite auprés du roi. Mandez-nous quel 
« jour vous croyez étre ici; nous serons toujours préts à faire tout 
« ce qui peut vous étre agréable. — Donné à Marseille l'avant-der- 
« nier jour d'avril, indiction quinziéme. 

« Signé : Antoine évêque de Modon, Guillaume évêque de Todi et 
« Antoine de Butrio, docteur en droit civil et en droit canon de 
« l'université de Bologne, députés et ambassadeurs de monseigneur 


« le pape. » 


I1. 72 


570 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM IV. 


Deliberatum extiüt quid proponeretur coram papa, et quid Romani senciebant in 
tractatu jam firmato. 


Sic bene gerendarum rerum fundamentis in prima delibera- 
cione jactis, secunda die maii, in Villa Nova rursus congrega- 
cio facta, que principaliter circa proposicionem primam per 
patriarcham coram papa faciendam versata fuit; ubi concor- 
diter, nemine contradicente, conclusum significandum primo 
pape nichil patriarcham dicturum quod animum ejus debeat 
ledere. Hec vero proponi opportere visum est secundum for- 
mam instructionum ac litterarum principalium, primo ut ma- 
gnifice gracie exhibeantur pape, quod viam cessionis sub bullis 
acceptatam regi Francorum et omnibus christianis obtulisset; 
oretur enixe ut constanter perseveret ut viam oblatam, prop- 
ter demovendas multorum oppiniones ambiguitates in suis 
bullis deprehendencium, clare se secuturum affirmet, non 
quod ambiguitates ille singulatim per puncta disputande vi- 
deantur, sed , secundum instructiones procedendo, orabitur ut 
dicat se redditurum pacem Ecclesie, cedendo pure, simpliciter 
ac libere, omnibus viis aliis retropositis. 

Obsecrandum eciam esse visum est ut in omni tractatu suo, 
sive cum adversariis, sive cum suis adherentibus, omnem ser- 
monis vitet ambiguitatem ; promittendum eciam ei regem para- 
tissimum, post hanc cessionem, juxta suam possibilitatem , de 
securitate et aliis necessariis pro persona sua libenter provisu- 
rum, secundum modum ab ipso papa eligendum. Dicendum rur- 
sus ei in hac proposicione videbatur quod, responsione super 
propositis accepta, quedam alia nulle responsioni anteferenda 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 5714 


CHAPITRE IV. 


On délibére sur ce que l'on dira au pape et sur ce que les Romains pouvaient penser 
du traité conclu. 


Les ambassadeurs, aprés avoir ainsi posé les bases des négociations 
dans leur premiere conférence, tinrent une nouvelle assemblée à Ville- 
neuve, le 2 mai, et délibérérent principalement sur la teneur du pre- 
mier discours que le patriarche adresserait au pape. Il fut décidé sans 
opposition et d'un commun accord qu'il commencerait par assurer le 
pape qu'il ne dirait rien qui pát l'offenser. Il fut ensuite résolu que, 
conformément aux lettres et aux instructions qu'on avait recues, on 
rendrait au pape de grandes actions de gráces de ce qu'il avait dé- 
claré par ses bulles au roi de France et à tous les chrétiens qu'il 
acceptait la voie de cession; qu'on le prierait instamment de per- 
sévérer avec constance dans son intention de suivre la voie qu'il 
avait offerte, et d'en donner de nouveau l'assurance formelle, afin 
de faire cesser les doutes de ceux qui trouvaient quelque ambiguité 
dans ses bulles; qu'on lui demanderait, non pas de discuter de point 
en point ces ambiguités, mais de déclarer qu'il rendrait la paix à 
l'Église, en adoptant la voie de cession purement, simplement et 
librement, à l'exclusion de toutes les autres voies. 


Il fut résolu en outre qu'on le supplierait d'éviter toute ambiguité 
de langage dans les traités qu'il ferait soit avec ses adversaires soit avec 
ses adhérents, et qu'on lui certifierait qu'aussitót aprés la cession le 
roi était tout prét à pourvoir à sa süreté et à tout ce qui pourrait lui 
étre nécessaire, selon son pouvoir et en telle maniére que le pape le 
désirerait; qu'on lui dirait aussi qu'aprés avoir recu sa réponse on 
exposerait, avec sa permission, en présence du sacré collége et des 
' autres personnes qu'il lui plairait de convoquer, certaines choses qui 
ne pouvaient étre exposées avant cette réponse. 


572 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


ei cum sua bona gracia coram sacro collegio et aliis quos ad- 
vocare placeret exprimerentur. 

Visum est eciam concorditer non expedire novum tractatum 
requiri, sic videlicet quod ambo contendentes renunciare ve- 
lint per procuratores, ut in instructionibus tangebatur, nisi 
prius per quatuor ex congregacione electos super eadem ques- 
tione veritas tam juris quam facti quesita ad legatos relata esset, 
et quidquid faciendum per eos sentenciatum. 

Cedula eciam tractatus pacis inter dominum Benedictum et 
suum adversarium in hac congregacione articulatim recitata, 
tacta fuerunt dubia : primo de interrogando legatores Roma- 
norum, si sciant Romanos hunc locum Saone gratum habi- 
turos, securine sint adventum Gregorii in hunc locum ab urbe 
tam distantem et in obediencia nostra existentem per eos non 
impediendum. 

Secundo, tactum est de non abreviando terminum pre- 
fixum pro convencione. Cum eniin per dominum Tudertinum 
causa tante tarditatis una poneretur, difficultas habendi pro 
parte Gregorii tot galeas in brevi tempore, videbatur posse 
huic incommodo occurri, si a Januensibus aut aliunde assume- 
rentur galee, impositis rectoribus ad beneplacitum Gregorii 
et suorum. 

Tercio, tangebatur circa condicionem, quod videbatur ex 
nunc particulariter designandus certus locus future convencio- 
nis, in casu quo Saona impedimentum reciperet. 

Quarto, tangebatur difficultas alias per dominum cancella- 
rium mota de requisicione novi tractatus, sic videlicet quod 
ambo velint renunciare per procuratores. Et quod alias fuit 
deliberatum prius materiam hanc disputandam quam aliquid 
concluderetur, ad majorem certificacionem et utilitatem ne- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIIL — 573 


Il fut résolu enfin qu'on ne requerrait pas un nouveau traité, au 
cas oà les deux compétiteurs voudraient renoncer par procureurs, 
comme il était dit dans les instructions , mais que seulement la vérité 
de droit et de fait sur cette question serait débattue préalablement 
par quatre personnes choisies dans l'assemblée et soumise ensuite aux 
ambassadeurs, qui statueraient sur tout ce qu'il y aurait à faire. 


On lut aussi dans l'assemblée, article par article, la cédule du traité 
de paix conclu entre monseigneur Benoit et son adversaire, et l'on 
jugea à propos d'examiner certains points douteux, et premiérement, 
de demander aux ambassadeurs de Rome s'ils savaient que les Romains 
eussent pour agréable le choix de la ville de Savone, s'ils étaient sûrs 
qu'ils ne s'opposeraient point au départ de Grégoire pour un lieu si 
éloigné de Rome et qui était situé dans notre obédience. 


Secondement , on agita la question du terme fixé pour l'entrevue. 
Monseigneur de Todi ayant demandé que le terme ne füt point rap- 
proché, en raison de la difficulté que Grégoire éprouverait à se pro- 
curer des galères en peu de temps, on pensa qu'il était possible 
d'obvier à cet inconvénient en empruntant des galéres à Génes ou 


ailleurs, à la charge de laisser le choix des pilotes audit Grégoire et 
aux siens. 


Troisiémement , on revint sur la proposition qui avait été faite de 
désigner sur-le-champ un autre lieu pour l'entrevue, au cas où il y 
aurait quelque empéchement pour Savone. 

Quatriémement, on s'occupa de la difficulté soulevée par monsei- 
gneur le chancelier relativement à la réquisition d'un nouveau traité, 
si les deux compétiteurs voulaient renoncer par procureurs, et de la 
question déjà agitée de discuter cette matiére avant de rien conclure. 
Il sembla que, pour plus de süreté et dans l'intérét de l'affaire, il serait 
bon d'interroger à part les ambassadeurs de Rome et de leur demander 


514 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VIII. 


gocii, videbantur interrogandi ad partem legati romani, an 
sciant certitudinaliter dominum suum cessurum, in casu quo, 
domino nostro suum debitum non faciente, et substractione 
ei facta, adiretur a nobis secundum formam instructionum 
nostrarum. 

Quinto, tractatus concordie in hoc diminutus videbatur, 
quod non continet provisionem sufficientem, in casu mortis 
alterius contendencium, cum totus sit de convencione perso- 
nali, que mortuo negaretur, et quod magis urget, quod colle- 
gium nostrum non fecerit provisionem similem in casu mortis 
alterius contendencium , sicut aliud; quod circa hoc videbatur 
requirendum ipsum collegium, ut idem medio juramento ac 
voto promitteret quod adversarii sui promiserunt, circa hoc 
loquendum videbatur domino cardinali de Tureyo, et hoc non 
per modum determinacionis, sed advisamenti. 


CAPITULUM V. 


Quid legati cum cardinali super agendis concluserunt. 


Die quarta maii, legati Francie Aquis, Provincie nobilem civi- 
tatem et antique glorie adhuc imaginem pre se ferentem, ve- 
nientes, eos labor itineris vigilia et die Ascensionis Dominice 
consistere compulit; qua die tamen Tudertini episcopi adventus 
luce sequenti nunciatur. Qui quamvis reputaretur intrusus et 
victus venire videretur, judicatum tamen fuit partem legacionis 
designandam , que ei obviaret. Quanquam enim ab intruso cre- 
dito mitteretur, plus tamen valere opportere creditum est sanc- 
tam affectionem mittentis ad unionem Ecclesie, ut suo legato 
honor exhiberetur, quam retrahere intrusionem ut denega- 
retur. Tunc eciam cautum est ne illi, qui non erant in lega- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV XXVIII. — 575 


s'ils savaient d'une maniére certaine que leur seigneur füt disposé à 
céder, au cas où on irait le trouver conformément aux instructions, 
Benoit manquant à son devoir, et soustraction d'obédience lui étant 


faite. 


Cinquièmement, comme le traité d'union semblait vicieux en ce 
qu'il ne contenait pas des dispositions suffisantes en cas de mort de 
l'un des prétendants, parce qu'il ne s'agissait que d'une entrevue per- 
sonnelle, qui ne saurait avoir lieu pour un mort, et surtout parce 
que le collége d'Avignon n'avait point fait de dispositions comme 
l'autre en cas de mort de l'un des prétendants, on jugea à propos de 
requérir à ce sujet ledit collége de promettre par serment et formel- 
lement ce qu'avaient promis ses adversaires, et l'on décida qu'on en 
parlerait à monseigneur le cardinal de Thury, non comme d'une dé- 
termination prise, mais sous forme d'avis. 


CHAPITRE V. 


Résolutions prises par les ambassadeurs de concert avec le cardinal. 


Le 4 mai, les ambassadeurs de France ärrivèrent à Aix, l'une des 
villes les plus considérables de la Provence, et qui conserve encore 
des traces de son antique splendeur. La fatigue du voyage les forca 
de s'y arréter la veille et le jour de l’Ascension. Le jour de cette fête, 
ils reçurent avis que l’évêque de Todi arriverait le lendemain. Quoi- 
que, suivant eux, il ne füt qu'un intrus, et qu'il ne vint que parce 
qu'il y était forcé et comme ambassadeur de celui qu'ils tenaient pour 
intrus, ils crurent cependant devoir envoyer à sa rencontre une 
partie de la députation , aimant mieux, en considération du saint zèle 
que son maitre montrait pour l'union de l'Église, lui rendre les hon- 
neurs dus à son titre, que de les lui refuser sous prétexte de cette 
intrusion. Ils décidérent ensuite que ceux qui ne faisaient point partie 


576 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


cione regis aut. Ecclesie nominati, consiliis se, uti ceperant, 
ingererent, sed tantum vocati venirent, invocati foris ma- 
nerent. 

Tudertinus autem auditus eleguanter ac diserte totum trac- 
tatum, quem legati nomine cum papa Benedicto ipse cum suis 
collegis habuisset, ordine narravit, et quomodo nominando 
locum convencionis multa convicia hinc inde interjecta. In 
calce eciam verborum satis significavit inde Tudertinus tem- 
poris tarditatem Romanorum parte provenisse, cum dixit non 
sine miraculo posse Gregorium celerius Saonam accedere quam 
in festo sancti Michaelis, et cum pleraque alia enarraret , nun- 
cius supervenit, nuncians die sequenti cardinalem de Tureyo 
venturum. 

Ipsa die igitur, matutina congregacione celebrata, atten- 
dentes quoniam gens ytala plerumque rumoribus agitur, bonis- 
que sic benevola uti sinistris inimica, placuit premitendum 
Romam terrestri itinere Robertum Heremitam, qui, Ytalos per 
singulas civitates et de adventu legatorum Francie pacem pe- 
tencium et de sincero affectu regis ad ecclesiasticam unitatem 
instruendo , transituris per eas faventes ac benevolos efficeret. 
Iterum conclusum est quod in omnibus agendis cardinalis con- 
silio uterentur; et sic ipsi, preter spem omnium nepotem Gre- 
gorii, dictum Motonensein episcopum, et Anthonium de Butrio 
collegam suum secum Massilia ducenti, simul obviam proces- 
serunt. Dum ad mediam pene leucam petroso et angusto itinere 
processissent , apparuit tandem locus apertus, ubi dilatati ex- 
pectaverunt, duabus quasi turmis factis, altera anteriori ex 
magistris, altera posteriori ex famulis; et quia jam ad eos 
appropinquabat , gratulabundi utrinque dextras jungunt, ruunt 
in oseula, invicem complectuntur, qui unam pacem petebant. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 911 


de l'ambassade du roi ou de l'Église n'assisteraient plus aux confé- 
rences, comme ils l'avaient fait jusqu'alors, et qu'ils se tiendraient 
dehors et ne viendraient que quand ils seraient appelés. 


Lorsque l'évéque de Todi obtint audience, il exposa dans un élo- 
quent discours tout le traité que lui et ses collègues avaient conclu 
comme ambassadeurs avec le pape Benoit, et rappela les propos inju- 
rieux qui avaient été tenus de part et d'autre, lorsqu'il avait fallu 
choisir le lieu de l'entrevue. La fin de son discours fit bien voir que 
le retard venait de la part des Romains; car il déclara que Grégoire 
ne pourrait, sans un miracle , se trouver à Savone avant la fête de saint 
Michel. Pendant qu'il parlait, survint un envoyé qui annonça l'erri- 
vée du cardinal de Thury pour le lendemain. 


Le lendemain donc, les ambassadeurs s'assemblérent dés le matin. 
Considérant que les Italiens se laissent facilement aller à des préven- 
tions favorables ou contraires, suivant les bruits divers qu'on répand 
autour d'eux, ils résolurent d'envoyer par terre à Rome Robert l'Er- 
mite, pour annoncer dans chaque ville d'Italie l'arrivée des ambassa- 
deurs de France et leur assurer partout un bon accueil, en faisant 
connaitre leur désir d'obtenir la paix et le zèle sincère du roi pour 
l'union de l'Église. Ils arrétérent aussi qu'en toutes choses ils auraient 
recours aux conseils du cardinal. Ils allérent donc tous ensemble au- 
devant de monseigneur de Thury, qui, contre l'attente générale, 
amenait avec lui de Marseille l'évéque de Modon , neveu de Grégoire, 
ét Antoine de Butrio son collègue. Après avoir fait à peu prés une 
demi-lieue dans un chemin pierreux et étroit, ils arrivérent dans une 
plaine, où ils se trouvérent plus à l'aise et l'attendirent séparés en deux 
corps, dont le premier était composé des maîtres et le second des ser- 
viteurs. Le cardinal parut bientôt; les ambassadeurs et lui s'abordé- 
rent avec un empressement qui témoignait de leur amour mutuel pour 
la paix , se donnèrent la main et échangèrent entre eux des félicita- 
tions et des embrassements. 


1H. 73 


018 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


In ejus ergo presencia dominus patriarcha, uti mane con- 
clusum fuerat, primo excusacionem premittit, quod eum quo- 
dam modo ad eos nunciis evocassent, gracias agit quod digna- 
tus erat se adeo humiliare; exponit, cum esset regni indigena, 
regis consiliarius, cumrab inicio inchoati processus pre ceteris 
post regem hanc causam egregie duxisset, rex, legacio, Univer- 
sitas singularem in eo spem fiduciamque reponerent, et ipsos 
potissimum ejus colloquium petisse, certos eciam se veritatem 
sine dubietate prolaturum; audisse jam eos multa a Tudertino, 
ei fidem habere, sed nonnullos de domino nostro minus bene 
contentos cupere de sua affectione cercius instrui. 

Tum ille, alcius exordia repetens, ab eo orsus est qualiter 
propter pacem in Ytaliam profectus fuerat et postea a suis 
fratribus revocatus. Scivisseque se dicit collegium cardinalium 
eos convocacionem consilii hujus obediencie peciisse ac obti- 
nuisse, quam rem, quod pacem differre novis viis ac difficul- 
tatibus videretur, collegium ipsum egre tulisse. Retulit quod, 
dum hinc inde in varias partes disputaretur, Angelus Corrarius, 
electus a suis dictis cardinalibus, viam cessionis cum suis 
fratribus elegerat, id scribens regibus et principibus christia- 
nis. De modo eciam concordie inter ambos contendentes, non 
sine conviciis interjectis, faciens mencionem, promisit ubicun- 
que posset favorem, cousilium, opem et auxilium legacioni 
impensius exhibiturum. Adjecit prefatus cardinalis, ad dimo- 
vendum multorum scrupulum, quod in dicto tractatu cum 
nulla de cessione mencio haberetur, esse intencionem domini 
Benedicti convenire ad actum renunciacionis, et hoc se impe 
trasse addi instrumento publico. Adjecit rursus tantam termini 
prorogacionem non ex parte domini pape causam habuisse, 
cum ipse petisset ut in festo Assumpcionis beate Marie con- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 579 


Dans l'audience qui fut donnée au cardinal, monseigneur le pa- 
triarche commença, ainsi qu'il avait été convenu le matin, par lui 
faire des excuses de ce qu'on l'avait en quelque sorte mandé par un mes- 
sage, et le remercia d'avoir daigné condescendre au désir de l'assem- 
blée. Il lui exposa qu'ils avaient désiré particulièrement s'aboucher 
avec lui, parce qu'il était Francais et conseiller du roi, que depuis le 
commencement des négociations il s'était montré, aprés le roi, le 
plus ardent défenseur de l'union, et que le roi, les ambassadeurs et 
l'Université placaient en lui tout leur espoir. Il ajouta qu'ils étaient 
sürs qu'il leur ferait connaitre la vérité sans aucun détour, qu'ils 
avaient déjà entendu l’évêque de Todi, et avaient foi en ses paroles, 
mais que certaines personnes conservaient encore quelques doutes sur 
les intentions du pape et voulaient en étre mieux instruites. 

Le cardinal reprit alors le récit de tout ce qui avait été fait. Il rap- 
pela d'abord qu'il était allé en Italie dans l'intérét de la paix, et qu'il 
en avait été ensuite rappelé par le collége des cardinaux ses fréres, 
quand ils avaient su qu'on avait demandé et obtenu la convocation 
d'un concile national en France. Il déclara que ledit collége én avait 
éprouvé du déplaisir, parce qu'il craignait de voir différer la paix par 
de nouveaux obstacles et de nouvelles difficultés. Il raconta qu'Ange 
Corrario, élu par ses prétendus cardinaux , avait choisi la voie de ces- 
sion de concert avec ses fréres, pendant qu'on se disputait de part et 
d'autre, et en avait informé par lettres les rois et les princes chrétiens. 
Il passa ensuite aux moyens qui avaient été proposés pour un accom- 
modement entre les deux prétendants, sans oublier les altercations 
qui avaient eu lieu à ce sujet, et promit de préter aide, conseil, secours 
et assistance aux ambassadeurs, en quelque lieu que ce fût. Ledit car- 
dinal, pour dissiper certains scrupules fondés sur ce que ledit traité 
ne parlait point de la cession, ajouta que l'intention de monseigneur 
Benoit était de consentir l'acte de renonciation , et qu'il avait obtenu 
de lui qu il en fût fait mention dans l'instrument dressé à cet effet. Il 
dit aussi. que l'éloignement du terme fixé pour l'entrevue ne devait 
point étre attribué à monseigneur le pape, qui avait demandé lui- 
méme qu'elle eût lieu à la fête de l’Assomption de la Vierge, et que les 


580 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


vencio parcium fieret, sed Romanos in causa tante prorogacio- 
nis fuisse, quod a convencionis loco remociores essent. Adjecit 
rursus non formidandum ne discucioni justicie daretur opera, 
facta convencione. Quo enim judice contenderetur? nonne in 
dominio regis convencionem futuram? Scire se, si semel con- 
vencio fiat, partes ante redditam unionem minime discessuras; 
eum vero sciret eos aliquas instructiones habere, consilium 
suu' esse ut justi . . . . . * non instructionem litterarum, 
se fructuosam Ecclesie sentenciam intencionemque mittentis 
sequerentur. Dixitque, ad discuciendum nonnullorum metum, 
qui scismatis odio aliquando dominum Benedictum scismati- 
cum ac hereticum dixerant, nunciavit ipsum dominum lega- 
cionem solito honore suscepturum, se ipsis obviam camerarium 
et familiares emissurum; sic omnium timor inde pellitur. Affir- 
mavit iterum papam familiares evocasse, ac sub omni pena 
precepisse ut cum eis pacifice se haberent. Consuluit viceversa 
ut, cum haberent servitores sapiencia magistris inferiores, eos 
monerent ut nullam litis causam seminarent. Preterea eisdem 
significavit quod, quanquam nepos Gregorii , Motonensis epi- 
scopus, in mandatis habuisset ad Francorum regem accedere, 
melius tamen sibi videri ut Romam rediret, ut avunculum suum 
de omnibus informaret, et acceleracioni rei tam desiderate 
dans operam, omnia impedimenta pro viribus abrumperet; 
verumptamen ipsum non antea determinare ad reditum se 
voluisse, quam legati Francorum super hoc suam sentenciam 
ex posuissent. 

Rogavit patriarcha cardinalem ut hec statim ad legatos 
referret, cum maturato opus esset; qui in hanc sentenciam 
pedibus ierunt, sacius esse eum Romam redire, quam in Fran- 


' ly a ici un mot illisible dans le manuscrit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 581 


Romains seuls avaient occasionné ce retard, sous prétexte qu'ils étaient 
à une grande distance du lieu de l'entrevue. On n'avait pas à craindre, 
ajouta-t-il, que, quand les deux parties se seraient abouchées, elles 
entrassent dans la discussion de leur droit. Car quel serait le juge de 
ce différend ? L'entrevue ne se ferait-elle point dans des terres sou- 
mises à l'obéissance du roi ? Aussi était-il persuadé que, si une fois 
l'entrevue avait lieu, les parties ne se sépareraient point avant d'avoir 
rétabli l'union. Comme il n'ignorait pas qu'ils avaient certaines in- 
structions , il leur conseillait de s'en tenir moins à la lettre qu'à l'es- 
prit de ces instructions, et de considérer les intéréts de l'Église et 
l'intention de celui qui les avait envoyés. Quelques-uns des ambas- 
sadeurs ayant concu des craintes, parce qu'en haine du schisme ils 
avaient appelé monseigneur Benoit schismatique et hérétique, il les 
rassura, en leur disant que ledit seigneur les accueillerait avec les 
égards accoutumés, et qu'il enverrait au-devant d'eux son camérier 
et ses serviteurs, qu'il avait fait venir ses gens et leur avait enjoint, 
sous les peines les plus sévéres, de vivre en bonne intelligence avec 
eux, et qu'ainsi toute appréhension devait disparaître. Il leur conseilla, 
en retour, d'engager leurs serviteurs, qui sont gens ordinairement peu 
sages, à éviter tout sujet de querelle. Enfin il dit que, bien que 
l'évêque de Modon, neveu de Grégoire, eût ordre de se rendre au- 
prés du roi de France, il lui semblait plus à propos qu'il retournát à 
Rome, pour informer son oncle de tout ce qui s'était passé, et pour 
travailler au prompt accomplissement de l'union tant désirée, en le- 
vant tous les obstacles autant qu'il serait en lui; que toutefois il n'avait 
pas voulu lui conseiller ce retour, avant que les ambassadeurs de 
France eussent donné leur avis à ce sujet. 


Le patriarche demanda au cardinal d'en référer immédiatement aux 
ambassadeurs, parce que la chose était urgente. Ceux-ci furent tous 
d'avis que le neveu de Grégoire ferait mieux de retourner à Rome 
que de poursuivre son chemin vers la France. Pendant qu'on délibé- 
rait, l'évéque de Modon survint avec ses collégues et chercha à con- 


582 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VIII. 


ciam pergere. Inter deliberandum vero ipse Motonensis cum 
sociis supervenit, et paucis verbis interjectis certos nos esse 
quam sinceram affectionem avunculus ejus mente gereret, se 
ejus nepotem ab eo semotis arbitris audisse : « Credis, care 
« nepos, me ad pacem faciendam juramenti astrictionem res- 
« picere? Lacius longe renunciacionem ex caritate complec- 
« tor quam juraverim. In dies fervor faciende pacis vires sumit. 
« O quando diem illum videbo, quo pacem Ecclesie reddi- 
« dero! » Ait se nolle tractatum cum Benedicto referre quem 
ab alis audissent; addidit summo amore avunculum suum 
regiam Francorum domum complecti. Ad materiam autem 
principalem descendendo, subjunxit Benedictum hominem 
durum esse, non irritandum nec exasperandum, ducendum 
pocius cum dulcedine ac mansuetudine. Si ita fiat, certo se 
sperare unionem propinquam; sin exasperetur, timere se ne 
unio penitus impediatur. Rogare se eos ut cum eo dulciter 
agerent; posse ab omnibus sciri, se, si causam hanc carnaliter 
gereret, Benedictum exasperatum velle, adeo ut tractatus rum- 
peretur; sic enim Francos substractionem facturos, hanc pro- 
sequcionem Benedicti in favorem et gloriam avunculi cessu- 
ram; posse se deinde et suos magnas dignitates consequi, sed 
se Deum timere et huc spiritualibus oculis tendere, ut quam 
citissime scismate rupto pacem habeamus. 


CAPITULUM VI. 


Legatos honestissime recepit papa, et eorum prime proposicioni respondit que 


sequntur. 


Quamvis in convencione legatorum Francie dominus Bene- 
dictus plures sciret consistere, qui forsan scismatis odio famam 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 583 


vaincre nos ambassadeurs des bonnes dispositions de son oncle, qui 
s'en était, dit-il, ouvert à lui sans témoins en ces termes : « Croyez- 
« vous, mon cher neveu, que ce soit l'obligation que m'impose mon 
« serment qui me fasse travailler à la paix ? C'est bien plutót par cha- 
« rité chrétienne que j'embrasse la voie de renonciation. Je sens mon 
« amour pour la paix croitre de jour en jour. Quand verrai-je l'heu- 
« reux moment où j'aurai rendu la paix à l'Église! » Il dit qu'il ne 
leur rappellerait pas les négociations qui avaient eu lieu avec Benoit, 
puisque d'autres leur en avaient parlé ; il ajouta que son oncle portait 
la plus vive affection à la maison royale de France. Venant ensuite au 
point principal, il représenta que Benoit était un homme hautain, 
qu’il ne fallait ni l'irriter ni l'exaspérer, mais le traiter avec douceur 
et ménagement ; que c'était le seul moyen d'assurer le succés prochain 
de l'union ; que, si on l'exaspérait, il était à craindre qu'on ne rencon- 
trát toutes sortes de difficultés. Il les priait, dit-il, d'agir avec dou- 
ceur à son égard. Chacun pouvait savoir que, s'il ne se laissait guider 
dans cette affaire que par des intéréts charnels, il voudrait voir Be- 
noit poussé à bout et le traité rompu, parce qu'alors les Francais lui 
feraient soustraction d'obédience, que la disgráce de Benoit tournerait 
à l'avantage et à la gloire de son oncle, et pourrait le faire parvenir 
lui et les siens aux plus hautes dignités. Mais il craignait Dieu, il 
n'agissait que dans des vues toutes spirituelles, et ne désirait rien tant 
que la destruction du schisme et le rétablissement de la paix. 


CHAPITRE VI. 


Le pape reçoit les ambassadeurs avec les plus grands égards. — Sa réponse 


à leur premier discours. 


Monseigneur Benoit n'ignorait pas que plusieurs des ambassadeurs 
de France ne cessaient , peut-être en haine du schisme , de le dénigrer 


184 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


suam denigrare nephandis criminibus non cessabant, hec 
tamen omnia more suo dissimulans et patienter perferens, et 
bonum pro malo rependens, hos omnes statuit indiferenter 
propensius honorare. Eo jubente, in Massilia, secundum digni- 
tatem singulorum, honesta domicilia preparantur. [psisque 
propinquantibus, mensis maii die nona , interim dum se in- 
duunt habitibus decentissimis, camerarium et officiales sacri 
palacii ultra miliare premisit eis obviam , qui omnes fere cum 
comitiva sexcentorum hominum in villam introduxerunt. 

Qui mox conspectui ipsius in ecclesia Sancti Victoris circa 
horam nonam comparentes , prius impenso ipsi domino pape 
et assistentibus debito salutacionis affatu cum reverencia , quot- 
quot ibi convenerant, eciam, quod mirabile reputamus, qui 
eum hucusque diffamaverant , nescimus an majestate ejus animo 
consternati vel remorsu consciencie agitati, cum pedis, manus 
et oris humili osculo eidem exhibuerunt reverenciam papalem; 
exhibitaque ei, ut decuit, reverencia, de eorum incolumitate 
querit diligencius, et nomina singulorum percurrens, singulis se 
affabilem ostendens et benignum, tarditatem quam in arduis 
gerendis consueverat tenere deposuit. Nam petita in breve 
tempus audiencia et pro crastino mane impetrata, ad propria 
discesserunt; qua die propterea, quod jam quid dominus pa- 
triarcha proponeret in Villa Nova deliberatum fuerat, ferias 
habuerunt. Postera autem die, hora prefixa, in Sancto Victore 
proposuit in publico dominus patriarcha, tot undique affluen- 
tibus ut vix multitudinem locus ipse caperet. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 585 


par d'infámes accusations. Cependant il ferma les yeux, suivant sa cou- 
tume, sur ces calomnies, les endura patiemment, et rendant le bien 
pour le mal, il résolut d'accueillir tous les envoyés indistinctement 
avec les plus grands honneurs. Il leur fit préparer à Marseille des 
logements convenables, selon le rang de chacun d'eux. Le 9 mai, à la 
nouvelle de leur arrivée, pendant qu'ils changeaient leurs habits de 
voyage, il chargea son camérier et les officiers du sacré palais d'aller 
à leur rencontre avec une suite de six cents hommes et de les intro- 
duire dans la ville. 


Les ambassadeurs arrivérent à l'abbaye de Saint-Victor vers neuf 
heures, et se présentérent devant le pape. Après lui avoir offert 
ainsi qu'aux assistants leurs respectueuses salutations , tous les mem- 
bres de l'ambassade, et méme, chose étonnante, ceux qui jusqu'alors 
avaient mal parlé de lui, soit qu'ils fussent éblouis par l'éclat de sa 
majesté, soit qu'ils fussent agités par un remords de conscience, lui 
prodiguérent les marques d'un profond respect, en lui baisant humble- 
ment le pied , la main et la bouche. Le pape s'informa alors avec in- 
térét de la santé de chacun d'eux, les appela tous par leur nom, et 
leur montra beaucoup d'affabilité et de bienveillance. Il parut méme 
disposé à se départir, en leur faveur, de la lenteur qu'il apportait habi- 
tuellement dans les affaires. Les ambassadeurs lui ayant demandé une 
prompte audience, il leur en accorda une pour le lendemain matin. 
Après quoi, ils se retirérent chez eux, et comme ils avaient décidé à 
Villeneuve ce que devait dire monseigneur le patriarche, ils n'eurent 
rien à faire ce jour-là. Le lendemain , à l'heure fixée, ils se rendirent 
à l'abbaye de Saint-Victor, et monseigneur le patriarche y prononca 
son discours, en présence d'une assemblée si nombreuse, que le lieu 
suffisait à peine pour la contenir. 


IH. | 74 


586 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM VII. 
Responsio pape. 


Cujus responsionem papa, respondendo ex tempore sine 
provisione, ad sex puncta reduxit, quorum tria principaliter, 
tria incidentaliter patriarcham proposuisse designavit. Tria 
principalia, ut ejus verbis quam proxime potero utar, fuere 
romane Ecclesie romanique pontificis prelacio, sui conside- 
racio, imposita Ecclesie gubernacio. Incidentalia, regis super 
suarum bullarum recepcione grata exultacio, regis cara exhor- 
tacio, regis magnifica graciosaque oblacio. Tria postrema 
primis ordine suo conjunxit, et totam responsionem trimem- 
brem fecit. | 

Quantum ad prelacionem Ecclesie attinet, notorium esse 
secundum doctores, nec ullo pacto ambiguum? vertendum ro- 
manam Ecclesiam ceteris preesse. Quia dominus patriarcha 
proponendo tetigerat papam ad hoc ordinatum, ut pacem 
Ecclesie unitatemque conservaret, ne ex hoc caperetur Eccle- 
siam omnino supra papam esse, addidit romanum pontificem 
romane Ecclesie preesse, exinde sue perfectionis formam debere 
majori sollicitudine circa commissum gregem vigilare ; hoc se 
sepe considerasse ; adivisse Ytaliam, nec senis laboribus peper- 
cisse ad viam cessionis practicandam, quamvis pro ampliori 
sue obediencie honore accepta sibi fuisset via reductionis. Asse- 
ruit se ab assumpcionis inicio cedere paratissimum, si hoc 
Ecclesie paci expedire visum esset, sed ante hoc tempus non 
estimare se Ecclesie unioni convenire , ut hanc suam ad ceden- 
dum affectionem explicaret, quia nec pars adversa ad hoc 


' War. : n° 5959, fol. 62 r., in dubium vertendum. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 587 


CHAPITRE VII. 


Réponse du pape. 


Le pape répondit sur-le-champ et sans préparation au discours du 
patriarche et le réduisit à six points, dont il démontra que trois 
étaient principaux, et trois incidents. Les trois principaux, pour me 
servir autant que je pourrai de ses expressions, étaient la prééminence 
de l'Église romaine et du pontife romain, la considération de sa per- 
sonne, et le gouvernement de l'Église qui lui était imposé. Les points 
incidents étaient les transports de joie qu'avait éprouvés le roi à la 
réception de ses bulles, la charitable exhortation du roi et ses offres 
magnifiques et généreuses. Il joignit les trois derniers points aux trois 
premiers, chacun dans leur ordre, et divisa son discours en trois 
membres. 

Pour ce qui était de la prééminence de l'Église, il dit qu'il était 
notoire, par le témoignage des docteurs, que l'Église romaine était 
supérieure à toutes les autres, et qu'on ne pouvait le révoquer en doute. 
Monseigneur le patriarche ayant rappelé dans son discours que le pape 
avait été préposé au maintien de la paix et de l'unité dans l'Église, 
Benoit, afin qu'on ne püàt inférer de là que l'Église était au-dessus du 
pape, ajouta que le pontife romain était le chef de l'Église romaine, et 
qu'à ce titre il devait veiller avec la plus grande sollicitude sur le trou- 
peau qui lui était confié ; qu'il avait souvent réfléchi à cette obligation; 
qu'il était allé en Italie, et que malgré son grand áge il n'avait pas 
craint de s'exposer aux fatigues du voyage, pour pratiquer la voie de 
cession, quoique dans l'intérét de son obédience il eût préféré la voie 
de réduction. Il assura que, dés son avénement au pontificat, il eût été 
prét à céder, si cela lui eüt semblé utileà la paix de l'Église, mais que 
jusqu'à présent il n'avait pas cru qu'il füt à propos pour l'union de 
l'Église de déclarer qu'il était prét à céder, parce que la partie adverse 
n'y était point disposée, et que cette déclaration aurait peut-étre encore 
augmenté ses mauvaises dispositions ; que Dieu lui ayant enfin donné 


588 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


disposita erat, et fortassis sua exposicione longe indisposicior 
facta esset. Nunc autem cum dederit sibi Dominus virum secun- 
dum cor suum, qui per viam cessionis Ecclesiam unire desideret, 
venisse tempus in quo cessionis sentenciam diu sub pectore 
abditam exterius clare prodire res postulet. Hac se causa 
inductum significasse per bullas regi Francorum et ceteris 
principibus christianis quam intencionem mente' gereret ad 
uniendam Ecclesiam per renunciacionem. Ex hac occasione ad 
primum incidentale descendit, gratum sibi esse demonstrans 
quod de bullarum talium suscepcione Francorum rex pacis 
avidus exultasset, qui semper fuit singularis pugil ac protector 
romane Ecclesie. | 
Quantum ad sui consideracionem, hec loqutus, se non esse 
nescium in quo officio positus esset, quam gravi onere humeri 
premerentur ; non sibi esse episcopum sed subditis, sicut ab 
Augustino patriarcha alleguarat; ideo intendisse pocius sub- 
ditorum commoditatibus quam suis, dum elegit viam cessionis; 
et hic multa de cessione resumpsit, que in primo puncto pre- 
dixerat. Adjunxit se nosse suam etatem jam senectute confrac- 
tam; si juventutis etatem ageret, merito minus cessurus presu- 
meretur, quanquam eciam in juventute pro tanto bono omni 
honori mundano renunciare paratus fuisset , licet se non nega- 
ret humane fragilitatis incommodo in juventute tractum. Sub- 
Jecit expertum se vanitatem rerum caducarum, neque in illis 
spem ullam ponere. Exinde ad secundum punctum incidentale 
pervenit, de cara regis exhortacione pro perseverencia ; non 
esse in sene aliquid morti propinquo et vanitatis rerum perito, 
quod hanc perseveranciam debeat impedire; firmiter se man- 
surum in his que per bullas regi Francie et universis principibus 
christianis nota fecerat. Si enim imperseverancia in cunctis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 589 


un homme selon son coeur, qui désirait rétablir l'union de l'Église par 
la voie de cession, le temps était venu oü il devait manifester publi- 
quement l'intention qu'i] avait long-temps cachée dans son áme; que 
c'était ce motif qui l'avait engagé à faire connaitre par ses bulles au 
roi de France et aux autres princes chrétiens le dessein qu'il avait de 
rétablir l'union de l'Église par sa renonciation au pontificat. Prenant 
de là occasion pour répondre au premier point incident, il témoigna 
qu'il était charmé de ce que ses bulles avaient été recues avec joie par 
le roi de France, qui s'était toujours montré si ami de la paix et si zélé 
protecteur de l'Église romaine. 


Pour ce qui était de la considération de sa personne, il n'ignorait 
point, dit-il, ce qu'exigeait sa position et quel pesant fardeau elle lui 
imposait ; il savait bien qu'il était évêque, non pour lui, mais pour 
ses sujets, selon les paroles de saint Augustin, que le patriarche avait 
citées; aussi avait-il songé plutót au bien de ses sujets qu'à son propre 
intérét, en choisissant la voie de cession. Et à ce propos, il répéta sur 
la cession plusieurs choses qu'il avait déjà dites dans le premier point 
de son discours. Il ajouta qu'il sentait bien qu'on pourrait attribuer sa 
résolution à son grand áge, et croire que, s'il était plus jeune, il 
serait naturellement moins disposé à céder ; mais que, méme dans sa 
jeunesse , il aurait été prét à renoncer à tous les honneurs de ce monde 
en faveur d'un si grand bien; qu'il ne niait pas qu'il n’eût autrefois 
payé le tribut à la fragilité humaine, mais qu'il avait appris à connaître 
la vanité des grandeurs d'ici-bas, et qu'il ne mettait aucune espérance 
en leur néant. Passant de là au second point incident, c'est-à-dire à la 
charitable exhortation du roi qui l'engageait à persévérer dans son 
dessein , il dit qu'un vieillard si voisin de la mort et si bien convaincu 
dela vanité des choses humaines n'avait aucune raison pour ne pas 
montrer cette persévérance ; qu'il persisterait fermement dans tout ce 
qu'il avait fait savoir par ses bulles au roi de France et à tous les princes 


590 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


turpis est ac plena ludibrio, in clericis irrisio quedam ac delusio, 
quid in summo pontifice ? Monstrandum brevi per effectum 
quod perseverenti animo unionem quengret, si non impedire- 
tur; quod futurum non timebat, attentis gratis auxiliis sibi 
per regem oblatis in propositione domini patriarche, de quo- 
rum auxiliorum hic regraciatus est et in sequenti puncto 
habundancius. 


Quantum ad Ecclesie gubernacionem, dixit se assumptum 
non sua ambicione, sicut scire asseruit cardinales, sed post 
tempora Gregorii nullum magis renisum fuisse; quod non erat 
signum quin semper parato cessisset animo , si cessionem vidis- 
set Ecclesie profuturam. Pastores datos Ecclesie non in des- 
tructionem sed edificacionem ; ideo studuisse se ac studere ad 
edificacionem Ecclesie et conservacionem in pace ac transquili- 
tate, ad quam eciam principes astringuntur, et de qua racionem 
sunt coram Deo reddituri, sicut dixerat patriarcha. Inter quos 
regem Francie, veluti principium, speciali vinculo obligatum 
ferebat, unde processit illa grata auxilii oblacio, de qua , quan- 
tum poterat, regraciabatur, quamvis non esset nescius se pares 
graciarum actiones referre non posse, cum assidue regraciari 
teneretur, sicut rex assidue pro Ecclesia laborabat. 


Hec de illa responsione. Postea gracie acte, quod tam plane 
ipsis suam intencionem expresserat. Dictum eos ad partem 
coram quibus vellet aliqua secum peracturos ; assignata eis dies 
ad crastinum mane, undecima die maii. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 594 


chrétiens. Car, ajouta-t-il , si l'inconstance est blâmable et honteuse 
chez tous les hommes, si elle est digne de mépris et de raillerie dans 
un clerc, que sera-ce dans un souverain pontife ? On verrait bientôt 
qu'il cherchait l'union avec un esprit de persévérance, si on ne l'en 
empéchait; et il ne craignait point qu'on l'en empéchát, aprés les 
offres de secours qui lui avaient été faites au nom du roi par mon- 
seigneur le patriarche , offres dont il le remercia dans ce second point 
de son discours, et plus amplement encore dans le suivant. 

Pour ce qui était du gouvernement de l'Église, il dit qu'il ne l'avait 
pas ambitionné, comme pouvaient le témoigner les cardinaux, et 
qu'aprés la mort de Grégoire ‘ personne n'avait montré plus d'éloi- 
gnement que lui pour le pontificat, ce qui ne prouvait pas qu'il n'eàt 
été prét à céder, s'il eût cru que la cession dût être profitable à l'Église; 
que les pasteurs étaient donnés à l'Église, non pour détruire, mais 
pour édifier, et qu'il avait toujours travaillé et travaillait encore à édi- 
fier l'Église et à la conserver dans la paix et la tranquillité. Il remon- 
tra que les princes étaient également tenus à cette obligation et qu'ils 
devaient en rendre compte à Dieu, ainsi que l'avait dit le patriarche; 
que le roi de France, comme le premier de tous, y était astreint plus 
que les autres, et que c'était pour cela sans doute qu'il lui avait fait 
si généreusement l'offre de son assistance; qu'il l'en remerciait autant 
qu'il lui était possible, bien qu'il ne püt l'en remercier dignement, 
ni lui témoigner une reconnaissance proportionnée aux efforts con- 
tinuels du roi en faveur de l'Église. 


Telle fut la réponse du pape. On lui rendit gráces de s'étre si ouver- 
tement expliqué sur ses intentions. Les ambassadeurs lui dirent ensuite 
qu'ils désiraient conférer avec lui en particulier sur certains points en 
présence des témoins qu'il lui plairait d'appeler. Il leur donna jour 
pour le lendemain matin, 11 mai. 


' Grégoire XI, mort le 27 mars 1578. 


592 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM VIII. 


De via cessionis accepta dominus Benedictus bullas tradere. recusavit. 


Prolixam responsionem obscuris involucionibus sic vallatit 
dominus Benedictus, ut nemo audiencium hanc uniformiter 
referret. Quapropter legati , die sequenti , post graciarum actio- 
nes reddendas pro responsione grata diei prioris, petendum 
eciam censuerunt, secundum instructionis formam , ut attento 
quod Romanus ille dominus viam cessionis clare cepisset, et. 
omnes vias discussivas rejecisset, ipse eciam eis vellet bullas 
exhibere clare explicantes intencionem suam, quam verbo 
dixerat, velle se ponere pacem in Ecclesia per viam renuncig* 
cionis, omni alia via et omnibus aliis viis postpositis. Iteram 
petendum: ut cum omnes, potissime senes, variis periculis sub- 
jacerent, quibus esset, quantum fieri posset, providendum, 
vellet aut per habilitacionem cardinalium partis advérse, aut 
alias, efficaciter providere: ne, 'eo aut adversario suo aut utroque 
decedendo, per duo collegia continuato scismate duo elige- 
rentur, ied i in unum ad electionem unici et indubitati romani 
pontificis ambo collegia convenire valerent. 

Archiepiscopo Turonensi propositum commissum est ; quod 
cum diserte coram cardinalium collegio, legatis et illis quos . 
papa advocare placuit peregisset deducto isto themnate : Be- 
nedictus es, Domine, doce me justificaciones tuas, respondit 
papa, premittendo pro proposito! quatuor esse necessaria volen- 
tibus recto itinere ad pacem pergere. Primum est, mutua con- 
fidencia, rejecta diffidencia; secundum, concordia; tercium, 
securitas et libertas; quartum, brevitas. 


' Par. : n° 5959, fol. 62 v., pro supposito. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIH., 593 


CHAPITRE VIII. 


Monseigneur Benoit refuse de livrer des bulles confirmatives de son consentement 
à ]a voie de cession. 


Le long discours de monseigneur Benoit était si plein d'équivoques 
et d'obscurités, qu'aucun des assistants ne le rapportait de la méme 
manière. C'est pourquoi , le lendemain, les ambassadeurs décidèrent 
qu'aprés l'avoir remercié de sa bonne réponse de la veille, ils le 
prieraient, conformément à la teneur de leurs instructions, et attendu 
que son adversaire de Rome avait hautement adopté la voie de cession 
et rejeté toutes les voies de discussion, de leur octroyer des bulles 
confirmatives de l'intention qu'il avait manifestée de vive voix de 
rétablir la paix dans l'Église par la voie de renonciation, à l'exclusion 
de toute autre voie. Ils résolurent aussi de demander que, dans la 
prévision des dangers auxquels sont exposés tous les hommes et sur- 
tout les vieillards, et pour y obvier autant que faire se pourrait, il 
voulüt bien, soit en habilitant les cardinaux de la partie adverse, 
soit par quelque autre moyen, pourvoir efficacement à ce que, lui 
ou son adversaire ou tous deux venant à mourir, les deux colléges ne 
continuassent point le schisme par une double élection, et pussent 
se réunir pour procéder de concert à la nomination d'uu seul et 
légitime pontife romain. 

L'archevéque de Tours fut chargé de porter la parole ; il s'en ac- 
quitta fort éloquemment , en présence du collége des cardinaux , des 
ambassadeurs et de ceux qu'il avait plu au pape d'appeler à l'assem- 
blée. Il avait pris pour texte: Benedictus es, Domine , doce me jus- 
iificationes tuas. Le pape, en réponse à ce discours, exposa que 
quatre choses sont nécessaires à ceux qui veulent arriver à la paix par 
le droit chemin : premiérement, une confiance réciproque , qui ban- 
nisse jusqu'au moindre soupçon; secondement, la concorde ; troisie- 
mement , la sûreté et la liberté ; quatriemement, la célérité. 


In. 75 


594 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


Quantum attinet ad mutuam confidenciam ac diffidenciam 
procul pellendam, que cause nimium officere posset , ostendit 
inconveniencia nascitura, si de ipso diffiderent, et ipse de eis: 
primum eos non posse ad concordiam inter eos pervenire , qua 
ablata, qua racione haberi posset universalis concordia ? Omne 
enim regnum, sicut evvangelica est veritas, in se divisum desola- 
bitur. Ex diffidencia quid inconvenienter oriretur? Eos omnia 
verba sua factaque sinistra interpretarentur, nec propter que- 
cunque exterius procedencia bonam ac sinceram ad pacem 
affectionem ipsum gerere putarent. Ymo, quanto plus daret, 
tanto adversus eum vehemencius suspicio cresceret, et quanto 
plura carperent. Rursus quis nesciret diversorum discrepantes 
esse variasque sentencias ac ymaginaciones? Certe tantam corpo- 
rum esse diversitatem, ut vix in tanta hominum multitudine 
similia reperiantur; et cum anime sequantur corpora, non 
minor putanda erat varietas animorum et ymaginacionum. Îta 
fit ut, quod uni placet, alteri displiceat; nichil fiat, quin alius 
velit addere, alius detrahere. Sic tempus vane ! disceptacionibus 
tereretur. Quare necessarium esse aiebat, si causa prosperari 
debeat, ei qui anteriori die suam intencionem in publico claris- 
sime explicarat, et qui tunc coram dominis cardinalibus, ipsis 
audientibus , eamdem resumebat, fidem ab eis haberi; se chris- 
tianum existimandum, fidem sub pectore gerere. Nam si cre- 
ditur laycis, si minoribus clericis, quare summo pontifici minus 
fidei dabitur? Sie eciam viceversa opportere ut ipse de eis con- 
fidat, reputetque eos recta et pura intencione ad se venisse pa- 
cem prosequuturos et nullo modo impeditam velle; ubi sic 
ejurata diffidencia pacem quererent, facile et cito eos ipsam 
inventuros. | 


* Far. : n° 5959, fol. 64 r., vanis disceptacionibus. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 595 


Pour ce qui est de la confiance mutuelle et de la nécessité de bannir 
tous les soupcons, qui pourraient nuire au succés de l'affaire, il re- 
présenta les inconvénients qui s'ensuivraient, si l'on se défiait de lui 
et s'il se défiait d'eux. D'abord, ils ne pourraient arriver à établir la 
concorde entre eux; et sans elle, comment établir la concorde uni- 
verselle? Car, selon les paroles de l'Évangile, tout royaume divisé en 
lui-méme sera désolé. En second lieu, ils interpréteraient en mal 
toutes ses paroles et toutes ses actions; ils ne croiraient point à ses 
bonnes et sincères dispositions en faveur de la paix, quelques témoi- 
gnages qu'il pût en donner, et méme, plus il en donnerait, plus les 
soupçons augmenteraient contre lui, et plus on y trouverait à redire. 
Qui ne savait d'ailleurs combien les avis sont divers et les esprits diffé- 
rents? Telle est en effet la diversité des corps, que parmi tant de monde 
il y en a à peine deux qui se ressemblent. Or, comme les âmés suivent 
la méme loi que les corps, ne doit-on pas croire qu'il y a autant de 
variété dans les esprits et les pensées? De là vient que ce qui plait à 
l'un déplait à l'autre, et qu'il ne se peut rien faire sans que l’un veuille 
y ajouter, l'autre y retrancher quelque chose. Ainsi le temps se passe- 
rait en vaines contestations. Il était donc nécessaire, pour le bien de 
l'affaire en question, qu'on ajoutát foi aux paroles de celui qui la veille 
avait nettement expliqué ses intentions en public, et qui en renouve- 
lait l'assurance en ce moment devant eux et en présence de messei- 
gneurs les cardinaux. On devait croire qu'il était bon chrétien et qu'il 
savait garder sa foi. Si l'on avait confiance en la parole des laïques et en 
celle des moindres clercs, pourquoi en accorderait-on moins à un sou- 
verain pontife ? Il fallait en retour que lui-même se fiát à eux, et qu'il 
füt bien convaincu qu'ils étaient venus à lui avec des intentions droites 
et pures pour travailler à la paix, et non pour l'entraver en aucune 
maniére. Dés qu'ils auraient banni toute défiance et qu'ils cherche- 
raient sincérement la paix , ils la trouveraient bientót et facilement. 


596 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


Concordiam primo necessariam esse protulit propter cau- 
sam quam de desolacione in se divisi regni tetigerat; deinde 
sine eorum concordia non fore securitatem atque libertatem, 
sine quibus non recte pax procuratur, nec procurata invenitur; 
eos sine ipso in pacis tractatu nichil posse facere, sive conclu- 
dere; quare laborandum ut invicem concordarent; meminisse 
se quomodo prope sue creacionis inicium viam convencionis 
obtulisset; non dubitare se quin, si accepta fuisset, ante dis- 
cessum suum ab illa convencione unio obtenta esset, et hoc 
pestiferum scisma non hiis tredecim postremis annis Ecclesiam 
labefecisset, quibus racione discordie eorum, proc dolor! per- 
severaverat. Addidit eos antea supra Romanos avantagium 
habuisse; nunc rem in contrarium relapsam esse: jam Romani 
avantagiis eos superabant; unde, nisi ex hac quasi intestina 
discordia ? Quare concordi mente eos ad unionem proficisci 
opus esse. | sd 

Quantum ad securitatem atque libertatem, notavit jam presto 
esse omnia opportuna paci, si concordabant; securum locum 
mutua concordia sui et adversarii, non sui sed Ecclesie, electum; 
libere se renunciaturum. Notavit per eorum discordias hec 
omnia impedienda; rursus esse providendum, si secure scisma 
pellendum sit, ne maneant errorum reliquie, unde rursus nova 
scismata repullulent, sicut in nonnullis aliis scismatibus manse- 
runt; jam seminatas in agro Domini zizanias, quibus erat ob- 
sistendum, ne fructus venenatos parerent; brevitatem pacis 
optate eos ex tribus bonis prioribus facile consequuturos ; ex 
contrariis autem malis hoc scisma ceteris diuturnius, quod 
Deus averteret, sine fine mansurum. 

Exinde ad responsionem reflexit oracionem, hec idcirco se 
premisisse inquiens, ut in tot suis oblacionibus in recenti con- 


e 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 597 


. Quant à la concorde, il déclara d'abord qu'elle était nécessaire par 
la raison qu'il avait alléguée de la désolation du royaume divisé en 
lui-méme. Il dit ensuite que, s'ils ne s'accordaient point entre eux, il 
n'y aurait ni süreté ni liberté, et que sans ces deux conditions on ne 
saurait chercher ni trouver la paix; qu'ils ne pouvaient rien faire, 
rien conclure sans lui relativement au traité de paix; qu'il fallait 
donc tâcher d'étre d'accord. ll se souvenait bien, ajouta-t-il , que, 
dés son avénement au pontificat, il avait offert la voie de conférence; 
il ne doutait point que , si on l’eût acceptée, on n'eüt obtenu l'anion 
avant de se séparer; et ce détestable schisme n'eüt point ébranlé 
l'Église pendant ces treize derniéres années qu'il s'y était perpétué à 
la faveur de leur désunion. Ils avaient eu auparavant l'avantage sur les 
Romains; mais à présent c'était tout le contraire , les Romains avaient 
l'avantage sur eux. D'où cela venait-il , sinon de leurs dissensions in- 
testines? Il était donc nécessaire qu'ils travaillassent de concert à 
l'union. ° 


Quant à la sûreté et à la liberté, il fit remarquer que l’occasion était 
favorable pour la paix, si l'on parvenait à s'entendre; qu'un lieu sûr 
avait été choisi d’un commun accord par lui et par son adversaire, ou 
plutôt par l'adversaire de l'Église; qu'il était prêt à renoncer au pon- 
tificat, et que leur mésintelligence pourrait seule entraver le succès. 
Il ajouta que, si l'on voulait détruire sûrement le schisme, il fallait 
pourvoir à ce qu'il ne subsistát aucun reste d'erreurs qui püt engen- 
drer de nouveaux schismes , comme cela était arrivé en d'autres occa- 
sions; qu'on avait déjà semé dans le champ du Seigneur des zizanies, 
et qu'il fallait les déraciner pour les empécher de produire des fruits 
empoisonnés. Il démontra qu'à ces trois conditions il serait facile 
d'obtenir promptement la paix, mais qu'autrement on ne ferait que 
prolonger ce malheureux schisme, qui deviendrait, ce qu'à Dieu ne 
plaise! interminable. 

Passant de là à l'objet principal de la réponse, il dit qu'il ne leur 
avait présenté ces considérations que pour les convaincre que, dans 


598 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VIII. 


cordacione cum adversario suo confiderent, eum recta intencione 
ad pacem tendere; cum eo concordarent : alioquin nec secure, 
nec libere, nec breviter scisma terminandum. Quid enim pete- 
bant declarari suam intencionem ? Quid querendis interpreta- 
cionibus tempus tererent? Quid lacerandis suis bullis et obscu- 
ritate dampnandis operas dabant? Clarius se atque securius 
cessionis viam obtulisse quam fecisset Romanus. Sua se oblata 
usque ad mortem prosequuturum , tam firmiter in oblatis perse- 
verare mens erat; plus de facto monstraturum, quam verbo 
obtulisset. Non crederent eum esse fictorem, secundum senten- 
ciam Aristotilis in quarto Ethicorum ; magnanimi esse non 
fingere ; quanquam sibi magnanimitatem arroget, curasse tamen 
se ut non fingendo magnanimum imitaretur. Scire eos posse 
quomodo cum adversario concordasset de loco ac tempore con- 
veniendi pro pace facienda; testes habere dominum cardinalem 
de Tureyo non in se stetisse quominus terminus brevior acci- 
peretur ; sed tandem multa considerando prospexisse quod non 
cicius convencio concordata exequcioni mandari poterat; esse 
nunc tempus ut se ad convencionem hujusmodi prepararet, po- 
cius quam circa interpretacionem aut declaracionem clare obla- 
cionis frustra tempus exponeret. Adjecit non convenire in tali 
re nimias interpretaciones aut declaraciones; se rem habere cum 
hominibus cautis ac astutis, opportere ut tuto loquatur; nimiam 
claritatem, exposicionem aut interpretacionem persepe nocuisse; 
vetitam jure in certis casibus, dandamque materiam discepta- 
cionis et argumenti, nec futuram unquam tantam claritatem, 
quin, ubi de persona non confiditur, sinistris interpretacioni- 
bus laceretur, quia Romanus pontifex, licet bene articulum 
unum dearticulavit, Grecos, membrum Ecclesie nobile, perdi- 
dit. Credere se et jam aliqualiter intellexisse aliquos similiter ab 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 599 


toutes les offres qu'il avait faites, et dans l'accord qu'il avait récem- 
ment conclu avec son adversaire, il avait toujours désiré sincérement 
la paix. Il fallait donc qu'ils s’accordassent avec lui; autrement le 
schisme ne pourrait étre terminé sürement, librement et prompte- 
ment. Pourquoi demander qu'il expliquát ses intentions? Pourquoi 
perdre le temps à chercher des interprétations? Pourquoi vouloir dé- 
chirer ses bulles et les condamner à l'oubli? Il avait offert la voie de 
cession plus clairement et plus sûrement que n'avait fait celui de Rome. 
Il maintiendrait ses offres jusqu'à la mort : tant il était fermement 
décidé à y persévérer. Il le ferait voir par l'effet plus encore que par 
les paroles. Ils ne devaient point croire qu'il cherchát à feindre, sui- 
vant ce que dit Aristote dans son quatriéme livre des Éthiques; c'était 
le propre d'un homme d'honneur de ne point feindre; il méritait ce 
titre, et avait toujours fait en sorte d'imiter la conduite des gens 
d'honneur, en évitant la feinte. Il leur était facile de savoir comment 
il était convenu avec son adversaire du lieu et du temps d'une entre- 
vue pour faire la paix. Monseigneur le cardinal de Thury pouvait 
attester qu'il n'avait pas tenu à lui qu'on ne prit un terme plus rap- 
proché. Mais enfin, tout bien considéré, il avait jugé que l'entrevue 
ne saurait avoir lieu plus tót, et il valait mieux se préparer sans 
délai à cette entrevue que de perdre le temps à interpréter ou à ex- 
pliquer des offres si claires. Il ajouta qu'en pareille circonstance il ne 
fallait point trop d'interprétations ni d'éclaircissements; qu'il avait 
affaire à des hommes fins et adroits, et qu'il devait peser toutes ses 
paroles; que trop d'éclaircissements , d'explications ou d'interpré- 
tations étaient souvent nuisibles; que c'était une chose défendue en 
certains cas par le droit; que ce serait donner matiére à des disputes 
et à des contestations; que, si clairement qu'on s expliquát, on était 
toujours exposé à de mauvaises interprétations, quand on n'inspirait 
pas confiance. Un pape, malgré tous les éclaircissements qu'il avait 
donnés au sujet d'un article, n'avait-il pas fait perdre à l'Église ro- 
maine la Grèce, un de ses plus nobles membres ? Il croyait, il savait 
méme qu'on se proposait de demander aussi à son adversaire une nou- 
velle explication de ses lettres. S'il s'en expliquait d'une facon ou d'une 


600 . CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


alio suarum litterarum interpretacionem novam petituros ; qui 
si sic eo suam interpretacionem faceret, et sicut illo ipso, quid 
tandem futurum, nisi quod res bene inchoata penitus inanis et 
irrita redderetur, et in laberintum, unde emergi non posset, 
res retruderetur? Se certo scire, si rex, regales et consilium 
presencialiter ipsum audissent, sicut ipsi audierant et audie- 
bant, illos sua responsione contentandos, nee novas bullas 
exacturos, nec in hoc eciam ut exigerent fuisse consensuros, 
si, dum Parisius discessissent, concordiam inter ipsum et 
illum Romanum factam intellexissent. Rursus non ignaris sed 
intelligentibus se bullas scripsisse, et qui interpretibus non 
egeant; quas si nonnulli minus intelligant, opportere illis ab 
intelligentibus ac scientibus obscura exponi. Quibus attentis, 
regem et legatos deprecabatur, ut contenti esse vellent et con- 
corditer secum ad unionem faciendam exurgere, ut eam cele- 
rius assequi valerent. 

Quantum ad postulacionem secundam, esse dixit sanctissi- 
mam , piissimam ac devotissimam, nec opportere quo ad ejus 
substanciam deliberacionem haberi; sue intencionis esse cum 
suis fratribus in casu sue mortis Ecclesie providere. Si enim 
velit se vivente , quanto magis mortuo ? Sed de modo providendi 
se cum suis fratribus dominis cardinalibus deliberaturum ac 
brevi rem expediturum. 

Postea, graciis actis pro concessione secunde peticionis , rur- 
sus humiliter obsecravit Turonensis ut eos quo ad primam 
supplicacionem non penitus repelleret , sed eam cum secunda in 
dominorum cardinalium deliberacione poneret. Hoc non impe- 
tratum; sed de se daturum aliquos eis promisit, qui intencio- 
nem suam declararent; multa decenter et honeste ab illis posse 
dici, que os suum dedecerent. Sicque legati discesserunt, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 604 


autre , à quoi cela servirait-il, si ce n'est à faire échouer des négocia- 
tions si bien commencées, et à s'engager dans un labyrinthe d’où l'on 
ne pourrait plus sortir? Il était convaincu que, si le roi, les princes du 
sang et ceux de son conseil avaient entendu comme eux ses paroles, ils 
auraient été satisfaits de sa réponse et n'auraient pas exigé de nou- 
velles bulles; qu'ils n'auraient pas méme consenti qu'on en exigeát, 
sils avaient su, au moment où les ambassadeurs quittaient Paris, 
qu'un accord avait été fait entre lui et celui de Rome. D'ailleurs il 
n'avait point adressé ses bulles à des ignorants, mais à des personnes 
assez intelligentes pour n'avoir pas besoin d'interpretes. S'il y en avait 
qui ne les comprissent point, ils pourraient recourir, pour les-points 
obscurs, aux gens capables de les leur expliquer. Par toutes ces consi- 
dérations, il priait le roi et les ambassadeurs de vouloir bien se con- 
tenter de ce qu'il avait fait, et unir leurs efforts aux siens pour arri- 
ver plus promptement au rétablissement de l'union." 


Quant à leur seconde demande, il déclara qu'elle était trés sainte, 
trés juste et trés pieuse , et qu'il n'y avait point lieu de délibérer sur ce 
qu'elle contenait en substance; que son intention était de pourvoir avec 
ses frères aux intérêts de l'Église, dans le cas où il viendrait à mourir; 
que, s’il désirait y pourvoir de son vivant, à plus forte raison devait-il 
désirer que cela füt fait après sa mort; que pour les mesures à prendre, 
il en délibérerait avec ses frères messeigneurs les cardinaux, et que 
toutes choses seraient -bientôt réglées. 

L'archevéque de Tours, après avoir remercié monseigneur Benoit 
de leur avoir accordé cette seconde demande, le conjura de nouveau 
humblement de ne point rejeter absolument la première, et de la sou- 
mettre avec l'autre aux délibérations de messeigneurs les cardinaux. 
Mais le pape s'y refusa; il promit seulement de nommer des commis- 
saires qu'il chargerait de déclarer ses intentions aux ambassadeurs et 
qui pourraient honnétement et convenablement leur dire beaucoup 
de choses qui siéraient mal dans sa bouche. Sur ce, les ambassadeurs 

Ht. 76 


602 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


decem ex eis deputantes qui ea que vellet dicere audirent et 
referrent. 


CAPITULUM IX. 


Verba legatorum cum cardinalibus super expedicione legacionis eorum. 


Finito prolixiori sermone, et in presencia domesticorum 
cum patriarcha nunciis ceteris seorsum evocatis, de criminibus 
sibi falso impositis Parisius dulciter se excusans, se verissimum 
christianum professus est, fidem puram sub pectore se dixit 
semper gessisse , nec ipsam nunquam nota heresis denigrasse, 
et tam modesta tamque benigna reprehensione tunc usus est, 
quod circumstantes ad lacrimas excitavit. Dominus eciam pa- 
triarcha, qui ceteris plus in ipsum delinquerat, tunc ductus 
penitencia, omni rubore submoto, flexis genibus procidit ad 
pedes ejus, et cum mestis singultibus asserens se talia non affir- 
masse ut vera, sed per modum collacionis : « Et si, inquit, pater 
« sancte, aliquid dixerim ex inconsulto calore et contra salutem 
« anime mee detrahens patri meo, supplico ut misereatur mei. » 
Hec verba reiterando, de commissis veniam peciit et impetra- 
vit; ceteri eciam assistentes, exemplum ejus sequti, similem 
sunt misericordiam consequti. Qui videntes quod in tam mo- 
desta reprehensione nec verbum vindicte, nec displicencie 
signum emisisset, virtutem ejus meritis laudibus et cordiali 
affectu dignum duxerunt attollere, sicque debitis graciarum 
actionibus persolutis et paterna benedictione percepta , eidem 
vale dixerunt. In signum autem mutue concordie, eis congra- 
tulari cupiens, dum ad hospicia redissent, direxit qui secum 
eos die sancto Pentecostes, scilicet. decimo quinto maii, ad 
magnificum prandium invitarent; quo omnes interfuerunt, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 603 


se retirérent, aprés avoir choisi dix d'entre eux pour recevoir ses dé- 
clarations et leur en rendre compte. 


CHAPITRE IX. 


- d. 


Conférence des ambassadeurs avec les cardinaux au sujet de leur mission. 


Aprés ce long discours, monseigneur Benoit prit à part le patriarche 
et les autres ambassadeurs, et, en présence des gens de sa maison, il se 
justifia, dans des termes pleins de douceur, des fausses accusations dont 
on le chargeait à Paris; il protesta qu'il était un bon chrétien, qu'il 
avait toujours conservé en son coeur la pureté de la foi, et ne s'était 
jamais souillé d'aucune tache d'hérésie. En un mot il mit dans ses 
reproches tant de modération et de bienveillance, qu'il arracha des 
larmes à tous les assistants. Monseigneur le patriarche lui-méme, qui 
était plus coupable que les autres envers lui, n'écoutant que son re- 
pentir et mettant de cóté toute fausse honte, se jeta humblement à 
ses pieds, et lui dit en sanglotant qu'il n'avait rien avancé comme 
véritable, mais qu'il n'avait exprimé que des doutes. « Saint pére, 
« ajouta-t-il, si, dans un moment d'emportement, j'ai tenu quelques 
« propos irréfléchis, si j'ai, contre le salut de mon âme, calomnié 
« mon père, je le supplie d'avoir pitié de moi. » Aprés s'étre ainsi 
excusé à plusieurs reprises , il demanda le pardon de ses torts et l'ob- 
tint. Les autres assistants suivirent son exemple et obtinrent aussi 
leur gráce. Touchés de la bonté du pape, qui ne leur avait fait entendre 
aucune parole de vengeance ni donné aucune marque de ressenti- 
ment, ils lui prodiguérent toutes sortes d'éloges et de témoignages 
d'affection, et lui adressérent mille remerciments. Ils se retirérent 
ensuite, aprés avoir recu sa bénédiction paternelle. Monseigneur Be- 
noit, voulant se conjouir avec eux de cette heureuse réconciliation, 
les fit prier, lorsqu'ils furent rentrés chez eux, de venir diner avec 
lui le 15 mai, jour de la Pentecóte. Ils se rendirent tous à son invi- 
tation, excepté monseigneur le patriarche, qui s'excusa sur une in- 
disposition. 


604 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIL. 


dumtaxat excepto domino patriarcha, quia tunc se asseruit 
infirmitate detentum. 

Sequenti autem die, inter legatos conclusum est adeundum 
priorem cardinalium Penestrinum, rogaturum ut quam celerius 
posset cardinales audituros ab eis aliqua convocaret; qui diem 
sequentem, videlicet decimam septimam maii, propter hoc assi- 
gnans , respondit non posse celerius rem confici. Et hac die, 
matutino tempore, postquam colloquio mutuo frui concessum 
est, in domo fratrum minorum eleguanter ac eloquenter, more 
suo, verba fecit cancellarius ecclesie Parisiensis, multa prius 
theologice ac religiose prefatus; deinde ad rem descendendo, 
tria a sacro collegio requirens, primum, ut juxta laudabilem 
exacti temporis morem regi semper conjuncti manerent, nec 
se in hac materia, nunc cum conjunctio summe necessaria 
cognoscatur, separent; fecisse regem que superioribus tempo- 
ribus fecerit eorum consilio; gracias magnas agere quod se- 
cum steterint. Deinde petitum enixe ut apud dominum nos- 
trum in clarificacione ac apercione sue intencionis ad pacem 
faciendam per viam cessionis, quod in eorum presencia eum 
precati fuerant, vellent ipsos adjuvare, inducendo eum ut 
petita concederet; quod si faceret, processum unionis felici 
exitu terminandum; si non faceret, maxima scandala Ecclesie 
impendere, quibus esset summa cura obviandum atque provi- 
dendum. Additum rem celeritate egere, ipsos non ultra bi- 
duum posse, secundum instructionum regulas, ejus respon- 
sum expectare; quare maturare opus esse. Tercia supplicacio 
bispartita fuit. Primo continebat ut in casu mortis pape vellent 
ab electione supersedere, ne diu scisma perseveraret; secundo, 
ut una cum domino nostro vellent efficaciter providere, quod 
in casu mortis alterius contendencium aut amborum duo col- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 605 


Le jour suivant, les ambassadeurs résolurent entre eux d'aller trou- 
ver le cardinal de Palestrine, doyen du sacré collége, et de le prier de 
convoquer au plus tót les cardinaux pour une communication qu'ils 
avaient à leur faire. Le cardinal leur donna jour pour le lendemain, 
17 mai, en leur disant qu'il ne pouvait le faire plus tót. Ce jour-là 
donc, ils se rendirent tous dés le matin dans l'église des frères mineurs. 
Le chancelier de l'église de Paris fit, suivant sa coutume, un trés beau 
et trés éloquent discours. Après un long préambule, rempli de pensées 
théologiques et religieuses, il entra en matière et demanda trois 
choses au collége des cardinaux. Il les pria d'abord de rester toujours 
unis au roi, suivant leur louable coutume, et de ne point s'en séparer 
en cette affaire, alors surtout que cette union était reconnue comme 
plus nécessaire que jamais ; il leur rappela que le roi, dans tout ce qu'il 
avait fait précédemment, avait suivi leurs conseils, et ajouta qu'il leur 
savait gré d'étre restés avee lui dans le méme parti. En second lieu, il 
les conjura de vouloir bien insister avec eux auprés de monseigneur 
Benoit, pour qu'il leur donnát les éclaircissements et les explications 
qu'ils lui avaient déjà demandés en leur présence sur son intention de 
rétablir la paix par la voie de cession. S'il y consentait, dit-il, on pour- 
rait mener à bonne fin l'affaire de l'union; sinon, l'Église était me- 
nacée de grands scandales, qu'il était trés important de prévenir et 
d'empécher. Une décision prompte était nécessaire; car ils ne pou- 
vaient, conformément à leurs instructions, attendre sa réponse plus 
de deux jours; il n'y avait donc pas de temps à perdre. Il partagea la 
troisiéme requéte en deux points. Le premier fut qu'en cas de mort du 
pape ils voulussent bien surseoir à l'élection, pour ne pas prolonger la 
durée du schisme ; le second, qu'ils consentissent à pourvoir efficace- 
ment, de concert avec le roi, à ce que, l'un des deux prétendants ou 
tous deux venant à mourir, les deux colléges pussent se réunir pour 
l'élection d'un seul et légitime pontife. 


606 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


legia possent ad electionem unici et indubitati pontificis con- 
venire. 

His per cancellarium expositis, considerans dominus pa- 
triarcha verba sui themnatis Rogate que ad pacem sunt Jeru- 
salem, et quod non penitus satis erat suadere cardinalibus ut 
papam rogarent, verbum suscepit, ostendendo quomodo unum 
corpus erant cum papa, qua iu re eciam pape fidelitatis jura- 
mentum non prestabant; ponderandam eorum sentenciam ; non 
solum rogacionibus cum papa eis agendum , qui unus homo est; 
quare orare non modo ut rogarent, sed ut apud eum pro suo 
officio partes suas efficaces interponerent, ita ut non abirent 
cum repulsa. Rursus quo ad secundum membrum precacionis 
tercie, quod cancellarius generatim dixerat, specialius expli- 
care voluit, asserens visum esse prelatis Francie expediens ut 
habilitarentur ex tunc illi qui se cardinales in adversa parte 
nuncupant, quatinus, nostro mortuo, possent cum nostris ad 
electionem convenire. 

Hiis dictis, postquam discessissent, longua deliberacione 
undecim illi cardinales, qui proposicioni affuerant, quid res- 
ponderent excogitaverunt. Tandem vero ad responsum revo- 
cati sunt nuncii. Suscipit verbum omnium vice antiquior ceteris 
et sacerdotum prior Penestrinus. 

« Reverendi, inquit, patres, et viri honorabiles , domini mei, 
« que nomine regis et vestro dominus cancellarius eleguanter et 
« provide pro suo more proposuit, audierunt, ubi tria peti- 
« vistis, quorum tercium in duo subdivisistis; et ante omnia 
« maximas graciarum actiones Deo referunt , qui in corde regis 
« hane saluberrimam prosequende pacis sentenciam posuit, ut 
« toto suo tempore ad extirpacionem pestiferi scismatis summa 
« vigilancia studuerit. Deinde vero regi ipsi ingentes gracias 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 607 


Aprés ce discours, monseigneur le patriarche, revenant sur les 
paroles Rogate que ad pacem sunt Jerusalem, que le chancelier 
avait prises pour texte, et considérant qu'il ne suffisait pas d'engager 
les cardinaux à prier le pape, leur représenta qu'ils ne formaient 
qu'un seul et méme corps avec lui, qu'à ce titre méme ils ne lui pré- 
taient point serment de fidélité, que leur avis devait étre d'un grand 
poids , et qu'ils ne devaient pas se borner à de simples prières auprès 
du pape, qui n'est qu'un homme, à vrai dire. Il les conjurait donc, non 
seulement de le prier, mais d'intervenir efficacement, en vertu de leurs 
droits, pour qu'il ne leur fit pas essuyer un refus. Quant au second 
membre de la troisiéme requéte, il voulut expliquer en détail ce que le 
chancelier avait dit d'une maniére générale, et déclara que les prélats 
de France avaient pensé qu'il était à propos qu'on habilitát dés à pré- 
sent les soi-disant cardinaux du parti contraire, afin que, si notre 
seigneur venait à mourir, ils pussent se réunir avec les nótres pour 
une nouvelle élection. 


Le patriarche ayant fini de parler, les ambassadeurs se retirérent. 
Les onze cardinaux, qui avaient assisté à cette conférence, délibérérent 
longuement sur ce qu'ils répondraient. Enfin ils rappelérent les am- 
bassadeurs pour leur faire connaître leur réponse. Le cardinal de Pa- 
lestrine, le plus ágé et le plus ancien des cardinaux, prit la parole: 


« Révérends pères et honorables seigneurs, dit-il, les cardinaux 
« ont entendu l'habile et éloquent discours que monseigneur le chan- 
« celier a prononcé au nom du roi et au vôtre pour nous soumettre 
« vos trois demandes, dont la troisième est partagée en deux points. 
« Avant tout ils rendent de grandes actions de grâces à Dieu, qui a 
« mis dans le coeur du roi cette sainte pensée de poursuivre la paix, 
« et de travailler pendant tout son régne avec le plus grand soin à 
« l'extirpation du détestable schisme. Ils témoignent ensuite au roi 
« leur vive reconnaissance de ce qu'à l'exemple de son pére, qui a 


608 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 
« agunt primo, quod, sicuti genitor in scismatis inicio, ita ipse 
« in processu et nunc in fine sperato summis viribus auxilium 
« Ecclesie tulit et fert, memor suorum progenitorum, qui de 
« more habuerunt Ecclesie semper supra ceteros principes 
« christianos in tribulacionibus et necessitatibus succurrere, 
« unde christianissimi dicti sunt. Secundo eciam regraciantur, 
« quod hanc legacionem tam sollemnem, ex tot clarissimis litte- 
« ratisque viris conflatam, ut non sit memoria tantam littera- 
« torum legacionem ac tam sollemnem alias missam, ad pacis 
« prosequcionem destinasset. Deinde legatis regraciati sunt de 
« diligencia exequendi regia mandata, tam in duabus proposi- 
« cionibus coram papa per patriarcham ac Turonensem archi- 
« episcopum factis, quam in frequenti congregacione et consul- 
« tacione, ad prudenter exequendum legacionem injunctam. » 
Post hec ad ferendum ad postulata responsum direxit ora- 
cionem : ad primum, ante omnia non opportere regem gracias 
agere, quod secum ad pacem laborassent, se ex officii debito 
ad salutem omnium ecclesiarum astringi , se pocius regi gracias 
agere debere, quod singulari studio, pacis zelo, scisma pellere 
festinaret. Monstrat deinde quo pacto inter ceteros viventes 
post papam majori vinculo persone regum astricti sunt, non 
studiose semper ut secum sentirent; nunc quoque si quid favo- 
ris, consilii, opis eidem aut suis legatis impendere valeant, 
sedulam daturam operam ne ei defuisse, sed semper adesse ac 
affuisse videantur. Ad secundam postulacionem breviter res- 
ponsum, se dominum nostrum super expedicione bullarum 
petitarum adituros ac ut votis eorum satisfaciat obsecraturos. 
Ad terciam peticionem dictum, sanctam domini nostri et car- 
dinalium intencionem esse, ut ita provideatur, quod in casu 
mortis scismati occurratur; se jam) super hoc domino pape 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 609 


« secouru l'Église de tout son pouvoir dés le commencement du 
« schisme, il n'a jamais cessé de lui prêter et lui prête encore son 
« appui, aujourd'hui que ce schisme parait toucher à sa fin, et de ce 
« qu'il s'est ainsi montré fidéle aux traditions de ses ancétres, qui ont 
« été les premiers de tous les princes chrétiens à assister l'Église dans 
« ses tribulations et ses besoins, et qui ont mérité par leur zéle parti- 
« culier le nom de trés chrétiens. Ils le remercient également d'avoir 
« Choisi pour traiter de la paix des personnages si illustres et si instruits, 
« qu'on ne se souvient pas d'avoir jamais vu des ambassadeurs aussi 
« renommés par leur savoir et par leurs talents. Ils félicitent encore - 
« les ambassadeurs de l'empressement qu'ils ont mis à exécuter les 
« ordres du roi, soit dans les deux discours prononcés en présence du 
« pape par le patriarche et l'archevéque de Tours, soit dans les 
« nombreuses assemblées et délibérations qui ont eu lieu. » 


Le cardinal répondit ensuite à leurs requêtes. Quant à la premitre, 
il dit que le roi n'avait pas à les remercier d'avoir travaillé avec lui à la 
paix, qu'ils étaient tenus par le devoir de leur charge de veiller au salut 
de toutes les églises, et que c'était plutót à eux de remercier le roi de 
son amour pour la paix et des louables efforts qu'il faisait pour háter 
la destruction du schisme. Puis il démontra comment ils étaient atta- 
chés à la personne des rois, plus qu'à toute autre aprés le pape, quoi- 
qu'ils ne fussent pas toujours du méme avis. Il ajouta que maintenant, 
s'ils pouvaient prêter au roi ou à ses ambassadeurs aide, conseil et 
assistance, ils le feraient volontiers , afin de prouver que loin de l'aban- 
donner, ils avaient toujours été et étaient toujours disposés à le secon- 
der. Àu sujet de la deuxiéme requéte, il répondit en peu de mots qu'ils 
verraient le pape pour l'expédition des bulles qu'ils désiraient, et qu'ils 
le prieraient de se rendre à leurs voeux. Pour ce qui était de la troi- 
siéme, il assura que le pape et les cardinaux étaient dans la sainte in- 
tention de pourvoir à ce qu'en cas de mort il füt remédié au schisme; 
qu'il avait déjà entretenu monseigneur le pape à ce sujet, et qu'il l'en 
entretiendrait plus longuement encore, jusqu'à ce que l'affaire fût 


IH. | 77 


610 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


colloqueionem habuisse et habiturum ampliorem, usque ad 
expedicionem negocii. Verumptamen quo ad hanc habilitacio- 
nem, que per dominum patriarcham specificata fuerat, non 
videre se quomodo posset cum bona equitate nunc fieri. « Nam 
«illi qui in adversa parte se cardinales asserunt ad electio- 
« nem habiles essent; nos autem , inquiunt , sua oppinione non 
essemus habiles. Videte ergo quomodo bona equitas serva- 
« retur. Addunt cupere se ut illi qui in alia parte cardinales 
« se nominant, non magis quam ipsi eligere in casu mortis 
« cuperent. » 

Replicat patriarcha dicens : « Intellexi, reverendissimi, per 
« vos longe litteraciores hiis, qui apud alios cardinales appellan- 
« tur. Quare decet vos primum circa hoc provisionem facere; 
« vos alii imitabuntur. » Sed nichil preter iniquitatem rei pre- 
scriptam est responsum. Actis super hac responsione graciis, 
peciit patriarcha, cum non nisi bidui tempus in expectacione 
bullarum petitarum relictum eis esset, apud dominum papam 
intercedere non tardarent. Responsum datum se hodie aut cras 
ad tardius cum eo loquturos. Peciit secundo ut, cum nunc 
Romam perrecturi essent , quatinus cum anticardinalibus tucius 
ac melius tractare possent, vellent nunc annuere quod, si alii 
provisionem bonam facere parati essent in casu mortis, in eis 
non staret quin venturis incommodis occurreretur. Responsum 
est super hoc verba domino pape facienda; et mox deinde nun- 
cii discesserunt. 


À 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 644 
terminée ; néanmoins que, quant à cette déclaration d'habilité, qui 
avait été spécifiée par monseigneur le patriarche, il ne voyait pas 
comment elle pouvait se faire maintenant avec équité. « Car, cela 


' « étant, ajouta-t-il, les soi-disant cardinaux de la partie adverse se- 


N 


« raient habiles à l'élection, et nous, à ce qu'ils prétendent, nous ne 
« le serions point à leur égard. Voyez donc quelle justice il y aurait. 
« Les cardinaux voudraient que leurs adversaires n'eussent pas plus 
« qu'eux le désir de procéder à l'élection en cas de mort. » 


Le patriarche répliqua en disant : « Trés révérends péres, j'ai voulu 
« dire qu'étant beaucoup plus lettrés que les soi-disant cardinaux du 
« parti contraire, vous deviez les premiers pourvoir à ce qui était 
« nécessaire ; les autres vous imiteront. » Mais on nme lui répondit 
qu'en objectant l'injustice de ce procédé. Le patriarche, aprés avoir 
remercié les cardinaux de leur réponse, fit observer qu'il ne restait 
plus que deux jours à l'ambassade pour attendre les bulles désirées, 
et les pria de vouloir bien intervenir sans délai auprés de monseigneur 
le pape. Ils répondirent qu'ils lui en parleraient le jour méme ou le 
lendemain au plus tard. Le patriarche ajonta que, puisque l'ambassade 


. allait partir pour Rome, il leur demandait de vouloir bien déclarer, 


afin de rendre les négociations plus süres et plus faciles avec les anti- 
cardinaux, que, si les autres étaient préts à pourvoir à ce qui était 
nécessaire en cas de mort, il ne tiendrait pas à eux que l'on n'obviát 
aux inconvénients qui pourraient survenir. On lui répondit qu'il fallait 
d'abord en parler à monseigneur le pape. Sur ce, les ambassadeurs se 
retirérent. 


612 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


. CAPITULUM Xx. 


Nuncii practicant erga papam bullam renunciacionis obtinere. 


Die martis decima septima maii, dominus de Monte Gaudio 
et N. duci venerunt ad domum patriarche, expostulantes non- 
nullos nunciorum putavisse eos legacionem , cujus ipse instruc- 
tiones non modo comprobasset, sed pro magna parte condi- 
disset, impeditam velle. Quibus verbis omnem suspicionem 
sinistram a nonnullis contra eos susceptam depulerunt. Adje- 
cerunt, quod ad ducem magis pertinebat, existimasse dominum, 
in suo a Parisius disgressu, quod ipsi eos cum papa concordes 
invenirent; si tamen adhuc negocio incompleto tractatus dura 
ret, eis mandasse ut cum eis in prosequcione unionis adjunge- 
rent, et pro eorum expedicione apud papam intercederent. 
Regraciatum domino duci de hac affectione; rogati sui nuncii 
ut secundum mittentis mandata eos expediri procurarent; ex- 
positum quibus in terminis res Ecclesie, quid opus eos facere. 

Tunc suscepto verbo exponit de Monte Gaudio jam cum papa 
se collegamque suum loqutos obsecrasse instanter ut petitas 
bullas expediret; si faceret, brevi unionem futuram, si minus, 
scandala imminere. Sed respondisse papam aiebat venisse eos 
cum minis; per vim extorquere velle ab eo que animo eorum 
collibuerint ; quidquid fecerit nichil valiturum , juxta illud viri 
consulti: Quod vi metusve causa factum fuerit, ratum non habeto. 
Quid eos petere? mentem suam eis voce explicasse ; quid bullis 
opus esse? Si enim tempore convencionis oblata non impleverit, 
current contra eum pene omnes, eciam extreme; quare se ne- 
cessatum in pollicitis manere. Si vero nunc judicarint ab eo 
recedendo , juxta eorum litteras, se non sufficienter judicatum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 643 
CHAPITRE X. 
Les ambassadeurs cherchent à obtenir du pape une bulle de renonciation. 


. Le mardi 17 mai, messire de Montjoie et un autre envoyé du duc 
d'Orléans allérent trouver le patriarche chez lui, et se plaignirent de 
ce qu'on leur avait supposé l'intention d'entraver les négociations, 
tandis qu'ils avaient non seulement approuvé, mais rédigé en grande 
partie les instructions des ambassadeurs. Ils dissipérent par cette décla- 
ration les injustes soupcons que certaines personnes avaient concus 
contre eux. Ils ajoutérent qu'en ce qui concernait plus particuliére- 
ment le duc leur maitre, ils l'avaient laissé, en quittant Paris, bien 
convaincu qu'à leur arrivée ils les trouveraient d'accord avec le pape; 
et que, si le traité n'était pas encore conclu, ils avaient ordre de se 
joindre à eux dans les démarches qu'il y aurait à faire en faveur de 
l'union , et d'intercéder auprès du pape pour qu'il les expédiát promp- 
tement. On remercia monseigneur le duc de son zéle; on pria ses en- 
voyés de pourvoir à ce que l'ambassade füt promptement expédiée, 
conformément à leurs instructions; on leur exposa où en étaient les 
affaires de l'Église et ce qu'ils devaient faire. | 


Alors le sire de Montjoie prit la parole; il dit que son collègue et 
lui avaient. déjà eu un entretien avec le pape, et l'avaient prié instam- 
ment d'expédier les bulles qui lui étaient demandées, en lui représen- 
tant que, s'il le faisait , l'union serait bientôt rétablie ; sinon, il y aurait 
du scandale. Le pape avait répondu qu'ils étaient venus pour le me-- 
nacer et qu'ils voulaient lui arracher par la violence ce qui leur ferait 
plaisir, mais qu'ils oubliaient que tous ses actes seraient nuls, suivant 
cette parole du sage : N'ayez point pour ratifié ce qui aura été fai 
par force ou par crainte. Que demandaient-ils ? Il leur avait expliqué 
de vive voix ses intentions. Qu'avaient-ils besoin de bulles? S'il n'ac- 
complissait pas ses promesses à l'époque de l'entrevue, on pourrait lui 
infliger les peines les plus graves, et méme le dernier supplice; il était 
donc dans la nécessité de tenir sa parole. S'ils songeaient à se séparer 


614 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


putare impediendam unionem. Ad hoc a milite eorum respon- 
sum primum nullas injurias éi per eos adhuc illatas, sed omni 
humilitate precibus supplicibus coram eo verba fecisse. Sed ad- 
versus, replicat de Monte Gaudio, papa litteras regias ab Italia 
sibi missas perlegisse, vidisse ibi minas, non in eorum verbis 
deprehendisse. Alia racio militis eorum : non posse majorem 
vim allegare in tradicione bullarum quas petebant, quam in 
vocali sue intencionis prolacione; cum igitur vallidam reputet 
illam prolacionem, quare minus vallidas bullas expetitas ? Multa 
hinc inde dicta; tandem rogati nuncii domini ducis ut denuo 
pape colloquerentur. /ta discessum. * 


CAPITULUM XI. 


Per quosdam de legacione papa aliis intencionem suam patefecit; sed ipsis nunciis 
bullam de cessione promissa tradere denegavit. 


Die mercurii decima octava maii, matutino tempore per 
ocium acto, post prandium, in domo patriarche legati convo- 
cati audierunt episcopum Cameracensem enarrantem ordine 
que ipse, abbas quoque sancti Dyonisii et cancellarius ecclesie 
Parisiensis ad colloquium et ex consensu concordi tocius lega- 
cionis huic evocacioni parentes sibi suisque dixerant et quid 
vicissim audierant. Die enim precedenti, que fuit decima sep- 
tima, hora serotina, papam adierunt, obsecrantes pro Dei 
misericordia ut, ad obviandum impendentibus scandalis, ad 
corroborandum vero tractatum unionis, vellet suam bonam 
intencionem legatis sub bullis tradere, quam oretenus expres- 
serat, eaque forma quam petiverant bullas confici juberet ; per 


' Les mots Jta discessum manquent dans le n° 5958. Ils sont tirés du a° 5959, fo]. 65 r. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 615 


de Jui, selon la teneur de leurs lettres, ils n'avaient sans doute pas assez 
considéré que cela empécherait l'union. Un chevalier ayant répondu 
d'abord qu'ils ne lui avaient encore fait aucune violence, qu'ils lui 
avaient parlé en toute humilité ‘et avec la plus entiére soumission, le 
pape, ajouta Montjoie, avait répliqué qu'il avait lu les lettres du roi, 
qu'on lui avait envoyées d'Italie, que c'était là et non dans leurs paroles 
qu'il avait vu des menaces. Le chevalier avait repris alors que le pape ne 
pouvait alléguer qu'on usát de plus de violence à son égard, en le for- 
cant de livrer les bulles qui lui étaient demandées qu'en exigeant de lui 
la déclaration verbale de ses intentions; que, puisqu'il regardait cette 
déclaration comme valide, les bulles qu'on lui demandait ne pouvaient 
l'étre moins. Il y eut encore beaucoup de propos tenus de part et d'autre 
dont la conclusion fut que les députés de monseigneur le duc seraient 
priés d'avoir une nouvelle conférence avec le pape. Puis on se sépara. 


CHAPITRE XI. 


Le pape fait connaitre ses intentions aux ambassadeurs par quelques uns d'entre eux; 
mais il refuse de leur livrer une bulle confirmative de sa promesse de cession. 


Le mercredi 48 mai, les ambassadeurs , qui n'avaient rien fait dans 
la matinée, se réunirent aprés le diner chez le patriarche. Ils don- 
nérent audience à l'évéque de Cambrai, qui leur exposa tout au long 
ce que l'abbé de Saint-Denys, le chancelier de l'église de Paris et lui 
. avaient dit au pape et à ses cardinaux, et ce qui leur avait été répondu 
dans la conférence qu'ils avaient eue ensemble, à la demande du pape 
et du consentement de toute l'ambassade. En effet, ils étaient allés 
trouver le pape la veille au soir, et l'avaient supplié, para miséri- 
corde de Dieu, pour prévenir tout scandale et consolider le traité 
d'union, de vouloir bien livrer aux ambassadeurs des bulles confirma- 
tives de l'intention qu'il avait exprimée de vive voix, et faire dresser 
ces bulles en la forme qu'ils avaient demandée. Ils lui avaient repré- 
senté qu'il gagnerait par ce procédé la faveur et les bonnes gráces de 
tous les Francais; sinon, disaient-ils, il en résulterait de grands incon- 
vénients , et ce qui était surtout à considérer, le traité d'union conclu 


616 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


hoc omnium regnicolarum favorem et graciam sibi consiliatu- 
rum; nisi vero hoc faceret, grave discrimen imminere, et, 
quod ponderandum erat, tractatum unionis cum Romanis 
habitum abrumpendum ; non enim verissimile esse ut alius cum 
eo qui scismaticus existimetur velit....*, aut quod ipsemet 
papa sub regis dominio a quo rege scismaticus censeatur velit 
convenire; quare amore Dei huic rei provideret; non esse . 
magnum scripto explicare quod ore protulisset. 

Ad hec respondendo dominus papa vite sue tocius formulam . 
ab ineunte adolescencia recensens , mirum sibi videri aiebat quo 
pacto, sua vita considerata , ita dure a rege, principibus ac clero 
Francie tractatus fuisset. Multis dictis tandem raciocinando, ac 
plurima jura ad suum propositum alleguando, conatus est osten- 
dere se non debere, nec jure petitas, eis expedire. Primum 
debere satis esse quod in publico consistorio clara voce suam 
intencionem sine ambiguitate declarasset, irracionabiliter post 
hoc bullas exigi. Deinde nec obligatum, secundum tenorem litte- 
rarum ipsorum per orbem publicatarum, ut eas ab Italia missas 
susceperat, ut bullas tradat, cum ibi contineatur se ab eis 
orandum ut ex habundanti ad declaracionem, etc.; non judicare 
eos ipsum ad id astringi quod ex habundanti facere rogant. 
Amplius in litteris eisdem caveri ut, si rem diferat aut proroget, 
veluti a scismatico discedendum. Posse intra paucos dies sciri si 
retardacionis pacis causa sit, diem convencionis haud longe 
abesse. Non formidare se quantamlibet penam, si per eum quo- 
quomodo steterit quominus pax expetita subsequatur. « Amplius 
« quomodo , inquit, unus rex mee obediencie, si non ejus decre- 
« tis aut postulacionibus paruero, me scismaticum pertinacem 
« poterit judicare? » Postremo suo judicio. .... ? raciocinabatur 


'Hyaiciun mot illisible dans le manuscrit. * Plusieurs mots illisibles. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 617 


avec les Romains serait rompu; car il n'était pas vraisemblable que 
l'autre consentit à avoir une entrevue avec celui qui serait regardé 
comme schismatique , ou que le pape lui-même voulût ouvrir les con- 
férences dans les terres d'un roi qui le regarderait comme schisma- 
tique. Il fallait donc, pour l'amour de Dieu, qu'il mit ordre à cette 
affaire ; il ne devait pas tant lui en coûter d'expliquer par écrit ce qu'il 
avait déclaré de vive voix. | 


Dans sa réponse, monseigneur le pape, rappelant la conduite qu'il 
avait tenue depuis sa jeunesse, avait dit qu'il s'étonnait d'étre traité si 
durement par le roi, les princes et le clergé de France. Il avait essayé 
de démontrer par toutes sortes de raisons , et par beaucoup de citations 
tirées du droit, qu'il ne devait pas livrer de bulles, et qu'on ne pou- 
vait pas en exiger de lui. Il suffisait, avait-il ajouté, qu'il eût déclaré ses 
intentions dans un consistoire public à haute voix et sans ambiguité; il 
n'était donc pas raisonnable de lui demander des bulles; d'un autre cóté 
il n'était pas obligé, selon la teneur de leurs lettres publiées dans tout 
l'univers en la forme qu'il les avait recues d'Italie, de leur livrer des 
bulles, puisque ces lettres portaient qu'on le prierait de vouloir bien 
déclarer, etc.; il ne pensait pas qu'on pt le contraindre, quand on 
devait seulement le prier. Quant à ce que spécifiaient les mémes lettres, 
que, s'il cherchait à trainer l'affaire en longueur, il fallait se séparer 
de lui comme d'un schismatique, on pourrait savoir sous peu de jours 
sil était cause du retard de la paix, puisque le jour de l'entrevue 
n'était pas éloigné. Il ne craignait point d'ailleurs de se soumettre à 
quelque peine que ce fût, si l'on prouvait qu'il avait empêché en quel- 
que facon la conclusion de la paix tant désirée. « Comment, dit-il, 
« se pourra-t-il faire qu'un roi de mon obédience me déclare schisma- 
x tique et obstiné , si je n'obéis à ses ordres ou à ses demandes ? » Enfin 
c'était, à son avis, vicier tout le traité qu'il avait conclu avec les Ro- 
mains , que de livrer les bulles qu'on demandait. Supposé méme qu'il 
donnát ces bulles librement, ceux qui connaissaient la teneur des lettres 
du roi croiraient qu'il n'avait fait que céder à cette crainte qu'éprouve - 

. HI. | 78 


618 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


viciandum totum tractatum quem cum Romanis transegisset, si 
modo bullas petitas concederet. Sed esto quod libere bullas con- 
ficeret, plurimos tamen mortales, formam litterarum regiarum 
scientes, existimaturos quod metu in constantem virum cadente 
petita concesserit, cum littere impingent sibi scismatis crimen, 
nisi bullas dederit ; quare illos per violenciam putaturos papam 
cessisse obligatum, bullis per vim extortis. Sicut autem diximus, 
primam electionem invallidam, quia vi metusve causa facta 
fuit, sic multos ex consequenti credituros renunciacionem 
coactam nullius momenti futuram; quare hesitaturos de jure 
illius unici qui post cessionem presidebit. Sic inficietur ac 
viciabitur totus tractatus, quem cum Romanis habuit , inter- 
ventu hujus aut vere aut existimate violencie. Pluraque alia ab 
eo dicta, pauciora recitata, et adhuc pauciora scripta. 

Responsum per Cameracensem , primas raciones non debere 
movere. Et quia papa non eis subicit sed postrema, ad eam 
se contulit : non debere illam movere; posse formam reperiri 
secundum quam omnis suspicio aut metus aut violencie procul 
abesset; pro Deo non gravaretur dare sub bulla quod ore expli- 
carat. Responso ex adverso nullam formam dari posse quin ho- 
miinum mentibus violencie aut metus oppinio immiteretur, ita- 
que in hac parte nichil impetratum. 

Inter narrandum dixit patriarcha cardinalem de Tureyo ad 
se misisse rogatum ut ad eum legati venire non gravarentur, 
priusquam papam adirent, audituri ab eo finale responsum, 
sicuti erant vocati. Cum autem domum ejus venissent : «Scio, 
« inquit, vos aut a papa quidquid petistis assequturos, ut tam 
« ore quam bullisve grate vobis respondeat: quod si fecerit, ei 
« summopere regraciandum nullus ambigit; aut gratum verbo 
« responsum habituros , sed bullis carituros ; quod si contigerit, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 619 
quelquefois l'homme le plus ‘courageux, puisque ces letires le mepa- 
caient de le traiter de schismatique, s'il refusait de donner des bulles. 
Il serait évident pour eux qu'on avait usé de contrainte à son égard, 
et que ces bulles avaient été extorquées par la violence. Or, de méme 
qu'on avait considéré comme invalide la premiére élection, parce 
qu'elle avait été faite par force ou par crainte, de méme bien des gens 
penseraient avec raison qu'une renonciation ainsi extorquée devait 
étre nulle. Par conséquent ils douteraient encore des droits de celui 
qui serait élu seul pape après la cession. Ainsi tout le traité conclu 
par lui avec les Romains serait entaché et vicié par l'effet de cette vio- 
lence réelle ou supposée. Le pape avait dit encore beaucoup d'autres 
choses; il avait lu quelques actes, mais n'avait rien donné par écrit. 


L'évéque de Cambrai avait répondu que les premiéres raisons ne 
devaient pas étre d'un grand poids, et comme le pape avait déclaré qu'il 
y attachait moins d'importanre qu'à la dernière, c'était celle-ci seule- 
ment qu'il avait cherché à combattre. Elle n'était pas, dit-il, plus 
admissible que les autres. On pouvait procéder de telle maniére que 
tout soupcon de crainte ou de violence serait banni. Il le priait, pour 
Dieu, de ne pas hésiter à livrer une bulle confirmative de ce qu'il 
avait déclaré de vive voix. Le pape avait répliqué que, de quelque 
manière qu'on procédát, on n'empécherait point qu'il n'y eût dans les 
esprits des soupçons dé violence ou de crainte. On n'avait donc rien 
obtenu sur ce point. 

Pendant cette conférence, le patriarche dit que le cardinal de Thury 
lui avait envoyé demander que les ambassadeurs voulnssent bien se 
rendre auprès de lui, avant d'aller trouver le pape, qui les avait convo- 
qués pour leur donner une réponse définitive. Ils allérent donc chez le 
cardinal, et lorsqu'ils y furent ::« Il arrivera sans doute, leur dit-il, ou 
« que vous obtiendrez du pape tout ce que vous avez demandé , c'est-à- 
« dire une réponse satisfaisante tant de vive voix que par bulles, et dans 
« cecas, personne ne doute qu'il ne faille l'en remercier trés vivement; 


620  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VIN. 

« pro rei utilitate consulo ut ei regraciamini, quanquam con- 
«tentandi non sitis; sic enim cardinales facturos existimo. 
« Tercium -autem futurum: non arbitror, ut nec bullis conce- 
« dat, nec ore grate respondeat. » Quidquid preterea posset 
legatis se impensurum favorabiliter obtulit, quo ad papam. 
Maturate patriarcha, si ejus consilium sequi deberent, ad 
legatos retulit, quorum variante aliqualiter sentencia, majori 
tamen parte in hanc sentenciam eunte, ut ei sub hoc modo 
loquendi, casu quo bullis negatis ore bene responderet, regra- 
ciarentur : « Beatissime pater, alias nobis vestram intencionem . 
« bonam expressistis et nunc eciam resumpsistis; unde tunc 
« regraciati sumus et adhuc regraciamur, sed non possumus 
« dicere quod sumus contenti, nisi bullas habeamus quas pro- 
« sequi secundum nostras instructiones obligamur, » quanquam 
patriarcha retenta sentencia verbis aliis responderit, uti satis 
apparebit. Hiis ita expeditis, ad papam hora condicta vene- 
runt, attentis omnibus ad: audiendum. 


CAPITULUM XH. 
Responsio pape. 


« Vos, inquit, venistis causa prosequende unionis, et quia 
«in hac materia magis opus est facto quam prolixitate verbo- 
« rum, abbreviabo responsionem meam. Vos duo petivistis. » 
Nec ea resumpsit que legati petierant; que, quia superius scripta 
sunt , hic obmitenda decrevi. « Quantum ad primum, » ut verba 
ejus precisa et quasi similia ut prolata fuere perscribam, « cre- 
« debam, inquit, et credo sufficienter et clare per meas bullas 
« directas illi dicto Corrario, qui se Gregorium facit. appellare, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIH. 624 


« ou bien, qu'il vous donnera de vive voix une réponse satisfaisante, 
« mais que vous n'aurez pas de bulles , et cela étant, je vous conseille, 
« pour le bien de l'affaire que vous poursuivez , de le remercier égale- 
« ment, quoique vous n'ayez point sujet d'étre contents. C'est ainsi, je 
« crois, qu'en useraient les cardinaux. Il y a un troisiéme cas qui ne se 
« présentera pas, je pense, c'est que le pape n'accorde point de bulles, 
« et ne fasse point de vive voix une réponse satisfaisante. » Il offrit d'ail- 
leurs avec empressement aux ambassadeurs ses services auprés du pape. 
Le patriarche en référa sur-le-champ aux ambassadeurs, pour savoir si 
l'on suivrait ce conseil. Les avis furent partagés. Cependant la majorité 
décida qu'au cas où le pape refuserait les bulles, tout en faisant de vive 
voix une réponse satisfaisante, on le remercierait en ces termes : « Très 
« saint pére, vous nous avez déjà exprimé vos bonnes intentions, et 
« vous venez de nous en renouveler l'expression. Nous vous en avons 
« déjà remercié et nous vous en remercions encore ; mais nous ne pou- 
« vons pas dire que nous soyons contents, si nous n'obtenons pas les 
« bulles que nous sommes chargés de vous demander, conformément à 
« la teneur de nos instructions. » Le patriarche ne conserva que le 
sens de ces paroles, et répondit en d'autres termes, ainsi qu'on le verra. 
Aprés cela , ils se rendirent à l'heure convenue auprés du pape et se 
préparérent tous à l'entendre. 


CHAPITRE XII. 
Réponse du pape. 


« Vous étes venus, dit le pape, pour travailler à l'union, et comme 
« dans cette affaire il est plus nécessaire d'agir que de faire de longs 
« discours, j'abrégerai ma réponse. Vous avez demandé deux choses. » 
Il ne rappela point les demandes des ambassadeurs , et comme elles ont 
' été exposées plus haut, j'ai cru pouvoir ne pas les répéter ici. « Quant 
« à la première, » dit-il ( ce sont ses propres paroles, que je rapporte 
textuellement), « je croyais et je crois avoir suffisamment et clairement 
« montré, par les bulles que j'ai adressées au nommé Corrario, qui 
« se fait appeler Grégoire, que j'accepte la voie de cession purement, 


622  CHRONICORUM KAROL SEXTI LIB. XXVIII. 
« obtulisse viam cessionis per me pure ‘ac libére et simpliciter 
« fiende, pro unienda Ecclesia sancta Dei, et novissime in con- 
«sistorio publico, ubi proposuistis illam expresse, et nunc ex 
« habundanti exprimo; et hoc sit pro responsione, quod, licet 
« non intendam aliquam viam racionabilem excludere, sicut nec 
« credo, secundum conscienciam michi licere, intencionis tum 
« mee fuit et est hanc viam cessionis omnibus aliis viis premit- 
« tere. Aliam vero bullam super hoc tradere non expedit prop- 
« ter aliquas raciones, quas aliquibus vestrum exposui, a quibüs 
« illas scire poteritis. » Quantum ad secundum , respondit ‘sue 
intencionis et dominorum cardinalium esse, ut in casu mortis 
aut alio quocunque provideatur quatinus scismati finis impo- 
natur, et jam colloquuciones et collaciones super hoc ex ejus 
ordinacione cardinalium habuisse, ut modo condecenti et con- 
grua provisio fiat. « Vos alias aliqua super hoc habere dixisse, 
« velitis illa cardinalibus communicare pro commoditate ‘nego- 
« cii; hec, inquit, do pro responsione. » 

Postquain coriticuit, patriarcha, suscepto verbo : «Pater, 
« inquit, beatissime, sicut nunc recitavit sanctitas vestra , alias 
«sanctam vestram intencionem nobis in consistorio publico 
« expressistis, unde tunc regraciati fuimus et nunc uberius re- 
« graciamur de sancta intencione et bonis verbis vestris, quia 
« clarius eathdern iritencióhéth meo judicio exprimitis. » Aliud 
adjecturus erat juxta deliberata in domo cardinalis de ''ureyo, 
de quibus modo mencio facta est; sed interrupto sermone : 
« Plus, inquit papa, monstrabo facto quam dicam verbo. Tantum 
« enim intendo finem , quod erit ad honorem Dei, commodum 
« Ecclesie ,.benivolenciam domini regis, regni ac populi chris- 
« tiani.» Quibus dictis, non oblitus patriarcha propositi : « Pater, 
« inquit,'beatissime, sanctitas vestra bene scit quod sumus am- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 623 


« librement et simplement, dans l'intérét de l'union de la sainte Eglise 
« de Dieu. J'ai renouvelé dernièrement encore cette offre dans le con- 
« sistoire public, où vous avez proposé expressément cette voie, et 
« maintenant je la réitére volontiers. Voici donc ma réponse : je ne 
« veux exclure aucune voie raisonnable, car je ne pense pas qu'il me 
« soit permis en conscience de le faire; mais c était alors et c'est en- 
« egre aujourd'hui mon intention de préférer cette voie de cession à 
« toutes les autres. Toutefois j'ai quelques raisons pour ne point vous 
« livrer de bulles à ce sujet, et je m'en suis expliqué à quelques uns 
« d'entre vous, qui pourront vous en faire part. » Quant au second 
point, il répondit que son intention et celle de messeigneurs les car- 
dinaux était que, en cas de mort ou de quelque autre événement, on 
pourvüt aux moyens de mettre fin au schisme, et que déjà les cardi- 
naux avaient eu par son ordre des réunions et des conférences pour 
aviser à ce qu'on y pourvüit d'une manière suffisante et convenable. 
« Vous m'aviez dit, ajouta-t-il, que vous aviez quelques observations 
« à faire sur cela; veuillez les communiquer aux cardinaux dans l'in- 


« térét de l'affaire. Voilà ce que j'ai à vous répondre. » 


Quand le pape eut fini de parler, le patriarche prit la parole: « Trés 
« saint père, dit-il, il est vrai, comme l'a fait remarquer votre sainteté, 
« que vous nous avez déjà exprimé votre sainte intention dans un con- 
« sistoire public. Nous vous avons remercié alors et nous vous remer- 
« cons plus vivement encore de votre sainte intention et de vos bonnes 
« paroles, parce que vous venez de nous exprimer plus clairement cette 
« intention. » Il allait ajouter autre chose, suivant ce qui avait été con- 
venu chez le cardinal de Thury, comme nous l'avons rapporté plus haut ; 
mais le pape l'interrompit : « Mes actions, dit-il, vous prouveront 
« mieux que mes paroles que j'ai uniquement en vue l'honneur de Dieu 
« et l'intérét de l'Église , et que je ne désire rien tant que d'étre agréa- 
« ble à monseigneur le roi, à son royaume et au peuple chrétien. » 
Ces paroles ne firent point oublier au patriarche ce qu'il avait à dire : 
« Trés saint père, reprit-il, votre sainteté sait bien que nous sommes 
« ambassadeurs du roi de France, votre fils trés dévoué, et qu'à ce 


624 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« bassiatores regis Francie, devotissimi filii vestri, et non pos- 
. « sumus dicere quod simus contenti, quia instructiones habemus 
« quas transgredi non possumus, secundum quas cum omni 
« humilitate instare debemus quod super hoc bullas habeamus. » 
Nonnichil exasperatus papa respondit, credere se omnem bo- 
num christianum debere contentari, et adjecit : « Credo, inquit, 
«quod dominus rex habebit bonum consilium, et quod hiis 
« auditis, contentabitur. Et bene volo dicere, quod , istis audi- 
« tis, qui non contentatur, non diligit unionem Ecclesie; multos 
« contentari , qui tantum diligunt unionem Ecclesie sicut aliquis 
« diligit assistencium. » Addidit eciam patriarcha, super peti- 
cione secunda , quomodo Romam profecturi expedire ut in brevi 
remedium petitum expediretur, ut ipsum illos de parte adversa 
docerent, credentes illos similem statim provisionem facturos; 
quare obsecrabat ut ante legatorum discessum , qui non poterat 
ante crastinum diem amplius differri, super hoc eis responsum 
daretur. À papa responsum, rem non subito propter difficul- 
tates expediri posse ; laboraturum tamen se ut, quanto cicius 
potuerit, provisio ista fiat; eos esse litteratos homines, si quid 
in hac materia haberent, dominis cardinalibus, quo celerius 
. negocio finis imponeretur , communicare vellent. Hiis ita expe- 
ditis, ab eo, pedis, manus et oris osculo, licencia petita, Massi- 
liam reversi sunt. | 


CAPITULUM XIII. 


Deliberato utrum substractio esset intimanda pape, ex legatis quidam Romam 
pecierunt, quidam Parisius redierunt, et alii in Massilia remanserunt. 


Domini pape responsione audita, cum legati Francie redis- 
sent ad civitatem Aquensem, in vigilia Trinitatis, die scilicet sab- 
bati, vicesima prima maii, matutino tempore, ut Spiritus sanctus 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 625 


* titre nous ne pouvons dire que nous soyons contents; car nous avons. 
« des instructions qu'il ne nous est pas permis d'enfreindre, et qui nous 
« forcent d'insister avec toute humilité pour obtenir des bulles à ce 
« sujet. » Le pape répondit avec un peu de dépit qu'il croyait que tout 
bon chrétien devait se trouver satisfait, et il ajouta : « Je pense que 
« monseigneur le roi sera d'un autre avis, et qu'aprés avoir entendu 
« mes déclarations, il s'en montrera satisfait; et je puis bien dire que 
« celui qui n'est point satisfait, aprés les avoir entendues, n'a point à 
« coeur l'union de l'Église, et que beaucoup de gens qui ont à coeur 
« cette union, autant que qui que ce soit des assistants, en sont satisfaits. » 
Le patriarche passa alors à la seconde demande, et dit que, comme ils 
étaient sur le point de partir pour Rome, il était à propos qu'on leur 
expédiát promptement la provision qu'ils avaient demandée, afin qu'ils 
pussent en donuer avis à ceux de la partie adverse, qui sans doute 
feraient aussitót de leur cóté une provision semblable. 1l suppliait donc 
le pape de leur donner sur cela une réponse avant leur départ , qu'ils 
ne pouvaient différer que jusqu'au lendemain. Le pape répondit que 
la chose ne pouvait se faire sur-le-champ à cause de certaines difficultés; 
que cependant il travaillerait à ce que cette provision füt expédiée le 
plus tót possible; qu'ils étaient tous des hommes lettrés, et que, s'ils 
avaient quelque chose à dire sur cette matiére, ils voulussent bien en 
faire part à messeigneurs les cardinaux, pour qu'on en finit plus promp- 
tement. Aprés cette conférence, les ambassadeurs ayant été admis au 
baiser de paix prirent congé du pape et retournérent à Marseille. 


CHAPITRE XIII. 


Les ambassadeurs délibérent s'ils doivent signifier au pape la soustraction 
d'obédience. Les uns partent pour Rome, les autres retournent à Paris, 
d'autres restent à Marscille. 


* Après avoir entendu la réponse de monseigneur le pape, les ambas- 
sadeurs de France revinrent de Marseille à Aix, et y célébrèrent dévo- 
tement, le samedi matin 24 mai, veille de la Trinité, une messe 


I1. 79 


626 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 
quid sequi deberent mentibus ingereret, missam sollempnem de 
Spiritu Sancto celebraverunt devote. Deinde ad deliberandum 
utrum, consideratis eorum instructionibus, litteris et instru- 
mentis ex una parte, ex alia pape responsionibus et concordia 
inter eum et Romanos ceterisque rerum circumstanciis , conve- 
niret ad finem quo tendebant pape substractionem intimare; 
in qua deliberacione multorum virorum clara erudicio apprime 
monstrata est. Facta sunt verba a deliberantibus in utramque 
partem. Quibus tamen non obstantibus, Sacro, nisi fallor, diri- 
gente Spiritu, in finalibus tanta fuit omnium concordia, ut eam- 
dem conclusionem , nemine discrepante, videlicet de substrac- 
tione minime intimanda, universi sequerentur. Nam quamvis 
tenentes partem oppositam arguerent substractionem esse pro 
nunc intimandam secundum instructiones quas ipsi omnes 
juraverant observare, quia papa bullas super declaracione sue 
intencionis petitas denegaverat, et quia, licet vias alias cessioni 
postponens, eas tamen non excludebat ; verba eciam pape frus- 
tratoria reputarent, quia non tenuerat quod juraverat alias, nec 
ostendebat se pacem affectare, quia munierat Avinionense pala- 
cium, et continue armatorum cuneis stipatus incedebat, eciam 
cum decoratus infulis pontificalibus accedebat ad celebranda 
divina ; adderent iterum, non tantum dedisse sicut adversarius 
suus, quia iste juraverat, voverat et promiserat cedere, ipse vero 
tantum dixerat quod intencionis sue erat cedere; et nisi sub- 
stractionem intimarent, labor illorum videbatur irrisorius, 
quia nichil certi aut diffiniti regi, Universitat? ac regnicolis 
reportarent, ad eorum certe vituperium; et iste raciones et 
similes plurimum efficaces viderentur, vincit tamen pars ad- 
versa, que in substancia tetigit media que sequntur. 

Primo ponderandam dicebant deliberacionem consilii Eccle- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 627 
solennelle du Saint-Esprit, afin d'obtenir qu'il leur inspirát ce qu'ils 
avaient à faire. Ils délibérérent ensuite si, en considérant d'une part 
leurs instructions, lettres et instruments , et d'autre part les réponses 
du pape, l'accord fait entre lui et les Romains et les autres circon- 
stances, ils devaient, pour le bien de la chose qu'ils se proposaient, 
signifier au pape la soustraction d'obédience. Gette délibération four- 
nit.à plus d'un personnage l’occasion de faire-briller son savoir, et la 
question fut longuement débattue de part et d'autre. Cependant i] y eut 
à la fin un accord parfait de sentiments, qu'il faut sans doute attribuer à 
une inspiration du Saint-Esprit. Toute l'assemblée adopta sans oppo- 
sition le méme avis, et décida qu'on ne signifierait point. la soustrac- 
tion. Ceux qui voulaient qu'elle fût signifiée disaient que, conformé- 
ment aux instructions qu'ils avaient tous juré de suivre , il fallait le faire 
sur-le-champ, parce que le pape avait refusé les bulles confirmatives 
de ses intentions, et que, tout en préférant la voie de cession aux 
autres voies, il n'excluait point celles-ci. Is alléguaient que le pape les 
avait amusés par de vaines paroles; car il n'avait point tenu ses ser- 
ments, et ne montrait point un véritable désir de la paix ; il avait for- 
tifié le palais d'Avignon, et marchait toujours entouré de gens de 
guerre , méme lorsque revétu de ses ornements pontificaux il allait cé- 
lébrer l'office divin. Ils ajoutaient qu'il n'avait pas pris des engagements 
aussi formels que son adversaire , qui avait juré, fait voeu et promis de 
céder, tandis que lui s'était contenté de dire qu'il en avait l'iritention. 
Ils soutenaiént que, s'ils ne signifiaient point la soustraction, leur mis- 
sion serait sans résultat, et qu'on pourrait à bon droit les blâmer de ne 
rien rapporter de certain ni de définitif au roi, à l'Université et aux 
habitants du royaume. Bien que ces raisons et d'autres semblables 
parussent trés fondées, cependant l'avis contraire prévalut, et voici 
les motifs qu'on fit valoir à l'appui. . 


Premièrement, disait-on, il fallait bien peser la décision du concile 


628 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VIIT. 


sie gallicane, in qua nulla facta fuerat mencio; quod sub pena 
convicti scismatis aut alia papa teneretur bullas tradere, sed 
solum de clara sue intencionis explicacione; in solis autem 
instructionibus de pena inferenda ex negacione bullarum fit 
mencio. Sic videtur quod rigor instructionum ex litteris et 
deliberacione consilii debeat temperari. Sed eciam si ad instruc- 
tiones attendatur, nullo earum rigore compelli videbantur, ut 
substractionem pro presenti intimarent. Nam certum erat super 
incertis ferri legem , non super certis ; que enim sua parte vera, 
clara et certa sunt, lege non egent. Cum igitur haberent in uno 
articulo, quod, si papa cum adversario suo concors sit, rex 
cóntentus videtur, nec intendit tractatum concordie impedire, 
et in uno alio, quod, nisi clare papa intencionem suam expli- 
caret bullas tradendo, substractio ei intimaretur, in primo 
articulo videbatur secundum abrogare; locus enim posterio- 
ris, quia non erat certum regi de concordia tali, et si fuisset 
certum, non tulisset; ergo cum reperirent in facto illam con- 
cordiam , sequens articulus non eos ligabat. Idem erat enim , ut 
dicebant, ac si non fuisset factus, secundum mentem legisla- 
toris, cum, si de illo articulo, scilicet de concordia, certitudo 
habita esset, nunquam ille alius articulus positus fuisset. Unde 
cum lex tantum feratur de re dubia , ultra secundum articulum 
procedunt instructiones, ac si contendentes non essent con- 
cordes. Quare videtur quod eciam secundum instructiones non 
sit intimanda substractio, sed magis secundum septimum: arti- 
culum, contendentes ad conveniendum adjuvandi sunt atque 
confortandi. Idcirco primo deliberanti visum est in consciencia 
sua , rebus stantibus ut erant, sequendo eciam instructiones, 
papam non molestandum, sed pocius adjuvandum. 

Secundo, principaliter ad idem argutum est ex considera- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 629 
de l'Église gallicane, où il n'avait pas été dit que le pape serait teuu 
de livrer des bulles sous peine d'étre regardé comme schismatique ou 
sous toute autre peine , mais oü l'on avait seulement exigé de lui une 
explication claire de ses intentions. Les instructions seules mention- 
naient qu'on lui infligerait une peine en cas de refus des bulles; il 
semblait donc que la rigueur des instructions dût être tempérée par les 
lettres et par la décision du concile. Mais à bien considérer méme la 
teneur des instructions , il ne semblait pas qu'on fût rigoureusement 
tenu de signifier dés à présent la soustraction. Car il était évident 
qu'on ne portait de loi que sur les cas incertains et nou sur les cas 
certains. Ce qui de sa nature est vrai, clair et certain, n'a pas besoin 
de loi. Or, puisqu'ils trouvaient dans un article, que, si le pape était 
d'accord avec son adversaire, le roi se déclarerait satisfait et n'enten- 
drait pas empécher leur traité, et dans un autre, que, si le pape n'ex- 
pliquait pas clairement ses intentions en livrant des bulles, on devait 
lui signifier la soustraction, le premier article semblait détruire le 
second. En effet le premier article prouvait que le roi n'était pas cer- 
tain d'un tel accord; s'il en avait été certain, il n'aurait point porté cet 
article. Par conséquent, cet accord existant en fait, l’article suivant ne 
les liait point. Cet article était comme non avenu, selon la pensée du 
législateur; car s'il avait eu la certitude que l'accord était conclu, il 
n'aurait point posé le second. C'est pourquoi , la loi ne portant que sur 
les faits douteux , les instructions procédaient au-delà du second article, 
comme si les deux prétendants n'étaient point d'accord. Il semblait 
donc que, méme en se conformant aux instructions, on ne devait pas 
signifier la soustraction, mais bieu plutôt aider et encourager, ainsi 
qu'il était dit au septiéme article, les prétendants à avoir une entre- 
vue. Enfin, on croyait en conscience que, les choses restant en l'état 
oü elles étaient, et suivant méme ce que pr escrivaient les instructions, 
il fallait non pas inquiéter le pape mais l'assister. 


Secondement, on présenta en faveur de cet avis plusieurs considé- 


630 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


cione plurium, et primo cum certum esset, nullum articulum in 
instructionibus datum, sic ligare, quin mutatis circumstanciis 
ex quibus talis articulus videretur nocivus ad pacem, si obser- 
varetur, ille posset differri vel interpretari vel penitus obmiti 
vel ejus contrarium observari. Hoc enim constat per simile in 
materia juramenti, votorum et legum, ubi nichil obligat quod 
vergit in deteriorem exitum, et pro isto faciebat tenor instruc- 
tionum referencium se ad deliberacionem nunciorum in arduis 
et novis; et similiter consideratis que sunt pacis. Constabat ergo 
evidenter satis, quod intimacio substractionis secundum rigo- 
rem instructionum vergeret in deteriorem exitum et noceret; 
unde dilacio substractionis per unum mensem vel duos aut tres 
nunquam posset afferre tantum nocumentum cause Ecclesie 
vel regni, quantum afferret verissimiliter acceleracio, quoniam 
papa et sui in tali acceleracione possent colorate dicere , quod 
nuncii ruperant tractatum suum et impedirent sanctum propo- 
situm suum gratis et sine causa urgente, ymo cum requestis 
irracionabilibus, per quas libertas sibi tolleretur, et similia; 
que, et si non essent vera, essent tamen apparenter dicta, pre- - 
sertim apud multos regni emulos, qui eos criminabantur velle 
solos totum facere ac regere. Quod autem tractatus impedi- 
retur, facta substractione, patet, quoniam locus de concordia 
acceptus jacet in dominio regis. Non autem possent a papa 
substractionem facere, veluti a scismatico pertinaci secundum 
instructiones; quomodo autem sperarent illum quem rex scis- 
maticum judicasset velle se in dominium regium transportare ? 
Et sic apparebat quod intimacio presens plus obesset quam di- 
lacio, nec apparebat ubi rigor prodesse poterat, sed apparet 
clare profectus mansueti processus. 

Alleguatum eciam extitit quod consiliis nunciorum Gregorii, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 634 


rations. Et d'abord il était certain qu'il n'y avait dans les instructions 
des ambassadeurs aucun article qui les liât si étroitement qu'on ne pût 
en différer l'exécution , l'interpréter, l'omettre entièrement, ou méme 
agir contrairement à sa teneur, dans le cas oà de nouvelles circon- 
| stances viendraient prouver que l'observation de cet article serait nui- 
sible à la paix. C'est ce qui arrivait en matiére de serment, de voeux 
et de lois, oà l'on n'est obligé à rien de ce qui tend à une mauvaise 
fin, et c'est ainsi qu'il fallait comprendre la teneur des instructions, 
qui autorisaient les ambassadeurs à délibérer sur les cas graves et nou- 
veaux. ll en était de méme, si l'on considérait l'intérét de la paix. Or 
il était assez évident que la notification de la soustraction -selon la 
rigueur des instructions tendrait à une mauvaise fin, et serait plus 
nuisible qu'utile, tandis qu'en différant la soustraction pendant un, 
deux ou trois mois, on causerait moins de préjudice à l'Église on 
au royaume qu'en agissant avec trop de précipitation. Car le pape et 
les siens pourraient en tirer prétexte pour dire que les ambassadeurs 
avaient rompu son traité, et qu'ils entravaient sa sainte résolution, 
gratuitement et sans cause urgente, par des requétes déraisonnables 
qui lui enlevaient sa liberté ; lesquelles raisons et autres semblables 
auraient, malgré leur fausseté, une apparence de vérité, surtout 
aux yeux de bien des gens ennemis du royaume, qui les accusaient de 
vouloir seuls tout faire et tout conduire. Il était évident que, une fois 
la soustraction faite, le traité serait entravé, puisque le lieu accepté 
pour l'entrevue était dans les domaines du roi. Ils ne pourraient, 
d'un autre côté, faire la soustraction d'obédience au pape comme 
à un schismatique obstiné, suivant leurs instructions ; car comment 
espérer que celui que le roi aurait déclaré schismatique voulût se 
transporter dans les domaines du roi? On pouvait donc croire qu'il 
serait plus nuisible de faire dés à présent la soustraction que de la dif- 
férer, et que la rigueur ne servirait à rien, tandis qu'il y avait plus à 
attendre des moyens de douceur. 


On allégua encore qu'il fallait suivre le conseil des envoyés de 


632 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


sine quibus ad pacem non poterant pervenire, adherere de- 
bebant , qui suaserant omnibus ut cum domino papa mansuete 
agerent, qui eciam indignanter audierunt si eorum dominus 
vellet per procuratorem cedere, asserentes quod, et si papam 
deserentes velud scismaticum et Gregorium adirent, non ob hoc 
cederet; insuper quomodo cardinales et specialiter qui apud 
Francos sincere affectionis erant, rigorem disuaserant, treugas 
expedire dixerant necessario usque ad convencionem, et tunc 
rigidissime prosequi contra papam, si non effectualiter ad- 
impleret ea que erant unionis. Iterum si hanc intimarent, 
attento presertim quod de eo adversarius contentus videbatur, 
Yspani, Arragones, Sabaudienses, Scoti, Navarri et forsitan 
illi de lingua Occitana illos non sequerentur, et sic esset scisma 
intestinum in hac obediencia. Esset eciam rumpere legacionem 
ad Romanos, attentis predictis cum instructionibus, quia in- 
structiones habent regem nulli obediturum, relicto Benedicto, 
nisi Gregorius cesserit; non cedet ex predictis, ergo. Ulterius 
volebat rex agi secundum rigorem instructionum, hoc tamen 
addito, nisi papa per bullas aut alias nuncios certificaret ; quod 
et fecit voce clara prolata. 

Item quia oculum semper debeant flectere ad finem unionis, 
et duo pecierant, secundum instructiones, tanquam media ad 
illum finem, scilicet ut intencionem suam clare explicaret, 
secundum ut bullas traderet, primum autem est principale, et 
secundum accessorium , debebant ergo rigidos articulos inter- 
pretari, cum talis potestas eisdem concessa esset, et nullum 
periculum provenire poterat in dilacione intimacionis, cum 
alias possent intimare. Ulterius impedirent sic intimando peti- 
cionem suam de habilitacione cardinalium, cum scismaticus 
inhabilis esset ad habilitandum; nec habere poterant unionem 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIH. 633 


Grégoire, dont le concours était nécessaire pour arriver à la paix, et 
qui les avaient engagés à user de douceur à l'égard de monseigneur le 
pape. On rappela qu'ils avaient méme été mécontents qu'on voulût 
proposer à leur seigneur de céder par procureur, et qu'ils avaient assuré 
que, quand même la France abandonnerait le pape comme schisma- 
tique et se rangeraK du parti de son compétiteur, cela ne déciderait 
point Grégoire à céder. On rappela aussi que les cardinaux, et parti- 
culiérement ceux qui en France étaient sincérement zélés pour l'union, 
avaient conseillé d'éviter la rigueur, et avaient dit qu'il fallait s'abste- 
nir de toute violence jusqu'à l'entrevue, qu'alors seulement on procé- 
derait rigoureusement contre le pape, s'il n'exécutait pas tout ce qui 
touchait à l'union. En outre, si l'on signifiait la soustraction, les Es- 
pagnols, les Aragonais, les Savoyards, les Écossais, les Navarrais, et 
peut-étre ceux du Languedoc, n'approuveraient point cette mesure, 
attendu que l'adversaire de Benoit en paraissait content; il y aurait 
ainsi un schisme intérieur dans cette obédience. Ce serait méme rendre 
inutile le départ des ambassadeurs pour Rome, attendu les choses sus- 
dites et leurs instructions; car ces instructions portaient qu'en renon- 
cant à l'obédience de Benoit le roi ne se soumettrait pas à une autre, 
à moins que Grégoire ne cédát. Or, il ne céderait pas, d'aprés ce qui 
venait d’être dit. D'ailleurs le roi voulait qu'on n'agit selon la rigueur 
des instructions , qu'autant que le pape ne certifierait pas ses intentions 
aux ambassadeurs par bulles ou autrement ; et i] l'avait fait de vive voix. 

De plus, comme il fallait n'avoir en vue que l'union, et que sui- 
vant leurs instructions ils avaient demandé deux choses, comme le 
meilleur moyen d'arriver à ce but: d'abord que Benoit expliquát |clai- 
rement son intention, ensuite qu'il livrát des bulles; comme la pre- 
miére demande était principale et la seconde accessoire, ils devaient 
interpréter les articles rigoureux; car ils en avaient le pouvoir, et il 
n'y avait aucun péril à différer la signification de la soustraction, qui 
pourrait étre faite une autre fois. En signifiant la soustraction, ils 
annulaient leur demande tendant à ce que Benoit habilitát les cardi- 
naux , puisqu'un schismatique était incapable d'habiliter. Ils ne pour- 
raient avoir une bonne et solide union qu'en employant la douceur, 

I. 80 


634 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


bene sedatam, nisi aut dulciter papam ducerent ad cessionem, 
aut eum ita ducendo, toti mundo contumax appareret, quod 
apparebat, si convencionem non teneret. Iterum, visa disposi- 
cione rerum et quod de declaracione mentis pape habebant 
cerciora argumenta bullis, cum bulle male possent interpretari , 
nec liceret eis intimare secundum veritatem, viso tractatu com- 
posito, nec deceret secundum honestatem , quod totus mundus 
eos impeditores clamaret, nec expediret secundum utilitatem, 
quia raciones in centuplo erant apparenciores ad sustinendum 
pacienter quam ad rigide procedendum. 

Ut breviloquio loquar, alleguatum in finalibus extitit, ex quo 
certum cunctis erat eos ad unionem laborasse, semperque exe- 
qucionem vie cessionis quesivisse, et ad ipsam confirmandam 
convencionem duorum contendencium et suorum collegiorum, 
ex quo eciam Dominus voluerat quod per sanctam affectio- 
nem illius Gregorii Romani ipsi erant prope finem, quia ipse 
primo obtulit clare viam cessionis, quod et dominus summus 
pontifex obtulerat, et quod ambo volebant convenire pro 
exequcione illius vie. Consuluerunt quod viderent concordiam 
contendencium , oppinionem ambassiatorum romanorum con- 
sulencium obmiti viam rigoris. Nam sic rebus existentibus, 
faciendo substractionem, non bene sonabat, sed impediebat 
quod fere viginti annis quesierant. Hiis attentis, non credebant 
nunquam fuisse mentem regis et prelatorum Francie ac Uni- 
versitatis, quod hiis stantibus deberent impedire hanc conclu- 
sionem, ymo magis secundum instructiones deberent vitare 
viam rigoris. Et ideo unanimiter, nemine discrepante, superse- 
dendum ab intimacione substractionis concluserunt, retenta 


tamen apud eos potestate intimandi , si hoc res exigeret tem- 
pore subsequenti. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII — 635 


. pour amener le pape à la cession ou du moins pour rendre son obsti- 
nation évidente aux yeux de tous, comme elle le serait en effet, s'il 
ne tenait pas sa parole. Eu égard à l'état des choses, et attendu qu'on 
avait des preuves plus certaines de l'intention du pape que n'en don- 
neraient des bulles , puisque des bulles pouvaient étre mal interprétées, 
il ne leur était pas permis de lui signifier la soustraction, ni selon la 
vérité, vu le traité conclu; ni selon l'horineur, car tout le monde les 
accuserait d'entraver l'union; ni selon l'utilité, car il y avait cent fois 


plus de raisons pour attendre patiemment que pour procéder rigou- 
reusement. 


On allégua enfin que chacun savait qu'ils avaient travaillé à l'union, 
qu'ils avaient toujours cherché à exécuter la voie de cession et désiré 
pour la ratifier l'entrevue des deux prétendants et de leurs colléges, 
que, le Seigneur ayant disposé les choses de telle facon qu'ils étaient 
sur le point d'atteindre leur but, gráce au saint zéle de Grégoire de 
Rome , qui le premier avait offert clairement la voie de cession, mon- 
seigneur le pape avait lui-méme accepté cette voie, et qu'ils voulaient 
tous deux s'entendre pour aviser aux moyens de la pratiquer. On re- 
présenta qu'il fallait considérer l'accord des deux prétendants et l'opi- 
nion des ambassadeurs de Rome, qui conseillaient de ne pas employer 
la voie de rigueur. Faire la soustraction dans cette conjoncture, c'était 
agir avec peu de sagesse et perdre le fruit de vingt années de négocia- 
tions. Tout cela bien examiné, il n'était pas vraisemblable qu'il eût 
jamais été dans la pensée du roi, des prélats de France et de l'Univer- 
sité qu'ils dussent empécher l'arrangement qui allait étre conclu; ils 
devaient au contraire, suivant leurs instructions, éviter la voie de 
rigueur. On décida donc à l'unanimité et sans opposition qu'il fallait 
surseoir à la signification de la soustraction, en se réservant toutefois 
le pouvoir de la faire, si les circonstances l'exigeaient plus tard. 


636 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM XIV. 


Nunciorum relacione audita, rex Francie Gregorium hortatur ut perseveranter agat 
in prosequcione unionis. 


Pretaetis unanimiter eonclusis, nemine discrepante, nuncii, 
in commissis ulterius procedentes, se iu tres partes dignum 
duxerunt dividere, et majorem domino patriarche relinque- 
runt, qui Romam ad Gregorium tenderet; cui jam nepos ipsius, 
episcopus Motonensis, deliberata narrare festinabat. Rursus, 
sicut condictum fuerat, archiepiscopus Turonensis et abbas 
venerabilis Sancti Michaelis in Massilia sunt relicti ad tenen- 
dum papam in suo bono proposito, significandum regi Fran- 
cie et legatis, si qua mutacio in rebus oriretur, iterum ad 
prosequendum provisionem in casu mortis, scilicet quod non 
eligerent cardinales, et quod, habilitatis anticardinalibus ad eli- 
gendum, procurarent quod, si papa nollet convenire, cardinales 
saltem in majori parte convenirent. Decretum inde fuerat ut 
venerabiles viri , abbas Sancti Dyonisii, Philippus, et magister 
Hugo, Rothomagensis decanus, Parisius mitterentur ad inti- 
mandum que deliberata fuerant. 

Que quamvis regi et suis illustribus pergrata fuerunt, hos 
tamen rumores nonnulli in Universitate Parisiensi indignantis- 
sime audierunt. Ex ejus quidem gremio non defuit quedam 
fragosa et tumultuosa concio, clamoribus assueta, que non 
querens que unionis et pacis erant, sed que proprius et inordi- 
natus affectus sugerebat, in predictos nuncios calumpniari 
cepit, eos reputans perjuros et infames, quia contra instruc- 
tiones suas domino Benedicto, renitenti bullas de renuncia- 
cione tradere, substractionem minime intimaverant, prescriptas 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 637 


CHAPITRE XIV. 


Le roi de France, aprés avoir entendu le rapport des ambassadeurs, engage 
Grégoire à persister dans l'accomplissement de l'union. 


Lesdites choses ayant été résolues à l'unanimité et sans opposition, 
les ambassadeurs poursuivirent leur mission. Ils se divisérent en trois 
corps : le plus grand nombre devait se rendre à Rome avec monsei- 
gneur le patriarche auprès de Grégoire, à qui l'évêque de Modon, son 
neveu, s'était háté d'aller rendre compte de ce qui s'était passé. L'ar- 
chevéque de Tours et le vénérable abbé de Saint-Michel restérent à 
Marseille , ainsi qu'il avait été convenu, pour maintenir le pape dans 
sa bonne résolution, informer le roi de France et les ambassadeurs 
des changements qui pourraient survenir dans l'état des choses, et 
pourvoir, en cas de mort, à ce que les cardinaux ne procédassent à une 
nouvelle élection qu'autant que les anticardinaux seraient habilités, 
et à ce que, si le pape ne voulait point consentir à l'entrevue, la plus 
grande partie des cardinaux püt du moins s'y rendre. Enfin les véné- 
rables personnages Philippe, abbé de Saint-Denys, et maitre Hugues, 
doyen de Rouen, furent envoyés à Paris, pour annoncer tout ce qui 
avait été décidé. 


Le roi et les seigneurs de sa cour parurent fort satisfaits des nou- 
velles qui leur farent apportées. Mais il y avait dans le sein de l'Univer- 
sité de Paris une cabale de gens remuants et brouillons, accoutumés 
aux clabauderies, qui, au lieu de chercher l'union et la paix, suivaient 
toutes les suggestions de leurs passions désordonnées. Ils accueillirent 
trés mal le rapport des ambassadeurs , se déchainérent contre eux , et, 
sans considérer les raisons mentionnées ci-dessus, les traitérent de 
parjures et d'infámes, parce que, contrairement à leurs instructions, 
ils n'avaient pas signifié la soustraction à monseigneur Benoit, qui re- 
fusait de livrer des bulles de renonciation. Ils ne craignirent point 


638 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


raciones non attendens. Nec verentes voce exprimere quam 
inexpiabili odio in Benedictum laborabant, sicut jam prius 
egerant, reiteratis vicibus regem et deferentes lilia adierunt, 
instantissime rogantes ut littere jam confecte de beneficiis 
regni ipsi substrahendis eisdem traderentur, ad ultimum absque 
erubescencie velo cessacionem predicacionum et scolastico- 
rum actuum intimantes, quia postulacioni minime obtempera- 
bant. Id tamen regi irracionabile visum fuit ; ideo, ne illud diu 
perferens vel quod poscebatur annuens pape libertati obsistere 
videretur, que multum conferre poterat in tractatu unionis, 
supradictis amicabiliter persuasit cessare a clamoribus assuetis, 
donec aliquandiu expectantes experimento didicissent, si per 
viam spontanee renunciacionis recto calle vellet incedere jam 
Gregorio promissam. 

Ad procedendum in hac via jam ipsum papam sciebat de loco 
et convencionis termino convenisse cum legatis Gregorii; et quia 
non ignorabat eos ad ipsum tendere, ut veritatem tractatus in- 
* timarent, tanquam boni et desiderati nuncii bajulos eos placuit 
propensius honorare et in domiciliis regiis Parisius decentissime 
collocari. Hiis autem ingressis urbem die decima junii et matu- 
tino tempore cum virorum ecclesiasticorum nobili comitiva, 
post prandium , publicam audienciam rex concessit; in qua ipsi 
et circumstantibus ducibus impenso debite salutacionis affatu, 
tunc episcopus Motonensis, verbum sumens , mores et vitam do- 
mini Gregorii primo multis laudibus extulit et gravi oracione. 
Inde quanta caritate regiam domum Francorum amplectebatur 
multis mediis ostendens, tractatus ordinem serietenus narravit ; 
quem et prefati ejus nuncii sequenti die confirmaverunt, causas 
eciam alleguantes quia domino Benedicto , renitenti bullas re- 
nunciacionis tradere, substractionem minime intimaverant, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 639 


d'exprimer hautement leur haine implacable contre Benoit; ils alle- 
rent méme trouver le roi et les princes du sang à plusieurs reprises, 
comme ils l'avaient déjà fait auparavant, les suppliérent instamment 
de leur livrer les lettres qui avaient été dressées relativement à la 
soustraction des bénéfices du royaume, et poussèrent enfin la hardiesse 
jusqu'à déclarer que les prédications et les actes des écoles seraient sus- 
pendus, parce qu'on n'obtempérait point à leur demande. Le roi 
désapprouva tout ce scandale; craignant que, s'il le supportait plus 
long-temps, ou s'il déférait à leurs demandes, on ne crût qu'il voulait 
entraver Ja liberté du pape, qui pouvait faire beaucoup pour le traité 
d'union, il les engagea amiablement à s'abstenir de leurs clameurs, 
jusqu'à ce qu'ils connussent avec certitude si monseigneur Benoit vou- 
lait marcher droit dans la voie de renonciation volontaire qu'il avait 
promise à Grégoire. 


Le roi savait que le pape, pour procéder à cette voie, était con- 
venu avec les ambassadeurs de Grégoire du lieu et du temps d'une 
entrevue. Ayant appris que ces ambassadeurs venaient à lui pour l'in- 
former du traité, il résolut de les accueillir avec tous les égards dont 
on use ordinairement envers ceux qui apportent de bonnes nouvelles, 
et leur fit préparer de magnifiques logements à Paris dans ses maisons 
royales. Les ambassadeurs firent leur entrée dans la ville le 10 juin , 
dés le matin, avec un brillant cortége d'ecclésiastiques. Le méme jour, 
aprés diner, le roi leur accorda une audience publique. L'évéque de 
Modon, ayant offert au roi et aux ducs qui l'entouraient l'hommage 
de ses salutations, prit la parole et prononça un beau discours. Il fit 
un pompeux éloge des moeurs et de la vie de monseigneur Grégoire, 
rappela toutes les preuves d'affection qu'il avait données à la maison 
royale de France, et exposa toutes les particularités du traité. Les 
ambassadeurs du roi confirmérent le lendemain ce qu'il avait dit, et 
présentérent les raisons pour lesquelles ils n'avaient point signifié la 
soustraction à monseigneur Benoit, malgré son refus de livrer les 
bulles de renonciation. 


640 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


Grata legacione audita, rex nunciis benigno congratulatur 
affatu, inolita statuens munificencia ut, quamdiu immorari 
placeret Parisius , impensis regiis reficerentur dapsiliter ; tan- 
dem quoque auro inulto et jocalibus donatos ad Gregorium et 
suum pretensum collegium remisit cum apicibus eos exhortan- 
tibus ad perseverenciam unionis Ecclesie sub hac forma : 

« Karolus, Dei gracia Francorum rex, collegio se pro cardi- 
nalibus Rome gerentibus, amicis nostris carissimis, salutem et 
fructum percipere unionis exhibitum. — Amici carissimi , scri- 
bimus domino vestro in forma subsequenti : 

.« Karolus, etc., sancti propositi et ferventi caritate illumi- 
« nato viro Ángelo dicto Corrario, quem nonnulle gentes in 
« hoc deflendo scismate Gregorium duodecimum appellant, 
« amico nostro carissimo, salutem, et que sunt ecclesiastice 
« pacis, ut honorificentissime cepistis, in omnibus operari. 
« — Amice carissime, nuper vestrorum relatu nunciorum, ac 
« alias plurimode scriptis vestris cognovimus manifeste since- 
« ritatem permaximam ac zelum integerrimum, quos ad mise- 
« rande Ecclesie Dei sanctissime resarcionem vestra probitas 
« gerere se ostendit, quibus tanto vos honore pociori dignum 
« et amplioris graciarum retribucionis apud Deum et homines 
« vestri benemeritum reputamus, quanto vestri predecessores 
« circa id actenus remociores sunt reperti. Qua in re quibus 
« Istic cuncti vos efferunt laudibus nesciunt, videntes oblacio- 
« nes vestras tantam fidelium cordibus afferre leticiam, que 
« verbis complecti nequeat. Per eas namque, quod tanto tem- 
« pore quesierant, quod tot ad Deum votis supplices orabant, 
« quod immensis laboribus procurare satagebant, uno mo- 
« mento, solo verbo ultroneo vestre voluntatis liberalitate con- 
« tulistis. Contulistis siquidem homo Dei, tali quippe nomine 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 641 


Le roi, charmé de ce qu'il venait d'entendre, félicita affectueuse- 
ment les envoyés de Grégoire, et ordonna, avec sa munificence accou- 
' tumée, qu'on leur fit bonne chère à ses frais, tant qu'il leur plairait 
de rester à Paris. Enfin il leur fit toutes sortes de présents en or et en 
joyaux, et les congédia avec des lettres adressées à Grégoire et à son 
prétendu collége, pour les exhorter à persévérer dans J'union de 

l'Église. Ces lettres étaient ainsi conçues : 

- « Charles, par la grâce de Dieu roi de France, au soi-disant collége 
des cardinaux de Rome, nos trés chers amis, salut, et puissent-ils 
cueillir le fruit de l'union qui leur est présenté! — Trés chers amis, 
nous écrivons à votre seigneur en la forme suivante: . 

« Charles, etc., à notre trés cher ami, Ange Corrario , homme de 
« sainte résolution et éclairé par une fervente charité, que dans ce 
« déplorable schisme quelques gens appellent Grégoire XII, salut , et 
« puisse-t-il continuer ses louables efforts pour la paix de l'Église! — 
« Trés cher ami, les lettres que vous nous avez écrites à plusieurs 
« reprises et derniérement encore le récit de vos ambassadeurs nous 
« ont fait connaitre clairement le zéle sincére et le dévouement sans 
« bornes, dont votre bonté se montre animée pour la guérison des 
« maux de la trés sainte Église de Dieu. Nous regardons vos bons 
« offices comme d'autant plus recommandables et d'autant plus dignes 
« de la faveur de Dieu et de la reconnaissance des hommes , que vos 
« prédécesseurs ont été jusqu'à présent moins empressés de concourir 
« au succès de cette affaire. Chacun ne sait ici de quels éloges vous 
« combler, en voyant que vos offres ont rempli le cœur des fidèles 
« d'une joie inexprimable. En effet, ce qu'ils cherchaient depuis si 
« long-temps, ce qu'ils demandaient humblement à Dieu de tous leurs 
« voeux, ce qu'ils travaillaient de tout leur pouvoir à obtenir, vous 
« le leur avez donné en un moment, par un seul mot, par un simple 
« mouvement de votre bonne volonté. Oui , vous le leur avez donné, 
« homme de Dieu, car nous vous croyons vraiment digue de ce titre, 
« vous qui avez rendu praticable et facile ce qui était de toute difficulté, 
« pour ne pas dire de toute impossibilité. Considérant que nous devons 
« tout cela à votre zéle sincére, nous l'approuvons, le louons et 

IJ. 8i 


642 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« dignum vos arbitramur et censemus appellandum, qui que 
« apud nos tocius difficultatis, si non dixerimus impossibi- 
« litatis, erant factu, prona, ymo facillima reddidistis. In quo 
« affectum vestrum candidissimum attendentes, illum supra 
« quam dici valeat approbamus, collaudamus attollimusque, 
« ut horum respectu persone vestre vestroque statui et vestris 
« opportunitatibus singulis offeramus, si quid est nunc vel in 
« posterum apud nos quomodolibet vobis gratum, de perseve- 
« rancia, que pre aliis virtutibus currentibus ab bravium sola 
« coronatur, vos hortantes precantesque , quanquam de incom- 
« mutabili, ut scripsistis, intencione vestra, quo ad vos attinet, 
« nequaquam formidemus, quemadmodum hec et alia que hic 
« laudabiliter et sapientissime gesserunt iidem nuncii vestri 
« doctius et plenius referent viva voce, qui profecto de pru- 
« dencia diligenti ac diligencia prudenti meritis suis multi- 
« plicibus veniunt commendandi. — Datum, etc. » 

« Hinc est, amici carissimi, quod eminenciarum vestrarum 
virtutem enixe rogamus quatinus laudatissimum hujusmodi 
domini vestri propositum ac factum unionis supratactum , tam 
sanctum tamque pium atque religioni christiane necessarium, 
et que digna profecto res est in qua conatus omnes vestros 
atque sensus excercendo convertatis, protinus consummatum 
eatis, non sinentes, viri sapientes, qui de hujus rei ductu in- 
gentes refertis laudes, elabi quoquo pacto aut subripi e manibus 
vestris oblatam pacis et concordie gregis Christi tantam oppor- 
tunitatem, cui similem longissima aut forsan nulla post secula 
restituent. » 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 643 


« l'exaltons plus que nous ne saurions le dire. Nous vous offrons, en 
« reconnaissance d'un si grand bieh, tout oe qu'il est et tout ce qu'il 
« sera en notre pouvoir de faire pour votre personne, pour votre état 
« et pour vos besoins. Nous vous exhortons et vous engageons hum- 
« blement à la persévérance, qui seule entre toutes les vertus mene 
« au succés, non que nous ayons rien à craindre, en ce qui vous 
« touche, de votre immuable intention, aprés les assurances que vous 
« nous en avez données. Vos ambassadeurs vous le diront de vive voix, 
« en méme temps qu'ils vous exposéront plus complètement tout ce 
« qu'ils ont fait ici de louable et de sage. C'est un témoignage que 
« nous devons et que nous nous plaisons à rendre à leur prudence 
« active et à leur activité prudente. Donné, etc. » 


« C'est pourquoi, trés chers amis, nous vous conjurons instam- 
ment d'employer tout votre crédit à poursuivre l'accomplissement 
de la louable résolution que votre seigneur a concue pour le fait de 
l'union si sainte, si pieuse et si nécessaire à la religion chrétienne. 
C'est assurément une chose digne d'exciter vos efforts et votre ardeur. 
Vous devez cela à la réputation de sagesse que vous vous étes acquise 
dans la conduite de cette affaire. Ne laissez pas s'évanouir et échapper 
de vos mains une si belle occasion de rétablir la paix et la concorde 
dans le troupeau de Jésus-Christ, occasion que de long-temps et peut- 
étre Jamais vous ne pourrez retrouver. » 


644 ‘CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM XV. 


De viis quas tenuerunt legati Franeie usque Romam. 


Legacionis Francie principales ad Gregorium profecturi , de 
civitate Aquensi exeuntes, et per litus Januense, aura conco- 
mitante benigna, transmeantes, mense junio Januam attige- 
runt, ubi a gubernatore ville et ancianis ob reverenciam regis 
fuerunt honorifice ac magnifice suscepti. Priusque super agen- 
dis deliberacione habita, quia nepos Gregorii alias dixerat se 
sperare avunculum inducendum ad anticipandum terminum 
convencionis prefixum, si undecunque navigium quesitum ei- 
dem presentaretur, ab ipsis Januensibus obtinuerunt ut pro 
singulari honore regie domus, tociusque regni ac regis Francie, 
ad hoc opus quinque galee aptarentur. Ibi autem relictis ex se 
ipsis qui maturarent negocium, reliqui terrestri itinere Romam 
petentes, per Lucanam, Florenciam quoque, insignes urbes, 
transeuntes, a civibus honorifice recepti sunt et dapsiliter 
refecti. Aprobataque via cessionis tanquam expediciore, visis 
circumstanciis scismatis, eis se magnifice obtulerunt, exorantes 
ne deficerent a meritoriis inceptis. Florencia relicta ; impetratis 
salvis conductibus, a Senensi, item a .....!* Viterbium prima jullii 
intraverunt, et duos dictos cardinales de Ursinis et Leodiensem 
visitaverunt, a quibus, post oblaciones magnificas, multa didi- 
cerunt de presenti statu rerum gerendarum. Primo Gregorium 
Rome a Lendislao artatum audierunt , ut sibi regnum Neapo- 
litanum confirmaret, et inde sequi poterat dilacio unionis; 
ipsi quoque Gregorio scriptum de villa Parisiensi sibi caveret, 


! Trois mots illisibles. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 645 


CHAPITRE XV. 


Route suivie par les ambassadeurs de France jusqu'à Rome. 


Les principaux membres de l'ambassade de France, qui devaient se 
rendre auprés de Grégoire, étant partis d'Áix, arrivérent à Génes au 
mois de juin à l'aide d'un vent favorable, et, en leur qualité d'envoyés 
du roi , y furent accueillis par le gouverneur et par les anciens de la 
ville avec beaucoup d'égards et de magnificence. Là, ils délibérérent 
sur ce qu'ils avaient à faire. Comme le neveu de Grégoire leur avait dit : 
qu'il pensait qu'on pourrait déterminer son oncle à avancer le terme 
de l'entrevue, si on lui fournissait des vaisseaux, ils s'adressérent aux 
Génois, qui, par une déférence toute particuliére pour la maison royale 
de France, pour le roi et le royaume, offrirent d'équiper cinq galères. 
Ils laissérent quelques uns d'entre eux à Gênes pour hâter ces prépa- 
ratifs, et poursuivirent leur route vers Rome par terre. Ils passérent 
par Lucques et Florence, cités fameuses, et y furent recus avec 
beaucoup d'honneur et traités magnifiquement. Les habitants de ces 
deux villes approuvérent la voie de cession comme la plus convenable, 
vu les circonstances du schisme, et leur offrirent généreusement leur 
appui, en les priant de persister dans leur entreprise méritoire. Ils 
quittérent Florence, aprés avoir obtenu des sauf-conduits, et arrivè- 
rent à Viterbe le 4° juillet en passant par Sienne et par. . . . . Ils 
y rencontrérent le cardinal des Ursins et le cardinal de Liége, qui leur 
firent de magnifiques présents, et leur communiquérent plusieurs 
détails importants sur l'état présent des affaires. Ces cardinaux leur 
apprirent d'abord que Ladislas serrait de prés Grégoire dans Rome, 
pour l'obliger à lui confirmer la possession du royaume de Naples, ce 
qui pouvait retarder l'union; qu'on avait écrit de Paris à Grégoire 
de se tenir sur ses gardes, de ne point sortir de Rome ni se fier aux 
étrangers. Ils ajoutérent que Grégoire avait été trés troublé, en voyant. 
les lettres de soustraction, les instructions des ambassadeurs et autres 
piéces qu'on lui avait envoyées de France ; qu'il trouvait qu'on traitait 


646 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


ne urbem Romanam exiret et in alienis confideret. Additum 
insuper ipsum multipliciter fuisse perturbatum, dum vidit 
litteras substractionis, instructiones legacionis et alia quedam 
facta in Francia sibi transmissa, quia nimis aspere et dure 
contra Benedictum agebatur; ipsumque jam aspernari condi- 
cionem conveniendi in loco regi Francie subdito, eosque scire 
Gregorium Januensium galeas non ingressurum, et finaliter 
tractatum ab eodem multis ambiguitatibus involvendum. 


CAPITULUM XVI. 


De prima responsione Gregorii data nunciis Francie ac nunciis domini Benedicti. 


De Viterbio Romam tendentes legati, a camerario nepoteque 
Gregorii ad hospicium honorabiliter sunt deducti quinta die 
jullii; sequentique die ante Gregorium comparentes, post 
exhibitam debitam reverenciam, dixerunt se non habere litte- 
ras ei directas, sed eas mari afferri, nec eis incumbere prin- 
cipalia legacionis puncta explicare, sed ea pocius parti prin- 
cipaliori mox venture reservanda. Ad acceleracionem tamen 
ipsum hortati sunt, que rei convenientissima erat, sicut omnis 
mora periculis plenissima , supplicantes ut sicut fama in itinere 
ceperat ipsum esse iter ingressum, urbem reliquisse, se ad 
viam juxta famam illam accingeret. 

Respondendo Gregorius, sue intencionis puritatem ac fer- 
vorem commendans, cupere se dixit ut toti mundo visibiliter 
appareret non ambigere, nec labi horam, quin versando circa 
unionem sua ferretur exercitacio. Dixit iterum se omnem 
acceleracionem exoptare, verumptamen opportere celeritatem 
fieri secundum debitam mensuram omnium circumstanciarum , 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 647 


Benoit avec trop de sévérité et de rigueur; qu'il se montrait déjà peu 
disposé à avoir une entrevue dans un lieu de la dépendance du roi 
de France; qu'ils savaient que Grégoire ne s'embarquerait point sur 
les galéres de Génes; enfin qu'il chercherait toutes sortes de subter- 
fuges pour éluder le traité. 


CHAPITRE XVI. 


Premiére réponse de Grégoire aux ambassadeurs de France et à ceux de monseigneur 


Benoit. 


De Viterbe , les ambassadeurs se rendirent à Rome; ils y arrivérent 
le 5 juillet, et furent conduits avec beaucoup d'honneur dans leurs 
logements par le camérier de Grégoire et par son neveu. Le lende- 
main, ils obtinrent une audience. Après avoir présenté à Grégoire 
leurs respectueux hommages, ils lui dirent qu'ils n'avaient point de 
lettres pour lui, mais qu'on en apportait par mer; qu'ils n'étaient pas 
chargés de lui exposer en détail l'objet de l'ambassade, et que ce soin 
était réservé à leurs collégues , qui allaient bientót venir. Toutefois ils 
l'engagérent à se háter, dans l'intérét de l'affaire, lui faisant observer 
que tout retard pouvait étre nuisible, et le suppliant de quitter Rome 
saus délai et de se mettre en route, pour ne pas démentir la nouvelle 
de son départ qu'ils avaient apprise en chemin. 


Grégoire répondit en protestant de la pureté de son intention et de 
la ferveur de son zéle : il désirait, dit-il, que tout le monde füt bien 
convaincu qu'il ne tergiversait point et qu'il ne laissait pas écouler une 
heure sans songer aux intéréts de l'union; il souhaitait que la chose 
se fit avec toute la promptitude possible; cependant il fallait peser 
mürement toutes les circonstances, afin de ne pas entraver le succès 
de l'affaire , en mettant la précipitation à la place de la promptitude. 


648 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 
ne precipitacio pocius quam celeritas quesiti finis assequcionem 
impediret. 

Audita responsione, legatos domini pape Benedicti, qui 
navigio venerant, visitaverunt; a quibus didicerunt eos eadem 
causa cum illis ad Gregorium venisse, eumdem finem, pacem 
scilicet querere unionis, ideo eos rogare ut in ipso unanimiter 
progrederentur. Addunt in summa obsecrasse Gregorium ut, in 
sincero suo ad unionem proposito jugiter perseverans, con- 
cordata de loco et tempore convencionis confirmaret; sed eos 
non contentasse, quia de confirmacione punctorum difficulta- 
tem fecerat, seque Gregorii animum post ejus assumpcionem 
in deterius mutatum; quod et ipsi die octava jullii ex sua 
responsione perceperunt. Nam a Gregorio dictum non bene 
possibile esse fieri que peterent de concordacione punctorum 
omnium. Difficultabat accessum suum ad locum Saone, dicens 
primo non sibi suppetere facultatem ut posset sex vel octo 
galeas armare, ad quod multas impensas exigi constabat, 
presertim tam brevi tempore; rogasse Venetos ut unam sibi 
ex debito mitterent, qui tamen excusaverunt?, impossibilitatem 
alleguantes. De galeis vero Januensium dixit non posse se in eis 
confidere; iterum eos non sufficientem securitatem afferre, nec 
velle se suam obedienciam in discrimen adducere. Quantum 
ad paupertatem suam, tantam esse dixit, ut eciam non sup- 
petet unde peditem nuncium ad Benedictum mitat; videre 
eciam cunctos quomodo patrimonium Ecclesie infestetur a 
Lendislao, et opportere providere ne detrimentum paciatur, 
quod faciliter, se absente, contingeret ; et hoc ad dubitaciones 
suas depromendum dicere voluisse. 


' Il faut supposer ici l'omission d'un mot tel que credere. 
^ War. : n° 5959, fol. 68 v., recusaverunt. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 649 


Au sortir de cette audience, les ambassadeurs rendirent visite aux 
envoyés de monseigneur le pape Benoit, qui étaient venus par mer, 
et leur dirent qu'ayant été députés comme eux vers Grégoire, pour 
les mémes intéréts et dans le méme but, c'est-à-dire pour travailler 
au rétablissement de la paix et de l'union, ils les priaient d'agir de 
concert avec eux. Ils ajoutérent en peu de mots qu'ils avaient con- 
juré Grégoire de persévérer avec constance dans son zéle sincére pour 
l'union, et de ratifier l'accord conclu touchant le lieu et le temps d'une 
entrevue, mais que Grégoire ne les avait point satisfaits, qu'il avait 
élevé des difficultés sur la confirmation de plusieurs points, et qu'ils 
croyaient ses dispositions bien changées depuis son avénement. Les 
envoyés de Benoit purent en juger par eux-mémes à l'audience qu'ils 
obtinrent le 8 juillet. Grégoire leur dit qu'il n'était pas trop possible 
d'accorder tous les points qu'ils désiraient. Il trouva toutes sortes de 
difficultés au voyage de Savone; il objecta qu'il n'avait pas les movens 
d'armer six ou huit galéres, que cet armement exigerait de grandes 
dépenses, surtout quand il fallait le faire en si peu de temps; qu'il 
avait prié les Vénitiens de lui en envoyer, comme ils y étaient obli- 
gés, et qu'ils s'en étaient excusés sur l'impossibilité où ils étaient 
de le faire; que, quant aux galères des Génois, il ne pouvait pas s’y 
fier. Il ajouta qu'ils ne lui apportaient point eux-mémes des süretés 
suffisantes, et qu'il ne voulait point mettre en péril son obédience; 
qu'au reste sa pauvreté était telle, qu'il n'avait pas méme de quoi 
envoyer à Benoît un messager à pied; que chacun voyait comment le 
patrimoine de l'Église était pillé par Ladislas, et qu'il fallait pourvoir 
à ce qu'il n'éprouvát aucun dommage, comme il y avait lieu de le 
craindre en son absence ; qu'il avait voulu leur dire tout cela, pour 
que l'on sût bien la cause de ses hésitations. 


I1. 82 


650 CHRONICORUM KARQLI SEXTI LIB. XXVII. 


CAPITULUM XVII. 


De proposicionibus legatorum et responsione Gregorii. 


Die decima septima jullii, legati qui navigio jam Komam 
attigerant, venerunt ad Sanctum Petrum, ubi, exhibita Gregorio 
reverencia decenti in suo palacio, pecierunt audienciam in 
insequentem diem et obtinuerunt. Et in ejus presencia dominus 
patriarcha pro rege proposuit, assumensque pro themnate : 
Homo Dei, rex Israel vocat te, ut deliberatum fuerat, laudatis 
missis litteris super via cessionis, laudavit simul approbacionem 
tractatus habiti de loco Saone et tempore convencionis. Dixit 
et se habere bullas datas Januensibus et Saonensibus super hiis; 
regem quoque non tendere ut curia hinc abstracta Avinione 
resideat, solam unionem pocius expetere, plura beneficia a 
papa consequtum, dum Rome resideret, quam dum Avinione 
maneret. Preterea, quo ad securitates, dixit eos libenter man- 
suros obsides , ubicunque vellet; gubernatorem Janue daturum 
nepotem et alios milites. Quantum ad galeas, dixit eas armasse 
relatu nepotis ad vehendum duo milia personarum, credens 
eas ad usum ejus magnopere profuturas, et regem Francie 
provisururm statui suo, sicut domino Benedicto dictum fuerat: 

Prolixo satis sermone finito, pro Universitate magister 
Petrus Plaon proposuit, et accipiens themna : Domine, dabis 
pacem nobis, ostendit primo gaudium susceptum in Universitate 
in suscepcione bullarum ejus ; secundo quod , quamvis themna 
istud posset interrogative proferri, tamen contra intencionem 
Universitatis faceret, si ita intelligeret ; assertive ergo intelligit : 
tantam confidenciam, omnibus attentis , de sua devocione atque 
caritate Universitas gerit! Tria in ipso considerabat, ex quibus 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 6514 


"CHAPITRE XVII. 
Discours des ambassadeurs et réponse de Grégoire. 


Le 17 juillet, les ambassadeurs de France qui étaient arrivés à Rome 
par mer se rendirent au palais de Saint-Pierre. Après avoir présenté 
leurs respectueux hommages à Grégoire, ils lui demandérent audience 
pour le lendemain et l'obtinrent. Monseigneur le patriarche porta la 
parole au nom du roi, et prit pour texte: Homme de Dieu, le roi 
d'Israël t'appelle. 11 oua, ainsi qu'il avait été décidé, les lettres que 
Grégoire avait écrites sur la voie de cession, et l'approbation accor- 
dée par lui au choix du lieu de Savone et à l'époque de l'entrevue; 
il dit qu'il avait les bulles données à ce sujet aux habitants de Gênes 
et de Savone; que le roi n'avait point l'intention de forcer la cour de 
Rome à venir résider à Avignon, qu'il ne désirait rien que l'union, 
et que la France avait reçu des papes plus de bienfaits pendant qu'ils 
résidaient à Rome que depuis leur séjour à Avignon. Il ajouta que, 
pour ce qui était des süretés , ils resteraient volontiers comme otages 
en tel lieu qu'il lui plairait, et que de son côté le gouverneur de Gênes - 
lui livrerait son neveu et d'autres chevaliers; que, quant aux galères, 
on en avait équipé, sur la demande de son neveu, autant qu'il fallait 
pour transporter deux mille personnes, dans l'espoir qu'il s'en servi- 
rait. Il déclara enfin que le roi. de France pourvoirait à son état, 
comme il avait été dit à monseigneur Benoit. | 

Aprés ce discours du patriarche, qui fut assez long, maître Pierre 
Plaon prit la parole au nom de l'Université, et choisit pour texte : 
Domine , dabis pacem. nobis. ll exprima d'abord toute la joie qu'avait 
éprouvée l’Université en recevant les bulles de Grégoire ; il démontra 
en second lieu que, quoique le texte qu'il avait choisi pût être entendu 
interrogativement, il agirait contre l'intention de l'Université en le 
comprenant ainsi; il l'entendait donc affirmativement : tant l'Univer- 
sité avait une pleine et entière confiance dans son zèle et dans sa cha- 
rité! Il dit qu'il y avait à considérer trois choses, desquelles découlerait 


- 


652 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


flueret unio : fortitudinem, que tangebatur cum dicebatur 
Domine, equitatem, cum dicebatur dabis, caritatem , cum dice- 
batur pacem nobis. Fortitudinem ei dixit inesse que consistit 
in conjunctione rei ad suum finem, conjungi eum dicebat ad 
suuni finem, cum renunciare volebat, reddendo Ecclesie quod 
suum erat. Equitatem ei inesse dicebat, in dando rebus suum 
ordinem, ubi probavit viam cessionis esse juridicam. Caritatem 
ei inesse dicebat in acceptacione processus evvangelici. 
Finitisque sermonibus, una responsio data est per Grego- 
rium : primo non posse se respondere ad singula que dicta 
essent, cum non excogitavisset que essent respondenda. In- 
quiens tamen pauca ex tempore , confessus est se viam cessionis 
clare absque ambiguitatibus acceptasse, ad ejus exequcionem 
sinceram se mentem gerere; cupere se ut quam intencionem 
sub pectore gereret, eam universi cognoscerent, non solum 
pro reductione christianorum sibi non obediencium, sed solius 
eciam regni Francie libenter velle cedere; quantum ad jus ejus 
vie attineret, non existimare se eam esse viam juridicam nec 
justam nec bonam in se, sed pie condescencionis, propter tem- 
porum maliciam; se in eam non descendisse propter ejus boni- 
tatem, sed propter scismatis formidatam obduracionem , si per 
vias alias procederetur. Quantum ad locum Saone, multiplici- 
ter ostendere conatus est quod concordata non posset com- 
plere, tum propter defectum securitatis, tum propter habun- 
danciam paupertatis , se nichil habere in eos sumptus qui ad 
galeas armandas exigerentur; ad quam rem ex tractatu concor- 
die obligaretur. Si rex Francie sibi suceurrere vellet in galeis 
et peccuniis, libenter se concordata facturum data securitate, 
quanquam in loco sue obediencie tam inimico, sicut est Saona, 
nulla securitas susceptura videatur. Rem hanc non se solum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 653 


l'union, savoir : la force, qui était désignée par le mot Domine, 
l'équité par le mot dabis , la charité par les mots pacem nobis. Gré- 
goire , ajouta-t-il , avait en partage la force, qui consiste dans l'harmo- 
nie des moyens avec la fin qu'on se propose; car ses moyens étaient en 
harmonie avec la fin qu'il se proposait, puisqu'il consentait à renon- 
cer, pour rendre à l'Église ce qui lui appartenait. Il avait en partage 
l'équité, puisqu'il remettait les choses en leur ordre; et à ce propos 
l'orateur prouva que la voie de cession était juridique. Il avait en par- 
tage la charité, puisqu'il acceptait cette voie évangélique. 

Grégoire répondit en méme temps à ces deux discours. Il dit d'abord 
qu'il ne pouvait répondre à tout ce qui avait été allégué, parce qu'il 
n'avait point préparé ce qu'il avait à dire. Cependant il prononca 
quelques mots d'abondance. Il déclara qu'il avait accepté clairement 
et sans ambiguité la voie de cession, qu'il avait la sincére intention de 
la pratiquer et désirait que cette intention füt connue de tous, et qu'il 
était tout disposé à céder, moins dans le dessein de ramener à lui les 
chrétiens qui n'étaient pas de son obédience , qu'en considération du 
royaume de France; que pour ce qui était du droit de cette voie, il 
pensait qu'elle n'était ni juridique , ni juste, ni bonne en soi, et qu'on 
ne l'avait acceptée que par condescendance, eu égard à la perversité 
du siécle; qu'il s'y était soumis, non qu'il la reconnüt pour bonne, 
mais parce qu'il craiguait de voir le schisme se prolonger, si l'on pro- 
cédait par d'autres voies. Quant au lieu de Savone, il chercha à dé- 
montrer par beaucoup de raisons qu'il ne pouvait remplir les clauses 
du traité, tant à cause du manque de süreté qu'à cause de l'excés de 
sa pauvreté, et qu'il n'avait pas de quoi suffire aux dépenses que néces- 
siterait l'armement des galéres, et auxquelles il était obligé par le 
traité. Si le roi de France, dit-il, voulait lui fournir des galères et de 
l'argent, il ferait volontiers tout ce qui avait été convenu, pourvu 
qu'on lui donnát toute sûreté, bien qu'il lui parût difficile de trouver 
aucune süreté dans un lieu ennemi de son obédience, comme l'était 
Savone. Cette affaire intéressait toute son obédience ; si elle n'intéres- 
sait que lui seul, il ferait avec empressement tout ce qu'on demandait, 
mais il ne voulait point mettre en péril son obédience: ce qui ne 


654 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


sed totam obedienciam suam tangere; si se solum tangeret, 
omnia cupide facturum, sed nolle obedienciam suam in dis- 
crimen adducere, quod inconveniens pro certo incurreret, si 
Saonam progrederetur ; nilominus , si juvetur, omnia enixe fac- 
turum. Quantum autem attineret ad galeas, non habuit nepo- 
tem avouatum, sed tamen eum dixit habere etatem et sufficien- 
ciam respondendi; eciam tunc se in tali necessitate fuisse, ut 
posset nepos expetere has galeas armari pro ejus expedicione 
ab illa necessitate; exclusas enim per tractatum aiebat galeas 
Januensium, ut sibi caveretur, quod nullas galeas possent armare 
preterquam galeam gardie; obligatum se ad habendum galeas 
Venetorum ex tractatu, quas nullo modo posset assequi; ideo 
impossibile sibi conventa complere, nisi aliter juvaretur. Ex 
consideracione harum difficultatum commisisse rem fratribus 
suis, quoad duo puncta, de habendis peccuniis et tutela patri- 
monii Ecclesie, fecisse; eos et se conclusisse * in unum quod 
contra consciencjam viderétur; sed se necessitate excusatum. 
Asseruit se habere illam fortitudinem de qua Plaon loqutus fue- 
rat. Dixit eciam se facturum quod in se esset , egressurum et ad 
suum adversarium quantum fas esset propinquaturüm. 


CAPITULUM XVIII. 


De oblacionibus factis ipsi Gregorio, et de ejus subtetfugiis et etcusacionibus frivolis. 


Ipsa die, consenciente Gregorio, legati cum suis cardinali- 
bus colloquium habuerunt, eisdem amore Christi supplicantes, 
ut sic pro negocio unionis intetpoherent vicés suas, quod 
eorum dominus et pollicita servaret et prefixo tempore cum 
domino papa Benedicto, ut promiserat, conveniret. Dieque 


' Fab. :n° 5959, fol. 69 v., consensisse. 


— 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 655 
manquerait point d'arriver, s'il allait à Savone; néanmoins, si on 
l'assistait, il ferait tout ce qui dépendrait de lui. Pour ce qui était des 
galéres, il désavoua son neveu, tout en déclarant cependant qu'il 
avait pouvoir et autorité pour parler en son nom ; il s'était trouvé, 
ajouta-t-il, dans une position telle, que son neveu avait bien pu de- 
mander que l'on équipât ces galères pour le tirer d'embarras ; mais il 
avait été stipulé par le traité que les galéres des Génois seraient 
exclues et que les Génois ne pourraient en armer d'autres que la ga- 
lére de garde. Le méme traité l'obligeait à avoir des galéres de Venise, 
et comme il ne pouvait en obtenir, il lui était impossible d'accomplir 
les conditions du traité, si on ne l’assistait d’ailleurs. Eu raison de ces 
difficultés , il avait soumis cette affaire au jugement de ses fréres, et les 
avait consultés sur les moyens d'avoir de l'argent et de pourvoir à la 
sûreté du patrimoine de l'Éelise ; ils avaient tous décidé d'un commun 
accord qu'il agirait en cela contre sa conscience; mais il avait pour 
excuse la nécessité. Il affirma qu'il avait cette force dont avait parlé 
maître Plaon. Il dit aussi qu'il ferait ce qui dépendait de lui, qu'il 
partirait et se rappracherait de son adversaire autant qu'il lui serait 
possible. 


CHAPITRE XVIII. 


Offres faites à Grégoire. — Ses subterfuges et ses excuses frivoles. 


Le méme jour, les ambassadeurs eurent, du consentement de Gré- 
goire, une conférence avec ses cardivaux ; ils les suppliérent , pour 
l'amour de Jésus-Christ, d'interposer leur médiation en faveur de 
l'union, afin d'obtenir que leur seigneur tint sa parole et qu'il s'abou- 
chát avec monseigneur le pape Benoit à l'époque fixée, ainsi qu'il 
l'avait promis. Le lendemain, ils s'entretinrent long-temps avec Gré- 
goire, qui cherchait à s'excuser sur le fait des galères. Tantót il semblait 


656 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


sequenti cum Gregorio, qui se super galeis excusare volebat, 
multa verba habuerunt, et nunc pene consensum ejus habe- 
bant ut eas ascenderet, nunc frivolis quibusdam capcionibus 
sophisticis longe retrolabebatur. Ut autem omni excusacioni 
caput amputaretur, ex parte regis Francie et Ecclesie galli- 
cane dominus patriarcha obtulit ei sex galeas armatas suf- 
ficienter, et quod fierent expense per regem pro illis sex 
galeis per dimidium annum, eciam si in ipsis vellet aliquos ex 
suis ponere pro securitate majori; ulterius quod capitaneus 
earum, scilicet Johannes de Ultramarinis, faceret sibi et suis 
fidelitatis juramentum, de consensu gubernatoris Janue; quod 
et tunc usque ad mortem observare promisit contra quoscun- 
que mortales, et ad hujus securitatem majorem omnia sua 
obligare, obsides filios proprios dare et uxorem. Addidit pa- 
triarcha, quod iterum centum de sufficiencioribus civitatis 
Januensis ponerent se obsides, et quinquaginta de Saona, 
omnesque patroni galearum a majori usque ad minimum eidem 
similiter jurarent et obligarent omnia bona sua, et dominus 
gubernator daret proprium nepotem in obsidem et duos mi- 
lites consanguineos suos , quociens sibi placeret. Iterum nuncii 
regis obtulerunt se libenter pro obsidibus remansuros, prius- 
quam negocium rumperetur, addentes quod ville et castra, per 
que haberet transire, ponerentur in manu sua, et fieret regi- 
men castrorum expensis solitis Januensium. 


CAPITULUM XIX. 
De excusacionibus frivolis. 


Videbatur Gregorius invitus audire tam liberalia pollicita et 
solius fuge locum querere, ne promissa sua impleret; unde 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 657 


prés de consentir à s'embarquer, tantót il retirait son consentement 
en alléguant toutes sortes d'excuses et de raisons frivoles. Pour couper 
court à tous les prétextes, monseigneur le patriarche lui offrit, de la 
part du roi de France et de l’Église gallicaue, six galères suffisamment 
équipées; il promit que le roi subviendrait aux frais de ces galéres 
pendant six mois, en laissant méme à Grégoire la faculté d'y placer 
quelques uns des siens pour plus de süreté, et que le capitaine de ces 
galères , nommé Jean d'Outremer, lui préterait à lui et aux siens ser- 
ment de fidélité, avec l'assentiment du gouverneur de Génes. Ledit 
capitaine, qui se trouvait là, jura de lui rester fidèle jusqu'a la mort 
envers et contre tous, et proposa pour plus de süreté d'engager tous ses 
biens et de donner en otage ses fils et sa femme. Le patriarche ajouta 
que cent des plus notables de Génes et cinquante de Savone se consti- 
tueraient comme otages; que tous les patrons des galéres, depuis le 
premier jusqu'au dernier, lui préteraient également serment sous la 
garantie de tous leurs biens, et que monseigneur le gouverneur don- 
nerait en otage son propre neveu et deux chevaliers ses cousins, 
quand il lui plairait. Les ambassadeurs du roi offrirent aussi de rester 
eux-mémes en otage, plutót que de voir rompre les négociations, et 
de remettre entre ses mains les villes et cháteaux par oü il aurait à 
passer, tout en stipulant que la garde des cháteaux serait à la charge 
des Génois, comme auparavant. 


CHAPITRE XIX. 


Excuses frivoles de Grégoire. 


Grégoire parut entendre avec déplaisir ces offres généreuses, et ne 
songer qu'aux moyens de les éluder et de ne pas accomplir ses pro- 


Hl. 83 


658 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVII. 


vehementi passione concitatus, quod colorate satis evadere non 
poterat quin oblatis uteretur, nune dicebat se paratum ingredi 
novum tractatum. Quod cum esset sublatum, quia legati princi- 
pis laici non poterant immutare quod per summum pontificem 
et legatos ipsius Gregorii sufficienti potestate fultos actum fue- 
rat, nec ad hoc venerant, sed tantum ad prosequendum unionem 
Ecclesie, ad aliud occurrit : eos directe ingredi novum tracta- 
tum circa factum galearum ; cum enim in tractatu concordato . 
excludantur galee Januensium et earum armatura, dixit se hiis 
uti non posse, quin contra tractatum faceret; novum ergo trac- 
tatum eos ingredi. 

Responsum per patriarcham, ejus reverencia salva, nil eos 
de concordatis infringere; cum enim in tractatu cavetur quod 
Januenses non debent armare nisi galeam gardie, hoc plane est 
intelligendum, postquam partes ipse suas habuerint galeas; 
sed quin altera pars possit in numero suarum galearum galeas 
Januetses admittere nullo modo prohibetur, unde constare 
dixit dominum Benedictum unam galeam januensem inter suas 
habere. Cum hoc dixisset nepos Gregorii, tam malus in fine 
quam fuit bonus in principio, esse in tractatu, quod Januenses 
nullas possent armare sine consensu amborum contenden- 
cium, subjunctum statim optime placere Benedicto ut hiis 
utatur galeis, qui gubernatorem rogaverat ut se in galearum 
armacione celeriter expediret. 

Cum hic non haberet Gregorius quid emitteret , rursus aliam 
fugam temptat : quanquam nepotem suum sufficienti fultum 
potestate ad conveniendum de loco et tempore non inficiaretur, 
nilominus se per eum obligari ad impossibile non potuisse, 
esse vero impossibile ut Saonam pergeret; unde incousidera- 
cionem nepotis arguebat, qui, cum ejus paupertatem sciret, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 659 


messes. Vivement troublé de ne pouvoir se soustraire à de telles pro- 
positions par des excuses plausibles, il dit qu'il était prêt à entamer 
de nouvelles négociations. Les ambassadeurs lui objectérent qu'en leur 
qualité d'envoyés d'un prince laique ils ne pouvaient pás changer ce qui 
avait été fait par leur pontife et par les députés de Grégoire lui-méme 
munis de pouvoirs suffisants, et qu'ils n'étaient point venus pour cela, 
mais seulement pour procéder à l'union de l'Église. Alors il leur re- 
présenta qu'ils entamaient eux-mémes directement de nouvelles négo- 
ciations sur le fait des galéres; car les galéres de Génes et leur équi- 
page étant exclus du traité, il ne pouvait, dit-il, en faire usage sans 
contrevenir au traité; ils entamaient donc évidemment de nouvelles 
négociations. 


Le patriarche répondit à cela que, sauf son respect, ils n'enfrei- 
gnaient en rien ce qui avait été convenu; qu'on devait entendre que 
la clause qui défendait aux Génois d'équiper aucune galére si ce n'est 
celle de garde, n’était exécutable qu'autant que les deux parties auraient 
leurs galéres; mais qu'il n'était aucunement interdit à l'une d'elles 
d'admettre des galères génoises au nombre de ses galères; que mon- 
seigneur Benolt en avait lui-méme une parmi les siennes. Sur cela, le 
neveu de Grégoire, qui fut aussi malintentionné à la fin qu'il avait 
montré de bonne volonté au commencement , ayant objecté qu'il avait 
été stipulé que les Génois ne pourraient armer aucune galére sans le 
consentement des deux prétendants, le patriarche répliqua aussitôt. 
que Benoit consentait trés volontiers à ce qu'il fit usage de ces galéres, 
et qu'il avait méme engagé le gouverneur de Génes à en presser l'ar- 
mement. 


Grégoire , ne sachant que répondre, eut recours à un nouveau sub- 
terfuge. Il ne nia point que son neveu füt muni de pouvoirs suffisants 
pour régler le temps et le lieu d'une entrevue, mais il dit qu'il n'avait 
pu l'obliger à l'impossible, et qu'il lui était impossible d'aller à Savone. 
Il prit occasion de là pour blâmer l'imprudence de son neveu, qui, 
connaissant sa pauvreté, l'avait pourtant mis dans l'obligation d'équi- 
per six galères en très peu de temps. Il lui fut répondu que les offres 


660 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


ipsum nilominus ad armandum sex galeas infra perbreve tem- 
pus obligasset. Ad hoc responsum oblaciones legatorum eam 
facere potestatem. Rursus alia via fugere aggreditur : rem hanc 
non se solum tangere, sed suam obedienciam, quam non vult 
maculare, sed, salva honestate ejus, ad implendum pollicita 
proficisci. 

Ex adverso dictum est, non esse obediencie sue inhonestum, 
si Francorum rex, cujus predecessores sepe servivissent Eccle- 
sie, ei sex galeas offerret; non putaturos eos suam obedien- 
ciam dehonestari , si Lendislaus domino Denedicto simili forma 
totidem obtulisset , quem libenter talibus oblatis usurum fuisse 
arbitrabantur. | 

Item dictum a Gregorio, ut se plane apperiret, litteras regis 
principales sibi displicuisse , tanquam factas sine racione; quod 
autem ipse se potencie non utenti racione committeret, non 
sibi consultum esse. Responsum, viso quod dominus Benedictus, 
qui aliquando durus fuit, et contra ejus duriciam littere iste 
facte sunt, nunc plane respondisset, ideo eos in terminis illa- 
rum litterarum modo non esse. ' | 

Cum autem eum pertinaciter ac offirmato animo galeas 
respuere cernerent, interrogatus est a patriarcha maletne pe- 
destri itinere Saonam pergere; in id iter sua eos adjumenta - 
collaturos. Id se nullo pacto facturum asseruit, sed libenter ad 
adversarium propinquaturum, non üt Bononiam progrede- 
retur, sicut audierat quosdam falso dicere, sed ut toti mundo 
appareret in se non stare quominus unio desiderata sequeretur, 
juxta sua pollicita. 

Tandem hiis et aliis multis, uti in colloquio muütao fieri con- 
suetum est, auditis et redditis, ita discessum, ut darentur in 
certo numero ex utraque parte viri sapientes, qui viderent 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. * 661 


des ambassadeurs lui donnaient la possibilité de le faire. Il chercha 
alors un autre faux-fuyant : il représenta que cette affaire ne le touchait 
pas seul, qu'elle intéressait aussi son obédience, dont il ne voulait 
point compromettre l'honneur, mais qu'une fois cet honneur sauf il 
partirait pour accomplir sa promesse. 


On lui fit remarquer qu'il n'y avait aucun déshonneur pour son 
obédience à ce que le roi de France, dont les prédécesseurs avaient 
souvent servi l'Église, lui offrit six galères ; que pour eux ils ne croi- 
raient point leur obédience déshonorée, si Ladislas avait fait les mémes 
offres à monseigneur Benoit, qui assurément les aurait acceptées vo- 
lontiers. 


Grégoire dit qu'à parler franchement les lettres principales du roi 
lui avaient déplu, comme étant concues en des termes peu modérés, 
et qu'il n'avait pas jugé à propos de se confier à un pouvoir qui le trai- 
tait avec si peu de ménagement. On lui répliqua que les lettres avaient 
été faites contre l'obstination de monseigneur Benoit, qui s'était mon- 
tré parfois inflexible, mais que, maintenant qu'il s'était nettement 
expliqué, on n'était plus dans les termes de ces lettres. 


Voyant que Grégoire persistait opiniâtrément à refuser les galères, 
le patriarche lui demanda s’il aimerait mieux aller à Savone par terre, 
et offrit de lui fournir les moyens de faire ce voyage. Grégoire dé- 
clara qu'il n'en ferait rien; que toutefois il se rapprocherait volontiers 
de son adversaire, non dans le dessein d'aller seulement à Bologne, 
comme il l'avait entendu dire faussement à certaines personnes, mais 
pour faire voir à tout le monde qu'il ne tenait pas à lui que l'union 
ne füt rétablie conformément à ses promesses. 


Après ces pourparlers et d'autres propos échangés de part et d'autre, 
comme il est d'usage dans les conférences, on se sépara en convenant 
que chaque partie désignerait un certain nombre de gens sages, pour 


662 * CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


et judicarent an suis oblacionibus suppositis posset implere 
quod juraverat et voverat. 

Ipsa die, post prandium, legatis comparentibus coram Gre- 
gorio et suo pretenso collegio, cum quereret quod ostenderent 
suam potestatem, responsum est quod habebant sufficientem et 
amplissimam tam a rege et Ecclesia gallicana, illamque osten- 
derent, si fieret aliqua concordia super quesitis. Ipsi eciam 
obicienti, quod unus de mane dixerat, quod non poterant 
facere aliqua que dicebantur, responderunt quod duplex erat 
potestas, quedam juris et quedam exequcionis et de facto, etc. 
Dixit inde Gregorius se recepisse litteras a Venetis continentes 
quod, quamvis galee eis suppeterent et laudarent sanctum ejus 
propositum, quia tamen Bousicaudus erat inimicus dominii 
sui, non intendebant quibuscunque persuasionibus eas con- 
cedere pro eundo ad Saonam subditam suo regimini. Tunc 
responderunt nuncii quod ex Januensium galeis se juvaret, 
postquam alias habere non poterat, cum oblacionibus et secu- 
ritatibus sibi alias explicatis. 

Deinde recepit verbum Gregorius et persuasit ut novum 
tractatum intrarent ; quod et ipsi renuerunt penitus, addentes 
quod tractatus factus erat et confirmatus eciam in eorum ab- 
sencia , nec eis fas erat illum aliqualiter immutare, sed si aliqua 
quererentur ad reintegracionem illius, parati erant ad id 
modis omnibus laborare. Cum autem de verbo ad verbum et 
articulatim reiterassent sibi oblaciones prius factas, et ille de . 
Roma peteret quod armatura fieret de gentibus quales vellet 
eligere, responsum est, quod dominus capitaneus fuerat electus 
de consensu et ad peticionem sui nepotis, dum fuit in Janua 
sollemnissime receptus, cum esset fama celeberrimus , integer- 
rime fidei, et excellentis prudencie, extiteratque capitaneus 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 663 


examimer et décider si par les offres qu'il faisait il remplirait fidéle- 
ment sa promesse et ses engagements. 

Le méme jour, dans l'aprés-diner, les ambassadeurs se présenterent 
à Grégoire et à son prétendu collége. Comme on leur demanda de 
montrer leurs pouvoirs, ils répondirent qu'ils en avaient de suffisants 
et de très étendus , tant de la part du roi que de celle de l'Église galli- 
cane, et qu'ils les montreràient , si l'on concluait quelque accord. 
Grégoire leur ayant objecté qu'un d'entre eux avait dit le matin qu'ils 
ne pouvaient faire certaines choses dont il avait été question, ils ré- 
pondirent qu'il y avait deux sortes de pouvoirs: l'un de droit et l'autre 
d'exécution et de fait, etc. Grégoire dit ensuite qu'il avait recu des 
lettres des Vénitiens, qui lui mandaient qu'ils avaient bien assez de 
galéres et qu'ils approuvaient sa sainte résolution, mais qu'ils n'en- 
tendaient en aucune façon les lui prêter pour aller à Savone, parce 
que cette ville était soumise au gouvernement de Boucicault, qui était 
ennemi de leur seigneurie. Les ambassadeurs lui répondirent qu'il 
n'avait qu'à se servir des galéres de Génes, puisqu'il ne pouvait en 
avoir d'autres, et ils lui réitérérent leurs offres et les süretés qu'ils lui 
avaient déjà proposées. 


Grégoire reprit la parole et les engagea à entamer de nouvelles né- 
gociations. Ils s'y refusèrent formellement, en disant que le traité avait 
été fait et méme ratifié en leur absence, et qu'il ne leur était point 
permis d'y rien changer, mais que, s'il fallait y ajouter quelques clauses 
pour le compléter, ils étaient prêts à y travailler par tous les moyens 
possibles. Ils lui répétérent mot pour mot et article par article les 
offres qu'ils lui avaient faites précédemment , et sur ce qu'il demanda 
que l'équipage füt composé des gens qu'il lui plairait de cboisir, ils 
répondirent que le capitaine avait été élu du consentement et à la re- 
quête de son neveu, lorsque celui-ci était à Gênes, où on l'avait recu 
avec tant d'honneur ; que ledit capitaine était un homme d'une fidélité 
à toute épreuve, d'un grand renom et d'une rare prudence, et qu'il 
avait eu un commandement dans l'expédition de monseigneur de Bour- 
bon contre les infidéles. Ils ajoutérent que, quant à l'équipage, on 


664 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


in exercitu illo domini de Borbonio, dum ad infideles naviga- 
vit. Rursum dictum est quod de armatura jam erat provisum 
et facte erant soluciones, et illam abicere esset gratis perdere 
operas jam factas et expensas que maxime erant, iterum quia 
galee armate erant de servitoribus notis, bone conversacionis, 
pro quibus erat sufficienter fidejussum, de quibus plus erat 
confidendum, quam de extraneis vel sclavis et ignotis. Deduc- 
tum est iterum quod aliunde non poterant ille galee armari, 
nec de Venetis, qui hoc negabant ; nec de Romanis, cum naves 
eisdem non suppeterent; nec de gentibus Lendislai, cum esset 
adversarius ; et idcirco ea que ille de Roma tangebat, erat vo- 
luntarie dilacionem querere et sine apparencia loqui. Propterea 
concludebatur quod, attentis premissis, ille excusacionem non 
habebat quin veniret Saonam. Et quia ille arguebat quod in 
tractatu fuerat expresse cautum de non armando galeas Januen- 
sium, et ita sequebatur quod non volebat uti eis, responsum 
est ex textu proprio eorumdem capitulorum, quia ibi ponitur: 
nisi de consensu amborum contendencium. Si igitur non vult 
uti eis, cum sciat hoc adversario placere, hoc est voluntarie et 
ad fugam, qualem Deus viderit et judicet; mirandumque est quod 
ille de Roma qui dederat in instructionibus suo nepoti de pro- 
pria manu, quod pocius acceptaret Avinionem vel Gandavum 
quam non fieret concordia de loco, nunc ita refugit locum 
Saone, additis securitatibus et auxiliis tot premissis. 

Tandem nuncii regis videntes quod ille de Roma nil ad pre- 
dicta respondebat, nisi quedam verba generalia et sonancia 
semper diffidenciam de galeis, et quod iret per terram ad inci- 
piendum novum tractatum, nec petebat aliud in particulari, 
quanquam nuncii regis offerrent adhuc facere ampliora, si pos- 
sent, ipsi nolentes stare in disputacionibus et verbis dixerunt 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 665 
yavait déjà pourvu, que tout était payé, et que ne pas vouloir s'en 
servir ce serait perdre à plaisir les peines qu'on s'était données et les 
dépenses qui étaient trés considérables; que d'ailleurs l'équipage était 
composé de personnes connues, de gens d'honneur, pour lesquels on 
avait donné des cautions suffisantes, et en qui l'on devait avoir plus 
de confíance qu'en des étrangers, des esclaves et des inconnus. Ils dé- 
montrérent qu'on ne pouvait prendre ces galéres ailleurs, ni chez les 
Vénitiens, puisqu'ils s'y refusaient; ni chez les Romains, puisqu'ils 
n'avaient pas de vaisseaux; ni chez les sujets de Ladislas, puisqu'il 
était ennemi de Rome; que par conséquent toutes les objections de 
Grégoire étaient autant de prétextes dilatoires et de faux-fuyants. Ils 
conclurent donc que, tout bien considéré, il n'avait aucune raison pour 
ne pas se rendre à Savone. Quant à ce qu'il alléguait qu'il avait été 
expressément stipulé dans les articles du traité qu'on n'armerait point 
de galères génoises, d’où il prenait sujet de refuser d'en faire usage, ils 
répondirent, en citant le propre texte desdits articles, qui portaient : 
St ce n'est du consentement des deux prétendants. Si donc, ajoutèrent- 
ils, il refusait d'en faire usage, maintenant qu'il savait que son adver- 
saire y consentait, on pourrait dire qu'il cherchait des subterfuges ; 
dans ce cas Dieu jugerait sa conduite. Il y avait lieu de s'étonner que 
Grégoire, qui avait écrit de sa propre main, dans les instructions 
données à son neveu, qu'il accepterait Avignon ou Gand plutôt que 
d'empécher l'accord sur le choix du lieu, refusát aujourd’hui la ville 
de Savone, malgré toutes les garanties et assurances susdites. 


Enfin les ambassadeurs du roi, voyant que Grégoire ne répondait au 
sujet des galères qu'en termes généraux et pleins de défiance, qu'il 
parlait d'aller par terre entamer de nouvelles négociations , et ne leur 
adressait aucune demande particuliére, quoiqu'on lui proposát de 
faire encore plus qu'il ne demandait, s'il était possible, résolurent de 
ne plus perdre leur temps en discussions et en paroles inutiles, et lui 
dirent pour conclusion que, s'il ne voulait point répondre autre chose, 

IH. 04 


666 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. X XVIII. 


conclusive, quod, si nollet aliud respondere, capiebant licenciam 

ab eo, significantes sibi quod, licet antea esset famosissimus 
in Francia, auditis istis, converteretur res in contrarium. Res- 
pondit se iterum loquturum cum suis cardinalibus pretensis, et 
quereret remedia tam Rome quam alibi, que possibilia et com- 
moda viderentur. 


CAPITULUM XX. 


Frustra persuadetur Gregorio, nitenti tractatum immutare, ut adimpleat promissa. 


Die vicesima jullii, congregati legati in domo patriarche 
super hiis que eadem die coram illustris et magnificis, sena- 
tore , conservatoribus, capitibus regionum et populo sacre urbis 
Rome, proponenda erant, censuerunt ostendendum post salu- 
tacionem affectum regis ad unionem Ecclesie, quam multis labo- 
ribus antea demonstraverat; ex hoc descendendum secundo ad 
narrandum quid Gregorio obtulerant; tercio, quod obsecra- 
rentur, rogarentur et requirerentur, ut viribus ad hanc unio- 
nem intenderent et presertim apud Gregorium laborarent 
quatinus eorum fretus oblatis Saonam, juxta conventa, proficis- 
ceretur, et promissam unionem perficeret. Hic dicendum erat 
quomodo hec unio maxime eos respicit eorumque honestatem 
et commoditatem ; et quo magis inclinarentur ad concedendum 
postulata, dicendum eis parte regis, ipsum non tendere ut Avi- 
nionem trahat curiam , magis optare curiam hic residere quam 
alibi , tum quia hic Petrus sedit, tum quia summus pontifex est 
episcopus romanus, episcopum autem decet in sua dyocesi 
residere; tum quia hic est locus sacerrimus, quare in eo summus 
sacerdos debet esse, tum quia est principale membrum eccle- 
siastici patrimonii; nec putet quispiam regem illectum utilitate, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 667 


ils allaient prendre congé de lui, et qu'ils ne lui cachaient pas que le 
récit de ce qui s'était passé porterait une grave atteinte à la bonne 
réputation dont il avait joui en France jusqu'à ce moment. Il répondit 
qu'il en conférerait encore avec ses prétendus cardinaux, et qu'il 
chercherait , soit à Rome, soit ailleurs, les remédes qui sembleraient 
possibles et convenables. 


CHAPITRE XX. 


On fait de vains efforts pour amener Grégoire à ne rien changer au traité et à 
remplir ses promesses. 


Le 20 juillet, les ambassadeurs s'étant assemblés dans la maison du 
patriarche, pour délibérer sur ce qui devait étre dit ce jour-là devant 
les illustres et magnifiques seigneurs, le sénateur, les conservateurs, 
les capitaines des quartiers et le peuple de la sainte ville de Rome, con- 
vinrent qu'après les salutations d'usage on leur rappellerait le zèle 
que le roi avait montré en toute circonstance pour l'union de l'Église; 
qu'en second lieu, on leur représenterait les offres qui avaient été 
faites à Grégoire; qu'en troisiéme lieu, on les prierait, conjurerait et 
requerrait de travailler de toutes leurs forces à cette union, et sur- 
tout de s'entremettre pour obtenir de Grégoire, que, conformément 
à leurs offres et suivant les conventions, il partit pour Savone, et ac- 
complit l'union, ainsi qu'il l'avait promis. Ils arrétérent aussi qu'on 
leur ferait comprendre comment cette union les regardait particuliè- 
rement, en quoi elle touchait leur honneur et leur intérét; que, pour 
les amener plus facilement à accorder ce qu'on demandait, on ajou- 
terait de la part du roi que, loin d'avoir l'intention d'attirer la cour 
de Rome à Avignon, il aimait mieux qu'elle siégeát à Rome qu'ail- 
leurs, soit parce que cette ville avait été la résidence de Pierre, soit 
parce que le souverain pontife est évéque de Rome, et qu'un évéque 
doit résider dans son diocèse, soit aussi parce que c’est un lieu très 
saint, et qu'en conséquence le saint-siége doit y étre établi, soit enfin 
parce que c'est le principal membre du patrimoine ecclésiastique ; 
qu'il ne fallait pas croire que le roi eüt quelque iritérét à attirer le 


668 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


ut velit papam trahere Avinionem, cum pro certo majora com- 
moda susceperit a summis pontificibus, dum Rome resederunt, 
quam postquam Avinionem profecti sunt; postremo eis offer- 
rent ex precepto regio, si quid poterant implere quod in 
eorum commoditatem cessurum videretur. Ibi eciam dictum 
est expedire aliquem mitti ad illos duos cardinales de Ursinis 
et Leodiensem, qui residebant Viterbii, quatinus in urbem 
venire non gravarentur, ut cause Dei veluti fortissimi pugiles 
existerent. Quesite eciam littere senatoris; quesitum eciam quo- 
modo loquendum esset, et dictum quod senator diceretur 
illustris, ceteri magnifici et potentes; item et quod orarentur, 
obsecrarentur et requirerentur, et teneretur iste modus scri- 
bendi. | | 
Preterea que scripta sunt cum magister Johannes Parvi 
diffuse et luculenti sermone deduxisset, addidit et indulgencias 
Romane Ecclesie neglectas propter scisma. Addidit et quod, 
unico papa electo, requireretur ut, celebrans consilium gene- 
rale, Greci reducerentur ad obedienciam romane Ecclesie. 
Cumque hec proposita fuissent, et diversorum organis, nunc 
patriarche, nunc capitanei galearum, Johannis de Ultramarinis, 
diversa ad rem attinencia, is Romanus, cui responsum datum 
est, primo excusavit se, quod in re ex tempore dignum respon- 
sum ferre non poterat, tum propter excellenciam majestatis 
regie ac alme Universitatis Parisiensis, tum propter arduitatem 
materie, tum propter frequenciam sapientum assistencium ; 
verumptameu quia compulsus erat respondere, ideo verbum 
suscipiebat. Et quia ante proposicionem in presentacione litte- 
rarum regiarum salutacio regia prelata fuerat, dixit dominos 
pro quibus loquebatur hanc salutacionem grato animo susci- 
pere. Deinde cum esset prima partea proponente de desolacione 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 669 


pape à Avignon : car il était constant que la France avait recu plus de 
bienfaits des papes, lorsqu'ils résidaient à Rome, que depuis leur séjour 
à Avignon. Ils décidèrent encore qu’on leur offrirait, au nom du roi, 
de faire tout ce qui pourrait leur sembler utile en cette affaire, et 
qu'on enverrait prier les deux cardinaux des Ursins et de Liége, qui 
étaient à Viterbe, de vouloir bien venir à Rome, pour se faire les 
champions de la cause de Dieu. Ils demandérent aussi des lettres au 
sénateur à ce sujet. Puis ils examinérent en quels termes on devait par- 
ler aux personnages susdits, et réglérent qu'on donnerait au sénateur 
" le titre d'illustre, aux autres celui de. magnifiques et puissants, et 
qu'en leur écrivant pour les prier, les conjurer et les supplier, on ob- 
serverait la méme formule. | 


Maitre Jean Petit, ayant développé toutes les choses susdites dans un 
long et éloquent discours, ajouta que les indulgences de l'Église ro- 
maine étaient négligées à cause du schisme, et qu'aprés avoir procédé 
à l'élection d'un seul et unique pape, il faudrait convoquer un concile 
général pour ramener les Grecs à l'obéissance de l'Église romaine. 
Lorsqu'il eut fini de parler, et que d'autres points relatifs à cette affaire 
eurent été présentés par l'organe du patriarche et du capitaine des 
galéres Jean d'Outremer, le Romain qui était chargé de porter la pa- 
role s'excusa d'abord de ne pouvoir faire sur-le-champ une réponse 
convenable, tant à cause de l'excellence de la majesté royale et de la 
vénérable Université de Paris qu'à cause de la difficulté de la matiére 
et de la présence d'un si grand nombre de doctes personnages ; que 
cependant, puisqu'il y était obligé, il allait répondre. Il commenca 
par dire que les seigneurs au nom desquels il parlait accueillaient avec 
reconnaissance les salutations qu'on leur avait adressées avant le dis- 
cours, en leur présentant les lettres royales. Ensuite, sans s'arréter 
au premier point traité par l'orateur, c'est-à-dire aux plaintes tou- 
chant la désolation de l'Église, il passa au second point, qui con- 
cernait les prières et les exhortations. Quoiqu'on les eût spécialement 


670 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


Ecclesie lamentabiliter dictum, hac parte preterita, venit ad 
secundam, que continebat exhortacionem et deprecacionem. Et 
quanquam in specie rogati essent, ut, consideratis oblacionibus 
per eos Gregorio factis, vellent apud eum instare qualiter Sao- 
nam pergeret, tantum generaliter responderunt dicendo quod 
prompto animo ad unionem Ecclesie intenderent, quam sum- 
mopere supra ceteras gentes desiderare debebant, non modo 
propter raciones illas quas egregie proponens tetigerat, sed 
eciam propter necessitatem presencialiter urgentem. Nam rex 
Lendislaus, hostis urbis, in ejus direpcionem machinabatur; 
cui facile posset obsisti, nisi miserabili scismate Ecclesia labo- 
raret. Ut tamen pro specificacione, ad quam non respondebant, 
satisfacerent, dixerunt se deputaturos ex suo numero, qui una 
cum ipsis unionem quererent, salva semper honestate sue obe- 
diencie et domini Gregorii. Quantum vero ad oblacionem eis 
factam, eam habuerunt acceptissimam presertim ob imminens 
periculum a rege Lendislao, se viceversa ad voluntatem sacre 
regie majestatis ex animo offerentes. | 

Et sine dubio Romani audientes oblaciones quas Gregorio 
fecerant, et quod sedere Rome optarent legati , miro exultabant 
gaudio, et in graciam cum legatis benivolenciamque veniebant; 
unde sermonibus finitis exhibicione specierum et potus, ma- 
gnam alacritatem pre se tulerunt. Qui hec scripsit, audivit 
quemdam Romanum honestum dicentem non expedisse ut 
proposicio legatorum coram romano populo in vulgari facta 
esset, ne forte pre gaudio horum novorum tumultus oriretur 
et impetus in Gregorium fieret. Idem dixit, nisi principes unio- 
nem facerent, se pauperes uno clamore esse facturos. Dixit et 
sepe Romanos motos ad clamandum : « Vivat rex Francie do- 
minus noster! » 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 671 


requis de vouloir bien, en considération des offres faites à Gré- 
goire, insister auprès de lui pour qu'il allât à Savone, il se con- 
tenta de répondre en termes généraux qu'ils travailleraient avec d'au- 
tant plus d'ardeur à l'union de l'Église qu'ils devaient la désirer plus 
que tous les autres, soit pour les motifs si bien développés par l'ora- 
teur, soit en raison de l'urgence des circonstances; car le roi Ladislas, 
ennemi de leur ville, méditait de s'en emparer, et ils ne pouvaient 
espérer de lui résister, qu'autant que l'Église ne serait plus déchirée 
par le malheureux schisme. Cependant les Romains, afin de donner 
satisfaction sur le point spécial auquel ils ne répondaient pas, promi- 
rent de députer quelques uns d'entre eux pour chercher de concert 
avec les ambassadeurs les moyens de rétablir l'union, sauf l'honneur 
de leur obédience et de monseigneur Grégoire. Quant à l'offre qui 
leur était faite, ils témoignérent qu'ils l'avaient pour trés agréable. 
surtout à cause du danger dont les menaçait le roi Ladislas , et en re- 
tour ils offrirent leurs services à la sacrée majesté royale. 


En effet les Romains voyaient avec le plus grand plaisir les offres 
faites à Grégoire par les ambassadeurs, et la préférence qu'ils don- 
naient à la résidence de Rome. Aussi leur montrérent-ils beaucoup 
de bienveillance et d'affection. Lorsque les discours furent terminés, 
ils prirent avec eux le vin et les épices, et firent éclater les transports 
de la joie la plus vive. Celui qui a écrit ces choses entendit dire à un 
honnéte bourgeois de Rome qu'il n'aurait pas fallu que la proposition 
des ambassadeurs fût faite devant le peuple romain en langue vulgaire, 
qu'il y aurait eu à craindre que la joie causée par ces nouvelles n'exci- 
tât une sédition et une émeute contre Grégoire. Si les seigneurs, 
ajoutait-il, ne rétablissaient pas l'union , eux autres pauvres gens la 
rétabliraient par acclamation, et souvent les Romains avaient été dis- 
posés à crier : « Vive le roi de France notre sire! » 


672 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM XXI. 


Legati domini Benedicti conqueruntur super tarditate responsionis Gregorii. 


Die jovis vicesima prima jullii, apud Sanctam Praxedem 
coram cardinalibus Gregorii, legati domini pape Benedicti 
congregati episcopum Dinensem statuerunt proponere quo- 
modo jam frequenter, sex scilicet vicibus, Gregorium requi- 
sierant pro confirmacione tractatus in Massilia concordati , sed 
se nullum responsum habuisse, cum jam duobus et viginti 
diebus in urbe mansissent preter oppinionem mittentis. Non 
sine periculis tamdiu expectaverant, ut dicebat, tum propter 
galeas Lendislai, que faucibus Tyberinis jam imminere narra- 
bantur, et quia ex suis galeis pene triginta remiges egroti lan- 
guebant, et patronus pro recessu vehementer instabat. Protes- 
tatus est inde, eciam coram legatis Francie, ex tünc non stare 
nec stetisse, nec in futurum staturum in domino papa quominus 
desiderata unio, juxta jam concordata, Ecclesie redderetur, con- 
cludens quod, si responsum eo die dare vellent, se libenter 
expectaturos, nullo modo tamen ultra mansuros; quare pro- 
viderent sua parte ne scisma perpetuaretur. 

Hec cum essent dicta, repeciit dominus patriarcha obla- 
ciones factas Gregorio. Addidit et legatos regis post recessum 
eorum non fructuose mansuros. Declarabat inconveniencia se- 
quutura , si illi et eo sine responsione hinc discederent; domi- 
num papam ubique promulgaturum in se non stare , sed in suis 
adversariis, quin unio subsequatur suum debitum ; idem re- 
gem Francorum apud ceteros principes facturum; quare a se 
tantam maculam averterent, et eos sine responso abire non 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 673 


CHAPITRE XXI. 


Les ambassadeurs de monseigneur Benoit se plaignent de n'avoir pas encore recu 


de réponse de Grégoire. 


Le jeudi 24 juillet, les ambassadeurs de monseigneur le pape Be- 
noit, assemblés à Sainte-Praxéde avec les cardinaux de Grégoire, 
chargérent l'évéque de Digne d'exposer qu'ils avaient déjà à six re- 
prises différentes requis Grégoire de confirmer le traité conclu à 
Marseille, et qu'ils n'avaient pas encore recu de réponse, quoiqu'ils 
fussent à Rome depuis vingt-deux jours. L'évéque ajouta que cette 
prolongation de séjour, qui avait lieu d'ailleurs contre l'attente de leur 
maître, n'était point sans danger pour eux, puisque la flotte de La- 
dislas était déjà, disait-on, à l'embouchure du Tibre, et qu'ils avaient 
sur leurs galéres prés de trente rameurs malades; qu'en conséquence 
le patron les pressait vivement de partir. Il leur protesta ensuite, en 
présence des ambassadeurs de France, qu'il ne tenait point, qu'il 
n'avait jamais tenu et qu'il ne tiendrait jamais à monseigneur le pape 
que l'union tant désirée ne füt rétablie, suivant ce qui avait été stipulé. 
Il déclara en finissant que, s'ils voulaient leur donner une réponse ce 
jour même, ils l'attendraient volontiers, mais qu'ils ne resteraient pas 
plus long-temps; qu'ainsi c'était à eux de pourvoir à ce que le schisme 
ne füt pas prolongé. | 


Cela dit, monseigneur le patriarche rappela les offres faites à Gré- 
goire. Il ajouta qu'après le départ des envoyés de Benoit il serait 
inutile que les ambassadeurs du roi restassent à Rome; il fit voir les 
inconvénients qui s'ensuivraient, si on les laissait partir sans réponse. 
Monseigneur le pape, dit-il, pourrait proclamer partout qu'il ne tenait 
pas à lui, mais à ses adversaires, que l'union n’eût lieu, et le roi de 
France en ferait autant auprès des autres princes. Il les engageait donc 
à ne pas s'exposer à un tel déshonneur, et à ne pas les laisser partir 
sans réponse. I] parla aussi des objections que Grégoire avait faites à 

Hl, 85 


674 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


sinerent. Dum vero oblaciones suas patriarcha renovaret , simul 
ostendebat quid contra Gregorius diceret; addidit se respon- 
disse ipsi non de decorandam suam obedienciam, si galeis Ja- 
nuensibus vellet uti, ac si non moleste tulisset dominus Bene- 
dictus, si rex Hungarie vel Lendislaus sibi tantas obtulissent ; 
rogavit iterum ut dominos cardinales absentes Ursinum et Leo- 
diensem ad accelerandum responsionem evocarent. 

Super hiis deliberacione habita, pretensi cardinales rogave- 
runt ut in urbe adhuc manere placeret , donec fratres absentes 
evocassent, et quantum ad principale, erga dominum suum effi- 
caciter laborarent ut perseveraret in promissis; quod si non 
concederet , se paratos tale responsum dare quod sufficeret toti 
mundo. Tunc, verbo suscepto, respondit Dinensis episcopus 
dominum Gregorium, si intendat concordata confirmare, non 
gravari debere hodie dare responsum plus quam intra tres aut 
quatuor dies ; non posse se amplius expectare. Recessissentque 
de mane, nisi patriarcha precibus obstitisset. Super petitis et 
concessis legati summi pontificis et alii instrumenta a notariis 
publicis poposcerunt. Et tandem domini de presente collegio 
rogati ut nichil de contingentibus omiterent, sed eadem die 
laborarent ut responsum celeriter eis daretur; quod si bonum 
sit et votis consonum, non dubitabant dominis Viterbii exis- 
tentibus quin gratum futurum esset. Sic se libenter mansuros 
responderunt et eadem die Gregorium adituros , sequenti vero 
cum eis in loco designando colloquturos. Ita discessum. 


CHRONIQUE DE CHARLES Vi. — LIV. XXVIIL — 675 


ses offres , et ajouta qu'il lui avait répondu qu'en se servant des galéres 
de Gênes, il ne compromettrait pas plus l'hormeur de son obédience, 
que monseigneur Benoit croirait compromettre le sien en acceptant 
les galères du roi de Hongrie ou celles de Ladislas. Puis il demanda 
qu'on fit venir messeigneurs les cardinaux des Ursins et de Liége, afin 


de hâter la réponse. 


Aprés en avoir délibéré, les prétendus cardinaux y consentirent et 
priérent les ambassadeurs de rester à Rome, jusqu'à ce qu'ils eussent 
mandé leurs fréres absents. Ils leur assurérent que, quant au point 
principal, ils feraient tous leurs efforts auprés de leur seigneur pour 
qu'il persévérát dans ses promesses , et que, s'il n'y consentait pas, ils 
étaient préts à donner une réponse telle, que tout le monde en serait 
content. Alors l’évêque de Digne, reprenant la parole, répliqua que, 
si monseigneur Grégoire avait l'intention de confirmer le traité , il ne 
devait point se refuser à donner réponse aujourd'hui plutôt que dans 
trois ou quatre jours ; qu'ils ne pouvaient attendre plus long-temps. Ils 
seraient en effet partis le matin méme sans les instances du patriarche. 
Les envoyés du pape et les autres ambassadeurs demandérent qu'il leur 
füt délivré acte par-devant notaires de ce qui avait été requis et accordé, 
et priérent messeigneurs du collége de Rome de se mettre à l'oeuvre 
dès le jour méme, et de ne rien négliger pour leur faire donner une 
prompte réponse, disant que, si elle était favorable et conforme à 
leurs vœux, ils ne doutaient pas qu'elle ne füt agréable aux deux car- 
dinaux qui étaient à Viterbe. Ils déclarérent qu'à ces conditions ils 
resteraient volontiers, qu'ils iraient ce jour méme trouver Grégoire, 
et qu'ils auraient le lendemain une conférence avec eux dans le lieu 
qui serait désigné. Sur ce, l'assemblée se sépara. 


676 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM XXII. 


De responsione nunciis pape et regis Francie data. 


Die igitur sequenti, prefatis nunciis, de collegio pretenso 
Florentinus , Miletensis et de Branquaciis dicti cardinales quam- 
dam cedulam, cujus tenor sequitur, pro responsione dederunt: 

« Sanctissimus dominus noster Gregorius papa duodecimus, 
de consilio et assensu reverendissimorum dominorum fratrum 
suorum cardinalium sancte romane Ecclesie, circa responsio- 
nem faciendam in materia extirpacionis scismatis, oratoribus 
serenitatis Francorum regis ac studii Universitatis Parisiensis, 
infra scripta capitula ordinavit pro salutari conclusione ac 
consequcione desiderabilis unionis : 

« Primo , quod habita consideracione quot et quanta possent 
evenire discrimina contra statum romane Ecclesie, in perdicio- 
nem maxime alme urbis, provinciarum , civitatum et terrarum 
prefate Ecclesie, propter novitates suscitatas in urbe*, provin- 
ciis, civitatibus et terris et locis hujusmodi, et que videntur 
verissimiliter * ac potenter terra marique emersure contra sta- 
tum hujusmodi propter locum Saone, et quod utraque pars 
ex affectu unionis prefate ad conservacionem et defensionem 
prefati status debet exponere se et sua, quod domino nostro et 
fratribus suis videtur saluberrimum , premissorum intuitu, ac 
propter inhabilitatem dicti loci, quod locus ipse mutetur et 
assumatur per dominum Avinionensem alius locus in Ytalia de 
obediencia prefati domini nostri, cum debitis securitatibus, 
habilis tamen et ydoneus utrique parti ; 


' Ce membre de phrase manque dans le ^ Far. : n° 5959, 71 v. verissimiliter, for- 
n° 5958; il est tiré du n° 5959, fol. 71 v. midabiliter ac potenter. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 677 


CHAPITRE XXII. 


Réponse faite aux ambassadeurs du pape et du roi de France. 


_ Le lendemain, les prétendus cardinaux de Florence , de Malte et de 
Brancace donnérent pour réponse auxdits ambassadeurs une cédule, 
dont voici la teneur : 

« Notre trés saint seigneur le pape Grégoire XII, apres avoir pris le 
conseil et l'avis de ses trés révérends fréres messeigneurs les cardinaux 
de la sainte Église romaine, sur la réponse qu'il devait faire touchant 
l'exürpation du schisme aux ambassadeurs du sérénissime roi de France 
et de l'Université de Paris, a arrété les articles ci-dessous mentionnés 
pour la conclusion salutaire et le rétablissement de l'union tant dé- 
sirée : 


« Premiérement, vu tous les dangers qui pourraient menacer l'état 
de l'Église romaine et tourner au détriment de la ville sainte, des pro- 
vinces, cités et terres de ladite Église, par suite des nouveautés qui ont 
été introduites dans lesdites ville, provinces, cités, terres et autres 
lieux de sa dépendance, et de celles qui pourraient vraisemblablement 
y survenir par terre et par mer à cause du lieu de Savone; attendu que 
de part et d'autre chacun doit, par zéle pour ladite union , exposer sa 
personne et ses biens pour la conservation et la défense dudit état, il 
paraít trés convenable à notre seigneur et à ses fréres, en raison des 
choses susdites et à cause de l'inopportunité dudit lieu, que ledit lieu 
soit changé et que le seigneur d'Avignon en choisisse un autre en Ita- 
lie, qui soit de l'obédience de notredit seigneur, qui offre toutes les 
süretés suffisantes, qui convienne et plaise aux deux parties. 


678 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« Item, in casu quod non placeat domino Avinionensi muta- 
cio dicti loci, quia idem dominus noster non habet galeas nec 
spem habendi fidas, contentatur, in casu quo idem dominus 
Avinionensis velit adesse Saone sine galeis, sicut ipse dominus 
noster erit, accedere, et non aliter, per terram ad locum dictum 
Saone pro expedicione prefate unionis , salvis tamen aliis capi- 
tulis convencionis facte Massilie per nuncios suos cum domino 
Avinionensi vicesima prima apprilis proxime preteriti, et esse 
Saone ad tardius 1n festo omnium Sanctorum proxime futuro 
cum et sub exigencia infra scriptorum capitulorum additorum: 
quod dominus Johannes le Maingre , alias dictus Boussicaudus, 
gubernator Janue, teneatur rediisse in Francia usque et per 
totum mensem septembris proxime sequturi, mansurus ibidem 
ad minus per duos menses , postquam omnia circa facta unionis 
prefate completa fuerint, et nilominus jurare ac sollemniter 
promittere interim nichil agere, tractare, temptare ac presu- 
mere per se vel alium, directe vel indirecte, aut quesito quovis 
colore, contra ipsum dominum nostrum aut dominos cardinales 
prefatos, vel alios illue venturos realiter vel personaliter vel 
alias, in eundo, stando et redeundo per mare vel per terram. 

« Item, quod Janue ponatur alius gubernator cum simili 
potestate quam habuit et habet ibidem et circumstantibus 
partibus idem gubernator Boussicaut, et esse debeat unus de 
prelatis de numero oratorum prefati regis et per dominum nos- 
trum eligendus, ad minus pro tempore in precedenti capitulo 
denotato, qui debeat jurare ac servare omnia ad que idem 
gubernator tenebatur per formam convencionum predictorum, 
et debeat obsides dare ipsi domino nostro, si habeat; 

« Item, quod eidem domino nostro pro sua et fratrum suo- 
rum et omnium aliorum securitate plenaria, personarum, bono- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. — 679 


« Jtem, en cas que le changement dudit lieu ne soit pas agréable 
au seigneur d'Avignon, notredit seigneur, n'ayant point de galères 
ni l'espérance d'en avoir auxquelles il puisse se fier, consent à aller 
à Savone par terre et non autrement, pourvu que ledit seigneur 
d'Avignon veuille bien s'y rendre sans galéres, comme notredit sei- 
gneur, pour accomplir ladite union, sous la réserve toutefois des 
autres articles de la convention faite à Marseille par ses ambassadeurs 
avec le seigneur d'Avignon, le 24 avril dernier. Il promet en outre de 
se trouver à Savone au plus tard à la prochaine féte de la Toussaint, 
moyennant les conditions suivantes : savoir que messire Jean le 
Maingre, dit Boucicault, gouverneur de Gênes, sera tenu de retour- 
ner en France avant la fin du mois de septembre prochain, et y res- 
tera au moins deux mois après que toutes les négociations relatives à 
ladite union auront été terminées ; qu'il jurera et promettra solen- 
nellement de ne rien faire, négocier, tenter ni entreprendre pen- 
dant ce temps par lui-même ou par d’autres, directement ou indirec- 
tement, sous quelque prétexte que ce soit, contre notredit seigneur, 
sesdits cardinaux, ou toutes autres personnes qui se rendraient audit 
lieu réellement, personnellement ou autrement, qui y séjourneraient 
et s'en retourneraient, soit par mer, soit par terre. 


« Jtem , il sera établi à Génes un autre gouverneur avec des pouvoirs 
semblables à ceux qu'a exercés et exerce encore ledit gouverneur Bou- 
cicault dans ladite ville et dans le pays d'alentour, et ce sera un des 
prélats de Fambassade dudit roi; il sera choisi par notre seigneur, 
au moins pour le temps indiqué dans l'article précédent, et devra jurer 
et observer tout ce à quoi ledit gouverneur était tenu, conformément 
auxdites conventions, et donner des otages à notredit seigneur, s'il 

en a. 


« Jtem, pour la süreté pleine et entiére de notredit seigneur, de ses 
frères et des autres personnes qui arriveront, séójourneront et s'en 


680 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


rum ac rerum, pro accessu, residencia et reditu dari et assi- 
gnari debeant centum Januenses et quinquaginta Saonenses 
cives, de melioribus, nobilioribus in obsides eligendi per ipsum 
dominum nostrum, ponendi per eum in locis honestis subditis 
ipsi domino nostro et Ecclesie vel alibi ad arbitrium ipsius 
domini nostri, de illorum obsidum consensu, prout eidem do- 
mino nostro videbitur; 

« Item, quod pro securitate utriusque partis gentes armorum 
ac balistarii possint augeri ob defectum galearum, secundum 
quod videbitur capitaneis ad custodiam civitatis Saonensis 
deputandis. » 

CAPITULUM XXIII. 


Responsio legatorum super cedula oblata. 


Die igitur vicesima tercia hujus mensis, a. tribus legatis 
Gregorii acciti legati et interrogati quid superecedula per eos 
exhibita deliberassent, ore domini Camaracensis responsum 
fuit nichil agendum credidisse eos circa contenta in ipsa, 
quousque data esset a Gregorio finalis responsio legatis domini 
pape Benedicti, ne posset conqueri eos unionem propinquam 
fregisse aut impedisse, novum ineundo tractatum. Subjunxit et 
patriarcha legatos in instructionibus habere quod, si reperirent 
difficultatem aut discordiam in alterutro duorum dominorum 
presidencium circa convencionem personalem, eos obsecrarent 
quatinus in manibus suorum collegiorum aut per procuratores 
vellent absentes cedere, et tunc collegia ad electionem unici 
romani pontificis convenire; ulterius, quia incertus est dies 
mortis, precipue senum, eos rogarent ut vellent efficaciter pro- 
videre, ne scisma in casu mortis alterius ulterius prorogare- 
tur, ab utraque parte cardinales habilitarent. Rogavit igitur 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 681 


retourneront , comme aussi pour la süreté de leurs biens et de toutes 
les choses à eux appartenant, cent Génois et cinquante citoyens de 
Savone, des plus notables et des plus considérés, devront étre donnés 
et livrés en otage à notredit seigneur; il les choisira lui-méme à son 
gré et les placera dans des lieux convenables de sa dépendance ou de 
celle de l'Église, ou ailleurs, comme il lui plaira, du consentement 
desdits otages. | | 


« Jtem, pour la süreté des deux parties , le nombre des gens d'armes 
et des arbalétriers pourra étre augmenté, au défaut des galéres , selon 
qu'il semblera bon aux capitaines qui seront chargés de la garde de la 
ville de Savone. » 


CHAPITRE XXIII. 


Réponse des ambassadeurs au sujet de la cédule qui leur était offerte. 


Le 23 du méme mois, les trois commissaires de Grégoire mandèrent 
les ambassadeurs, pour savoir ce qu'ils avaient décidé au sujet de la 
cédule qu'ils leur avaient présentée. Il leur fut répondu par l'organe 
de monseigneur de Cambrai, que, pour éviter que le pape püt se 
plaindre qu'en entamant de nouvelles négociations ils avaient rompu 
ou empéché l'union préte à se conclure, ils avaient cru devoir ne 
prendre aucune détermination à l’égard du contenu de cette cédule, 
jusqu'à ce que Grégoire eüt donné une réponse définitive aux ambas- 
sadeurs de monseigneur Benoit. Le patriarche, de son cóté, ajouta que, 
si les ambassadeurs trouvaient que l'un des deux compétiteurs fit des 
difficultés ou füt en dissentiment avec l'autre au sujet d'une entrevue 
personnelle, ils avaient ordre de les conjurer de vouloir bien céder 
entre les mains de leurs colléges ou par procureurs, de sorte que les- 
dits colléges pussent alors se réunir pour l'élection d'un seul et unique 
pontife romain; ils devaient en outre les supplier, vu l'incertitude 
de la derniére heure, surtout pour des vieillards, de pourvoir à ce 
que le schisme ne füt pas encore prolongé, en cas de décés de l'un ou 
de l'autre, et d'habiliter les cardinaux des deux parties. En consé- 

LIL. 86 


682 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIIE 


commissarios patriarcha ut hoc Gregorio exponere vellent, 
qui se daturos ad id sedulam operam responderunt. 

Legati eciam, die sequenti, Gregorium adeuntes, ipsum 
iterum rogaverunt ne prius urbe excederet, quod in brevi cre- 
debatur, quam nuncios et eos expedisset; iterum, quia tot difi- 
cultates occurrebant, propter quas cum domino Benedicto in 
loco concordato convenire non poterat, cederet in manibus 
sui collegii, absens autem constituendo procuratores irrevo- 
cabiles, ad difficultates illas, quas alleguabat, sopiendas; tercio, 
in casu mortis, provideret de habilitacione cardinalium. 

Quantum ad primum, respondit suum egressum ex urbe non 
dilaturum, responsionem eciam pape leguatis dandam die vice- 
sima quinta hujus mensis. Quantum ad cessionem per procu- 
ratores et provisionem in casu mortis, nichil aliud respondit 
nisi quod universitas, cum diu in via cessionis perstitit, deberet 
circa hoc aliquas consideraciones habere; velle se cum aliquibus 
ex eis in caritate conferre, et secundum Deum se daturum 
remedium. 

Die iterum sequenti, ejus commissarii ad legatos venientes 
ostenderunt miserabilem sui status fortunam: hostem prepo- 
tentem Lendislaum prope adesse; se pauperes, et resistere non 
potentes; si Gregorius urbem exeat, statim. se a circumstanti- 
bus hostibus invadendos; laturos. tamen se ut possent, spe 
future unionis; scire se hec eis mala ex scismate pestifero acci- 
dere; ideo rogare ut eis darent consilium quomodo cum domino 
suo possent procedere. | 

Responsum per patriarcham duas esse vias quarum utralibet 
sine magno suo dispendio unio poterat haberi : altera, si eum 
rogent efficaciter quatinus galeas suas, ut his vehatur Sao- 
nam, acceptas haberet; altera, ut, si nullo. pacto de legatis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 683 


quence il pria les commissaires de vouloir bren soumettre ces considé- 
rations à Grégoire. Ils répondirent qu'ils y donneraient tout leur soin. 

Le lendemain les ambassadeurs retournérent vers Grégoire, et 
comme on croyait qu'il devait bientót sortir de la ville, ils le priérent 
de n'en rien faire , avant de les avoir expédiés eux et les autres envoyés. 
Ils le suppliérent, en second lieu, puisque tant de difficultés s'oppo- 
saient à ce qu'il s'abouchát dans l'endroit convenu avec monseigneur 
Benoît, de céder entre les mains de son collége, ou de constituer en 
son absence des procureurs irrévocables, pour lever les difficultés 
qu'il alléguait, et en troisième lieu, de pourvoir, en cas de mort, à 
ce que les cardinaux fussent habilités. 

Grégoire répliqua , quant au premier point, qu'il ne différerait pas 
son départ de Rome, et qu'il donnerait réponse aux envoyés du pape 
le 25 du mois. Pour ce qui était de la cession par procureurs et de la 
provision en cas de mort, il ne répondit autre chose sinon que, comme 
il avait long-temps persisté dans la voie de cession , on devait prendre 
cette circonstance en considération ; qu'il voulait en conférer en cha- 
rité avec quelques uns d'entre eux, et qu'il remédierait au mal selon 
Dieu. 


Le jour suivant ses commissaires allérent trouver les ambassadeurs 
et leur représentérent le déplorable état des affaires de Rome : Ladis- 
las, leur puissant ennemi, était, disaient-ils, à leurs portes; ils étaient 
pauvres et incapables de lui résister, et si Grégoire quittait la ville, ils 
ne manqueraient pas de tomber au pouvoir des ennemis qui les entou- 
raient. Ils se défendraient néanmoins comme ils pourraient, dans l'es- 
poir du rétablissement prochain de l'union ; ils savaient que tout le 
mal provenait du funeste schisme, et les priaieut en conséquence de leur 
donner conseil sur la conduite qu'ils devaient tenir envers leur seigneur, 

Le patriarche leur répondit qu'il y avait deux voies, qui pouvaient 
également conduire à l'union sans préjudice pour Grégoire : qu'il fal- 
lait ou lui faire accepter par leurs instantes priéres les galéres qu'on lui 
offrait pour aller à Savone, ou si, malgré toutes les süretés qui lui 
étaient données, il ne se fiait en aucune facon aux envoyés de Génes 


684 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


Januensibus suisque et illorum galeis, quacunque securitate 
data, velit confidere, constitueret hic procuratores irrevoca- 
biles ad cedendum, aut cedat in manibus sui collegii. Fuere 
Romani concordes ut has duas vias domino suo presentarent, 
et grandi instancia ut descenderet in alteram obsecrarent. Car- 
. dinales eciam sui cum magna instancia pecierunt ut responsio- 
nem legatis Benedicti daret, quam adhuc dilatam per triduum 
non sine causa graviter ac moleste tulerunt; se sic ludibrio 
haberi. Protractio tamen illa procedebat, quia Gregorius fugas 
querens suas in angustum cogi copias prospiciebat. Pulsabant 
enim sui cardinales ut Massilie concordata per suos oratores 
confirmaret et Saonam profiscisceretur; in qua ad idem com- 
pellebant Romani , idem petebant legati domini pape Benedicti; 
nemo inveniebatur qui hoc non peteret, preter nepotes illius, 
carni et sanguini studentes, et amore private commoditatis ac 
exultacionis* publicis Ecclesie obviantes. 


CAPITULUM XXIV. 


De Gregorii finali responsione. 


Die vicesima octava jullii, Gregorius episcopos dominos Bel- 
vacensem et Camaracensem , abbates Gemeticensem et Molis- 
mensem, cancellarium ecclesie Parisiensis et Jacobum de No- 
viano evocavit. Tum ille : « Credidi, inquit, ex hac ambassiata 
« in rebus pacis tractandis habere auxilium et consolacionem ; 
« et quia vos estis spes mea, cui inniti intendo in dando pacem, 
« vos advocari feci, ut cor meum vobis aperirem. Manet michi 
« mens eadem que fuit in principio ad dandam pacem christianis 
« per renunciacionem, et nullo modo mutata est, nisi forte per 


' Far. : n° 5959, fol. 72 v., exaltacionis. 


CHRONIQUE DE CHARLES Vl. — LIV. XXVIII. — 685 


et à leurs galéres, obtenir qu'il constituát des procureurs irrévocables 
pour céder en son nom, ou qu'il cédát entre les mains de son collége. 
Les commissaires de Grégoire résolurent, d'un commun accord, de 
présenter ces deux voies à leur maitre, et de le supplier instamment 
d'adopter l'une ou l'autre. Les cardinaux, de leur côté, le pressérent 
vivement de donner réponse aux envoyés de Benoit. Il différa encore 
pendant trois jours, au grand mécontentement des ambassadeurs , qui 
étaient justement irrités de se voir jouer ainsi. Grégoire n'imaginait 
tous ces délais et tous ces subterfuges que parce qu'il était forcé dans 
ses derniers retranchements. En effet, ses cardinaux le pressaient de 
confirmer les conventions faites à Marseille avec ses ambassadeurs et 
de partir pour Savone; les Romains l'y engageaient également; c'était 
aussi ce que lui demandaient les envoyés de monseigneur le pape Be- 
noit. En un mot, il n'y avait personne qui ne l'en priát, à l'excep- 
tion de ses neveux, esclaves de la chair et du sang, qui sacrifiaient les 
intéréts de l'Église à leurs intéréts privés et à leur ambition. 


CHAPITRE XXIV. 


Réponse définitive de Grégoire. 


Le 28 juillet, Grégoire manda messeigneurs les évêques de Beauvais 
et de Cambrai, les abbés de Jumiéges et de Moléme, le chancelier 
de l'église de Paris et Jacques de Novian : « J'ai cru, leur dit-il, que 
« je trouverais assistance et consolation dans cette ambassade pour ce 
« qui concerne le traité d'union. Comme vous étes mon unique espoir 
« et que je veux m'appuyer sur vous dans cette oeuvre de conciliation, 
« je vous ai fait appeler pour vous ouvrir mon cœur. J'ai toujours, 
« comme dés le principe, l'intention de donner la paix aux chrétiens 
« par la voie de renonciation ; cette intention n'a point changé, si ce 
« n'est peut-étre qu'elle est encore plus forte qu'auparavant, quels 
« que soient les bruits qu'on répand sans fondement à ce propos. Je 


686 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« augmentacionem, quoscunque rumores sine fundamento dis- 
« seminent nonnulli. Nichil certe aut in facto aut in dicto adhuc 
« in me repertum est, unde possim in hac materia diffamari. 
« Verum quantum ad hunc, locum Saone, de quo concordia 
« facta est, respectu ejus habeo impossibilitatem aut equivalen- 
« tem impossibilitati difficultatem. Per mare sine novo tractatu 
« ire nequeo, quia galeas fidas michi, nec galeas Venetorum, de 
« quibus in tractatu fit mencio, non habeo. Per terram duo 
« itinera intelligo: alterum per Lombardiam, alterum per litus 
« Januense; quorum primum, propter guerrarum ferocitatem, 
« secundum, propter viarum asperitatem et insecuritatem , im- 
« possibile aut difficilimum accipio; quare vellem habere a 
« vobis consolamen. Mee intencionis est appropinquare ad 
« illum dominum Avinionensem , et ire ad Petram Sanctam, 
« vel aliam viam viciniorem alteri obediencie, si qua sit, et ibi 
« tractabo facilius cum eo de modo remediandi circa locum, et 
« faciemus primo preparatoria, deinde cedemus. » 

His dictis, ipso subtieente, verbum suscepit Camaracensis 
episcopus : « Reverendissime, inquit, pater et domine, ad hec 
« dicta vestra non possumus respondere, nisi ea que inter nos - 
« deliberavimus, sed circa ea que tangitis jam firmati sumus, 
« unde dicta vestre reverendissime paternitatis ad tria puncta 
« resolvenda michi videntur. Primo tangitis vestram affectionem 
« ad unionem Ecclesie, secundo difficultates loci Saone, tercio 
« tangitis ingressum novi tractatus, circa quam nobiscum cari- 
« tative vos et aperte loqui vultis. Quantum ad primum , nos 
« credimus adhuc vos habere illam bonam affectionem, quam 
« ab inicio vestre assumpcionis ad hunc statum quaquaversum 
« publicastis ; et si qui rumores in adversum disperguntur, non 
« eredit vestra paternitas illos a nobis exortos, quos pro certo 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 687 
« n'ai donné jusqu'à présent, ni par mes actions ni par mes paroles , 
« aucun.sujet de me calomnier. Quant à l'acceptation du lieu de.Sa- 
« vone, dont on est convenu, il y a pour moi impossibilité ou du 
« moins difficulté équivalente à l'impossibilité. Je ne puis y aller par 
« mer sans un nouveau traité, parce que je n'ai point de galères où 
« je me. croirais en sûreté, et que je ne puis obtenir celles de Venise 
« dont il est fait mention dans le traité. Je sais bien qu'il y a deux 
« routes par terre : l'une par la Lombardie, l'autre par la cóte de 
« Gênes; mais les'fureurs de là guerre d'une part, les difficultés et le 
« peu de sûreté des chemins, d'autre part, les rendent toutes: deux 
« impraticables ou trés dangereuses. C'est pourquoi je voudrais trou- 
« ver en vous quelque consolation. Mon intention est de me rappro- 
« cher du seigneur résidant à Avignon, et d'aller à Pietra-Santa, ou 
« en quelque autre lieu plus voisin de son obédience, s'il y en a; là 
« je traiterai plus facilement avec lui des moyens d'aplanir les obstacles 
« au sujet du lieu de l'entrevue, et aprés avoir expédié les prélimi- 
« naires, nous ferons la cession. » 


Lorsqu'il. eut fini de parler, l’évêque de Cambrai prit la parole : 
« Trés révérend pére et seigneur, dit-il, nous ne pouvons vous ré- 
« pondre autre chose que ce que nous avons arrété entre nous; car 
« notre détermination est déjà prise à l'égard des questions que vous 
« avez touchées. Ce que vient de dire votre révérendissime paternité 
« me semble pouvoir se réduire à trois points : premiérement, votre 
« zèle pour l'union de l'Église; secondement, les difficultés relatives 
« au lieu de Savone; troisièmement, la nécessité d'un nouveau 
« traité. Telles sont les choses sur lesquelles vous voulez que nous 
« vous parlions à coeur ouvert et en toute charité. Quant au premier 
« point , nous ne doutons pas que vous ne soyez encore animé de ce 
« louable zèle, que dés les premiers jours de votre avénement vous 
« avez fait connaître en tous lieux ; et s'il s'est répandu quelques bruits 
« contraires, que votre paternité ne croie pas qu'ils viennent de nous. 
« Non, nous n'en sommes point les auteurs; nous les tenons de ceux 


688 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


^ 


^ 


ab illis de obediencia vestra suscepimus, non peperimus. Ut 
autem circa hec aliqua tangam, per que ad secundum punc- 
tum descendam, duo fuere que nomen vestrum ubilibet et 
presertim in regno nostro reddidere preclarum et celebre; 
primum fuit sancte vestre intencionis frequens et celerrima 
per litteras seu bullas significacio; secundum, confidencia de 
rege nostro per vestros oratores et maxime nepotem, dum 
essemus Aquis, designata. Quantum ad primum, quamcito 
ad hunc statum assumptus fuistis, statim litteris vestris ces- 
sionis viam elegisse ad pacem Ecclesie reddendam signifi- 
castis. Unde tantus amor, tanta caritas erga personam vestram 
in regno Francie concepta est, ut universi gloriosas vestras 
laudes celebrarent. Quantum ad confidenciam, sicut cavetur 
in tractatu, sic eciam ab oratoribus vestris Aquis Provincie au- 
divimus locum Saone sub dominio regio electum, ob confiden- 
ciam singularem quam de rege Francorum partes gerebant. 
Unde expressit nepos vester se a vobis habere in mandatis, 
quod, antequam sine concordia de loco abscederet, Avinio- 
nem aut Gandavum eligeret. Pleraque alia verba dixit sum- 
mam confidenciam sonancia. Unde nos rogavit enixe quatinus 
dominum nostrum non exasperaremus verbis; quanquam 
enim durus repertus esset, tandem tamen cum eo de uno loco 
concordia facta erat. Nec eerte immerito tanta confidencia 
sub pectore vestro gerebatur de rege christianissimo, de quo 
non est a seculo auditum quod pacta fregerit, aut contra 
fidem quovismodo venerit. Et ut ad secundum punctum des- 
cendam, pro Dei misericordia, non concipiatis nunc diffi- 
denciam de rege nostro, de quo tantam prius confidenciam 
habebatis. Et si qua causa fuerit prioris confidencie aut dimi- 
nutiva, aut deletiva, rogamus ut eam nobis apperiatis, et per 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 689 


« mêmes de votre obédience. Avant de passer au second point, nous 
« vous dirons encore à ce sujet que deux choses ont rendu votre nom 
« fameux et illustre dans le monde et particuliérement dans notre 
« royaume : la premiére, c'est la déclaration spontanée de vos saintes 
« intentions, que vous avez renouvelée à plusieurs reprises par lettres 
« ou par bulles; la seconde, c'est cette confiance en notre roi, dont 
« vous nous avez fait donner l'assurance par vos ambassadeurs et sur- 
« tout par votre neveu, pendant notre séjour à Aix. Pour ce qui est 
« de la premiére, vous avez déclaré par lettres, aussitót aprés votre 
« avénement, que vous aviez choisi la voie de cession afin de rendre la 
« paix à l'Église. Vous avez acquis par là tant de titresà l'amour et à la 
« reconnaissance des Francais, qu'il s'est élevé de tous cótés un concert 
« de louanges en votre honneur. Pour ce qui est de la seconde, vos 
« ambassadeurs ont eux-mêmes reconnu à Aix en Provence, comme il 
« est dit dans le traité, qu'on avait choisi le lieu de Savone, qui dé- 
« pendait de la souveraineté du roi, en raison de la confiance singu- 
« liére que les parties avaient dans le roi de France. Votre neveu a 
« dit à cette occasion qu'il avait ordre de votre part d'accepter Avi- 
« gnon ou Gand plutót que de partir sans avoir conclu un accord sur 
« ce point. Que ne nous a-t-il pas dit encore pour nous assurer de cette 
« confiance? Il nous a méme priés avec instance d'user de ménagement 
« envers notre seigneur Benoit; car, a-t-il ajouté, malgré toute son 
« obstination, on l'avait enfin amené à tomber d'accord sur le lieu d'une 
« entrevue. Ce n'est pas sans raison que vous aviez une telle confiance 
« dans le roi trés chrétien, qui n'a jamais enfreint un traité ni manqué 
« à sa parole. Passant de là au second point, nous vous conjurons, 
« par la miséricorde de Dieu, de ne point vous défier maintenant d'un 
« prince en qui vous mettiez auparavant toute votre confiance. Si 
« quelque circonstance a diminué ou détruit cette confiance, veuillez 
« nous en faire part; nous espérons, par la gráce de Dieu, vous donner 
« à cet égard pleine et entiére satisfaction. Quant à ce que vous dites 
« des difficultés au sujet de Savone, vous aurez des galéres, si vous 
« le voulez; vous pouvez, en tout cas, y aller par terre. Plàt au ciel 
« que vous eussiez vu ce lieu de Savone! Je ne doute pas que vous 
HI, 87 


690 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« Dei graciam plene satisfaciemus. Quod tangitis difficultates 
« loci Saone, si velitis, galeas habebitis; per terram eciam ire 
« potestis. Et utinam locum ipsum Saone vidissetis! Non dubito 
« quin ydoneum ad pacem faciendam judicaretis. Quantum 
« autem ad tercium, de novo tractatu, animadvertat , obsecro, 
« vestra paternitas , nos esse legatos unius regis, tractatum hunc 
« habitum inter dominum nostrum papam et vestros oratores 
« jn absencia nostra ; quare nemo diceret nos aliquid immutare 
« posse. Preterea nonne dominus papa ejusque legati jure cau- 
« sari possent, si alium tractatum ingrederemur, nos unionem 
« rupisse, et nisi fuissemus qui novi tractatus mencionem audi- 
« remus, melius sibi responsum datum fuisse? Detis celeriter 
« responsum his legatis, et tunc, si quid facere possumus unioni 
« gratum et in obsequium persone vestre, nos paratissimos 
« invenietis; sed ante responsionem aliud facere non possumus, 
« et ita inter nos deliberavimus, nec aliud respondeo preter id 
« quod certis racionibus inter nos firmatum est. Rogamus ergo 
« vos instantissime ut stetis ac perseveretis in tractatu concor- 
« dato, quem aprobastis per litteras vestras Saone directas, 
« quarum habemus copiam , ubi oblaciones eorum acceptas, et 
« hiis uti vultis. Quid, obsecro, dicet mundus, si jam approbata 
« a vobis tam aperte nunc recusetis? » 

Tunc Gregorius, quantum ad confidenciam replicans, dixit 
se prius plenissimam in rege habuisse, minutam vero, post- 
quam litteras legatorum principales legisset, in quibus excludi 
videbantur temperaciones ante cessionem per illam clausulam 
insertam : sine tractatu preparacionum. Tunc responsum fal- 
sam ac corruptam habere copiam; non illic esse sine tractatu 
sed sine tractu, quod nimiam prolixitatem designat; et hoc 
plane in eorum exemplaribus contineri, ex quibus veritas 


CHRONIQUE DE CHARLES VE — LIV. XXVIII. 691 


« ne l'eussiez jugé convenable pour la conclusion de la paix. Quant au 
« troisiéme point, c'est-à-dire à un nouveau traité, que votre pater- 
« nité veuille bien considérer que nous ne sommes que les ambassa- 
« deurs du roi , et que ce traité a été conclu , en notre absence, entre 
« notre seigneur le pape et vos députés. On ne peut donc pas dire qu'il 
« nous soit permis d'y rien changer. En outre, si nous consentions à 
« entamer un nouveau traité, monseigneur le pape et ses envoyés ne 
« pourrarent-ils pas à bon droit nous reprocher d'avoir rompu l'union, 
« et alléguer que, si nous n'avions pas été ici pour entendre de nou- 
« velles ouvertures, ils aurajent obtenu une meilleure réponse? Don- 
« nez donc promptement réponse à ces envoyés, et alors vous nous 
« trouverez tout préts à faire en faveur de l'union tout ce qui dé- 
« pendra de. nous et tout ce qui pourra vous étre agréable; autre- 
« ment nous ne pouvons rien faire. Voilà ce qui a été arrété entre 
« nous, et je ne fais que vous répéter ici ce que nous avons résolu 
« d'un commun accord aprés mûre réflexion. Nous vous prions donc 
« avec instance de persévérer fermement dans le traité conclu, auquel 
« vous avez donné votre approbation par vos lettres adressées à Sa- 
« vone, dont nous avons copie, et où vous déclarez que vous acceptez 
« les offres qui vous sont faites, et que vous voulez en profiter. Que 
« dirait le monde, je vous le demande, si vous rejetiez aujourd'hui ce 
« que vous avez déjà si publiquement approuvé ? » 


Grégoire répliqua qu'il était vrai qu’il avait eu une confiance pleine 
et entière dans le roi, mais que cette confiance était diminuée depuis 
qu'il avait lu les lettres principales des ambassadeurs, dans lesquelles 
on semblait exclure tout arrangement préliminaire par cette clause : 
sine tractatu preparationum. On lui répondit que la copie qu'il avait 
de ces lettres était fausse et altérée, qu'il n'y avait pas sine tractatu , 
mais sine tractu , ce qui signifiait sans trop de retard ; que les copies - 
qui étaient entre leurs mains le portaient ainsi et qu'on pourrait s'en 
assurer; que le sire de Novian , qui les avait écrites, était présent, et 


692 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


sciri *; adesse de Noviano, qui eas scripserat ; nec esse ymagi- 
nandum tot scientifici et circumspecti viri , quot fuerunt in con- 
silio Ecclesie gallicane, ita deerrasse ut preparaciones negarent. 

Aliud in litteris arguebat, quia videbantur Benedicto vio- 
lenciam inferre ut cederet, arguendo : « Quid de me facient , cui 
« non obediunt, cum ei vim inferant cui obediunt? » quare judi- 
care se potenciam regiam non in hac parte uti racione, et ideo 
non tutum se sibi submittere. Responsum hanc clausulam in 
litteris adjectam in ejus favorem contra dominum Benedictum, 
quem multi credebant viam cessionis non concessurum; condi- 
cionalis eciam erat, nec dubitabatur quin ipse Gregorius parato 
cederet animo. Quo casu supposito dicebatur, quod, si Bene- 
dictus cedere recusaret, viso anteriori ejus ad cessionem jura- 
mento, reputandus esset scismaticus et membrum Ecclesie pu- 
tridum; et hoc omnes faventes eidem confitebantur, et hoc ipse 
eciam non negabat, pluries asserendo : « Quid petunt isti homi- 
« nes? Ecce enim tempus convencionis instat, ubi si facturus sim 
« quod promisi , non habent conqueri; si minus, me ut voluerint 
« prosequentur. » 

Addidit Gregorius eos non debuisse eum ad viam cessionis 
artasse, cum sint alie vie per quas poterat unionem reddere, 
et hec non sit juridica, nec a se accepta tanquam bona, sed 
tanquam via pie condescencionis propter maliciam temporum. 
De via cessionis Camaracensis dixit, quod, absolute loquendo, 
in papam via cessionis non est juridica , quantum ad jus huma- 
num, sed consideratis circumstanciis presentis scismatis, cui 
nunquam fuit simile in diuturnitate, considerato preterea jura- 
mento ad cedendum prestito, utique juridica est, eciam jure 
humano et divino. Consensit Gregorius : « Si, inquit, viderent 


' IL faut supposer ici l'omission du mot possit. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 693 


qu'on ne pouvait imaginer que des hommes aussi sages et aussi éclairés 
que l'éaient les membres du concile de l'Église gallicane, eussent 
commis une telle faute que de refuser les préliminaires. 


Grégoire objectait encore que les lettres semblaient faire violence 
à Benoit pour l'obliger à céder : « Que feront-ils de moi, à qui ils 
« n'obéissent point, disait-il, s'ils font violence à celui auquel ils obéis- 
« sent ? » Il pensait donc que le roi abusait de sa puissance en cette occa- 
sion, et qu'il n'était pas prudent de s'y soumettre. On lui répliqua que 
cette clause avait été ajoutée en sa faveur contre monseigneur Benoit, 
que l'on croyait peu disposé à accorder la voie de cession ; que d'ail- 
leurs cette clause était conditionnelle, et qu'on ne doutait point que lui 
Grégoire ne cédát très volontiers; que, cela suppasé, il avait été dit 
que , si Benoit refusait de céder, malgré le serment qu'il en avait fait 
antérieurement , il serait regardé comme schismatique et comme un 
membre pourri de l'Église; que c'était le sentiment de tous ceux de 
son parti, et que lui-même ne le niait point, puisqu'il avait dit plu- 
sieurs fois : « Que demande-t-on? Voici le temps de l'entrevue qui 
« approche. Si je fais ce que j'ai promis, ils n'auront pas à se plaindre 
« de moi; sinon, ils auront toute liberté de me poursuivre. » 


Grégoire ajouta qu'on n'aurait pas dà le contraindre à la voie de 
cession, qu'il pouvait rétablir l'union par d'autres voies; que d'ailleurs 
cette voie n'était point conforme au droit, qu'il ne l'avait pas acceptée 
comme bonne, mais par condescendance , eu égard à la perversité du 
siécle. L'évéque de Cambrai convint qu'absolument parlant la voie 
de cession n'était point une voie juridique contre le pape selon le droit 
humain, mais que, vu les circonstances du présent schisme, dont la 
durée était sans exemple, et vu le serment que les deux compétiteurs 
avaient fait de céder, elle était juridique , méme selon le droit humain 
et divin. Grégoire ayant accordé ce point : « Si les chrétiens, reprit 
« l’évêque, voyaient où est le bon droit, j'avoue que le véritable pon- 
« tife ne devrait pas céder; mais comme dans ce schisme la vérité 


694 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« christiani ubi jus esset, fateor verum pontificem cedere non 
« opportere; sed quoniam in hoc seismate eciam oculatissimis 
« veritas occulta est, ideo jure cedendum est, esto eciam quod 
« nec juramentum nec votum precessissent. » 

Alleguabat rursus in Francia diversos esse principes, et si 
quis ab uno salvum conductum habeat, non propter boc apud 
alium tutum esse; nuper captum esse legatum Lendislai, fracto 
salvo conductu quem habebat. Responsum omnes principes 
Francie zelatores unionis , et in hac parte summopere sibi fau- 
turos; non esse auditum ab inicio reges Francie salvos suos 
conductus fregisse; legatum aut non habuisse, aut tempus 
elapsum. 

De galeis januensibus mencionem faciens, quia in eis non 
confidebat, responsum est se posse in eis confidere melius 
quam in Venetorum galeis. De securitate gubernatoris Januen- 
sis, Camaracensis meritis laudibus eum attollens, et de fidelitate 
. commendens, obtulit se carcerem tenere, si ipse fidem fran- 
geret; et se certo scire quod Saone Gregorius securius sine 
armatis maneret, quam Rome cum armatis; nec esse alium prin- 
cipem sub cujus dominio tanta possit haberi securitas, sicut 
erat rex Francorum. Cucurrit inde ad obediencie sue honesta- 
tem; ubi responsum est cum multis legatis principum obedien- 
cie sue esse loquutos et cum aliis diversis; nunquam. audisse 
in ‘ quoquam inhonestum esse quod Gregorius Saonam peteret, 
qui locus in obediencia sua non esset. Animadvertere poterat 
quod, si sibi inbonestum esset ad eorum obedienciam pergere, 
et Benedicto eciam ad suam; sic pacem nunquam habendam. 

Tunc rogare legati ceperunt ut urbe excederet, in qua multi 
egrotarent. Respondit id se summe cupere, rogare eos ut adju- 


' Far. : n° 5959, fol. 75 v., a quoquam. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVHI. — 695 


« échappe aux yeux des plus clairvoyants, il faut céder de droit, quand 
« méme on n'y serait engagé ni par serment ni par vOeu. » 


Grégoire allégua encore qu'il y avait en France tant de princes 
divers, qu'un sauf-conduit donné par l'un n'était point pour cela un 
gage de süreté chez l'autre; qu'on avait naguére fait prisonnier un 
envoyé de Ladislas, au mépris du sauf-conduit qu'il avait obtenu. On 
lui répondit que tous les princes de France étaient partisans zélés de 
l'union et le seconderaient de tout leur pouvoir en cette circonstance; 
qu'il était inoui que les rois de Frauce eussent jamais violé leurs sauf- 
conduits; que vraisemblablement ledit envoyé n'en avait point eu, ou 
que son sauf-conduit n'était plus valable. | 

Grégoire ayant dit ensuite, au sujet des galéres génoises, qu'il ne 
s’y fiait point , on l'assura qu'il pouvait s’y fier plutôt qu'aux galères de 
Venise. À ce propos, l’évêque de Cambrai, parlant de la sécurité que 
devait inspirer le gouverneur de Génes, fit un pompeux éloge de sa 
personne, vanta beaucoup sa fidélité, et offrit de se constituer lui- 
méme prisonnier, si ledit gouverneur manquait à sa parole. Il ajouta . 
qu'il était convaincu que Grégoire trouverait plus de süreté à Savone 
sans gardes qu'à Rome au milieu de ses gens de guerre, qu'il n'y avait 
pas de prince qui pt lui offrir plus de garanties que le roi de France. 
Grégoire prétexta de nouveau l'honneur de son obédience ; on lui ré- 
pondit qu'on en avait souvent conféré avec plusieurs ambassadeurs des 
princes de son obédience et avec beaucoup d'autres, et qu'on ne leur 
avait jamais entendu dire qu'il y eût quelque déshonneur pour Grégoire 
à se rendre à Savone, quoique ce ne fût pas un lieu dépendant de son 
obédieuce; qu'il devait songer que, s'il était déshonorant pour lui de se 
rendre dans un lieu dépendant d'une autre obédience, Benoit pourrait 
en dire autant de son côté, et qu’ainsi l'on n'arriverait jamais à la paix. 

Alors les ambassadeurs le priérent de sortir de Rome, où il y avait 
beaucoup de malades. Il les assura qu'il en avait le plus vif désir et les 
conjura de l'aider en cela. Ils promirent de le faire, mais à condition 
qu'il expédierait d'abord les ambassadeurs du pape, parce que tant de 


696 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


varent. Dictum quod libenter facerent, sed prius legatos pape 
expediret; diffamari enim eum, quia in respondendo taliter 
procrastinaret. In finalibus autem dixit se iturum ad Petram 
Sanctam, et ibi cum adversario suo tractaturum. Rogaverunt ut 
acceleraret. Tum cum largo amaroque fletu defluxit, ut legatos 
pro magna parte ad fletum incitaret, et vix pre lacrimis lo- 
qui posset. « Dabo, inquit, vobis unionem, non dubitetis, et 
« tantum faciam quod ero dilectus a rege Francie et toto regno; 
« et rogo vos ut me non deseratis, sed aliquos ex vestris in 
« parvo numero michi detis, qui meum comittentur iter et me 
« consolentur. » Rursum dictum Gregorio, quod in casu mortis 
providere vellet. Respondit rem esse arduam, et nichil temere 
determinandum in hac parte; velle se aliquos ex eis habere, 
qui eum in hoc adjuvarent. 


CAPITULUM XXV. 


De recessu legatorum pape et regis Francie. 


Gregorius excusaciones frivolas prius tactas et fundatas 
super denegacione urbis Saone, galearum eciam januensium 
diffidencia, pestifera eciam nunc mortalitate inchoante, domino 
Benedicto misit , et sub instrumento publico, nunciis ejus vale 
dicto. Quod audientes nuncii regis Francie et Universitatis 
Parisiensis, quosdam de suis miserunt Parisius, qui que facta 
Rome fuerant regi nunciarent, et quosdam ad Benedictum qui 
per Januam transeuntes, ipsis Januensibus enarrarent quam 
securitatem Gregorio obtulerant, in casu quo eorum galeas in- 
gredi sibi placeret. Hec eis dicenda statuerunt cum summis lau- 
dibus et graciarum actionibus, quoniam optime et tanquam 
sinceri ac devoti christiani suas partes, in hiis que ad unionem 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 697 


retards commencaient à lui faire du tort. Il déclara en finissant qu'il 
irait à Pietra-Santa , et que là il traiterait avec son adversaire. Comme 
ils le priérent de se háter, il se prit à pleurer si amérement, qu'il 
arracha des larmes à la plupart des ambassadeurs, et qu'il fut presque 
suffoqué lui-même par les sanglots : « Oui, dit-il, je vous donnerai - 
« l'union, n'en doutez-pas, et je ferai tant, que j'obtiendrai l'affection 
« du roi de France et de tout son royaume. Je vous supplie de ne pas 
« m'abandonner, et de me laisser quelques uns d'entre vous pour 
« m'accompagner en route et pour me consoler. » On l'engagea de 
nouveau à faire la provision demandée en cas de mort. Il répondit que 
c'était une chose difficile, qu'il ne fallait point prendré à cet égard 
de détermination précipitée, qu'il voulait avoir auprés de lui quelques 
uns d'enjre eux pour l'assister dans cette affaire. 


CHAPITRE XXV. 


Départ des ambassadeurs du pape et de ceux du roi de France. 


Grégoire congédia les envoyés de monseigneur Benoit, et leur remit 
pour lui un écrit en forme authentique, contenant les raisons frivoles 
qui ont été ci-dessus alléguées, c'est-à-dire le refus qu'il faisait de la 
ville de Savone, sa défiance des galéres de Génes, et la contagion qui 
commençait à exercer ses ravages. À cette nouvelle, les ambassadeurs 
du roi de France et de l'Université envoyèrent à Paris quelques uns des 
leurs pour informer le roi de ce qui s'était passé à Rome ; d'autres 
partirent en méme temps pour se rendre auprés de Benoit. Ils de- 
vaient, en passant par Génes, faire connaitre aux Génois les süretés 
qui avaient été offertes à Grégoire, au cas qu'il eüt voulu accepter 
leurs galéres. Ils s'acquittérent de cette mission, et adressérent aux 
Génois de grands éloges et de vifs remerciments, parce qu'ils avaient 
rempli leurs devoirs, en ce qui concernait l'union, comme de bons 
et véritables chrétiens, et de manière à mériter les éloges de la posté- 

Il. | 88 


698 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


pertinebant, exequuti fuerant, ita ut laudandi essent perpetuo 
et in cronicis commendandi. Tunc et rogatus gubernator ut 
cum legatis dominum Benedictum visitaret ad promocionem 
cause, benigne annuit, omnia se enixe cupideque facturum 
pollicitus que huic cause profutura viderentur. Hortatus est 
insuper ut accelerarent, quia talis erat materia que omnes 
moras respuat. | 

Recessum autem audiens nunciorum, Tudertinus gemebun- 
dus pene et tristis propter mutacionem domini sui enarravit 
quam lete, quam grate Parisius susceptus fuerat cum collega 
suo, quomodo quidquid petivit obtinuit, quomodo omnia illa 
pacata erant, quoad usque venerunt littere legatorum scripte 
Janue in recessu galearum de immutacione voluntatis Gregorii, 
ubi omnia tempestuosa. Scitum tunc duos Venetos, inercatorem 
unum, alterum scolarem, primum de Unatis, secundum de 
Contareno nomine, scripsisse Gregorio ne in galeis confideret 
nec in gubernatore Janue, et, si Saonam veniret, captivus deti- 
neretur. Interrogatus mercator circa hoc, constanter aut perti- 
naciter se ita scripsisse confessus est, et adhuc scripturum, si 
non scripsisset; optime se fecisse, cum dominum suum ex peri- 
culo liberasset. Interrogatus Tudertinus circa factum galearum, 
quoniam tunc nepos negaverat se ab eis petisse galeas armari, 
quia in iliis spes esset avunculum suum de eis confidentem 
Saonam venturum, sed ut liberaretur e manibus populi cum 
quo tunc inimicicie sibi erant, asseruit constanter se missum 
Aquis cum duplici mandato, generali quod coram omnibus, 
speciali quod coram patriarcha, Meldensi et Borrescario expli- 
cuit. Id speciale erat, non facile nec cito a Venetis posse galeas 
haberi; scire se avunculum plane confisurum de galeis; termi- 
num convencionis anticipandum, si ad ejus usum galeas armari 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 699 


rité. Ils priérent aussi le gouverneur de se joindre à eux pour aller 
trouver monseigneur Benoit dans l'intérét de l'affaire. Ledit gouver- 
neur y consentit volontiers, et promit de faire avec zèle et empresse- 
ment tout ce qui pourrait contribuer au succès de leur mission. I] les 
invita en outre à se háter, parce que la chose ne devait souffrir aucun 
retard. 


En apprenant que les ambassadeurs allaient partir, l’évêque de 
Todi , vivement affligé du changement de Grégoire, se rendit auprès 
d'eux, et leur raeonta presque en pleurant que son collégue et lui 
avaient recu à Paris l'accueil le plus flatteur, qu'ils avaient obtenu 
tout ce qu'ils avaient demandé, et que toutes choses semblaient favo- 
rables à la paix, lorsque étaient arrivées les lettres que les ambassa- 
deurs avaient écrites de Génes au départ des galéres, pour annoncer 
que Grégoire avait changé de dispositions, et que depuis tout était 
en désarroi. On avait appris alors, ajouta-tl, que deux Vénitiens, 
nommés de Unatis et Contareno, l'un marchand, l'autre écolier, 
avaient écrit à Grégoire de ne se fier ni aux galères ni au gouverneur 
de Gênes, en l'avertissant que, s'il se rendait à Savone, on ]e retien- 
drait prisonnier, Le marchand, questionné à ce sujet, avait déclaré 
hautement et obstinément qu'il avait bien réellement écrit cela, qu'il 
l'écrirait encore, s'il ne l'avait pas fait, et qu'il se félicitait d'avoir agi 
ainsi, puisqu'il avait sauvé son seigneur d'un danger certain..On inter- 
rogea l’évêque de Todi sur le fait des galères; ear le neveu de Grégoire 
avait dit que, s'il avait demandé aux ambassadeurs de faire équiper 
des galères, ce n'était point dans l'espoir que son oncle y aurait con- 
fiance et s'en servirait pour aller à Savone, mais dans le dessein de le 
tirer des mains du peuple qui l'avait pris en aversion ; il avait con- 
stamment affirmé qu'il avait été envoyé à Aix avec un double mandat, 
l'un général et l'autre particulier, et qu'il avait exposé le premier en 
présence de tous , le second en présence du patriarche , de l'évéque de 
Meaux, et de Borresquier. Or ce mandat particulier portait qu’on ne 
pourrait avoir ni facilement ni vite des galéres de Venise, que le neveu 


700 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


juberent. Item asseruit Tudertinus sibi in egressu suo dixisse 
Gregorium quod audaciter ‘ significaret se omnem confiden- 
ciam de galeis habiturum. 


CAPITULUM XXVI. 


Rogant iterum legati Gregorium ut Ecelesiam ad unionem reducit. 


Cum dominus patriarcha et legatorum major pars Januam 
attigissent, omnium consensu unanimi epistolam monitoriam 
ad pacem Ecclesie, eleguanti stilo editam a viro venerabili et 
sciencia claro magistro Jacobo de Noviano, qui et processum 
pretactum lacius quam scripserim dedit, Gregorio iterum 
ipsiusque tenorem collegis qui remanserant Rome, Tudertino 
quoque et Antonio de Bytrio, die vicesima secunda augusti, 
mittere decreverunt. Hanc autem quasi summatim perstringens, 
ne compendio officiat quod studiose quero, super securitati- 
bus oblatis sic in substancia scribebant : 

« Excellentissime domine, humili ac fideli in pacis labore 
« obsequio impendente compellimur, nunc postquam Januam 
« reversi sumus, excellencie vestre perscribere eodem zelo pacis 
« optatissime, quo Rome stimulati viva voce plurima ad extir- 
« pacionem detestandi scismatis hortamenta protulimus. Ubi 
« primum que ad suscitacionem delete ex magna parte fiducie 
« ex vestro pectore suffragari convenit, ut a rege nostro chris- 
« tianissimo, a gubernatore Janue, a Januensibus, Saonensibus 
« et Gallicis omnibus nichil periculi formidetis, placet edisse- 
« rere. Scriptas nobis litteras regias comperimus, quibus affir- 
« mat fide tanti talisque regis, se vestram personam totumque 


' Far. : n° 5959, fol. 74 r., audacter. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 701 


savait que son oncle aurait pleine confiance dans celles qu'on lui four- 
nirait, et qu'il devancerait le terme fixé pour l'entrevue, si l'on en 
faisait armer pour son usage. L'évéque de Todi affirma aussi que Gré- 
goire lui avait dit, au moment de son départ, qu'il pouvait déclarer 
hardiment qu'il aurait toute confiance dans les galéres. 


CHAPITRE XXVI. 


Les ambassadeurs prient de nouveau Grégoire de rétablir l'union de l'Église. 


Lorsque monseigneur le patriarche et la plupart des ambassadeurs 
furent arrivés à Génes , ils résolurent , d'un commun accord, d'adresser 
une lettre à Grégoire pour l'engager de nouveau à rétablir la paix 
dans l'Église. Cette lettre, élégamment rédigée par un vénérable et 
docte personnage, maître Jacques de Novian, contenait tout au long 
l'exposé de l'affaire, dont je n'ai point donné tous les détails. Ils en 
transmirent une copie, le 22 août, à ceux de leurs collègues qui étaient 
restés à Rome, ainsi qu'à l'évéque de Todi età Antoine de Butrio. Je 
me bornerai à rappeler sommairement cet exposé, afin de ne pas me 
départir de la briéveté dont je me suis fait une loi. Voici ce qu'ils 
mandaient à Grégoire au sujet des süretés qui lui avaient été offertes : 


« Très excellent seigneur, notre humble et fidele dévouement au 
« bien de la paix et notre zéle constant pour l'union tant souhaitée 
« nous font un devoir d'écrire à votre excellence, maintenant que nous 
« sommes revenus à Gênes, pour l'exhorter à déraciner ce déplorable 
« schisme, comme nous l'avons fait de vive voix à plusieurs reprises, 
« pendant que nous étions à Rome. Nous chercherons d'abord à ré- 
« veiller dans votre coeur la confiance qui en est presque entiérement 
« bannie, et à vous convaincre que vous n'avez rien à craindre de notre 
« roi trés chrétien, du gouverneur de Génes, des habitants de Savone 
« et des Francais. Nous avons trouvé ici des lettres du roi à nous 
« adressées, dans lesquelles ce grand prince affirme sur l'honneur 
« qu'il prendra sous sa protection votre personne , vos gens et tous vos 
« biens; que, quelque événement qui puisse survenir, il ne souffrira 


702 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


^ 


comitatum cum omnibus suis bonis in suam protectionem 
suscepturum ; deinde pro quacunque novitate que possit emer- 
gere, nullatenus passurum vos in personis aut rebus quovis- 
modo ledi, dampnificari, perturbari aut impedimento affici; 
preterea jussisse se de novo confici salvum conductum pro 
vestra dominacione cum tribus milibus personis. Cupit enim 
rex optimus et religionis cultu clarissimus toti mundo mani- 
festum esse jocundissimos fructus quesite unionis nulla ex 
parte suo defectu retardari. Quis existimaret, queso, tantum 
regem tamque claris majoribus ortum, ex integra caritate 
pacis adjumenta proferentem, velle vos fallere? Ubi, si sal- 
vum tueatur, uberrimos Ecclesie fructus, sibi vero maximam 
gloriam ; si fallat, nichil emolumenti, sed plurimum dedeoo- 
ris se consequturum non ambigit. 

« Nostri eciam principes generosi et universi sui subditi, 
longo ad pacem labore hactenus finem suum non adepto fati- 
gati, tanto scismatis tedio ad unum conficiuntur, tantoque 
ardore ad unionem inardescunt, ut eam nemo sincero pectore 
querere aut diligere videatur, quin fidissima mente complec- 
tendus et contra adversancium omnium incursus protegendus 
viriliter judicetur. Quid? Ipse gubernator, gloriosa per totam 
Ytaliam predieacione commendatus, qui more generosorum 
militum nichil fert molestius quam de sua fide sine causa tan- 
topere dubitari, utrum putandus est ausurus ei fidem frangere 
quem rex sub sua fide protegendum acceperit? Quid deinde 
Januenses ipsi atque Saonenses , qui tam expromptas operas 
suas obtulerunt, qui legati mox post tractatus concordiam ad 
vos profecti , cum gaudio, rem peractam existimantes, reversi 
sunt, qui laboribus et impensis minime pepercerunt, qui se 
imperata vestra facturos fide bona promiserunt ? Quis jam ex 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 703 


« point qu'il vous soit fait aucun mal, dommage, préjudice ou tort 
« quelconque soit dans vos personnes soit dans ce qui vous appartient ; 
« que de plus il a ordonné qu'on dressát un nouveau sauf-conduit pour 
« votre seigneurie et pour trois mille personnes de votre suite. Ce 
« bon roi, si renommé pour sa piété, désire que le monde entier soit 
« bien persuadé que ce n'est pas à lui qu'on doit imputer les retards 
« apportés à l'accomplissement de l'union tant souhaitée. Qui croi- 
« rait, je vous le demande, que ce glorieux monarque, issu de si 
« illustres aieux, a l'intention de vous tromper, lorsqu'il vous offre 
« en toute charité de vous aider à rétablir la paix? Ne sait-il pas qu'en 
« vous protégeant il procure de précieux avantages à l'Église et aug- - 
« mente sa gloire, et que, loin de gagner quelque chose à vous trom- 
« per, il n'en peut retirer que du déshonneur? 


« Nos généreux princes et leurs sujets, désespérés des longs et in- 
« fructueux efforts qu'on a faits jusqu'à présent pour la paix, sont tel- 
 « lement fatigués de la durée du schisme, et animés d'un tel zéle pour 
« l'union, qu'ils sont préts à embrasser avec chaleur les intéréts de tous 
« ceux qui leur paraissent chercher et désirer sincèrement la paix, et 
« qu'ils croient devoir les protéger énergiquement contie les attaques 
« de tous leurs ennemis. Peut-on supposer que le gouverneur de Gênes, 
« qui jouit d'un si glorieux renom dans toute l'Italie, qui, comme 
« tout brave et loyal chevalier, ne saurait endurer qu'on élevát le: 
« moindre doute sur son honneur, ose attenter à la personne de celui 
« que le roi aurait pris sous sa sauvegarde? Qu'avez-vous à redouter des 
« Génois eux-mémes et des habitants de Savone, qui vous ont offert 
« leurs bons offices avec tant d'empressement, et dont les députés, 
« envoyés vers vous aprés la conclusion du traité, ont témoigné tant de 
« joie à leur retour, parce qu'ils croyaient l'affaire terminée? Vous 
« savez qu'ils n'ont épargné ni peines ni dépenses et qu'ils ont promis 
« de bonne foi d'exécuter vos ordres. Après cela, votre seigneurie 
« ne doit-elle point bannir toute crainte de son cœur, si elle est bien 


704 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« his non videat opportere vestram dominacionem, si Saonam 
« accedere in animo fixum habuerit, omnem periculi metum 
« deponere , nec vero vos Rome, frequentibus motibus inquiete, 
« tucius aut magis in vestra libertate potestateque futurum, 
« quam in galeis nostris aut Saone, eciam si nulle a nobis dan- 
« dorum obsidum securitates oblate fuissent? At vero, ne quo- 
« minus veniretis per nos aliqua ex parte stare videretur, quam 
« multa ad securitatem obtulimus! Tacemus enim peccuniarum 
« galearumque oblaciones in paupertatis revelacionem factas. Si 
« galeis liberaliter oblatis utendum judicaretis, obtulimus ob- 
«sides, centum Januenses, quinquaginta Saonenses cives ex 
« notabilibus. Obtulit dominus gubernator proprium nepotem 
« duosque milites, et claros et sibi precaros. Obtulere capitanei 
« patronique galearum carissimos filios. Quid plura? obtulimus 
« eciam nosmet ipsos. Estne, queso, major ulla securitas quam 
« possint mortalibus mortales prestare? Ecce in mediis armis, 
« dum, excandescente ira, ferro ac incendio, dire strages edun- 
« tur, obsidibus hujusmodi intro citroque datis ac receptis, 
« mutua fidencia * adeo concipitur, ut jam libere alteri ab alte- 
« ris, veluti pace composita, adeantur. 

« Áttamen inhoneste forte existimastis obediencie vestre 
« futurum vos nostro fretum adjutorio in obediencia aliena 
« pacem componere, quasi minus esset nobis inhonestum illam 
« componi in dicione vestra, tanto si splendore tanti boni 
« quantum queritur obscurari opportere has minutas decencias 
« arbitremur, et caritatem recte sursum evolantem omnia hec 
_« terrena aspernari non dubitemus. Et si ad veritatem loquen- 
« dum sit, quid est honestius , obsecramus, vobis obediencieque 
« vestre, utrum vos non sepulto scismate diu presidere, aut 

' Far. : n° 5959, fol. 74 v., relevacionem. * Var. : n° 5959, fol. 75 r. , fiducia. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 705 


sincérement résolue à se rendre à Savone ? Vous ne sauriez être plus 
en sûreté dans la ville de Rome, qui est sans cesse agitée par des 
soulèvements, vous n'y jouirez pas de plus de liberté et d'indépen- 
dance que sur nos galères ou à Savone , quand méme nous ne nous 
serions point engagés à vous donner des otages. Mais quelles süre- 
tés ne vous avons-nous pas offertes , afin qu'on ne püt nous repro- 
cher d'avoir empéché en quoi que ce soit que vous ne vinssiez! Nous 
ne parlons pas de l'argent et des galéres que nous avons mis à votre 
disposition, pour subvenir à votre dénuement. Nous avons offert, 
au cas que vous voulussiez faire usage de nos galéres, de vous don- 
ner en otage cent Génois et cinquante citoyens de Savone des plus 
notables. Monseigneur le gouverneur a offert son neveu et deux il- 
lustres chevaliers de ses amis. Les capitaines et les patrons des galéres 
vous ont offert leurs propres fils. Enfin, nous nous sommes offerts 
nous-mêmes. Je vous le demande, quelles plus grandes süretés des 
hommes peuvent-ils donner à leurs semblables? Lorsque deux camps 
ennemis échangent ainsi des otages entre eux , au milieu du bruit des 


armes et de la fureur des combats , au milieu de l'inceudie et du car- 


nage, ne voit- on pas s'établir de part et d'autre une telle confiance 
que l'on s'aborde sans crainte, comme si la paix était déjà conclue? 


« Mais peut-étre avez-vous pensé qu'il y aurait quelque déshonneur 
pour votre obédience, si vous veniez faire la paix avec notre assistance 
dans une obédience étrangére. Ne pourrait-on pas dire qu'il est aussi 
déshonorant pour nous que la paix soit faite dans un lieu de votre 
dépendance? L'éclat d'un bien tel que celui que nous cherchons ne 
doit-il pas faire pálir ces mesquines considérations d'amour-propre, 
et la charité ne doit-elle point mépriser les vanités de ce monde pour 
élever ses regards vers le ciel? À vrai dire, qu'y a-t-il de plus hono- 
rable pour vous et pour votre obédience, ou que vous conserviez 
long-temps le pouvoir sans avoir étouffé le schisme, ou que vous 
assuriez promptement la paix dans une autre obédience ? Nous 
avons entendu ceux de votre obédience poser cette question moins 


III, 89 


706 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


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pacem cicius in aliena reddere? Diffinitam audivimus ab obe- 
dientibus vestris presentem questionem non tam raciocina- 
cionibus quam querulosis gemitibus ex hoc fonte emanen- 
tibus, quod Saonam respuendo, dum longius a promissis 
approbatis abhorrere videmini, spem unionis celeris probe 
conceptam e suis mentibus elicitis. 

« Sed dicitis vos Saonam accedere non posse, quoniam 
patrimonium Ecclesie, luporum faucibus expositum, mox a 
potencia terra marique tremenda hostiliter invadetur. Nos 
autem querimus, si Venetorum galee presto vobis affuissent, 
nonne Saonam venissetis ? Quomodo tum patrimonium 
Ecclesie hoc formidato preripuissetis? Modo vero, cum sub 
securitatibus certis adhuc Saonam vos venturum offeratis, 
quomodo antedicto periculo occurritis ? 

« Sed aliam adhuc responsionem videmus, metu pestilencie 
Saone locum vobis infestum esse. Gracias agimus, optime 
Jhesu, cujus divina providencia ad hunc diem ab omni aeris 
vicio Saonam tutam protexit, ne qui Ecclesie tüe pacem in eo 
loco dare non modo possunt, sed debent, aeris corrupcione 
impediti, alium locum in prejudicium unionis querere com- 
pellantur. | | 
« His intellectis , reverendissime pater, que jam pene chris- 
tianis omnibus in ore sunt, pauci admodum inveniuntur, qui 
racionem vestram de recusacione Saone deffendendam susci- 
piant; neque multi mirantur, si legati domini nostri pape in 
suo a vobis discessu de vestris responsis plane male se con- 
tentos publice protestati sunt, si nos post tot exhortaciones, 
tot oblaciones, tot caritativos labores repulsam habuisse gra- 
viter ac iniquo animo tulerimus , presertim cum audiant non 
per Romanos, quod plerique metuerant, vos a Saona revoca- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 707 


« pour la discuter que pour se plaindre amérement de ce qu'en reje- 
« tant le lieu de Savone et en paraissant peu disposé à remplir les 
« engagements que vous aviez pris, vous arrachez de leur cœur l'es- 
« pérance qu'ils avaient concue de voir l'union parfaitement rétablie. 


« Vous dites que vous ne pouvez vous rendre à Savone , parce que le 
« patrimoine de l'Église, exposé aux loups ravissants, serait bientót 
« envahi par une puissance également redoutable sur terre et sur mer. 
« Or, nous vous le demandons, si vous aviez eu à votre disposition les 
« galéres de Venise, ne seriez-vous pas venu à Savone? Comment 
« alors auriez-vous soustrait le patrimoine de l'Église à ce danger que 
« vous redoutez? Et maintenant que vous offrez encore de venir à 
« Savone sous certaines süretés, comment vous prémunissez-vous 
« contre ce méme danger ? 

« Vous alléguez encore pour excuse que la crainte de la peste vous 
« fait redouter le lieu de Sevone. Gráces vous soient rendues, ó doux 
« Jésus, de ce que votre divine providence, en préservant jusqu'à ce 
« jour Savone de toute contagion, a disposé les choses de telle facon, 
« que ceux qui peuvent et qui doivent se réunir en ce lieu, pour don- 
« ner la paix à votre Église, n'en soient pas empéchés par la crainte 
« de ce fléau, et ne soient pas forcés de chercher un autre lieu au pré- 
« judice de l'union. | 

« Par toutes ces considérations que nous venons de vous présenter, 
« trés révérend pére, et qui ont déjà frappé comme nous la plupart 
« des chrétiens , peu de gens sont préts à prendre votre défense sur le 
« refus que vous avez fait du lieu de Savone, et l'on ne s'étonne pas si 
« les ambassadeurs de notre seigneur le pape ont déclaré publique- 
« ment en vous quittant qu'ils n'étaient point satisfaits de vos ré- 
« ponses , et si nous-mêmes, aprés tant d'exhortations, tant d'offres, 
« tant de charitables efforts, nous nous sommes montrés blessés de 
« votre refus; car on sait que les Romains ne vous ont point détourné 
« de ce voyage, comme on l'avait craint d'abord, qu'au contraire ils 


708 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


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tum, sed multis racionibus ad implendum pollicita, uti 
petebamus, impulsum. Unde sicut clara et aperta electio vie 
evvangelice cessionis, quaquaversum per vos frequentibus lit- 
teris publicata, nomen vestrum ubilibet celeberrimum atque 
gloriosum reddiderat, sic recusacio loci, a vestris oratoribus 
sufficienti potestate fultis cum domino nostro concorditer 
electi, deinde vero a vobis approbati, quod dolentes referimus, 
prioris fame gloriam sua turpitudine deformat obscuratque, 
non profecto nobis auctoribus, sed hiis pocius qui vestram 
obedienciam amplectuntur gravi dolore afectis, quod qui 
paulo ante firma spe erecti unionem celeriter expectabant, 
nunc metu prorogacionis pravitatis heretice consternati ac 
stupidi jacent; nec inconvenientibus per vos alleguatis emo- 
ventur, que perspicue ante tractatum mediocri eciam pruden- 
cia previderi poterant. Puerile eciam velle rescindere que per 
legatos bene fundatos acta fuerunt; qui si temerarie tractatui 
stolideve consensissent, quod non fecisse credimus, priorem 
eciam culpam mittentis, qui talibus potestatem contulerit. 


« Jam vero dominum nostrum papam meritis laudibus attol- 
lunt, quem assidue audiunt in proposito faciende unionis 
secundum condicionem tractatus concordati perseverare. 
Ecce, pater reverendissime, judicant pene omnes qui audiunt, 
judicant Romani, judicaverunt legati domini nostri pape, 
judicamus nos et satis certi sumus diu eos qui se apud vos 
cardinales appellant idem sensisse, vos contra locum Saone 
excusaciones legittimas sive recipiendas, consideratis omnibus, 
non afferre. Pavere vehementer debetis ne contrariam senten- 
ciam deffendendo periculose erretis, presertim cum vos ad sic 
senciendum privati honoris aut commodi impellere possit 
affectio. Amor commoditatis, quo magis probetur aut ful- 


CHRONIQUE DE CHARLES Vi. — £41. ; 


4L» 
« vous ont engagé par toutes sortes de raiione 3 ao... 
« messes , ainsi que nous le demandions. Aussi ey sei LL ' 
« vous avez rendu votre nom glorieux et célebre fus vou ul 
« en choisissant franchement et solennellement la voie «4 PME qa 
« cession, et en publiant cette résolution par de fréques:t: 5, ^ 
« autant, nous le disons avec douleur, vous avez entaché et 1,4. «,..,, 
« de votre ancienne renommée en refusant un lieu qui avait été «je 
« de concert avec notre seigneur, par vos ambassadeurs, mun ^ 
« pouvoirs suffisants , et qui avait été ensuite approuvé par vous, (eus 
« opinion n'est pas seulement la nôtre; c'est aussi et surtout celle 4 
« tous les fidèles de votre obédience, qui se voient avec regret e. 
« lever l'espoir du prochain rétablissement de l'union qu'ils atten- 
« daient avec confiance, et qui sont abattus et consternés par la per- 
« spective de la prolongation du schisme. 'l'ous ces inconvénients que 
« vous alléguez ne les touchent point ; ce sont autant de subterfuges, 
« que la prudence la plus simple pouvait prévoir facilement avant le 
« traité. C'est d'ailleurs une chose puérile que de vouloir annuler ce qui 
« a été fait par des ambassadeurs düment accrédités et qu'on ne peut 
« désavouer; quand bien méme ils auraient, ce que nous ne croyons pas, 
« accédé au traité avec légèreté et irréflexion , la faute première en se- 
« rait à celui qui les a envoyés et qui leur a donné de tels ponvoirs. 
« Quels éloges au contraire n'accorde-t-on pas à notre seigneur le 
« pape, parce qu'il persévére constamment dans son dessein de réta- 
« blir l'union, suivant les conditions du traité! Non, trés révérend 
« pére, tout bien considéré, vous n'avez aucune objection légitime ou 
« admissible à faire contre le lieu de Savone ; c'est le sentiment de tous 
« ceux qui connaissent cette affaire; c'est ce que pensent les Romains et 
« les ambassadeurs de notre seigneur le pape, ce que nous pensous nous- 
« mêmes el ce qu'ont pensé long-temps , nous en sommes assurés, vos 
« prétendus cardinaux. Vous devez craindre de tomber dans une grave 
« erreur en soutenant l'avis contraire , surtout quand on pourrait vous 
« accuser d'étre guidé en cela par l'intérét personnel ou par l'ambition. 
« L'intérét personnel revét souvent les dehors de la charité pour avoir 
« plus d'éclat, obtenir plus de considération et en imposer plus facile- 


-— 


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740 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


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geat faciliusque fallat, caritatis vestes induit. Quare de nostris 
operibus non altum sapere sed timere debemus, nec tam de 
eorum justicia confidere, quin consiliis prava corrigere parati 
simus. At quorum hominum? Nampe non parva est res in 
tanta confusa hominum Babilone probos consiliarios diligere. 
Eganniunt, nisi fallimur, sepe vestras ad aures nepotes , com- 
patriote ac familiares, et ad propositum quod vobis placere 
aut sibi fructum inferre viderint confirmandum, fucatis 
quibusdam coloribus abutuntur. Suspecti vobis sint, pater 
optime, hii pessima suasuri consiliarii; non recte spiritualia 
discernunt ac diffiniunt sanguis et caro, sed spiritu prorsus 
suffocato, importunissime private commoditatis exaltacionis- 
que gracia rem publicam gravissimis detrimentis afficiunt. Illi 
vero qui non vestra sed vos sequntur, qui privata contempnere 
noscuntur ut publica promoveant, si christianos non fraudare 
egregio pollicito fixum habetis , prioribus ableguatis, in con- 
silium advocandi sunt; illi toto pectore complectendi; illis 
communicanda secreta; secundum illorum sapienciam ordi- 
nanda vita, subeundi labores, implenda promissa. Si talibus 
consiliaribus semel fidem habere in animum induxeritis , certi 


sumus vos adhuc Saone locum complexurum; quod unice 


desideramus , quod flexis genibus postulamus , ad quod effusis 
affectibus aspiramus, quod pro conclusione finali ad presens 
suademus. | . 

« Nec locum ipsum in se consideratum adeo nos movet, quin 
pacem alibi compositam vellemus; sed quando tractatu primo 
locus hic tanquam ydoneus ex concordia parcium inter tot 
milia electus est, veremur ne, novum ingrediendo tractatum, 
in laberintum unde emergi non possit detrudamur. Nam 


* War.: n° 5959, fol. 75 v., bene compositam. 


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CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 711 


ment. Nous.devons nous défier de nos œuvres plutôt que d'en faire 
trop d’estime , et ne pas prendre une telle confiance en notre sagesse, 
que nous ne soyons prêts à nous corriger par les conseils d'autrui. 
Mais à qui demander ces conseils ? Ce n'est pas une petite affaire que 
de choisir de bons conseillers dans une Babylone si confuse. Trop 
souvent sans doute vos neveux, vos compatriotes et vos familiers 
murmurent à vos oreilles des paroles flatteuses, et s'étudient par des 
discours trompeurs à vous faire adopter des résolutions qu'ils sup- 
posent devoir vous plaire, ou dont ils espérent tirer profit pour eux- 
mémes. Tenez pour suspects, excellent pére, tous ces perfides 
conseillers. Esclaves de la chair et du sang, ils ne connaissent et ne 
distinguent pas les choses spirituelles , mais étouffant les nobles sen- 
timents de l’âme, ils sacrifient le bien public à leur ambition et à 
des considérations d'intérét particulier. Éloignez de vous de tels 
conseillers, si vous avez l'intention de remplir vos louables engage- 
ments envers la chrétienté, et prenez à leur place les gens qui sont 
attachés non à votre grandeur, mais à votre personne , et qui sont 
connus pour préférer l'intérêt général à leurs intéréts privés. C'est 
à ceux-là qu'il faut donner toute votre confiance et communiquer 
tous vos secrets; c'est d’après leurs sages avis qu'il faut régler votre - 
conduite, travailler à l'union, et pourvoir à l'accomplissement de 
vos promesses. Si vous mettez votre confiance dans de tels con- 
seillers , nous sommes certains que vous vous déciderez en- 
core à adopter le lieu de Savone. C'est ce que nous désirons par- 
dessus tout, ce que nous vous demandons à genoux , ce que nous 
souhaitons de nos voeux les plus ardents, ce que nous vous conseil- 
lons présentement pour arriver à une conclusion définitive. 

« Ne croyez pas toutefois que nous attachions une telle importance 
à ce lieu, considéré en soi, que nous ne voulions pas que la paix soit 
conclue ailleurs. Mais, ce lieu ayant été choisi entre tant d'autres d'un 
commun accord par les deux parties comme le plus convenable, 
nous craignons qu'en entamant de nouvelles négociations on ne 
s'engage dans un labyrinthe dont on ne pourrait plus sortir. Car, si 
l'on enfreint le premier traité pour chercher un autre lieu, quelle 


712 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« si locus alius queratur, fracto primo tractatu, que spes satis 
« firma restabat secundo aut tercio aut quarto aut quotocunque 
« alteri loco ullum firmitatis robur infuturum? Quamobrem 
« per vestram sapienciam, fidem ac religionem enixe rogatus, 
« dum adhuc res est integra, tractatum concordatum inteme- 
« rate servetis, et ad convencionis diem Saone presto assitis. 
« Asserimus fide humana, christiana ac sacerdotali non plus 
« mali aut periculi vobis illic inferendum quam patri inferre 
« vellet amantissimus filius. Altissimus mentem vestram ad pos- 
« tulatorum concessionem inclinet, qui potest, sicut totis animi 
« affectibus concupiscimus ! — Scriptum Janue vicesima prima 
« die augusti. » 


CAPITULUM XXVII. 


Enarrantur que facta fuerant Rome domino Benedicto. 


Die lune vicesima secunda augusti, legati a Janua recedentes 
. dominum papam Benedictum in insula Sancti Honorati, quem 
locum elegerat, Niceam relinquens pestis evitande gracia, re- 
pererunt; ibique post exhibitam reverenciam data fandi copia, 
acta legacionis tam Rome quam Janue summatim et breviter 
dominus patriarcha recitavit. Cum autem, indisposicionem Gre- 
gorii serietenus recitans, ejus ridiculas tam responsiones quam 
subitas mutaciones et aliquocies non sine risus adjectione renar- 
rasset, in oracionis calce enixe parte domini regis supplicavit, 
quatinus pro honore Dei, Ecclesie ac suo, pro pacacione multo- 
rum qui exactis temporibus non omnino bene contenti fuerunt, 
pro exaltacione pacis vellet versus Saonam gressus suos diri- 
gere , ubi habebant tres suas galeas preparatas. 

His auditis, more suo papa, suscepto sermone, regi magni- 
fice gracias egit de intencionis ejus rectitudine, cum propter 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 713 


« assurance pourra-t-on fonder désormais sur le choix d'un second, 
« d'un troisième, d'un quatrième lieu ou de tout autre qui serait pro- 
« posé? C'est pourquoi, nous vous conjurons par votre sagesse, par 
.« votre honneur et votre religion , d'observer inviolablement le traité 
« conclu, pendant qu'il en est temps encore , et de vous rendre à Sa- 
« vone au jour convenu. Nous vous assurons, sur notre foi d'hommes, 
« de chrétiens et de prétres, que vous n'aurez pas à y craindre plus de 
« mal et de danger qu'un pére n'aurait à en redouter du fils le plus 
« tendre. Fasse le Tout-Puissant que votre esprit soit disposé à accor- 
« der ce que l'on vous demande! nous le désirons de toutes les forces 
« de notre âme. — Écrit à Gênes le 24 août. » 


CHAPITRE XXVII. 


Les ambassadeurs exposent à monseigneur Benoit ce qui s'était passé à Rome, 


Les ambassadeurs de Gênes, étant partis le lundi 22 août, arrivé- 
rent à l'ile de Saint-Honorat, oà monseigneur le pape Benoit s'était 
retiré pour éviter la peste qui régnait à Nice '. Après lui avoir offert 
l'hommage de leurs salutations, ils obtinrent audience, et monsei- 
gneur le patriarche exposa sommairement et succinctement tout ce 
qui avait été fait tant à Rome qu'à Génes. Il rendit compte des mau- 
vaises dispositions de Grégoire , rapporta ses réponses ridicules et ses 
changements soudains , qui provoquérent plusieurs fois des rires parmi 
les assistants , et finit en suppliant instamment le pape au nom de mon- 
seigneur le roi, de vouloir bien , pour l'honneur de Dieu et de l'Église, 
pour le sien, pour la satisfaction de tant de personnes qui étaient de- 
puis long-temps mécontentes et pour le bien de la paix, se rendre à 
Savone , où ils avaient trois de leurs galères à sa disposition. 


. Le pape répondit par un beau discours suivant -sa coutume. Il ren- 


' ]1 faut lire Marseille. 
I1. 90 


714 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


unionem legatos ad se suumque advérsarium misisset, more 
suorum progenitorum, qui semper Ecclesiam in suis tribulacio- 
nibus consolati fuerant, seque credere legatos prudentes et lit- 
teratos regia mandata recto ordine atque decenter implevisse. 
Ad materiam descendens, laudavit patriarcham de seriosa reci- 
tacione rerum cum Gregorio gestarum, cujus parvam se noti- 
ciam habere dixit; audisse tamen, referentibus legatis suis , eum 
esse prudentem virum, in cunctis expertum, et ceteris omnibus 
fratribus suis, ante assumpcionem sui status, ad unionem fer- 
venciorem, et multum consolacionis hausisse, quod in talem 
qualem eum existimabat sors electionis cecidisset; maxime vero 
se letatum, cum cercior factus est eum juramento votoque medio 
obstrictum ad unionem habendam; auctum eciam gaudium cum 
de loco ac tempore convencionis, et, ut credebat, inspirante 
Spiritu Sancto, convenisset; sed ut cognovit eum sentenciam 
mutasse , magnopere doluit. Quantum ad postulacionem atti- 
nebat, recessisse a Massilia propter pestem, velle ire Niciam, 
ibi se fratres et familias collecturum , ut honestius Saonam iret, 
dixit, agens ingentes gracias de oblacione galearum, in hoc 
gubernatorem Janue commendens, cum sciret ipsum super 
omnes milites unionem affectasse, sicut probum virum, bonum 
christianum et nobilem militem decebat. 

Cum verbis finem dedisset, per patriarcham iterum dictum 
Gregorium eos in recessu orasse ut unum ejus legatum ad ipsum 
in una galea advehere vellent, cui cupientes semper agere man- 
suete et cum super erogacione annuerent, venisse eum, rogare 
illum ut celeriter expediretur, ita enim rem expetere. « Veniat, 
inquit, statim audietur. » Venit, proposuit sumpto themnate : 
Fiat pax in virtute tua. Excusata deinde propter advérsam vali- 
tudinem brevitate, dixit se propter maris molestiam non posse 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 115 


dit gráces au roi.de la droiture de ses mtentions et de l'empressement 
avec lequel il lui avait envoyé des ambassadeurs à lui et à son adver- 
saire dans l'intérét de l'union; il le félicita d’être resté fidèle aux 
exemples de ses ancêtres, qui avaient toujours consolé l'Église dans ses 
tribulations, et ajouta qu'il croyait que des ambassadeurs aussi prudents 
et aussi éclairés qu'ils l'étaient avaient dignement et convenablement 
rempli leur mission. Abordant ensuite la question, il témoigna au 
patriarche qu'il était satisfait du récit des négociations qui avaient eu 
lieu avec Grégoire ; il dit qu'il connaissait déja un peu son compétiteur, 
qu’il avait su par ses ambassadeurs que c'était un homme avisé et habile, 
qui, avant son exaltation, avait montré plus de zèle que tous ses frères 
pour l'union de l'Église; qu'il avait vu avec plaisir les suffrages se por- 
ter sur un homme tel que lui ; qu'il s'était fort réjoui en apprenant que 
Grégoire s'était engagé par voeu et par serment à rétablir l'union; 
que sa joie avait été plus grande encore, lorsqu'on était tombé d'accord 
sur le temps et le lieu d'une entrevue; qu'il avait attribué cet heureux 
événement à une inspiration du Saint-Esprit; mais qu'il avait été vive- - 
ment aflligé de le voir changer de sentiments. Quant à la demande 
qu'on lui adressait , il déclara qu'il avait quitté Marseille à cause de la 
peste, qu'il voulait aller à Nice et qu'il y rassemblerait ses fréres et 
leurs gens, afin de se rendre à Savone en plus grand appareil ; il les 
remercia beaucoup de l'offre de leurs galéres, et fit à ce propos le plus 
grand éloge du gouverneur de Génes , qui plus que tous les autres sei- 
gneurs s'était montré plein de zèle pour l'union, ainsi qu'il convenait 
à un homme de bien, à un bon chrétien et à un noble chevalier. 
Quand le pape eut fini de parler, le patriarche lui dit que Grégoire, 
au moment de leur départ, les avait priés d'emmener sur une de leurs 
galéres un député qu'il lui envoyait, et qu'ils avaient cru devoir par 
déférence consentir à sa requête ; que ce député était arrivé avec eux, 
et que les circonstances exigeaient qu'il füt promptement expédié. 
« Qu'il vienne, répondit le pape, et il sera entendu sur-le-champ. » 
L'envoyé vint et prononca un discours dont le texte fut : Fiat pac in 
virtute tua. Aprés s'étre excusé sur sa mauvaise santé et sur les fatigues 
de la mer de l'impossibilité où il se trouvait de parler longuement, il 


116 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


multa loqui, ideo pauca dicturum; se missum a domino Gre- 
gorio ad eum, quem quidem Gregorium ferebat unionis affectis- 
simum. Locum tamen Saone excipiens propter impedimenta 
pluries sibi relata, ideo dominum suum rogare dixit, quatinus 
amore et zelo unionis Ecclesie et tutele patrimonii Ecclesie 
vellet in commutacione loci consentire et ad unionem celeriter 
properare, ut sic fieret pax in virtute sua. 

Ad hec papa respondit, audita probitate Gregorii, non 
posse se credere quin talis homo promissa atque jurata com- 
pleret; de mutacione autem loci, in eum condescendere non 
posse, et quod, attentis oblacionibus per regios legatos ei factis, 
secure sub dominio regis illustrissimi Francie et gubernatoris 
Janue poterat convenire, et hoc pro responsione caritativa 
sufficeret domino suo facienda, quem in caritate diligebat. Tunc 
papa , ad partem evocato illo legato, quesivit quot annorum 
esset dominus suus. Respondit quod erat circiter septuagena- 
rius. Tunc papa subjecit : « Ecce ambo sumus senes; obtulit 
« nobis Deus magnam gloriam faciende unionis, si voluerimus. 
« Oblatam accipiamus, antequam 1inoriamur; statim morituri 
« samus, abibit in alterum, si rem per dilaciones duximus, a 
« quo, dum mutacio tractatus queritur, queri videntur. » 

Eadem eciam die, cum patriarcha, resumens quod proposuerat 
de mane, retulisset, querens quid dominus papa in materia 
sentiret, et si ad Saonam accelerare intenderet ad honorem sui 
et obediencie sue, respondit de intencione sua esse tractatum 
Massilie concordatum ad unguem nulla immutacione facta ob- 
servare; aut enim adversarius suus Saonam tempore condicto 
veniret, sicut ipse certo sperabat, et annuente Domino pax habe- 
retur; qui si non veniret, se postea hanc prosequcionem non 
deserturum, sed consilio fratrum suorum ac legatorum, si ma- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI, — LIV. XXVIII. 747 


dit en peu de mots qu'il avait été envayé par monseigneur Grégoire, 
qui était, assura-t-il, trés bien disposé en faveur de l'union; que toute- 
fois son maitre, exceptant le lieu de Savone à cause des empéchements 
dont il avait été souvent parlé, demandait que, par amour et par zèle 
pour l'union et pour la conservation du patrimoine de l'Église, Be- 
noit voulût bien consentir à un changement de lieu, et se háter de 
travailler à l'union, pour que la paix fût faite in virtute sua. : 


Le pape répondit qu'aprés ce qu'il avait entendu dire de la probité de 
Grégoire, il ne pouvait douter qu'un tel homme ne tint'ses promesses 
et ses serments; mais il déclara que, quant au changement de lieu, 
il ne lui était pas possible d'y consentir, et que, vu les offres des 
ambassadeurs du roi , Grégoire pouvait en toute süreté avoir une con- 
férence dans un lieu qui était de la dépendance du trés illustre roi de 
France et du gouverneur de Génes; qu'il n'avait point d'autre réponse 
à lui donner pour son maître, à qui il portait d'ailleurs une vive affec- 
tion. Il prit alors à part l'envoyé , et lui demanda l’âge de son maitre ; 
celui- ci ayant répondu qu'il avait pres de soixante-dix ans : « Nous 
« sommes vieux tous deux, répartit le pape ; Dieu nous offre l'occasion 
« d'acquérir beaucoup de gloire, si nous le voulons, en rétablissant 
« l'union; hátons-nous d'en profiter, avant de mourir. Car nous mour- 
« rons bientót, et cette gloire reviendra à un autre, si nous trainons 
« l'affaire en longueur. Or on ne saurait attribuer ces délais qu'à celui 
« qui cherche à chauger le traité. » 

Le méme jour, le patriarche, reveriant sur ce qu'il avait dit le matin, 
demanda à monseigneur le pape quels étaient ses sentiments à cet 
égard, et si pour son honneur et pour celui .de son obédieuce il avait 
l'intention de se rendre bientôt à Savone, Benoit répondit que son in- 
tention était d'observer de point en point le traité de Marseille sans y 
rien changer; car, disait-il, ou son adversaire se rendrait à Savone au 
temps fixé, comme il en avait le ferme espoir, et alors, Dieu aidant, 
la paix se conclurait ; ou il manquerait a l'entrevue, et dans ce cas, lui, 
de son côté, n'abandonnerait pas pour cela la poursuite de l'affaire, 
mais la continuerait avec l'assistance de ses frères et des ambassadeurs, 


718 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


nerent, processurum. Quantum attineret ad acceleracionem 
accessus sui versus Saonam, proposuisse se primo: expectare 
tres suás galeas, quas prope diem affuturas speraret, ut honeste 
ad. dictum locum proficisceretur; 8e alias satis honeste illuc 
ivisse, dedecorosum fore ut nunc minus decenter illuc éat; et 
quia, si in. continenti recederet, magnus. hominum confluxus 
eum sequens pestem multis importaret, intrasse insulam ad 
quatn non accessuri essent, nisi qui inter vepres et dumeta 
noctu quiescere vellent; attamen amore-eorum propositum mu- 
taturum; sé proxima die lune, erat autem dies veneris dam 
hec dicebantur, Niciam aut Villam Fraricam venturum, et post- 
quam cardinales et suos familiares collegisset, recte Saonam 
perrecturum, antea non posse. Quantum ad galeas oblatas. 
nolle se ait dare adversario suo quantumlibet minimam ooca- 
sionem refutandi Saonam, quod et posset dicere, cum sex alias 
haberet. preparatas, et quod esset contra tractatum. 

Tuné patriarcha : « Beatissime, inquit; pater, in responsione 
« advérsarii vestri surit aliqua que personam vestram respiciunt, 
« inter que | fit mencio quam cito Saonam eatis et ibidem galeas 
« vestras exarmetis, Gregorius autem in nostris galeis veniet 
« mox eciam exarmendis , augebitur autem numerus armatorum 
« ob .defectum galearum. » Illa autem petebat Gregorius in 
ordine ad gubernatorem Janue, que dicebat ita racionabilia 
fore tit'de remocione gubernatoris et pluribus; contra spera- 
bant legati, si papa concessisset ea que se respiciunt, datis secu- 
ritatibus racionabilibus, noh recedente gubernatore, Grego- 
rium Saonam venturum. | 

Papa contra, novitate rel attonitus, se hoc alias non audisse 
dixit; quantum tamen ad presens spectabat, respondere se quod 
galeas suas, quousque in.eis revectus esset, non exarmaret; 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. + LIV. XXVIII. — 719 
s'ils restaient auprès de lui. Quant à ce qu'en lui demandait de hâter 
son départ pour Savone, il avait d'abord résolu d'attendre trois de ses 
galéres, afin de partir pour ledit lieu dans un équipage plus conve- 
nable; il y était déjà allé en grand appareil, et il aurait honte d'y 
paraître cette fois avec moins de pompe. Il n'était point resté sur le 
continent, de peur que le grand concours de peuple qui le suivrait 
n'apportát la peste, et s'était retiré dans une île où ne viendraient 
certainement que ceux qui étaient décidés à passer la nuit au milieu 
des ronces et des buissons. Cependant, pour l'amour d'eux, il chan- 
gerait de résolution, et se rendrait à Nice on à Villefranche, le lundi 
suivant ( on était alors au vendredi); puis, quand il aurait rassemblé 
les cardinaux et ses familiers, il irait droit à Savone; mais il ne pou- 
vait y aller auparavant. Quant à l'offre des galéres, il dit qu'eu ayant 
déjà six à sa disposition, il ne voulait pas donner à son adversaire la 
moindre occasion de refuser Savone; ce que celui-ci pourrait faire, 
parce qu'il était contraire au traité qu'il en eût un plus grand nombre. 


« Trés saint pere, reprit le patriarche, il y a dans la réponse de 
« votre adversaire certaines choses qui concernent votre personne; il 
« y est dit entre autres qu'aussitót que vous serez à Savone vous devrez 
« désarmer vos galéres, qu'on désarmera également les nótres, quand 
« elles auront transporté Grégoire dans cette ville, et qu'on augmen- 
« tera le riombre des hommes d'armes pour suppléer au défaut de 
« galères. » Grégoire demandait cela pour en venir à l'éloignement 
du gouverneur de Génes, et pour obtenir plusieurs autres conditions 
qu'il regardait comme raisonnables. Mais les ambassadeurs espéraient 
que, si le pape accordait ce qui le concernait, on pourrait, en don- 
nant des süretés suffisantes, déterminer Grégoire à se rendre i à Savone 
sans que le gouverneur se retirát. 


Le pape, surpris de cette nouvelle , dit qu'il n'avait jamais entendu 
parler de cela; que, quant à présent, il était résolu à ne pas désarmer 
ses galères jusqu'à son retóur; que néanmoins il voulait bien en 


720 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIH. 


tamen de ista re bene velle cum ipsis deliberare. Tunc patriar- 
cha : « Pater, inquit, beatissime, non est intencionis nostre, si 
« unio Saone non fiat, propterea unionis tractatum deserere, 
« non dubitetis , sed semper prosequi. » Hic non audivi respon- 
sum, nisi illud: « Cavere, inquit, debetis ne, dum unionem 
« querere videmini, eam impediatis. » Quid autem ante con- 
vencionem acturi essent exposuit : opportere eos laborare cum 
gubernatore Janue , ut securitates racionabiles Gregorio offer- 
rentur, cum ipso vero Gregorio, ut ad convencionis locum 
statuto tempore veniret; consentire se ut quidquid habet po- 
testatis apud illos qui non recedunt, remaneat, eciam, ut sub- 
sequebatur in litteris parte legacionis mittendis; consulere ut 
ili; de Universitate remanerent, exceptis conservatore et 
Johanne Francisci, quos secum ducebat. Significavit nec posse 
aliquid racionabiliter agi contra papam ante convencionis ter- 
minum. | 


CAPITULUM XXVIII. 


. De remissione ad tempus capcionum regalium que plebem dampnificabant. 


Ad enarrandum res gestas que contingerunt in regno, dum 
prefatorum legatorum regis et regni concio veneranda ad acce- 
lerandam unionem universalis Ecclesie ardenti desiderio làbo- 
rabat, reducendum calamum dignum duco. . 

Rerum venalium regni ad usum stirpis regie collecta subsidia, 
quasi sibi non sufficerent ad victum , inde distractio dampnosa 
bonorum regnicolarum ex agricultura sollerti proveniencium 
sequebatur. Quotquot fere jure cognacionis regi assistebant, et 
infimi ordinis servientes et inique rapacitatis ministros annua- 
tim ac successivis vicibus ubique destinabant, qui, cuncta que 
in areis aut promptuariis adunaverant regnicole mecientes, auc- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 724 


délibérer avec eux. « Trés saint pére, vépliqua le patriarche, si l'union 
« ne se fait pas à Savone, il n'est pas dans notre intention d'aban- 
« donner pour cela le traité d'union; n'en doutez pas, nous le pour- 
« suivrons toujours. » À cela le pape,se contenta de répondre : « Pre- 
« nez garde d'empécher l'union, tout en paraissant la désirer. » Il leur 
exposa ensuite ce qu'ils avaient à faire avant l'entrevue : ils devaient, 
leur dit-il, insister auprès du gouverneur de Génes pour qu'il offrit des 
süretés suffisantes à Grégoire, et auprés de Grégoire pour qu'il se ren- 
dit à la conférence au temps marqué; quant à lui, il consentait à laisser 
tous ses pouvoirs à ceux des ambassadeurs qui ne partaient point; il 
leur laissait méme celui d'envoyer des lettres au nom de leurs collégues. 
Il croyait qu'il était à propos que ceux de l'Université restassent, à 
l'exception du conservateur et de Jean Francois, qu'il emmenait avec 
lui. Enfin il déclara qu'on ne pouvait raisonnablement rien faire 
contre le pape avant l'époque fixée pour l'entrevue. | 


CHAPITRE XXVIII. 


Le roi suspend pour un temps l'exercice des droits de prise qui pesaient sur le peuple. 


Je reviens au récit des événements qui avaient eu lieu en France, 
pendant que les illustres ambassadeurs du roi et du royaume travail- 
laient avec tant de zéle à háter le rétablissement de l'union de l'Église 
universelle. 


Comme les impôts prélevés sur les marchandises du royaume pour - 
l'usage de la famille royale ne suffisaient pas à son entretien, on y 
suppléait en extorquant aux habitants des campagnes les fruits de la 
terre qu'ils avaient obtenus par leur travail. La plupart des princes 
envoyaient chaque année à plusieurs reprises par tout le royaume des 
gens de bas étage, instruments de leur inique rapacité, qui mesu- 
raient toutes les provisions amassées dans les granges et dans les celliers, 
et défendaient aux habitants, au nom du roi et sous peine de grosses 

it. 9t 


722 "CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VIII. 


toritate regia et sub gravi peccuniali multa jubebant ne inde 
aliquid amoverent, donec dominorum domicilia munivissent. 
Pro grandi crimine habebatur, si quis jussioni nutu sive verbo 
obstitisset, et si equivalentem ablatorum valorem procurare 
temptasset; nam mox a curiis dominorum ignominiose pelle- 
bantur, aut, quod raro contingebat, cum tediosis vexacione 
laboribus et expensis debiti reportabant minimam porcionem. 
Per hanc viam multi de statu prospero ad odibilem mendicita- 
tem venerunt, et oppressi tot intollerabilibus dampnis, in do- 
minos non verebantur maledicta publice jaculare. De quo rex 
cercior factus, non modo secretis sed et monicionibus publicis, 
et quod quantulumcunque cibum non gustabat nisi cum male- 
dictionibus pauperum, hanc licenciam dampnosam salubri falce 
rigoris equissimi, suorum illustrium consilio, statuit prescin- 
dere. Nam ubique, mensis septembris inicio, in regni civitati- 
bus voce preconia et resonantibus lituis, auctoritate sua statuit 
promulgare ne deinceps bona plebis invitis possessoribus cape- 
rentur pro quocunque, quacunque dignitate premineret, nisi 
cum moderamine et prompta solucione. Sed, unde nonnulli 
mirati sunt, additum est quod, ad instanciam regine et ducis 
Aurelianensis, qui summe in hiis excessum tenuerant, hoc 
fiebat. Quam tamen relaxacionem laude dignam et a priscis con- 
tinuatam regibus perpetuare minime permiserunt, sed solum 
per quadriennium durare. 


CAPITULUM XXIX. 


De discordia mota inter Universitatem et Parisiensem prepositum propter quosdam 
scolares suspensos. 


Dum in Parisiensi urbe rigoris habenas laxaret justicia 
publica, non ut quemquam quietum violaret, sed ut turbantes 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 723 


amendes, d'en rien détourser, jusqu'à ce qu'ils eussent approvisionné 
les maisons de leurs maîtres. C'était un crime d'opposer à cet ordre 
la moindre résistance et de réclamer le prix des objets enlevés. Ceux 
qui se présentaient pour cela dans les hótels des seigneurs en étaient 
honteusement chassés, et il arrivait rarement qu'aprés bien des peines, 
des ennuis, des fatigues et des dépenses ils obtinssent une faible partie 
de ce qui leur était dà. Aussi vit-on bientót beaucoup de gens qui vi- 
vaient dans l'aisance réduits à la mendicité. Dans le malheur qui les 
accablent , ils maudissaient les seigneurs. Le roi fut enfin instruit de 
ce qui se passait par la rumeur publique. Songeant avec douleur qu'il 
ne mangeait pas un morceau de pain qui ne füt assaisonné de la malé- 
diction des pauvres, il résolut, d'aprés l'avis de son conseil, de répri- 
mer ces coupables excès par une salutaire et juste rigueur. Dès les 
premiers jours de septembre, il fit publier par la voix du héraut et 
à son de trompe, dans toutes les villes du royaume, qu'on ne pour- 
rait désormais exercer le droit de prise au nom d'aucun seigneur, 
quel que füt son rang, ni prendre les biens des habitants malgré eux , 
si ce n'est dans une certaine mesure et en payant comptant. Mais ce 
qui étonna bien des gens, c'est qu'on ajouta que l'ordonnance avait 
été faite à la requéte de la reine et du duc d'Orléans, qui s'étaient 
le plus signalés par ces extorsions. Toutefois ce sage réglement, qui 
avait déjà été mis en vigueur par les anciens rois de France, ne fut 
point maintenu; on ne le laissa subsister que quatre ans. 


CHAPITRE XXIX. 


Différend surveuu entre l'Université et le prévót de Paris, au sujet de deux écoliers 
qui avaient été pendus. 


Pendant que la justice du roi veillait ainsi dans la ville de Paris au 
repos des habitants, et réprimait les perturbateurs de la tranquillité 


724 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


civitatis ocium auctoritate regia coherceret, duo nequam filii 
studii Parisiensis, quorum unus nacione britannus, magister 
Oliverus Francisci, alter vero normannus, magister Johannes 
de Sancto Leodegario vocabantur, in Castelleti carceribus re- 
truduntur. Perpetuo silencio nomina sepeliri casus communis 
et sepe contingens instigat, nisi hic judices valerent edoceri ut 
judiciorum lances semper appendentes equo libramine nil ex 
officio agant, quod debeat reprobari vel in opprobrium eorum 
posteris tradi memorie, exemplo domini Guillelmi de Tignon- 
villa militis, tunc prepositi Parisiensis, excitati. Nam quasi in 
jure civili eruditus et sacris canonibus dedignaretur subici 
prius scriptis, Universitatis precibus et hortatu repetitis 
noxios non modo ordinario abnuit reddere puniendos, sed 
veritatem perpetratorum scelerum vi tormentorum extorquens 
et latrocinia perpetrata, eos dignos adjudicavit suspendio. 
Clericalem ordinem ut nunc tantam contumeliam pertulisse 
etas. nostra non meminit. Nam publice luceque media, qua 
subierunt ultimum supplicium, undique ex civitate, velud ad 
ignominiosum spectaculum, more solito accurrebant, nec aliud 
in ore omnium resonabat , nisi : « Hoc evidentissimum signum 
«est, quod deinceps scolares et regulares, ut seculares, pu- 
« nientur. » 

Ne vulgalis loqucio sanctorum patrum sanctionibus discen- 
ciens in consuetudinem verteretur episcopus Parisiensis obsti- 
tit; et propter temerarium agressum, in prepositum predic- 
tum, velud in contumacem et rebellem, mandatis ecclesiasticis, 
excommunicacionis jam latam sentenciam precepit publice pro- 
mulgari et in valvis ecclesiarum Parisiensium affigi. Et quia 
excessus prelibatus in contumeliam Universitatis Parisiensis ac 
anullacionem libertatum ipsius, quarum custos per juramen- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 725 


publique, il arriva que deux mauvais garnements de l'Université de 
Paris, nommés maitre Olivier François et maitre Jean de Saint-Léger, 
l'un breton, l'autre normand, furent enfermés dans les prisons du 
Chátelet. Ce fait étant commun et ordinaire, j'aurais passé leurs noms 
sous silence si ce n'était pour moi une occasion de rappeler aux juges 
qu'ils doivent toujours tenir égale la balance de la justice, afin de 
ne point encourir le blâme public dans l'exercice de leurs fonctions ni 
exposer leur mémoire aux reproches de la postérité, comme. il advint 
à messire Guillaume de Tignonville, alors prévót de Paris. Ce cheva- 
lier, pensant que ses connaissances dans le droit civil le dispensaient 
de se soumettre aux sacrés canons, refusa, malgré les prières et les 
exhortations réitérées de l'Université, de renvoyer les deux coupables 
devant l'ordinaire; il osa méme les mettre à la question, pour leur 
arracher l'aveu de leurs larcins et de leurs crimes, et les condamna à 
être pendus. Il n'y avait point d'exemple que l'ordre du clergé eût 
jamais subi un pareil affront. Les deux coupables furent conduits au 
supplice publiquement et en plein jour, et, comme c'est l'ordinaire, 
la foule accourut de tous cótés pour étre témoin de leur ignominie, 
et chacun se disait : « Il paraît que les écoliers et les réguliers seront 
« désormais punis comme les séculiers. » 


L'évéque de Paris voulut empécher que ce propos populaire ne pas- 
sát en coutume au préjudice des constitutions des saints pères. Il 
excommunia ledit prévót comme contumax et rebelle en raison de sa 
téméraire entreprise, et ordonna par mandement ecclésiastique que 
la sentence d'excommunication fàt publiée et affichée aux portes des 
églises de Paris. De son cóté l'Université de Paris, voyant dans cet abus 
de pouvoir de la part du prévót une insulte à son honneur et une 
atteinte à ses priviléges, dont il avait été constitué le gardien sous la 
foi du serment, le cita en justice devant le roi et l'accusa de parjure 


726 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


tum fuerat constitutus , mox ipsum in causam traxit coram 
rege, famam ejus perjurio multisque aliis nephandis criminibus 
denigrando. Tandemque scelus agravans, ut illud satisfactione 
publica expiaret , instanter ad ejus infamiam indelebilem requi- 
sivit, ut suspensa cadavera, per semetipsum deposita, post oris 
osculum ecclesiastice restitueret justicie, flexis genibus veniam 
petens de flagicio commisso, perpetuoque omni regali officio 
adjudicatus inhabilis, duas capellanias fundaret pro animabus 
suspensorum. | 

Quociens id persuadebatur regi, erant nonnulli aulici ordinis 
militaris, qui sibi sugerendo criminosos prefatos, viarum pu- 
blicos insidiatores, non debuisse gaudere privilegio clericali , 
supplicantes ne suum fidelem militem Parisiensem prepositum 
sineret tantam subire infamiam , potissime cum eos adjudicasset 
per consilium suorum in jure peritorum. Ipsisque mediantibus, 
Universitate: advocata, ab ore cancellarii responsum est, id 
solum regi placere ut deposita suorum cadavera per quem vel- 
lent traderentur sepulture. 

Qua responsione doctores et magistri non contenti, cum 
reiteratis precibus non possent aliud obtinere, regi intimave- 
runt libere quod incipiebant cessare a predicacionibus publicis 
et scolasticis actibus. Quamvis hoc ingeniosis viris et deditis stu- 
dio displiceret, et christiane contradicebat discipline diu non 
reficere fideles pabulo spirituali verbi Dei, hoc tamen sollempni 
tempore Natalis Domini, Quadragesime ac Resurrectionis 
ejus penitus denegaverunt, et revera cum tediosa displicencia 
omnium regnicolarum devotorum. Et quia sic non veniebant ad 
intentum , regem tandem adierunt, querulosis vocibus conclu- 
dentes quod ex quo eis denegabatur quod jus erat, in preju- 


* Il faut supposer ici l'omission d'un mot tel que vertebatur. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII 727 


et d'autres crimes infâmes. Elle insista sur la gravité de cet attentat, 
pour qu'on lui fit subir une expiation publique et qu'on lui infligeât 
une flétrissure éternelle, et requit instamment qu'il füt contraint de 
dépendre les corps. des suppliciés, et de les rendre à la justice ecclé- 
siastique, aprés les avoir baisés sur la bouche, qu'il demandát à 
genoux pardon de son forfait, qu'il fût déclaré à jamais indigne de 
tout office royal et qu'il fondát deux chapelles pour les âmes desdits 
défunts. | | 


Toutes les fois qu'on parla au roi de cette affaire, il y eut des che- 
valiers de sa cour qui lui représentérent que lesdits criminels, étant 
d'infámes malfaiteurs, ne devaient point jouir des priviléges de cléri- 
cature. Ils le suppliérent de ne point permettre que le prévót de Paris, 
son fidéle chevalier, subit un tel affront, d'autant plus qu'il n'avait 
condamné les deux coupables que d'aprés l'avis de ses hommes de loi. 
Ils firent mander l'Université, à qui le chancelier répondit que le roi 
ordonnait, pour toute satisfaction , que les corps fussent dépendus par 
qui bon leur semblerait et qu'ils recussent les honneurs de la sépulture. 


Les docteurs et les maîtres, peu satisfaits de cette réponse, et ne 
pouvant malgré leurs instances rien obtenir de plus, déclarérent 
librement au roi qu'ils allaient cesser leurs prédications publiques et 
fermer les écoles. Vainement les gens sages et les hommes studieux 
blàmérent cette conduite, et leur représentérent qu'il était contraire à 
Ja charité chrétienne de refuser ainsi aux fidéles la páture spirituelle de 
la parole de Dieu ; ils n'en persistérent pas moins à cesser leurs lecons 
pendant le temps de Noël, du caréme et des fêtes de Pâques, au grand 
déphisir de toutes les personnes pieuses. Comme cela ne les menait 
point encore à leurs fins, ils se décidérent à aller trouver le roi, et 
lui annoncérent, avec l'expression des plus vifs regrets, que, puisqu'on 
refusait de leur faire justice et de maintenir leurs libertés, l'Univer- 
sité, sa fille, se voyait réduite à chercher d'autres demeures, comme 
une brebis errante; mais qué, pour éviter d’être taxée d'ingratitude, 


728 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


dicio suarum libertatum, Universitatem filiam suam, quasi ovem 
errabundam, opportebat alias sedes querere, que tamen , ne in- 
gratitudine notaretur, sine ejus licencia nolebat recedere, de 
collatis continue ab eo beneficiis immenses gracias referebat. 

Verba ista dolorosa rex piis auribus audiens, magistrosque 
presentes ac doctores verbis lenibus demulcens : « Non rece- 
« detis, inquit, pro certo, nec sinemus dilectam filiam nostram 
« progenitorumque nostrorum, tamdiu sub liliis aureis dulciter 
« educatam, alium quam nos in patrem adoptare. Nec in animo 
« habemus privilegia ipsius minuere, sed augere; in recenti 
« autem casu, paterna largicione vobis satisfacere faciemus. » 
Dictisque facta compensans , iterum consiliarios super hoc evo- 
cavit, qui voto ejus racioni consono mutuo condescendentes, 
ut fuerant requisiti, in scriptis redegerunt prepositum minus 
prudenter et nimis precipitanter dictos scolares condempnasse, 
statuentes ut concomitantibus ministris justicie per lictorem 
publicum publice deponerentur, ad parvisiumque Nostre Do- 
mine adducti, episcopo Parisiensi restituerentur et rectori. 

Quod cum medio maii sequentis anni peractum fuisset , pre- 
sente innumerabili utriusque sexus plebe, mox omnes ordinum 
mendicancium religiosi cum curatis ecclesiarum parrochialium 
ville, processionaliter et cum ingenti luminari ipsa apud Sanc- 
tum Maturinum conduxerunt tumulanda, ubi et funerales 
exequias sollemniter peregerunt. Ut honestius fierent, rex pro 
preposito predicto centum aureos concessit, et quamvis ipsum 
ab officio destituendum censuisset, et victus vallidis decurionum 
precibus in camera compotorum presidentem ipsum constituis- 
set principalem, sub condicione tamen fuit, quod a rectore 
certa die magistris et doctoribus humilem postularet veniam 
de commissis, in quantum eos poterat offendisse, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 729 


elle ne voulait point partir sans avoir pris congé de lui, et lui rendait 
toutes sortes d'actions de grâces pour les bienfaits qu'il n'avait. cessé 
de lui prodiguer. 


Le roi fut touché de ces plaintes douloureuses et chercha à apaiser 
. les maîtres et les docteurs par de douces paroles : « Non, leur dit-il, 
« vous ne partirez point; nous ne souffrirons pas que notre fille bien 
« aimée, si tendrement élevée à l'ombre des fleurs de lis, adopte un 
« autre pére que nous. Loin de songer à diminuer ses priviléges, nous 
« voulons au contraire les augmenter. Quant à la présente affaire, 
« nous vous ferons donner satisfaction avec une sollicitude toute pater- 
« nelle. » Pour joindre l'effet aux paroles, le roi convoqua de nouveau 
ses conseillers , qui , conformément à ses désirs et ainsi qu'ils en avaient 
été requis , décrétérent que le prévót avait agi avec trop de légéreté 
et de précipitation en condamnant lesdits écoliers ; ils décidèrent en 
outre que leurs corps seraient dépendus publiquement par l'exécuteur 
public accompagné des ministres de la justice, et qu'ils seraient con- 
duits au parvis Notre-Dame pour étre rendus à l'évéque de Paris et au 
recteur. 


Cet arrét fut exécuté vers le milieu du mois de mai de l'année sui- 
vante, en présence d'une foule innombrable de personnes des deux 
sexes. Tous les religieux des ordres mendiants, ainsi que les curés des 
églises paroissiales de la ville, accompagnèrent les corps processionnel- 
lement et avec un grand luminaire à l'église de Saint-Mathurin, où ils 
devaient être inhumés, et leur firent des funérailles solennelles. Afin 
d'ajouter à la pompe de cette cérémonie, le roi paya pour le prévót 
cent écus d'or. Il le destitua ensuite de son office; mais cédant aux 
vives instances des seigneurs de sa cour, il le nomma premier prési- 
dent de la chambre des comptes, à condition toutefois qu'à un jour 
marqué il demanderait humblement pardon au recteur, aux maîtres et 
aux docteurs des offenses qu'il pouvait avoir commises envers eux. 


LIL. 92 


730 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM XXX. 


De nativitate filii regis Francie, et de interitu condolendo ducis Aurelianensis. 


Vigilia Sancti Martini hyemalis, hora secunda post mediam 
noctem, Francie regina venerabilis, in domo sua Parisius 
prope curticulam Barbete, filium peperit, qui mox matris ex 
utero segregatus et a familiaribus regiis Philippus nuncupatus, 
cum aqua sancte et individue Trinitatis nomine sanctificata 
inundaretur, decessit. Cujus corpus, sequenti jam advesperas- 
cente luce, ad ecclesiam beati Dyonisii aule regie decuriones 
cum luminari ingenti, ut moris est, conduxerunt, ut juxta 
fratres suos in capella regia avi sui, in cujus altari acceptabiles 
cotidie creatori bis constituerat offerri hostias, sepeliretur. 

Infantis immatura mors materna viscera conturbavit , totum- 
que tempus purgacionis regina continuavit in lamentis. Cujus 
dolorem insignis dux Aurelianensis , frater regis, verbis lenibus 
reiteratis vicibus studuit mitigare. Sed tandem, vigilia sancti 
Clementis , cena jocunda peracta in ejus hospicio , cum ad do- 
mum regiam Sancti Pauli acceleraret redire, o monstrum detes- 
tabile necdum alias speratum, execrabile exemplar! in itineris 
medio mortales insidias sibi repperit preparatas. Detestande 
prodicionis horror menti suggerebat a scriptura calamum re- 
trahere, nisi regalis generis commendabilia noteve subjacencia 
posterorum memorie tradere suscepisset, ut qui fortune funibus 
alligati et precipui regiis dominantur in aulis, felices sic se esse 
desinant predicare, quin discrimen simile habeant dubitare. 

Originem autem tangens piacularis flagicii, ut videmus quod 
principes inter se sepius latentes habent injurias, sic satis 
cunctis constabat occasionem sceleris intestinum odium inter 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 731 


CHAPITRE XXX. 


Naissance d'un fils du roi de France. — Fin tragique du duc d'Orléans. 


La veille de la Samt-Martin d'hiver, vers deux heures aprés minuit, 
l'auguste reine de France accoucha d'un fils, en son hôtel à Paris prés 
la porte Barbette. Cet enfant vécut à peine, et les familiers du roi 
n'eurent que le temps de lui donner le nom de Philippe et de l'ondoyer 
au nom de la sainte et indivisible Trinité. Le lendemain soir, les sei- 
gueurs de la cour conduisirent son corps à l'abbaye de Saint-Denys 
avec un grand luminaire , suivant l'usage, et l'inhumérent auprés de ses 
fréres dans la chapelle du roi son aieul , qui y avait fondé deux messes 


par jour. 


La reine fut vivement affectée de la mort prématurée de cet enfant 
et passa dans les larmes tout le temps de ses couches. L'illustre duc 
d'Orléans, frère du roi, lui rendit de fréquentes visites et s’efforça 
d'apaiser sa douleur par des paroles de consolation. Mais la veille de la 
Saint-Clément , comme il rentrait à l’hôtel royal de Saint-Paul, aprés 
avoir joyeusement soupé chez la reine, un crime affreux, inoui et sans 
exemple fut commis sur sa personne; il tomba sous les coups d'in- 
fâmes assassins, qui avaient été apostés sur son passage. L'horreur d'une 
si noire trahison aurait fait échapper la plume de mes mains, si je ne 
m'étais imposé le devoir de transmettre à la postérité les actions bonnes 
ou mauvaises des princes de la famille royale, et si je ne voulais ap- 
prendre aux favoris de la fortune qui dominent orgueilleusement dans 
les cours, qu'ils ne doivent pas se croire assez heureux pour étre à 
l'abri d'un semblable danger. 


On ne peut s'expliquer cet abominable assassinat, que si l'on en 
cherche la cause dans les dissentiments cachés qui régnent souvent 
entre les prmces. Il était évident ponr tout le monde qu'il fallait attri- 


732 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


duces Aurelianis et Burgundie prestitisse, et, ut publice com- 
perta multis secrecioribus et ignotis, quamvis vulgacioribus, 
causis preponantur, quia, rege alternatis vicibus gravi egritu- 
dine laborante, ipsis dilectissimis fratri et cognato regni ardua 
moderanda commitebat. Summa auctoritas, consortis impa- 
ciens, ut semper accidit, viam unam tenere principes in 
regimine non est passa; sed, ut novi relacione quorumdam 
aulicorum , sicut moribus dissimiles erant, nec semper conve- 
niebant in unum, sed quod unus dignum ducebat agendum, 
alter calumpniabatur aut saltem inpacienter perferebat, sic scin- 
tilla displicencie in odium excrevit inextinguibile, ut in necem 
mutuam diu visi fuerunt publice aspirare. Amborum in con- 
siliis publicis oppiniones dissone, iterati arinorum apparatus 
velud bellorum hostilium evidentissimum signum dabant, et 
revera in regnicolaruum dampnum et scandalum, displicen- 
ciam quoque venerabilis regine, domini ducis Biturie et om- 
nium aurea deferencium lilia, qui vicibus iteratis fedus pacis 
inter eos frustra tum componere temptaverunt. Utrinque eciam 
non deerant zisaniorum et discordiarum satores, qui ducum 
animos quocunque libuerant inclinantes , cum falsa pro veris 
ingererent, adulacionibus hanc temeritatem demulcendo , eos 
ad contemptum mutuum excitabant, et dum unius excellen- 
ciam attollendo alterius insolencias deprimebant, sepius presa- 
giebant eos perpetuo sic mansuros, donec unus e vivencium 
medio tolleretur. 

Ad id ducem Burgundie primum, proc dolor! inclinaverunt 
viri nequissimi et ut ferro vindicaret perpessas contumelias. 
Nec defuit Deo et hominibus jure odibilis Radulfus Doqueton- 
villa, nacione normanus, fedi inhumanissimique sceleris exe- 
qutor. Qui quanto indignacius ferebat se per ducem Aurelia- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 733 


buer ce crime à la haine mutuelle des ducs d'Orléans et de Bourgogne. 
Sans remonter aux raisons secrètes et iguorées de cette haine, je me bor- 
nerai à exposer celles qui étaient connues de tout le monde. Pendant 
les intervalles de la maladie du roi, le gouvernement du royaume 
étant remis entre les mains de son frère bien aimé et de son cousin, 
les deux princes, qui ne pouvaient se résigner à partager entre eux 
l'autorité souveraine, étaient rarement d'accord sur la direction des 
affaires. La différence de leur caractère se faisait sentir dans toutes 
leurs opinions. Suivant ce qui m'a été rapporté par des gens de la cour, 
tout ce que l'un jugeait utile de faire, l'autre le condamnait ou s'en 
montrait irrité. Cette rivalité finit par allumer entre eux une haine 
implacable, et on les vit long-temps conspirer ouvertement l'un 
contre l'autre. Leurs divisions dans le conseil et les préparatifs de 
guerre qu'ils avaient faits à plusieurs reprises semblaient présager que 
de terribles hostilités allaient éclater au détriment et au scandale du 
royaume. L'auguste reine, monseigneur le duc de Berri et tous les 
princes du sang , qui en étaient vivement affligés, essayérent vainement 
plusieurs fois de les réconcilier. Des semeurs de zizanie et de discorde, 
maniant à leur gré l'esprit des ducs, et leur présentant le mensonge à 
la place de la vérité, flattaient leurs penchants orgueilleux et exci- 
taient leur aversion mutuelle. En attaquant le mérite de l'un, ils at- 
taquaient la présomption de l'autre; et chacun prévoyait que ces que- 
relles ne cesseraient qu'avec la vie de l'un des deux princes. 


Le duc de Bourgogne céda le premier aux funestes conseils de ces 
perfides courtisans, et se disposa à venger ses injures par un assassinat. 
L'instrument de ce cruel et infáme attentat fut un Normand , nommé 
Raoul d'Ocquetonville, digne à jamais de l'exécration divine et hu- 
maine. Cet homme avait été destitué d'un office royal et dépouillé 
de tous ses biens par le duc d'Orléans. Quoiqu'il eût mérité ce chati- 


194 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


nensem ab officio regio destitutum et omni mobili spoliatum, 
quamvis juste, et quia in ipsis fidelis non extiterat, tanto 
studiosius sibi insidiari statuit. Prodicionem igitur pessimo 
actu ac pejore exemplo aggressus, cum palam sibi noceri non 
posset , complices iniquissimos sibi similes querens, facta con- 
spiracione, tractare cepit ut dux casu interficeretur repentino, 
et inde, decem et septem dierum spacio , in quadam domo insi- 
diis apta prope curticulam Barbete latitantes, tempus ad hoc 
congruum expectaverunt. Die igitur predicta , post noctis cre- 
pusculum, cum, cena jocunda facta in domo regine, quinque 
tantum consodalibus associatus tenderet ad domum regiam 
Sancti Pauli, videns hostis nephandissimus, Jude proditori 
similimus, temporis opportunitatem votis suis consonare , nec 
superesse ei impedimentum aliquod , quod prius conceperat, 
accitis iniquitatis consortibus , dare mandat effectui. 

O mortalium ceca mens et casuum imminencium nescia, 
nec quid sibi pariat hora sequens! Media via a septemdecim in- 
sidiatoribus divina et temporali animadversione dignis repente 
circumventus est; eodem quoque instanti, Radulfus, sceleris 
principalis minister, ausu dyabolico piaculare committens flagi- 
cium, vibratam asciam solo ictu sinistro pugno absciso, ipsam 
fixit in cerebrum, ex quo ictu insignissimi ducis processit, 
proc dolor! finis vite. Nec relinquit in vulnere ferrum cruentis- 
simus homicida, sed reiterato ictu a posteriori parte, dum ex 
letali vulnere ad terram corrueret, super stratam regiam ejus 
cerebrum effudit. Unde territi socii aufugerunt, dumtaxat quo- 
dàm Flamingo excepto, qui prostratus super corpus exanime, et 
reiterans : « Parcite domino Aurelianis, fratri regis, » cum inde 
avelli nequiret, gladiis indiferenter seviencium tandem occu- 
buit moribundus, 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 136 


ment par son infidélité dans l'exercice de ses fonctions , il nourrissait 
un profond ressentiment contre le duc et cherchait toutes les occasions 
de se venger. ll accueillit avec empressement cet exécrable projet de 
trahison, et ne pouvant attaquer le duc ouvertement, il prit pour 
complices des misérables comme lui, et concerta avec eux sa crimi- 
nelle entreprise. Ils convinrent entre eux de surprendre le duc dans 
un guet-apens, et se tinrent cachés pendant dix-sept jours dans une 
maison propre à l'exécution de leur complot, prés de la porte Bar- 
bette, en attendant une occasion favorable. La veille donc de la Saint- 
Clément, comme le duc sortait vers le soir de chez la reine où il avait 
soupé joyeusement , et s'en retournait, accompagné de cinq per- 
sonnes seulement, à l'hótel royal de Saint-Paul, son implacable 
ennemi, non moins perfide que le traitre Judas, jugeant que le moment 
d'agir était arrivé et que rien ne s'opposait plus à ses desseins, exhorta 
ses complices à consommer avec lui l'attentat. ' 


Hélas! que l'esprit des hommes est aveugle et imprévoyant, puis- 
qu'ils ne savent pas le sort que leur réserve l'heure qui va suivre! À 
peine le duc fut-il dans la rue, qu'il se vit enveloppé tout à coup par 
dix-sept assassins , dignes de toute l'animadversion divine et humaine. 
Au méme instant, Raoul, leur chef, transporté d'une rage vraiment 
diabolique, lui abattit la main gauche d'un seul coup de sa hache, 
puis lui assena sur le crâne un autre coup, qui donna la mort à cet 
illustre prince. L'impitoyable meurtrier retirant de la blessure son 
arme toute sanglante, l'en frappa une troisième fois par derrière, 
pendant qu'il tombait à terre, et fit jaillir sa cervelle sur le pavé. 
Les gens de la suite du duc épouvantés prirent tous la fuite, à l'excep- 
tion d'un Flamand, qui se jeta sur le corps inanimé de son maitre en 
s’écriant à diverses reprises : « Épargnez monseigneur d'Orléans, frère 
du roi. » Les assassins, ne pouvant le séparer de leur victime, le per- 
cérent de mille coups et le laissérent mort sur la place. 

' Suivant Monstrelet , Thomas de Courte- reine et annonça au duc d'Orléans que le 


heuse, valet de chambre du roi, gagné par roi le mandait pour affaire presente; ce 
Raoul d'Ocquetonville, se présenta chez la fut sur son invitation que le duc sortit. 


136 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


Sic invida fatorum series, felicium inimica , ut statum eorum 
deducat habilius in ruinam, per insensibiles et cecas insidias 
potenciores immitit et inducit ad casum, et ne, previsione pre- 
babita , per cautele subsidium valeant se tueri. Commisso tetro 
scelere, quod omnes barbare naciones horribile reputassent, 
sceleratissimus proditor cadaver ignominiose traxit ad vicinum 
fetidissimum lutum; ac ubi cum face straminis ardente, quia 
lumen aliud non habebat, scelus adimpletum vidit, inde letus, 
tanquam de re bene gesta, ad hospicium ducis Burgundie rediit 
cum collegis detestabilibus, nemine insequente. 

Patrato tamen scelere, quo crudelius vel abominabilius in 
quemcunque gestum non referunt annales, statim populorum 
repentinus fit concursus, audita facti acerbitate immanissimi, 
et ad excecrabile spectaculum cunctis undique confluentibus , 
horror fuit intueri corpus multis plagis confossum letalibus , 
in uno brachio mutilatum; sed horribilius fuit, cum cerebrum 
levamque manum, ut cum corpore sepelirentur, infra lutum 
fetidum colligi opportuit et perquiri. 

Cum summa displicencia eciam cum regina omnes de regio 
sanguine procreati enormitatem sceleris audierunt, dumtaxat 
excepto duce Burgundie, qui tunc nec proditori casum nun- 
cianti credidit, donec cum fafniliaribus suis velud bellico appa- 
ratu ad ecelesiam Sancti Guillelmi accedens ibi jam corpus 
delatum repperisset. Ex tunc dolenti similem se fingens, et ves- 
tem lugubrem, sicut ceteri, assumens , cum eisdem absque eru- 
bescencie velo interfuit, quando corpus ad ecclesiam Celesti- 
norum Parisiensium, ubi et ipse vivens sepeliri optaverat, 
detulerunt. Ubi cum duobus diebus exactis cruentas exequias 
funerales multo cum gemitu decentissime persolvissent , mutuo 
eonsuluerunt, cum cordis amaritudine sciscitantes quis actor 
tanti criminis extitisset. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 737 


C'est ainsi que le destin jaloux travaille à détruire le bonheur des 
mortels et pousse à leur pèrte les puissants de ce monde, en les faisant 
tomber dans des piéges insensibles et cachés, pour qu'ils ne puissent 
prévoir ses attaques ni s'en garantir. Après cet odieux attentat, qui 
aurait fait horreur aux nations les plus barbares, l'exécrable assassin 
traina ignominieusement le corps auprés d'un tas de boue, et s'étant 
assuré, à la lueur d'une torche de paille, que son crime était con- 
sommé, il s'eu retourna avec ses infámes complices à l'hótel du duc de 
Bourgogne, aussi joyeux que s'il eût fait une boune action, et sans 


étre poursuivi par personne. 


Cependant le bruit de cet effroyable attentat, qui est sans exemple 
dans l'histoire, se répandit bientót; le peuple accourut en foule, 
pour étre témoin de cet horrible spectacle. C'était une chose affreuse 
à voir que ce corps couvert de blessures mortelles et ce bras mutilé. 
Mais ce qu'il y eut de plus affreux encore, c'est qu'il fallut chercher et 
ramasser dans la boue la cervelle et la main gauche, pour les ensevelir 
avec le corps. 


La reine et les princes du sang furent atterrés par la nouvelle d'un 
forfait si atroce; quant au duc de Bourgogne, il n'y crut pas d'abord 
et refusa méme d'ajouter foi au récit du meurtrier. Il se rendit avec ses 
serviteurs en appareil militaire à l'église de Saint-Guillaume , et y 
trouva le corps qui y avait été déjà déposé. Alors feignant une grande 
affliction, il prit des habits de deuil, comme les autres princes, et 
n'eut point honte d'assister au convoi, qui se fit en l'église des Céles- 
tins de Paris, où le duc avait, de son vivant, ordonné qu'on l'enterrát. 
Ces tristes funérailles durérent deux jours, et furent célébrées en 
grande pompe au milieu des larmes de tous les assistants. Les princes 
se réunirent ensuite, pour délibérer dans l'amertume de leur cœur 
sur les moyens de découvrir l'auteur de cet horrible assassinat. 


' Aujourd'hui l'église des Blancs-Manteam. 


III. 93 


7138 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM XXXI. 
De moribus dicti ducis, et certitudine necis ejus. 


Inconsolabiliter sane dignum ducebant deflendum sic dede- 
corose necatum tam preclarum ducem, unicum et ex utroque 
parente regis fratrem, tamque forma egregium, ipsisque accep- 
tissimum cognatum vel nepotem. Cui et precipue, inter dotes 
quas natura illum dotaverat , sponte fluentis eloquii sibi inerat 
prerogativa quedam singularis, qua reliquos sui temporis prin- 
cipes superabat. Certum est et in hoc sepe vincisse plures pre- 
stantissimos oratores, quamvis de gremio alme Universitatis 
Parisiensis, dyaleticis argumentis, hystoriarum exemplis vel 
regulis theologice veritatis muniti, mitterentur. Nam persepe 
ipsum vidi eleguanciorem respondendo ad singula, quam fue- 
rant proponendo. Apud exteros eciam famabatur, quia erat 
ipsi tum rerum tum verborum multa * atque mansuetudo; 
et, ad quod tunc regni principes summo studio laborabant, 
legatos ad se missos mitissime alloqui, et, si uspiam errassent, 
leniter admonere mos illi perpetuus. Et quamvis, secundum 
exteriorem hominem, in cunctis civilibus moribus se semper 
ostenderit ornatum et commendabilem , quia tamen. nemo sine 
crimine vivit, cum juvenilem sequeretur etatem, ad multa 
vicia preceps fuit, que tamen horruit cum ad virilem etatem 
pervenisset. | 

Ad mortem iterum hujus ducis rediens generosi, sermo unus 
in ore fere omnium regnicolarum vertebatur, eum non sine 
domini Roberti de Canniaco consensu extinctum fuisse, cum 


* Il faut supposer ici l'omission d'un mot tel que copia. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIH. 739 


CHAPITRE XXXI. 


Portrait du duc d'Orléans. — Son meurtrier se fait connaitre. 


. Les princes ne pouvaient se consoler de la perte de l’illustre duc 
d'Orléans, si traîtreusement assassiné; ils pleuraient en lui le frère 
unique du roi, leur cousin ou leur neveu, un prince d'un extéricur 
accompli et qu'ils chérissaient tendrement. Entre autres qualités dont 
la nature l'avait doué, il avait surtout une merveilleuse facilité d’élo- 
cution , qui le distinguait parmi tous les seigneurs de son temps. En 
effet on l'avait vu dans plus d'une occasion surpasser par son éloquence 
les plus fameux orateurs, sans en excepter méme ceux de la vénérable 
Université de Paris, quelque versés qu'ils fussent dans les subtilités de 
la dialectique, dans la connaissance de l'histoire et dans la science 
théologique. Je l'ai vu souvent moi-méme se montrer plus élégant 
dans ses réponses que ne l'avaient été ceux qui le haranguaient. Les 
étrangers vantaient aussi son éloquence facile et abondante et son 
extréme affabilité. Comme tous les princes du royaume, il se faisait un 
point d'honneur d'accueillir toujours avec les plus grands égards les 
personnes qu'on lui députait, et de les reprendre avec douceur, s'il 
leur arrivait de se tromper en quelque chose. Il se montrait toujours 
aimable et bienveillant dans ses maniéres. On peut lui reprocher toute- 
fois d'avoir été pendant sa jeunesse enclin à beaucoup de vices , comme 
le sont la plupart des hommes ; mais il les évita avec soin quaud i 
fut arrivé à l’âge mór. 


Je reviens à la mort de ce noble duc. C'était un bruit généralement 
répandu dans le royaume que Robert de Canny ' n'était pas étranger à 
l'assassinat commis sur sa personne. On fondait cette accusation sur ce 


' Monstrelet l'appelle Aubert de Chauny. mère du fameux bâtard d'Orléans, le comte 
— Sa femme était Mariette d'Enghien, de Dunois. 


740 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


odium inexpiabile, quod adversus ipsum ducem propter uxo- 
rem propriam, quam diu adamaverat, non immerito conceperat, 
daset evidens argumentum. Sed cum jam ipsum, et quotquot 
suspectos habebant, domini de regio sanguine procreati in- 
quiri et capi deliberassent, prefatus dux Burgundie sibi con- 
scius, ne forte culpa propria innocentibus penas daret, mox 
procedens in medium eorum, et accitis rege Sicilie Ludovico 
atque duce Biturie, sera penitencia ductus, crimen patefecit, 
et alienis manibus pessimum facinus se fecisse, instiguante dya- 
bolo, proc dolor! libere professus est. Sermonis displicencia 
membris eorum tremorem attulit et horrorem ; silencium inde 
stupefacti aliquamdiu tenuerunt, anxiosa suspiria pectoribus 
eduxerunt ab ymis. Et ut ad noticiam venit ceterorum, mente 
omnes consternati, gemitu et lacrimis, quas pre spiritus an- 
gustia cohibere nequeunt, dolorem inde conceptum protestan- 
tur, tam excecrabilem prodicionem non immerito dampnantes, 
et rogantes ut actor sceleris cum Datan et Abiron eternam 
perciperet porcionem. Sane minime ignorabant ambos duces 
fedus amicicie fraterne nuper mutuo pepigisse, idque recenter 
litteris et sacramentis firmasse, simul accipiendo corpus Christi, 
et quod consodales deinceps in rebus bellicis existentes, unus 
alterius honorem et commodum modis omnibus procuraret. In 
signum quoque amoris precipui, cum dux Burgundie dominum 
ducem Aurelianensem cognatum suum germanum egrotantem 
dulciter visitasset, secum et sequenti die dominica acquieverat 
epulari. 

Que omnia ad memoriam duces et comites regalis prosapie 
reducentes, excusaciones ducis. non modo audire renuerunt, 
sed cum lacrimis ac mestis singultibus de regali consistorio 
recedentes, sequenti luce, ipsi advenienti camere Parlamenti 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 744 


qu'il avait concu une haine implacable contre le duc, qui avait séduit 
sa femme. Déjà messeigneurs les princes du sang avaient résolu en 
conseil de le faire rechercher et saisir, lui et tous ceux qu'ils soup- 
connaient. Alors le duc de Bourgogne, qui avait la conscience de son 
crime, ne voulant point que la punition en retombát sur des inno- 
cents, et poussé par un repentir tardif, se leva, prit à part le roi de 
Sicile Louis et le duc de Berri, et leur avoua sans détour qu'il était 
l'auteur de cet affreux attentat, qu'il l'avait fait commettre par des 
mains étrangères, à l'instigation du diable. Cet aveu les fit trembler 
et frémir d'horreur. Ils gardérent quelque temps un morne silence, 
qu'ils w’interrompirent que par de profonds soupirs. Quand les autres 
princes en furent informés, ils restérent comme anéantis et firent écla- 
ter leur douleur par des gémissements et des larmes. lls maudirent 
justement cette exécrable trahison, et vouérent le coupable aux tour- 
ments éternels qui sont le partage de Dathan et d'Abiron. Personne 
n'ignorait que les deux ducs avaient fait naguère un pacte d'amitié 
fraternelle, que tout récemment encore ils l'avaient confirmé par 
lettres et par serments, qu'ils avaient communié ensemble, et s'étaient 
juré de rester fidèles compagnons d'armes, et de défendre mutuelle- 
ment leur honneur et leurs intérêts envers et contre tous. Le duc de 
Bourgogne était méme allé visiter monseigneur le duc d'Orléans, son 
cousin , qui était malade, et avait consenti en signe d'affection parti- 
culiére à diner avec lui le lendemain , qui était un dimanche. 


Les dues et les comtes de la famille royale, se rappelant toutes ces 
circonstances, ne voulurent point écouter les excuses du duc; ils 
sortirent du conseil en pleurant et en sanglotant, et le jour suivant, 
lorsqu'il se présenta au Parlement, ils lui en refusèrent l'entrée. Le 
duc en fut trés irrité, et leur dit que quelque jour peut-être il y 


142 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


denegaverunt ingressum. Unde dolens et respondens alias se 
forsan ipsis invitis admissurum, mox sequenti die sabbati de 
Parisius recedens, celeriter in Flandriam magnis itineribus 
contendit. Quamvis ipsum temporali et divina animadversione 
dignum regalis prosapia reputaret, rex quoque necem fraternam 
impacientissime ferret ultra quam credi posset, ejus tamen, 
relacione multorum, exequcionis vindictam tanti viri aucto- 
ritas refrenabat, cum se decanum parium Francie nominans 
amplo patrimonio cunctis precelleret, et jam prolem suam filio 
regis primogenito lege connubiali janxisset. Ideo tandem ipsi 
per comitem Sancti Pauli offertur audiencia publica, et impu- 
nitas delicti, dum tamen actores ejus traderet judicialiter pu- 
niendos. Quod cum ipse recusasset, rex Ambianis dominum 
ducem Biturie atque Sicilie regem misit, ut super facto nephan- 
dissimo cum eo mutuo colloquerentur. Cum eisdem dux Borbo- 
niensis inclitus ire recusavit, regem rogans ut terram suam 
sibi concederet visitare. Nam revera dolore tactus intrinsecus 
super ignominiosa nece dilectissimi nepotis, plures fertur 
dixisse se nunquam "posse gratis oculis intueri tante prodicio- 
nis actorem. 

Dux autem Burgundie, sibi conscius patrati sceleris, et a se 
ipso adversus se capi posse exemplum cogitans, corpus armatis 
circumseptum pugnatoribus tenebat continue; nec persuaderi 
sibi iidem domini potuerunt, quin in bellico apparatu intraret 
Ambianensem urbem , ubi decem diebus in affatibus benivolis 
exactis et dapsilibus conviviis, mandato regis parere et in ejus 
presencia alleguare suas excusaciones promisit. Sed cum prefatis 
dominis grato concurrens assensu, dixit tamen quod promise- 
rat minime impleturum, | quamdiu porte civitatis Parisiensis ab 
armatis custodirentur hominibus, ut sic sibi et suis liber daretur 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIH. — 743 
entrerait malgré eux. Le lendemain, qui était un samedi, il quitta 
Paris à la hâte, et se rendit en Flandre à grandes journées, Quoique 
la famille royalele regardát comme un criminel digue de la colére 
de Dieu et des hommes, et «que le roi éprouvät le plus vif ressenti- 
ment de la mort de son frère, on différa le châtiment par égard pour 
un tel personnage, qui portait le titre de doyen des pairs de France, 
qui était le plus riche seigneur du royaume, et qui avait déjà marié sa 
fille avec le fils aîné du roi. Bientôt méme on lui bt offrir par le 
comte de Saint-Pol une ándience publique et l'impunité, à condition 
qu'il livrerait les assassins pour qu'ils fussent jugés suivant les formas de 
la justice. Le duc de Bourgogne s'y étant refusé, le roi envoya à Amiens 
monseigneur le duc de Berri et le yoi de Sicile, afin de conférer avec 
lui au sujet de ce crime aboininable. L'illusre duc de Bourbon, qui 
avait été désigné pour les accompagner, demanda au roi la permission 
de ne point faire partie de cette ambassade ét de se retirer dans ses 
terres. La mort ignominieuse de son bien aimé neveu était pour lui 
un coup terrible, et il répéta, dit-on, plusieurs fois qu'il ne pourreit 
jamais supporter la vue de l'auteur d'une si noire trahison. 


Le dnc de Bourgogne, qui avait la conscience de son crime, et 
qui pensait qu'on pourrait s'autoriser contre lui-même de l'exemple 
quil avait donné; ne marchait qu'entouré d'une garde. nombreuse. 
Les deux princes ne purent l'empécher d'entrer à Amiens en appareil 
de guerre, et passèrent dix jours dans cette ville, nà ils eurent avec 
lui des conférences pleines de courtoisie, et qù ils se traitèrent mu- 
tuellement avec somptuosité. Le duc promit enfin d'obéir aux ordres 
du roi et d'aller exposer ses excuses en sa présence. Mais en acquiescant 
à la demande desdits princes, il déclara qu'il y mettait pour condition 
que les portes de Paris ne fussent plus gardées par des gens de guerre, 
afin que lui et ses gens pussent y entrer en liberté; ear il voulait y 


744 “CHRONIGORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 
ingressus , quoniam non ut adversarius ville vel regis. eciam, 
sed ut pacificus amicus illam ingredi: volebat. | 


CAPITULUM XXXI 


De e asperitate hyemis et glaciebus dempnas. 


Hiemps asperior quam centum lustris transactis in regno 
viguit , que, perpaucis pluvii$ interjectis, cum" nivium dempsa 
. mole, a festo Sancti Martini hyemalis usque ad januarii men- 
sis finem, gelu prodigum a cunctis cardinalibus ventis indiffe- 
renter suscitatum ministravit. Vis algoris ubique multas vineas 
ac frugiferas arbores consumpsit radicitus, nonnullosque pau- 
peres extinguens viros, nec gregibus et armentis pepercit nec 
avibus, quam. diu nives condense herbarum, arborum quoque 
virorem et fluencium aquarum denegaverunt solacia. Activitatis 
insolite inde glacies processerunt, que nonnullorum puteorum 
intima penetrantes, non solum fluvios regni innavigabiles pro 
necessitatibus hominum deferendis reddiderunt, sed tanta 
spissitudine eorum superficiem obtexerunt, ut desuper qua- 
 drige onerate velud super tellurem sollidam trahi possent. 

. Sub eadem tempestate, fretum anfractuosis procellis intu- 
mescens., locis multis pisces diversi generis evomens, procul ad 
solum. ejecit... Mirabiliori- tamen modo: et alias inaudito litus 
britannicum, quod ducentis et amplius miliaribus longum 
ferunt , his piscibus sic replevit, ut agrestes accole illa collimi- 
tantes loca remociores multo partes patrie coacti sunt petere, 
relictis propriis domiciliis ob fetorem ex hiis morticiniis pro- 
cedentem. Cotidiane capture lucri gracia inhiantes ceteros 
pisces in habitaculis cavernosis tunc delituisse retulerunt per 
totum illud spacium , tamdiuque. mare fecunditate solita dene- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 745 


paraitre non comme un ennemi de la ville ou du roi, mais comme 
un ami qui souhaitait la paix. 


CHAPITRE XXXII. 


De la rigueur de l'hiver et des désastres causés par les glaces. 


L'hiver fut plus rigoureux cette année qu'il n'avait été depuis cinq 
cents ans. Il y eut peu de pluies; mais depuis la fête de Saint-Martin 
d'hiver jusqu'à la fin du mois de janvier, la neige tomba en abon- 
dance, et il ne cessa de geler, de quelque côté que soufflât le vent. 
La violence du froid détruisit partout les vignes et les arbres fruitiers, 
fit périr bien des pauvres gens, et n'épargna ni le gros ni le menu 
bétail, ni les oiseaux ; car la neige épaisse qui couvrait tout les pri- 
vait de l'herbe des champs, du feuillage des arbres et de l'eau des ruis- 
seaux. Les gelées furent si fortes, qu'il y eut de la glace jusqu'au fond 
des puits, et que la navigation devint impraticable sur toutes les 
riviéres. La glace acquit méme une telle consistance, que les chariots 
chargés purent passer sur les fleuves comme sur la terre ferme. 


En méme temps, la mer bouleversée par la tempête rejeta sur 
toutes les cótes des poissons de toute espéce; mais nulle part il n'y 
en eut une quantité plus étonnante et plus extraordinaire que sur la 
cóte de Bretagne, qui a, dit-on, plus de deux cents milles de longueur. 
Cette cóte fut tellement couverte de poissons, que les exhalaisons fétides 
produites par les cadavres forcérent les paysans d'alentour de quitter 
leurs habitations et de se retirer plus avant dans le pays. Les pécheurs 
prétendirent que les poissons qui avaient échappé s'étaient tenus cachés 
pendant toute la mauvaise saison dans des trous et des cavités. Pen- 
dant tout ce temps aussi la mer, devenue stérile, cessa de subvenir 
à la nourriture des hommes, et ne leur fournit ni les gros poissons ni 
méme ceux de rebut. 


IIl. 94 


746 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


gata non modo magnis sed et superflue ejiciendis piscibus esum 
hominum privavit. | 

Temporis tantam talemque disconvenienciam annales bene 
referunt alias accidisse, et quomodo nullus poterat panem 
gustare, nisi ignis gelicidium excussisset, et non sine veru 
ferreo fudisset vinum de doliis, non tamen quod in exitu tot 
dampna regno intulerunt. Nam cum aque glaciales die sabbati 
vicesima octava januarii liquefieri ceperunt ex nivibus, e stannis 
per parva flumina sic subito et impetuose discurrerunt, quod ad 
yma descendentes multas domos everterunt solotenus, peccora 
. quoque et jumenta omnis generis submerserunt. In principali- 
bus fluviis qui nomen ad mare ferunt, et in Secana precipue, 
harum glacierum frustra trecentorum pedum longitudinis et 
totidem latitudinis vidi, que, per corrosionem mutuam ad instar 
acervorum lapidum molarium conversa , in impetuoso descensu 
nonnullis gurticibus insulisque cum sallicibus evulsis radicitus in 
direpcionem poncium sevierunt, multarum .quoque navium, 
quas a littoribus solverant violenter. Parisius eciam pontem 
Sancti Michaelis arcubus constructum lapideis, sed ex impericia 
artificis nimis concavibus, sequenti luce destruxerunt cum 
cunctis super edificatis domibus. Similem eciam ruinam passus 
fuit pons ligneus, super alteram partem Sequane itiuerantibus 
viam prebens. Timebatur iterum ne magnus Pons, quem diu 
tremulum reddiderunt, simili periculo subjaceret; sed inde 
nonnisi quatuordecim campsorum officine publice corruerunt. 

Hec insperata tempestas multos locupletes viros bonis omni- 
bus privavit inestimabilis valoris, que, quia irrecuperabilia vi- 
debantur, cum inter dempsas et inaccessibiles glacies descende- 
bant , hoc intuentes ad pietatem et compassionem inducebant. 
Molendina, que victui hominum frumenta concussa in farine 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. +- LIV. XXVIII. — 747 


Il y avait eu déjà plus d'une fois des exemples d'un froid tellement 
rigoureux, qu'on me pouvait manger du pain sans le faire dégeler au- 
prés du feu, ni faire couler le vin des tonneaux qu'à l'aide de broches 
en fer; mais jamais on n'avait oui parler de désastres aussi grands 
que ceux qui en résultérent cette année pour le royaume. Les glaces 
commencèrent à se rompre le samedi 28 janvier, et les eaux prove- 
nant de la. fonte des neiges formérent tout à coup des torrents si im- 
pétueux, qu'elles abattirent sur leur passage un grand nombre de 
maisons, et submergérent le gros et le menu bétail. J'ai vu sur les 
principaux fleuves, et particulièrement sur la Seine, des glaçons de 
trois cents pieds de long et de large, qui en se heurtant les uns contre 
les autres avaient formé comme d'énormes blocs de pierre, entraînant 
dans leur course impétueuse les gords, les îles et les saussaies , et dé- 
truisant les ponts et les bateaux qu'ils avaient emportés loin du rivage. 
Ainsi à Paris, le second jour du dégel , le pont Saint-Michel, qui avait 
des arches en pierre, mais dont les voûtes avaient été mal construites, 
fut renversé avec toutes les maisons qui étaieut dessus. Il en fut de 
méme du pont de bois placé sur l'autre bras de la Seine pour servir 
de communication entre les deux rives. On craignit aussi la chute du 
grand Pont, qui fut fortement ébranlé par les glaces; mais il n'y eut 
que quatorze boutiques de changeurs qui s'écroulérent. 


Ces désastres extraordinaires ruinérent beaucoup de gens riches, qui 
ne purent rien sauver de tous les objets précieux que ces glaces épaisses 
et inabordables entrainaient avec elles. Tous ceux qui assistérent a ce 
triste spectacle furent émus de pitié et de compassion. La débâcle dé- 
truisit les moulins qui fournissaient la farine nécessaire à la subsistance 
journalière des habitants, et l’on était menacé d'une cruelle famine, 


748 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


pulverem cotidianis usibus convertebant, vis destruxit tem- 
pestatis in parte maxiina, sicque famem diram minabantur, 
precipue in villa Parisiensi, nisi farinam, quam panefici in 
magna copia servabant, auctoritas regia ad certum et compe- 
tens precium omnibus exposuisset. 

Prope Silvanetum et alibi, ex locis montuosis nives dicte ad 
instar rapidissimorum torrencium descendentes ingencia saxa 
et proceriores silvarum arbores evulsas radicitus ad yma dei- 
ciebant, que stratas regias disrumpentes , et vias publicas 
obstruentes , eas pertranseuntibus immeabiles reddiderunt. Non 
habet sane presencium hominum memoria, quod alias tanta 
tamque dampnosa hyemps acciderit. Et si quis velit predicta 
considerare attencius, seniorum assercione, et quibus prisci 
temporis plenior adhuc famulabatur memoria, annum istum 
annum algoris alias inaudite nominabit. 


CAPITULUM XXXIII. 


Queremonia flebilis domine ducisse Aurelianensis super motte viri sui nequiter 
et sine causa interfecti, 


Ducissa Aurelianensis, comperta dilectissimi mariti tam 
subita tamque ignominiosa morte, et sinistro saucia casu, veste 
et capillo lacera, accitis duobus ex duce superstitibus filiis, 
ejulans et doloris immensitatem suspiriis contestans, non 
sufficit humor oculis pre fletus ubertate continui , voxque dolo- 
ris interpres interrumpitur singultibus, habituque merorem 
contestans anxietatis nimie lugubria pretendit argumenta. Cum 
insigni deinde comitiva et apparatu funerali veniens Parisius et 
regem adiens, ad pedes ipsius humiliter se provolvit cum suis 
liberis, et ut plus ipsum ad pietatem commoveret : « Dolore.pre 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 749 


surtout à Paris, si le roi n’eût ordonné que les boulangers, qui avaient 
de grandes provisions de farine, ne la vendissent à un prix raisonnable 
et fixé d'avance. 


Prés de Senlis et en d'autres lieux, les neiges, descendant des mon- 
tagnes avec la rapidité des torrents, arrachérent et entrainérent dans 
leur chute d'énormes pierres et de grands arbres, qui dégradaient les 
chaussées royales, obstruaient les grandes routes et les rendaient im- 
praticables. Les hommes de notre temps ne se souviennent point 
d'avoir jamais vu des froids si rudes et si désastreux. Si l'on songe 
en effet aux dégáts que j'ai mentionnés, si l'on en croit les vieillards 
et ceux qui ont encore présents à la mémoire les événements des temps 
passés, on pourra appeler cette année l'année du grand hiver. 


CHAPITRE XXXIII. 


Madame la duchesse d'Orléans vient demander justice de l'horrible et cruel assassinat 
commis sur la personne de son mari. 


La duchesse d'Orléans, en apprenant la mort si soudaine et si cruelle 
de son époux bien aimé, se livra aux transports de la plus vive dou- 
leur ; elle s'arracha les cheveux, déchira ses vétements, et ayant fait 
venir les deux fils qu'elle avait eus du duc, elle leur fit connaitre par 
ses cris et par ses soupirs le malheur qui venait de les frapper. Des 
torrents de larmes coulaient de ses yeux ; sa voix était étouffée par les 
sanglots. En un mot elle donna tous les signes du plus profond déses- 
poir. Elle se rendit en toute háte à Paris avec une suite nombreuse et 
en appareil de deuil, alla se jeter humblement aux pieds du roi avec 
ses deux fils, et lui parla en ces termes, afin d'exciter sa pitié : « C'est 
« une veuve réduite au désespoir et condamnée à passer sa triste exis- 
« tence dans les larmes, qui vient avec ces deux orphelins, vos neveux, 


750 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 
« nimio, inquit, anxía facta, et in continuis lamentis flebilem 
« vitam trahens, querulas voces serenitati regie prodo et cumulo 
« cum pupillis nepotibus vestris , desolata vidua , uxor quondam 
« dilectissimi et unici fratris vestri. Tam fidelem et obsequiosum 
« in cunctis, tamque forma egregium, ac merito secretorum 
« acceptissimum custodem infaustam sortem vobis subripuisse 
« misericorditer doleatis, et iracundie dolor cedat, cum id 
« fraude ducis Burgundie, cognati vestri germani, heu! Jude 
« proditori procul dubio simili, processerit. Nubem sane infide- 
« litatis perpetuam claro generi deferencium lilia sic induxisse 
« cunctis constat, quia, mutue et singularis amicicie pacto 
« publice vallato sacramentis parvipenso, ab iniquitatis minis- 
« tris sibi preparari procuravit mortales insidias. Et cum , ejus 
« dulci alloquio domina venerabilis regina recreata, regiam 
« aulam tenderet, o mortalium ceca mens et casuum imminen- 
« cium inscia! ab impiis proditoribus temporali et eterna ani- 
« madversione dignis subito intersceptus, nequiter et ignomi- 
« niosius solito est occisus. Quis tam ferrei pectoris, tam mentis 
« adamantine, cujus interiora non liquefierent, si vidisset post 
« dextrum brachium amputatum, post letalia inflicta vulnera, 
« post caput excerebratum , corpus ignominiose super stratam 
« regiam elisum ad vicinum fetidissimum lutum trahi ? 

« Hanc tantam enormitatem, summe princeps et domine, 
« unicus frater vester ob invidiam et singularem amorem, quem 
« de jure naturali habebatis ad ipsum, passus est per crimino- 
« sum ducem nominatum, qui adhuc, ut justam faciat causam 
« suam, nititur et famam ejus ac progeniei sue perpetuo deni- 
« grare per libellum iniquum, mendosum et diffamatorium 
« oblatum. Et quia cuncta predicta in opprobrium majestatis 
« regie in perpetuum redundabunt, si impunita maneant , vobis 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII 154 


« faire entendre sa voix plaintive à votre royale majesté ; c'est la veuve 
« de. votre unique et bien aimé frère, de ce prince si accompli, qui 
« vous fut toujours si fidéle et si dévoué, et que vous aviez choisi avec 
« raison pour dépositaire de vos secrets. Déplorez avec moi le sort 
« cruel qui vous l'a ravi. Mais que la douleur ne vous fasse point 
« oublier la vengeance; car, vous le savez, l'auteur de cet attentat est 
« le duc de Bourgogne, votre cousin germain, dont la trahison ne 
« saurait être comparée qu'à celle de l'infáme Judas. Il a terni par cet, 
« acte de félonie l'honneur des illustres princes qui portent les fleurs 
« de lis. Chacun sait que c'est au mépris d'un pacte d'amitié publi- 
« quement juré .qu'il lui a fait préparer des embüches mortelles par 
« des ministres d'iniquité. Hélas ! que l'esprit de l'homme est aveugle 
« et imprévoyant! Au moment où il sortait de chez l'auguste reine 
« qu'il venait de consoler, et où il retournait à l'hótel royal de Saint- 
« Paul , il a été surpris tout à coup par d'exécrables traitres, dignes de 
« l'animadversion divine et humaine , qui l'ont méchamment et ou- 
« trageusement mis à mort. Il n'est point de cœur si dur, d'Ame si 
« inflexible, qui ne se fût attendrie en voyant ce bras mutilé, ce corps 
« couvert de blessures mortelles, cette cervelle répandue à à terre, et 
« ce cadavre traîné ignominieusement dans la rue près d’un tas de 


« boue. 


« Noble prince et seigneur, votre frère unique n'a été si indigne- 
« ment traité par le méchant duc de Bourgogne, qu'a cause de l’affec- 
« lion particuliére que vous inspiraient pour lui les liens du sang. 
« Et maintenant ledit duc, pour se justifier, cherche à ternir l'honneur 
« de mon illustre époux et celui de ses enfants, en publiant contre lui 
« wn libelle injurieux et diffamatoire. La honte de tous ces outrages 
« rejaillirait sur votre royale majesté, s'ils restaient impunis. C'est 
« pour cela que votre sœur désolée et ces pauvres enfants, vos neveux, 
« encore dans l’âge de l'innocence, vous supplient humblement à 


752 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XX VIH. 


« supplices assistunt unica soror vestra desolata, vestri nepotes 
« juvenes et innocentes , suppliciter flexis genibus exorantes , ne 
« excecrabile facinus maneat impunitum , ne vel mortem fratris 
« impiis proditoribus sinatis esse ludibrio, sed hanc velitis ul- 
« cisci cum dextera prepotenti, aut faciatis noxios sisti judicio 
« regii Parlamenti, ut dignam pro commisso flagicio reportent 
« punicionem. » 

Addidit et veneranda ducissa in calce persuasionis prolixe, 
ut nepotes proprios tunc presentes sibi sineret educari, donec 
pubertatis annos attigissent, utque paternis opibus potirentur 
et dominiis, eciam que regali munificencia aut empcionis titulo 
pater vivens possederat. Quod rex dulciter annuit, et egram 
animo benigne consolatus est. Responsione contenta, quia cum 
summa displicencia audiebat in proximo venturum ducem 
Burgundie, mox regi cum pacis osculo vale dicto, recessit, qui, 
luce non expectata sequente , in infirmitatem incidit consuetam. 
Accidisset quam sentenciam, * quamvis eciam hoc nunquam 
tenuerim pro comperto. Ducissa vero recedens, et apud Blesis 
moram facere statuens, villam cum municipio restaurari , vic- 
tualibus et armis muniri fecit, portasque continue viris armatis 
custodiri, ac si adversarios haberet in vicino. 


CAPITULUM XXXIV. 
De motivis a duce Burgundie alleguatis super interfectione ducis Aurelianensis. 


Promissorum dux Burgundie non immemor, de Artesio per 
Sanctum Dyonisium, devocionis gracia, tendens Parisius, ibi, 
cunctis non immerito mirantibus, in apparatu bellico, velut de 


' Le texte est ici altéré et inintelligible. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 753 


« genoux de ne point laisser sans vengeance cet exécrable attentat, et 
« de ne point souffrir que d'infámes traitres se soient joués ainsi de la 
« vie de votre frére. Daignez user de votre puissance pour faire justice 
« des coupables, ou ordonnez qu'ils comparaissent devant la cour du 
« Parlement, afin qu'ils subissent le chátiment que mérite leur crime. » 


L'auguste duchesse termina cette requéte en priant le roi de lui 
permettre de garder ses enfants auprés d'elle, jusqu'à ce qu'ils eussent 
atteint l’âge de puberté. Elle le conjura aussi de leur accorder la jouis- 
sance des biens et des domaines de leur pére, tant de ceux qu'il tenait 
de la munificence royale que de ceux qu'il possédait à titre d'achat. 
Le roi accéda volontiers à sa demande, et lui adressa de douces paroles 
de consolation. Elle parut satisfaite de cet accueil ; mais ayant appris, 
à son grand déplaisir, que le duc de Bourgogne allait bientót arriver, 
elle prit congé du roi, qui lui donna le baiser de paix. Le jour même 
de son départ, le roi eut une rechute, dont on attribua la cause à la 
duchesse; je ne puis rien affirmer à cet égard. La duchesse retourna 
à Blois, et comme son dessein était d'y demeurer, elle fit restaurer la 
ville et le cháteau, les approvisionna de vivres et d'armes, et mit 
bonne garde aux portes, comme si ses ennemis eussent été dans le 
voisinage. 


CHAPITRE XXXIV. 


Motifs allégués par le duc de Bourgogne touchant le meurtre du duc d'Orléans. 


Le duc de Bourgogne ne manqua pas à sa parole; il partit de l'Ar- 
tois, et aprés avoir passé à Saint-Denys par dévotion, il arriva à 
Paris, et y fit son entrée en appareil de guerre, au grand étonnement 
de tous, comme s'il venait de remporter quelque victoire sur les en- 
nemis du royaume. Il était escorté de huit cents chevaliers et écuyers 

nt. 95 


154 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


hostibus regni feliciter triumphasset , vallatus octingentis mili- 
tibus et armigeris loricatis ad unguem, exceptis dumtaxat ca- 
pitibus, et in triplici acie ordinatis, urbem ingressus est. Eidem 
honorifice ac comi fronte suscepto a civibus, Francie venera- 
bilis regina et regis consanguinei vallidis precibus dissuadere 
nequiverunt, quin occasiones et motiva ignominiose , condo- 
lende tamen necis ducis Aurelianis proferret publice. Quod 
tandem, importunitate ducis victi, unanimiter consenserunt, ad 
hoc octavam diem marcii assignantes. Tune in aula majore 
domus regie Sancti Pauli, dominis duce Guienne, rege Sicilie 
Ludovico, duce Biturie, et cunctis de regio sanguine procreatis 
presentibus, magistro Jhoanni Parvi, nacione normano, in 
theologia professori, plus tamen libera loquencia quam ele- 
. guanti commendendo commisit propositum; per quod, si et 
casum ejus viciosam quis posset dicere habere originem, et 
causam ab honestate clari generis dissencientem, digne tamen 
pro demeritis ilfstum concludi dignatus est, et pro themnate 
verbum sapientis sumens : Radix omnium malorum cupiditas, 
quot et quantis excecrabilibus modis, insaciabifi ambicione 
ductus, ad regnum aspiraverat, ostendens. De verbo ad ver- 
bum scribere longum esset; prolixe tamen perornata, more 
solito, sub compendio perstringens, cum ipsum ducem cunctis 
illaqueatum viciis et eriminosum reputans ac tyraunum, et ob 
hoc eumdem interimi asseruisset licuisse, quia tamen lege po- 
nenti quod juris publici tutela in medio constituta est, ne quis 
de aliquo quibuscunque sceleribus implicato sumere valeat 
ulcionem, addidit legum violatoribus tyrannis statuta impe- 
rialia non ad immunitatem valere, sed ad exterminium finale. 

Hiis in exordio satis prolixe deductis, ut ejus crimina in 
Deum, regem ac prolem ejus, in regnum et rem publicam per- 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 755 


partagés en trois corps et armés de pied en cap, mais la téte découverte. 
Les bourgeois le recurent avec honneur et empressement. L'auguste 
reine de France et les parents du roi ne purent, malgré leurs instantes 
priéres, l'empécher d'exposer publiquement les causes et les motifs de 
la mort ignominieuse et déplorable du duc d'Orléans. Ils furent obligés 
de céder à ses importunités, et consentirent enfin à l'entendre. L'au- 
dience eut lieu le 8 mars dans la grande salle de l'hótel royal de Saint- 
Paul, en.présence de messeigneurs le duc de Guienne, le roi de Sicile 
Louis, le duc de Berri et tous les princes du sang. Maitre Jean Petit, 
normand de nation, professeur en théologie, plus renommé pour la 
hardiesse que pour l'élégance de son langage, fut chargé de porter la 
parole au nom du duc. Il ne craignit pas de soutenir que; si l'on pou- 
vait;trouver quelque chose à redire à l'action du duc de Bourgogne, 
et s'il avait dérogé à l'honneur de sa race, la mort du duc d'Orléans 
n'était que le juste chátiment de ses démérites. Prenant alors pour texte 
cette maxime du sage : La convoitise est la source de tous les maux, 
il énuméra toutes les criminelles intrigues par lesquelles le duc , dévoré 
d'une insauable ambition, avait cherché à s'emparer du trône. Il serait 
trop long de rapporter mot pour mot son discours ; j'en résumerai 
seulement les principaux points", suivant ma coutume. Il représenta le 
duc comme un homme souillé de tous les vices, un scélérat et un tyran, 
et conclut de là qu'il avait été permis de le tuer ; il ajouta que, si la 
loi établissait que le maintien des droits de tous appartient aux pou- 
voirs publics, et n'autorisait aucun particulier à tirer vengeance par 
lui-méme des crimes d'autrui, quels qu'ils soient, les constitutions 
impériales, loin d'étre favorables aux tyrans qui violent les lois, per- 
mettaient au contraire de les exterminer. 


Après cet exorde, qui fut assez long, maitre Jean Petit passa succes- 


' Le plaidoyer de maitre Jean Petit est rapporté tout au long dens Monstrelet. 


156 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


petrata quodam ordine recitaret, primo asseruit ipsum crimen 
lese majestatis divine in primo gradu commisisse, sortilegiis et 
ydolatrie adherendo, contra honorem divinum et fidem orto- 
doxorum. Sceleraque remittens divino examini , dixit et ipsum 
fautorem extitisse nephandissimi scismatis Ecclesie, sicque 
crimen lese majestatis divine in secundo gradu commisisse, 
adherendo domino Benedicto, ut unionem et pacem Ecclesie 
retardaret. 

Ab offensis spiritualibus ad temporales progrediens , ducem 
ipsum in mortem regis primo per sortilegia, supersticiones et 
maleficia, inde per pociones venenosas, iterum ac tercio per 
ignem ac alias violentas injectiones machinatum fuisse, et sic 
crimen majestatis regie in primo gradu commisisse per sequen- 
cia ostendit. 

« Nam ut dolore incurabili , inquit , rex vexatus, cicius diem 
« signaret ultimum, cum quodam religioso apostata quemdam 
« militem cum scutifero et serviente secrete accersiens, ensem 
« unum cum cutello et anulo tradidit, jam multis exactis an- 
« nis, quos demonis nomine consecrarent, vel pocius excecra- 
« rent. Ad hoc agendum occulcius , cum arcem montis Gaudii 
« elegissent, tunc apostata ad montem vicinum ante solis ortum 
« accedens, circulum fecit de calibe, in quo, invocacionibus 
« factis, cum sibi respondissent duo demones in effigie homi- 
« num, Herman et Astramon nuncupati, ipsis honore divino, 
« ut ars postulat , exhibito, res illas tradidit, precipiens ut con- 
« secratas ad votum ad eumdem circulum reportarent. Quo 
« peracto, ut ab ipsis demonibus omnes edocti fuerunt, quem- 
« dam latronem de patibulo communi sustulerunt, cui cum in 
« ore anulum aliquandiu reliquissent, et illum ab ano usque 
« ad pectus ense illo prescindissent, res ipsas dicto duci reddi- 


. CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIH. 757 


sivement en revue les crimes que le duc avait commis erivers Dieu, 
envers le roi et ses enfants, envers le royaume et la chose publique, 
et l'accusa d'abord de lése-majesté divine au premier chef, en ce qu'il 
avait adhéré aux sortiléges et à l'idolátrie, contrairement à l'honneur 
de Dieu et à la foi orthodoxe. S'en remettant à Dieu du soin de punir 
ces crimes, il dit encore que le duc avait été fauteur de l'exécrable 
schisme de l'Église, et qu'il s'était ainsi rendu coupable du crime de 
lèse-majesté divine au second chef, en adhérant à monseigneur Benoit, 
dans le dessein de retarder l'union et la paix de l'Église. 

Passant ensuite des offenses spirituelles aux offenses temporelles, il 
démontra que le duc avait cherché à faire mourir le roi d'abord par 
des enchantements , des sortiléges et des maléfices, puis par des breu- 
vages empoisonnés, enfin par le feu et par d'autres attentats, et qu'ainsi 
il avait commis le crime de lése-majesté royale a au premier chef; ce 
qu'il prouva de la maniére suivante : 


« Voulant hâter, dit-il, la mort du roi, qui était déjà atteint d'un 
« mal incurable, il a fait venir secrétement, il y a plusieurs années, un 
« religieux apostat avec un chevalier, un écuyer et un valet, et leur 
« a remis une épée, un couteau et un anneau, pour les consacrer ou 
« plutót pour les exécrer, s'il est permis de le dire, au hom du démon. 
« Áfin de mieux cacher leurs opérations à tous les regards, ils s'en- 
« fermérent dans le cháteau de Montjoie. De là l'apostat se rendit sur 
« une montagne voisine avant le lever du soleil, et ayant fait un cercle 
« d'acier autour de lui, il commença ses invocations. Deux démons 
« appelés Herman et Astramon lui apparurent sous la forme humaine. 
« Il leur rendit les honneurs divins, selon les préceptes de la magie, 
« et leur remit ces objets, en leur ordonnant de les consacrer et de les 
« rapporter dans le cercle. Les démons ayant exécuté cet ordre, l'apos- 
« tat el ses compagnons, conformément aux instructions qui leur 
« furent données, allérent aux fourches patibulaires, dépendirent le 
« cadavre d'un voleur, lui mirent l'anneau dans la bouche, et l'y lais- 
« sérent quelque temps. Après lui avoir ouvert le ventre avec l'épée, 
« ils rendirent lesdits objets au duc, en lui assurant qu'il pourrait 


158 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« derunt, asserentes se per illas posse consequi quod optabat. 
« De spatula eciam dicti suspensi hominis unum os, in quo de 
« sanguine ejus scripserat idem apostata quedam dyabolica no- 
« mina, idem supersticiosus dux, inquit, diu inter carnem et 
« camisiam portavit; quod cum caute quidam miles , regi genere 
« propinquus, eidem sustulisset, dux elaboravit erga regem, 
« quod eum exulem proscriptum et sine cognicione cause judi- 
« cavit. Inde timore decuriones cum regnicolis territi, quamvis 
« de maleficio perpetrato diu inter se murmuraverunt , ducem 
« tamen ausi non sunt super tanta nequicia publice infamare. » 

Addidit et proponens ipsum ducem, velud dee Veneris ob- 
sequiosum servitorem, a dicto religioso anulum recipisse, 
ex cujus tactu omne femineum genus, quasi incantato car- 
mine facinatum, libidinosis votis ejus sine contradictione 
subserviret, et hoc in penitenciali ebdomada ad majorem in- 
juriam Creatoris. 

Quod in acceleracionem mortis regis dux perpetrasset pre- 
dicta, pro argumentis evidentibus proponens addidit quomodo 
apud Belvacum rex, amissis ex gravi infirmitate procurata un- 
guibus et capillis , et post apud Cenomannicam urbem in amen- 
ciam cadens, diu mortuus creditus fuisset, cito quod loqui po- 
tuit amoveri a se ensem , quo frater suus interanea ejus trans- 
fixerat, exclamavit pluries, et incolumis effectus dixisse fertur : 
« O amici, opportet sine dubio quod eum interficiam. » 

Non sine consensu domini Mediolani hoc non in ambiguum 
dixit processisse, cujus filiam ipse dux desponsaverat. Nam 
cum ipsam mitteret desponsandam, dicens : « Vale, filia, nam 
te non sum visurus , donec regina Francie sis effecta, » sequenti 
quoque tempore ipsi nuncio regio interroganti de incolumitate 
regis, cum bene valere respondisset, fertur nuncio respondisse : 


CHRONIQUE DE CHARLES Vl. — LIV. XXVII. — 759 


« obtenir par leur vertu tout ce qu'il désirait. Ils lui remirent aussi un 
« 0s de l'épaule dudit pendu, sur lequel ledit apostat avait écrit avec 
« son sang certains noms diaboliques. Le duc porta long-temps ce talis- 
« man entre sa chair et sa chemise. Un chevalier, parent du roi, étant 
« parvenu à le lui soustraire, le duc intrigua tant auprés du roi, qu'il 
« le fit exiler sans jugement. Cette condamnation effraya les seigneurs 
« de la cour et les habitants du royaume ; mais, bien que chacun mur- 
« murát en secret du maléfice auquel le duc avait eu recours, on n'osa 
« point l'en accuser publiquement. » 


L’orateur ajouta que ledit duc, esclave dévoué de la déesse Vénus, 
avait recu du méme religieux un anneau dont le contact avait la vertu 
de fasciner toutes les femmes et de les soumettre sans obstacle à ses 
désirs impurs, et qu'il en faisait usage méme dans la semaine sainte, 
pour mieux insulter le Créateur. 


Pour preuve que le duc avait fait tout cela dans l'intention de háter la 
mort du roi, il rappela ce que le roi avait dit, soit à Beauvais, pendant 
cette grave maladie à la suite de laquelle il avait perdu les ongles et 
les cheveux, soit au Mans, pendant la démence qui l’avait mis à 
toute extrémité. Dès qu'il avait pu parler, il avait deuiandé plusieurs 
fois qu'on retirát l'épée dont son frère lui avait percé le sein, et aprés 
sa guérison il avait dit : « Mes amis, il faut absolument que je le tue. » 


Maitre Jean Petit déclara qu'il n'était pas douteux que le seigneur 
de Milan, beau-père du duc, n'eüt pris part à toutes ces machinations, 
et que, quand sa fille était partie pour aller épouser le duc, son père 
lui avait dit : « Adieu, ma fille; je ne vous reverrai plus avant que 
vous soyez devenue reine de France. » Dans une autre occasion, 
ajouta-t-il, ledit seigneur, ayant demandé à un envoyé de France des 
nouvelles de Ia santé du roi, et ayant appris qu'il se portait bien , avait 


760 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


« Dyabolicum recitas et quod est impossibile. » Iterum ad domi- 
num Philippum de Maseriis , duci familiarissimum, qui, prodito 
domino suo rege Cypri, se in domo Celestinorum Parisiensium 
reddiderat, quasdam instructiones miserat. Et hi ambo, cum 
coram duce prefato tres et sepe quatuor misse dicerentur, in 
oratorio suo secreta communicabant consilia, ut ad intentum 
venirent peroptatum. "lunc mirabantur qui fraudis commen- 
tum non noverant, quomodo post tanta diurna devocionis 
signa noctes sequentes commessacionibus et ebrietatibus ac 
blafemiarum patre ludo taxillorum transigeret. 

Item addidit proponens, quod cum frustra duos decuriones 
insignes promissis peccuniis ad intoxicandum regem frustra 
temptasset inducere, et duos alios ad componendum venenum 
pulvereum ad id aptum inclinasset, videns quod mediantibus 
fidelibus aulicis non pervenerat ad intentum , quin ymo, detecta 
prodicione, proditores incarceraverant, ne de hoc infamaretur, 
ipsos protinus liberavit et remisit ad propria. Maleficium vero 
per se ipsum cupiens adimplere, cum domina regina Blancha 
apud Neaufle regi sollempne prandium preparasset, et clam su- 
per discum ejus venenum pulvereum projecisset, idque ad aurem 
regine pérvenisset, mox alium discum afferri mandavit, pri- 
mum ad elemosinarium suum mittens. Qui cum dapes in frustra 
divisisset , ut distribuerentur pauperibus, et post non lotis ma- 
nibus panem in os posuisset, mox se intoxicatum senciens, et 
recedens , modicum supervixit. Ex gustato eciam cibo regina 
audiens canem subito crepuisse, eum precepit in terram sepeliri. 
Iterum in proposito persistens dux prefatus, ipsum regem ad 
quasdam nupcias invitatum eum consuluit, ut concionem evo- 
catam redderet leciorem, cum nonnullis nobilibus strictis tuni- 
cis lineis lino per totum amictis indueretur. Quo habitu eum 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. — 764 


répondu : « Vous me dites là une chose diabolique; c'est impossible. » 
Une autre fois, il avait envoyé certaines instructions à messire Phi- 
lippe de Maiziéres , ami intime du duc d'Orléans, qui, aprés avoir trahi 
son maître, le roi de Chypre, s'était retiré dans la maison des Célestins 
de Paris. On les avait vus souvent l'un et l'autre, pendant qu'on disait 
en leur présence trois et quelquefois quatre messes , conférer secréte- 
ment dans l'oratoire du duc sur les moyens d'arriver à l'exécution du 
crime. Áussi ceux qui ne connaissaient point les intentions criminelles 
du duc s'étonnaient-ils qu'aprés avoir donné tant de signes de dévo- 
tion pendant le jour il passát les nuits à jouer aux dés au milieu des 
blasphémes , de l'ivresse et des orgies. ' | 

Le duc d'Orléans , dit-il encore, aprés avoir vainément offert de l'ar- 
gent à deux illustres seigneurs de la cour pour les pousser à empoi- 
sonner le roi, en avait séduit deux autres, et leur avait persuadé de 
composer à cet effet une poudre empoisonnée. Mais voyant que les 
fidèles serviteurs du roi avaient découvert et déjoué ses projets, qu'ils 
avaient méme fait emprisonner les deux traitres, il s'était háté de leur 
rendre la liberté et de les renvoyer chez eux, de peur d'étre compro- 
mis par leurs aveux. Il avait résolu alors d'exécuter lui-même cet atten- 
tat, et un jour que madame la reine Blanche donnait au roi un grand 
diner à Neauphle, il avait jeté furtivement sa poudre empoisonnée 
dans le plat du roi. La reine, qui en avait été avertie, avait fait aussi- 
tôt apporter un autre plat, et avait envoyé le premier à son aumónier 
pour qu'il le distribuât aux pauvres. Celui-ci en ayant fait plusieurs 
| parts, et ayant ensuite porté du pain à sa bouche sans s'étre lavé les 
mains, avait senti les atteintes du poison et s'était levé de table ; il avait 
.süccombé peu de temps aprés. La reine, ayant appris aussi qu'un chien 
était mort subitement aprés avoir goüté de ce mets, avait fait enfouir 
en terre les restes du plat. Ledit duc n'en avait pas moins persisté dans 
son dessein. Profitant de l'occasion d'une certaine noce où le roi était 
convié , il lui avait conseillé, pour égayer la fête, de se travestir avec 


* Voir le Mémoire de l'abbé Lebeuf sur tome xv des Mémoires de l'Académie des 
la vie de Philippe de Maiziéres, dans le inscriptions et belles-lettres. 


II. 96 


762 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


tripudiarent attente, ignem in unum immisit, et mox eodem 
momento alii sunt accensi , rege dumtaxat excepto , quem antea 
et hucusque , quamvis incognitum , domine insignes assistentes 
detinuerant. Dux iterum egre ferens regem Anglie Richardum 
regi Francie dixisse, dum ejus filiam uxorem peteret, ut ab ejus 
insidiis se caveret, mox cum duce Lencastrie, ejus tunc adver- 
sario capitali, fedus iniit et auxilium promisit ad expellendum 
de regno regem ipsum, dum tamen sibi auxiliaretur ad regnum 
Francie occupandum. Ob amiciciam contractam gentibus pre- 
dicti ducis apud Lourde, munitissimum castrum, obsessis a Gal- 
licis mandavit ne castrum redderent, quoniam, si indigerent, 
eis auxilium destinaret, ut obsidio frustraretur. Cum autem ipse 
Henricus ad regnum Anglie viribus aspiraret, quibusdam ex 
suis dubitantibus ne impediretur a Francis, respondisse fertur 
hoc minime dubitare, quia forciorem regni ducem Aurelianis 
confederatum per juramentum tenebat. 


« Per ea, inquit proponens, que dicta sunt se publice de- 
« monstravit ad regnum Francie aspirasse; pluriesque apud 
« papam dominum Benedictum regem de amencia et enormibus 
« viciis accusans , supplicavit ut eo a dignitate regali deposito, 
« et feodatis a promissa fidelitate absolutis, ipsi et successoribus 
« suis regnum confirmaret. Sed id papa pluries dissimulando 
« negavit, semper addens nisi id de consensu fratrum suorum 
« cardinalium processisset. » 

Proponens iterum monstrans quod dux ipse crimen commi- 
serat in secundo gradu, dixit quod, rege egritudine solita labo- 
rante, regine persuaserat ut se cum filio domino duce Guienne 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 763 


quelques autres seigneurs, et de prendre pour déguisement d'étroites 
tuniques de lin toutes couvertes d'étoupes, et pendant qu'ils étaient 
tout entiers au plaisir de la danse, il avait mis le feu aux vêtements de 
l'un d'entre eux. Au méme instant la flamme s'était communiquée à 
tous les autres, excepté le roi, que d'illustres dames avaient, par hasard 
et sans le connaitre, retenu auprés d'elles. De plus, ledit duc , mécon- 
tent que le roi d'Angleterre Richard, en demandant la main de la 
fille du roi de France, l’eût engagé à se mettre en garde contre ses 
trahisons, avait conclu aussitót un pacte d'alliance avec le duc de 
Lancaster, ennemi capital de Richard , et lui avait promis de l'aider à 
détróner son souverain , à condition qu’il l'aiderait de son côté à s'em- 
parer du trône de France. Aussi, lorsque les gens dudit duc de Lan- 
caster avaient été assiégés par les Francais dans le cháteau fort de 
Lourdes, le duc d'Orléans, en raison de ladite alliance, leur avait 
mandé de ne point rendre la place, promettant de leur envoyer du 
secours, s'il le fallait, pour faire lever le siége; et ce méme Henri de 
Lancaster, dans le temps qu'il cherchait à se rendre maitre du royaume 
d'Angleterre, avait, dit-on, répondu aux représentations et aux 
craintes de quelques uns de ses partisans qu'il ne redoutait point que 
la France s'opposát à son entreprise, parce que le duc d'Orléans, le 
plus puissant prince du royaume, avait fait serment de l'assister. 

« Par tout ce que je viens d'exposer, dit l'orateur, le duc a prouvé 
« évidemment qu'il aspirait au trône. Plusieurs fois méme il a accusé le 
« roi de folie et de vices énormes auprés de monseigneur Benoit, et 
« a prié le pape de lui assurer le tróne à lui et à sa postérité en pri- 
« vant le roi de la dignité royale, et en déliant ses sujets du serment 
« de fidélité. Mais le pape s'y est constamment refusé , en alléguant 
« qu'il ne pouvait le faire sans le consentement de ses frères les car- 
« dinaux. » | 

Maitre Jean Petit, voulant aussi démontrer que le duc avait commis 
le crime de lése-majesté au second chef, dit que, pendant un des accès 
du roi, il avait proposé à la reine de l'emmener avec son fils mon- 
seigneur le duc de Guienne dans le duché de Luxembourg , et lui avait 


164  CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


usque ad Lucemburgum duci permitteret , donec erga se regem 
pacificatum sentiret, qui eam exosam usque ad mortem habe- 
bat. Sed de regio sanguine procreati, attendentes eumdem per 
istam viam ad regnum aspirare, quod conceperat complere 
minime permiserunt. 

Addidit et proponens : « Adhuc , inquit, tempore succedente, 
« per quemdam puerulum domino dalfino primogenito regis, 
« in nemore Vicenarum residenti, pomum pulcherrimum misit, 
« cujus pulcritudine capta nutrix, que suum filium nutriebat, 
« ipsum invito nuncio rapuit, ex eo dedit filio, qui mox intoxi- 
« catus mortuus est; sicque patuit evidenter, quod id excogita- 
« verat de dalfino, sic in tercio gradu committens crimen lese 
majestatis. » 
In calce autem verborum, qui proponebat ostendens quam 
dampnabiliter raptores et predones armatos a tredecim annis 
citra in regno tenuerat, collectas populares atque thesaurum 
regium ad usum proprium de facto et repetitis vicibus conver- 
terat, dixit ducem Burgundie ista et multa alia probaturum, 
que concludebant ipsum ducem Aurelianensem crimen lese 
majestatis in quarto gradu commisisse, sicque propter ejus 
necem non debebat vituperari, sed laudari. 

Sic parlamento soluto, quosdam presentes circumspectos et 
eminentis sciencie memini perorata in multis reprehensibilia 


A 


censuisse; quos et sequi quamvis animus inclinaret, in sacra 
tamen pagina magistris venerabilibus determinandum relinquo 
si erronea vel ridiculosa sint dicenda. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVIII. 765 


conseillé d'y demeurer, jusqu'à ce que le roi, qui la haissait mortelle- - 
ment, füt revenu à de meilleurs sentiments à son égard; mais que 
les princes du sang, s'étant apercus qu'il voulait par ce moyen s'assu- 
rer la possession de la couronne, avaient déjoué ses projets. 


« Une autre fois, ajouta-t-il, le duc envoya par un jeune page une 
« trés belle pomme à monseigneur le dauphin, fils ainé du roi, qui 
« résidait à Vincennes. La nourrice du prince trouva le fruit si beau , 
« qu'elle le prit, malgré le page, et le donna à son enfant, qui mou- 
« rut empoisonné. Or il est évident que le duc avait l'intention de 
« faire périr le dauphin, et qu'ainsi il s’est rendu coupable du crime 
« de lese-majesté au troisiéme chef. » 


Il termina son discours en rappelant que depuis plus de treize ans le 
duc entretenait dans le royaume des pillards et des brigands armés, et 
qu'il avait à diverses reprises converti à son usage particulier les con- 
tributions levées sur le peuple et l'argent du trésor royal. Il dit que 
le duc de Bourgogne était prét à démontrer tous ces faits et d'autres 
encore, qui prouvaient que le duc d'Orléans avait commis le crime de 
lése-majesté au quatrième chef; qu'en conséquence on devait plutôt le 
louer que le blámer de l'avoir mis à mort. 


Sur ce, l'assemblée se sépara. Je me souviens que plusieurs person- 
nages recommandables et d'un éminent savoir, qui y avaient assisté, 
trouvérent ce plaidoyer répréhensible en beaucoup de points. Je serais 
disposé à partager leur avis; mais je laisse aux vénérables docteurs en 
théologie le soin de décider s'il faut regarder comme erronées ou ridi- 
cules les raisons alléguées par l'orateur. 


766 CHRONICORUM KAROLI SEXTI LIB. XXVIII. 


CAPITULUM XXXV. 


De recessu regine. 


A publicacione predicta frivola, que ducem juste necatum 
concludebat, triduo nundum exacto, regina ex improviso de 
Parisius recedens cum filio suo domino duce Guienne Meledu- 
num peciit; et quasi ab hostibus circumveniri timeret, villam 
reparari fecit et oppidum, et victualibus muniri, precipiens ut 
die noctuque portas armati homines custodirent , undecunque 
tunc potuit statuit bellatores congregare; quod rex, ad eam 
accedens incolumitate recepta, non permisit. Rediensque ducis 
Burgundie excusaciones, ut referunt qui tunc presentes erant, 
et motiva necis fraterne audiens, sub litteris graciosis sibi 
delictum pepercit, monens tamen ipsum ducem ut ab insi- 
diis et forsan imminentibus se servaret. Cui cum audacter res- 
pondisset se aliquem viventem non timere, quam diu haberet 
ipsum gratum, id sibi amicabiliter spopondit in veritate placere, 
ejusque tunc precibus annuens, deposito ab officio admirallo 
domino Cligneto de Brebanto, qui semper duci Aurelianensi 
faverat, dominum Karolum de Castellione dominum de Dompna 
Petra loco ejus substituit. 


FINIS VOLUMINIS TERTII. 


CHRONIQUE DE CHARLES VI. — LIV. XXVII. 767 


CHAPITRE XXXV. 


Départ de la reine. 


Trois jours après cette étrange apologie du meurtre du duc d'O:- 
léans, la reine quitta tout à coup Paris avec son fils monseigneur le 
duc de Guienne, et se retira à Melun. Comme si elle eût craint quel- 
que coup de main de la part de ses ennemis, elle fit réparer la ville et 
la citadelle, les munit de vivres, et ordonna que des gens armés en 
gardassent les portes jour et nuit. Elle avait aussi résolu de rassembler 
de tous cótés des gens de guerre; mais le roi, ayant recouvré la santé, 
alla la trouver et lui fit abandonner ce projet. De retour à Paris, il 
entendit , à ce que m'ont assuré des personnes là présentes, les excuses 
et les motifs présentés par le duc de Bourgogne, pour justifier la 
mort de son frére. Il lui pardonna et lui accorda des lettres de rémis- 
sion; mais en méme temps il l'engagea à se prémunir contre les piéges 
dont il pourrait être menacé. Le duc lui répondit fièrement que, tant 
qu'il aurait les bonnes gráces de sa royale majesté, il ne craindrait 
personne. Le roi lui témoigna affectueusement combien il était charmé 
de cette réponse, et sur sa priére, il retira la charge d'amiral de France 
a messire Clignet de Brabant, qui avait toujours été un des plus zélés 
partisans du duc d'Orléans, pour la donner à messire Charles de Chá- 
tillon, seigneur de Dampierre. 


FIN DU TROISIEME VOLUME. 


TABLE DES MATIÈRES 


CONTENUES DANS LE TROISIÈME VOLUME. 


LIVRE VINGT-D EUXIÈME. 


III. 97 


Cuarrrag Ir. — Les Anglais renvoient la reine d'Angleterre, fille du roi de 
France.......... DOTE TETE ST PTIT EEE ET EEE EEEETET ss Page 3 
- Cuar. IT. — Désastres occasionnés par la violence des vents............,.... 7 
Ganar. III. — Traité conclu entre le duc d'Orléans et le duc de Gueldre....... 9 
Cuar. IV. — La discorde éclate entre les ducs de Bourgogne et d'Orkéans..... 13 

LIVRE VINGT-TROISIEME. 

Caapirre I», — Des dissentiments éclatent au sujet de la soustraction d'obé- 
dience. ..... essen ecesosoosssesocooocon eeosssosotesovosee 21 
Cua». II. — Pouvoir conféré au duc d'Orléans. — Mariage du comte de Réthel.. 25 

Cu». III. — Victoire de sept Francais contre sept Anglais dans un combat par- 
ticulier........,............. eene TP 31 

Cua». IV. — Le duc de Bourgogne est mis à la tête du gouvernement du 
royaume... ...e.eeeseeehontn T eecootoeoen e. 99 
Cuar. V. — Levée d'un nouvel impôt pour réformer l'État soso Les... 39 
Cua». VI. — Mariage de la duchesse de Bretagne avec le roi d'Angleterre. . ... 41 
Cuar. VII. — Le duc d'Orléans prend possession du duché de Luxembourg.... 43 
Cuar. VIII. — Défaite des Écossais par les Anglais.......... TOPPED TOPPED 45 
Cm». IX. — De la maladie du roi..,............................. ve. 47 
Cua». X. — Défaite de Bajazet. — Départ de l'empereur de Grèce. T" Ibid, 
Cup, XI. — Dommages causés à la France par les pirateries des Anglais...... 53 
Cua. XII, — Le duc d'Orléans défie le roi d'Angleterre... .......... os. 55 

Cr. XIII. - — Assemblée des prélats à l’occasion de la soustraction faite au 
Pape... sors enesos soso soo. eccocscesessos, O1 
Cuar. XIV. — Mort du connétable Louis de SanCerTe. rs... ee ns 65 
Cuar. XV. — Naissance de Charles, fils du roi de France............. 69 
Cuar. XVI. — Monseigneur Benoît s'enfuit secrètement du palais d'Avignon. 71 


710 TABLE DES MATIÈRES. 


LIVRE VINGT-QUATRIÈME. 


Cuaprrag I**. — Traité de mariage da monseigneur Louis, fils atné du roi de 


France.................. TT T" .. Page 77 
Cuar. II. — Les tables des computs attachées aux cierges bénits sont enlevées 
des églises. ............,......... nnnsnsssenssessos css 79 
Cuar. III. — Du maréchal de France Boucicault.....................,... 8t 
Cuar. IV. — Les cardinaux et les habitants d'Avignon rentrent sous l'obédience 
du pape... ee hohe hr nos. 85 
Cuap. V. — Le royaume rentre sous Yobédience du pape Benoft, PRESSE 87 
Caap. VI. — On publie la restitution d’obédience................,....... 97 
Cuar. VII. — De ceux qui rentrérent sous l'obédience du pape.............. 99 
 Cuap. VIII. — On annonce au pape la restitution d'obédience.............. 10t 
Cuar. IX. — Du traité conclu entre les rois de France et d’Angleterre.. .... 103 
Cuar. X. — Victoire navale remportée par les Bretons sur les Ánglais...... 105 
Cuar. XI. — Le roi d'Angleterre triomphe de quelques chevaliers rebelles..... 111 
Cua». XII. — Hostilités entre les Bretons et les Anglais......... eret e 113 
Car. XIII. — Histoire de deux sorciers...,....................,........ 115 
Car. XIV. — Échec essuyé par le comte de Saint-Pol............ T 117 
Car. XV. — Rétablissement du roi...,....,......................... 123 
Car. XVI. — Le duc d'Orléans ne peut rien obtenir du pape dans l'intérêt du 
TOYAUME,. soso TTC" ecco n TP Ibid. 
Cuar. XVII.............. TT""""""""""""-"-"-"--'--- TOPPED 129 
Cua». XVIII. — Mort du seigneur de Milan................. crsosesones 131 
Car. XIX. — Lettre adressée au roi par Tamerlan............ PRES EEEE 135 


LIVRE VINGT-CINQUIÈME. 


Cnaprrag I». — Établissement d'un impôt général,........ TEE 139 
Cuar. II. — De l’état du roi......,....... eee eere ness. 143 
Cua». III. —Bavages causés par une épidémie. ........ eessoseceeee ten . Ibid. 
Cuar. IV. — Mort de monseigneur Philippe duc de Bourgogne............. 145 
Cia». V. —Maladie du duc de Berri....... T" 149 
Cua». VI. — Domaines accordés au roi de Navarre......................, 151 
Cuna», VII. — On.envoie demander une flotte an roi d’Espagne.............. 157 
Cua». VIII. — Emprisonnement du sire de Courey.................,...... 161 


Cuar. IX. — Le prince de.Galles envoie demander des secours à Paris........ 165 


TABLE DES MATIÈRES. 71! 


Cuar. X. — Seigneurs normands faits prisonniers par les Anglais....... Page 169 
Cuar. XI. — Défaite des Bretons et mort de messire Guillaume du Chátel..... 171 
Car. XII. — La mort de Guillaume est vengée......... TOP 179 
Cuar. XIII. — Les Anglais essayent de prendre 1a ville de La Rochelle....... 181 
Cna». XIV. — L'Université de Paris obtient réparation d'une i injure soso. 185 
Case. XV. — Malheurs causés par un affreux incendie............ n 195 
Cuar. XVI. — Les Anglais sont vaincus par les Bretons.................... 197 
Crar. XVII. — Prise du château fort de Corbefin...................... 201 
Casr. XVIII. — Prise de plusieurs places fortes dans le Limousin. ....... ... 207 
Cnar. XIX. — Mort de la duchesse de Bar............. sehr 211 
Car. XX. — Mariage de monseigneur le dauphin...... DEPT 213 
Cnar. XXI. — Mort de la reine de Sicile............................... 215 
Cuar. XXII. — Envoi d’une ambassade à Rome au sujet de l'union. — Mort 

de l’antipape........,....,.,.,..... eee ehh hh] hehe 217 
Cxar. XXIII. — Malbeureuse issue de l'expédition du comte de la Marche.... 9923 
Cnar. XXIV. — De la maladie du roi....................,.......,.,.. 297 
Car. XXV. — Contribution générale imposée au peuple.................. 229 
Cuar. XXVI. — Mort de la duchesse de Bourgogne..............,....... 235 

LIVRE VINGT-SIXIÈME. 

Cnavirre I*. — Dime imposée sur l'Église de France. ......... est 237 
Cuar. II. — L'intrus notifie à l'Université ce qui s'était passé à Rome........ 941 
Cna». III. — Le duc de Berri écrit à Rome, pour s'assurer si le rescrit pontifical 

était controuvé , ainsi que bien des gens le pensaient.................... 251 
Cuna». IV. — Mariage du duc de Gueldre...... TP ess 257 
Cuap. V. — Expédition du comte de Saint-Pol contre les Anglais. — Sa retraite 

honteuse......,,.......,...,....... TON wee nnn 259 
Cuar. VI. — Monseigneur Benoit se rend à Gênes pour travailler à l'union de 

l'Église. ................ss..o... T" 263 
Cra». VII. — Prédication faite en présence du roi et de la reine sur la réforme 

des mœurs de la cour.................,...,........ssesessssss.e. 267 
Cuar. VIIT. — Prise du château de Mortagne, ..................,........ 275 
Crar. IX. — Désastres causés par les inondations.....,...,..... MEE 979 
Crar. X. — Affreux coups de tonnerre; étranges effets de la foudre..... ..... 981 
Cua». XI. — Le duc d'Orléans veut prendre le gouvernement du duché de 

Normandie, ...... eestseoteeossoso TP sons. e. 285 


Cnar. XII. — On prie le roi de veiller à ce que les affaires du royaume soient 
conduites avec plus de prudence. ..,..::...; Sense es se 289 


712 TABLE DES MATIÈRES. 


Cuar. XIII. — Le duc de Bourgogne ramène à Paris monseigneur le duc de 


Guienne qu'on avait enlevé secrètement... ... TOPPED Page 9291 
Cuae. XIV. — Le duc de Bourgogne fait exposer au conseil des princes la nécessité 

de réformer le gouvernement de l’État............................... 7 
Cuap. XV. — On tend des chaines de fer dans les rues de Paris............. 307 
Cuapr. XVI. — Négociations pour rétablir la paix entre les ducs............ 311 
Cuar. XVII. — Glorieuse expédition de Charles de Savoisy...... TOPPED 317 
Car. XVIII. — Expédition du maréchal de Rieux dans le pays de Galles..... 32 


CuaP.. XIX. — Maux causés dans le royaume par la discorde des ducs........ 331 
Cnar. XX. — Comment le duc de Bourgogne harangua les bourgeois de Paris. 

— Traité de paix entre les dues..................................... 341 
Car. XXI. — On prie les ducs de prendre plus de soin du roi et du royaume. 345 
Cuar. XXII. — Expédients auxquels on a recours pour rendre la santé au roi. 349 
Cuap. XXIII. — Moyens proposés pour remplacer les impôts,..,............ 351 
Cuar. XXIV. — Le roi accorde l'exemption de la dime à l’Université. ........ 353 
Cuap. XXV. — Exploits par lesquels se signala le comte d'Armagnac durant le 


cours de cette année,......ceeeeeeeeeee eee et snsrosnssososee 355 
Cap, XXVI. — On refuse du blé aux Anglais. ...,...... sonosnssssesse 359 
Cuar. XXVII. — Négociations relatives à l'union de l'Église TED ... Ibid. 
Cap. XXVIII. — Du nouvel amiral de France... .... TRETEN eS. 363 


Cuap. XXIX, — L'armée francaise se divise en trois corps pour assiéger Bran- 
— tóme, défendre la Picardie, et combattre les Lorrains................... 365 


LIVRE VINGT-SEPTIEME. 


Cuavirre I5. — Monseigneur le cardinal de Challant expose l'objet de sa mis- 


Cuap. IJ. — Les ducs soumettent le différend de l'Université et du pape à mes- 


sieurs du Parlement................. TIENE 379 
Cuar. III. — Sentence rendue au Parlement en faveur de l'Université... ...... 387 
Cuar. IV. — Éclipse de soleil. .............,.......... PRE 391 
Cuap V. — Mariage du second fils du roi avec la fille du comte de Hainaut, 

et de sa fille Isabelle avec le fils du duc d’Orléans...................... 393 
Cuar. VI. — Mariage du comte de Penthièvre..........,......,......... 397 
Cup. VIT. — Expédition des Francais en Lorraine....................... Ibid. 
Cuar. VIII. — Du corps d'armée qui défendait la Picardie................. 401 


Cuap. IX. — Les Français battent les Gascons et s'emparent de la ville de Bran- 


TABLE DES MATIÈRES. 773 


Cuap. X. — Quelques Français s'émparent d'une ville et de plusieurs chäteaux 


forts en Guienne................. "Tnm Page 417 
Cuar. XI. — Quelques seigneurs anglais demandent du secours au roi de 
France, pour venger l'assassinat de leur roi Richard................... 497 
Cua». XII. — Chétif état de la maison du dauphin. — Expéditions des ducs 
d'Orléans et de Bourgogne............................ soso .. 433 
Car. XIII. — Départ du duc d'Orléans. — Différend survenu à l'occasion de la 
tête de saint Denys. . .... T"""---—-——— sesese 437 
Caar. XIV. — Fin de l'expédition du duc de Bourgogne et de celle du duc 
d’Orléans................,........ T"---"---"-""---""-- 449 
Cuae. XV. — Du duc d'Orléans......... eee eme sss A51 
Cnar. XVT. — Des dommages que les Français font éprouver sur mer aux An- 
glais........... dresse esnosesssnsseseseseersssreeeesse 463 
Cuar. XVII. — La question de la soustraction d'obédience est agitée en concile. 465 
Car. XVIII. — Soustraction faite au pape de la collation des bénéfices... ... 473 
Cua». XIX. — L'antipape et ses cardinaux adoptent la voie de cession pour 
parvenir à J’union....,............,................... TOP 489 
Cuar. XX. — Bulle adressée par Grégoire à monseigneur le pape Benoit...... 499 
Cuar. XXI. — Réponse de monseigneur Benoit à Grégoire....... ISP 505 
Cuar. XXII. — Une ambassade solennelle est envoyée par le roi et par l'Église 
gallicane aux deux prétendus papes.............. T TOPPED 311 


Cua». XXIII. — Grégoire invite monseigneur Benoît à háter le rétablissement 
de l'union de l'Église,. ..... TTC T eO. 921 


LIVRE VINGT-HUITIEME. 


CHaPiTRe I*, — Du traité des deux prétendants à la papauté......... ARE 529 
Cuar. II. — Teneur de l'instrument.............. esocotecssess esaet 533 
Cuna». III. — Première délibération des ambassadeurs de France. — Lettre de 
ces ambassadeurs et réponse de ceux de Rome......................... 563 
Cuar. IV. — On délibère sur ce que l'on dira au pape et sur ce que les Romains 
pouvaient penser du traité conclu....... ee nh hm he a i) ht nn 571 


Crap. V. — Résolutions prises par les ambassadeurs de concert avec le cardinal. 575 
Cnar. VI. — Le pape reçoit les ambassadeurs avec les plus grands égards. — 

Sa réponse à leur premier discours............,.,.,.. sons. ees. 583 
Cni», VII. — Réponse du pape...................................... 587 
Cua». VIII. — Monseigneur Benoit refuse de livrer des bulles confirmatives de 

son consentement à la voie de cession......... TTD eec ns n sss 903 


TU TABLE DES MATIÈRES. 


Cua». IX. — Conférence des ambassadeurs avec les cardinaux au sujet de leur 


MISSION. . e. eese eese hehe htt T . Page 603 
Cuar. X. — Les ambassadeurs cherchent i à obtenir du pape une bulle de renon- 
ciation, .......soo.eee PETITE eecooeocovtve Soon 613 


Cua». XI. — Le pape fait connaître ses intentions aux ambassadeurs par quel- 

ques uns d'entre eux; mais il refuse de leur livrer une bulle confrmative de 

sa promesse de cession..........,.......eeonoesoresssoeoesesssese 615 
Car. XII. — Réponse du pape..........,.........s.eososssssessee 621 
Cua». XIII. — Les ambassadeurs délibérent s'ils doivent signifier au pape la 

soustraction d'obédience. Les uns partent pour Rome, les autres retournent 

à Paris, d’autres restent à Marseille................. TOP ss... 625 
Cuap. XIV. — Le roi de France , après avoir entendu le rapport des ambassa- 

deurs, engage Grégoire à persister dans l'accomplissement de l'union..... 637 
Car. XV. — Route suivie par les ambassadeurs de France jusqu'à Rome.... 645 
Cnuap. XVI. — Première réponse de Grégoire aux ambassadeurs de France et à 


ceux de monseigneur Benoit. .......... T" 647 
Cuapr. XVII. — Discours des ambassadeurs et réponse de Grégoire........... 651 
Car. XVIII. — Offres faites à Grégoire. — Ses subterfuges et ses excuses fri- 

voles................. PETITE TT"""""-—— TOPPED T" 655 
Cnar. XIX, «— Excuses frivoles de Grégoire...... ese eerte ne 657 
Cna». XX. — On fait de vains efforts pour amener Grégoire à ne rien changer 

au traité et à remplir ses promesses.............. sonner +... 667 
Car. XXI. — Les ambassadeurs de monseigneur Benoît se plaignent de n'avoir 

pas encorc recu de réponse de Grégoire............................... 673 


Car. XXII. — Réponse faite aux ambassadeurs du pape et du roi de France.. 677 
Cuar. XXIII. — Réponse des ambassadeurs au sujet de la cédule qui leur était 


Cæar. XXIV. — Réponse définitive de Grégoire... . T" ons 685 
Car. XXV, — Départ des ambassadeurs du pape et de ceux du roi de France. 697 
Car, XXVI. — Les ambassadeurs prient de nouveau Grégoire de rétablir 


l'union de l’Église...........,...............,..... TREPPPPPPS 701 
Cnapr. XXVII. — Les ambassadeurs exposent à monseigneur Benoît ce qui 

s'était passé à Rome..............,.,..,... eccsescssooeosesecseocsocoe 713 
Cni». XXVIII. — Le roi suspend pour un temps l'exercice des droits de prise 

qui pesaient sur le peuple..........,..,.,.....,................s... 721 
CHar. XXIX. — Différend survenu entre l'Université et le prévót de Paris, au 

sujet de deux écoliers qui avaient été pendus........ T" T 733 
Car. XXX. — Naissance d'un fils du roi de France. — Fin tragique du duc 

d'Orléans. .............. TEE TP T" T" 731 


TABLE DES MATIÈRES. 775 


Cuar. XXXI. — Portrait du duc d'Orléans. — Son meurtrier se fait con- 
naître.........,..... eesoesecHesescetseesesotoossosososenóos Page 739 

Cuar. XX XII. — De la rigueur de l'hiver et des désastres causés par les glaces. 745 

Cmar. XXXIII. — Madame la duchesse d'Orléans vient demander justice de 
l'horrible et cruel assassinat commis sur la personne de son mari.......... 749 


Cm». XXXIV, — Motifs allégués par le duc de Bourgogne touchant le meurtre 
du duc d’Orléans................. T" EESTI" 753 


TIN DE LA TABLE DR$ MATIERES CONTENUES DANS LE TROISIÈME VOLUME. 


ERRAT A. 


Page 111, ligne 24, au lieu de et traitant lisez et le traitant. 

Page 453, ligne 3, au lieu de les principaux chevaliers lisez ses principaux 
chevaliers. 

Ibid. ligne 7 , au lieu de ses places fortes lisez les places fortes. 

Page 5929, lisez au bas de la page la note suivante : 
L'année 1407 commença le 27 mars. 


Page 551 , ligne 3 , au lieu de déclaration d'inhabileté lisez déclaration d'inbabi- 
lité. 

Page 557 , ligne 13, au lieu de gens habitants lisez gens, habitants. 

Page 681 , ligne 18 , au lieu de ils avaient rompu lisez ils eussent rompu. 

Page 723, ligne 9, au lieu de qui les accablent lisez qui les accablait. 











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